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Full text of "Dictionnaire de la conversation et de la lecture : inventaire raisonné des notions générales les plus indispensables à tous"

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Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  with  funding  from 

Univers ity  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/dictionnairedela03duck 


RÉPERTOIRE 


DES 


CONNAISSANCES  USUELLES 


LISTE  DES  AUTEURS  QUI  ONT  CONTRIBUÉ  A  L\  RÉDACTlOxN 
DU  ^^  VOLUME  DE  CETTE  ÉDITION. 


MM. 

Aalliolm,  d'Arendal. 

Ahrens  (IL),  à  Gœttingue. 

Aicard  (Jean). 

Aicuibert  (D'). 

Ancelot  (Madame  Virginie). 

Arago  (Etienne). 

Arago  (Jacques). 

Artaad,  ancien  inspecteur  général. 

Aiibert  de  VUry. 

Andirrret  (11.). 

Auger,  de  l'Académie  française. 

Bandeville  (l'abbé). 

Barbier  (  Ant.-Alex.  ),  anc.  bibliothécaire 
de  l'Empereur. 

Bardln  (le  général). 

Bcrliu  (l'abbé  J.). 

Bordag-Denioulin. 

BouchiUé,  r/icteiirdc  l'Acad.  de  Chait;cs. 

Bouillet.  ancien  proviseur. 

Bourdon  (D'^Isid.  ),  de  l'Acad.  de  médcc. 

Bradi  (Madame  la  comtesse  de). 

Bretou,  de  la  Gazette  des  Tr-ibininux. 

Brunet  (Gustave),  ù  Bordeaux. 

Biicbon,  anc.  insp.  général  des  Arcliives. 

Castil-Blaze. 

l'.banipaguac. 

Chauipolllou-Figeac  (J.  J.),  ancien  con- 
servateur de  la  Bibliothèque  nationale. 

Gbarbonnier  (D*^). 

Gbasics  (Philarète),  professeur  au  Collège 
de  France. 

Chateaubriand,  de  l'Acadéni.  française. 

Chevalier  (Auguste),  ancien  secrétaire 
général  de  la  Présidence. 

Clavier,  de  l'Académie  des  inscriptions. 

Corbière  (  Edouard  ). 

Corcy  (B.  de). 

Corinenin  (Vicomte  de),  conseiller  d'État. 

Cuttereau  (P.  L.),  anc.  professeur  agrégé 
à  la  Faculté  de  médecine  de  Paris. 

Cuvier  (Georges),  anc.  secrétaire  perpé- 
tuel de  l'Académie  des  sciences. 

Uanjou  (F.). 

Delaforest  (A.). 

Uclanibre ,  anc.  secrétaire  perpétuel  de 
de  l'Académie  des  sciences. 

Delbare  (Th.),  anc.  prccept.  des  Inf.  d'Esp. 

Démezii. 

Deunc-Baron. 

Des  Gcuevez  (A. ) 


MM. 

Despretz,  de  l'Académie  des  sciences. 

Dnbard ,  ancien  procureur  général. 

Oubier. 

Uucbesne  aine,  conserv.  de  la  Bibl.  nat. 

Dufey  (de  l'Youne). 

Duciiett  (W.  A.). 

DUpetit-Tbonars,  de  l'Acad.  des  sciences. 

Du  Rozoir  (Charles),  ancien  professeur 
suppléant  à  la  Faculté  des  lettr.  de  Paris. 

Faucbe  (H.),  anc.  profess.  de  rhétorique. 

Favé  (I.),  capit.  d'artill,,  officier  d'ordon- 
nance du  Prince-Président  de  la  républ. 

Favrot,  ancien  chef  des  travaux  chimi- 
ques à  l'École  des  mines. 

Fayot  (Frédéric). 

Feillet  (A.). 

Ferry,  anc.  examinât,  à  l'École  polytechn. 

Français  (de  Nantes),  anc.  pair  de  France. 

Fiévée  (Joseph). 

Forget  (D"^),  professeur  à  la  Faculté  de 
médecine  de  Strasbourg. 

Friess-Colonna ,  archiviste  du  départe- 
ment de  la  Corse. 

Gallois  (Napoléon). 

Gaultier  de  Claubry,  profess.  à  l'École 
polytechnique. 

Ginguené,  de  l'Académie  des  inscriptions. 

Granier  de  Cassagnac,  dép.  au  Corps  lég. 

Guinot  (Eugène). 

Guy  d'Agde  (A.) 

Hauréau  (B.),  anc.  conserv.  à  la  Bibl.  nat. 

Héreau  (Edme). 

Jacob  (P.  Lacroix),  le  Bibliophile. 

Janin  (Jules). 

Kératry,  ancien  pair  de  France. 

Lafage  (Adrien  de). 

Laine,  anc.  généalogiste  des  ordres  du  Roi. 

Lally-Tollendal,  de  l'Académ.  française. 

Lassime  (J.  de),  avocat  à  la  Cour  d'appel 
de  Paris. 

Laurent  (de  l'Ardèche),  biblioth.  du  Sénat. 

Laurent  (L.),  ancien  chirurgien  en  chef 
de  la  marine. 

Laurentie ,  anc.  inspect.  en.  gde  l'Univ. 

Lavigue  (E.) 

Leconite  (Jules). 

Leinoine  (Edouard). 

Lenioiniic  (John). 

Le  Houx  de  Lincy. 

Lonvei. 


MM. 
Mahui  (A.),  ancien  préfet. 
lUarmouiel. 

Marrasl (Armand), anc. prés,  de  l'Ass.  nat. 
Merlieax  (Ed.). 
Martin  (Henri). 
Monglave  (Eugène  Garay  de). 
Muller  (J.). 
Muntz. 

Nodier  (Charles),  de  l'Académie  française. 
Norvins  (J.  de). 

Ortigue  (J.  d'),  prof,  au  Conserv.  de  mus. 
Oarry. 

Paffe,  ancien  professeur  de  philosophie. 
Page  (Théogène),  capitaine  de  vaisseau. 
Paris  (Paulin  ,  de  l'Acad.  des  inscriptions. 
Paton  (Jules),  banquier. 
Pautet  (Jules). 
Pelouze  père. 
Reiffenberg  (Baron  de). 
Rocbe  (Achille). 

Bolle  (Hipp.),  biblioth.  de  la  ville  de  Paris. 
Romey  (Charles). 
SaiDt-Prosper. 
Saint-Prosper  jeune. 
Salvandy  (N.  A.),  de  l'Académie  franc. 
Sandean  (Jules). 

Sarrans  jeune,  anc.  membre  de  l'Ass.  nat, 
Savagner  (Auguste],  ancien  professeur  au 

lycée  Charlemagne. 
Say  (J.  B.),  de  l'Institut. 
Ségalas  (Madame  Anaïs). 
Simon  (D'  Léon). 
Slsmondi  (Simonde  de). 
Suard,  de  l'Académie  française. 
Talleyrand-Périgord  (Prince-duc  de), 

de  l'Acad.  des  sciences  moral,  et  politiq. 
Teyssèdre. 

Tissot,  de  l'Académie  française. 
Tollard  aîné. 

Tonssenel,  prof,  au  lycée  Charlemagne. 
Vaudonconrt  (le  général  G.  de),  ancien 

aide  de  camp  du  prince  Eugène. 
Vaulabelle  (Achille  de),  ancien  ministre 

(je  l'Instruction  publique. 
Vaulabelle  (Éléonore  de). 
Viennet.  de  l'Académie  française. 
Viollet-Leduc. 
Virey. 

Vivien ,  de  l'Acad.  des  se.  mon  et  politiq. 
Voltaire. 


('ans    —  1  si'"Si^|il>ic  ili    Fil  min  Dulul  ficti'S,  rue  Jarob,   M. 


DICTIONNAIRE 


DE  LA 


CONVERSATIOIS 

ET  DE  LA  LECTURE 

INVENTAIRE  RAISONNÉ  DES  NOTIONS  GÉNÉRALES  LES  PLUS  INDISPENSABLES  A  TOUS 

TAR  WM  SOCIÉTÉ  DE  SATOTS  ET  DE  GEWS  DE  LETTRES 

sous  LA  DIRECTION  DE  M.  W.  DUCKETT 


Seconde  édition 


ENTlEREMEiNT    REFONDUE 
CORRIGÉE,    ET    AUGMENTÉE   IIE   PLUSIEURS   MILLIERS   d'aRTICLES  TOUT  d'aCTUALITÉ 


Celui  qui  voit  tout  abrège  tout. 

MOWTESQUIED. 


TOME  TROlSlliMlî 


PARIS 


LIBRAIRIE  DE  FIRMIN   DIDOT  FRÈRES,   FILS  ET  G" 

IMPRIMEURS   DE   L^INSTITUT,    RUE   JACOB,    50 

M  DGCC  LXVII 


Les  lecteurs  sont  prévenus  que  tous  les  mots  espacés  dans  le  texte  courant  (  par 
exemple  :  Transsubstantiation,  Immortalité,  César]  sont  l'objet  d'articles 
spéciaux  dans  le  Dictionnaire,  et  constituent  dès  lors  autant  de  renvois  à  consulter. 


DICTIONNAIRE 


DE 


LA  CONVERSATION 


ET  DE  LA  LECTURE. 


BÉRAAGER  (Pierre-Jeam  de),  poète  national,  est 
aéà  Pans,  le  19  août  1780. 

Panard  s'enivrart  et  s'endormait  à  table,  mais  le  vin  et 
le  sommeil  lui  donnaient  des  inspirations;  et  si  on  l'éveillait 
pour  lui  demander  des  couplets,  il  en  produisait  de  cliar- 
luants ,  comme  un  arbre  dont  on  agite  les  brandies  laisse 
tomber  les  fruits  mûrs  qu'il  porte  dans  la  saison  de  sa  fécon- 
dité. La  table  et  le  vin  inspiraient  également  un  épicurien 
qui  n'était  pas  sans  quelque  ressemblance  avec  le  La  Fon- 
taine de  la  cbanson  :  en  supprimant  les  bons  repas  à  D  é- 
saugiers,  vous  auriez  supprimé  sa  muse;  le  jour  où  les 
bouteilles  de  Champagne  et  les  tonneaux  de  Bourgogne  eus- 
sent été  réduits  pour  elle  à  la  lie,  vous  l'auriez  vue  sortir 
«ic  chez  son  hôte  comme  la  courtisane  infidèle  dont  parle  Ho- 
race. Le  vin  ne  fait  pas  ainsi  le  génie  de  Béranger  :  convive 
délicat,  il  s'humecte  à  petits  coups,  et  ne  trouve  pas  ses  vers 
à  force  de  rasades.  Quand  Béranger  chante  sur  le  ton  de  Pa- 
naid ,  vous  ne  trouvez  point  en  lui  cet  abandon  de  l'ivresse, 
qui  était  une  espèce  de  muse  pour  l'auteur  de  La  grande  et  la 
petite  Mesure  ;  mais  sa  franche  et  libre  gaieté  éclate  sous  la 
direction  cachée  d'une  raison  qui  ne  sommeille  jamais.  Cette 
raison  habite  plus  haut  que  celle  de  Panard  ;  l'horizon  des 
idées  s'est  beaucoup  étendu  devant  elle  ;  ses  tableaux  tien- 
nent de  la  grandeur  des  sujets  dont  ils  nous  représentent 
l'image.  Ainsi,  deux  seuls  couplets  de  la  chanson  intitulée 
Le  Aouveau  Diogène  sufûsent  pour  nous  apprendre  que  la 
liberté  est  venue  visiter  la  France ,  et  qu'il  existe  un  con- 
grès de  rois  qui ,  au  lieu  de  se  faire  représenter  par  des 
ministres,  ont  voulu  régler  eux-mêmes  les  destinées  de 
l'Europe. 

Puisque  j'ai  prononcé  le  nom  de  Diogène,  je  ne  dois 
pas  taire  que  je  crois  voir  en  notre  Béranger  quelque  chose 
de  ce  philosophe,  orgueilleux  de  sa  pauvreté  indépendante, 
ne  demandant  au  plus  puissant  des  rois  que  de  ne  pas  lui 
ôfer  son  soleil,  et  occupé  toute  sa  ^^e  à  regarder  dans  le 
Ctt'ur  de  riiomme  avec  une  curiosité  d'observateur  satirique. 
Aussi ,  les  plus  fortes  saillies  de  Béranger  sont  encore  des 
peintures  de  mœurs  ou  même  de  hautes  leçons.  Dans  le 
nombre  des  premières ,  on  peut  compter  le  Sénateur,  qui 
dérida  le  front  sévère  de  Napoléon  au  temps  de  ses  plus 
grands  embarras.  Dans  la  catégorie  des  secondes,  il  faut 
ranger  le  Roi  d'Yvetot,  censure  aussi  vive  que  généreuse  et 
gaie  du  conquérant  qui  donnait  alors  des  lois  à  l'Europe. 
Seul ,  au  milieu  de  cette  Europe  qui  se  taisait  devant  un 
autre  Cyriis  ou  un  autre  Alexandre,  un  simple  chansonnier, 

DICT.   DE   L\    C0\V.    —    T.    «I. 


commis  dans  un  bureau  du  gouvernement,  osa  faire  la  cri- 
tique du  prince  guerrier.  La  nation  entière  applaudit  à  la 
plaisanterie  charmante  et  philosophique  du  Roi  d' Yvetot.  Le 
vainqueur  de  Darius,  dans  un  premier  accès  d'emportement, 
aurait  pu  envoyer  aux  carrières  le  poète  capable  d'une  telle 
témérité;  Napoléon  lui-même  se  prit  plus  d'une  fois  à  fre- 
donner la  naïve  satire,  mais  il  ne  profita  pas  de  la  leçon 
qu'elle  contenait.  C'est  par  la  chanson  du  Roi  d'Yvetot  que 
la  France  fit  connaissance  avec  Béranger. 

La  gaieté  de  Béranger,  moins  vive  et  moins  communica- 
tive  que  celle  de  Panard  et  de  Désaugiers ,  ressemble  au 
comique  de  Molière,  souvent  si  sérieux  quand  il  nous  fait 
rire  de  nous-mêmes  et  des  autres  ;  mais ,  comme  le  con- 
templateur, il  a  pensé  au  peuple  et  à  tant  de  gens  comme  il 
faut  qui  sont  peuple  aussi.  Le  Petit  homme  gris,  La  Mère 
aveugle.  Le  Voisin,  sont  des  farces  que  Béranger  nous 
donne  après  de  graves  comédies.  Le  rigorisme  a  repris  dans 
ces  tableaux  à  la  Téniers  des  traits  qui  vont  jusqu'à  la  li- 
cence, mais  la  cour  du  plus  majestueux  acteur  de  la  royauté 
que  l'on  ait  vu  sur  le  trône  passait  à  Molière  bien  des  liber- 
tés que  notre  pruderie  de  nouvelle  date  repousserait  aujour- 
d'hui, sans  qu'on  puisse  inférer  justement  de  ce  scrupule 
que  nos  mœurs  soient  préférables  à  celles  de  nos  devanciers. 
Avouons  toutefois  qu'il  serait  à  souhaiter,  malgré  la  verve 
et  la  poésie  dont  elles  brillent ,  que  certaines  chansons,  em- 
preintes d'une  hberté  vraiment  cynique ,  ne  figurassent  pas 
parmi  les  belles  et  morales  composi  t  ions  de  Béranger  ;  du  moins 
faudrait-il  qu'elles  fussent  imprimées  dans  un  volume  à  part. 

Béranger  laisserait  encore  un  nom,  même  quand  il  ne 
serait  que  le  rival  des  Panard  et  des  C  o  1 1  é  ;  mais  il  y  a  plus 
en  lui  quun  membre  de  cet  ancien  Caveau ,  si  bien  sur- 
nommé l'académie  du  plaisir  par  AL  Etienne.  Né  pour  ainsi 
dire  avec  une  époque  qui  fit  plus  pour  les  progrès  et  le 
bonheur  du  monde  que  toutes  les  autres  époques  de  la  ci- 
vilisation, sevré  du  lait  des  écoles,  mais  aussi  préservé  des 
eireurs  qu'elles  enseignent  avec  les  bonnes  doctrines ,  il  a 
formé  sa  raison  à  même  les  événements,  et  son  talent  a 
reçu  d'eux  cette  empreinte  originale,  libre  et  forte,  qui  le 
caractérise.  Nourri  d'indépendance  dans  le  sein  de  la  pau- 
vreté, abreuvé  de  philosophie  par  Montaigne,  Molière,  La 
Fontaine,  Voltaire  et  Rousseau,  Béranger  n'a  point  d'idole, 
point  de  fétiche,  point  de  marotte;  il  ne  sait  baisser  la  fête 
devant  aucun  préjugé  moral,  politique  ou  littéraire;  il  ne 
recule  devant  aucune  vérité.  Au  lieu  de  perdre  son  temps  et 
son  génie  à  essayer  de  ressusciter  le  passé ,  |)rclention  ou 

1 


RERANGER 


faiblesse  qiri  ont  égaré  plus  d'un  écrivain  Iiabile  de  nos  jours, 
il  adopte  les  lumières,  il  reconnaît  les  bienfaita  du  présent, 
et  marche  vers  l'avenir  le  front  levé. 

IJérangcr  est  un  poëte,  c'est-à-dire  un  faiseur,  un  boramc 
qui  crée  :  l'invention,  voilà  son  premier  mérite.  Il  conçoit 
avec  bonheur,  médite  avec  force  et  constance;  il  creuse  ses 
idées  au  lieu  de  céder  à  cette  impatience  des  jeunes  écri- 
vains dont  le  pinicau  brille  de  jeter  de  la  couleur  sur  le 
premier  germe  éclos  de  leur  imagination  :  chez  eux,  le  titre 
d'une  pièce  la  révèle  tout  entière;  chez  lui,  le  titre  cache 
souvent  un  mystère  que  l'on  cherche  vainement  à  deviner, 
même  quand  on  a  une  longue  habitude  du  geure  de  ses 
compositions. 

Uéranger  a  toujours  affirmé  qu'il  ne  savait  pas  les  lan- 
gues classiques.  On  ne  peut  guère  douter  de  ce  que  dit 
un  hocnme  de  ce  caractère  ;  cependant,  après  avoir  lu  un 
certain  nombre  de  ses  belles  chansons,  qui  respirent  tout 
le  parfum  de  la  poésie  antique  ,  on  éprouve  bien  de  la  peine 
à  se  défendre  de  l'incrédulité.  Mais  si  Uéranger  n'a  lu  ni 
Homère,  ni  Virgile,  ni  Horace  et  leurs  pareils  dans  leur 
propre  idiome ,  il  n'en  a  pas  moins  fait  de  ces  auteurs  une 
étude  approfondie,  qui  éclate  par  ses  jugements  sur  eux, 
et  surtout  par  sa  manière  de  composer  et  d'écrire.  On  di- 
rait qu'en  se  pénétrant  de  leur  substance  il  a  deviné  le  ca- 
ractère et  les  formes  de  leur  style ,  réfléchi  par  celui  de 
nos  grands  écrivains  qu'il  a  tant  étudiés  dans  un  travail 
continuel  de  sa  tête  méditative.  Déranger ,  qui  ne  les  copie 
jamais ,  doit  beaucoup  à  Montaigne  ,  à  Molière  et  à  notre 
fabuliste.  Béranger  est  souvent  un  satirique  ;  il  donne  quel- 
quefois de  sanglantes  leçons ,  mais  elles  ne  sont  pas  odieuses 
comme  certains  traits  de  Juvénal  et  d'Aristophane,  qui  bri- 
sent le  masque  sur  le  visage  des  coupables ,  et  les  nomment 
eu  les  montrant  ;  méchant  à  la  manière  de  Regnard  ou  de 
La  Fontaine,  on  sent  de  la  bonhomie  jusque  dans  ses  plus 
grandes  colères. 

Au  reste ,  si  l'on  pouvait  en  vouloir  un  moment  à  Béran- 
ger ,  on  ne  lui  garderait  pas  longtemps  rancune ,  en  voyant 
combien  les  affections  douces  et  tendres  dominent  dans  ses 
compositions.  Si  j'ouvre  Anacréon,  je  trouve  un  homme 
occupé  de  lui  seul ,  qui  ne  pense  qu'à  sa  coupe  et  à  sa  maî- 
tresse. Il  y  a  toujours  un  ami  en  tiers  dans  les  plaisirs  de 
Béranger  ;  l'amitié  est  sans  cesse  auprès  de  lui  pour  recevoir 
ces  confidences  de  l'amour ,  si  précieuses  aux  cœurs  sen- 
sibles. Qu'un  ami  de  Béranger  tombe  dans  le  malheur,  il 
obtiendra  du  poëte  des  tributs  que  la  richesse  et  la  puis- 
sance tenteraient  en  vain  de  payer  au  poids  de  l'or. 

Je  n'ai  jamais  flatté  que  l'infortune, 

est  la  devise  de  Béranger  ;  il  ignore  surtout  comment  on 
supprime  l'éloge  de  Gallus.  Les  élégantes  compositions,  les 
vers  exquis  d'Horace ,  les  descriptions  brillantes  et  quel- 
quefois passionnées  de  Properce ,  les  tendres  supplications 
du  bon  Tibulle,  nous  inspirent  fort  peu  d'intérêt  pour  les 
femmes  dont  ils  portent  les  chaînes  ;  la  Lisette  de  Béranger, 
simple ,  tendre,  sensible,  et  pourtant  friponne ,  a  un  charme 
particulier  :  on  croit  au  bonheur  de  son  poëte.  Et  puis , 
comme  il  lui  parle  d'amour  !  Tantôt  c'est  l'accent  de  Parny , 
qui  invite  Éléonore  à  venir  habiter  les  champs  ;  tantôt  c'est 
le  ton  (le  Voltaire  d;ms  l'épître  des  Tu  et  des  Vous  ;  ailleurs 
on  dirait  d'un  autre  Chaulieu ,  devenu  plus  sensible,  mê- 
lant la  gaieté  d'un  convive  heureux  à  des  souvenirs  poli- 
tiques, et  baissant  humblement  la  tête  sous  le  joug  prescrit 
par  l'arbitre  souverain  de  ses  volontés.  Ce  dernier  trait 
rappelle  la  chanson  qui  a  pour  titre:  La  République,  chan- 
son pleine  de  grûce  et  d'originalité,  qui  contient,  sous  une 
(orme  légère,  des  allusions  aux  plus  grands  événements  du 
siècle. 

Par  une  certaine  habitude  de  mélancolie,  Béranger  ainje 
h  remonter  le  cours  des  années.  Ce  retoiu-  triste  et  doux 
sur  un  passé  qui  tient  encore  au  présent  lui  a  inspiré  Le 


bon  Vieillard ,  ta  plus  pure  peut-être  de  ses  composition». 
Les  souvenirs,  les  sentiments,  les  espérances,  les  délica- 
tesses du  cœur,  l'amour  sacré  de  la  patrie,  font  de  cette 
ode  une  pièce  achevée ,  dont  il  n'y  a  de  modèle  ni  dans 
l'antiquité  ni  chez  les  modernes  ;  on  ne  peut  la  lire  sans 
répandre  des  larmes.  Ainsi  que  Tibulle  et  Parny,  Béranger 
interrompt  les  transports  d'une  passion  fortunée  pour  chan- 
ter sa  mort  et  adresser  ses  derniers  adieux  à  sa  maltresse. 
Encore  jeune  et  jolie,  il  eu  fait  tout  à  coup  une  bonne 
vieille  q\ii  survit  à  son  ami  et  le  pleure  au  coin  du  feu. 
L'esprit  adofite  avec  plaisir  cette  fiction  attendrissante; 
mais  connue  l'intérêt  s'élève  et  sort  du  cercle  étroit  des 
choses  ])ersonnelles  quand  le  |>oéte  termine  ses  adieux  en 
reportant  notre  pensée  sur  les  malheurs  de  la  patrie  et  l'es- 
pérance de  rinunortalité! 

Béranger  n'affecte  pas  tel  ou  tel  état  de  l'âme  pour  com- 
plaire au  caprice  de  son  talent  qui  veut  montrer  sa  flexi- 
bilité; il  cède  à  des  impressions  du  moment ,  à  des  impres- 
sions secrètes  et  inattendues,  dont  ses  ouvrages  portent 
l'empreinte.  Triste  aujourdliui ,  il  fait  une  ode  élégiaque 
comme  celle  d'Horace  sur  la  moil  de  Quintilius;  demain, 
le  ciel  sourit,  son  imagination  prend  les  riantes  couleurs  de 
l'horizon  et  enfante  des  rêves  de  bonheur.  Alors ,  il  in- 
vente, il  compose  à  la  manière  des  Grecs,  sans  penser  à 
imiter  personne.  Que  sont  les  souhaits  faut  vantés  d'Ana- 
créon  auprès  de  la  chanson  du  Petit  Oiseau,  on  le  sourire 
est  toujours  près  des  larmes?  Ce  même  genre  de  mérite, 
avec  un  intérêt  encore  plus  touchant,  donne  beaucoup  de 
prix  à  L'Aveugle  de  Bagnolet ,  le  Bélisaire  de  la  chanson. 
On  retrouve  aussi  la  teinte  d'une  douce  sensibilité  dans  la 
chanson  si  originale  des  Étoiles  qui  filent,  et  dans  la  pièce 
intitulée  Ma  Lampe ,  l'un  des  éloges  les  plus  heureux  et  les 
plus  délicats  qu'une  sympathie  généreuse  pour  le  talent  ait 
jamais  inspirés  à  un  poëte  (  la  pièce  est  adressée  à  madame 
Dufrénoi).  Mais  Béranger  ne  chante  pas  longtemps  sur  le 
même  ton  ;  tout  à  coup  il  nous  réveille  par  de  piquantes 
peintures  de  mœurs,  par  des  portraits  ressemblants  qui  élin- 
cellent  de  verve,  de  raison  et  de  gaieté  :  témoin  Le  marquis 
de  Carabas,  qui  a  couru  toute  la  France,  et  frapi)é  d'un 
ridicule  éternel  les  prétentions  de  cette  classe  incorrigible 
de  gens  à  vieux  blasons  et  à  vieux  parchemins,  assez  fous 
pour  entreprendre  de  ressusciter  toutes  les  prétentions  de 
leur  caste.  On  peut  citer  encore  dans  le  même  genre  Le 
Prince  de  Navarre  et  Le  Vilain,  auxquels  Béranger  op- 
pose La  Vivandière,  création  neuve ,  pleine  de  la  gaieté  la 
plus  entraînante  et  jjropre  à  éterniser  de  race  en  race  et 
chez  les  autres  peuples  le  souvenir  de  la  gloire  des  armées 
françaises.  Une  autre  fois.  Déranger  sort  de  son  siècle,  et 
c'est  pour  nous  offrir,  dans  une  pièce  vraiment  lyrique, 
l'image  de  Louis  XI,  semblable  à  un  pûle  fantôme,  et  cher- 
chant à  retrouver  un  sourire  dans  le  spectacle  du  bonheur 
des  villageois.  Je  demande  si  le  Tibère  de  Tacite  est  mieux 
peint  et  surtout  mieux  puni  que  le  Louis  XI  de  Béranger; 
je  demande  si  jamais  personne  a  conçu  un  tableau  plus  ef- 
frayant et  mieux  contrasté. 

C'est  ici  le  lieu  de  remarquer  de  nouveau  que  Béranger 
fait  entrer  tous  les  genres  dans  la  chanson,  couime  La  Fon- 
taine les  a  tous  introduits  dans  l'apologue.  11  excelle  surtout 
à  trouver  un  cadre,  à  inventer  une  action  où  il  jelte  ses 
personnages  d'une  manière  dramatique  ;  le  plus  souvent  il 
se  met  lui-même  en  scène,  et.  cette  manière  de  donner  de 
la  vie  à  une  composition  ne  lui  réussit  pas  moins  qu'au  fa- 
buliste. Le  moi,  si  déplaisant  de  sa  ïiature,  le  moi,  qui 
impatieide  quelquefois  jusque  dans  Montaigne,  malgré  la 
grâce  et  l'abandon  de  sa  causerie  [ihilosophique  ,  nous  plaît 
dans  La  Fontaine  et  dans  Béranger.  Pourquoi  cette  excep- 
tion à  une  rè^le  générale  et  défendue  par  la  susceptibilité  de 
notre  amour-propre?  Parce  que  leur  »ioi  diffère  des  autres 
moi,  et  nous  paraît  cxeinj)t  d'égoïsrae,  d'amertume  et  de 
sotte  vanité;  parce  que  les  confidences  de  ce  moi,  si  aimable 


BÉRANGEU 


«Jans  leur  bouche,  sont  de  naïves  réviMations  du  cœur  hu- 
main. Mais  une  passion  ardente  parait  le  dominer,  c'est 
l'amour  de  la  patrie.  Cette  passion  est  sa  première  muse , 
elle  remplit  toutes  ses  compositions,  en  se  prêtant  aux  di- 
vei-ses  métamorphoses  que  le  sujet  demande.  Comment  ne 
pas  se  sentir  ému  des  adieux  à  la  gloire  de  la  France,  ex- 
primés dans  la  pièce  qT.\  a  pour  titre  Plus  de  politique? 
Vit-on  jamais  détour  plus  ingénieux  que  celui  du  poète?  Il 
a  l'air  d'abjurer  la  politique  aux  genoux  de  sa  maîtresse,  et 
ne  cesse  de  l'entretenir  des  exploits ,  des  grandeurs  et  des 
revers  de  notre  pays.  L'amour  de  la  patrie  respire  avec  tout 
ce  que  le  regret  d'une  séparation  cruelle  peut  y  ajouter  de 
touchant,  soit  dans  la  chanson  de  L'Exilé ,  soit  dans  celle 
du  Champ  d'Asile.  La  première  excite  de  douces  larmes, 
la  seconde  fait  battre  le  cœur  et  nous  (pénètre  de  cette  ad- 
miration que  nous  cause  le  souvenir  des  grandes  choses, 
eu  remuant  toute  la  partie  généreuse  de  notre  cœur.  Mais  il 
fallait  qu'une  révolution  eût  lieu ,  qu'un  empire  fût  créé , 
que  la  France  devînt  la  maîtresse  du  continent,  qu'elle  tom- 
bât du  faîte  de  sa  gloire ,  que  quelques-uns  de  ses  défenseurs 
se  vissent  condamnés  à  l'exil,  que  des  Européens  allassent 
demander  l'hospitalité  à  des  sauvages ,  pour  que  cette  chan- 
son pût  exister.  C'est  bien  ici  le  cas  de  dire  :  «  Que  de 
choses  dans  mie  chanson  !  » 

Une  autre  ode  du  poète  national  commence  par  cette  in- 
vocation, que  l'on  ne  trouve  dans  aucun  poète  d'Athènes 
déchue  de  la  souveraineté  de  la  Grèce ,  mais  reine  encore 
par  le  génie,  l'éloquence  et  les  arts  : 

Reine  du   monde,  ô  France,  ô  rua  patrie! 
Soulève  eoliu  tou  Irool  cicatrisé; 
Sans  qu'à  tes  yeux  leur  gloire  en  soit  flétrie  , 
De  les  enfants  l'étendard  s'est  brisé. 
Quand  la  fortune  outrageait  leur  vaillance. 
Quand  de  tes  roains  tombait  ton  sceptre  d'or. 

Tes  ennemis  disaient  encor  : 

Honneur  aux  enfants  de  la  France  ! 

Si,  après  toutes  ces  belles  inspirations,  quelqu'un  pou- 
vait douter  encore  que  Béranger  aime  la  France  co.iime  un 
fils  aime  sa  mère ,  je  lui  rappellerais  la  belle  chanson  du 
Retour  dans  la  patrie.  On  ne  peut  lire  cette  chanson  sans 
un  serrement  de  cœur  et  sans  mouiller  la  page  de  ses  larmes. 
Ulysse  baisant  la  terre  natale  et  adressant  les  plus  tendres 
prières  aux  nymphes  du  lieu  n'est  pas  plus  touchant  peut-être. 

Au  temps  où  il  était  le  maître  de  l'Europe  ,  Napoléon  n'a 
pu  obtenir  un  vers  de  Béranger;  mais  le  grand  capitaine 
trahi  par  la  fortune ,  mais  le  représentant  de  la  gloire  du 
siècle,  mais  l'homme  de  génie  qui  a  enfanté  tant  de  mer- 
veilles pour  agrandir  et  honorer  notre  pays,  mais  le  bien- 
faiteur, le  sauveur  des  rois ,  enchaîné  par  eux  sur  le  rocher 
de  Sainte-Hélène ,  inspire  le  plus  religieux  attachement,  la 
plus  éloquente  admiration  au  poète  national.  Béranger  plaint, 
chante  et  regrette  Napoléon ,  tombé  avec  cette  France  qu'il 
avait  faite  si  puissante  et  si  belle;  il  associe  ensemble  ces 
deux  grandes  victimes  du  sort,  et  les  relève  de  leur  malheur 
par  le  souvenir  de  leur  commune  gloire  :  ainsi,  en  célébrant 
uji  héros,  Béranger  célèbre  encore  la  patrie,  et  ne  court 
jamais  le  risque  de  cette  idolâtrie  trop  fréquente  qui  met 
un  homme  au-dessus  d'une  nation ,  comme  Virgile  l'a  fait 
poiM-  Auguste  aux  dépens  de  Rome.  Entre  toutes  ces  hautes 
inspirations  que  Béranger  doit  à  ce  colosse  de  gloire  qui  est 
venu  éterniser  le  nom  sonore,  mais  peu  connu,  de  Napo- 
léon ,  Le  cinq  mai  me  paraît  l'une  des  plus  heureuses.  Tandis 
que  le  plus  grand  débris  de  la  fortune,  dans  ce  siècle  si 
fécond  en  ruines ,  tandis  que  Napoléon ,  privé  dun  lils , 
objet  du  plus  tendre  amour,  séparé  de  tous  les  siens  par 
une  cruelle  politique  ,  expire  en  tournant  ses  derniers  re- 
gards vers  la  France,  comme  .Moïse  regardait  en  mourant  la 
terre  promise,  interdite  aux  vœux  brûlants  de  son  cœur, 
des  Espagnols,  oubliant  leurs  nisscntiments  devant  cette 
augusie  infortune,  mêlent  leurs  regrets  à  ceux  d'un  vieux 


soldat  français  qui  reverra  la  France,  où  la  main  d'un  lils 
lui  fermera  les  yeux.  Ou  je  me  trompe  beaucoup ,  ou  c'est  là 
un  trait  de  génie. 

Dans  une  autre  ode  ,  quelquefois  sublime ,  Béranger,  par- 
lant à  son  âme  prête  à  partir  pour  le  séjour  de  l'immortalité, 
célèbre  encore  la  gloire  et  les  malheurs  de  la  France ,  dont 
il  va  rejoindre  les  héros.  Quelle  haute  inspiration  dans  celte 
strophe  : 

Cherchez  au-dessus  des  orages 
Tant  de  Français  morts  à  propos  , 
Qui  ,  se  dérobant  aux  outrages. 
Ont  au  ciel  porté  leurs  drapeaux  ! 
Pour  conjurer  la  foudre  qu'on   irrite  , 
Unissez-vous  à  tous  ces  demi-dieux  ! 
Ah  !  sans  regret,  mon  âme,   partez  vite  I 
En  sonriaot  remontez  dans  les  cieux  1 
Remontez  ,  remontez  dans  le»  cieux! 

La  chanson  qui  porte  pour  titre  La  Sain  te -Alliance  des 
peuples  offre  aussi  un  hommage  à  la  France,  comme  à 
toutes  les  familles  du  genre  humain ,  que  le  poète  veut  ré- 
concilier aux  accords  de  sa  lyre,  et  rallier  au  nom  de  cette 
paix  universelle,  le  rêve  d'une  belle  âme,  rêve  qui  de- 
viendra peut-être  une  vérité ,  grâce  aux  progrès  de  la  raison. 
Cette  création  appartient  tout  entière  à  des  idées  et  à  des 
événements  d'un  ordre  nouveau  dans  le  monde.  L'auteur 
fait  descendre  la  I^aLx  sur  la  terre  pour  conseiller  aux  peu- 
ples le  traité  d'une  éternelle  amitié,  qui  les  préservera  de  h 
terrible  union  des  rois  contre  la  liberté. 

Cette  ode  appartient  au  genre  pliilosophique,  où  Béranger 
n'a  point  d'égal.  L'orage,  Les  deux  Sœurs  de  Charité ,  Le 
Bon  Dieu,  Le  Dieu  des  bonnes  gens,  sont  des  mo- 
dèles que  le  patriarche  de  Ferney  aurait  répétés  à  La  Harpe, 
son  disciple,  en  lui  disant  :  «  Mon  fds,  j'aime  ce  Béranger  : 
je  vous  le  lecommande.  « 

Voilà  bien  des  éloges,  mais  la  critique  réclame  aussi  sa 
part  ;  Béranger  n'est  pas  sans  défauts.  On  trouve  des  dis- 
|)arates  dans  quelques-unes  de  ses  plus  belles  chansons;  i' 
termine  faiblement  telle  strophe  de  la  plus  touchante  poésie, 
il  fait  entrer  de  force  certaines  unages  dans  un  sujet  qui 
les  repousse  ;  chez  lui  le  refrain  obligé  ne  s'applique  pas 
toujours  avec  la  même  justesse  et  le  même  bonheur  à  la 
pensée;  le  poète  tombe  jiarfois  dans  la  sécheresse  et  surtout 
dans  l'obscurité.  Son  recueil  contient  des  pièces  médiocres, 
d'autres  tout  à  fait  indignes  de  son  talent.  Il  devrait  faire 
ce  que  Dieu  fera ,  dit-on  ,  au  jour  du  jugement  dernier,  la 
séparation  des  bons  et  des  mauvais,  des  élus  et  des  dam- 
nés. Mais  combien  les  beautés  l'emportent  sur  les  défauts 
dans  son  recueil  ! 

Successeur  des  Blot ,  des  Passerai  et  des  autres  auteur» 
de  la  Satire  Ménippée,  Béranger  n'excelle  pas  moins  dans 
la  chanson  politique  proprement  dite  que  dans  les  autres 
sujets ,  et  le  courage  n'a  point  manqué  à  son  talent  toutes 
les  fois  qu'il  a  voulu  poursuivre  de  ses  reproches  les  prin- 
ces qui ,  après  avoir  soulevé  les  peuples  au  nom  sacré  de 
la  liberté,  ont  oublié  leurs  serments  le  lendemain  même  de 
la  victoire,  arrosée  du  plus  pur  sang  de  ces  mêmes  peuples, 
victimes  de  leur  aveugle  confiance.  L'inexorable  chanson- 
nier a  été  de  même  l'adversaire  le  plus  constant  des  Bour- 
bons de  la  branche  aînée.  Tantôt  il  les  accable  du  poids  de 
notre  gloire  nationale,  à  laquelle  ils  n'ont  pris  aucune 
part,  et  qu'ils  ont  voulu  punir  dans  ses  plus  nobles  repré- 
sentants, en  les  offrant  comme  holocaustes  aux  rois  si  long- 
temps vaincus  par  des  héros  plébéiens  et  par  un  soldat  cou- 
ronné; tantôt  il  leur  reproche,  sous  une  forme  vive  et  pi- 
quante, leur  alliance  avec  l'étranger  appelé  pour  le  seul 
intérêt  de  leur  ambition  au  sein  de  la  France.  Ailleurs, 
dans  une  peinture  à  la  manière  de  Juvénal ,  il  marque  avec 
un  trait  de  feu  le  souvenir  ineffaçable  d'une  grande  injure 
faite  aux  mœurs  par  tin  vieillard  qui  nous  devait  d'autres 
exemjiles  apiès  les  scandales  de  se^  pères.  Une  autre  fois,  il 

1. 


DERANGER 


leur  montre  le  drapeau  tricolore  déployé  dans  le  ciel  au- 
dessus  de  la  phalange  des  liéros  français,  ou  caché  sous  la 
[laille  dans  la  cliaurnière  d'un  vieux  grenadier  qui  arrose  en 
secret  de  ses  pleurs  cet  étendard  de  la  gloire. 

Ainsi  que  tous  les  écrivains  et  tous  les  orateurs  de  l'op- 
position, Béranger  eut  aussi  une  guerre  à  soutenir  contre 
les  agents  du  pouvoir,  surpris  chaque  jour  en  flagrant  délit 
de  conspiration  contre  les  libertés  publiques.  Il  expia  cette 
témérité  par  neuf  mois  de  détention  ,  qui  furent  pour  lui  un 
sujet  de  triomphe  dans  l'opinion.  En  dépit  des  réquisitoires 
fulminés  par  des  furieux,  en  dépit  des  arrêts  rendus  par  des 
juges  passionnés,  qui  étaient  pour  la  plupart  des  hommes 
de  parti  et  de  réaction  ,  tout  le  monde  voulut  voir  le  poète 
captif.  La  beauté  ,  la  grâce  et  la  jeunesse  se  disputaient  cha- 
que jour  le  plaisir  de  déposer  des  couronnes  de  fleurs  sur  sa 
tête  et  de  lui  faire  oublier  l'ennui  d'une  captivité  qui  l'em- 
pôchait  d'aller  saluer  dans  les  bois  le  retour  du  printemps, 
Je  cette  saison  favorite  qui  renouvela  toujours  sa  voix , 
comme  elle  renouvelle  le  chant  des  oiseaux.  Béranger  avait 
'\n  prison  une  espèce  de  cour  selon  son  cœur,  et  conforme 
il  ses  propres  penchants ,  c'est-à-dire  composée  de  flatteurs 
de  l'infortune.  Il  lui  vint  même  du  fond  des  départements 
in  tertain  nombre  d'interprètes  de  la  sympathie  générale 
pour  le  chantre  de  la  patrie.  Jamais  Béranger  ne  peut  ou- 
blier ces  tributs  de  la  reconnaissance  et  de  l'affection  pu- 
bli<]ucs,  ils  font  époque  dans  sa  vie  et  dans  les  annales  des 
lettres. 

La  prison  augmenta  singulièrement  la  popularité  de  Bé- 
ranger, et  redoubla  son  audace  à  réveiller  tous  les  beaux 
souvenirs  de  notre  moderne  histoire,  à  défendre  la  cause 
de  la  liberté,  à  signaler  les  fautes  du  pouvoir,  qui  finit  par 
se  perdre  lui-même  par  la  plus  inconcevable  des  impru- 
dences. 

Après  avoir  salué  avec  transport  la  victoire  du  peuple  en 
juillet  1830,  Béranger  nous  donna  un  nouveau  recueil  de 
chansons.  Elles  sont  empreintes  du  même  caractère  que 
toutes  les  autres.  C'est  toujours  l'ami  de  l'humanité ,  tou- 
jours le  philosophe ,  toujours  le  bon  Français,  toujours  le 
poète  du  peuple ,  qui  nous  laisse  voir  le  fond  de  son  cœur  ; 
mais  dans  ces  chants  du  cygne ,  il  règne  quelque  chose  de 
plus  grave,  de  plus  sévère,  de  plus  mélancolique  :  témoin 
l'hymne  de  douleur  sur  le  double  suicide  d'Augustin  Le  Bras 
et  de  Victor  Escousse,  dont  l'un  mourut  parce  que  l'autre 
voulait  mourir.  Béranger  avait  connu  ces  deux  victimes  d'une 
maladie  de  la  jeunesse  du  temps ,  qui ,  ayant  vu  trop  tôt  le 
bout  de  toutes  les  choses  humaines ,  et  acquis  une  trop 
prompte  maturité,  voit  s'évanouir  toutes  ses  illusions,  perd 
tout,  jusqu'à  l'espérance,  et  se  décourage  enfin  de  la  vie, 
dont  elle  n'attend  plus  rien  ni  pour  elle-même  ni  pour  les 
autres. 

L'originalité  est  encore  le  cachet  des  nouvelles  produc- 
tions de  Béranger,  c'est  ce  que  prouvent  La  Fête  cfti  pri- 
sonnier, Le  cordon,  s'i/  vous  plaît,  Le  Bonheur,  Mon 
tombeau ,  Le  Cardinal  et  le  Chansonnier,  Les  Dix  mille 
francs ,  satire  si  vive  des  sangsues  de  la  fortune  publique 
sous  la  Restauration.  Ce  mérite  brille  au  plus  haut  degré 
dans  Le  Juif  errant.  Béranger  seul  pouvait  tirer  une  aussi 
belle  ode  d'une  superstition  populaire;  dans  ce  portrait  d'un 
damné  de  la  terre  condamné  à  vivre  pour  soufirir  un  sup- 
plice qui  n'a  point  de  modèle  et  qui  ne  saurait  espérer  de 
(in ,  Béranger  ressemble  au  terrible  Dante.  Les  premières 
chansons  de  Béranger  s'emparent  plus  vivement  de  l'esprit 
et  du  cœur  que  celles  qu'il  nous  donne  pour  les  derniers 
tributs  de  sa  muse;  mais,  à  une  seconde  lecture,  on  entre 
rlans  la  pensée  du  poète,  et  on  sent  tout  ce  qu'elle  a  de  grave, 
de  pénétrant,  de  réfléchi,  de  mélancolique  et  de  touchant. 

Le  plus  noble  tribut  de  reconnaissance  payé  à  Lucien 
Bonaparte,  qui  le  premier  accueillit  la  muse  de  Béranger, 
encore  inconnue ,  ouvre  le  recueil  et  honore  également  le 
poète  et  .son  bienfaiteur.  A  cet  hommage  succède  une  pré- 


face où  Béranger  se  révèle  tout  entier.  Le  bonheur  de  l'hn- 
manité ,  voilà  le  songe  de  toute  sa  vie  ;  le  peuple  étudié 
avec  un  soin  religieux ,  avec  une  attention  pleine  d'amour, 
voilà  la  muse  de  Béranger.  C'est  pour  le  peuple,  dit-il  avec 
beaucoup  de  sens,  que  l'on  doit  maintenant  cultiver  les 
lettres,  c'est  lui  dont  on  doit  rechercher  les  suffrages,  c'est 
à  lui  qu'il  faut  parler  la  langue  du  génie,  du  bon  sens  et 
de  la  vérité.  Rien  de  beau ,  de  grand ,  de  sublime  même , 
que  le  peuple  ne  saisisse  d'abord  ;  donnez-lui  du  Corneille , 
du  Racine,  du  Voltaire,  H  applaudira  avec  un  enthou- 
siasme plein  de  discernement;  exprimez  pour  lui  des  choses 
utiles  dans  un  lang.ige  digne  d'elles,  vous  serez  sûr  de 
réussir,  et  vous  aurez  contribué  à  instruire  le  peuple  en  fai- 
sant la  fortune  de  votre  talent  :  ces  conseils,  donnés  en 
d'autres  termes  par  Béranger  à  la  jeunesse  de  nos  jours,  sont 
les  meilleurs  qu'elle  puisse  recevoir. 

M.  Laffitte,  qui  fut  le  meilleur  des  citoyens  et  le  plus  ex- 
cellent des  hommes ,  est  dignement  apprécié  par  Béranger, 
d'autant  plus  libre  dans  ses  éloges  qu'il  a  toujours  résisté  aux 
offres  généreuses  du  seul  homme  de  notre  temps  qui  ait  su 
rendre  la  richesse  populaire.  Béranger  élève  aussi  bien 
haut  son  ami  M  a  n  u  e  I,  qui  a  manqué  à  la  révolution  de  1 830. 

Béranger  est  un  poète  éminemment  national  et  populaire. 
On  lit  Béranger  dans  la  chaumière  comme  dans  les  palais. 
Béranger  a  un  ami  partout  où  se  trouve  un  Français  qui 
ait  combattu  en  Asie,  en  Afrique,  en  Europe  et  sur  notre 
propre  teiTitoire,  pour  la  cause  sacrée  de  l'indépendance. 
Béranger,  quoique  préparé  par  la  méditation,  et  déjà 
éprouvé  par  des  succès ,  ignorait  peut-être  son  avenir,  lors- 
qu'il entendit  résonner  dans  l'air  une  voix  puissante  qui 
lui  disait  :  «  Viens  consoler  mes  malheurs,  et  célébrer  ma 
gloire,  dont  on  voudrait  étouffer  le  souvenir.  »  Cette  voix  était 
celle  de  la  patrie  ;  il  l'entendit ,  et  devint  un  nouvel  homme. 
Aucune  époque  de  notre  histoire  ne  vit  une  pareille  sym- 
pathie entre  le  peuple  et  un  poète;  jamais  léchant  lyrique 
n'éveilla  tant  d'échos  dans  le  cœur  d'un  si  grand  nombre 
d'hommes  réunis  sous  le  même  ciel. 

P. -F.  TiSSOT,  de  l'Acadcnile  Française. 

Béranger,  ce  chansonnier  très-vilain  malgré  sa  noble  par- 
ticule, enfant  de  Paris  comme  Molière,  homme  du  peuple, 
primitivement  ouvrier,  naquit  chez  son  pauvre  et  vieux 
grand-père,  honnête  tailleur,  habitant  rue  Montorgueil , 
dans  une  des  maisons  qu'on  a  abattues  pour  construire  le 
marché  aux  huîtres.  Son  père,  né  dans  le  village  de  Flami- 
courl,  près  de  Péronne,  était  doué  de  brillantes  facultés, 
d'ime  imagination  aventureuse,  qui  le  portait  à  changer 
sans  cesse  d'état  et  de  résidence.  Aussi  ne  put-il  s'occuper 
de  l'éducation  de  son  (ils,  qui  resta  confié  à  ses  grands-pa- 
rents. 

Jusqu'à  l'âge  de  neuf  ans  il  demeure  chez  son  grand-père, 
le  tailleur,  qui  le  traite  avec  indulgence,  le  gronde  peu, 
l'aime  beaucoup,  et,  loin  de  l'accabler  de  leçons  et  de  tra- 
vaux ,  lui  permet  d'être  heureux  et  de  s'instruire  à  sa  guise. 
Son  enfance,  libre  d'entraves  et  quelque  peu  vagabonde, 
fut  cefle  d'un  vrai  gamin  de  Paris.  Il  se  trouvait  dans  cette 
capitale  lors  de  la  prise  de  la  Bastille,  et,  quarante  ans  plus  -■ 
tard ,  il  chantait  ce  grand  événement  sous  les  verrous  de 
Sainte-Pélagie  et  de  la  Force.  Peu  de  jours  après  cette  pre- 
mière victoire  du  peuple ,  il  part  pour  Péronne ,  où  il  va 
demeurer  chez  uiu;  tante  paternelle,  aubergiste  dans  un 
faubourg,  et  qui  fut  bien  pour  quelque  chose  dans  le  dé- 
veloppement des  (acuités  de  cet  enfant  pauvre  et  chélif. 
Aussi  s'est-elle  montrée  (ièrc  du  poète  quand  la  gloire  a 
confirmé  ses  vagues  prévisions.  Elle  mit  entre  ses  mains 
quelques  livres  achetés  au  hasard,  un  Télémaque,  et  des 
volumes  dépareillés  de  Racine  et  de  Voltaire. 

Un  jour,  par  un  violent  orage,  la  bonne  tante  aspergeait 
la  maison  d'eau  bénite.  Le  petit  Pierre  riait  sous  cape  et 
ruminait  déjà  peut-être  son  hérétique  chanson  du  Bon  Dieu, 
quand  la  foudre  tombe  sur  lui  et  le  paralyse  momentané- 


BÉRA^GER  -  BÉUARD 


ment  (le  tous  ses  membres.  Un  pareil  accident  lit  de  Luther 
un  moine;  Déranger,  sortant  de  sa  léthargie,  dit  à  sa  tante  : 
n  Eh  bien  !  à  quoi  te  sert  ton  eau  bénite?  »  Les  sentiments 
républicains  fermentaient  déjà  dans  son  âme.  Les  strophes 
brûlantes  de  la  Marseillaise ,  le  canon  de  Péronne  célé- 
brant la  délivrance  de  Toulon,  les  journaux  de  l'époque, 
tout  pleins  de  traits  de  dévouement,  arrachaient  des  larmes 
au  futur  Tyrtée  de  la  France. 

A  quatorze  ans  il  entre,  comme  apprenti,  chez  Laisney, 
imprimeur  à  Péronne  ;  il  étudie  sa  langue  en  coviposant  la 
prose  d'autrui,  il  chante  avant  de  parler.  Un  ancien  meuibre 
de  la  première  Assemblée  législative,  Bellue  de  Bélanglise, 
créateur  d'une  école  primaire  et  grand  admirateur  de  Jean- 
Jacques  ,  avait  fondé ,  parmi  les  marmots  qui  fréquentaient 
cette  école ,  un  petit  club ,  dans  lequel  on  nommait  des  dé- 
putés, on  prononçait  des  discours,  oa  votait  des  adresses. 
Or  le  rédacteur  le  plus  habile ,  l'orateur  le  plus  inihient  de 
cette  Convention  en  miniature  était  Béi  anger.  Dans  cette  ins- 
titution démocratique  on  apprenait  la  gymnastique,  le  ma- 
niement du  fusil,  les  manœuvTes  militaires.  En  revanche, 
on  n'y  étudiait  ni  le  grec  ni  le  latin. 

A  dix-sept  ans,  le  futur  chantre  des  Gueux  revient  à  Pa- 
ris chez  son  père.  Au  bout  d'un  mois,  ce^'e  ne  sais  quoi 
qu'on  appelle  la  poésie  bouillonne  dans  sa  tête  :  il  ébauche 
les  Hermaphrodites ,  comédie  aristopiianesque,  dirigée 
contie  les  hommes  mous  et  les  femmes  ambitieuses  ;  puis  il 
commence  un  poème  épique,  intitulé  Clovis,  travail  stérile, 
dans  lequel  il  consume  plusieurs  de  ses  plus  belles  années. 

La  misère  frappait  a  sa  porte.  11  songe  à  passer  en  Egypte, 
où  Bonaparte  triomphe.  Un  membre  de  l'expédition,  de  re- 
tour en  France,  l'en  dissuade.  C'était,  pourtant,  au  fond  un 
bon  temps  que  celui-là;  c'était  le  règne  de  Lisette  et  des 
joyeux  compagnons,  l'époque  de  cette  halte  dans  un  grenier 
où  l'on  est  si  bien  à  vingt  ans,  et  de  cette  reprise  de  deux 
jours  au  Vieil  Habit  tant  aimé,  le  temps  des  folles  orgies, 
des  amitiés  chaleureuses  et  des  fugitives  amours. 

Il  avait  envoyé  quelques  vers  à  Lucien  Bonaparte,  qui 
l'autorisa  à  toucher  pour  lui  son  traitement  de  membre  de 
l'Institut.  Landon  l'employa  aux  Annales  du  Musée,  dont 
il  rédigea  cinq  volumes.  Enfin  A  r  n  a  u  1 1  le  (it  entrer  comn;e 
expéditionnaire  au  secrétariat  de  l'université,  où  il  resta 
douze  ans,  griffonnant  sur  du  papier-ministre  La  Gaudriole, 
Frétillon  et  Leroi  d' Yvetot.  C'est  par  pur  instinct  qu'il  avait 
adopté  la  forme  du  couplet  à  refrain.  A  peine  osait-il  se 
comparer  à  Désaugiers.  Mais  le  succès  des  Gueux  et  des 
Infidélités  de  Lisette,  sa  réception  au  Caveau,  les  ap- 
I)laudissements  qui  accueillirent  à  un  diner  chez  Etienne  le 
Dieu  des  Bonnes  Gens,  déterminèrent  sa  vocation. 

Son  recueil  de  1821,  attaque  par  Marchangy,  défendu  par 
Dupin  aîné,  lui  valut  trois  mois  de  prison.  Celui  de  1825 
échappa  à  la  vigilance  du  parquet.  Celui  de  1828,  mis  en 
cause  sous  le  ministère  Martignac ,  et  défend»  par  M.  Bar- 
tlie,  le  lit  condamner  à  neuf  mois  de  captivité.  Le  dernier, 
publié  en  1833,  n'a  été  suivi  que  d'une  douzaine  de  chan- 
sons inédites,  en  tête  desquelles  on  cite  l'étrange  prophétie 
qui  ne  s'est  réalisée  qu'un  instant  : 

Ces  pauvres  rois ,  ils  seront  tous  noyés. 

Béranger  n'a  jamais  consenti,  on  le  sait,  à  aller  frapper  à 
la  porte  de  l'Académie  pour  obtenir  l'honneur  de  s'asseoir 
dans  le  fauteuil  de  La  Fontaine  ou  de  Voltaire.  Après  la  ré- 
publique ,  dont  il  avait  été  un  des  précurseurs ,  il  ne  songea 
pas  davantage  à  mendier  les  votes  de  ses  concitoyens  pour 
les  représenter  à  la  Constituante,  mais  on  y  songea  pour 
lui.  Malheureusement  le  suffrage  universel  avait  compté 
sans  son  hôte.  Béranger  ne  larda  pas  à  s'apercevoir  que 
son  royaume  n'est  pas  de  ce  monde,  et  supplia  l'Assemblée 
d'accepter  sa  démission  d'ime  charge  dont  il  avait  d'avance 
décliné  l'honneur.  «  Le  fardeau  est  trop  lourd,  dit-il,  et 
les  forces  me  manquent.  »  On  n'en  voulut  rien  croire,  et 


l'offre  de  sa  démiss'on  fut  solennellement  rcjetéc;  mais  Dé 
ranger  n'est  pas  de  ces  hommes  ordinaires,  dont  il  est  fa- 
cile d'ébranler  la  résolution  :  il  persista  à  vouloir  s'en  aller, 
et  l'Assemblée,  n'ayant  aucun  droit  de  hii  faire  violence] 
dut  renoncer  à  le  voir  siéger  dans  son  sein.  Des  acclamations 
de  joie  l'avaient  porté  à  la  Constituante,  des  maniléstatioiis 
universelles  de  regret  le  suivirent  dans  sa  retraite. 

De  Passy  Béranger  a  transporté  ses  périates  dans  la  rue 
d'Enfer,  à  l'autre  bout  de  Paris.  Il  aNait  précédemment  ha- 
bité Fontainebleau  et  Tours.  E.  G.  de  Mo.nglave. 

BERAKD  (  AuGDSTE-SiMON-Louis  ),  né  à  Paris,  en  1783, 
auditeur  au  conseil  d'État  en  1810,  maître  des  requêtes  et 
chevalier  de  la  Légion-d'llonneur  en  1814,  redevenu  audi- 
teur au  conseil  d'État  pendant  les  Cent-Jours,  membre  de  la 
chambre  des  députés  pour  Seine-et-Oise  de  1827  à  1830, 
vota  cette  adresse  des  221,  un  des  principaux  avant-cou- 
reurs de  la  révolution  de  juillet.  Cependant  son  nom  pio- 
bablement  serait  passé  inaperçu  comme  celui  de  tant  d'au- 
tres sans  cette  révolution  qui  vint  lui  fournir  l'occasion  d? 
déployer  toute  l'activité  de  son  hardi  patriotisme.  Sa  con- 
duite pendant  les  trois  jours  fut  digne  d'éloges.  Des  qua- 
rante députés  présents  à  Paris,  il  fut  le  seul  qui,  le  26  au 
matin ,  parla  de  protester  contre  les  ordonnances.  Le  27  il 
otfrit  son  hôtel  à  ses  collègues  pour  leurs  réunions,  et  flé- 
trit le  peu  de  courage  de  ceux  qui  refusèrent  de  signer  la 
protestation.  Le  30  il  proposa  une  proclamation,  qui  fut 
repoussée  comme  trop  ré[)ublicaine,  et  le  3  août  il  fit  le  pre- 
mier la  proposition  des  changements  à  opérer  à  la  Charte 
de  la  branche  aînée.  Ces  changements,  qui  furent  presque 
tous  adoptés,  peuvent  le  faire  considérer  comme  le  prin- 
cipal auteur  de  ce  nouveau  pacte  social  ;  mais  il  avait  de- 
mandé que  l'âge  des  députés  fût  fixé  à  vingt-cinq  ans,  dis- 
position que  la  chambre  repoussa  sans  pitié;  et  il  voulait  que 
la  Charte,  pour  la  confection  de  laquelle  il  demandait  trois 
mois  et  non  pas  quatre  heures,  fût  soumise  à  l'acceptation 
•lu  peuple.  Aussi  son  refus  de  signer  Vassociation  nationale 
I>our  la  défense  du  territoire  excita-t-il  l'étonnement  des 
patriotes  qui  ne  s'étaient  pas  séparés  de  lui. 

Il  est  vrai  que  dans  l'intervalle  le  député  d'Arpajon 
avait  été  nommé  directeur  général  des  ponts  et  chaussées 
et  des  mines  le  25  août,  et  conseiller  d'État  le  5  septembre. 
Ces  faveurs  du  |)ouvoir,  il  ne  les  conserva  pas  longtemps, 
et,  libre  enfin  de  tout  lien,  nous  voyons,  en  1834,  l'auteur 
de  la  Charte  de  1830  (qui  ne  l'avait  faite  que  pour  qu'elle 
fut  une  vérité),  pubher,  redevenu  simple  député,  une  bro- 
chure sur  les  événements  de  juillet  et  sur  la  part  qu'il  avait 
prise  à  ces  événements  :  c'est  un  livre  qui  contient  d'u- 
tiles révélalions.  On  y  découvre  dès  le  principe  legerme  de 
cette  influence  doctrinaire  qui  depuis  a  toujours  été  en  gran- 
dissant pour  le  malheur  de  la  France.  M.  Bérard  a  rendu 
un  véritable  service  au  pays  en  soulevant  un  coin  du  voile 
(jiii  a  couvert  les  premières  combinaisons  de  la  quasi-légi- 
timité. Député ,  il  s'associa  constamment  depuis  à  la  lutte  que 
l'opposition  soutenait  en  faveur  des  libertés  publiques,  et 
alors  môme  qu'il  cessa  de  faire  partie  de  la  chambre,  il  ne 
dépouilla  aucune  de  ses  convictions,  et  ne  renonça  à  aucune 
de  ses  espérances. 

Presque  septuagénaire,  voué  à  la  retraite  et  à  l'étude, 
M.  Bérard  n'a  point  fait  acte  d'apparition  dans  le  monde  po- 
litique depuis  la  révolution  de  1848.  On  a  de  lui  un  ou- 
^Tage  intitulé  :  Essai  bibliographique  sur  les  éditions  des 
Elzeinrs  (Paris,  en  1822). 

BERARD.  Quatre  savants  d'un  mérite  reconnu  ont 
porté  ce  nom  dans  ces  derniers  temps. 

BÉRARD  (JosEPn-FRÉnÉKic),  professeur  d'hygiène  à  la 
Faculté  de  Médecine  de  Montpellier,  était  né  dans  celte 
ville,  le  4  novembre  1789.  Appelé  au  professorat  sous 
I^I.  Frayssinous,  il  s'est  rendu  recoinmandable  par  plusieurs 
ouvrages.  Son  Histoire  des  Doctrines  de  Montpellier  1»! 
légitimement  remurquée  :  personiie  n'a  mieux  apprécié  .ii 


BÉRARD  —  RERBICK 


[ilus  \»iM  les  opinions  de  Barlliez,  de  lîordcu,  de  Sauva- 
ges, etc.  l'oiir  mettre  à  couvert  sa  modcslie  dans  ses  rlo^es 
quelquefois  excessifs,  il  avait  coutume  de  dire  qu'il  vantait  les 
iruvres  de  l'ixole  de  Montpellier  avec  autant  d'abnégation 
qu'un  tandiour  lacontaiit  les  i)rouesses  guenière»  de  <^on 
réfjiment.  Son  second  ouvrage,  traitant  de  V Homme  phy- 
sique et  moral,  fut  fait  en  haine  des  opinions  de  Cabanis, 
et  dut  paraître  aussi  exagéré  dans  le  sens  spiritualiste  que 
l'ouvrage  de  Cabanis  dans  le  sens  opposé.  Bérard  allait  jus- 
qu'à dire  et  peut-être  jusqu'à  croire  qu'un  homme  pounait 
encore  penser  sans  tête  et  sans  cervelle.  Il  convient  de  re- 
marquer que  ses  o|)inions  furent  malheureusement  induen- 
«^'es  par  les  instigations  d'une  ambition  trop  mal  servie  par 
sa  .santé  pour  lutter  et  pour  attendre.  Les  passions  et  l'étude 
avaient  fait  de  Bérard  un  squelette  ambulant,  que  la  seule 
controverse  avait  de  temps  en  temps  le  don  d'animer  et  de 
rajeimir.  A  considérer  la  finesse  de  son  regard  et  la  douceur 
de  sa  voix,  personne  ne  se  serait  imaginé  qu'il  fût  sourd  à 
ne  plus  rien  entendre.  Cette  surdité  radicale  donnait  à  ses 
discussions  une  apparence  rétive  et  despotique  :  aucune  ré- 
plicpie  ne  pouvait  le  convertir  ni  le  déconcerter,  car  aucun 
mol  ne  parvenait  à  son  oreille.  Sans  aimer  les  jésuites,  il 
avait  appuyé  sa  fortune  sur  leur  pouvoir.  Nommé  professeur 
à  l'époque  de  leur  plus  grand  crédit,  il  perdit  son  reste  de 
vie  vers  le  moment  de  leur  renvoi.  Si  grande  fut  son  ap- 
IMi-liension  de  déplaire  et  d'échouer  à  l'époque  où  il  était 
venu  sollicitera  Paris  (  1823),  (ju'il  avait  défendu  à  ses  meil- 
leurs amis  de  l'accompagner  aux  voitures  publiques,  tant 
il  craignait  de  s'y  voir  reconduit  par  des  opinions  ditférentes 
de  celles  qu'alors  il  était  urgent  d'aflicher.  Faible  caractèr.î 
autant  qu'esprit  puissant!  intelligence  admirable,  homme  à 
plaindre!  F.  liérard  est  mort  le  16  avril  1828. 

Un  autre  Dkhai-.d  de  Montpellier,  mais  qui  n'appartient 
pas  à  la  famille  du  précédent,  s'est  fait  connaître  par  de  beaux 
travaux  chimi(iucs  et  plusieurs  découvertes.  Professeur  de 
chimie  médicale  et  de  toxicologie  à  la  Faculté  de  Médecine  de 
Montpellier,  il  devint  doyen  de  cette  Faculté  en  184G;  mais 
peu  de  temps  avant  la  révolution  de  Février,  ses  opinions  poli- 
tiques lui  valurent  une  destitution.  Les  événements  de  1848 
lui  rendircntledécanat.  Il  estmembre  delà  Légion  d'Honneur. 

BKPiARD  (PiniiKE-HoNOKÉ),  docteur  en  médecine,  est  né 
à  Lichtenberg  (Bas-Rhin)  en  17'.)7.  Élu  au  concours  profes- 
seur de  physiologie  à  la  Faculté  de  Médecine  de  Paris  (  1831  ), 
il  devint  doyen  de  cette  Faculté  en  1848,  et  fut  enfin  appelé 
par  le  président  de  la  république,  au  mois  de  mars  18  j2,  à 
la  [)lace  d'iiis[:ecleur  général  des  écoles  de  médecine,  avec 
entrée  dans  le  nouveau  conseil  supérieur  de  l'instruction  pu- 
bliiiue.  On  lui  doit  de^)  Aolices  historiques  sur  Broussais 
et  sur  Haller,  et  il  a  revu  ,  corrigé  et  augmenté  la  dixième 
édition  des  Nouveaux  Eléments  de  Physiologie  de  l'.iclit'- 
rand.  Il  a  en  outre  commencé  la  publication  d'un  grand  ou- 
vrage de  j)hysiologie  et  fait  à  l'Acadéniie  de  Médecine  d'ex- 
cellents rapports. 

BÉHAHD  (Auguste),  frère  du  précédent,  connne  lui 
élève  de  Boclard ,  était  ne  en  1802.  Professeur  de  ciiniipie 
chirurgicale  à  la  Faculté  de  Paris,  membre  de  l'Aradéiiiie 
de  Médecine ,  chirurgien  de  l'hôpital  de  la  Pitié  ,  ii  est  moi  t 
à  Paris,  le  14  octobre  1840.  D""  Isid.  Bouunu.N. 

BERBERIS9  genre  de  plantes  qui  sert  de  type  à  la  fa- 
«lilledes  berbéridées.  L'espèce  la  plus  connue  estl'épine- 
vi nette.  Les  herberis  reçoivent  aussi  le  nom  de  vinet- 
ticrs. 

BERIÎERS  ou  BERBÈRES.  Les  Européens  désignent 
exclusivement  aujouririmi  sous  ce  nom  diverses  parties  de 
la  population  aborigène  de  la  Barbarie,  sur  les  côtes  sep- 
tentrionales il'Afriipie.  Mais  (juckpies  historiens  et  géographes 
arabes  étendent  cette  dénomination  aux  peui)!ades  qui  oc- 
cupent toutes  les  oasis  du  désert.  Gibbon,  Volney,  Saint- 
Martin  ,  pcn>ent  avec  bien  d'autres  <|ue  ce  nom  de  ]Scr- 
hers  est  ujie  corruiition  de  la  qiKiiilicaLioa  de  barbares  (8ip- 


êapoi)  que  les  Grecs  donnaient  aux  peuples  qui  parlaient 
un  autre  i<liome  (pj'eux,  et  que  les  Romains  avaient  égah:- 
mcnt  .idoplée.  llodgson,  de  son  côté,  s'appuyant  de  l'opi- 
nion d'Hérodote,  fait  remonter  jus(iu'aux  Égyptiens  répithète 
de  pâpoaoot,  d'où  l'on  pourrait  conclure  que  le  mot  est 
égyptien,  et  que  les  Arabes  l'ont  pris  dans  leurs  pérégrina- 
tions à  travers  l'Egypte.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que 
l'appellation  de  Bcrbers  ne  désigne  pas  un  corps  de  nation 
homogène,  mais  un  mélange  confus  de  po[)ulations  diverses 
qui  devaient  être  appelles  lesDarbares  par  les  dominateurs 
romains  et  byzantins,  lors  de  l'invasion  des  Arabes  musul- 
mans. Le  contraste  des  cjnactères  physiques  et  des  fjaits  du 
visage  ,  qui  frappe  encore  l'observateur  le  moins  attentif , 
témoigne  hautement  de  cette  hétérogénéité  chez  le  peuple 
qu'on  désigneetqui  se  range  lui-même  sous  la  dénomination 
conmmnc  de  Bcrbers.  D'un  antre  côté  cependant,  chose 
à  remarquer,  les  dialectes  deces  peuples  présentent  une  iden- 
tité des  plus  évidentes,  à  laquelle  fait  exception  la  seule  tribu 
des  Tibbous,  identité  qui  prouve  à  elle  seule  le  lien  com- 
nnm  des  peuplades  appartenant  à  cette  race. 

Voici  le  relevé  de  tous  les  rameaux  hétérogènes  qui  com- 
posent la  lamille  berbère; 

Les  Amaziyhs,  mot  qui  dans  la  langue  veut  dire  noble, 
libre,  et  que  les  .Maures  appellent  Schellouhk  (pluriel  de 
Svhlllahh),  sont  ceux  qui  habitent  l'ouest  de  la  contrée, 
et  sont  répandus  dans  les  montagnes  du  Maroc. 

Dans  les  montagnes  des  trois  régences ,  les  Berbers  sont 
désignes  par  les  Arabes  sous  la  simple  dénomination  de 
Kabyles  ou  Kc.bnïl  (pluriel  de  Kabileh ,  tribu). 

Ceux  qui  vivent  entre  le  Fezzan  et  l'iigypte  sont  connus 
sous  le  nom  de  Tibbous  ;  leur  idiome  est  radicalement  dif- 
férent de  celui  des  autres  tribus,  et  ces  hommes,  au  teint 
noir  ciiivré,  aux  traits  saillants ,  au  nez  épaté,  aux  lèvres 
épaisses ,  ne  possèdent  aucun  des  points  de  sin\ilitude  qui 
sciid)!cnt  relier  entre  eux  les  autres  Berbers. 

Il  y  a  enlin  les  Touareks  (pluriel  de  Terim ,  tribu).  Ils 
habitent  cette  partie  du  Sahara  cpii  est  comprise  entre  le 
Maroc,  le  Fezzan  et  le  Soudan,  et  passent  pour  être  les  pins 
faiouches  de  cette  race. 

Le  Bcrbcr  Ebn  Khaldoun,  écrivain  arabe,  a  écrit  dans 
le  ijuatorzième  siècle  une  histoire  de  son  pays,  dans  laquelle, 
résiuuant  et  corrigeant  les  indications  des  exploratcHus  pré- 
c'dents,  il  classe  les  principales  tribus  berbères  sous  deux 
grandes  divisions,  qu'il  ramène  à  une  seule  et  même  souche, 
a  Hcrr,  père  de  la  race  entière.  Ainsi ,  deux  lignes  portant, 
Tune  le  nom  des  Berànis ,  et  l'autre  celui  des  Botar,  des- 
cendant des  deux  fils  de  Berr,  embrassent,  suivant  lui,  la 
totalité  des  tribus. 

11  n'en  est  i)as  moins  vrai  que  jusqu'à  présent  la  question 
du  noyau  primordial  des  populations  berbères  est  demeurée 
insoluble.  Des  investigations  les  plus  sûres  et  les  plus  vrai- 
s(;nd)lablos,  il  résulte  et  demeure  acquis  néanmoins  qu'au 
temps  de  larbas,  contemporain  de  Didon  et  roi  des  Ma- 
zLes  Gélules,  les  Cérûnis  avaient  déjà  établi  leurs  pé- 
nales dans  la  Libye;  mais  quant  à  savoir  .s'ils  étaient  nel- 
leiucnt  autochthones,  ainsi  que  Sallustc  et  Hiempsal  l'ont 
cru,  c'est  ce  (;ui  est  encore  incertain, 

{>El\îU(^Ê.,  l'un  des  trois  districts  dont  se  compose  le 
gi)',iM.nienient  de  la  Guyane  anglaise,  dans  l'Amérique  mé- 
ridionale ,  sur  les  bords  du  fleuve  du  même  nom,  forme  un 
comté  avec  les  deiix  autres  districts,  Berner  ara,  et  ^5- 
scquibo,c\,  sur  une  scpeificie  de  90  myriamètres  car- 
rés, comprend  une  population  de  *0,000  habitants ,  dont 
28,000  nègres. 

Les  Hollandais  fondèrent  des  colonies  en  tG2C)  dans  ces 
conirées;  aussi  la  plupart  des  blancs  y  sont-ilsd'originehol- 
Umdaise  ,  et  c'est  la  langue  hollandaise  qui  y  est  encore  en 
usage  dans  les  tribunaux  et  dans  les  chaires.  En  179!)  les 
Anglais  s'emparèrent  de  ce  pays;  puis  ils  le  rendirent  en 
1803,   mais    pour  s'en  rendre  maîtres   de  nouveau   des 


l'aniif^e  suivante;  et  aux  termes  de  la  pai\  de  Paris  la  Hol- 
lande dut  la  Ilui-  abandonner  en  1814  avec  Derneraia  et 
i'^ssequibo. 

A  reinbouchure  du  Berbice  s'élève,  dans  une  charmante 
situation,  la  Nouvelle-Amsterdam,  clief-lieu  de  tout  le  gou- 
vernement et  siège  des  autorités  centrales,  avec  un  bon  port 
et  un  commerce  des  plus  actifs.  Les  voyages  et  les  explora- 
tions de  R.  Schomburgk  ont  jeté  un  jour  tout  nouveau  sur  la 
connaissance  du  Berbice  et  des  autres  principaux  cours 
d"eau  delà  Guyane  anglaise,  et  justitient  les  brillantes  es- 
pérances qu'on  peut  fonder  sur  l'avenir  de  cette  colonie. 

BERCE,  genre  de  plantes  de  la  famille  des  ombelli- 
fères,  dont  l'espèce  la  plus  répandue  est  aussi  connue  sous 
le  nom  de  fausse  branche-tirsine  { heracleian  sph^n- 
(fi/lium).  Cette  berce  est  vivace.  Elle  croit  dans  les  bois  et 
dans  les  prés  de  l'Europe;  elle  est  très- commune  dans  le 
nord.  Sa  racine  est  longue,  pivotante,  blanchâtre,  et  l'é- 
corce  en  est  douceâtre;  de  son  collet  naissent  quelques 
feuilles  d'un  vert  foncé,  amples,  velues,  découpées  pro- 
fondément en  iilnsieius  segments  étroits  et  refendus ,  et 
plus  souvent  crénelés  sur  leurs  bords.  Le  segment  qui  ter- 
mine sa  feuille  est  ordinairement  divisé  en  troi-s  parties.  La 
fige  est  haute  d'un  uuHre,  velue,  cannelée,  creuse.  Sou  ex- 
trémité et  celles  de  ses  branches  sont  couronnées  par  des 
embolies  de  Heurs  blanches  llcurdelisées. 

Le  bétail  mange  les  jeunes  pousses  de  la  berce  ;  mais  ses 
tiges  sont  dures  et  ne  peuvent  par  cette  raison  être  man- 
g(>i'S  en  sec  :  il  faut  donc  avoir  l'attention  ,  lorsqu'on  veut 
l'employer  comme  (ourrage,  de  la  couper  près  de  terre,  au 
moment  où  elle  va  lleiirir.  On  empêche  en  même  iemps  par 
là  sa  trop  grande  reproduction ,  qui  linit  par  daveuir  nui- 
sible aux  |)rairics. 

Les  Busses ,  les  Lithuaniens  et  les  Polonais  retirent  de 
ses  semences  et  de  ses  feuilles  ,  par  le  moyen  de  la  fermen- 
tation, une  liqueur  alcoolique  très-enivrante,  qui  leur  tient 
lieu  de  bière;  mais  c'est  à  tort  qu'on  a  prétendu  que  les  Po- 
lonais euq)loyaient  la  berce  contre  là p ligue. 

BEKCEAU,  lit  des  enfants ,  ordinairement  assez  mo- 
bile et  assez  léger  pour  permettre  de  les  y  bercer.  Ce  mot 
vient,  selon  Ménage,  de  versus,  versullus,  dirivé  de 
ver  1ère,  dont  on  a  tait  d'abord  bers  par  abréviation  et  par 
la  transformation  du  v  en  b. 

La  forme  des  berceaux  a  varié  selon  les  pays  et  les  mo- 
des :  tantôt  ce  fut  un  iwtit  lit  ou  un  vase,  tantôt  un  bou- 
clier concave  ou  unenacelle,  que  les  Grecs  appelaient  scopAé 
(crxàçYi)-  Aujourd'hui,  les  berceaux  sont  faits  de  planches, 
d'osier,  de  barres  de  bois,  de  fils  de  fer,  ou  de  cerceaux 
artistement  arrangés.  Cette  forme ,  du  reste,  et  la  nature  des 
matériaux  dont  on  les  fabrique,  sontd'ime  faible  importance; 
mais  il  importe  beaucoup  qu'un  berceau  soit  assez  large 
pour  que  l'enfant ,  en  se  remuant ,  ne  se  heurte  point  aux  pa- 
rois, et  assez  creux  pour  qu'il  ne  puisse  en  franchir  les  bords. 

L'étymologie  du  mot  berceau  prouve  assez  que  l'usage 
de  bercer  les  enfants  est  aussi  ancien  que  le  lit  lui-même  , 
dont  il  a  déterminé  la  forme.  Toutefois,  l'observation  atten- 
tive a  dû  montrer  combien  l'abus  de  cette  pratique  est  per- 
nicieux ,  et  l'on  ne  saurait  trop  appeler  l'attention  des  nȏres 
sur  ce  sujet.  On  conçoit  jusqu'à  un  certain  point  que  les  en- 
fants, après  leur  naissance,  puissent  éprouver  de  temps  en 
temps  le  besoin  d'un  mouvement  doux,  analogue  à  celui 
auquel  ils  étaient  habitués  dans  le  sein  maternel  ;  mais  autant 
ce  mouvement  peut  être  agréable  et  utile  aux  enlants  lors- 
qu'il est  uniforme  et  modéré,  autant  il  devient  nuisible  et 
même  dangereux  lorsqu'il  est  brusque  et  sans  mesuie.  Le 
cerveau,  dans  les  jeunes  enfants,  est  encore  si  faible  et  si 
impressionnable  que  la  moindre  secousse  peut  y  porter  les 
plus  gi-ands  et  les  plus  funestes  désordres. 

On  appelle  berceau,  en  architecture,  une  vofi te  cylin- 
drique, dont  le  cintre  est  formé  par  une  courbe  quelcon- 
que et  dont  les  naissances  portent  siu'  deux  murs  i)arallèles. 


RERCHET    •  7 

Ces  voiltes  se  construisent  en  pierres  de  taille ,  en  moellons 
ou  en  briques.  Une  voûte  en  berceau  jirend  le  nom  û'' arc 
toutes  les  fois  que  sa  longueur  ai  moindre  que  le  diamètre 
delà  courbe  dont  elle  fait  partie.  Conmie  les  arcs,  les 
voûtes  en  berceau  sont  susceptibles  de  diverses  modifica- 
tions, c'est-à-dire  qu'elles  peuvent  être  surhaussées ,  sur- 
baissées, en  plein  cintre ,  biaises ,  rampantes ,  etc. 

Un  berceau,  en  jardinage,  se  fait  ordinairement  de 
treillages,  qu'on  soutient  par  des  montants  de  traverses, 
cercles ,  arcs-boutants  et  barres  de  fer.  On  forme  ce  treil- 
lage avec  des  lattes  de  bois  de  chêne  ou  de  châtaignier, 
bien  planées  et  bien  dressées,  dont  on  fait  des  mailles 
de  5  à  7  décimètres  carrés,  qu'on  lie  avec  du  fd  de  fer.  Ces 
sortes  de  berceaux  n'ont  de  rapport  avec  l'architecture  que 
parce  qu'on  leur  donne  volontiers  des  élévations  où  l'on 
figure,  avec  les  treillages,  des  voûtes,  des  arcades,  ornées 
de  colonnes ,  de  frises  et  d'entablements.  On  les  entoure  de 
plantes  grimpantes,  vivaces  ou  annuelles,  telles  que  la 
vigne,  la  cobée,  la  vigne  vierge,  le  houblon,  la  clématite, 
le  chèvrefeuille,  le  jasmin,  etc. 

Une  allée  de  jardin  peut  devenir  un  berceau  naturel,  si 
l'on  dispose  les*  branches  des  arbres  qui  la  forment  de  ma- 
nière à  la  couvrir  entièrement  :  le  marronnier  d'Inde,  l'or- 
meau, le  platane,  le  chêne,  le  hêtre,  le  noyer,  se  prêtent 
plus  ou  moins  à  ce  dessein;  mais  le  tilleul,  et  surtout  le  til- 
leul de  Hollande,  est  l'arbre  le  plus  favorable  à  une  pareille 
opération,  qui  exige  du  reste  beaucoup  de  soins,  de  temps 
et  de  patience.  La  première  et  la  principale  attention  à  avoir 
pour  cette  sorte  de  construction  consiste  à  ménager  les 
branches  qui  sont  les  plus  propres  à  former  l'arcade ,  et  à 
couper  toutes  celles  qui  sont  du  côté  opposé,  en  sorte  que 
l'on  élague  l'arbre  perpendiculairement,  comme  on  fait 
pour  une  palissade,  mais  en  dehors  seulement,  tandis  qu'en 
dedans  de  l'allée  on  taille  seulement  les  branches  en  cintre 
pour  oin'rer  avec  méthode.  On  oblige  ensuite  les  principales 
branches,  les  plus  droites  et  celles  qui  forment  pour  ainsi 
dire  le  corps  de  l'arbre ,  à  se  pencher  par  une  courbure 
insensible ,  ce  que  l'oo  fait  au  meyen  de  cordes  ou  de  jets 
de  vigne  sauvage.  11  faut  aussi  avoir  soin  de  conserver  les 
proportions  dans  une  construction  de  ce  genre,  qui  doit 
avoir  en  liautcur  au  moins  le  double  de  sa  largeur,  c'est-à- 
dire  qu'une  allée  de  10  mètres  de  largeur  doit  en  avoir 
20  de  hauteur  dans  le  milieu  de  son  arcade,  et  pour  cela 
on  doit  laisser  les  arbres  s'élever  à  5  ou  6  mètres  avant  de 
songer  à  leur  faire  former  leur  courbure. 

BEKCEAU  DE  LA  VIERGE,  nom  vulgaire  de  la 
clématite  des  haies. 

BERCÎIEM  (  Van).  Voyez  Berquen. 

BERCUEÏ  (GiovANM  ) ,  l'un  des  poètes  éminents  de 
l'Italie  contemporaine,  et  de  plus  prosateur  et  critique 
distingué,  naquit  à  Milan,  vers  1790.  Sa  famille ,  originaire 
<h3  France ,  était  depuis  plusieurs  générations  établie  dans 
la  Lombardie.  Le  poète,  enfant,  vit  la  belle  terre  sur  la- 
quelle il  était  né  réunie  sous  un  même  sceptre  avec  la 
France,  et  grande  l'ut  sa  douleur  lorsqu'au  lieu  de  la  gloire, 
sinon  de  l'indépendance  absolue  qu'il  avait  rêvée  pour  son 
pays,  il  vit  sa  patrie  retomber  en  1814  sous  le  joug  autri- 
chien. Non  content  de  pleurer  sa  liberté,  Bercbct,  devenu 
homme,  consacra  toute  sa  vie,  toutes  les  hautes  facultés 
dont  le  ciel  l'avait  doué ,  à  relever  son  pays  de  l'oppres-sion 
étrangère. 

Ne  pour  les  lettres  comme  pour  la  liberté,  il  se  fit  re- 
maniuer  de  bonne  heure  parmi  la  jeune  pléiade  romantico- 
libérale  italienne,  au  milieu  de  laquelle  Manzoni  brillait  de 
l'éclat  du  génie,  SilvioPellico  de  l'auréole  du  malheur. 
En  1820  cette  école  fonda  à  Milan  le  journal  le  Concilia- 
teur, dont  le  but  était  à  peu  près  celui  que  cinq  année» 
plus  tard  tenla  d'atteindre  chez  nous  le  journal  le  Globe. 
Berchet  prit  une  part  active  à  la  rédaction  de  cette  feuille, 
à  laquelle  il  fournit  d'excellents  articles  de  critique  littéraire 


«  BERCÎIET  - 

particulièrement  sur  la  lllh'rature  allemande,  qu'il  contribua 
{)lus  qu'aucun  antre  à  Caire  connaître  à  l'Italie.  Au  bout  de 
quelque  temps,  fatifçuée  de  censurer  et  de  mutiler  les  articles 
destinés  au  Conciliateur,  la  police  autrichienne  frappa  per- 
sonnellement ses  rédacteurs,  dont  quelques-uns  furent  jetés 
en  prison,  d'autres  condamnés  à  mort  et  forcés  de  s'exiler. 
IJerchet  dut  quitter  l'Italie. 

Bientôt  le  journal  français  le  Globe  imprima  sans  nom 
d'auteur  deux  petits  poèmes  italiens  remarquables  par  la 
forme,  par  la  pensée,  surtout  par  l'énergie  et  la  profondeur 
du  sentiment.  Ces  poèmes,  divisés  en  strophes,  que  tous  les 
patriotes  italiens  répètent  encore ,  soit  sur  la  terre  d'exil , 
soit  tout  bas,  dans  la  terre  natale  où  règne  l'Autrichien, 
avaient  reçu  de  leur  auteur  le  modeste  titre  de  romances  : 
c'étaient  Le  Remords  {il  Rimorso)  et  V Ermite  du  Mont- 
Cénis  (il  Romito  del  Ceriiglo);  tous  deux  étaient  une 
énergique  protestation  contic  la  domination  étrangère.  Ber- 
chet  s'y  révélait  comme  poëte  national.  Aussi  fut-il  salué 
du  nom  de  Déranger  italien. 

Né  dans  cette  belle  Lombardie ,  qui ,  plus  rapprochée  du 
nord  que  les  autres  parties  de  l'Italie,  plus  française  aussi , 
a  su  se  faire  une  langue  qui  n'a  ni  la  mollesse  du  toscan , 
ni  la  grâce  enfantine  et  coquette  du  doux  parler  vénitien , 
mais  plutôt  une  sorte  de  vigoureuse  senteur  que  semble  lui 
communiquer  le  vent  sain  et  parfois  âpre  des  Alpes,  Berchet 
a  su  tirer  tout  le  parti  possible  du  bel  idiome  milanais , 
comme  l'atteste  un  petit  volume  publiée  Paris,  en  1841 , 
dans  la  Biblioteca  Poetica  Italiana.  Outre  V Ermite  et  le 
Remords ,  ce  recueil  contient  six  autres  poèmes  :  les  Fugi- 
tifs de  Parga,  œuvre  véritablement  grande,  malgré  des 
dimensions  peu  étendues,  et  traduite  par  M.  Fauriel;  Cla- 
rina,  Mathilde,  et  le  Troubadour,  romances  d'amour,  où 
s'entend ,  plus  haut  que  la  voix  de  la  tendresse ,  le  cri  de 
l'indépendance  nationale;  Julia,  la  plus  belle  pièce  du 
recueil  peut-être,  la  plus  douloureusement  patriotique,  et 
enfin  les  Fantaisies,  poème  de  sept  cents  vers,  que  les  Ita- 
liens considèrent  comme  le  chef-d'œuvre  de  la  poésie  lyrique 
et  patriotique  moderne ,  et  qu'ils  placent  à  côté ,  sinon  au- 
dessus  des  chants  de  Tyrtée. 

Berchet  planta  ensuite  sa  tente  à  Genève ,  d'où  venaient 
au  noble  poète  et  les  doux  souffles  de  l'Italie,  et  les  bruits 
de  cette  France ,  patrie  de  ses  pères. 

BERCHINY,  ou  BERCHENY,  nom  d'une  famille  ori- 
ginaire de  Transylvanie,  qui ,  en  16.33,  s'établit  en  Hongrie, 
où  elle  fut  connue  sous  le  nom  de  Berc'seny. 

Son  rejeton  le  plus  remarquable ,  Nicolas  Berchiny,  né 
Ch  1664 ,  après  s'être  brillamment  distingué  dans  une  guerre 
contre  les  Turcs,  ce  qui  lui  avait  valu  de  grandes  faveurs 
de  l'empereur  Léopold ,  concerta  avec  le  prince  Ragotzky , 
son  parent,  le  soulèvement  de  la  Hongrie.  Obligé  de  fuir 
en  Pologne ,  il  ne  tarda  pas  à  revenir,  soutenu  par  la  France, 
à  la  tête  d'un  corps  de  troupes ,  et  fut  nommé  grand  géné- 
ral du  royaume  et  des  armées  des  confédérés.  Sourd  aux 
offres  séduisantes  que  lui  fit  l'empereur  Joseph  l""",  il  refusa 
la  dignité  de  i)rince  de  l'Empire,  et  fut  en  revanche  investi, 
par  les  Hongrois ,  du  titre  de  lieutenant-ducal.  Mais ,  par 
la  suite ,  la  confédération  ayant  éprouvé  de  nombreux  re- 
vers fut  obligée  de  se  dissoudre,  et  Berchiny  ,  après  avoir 
été  ambassadeur  en  Pologne  et  en  Russie ,  se  relira  eu  Tur- 
quie dès  que  son  parti  eut  succombé.  11  mourut  à  Rodosto, 
le  fi  novembre  1725. 

Son  fils ,  Ladislas-Ignace  Bekchiny,  né  à  Épéries ,  en 
Hongrie,  le  3  août  1689,  servit  en  1708,  1709  et  1710, 
dans  la  compagnie  des  gentils-hommes  hongrois  qui  faisaient 
partie  de  la  maison  du  prince  RagotzKy.  En  1712  il  vint 
en  France,  où  il  obtint  de  grandes  dignités.  Il  y  reçut  môme 
le  bâton  de  maréchal ,  et  un  régiment  de  hussards  fran- 
çais a  porté  son  nom  jusqu'en  1790. 

BERCHOUX  (  JosEPU  )  naquit  en  1765,  dans  la  petite 
ville  de  Saint-Symphorien  de  Lay,  voisine  de  l.yon,  où  il 


ÎÎERCTIOUX 

lit  ses  études.  Lors  de  l'institution  des  juges  de  paix,  il  fut 
élu,  dans  sa  patrie,  à  ces  honorables  fonctions;  mais 
à  l'époque  de  la  Terreur  ses  opinions  monarchiques  bien 
connues  seraient  devenues  pour  lui  un  arrêt  de  proscription 
s'il  n'avait  alors,  comme  beaucoup  d'autres,  cherché  un 
asile  sous  nos  drapeaux  victorieux.  Uu  reste,  sans  imiter 
tout  à  fait  l'excessive  prudence  du  poète  Horace,  le  jeune 
Berchoux  ne  se  piqua  point  de  contribuer  beaucoup  au  suc- 
cèsdes  armes  républicaines.  Lui-même  en  fit  l'aveu  plus  tard 
dans  ces  jolis  vers  de  son  meilleur  poëme  : 

Je  m'armai  tristement  d'un  fusil  iiiliuniain. 

Qui  jamnis,  grâce  au  ciel ,  n'a  fait  l'eu  dans  raa  main  ; 

Je  me  chargeai  d'un  sac,  humhle  dépositaire 

De  tout  ce  qui  devait  uic  servir  sur  la  terre. 

Ainsi,  nouveau  BidS,  je  puitis  accablé 

Du  poids  de  tout  mou  bien  sur  mon  dos  rassemblé. 

Des  jours  plus  tranquilles  lui  permirent  de  revenir  dans 
son  pays  et  d'y  suivre  une  carrière  plus  convenable  à  ses 
goûts.  Ce  fut  alors  que,  sous  le  voile  de  l'anonyme,  il  adressa 
à  un  journal  de  la  capitale  cette  boutade  si  piquante,  que  les 
éditeurs  de  ses  œuvres  se  sont  obstinés  à  nommer  Élégie  : 

Qui  me  délivrera  des  Grecs  et  des  Romains?  etc. 

Appelé  à  Paris  par  la  réussite  de  cet  essai  et  une  coopé- 
ration spirituelle  à  la  Quotidienne,  où  ses  articles  parais- 
saient sous  le  nom  ^^un  habitant  de  Mâcon,  Berchoux  y 
arriva  en  1800  avec  son  poëme  de  la  Gastronomie,  dont  le 
premier  jet  offrait,  avec  beaucoup  de  verve  et  de  gaieté,  de 
nombreuses  traces  de  mauvais  goût  et  d'affectation.  Docile 
aux  conseils  de  critiques  éclairés,  et  particulièrement  de  l'his- 
torien des  croisades,  Michaud,  de  l'Académie  Française,  au- 
quel il  dut  la  décoration  de  la  Légion-d'Honneur,  il  fit  d'heu- 
reux changements  à  cet  ouvrage ,  qui ,  publié  sans  nom 
d'auteur,  obtint,  par  son  seul  mérite,  trois  éditions  en 
moins  d'une  année;  ce  ne  fut  qu'à  la  troisième  que  le  mo- 
deste écrivain  révéla  sa  paternité.  La  Gastronomie,  le 
premier  des  titres  littéraires  dé  Berchoux,  est,  après  le  Lu- 
trin, l'un  des  plus  ingénieux  badinages  de  notre  poésie. 
S'il  y  a  plus  d'invention  dans  le  Lutrin,  la  Gastronomie 
n'a  pas  fourni  moins  de  ces  vers  devenus  proverbes  en  nais- 
sant : 

Ayez  un  bon  château  dans  l'Auvergne  ou  la  Bresse. 

Un  dîner  sans  façon  est  une  perfidie. 

Rien  ne  doit  déranger  l'honuéte  homme  qui  dîne,  etc. 

Le  poëme  de  Berchoux  intitulé  :  la  Danse,  ou  les  Dieux 
de  l  Opéra,  que  l'auteur  fit  paraître  en  1 806  ,  fut  accueilli 
avec  moins  de  faveur  :  il  était  en  effet  très-inférieur  à 
son  aîné.  L'action  en  semble  froide ,  le  comique  peu  naturel. 
Cependant  on  y  remarque  quelques  tirades  heureuses,  quel- 
ques vers  bien  tournés.  Mais  il  eût  été  difficile  de  reconnaî- 
tre l'auteur  de  la  Gastronomie  dans  le  soi-disant  poëme 
comico-satirique  de  Voltaire,  ou  le  Triomphe  de  la  phi- 
losophie moderne,  qui  parut  en  1814.  Berchoux  nétait  pas 
de  taille  à  s'attaquer  à  si  haute  renommée;  son  imprudente 
témérité  fut  à  peine  aperçue.  En  1804  il  avait  aussi  voulu 
prendre  rang  parmi  nos  prosateurs  par  un  volume  ayant 
pour  titre  :  le  Philosophe  de  Charcnton,  roman  critique, 
où  quelques  traits  malins  et  spirituels  ne  purent  triompher 
de  l'obscurité  du  sujet  et  de  la  faiblesse  de  l'action. 

Berchoux  parutavoir  tcruiiné  eu  1 8 1 9  sa  carrière  littéraire 
par  la  [«iblication  d'un  petit  poème  qu'il  nomma  l'Art  po- 
litique. Quoiqu'on  y  trouvât  encore  de  loin  en  loin  ce  que 
l'auteur  d'un  autre  Art  appelle  disjecti  membra  poetx ,  il 
ne  put  même  obtenir  \m  succès  de  paiti  :  c'était  de  l'çppo- 
sition  arriérée,  une  vieille  réminiscence  de  89.  Retiré  à  Mar- 
cigny  (  Saoue-et-Loire  ),  il  ne  produisit  plus  rien  depuis  :  il 
avait  fait  ses  adieux  à  la  capitale  et  aux  lettres,  et  mourut 
dans  son  ermitage,  le  17  décembre  1838.  Si  ses  autres  ou- 
vrages n'ont  pas  tenu  ce  que  promettaient  sa  première  sa- 


BERCllOUX  —  BÈRENGER 


tiiv  et  sa  Gastronomie,  il  n'eu  a  pas  moins  eu  Tlionneur 
par  «es  deux  écrits  remarquables  de  laisser  trace  de  poëte 
dans  notre  époque  et  dans  les  souvenirs  de  ses  contempo- 
rains. OtnRY. 

BERCHTESGADEN  ou  BERCHTHOLDSGADEN, 
justice  de  paix  (  Landgericht  )  du  cercle  de  la  Haute- 
Bavière,  formait  jadis  une  prévôté  dont  le  titulaire  avait 
le  titre  et  le  rang  de  prince ,  et  dont  la  fondation  remon- 
tait à  Tannée  1196.  Sécularisée  en  1803,  elle  fut  attribuée 
alors  comme  principauté  à  l'électoral  de  Salzbourg,  puis 
vn  1805  à  l'Autriche;  enfin,  en  1810,  elle  fut  définitive- 
ment adjugée  à  la  Bavière.  C'est  une  contrée  d'une  nature 
éuiinemment  alpestre,  assez  élevée,  entourée  par  les  mon- 
tagnes de  SalzJbourg ,  et  fort  importante  par  ses  salines 
ainsi  que  par  l'industrie  de  ses  habitants.  La  petite  com- 
mune protestante  qui  essaya  de  s'y  constituer  au  cominen- 
cement  du  dix-huitième  siècle,  émigra  dès  1732  à  Berlin  et 
dans  la  marche  de  Brandebourg. 

Le  chef-lieu  de  la  principauté  et  du  Landgericht  est  le 
bourg  de  BercliteJsgaden,  avec  une  population  de  3,000  ha- 
bitants, un  château,  une  église  collégiale,  une  inspection 
supérieure  des  saUnes ,  etc.,  etc.  Il  est  justement  renonnne 
par  sa  situation  ravissante,  par  le  caractère  distinctif  de  ses 
habitants,  par  les  objets  de  toute  espèce ,  en  bois,  ei)  os  et 
en  ivoire  qu'on  y  fabrique  ainsi  que  daus  les  environs,  mais 
surtout  par  l'exploitation  de  ses  mines  de  sel,  par  la  saline 
de  Frauenreuth  et  par  le  grand  canal,  qui  de  là  conduit  l'eau 
salée  aux  salines  de  Reichenball,  Traunstein  et  Rosenlieim. 
Des  roules  inagnirKjues  mettent  Bcrclitesgaden  en  coniiau- 
iiication  avec  Salzbourg,  llallein  et  Reiclicnhall,  et  sillon- 
nent toute  la  principauté,  dont  la  riature  grandiose,  avec  ses 
montagnes  et  ses  vallées,  qu'habitent  le  chamois  et  la  mar- 
motte, excite  vivement  la  curiosité  du  Toyageur.  Le  bourg 
de  Ramsau,  célèbre  par  ses  carrières  de  pierres  meulières,  et 
le  iac  de  Schellenberg  font  encore  partie  du  Landgeric/it 
de  Berchtesgaden  ;  et  à  peu  de  distance  on  trouve  le  lac 
Saint-Barthélémy  {Bartolomœussee),  à  bon  droit  célèbre 
par  le  caractère  éminemment  pittoresque  de  ses  rives.  11  a 
13  kilomètres  de  long  sur  4  de  large,  et  est  situé  à  6C2  mè- 
tres au-dessus  du  niveau  de  l'Océan ,  au  pied  du  mont 
Watzmann,  haut  lui-même  de  plus  de  3,000  mètres. 

BERCY,  commune  importante  du  département  de  la 
Sçine,  arrondissement  de  Sceaux,  canton  de  Charenton-le- 
Pont ,  située  à  la  porte  de  Paris ,  sur  la  rive  droite  de  la 
Seine,  à  l'endroit  où  ce  fleuve  entre  dans  la  capitale.  Bercy 
compte  une  population  de  7,913  habitants;  c'est  le  centre 
d'un  commerce  immense  en  vins  et  eaux-de-vie,  qui  lui  ar- 
rivent par  la  Seine.  Aussi  est-ce  à  Bercy  surtout  qu'on  peut 
chanter  : 

C'est  l'eau  qui  duus  fuil  buire 
Du  vin,  du  viu  ,  du  vin. 

On  y  fabrique  du  sucre  raffiné,  des  vinaigres,  des  pro- 
duits chimiques.  On  y  trouve  un  grand  nombre  de  distille- 
ries, etc.  Un  beau  pont  susi)endu  avec  des  chaînes,  cons- 
truit par  MM.  Bayard  et  Verbes,  met  lîercy  en  communi- 
cation avec  la  rive  gauche  à  la  hauteur  du  boulevard  ex- 
térieur. Un  viaduc  de  cini]  arches  <loit  y  être  construit  à  la 
hauteur  des  fortifications  jjour  servir  au  chemin  de  1er  de 
ceinture  <pii  doit  relier  la  gare  d'Orléans  aux  autres  gares. 
Ce  qui  donne  une  physionomie  particulière  à  Bercy ,  ce 
sont  ses  inuuenscs  magasins  en  caveaux  qui  bordent  des 
es|)èccs  <le  rues  ornées  d'arbres.  Le  long  du  quai,  qui  en  cet 
endroit  prend  le  nom  de  Lu  Rdpée,  on  voit  de  joyeux  ca- 
l)arets  et  des  restaurants,  célèbres  les  uns  et  les  autres  par 
leitrs  matelotes,  et  oii  se  donnent  rendez-vous  la  |)Oj)ulation 
du  port,  les  marchands  de  vin,  les  courtiers,  les  acheteurs, 
et  les  nombreux  amis  des  uns  et  des  autres ,  qui ,  sous  pré- 
texte de  déguster,  vont  faire  en  catimini  leurs  dévotions  au 
dieu  du  lieu.  Le  dimanche,  les  canotiers  parisiens,  ces 

niCT.    UE   LA    tUNVLKS.    —    X.    111. 


innocents  émules  des  Jean  Bart  et  des  Duguay-Trouin, 
remplacent  dans  ces  parages  la  population  mercantile. 

La  prospérité  de  Bercy  date  des  premières  années  de  ce 
siècle.  Ce  n'était  auparavant  qu'un  village  fort  insignifiant, 
célèbre  seulement  par  le  magnifique  château  qu'y  possédait 
et  qu'y  possède  eucore  la  famille  Ni  col  aï.  Ce  château, 
demeure  toute  royale  et  bâti  dans  les  dernières  années  du 
dix-septième  siècle  par  l'architecte  Pierre  Leveau,  apiiarte- 
nait  originairement  au  marquis  de  Bercy,  financier  opulent 
qui  avait  épousé  la  fille  de  Desmarests ,  contrôleur  généra! 
des  finances  sous  Louis  XIV.  La  fille  du  dernier  marquis  de 
Bercy  apporta  par  mariage  cette  belle  propriété  dans  la  fa- 
mille Nicolaï.  L'importance  que  prend  chaque  jour  le  com- 
merce de  la  place  de  Bercy  est  telle  que  tous  les  ans  l'heu- 
reux propriétaire  du  vaste  parc  riverain  de  la  Seine  et  dé- 
pendant du  château  se  voit  obligé  de  céder  aux  sollicita- 
tions des  entrcpositaires  de  vins,  et  d'abattre  les  arbres 
séculaires  qui  faisaient  la  gloire  de  cette  demeure  aristocra- 
tique, pour  les  remplacer  par  des  magasins  qu'il  loue  en- 
suite à  prix  d'or  :  aussi  peut-on  prévoir  qu'avant  peu  cp 
parc  tout  entier,  que  planta  Le  >ôtre,  disparaîtra  sons  la 
cognée,  ainsi  qu'il  est  déjà  arrivé,  il  y  a  une  trentaine  d'an- 
nées, du  petit  château  et  de  ses  dépendances  qui  étaient 
plus  rapprochés  de  la  barrière ,  et  dont  il  reste  aujourd'hui  à 
peine  le  souvenir.  Ce  petit  château,  qu'avait  acquis  le  baron 
Louis,  est  devenu  la  source  de  l'immense  fortune  de  ce  cé- 
lèbre financier. 

BERDYCZEW  (  on  prononce  Berditchef).  Celte  villa 
de  Russie,  qui  faisait  autrefois  partie  du  gouvernement  do 
Kief ,  et  qui  dépend  aujourd'hui  du  gouvernement  de  Vol- 
hynie ,  est  située  sur  les  frontières  de  la  Podolie,  et  compte 
une  population  d'environ  20,000  âmes.  Les  maisons  des  ha- 
bitants, pour  la  plupart  juifs  de  religion ,  offrent  en  génc'ial 
tout  l'aspect  de  la  misère  et  de  la  malpropreté  qui  en  csj 
ordinairement  la  conséquence.  Cependant  Berdyczew  est 
le  centre  d'un  commerce  assez  actif,  et  il  s'y  tient  deux 
fois  par  an  des  foires  de  chevaux  et  de  bêtes  à  cornes,  qui 
y  attirent  un  grand  nombre  d'étrangers.  On  se  fera  une 
idée  de  l'importance  des  transactions  auxquelles  donnent 
lieu  ces  foires,  quand  on  saura  qu'il  s'y  vend ,  année  com- 
mune, de  100  à  150,000  chevaux  venus  de  la  Podolie,  de 
l'Ukraine,  de  la  Valachie  et  de  la  Turquie.  Berdyczew  fait 
aussi  un  giand  commerce  avec  Odes.-a  et  Brody ,  et  peut 
élre  considérée  comme  l'entrepôt  de  ces  deux  villes.  Une 
grande  quantité  de  voitures  et  de  pianos,  tabriqués  à  Var- 
sovie, y  trouvent  aussi  placement  à  chaque  foire. 

BÉRENG ARIENS,  nom  qu'on  donnait  aux  hérétiques 
qui  partageaient  les  opinions  de  Béreuger  de  Tours  tou- 
chant riiucharistie.  Bérenger,  au  milieu  de  ses  nombreuses 
rétractations,  en  revient  toujours  à  penser  que  dans  la  con- 
sécration le  pain  demçure  pain,  et  que  c'est  uniquement  par 
la  foi  des  fidèles  qu'il  peut  acquérir  les  vertus  que  l'Église 
attribiie  au  corps  de  Jésus-Christ. 

BÉREI\GER  l",  roi  d'Italie.  Fils  d'Éberard,  duc  de 
Frioul,  et  de  Gisèle,  fille  de  Louis  le  Débonnaire,  il  piétendit 
à  la  couronne  après  la  déchéance  de  Charles  le  Gros,  et  fut 
reconnu  roi  d'Italie  par  une  assemblée  des  états  du  royaume. 
Pendant  les  trente-six  années  que  dura  son  règne,  il  eut 
continuellement  à  lutter  contre  les  compétiteurs  que  lui  sus- 
citèrent les  grands ,  jaloux  de  son  autorité.  Tour  à  tour  servi 
jiar  la  mort  et  par  la  victoire ,  débarrassé  de  Guido,  ex-duc 
(ie  Spolète,  de  Lambert,  fils  de  ce  dernier,  et  d'Arnolphe,  roi 
(le  Germanie,  enlevés  tous  les  trois  par  une  fin  précoce,  vain- 
([ueur  de  Louis,  filsdeBoson,roi  de  Provence,  de  Rodolphe  II, 
roi  de  la  Bourgogne  Transjurane,  il  allait  enfin  demeurer  seul 
et  sans  rivaux  maître  du  pays,  quand  une  iléiaite  inattendue 
vint  tout  changer,  et  l'obligea  à  se  réfugier  à  Véione.  11  y 
tomba  sous  les  coups  d'un  assassin,  nommé  Flambert ,  an 
mois  de  mars  924. 

BLRliNGER  !I,  roi  d'Italie  ,  peiit-lils  de  Diienger  V  par 

2 


10 


BEREAGER 


Gisèle,  sa  mère,  était  fils  d'Adalbert,  marquis  d'Iviée.  Réfu- 
gié à  la  cour  d'Othon  le  Grand,  en  Alienriagne,  pour  échapper 
à  son  frère  Huj^ues  ,  comte  de  l'rovcnce,  que  sa  belle-mère 
KriiicnKarde  avait  placé  sur  le  trône  d'Italie,  il  parvint,  à 
force  d'intrigues,  à  soulever  les  grands  feudataires.  JlnS'i^'s 
dut  renoncer  à  la  couronne  en  faveur  do  son  fils  Lothaire , 
et  IJcrenger  devint  de  fait  le  chef  de  la  péninsule.  Mais 
les  per^cciitions  ipi'il  employa  contre  Adélaïde,  veuve  de 
I^otliaire,  mort  empoisonné,  pour  la  forcer  à  devenir  l'épouse 
de  son  (ils  Adnlbert,  lui  attirèrent  l'hosiililé  de  ce  même 
Ollion  le  Grand  qui  l'avait  accueilli  à  sa  cour ,  et  sons  la 
protection  duquel  se  plaça,  à  son  tour,  la  princesse.  Dépos- 
sédé <le  l'Italie  par  ce  terrible  adversaire,  ]5érenger  en  obtint 
la  restitution,  à  titre  de  (ief  relevant  de  l'Allemagne.  Mais 
ayant  de  nouveau  provoqué  son  courroux,  après  plusieurs 
défaites  que  lui  tirent  essuyer  soit  Ludolplie,  (ils  d'Otbon,  soit 
Olbon  lui-mOuie,  il  s'enferma  dans  la  forteresse  de  Saint-Léo, 
comté  de  Montefeltro,  où  la  famine  l'obligea  à  se  rendre  après 
un  siège  assez  long.  Envoyé  avec  Willa,  sa  femme,  dans  les 
prisons  de  IJainberg,  il  y  mourut,  en  966. 

BÉRElXGEil  DE  TOURS,  ainsi  ai^pelé  de  la  ville 
où  il  naquit,  en  9'JS,  fit  ses  études  à  Cliartres,  sous  l'évêque 
l'ulbert,  auprès  duquel  il  demeura  jusqu'à  sa  moil.  11  re- 
tourna alors  à  Tours,  en  1030  ,  et  fut  choisi  ponr  enseigner 
<lans  les  écoles  publiques  de  Saint-Martin.  Il  devint  ca- 
mérier,  puis  trésorier  de  cette  église.  La  dignité  d'archi- 
diacre d'Angers,  qui  lui  fut  conférée  en  1039 ,  ne  lui  (it 
(loint  abandonner  son  école,  qui  était  très-fréquentée ,  et 
«l'oii  sortirent  des  hommes  qui  devinrent  plus  tard  émi- 
nents  dans  l'Église. 

L'histoire  de  l](Tenger  de  Tours  n'est  que  l'histoire  de  sa 
controverse  sur  l'EucharistiL'  et  des  persécutions  qu'elle  lui 
attira.  Il  paraît  que  ce  fut  en  1047  qu'il  commença  à  re- 
nouveler sur  la  présence  réelle  les  opinions  de  Scot  E ri- 
gène,  qui  avait  attaqué  ce  dogme  vers  le  milieu  du  siècle 
précédent.  Brunon,  évêque  d'Angers,  soulint  ses  senti- 
ments, et  lui  attira  en  peu  de  temps  quelques  sectateurs. 
LanlVanc  s'étant  élevé  contre  lui,  Bérengcr  lui  écrivit,  et  dé- 
fendit dans  sa  lettre  son  sentiment  et  celui  de  Scot.  Lan- 
franc  se  trouva  à  Rome  au  concile  tenu  dans  cette  ville, 
sous  le  pape  Léon  IX,  l'an  lOôO.  Sur  la  lecture  de  sa  lettre, 
Bérenger  lut  excommunié,  et  un  concile  (ut  ordonné  pour 
le  mois  de  septembre  à  Verceil ,  auquel  il  serait  appelé. 
Ayant  appris  sa  condamnation ,  Bi'renger  se  retira  en  Nor- 
mandie, comptant  sur  la  protection  de  Guillaume  le  Bâtard; 
mais,  condamné  par  im  synode  à  Brienne,  il  fut  obligé  de 
sortir  de  la  province,  et  se  retira  à  Chartres.  Le  concile  de 
Verceil,  où  il  n'osa  point  paraître  en  personne,  condamna 
son  sentiment  et  le  livre  de  Jean  Scot  duquel  il  l'avait  em- 
prunté. Dans  cette  même  année  1050,  un  concile  fut  tenu 
à  Paris,  le  16  novembre,  par  ordre  d'Henri  F''.  Mais  Bé- 
renger ni  Crunon  n'y  parurent.  Ils  furent  comlamnés  tous  (kux. 

Cependant,  le  premier  soutint  son  opinion  dans  d'activés 
controverses  avec  les  théologiens  conteuq)orains,  parmi  les- 
quels on  remarque  surtout  Adesman ,  clerc  de  l'église  de 
Liège,  et  Ascelin,  moine  de  Saint-Évron  en  Normandie.  Déçu 
dans  l'espoir  dont  il  s'était  flatté  d'être  protégé  par  Richard, 
roi  d'Angleterre,  qui  se  trouvait  alors  à  la  cour  de  France, 
il  rétracta  ses  opinions,  en  1055,  au  concile  de  Tours,  pré- 
sidé par  le  légat  de  Victor  II,  Ilildebraiid,  depuis  Gré- 
goire VII.  Mais  aussitôt  après  il  recommença  à  soutenir 
le  sentiment  qu'il  venait  de  condamner  lui-même.  Anathé- 
niatisé  par  le  concile  de  Rouen  en  1003,  et  en  1075  par  ce- 
lui de  Poitiers,  où  il  courut  le  danger  d'être  tué ,  il  resta 
dans  ses  opinions ,  malgré  les  sages  représentations  de  Bru- 
non,  qui  avait  pris  la  résolution  d'éviter  toute  dispute,  et 
qui  lui  conseillait  de  suivre  son  exemple.  Enlin  il  fit  une 
nouvelle  et  dernière  rétractation  au  mois  de  décembre  de 
l'année  1078,  au  concile  de  Rome,  présidé  iiar  Gré- 
goire Vil. 


11  est  naturel  de  suspecter  la  sincérité  de  ce  dernier  chan- 
gement ,  quoi(iu'il  puisse  être  raisonnablement  attribué  à  la 
(aiblesse  de  l'âge,  car  Bérenger  avait  alors  quatre-vingts  ans. 
Le  sentiment  qu'il  défendit  pendant  la  plus  grande  partie 
de  sa  vie  étant  devenu  dans  la  suite  une  des  bases  de  la 
Réforme,  les  protestants,  qui  cherchent  dans  la  tradition 
des  écrivains  qui  leur  soient  favorables ,  se  sont  trouvés  in- 
téressés à  soutenir  que  Bérenger  n'avait  cédé  qu'à  la  lorce 
et  au  désir  de  la  paix  ,  et  les  catholiques ,  de  leur  côté ,  ont 
dû  s'ajjpliqutr  à  prouver  sa  sincérité.  Quoi  qu'il  en  soit ,  il 
paraît  que  sa  rétractation  parut  sincère  aux  églises  qui  fu- 
rent le  plus  agitées  par  ses  opinions.  On  en  a  la  preuve  dans 
le  service  annuel  célébré  pour  lui  dans  l'église  de  Tours. 

Jl  mourut  le  6  janvier  1088,  dans  l'île  de  Saint-Cômc, 
près  de  Tours ,  après  avoir  encore  été  obligé  ,  dans  ses  der- 
nières années,  de  rendre  compte  de  sa  foi  au  concile  de 
Bordeaux,  en  1080.  11  ne  reste  de  lui  que  peu  d'ouvrages, 
qui  tous  ont  rapport  à  ses  opinions  sur  l'Eucharistie ,  et  (jui 
sont  écrits  dans  un  style  sec  et  tout  rempli  de  subtilités  sco- 

lasti(pies.  II.   Porcuinr  ,  ancien  rectear. 

BÉREIXGER  (Au'Uonse  -  Marie-Marcellin  -Tiiom  \s  ) 
dit  de.  la  Drôine,  fils  d'un  avocat  célèbre  que  le  tiers  état 
du  Dau[>hiné  nouuua  député  aux  états  généraux ,  et  qui 
exerça  sous  la  Ré[)ublique  et  sous  l'Empire  les  plus  hautes 
fonctions  de  la  magistrature  dans  sa  province,  naquit  à 
Valence,  le  31  mai  1785.  Il  suivit  la  même  carrière  que 
son  père,  et  devint  avocat  général  à  la  cour  impériale  de 
Grenoble.  H  occupait  ce  poste  élevé  en  mars  1815,  lorsque 
Napoléon,  venant  de  l'île  d'Elbe,  s'arrêta  dans  cette  ville. 
M.  P.crenger  désirait  que  sa  compagnie,  en  se  présentant 
devant  l'enqiereur,  lui  exprimât  des  vœux  pour  des  institu- 
tions libérales  et  de  sages  réformes.  11  réiligea  même  dans 
ce  sens  un  projet  d'adresse  que  la  majorité  trouva  trop 
énergi(pie.  La  minorité  obtint  du  moins  que  la  cour  s'abs- 
tint du  langage  banal  de  la  llatierie,  et  qu'elle  se  renlermàt 
dans  un  morue  et  noble  silence.  Mais  l'empereur  ne  voulut 
pas  que  l'audience  donnée  à  la  magistrature  ne  (ut  qu'une 
scène  uuietle.  Il  parla  beaucoup  lui-même,  et  demanda 
quelle  était  rinlluence  de  la  cour  dans  les  départements  do 
son  ressort.  «  Nulle,  lui  répondit  M.  Bérenger.  —  l'omciuoi 
cela?  —  Parce  que  dans  les  constitutions  de  l'empire  le 
pouvoir  judiciaire  a  été  trop  subordonné  au  pouvoir  execu- 
tif, et  (pie  la  considération  et  le  crédit  politiques  s'obtien- 
nent en  raison  de  l'étendue,  de  l'autorité  et  de  l'indépen- 
dance de  la  fonction.  —  Je  ne  me  suis  pas  mêlé  de  ces 
choses-là,  repartit  l'empereur  ;  j'avoue  ([ue  je  m'en  suis 
peu  occupé  ;  c'e^t  Treilhard  qui  a  tout  fait  :  il  était  dominé 
par  la  crainte  de  ressusciter  les  anciens  parlements,  en  ac- 
cordant tiop  de  prépondérance  à  la  magistrature.  » 

Peu  de  temps  après  M.  Bérenger  fut  nommé  à  la  chambre 
des  représentaids  [lar  le  déparlement  de  la  Drôme.  ^«a  con- 
duite dans  le  sein  de  cette  assemblée  fut  conforme  aux  prin- 
cipes libéraux  qu'il  avait  toujours  professés,  et  pour  lesquels 
il  avait  I  eu(iu  témoignage  en  présence  même  de  l'empereur. 
Sa  soll  citude  pour  la  liberté  ne  l'empêcha  pas  de  recon- 
naître que  le  maintien  de  la  djuastie  impériale  était  néces- 
saire à  l'indépendance  nationale  et  au  salut  de  la  révolution. 
Après  le  teirible  désastre  de  Waterloo  et  la  seconde  abdica-, 
tion  de  Napoléon,  il  insista  pour  faire  déclarer  que,  parla 
seule  force  des  constitutions  existantes,  Napoléon  II  était 
devenu  empeieur  des  Français ,  et  il  entraîna  la  majorité  à 
proclamer  ce  jeune  prince  par  acclamation  Plus  tard  ,  et  en 
face  des  baïonnettes  étrangères,  M.  Bérenger  fut  du  nombre 
des  députés  (jui  signèrent,  entre  les  mains  du  président 
Lanjuinais,  une  protestation  contre  la  violence  que  subissait 
la  représentation  nationale. 

La  seconde  restauration  accomplie,  il  se  démit  de  ses 
fonctions  d'avocat  grnéral,  et  vécut  dans  la  retraite,  a[tpli- 
qué  à  l'élude  <le  notre  légishition  criminelle  et  à  la  recherclie 
des  porlècl.'oni'.ements  dont  elle  était  susceptible.  En   181» 


BÉRENGER  —  BÉRENGÈRE 


n 


n  qnilta  le  DaupliJné,  et  se  rendit  à  Paris ,  on  il  publia  le 
résultat  de  ses  méditations  et  de  ses  veilles.  Son  livre,  qui 
eut  pour  titre  :  De  la  Justice  criminrlle  en  France,  pro- 
duisit une  vive  sensation  et  obtint  un  grand  succès.  Ce  fut 
une  occasion  pour  lui  de  livrer  à  la  sévérité  de  Tbisloire  , 
dans  des  allusions  saillantes,  les  réacteurs  qui  avaient  désolé 
sa  province.  Mais  cette  réprobation  spéciale  n'était  pas  le 
vrai  but  ni  la  pensée  principale  de  son  œuvre.  M.  Oérengcr 
s'était  placé  bien  au-dessus  des  passions  du  moment  et  des 
intérêts  de  localité.  L'administration  de  la  justice ,  en  gé- 
néral, était  l'objet  de  ses  préoccupations  les  plus  vives  et 
de  ses  études  les  plus  sérieuses.  Il  fut  cliargé,  vers  le  même 
temps,  d'un  cours  île  droit  public  à  l'Atliénée  de  Paris. 

Cependant  la  réaction  nobiliaire  et  cléricale  marcliait  de 
manière  à  faire  craindre  que  la  parole  et  la  presse  ne  de- 
vinssent bientôt  des  armes  inutiles  contre  ses  envahissements 
et  ses  fureurs.  Les  liommes  qiu  avaient  l'intelligence  des 
besoins  du  pays  et  des  nécessités  du  siècle,  s'émurent  à 
Pimminence  des  périls  que  couraient  les  grands  principes  et 
les  intérêts  immenses  consacrés  par  la  révolution  française. 
M.  Bcrenger  était  de  ces  hommes,  et  l'un  des  plus  éinineiils, 
par  sa  réputation,  ses  lumières,  ses  talents,  son  caractère. 
Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  dire  ce  que  lui  inspira  sa  sollici- 
tude patriotique  et  la  part  qu'il  prit  à  ces  luttes  généreuses 
que  le  génie  de  la  France  nouvelle  et  de  la  civilisation  mo- 
derne essaya  contre  l'esprit  rétrograde,  dans  la  voie  dange- 
reuse des  sociétés  secrètes  et  des  conspirations.  L'heure  de  la 
P.estauration  n'avait  pas  encore  sonné;  nos  efforts  furent 
vains  :  la  contre-révolution  triompha. 

Mais  bientôt  le  corps  électoral  s'effraya  des  progrès  du 
jésuitisme  ;  une  majorité  libérale  sortit  du  scrutin,  et  M.  Bé- 
renger  alla  prendre  place  au  milieu  d'elle  en  1827.  Sous  le 
gouvernement  de  juillet  M.  Bérenger  devint  vice-président 
de  la  chambre  des  députés.  Il  fut  aussi  chargé  de  soutenir 
devant  la  chambre  des  |)airs  l'accusation  contre  les  derniers 
ministres  de  la  Restauration,  signataires  des  fameuses  or- 
donnances. Il  s'acquitta  de  celle  pénible  tâche  avec  cette 
fermeté  mêlée  de  niodéi-ation  qui  l'a  toujours  distingué.  Quoi- 
que séparé  de  l'opjiosition  ,  il  n'hésita  pas  à  voter  avec  elle 
foules  les  fois  que  les  principes  libéraux  et  l'esprit  de  progrès 
lui  parurent  menacés  par  les  projets  du  gouvernement.  Lors 
de  la  discussion  de  la  nouvelle  loi  sur  les  élections,  il  ré- 
clama, comme  rap|)orteur,  une  part  d'action  politique  pour 
le  travail,  en  faisant  attribuer  au  fermier  une  portion  de 
l'impôt  pour  la  constitution  du  cens. 

Sa  parole  exerça  également  une  grande  influence  à  l'oc- 
casion de  la  réforme  du  Code  pénal.  Il  contribua  beaucoup 
à  faire  étendre  au  jury  la  faculté  d'appliquer  l'article  463, 
l)ar  l'admission  des  circonstances  atténuantes;  et  malgré 
tout  ce  que  l'expérience  semble  accumuler  contre  cette  in- 
novation, ce  savant  criminalisfe  ne  paraît  pas  ébranlé  dans 
SCS  convictions.  Dans  un  travail  lu  à  l'Académie  des  sciences 
morales,  il  a  élabli  des  calculs  statistiques  desquels  il  résulte 
que,  si  les  circonstances  atlÉnuanles  sont  souvent  mal  ap- 
pliquées, elles  évitent  par  le  scandale  des  semi-impunités  le 
scandale,  plus  grand,  d'impunités  complètes  et  fréquentes. 
Au  reste ,  M.  Bi'renger  ne  s'est  pas  borné  à  l'étude  de  notre 
législation  criminelle,  il  s'est  aussi  occupé  de  la  réforme 
de  la  judicature  civile ,  et  une  analyse  des  statistiques  du 
ministère  de  la  justice  l'a  conduit  à  penser  et  à  dire  qu'il  y 
aurait  utilité  à  supprimer  le  second  degré  de  juridiction, 
c'est  à-dire  les  cours  d'appel. 

M.  Bérenger  appartient  à  cette  classe  honorable  de  libéraux 
qui ,  tout  en  se  groiq)ant  autour  du  pouvoir  issu  de  la  ré- 
volution de  18:}0,  restèrent  fidèles  à  la  cause  du  perfec- 
tinnnement  social  et  aux  principes  constitutifs  des  États 
libres.  Il  est  de  ceux  qui  prennent  pour  devise  le  mot  de 
Bossuet,  qu'j^  n'y  a  pas  de  droit  contre  le  droit  :  aussi 
vofa-t-il  constamment  contre  les  lois  d'exception. 

Laurent  (de  l'Ardèche). 


Nommé  conseiller  à  la  cour  de  cassation  en  ls.3?,  pair 
de  France  le  7  novembre  183y,  membre  de  l'Académie  des 
sciences  morales  et  politiques  lors  du  rétablissement  de  cette 
classe  de  l'Institut,  M.  Bérenger  devint  président  de  chambre 
à  la  cour  de  cassation  en  1849.  Choisi  par  ses  collègues,  aux 
termes  de  la  constitution  de  1848,  comme  l'un  des  cinq 
membres  de  la  haute  cour  de  justice ,  c'est  lui  qui  fut  ap- 
pelé à  diriger  les  débats  de  cette  cour  qui  jugea  à  Bourges 
les  attentats  de  mai  1848,  et  à  Versailles  ceux  de  juin  1849. 
Comme  toujours,  M.  Bérenger  apporta  une  grande  modéra- 
tion dans  ces  fonctions  délicates.  Il  est  commandeur  de  la 
Lé^iion  d'Honneur  depuis  1838. 

BÉRENGER  DE  PALASOL,  troubadour  français  ,  qui 
llorissait  à  la  cour  du  comte  de  Toulouse  Raymond,  mourut 
en  1194.  Lacurne  de  Sainte-Palaye  nous  apprend  que  c'é- 
tait un  chevalier  du  Roussillon,  pauvre,  mais  distingué  par 
sa  figure  et  ses  manières,  joignant  à  une  grande  bravoure 
l'amour  des  plaisirs  et  le  goût  de  la  poésie.  Dans  le  petit 
nombre  de  vers  qu'on  a  conservés  de  lui,  et  qui  sont  con- 
sacrés à  chanter  les  incomparables  channes  et  les  vertus 
sans  pareilles  d'Ermesine,  femme  d'Arnaud  d'Avignon,   et 
tille  de  Marie  de  Pierrelatte ,  il  y  a  du  sentiment  et  du  na- 
turel ,  mais  rien  d'ailleurs  au  point  de  vue  de  l'art  qui  les 
dislingue  des  autres  chants  d'amour  que  nous  ont  laissés 
les  poètes  de  la  langue  d'Oc.  «  Si  toujours  je  vous  voyais , 
dit-il  dans  un  cou[)let  adressé  à  la  belle  Ermesine,  toujours 
je  vous  aimerais!  c'est  folie  de  s'attacher  à  vous ,  malgré 
la  défense  que  vous  m'en  faites  ;  mais  je  ne   puis  me  dé- 
livrer de  cette  folie.  Je  suis  votre  esclave  ;  je  ne  vous  payerai 
jau)ais  ma  rançon,  car  je  ne  veux  pas  ravoir  ma  liberté  !  » 
On  attribue  à  im  autre  Béhenger,  ou  plutôt  Bernard  de 
['arasolz,  confondu  souvent  avec  Bérenger  de  Palasol,  et 
qiu'  était  attaché  à  la  reine  Jeanne  de  Naples,  cinq  tragédies 
que  dans  ses  Fies  des  t'ocles  provençaux  ^ean  de  Nostrada- 
mus  traite  de  magnifiques.  Les  quatre  premières,  par  allusion 
aux  quatre  maris  de  la  reine,  André  de  Hongrie ,  Louis  de 
Tarenle,  Jacques  de  Majorque  et  Othon  de  Biunsvvick,  étaient 
intitulées:  Andrealla,  Tarentala,  Maillorquinuet  Aleman- 
na;  et  la  cinquième,  du  nom  de  la  reine  Jeanne,  Jehanella. 
Ces  cinq  pièces  formaient  une  manière  d'histoire  complète  de 
la  vie  de  la  princesse  depuis  sa  naissance  jusqu'à  sa  mort. 
BÉRENGER  DE  LA  TOUR,  poète  du  seizième  siècle, 
né  à  Aubenasdans  le  Vi  varais,  vers  1 500,  mort  vers  1 560,  avait 
obtenu  de  bonne  heure  une  charge  de  magistrature,  mais 
n'en  sut  pas  moins  trouver  les  loisirs  nécessaires  pour  faire 
des  vers.  Ajoutons,  d'ailleurs,  qu'à  l'exemple  des  hommes  le."; 
plus  graves  de  son  temps,  il  put,  sans  être  accusé  de  man- 
quer en  rien  aux  devoirs  et  aux  convenances  de  son  état , 
composer  des  œuvres  badines  et  même  burlesques.  On  a 
de  lui  :  Le  Siècle  d'or  (Lyon  ,  1551  )  ;  La  Choréide,  me 
Louange  du  bal  (Lyon,  1556);  VAmye  des  Amyes  (1558), 
imitation  de  l'Arioste.  Le  même  volume  contient  le  1*''  livre 
de  La  Moschéide,  ou  combat  des  mouches  et  des/ourmis, 
imitation  de  Martin  Coccaie;  des  chansons,  un  roman  bur- 
lesque intitulé  Nazéide  d'Alcofibras,  imprimé  à  la  suite  de 
VAmye  rustique  (Lyon,  1558),  etc. 

BÉREIVGÈRE.  Deux  reines  ont  porté  ce  nom  en  Espa- 
gne. La  |)remière  était  fille  de  Raymond  IV,  et  femme  d'Al- 
phonse VIII,  roi  deCastille.  Les  Maures  étant  venus,  en  1139, 
mettre  le  siège  devant  Tolède  ,  Bérengère  parut  sur  les  rem- 
parts, et  traita  de  lâches  des  hommes  qui  ne  rougissaient  pas 
de  venir  ainsi  assiéger  une  femme,  tandis  que  la  gloire  les  ap- 
pelait sous  les  murs  d'Oreja  ,  dont  le  roi  de  Castille  faisait  le 
siège.  Par  esprit  de  galanterie,  les  Maures,  à  ce  que  dit  la 
chronique,  abandonnèrent  le  siège  de  Tolède,  et  défilèrent 
devant  notre  héroïne  en  rendant  hommage  à  son  courage  et 
à  sa  beauté.  Elle  mourut  le  3  février  1149. 

L'autre  BÉKENGt:RE,  fille  aînée  d'Alphonse  IX,  roi  de 
Castille,  avait  épousé  le  roi  de  Léon,  Alphonse  IX,  qui  la 
répudia  en  1209,  sous  prétexte  de  parenté.  Elle  rentra  en 

2. 


BERENGERE  —  BÉRÉNICE 


Cusli!le,oti  elle  fut  nommée  régente  iluraiU  la  ininoiilé  de 
son  frère  Henri  l*"';  niaisayanlalxliqué  en  laveur  du  comte  de 
l.an»,  c(!lui-ci  la  bannit  de  la  Castllle.  Elle  y  rentra  en  1217, 
pour  succéder  à  son  frère ,  qui  était  mort,  et  céda  le  trône 
a  Ferdinand,  son  lils  aîné.  Elle  nionrnt  en  1244. 

BEREKÏÏORST  (Geobcks-Henui  de),  bon  slratégiste 
allemand  ,  connu  surlout  par  ses  vives  controverses  sur 
l'ancienne  tactique,  né  en  1733  à  Sanderslcbcn,  dans  le  pays 
d'Anhalt-Uessau,  et  mort  en  1814,  était  le  fds  naturel  du 
prince  Léopoldd'Anhalt-Dessau.  H  entra  au  service  de  Prusse 
en  1748,  en  qualité  de  lieutenant  dans  le  régiment  d'infan- 
terie d'Anlialt.  En  1757  il  fut  attaché  en  qualité  de  brigade- 
major  à  l'état- major  du  prince  Henri  de  Prusse,  et  trois  ans 
plus  tard  Frédéric  le  Grand  le  prit  pour  aide  de  camp. 

Après  la  guerre  de  sept  ans  Berenliorst  vécut  à  la  cour  du 
prince  d'Anlialt-Dessau ,  qu'il  accompagna  ensuite  dans  ses 
voyages  en  France,  en  Italie  et  en  Angleterre,  de  môme  que 
plus  tard  le  prince  Georges,  à  qui  il  servit  de  mentor,  après 
avoir  eu  la  présidence  de  l'espèce  d'Académie  qui  avait  été 
instituée  pour  diriger  son  éducation.  Dis  lors,  il  vécut  entiè- 
rement dans  la  retraite.  Dans  ses  Considérations  sur  l'art 
de  la  guerre,  ses  progrès,  ses  contradictions  et  ses  certi- 
tiidcs  (Leipzig,  1797),  il  a  exposé  des  principes  nouveaux 
en  même  temps  qu'il  s'est  ell'orcé  de  condiattre  des  préjugés 
encore  trop  généralement  accrédités.  Il  faut  aussi  mentionner 
ses  Aphorismes  (1805). 

BERÉIXICE  (c'est-à-dire,  qui  porte  la  victoire,  du 
grec  oE'pw,  je  porte,  et  vîxv),  victoire).  Plusieurs  femmes 
célèbres  dans  l'antiquité  ont  porté  ce  nom. 

DÉPiÉNlCE,  seconde  épouse  du  roi  d'Egypte  Ptolémée  I"' 
Soter  (323-2«4  avant  J.-C.  ),  si  célébrée  par  les  poètes,  par 
exemple  par  Tbéocrite  dans  la  quinzième  et  la  dix-septième 
de  ses  idylles.  Elle  était  lillc  de  Lagus  et  nièce  d'Antipater, 
et  avait  épousé  en  premières  noces  un  Macédonien  obscur 
du  nom  de  Philippe,  dont  elle  avait  eu  plusieurs  enfants, 
entre  autres  Magas  et  Antigone.  Plus  lard,  venue  en  Egypte 

la  suite  d'Eurydice,  femme  de  Ptolémée  Soter,  elle  inspira 
une  passion  si  violente  à  ce  prince,  qu'il  l'épousa,  quoiqu'il 
eût  des  enfants  de  celle  qu'il  abandonnait.  Elle  eut  de  lui 
Ptolémée  Philadelphe,  Argée,  Arsinoé  et  Philotère.  Son 
influence  sur  Ptolémée  Soter  fut  telle  qu'elle  le  détermina  à 
désigner  pour  son  successeur  au  trône  Ptolémée  Philadelphe, 
son  fds  du  second  lit,  au  détriment  des  enfants  d'Eurydice, 
et  malgré  l'opposition  de  Démétrius  de  Phalère.  A  sa  mort, 
ce  prince  lui  lit  rendre  les  honneurs  divins. 

BÉRÉNICE,  fille  de  Ptolémée  Philadelphe  et  d'Arsinoé, 
fille  de  Lysimaque,  épousa,  l'an  252  avant  J.-C,  Antiochus  II, 
roi  de  Syrie ,  à  la  mort  duquel  elle  périt  assassinée  par 
ordre  de  Laodicée,  première  femme  d'Antiocbus,  et  de  son 
(ils,  Séleucus  11  Callinicus. 

IJÉRÉNICE,  fdle  de  Magas  qui  s'était  rendu  indépendant 
à  Cyrène,  où  Ptolémée-Philadelphe  l'avait  nommé  gouver- 
neur, dut,  aux  termes  d'un  traité  intervenu  entre  Magas  et 
Ptolémée-Philadelphe,  épouser  son  frère  germain  Ptolémée, 
adopté  par  Arsinoé,  femme  de  son  père.  Mais  elle  fut  offerte 
en  mariage  à  Démétrius-Poliorcète  par  cette  même  Arsinoé, 
(pii  lit  de  Démétrius  son  amant.  Celui-ci  se  conduisit  avec 
tant  de  brutalité  envers  Bérénice  qu'elle  entra  dans  un 
complot  tramé  contre  lui,  et  par  suite  duquel  il  fut  assas- 
siné dans  le  lit  même  d'Arsinoé.  Bérénice  épousa  alors  son 
propre  frère,  Ptolémée  Évergète  (la  loi  égyptienne  autorisant 
de  pareilles  unions),  et  elle  l'aima  tendrement.  Ce  prince 
ayant  entrepris  une  expédition  en  Syrie,  Bérénice,  alarmée 
des  périls  qu'il  allait  affronter,  fit  vœu  de  se  faire  couper 
.es  cheveux  et  d'en  faire  une  offrande  à  Vénus  Aphrodite 
s'il  revenait  vainqueur.  Évergète,  après  avoir  soumis  à  ses 
lois  la  Mésopotamie,  la  Susiane,  la  Perse,  la  Médie  et  la 
Babylonie,  rentra  sain  et  sauf  dans  ses  États;  et  alors  Bé- 
ri'tiice,  exacte  à  accomplir  son  vœu,  déposa  sa  chevelure, 
qui  rehaussait  tant  l'éclat  de  ses  charmes,  dans  le  temple 


de  Vénus,  d'où  elle  fut  enlevée  dès  la  première  nuit.  Vlo» 
lémée  Évergète  témoigna  une  profonde  douleur  de  ce  larcin, 
considéré  tout  aussitôt  comuie  odieux  sacrilège,  et  ordonna 
les  recherches  les  plus  sévcrts  pour  en  déc-ouvrir  l'auteur. 
Toutes  les  perquisitions  (^lant  demeurées  inutiles,  l'irrita- 
tion du  roi  n'en  devint  que  plus  vive;  et  il  était  à  redouter 
(lu'il  ne  se  livrât  à  tous  les  excès  d'une  aveugle  vengeance  et 
ne  frappât  une  foule  d'innocents,  lorsque  l'astronome  Conion, 
de  Samos ,  imagina  de  lui  certifier  qu'il  avait  aperçu  dans 
les  cieux  la  chevelure  de  son  épouse  chérie,  et  qu'elle  y 
formait  une  constellation,  composée  de  sept  étoiles  disposées 
en  une  espèce  de  triangle  dans  la  queue  du  Lion.  Ce  sont 
ces  sept  étoiles  que  de  nos  jours  encore  les  astronomes  ont 
l'habitude  de  désigner  sous  le  nom  de  Chevelure  de  Béré- 
nice. Callimaqiie  composa  sur  le  merveilleux  enlèvement 
de  cette  chevelure  un  petit  poëme  aujourd'hui  perdu,  mais 
que  Catulle  traduisit  plus  tard  en  latin.  Bérénice  survécut 
à  Ptolémée  Évergète,  et  fut  mise  à  mort  (216  av.  J.-C.  )  par 
ordre  de  son  fils  Ptolémée  Philopator  ,  inquiet  et  jaloux  de 
l'attachement  que  le  peuple  et  l'armée  lui  conservaient. 

BÉRÉNICE ,  épouse  de  M  i  t  h  r  i  d  a  t  e  le  Grand ,  fut  mise 
à  mort  par  son  époux ,  qui ,  battu  par  L  u  c  u  II  u  s ,  l'an  75 
av.  J.-C,  craignait  qu'elle  ne  tombât  entre  les  mains  d« 
l'ennemi. Il  agit  de  môme  à  l'égard  de  son  autre  femme,  Mo- 
nime,  et  de  ses  deux  sœurs,  Roxane  et  Statira. 

BÉRÉNICE,  fille  de  Ptolémée  Aulètes  et  sœur  de  la  fa- 
meuse Cléopâtre,  mourut  l'an  58  avant  J.-C.  Quand  les 
habitants  d'Alexandrie  se  révoltèrent  contre  son  père,  et 
le  chassèrent  de  leur  territoire  ,  ce  fut  elle  qu'ils  appelèrent 
à  s'asseoir  sur  le  trône.  Mariée  d'abord  à  Séleucus  Cybiosactés, 
elle  le  prit  bientôt  en  dégoût  à  cause  de  ses  vices  et  de  ses 
difformités,  et  le  fit  assassiner.  Après  quoi  elle  épousa  Ar« 
chélaùs,  que  Pompée  nomma  grand-prêtre  et  roi  de  Co- 
mane.  Lorsque  le  gouverneur  romain  de  la  Syrie  eut  rétabli 
Ptolémée  Aulètes  en  possession  de  ses  États,  celui-ci  fit 
mettre  à  mort  la  fille  dénaturée  qui  avait  usurpé  son  trône. 

BÉRÉNICE,  appelée  aussi  Cléopûtre,  fille  de  Ptolémée  IX 
(Lathyre),  succéda  à  son  père  vers  l'an  81  avant  J.-C, 
et  fut  contrainte  par  Sylla  d'épouser  son  cousin  Alexandre 
et  de  l'associer  au  trône.  QueUpies  jours  après,  elle  fut  as- 
sassinée par  son  époux,  jaloux  de  régner  sans  partage,  et 
qui  à  son  tour  périt  bientôt  égorgé  par  ses  sujets  révollt';s, 

BÉRÉNICE,  fille  d'Hérode  1"  Agrippa ,  roi  des  Juifs,  fut 
d'abord  mariée  à  un  prince  de  Cilicie.  Devenue  veuve ,  elle 
vint  se  fixer  à  Gésarée,  auprès  de  son  frère  Agrippa  ;  et  leur» 
relations  donnèrent  lieu  à  des  suppositions  injurieuses.  Elle 
était  avec  lui ,  lorsque  saint  Paul  eut  à  se  défendre  devant 
le  tribunal  de  ce  prince.  Elle  se  trouvait  à  Jérusalem  ,  en 
l'an  65,  lors  du  siège  de  cette  ville,  où  elle  rendit  de  nom- 
breux services  à  ses  compatriotes.  Elle  s'attira  ensuite  par 
ses  présents  la  bienveillance  deVespasien,  etl'amourde  Titus 
par  sa  beauté.  Sa  liaison  avec  ce  prince  durait  encore  après 
le  sac  de  Jérusalem.  Elle  l'accompagna  à  Rome,  vécut  pen- 
dant quelque  temps  avec  lui  dans  le  palais  impérial ,  et 
fut  môme  sur  le  point  de  se  faire  épouser  |)ar  ce  prince , 
qui  ne  fut  pas  plutôt  monté  sur  le  trône  qu'il  la  renvoya 
pour  ne  point  blesser  les  préjugés  nationaux  et  religieux 
des  Romains  en  la  prenant  pour  femme.  C'est  ee  sujet  que 
Racine  a  traité  dans  sa  tragédie  de  Bérénice, 

Diverses  villes  portèrent  aussi  dans  l'antiquité  le  nom  de 
^fVé«/ce,  entre  autres  Bérénice  Cyrène,  ainsi  nommée  en 
l'honneur  de  la  fille  de  Magas  ;  et  Bérénice  d'Egypte ,  sur  la 
mer  Rouge,  qui  tirait  son  nom  de  l'épouse  de  Ptolémée  I", 

BERÉIXICE  {Zoologie),  genre  de  méduses  de  forme 
discoïde,  déprimée  ou  renflée,  garnies  à  leur  circonférence 
d'une  rangée  de  longs  lantacules  filamenteux  ;  corps  excavé 
intérieurement ,  de  manière  à  ce  que  cette  surface  remplisse 
les  fonctions  de  bouche  ;  canaux  de  l'estomac  vasculiformes, 
aboutissant  par  quatre  troncs  principaux  à  un  sinus  médian. 
Ce  genre  est  le  type  de  la  tribu  des  bérénicidées,  proposée 


1 


BÉRÉNICE  — 

par  M.  Lesson ,  qai  la  caractérise  ainsi  :  méduses  dont  les 
ombrelles  arrondies  ou  convexes  sont  parcourues  par  quatre 
canaux  en  croix,  dicliotoinés  et  recouverts  de  suçoirs  ;  boiulie 
non  api)arente;  nombreux  tentacules  circulaires  partant 
d'un  canai  capillaire  et  formant  le  rebord  de  ronibrelle. 
Cette  tribu  ne  renferme  que  les  deux  genres  bcrénice  et 
stanphore.  L.  Laukent. 

BÉUÉIVICE  (  Chevelure  de  ).  Voyez  Cheveluue  de  Bé- 
rénice. 

BERESFORD  (Famille),  l'une  des  plus  anciennes  qu'il 
y  ait  eu  Angleterre,  tire  son  nom  d'un  vieux  cliàteau  féodal, 
Bereford  ou  Beresford ,  situé  dans  le  Straffordshire. 

Tnstram  Beresiord ,  qui ,  sous  le  règne  de  Jacques  T', 
passa  en  Irlande  comme  agent  de  la  société  créée  à  Londres 
pour  la  colonisation  de  la  province  d'Ulster,  s'y  établit  à  Co- 
leraine,  dans  le  comté  de  I.ondonderry.  —  Son  fils,  Tristram 
Beresford,  fut  membre  du  parlement  irlandais,  et  reçut  en 
1GG5  le  titre  de  baronet  d'Irlande.  —  Le  petit-fds  de  celui-ci. 
Mardis  Beresford,  par  suite  de  son  mariage  avec  Catherine 
DE  Poer  ,  fille  unique  et  lién'tière  de  Jacques ,  comte  de  Ty- 
ronc,  fut  élevé  en  1720  à  la  dignité  de  pair  d'Irlande  comme 
baron  Beresford  de  Beresford,  comte  Cavun  et  vicomte 
de  Tyrone ,  et,  à  la  mort  de  son  beau-père ,  comme  comle 
de  Tyrone.  —  Son  second  (ils,  John  Beresford,  fut  d'abord 
barri  s  ter,  puis,  a  partir  de  1770,  membre  et  plus  tard 
pendant  longtemps  président  of  the  revenue  d'Irlande, 
de  même  ((u'il  lit  partie  des  deux  conseils  intimes  du 
roi,  tandis  qu'un  troisième  fils  de  Marcus ,  Wïliiavi, 
obtenait  la  dignité  d'archevêque  de  Tuam  et  était  nommé 
baron  de  Decies.  —  Le  fils  aîné  de  sir  iMarcus  Beresiord , 
George  de  Poer  Bei-.esford,  hérita  en  1703  du  titre  de  son 
père,  et  fut  créé  en  1789  marquis  de  Waterford.  A  ce  titre 
succédèrent  seuls  légalement  les  aines  de  la  famille  Beres- 
ford. —  Le  marquis  de  Waterford  actuel,  Henri  de  I*oeu  Be- 
resford ,  est  né  le  26  avril  181 1 ,  et  succéda  comme  membre 
de  la  chambre  haute  à  son  père  en  1826.  —  John-Claude 
Beresford,  second  fils  de  sir  Marcus  Beresford,  né  le 
23  octobre  1766,  fut  destiné  à  la  carrière  commerciale.  H 
devint  en  peu  de  temps  l'un  des  négociants  les  plus  consi- 
dérés de  Dublin,  et  fut  môme  élevé  aux  fonctions  de  lord- 
maire  de  cette  ville,  où  jusque  dans  ces  derniers  temps  il 
exerça  une  grande inlluence  dans  le  parti  conservateur,  et 
où  il  est  mort  le  3  juillet  1846. 

BERESFOKI)  (  William  CARR,  vicomte),  le  plus  cé- 
lèbre d'entre  les  membres  de  la  famille  Beresford,  second 
fils  naturel  de  Georges  de  Poer,  marquis  de  Waterford, 
entra  au  service  en  1785  comme  enseigne;  servit  jusqu'en 
1790  dans  la  Nouvelle-Ecosse,  où  il  perdit  un  œil  à  la  chasse; 
prit  part  ensuite  aux  expéditions  des  Anglais  contre  Toulon 
et  en  Corse;  alla  en  1795  aux  Indes  occidentales,  et  en  1799 
aux  Indes  orientales,  et  il  y  anéantit  les  derniers  débris  de 
l'insurrection  du  cap  de  Bonne-Espérance ,  à  la  conquête 
duquel  il  contribua.  De  là  il  fut  envoyé  en  Egypte  par  la 
mer  Rouge ,  à  la  tète  d'une  brigade  de  l'armée  de  sir  David 
Baird.  En  1800  on  l'envoya  en  Irlande,  comme  colonel; 
en  1805  il  fut  expédié  à  Buénos-Ayres  à  la  tête  d'un  petit 
corps  d'armée ,  et  avec  le  grade  de  général  de  brigade.  Il 
s'empara  de  cette  ville ,  mais  il  se  trouva  plus  tard  dans 
l'impossibilité  de  la  défendre  contre  des  forces  numérique- 
ment supérieures.  Contraint  de  capituler ,  il  resta  six  mois 
prisonnier  sur  parole ,  mais  s'échappa  alors,  parce  que  les 
Espagnols,  de  leur  côté,  violèrent  les  clauses  de  la  capitula- 
tion ,  et  arriva  en  Angleterre  en  1807. 

Le  gouvernement  le  fit  immédiatement  partir  pour  Ma- 
dère avec  le  commandement  des  troupes  de  terre,  et  après 
la  conquête  de  l'ile  il  en  fut  nommé  gouverneur.  Mais 
dès  1808  il  se  voyait  appelé  à  un  commandement  en  Por- 
tugal. Il  y  régla  les  stipulations  de  la  convention  de  Cintra, 
et  accompagna  ensuite  sir  John  Moor-e  en  Espagne,  où  il 
assista  à  l'affaire  de  la  Corogne,et  protégea  l'cmbarquc- 


BERËZLNA  ts 

ment  des  fuyards.  Au  mois  de  mars  1809  il  fut  nommé 
feld-maréchal  et  généralissime  de  l'armée  portugaise ,  po- 
sition dans  laquelle  il  ne  se  distingua  pas  seulement  par  de 
brillants  faits  d'armes,  mais  aussi  par  la  réorganisation  des 
troupes  péninsulaires.  A  la  tête  de  douze  mille  hommes,  il  battit' 
sur  les  rives  du  Douro  supérieur  le  corps  d'armée  commandé 
par  le  général  Loison,  et  opéra  sa  jonction  avec  les  force'* 
aux  ordres  de  Wellington, à  l'effet  de  poursuivre  l'ennemi.  Il 
battit  aussi  le  maréchal  Soult  à  Albuhéra,  quoique  sa 
pei1e  dans  cette  affaire  ne  se  soit  pas  élevée  à  moins  de 
sept  mille  hommes.  Dans  les  campagnes  de  1812  et  181  :{ 
il  lui  fut  également  donné  de  remporter  des  avantages  si- 
gnalés, tantôt  comme  commandant  en  chef,  tantôt  comme 
commandant  en  second  (en  qualité  de  lieutenant  général 
anglais).  Le  13  mars  1814  il  entra  à  Bordeaux  avec  le 
duc  d' Angoulôme. 

En  1817  le  gouvernement  portugais  l'employa  à  Rio-Ja- 
neiro,  où  il  comprima  sévèrement  un  mouvement  insurrec- 
tionnel tenté  par  le  général  Freyre,  et  cette  conduite  le 
dépopularisa  profondément  dans  l'armée  portugaise,  dont  il 
continuait  à  exercer  le  commandcn\ent  en  chef.  Bientôt  s'ac- 
complit, en  1820,  la  révolution  à  la  suite  de  laquelle  la 
constitution  des  Cortès  fut  proclamée  à  Lisbonne,  et  l'opinion 
s'accrédita  alors  en  Portugal  que  Beresfonl  ne  reviendrait 
d'Amérique  que  porteur  d'ordres  et  d'instructions  marqués 
au  coin  de  l'absolutisme  le  plus  exagéré  :  aussi  s'opposa-t-on 
à  son  débarquement.  Considéré  plus  tard  comme  l'un  des 
plus  fermes  champions  de  la  cause  do  dom  Miguel,  le  gou- 
vernement portugais  lui  retira  en  1838  le  traitement  con- 
sidérable resté  jusque  alors  attaché  à  son  grade  de  feld-ma- 
réchal dans  l'armée  portugaise. 

Depuis  1810  Beresford  (duc  d'Elvas  et  marquis  de 
Campo-Mayor,  en  Portugal)  représentait  à  la  chambre  des 
communes  d'Angleterre  le  comté  de  Waterford,  où  il  est  né. 
En  1814  il  fut  promu  à  la  pairie  sous  le  titre  de  baron  Jic- 
resford,  et  figura  dès  lors  parmi  les  meneurs  du  parti  tory 
dans  la  chambre  haute.  Le  parlement  lui  vota  en  même 
temps  une  dotation  annuelle  de  2,000  livres  sterling ,  trans- 
missible  aux  deux  héritiers  les  plus  proches  de  sou  titre.  Il 
fut  en  outre  créé  vicomte  en  1823,  promu  en  1825  au  grade 
de  général  dans  l'armée, ei  en  1828  nommé  grand-mai- 
tre  de  V artillerie,  lia  épousé  en  1832  Louise,  veuve  de 
Thomas  Hope,  et  fille  de  lord  Decies,  dont  il  a  été  question 
dans  l'article  relatif  à  la  famille  Beresford. 

BERESFORD  (sir  John  POER),  frère  du  précédent,  né 
en  1769,  fut  nommé  vice-amiral  en  1825,  amiral  en  ts38, 
et  siégea  à  la  chambre  des  commîmes  de  1812  à  1828.  11 
est  mort  le  22  octobre  1844 ,  dans  son  domaine  de  Bedale 
(Yorkshire).  C'est  lui  qui  avait  été  choisi  en  1814  pour  es- 
corter Louis  XVIII  à  Calais. 

BÉRET  ou  BERRET.  Voyez  Barrette. 

BERETTIIVI  (PiETRo).  Voyez  Cortona. 

BÉUÉZIIXA  (Passage  de  la).  L'armée  française  ayant 
quitté  Moscou  et  s'étant  mise  en  retraite  au  milieu  du 
mois  d'octobre  1812,  le  général  en  chef  russe  conçut  le  projet 
de  l'envelopper  au  passage  de  la  Bérézina,  si  elle  lui  échap- 
pait avant  le  Boristhène.  L'amiral  Tchitchakof  reçut  en 
conséquence  l'ordre  de  se  diriger  avec  la  moitié  de  ses  force» 
sur  Minsk ,  pour  se  rendre  maître  des  magasins  immenses 
réunis  dans  cette  place,  de  marcher  ensuite  sur  Borissof,  et 
de  s'y  déployer  sur  la  rive  droite  de  la  Bérézina.  Le  général 
Wittgenstein,  poussant  devant  lui  les  Français  qui  lui 
étaient  opposés,  devait  aussi  se  rendre  à  Borissof,  par  la  rive 
gauche  de  la  Bérézina.  Le  maréchal  Koutousof,  avec  le 
corps  principal ,  suivant  l'armée  française  en  queue ,  cette 
dernière  se  serait  trouvée  acculée  à  une  rivière  non  guéa- 
ble ,  et  attaquée  de  toutes  parts.  Le  généra!  russe  ne  réflé- 
chissait pas  qu'en  resserrant  ainsi  une  armée  qui  comptait 
encore  quatre-vingt  mille  vieux  soldats ,  il  en  faisait  un  globe 
de  compression  dont  l'explosion  amènerait  inévitablement 


f4 

sa  perte.  L«s  combats  de  la  lîérézina  ont  prouvé  que  si  le 
plan  de  Koutousof  eût  été  exécuté  comme  il  avait  été  conçu, 
le  résultat  en  aurait  été  la  destruction  totale  de  l'armée 
russe ,  et  la  possibilité  pour  nous  dhiverner  en  Litliuanie. 
Malheureusement  ce  plan  fut  mal  exécuté,  et  le  manque  de 
sou  exécution  fut  précisément  la  cause  de  notre  perle. 

Le  27  octobre,  l'amiral  ïchitcbakof  partit  de  Brecz-Li- 
tewski  avec  environ  trente  mille  hommes,  dont  dix  mille 
de  cavalerie.  Le  prince  de  Schwartzenberg,  comman- 
dant le  corps  autrichien,  n'inquiéta  pas  ce  mouvement.  Le  ca- 
binet de  Vienne,  dirigé  par  un  agent  anglais  (M.  Walpoole), 
mcilitait  déjà  de  profiter  de  nos  revers  par  la  défection 
qui  fut  consommée  plus  tard.  Schwartzenberg  resta  derrière 
le  Bug ,  et  s'il  fit  un  mouvement  en  avant  à  Wolkowisk  pour 
battre  le  général  Sacken,  que  Tchitchakof  avait  laissé  en 
Volhynie,    ce  mouvement  n'eut  aucune  suite.  Le  12  no- 
vembre, l'amiral  Tchitchakof  arriva  sur  le  bord  de  la  Bé- 
rézina,  en  face  de  Sverjin.  A  cette  môme  époque,  le  corps 
du  duc  de  Reggio  se  retirait  par  Cholopeniczy  sur  Bobr  ; 
celui  du  duc  de  Bellune  était  à  Czasniky  en  face  du  général 
Wittgenstein ,  qui  couvrait  Lepel  ;  la  division  Loison  ,  forte 
de  douze  mille  hommes,  occupait  Wilna;  la  division  de 
Dombrowsky  s'étendait  entre  Jgumen  et  Bobruisk.  Il  y  avait 
à  Minsk  environ  trois  mille  hommes.  A  la  nouvelle  de  l'ar- 
rivée d'un  corps  russe  sur  le  Niémen ,  le  gouverneur  de 
Alinsk  perdit  la  tête,  et  s'avisa  de  vouloir  disputer  le  passage 
de  cette  rivière.  11  y  envoya  un  bataillon  de  la  garnison  et 
trois  qu'il  avait  demandés  au  général  Dombrowsky,  op- 
(losant  ainsi  environ  trois  mille  hommes  à  trente  mille.  Ainsi 
(ju'il  était  facile  de  le  prévoir,  ce  détachement  fut  battu  et 
presque  dispersé,  et  le  15  au  soir  l'avant-garde  russe  se 
trouva  à  quatre  lieuesdeMinsk.  Legouverneur  se  décida  alors 
à  quitter  la  ville  en  toute  liàte  pour  se  rendre  à  lîorissof,  où 
il  parvint  encore  à  réunir  trois  mille  homme  de  recrues  qui 
vouaient  de  l'armée,  et  qu'il  fit  rétrograder.  Le  général  Dom- 
browsky, qui  était  accouru  de  sa  personne  à  Minsk,  retourna 
ca  hâte  à  sa  division  à  Jgumen, afin  de  la  diiiger  sur  Borissof. 
Le  gouverneur  de  Minsk  resta  pendant  cinq  jours  à  Bo- 
rissof sans  que  l'ennemi  parût  ;  mais  il  perdit  ce  temps  dans 
une  apathie  qui  tenait  de  l'imbécillité.  Il  ne  s'occupa  pas  de 
faire  mettie  au  moins  en  état  le  réduit  du  camp  retranché 
qui  couvrait  le  pont;  il  ne  plaça  aucune  troupe  sur  la  rive 
droite.  Si  l'ennemi  avait  marché  droit  sur  lui ,  au  lieu  de 
s'an  éter  à  Minsk ,  il  serait  entré  dans  le  bourg  sans  rencon- 
trer d'obstacles.  Le  20,  vers  10  heures  du  soir,  la  division 
Dombrowsky  arriva  vers  la  tête  du  pont,  et  s'y  plaça  comme 
elle  put.  Dès  le  point  du  jour,  le  21 ,  elle  fut  attaquée  par  les 
divisions  russes  de  Lambert  et  Langeron ,  fortes  de  dix  mille 
hommes  d'infanterie  et  de  six  mille  chevaux.  Dombrowsky 
n'en  avait  pas  cinq  mille.  Le  combat  se  soutint  cependant 
depuis  six  heures  du  matin  jusqu'à  cinq  heures  du  soir. 
Après  des  efforts  inouïs  de  valeur,  la  brave  division  polonaise 
lut  obligée  de  repasser  le  pont  sans  pouvoir  le  détruire, 
ayant  perdu  près  de  quinze  cents  hommes  et  quatre  canons; 
mais  elle  prit  position  sur  les  hauteurs  qui  dominent  Bo- 
rissof, en  arrière  de  la  route  de  Bobr,  et  arrêta  l'ennemi 
vainqueur.  Que  faisait  pendant  ce  temps  le  duc  de  Reggio, 
qui  était  à  Bobr,  et  dont  une  division,  celle  du  général 
Merle ,  occupait  Nacza?  De  l'un  et  de  l'autre  de  ces  points, 
on  avait  parfaitement  entendu  la  canonnade,  qui  avait  duré 
onze  heures ,  et  où  près  de  cent  bouches  à  feu  avaient  été 
engagées.  A  une  autre  époque  il  aurait  poussé  sur  Borissof 
une  division,  qui  y  serait  arrivée  à  dix  heures  du  matin ,  et 
aurait  suffi  pour  repousser  les  Russes  et  conserver  le  pont. 
Mais  les  temps  de  la  fortune  de  Napoléon  commençaient  à 
passer.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  défaut  de  coopération  du  corps 
du  duc  de  Reggio  au  combat  du  21  novembre  lut  la  véritable 
cause  des  désastres  de  la  Bérézina. 

Ce  môme  jour  la  grande  armée  française  était  entre  Orsza 
et  Toloczin.  Le  corps  du  duc  de  Bellune  s'était  rapproché 


BÉRÉZINA 


de  Czasniky  à  Cholopeniczy.  Witigenstein  suivait  le  duc  de 
Bellune.  Koutousof  était  encore  en  arrière  du  Boristhène, 
Ce  ne  fut  que  le  23  que  le  duc  de  Reggio  se  décida  à  mar- 
cher sur  Borissof.  Une  division  russe  en  débouchait  alors, 
se  dirigeant  vers  Bobr.  Elle  fut  facilement  culbutée,  et  perdit 
son  artillerie  et  ses  bagages;  mais  l'amiral  Tcliitchakof  i>ut 
faire  couper  le  pont  de  son  côté,  et  garnir  de  batteries  les 
hauteurs  qui  le  dominent.  Le  25,  le  gros  de  l'armée  fran- 
çaise se  trouva  réuni  sur  les  hauteurs  eu  arrière  de  Borissof, 
ayant  une  arrière-garde  à  Losznitza.  Le  duc  de  Reggio  était 
à  Borissof,  le  duc  de  Bellune  sur  la  gauche  à  Ratuliczy. 
Witigenstein  avait  cessé  de  le  suivre  et  était  à  Baran,  s'a- 
vançant  du  côté  de  Borissof.  Le  maréchal  Koutousof  occupait 
Kopis,  sur  le  Boristhène  ;  l'amiral  Tchitchakof  avait  la  division 
Tchaplilz  à  Zembin,  et  était  avec  les  trois  autres  devant  Bo- 
rissof. Ce  même  jour  il  reçut  de  Koutousof  l'ordre  de  s'é- 
tendre à  droite  sur  Bérézino,  parce  que  l'armée  française  se 
dirigeait  de  Bobr  sur  ce  point.  Le  26  l'amiral  s'y  rendit  en 
effet,  avec  une  division. 

Cependant  l'empereur  Napoléon,  ayant  rassemblé  .son  ar- 
mée et  déployé  une  nombreuse  artillerie  en  face  de  Borissof, 
parut  d'abord  vouloir  forcer  le  passage.  L'opération  était 
peu  praticable ,  quand  même  on  serait  parvenu  à  rép/irer 
le  pont ,  parce  qu'il  fallait  passer  un  défilé  de  600  mètres 
formé  par  le  pont  et  les  digues  qui  traversent  les  marais,  et 
sous  le  feu  des  batteries  qui  couronnaient  les  hauteurs 
semi-circulaires  dans  la  concavité  desquelles  on  arrivait. 
L'armée,  néanmoins,  n'avait  à  choisir  qu'entre  deux  routes, 
celle  de  Minsk  et  celle  de  Wilna,  par  IMeszcsenitzy.  Na- 
poléon se  décida  pour  la  dernièie,  qui  paraissait  la  moins 
gardée;  mais  il  lui  importait  de  faire  croire  à  l'eimemi  qu'il 
choisirait  la  première ,  afin  de  se  rapprocher  de  l'année  de 
Schwartzenberg,  qui  s'était  aussi  avancée  du  côté  de  Niesvy. 
Tandis  qu'il  poussait  des  reconnaissances  vers  Veselovo, 
il  envoya  d'assez  forts  partis  de  cavalerie  vers  Ucholoda , 
en  descendant  la  Béréziua ,  et  fit  même  conuuenccr  à  y 
réunir  des  matériaux  pour  un  pont.  La  position  de  Vese- 
lovo ayant  été  bien  reconnue,  le  corjjs  du  duc  de  Reggio 
et  la  division  Dombrowsky  s'y  rendirent  le  26  au  matin. 
Les  autres  corps  de  l'armée  suivirent  ce  mouvement,  ex- 
cepté celui  du  duc  de  Bellune,  qui  reçut  l'ordre  de  se  rendre 
à  Borissof,  pour  continuer  à  trom.per  l'enneun.  Dès  son 
arrivée  le  duc  de  Reggio  fit  construire  deux  ponts,  dont 
un  pour  l'infanterie,  avec  les  matériaux  que  fournit  la  dé- 
molition du  village.  Ce  travail  fut  protégé  par  le  feu  de 
l'artillerie,  à  laquelle  les  ennemis  ne  répondirent  que  fai- 
blement ,  et  pendant  une  heure  au  plus.  Tchaplilz  resla  dans 
le  bois  que  sillonne  la  route  de  Zembin.  Un  peu  avant  la 
nuit.  Napoléon,  voyant  que  l'infanterie  ennemie  s'était  reti- 
rée de  la  plaine  jusque  dans  le  bois,  ordonna  au  duc  de 
Reggio  de  traverser  la  rivière.  Une  forte  gelée,  qui  avait  repris 
le  24,  rendait  les  marais  praticables  et  facilita  le  passage. 
Tchaplilz,  vivement  attaqué,  fut  culbuté  sur  Brilova,  et  la 
route  de  Zembin  se  trouva  ouverte.  Le  général  Dombrowsky 
fut  blessé  à  celte  affaire. 

Aussitôt  après,  Napoléon  passa  avec  la  garde  et  s'établit 
sur  les  hauteurs  qui  bordent  le  bois.  Le  3*  et  le  5*  corps 
passèrent  ensuite,  et  se  placèrent  en  réserve  derrière  le  duc 
de  Reggio,  qui  avait  pris  position  à  Brilova,  pour  contenir 
l'amiral  Tchitchakof,  qu'on  s'attendait  à  voir  accourir  au 
secours  de  Tchaplilz.  Ce  passage  dura  toute  la  nuit,  parce 
que  la  mauvaise  qualité  et  la  faiblesse  des  matériaux  qu'on 
avait  éié  forcé  d'employer  pour  les  ponts  obligeaient  à  les 
réparer  souvent.  Le  27  ,  vers  midi ,  le  duc  de  Bellune  ar- 
riva devant  Veselovo ,  avec  les  divisions  Daensdels  et  Gi- 
rard, et  y  prit  position  pour  couvrir  le  passage.  La  division 
Partouneaux  resta  à  Borissof  jusqu'à  six  heures  du  soir; 
alors  elle  se  mit  en  route  pour  rejoindre  son  corps  d'armée; 
mais  le  général  s'étant  trompé  de  chemin  alla  se  jeter  au 
i  milieu  du  corps  de  Wiltgenslcin,  qui  était  arrivé  à  Studen- 


BÉRÉZIiSA 

Izy.  lie  pass.nuc,  des  t*""^,  4*",  7*"  el  S^  corps,  du  grand  parc 
et  des  (Hiiiipagcs  (hira  toule  la  journée  du  27  et  la  nuit  sui- 
vante, à  cause  des  fr('quentes  réparations  à  faire  au  pont. 

Le  23,  au  point  du  jour,  l'amiral  Tchitchakof,  qui  avait 
réuni  toute  son  armée ,  déboucha  de  StachoTa,  et  attaqua 
les  corps  du  duc  de  Keggio,  du  duc  d'tlcliingen  (3*)  et  du 
prince  Poniatowsky  (o*") ,  qui  étaient  en  avant  de  Brilova. 
Malgré  la  disproportion  du  nombre  (  12,000  contre  30,000), 
le  combat  se  soutint  toute  la  journée  à  avantage  égal.  Le 
soir,  une  charge  brillante  delà  division  de  cuirassiers  du  gé- 
néral Doumerc  décida  l'amiral  à  la  retraite.  Sur  l'autre  rive, 
le  général  W'ittgenslein  attaqua  en  même  temps  le  duc  de 
BcUune.  Ici  la  disproportion  était  encore  plus  grande  :  le 
9'  corps  ne  comptait  que  15,000  combattants,  l'ennemi  en 
avait  45,000.  Le  duc  de  Bellune  avait  sa  droite  flanquée  d'une 
batterie  de  la  garde,  appuyée  à  la  rivière  ;  sa  gauche  en  l'air 
n'était  couverte  que  par  la  brigade  de  cavalerie  du  général 
fonrnier,  qui  fit  des  prodiges  de  valeur.  Derrière  le  9' 
corps,  dans  la  plaine  qui  s'étend  jusqu'au  pont,  se  trou- 
vaient quelques  milliers  de  voitures,  fourgons  ou  caissons, 
et  une  multitude  d'employés  civils  et  militaires,  de  femmes, 
d'enfants  et  de  blessés,  qui,  devant  passer  les  derniers, 
étaient  encore  sur  la  rive  gauche  de  laBérézina,  et  com- 
mençaient a  peine  a  défiler  sur  les  ponts.  Le  9''  corps  sou- 
tint le  combat  avec  une  valeur  et  une  constance  héroiqiit-s, 
il  tint  longtemps  la  victoire  in.lecisc;  mais  entin,  vers  trois 
heures  après  midi ,  il  fut  obligé  de  céder  et  de  repasser  les 
ponts,  qu'on  lit  sauter,  abandonnant  l'artillerie  et  tous  les 
uon-combattanls  qui  n'avaient  pu  gagner  la  rive  droite. 

La  plaine  de  Yeselovo  oiVrait  le  soir  un  spectacle  dont 
l'horreur  est  dillicile  à  poindre.  Elle  était  couverte  de  voitures 
ft  de  fourgons,  la  plupart  renversés  les  uns  sur  les  autres  et 
brisés  ;  elle  était  jonchée  de  cadavres ,  parmi  lesquels  il  n'y 
avait  ([u'un  troj)  grand  nombre  d'individus  non  militaires, 
de  feimnes  et  déniants,  traînés  à  la  suite  de  l'armée  jusqu'à 
Moscou, ou  fuyant  cette  ville  poiu"  suivre  leurs  compatriotes. 
Le  sort  de  ces  mallieureux,  au  milieu  de  la  mêlée  des  deux 
années,  fut  d'être  écrasés  sous  les  roues  des  voitures  ou 
fOus  les  pieds  des  chevaux.,  frappés  parles  boulets  ou  les 
balles  des  deux  pailis,  nojés  eu  voulant  passer  les  ponts 
a\ec  les  troupes,  ou  dépouillés  par  les  Russes  et  jetés  sur 
la  neige,  où  le  froid  termina  bientôt  leurs  soufirances.  La 
(lerte  totale  delarmée  françiiise,  dans  les  deux  couibats  du 
•28,  peut  être  évaluée  à  environ  10,000  hommes,  dont  (3,000 
combaltauls  seulement  ;  le  reste  était  des  blessés  et  des  non- 
combattants  de  tout  âge  et  de  tout  sexe. 

Le  projet  d'envelopper  l'armée  française,  qu'on  attribue 
à  l'empereur  Alexandre ,  manqua  par  les  causes  suivantes  : 
1"  le  gênerai  Wittgenstein,  après  avoir  reçu  les  instiuctions 
qui  le  concernaient ,  aurait  dû  se  porter  de  Senno  directe- 
ment sur  Pleszczenitzy  et  Zembin,  où  il  aurait  joint  l'ami- 
ral Tchitchakol  dès  le  21  novembre;  dans  ce  cas,  le  pas- 
sage de  la  Bérézina  serait  devenu  bien  plus  difficile,  ou  plutôt 
presque  impossible.  Au  lieu  de  cela,  Wittgenstein,  en  s'at- 
tachant  a  suivre  le  9*^  corps,  lit  un  long  détour,  qui  le  plaça 
à  la  queue  de  l'armée  française  au  lieu  d'être  devant  elle. 
2"  Le  maréchal  Koutousol  lit  la  faute  d'ordonner  à  l'amiral 
Tchitchakof  de  s'étendre  à  droite,  en  soile  que  le  20  il  ne 
se  trouva  a  Zembin  qu'une  division  russe,  au  lieu  de  deux. 
3"  Le  maréchal  connnit  lui-même  une  énorme  faute  en  re- 
tardant tellement  sa  marche  que,  le  27  ,  il  était  encore  sur 
les  boids  du  Boristhène,  et  en  se  dirigeant  de  la  sur  Berézino, 
sans  avoir  fait  recoimaitre  si  réellement  l'armée  française 
suivait  cette  roule. 

Au  reste,  l'armée  française  ne  fut  qu'en  partie  sauvée  à 
la  Bérézina.  Le  désordre  devint  si  grand  après  le  passage 
de  cette  rivière,  que  la  plupart  des  corps  qui  avaient  encore 
maintenu  jusque-là  une  apparence  d'organisation,  se  debau- 
dèreiit  entièrement.  Plus  de  trente  mille  individus  de  to'.is  les 
€01  ps,  désarmes  et  marchant  pêle-mêle  comme  des  trou- 


—  BERG  tu 

peaux  de  montons,  sans  vouloir  reconnaître  aucune  disci- 
pline, tombèrent  entre  les  mains  de  l'ennemi  depuis  là  jus- 
qu'à Wilna.  L'enneinine  pouvait  pas  espérer  un  résultat  aussi 
avantageux  de  la  bataille  générale  qu'il  avait  voulu  amener 
sur  les  bords  de  la  Bérézina.     G''  G.  de  Yaldo.ncolut. 

BERG  (c'est-à-dire  monlaijnc) ,  jadis  duché  indépen- 
dant d'Allemagne ,  aujourd'hui  partie  intégrante  de  la  pro- 
vince Rhénane  (Prusse),  e.st  séparé  à  l'ouest,  par  le  Rhin, 
de  l'ancien  archevêché  de  Cologne,  qui  le  limite  aussi  au- 
sud.  A  l'est,  il  touche  au  territoire  de  Nassau-Siegen,  devenu 
de  nos  jours  le  cercle  de  Siegen ,  au  duché  de  Westphalie 
et  au  comté  de  la  Marche;  au  nord  au  duché  de  Clèves  ;  et 
le  Rhin  le  sépare  encore  du  duché  de  Meurs.  C'est  le  pays 
de  fabriques  par  excellence  de  l'Allemagne,  et  l'industrie  de 
même  que  le  commerce  y  ont  acquis  un  haut  degré  de  pros- 
périté, particulièrement  dans  la  vallée  de  Wupper,  où  s'élè- 
vent les  villes  d'Elber/eld  et  de  Bannen.  Toute  cette  con- 
trée est  de  nature  montagneuse.  Le  fer,  le  plomb  et  la 
houille  y  abondent,  mais  on  est  loin  d'y  récolter  assez  de 
grains  pour  les  besoins  de  la  population,  qui  n'est  nulle  autre 
part  eu  xMlemagne  agglomérée  eu  aussi  grand  nombre  sur 
un  petit  espace.  Cette  nombreuse  population,  le  haut  degré 
de  perfection  de  son  industrie  et  les  riches.ses  qui  en  sont 
la  source,  ce  pays  les  doit  et  aux  conditions  physiques  dans 
lesquelles  il  se  trouve  placé,  et  aux  mesures  prises  par  le 
gouvernement  pour  en  iavoriser  le  développement.  Une  ch'- 
constance  qui  contribua  surtout  ;i  assurer  la  prospérité  du 
duché  de  Berg,  ce  fut  la  neutralité  qu'il  lui  fut  donné  d'ob- 
server presque  constanunent  pendant  les  longues  guerres 
du  dix-septième  et  du  dix-huilièiue  siècle,  et  qui  engagea  à 
s'y  fixer  une  foule-d'individus  riches  et  industrieu.\  expulsés 
de  f'rance  ou  des  i'ays-Bas  jjour  cause  <ie  religion.  La  révo- 
cation de  l'édit  de  Nantes  par  Louis  XIN'  eut  surtout 
pour  résultat  d'y  appeler  un  gran<l  nombre  d'émigrés  fran- 
çais fuyant  la  persécution  religieuse,  et  qui  y  apportèrent  le 
goût  et  la  délicatesse  qui  distinguent  les  manufacturiers  de 
leur  pays  dans  la  fabrication  des  soieries,  des  toiles  peintes, 
des  dentelles,  dans  le  blanchiment  des  toiles  el  dans  la 
papeterie  fine. 

A  repoi[ue  de  la  domination  des  Romains,  le  pays  de  Berg 
était  habile  par  les  Lbiens,  qui  y  restèr.nt  indépendants 
jusqu'à  la  grande  migration  des  peuples,  moment  ou  ils 
disparaissent  de  l'histoire  et  ou  leur  territoire  fut  occupé 
par  les  l'ranks  Ripuaires. 

Depuis  le  couunencement  du  douzième  siècle  ,  une  j)arlie 
du  pays  de  beig,  érigé  plus  lard  en  duché,  fut  gouvernée 
par  des  comtes  particuliers,  de  la  famille  des  comtes  de 
Teisterl-.a!id  ,  [)anni  lesquels  Adolphe  el  Lberhard  ,  dit  le 
chevalier  d'Aitena,  furent,  en  recompense  de  leurs  ser- 
vices militaires,  ciéés  comtes  de  Berg  el  d'Aitena  par  l'em- 
pereur Henri  \,  eu  UOs.  Leurs  descendants  accrm'ent  en- 
core leur  hiritage  par  des  mariages,  des  donations,  etc., 
jusqu'à  ce  (jue  les  fils  d'Adolpiie  lil  en  lissent  le  partage. 

A  la  suite  de  l'extinction  de  la  descendance  mâle  des 
comtes  de  Berg,  ce  pa\  s  échut  ensuite,  d'abord  par  voie  d'hé- 
ritage, eu  1219,  au  duc  Henri  iV  de  Limbourg,  et  a  l'ex- 
tinction de  la  race  de  celui-ci,  en  13 is,  par  mariage,  à 
Gérard,  prince  de  Juli.  rs,  dont  le  fils  Guillaume  l'^''  fut 
créé  duc  de  Berg  par  l'empereur  NN'enceslas;  el  à  partir 
de  cette  époque  le  pays  de  Berg  partagea  les  destinées  de 
celui  de  Juli  ers. 

Quand,  en  1G09,  la  famille  souveraine  de  Juliers-Berç 
vinl  à  s'éteindre ,  l'Autriche  éleva  des  prétentions  à  la  pos- 
session de  ce  territoire  a  titre  de  fief  de  l'Empire  tombé  en 
désiiérence,  et  l'Espagne  lui  promit  son  appDi  pour  les  faire 
prévaloir.  Mais  elles  furent  énergiquement  combattues  par 
la  Saxe  électorale,  par  l'électeur  de  Brandebourg  el  par  le 
prince  palatin  de  Ncudujurg.  Ces  deux  derniers  candidats 
se  firent  autoi  iser  par  les  étals  du  pays  à  le  gouverner  col- 
lectixemcnt.   Ce  régime,  ([ue  la   républicpie  des  Paj>-Bas 


f6 


gaianlit ,  se  perpùtiia  au  grand  avantage  «le  la  population 
iustju'eu  l'année  1G24  ,  époque  où  ,  à  la  suite  de  dil'li- 
«ullés  nouvelles,  une  convention  passée  à  Dusseldorf  décida 
que  les  pays  de  Clèves,  de  la  Marche,  de  Ravensberg  et  de 
Meurs appartiendraientàrelecteur  de  J}randebouig,et  Juliers 
avec  Berg  au  prince  palatin  de  Neubourg.  Cet  arrangement 
lut  conliriné  en  1666  dans  ses  dispositions  les  plus  essen- 
tielles; après  quoi,  lors  de  l'extinction  de  la  maison  pala- 
tine, en  1742,  le  pays  de  iJcrg  passa  sous  l'autorité  de  l'é- 
lecteur Cliarles-Flulippe-Tbeodore  de  la  ligne  de  Sulzbach, 
et  à  la  mort  de  celui-ci,  en  l79i),  au  duc  palatin  Maxi- 
inilien-Josepli  de  Deux-Ponts,  ainsi  que  les  autres  parties 
du  territoire. 

Kn  1S06  le  duché  de  Berg  fut  cédé  à  la  France;  Napo- 
léon l'érigea  en  grand-duché  en  faveur  de  son  beau-lière, 
Joacbira  Murât,  et  divisa  son  territoire  de  165  uiyria- 
inetres  carrés,  avec  une  population  de  900,000  âmes,  en 
quatre  départements,  à  savoir  :  les  départements  du  Rliin, 
«le  la  Sieg,  de  la  Ruhr  et  de  l'Ems.  Quand,  en  1808,  Murât 
lut  appelé  à  occuper  le  trône  de  Naples,  il  dut  céder  son 
^irand-ducbé  au  (Us  aîné,  et  encore  mineur,  du  roi  Louis  de 
Hollande;  mais  Naiwléon  s'en  réserva  l'administration  Ce 
jeune  prince  n'était  point  arrivé  à  l'âge  de  majorité  quand,  en 
lbl3,  les  troupes  des  alliés  occupèrent  le  grand-ducUé  de 
Berg,  où  l'on  établit  un  gouvernement  provisoire,  qui  con- 
tinua à  fonctiomier  jusqu'à  ce  que  le  congrès  de  Viemie, 
eu  1815,  eût  adjugé  ce  territoire  à  la  Prusse. 

BERG  (Grand-duc  de).  Voyez  Mdkat. 

BERGÀME  (  Bergamo  ),  délégation  du  royaume  Lom- 
barde-Vénitien ,  d'une  superlicie  totale  de  36  myriamètres 
carrés,  avec  une  population  de  345,000  habitants. 

Cette  province  est  tiés-montagneuse  et  richement  boisée 
dans  sa  partie  septentrionale,  tandis  que  sa  partie  méri- 
dionale appartient  aux  fertiles  plaines  de  la  Lombardie.  La 
sériculture  et  l'intlustrie  du  fer  constituent  les  principales 
richesses  de  la  pojmlation,  race  active  et  industrieuse,  qui 
exploite  de  nombreuses  manufactures  de  draps  et  de  soie- 
ries, s'occu[)e  beaucoup  aussi  de  l'élève  du  bétail,  et  fait  un 
commerce  important  en  bois  de  construction.  Les  Berga- 
inasques  parlent  un  dialecte  d'une  grande  rudesse,  et  pas- 
^ent  parmi  les  Italiens  pour  aussi  rusés  qu'ils  paraissent 
en  général  lourds  et  ridicules.  Les  personnages  bouffons 
«lu  théâtre  populaire  italien.  Arlequin,  Truffuldino,  Pan- 
talon et  Colombine,  sont  originaiies  deBergame,et  les  au- 
teurs comiques  leur  mettent  toujours  dans  la  bouche  le 
dialecte  de  cette  province.  On  a  les  Mëtumorp/wses  d'Ovide 
traduites  en  bergamasque  par  un  auteur  qui  a  pris  le  nom 
et  la  qualité  de  Baricocol,  dottor  di  val  Bambrcna. 

Le  chef-lieu  de  la  délégation  est  Bergamo,  le  liergumum 
des  anciens,  ville  bâtie  dans  une  situation  ravissante,  entre 
plusieurs  collines,  sur  les  rives  du  Brembo  et  du  Serio. 
Elle  est  le  sii-ge  d'un  évéché  et  des  autorités  supérieures 
de  la  province.  On  y  compte  environ  32,000  âmes.  Elle 
possède  une  école  de  peinture  et  de  sculpture,  un  musée, 
un  lycée  avec  une  bibliothèque  de  45,000  volumes,  et  plu- 
sieurs fabriques,  notannuent  de  soieries,  de  dra|)(;ries  et  de 
fer.  Parmi  les  65  églises  et  chapelles  qu'elle  renferme,  les 
plus  remarquables  par  leur  antiquité,  leur  architecture  et 
leurs  tableaux  sont  celles  de  Santa-Muria-Maggiore,  San- 
Alessandro  délia  croce  (ancienne  église  arienne),  San- 
Barlolomeo,  San-Andrca,  Sanla-Muria  dct  Sepolcro  et 
Saula-Grata.  La  foire  de  .Saint-Barthélémy,  dont  la  fon- 
dation remonte,  dit-on,  au  dixième  siècle,  et  qui  se  tient 
chaque  année  au  mois  d'aoOt  dans  le  faubourg  de  San-Leo- 
iiardo,  est  célèbre  k  bon  droit.  Klle  a  lieu  dans  un  bâti- 
ment en  pierres  construit  à  cet  ellet  et  contenant  plus  «le 
r.oo  bouti(iucs.  On  évalue  à  j)lusieurs  millions  de  lire  l'iin- 
ji'irtancc  «les  alfaires  qui  s'y  traitent  «haque  année.  Les 
(rniihles  dont  ritalie  a  été  le  théâtre  «lans  ces  dernières 
ùuniec;.  ont  d'ailleurs  siiigulièrement  nui  à  celte  foire.  Le 


BERG  —  BEHGAMI 

chiffre  de  la  population  de  Bergame  est  resté  stationnair^ 


depuis  longues  années,  parce  qu'une  grande  partie  de  ses 
plus  pauvres  habitants  émigrent  annuellement  pour  chercher 
du  travail  ailleurs.  C'est  ainsi  que  jusqu'en  1848,  époque 
où  on  leur  enleva  ce  monopole,  \ts/acchini  de  la  douane 
de  Florence  étaient  exclusivement  des  Bergamasques. 

BERGAiMl  (  Bautolomko  ).  Les  rois  s  en  vont;  mais 
jiendant  longtemps  encore  leurs  vertus,  leurs  vices,  leurs 
malheurs  feront  partie  de  l'histoire  des  peuples,  et  ser- 
viront à  peindre  les  mieurs  de  l'époque  où  ils  auront  vécu. 
Georges,  prince  «le  Galles,  épousant  Carohne  de  Brunswick, 
sa  cousine,  et  s'enivrant  si  comiilétement  les  trois  |)remiers 
jours  de  son  mariage  que  Rome  môme  l'aurait  déclaré  nul, 
représente  une  triste  mode  anglaise  en  l'année  17!)5;  et 
«juand  en  18V.0,  «levenuroi,  il  l'accuse  d'adultère  et  lui  in- 
tente un  procès,  alin  de  prouver  «fue  l'accusation  est  vrai. ,  , 
les  usages  anglais  qui  interviennent  nous  révoltent  et  nous 
indignent.  Entre  ces  deux  rejetons  de  tant  de  tètes  couron- 
nées, s'élève  le  pauvre  Bartolomeo  Bergami,  qu'ils  vont 
rendre  célèbre  à  jamais,  lia  été  maréchal-des-logis  chef  dans 
un  régiment  italien.  Des  passe-droits (  on  en  fait  partout)  le 
décident  à  quitter  le  service  ;  mais  comme  il  a  l'habitude  du 
cheval,  il  devient  courrier  «lu  général  Pino.  Cette  servitude 
lui  déplaît,  car  il  dit  qu'il  est  gentil-homme,  et  peut-être  le 
prouverait-il  ;  mais  le  fait  positif  est  qu'il  a  une  taille  her- 
culéenne, un  visage  régulier,  une  chevelure  blonde ,  épaisse, 
bouclée ,  un  esprit  naturel  fort  gai ,  de  la  lincsse ,  et  un  cou- 
rage, une  audace,  qui  ne  se  démentent  jamais.  Avec  «le 
semblables  avantages,  on  peut  être  le  courrier  d'une  prin- 
cesse :  aussi  le  marquis  Ghislieri  le  présenta-t-il  à  celle  de 
Galles,  qui  voyageait  en  Italie  en  1814. 

La  princesse  Caroline  de  Brunswick  avait  quarante-sept 
ans,  peu  de  beauté;  mais  elle  était  bonne,  malheureuse,  et  ac- 
cusée depuis  longtemps  de  ne  guère  tenir  compte  des  conve- 
uan«-.es.  Elle  n'avait  pas  encore  distingué  le  grand  et  beau  Ber- 
gami ,  lorsqu'un  des  camarades  de  celui-ci  lui  donna  un  verre 
de  vin  destiné  à  la  reine.  Ce  vin  était  empoisonné;  Bergami 
faillit  mourir ,  et  son  auguste  maîtresse  crut  devoir  le  dédom- 
mager des  douleurs  qu'il  souffrait  pour  elle,  bien  qu'il  ne 
les  dût  qu'au  hasard.  ÎJergami  fut  fait  écuyer  ^  baron,  cham- 
bellan; et  sa  sœur,  la  comtesse  Oldi,  devint  dame  d'hon- 
neur. Depuis  cette  époque  Bergami  ne  s'occupa  qu'à  pré- 
server la  vie  de  Caroline,  même  aux  dépens  de 
car  des  scélérats,  pour  leur  compte  ou  pour  celui  i 
bien  connu ,  tentèrent  souvent  de  l'assassiner.  La  reconnais- 
sauce  de  la  princesse  se  manifesta  sous  toutes  les  formes,  et 
surtout  envers  la  petite  fdle  de  Bergami,  qui  se  disait  veuf, 
et  achetait  le  silence  de  sa  femme  au  moyen  d'une  pen- 
sion. Cette  enfant,  malade,  ne  recevait  de  soins  que  de  Caro- 
line; mais  le  roi  «1 '.Angleterre  a  fait  constater  juridiquement 
que  Bergami  n'en  recevait  i)as  de  moins  affectueux  ;  et  la 
gratitude  de  Caroline  n'était  que  «le  l'amour,  s'il  faut  en 
croire  les  accusations  d'adultère  intentées  contre  elle  en 
1820 ,  lorsque,  son  mari  devenu  roi ,  elle  eut  (  chose  incon- 
cevable pour  une  femme  d'esprit!)  la  fantaisie  de  s'asseoir 
aussi  sur  le  trône.  On  tenta  vainement  Bergami  par  l'appàl 
de  sommes  immenses  «le  joindre  ses  aveux  aux  dépositions 
de  ceux  qui  accusaient  la  reine  ;  il  s'y  refusa  constamment. 
Sa  discrétion  eût  été  inutile,  si  le  duc  d'York  n'eût  pas  eu 
lui-même  intérêt  à  ce  que  le  divorce  ne  fût  pas  prononcé. 
Plus  tard  un  courrier  apprit  à  Bergami ,  retiré  à  Pesaro,  «pie 
Caroline ,  étant  au  spectacle,  avait  pris  une  glace  et  élail 
morte  quelques  heures  après.  «  Elle  a  été  empoisonnée  1  » 
s'écria-t-il  ;  et  il  ne  cessa  de  le  croire. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Bergami  était  devenu  riche.  Il  vécut  quel- 
que temps  enlouré  «l'une  consiilération  telle,  qu'on  lui  avait 
permis  d'avoir  vme  garde  et  qu'on  lui  avait  donné  six  canons 
pour  la  défense  de  sa  personne.  Lors  du  soulèvement  des  Ita- 
liens en  ls;>l ,  il  (il  enfouir  ces  canons,  dont  It-s  insurges  vou- 
laient s'emparer,  et  évita  toujours  de  prendre  part  aux  dis- 


•a  nu  a  |jic- 

;  la  sienne;    J 
li  d'un  tiers    ^ 


BERGAMI  - 

?ensions  politiques.  A  son  tour,  il  éleva  une  servante  obs- 
cure au  rang  de  surintendante  de  sa  maison,  et  lui  té- 
moigna une  affection  sans  bornes.  La  fille  et  les  gens  de 
Bergami  regrettèrent  le  joug  de  la  princesse ,  beaucoup  plus 
doux,  disait-on,  que  celui  de  cette  maritome.  Cependant 
Bergami  conserva  toujours  le  souvenir  de  sa  royale  maî- 
tresse; n'en  parlant  qu'avec  respect,  portant  à  son  inten- 
tion des  bracelets  d'or  rivés  au  haut  de  ses  bras.  Beaucoup 
de  personnes  d'un  rang  élevé  accueillaient  Bergami  comme 
«n  ami,  à  Rome,  à  Naples  et  à  Milan;  et  riiistoire,  car  il 
faudra  qu'on  l'y  nomme,  ne  confondra  point  le  favori  de  Caro- 
line avec  ceux  de  Catherine  II.  Comtesse  de  Bradi. 

BERGAMOTTE.  Il  y  a  deux  fruits  de  ce  nom  :  le 
premier,  que  donne  une  variété  du  citrus  margaritta ,  est 
une  sorte  de  citron  ou  de  petite  orange,  ronde  et  verte,  très- 
estimée,  d'une  odeur  et  d'une  saveur  très-agréables,  dont  la 
feuille  et  le  fruit  sont  plus  courts  que  ceux  des  citrons  et  des 
oranges  ordinaires,  et  dont  l'écorce  donne,  par  l'extraction, 
une  huile  employée  comme  parfum  et  quelquefois  en  méde- 
cine. On  fait  aussi  avec  son  écorce  de  petites  boites  à  bon- 
bons parfumées,  et  qui  conservent  le  nom  de  bergamottes. 

Un  grand  nombre  d'espèces  de  poires  sont  comprises 
également  sous  le  nom  commun  de  bergamottes  :  ce  sont 
1"  la  bergamotte  d'été  ou  de  la  Beuviière,  appelée  aussi 
milan  blanc  ;  2°  la  bergamotte  rouge  ;  3°  la  bergamotte 
suisse  ;  4°  la  bergamotte  d'automne  ;  5°  la  bergamotte 
crassane;  6°  la  bergamotte  de  Soûler  s  (ou  bonne  de 
Soulers);!"  la  bergamotte  de  Pâques  (ou  ù'hiver);  S" la 
bergamotte  de  Hollande  (ou  d'A/ençoji);  et  9°  la  ber- 
gamotte cadette  (na  poire  de  Cadet).  Ces  diverses  varié- 
tés de  la  même  espèce  ont  plus  ou  moins  d'analogie  entre 
elles  et  plus  ou  moins  de  qualités;  mais  elles  sont,  en  gé- 
néral, d'une  nature  tendre,  fondante,  sucrée  et  parfumée , 
qui  les  fait  rechercher  des  amateurs. 

Les  deux  espèces  de  fruits  dont  nous  venons  de  parler 
viennent,  dit-on,  l'une  et  l'autre  de  Bergame,  en  Italie,  d'où 
elles  ont  retenu  leur  nom. 

BERGARA  ou  VERGARA,  ville  d'Espagne,  dans  la 
province  basque  de  Guipuscoa ,  sur  la  Deva ,  au  nord-est 
de  Vittoria,  compte  une  population  de  5,000  âmes,  et  possède 
une  école  des  miues,  une  société  savante  et  des  fabriques 
d'acier.  Le  souvenir  d'un  fait  important  de  l'histoire  con- 
temporaine se  rattache  au  nom  de  cette  ville.  C  est  en  effet 
dans  ses  murs  que  le  général  carliste  M  a  rot o  conclut,  le 
31  août  1839,  avecle  gouvernement  de  Madrid,  représenté  par 
Espartero,  une  capitulation  connue  sous  le  nom  de  con- 
vention de  Bergara,  laquelle  mit  fin  à  la  guerre  civile  dans  la 
péninsule  en  contraignant  le  prétendant  don  Carlos  à  cher- 
cher un  asile  en  France.  Voyez  Espagne. 

BERGASSE  (NicoLis),  avocat  de  Lyon,  né  en  1750, 
est  connu  surtout  par  ses  débats  et  sa  lutte  avec  un  écrivain 
célèbre,  l'auteur  du  Mariage  de  Figiiro  {voyez  BtAu- 
MARCHAis,  t.  II,  p.  673  et  674).  Rien  n'était  plus  simple  au 
fond  que  le  procès  de  Kornmann  contre  son  épouse.  C'était 
une  de  ces  malheureuses  affaires  que  de  sages  conseillers 
font  vider  en  famille ,  pour  éviter  un  éclat  préjudiciable 
à  toutes  les  parties.  L'époux  trompé  ,  peut-être  l'épouse 
victime  de  la  séduction  et  plus  malheureuse  que  coupable , 
ont  un  égal  intérêt  à  rompre  spontanément  dans  le  silence 
du  foyer  domestique  des  liens  qui  ne  peuvent  plus  être  pour 
l'un  et  l'autre  qu'un  avenir  de  honte  et  de  douleur.  C'est  ainsi 
qu'aurait"  pu  être  évité  le  plus  scandaleux  des  procès.  Beau- 
marchais ,  qui  n'avait  jamais  eu  avec  les  époux  Kornmann 
aucun  rapport  d'affection  ni  d'intérêt,  imagina  de  se  faire 
tout  à  coup  le  champion  de  la  femme  malheureuse  et  per- 
sécutée, mais  pomt  innocente;  et  ce  proc«s,  qu'une  sépa- 
ration volontaire  allait  prévenir,  devint  un  événement  qui 
occupa  longtemps  l'attention  de  la  capitale  et  de  toute  la 
France.  L'époux  outrage  invoqua  les  conseils  et  la  coura- 
geuse éloquence  de  Bergasse.  Le  modeste  avocat  de  Lyon  se 

DICT.    ni-;    l.A   CO.NVERS.    —   T.    III. 


CERGASSE 


17 


trouva  en  présence  d'un  écrivain  déjà  célèbre,  et  dont  le  la« 
lent  et  l'audace  grandissaient  avec  les  obstacles.  Le  procès 
se  compliqua  de  plus  en  plus,  et  dura  plusieurs  années, 
Bergasse  opposait  aux  sarcasmes,  aux  outrageantes  person- 
nalités de  son  spirituel  adversaire,  cette  éloquence  calme, 
sévère  et  consciencieuse,  qui  puise  toute  sa  force  dans  la 
double  autorité  des  principes  de  la  raison  et  des  lois.  Les 
épfgranunes  de  Beaumarchais  étaient  applaudies  dans  les 
salons.  Bergasse  n'oubliait  jamais  la  dignité  de  sa  cause,  et 
restait  sur  le  terrain  des  convenances  et  de  la  légalité.  I!  fit 
preuve,  dans  ces  longs  et  orageux  débats,  d'un  rare  talent  et 
d'une  courageuse  probité.  Son  procès  avait  été  gagné  au  tri- 
bunal de  l'opinion  avant  que  les  magistrats  eussent  proiinncé. 

Ses  concitoyens  ne  l'oublièrent  pas,  et  il  fut  élu  député 
aux  élats  généraux  de  1789.  Ce  fut  alors  qu'il  publia  une 
brochure  intitulée  Cahier  du  tiers  état  à  rassemblée  des 
états  généraux.  C'était  l'œuvre  d'un  citoyen  aussi  probe 
qu'éclairé.  Dès  l'ouverture  de  cette  session  mémorable,  ii 
se  prononça  pour  la  réunion  des  trois  ordres.  11  monta  ra- 
rement à  la  tribune  ;  et  il  se  plaçait  au  fond  de  la  salle,  à  une 
égale  distance  du  côté  droit  et  du  côté  gauche.  Nommé 
membre  du  premier  comité  de  constitution ,  il  conserva 
dans  la  discussion  toute  l'indépendance  de  ses  opinions. 
L'organisation  judiciaire  avait  d'abord  fixé  l'attention  de 
l'assemblée.  Le  rapport  de  Bergasse  sur  la  nécessité  de  la 
réformntion  des  parlements ,  des  autres  cours  de  justice  et 
des  tribunaux,  est  remarquable  par  sa  sagesse ,  l'impartia- 
lité de  ses  motifs  et  la  précision  de  ses  dispositions.  Il  ne 
voulait  pas  la  suppression  de  l'ordre  judiciaire  établi,  mais 
sa  réfonnation ,  l'abolition  delà  vénalité  des  charges,  le 
retour  à  l'ancienne  constitution  de  la  France,  l'éleclion  par 
candidature,  telle  qu'elle  avait  été  déterminée  nar  le^  élats 
d'Orléans  en  1560. 

Après  les  événements  d'octobre,  Bergasse  abandonna 
l'assemblée,  et  quelques  mois  après  il  publia  une  brochure 
où  il  tâcha  de  justifier  son  refus  de  se  soumettre  aux  prin- 
cipes constitutionnels  qu'elle  avait  adoptés  et  qui  étaient 
précisés  dans  la  déclaration  des  droits.  Bergasse  prétendait 
qu'on  ne  pouvait  exiger  de  serment  que  pour  la  constitution 
elle-même,  et  lorsqu'elle  serait  entièrement  terminée.  Toute- 
fois, il  ne  resta  pas  complètement  étranger  aux  graves  dé- 
bats de  l'assemblée,  et  publia  successivement  plusieurs 
brochures  contre  les  assignats,  et  sur  le  plan  de  constitution 
présenté  par  les  comités.  Au  sein  de  l'assemblée  il  avait 
affecté  une  entière  neutralité  entre  les  deux  fractions;  de- 
puis sa  retraite  il  s'était  rapproché  du  parti  de  la  cour,  et  se 
livrait  tout  entier  à  la  rédaction  de  son  plan  de  réformation 
pohtique.  Il  voulait  la  monarchie  à  tout  prix,  non  pas  ab- 
solue, mais  avec  des  modifications  qu'il  croyait  praticables. 
Cependant  les  événements  se  compliquaient  avec  une  gra- 
vité toujours  croissante.  Les  mémoires,  les  plans  proposés 
par  Bergasse,  furent  trouvés  aux  Tuileries  après  le  10  août. 
Réfugié  à  Tarbes  en  1793,  il  y  fut  arrêté  comme  suspect  et 
conduit  à  Paris. 

Emprisonné  à  la  Conciergerie,  il  travaillait  à  sa  défense. 
L'accusation  portée  contre  lui  était  spécialement  motivée  sur 
son  ouvrage  contre  les  assignats.  Son  plaidoyer  n'eût  pu  le 
sauver;  il  devait  comparaître  bientôt  devant  le  tribunal 
révolutionnaire,  quand  le  gouvernement  de  la  Terreur  fut 
renversé,  le  9  thermidor. 

Bergasse  s'était  dévoué  par  conviction  à  la  défense  de 
l'ancienne  monarchie,  des  intérêts  du  clergé  et  de  la  no- 
blesse. On  n'aurait  pas  dû  oublier  ses  services  après  les  évé- 
nements de  1814  et  de  1S15;  un  prince  étranger  seul  se 
rappela  le  délense\ir  mfatigable  de  l'autel  et  du  trône.  L'em- 
pereur A 1  e  x  a  n  d  r  e ,  après  avoir  fait,  dans  le  palais  de  l'Élj'- 
sée,  l'accueil  leplus  bienveillant  à  Bergasse,  qui  travailla,  dit- 
on,  avecM""^  deKrudeneràla  rédaction  du  fameux  traité 
de  la  Sainte-Alliance,  alla  le  visiter  dans  sa  modeste  de- 
meure, et  lui  offrit  une  honorable  retraite  dan;  ses  États. 

3 


18 


BERGASSE  —  BERGER 


Bergasse  n«  Toulut  point  quitter  la  France.  La  foule  des 
solliciteurs  obstruait  alors  toutes  les  avenues  du  pouvoir, 
Rergasse  fut  oublié.  Il  continua  néanmoins  à  défendre  la  cause 
qu'il avait  embrassée.  Fidèle  à  ses  précédents,  il  publia,  en 
1821,  un  nouvel  ouvrage  en  faveur  des  émigrés ,  et  contre 
la  confiscation  de  leurs  biens.  Ce  livre ,  intitulé  Le  la  Pro- 
priété, fut  déféré  aux  tribunaux  ;  l'auteur  comparut  devant 
la  cour  d'assises  de  la  Seine  le  28  avril  1821,  et  fut  acquitté. 
Bergasse  avait,  dans  le  cours  de  sa  longue  carrière,  épar- 
pillé ses  talents  et  ses  vastes  connaissances  en  droit  public  et 
en  histoire  dans  une  foule  d'ouvrages  nés  des  circonstances, 
et  qui  ont  passé  avec  elles.  Quelques-uns  cependant  peuvent 
être  utilement  consultés,  et  des  bibliophiles  en  conservent 
la  collection.  Il  a  publié  aussi  quelques  travaux  sur  divers 
sujets  de  piété  et  sur  le  magnétisme  animal.  Entièrement 
retiré  de  la  scène  politique,  il  n'y  reparut  un  instant  qu'en 
1830  pour  être  nommé,  à  la  stupéfaction  générale,  con- 
seiller d'État  par  une  des  petites  ordonnances  qui  ser- 
vaient d'escorte  aux  grandes  et  désastreuses  ordonnances  de 
juillet,  rentrer  de  nouveau  dans  l'obscurité  et  y  mourir,  le 
23  mai  1832,  à  l'âge  de  quatre-vingt-deux  ans. 

DUFEY  (  de  l'Yonne  ). 

BERGE.  On  entend  proprement  par  ce  mot  les  bords 
ou  levées  des  rivières. 

On  donne  aussi  ce  nom  aux  grands  chemins  qui ,  étant 
taillés  dans  quelque  côte ,  sont  escarpés  en  contre-haut  ou 
dressés  en  contre-bas,  avec  talus,  pour  empêcher  l'éboulé - 
ment  des  terres  et  retenir  les  chaussées  faites  de  terres  rap- 
portées. 

En  termes  de  marine ,  les  berges  ou  barges  sont  de  grands 
rochers  âpres,  élevés  à  pic  au-dessus  de  l'eau  ••  tels  sont 
ceux  d'Oloime,  de  Scylla  et  de  Charybde,  en  Sicile. 

Une  berge  ou  barge  est  encore  une  chaloupe  longue  et 
élroite  dont  on  se  sert  sur  quelques  rivières. 

BERGEIV,  chef-lieu  du  bailliage  du  même  nom,  en 
Norvège,  avec  une  superficie  de  330  myriamètres  carrés  et 
une  population  de  200,000  âmes,  en  même  temps  la  ville  la 
plus  peuplée  du  royaume  de  Norvège ,  est  située  à  l'extré- 
mité du  golfe  de  Waag,  qui  entre  profondément  dans  les 
terres,  où  il  forme  un  excellent  port  entouré  de  rochers  à  pic, 
dont  quelques-uns  ont  plus  de  2,000  pieds  d'élévation.  Du 
côté  de  la  terre  la  ville  s'appuie  sur  sept  montagnes  qui  s'élè- 
vent en  demi-cercle  autour  de  ses  murailles.  Du  côté  de  la 
mer  elle  est  protégée  par  le  fort  de  Bergenhiius,  par  la  cita- 
delle appelée  Frederiksberg ,  et  par  plusieurs  batteries.  Au 
total,  elle  est  bien  bâtie;  cependant  les  rues  en  sont  souvent 
étroites,  tortueuses  et  inégales;  et  la  plupart  des  maisons 
sont  construites  en  bois,  d'après  l'architecture  particulière 
à  la  Norvège.  Elle  se  compose  de  trois  parties  :  la  ville  pro- 
prement dite,  le  Sandvigen  et  le  Nosted ,  et  on  n'y  entre  que 
par  deux  portes.  On  y  compte  six  places  publiques,  cinq 
églises  et  un  château  royal.  Le  nombre  de  ses  habitants 
s'élève  à  25,000. 

Bergen  est  le  siège  d'un  évêché  et  des  autorités  centrales 
du  bailliage;  elle  possède  une  école  supérieure,  quatre  écoles 
secondaires  et  plusieurs  écoles  élémentaires ,  une  école  de 
navigation ,  trois  bibliothèques  publiques ,  un  musée  natio- 
nal d'histoire  naturelle ,  d'art  et  d'archéologie ,  un  théâtre , 
une  succursale  de  la  banque,  une  caisse  d'escompte,  une 
bourse ,  un  hôpital  et  divers  autres  établissements  de  cha- 
rité. Une  circonstance  climatérique  particulière,  non  pas 
seulement  à  cette  ville,  mais  encore  à  toute  la  côte  occiden- 
tale de  ce  bailliage,  c'est  que  l'influence  de  l'Océan  con- 
tribue à  y  rendre  la  température  bien  moins  froide  que  dans 
l'intérieur  du  royaume,  de  môme  que  le  voisinage  de  la 
mer  y  rend  les  pluies  très-communes  :  aussi  une  journée  de 
l  eau  soleil  y  est-elle  chose  extrêmement  rare. 

C'est  à  Bergen  que  les  habitants  des  côtes  septentrionales 
tiennent  échanger  leurs  produits ,  tels  que  planches,  mâts, 
lattes,  bois  à  brûler,  goudron ,  huile  de  baleine,  cuirs,  etc.. 


mais  surtout  poissons  scca,  contre  des  grains  et  autres  ob- 
jets de  première  nécessité  qu'y  importent  des  Danois,  des 
Anglais ,  des  Hollandais  et  des  Allemands.  Bergen ,  qui  pos- 
sède un  nombre  considérable  de  navires ,  est  le  centre  d'un 
commerce  fort  actif;  aussi  en  1846  ses  exportations  s'éle- 
vèrent à  plus  de  300,000  tonnes  de  hareng ,  200,000  quin- 
taux de  morue  salée,  et  50,000  tonneaux  d'oeufs  et  d'huile 
de  poisson. 

En  1445  les  villes  hanséatiques  allemandes  fondèrent  dans 
ces  parages  une  factorerie  et  des  magasins  ;  et  pendant  long- 
temps les  ouvriers  allemands  qui  iiabitaient  Bergen  furent 
placés  sous  la  protection  de  la  Hanse.  C'est  à  cette  époque 
aussi  que  remonte  la  fondation  de  l'église  allemande,  la 
seule  qu'il  y  ait  en  Norvège,  de  l'hospice  et  du  comptoir 
allemand.  Ce  dernier  établissement,  qui  se  composait  de 
soixante  boutiques,  appartient  aujourd'hui  à  la  ville,  et  sert 
d'entrepôt.  C'est  à  Bergen  que  naquit  le  célèbre  poète  da- 
nois Holberg. 

BERGEN ,  bourg  de  l'arrondissement  d'Alkmaer,  dans 
la  Hollande  septentrionale  (Pays-Bas),  est  célèbre  dans  l'his- 
toire par  un  combat  qui  s'y  livra,  le  19  septembre  1799, 
après  le  débarquement  d'une  armée  anglo-russe  aux  ordres 
du  duc  d'York,  entre  le  général  russe  Hermann  et  une  divi- 
sion de  l'armée  franco-batave  commandée  par  le  général 
Brune.  La  victoire  remportée  par  celui-ci,  qui  fît  prisonnier 
le  général  Hermann,  eut  pour  suite,  le  10  octobre,  la  ca- 
pitulation d'Alkmaer,  aux  termes  de  laquelle  l'armée  anglo- 
russe  dut  évacuer  le  territoire  de  la  république  Batave. 

BERGER.  La  profession  de  berger  est  la  plus  ancienne 
et  la  plus  honorable  qu'il  y  ait  au  monde;  et  si  l'on  en 
croit  l'histoire ,  on  a  vu  jadis  des  rois ,  et  même  des  dieux, 
occupés  à  garder  leurs  troupeaux.  C'est  sans  doute  à  cette 
noble  origine  qu'il  faut  attribuer  la  création  de  l'ordre  de» 
Toisons,  qui  sont  ainsi  devenues  les  insignes  des  plus  hautes 
dignités.  On  doit  probablement  aussi  lui  attribuer  la  qualifi- 
cation de  bon  pasteur,  que  l'on  donne  à  ces  curés  respec- 
tables qui  s'occupent  plutôt  de  soigner  leurs  brebis  que  de 
les  tondre ,  qui  laissent  les  agneaux  bêler  toute  la  semaine, 
et  les  béliers  sauter  le  dimanche. 

Cette  noble  profession  exige  beaucoup  de  connaissances , 
celle  de  garde  ou  de  conducteur,  d'herboriste ,  nourrisseur, 
appareilleur,  accoucheur,  opérateur,  pharmacien,  ton- 
deur, etc.  Le  proverbe  dit  :  Tant  vaut  le  berger,  tant 
vaut  le  troupeau. 

En  votre  qualité  de  conducteur  de  troupeau ,  vous  ne  de- 
vez le  conduire  aux  champs  que  lorsque  la  rosée  du  matin 
est  dissipée,  éviter  les  chemins  fangeux,  les  lieux  maré- 
cageux ou  simplement  humides,  les  herbages  trop  succu- 
lents et  nourrissants ,  les  clairières  de  bois ,  qui  conservent 
trop  longtemps  l'impression  de  la  gelée  blanche  et  du  froid; 
et  enfin  ne  le  faire  paître  que  dans  les  lieux  les  plus  élevés, 
les  plus  secs  et  les  plus  aérés,  dans  lesquels  croissent  na- 
turellement l'avoine  élevée,  la  fétuque  des  brebis,  la  pim- 
prenelle,  qui  fortifie  le  troupeau ,  le  sainfoin  sauvage  et  les 
graminées,  qui  viennent  en  terre  sèche  et  maigre.  Vous 
devez  conduire  votre  troupeau  lentement,  le  laisser  aller, 
venir,  vaguer  à  sa  fantaisie  dans  les  lieux  où  il  ne  peut 
faire  de  donunage ,  le  retenir  plutôt  que  de  le  hâter,  parce 
qu'une  marche  trop  vive  fatigue  les  agneaux  et  nuit  à  leur 
accroissement,  donne  trop  de  chaleur  aux  moutons,  et  fait 
quelquefois  avorter  les  brebis  pleines. 

La  bête  ovine  est  timide  et  imitative.  Un  coup  de  fusil , 
l'explosion  du  tonnerre  ,  les  cris,  les  aboiements  inaccou- 
tumés d'une  meute ,  l'apparition  du  loup ,  lui  causent  des 
frayeurs  quelquefois  mortelles.  Si  durant  un  accès  de  ter- 
reur panique  la  bête  qui  est  en  tête  du  troupeau  vient  à  se 
précipiter ,  tontes  vont  l'imiter,  à  moins  que  le  berger,  as- 
sisté de  quelques  autres  personnes,  ne  se  jette  en  travers. 

Ceux  de  vos  chiens  qui  ont  la  mauvaise  habitude  d'atta- 
quer la  bête  par  l'oreille,  le  pied  ou  la  queue,  doivent  être 


1 


BERGER 


19 


d«samus  (te  eeJles  da  leurs  dents  qui  sont  placées  sur  le 
devant.  Les  morsures  que  font  les  chiens  donnent  nais- 
sance à  des  plaies  que  des  insectes  enyeniment  en  y  dépo- 
sant leurs  œufs,  qui  durant  les  saisons  chaudes  deviennent 
des  larves  et  produisent  la  gangrène. 

L'espèce  ovine  veut  une  température  moyenne.  Comme 
elle  est  vêtue  chaudement ,  elle  craint  beaucoup  plus  le 
chaud  que  le  froid.  Cette  considération  doit  déterminer  un 
Iwrger  attentif  à  placer  durant  les  chaleurs  de  l'été  son 
troupeau  à  l'ombre,  depuis  midi  jusqu'à  quatre  heures. 
Les  bêtes,  en  plaçant  leur  tête,  lorsque  le  soleil  est  ardent, 
sous  le  ventre  les  unes  des  autres ,  semblent  elles-mêmes 
implorer  cette  grâce.  Cette  situation,  forcée  par  l'ardeur  du 
soleil,  leur  est  préjudiciable.  Elles  s'échaufferaient  moins 
sous  les  rayons  solaires  que  sous  les  toisons. 

Comme  grand-maréchal  du  palais  pastoral ,  c'est  à  vous 
qu'il  appartient  de  veiller  à  ce  que  l'habitation  soit  spa- 
cieuse, commode,  salubre  et  bien  aérée  ;  et  si  vous  aperce- 
vez que  la  température  y  soit  trop  élevée,  et  qu'il  s'y  ré- 
pande une  odeur  d'ammoniaque,  c'est  un  avertissement  pour 
\ous  de  redoubler  de  soins,  en  élargissant  les  ouvertures 
extérieures ,  en  établissant  des  courants  d'air ,  en  faisant 
enlever  les  litières,  et  jusqu'aux  parquets  eux-mêmes,  pour 
en  substituer  de  nouveaux.  Voyez  Bergerie. 

La  race  ovine ,  comme  toutes  les  espèces  ruminantes , 
étant  essentiellement  herbivore ,  lorsque  l'hiver  arrive  et 
que  les  champs  sont  dépouillés  de  verdure,  il  faut,  par  de 
sages  gradations,  ménager  le  passage  de  la  nourriture  verte 
qu'elle  aime  à  la  nourriture  sèche  qui  l'échauffé,  et  lui  servir 
a  retable  des  choux  cavaliers  ou  frisés ,  et  des  betteraves, 
dont  le  feuillage  résiste  longtemps  à  l'action  des  gelées.  Il 
faut  lui  servir  des  rameaux  d'orme,  de  bouleau,  d'acacia 
iiiermis,  qui  conservent  leur  feuillage  tout  l'hiver,  lorsqu'on 
les  a  coupés  immédiatement  après  la  sève  d'août.  La  nour- 
riture sèche  altère  beaucoup  l'animal  ;  elle  l'excite  à  de  fré- 
quentes et  abondantes  boissons  qui  nuisent  à  sa  santé.  Du- 
rant l'hiver,  on  doit  donner  deux  repas  au  troupeau,  à  rai- 
son de  deux  kilogrammes  de  chou  vert ,  ou  bien  d'un 
kilogranuiie  de  fouiTage  sec,  par  tête  et  par  jour.  Durant 
les  premiers  froids ,  on  leur  donne  de  la  paille  de  froment , 
qu'ils  aiment  médiocrement ,  puis  de  la  paille  de  seigle 
(lu'ils  aiment  un  peu  plus ,  et  enlin  de  la  paille  d'avoine, 
qu'ils  préfèrent  à  toutes  les  autres;  maison  doit  s'abstenir 
de  leur  donner  de  la  paille  d'orge,  dont  les  barbes  leur  bles- 
seraient les  papilles  nerveuses  du  palais  ou  de  la  langue.  Si 
dès  le  commencement  de  l'hiver  on  leur  donnait  les  mets  les 
plus  friands ,  ils  rebuteraient  par  la  suite  les  mets  les  plus 
giossiers,  qu'il  faut  cependant  consommer  faute  d'autres. 

Un  mouton  constamment  à  l'herbage  éprouve  à  un  faible 
degré  le  besoin  de  boire.  Le  breuvage  qu'il  préfère  est  l'eau 
courante  ;  il  faut  la  lui  présenter,  mais  sans  le  provoquer. 
Il  sait  mieux  que  le  berger  ce  qui  convient  à  sa  santé.  Lors- 
que l'eau  est  pure  et  limpide,  il  en  boit  jusqu'à  deux  kilogram- 
mes par  jour  durant  l'hiver,  tandis  que,  durant  l'été,  l'herbe 
verte  l'humecte  suffisamment.  Le  mouton  mange  beau- 
coup de  neige  ;  elle  ne  l'incommode  pas,  parce  que  l'état  de 
réclusion  et  l'espèce  de  la  nourriture  léchaufient;  tandis 
que  durant  les  chaleurs  de  l'été  une  rosée  (roide  lui  donne 
la  colique ,  parce  qu'il  se  trouve  dans  un  état  de  relâche- 
ment. On  peut  lui  servir  durant  l'hiver  des  carottes,  pa- 
nais, raves ,  navets ,  pommes  de  terre,  et  la  plupart  des  ra- 
cines pivotantes  ou  tuberculeuses  ;  mais  il  leur  préftre  les 
grains,  les  graines  de  toutes  les  espèces,  féculeuses  ou  gra- 
minées, telles  qu'elles  se  trouvent  dans  les  bourres  de  foin , 
de  trèlle  ou  de  luzerne,  dans  les  fonds  de  grenier,  les  pail- 
les et  poutils  des  fonds  de  grange,  les  colzas,  œillettes, 
fe^es,  fèverolles,  vesces,  pois,  lentilles,  haricots,  lupulines  et 
graines  de  lupin  stratifiées  dans  l'eau,  les  baies  de  genêt,  de 
bruyère,  et  les  cliaillats  composés  des  tiges,  feuilles  et  siii- 
ques  des  léguiuineiibes  griinpanie^.  Lu  peu  de  sel,  donne 


tous  les  huit  Jours  durant  l'hiver,  excite  leur  appétit ,  faci- 
lite leur  digestion,  soit  qu'on  le  leur  donne  en  nature,  soit 
en  saumure ,  dont  on  asperge  leurs  fourrages.  Le  sel  pré- 
serve de  beaucoup  de  maladies  les  bêtes  à  cornes;  il  est  ex- 
citant et  non  nourrissant;  c'est  par  cette  espèce  de  café  que 
le  troupeau  doit  terminer  son  repas. 

L'espèce  pécorale  est  polygame  par  sa  nature,  et  par 
cela  seul  qu'elle  produit  plus  de  femelles  que  de  mâles.  On 
ne  peut  corriger  cette  loi.  La  raison  veut  que  dans  l'état 
social  on  tolère  ce  que  l'on  ne  peut  empêcher ,  et  qu'on 
rectifie  ce  qu'on  ne  peut  supprimer.  Tout  règlement  qui  va 
contre  la  nature  des  choses;  toute  loi  contraire  aux  mœurs 
générales,  est  nécessairement  impuissante,  augmente  les 
résistances  et  aigrit  les  esprits  contre  l'autorité.  Pour  que  la 
vôtre  soit  toujours  respectée ,  vous  devez  donc  vous  prêter 
aux  besoins  et  aux  instincts  du  peuple  que  vous  avez  à  gou- 
verner. Vous  devez  mettre  tous  vos  soins  et  employer  toute 
votre  intelligence  dans  l'organisation  d'un  harem  sagement 
combiné.  Le  bélier,  qui  en  est  le  chef,  doit  avoir  la  tête 
grosse,  le  nez  camus,  les  naseaux  étroits,  le  front  élevé,  l'o- 
reille longue,  l'encolure  large,  le  cou  allongé,  le  rable  large, 
le  ventre  grand,  l'allure  vive,  le  regard  licencieux,  la  voix 
rauque  et  profonde,  et  l'odeur  pénétrante. 

Le  rut  se  manifeste  plus  ou  moins  vite ,  suivant  que  le 
pays  est  plus  ou  moins  chaud,  que  la  saison  est  plus  ou 
moins  avancée,  et  la  nourriture  plus  ou  moms  succulente 
ou  échauffante.  Dans  les  régions  froides  et  situées  au  nord 
(le  la  Loire,  on  doit  donner  à  la  brebis  le  bélier  en  sep- 
tembre et  en  octobre,  afin  que  les  agneaux  qui  proviennent 
de  cette  alliance  puissent  naître  en  février  et  en  mars  ,  ne 
soient  pas  exposés  à  des  froids  trop  vifs,  et  que  les  mères 
puissent  trouver  dans  une  nourriture  printanière  un  lait 
plus  abondant  et  plus  salubre.  La  gestation  dure  ordinaire- 
ment cinq  mois,  en  d'autres  termes,  cent  cinquante  jours. 
Le  bélier  est  adulte  dès  l'âge  de  six  mois ,  et  il  conserve  sa 
faculté  virile  jusqu'au  delà  de  huit  ans;  mais  il  ne  lui  faut 
donner  la  brebis  que  depuis  dix-huit  mois  jusqu'à  six  ans. 
Celle-ci  acquiert  sa  qualité  adulte  et  conserve  sa  puissance 
générative  aussi  longtemps  que  le  bélier.  On  préfère  toujours 
celui  qui,  n'ayant  pas  de  cornes,  demeure  inoffensif  dans  le 
parc,  celui  qui  a  la  laine  la  plus  fine,  la  plus  douce,  la  plus 
longue  et  la  plus  élastique.  On  connaît  r('poque  de  la  mise 
bas  par  la  date  de  la  saillie,  et  par  les  mouillures  qui  pré- 
cèdent de  quinze  à  vingt  jours  raccoucliement.  Lorscjue  ce 
sympt(Jme  se  manifeste ,  il  convient  de  laisser  les  brebis  ?. 
l'étable.  Quelques  heures  après  la  délivrance,  on  donne  à 
la  mère  de  l'eau  blanchie  avec  de  la  farine  d'orge  ou  d'a- 
voine, ou  avec  de  la  recoupe.  Afin  que  la  mère  allaite,  il 
faut  lui  percer  le  pis,  et  en  approcher  les  lèvres  de  l'agneau, 
s'il  ne  s'en  approche  pas  de  lui-même.  Si  la  mère  ne  lèche 
pas  le  nouveau-né,  il  faut  lui  couvrir  le  corps  de  sel  pour 
l'y  déterminer.  Si  l'agneau  meurt,  on  prend  sa  peau,  ou  en 
couvre  le  corps  d'un  autre  agneau  qui  n'a  pas  de  nourrice, 
et  par  cette  supposition  de  part  on  détermine  presque  tou- 
jours la  mère  à  l'allaiter  comme  le  sien.  Il  faut  ensuite 
veiller  à  ce  que  la  bête  ne  suce  et  n'avale  pas  en  tétant  des 
brins  de  laine,  qui,  se  réunissant  sous  une  forme  sphérique 
dans  le  canal  alimentaire,  l'obstruent  et  causent  souvent  la 
mort  de  l'mdividu.  Le  sevTage  s'opère  après  deux  mois  d'al- 
laitement. Avant  cette  époque,  vous  devez  couper  la  queue 
à  l'agneau  ,  afin  qu'il  ne  se  charge  pas  de  boue  dans  le* 
terres  vaseuses,  et  qu'il  ne  se  forme  pas  à  son  extrémité  une 
boule  qui  lui  donne  dans  les  jambes,  embarrasse  et  retarde 
sa  marche.  On  mutile  les  agneaux  deux  jours  après  leur 
naissance,  afin  de  rendre  leur  chair  plus  tendre  et  nlus 
grasse,  leur  laine  plus  fine  et  leur  caractère  plus  doux  ;  il 
y  a  plusieurs  manières  de  mutiler,  soit  en  liant,  bistournant 
on  extirpant.  On  coupe  les  agnelettes  à  six  semaine* ,  plus 
tard  que  les  agneaux,  afin  que  les  ovaires  soient  assez  groi 
pour  qu'on  puisse  les  distinguer  et  les  enlever  sùremeul,  et 

3. 


20 


BERGEU 


c'est  ahisi  qu  ou  lonne  i\(i  moutonnes  connues  dans  le  Midi, 
ot  des  moutons  connus  partout. 

On  entretient  un  troupeau  pour  avoir  de  la  laine ,  de  la 
chair,  du  suif,  des  peaux ,  et  dans  certaines  montagnes  des 
(lomages.  Les  lieux  secs ,  niontunux  ,  aérés  ,  conviennent 
mieux  à  la  finesse  des  laines  et  à  la  santé  des  troupeaux 
q!ie  l'on  ne  veut  pas  engraisser;  mais  quant  à  ceux  qu'on 
«iestine  à  l'engraissage,  ils  exigent  des  pâturages  et  des  lieux 
humides.  L'engraissage  est  une  maladie  i)assagère  qu'on 
donne  à  ces  bêtes  pour  en  tirer  un  meill 'ur  parti,  et  qui  de- 
viendrait mortdle  si  on  ne  les  vendait  à  l'époque  où  elle  a 
atteint  son  dernier  degré.  Le  trèfle  et  la  luzerne  engraissent 
t)rompfement,  mais  ils  donnent  une  graisse  jaune.  Le  sain- 
foin offre  le  môme  avantage  sans  produire  le  même  incon- 
vénient. Du  reste,  le  pâturage  dans  les  prairies  naturelles 
et  permanentes  produit  toujours  sur  ces  prairies  un  dom- 
mage considérable.  Le  bélier  arrache  l'iierbe  avec  véhé- 
mence; le  jeune  agneau,  avec  son  museau  pointu,  la  saisit 
jusque  dans  ses  racines. 

La  plupart  des  animaux  éprouvent  lors  du  renouvelle- 
ment des  saisons  une  éruption  que  l'on  appelle  mue.  Le 
mouton  éprouve  la  même  crise,  produite  par  la  môme  cause  : 
une  laine  nouvelle  pousse  sous  l'ancienne,  qui  tomberait 
ou  demeurerait  accrochée  à  tous  les  buissons,  si  on  ne  la 
tondait  pas  pour  en  profiter. 

Les  bêtes  à  laine  fournissent  d'autant  plus  de  suif  qu'elles 
ont  été  mieux  engraissées.  Le  suif  a  d'autant  plus  de  prix 
<iu'il  a  plus  de  densité.  La  chair  de  mouton  a  d'autant  plus 
de  saveur  que  les  herbes  dont  on  le  nourrit  ont  plus  d'a- 
rome,  et  les  herbes  sauvages  ont  d'autant  plus  d'arôme 
qu'elles  respirent  un  air  plus  vital  sur  les  montagnes,  et 
qu'elles  croissent  sur  un  terrain  plus  sec.  Le  mouton  nor- 
mand, nourri  dans  des  prés  salés,  est,  à  la  vérité,  très-gros, 
très-tendre  et  très-gras,  mais  le  mouton  des  Ardennes,  ce- 
lui des  Alpes  et  des  Cévennes,  qui  pèsent  la  moitié  mains, 
ont  la  chair  plus  noire  et  plus  savoureuse. 

On  dislingue  l'engrais  d'herbe  et  l'engrais  de  pouture.  Le 
premier  peut,  sur  un  pâturage  gras ,  s'opérer  en  trois  mois, 
et  conséquemmeut  on  peut  taire  trois  engrais  dans  les  neuf 
mois  qui  succèdent  à  l'hiver.  L'engrais  de  pouture  se  dis- 
tingue encore  en  engrais  de  grain  et  en  engrais  de  fourrage 
sec  et  de  racines  coupées.  On  doit  mettre  le  mouton  à  l'en- 
grais lorsqu'il  a  trois  ans.  Plus  tôt  il  n'a  pas  de  goût,  plus 
tard  il  est  dur  et  rebelle  à  l'engraissage.  On  est  parvenu  au 
plus  haut  degré  de  l'engrais  lorsqu'on  voit  s'élever  sur  le 
dos  de  la  bête  qui  y  est  soumise  de  petites  vessies  pleines 
de  graisse  ;  et  si  l'on  ne  se  hàtail  de  vendre  ou  de  tuer  le 
mouton  parvenu  à  ce  degré ,  il  péiiiait  d'une  maladie  occa- 
sionnée par  l'inlitlralion  de  la  graisse  dans  le  tissu  cellulaire. 

Quant  aux  peaux  de  brebis  ou  de  mouton,  il  est  reconnu 
que  les  meilleures  sont  celles  qui ,  n'étant  pas  couvertes  de 
laine ,  se  sont  fortifiées  par  l'action  de  l'air.  Leur  qualité 
relative  est  dans  le  degré  de  leur  densité.  Les  peaux  sont 
appeh'es  creuses  lorsqu'elles  ne  son  t  pas  compactes,  et  alors 
'  ou  les  destine  à  faire  des  parchemins,  ou  bien  on  les  vend 
à  lies  tanneurs  qui  les  passent  en  basane,  à  l'usage  des  bour- 
reliers. Si  elles  sont  fra  n  c  lies,  on  en  fait  des  maroquins. 

Il  existe  diverses  races  qu'il  est  dans  le  devoir  d'un  ber- 
ger de  connaître  et  de  distinguer,  et  cette  connaissance 
est  difficile,  à  cause  des  croisements  qui  s'opèrent  sur  des 
espèces  qui  ont  déjà  été  cent  fois  croisées.  Nous  parlerons 
de  ces  différentes  races  à  l'article  Mouton. 

Les  moutons  sont  sujets  à  beaucoup  de  maladies  aiguës  et 
de  maladies  chroniques.  Nous  citerons  la  maladie  du  sang 
ou  l'aixiplexif,  la  méléorisation  du  ventre  ou  colique  de 
jianse,  la  cachexie  ou  jiourriture,  le  tournoiement,  le  tour- 
nis, le  clave^ui  ou  la  ciavelée,  etc.  Ces  maladies  auront  des 
articlis  particuliers  dans  notre  ouvrage. 

Enfin  un  berger  est  tout  à  fait  inexcusable,  et  il  doit  être, 
conijedié  sans  miséricorde,  si  la  gale  attaque  luie  grande 


partie  de  son  troupeau.  Il  y  a  toujours  tin  premier  galem 
qui  la  communique  à  tous  les  autres.  On  le  reconnaît  connue 
tel  quand  il  éprouve  des  démangeaisons  qui  l'obligent  à  s« 
frotter  sans  cesse  contre  les  râteliers ,  les  haies  et  les  ar- 
bres ,  et  à  s'écorcher  le  corps  avec  les  dents  et  les  pieds. 
On  doit  se  hâter  de  mettre  ce  galeux  à  l'écart.  Le  remède 
le  plus  efficace  contre  cette  maladie  est  aussi  le  plus  sim- 
ple et  le  plus  à  la  portée  de  tous  les  bergers.  Il  consiste 
dans  un  onguent  composé  avec  5  hectogrammes  de  suif  et 
125  grammes  d'huile  de  térébenthine.  On  frotte  les  parties 
galeuses  sans  les  tondre;  on  se  borne  à  écarter  les  flocons 
de  laine  que  cet  onguent  rend  plus  fine  et  plus  douce. 

Votre  équipage  de  parc  doit  être  fort  simple.  Au  lieu 
d'être  peint  en  vert  et  de  se  confondre  ainsi  avec  la  couleur 
des  pâturages ,  il  doit  être  peint  en  rouge  foncé  qui  efTraye 
les  bêtes  fauves.  Il  doit  être  léger,  monté  sur  deux  roues, 
avoir  2  mètres  de  long  et  1  "",30  seulement  de  large  dans 
œuvre.  Votre  cabriolet  doit  être  garni  sur  chacune  de  ses 
faces  de  fenêtres  vitrées ,  et  il  doit  être  constamment  tourné 
vers  le  côté  du  bois  par  où  débouche  ordinairement  le  loup; 
vos  deux  chiens  placés  à  l'avant-garde  comme  sentinelles 
perdues.  Il  doit  être  surmonté  d'une  cloche ,  indispensable 
pour  sonner  l'alarme  quand  la  bête  fauve  paraît ,  et  d'une 
lanterne,  dont  la  lumière  effraye  à  la  vérité  fort  peu  les  loups 
expérimentés  à  la  guerre,  mais  impose  aux  louveteaux  qui 
entrent  pour  la  première  fois  en  campagne.  Vous  devez 
être  armé  d'un  fusil  de  calibre  chargé  à  balle ,  et  jamais 
d'un  fusil  de  chasse,  qui  serait  pour  vous  un  sujet  perpé- 
tuel de  tentation  à  tirer  le  lapin.  Vous  savez ,  et  vous  devez 
savoir  mieux  qu'un  autre,  que  le  loup  qui  médite  une  at- 
taque s'avance  toujours  contre  le  vent ,  afin  que  les  chiens 
et  le  troupeau  ne  puissent  pas  sentir  l'odeur  infecte  qu'il 
exhale,  et  qu'il  exécute  le  plus  ordinairement  ses  plans  de 
campagne  durant  les  nuits  les  plus  sombres  et  les  orages  les 
plus  violents. 

Le  parc  destiné  à  renfermer  quatre  cent  cinquante  bêles 
de  grandeur  moyenne,  y  compris  cent  agneaux,  doit  être 
composé  de  soixante  et  une  claies,  ayant  1",30  de  hauteur 
et  2'",G0  de  longueur  (ce qui  se  réduit  à  2°',30  quand  on  les 
a  ajustées  entre  elles).  Il  doit  être  partagé  dans  son  milieu 
par  sept  claies,  de  manière  à  ce  qu'on  puisse,  en  en  enlevant 
une,  faire  passer  le  troupeau  toutes  les  quatre  heures  d'une 
moitié  du  parc  dans  l'autre. 

Quant  à  la  bibliothèque  renfermée  dans  votre  maison 
roulante,  au  lieu  de  La  Belle  au  Bois  Dormant,  du  Petit 
Albert,  du  Manuel  de  saint  Ignace,  et  de  VÉlixir  de 
Béatitude,  qui  sont  la  lecture  ordinaire  des  bergers,  et  qui 
remplissent  leur  esprit  de  mille  sottessuperstitions,  procurez- 
vous  le  Catéchisme  des  Bergers,  par  Daubenton;  le  Traité 
S2(r  la  Monte  et  l'Agnelage,  de  M.  Morel  de  Vindé  ;  r/«.$- 
truction  élémentaire  adressée  aux  bergers  de  la  Haute- 
Saône,  par  M.  Marc;  instruction  sur  les  Bêtes  à  laine, 
contenant  la  manière  de  former  de  bons  troupeaux ,  par 
M.  Tessier;  le  Aouveari  Traité  sur  la  Laine  et  sur  tes 
Moutons ,  par  MM.  Perrault,  Fabi7  et  Girod  de  l'Ain,  et 
les  Observations  sur  les  Bêtes  à  Laine,  faites  dans  les 
environs  de  Genève  pendant  vingt  ans ,  par  LiiUin. 

Comte  Français  (de  Nantes). 

BERGER  (  Jean-Jacques  ),  aujourd'hui  préfet  de  la 
Seine,  ancien  député,  ancien  représentant  du  peuple,  est  le 
fils  d'un  fabricant  de  papier.  Né  en  juin  i7i)0,à  Thiers  (  Puy- 
de-Dôme),  il  vint  à  Paris  faire  ses  études  au  lycée  Najio- 
léon  ,  et  acheta  ensuite,  dans  cette  capitale ,  une  charge 
d'avoué.  On  le  vit  aux  barricades  de  1830,  et  il  dut  à  celle 
circonstance  la  décoration  de  Juillet,  celle  de  la  Légion 
d'Honneur  et  les  fonctions  de  maire  du  deuxième  arrondis- 
sement. Kn  1833  il  vendit  sa  charge  pour  se  vouer  désormais 
exclusivement  à  la  politique.  Klu  jiar  son  arrondissement 
natal,  il  vint  siéger  à  la  Chambre  des  Députés  en  1837.  Assis 
d'abord  au  centre  gauche ,  il  appartenait  à  l'opposition  dy- 


BERGER  -  BERGERIE 


2t 


oastique,  et  (il  partie  plus  tard  <le  celte  phalange  sacrée  du 
petit  ministre  Thiers,  qui  envoyait  au  Siècle  et  au  Natio- 
nal ces  formidables  listes  de  fouclionnaires  à  sacrifier,  alin  de 
pénétrer  les  esprits  de  leurs  adversaires  d'une  sainte  terreur. 
Aussi,  dès  le  moisde  décembre  1840,  M.  Guizot  le  destituait-il 
de  ses  fonctions  de  maire  ;  ce  qui  lui  valait  en  1841  de  deve- 
nirun  des  secrétaires  delà  Chambre  par  lecréditdu  1'"  mars. 
Du  reste  il  n'en  demeurait  pas  moins  imperturbablement 
silencieux  dans  les  bureaux  comme  dans  les  séances  publi- 
ques. En  1846  il  fut  élu  député  dans  son  département  et  dans 
le  deuxième  arrondissement  de  Paris,  pour  lequel  il  opta. 
Dans  les  dernières  années  du  règne  de  Louis-Philippe, 
on  le  vit  gravir,  à  vue  d'œil ,  la  pente  de  l'opposition  ;  aussi 
n'y  eut-il  point  de  manœuvre  électorale  que  le  gouver- 
nement ne  mit  en  œuvre  pour  l'empêcher  d'être  réélu  maire 
de  son  arrondissement.  Ses  électeurs  tinrent  bon  ;  ils  l'en- 
tourèrent de  noms  non  moins  hostiles ,  plus  hostiles  même 
que  le  sien,  et,  de  guerre  lasse,  le  pouvoir  royal  lut  bien  forcé 
deleclioisir.  M.  Berger,  qui  s'était  piqué  au  jeu,  persista  dans 
sa  ligne  de  conduite ,  assista  au  banquet  du  Chàteau-Rouge, 
accepta  d'être  un  des  commissaires  de  celui  du  douzième 
arrondissement,  et  signa,  le  21  février  1848,  l'acte  d'accu- 
sation fulminé  contre  les  ministres  de  Louis-Philippe. 

La  révolution  éclate,  elle  triomphe,  les  élections  pour  la 
constituante  vont  avoir  lieu.  Alors  on  lit  sur  tous  les  murs  de 
Paris  une  pancarte  ainsi  conçue  :  «  Citoyens,  oublierez-vous 
Berger,  le  maire  des  barricades  de  1830?  «  Plus  de  136,000 
voix  répondirent  à  cet  appel,  et  son  nom  sortit  de  l'urne  le 
quinzième,  entre  ceux  du  général  Cavaignac  et  du  li- 
braire Pagnerre.  C'est  même  sur  la  proposition  de  re 
dernier,  chargé  d'organiser  les  municipalités  de  Paris,  qu'il 
avait  été  maintenu  dans  ses  fonctions  de  maire  par  le  gou- 
vernement provisoire.  Dans  la  séance  d'ouverture  de  la 
Constituante,  on  le  vit  avec  surprise,  au  nom  de  la  dépu- 
tation  de  Paris  et  de  l'assemblée  tout  entière ,  déterminer 
la  proclamation  eutiiousiaste  et  unanime  de  la  république. 
M.  Berger,  qui  faisait  partie  du  comité  de  l'intérieur,  vota 
pour  les  deux  chambres,  pour  la  proposition  Rateau-Lan- 
juinais,  pour  l'ordre  dn  jour  en  (aveur  du  minisière  dans 
la  discussion  sur  les  affaires  d'Italie,  et  contre  la  propo- 
sition d'amnistie  présentée  dans  la  dernière  st-ance.  Envoyé, 
le  sixième,  à  la  Législative  (lar  plus  de  52.000  voix  du 
Puy-de-Dôme,  il  ne  prit  aucune  part  aux  votes  importants 
de  cette  assemblée. 

Cependant  l'avènement  de  Louis-Napoléon  à  la  présidence 
valut  la  prélecture  de  la  Seine  à  M.  Berger,  il  sut  se  mainte- 
nir dans  ce  poste  important  sous  tous  les  ministères  qui  se 
succédèrent  de'puis.  Quelques  dîners  officiels,  quelques  ré- 
ceptions le  forçaient  bien  de  temps  à  autre  à  parler  poUtique, 
mais  c'était  toujours  avec  une  prudence  qui  ne  le  compromet- 
tait vis-à-vis  d'aucune  des  grandes  fractions  du  parti  de 
l'ordre,  et  les  compliments  qu'il  adressait  parfois  au  chef  de 
l'Etat  étaient  assez  vulgaires  pour  pouvoir  passer  sur  le 
compte  de  sa  position  officielle.  Lorsque  le  conseil  munici- 
pdde  la  capitale  s'avisa  de  vouloir  festoyer  le  lord-maire  de 
Londres,  ce  lut  M.  Berger  qu'on  chargea  de  faire  les  honneurs 
de  la  ville  de  Paris  à  ses  hôtes.  11  s'en  acquitta  comme  il 
put.  Un  dîner  monstre  où  l'on  but  à  l'entente  cordiale  autant 
que  si  Louis-Philippe  eût  été  encore  sur  le  trône,  fut  suivi 
d'un  bal  monstre  où  la  cohue  le  disputait  aux  bals  des  Tuile- 
ries d'autrefois  ;  une  fête  monstre  fut  donnée  a  l'Opéra,  où 
l'on  joua  une  pièce  de  circonstance  avec  une  musique  aussi 
triste  qu'improvisée.  On  finit  par  une  fête  militaire  très-in- 
téressante pour  des  Français ,  mais  assez  peu  divertissante 
pour  ces  marchands  de  la  Cité,  qui  n'ont  pas,  à  ce  qu'on 
dit,  le  même  amour  que  nous  pour  le  jeu  du  soldat.  JNéan- 
moins,  de  retour  en  Angleterre,  le  conseil  municipal  de 
Lon:lres  se  déclara  satisfait.  Tout  le  monde  doit  l'être. 

Le  2  décembre  1851  ne  pouvait  pas  surprendie  M.  Eer- 
gei .  il  fiit  aussitôt  appelé  à  la  commission  consultative.  Ce 


qu'il  y  fit ,  nous  l'ignorons  ;  mais  après  le  recensement  de» 
votes  du  26  décembre,  il  reçut  les  délégués  des  départements 
à  l'hôtel  de  ville,  et  porta  un  toast  au  succès  des  enti-eprises- 
du  prince  Louis-Napoléon.  ]NL  Berger  avait  été  nommé  com- 
mandeur de  la  Légion  d'Honneur  lors  de  la  pose  de  la  pre- 
mière  pierre  des  halles  centrales.  On  avait  remarqué  la 
harangue  flatteuse  qu'il  avait  adressée  ce  jour-là  au  neveu 
de  celui  qui  disait  que  les  halles  étaient  le  Louvre  du  peuple. 
Sous  l'administration  de   M.   Berger,  Paris  a   vu   s'a- 
chever les  travaux  de  canalisation  du  bras  gauche  de  la 
SeinCf  le  Palais  de  justice  se  continuer,  les  boulevards  et 
d'autres  voies  pubfiques  s'empierrer,  l'Hôtel  de  Ville  s'isoler, 
les  travaux  de  prolongement  de  la  rue  de  Rivoli  s'ouvrir,  la 
place  du  Carrousel  se  déblayer,  etc.,  etc.  ;  et  malgré  tant  de 
dépen.ses  l'argent  abonde  dans  les  caisses  nmnicipales,  grâce 
à  un  emprunt  de  50  millions  qui  a  pu  être  contracté  à  des 
prix  avantageux.  M.  Berger  a  été  nommé  sénateur  en  1853. 
BERGER  DE  XI VREY(  Jules  ),  membre  de  l'Acadé- 
mie des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  de  l'Institut  de  France, 
que  ses  recherches  philologiques  et  historiques  classent  ho- 
norablement parmi  les  savants  contemporains,  est  né  le  16 
juin  1801,  à  Versailles.  Son  début  dans  la  carrière  des  let- 
tres fut  une  traduction  \]e  la  Batracomyomachie  (Paris, 
1823;  2*  édit.,  1837),  qvi'il  fit  suivre  d'un    Traité  de  la 
prononciation  grecque  moderne  {  1828).  Son  édition  des 
Fables  de  Phèdre  (  1830)  est  un  remarquable  travail  d'éru- 
dition. On  trouve  d'intéressantes  notions  sur  l'histoire  de  l;i 
littérature  du  moyen  âge  dans  ses  Recherches  sur  les 
sources  antiques  de  la  Littérature  française  (Paris,  1829), 
dans  ses  Traditions  tératologiquts  (1836),  et  dans  sa  No- 
tice sur  la  plupart  des  manuscrits  grecs,  latins  et  en 
vieux  français,  contenant  Vhistoire  fabuleuse  d'Alexan- 
dre, le  Grand,  il  a  publié  aussi  un  très-grand  nombre  d'ou- 
vrages historiques ,  parmi  lesquels  nous  citerons  ici  plus 
spécialement  ses  Essais  d'appréciations  historiques  (2  vol., 
Paris,  1837)  et  son  liecue.il  des  lettres  missives  de  Henri  IV 
(  3  vol.,  Paris,  1845-1846).  Par  sa  dissertation  intitulée  :  Sur 
la  polémique  relative  au  cœur  de  saint  Louis ,  qu'il  fit 
suivre  plus  tard  de  Preuves  de  la  découverte  du  cœur  de 
saint  Louis  (Paris,  1846),  M.  Berger  de  Xivrey  s'est  mêlé 
activement  et  utilement  à  une  discussion  qui  occupa  vive- 
ment le  monde  savant  dans  les  années  1843  à  1846.  Cet 
érudit  a  aussi  enrichi  d'un  grand  nombre  d'articles  du  plus 
haut  intérêt  divers  recueils  contemporains ,  notamment  le 
Journal  des  Débats.  M.  Berger  de  Xivrey  a  été  nommé  con- 
servateur adjoint  de  la  bibliothèque  de  l'Arsenal  en  mars  1851. 
BERGERAC,  ville  de  France,  chef-lieu  d'arrondisse- 
ment, dans  le  département  de  laDordogne,  sur  la  rive 
droite  de  la  rivière,  qu'on  y  passe  sur  un  beau  pont.  Située  à 
49  kilomètres  S.-O.  de  Périgueux,  au  milieu  d'une  plaine  vaste 
et  fertile ,  et  entourée  de  coteaux  que  couvrent  de  riches 
vignobles  et  de  jolies  maisons  de  campagne,  cette  ville  ne 
répond  pas  à  la  beauté  de  son  site  ;  on  y  remarque  toutefois 
des  traces  (?u  séjour  des  Anglais,  qui  l'occupèrent  de  1345 
à  1371,  époque  où  elie  fut  reconquise  parle  duc  d'Anjou, 
frère  de  Charles  V.  Pendant  les  guerres  de  religion,  Berge- 
rac fut  souvent  le  théâtre  de  combats  meurtriers.  Louis  XIII 
en  (it  raser  la  citadelle  et  les  fortifications. 

Cette  ville  possède  un  tribunal  de  commerce,  ime  église 
consistoriale  calviniste,  et  un  collège  communal.  Sa  popu- 
lation est  de  9,873  habitants.  On  y  récolte  de  bons  vins  fins, 
rouges  et  blancs;  on  y  fabrique  de  la  quincaillerie,  des  serges, 
delà  bonneterie;  elle  possède  .des  papeteries,  des  tanneries, 
desdistilleries,  et  une  imprimerie.  Son  commerce  est  très-actif; 
elle  a  uii  grand  entrepôt  de  vins  et  d'eau-de-vie;  elle  exporte 
des  grains,  des  truffes,  des  pierres  meulières  et  du  bois. 
BERGERAC  (CYRANO  dk).  Foy«  Cyhano. 
BERGERIE  {Économie  rurale),  lieu  où  l'on  enferma 
les  moutons  et  les  l)rel)is.  La  bergerie  diffère  du  parc,  eu 
ce  qu'elle  est  couverte  et  presiiuc  toujours  murée,  et  de 


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BERGERIE  -  BERGERON 


Vétnble,  (jai  sert  (également  aux  Ixrufs,  aux  codions  et  aux 
brtîbis.  La  disposition  d'une  bergerie  et  les  soins  de  sa  te- 
nue intérieure  contribuent  puissamment  au  bon  ou  au  mau- 
vais état  des  troupeaux ,  et  doivent  attirer  toute  l'attention 
des  propriétaires. 

La  race  ovine,  étant  revêtue  d'un  vêtement  de  laine  suf- 
fisant, ne  craint  point  le  froid,  mais  elle  est  souvent  alté- 
rée par  la  chaleur.  Il  faut  donc  que  la  bergerie  soit  le  plus 
élevée  et  le  plus  spacieuse  possible ,  et  rafraîchie  par  des 
s  courants  d'air,  qu'il  faut  renouveler  quand  on  y  sent  une 
odeur  d'ammoniaque.  On  conçoit  que  la  laine  de  cinq  à  six 
cents  bêtes,  leurs  urineset  leurs  déjections,  doivent  nécessai- 
rement vicier  cette  atmosphère.  C'est  pour  cette  raison  que 
notre  illustre  berger  Daubenton  prescrivait  de  les  tenir  tou- 
jours dans  le  parc  et  jamais  dans  la  bergerie  ;  mais  si  ce 
quadrupède  supporte  bien  le  froid ,  il  craint  en  même  temps 
beaucoup  l'humidité,  comme  l'indique  la  forme  de  son  pied, 
qui  annonce  qu'il  est  un  animal  de  coteaux  ou  de  montagnes. 
L'humidité  des  vallées  et  des  prés  à  irrigation  et  la  boue  des 
chemins  dans  lesquels  on  les  conduit  occasionnent  des  épi- 
zooties  nombreuses.  Dans  les  pays  d'argile,  on  est  obligé  de 
vendre  ou  de  changer  le  troupeau  tous  les  ans,  pour  qu'il  ne 
périsse  pas.  Dans  une  bergerie,  il  faut  compter  80  décimètres 
carrés  pour  une  brebis  et  son  agneau ,  30  décimètres  carrés 
pour  un  mouton ,  et  un  peu  plus  pour  le  bélier.  Une  portion 
«le  la  bergerie  doit  être  séparée  pour  former  une  infirmerie 
et  pour  les  brebis  qui  viennent  d'agneler.  Une  porte  à  deux 
battants  portant  ensemble  l^jGO,  qu'on  ouvre  tous  deux 
qumd  le  troupeau  rentre  ou  sort ,  et  dont  on  n'ouvre  qu'un 
6oul  quand  on  veut  les  compter,  est  absolument  nécessaire. 

On  peut,  par  des  cloisons,  séparer  les  moutons  que  l'on 
veut  engraisser,  les  agneaux  de  primeur,  les  bêtes  fines  et 
les  botes  grossières  ou  jarreuses ,  et  il  n'est  pas  nécessaire 
d'ajouter  que  la  litière  et  même  la  terre  doivent  souvent  être 
changées,  et  qu'il  faut  des  râteliers  et  des  mangeoires  tout 
autour  de  l'étable.  La  nourriture  d'une  bête  ovine  renfermée 
dans  la  bergerie  doit  être  d'un  kilogramme  de  fourrage  sec, 
et  pour  les  brebis  prégnanles  5  hectogrammes  de  plus  de  di- 
vers grains.  Les  racines  des  plantes  tubéreuses  doivent  être 
comptées  pour  la  moitié  d'un  poids  égal  de  fourrage  sec. 

Une  lanterne  et  la  chambre  du  berger  sont  nécessaires 
dans  une  bergerie.  Comte  Français  (de  Nantes). 

BERGERIES  {Littérature).  Ce  mot  se  prend  habituel- 
lement pour  synonyme d' idylle, églogue, bucoliques. 
Les  liergcries  étaient  généralement  de;  espèces  de  comé- 
dies et  tragédies  pastorales  à  imbroglio,  qui  faisaient  fureur 
au  théâtre  sur  la  fin  du  seizième  siècle  et  jusqu'au  milieu 
du  SHivant.  Le  roman  célèbre  de  d'  U  rf  é ,  VAslrée,  les  dé- 
lices de  La  Fontaine  et  de  Ségrais ,  et  que  jamais  La  Harpe  ne 
put  lire,  était  l'abondante  source  où  venaient  puiser  les  au- 
teurs de  ces  drames  singuliers ,  dont  le  plus  renommé ,  quoi- 
que pris  ailleurs,  fut  celui  de  Racan.  Intitulé  d'abord  ylr- 
tenice,  nom  d'une  femme  de  la  cour  aimée  du  poète,  il  prit 
bientôt  le  titre  de  Bergeries  de  M.  de  Racan.  Se  douterait- 
on  que  sous  l'innocence  d'un  pareil  titre ,  qui  ne  promet 
que  le  calme  des  bois ,  que  des  fontaines  où  viennent  se 
mirer  des  bergères  au  plus  beau  jour  de  fête,  que  des  pe- 
louses foulées  par  les  danses ,  que  des  échos  retentissant 
du  son  des  chalumeaux  ,  il  se  passe  des  monstruosités  dont 
pourraient  s'étonner  aujourd'hui  nos  plus  hardis  drama- 
turges? On  y  voit  un  berger  Lucidas  dont  les  trames  pour 
perdre  son  rival  sentent  la  ville  la  plus  corrompue;  un 
l'olistène,  magicien  éhouté  ;  un  Chindonnax,  druide  l'ana- 
tuiue  et  cruel,  qui,  assisté  d'un  prêtre  tenant  le  couteau  sacré 
sur  la  gorge  d'une  bergère  dont  le  nom  est  Idalie,  lui  dé- 
bite ces  joUs  vers  : 

Ces  vfiu  et  ce  beau  Icint  de  roses  et  de  lys, 
Smi»  teiiii  de  la  mort  soroiit  ensevelis  ; 
L'Iiorreur  qui  l'iiccoiiipiigiie  esl  à  toutes  comiiiuue  , 
Ou  n'y  rceoiiudit  point  U  hiauehc  ui  Ij  briiuc! 


Voilà  ce  qu'au  seizième  siècle,  en  France,  on  appelait 
Bergeries.  Telles  ne  sont  point  les  scènes  naïves  de  Théo- 
cri  te,  les  tableaux  calmes  et  enchanteurs  de  Virgile,  ces 
modèles  de  la  poésie  pastorale;  tels  ne  sont  point  encore 
l'Aminta  et  le  Pastor  fido,  ces  deux  poèmes  d'une  déli- 
cieuse peinture,  frais  comme  les  prairies,  harmonieux  comme 
les  bois ,  théâtre  de  leurs  doux  sentiments ,  et  où  des  chœurs, 
des  fêtes  et  des  danses  tous  transportent  dans  l'âge  d'or. 

Denne-Bakon. 

BERGEROIV  (Louis) ,  né  à  Chauny  (Aisne  ) ,  le  1"  oc- 
tobre 1811 ,  remplissait  dans  l'une  des  pensions  de  Paris  les 
modestes  fbnctions  de  maître  d'études,  quand,  le  19  novem- 
bre 1 832 ,  jour  d'ouverture  de  la  session  des  Chambres ,  il 
fiit  arrêté  à  la  descente  du  Pont-Royal,  sous  l'incidpatioa 
d'avoir  tiré  un  coup  de  pistolet  sur  Louis-Pbilippe ,  qui  se 
rendait,  en  grand  cortège ,  à  la  Chambre  des  Députés  pour 
y  prononcer  ce  qu'on  appelait  sous  le  régime  constitu- 
tionnel le  discours  du  trône.  C'était  poiu-  la  première  fois 
qu'une  tentative  d'assassinat  était  dirigée  contre  la  personne 
du  prince  acclamé  roi  deux  années  auparavant.  L'opposition 
républicaine,  qui  pendant  toute  la  durée  du  règiie  nia  obs- 
tinément la  réalité  des  complots  tramés  contre  la  dynaslie 
nouvelle,  puis  qui  en  1848  se  vanta  à  la  tribune,  par  l'or- 
gane de  ses  représentants  les  plus  purs,  d'avoir  toujours 
menti  et  de  n'avoir  pas  cessé  de  conspirer  pendant  trente 
ans;  l'opposition  républicaine,  disons-nous,  prétendit  que 
c'était  là  une  basse  manœuvre  de  police,  que  le  pistolet 
n'était  chargé  qu'à  poudre,  et  qu'un  mouchard  seul  avait 
exécuté  ce  coup  imaginé  par  le  pouvoir  pour  effrayer  l'opi- 
nion et  se  faire  autoriser  à  restreindre  les  libertés  publiques. 

Traduit  aux  assises,  l'accusé  nia  les  faits  mis  à  sa  charge. 
Ils  n'étaient  attestés  que  par  un  seul  témoin ,  une  jeune  pro- 
vinciale ,  mademoiselle  Boury ,  que  le  hasard  avait  placée  dans 
les  rangs  pressés  des  curieux  à  côté  même  de  Bergeron ,  et 
qui  déclara  avoir  instinctivement  fait ,  en  voyant  l'arme  que 
son  voisin  ajustait ,  un  mouvement  par  suite  duquel  la  balle 
du  régicide  avait  dû  dévier  dans  sa  direction. 

M"*  B0U17 ,  considérée  par  la  famille  royale  et  par  ses 
nombreux  partisans  comme  ayant  été  en  cette  circonstance 
l'iustrument  de  la  Providence ,  fut  fêtée,  louée,  récompensée 
outre  mesure;  mais  à  l'audience  le  témoin  n'apporta  plus  à 
la  justice  que  des  souvenirs  peu  précis,  et  la  défense  profita 
habilement  des  incertitudes  tle  sa  déposition  pour  jeter  du 
doute  dans  l'esprit  des  jurés,  qui  rendirent  un  verdict  né- 
gatif. 

Absous  parla  justice  des  hommes,  Bergeron ,  nous  aimons 
à  le  croire ,  l'était  aussi  par  sa  conscience.  Mais  il  eut  tort 
de  tirer  alors  parti  de  l'espèce  de  célébrité  que  lui  avait 
donnée  la  terrible  accusation  qui  avait  pesé  un  instant  sur 
sa  tête,  pour  se  créer  ime  position  dans  la  presse  la  plus 
hostile  au  pouvoir  nouveau.  En  effet ,  immédiatement  après 
son  acquittement,  il  fut  admis  à  l'honneur  insigne  (pour  un 
conscrit  )  de  découper  \e&/aits-Paris  dans  le  National,  qui 
en  cela  savait  faire  une  habile  spéculation ,  en  môme  temps  que 
jouer  une  bonne  niche  aux  hommes  de  la  Tribune,  ses  con- 
ciurents  dans  l'exploitation  de  l'opinion  républicaine,  assez 
mal  avisés  pour  laisser  échapper  ime  si  belle  occasion  de  don- 
ner à  peu  de  frais  des  gages  de  plus  au  parti.  Ces  fonctions 
mirent  tout  naturellement  Bergeron  en  relations  directes 
et  continuelles  avec  la  fine  fleur  des  conspirateurs  de  ce 
temps-là,  et  bientôt  il  se  vit  adopté  et  glorifié  comme  mar- 
tyr et  conune  héros  par  toutes  les  sociétés  secrètes. 

La  police,  de  son  côté,  qui  était  parfaitement  sûre  qu'un 
coup  de  pistolet  chargé  à  balles  avait  été  tiré  sur  Louis- 
Miilippe  au  bas  du  Pont-Royal  ;  qui  aussi ,  en  dépit  dis 
clameurs  de  l'opposition  républicaine,  avait  la  certitude  de 
n'èlre  pour  rien  dans  cette  lealative  d'assassinat,  et  dont  le 
verdict  d'acquittement  du  jury  de  la  Seine  n'avait  peut-être 
l)as  tiélruit  tous  les  doutes  à  l'égard  de  l'innocence  de  Ber- 
geron; la  police,  disons-nous,  le  surveilla  de  près,  et,  à 


BERGERON  —  BERGIER 


33 


lort  ou  à  raison ,  TOiHut  absolument  le  trouver  au  fond  de 
tous  les  complots  organisés  ensuite  contre  la  vie  ou  la  cou- 
ronne du  roi-citoyen.  De  ces  défiances  à  la  persécution  il 
n'y  avait  qu'un  pas.  Il  fut  bientôt  franchi  ;  mais  peut-être 
Bergeron  en  fut-il  surtout  redevable  à  des  forfanteries  de 
tabagie  que  son  extrême  jeunesse  explique,  sans  les  excuser. 
Quoi  qu'il  en  soit,  la  police  finit  par  comprendre  qu'elle 
(inirait  à  ce  jeu  par  rendre  intéressant  l'homme  qu'elle  vou- 
lait perdre.  Elle  prit  donc  le  parti  de  le  laisser  tranquille  ;  et 
plus  tard  quatre  ou  cinq  meurtres  purent  être  tentés  contre 
Louis-Philippe  sans  qu'elle  songeât  à  en  rendre  complice  le 
héros  de  ïaffaire  du  coup  de  pistolet  du  Pont-Royal. 

Bergeron ,  en  1836,  fut  attaché  à  la  rédaction  du  Siècle, 
auquel  il  fournit,  sous  un  nom  d'emprunt,  un  assez  grand 
nombre  de  feuilletons  de  la  force  de  tous  ceux  qui  ont  fait 
la  fortune  de  cette  feuille,  alors  monarchique  et  constitu- 
tionnelle. M.  E.  Girardin,  à  cette  époque  conservateur 
ardent,  et  toujours  adversaire  haineux  ;  M.  Girardin,  qui  ne 
pouvait  pardonner  au  Siècle  d'avoir  trois  fois  plus  d'abonnés 
cjue  sa  Presse ,  crut  de  bonne  guerre  de  révéler  un  beau 
jour  que  dans  la  boutique  rivale  écrivait  un  homme  que, 
de  sa  propre  autorité  et  pour  l'effet  de  son  argumentation , 
il  déclarait  coupable  d'un  fait  dont  l'avait  absous  un 
verdict  solennel  et  souverain  du  jury.  Le  rédacteur  du 
Siècle  ainsi  désigné  demanda  au  rédacteur  de  la  Presse 
ou  la  rétractation  ou  la  réparation  d'une  assertion  néces- 
sairement calomnieuse.  M.  E.  Girardin  crut  avoir  assez 
de  fois  fait  ses  preuves  pour  oser  refuser  et  de  se  battre 
et  de  retirer  sa  phrase.  Bergeron ,  exaspéré ,  alla  alors  le 
frapper  au  visage  en  plein  Opéra.  L'offensé  demanda  jus- 
tice à  la  police  correctionnelle,  qui  condamna  le  délinquant 
à  deux  ans  d'emprisonnement  ;  et,  sur  l'appel  qu'il  interjeta, 
la  cour  royale,  plus  sévère ,  porta  même  la  condamnation 
à  trois  années ,  maximum  de  la  peine  dont  la  loi  frappe  un 
tel  délit.  Ce  qu'il  y  a  de  curieux,  c'est  qu'en  1848  cet  arrêt 
valut  à  Bergeron  l'honneur  d'être  porté  pour  une  pension 
de  500  fr.  sur  la  liste  des  récompenses  nationales. 

11  n'y  avait  pas  longtemps  que  les  portes  de  la  prison 
s'étaient  ouvertes  pour  Bergeron  quand  la  révolution  de 
février  éclata.  Il  figura  alors  un  instant  parmi  les  commis- 
saires extraordinaires  envoyés  dans  les  départements  par 
M.  Ledru-RoUiu,  quoique  i)récédemment  et  précisément 
pendant  sa  longue  éétention  bien  des  nuages  se  fussent  élevés 
dans  l'esprit  des  pointus  du  parti  sur  son  patriotisme  imma- 
culé :  tant  il  est  vrai  que  si  de  nos  jours  les  grands  ci- 
toyens se  font  à  bon  marché,  il  faut  peu  de  chose  aussi  pour 
les  démonétiser!  La  loi  Tinguy,  en  astreignant  les  journa- 
listes à  signer  de  leur  nom  leurs  moindres  élucubrations , 
a  prouvé  que  Le  Siècle  comptait  encore  en  1852  parmi  ses 
rédacteurs  le  personnage  qui  fait  l'objet  de  cette  notice. 

liEUGEROAWETTE,  genre  de  petits  oiseaux  d'une 
taille  svelte  et  élégante,  appartenant  à  la  famille  des  becs- 
fi  n  s.  On  les  voit  voltiger  d'ordinaire  près  des  berges ,  des 
rivières  et  des  eaux  douces ,  ou  bien  encore  à  la  suite  des 
bergers  et  des  troupeaux  :  d'où  leur  est  venu  leur  nom,  au- 
quel on  a  quelquefois  substitué  celui  de  hoche-queues, 
parce  qu'ils  remuent  incessamment ,  et  par  un  balancement 
vertical ,  cette  partie  de  leur  corps ,  qui  est  fourchue  et  beau- 
coup plus  longue  que  le  reste.  Les  caractères  génériques 
des  bergeronnettes  sont  :  un  bec  très-menu ,  droit ,  subulé  ; 
des  tarses  grêles,  très-élevés ,  avec  les  doigts  latéraux  à  peu 
près  égaux  et  notablement  plus  couils  que  le  médian  ;  des 
ailes  longues,  avec  les  trois  premières  rémiges  presque 
égales  ;  enfin ,  une  queue  longue ,  composée  de  pennes 
étroites ,  mais  très-susceptibles  de  se  développer. 

On  connaît  en  Europe  trois  espèces  de  beigeronnettes  : 
la  plus  commune  est  la  bergeronnette  jaune  (  motacilla 
Jlava  )  ;  elle  ne  porte  toutefois  cette  couleur  que  sous  le 
venire  et  vers  la  queue  ;  tandis  que  la  bergeronnette  de 
prinlempa  {motacilla  vernalis)  est  plus  jaune  qu'elle. 


puisque  cette  couleur  est  étendue  sur  tout  son  corps,  et 
forme  un  trait  au-dessous  des  yeux  en  même  temps  qu'une 
petite  bande  transversale  sur  les  ailes.  Elles  ne  peuvent 
vivre  en  cage  ni  l'une  ni  l'autre  ;  mais  la  seconde  seule 
émigré  à  l'approche  de  l'hiver.  Au  retour,  elle  fait  son  nid 
avec  beaucoup  d'art  dans  les  prairies,  ou  au  bord  des  eaux, 
sous  une  racine  de  saule  ;  sa  ponte  est  de  six  à  huit  œufs, 
tachetés  de  brun ,  sur  un  fond  blanc  sale.  La  troisième  es- 
pèce européenne  est  la  bergeronnette  grise ,  dont  le  plu- 
mage varie  avec  les  saisons. 

Les  bergeronnettes  ne  s'attachent  au  bétail  que  pour 
se  nourrir  des  insectes  qui  pullulent  autour  de  lui ,  surtout 
à  l'automne ,  et  qui ,  l'empêchant  de  paître ,  le  font  dépérir. 
Malheureusement  pour  cette  espèce  d'oiseau ,  et  plus  mal- 
heureusement encore  pour  l'agriculture,  cette  nourriture 
abondante  et  facile  que  les  bergeronnettes  trouvent  en  sui- 
vant les  troupeaux  donne  à  leur  chair  un  embonpoint  et 
une  saveur  qui  les  font  rechercher  des  gourmets ,  et  font 
employer  à  leur  chasse  et  à  leur  destruction  une  industrie 
qu'on  devrait  consacrer  au  contraire  à  leur  conservation  et 
à  leur  multiplication. 

BERGHEM  (Nicolas),  l'un  des  peintres  les  plus  célè- 
bres de  l'école  hollandaise,  né  à  Harlem,  en  1624 ,  y  reçut 
de  son  père,  peintre  assez  médiocre ,  connu  sous  le  nom  de 
Pierre  de  Harlem,  les  premières  leçons  de  son  art.  II 
continua  successivement  ses  études  sous  van  Goyen ,  "Wee- 
ninx  l'aîné  et  différents  autres  maîtres.  On  rapporte  que  son 
père,  qui  le  traitait  fort  durement,  l'ayant  poursuivi  un  jour 
jusque  dans  l'atelier  de  van  Goyen ,  où  il  s'était  réfugié , 
celui-ci ,  pour  le  soustraire  au  courroux  paternel ,  cria  vi- 
vement à  ses  autres  élèves  :  Berghem  !  ce  qui  veut  dire  en 
hollandais  cachez-le  !  et  c'est  ainsi  qu'on  explique  ce  sur- 
nom de  Berghem,  qu'il  continua  à  porter  dans  la  suite,  à 
l'exemple  de  la  plupart  des  artistes  de  cette  époque ,  qui  ne 
sont  guère  désignés  que  par  des  sobriquets,  au  lieu  de  l'être 
par  leur  nom  de  famille. 

L'amour  de  l'art ,  joint  à  l'empressement  avec  lequel  ses 
tableaux  étaient  recherchés  et  à  l'avidité  de  sa  femme,  le 
porta  à  travailler  avec  une  activité  et  une  application  infati- 
gables. On  raconte  de  lui  qu'il  avait  l'habitude  de  travailler 
en  chantant ,  et  on  ajoute  que  lorsque  sa  femme  ne  l'enten- 
dait plus ,  elle  frappait  au  plancher  de  son  atelier,  dans  la 
crainte  qu'il  se  fût  endormi.  Une  facilité  extraordinaire  lui 
rendait  le  travail  et  l'étude  agréables.  Comme  il  aimait  pas- 
sionnément les  gravures,  il  se  trouvait  souvent  obligé, 
pour  en  acheter,  d'emprunter  à  ses  élèves  de  l'argent,  qu'il 
rendait  ensuite  en  trompant  sa  femme  sur  le  produit  de  ses 
tableaux.  Il  se  lit  de  celte  manière  une  superbe  collection. 

Les  paysages  et  les  tableaux  d'animaux  de  Berghem  font 
l'ornement  des  plus  riches  galeries.  Le  mérite  de  cet  ar- 
tiste consiste  dans  la  légèreté  et  la  clarté  de  sa  manière, 
le  séduisant  de  son  coloris  et  le  naturel  de  ses  groupes. 
Quoiqu'il  ne  quittât  presque  jamais  son  atelier,  il  eut  ce- 
pendant le  temps  de  bien  observer  la  nature,  grâce  au 
long  séjour  qu'il  fit  au  cliâteau  de  Bentheim.  Des  critiques 
exigeants  pourraient  lui  reprocher  une  trop  grande  légèreté, 
peu  d'art  et  une  trop  grande  simplicité  dans  l'imitation ,  et 
désirer  plus  de  correction  dans  les  contours  et  le  dessin  de 
ses  animaux  ;  mais  ces  légers  défauts  sont  rachetés  par 
une  foule  de  qualités,  et  c'est  avec  raison  qu'on  place  Berg- 
hem au  rang  des  meilleurs  paysagistes  connus. 

Il  n'a  pas  seulement  laissé  la  réputation  d'un  peintre  ha- 
bile ,  il  s'était  aussi  exercé  avec  bonheur  dans  la  gravure. 
On  a  de  lui  des  études  à  l'eau-forte,  au  nombre  de  trente-six, 
représentant  des  brebis  et  des  chèvres,  ou  des  paysages,  dont 
les  amateurs  font  grand  cas ,  mais  qui  sont  devenues  très- 
rares.  Berghem  mourut  à  Harlem,  en  1683. 

BERGHEA^  Voyez  Berquen. 

BERGIER  (Nicolas-Sylvestre),  né  à  Darnay,  en  Lor- 
raine, le  31  décembre  1718,  et  mort  à  Paris,  le  9  avril  1799, 


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BERGTER  —  BERGMAN 


tut  successivenaent  curé  d'un  petit  village  de  Franche-Com- 
té, professeur  de  théologie,  principal  du  collège  de  Besan- 
çon, chanoine  de  la  cathédrale  de  Paris,  confesseur  de  Mes- 
dames, tan  tes  de  Louis  XVI,  membre  de  l'Académie  des  Ins- 
criptions et  Belles-Lettres,  et  l'un  des  adversaires  les  plus  im- 
placables de  la  philosophie  moderne.  Parmi  ses  innombrables 
ouvrages,  on  ne  cite  plus  guère  que  ses  Éléments  primitifs 
des  Langues,  découverts  par  la  comparaison  des  racines 
de  l'hébreu  avec  celles  du  grec,  du  latin  et  du  français; 
son  Origine  des  Dieux  du  Paganisme,sm\'ie.  des  poésies 
d'Hésiode  ;  sa  Certitude  des  Preuves  du  Christianisme, 
faussement  attribuée  à  Fréret,  puis  à  Morellet,  et  à  laquelle 
répondirent  successivement  Voltaire  et  Anacharsis  Cloots  ; 
deux  volumes  dirigés  contre  Jean-Jacques  Rousseau  ;  deux 
contre  le  baron  d'Holbach;  ses  Principes  de  Métaphy- 
sique, faisant  partie  du  cours  d'études  à  l'usage  de  l'École 
militaire  ;  et  son  œuvre  principale,  le  Dictionnaire  Théolo- 
gique, travail  qui  ne  manque  ni  d'ordre  ni  de  logique,  mais 
qui  est  écrit  d'un  style  lourd  et  diffus. 

BERGMAIV  (ïorbern-Olof),  l'un  des  plus  beaux 
noms  dont  s'honore  la  Suède,  s'est  principalement  illustré 
dans  la  chimie.  Il  naquit  à  Katharinberg  ( Westgothland ), 
le  9  mars  1735.  Sa  jeunesse  eut  cela  de  commun  avec  celle 
d'une  foule  d'hommes  célèbres,  qu'il  lui  fallut  vaincre  par 
un  enthousiasme  opmiâtre  l'opposition  de  ses  parents  à  son 
goût  pour  les  sciences.  Lorsqu'il  eut  enfin  obtenu  la  per- 
mission d'aller  les  étudier  à  l'université  d'Upsal,  avide  de 
tout  savoir,  propre  à  tout  retenir,  il  approfondit  presque 
toutes  les  branches  de  l'histoire  naturelle,  de  la  physique 
et  des  mathématiques  ;  et  cette  universalité  de  connaissances, 
sous  laquelle  un  esprit  médiocre  aurait  succombé,  fut  la 
source  où  plus  tard  il  puisa  l'excellente  méthode  et  la  so- 
lide érudition  qui  ont  présidé  à  tous  ses  travaux. 

Comme  il  avait  commencé  par  suivre  les  leçons  de  L  i  n  - 
né,  ses  premières  recherches  eurent  lieu  dans  le  domaine 
de  l'histoire  naturelle.  Il  annonça  son  talent  d'observation 
en  découvrant  que  les  sangsues  sont  ovipares,  et  que  leurs 
œufs  ne  sont  autre  chose  que  le  coccus  aquaticus ,  sub- 
stance dont  la  nature  était  encore  inconnue.  Linné ,  d'abord 
incrédule,  fut  convaincu  à  la  lecture  du  mémoire,  et  écrivit 
au  bas  ces  mots  flatteurs  :  Vidi,  et  obstupui  (Je  l'ai  vu ,  et 
j'en  ai  été  frappé  d'étonnement).  D'autres  travaux  sur  les 
insectes  et  sur  la  botanique,  et  surtout  une  méthode  pour 
classer  les  insectes  à  l'état  de  larve  ;  des  dissertations  cu- 
rieuses sur  diverses  parties  de  la  physique,  le  talent  et 
le  zèle  avec  lequel  il  suppléait  souvent  les  astronomes  de 
l'observatoire  royal  dans  leurs  observations  et  les  profes- 
seurs de  mathématiques  dans  leurs  leçons,  lui  avaient  déjà 
fait  la  réputation  d'un  savant  distingué,  lorsqu'en  1766  il 
obtint,  par  la  protection  éclairée  du  prince  Gustave  (de- 
puis Gustave  111  ),  alors  chancelier  de  l'université,  la  chaire 
de  chimie  et  de  minéralogie,  devenue  vacante  par  la  retiaite 
de  Wallerius. 

Libre  de  préjugés,  parce  qu'il  avait  appris  la  chimie  sans 
maître,  habitué  aux  méthodes  rigoureuses  des  géomètres, 
Bergman  résolut  de  bannir  de  la  science  tout  esprit  de  sys- 
tème, et  de  ne  marcher  qu'appuyé  sur  l'observation  des  faits. 
11  a  consigné  ses  vues  à  cet  égard  dans  un  beau  Discours 
sur  la  recherche  de  la  vérité,  où  il  distingue  la  méthode 
cartésienne  ou  contemplative  et  la  méthode  newtonienne 
ou  expérimentale.  C'est  cette  dernière  qui  le  conduisit  bien- 
tôt à  de  grandes  découvertes  et  lui  lit  considcier  comme 
son  premier  devoir  d'agrandir  le  laboratoire ,  d'y  réunir 
tous  les  moyens  d'expérimentation  connus  et  d'y  former 
de  vastes  collections  minéralogiques  rangées  méthodique- 
ment. Le  premier,  il  reconnut  que  l'acide  dont  Blake  avait 
signalé  la  présence  dans  les  terres  calcaires  était  un  acide 
particulier,  qu'il  nomma  acide  aérien  (aujourd'hui  l'acide 
carbonique).  En  faisant  bouillir  de  l'acide  nitrique  sur 
le  sucre ,  la  gomme ,  et  d'autres  matières  végétales,  il  pro- 


duisit Vacide  oxalique,  précieux  réactif  pour  constater 
la  présence  de  la  chaux.  Par  l'IiaLile  emploi  de  réactifs  inu- 
sités il  fit  (!e  Yannhjse  des  eaux  minérales  un  art  nouveau; 
il  y  découvrit  le  gaz  hydrogène  sulfuré,  qu'il  appelait  gaz 
hépatique.  En  même  temps  il  formait,  par  la  synthèse, 
des  eaux  minérales  factices,  et,  malgré  les  obsta- 
cles que  rencontre  presque  toujours  la  plus  utile  nouveauté 
dans  la  prévention  de  l'ignorance,  il  en  propageait  l'usage 
par  la  persévérance  de  ses  conseils.  Il  émit  dans  ses  recher- 
ches sur  les  eaux  minérales  l'opinion  que  le  cal  crique  est 
un  fluide  comme  l'électricité. 

Jusqu'à  lui  on  n'avait  essayé  les  minéraux  que  par  la 
voie  sèche;  il  fit  voir  que  l'analyse  par  voie  humide  était  le 
seul  moyen  d'arriver  à  la  connaissance  complète  de  leur 
nature.  Ce  n'était  pas  qu'il  conseillât  de  renoncer  à  l'an- 
cienne méthode  ;  au  contraire,  après  l'avoir  perfectionnée,  il 
la  combinait  avec  bonheur  à  la  nouvelle  pour  attaquer  les 
pierres  précieuses,  et  faire  ainsi  connaître  les  principaux 
éléments  de  l'émeraude,  de  la  topaze,  du  rubis-spinelle,  du 
saphir,  etc.  C'est  lui  qui  a  presque  créé ,  tant  il  l'a  dévelop- 
pée, la  chimie  du  chalumeau,  de  cet  instrument  si  utile 
par  les  connaissances  préliminaires  qu'il  donne  au  chimiste 
pour  se  diriger  dans  ses  opérations.  Tous  ces  travaux  le 
conduisirent  à  une  classification  chimique  des  minéraux, 
où  les  genres  ont  pour  caractère  la  substance  dominante  du 
morceau;  la  différence  des  parties  intégrantes  constitue 
les  espèces ,  et  les  variétés  sont  déterminées  par  la  forme 
extérieure.  Personne  n'avait  encore  réuni  tant  d'éléments 
pour  une  bonne  classification  ;  car  le  premier ,  appliquant 
la  géométrie  aux  formes  des  minéraux,  il  posa  la  base  de  la 
cristallographie.  11  a  jeté  sur  les  opérations  sidéra- 
giques  une  vive  lumière,  en  démontrant  que  la  supériorité 
des  aciers  retirés  des  fontes  blanches  était  due  à  la  présence 
du  manganèse  ;  que  le  fer  obtenu  en  grand  dans  les  forges, 
loin  d'être  pur ,  renfermait  toujours  plusieurs  corps  en  al- 
liage ,  et  que  les  fers  cassants  à  froid  devaient  leur  fragilité 
à  la  sidérite,  substance  qu'il  croyait  être  un  métal  nouveau 
et  qu'on  a  reconnu  plus  tard  pour  du  phosphure  de  fer. 

La  théorie  des  affinités,  créée  par  Geoffroi  en  1718,  avait 
été  le  premier  pas  fait  pour  asseoir  la  chimie  sur  des  bases 
vraiment  philosophiques.  Bergman,  reprenant  cette  idée 
de  génie,  se  l'appropria  en  quelque  sorte  par  une  masse 
immense  d'expériences,  et  publia  des  tableaux  où  tous  les 
corps  étaient  classés  dans  leurs  rapports  mutuels,  et  où 
les  phénomènes  chimiques  sont  présentés  comme  des  mo- 
difications de  la  grande  loi  qui  régit  l'univers,  quoique  sou- 
mis à  un  ordre  particuUer  d'attractions  qu'il  appelle  élec- 
tives. Toujours  attentif  à  rapprocher  la  chimie  des  mathé- 
matiques, il  exprimait  par  des  formules  toutes  les  opérations 
chimiques;  idée  nouvelle  et  heureuse  qu'ont  fécondée  de- 
puis les  travaux  des  chimistes  modernes ,  et  surtout  ceux 
de  son  compatriote  Berzélius. 

Bergman  avait  adopté  les  idées  ingénieuses,  mais  erro- 
nées, de  son  ami  Scheele  sur  le  phlogistique;  aussi 
a-t-il  montré  plus  de  talent  pour  la  découverte  des  faits  que 
pour  l'exphcation  des  phénomènes.  Ses  écrits  sur  la  géolo- 
gie, quoique  très-remarquables ,  ne  peuvent  que  confirmer 
ce  jugement.  Il  a  publié  une  Description  physique  de  la 
terre,  estimable  par  l'ordre  dans  lequel  les  faits  sont  pré- 
sentés ,  et  surtout  par  les  aperçus  géologiques  qu'il  donne 
sur  plusieurs  pays.  Il  chercha  dans  l'analyse  de  tous  les 
produits  volcaniques  et  des  eaux  minérales  qui  sourdent 
près  des  volcans  l'explication  de  ces  terribles  phénomènes, 
et  se  crut  en  droit  de  conclure  que  les  foyers  des  volcans 
ne  sont  pas  à  une  grande  profondeur ,  mais  seulement  dans 
les  couches  déposées  sur  le  noyau  du  globe,  et  que  les  in- 
cendies souterrains  sont  dus  à  la  décomposition  des  pyrites. 
Enfin,  il  voulut  relier  en  un  faisceau  les  connaissances  de 
tout  genre  qu'il  avait  acquises  sur  la  physique  de  notre  pla- 
nète ,  et  formula  un  Système  de  la  Terre  basé  sur  cette 


BERGMAN  —  BERING 


fijpollièse,  que  l'oau  enveloppait  primitivement  le  noyau  , 
proi»bloiueut  magnétique,  liu  globe;  que  cette  eau  con- 
tenait tous  les  éléments  des  sulistaiices  solides  plus  ou 
moins  parfaitement  dissous,  et  que  la  quantité  de  ce  fluide 
a  toujours  été  en  diminuant  par  une  lente  évaporation,  qui 
accroissait  proportionnellement  l'étendue  des  terres. 

Bergman  fut.  longtemps  recteur  de  l'université  d'Upsal. 
C'était  alors  ,  au  milieu  de  la  Suède,  une  espèce  de  repu- 
blique, Gère  de  ses  privilèges  et  puissante  par  ses  posses- 
sions. Deux  grands  partis  s'y  disputaient  l'empire,  les  phy- 
siciens et  les  naturalistes  d'une  part,  le^  théologiens  et  les 
jurisconsultes  de  l'autre.  Par  une  exception  bien  honorable, 
la  magistrature  de  Eergmau  ne  fut  point  troublée  par  la 
guerre  civile.  Ces  hommes  irascibles,  qui  auraient  bravé 
volontiers  la  rigueur  des  règk>raents,  furent  subjugués  par 
leur  respect  pour  son  génie  et  leur  attachement  pour  son 
caractère.  Trop  souvent  les  honnnes  de  talent  font  preuve 
(i'ime  mesquine  jalousie  envers  leurs  rivaux  ;  UKiis  tout  ce 
«jui  avait  un  caractère  de  grandeur  et  d'utilité  trouvait  dans 
liergman  un  sincère  admirateur.  La  postérité  n'a  pas  oublie 
«lu'il  prononça  avec  une  égale  impartialité,  devant  l' Acadé- 
mie de  Stockholm,  l'éloge  de  Wallerius,  sou  plus  grand  en- 
nemi, et  celui  de  Swab,  le  plus  cher  de  ses  amis.  Une  de  ses  plus 
heureuses  découvertes  est  assurément  celle  qu'il  lit  de  l'il- 
lustre Scheele  dans  la  boutique  d'un  apothicaire,  et  l'on 
ne  saurait  trop  louer  l'ardeur,  le  désintéressement,  avec  les- 
tpiels  il  mit  en  lumière  cette  mine  inconnue  et  déjà  si  riche. 
Lnissant  tant  de  vertus  à  tant  de  génie,  et  marié  à  une 
lémme  charmante,  qui  pour  lui  piaire  s'associait  ix  ses  goûts, 
pouvait-il  ne  pas  être  heureux?  A  vou'  l'immeiise  hste  de  ses 
travaux,  on  dirait  qu'il  a  vécu  de  longues  années;  cepeu- 
tlant,  épuisé  par  cette  prodigieuse  focoudité,  il  est  maita\aut 
l'âge  de  cinquante  ans,  eu  17b4.  —  Condorcel  et  \'icq 
d'Azyr  ont  fait  sou  éloge.  A.  Des  GîiMiVEZ. 

BERti-01*-Z00Ai  {Bergen-op-Zoum),  place  forte  de 
la  province  hollandaise  du  Brabant  septeutrional ,  à  4  myria- 
mètres  au  nord  d'Anvers ,  bâtie  à  l'embouchure  du  Zoom , 
j>etite  rivière  qui  se  jette  dans  l'Escaut  oriental,  avec  lequel 
la  ville  communique  par  un  canal  et  un  bon  port.  On  y 
compte  7,000  habitants,  dont  la  principale  industrie  consiste 
dans  la  fabrication  des  poteries  Unes,  des  briques  et  tuiles, 
et  dans  la  préparation  des  anchois  dont  la  pèche  a  heu 
«lans  l'Escaut.  On  voit  à  Berg-op-Zoom  un  vieux  château 
avec  une  tour  s'élargissant  extérieurement  et  que  le  vent  fait 
remuer,  un  bel  hôtel  de  ville,  trois  églises,  un  collège,  une 
école  de  dessin  et  d'architecture. 

Berg-op-Zoom  (  Bajorzuna  ou  Bercizoma  )  fut  prise 
en  bSO  par  les  Normands ,  et  entourée  de  umrailles  créne- 
lées au  treizième  siècle  comme  chef-lieu  de  la  seigneurie 
du  comte  Gerhard  de  ^\ esemaele.  Le  maïquisat  de  Berg- 
op-Zoom  fut  confisqué  par  Marguerite  de  Parme,  gouver- 
nante des  Pays-Bas.  En  1576  cette  ville  accéda  a  l'union  des 
Provinces-Unies  ;  et  l'année  d'après,  quand  la  garnison  es- 
jiagnole  en  eut  été  expulsée,  elle  fut  entourée  de  iortitica- 
tious.  Pour  plus  de  sûreté,  on  y  éleva  eu  1628  du  côté  du 
bud  un  camp  retranché,  et  au  moyen  de  trois  forts  on  éta- 
blit une  comnumication  avec  le  Sleenbergen,  situé  à  l'est. 
Vn  Itiss  et  il').l  on  ajouta  encore  de  nouveaux  travaux  de 
ileionse  aux  fortilications  déjii  existantes,  de  manière  à 
rendre  cette  place  presque  imprenable. 

L  hnportance  stratégique  de  Berg-op-Zoom  excita  à  di- 
verses reprises  les  Esi)ag!iols  à  essayer  de  s'en  emparer. 
En  1 583  cette  ville  ouvrit  volontairement  ses  portes  au  duc 
(r.\lonçon ,  qui  l'occupa  pendant  quelque  temps  pour  la 
France  ainsi  que  quelques  autres  villes  de  Flandre ,  à  titre 
d'ami  des  l*rovinces-Uuies.  En  15SS  le  duc  de  Parme  en 
tenta  inutilement  le  siège.  En  1597  la  vigilance  des  trou- 
pes des  Pays-Bas  déjoua  un  projet  de  surprise  conçu  pai* 
i'archidnc  Albert  pour  s'en  enqiarer.  Trois  attaques  tentées 
[lar  les  Espagnols,  en  mars,  août  et  septembre  1605,  échouc- 
niCT.  d;;  la  coNvriis    —  t.  ni. 


rent  également.  II  en  fut  d.î  vatmc  du  sirge  entrepris  en  l  ivn 
par  le  marquis  de  Spinola,  qui,  après  soixante-dix-huit 
jours  de  tranchée  ouverte  et  après  avoir  perdu  plus  de 
10,000  îiommes,  dut  le  lever  j)ar  suite  de  l'arrivée  du 
prince  Maurice  d'Orange. 

Les  Français  furent  plus  heureux  en  1747.  Après  deux 
mois  de  siège  le  maréchal  de  Ld'wendal  s'en  empara.  Les  as- 
siégeants avaient  fait  jouer  quarante  et  une  mines  et  les  as- 
siégés trente-huit.  Mais  à  la  paix  Berg-op-Zoom  fut  rendue 
aux  Hollandais.  Dans  l'hiver  de  171)5  Pichegru  contraignit 
cette  place  à  capituler.  Incorporée  à  la  France  à  partir  de 
1810  ,  elle  fut  bloquée  en  1814  par  les  Anglais,  qui  dans  la 
nuit  du  9  mai's  essayèrent,  avec  4,000  hommes  commandés 
par  Goorer,  une  surprise,  que  l'héroïque  bravoure  de  la  gar- 
nison française  déjoua  con)p!étement.  Ce  ne  fut  que  la  paix 
de  Paris  qui  la  replaça  sous  les  lois  de  la  Hollande. 

CEîllBEÎlI ,  nom  d'une  maladie  encore  assez  mal 
conn;ie  et  endémique  aux  Indes,  notamment  dans  l'île  de 
Ceylan  et  sur.la  côte  de  .Malabar.  11  arrive  le  plus  souvent 
que  les  malades  y  succombent  eu  vingt-quatre  ou  trente 
heures,  et  quelquefois  même  en  moins  de  six  heures;  il 
n'est  pas  rare  cependant  d'en  voir  dont  les  soufhances  se 
prolongent  trois  el  même  quatre  semaines.  Lorsque  la  gué- 
rison  a  lieu ,  rien  de  plus  fréquent  que  les  rechutes ,  alors 
toujours  moitelles.  Les  indigènes  ne  sont  pas  moins  sujets 
à  cette  maladie  que  les  étrangers  lorsqu'ils  habitent  déjà  de- 
|)uis  quelques  mois  un  district  où  sévit  le  lléau.  On  a  re- 
m:u"qué  (jue  ses  apparitions  sont  plus  fréquentes  pendant  la 
dimiimlion  des  moussons,  et  qu'elles  sont  provoquées  par 
les  brusques  changements  de  température  d'une  atuîosphère 
chargée  d'humididé. 

IWlMl^.Votiez  BÉKYL. 

BÉÎIÎLÎSTÎQUE.  Les  anciens  nommaient  ainsi  un  pré- 
tendu art  magique,  consistant  à  tirer  des  augures  des  ap- 
parences extraordinaires  obtenues  à  l'aide  d'une  espèce  de 
miroir  qu'ils  appelaient  ôenWi. 

BEIUA'G  ou  BEHRING  (ViTus),  né  à  Korsens,  dans 
le  Jutland ,  commença  à  naviguer  pour  sa  patrie  dans 
les  Indes  orientales,  où  il  acquit  la  réputation  d'un  excel- 
lent marin.  Entré  au  service  de  Pierre  le  Grand,  alors  que 
la  marine  de  Cronstadt  était  encore  au  berceau,  il  se  distingua 
comme  lieutenant  et  comme  capitaine  dans  toutes  les  expé- 
ditions navales  contre  la  Suède.  Plus  tard  son  intrépidité  et 
ses  talents  lui  méritèrent  l'honneur  d'être  choisi  |)our  com- 
mander l'expédition  de  découveries  que  la  Bussie  envoya 
dans  les  mers  de  Kamtschatka. 

La  reconnaissance  de  toutes  les  côtes  septentrionales  de 
cette  grande  presqu'île,  jusqu'au  67"  18',  et  les  premières 
preuves  de  la  séparation  des  deux  continents  d'Asie  et  d'.\- 
mérique,  furent  le  résultat  de  ce  voyage,  terminé  en  1728  ; 
mais  la  question  de  savoir  si  les  terres  dont  oa  avûil  une 
connaissance  vague,  à  l'opposé  de  la  côte  du  Kamtschatka, 
faisaient  partie  de  l'Amérique ,  ou  si  elles  n'étaient  que  des 
lies  intermédiaires  entre  les  deux  continents,  n'était  point 
encore  résolue  :  Bering  fut  chargé  de  la  décider.  H  partit 
le  4  juin  1741,  avec  deux  vaisseaux.  Après  avoir  aborde  la 
côte  nord-ouest  de  l'Amérique,  entre  55"  et  60"  de  longitude 
nord,  les  tempêtes  et  le  scorbut  l'empêchèrent  de  pour- 
suivre ses  découvertes.  Il  fut  jeté  loin  de  sa  route  sur  l'iie 
déserte  d'Awatscha,  qui  porte  aujourd'hui  son  nom.  Lu 
neige  couvrait  alors  celte  terre  stérile  et  sans  abri.  Bering 
était  dangereusement  malade;  il  fut  porté  à  terre,  et  placé 
dans  une  fosse  creusée  entre  deux  monticules  de  sable,  et 
couverte  d'une  voile.  C'est  dans  cette  espèce  de  tombeau  que 
mourut  l'infortuné  commandant,  le  8  décembre  1741. 

La  postérité  a  donné  le  nom  de  Bering  au  détroit  qui  sé- 
paie  l'Asie  de  l'Amérique ,  et  dont  Cook  a  achevé  la  lecou- 
naissance. 

BÉPiîKG  (  Détroit  de  ),  appelé  aussi  détroit  d'Anian ,  et 
encore,  par  les  Anglais,  détroit  de  Cook.  C'est  le  détroit  qij 


28  BERING  — 

S(^l>arè  la  côlc  occidentale  de  l'Atiiorique  septentrionale  ,  de 
la  <:ôle  oiienlale  de  l'Asie. 

Le  premier  voyaf^eiir  qui  constata  que  le  continent  améri- 
cain est  séparé  fin  continent  asiaticjue  Uit  le  Kosak  Oosclmef, 
lequel,  en  UJ'iS,  partit  de  l'nn  des  ports  de  la  Sihoiie  situes 
dans  l'océan  Polaire,  et  pénétra  dans  la  mer  du  Kamts- 
c  h  at  ka  par  un  canal  séparant  ces  deux  parties  du  monde. 
Toutel'ois,  cetaiirutlons^tempstonu  pourfahuienx  par  lesEu- 
ropi'ens,  jnsciu'à  ce  qu'il  eut  été  confirmé  en  172f4  par  le  té- 
moignage de  Beri  n{^,  quidonna  son  nonià  ce  détroit.  Plus 
tard,  en  1778,  !e  capitaine  Cook  le  visita  éj^aleiUL-nt.  Dans 
sa  moindre  lari^tMir,  par  06"  de  latitude  septentrionale,  il  n'a 
jtas  plus  (le  74  kilomètres;  mais  par  69"  sa  largeur  est  déjà 
de  .555  kilomètres.  Au  centre,  il  a  de  vingt-neuf  à  trente 
brasses  de  prolondeur;  et  cette  profondeur  diminue  à  me- 
r.ure  qu'on  appro(;lit!  des  côtes,  mais  plus  sensiblement  sur 
la  côte  américaine  que  sur  la  cote  asiatique.  Entre  les  deux 
caps  de  Tclionkoltsk  et  du  Prince-de-Galles,  où  il  est  le  plus 
resserré,  et  près  du  cercle  polaire,  ce  détroit  est  souvent 
fermé  par  les  glaces. 

On  a  aussi  donné  le  nom  de  mer  de  Bering  h  cette  partie 
(le  l'océan  Pacifique  qui  s'étend  de  100°  de  longitmle  orien- 
tale a  160°  de  longitude  occidentale,  et  de  52°  à  66°  <li!  lati- 
tude septentrionale,  entre  le  Kamtscliatka  à  l'ouest,  l'Amé- 
rique à  l'est, ^et  les  Iles  Aléoutes  au  sud. 
liFR5^'GS^l\E.  Voijez  AunenciNE. 
lîÉlUOT  (  CnARLES-AtJGusTE  de),  l'un  des  plus  babiles 
violons  de  notre  époque,  est  né  le  20  fiivrier  1S02,  à  Louvain, 
où  il  reçut  sa  première  instruction  musicale  de  M.  ïiby, 
professeur  de  musique,  qui  fut  son  tuteur  et  son  second  père. 
il  resta  dans  sa  ville  natale  jusqu'à  l'Age  de  dix-neuf  ans, 
et  vint  à  Paris  en  1821,  pour  y  continuer  ses  études  sous  la 
direction  de  lîaillot.  Mais  il  ne  fréquenta  que  fort  peu  de 
temps  le  Conservatoire,  et  ne  tarda  pas  à  suivre  sa  propre 
direction,  avec  tant  de  bonbein"  qu'il  put  se  faire  entend.-e 
en  môme  temps  (|ue  Paganini  lors  du  premier  début  de  ce 
grand  artiste  a  Paris.  Quand  Bériot  revint  de  Paris  dans 
son  pays  natal,  il  reçut  du  roi  des  Pays-Bas  le  titre  de  pre- 
mier musicien  de  sa  cbambre,  avec  une  pension  de  2 ,000  flor. , 
que  les  événements  de  1830,  en  amenant  la  séparation  de 
la  Belgique  et  de  la  Hollande,  lui  firent  perdre. 

Ayant  peu  après  cette  époque  contracté  une  liaison  in- 
time avec  la  célèbre  iMalibran,  il  la  suivit  dans  les  dif- 
férentes villes  où  elle  se  lit  entendre,  donnant  lui-même 
des  concerts  qui  obtenaient  le  plus  grand  succès.  Revenu 
avec  elle  à  Paris,  en  1836,  il  l'épousa  aussitôt  qu'elle  fut 
parvenue  à  l'aire  rompre  son  premier  mariage,  et  partit  de 
nouveau  avec  elle  pour  l'Angleterre,  on  il  eut  le  mallicur  de 
la  (leidre  au  bout  de  quelques  mois.  De  retour  sur  le  con- 
lini-nt ,  il  se  fi\a  dans  son  pays  natal ,  où  il  avait  acquis  une 
belle  [)ropriété.  Il  y  a  dei)uis  contracté  un  nouveau  ma- 
riage. 

Lors  delà  mort  de  B  a  i  1 1  o  t ,  il  fut  un  instant  question  de 
Bériot  pour  le  remplacer  au  Conservatoire  de  Paris;  mais 
f)U  jugea  peut-être  avec  raison  qu'il  était  préférabledeclioisir 
à  ce  grand  maître  un  successeur  qui  continuât  son  école. 
JJériot  en  lut  dédommagé  parla  place  de  professeur  an  Con- 
servatoire de  Bruxelles,  (|nil  atlepuiscédée  à  Léonard,  qui, 
afirès  Vieuxtemps,  est  le  plus  distingué  de  ses  élèves.  Bériot 
a  publié  beaucoup  d'airs  variés,  (]ui  ont  obtenu  un  grand 
succès  ;  et  pour  répondre  au  lepiocbe  qu'on  lui  faisait  de 
se  borner  à  un  genre  si  mescpùn  et  si  unilorme,  il  a  fait 
entendre  des  concertos  et  autres  pères,  qui  prouvent  son 
talent  de  compositeur.  Mais  c'est  surtout  comme  exécutant 
de  premier  ordrqfiu'il  mérite  d'être  remanpié,  et  c'est  aussi 
sous  ce  rapjiort  (\\i"û  a  fait  école.  Dans  l'andante  son  jeu 
est  plein  de  grandem-  et  d'expression  ;  dans  les  morceaux 
de  vivacité,  il  montre  de  la  finesse,  de  l'originalité,  une 
parfaite  connaissance  du  mécanisme  de  l'instrument  et 
surtout  de  la  conduite  de  l'archet,  ce  qui  fait  qu'on  oublie 


BERKELEY 

volontiers  certams  traits  et  certaines  formules  que  les  véri- 
tables connaisseurs  ne  trouvent  pas  toujours  d'un  goUt  irré- 
prochable. 

BERKELEY  (Georges),  le  vertueux  et  savant  évêqne 
de  Cloyne,  si  connu  par  le  système  philosophique  auquel 
on  donne    le    nom   iVidéalisme  de  Berkeley ,  éiàll  né  à 
Kilcrin,  en  Irlande,  le  1 2  mars  1084.  Après  avoir  reçu  la  pre-    J 
inière  partie  de  son  éducation  à  l'école  de  Kilkenny,  il  fut    " 
admis  comme  pensionnaire  au  collège  de  La  Trinité  de  Du- 
blin, à  l'ûge  de  quinze  ans;  et  en  1707  il  obtenait  le  titre 
ou  degré  de  fcllow   dans   ce  même  collège.  La  première 
preuve  publique  qu'il  donna  de  l'étendue  de  ses  connais-' 
sances  scientifiques  et  littéraires  fut  son  Arithmetica  absque 
Algebra  mit  Huclide   demonstrata.  On  voit  par  la  pré- 
face placée  en  tête   de  cet  ouvrage  qu'il  le  composa  à  l'âge 
de  vingt  ans,  bien  qu'il  n'ait  vu  le  jour  qu'en  1707.  Il  le  fit 
suivre  de  A  Mathematical  Miscellany,  contenant  des  ob-    ' 
servations  et  des  théorèmes  dédiés  à  son  pupille  Samuel 
Molynenx. 

En  1709  parut  la  Theory  of  Vision,  qui  de  tous  ses  ou- 
vrages semble  être  celui  qui  fait  le  plus  d'honneur  à  sa  saga- 
cité ;  car,  ainsi  qu'on  l'a  déjà  fait  observer,  ce  fut  la  première 
tentative  faite  pour  distinguer  les  objets  naturels  et  immé- 
diats de  la  vue,  des  conclusions  que  nous  sommes  habitués 
dès  l'enfance  à  en  déduire.  La  limite  qui  sépare  les  idées 
de  la  vue  et  du  toucher  y  est  marquée  avec  une  admirable 
précision  ;  et  l'auteur  démontre  que  bien  que  l'habitude  ail 
telhMiient  associé  ces  deux  classes  d'idées  dans  l'esprit  qu'il 
faille  ensuite  un  violent  effort  pour  les  séparer  l'une  de  l'autre, 
elles  n'ont  pourtant  pas  à  l'origine  cette  liaison  entre  elles  ; 
qu'au  contraire  une  personne  aveugle  de  naissance  qui 
recouvrerait  subitement  la  vue  serait  d'abord  complètement 
liors  d'état  de  dire  comment  im  objet  quelcpjKpie  qui  affecte 
sa  vue  pourrait  affecter  son  toucher  ;  et  en  particulier  (jue 
la  vue  no  pourrait  lui  donner  aucune  idée  de  la  distance  oii 
de  l'espace  externe;  mais  qu'elle  s'imaginerait  quêtons  les 
objets  sont  dans  son  œil ,  ou  plutôt  dans  son  esprit. 

Les  Principles  of  human  Knowledge  furent  publiés  en 
1710,  et  les  Dialogues  between  Hylns  and  Pkilonoûs  en 
1713.  Le  but  de  ces  deux  dissertations  est  de  démontrer  la 
fausseté  de  la  notion  généralement  admise  de  l'existence  de 
la  matière  ;  et  que  les  objets  sensiblement  matériels,  comme 
on  les  appelle,  ne  sont  point  externes  à  l'esprit,  mais  exis- 
tent en  lui  et  ne  sont  rien  plus  que  l'action  immédiate  de 
Dieu,  suivant  certaines  règles  qualifiées  de  lois  de  la  na- 
ture. Ce  scepticisme  touchant  la  réalité  du  monde  corporel 
a  sa  source  dans  la  doctrine  philosophique  qui  veut  que  l'es- 
prit, être  immatériel,  ne  puisse  percevoir  directement  les 
choses  matérielles,  m.iis  seulement  les  idées  de  ces  choses. 
De  là  le  nom  iVidéalisme  donné  au  système  de  Berkeley, 
qui  une  fois  admis  comme  vrai  e^t  inattaquable.  Car  si 
tout  ce  que  nous  percevons  sont  des  idées,  ces  idées  n'ayant 
pas  d'existence  hors  de  notre  esprit,  il  s'ensuit  que  le 
monde  matériel  n'est  i)lus  qu'une  hypothèse,  dont  il  devient 
à  jamais  impossible  de  vérifier  la  réalité.  Mais  ce  principe 
est-il  vrai?  Reid  démontre  qu'il  doit  être  jugé  absurde  par 
quiconque  n'a  pas  l'esprit  faussé  par  les  rêveries  métaphy- 
siijues.  Il  serait  bien  diflitile  de  prouver  à  un  homme  libre 
de  tout  système  <pie  le  soleil,  que  la  lune,  la  mer,  la  terre, 
tous  les  objets  immédiats  dont  il  a  connaissance,  ne  sont  que 
des  idérs  de  son  esprit  et  cessent  d'exister  du  moment  où  il 
cesse  d'y  penser.  Ce  système,  que  combat  le  sejis  commun, 
Berkeley  l'a  défendu  non-seulementcomme  vrai,  mais  encore 
comme  d'une  haute  importance  pour  la  religion.  Dans  sa 
préface  des  Dialogues  entre  Hylas  et  Philonoùs ,  il  déclare 
que  les  conséquences  immédiates  des  principes  qu'il  va  dé- 
velopper .seront  la  ruine  de  l'athéisme  et  du  scepticisme. 
Force  nous  est  bien  de  convenir  qu'avec  celte  doctrine  il 
n'y  a  plus  de  matérialisme  possible,  puisqu'elle  ne  laisse 
plus  rien  subsister  de  la  réalité  corporelle;  mais  toutes 


BKRKELEY 

<<»s  vérités  étant  solidaires ,  la  doctrine  de  Berkeley  est  en 
realité  plus  nuisible  qu'utile  aux  idées  religieuses. 

La  finesse  des  aperçus  et  la  beauté  de  l'iinagination  sont 
si  remarquables  dans  les  œuvres  de  Berkeley,  que  sa  répu- 
tation fut  désormais  fondée  et  que  chacun  recheicha  sa 
compagnie.  Les  houimes  des  partis  les  plus  opposés  s'accor- 
Jèrent  pour  le  recommander.  Il  rcilif;,ea  pour  Steele  quel- 
ques articles  dans  The  Guardian^  et  il  reçut  chez  lui  Po|h; 
dont  il  resta  toujours  l'ami  depuis.  Swift  le  reconmianda 
au  célèbre  comte  de  Peterborougli,  qui,  lorsqu'il  fut  nommé 
ambassadeur  près  le  roi  des  Deux-Siciles  et  les  différents 
Étals  ilaliens,  emmena  avec  lui  en  1713  Berkeley  à  titre  de 
clia|)elain  et  de  secrétaire.  Il  revint  en  Angleterre  avec  ce 
seigneur,  l'année  suivante. 

Les  espérances  d'avancement  qu'il  avait  pu  concevoir 
ayant  été  déçues,  par  suite  de  la  chule  du  ministère  de  la 
reine  Anne,  il  accepta  à  peu  de  temps  de  là  l'offre  que  lui 
St  Ashe,  évoque  de  Clogher,  d'accompagner  son  fils  dans 
un  voyage  en  Europe.  Il  y  consacra  cinq  années  de  sa  vie  ; 
et  indépendamment  des  endroits  que  tout  voyageur  ne 
manque  jamais  et  qu'il  est  même  tenu  de  visiter,  il  alla  en 
voir  beaucoup  d'autres  où  ne  pénètre  jamais  le  servum  pe- 
Cîis,  recueillant  en  route  avec  une  admirable  industrie  des 
matériaux  pour  une  histoire  naturelle  des  contrées  par  lui 
parcourues;  malheureusement  il  les  perdit  dans  la  traversée, 
en  se  rendant  à  Naples.  On  trouve  partout  l'anecdote  suivant 
laquelle,  à  son  passage  à  Paris,  en  1715,  Berkeley  serait 
allé  rendre  visite  àMalebranche,  qu'il  trouva  malade  d'une 
fluxion  de  poitrine.  La  discussion  ne  s'en  établit  pas  moins 
entre  les  deux  penseurs,  et  Malebranche,  dit-on,  y  apporta 
une  telle  vivacité  eu  combattant  les  idées  de  Berkeley  sur 
l'inunatérialisnie,  que  son  mal  augmenta  au  point  qu'il  en 
mourut  quelques  jours  après.  Quelle  mort  pour  un  philo- 
sophe !  C'est  là  le  cas  de  dire  :  Si  non  e  vero,  e  ben  trovato. 
Il  était  de  retour  avec  son  élève  en  Angleterre  en  1721.  Il 
faut  savoir  qu'à  ce  moment  les  esprits  n'étaient  pas  moins 
hallucinés  sur  les  bords  de  la  Tamise  que  sur  ceux  de  la  Seine, 
et  que  de  l'un  et  l'autre  côté  du  détroit  on  se  livrait  avec  l'en- 
tratnementleplusstupide  à  un  monstrueux  agiotage  sur  les 
actions  de  la  Compagnie  de  la  mer  du  Sud.  Témoin  des  mi- 
sères individuelles  et  de  la  démoralisation  générale  qui 
étaient  le  résultat  de  celle  aberration,  il  publia  dès  la  môme 
année  son  ^ssoy  towards preventing  theruinof  Great-Bri- 
tain  (  Essai  sur  les  moyens  de  prévenir  la  ruine  de  la  Grande- 
Bretagne),  réimprimé  depuis  dans  ses  jlifjsceZZfljjeoîw  Tracts. 

A  partir  de  te  moment  les  portes  de  la  plus  grande  com- 
pagnie s'ouvrirent  devant  lui.  Pope  le  présenta  à  lord  Bur- 
lington, lequel  le  recommanda  au  duc  de  Grafton  ,  nommé 
tout  récemment  lord  lieutenant  d'Irlande;  et  celui-ci  en  1731 
admit  Berkeley  au  nombre  de  ses  chapelains,  il  consacra 
les  derniers  six  mois  de  cette  même  année  1731  à  se  faire 
recevoir  d'abord  bachelier,  puis  docteur  en  théologie;  et 
l'année  suivante  la  mort  de  mistriss  Vanhomrigh,  si  connue 
par  son  attachement  pour  Swift,  fut  très-inopinément  pour 
lui  la  source  d'un  accroissement  de  fortune.  Cette  dame  avait 
^d'abord  eu  l'intenticn  d'instituer  pour  héritier  l'homme 
qu'elle  aimait  ;  mais  s'étant  aperçue  qu'il  l'avait  trompée  pour 
Stella  Johnson,  elle  déshérita  l'inlidèle,  et  partagea  sa  fortune, 
montant  à  8,000  liv.  st.  (  200,000  fr.),  entre  ses  deux  exécu- 
teurs testamentaires.  Berkeley  ,  qu'elle  ne  connaissait  que 
parce  qu'il  lui  avait  été  présenté  dans  le  temps  par  Swift,  était 
l'un  d'eux.  En  1724  il  obtint,  par  le  crédit  du  duc  de  Grafton, 
le  doyenné  de  Derry,  valant  1,100  liv.  st.  (27,500  fr.)  de 
rente.  Il  s'était  marié,  et  des  lors  sa  carrière  paraissait 
fixée,  lorsqu'en  1728,  tourmenté  du  désir  de  convertir  au 
christianisme  les  sauvages  d'Amérique,  il  s'embarqua  pour 
Khode-Island,  où,  sous  la  dénomination  de  collège  de 
Saint- Paul,  il  fonda  un  établissement  destiné  à  devenir  l'ins- 
trument et  le  moyen  de  cette  conversion.  Mais  les  ressources 
sur  lesquelles  il  avait  compté  lui  ayant  lait  défaut,  force  lui 


■2  1 
fut  de  s'en  revonir  en  Angleterre ,  en  1732,  après  avoir 
perdu  dans  cette  pieuse  entreprise  une  Durtie  de  .son  avoir. 

Cette  même  année  1732  il  publia  Alciphron,  or  the 
minute  philo<;opher  (2  vol.  in-8"),  ouvrage  spécialement 
dirigé  contre  les  libres  penseius.  L'année  suivante  il  fut 
nommé  évéquc  deCloyne;  et  en  1745  loni  Cheslertield  lui 
offrit  de  le  faire  nommer  à  Tévôclié  de  Glogher,  auquel 
étaient  attachés  <les  revenus  bien  plus  considérables.  Mais 
Berkeley  refusa.  Il  résida  constamment  à  Cloyne,  où  il  s'ac- 
quitta avec  la  plus  grande  conscience  de  tous  ses  devoirs 
épi.scopaux,  sans  pour  cela  renoncer  à  ses  études  favorites. 

C'est  vers  cette  époque  qu'il  engagea  avec  quelques  ma- 
thématiciens une  controverse  qui  excita  la  plus  viveattentior, 
dans  le  monde  savant.  Voici  à  (|!ielle  occasion:  Addison  avait 
transmis  à  l'cvêque  de  Cloyne,  au  sujet  de  la  conduite  tenue 
à  ses  derniers  moments  par  leur  ami  commun  le  D"  Gartli, 
des  détails  qui  avaient  également  affligé  ces  deux  défen- 
seurs de  la  religion  révélée.  En  effet,  Addison  étant  allé 
rendre  visite  au  docteur  et  ayant  entamé  avec  lui  une  con- 
versation des  plus  sérieu.ses  sur  l'existence  d'un  autre 
monde  :  t  Assurément,  mon  cher  Addison,  lui  répliqua  le 
moribond,  j'ai  de  bonnes  raisons  pour  ne  pas  croire  à  toutes 
ces  sornettes-là,  depuis  que  mon  excellent  ami  le  D""  Halley, 
qui  s'est  tant  occupé  de  démonstrations  ,  m'a  assuré  que  les 
doctrines  du  christianisme  sont  incompréhensibles ,  et  que 
cette  religion  elle-même  n'est  qu'une  immense  imposture.  » 
En  conséquence  l'évêque  crut  devoir  descendre  dans  la 
lice  contre  Halley,  et  il  lui  adressa,  comme  à  un  mathé- 
maticien infidèle,  un  discours  intitulé  :  The  Analtjst,  dont 
le  but  est  de  prouver  que  les  mathématiciens  ont  tort  d'é- 
lever des  objections  contre  les  mystères  de  la  foi,  puisque 
dans  la  science  ils  admettent  des  mystères  bien  plus  grands 
encore  et  même  des  faussetés;  et  il  fournissait  pour  preuve 
à  l'appui  de  son  assertion  la  théorie  des  fluxions.  11  en  ré- 
sulta de  longues  di.scussions  entre  lui  et  quel(iues-uns  des 
mathématiciens  les  [dus  éminents  de  l'époque. 

En  1736  l'évêque  de  Cloyne  lit  paraître  The  Querixt  (le 
Questionneur), discours  adressé  aux  magi.strats  à  l'occasion 
des  progrès  toujours  croissants  de  l'immoralité  et  de  l'irré- 
ligion. Cette  publication  fut  suivie  de  quelques  autres  de 
moindre  importance.  En  1744  il  [lublia  le  livre  si  curieux 
et  si  intéressant  qui  a  pour  titre  :  Siris,  a  chain  of  philo - 
sophicalrejlections  and  inquiries  concerning  Uie  vertues 
of  tar-water  (  Siris ,  ou  enchaînement  de  réflexions  et 
de  recherches  pliilosophiques  sur  l'eau  de  goudron  ) ,  spéci- 
fique contre  la  colique  nerveuse  dont  il  avait  lui-même 
éprouvé  la  vertu.  Au  mois  de  juillet  de  la  même  année ,  il 
vint  s'établir  à  Oxford  avec  toute  sa  famille  ,  en  partie  pour 
surveiller  de  plus  près  l'éducation  d'un  fils ,  mais  surtoutafin 
de  pouvoir  satisfaire  son  goût  pour  l'étude,  qui  jamais  n'a- 
vait été  plus  vif  11  eût  volontiers  changé  son  évêclié  pour 
un  canonicat  à  Oxford;  mais  il  n'obtint  pas  la  permission 
de  permuter.  Dans  cette  capitale  scientifique  et  littéraire  de 
la  Grande-Bretagne,  il  vécut  entouré  des  respects  universels, 
occupé  de  revoir  et  d'imprimer  divers  petits  ouvrages 
qu'il  avait  encore  en  portefeuille  ;  mais  il  ne  hii  fut  pas  donné 
de  goliter  longtemps  cette  vie  calme  et  studieuse ,  et  il  mou- 
rut subitement,  le  14  janvier  1753,  à  l'âge  de  soixante- 
neuf  ans,  au  moment  où  il  écoutait  un  sermon  que  lui  lisait 
sa  femme.  La  belle  âme  de  Berkeley  se  réfléchit  dans  tous 
ses  écrits,  de  même  qu'il  y  déployé  l'érudition  la  plus  pro- 
fonde et  la  plus  variée  ;  et  toute  sa  vie,  si  honorable  et  si 
honorée,  justifie  le  témoignage  que  Pope  a  porté  de  lui  : 

Te   Berkeley  every  virtue  under  lieaven. 

(Berkeley  avait  toutes  les  vertus  qui  existent  sous  le  ciel). 
Cène  fut  que  longtemps  après  sa  mort  qu'il  parut  une  édition 
complète  de  ses  œuvres  (Londres,  1784,  2  vol.). 

Le  second  fils  de  l'évêque  de  Cloyne,  Geonje  Berkeley, 
né  à  Londres,  en  1733,  mort  en  1795,  commença  sous  les 

4. 


28 


BERKELEY  —  BERLIEU 


soins  (le  son  pure,  (rexcellentes  études,  qu'il  termina  à  Ox- 
ford. Jl  entra  dans, les  ordres,  fut  clianoine  de  la  caflié- 
liiale  de  Cantorbéry,  et  devint  un  bon  prédicateur.  Il  a 
laissé  quelques  sermons  imprimés. 

RERÏÎELEY  (Éus4DETH).ro7/e5  Crwen  (Lady). 

BERiîIÎEY  (Jean  LEFRANQ  van),  l'un  des  écri- 
vains hollandais  les  plus  distingués  du  dix-liuitième  siècle  , 
naquit  le  23  janviei  t729,  à  Leyde,  où  il  mourut,  le  :î 
mars  1812.  Sou  [lïsloïre  naturelle  de  la  Hollande  (4 
vol.,  Leyde,  1769)  le  fit  nommer  professeur  d'histoire  na- 
turelle à  l'Académie  de  Leyde.  Il  ne  fit  pas  preuve  de  moins 
détalent  dans  quelques  dissertations  sur  l'histoire  naturelle, 
disséminées  dans  divers  recueils,  et  aussi  dans  son  grand 
ouvrage  intitulé  :  Natuurlijke  historié  van  hct  rundvee  in 
Holland  (6  parties  avec  planches  ;  Amsterdam,  1805-181 1). 
11  n'est  pas  non  plus  à  dédaigner  comme  poète  ;  et  bien 
qu'on  puisse  reprocher  à  ses  produclions  en  ce  genre  de 
l'enflure  et  du  pathos ,  on  y  rencontre  des  passages  de  la 
meilleure  poésie,  notamment  dans  son  Het  verheerlijkt 
Lciden,  grand  pooine  composé  à  l'occasion  du  200*  anniver- 
saire de  la  fondation  de  sa  ville  natale,  et  dont  il  donna  lui- 
même  lecture  le  4  octobre  1774,  dans  l'église  de  riiôjiital , 
aux  applaudissements  d'une  nombreuse  assistance.  Ses  opi- 
nions, vivement  orangistes,  turent  pour  lui  une  source  de 
désagréments  et  de  persécutions,  à  une  époque  où  la  majo- 
rité de  ses  concitoyens  attachait  une  importance  extrême  à 
diminuer  les  droits  et  les  prérogatives  du  stalhoudérat.  Une 
explosion  qui  eut  lieu  en  1807,  et  qui  détruisit  sa  propriété, 
afiligea  les  dernières  années  de  la  vie  de  ce  vieillard,  et  le 
reluisît  à  un  état  voisin  de  l'indigence. 

BERLICIIÏNGEIV  (GoetzouGodekroi  de),  surnommé 
Main-de-Fer,  brave  chevalier  du  seizième  siècle,  qu'on  peut 
considérer ,  avec  Ulrich  de  Hutten  et  Franz  de  Sickingen, 
comme  l'un  des  derniers  représentants  de  la  chevalerie  du 
moyen  âge,  était  né  à  laxthausen  en  Wurtemberg,  dans  le 
manoir  de  sa  famille,  dont  l'origine  remontait  au  dixième 
siècle.  Son  cousin  Kuno  de  Berlicbingen  dirigea  son  édu- 
cation, et  l'emmena  avec  lui  h  Worms,  en  1495,  pour  assister 
aux  délibérations  de  ladiète.  Attaché  à  l'élat  militaire  par  ha- 
bitude et  par  goût,  il  prit  du  service  dans  l'armée  de  l'électeur 
Frédéric  de  Brandebourg,  servit  ensuite  l'électeur  Albert  V  de 
Bavière-Munich  dans  la  guerre  qu'il  eut  à  soutenir  contre  le 
palatin  Rupert  pour  la  succession  de  Landshnt.  C'est  dans 
cette  lutte  et  au  siège  môme  de  Landshut  qu'il  perdit  la  main 
droite.  11  la  lemnbça  par  une  main  en  fer  fort  habilement 
fabriquée,  et  qu'on  montre  encore  aujourd'hui  au  château  de 
laxthausen.  (Consultez  une  dissertation  publiée  par  Michel  : 
la  Main  de  fer  du  brave  chevalier  de  Gcetz  de  Berli- 
chingen  [Berlin,  1815;  avec  planches  ].  )  Quand  l'empereur 
Maximilien  réussit  à  rétablir  enfin  la  paix  générale  dans 
l'empire,  Goetz  de  Berlicbingen  se  retira  dans  son  manoir. 
Mais  alors ,  par  suite  de  l'état  agité  de  ce  temps-là,  il  eut 
constamment  de  sanglantes  luttes  à  soutenir  contre  tous  ses 
voisins  ,  les  villes  impériales  riveraines  du  Neckar  et  les 
châtelains  du  Kocher;  déployant  autant  de  bravoure  que  de 
chevaleresque  loyauté  dans  ces  guerres  privées ,  le  fléau  de 
l'Allemagne.  Ayant  plus  tard  prêté  assistance  au  duc  Ulric 
de  Wurtemberg  contre  la  ligue  de  Souabe ,  il  fut  fait  pri- 
sonnier en  1 522  ;  et  quand  le  duc  eut  été  chassé  de  ses  États, 
il  fut  obligé  de  racheter  sa  liberté  moyennant  une  rançon 
de  deux  mille  florins. 

Il  prit  également  part  à  la  guerre  des  Paysans  en  1 525, 
comme  contraint  et  forcé,  à  ce  qu'il  prétend,  mais  peut-être 
bien  déterminé  par  sa  passion  de  guerroyer  et  aussi  par  le 
désir  secret  de  tirer  vengeance  de  ses  vieux  ennemis  de  la 
ligue  de  Souabe.  Gœtz  de  Berlicbingen  devint  môme  le  chef 
de  la  bande  des  insurgés  de  l'Odenwald  ;  et  ce  ne  fut  pas  sans 
peine  qu'après  l'issue  malheureuse  de  cette  lutte  il  parvint 
à  s'échapper.  Mais  plus  tard,  en  se  rendant  à  Stuttgard  sur 
l'invitation  de  Truchers ,  cupilaiiie  de  la  Tgru',  il  f:it  assailli 


en  route  par  tm  parli  de  ligueurs,  qui  lui  fit  prêter  le  ser- 
ment de  coin])ara!tre  devant  la  diète  toutes  les  fois  qu'il  eu 
serait  sommé.  Il  fut  effectivement  mandé  à  quelque  temps 
de  là  à  Augshourg ,  où ,  après  avoir  subi  une  assez  longue 
détention,  il  fut  condamné  à  ne  pas  .sortir  de  son  manoir  hé- 
réditaire, sous  peine,  en  cas  de  contravention,  de  20,000  flo- 
rins d'amende.  Gœtz  de  Berlicbingen  mourut  le  23  juillet 
1563,  après  avoir  encore  fait  quelques  campagnes  en  Hongrie 
et  en  France.  On  a  de  lui  une  relation  exacte  de  ses  aventures, 
qui  fut  imprimée  d'abord  en  173t  à  Nuremlierg,  et  en  1813 
à  Breslau.  La  dernière  édition  est  celle  qui  a  été  donnée  à 
Pforziieim  par  dessert,  en  1843.  Ce  livre  est  une  exceUente 
peinture  de  la  vie  privée  et  des  mœurs  du  moyen  âge.  Gœthe 
en  a  tiré  le  sujet  d'un  de  ses  drames. 

BEULIER  (TnÉopuiLE,  comte),  né  en  1761,  était  avocat 
à  Dijon,  sa  patrie,  quand  il  fut  nommé,  en  septembre  1792, 
député  de  la  Côte-d'Or  à  la  Convention  nationale.  Savant  et 
C()ns(;iencieux  jurisconsulte,  il  prit  une  part  Irès-active  à 
la  reformation  de  notre  législation  civile  et  criminelle.  Dans 
le  procès  de  Louis  XVI ,  il  combattit  le  principe  d'inviola- 
bilité ,  considéré  dans  son  application  aux  actes  politiques 
de  ce  prince,  et  vota  pour  sa  condamnation  à  la  peine  capi- 
tale, il  provoqua  le  décret  d'accusation  contre  Duchàtel 
pour  intelligences  avec  les  rebelles.  Envoyé  en  mission  près 
de  l'armée  du  Nord  ,  à  Dunkerque,  il  donna  tous  ses  soins 
aux  besoins  de  cette  armée.  De  retour  à  la  Convention ,  il 
parut  rarement  à  la  tribune,  et  s'occupa  presque  exclusi- 
vement des  améliorations  de  notre  droit  civil;  il  fit  adopter 
quelques  changements  à  la  loi  des  successions  ;  on  lui  doit 
aussi  de  sages  modifications  dans  les  attributions  des  tri- 
bimaux  de  famille.  Après  le  9  thermidor ,  il  proposa  la 
réorganisation  des  comités  du  gouvernement,  et  fit  ordonner 
la  mise  en  liberté  dea  cultivateurs  détenus  dans  les  prisons 
pour  cause  politique.  L'assemblée,  sur  son  rapport,  établit 
d'après  des  données  plus  équitables  la  législation  sur  les 
donations  et  les  successions.  Nommé  membre  du  comité  de 
constitution  pour  la  rédaction  des  lois  organiques,  il  proposa 
d'abolir  les  confiscations  prononcées  par  les  tribunaux  et 
commissions  révolutionnaires ,  et  de  supprimer  immédiate- 
ment le  tribunal  révolutionnaire  de  Paris. 

L'eiiier  proposa  un  système  universel  d'élections  gra- 
duelles d'après  lequel  le  principe  d'élection  eût  dominé  par- 
tout. Ainsi,  dans  l'ordre  administratif,  les  administrateurs 
de  district  ou  arrondissement  n'auraient  pu  être  choisis  que 
parmi  les  maires ,  les  adjoints  ou  conseillers  municipaux  ; 
les  administrateurs  de  département,  parmi  les  citoyens 
qui  auraient  été  membres  d'une  administration  de  district. 
La  même  candidature  graduelle  aurait  eu  lieu  dans  l'ordre 
judiciaire.  Un  magistrat  n'aurait  pu  être  élu  membre  du  tri- 
bunal de  cassation  qu'après  avoir  exercé  les  fonctions  déjuge 
«Il  paix  et  de  juge  d'un  tribunal  civil  ou  criminel.  Les  législa- 
teurs auraient  été  choisis  parmi  ceux  qui  auraient  parcouru 
tous  les  degrés  dans  l'ime  ou  l'autre  partie  de  l'adminis- 
traiion  publique;  des  hommes  spéciaux  et  d'une  capacité 
é])rouvée  auraient  été  ainsi  seuls  admissibles  à  toutes  les 
fonctions. 

L'opinion  de  Berlier  ne  fut  pas  adoptée.  11  fut  plus  heu- 
reux en  s'opposant  au  jury  constitutionnaire  de  Sieyès. 
C'était  encore  là  un  sénat  conservateur,  et  l'on  sait  que 
l'iHicien  sénat  n'a  rien  fait  pour  conserver  la  constitution 
qui  l'avait  créé.  Une  nation  ne  doit  s'en  remettre  qu'à  elle- 
même  du  soin  de  maintenir  ou  de  perfectionner  ses  insti- 
tutions :  c'est  poiu-  elle  un  droit  et  un  devoir.  Tout  le  prin- 
ciiic  de  souveraineté  nationale  est  là.  Berlier  est  resté  fidèle 
à  (-e  principe  et  à  son  mandat  dans  toutes  les  opinions  qu'il 
a  émises  à  la  tribune  delà  Convention  nationale.  Il  présidait 
cette  assend)lée  lorsqu'une  section  de  Paris  (celle  des  Arcis) 
vint  demander  que  l'assemblée  tenninât  sa  session  :  Beiliei 
rappela  aux  pétitionnaires  l'inconvenance  et  l'inconstitu- 
tioiinalité  de  leur  prétention,  et  déclara  que  la  Convenjion 


J 


BERLIER 

nationale  tenait  son  mandat  Je  la  nation  elle-même,  et  qu'elle 
conserverait  le  pouvoir  constituant  jusqu'au  moment  où  le 
vœu  (le  la  nation  serait  constitntionnellement  constaté.  11 
pensait  aussi  que  les  citoyens  armés  ne  cessent  pas  d'être 
citoyens  :  défenseurs  des  droite  de  tous,  ils  ne  doivent  pas 
cesser  d'en  jouir.  Il  lit  décider  que  l'armée  serait  appelée  à 
exprimer  son  vote  sur  la  constitution.  Les  délibérations  des 
cainps  et  des  garnisons  s'ouvTirent  et  se  terminèrent  avec 
calme  et  dignité. 

Il  avait  été  membre  du  comité  de  salut  public  après  le 
n  Ihermidor  et  réélu  député  lors  de  la  mise  en  activité  de  la 
constitution  de  l'an  III.  Il  se  montra  dans  le  Conseil  des  Cinq 
Cents  tel  qu'il  avait  été  à  la  Convention ,  toujours  étranger 
à  re>prit  de  parti  ;  il  s'opposa  avec  une  constante  énergie 
aux  déplorables  excès  de  la  réaction,  et,  sur  sa  proposition, 
les  prévenus  d'émigration  provisoirement  rayés  furent  admis 
à  voter  dans  les  assemblées  primaires.  La  session  législative 
terminée,  il  remplit  les  fonctions  de  substitut  du  commis- 
saire du  Directoire  (avocat  général)  près  de  la  cour  de  cas- 
sation. 

Les  suffrages  de  ses  concitoyens  le  rappelèrent  au  Conseil 
des  Cinq  Cents,  dont  il  fut  élu  secrétaire.  Il  se  démit  immé- 
diatement de  ses  fonctions  de  substitut.  La  réaction  avait 
fait  d'efirayants  progrès.  Le  Directoire,  avec  son  système  de 
bascule,  ses  hésitations,  croj"ant  faire  de  la  force  quand  il  ne 
faisait  que  de  l'arbitraire,  avait  contre  lui  tous  les  partis; 
toutes  les  assemblées  électorales  s'étaient  fractionnées;  de 
scandaleuses  scissions  s'étaient  partout  manifestées  ;  la 
liberté  de  la  presse  n'était  plus  qu'une  déception;  les  prin- 
cipes n'avaient  plus  d'organes  ;  les  journaux  n'ouvTaient 
leurs  colonnes  qu'à  une  polémique  toute  de  personnalités. 
Derlier  proposa  diverses  mesures  pour  ramener  cette  puis- 
sance nouvelle  à  la  dignité,  à  l'indépendance  de  son  insti- 
tution ,  et  lui  garantir  le  libre  contrôle  des  actes  du  gou- 
vernement; il  ne  voyait  de  délit  que  dans  la  c;domnie  : 
ainsi,  la  presse  rentrait  dans  le  droit  commun,  et,  conservant 
tons  ses  avantages,  n'était  passible  de  répression  que  dans 
.ses  attaques  contre  les  personnes,  quand  ces  attaques  bles- 
saient la  vérité.  H  parvint  à  faire  rapporter  l'article  de  la 
loi  du  19  fructilor  qui  avait  placé  la  presse  soas  la  censure 
du  Directoire,  et  prit  une  grande  part  à  la  discussion  sur  la 
nouvelle  organisation  des  sociétés  patriotiques  qu'on  appela 
cercles  constiùidonnels. 

Herlier,  après  le  18  brumaire,  fut  nommé  conseiller  d'Etat 
et  ensuite  président  du  conseil  des  prises,  membre  de  la  Lé- 
gion d'Honneur  et  comte  de  l'empire.  Il  s'était  pourtant, 
comme  conseiller  d'État,  opposé  à  l'institution  de  la  L  ég  t  o  n 
d'Honneur,  disant  que  l'ordre  proposé  conduisait  à  l'aris- 
tocratie. «  Les  croix  et  les  rubans,  avait-il  ajouté,  sont  les 
hocliets  de  la  monarchie,  »  mots  souvent  répétés  depuis.  Il 
contribua  beaucoup  à  la  rédaction  des  nouveaux  codes;  il 
présenta  plusieurs  projets  de  loi  sur  la  réorganisation  de  la 
Cour  de  cassation  ,  et  soutint  la  discussion  de  ces  projets  de 
loi  au  Corps  législatif  contre  les  orateurs  du  Tribunat.  Après 
la  suppression  arbitraire  du  Tribunat  par  Napoléon,  il 
continua  ses  fonctions  au  Conseil  d'État;  fut  révoqué  en 
1814,  et  reprit  ses  fonctions  en  1815.  En  1816  il  fut  compris 
dans  ce  qu'on  appelait  la  loi  d'amnistie,  et,  banni  comme 
conventionnel ,  il  se  retira  à  Bruxelles,  où  il  se  consacra 
pendant  son  exil  à  de  longues  et  laborieuses  études  histo- 
riques. Il  publia  en  1822  un  Précis  historiqjie  de  l'an- 
cienne Gaule,  1  vol.  iu-8°.  Il  s'était  arrêté  à  l'invasion  des 
Gaules  par  Jules  César;  il  continua  plus  tard  sou  excellent 
travail,  et  en  publia  la  suite,  qui  lorme  une  histoire  com- 
plète de  cette  période  si  féconde  en  grands  événements. 

Après  la  révolution  de  1830,  M.  Berlier  attendit,  pour 
rentrer  sur  le  sol  de  sa  patrie,  que  Louis-Philippe  eût  abrogé 
l'ordonnance  qui  l'avait  banni.  Retiré  dans  sa  propriété  avec 
sa  jeune  famille,  qui  avait  grandi  dans  l'exil,  il  poursuivit  ses 
utiles  travaux  d'histoire  et  de  législation.  Pendant  son  long 


BERLIN 


29 


séjour  à  Bruxelles,  il  avait  rédigé  pour  V Encyclopédie  mo- 
derneles  articles  Code  civil,  Code  criminel  et  d'autres  non 
moins  importants,  qui  se  font  remarquer  par  une  profonde 
érudition  et  par  un  rare  talent  d'analyse.  Berlier,  qui  était 
correspondant  de  rAcadéniic  des  Sciences  morales  et  poli- 
tiques, section  de  législation,  est  mort  à  Dijon,  le  12  sep- 
tembre 1844,  à  làge  de  quatre-vingt-trois  ans. 

DuFEY  (de  l'Yonne). 

BERLIN ,  capitale  du  royaume  de  Prusse,  résidence 
ordinaire  du  roi,  et  siège  de  toutes  les  autorités  supérieures. 
Cette  ville,  remarquable  par  la  beauté  et  le  grandiose  de  ses 
édifices  publics,  par  la  régularité  de  ses  rues,  par  l'impor- 
tance de  ses  établissements  scientifiques  et  artistiques  ,  par 
l'activité  de  son  industrie  et  de  son  commerce,  qui  en  font 
une  des  plus  considérables  et  des  plus  belles  cités  de  l'Europe, 
est  bâtie  dans  une  plaine  sablonneuse,  sur  les  rives  arides  de 
la  Sprée,  et  se  compose,  à  bien  dire,  de  six  villes  différentes, 
qui  avec  le  temps  en  sont  arrivées  à  n'en  plus  former  qu'une, 
à  savoir  :  Berlin  proprement  dit,  Cologne-sur-la-Sprée 
(Kœlln-an-der-Spree),  Friedrichswerder ,  Neustadt  ou 
Dorotheenstadt,  Friedrichsstadt  et  Friedrich- Wilhelmsfadt. 
Elle  porte  par  conséquent  jusque  dans  l'histoire  de  son 
origine  le  type  de  la  formation  de  la  Prusse  elle-même, 
résultat  de  la  lente  agglomération  de  diverses  parties  long- 
temps séparées  pour  arriver  à  former  un  tout  formidable. 

Les  opinions  sont  partagées  au  sujet  de  l'époque  de  la  fon- 
dation de  Berlin  et  de  Kœlln ,  les  diux  plus  anciens  quar- 
tiers, ainsi  que  sur  la  signification  du  nom  même  de  Berlin, 
mot  que  les  uns  traduisent  par  sol  désert  et  boisé,  comme 
venant  de  la  langue  des  Wendes,  et  que  les  autres  dérivent 
de  la  langue  des  Celtes,  dans  laquelle  il  siguilierait  vaste 
plaine.  Les  recherches  les  plus  récentes  désignent,  avec  une 
grande  probabilité ,  comme  fondateur  de  ces  deux  villes  le 
petit-lils  du  margrave  Albert  lOurs,  Albert  II,  qui  régnait 
de  120G  à  1220.  Mais  il  ne  reste  plus  aujourd'hui  qu'un  liien 
petit  nombre  d'edilices  dont  la  construction  remonte  au 
treizième  siècle;  entre  autri:s,  ii  faut  citer  les  églises  du 
cloître,  (te  Siiint-Nicolas  et  de  iSoIre-Dame  (Kloster-Aicolai- 
Marien-Kirc/icn).  L'IiCtelde  ville,  autrefois  habité  parles 
majgraves,  n'a  de  remarquable  que  son  ancienneté. 

De  ravénenit-nt  de  la  maison  de  Hohcnzollern  date 
un  [irogres  remarquable  dans  l'histoire  architecturale  de 
Berlin.  L'électeur  Fré;!éric  II  aux  Dents  de  fer  construisit 
en  1442  à  Berlin  un  château  sur  l'emplacement  duquel 
s'élève  le  château  actuel ,  et  l'électeur  Jean-Citéron  lit  de 
cette  ville  la  résidence  habituelle  de  sa  cour.  On  fient  con- 
sidérer comme  le  second  fondateur  de  IJerlin  Frédéric-Guil- 
laume, dit  le  Grand  Electeur,  qui  non-seulement  l'embellit 
beaucoup,  mais  encore  l'accrut  singulièrement  (I6âs  à  1681), 
surtout  en  y  attirant  de  nombreux  colons,  émigrés  français 
pour  la  plupait.  Aussi  la  population  s'en  élevait-elle  déjà 
de  son  temps  à  20,000  âmes.  C'est  ce  prince  qui  fonda  la 
bibliothèque  royale  actuelle,  la  galerie  de  tableaux,  le  musée 
des  antiques,  ainsi  qu'un  grand  nombre  d'églises  et  d'écoles 
donnant  ainsi  fimpulsion  première  à  la  culture  des  lettres , 
des  sciences  et  des  arts,  qui  depuis  lors  a  toujours  pris  plus 
de  développements.  C'est  encore  lui  qui,  en  1699,  transforma 
sous  la  direction  de  l'architecte  Schluter,  la  masse  confuse 
de  bâtiments  de  styles  différents  dont  se  composait  l'ancien 
château ,  en  un  tout  formant  le  château  actuel.  On  lui  doit 
aussi  l'Arsenal,  édifice  d'une  bonne  architecture,  commencé 
parNehring,  en  1695,  et  terminé  en  1706  par  Jean  de  Bodt. 
Il  agrandit  considérablement  les  faubourgs,  et  donna  de 
plus  en  plus  l'aspect  d'une  capitale  européenne  à  la  ville 
de  Beriin ,  dont ,  sur  la  fin  de  son  règne,  la  population  at- 
teignait déjà  le  chiffre  de  50,000  âmes. 

La  construction  colossale  du  château  royal  fut  terminée 
en  1716,  sous  Frédéric-Guillaume  F',  par  l'architecte  Bœhm. 
On  continua  également  alors  à  bâtir  la  Friedrichsstadt,  où 
vinrent  s'établir,  surtout  à  partir  de  1727,  un  giand  nonibre 


su 


BERLIN 


lie  Bohômcs  fuyant  la  persécuUon  religieuse,  et  qui,  en  1737, 
y  construisirent  nneéglise  particulière  à  leur  usage.  Les  autres 
quartiers  de  la  ville  participèrent  à  ce  mouvement  continuel 
«f'Mccroissement,  et  c'est  de  cette  époque  que  datent  les  places 
rie  Dœnhof ,  de  Belle-Alliance  et  de  Paris,  ainsi  que  la 
construction  de  la  plupart  des  liôtels  de  la  Wilhemsslrasxe 
et  du  palais  déjà  commencé  sous  le  règne  du  grand  électeur 
par  l'architecte  Nehring  pour  servir  de  demeine  au  maréchal 
de  Schoenberg,  et  où  mourut,  le  7  juin  1840,  le  roi  Frédéric- 
Guillaume  111.  A  cette  époque  Berlin  comptait  déjà  90,000  ha- 
bitants. 

Sous  le  règne  de  Frédéric  le  Grand,  Berlin  fut  enrichi  des 
plus  magnifiques  palais  et  édifices  en  tout  genre.  On  cons- 
truisit de  1741  à  1742  la  salle  de  l'Opéra,  l'un  des  plus  beaux 
monuments  d'architecture  de  la  ville;  l'église  catholique, 
achevée  en  1775,  sur  le  plan  du  Panthéon;  les  deux  tours 
aes  Gendarmes,  dont  le  roi  donna  l'idée  d'après  le  modèle 
des  églises  de  la  Piazza  del  Popolo,  et  qui  sont  aujourd'hui 
complètement  restaurées  ;  le  bâtiment  de  l'Université  (ci-de- 
vant palais  du  prince  Henri  ),  construit  pendant  la  guerre  de 
Sept  Ans;  la  cathédrale,  terminée  en  1748,  et  diverses  autres 
constructions  qui,  avec  la  création  du  Parc  (  Thïergarten) 
contribuèrent  essentiellement  à  embel  I  i  r  la  v  ille.  Le  commerce 
et  l'industrie  y  prirent  aussi  de  notables  développements. 
En  1751  on  y  établit  la  première  raffinerie  de  sucre.  La  fon- 
dation de  la  Banque  et  de  l'Institution  de  commerce  mari- 
time, ainsi  que  d'autres  grands  établissements  industriels,  eut 
lieu  ensuite.  A  la  mort  de  Frédéric  le  Grand  on  comptait  à 
Berlin  145,000  habitants.  Sous  le  règne  de  Frédéric-Guil- 
laume II,  qui,  de  1789  à  1793,  fit  construire  la  Porte  de  Bran- 
debourg, le  château  de  Monbijou  et  divers  autres  édifices, 
les  fabriques  et  les  manufactures,  notamment  celles  de  soie 
et  de  coton,  firent  de  remarquables  progrès. 

Frédéric-Guillaume  III  contribua  cependant  bien  autre- 
ment encore  que  tous  ses  prédécesseurs  à  donner  à  la  ville 
de  Berlin  le  caractère  grandiose  d'une  capitale,  par  la  cons- 
truction d'une  foule  d'édifices  et  de  monuments  publics,  de 
môme  que  par  les  améhorations  de  tout  genre  opérées  dans 
l'ensemble  même  du  chef-lieu  de  la  monarchie.  Une  nou- 
velle ère  architecturale  s'ouvrit  pour  Berlin  à  la  suite  des 
guerres  de  1813  et  1815,  sous  l'habile  direction  de  l'archi- 
tecte Schinkel.  Le  premier  monument  qu'il  ait  construit  fui 
le  nouveau  théâtre;  vinrent  ensuite  le  INIuseum,  bâti  sur  un 
ancien  lit  de  la  Sprée  consolidé  au  moyen  de  8,000  pilotis , 
l'église  de  Werder,  l'école  d'architecture,  et  une  foule  de 
constructions  jjarticulières.  C'est  aussi  sous  le  règne  de  Fré- 
déric-Guillaume que  fut  inaugurée,  le  15  octobre  1810,  la 
nouvelle  université  fondée  par  ce  prince  dans  la  capitale  de 
ses  États.  A  la  mort  de  ce  souverain,  le  chiffre  de  la  popula- 
tion de  Berlin  était  de  330,230  habitants. 

Parmi  les  constructions  nouvelles  terminées  sous  le  règne 
de  Frédéric-Guillaume  IV,  il  faut  surtout  mentionner  la  nou- 
velle École  royale  Vétérinaire  de  la  Luisenstrasse,  et  parmi 
celles  auxquelles  on  travaille  encore  en  ce  moment  le  nou- 
veau Muséum  ;  la  nouvelle  cathédrale,  élevée  sur  l'empla- 
cement de  l'ancienne,  qui  mettra  en  communication,  au 
moyen  d'une  magnifique  colonnade,  le  château  avec  l'ancien 
Musée,  et  qui  contiendra  un  Campo-Santo,  orné  de  fresques 
par  Cornélius;  enfin  le  magnifique  hôpital  de  Béthanie,  qui 
s'élève  dans  la  plaine  de  Kœpnick.  Le  monument  à  la  nié- 
moire  de  Frédéric  le  Grand,  élevé  à  l'extrémité  des  Tilleuls, 
dont  la  première  pierre  fut  déjà  posée  sous  le  règne  de  Fré- 
déric-Guillaume III,  et  qui  a  été  exécuté  par  Raucli  dans 
le  style  le  plus  grandiose,  a  été  inauguré  le  31  mai  1851,  jour 
anniversaire  de  l'avènement  du  roi  actuel  au  trône.  L'incendie 
de  la  salle  de  l'Opéra,  arrivé  dans  la  nuit  du  18  au  19  août  184:5, 
donna  lieu  à  de  notables  améliorations  et  embellissements  du 
plan  primitif,  et  dont  le  roi  lui-même  fournit  l'idée.  Dès  1844 
avait  lieu  l'ouverture  de  la  nouvelle  salle.  Les  travaux  en- 
trepris pour  transformer  en  jardin  ïoologiquc  la  ci-devanl 


faisanderie  dans  le  Thiergarlen  et  le  Friedrichsham ,  en 
avant  de  la  nouvelle  Porte  du  Roi ,  sont  aujourd'hui  complè- 
tement achevés.  Les  constructions  entreprises  dans  la  plaine 
de  Kupnick  ont  pris  également  l'essor  le  plus  vaste  et  le 
plus  rapide ,  et  forment  peut-être  à  présent  la  moitié  de 
tout  Berlin.  Le  recensement  général,  opéré  à  la  fin  de  1849, 
donnait  un  chiffre  total  de  13,398  maisons,  37  églises,  etc., 
et  de  401,154  habitants,  dont  380,839  protestants,  10,737  ca- 
tholiques, 14  mennonites  et  9,535  juifs  Cette  population 
est  incontestablement  d'origine  wende  ou  slave;  mais  à  la 
suite  des  nombreuses  immigrations  qui  sont  venues  succes- 
sivement l'accroître,  elle  a  subi  de  fortes  modifications.  En 
ce  qui  touche  le  nombre  des  habitants ,  Berlin  est  la  sep- 
tième ville  de  l'Europe,  et  n'est  primée  que  par  Londres, 
Paris,  Constantinople,  Saint-Pétersbourg,  Vienne  et  Naples; 
encore  ces  deux  dernières  villes  n'o;it-elles  peut-être  pas 
une  population  réellement  plus  nombreuse.  Sous  le  rapport 
de  la  superficie,  elle  est  à  Vienne  (y  compris  les  faubourgs), 
comme  cinq  est  à  six,  et  à  Paris  comme  un  est  à  deux.  L'é- 
lévation du  sol  de  IJerlin  au-dessus  du  niveau  de  l'Océan 
e.st  de  120  à  150  pieds. 

Berlin  est  aujourd'hui  divisé  en  neuf  quartiers  :  Berlin, 
le  vieux  et  le  nouveau  Kœlln,  le  Friedrichswerder,  la  Lui- 
senstadt,  la  Dorotheenstadt,  la  Friedrich-Wilhelmstadt,  le 
quartier  de  Spandau ,  la  Kœnigstadt  et  le  quartier  de  Stra- 
lau  ;  à  quoi  il  faut  ajouter  les  faubourgs  de  Rosenthal  et 
d'Oranienburg. 

Les  édifices  les  plus  importants  du  quartier  de  Berlin 
sont  le  Château,  dont  il  a  été  fait  mention  plus  haut,  occupé 
aujourd'hui  par  diverses  administrations  et  caisses  pLibli- 
ques,  la  poste,  l'hôtel  de  ville,  le  tribunal  municipal,  l'É- 
cole militaire  générale ,  l'École  des  Cadets ,  le  Gymnase  du 
Grauen  Klosler.  le  Gymnase  du  Joachimsthal,  transféré  à 
Berlin  en  1655;  le  palais  Provincial  (Landscha/tsgebwude) 
où  se  réunissaient  les  États  provinciaux  du  Brandebourg  et 
de  la  basse  Lusace;  l'église  Notre-Dame  { Marienkirche  ) 
avec  sa  tour  haute  de  286  pieds,  l'église  Saint-Nicolas  et 
l'église  de  la  Garnison. 

Dans  le  vieux  Kœlln  (nom  dérivé  du  wende  Koll, 
Kollne,  poteau,  pilier,  parce  que  la  plupart  des  maisons  da 
cette  partie  de  la  ville  sont  construites  sur  pilotis),  on  trouva 
le  château  royal,  situé  entre  la  place  du  Château ,  le  parc, 
la  Sc/ilossfreiheit  et  la  Sprée,  et  où  se  trouvent  le  Musée 
et  autres  collections  précieuses.  A  la  suite  du  château  on 
découvre  le  pont  de  l'Électeur,  nommé  aussi  le  Long-Pont, 
à  cause  de  son  ancien  développement  sur  la  Sprée,  qui  jadis 
était  beaucoup  plus  large  en  cet  endroit  qu'aujourd'hui.  11 
unit  le  vieux  Koelln  au  quartier  de  Berlin,  et  est  décoré  de 
la  statue  équestre  du  grand  électeur,  modelée  parSchluter, 
fondue  en  bronze  par  Jacobi,  et  inaugurée  le  3  juillet  1703. 
En  face  du  château  est  situé  le  parc,  avec  le  Muséum,  où  l'on 
a  réuni  la  plus  grande  partie  des  trésors  artistiques  dis- 
persés autrefois  à  Berlin  et  à  Pot.sdam.  Derrière  se  trouve 
le  nouveau  Musée.  Une  coquille  colossale  en  granit  du  poids 
<le  1,500  quintaux,  placée  dans  l'axe  du  Muséum,  orne  le 
l)arc,  où  l'on  voit  aussi  un  jet  d'eau  de  45  pieds  de  hauteur 
alimenté  par  une  machine  à  vapeur  qui  se  trouve  près  de 
la  Bourse. 

Les  monuments  les  jilus  remarquables  du  Friedrichswer- 
der sont  :  l'église  du  Werder,  construite  dans  le  style  go- 
thique du  moyen  âge,  achevée  en  1830,  sur  les  plans  de 
SchinKel,  ornée  avec  un  goiH  infini,  à  l'intérieur,  d'un  tableiu 
d'autel  par  Begas  et  tles  Qtiatre  ÉvangéHstcs  par  Scha- 
dow,  mais  où  l'on  regrette  de  trouver  quelques  défauts 
acoustiques;  l'Arsenal,  l'un  des  i)lus  beaux  monuments  de 
rj\llemagne,  formant  un  carré  régulier  et  isole ,  avec  le  buste 
en  bronze  du  roi  Frédéric  I"',  iilacé  dans  son  portail  et  des 
têtes  de  guerriers  mourants  exécutées  en  haut  relief  par 
Schluler  au-dessus  des  vingt  et  une  fenêtres  de  l'étage  in- 
férieur; le  palais  du    roi,  le   palais  des  princesses,    la 


I 


}îr'''.ni1<3  t^arJo  du  roi ,  constniite  d'après  le  plan  de  Schinkel 
en  forme  d'ancien  camp  romain,  entourée  des  deux  côtés  des 
statues  en  marbre  de  Carrare  de  Scliandiorst  et  de  Dulow, 
deux  cliefs-d'oGUvre  dus  au  ciseau  si  puissamment  original 
de  l'illustre  Raucli.  En  face,  sur  la  petite  place  de  l'Opéra, 
s'élève  lastattie  en  pied  de  Bluciier,  de  vingt-sept  pieds  de 
hauteur,  exécutée  en  bronze  d'après  le  modèle  de  Raucli,  et 
inaugurée  le  18  juin  1326.  C'est  là  aussi  que  se  trouvent 
situés  l'Académie  de  chant,  le  pont  du  Château,  long  de  cent 
cinquante-six  pieds  et  large  de  cent,  et  la  Monnaie. 

Le  quartier  le  plus  beau  et  le  plus  régulier  de  la  ville  est 
la  Friedrichstadt,  où  Ton  voit  la  Friedrichsstrasse,  qui  a  plus 
de  1,200  mètres  de  longueur;  la  belle  Leipzigerstrasse,  la 
non  moins  belle  Wilhelmsstrasse ,  et  la  suiierbe  place  Wil- 
helm,  ornée  de  six  statues  en  marbre  élevées  à  la  mémoire 
du  vieux  Dessau,  de  Schwerin,  de  Winterfeldt,  de  Keith, 
de  Ziethen  et  de  Seydlitz,  ces  hommes  qui  ont  laissé  de  si 
belles  pages  dans  l'histoire  militaire  de  la  Prusse.  Parmi  les 
édilices  les  plus  remarquables  de  la  Friedrichstadt,  mention- 
nons :  le  théâtre,  situé  dans  le  marché  aux  Gendarmes,  cons- 
truit sur  les  dessins  de  Schinkel,  en  remplacement  de  la 
salle  détruite  en  1S17,  par  un  incendie,  et  qui  contient  une 
belle  salle  de  concert;  l'église  catholique,  la  Fondation  de 
Louise,  la  manufacture  de  porcelaines ,  les  hôtels  de  diffé- 
rents ministères,  et  la  Poi1e  de  Leipzig,  monument  de  cons- 
truction toute  récente  et  du  meilleur  goût. 

Dans  la  ville  neuve  ou  Dorotheenstadt,  ainsi  appelée  de 
l'épouse  du  grand  électeur,  est  située  la  promenade  favorite 
des  Berlinois,  /es  Tilleuls,  allée  longue  de  plus  de  cinq  cents 
mètres  sur  vingt-quatre  de  large,  et  contenant  quatre  ran- 
gées d'arbres.  En  fait  d'édifices,  on  y  remarque  :  le  palais 
du  prince  de  Prusse,  construit,  de  1834  à  1836,  uniquement 
avec  des  matériaux  provenant  du  sol  prussien,  par  Lang- 
hauns,  qui  a  su  admirablement  tirer  parti  du  petit  espace 
de  terrain  mis  à  sa  disposition;  les  bâtiments  de  l'Univer- 
sité, la  Bibliothèque,  l'Académie,  l'École  d'Artillerie  et  du 
Génie,  l'Opéra,  et  la  Porte  de  Brandebourg,  haute  de  quatre- 
vingts  pieds,  large  de  cent  cinquante-six,  et  pourvue  de 
cinq  portiques,  construite  par  Langhauns,  de  1780  à  1793, 
sur  le  plan  des  Propylées  d'Athènes,  avec  la  Victoire  dans  un 
quadrige ,  que  les  Français  transportèrent  à  Paris  pour  en 
orner  l'arc  de  triomphe  de  la  place  du  Carrousel,  et  que  la 
victoire  ramena  à  Berlin  en  1815.  En  avant  de  la  Porte  de 
Brandebourg  est  situé  le  Thiergnrten,  la  plus  fréquentée  et 
la  pins  belle  partie  des  environs  de  Berlin  ,  parc  d'environ 
sept  cents  perches  de  long  sur  deux  cent  (juatre-vingts  de 
largeur,  où  l'on  trouve  les  plus  charmantes  promenades, 
une  foule  d'élégantes  villas  appartenant  aux  riches  Berlinois, 
et  le  beau  monument  élevé  à  la  mémoire  de  Frédéric-Guil- 
laume m  ,  sur  les  dessins  de  Dnike. 

IJans  la  Luisenstadt,  appelée  autrefois  Kœllnische  ou 
Kcppnicker  Vo)vtadt,  demeurée  jusqu'à  ce  jour  la  partie 
la  moins  peuplée  de  la  ville,  on  trouve  dans  la  Linden- 
strasse  le  Kammergertcht  (tribunal  de  la  chambre),  vulgai- 
rement appelé  maison  du  collège,  où  siègent  le  tribunal  su- 
prême secret,  le  Kammergertcht,  et  le  collège  des  Pupilles 
de  la  Marche  électorale.  En  avant  de  la  Porte  de  Halle  on  trouve 
l'établissement  de  la  compagnie  anglaise  pour  l'éclairage  au 
gaz,  l'une  des  succursales  fondées  sur  le  continent  par  la 
grande  association  impériale  et  continent;de  de  Londres  pour 
l'éclairage  au  gaz.  Sur  le  mont  de  la  Croix  (  Kreuzbcrg),  qui 
s'élève  en  face  de  la  Porte  de  Halle,  on  aperçoit  le  monu- 
ment élevé  en  1821  en  commémoration  des  glorieux  évé- 
nements de  1813  et  1815.  11  consiste  en  un  baldaquin  en 
forme  de  tour,  et  fondu  d'après  les  dessins  de  Schinkel  dans 
les  ateliers  delà  fonderie  royale  de  fer,  avec  douze  chapelles 
consacrées  aux  douze  principaux  faits  d'armes  de  cette  lué- 
rncrable  époque. 

Sous  le  rapport  de  la  vie  intellectuelle  et  scientifique ,  qui 
suit  les  dii'ections  les  plus  di\eiscs,  et  y  produit  partout  les 


BERLIN  sf 

plus  brillants  résultats,  Berlin  peut  être  appelée  la  grande 
serre-chaude  de  l'inteUigence  humaine.  Pas  de  tendance  ^ 
pas  de  faculté ,  pas  même  de  déviation  de  la  science  et  de 
l'esprit  humain,  qui  ne  s'y  trouvent  puissamment  repré- 
sentées. Rien  de  plus  imposant  que  de  voir  fonctionner  ce 
vaste  ensemble  d'institutions  scientifiques,  trouvant  constam- 
ment de  nouveaux  éléments  d'activité  dans  la  libérale  solli- 
citude d'un  gouvernement  éclairé,  qui  ne  recule  devant 
aucune  dépense  pour  accroître  les  ressources  et  les  moyens 
d'instruction.  L'université  de  Berlin  a  fait  déjà  époque  dans 
diverses  branches  de  la  science,  et  parmi  ses  professeurs  on 
compte  quelques-uns  des  hommes  les  plus  justement  célè- 
bres de  l'époque  contemporaine. 

Dans  la  faculté  de  philosophie  ,  qui ,  par  les  glorieux  tra- 
vaux des  Fichte  et  des  Hegel,  exerça  une  si  décisive 
influence  sur  les  développements  de  la  philosophie  alle- 
mande, la  chaire  rendue  vacante  par  la  mort  de  ce  dernier 
est  occupée  par  Gabier,  l'un  de  ses  élèves  ;  mais  l'éclat  dont 
brillait  jadis  l'enseignement  philosophique  de  l'université 
de  Berlin  a  singulièrement  diminué.  L'ingénieux  Steffens 
n'est  plus,  et  jusqu'à  ce  jour  Schelling,  qui  depuis  1842 
fait  partie  du  personnel  enseignant  de  l'université,  y  a  exercé 
une  médiocre  iniluence.  La  faculté  de  théologie,  si  rude- 
ment éprouvée  par  la  perte  d'abord  de  Schleierraacher, 
puis  de  Marheinecke,  et  tout  récemment  de  N  eander,  cet 
homme  si  pratique,  et  qui  connaissait  si  bien  le  chemin  de 
l'âme,  ne  suit  plus  d'autre  direction  que  celle  de  Hengsten- 
berg,  de  Strauss  et  de  Twesten.  Nilzsch,  ce  penseur  si  pro- 
fond, appelé  de  Bonn  pour  remplacer  Marheinecke,  incline 
dans  son  enseignement  vers  des  tendances  plus  philosophi- 
ques. La  faculté  de  droit  nous  présente  les  noms  de  Ho- 
meyer,  Heiïter,  Lancizolle,  Rudortf,  Stahl,  Keller  et  Richter. 
Élève  de  Schelling,  Stahl  a  été  nommé  eu  remplacement  de 
Gans  d'Erlangen,  mort  en  1838;  mais  l'absence  de  son 
prédécesseur  n'est  pas  moins  sensible  que  celle  de  Savigny, 
dont  la  nomination  aux  fonctions  de  ministre  secrétaire 
d'État  de  la  justice  a  été  une  perte  si  douloureuse  pour  l'uni- 
versité. Dans  la  philologie,  Bœkh  et  Bekker,  de  même  que 
parmi  les  germanistes  les  frères  Grimm,  sont  des  noms 
entourés  de  l'estime  générale.  La  philologie  latine  déplore 
encore  la  perte  de  Lachmann  et  de  Zumpt,  auxquels  on  a 
bien  pu  donner  des  successeurs,  mais  qu'on  n'a  pas  rem- 
placés. L'étude  de  l'archéologie,  favorisée  par  des  collections 
d'une  richesse  immense,  est  surtout  cultivée  par  Gerhard  et 
par  la  Société  archéologique,  dont  il  est  le  président.  Pour  les 
études  relatives  à  l'Orient,  et  notamment  pour  les  langues 
orientales,  Bo|>p  peut  être  regardé  comme  le  créateur  d'une 
école  particuliire.  Ruckert,  si  connu  comme  poète  et 
comme  orientaliste,  le  seconde  dans  ses  efforts ,  sans  tou- 
tefois posséder  un  talent  de  professeur  bien  saillant.  R  an  ke 
et  Raumer  enseignent  Thistoire;  Ritter,  la  géographie  ; 
Ohm  et  Dirichlet,  les  sciences  mathématiques;  Encke,  l'as- 
tronomie; Lichtenstein,  Mitscherlich,  Rose,  SchuLerth , 
Dove  et  Ebrenberg,  les  sciences  naturelles,  la  physique  et 
la  chimie. 

La  faculté  de  médecine  continue  à  briller  d'un  vif  éclat, 
grâce  aux  noms  de  Schœnlein,  de  Muller,  de  Jungken,  de 
Langenbeck,  appelé  à  succéder  à  l'ingénieux  Dieffen- 
bach,  etc.,  etc.,  de  même  que  par  la  parfaite  organisation 
des  établissements  accessoires  qui  en  dépendent,  tels  que  le 
jardin  botanique,  situé  hors  de  la  ville,  à  Schimberg,  l'am- 
phithéâtre d'anatomie,  le  muséum  d'anatomie  et  de  zoologie, 
le  cabinet  de  minéralogie,  la  clini(]ue,  la  maison  d'accouche- 
ments, etc.  Le  séminaire  théologi(iue  et  philologique  sert  à 
former  de  jeunes  théologiens  et  de  jeunes  philologues. 

Le  nombre  total  des  étudiants  des  diverses  facultés  s'est 
élevé,  pendant  le  semestre  d'été  de  l'année  1850,  à  1,8.34,  qui 
suivaient  les  cours  de  cinquante-sept  professeurs  ordinaires, 
de  quarante-quatre  professeurs  agrégés ,  de  cinquante-neul 
professeurs  honoraires,  de  cinquante-neuf  professeurs  parti- 


32  BERLIN  —  BERLINE 

ciilieis ,  de  scpi  niaîlres  cl  lecteurs ,  en  tuut  par  conséquent 
de  cent  soixante-douze  professeurs  académiques. 

l'arini  les  étahlisseineîits  destinés  à  faciliter  l'instruction 
générale,  la  bibliotlièque  royale  occupe  incontestablement 
le  premier  ranj;.  Placée  depuis  la  mort  de  Wilken  sous  la 
direction  du  bibliothécaire  en  chef  Pcrtz,  elle  contient  plus 
de  5t)0,000  volumes,  ime  précieuse  collection  de  manuscrits, 
et  a  pour  annexe  une  division  particulière  de  la  bibliothèque 
(le  l'Université,  où  l'on  a  eu  soin  de  réunir  les  divers  ou- 
vraj;es  les  plus  nécessaires  aux  besoins  des  diverses  tacullés. 
lîeriin  possède  en  outre  une  Aca(!(''U)ie  des  sciences  et  des 
arts,  six  gymnases,  une  école  polytechnique  et  une  école 
d'arcliitecture,  deux  séminaires  destinés  à  former  des  ins- 
tituteurs et  des  institutrices ,  un  autre  pour  former  des  mis- 
sionnaires, une  école  pour  les  chirurgiens  militaires,  une 
école  militaire,  une  école  d'artillerie,  une  école  du  génie, 
neuf  écoles  de  métiers,  plusieurs  écoles  du  dimanche  et 
bon  nombre  d'écoles  particulières.  Grûce  aux  nombreuses 
sociétés  savantes  existant  dans  cette  capitale,  la  science  sert 
comme  d'un  nouveau  lien  social,  et  pénètre  ainsi  de  plus  eu 
jilus  directement  dans  le  cercle  daclion  de  la  vie  réelle.  On 
<îoit  mentionner  surtout  la  Société  des  Amis  de  la  Nature, 
la  Société. Pliilomalhique,  la  Société  de  l'Humanité,  la  So- 
ciété Berlinoise  pour  la  langue  et  l'archéologie  allemandes , 
l'Association  artistique  des  Sciences,  la  Société  de  Géogra- 
phie, la  Société  Pédagogique,  etc.,  etc.  Que  si  ces  diverses 
associations  semblent  concentrer  la  vie  scientifKnie  de 
Berlin  dans  la  science  pure,  des  cours  publics  ne  laissent 
pas  que  de  la  faire  pénétrer  également  dans  les  cercles 
éclairés  de  la  société.  Ils  sont  faits  surtout  dans  l'Association 
scientifique  par  Raumer,  Lichtcnstein,Ruter,  Dove,  Ehren- 
berg,  Encke,  etc. 

Les  arts  ne  sont  pas  cultivés  avec  moins  do  soin  h  Beilin 
que  les  sciences,  et  leurs  progrès  sont  favorisés  par  des 
hislitutioas  et  des  associations  (!(!  toiit  genre  La  cons- 
truction incessante  dans  la  capitale  d'édilices  du  meilleur 
goût,  le  grand  nombre  d'ariistes  distingués  et  les  idées  éclai- 
rées du  public  jirovoquent  et  projKigent  continuellement 
l'amour  de  l'art.  Les  ateliers  de  Raucli,  deWichmann,  de 
Drake,  de  Kiss,  de  Magnus,  de  IJegas  et  de  Cornélius  sont 
toujours  libéralement  ouverts  au\  amis  des  arts,  et  une  ex- 
position des  beaux-arts  a  lieu  tous  les  deux  ans  dans  les 
bâtiments  de  l'Académie.  L'ancien  Muséum  contient  en  outre 
les  trésors  artistiques  des  châteaux  royaux,  les  galeries  de 
tableaux  de  Giustiniani  et  de  Solly,  la  collection  de  vases 
antiques  de  KoUer.  On  a  placé  dans  le  nouveau  musée 
égyptien  les  collections  égyptiennes  d'objets  d'art  et  d'an- 
tiquité de  PassakKupia  et  de  Miuutoli ,  en  uième  temps  que 
les  acquisitions,  bien  autrement  riches  encore,  provenant  de 
la  grande  exp('diliou  faite  en  Egypte  sous  la  direction  de 
Lepsius.  Les  si  riches  cabinets  de  Wolff,  du  consul  Wa- 
j^ener  et  du  comte  Raczynski  forment  autant  d'exj)ositions 
permanentes.  Li  population  témoigne  d'un  goût  décidé  pour 
ia  muslipie ,  et  cet  art  est  en  possession  de  charmer  les 
loisirs  des  classes  inférieures  même  de  la  société.  En  tête 
des  associations  nuisicales,  il  faut  mentionner  l'Académie 
de  Chant,  fondée  en  17'.)0  par  Fasch,  et  en  possession  d'exé- 
cuti'V  avec  une  inconiparable  perfection,  dans  de  grandes  so- 
lennités plus  parliculièrement ,  de  la  musique  sacrée  et  les 
oratorios  des  grands  maîtres  allemands.  Deux  associations 
de  chant  de  table,  en  hiver  les  soirées  musicales  données 
par  les  diverses  notabilités  de  l'art ,  et  une  foule  de  sociétés 
<ie  mirsiqiie  vocale  cf.  inslruniciiii'.le,  (ont  les  d('iices  de  tons 
«■eux  qui  aiiiM'iit  l'Iiarmonie.  L'Opéra  et  le  Théûtre-Royal,  ce 
«■Icriiier  illustré  aiitrelois  par  Fleck,  Wolff  et  Devrient,  et  à 
qui  [dus  tard  M"""  Crel'nger  et  Scydelman,  mort  en  1843, 
donnèrent  un  nouvel  éclat,  laissent  encore  sans  doute  beau- 
coup à  désirer;  ceiiendant  il  y  a  aujourd'hui  amélioration  et 
progrès  sensibles  dans  l'un  et  l'autre  <le  ces  établissements, 
puisipie  le  baiiel  a  cussi'  «l'être  leur  grande  et  unioue  préoc- 


cupation. Une  trou|)e  française,  qui  pendant  neuf  mois  de 
l'anni^  donnait  des  représentations  au  Théàtre-Royal ,  a 
charmé  jusqu'en  184s  un  public  d'élite,  devant  lequel  elle 
a  exploité  le  répertoire  si  varié  du  théâtre  de  Paris ,  et  monté 
de  remarquables  ouvrages  lyriques.  Le  théâtre  de  la  Kœnigs- 
stadt,  fondé  en  1824,  placé  sous  une  direction  particulière 
indépendante,  et  dont  Henriette  Sontag  a  fait  les  beaux 
jours,  était  singulièrement  déchu.  Une  trouped'opéra  italien, 
formée  et  engagée  en  1841,  y  rappela  passagèrement  un  pu- 
blic choisi;  mais  il  a  fallu  finir  par  le  fermer  en  1851. 

Le  commerce  et  l'industrie  sont  aussi  en  progrès  cons- 
tants à  Rerlin  depuis  plusieurs  siècles.  La  Société  pour  la 
protection  del'industrieen  Prusse  favorise  l'essor  de  l'indus- 
trie nationale  par  les  jirimes  qu'elle  offre  à  la  concurrence 
soutenue  contre  l'étranger,  et  aussi  par  les  expositions 
qu'elle  org.misetous  les  {piatreans.  L'abolition  des  jurandes 
et  des  maîtrises,  qui  date  de  1810,  permet  à  l'activité  in- 
dustiielle  des  habitants  de  se  développer  librement  dans 
toutes  les  directions.  Le  commerce  y  acquiert  chaque  jour 
|>lus  d'importance;  des  banques,  des  compagnies  d'assu- 
rances, des  sociétés  pour  le  commerce  maritime,  pour  ia 
navigation  à  vapeur,  pour  la  navigation  de  l'Elbe,  une  foule 
de  fabriques  et  de  manufactures,  plusieurs  foires  annuelles 
en  activent  et  en  facilitent  les  transactions.  Les  fabriques  li- 
vrent surtout  à  la  consommation  des  draps,  des  tapis  ,  des 
étoffes  de  soie  et  de  colon,  des  toiles,  des  papiers  de  tenture, 
des  papiers  à  écrire  et  d'itnpression,  des  porcelaines,  des 
objets  de  joaillerie  et  de  bijouterie,  de  la  quincaillerie  fme, 
des  instiuiiients  de  chirurgie,  de  mathématiques,  d'optique 
fct  de  musique.  Les  chemins  de  fer  qui  mettent  Berlin  en 
coumnmicatioii  avec  tant  d'autres  grandes  villes  de  l'Aîle- 
magne ,  par  exemple  avec  Leipzig,  Magdebourget  Dresde, 
par  le  chemin  de  Cc-rlin  à  Aulialt,  et  aussi  par  ceux  de  Pots- 
dam,  de  Stettin,  de  Francfort  et  de  Hambourg,  ont  exercé 
une  influence  puissante  sur  la  prospérité  commerciale  et  in- 
dustrielle de  Berlin. 

PcMini  les  établissements  de  charité  que  possède  cette  ca- 
pitale, il  faut  citer  en  première  ligne  la  Charité,  ou  l'on 
reçoit  des  malades  de  toute  espèce,  qui  pour  la  plupart  y 
sont  traités  gratuitement,  et  dont  dépendent  un  établissement 
pour  les  aliénés  et  une  maison  d'accouchements;  et  en- 
suite le  grand  hôpital  de  Béthanie,  dont  il  a  déjà  été  fait 
mention.  L'Institut  de  Salut  civil  {liurgerrettungintistut), 
fondé  en  17'tG  par  le  conseiller  intime  Baumgarten,  vient  en 
aide  aux  habitants  pauvres,  en  leur  faisant  des  avances  pour 
faciliter  leur  industrie.  Citons  encore  les  différents  hospices 
d'orphelins,  l'établissement  de  Wadzeck,  fondé  par  le 
piolésscur  Wadztck  [)our  recueillir  et  élever  des  enfants 
pauvres  ;  l'éiablissement  pour  les  aveugles  fondé  par  Zeune; 
la  maison  des  lnvali<les;  un  grand  nombre  d'écoles  indus- 
trielles et  d'écoles  pour  les  petits  enfants,  la  caisse  d'épar- 
gne, etc.  La  grande  Société  biblique  prussienne  a  élé 
fondée  en  1814,  à  l'effet  de  distribuer  des  Bibles  parmi  les 
classes  pauvres. 

Le  ly  novembre  1808  Berlin  obtint  une  constitulioR 
municipale  en  vertu  de  laquelle  elle  administre  elle-méuie 
SCS  intérêts.  L'introduction  de  la  nouvelle  loi  sur  l'organisa- 
tion des  coumnmes  devra  singulièrement  modifier  l'adminis- 
tration urbaine  actuelle ,  de  même  que  la  physionomie 
g;nérale  de  Berlin  a  aussi  bien  changé  à  la  suite  des  catas- 
tropiies  qui  ont  marqué  ces  dernières  années,  et  dont  le 
coMunerce  et  l'industrie  n'ont  pas  laissé  que  de  recevoir  le 
conhe-coup. 

!}i:»LlN  (  Bleu  de  ).  Voyez,  Bled  de  Prusse. 

1BEÏIL1J\'E ,  voiture  légère ,  suspendue  à  ressorts,  posée 
sur  deux  brancards  et  souteime  par  des  soupentes,  douce 
et  commode  en  voyage,  recouverte  d'une  espèce  de  capote 
ou  manîelet,  qu'on  abaisse  pour  le  mauvais  teinps,  cl  qu'on 
relève  ipiaïul  il  fait  beau  et  -.^u'on  veut  jouir  de  l'air  et  i!e 
la  vue. 


I 


BERLINE  —  BERLIOZ 


13 


On  a  dit  raitrefois  hrelingue  on  brelindc ,  mais  à  tort, 
car  cetle  espèce  de  voiture  tire  son  nom  de  la  ville  de  Ber- 
lin ,  où  la  première  paraît  avoir  été  fabriquée  par  Philippe 
Chiese ,  natif  d'Orange  et  premier  architecte  de  l'électeur 
de  Brandebourg  Frédéric-Guillaume. 

On  dit  berlingot  et  iilus  souvent  brclingot,  pour  désigner 
une  berline  coupée. 

BERLIOZ  (HECTon)  est  né  à  la  Côte-Saint-André 
(Isère),  le  11  décembre  1S03.  Son  père,  médecin  fort  dis- 
tingué ,  le  destinait  à  la  carrière  qu'il  avait  parcourue  lui- 
même.  Cependant,  dans  le  seul  but  de  compléter  son  édu- 
cation, il  donna  à  sou  fils,  lorsque  celui-ci  avait  déjà  atteint 
Tàge  de  douze  à  treize  ans,  un  maître  de  musique.  Au  bout 
de  six  mois,  le  jeune  Berlioz  solfiait  parfaitement  à  première 
vue  et  jouait  passablement  de  la  flûte.  Son  aversion  pour 
les  études  pathologiques  croissait  à  mesure  qu'il  voyait  ap- 
procher le  moment  de  sy  consacrer  exclusivement.  Cepen- 
dant ,  doucement  entraîné  par  les  caresses  de  son  père ,  il 
s'abandonna  pendant  deux  ans  à  sa  direction.  ISIais  le  dé- 
mon musical  le  possédait  déjà  ;  il  passait  des  nuits  à  pâlir 
.sur  des  traités  d'harmonie  qu'il  ne  pouvait  conq)rendre  ;  il 
faisait  d'inutiles  essais  de  composition ,  qui,  confiés  aux  ama- 
teurs de  la  Côte-Saint-André ,  étaient  accueillis  par  des  quo- 
libets et  des  éclats  de  rire. 

Un  quatuor  de  Haydn  dévoila  spontanément  au  jeune  Hec- 
tor le  mystère  de  l'harmonie ,  et  ce  que  le  fatras  des  livres 
didactiques  avait  dérobé  à  son  intelligence.  Il  composa  aus- 
sitôt un  quintette  qui  fut  fort  applaudi  par  les  exécutants. 
Peu  après  cette  époque,  le  jeune  Berlioz  vint  à  Paris  dans 
le  but  d'achever  ses  études  médicales;  mais  le  séjour  de  Pa- 
ris ne  faisant  qu'augmenter  son  penchant  pour  la  musique 
et  son  antipathie  pour  la  médecine ,  il  écrivit  dès  l'année 
suivante  à  son  père  pour  le  prier  de  le  laisser  libre  de  suivre 
son  goût  dominant,  forcé  qu'il  serait  de  désobéir  si  l'on  vou- 
lait le  contraindre  à  le  sacrifier.  Ce  fut  alors  qu'il  s'établit 
entre  les  parents  de  Berlioz  et  lui  une  polémique  qui  dura 
près  de  quatre  ans,  et  qui  n'aboutit  qu'à  jeter  de  l'irritation 
dans  ler.rs  rapports  de  famille.  RI.  Berlioz  père  crut  devoir 
supprimer  la  pension  qu'il  faisait  à  son  fils.  Notre  jeune  mu- 
sicien lullait  contre  la  détresse,  mais  il  ne  se  découragea 
pas.  Il  alla  trouver  le  directeur  du  théâtre  des  Nouveautés , 
qu'on  bâtissait  en  ce  moment ,  et  lui  demanda  une  place  de 
llùte  à  l'orchestre.  Les  places  de  flûte  étant  données,  il  réus- 
.sit  à  se  faire  accepter  comme  choriste ,  aux  appointements 
de  cinquante  francs  par  mois.  Voilà  donc  M.  FJerlioz  hur- 
lant régulièrement  tous  les  soirs  des  flonflons  de  vaudeville. 
Ayant  eu  le  bonheur  de  trouver  trois  mois  plus  tard  qiielques 
élèves  de  solfège ,  il  quitta  le  théâtre  des  Nouveautés ,  et  se 
mit  à  travailler  à  un  opéra  àè%  Francs  Juges,  dont  le  poëme 
avait  été  écrit  par  un  grave  publiciste  et  dont  l'ouverture, 
le  seul  morceau  de  cet  ouvrage  conservé  par  le  compositeur, 
est  devenu  célèbre.  Les  parents  de  Î\I.  Berlioz,  vaincus  par 
sa  persévérance ,  lui  rendirent  la  modique  pension  qu'ils  lui 
avaient  retirée. 

Déjà  il  avait  terminé  au  Conservatoire,  sous  Reicha,  les 
études  d'harmonie  et  de  composition  qu'il  avait  commencées 
avec  Lesueur,  lorsqu'un  événement  décida  de  l'existence  et 
peut-être  aussi  pour  un  certain  nombre  d'années  de  la  di- 
rection de  son  talent.  Le  théâtre  anglais  vint  importer  à 
Paris  les  merveilles  du  génie  de  Shakspeare.  Une  actrice 
s'y  fit  justement  admirer  dans  le  rôle  d'Ophélie  à'Hamlet. 
M.  Berlioz  la  vit,  et  combinant  dans  son  esprit  la  prodi- 
gieuse création  poétique  de  Shakspeare  avec  les  grâces  et  la 
beauté  de  la  tragédienne,  un  amour  subit,  inexplicable,  ef- 
frayant par  sa  violence,  s'empara  de  son  cœur.  M.  Berlioz 
se  nourrit  pendant  trois  ans  de  cette  inconcevable  passion 
sans  s'en  rassasier;  au  bout  de  la  troisième  année ,  ayant 
recueilli  de  la  bouche  d'un  imprudent  ami  une  calomnie  ab- 
surde sur  miss  S ,  le  musicien  disparut  pendant  plusieurs 

jours;  ses  amis  le  cherchèrent  vainement,  et  finirent  par  se 

DICT.    DE    L\    CONVERS.    —   T.    HI. 


persuader  qu'il  avait  mis  fin  à  son  existence.  Il  repriit 
pourtant ,  et  ce  ne  fut  que  longtemps  après  qu'il  se  souvint 
qu'étant  sorti  seul  de  Paris,  il  avait  erré  à  travers  les  champs 
dans  un  état  complet  de  désespoir  et  de  stupidité ,  courant 
le  jour  sans  nourriture,  ayant  perdu  la  conscience  de  lui- 
même  et  des  objets  environnants ,  passant  la  nuit  à  la  belle 
étoile.  Du  reste,  la  jeunesse  de  M.  Berlioz  fournit  plusieurs 
exemples  de  pareilles  excentricités ,  et  l'on  ne  peut  se  dis- 
simuler que  c'est  à  des  dispositions  aussi  peu  raisonnables 
que  Ion  doit  attribuer  ce  qu'on  remarque  d'exagéré ,  d'ex- 
travagant même  dans  plusieurs  de  ses  compositions  de  cette 
époque.  Depuis  lors,  l'homme  s'est  formé,  la  raison  a  repris 
son  empire  sur  lui;  mais  les  premières  impressions  subsis» 
tent  encore  dans  le  public,  et  il  reste  dans  ce  talent,  si  puis- 
sant sous  d'autres  rapports ,  une  tendance  aux  choses  vio- 
lentes et  heurtées,  dont  il  ne  se  débarrassera  peut-être  jamais 
totalement. 

Quoiqu'il  en  soit,  la  Symphonie  fantastique  date  de 

l'époque  de  ce  délire  effréné  dans  lequel  la  vue  de  miss  S 

jeta  notre  compositeur.  Le  plan  de  cette  œuvre  est  assez 
connu  pour  nous  dispenser  de  le  retracer  ;  cette  composition 
hardie  fit  une  vive  sensation.  Pour  la  première  fois,  le  musi- 
cien y  dessina  son  système  :  c'était  de  piendre  pour  sujet 
de  symphonie  une  idée  dramatique  avec  ses  scènes,  ses  inci- 
dents, ses  péripéties;  de  charger  la  musique  seule  d'être 
l'interprète  des  sentiments,  des  sensations  les  plus  intimes 
de  l'homme  ;  de  reproduire ,  à  l'aide  des  ressources  de  l'ins- 
trumentation, certains  effets  physiques  ;  de  donner,  au  moyen 
des  sons ,  une  forme  aux  créations  poétiques  ,  aux  fantaisies 
de  l'imagination.  Que  cette  tentative  si  audacieuse  eût  été 
couronnée  d'un  plein  succès,  c'est  ce  que  nous  sommes  loin 
d'admettre.  En  plusieurs  circonstances,  la  musique  entre 
les  mains  de  M.  Berlioz  sortit  de  ses  propres  limites ,  de  sa 
propre  sphère.  A  force  de  vouloir  tout  peindre,  à  force  de 
chercher  une  expression  arrêtée ,  littérale ,  et  de  n'omettre 
aucun  détail  de  la  description,  il  excéda  les  bornes  de  l'art, 
en  sorte  que  plus  l'auteur  s'efforçait  d'être  clair,  plus  il  entas- 
sait d'obscurités  dans  son  style;  car  l'auditeur,  ne  pouvant 
saisir  le  fil  et  les  intentions  de  la  chose  que  l'auteur  avait 
dans  l'esprit,  se  perdait  dans  cette  multitude  de  détails.  La 
nature  de  l'expression  musicale  est  telle  qu'elle  disparaît  dès 
qu'elle  cesse  d'être  idéale  et  vague.  Il  s'agit  en  effet  bien 
moins  de  peindre  que  de  réveiller  dans  l'esprit  de  l'auditeur 
des  impressions  analogues  à  celles  qui  résultent  de  l'objet 
qu'on  se  propose.  De  ce  système  de  tout  exprimer  viennent 
aussi  ces  rhythmes  brisés,  ces  phrases  entrecoupées,  que 
le  musicien  affectionne  tant.  Nous  le  répétons,  dans  l'idée  du 
musicien  toutes  ces  choses  ont  un  sens,  mais  ce  sens,  ces 
intentions,  échappent  à  l'auditeur. 

Tout  cela  n'empêcha  pas  que  l'introduction  de  cette  Sym- 
phonie fantastique ,  la  phrase  principale  à  l'aide  de  la- 
quelle le  musicien  représente  la  bien-aimée,  et  qui  revient 
avec  tant  de  bonheur  dans  tous  les  morceaux ,  la  scène  du 
bal ,  la  marche  au  supplice ,  la  scène  aux  champs ,  la  ronde 
du  sabbat,  dans  laquelle  l'auteur  sut  être  fantastique  sans 
rien  emprunter  à  Weber,  ne  produisissent  dès  l'abord  une 
grande  surprise.  On  fut  frappé  surtout  d'une  instrumenta- 
tion neuve,  riche,  colorée,  pittoresque.  Ce  qui  ajoute  en- 
core au  mérite  de  l'auteur,  c'est  qu'à  cette  époque  il  ne 
connaissait  pas  les  grandes  symphonies  de  Beethoven.  Le 
Robin  des  Bois  seulement  avait  pu  lui  donner  l'idée  des 
développements  dont  l'orchestration  était  susceptible. 

Pendant  les  fameuses  journées  de  juillet ,  tandis  que  le 
canon  grondait  dans  Paris  et  que  la  façade  du  palais  de 
l'Jnstitut  était  sillonnée  de  balles  et  de  boulets,  M.  Berlioz 
était  tranquillement  dans  l'intérieur,  écrivant  sa  cantate  de 
Sardanapale,  qui  lui  valut  le  premier  grand  prix  de  com- 
position. 11  partit  donc  pour  Rome;  là,  pour  faire  suite  à 
la  Symphonie  fantastique ,  il  écrivit  le  Mélologue  ou  la 
Hetour  à  la  vie,  qui  se  compose  de  diverses  scènes,  telles 


34 

que  la  Ballade  du  Pêcheur,  de  Gœtlie;  un  chœur  d'om- 
bres ,  (ÏHainlet,  sur  des  paroles  de  fantaisie  ;  «ne  scène  de 
brigands ,  et  un  chœur  symplionlque  sur  la  Tempête  de 
Shakspeare.  Tous  ces  morceaux  n'avaient  aucun  rapport 
rntreeux;  ils  étaient  séparés  par  des  tirades  en  prose,  dé- 
bitées par  un  acteur  habile ,  et  qui  servaient  tant  bien  que 
mal  de  liaison  de  l'une  h  Tautre.  Par  cela  môme ,  cette  se- 
conde partie  ne  pouvait  exciter  l'intérêt  de  la  première , 
bien  que  le  chœur  d'ombres,  la  scène  de  brigands  et  la 
tempête  offrissent  d'incontestables  beautés.  Depuis  lors  l'au- 
teur a  renoncé  à  faire  entendre  le  Mélologue  après  la  sym- 
phonie, et  il  a  eu  raison. 

M.  Berlioz  revint  de  Rome  avec  le  Mélologue,  et  deux 
ouvertures,  celle  du  Roi  Léar  et  une  autre  de  Rob  Roy  : 
cette  dernière,  exécutée  aux  concerts  du  Conservatoire, 
n'eut  aucun  succès.  M.  Berlioz  avoua  qu'il  s'était  trompé,  et 
la  brûla.  11  n'en  conserva  que  l'introduction ,  qui  a  depuis 
figuré  dans  la  sympiionie  ô'IIarold.  Ce  fut  vers  1833  qu'il 
composa  cette  symphonie;  Paganini  était  alors  à  Paris,  mais 
il  ne  se  faisait  plus  entendre  en  public.  Un  jour,  l'illustre 
virtuose  alla  trouver  M.  Berlioz,  et  lui  demanda  d'écrire  une 
symphonie  pour  alto  principal.  Il  avait,  disait-il,  envie  de 
se  montrer  en  public  et  de  &'y  faire  applaudir  sur  cet  ins- 
trument. M.  Berlioz  conçut  alors  l'idée  de  la  symphonie 
à^Harold  :  on  sait  que,  comme  dans  la  Fantastique,  il  y 
a  une  pensée  dominante  qui  revient  dans  tous  les  mor- 
ceaux ,  et  qui  se  présente  toujours  sous  un  aspect  diffé- 
rent. Lorsque  l'œuvre  fut  achevée ,  soit  que  Paganini  ne 
trouvât  pas  la  partie  d'alto  assez  brillante ,  soit  que  son 
état  de  maladie  le  rendît  indifférent  aux  applaudissements 
de  la  foule ,  il  chercha  un  prétexte  et  ne  joua  pas.  Heureu- 
sement Urhan  se  chargea  de  la  partie  d'alto  principal,  on 
sait  avec  quel  succès.  Cette  symphonie  accrut  le  nombre 
des  partisans  de  M.  Berlioz.  La  solennelle,  majestueuse  in- 
troduction, la  marche  des  pèlerins,  la  sérénade,  conqui- 
rent d'abord  tous  les  suffrages.  Jamais  divers  motifs,  de  na- 
ture et  d'expression  différents,  n'avaient  été  associés  plus 
heureusement,  plus  habilement  entrelacés  que  dans  ces 
deux  derniers  morceaux.  Au  total,  cette  symphonie  était 
peut-être  moins  éclatante ,  moins  saisissante  que  la  pre- 
mière; mais  le  style  en  était  plus  ferme,  plus  séné.  Néan- 
moins, à  notre  avis,  de  grands  défauts,  qui  tiennent  au  prin- 
cipe que  nous  avons  tâché  d'éclaircir  plus  haut,  déparent 
encore  celte  œuvre.  Dans  la  seconde  partie  de  l'allégro  et 
dans  plusieurs  endroits  du  finale,  l'orgie  des  brigands,  on 
trouve  de  ces  énigmes  dont  le  sens  échappe  à  l'auditeur. 
Ce  dernier  morceau,  du  reste,  quoique  plein  de  verve  et 
«l'inspirations  franches,  est  trop  bruyant;  il  fatigue,  il  en- 
tête comme  une  véritable  orgie  ;  il  est  trop  vrai. 

Depuis  longtemps  M.  Berlioz  faisait  de  vains  cffoils  pour 
arriver  à  l'Opéra;  les  administrateurs  craignaient  que  ses 
hardiesses  ne  compromissent  le  succès  d'un  ouvrage  ;  les 
auteurs  ne  voulaient  pas  lui  confier  un  poème.  Trois  poètes, 
MM.  de  Vigny,  Auguste  Barbier  et  Léon  de  Wailly,  se  pro- 
mirent d'abréger  ce  temps  d'épreuve,  et  esquissèrent  à  la 
bâte  cet  informe  canevas  qui  a  nom  Benvenuto  Cellini,  le- 
quel renferme  de  charmantes  choses  comme  poésie,  mais 
est  dépourvu  de  tout  intérêt  dramatique.  Pressé  d'avoir  son 
tour  à  l'Opéra,  M.  Berlioz  ne  s'arrêta  pas  aux  défauts  de  la 
pièce,  et  en  composa  la  musique.  On  sait  l'histoire  de  cette 
chute  éclatante.  M.  Berlioz  avait  à  la  fois  contre  lui  le 
mauvais  vouloir  de  l'administration,  les  préventions  des 
artistes,  les  préjugés  du  public,  les  exagérations  de  son 
propre  système  et  les  rancunes  qu'il  avait  soulevées  par  une 
critique  trop  franche  et  trop  acerbe  parfois.  Aujourd'hui  que 
toutes  ces  passions  sont  calmées ,  nous  pouvons  dire  que 
M.  Berlioz  n'a  point  été  jugé  comme  compositeur  lyrique. 
Quoi  qu'il  en  soit ,  la  polémique  suscitée  à  l'occasion  de 
cet  ouvrage  fut  très-vive,  et  se  prolongea  longtemps  dans  la 
presse  :  les  opinions  diverses  furent  résumées  dans  deux 


BERLIOZ 

brochures,  l'une  pour,  l'autre  contre,  dans  lesquelles  toutes 
les  questions  vitales  et  fondamentales  de  l'art,  la  mélodie, 
le  rhythme,  rinstrumentation,  etc.,  étaient  examinées  suivant 
les  tendances  des  esprits  qui  rêvent  un  art  stationnaire , 
et  de  ceux  qui  pensent  qu'il  subit  aussi  la  loi  du  progrès. 

C'est  après  la  chute  malheureuse  de  Benvenuto  que 
l'auteur,  découragé,  fit  une  longue  maladie,  qui  épuisa 
toutes  ses  ressources.  Il  donna  néanmoins  un  concert  dans 
lequel  il  dirigea  lui-même  ses  deux  symphonies,  la  Fan- 
tastique et  Ilarold.  Paganini,  qui  ne  connaissait  pas 
encore  le  dernier  de  «es  ouvrages ,  s'achemina  après  l'exé- 
cution vers  l'orchestre,  et,  ne  craignant  pas  de  se  prosterner 
devant  l'auteur,  il  s'écria  les  larmes  aux  yeux  :  C'est  un 
prodige!  Le  surlendemain,  18  décembre  1838,  M.  Berlioz , 
forcé  par  sa  maladie  de  garder  le  lit ,  reçut  la  lettre  dont 
nous  donnerons  la  traduction  :  «  Mon  cher  ami,  Beethoven 
«  mort,  il  n'y  avait  que  Berlioz  qui  put  le  faire  revivre,  et 
«  moi ,  qui  ai  goûté  vos  divines  compositions ,  dignes  d'un 
«  génie  tel  que  le  vôtre,  je  crois  de  mon  devoir  de  vous 
«  prier  de  vouloir  bien  accepter  comme  un  hommage  de 
«  ma  part  vingt  mille  francs  qui  vous  seront  remis  par 
<'  M.  le  baron  de  Rothschild ,  sur  la  présentation  de  l'in- 
0  cluse.  Croyez-moi  toujours  votre  très-affectionné,  Nicolo 
«  Pagamni.  » 

Pour  suivre  l'ordre  chronologique ,  nous  avons  d'abord 
parlé  de  Benvenuto  ;  mais  le  Requiem,  composé  après  cet 
ouvrage ,  fut  exécuté  dans  l'église  des  Invalides  le  5  dé- 
cembre 1837,  au  service  funèbre  du  général  Damrémont. 
Le  grand  effet  produit  par  le  Tuba  viirum,  le  Lacrymosa 
et  par  V Offertoire,  bien  que  ce  dernier  morceau  soit  d'un 
genre  tout  différent,  est  encore  présent  à  l'esprit  de  ceux 
qui  l'ont  entendu. 

Voulant  témoigner  à  Paganini  sa  reconnaissance  en  lui 
dédiant  une  œuvre  capitale ,  M.  Berlioz  conçut  le  plan  de  la 
symphonie  dramatique  de  Roméo  et  Juliette,  dont  il  avait 
confié  le  livret  à  M.  Emile  Deschamps  ;  malheureusement  • 
la  mort  vint  frapper  Paganini  avant  que  ce  grand  ouvrage 
fût  achevé.  M.  Berlioz  venait  d'être  décoré  de  la  Légion 
d'Honneur.  Au  mois  de  novembre  1839  il  fit  exécuter  au 
Conservatoire  Roméo  et  Juliette,  dont  l'effet  fut  immense. 
Nous  ne  craignons  pas  de  dire  que  dans  Yàfête,  l'ada- 
gio, le  scherzo  de  la  reine  Mab,  et  le  finale,  il  s'est  montré 
l'égal  de  Beethoven.  L'idée  des  prologues  ou  des  chœurs 
chantant  sur  le  ton  du  récitatif  lui  appartient  en  propre. 
Ces  chœurs,  dont  le  rôle  est  assimilé  ici  à  celui  du  chœur 
de  la  tragédie  antique ,  produisent  l'effet  le  plus  neuf  et  le  ' 
plus  heureux.  Cette  œuvre,  si  belle  qu'elle  soit,  n'est  pour- 
tant pas  à  l'abri  de  fout  reproche.  On  y  trouve  des  détails 
d'une  expression  forcée  et  trop  cioie,  mais  ces  défauts  de- 
viennent toujours  plus  rares.  Ce  qu'il  faut  admirer  surtout 
dans  Roméo  et  Juliette,  c'est  la  puissance  et  i'habileté 
avec  lesquelles  M.  Berlioz  a  mêlé  le  drame  à  la  symphonie, 
la  symphonie  au  drame ,  sans  jamais  les  confondre. 

M.  Berlioz  mit  le  comble  à  sa  renommée  comme  instru- 
mentalistedanssagrandeSy??îp//o«îe/i»2è&ree^  triomphale 
composée  en  1840 ,  à  la  demande  du  ministre  de  l'intérieur, 
pour  la  translation  des  cendres  des  combattants  de  juillet. 
Cette  composition  offrait  les  plus  grandes  difficultés  :  la 
musique  devant  être  exécutée  en  plein  vent,  sur  la  place  de 
la  Bastille,  autour  de  la  colonne  :  M.  Berlioz  ne  pouvait  y 
employer  les  violons.  Il  disposa  si  habilement  les  masses  des 
instruments  k  vent  que  l'effet  fut  celui  d'un  orchestre  com- 
plet. Jamais  les  sentiments  qui  animent  la  multitude  dans  les 
grandes  circonstances  nationales ,  la  douleur  publique,  l'en- 
thousiasme des  combats  ,  les  joies  du  triomphe ,  n'avaient 
été  rendus  avec  des  accents  plus  touchants  et  plus  nobles. 
C'est  là  de  la  vraie  musique  populaire. 

En  1843  M.  Berlioz  parcourut  la  Belgique  et  toute  l'Al- 
lemagne, en  donnant  des  concerts  dans  les  principales 
villes.  Mcndeissohn  et  MeverBcer  mirent  tour  à  tour 


BERLIOZ  —  BERML 


3S 


à  sa  dtsposiiion  toutes  les  ressources  musicales  dont  ils 
pouvaient  disposer.  Dans  un  concert  donné  par  MM.  Ber- 
lioz et  Mendelssohn ,  les  deux  jeunes  représentants  de  la 
musique  instrumentale  en  France  et  en  Allemagne ,  rap- 
pelés sur  la  scène,  s'embrassèrent  et  échangèrent  leurs  bâ- 
tons de  mesure.  De  retour  à  Paris,  M.  Berlioz  nous  a  fait 
entendre  dans  plusieurs  concerts  son  ouverture  du  Cflrn/fva^ 
romain.  Cette  cliarmante  symphonie,  composée  sur  les  mo- 
tifs de  Benvemtto  Cetlini ,  prouve  que  cette  partition  n'é- 
tait pas  aussi  dépourvue  de  mélodie  qu'on  l'avait  dit  d'abord. 

On  connaît  l'habiiefé  de  M.  Berlioz  comme  chef  d'or- 
chestre. Personne  n'exerce  plus  d'ascendant  sur  les  musi- 
ciens et  ne  sait  leur  communiquer  plus  d'enthousiasme. 
Quelles  que  soient  les  opinions  personnelles  des  artistes  à 
l'égard  des  compositions  de  leur  chef,  une  fois  réunis  sous 
son  bâton  de  mesure ,  ils  obéissent  comme  un  seul  homme. 
Depuis  longtemps  M.  Berlioz  cherchait  l'occasion  de  réunir 
toutes  les  ressources  n)usicales  de  Paris  dans  une  grande 
solennité.  L'exposition  des  produits  de  l'industrie  vint  la 
lui  fournir  :  le  1^"'  aoOt  I84''i,  il  donna  dans  la  vaste  salle 
«les  mac'iines  un  grand  festival  qui  avait  vivement  excité  la 
curiosité.  Malheureiiseuient ,  ce  local  n'avait  pas  été  cons- 
truit d'après  des  conditions  de  sonorité  assez  favorables. 
Néanmoins  les  effets  de  masses  furent  saisissants,  et  ja- 
mais on  n'avait  vu  une  armée  de  plus  de  mille  exécutants 
manœuvrer  avec  plus  d'ensemble  et  de  chaleur.  M.  Berlioz 
avait  écrit  pour  cette  solennité  un  Hymne  à  la  France,  pa- 
roles de  M.  A.  Daihier,  dont  la  mélodie  jjrincipale  pourrait 
avoir  plus  de  distinction,  mais  d'une  instrumentation  admi- 
rable, et  dont  la  dernière  strophe  est  d'un  effet  grandiose. 

11  nous  resterait  à  apprécier  M.  Berlioz  comme  critique, 
écrivain  et  théoricien.  Sous  ce  rapport,  il  est  plein  de  verve  ; 
ses  expositions  sont  nettes ,  ses  analyses  animées  et  pittores- 
ques, ses  jugements  tranchants  et  parfois  passionnés.  Il  est 
admirable  quand  il  parle  de  Gluck ,  de  Beethoven ,  de  \Ye- 
ber,  de  Meyer-Beer,  de  Mendelssohn,  de  Spontini.  Mais 
certaines  de  ses  opinions  ne  nous  paraissent  pas  plus  ad- 
missibles que  certaines  données  de  son  talent  musical.  Ce  fut 
en  1828  qu'il  débuta  dans  le  Correspondant  par  quelques 
articles  très-remarquables  sur  Beethoven  ;  il  travailla  suc- 
cessivement dans  la  Revue  Européenne  et  le  Courrier  de 
V Europe.  Vers  1835  il  contribua  pour  une  part  notable  au 
succès  de  la  Gazette  Musicale.  A  la  fin  de  la  môme  année, 
il  fut  chargé  du  feuilleton  musical  des  Débats,  qu'il  con- 
tinue toujours.  H  a  publié  au  commencement  de  1844  son 
beau  Traité  d'Instrumentation,  et  il  a  fait  paraître  deux 
volumes  d'un  Yoijage  musical  en  ItaUe  et  en  Allemagne. 

M.  Berlioz  est  un  des  quatre  ou  cinq  musiciens  contem- 
porains qui  ont  un  style  à  eux,  une  individualité  propre.  11 
est  rare  qu'un  de  ses  ouvrages  n'ait  pas  produit  une  |)olé- 
mique  animée  et  soulevé  les  questions  les  plus  fondamen- 
tales qui  tiennent  à  l'essence  de  la  musique.  Nous  avons  lâché 
d'apprécier  ce  musicien  avec  impartialité.  Qiioi  qu'il  en 
soit,  il  restera  de  M.  Berlioz  de  grandes  œuvres  entachées, 
les  premières  surtout,  de  grands  défauts,  mais  qui  seiunt 
destinées  en  France  à  agrandir  la  sphère  de  l'art.  Lui  seul  a 
tenté  parmi  nous  des  effets  gigantesques;  lui  seul  a  remué 
des  masses  colossales  ;  il  n'a  i)as  toujours  réussi ,  mais  il  est 
vrai  de  dire  aussi  que  plusieurs  de  ses  insuccès  doivent  être 
attribués  aux  défauts  de  l'exécution.  Depuis  qu'il  dirige  lui- 
même  ses  concerts,  on  a  pu  mieux  entendre  sa  musique, 
et  il  a  fini  par  grouper  autour  de  lui,  parmi  les  artistes  et  les 
amateurs ,  tout  ce  qui  est  jeune  et  fort. 

Aux  grandes  compositions  de  M.  Berlioz  dont  il  vient 
il'être  question,  il  faut  ajouter  une  ouverture  de  Waverley, 
neuf  mélodies  écossaises,  le  Cinq  Mai,  une  fantaisie  pour 
le  violon,  plusieurs  mélodies  sur  des  paroles  de  MM.  Yiclor 
lliigo,  Brizeiix  et  autres  poêles.  J.  D'Ouxicur,. 

M.  Berlioz  est  aujourd'hui  bibliothécaire  du  Conservatoire. 
Nianiuoins  il  va  souvent  encore  à  l'étraugcr  diriger  dos  csju- 


ceits.  A  Paris,  il  préside  chaque  année  à  ceux  que  donne 
une  société  musicale  dont  il  est  le  grand  maître.  Partisan 
des  orchestres  immenses ,  c'est  aussi  lui  qui  a  eu  l'idée  d«j 
donner  en  1845  un  concert  monstre  dans  la  salle  du  Cir- 
que des  Champs-Elysées.  1\L  Berlioz  a  frappé  déjà  à  la  porte 
de  l'Académie  des  Beaux-Arts,  mais  sans  pouvoir  y  entrer. 
Aux  productions  citées  plus  haut  il  faut  joindre  la  Dam- 
nation de  Faust,  légende-symphonie  exécutée  en  is'ie. 

Il  y  a  pourtant  des  esprits  chagrins  qui  s'obstinent  à  ne  pa? 
admirer  M.  Berlioz,  et  qui  lui  reprochent  de  prendre  sa  bizar 
rerie  pour  du  génie,  le  biiiit  pour  de  l'harmonie,  des  notes 
cousues  sans  suite  pour  de  la  mélodie,  etc.  On  leur  répond 
qu'ils  n'entendent  rien  au  progrès  de  l'art,  et  ils  se  consolent 
en  répétant  cette  plaisanterie  du  maréchal  Lobau,  qui  di- 
sait, après  avoir  entendu  aux  Invalides  le  Requiem  de  M. 
Berlioz  :  «  C'était  fort  bien;  ce  qui  m'a  (ait  surtout  beau- 
coup de  plaisir,  ce  sont  les  tambours.  » 

BEllLUE.  C'est  une  alfection  dans  laquelle  le  cerveau 
perçoit  l'image  d'objets  qui  n'existent  réellement  pas.  Les 
individus  qui  en  sont  affectés  croient  apercevoir  un  insecte, 
une  mouche,  qui  suit  leurs  mouvements  ou  se  fixe  sur  les 
objets  vers  lesquels  ils  portent  leurs' regards  ;  d'autres  fois,  ce 
sont  des  ombres,  des  points  noirs,  des  toiles  d'araignée, 
qui  passent  et  repassent  en  mille  sens  différents  devant  leurs 
yeux;  d'autres  fois,  les  malades  aperçoivent  subitement  des 
éclairs,  des  étincelles  brillantes,  des  globes  ou  des  crois- 
sants lumineux,  des  espèces  de  pluies  de  feu,  etc. 

Cette  affection  s'observe  particulièrement  chez  les  indivi- 
dus qui  ont  la  me  tendre  et  dont  la  rétine  jouit  d'urne 
sensibilité  trop  exquise,  ou  bien  chez  les  personnes  qui,  ha- 
bituellement, ou  accidentellement,  habitent  dans  des  lieuv 
très-éclairés.  LUe  peut  être  également  le  résultat  de  quel- 
ques afléctions  du  cerveau,  à  la  suite  de  congestion  ou  d'in- 
flammation de  cet  organe,  ou  bien  de  l'ivresse,  de  l'épilep- 
sie,  etc. 

Dans  tous  les  cas,  la  berlue  est  de  peu  d'importance  en 
elle-même ,  disparaissant  avec  la  maladie  qui  lui  a  donnu 
naissance.  Quelquefois  cependant  elle  reste  stationnaire  cl 
même  devient  permanente,  et  dans  ce  cas  les  individus  qui 
en  sont  affectc-s  cherchent  à  fa're  disparaître  les  objets 
qu'ils  croient  voir  se  fixer  sur  ceux  qu'ils  regardent,  par  de  ■> 
mouvements  automatiques.  Cette  erreur  de  la  vue  parait 
déjieudre  d'une  lésion  de  la  rétine,  qui  semble  avoir  quei- 
qu'analogie  avec  l'amaurose,  et  celle-ci  est  peut-être  le  se- 
cond degré  de  la  première. 

On  emploie  généralement  contre  cette  aberration  de  l<. 
vision  les  vapeurs  de  difléientes  natures  dirigées  sur  l'œil, 
puis  les  dérivatifs,  tels  que  les  pédiluves,  les  sinapisines,  len 
vésicatoires,  les  émétiques,  etc. 

BERHIE.  C'est,  en  termes  de  ponts  et  chaussées  et  d.! 
fortifications ,  un  i)rol()ni;eiuent  régnant  parallèlement  et  eu 
continuité  d'une  route  pavée ,  d'une  chaussée,  d'un  ouvrage. 

Une  berme  de  batterie  de  siège  offensif  &  un  mètre  de 
large  et  règne  entre  le  fossé  et  le  parapet.  Une  batterie  de 
gabions,  qu'elle  soit  ou  non  batterie  de  siège ,  a  une  berme. 

La  berme  de  chemin  forme  l'acolement  du  pavé  d'un 
chemin  militaire;  c'est  le  bas  coté  ou  le  côté  de  terre  d'uns 
route  pavée  ou  ferrée. 

Ou  appelle  berme  de  fortification  ou  berme  de  rem- 
part une  sorte  de  berme  qui  prend  le  nom  défausse  bruic. 
ou  de  busse  enceinte  quand  elle  a  un  parapet.  Une  telln 
berme  présente  un  repos,  un  corridor  ménagé  au  i)ied  de  l'es- 
carpe d'un  rempart  non  revêtu  :  elle  régne  au-dessus  du  fosse 
de  la  forteresse,  et  au  niveau  de  la  campagne;  sa  largei  r 
varie  à  raison  du  besoin,  mais  elle  est  ordinairement  du 
quatre  mètres.  Ces  bennes  ont  surtout  pour  objet  de  rc- 
leuir  les  l'houlemeuts  quand  les  lorliiications  sont  battue~^ 
par  le  canon  ou  dotérioiOes  par  la  vétusté;  sans  cette  pré- 
caution, les  débris  encombreraient  le  fossé.  Elles  sont  vue* 
des  lianes  des  bastions;  elles  sont  hérissées  ordinairemnii 


86 


BERME  —  BERNADOTTE 


fie  fi'aises,  ex  quelquefois  défendues  par  des  haies  vives; 
une  rangée  de  palissades  est  plantée  le  long  de  leur  milieu. 

Les  bermes  de  rempart  se  sont  aussi  nommées  lisières, 
pas  (le  sotms,  accompagnement  d'enceinte,  relais,  re- 
traite, ronde;  mais  ce  dernier  mot  exprime  maintenant 
nutre  chose,  et  le  terme  pas  de  souris  s'applique  surtout 
aux  demies  descendant  au  fond  des  fossés  secs. 

BERMUDES  (  Iles),  en  espagnol  Bermudas,  appelées 
aussi  ilcs  Somcrs,  groupe  océanien  isolé,  composé  d'en- 
viron quatie  ctuits  i)elites  îles,  rochers  et  écueils  apparte- 
nant à  rAii^'«;terre  et  placées  sous  l'autorité  d'un  gouver- 
neur particulier.  Elles  sont  situées  dans  l'océan  Atlantique, 
à  111  niyriamètres  de  la  côte  de  la  Caroline  du  sud, 
l'un  des  États  dont  se  compose  l'Union  américaine  du  nord, 
sur  la  grande  route  maritime  conduisant  des  Indes  occiden- 
tales en  Europe,  par  .■i2"20'de  latitudeseptentrionaleetG?"  10' 
de  lont^ilude  orientali;.  Ell(«  ne  se  composent  que  de  bancs  de 
corail  ([ui  ne  s'élèvent  nulle  part  à  plus  de  deux  cents  pieds 
au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  mais  ((ui  se  prolongent  fort  loin 
encoie  sous  l'eau,  et  qui  rendent  ainsi  très-dangereuse  Ten- 
tilf'C  des  ports,  d'ailleurs  excellents,  qu'on  y  trouve. 

11  n'y  a  que  neuf  de  ces  îles  qui  soient  habitées ,  à  sa- 
voir :  Saint-George,  avec  le  port  de  Georgetown  pour  chef  • 
lieu  ,  protégé  par  le  fort  Davers,  siège  du  gouvernement, 
avec  ([uatre  mille  habitants ,  et  remarquable  par  ses  vastes 
citernes;  Saint-David,  Bermuda' ,  où  se  trouve  le  port 
iV HatniUon ;  Somerset,  Ireland,  Coopers,  Gates,  Bird- 
Island  et  Nensucli.  Quoique  sous  la  région  tropicale,  le 
climat  y  est  si  tempéré,  que  la  température  moyenne  de  l'an- 
née n'y  dépasse  pas  16°Réaumur.  Tous  les  produits  des  tro- 
piques, comme  le  café,  le  sucre,  l'indigo,  le  coton,  etc.,  y 
prospèrent.  Toutefois  le  sol ,  de  nature  rocheuse,  couvert 
seulement  d'une  légère  couche  de  terre  végétale ,  et  dénué 
de  cours  d'eau  ,  ne  permet  pas  à  l'agriculture  d'y  prendre  de 
grands  développements;  aussi ,  depuis  l'émancipation  des 
nègres,  ces  îles  ne  fournissent-elles  guère  à  l'exportation  que 
de  l'arrow-root,  et  surtout  ce  qu'on  appelle  le  bois  de  cèdre 
<les  Bermudes  (juniperus  bcrmir^ina)  ;  essence  qui  croît 
ég.'.lemeut  aux  îles  Bah  a  m  a,  qui  convient  admirablement 
à  la  construction  des  vaisseaux,  et  qu'on  utilise  aussi  pour 
la  fabrication  des  crayons  de  mine  de  plomb.  Les  légumes, 
les  fruits  ,  les  grains  et  la  viande  qu'on  y  consomme,  sont 
des  importations  des  lîtats-Unis.  Les  plus  effroyables  oura- 
gans y  régnent  toute  l'année  ;  aussi  les  maisons  du  chef-dieu 
n'ont-elles  toutes  qu'un  étage. 

Le  chiffre  total  de  la  (topulal  ion  est  de  onze  rallie  habitants, 
dont  plus  ûe  la  moitié  de  race  nègre.  Le  reste  est  nngliiis 
d'origine.  Les  hommes  se  distinguent  par  leur  esprit  indus- 
trieux, et  se  livrent  avec  beaucoup  de  succès  à  la  fabrication 
des  toiles  à  voiles  et  des  tissus  de  coton ,  à  la  construction 
des  navires,  à  la  pêche,  notamment  à  celle  delà  baleine. 
Les  femmes  sont  généralement  fort  belles.  Les  deux  sexes 
se  distinguent  par  une  grande  moralité  et  par  la  manière 
gracieuse  dont  ils  s'acquittent  des  devoirs  de  l'hospitalité. 

Les  frais  occasionnés  par  l'entretien  de  cette  colonie  ne  sont 
pas,  à  beaucoup  près,  couverts  par  le  produit  des  contribu- 
tions publiques,  au  nombre  desquelles  les  droits  de  douane 
tiennent  la  première  place.  Mais ,  comme  station  de  commerce 
et  lieu  de  rafraîchissement,  ces  îles  ,  au  point  de  vue  stra- 
tégique surtout,  sont  d'une  importance  extrême  pour  l'Anglc- 
terre.  C'est  ce  qui  explique  conmient  dans  ces  dernières  an- 
nées le  gouvernement  anglais  a  pu  y  dépenser  annuellement 
plus  de  100,000  livres  sterling  (2,500,000  fr.)  en  travaux  de 
iortilieations  et  pour  y  fonder  un  arsenal  maritime. 

L'administration  de  cette  colonie  se  compose  d'un  gou- 
verneur, d'un  conseil  de  huit  membres  choisis  par  le  gou- 
verneur, et  d'une  assembty,  dont  les  trente-six  membres  sont 
<')us  par  les  propriétaires  de  l'île. 

Juan  Bennude/,  espagnol,  découvrit  les  îles  Bermudas 
Cl»  lJi22.  En  1C0"J,  sir  Georges  Somers ,  se  rendant  à  la 


Virginie,  fit  naufrage  aux  lies  Bermudes;  et  dès  ICI 2  les 
Anglais  s'y  établissaient  sans  que  l'Espagne  s'y  opposât, 
malgré  les  droits  de  priorité  de  découverte  qu'elle  avait  à 
la  possession  de  cet  archipel.  L'organisation  administrative 
de  la  colonie  est  encore  aujourd'hui  celle  qui  lui  fut  donnée 
en  1620.  Consultez  :  An  historical  and  statistical  Account 
of  Bermtidas  {Londres,  1848). 

BERMUDEZ  (Jérôme),   poète  espagnol  au  seizième 
siècle,  était  originaire  de  la  Galice.  Mais  sa  famille,  l'époque 
de  sa  naissance  et  celle  de  sa  mort  sont  restées  enveloppées 
de  la  môme  obscurité  ;  on  suppose  toutefois  qu'il  descen- 
dait de  Diego  Bermudez,  l'un  des  neveux  du  Cid.  Célèbre 
comme  humaniste  et  comme  théologien ,  il  s'est  fait  aussi 
un  nom  comme  auteur  dramatique.  On  a  de  lui  deux  tra- 
gédies :  A'i5a  (Inès)  malheureuse  et  Nisa  couronnée,     _ 
qu'il  publia  sous  le  pseudonyme  d'Antonio  Sylva  (  1575  ),  et    ■ 
un  poème  intitulé  :  VHespei-odia.  Le  fameux  doc  d'Albe  est     i 
le  héros  que  sa  muse  s'est  choisi. 

—  rlusieurs  rois  des  Asturies  ont  porté  le  nomdeBEUiHu- 
PEZ .  lîermudez  V  fut  élevé  au  trône  en  788,  et  Bermudez  1 1 1 
périt  à  la  bataille  de  Carion,  en  1037.  C'était  le  dernier  re- 
jeton couronné  de  la  famille  des  anciens  rois  goths. 

VA'imWDEZ  (ZiU-).  Voije:.  ZÉA-BErtJiuDEZ. 

lîE?l.\ADOTTE  (Jeax-B^I'TIste-Ji'les),  mort  roi  de 
Suède  et  de  Norvège  sous  le  nom  de  CHARLES-JEAN  XIV, 
était  né  à  Pau,  le  20  janvier  1764,  d'une  famille  hono- 
rable de  la  bourgeoisie  de  cette  ville.  Son  père  exerçait  la 
profession  d'avocat.  A  peine  âgé  de  dix-sept  ans ,  se  sen- 
tant peu  de  goût  pour  le  barrean,  il  s'engagea  volontai- 
rement dans  le  régiment  Royal-Jîarine ,  et  partit  à  l'instant 
même  pour  Marseille ,  oii  son  corps  s'embarquait  pour  la 
Corse.  Son  éducation  n'avait  été  qu'ébauchée,  comme  il  est 
facile  de  s'en  convaincre  par  les  graves  et  nombreuses 
incorrections  grammaticales  que  l'on  remarque  dans  ses 
letti-es  autographes.  Quand  éclata  la  grande  commotion  de 
1789,  il  n'avait  encore  obtenu  pour  toute  récompense  de  neuf 
années  de  service  que  les  galons  de  sergent-major.  Le  7  fé- 
vrier  1790  il  fut  promu  au  grade  d'adjudant  sous-officier. 
Son  régiment  se  trouvait  alors  à  Marseille,  où  commençait  à 
se  taire  sentir  le  contre-coup  des  grands  événements  de  Paris. 
Un  jour  le  peuple  se  révolte  au  nom  de  la  liberté;  le  co- 
lonel de  Royal-Rlarine  veut  réprimer  l'insurrection  par  la 
force.  Repoussé  avec  perle,  il  va  payer  de  sa  vie  son  im- 
prudente audace,  quand  deux  jeunes  gens,  s'élançant  de- 
vant .lui ,  lui  font  un  rempail  de  leur  corps  et  calment  la 
foule  exaspérée.  Ces  deux  jeunes  gens  étaient  Bernadotte 
et  Barbaroux.  Ils  s'end)rassèrent  avec  effusion  sur  le 
perron  de  l'hôtel  de  ville ,  en  se  jurant  une  amitié  étemelle  : 
mais  ils  ne  devaient  plus  se  revoir. 

On  conçoit  d'après  ce  qui  précède  que  Bernadotte  ait  em- 
brassé avec  ardeur  et  professé  avec  énergie  les  principes 
d'une  révolution  qui,  détruisant  toutes  les  distinctions  fon- 
dées sur  la  naissance  ou  l'éducation  première,  permettait  à 
un  bas-olhcier  d'aspirer  au  plus  haut  rang.  D'ailleurs  son 
avancement  fut  rapide,  et  il  gagna  tous  ses  grades  sur  le 
champ  de  bataille  :  colonel  dans  l'armée  de  Custine,  il  fut 
nommé  général  de  brigade  par  Kléber,  qui ,  en  mainte  oc- 
casion ,  avait  été  à  même  d'apprécier  son  courage  et  sa 
rare  intelligence.  En  1794  il  connuandait  une  division  à  !a 
célèbre  bataille  de  Eleurus.  Son  nom  se  rattache  aux  grands 
et  nombreux  faits  d'armes  des  premières  campagnes  de  1;> 
guerre  d'indépendance  sur  les  rives  de  la  Lahn ,  du  Rhin  , 
à  Mayence ,  à  Neuliof,  au  passage  de  la  Rednitt,  à  la  prise 
d'Altorf,  à  Neumark  et  sur  les  bords  du  Mein.  Ses  soldats 
paraissaient-ils  hésiter,  il  les  électrisait  tout  à  la  fois  par  sa 
paiole  et  par  ses  actions.  Un  jour  il  jeta  ses  épaulettes  dans 
les  rangs  ennemis.  «  Allons  les  reprendre!  »  s'écria-t-il  ;  et 
tous  ceux  qui  l'avaient  vu  ou  qui  l'avaient  entendu  s'élan- 
cèrent sur  ses  pas  à  la  victoire.  A  la  lin  de  cette  campagne, 
le  Directoire  lui  écrivait  :  >•  La  répubrupic  est  accoutumée 


BERNADOTTE 


37 


à  voir  triompher  ceux  de  ses  défenseurs  qui  vous  obéissent.  » 

Peu  de  temps  après  la  bataille  de  Neuwied,  Bernadotte  fut 
cliargé  de  conduire  à  l'armée  d'Italie  20,000  hontmaes  de 
l'armée  de  Sambre-et-Meuse.  C'était  la  première  fois  qu'il 
se  trouvait  face  à  face  avec  Bonaparte.  Dès  que  ces  deux 
hommes  s'aperçurent,  ils  éprouvèrent  l'un  pour  l'autre  une 
secrète  antipathie.  «  Je  viens  de  voir ,  dit  Bernadotte  en 
rentrant  à  son  quartier  général ,  un  homme  de  vingt-six  à 
vingt-sept  ans  qui  veut  avoir  l'air  d'en  avoir  cinquante, 
et  cela  ne  me  présage  rien  de  bon  pour  la  république.  » 
A  en  croire  certains  biographes,  Bonaparte  aurait  dit  de  lui, 
à  son  tour ,  que  c'était  une  tête  française  sur  le  cœur  d'un 
Romain.  Les  messieurs  de  l'armée  d'Allemagne  ne  frater- 
nisèrent pas  d'abord  avec  les  sans-culottes  de  l'armée  d'I- 
talie; mais  quand  il  s'agit  de  battre  l'ennemi  toutes  ces 
haines ,  toutes  ces  rivalités  disparurent.  Pendant  la  mémo- 
rable campagne  qui  amena  la  paix  de  Campo-Formio, 
Bernadotte  ^e  signala  surtout  au  passage  du  Tagliamento  et 
à  la  prise  de  la  forteresse  de  Gradisca. 

Chargé  de  présenter  au  Directoire  les  drapeaux  enlevés  à 
l'ennemi,  il  arriva  à  Paris  quelques  jours  avant  le  coup 
d'État  du  18  fructidor.  11  était  porteur  d'une  lettre  du 
général  eu  chef  de  l'armée  d'Italie,  se  terminant  ainsi  : 
«  Vous  voyez  dans  le  général  Bernadotte  un  des  amis  les 
plus  solides  de  la  république,  incapable  par  principes 
comme  par  caractère  de  capituler  avec  les  ennemis  de  la 
liberté  pas  plus  qu'avec  l'honneur.  « 

Les  partis  qui  divisaient  la  France  se  trouvaient  alors  en 
présence,  et  la  guerre  était  déclarée  entre  le  Directoire  et 
les  Conseils.  La  contre-révolution  marchait  tête  levée  ;  elle 
avait  ses  agents  dans  les  premiers  pouvoirs  de  l'État ,  son 
armée,  ses  journaux,  ses  comités  dans  la  capitale  et  les  dé- 
partements. Elle  se  trahissait  souvent  par  d'indiscrètes  rodo- 
montades ,  et  ses  séides,  se  flattant  d'un  triomphe  infaillible 
et  prochain ,  criaient  hautement  :  «  Nous  sommes  cinq  cent 
mille,  et  Pichegru  est  à  notre  tête.  »  Le  Directoire  opposait 
les  armées  aux  factieux  de  l'intérieur.  Chaque  jour  des 
adresses  annonçaient  au  Directou-e  que  les  armées  étaient 
prêtes  à  voler  à  son  secours.  Le  discours  prononcé  par  Ber- 
nadette, en  présentant  les  drapeaux  conquis  en  Italie, 
exprimait  les  mêmes  vœux.  Cette  présentation  était  donc  un 
événement  remarquable  ;  aussi  la  réponse  du  président  du 
Directoire  au  représentant  de  l'armée  d'Italie  fut-elle  un  ma- 
nifeste de  guerre  et  le  signal  du  coup  d'État  du  18  fructidor. 

Seul  de  tous  les  généraux  des  armées  républicaines  pré- 
sents à  Paris,  Bernadotte  avait  refusé  de  jouer  un  rôle  dans 
ce  coup  d'État;  il  avait  laissé  faire  Auger eau.  Le  Direc- 
toire lui  offrit  le  commandement  de  l'armée  du  midi,  des- 
tinée à  comprimer  les  bandes  royalistes  qui  s'y  étaient 
ortiauisées.  Ses  services  méritaient  une  plus  noble  récom- 
pense ;  il  refusa,  et  alla  rejoindre  Bonaparte  avec  des  ordres 
paiiiculiers  et  des  instructions  verbales.  Ce  fut  au  château 
de  Passeriano  qu'ils  se  rencontrèrent.  Bonaparte  lui  de- 
manda son  avis  sur  la  conduite  qu'il  avait  à  tenir;  Berna- 
dotte ne  balança  pas  à  lui  conseiller  la  paix.  «  Et  quel  est 
l'avis  du  Directoire?  —  Juste  l'opposé  du  mien.  —  Pensez- 
vous  qu'on  me  fournisse  longtemps  les  moyens  de  faire  la 
guerre?  —  Non;  la  nation  désire  la  paix,  et  le  Directoire  ne 
tient  à  la  guerre  que  pour  prolonger  son  existence.  »  Voila 
ce  qui  décida  Bonaparte  à  signer  le  traité  de  Campo-Formio. 

A  cette  époque  Bernadotte  écrivait  au  Directoire  pour  lui 
demander  un  commandement  aux  îles  de  France,  de  la 
Réunion,  dans  l'Inde,  dans  l'armée  de  Portugal,  ou,  enfin, 
sa  retraite.  Le  Directoire,  heureux  de  la  rivalité  qu'il  voyait 
poindre  entre  les  deux  généraux,  s'empressa  de  désigner 
Bernadotte  pour  commander  en  chef  l'armée  d'Italie  à  la 
place  de  Bertliier,  qui  exerçait  cette  fonction  par  intérim. 
Il  se  rendait  à  son  poste  lorsciue,  à  sa  grande  surprise,  il  re- 
çut un  nouvel  arrêté,  qui  le  nommait  ambassadeur  à  Vienne. 

Il  n'était  alors  rien  moins  que  diplomate;  il  représenta 


néanmoins  sa  patrie  avec  dignité,  et  fit  pour  la  première  fois 
arborer  le  drapeau  tricolore  au  palais  de  France  :  c'était 
pour  lui  un  droit  et  un  devoir.  L'apparition  de  l'étendard 
républicain  devint  le  prétexte  d'une  émeute  organisée  par  la 
police  autrichienne ,  à  la  suite  de  laquelle  Bernadotte  dut 
quitter  Vienne.  Uaffaire  du  drapeau  eut  les  plus  funestes 
consécjuences.  Les  petits  princes  d'Allemagne,  qui  jus- 
qu'alors avaient  paiu  résignés  à  de  fortes  concessions, 
parce  qu'ils  croyaient  l'Autriche  sincèrement  unie  à  la 
France,  reprirent  courage  et  se  montrèrent  très-exigeants. 

On  sait  comment  linit  le  congiès  de  Rastadt  :  les  hos- 
tilités recommencèrent  bientôt  avec  une  effrayante  intensité. 
Bernadotte  accusa  l'ambition  de  Bonaparte  de  les  avoir  fo- 
mentées. De  retour  à  Paris ,  il  refusa  le  commandement  de 
la  8*  division  (Marseille)  et  l'ambassade  de  La  Haye. 
Sa  lettre  de  remercîment  au  Directoire,  motivée  sur  le  be- 
soin de  repos ,  se  termine  par  ces  mots  :  «  Je  vous  prie , 
citoyens  directeurs ,  d'agréer  le  tribut  de  ma  gratitude. 
Vous  aurez  justement  senti  que  la  réputation  d'un  homme 
qui  a  contribué  à  placer  sur  son  piédestal  la  statue  de  la 
liberté  est  une  propriété  nationale.  »  Le  Directoire  ne 
pouvait  cependant  laisser  Bernadotte  sans  emploi  après  son 
rappel  de  l'ambassade  de  Vienne  ;  c'eût  été  improuver  et 
punir  la  conduite  de  son  ambassadeur  dans  Vaffaire  du 
drapeau.  Il  fut  donc  nommé  général  en  chef  de  l'armée 
d'observation  du  Bas-Rhin,  et  il  ouvrit  la  campagne  par  le 
bombardement  de  Philipsbourg  et  la  prise  de  Manlieim. 

Tandis  que  l'expédition  d'Egypte  se  préparait,  Berna- 
dotte, de  retour  à  Paris,  y  épousait  la  belle-sœur  de 
Joseph  Bonaparte,  M*"'  Eugénie-Bernardine-Désirée 
Claky,  fille  d'un  négociant  de  Marseille.  Singulière  des- 
tinée que  celle  de  cette  jeune  fille,  née  pour  être  impéra- 
trice ou  reine!  Quelques  années  auparavant,  Napoléon 
Bonaparte,  alors  général  d'artillerie  en  disponibilité,  l'avait 
de;nandée  à  son  père,  qui  lui  avait  répondu  :  «  C'est  bien 
assez  d'un  Bonaparte  dans  la  famille.  » 

Le  système  de  destitutions  arbitraires  d'Aubry ,  qui ,  du 
temps  de  la  Convention,  avait  frappé  les  meilleurs  géné- 
raux des  armées  de  la  république,  s'était  renouvelé  sous  le 
Directoire.  Sieyès,  qui  voyait  partout  s'avancer  comme 
un  redoutable  fantôme  le  régime  de  93  ;  Sieyès ,  que  la 
moindre  manifestation  d'indépendance  terrifiait,  avait  ré- 
vélé son  effroi  dans  un  discours  prononcé  au  Champ-de- 
Mars  dans  une  grande  solennité  uati9nale.  Devenu  à  son 
tour  président  du  Directoire,  il  avait  fait  partager  ses  craintes 
à  ses  collègues ,  Barras  et  Roger-Ducos.  L'armée  était  dé- 
couragée :  des  revers  funestes  et  fréquents  avaient  succédé 
aux  victoires,  et  l'on  rappelait  avec  affectation  les  brillants 
succès  de  l'armée  d'Italie,  pour  ramener  l'admiration  et 
les  regrets  sur  son  jeune  général,  alors  en  Egypte.  Était-ce 
la  conséquence  d'un  plan  arrêté  pour  justifier  son  retour? 
Quoi  qu'il  en  ait  été ,  le  Directoire  avait  senti  la  nécessité 
d'appeler  au  ministère  de  la  guerre  un  autre  général,  qui 
eût  toute  la  confiance  de  l'armée,  et  dont  les  talents  et 
l'activité  pussent  rétablir  l'ordre  dans  l'administration  mi- 
litaire. Bernadotte  fut  chargé  de  ce  portefeuille.  De  grands 
abus  ne  tardèrent  pas  à  être  réformés  ;  les  cadres  furent 
bientôt  portés  au  complet.  Mais  Bernadotte  était  républicain  ; 
il  était  lié  avec  les  membres  de  la  même  opinion  les  plus 
influents  des  deux  conseils.  C'en  était  assez  pour  alarmer 
l'ombrageuse  susceptibilité  de  la  majorité  du  Directoire. 
Elle  chercha  donc  proniptement  une  occasion  de  s'en  débar- 
rasser. Ce  fut  une  intrigue  assez  plaisante.  A  la  suite  d'une 
conversation  qu'il  eut  avec  Sieyès,  Bernadotte  reçut  sa  dé- 
mission, acceptée  par  trois  membres  du  Directoire,  avec  la 
promesse  d'un  commandement.  Les  deux  autres  directeurs, 
Gohier  et  Moulin,  qui  n'avaient  point  eu  connaissance  de 
cet  acte,  allèrent  en  grande  pompe  féliciter  le  général,  dé- 
savouant ainsi  leurs  collègues.  Bernadotte  n'en  demanda  pas 
moins  son  triiitement  de  reforme.  Il  s'effaça  lui-même  d« 


38 


BERNADOTTE 


la  scène  politique  jusqu'au  18  brumaire.  Vingt-cinq  jours 
après,  Uonapaite  débarquait  à  Fréjus;  un  mois  plus  tard,  il 
n'y  avait  plus  de  Directoire,  et  Sieyès  était  réduit  à  annoncer 
que  la  France  avait  xin  maître. 

]|  est  douteux  que  Bernadette  ait  été  dans  l'entière  con- 
fidence de  ce  complot.  11  ne  pouvait  cependant  ignorer  qu'un 
cliangemont  dans  le  gouvernement  ne  fût  prochain.  Si  l'on 
en  croit  certaines  relations ,  il  aurait  <lit  à  Napoléon  Bona- 
parte :  «  Je  conçois  la  liberté  autrement  que  vous ,  et  votre 
plan  la  tue.  Je  ne  suis  que  simple  citoyen  ;  depuis  trois  se- 
maines, j'ai  ma  retraite  comme  militaire;  mais  si  je  reçois 
des  ordres  de  ceux  qui  ont  encore  droit  de  m'en  donner, 
je  combattrai  toute  tentative  illégale  contre  les  pouvoirs  éta- 
blis. »  Jl  fut  même  un  temps,  dit-on,  où  non-seulement  il 
avait  conspiré  pour  le  renversement  de  Bonaparte,  mais  où 
il  s'était  même  efforcé  à  plusieurs  reprises  et  vainement  de 
pousser  à  une  résolution  Moreau  ,  toujours  mécontent,  tou- 
jours faible,  toujours  indécis  et  toujours  compromis.  Un 
soir,  à  un  bal ,  à  la  suite  d'une  longue  conversation ,  il  lui 
aurait  dit  :  «  Vous  n'osez  prendre  la  cause  de  la  liberté.  Eh 
bien!  Bonaparte  .se  jouera  de  la  liberté  et  de  vous;  elle  pé- 
rira maigt  é  nos  efforts,  et  vous  serez  enveloppé  dans  sa  ruine 
sans  avoir  combattu.  »  D'un  autre  côté,  son  beau-frère  Jo- 
seph Bonaparte  affirme  l'avoir  rencontré  quelques  jours  au- 
paravant chez.Napoléon,  et  lui  avoir  dit  en  se  retirant  avec 
lui  :  «  Allons ,  Bernadotte ,  convertissez  le  général  Jourdan  ; 
il  faut  qu'il  soit  des  nôtres.  »  A  quoi  Bernadotte  aurait  ré- 
pondu :  «  Je  tùclierai,  mais  je  crains  que  ce  nesoitdifficile.« 

Quelques  personnes  expliquent  par  le  souvenir  d'une  an- 
cienne passion  mal  éteinte  dans  le  cœur  de  Bonaparte  le 
pacte  constamment  heureux  que  l'époux  de  mademoiselle 
Désirée  Clary  sembla  avoir  fait  avec  la  fortune ,  une  fois 
que  Napoléon  fut  devenu  tout-puissant.  Quand  en  effet  l'em- 
pire arriva,  les  grandeurs,  les  dignités  et  les  dotations 
plurent  sur  le  républicain  Bernadotte ,  qui  devint  successi- 
vement maréchal  de  l'empire  et  prince  de  Ponte-Corvo , 
malgré  les  justes  motifs  de  mécontentement  qu'il  donnait 
souvent  à  l'empereur.  Une  influence  secrète  et  mystérieuse 
le  soutint  évidemment  alors  contre  les  volontés  même  de 
Napoléon,  pour  qui  Bernadotte  dissimulait  mal  sa  jalousie, 
pour  ne  pas  dire  sa  haine. 

Après  la  campagne  de  l^russe ,  Bernadotte  fut  mis  à  la  tête 
d'un  corps  d'observation  placé  au  nord  de  l'Allemagne ,  et 
établit  son  quartier  général  à  Hambourg.  Les  pleins  pouvoirs 
dont  il  était  revêtu,  l'importance  de  sa  position,  tout  con- 
courait à  donner  à  son  état-major  une  pompe,  un  air  de  cour, 
qui  durent  vivement  fixer  les  regards  des  habitants  du  Nord, 
déjà  fascinés  par  l'éclat  des  triomphes  de  la  grande  armée, 
auxquels  le  prince  de  Ponte-Corvo,  comme  les  autres  ma- 
réchaux, avait  eu  une  part  si  brillante. 

Pendant  que  le  vice-roi  de  Napoléon  trônait  à  Hambourg 
ou  dans  les  palais  du  pauvre  roi  de  Danemark,  une  des  plus 
singulières  révolutions  dont  l'histoire  fasse  mention  venait 
de  précipiter  du  trône  de  Suède  Gustave  IV.  La  nation, 
dont  il  avait  méconnu  les  droits  et  compromis  l'existence 
politique  par  ses  rodomontades  contre  révolutionnaires,  le 
lit  abdiqiier,  au  détriment  de  sa  descendance  directe,  en  fa- 
veur de  son  oncle  le  duc  de  Suderma^iie,  qui  prit  les  rênes 
du  gouvernement  sous  le  nom  de  Charles XI II.  Ce  prince 
n'avait  jamais  eu  d'enfants  et  n'était  pas  d'âge  à  en  espérer; 
il  fallait  dès  lors  lui  choisir  un  héritier.  La  diète  élut  à  une 
wmiense  majorité  le  prince  Chrétien-Augusle  de  Holstein- 
Augustenbourg,  dont  la  nation  suédoise  avait  eu  lieu 
d'apprécier  les  rares  qualités,  et  qui  sortait  de  cette  illustre 
maison  de  Holstein  qui  a  donné  des  souverains  à  la  Suède, 
au  Danemark  et  à  la  Russie.  Charles  XIII  était  trop  affaibli 
par  l'âge  et  les  infirmités  pour  pouvoir  soutenir  le  poids 
d'une  couronne  ;  aussi  le  prince  royal  régnait-il  sous  son 
nom.  Six  mois  s'étaient  écoulés  depuis  l'élection  du  prince 
ile Holstein,  et  déjà  on  parlait  avec  assez  de  ceititude  d'im 


projet  de  mariage  entre  lui  et  une  des  nièces  de  l'empereur 
des  Français ,  quand  le  peuple  suédois  apprit  un  jour  que 
l'homme  en  (|ui  rei)osaient  toutes  les  espérances  de  la  patrie 
venait  de  périr  mystérieusement  en  se  rendant  d'Helsing- 
bourg  à  un  camp  de  plaisance  formé  en  Scanie.  Cette  cata- 
strophe jetait  la  Suède  dans  un  crise  analogue  à  celle  d'où 
l'avait  tirée  l'élection  du  prince  Chrétien-Auguste.  Pour  ne 
pas  prolonger  un  état  d'incertitude  qui  pouvait  devenir  fatal 
à  la  sécurité  du  pays,  la  diète  résolut  de  procéder  à  l'élec- 
tion d'un  autre  candidat  à  l'iiérilagc  de  la  couronne.  Le 
frère  aîné  du  prince  Chrétien-Auguste  ,  le  duc  alors  régnant 
de  Holstein-.\ugustenbourg,  rélmis^ait  en  sa  faveur  la  ma- 
jeure partie  des  voix  qui  avaient  porté  son  frère;  sou  élec- 
tion paraissait  certaine,  quand  l'ambition  d'un  tiers,  le  roi 
de  Danemark,  qui  se  portait  ouvertement  candidat,  rêvani 
acnsi  la  réunion  des  trois  couronnes,  vint  la  contrarier.  Les 
intrigues  se  croisèrent  et  se  multiplièrent  au  sein  de  la  diète. .j 

Ce  fut  alors  que  quelques  membres  mirent  pour  la  pre- 
mière fois  en  avant  le  nom  du  prince  de  Ponte-Corvo ,  de  I 
Bernadotte.  Tout  autre  maréchal  d'enq)ire  qui  aurait  été  in- 
vesti à  cette  époque  du  même  commandement  à  une  dis- 
tance si  peu  éloignée  du  théâtre  où  s'agitaient  ces  graves  in-  ' 
térêts  aurait  eu ,  dit-on ,  le  même  honneur.  On  assure  en 
effet  que  l'élection  du  prince  de  Ponte-Corvo  n'était  qu'un 
mezzo  termine  trouvé  alors  par  quelques  habiles  de  la  diète 
à  l'effet  de  gagner  du  temps  et  de  repousser  par  une  fin  de 
non  recevoir  les  instances  par  trop  pressantes  d'un  candidat 
qui  avait  trouvé  commode  de  faire  arrêter  son  compétiteur 
pour  l'empêcher  d'être  élu.  On  comptait  que  l'orgueil  de 
Napoléon  ne  consentirait  jamais  à  l'élévation  d'un  de  ses 
lieutenants  à  un  trône  qu'il  ne  tiendrait  ni  directement  ni 
indirectement  de  sa  munificence ,  puisque  son  ministre  à 
Stockholm  avait  travaillé  publiquement  et  avec  ardeur  dans 
les  intérêts  du  roi  de  Danemark.  On  se  trompa.  Napoléon, 
comme  tous  les  hommes  qui  sont  partis  de  bas  et  sont  par- 
venus bien  haut  en  peu  de  temps,  croyait  à  la  fatalité. 
Aussi ,  quand  le  prince  de  Ponte-Corvo,  que  la  nouvelle  de 
son  élection  surprit  à  Paris,  vint  lui  en  faire  paît,  s'il  hé- 
sita un  instant  sur  le  parti  qu'il  devait  prendre  dans  cette 
occun-ence,  s'il  essaya,  mais  en  vaia,  de  ne  laisser  partir 
Bernadotte  qu'après  lui  avoir  fait  signer  l'engagement  de  ne 
porter  jamais  les  armes  contre  la  France ,  ce  fut  pour  s'é- 
crier enfin  :  ii.  Partez l  que  les  destins  s'accomplissent!  » 
Ces  paroles  étaient  prophétiques.  Bernadotte  arriva  en  Suède 
nanti  de  deux  millions  de  francs  que  lui  avait  doimés  Napo- 
léon, pour  qu'il  n'eût  pas  l'air,  a-t-il  dit  plus  tard,  d'y  venir 
avec  toute  sa  foltune  dans  son  bissac. 

Le  19  octobre  1810 ,  le  prince  de  Ponte-Corvo  arriva  de 
Copenhague  àElseneur,  et  descendit  à  l'hôtel  du  consul  que 
la  Suède  entretient  dans  ce  port.  Ce  fut  dans  cette  maison , 
en  présence  d'une  nombreuse  assistance,  qu'il  abjura  la  re- 
ligion catholique,  dans  laquelle  il  était  né,  pour  embrasser 
la  religion  luthérienne  :  cette  abjuration  de  sa  foi  religieuse 
était  une  condition  essentielle  de  son  élection.  Le  lendemain, 
20,  une  frégate  suédoise  transporta  sur  l'autre  rive  du  Sund, 
à  Helsingbourg,  le  nouveau  prince  royal  de  Suède,  qui  eut 
sa  première  entrevue  avec  son  père  adoptif  le  roi  Charles  XIII. 
Le  3 1  il  fut  solennellement  présenté  à  la  diète.  Le  5  novembre 
suivant,  une  déclaration  officielle  du  vieux  roi  annonça  au 
peuple  suédois  qu'il  l'avait  adopté  pour  son  fils.  Le  prince 
de  Ponte-Corvo  piêta  le  même  jour  entre  les  mains  du  mo- 
narque serment  de  fidélité  en  sa  qualité  nouvelle  de  prince 
royal  de  Suède  et  héritier  du  trône ,  et  reçut  les  serments  et 
les  hommages  des  membres  de  la  diète,  k  cette  occasion  il 
.prit  le  nom  de  Char  les- Jean,  et  son  fils  Oscar  reçut  le  litre 
de  duc  de  Sudermanie. 

A  ce  moment  coumience  réellement  le  règne  de  Charles- 
Jean,  bien  qu'il  ne  date  officiellement  que  du  5  lévrier  1818, 
époque  de  la  mort  du  roi,  son  père  adojitif;  mais  on  sait  que 
ce  prince,  déjà  affaibli  pai-  l'âge,  lui  abandonna  complète- 


BERNADOTTE 


S9 


ment  la  direction  des  alTaires.  A  lui  donc  toute  la  responsa- 
bilité du  bien  et  du  mal  qui  vont  suivre! 

Devenu  Suédois ,  Bernadette  avait-il  cessé  d'être  Français 
à  ce  point  qu'il  put  se  réunir  aux  ennemis  de  la  France  et 
s'armer  contre  elle,  sans  être  ingrat  et  parjure?  C'est  une 
question  d'honneur  et  de  conscience  que  ceux-là  seuls  peu- 
vent résoudre  qui  croient  encore  à  la  puissance  de  ces 
mots.  Pour  réaliser  son  blocus  continental ,  Napoléon  avait 
besoin  du  concours  loyal  de  tous  ses  alliés  :  c'était  l'unique 
moyen  d'enlever  à  l'Angleterre  le  monopole  de  l'industrie 
et  de  la  navigation  des  deux  mondes.  Mais  ce  système  devait 
rencontrer  de  graves  obstacles  dans  son  exécution.  Il  impo- 
sait en  effet  aux  populations  de  pénibles  privations  ;  le  mal 
présent  se  faisait  vivement  sentir,  tandis  que  les  avantages 
qui  devaient  en  résulter  étaient  dans  le  domaine  de  l'avenir. 
Les  eflorls  prodigieux  faits  par  l'Angleterre  pour  détourner 
le  coup  terrible  qui  devait  anéantir  sa  puissance  ont  prouvé 
qu'elle  avait  su  en  apprécier  les  dangers.  La  Suède  se  trou- 
vant particulièrement  lésée  dans  ses  intérêts  du  moment 
par  le  système  continental,  13ernadolte,  pour  se  rendre  po- 
pulaire, lutta  contre  les  exigences  de  Napoléon.  S'il  ac- 
quérait ainsi  les  sympathies  de  ses  nouveaux  concitoyens , 
il  satisfaisait  en  môme  temps  sa  vieille  rivalité,  heureuse 
enfin  de  traiter  d'égale  à  égale  avec  une  supériorité  hnpa- 
tiemment  su[>portée  pendant  si  longtemps.  La  correspon- 
dance directe  échangée  à  ce  sujet  entre  le  prince  royal  de 
Suède  et  l'empereur  ne  cessa  toutefois  qu'en  1813. 

Napoléon  ne  voulait  consentir  à  aucune  concession  en  fa- 
veur de  la  Suède,  qui  par  sa  position  ne  pouvait,  sans  les 
plus  grave:^  inconvénients,  rompre  ses  relations  commerciales 
avec  l'Angleterre.  De  là  l'aigreur,  puis  la  mésintelligence  que 
l'on  remarqua  bientôt  dans  les  relations  diplomatiques  des 
deux  puissances.  Les  coalisés  en  prolitèrent  pour  presser  Der- 
nadotte  de  faire  cause  commune  avec  eux.  La  fameuse  confé- 
rence secrète  d'Abo  s'ouvrit  dès  1812.  L'accession  de  laSnède 
à  la  coalition  y  fut  décidée  entre  l'empereur  Alexandre,  le 
plénipotentiaire  anglais  et  le  prince  royal  de  Suède  Berna- 
dotte.  On  conseillait  à  celui-ci  d'exiger  la  restitution  de  la  Fin- 
lande; d'autres  n'insistaient  que  sur  la  mise  en  possession 
immédiate  des  îles  d'Aland  et  de  la  terre  ferme  jusqu'à 
Uleaborg.  Bernadotte  partageait  ces  vues  ;  mais  l'empereur 
Alexandre  répondit  à  ses  pressantes  réclamations,  dont  il  ne 
pouvait  contester  la  légitimité  :  «  Cette  concession  me  dépo- 
pulariserait ;  je  préfère  vous  remettre ,  s'il  le  faut,  les  îles 
d'Œsel  et  de  Dago.  »  Bernadotte  se  contenta  de  répondre  : 
«  Je  ne  veux  d'autre  garantie  que  votre  parole.  « 

Par  une  convention  ultérieure,  il  fut  décidé  que  Berna- 
dotte recevrait  en  indemnité  la  Norvège  au  lieu  de  la  Fin- 
lande; mais  c'était  là  une  véritable  déception,  le  marché  de 
la  peau  de  l'ours.  On  ne  possédait  même  pas  ce  que  l'on  cé- 
dait, et  l'on  sait  que  la  Suède  n'obtint  plus  tard  la  Norvège 
que  par  la  conquête.  Or  il  n'y  a  pas  de  conquête  qui  ne 
coûte  de  l'or  et  du  sang.  Cette  acquisition,  chèrement  ache- 
tée, ne  pouvait  d'ailleurs  compenser  la  perte  de  la  Finlande, 
qui ,  par  sa  jposition  géographique ,  doit  être  considérée 
comme  le  boulevard  de  la  nationalité  suédoise.  Du  moment 
où  la  Russie  est  en  possession  de  cette  province  et  des  îles 
d'Aland,  une  armée  russe  peut  en  quelques  jours  se  trouver 
au  cœur  de  la  Suède,  qui  est  restée  sur  ce  point  important 
sans  frontière  défensive. 

Les  seigneurs  suédois ,  qui  aux  conférences  d'Abo  pres- 
saient ]]ernadotte  d'insister  auprès  de  l'empereur  de  Paissie 
sur  la  restitution  immédiate  de  la  Finlande  et  des  îles  d'A- 
land, comprenaient  mieux  que  le  nouveau  prince  royal  les 
véritables  intérêts  politiques  de  leur  pays.  Charles-Jean,  en 
se  contentant  d'une  promesse  verbale,  se  mit  à  la  merci  de 
la  Russie  alors  qu'il  cilt  pu  obtenir  des  garanties  réelles.  La 
restitution  de  la  Finlande  aurait  à  la  rigueur  justifié  son  adhé- 
sion à  la  coalition;  c'était  tout  au  moins,  le  seul  moyen 
de  la  faire  excuser. 


Cet  abandon  de  la  Norvège  promis  par  l'empereur  de 
Russie,  Bernadette  l'avait  aussi  demandé  à  Napoléon  à  Tc- 
poque  même  des  conférences  d'Abo.  il  en  faisait  alors  la  con- 
dition expresse  de  son  alliance  avec  la  France;  dans  son 
ultimatum,  il  avait  proposé  de  faire  céder  cette  province  à  la 
Suède  par  le  Danemark,  qu'on  aurait  indemnisé  ailleurs  ;  pre- 
nant l'empereur  par  son  faible,  il  faisait  remarquer  qu'une 
descente  de  Norvège  en  Ecosse  serait  facile.  Napoléon  ré- 
pondit qu'il  ne  pouvait  consentir  à  cette  cession  sans  violer 
les  traités  existant  avec  le  Danemark.  C'est  quand  il  vit 
l'empereur  bien  déterminé  à  ne  point  dépouiller  le  Dane- 
mark au  profit  de  la  Suède,  que  Bernadotte  signa  avec  la 
Russie  et  l'Angleterre  le  fameux  traité  d'Abo.  En  refusant 
r.on  concours  à  l'expédition  de  Russie,  qu'eût  singulière- 
ment favorisée  une  diversion  en  Finlande,  il  porta  un  coup 
mortel  à  la  puissance  de  Napoléon.  Sans  doute  il  avait  com- 
pris qu'il  y  avait  plus  de  chances  de  sécurité  pour  lui  avec 
les  vieilles  dynasties  qu'avec  l'homme  encore  maître  de  l'Eu- 
rope, mais  qui  n'était  en  réalité  que  le  colosse  aux  pieds 
d'argile.  Vainement  on  prétendrait  que  Beinadotte  pensait 
alors  que  l'objet  unique  de  la  coalition  était  de  forcer  Na- 
poléon à  changer  de  système  politique;  que  l'Europe  n'était 
armée  que  contre  son  ambition.  Mieux  que  personne  il  sa- 
vait que  les  souverains  de  l'Europe  ne  pouvaient  pardonner 
à  Napoléon  d'avoir  porté  si  haut  le  nom  et  la  puissance  de 
la  France.  Entre  eux  et  lui  il  n'y  avait  pas  de  réconciliation 
possible.  En  signant  la  convention  d'Abo,  il  se  plaça  franche- 
ment dans  les  rangs  des  ennemis  de  son  pays.  Le  désastre  de 
IMoscou  vint  bientôt  surexciter  les  espérances  du  parti  an- 
glo-iiisse  à  la  cour  de  Stockliolm,  et  le  gouvernement  sué- 
dois n'hésita  plus  alors  à  envoyer  à  l'ambassadeur  de  France 
ses  passeports. 

Bernadotte,  affectant  de  croire  aux  bonnes  intentions 
de  la  coalition  à  l'égard  de  la  France ,  écrivait  encore  à  Na- 
poléon, le  23  mars  1813  :  «  Je  connais  les  bonnes  disposi- 
tions de  l'empereur  Alexandre  et  du  cabinet  de  Saint-James 
pour  la  paix.  Les  calamités  du  continent  la  réclament ,  et 
Votre  Majesté  ne  doit  pas  la  repousser.  Possesseur  delà  plus 
belle  monarchie  de  la  terre,  voudra-t-elle  toujours  eu 
étendre  les  limites  et  léguer  à  un  bras  moins  puissant 
que  le  sien  le  triste  héritage  de  guerres  interminables?  Voti  o 
JMajesté  ne  s'attachera-t-elle  pas  à  cicatriser  les  plaies  d'une 
révolution  dont  il  ne  reste  plus  à  la  France  que  le  souveni** 
de  sa  gloire  militaire  et  des  malheurs  réels  dans  son  inté- 
rieur? Sire,  les  leçons  de  l'histoire  rejettent  l'idée  d'une 
monarchie  universelle,  et  le  sentiment  de  l'indépendance 
peut  être  amorti,  mais  non  effacé  du  cœur  des  nations. 
Que  Votre  INlajesté  pèse  toutes  ces  considérations  et  pense 
réellement  à  une  paix  générale,  dont  le  nom  profané  a  fait 
couler  tant  de  sang.  Je  suis  né  dans  cette  belle  France  que 
vous  gouvernez,  sire  :  sa  gloire  et  sa  prospérité  ne  peuvent 
jamais  m'ôtre  indifférentes  ;  mais,  sans  cesser  de  faire  des 
vœux  pour  son  bonheur,  je  défendrai  de  toutes  les  facultés  dé- 
mon âme  et  les  droits  du  peuple  qui  m'a  appelé  et  l'honneur 
du  souverain  qui  a  daigné  me  nommer  son  (ils.  Dans  cett« 
lutte  entre  la  liberté  du  monde  et  l'oppression,  je  dirai  aux 
Suédois  :  Je  combats  pour  vous  et  avec  vous ,  et  les  vœux 
des  nations  libres  accompagneront  nos  efforts.  En  politique, 
sire,  il  n'y  a  ni  amitié  ni  haine;  il  n'y  a  que  des  devoirs  à 
remplir  envers  les  peuples  que  la  Providence  nous  appelle 
à  gouverner.  Leurs  lois  et  leurs  privilèges  sont  des  biens  qui 
leur  sont  chers;  et  si  pour  les  leur  conserver  on  est  obligé 
de  renoncer  à  d'anciennes  liaisons  et  à  des  affections  de 
fann'lle,  un  prince  (pii  veut  rem[)lir  sa  vocation  ne  doit  jamais 
hésiter  sur  le  paiti  à  prendre...  Pour  <*  qui  concerne  mon 
aml)ition  personnelle,  j'en  ai  une  très-grande,  je  l'avoue: 
c'est  celle  de  servir  la  cause  de  l'humanité  et  d'assurer  l'in- 
dépendance de  la  presqu'île  Scandinave.  Pour  y  parvenir,, 
je  compte  sur  la  justice  de  la  cause  que  le  roi  m'a  ordonné 
de  défendic,  sur  la  persévérance  de  la   nation  et  sur  U 


40 


BEriNADOTTE 


loyauté  de  «es  alliés.  Quelle  que  soit  votre  détermination  , 
sire ,  pour  la  paix  ou  pour  la  guerre ,  je  n'en  conserverai  pas 
moins  pour  Votre  Majesté  les  sentiments  d'un  ancien  frère 
d'armes.  Charles-Jean.  »  Bernadette,  dans  cette  lettre,  sem- 
blait aspirer  à  l'honneur  d'intervenir  comme  médiateur. 

Peu  de  mois  cependant  avaient  suffi  à  Napoléon  pour  créer 
une  nouvelle  et  puissante  armée ,  et  son  entrée  en  cam- 
pagne avait  été  signalée  par  la  brillante  victoire  de  Lutzen  ; 
il  avait  refoulé  les  Prussiens  et  les  Russes  jusqu'en  Silésie; 
toute  la  rive  de  l'Elbe  avait  été  balayée  jusqu'à  Dresde,  où 
il  établit  son  quartier  général.  Un  armistice  fit  cesser  les 
hostilités,  des  négociations  s'ouvrirent.  Bernadotte  profita- 
t-il  de  la  trêve  pour  proposer  cette  paix  générale,  dont  le 
nom  profané  a  fait  couler  tant  de  sang?  Nullement.  La 
trêve  fut  à  peine  expirée,  qu'à  la  tête  de  30,000  Suédois,  il 
joignit  l'armée  alliée  sous  les  murs  de  Lîerlin,  et  repoussa  le 
corps  d'armée  du  maréchal  Ney  à  Dennewitz.  La  grande 
armée  française  s'était  repliée  sur  Leipzig;  la  victoire  était 
incertaine,  quand  Bernadotte  parut  avec  ses  Suédois,  et  dé- 
cida du  sort  de  la  bataille.  L'empereur  Alexandre  et  le  roi 
de  Prusse  l'embrassèrent  publiquonent  sur  la  grande  place 
de  Leipzig.  Ils  lui  devaient  une  victoire  inespérée  :  ils  le 
proclamèrent  leur  libérateur.  La  coalition  paya  ce  service 
en  permettant  à  Bernadotte  d'employer  la  force  pour  s'em- 
parer de  la  Norvège.  Chargé  d'agir  contre  le  corps  aux  or- 
dres de  Davoust  et  contre  les  troupes  danoises,  Bernadette 
songea  alors  un  instant,  dit-on,  à  se  faire  proclamer  roi  de 
Nordalbingie,  dénomination  sous  laquelle  aurait  été  com- 
pris un  nouvel  État  constitué  à  son  profit  au  nord  de  l'Eu- 
rope au  moyen  des  duchés  de  Schleswig-IIolstein  et  du  Jut- 
land  enlevés  au  Danemark.  Mais,  changeant  bientôt  d'idées, 
il  se  contenta  de  forcer  le  roi  de  Danemark  à  ratifier  les  sti- 
pulations d'Abo  et  à  consentir  à  l'abandon  de  la  Norvège  par 
la  paix  signée  à  Kiel  le  14  janvier  1814. 

Est-il  vrai  que  cette  modération  de  Bernadotte  provint 
de  la  conviction  où  il  était  que  ses  augustes  et  victorieux 
alliés  avaient  le  projet  de  placer  sur  sa  tête  la  couronne 
qu'ils  se  disposaient  à  arracher  à  Napoléon.'  Ce  qui  autori- 
serait à  penser  qu'il  voulait,  en  s'effaçant,  ménager  les  sus- 
ceptibilités nationales,  c'est  la  lenteur  e\trême  qu'il  mit  à 
rejoindre  la  grande  armée  aUiée.  11  n'entra  d'ailleurs  en 
P^rance  qu'en  s'y  faisant  précéder  de  la  proclamation  sui- 
vante :  «  Français ,  j'ai  pris  les  armes  par  l'ordre  de  mon 
roi,  pour  défendre  les  droits  du  peuple  suédois.  Après  avoir 
vengé  les  affronts  qu'il  avait  reçus  et  concouru  à  la  déli- 
vrance de  l'Allemagne,  j'ai  passé  le  Rhin.  Revoyant  les  bords 
de  ce  fleuve,  où  j'ai  souvent  et  si  heureusement  combattu 
pour  vous ,  j'éprouve  le  besoin  de  vous  faire  connaître  ma 
pensée.  Votre  gouvernement  a  constamment  essayé  de  tout 
avilir,  pour  avoir  le  droit  de  tout  mépriser;  il  est  leinj)s  que 
ce  système  change.  Tous  les  hommes  éclairés  forment  des 
voeux  pour  la  conservation  de  la  France  :  ils  désirent  seule- 
ment qu'elle  ne  soit  i)as  le  fléau  de  la  terre.  Les  souverains 
ne  se  sont  pas  coalisés  pour  faire  la  guerre  aux  na- 
tions, mais  pour  forcer  votre  goiu^ernement  à  reconnaî- 
tre l'indépendance  des  États  ;  telles  sont  leurs  intentions, 
et  je  suis  auprès  de  vous  garant  de  leur  sincérité.  Fils 
adoptif  de  Charles  XIII,  placé  par  l'élection  d'un  peuple 
libre  sur  les  msrches  du  trône  du  grand  Gustave,  je  ne  puis 
désormais  avoir  d'autre  ambition  que  celle  de  travailler  à  la 
prospérité  de  la  presqu'île  Scandinave.  Puissé-je,  en  remplis- 
sant ce  devoir  sacré  envers  ma  nouvelle  [tatric,  contribuer  en 
même  temps  ou  bonheur  de  mes  anciens  compatriotes!  » 

Les  termes  de  cette  proclamation  ne  posaient  sans  doute 
pas  ouvertement  sa. candidature  au  trône  de  France  ;  mais 
peut-être  Bernadotte  n'hésitait-il  tant  à  faire  louler  le  sol 
français  par  son  armée,  que  pour  se  rendre  possible  en  pa- 
raissant être  resté  étranger  aux  désastres  du  peuple  fran- 
çais? Quoi  qu'il  en  ait  pu  être,  il  n'arriva  à  Paris  que  long- 
temps après  les  souverains  alliés,  alors  que  l'entrée  du  comte 


d'Aitois  dans  cette  capitale  et  les  conventions  intcrvcriip» 
entre  ce  prince  et  les  coalisés  avaient  dû  lui  enlever  toute 
espérance,  s'il  en  avait  jamais  eu  réellement. 

L'accueil  que  reçut  à  Paris  l'ancien  prince  de  Ponte-Coivo 
le  détermina  à  regagner  promptement  sa  seconde  patrie. 
Ses  futurs  sujets  le  reçurent  avec  les  plus  vifs  transports  de 
joie  et  le  portèrent  en  triomphe  à  son  palais.  De  ces  deux 
réceptions  si  différentes,  à  laquelle  fut-il  le  plus  sensible  ? 

Après  la  chute  et  l'abdication  de  Napoléon,  l'Europe  fut 
en  paix,  la  Suède  exceptée.  L'armée  suédoise  avait  repassé  le 
Belt  et  s'était  dirigée  sur  la  Norvège.  Le  prince  Christian  de 
Danemark,  gouverneur  général  de  ce  royaume  au  nom  de 
Frédéric  VI,  essaya  de  le  conserver  à  son  pays  en  s'y  dé- 
clarant indépendant,  et  en  s'y  faisant  couronner  roi  sous  le 
nom  de  Chrétien  V  ;  mais  la  lutte  était  trop  dispropor- 
tionnée pour  avoir  des  cliances  de  succès.  Le  10  octobre 
le  prince  Christian  se  rembarquait  pour  le  Danemark, 
et  abandonnait  la  Norvège  à  Bernadotte,  à  la  suite  d'une 
convention  par  laquelle  celui-ci  consentit  pourtant  à  re- 
connaître comme  loi  fondamentale  de  ce  royaume  la  cons- 
titution que  les  notables  habitants  réunis  à  Eidswold  s'é- 
taient donnée  quelques  mois  auparavant;  constitution  qui 
est  incontcstabiement  la  plus  lili(;ralede  celles  qui  fonction- 
nent encore  aujourd'hui  en  Euro[)e.  Pendant  les  Cent-Jours, 
Bernadotte  refusa  de  se  mêler  en  rien  des  affaires  inté- 
rieures de  la  France.  «Déclarer  la  guerre  à  une  nation  contre 
laquelle  nous  n'avons  maintenant  aucim  grief,  écrivait-il  au 
représentant  de  la  Suède  au  congrès  de  Vienne,  le  comte  de 
Lœwenhjelm,  ne  serait-ce  pas  s'interdire  les  avantages  d'un 
système  que  nous  prescrivent  à  la  fois  notre  position  géogra- 
phique, nos  relations  commerciales  et  notre  organisation 
politique?  Il  ne  s'agit  que  de  replacer  les  choses  dans  leur 
état  primitif  en  partant  du  traité  de  Paris,  qui  a  terminé  la 
guerre  entre  la  France  et  la  Suède  et  mis  fin  à  la  coalition.  » 

L'attitude  douteuse  gardée  pendant  cette  crise  décisive  par 
Bernadotte  le  compromit  singulièrement  avec  la  Sainte- 
Alliance.  Une  conspiration  eut  lieu  en  Suède  contre  sa  vie  en 
1818;  et  certains  souverains,  l'empereur  d'Autriche  notam- 
ment, ne  se  gênaient  pas  alors  pour  exprimer  publiquement 
le  vœu  de  voir  le  principe  de  la  légitimité  triompher  aussi 
dans  cette  partie  de  l'Europe.  Gustave-Adolphe ,  errant  en 
Allemagne,  avait  fait  protester  son  fils  contre  l'abdication 
qu'il  soutenait  lui  avoir  été  arrachée  par  violence.  A  ce  mo- 
ment Bernadotte  fit  savoir  aux  puissances  garantes  du  traité 
de  Kiel  que  si  les  diètes  suédoise  et  norvégienne  le  déga- 
geaient de  ses  serments,  il  descendrait  du  trône  où  leur  suf- 
frage l'avait  fait  monter. 

La  protection  accordée  publiquement  par  l'empereur 
Alexandre  au  jeune  Gustave  Wasa,  le  mariage  d'une  fille  de 
Gustave  IV  avec  un  prince  de  la  maison  de  Bade,  furent  en- 
core pour  le  soldat  parvenu  autant  de  causes  de  sérieuses 
inquiétudes. 

Bernadotte,  après  avoir  surmonté  tous  ces  obstacles  avec 
une  habileté  qu'on  ne  saurait  nier,  succéda  pourtant  sans 
opposition  au  roi  Charles  XIII,  mort  le  5  février  1818 ,  et 
prit  en  montant  sur  le  trône  les  noms  de  Charles-Jean  XfV. 
Il  signa  devant  le  conseil  d'État  Y  acte  d'assurance  et  de 
garantie  exigé  par  la  constitution;  puis  il  se  fit  couronner 
le  11  mai  à  Stockholm,  et  le  7  septembre  à  Drontheim.  An 
sacre  célébré  dans  la  première  de  ces  villes  on  eut  lieu  de 
remarquer  une  particularité  ingénieuse  :  à  chacun  des  degrés 
qui  conduisaient  à  un  trône  fort  élevé  où  le  nouveau  souve- 
rain devait  recevoir  l'hommage  des  États  et  des  fonction- 
naires publics ,  on  lisait  sur  des  écussons  les  noms  de  ses 
principales  victoires,  et  ces  noms  semblaient  indiquer  que 
tels  étaient  les  titres  de  sa  grandeur  véritables,  ceux  qui  l'a- 
vaient conduit  au  trône.  Malgré  l'origine  popidaire  de  son 
autorité,  tous  les  princes  de  droit  divin  finirent  par  en 
prendre  leur  parti,  et  lui  adressèrent  leurs  félicitations. 

i.c<^^  premières  annéesdu  règne  de  Charles-.Tean  XIV  cou  y- 


lîERNADOTTE  —  BERNARD 


4i 


leront  paniii  les  plus  heureuses  des  annales  de  la  Suède. 
Sauf  des  difficultés  toujours  renaissantes  avec  les  Xoné- 
giens ,  peuple  rude ,  ombrageux ,  fier  de  sa  constitution  dis- 
tincte de  celle  de  la  Suède,  et  dont  l'assemblée  nationale 
(  stortinng  )  se  mettait  souvent  en  opposition  avec  les  idées 
et  les  plans  de  Bernadotte,  nul  orage  ne  vint  de  longtemps 
troubler  les  jours  du  Béarnais  suédois,  qui  fut  un  moment 
peut-être  le  plus  populaire  des  rois  de  l'Europe,  dont  il  était 
le  doyen  d  âge.  Sur  ce  trône  gagné  au  grand  jeu  du  destin, 
il  développa  des  qualités  qu'on  n'eût  pas  osé  attendre  d'un 
soldat.  La  Suède  vit  l'agriculture,  restée  jusqu'alors  en  ou- 
bli, renaître,  prospérer  et  fleurir,  le  commerce  tiré  d'une 
langueur  qui  semblait  incurable,  le  crédit  public  restauré, 
l'industrie,  expirante ,  rendue  à  la  vie  et  encouragée.  De 
nombreux  travaux  d'utilité  publique  furent  exécutés  sur 
divers  points  du  royaume  ;  une  large  route  creusée  à  travers 
les  Alpes  Scandinaves  vint  lier  physiquement  la  Suède  et  la 
Non'^e,  et  l'immense  canal  de  Gothie,  qui  unit  la  Baltique 
à  la  mer  du  Nord,  restera  comme  un  monument  impérissable 
des  grandes  et  utiles  pensées  de  Charles-Jean  XIV. 

Malheureusement,  sous  le  point  de  vue  intellectuel  et 
politique,  le  progrès  fut  infiniment  moindre.  Cependant  dans 
le  principe  le  nouveau  roi ,  bien  qu'imbu  au  fond ,  en  nia- 
jère  de  gouvernement ,  des  traditions  de  l'école  impériale, 
prit  souvent  l'initiative  d'innovations  généreuses.  Mais  à  ses 
goûts  de  harangueur,  qui  dataient  de  l'an  XI,  il  joignit  sur 
le  trône  un  penchant  assez  prononcé  pour  la  petite  guerre 
de  journaux  :  ne  pouvant  plus  se  servir  de  son  épée ,  il  se 
battait  de  temps  à  autre,  tant  bien  que  mal,  avec  sa  plume, 
littérairement  aussi  peu  suédoise  que  française,  contre  les 
journalistes  de  l'opposition. 

Sur  les  dernières  années  de  son  règne ,  l'opposition ,  de- 
venue de  plus  en  plus  formidable,  avait  réussi  à  le  dépopu- 
lariser à  peu  près  complètement.  On  lui  reprochait  d'aimer 
trop  le  pouvoir  absolu  et  de  s'attacher  avec  une  puérile  exac- 
titude aux  minutieuses  prescriptions  de  l'étiquette.  L'héritier 
présomptif,  le  prince  Oscar,  était,  selon  l'usage ,  le  chef  des 
mécontents.  Une  fois ,  pourtant,  Charles  XIV,  trouvant  que 
son  fils  jouait  son  rôle  trop  au  naturel ,  et  n'osant  pas  l'en 
blâmer  ouvertement,  reconmianda  à  tous  les  ecclésiastiques 
du  royaume  de  prêcher  «  sur  le  commandement  de  Dieu 
qui  ordonne  aux  enfants  de  re^ipecter  leurs  père  et  mère  ». 

Benjamin  Constant  avait  déjà  tracé  le  portrait  suivant  de 
Bernadotte  :  «  Quelque  chose  de  chevaleresque  dans  la 
figure,  de  noble  dans  les  manières ,  de  très-fin  dans  l'esprit, 
de  déclamatoire  dans  la  conversation ,  en  font  un  homme 
remarquable  ,  courageux  dans  les  combats ,  hardi  dans  les 
propos ,  timide  dans  les  actions  qui  ne  sont  pas  militaires , 
irrésolu  dans  ses  projets....  » 

Il  fut  frappé  d'apoplexie  le  26  janvier  1844,  le  jour  même 
où  il  entrait  dans  sa  quatre-vingtième  année.  Dès  les  pre- 
miers instants  les  médecins  conservèrent  peu  d'espoir  de 
sauver  ses  jours.  Cependant  durant  six  semaines  sa  vigou- 
reuse organisation  lutta  contre  les  progrès  du  mal.  Il  expira 
le  8  mars,  laissant,  dit-on,  à  son  fils  Oscar  une  fortune  per- 
sonnelle évaluée  à  plus  de  quatre-vingt  millions  de  francs, 
et  provenant  de  spéculations  heureuses  ainsi  que  d'écono- 
mies faites  pendant  son  long  règne  sur  sa  liste  civile. 

BERiVARD,  roi  d'Italie,  était  fils  de  Pépin  et  petit- fils 
de  Charlemagne,  qui  lui  donna  le  gouvernement  de  l'Italie 
en  812,  deux  ans  après  la  mort  de  son  père,  possesseur  de 
ce  trône  avant  lui.  Lorsque  Louis  le  Débonnaire,  son  oncle, 
eut  été  reconnu  successeur  de  Charlemagne ,  le  nouvel 
empereur  ne  vit  pas  sans  inquiétude  un  neveu  dont  les  droits 
étaient  supérieurs  aux  siens  régner  si  près  de  lui,  et,  l'ayant 
fait  venir  à  Aix-la-Chapelle ,  il  ne  le  laissa  retourner  en 
Italie  qu'après  l'avoir  séparé  de  ses  fidèles  conseillers.  A  peu 
de  temps  de  là  il  associait  son  fils  Lotliaire  à  l'empire.  Cette 
nouvelle  atteinte  aux  droits  de  Bernard  détermina  de  la 
l>art  de  celui-ci  une  tentative  de  résistance  ;  mais,  battu  et 

DK.T.    DF.    I  .\    COWERS.    —    T.    Ul. 


fait  prisonnier  en  818,  il  fut  incarcéré,  jugé,  et  condamné  à 
mort.  Sa  peine  fut  commuée  toutefois,  et  son  débonnaire 
vainqueur  lui  fit  simplement  crever  les  yeux;  mais  l'infor- 
tuné mourut  de  cet  affreux  supplice  au  bout  de  trois  jours. 

BERA'ARD,  fils  de  saint  Guillaume,  duc  de  Toulouse, 
fut  substitué  en  820,  par  Louis  le  Débonnaire,  à  Béra,  d'o- 
rigine gothique,  dans  le  duché  de  Septimanie.  Appelé 
en  828  à  la  cour  de  France  par  l'impératrice  Judith,  qui 
voulait  s'en  faire  un  appui  contre  les  enfants  que  son  époux 
avait  eus  d'un  premier  lit,  il  y  jouit  d'une  telle  faveur  et  y 
prit  de  telles  mesures  pour  assurer  à  Charles,  fils  de  Judith, 
un  royaume  dont  la  formation  devait  ébrécher  l'héritage  de 
ses  frères  consanguins,  qu'il  excita  contre  lui  le  méconten- 
tement des  seigneurs  et  fut  accusé  de  sortilège  et  d'adultère. 
Obligé  de  fuir,  il  prit  part  à  toutes  les  entrepiises  de  Pépin, 
roi  d'Aquitaine,  contre  son  père.  Louis,  irrité,  le  dépouilla  de 
son  duché  en  832  ;  mais  il  le  lui  rendit  l'année  suivante,  parce 
qu'il  l'avait  secouru  avec  Pépin  contre  Lothairc.  Plus  tard, 
ses  relations  avec  Pépin  II,  roi  d'Aquitaine ,  le  mirent  en 
suspicion  auprès  de  Charles  le  Chauve,  qui,  voyant  dans  sa 
conduite  équivoque  à  la  bataille  de  Fontenai  une  trahison, 
le  fit  mettre  à  moil  en  844,  comme  coupable  de  lèse-majesté. 

D'autres  chroniques  le  font  traîtreusement  poignarder 
par  Charles,  après  une  réconciliation  et  un  traité  qu'ils 
avaient  tous  deux  signés  du  sang  de  Jésus-Christ.  C« 
meurtre  n'aurait  même  été  ,  s'il  faut  en  croire  certaines  re- 
lations du  temps,  ni  plus  ni  moins  qu'un  parricide.  L'inti- 
mité de  Bernard  avec  Judith,  la  ressemblance  de  Charles 
avec  le  duc  de  Septimanie,  pouvaient  bien  ne  pas  rendre  tout  à 
fait  invraisemblable  une  telle  supposition.  Quoi  qu'il  en  soit, 
Bernard  laissait  de  Dodane,  sa  femme,  deux  fils,  Guillaume 
et  Bernard;  le  premier,  âgé  alors  de  dix-sept  ans,  se  réfugia 
en  Espagne,  et  succéda  plus  tard  à  son  père  dans  le  duché  de 
Septimanie  et  d'Aquitaine,  dont  il  fut  redevable  à  Pépin  11. 

BERXARD  de  Menthon  (Saint),  fondateur  de  l'hospice 
du  mont  Saint-Bernard,  était  né  en  923,  près  d'Annecy, 
d'une  des  plus  illustres  maisons  de  Savoie.  Porté  par  incli- 
nation à  la  piété,  il  refusa  un  mariage  avantageux  auquel  ses 
parents  attachaient  une  grande  importance,  et  embrassa 
l'état  ecclésiastique.  Devenu  archidiacre  d'Aoste,  et  rem- 
plissant en  même  temps  les  fonctions  d'official  et  de  grand 
vicaire ,  il  imagina  d'établir  sur  le  sommet  des  Alpes  deux 
hospices  qui  portent  encore  son  nom.  Bernard  de  Menthon 
termuia  sa  carrière  à  Novarre,  le  28  mai  1008. 

BERXARD  (Samt)  naquit ,  l'an  1091 ,  à  Fontaine  , 
village  de  Bourgogne,  dont  son  père,  nommé  Tescelin ,  était 
seigneur.  Sa  mère  se  nommait  Aleth  de  Montbar.  Malgré  les 
avantages  de  l'esprit  et  du  corps,  qui ,  joints  à  ceux  de  sa 
position,  lui  assuraient  des  succès  dans  le  monde,  il  montra 
de  bonne  heure  une  véritable  passion  pour  la  solitude.  Il 
commença  ses  études  dans  l'école  du  chapitre  de  Châtillon, 
et  parut  plus  tard  avec  éclat  dans  l'université  de  Paris.  Après 
avoir  passé  quelque  temps  avec  ses  frères  et  quelques  amis 
en  retraite  dans  la  maison  de  son  père,  il  entraîna  ses  com- 
pagnons, au  nombre  de  trente,  à  l'abbaye  de  Cîteaux,  où  ils 
prirent  l'habit  de  l'ordre.  L'an  1115,  l'abbé  Etienne,  chef 
de  l'ordre,  ayant  fondé  l'abbaye  de  Clairvaux,  dans  une 
valh'e  aride  et  déserte  du  diocèse  de  Langres,  nommée  la 
Vallée  d'Absinthe,  près  de  la  rivière  d'Aube,  saint  Bernard 
en  fut  nommé  abbé,  et  béni  en  cette  qualité  par  Guillaume 
de  Champeaux,  évêque  de  Cliâlons,  pendant  la  vacance  du 
siège  de  Langres.  Il  n'avait  alors  que  vingt-cinq  ans. 

La  régularité  de  la  vie  qu'on  menait  sous  la  direction  du 
nouvel  abbé  attira  autour  de  lui  un  grand  nombre  de  dis- 
ciples ;  puis  cette  multitude  se  sépara  en  diverses  colonies, 
qui  fondèrent  autant  de  nouveaux  monastères ,  reconnais- 
sant tous  la  suprématie  de  l'abbé  de  Clairvaux.  A  cette 
époque ,  où  l'enthousiasme  religieux  ,  qui  se  manifestait 
depuis  quelque  temps  par  les  croisades,  emportait  tous 
les  esprits ,  la  réputation  do  science  et  de  pieté  de  saint, 

6 


42 


BERNARD 


Bernard  devait  attirer  sur  lui  l'attention  des  puissances  ri- 
vales du  sacerdoce  et  de  l'empire.  Aussi  assisla-t-il  aux 
conciles  de  Troyes  en  1128  ,  et  de  Châlons  en  1129.  Ce  fut 
d'après  son  jugement ,  auquel  on  était  convenu  de  s'en 
rapporter,  que  l'assemblée  d'Étampes,  réunie  par  la  volonté 
de  Louis  le  Gros,  en  1130,  reconnut  Innocent  II  pour 
souverain  pontife,  et  rejeta  Anaclet.  Ce  pape  étant  venu  en 
France,  saint  Bernard  l'accompagna  à  Orléans,  et  persuada 
au  roi  d'Angleterre,  Henri  I^"",  de  le  reconnaître.  De  là  il  le 
suivit  en  Allemagne,  et,  dans  la  conférence  que  le  pontife 
eut  avec  l'empereur  Lothaire  II ,  il  parla  avec  liberté  à  ce 
prince  pour  le  détourner  de  la  demande  qu'il  avait  faite  au 
pape  du  rétablissement  des  investitures.  De  retour  en  France, 
Innocent  II  tint  un  concile  à  Reims,  visita Cluny  et  Clair- 
vaux,  et  emmena  saint  Bernard  à  Rome  ;  de  là  il  le  fit  passer 
en  Allemagne,  où  il  réussit  à  ménager  la  paix  entre  Conrad 
et  Lothaire.  Rappelé  auprès  du  pape,  qui  avait  été  forcé  de 
ne  réfugier  à  Pise,  il  assista  en  1134  au  concile  de  cette  ville, 
à  l'issue  duquel  il  réconcilia  avec  le  clergé  romain  celui  de 
Milan,  qui  s'était  attaché  à  Anaclet.  Le  succès  de  sa  mission 
fut  si  grand,  qu'il  eut  peine  à  se  soustraire  aux  honneurs  que 
voulaient  lui  rendre  les  Milanais. 

Un  moment  rendu  au  repos  de  son  monastère,  il  fut  forcé 
d'accompagner  le  légat  du  pape  en  Guienne,  où  le  duc  de 
cette  province  refusait  d'obéir  au  saint-siége ,  et  de  rétablir 
les  évoques  de  Poitiers  et  de  Limoges ,  qu'il  avait  expulsés. 
Mais  l'obstination  de  ce  prince  fut  vaincue  par  la  hardiesse 
de  saint  Bernard,  les  évoques  rétablis  dans  leurs  sièges,  et  le 
sclùsme  étouffé.Il  n'eut  pas  moins  de  succès  lorsque,  rappelé 
en  Italie  en  1137,  il  détacha  de  la  cause  d'Anadet  plusieurs 
Romains,  et  surtout  Roger,  duc  de  Sicile,  le  seul  des  princes 
qui  lui  prêtât  encore  son  appui.  Anaclet  étant  mort,  celui 
que  l'on  élut  à  sa  place  obtint  son  pardon  d'Innocent  Jl 
par  l'entremise  de  saint  Bernard,  et  le  schisme  fut  éteint. 

A  cette  époque,  Abélard  avait  entrepris,  avec  une  grande 
liberté,  en  appliquant  la  dialectique  aux  matières  de  la  loi, 
de  reproduire  et  d'expliquer  par  des  principes  rationnels 
les  dogmes  obscurs  de  la  religion  chrétienne ,  et  princi- 
palement la  Trinité ,  ainsi  que  les  principales  idées  de  la 
morale  théologique,  comme  celle  du  p^hé  et  de  la  vertu. 
Saint  Bernard ,  après  l'avoir  en  vain  averti  en  particulier 
de  corriger  ses  erreurs ,  le  poursuivit  devant  le  concile  de 
Sens,  et  le  fit  condamner  en  1140. 

L'un  de  ses  religieux ,  qu'il  avait  fait  abbé  du  couvent 
de  Saint-Anastase ,  étant  devenu  pape  sous  le  nom  d'Eu- 
gène III,  le  pria  de  prêcher  une  croisade  pour  satisfaire  au 
désir  de  Louis  "VII,  et  l'enthousiasme  de  l'abbé  de  Clairvaux, 
flattant  la  piété  chevaleresque  du  prince  ,  l'emporta  sur 
les  sages  conseils  du  prudent  Suger,  abbé  de  Saint-Denis. 
La  croisade  ayant  été  malheureuse,  le  prédicateur  l'attribua 
aux  péchés  des  croisés.  C'était  une  excuse  sur  laquelle  il 
pouvait  toujours  compter.  Il  donna  des  règles  aux  Templiers, 
s'opposa  au  moine  Raoul ,  qui  voulait  qu'on  tuât  tous  les 
.(iiils,  et  poursuivit  les  disciples  d'Arnaud  de  Drescia.  Après 
avoir  assisté  à  trois  conciles  en  l'an  Ii47,  et  confondu 
les  erreurs  de  Pierre  de  Brueys  de  Hensi,  il  força  l'évAque 
de  Poitiers,  Gilbert  de  la  Porée,  de  rétracter  ses  erreurs  au 
concile  de  Reims  en  1148.  Choisi  pour  médiateur  entre  les 
peuples  de  Metz  et  quelques  princes  voisins,  il  termina  leurs 
différends,  et  mourut  le  20  août  1 1 53.  Il  fut  canonisé  vingt  ans 
après  sa  mort  par  le  pape  Alexandre  III. 

On  a  porté  sur  saint  Bernard  des  jugements  tout  à  fait 
opposés  :  les  uns,  révérant  la  qualité  dont  l'Église  l'a  revêtu, 
l'ont  regardé  comme  irréprochable  ;  les  autres  n'ont  voulu 
voir  en  lui  qu'un  hypocrite  ambitieux  et  habile  :  tous  se  sont 
trompés.  Saint  Bernard  a  été  sincère  dans  son  enthousiasme 
religieux  ;  ce  qui  n'empêche  pas  de  découvrir  au  fond  de 
toute  sa  conduite  la  ijussion  d'exercer  une  grande  influence. 
Comme  il  ne  parvint  pas  aux  dignités  de  l'Eglise,  auxquelles 
U  eiM  pu  prétendre,  on  en  [iful  conclure  qu'il  préférait  le 


pouvoir  réel  au  titre  qui  semble  ordinairement  le  conférer. 
Il  est  du  reste  difficile  de  croire  que,  mêlé  à  toutes  les  in- 
trigues pofitiques  de  son  temps,  il  ait  toujours  conservé  la 
simplicité  évangélique ,  et  l'amertume  de  ses  expressions 
contre  ceux  qui  se  séparaient  de  l'orthodoxie ,  dont  il 
s'était  fait  le  défenseur,  ne  peut  être  justifiée  par  son  zèle. 
Le  style  de  saint  Bernard  est  vif,  noble  et  serré,  ses  pensées 
sublimes,  son  discours  délicat.  Il  est  également  plein  d'onc- 
tion, de  tendresse  et  de  force;  U  est  doux  et  véhément.  Nous 
ajouterons  cependant  qu'il  est  souvent  gâté  par  l'affectation 
et  les  jeux  de  mots.  Il  exprime  le  culte  qu'il  rend  à  la  Vierge 
par  les  termes  d'une  galanterie  mystique  et  d'une  afféterie 
souvent  ridicule.  Ce  défaut  du  reste  tenait  à  son  siècle ,  et 
n'empêche  pas  que  ce  ne  soit  à  juste  titre  qu'il  a  été  appelé 
le  dernier  des  Pères.  Ses  ouvrages  se  composent  de  lettres, 
de  traites  théologiques  et  mystiques,  de  sermons.  Un  de  ses 
plus  remarquables  écrits  est  sans  contredit  le  Traité  de  la 
Considération,  aiire?,sé  à  Eugène  III,  et  dans  lequel  il  donne 
à  la  papauté  d'excellents  conseils,  dont  il  eût  bien  fait  de 
s'appliquer  plusieurs  à  lui-même.  La  meilleure  biographie 
de  saint  Bernard  a  été  donnée  par  M.  de  Villefore.  La  seule 
édition  de  ses  ouvrages  qui  soit  consultée  aujourd'hui  est 
celle  de  D.  Mabillon  (1690,  2  vol.  in-fol.). 

H.  BocCHiTTÉ,  ancien  rccleiir. 
BERNARD  de  Thuringe,  visionnaire  du  dixième  siè- 
cle, qui,  sur  la  foi  de  l'Apocalypse,  où  il  avait  lu  que  l'an- 
cien serpent  serait  délit',  s'imagina  que  ce  serpent  signi- 
fiait l'antéchrist.  Or,  comme  l'Annonciation  de  la  Vierge  se 
rencontrait  avec  le  vendredi  saint  de  l'année  9G0,  il  en  con- 
clut que  cette  coïncidence  de  la  conception  et  de  la  moil  de 
Jésus-Christ  annonçait  évidemment  la  fin  du  monde,  les 
temps  ne  pouvant  point  aller  au  delà  de  cette  période.  De 
cette  vision  au  charlatanisme  il  n'y  avait  qu'un  pas.  L'er- 
mite Bernard  fit  l'inspiré,  et  prêcha  cette  fin  du  monde, 
comme  une  révélation  de  Dieu  môme.  Les  prédicateurs 
ajoutèrent  à  l'effroi  que  provoqua  celte  prédiction ,  et  une 
éclipse  totale  de  soleil  vint  mettre  le  comble  à  la  teneur 
universelle.  La  reine  Gerberge,  femme  de  Louis  d'Outremer, 
roi  de  France,  engagea  plusieurs  théologiens  à  rassurer  le 
peuple ,  en  combattant  l'extravagance  du  visionnaire.  La 
crédulité  l'emporta  sur  la  raison  ,  et  les  moines  firent  une 
ample  récolte  d'héritages  et  de  donations.  Il  fallut  que  le 
onzième  siècle  arrivât  pour  dessiller  les  yeux  de  cette  popu- 
lation d'imbéciles  ;  alors,  quand  on  vit  que  le  soleil  se  levait 
encore  tous  les  matins,  on  finit  par  se  moquer  des  visions 
de  l'ernùte  charlatan ,  qui  ne  fut  pas  le  dernier  de  sa  race. 

ViENNET,  de  l'Académie  Française. 

BERIVARD  DE  VENTADOUR,  l'un  des  plus  célèbres 
troubadours  provençaux  du  douzième  siècle,  naquit  d'une 
famille  humble  et  pauvre,  au  château  de  Ventadour ,  dans 
le  Limousin,  on  ne  sait  pas  précisément  en  quelle  année. 
Raynouard  dit  que  son  père  était  de  la  classe  des  valets. 
Quoi  qu'il  en  soit,  les  heureuses  dispositions  de  Bernard,  la 
vivacité  de  son  esprit  et  le  tour  brillant  de  son  imagination 
le  firent  de  bonne  heure  distinguer  par  ses  nobles  seigneurs. 
Tout  enfant,  il  composait  des  vers;  il  les  chantait  d'une 
si  douce  voix  ,  en  accompagnant  son  chant  de  gestes  si 
gracieux,  qu'on  jugea  bientôt  qu'il  était  destiné  à  surpas- 
ser tous  les  autres  troubadours.  Le  vicomte  Èble  III ,  qui 
aimait  son  talent,  voulut  le  garder  auprès  de  lui  ;  il  l'en- 
couragea, l'aida  de  ses  conseils  et  le  combla  de  marques 
d'honneur.  Èble  avait  une  femme  aimable  et  belle,  Agnès 
de  Montluçon,  et  le  troubadour  adolescent  ne  put  la  voir 
sans  l'aimer  d'amour.  Il  chanta  sa  peine,  et  il  ne  parait 
pas  q>ie  cet  amour  ait  révolté  la  noble  châtelaine.  Loin  de  là, 
touchée  du  mérite  de  son  troubadour,  elle  oublia  sans  doute 
l'obscurité  de  sa  naissance,  et,  ne  voyant  plus  que  l'éclat  de 
son  talent,  l'agréa  pour  chevalier,  car  l'heureux  Bernard  lui 
jura  protection  et  fidélité  comme  à  la  souveraine  de  sa  vie. 

Cette  liaison  chevaleresque  et  mystérieuse  lui  inspira  uw« 


foule  de  pièces  charmantes,  où  il  célèbre  sa  dame  comme 
une  amante  incomparable,  quoique  sous  un  nom  convenu 
entre  elle  et  lui.  Mais  de  quelque  mystère  que  ce  couple 
heureux  cherchât  à  voiler  ses  amours  ,  Èble  les  soupçonna , 
et  lorsque  l'indiscrète  conliance  que  donne  le  bonheur  eut 
inspiré  au  troubadour  des  aveux  téméraires ,  le  vicomte , 
ému  de  jalousie,  chassa  Bernard,  et  fit  enfermer  sa  femme. 

Bernard  se  uut  alors  à  voyager.  A  la  cour  de  Normandie, 
où  sa  grande  réputation  l'avait  devancé,  il  se  vit  gracieuse- 
ment accueilli  par  la  duche'^se  Éléonore.  Elle  était  belle  et 
n'avait  que  trente  ans  ;  elle  était  passionnée  pour  la  poésie , 
et  Bernard  était  le  plus  célèbre  des  troubadours  ;  elle  l'aima 
pour  ses  vers ,  et  lui  l'aima  aussi ,  vaincu  par  l'éclat  de  la 
beauté  uni  an  prestige  de  la  puissance.  Ce  nouvel  amour 
lui  inspira  aussi  de  beaux  vers. 

On  raconte  qu'après  un  long  séjour  à  la  cour  de  Norman- 
die, Éléonore  ayant  épousé  Henri  II,  qu'elle  sni\it  en  Angle- 
tcire,  le  troubadour  alla  se  consoler  de  la  perte  de  sa  royale 
amante  à  la  cour  du  comte  de  Toulouse,  Raymond  V,  où 
plusieurs  beautés  le  captivèrent  tour  à  tour.  Là  il  apprit 
qu'Èble  III  s'était  retiré  dans  le  monastère  du  Mont-Cassin  ; 
quant  à  la  dame  captive ,  on  ne  savait  ce  qu'elle  était  de- 
venue. Bernard  l'aimait  encore  ;  touché  de  la  destinée  peut- 
être  tragique  qu'il  lui  avait  faite  par  son  amour,  il  la  pleura 
dans  plusieurs  pièces  de  vers  pleines  de  la  plus  tendre  sen- 
sibilité et  d'une  délicatesse  si  parfaite  qu'elle  étonne  quand 
on  songe  à  l'état  de  barbarie  où  était  alors  l'Europe.  Ber- 
nard partit  ensuite  pour  la  Terre  Sainte  ;  on  ne  sait  rien  de 
plus  de  sa  vie,  sinon  qu'il  mourut  dans  l'abbaye  de  Dalon, 
en  Limousin,  où  sa  vieillesse  avait  cherché  quelques  années 
de  calme  et  de  recueillement. 

Il  nous  reste  de  Bernard  cinquante  chansons  et  deux 
tensons.  Outre  que  ce  troubadour  est  un  de  ceux  dont  il 
nous  est  resté  le  plus  de  vers,  ses  poésies  ont  pour  nous  un 
charme  particulier  :  elles  ont  été  inspirées  par  des  circons- 
tances de  sa  vie,  douces  ou  pénibles ,  mais  réelles  ;  elles  ré- 
pondent à  des  émotions  vraies,  et  l'accent  en  est  toujours, 
ou  à  peu  près,  sincère.  Jean  AiCAr.a. 

BERJVARD  (Clacde),  appelé  communément  le  Pauvre 
Prêtre,  ou  le  Père  Bernard ,  naquit  à  Dijon,  en  158S;  il 
était  fils  d'Etienne  Bernard,  magistrat  distingué  du  temps 
d'Henri  IV.  Après  avoir  vécu  quelque  temps  en  ecclésias- 
tique mondain,  il  renonça  à  la  dissipation  et  au  plaisii-  pour 
se  vouer  tout  entier  au  service  des  pau^TCs.  Il  se  dépouilla 
en  leur  faveur  d'un  héritage  de  400,000  fr. 

Vingt  ans  de  sa  vie  furent  consacrés  à  soulager  les  ma- 
lades de  l'Hôtel-Dien  de  Paris ,  d'où  il  passa  à  rhôi)ital 
de  la  Charité,  dans  l'église  duquel  il  fut  enterré  en  mars 
1641.  Il  improvisait  presque  toujours  ses  sermons. 

BERI\ARD,duc  de  Saxe-Weimar,  l'un  des  plus  grands 
capitaines  du  dix-septième  siècle,  né  le  16  août  1604,  pu- 
pille, ainsi  que  ses  sept  frères,  de  l'électeur  de  Saxe  Chris- 
tian II,  et,  après  lui,  de  Jean-Georges,  se  sauva  de  l'aca- 
démie d'iéna,  après  la  mort  de  sa  mère  (1617).  Il  avait  ap- 
pris de  bonne  heure,  et  sans  longues  études,  les  noms  de 
Maurice  de  Saxe,  de  Philippe  de  Hesse,  l'attachement  de 
sa  famille  à  la  Réforme ,  son  courage  et  ses  malheurs.  Le 
jeune  Bernard  traversa  la  cour  et  les  tournois  du  duc  de 
Saxc-Cobourg,  et  vint  dès  l'année  1621  partager  avec  hon- 
neur à  Wimpfen  la  défaite  de  l'union  protestante.  Bernard 
assistait  encore  à  la  tète  d'un  régiment  à  Stadtloe  (  1623  ), 
où  son  frère  Guillaume  fut  fait  prisonnier;  il  alla  servir 
un  moment  dans  les  Pays-Bas,  sous  Maurice  de  Nassau, 
revint  en  Allemagne  prendre  le  commandement  d'un  régi- 
ment de  cavalerie,  sous  les  ordres  de  son  frère  Jean-Emest, 
et  vit  le  nouveau  protecteur  de  l'Union  évangéhque,  Chris- 
tian IV,  roi  de  Danemark  ,  battu  par  Wallenstein  et 
Tilly,  rejeté  jusque  dans  le  Jutland,  conclure  la  paix  de 
Lubeck  (  1629)  avec  la  maison  d'Autriche. 

Réconcilié  avec   reiriporeur  Tordinand  11,   par  l'cntrc- 


BERiNARD  43 

mise  de  Wallenstein,  il  reprit  à  Weimar  ses  études  slratégi 


ques;  alla,  durant  l'été  de  1629,  en  faire  l'application  au 
siège  de  Bois-lc-Duc,  et  revint  en  Allemagne  après  la  prise 
de  cette  ville  par  le  prince  d'Orange.  Cependant  Gus- 
tave-Adolphe, allié  du  cardinal  de  Richelieu,  allait 
descendre  en  Allemagne,  au  secours  de  la  Réforme,  confie 
cette  orgueilleuse  et  dévote  maison  d'Habsbourg ,  qui  me- 
naçait la  Hollande  par  la  Westphalie,  la  Suède  par  la  Po- 
logne, et  tous  les  réformés  allemands  par  l'édit  de  restitu- 
tion des  biens  ecclésiastiques.  Leduc  de  Weimar,  qui  com- 
prenait par  son  génie  celui  de  Gustave ,  actif  et  religieux 
comme  lui,  courut  droit  au  camp  du  héros,  à  Werben.  En- 
couragé par  l'estime  du  roi  de  Suède ,  qui  lui  promit  les 
évêchés  de  Bamberg  et  de  Wurtzbomg  avec  le  titre  de 
duc  de  Franconie ,  Bernard  défendit  vigoureusement  la 
camp  suédois  contre  une  attaque  de  Tilly,  chassa  les  Impé- 
riaux  du  landgraviat  de  Hesse-Cassel,  prit  part  à  la  réduc- 
tion de  Wurtzbourg,  à  celle  de  Mayence,  fut  mis  à  la  têta 
d'un  petit  corps  dans  le  Palatinat ,  puis  à  la  tête  de  toute 
rinfantcrie  sur  le  Rhin ,  mais  subit  avec  répugnance ,  en 
l'absence  de  Gustave ,  la  suprématie  de  son  minisire 
Oxenstiern.  Rapi»elc  par  Gustave  en  Bavière  en  1632,  il 
fut  chargé  d'achever  la  conquête  de  ce  duché ,  s'empara 
dans  le  Tyrol  des  trois  forteresses  d'Ehrenbourg,  lesclefs 
de  ce  pays,  et  menaçait  Ferdinand  II,  soit  dans  l'Autriche, 
soit  dans  ses  États  d'Italie,  quand  il  reçut  l'ordre  de  re- 
joindre Gustave  en  Franconie.  Bernard  prit  à  cette  époque 
le  commandement  de  l'un  des  deux  corps  de  l'armée  sué- 
doise, et  à  la  journéedeLutzen  (  16 novembre  1632),  il  ra- 
massait l'épée  de  Gustave  mourant,  poin-  continuer  la  vic- 
toire comme  son  exécuteur  testamentaire. 

Le  lendemain  de  la  bataille,  toute  l'armée  suédoise  fut 
rassemblée  à  Weissenfels  :  là,  Bernard  annonça  d'abord 
aux  oOiciers  la  mort  du  roi,  et  la  résolution  de  le  venger  ; 
s'assura  du  dévouement  des  chefs  ,  et  fit  jurer  aux  soldats  , 
sur  le  cadavre  de  Gustave ,  de  le  suivre  partout.  En  quel- 
ques jours,  il  délivra  des  Impériaux  la  Saxe  et  son  élec- 
teur ,  très-équivoque  allié  de  la  Suède.  Pendant  qu'Oxens- 
tiern,  dans  le  nord,  contrarié  par  les  intrigues  de  ce  même 
électeur ,  assemblait  à  Heilbronn  les  étals  prolestants  des 
quatre  cercles  de  la  Haute-Allemagne,  la  Souabe,  la  Fran- 
conie, le  Haut  et  le  Bas-Rhin,  Bernard,  non  reconnu  géné- 
ral en  chef  par  Oxenstiern,  résolut  de  tenter  de  nouveau 
l'invasion  de  l'Autriche  par  la  Bavière,  une  première  fois 
interrompue  par  Gustave- Adolphe ,  comme  on  vient  de  le 
voir;  mais  ses  soldats  et  ceux  du  maréchal  Horn,  las  d'al 
tendre  leur  solde,  et  de  conquérir  des  domaines  et  prin- 
cipautés aux  gens  de  plume  et  de  cabinet,  refusèrent  tout 
à  coup  de  marcher.  Bernard  se  chargea  d'aller  à  Franc- 
fort réclamer  près  du  chancelier  pour  eux  et  pour  lui,  se 
fit  adjuger,  ou  peut-être  reçut  à  l'amiable  le  duché  de  Fran- 
conie avec  les  évêchés  de  Bamberg  et  de  Wurtzbouig 
comme  fief  relevant  de  la  Suède,  mais  distribua  les  terres 
de  ce  duché  à  ses  officiers  comme  fief  de  l'empire  :  aussi 
le  prince  allemand  fut-il  accusé  par  le  parti  suédois  d'avoir 
excité  la  mutinerie  de  ses  troupes.  Menacé  par  Oxenstiern 
d'unedestitution,  il  réponditfièrement,  dit-on, qu'unprincede 
l'empire  valait  mieux  que  dix  gentils-hommes  suédois.  Cette 
fois  encore,  il  demanda  vainement  le  titre  de  généralissime, 
rejoignit  ses  troupes  avec  l'argent  de  leur  solde,  profita  de 
la  perfide  inaction  de  Wallenstein ,  et  prit  Ratisbonne. 
Sans  la  jalousie  du  maréchal  Horn,  sans  les  défiances 
d'Oxenstiera,  il  eût  envahi  l'Autriche.  Après  l'assassinat  du 
duc  de  Friedland,  il  pouvait  l'envahir  encore;  mais, aûaii- 
donné  de  ses  collègues,  il  s'adresse  inutilement  à  l'électeur 
de  Saxe,  il  perd  Ratisbonne,  il  est  réduit  à  défendre  son 
duché  de  Franconie,  et  perd  encore,  avec  la  bataille  deNo  r<l- 
lingen  (1634),  ce  duché  et  les  principaux  postes  des 
Suédois  sur  le  Danube,  le  Mein  et  le  Necker.  Bernard  avait 
refusé  d'attendre  les  troupes  du  landgrave  Othon,  comme 

C. 


44 


BERNARD 


le  conseillait  le  mar&lial  Ilorn,  qm  fut  fait  prisonnier;  sa 
précipitation  fut  cause  de  sa  défaite.  Dans  sa  fuite,  il  brûla 
lui-môme  ses  arctiives,  perte  irréparable  pour  l'histoire. 

Après  le  désastre  de  Nordlingen  ,  qui  fit  perdre  aux  Sué- 
dois la  confiance  des  Allemands,  qui  décida  l'électeur  de 
Saxe  à  conclure  h  paix  déloyale  de  Prague ,  et  qui  sans  la 
dureté  de  l'empereur  eût  mis  tous  les  États  protestants  à  ses 
pieds,  Bernard  rassembla  péniblement  les  débris  de  son 
armée  dans  les  environs  de  Francfort.  Une  défaite  fit  pour 
lui  plus  qu'une  victoire  ;  car,  au  moment  où  les  Impériaux 
s'emparaient  de  plusieurs  États  de  la  confédération  sur  le 
Haut-Rhin ,  au  moment  où ,  pour  secourir  cette  ville,  les 
Français  passaient  sur  la  rive  droite  du  lleuve,  contre  les 
termes  d'un  traité  récent,  il  fut  nommé  généralissime  par 
les  états  protestants  réunis  à  Worms ,  sur  les  instances  du 
ministre  français  résidant  en  celle  ville,  qui  connaissait  les 
offres  de  l'Autriciie  au  duc  de  Weimar.  Avec  l'aide  des 
Français,  Bernard  reprit  Spire,  qui,  avec  Wurtzbourg  et 
Pliilipsbourg,  était  tombée  pendant  ces  négociations  au 
pouvoir  des  Impériaux  ;  mais ,  bientôt  abandonné  par  les 
Français,  par  ses  trois  frères,  par  les  princes  protestants 
qui  avaient  maudit  l'électeur  de  Saxe,  et  qui  l'imitaient,  ré- 
duit à  garder  seul  les  deux  rives  du  Rhin,  Bernard  comprit 
que  l'heure  prédite  par  Grotius  était  venue,  où  l'Allemagne 
protestante  devait  subir  l'alliance  de  la  France  catholique. 
Avant  le  voyage  d'Oxenstiem  à  Compiègne,  il  avait  déjà  traité 
séparément  avec  la  France  pour  renirelien  de  son  armée,  que 
les  confédérés  d'Heilbronn  ne  pouvaient  plus  nourrir.  Avec 
les  premiers  secours  amenés  par  le  cardinal  de  La  Valette , 
il  rejeta  le  général  impérial  Gallas  au  delà  du  Rhin  ,  qu'il 
venait  de  franchir;  toutefois,  il  ne  put  s'emparer  de  Franc- 
fort, se  joindre  au  landgrave  de  Hesse-Cassel ,  le  seul  prince 
allemand  qm  fût  encore  allié  de  la  Suède ,  et  réparer  les 
désastres  de  Nordlingen ,  paralyser  les  effets  de  la  paix  de 
Prague,  en  chassant  Gallas  de  la  Haute-Allemagne.  Crai- 
gnant d'être  séparé  de  la  France ,  il  fit  vers  Metz ,  à  travers 
un  terrain  montueux,  une  retraite  victorieuse,  admirée  par 
Gallas ,  son  adversaire ,  comme  la  plus  belle  action  qu'il  eût 
jamais  vue. 

Par  un  traité  conclu  à  Saint-Germain-en-Laye ,  Bernard 
devait  recevoir  du  roi  de  Franco  quatre  millions  de  livres 
par  an  pour  l'entretien  de  douze  mille  hommes  d'infanterie, 
de  six  mille  chevaux  avec  l'artillerie  nécessaire  ;  par  les  ar- 
ticles secrets,  on  lui  donnait  l'Alsace,  à  la  condition  d'y 
tolérer  la  religion  catholique;  mais  il  s'engageait  à  conduire 
son  armée ,  indépendante  de  la  Suède ,  partout  où  le  roi  de 
l'rartce  l'oidoimerait.  RicheUeu  donnait  l'Alsace  à  Bernard 
pour  qu'il  eu  fit  la  conqutHe ,  et  Bernard ,  en  recevant  cette 
province  ,  songeait  moins  à  s'indemniser  de  la  perte  de  son 
iuché  de  Franconie  qu'à  s'assurer  contre  la  France  elle- 
même  un  asile,  une  lorleresse  pour  lui,  pour  ses  frères 
d'armes  et  de  religion.  Pour  éviter  avec  les  agents  de  la 
France  des  contestations  sans  cesse  renaissantes ,  Bernard 
lit  un  voyage  à  Paris ,  et ,  malgré  sa  dépendance  secrète , 
j)arut  à  la  cour  avec  la  noble  assurance  d'un  prince  de 
l'Empire.  Richelieu  le  reçut  <  omme  le  meilleur  ami  qu'il  eût 
au  monde.  Le  père  Joseph ,  qui  avait  contribué  à  la  chute 
de  Wallenstein ,  lui  parlait  de  guerre ,  et  lui  nionlrait  sur 
la  carte  les  villes  à  prendre  :  "■  Tout  cela  serait  fort  bien,  mon 
bon  ]ièrc,  dit  Bei'nard,  si  l'on  prenait  les  villes  avec  le 
bout  du  doigt.  »  En  somme ,  Bernanl  revint  à  son  armée 
svec  de  nouvelles  promesses,  elle  cardinal  de  La  Valette  prit 
d'assaut  Saverne ,  presque  sous  les  yeux  de  Gallas,  et  se 
trouva  maître  de  l'Alsace. 

11  songeait  à  poursuivre  Gallas  jusque  dans  la  Souabe; 
mais  la  France  envahie  de  deux  côtés  à  la  fois,  par  les  Espa- 
gnols et  les  Autrichiens,  l'appelait  à  son  secours.  On  pliait 
déjà  bagage  à  Paris  pour  échapper  à  Jean  de  Weitli,  qui 
venait  de  la  Picardie;  Richelieu  ne  rendit  au  peuple,  par 
«is  proclamations,  le  courage  qu'il  avait  perdu  lui-même 


qu'après  avoir  été,  dit-on  ,  ranimé  par  le  père  Joseph.  Tan- 
dis qu'une  armée  levée  à  la  hâte  repoussait  les  Espagnols 
au  delà  de  la  Somme ,  Bernard  chassa  les  Impériaux  de  la 
Lorraine  ,  et  se  souvint  dans  ce  pays  de  la  promesse  qu'il 
avait  faite  à  la  reine  de  France  de  protéger  contre  les  sol- 
dats l'honneur  des  femmes  et  des  nonnes.  Il  courut  ensuite 
en  Bourgogne  au-devant  de  Gallas,  se  retrancha  savamment 
en  face  d'une  armée  supérieure  en  nombre ,  et ,  secondé 
par  l'héroïque  résistance  de  la  petite  ville  de  Saint-Jean-de- 
Losne,  par  les  maladies  et  le  mauvais  temps,  fit  repasser 
le  Rhin  à  Gallas ,  avec  une  perte  de  six  mille  hommes.  Dans 
le  nord  de  l'Allemagne,  Baner  relevait  à  Witstork  (24  sep- 
tembre 1636)  l'honneur  du  nom  suédois. 

Bernard ,  toujours  en  dispute  avec  le  cardinal  de  La  Va- 
lette, trompé  d'un  million  par  la  cour  de  France,  lui  sou- 
mettait toute  la  F  r  a  n  c  h e -  C om té  jusqu'à  Montbéliard , 
et  se  faisait  demander  par  Oxenstiern  s'il  était  encore  au 
service  de  la  cause  commune  ou  simplement  à  celui  de  la 
France.  Il  avoua  ses  obligations  envers  elle,  mais  promit  de 
passer  le  Rhin,  fit  un  second  voyage  à  Paris,  réunit  des 
forces  suffisantes ,  leur  fit  traverser  le  Rhin  près  de  BAle, 
et  vint  camper  devant  Rhinfeld ,  place  alors  très-impor- 
tante. Attaqué  par  les  Impériaux,  bien  supérieurs  en  nombre, 
Bernard  perdit  dans  une  première  action  huit  canons, 
envoya  quelques  drapeaux  autrichiens  à  Paris,  revint  trois 
jours  après  attaquer  les  Impériaux ,  les  mit  en  déroute  après 
ime  heure  de  combat,  et  prit  tous  les  officiers  ennemis,  moins 
deux.  Le  peuple  de  I^aris  et  de  Lyon  put  se  venger  du  pri- 
sonnier de  la  France,  Jean  de  Werth,  Jean  le  Pris,  le  Bien 
Battu,  qui  l'avait  fait  trembler.  La  prise  de  Rhinfeld ,  le 
siège  de  Brisach,  l'un  des  diamants  de  la  couronne  impé- 
riale, comme  disait  l'empereur,  furent  les  résultats  de  cette 
fameuse  victoire.  La  cour  de  Vienne  fit  aussitôt  partir 
Gœte,  avec  l'armée  austro-bavaroise,  pour  défendre  Brisach, 
et  les  jésuites  pour  soulever  tous  les  habitants  de  la  Forêt- 
Noire.  Bernard  battit  Gœtz  près  du  village  de  W'ittenwihr. 
Abandonné  par  les  Français-,  ces  chrétiens  moins  fidèles 
à  leur  parole  que  des  Turcs,  surpris  par  la  fièvre,  Ber- 
nard monta  pourtant  à  cheval  pour  aller  battre  Charles  de 
Lorraine.  «  Il  est  écrit ,  dit-il ,  voyant  la  belle  armée  du 
Lorrain ,  que  l'esprit  est  foil  et  la  chair  faible  ;  on  peut  dire 
ici  que  l'esprit  est  faible  et  la  chair  forte.  «  Charles  de  Lor- 
raine fit  place  à  Gœtz  et  Lamboi ,  qui  revenaient  avec  qua- 
torze mille  hommes;  Bernard  se  leva  pour  la  troisième  fois 
de  son  lit  de  douleur,  et  mit  les  Impériaux  en  fuite.  Bri- 
sach se  rendit  :  c'était,  dirent  les  prolestants,  le  Capitole  de 
l'Autriche.  «  Courage,  père  Joseph;  Brisach  est  à  nous!  » 
ciiait  Richelieu  au  capucin  mourant.  Mais  Bernard  n'avait 
fait  mention  dans  la  capitulation ,  ni  de  la  France ,  ni  de  la 
Suède ,  là  de  l'union  d'Heilbronn. 

On  espérait  que  Bernard,  maître  de  Brisach,  allait  désor- 
mais protéger  en  Allemagne  les  opérations  de  Baner,  quand 
on  apprit  qu'il  venait  de  rentrer  en  Franche-Comté  pour 
soumettre  la  dernière  place  forte  de  cette  province ,  et  as- 
surer ses  communications  avec  l'Alsace.  Bernard  voulait 
conserver  l'Alsace  avec  ses  forteresses  conuue  un  fief  de  l'Em- 
pire, indemniser  la  France  par  la  Franche-Comté,  se  mettre 
à  la  tête  des  protestants  abattus,  et  former  une  troisième 
puissance,  médiatrice  entre  eux  et  l'Autriche.  Richelieu  lui 
offrait  sa  nièce,  et  le  prince  saxon  n'en  voulait  pas;  l'Au- 
triche, sans  plus  de  succès ,  lui  faisait  proposer  une  archi- 
duchesse avec  une  principauté  en  échange  de  l'Alsace.  Au 
sortir  de  cette  campagne  (  1  Oi'.s  ) ,  où  Bernard  avait  pris  trois 
forteresses  réputées  imprenables  et  gagné  huit  batailles ,  à 
ce  moment  de  sa  jeunesse  où ,  placé  sur  les  frontières  de 
la  France  et  de  l'Allemagne,  il  entendait  ses  louanges  répétées 
par  les  deux  peuples,  le  héros  fut  saisi  de  tristesse,  et  crut 
sa  mort  prochaine.  Envoyant  les  soldats  allemands  et  fran- 
çais |)iller  Pontarlier,il  s'écria  :  «  La  vie  m'est  à  charge  :  je  ne 
p.enx  plus  vivre  en  repos  avec  ma  conscience  au  milieu  de  ces 


1 


BEUP^AFvD 


4i> 


fmpies.  »  A  Pfiit ,  on  la  foiilc  accourait  pour  le  voir,  il  dit 
tout  liant  :  «  Je  crains  bien  de  partager  le  sort  du  roi  de 
Suède;  car  du  moment  que  le  peuple  espéra  plus  en  lui 
qu'en  Dieu ,  il  dut  mourir.  »  Arrivé  à  Huningue  pour  y 
passer  le  Rhin ,  il  tomba  malade ,  et  mourut  le  même  jour 
à  Neubourg  (1639),  à  Tâge  de  trente-cinq  ans,  trois  ans 
plus  tôt  que  Gustave-Adolphe. 

Cette  mort  peut  sembler  naturelle  après  les  fatigues  de 
Bernard  et  sa  lutte  violente  contre  les  maladies  qui  en  deux 
jours  lui  enlevaient  quatre  mille  hommes;  mais  cette  mort 
avait  été  calculée  comme  prochaine  par  Richelieu  dans  son 
traité  avec  le  gouverneur  de  Brisach ,  Jean-Louis  d'Erlach, 
qu'il  avait  corrompu.  Cette  mort  fut  encore  moins  imprévue 
pour  l'Autriche ,  puisque  dans  le  camp  impérial  on  disait 
Bernard  mort  avant  sa  dernière  maladie.  Lui-même  se  crut 
empoisonné,  et  son  aumônier  exprima  hautement  ce  soupçon 
dans  son  oraison  funèbre.  On  avait  dit  aussi  que  le  duc 
Albert  de  Saxe-Lauenbourg  avait  tué  Gustave-Adolphe  au 
profit  de  l'Autriche  :  il  est  en  effet  remarquable  que  Gustave- 
Adolphe,  Walleustein  et  Bernard  de  W'eimar,  les  trois 
génies  révolutionnaires  de  cette  époque,  moururent  de 
mort  prématurée,  et  toujours  à  propos  pour  l'Autriche. 

T.  ÏOUSSENEL. 

BERIVARD  (Samuel).  Son  père,  peintre  et  graveur,  né 
en  1615,  connu  particulièrement  pour  ses  miniatures  et  ses 
gouaches ,  avait  été  protesseur  de  l'Académie  de  Peinture , 
et  était  décédé  en  1687.  Plus  avide  de  richesses  que  de 
gloire ,  son  fils,  né  en  1651,  à  Paris,  se  livra  tout  entier  aux 
spéculations  de  la  haute  finance,  et  devint  un  des  plus  opu- 
lents banquiers  de  l'Europe.  11  amassa,  dit-on,  plus  de 
33  millions.  Il  avait  fait  d'immenses  bénéfices  sous  le  mi- 
nistère de  Chamillard,  qui  de  son  aveu  n'entendait  rien 
en  administration.  Mais  lorsque  ce  ministre  tomba,  Samuel 
Bernard,  si  longtemps  sa  seconde  providence,  lui  avait 
déjà  impitoyablement  fermé  sa  caisse.  Le  financier,  qui  lui 
devait  sa  grande  et  rapide  fortune,  ne  voulut  pas  la  com- 
promettre; il  se  montra  également  sourd  aux  sollicitations  et 
aux  flagorneries  de  son  successeur  Desmarests.  Le  nouveau 
ministre  hasarda  un  dernier  effort.  11  parvint  ù  faire  adopter 
a  Louis  XIV  l'expédient  qu'il  avait  imaginé  en  désespoir 
de  cause,  et  qui  consistait  à  amener  le  plus  fier  des  monar- 
ques à  caresser  la  vanité  d'un  financier.  L'histoire  contem- 
poraine offre  des  exemples  de  ce  genre.  Mais  alors  c'était 
un  véritable  prodige.  Le  besoin  rapproche  les  distances.  Le 
<luc  de  Saint-Simon  raconte  ainsi  cette  singulière  entrevue 
du  roi  et  du  banquier  : 

«  La  cour  était  à  Marly.  On  y  \it  Desmarests ,  qui  se 
présenta  avec  le  célèbre  banquier  Samuel  Bernard,  qu'il 
avait  mandé  pour  dîner  et  travailler  avec  lui  ;  c'était  le 
plus  riche  de  l'Europe ,  et  qui  faisait  le  plus  grand  et  le 
plus  assuré  commerce  d'argent.  11  sentait  ses  forces,  il  y 
voulait  des  ménagements  proportionnés;  et  les  contrôleurs 
généraux ,  qui  avaient  bien  plus  souvent  affaire  à  lui  qu'il 
n'avait  affaire  à  eux ,  le  traitaient  avec  des  égards  et  des 
distinctions  fort  grandes.  Le  roi  dit  à  Desmarests  qu'il  était 
bien  aise  de  le  voir  avec  M.  Bernard;  puis  tout  de  suite 
dit  à  ce  dernier  :  «  Vous  êtes  bien  homme  à  n'avoir  jamais 
«  vu  Marly;  venez  le  voira  ma  promenade,  je  vous  ren- 
ie drai  après  à  Desmarests.  »  Bernard  suivit,  et  tant  qu'elle 
dura  le  roi  ne  parla  qu'à  Bergheyck  et  à  lui,  et  autant  à 
l'un  qu'à  l'autre,  les  menant  partout  et  leur  montrant  tout 
également,  avec  les  égards  qu'il  savait  si  bien  employer 
quand  il  avait  dessein  de  combler.  J'admirais,  et  je  n'étais 
pas  seul ,  cette  espèce  de  prodigalité  du  roi ,  si  avare  de  ses 
paroles,  à  un  homme  de  la  médiocrité  de  Bernard.  Je  ne  fus  pas 
longtemps  sans  en  apprendre  la  cause  ;  et  j'admirai  alors  jus- 
qu'où les  plus  grands  rois  se  trouvent  quelquefois  réduits. 
Desmarests  ne  savait  plus  de  quel  bois  faire  (lèche  ;  tout 
manquait  et  tout  était  épuisé.  Il  avait  été  à  Paris  frapper  à 
toutes  les  portes  ;  on  avait  si  souvent  et  si  nettement  manqué 


à  toutes  sortes  d'engagements  pris  et  aux  paroles  les  plus  pré- 
cises qu'il  ne  trouva  partout  que  des  excuses  et  des  portes 
fermées.  Bernard,  comme  les  autres,  ne  voulait  rien  avancer. 
11  lui  était  beaucoup  dû.  En  vain  Desmarests  lui  représenta 
l'excès  des  besoins  les  plus  pressants,  et  l'énormité  des  gain* 
qu'il  avait  faits  avec  le  roi  ;  Bernard  demeure  inébranlable  : 
voilà  le  roi  et  le  ministre  cruellement  embarrassés.  Des- 
marests dit  au  roi  que,  tout  bien  examiné,  il  n'y  avait 
plus  que  Bernard  qui  pût  le  tirer  d'affaire,  parce  qu'il  n'é- 
tait pas  douteux  qu'il  n'était  question  que  de  vaincre  sa 
volonté  et  l'opiniâtreté  qu'il  avait  montrée;  que  c'était  un 
homme  accessible  à  la  vanité  ,  capable  d'ouvrir  sa  bourse 
si  le  roi  daignait  le  flatter.  Dans  la  nécessité  si  pressante  des 
affaires,  le  roi  y  consentit;  et  pour  tenter  le  secours  avec 
moins  d'indécence  et  sans  essuyer  de  refus,  Desmarests 
proposa  l'expédient  que  je  viens  de  raconter.  Bernard  re- 
vint de  la  promenade  du  roi  tellement  enchanté  que  d'a- 
bord il  lui  dit  qu'il  aima't  mieux  risquer  sa  ruine  que  de 
laisser  dans  l'embarras  un  prince  qtii  venait  de  le  combler, 
et  dont  il  se  mit  à  faire  les  plus  grands  éloges.  Desmarests 
en  profita  sur-le  champ  ,  et  en  tira  beaucoup  plus  qu'il  ne 
s'était  proposé.  » 

La  véritable ,  la  bonne  comédie ,  n'est  que  l'histoire  des 
mœurs  contemporaines  mise  en  action.  Notre  Molière  est  le 
meilleu  r  peintre  des  mœurs  de  son  siècle.  Samuel  Bernard  n'est 
autre  que  M.  Jourdain;  le  prince  et  son  ministre  ne  ressem- 
blent pas  mal  au  grand  seigneur  et  à  la  marquise  du  Bourgeois 
Gentilhomme.  Les  portraits  du  grand  maître  sont  frappants 
de  ressemblance.  Les  originaux  venaient  à  leur  insu  poser 
dans  son  atelier  ;  seulement  il  réduisait  son  cadre  aux  pro- 
portions de  la  scène  et  des  convenances.  Le  Bergheyck  dont 
parle  Saint-Simon  dans  ses  Mémoires  avait  dirigé  avec  une 
rare  habileté  les  finances  de  Charles  II  dans  les  Pays-Bas , 
et  après  la  mort  de  ce  prince  celles  de  l'électeur.  Il  était ,. 
dit  le  même  auteur,  «  fort  homme  de  bien ,  point  du  tout 
riche  et  n'ayant  jamais  rien  fait  pour  sa  famille.  Ses  voyages 
à  Versailles  étaient  rares  et  toujours  fort  courts.  »  Bernard, 
aussi  habile  financier,  s'était  au  contraire  beaucoup  occupé  do 
l'accroissement  de  sa  fortune  et  de  l'élévation  de  sa  famille. 
Son  nom  trahissant  son  origine  bourgeoise,  il  fit  les  plus 
grands  sacrifices  pour  le  déguiser  et  pour  qu'il  ne  passât  point 
à  sa  postérité.  11  acheta  donc  pour  ses  fils  de  grandes  charges 
et  des  terres  titrées.  Son  fils  aîné  fut  président  au  parlement 
de  Paris ,  et  ne  signait  que  son  nom  seigneurial  de  Rieux  ; 
l'autre,  comte  de  Caubert.  Son  petit-fils,  prévôt  de  Paris,, 
se  faisait  appeler  marquis  de  Boulainvilliers.  Il  avait  marié 
sa  fille  au  premier  président  Mole ,  et  se  trouva  par  consé- 
quent beau-père  de  la  duchesse  de  Cossé-Brissac.  L'histoire 
de  Samuel  Bernard  et  de  sa  famille  est  celle  de  tous  les  riches 
financiers  d'alors  parvenus  au  point  de  pouvoir,  par  leurs 
capitaux,  leur  crédit,  exercer  une  grande  influence  et  donner 
à  l'industrie  française  une  impulsion  progressive  ;  tous,  aus- 
sitôt qu'ils  en  étaient  là ,  abandonnaient  leurs  comptoirs 
et  leurs  usines  pour  se  faire  anoblir. 

Samuel  Bernard  ,  au  milieu  de  ses  rêves  d'ambition  et 
de  fortune ,  était  le  plus  malheureux  des  hommes.  Esprit 
superstitieux ,  il  croyait  son  existence  attachée  à  celle  d'une 
poule  noire ,  dont  il  faisait  prendre  et  prenait  lui-même  le 
plus  grand  soin.  C'était  pour  lui  le  tison  de  Méléagre.  Il 
survécut  peu  à  sa  poule  noire,  et  mourut  en  1739.  Il  avait 
acquis  de  grands  domaines  ;  ses  héritiers  trouvèrent  ses  cais- 
ses bien  garnies  et  un  portefeuille  de  dix  millions  de  francs 
de  créances.  On  a  prétendu  que  la  moitié  de  cette  somme 
environ  avait  été  prêtée  sans  intérêt.  Les  plus  grands  sei- 
gneurs de  la  cour  figuraient  à  l'avoir  de  son  livre  de  caisse. 
Cinq  millions  prêtés  sans  intérêt  par  Samuel  Bernard!  il 
est  permis  de  douter  d'un  fait  aussi  extraordinaire. 

DUFEY  (de  l'Yonne). 
BERNARD  (Catherine), née  à  Rouen,  en  1662, morte 
à  Paris,  en  1712,  était  de  la  famille  des  Corneille.  ÉleYi-e 


4G 


BERNARD 


dans  la  religion  réformc^c,  elle  renonça  au  culte  de  ses  pères, 
et  se  fit  catholique  :  elle  vint  alors  s'établir  à  Paris,  et  pa- 
rut dans  le  monde  littéraire  sous  le  patronage  de  Fontenelle, 
ion  parent  et  son  ami.  Elle  avait  préludé  par  trois  petits 
poèmes  en  l'honneur  de  Louis  XIV,  qui  furent  couronnis 
par  l'Académie  Française.  D'un  autre  côté,  l'Académie  des 
Jeux  Floraux  prodigua  ses  couronnes  à  M"*  Bernard,  et 
celle  des  Kicovrati,  de  Padoue,  l'admit  au  nombre  de  ses 
membres.  L'intérêt  que  Fontenelle  prenait  aux  productions 
de  M"*  Bernard  Ta  fait  soupçonner  de  n'être  pas  dememé 
étranger  à  leur  rédaction. 

m"*  Bernard  a  fait  paraître  trois  romans  :  les  Malheurs 
de  V Amour  (  1684),  le  Comte  d'Amboise  (  1689  ),  Inès  de 
Cordoue  (1689).  Quelques  auteurs  lui  attribuent  la  Rela- 
tion de  Vile  de  Bornéo.  La  pensée  dominante  des  nombreux 
romans  de  Catherine  Bernard  est  de  combattre  le  penchant 
à  l'amour  :  aussi  tous  ses  héros  ne  sont  que  des  amants 
malheureux.  M"*  Bernard  s'était  d'abord  élancée  dans  la 
carrière  dramatique  ;  mais  elle  renonça  au  théâtre  à  la  prière 
de  M"*  de  Pontchartrain ,  qui  lui  faisait  une  pension.  Sa 
Laodamie  et  son  Brutus  obtinrent  une  vingtaine  de  repré- 
sentations :  l'une  fut  jouée  le  II  février  1689,  l'autre  le  18 
décembre  1690.  Le  Brutus  de  Voltaire,  représenté  quarante 
ans  après,  a  fait  oublier  celui  de  M"''  Bernard,  auquel  pour- 
tant le  grand  poète  a  fait  de  nomlireux  emprunts.  S'il  faut 
en  croire  l'auteur  des  Tablettes  dramatiques,  la  tragédie  de 
Bradamantc,  jouée  et  imprimée  sous  le  nom  de  M"*  Ber- 
nard ,  n'est  autre  que  celle  de  Thomas  Corneille.  Voltaire 
attribue  à  M.  de  la  Parisière  ,  évêque  de  INismes,  l'apologue 
intitulé  l'Imagination  et  le  Bonheur,  imprimé  sous  le 
nom  de  M"®  Bernard. 

Des  pièces  de  vers  de  M"*  Bernard  il  est  resté  surtout 
ce  placet,  qu'elle  adressait  à  Louis  XIV  pour  rappeler  à  ce 
prince  les  quartiers  échus  d'une  pension  qu'il  lui  faisait  : 

Sire,  deux  cents  écus  sont-ils  si  nécessaires 
Au  bnnlienr  de  l'État,  au  bien  de  vos  affaires, 
Que  sans  ma  pension  vous  ne  puissiez  dompter 
Les  faibles  alliés  et  du  Kiiin  et  du  Tage  ? 
A  vos  armes  grand  roi ,  s'ils  peuvent   résister. 
Si  pour  vaincre  l'effort  de  leur  injuste  rage 

Il  fallait  ces  deux  cents  ccus, 

Je  ne  les  demanderais  plus. 
Ne  pouvant  aux  combats  pour  vous  perdre  la  vie, 
Je  voudrais  me  creuser  un  illustre  tombeau. 
Et,  souffrant  une  mort  d'un  genre  tout  nouveau , 

Mourir  de  faim  pour  la  patrie. 
Sire,  sans  ce  secours  tout  suivra  votre  loi, 
Et  vous  pouvez  en  croire  Apollon  sur  sa  foi; 
Le  Sort  n'a  point  pour  vous  démenti  ses  oracles. 
Ah  !   puisqu'il  vous  promet  miracles  sur  miracles. 
Faites-moi  vivre  et  voir  tout  ce  que  je  prévois. 

BERNARD  (PiERKE-JosEpn),  né  en  1710.  On  sait  qu'il 
s'appelait  Bernard  tout  court;  ce  fut  Voltaiie  qui  accola  à 
son  nom  l'épithète  mignonne ,  et  on  sait  comment  il  en  lit 
un  Gentil  Bernard.  Chargé  par  M"*  de  La  Vallière  de 
l'inviter  à  souper,  il  lui  adressa  ce  billet  : 

Au  nom  du  Pinde  et  de  Cythère, 
Gentil  Bernard  est   averti 
Que  l'Art  d'aimer  doit  samedi 
Venir  souper  chez  l'Art  de  plaire. 

Une  autre  fois  le  patriarche  de  Femey  écrivait  à  notre 
poète  :  «  Mon  cher  petit  Bernard ,  souvenez-vous  de  moi 
au  milieu  de  vos  lauriers  et  de  vos  myrtes.  «  Gentil,  petit, 
jamais  mots  n'exprimèrent  mieux  les  choses;  Bernard  en 
effet  fut  un  esprit  gentil  et  un  petit  esprit;  et  Voltaire,  mé- 
rite qu'il  a  eu  si  souvent,  avait  deviné  juste  et  estimé 
riionune  ce  qu'il  valait,  fond  et  supcrlicic. 

Le  curieux  pour  les  amatetns  de  contrastes  piquants, 
C'est  q'.ie  G  en!  il  Bernard  ,  cet  épicurien  de  vie  libertine,  ce 
g;iiant  rimeur  de  vers  libertins,  quoiqu'il  se  vante  quelque 
l-art  de  la  pudeur  de  sa  muse,  naquit  à  Grenoble,  la  pa- 


trie du  chaste  chevalier  Bayard ,  et  fit  ses  études  chez  les 
jésuites  de  Lyon,  qui  cherchèrent  en  vain  à  le  retenir  pour 
en  faire  un  des  leurs.  Son  père  était  sculpteur.  Il  vint  à 
Paris  très-jeune,  et  commença  par  manier  les  dossiers  chez 
un  procureur,  tout  en  rimant  déjà  des  vers  à  Chloris,  VE- 
pitre  à  Claudine,  et  la  Chanson  de  la  Rose.  De  la  robe  et 
du  Palais,  il  passa  au  bout  de  deux  ans  à  l'épée  et  aux 
champs  de  bataille  d'Italie  (  1733-1734  ),  sous  les  maréchaux 
de  Maillebois  et  de  Coigny,  et  il  paya  de  sa  personne  à 
Guastalla  et  à  Parme.  Nous  devons  à  cette  escapade  mili- 
taire de  notre  Bernard  un  assez  mauvais  poème  adressé  ,'i 
la  duchesse  de  Gontaut.  Il  fit  en  même  temps  la  guerre  et 
l'amour,  moitié  laurier,  moitié  myrte,  pour  parler  comme 
Voltaire,  à  la  façon  des  braves  doni  Bernard  fait  ainsi  le  por- 
trait dans  son  poème  : 

On  les  Toit,   partout  aguerris  , 
Tenter  des  conquêtes  nouvelles, 
Et  des  rois  -venger  les  querelles. 
Et  s'en  faire  avec  les  maris. 

L'Opéra-Comique  n'a  jamais  dit  mieux. 

Le  maréchal  de  Coigny  s'intéressa  à  Bernard ,  et  le  prit 
pour  secrétaire,  à  condition  qu'il  renoncerait  à  la  poésie.  Le 
ïiis  du  maréchal  en  levant  la  défense  donna  au  poète  la 
place  de  secrétaire  général  des  dragons,  place  de  vingt 
mille  livres  de  rentes ,  qui  lui  valut  en  outre  cet  envoi  ana- 
créontique  de  son  grand  ami  Arouet  :  «  Le  secrétaire  de 
l'Amour  est  donc  le  secrétaire  des  dragons!  »  Bernard  avait 
habité  l'hôtel  de  Coigny  jusqu'à  la  mort  du  vieux  maréchal, 
et  son  crédit  dans  la  maison  de  Coigny  descendit  de  l'aïeul 
aux  petits-fils. 

Après  une  longue  vie  toute  parfumée  de  roses  et  de  rimes 
à  la  rose,  dont  la  plus  grande  affaire  fut  le  plaisir,  et  un 
continuel  sourire  la  plus  grande  tristesse ,  Gentil  Bernard 
perdit,  en  1771,  la  raison  :  faut-il  dire  le  mot,  le  mot  horri- 
rible  ?  il  devint  imbécile.  On  vit  donc  l'Anacréon  français , 
comme  on  l'appelait  en  ce  temps-là,  aller  par  la  ville  l'œil 
terne,  les  lèvres  pendantes,  le  front  abaissé  vers  la  terre , 
avec  tous  les  signes  de  l'idiotisme;  ce  n'était  plus  Gentil 
Bernard,  hélas!  c'était  Beraard  l'hébété;  qu'en  pensaient 
lesÉglé  et  les  Amaryllis  qu'il  avait  tant  chantées  ?  Sans  doute 
elles  se  souvenaient  du  conte  de  Zadlg,  et  volaient  à  d'autres 
amours. 

Voltaire,  on  le  retrouve  partout ,  a  fait  ce  très-mauvais  jeu 
de  mots  sur  cette  disgrâce  intellectuelle  du  pauvre  Bernard  : 
«  On  dit  que  Gentil  Bernard  a  perdu  la  mémoire;  il  a  poui- 
tant  pour  mère  une  des  filles  de  Mémoire,  et  il  doit  avoir  du 
crédit  dans  la  famille.  » 

Grimm  en  parle  plus  sérieusement,  et  profite  de  l'occa- 
sion pour  tracer  de  l'auteur  de  VArt  d'Aimer  une  esquisse 
très-ressemblante  et  spirituelle  :  «  On  peut  rayer  du  nombre 
des  vivants,  quoiqu'il  soit  encore  en  vie,  Bernard,  qui  doit  à 
M.  de  Voltaire  le  surnom  de  Gentil  Bernard.  A  force  d'a- 
voir usé  de  la  vie  de  toute  manière ,  Gentil  Bernard ,  né 
robuste,  infatigable  seniteur  des  dames,  est  tombé 
dans  l'enfance  à  l'âge  de  soixante  ans  passés  ;  il  prétendait 
vivre  à  soixante  ans  comme  à  trente.  Ce  calcul  n'étant  pas 
celui  de  la  nature,  il  eut  au  mois  de  juillet  dernier  une 
attaque  qui  vient  d'être  suivie  d'un  affaissement  du  cer- 
veau. Il  a  perdu  la  tête,  il  déraisonne;  mais  il  n'est  pas  ma- 
lade :  il  boit,  il  mange;  et  comme  il  n'a  pas  la  connaissance 
de  son  état,  il  n'est  pas  môme  malheureux.  » 

Bernard  était  taillé  exprès  pour  faire  fortune,  et  il  ne 
manqua  pas  sa  vocation  :  c'était  un  homme  frivole ,  essen- 
tiellement indifférent  sur  tout  ce  qui  n'était  pas  son  plaisir, 
mais  supérieurement  doué  de  l'esprit  de  conduite ,  n'affi- 
chant jamais  rien  que  d'être  galant,  aimable,  plein  d'égards 
pour  tout  le  monde,  sans  attachement  pour  personne,  joignant 
à  un  tempérament  infatigable  la  grâce  et  la  gentillesse  de 
l'esprit  et,  chose  inouïe  dans  un  Français,  une  dis-crétion  à 
toute  épreuve.  S'il  faut  en  croire  la  chronique  gcîoureuse. 


I 


BERNARD 


47 


cette  dernière  qualité  lui  valut  une  infinité  de  bonnes  for- 
tunes. 

Notre  Seigneur  prétend  qu'on  ne  peut  servir  deux  maîtres 
à  la  fois  ;  Bernard  prétendait  au  contraire  qu'on  peut  très- 
bien  servir  deux  et  même  plusieurs  maîtresses.  En  con- 
séquence, U  ne  quittait  jamais,  à  moins  qu'on  ne  le  voulût 
bien  ;  et  quand  il  était  quitté,  il  se  résignait  à  son  sort  sans 
faire  de  bruit.  U  ne  bornait  pas  ses  jouissances  aux  plaisirs 
de  l'amour,  il  aimait  avec  tout  autant  de  passion  les  plai- 
sirs de  la  table.  Bernard  dînait  et  soupait  noblement ,  et  à 
fond ,  tous  les  jours  de  sa  vie.  Au  moment  où  il  perdit  la 
raison,  le  chevalier  de  Chastellux  dit  spirituellement  :  «  Les 
hommes ,  sans  exception ,  attribuent  cet  accident  à  son  goût 
effréné  pour  les  femmes,  et  les  femmes  à  sa  passion  inuno- 
dérée  pour  la  table.  » 

Bernard  vécut  toujours  dans  la  bonne  compagnie ,  sans 
préjudice  de  la  mauvaise,  qu'il  fréquentait  sans  s'afficher; 
c'était  l'homme  le  plus  habile  pour  jouir  de  tout  sans  bruit. 
U  avait  connu  M™®  de  Pompadour  avant  qu'elle  fût  reine; 
Bernard  et  l'abbé  de  Bernis  étaient  les  beaux-esprits  de  la 
société  obscure  de  M™*  d'Étiolés  sous-fermière.  Elle  s'en 
souvint  dans  sa  fortune  :  Bernis  devint  ministre  et  cardinal; 
Bernard  resta  Gentil  Bernard  sur  le  pavé  de  Paris  ;  trop  sage 
pour  vouloir  autre  chose  et  pour  sacrifier  son  indépendance 
à  l'ambition,  car,  sérieusement,  nous  ne  comptons  pas  pour 
des  places  celles  de  bibliothécaire  à  Choisy ,  et  de  garde  des 
médailles ,  marbres ,  etc. 

Le  même  esprit  de  sagesse  empêcha  Bernard  de  publier 
aucun  de  ses  ouvrages  ;  le  fameux  opéra  de  Castor  et  Pol- 
luXf  musique  de  Rameau,  est  le  seul  qui  fut  imprimé  de 
son  aveu.  Le  gentil  poète  a  dit  lui-même  le  secret  de  cette 
modestie ,  en  parlant  des  grands  vers  et  des  grands  poètes 
qui  cherchent  la  renommée  : 

Vous  n'eûtes  pas  ce  vain  désir  comme  eux. 
Mes  petits  vers ,  et  vous  fûtes  heureux. 

Qu'ils  plaisent  à  Pompadour,  c'est  tout  ce  qu'il  leur  de- 
mande; et,  en  vérité,  ils  étaient  faits  tout  exprès  pour  lui 
plaire;  jamais  poésie  ne  fut  plus  Pompadour  et  plus  pompa- 
dourette.  «  Si  vous  voulez  vous  contenter  de  fleurs,  dit 
Grimm  malicieusement ,  vous  n'aurez  que  cela  ;  ce  ne  sont 
que  fleurs,  et  encore  des  fleurs.  »  Grimm  oublie  d'ajouter 
fleurs  artificielles.  Qui  pourrait  en  faire  un  reproche  à  Gen- 
til Bernard?  Il  ne  se  vante  pas  d'autre  chose,  et  n'a  jamais 
eu  la  prétention  de  l'épique  : 

Vers  ,  chansons,  études  frivoles  , 
Muse,  Amour,  voilà  tous  mes  vœux. 

Gentil  Bernard  fut  donc  l'Anacréon  de  la  France  ;  du  moins 
»on  le  disait  de  son  temps ,  un  Anacréon  frisé,  poudré,  fan- 
freluche, que  Beaudoin  aurait  pu  peindre  étalé  sur  un  so- 
pha,  dans  un  boudoir,  en  robe  de  chambre,  en  caleçon  de 
taffetas,  en  pantouffles  de  maroquin  jaune.  C'est  dans  ce 
costume  qu'il  écrivit  sou  poème  de  l'Art  d'aimer,  qui  triom- 
pha par  la  lecture  de  salon  en  salon ,  et  jouit  de  ce  succès 
pendant  trente  ans ,  sans  avoir  passé  par  l'épreuve  de  l'im- 
pression. 

Quand  le  poëme  parut ,  on  se  récria.  Voltaire ,  —  encore 
lui  !  —  qui  avait  placé  Bernard  au-dessus  d'Ovide  et  de  Ti- 
bulle, —  dit  :  «  C'est  un  ouvrage  ennuyeux,  qui  ne  renferme 
qu'une  trentaine  de  vers  admirables,  un  mélange  de  grains 
de  sable  avec  quelques  petits  diamants  joliment  taillés.  » 
Grimm  annonce  qu'il  a  fait,  après  l'impression ,  la  plus  belle 
chute  du  monde,  et  que  cliacun  s'étonne  d'avoir  admiré  de 
si  fiiibles  rimes.  Ceci  prouve  le  bon  esprit  et  le  bon  sens  de 
Gentil  Bernard  ,  qui  s'était  contenté  du  huis-clos  ,  et  toute 
sa  vie  avait  redouté  le  grand  jour  et  l'imprimeur.  Aussi  vé- 
cut-il heureux ,  le  plus  heureux  de  son  temps,  dit  un  con- 
temporain ,  heureux  même,  qui  sait?  de  finir  en  perdant  la 
raison. 


Après  avoir  végété  cinq  ans  ainsi,  il  mourut  en  1775,  le 
l*""  novembre,  à  Choisy. 

Hippolyte  Rolle  ,  bibliothécaire  de  la  ville  de  Paris. 

BERNARD  de  Rennes  (Louis-Désiré),  magistrat  et 
ancien  député,  est  fils  d'un  négociant  de  Brest,  où  il  est 
né,  en  1788.  Ne  voulant  pas  être  confondu  dans  la  foule  des 
Bernard,  il  pouvait  joindre  à  son  nom  celui  de  sa  ville  na- 
tale ;  mais  il  préféra  celui  de  Rennes ,  où  il  a  fait  son  droit 
et  commencé  sa  réputation.  Il  avait  été  admis  au  barreau 
de  cette  ville  en  1810,  après  de  brillantes  études  à  La  Flè- 
che, et  à  l'institution  Sainte-Barbe,  à  Paris.  Bien  qu'il  se 
fût  prononcé  par  un  vote  public,  en  1815,  contre  le  fa- 
meux Acte  additionnel ,  il  prit  rang  dans  la  compagnie  des 
fédérés  de  Rennes  pendant  les  Cent- Jours,  et  fut  nommé 
conseiller  à  la  cour  d'appel  de  Rennes  par  Napoléon  ;  mais 
sa  nomination  fut  bientôt  révoquée  sous  la  seconde  Res- 
tauration. Rendu  au  barreau ,  il  détendit  avec  tant  d'énergie 
le  malheureux  général  Tra  vot,  que,  sur  la  dénonciation  du 
général  Canuel,  président  du  conseil  de  guerre,  il  fut  arrêté 
et  mis  au  secret  pendant  huit  jours. 

M.  Bernard  venait  de  publier  un  roman ,  Charles  (Pa- 
ris, 1825,  4  vol.),  et  préparait  une  nouvelle  édition  du 
Traité  des  Assurances ,  par  Émérigon,  lorsqu'il  fut  appelé 
à  Paris  la  même  année ,  par  les  petits-fils  de  Caradeuc  de 
La  Chalotais,  pour  y  venger  la  mémoire  de  ce  respec- 
table procureur  général  du  parlement  de  Bretagne  contre 
les  outrages  de  V Étoile,  feuille  jésuitique  de  l'époque.  M.  Ber- 
nard se  fit  le  plus  grand  honneur  dans  cette  affaire ,  et  le 
barreau  de  , Rennes  lui  en  témoigna  autant  de  satisfaction 
que  celui  de  Paris ,  qui  ne  tarda  pas  à  l'inscrire  sur  le  ta- 
bleau de  ses  avocats.  Sous  le  ministère  Polignac,  il  dé- 
fendit le  Commerce  dans  la  cause  de  l'Association  bre- 
tonne pour  le  refus  de  l'impôt.  En  1830,  aux  élections  qui 
suivirent  le  vote  de  l'adresse  des  221,  il  fut  honoré  d'une 
double  élection  par  les  départements  des  Côtes-du-Nord  et 
d'Ille-et- Vilaine;  il  opta  pour  le  premier,  signa  la  protes- 
tation contre  les  fameuses  ordonnances  du  25  juillet,  et 
prit  une  part  active  à  la  révolution  des  trois  jours.  Nommé 
alors  membre  de  la  Légion  d'Honneur  et  procureur  général 
à  la  cour  royale  de  Paris,  U  fut  chargé  de  verbaliser  sur  la 
mort  du  duc  de  Bourbon.  Peu  de  temps  après,  M.  Bernard 
renonça  à  des  fonctions  qui  le  forçaient  de  provoquer  la 
vindicte  des  lois  contre  plusieurs  de  ses  amis ,  compromis 
dans  les  réactions  libérales ,  et  préféra ,  pour  son  repos ,  la 
place  inamovible  de  conseiller  à  la  cour  de  cassation.  Cons- 
tamment réélu  député  depuis,  il  a  toujours  fait  partie  de  la 
chambre  élective,  où  il  était  encore  à  la  révolution  de  1848 
un  des  mandataires  du  département  du  Morbihan  ;  depuis  il 
a  disparu  de  la  scène  poUtique.  Outre  son  plaidoyer  pour 
les  petits-fils  de  Caradeuc  de  la  Chalotais ,  contre  M.  Au- 
bry,  éditeur  responsable  de  l'Étoile  (Paris,  1826),  on  lui 
doit  un  Résumé  de  l'histoire  de  Bretagne  (Paris,  1826  ). 

BERNARD  (Josepu)  ,  frère  puîné  du  précédent,  et  né  à 
Brest,  vers  1790,  a  fait  son  droit  à  Rennes,  où  il  s'est  marié. 
Mais  d'abord  il  s'y  occupait  plus  d'anatomie  que  de  juris- 
prudence, car,  en  1814,  il  avait  obtenu  l'autorisation  de 
faire  bouillir  des  cadavres  de  prisonniers  de  guerre  espa- 
gnols ,  dont  il  détachait  ensuite  les  os.  Se  trouvant  à  Paris 
en  1830,  il  y  prit  une  part  si  active  à  la  révolution  de  juil- 
let qu'il  fut  nommé  préfet  duVar.  N'ayant  pas  voulu  suivre 
les  instructions  du  ministre  Casimir  Périer,  il  fut  révoqué; 
mais  les  électeurs  de  Toulon  le  dédommagèrent  de  sa  dis- 
grâce en  le  nommant,  en  1831  et  1833,  leur  représentant 
à  la  Chambre  des  Députés.  Il  y  siégea ,  vota  avec  l'opposi-. 
tion  et  se  prononça  contre  l'hérédité  de  la  pairie ,  le  privi- 
lège universitaire ,  les  monopoles  et  les  abus ,  et  aussi  pour 
la  révision  des  lois  électorale  et  communale,  la  diminutioi>. 
des  charges  publiques ,  la  rosponsabililé  des  ministres  et  IcV 
réduction  du  budget  de  la  liste  civile  à  six  millions.  N'ayan^ 
pas  été  réélu  en  1835,  il  se  retira  du  monde  i)olili<^ue  pouji- 


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BERNARD  —  BERNARDIN  DE  SAINT-PIERRE 


se  livrer  entièremenc  aux  lettres,  fut  décoré  en  1836  et 
nommé,  sous  le  ministère  de  M.  de  Salvandy,  l'un  des 
conservateurs  de  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève,  place 
qu'il  occupe  encore.  On  a  de  M.  Bernard  :  Le  bon  sens  d'un 
homme  de  rien, oulavraiepolitiqueàl'usagedes simples 
(  Paris,  1 828  ),  excellent  ouvrage,  qui  n"a  pas  fait  grand  bruit, 
€t  qui  est  cependant  fort  remarquable  par  un  style  mordant 
et  par  les  excellentes  vérités  qu'il  contient. 

BERNARD  (  Charles  de),  naquit  en  1805,  à  Besançon. 
Ses  débuts  littéraires  révélèrent  un  talent  d'une  maturité 
remarquable.  Dès  ses  premières  publications ,  la  critique 
n'hésita  pas  à  le  mettre  au  rang  de  nos  romanciers  les  plus 
estimés.  Aucune  hésitation,  aucun  tâtonnement  ne  se  fit 
sentir  dans  sa  manière;  ce  fut  tout  d'abord  un  style  ferme, 
correct,  souple  et  varié,  mais  sans  éclat;  une  rare  finesse 
d'aperçus,  une  richesse  inépuisable  d'observation,  une  fa- 
culté brillante  d'analyse.  Tous  ses  livres  pourraient  être  con- 
sidérés comme  autant  de  proverbes  moraux  où  les  ridicules, 
les  aberrations ,  les  excentricités  sociales ,  les  faiblesses ,  les 
modes  absurdes,  les  engouements  injustes,  sont  énergi- 
quement  et  toujours  spirituellement  redressés  :  c'est  dire 
que  Bernard  excellait  dans  la  comédie.  Peu  fécond ,  peu 
dramatique,  il  conduit  avec  une  rare  habileté  le  fil  un  peu 
faible,  un  peu  léger  de  son  action;  il  intéresse  et  pique  la 
curiosité ,  mais  sans  émouvoir ,  sans  passionner  son  lecteur. 
Ses  dénoûments  sont  généralement  défectueux;  on  vou- 
drait quelque  chose  de  plus  complet ,  de  plus  définitif;  mais 
ses  caractères  sont  burinés;  ce  sont  de  patientes  et  lumi- 
neuses études,  travaillées  à  la  manière  des  maîtres,  c'est-à- 
dire  pleines  de  relief  et  de  couleur. 

Voici  les  principaux  ouvrages  de  Charles  de  Bernard  : 
1"  Gerfaut,  son  œuvre  de  début  :  on  y  remarqua  le  carac- 
tère de  Marcillac,  jeune  barbu  de  la  réaction  artistique  et 
littéraire  de  1 830,  enthousiaste  sincère,  sectaire  convaincu, 
mais  fort  comique ,  des  nouvelles  doctrines  sur  les  conditions 
du  beau  et  du  laid.  Écrit  de  verve  d'un  bout  à  l'autre,  ce 
roman  eut  un  franc  succès  et  se  fait  toujours  lire  avec  plai- 
sir ;  1°  La  Femme  de  quarante  ans,  plaisante  histoire  des 
roueries  d'un  cœur  blasé  et  vieilli  spéculant  sur  de  jeunes 
et  novices  ardeurs;  3°  Les  Ailes  d'Icare,  sémillant,  véri- 
dique  et  quelquefois  mélancolique  récit  des  déceptions,  des 
désenchantements  d'un  jeune  licencié  de  province,  qui  vient 
chercher  l'amour  et  la  gloire  à  Paris,  pour  rejoindre  bientôt 
après,  confus,  meurtri  et  traînant  l'aile ,  le  pigeonnier  pa- 
ternel; 4"  La  Cinquantaine,  épisode  charmant,  dans  le- 
quel un  vieillard  amoureux,  et  qui  rougit  de  l'être,  cherche  à 
préserver,  au  lieu  et  place  d'un  mari  qu'absorbent  de  folles 
préoccupations  politiques,  une  jeune  femme  sans  expérience 
des  séductions  d'un  roué  vulgaire ,  et  n'aboutit  qu'à  accé- 
lérer le  triomphe  de  son  rival  ;  5°  La  Peau  du  Lion ,  une 
de  ces  ravissantes  toiles  de  chevalet  qui  valent  tous  les  ta- 
bleaux d'histoire.  C'est  un  mari  que  sa  rude  et  épaisse  en- 
veloppe fait  dédaigner  par  sa  femme,  railler  par  ses  amis, 
bafouer  et  exploiter  par  tout  le  monde,  et  qui ,  au  moment 
suprême,  au  moment  où  l'on  va  attenter  à  son  honneur , 
jette  son  masque,  pour  dévoiler  un  de  ces  esprits  fermes,  vi- 
goureux, résolus,  une  de  ces  fortes  natures  bretonnes,  qui 
étonnent  et  effrayent  nos  pâles  générations  parisiennes  ; 
6°  V Homme  sérieux ,  charge  spirituelle ,  incisive ,  jamais 
grotesque,  d'une  notabilité  provinciale,  d'une  sommité  de  clo- 
cher, qui  se  croit  appelée,  par  une  sorte  de  vocation  divine, 
à  devenir  le  réformateur  politique  de  son  pays. 

Charles  de  Bernard  est  mort  à  Neuilly,  le  6  mars  1850  , 
à  la  suite  d'une  longue  et  douloureuse  maladie. 

BERNARDIN  DE  SAINT-PIERRE  (  Jacques- 
Henri)  naquit  au  Havre,  le  19  janvier  1737.  Son  père, 
Nicolas  de  Saint-Pierre ,  comptait  avec  orgueil  au  nombre 
de  ses  aïeux  le  célèbre  Eustache  de  Saint-Pierre, 
maire  de  Calais.  Il  ne  donna  jamais  de  preuve  bien  claire  de 
cette  illustration  ;  mais  elle  importe  moins  que  jamais  à  sa 


famille,  aujourd'hui  qu'elle  peut  se  parer  d'une  illustration 
plus  nouvelle  et  moins  contestable.  Bernardin  eut  deux 
frères  :  Dutailly  et  Dominique,  et  une  sœur  nommée  Cathe- 
rine. Nous  n'avons  pas  à  nous  occuper  ici  de  leur  biographie. 
Disons  seulement  que  Dutailly  fut  tourmenté  toute  sa  via 
d'une  ambition  dévorante  ;  que  Dominique  fut  doux  et  calme, 
Catherine  pleine  de  vanité.  Ces  trois  caractères  réunis 
formèrent  avec  leurs  défauts  et  leurs  qualités  celui  du  jeune 
Bernardin,  qui,  doué  par-dessus  tout  d'une  imagination 
brillante,  consuma  sa  vie  à  la  poursuite  d'illusions  qui. ja- 
mais ne  le  délaissèrent,  et  qu'il  ne  put  saisir  jamais. 

Dès  sa  plus  tendre  jeunesse ,  il  manifesta  un  goût  ardent 
de  retraite  et  de  soUtude,  une  haine  profonde  de  l'injustice, 
un  instinct  énergique  de  la  Divinité.  Ces  trois  sentiments 
dominèrent  toute  son  existence  ,  et  résument  tous  ses  ou- 
vrages. Le  caractère  de  son  enfance  se  refléta  sur  toute  sa 
vie,  comme  ses  impressions  premières  se  reflétèrent  sur 
tous  ses  écrits  :  amant  passionné  de  la  nature,  ce  fut  son 
premier  et  son  dernier  amour.  On  raconte  qu'à  l'âge  de 
liuit  ans,  il  avait  un  petit  jardin  qu'il  cultivait  lui-môme,  oii 
chaque  soir  il  allait  épier  religieusement  le  développement 
de  ses  plantations ,  étudier  l'attraction  de  ses  fleurs ,  sur- 
prendre leurs  caresses,  arroser  leur  tige,  et  passer  de  lon- 
gues heures  à  contempler  les  insectes  d'or  qui  dormaient 
dans  leurs  calices  tout  couverts  de  rosée.  Il  suivait  dans  leurs 
mille  nervures  les  fraisiers  qui  bordaient  les  allées  ;  il  comp- 
tait les  familles  ailées  qui  venaient  aux  rayons  du  midi 
s'abattre  en  bourdonnant  sur  la  giroflée  jaune  ;  il  respirait 
avec  amour  la  violette  qui  fleurissait  le  long  du  mur,  ti- 
mide et  pâle,  sous  les  buissons  de  framboisiers.  C'étaient 
des  larmes  amères  et  des  chagrins  réels  lorsque  ses  frères 
venaient  déranger  l'harmonie  de  ses  plates-bandes,  lançant 
au  travers  de  ses  roses  et  de  ses  tulipes  leurs  balles  ou  leurs 
cerceaux,  ou  que  sa  sœur  les  lui  dérobait  sans  pitié  pour 
en  parer  son  jeune  corsage.  Il  ne  dépouillait  volontiers  son 
parterre  que  pour  en  offrir  les  richesses  à  sa  mère  ou  à  sa 
marraine. 

Il  aimait  surtout  les  animaux;  ils  étonnaient  son  inteUi- 
gence.  On  rapporte  qu'un  jour  il  trouva  dans  l'égout  d'un 
ruisseau  un  malheureux  chat  percé  d'une  broche ,  poussant 
des  cris  affreux  et  près  d'expirer.  Bernardin  fut  pris  de  pitié 
pour  le  pauvre  animal.  Il  le  cacha  dans  son  habit,  le  porta 
au  grenier  de  sa  maison ,  lui  fit  un  lit  de  duvet  et  de  foin , 
et  ne  laissa  point  passer  un  jour  sans  apporter  à  son  malade 
la  viande  et  le  lait  qu'il  dérobait  à  la  cuisine.  Androclès 
n'en  agissait  pas  plus  pieusement  avec  le  lion  du  désert. 
Grâce  aux  soins  de  l'enfant,  le  chat  entra  bientôt  en  con- 
valescence ;  sa  blessure  se  cicatrisa  et  ses  forces  revinrent. 
Aussitôt  guéri ,  aussitôt  libre;  il  s'élança  sur  les  toits,  courut 
s'ébattre  au  soleil  et  devint  bientôt  l'Attila  des  lats.  Bernar- 
din racontait  souvent  ce  trait  de  sa  jeunesse  à  J.-J.  Rous- 
seau ,  et  il  ajoutait  toujours  que  son  protégé ,  ennemi  fu- 
rieux du  genre  humain,  qui  l'avait  si  cruellement  embroché, 
garda  aux  hommes  une  haine  éternelle,  et  à  lui ,  Bernardin, 
une  reconnaissance  étemelle  comme  sa  haine.  Il  ne  se  laissait 
approcher  que  par  lui,  enflant  son  dos  sous  ses  caresses, 
et  rôdant  autour  de  lui ,  le  poil  hérissé  et  la  queue  relevée 
ou  en  panache. 

Sa  haine  de  l'injustice,  son  amour  de  la  solitude,  sa 
confiance  instinctive  en  Dieu,  influèrent  sur  toute  son  en- 
fance,  et  donnèrent  lieu  à  un  fait  étrange.  Un  jour  qu'il 
était  sur  les  bancs  de  l'école  (il  avait  neuf  ans  alors) ,  un 
maître  qui  lui  enseignait  la  langue  latine  le  menaça  de  le 
fouetter  le  lendemain  devant  tous  ses  condisciples  s'il  ne 
récitait  pas  couramment  sa  leçon.  Cette  menace  le  révolta 
tellemeut  qu'il  résolut  aussitôt  de  se  retirer  d'un  monde  oii 
le  fort  opprimait  le  faible,  où  la  force  faisait  le  droit.  «  Eh 
bien  !  s'écria-t-il ,  en  fermant  son  nidimeiit  avec  colère  et 
en  le  foulant  aux  pieds  ,  eh  hioii  !  je  fuirai  les  hommes;  j'irai 
vivre  au  fond  d'un  bois,  \'.s\k  seul,  île  lait  et  de  racines. 


BERNARDIN  DE  SAINT-PIERRE 


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riraj  me  faire  ermite;  je  prierai  Dieu,  je  chanterai  ses 
louanges  comme  le  solitaire  de  la  TticbaïJe;  s'il  le  faut,  je 
marcherai  nu-pieds  ,  je  ceindrai  le  cilice;  mais  jVtiiapperai 
du  moins  au  fouet  du  pédagogue.  »  Ce  qui  fut  dit  fut  lai-  : 
le  lendemain  du  jour  fatal ,  le  malin  du  jour  de  Texécution  , 
au  lieu  de  se  rendre  à  l'école,  il  glissa  furtivement  conmie 
une  ombre  le  long  des  murs ,  s'échappa  par  des  rues  étroites 
et  sombres,  et  se  trouva  bientôt  aux  portes  de  la  ville, 
l'école  derrière  et  les  champs  devant  lui,  les  champs,  les 
bois,  les  vastes  solitudes,  le  silence  et  la  retraite,  la  Pro- 
vidence et  l'ermitage.  Il  arriva  après  quelques  heures  de 
marche  vers  un  massif  de  bouleaux  et  de  chênes ,  au  mi- 
lieu d'une  prairie  bien  verte  et  bien  solitaire.  Notre  ermite 
n'avait  pas  rêvé  d'autres  aspects  aux  forêts  vierges  et  aux 
savanes  immenses  du  Nouveau-Monde  :  le  voilà  qui  s'en- 
fonce sous  les  branches  du  taillis ,  enlevant  les  mûres  et  les 
senelles  aux  buissons ,  mangeant  des  racines ,  étudiant  la 
fleur,  buvant  l'eau  claire  du  ruisseau ,  et  admirant  les 
mousses  vertes  et  les  lichens  dorés  qui  bordaient  ses  rivos. 
Puis ,  comme  la  nuit  arrivait ,  et  que  le  solitaire  commen- 
çait à  s'effrayer  de  la  solitude  où  il  s'était  jeté ,  et  de  l'ap- 
pétit vigoureux  que  n'avait  point  apaisé  le  frugal  festin  de 
la  journée,  il  se  jeta  à  genoux,  priant  Dieu  avec  ferveur  de 
lui  envoyer  un  ange  avec  quelque  chose  de  plus  substantiel 
que  les  Iruits  de  la  haie  et  les  racines  du  vallon.  Ses  prières 
furent  exaucées  :  il  vit  bientôt  un  ange  s'avancer  dans  la 
plaine,  sous  la  forme  de  Marie  Talbot,  bonne  femme  qui 
l'avait  vu  naître  et  qui  l'avait  élevé.  Il  s'élança  vers  elle 
avec  transport,  et  ils  se  mirent  tous  les  deux  à  pleurer  de 
joie.  Puis ,  Bernardin  ouvrit  le  panier  qu'elle  avait  sous  le 
bras ,  et  calma  les  besoins  impérieux  de  la  faim  ;  puis  lorsque 
son  estomac  fut  plus  résigné,  sa  vocation  se  ^é^eilla  dans 
sou  cœur,  et  il  persista  à  se  faire  ermite  et  à  vivre  au  fond 
d'un  bois,  loin  du  monde  et  de  sa  famille. 

Il  fallut  bien  des  larmes ,  bien  des  prières ,  bien  des  ca- 
resses ,  bien  des  supplications,  pour  le  ramener  le  soir  même 
sous  le  toit  paternel.  Son  père  el  sa  mère  lui  firent  raconter 
comment  il  avait  vécu  :  il  le  raconta  naïvement,  et  comme 
ils  lui  demandaient  ensuite  ce  qu'il  serait  devenu ,  et  ce 
qu'il  aurait  fait  dans  le  cas  où  il  n'eût  rien  trouvé  dans  les 
champs ,  il  répondit  gravement  que  Dieu  n'abandonnait  au- 
cune de  ses  créatures,  qu'à  défaut  d'un  ange  il  lui  avait 
expédié  Marie  Talbot  avec  un  panier,  et  qu'à  défaut  de  .Marie 
Talbot  il  lui  eût  envoyé  un  corbeau  chargé  de  son  diner, 
comme  cela  était  arrivé  à  saint  Paul  l'ermite.  Peut-être  Ber- 
nardin de  Saint-Pierre  s'inspira-t-il  plus  tard  de  ce  souvenir 
de  ses  jeunes  années ,  lorsqu'il  peignit  Paul  et  Virginie  égarés 
sur  les  bords  de  la  rivière  Noire ,  abattant  un  palmiste  pour 
se  nourrir  de  ses  fruits,  buvant  l'eau  du  torrent,  priant 
Dieu ,  s'effrayant  du  soir,  et  pleurant  de  joie  en  voyant  ac- 
courir leur  chien  fidèle  et  leur  fidèle  serviteur. 

Il  passa  quelques  années  à  Caen ,  chez  un  curé  qui  avait 
un  presbytère  aux  portes  de  la  ville ,  et  un  grand  nombre 
d'élèves,  auxquels  il  enseignait  les  éléments  des  langues 
latine  et  grecque.  Ces  années  d'études  lui  furent  âpres  et 
pénibles ,  et  ce  fut  avec  grande  joie  qu'il  vint  reprendre 
dans  la  maison  paternelle  ses  premières  occupations. 

Ce  fut  à  peu  près  à  cette  époque  qu'un  goût  nouveau ,  le 
goût  des  voyages,  se  développa  en  lui.  Il  s'était  lié  avec  un 
capucin  du  voisinage,  qui  s'était  fait  lui-même  l'ami  de  sa 
famille.  Le  frère  Paul  était  instruit,  le  jeune  Bernardin  avide 
d'apprendre  :  une  douce  intimité  s'établit  aussitôt  entre 
eux.  Ils  se  trouvaient  chaque  soir  sous  les  grands  arbres  du 
jardin,  et  là  l'enfant  s'enivrait  des  récits  de  ses  courses 
lointaines  et  des  merveilles  de  ses  voyages.  Sur  le  point 
de  partir  pour  la  Normandie ,  le  capucin  pria  M.  de  Saint- 
Pierre  de  lui  conher  son  fils  :  c'était  un  homme  d'un  cœur 
élevé  et  d'une  âme  droite.  M.  de  Saint-Pierre  n'hésita  pas 
un  instant  ;  Bernardin  et  frère  Paul  partirent  par  une  belle 
matinée,  le  sac  sur  le  dos,  le  bâton  épineux  à  la  main. 

DtCT.    nr    l,A    f.O.NMJ.S.    —   T.     III. 


Voyageant  à  pied ,  ils  passèrent  ensemble  quinze  jours  en 
tournée,  frappant  tanft  aux  riches  châteaux,  tantôt  aux, 
pauvres  chaumières ,  s'ariêtant  à  tous  les  couvents  qu'iU 
rencontraient  sur  leur  route;  partout  accueillis  et  fêtés, 
frère  Paul  comme  le  meilleur  des  hommes ,  Bernardin  comme 
le  plus  aimable  et  le  plus  gentil  des  capucins.  Jamais  visage 
plus  frais  et  plus  rosé  ne  s'était  tapi  sous  un  capuchon.  Les 
dames  lui  firent  tant  de  caresses  qu'il  prit  sérieusement 
goût  au  métier,  et  qu'au  retour  il  parla  gravement  à  sou 
père  d'entrer  chez  les  frères  de  l'ordre ,  tant  il  était  ravi  de 
l'indépendance  de  leur  existence  et  des  bénéfices  de  leurs 
courses.  Ce  ne  fut  pas  sans  peine  que  M.  de  Saint-Pierre 
parvint  à  vaincre  celte  pieuse  résolution  :  il  y  parvint  pour- 
tant ,  et  depuis  quelques  mois  ces  goûts  nomades  et  voya- 
geurs commençaient  à  s'assoupir  dans  le  cœur  de  son  fils , 
lorsque  sa  marraine  lui  fit  cadeau  de  quelques  livres,  parmi 
lesquels  se  trouvait  Robinson  :  ce  livre  décida  de  sa  desti- 
née; il  s'empara  de  toutes  ses  facultés,  il  le  prit  au  cœur, 
au  cerveau  ,  partout.  Le  vaisseau  naufragé ,  l'île  déserte , 
la  chasse  aux  hommes,  Vendredi,  les  sauvages,  occupè- 
rent toutes  ses  pensées  :  ce  fut  un  enchantement.  Il  voulaif, 
comme  son  héros  bien  aimé,  se  livrer  aux  houles  de  la 
mer,  aborder  à  quelque  île  lointaine ,  y  fonder  une  colonie 
et  y  réaliser  la  république  de  Platon.  Ce  dernier  rêve  fut 
celui  de  toute  sa  vie. 

Au  milieu  de  ces  dispositions  romanesques,  son  oncle  Go- 
debout  ,  capitaine  de  vaisseau ,  vint  lui  proposer  de  s'em- 
barquer avec  lui  pour  la  Martinique.  Voilà  l'enfant  qui 
bondit  de  joie  ;  le  voilà  possesseur  d'une  île  inconnue.  Mo- 
narque d'un  monde  nouveau,  tout  hii  sourit,  tout  l'attend, 
tout  l'invite.  C'est  en  vain  que  sa  mère  pleure  et  que  son 
père  résiste  ;  il  pleure  plus  fort  que  sa  mère  ,  il  résiste  plus 
haut  que  son  père  ;  son  oncle  joint  ses  prières  aux  siennes  ; 
il  l'emporte  enfin,  cargue  les  voiles  et  lève  l'ancre! 
Hélas!  jamais  voyage  ne  fut  plus  triste,  jamais  retour  ne 
fut  plus  désenchanté  !  Pauvre  enfant  1  il  avait  rêvé  une  mer 
agitée ,  bondissant  sous  la  tempête ,  belle  de  fureur  :  il  no 
trouva  qu'une  mer  calme  et  plate,  dont  le  roulis  monotone 
le  berçait  mollement  sur  les  flots  endormis.  Le  mal  de  mer 
le  prit  bientôt  au  cœur,  et  ternit  bien  vite  les  songes  dorés 
de  son  imagination  ;  puis ,  au  lieu  de  douces  rêveries ,  da 
longues  contemplations  sur  le  pont ,  il  fallut  s'employer  à 
de  rudes  manœuvres ,  ployer  humblement  sous  la  brusquerie 
de  son  oncle ,  obé'iT  servilement  au  sifflet  du  contre-maître, 
et  se  coucher  le  soir  dans  un  hamac,  brisé  par  la  douleur 
et  la  fatigue.  Et  les  îles  désertes,  et  les  plages  inconnues, 
où  étaient-elles?  Il  s'en  revint  aussi  découragé  que  l'eût  été 
sans  doute  Christophe  Colomb  s'il  eût  reparu  à  la  cour  d'Es- 
pagne sans  avoir  dérobé  l'Amérique  aux  mers  qui  la  re- 
celaient. 

A  la  recommandation  de  madame  de  Bayard,  sa  mar- 
raine, le  jeune  Bernardin,  quelque  temps  après  son  re- 
tour de  ce  fatal  voyage  de  la  Martinique,  fut  envoyé  à 
Caen,  chez  les  jésuites,  pour  continuer  ses  études.  M.  de 
Saint-Pierre  espérait  qu'il  y  prendrait  des  goûts  plus  sérieux, 
et  que  son  esprit ,  devenu  plus  grave ,  finirait  par  se  jeter 
sur  quelque  spécialité.  Il  en  arriva  tout  autrement.  Les  jé- 
suites ,  qui  cherchaient  avec  ardeur  des  disciples  à  captiver 
et  des  âmes  à  convertir,  ne  tardèrent  pas  à  reconnaître  dans 
leur  nouvel  élève  un  cœur  facile  et  romanesque,  qui  sr; 
prêtait  merveilleusement  au  succès  de  leurs  entreprises.  Ils 
essayèrent  donc  sur  lui  leur  esprit  de  prosélytisme,  et  Ber- 
nardin était  si  bien  disposé  à  recevoir  ces  impressions  nou- 
velles que  jamais  conversion  ne  lut  plus  rapide  et  moins 
rebelle.  Il  y  avait,  les  veilles  des  jours  de  fête,  des  réu- 
nions dans  la  grande  salle  du  séminaire,  que  présidait  le 
supérieur,  et  durant  lesquelles  un  professeur  lisait  à  l'audi- 
toire la  relation  des  voyages  des  jésuites  missionnaires.  Ces 
lectures,  se  mêlant  dans  l'esprit  du  jeune  de  Saint-Pierre 
aux  souvenirs  tout  récents  des  lectures  qu'il  avait  faites, 

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BERNARDIN  DE  SAINT-PIERRE 


en  r<*vcllla1cnt  les  impressions  ci  le  rendaient  à  toutes  les 
fantaisies  de  son  imagination.  Seulement,  au  lieu  des  îles 
désertes  qu'il  voulait  autrefois  conquérir,  des  républiques 
qu'il  devait  fonder,  des  colonies  qu'il  devait  établir;  au  lieu 
de  ces  rôves  d'enfant ,  où  il  réalisait  la  province  Utopie  de 
Thomas  Morus ,  c'étaient  des  voyages  pieux  sur  le  rivage 
du  Gange,  des  peuplades  converties  à  la  religion  du  Christ, 
des  persécutions  à  braver,  des  néophytes  à  gagner  ;  c'était 
le  ciel  à  ouvrir  aux  barbares,  c'étaient  les  palmes  du  mar- 
tyre à  cueillir  au  milieu  des  flammes  du  bûcher!  Cette 
double  vocation  du  voyage  et  du  martyre  devint  si  fervente 
qu'il  finit  par  l'avouer  aux  saints  pères.  Cet  aveu  les  com- 
bla de  joie ,  et  ils  lui  proposèrent  de  l'associer  à  ceux  de 
leurs  frères  qui  allaient  prêcher  la  foi  aux  Indes,  au  Ja- 
pon et  à  la  Chine.  Le  néophyte,  transporté,  écrivit  aus- 
sitôt à  son  père  pour  lui  demander  la  permission  de  se  faire 
jésuite.  M.  de  Saint-Pierre  goûta  peu  ce  projet  d'aller  con- 
.vcrtir  des  Chinois,  des  Japonais  et  des  antiiropophages  :  il 
arracha  son  fils  à  ces  nouvelles  séductions ,  et  l'envoya  au 
collège  de  Rouen,  où  il  fit  sa  philosophie  et  obtint  le  premier 
prix  de  matiiématiques ,  en  1757  ;  il  avait  vingt  ans  alors. 

C'est  là  que  finit  l'enfance  de  Bernardin  de  Saint-Pierre; 
elle  fut  couronnée  par  une  amitié  douce  et  tendre,  comme 
le  fut  celle  de  Montaigne  et  d'Etienne  de  La  IJoëtie: 
la  mort  de  son  ami,  M.  de  Chabrillant,  fut  le  premier  mal- 
heur réel  dont  il  fut  frappé;  son  âme  ne  s'en  releva  pas,  et 
vers  le  soir  de  sa  vie  il  se  rappelait  encore  avec  une  joie 
délicieuse  cette  amitié  toujours  chère  et  toujours  pleurée. 

Au  sortir  de  ses  études ,  il  s'interrogea  scrupuleusement 
sur  l'emploi  qu'il  se  croyait  appelé  à  remplir,  et,  croyant  sa 
vocation  indiquée  par  le  prix  de  mathématiques  qu'il  avait 
obtenu  au  collège  de  Rouen ,  il  entra  à  l'école  des  ponts  et 
chaussées  :  il  y  étudiait  depuis  un  an ,  lorsqu'il  apprit  que 
son  père  venait  de  se  remarier.  Ce  fut  à  la  même  époque 
que  les  fonds  destinés  à  l'école  furent  réformés,  par  une 
mesure  d'économie  extraordinaire.  La  plupart  des  ingé- 
nieurs et  tous  les  élèves  furent  licenciés.  Bernardin  com- 
prit qu'il  n'avait  plus  de  ressource  en  son  père,  et  sollicita 
du  service  dans  le  génie  militaire.  11  obtint  son  brevet,  six 
cents  Hvres  de  gratification  et  cent  louis  d'appointements.  11 
partit  aussitôt  pour  Dusseldorf,  où  se  rassemblait  une  ar- 
mée de  30,000  hommes,  commandée  par  le  comte  de  Saint- 
Germain.  Quelque  temps  après  la  malheureuse  affaire  de 
Warburg ,  Bernardin  de  Saint-Pierre ,  victime  de  l'envie , 
fut  suspendu  de  ses  fonctions,  et  reçut  l'ordre  de  se  rendre 
à  Paris.  Sans  argent,  sans  état,  sans  ressource  aucune,  il 
se  hasarda  à  passer  quelques  années  près  de  son  père; 
mais  il  s'aperçut  au  bout  de  quelque  temps  que  sa  pré- 
sence n'était  rien  moins  qu'agréable  à  sa  belle-mère,  et,  ja- 
loux de  ne  point  troubler  l'harmonie  du  nouveau  ménage , 
il  s'en  éloigna,  résolu  de  tenter  la  fortune.  Il  prit  la  route  de 
Paris ,  avec  six  louis  et  l'espérance ,  vers  le  commencement 
de  mars  de  l'année  1760. 

A  cette  époque ,  un  vaisseau  de  guerre  turc  jeta  l'ancre 
près  des  rives  de  la  Morée  pour  lever  le  tribut  payé  au 
granil  seigneur  par  les  Grecs  des  îles  de  l'Archipel.  Pendant 
qu'une  partie  de  l'équipage  était  descendue  à  terre,  soixante 
esclaves  français  s'emparèrent  du  vaisseau ,  coupèrent  les 
câbles,  se  dirigèrent  vers  la  rade  de  Malte,  et  y  entrèrent 
un  dimanche  matin.  Le  grand  seigneur  somma  l'île  de  rendre 
le  vaisseau  :  on  craignit  un  siège ,  et  plusieurs  ingénieurs 
furent  envoyés  au  service  de  l'ordre.  M.  de  Saint-Pierre  fut 
du  nombre.  Comme  à  la  campiigne  du  pays  de  Hesse,  il 
fut  encore  desservi,  calomnié,  repoussé,  méconnu.  Le  siège 
n'eut  pas  lieu ,  et  il  s'embarqua  pour  la  France ,  après  avoir 
reçu  six  cents  francs  pour  les  frais  de  son  voyage  :  ce  furent 
là  tous  les  bénéfices  de  sa  campagne.  Après  avoir  essuyé  une 
affreiiso  tempête  à  la  vue  de  la  Sardaigne  ,  entre  le  banc  de 
La  Case  et  les  rochers  (jui  licrissent  la  côte,  il  toucha  avec 
transport  la  terre  natale ,  et  se  dirigea  vers  Paris. 


Il  y  vécut  quelque  temps  pauvre ,  mis4rahle ,  délaissé  de 
ses  amis ,  abandonné  de  sa  famille.  Ce  fut  au  milieu  des  dé- 
senchantements de  la  misère  que  son  imagination  de  poète 
se  ranima,  et  que  ses  projets  de  république  et  de  législa- 
tion se  dressèrent  de  nouveau  devant  lui  plus  attrayants  que 
jamais.  Il  n'y  résista  pas.  Il  résolut  d'aller  fonder  sa  répu- 
blique tant  rêvée ,  cette  chimère  de  sa  jeunesse ,  cet  enfan- 
tillage de  tous  les  jeunes  cerveaux  ;  mais  en  quels  lieux .' 
dans  quel  monde?  Il  emprunte  quelques  cents  francs  à  ses 
amis ,  vend  ses  habits  pour  payer  ses  dettes ,  se  munit  de 
quelques  lettres  de  recommandation,  et,  léger,  joyeux,  son 
petit  paquet  sous  le  bras ,  la  tête  et  le  cœur  plein  de  songes 
de  fortune  et  de  gloire,  le  voilà  qui  descend  de  sa  man- 
sarde... Où  va-t-il.'  Il  court  s'asseoir  sur  la  banquette  de 
la  diligence  qui  doit  l'emporter  à  Bruxelles.  Quel  est  le 
ciel  qui  lui  sourit?  quelles  sont  les  rives  qui  l'invitent.'  Il 
part  pour  la  Hollande  ;  il  va  fonder  une  répubUque  au  fond 
de  la  Russie.  Il  va  coloniser  la  neige  et  les  glaçons. 

Après  un  voyage  hérissé  de  difficultés ,  durant  lequel  son 
courage  ne  fléchit  jamais,  pauvre,  et  sans  cesse  obligé  d'a- 
viser aux  moyens  de  poursuivre  sa  route,  manquant  de 
tout,  mais  opiniâtre  comme  le  génie,  plein  de  confiance 
dans  l'élévation  de  Catherine  au  trône  impérial,  il  arriva 
enfin  à  Pétersbourg.  Contre  son  attente ,  la  cour  était  à 
Moscou ,  où  s'était  rendue  l'impératrice  pour  son  couronne- 
ment. 11  ne  lui  restait  que  six  francs,  qui  furent  bientôt  dé- 
pensés, et  son  hôtesse  commençait  à  se  lasser  d'une  hos- 
pitalité sans  profits,  lorsqu'il  fut  présenté  au  maréclial  de 
Munich,  gouverneur  de  Pétersbourg.  La  première  entrevue 
lui  fut  favorable  ;  à  la  seconde ,  il  apporta  au  maréchal  un  plan 
dont  celui-ci  fut  si  satisfait  qu'il  promit  d'en  recommander 
l'auteur  à  M.  de  Villebois,  grand  maître  de  l'artillerie;  en  même 
temps ,  le  maréchal  offrit  un  sac  de  roubles  à  M.  de  Saint- 
Pierre,  en  lui  disant  que  cette  somme  servirait  à  payer  ses  frais 
de  voyage  jusqu'à  Moscou  :  celui-ci  répondit  que  les  ingé- 
nieurs du  roi  de  France  ne  pouvaient  recevoir  que  l'argent 
d'un  souveram ,  et  il  refusa.  Munich ,  pénétré  de  sa  dignité, 
lui  proposa  alors  de  le  confier  au  général  Sivers ,  qui  se 
rendait  à  la  cour.  M.  de  Saint-Pierre  accepta. 

Le  général  Sivers  fit  placer  notre  jeune  législateur  dans  un  ; 
traîneau  découvert  :  on  était  en  janvier;  dès  la  première 
nuit,  le  traîneau  versa  deux  fois;  le  second  jour,  le  légis- 
lateur eut  une  joue  gelée ,  plus  une  oreille  ;  pour  toute  nour- 
riture ,  il  obtint  du  pain  froid  et  dur  comme  la  glace ,  plus 
du  vin  que  l'on  coupait  avec  la  hache.  L'austérité  de  ce  ré- 
gime lui  rendit  celle  du  froid  et  plus  âpre  et  plus  rude  :  l'as- 
pect mort  de  la  nature  le  jeta  dans  une  noire  mélancolie ,  et 
son  courage  ne  se  réveilla  qu'en  apercevant  les  dômes  de 
Moscou,  qui  étincelaient,  dans  la  brune  du  soir,  aux  rayons 
du  soleil. 

Délaissé  à  son  arrivée  par  le  général  Sivers ,  avec  un  écu 
pour  toute  fortune,  il  se  présenta  le  lendemain  au  général 
Bosquet,  pour  lequel  le  maréchal  Munich  lui  avait  donné 
une  lettre  de  reconmiandation.  Le  général  Bosquet  était 
Français;  il  accueillit  son  compatriote  avec  bienveillance , 
et  lui  fit  obtenir  quelques  jours  après  une  sous-Iieutenance 
dans  le  corps  du  génie.  Présenté  à  M.  de  Villebois,  le  grand 
maître  de  l'artillerie,  il  fut  bientôt  admis  dans  sa  familiarité, 
et  son  nouveau  protecteur  résolut  de  le  présenter  à  Cathe- 
rine. Lorsqu'il  lui  fit  pail  de  cette  nouvelle,  Bernardin 
faiUit  devenir  fou  ;  il  avait  écrit  un  mémoire  qui  fut  pubh^ 
plus  tard  sous  le  titre  de  Projet  d'une  compagnie  peur  la 
découverte  d'un  passage  aux  Indes  par  la  Russie.  Sous 
le  titre  de  compagnie,  il  voulait  fonder  une  république  près 
des  rives  orientales  de  la  mer  Caspienne ,  entre  les  Indes  et 
l'empire  de  Russie.  Cette  république  devait  être  la  réalisa 
tion  de  tout  ce  qu'il  y  avait  de  grand  et  de  beau  dans  son 
jeune  co'ur;  elle  devait  être  le  refuge  de  tous  les  êtres  bons 
et  souffrants.  Et  de  ces  beaux  rêves ,  Catherine  pouvait 
faire  de  belles  réalités  !  et  le  génie  de  Catherine  était  vaste 


BERNARDIN  DE  SAINT-PIERRE 


dl 


et  K'a'>nlesque  !  et  son  ûme  comprenait  les  grandes  choses  ! 
et  il  allait  voir  Catherine  1  il  allait  rapprocher,  lui  pauvre 
tout  à  l'heure,  lui  misérable  hier  encore!  lui,  pauvre 
jeune  homme  qui  avait  traversé  sans  argent,  sans  amis,  la 
France,  la  Hollande ,  rAllemagne,  la  Prusse  et  la  Russie  !  Il 
bénit  la  Providence,  et  ne  douta  plus  un  instant  qu'il  ne 
fût  appelé  par  elle  à  de  hautes  destinées.  Hélas  !  l'heure  de 
l'audience  approche  :  il  se  trouve  dans  une  riche  galerie,  au 
milieu  de  courtisans  élincelants  d'or  et  de  pierreries  ;  une 
porte  s'ouvre ,  l'impératrice  paraît  ;  Bernardin  se  trouble , 
met  un  genou  en  terre,  baise  la  main  impériale,  et  nror- 
mure  quelques  flatteries  qui  viennent  expirer  sur  ses  lèvres. 
Catherine  sourit  et  se  retire,  et  la  république  avec  elle.  Ber- 
nardin n'avait  pas  plus  pensé  à  son  mémoire  que  s'il  n'eût 
jamais  existé  :  législateur  républicain,  il  n'avait  su  que  s'in- 
cliner devant  la  majesté  impériale. 

Désolé  de  n'avoir  point  saisi  une  occasion  si  opportime , 
il  se  présenta  le  lendeinain  chez  Oriof ,  ministre  favori  de 
l'impératrice,  et  lui  remit  son  mémoire.  Orlof  le  lut  avec 
indifférence ,  le  laissa  tomber  négligemment  sur  son  tapis , 
et  ne  s'en  occupa  jamais.  A  la  douleur  profonde  qu'il  éprouva 
lorsqu'il  vit  ses  idées  repoussées  et  les  espérances  de  toute 
sa  jeunesse  détruites ,  vint  se  mêler  une  douleur  non  moins 
amère  :  ce  fut  l'aspect  du  despotisme  des  grands  et  la  ser- 
vilité du  peuple.  Il  s'indignait  des  misères  de  l'esclavage  ;  il 
déplorait  la  tristesse  morne  du  paysage,  la  stupide  inertie 
des  habitants,  l'abandon  des  terres,  la  pauvreté  des  popu- 
lations; il  pleurait  sur  tant  de  contrées  désolées;  il  accu- 
sait de  tous  leurs  maux  la  servitude  qui  pesait  sur  elles.  «  H 
n'y  a  que  des  mains  libres ,  s'écriait-il  en  la  parcourant , 
qui  puissent  faire  fleurir  la  ferre  !  La  Grèce  et  l'Italie  ont 
donné  des  lois  au  monde  ;  maintenant  ces  beaux  pays  sont 
incidtes  et  déserts,  parce  qu'ils  sont  asservis.  La  Hollande 
n'offrait  sous  le  gouvernement  des  Espagnols  que  des  sables 
et  des  marais  :  l'indépendance  en  a  fait  l'État  le  plus  riche 
et  le  mieux  cultivé  de  l'Europe.  Protégez  donc,  si  vous  vou- 
lez régner,  car  c'est  le  bonheur  des  peuples  qui  fait  la  force 
des  rois  !  » 

Après  plusieurs  excursions  dans  la  Finlande  russe  et  dans 
la  Finlande  suédoise,  il  revint  à  Pctersbourg  plein  de  ces 
émotions  douloureuses  qu'avait  fait  naître  en  lui  la  vue  de  ces 
contrées  esclaves.  Bien  des  choses  s'étaient  passées  durant 
son  absence  ;  tout  était  changé  à  Pétersbourg  ;  on  y  parlait 
d'une  guerre  prochaine.  Auguste  III,  roi  de  Pologne,  venait 
de  mourir;  la  Russie  et  la  Prusse  plaçaient  d'un  commun  ac- 
cord Poniatowski  sur  le  trône  électif.  La  France  s'inquiétait 
de  l'agrandissement  de  ces  deux  puissances.  La  Pologne,  ja- 
louse de  prendre  rang  parmi  les  nations ,  se  remuait  sour- 
dement, et  faisait  mine  de  vouloir  se  cabrer  bientôt  sous  le 
joug  dont  elle  était  lasse.  Alors  un  jeune  prince,  nommé 
Radziwil,  sortit  des  forêts  de  la  Lithuanie,  lit  un  appel  éner- 
gique aux  mécontents ,  raUia  les  faibles ,  domina  les  forts , 
et  proclama  d'une  voix  haute  et  fière  l'indépendance  de  la 
Pologne.  A  ce  spectacle  inattendu  d'un  peuple  qui  se  le- 
vait les  armes  à  la  main  pour  conquérir  sa  liberté,  M.  de 
Saint-Pierre  se  sentit  transporté  d'un  pieux  enthousiasme. 
Entraîné  vers  Radziwil  par  une  invmcible  sympathie ,  il 
abandonna  le  service  de  la  Russie,  et  s'élança  vers  la  Po- 
logne avec  la  joie  du  prisonnier  dont  on  vient  de  briser  les 
fers,  et  qui  n'a  plus  que  l'air  entre  le  soleil  et  lui;  il  s'a- 
vança vers  Varsovie ,  rêvant  les  beaux  jours  de  la  Grèce  et 
de  Rome,  et  mêlant  la  gloire  de  ses  souvenirs  à  celle  de 
ses  espérances.  Pauvre  âme  enthousiaste ,  qui  ne  savait  pas 
combien ,  dans  nos  révolutions  nouvelles ,  il  se  jette  d'in- 
trigues et  d'ambitions  mesquines  entre  le  peuple  et  la  liberté 
qu'il  appelle,  et  combien  sont  rudes,  ditliciles  et  grossiers 
les  premiers  efforts  qu'il  essaye  pour  la  soutenir  lorsqu'il 
s'est  énervé  dans  un  long  esclavage  !  Il  ne  trouva  qu'un 
peuple  abruti,  des  contrées  raTagées,  des  factions  furieuses, 
un  conilit  désordonné  d'opinions  et  de  volontés,  quelques 


grands  seigneurs  qui  se  disputaient  des  esclaves,  la  misère 
partout,  rintérêt  du  bien  public  nulle  part.  11  se  jeta  dans 
le  parti  des  républicains  polonais,  que  protégeaient  la  France 
et  l'Autriche. 

Comme  il  allait ,  en  17G5,  avec  l'agrément  de  l'ambassa- 
deur de  l'Empire  et  du  ministre  de  France  à  "Varsovie ,  se 
jeter  dans  l'armée  du  prùice  Radziwil ,  il  fut  fait  prisonnier 
à  trois  milles  de  "Varsovie ,  par  l'imprudence  ou  l'indiscré- 
tion de  son  guide.  Il  fut  ramené  dans  cette  ville,  mis  en 
prison  et  menacé  d'être  livré  aux  Russes ,  du  service  des- 
quels il  sortait,  s'il  n'avouait  que  l'ambassadeur  de  Vienne 
et  le  ministre  de  France  avaient  concouru  à  lui  faire  faire 
cette  démarche.  Bien  qu'il  eût  tout  à  redouter  des  Russes,  et 
qu'il  eût  pu  envelopper  dans  sa  disgrâce  deux  personnes  il- 
lustres par  leur  emploi ,  et  la  rendre  par  conséquent  plus 
éclatante,  il  persista  à  la  prendre  entièrement  sur  son  compte  ; 
il  disculpa  aussi  de  son  mieux  son  guide ,  à  qui  il  avait  donné 
le  temps  de  brûler  les  lettres  dont  il  était  porteur,  en  s'op- 
posant,  le  pistolet  à  la  main,  aux  houlans  qui  vinrent  le 
surprendre  la  nuit  dans  la  maison  de  poste ,  où  ils  firent 
leur  premier  campement ,  au  milieu  des  bois.  Il  resta  pri- 
sonnier neuf  jours  ;  et  il  n'avait  plus  en  perspective  que  la 
Sibérie  avec  toutes  ses  horreurs,  lorsque  le  soir  du  neu- 
vième jour  les  portes  de  sa  prison  s'ouvrirent,  grâce  aux 
vives  sollicitations  de  plusieurs  éminents  personnages  qui 
s'intéressaient  à  lui. 

Une  passion  plus  terrible  et  plus  dévorante  que  celle  qui 
avait  déjà  ravagé  sa  jeunesse  l'attendait  sur  cette  terre  où  il 
était  venu  chercher  la  liberté ,  et  où  il  ne  trouva  pour  lui 
que  le  plus  impérieux  et  le  plus  absolu  des  despotismes , 
l'amour.  A  son  arrivée  à  Varsovie,  M.  de  Saint-Pierre  avait 
vu  s'ouvrir  devant  lui  les  salons  de  tous  les  chefs  de  partis  : 
une  parente  du  prince  de  Radziwil,  la  princesse  Marie 

M ,  le  reçut  avec  empressement.  Elle  était  jeune , 

belle  et  spirituelle,  grave  comme  une  Romaine,  héroïque 
comme  la  femme  de  Sparte,  aimable  et  légère  comme  cellt. 
de  Paris  (vieux  style).  Bernardin  de  Saint-Pierre  l'aima  avec 
fureur,  et  fut  aimé  de  même;  et  son  séjour  fut  absorbé 
tout  entier  par  cette  passion  nouvelle,  dont  l'ambition  l'avait 
préservé  jusque  alors.  Cet  amour,  comme  tous  les  amours 
fut  un  mélange  des  joies  du  ciel  et  des  douleurs  de  la  terre, 
une  vie  tumultueuse ,  pleine  de  ravissements  ineffables,  de 
douleurs  inouïes  et  de  félicités  orageuses;  comme  tous  les 
amours,  comme  tous  les  bonheurs  de  ce  monde,  il  n'échappa 
point  aux  attaques  de  l'envie,  de  la  médisance  et  de  la  ca- 
lomnie :  il  en  fut  la  victime.  La  famille  de  la  princesse  Marie 
se  souleva  contre  elle,  sa  mère  la  rappela  :  il  fallut  obéir.  La 
séparation  fut  cruelle.  Marie  se  rendit  près  de  sa  mère;  Ber- 
nardin partit  pour  Vienne.  Il  y  vivait  depuis  quelques  mois 
triste  et  solitaire,  lorsqu'il  reçut  une  lettre  de  la  princesse  ; 
abusé  par  l'expression  brûlante  de  son  amour  et  par  la  pein- 
ture animée  de  ses  souffrances,  il  crut  y  voir  le  désir  qu'elle 
avait  de  renouer  cette  vie  d'amour  si  brusquement  inter- 
rompue :  il  se  persuada  que  la  lettre  n'avait  été  écrite  que 
pour  le  rappeler  à  Varsovie.  I!  partit  pour  Varsovie,  plein 
d'amour  et  de  joie.  Toujours  l'illusion,  qui  se  brise  contre 
recueil  inévitable  de  la  réalité!  11  arrive  :  la  princesse  est 
au  bal.  11  court  au  bal.  La  princesse  le  remarque  à  peine  ; 
le  lendemain  il  reçoit  une  lettre  de  Marie ,  où  elle  l'engage  à 
revenir  à  la  raison  et  à  retourner  à  Vienne. 

La  guerre  venait  d'éclater  entre  la  Pologne  et  la  Saxe.  II 
résolut  d'entrer  en  Pologne  les  armes  à  la  main  ;  il  se  ren- 
dit à  Dresde,  et  y  arriva  le  16  avril  1765.  Il  fut  accueilli  avec 
empressement  par  le  comte  de  Bellegarde,  qui  lui  promit  du 
service  et  lui  donna  son  amitié;  mais  l'amidé  du  comte  de 
Bellegarde  fut  impuissante  aussi  bien  que  ses  promesses. 
Rien  ne  put  le  distraire  de  cet  amour  malheureux ,  plus 
énergique ,  plus  brûlant  que  jamais.  Il  passait  ses  journées  à 
se  promener  sur  les  rives  de  l'Elbe,  dans  les  jardins  du  comte 
de  Brùhl ,  repoussant  toutes  consolations ,  aimant  ses  souf» 

7. 


62 


BERNARDIN  DE  SAINT-PIERRE 


frances  et  «'attachant  à  elles  atec  autant  d'ardeur  qu'elles 
s'acliarnaient  à  lui. 

Par  suite  d'une  aventure  tellement  romanesque  que  nous 
n'osons  pas  la  confier  à  la  sévérité  de  l'Iiistoire  ,  le  séjour 
de  Dresde  lui  devint  odieux  ;  il  prit  congé  de  M.  de  Belle- 
garde,  et  partit  pour  Berlin,  résolu  de  demander  du  ser- 
vice au  grand  Frédéric;  mais  il  ne  put  obtenir  ce  qu'il  dé- 
sirait. A  son  tour,  il  refusa  ce  qu'on  lui  offrait ,  et  il  allait 
quitter  Berlin,  lorsque  le  hasard  lui  offrit  un  ami  qui  l'y  re- 
tint quelques  mois  encore.  C'était  un  digne  homme  nommé 
Taubenheim,  que  Bernardin  avait  rencontré  chez  l'am- 
bassadeur de  Russie.  Taubenlieim  essaya  de  fixer  le  jeune 
voyageur  auprès  de  lui.  Il  lui  offrit  sa  fortune,  sa  maison 
ol  sa  liile  Virginie  ,  la  plus  aimable  et  la  plus  belle  de  ses 
lilles  ;  mais  Bernardin  refusa  toutes  ses  offres.  L'amour  de  la 
patrie,  qui  ne  s'éteint  jamais,  le  poussait  vers  la  France;  un 
autie  amour,  plus  violent  et  plus  âpre ,  que  l'Age  seul  devait 
amortir,  occupait  son  cœur  et  n'y  laissait  point  de  place  pour 
une  passion  nouvelle  :  il  refusa  tout  avec  douleur,  et  n'ac- 
«:cpta  (|ue  l'assurance  d'une  éternelle  amitié  en  échange  de 
la  sienne,  qui  ne  mourut  qu'avec  lui. 

Il  revit  la  France.  Son  père  n'était  plus  ;  il  ne  retrouva 
plus  au  Havre  que  sa  vieille  bonne ,  Marie  Talbot,  celle  qui 
dans  sa  jeunesse  lui  était  apparueau  désert.  Elle  lui  apprit  que 
sa  sœur  était  entrée  dans  un  couvent  à  Honfleur.  Il  partit  le 
môme  soir  pour  Honfleur.  11  vit  sa  sœur,  et  se  sentit  le  cœur 
plein  de  remords  et  d'amertume ,  en  comprenant  qu'il  ne 
possédait  rien,  et  qu'il  ne  pouvait  arracher  la  pauvre  Cathe- 
rine aux  ennuis  rongeurs  du  cloître  pour  lui  faire  une 
destinée  plus  facile  et  plus  belle.  Il  la  quitta  après  lui  avoir 
cédé  plusieurs  petites  rentes  sur  son  patrimoine ,  résolu  de 
trouver  un  emploi  qui  les  mît  à  même  de  vivre  réunis  sous 
le  même  toit,  et  de  ne  plus  se  séparer  jamais.  Il  loua  une 
chambrette chez  le  curéde  Ville-d'Avray,  et  se  retira  dans  ce 
petit  village  pourmettre  en  ordre  ses  Voyages  dans  le  Nord. 
Lorsque  ses  mémoires  furent  achevés,  il  les  présenta  à 
M.  Durand ,  premier  commis  des  affaires  étrangères ,  qu'il 
avait  connu  en  Pologne.  M.  Durand  ne  lut  pas  les  mémoires, 
et  les  égara.  Alors ,  fatigué ,  découragé ,  las  de  solliciter,  et 
de  solliciter  en  vain ,  M.  de  Saint-Pierre  témoigna  au  baron 
de  Breteuil ,  qui  l'avait  accueilli  avec  bienveillance  à  Péters- 
bourg ,  le  désir  de  passer  aux  colonies.  M.  de  Breteuil  lui  fit 
obtenir  un  brevet  d'ingénieur  pour  l'île  de  France,  et  lui 
confia  que  sa  destination  véritable  était  pour  Madagascar  ; 
qu'il  était  chargé  de  relever  les  murs  du  fort  Dauphin  et  de 
civiliser  la  colonie.  «  Cette  île,  ajouta-t-il,  est  divisée  en  une 
multitude  de  petites  nations  qui  se  font  souvent  la  guerre,  et 
«pie  les  Européens  n'ont  jamais  pu  soumettre.  C'est  vous 
qui  devez  les  réunir,  non  par  la  puissance  des  armes,  mais 
l)ar  celle  de  la  sagesse  :  c'est  en  leur  olTrant  le  spectacle  du 
l)onhcur  que  vous  les  attirerez  à  vous,  et  que  vous  les  don- 
nerez à  la  France.  >» 

Il  serait  difficile  d'imaginer  quels  furent  les  transports  de 
surprise  et  de  joie  auxquels  se  livra  Bernardin  de  Saint-Pierre 
à  cette  proposition.  Toutes  les  douleurs  du  passé  tombèrent 
pièce  à  pièce  devant  la  position  nouvelle  qui  s'ouvrait  de- 
vant lui.  L'amour  s'évanouit,  l'ambition  envahit  son  cœur, 
et  ce  cœur,  qu'elle  avait  tant  lassé,  tant  vieiUi  de  ses  dé- 
ceptions, se  réveilla  à  ses  séductions  aussi  jeune,  aussi 
docile  que  s'il  n'avait  jamais  été  trompé  par  elle,  ©e  fut  au 
'nilieu  de  ces  doux  rôves  qui  revenaient  l'as-saillir  qu'il 
s'embarqua  avec  le  chef  de  l'entreprise,  et  un  jour,  qu'assis 
tous  les  deux  sur  la  dunette ,  il  lui  (aisait  part  de  ses  beaux 
projets  de  législation  et  de  félicité  publicpie,  le  maître  de 
l'expédition  lui  confia  en  souriant  qu'il  était  temjjs  de 
renoncer  à  tous  ces  enfontillages,  et  qu'il  n'avait  jamais  eu 
d'autre  dessein  que  de  laire  la  traite  des  noirs,  en  vendant 
Res  futurs  sujets.  Indigné  de  tant  de  perversité,  M.  de  Saint- 
Pierre  se  sej)ara  de  l'expédition ,  acheta  une  mauvaise  ca- 
bane à  l'île  de  France,  et  prit  du  service  comme  ingénieur 


sous  les  ordres  de  M.  de  Brcuil,  ingénieur  en  chef.  Nous  n'en- 
trerons dans  aucun  détail  sur  son  séjour  à  l'île  de  France , 
sur  ses  études  d'histoire  naturelle,  sur  ses  excursions  à  l'île 
Bourbon  et  au  cap  de  Bonne- Espérance  ;  ils  se  trouvent 
tous  dans  les  relations  de  son  voyage  et  dans  le  récit  de  son 
retour  à  Paris,  qui  eut  lieu  vers  le  mois  de  juin  1771. 

Ce  fut  à  peu  près  vers  cette  époque  qu'il  fut  introduit  par 
d'Alembert  dans  la  société  de  M"*  de  L'Espinasse  ;  il  y  entra 
plein  de  respect  pour  la  philosophie  nouvelle,  qu'il  admirait 
sur  la  foi  de  l'Europe,  et  il  s'en  retira  bientôt  plein  de 
haine  et  de  mépris  pour  elle.  Qu'avait-il  à  faire  dans 
un  monde  qui  professait  l'athéisme  et  niait  la  Provi-  , 
dence ,  lui  qui  avait  trouvé  Dieu  partout ,  et  que  la  Provi- 
dence n'avait  jamais  délaissé?  Ce  monde  le  révoltait,  et  il  y 
devenait  lui-même  un  sujet  de  risée  et  de  scandale.  Lorsque 
les  philosophes  comprirent  qu'il  avait  des  principes  dont 
il  ne  se  départait  pas,  que  ses  opinions  sur  la  nature 
étaient  contraires  à  leur  système,  qu'il  n'était  propre  à 
être  ni  leur  prôneur  ni  leur  protégé ,  ils  devinrent  ses  en- 
nemis. 11  chercha  des  amis  dans  les  houuues  d'un  parti 
contraire,  qui  avaient  témoigné  le  plus  grand  désir  de  l'y 
attirer  quand  il  n'en  était  pas,  et  qui  ne  firent  plus  aucun 
compte  de  son  mérite  dès  qu'il  fut  parmi  eux.  Lorsqu'ils 
virent  qu'il  n'adoptait  pas  tous  leurs  préjugés,  qu'il  ne 
cherchait  que  la  vérité,  qu'il  ne  voulait  médire  ni  de  leurs 
ennemis  ni  des  siens,  qu'il  n'était  propre  ni  à  intriguer  nj 
à  aduler,  que  ses  vertus,  qu'ils  avaient  tant  exaltées,  no 
l'avaient  mené  à  rien  d'utile,  qu'elles  ne  pouvaient  nuiro 
à  personne ,  et  qu'enfin  il  ne  tenait  plus  ni  à  eux  ni  à  leurs 
antagonistes,  ils  le  négligèrent  tout  à  fiiit  et  le  persécutèrent 
même  à  leur  tour. 

Ramené  de  plus  en  plus  vers  la  vie  solitaire ,  il  s'éloigna 
des  hommes,  emportant  dans  son  cœur  la  conscience  di- 
vine, qu'ils  n'avaient  pu  lui  ravir  ;  mais  ses  malheurs  n'é- 
taient pas  à  leur  dernier  période.  Il  avait  publié ,  au  retour 
de  son  dernier  voyage  ,  en  1773,  ses  Mémoires  sur  l'île  de 
France,  dont  le  manuscrit  devait  être  payé  1,000  francs. 
11  ne  les  avait  écrits  que  dans  la  seule  vue  de  remédier  aux 
misères  qui  afiligeaient  cette  île,  et  de  rendre  un  service 
essentiel  à  sa  patrie,  en  faisant  voir  que  l'île  de  France,  que 
l'on  remplissait  de  troupes,  n'était  propre  en  aucune  ma- 
nière à  être  l'entrepôt  ni  la  citadelle  de  notre  commerce 
des  Indes,  dont  elle  est  éloignée  de  quinze  cents  lieues.  Cet 
ouvrage  lui  valut  quelques  admirations,  de  nombreuses 
inimitiés,  ne  lui  fut  point  payé,  et  l'introduisit  dans  un 
monde  brillant,  qui  le  railla  pour  ses  malheurs,  et  le  mé- 
prisa pour  ses  vertus.  L'ingratitude  des  hommes  dont  il 
avait  le  mieux  mérité ,  des  chagrins  de  famille  imprévus , 
l'épuisement  total  de  son  faible  patrimoine,  les  dettes  dont 
il  était  grevé ,  ses  espérances  de  fortune  évanouies ,  ses  in- 
tentions calomniées ,  un  passé  douloureux ,  un  avenir 
incertain,  un  présent  qui  lui  échappait  sans  cesse,  tant  de 
maux  combinés,  tant  de  calamités  réunies,  ébranlèrent  à 
la  fois  sa  santé  et  sa  raison.  11  fut  frappé  d'un  mal  étrange, 
qu'il  décrit  lui-môme  dans  le  préambule  de  VArcadie.  Ce 
qu'il  y  a  de  bizarre,  c'est  que  ce  mal  ne  le  prenait  que 
dans  la  société  des  hommes.  H  ressentait  à  leur  aspect  la 
répugnance  que  nous  éprouvons  tous  à  la  vue  des  mets  dont 
nous  avons  souffert.  Il  lui  était  impossible  de  rester  dans 
un  appartement  oii  il  y  avait  du  monde  ;  il  ne  pouvait  pas 
même  traverser  une  allée  de  jardin  public  où  se  trouvaient 
plusieurs  personnes  assemblées.  Comme  Jean-Jacques  Rous- 
seau, il  avait  toute  la  susceptibilité  du  malheur;  méfiant 
comme  lui ,  il  se  croyait  poursuivi  par  tous  les  regards  qu'il 
rencontrait,  calonmié  par  toutes  les  paroles  dont  le  murmure 
arrivait  à  ses  oreilles.  Lorsqu'il  était  seul,  son  mal  se  dis- 
sipait ;  il  se  calmait  encore  dans  les  lieux  où  il  ne  voyait 
que  des  enfants.  Voyant  qu'il  n'avait  rien  à  espérer  ni  des 
hommes  ni  de  lui-même,  il  se  résigna  et  s'abandonna  à 
Dieu.  Le  premier  fruit  de  sa  résignation  fut  le  soulagement 


BERNARDIN  DE  SAINT-PIERRE 


sn 


(le  ses  maux  ;  ses  anMétcs  se  calmèrent  dès  qu'il  n'y  ré- 
sisf.i  pins. 

15  eiitùt  il  lui  échut,  sans  la  moindre  sollicitation,  un  se- 
cours annuel  du  roi.  C'était  un  bienfait  médiocre,  incertain, 
d(^I)cnilant  de  la  volonté  d'un  ministre,  du  caprice  des  in- 
terniikliaires  et  de  la  méchanceté  de  ses  ennemis;  mais  il 
trouva  que  la  Providence  le  traitait  comme  le  genre  humain, 
auquel  elle  ne  donne ,  dans  la  récolte  des  moissons ,  qu'une 
subsistance  incertaine,  portée  par  des  herbes  sans  cesse 
battues  des  vents  et  exposées  aux  déprédations  des  oiseaux 
et  des  insectes.  Xe  premier  usage  qu'il  en  fit  fut  de  s'éloi- 
gner des  hommes.  Dès  qu'il  ne  les  vit  plus ,  son  âme  se 
calma ,  et  se  réfugia  dans  l'amour  de  la  natui'e ,  le  seul  qui 
ne  trompe  pas,  le  seul  dont  les  richesses  ne  s'épuisent  jamais. 
II  y  trouva  l'oubli  des  maux  qu'il  avait  soufferts  et  des  mé- 
chants qui  l'avaient  persécuté  ;  son  cœur,  rempli  de  Dieu , 
ne  recela  jamais  de  fiel  contre  aucun  des  méchants  qui  l'en 
avaient  abreuvé.  Il  croyait  leur  devoir  des  obligations ,  et 
il  se  surprenait  parfois  ;\  les  bénir  en  secret.  Leurs  persé- 
cutions avaient  causé  son  repos  ;  il  devait  à  leur  ambition 
dédaigneuse  une  Hberté  préférable  à  leur  grandeur,  et  les 
études  délicieuses  auxquelles  il  s'abandonnait  dans  le  silence 
et  le  recueillement. 

Cette  époque  de  sa  vie  est  remarquable  par  sa  liaison 
avec  J.-J.  Rousseau.  Les  mêmes  sympathies  et  les  mêmes 
douleurs  réunirent  ces  deux  âmes  froissées  et  méconnues  : 
les  âmes  qui  souffrent  sont  sœurs.  Ce  fut  à  Jean-Jacques 
que  Bernardin  dut  le  retour  de  sa  santé.  11  avait  lu  dans  ses 
écrits  que  l'homme  est  fait  pour  travailler  et  non  pour  mé- 
diter, et  il  avait  changé  de  régime  ;  au  lieu  d'exercer  son  âme 
comme  il  l'avait  fait  jusque  alors ,  et  de  reposer  son  corps, 
il  avait  exercé  son  corps  et  reposé  son  âme.  «  Je  jetai  les 
yeux  sur  les  ouvrages  de  la  nature ,  qui  parlait  à  tous  mes 
sens  un  langage  que  ni  le  temps  ni  les  nations  ne  peuvent 
altérer.  Je  renonçai  à  la  plupart  de  mes  livres  ;  mon  histoire 
et  mes  journaux,  c'étaient  les  herbes  des  champs  et  des  prai- 
ries, u  On  trouve  plusieurs  détaQs  pleins  de  charmes  sur  cette 
intimité  à  la  fin  du  tome  III  des  Études,  dans  le  préambule 
de  VArcadie  et  dans  la  préface  de  VEssai  sur  J.-J.  Rous- 
seau   Souvent  ils  se  dirigeaient  vers  la  campagne,  dî- 
nant assis  au  pied  d'un  arbre  et  ne  reprenant  que  le  soir  le 
chemin  de  la  ville.  La  nature,  la  religion,  l'immortalité, 
étaient  les  objets  habituels  de  leurs  méditations.  A  ces  idées 
d'une  philosophie  profonde  ils  mêlaient  quelquefois  les  pein- 
tures vives  et  animées  de  leurs  sentiments,  les  anecdotes  de 
leur  enfance ,  les  souvenirs  de  leurs  beaux  jours ,  et  des  ré- 
flexions touchantes  sur  la  recherche  du  bonheur,  le  mépris 
de  la  mort  et  la  constance  dans  l'adversité ,  questions  qui 
ont  si  souvent  occupé  les  anciens  et  qui  donnent  tant  d'in- 
térêt à  leurs  ouviages. 

Ces  consolantes  méditations  ramenèrent  insensiblement 
Bernardin  de  Saint-Pierre  à  ses  anciens  projets  de  félicité 
publi(pie,  non  plus  pour  les  exécuter  lui-même  comme  au- 
trefois, mais  au  moins  pour  en  faire  un  tableau  intéressant. 
La  simple  spéculation  d'un  bonheur  général  suffisait  alors  à 
son  bonheur  particulier.  Il  pensait  aussi  que  ses  plans  imagi- 
naires pourraient  un  jour  se  réaliser  par  des  hommes  plus 
heureux.  Ce  désir  redoublait  en  lui  à  la  vue  des  malheureux 
dont  nos  sociétés  sont  composées  ;  et  sentant,  par  ses  pro- 
pres privations,  la  nécessité  d'un  ordre  politique  conforme 
à  l'ordre  naturel,  il  en  composa  un  d'après  l'instinct  et  les 
besoins  de  son  propre  cœur.  Telle  fut  l'origine  de  VArcadie: 
une  conversation  qu'il  eut  une  après-midi  au  bois  de  Bou- 
logne avec  J.-J.  Rousseau,  et  qui  est  rapportée  dans  le 
préambule  de  VArcadie ,  donne  une  idée  assez  complète  de 
ce  livre.  «  Mes  Arcadiens ,  disait-il  à  son  ami ,  exercent 
tous  les  arts  de  la  vie  champêtre  ;  il  y  a  parmi  euv  des  ber- 
gers, des  laboureurs,  des  pêcheurs,  des  vignerons Leurs 

mœurs   sont    patriarcales   comme  au  premier  temps  du 
inonde.  Il  n'y  a  dans  la  république  ni  prêtres,  ni  soldats, 


ni  esclaves  ;  car  ils  sont  si  religieux  que  chaque  père  de  fa- 
mille en  est  le  pontife,  si  belliqueux  que  chaque  habitant 
est  toujours  prêt  à  défendre  sa  patrie  sans  en  tirer  de  solde, 
et  si  égaux  qu'il  n'y  a  pas  parmi  eux  de  domestiques.  Il  n'y 
a  point  de  querelles  entre  les  jeunes  gens,  si  ce  n'est  quel- 
ques débats  entre  amants ,  comme  ceux  du  Devin  du  Vil 
lage;  mais  la  vertu  y  appelle  souvent  les  citoyens  dans 
les  assemblées  du  peuple  pour  délibérer  entre  eux  de  ce  qu'il 
est  utile  de  faire  pour  le  bien -public.  Ils  élisent  à  la  pluralité 
des  voix  leurs  magistrats,  qui  gouvernent  l'État  comme  une 
famille,  étant  chargés  à  la  fois  des  fonctions  de  la  paix ,  de 
la  guerre  et  de  la  religion.  Ou  ne  voit  dans  leur  pays  aucun 
monument  inutUe,  fastueux,  dégoiitant  ou  épouvantable; 
point  de  colonnades ,  d'arcs  de  triomphe ,  d'hôpitaux  ni  de 
prisons.  Mais  un  pont  sur  un  torrent,  un  puits  au  milieu 
d'une  plaine  aride,  un  bocage  d'arbres  fruitiers  sur  une 
montagne  inculte,  autour  d'un  petit  temple  dont  le  péristyle 
sert  d'abri  aux  voyageurs ,  annoncent  dans  les  lieux  les 
plus  déserts  l'humanité  des  habitants....  Les  tombeaux  des 
ancêtres  sont  au  milieu  des  bocages  de  myrtes ,  de  cyprès 
et  de  sapins  ;  leurs  descendants ,  dont  ils  se  sont  fait  chérir 
pendant  leur  vie ,  viennent  dans  leurs  plaisirs  ou  leurs  pei- 
nes les  décorer  de  Heurs  et  invoquer  leurs  mânes.  Le  passé, 
le  présent,  l'avenir,  lient  tous  les  membres  de  cette  société 
des  chaînons  de  la  loi  naturelle ,  en  sorte  qu'il  est  également 
doux  d'y  vivre  et  d'y  mourir.  »  C'est  ainsi  qu'il  poursuivait 
toujours  les  illusions  de  sa  jeunesse  et  qu'il  jouait  encore  à 
la  république,  comme  l'oncle  Tobie  de  Sterne,  qui  creusait 
des  tranchées  dans  son  jardin,  élevait  des  bastions  avec 
Trimm ,  prenait  des  forts  et  gagnait  des  batailles  pour  se 
venger  de  celles  qu'il  avait  perdues. 

Bernardin  de  Saint-Pierre  eut  toujours  une  profonde  vé- 
nération pour  J.-J.  Rousseau ,  qu'il  plaçait  dans  son  cœur 
auprès  de  Fénelon.  Tous  les  deux  d'ailleurs  professaient  pour 
ce  dernier  le  même  culte  et  le  même  amour. 

M.  de  Saint-Pierre  ayant  perdu  par  un  changement  de 
ministère  la  gratification  annuelle  de  mille  francs ,  qui  était 
son  unique  ressource,  se  décida  à  publier  ses  écrits,  et 
recueillit  les  fragments  de  VArcadie,  afin  d'en  former  les 
Études.  L'auteur  a  retracé  lui-même  les  difficultés  qu'on  lui 
fit  éprouver  lors  de  la  publication  de  son  ouvrage.  D'abord, 
la  censure  lui  retiancha  deux  morceaux  fort  remarquables , 
qu'il  regretta  avec  la  douleur  d'un  père  qui  voit  mutiler  son 
fils  ;  puis  le  manuscrit  fut  successivement  rejeté  par  plusieurs 
libraires ,  et  l'auteur  fut  obligé  de  le  faire  publier  à  ses 
frais.  Les  Études  parurent  enfin  en  1784,  et  leur  succès 
consola  l'auteur  des  tribulations  qu'il  avait  éprouvées. 

Ce  ne  fut  que  quatre  ans  après ,  en  1788 ,  que  M.  de  Saint- 
Pierre  fit  paraître  Paul  et  Virginie.  Il  en  avait  fait  lecture 
dans  les  salons  de  madame  Necker  quelque  temps  avant  lu 
publication  du  livre  des  Études.  La  froide  indifférence  qui  ac- 
cueillit cette  lecture  jeta  l'auteur  dans  un  profond  accable- 
ment. Il  avait  bien  surpris,  durant  cette  fatale  soirée,  parmi 
les  femmes  qui  l'entouraient,  des  visages  émus  qui  n'osaient 
se  trahir,  des  sympathies  qui  rougissaient  de  s'avouer,  des 
larmes  honteuses  qui  se  cachaient  silencieusement  dans  les 
mouchoirs  de  batiste  ;  mais  il  se  rappelait  aussi  la  figure 
ennuyée  de  M.  de  Buffon ,  les  bâillements  de  M.  Necker,  la 
somnolence  de  Thomas,  et  la  retraite  furtive  des  auditeurs 
les  plus  voisins  de  la  porte,  qui  s'esquivaient  en  jurant 
qu'on  ne  les  y  prendrait  plus.  Ces  cruels  souvenirs  le  plon- 
geaient dans  un  morne  abattement,  et  il  n'essayait  plus  de 
s'en  arracher,  fatigué  qu'il  était  de  s'épuiser  en  efforts  sté- 
riles contre  la  destinée  qui  le  repoussait  sans  cesse.  Il  était 
décidé  à  ne  plus  lutter  et  à  ployer  sans  se  roidir  sous  le  dé- 
couragement ,  renonçant  à  recueillir  le  fruit  de  ses  travaux , 
songeant  à  livrer  aux  flammes  ses  manuscrits ,  dont  l'aspect 
l'injportunait,  loisque  le  peintre  Vernet  vint  s'asseoir  un  jour 
à  son  modeste  foyer,  dans  la  mansarde  qu'il  occupait  alors 
rue  Saint-Éticnne-d>i-Monf.  Voyant  Bernardin  Ifislc  cl  si- 


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BERNARDIN  DE  SAINT-PIERRE 


lencieiix ,  Vemct  voulut  connaître  la  cause  fie  sa  tristesse  : 
une  vieille  amitié  lui  en  donnait  le  droit.  Bernardin  avoua 
tout.  Alors  Vernet  voulut  entendre  ce  livre  réprouvé  par 
l'aristocratique  aréopage  qu'avait  présidé  madame  Necker  ; 
et  lorsque  Bernardin  eut  cédé  à  ses  vives  instances,  lorsqu'il 
fut  arrivé  à  la  dernière  page  de  ce  manuscrit  frappé  depuis 
longtemps  d'indillérence  et  d'oubli,  Vernet  se  leva,  le  visage 
inondé  de  larmes ,  et ,  pressant  Bernardin  dans  ses  bras  : 
«<  Mon  ami  !  oh  !  mon  ami  !  s'écria-t-il ,  vous  avez  fait  un 
chef-d'œuvre!  »  C'est  ainsi  que  Boileau  consola  Racine  des 
sifflets  qui  accueillirent  Alhalie  sur  la  scène  française. 

Vernet  avait  été  prophète  :  le  succès  de  Paul  et  Virginie 
fut  immense,  et  mit  M.  de  Saint-Pierre  en  état  d'abandonner 
son  donjon  de  la  rue  Saint-Étienne-du-Mont  pour  acheter 
une  petite  maison  avec  un  jardin  rue  de  la  Reine-Blanche , 
à  l'extrémité  du  faubourg  Saint-Marceau.  Ce  fut  de  cette 
«olitude  qu'il  adressa  à  Louis  XVi  Lcr,  Voeux  d'un  Solitaire, 
méditations  morales ,  empreintes  d'une  grande  inexpérience 
des  hommes  et  des  choses ,  qui  tendaient  à  concilier  les 
intérêts  nouveaux  qui  s'agitaient  dans  la  nation  avec  les 
vieux  intérêts  de  la  royauté,  qui  déjà  commençaient  à  plier; 
oeuvre  de  candeur  et  de  vertu ,  qui  se  perdit  sans  retentis- 
sement au  milieu  des  orages  de  cette  époque  tumultueuse. 
Deux  ans  après,  en  1791,  il  publia  la  Chaumière  in- 
dienne ,  critique  spirituelle  et  douce  des  académies,  des 
sociétés,  de  la  science  et  du  bonheur  des  villes;  satire  ingé- 
nieuse, écrite  avec  le  cœur,  et  que  Voltaire  eût  écrite  s'il 
avait  eu  l'àme  de  Jean-Jacques. 

En  1792,  comme  il  s'occupait  de  mettre  en  ordre  quel- 
ques fragments  des  Harmonies ,  Louis  XVI  l'enleva  à  sa 
solitude  pour  lui  confier  l'intendance  du  Jardin  des  Plantes 
et  du  cabinet  d'histoire  naturelle.  «  J'ai  hi  vos  ouvrages , 
lui  dit-il  en  le  voyant;  ils  sont  d'un  honnête  homme,  et  j'ai 
cru  nommer  en  vous  un  digne  successeur  de  Biiffon.  «  M.  de 
Saint-Pierre  se  montra  digne  en  effet  du  choix  qui  l'avait 
appelé  à  remplacer  ce  grand  naturaliste  ;  il  apporta  dans  la 
direction  des  richesses  qni  lui  étaient  confiées  la  science  et 
l'activité  de  son  esprit ,  la  grandeur  et  la  droiture  de  son 
âme.  Malheureusement,  les  brillants  projets  qu'il  avait 
nourris  ne  purent  se  n'^aliser,  tant  il  était  difticile,  à  cette 
époque  turbulente,  de  biltir  et  de  fonder  sur  un  terrain 
mouvant  qui  s'éboulait  de  toutes  parts!  Ce  fut  grâce  à  lui 
cependant  que  le  cabinet  d'histoire  naturelle  fut  ouvert 
chaque  jour  aux  recherches  des  naturalistes  ;  ce  fut  aussi 
lui  qui  donna  l'idée  de  joindre  la  ménagerie  au  Jardin-des- 
riantes  et  d'établir  une  bibliothèque  pour  les  étudiants  et 
un  journal  pour  les  professeurs.  Idée  féconde,  étouffée  par 
la  révolution,  qui  éclatait  alors  dans  toute  sa  force  et  dans 
toute  sa  puissance.  M.  de  Saint-Pierre  se  \it  bientôt  relancé 
par  elle  jusqu'au  milieu  du  monde  pacifique  qui  semblait 
devoir  échapper  à  ses  coups.  La  ménagerie  de  Versailles  fut 
massacrée  par  les  furieux,  le  Jardin-des-Plantes  envahi, 
ravagé,  labouré  en  tous  sens  ;  tout  allait  être  détruit  si  le 
ministre  n'avait  pas  placé  les  débris  de  l'établissement  sous 
la  garde  fralernclle  des  citoyens  du  faubourg  Marceau. 
L'ordre  fut  rétabli,  et  l'intendance  supprimée. 

Bernardin  profita  aussitôt  de  sa  liberté  pour  se  réfugier  à 
l^ssonne,  où  il  avait  lait  construire  une  jolie  maisonnette;  il 
sortit  d'ailleurs  du  Jardin  des  Plantes  tellement  pauvre  et 
dénué  de  tout,  qu'il  fut  obligé  de  solliciter  une  légère  gra- 
tification pour  comploter  le  payement  de  deux  arpents  de 
terre  qu'il  possédait.  Il  s'y  retira  avec  sa  femme ,  M""'  Didot, 
(lu'il  avait  épousée  par  amour  peu  de  temps  avant  sa  nomi- 
nation à  l'intendance  du  cabinet  d'histoire  naturelle;  il  y 
vécut  heureux  et  solitaire,  étranger  aux  passions  qui  bouil- 
lonnaient autour  de  lui,  s'occupaut  de  ses  auteurs  cliéris, 
et  pleurant  sur  la  patrie  comme  le  naufragé  qui ,  du  rivage 
oii  l'ont  poussé  les  Ilots  ,  j)Ieure  à  l'abri  de  la  tourmente  sur 
le  vaisseau  que  vont  briser  les  vagues.  C'est  ainsi  qu'il  passa 
dans  sa  retraite  l'iiiver  de  l79:î  et  celui  de  179i,  près  de 


sa  femme  et  de  ses  petits  enfants,  qui  se  roulaient  à  leurs 
pieds  devant  le  foyer  brillant.  On  a  accusé  M.  de  Saint- 
Pierre  de  n'avoir  point  aimé  sa  femme  et  de  l'avoir  rendue 
malheureuse.  Nous  sommes  tellement  convaincu  qu'un 
homme  se  met  tout  entier  dans  ses  ouvrages  et  que  toute 
œuvre  du  génie  porte  l'empreinte  du  ccrur  où  elle  est  mou- 
lée ,  que  cette  accusation  nous  semble  une  puérile  calomnie 
à  laquelle  Parti  et  Virginie ,  les  Harmonies  et  les  Étude 
répondent  assez  hautement. 

Vers  la  fin  de  1704,  lors  de  la  création  de  l'École  NormaleJ 
il  y  fut  nommé  professeur  de  morale.  Jaloux  de  son  obscu- 
rité, il  voulut  vainement  se  soustraire  à  cette  publicité  nou* 
velle;  des  gendarmes  lui  apportèrent  son  diplôme  à  la  point 
de  leurs  sabres.  Il  fallut  bien  obéir.  Il  se  présenta  à  son  au- 
ditoire avec  une  assurance  noble  et  modeste  à  la  fois,  il  en  fut 
accueilli  avec  enthousiasme,  et  les  doctrines  religieuses  qu'il! 
professa  avec  hardiesse  furent  reçues  au  milieu  de  l'impiété 
de  ce  siècle  comme  la  manne  inespérée  tombant  du  ciel  dans 
le  désert.  L'année  suivante,  l'Institut  fut  créé,  et  Bernardin 
de  Saint-Pierre  fut  appelé  à  la  classe  de  morale,  avec  des 
hommes  qui ,  ennemis  de  ses  principes ,  se  liguèrent  aussitôt 
contre  lui.  Il  lutta  courageusement ,  mais  en  vain ,  contre  la 
doctrme  de  l'Institut;  il  pressa  vainement  ses  membres  de 
proclamer  la  Providence  et  d'asseoir  toute  morale  sur  l'exis- 
tence de  Dieu.  Sa  voix  éloquente  se  perdit  au  milieu  des 
blasphème?;,  ou  mourut  dans  le  silence  du  mépris  et  de  l'in- 
différence. 

Après  la  mort  de  sa  femme,  enlevée  par  une  maladie  de 
poitrine,  M.  de  Saint-Pierre  quitta  sa  retraite  d'Essonne,  qui 
lui  était  devenue  insupportable ,  et  vint  s'établir  à  Paris 
avec  ses  deux  enfants,  Paul  et  Virginie,  dont  il  résolut  de 
diriger  l'éducation  ;  mais  cette  tûche  était  trop  lourde  à  ses 
soixante-trois  ans,  et  il  épousa  pour  la  partager  mademoi- 
selle de  Pelleport ,  qui  voua  avec  enthousiasme  sa  jeunesse 
et  sa  vertu  aux  vieux  jours  de  l'homme  dont  le  génie  l'avait 
captivée. 

Il  passa  ses  dernières  années  dans  une  maison  de  cam- 
pagne située  sur  les  bords  de  l'Oise ,  dans  le  petit  village 
d'Épagny.  Après  tant  de  fatigues  et  de  traverses ,  il  put  enfin 
se  reposer  dans  le  calme  et  dans  le  bonheur.  Le  soir  de  sa 
vie  fut  pur  et  serein  ;  la  tendresse  de  sa  jeune  femme  dissipa 
les  nuages  qui  auraient  pu  en  voiler  l'azur,  et  l'amitié  de 
Ducis  l'égaya  comme  un  soleil  doux  et  bienfaisant.  Sa  for- 
tune avait  éprouvé  un  échec  considérable  ;  la  munificence 
de  Joseph  Bonaparte  le  répara.  Bernardin  ayant  refusé  la 
place  qu'il  lui  offrait,  Joseph  le  força  d'accepter  une  pension 
de  six  mille  francs,  qui,  jointe  aux  six  mille  francs  qu'il 
possédait  déjà ,  procura  à  sa  famille  tout  le  bien-être  d'une 
vie  douce  et  facile.  Enfin  le  gouvernement  lui  accorda  plus 
tard  une  pension  de  deux  mille  francs  avec  la  croix  d'Hon- 
neur. Ainsi,  libre  de  soucis  et  d'inquiétudes  sur  l'avenir  de 
ses  enfants,  il  put  s'endormir  dans  le  repos,  la  dernière  de 
ses  ambitions.  Il  consacra  ses  heures  de  loisir  à  rédiger 
l'Amazone  et  à  mettre  en  ordre  sa  Théorie  de  l'Univers. 
Son  système  des  marées  devint  la  monomanie  de  son  vieil 
Age.  Il  sacrifiait  volontiers  toutes  ses  prétentions  à  sa  gloire 
d'écrivain ,  il  n'en  cédait  aucune  à  celle  de  lire  dans  les  cieux. 
En  un  mot,  il  était  astronome,  comme  Girodet  était  poète. 

Il  se  sentit  vieillir  sans  effroi  de  la  mort;  il  la  vit  appro- 
cher sans  pâlir  ni  se  troubler.  «  Si  je  considère  les  peines 
de  la  vie,  disait-il,  la  mort  ne  peut  être  qu'un  bienfait, 
puisqu'elle  vient  après  tant  de  maux ,  comme  le  repos  après 
le  travail ,  comme  la  nuit  qui  succède  au  jour  et  qui  me  dé- 
couvre de  nouveaux  cieux.  Ce  besoin  d'aimer,  de  connaître, 
ce  besoin  de  m'élever  à  la  source  de  toute  vérité ,  la  mort 
va  le  satisfaire  ;  et  comment  craindrais-je  de  me  réunir  à 
celui  que  j'ai  cherché  pendant  la  vie?  »  Quelques  heures 
avant  sa  mort ,  il  tendit  la  main  à  ceux  qui  l'entouraient  et 
qui  pleuraient  agenouillés  près  de  son  lit  :  ■<  Ce  n'est  qu'une 
séparation  de  quelques  jours,  leur  dit-il  d'une  voix  faible, 


I 


lîERNARDIN  DE  SAINT-PIERRE    —  BERNE 


55 


ne  me  la  rendez  pas  douloureuse  ;  je  sens  que  je  quitte  la 
terre  et  non  la  vie.  »  11  mourut  dans  sa  maison  d'Épagny, 
entre  les  bras  de  sa  femme  et  de  sa  fille,  le  21  janvier  1S14. 

M.  de  Saint-Pierre  avait  eu  l'intention  d'écrire  ses  mé- 
moires; il  laissa  des  notes  précieuses  et  des  matériaux 
nombreux,  dont  M.  Aimé  Martin,  qui  épousa  la  veuve  de 
Bernardin  de  Saint-Pierre,  devint  le  dépositaire.  Celui-ci  en 
composa  un  Essai  sur  lavie  de  Bernardin  de  Saint-Pierre, 
qui  précède  l'édition  de  ses  œuvres  complètes,  mises  en 
ordre  par  le  même  écrivain.  Jules  Sandeau. 

BERIVARDIl\S,nom  que  l'on  donna  aux  religieux  de 
Cîteaux  après  que  saint  Bernard,  qui  était  entré  dans 
leur  ordre ,  l'eut  réformé. 

BERNAUER  (  Agnès  )  était  la  belle  et  vertueuse  fille 
d'un  pauvre  bourgeois  d'Augsbourg,  Gaspard  Bernatier, 
originaire  du  pays  de  Bade.  Le  duc  Albert  de  Bavière,  fils 
unique  du  duc  régnant  Ernest,  vit  cette  jeune  fille  à  l'occa- 
sion d'un  tournoi  célébré  en  son  honneur  par  les  familles 
patriciennes  d'Augsbourg,  et  conçut  aussitôt  pour  elle  la 
pasnion  la  plus  vive.  De  son  côté,  Agnès  ne  resta  pas  insen- 
sible à  la  mâle  beauté  et  au  rang  élevé  de  son  adorateur, 
alors  âgé  de  vingt-huit  ans  seulement  ;  mais  elle  avait  trop 
de  piété  et  des  mœurs  trop  pures  pour  consentir  à  accueillir 
des  hommages  qui  n'auraient  pas  le  mariage  pour  but.  Albert 
lui  promit  donc  de  lépouser,  et  tint  loyalement  parole, 
ïouiefois,  leur  union  fut  bénie  en  secret,  et  après  la  célé- 
bration de  l'acte  religieux,  Albert  conduisit  mystérieusement 
sa  jeune  épouse  au  château  de  Vohburg,  qu'il  tenait  du  chef 
de  sa  mère.  Us  y  vécurent  dans  la  plus  heureuse  et  la  plus 
tranquille  union  jusqu'au  moment  où  le  père  d'.\lbert,  le  duc 
El  nest,  songea  à  marier  son  fils  avec  Anne,  fille  du  duc  Éric 
de  Brunswick.  L'opiniâtre  résistance  à  ce  projet  qu'il  ren- 
contra de  la  part  d'Albert  lui  eut  bientôt  révélé  l'amour  du 
jeune  prince  pour  la  belle  Agnès  et  la  vivacité  d'un  attaclie- 
ment  avec  lequel  il  résolut  aussitôt  d'en  finir  par  l'emploi  de 
la  violence.  Il  commença  par  s'arranger  de  façon  à  ce  que 
dans  un  tournoi  célébré  à  Ratisbonne,  on  refusât  de  laisser 
son  fils  entrer  en  lice ,  comme  étant  en  contravention  avec 
les  règlements  de  la  chevalerie,  qui  interdisaient  l'accès  des 
tournois  à  tout  chevalier  entretenant  d'impures  relations 
avec  une  jeune  fille.  Albert  eut  beau  affirmer  sur  l'honneur 
qu'Agnès  était  sa  légitime  épouse ,  on  persista  à  tenir  les 
barrières  closes  pour  lui. 

Le  prince  se  vengea  de  cet  affront  public  en  faisant  à  son 
four  rendre  publiquement  à  Agnès  les  honneurs  dus  à  une 
duchesse  de  Bavière;  il  lui  donna  donc  une  brillante  et 
nombreuse  domesticité,  comme  il  convenait  à  une  princesse, 
et  lui  assigna  pour  demeure  le  château  de  Straubing.  Mais 
comme  si  elle  eût  eu  le  douloureux  pressentiment  de  sa 
sombre  destinée,  Agnès  fondait,  pendant  ce  temps-là,  dans  le 
cloître  des  religieux  de  l'ordre  du  Mont-Carmel,  situé  à  peu 
de  distance  de  sa  résidence ,  une  chapelle  funéraire. 

Tant  que  vécut  l'oncle  d'Albert ,  le  duc  Guillaume,  qui 
aimait  tendrement  son  neveu,  il  n'y  eut  plus  d'autre  ten- 
tative faite  pour  troubler  le  bonheur  mutuel  des  deux 
époux.  Mais  son  frère  ne  fut  pas  plus  tôt  mort,  que  le  duc 
Ernest,  incapable  de  dissimuler  plus  longtemps  son  profond 
ressentiment,  fit  arrêter  Agnès  pendant  une  absence  d'Albert, 
et  ordonna  qu'elle  fut  mise  à  mort  sans  délai,  comme  cou- 
pable d'avoir  usé  de  maléfices  pour  ensorceler  te  duc  Albert. 
Le  bourreau  traîna  l'infortunée  toute  garrottée,  le  12  octo- 
bre 1435,  sur  le  pont  du  Danube,  du  haut  duquel  il  la  préci- 
pita dans  le  fleuve  en  présence  d'une  immense  multitude  de 
peuple.  Mais  alors,  au  lieu  de  disparaître  aussitôt  emporté  par 
le  courant,  le  corps  d'Agnès  surnagea  à  la  surface  des  flots, 
qui  le  ramenèrent  mollement  au  rivage.  Un  des  valets  du 
bourreau  y  courut  bien  vite,  parvint  à  se  saisir  avec  une 
longue  perche  de  la  belle  chevelure  d'or  qui  flottait  éparse  à  la 
surface  de  l'onde,  l'enroula  autour  de  cet  instrument,  à  l'aide 
duquel  il  put  plonger  de  nouveau  dans  l'eau  le  corps  de  la 


victime  et  l'y  retenir  jusqu'à  ce  que  la  suffocation  fût  complète. 
Indigné  d'un  tel  attentat,  le  duc  Albert  prit  les  armes  con_ 
tre  son  père,  et  s'unit  à  ses  ennemis  pour  ravager  ses  États. 
En  vain  le  duc  Ernest  eut  recours  alors  aux  prières  et  aux 
supplications  pour  fléchir  le  légitime  courroux  de  son  fils. 
Ce  fut  longtemps  après  seulement  que  les  exhortations  de 
l'empereur  Sigismond  et  les  instances  de  ses  amis  détermi- 
nèrent Albert  à  reparaître  à  la  cour  de  son  père,  où  il  finit 
toutefois  par  consentir  à  épouser  Anne  de  Brunswick.  Dans 
l'espoir  de  regagner  l'affection  de  son  fils,  le  duc  Ernest  fil  éri- 
ger lui-même  une  chapelle  expiatoire  sur  le  tombeau  de  la 
malheureuse  Agnès.  Dès  le  premier  anniversaire  de  celte  hor- 
rible catastrophe ,  Albert  avait  fondé  dans  le  monastère  des 
Carmélites  de  Straubing  des  messes  à  perpétuité  pour  le  repos 
de  l'âme  de  sa  chère  Agnès.  Douze  ans  plus  tard  il  renou- 
velait encore  cette  pieuse  fondation  à  l'occasion  de  la  trans- 
lation solennelle  du  cercueil  contenant  la  dépouille  mortelle 
de  Yhonnête  dame  aux  lieux  qu'elle  avait  autrefois  désignés 
elle-même  pour  lui  servir  de  sépulture,  et  où  il  fit  élever  un 
beau  tombeau  en  marbre.  Pendant  Iongtem[>s  la  complainte 
des  infortunées  amours  d'Albert  et  d'Agnès  demeura  popu- 
laire en  Bavière.  Elles  ont  aussi  servi  de  sujet  à  divers  poètes 
tragiques,  par  exemple  au  comte  Tœrring  (1780),  à  Jules 
Kœrner  (1821),  et  tout  récemment  à  A.  Bœttger  (Leipzig, 
1846;  3*  édit.,  1850). 

BER3JAY,  ville  de  France,  département  de  l'Eure, 
chef-lieu  d'arrondissement,  à  38  kil.  d'Évreux,  sur  la  Cha- 
rentonne ,  compte  7,460  hab.  Elle  possède  un  tribunal  de 
commerce  et  un  collège  fréquenté  par  125  élèves.  L'indus- 
trie est  active  à  Bernay,  où  l'on  fabrique  des  toiles  et  de.? 
rubans  de  fil,  des  cuirs  et  des  peaux  mégissées,  des  draps, 
des  lainages ,  des  bretelles ,  de  la  bonneterie.  11  y  a  trois 
typographies.  Cette  ville  fait  un  grand  commerce  de  grains, 
de  bestiaux,  de  papiers,  de  fer,  etc.  Sa  foire  pour  la  vente 
des  chevaux  est  la  plus  considérable  de  la  France  :  elle 
est  fréquentée  par  plus  de  quarante  mille  personnes. 

BERNAY  (Alisxandke  de).  Voyez  Alexandre  de 
Bernay. 

BERi\BURG,  capitale  du  duché  d'Anhalt-Bernburg 
(  voxjez  Amialt  ),  bâtie  sur  les  deux  rives  de  la  Saale,  avec 
une  population  de  10,000  âmes,  est  divisée  en  ville  Vieille 
et  ville  Neuve,  avec  le  faubourg  de  Waldau  sur  la  rive  gauche, 
et  la  Bergstadt  sur  la  rive  droite,  qui  est  fort  élevée.  Un 
beau  pont,  bien  qu'un  peu  massif  au  total,  met  les  deux 
rives  en  communication.  En  fait  d'édifices  il  faut  surtout  citer 
le  château,  dont  certaines  parties  sont  d'une  construction 
fort  ancienne  et  qu'entoure  un  beau  parc.  Il  est  situé  dans 
la  Bergstadt.  La  ville  possède  quatre  églises,  dont  la  plus- 
remarquable  est  celle  de  Notre-Dame  (  Marienkircke) ,  un 
gymnase ,  une  école  des  arts  et  métiers  et  une  école  supé- 
rieure pour  les  filles.  Les  habitants  s'occupent  d'agriculture^ 
d'horticulture,  et  récoltent  un  peu  de  vin;  ils  ont  des  ma- 
nufactures de  faïence,  de  papier,  d'alcool,  des  raffineries  de 
sucre,  des  fonderies  de  cuivre  et  de  fer.  Un  embranchement 
du  chemin  de  fer  de  Leipzig  à  Magdebourg  et  aboutissant  à 
Kœthen  ne  contribue  pas  peu  à  y  donner  une  remarquable 
activité  au  mouvement  commercial, 

BERNE ,  le  canton  de  la  Suisse  le  plus  considérabC 
après  celui  des  Grisons,  avec  une  superficie  de  77  myriamè 
très  carrés,  est  borné  par  Bâle-Campagne,  Soleure,  Argovie 
Lucerne,  Unterwald,  Ury,  le  Valais,  le  pays  de  Vaud 
Fribourg ,  Neuchatel ,  et  la  frontière  de  France.  Le  recen- 
sement opéré  en  1850  y  accuse  une  population  de  487,921 
habitants,  et  par  suite  de  ce  chiffre  le  canton  de  Berne 
envoie  vingt-trois  députés  à  la  diète  fédérale.  La  grande 
majorité  des  habitants  professe  la  religion  réformée.  On  ne 
compte  guère  que  50,000  catholiques,  qui  habitent  pour 
la  plupart  les  districts  de  l'ancien  évéché  de  Bâle  réunis 
en  1815  au  canton  de  Berne,  et  où  existent  aussi  un  rail-» 
lier  d'anabaptistes. 


&6 

An  non! ,  ce  canton  est  montagneux  ,  mais  entrecoupé 
de  Délies  plaines  et  de  riches  vallées ,  au  sol  fertile  et  soigneu- 
sement cultivé,  produisant  du  blé  en  quantité  suffisante 
l)our  les  besoins  de  la  population,  du  chanvre,  des  fruits  de 
toute  espèce  et  même  un  peu  de  vin.  C'est  là  qu'est  située 
V Emmenthal,  l'une  des  plus  riches,  des  plus  belles  etdesplus 
fertiles  vallées  de  la  Suisse,  où  l'élève  du  bétail  a  acquis 
un  degré  de  perfection  remarquable,  et  où  la  fabrication  du 
célèbre  fromage  d'Emmenthal  constitue  une  des  principales 
branches  de  l'industrie  de  la  population. 

La  partie  méridionale  du  canton,  désignée  sous  le  nom 
à'Oberland,  avec  les  vallées  de  Hassli ,  de  Grindeiwald, 
de  Lauterbrunnen,  de  Kanter,  deFrutigen,  d'Adelboden,  de 
Simmen ,  de  Saanen ,  et  de  nombreuses  vallées  transversa- 
les, appartient  complètement  à  la  région  des  plateaux.  Elle 
commence  au  pied  des  hautes  montagnes  voisines  du  Valais, 
et  s'étend  jusqu'à  leur  plus  grande  élévation.  Les  profondes 
vallées  de  cette  contrée  produisent  d'excellents  fruits,  so:it 
fertiles  et  agréables.  A  une  hauteur  plus  considérable  ,  on 
trouve  d'excellents  pâturages  alpestres,  auxquels  succè- 
dent des  rochers  nus,  d'immenses  glaciers  et  les  plus  hautes 
montagnes  de  toute  la  Suisse,  le  Finsteraarhorn ,  le 
Schreckhorn  et  le  Wctterhorn,  VEiger^i  la  Jung/rmi.  C'est 
dans  cette  chaîne  de  montagnes  que  prend  sa  source  l'Aar, 
avec  de  nombreux  alfluents  qui  traversent  les  lacs  de 
Brienz  et  de  Thun  et  la  plus  grande  partie  de  ce  canton , 
fort  riche  en  général  sous  le  rapport  hydrographique,  qui 
a  en  outre  pour  limites  au  nord  le  Doubs  et  la  partie  sep- 
tentrionale du  lac  de  Neuchâtel ,  et  comprend  presque  tout 
le  lac  de  Biel. 

Les  beautés  naturelles  de  l'Oberland  avec  ses  gigantes- 
ques montagnes,  ses  glaciers,  ses  cataractes ,  ses  pâturages , 
y  attirent  chaque  année  de  nombreux  étrangers  ;  et  il  en  ré- 
sulte pour  la  population  d'importantes  ressources  de  subsis- 
tance. L'élève  du  bétail  et  la  fabrication  d'une  foule  de  petits 
objets  en  bois  sculpté  constituent  d'ailleurs  une  des  princi- 
pales industries  locales.  La  parqueterie  en  est  une  branche 
particulière  de  date  encore  fort  récente.  Au  total,  l'indus- 
trie y  est  cependant  assez  peu  étendue ,  et  la  fabrication 
des  toiles  ainsi  que  celle  des  draps  en  forment  toujours  les 
branches  les  plus  importantes,  notamment  dans  V Emmen- 
thal. Dans  la  région  jurassique  du  nord-ouest  jusqu'à  U'iel, 
lafabrication  des  montres  etpendulesa  pris  dans  ces  derniers 
temps  une  grande  importance.  Les  articles  d'exportation  se 
composent  des  produits  de  toutes  ces  industries  diverses, 
surtout  de  fromages  (environ  40,000  quintaux  par  an). 
Une  banque  cantonale  fondée  récemment  à  Berne  ne  peut 
qu'exercer  la  plus  heureuse  influence  sur  le  développement 
de  la  production,  et  déjà  d'heureux  résultats  ont  été  obte- 
nus par  les  améliorations  apportées  au  système  général  des 
voies  de  communication. 

Après  que  la  domination  romaine  eut  été  détruite  dans 
ces  contrées  par  les  Alemans,  les  Bourguignons  vinrent 
au  cinquième  siècle  s'établir  dans  la  plus  grande  partie  du 
canton  de  Berne,  qui  plus  tard  se  soumit  aux  Eranks,  puis 
«Icvuit  à  la  fm  du  neuvième  siècle  partie  intégrante  du 
royaume  de  la  Petite-Bourgogne,  et  au  onzième  siècle,  de 
l'empire  d'Allemagne.  Vers  la  fm  du  douzième  siècle  le  duc 
Berthold  V  de  Zaehringen,  dans  le  but  tout  à  la  fois  de  don- 
ner plus  de  sécurité  aux  domames  qu'il  y  possédait,  ei  de 
protéger  la  noblesse  inférieure  ainsi  que  les  petits  proprié- 
taires fonciers  contre  les  exactions  et  les  brigandages  de  la 
haute  noblesse,  fit  construire  et  fortifier  par  Kiino  de  Bu- 
benberg,  sur  un  sol  faisant  partie  de  l'Empire,  un  bourg 
longtemps  peu  important,  et  devenu  plus  tard  chef-lieu  du 
canton.  Une  charte  portant  la  signature  de  rcnipeicur  Fré- 
«léric  II,  que  l'on  consene  encore  dans  les  archives  de 
Berne,  déclara  dès  l'an  1218  ce  bourg,  d'origine  si  récente, 
ville  libre  impériale,  investie  des  mêmes  droits  et  privilèges 
que  Cologne  et  Fribourg.  Dès  le  treizième  siècle  la  popula- 


BERNE 

lion  s'en  accrut  rapidement,  par  suite  de  la  sécurité  plus 
grande  et  de  la  protection  que  venaient  y  chercher  la  no- 
blesse des  environs  ainsi  qu'un  grand  nombre  d'iiabilanl* 
des  campagnes,  et  surtout  des  bourgeois  de  Fribourg  et  de 
Zurich,  Ce  mouvement  d'accroissement  devint  bien  plus 
prononcé  après  que  Rodolphe  de  Habsbourg  eut  vainement 
assiégé  Berne,  et  lorsque  cette  ville  eut  réussi  en  12'J1 
à  mettre  à  la  raison  la  noblesse  qu'elle  renfermait  dans  ses 
propres  murs.  Sa  puissance  et  son  importance  augmentèrent 
encore  à  la  suite  de  la  glorieuse  victoire  remportée  le21  juin 
1339,  dans  les  plaines  de  Laupen,  par  Rodolphed'Erlach,  qui 
avec  des  forces  trois  fois  moindres  mit  en  complète  déroute 
l'armée  des  chevaliers  et  des  autres  villes  coalisées,  par  suite 
de  la  profonde  jalousie  que  leur  inspirait  la  prospérité  de 
Berne.  En  1353  cette  ville,  déjà  considérablement  agrandie, 
entra  dans  la  confédération ,  et  dans  le  cours  du  quator- 
zième siècle  continua  toujours  à  accroître  son  territoire,  soit 
par  voie  d'acquisition ,  soit  par  voie  de  conquête.  Détruite 
l)Our  la  plus  grande  partie  en  1405  par  un  incendie,  Berne 
fut  reconstruite  sur  un  plan  plus  régulier,  et  prit  plus  tard 
une  glorieuse  part  aux  longues  luttes  soutenues  par  la  con- 
fédération contre  l'Autriche ,  le  Milanais ,  la  Bourgogne  et 
l'Espagne.  Dès  le  commencement  du  quinzième  siècle ,  les 
dépendances  de  Berne,  après  qu'elle  eut  conquis  le  Bas- 
Argovie  et  participé  à  la  conquête  du  pays  de  Bade ,  s'éten- 
daient depuis  le  Valais  jusqu'au  Jura.  En  1536  Berne  en- 
leva aux  ducs  de  Savoie  tout  le  pays  de  Vaud,  qui  dès  lors 
fut  administré,  comme  toutes  ses  autres  conquêtes,  par  des 
baillis,  de  telle  sorte  que  son  territoire,  qui  au  premier 
siècle  de  son  existence  ne  se  composait  que  de  quelques  pa- 
cages et  de  quel(|ues  forêts  ,  comprenait  alors  une  superficie 
de  230  milles  géographiques  carrés.  Dès  1526  la  réforma- 
tion avait  pénétré  sans  grande  résistance  dans  le  canton  de 
Berne,  qui  postérieurement  se  trouva  avec  le  canton  de 
Zurich  à  la  tête  de  la  Suisse  protestante. 

A  l'origine  l'égalité  démocratique  des  droits  dominait  dans 
le  canton  de  Berne ,  ainsi  qu'on  en  a  la  preuve  dans  toutes 
les  vieilles  chartes,  et  même  dans  un  acte  de  déclaration 
de  guerre  contre  la  Savoie  qui  date  du  seizième  siècle.  Tou- 
tefois les  membres  de  l'ordre  de  la  noblesse,  distingués  par 
leur  prudence ,  par  leur  expérience  à  la  guerre  et  par  de» 
alliances  influentes,  étaient  ceux  à  qui  on  confiait  de  préfé- 
rence les  principales  fonctions  publiques.  Afin  d'organiser 
la  démocratie  sans  lui  substituer  une  aristocratie ,  et  aussi 
de  prévenir  les  abus  du  pouvoir  suprême,  on  adjoignit  vers 
la  fin  du  treizième  siècle  au  Schultheiss  (maire)  et  à  son 
conseil  un  comité  de  deux  cents  hommes  respectables,  choisis 
dans  la  bourgeoisie  ;  mais  dès  qu'il  s'agissait  d'affaires  graves, 
la  commune  seule ,  divisée  en  quatre  quartiers ,  était  apte  à 
donner  une  solution  valable.  Chaque  quartier  élisait  pour 
la  guerre  un  porte-bannière,  qui  en  temps  de  paix  exerçait 
l'autorité  de  tribun  du  peuple  ou  de  chef  de  corps  de  mé- 
tier. En  1470  la  commune  chûtia  les  insolentes  prétentions 
de  la  noblesse,  qui  de  dépit  quitta  alors  la  ville,  trop  heu- 
reuse cependant  de  pouvoir  y  revenir  dès  l'année  suivante. 

Ce  régime  démocratique  dura  jusqu'à  la  conquête  du  pays 
de  Vaud.  A  partir  de  cette  époque  la  bourgeoisie  cessa  d'être 
consultée  sur  les  affaires  poUtiques,  tandis  que  le  grand 
conseil  des  Deux-Cents  s'attribuait  des  prérogatives  de  plus 
en  plus  étendues,  et  devenait  en  fait  le  seul  souverain.  Le 
grand  Conseil  limita  d'abord,  puis  interdit  ensuite  l'admission 
de  nouveaux  membres  dans  l'ordre  de  la  bourgeoisie;  et  il 
en  résulta  de  nombreuses  lignes  de  démarcation  entre  ce 
qu'on  appelait  les  habitants  perpétuels  {ewigen  Einwoh- 
nern)àti  la  ville  et  les  bourgeois  proprement  dits,  de  même 
que  parmi  ces  derniers  entre  les  nobles  et  les  roturiers, 
entre  les  familles  de  non-gouvernants  et  de  gouvernants , 
ou  (le  patriciens  véritables,  qui  occupaient  héréditairement 
toutes  les  premières  charges.  Parmi  les  patriciens  eux-mê- 
mes, on  distinguait  des  principaux  et  des  inférieurs.  Le 


BERNE 


57 


conseil  souverain  se  complétait  lui-même  par  un  comité, 
c'est-à-dire  qu'il  se  confirmait  chaque  année  dans  le  nom- 
bre de  membres  dont  il  se  composait  déjà,  et  qu'il  comblait 
les  vides  qui  survenaient  de  temps  à  autre  dans  son  sein  en 
y  appelant  des  bourgeois  capables  de  gouverner.  Cest  ainsi 
qu'un  gouvernement  originairement  démocratique  en  arriva 
par  voie  d'exclusion  à  constituer  un  gouvernement  aristo- 
cratique ,  puis  une  oligarchie  pure.  Désormais  le  pouvoir 
mimicipal  se  trouvant  tout  entier  aux  mains  d'un  petit 
nombre  de  familles,  celles-ci  gouvernèrent  également  le  ter- 
ritoire conquis  ou  acquis.  De  là  résulta  cette  maxime ,  qu'il 
fallait  laisser  à  chaque  partie  distincte  du  territoire  l'usage 
de  ses  droits  et  de  ses  privilèges  particuliers.  Elles  étaient 
chacune  administrées  par  des  baillis  appartenant  aux  familles 
patriciennes  ;  et  ces  charges  de  baillis,  toutes  extrêmement 
productives,  contribuaient  singulièrement  à  rehausser  l'éclat 
et  la  puissance  du  patriciat. 

Au  milieu  des  luttes  et  des  guerres  continuelles  que  pen- 
dant les  premiers  siècles  de  son  existence  la  ville  eut  à  sou- 
tenir, d'abord  pour  la  défense  de  son  indépendance,  puis 
par  esprit  de  conquête,  se  développa  dans  la  Venise  des 
Alpes  (comme  les  historiens  appellent  souvent  Berne)  cet 
esprit  orgueilleusement  belliqueux  qui  faisait  autrefois  dire  à 
riiabilant  de  Berne  qye  le  bon  Dieu  lui-même  s'était  fait 
bourgeois  de  cette  ville.  Par  contre,  Berne  prit  une  part  bien 
moins  vive  que  Zurich,  Bàle  et  Genève  au  mouvement  des 
intelligences ,  quoique  dans  ces  derniers  temps  elle  ait  pro- 
duit quelques  hommes  importants.  La  politique  de  ses  hom- 
mes d'État  finit  d'ailleurs  par  dégénérer  en  une  pure  routine 
des  affaires,  désormais  tout  à  fait  au-dessous  des  nécessités 
du  temps,  en  dépit  des  effoils  qu'elle  faisait  pom-  dissimuler 
son  impuissance  sous  les  formes  vides  d'une  dignité  tout  ex- 
térieure. Mais  la  roideur  de  cette  gentilhomraerie  était  im- 
puissante à  opposer  une  digue  durable  aux  progrès  du 
temps.  Par  suite  de  l'accroissement  de  la  prospérité  et  des 
lumières  générales  dans  les  villes  les  plus  importantes  de 
son  territoire,  comme  Lausanne,  Aarau,  Tliun,  Burg- 
dorf,  etc.,  le  sentiment  de  leur  propre  importance  alla  tou- 
jours croissant  dans  ces  différentes  localités ,  qui  n'en  res- 
sentirent alors  que  plus  vivement  l'injurieux  ilotisme  dans 
lequel  on  les  retenait.  A  Berne  même,  quelque  unanimité 
qu'il  y  eût  dans  l'opinion  sur  la  nécessité  de  maintenir  les 
campagnes  dans  la  dépendance  de  la  ville,  des  discordes 
éclatèrent  entre  les  diverses  classes  de  citoyens,  à  la  suite 
desquelles  les  patriciens  se  virent  contraints  de  faire  aux 
autres  bourgeois  quelques  concessions,  assez  insignifiantes 
d'ailleurs. 

Dans  une  telle  situation  des  choses  il  était  impossible  que 
l'oligarchie  bernoise  agonisante  résistât  aux  terribles  ébran- 
lements de  la  révolution  française.  La  réunion  à  Berne  de 
cinquante-deux  représentants  des  sujets  avec  le  conseil  sou- 
verain fut  une  mesure  trop  tardive.  Le  pays  de  Vaud  et 
Argovie  s'étaient  déjà  soulevés  ;  et  quelques  jours  après  une 
bataille  malheureuse  livrée  le  2  mars  1798  aux  troupes  de  la 
république  française,  les  vainqueurs  firent  leur  entrée  dans 
la  capitale.  Le  territoire  de  l'État  de  Berne  fut  alors  divisé, 
pendant  toute  la  durée  de  la  république  Helvétique,  en  qua- 
tre parties  distinctes ,  le  pays  de  Vaud,  Argovie,  Oberland 
et  Berne ,  dont  les  deux  dernières  ne  tardèrent  pas  à  être 
de  nouveau  réunies ,  tandis  que  les  deux  premières  de- 
meurèrent des  cantons  indépendants  tant  que  dura  la  mé- 
diation. 

Les  événements  de  1813  et  l'invasion  de  la  Suisse  par 
les  Autrichiens  éveillèrent  de  nouveau  les  espérances  de 
l'oligarchie,  qui  ne  douta  même  pas  qu'on  allait  rétablir  la 
domination  qu'elle  avait  exercée  autrefois  sur  les  parties  de 
territoire  maintenant  distraites  du, canton.  Mais  Argovie  et 
le  pays  de  Vaud  réclamèrent  énergiquement  contre  ces 
prétentions;  et  il  en  résulta  que  le  congrès  de  Vienne  re- 
connut l'indépendance  de  ces  deux  cantons,  en  accordant  à 

WCT.    DE    LA   CONVCRS.    —   T.    111. 


Berne  comme  indemnité  une  grande  partie  de  l'ancien  évê- 
ché  de  Bàle.  L'oligarchie  bernoise  toutefois  mit  à  profit 
l'induence  des  baïonnettes  étrangères  pour  rétablir  l'ancienne 
constitution  aristocratique,  sauf  d'insignifiantes  concessions 
faites  à  l'élément  démocratique.  Quatre-vingt-dix-neuf  mem- 
bres nommés  par  les  villes  et  par  la  campagne  de  tout  le 
canton  furent  en  effet  adjoints  au  conseil  restauré  des 
Deux  Cents,  dont  les  membres  étaient  jadis  à  la  nomination 
unique  des  bourgeois  de  la  ville.  Mais  les  causes  anciennes 
du  mécontentement  subsistant  toujours,  il  fit  éruption  quand 
la  révolution  de  1830  vint  provoquer  de  nouvelles  commo- 
tions politiques  en  Suisse.  La  campagne  prit  l'attitude  la 
plus  menaçante ,  et  la  bourgeoisie  de  la  capitale  elle-même 
se  montra  médiocrement  disposée  à  se  sacrifier  aux  intérêts 
du  patriciat.  Par  suite  d'une  énergique  déclaration  faite  le 
10  janvier  1831  à  Munsingen,  dans  une  assemblée  populaire 
composée  de  citoyens  de  toutes  les  parties  du  canton ,  le 
grand  Conseil  convoqua  un  conseil  constituant  élu  par  les 
vingt-sept  bailliages,  et  résigna  ses  pouvoirs.  La  constitution 
nouvelle  acceptée  le  31  juillet  1831  confia  1?  pouvoir  légis- 
latif et  celui  de  surveillance  générale  à  un  grand  Conseil  de 
deux  cent  quarante  membres,  élus  pour  six  ans,  se  renou- 
velant par  tiers  tous  les  deux  ans,  mais  rééligibles.  La  con- 
dition régulière  pour  pouvoir  en  être  élu  membre  consistait, 
outre  une  limite  d'âge ,  à  justifier  de  la  possession  d'une 
propriété  foncière  ou  d'un  capital  de  5,000  francs  de  Suisse. 
Cette  fois  encore  le  système  d'élection  à  deux  degrés  fut  main- 
tenu. Chaque  commune,  fonctionnant  comme  assemblée 
primaire,  nommait  un  électeur  par  cent  habitants.  Ces  élec- 
teurs se  réunissaient  dans  les  arrondissements  en  assemblée 
électorale  chargée  d'élire  seulement  deux  cents  députés.  Les 
quarante  autres ,  de  même  que  le  président  à  élire  chaque 
année,  le  landamann,  étaient  choisis  par  le  grand  Conseil. 
Le  Schulteiss  (maire)  présidait  le  conseil  de  gouvernement, 
composé  de  seize  membres  qui  devaient  en  même  temps 
faire  partie  du  grand  Conseil.  Sept  départements  administra- 
tifs étaient  subordonnés  au  conseil  de  gouvernement. 

Après  la  chute  de  l'oligarchie  urbaine,  il  était  dans  la  na- 
ture des  choses  que  le  pouvoir  passât  en  grande  partie  aux 
mains  des  notabilités  de  la  campagne.  Mais  les  hommes 
qui  se  trouvèrent  poussés  à  la  direction  des  affaires  man- 
quaient pour  la  plupart  de  l'expérience  nécessaire.  C'est 
là  ce  qui ,  joint  aux  nombreuses  difficultés  de  la  situation, 
tant  intérieure  qu'extérieure  ,  explique  les  incertitudes  de 
la  politique  bernoise  pendant  une  longue  série  d'années. 
A  une  marche  pénible  des  affaires  il  faut  encore  ajouter 
les  vices  de  la  constitution  de  1831 ,  restée  fort  en  arrière 
des  constitutions  des  autres  cantons  régénérés;  vices  qui 
de  jour  en  jour  devinrent  plus  manifestes.  Sous  l'infinence 
de  la  fermentation  produite  dans  toute  la  Suisse  par  la 
question  des  jésuites,  et  surtout  après  la  seconde  expé- 
dition des  corps  francs  contre  Lucerne ,  la  question  de  la 
révision  complète  de  la  constitution  souleva  à  Berne  l'agi- 
tation la  plus  vive.  Dès  le  mois  de  janvier  1846  quelques 
milliers  de  bourgeois  et  beaucoup  de  communes  ainsi  que 
de  conseils  municipaux  demandèrent  une  révision  totale. 
Le  12  janvier  le  grand  Conseil  se  prononça  bien  pour  la 
révision  de  la  constitution,  mais  à  la  condition  que  cette 
révision  serait  faite  par  lui-même  d'accord  avec  le  pouvoir 
exécutif.  Les  assemblées  populaires  ayant  repoussé  une 
pareille  prétention,  le  grand  Conseil  résolut  de  soumettre  la 
question  de  la  révision  au  peuple,  qui  se  prononça  à  une 
grande  majorité  pour  la  convocation  d'un  conseil  consti- 
tuant. A  la  suite  de  cette  détermination,  Keuhaus,  alors 
Schulteiss  ou  maire  et  chef  du  gouvernement,  se  démit 
de  toutes  fonctions  publiques.  Le  peuple  élut  son  conseil 
constituant  sur  la  base  d'un  membre  par  3,000  habi- 
tants, et  la  nouvelle  constitution  fut  sanctionnée  par  le 
peuple  le  31  juillet,  à  la  majorité  de  36,079  oui  contre 
1,257  non. 

& 


58  BERNE 

Cette  constitulion  de  1846  forme  uc  chapitre  impoilant, 
non  pas  seulement  dans  Thistoire  du  canton  de  Berne,  mais 
dans  celle  de  toute  la  Suisse.  En  voici  les  dispositions 
jirincipales. 

L'élection  à  deux  degrés  a  été  abolie,  et  les  droits  élec- 
toraux ont  été  accordés  à-tous  les  citoyens  âgés  de  vingt 
ans  au  moins.  Les  membres  du  grand  Conseil  sont  élus  au 
scrutin  secret  dans  les  assemblées  électorales  d'arrondisse- 
ments, sur  la  base  d'un  membre  par  2,000  habitants.  Est  éli- 
gible  tout  citoyen  possédant  le  droit  de  voter,  quand  il  a 
vingt-cinq  ans  accomplis.  Ne  sauraient  être  élus  membres 
du  grand  Conseil  les  individus  remplissant  des  emplois  ec- 
clésiastiques ou  civils  salariés  par  l'État.  Tous  les  quatre 
ans  on  procède  à  la  réélection  du  corps  législatif  de  môme 
qu'à  celle  de  toutes  les  autorités  supérieures.  11  y  a  lieu  à 
y  procéder  extraordinairement  quand  cette  mesure  est  ré- 
clamée, sur  la  proposition  d'au  moins  8,000  citoyens  actifs, 
par  la  majorité  des  citoyens  ayant  droit  de  voter  dans  les 
assemblées  politiques.  Tout  projet  de  loi  est  soumis  à  deux 
délibérations  du  grand  Conseil,  avec  un  intervalle  d'au 
inoins  trois  mois  entre  chaque  délibération.  Avant  son  adop- 
tion délinitive  tout  projet  de  loi  doit  être  en  temps  utile 
jiorté  à  la  connaissance  du  peuple.  Un  conseil  de  gouverne- 
ment composé  de  neuf  membres  que  nomme  le  grand  Con- 
seil fonctionne  comme  pouvoir  exécutif.  C'est  aussi  le 
grand  Conseil  qui  chaque  année  élit  le  président  du  conseil 
de  gouvernement,  dont  les  memi)res  assistent  aux  délibéra- 
lions  du  grand  Conseil.  Le  conseil  de  gouvernement  rend 
compte  de  tous  les  objets  qu'il  soumet  aux  délibérations  du 
grand  Conseil,  lui  fournit  tous  les  renseignements  qu'il  de- 
mande, et  a  le  droit  de  soumettre  toute  espèce  de  questions 
à  ses  délibérations,  t^our  l'étude  des  affaires  et  l'exécution 
des  diverses  décisions  dont  elles  sont  l'objet,  le  conseil  de 
gouvernement  a  sous  ses  ordres  six  directions  :  celles  de 
l'intérieur,  de  la  justice  et  de  la  police,  des  finances,  de 
Tiastruction  publique,  de  la  guerre  et  des  travaux  publics. 
11  existe  pour  tout  le  canton  un  tribunal  supérieur,  composé 
au  plus  de  quinze  membres  élus  par  le  grand  Conseil,  et  de 
quatre  suppléants.  La  durée  de  leurs  fonctions  est  de  huit 
années,  et  ils  se  renouvellent  par  moitié  tous  les  quatre  ans, 
tandis  que  le  renouvellement  intégral  du  conseil  de  gouver- 
nement a  lieu  en  même  temps  que  celui  du  grand  Conseil. 
Les  membres  du  tribunal  supérieur  assistent  également  aux 
séances  du  grand  ConseD,  et,  sur  l'invitation  de  celte  as- 
semblée, prennent  part  à  ses  délibérations  sur  des  matières 
de  législation.  Des  tribunaux  de  bailliage  existent  pour 
les  instances  inférieures.  Leurs  présidents,  leurs  quatre  as- 
sesseurs et  leurs  deux  suppléants  sont  nommés  par  le  grand 
Conseil,  sur  la  double  présentation  des  arrondissementseux- 
mêmes  et  du  tribunal  supérieur.  L'institution  des  justices 
de  paix  a  été  maintenue  pour  les  diverses  communes ,  et  il 
est  question  de  soumettre  à  l'appréciation  du  JU17  les  causes 
eriminelles ,  les  délits  politiques  et  ceux  de  la  presse. 

Les  assemblées  communales  élisent  les  diverses  autorités 
de  chaque  commune.  Le  conseil  municipal  et  son  prési- 
dent fonctionnent  comme  pouvoir  exécutif  et  sont  en  même 
temps  chargés  de  la  direction  de  la  police  locale.  La  sépa- 
ration de  la  puissance  administrative  et  de  la  puissance  ju- 
diciaire existe  à  tous  les  degrés  de  la  hiérarchie. 

En  fait  de  droits  généraux  reconnus  par  la  constitution , 
il  faut  citer  :  l'égalité  de  tous  les  citoyens  devant  la  loi , 
sans  cUstinction  de  privilèges  locaux ,  de  personnes  ni  de 
familles,  et  sans  que  les  titres  nobiliaires  soient  reconnus 
par  la  loi;  la  liberté  individuelle;  le  droit  à  une  indemnité 
quand  on  a  été  illégalement  arrêté;  l'inviolabilité  du  domi- 
cile, avec  déclaration  expresse  que  toute  tentative  illégale 
faite  pour  pénétrer  dans  le  domicile  d'un  citoyen  peut  être 
repoussée  par  la  force;  liberté  de  la  presse;  droit  de  péti- 
tion, de  réimion  et  d'association;  liberté  d'enseignement; 
dioit  de  transporter  et  de  lixcr  son  domicile  où  l'on  veut  ; 


liberté  absolue  des  cultes,  sans  autres  limites  que  les  me- 
sures de  décence,  de  moralité  et  d'ordre  public  à  obser- 
ver, mais  avec  exclusion  du  territoire  du  canton  de  toute 
corporation,  de  tout  ordre  religieux  étranger.  Toute  demande 
de  la  révision  de  la  constitution  doit  être  faite  par  le  grand 
Conseil,  ou  par  au  moins  mille  citoyens  aptes  à  voter.  Le 
peuple  décide  ensuite  dans  les  assemblées  politiques  si  la 
révision  doit  avoir  lieu,  et  si  on  en  chargera  le  grand  Conseil 
ou  un  conseil  constituant.  Enûn,  le  projet  de  la  constitution 
révisée  doit  être  soumis  à  l'acceptation  définitive  ou  au  re- 
jet des  assemblées  politiques. 

La  constitution  impose  aussi  à  tous  les  citoyens  suisses 
habitant  le  canton  l'obligation  du  service  militaire,  et  en 
même  temps  interdit  l'entretien  de  troupes  permanentes  de 
même  que  la  conclusion  de  capitulations  militaires  avec  les 
États  étrangers.  En  exécution  de  ces  prescriptions,  et  con- 
formément aux  résolutions  de  la  diète  fédérale,  une  organi- 
sation militaire  particulière  a  été  résolue  en  1847.  Ces  im- 
portantes réformes,  qui  ont  fait  droit  à  tant  de  griefs,  ne  pu- 
rent toutefois  s'acconq)lir  sans  qu'il  en  résultât  des  char- 
ges nouvelles  pour  une  partie  de  la  population,  par  exemple 
l'établissement  d'un  hnpôtd'un  millième  sur  le  revenu  foncier 
et  industriel.  Les  événements  politiques  sont  venus  accroître 
le  chiffre  des  impôts  extraordinaires,  de  sorte  que  les  iné- 
vitables sacrilices  qu'ils  ont  entraînés  ont  fait  oublier  les 
avantages  (ju'ils  avaient  produits.  Aussi  la  partie  riche  de  la 
population,  astreinte  désormais  à  une  plus  large  participation 
aux  ciiarges  publi(iues,  se  montra-t-elle  disposiée  à  écarter 
de  la  dirtcliou  des  affaires  publiques,  lors  des  élections 
nouvelles  pour  l'année  1S50,  les  auteurs  de  la  nouvelle 
constitution  et  ceux  qui  en  avaient  provoqué  l'établisse- 
ment ,  pour  replacer  le  pouvoir  aux  mains  des  anciens  ad- 
versaires de  la  révision  de  la  constitution.  Mettant  à  pro- 
fit cette  disposition  des  esprits,  l'aristocratie,  ou  ce  qu'on 
appelle  le  parti  conservateur,  commença  à  faire  une  opposi- 
tion des  plus  vives ,  notamment  à  partir  des  premiers  mois 
de  l'année  1850,  en  prenant  pour  point  de  mire  de  ses  at- 
taques l'administration  financière.  La  loi  sur  l'instruction 
publique,  qui  rendait  plus  sévèrement  obligatoire  la  fréquen- 
tation des  écoles,  fournit  également  un  spécieux  prétexte  ù 
son  hostilité.  Les  deux  partis  se  préparèrent  aux  luttes  élec- 
torales annoncées  pour  le  mois  de  mai ,  en  organisant  <> 
l'envi  des  réunions  populaires.  Dans  ces  élections  le  parti 
conservateur  l'emporta  à  une  majorité  minime,  mais  suffi- 
sante pour  enlever  la  diiection  des  affaires  aux  radicaux. 
Au  total,  cependant,  il  n'y  eut  là  qu'un  changement  de  per- 
sonnes, car  les  deux  partis  avaient  arboré  à  peu  près  le 
même  programme  ;  et  les  hommes  arrivés  alors  au  pouvoir 
durent,  dans  leur  propre  intérêt,  s'en  tenir  au  maintien  de 
la  constitution  de  1846.  Lo  20  octobre  1851  l'opposition 
obtint  une  certaine  majorité  dans  les  élections  fédérales.  Les 
radicaux,  prétendant  que  le  peuple  condamnait  son  gouver- 
nement, demandèrent  uu  vote  général  pour  la  révocation  des 
autorités.  Le  scrutin  ouvert  le  18  avril  1852  a  donné,  contre 
toute  attente,  une  immense  majorité  au  parti  conservateur, 
en  repoussant  la  révocation. 

Le  budget  des  recettes  du  canton  de  Berne  s'élevait  pour 
l'année  1S51  à  un  jieu  plus  de  3,730,000  francs,  argent  de 
Suisse.  L'excédant  de  la  dépense  sur  la  recette ,  rendu  iné- 
vitable par  les  événements  et  par  la  réaUsation  des  diverses 
mesures  d'intéièt  général ,  était  évalué  pour  cet  exercice  à 
environ  240,000  fr.  Malgré  le  déficit  total  des  dernières  an- 
nées, provenant  des  mêmes  causes  et  montant  à  3  millions 
de  francs,  le  canton  de  Berne,  qui  possède  en  propriétés  plus 
de  16  millions  et  demi  et  en  capitaux  plus  de  12  raillions,  ne 
cessera  pas,  de  longtemps  encore,  d'être,  toutes  proportions 
gardées,  l'Ltat  le  plus  riche  de  l'Europe. 

BERÎVE,  chef-heu  du  canton  suisse  du  même  nom,  avec 
27,475  habitants,  siège  à  son  tour  de  toutes  les  autorités 
supérieures  de  la  Confédération  Hcivéiique,  située  dans  une 


BERNE  -  r>En?-TGLES 


A  9 


presqu'île  qu'entoure  l'Aar,  est  une  dos  villes  les  mieux  M- 
ties  de  toute  la  Suisse.  Les  nies  en  sont  pour  la  plupart 
droites ,  larges  et  bien  pavées,  et  les  maisons  généralement 
pourvues  d'arcades.  Les  monuments  les  plus  remarquables 
sont  la  cathédrale,  édifice  gothique  de  160  pieds  de  longueur 
sur  50  de  largeur,  avec  une  tour  liante  de  190  pieds;  l'église 
du  Saint-Esprit,  construite  en  1 122  ;  la  bibliothèque  de  la  ville, 
à  laquelle  est  adjoint  un  musée,  la  Monnaie ,  l'Hospice  des 
Orphelins,  le  vaste  et  magnilique  hôpital  civil ,  l'hôpital  ap- 
pelé l'Ile ,  qui  a  tout  l'air  d'un  palais,  et  dont  les  revenus  ne 
s'élèvent  pas  à  moins  de  trois  millions  de  francs;  la  porte 
de  Murtner,  consistant  en  belles  grilles  de  fer,  et  l'Arsenal, 
riche  surtout  en  armures  et  en  armes  du  moyen  âge.  Le 
conseil  municipal  a  récemment  voté  200,000  francs  pour 
contiibuer  aux  frais  de  construction  d'un  nouveau  palais 
destiné  aux  séances  de  la  diète  fédérale.  En  fait  d'établis- 
sements scientifiques ,  il  faut  citer  en  première  ligne  l'U- 
niversité ,  ouverte  en  1S34  ,  qui  compte  une  vingtaine  de 
professeurs  ordinaires,  autant  de  professeurs  particuliers,  et 
environ  200  étudiants;  et  ensuite  le  Gymmase,  l'École  aca- 
démique de  dessin,  et  l'Association  d'artistes.  Les  princi- 
pales sociétés  savantes  sont  la  Société  économique  et  la 
Société  suisse  d'histoire  naturelle,  qui  ont  rendu  Tune  et 
l'autre  d'incontestables  services  aux  sciences.  La  Galerie 
d'histoire  naturelle  nationale,  fondée  en  1802,  renferme 
la  collection  complète  de  tous  les  mammifères,  oiseaux, 
papillons,  insectes  et  plantes  de  la  Suisse.  La  Bibliothèque 
compte  30,000  volumes  et  possède  d'inappréciables  riches- 
ses, tant  eu  livres  imprimés  qu'en  manuscrits  relatifs  à 
l'histoire  particulière  de  la  SuisiC.  Divers  particuliers  possè- 
dent en  outre  de  remarquables  collections  d'art.  L'industrie  et 
le  commerce  sont  en  progrès  ;  les  fabriques  fournissent  à  la 
consommation  des  cotonnades,  des  toiles  imprimées ,  des 
étoffes  de  soie ,  des  bas,  etc.  Peu  de  villes  en  Europe  ont 
de  plus  belles  promenades.  Une  des  plus  remarquables  est 
la  plate-forme  garnie  de  quatre  rangées  d'arbres,  et  au  mi- 
lieu de  laquelle  s'élève  la  cathédrale.  Le  côté  de  cette  place 
que  regarde  l'Aar  est  à  108  pieds  au-dessus  de  celte  rivière, 
qui  forme  en  cet  endroit  une  belle  cataracte.  Le  côté  qui 
regarde  le  Rhin  à  Laupen  n'a  pas  tout  à  fait  la  môme  hau- 
teur, mais  la  largeur  est  à  peu  près  égale.  Consultez  Tscliar- 
ner.  Histoire  de  la  ville  de  Berne  (  en  allemand,  1794- 
1796);  \\a\dhSivà,  Description  topographique  et  his- 
torique de  la  ville  de  Berne  (  1829  );  Tillier,  histoire  du 
canton  de  Berne  (  3  vol.,  1838  ). 

—  Une  autre  Berne,  très-peu  connue,  et  que  les  voyageurs 
ne  visitent  point ,  fut  fondée  en  1763,  en  Russie,  au  delà 
du  Volga,  d;ms  le  gouvernement  de  Saratof.  Une  quaran- 
taine de  familles  bernoises,  attirées  en  Russie  par  l'impéra- 
trice Catherine  11,  firent  leur  établissement  sur  le  bord  du 
Petit-Caraman,  rivière  qui  tombe  dans  le  Volga,  et  don- 
nèrent à  leur  hameau  le  nom  de  la  capitale  de  leur  canton 
natal. 

JLSHiîlXE  (Ours  del.  Voyez  Ouks  ue  Behne. 

BERÎVI  (  Francesco  ),  qu'on  nomme  aussi  BERNA  et 
BEKMA,  est  au  rang  des  poètes  les  plus  célèbres  qui  ont 
illustré  l'Italie  au  seizième  siècle.  Il  naquit  vers  la  fin  du 
quinzième,  àLamporecchio,  en  Toscane;  son  père  était  d'une 
famille  noble,  mais  pauvre,  de  Florence.  C'est  dans  cette 
ville  que  le  Berni  fut  envoyé  tout  jeune  ;  il  y  resta  jusqu'à  dix- 
neuf  ans  dans  un  état  voisin  de  l'indigence.  Au  miheu  de  sa 
détresse,  Rome  tixa  ses  regards;  il  avait  dans  cette  capitale 
de  la  (hrétienté  un  parent,  le  cardinal  deBibbiena;  il  se 
rendit  près  de  lui  ;  mais  ses  espérances  furent  bientôt  dé- 
çues, car  il  ne  trouva  ([u'un  indillérent,  et  fut  trop  heureux 
d'entrer  comme  secrétaire  particulier  chez  un  dataire  du 
pape  Léop  X,  Gianiinateo  Ghiberli,  évèqiie  de  Vérone.  Ce 
fut  pour  comj)laire  à  l'ingrat  evêque,  qui  le  faisait  manger  à 
l'oftice  avec  son  cuisinier,  (lu'il  prit  l'habit  ecclt'siasliipie, 
sous  lequel  il  ne  continua  pas  moins  de  manger  avec  le 


ciioco,  le  cuisinier  maître  Pierre,  à  qui  une  de  ses  joviales 
épîtres  est  adressée. 

Il  y  avait  alors  à  Rome  une  société  de  jeunes  ecclésias- 
tiques que  réunissait  l'amour  de  la  joie,  du  vin,  de  la  bonne 
chère  et  surtout  de  la  poésie.  Le  Berni,  dans  le  besoin  où  i! 
était  d'épancher  sa  verve  et  de  laisser  déborder  son  esprit 
facétieux  et  ardent,  que  la  sévérité  du  prélat  avait  si  long- 
temps contenu,  se  jeta  dans  cette  académie,  dite  des  Vi- 
gnerons  (Vignajuoli),  dont  Jean  délia  Casa,  dans  la  suite 
archevêque,  était  l'un  des  membres,  ainsi  que  le  Mauro,  le 
Molza  et  le  Firenzuola.  Le  rire  inextinguible ,  le  fou-rire , 
était  l'âme  de  ces  banquets,  où  l'on  plaisantait  sur  tout,  sur 
les  sujets  même  les  plus  graves  et  les  plus  lugubres  ;  on  y 
chantait,  on  y  improvisait,  on  s'y  portait  des  défis  poétiques, 
desquels  le  Berni  sortait  toujours  vainqueur ,  quoiqu'il 
n'improvisât  pas  :  aussi  son  nom  est-il  resté  attaché  chez  les 
Italiens  au  genre  de  poésie  burlesque ,  appelé  depuis  lui 
bernesque  ou  berniesque.  Pour  la  satire,  Boccalini  met  au- 
dessus  de  Juvénal  notre  poète ,  auquel ,  malgré  son  indo- 
lence, la  langue  grecque  était  familière,  et  qui  écrivait  pu- 
rement l'idiome  d'Horace,  dont  il  imita  l'enjouement  dans 
sa  propre  langue  ,  et  l'élégance  dans  des  vers  latins  qu'il 
composa  sur  différents  sujets. 

L'ouvrage  qui  illustra  le  Berni  est  VOrlando  innamorato 
(le  Roland  amoureux)  du  Bojardo,  qu'il  refit  entièrement. 
Il  n'y  a  point  ajouté  un  seul  épisode,  il  le  suit  pas  à  pas, 
corrigeant  le  style ,  sur  lequel  il  laisse  le  coloris  de  soc 
pinceau;  seulement,  à  la  manière  de  l'Arioste,  il  onie 
chaque  chant  d'un  début,  qui  en  est  comme  l'élégant  fron- 
tispice. Il  brode  avec  tant  d'art  sur  ce  canevas  écrit  en 
style  sérieux,  et  des  vers  satiriques,  et  des  vers  burlesques, 
et  des  détails  épiques,  que  le  lecteur ,  au  milieu  de  tant  d« 
variétés,  est  entraîné  par  un  charme  irrésistible.  Ainsi,  Bo- 
jardo et  le  Berni  se  sont  donné  tour  à  tour  l'immortalité. 
C'est  sous  le  titre  de  Rime  burlesche  que  la  plupart  de  ses 
autres  poésies  sont  imprimées.  On  en  blâme  avec  raison  la 
licence ,  qui  d'ailleurs  n'était  qu'un  reflet  des  mœurs  de  ce 
siècle.  Son  capitolo  on  chapitre  le  plus  facétieux  est  celui 
de  V Éloge  de  la  peste;  le  plus  mordant  est  celui  qu'il 
composa  contre  le  pape  Adrien  VI.  Son  sonnet  contre 
l'Arétin  est  si  licencieux  que  ce  dernier  en  fut  jaloux.  Son 
style  est  pur,  gracieux,  quoique  familier;  ses  expressions 
sont  neuyes.  Le  Berni  composait  difficilement  ses  vers,  si 
faciles  ;  son  manuscrit  est  couvert  de  ratures. 

Tout  fut  successivement  heur  et  malheur  dans  sa  vie. 
En  1527  Rome  et  le  Vatican  furent  saccagés  par  le  connétable 
de  Bourbon  ;  le  Berni  perdit  tout  ce  qu'il  possédait.  Il  finit 
par  se  retirer  à  Florence ,  où  il  vivait  avec  les  muses ,  ses 
compagnes  chéries,  du  revenu  d'un  médiocre  canonicat; 
il  y  vivait ,  sinon  opulent ,  du  moins  heureux ,  quand  la  fu- 
neste amitié  du  cardinal  Hippolyte  de  Médicis  et  du  duc 
Alexandre  de  Médicis  le  perdit.  Le  premier  mourut  empoi- 
sonné par  le  duc  son  ennemi.  Le  poète,  invité  par  Alexandre 
à  se  charger  de  cet  infâme  office,  avait  précédemment  re- 
poussé avec  indignation  une  proposition  pareille.  Le  duc, 
redoutant  les  suites  d'une  telle  confidence,  empoisonna  l'in- 
fortuné poète,  qui  mourut  à  quarante  ans,  victime  de  c^ 
double  et  lâche  forfait.  Le  portrait  que  le  Berni  fait  de  lui- 
môine  est  curieux  ;  il  parle  ainsi  de  lui  à  la  troisième  per- 
sonne :  «  11  était  grand,  maigre  et  fort  dispos  ;  il  avait  le  nez 
long,  la  face  large,  les  sourcils  rapprochés,  les  yeux  un  peu 
creux ,  bleu  d'azur,  la  vue  très-nette,  et  la  barbe  épaisse.  » 
C'est  effectivement  ainsi  qu'il  est  peint  dans  une  des  voûtes 
de  la  galerie  de  Florence. 

—  Il  ne  faut  pas  confondre  avec  ce  poète  le  comte  Fran- 
cesco Beum,  né  en  1610,  mort  en  1693,  auteur  <lc  onze 
drames  et  de  diverses  poésies  lyriques.        Denne-Bmio.x. 

BEIII\ICLES.  C'était  une  sorte  de  toiture,  de  géhenne, 
en  usage  chez  les  Sarrasins,  et  que  le  sire  de  Joinville  décrit 
ainsi  :  "  Les   bernicles  sont  deux  grands  tisons  di-  boi>. 


60 


BERNICLES  —  BEP.NINI 


qui  sont  entretenants  en  chief.  Et  quand  ils  veulent  y  mettre 
aucun ,  ils  le  couchent  sur  le  cousté  entre  ces  deux  tisons, 
et  lui  font  passer  les  jambes  à  travers  de  grosses  chevilles, 
puis  couchent  la  pièce  de  bois  qui  est  là-dessus,  et  font  as- 
soir  un  homme  dessus  les  tisons ,  dont  il  advient  qu'il  ne 
demeure  à  celui  qui  est  là  couché  point  demi-pied  d'osse- 
ments qu'il  ne  soit  tout  dérompu  et  escaché.  Et,  pour  pis 
lui  faire,  au  bout  de  trois  jours,  ils  lui  remettent  les  jambes, 
qui  sont  grosses  et  enflées,  dedans  celles  bernicles ,  et  les 
brisent  derechief.  »  «  Le  sultan,  dit  Fleury,  menaça  saint 
Louis  de  le  mettre  aux  bernicles ,  et  il  se  contenta  de  dire 
à  ceux  qui  lui  firent  cette  menace  qu'il  était  leur  prisonnier, 
et  qu'ils  pouvaient  faire  de  lui  ce  qu'ils  voudraient.  » 

BERNIER  (François),  surnommé  le  3/0510/ ,  voyageur 
et  philosophe  célèbre,  né  à  Angers,  vers  1625,  étudia  d'abord 
la  médecine  à  Montpellier,  En  1654,  le  goût  des  voyages  le 
conduisit  en  Syrie.  Il  visita  l'Egypte,  où  il  eut  la  peste;  puis 
passa  dans  l'Inde,  ou  il  résida  douze  années,  dont  huit  en 
qualité  de  médecin  de  l'empereur  Aureng-Zeyb.  Aimé  de  ce 
prince,  estimé  de  ses  ministres,  il  put,  grâce  à  leur  protec- 
tion ,  parcourir  des  contrées  jusque  alors  inaccessibles  aux 
Européens.  De  retour  en  France,  il  publia  ses  observations  et 
les  renseignements  qu'il  avait  recueillis.  D'autres  voyageurs 
ont  visité  depuis  le  Cachemir,  le  Delhi  et  l'Indoustan,  mais 
n'ont  pas  fait  oublier  sa  relation ,  écrite  avec  une  élégante 
simplicité ,  une  exactitude  exempte  de  sécheresse ,  une  éru- 
dition qui  n'exclut  pas  l'intérêt.  Il  avait  vu  de  grandes 
choses,  et  sut  les  raconter  sans  rester  au-dessous  de  son  su- 
jet. Il  compte  encore  aujourd'hui  parmi  les  meilleurs  histo- 
riens de  l'Inde  au  temps  d'Aureng-Zeyb. 

Ami  de  Gassendi,  et  son  plus  illustre  disciple ,  il  avait 
porté  au  Mogol  sa  philosophie  épicurienne.  Il  a  résumé, 
mis  en  ordre ,  présenté  pour  la  première  fois  en  français  et 
popularisé  par  un  abrégé  lumineux  les  idées  de  ce  rival  de 
Descartes.  Comme  Épicure ,  Gassendi  et  Bernier  voulaient 
qu'au  lieu  de  chercher  à  deviner  la  nature,  on  se  conten- 
tât de  l'observer,  et  que  l'on  fît  consister  la  vertu,  non 
pas  dans  l'abstinence  des  plaisirs,  mais  dans  la  haine  des  ex- 
cès ;  non  pas  à  se  mettre  au-dessus  des  lois  de  l'humanité , 
mais  à  s'assurer  la  paix  et  le  bien-être  intérieur  par  la  mo- 
dération des  désirs.  Bernier  réunissait,  par  un  rare  bonheur, 
les  charmes  de  la  figure  et  les  grâces  de  l'extérieur  à  la  fi- 
nesse de  l'esprit,  à  la  solidité  du  jugement.  Aussi,  Saint- 
Évremond  le  nommait-il  le  Joli  Philosophe,  et  n'est-on  pas 
surpris  de  le  voir  recherché  des  plus  illustres  personnages 
de  son  temps ,  lié  avec  les  plus  grands  écrivains.  C'est  lui 
qui  composa  avec  Boileau  ce  fameux  Arrêt  burlesque  qui 
sauva  les  doctrines  et  le  nom  d'Aristote  de  la  proscription 
dont  les  menaçait  le  parlement  de  Paris.  Il  visita  l'Angle- 
terre en  1685,  et  voulut  y  attirer  La  Fontaine.  Ninon  de 
Lenclos,  madame  de  la  Sablière,  Chapelle,  Saint-Évremond, 
furent  ses  amis  intimes.  C'est  assez  dire  quels  étaient  ses 
goûts;  mais  s'il  aima  le  plaisir  en  homme  voluptueux, 
il  sut  se  ménager  en  homme  sage,  et  mourut,  dit  Vol- 
taire, en  vrai  philosophe,  à  l'âge  de  soixante-trois  ans 
(1688).  A.  DES  Genevez. 

BERNIER  (  Étienne-Alexandre-Jean-Baptiste-Marie, 
abbé),  né  d'une  famille  obscure  de  l'Anjou,  en  1764,  fut 
pourtant  élevé  au  collège  d'Angers,  d'où  il  sortit  pour  entrer 
au  séminaire.  Sa  conduite  régulière,  son  application  à  l'étude, 
de  l'esprit  et  de  l'adresse,  lui  valurent,  jeune  encore,  la  cure 
de  Saint-Laud  d'Angers.  11  se  plaça  très-haut  dans  l'estime 
de  ses  compatriotes  lorsqu'en  1790  il  relusa  de  prêter  le 
serment  qu'exigeait  la  constitution  civile  du  clergé,  et  se 
déclara  dès  le  mois  de  mars  1793  pour  le  parti  royaliste  qui 
soulevait  la  Vendée.  Les  paysans  s'armaient  à  la  voix  de 
l'abbé  Bernier,  et  leurs  seigneurs,  devenus  chefs  militaires , 
comme  au  temps  des  croisades ,  appelaient  à  les  conseiller 
le  piètre,  qui  ne  courait  pas  moins  de  dangeis  que  ces  guer- 
ricis  improvisés.  Bernier,  parlant  et  écrivant  avec  une  grande 


facilité,  animait  les  soldats  par  ses  serinons  et  rédigeait  les 
proclamations  des  généraux  ;  il  était  de  plus  chargé  de  cor- 
respondre avec  les  différents  corps  d'armée  ;  enfin ,  cette 
guerre  étant  soumise  aux  lois  d'une  stratégie  tout  exception- 
nelle, l'abbé  Bernier  prit  souvent  part  aux  opérations  mili- 
taires ,  non-seulement  en  portant  la  croix  comme  un  éten- 
dard au  milieu  des  bataillons  républicains ,  mais  encore  en 
commandant  des  manœuvres. 

Les  circonstances  qui  avaient  décidé  de  la  guerre  civile 
en  Vendée  étaient  telles  qu'il  serait  téméraire  de  juger  Ber- 
nier d'après  ce  que  nous  savons  des  devoirs  du  sacerdoce. 
Cependant  il  faut  remarquer  que  l'influence  de  Bernier  et 
le  respect  qu'il  inspirait  aux  chefs  vendéens  ne  s'accrurent 
pas  avec  le  temps.  11  fut  taxé  de  semer  la  discorde  parmi  les 
royalistes ,  d'intriguer,  d'employer  tous  les  moyens  pour  ar- 
river aune  domination  absolue,  plus  utile  à  son  ambition 
qu'aux  intérêts  de  la  cause  royale.  Enfin  ,  s'étant  attaché  à 
différentes  corps  d'armée  et  se  trouvant  dans  celui  de  Stof- 
flet  lorsqu'on  y  fusilla  le  vicomte  de  Mariguy,  ce  fut  Bernier 
qui  fut  accusé  de  la  mort  de  ce  chef  vendéen,  violent  et 
cruel ,  mais  brave  et.  dévoué  aux  Bourbons.  Plus  tard,  caché 
dans  une  métairie  oii  il  avait  mandé  Stofllet  et  où  il  apprit 
qu'on  allait  venir  l'arrêter,  Bernier  se  sauva  sans  (aire  aver- 
tir ce  chef,  qui,  tombé  au  pouvoir  des  républicains,  fut 
passé  par  les  armes.  Cependant  M.  d'Autichamp,  qui  lui 
conservait  sa  confiance,  le  fit  nommer  agent  général  des  ar- 
mées catholiques  auprès  des  puissances  étrangères.  Mais 
Bernier  ne  voulut  jamais  s'éloigner  du  foyer  de  la  guerre,  et 
lorsqu'il  ne  fut  plus  possible  de  la  soutenir,  il  traita  lui- 
même  avec  le  général  républicain  Hédouville  des  conditions 
qui  devaient  la  terminer. 

Lorsqu'on  vit  de  près  à  Paris  l'abbé  Bernier,  on  s'étonna 
de  l'influence  qu'il  avait  exercée  ;  ce  qui  n'empêcha  pas  qu'il 
ne  fût  nommé  évêque  d'Orléans  et  compris  parmi  les  plé- 
nipotentiaires chargés  de  traiter  du  concordat.  Mais  Bernier 
avait  aspiré  au  cardinalat  ;  et,  quoiqu'il  prétendit  que  cette  di- 
gnité lui  avait  été  promise  par  Bonaparte  lors  de  la  pacifica- 
tion de  la  Vendée,  il  n'obtint  point  la  barrette.  Un  jour,  le 
premier  consul,  commandant  à  Gérard  un  dessin  qui  devait 
le  représenter  signant  le  concordat ,  lui  désignait  les  places 
que  devaient  occuper  Portails  et  les  autres  personnages. 
«  Il  faudra  aussi  que  vous  y  mettiez  Bernier ,  dit-il  au  cé- 
lèbre artiste;  c'est  un  coquin  :....  vous  le  mettrez  dans  un 
coin.  »  Les  Orléanais  jugèrent  autrement  de  leur  évêque, 
dont  l'administration  fut  sage  et  la  conduite  irréprochable. 
Aussi ,  bien  qu'il  fût  blâmé  de  quelques-uns  pour  s'être  ral- 
lié à  Bonaparte ,  bien  que  l'on  attribuât  à  l'ambition  la  ma- 
ladie de  langueur  dont  il  mourut  à  Paris,  le  1"  octobre  1806, 
fut-il  regretté  de  la  majorité  de  ses  diocésains. 

C"'  DE  BrADI. 

BERMNI  (Giovanni-Lorenzq),  que  les  Français  nom- 
ment le  cavalier  Bernin,  naquit  à  Naples,  en  1598,  de 
Pierre  Bernin ,  originaire  de  Toscane ,  assez  bon  sculpteur, 
et  d'Angelica  Galante.  Pierre  Bernin,  appelé  à  Rome  par 
Paul  V,  s'établit  dans  cette  ville  avec  sa  famille.  Le  jeune 
Bernin  montra  de  très-bonne  heure  du  goût  et  des  dispositions 
extraordinaires  pour  les  arts  du  dessin.  Dès  l'âge  de  dix  ans 
il  exécuta  des  sujets  de  sculpture  qui  firent  l'étonnement  de 
Paul  V.  Ce  pontife  chargea  le  cardinal  Maffei-Barberini  de 
diriger  ses  études ,  prévoyant  déjà  que  cet  enfant  serait  un 
jour  le  Michel-Ange  de  son  siècle.  Les  pressentiments  de 
Paul  furent  justifiés  :  le  Bernin  fut  bon  peintre,  bon  sculp- 
teur et  grand  architecte. 

Après  la  mort  de  Grégoire  XV,  le  cardinal  Maffei  étant 
parvenu  au  souverain  pontificat,  fit  appeler  notre  artiste,  lui 
fit  part  de  ses  projets  d'embellissement  pour  la  ville  de  Rome, 
et  lui  commanda  le  baldaquin  de  Saint-Pierre.  Le 
Bernin  s'acquitta  de  cette  entreprise  avec  un  rare  bonheur, 
quoique  les  difficultés  qu'il  eut  à  vaincre  fussent  grandes  et 
nombreuses.  Il  fut  ensuite  chargé  de  décorer  de  niches  et  de 


I 


BERMNI 

«lalues  les  quatre  piliers  qui  soutiennent  le  dôme  de  Saint- 
l'ierre  ;  il  pratiqua  en  même  temps  des  escaliers  dans  l'in- 
térieur de  ces  piliers  pour  monter  dans  les  tribunes.  Quoique 
les  constructeurs  de  ces  masses  eussent  ménagé  des  vides 
dans  l'intérieur,  Bernin  n'en  fut  pas  moins  accusé  par  ses 
ennemis  d'être  la  cause  des  lézardes  qui  s'étaient  manifes- 
tées en  plusieurs  endroits  de  la  coupole.  Le  Bernin  répondit 
à  ses  envieux  par  le  palais  Barberini,  où  l'on  admire,  entre 
autres  beautés,  un  magnifique  escalier  en  vis  dont  le  plan 
est  elliptique. 

Urbain  VIII  chargea  ensuite  notre  artiste  de  la  construc- 
tion de  deux  campaniles  qui  devaient  orner  le  portail  de 
Saint-Pierre.  Le  succès  de  cette  construction  ne  répondit  pas 
au  talent  de  l'architecte.  Il  n'y  eut  pas  de  sa  faute  si  les  murs 
menacèrent  ruine  :  la  mauvaise  confection  des  fondements 
en  fut  cause  ;  néanmoins  le  nouveau  pape  Innocent  X  se  pro- 
mit de  ne  pas  l'occuper  dans  les  travaux  qu'il  se  proposait 
de  faire  exécuter.  Par  suite  de  cette  prévention,  le  saint-père 
ayant  voulu  décorer  la  place  Navone  d'une  fontaine  surmon- 
tée d'un  obéHsque  qui  était  enseveli  sous  les  ruines  du  cirque 
de  Caracalla,  tous  les  artistes,  à  l'exception  de  Bernin, 
turent  invités  à  présenter  des  projets  ;  mais  Ludovisi,  neveu 
du  pape,  qui  avait  toujours  aiTecUonné  le  Bernin,  lui  dit  de 
composer  secrètement  son  modèle;  quand  il  l'eut  fait,  il  le 
plaça  dans  une  salle  que  le  pape  devait  traverser  en  sortant 
de  table.  Le  pontife  fut  si  enchanté  de  l'excellente  compo- 
sition de  ce  projet  qu'il  s'écria  :  «  Il  faudra  donc  à  toute  force 
employer  Bernini.  »  Dès  ce  moment  il  lui  rendit  ses  bonnes 
grâces ,  et  le  chargea  de  l'exécution  de  la  fontaine.  L'ou- 
vrage était  sur  le  point  d'être  terminé ,  quand  le  pape  alla 
le  visiter  :  il  demanda  en  se  retirant  à  l'artiste  dans  con»- 
bien  de  temps  les  eaux  commenceraient  à  couler  :  k  Le  plus 
tôt  possible,  »  répondit  celui-ci.  Et  à  peine  Innocent  X  était-il 
sorti  de  l'enceinte  des  travaux ,  que  le  mui  mure  des  eaux 
le  fit  revenir  sur  ses  pas.  Ce  trait  prouve  que  le  Bernin  était 
aussi  fm  courtisan  qu'habile  artiste. 

Le  chef-d'œuvre  du  Bernin  est  sans  contredit  la  magni- 
fique colonnade  dont  il  décora  la  place  qui  précède  l'entrée 
de  Saint-Pierre  de  Rome.  Elle  lui  fut  commandée  par  le 
pape  Alexandre  VIII.  Rien  de  si  magnifique,  comme  pure 
décoration ,  ne  s'est  fait  depuis  les  anciens.  La  chaire  de 
Saint-Pierre ,  ouvrage  colossal  en  bronze ,  est  aussi  l'œuvre 
de  Bernin.  Il  serait  trop  long  dénumérer  et  surtout  de  dé- 
crire les  statues,  les  tableaux,  les  palais,  les  églises,  les 
mausolées,  etc.,  que  l'on  doit  au  génie  de  cet  artiste. 

Vei-s  1664,  Louis  XIV  et  ses  ministres  résolurent  de  ter- 
miner le  Louvre  sur  un  plan  qui  fût  digne  de  la  partie  ma- 
gnifique que  François  l"  avait  fait  élever  sur  les  dessins 
de  Pierre  Lescot.  «  Dans  ce  temps-là ,  il  y  avait  à  Paris , 
dit  Perrault ,  un  certain  abbé  Benedetti ,  qui  avait  fait  con- 
naissance avec  M.  Colbert.  Cet  abbé ,  ami  du  cavalier 
Bernin,  prôna  tellement  son  mérite  et  le  mit  si  fort  au- 
dessus  de  tous  les  architectes  d'Italie,  que  M.  Coll)ert  prit 
la  résolution  de  le  faire  venir  en  France.  Le  roi  lui-même 
lui  écri^^t  à  ce  sujet.  «  Les  honneurs  insignes  qui  furent 
rendus  au  Bernin  par  les  souverains  dont  il  traversa  les 
États  pour  venir  en  France  et  par  les  autorités  des  villes  de 
France ,  l'accueil  qui  lui  fut  fait  à  son  arrivée  à  la  cour, 
passent  toute  croyance ,  aussi  bien  que  les  largesses ,  pour 
ne  pas  dire  les  prodigalités  du  roi  en  sa  faveur.  Il  fit  d'a- 
bord le  buste  de  Louis  XIV;  puis  il  s'occupa  des  plans 
du  Louvre,  qui  furent  goûtés,  moins  pour  leur  mérite  qu'à 
canse  de  la  renommée  de  l'auteur.  Cependant,  après  di- 
verses contestations ,  on  jeta ,  suivant  ses  dessins ,  les  fon- 
dations de  la  façade  orientale  de  ce  palais  ;  après  quoi  il 
demanda  à  s'en  retourner,  prétextant  la  rigueur  de  l'hiver 
de  notre  climat.  «  La  veille  de  son  départ,  dit  Perrault, 
je  lui  portai  moi-môme ,  et  dans  mes  bras ,  pour  lui  faire 
flus  d'honneur,  3,000  louis  d'or  en  trois  sacs,  avec  un 
èrevet  de  12,000  livres  de  pension  par  an,  et  un  de  1,200 


BEFxNIS 


Cl 


livres  pour  son  fils,  il  me  dit  pour  toute  réponse  que  dn 
pareils  bonjours  seraient  bien  agréables  si  Ion  en  donnait 
souvent...  On  lui  promit  3,000  louis  d'or  par  an  s'il  vou- 
lait rester,  6,000  livres  pour  son  fils,  et  autant  au  seigneur 
Mathias,  son  élève;  900  livTes  au  sieur  Jules,  600  livres  au 
sieur  Cosme ,  camérier,  et  500  livres  à  chacun  de  ses  es- 
tafiers.  » 

De  retour  à  Rome ,  le  Bernin  y  continua  pendant  douze 
ou  treize  ans  ses  travaux  comme  sculpteur,  peintre  et  ar- 
chitecte. Son  dernier  ouvrage  de  sculpture  fut  un  Christ , 
demi-figure,  offert  par  lui  à  Christine,  reine  de  Suède,  qui  ne 
voulut  pas  l'accepter ,  par  la  raison  qu'elle  se  croyait  inca- 
pable de  reconnaître  dignement  un  tel  présent.  Bernin  le 
lui  légua  par  son  testament.  Il  était  occupé  à  la  restauration 
de  la  Chancellerie ,  lorsqu'une  attaque  d'apoplexie ,  pré- 
cédée d'une  fièvre  lente ,  l'enleva  aux  arts  et  à  ses  admira- 
teurs, le  23  novembre  1680.  Il  laissa  une  fortunç  de  2  mil- 
lions de  francs,  somme  que  la  reine  Christine  trouva  fort 
au-dessous  de  son  mérite. 

Voici  le  portrait  que  Perrault  fait  du  cavalière  :  «  Il  avait 
une  taille  un  peu  au-dessous  de  la  médiocre,  bonne  mine , 
un  air  hardi;  son  âge  avancé  (soixante-huit  ans)  et  sa  grande 
réputation  lui  donnaient  encore  beaucoup  de  confiance.  Il 
avait  l'esprit  vif  et  brillant ,  et  un  grand  talent  pour  se  faire 
valoir  :  beau  parleur,  tout  plein  de  sentences,  de  paraboles, 
d'historiettes  et  de  bons  mots  dont  il  assaisonnait  la  plu- 
part de  ses  réponses...  Il  ne  louait  et  ne  prisait  guère  que 
les  liommes  et  les  ouvrages  de  son  pays.  Il  citait  fort  sou- 
vent Michel-Ange ,  et  disait  à  tout  propos  :  Si  corne  diceva 
il  Michael-Angelo  Buonarotti.  Il  disait  encore  qu'il  avait 
un  grand  ennemi  à  Paris ,  la  grande  opinion  que  l'on  avait 
de  lui  :  Il  concetto  che  trovo  di  me.  »        Teyssèdre. 

BERIVIS  (  Fit\Nçois-JoAcnisi  de  PIERRES  de  ) ,  né  à 
Saint-Marcel  (Ardèche),  le  22  mai  1715,  d'une  famille 
noble  et  pauvre.  Poète  galant  et  spirituel ,  unissant  à  des 
formes  athlétiques  une  figure  séduisante,  le  jeune  de  Remis 
pouvait  prétendre  à  tout  à  une  époque  où  les  femmes  te- 
naient le  sceptre  du  pouvoir.  Le  plus  brillant  avenir  s'ou- 
vrait donc  devant  lui,  quelle  que  fût  la  carrière  qu'il  choisît  ; 
mais  il  eût  vécu  et  serait  mort  dans  l'obscurité  s'il  se  fût 
contenté  de  son  premier  bénéfice.  Nommé  chanoine-comte 
de  Brioude ,  il  suivit  les  inspirations  de  son  ambition  nais- 
sante, et  vint  à  Paris.  Lié  d'abord  avec  une  petite  mar- 
chande de  modes  assez  jolie,  il  fut  présenté  par  elle  à  quel- 
ques-unes de  ses  pratiques ,  et  descendit  de  la  mansarde 
aux  salons  du  premier  étage.  Aimable  convive,  causeur 
amusant,  il  fut  recherché  par  la  meilleure  compagnie.  Les 
hommes  d'esprit  applaudirent  à  ses  premiers  essais  poé- 
tiques. Ses  ouvrages  httéraires  lui  ouvrirent  les  portes  de 
l'Académie  Française  le  29  décembre  1744.  Admis  dans  les 
cercles  de  la  haute  finance,  il  fixa  l'attention  de  M"*  Poisson, 
d'abord  maîlre.sse,  puis  femme  légitime  du  financier  Le 
Normand  d'Étiolés.  Devenue  grande  dame ,  l'amie  de  Ber- 
nis  fut  bientôt  favorite  en  titre ,  et  régna  sous  le  nom  de 
marquise  de  Pompa dour. 

L'abbé  de  Bernis  n'était  encore  que  simple  clerc  ton- 
suré. La  princesse  de  Rohan,  née  Courcillon,  nom  tant  soit 
peu  roturier,  était  une  des  beautés  de  la  cour.  La  mort  de 
son  époux  l'avait  mise  en  possession  d'un  beau  titre,  d'une 
grande  fortune  et  de  sa  liberté.  Elle  s'attacha  Remis.  L'abbé 
lui  aida  à  faire  les  honneurs  de  son  hôtel ,  qui  devint  le 
rendez-vous  de  tous  les  Français  et  de  tous  les  étrangers  de 
distinction.  Le  comte,  depuis  prince,  de  Kaunitz,  alors 
ambassadeur  devienne  en  France,  y  était  un  des  plus  as- 
sidus. Bernis ,  qui  savait  prendre  tous  les  tons,  parlait  tour 
à  tour  plaisir  et  galanterie  avec  les  dames ,  littérature  et 
beaux-arts  avec  les  académiciens  et  avec  ceux  qui  espéraient 
le  devenir,  et  politique  avec  les  hommes  d'État  ou  prétendus 
tels  ;  il  était  de  l'avis  de  tout  le  monde.  La  princesse  de 
Rohan  s'était  chargée  de  sa  fortune  ;  elle  n'éprouvait  d'o^ 


C'y 


BERNÎS 


stade  c[ue  <lc  la  part  de  son  cher  protéR(^ ,  qui,  nommé  cha- 
noine-comte de  Lyon ,  paraissait  satisfait  de  son  sort.  Ce 
n'était  pas  assez  pour  sa  protectrice;  elle  voulait  le  voir 
arriver  aux  dignités  ecclésiastiques  ;  mais  elle  fut  obligée 
d'y  renoncer,  par  l'opposition  sévère  du  tliéatin  Boyer,  de- 
venu évoque  de  Mirepoix  et  dispensateur  suprême  de  la 
feuille  des  bénéfices.  Une  riche  abbaye  se  trouvait  vacante  ; 
il  fallait  triompher  de  l'insouciance  de  l'abbé  :  M"""  de  Rohan 
exigea  qu'il  se  présentât  chez  l'évêque  de  Mirepoix ,  qui 
l'accueillit  fort  mal,  et'refusa  tout  net.  Il  motiva  son  refus 
sur  ce  que,  «  n'étant  pas  engagé  dans  les  ordres,  il  n'était 
l)as  susceptible  de  posséder  des  bénéfices  à  charge  d'âmes  ; 
il  ajouta  qu'il  n'y  avait  rien  de  moins  ecclésiastique  que  sa 
conduite,  et  qu'il  n'obtiendrait  rien  tant  qu'il  serait,  lui,  en 
place.  »  Le  jeune  abbé  répondit  au  vieux  prélat  :  «  Eh 
bien,  monseigneur  !  j'attendrai  »  ;  et  il  lui  tira  sa  révérence. 
La  repartie  de  l'abbé  fut  le  grand  événement  du  jour.  Elle 
fut  répétée,  commentée,  applaudie  dans  les  petits  apparte- 
ments de  Versailles,  à  l'Œil-de-Bœuf  et  dans  tous  les  salons 
de  la  capitale.  Quelques  personnes  prétendirent  même  que 
c'était  au  cardinal  de  Fleury,  premier  ministre,  qu'elle  avait 
été  adressée. 

Le  refus  brutal  de  l'évêque  de  Mirepoix  ne  découragea 
point  M""'  de  Rohan  :  n'ayant  pu  faire  de  son  ami  un 
prélat,  elle  voulut  en  faire  un  diplomate,  et  se  donna  tous 
les  mouvements  possibles  auprès  du  prince,  depuis  ma- 
réchal, deSoubise,  et  du  duc  de  Nivcrnois,  pour  qu'ils 
le  recommandassent  à  M""^  de  Pompadour.  Elle  ignorait 
sans  doute  l'intimité  qui  avait  existé  entre  la  favorite  et 
l'abbé  de  Bcrnis  ;  mais  le  prince  de  Soubise  et  le  duc  de 
Nivernois  ne  l'ignoraient  pas.  Il  ne  leur  fut  pas  difficile  de 
réchauffer  leur  ancienne  connaissance ,  et  M"'^  de  Pom- 
padour écrivit  à  Pàris-Duverney  ce  petit  billet  :  «  J'ai  oublié, 
mon  cher  nigaud,  de  vous  demander  ce  que  vous  avez  fait 
pour  l'abbé  de  5er?2j/;  mandez-le-moi,  je  vous  prie,  car  il  doit 
venir  dimanche.  »  Une  femme  peut  changer  d'état,  oublier 
ce  qu'elle  fut,  mais  elle  n'oublie  jamais  ses  premières  incli- 
nations. M"'"  de  Pompadour  se  rappela  l'ami  de  Jl"*  Pois- 
son, et  beaucoup  plus  la  personne  que  l'orthographe  de  son 
nom.  L'abbé  fut  nommé  à  l'ambassade  de  Venise  le  2  no- 
vembre 1751.  La  favorite  l'avait  fait  loger  aux  Tuileries  : 
il  ne  partit  pour  son  ambassade  qu'en  octobre  de  l'année 
suivante.  Il  y  resta  jusqu'à  la  fin  d'avril  1755.  Il  allait  sou- 
vent à  Parme  pour  y  faire  sa  cour  à  la  duchesse,  fille  de 
Louis  XV.  Le  reste  de  son  temps ,  il  le  passait  à  écrire  à 
Pâris-Duverney  qu'il  s'ennuyait  fort  à  Venise,  où  il  n'y 
avait  rien  à  faire.  Il  sollicitait  son  ami  d'obtenir  son  rap- 
pel, et  se  plaignait  surtout  de  ce  qu'on  persistait  à  ne  vouloir 
lui  donner  de  nouveaux  bénéfices  qu'autant  qu'il  s'enga- 
gerait dans  les  ordres  ecclésiastiques.  Il  se  détermina  enlin 
à  faire  le  sacrifice  de  sa  répugnance,  et  annonça  cette 
grande  nouvelle  à  Pûris-Duverney  le  19  avril  1755.  Son 
retour  en  France  ne  pouvait  se  faire  attendre.  De  grandes 
dames  sollicitaient  pour  lui. 

De  retour  en  France,  l'abbé,  devenu  prêtre,  obtint  suc- 
cessivement plusieurs  gros  bénéfices.  Sa  fortune  était  assu- 
rée, mais  son  ambition  n'était  point  satisfaite  ;  il  ne  quit- 
tait plus  l'appartement  de  la  favorite,  dont  il  était  devenu  le 
conseiller  intime.  L'ambassade  d'Espagne  lui  fut  donnée  en 
septembre  1755;  mais  il  était  devenu  trop  nécessaire  à 
M"^  de  Pompadour,  il  ne  partit  point. 

Le  roi  de  Prusse  s'égayait  souvent  aux  dépens  des  maî- 
tresses du  roi  de  France  et  des  poètes  courtisans.  L'abbé 
diplomate  ne  pouvait  pardonner  au  roi  poète  d'avoir  écrit  : 

Évitez  de  Bcrnis  la  stérile  abondauce. 

M"'  de  Pompadour,  que  l'impératrice-reine  Marie-Thé- 
rèse appelait  sa  cousine ,  haïssait  aussi  mortellement  le 
petit  roi  de  Prusse,  qui  l'avait  numérotée  Cotillon  II  dans 
ia  chronologie  des  amours  de  Louis  XV.  Les  épigrammcs  de 


Frédéric ,  plus  peut-être  que  l'enivrante  et  louangeuse  poli- 
tique de  Marie-Thérèse,  avaient  inspiré  à  M""'  de  Pompadour 
et  à  l'abbé  favori  une  haine  implacable  contre  le  roi  de 
Prusse ,  en  même  temps  que  la  plus  vive  sympathie  pour 
l'impératrice  -  reine.  Le  ressentiment  du  poète  et  de  la 
maîtresse  paraît  avoir  été  une  des  principales  causes  de  la 
guerre  désastreuse  de  1756,  dite  guerre  de  Sept-Ans  et  du 
honteux  traité  qui  la  termina.  La  récompense  du  dévouement 
de  Bemis  à  la  favorite  ne  se  fit  pas  attendre  :  il  fut  nommé 
conseiller  d'État  le  27  juin ,  et  en  septembre  suivant  am- 
bassadeur extraordinaire  à  Vienne.  Mais  il  en  fut  de  cette 
nomination  comme  de  celle  de  Madrid;  le  nouvel  ambas- 
sadeur ne  quitta  point  Versailles.  La  favorite  lui  réservait 
de  plus  hautes  destinées.  Après  avoir  fait  brutalement  ren- 
voyer du  conseil  MM.  deMachau  et  d'Argcnson,  elle  réussit 
à  y  faire  entrer,  le  lendemain  même,  Bernis,  en  qualité  do 
ministre  d'État,  et  quatre  mois  plus  tard  il  prenait  le  porte- 
leuille  des  affaires  étrangères,  qu'on  enlevait  à  M.  Rouillé. 
Le  funeste  traité  avait  déjà  porté  ses  fruits.  Les  Prussiens 
étaient  entrés  en  Allemagne,  et  devaient  envahir  la  Saxe, 
alliée  secrètement  à  l'Autriche.  Les  campagnes  suivantes  ne 
furent  qu'une  déplorable  série  de  revers.  Frédi'ric  n'avait 
pourtant  pas  cessé,  même  après  les  victoires  de  Rosbach  et 
de  Lissa,  de  proposer  la  paix  ;  et  il  avait  été  jusqu'à  offrir  à 
IM""*  de  Pompadour  la  principauté  de  Neufchûtel.  C'est  une 
singularité  de  plus  à  ajouter  aux  bizarres  événements  de  cette 
époque.  Personne,  au  reste,  ne  prit  le  change  sur  la  véiifable 
cause  de  ce  déplorable  traité,  et  une  pièce  de  vers  satirique 
disait  en  terminant  : 

Six  cent  mille  hommes  égorgés,  ' 

Monsieur  Talibé,  de  grâce,  est-ce  assez  de  victimes; 
Et  les  mépris  d'un  roi  pour  vos  petites  rimes 

Vous  semblent-ils  assez  vengés? 

Bernis ,  détrompé  par  l'expérience ,  ou  effrayé  par  les  cris 
de  douleur  et  d'indignation  de  la  France,  désirait  mettre 
un  ternie  à  tant  de  hontes  et  de  calamités;  il  était  disposé  à 
traiter  avec  le  roi  de  Prusse.  M"*  de  l'ompadour  persistait 
dans  sa  haine  contre  ce  prince.  La  favorite  et  son  confident, 
ou  plutôt  son  complice,  avaient  cessé  de  s'entendre.  Celte 
mésintelligence  n'échappa  point  au  comte  de  Stainville  ,  de- 
puis duc  de  Choiseul  ;  il  remplaça  l'abbé  dans  le  cœur  et  dans 
la  confiance  de  la  favorite.  Bernis ,  nommé  cordon-bleu  le 
2  février  1758,  reçut  encore  le  chapeau  de  cardinal  le  2  octo- 
bre suivant.  Mais  il  fut  brusquement  renvoyé  du  ministère 
en  novembre  de  la  même  année,  et  exilé  immédiatement  à 
Vic-sur-Aisne ,  entre  Compiègue  et  Soissons.  11  y  resta  jus- 
qu'en octobre  1760.  Comme  l'abbé  de  Bernis  avait  reçu 
presque  en  même  temps  la  pourpre  romaine  et  son  renvoi 
du  ministère,  on  fit  à  ce  sujet  cette  épigramme  : 

On  dirait  que  son  Emiuence 
IS'eut  le  chapeau  de  cardinal 
Que  pour  tirer  sa  révérence. 

Un  dernier  trait  avait  rendu  la  favorite  et  Bemis  irrécon- 
ciliables. Celui-ci  avait  remis  au  roi  un  mémoire  dans  le- 
quel étaient  énumérés  les  revers  qui  accablaient  la  France, 
et  dont  la  cause  était  attribuée  à  M™*  de  Pompadour.  Le 
roi  avait  eu  la  faiblesse  de  le  communiquer  à  sa  maîtresse; 
et  dès  lors  la  disgrâce  du  ministre  avait  été  résolue.  Elevé  au 
cardinalat  avant  d'avoir  occupé  un  siège  épiscopal ,  il  ne 
fut  promu  à  l'archevêché  d'Albi  qu'en  juillet  1764.  Il  partit 
pour  le  conclave  en  1760,  chargé  d'appuyer  l'élection  de  Gan- 
ganelli,  qui  fut  en  effet  élu  et  prit  le  nom  de  Clément  XIV. 
L'appui  de  la  France  ne  lui  avait  été  assuré  qu'à  la  condi- 
tion d'abolir  la  congrégation  des  jésuites.  Il  tint  parole, 
tout  en  ne  se  dissimulant  pas  qu'il  payerait  de  sa  vie  l'exé- 
ctifion  de  sa  promesse. 

Bernis  jouit  d'un  grand  crédit  sous  ce  pontificat,  et  fut 
nommé  évêipic  d'Albano.  Déterminé  à  s'établir  à  Rome,  il 
n'en  conserva  pas  moins  l'archevêché  d'Albi  ;  il  ne  tenait 


BERINIS  —  BERjN'OULLI 


plus  à  la  France  que  par  sa  qualilii  cFambassaJeur  près  le 
saint-siège.  Lors  de  la  promulgation  de  la  constitution  civile 
du  clergé  en  1791,  il  protesta  avec  la  presque  totalité  des 
prélats  et  des  grands  bénéliciers  de  France,  déclaiant  scliis- 
jnaliques  ceux  qui  prêteraient  serment  à  la  nouvelle  cons- 
titution. 

Il  avait  commencé  en  1737  un  poëme  intitulé  :  La  Religion 
vengée,  qu'il  n'acheva  jamais.  Ses  œuvTes  poétiques ,  d'un 
gtnre  tout  opposé,  contribuèrent  beaucoup  à  son  avance- 
ment en  lui  ouvrant  les  portes  de  l'Académie  Française. 
On  sait  qu'à  ce  propos  Voltaire  l'avait  appelé  Babct  la 
Bouquetière  par  une  double  cillusion  aux  fleurs  mjiholo- 
giques  dont  il  semait  beaucoup  trop  ses  vers  et  à  une  grosse 
bouquetière  en  vogue  qui  se  tenait  à  la  porte  de  l'Opéra. 

Les  voyageurs  que  Bernis  recevait  dans  son  palais  avec  la 
plus  bienveillante  politesse,  les  artistes  français  ou  étrangers, 
qu'il  accueillait  ou  encourageait  avec  une  générosité  rare , 
n'ont  parlé  de  lui  qu'avec  l'expression  de  la  reconnaissance. 
11  mourut  à  Rome  dans  un  âge  très-avancé,  en  1794.  Sa 
correspondance  avec  Pàris-Duverney,  depuis  1752  jusqu'en 
1769,  a  été  imprimée  pour  la  première  fois  en  1790.  Ces 
lettres  offrent  des  détails  intéressants  sur  les  principaux 
personnages  et  les  principaux  événements  du  règne  de 
Louis  XV.  Les  neveux  et  petits-neveux  du  cardinal  de  Demis, 
aides  de  la  légation  française  à  Rome,  firent  exécuter  par 
un  habile  artiste  italien  un  beau  mausolée  où  ils  déposè- 
lent  le  corps  de  leur  oncle.  Ce  monument  a  été  plus  tard 
transporté  en  France  et  placé  dans  la  cathédrale  de  ^'imes. 

DUFEY  (  (Je  rVoune). 

BERiXOULLI  ou  BERNOUILLI.  Cette  famille  a  produit 
une  foule  d'hommes  distingués,  surtout  dans  les  mathé- 
matiques ,  et  dans  l'espace  d'un  siècle  l'éclat  de  leur  nom 
a  rejailli  sur  notre  Académie  des  Sciences,  qui  de  1G99  à 
1 790  a  toujours  compté  quelque  Bernoulli  parmi  ses  mem- 
bies  associés. 

Les  Bernoulli  descendent  de  Jacques  Bernoulli,  mort 
en  15S3,  qui  avait  émigré  d'Anvers  à  Francfort,  à  la  suite 
des  persécutions  religieuses  exercées  dans  les  Pays-Bas 
par  le  duc  d' Albe.  Son  petit-lils,  Jacques  Bernoulli,  fut, 
en  1622,  reçu  citoyen  de  Bàle,  où  il  vint  s'établir,  et  où 
son  (ils ,  Nicolas  Bernoulli  ,  occupa  bientôt  une  charge 
importante.  Quant  à  la  branche  de  la  famille  fixée  à  Franc- 
fort ,  on  n'a  conservé  que  le  nom  de  Léon  Bernoulli  ,  qui 
accompagna  Oléarius  dans  l'ambassade  que  le  duc  de 
Ilolstein  envoya  en  Perse,  et  dont  Varnhagen  von  Ense  a 
raconté  les  aventures  dans  ses  Monuments  Biographiques 
(4^  vol.,  BerUn,  1846),  à  propos  de  la  biographie  de  Paul 
Flemming. 

BERNOULLI  (  Jacques  ) ,  le  premier  qui  commença  l'il- 
lustration de  sa  race,  naquit  à  Bàle,  le  27  décembre  1654, 
de  ISicolas  Bernoulli,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut. 
Destiné  par  son  père  au  ministère  sacré ,  il  reçut  une  édu- 
cation toute  littéraire.  Mais ,  entraîné  par  un  penchant  in- 
vincible vers  les  mathématiques,  il  les  étudiait  à  la  dérobée, 
et  parvint  sans  secours  à  comprendre  les  plus  hautes  théo- 
ries de  l'astronomie.  Après  avoir  parcouru  une  grande  partie 
de  l'Europe,  il  revint  dans  sa  patrie  se  livrer  exclusivement 
à  l'élude  des  sciences.  En  1680 ,  l'apparition  d'une  comète 
fut  l'occasion  de  son  premier  ouvrage,  et  il  y  donna  la 
portée  de  son  génie  en  démontrant  l'opinion,  déjà  indiquée 
par  de  grands  géomètres  ,  que  les  comètes  sont  des  corps 
éternels,  d«nt  les  retours  peuvent  être  prédits.  En  1684, 
Leibnitz  ayant  publié  les  premiers  essais  du  calcul  différen- 
tiel, qu'il  venait  d'inventer,  Jacques  Bernoulli  et  son  frère 
Jean  comprirent  toute  l'importance  de  ce  nouvel  instru- 
ment donné  à  la  science,  et  se  l'approprièrent  tellement  par 
d'heureuses  recherches  et  de  profonds  développements,  que 
Leibnitz  disait  avec  une  généreuse  candeur  que  celte  dé- 
couverte leur  appartenait  aussi  bien  qu'à  lui.  C'est  Jacques 
Ueiiioulli  qui  a  donné  les  premiers  exemples  du  calcul 


intégral,  cette  source  de  tant  de  belles  découvertes.  Il 
juéparait  sur  le  calcul  des  probabilités  un  grand  ouvrage, 
où  il  comptait  non-seulemeat  approfondir  les  chances  des 
jeux ,  mais  aussi  éclairer  la  morale  et  la  politique ,  lors- 
qu'il mourut,  le  16  août  1705.  Comme  Archimède,  il  voulut 
que  son  plus  beau  titre  de  gloire  fût  gravé  sur  sa  tombe 
On  y  mit  une  spirale  logarithmique ,  genre  de  courbe  qui  se 
reproduit  sans  cesse  dans  ses  développements,  avec  ces 
xaoi%  :  Eadeni  mutata  resurgo ,  mots  que  l'on  pouvait 
prendre  pour  la  profession  de  foi  du  chrétien  mourant.  11 
réunissait  au  génie  des  mathématiques  le  talent  de  la  poésie 
et  faisait  des  vers  latins  ,  allemands  et  français.  Il  professa 
depuis  1687  jusqu'à  sa  mort  les  mathématiques  à  l'université 
de  Bàle ,  avec  une  élégance  et  une  clarté  qui  attiraient  à  ses 
leçons  un  grand  concours  d'auditeurs. 

BERNOULLI  (Jean),  son  frère,  lui  succéda  dans  cette 
chaire.  Né  à  Bàle,  le  27  juillet  1667 ,  il  avait  été  destiné  au 
commerce;  mais,  se  sentant  appelé  par  la  nature  à  l'étude 
des  sciences,  il  suivit  l'exemple  de  son  frère,  se  fit  son 
disciple,  et  fut  bientôt  son  égal.  Il  partage  avec  lui  la  gloire 
d'avoir  étendu  et  fécondé  la  belle  découverte  de  Leibnitz. 
Pendant  deux  ou  trois  ans  une  noble  émulation ,  resserrée 
par  les  liens  du  sang ,  de  l'amitié  et  de  la  reconnaissance , 
anima  les  deux  frères  dans  leurs  travaux.  Mais ,  pleins  d'or- 
gueil tous  deux ,  tous  deux  âpres  disputeurs ,  ils  furent  in- 
sensiblement conduits  par  la  jalousie  à  la  haine;  les  pre- 
miers torts  appartinrent  à  Jean.  C'était  alors  l'usage  parmi 
les  géomètres  de  se  proposer  des  problèmes  difficiles  à  ré- 
soudre ,  et  cette  guerre  savante  avait  l'avantage  d'enrichir 
la  science  d'utiles  résultats.  Les  deux  Bernoulli  parurent 
souvent  avec  honneur  dans  la  lice;  mais  la  lutte  finit  par 
s'établir  entre  eux ,  et  Jean  fut  vaincu ,  non  pas  par  impuis- 
sance ,  mais  par  une  légèreté  orgueilleuse  qui  ne  lui  permit 
pas  de  donner^à  ses  solutions  une  assez  longue  attention. 

Comme  Jacques  avait  adopté  de  bonne  heure  les  prin- 
cipes de  la  philosophie  nevvtonienne,  Jean,  en  haine  de  son 
frère ,  défendit  toute  sa  vie  les  principes  de  la  physique 
céleste  de  Descartes,  et  il  faut  reconnaître  qu'il  déploya  en 
faveur  de  cette  mauvaise  cause  toutes  les  ressources  d'un 
grand  génie.  Il  fut  aussi  en  discussion  avec  la  plupart  des 
géomètres  de  son  temps  ;  car  il  jugeait  avec  dureté  les  ou- 
vrages des  autres  mathématiciens,  et  se  montrait  très-cha- 
touilleux sur  les  siens.  Il  n'épargna  pas  même  son  fils  Da- 
niel ,  dont  il  accueillit  fort  mal  les  premiers  essais  ;  et  ce 
fils  ayant  partagé  avec  son  père  le  prix  de  l'Académie  des 
Sciences,  celui-ci  lui  reprocha  avec  amertume  ce  qu'il  appelait 
«  son  manque  de  respect  ».  Depuis  lors  il  conserva  contre 
Daniel  une  jalouse  rancune  ;  et  lorsque  ce  géomètre  publia 
son  fameux  Traité  d'Hydrodynamique,  il  se  hâta  d'en  com- 
poser un  pour  détourner  à  son  profit  le  concert  d'éloges  que 
ce  beau  livre  attirait  sur  son  auteur. 

Il  ne  faut  pas  croire  cependant  que  Jean  Bernoulli  fût  un 
homme  insociable.  Un  caractère  dominateur  et  emporté  le 
jetait  tout  d'abord  dans  une  querelle ,  puis  l'orgueil  l'empo- 
chait de  revenir  sur  ses  pas.  Mai  i  àl  eut  des  amis ,  le  grandi 
Leibnitz  entre  autres ,  qu'il  défendit  avec  une  chaleureuse 
habileté  contre  les  attaques  des  géomètres  anglais ,  et  l'il- 
lustre Euler,  son  disciple,  dont  il  encouragea  les  débuts. 
11  combattit  à  armes  courtoises  le  chevalier  Renau ,  ingénieux 
inventeur  des  bombardes ,  sur  sa  Théorie  de  la  Manœuvre 
des  Vaisseaux ,  et  après  une  discussion  aussi  savante  que 
polie,  il  triompha  par  la  publication  de  son  grand  traité 
sur  cette  partie  si  importante  de  Tait  de  la  navigation. 

Jean  Bernoulli  avait  étendu  sa  puissance  d'assimilation 
bien  au  delà  du  cercle  des  mathématiques ,  comme  le  prou- 
vent ses  écrits  sur  la  physique,  la  physiologie,  la  métaphy- 
sique et  ses  poésies  latines  et  grecques.  Ses  excursions  dans 
le  domaine  de  la  physiologie  méritent  d'être  signalées.  Il 
avait  publié  une  dissertation  sur  la  nutrition,  dans  laquelle 
il  prouvait  que  les  corps  se  transfonncnt  sans  cesse,  s'eu» 


64 


BERNOULLI 


ricliissant  chaque  jour  Je  quelque  emprunt  Tait  au  dehors 
et  perdant  par  compensation  une  portion  de  leur  sub- 
stance. Les  théologiens  attaquèrent  ces  résultats,  comme 
contraires  au  dogme  de  la  résurrection.  Comment,  en 
effet,  concevoir  qu'au  moment  où  tous  les  hommes  de- 
vront reprendre  leur  enveloppe  terrestre  pour  comparaître 
devant  le  souverain  juge,  comment  concevoir  qu'ils  puissent 
donner  place  dans  la  reconstruction  de  leur  corps  à  toutes 
les  molécules  qui  y  auront  successivement  fait  séjour,  comme 
en  un  chemin  où  chaque  passant  apporte  de  la  poussière, 
d'où  chaque  passant  en  emporte.'  Ces  débats  avec  les  théo- 
lo;,';ens ,  quoique  laissant  suspendue  sur  la  tête  de  Jean  Ber- 
noulli  l'accusation  d'impiété,  ne  le  détournèrent  pas  des 
éludes  physiologiques.  11  fit  encore  des  recherches  sur  le 
mouvement  des  muscles ,  et  essaya  d'employer  les  mathé- 
tiriues  à  l'évaluation  des  forces  musculaires  de  l'homme. 

Jean  Bernoulli  mourut  le  1"  janvier  1748.  Lui  et  son  frère 
Jacques  étaient  associés  des  Académies  des  Sciences  de  Paris 
et  (le  Berlin. 

lîERNCULLI  (Nicolas),  fils  d'un  frère  des  deux  précé- 
dents, sans  s'élever  au  même  rang  qu'eux,  fut  cependant 
un  mathématicien  distingué.  Après  avoir  édité  VArs  Conjec- 
tandi  de  son  oncle  Jacques ,  il  fit  en  1709  une  inipoi  tante 
apphcation  des  principes  de  cet  ouvrage  à  la  durée  de  !a  vie 
humaine.  Il  résolut  aussi  plusieurs  des  problèmes  proposés 
aux  géomètres  par  Jean  Bernoulli  :  la  solution  d'un  de  ces 
problèmes  contient  le  germe  de  la  théorie  des  conditions 
d'intégrabilité  des  fonctions  dinérentielles. 

Nicolas  Bernoulli  professa  successivement  les  mathéma- 
tiques et  la  logique  à  Padoue,  puis  la  science  du  droit  à 
Bàlc.  Il  était  membre  de  l'Académie  de  Berhn,  de  la  Société 
royale  de  Londres  et  de  l'Institut  de  Bologne.  On  trouve 
(juelques  morceaux  de  lui  dans  les  œuvres  de  Jean  Bernoulli, 
dans  les  Acta  Eruditorum  de  Leipzig,  et  dans  le  Giornale 
de'  Letterati  d'Italia. 

BERNOULLI  (Nicolas),  fils  aîné  de  Jean  Bernoulh, 
naquit  à  Bâle,  le  27  janvier  1695,  Dès  sa  plus  tendre  en- 
fance, il  se  montra  rempli  des  plus  heureuses  dispositions, 
et  à  l'âge  de  seize  ans  il  put  aider  son  père  dans  sa  cor- 
respondance avec  les  savants. 

Nicolas  Bernoulli  était  déjà  professeur  de  droit  à  Berne 
et  membre  de  l'Institut  de  Bologne,  lorsqu'en  1725  il  fut 
appelé  à  Saint-Pétersbourg,  avec  son  jeune  frère  Daniel,  pour 
y  professer  les  mathématiques.  C'est  dans  cette  ville  qu'une 
maladie  cruelle  l'enleva  tout  h  coup  à  la  science,  le  26  juillet 
1726.  Quelques-uns  de  ses  mémoires  sur  diverses  branches 
des  sciences  mathématiques  se  trouvent  dans  les  œuvres  de 
son  père  et  dans  les  Acta  Eruditorum  de  Leipzig. 

BERNOULLI  (Daniel),  né  à  Groningue,  le  9  février  1700, 
frère  du  précédent,  fut,  comme  son  père  et  son  oncle,  un  grand 
mathématicien  malgré  la  volonté  de  ses  parents.  Son  père  le 
destinait  au  commerce;  mais,  passionné  pour  les  sciences,  il 
préféra  la  carrière  de  la  médecine,  et  alla  en  Italie  étudiera 
fond  l'art  de  guérir,  sous  d'illustres  maîtres,  Michelotti  et 
Morgagni.  Ce  fut  là  qu'il  fit  ses  premières  armes  comme 
géomètre.  Michelotti ,  homme  profondément  versé  dans  les 
mathématiques ,  ayant  eu  quelques  discussions  avec  d'au- 
tres savants,  Daniel  prit  la  défense  de  son  maître,  et  en 
sortit  à  son  honneur.  Appelé  à  proiésser  les  mathématiques 
à  Saint-Pétersbourg,  il  y  demeura  jusqu'en  1733.  Il  vint 
alors  occuper  à  Bâle  une  chaire  de  philosophie  spéculative 
et  de  physique.  Le  nombre  de  ses  travaux  est  immense.  Dix 
fois  il  remporta  ou  partagea  les  prix  de  l'Académie  des 
Sciences,  dont  il  fut  nommé  associé  étranger  en  1748,  en 
remplacement  de  son  père.  Lui  a^ssi  embrassa  des  sujets 
très-divers  dans  ses  recherches,  et,  plus  qu'aucun  autre 
des  Bernoulli ,  il  s'est  fait  remarquer  par  l'alliance  de  la 
finesse  et  de  la  grandeur  dans  les  vues ,  par  la  sagacité  avec 
laquelle  il  saisissait  le  point  fondamental  de  la  question ,  par 
i'adresse  qu'il  mettait  à  choisir  les  hypothèses  les  plus  pro- 


pres à  simplifier  le  problème.  Pour  lui  le  calcul  n'était  pas 
le  but,  mais  seulement  le  moyen,  et  il  semblait  ne  consi- 
dérer les  mathématiques  que  comme  un  instrument  dont  la 
valeur  devait  se  mesurer  à  son  usage. 

Les  immenses  progrès  que  venaient  de  faire  les  mathé- 
matiques depuis  un  siècle  avaient  surtout  seni  le  dévelop- 
pement de  la  physique  céleste  ;  mais  les  sciences  spéciale- 
ment applicables  aux  besoins  de  la  vie  sociale  en  avaient 
reçu  peu  de  leçons  :  Daniel  porta  ses  regards  sur  la  méca- 
nique, et  ouvrit  une  ère  nouvelle  pour  cette  science  par  la 
publication  de  son  Traité  d'Hydrodynamique ,  le  premier 
ouATage  qui  ait  paru  sur  cette  matière.  L'art  de  la  navi- 
gation ,  qui  avait  fourni  à  son  père  l'un  de  ses  plus  beaux 
ouvrages,  dut  à  Daniel  d'importants  résultats.  L'arithmé- 
tique sociale ,  où  Pascal  et  Jacques  Bernoulli  avaient  fait 
les  premiers  pas,  ne  pouvait  manquer  d'inspirer  un  esprit 
si  curieux  d'applications.  Aussi  fit-il  servir  le  calcul  des 
probabilités  à  démontrer  les  avantages  de  l'inoculation  pour 
les  Étals  en  général,  à  connaître  le  nombre  des  mariages,  à 
déterminer  l'inégalité  numérique  des  naissances  dans  les 
deux  sexes. 

En  physique ,  il  est  connu  pour  avoir ,  le  premier ,  ob- 
servé la  vaporisation  des  liquides  dans  le  vide  à  une  tem- 
pérature qui  les  laisse  fixes  dans  l'air  libre.  Il  s'occupa  plu- 
sieurs fois  de  la  théorie  du  son  ,  et  eut  avec  Euler  une  dis- 
cussion célèbre  sur  les  cordes  vibrantes.  En  physiologie,  il 
a  évalué  la  quantité  d'air  qui  pénètre  dans  les  poumons  à 
chaque  insjiiration,  recherché  l'usage  des  feuilles  dans  l'é- 
conomie végétale,  et  combattu  l'existence  des  vaisseaux 
aériens  dans  les  plantes.  Physicien  autant  que  géomètre ,  il 
avait  dès  sa  jeunesse  adopté  la  théorie  newtonienne.  Phi- 
losophe autant  que  savant,  il  n'avait  rien  accepté  des  pré- 
jugés religieux  de  son  époque,  et,  après  une  vie  sage  et 
heureuse,  il  mourut  paisiblement,  le  17  mars  1782. 

BERNOULLI  (JEA^),  frère  du  précédent,  né  le  1 8  mai  1710, 
à  Bâle,  succéda  en  1748  à  son  père  Jean,  dans  la  chaire  de 
mathématiques  de  l'université  de  Bâle.  Ce  fut  aussi  un  pro- 
fond géomètre  et  un  physicien  habile.  L'Académie  des 
Sciences  couronna  trois  de  ses  mémoires  sur  le  cabestan , 
sur  la  propagation  de  la  lumière  et  sur  l'aùnant.  Il  succéda 
à  son  frère  Daniel  comme  associé  de  cette  Académie.  Nommé 
également  membre  de  l'Académie  de  Berlin ,  il  mourut  à 
Bâle,  le  17  juillet  1790. 

BERNOULLI  (Jean),  fils  du  précédent,  né  à  Bâle,  le  4 
novembre  1744,  mort  à  Beriin ,  le  13  juillet  1807,  acquit 
de  bonne  heure  une  grande  réputation  comme  géomètre  et 
comme  astronome.  A  treize  ans  il  était  reçu  docteur  en 
philosophie ,  en  prononçant  son  discours  De  historia  ino- 
culationis  variolarum ,  qui  se  trouve  dans  le  tome  IV  des 
Épitres  latines  écrites  à  H  aller ,  et  il  n'était  âgé  que  de 
dix-neuf  ans  quand  l'Académie  de  Berlin  l'appela  dans  son 
sein  comme  astronome.  Après  avoir  parcouru  une  grande 
partie  de  l'Europe,  il  revint  en  1779  se  fixer  à  Berlin,  où  il 
fut  nommé  directeur  de  la  classe  des  mathématiques  de  l'Aca- 
démie et  honoré  du  titre  d'astronome  royal.  Il  <^tait  aussi 
membre  des  Académies  de  Saint-Pétersbourg  et  de  Stockholm 
et  de  la  Société  royale  de  Londres.  Parmi  les  nombreux  ou- 
vrages qu'il  a  publiés,  ceux  qui  ont  pour  objet  les  mathé- 
matiques sont  :  1°  Recueil  pour  les  Astronomes  ;  2°  Let- 
tres Astro7iomiques  ;  3°  une  traduction  des  Éléments  d'Al- 
gèbre d'Euler  ;  4°  des  travaux  insérés  dans  les  Mémoires 
de  l'Académie  de  Berlin  et  dans  les  Éphémérides  Astrono- 
miques de  cette  ville. 

BERNOULLI  (Jacques),  frère  du  précédent,  né  à  Bâle, 
le  17  octobre  1759,  se  fit  d'abord  recevoir  licencié  endroit. 
Disciple  de  son  oncle  Daniel,  il  le  suppléa  dans  sa  chaire  de 
physique.  11  vint  ensuite  se  fixer  à  Saint-Pétersbourg,  où 
l'attendait  une  chaire  de  mathématiques.  Ses  premier* 
travaux,  insérés  dans  les  Nova  Acta  Academtx  Petropoli- 
tunx,  donnaient  déjà  les  plus  hautes  espérances,  lorsque. 


1 


BERNOULLl  - 

le  3  juillet  1789,  U  périt  frappé  d'apoplexie  en  se  baignant 
dans  laNéva.  A  peine  âgé  de  trente  ans,  il  était  déjà  membre 
des  Académies  de  Bàle,  de  Turin  et  de  Saint-Pétersbourg, 
et  s'était  récemment  marié  à  une  petite-fille  d'Euler. 

BERNOULLI  (Daniel),  frère  du  précédent  et  troisièma 
fils  de  Jean,  naquit  à  Bâle,  où  il  professa  l'éloquence;  il  fut 
ensuite  suppléant  de  son  oncle  Daniel. 

BERNOULLI  (Christophe),  fils  du  précédent,  né  à 
Bàle,  le  15  mai  1782,  entra  en  1799  dans  les  bureaux  du 
ministre  Stapfer  à  Luceme.  Au  mois  d'octobre  1801,  il  se 
rendit  à  Gœttingue,  où  il  se  livra  presque  exclusivement  à 
l'étude  des  sciences  naturelles;  puis  en  1802  à  Halle,  où 
il  fut  nonuné  professeur  au  Pedagogium.  Deux  ans  plus 
tard,  ayant  renoncé  volontairement  à  ces  fonctions,  il  se 
rendit  à  Berlin ,  et  de  là  à  Paris;  puis,  après  un  court  sé- 
jour à  l'école  d'Aarau ,  il  s'en  revint  dans  sa  ville  natale , 
où ,  en  1806 ,  mettant  enfin  à  exécution  un  projet  qu'il  avait 
formé  depuis  longtemps ,  il  ouvrit  une  maison  d'éducation , 
qu'il  laissa  périr  en  1817.  A  peu  de  temps  de  là  il  fut  ap- 
pelé à  professer  l'histoire  naturelle  à  l'université  de  Bàle. 

Christophe  Bernoulli  appartient  aux  plus  laborieux  écri- 
vains qui  se  soient  occupés  de  technologie  rationnelle.  Nous 
citerons  ici  sa  Dissertation  sur  la  Lumière  de  la  Mer  (  Gœt- 
tingue, 1802);  son  Anthropologie  physique  (2  vol..  Halle, 
1804);  ses  Guides  pour  l'étude  de  la  Physique  et  de  la 
Minéralogie  (  Halle,  18 1 1  )  ;  De  l'Influence  pernicieuse  des 
Corporations  et  des  Maîtrises  sur  l'industrie  (Bàle,  1822)  ; 
Éléments  de  la  Théorie  des  Machines  à  Vapeur  (Bàle, 
1824)  ;  Considérations  sur  la  Fabrication  du  Coton  (Bâle, 
1829);  Manuel  de  Technologie  (  1833,  2*  édit.,  1840),  ou- 
vrage dans  lequel  tout  le  domaine  de  la  technologie  se  trouve 
rationnellement  passé  en  revue  ;  Manuel  de  la  Théorie  des 
Machines  à  Vapeur  (  Stuttgard,  1833  ;  3*  édit. ,  1847  )  ;  Ma- 
nuel de  Physique,  de  Mécanique  et  d'Hydraulique  ratio- 
nelle  (2  vol.,  1835)  ;  une  traduction  de  l'ouvrage  de  Baines, 
V Histoire  de  la  Fabrication  anglaise  du  Coton  (1836); 
Théorie  des  mouvements  de  la  population  (Populationis- 
tique;  Ulm,  1840);  eni'mV Encyclopédie  Technologique; 
(  Stuttgard,  1850).  U  a  publié  auss\\ine Feuille  du  Citoyen, 
qui  se  fusionna  plus  tard  avec  les  Archives  suisses  de  Sta- 
tistique et  d'Économie  politique  {5  -vol.,  Bàle,  1828-1830). 

BERNOULLI  (Jean-Gustave),  fils  du  précédent,  né 
à  Bàle,  en  181 1 ,  s'est  fait  connaître  par  sa  publication  du 
Vade-mecum  du  Mécanicien  {'^  édit.,  Stuttgard,  1851). 

BERNSTORFF  (  Famille  ).  C'est  une  ancieime  maison 
de  la  noblesse  allemande,  vraisemblablement  originaire  de  la 
Bavière,  mais  dont  il  est  question  dès  le  douzième  siècle 
conmie  seigneurs  héréditaires  des  domaines  de  Bernstorff  et 
de  Teschaw,  dans  le  Mecklenbourg.  Divers  membres  re- 
marquables de  cette  famille  appartiennent  à  l'histoire  du 
Danemark. 

André-Gottlieb  de  Bernstorff  ,  qui  avait  contribué  à 
faire  obtenir  à  Georges  1^''  la  dignité  d'électeur  pour  le  Ha- 
novre, et  plus  tard  à  lui  assurer  le  trône  d'Angleterre,  fut 
élevé  en  1715  au  titre  de  baron  du  Saint-Empire ,  et  mourut 
en  1726,  remplissant  les  fonctions  de  mmistre  d'État  hano- 
vrien. — Son  frère,  Joachim-Engelke  de  ]iEKssTOP.¥F ,  fut 
le  père  du  ministre  d'État  danois  Jean-Hartivig-Ernest  de 
Bernstorff,  auquel  nous  consacrons  plus  loin  un  article 
particulier. 

André-Gottlieb  de  Bernstorff,  fils  du  ministre  hano- 
vrien  dont  il  vient  d'êtie  faitmention,  eut  deux  fils,  Joachim 
Berchtold  de  Bernstorff,  né  en  1734,  mort  en  1807,  et 
André-Pierre  de  Bf.rnstorff,  célèbre  également  comme 
ministre  d'État  danois  (  voyez  ci-après  ),  qui  fondèrent  les 
deux  lignes  de  la  maison  de  Bernstorff  encore  existantes. 
—  La  ligne  aînée  a  aujourd'hui  pour  chef  le  comte  Berch- 
told DE  Bernstorff,  né  le  25  octobre  1803.  —  André- 
Pierre  oe  Bernstorff,  fondateur  de  la  ligne  cadette,  né 
ea  1735,  mort  en  1797,  avait  épousé  en  1703  Henriette- 

WCT.    DE  LA   CONVERS.  —  T.  111. 


BEriNSTORFF  65 

Frédérique,  comtesse  de  Stolberg,  sœur  du  c^èbre  poète 
allemand  de  ce  nom.  Après  la  mort  de  sa  première  fenuce, 
arrivée  en  1781,  il  se  remaria  en  secondes  noces ,  en  1783 , 
avec  Augusta  de  Stolberg ,  sa  belle-sœur.  De  son  premier 
mariage  il  avait  eu  six  fils  et  trois  filles.  Un  fils  fut  le  seul 
fruit  de  sa  seconde  union.  La  plupart  de  ces  enfants  ob- 
tinrent de  grands  emplois  à  la  cour  de  Copenhague,  et  for- 
mèrent des  établissements  en  Danemark. 

Nous  ne  mentionnerons  ici  que  l'aîné,  Christian-Gunther, 
comte  DE  Bernstorff,  né  à  Copenhague,  le  3  avril  1769.  Il 
fut  attaché,  dès  qu'il  eut  achevé  ses  études,  à  la  légation  de 
Danemark  à  BerUn.  Plus  tard  il  alla  à  Stockholm  en  qualité 
de  plénipotentiaire,  puis  vécut  pendant  quelque  temps  sans 
emploi  à  Copenhague.  A  la  mort  de  son  père,  en  1797,  il 
le  remplaça  dans  ses  fonctions  de  ministre  des  affaires 
étrangères,  mais  sans  parvenir  au  glorieux  renom  de  son 
prédécesseur.  C'est  en  grande  partie  aux  fausses  mesures 
politiques  qu'il  adopta  qu'on  doit  attribuer  les  calamités  et 
les  désastres  qui  accablèrent  le  Danemark  vers  cette  époque. 
En  1810  il  abandonna  son  portefeuille  pour  aller  remplir 
les  fonctions  d'envoyé  danois  à  Vienne,  où  il  prit  part  aussi 
en  1814  aux  déUbérations  du  congrès.  En  1818  il  aban- 
donna le  service  danois  pour  entrer  à  celui  du  roi  de  Prusse, 
qui  le  nomma  son  ministre  des  affaires  étrangères ,  et  il 
assista  en  cette  qualité  aux  congrès  d'Aix-la-Chapelle,  de 
Carlsbad ,  de  Vienne ,  de  Troppau,  de  Laybach  et  de  Vérone. 
Cet  homme  d'État  se  signala  dans  toutes  les  circonstances 
par  ses  tendances  réactionnaires  ;  et  il  lui  arriva  un  jour  de 
déclarer  positivement  que  les  puissances  ne  devaient  pas 
souffrir  que  le  régime  constitutionnel  s'établît  au  midi  de 
l'.^emagne.  Mis  à  la  retraite,  sur  sa  demande,  en  1831 ,  il 
est  mort  le  28  mars  1835. 

BERA'STORFF  (Jean-Hartwig-Ernest,  comte  de), 
l'Oracledu  Danemark,  comme  l'appelait  Frédéric  le  Grand, 
naquit  à  Hanovre  le  13  mai  1712.  Entré  de  bonne  heure  au 
service  du  Danemark,  il  remplit  dès  l'année  1737  les  fono 
tions  d'envoyé  à  la  diète  de  Ratisbonne,  et  en  1744  à  Paris. 
En  1750  il  fut  nommé  secrétaire  d'État  et  conseiller  intime, 
puis,  l'année  suivante,  membre  du  conseil  privé.  Ce  fut  à 
l'habileté  de  ses  négociations  que  le  roi  de  Danemark  fut  re- 
devable de  pouvoir  incorporer  à  ses  États  les  possessions  des 
ducs  de  Holstein-Plœn,  quand  cette  maison  vint  à  s'éteindre. 
La  prudence ,  l'habileté  et  la  fermeté  dont  il  fit  preuve  dans 
les  discussions  qui  pendant  et  après  la  guerre  de  Sept-Ans 
surgirent  au  sujet  de  Holstein-Gottorp  entre  la  Russie  et  le 
Danemark  furent  récompensées  par  le  titre  de  comte,  que 
lui  accorda  le  roi  Chrétien  Yli.  Bernstorff  jouit  en  effet  sous 
le  règne  de  ce  prince  de  tout  autant  de  crédit  que  sous  ce'ui 
de  Frédéric  V,  jusqu'au  moment  où  Struensée,  le  nou- 
veau favori  de  ce  prince,  réussit  en  1770  à  lui  faire  retirer 
ses  emplois;  et  alors  il  alla  vivre  pendant  quelque  temps  à 
Hambourg.  Après  la  chute  de  Stmensée ,  on  s'empressa  en 
Danemark  de  le  rappeler  de  la  façon  la  plus  honorable; 
mais  la  mort  le  surprit  le  19  février  1772,  pendant  qu'il  se 
rendait  à  Copenhague. 

Bernstorff  est  un  des  ministres  qui  ont  le  plus  puissam- 
ment contribué  au  développement  de  la  prospérité  matérielle 
du  Danemark.  Il  réussit  à  donner  une  vie  nouvelle  à  l'in- 
dustrie manufacturière  et  au  commerce.  Avant  lui  c'est  à 
peine  si  le  pavillon  danois  était  connu  dans  les  eaux  de  la 
Méditerranée;  tandis  qu'à  la  mort  de  Frédéric  V  on  comp- 
tait dans  les  différents  ports  du  royaume  plus  de  deux  cents 
gros  navires  naviguant  habituellement  dans  cette  mer. 
Bernstorff  aimait  et  protégeait  les  sciences,  les  lettres  et  les 
arts.  11  fit  obtenir  des  fonds  à  la  Société  des  Belles-Lettres.  Il 
fonda  aussi  une  Société  royale  d'.\;2;ricu!ture;  et  en  même 
temps  qu'il  faisait  voyager  en  Orient  une  compagnie  de  sa- 
vants, dont  on  trouvera  les  travaux  consignés  dans  la  Dis- 
criplion  de  VArubie  parNiebuhr,  il  attirait  on  Danemark 
beaucoup  de  littérateurs  allemands,  KlopslocK  entre  au- 

g 


GO 

très,  qui  trouva  chez  lui  l'accueil  le  plus  liospitalier.  Berns- 
torff  apportait  une  ardeur  sans  égale  dans  ses  efforts  pour 
venir  au  secours  de  l'humanité  souffrante.  Ce  fut  sur  ses 
plans  qu'on  fonda  la  maison  de  secours  de  Copenhague , 
et  il  posa  la  première  pierre  du  grand  hôpital  de  celte  ville, 
qui  lui  est  en  outre  redevable  de  la  première  école  d'ac- 
couchement qu'ait  eue  le  Danemark.  Tous  les  ans  il  distri- 
buait le  quart  de  ses  revenus  aux  pauvres  ;  et  alors  môme 
qu'il  fut  obligé  de  s'éloigner  du  royaume,  il  consacra 
3,000  florins  à  celte  di'pense.  Le  premier  en  Danemark,  il 
affranchit  les  paysans  de  ses  domaines.  Une  colonne  de  gra- 
nit, élevée  en  1783  à  peu  de  distance  de  Copenhague,  rap- 
pelle le  souvenir  de  ce  bienfait. 

BERNSTORFF  (André-Pierre,  comte  de),  cousin  du 
précédent,  et  qui  dans  ses  fonctions  de  ministre  d'Etat  rendit 
au  Danemark  des  services  encore  plus  réels  et  plus  distin- 
gués, naquit  le  28  août  1735,  à  Garlow,  dans  le  duché  de 
Brunswick-Lunebourg.  Après  avoir  terminé  ses  études  à  Gœt- 
tingue  et  à  Leipzig,  il  alla  voyager  en  Angleterre,  en  Suisse, 
en  France  et  en  Italie,  et  entra  au  service  du  roi  de  Dane- 
mark en  1755,  comme  gentilhomme  de  sa  chambre.  En 
1767  il  fut,  en  même  temps  que  son  cousin,  promu  à  la 
dignité  de  comte,  et  en  1769  nommé  ministre  d'État;  mais 
lui  aussi  il  dut  donner  sa  démission  quand  Struensée  devint 
le  ministre  tout-puissant  de  Chrétien  VIL  Rappelé  également 
après  la  chute  de  ce  favori,  il  fut  bientôt  après  nommé  mi- 
nistre. En  1773,  il  réussit  à  conclure  l'échange  de  la  partie 
du  Holstein  appartenant  à  la  maison  de  Gottorp  contre  Ol- 
denbourg et  Delmenhorst,  négociation  qui  avait  déjà  été 
entamée  précédemment  par  son  oncle,  de  môme  qu'à  res- 
serrer les  liens  de  bonne  intelligence  existant  entre  le  Dane- 
mark et  la  France  ainsi  que  l'Angleterre,  Au  mois  d'oc- 
tobre 1788,  ce  fut  lui  qui  fit  à  la  cour  de  Suède  la  première 
ouverture  relative  à  une  déclaration  de  neutralité  armée. 

En  1780,  à  la  suite  de  la  mésintelligence  survenue  entre 
lui  et  la  reine  douairière,  Juliane-M  arie,  et  le  ministre 
Guldberg,  il  donna  sa  démission;  mais  dès  1784  11  était 
remis  en  possession  de  son  portefeuille.  Il  seconda  alors 
l'introduction  d'un  nouveau  système  financier,  et  prépara 
l'abolition  du  servage  en  Schleswig  et  en  Holstein  ,  mesure 
qui  fut  mise  à  exécution  après  sa  mort,  11  se  montra  aussi 
le  constant  défenseur  de  la  liberté  civile  et  de  la  liberté  de  la 
presse.  «  La  liberté  de  la  presse ,  disait-il,  est  un  grand 
«  bien.  Les  avantages  résultant  du  bon  emploi  qu'on  en  peut 
«  faire  l'emportent  de  beaucoup  sur  les  inconvénients  résul- 
«  tant  de  ses  abus.  Elle  constitue  un  des  droits  imprescrip- 
«  tibles  de  tout  peuple  civilisé;  tout  gouvernement  qui  y 
«  apporte  des  entraves  se  déshonore.  «  Aussi ,  pendant 
son  administration  la  liberté  d'écrire  la  plus  complète  existâ- 
t-elle en  Danemark. 

Ce  grand  ministre,  protecteur  éclairé  de  l'industrie,  du 
commerce,  de  la  navigation  et  de  l'agriculture,  dont  toutes 
les  pensées  étaient  constamment  concentrées  sur  la  prospé- 
rité du  Danemark,  mourut  le  21  juin  1797,  et  sa  mort  fut 
considérée  comme  une  calamité  nationale. 

BÉROALDE  DE  VERVJLLE  ,  né  à  Paris,  en  1558, 
mort  vers  1612.  Cet  écrivain  doit  l'espèce  de  renommée  qui 
s'est  attachée  à  son  nom  à  une  circonstance  assez  singulière  : 
tm  ouvrage  dont  il  n'est  probablement  point  l'auteur  lui  a 
été  attribué,  et  a  survécu,  tandis  (jue  les  livres  qu'il  a  signés 
sont  tombés  au  rang  de  ces  bouquins,  très-nombreux,  que 
dévore  un  juste  oubli.  Béroalde  publia  divers  poèmes,  tels 
que  Les  Appréhensions  spirituelles,  L'Idée  de  la  Républi- 
que, Jm  Sérodokimasie,  ou  Histoire  des  Vers  qui  filent  la 
Soie;  il  mit  au  jour,  entre  autres  romans,  Les  Aventures 
de  Floride,  le  Voyaye  des  Princes  fortunés,  Vllistoire 
d'Hérodias;  il  s'occupa  beaucoup  d'alchimie.  Tout  cela  l'au- 
rait laissé  dans  le  néant;  mais  on  a  mis  sur  sou  compte 
un  bizarre  recueil  de  dialogues  intitulé,  Le  Moyen  de  par- 
venir, et  le  voilà  devenu  presque  célèbre.  Dans  ces  dialogues 


BERNSTORFF  —  BÉROSE 


les  personnages  le  moins  faits  pour  se  rencontrer  ensemble 
devisent  gaiement  autour  d'une  table  chargée  de  vins.  Zo- 
roastre,  Calvin,  Jules  Cés.ir,  l'Autre,  Sapho,  Monsieur, 
Alcibiade,  Érasme,  Pierre  l'Ermite ,  Quehiu'un,  Hermès, 
Marie-Madeleine,  Lucrèce  et  bien  d'autres  narrent  des  contes 
plus  que  grivois,  et  font  assaut  de  coqs-à-l'âne.  Nulle  suite, 
nul  plan  ;  ce  sont  entretiens  de  buveurs  un  jour  de  mardi 
gras,  toute  retenue  étant  bannie.  Mais  dans  cette  longue 
facétie  il  y  a  beaucoup  de  verve,  d'entrain  et  d'originalité  : 
aussi  depuis  près  de  deux  siècles  et  demi  n'a-l-elle  pas 
manqué  de  lecteurs. 

Divers  savants  ont  cherché  à  montrer  que  Béroalde  était  en 
effet  le  père  de  cet  écrit;  mais  depuis  quehiue  temps  la  cri- 
tique combat  cette  opinion.  M.  Paul  Lacroix  veut  faire  re- 
monter Le  Moyen  de  parvenir  à  Rabelais;  M.  Péricaud,  de 
Lyon,  penche  pour  Théodore  d'Aubigné,  l'auteur  àa  Baron 
de  Fœneste;  Nodier  inclinait  pour  Henri  Estienne,  et  re- 
poussait entièrement  les  prétentions  émises  pour  Béroalde, 
se  contentant,  dit-il,  d'un  seul  raisonnement,  qui  en  vaut 
mille  :  l'auteur  du  Moyen  de  parvenir  est  un  des  écrivains 
les  plus  vifs,  les  plus  variés,  les  plus  originaux,  les  plus  pi- 
quants de  notre  vieille  langue,  un  des  hommes  qui  en  ont 
le  mieux  connu  l'esprit  et  les  ressources,  et  par-dessus  tout 
un  conteur  inimitable;  Béroalde  de  Verville  est  le  plus  lourd, 
le  plus  diffus,  le  plus  ennuyeux,  le  plus  languissant  des 
prosateurs  de  son  époque,  même  dans  quelques  sujets  heu- 
reux, où  son  imagination  paraît  être  à  l'aise.  Remarquons 
en  outre  que  Béroalde  de  Verville  était  chanoine  de  Tours; 
et  bien  que  dans  quelques-uns  de  ses  écrits  avoués  il  ait 
montré  peu  de  respect  pour  les  lois  de  la  décence,  on  aurait 
droit  d'être  surpris  qu'un  ecclésiastique  eût  eu  l'idée  d'é- 
crire pareil  ouvrage,  et  la  hardiesse  de  le  livrer  à  l'impres- 
sion, même  sous  le  masque  d'un  anonyme,  qui  pouvait  être 
dévoilé. 

La  première  édition  connue  et  datée  du  Moyen  de 
parvenir  est  de  1610;  elle  fut  suivie  de  plusieurs  autres, 
la  plupart  sans  date,  ou  avec  des  dates  bizarres  :  Impri- 
mé cette  année;  nulle  part;  Vannée  pantagruéline 
100070032,  100070057.  Une  de  ces  éditions  s'annonce 
comme  étant  corrigée  de  diverses  fautes  qui  n'y  étoient 
point,  et  augmentée  de  plusieurs  autres.  Parfois  le  titre 
ordinaire  a  été  échangé  pour  celui  du  Salmigondis,  ou  de 
Vénus  en  belle  humeur.  C'est  vers  17!^0  qu'avait  été  mis 
sous  presse  pour  la  dernière  fois  Le  Moyen  de  parvenir,  lors- 
qu'en  1841  il  reparut  à  Paris,  en  un  volume  in- 12  de  plus  de 
cinq  cents  pages,  avec  une  notice  et  un  commentaire  étendu 
du  bibliophile  Jacob,  fort  utile  pour  l'explication  de  bien  des 
mots  vieillis  et  de  bien  des  allusions,  bien  des  circonstances, 
ignorés  aujourd'hui  du  public.  G.  Brunet. 

RÉROSE,  savant  prêtre  babylonien,  qui  avait  acquis 
la  connaissance  de  la  langue  et  de  la  science  des  Grecs,  et 
qui  semble  avoir  vécu  vers  l'an  200  avant  J.-C,  composa 
en  langue  grecque  trois  livres  relatifs  à  l'histoire  de  la  Ba- 
bylonie  et  de  la  Chaldée,  pour  lesquels  il  utilisa  surtout, 
dit-on  ,  les  antiques  archives  du  temple  de  Bahyloue.  Cet 
ouvrage  était  fort  estimé  par  les  historiens  grecs  et  romains. 
Malheureusement  nous  n'en  possédons  plus  aujourd'hui  que 
quelques  fragments  cités  par  Josèphe,  Eusèbe,  Syncelle,  etc. 
Mais  ils  n'en  sont  pas  moins  d'une  haute  importance,  parce 
qu'ils  donnent  de  précieux  renseignements  sur  les  parties  les 
plus  obscures  de  l'antique  histoire  de  l'Asie.  Ces  fragments 
ont  été  réunis  par  Kichter  sous  le  titre  de  Berosi  Chai- 
dxorum  Bistorix  qiix  supersunt  (Leipzig,  1825).  Les 
Antiquitatum  Libri  quïnque,  cum  commentariis  Joannis 
Annii,  publiés  pour  la  première  lois  à  Rome,  eu  1498,  par 
Eucharius  Silber,  et  attribués  à  Bérose,  ne  sont  qu'une  in- 
vention pseudonyme  du  dominicaiu  Giovanni  Nauni  de  Vi- 
terbe. 

L'historien  Bérose  est-il  le  même  que  l'astronome  Bérose, 
Chaldécn  comme  lui  et  prêtre  de  Udus  à  Dabylone?  C'est 


BEROSE  —  BERR 


67 


(à  une  question  au  sujet  de  laquelle  les  savants  ne  sont  pas 
d'accord  et  qui  a  été  longtemps  controversée.  Au  rapport  de 
Vitruve,  Bérose  l'astronome  aurait  quitté  son  pays  pour 
venir  àCos,  dans  la  patrie  d'Hippocrate,  ouvrir  une  école; 
mais  il  ne  nous  apprend  pas  à  quelle  époque  il  vivait.  On  lui 
attribue  l'invention  d'une  nouvelle  espèce  de  cadran  solaire, 
à  pivot,  et  de  forme  demi-circulaire,  pour  marquer  la  posi- 
tion convenable  aux  diverses  latitudes.  Suivant  Justin  le  mar- 
tyr, ce  même  Bérose  l'astronome  aurait  eu  une  fille  ,  dési- 
gnée sous  le  nom  de  la  Sibylle  babylonienne  ;  et  ce  serait  elle 
qui  aurait  offert  à  Tarquin  les  fameux  livres  sibyllins. 

BERQUEN,  BERGHEN,  BERGHEM,  ou  encore  BER- 
KEN  (  Louis  de),  lapidaire  flamand  ,  qui  découvrit,  vers  le 
milieu  du  quinzième  siècle,  l'art  de  tailler  le  diamant.  Avant 
lui  on  n'employait  le  diamant  que  dans  l'état  où  la  nature  le 
produit  quelquefois,  soit  roulé  dans  les  eaux,«ù  il  a  acquis 
un  certain  poli ,  soit  en  petites  pyramides ,  qui  semblent 
être  le  résultat  de  la  cristallisation.  Mais  alors  le  diamant, 
quoique  dépouillé  de  la  croûte  obscure  qui  l'enveloppe  or- 
dinairement, n'avait  que  très-peu  de  feu,  ou  d'éclat.  Berquen 
ayant  remarqué  que  deux  diamants  s'entamaient  quand  on 
les  frottait  l'un  contre  l'autre,  en  prit  deux  bruts  et  réussit 
par  des  frottements  prolongés  à  les  couper  en  facettes  assez 
régulières.  Ce  n'est  pas  tout;  il  eut  encore  l'idée  de  les  sou- 
mettre à  l'action  d'une  roue  de  son  invention,  et  avec  la 
poussière  résultant  du  frottement  des  diamants  mêmes  il 
acheva  de  leur  donner  le  poli  le  plus  parfait.  La  taille  du 
diamant  a  sans  doute  fait  depuis  bien  des  progrès;  mais  au 
nom  de  Berquen  n'en  reste  pas  moins  attaché  le  souvenir 
d'une  invention  qui  fait  époque  dans  l'histoire  d'une  indus- 
trie restée  jusqu'à  ce  jour  à  peu  près  spéciale  à  la  ville 
d'Amsterdam. 

BERQUIiV  (Arnadld),  né  à  Bordeaux,  vers  1749,  raortà 
Paris,  le  21  décembre  1791.  C'est  à  lui  qu'est  due  l'impor- 
tation en  France  des  livres  destinés  à  l'enfance  par  l'An- 
gleterre calviniste  et  par  l'Allemagne  luthérienne  ,  livres 
qui  jusqu'à  cette  époque  étaient  restés  étrangers  à  notre 
patrie.  Sous  ce  point  de  vue,  que  personne  n'a  remarqué, 
il  mérite  une  place  dans  l'histoire  littéraire  de  son  temps. 
Il  ne  manquait  ni  de  talent, ni  de  grâce,  ni  de  sensibilité;  et 
dans  un  siècle  de  destruction ,  oii  l'orgueil  des  doctrines  et 
l'emphase  des  paroles  accompagnaient  le  mouvement  vio- 
lent par  lequel  la  société  était  entraînée,  il  n'est  pas  éton- 
nant que  ses  qualités  simples  et  ingénues  aient  disparu , 
éclii)sées  par  les  prétentions  furieuses  et  les  passions  en- 
flammées qui  l'entouraient.  Il  faut  demander  à  d'autres  les 
grandes  parties  du  talent ,  l'invention ,  l'énergie,  le  coloris, 
la  profondeur  ;  mais  c'était  une  âme  tendre,  un  esprit  gra- 
cieux, une  intelligence  souple.  Il  apprit  de  bonne  heure 
l'anglais,  l'allemand  et  l'italien  ;  et,  voyant  le  cours  orageux 
et  ardent  que  prenaient  les  choses  publiques,  il  abandonna 
toute  prétention  politique  etmême  littéraire,  et  consacra  ses 
veilles  et  ses  connaissances  vai  iées  à  l'éducation  morale  de 
l'enfance.  La  tâche  particulière  qu'il  s'imposa  s'accordait 
très- bien  avec  les  tendances  et  les  goûts  de  ses  contem- 
porains. Le  protestantisme  anglais  et  allemand,  dont  le  but 
spécial  est  de  réformer  l'individu  par  l'examen  attentif  de 
lui-même ,  avait  depuis  longtemps  fourni  de  livres  intéres- 
sants la  bibliothèque  du  premier  âge.  En  effet,  si  l'homme  doit 
s'examiner,  se  juger  et  se  réformer  lui-même  ,  comme  le 
protestantisme  l'établit,  de  telles  œuvres  lui  deviennent  in- 
dispensables dès  l'adolescence ,  comme  guides  et  comme 
instructeurs. 

Les  ouvrages  de  ce  genre  par  Weiss,  mistress  Trimmer, 
John  Day,  Hannah  Moore,  mistress  Barbauld  et  plusieurs 
autres  avaient  acquis  en  Allemagne  et  en  Angleterre  une 
grande  vogue  populaire,  lorsque  Berquin,  leur  empruntant 
ce  qui  lui  paraissait  le  plus  conforme  au  mouvement  in- 
tellectuel de  son  pays,  et  faisant  disparaître  de  ses  emprunts 
la  teinte  religieuse,  sévère  en  Angleterre,  mystique  en 


Allemagne,  qui  eût  contrarié  les  goûts  pliilosopliiques  de 
ses  concitoyens,  composa  une  série  de  petits  livres  ingé- 
nieux et  ingénus,  qui  plurent  infiniment.  On  y  retrouvait  la 
morale  de  Jean-Jacques  et  de  Locke,  les  idées  de  Saint- 
Lambert  et  de  Hume,  les  espoirs  et  les  désirs  du  temps  ; 
toute  trace  de  catholicisme  enseignant  et  de  morale  sacer- 
dotale en  était  effacée.  A  tout  prendre ,  cette  introduction 
de  la  moralité  protestante  dans  un  pays  et  à  une  époque 
où  toutes  les  bases  sociales  de  l'ancienne  moralité  catho- 
lique s'écroulaient,  fut  utile  à  la  génération  qui  s'élevait,  et 
Berquin  a  droit  à  la  reconnaissance  du  pays. 

La  modestie  de  sa  vie  répondait  à  la  candeur  agréable  de 
ses  ouvrages.  Collaborateur  de  ia  Feuille  villageoise  8.v&c 
GinguenéetGrouvelle,  rédacteur  du  AfonJYewr  pendant  quel- 
que temps,  il  avait  obtenu,  en  1784,  le  prix  d'utilité  morale 
que  l'Académie  Française  décerna  à  juste  titre  à  son  Ami  des 
Enfants.  Il  fut  en  1791  un  des  candidats  proposés  pour  être 
le  précepteur  du  prince  royal,  fils  de  Louis  XYI.  Il  mouru» 
quelques  jours  après.  On  ne  sait  que  trop  à  qui  cette  place 
fut  donnée... 

La  verve  poétique  de  Berquin  était  réelle,  tendre  et  pure, 
bien  que  timide  et  peu  profonde;  dans  d'autres  circons- 
tances ,  nous  ne  doutons  pas  qu'il  n'eût  accompli  une  des- 
tinée supérieure.  La  place  de  celui  qui  a  écrit  le  délicieux 
et  simple  chant  d'une  mère  : 

Dors,  raoD  enfant,  clos  ta  paupière  ! 

était  marquée  parmi  les  poètes  élégiaques  ;  et  cette  perle  de 
pure  et  transparente  poésie ,  jointe  à  une  autre  ballade 
charmante  :  Geneviève  de  Brabant,  à  quelques  idylles 
délicieuses  ,  et  à  une  imitation  délicate  de  YOrgoglioso 
Flumicello  de  Métastase,  composent  un  trésor  poétique  peu 
considérable,  mais  plus  précieux  que  les  hexamètres  tendus 
de  Roucher ,  les  diffuses  fatuités  de  Dorât  et  l'épopée 
prosaïque  et  emphatique  de  Thomas.  Il  n'y  avait  pas  de 
place  à  cette  époque  pour  un  poète  naïf;  Berquin  se  fit  l'ami, 
le  poète,  le  romancier  et  l'historien  des  enfants.  On  ne  peut 
lui  reprocher  ni  la  sentimentale  diffusion  de  B  o  u  i  1 1  y,  ni  la 
corruption  secrète  et  élégante  de  M""®  de  G  en  lis  ,  ni  la 
puérile  parure  et  la  fausse  poésie  de  FI  orian.  Enfin,  il  nous 
paraît  juste  de  rendre  à  cet  aimable  esprit,  à  ce  poète  in- 
génu ,  et  la  place  qu'il  mérite,  et  le  regret  de  celle  qu'il  eût 
conquise  sans  peine,  si  la  fleurde  son  doux  génie  avait  pu  se 
développer  dansuu  temps  calme  et  sous  un  ciel  serein  qui  eût 
protégé  sa  grâce  et  sa  timidité.        Philarète  Chasles. 

BERQUIN  (Louis  de),  gentilhomme  de  l'Artois,  né  en 
1489,  fut  brûlé  à  Paris,  en  place  de  Grève,  le  22  avril  1529, 
pour  cause  d'hérésie.  Ami  particulier  d'Erasme  et  bien  à  la 
cour  en  vertu  de  son  mérite,  c'était  un  homme  religieux,  mais 
qui  détestait  les  moines  à  raison  de  leur  ignorance  et  de  leur 
superstition.  11  ne  voulait  pas  qu'on  rendît  à  la  Vierge  les 
mêmes  honneurs  qu'à  Jésus-Christ,  sans  pour  cela  partager 
les  opinions  des  luthériens.  Les  écrits  qu'il  publia  à  ce  sujet 
lui  attirèrent  un  premier  procès  devant  le  parlement  de  Paris, 
en  1523  :  cette  fois,  il  en  fut  quitte  pour  une  admones- 
tation et  l'injonction  d'avoir  à  abjurer  certaines  proposi- 
tions hérétiques;  ce  qu'il  fit.  Sa  condamnation  ne  le  ren- 
dit pas  plus  prudent  dans  ses  propos;  et  trois  ans  après 
il  fut  arrêté  comme  hérétique  relaps  et  enfermé  à  la  Con- 
ciergerie. Heureusement  François  T'',  de  retour  à  ce  mo- 
ment de  sa  captivité  d'Espagne,  intervint  pour  qu'on  le  re- 
mît en  liberté.  En  1528  de  nouvelles  dénonciations  amenè- 
rent encore  une  fois  l'arrestation  de  Berquin ,  qui  refusa  de 
se  rétracter  et  fut  condamné  à  périr  par  le  feu.  Le  seul 
adoucissement  apporté  à  cette  sentence,  ce  fut  d'étrangler 
le  libre  penseur  avant  de  le  brûler. 

6ËRR  (Michel),  né  à  Nancy,  en  1780,  mort  à  Paris, 
en  1837,  était  fils  d'Isaac  Berr  de  Turique,  Israélite  célèbre 
par  le  zèle  actif  qu'il  déploya  au  commencement  de  la  ré- 
volution ,  et  plus  tard  encore,  pour  assurer  à  ses  coreli- 

9. 


C8 


BERR  —  BERRY 


gioanair^  le  li>ire  exercice  de  leur  culte  et  cette  égalité 
civile  devant  la  .oi  que  dix-huit  siècles  de  persécution  leur 
faisaient  si  vivement  désirer.  Il  fut  le  premier  de  ses  co-re- 
ligionnaires  qui,  usant  des  droits  que  leur  conférait  leur 
émancipation  politique ,  proclamée  par  la  législation  nou- 
velle ,  se  fit  recevoir  avocat.  Cependant  il  ne  parait  pas  que 
les  luttes  du  barreau  eussent  beaucoup  d'attrait  à  ses  yeux; 
car  il  ne  tarda  pas  à  y  renoncer  pour  se  vouer  tout  entier  à 
la  philosophie  et  à  la  littérature.  Ses  nombreux  ouvrages , 
composés  tous  dans  un  but  utile ,  lui  assurent  une  place 
honorable  parmi  les  gens  de  lettres  contemporains.  Le  but 
constant  des  efforts  et  des  travaux  de  Michel  Berr ,  ce  fut 
d'éclairer,  de  moraliser,  et ,  pour  nous  servir  d'un  mot  que 
nous  nous  rappelons  lui  avoir  entendu  employer,  de  chris- 
tianiser ses  co-religionnaires. 

Sous  l'Empire,  Michel  Berr  avait  rempli  les  fonctions  de 
chef  de  division  au  ministère  de  l'intérieur  en  Westphalie. 
Sous  la  Restauration ,  il  prit  une  part  active  à  la  lutte  que 
toutes  les  intelligences  généreuses  engagèrent  bien  vite,  dans 
la  presse ,  contre  ce  pouvoir  imbu  de  principes  et  d'idées 
rétrogrades,  défendant  les  droits  ou  les  intérêts  de  ses  co- 
religionnaires toutes  les  fois  qu'ils  étaient  attaqués. 

BERRET,  BERRETTE.  Voyez  Barrette. 

BERRI.  Voyez  Berry. 

BERRUGUÈTE  (Alonso),  l'un  des  sculpteurs,  des 
architectes  et  des  peintres  les  plus  célèbres  qu'ait  produits 
l'Espagne,  naquit  en  1480 ,  à  Paredès  de  ISava,  et  mourut 
en  1561,  à  Alcala.  Il  étudia  de  1503  à  1520,  d'abord  à  Rome, 
où  il  travailla  beaucoup  avec  Michel-Ange,  dont  il  s'as- 
simila la  manière;  puis  à  Florence,  où  il  se  lia  intimement 
avec  André  del  Sarteetavec  Bandinelli.  A  son  retour 
en  Espagne,  il  séjourna  d'abord  pendant  quelque  temps  à 
Saragosse,  où  il  exécuta  le  superbe  mausolée  du  vice-chan- 
celier d'Aragon.  Il  passa  ensuite  en  Castille,  et  fut  distingué 
par  Charles-Quint,  qui  lui  confia  différents  travaux  et 
l'employa  même  comme  architecte  pour  le  palais  du  Pardo 
et  pour  des  réparations  à  l'Alhambra.  Ses  principaux  ou- 
vrages de  sculpture  sont  dans  la  cathédrale  de  Tolède,  et  ses 
toiles  les  plus  remarquables  à  Valladolid ,  Tolède  et  Sala- 
manque.  Berruguete  figure  au  premier  rang  des  artistes  es- 
pagnols qui ,  après  s'être  formé  le  goût  en  Italie ,  introdui- 
sirent la  manière  des  grands  maîtres  en  Espagne,  en  môme 
temps  que,  comme  architecte,  il  y  transplantait  un  style 
d'arciiitectiire  plus  simple  et  moins  surchargé  d'ornements. 

BERRUYER  ( Joseph-Isaac  ) ,  né  à  Rouen ,  le  7  no- 
vembre 1681,  d'une  famille  honorable  de  cette  ville,  pro- 
fessa longtemps  avec  distinction  les  humanités  chez  les  jé- 
suites ,  et  se  retira  dans  la  maison  professe  de  Paris ,  où  il 
mourut,  le  18  février  1758,  après  avoir  fait  beaucoup  de  bruit 
dans  le  monde  par  son  Histoire  du  Peuple  de  Bien ,  his- 
toire mêlée  de  traits  singuliers  et  brillants,  écrite  avec  une 
élégance  abondante,  que  dépare  quelquefois  la  prolixité,  en 
un  mot  surchargée  d'ornements  qui  ne  sont  pas  toujours  de 
bon  goût.  La  seconde  et  la  troisième  partie  de  cet  ouvrage 
furent  condamnées  par  Benoît  XIV  et  Clément  XIII.  La  Sor- 
bonne  censura  aussi  l«s  ouvrages  du  P.  Berruyer.  Les  jé- 
suites désavouèrent  publiquement  l'œuvre  de  leur  confrère, 
et  obtinrent  de  lui  un  acte  de  soumission,  lu  en  Sorbonne 
en  1754.  Malgré  cette  marque  de  déférence  extérieure,  Ber- 
ruyer publia  plusieurs  brochures  pour  la  justification  de  ses 
écrits.  Ces  apologies  aussi  bien  que  les  livres  qui  en  étaient 
l'objet  furent  condamnés  par  l'évêque  de  Soissons,  Fitz- 
Jamee.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  erreurs  mêmes  du  P.  Berruyer 
prouvent  qu'il  était  né  avec  beaucoup  d'esprit  et  d'imagina- 
tion. CUAMPACNAC. 

BERRY  OU  BERRI,  une  des  anciennes  provinces  de 
France  ;  elle  répondait  à  la  plus  grande  partie  du  pays  des 
Biluriges  Cubi,  et  avait  pour  limites,  au  nord  l'Orléa- 
nais, au  sud  la  Marche,  à  l'ouest  la  Tourainc,  à  l'est  le  Ni- 
vernais. Divisée  en  haut  et  en  bas  Berry,  Bourges  était  sa 


capitale.  Aujom'd'hui  cette  provhice  forme  les  départements 
de  l'Indre  et  du  Cher,  et  quelques  fractions  de  ceux  de 
Loir-et-Cher,  de  la  Nièvre,  de  la  Creuse  et  de 
l'Allier. 

Les  Bituriges  tenaient  le  premier  rang  parmi  les  peu- 
ples de  la  Gaule  celtique,  et,  s'il  faut  en  croire  plusieurs  his- 
toriens, les  sciences  y  étaient  déjà  fort  avancées,  même  avant 
l'invasion  de  César.  Celui-ci  étant  parvenu  à  les  réduire,  mal- 
gré l'énergique  résistance  de  Vercingétorix,  leur  général  en 
chef,  le  Berry  demeura  sous  la  domination  romaine  jusque 
vers  l'an  475,  époque  où  cette  province  fut  envahie  par  Eu- 
ric,  roi  des  Visigoths.  En  507,  après  la  bataille  de  Veuille, 
Clovis  s'en  empara  et  la  réunit  à  l'empire  des  Francs.  Elle 
fut  alors  gouvernée  par  des  chefs  militaires ,  qui  prirent  le 
litre  de  comtes  de  Bourges,  et  qui,  s'étaut  rendus  indépen- 
dants ,  l'érigèrent,  sous  Charles  le  Chauve,  en  comté  héré- 
ditaire. En  1094,  l'un  de  ces  comtes,  Eudes  Arpin  ou  Her- 
pin,  se  disposante  partir  pour  la  Terre  Sainte,  vendit  à 
Philippe  I*"",  roi  de  France,  son  comté  de  Berry  pour  60,000 
sous  d'or,  et  prit  la  croix.  Depuis  ce  moment,  le  Berry  ne 
fut  détaché  de  la  couronne  que  pour  servir  d'apanage  aux 
princes  ou  princesses  du  sang.  Érigé  en  duché-pairie  par  le 
roi  Jean  le  Bon  (1360),  à  charge  de  réversion  à  la  couronne 
en  cas  d'extinction  d'héritiers  mâles,  il  fut  d'abord  possédé 
par  son  troisième  fils ,  Jean  de  France ,  et  successivement 
ensuite  par  Jean,  second  fils  de  Charles  VII  ;  par  Charles , 
frère  puîné  de  Jean,  et  depuis  Charles  VII,  roi  de  France; 
par  Cliarles,  frère  de  Louis  XI;  par  Jeanne  de  France,  qni 
épousa  Louis  d'Orléans,  depuis  Louis  XII  ;  par  Marguerite 
de  Navarre,  sœur  de  François  F''  ;  par  Marguerite,  duchesse 
de  Savoie,  sœur  de  Henri  II  ;  par  le  duc  d'Anjou,  qui  le  réu- 
nit à  la  couronne  après  son  avènement  au  trône ,  sous  le 
nom  de  Henri  III ,  en  1574;  et  enfin  par  la  reine  Louise, 
veuve  de  Henri  III,  à  qui  Henri  IV  l'accorda  en  usufruit. 
Après  la  mort  de  cette  princesse ,  le  Berry  fut  définitive- 
ment uni  à  la  couronne,  et  à  partir  de  ce  moment  le  titre 
de  duc  de  Berry  a  été  purement  nominal  ;  le  dernier  prince 
qui  l'a  porté  était  fils  de  Charles  X  (  voyez  plus  loin  ). 

Le  Berry  n'a  pas  été  épargné  par  les  guerres  politiques 
ou  religieuses  qui  ont  tour  à  tour  désolé  la  France;  si 
pendant  les  agitations  de  la  révolution  de  1789,  il  fut  une 
des  provinces  qui  se  distinguèrent  le  plus  par  leur  modéra- 
tion et  l'absence  de  tout  désordre,  il  n'en  a  malheureuse- 
ment pas  été  de  même  à  la  suite  des  événements  de  1848. 

Le  territoire  de  ce  pays  se  compose  en  général  de  bruyè» 
res  et  de  terrains  sablonneux.  La  toison  des  bêtes  à  laine 
qu'on  élève  dans  ses  pâturages  est  recherchée  à  cause  de 
sa  finesse.  Le  sol  renferme  des  mines  de  fer  et  de  charbon 
de  terre,  et  des  carrières  de  marbre. 

BERRY  (Jean  de  FRANCE,  duc  de  ),  troisième  fils  de 
Jean  le  Bon ,  naquit  à  Vincennes,  le  30  novembre  1 340 ,  et 
commença  par  porter  le  titre  de  comte  de  Poitou.  Après  la 
désastreuse  bataille  de  Poitiers,  à  laquelle  il  assista ,  et  qui 
amena  la  captivité  de  son  père ,  il  fat,  en  vertu  du  traité 
de  Brétigny,  envoyécomme  otageen  Angleterre.  ÉdouardlII 
lui  ayant,  au  bout  de  neuf  ans,  accordé  un  congé  pour  ve- 
nir moyenner  sa  rançon  en  France,  il  y  resta  jusqu'à  la  re- 
prise de  la  guerre,  et,  devenu  commandant  de  l'armée  fran- 
çaise en  Guyenne,  il  enleva  au  Prince  Noir  plusieurs  villes 
importantes.  A  la  mort  de  son  frère  Charles  V,  il  fut 
nommé  tuteur  du  roi  mineur  Charles  VI,  avec  les  ducs; 
d'Anjou  et  de  Bourgogne.  Plus  tard,  s'étant  fait  donner  Ift 
gouvernement  du  Languedoc,  il  s'y  fit  exécrer  par  sa  cu- 
pidité et  ses  exactions.  Les  plaintes  allèrent  si  loin ,  que  le 
roi,  visitant  cette  province,  chargea  des  prélats  de  faire  une 
enquête  ;  et  pour  qu'on  ne  semblât  i>oint  faire  un  procès 
au  duc  de  Berry  lui-même,  ce  fut  son  principal  agent ,  Bé- 
tiiisac,  qui  fut  mis  en  jugement  et  brillé  comme  hérétique^ 

Lors  de  la  déplorable  défaite  d'Azincourt,  le  duc  de  BerrjJ 
avait  fait  de  vains  efforts  pour  s'opposer  à  ce  qu'on  livrât  lî 


i 


BERRY 


69 


bataille.  Il  ne  fut  pas  plus  heureux  pour  faire  accepter  la 
paix  que  Sigismond  proposait  de  négocier  entre  la  France 
et  l'Angleterre. 

11  mourut  à  Paria  le  15  juin  1416.  Dans  une  maladie  dont 
il  avait  été  atteint  cinq  ans  auparavant,  il  avait  eu  tellement 
peur  de  la  mort  qu'il  avait  fait  implorer  Dieu  par  des  prières 
publiques,  et  offert  des  dons  aux  églises.  Il  avait  fait  même 
une  remise  de  vingt  mille  écus  sur  les  derniers  impôts; 
mais  comme  il  n'en  resta  pas  moins  maudit  et  abhorré  par 
le  peuple ,  il  eut  son  hôtel  de  Nesle  démoh,  et  son  château 
de  Bicêtre  brûlé,  pendant  qu'il  était  malade. 

BERRY  (Charles,  duc  de),  troisième  fils  de  Louis,  dau- 
phin de  France,  et  de  Marie-Cluistine  de  Bavière,  petit-fils 
de  Louis  XIV,  naquit  le  31  août  1686.  Prince  d'un  carac- 
tère faible,  il  n'a  joué  aucun  rôle  politique  ;  il  serait  à  peine 
connu  s'il  n'avait  été  l'époux  de  cette  duchesse  de  Berry, 
fille  du  duc  d'Orléans  ,  que  la  dissolution  de  ses  mœurs  a 
rendue  si  fameuse  {voye:^  l'article  suivant).  Il  l'avait  épousée 
en  1710.  Il  mourut  à  Marly,  le  4  mai  1714,  à  l'âge  de  vingt- 
huit  ans,  d'une  mort  prématurée  el  que  l'on  ne  crut  pas 
naturelle. 

BERRY  (MAUiE-LouisE-ÉLis.vBETn  d'ORLÉANS,  du- 
chesse de),  fille  et  maîtresse  du  régent  Philippe  d'Orléans, 
née  en  1695,  morte  à  la  Muette,  à  vingt-quatre  ans,  le  20  juil- 
let 1719.  Plutarque,  dans  la  Fie  de  i>/art'-i4n<oine,  nous  parle 
de  la  vie  inimitable  que  l'ambitieuse  et  lascive  Cléopâtre  lai- 
sait  mener  à  ce  triumvir,  qui  préféra  les  caresses  d'une  reine 
à  l'empire  du  monde.  Il  faudrait  son  pinceau  naïf  pour  nous 
montrer  la  vie  inimitable  aussi  que  la  duchesse  de  Berry, 
avec  son  orgueil  de  princesse  et  sa  beauté  de  courtisane, 
avec  ses  formes  gâtées  par  l'embonpoint,  et  cependant  en- 
core belles,  avec  ses  yeux  allumés  de  luxure  et  de  Champa- 
gne, avec  ses  délirantes  colères,  avec  son  inexprimable  aban- 
don de  maintien, de  regards,  de  paroles,  faisait  mener  an 
bon  régent  son  père.  Eh  1  combien  elle  alla  grand  train,  la 
vie  de  cette  mademoiselle  d'Orléans  !  Jetée  dans  la  tombe  à 
vingt-quatre  ans,  elle  avait  paru  capable  de  tous  les  crimes, 
elle  avait  épuisé  toutes  les  maladies  qu'enfantent  l'intempé- 
rance et  la  lubricité,  rêvé  toutes  les  ambitions,  poussé  à  bout 
tous  les  vices,  tari  la  coupe  de  toutes  les  voluptés,  depuis 
.a  grossière  et  bruyante  crapule  du  soldat  aux  gardes,  qui 
s'enivre  de  vin  et  de  tabac,  jusqu'aux  recherches  raffinées 
de  la  courtisane  habile  à  raviver  les  sens  usés,  ennuyés,  bla- 
sés des  princes.  Quel  biographe  aurait  la  plume  assez  peu 
chaste  pour  nous  faire  voir  la  duchesse  de  Berry-Orléans 
montrant  le  premier  jour  au  lit  conjugal  un  aplomb  capable 
d'étonner  tout  le  monde,  excepté  son  jeune  et  débonnaire 
époux,  qui,  sous  l'empire  de  l'amour  et  de  l'illusion,  ne  vit 
en  cela  qu'un  charme  de  plus?  Dès  les  premières  semaines 
du  mariage ,  le  duc  de  Berry  ne  suffît  plus  seul  à  l'exigence 
des  sens  effrontés  de  la  duchesse,  et  sa  couche  ducale 
devint  un  théâtre  où  l'acteur  principal  change  souvent,  si 
l'héroïne  reste  toujours  la  même.  Alors  éclatent  les  indé- 
cences en  pubUc,  alors  commencent  les  courses  avec  les 
jeunes  gens. 

Devenue  folle  d'un  écuyer  de  son  époux,  nommé  De- 
lahaye,  champion  au  teint  rosé,  au  cœur  sensible,  ardent, 
délicat,  ne  veut-elle  pas,  dans  une  visée  d'héroïne  de  ro- 
man, se  faire  enlever  par  lui?  Elle  prétend  qu'il  l'em- 
mène en  Hollande  ;  et  l'amant  trop  favorisé  n'échappe  à 
cette  périlleuse  nécessité  qu'en  révélant  au  régent  la  nou- 
velle folie  de  sa  fille.  Au  reste,  Delahaye  n'est  pas  le  seul  : 
elle  admet  dans  sa  maison,  tenue  avec  le  luxe  d'une  reine, 
maints  braves  aux  belles  moustaches,  soit  afin  de  remplir  les 
entr'actes  de  sa  passion  en  titre,  soit  «  pour  se  faire  compter, 
dit  Saint-Simon,  entre  l'Espagne  et  son  père,  et  se  tourner 
<lu  côté  le  plus  avantageux;  »  car  jamais  elle  ne  cessa  d'allier 
aux  gofits  d'une  Messaline  les  soins  ambitieux  d'une  femme 
qui  se  sent  appelée  à  gouverner  les  hommes,  sans  doute  parce 
qu'elle  les  méprisait  autant  qu'elle  en  était  méprisée. 


Le  règne  de  Delahaye  ne  fut  pas  long.  Ce  Lauzun,  qui 
avait  épousé,  tourmenté,  vilipendé  la  grande  Mademoiselle 
d'Orléans-Montpensier ,  ce  Lauzun,  dont  l'insurmontable 
impudence  avait  imposé  à  l'orgueil,  jusque  alors  invaincu,  de 
Louis  XIV;  ce  Lauzun,  qui  tenait  pour  maxime,  comme 
dit  Saint-Simon  «  que  les  Bourbons  veulent  être  rudoyés 
et  menés  le  bâton  haut,  sans  quoi  on  ne  pourrait  conserver 
sur  eux  aucun  empire  ;  •»  ce  Lauzun  avait  un  neveu,  comme 
lui  cadet  de  Gascogne  :  c'était  Rion,  au  teint  bilieux  et 
verdàtre,  mais  aux  puissantes  épaules.  Un  tel  homme,  formé 
à  pareille  école,  était  bien  digne  de  conquérir  toutes  les  af- 
fections de  la  fille  du  régent.  Avec  cette  duchesse  de  Berry, 
qui  faisait  trembler  son  père,  qui  tenait  à  distance  respec- 
tueuse sa  mère,  qui  avait  bravé  les  mécontentements  et  la 
sévérité  bigote  du  vieux  sultan  de  Versailles ,  Rion  prend 
le  ton  de  maître  ;  il  la  traite  en  esclave,  la  contrarie  sur  ses 
dépenses,  sur  sa  toilette,  sur  tout  ;  il  la  mène  bride  haute, 
il  va  jusqu'à  ne  pas  lui  dissimuler  la  préférence  et  les  ca- 
resses qu'il  accorde  à  M™*  de  Mouchy,  l'une  des  femmes  de 
la  princesse  ;  enfin ,  à  la  mort  du  duc  de  Berry,  il  se  fait 
épouser  par  la  noble  veuve ,  et,  comme  on  le  conçoit  sans 
peine,  le  mari  se  montre  encore  bien  moins  traitable  que 
l'amant.  Trop  heureux  le  régent,  que  la  mort  prématurée  de 
sa  fille  l'ait  débarrassé  de  la  nécessité  de  reconnaître  haute- 
ment ce  mariage,  car  c'était  chaque  jour  nouvelles  scènes 
de  la  part  de  la  duchesse  pour  qu'il  le  fit  déclarer. 

Afin  de  compléter  ce  tableau  du  vice  puni  par  lui-même 
(car  sans  cela  trop  heureux  seraient  les  gens  de  race 
royale),  suivrai-je  la  duchesse  de  Berry  dans  ses  amours 
incestueux  avec  son  père?  Digne  et  monstrueux  couple!  un 
père  que  la  postérité ,  d'accord  avec  Louis  XIV,  a  qualifié 
de  fanfaron  de  crimes,  une  fille  si  merveilleusement 
chassant  de  race  qu'elle  semblait  moins  affectionner  de  hon- 
teux tôte-à-tête  que  de  publiques  orgies  !  On  peut ,  dans  les 
Mémoires  de  Saint-Simon,  l'ami  du  régent,  l'époux  de 
la  dame  d'honneur  de  la  duchesse,  lire  la  description  d'un 
gala  dans  lequel  le  père  et  la  fille  se  donnèrent  en  spectacle 
de  la  manière  la  plus  extraordinaire  :  «  Madame  la  duchesse 
de  Berry ,  dit-il ,  et  M.  le  duc  d'Orléans  s'y  enivrèrent  au 
point  que  tous  ceux  qui  étaient  là  ne  surent  que  devenir. 
L'effet  du  vin  par  haut  et  par  bas  fut  tel  qu'on  en  fut  en 
peine ,  et  ne  la  désenivra  pas ,  tellement  qu'il  fallut  la  ra- 
mener en  cet  état  à  Versailles.  «  La  duchesse  de  Berry  et 
son  père  furent  les  inventeurs  du  bal  de  l'Opéra,  non  pas 
avec  ses  folies  ridiculement  innocentes ,  mais  avec  les  mys- 
tères raffinés  de  la  prostitution  en  petites  loges  :  c'est  là 
que  cette  princesse ,  si  fière  du  sang  royal  qui  coulait  dans 
ses  veines,  trouvait  qu'au  paradis  tous  les  mortels  sont 
égaux ,  et  s'abandonnait  avec  une  joie  frénétique  aux  ca- 
resses de  maint  séduisant  roturier.  Tous  les  mémoires  con- 
temporains affirment  qu'incestueuse  par  ambition  autant  que 
par  lubricité,  celle  princesse  s'offrit  à  son  père  :  elle  espérait 
le  gouverner  ;  et  si  elle  ne  put  tout  à  fait  y  réussir,  le  régent 
étant  peu  accessible  de  ce  côté,  du  moins  elle  acquit  sur  lui 
beaucoup  plus  d'influence  qu'aucune  autre  maîtresse.  Sur  la 
fin,  le  régent,  soit  pnidence,  soit  lassitude  de  libertin  chan- 
geant ,  parvint  à  se  soustraire  presque  entièrement  au  joug, 
et  ce  furent  les  efforts  qu'elle  fit  pour  le  captiver  de  nouveau 
qui  causèrent  la  mort  de  la  duchesse. 

Du  vivant  du  duc  de  Berry ,  la  cour  retentit  plus  d'une 
fois  des  contestations  qui  éclatèrent  entre  le  mari  jaloux  et 
le  beau-père.  Le  duc  de  Berry ,  peu  de  temps  après  une 
scène  des  plus  vives  à  ce  sujet ,  fut  frappé  de  la  courte  ma- 
ladie qui  l'enleva  à  la  fleur  de  l'âge  ;  et  le  public  douta  peu 
que  le  poison ,  administré  par  la  femme ,  ne  fût  venu  à 
propos  calmer  lafureur  dumari.  Rien  n'estmoins  prouvé  que 
cet  empoisonnement;  mais  ce  ne  fut  pas  le  seul  crime  de 
ce  genre  dont  on  ait  accusé  la  duchesse  de  Berry.  La  mort 
du  duc  de  Bourgogne  et  celle  de  sa  vertueuse  épouse  lui 
furent  attribuées  :  cela  n'a  pas  été  prouvé  davantage;  mats 


70 


BERRY 


toutes  ces  accusations  ont  eu  la  vraisemblance  que  leur  don- 
nait le  caractère  connu  de  la  duchesse  de  Berry ,  tandis  que 
l'histoire,  pour  laver  le  régent  de  tout  soupçon  de  ce  genre, 
n'a  eu  besoin  que  de  jeter  un  coup  d'oeil  impartial  sur  la 
bonté  facile  de  son  àmc,  à  la  fois  si  humaine  et  si  corrompue. 
La  soif  de  dominer  régnait  aussi  bien  dans  le  cœur  de  la 
duchesse  que  la  soif  des  plaisirs.  Elle  voulait  primer  à 
tout  prix  :  elle  avait  tous  les  vices  de  l'ambition ,  et  l'ingia- 
titude  au  premier  degré.  Elle  devait  tout  à  la  duchesse  et  au 
duc  de  Bourgogne,  qui  avaient  amené  son  union  avec  le  duc 
de  Berry,  malgré  les  répugnances  de  Louis  XIV  et  du  grand 
dauphin ,  répugnances  fondées  sur  la  connaissance  de  ses 
vices  et  de  ses  travers.  A  peine  mariée ,  elle  ne  dissimula 
pas  sa  haine  contre  sa  bienfaitrice  et  contre  tous  ceux  qui 
avaient  eu  part  à  ce  résultat;  dans  son  immense  vanité,  elle 
ne  craignait  pas  de  déclarer  qu'avoir  contribué  à  son  élé- 
vation c'était  avoir  encouru  son  inimitié. 

Orgueilleuse  jusqu'à  l'extravagance,  elle  parut  un  soir  au 
spectacle  sous  un  dais ,  en  présence  de  son  père  et  de  sa 
mère,  et  il  fallut  que  les  murmures  du  public  châtiassent 
cette  insolence.  Sur  une  estrade  également  elle  voulut  re- 
cevoir l'ambassadeur  de  Venise.  Le  diplomate  se  retira  con- 
fondu. «  Celte  folie  d'une  jeune  personne  occupa  toute  l'ICu- 
rope,  dit  Lacretelle;  les  ambassadeurs  protestèrent,  et  il 
fallut  que  le  régent  promît  que  pareille  scène  ne  se  renou- 
vellerait plus.  »  La  duchesse  d'Orléans  était,  comme  on 
sait,  une  fdle  légitimée  de  Louis  XFV  et  de  madame  de 
Montespan  :  croirait-on  que  pour  ce  motif  elle  fut  cons- 
tamment l'objet  des  insultes  de  sa  (ille,  la  duchesse  de  Berry? 
Que  de  scènes  scandaleuses  au  milieu  desquelles  le  régent, 
mari  infidèle,  père  incestueux,  fut  obligé  de  s'interposer 
entre  son  épouse  délaissée  et  sa  fille  favorite  !  Celle-ci  voulut 
un  jour  chasser  un  huissier  dont  le  seul  crime  était  d'avoir 
chez  elle  ouvert  les  deux  battants  à  la  duchesse  d'Orléans, 
honneur  qui  ne  s'accordait  pas,  à  la  vérité,  aux  filles  du  roi 
légitimées,  mais  que  cet  officier  avait  cru  devoir  à  la  mère 
delà  duchesse  venant  faire  visite  à  sa  fille.  La  duchesse  d'Or- 
léans avait  en  sa  possession  des  pendants  d'oreilles  en  dia- 
mants que  convoitait  la  duchesse  de  Berry.  La  veille  d'un 
grand  bal  donné  à  la  cour,  elle  avait  essayé  vainement  de 
les  obtenir  de  sa  mère.  Piquée  de  ce  refus ,  elle  menaça 
son  père  de  rompre  avec  lui  si  elle  n'avait  par  son  moyen 
les  diamants  d«  sa  mère.  Le  duc  d'Orléans  va  docilement 
les  demander  à  sa  femme ,  sous  prétexte  de  les  mettre  en 
gage  pour  acquitter  une  dette.  Madame  d'Orléans  livre  son 
écrin,  et  le  lendemain  la  duchesse  de  Berry,  triomphante,  se 
montre  au  bal  avec  les  pendants  d'oreilles.  Le  scandale  était 
au  comble;  les  cris  et  les  pleurs  de  la  duchesse  d'Orléans 
y  ajoutèrent  encore,  en  ne  laissant  aucun  doute  sur  les 
odieuses  accusations  auxquelles  étaient  en  butte  le  père  et 
la  fille. 

La  mort  de  la  duchesse  de  Berry  fut  digne  de  sa  vie. 
Elle  voulait  les  derniers  sacrements ,  car  chez  elle  la  peur 
du  diable ,  dit  Saint-Simon ,  s'alliait  à  l'amour  de  tous  les 
vices.  Le  curéLanguet,  approuvé  par  le  cardinal  deNoailles, 
archevêque  de  Paris,  refusait  de  (aire  son  office,  si  la  prin- 
cesse ne  commençait  par  chasser  de  sa  maison  Riou ,  son 
amant,  et  la  dame  de  Mouchy,  maîtresse  avouée  du  der- 
nier. Dominée  jusqu'à  la  fin  par  ces  deux  intrigants ,  la  du- 
chesse ne  voulait  rien  moins  que  faire  jeter  le  curé  par  la 
fenêtre.  Elle  accoucha,  et  parut  sauvée;  elle  alla  môme 
jusqu'à  se  persuader  que  l'on  avait  pu  cacher  sa  grossesse 
et  sa  délivrance.  Après  quelques  jours  de  convalescence, 
voulant  reconquérir  son  ancien  ascendant  sur  son  père,  qui 
semblait  s'éloigner  d'elle ,  elle  lui  offrit  une  fête  nocturne 
dans  les  jardms  de  Meudon.  Le  régent  vint.  Dans  cette  or- 
gie, sur  laquelle  planait  la  mort,  elle  s'exposa  d'autant 
plus  imprudemnîent  au  froid  qu'elle  prétendait  toujours 
donner  le  change  au  public  sur  son  accouchement.  Cette 
nuit  fut  la  dernière  de  ces  fêles  :  atteinte  à  la  fois  d'un 


fiisson  glacial  et  d'une  fièvre  brillante ,  il  fallut  l'emporlei 
dans  son  lit  :  elle  ne  se  releva  plus.  Celle  fois  les  sacrements 
ne  lui  furent  pas  refusés  :  elle  les  reçut  avec  appareil, , 
portes  ouvertes ,  fit  à  l'assistance  un  beau  discours,  puis, 
restée  seule  avec  ses  intimes ,  leur  demanda ,  comme  l'em- 
pereur Auguste  à  ses  amis,  si  elle  n'avait  pas  bien  joué  son 
rôle.  Un  ou  deux  jours  après,  nouvelle  peur  du  diable,  nou- 
veaux sacrements ,  mais  reçus  du  moins  celte  fois  avec  dé- 
cence. Elle  morte,  le  régent  fut  seul  à  la  regretter;  mais  il 
ne  voulut  point  qu'elle  eût  d'oraison  funèbre  :  cependant 
Massillon,  qui  avait  sacré  le  cardinal  Dubois ,  était  là  avec 
son  habile  et  onctueuse  phraséologie.  Cette  pudeur  de  la  part 
du  régent  fut  un  trait  d'esprit.        Charles  Do  Rozom. 

BERRY  (Charles-Feudinand,  duc  de),  second  fils  du 
comte  d'Artois  {voyez  Charles  X)  et  de  Marie-Thérèse  de 
Savoie,  naquit  à  Versailles,  le  24  janvier  1778,  fut  élevé 
avec  leducd'Angoulême,  son  frère  aîné,  par  le  duc  de 
Sérent,  et  de  bonne  heure  fit  preuve  d'un  caractère  heu- 
reux ,  d'une  grande  présence  d'esprit,  et  de  l'art,  si  difficile, 
de  tenir  à  chacun  le  langage  qui  convient  à  sa  position. 
En  1789,  il  suivit  son  père  dans  l'émigration,  et  servit  avec 
lui  à  l'armée  de  Condé  jusqu'en  1798.  Plus  tard,  il  accom-, 
pagna  le  chef  de  sa  maison  en  Russie;  puis  en  1801  il  vint 
s'établir  en  Angleterre ,  vivant  alternativement  à  Londres  et 
à  Edimbourg.  11  y  épousa  même  une  jeune  Anglaise  de  famille 
plébéienne  ;  deux  filles  sont  issues  de  ce  mariage,  que  la  poli- 
tique de  Louis  XYIIl  lui  fit  ensuite  annuler,  comme  ayant 
été  contracté  sans  son  consentement  :  l'une  a  depuis  épousé 
le  marquis  de  Charetle ,  et  l'autre  le  prince  de  Faucigny. 

Lorsque  nos  désastres  de  1813  et  de  1814  eurent  rouvert 
les  portes  de  la  France  à  la  famille  de  Bourbon ,  le  duc  de 
Berry,  qui  était  allé  s'établir  à  Jersey,  comme  dans  un  poste 
d'observation ,  débarqua  le  13  avril  à  Cherbourg,  d'où  il  se 
dirigea  sur  Bayeux ,  Caen,  Rouen ,  etc.,  gagnant  partout  sur 
son  passage,  disent  les  relations  de  l'époque,  par  l'affabilité 
de  son  langage ,  les  populations  et  les  gardes  nationales  à  la 
cause  royale ,  et  triomphant  des  préjugés  des  soldats  eux- 
mêmes  par  ses  manières  franches ,  brusques  et  toutes  mi- 
litaires. AccueQli ,  raconte-t-on ,  dans  une  revue  par  des  cris 
de  Vive  l'empereur!  il  ne  put  contenir  la  fougue  de  son 
caractère ,  et  s'écria  avec  humeur  :  «  Et  qu'avait-il  donc  de 
si  merveilleux,  cet  homme?  —  11  nous  conduisait  à  la  vic- 
toire, répondit  un  grenadier.  —  Avec  des  gens  tt;ls  que 
vous,  cela  n'était  pas  difficile,  »  repartit  le  prince.  Une 
autre  fois ,  il  dit  à  un  vieux  général  :  «  Nous  commençons 
à  peine  à  nous  connaître;  mais  quand  nous  aurons  fait  en- 
semble quelques  campagnes,  nous  nous  connaîtrons  mieux  !  « 
On  remplirait  un  volume  des  mots  heureux  qu'on  prêta 
alors  à  chacun  des  membres  de  la  famille  royale.  Le  duc 
d'Angoulême  lui-même  eut  les  siens ,  et  ils  n'étaient  pas 
des  moins  bons  ;  ce  dont  on  ne  devra  pas  s'étonner  quand 
on  saura  que  c'était  le  feu  comte  Beugnot,  de  spirituelle 
mémoire,  qui  en  avait  l'entreprise  et  la  fourniture.  Quoi 
qu'il  en  soit  de  la  vérité  de  ces  anecdotes,  peut-être  apo- 
cryphes, le  duc  de  Berry,  arrivé  le  21  avril  à  Paris,  fut 
nommé,  le  15  mai  suivant,  colonel  général  des  dragons,  et 
reçut  un  apanage  de  1,500,000  francs.  Au  mois  d'août  il 
alla  parcourir  les  départementsduISord  et  inspecter  les  places 
fortes  de  la  Lorraine,  de  la  Franche-Comté  et  de  l'Alsace. 
Lorsqu'en  mars  1815  Bonaparte  débarqua  au  goife 
Jouan,  Louis  XVIII  confia  au  duc  de  Berry  le  commande- 
ment supérieur  de  toutes  les  troupes  réunies  autour  de 
Paris  ainsi  que  de  la  garnison  de  la  capitale  ;  mais  le 
merveilleux  succès  de  l'entreprise  de  Napoléon,  qu'avaient 
si  admirablement  favorisée  les  fautes  sans  nombre  commises 
par  la  Restauration ,  força  le  duc  ainsi  que  le  reste  de  sa 
famille  à  quitter  Paris  dans  la  nuit  du  19  au  20  mars,  et  il 
suivit  Louis  XVIII ,  avec  une  partie  de  la  maison  militaire 
de  ce  prince,  à  Gaud  et  à  Alost,  oii  il  resta  jusqu'au  désastre 
de  Waterloo.  Le  8  juillet  il  fit  sa  rentrée  à  Paris ,  à  la  suite 


BERRY 


f\ 


du  roi,  son  oncle,  et  fut  nommé,  au  mois  d'août  1815, 
président  du  collège  électoral  du  département  du  Nord. 
Mais  le  duc  ne  tarda  pas  alors  à  s'éloigner  des  coteries  po- 
litiques dans  lesquelles  on  prétendait  à  toute  force  lui  faire 
jouer  un  rôle. 

Marié,  le  17  juin  1816,  à  Caroline-Ferdinande-Louise , 
pctite-fdle  du  \ieux  roi  de  Naples  {voijez  l'article  suivant), 
le  duc  de  Berry  semblait  ne  plus  vouloir  vivre  que  de  la 
vie  de  famille;  il  encourageait  les  arts,  protégeait  noblement 
les  lettres,  et  montrait  à  l'égard  des  hommes  qui  s'étaient 
compromis  avec  sa  famille  pendant  la  révolution  une  tolé- 
rance qui  n'en  contrastait  que  plus  vivement  avec  les  idées 
réactionnaires  dont  la  petite  cour  de  son  père  était  le  foyer. 
Une  princesse  était  déjà  née,  le  21  septembre  1S19,  de 
son  mariage  avec  la  princesse  des  Deux-Siciles ,  lorsqu'il 
fut  assassiné,  le  13  février  1820,  au  moment  où  il  recon- 
duisait la  duchesse  à  sa  voiture,  au  sortir  de  l'Opéra.  Le 
meurtrier,  arrêté  à  quelques  pas  de  là,  était  un  ouvrier  sel- 
lier, employé  dans  les  écuries  du  roi  depuis  trois  mois,  et 
qui,  sous  l'Empire,  avait  servi  dans  le  train.  Ce  fanatique 
avait  conçu,  à  ce  qu'il  paraît,  dès  1816  le  projet  d'assas- 
siner le  duc  de  Berry,  comme  étant  le  seul  des  membres  de 
la  famille  de  Bourbon  qui  semblât  destiné  à  la  perpétuer. 
Au  moment  où  le  prince,  après  avoir  aidé  sa  femme  à 
monter  en  voiture,  se  retournait  pour  rentrer  au  théâtre, 
l'assassin,  nommé  Louvel,  le  saisit  par  le  bras  et  lui 
plongea  dans  le  côté  droit  un  poignard  à  deux  tranchants, 
long  de  huit  centimètres.  «  Je  suis  assassiné!  »  s'écria 
au  même  instant  le  malheureux  duc  de  Berry;  et  il  tamba 
dans  les  bras  d'un  aide  de  camp  accouru  à  son  secours. 
Transporté  aussitôt  dans  un  salon  dépendant  des  bureaux 
de  l'administration  duthéitre,  l'agonie  du  prince  dura  encore 
sept  heures.  Il  avait  tout  de  suite  perdu  connaissance.  Ce- 
j)endant  il  revint  à  lui  vers  deux  heures  du  matin,  et  môme 
reconnut  tous  ceux  cpii  l'entouraient.  C'étaient  sa  femme, 
son  frère,  son  père,  le  duc  de  Bourbon,  le  duc  et  la  du- 
chesse d'Orléans,  le  maréchal  Oudinot,  le  duc  de  Riche- 
lieu, etc.  Le  duc  de  Berry  leur  adressa  la  parole  malgré  les 
horribles  douleurs  qu'il  ressentait,  et  leur  annonça  qu'il 
sentait  que  sa  lin  approchait.  11  demanda  à  voir  sa  fille  une 
dernière  fois  ;  on  la  lui  apporta  ;  il  l'embrassa  tendrement  en 
lui  disant  :  «  Chère  enfant  !  puisses-tu  être  plus  heureuse  que 
ton  père  !  »  Après  s'être  entretenu  quelque  temps  à  voix 
basse  avec  son  frère,  M.  le  duc  d'Angoulême,  il  demanda  à 
recevoir  les  secours  de  la  religion.  M.  de  Latil,  aumônier 
«le  Monsieur,  s'étant  alors  approché,  le  duc  se  confessa  à 
lui  à  haute  voix  en  présence  de  tous  ceux  qui  se  trouvaient 
là,  demanda  à  Dieu  le  pardon  de  ses  fautes,  et  aux  hommes 
celui  des  offenses  qu'il  pouvait  leur  avoir  faites,  reçut  le 
saint  viatique,  et  interrompit  les  prières  des  assistants  pour 
réclamer  la  grâce  de  son  meurtrier. 

Vers  cinq  heures  du  matin,  arriva  enfin  Louis  XVIII, 
qu'on  ne  s'était  décidé  à  prévenir  du  nouveau  malheur  qui 
frappait  sa  race  qu'à  là  dernière  extrémité  et  lorsqu'il  ne 
restait  plus  d'espoir.  En  le  voyant  entrer,  le  duc  de  Berry 
lui  dit  d'une  voix  affaiblie  :  «  Sire ,  la  dernière  grâce  que  je 
vous  demande ,  c'est  la  vie  de  celui  qui  m'a  blessé  !  Grâce 
pour  l'hommel  (il  ne  désigna  jamais  auîi-ement  l'assassin). 
Ce  sera  sans  doute  quelqu'un  que  j'aurai  offensé  sans  le 
vouloir  !  »  Le  vieux  roi  se  prit  à  pleurer.  «  Ce  n'est  pas 
le  moment  de  parler  de  cela  !  répondit-il  à  son  neveu  ; 
occupons-nous  d'abord  de  votre  guérison  !  —  Oh  !  repartit 
le  prince ,  je  ne  me  fais  pas  illusion  sur  mon  état  !  u  En 
effet,  tous  les  moyens  employés  par  les  gens  de  l'art  furent 
inutiles;  le  sang  s'agglomérait  toujours  davantage  dans  la 
poitrine,  et  le  moment  fatal  approchait.  Sous  prétexte  de 
laisser  son  époux  prendre  un  peu  de  repos,  on  arracha  la 
malheureuse  duchesse  de  Berry  à  cette  scène  terrible ,  et 
on  obtint  de  la  duchesse  d'Angoulême ,  de  Monsieur  et  de 
son  fils ,  le  duc  d'Angoulême ,  qu'ils  passassent  dans  une 


pièce  voisine.  Le  vieux  roi  seul  refusa  de  s'éloigner  :  «  Je 
n'ai  pas  peur  de  la  mort,  répondit-il  aux  instances  de  ceux 
qui  l'entouraient,  et  il  me  reste  un  devoir  à  rendre  à  mon 
malheureux  neveu.  «  La  victime  allait  rendre  le  dernier 
soupir,  elle  eut  encore  la  force  de  prononcer  ces  dernières 
et  solennelles  paroles  :  «  Que  ne  suis-je  mort  dans  une  ba- 
taille !...  Qu'il  est  dur  pour  moi  de  périr  de  la  main  d'un 

Français!  O   ma  patrie! Malheureuse  France!...   »  Il 

pressa  encore  une  fois  la  main  de  son  oncle,  et  rendit 
l'âme.  Il  était  six  heures  du  matin  :  on  était  au  mardi 
14  février!  Louis  XVlll  s'approcha  alors  du  cadavre  de  son 
neveu  et  abaissa  les  paupières  sur  les  yeux  restés  fixes;  c'é- 
tait là  le  dernier  et  suprême  service  qu'il  avait  annoncé 
vouloir  rendre  encore  à  son  fils  adoptif. 

Sept  mois  environ  après  la  mort  de  son  mari,  la  du- 
chesse de  Berry  accoucha  du  duc  de  Bordeaux,  dont  la 
naissance  combla  de  joie  tous  les  amis  de  la  légitimité,  et 
qui  semblait  alors  deslmé  à  gouverner  un  jour  notre  pays. 
La  douleur  de  toute  celte  royale  famille  fut  digne  ;  mais  les 
passions  mauvaises  des  courtisans  s'empressèrent  de  l'ex- 
ploiter. On  voulut  à  toute  force  rendre  la  France  res- 
ponsable d'un  crime  qui  était  celui  d'un  fanatique  isolé, 
nous  aimons  du  moins  encore  à  le  ])enscr,  malgré  la  pré- 
sence d'indices  plus  ou  moins  accusateurs,  de  présomptions 
plus  ou  moms  graves,  qui  donnèrent  tout  aussitôt  lieu  à 
quelques-uns  de  soupçoimer  l'existence  d'une  de  ces  ma- 
chiavéliques combinaisons  dont  on  ne  retrouverait  le  fil 
qu'en  remontant  bien  avant  dans  le  siècle  dernier.  Quoi 
qu'il  en  ait  été,  on  punit  la  France  du  crime  de  Louvel  en 
y  trouvant  un  prétexte  pour  lui  ravir  une  à  une  ses  libertés. 
On  sait  où  cela  a  condmt  la  branche  ainée  des  Bourbons. 

BERRY  (Caroune-Ferdinande-Lolise,  duchesse  de), 
princesse  des  Deux-Siciles ,  aujourd'hui  comtesse  de  Luc- 
chesi-Palli,  mère  du  duc  de  Bordeaux,  est  née  à  Palerme, 
le  5  novembre  179S,  de  François  V,  roi  de  ÎNaples,  et  de 
Marie-Clémentine,  archiduchesse  d'Autriche.  Le  16  avril 
1816  elle  fut  mariée  par  i)rocuration  au  duc  de  Berry  {voyez 
l'article  précédent),  neveu  de  Louis  XVIIl,  et  second  fils 
de  Charles  X,  alors  comte  d'Artois. 

Comme  presque  toutes  les  jeunes  filles  de  Naples,  la 
princesse  Caroline  n'avait  reçu  qu'une  éducation  très-in- 
suffisante; mais,  douée  d'une  âme  chaleureuse  et  confiante, 
d'un  esprit  vif  et  d'une  intelligence  facile,  passionnée  pour  les 
arts  et  pour  tous  les  plaisirs  qui  peuvent  embellir  la  vie  d'une 
femme  aimable,  elle  devait  exercer  autour  d'elle  une  grande 
séduction.  Sans  être  belle,  elle  a  de  la  grâce;  sa  physio- 
nomie porte  une  certaine  expression  de  douceur  et  de  mé- 
lancolie qui  insp'ure  à  la  fois  le  respect  et  la  confiance.  A 
son  arrivée  en  France ,  où  elle  fit  son  entrée  à  Marseille  le 
30  mai  1816,  elle  se  recommanda  par  la  franchise  et  la 
simplicité  de  ses  manières.  Le  duc  de  Lévis,  que  Louis  XVIII 
lui  avait  donné  pour  chevalier  d'honneur,  voulut  la  com- 
plimenter en  italien  :  «  En  français,  dit-elle,  en  français  ;  je 
ne  connais  pas  d'autre  langue.  »  A  Fontainebleau ,  elle  eut 
le  7  juin  sa  premièie  entrevue  avec  la  famille  royale  ;  entrée 
solennellement  le  17  à  Paris,  elle  reçut  le  lendemain  la 
bénédiction  nuptiale  à  Notre-Dame.  Les  deux  conjoints 
étaient  cousins ,  et  descendaient  de  Louis  XIV  au  sixième 
degré.  On  remarqua  dans  le  temps  que  l'autel  était  tendu 
aux  trois  couleurs.  La  France  avait  alors,  dans  le  corps  lé- 
gislatif,  deux  majorités,  qui  faisaient  au  profit  du  pouvoir 
de  l'enthousiasme  et  de  la  générosité  aux  dépens  du  pays. 
Le  duc  de  Richelieu,  président  du  conseil,  en  annonçant  ce 
mariage  à  la  Chambre  des  Députés,  avait  demandé  un  mil- 
lion pour  augmenter  l'apanage  du  duc  de  Berry,  et  cette 
assemblée  vota  1,500,000  francs. 

Tous  les  mémoires  du  temps  s'accordent  à  dire  que  les 
nouveaux  époux  firent  bon  ménage,  bien  que  la  duchess<î 
ne  pût  ignorer  l'union,  trop  publique,  de  son  mari  avec 
Virginie  Letellier,  danseuse  de  l'Opéra.  Le  prince  était  plein 


72 


liERRY 


d'égards  ponr  sa  feœnn!,  et  vivait  avec  elle  bourgeoisement. 
Il  était  comme  elle  amateur  éclairé  en  peinture,  et  tous 
deu\  se  faisaient  un  plaisir  d'encourager  les  artistes ,  dont 
ils  achetaient  les  tableaux  avec  une  sorte  d'émulation.  Après 
deux  fausses  couches,  la  duchesse  mit  au  monde,  le  21  sep- 
tembre 1819,  une  fdle,  qui  fut  nommée  Louise-Marie-Thérèse, 
Mademoiselle.  Six  mois  après  (13  février  1820),  le  poi- 
gnard de  Louvel  rendit  veuve  la  duchesse  de  Berry.  Elle 
recueillit  les  derniers  soupirs  de  son  époux ,  et  montra  tout 
le  respect  qu'elle  avait  pour  sa  mémoire  en  assurant  le  sort 
des  fdles  qu'il  avait  eues  d'un  premier  mariage  contracté  à 
Londres.  Le  prince  défunt  avait  laissé  sa  royale  veuve  en- 
ceinte. Au  mois  de  mai  1820,  deux  individus  obscurs.  Gra- 
vier et  Bouton,  en  déposant  un  pétard  auprès  du  pavillon 
Marsan,  où  logeait  la  princesse,  tentèrent  de  détruire  par 
un  accouchement  anticipé  les  espérances  que  les  royalistes 
fondaient  sur  sa  fécondité.  Tous  deux ,  sur  la  déclaration 
d'un  jury,  furent  condamnés  à  mort.  La  duchesse  de  Berry 
s'honora  en  demandant  leur  grâce,  et  Louis  XVIII  com- 
mua la  sentence. 

Dans  la  nuit  du  28  au  29  septembre,  elle  accoucha  d'un 
fds,  qui  fut  nommé  Charles-Ferdinand-Marie -Dieudonné 
d'Artois,  duc  de  Bordeaux.  Personne  ne  se  réjouit  plus 
de  cet  événement  que  Louis  XVIIl ,  qui ,  dit-on ,  obsédé  par 
les  intrigues  de  son  frère,  s'écria  :  «  Maintenant  on  ne  nous 
fera  pas  l'affront  de  nous  contraindre  à  désigner  notre  hé- 
ritier de  notre  vivant.  »  Les  royalistes  appelèrent  le  duc  de 
Bordeaux  Venfant  du  miracle.  Leurs  adorations  autour  d'un 
berceau  furent  tournées  en  ridicule  par  les  libéraux,  et  même 
parles  bonapartistes,  qui  oubliaient  qu'ils  en  avaient  fait  au- 
tant pour  le  roi  de  Rome.  Les  ennemis  de  Napoléon  avaient 
nié  dans  le  temps  l'identité  de  son  fils;  les  ennemis  des 
Bourbons  prétendirent  de  même  que  le  duc  de  Bordeaux 
était  un  enfant  supposé  ;  et ,  comme  dans  toutes  les  intri- 
gues de  ce  genre  contre  la  branche  aînée ,  le  nom  d'Orléans 
fut  toujours  mis  en  avant;  il  parut  dans  les  journaux  anglais 
une  protestation  attribuée  au  chef  de  la  branche  cadette.  Des 
écrivains  zélés  pour  la  royauté  du  7  août  18.30  n'ont  pas 
manqué  de  reproduire  cette  pièce.  C'est  ainsi  qu'à  la  naissance 
du  dauphin,  fils  de  Louis  XYI,  le  père  de  Louis-Philippe 
avait  protesté,  dit-on,  contre  la  légitimité  du  fils  de  Marie- 
Antoinette.  Sans  nous  arrêter  à  toutes  ces  iniquités,  sans 
examiner  s'il  n'est  point  des  cas  où  l'on  se  rend  complice  de 
certaines  assertions  en  s'abstenant  de  protester  contre  elles, 
sous  prétexte  qu'on  les  méprise,  nous  dirons  qu'il  suffit 
d'avoir  vu  le  duc  de  Bordeaux  auprès  de  sa  mère  pour  être 
frappé  de  sa  ressemblance  avec  elle.  Quoiqu'il  n'ait  presque 
rien  de  Bourbon  dans  la  physionomie,  cette  particularité  ne 
prouve  rien  contre  sa  légitimité.  Le  sang  de  la  maison  d'Au- 
triche, le  type  autrichien,  pour  me  servir  de  l'expression 
consacrée,  domine  chez  le  jeune  prince  aussi  bien  qu'il  do- 
minait dans  le  fils  de  Napoléon ,  et  qu'il  se  montre  encore 
aujourd'hui  dans  les  fils  de  Louis-Philippe  et  de  Marie-Amélie 
de  Naples ,  tante  de  la  duchesse  de  Berry. 

La  naissance  du  duc  de  Bordeaux  commença  à  donner 
à  sa  mère  quelque  importance  politique;  et  lorsque,  après 
ses  relevailles,  elle  reçut  le  corps  diplomatique,  elle  eut  à 
le  remercier  d'avoir  donné  à  son  fils  le  nom  tVenfnnt  de 
l'Europe.  Le  baptême,  qui  se  fit  le  l^""  mai  1821 ,  fut,  dit-on, 
conféré  avec  de  l'eau  du  Jourdain  conservée  depuis  plus  de 
quinze  ans  par  M.  de  Chateaubriand.  Une  souscripliun 
royaliste  s'ouvrit  pour  faire  don  au  jeune  prince  du  château 
de  Chambord.  Alors  que  toutes  les  ambitions  se  pressaient 
autour  de  son  fils,  la  duchesse  de  Berry  demeura  étrangère 
aux  affaires.  Après  avoir  consacré  à  la  retraite  le  temps  de 
son  deuil,  elle  recommença  à  chercher  les  amusements  de 
son  âge.  Elle  suivait  les  spectacles  avec  assiduité  ;  elle  devint 
la  protectrice  du  Gymnase  dramatique ,  dont  les  ac- 
teurs l'avaient  suivie  dans  un  voyage  ([u'elle  fit  à  Dieppe.  Ce 
théâtre  naissant  répondait,  par  le  genre  neuf  et  piquant  de  ses 


pièces',  à  un  des  besoins  littéraires  de  notre  époque.  11  fut, 
en  1823,  menacé  par  cet  esprit  de  vandalisme  qui  présidait 
à  l'administration  surnommée  déplorable.  La  protection' 
de  la  duchesse  de  Berry  sauva  le  Gymnase ,  qui  fut  appelé 
Théâtre  de  Madame. 

Ses  fréquents  voyages  à  Dieppe ,  où  elle  fonda  et  protégea 
plusieurs  établissements,  ses  visites  aux  eaux  du  Mont 
Dore ,  son  excursion  en  Béarn ,  contribuèrent  à  la  rendre 
populaire;  car  partout  elle  se  montrait  aimable  et  bienfal 
saute.  Les  marchands  de  la  capitale  la  regardaient  comme 
la  patronne  de  leurs  boutiques  :  elle  achetait  beaucoup,  ei 
payait  exactement.  Des  hommes  de  lettres  et'  des  artistes 
lui  durent  des  encouragements.  Cependant  son  revenu  était 
modique  en  comparaison  des  sommes  immenses  dont  la  listé 
civile  pouvait  disposer.  Rien  n'était  mieux  entendu  que  lea 
fêtes  données  par  la  duchesse  de  Berry  au  pavillon  Marsan 
ou  à  son  château  de  Rosny.  On  peut  se  rappeler  son  fameux 
bal  historique  du  carnaval  de  1830.  Elle  y  parut  en  Marie 
Stuart ,  et  le  duc  de  Chartres  en  François  II.  On  ne  fit  pas 
alors  attention  que  le  choix  de  ces  deux  infortunées  per 
sonnes  royales  était  assez  malheureux.  Les  témoins  de  cette 
lïte  brillante  ne  peuvent  avoir  oublié  combien  le  jeune  prince, 
à  peine  échappé  du  collège ,  était  heureux  et  fier  d'être  le 
chevalier  de  la  reine  de  la  fête.  Pour  la  nouvelle  Marie  Stuart, 
aux  yeux  des  personnes  qui  croient  aux  présages,  le  sinistre 
augure  est  suffisamment  accompli.  Le  public  savait  presque 
gré  à  la  duchesse  de  Berry  de  ses  plaisirs ,  par  cela  seul 
qu'ils  contrastaient  avec  la  bigoterie  du  reste  de  la  cour. 
Seulement  elle  eut  à  se  reprocher  d'avoir  donné  un  bal  le 
jour  de  l'exécution  des  quatre  sergents  de  La  Rochelle.  De 
telles  maladresses  sont  si  faciles  à  éviter  qu'on  ne  conçoit 
pas  qu'elles  se  répètent  si  souvent  chez  le  peuple  le  plus 
porté  à  les  blâmer  impitoyablement. 

Cependant  le  duc  de  Bordeaux  prenait  des  années.  Des 
mains  de  madame  la  duchesse  de  Gontaut ,  gouvernante  des 
enfants  de  France ,  il  avait  passé  dans  celles  des  hommes 
En  moins  de  trois  années ,  il  eut  trois  gouverneurs  ; 
MM.  Matthieu  de  Montmorency,  de  Rivière  et  de  Damas.  On 
savaitdans  le  public  que  la  duchesse  de  Berry  n'approuvait  pas 
la  direction  monacale  que  le  vieux  roi  voulait  qu'on  donnât 
à  l'éducation  de  son  fils.  Ce  fut  malgré  elle  que  l'abbé  Tharin, 
évêque  de  Strasbourg,  fut  nommé  précepteur.  Elle  avait 
obtenu,  au  commencement  de  l'année  1830,  l'éloignement 
de  cet  instituteur.  On  parlait  même  d'améliorations  intro- 
duites par  l'induence  d'un  habile  sous-précepteur  (M.  de 
Barande)  dans  l'éducation  de  cet  héritier  d'une  couronne 
constitutionnelle.  La  duchesse  de  Berry  venait  d'avoir  la 
satisfection  de  faire  les  honneurs  de  Paris  à  son  père,  le  roi 
de  Naples,  qui  était  venu  rendre  visite  à  Charles  X  ,  lorsque 
les  folles  combinaisons  de  M.  de  Polignac  amenèrent  une 
troisième  fois  la  chute  de  la  branche  aînée.  Durant  les 
journées  de  juillet,  la  duchesse  de  Berry  était  à  Saint-Cloud. 
On  prétend  qu'elle  crut  devoir  faire  à  Charles  X  des  repré- 
sentations qui  ne  furent  point  écoutées.  Quand  le  moment 
fut  venu  pour  le  vieux  roi  de  quitter  la  France,  la  duchesse 
de  Beri7  le  suivit  à  Cherbourg,  puis  à  Holy-Rood.  Dans 
ce  sombre  palais ,  témoin  de  tant  de  sinistres  catastrophes, 
elle  put  se  rappeler  cette  Marie  Stuart  dont,  huit  mois  au- 
paravant ,  elle  avait  joué  le  rôle  sous  un  costume  qui  lui 
allait  fort  bien. 

Malgré  son  abdication ,  Charles  X  n'avait  pas  voulu  con 
sentir  à  accorder  à  la  duchesse  de  Berry  le  litre  de  régente, 
de  peur  de  perdre  la  direction  de  l'éducation  du  duc  di 
Bordeaux.  Cependant  cette  princesse  avait  pris  la  résolutioi 
personnelle  de  rentrer  en  France.  Elle  quitta  l'Anglelerr 
le  17  juin  1831 ,  traversa  la  Hollande,  l'Allemagne,  la  Siiissi 
et  la  Lombardie  jus(iu'à  Gênes,  ]m\s.  alla  se  fixer  à  Sestri,  soui 
le  nom  de  la  comtesse  de  Sagnna,  mais  sans  prendre  au 
cunc  précaution  pour  dissimuler  sa  présence  et  ses  projets.^ 
Le  gouvernement  français  réclama ,  et  le  roi  de  Sardaigne 


BERRY 


73 


Cliaries-Âlbert ,  par  une  lethe  diplomatique,  la  fit  inviter 
poliment  à  quitter  ses  États.  La  duchesse  de  Beiry,  qui  se 
rappelait  l'accueil  distingué  que  Charles-Albert  avait  reçu 
huit  ans  auparavant  à  la  cour  de  Charles  X ,  fut  exaspérée 
de  cette  invitation.  «  La  royauté  s'en  va,  dit-elle  :  c'est 
comme  l'architecture  ;  mon  aïeul  a  fait  bâtir  des  palais , 
mon  grand-père  des  maisons ,  mon  père  des  bicoques ,  et 
mon  frère  des  nids  à  rats;  Dieu  aidant,  il  faudra  cependant 
bien  que  mon  fds  rebâtisse  des  palais  à  son  tour.  »  Du 
Piémont,  ta  princesse  se  rendit  à  Modène,  où  elle  fut  reçue 
avec  le  plus  vif  empressement.  A  Rome ,  où  elle  se  rendit 
ensuite,  la  duchesse  se  vit  obsédée  par  des  personnes  qui , 
dans  l'espoir  de  remplir  des  fonctions  éminentes  auprès  de 
la  régente ,  Ja  pressaient  de  faire  une  descente  en  France, 
où,  à  les  entendre,  l'ouest  et  le  midi  n'attendaient  que  sa 
présence  pour  se  soulever.  Cependant  les  hommes  sages  du 
parti  lui  écrivaient  de  la  manière  la  plus  positive  pour  la 
dissuader  d'une  telle  entreprise.  On  a  publié  dans  le  temps  la 
lettre  dans  laquelle  Chateaubriand  disait  que  «  ce  qui  pour- 
rait arriver  de  plus  funeste  à  la  petite-fille  d'Henri  IV  serait 
d'être  prise,  jugée,  condamnée  et  graciée  ». 

Placée  amsi  entre  les  conseils  de  la  prudence  et  ceux  de 
la  flatterie  intéressée ,  la  duchesse  de  Berry  suivit  l'impul- 
fiionde  son  naturel  aventureux.  Partie  le  21  avril  1832,  sur 
le  bateau  à  vapeur  le  Carlo-Alberto ,  elle  débarqua  furti- 
vement, en  dépit  d'une  grosse  tourmente,  dans  la  soirée 
du  29 ,  sur  une  des  côtes  de  la  rade  de  Marseille ,  et  passa 
la  nuit  à  l'abri  d'un  rocher,  enveloppée  dans  un  manteau , 
sous  la  garde  de  MM.  de  Ménars  et  deBourmont.  Elle 
avait  compté  sur  un  mouvement  royaliste  à  Marseille  ;  mais 
tout  se  borna  à  une  émeute  prompteraent  réprimée  par  la 
force  armée.  La  retraite  aurait  été  possible  que  la  prin- 
cesse n'y  eût  point  songé  ;  elle  se  décida  à  traverser  la  France 
dans  toute  sa  largeur,  pour  gagner  les  provinces  de  l'ouest. 
Avec  la  rapidité  qui  préside  à  toutes  ses  résolutions ,  elle  or- 
donne à  ses  deux  compagnons  de  se  séparer  d'elle  pour  éviter 
d'être  reconnus,  et,  sous  la  conduite  d'un  guide  campagnard 
que  le  hasard  lui  offre,  elle  se  dirige  vers  Montpellier  par  des 
chemins  de  traverse.  Une  maison  de  belle  apparence  frappe 
ses  regards  :  le  guide  lui  apprend  que  le  propriétaire  est  un 
maire  républicain  ;  sans  hésiter,  eUe  se  présente  à  ce  fonction- 
naire, lui  déclare  qui  elle  est,  se  confie  à  son  honneur,  et 
celui-ci  la  conduit  dans  son  cliar- à-bancs  à  la  ville  voisine. 

De  Montpellier,  où  M.  de  Ménars  était  arrivé  sans  en- 
combre, elle  se  rend  à  Toulouse,  on  elle  passe  un  jour;  et 
de  trois  heures  à  huit  heures  du  soir,  elle  reçoit  les  per- 
sonnes dévouées  à  sa  cause  avec  autant  de  tranquillité  que 
si  elle  eût  été  aux  Tuileries.  Arrivée  en  calèche  découverte 
h  Bordeaux,  où  elle  donne  audience  avec  la  même  publicité, 
la  princesse  s'achemine  vers  cette  forteresse  de  Blaye,  qu'elle 
doit  trop  tôt  revoir,  puis  se  remet  gaiement  en  route.  D'un 
château  voisin  de  Saint-Jeau-d'Angely,  où  elle  réside  quel- 
ques jours ,  elle  écrit  aux  légitimistes  de  Paris ,  et  lance 
dans  la  Vendée  une  proclamation ,  datée  du  1 5  mai ,  qui  se 
termine  ainsi  :  «  Ouvrez  à  la  fortune  de  la  France  ;  je  me 
place  à  votre  tête ,  sûre  de  vaincre  avec  de  pareils  hommes. 
Henri  V  vous  appelle;  sa  mère ,  régente  de  France,  se  voue 
à  votre  bonheur  :  tm  jour,  Henri  V  sera  notre  frère  d'armes 
si  l'ennemi  menaçait  nos  fidèles  pays.  Répétons  notre  ancien 
et  notre  nouveau  cri  :  Vive  le  roi!  vive  Henri  V!  »  Ces 
phrases ,  du  genre  de  celles  qu'on  avait  prodiguées  à  certains 
jours  de  danger  sous  la  Restauration ,  ne  produisirent  aucun 
effet  :  la  Vendée  était  peu  disposée  à  ce  que  les  chefs  légiti- 
mistes les  plus  dévoués  appelèrent  d'avance  une  sanglante 
échmiffourée.  D'ailleurs,  tout  matériel  manquait,  et  l'An- 
gleterre ne  se  crut  pas  intéressée  à  alimenter  xme  nouvelle 
guerre  civile.  Depuis  le  15  la  duchesse  était  entrée  dans  la 
Vendée .  déguisée  en  paysanne  ;  elle  avait  fait  le  sacrifice  de 
T-^a  longue  chevelure.  Au  mémoire  dans  lequel  les  chefs  de 
la  Vendée  déduisaient  tous  les  motifs  de  ne  pas  prendre  les 

DICT.    DE   I.A    CONVEIlS.    —    T     Iir. 


armes ,  elle  répondit  par  un  ordre  absolu  de  les  prendre  le  24. 
Les  légitimistes  de  Paris  voyaient  la  chose  du  même  œU  que 
les  Vendéens. 

Ici  se  placent  le  voyage  de  M.  Berry er  dans  l'ouest  et 
son  entrevue  avec  la  duchesse  pour  la  détourner  de  sou  fa- 
tal projet.  M.  de  Bourmont  était  tellement  contraire  à  l'in- 
smrection  qu'il  prit  sur  lui  d'envoyer  un  contre-ordre  pour 
retarder  la  prise  d'armes.  Malgré  tant  d'avis ,  dont  l'unani- 
mité aurait  au  moins  dû  l'arrêter,  la  duchesse  persista,  et 
ce  fut  dans  la  nuit  du  3  au  4  juin  que  commença  l'insur- 
rection. Par  une  coïncidence  assurément  bien  fortuite  (  car 
qui  pouvait  de  la  Vendée  prévoir  que  le  général  Lamarque 
mourrait  à  Paris  ce  jour -là  même?),  les  funérailles  de  ce. 
député  donnèrent  lieu  au  soulèvement  républicain,  qui  amena 
au  6  juin  la  canonnade  et  la  sanglante  réaction  de  Saint- 
Méry.  Le  même  jour,  les  Vendéens  se  faisaient  tuer  au  com- 
bat du  Chêne,  près  de  la  Vieille-Vigne  ;  et  tandis  que  Louis- 
Philippe  ,  victorieux ,  parcourait  à  cheval  le  pavé  encore 
rouge  de  Paris ,  la  duchesse  de  Berry,  au  milieu  des  balles, 
pansait  de  sa  main  les  blessés  sur  le  champ  de  bataille  :  elle 
manqua  d'être  prise,  elle  qui  n'attendit  pas  pour  se  montrer 
que  tout  fût  fini.  Ce  ne  fut  qu'en  troquant  son  cheval,  trop 
faible,  contre  celui  de  M.  de  Charette  qu'elle  put  échapper  à 
la  poursuite.  Pendant  plus  de  trois  semâmes ,  des  colonnes 
mobiles,  aux  ordres  du  général  Dermoncourt,  parcoururent 
le  pays  dans  toutes  les  directions ,  vingt  fois  sur  le  point  de 
la  prendre ,  et  n'y  parvenant  jamais  ;  ce  qui  fit  dire  à  un 
journal  légitimiste  :  «  Elle  couche  sous  un  buisson,  elle 
passe  la  nuit  au  bruit  du  vent  et  des  coups  de  fusil  qu'on 
tire  près  d'elle  et  sur  elle;  on  prend  tout  le  monde,  ou  ne 
la  prend  pas,  elle.  » 

C'est  dans  le  livre  de  ce  général ,  qui  fut  le  Renaud  de 
cette  nouvelle  Marphise,  qu'il  faut  Ure  tous  les  détails  de 
cette  vaine  poursuite,  de  ces  recherches  infructueuses,  qui 
avaient  l'air  d'une  mystification  pour  tous  les  partis.  «  Elle 
avait  toujours,  dit  M.  Dermoncourt,  quelques-uns  de  mes 
détachements  sur  les  talons  :  aujourd'hui,  on  lui  prenait  ses 

harnais,  le  lendemain  ses  habits et  elle  était  obligée  de 

fuir,  n'emportant  avec  elle  que  les  vêtements  qu'elle  avait 
sur  elle.  Cette  vie  était  intolérable  :  poursuivie  comme  elle 
l'était ,  la  duchesse  n'avait  pas  une  nuit  de  sommeil  com- 
plète; et  au  jour  le  danger  et  la  fatigue  se  réveillaient  en 
même  temps  pour  elle.  Elle  résolut,  de  l'avis  des  chefs  ven- 
déens, de  se  rendre  à  Nantes,  où  depuis  longtemps  un  asile 
lui  était  préparé.  »  Ce  fut  vêtue  en  paysanne ,  les  pieds  nus 
et  souillés  par  la  fange  de  la  route,  pour  dissimuler  Varisto- 
cratique  blancheur  de  ses  jambes ,  que ,  suivie  d'un  vieillard 
et  d'une  jeune  fille,  M.  de  Ménars  et  M"*  deKersabiec,  la 
duchesse  de  Berry  atteignit  sa  destination  :  la  demeure 
des  demoiselles  Du  Guigny  ;  là ,  on  lui  avait  disposé  une 
chambre  en  mansarde,  attenante  à  une  étroite  cachette 
pratiquée  sous  une  portion  de  toit ,  et  dont  la  seule  commu- 
nication avec  la  chambre  était  une  plaque  de  cheminée.  Pen- 
dant cinq  mois,  grâce  à  cette  cachette,  qui  paraissait  in- 
trouvable, la  duchesse  déjoua  toutes  les  recherches  de  la 
poUce.  Peut-être  y  eût-elle  échappé  tout  à  fait  sans  la  trahi- 
son du  juif  renégat  Deutz. 

Ce  misérable  était  neveu  d'un  autre  juif  renégat,  ce  Drach 
que  sous  la  Restauration  nous  vîmes  avec  scandale  élevé 
au  rang  de  bibliothécaire  de  la  Faculté  de  théologie,  en  Sor- 
bonne.  Deutz,  après  s'être  converti  comme  son  oncle,  fit 
des  bassesses  ;  mais  il  se  dépaysa,  et  à  Rome,  en  1831 ,  les 
personnes  les  plus  vénérables  le  présentèrent  à  la  duchesse 
de  Berry  comme  un  sujet  précieux.  La  princesse  n'en  de- 
manda pas  davantage;  et  comme  elle  n'accorde  pas  sa  con- 
fiance à  demi ,  l'infâme  eut  la  clef  de  tous  les  secrets  de  sa 
maîtresse.  Était-il  dès  lors  l'agent  de  la  police  de  Paris ,  et 
la  duchesse  de  Berry  ne  fut-elle  qu'un  automate  que  fit  à 
son  insu  mouvoir,  depuis  Massa  jusqu'à  Marseille,  et  depuis 
Maiv^cille  jusqu'à  Nantes,  la  politique  machiavélique  de  ceux 

10 


74 


lîERRY 


qu'empôcliait  de  Joimu-  le  titre  de  régente  que  prenait  la 
mère  d'Henri  V?  C'est  encore  là  un  de  ces  mystères  d'ini- 
quité qu'il  est  impossiljle  de  pi^nétrer.  Au  surplus,  on  peut 
lire  dans  les  Mémoires  du  général  Dermoncourt  celles  des 
intrigues  de  Deutz  qui  ont  pu  venir  à  la  connaissance  des 
hommes  qui  ne  sont  pas  dans  les  intimités  de  la  police.  On 
y  verra  que  ce  ne  fut  point  par  des  agents  secondaires,  mais 
par  les  ministres,  que  fut  négociée  avec  cette  haute  puissance 
une  trahison  payée,  dit-on,  au  prix  d'un  demi-million. 
Après  avoir  ainsi  fait  son  marché  avec  M.  Thiers,  Deutz 
arriva  à  Nantes,  accompagné,  surveillé  pax  l'agent  de  police 
Joly.  Il  obtint,  non  sans  peine,  une  audience  de  la  duchesse; 
et  une  heure  après ,  la  maison  où  elle  était  cachée  fut  cer- 
née de  troupes ,  d'administrateurs  et  de  mouchards.  Je  ne 
répéterai  pas  les  détails  de  cette  expédition  si  caractéris- 
tique :  toutes  les  forces  militaires  d'une  des  premières  places 
de  France  sur  pied  pendant  deux  jours  consécutifs  pour 
traquer,  découvrir,  arrêter  une  femme!  Peut-être  la  du- 
chesse de  Berry  aurait-elle  encore  échappé  aux  recherches 
(carDeutzavait  bien  le  secret  de  la  maison  et  de  la  chambre, 
mais  non  celui  de  la  cachette),  si  le  feu  allumé  dans  la 
cheminée  dont  la  plaque  donnait  entrée  à  cette  cachette 
n'eût  forcé  la  princesse  à  se  découvrir  elle-même.  Qu'on  juge 
de  toutes  les  toitures  morales,  de  tous  les  tourments  phy- 
siques qu'elle  eut  à  endurer  pendant  plus  de  trente  heures 
qu'elle  demeura ,  avec  M.  de  Ménars ,  M"^  de  Kersabiec 
et  M.  Guibourg ,  tapie  dans  ce  recoin ,  exposée  aux  intem- 
péries de  l'air  et  à  la  pluie  qui  pénétrait  par  le  châssis  du 
toit,  en  butte  à  la  faim,  à  la  soif,  à  l'insomnie,  à  tous  les 
besoins  de  la  nature,  puis,  en  dernier  lieu,  épuisée,  torréfiée 
par  la  chaleur  de  l'àtre  ! 

Durant  tous  ces  supplices,  elle  montra  non-seulement  de 
la  résignation  et  du  courage,  mais  cette  gaieté,  cette  liberté 
d'esprit  qui  ne  l'abandonna  jamais  dans  tous  les  périls  et 
iians  toutes  les  traverses  qu'elle  avait  subies  depuis  son  dé- 
barquement. Cette  force  d'âme  extraordinaire  dans  une 
femme  si  frêle  a  fait  dire  au  général  Dermoncourt  :  «  C'est 
une  de  ces  organisations  faibles  qu'un  souffle  semble  devoir 
courber,  et  qui  cependant  ne  jouissent  de  la  plénitude  de 
Jeur  existence  qu'avec  une  tempête  dans  les  airs  ou  dans 
le  cœur.  »  Ce  fut  donc  elle-même  qui ,  quand  il  lui  devint 
impossible,  ainsi  qu'à  ses  compagnons,  de  supporter  la 
chaleur,  adressa  la  parole  aux  gendarmes  de  faction  dans 
la  chambre  :  «  Je  suis  la  duchesse  de  Berry,  leur  dit-elle, 
ne  me  faites  point  de  mal.  u  Le  général  Dermoncourt,  qui 
avait  présidé  militairement  à  toutes  les  recherches ,  monta 
auprès  de  la  princesse.  Elle  s'avança  précipitamment  vers 
lui  en  s'écriant  :  «  Général  !  je  me  rends  à  vous  et  me  remets 
à  votre  loyauté.  —  Madame,  lui  répondit-il,  votre  altesse 
est  sous  la  sauvegarde  de  l'honneur  français.  —  Général, 
lui  dit-elle  ensuite,  je  n'ai  rien  à  me  reprocher;  j'ai  rempli 
le  devoir  d'une  mère  pour  reconquérir  l'héritage  de  mon 
fils.  «Dans  ce  moment,  divers  fonctionnaires  se  présentè- 
rent pour  constater  son  identité,  et  visiter  les  papiers  qu'elle 
pouvait  avoir.  Si  l'on  en  croit  les  mémoires  du  général  Der- 
moncourt, le  préfet  Maurice  Duval  crut  pouvoir  rester 
couvert  devant  la  princesse.  Au  moment  de  quitter  la  man- 
sarde, elle  dit  encore  au  général  :  «  Ah  !  si  vous  ne  m'aviez 
pas  fait  une  guerre  à  la  saint  Laurent,  ce  qui  est,  par  pa- 
renthèse, indigne  d'un  brave  militaire,  vous  ne  me  tiendriez 
pas  à  l'heure  qu'il  est.  »  La  chose  était  si  vraie  que  le  bas 
de  sa  robe  était  tout  brûlé  ainsi  que  ses  mains.  Elle  fut 
transférée  aussitôt  au  château  de  Nantes.  Ce  trajet  de 
soixante  pas  seulement  ne  fut  pas  sans  danger  ;  et  la  du- 
chesse, qui  s'appuyait  sur  le  bras  du  général  Dermoncourt, 
put  voir  aux  regards  dont  elle  était  l'objet  ce  qu'elle  avait 
pu  gagner  dans  l'opinion  en  inlliseant  à  Nantes  et  aux  po- 
pulations environnantes  les  fléaux  de  la  guerre  civile.  Arrivée 
au  château ,  elle  (it  un  premier  repas ,  après  avoir  clé  trente- 
six  heures  sans  rien  prendre. 


De  Nantes,  elle  ftit,  en  vertu  d'une  ordonnance  de  Loui.s. 
Philippe,  datée  du  8  novembre,  transportée  à  la  citadelle 
de  Blaye.  Le  premier  brait  du  débarquement  de  la  duchesse 
à  Marseille  avait  fait  aux  Tuileries  l'effet  d'une  apparition 
médusienne ;  et  par  une  dépêche  télégraphique,  l'on  avait 
ordonné  qu'elle  fût  transférée  en  Corse ,  pu.s  de  là  embar- 
quée pour  Palerme.  Cette  décision,  prise  spontanément, 
n'était  pas  dénuée  de  prudence  ni  môme  d'une  sorte  de  gé- 
nérosité. La  présence  de  la  duchesse  dans  la  Vendée  amena 
des  pensées  d'une  autre  nature.  Il  fut  résolu  que  si  on  par- 
venait à  la  prendre,  on  la  tiendrait  assez  longtemps  en  cap- 
tivité ,  afin  d'en  faire  un  épouvantail  pour  la  majorité  de 
la  Chambre,  en  attirant  sur  le  même  terrain  et  l'opposition 
patriote ,  scandalisée  d'une  détention  arbitraire  sans  juge- 
ment ,  et  l'opposition  carliste  exaspérée  de  voir  la  mère  de 
Henri  V  dans  les  fers.  En  tous  cas ,  ne  pouvait-on  pa<?  es- 
pérer que  l'auguste  captive,  pour  obtenir  sa  liberté,  ferait 
quelques  concessions,  sans  impoiiance  assurément  aux 
yeux  du  parti  patriote ,  mais  qui  en  auraient  beaucoup  aux 
yeux  de  l'Europe  monarchique?  Ces  considérations  dic- 
tèi  ent  sans  doute  l'ordonnance  du  8  novembre,  qui  releva  à 
la  fois  les  prisons  d'État  et  l'institution  des  lettres  de  ca- 
chet. Il  est  vrai  qu'un  de  ses  articles  promettait  de  d  -férer 
aux  Chambres  la  duchesse  de  Berry;  mais,  ainsi  que  les 
ministres  l'ont  dit  plus  tard,  jamais  on  n'eut  sérieusement 
cette  pensée.  Ainsi  fut  annulé  l'arrêt  de  la  cour  royale  de 
Poitiers,  qui  avait,  au  mois  de  septembre  précédent,  mis 
en  accusation  la  duchesse  de  Berry  pour  être  traduite  aux 
assises  de  la  Vendée. 

Sa  détention  à  Blaye  devint  le  sujet  de  tous  les  entretiens  ; 
tous  les  journaux  s'en  occupèrent,  et  l'on  doit  à  la  presse 
libérale  la  justice  de  dire  qu'elle  garda  constamment  pour  la 
duchesse  les  égards  dus  au  sexeetau  malheur.  S'il  y  eut  des 
exceptions ,  ce  fut  de  La  part  des  feuilles  ministérielles.  Le 
parti  royaliste  s'épuisa  en  brochures,  en  protestations,  en 
pétitions  pour  la  princesse  détenue.  Les  noms  les  plus  res- 
pectables et  les  plus  illustres,  tels  que  ceux  de  MM.  Cha- 
teaubriand, de  Kergorlay,  de  Conny,  Desèze,  etc. ,  figu- 
raient au  bas  de  ces  actes;  mais,  aucune  manifestation 
popidaire  ne  se  joignit  à  cette  guerre  de  plume  pour  la 
légitimité.  La  Vendée  même  se  pacifiait. 

Ce  fut  le  5  février  1833  que  fut  fait  à  la  Chambre  des  Dé- 
putés le  rapport  sur  les  nombreuses  pétitions  dont  la  cap- 
tive de  Blaye' était  l'objet.  Les  unes  demandaient  sa  mise  en 
liberté,  les  autres  sa  mise  en  jugement.  M.deBroglie,au 
nom  du  cabinet,  invoqua  de  hautes  convenances  pour  jus- 
tifier la  détention  sans  jugement  delà  duchesse;  il  dit  que 
les  membres  des  familles  qui  régnent  ou  qui  ont  régné  ne 
pouvaient  être  placés  sou.s  le  niveau  le  plus  pénible  et  le 
plus  luuniliant  de  la  loi.  Il  articula  que  cette  même  néces- 
sité, qui  avait  fait  chasser  Charles  X,  avait  forcé  le  gou- 
vernement d'emprisonner  la  duchesse  de  Berry ,  et  le  con- 
traignait aussi  à  ne  pas  la  mettre  en  jugement,  de  peur  de 
compromettre  la  tranquillité  publique.  La  qualification  d'in- 
scnsce  que  le  ministre  donna  à  la  duchesse  de  Ben7  fut  ini- 
prouvée  des  carlistes.  Peut-être  eùt-il  été  de  meilleur  goût 
de  s'abstenir  de  cette  épithète,  comme  aussi  de  dire  de  la 
nièce  de  Louis-Philippe  qu'elle  n'était  plus  Française.  Le 
pouvoir  prévoyait-il  dès  lors  l'incident  qui  devait  faire  perdrÉ 
légalement  cette  qualité  à  la  duchesse?  M.  Thiers,  qui  parla 
ensuite,  établit  qu'il  faudrait  échelonner  plus  de  quatre-vingt 
mille  hommes  autour  du  lieu  où  l'on  inocèderait  au  juge- 
ment de  la  princesse.  Le  résultat  de  la  discussion  fut  l'ordre 
du  jour,  que  M.  Dupin,  président,  ne  mit  pas  aux  vois 
sans  expliquer  que  cette  décision  laisserait  au  ministère  toute 
la  responsabilité  de  l'ordonnance  du  8  novembre  et  des  dis- 
positions qui  l'avaient  suivie.  11  n'en  demandait  pas  davan- 
tage. Toutes  les  mesures  furent  prises  i)our  indiquer  que  W 
détention  de  la  duchesse  n'était  pas  près  définir. 

Des  bruits  de  grossesse  commençaient  cependant  à  se  i 


pandrc,  et  les  journaux  dévoués  au  pouvoir  étaient  les  pre- 
miers aies  consigner.  Les  feuilles  légitimistes  ne  manquèrent 
pas  de  repousser  ces  rumeurs  comme  d'infâmes  calomnies. 
Le  pouvoir  parut  insensible  à  tontes  ces  provocations.  Et, 
en  effet ,  qu'aurait-il  pu  répondre  ?  Comme  il  tenait  au  se- 
cret la  duchesse ,  et  qu'assurément  les  royalistes  n'avaient 
pas  provoqué  ces  bruits,  de  qui  pouvaient-ils  venir,  si  ce 
n'est  des  agents  du  gouvernement?  Bientôt  deux  médecins, 
MM.  Orfila  et  Auvity ,  furent  envoyés  à  Blaye  le  23  janvier 
1833.  Rien  d'officiel  ne  fut  publié  sur  le  motif  de  leur  mis- 
sion; mais  l'insignifiance  même  de  leur  rapport,  qui  parut 
enfin  dans  le  Moniteur,  donna  plus  de  consistance  aux  soup- 
çons fâcheux  qui  planaient  sur  la  princesse ,  tout  en  accu- 
sant encore  mieux  la  marche  tortueuse  du  pouvoir. 

Pourtant  les  royalistes  ne  se  lassaient  pas  de  protester 
contre  la  détention  de  la  duchesse.  Ici  se  placent  les  inutiles 
démarches  de  MM.  Desèze,  Hennequin  et  Cliateaubriand 
pour  parvenir  auprès  d'elle.  Depuis  son  arrestation  à  Nan- 
tes, elle  avait  été  séparée  de  M"*  de  Kersabiec  et  de  M.  de 
Ménars ,  qui  alors  était  captif  et  traduit  devant  la  cour 
d'assises  de  Montbrison.  A  la  fin  de  décembre  1832,  ma- 
dame d'Hautefort  vint  s'enfermer  avec  elle.  Un  peu  plus 
tard,  il  fut  permis  à  M.  de  Brissacde  partager  sa  captivité. 
Cependant  le  colonel  Chousserie,  qui  commandait  à  Blaye, 
eut  pour  successeur  le  général  Bu  g  eau  d.  Celui-ci  prit  pos- 
session de  son  poste  le  3  janvier  1833. 

Le  moment  était  arrivé  où  la  captive  de  Blaye  ne  pou- 
vait plus  jeter  aucun  voile  sur  son  état  de  gi-ossesse.  Si  le 
pouvoir  cOt  voulu  sauver  le  scandale ,  c'eût  été  l'instant  de 
la  rendre  à  la  liberté  pour  qu'elle  allât  sur  une  terre  étran- 
gère accomplir  une  destinée  qui  ne  pouvait  plus  inquiéter, 
ni  môme  politiquement  intéresser  la  France.  Ce  fut  au  con- 
traire le  moment  clioisi  pour  river  les  fers  de  la  captive. 
Dès  lors  la  duchesse  put  entrevoir  l'abime  sans  fond  où  son 
imprudence  l'avait  précipitée.  Elle,  qui  avait  entrepris  une 
conspiration  contre  son  oncle  avec  cette  même  fougue  de 
jeune  femme  qui  l'aurait  jetée  dans  une  partie  de  plaisir,  se 
vit  enveloppée  dans  les  filets  d'une  conspiration  impitoyable 
contre  son  existence  comme  princesse  et  contre  sa  réputa- 
tion comme  femme.  Dans  cette  extrémité,  elle  fit  la  décla- 
ration suivante,  qui  fut  insérée  au  Moniteur  :  «  Pressée  par 
les  circonstances  et  par  les  mesures  ordonnées  par  le  gou- 
vernement ,  quoique  j'eusse  les  motifs  les  plus  graves  pour 
tenir  mon  mariage  secret,  je  crois  devoir  à  moi-même  ainsi 
qu'à  mes  enfants  de  déclarer  m'être  ma.riée  secrètement 
pendant  mon  séjour  en  Italie.  De  la  citadelle  de  Blaye,  le  22 
février  1833.  Marie-Caroline.  » 

Le  gouvernement  s'empressa  de  faire  déposer  cette  dé- 
claration à  la  chancellerie ,  dans  la  même  pensée  sans  doute 
qui  lui  avait  fait  enregistrer  les  abdications  de  Charles  X  et 
de  son  fils.  Le  parti  légitimiste  fit  tous  ses  efforts  pour  in- 
firmer cette  déclaration  ;  il  fit  valoir  la  position  de  la  du- 
chesse, privée  de  tout  conseil,  de  toute  communication.  Et 
sous  le  rapport  des  convenances  de  moralité,  de  famille 
et  d'humanité ,  combien  les  organes  de  toutes  les  opposi- 
tions n'avaient-ils  pas  beau  jeu  !  C'est  une  triste  tâche  pour 
un  gouvernement ,  disait-on ,  que  celle  de  proclamer  offi- 
ciellement la  faiblesse  d'une  femme.  Il  y  a  longtemps  qu'il 
devait  avoir  le  soupçon  de  ce  que  sa  captive  voulait  ca- 
cher ;  il  ne  l'a  donc  retenue  que  pour  amener  l'éclat  scan- 
daleux qui  occupe  toute  l'Europe  et  consterne  toutes  las 
royales  maisons.  Or,  quelle  famille  un  peu  honnête  ne  se 
(lit  pas  imposé  le  devoir  d'étouffer  la  publicité  officielle- 
ment donnée  à  une  déclaration  telle  que  celle  de  la  du- 
chesse de  Berry  ?  Que  de  protestations  légitimistes  parurent 
encore ,  surtout  au  moment  où  le  gouvernement  fit  partir 
pour  Blaye  une  nouvelle  commission  de  médecins,  com- 
posée de  MM.  Orfila,  Auvity,  Fouquier,  Andral!  Malheu- 
reusement la  présence  à  Blaye  cle  M.  Deneux ,  accoucheur 
ordinaiie  de  la  princesse,  était  de  notoriété  publique,  et 


BERRY  75 

infirmait  ces  dénégations  qu'une  crédulité  vertueuse  arra- 
chait à  des  hommes  tels  que  MM.  de  Kergorlay ,  de  Floirac, 
de  Ménars,  etc.  Chateaubriand,  qui  venait  d'être  acquitté 
avec  éclat  sur  le  fait  de  la  publication  d'une  brochure  in- 
titulée :  De  la  captivité  de  la  duchesse  de  Berry,  fut  de- 
mandé par  la  princesse  comme  conseil.  Le  ministère  lui 
refusa  l'autorisation  d'aller  à  Blaye ,  ainsi  qu'à  MM.  de 
Kergorlay  et  Hennequin,  dont  elle  réclamait  également  l'as- 
sistance. Le  gouvernement  agit  à  peu  près  de  même  à  l'égard 
de  M.  Bavez  et  des  amis  qu'elle  avait  à  Bordeaux.  Cepen- 
dant la  Chambre  des  Députés  restait  muette.  Vainement, 
le  27  mars ,  à  propos  de  je  ne  sais  quel  incident,  un  député 
patriote,  à  qui  plus  tard  l'indignation  lit  donner  sa  démis- 
sion ,  réclama  au  nom  de  la  Charte  contre  la  détention  ar- 
bitraire de  la  duchesse  de  Berry  :  la  voix  de  M.  ïhouvenel 
fut  étouffée  par  les  murmures  de  la  majorité.  Le  moment 
prévu,  espéré,  ménagé  par  les  geôliers  arriva  enfin;  et  le 
procès-verbal  d'accouchement,  daté  du  10  mai  1833,  trois 
heures  et  demie  du  matin ,  fut  dressé  avec  toutes  les  pré- 
cautions susceptibles  de  donner  un  caractère  d'authenticité 
à  cette  scène,  qui  terminait  par  un  dénoùment  si  bour- 
geois le  roman  de  la  régente  de  France. 

L'homme  de  cette  grande  journée ,  M.  Bugeaud,  avait 
convié  à  l'accouchement  toutes  les  autorités  constituées  de 
Blaye ,  depuis  le  sous-préfet  jusqu'au  curé.  Étaient  aussi 
présents  le  célèbre  Dubois ,  ex-doyen  de  la  Faculté  de  mé- 
decine ,  qu'on  avait  envoyé  de  Paris ,  et  M.  Olivier  I)u- 
fresne ,  commissaire  civil  du  gouvernement  à  la  citadelle. 
Tous  ces  témoins ,  introduits  dans  la  cliauibre  de  la  du- 
chesse, la  trouvèrent  couchée,  ayant  un  enfant  nouveau- 
né  à  sa  gauche.  Le  président  Pastoureau,  pour  constater 
l'identité  de  la  princesse,  lui  adressa  des  questions  aux- 
quelles elle  répondit  avec  beaucoup  de  calme.  Interrogée 
si  l'enfant  était  d'elle,  et  de  quel  sexe  :  «  Oui,  monsieur, 
dit-elle,  cet  enfant  est  de  moi.  Il  est  du  sexe  féminin.  J'ai 
d'ailleurs  chargé  M.  Deneux  d'en  faire  la  déclaration.  » 
Et  ce  docteur  fit  la  déclaration  suivante  :  «  Je  viens  d'ac- 
coucher M"*  la  duchesse  de  Berry,  ici  présente,  épouse, 
en  légitime  mariage,  du  comte  Hector  Lucchesi - Palli , 
des  princes  de  Campo-Franco ,  gentil-homme  de  la  chambre 
du  roi  des  Deux-Siciles ,  domicilié  à  Palerme.  »  Invités  par 
le  général  Bugeaud  à  signer  le  procès-verbal  des  faits  dont 
ils  avaient  été  témoins,  M.  le  comte  de  Brissac  et  M™*  la 
comtesse  d'Hautefort  répondirent  qu'ils  étaient  venus  pour 
donner  leurs  soins  à  la  duchesse ,  et  non  pour  signer  un 
acte  quelconque.  Le  Moniteur,  dans  lequel  on  ne  manqua 
pas  d'insérer  cette  pièce,  contenait  encore  l'acte  de  nais- 
sance de  l'enfant,  à  laquelle  furent  donnés  les  noms  ù' Anne- 
Marie-Amélie  :  il  était  signé  par  les  mêmes  témoins ,  et  en 
outre  par  le  maire ,  le  juge  de  paix  de  Blaye,  et  un  officier 
d'ordonnance  du  général  Bugeaud.  Ces  actes  ne  produisirent 
pas  un  meilleur  effet  que  la  précédente  déclaration,  et  à  cer- 
tains égards  le  public  impartial  adopta  les  opinions  des  jour- 
naux les  plus  trancliés  dans  les  deux  couleurs.  M.  Battur, 
avocat,  lança  une  plainte  pow/-  cattse  de  présomption  légale 
de  supposition  d'enfant  commise  par  les  ministres  et  les 
agents  du  gouvernement  envers  madame  la  duchesse  de 
Berry.  MM.  de  Kergorlay,  de  Floirac,  de  Conny,  etc.,  signè- 
rent ce  mémoire.  «  L'acte  est  nul  et  sans  autorité,  disaient- 
ils,  puisqu'il  ne  parle  ni  de  la  signature  de  Madame  ni  de  celle 
de  ses  amis.  «  M.  Guibourg,  dans  une  lettre  du  12  mai ,  dé- 
clara «  qu'il  n'avait  jamais  été  à  Massa,  qu'il  était  en  prison 
le  13  août,  qu'il  n''a\a\tyu  Madame  qu'a  la  lia  d'octobre  1832  ; 
enfin,  qu'il  était,  comme  tous  les  autres,  condamné  à  ne 
porter  aucune  lumière  sur  le  cruel  mystère  de  Blaye.  » 

En  cette  occasion ,  les  journaux  libéraux  furent  décents 
et  dignes  en  parlant  de  la  duchesse  de  Berry;  les  conve- 
nances ne  furent  méconnues  à  son  égard  que  dans  les  feuilles 
qui  sympathisaient  le  plus  avec  le  pouvoir.  Alors  aussi  la 
police  laissait  diaiiter  d'infilracs  couplets  dont  la  citatioa 

10. 


76 


BERRY  —  BERRYER 


ne  salira  point  ces  pages.  Madame  de  Berry  trouva  encore 
dans  cette  occasion  M.  de  Kergorlay  pour  défenseur.  Déjà, 
dans  deux  lettres,  adressées  le  19  avril  et  le  8  mai  à  M.  le 
ministre  de  la  guerre,  président  du  conseil,  il  avait  an- 
noncé que  la  supposition  d'enfant  allait  se  commettre  à  l'é- 
gard de  la  duciiesse  de  Berry.  Les  procès-verbaux  du  10  mai, 
loin  d'ébranler  la  foi  de  cet  intrépide  cbampion  de  la 
royauté  déchue,  n'avaient  fait  que  rendre  plus  profonde  une 
indignation  que  nous  concevons  parfaitement,  sans  par- 
tager ses  convictions.  Dans  une  troisième  lettre,  adressée 
le  18  mai  au  président  du  conseil,  M.  de  Kergorlay  lui  réi- 
térait au  nom  de  la  loi,  qui  protège  les  prisonniers  contre  la 
séquestration  et  la  calomnie ,  la  réclamation  de  l'ordre  né- 
cessaire pour  que  la  personne  de  la  duchesse  de  Berry  lui 
fût  représentée  par  son  geôlier.  Pour  toute  réponse  à  cette 
lettre,  le  pouvoir  ordonna  des  poursuites  judiciaires  contre 
les  journaux  qui  l'avaient  insérée.  Cependant ,  puisque  la 
naissance  d'une  fille  et  la  déclaration  forcée  d'un  mariage 
avec  M.  Lucchesi-Palli  avaient  couronné  les  menées  les  plus 
machiavéliques,  le  gouvernement  n'avait  aucun  intérêt  à 
garder  plus  longtemps  sa  prisonnière. 

Enfin,  le  8  juin  1833  Louis-Philippe  ordonna  la  mise  en 
liberté  de  sa  nièce.  Ce  jour-là,  elle  s'embarqua  sur  l'Agathe, 
accompagnée  de  M.  de  Ménirs,  qui  était  venu  la  retrouver, 
et  fit  voile  vers  Palerme.  Le  surlendemain ,  une  discu>sion 
des  plus  vives  s'éleva  au  sein  de  la  cliamhre  des  déi.iilés  sur 
la  conduite  arbitraire  du  pouvoir  dans  toute  cette  affaire  : 
la  position  des  ministres  était  assez  embarrassante.  Ces 
hautes  convenances  auxquelles,  avaient-ils  dit  dans  la 
séance  du  5  janvier,  ils  croyaient  devoir  sacrifier  les  prin- 
cipes les  plus  sacrés  de  la  constitution  ,  pouvaient-ils  les  in- 
voquer, puisqu'ils  les  avaient  violées  depuis  pour  rendre  la 
duchesse  de  Berry  victime  de  la  plus  inexorable  publi- 
cité? Après  avoir  professé  pour  les  membres  des  familles 
royales  un  respect  tel  qu'on  avait  craint  de  commettre  leur 
dignité  en  la  plaçant  sous  la  sauvegarde  de  la  justice  com- 
mune ,  ce  respect  n'aurait-il  pas  dû  étendre  à  la  vie  privée 
de  la  duchesse  de  Berry  la  protection  acquise  à  tous  les 
membres  de  la  société?  Dans  cette  circonstance,  M.  Thiers, 
laissant  ses  collègues  chercher  des  excuses  ou  des  sophis- 
mes  plus  ou  moins  humbles,  sut  prendre  une  position  toute 
nouvelle  :  «  On  nous  accuse,  s'écria-t-il,  de  nous  èti-e  mis 
au-dessus  delà  loi  commune  :  j'en  conviens.  L'arrestation, 
la  détention ,  la  mise  en  liberté ,  tout  a  été  illégal.  Où  est 
donc  l'excuse  de  notre  conduite?  elle  est  dans  la  franchise  de 
notre  conduite.  »  La  majorité  trouva  de  bon  aloi  cette  dé- 
fense inattendue  :  elle  permit  d'invoquer  leur  franchise  à 
ceux-là  qui,  dans  toute  cette  affaire,  avaient  marché  de 
stratagème  en  stratagème.  Le  président,  effraye  de  ces  as- 
sertions ,  ferma  la  discussion  de  son  autorité  privée. 

Les  amis  des  libertés  publiques  écrivirent  le  lendemain 
dans  tous  leurs  journaux  :  plus  de  constitulion  !  Et  en 
voyant  le  vaisseau  emporter  vers  Palerme  la  duchesse  de 
Beri-y,  venue  en  France  pour  conquérir  un  royaume,  et  qui 
n'en  rapportait  que  le  nom  de  Lucchesi-Palli ,  ses  partisans 
avaient  pu  aussi  s'écrier  :  plus  de  royauté!  Quant  à  nous, 
nous  ne  pensons  pas  que  l'histoire  attache  un  jour  une 
telle  importance  à  toutes  les  mystifications  de  Blaye,  et 
qu'elle  y  voie  autre  chose  qu'une  affaire  de  fainille. 

Ch.  Du  Rozoïn. 
Pendant  que  ces  événements  se  passaient,  le  vieux  roi 
Charles  X  et  le  dauphin  gémissaient  dans  un  coin  de  la  Bo- 
hème, et  détachaient  de  plus  en  plus  le  dernier  rejeton  de 
leur  race  de  l'influence  de  la  duchesse.  Celle-ci  fut  long- 
temps à  se  faire  pardonner  son  escapade;  et  lorsque  le  duc 
(le  Bordeaux  approcha  du  jour  de  sa  majorité,  un  ordre  au- 
trichien empêcha  sa  mère  d'aller  à  Prague.  Cependant  cet 
état  de  choses  ne  pouvait  durer.  Un  rapprochement  dut  avoir 
lieu.  L'ex-duchesse  put  venir  près  de  son  roi  avec  son  nou- 
veau mari,  mais  elle  dut  renoncer  à  toute  influence  pohtique. 


Elle  était  bien  vraiment  devenue  une  étrangère  à  la  cour  de 
Frohsdorf.  Elle  aussi,  elle  avait  voulu  rompre  avec  les  vieux 
errements  de  la  monarchie  ;  Chateaubriand  était  son  conseil, 
son  confident ,  on  pourrait  dire  son  ministre.  Elle  espérait 
qu'un  jour  encore  la  France  voudrait  voir  fleurir  ses  libertés 
à  l'ombre  des  lis ,  et  elle  désirait  pousser  son  fils  dans  des 
voies  nouvelles;  mais  elle  n'avait  aucune  autorité  sur  ce  fils, 
qui  passa  des  mains  du  vieux  roi  à  celles  du  pauvre  daur 
phin,  et  enfin  à  celles  de  la  dauphine,  qu'il  regardait  comme 
sa  véritable  mère.  La  mort  lui  a  enlevé  aujourd'hui  tous  ses 
tuteurs,  et  le  jeune  prince  peut  être  enfin  lui-même.  Cepen- 
dant la  duchesse  de  Berry  a  vu  marier  ses  deux  enfants  de 
France  :  sa  fille  épousa,  le  10  novembre  1845,  Ferdinand- 
Charles,  prince  héréditaire  de  Lucques,  aujourd'hui  duc  de 
Parme;  le  duc  de  Bordeaux  épousa  le  7  novembre  1346 
Marie-Thérèse  de  Modène ,  plus  âgée  que  lui  de  trois  ans. 
Madame  de  Berry  a  eu  plusieurs  filles  depuis  son  second 
mariage.  Le  duc  de  Bordeaux  n'a  pas  d'enfants;  mais  sa 
sœur  paraît  avoir  hérité  de  la  fécondité  de  sa  mère  :  elle  a 
déjà  donné  le  jour  à  quatre  enfants  :  deux  fils  et  deux  filles. 
BERRYAT  SAIi\T-PRïX  (Jacques), néà  Grenoble, 
en  17C9,  mort  à  Paris,  le  4  octobre  1845,  était  doyen  de  la  Fa- 
culté de  Droit,  où  il  occupait  depuis  1819  la  chaire  de  pro- 
cédure civile  et  criminelle,  dans  laquelle  il  avait  succédé  à 
Pigeau  ;  il  avait  rempli  les  mêmes  fonctions  depuis  1803  a  la 
Facultéde  Grenoble.  Précédemment,  après  avoir  fait  son  cours 
complet  de  droit  dans  sa  ville  natale,  il  y  avait  étudié  les 
sciences  natureUes  et  médicales.  Gradué  en  1787,  défenseur 
officieux  au  tribunal  du  district  de  Grenoble  de  1791  à  1795, 
chef  des  bureaux  du  clergé  et  des  contributions  dans  le  même 
district;  archiviste  du  département  de  l'Isère,  adjoint  aux 
commissaires  des  guerres  à  la  suite  d'un  concours  ;  capitaine 
commandant  une  des  compagnies  franches  levées  lors  de 
l'invasion  de  la  Maurienne  et  de  la  ïarentaise  par  une  ar- 
mée piémontaise  pendant  le  siège  de  Lyon ,  quartier-maître 
trésoiier  du  dixième  bataillon  des  volontaires  de  l'Isère; 
élève  de  la  grande  École  normale  de  Paris;  administrateur 
du  district  de  Lyon,  professeur  de  législation  à  l'École  cen- 
trale de  la  même  ville,  il  passait  à  juste  titre  pour  un  de  nos 
plus  laborieux  et  de  nos  plus  féconds  jurisconsultes,  et  en 
môme  temps  pour  un  de  nos  bons  littérateurs.  11  était  de- 
puis longtemps  membre  de  la  Société  royale  des  Antiquaires 
de  France ,  aux  séances  de  laquelle  il  se  montrait  des  plus 
assidus ,  quand  un  siège  vint  à  vaquer  à  l'Institut  (Aca- 
démie des  Sciences  morales  et  politiques).  Il  se  mit  sur  les 
rangs,  et  l'obtint,  le  25  janvier  1840. 

Travailleur  infatigable,  Berryat-Saint-Prix  avait  toujours 
rempli  à  l'École  de  Droit,  avec  la  plus  scrupuleuse  exactitude, 
les  devoirs,  souvent  pénibles,  du  professorat  ;  ce  qui  ne  l'avait 
point  empêché  de  publier  un  grand  nombre  d'ouvrages  fort 
estimés,  qui  ont  été  traduits  dans  plusieurs  langues.  Les  étu- 
diants, dans  leur  gratitude,  respectaient  en  lui  le  professeur 
zélé, l'ami  sincère,  le  père  indulgent. 

Le  Cours  de  Procédure  civile  de  Berryat  Saint-Prix,  qui 
depuis  longtemps  fait  autorite  dans  cette  matière,  a  paru 
pour  la  première  fois  en  1808.  Cet  ouvrage  vraiment  clas- 
sique a  eu  depuis  de  nombreuses  éditions,  que  l'auteur  a  tou- 
jours enrichies  de  notes  et  de  dissertations  nouvelles ,  fruits 
de  ses  études  et  de  ses  recherches.  Citons  encore  de  lui  son 
Cours  de  Droit  criminel  (quatrième  édition,  1824),  ses 
Observations  sur  le  Divorce  et  l'Adoption,  et  sur  l'usage 
ou  l'abus  qu'en  faisaient  les  grandes  familles  de  Home, 
et  surto2it  les  Césars  (  18.3:5). 

On  lui  doit  en  outre  d'excellentes  dissertations  sur  dif- 
férents sujets ,  et  une  édition  des  Œuvres  de  Boileau,  qui 
contient  des  lecberches  précieuses  sur  la  vie,  la  famille  et 
les  ouvrages  du  célèbre  satirique. 

BERRYER  (PiEnRE-NicoLAs),  l'une  des  notabilités  du 
barreau  <lc  Paris,  né  à  Sainte-Mcneiiould,  en  1757,  fut  reçu 
avocat  au  parlement  de  Paris  en  1780 ,  et  a  continué  d( 


BERRYER 


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TtHreà  la  cour  royale  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  le  25  juin 
1841.  Aucun  de  ses  confrères  ne  l'a  surpassé  dans  la  con- 
naissance et  la  discussion  des  affaires  commerciales  ;  aussi 
était-il  l'avocat  des  principaux  banquiers  et  négociants.  Sous 
le  régime  impérial,  il  plaida  longtemps  au  conseil  des  prises; 
mais  il  ne  laissa  pas  de  se  distinguer  dans  des  causes  fameuses, 
tant  civiles  que  criminelles.  Il  défendit  le  maire  d'Anvers , 
qui,  accusé  de  malversations,  avait  été  traduit  devant  la 
cour  d'assises  de  Bruxelles ,  et  il  ne  succomba  que  parce 
qu'il  avait  à  lutter  contre  le  gouvernement  impérial. 

Chargé,  en  1815,  de  la  défense  du  maréchal  Ney  devant 
la  Cour  des  Pairs,  et  dignement  assisté  par  M.  Dupin  aîné, 
son  confrère ,  qui  avait  rédigé  le  premier  mémoire ,  il  af- 
faiblit peut-être,  par  trop  de  considérations  subalternes, 
l'intérêt  qui  s'attachait  à  son  client  ;  mais  ce  qui  nuisit  le 
plus  au  succès  de  sa  cause,  c'est  qu'il  fut  forcé  d'abandon- 
ner l'examen  des  questions  politiques  qui  s'y  liaient,  tandis 
que  son  adversaire,  le  procureur  général  Bellart,  avait  toute 
latitude.  Le  deuxième  mémoire  publié  par  Berryer  dans  ce 
procès,  sous  le  titre  à' Effet  de  la  convention  militaire  du 
:■>  juillet  et  du  traité  du  20  novembre  1815,  se  distingue 
par  l'érudition  et  la  force  de  la  dialectique.  On  a  prétendu 
qu'après  l'arrêt  de  condamnation ,  Berryer  avait  dit ,  en 
I)ariant  de  cette  affaire ,  que  le  linge  était  trop  sale  pour 
(ju'onpût  le  blanchir  ;  mais  ce  propos  a  été  démenti. 

Berryer  soutint  contre  la  duchesse  de  Montebello  et  ses 
enfants  les  prétentions  d'un  fils  aîné  du  maréchal  Lannes, 
issu  d'un  premier  lit.  En  1816  il  plaida  et  gagna  la  cause 
de  Fauche-Borel  contre  Perlet,  ancien  agent  de  police  et 
journaliste,  dont  il  dévoila  la  conduite  perfide  et  atroce. 
Berryer  était  chevalier  de  la  Légion-d'Honneur,  et  il  était 
autorisé  à  porter  la  croix  de  Malte ,  pour  avoir  défendu  les 
intérêts  de  cet  ordre.  Outre  l'article  Lettres  de  change, 
qu'il  a  donné  dans  Y  Encyclopédie  moderne,  on  a  de  lui  : 
1°  Dissertation  générale  sur  le  commerce,  son  état  actuel 
en  France ,  et  sa  législation ,  servant  d'introduction  à  un 
Traité  complet  de  Droit  commercial  de  terre  et  de  mer, 
tel  qu'il  est  observé  en  France  et  dans  les  pays  étrangers 
(  Paris,  1829,  in-8°).  11  n'a  pam  que  cette  introduction,  et 
le  prospectus  de  l'ouvrase.  2°  Allocution  d'un  vieil  ami  de 
la  liberté  à  la  jeune  France ,  suivie  d'une  notice  sur  la 
vie,  politique  de  l'auteur  et  de  ses  premiers  écrits  sur  les 
journées  de  juillet  (Paris,  1830  ,  in-S").     H.  Aldiffret. 

En  1838,  Berryer  père  fit  paraître  ses  Souvenirs;  c'est  un 
livre  curieux,  où  d'importants  points  d'histoire  sont  éclair- 
cis.  «  Chose  remarquable,  a  dit  un  critique,  en  s'efforçant 
pendant  toute  sa  carrière  de  ne  pas  se  mêler  de  politique, 
M.  Berryer  fut  presque  toute  sa  vie  en  opposition  avec  le 
pouvoir.  Pendant  la  Terreur,  il  dispute  aux  bourreaux  quel- 
ques-unes de  leurs  victimes  ;  en  17'J3,  il  s'élève  avec  succès 
contre  la  prétention  d'assujettir  sa  profession  à  l'impôt  de 
la  patente.  Opposé  à  la  Convention  et  au  Directoire  par  ses 
luttes  perpétuelles  en  faveur  des  neutres  ,  appelé  plus  tard 
à  l'honneur  de  servir  de  conseil  au  général  Moreau,  le  vote 
de  l'ordre  des  avocats  n'était  pas  fait  pour  le  remettre  bien 
en  cour.  Enfin  la  défense  de  quelques  généraux  tombés  dans 
la  disgrâcede  Bonaparte  et  un  procès  contre  M.  de  Bourienne 
n'avaient  été  que  le  prélude  d'une  lutte  presque  personnelle 
contre  la  volonté  de  fer  du  grand  homme  lui-même.  Il  s'y 
trouva  encore  plus  engagé  par  la  défense  du  maire  d'Anvers, 
accusé  de  péculat  dans  la  manutention  des  deniers  de  l'oc- 
troi de  cette  ville.  Il  semblait  que  dans  sa  position  M.  Ber- 
ryer ne  pouvait  que  gagnera  un  changement  de  gouver- 
nement; mais  la  défense  du  maréchal  Ney  le  brouilla  encore 
sous  ce  régime  avec  le  procureur  général,  qui,  aux  termes 
du  décret  du  14  décembre  1810,  devait  cornposer  lui-même 
le  conseil  de  discipline,  dont  les  membres  pouvaient  seuls 
prétendre  à  l'honneur  de  devenir  bâtonniers  de  l'ordre. 
M.  Berryer  fut  consolé  de  cette  disgrâce  «ar  le  vote  persé- 
vérant de  ses  confrères ,  qui  pendant  plusieurs  années  se 


porta  sur  lui  à  une  immense  majorité.  Rien  n'a  donc  manqué 
à  ceftte  longue ,  honorable  et  périlleuse  carrière.  Un  philo- 
sophe de  l'antiquité  a  dit  qu'un  homme  avait  largement 
rempli  tous  ses  devoirs  sur  la  terre  lorsque  le  ciel  lui  avait 
accordé  de  construire  une  maison,  de  faire  un  bon  livre,  et 
d'avoir  un  fils  digne  de  lui.  Il  semble  qu'un  si  vénérable 
auteur,  qu'un  si  heureux  père  a  pu,  en  toute  sûreté  de  cons- 
cience ,  se  dispenser  de  la  maison.  » 

Outre  le  célèbre  avocat  à  qui  nous  allons  consacrer  un 
article  particulier,  Berryer  père  a  laissé  deux  autres  fils  : 
l'un,  Ludovic  Bejuiyer  ,  est  un  juriste  distingué;  l'autre, 
ffippolyte-Nicolas  Berryer  ,  récemment  nommé  général 
de  brigade,  commandeur  de  la  Légion  d'Honneur,  comman- 
dant le  département  des  Ardennes,aété  longtemps  à  la  tête 
du  l'^"'  de  hussards.  Il  se  fit  remarquer  lors  de  l'attentat  de 
Lecomte,  par  la  vigueur  qu'il  mit  à  poursuivre  l'assassin. 

BERRYER  (Pierre-Antoine),  fils  du  précédent ,  né  à 
Paris,  le  4  janvier  1790 ,  suivit  la  carrière  de  son  père,  qui 
lui  inspira  les  sentiments  hostiles  dont  il  était  pénétré  lui- 
même  contre  le  gouvernement  impérial.  Aussi  en  1815 
M.  Berryer  fut-il  des  premiers  à  s'engager  parmi  les  volon- 
taires royaux,  et  ce  premier  acte  d'une  jeunesse  ardente  n'a 
pas  été  sans  influence  sur  la  destinée  politique  de  ce 
grand  orateur.  A  quelques  nuances  qu'elles  appartiennent , 
les  intelligences  élevées  répugnent  toujours  à  changer  de 
drapeau .  Malgré  ce  témoignage  de  dévouement  à  la  Res- 
tauration ,  ou  peut-être  à  cause  même  de  ce  témoignage , 
M.  Berryer  fut  adjoint  à  son  père  et  à  M.  Dupin  aîné  dans  la 
défense  du  maréchal  Ne^.  Bientôt  après  ,  en  1816 ,  il  fut 
chargé  tout  seul  de  défendre  les  généraux  Cambronne  et  De- 
belle  devant  le  conseil  de  guerre  de  la  1"  division.  La  sus- 
ceptibilité ombrageuse  des  vainqueurs  rendait  la  position  des 
vaincus  très-difficile.  La  réaction  était  encore  furieuse,  l'o- 
pinion publique  abattue,  la  presse  libérale  timide  et  dé- 
fiante ,  les  partis  implacables ,  et  le  tribunal  exceptionnel. 
Le  jeune  avocat  sut,  en  cette  occasion ,  oublier  ses  opinions 
privées  pour  s'identifier  avec  ses  clients.  Son  plaidoyer  pour 
Cambronne  promit  tout  le  talent  que  M.  Berryer  a  depuis 
réalisé  :  il  dédaigna  de  se  couvrir  lui-même  sous  des  ré- 
sei-ves  compromettantes  pour  sa  cause.  Il  soutint  hardiment 
que  le  général  avait  dû  son  obéissance  au  gouvernement 
de  fait  ;  il  rappela,  d'ailleurs,  que  le  traité  de  Fontainebleau 
avait  conservé  le  titre  et  les  droits  de  souverain  à  l'em- 
pereur; et  il  fallait  tout  l'aveuglement  de  la  haine  pour 
ne  pas  comprendre  la  fidélité,  quand  l'homme  qui  la  de- 
mandait s'appelait  Napoléon ,  et  que  le  soldat  était  Cam- 
bronne. On  faisait  donc  un  procès  de  haute  trahison  à  celui-ci, 
parce  qu'il  n'avait  pas  abondonné  sur  le  champ  de  bataille 
de  Waterloo  le  souverain  qu'il  avait  suivi  à  l'île  d'Elbe  ? 

M.  Berryer  fit  valoir  toutes  ces  circonstances  dans  un 
plaidoyer  où  la  puissance  de  la  dialectique  était  relevée  sous 
les  formes  d'un  langage  vigoureux  et  facile ,  abondant  et 
passionné ,  plein  de  cette  éloquence  communicative  qui  a 
pour  elle  les  harmonies  de  l'intonation,  le  feu  du  regard  et 
la  chaleur  du  sang.  Le  succès  le  plus  complet  couronna  ces 
efforts  :  Cambronne  fut  acquitté.  Mais  les  doctrines  soute- 
nues par  le  défenseur  parurent  fort  scandaleuses  à  M.  Bel- 
lart, l'accusateur  public.  Il  avait  fait  ses  réserves  contre  ce 
prêche  de  sédition  du  jeune  orateur,  et  il  le  cita  devant  le 
conseil  de  discipline.  On  peut  croire  que  c'était  seulement  un 
moyen  d'intimidation  dirigé  habilement  contre  M.  Berryer, 
pour  frapper  le  reste  du  barreau.  Dès  qu'il  fut  à  la  barre, 
le  ministère  public  se  souvint  qu'il  avait  affaire  à  un  vo- 
lontaire royal,  à  un  jeune  homme  dont  le  talent  pouvait  être 
fort  utile  à  son  parti;  le  réquisitoire  fut  indulgent  et  pater- 
nel ,  et  l'avocat  de  Cambronne  en  fut  quitte  pour  un  simple 
avertissement. 

Dès  ce  moment ,  M.  Berryer  fils  s'était  classé  au  barreau 
de  Paris  parmi  les  avocats  auxquels  s'ouvraient  les  plus 
brillantes  perspectives.  Il  plaida  pendant  douze  ans  dans  des 


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BERRYER 


causes  où  la  publicité  augmenta  sa  renommée;  il  figura  plus 
d'une  fois  comme  défrnseur  de  la  presse  royaliste ,  et  l'éclat 
de  son  talent  y  gagna  plus,  peut-être,  que  l'énergie  de  son 
caractère  ;  car  il  y  eut  des  circonstances  où  ses  plaidoyers 
furent  suivis  pour  lui  de  plus  d'un  grave  désagrément.  Entre 
toutes  ces  affaires,  dont  le  temps  a  presque  effacé  le  sou- 
venir, il  en  est  une  qui  a  laissé  des  traces  plus  profondes, 
et  dont  l'opinion  publique  fut  vivement  préoccupée.  Nous 
étions  en  plein  règne  des  jésuites ,  lorsque  le  journal  mi- 
nistériel V Étoile ,  intrépide  champion  du  ministère  Villèle, 
publia  un  article  où  la  mémoire  de  La  Chalotais  était 
indignement  outragée.  Les  héritiers  de  ce  nom  illustre  in- 
tentèrent au  journal  un  procès  en  diffamation ,  et  l'un  des 
membres  de  cette  famille  prit  pour  avocat  M.  Berryer,  que 
des  liens  trop  étroits  unissaient  à  la  feuille  accusée.  Celui-ci 
ne  fit  pas  cette  fois  ce  qui  l'avait  tant  honoré  dans  le 
procès  de  Cambronne.  L'homme  de  parti  prévalut  sur  l'a- 
vocat :  aurlieu  d'employer  au  sen  ice  de  sa  cause  ses  brillants 
accents  et  cette  vivacité  hardie  de  logique  qui  lui  était  si 
Jamilière,  il  se  montra  cauteleux,  souple,  plein  d'égards 
pour  son  adversaire ,  et  il  semblait  moins  rechercher  la  pu- 
nition que  demander  la  grâce  du  calomniateur.  Cette  con- 
duite lui  attira  de  légitimes  sévérités  :  les  fonctions  de  l'a- 
vocat sont  libres ,  et  M.  Berryer  devait  refuser  une  cause 
dans  laquelle  il  ne  se  sentait  pas  à  l'aise.  Mais  accepter  de 
plaider  contre  les  jésuites  et  parler  pour  eux ,  se  charger  de 
poursuivre  un  journal  et  prendre  en  quelque  sorte  sa  dé- 
fense, c'était  un  rôle  peu  honorable,  et  qui  jeta  sur  la  per- 
sonne de  iM.  Beriyer  une  certaine  défaveur. 

Jusque  alors,  quoique  bien  connu  pour  ses  opinions  légiti- 
mistes, quoique  renommé  au  barreau  de  Paris  pour  la  rare 
distinction  de  son  talent,  il  n'avait  cependant  pas  encore 
été  employé  par  son  parti  comme  un  de  ces  hommes  dé- 
voués et  sûrs,  auxquels  on  veut  donner  leur  part  d'in- 
fluence, d'honneurs  et  de  pouvoir.  Supérieur  de  plusieurs 
coudées ,  et  par  l'intelligence  et  par  tous  les  dons  extérieurs 
au  moyen  desquels  elle  se  manifeste,  à  la  plupart  de  ces 
hommes  de  mince  taille  et  de  mince  étoffe  qui  arrivaient 
aux  affaires,  M.  Berryer  voyait  passer  devant  lui  et  monter 
les  degrés  du  pouvoir  jusqu'au  sommet  de  l'échelle  une  foule 
d'avocats  bretons  ou  gascons,  protégés  de  prélats  dévots, 
favoris  des  marquises  de  Pretintaille,  esprits  courts  et  cœurs 
plats,  race  sournoise  et  médiocre,  dont  la  congrégation  dé- 
posait l'œuf  dans  les  ministères,  dans  la  diplomatie  ou  dans 
les  Chambres,  pour  le  faireécloreàlachaleurdu  confessionnal 
et  sous  le  miel  du  budget.  M.  Berryer  ne  fut  pas  du  nombre 
de  ces  privilégiés  de  sacristie.  Plébéien  et  Parisien,  ces  deux 
qualités  originelles  étaient  également  répulsives  pour  la  ca- 
farderie  dominante.  Ami  des  arts ,  curieux  de  gloire,  il  avait 
de  l'aristocratie  les  goûts  sensuels  et  mondains;  mais  son 
esprit,  trempé  d'humeur  gauloise  et  de  sève  nationale,  mé- 
prisait la  morgue  des  grands  et  l'insolence  des  parvenus. 
Son  éloquence  spontanée,  brûlante,  n'était  pas  non  plus  un 
de  ces  instruments  que  la  main  des  dévots  pût  ployer  à  son 
gré;  génie  llùneur,  il  attendait  son  moment,  ne  s'enflammait 
que  d'inspiration,  et  l'inspiration  ne  venait  que  lorsqu'il 
était  ému  par  quelque  sentiment  élevé,  grandiose,  cheva- 
leresque. Tout  cela  pouvait  en  faire  un  homme  puissant  pour 
ses  convictions,  mais  fort  peu  utile  pour  des  passions  qu'il 
ne  partageait  pas.  La  congrégation  le  comprit,  et  le  laissait  à 
l'écart. 

Cependant  le  moment  vint  où  le  duel  se  posa  nettement 
entre  l'autorité  royale  et  la  puissance  populaire.  Le  cabinet 
Polignac  en  avait  dit  le  dernier  mot,  et  le  roi  de  France  ne 
devait  pas  rendre  son  épée.  Les  dernières  élections  de  1830 
amenèrent  M.  Berryer  à  la  Chambre,  où  il  prit  hardiment 
|)arti  pour  les  descendants  avoilés  de  Louis  XIV.  Il  pro- 
nonça plus  d'un  discours  dans  lu  discussion  de  la  fameuse 
adresse  des  2?.t ,  qui  eut  lieu,  comme  c'était  d'usage  alors, 
en  couu'lé  secrcî;  ol  ceux  qui  l'entendirent  reconnurent 


aussitôt  que  la  tribune  venait  de  conquérir  un  de  ses  plus 
grands ,  sinon  son  plus  grand  orateur.  Quelques  mois  après,  ■ 
la  rencontre  avait  eu  lieu;  trois  jours  y  suffirent;  le  peu- 
ple sut  arracher  à  Charles  X  l'épée  qu'il  ne  devait  pas  ren- 
dre, et  la  remplaça  par  un  bâton  de  voyage  sur  lequel  le 
vieillard  put  s'appuyer  pour  conduire  à  l'exil  tout  ce  qui  res- 
tait de  la  brancîie  aînée  des  Bourbons. 

Au  moment  donc  où  M.  Berryer  mettait  le  pied  dans  la 
grande  arène  politique ,  il  voyait  s'éloigner  et  disparaître  les 
espérances  prochaines  qid  se  montraient  la  veille  même  à 
sa  légitime  ambition.  Homme  d'épée,  il  aurait  sans  doute 
brisé  la  sienne  sur  les  débris  du  trône;  homme  de  cour  et 
d'intimité,  il  aurait  cru  devoir  suivre  sur  la  terre  étrangère 
ces  trois  générations  de  rois;  mais  la  parole  était  son 
arme,  il  en  avait  éprouvé  la  force,  il  en  calculait  la  puis- 
sance, et  il  ne  l'avait  pas  compromise  et  avilie  à  d'indignes 
services.  Aussi ,  pendant  que  le  parti ,  si  puissant  naguère , 
se  débandait  de  toutes  parts,  tandis  que  les  autres  députés 
donnaient  leur  démission,  que  la  pairie  décimée  abandon- 
nait jusqu'à  ses  bagages  dans  la  déroute,  M.  Berryer  resta 
seul  au  milieu  des  vainqueurs,  il  y  resta  pour  représenter  la 
défaite ,  expliquant  sa  présence  par  quelques  paroles  aussi 
honorables  pour  la  générosité  du  peuple  que  pour  la  dignité 
du  vaincu,  abaissant  son  drapeau,  ne  le  reniant  point,  et 
proclamant  dès  le  premier  jour  qu'au-dessus  de  tous  les 
gouvernants,  au-dessus  de  toutes  les  affections  personnelles, 
il  y  a  toujours  une  nation ,  une  patrie,  à  laquelle  tous  les  ci- 
toyens doivent  leur  premier  culte  et  leur  suprême  dévoue- 
ment. M.  Berryer  assista  donc  à  la  révision  de  la  Charte 
de  1814  ;  il  y  intervint  plus  d'une  fois,  et  ne  négligea  même 
aucune  occasion  de  ménager  pour  l'avenir  de  larges  issues  à 
ses  principes.  Il  faut  bien  le  reconnaître  avec  sincérité,  il 
rencontrait  à  côté  de  lui  des  s}Tnpathies  secrètes  qui  l'en- 
courageaient ;  et  quand  seul  il  avait  parlé ,  plus  d'un  mem- 
bre de  cette  assemblée  usurpatrice,  composée  de  deux  cent 
dix-neuf  membres,  le  cherchait  dans  les  couloirs  et  dans 
quelque  coin  obscur,  lui  serrait  la  main  et  lui  disait  en  sou- 
pirant :  «  Mon  cœur  est  avec  vous  ». 

Tout  était  doute  encore  en  ce  moment  :  le  peuple  gron- 
dait toujours  ;  on  croyait  que  la  Sainte-Alliance  n'abandon- 
uei'ait  pas  ses  amis  ;  le  double  lléau  de  l'anarchie  et  de  la 
guerre  étrangère  menaçait  à  la  fois  et  venait  agiter  les  trem- 
bleurs,  troubler  les  prudents  et  rendre  toute  position  ex- 
trême fort  difficile.  Celle  de  M.  Berryer  ne  s'améliora  point 
dans  l'année  qui  suivit  celle-ci.  Il  ne  pouvait  se  faire  illusion 
lui-même  sur  les  antipathies  profondes  et  générales  que  ren- 
contraient et  les  hommes  et  les  choses  auxquelles  il  gardait 
sa  fidélité.  De  plus,  à  mesure  que  le  nouveau  régime  se  for- 
tifiait, ses  courtisans  reprenaient  courage.  Mais  déjà  la  di- 
vision était  parmi  les  vainqueurs;  on  rejetait  comme  des 
conseillers  importuns  Lafayette,  Laffitte,  Dupont  (  de  l'Eure  )  ; 
le  cabinet  du  1^*^  mars,  inaugurant  la  réaction,  abandonnait 
l'Italie,  la  Pologne,  l'Espagne;  on  proclamait  la  quasi-légi- 
timité, on  se  faisait  accepter  de  l'Europe  à  prix  d'honneur; 
on  mendiait  la  paix  genou  en  terre;  on  traquait  la  presse 
avec  fureur;  on  réprimait  avec  violence  toutes  les  mani- 
festations populaires.  C'était  plus  qu'il  n'en  fallait  pour  of- 
frir à  M.  Berryer  des  occasions  magnifiques  d'attaquer  ce 
que  Juillet  avait  produit.  Aussi  ne  négligea-t-il  aucune  cir- 
constance pour  demander  si  l'on  avait  fait  une  révolution  de 
palais  ou  une  révolution  de  principes;  si  la  souveraineté  du 
peuple  était  une  de  ces  fictions  redoutables  qu'on  invoque 
un  jour  de  crise,  et  que  l'on  se  hâte  de  replon«:er  dans  les 
abîmes  dès  qu'elle  a  donné  leur  pâture  aux  ambitieux. 

Profitant  habilement  de  sa  solitude,  séparé  tout  à  la  fois  du 
pouvoir  et  de  l'opposition ,  courant  sur  le  flanc  de  ces  deux 
armées,  guettant  toutes  les  fautes,  il  n'entrait  dans  la  mê- 
lée que  lorsqu'il  voyait  un  moment  propice  pour  faire  tour- 
ner le  débat  à  l'avantage  de  ses  opinions.  Lorscjue  Casimir 
Périer  venait  réclamer  au  nom  le  l'ordre  pid^lic  des  me- 


i 


BERRYER 

n:ies  sévères  :  »  L'ordre!  s'écriait  l'orateur,  vous  con- 
"  >ient-il  de  l'invoquer?  Vous  en  avez  sapé  la  base,  vous 
n  avez  déchaîné  l'anarclùe;  le  principe  vous  presse,  il  faut 
«  en  subir  les  conséquences.  »  Et  si  l'opposition  voulait  à 
son  tour  appliquer  à  nos  lois ,  à  nos  mœurs ,  à  notre  état 
social,  quelques-unes  de  ces  améliorations  que  commandaient 
ou  la  politique,  ou  les  conditions  civiles,  ou  les  besoins 
moraux,  la  suppression  de  l'anniversaire  du  21  jaaivier,  le 
bannissement  perpétuel  des  Bourbons,  le  divorce,  le  ma- 
liage  des  prêtres,  M.  Berryer  se  levait  aussitôt,  et  deman- 
dait avec  douleur  si  l'on  voulait  anéantir  toutes  les  traditions, 
absoudre  tous  les  crimes,  rompre  tous  les  liens  de  la  fa- 
mille, jeter  le  schisme  dans  la  religion,  et  réduire  en  pous- 
sière tout  ce  qui  restait  des  éléments  sociaux  les  plus  néces- 
saires et  les  plus  respectés. 

Telle  fut  sa  constante  tactique  dans  les  commencements 
de  la  lutte.  Le  premier  discours  qui  fonda  pour  tous  les  partis 
sa  puissance  oratoire  fut  celui  qu'il  prononça  dans  la  dis- 
cussion de  la  pairie  (5  octobre  1831).  Le  ministre  Périer 
avait  déclaré  lui-même  qu'il  cédait  à  contre-cœur  au  vœu 
populaire  en  détruisant  l'hérédité.  Quelques  orateurs  vinrent 
la  défendre  dans  des  tissus  d'inconséquences  ;  M.  Berryw 
seul  était  à  l'aise  dans  cette  question.  Le  respect  de  l'héré- 
dité était  l'àme  même  de  ses  opinions  politiques;  il  le  dé- 
veloppa dans  un  discours  d'une  liardiesse  véhémente,  avec 
lequel  il  terrassa  ce  cabinet  qui  sapait  une  constitution  en 
l'adorant ,  et  ses  traits  ne  furent  ni  moins  piquants  ni  moins 
rudes  contre  cette  pairie  elle-même ,  qui  se  condamnait  à 
un  rôle  subalterne ,  sans  crédit ,  sans  autorité ,  sans  indé- 
pendance... Triste  expiatiou  des  lâchetés  qu'elle  avait  com- 
mises, expiation  à  laquelle  elle  ne  pouvait  échapper  qu'en 
se  retirant  !  Cette  vigoureuse  sortie  fut  admirable  :  l'orateur 
s'y  était  révélé  tout  entier  avec  son  regard  hautain ,  son 
geste  dominateur,  cet  organe  incomparable  dont  les  cordes 
métalliques  agitent  ses  fibres  nerveuses ,  avec  cette  parole 
qui  brûlait  ses  lèvres  et  qui  se  répandait  en  flammes  étiu- 
celantes  sur  toute  cette  assemblée ,  qui  n'était  ni  convaincue 
ni  persuadée,  mais  qui  demeurait  haletante,  et  qui  se  sen- 
tait enchaînée  d'admiration  par  ce  fluide  irrésistible  de  la 
passion  éloquente.  M.  Berryer  eut  tous  les  honneurs  de 
cette  longue  discussion ,  et  désormais  il  était  srtr  de  com- 
mander le  silence,  car  il  avait  pris  son  rang  parmi  les 
princes  de  la  parole. 

Plus  tard,  il  défendit  avec  le  même  succès  M.  de  Chateau- 
briand contre  les  attaques  étourdies  de  M.  Viennet  (  16  no- 
vembre 1831);  sa  place  était  faite,  son  autorité  établie , 
sa  puissance  redoutable  et  redoutée.  Alors  seulement  il  de- 
vint pour  son  parti  un  homme  considérable  :  seul  il  le  re- 
présentait, seul  il  pouvait  faire  croire  encore  à  son  exis- 
tence en  jetant  sur  lui  le  reflet  d'un  talent  plein  d'éclat. 
Toutefois  ce  service  ne  suffisait  plus.  Une  femme  de  cœur, 
entreprenante  et  digne  de  commander  à  d'autres  hommes , 
la  duchesse  de  Berry,  avait  été  bravement  se  jeter  au  mi- 
lieu de  quelques  bandes  de  chouans,  reste  dégénéré  de  la 
Vendée  de  93  :  les  légitunistes  s'étaient  ranimés  ;  la  cons- 
piration de  la  rue  des  Prouvaires  ayant  échoué  à  Paris, 
on  en  voulut  agrandir  les  proportions,  en  changer  le  ter- 
rain, et  tenter  la  guerre  civile.  M.  Berryer  fut  assurément 
mis  dans  le  secret  de  ces  mouvements ,  et  le  public  ignore 
les  conseils  qu'il  donna  ;  mais  ce  qu'on  sait  positivement , 
c'est  qu'il  se  rendit  de  sa  personne  auprès  de  la  duchesse  de 
Berry ,  et  le  pouvoir  tracassier  le  fit  arrêter  et  mettre  en 
jugement.  Ce  procès  fut  pour  les  accusateurs  un  sujet  de 
confusion ,  pour  l'accusé  un  nouveau  triomphe.  Cette  per- 
sécution augmentait  son  autorité  sur  son  parti ,  et  dans  la 
session  qui  suivit  son  acquittement ,  M.  Jollivet  ayant  voulu 
transporter  à  la  tribune  ce  débat  qui  avait  été  honteux  pour 
le  ministère  en  cour  d'assises ,  M.  Berryer  saisit  du  même 
coup  l'iutei'pellateur  et  ses  patrons ,  et ,  après  les  avoir  vi- 
goureusement étreints  sous  sa  serre,  les  envoya  rouler  meur- 


79 
tris  et  confus  sur  leurs  bancs  (28  novembre  1832,  discussion 
de  l'adresse  ).  La  tentative  de  guerre  chile  échoua  d'abord 
par  la  plus  odieuse  trahison.  On  apprit  bientôt  que  la  duchesse 
de  Berry  était  arrêtée  ;  ce  n'était  pas  assez  :  on  annonça  plus 
tard  qu'elle  était  enceinte  ;  la  fortune  se  plaisait  à  frapper  ses 
coups  les  plus  impitoyables  sur  la  race  déchue.  M.  Berryer 
fit  pourtant  tête  à  l'orage  :  des  pétitionnaires  demandaient 
la  liberté  de  la  princesse  ;  d'autres  réclamaieiit  sa  mise  en 
jugement  :  discussions  passionnées ,  irritantes,  au  milieu 
desquelles  l'orateur  déploya  toujours  la  môme  puissance  de 
talent.  Mais  la  vengeance  du  pouvoir  fut  complète  :  il  ar- 
racha la  déclaration  de  sa  grossesse  à  la  captive,  et  la  fit 
accoucher  en  prison ,  au  milieu  d'une  surveillance  dégoû- 
tante, à  laquelle  présidait  le  général  Bugeaud;  puis  il  la 
fit  embarquer  avec  son  enfant. 

Le  temps  des  luttes  armées  était  fini  :  la  réaction  vic- 
torieuse se  donna  carrière;  l'attentat  Fieschilui  fournit 
l'occasion  de  jet^r  sur  la  France  ce  réseau  de  lois  arbi- 
traires ,  inconstitutionnelles ,  violentes,  qui  détruisaient  et 
le  droit  de  discussion,  et  le  droit  d'association,  et  la  consti- 
tution du  jury,  et  les  promesses  solennelles  de  la  Charte. 
C'est  dans  la  session  de  1835  que  tout  cet  arsenal  fut  mis 
au  jour.  L'opposition  combattit  vigoureusement,  et  M.  Ber- 
ryer se  joignit  complètement  à  elle  dans  d'impuissants  ef- 
forts. Son  discours  sur  la  loi  des  associations  (  17  mars  1834  ) 
produisit  un  immense  effet  sur  l'assemblée.  Nous  nous  rap- 
pelons encore  avec  quel  accent  il  prononça  ces  paroles  au 
milieu  d'une  violente  agitation  ;  il  répondait  à  une  llasque 
déclamation  de  M.  Barthe  : 

«  M.  le  ministre  nous  a  dit  que  le  gouvernement  de  la 
«  Restauration  était  odieux  et  repoussé  parce  qu'il  avait  été 
«  imposé  par  l'étranger 

Voix  nombreuses.  Oui  !  oui  ! 

M.  Beurïer.  «  Et  qu'il  était  pour  la  France  le  triste  fruit 
«  des  désastres  de  Waterloo. 

Ati  centre  avec  force  :  «  Oui!  oui! 

IST.  Berryer  s'arrête  un  instant,  et  dirigeant  sa  main  du 
côté  même  où  devait  figurer  le  portrait  du  roi ,  il  s'écrie  ; 
n  Eh  bien  !  je  demanderai  au  ministre  imprudent  qui  a  ose 
«  tenir  ce  langage  s'il  a  oublié  les  noms  de  ceux  qui  ne  sont 
«  rentres  en  France  qu'à  la  suite  de  l'étranger  et  en  passant 
«  sur  le  champ  de  bataille  de  Waterloo!  » 

En  achevant  ces  mots,  le  regard  dédaigneux  de  l'orateur 
s'arrêta  sur  M.  Guizot,  qui  siégeait  au  banc  des  ministres. 
Les  centres  demeurèrent  anéantis.  Puis  revenant  au  carbo- 
naro Barthe,  et  l'apostrophant  lui-même,  il  s'écria  d'une 
voix  terrible  :  «  Punissez,  monsieur,  punissez  quiconque  a 
«  la  bassesse,  la  lâcheté  de  s'enfermer  dans  des  sociétés  se- 
«  crêtes,  pour  y  prêter  des  serments  incendiaires  contre  son 
«  pays  !  »  Et  comme  M.  Guizot  avait  dit  qu'il  ne  connais- 
sait rien  de  plus  dégoûtant  que  le  cynisme  révolutionnaire, 
M.  Berryer  lui  répondit  en  s'écriant  :  Il  y  a  quelque  chose 
de  plus  dégoûtant  encore  :  c'est  le  cynisme  des  aposta- 
sies!... 

On  ne  pai-viendrait  pas  par  des  citations  à  donner  l'idée 
de  l'effet  foudroyant  de  cette  parole  :  il  faut  voir  l'orateur, 
il  faut  l'entendre;  car  l'écriture  ne  saurait  reproduire  l'en- 
semble de  ces  facultés  qui  sont  harmonisées  précisément 
pour  produire  l'éloquence.  Ceux  mêmes  qui  la  veille  ont  as- 
sisté aux  séances  ne  retrouvent  plus  dans  les  discours  impri- 
més que  des  cendres  chaudes ,  ceux  qui  n'y  assistent  pas 
n'ont  guère  que  le  minerai  figé  du  volcan.  Nous  ne  préten- 
dons pas  dans  cette  rapide  esquisse  apprécier  le  talent  de 
M.  Berryer  :  cette  œuvre  est  laite  par  un  maître  (t),  et  nous 
n'avons  voulu  ici  que  rendre  quelques-unes  de  nos  impres- 
sions. Ce  qui  est  remarquable  dans  le  talent  de  cet  orateur, 
c'est  qu'il  lui  échappe  pour  ainsi  dire  à  lui-même.  H  n'en 
dispose  ni  quand  il  veut  ni  conune  il  veut  ;  l'instrument  lui 

(1)  Voir  te  Livrtdes  Orateurs  parlementaires,  par  CBrmenia. 


80 


BERRYER 


manque  même  les  jours  où  il  croyait  l'avoir  le  mieux  pré- 
paré. C'est  là  ce  que  nous  avons  vu  dans  une  occasion  im- 
portante, où  la  personne  de  M.  Berryer  et  les  intérêts  de 
son  parti  se  trouvaient  également  en  cause.  11  s'agissait  du 
voyage  de  Belgrave-Square,  pieux  pèlerinage  que  les 
légitimistes  avaient  été  faire  auprès  de  leur  prétendant. 
Accusé  par  le  ministère,  objet  d'une  animosité  violente, 
menacé  de  se  voir  flétri  lui  et  les  siens  dans  un  paragraphe 
de  l'adresse,  M.  Berryer  n'eut  point  à  son  service  cette 
éloquence  qu'il  a  fait  admirer  tant  de  fois.  Ceci  tient  à 
deux  causes ,  que  nous  avons  souvent  observées  en  l'étu- 
diant. L'une  fondamentale,  et  qui  touche  à  la  source  même 
de  toute  inspiration  :  c'est  que  la  première  force  de  l'ora- 
teur, c'est  la  vérité.  Jeté  par  ses  précédents,  par  ses  illu- 
sions, par  une  certaine  tournure  d'esprit  chevaleresque,  dans 
les  opinions  légitimistes ,  M.  Berryer  n'en  est  pas  moins  pé- 
nétré des  besoins  de  la  société  nouvelle  ;  son  intelligence  en 
a  les  idées ,  son  âme  en  reçoit  les  aspirations  ;  et  lorsqu'il 
est  forcé  de  se  restreindre  dans  les  intérêts  du  passé ,  il 
s'embarrasse  dans  ses  béquilles,  il  perd  en  hauteur  comme 
en  largeur  ;  il  doute  de  son  action,  parce  qu'il  sent  le  vide, 
et,  mécontent  de  lui-même,  l'ai  tiste  se  décourage  et  se  traîne 
au  lieu  de  monter.  L'autre  cause  tient  à  la  nature  toute  spon- 
tanée de  cette  parole  qui  jaillit  comme  l'eau  vive  du  sein  du 
roc  :  c'est  que  J\L  Berryer  perd  à  se  trop  préparer.  Impro- 
visateur par  excellence,  il  a  besoin  de  sentu:  bouillonner  son 
cerveau  ;  sa  pensée  prompte  souffre  comme  ces  germes  pré- 
cieux qu'une  trop  longue  incubation  étouffe  ;  et  les  fds  de 
son  intelligence  qu'il  vêt  avec  le  plus  d'éclat  et  de  bonheur 
sont  précisément  ces  enfants  trouvés  que  le  temps,  le  lieu, 
la  chaleur  du  sujet  fécondent  et  font  éclore. 

Inférieur  à  lui-môme  dans  l'affaire  de  Belgrave-Square,  il 
retrouva  toutes  ses  facultés  quand  il  vint  après  sa  réélec- 
tion passer  en  revue  la  politique  extérieure  du  cabinet.  11 
fut  cette  fois  ce  qu'il  avait  été  l'année  précédente  en  traitant 
la  question  de  SyTie,  ce  qu'il  avait  été  en  1840  lorsque  après 
avoir  ramassé  une  à  une  toutes  les  lâchetés  de  ce  régime ,  il 
s'était  écrié,  la  voix  émue  et  frappant  de  son  poing  le  marbre 
de  la  tribune  :  «  Céder  partout  !  céder  toujours  !  ah ,  c'est 
trop!  c'est  trop!  c'est  trop!...  »  Et  cette  répétition,  insi- 
gnifiante ou  vulgaire  ici,  frappa  l'assemblée  entière  d'une 
commotion  électrique.  Homme  d'affaires  quand  il  le  faut, 
M.  Berryer  discute  les  faits  et  les  chiffres  avec  une  merveil- 
leuse clarté,  et  c'est  lui  qui  fit  échouer  une  première  fois  le 
projet  de  25  millions  pour  les  États-Unis.  Il  a  souvent  dans 
des  débats  d'intérêts  matériels  montré  la  même  habileté  à 
débrouiller  une  question  et  à  la  vider  en  la  simplifiant.  Mais 
le  caractère  principal  de  son  talent,  sa  véritale  souveraineté, 
c'est  l'éloquence,  l'éloquence  dans  sa  grandeur,  avec  sa 
puissance  d'émotion,  son  pathétique,  et  ces  belles  formes 
que  l'antiquité  nous  a  transmises ,  que  si  peu  d'hommes  ont 
conservées.  Aussi ,  bien  que  professant  des  opinions  pro- 
fondément contrastantes,  bien  que  séparé  de  M.  Berryer 
par  tout  l'espace  qui  sépare  les  deux  pôles,  nous  n'en  éprou- 
vons pas  moins  pour  les  dons  privilégiés  qu'il  a  reçus  l'ad- 
miration la  plus  sincère,  et,  fidèle  à  la  doctrine  quia  porté 
le  vaincu  de  Juillet  à  servir  la  nation,  nous  croyons  qu'il 
faut  honorer  tous  ceux  qui  dans  les  sciences  et  les  lettres, 
dans  les  armées  ou  dans  les  arts,  par  la  gloire  des  armes, 
ou  par  celle  de  la  parole,  contribuent  à  élever  aux  yeux 
des  autres  peuples  et  notre  langue  et  notre  patrie. 
Armand  Makkast, 
ancien  président  de  l'Asseiiiblée  nationale. 

M.  Berryer  a  fait  ses  études  chez  les  oratoriens,  réunis  en 
corporation  privée  à  Juilly,  où  il  eut  pour  condisciple  le 
maréchal  Jérôme  Bonaparte.  11  quitta  cette  maison  en  1306. 
Il  avait  montré  de  bonne  heure  une  vaste  intelligence,  que 
83  paresse  pouvait  seule  égaler  :  aussi  brilla-t-il  peu  dans  ses 
études.  L'éducation  religieuse  qu'il  avait  icçue  dans  la 
maison  de  Juilly  le  poussait  à  entrer  dans  un  séminaire  j  sa 


famille  parvint,  non  sans  difficulté,  à  l'en  détourner  et  à  lui 
faire  adopter  la  carrière  du  barreau.  Son  père  lui  aplanit 
les  premières  difficultés ,  et  ses  brillantes  facultés  ne  tar- 
dèrent pas  à  se  révéler.  Après  avoir  pâli  sur  le  code  et  passé 
quelques  mois  chez  un  avoué ,  il  se  maria ,  à  peine  âgé  de 
vingt  et  un  ans. 

Ses  opinions  étaient  loin  d'être  arrêtées  alors.  «  Quoique 
enthousiaste  du  génie  de  Napoléon,  a  dit  un  biographe,'  il 
regardait  le  grand  homme  comme  un  despote  disposé  à  ré- 
pandre jusqu'à  la  dernière  goutte  du  sang  de  ses  sujets  sur 
l'autel  de  son  aml)ition,  et  il  vit  avec  joie  arriver  la  première 
restauration ,  à  laquelle  il  se  dévoua  corps  et  âme.  «  Après 
avoir  vainement  essayé  de  sauver  le  général  Debelle  devant 
le  conseil  de  guerre ,  il  alla  se  jeter  au  pied  du  roi,  et  obtint 
sa  grâce.  Les  généraux  Canuel  et  Donadieu  ayant  été 
mis  en  cause  après  les  insurrections  de  Grenoble  et  de  Lyon, 
M.  Berryer  plaida  pour  eux ,  et  en  rejeta  hardiment  tout 
l'odieux  sur  le  ministère  Decazes.U  publia  même  à  cette 
occasion  une  brochure  qui  causa  un  certain  scandale,  et  le 
fit  ranger  parmi  les  royalistes  purs. 

Cependant  les  procès  politiques  ne  lui  faisaient  point  né- 
gliger les  affaires  civiles.  Les  discussions  des  banquiers  Se- 
guin et  Ouvrard  (  1826  ),  la  succession  du  marquis  de  Vérac, 
l'affaire  des  marchés  Ouvrard,  puis  les  liquidations  et  les 
procès  pour  coupes  de  bois  appartenant  aux  anciens  émigrés, 
fournirent  à  M.  Berryer  autant  d'occasions  de  mettre  en 
relief  son  talent.  Le  21  avril  1826  il  prêta  l'appui  de  sa 
parole  à  M.  l'abbé  de  L  a  me  n  n  a  i  s,  et  obtint  l'acquittement 
de  son  client.  Sous  le  ministère  Villèle  il  participa  à  la  créa- 
tion de  la  Société  des  bonnes  lettres  et  de  la  Société  des 
bonnes  études ,  sociétés  qui  avaient  pour  but  de  déguiser 
la  propagande  politique  sous  le  manteau  de  la  religion. 

Faisant  sans  doute  peu  de  cas  des  serments  que  réclament 
toujours  les  gouvernements  à  leur  origine ,  et  que  chacun 
peut  interpréter,  quoi  qu'on  fasse,  suivant  sa  conscience,  il 
prêta  en  1830  celui  qu'exigeait  Louis-Philippe.  «  Quand  la 
force  domine  dans  un  État ,  disait-il  alors ,  les  gens  de  bien 
doivent  encore  à  la  société  le  tribut  de  leurs  efforts  pour 
détourner  de  plus  grands  maux.  »  Les  affaires  de  la  Vendée 
liù  valurent  quatre  mois  de  prison  préventive.  Acquitté  par 
la  cour  d'assises ,  il  fut  encore  inculpé,  avec  Chateaubriand, 
de  Brian  et  autres,  pour  avoir,  dans  une  réunion  publique, 
voté  en  l'honneur  du  noble  vicomte  une  médaille  avec  l'exer- 
gue :  Votre  fils  est  mon  roi.  Mais  comme  il  avait  proposé 
l'exergue  Le  génie  fidèle  au  malheur,  il  fut  renvoyé  de  la 
plainte.  Il  en  profita  pour  faire  acquitter  Chateaubriand  en 
cour  d'assises  ;  en  même  temps  il  défendait  différents  jour- 
naux royalistes. 

Dans  la  session  de  1834,  venant  en  aide  à  MM.  Aud  ry  d  e 
Puyraveau  et  Voyer  d' Argenson,  accusés  de  participa- 
tion à  la  Société  des  Droits  de  l'homme,  M.  Berryer  opposa 
aux  objections  de  31.  Guizot  des  arguments  d'un  radica- 
lisme complet.  Il  prétendit  que  le  droit  de  discussion  et 
d'association  était  une  conséquence  forcée  de  la  révolution, 
dût  l'exercice  de  ce  droit  être  fatal  au  nouveau  gouverne- 
ment. Sans  doute  il  ne  pensait  plus  ainsi  après  la  révolution 
de  Février,  lorsiiu'il  accepta,  en  1850,  d'être  membre  de  cette 
commission  des  dix-sept  chefs  de  parti  qu'on  a  nommés  les 
Bu  r  graves,  quia  préparé  les  mesures  au  moyen  desquelles 
toutes  les  libertés  publiques  ont  été  sévèrement  restreintes. 

Quoi  qu'il  en  soit,  au  milieu  des  préoccupations  de  la  po- 
litique, qui  lui  avaient  fait  négliger  une  riche  clientèle, 
M.  Berryer  se  trouva  un  beau  jour  ruiné;  c'était  vers  1836. 
Son  parti  ne  fut  pas  ingrat,  et,  sur  l'annonce  de  la  mise  en 
vente  de  la  terre  d'Angerville ,  qui  appartenait  au  célèbre 
avocat,  une  souscription  s'ouvrit,  et  produisit  400,000  fr., 
moyennant  quoi  ce  bien  fut  conservé  à  son  propriiHaire.  Chef 
de  son  parti  à  la  tribune,  M.  Berryer  ne  tint  pas  toujours 
compte  des  avis  et  des  prétentions  des  journaux  royalistes 
soumis  à  d'autres  influences.  11  essaya  même  une  fois  de  se 


BERRYER  —  BERTHE 


créer  un  organe  dans  la  presse  parisienne,  ce  qui  lui  attira 
de  vertes  attaques  des  défenseurs  patentés  de  la  monarchie, 
dont  l'un,  engagé  dans  les  ordres  sacrés,  s'oublia  jusqu'à 
rappeler  au  député  de  Marseille  qu'il  n'était  queVavocat  du 
parti  légitimiste. 

Avant  le  voyage  de  Belgrave-Square,  M.  Berryer  était  déjà 
allé  en  Allemagne  déposer  ses  hommages  aux  pieds  de  la 
famille  déchue.  Le  duc  d'AngouIôme  lui  confia  une  pièce 
qui  avait  pour  but  de  maintenir  les  prétentions  de  ce  der- 
nier au  titre  de  Louis  XIX  jusqu'à  la  troisième  restauration 
exclusivement.  Combattant  toujours  le  ministère,  M.  Ber- 
ryer appuya  dès  IS36  la  proposition  Gouin  pour  le  rembour- 
sement des  rentes  ;  il  attaqua  le  projet  de  loi  de  disjonction 
en  1837 ,  repoussa  l'année  suivante  la  proposition  relative  à 
l'abolition  de  l'esclavage,  et  en  1839  il  fut  un  des  plus  éner- 
giques promoteurs  de  la  coalition  formée  pour  renverser 
le  ministère  Mole. 

Le  prince  Louis -Napoléon,  arrêté  à  Boulogne,  se  souvint 
du  défenseur  du  maréchal  Ney,  et  M.  Berryer  devint  un 
de  ses  conseils  devant  la  chambre  des  pairs. 

Après  la  révolution  de  Février,  le  département  des  Bou- 
ches-du-Rhône  choisit  M.  Berryer  pour  un  de  ses  représen- 
tants à  l'Assemblée  constituante.  Il  fit  partie  du  comité  des 
finances;  et  l'un  des  chefs  de  la  réunion  de  la  rue  de  Poi- 
tiers, il  fut  réélu  à  l'Assemblée  législative.  La  réaction  dans 
laquelle  tomba  la  majorité  de  cette  assemblée  donna  une 
certaine  importance  à  M.  Berryer,  qui  finit  par  être  pro- 
clamé le  principal  mandataire  du  comte  de  Chambord  dans 
la  circulaire  Barthélémy,  datée  de  Wiesbaden,  où  M.  Ber- 
ryer avait  recommencé  le  pèlerinage  deBclgrave-Square,sans 
flétrissure  à  la  suite,  cette  fois  ;  il  est  vrai  que  la  république 
n'avait  demandé  aucun  serment  à  ses  représentants.  L'année 
suivante,  alors  que  les  projets  de  fusion  étaient  à  l'ordre  du 
jour,  l'Exposition  universelle  lui  fournit  l'occasion  de  rendre 
visite  aux  membres  de  la  famille  d'Orléans,  à  Claremont. 

Toujours  membre  des  commissions  qui  siégeaient  pen- 
dant les  prorogations  de  l'Assemblée,  M.  "Berryer  fit  partie 
de  la  commission  chargée  de  la  surveillance  de  la  caisse  d'a- 
mortissement, et  s'associa  au  blâme  infligé  au  ministère  qui 
avait  osé  destituer  le  générale  h  angarnier.  Reprochant  au 
cabinet  d'avoir  tenté  de  scinder  la  majorité ,  il  dit  que  la 
république  n'était  pour  lui  qu'un  gouvernement  de  transi- 
tion. Bientôt,  champion  avoué  du  représentant  de  la  légitimité, 
repoussant  la  proposition  Creton  relative  à  l'abolition  des 
lois  de  proscription  contre  les  Bourbons,  il  déclara  que  M.  de 
Chamboi'd  ne  pouvait  rentrer  en  France  qu'avec  le  titre  qui 
lui  appartenait,  c'est-à-dire  comme  le  premier  des  Français. 

La  révision  de  Ja  constitution  le  compta  parmi  ses  parti- 
sans sous  certaines  réserves.  La  république  était  incompatible, 
suivant  lui,  avec  les  mœurs,  les  traditions  et  les  intérêts 
du  pays  :  il  voulait  avant  tout  un  ciiangement  de  gouver- 
nement ;  autrement,  il  était  opposé  à  la  réélection  du  prési- 
dent. Les  événements  du  2  décembre  l'ont  rendu  tout  en« 
lier  au  barreau.  Il  y  a  fait  sa  réapparition  en  plaidant  avec 
M*  Paiilet  la  compétence  du  tribunal  civil  dans  l'affaire  des 
biens  de  la  maison  d'Orléans  contre  le  déclinatoire  introduit 
par  le  préfet  de  la  Seine.  Après  la  mort  de  M.  de  Saint- 
Priest,  l'Académie  Française  appela  M.  Berryer  à  le  rem- 
placer dans  son  sein.  Son  discours  de  réception  fut  beau- 
coup remarqué.  L'orateur  se  tira  avec  un  rare  bonheur  des 
difficultés  d'un  tel  sujet,  où  il  s'agissait  d'ailier  le  respect  des 
convenances  avec  le  respect  qu'il  se  devait  à  lui-même  et 
aux  convictions  de  toute  sa  vie. 

BERSERKER  (dérivé  des  mots  hcr,  nu,  et  serkr, 
cuirasse).  C'était,  suivant  la  tradition  Scandinave,  un  cé- 
lèbre et  redoutable  héros,  petit-fils  de  Starkader  aux  huit 
mains  et  de  la  belle  Aifhilde.  La  tradition  porte  que ,  mé- 
prisant les  casques,  les  cuirasses  et  les  boucliers,  il  se  pré- 
sentait au  combat  n'ayant ,  contrairement  aux  usages  de 
1  époque,  pour  toute  arme  défensive  que  son  courage  et  sa 

DICT.    DE   LA    CONVERS.   —  T.    IH. 


8l 


force.  Ayant  épousé  la  fille  du  roi  Sivarfurlam,  qu'il  avait 
tué  dans  un  combat,  il  en  eut  douze  fils,  tous  aussi  braves 
et  aussi  courageux  que  lui,  et  qui  portèrent  son  nom,  de- 
meuré synonyme  d'homme  déterminé. 

BERTHE  (du  vieil  allemand ^erc/^^a,  Perahta  ),  nom 
qui  a  été  porté  par  plusieurs  femmes  célèbres  du  moyen  âge. 

Sainte  Berthe,  dont  l'Église  honore  la  mémoire  le  4  mai, 
était  la  belle  et  pieuse  fille  de  Charibert,  roi  des  Francs.  Ma- 
riée en  560  à  .Ethelbert,  roi  de  Kent,  elle  contribua  beaucoup 
à  la  conversion  de  son  époux,  de  même  qu'à  la  propagation 
du  christianisme  parmi  les  Anglo-Saxons. 

BERTHE,  fille  de  Burkhard,  duc  des  Alemans  et 
épouse  de  Rodolphe  II,  roi  de  la  Bourgogne  Transjurane, 
prit,  à  la  mort  de  ce  prince,  en  937,  la  régence  au  nom  de 
son  fils  Conrad,  encore  mineur,  se  remaria  plus  tard  à  Hugues, 
roi  d'Italie,  etmourut  vers  la  fin  du  dixième  siècle.  Cette  reine 
avait  la  réputation  d'être  une  excellente  ménagère  ;  et  les 
monuments  de  l'époque  la  représentent  toujours  filant  as- 
sise sur  son  trône.  Aussi  est-ce  à  elle  qu'on  fait  remonter 
l'origine  de  ce  proverbe,  si  connu  encore  aujourd'hui  dans 
le  territoire  de  l'ancien  royaume  de  la  petite  Bourgogne  : 
n  Dans  le  bon  vieux  temps,  lorsque  la  reine  Berthe  filait,  u 
On  cit^ cependant  d'autres  princesses  de  la  même  époque, 
laborieuses  fileuses  à  la  mémoire  desquelles  on  rattache  aussi 
ce  proverbe.  Il  est  à  noter,  au  reste,  que  lors  de  la  propaga- 
tion du  christianisme,  on  transféra  les  attributs  de  la  vieille 
déesse  germaine  Berchta  à  diverses  personnes  d'une  certaine 
importance  historique.  Nous  consacrons  ci-après  un  article 
spécial  à  Berthe  ou  Berthrade  aux  Grands  Pieds. 

Les  légendes  de  la  Table  Ronde  font  aussi  mention  d'une 
Berthe,  sœur  de  Cliarleiiiagne  ,  mariée  à  Milon  d'Angleris, 
de  qui  elle  aurait  eu  un  fils,  le  célèbre  Roland. 

BERTHE,  reine  des  Français,  épouse  de  Pépin  le 
Bref  et  mère  de  C  h  ar  le  magne.  Elle  mourut  le  12  juillet 
TS.î,  et  fut  inhumée  à  Saint-Denis  :  son  tombeau ,  restauré 
par  les  soins  de  saint  Louis,  portait  cette  unique  inscrip- 
tion :  Berta,  mater  Caroli  Magni.  Les  historiens  disent  que 
le  grand  empereur  avait  pour  sa  mère  une  tendre'sse  res- 
pectueuse, ft  qu'il  écoutait  ses  avis  avec  une  certaine  défé- 
rence. D'ailleurs,  on  ne  sait  pas  exactement  à  quelle  nation, 
à  quelle  famille  elle  appartenait.  Suivant  les  uns ,  son  père 
était  Caribert,  comte  de  Laon;  suivant  les  autres  ,  un  em- 
pereur de  Constantinople.  On  sait  qu'en  général  nos  rois 
francs  se  préoccupaient  alors  assez  peu  de  l'origine  plus  ou 
moins  illustre  de  leurs  épouses;  et  personne  n'aurait  vrai- 
semblablement recherché  d'où  venait  la  reine  Bertbe ,  si 
l'ancienne  poésie  héroïque  et  plusieurs  légendes  pieuses  n'a- 
vaient essayé  de  trancher  la  question. 

Il  convient  de  rappeler  ici  rapidement  ce  que  nos  vieux 
trouvères  ont  raconté  de  la  mère  de  Cbarlemagne.  Douée 
d'une  grande  beauté,  le  surnom  qu'ils  lui  donnent  de  Berthe 
aux  Grands  Pieds  ne  fait  à  leurs  yeux  aucun  tort  aux 
heureux  dons  que  la  nature  lui  avait  prodigués.  Elle  était 
fille  du  roi  Flore,  de  Hongrie,  et  de  la  reine  Blancliefleur. 
Pépin  le  Bref,  ayant  entendu  louer  ses  vertus  et  ses  charmes, 
fit  demander  sa  main;  le  mariage  fut  résolu,  et  la  princesse 
partit  pour  la  France  dans  la  compagnie  de  deux  femmes  : 
Margiste,  et  sa  fille  Aliste,  qu'elle  avait  affranchies.  Aliste 
était  devenue  chère  à  la  reine  de  Hongrie,  par  l'extrême  res- 
semblance de  ses  traits  avec  ceux  de  Berthe  aux  Grands  Pieds. 
Cette  ressemblance  causa  tous  les  malheurs  de  la  jeune  prin- 
cesse en  donnant  à  la  vieille  Margiste  la  pensée  de  tromper 
Pépin,  et  de  substituer  dans  sa  couche  sa  fille  Aliste  à  sa 
noble  maîtresse.  Pour  arriver  à  ses  fins,  elle  représente  à 
Berthe  que  le  roi  de  France  est  une  espèce  de  monstre,  et  qu'il 
met  ordinairement  en  danger  la  vie  des  objets  de  ses  premiers 
embrassements.  En  conséquence  elle  propose  à  la  princesse 
de  changer  de  nom  pour  quelques  jours  avec  Aliste,  qui, 
une  fois  le  danger  passé,  s'empressera  de  reprendre  sa  véri- 
table place.    Berthe  accepte  la  tromperie  :    la  serve  est 

11 


82 

conduite,  au  lieu  de  la  reine,  dans  la  couche  royale.  Le  lende- 
main, au  point  du  jour,  des  traîtres,  rassemblés  par  IMargiste, 
f 'emparent  de  la  vraie  Bertlie,  la  conduisent  dans  la  forêt  du 
Mans,  et  là  se  disposent  à  exécuter  leur  mission  en  lui 
tranchant  la  tête.  Heureusement,  un  d'entre  eux,  nommé 
JMorant,  écoutant  la  voix  de  ses  remords,  obtint  de  ses  com- 
plices qu'ils  laisseraient  fuir  la  princesse.  Berthe,  après  de 
longues  angoisses,  vint  frapper  à  la  porte  d'un  voyer  ou 
garde-cbasse ,  nommé  Simon.  Ce  brave  liomme  reçut  la 
princesse  avec  bonté,  la  confia  aux  soins  de  sa  femme  et  de 
sa  lilie,  et  la  retint  à  titre  de  chambrière.  Elle  demeura  chez 
lui  plusieurs  années;  et  cependant  Aliste  donnait  au  roi 
deux  enfants  et  se  faisait  hair  de  toute  la  nation  par  son 
avarice ,  son  insolence  et  sa  méchanceté. 

La  pieuse  résignation  de  Berthe  aux  Grands  Pieds  n'aurait 
jamais  mis  le  roi  sur  les  traces  de  la  vérité,  si  la  reine  de 
Hongrie,  désireuse  de  revoir  sa  fille  et  de  juger  par  elie-môme 
de  son  bonheur,  n'avait  i)as  fait  un  voyage  en  France. 
Grande  terreur  alors  dans  l'âme  de  la  serve  :  on  peut 
abuser  un  mari,  il  est  moins  aisé  de  tromper  une  mère.  Sur 
toute  sa  route  Blanchedeur  recueillit  les  malédictions  des 
peuples.  »  Voilà,  »  disait-on ,  «  la  mère  de  la  plus  indigne 
reine  qui  fut  jamais.  «  Blanchefleur  ne  pouvait  revenir  de 
sa  douloureuse  surprise.  Elle  entre  dans  Paris  ;  le  roi  vient 
à  sa  rencontre.  Pour  la  reine,  on  lui  dit  qu'elle  est  malade, 
qu'elle  ne  peut  supporter  l'éclat  du  jour  ni  même  la  lumière 
des  flambeaux.  «  Je  veux  pourtant  la  voir,  »  s'écria  la  mère. 
«  Conduisez-moi  vers  elle.  «  Elle  entre  dans  son  apparte- 
ment ;  la  fausse  malade  prononce  quelques  mots  d'impatience 
et  de  dépit.  «  Qu'ai-je  entendu  ?  »  s'écrie  Blanchefleur,  «  ma 
chère  Berthe  peut-elle  ainsi  me  recevoir  !  Non,  ce  n'est  pas  ma 
fille  :  elle  eût  voulu  me  voir  ;  elle  se  fût  jetée  dans  mes  bras.  « 
Et  tout  en  disant  ces  mots,  elle  tire  violemment  la  cou- 
verture et  regarde  les  pieds  d'Aliste  :  «  Je  l'avais  bien  deviné, 
dit-elle,  non,  ce  n'est  pas  ma  fille.  Mais  qu'en  ont-ils  fait.'  Ils 
l'ont  tuée  !  »  Le  roi  accourt  ;  Aliste,  dans  son  trouble,  est  con- 
trainte de  tout  avouer,  et  bientôt  la  méchante  mère  subit  le 
supplice  queméritait  son  odieuse  trahison.  On  épargna  la  fille 
en  faveur  des  deux  enfants  qu'elle  avait  eus  du  roi ,  et  l'on 
sut  par  le  bon  Morant  comment  la  véritable  Berthe  avait 
été  abandonnée.  Mais  comment  la  retrouver?  Longtemps 
toutes  les  recherches  furent  inutiles.  Cependant,  un  jour 
que  Pépin,  emporté  par  l'ardeur  de  la  chasse,  s'était  égaré 
dans  la  forêt  du  Mans ,  il  aperçut ,  au  pied  d'une  croix 
dressée  dans  le  plus  épais  de  la  forêt,  une  jeune  femme 
dimt  la  beauté  le  frappa  tellement,  qu'en  véritable  roi  de 
ces  temps-là  il  s'approcha  d'elle,  et  voulut  lui  faire  vio- 
lence. Berthe  implora  sa  pit  é  ;  mais  ses  larmes  et  ses  prières 
n'auraient  servi  de  rien,  si  pour  sauver  son  honneur  elle 
n'avait  pris  le  parti  de  déclarer  ce  qu'elle  avait  caché  jusque 
là  ,  même  à  Simon  le  voyer.  «  Arrêtez,  dit-elle,  je  suis  la 
fille  du  roi  Flore;  je  suis  Berthe  aux  Grands  Pieds.  »  Ainsi  fut- 
elle  reconnue  de  Pépin  et  revint-elle  à  la  cour  en  triomphe. 
Morant  fut  récomi)ensé  comme  il  le  méritait.  Simon  le 
voyer  obtint  une  charge  à  la  cour,  et  reçut  pour  armoiries 
un  écu  d'azur  à  la  fleur  de  lis  d'or,  que  ses  descendants 
[lortaiimt  encore  au  treizième  siècle.  Nous  avons  le  regret 
d'avouer  que  telles  ne  sont  jilus  les  armes  de  l'illustre  fa- 
'  mille  des  Le  Yoyer  d'Argenson. 

Pour  terminer  la  légende  poétique  de  la  reine  Beithe  aux 
Grands  Pieds,  nous  dirons  que  Dieu  bénit  son  mariage  et  lui 
donna  d'abord  un  fils,  le  puissant  Charlemagne,  puis  une 
fille,  nommée  comme  sa  mère,  et  qui  devait  elle-même  donner 
le  jour  au  héros  de  l'épopée  française,  le  terrible  Roland, 

L'histoire  fabuleuse  de  Berthe  aux  Grands  Pieds  se  trouve 
d'abord  dans  un  manuscrit  du  douzième  siècle  conservé  au- 
jounriiui  dans  la  Bibliothèque  Impériale.  La  tradition,  ap- 
l)aieinment  plus  ancienne,  fut  recueillie  comme  parfaitement 
véridicjue  par  un  habile  trouvère  du  siècle  suivant,  nommé 
Adenès,  et  surnommé  le  Roi,  sans  doute  parce  qu'il  avait 


BERTHE  —  BERTHEZÈNE 


gagné  plusieurs  prix  de  poésie  dans  les  Puis  d'Arras  ou  de 
Lille,  ces  académies  du  moyen  âge.  Adenès  en  a  fait  le  sujet 
d'une  chanson  de  geste  fort  touchante  et  fort  gracieuse,  que 
l'auteur  de  cet  article  a  publiée  en  1836,  sous  ce  titre  :  Li 
Romans  de  Berte  aus  Grans  Pies,  précédé  d'une  disserta- 
tion sur  les  Romans  des  Douze  Pairs  (Paris,  Techener,  un 
volume  in-12).  ^  Paulin  Paris,  de  l'Iosiiiut. 

BERTIIEZÈIVE  (  Pierre  ,  baron),  lieutenant  général, 
naquit  à  Vandargues  (Hérault),  le  24  mars  1775.  Aux  pre- 
miers jours  de  la  Révolution  ,  il  s'enrôla  comme  volontaire 
dans  le  5*  bataillon  de  l'Hérault,  qui  allait  défendre  le  ter- 
ritoire national,  menacé  par  les  Espagnols.  Au  bout  d'un  an 
il  était  déjà  sous-lieutenant ,  quand  son  corps  passa  à  la  di- 
vision Garnier,  de  l'armée  d'Italie.  Nommé  capitaine  sur  le 
champ  de  bataille  de  Saint-Julien,  le  5  messidor  an  vu,  il 
devint  chef  de  bataillon  au  72^  de  ligne,  à  la  suite  de  combats 
sur  le  Mincio.  Compris  en  1804  dans  la  grande  promotion 
de  la  Légion  d'Honneur,  au  camp  de  Boulogne,  il  entra 
comme  major  au  05*  de  ligne  ,  et  obtint  trois  ans  plus  tard 
le  grade  de  colonel  du  10"  d'infanterie  légère.  L'empereur 
après  la  bataille  d'Ileilsberg  le  fit  officier  de  la  Légion  d'Hon- 
neur et  le  créa  baron  de  l'empire,  avec  une  dotation  en  West- 
phalie.  A  peine  remis  des  graves  blessures  qu'il  avait  re- 
çues à  EckmiJiil,  puis  à  Wagram ,  il  prit,  en  qualité  d'ad- 
judant général,  le  commandement  des  grenadiers  de  la  garde 
impériale  qui  devaient  faire  la  campagne  de  Russie,  et  rendit 
à  l'armée  les  plus  utiles  services  par  sa  bonne  contenance 
devant  l'ennemi,  tant  à  la  Bérézina  qu'à  Lutzen  et  à 
Bautzen.  Nommé  général  de  division  le  4  août  ISl.'î ,  il 
fut  forcé  de  capituler  à  Dresde  par  le  manque  de  vivres 
et  de  munitions;  mais  les  coalisés,  violant  lâchement  la 
capitulation ,  envoyèrent  tous  les  Français  prisonniers  en 
Hongrie. 

En  1814,  le  général  Berthezène ,  rentré  en  France,  fut  mis 
en  disponibilité.  Cependant  le  maréclial  Soult  l'appela  au  co- 
mité de  la  guerre ,  et  Louis  XVIIl  le  décora  quelque  temps 
après  de  la  croix  de  Saint-Louis.  Mais  après  le  débarque- 
ment de  Napoléon ,  ayant  continué  ses  services  et  vaillam- 
ment combattu  les  alliés  à  Fleurus,  à  Wavres,  à  Bierges,  à  Na- 
mur  et  sous  les  murs  de  Paris  ,  il  fut  obligé ,  au  retour  des 
Bourbons,  de  chercher  un  refuge  en  Belgique.  Le  maréchal 
Gouvion-Saint-Cyr,  qui  l'aimait  et  l'appréciait  beaucoup, 
le  fit  rentrer  en  grâce.  Il  remplit  successivement  les  fonctions 
de  membre  du  comité  consultatif  d'infanterie  et  d'inspec- 
teur général.  Lors  de  l'expédition  d'Alger  en  1830,  on  ju- 
gea convenable  qu'un  lieutenant  général  bien  vu  des  an- 
ciens fût  adjoint  au  commandant  en  chef,  M.  de  Bour- 
mont.  Le  général  Berthezène  lut  choisi  à  ce  titre.  Sa  division 
aborda  la  première  le  sol  africain.  Ce  fut  par  la  vigueur 
qu'il  inspira-  à  nos  jeunes  soldats ,  lors  du  débarquement , 
que  les  batteries  algériennes  de  Sidi-Ferruch  lurent  enlevées 
si  rapidement.  On  se  rappelle  encore  l'enthousiasme  que 
produisit  en  France  son  premier  bulletin  de  victoire.  Sa  di- 
vision concourut  aussi  très-activement  à  la  bataille  de 
Staouéli,  qui  ouvrit  à  l'armée  française  les  portes  d'Alger. 
Sa  belle  conduite  au  feu  décida  M.  de  Bourmont  à  demander 
pour  lui  la  pairie,  faveur  sollicitée  de  nouveau  à  son  inteU'! 
tion  par  le  général  Clauzel ,  mais  qui  ne  lui  fut  accordée 
que  deux  ans  plus  tard.  Revenu  en  France  grand -officier 
de  la  Légion  d'Honneur,  il  dut  au  mois  de  février  1831 
remplacer  le  général  Clauzel  dans  son  commandement  de' 
l'Algérie. 

Dans  l'incertitude  où  l'on  était  alors  du  maintien  de  la 
paix  en  Europe,  on  avait  prescrit  la  rentrée  en  France  d'une 
partie  des  troupes  de  l'armée  expéditionnaire.  Elle  était  ré- 
duite, à  cette  époque,  à  un  effectif  de  9,300  hommes,  et 
c'est  avec  de  si  faibles  moyens  que  le  général  Berthezène 
allait  être  obligé  de  faire  face  aux  nombreuses  exigences  de 
la  conquête.  Ce  fut  pendant  son  gouvernement  que  les  ba- 
taillons de  zouaves  furent  organisés.  Lors  de  la  malheureuse 


reuse 


BERTHEZÈNE  —  BERTHIER 


s  3 


expédition  deMédéah,  ce  furent  ces  mêmes  enfants  de 
Paris  qui,  sous  les  ordres  du  chef  de  bataillon ,  depuis  gé- 
néral Du  vivier,  protégèrent  la  retraite  de  l'armée  en  for- 
mant spontanément  rarrière- garde  qui  la  sauva  d'un  af- 
freux désastre.  Cette  expédition  de  Médéah  n'aurait  pu  être 
différée  sans  donner  de  nous  la  plus  mauvaise  opinion  aux 
Arabes  ;  elle  fut  résolue  au  commencement  de  juin ,  et  cette 
opération  difficile,  au  lieu  de  calmer  l'effervescence  de 
l'ennemi ,  ne  fit  qu'irriter  son  audace  et  accroître  sa  haine. 
Soulevées  par  les  intrigues  de  Sidi-Saïd  et  de  Bou-Mezrag , 
encouragées  par  l'afTaiblissement  subit  des  forces  de  l'occu- 
pation, les  tribus  de  la  plaine  se  révoltèrent,  et  vinrent  nous 
attaquer  au  gué  de  l'Arrach  et  à  la  Ferme-Modèle ,  feous 
les  ordres  de  Ben-Aissa  et  de  Ben-Zamoun  ,  les  deux  prin- 
cipaux chefs  des  tribus  de  l'Est.  Quelques  heures  suffirent 
pour  battre  et  disperser  ces  hordes  indisciplinées  ,  dont  les 
plus  fongueux  agitateurs,  dans  leur  dépit  de  cet  échec,  en- 
voyèrent des  vêtements  de  femme  à  Ben-Zamoun ,  le  pre- 
mier de  tous  qui  lâcha  pfed  devant  nos  troupes. 

Dès  son  début  à  Alger,  le  général  Berthezène  avait  im- 
posé à  l'administration  de  rigoureuses  habitudes  d'économie; 
il  cherchait  à  rétablir  im  peu  d'ordre  dans  les  finances,  no- 
tablement compromises  par  les  gaspillages  qu'avait  trop  to- 
lérés son  prédécesseur  ;  non-seulement  il  restreignit  les  dé- 
penses au  strict  nécessaire,  mais,  pour  les  diminuer  encore, 
il  alla  jusqu'à  donner,  à  l'occasion  de  l'investiture  de  l'agha 
des  Arabes,  un  magnifique  yatagan,  garni  en  or,  qui  lui 
appartenait.  6,000  francs  lui  étaient  accordés  par  mois  sur 
les  fonds  secrets  ;  pendant  les  onze  mois  de  son  commande- 
ment, il  ne  dépensa  sur  le  total  de  ces  sommes,  montant 
à  66,000  francs,  que  11,000  francs,  dont  2,000  seulement 
pour  les  frais  d'espionnage.  Le  surplus  fut  employé  à  des 
secours  et  à  des  indemnités.  Cette  probité  excessive  souleva 
de  toutes  parts  d'interminables  criailleries;  on  l'accusa  de 
petitesse,  de  lésinerie,  d'avarice;  on  regretta  les  prodiga- 
lités du  général  Clauzel.  Le  ministre,  d'autant  plus  satisfait 
de  ce  désintéressement  qu'on  ne  l'y  avait  guère  habitué,  ne 
put  s'empêcher  d'en  exprimer  sa  satisfaction  au  général 
Berthezène.  Au  nombre  des  actes  administratifs  qui  lui  font 
le  plus  d'honneur,  il  ne  faut  pas  oublier  la  séparation  du 
domaine  militaire  d'avec  le  domaine  civil,  principe  dont 
l'expérience  démontre  chaque  jour  l'opportunité;  la  cons- 
truction des  casernes  de  Mustapha-Pacha ,  au  delà  du  fau- 
bourg de  Bab-Azoun,  d'un  abattoir  hors  de  la  ville,  et  la 
réparation  du  port  d'Alger. 

Le  duc  de  Rovigo,  nommé  gouverneur  général  de  nos 
possessions  en  Afrique,  le  remplaça  en  décembre  1S31. 
Depuis,  il  ne  fut  plus  employé;  mais  il  suivait  assez  assidû- 
ment les  séances  de  la  Chambre  des  Pairs.  Malade  depuis 
quelque  temps,  il  revit  son  pays  natal ,  et  se  retira  dans  sa 
terre  de  Vandargues ,  où  il  mourut  d'une  fièvre  rémittente 
pleurétique,  le  9  octobre  I8i7,  à  l'âge  de  soixante-treize  ans. 
BERTHIER  (  Alexandre  ),  prince  de  WAGRAM  ,  l'un 
des  généraux  le  plus  utilement  employés  par  l'empereur, 
naquit  à  Versailles,  le  10  novembre  1753.  Il  acquit  en  quel- 
ques années  les  connaissances  nécessaires  à  un  officier 
d'état-major,  sous  son  père,  ingénieur  géographe  de  beau- 
coup de  mérite ,  l'un  des  premiers  auteurs  de  la  magnifique 
collection  de  cartes  mifitaires  du  Dépôt  de  la  guerre,  et  ne 
quitta  ses  leçons  que  pour  entrer  au  service.  Son  dessin 
était  facile  et  plein  de  netteté  ;  Louis  XYI ,  qui  suivait  avec 
plaisir  les  progrès  de  la  géographie,  qui  aimait  même  à 
dessiner  et  à  écrire  des  cartes,  appela  ce  jeune  homme  à 
la  composition  d'une  carte  des  chasses  qui  s'exécutait 
dans  son  cabinet ,  et  dont  il  était  lui-même  occupé.  Berthier 
passa  du  cabinet  topographique  du  roi  au  service  actif 
dans  le  régiment  des  dragons  de  Lorraine,  dont  le  prince 
de  Lambesc  était  colonel.  C'est  cet  officier  général  lui-même 
qui  demanda  le  jeune  Berthier.  Le  régiment  qu'il  comman- 
dait était  alors  regardé  coname  la  première  école  de  cava- 


lerie de  l'Europe.  Berthier  y  apprit  à  manier  les  armes  et  les 
chevaux  :  il  s'y  fit  même  remarquer  par  sa  dextérité  et  par 
le  calme  de  son  esprit,  que  la  violence  des  exercices  n'al- 
térait pas. 

Lors  de  la  guerre  d'Amérique,  Berthier  fut  appelé  à  l'etat- 
major  du  comte  de  Rochambeau,  et  s'embarqua  avec 
l'armée.  Il  se  distingua  au  combat  naval  de  la  Chesapeok ,  et 
à  la  reconnaissance  de  New-York.  Là  il  escortait  avec 
quelques  officiers  le  général  en  chef  sous  le  feu  des  batte- 
ries anglaises,  quand  des  soldats  ennemis  vinrent  les  as- 
saillir. L'escorte  tira  aussitôt  l'épée;  Berthier  tua  de  sa 
propre  main  un  dragon  qui  se  jetait  sur  les  généraux  Ro- 
chambeau et  de  Damas,  et  fit  plusieurs  prisonniers.  Il  se 
distingua  dans  les  affaires  suivantes  par  une  impassible 
énergie.  Son  activité  était  inépuisable  dans  le  travail  du  ca- 
binet ,  où  il  déployait  sous  les  yeux  de  ses  chefs  des  con- 
naissances géographiques  et  militaires  fort  étendues.  Ber- 
thier passa  ensuite  à  l'état-major  du  général  ^'iomesnil  : 
c'était  au  commencement  de  l'expédition  contre  la  Jamaïque. 
Cette  opération  fut  suspendue  par  la  paix  de  1783. 

La  guerre  d'Amérique  précisa  et  rendit  tout  à  fait  pra- 
tiques les  connaissances  de  Berthier;  il  avait  nu  les  éprouver 
sur  le  terrain.  A  son  retour  en  France,  il  se  mit  à  suivre  le 
cours  des  meilleures  écoles  militaires,  et  rcchercliadans  les 
ouvrages  classiques  du  temps  toutes  les  coimaissanccs  im- 
médiatement applicables  à  la  guerre.  Il  alla  même  examiner 
dans  les  camps  prussiens  des  théories  vantées  dans  toute 
l'Europe.  Le  mouvement  interne  et  puissant  qui  ébranlait 
déjà  le  vieux  monde  avertissait  ce  clairvoyant  officier  que 
les  armes  seraient  la  grande  carrière  de  son  temps,  que  la 
seulement  s'élèveraient  des  existences  prédominantes  du- 
rables. Il  travailla  en  conséquence  à  se  rendre  propre  au 
commandement  secondaire  du  premier  ordre,  à  diriger 
l'inexpérience  enthousiaste  des  bataillons  quand  une 
guerre  éclaterait.  C'est  dans  ces  moments-là  surtout  que 
des  officiers  décidés  et  riches  de  connaissances  sont  précieux. 
Berthier  se  tint  prêt  pour  ce  rôle.  La  révolution  le  trouva 
colonel,  chef  d'état-major,  sous  Bézenval.  Il  fut  nommé 
ensuite  commandant  de  la  garde  nationale  de  Versailles,  et 
favorisa  en  cette  qualité  la  fuite  des  tantes  de  Louis  XVI. 
La  crainte  et  la  fureur  révolutionnaire  l'attaquèrent  dans  ce 
poste,  mais  il  sut  s'y  maintenir  assez  longtemps.  Au  com- 
mencement de  la  Terreur,  Berthier  fut  appelé  aux  armées, 
conune  chef  d'état-major  d'abord  de  Lafayette,  puis  de 
Luckner.  Il  y  passa  les  cinq  années  les  plus  orageuses  de  la 
révolution,  et  s'y  battit  bien.  Patriote  alors  et  oflicier  habile, 
il  y  rendit  d'éclatants  sers'ices,  mais  en  faisant  pour  s'ef- 
facer les  mêmes  efforts  que  d'autres  faisaient  pour  paraître. 
11  ne  se  sentait  pas  l'ardente  ambition  du  premier  rang,  et  ne 
se  l'est  jamais  sentie. 

Le  général  Bonaparte  trouva  Berthier  à  l'armée  d'Italie, 
en  1796.  Il  le  prit  pour  son  chef  d'état-major,  et  depuis  il  ne 
l'a  pas  quitté.  A  ce  moment,  la  vie  de  Berthier  se  confond 
avec  celle  de  Napoléon;  tous  ses  sersices  s'y  rattachent, 
Berthier  n'a  exécuté  supérieurement  que  les  détails  des  cam- 
pagnes ;  il  a  su  constamment  les  épargner  au  travail  de  l'em^ 
peranr,  qui,  grâce  à  de  pareils  lieutenants,  pouvait  s'attach» 
quelquefois,  dans  ses  grandes  opérations,  à  ses  seules  vues 
générales.  Il  en  résultait  une  précision  d'exécution  admirable. 
Bonaparte  trouva  en  Berthier  l'homme  capable  de  saisir  dans 
quelques  mots ,  dans  quelques  traits,  son  impatiente  pensée. 
Berthier  agrandit,  durant  dix-neuf  années  de  guerres  con- 
sécutives, à  campagne  double  pour  le  grand  nombre  ,  sa 
réputation  iï officier  d'exécution .  Cette  exécution  dévelo  ppéf 
d'ordres  généraux  communiqués  seulement  avec  les  ren- 
seignements e.^entiels ,  lui  devint  familière.  Il  refit  la  guen  e 
avec  cette  précision  mathématique  qu'on  avait  remarquée 
dans  les  officiers  de  Turenne ,  et  se  donna  ce  génie  exp  ri- 
menlé  et  patient  qui  garantirait  presque  l'exécution  dos 
idées  générales  par  celle  des  détails  ;  ses  études  spécial»? 

11. 


84 

s'iiHcnniient  tic  [ilus  en  plus.  Personne  n'eût  mis  dans  les 
fonctions  de  niajor  général  la  même  assiduité,  n'eût  eu  sa 
facilité  et  sa  rapidité  de  travail,  son  ordre  lumineux.  Berthier 
fit  seize  campaj^ncs,  cependant  il  ne  commanda  en  chef  qu'un 
corps  d'armée  :  c'est  dans  les  quelques  semaines  qui  précé- 
dèrent le  second  passage  des  Alpes.  Alors  il  organisa  à  Dijon, 
puis  réunit  à  Genève,  et  commanda  un  moment  l'armée  dite 
de  réserve,  mais  sous  la  direction  du  premier  consul,  resté  à 
Paris  jusqu'au  dernier  moment.  Berlliier  se  trouva  à  Marengo 
dans  son  emploi  ordinaire ,  et  y  dirigea  tous  les  détails  de  la 
bataille  avec  fermeté,  avec  sagesse,  avec  une  activité  unique, 
lia  raconté  depuis  cette  campagne  merveilleuse ,  achevée 
en  quelques  jours ,  dans  un  ouvrage  remarquable  par  la 
belle  simplicité  du  récit  et  par  la  lumière  historique  qui 
en  jaillit,  et  il  l'a  appuyé  de  cartes  excellentes.  Il  a  fait  le 
môme  travail  sur  Yexpédition  d'Égijpte. 

Son  activité  dans  la  distribution  des  ordres,  au  feu  son 
insouciance  du  danger,  la  force  nerveuse  et  exercée  de  son 
eorps ,  égale  à  toutes  ces  fatigues,  le  rendaient  bien  précieux 
à  l'empereur.  11  saisissait  assez  vite  sa  conception  pour  se 
faire  aider  avec  habileté ,  et  répondait  ainsi  au  plus  vaste 
travail.  11  était  toujours  prêt  à  le  reprendre  au  milieu  des 
nuits ,  des  marches ,  des  mouvements  de  bataille.  Toute  sa 
présence  d'esprit  lui  était  rendue  en  un  instant.  Il  suffisait 
à  l'empereur  de  lui  donner  sa  pensée  dans  quelques  traits 
pour  qu'il  la  traduisît  aussitôt  en  ordres  précis.  C'était  le 
même  homme,  doué  de  cet  intrépide  sang-froid,  sur  le  ter- 
rain. L'ordre  et  la  promptitude  de  son  travail  étaient  vrai- 
ment admirables  :  c'est  là  qu'éclatait  ce  haut  talent  spé- 
cial que  la  nature  lui  avait  donné,  que  Napoléon  a  loué 
vivement  à  Sainte-Hélène  ;  et  puis  sa  prudence  était  sans 
cesse  éveillée.  Bien  qu'il  eût  de  la  douceur  dans  le  caractère 
et  fût  dépourvu  de  ces  traits  énergiques  qui  imposent  aux 
honmies ,  il  savait  obtenir  le  respect  de  tout  ce  qui  lui  était 
subordonné.  Berthier,  qui  ne  gagna  pas  de  bataille ,  servit 
utilement  et  même  avec  gloire  dans  toutes  celles  du  Con- 
sulat et  de  l'Empire.  En  1796,  au  pont  de  Lodi,  il  déploya 
sous  les  yeux  de  l'armée  la  plus  rare  intrépidité  :  pour  tout 
dire  en  peu  de  mots,  il  se  signala  depuis  IMontenotte  jusqu'à 
la  marche  sur  Saint-Dizier,  en  mars  1814.  Sa  carrière  mili- 
taire a  donc  été  remplie  et  belle.  Il  occupera  une  place  dis- 
tinguée dans  l'histoire  contemporaine,  celui  qui  remplaça  un 
moment  Bonaparte  au  commandement  de  l'armée  d'Italie , 
acheva  la  conquête  de  Rome ,  organisa  la  république  de 
l^lilan,  attacha  son  nom  à  la  capitulation  d'Ulm,  au  traité 
de  Munich,  à  la  convention  de  Kœnigsbcig,  etc.  Successi- 
vement ministre  de  la  guerre  après  le  18  brumaire,  ma- 
réchal dcTEmpire,  grand  veneur,  vice-connétable,  chef  delà 
première  cohorte  de  la  Légion  d'Honneur ,  prince  de  Wa- 
gram,  de  Keuchàtel ,  de  Valençay,  il  reçut  pour  épouse  des 
mains  de  Napoléon  la  princesse  Elisabeth-Marie,  nièce  du 
roi  de  Bavière. 

L'histoire ,  après  avoir  fait  cette  belle  part  à  la  mémoire 
d'Alexandre  Berthier,  lui  reprochera  l'abaissement  de  son 
caractère  lors  de  la  première  Restauration.  Du  dernier  champ 
de  bataille  de  18 1 4  il  courut  lui  offrir  des  serments  qu'elle 
n'attendait  pas  d'un  homme  couvert  des  plus  belles  dignités 
de  l'Empire.  Berthier  descendit  jusque  là  pour  être  nommé 
l'un  des  capitaines  des  gardes  de  Louis  XVIll  !  N'eùt-il  pas 
dû  préférer  à  cette  place,  assez  modeste  pour  lui,  des  loi- 
sirs mérités  après  cinquante  batailles  et  trente  années  de 
marches  dans  trois  parties  du  monde?  Des  fautes  comme 
celle-ci  sont  tristes  à  noter;  elles  nous  prouvent  que,  malgré 
des  lumières  élevées ,  le  prince  de  Wagram  n'eut  pas  le 
sentiment  de  tout  ce  qu'il  était.  Nous  nous  sentons  profon- 
dément humilié  d'avoir  à  lesuivredu  canipde  Fontainebleau 
dans  les  salons  de  la  Restauration  et  des  souverains  étran- 
j;ers.  Après  avoir  vu  renverser  définitivement  dans  les  ba- 
tailles l'antique  monarchie,  dont  nos  sentiments  et  nos  idées 
.  i'iaient  en  1814  si  éloignés,  il  n'eût  pas  dû  croire  qu'une 


BERTHIER  —  BERTHIER  DE  SAUVIGINY 


calamité  nationale  pût  la  ressusciter.  C'était  montrer  qu'il  ne 
connaissait  pas  son  temps  et  n'avait  pas  aimé  sa  cause.  Ber- 
thier crut-il  que  sa  fortune  et  son  rang  fussent  simplement  la 
rémunération  de  ses  nombreux  services?  On  ne  saurait  le 
supposer,  car  il  avait  l'esprit  juste,  et  il  eût  alors  compté  à 
un  prix  trop  élevé  ce  qu'il  avait  fait. 

En  1815,  lorsque  Napoléon  s'élança  héroïquement  du 
golfe  Jouan  sur  Paris ,  Berthier ,  redoutant  la  colère  du 
maître,  se  retira  à  Bamberg,  au  château  du  prince  de  Ba- 
vière ,  son  beau-père ,  avec  son  épouse  et  ses  trois  enfants. 
C'est  là  qu'il  termina  quelqijes  semaines  après  et  bien  tris- 
tement sa  vie  (le  1*"^  juin  1815).  De  son  palais,  entendant 
battre  les  tambours  de  quelques  régiments ,  il  courut  à  une 
fenêtre  pour  les  voir  passer.  Ces  troupes  étaient  dirigées 
sur  la  France  ;  leur  vue  l'émut  si  extraordinairement,  qu'une 
attaque  d'apoplexie  le  frappa  à  l'instant  même ,  et  le  coup 
le  précipita  du  balcon  dans  la  rue ,  où  il  expira  aussitôt. 
Tel  est  le  récit  plus  ou  moins  véridique  de  V Observateur 
autrichien.  D'autres  relations  parlent  de  suicide;  d'autres, 
d'aliénation  mentale;  quelques-imes  y  nouent  même  une 
lugubre  tragédie,  et  le  font  assassiner  à  sa  fenêtre  par  six 
hommes  masqués  qui  le  jettent  dans  la  nie.  D'après  cette 
version  absurde,  c'étaient  les  représentants  des  sociétés 
secrètes  qu'il  avait  persécutées  dans  sa  petite  principauté 
de  Neuchâtel. 

Berthier  avait  la  figure  fine  et  douce,  mais  peu  remar- 
quable ;  elle  contrastait  avec  les  belles  et  mâles  figures  des 
généraux  dont  il  rédigeait  les  opérations.  Il  était  sans  illu- 
sion dans  la  vie  ;  son  but  ne  fut  grand  à  aucune  époque. 
Son  éducation  avait  été  très-soignée ,  comme  nous  l'avons 
dit ,  et  il  y  avait  réuni  avec  les  années  des  connaissances 
solides;  son  esprit  retraçait  très-bien  les  faits,  mais  il  les 
retraçait  sans  mouvement  et  sans  coloris.  C'est  ce  que  prou- 
vent tous  ses  rapports  et  quelques  ouvrages  remarquables 
qu'il  a  publiés.  Tout  y  est  raconté  avec  un  soin  fidèle,  mais 
c'est  tout.  Rien  ne  s'y  élève ,  rien  n'y  est  peint  avec  feu. 
La  smiplicité  qu'il  a  n'est  pas  la  manière  simple  des  esprits 
supérieurs,  qui  relèvent  de  temps  en  temps  cette  simplicité 
du  récit  par  de  belles  pensées ,  des  traits  profonds  ou  écla- 
tants. Il  est  visible  que  Berthier  ne  peut  pas  faire  davantage, 
que  sa  portée  d'esprit  n'excède  pas  l'élan  qu'il  a  pris. 

Deux  frères  du  prince  de  Wagram,  'V'ictor-Léopold , 
mort  en  1807,  et  César  ,  mort  en  1819,  servirent  aussi  avec 
distinction  dans  les  armées  françaises,  et  parvinrent  l'un 
et  l'autre  au  grade  de  général  de  division.  Un  fils  du  der- 
nier a  été  tué  en  Afrique  au  combat  du  Typhour,  en  1845. 
11  était  parvenu  au  grade  de  lieutenant-colonel  des  chasseurs 
d'Afrique.  Frédéric  Fayot. 

BERTHIER  DE  SAUVIGIVY  (  Louis-Bénigne- 
Fkançois  ),  conseiller  d'État  et  intendant  de  Paris  à  l'époque 
où  éclata  notre  première  révolution ,  était  le  gendre  de 
Foulon.  Appelé  par  Louis  XVI  à  faire  partie  du  ministère 
par  lequel  ce  prince  faible  et  mal  conseillé  se  décida  à  rem- 
placer le  cabinet  dont  Necker  était  le  chef,  Berthier  de 
Sauvigny,  par  ses  manières  dures  et  hautaines,  par  son  ca- 
ractère odieusement  inhumain ,  ne  tarda  pas  à  partager  la 
haine  que  le  peuple  avait  vouée  à  son  beau-père.  A  la  suite 
de  la  journée  du  14  juillet  1789 ,  qui  vit  les  murs  de  la  Bas- 
tille s'écrouler  sous  le  canon  de  l'insurrection ,  Berthier  de 
Sauvigny  prit  la  fuite;  mais,  arrêté  à  Compiègne  par  des 
gardes  nationaux  et  ramené  à  Paris ,  il  y  périt  égorgé  par 
les  mêmes  hommes  qui  venaient  de  pendre  son  beau-père 
car  il  avait  été,  comme  lui,  désigné  aux  vengeances  de 
foule  par  les  meneurs  du  Palais-Royal. 

Il  laissait  un  fils ,  ISL  Ferdinand  Berthier  ,  que  la  Res. 
tauration  appela  aux  affaires,  et  qui  fut  successivement  prcft 
du  Calvados  (1815),  puis del'lsère,  etconseiller  d'État  (1821), 
Élu  la  même  année  membre  de  la  Chambre  des  Députés 
il  siégea  à  l'extrême  droite  jusqu'en  1830,  et  s'est  signal 
dans  tout  le  cours  de  sa  carrière  législative  par  l'exaltatioi 


BERTHIER  DE  SAUVIGNY  —  BERTHOLLET 


8& 


de  son  ïèle  monarchique ,  ainsi  que  par  sa  haine  instinctive 
pour  tous  les  intérêts  nés  de  la  révolution.  Nous  ignorons 
[époque  tle  sa  mort.  Son  Cls  fut  accusé,  en  1831  ,  d'avoir 
voulu  écraser  le  roi  Louis-Philippe,  sur  la  place  du  Carrousel. 
11  écrivit  ensuite  dans  les  journaux  légitimistes;  puis,  rallié 
à  la  royauté  de  Juillet,  il  devint  directeur  des  affaires  ci- 
viles à  Bone,  et  mourut  dans  cette  ville,  en  novembre  1849. 

BERTHOLD,  le  deuxième  apôtre  du  christianisme 
parmi  les  Livoniens ,  était  abbé  d'un  couvent  de  l'ordre  de 
Citeaux.,  établi  à  Loccum  ,  dans  la  Basse-Saxe,  lorsqu'il  fut 
chargé  par  l'archevêque  de  Brème  et  de  Hambourg  d'aller 
porter  la  parole  de  l'Évangile  aux  populations  encore  païen- 
nes de  la  Livonie ,  au  milieu  desquelles  Meinhard,  premier 
missionnaire  qui  eût  encore  pénétré  dans  ces  contrées  , 
venait  de  souffrir  le  martyre.  A  son  arrivée  à  IxkuU  sur  la 
Duna,  siège  des  premiers  chrétiens  de  la  Livonie,  il  s'efforça 
de  gagner  les  naturels  par  la  douceur,  mais  ne  tarda  pas 
cependant  à  être  expulsé  par  eux  de  leur  pays.  Il  y  rentra 
ensuite  avec  des  croisés  venus  de  la  Basse-Saxe ,  essaya 
d'opérer  par  la  force  des  armes  des  conversions  qui  avaient 
résisté  aux  moyens  ordinaires  de  la  prédication,  et  périt  dans 
un  combat  Uvré  aux  païens,  en  1 198.  La  croisade  n'en  réussit 
pas  moins ,  et  les  Livoniens  embrassèrent  le  christianisme , 
mais  pour  retourner  aux  pratiques  du  paganisme  dès  que 
leurs  vainqueurs  se  furent  éloignés.  Albert,  successeur  de 
Berthold,  réussit  seul,  avec  le  secours  des  chevaliers  de 
l'ordre  Teutonique,  à  opérer  la  conquête  de  la  Livonie  et  la 
conversion  de  ses  liabitants  au  christianisme. 

BERTIIOLLAGE.  Voyez  Blrtuollet  et  Blanchiment. 

BERTllOLLET  (Clalde-Louis)  naquit  à  Talloire, 
près  d'Annecy  en  Savoie ,  le  9  décembre  1748.  Ses  études , 
commencées  à  Chambéry ,  se  continuèrent  au  collège  des 
Provinces  de  Turin.  A  môme,  comme  ses  camarades,  de 
choisir  parmi  des  carrières  dont  plusieurs  pouvaient  le  con- 
duire aux  plus  hautes  dignités  de  l'Église  et  de  l'État,  Ber- 
thollct  s'en  tint  à  la  plus  modeste.  11  s'attacha  à  la  méde- 
cine, moins  encore  pour  les  avantages  qu'elle  pouvait  lui 
offrir  que  par  l'attrait  irrésistible  qui  l'entraînait  déjà  vers 
les  sciences  sur  lesquelles  elle  repose.  Ce  même  attrait, 
aussitôt  qu'il  eut  pris  ses  degrés,  le  fit  accourir  à  Paris, 
seule  ville  où  il  crût  pouvoir  satisfaire  à  son  aise  la  passion 
qui  le  dominait.  11  n'y  avait  ni  connaissances  ni  recom- 
mandations; mais  le  célèbre  médecin  genevois  Tronchin 
y  jouissait  au  plus  haut  degré  de  la  faveur  publique ,  et  le 
jeune  Savoisien  pensa  que,  né  si  près  de  Genève,  ce  voisinage 
l'autorisait  à  se  réclamer  de  ce  demi -compatriote.  Son  assu- 
rance ne  fut  pas  trompée  :  prévenu  par  son  air  franc  et  sa 
tournure  réfléchie,  s'attacliant  à  lui  à  mesure  qu'il  le  connut 
davantage ,  Tronchin  en  fit  en  quelque  sorte  son  enfant 
d'adoption ,  et  pour  lui  assurer  d'abord  une  existence  tran- 
quille, il  engagea  le  duc  d'Orléans,  Louis,  près  duquel  il 
pouvait  tout ,  à  le  prendre  pour  l'un  de  ses  médecins. 
Bien  convaùicu  qu'il  n'aurait  pas  besoin  des  moyens  or- 
dinaires dans  les  cours  pour  conserver  la  faveur  que  son 
ami  venait  de  lui  procurer,  il  se  livra  aussitôt,  et  tout  entier, 
aux  travaux  dont  la  succession  a  rempli  cinquante  années 
de  la  vie  la  plus  active. 

Vers  cette  époque  avait  commencé  dans  la  chimie  l'espèce 
de  fermentation  qui  en  a  changé  le  système  et  le  langage. 
Lavoisier,  excité  par  les  observations  nouvelles  sur  les  airs, 
et  les  lapprochant  de  faits  anciennement  constatés  sur  les 
calcinations ,  s'était  convaincu  de  la  nécessité  d'abandonner 
la  théorie  dominante.  11  en  cherchait  une  meilleure  ;  et  enfin 
en  1775  il  saisit  presque  subitement  dans  quelques  expé- 
riences de  Bayen  et  de  Priestley  le  point  précis  que  depuis 
longtemps  il  cherchait,  et  il  prononça  contre  le  phlogistique 
un  arrêt  qui  a  été  irrévocable.  Mais  pendant  plusieurs  années 
encore  Lavoisier  fut  seul  de  son  avis ,  et  nous  en  avons  des 
lueuves  remarquables  dans  les  rapports  mêmes  qu'il  fit  à 
l'Académie  sur  les  premiers  mémoires  que  lui  présenta  Ber- 


thoUet.  Le  jeune  chimiste  n'y  avait  suivi  que  ses  propres 
idées,  comme  il  le  fit  toujours;  il  adaptait  encore  à  ses  ex- 
périences ou  les  théories  vulgaires,  ou  quelques  vues  isolées 
que  lui  suggéraient  les  faits  qu'il  observait.  Lavoisier  de  son 
côté  ne  le  combattait  qu'avec  réserve,  et  ne  proposait  que  dans 
des  termes  modestes  ces  explications  simples  qui  ressortaient 
de  sa  théorie.  Peut-être  aussi  ne  voulait-il  pas  rebuter  par 
trop  de  rigueur  un  esprit  dont  il  mesurait  déjà  la  portée ,  et 
ne  se  croyait-il  pas  bien  assuré  que  parmi  ces  explications 
hasardées  et  ces  faits  mal  éclaircis  il  ne  se  trouvât  quelques 
germes  de  vérités  qui  se  développeraient  plus  tard.  En  effet, 
il  s'y  en  trouvait  qui  lui  servirent  à  lui-même  à  compléter 
sa  théorie. 

C'est  en  1785  que  Berthollet  prit  un  rang  incontestable 
parmi  les  premiers  chimistes  en  découvrant  que  l'alcali  vo- 
latil est  un  composé  d'un  quart  à  peu  près  d'azote  et  de  trois 
quarts  d'hydrogène,  et  surtout  que  le  caractère  des  sub- 
stances animales  est  d'avoir  l'azote  pour  l'un  des  principes 
essentiels  de  leur  composition.  Cette  découverte,  jointe  à 
celle  deCavendish  sur  l'acide  nitreux,  compléta  le  sys- 
tème de  la  nouvelle  chimie  dans  tout  ce  qui  paraissait  alors 
nécessaire  pour  satisfaire  aux  phénomènes  connus. 

Avec  un  pareil  titre ,  Berthollet  ne  pouvait  manquer  d'être 
appelé  à  ce  congrès  où  l'on  essaya  de  fixer  pour  la  chimie 
une  nomenclature  qui  représentât  méthodiquement  les  faits 
qu'elle  avait  constatés.  Comparé  au  langage  extravagant 
que  la  chimie  avait  hérité  de  l'art  hermétique,  ce  nouvel 
idiome  fut  un  service  réel  rendu  à  la  science,  et  contribua 
à  accélérer  l'adoption  des  nouvelles  théories.  Berthollet  était 
académicien  avant  cette  époque;  il  avait  été  élu ,  en  1781^ 
à  la  place  de  Bucquet,  et  de  préférence  à  Fourcroy,  à 
Quatremère  d'isjonval  et  à  d'autres  concurrents ,  qui  furent 
admis  plus  tard.  11  avait  eu  moins  de  succès  dans  un  autre 
concours.  Bufl'on,  en  1784,  lui  avait  préféré  Fourcroy 
pour  la  chaire  vacante ,  au  Jardin  du  Roi ,  par  la  mort  de 
Macquer.  Buffon  et  l'Académie  firent  chacun  ce  qu'ils  de- 
vaient. Berthollet  fut  porté  à  l'Académie  parce  qu'il  enri- 
chissait la  science  par  des  recherches  profondes,  et  Fourcroy 
fut  nommé  professeur,  parce  que  le  charme  inexprimable 
attaché  à  son  élocution  le  rendait  plus  capable  qu'aucun 
autre  d'en  inspiier  le  goût  et  d'en  propager  l'étude.  Ber- 
thollet, peu  méthodique  dans  ses  mémoires,  peu  disposé  à  sa 
mettre  à  la  portée  des  commençants ,  et  qui  n'avait  aucune 
facilité  à  parler,  servait  la  chimie  dans  son  laboratoire,  mais 
ne  l'aurait  jamais  répandue.  On  en  eut  la  preuve  en  1795, 
lorsqu'il  fut  chargé  de  l'enseigner  à  l'Ecole  Normale. 

Cependant  Berthollet  obtint  l'une  des  places  qu'occupait 
Macquer,  celle  de  commissaire  du  gouvernement  pour  les 
teintures.  11  s'occupa  aussitôt  d'appliquer  au  perfectionne- 
ment de  l'art  les  progrès  récents  de  la  chimie,  et  dès  son 
début  il  l'enrichit  d'un  procédé  dont  les  avantages  ont  été 
incalculables.  Scheele  avait  observé  que  l'acide  muria- 
tique  déphlogistiqué ,  comme  on  le  nommait  alors,  ou  le 
chlore  des  chimistes  d'aujourd'hui,  jouit  de  la  propriété  de 
détruire  les  couleurs  végétales.  Berthollet  pensa  à  tirer  parti 
de  cette  expérience  pour  le  blanchiment  des  toiles  en  y  ap- 
pliquant simplement  cet  acide.  La  toile  blanchissait  à  la 
vérité,  mais  sa  blancheur  ne  se  conservait  point.  Il  dut  donc 
se  livrer  à  des  études  et  à  des  expériences  plus  approfondies. 
Réllécliissant  que  les  procédés  ordinaùres  du  blanchiment , 
ces  alternatives  de  lessives  et  d'exposition  à  l'air  et  à  la  lu- 
mière ,  ne  pouvaient  avoir  pour  but  que  de  rendre  solubles 
et  d'enlever  les  substances  qui  brunissent  les  fils,  il  conçut 
l'idée  que  l'acide  rauriatique  déphlogistiqué ,  qui  agit  à  le 
fois  comme  l'air  et  comme  la  lumière,  pourrait  faire  en  peu 
de  temps  ce  que  ces  agents  naturels  ne  font  qu'en  plusieurs 
mois ,  mais  que  pour  compléter  son  effet  il  était  nécessaire 
de  combiner  son  action  avec  celle  des  lessives;  et  c'est  alors 
seulement  que  naquit  un  art  tout  nouveau  et  d'un  produit 
immense.  Aussi,  en  peu  d'années,  l'emploi  du  chlore  devint 


86 


BERTHOLLET 


universel  et  tellement  populaire  qu'il  a  introduit  de  nou-  i 
veaux  mots  dans  le  langage  usuel.  Personne  n'ignore  au- 
jounrimi  ce  que  c'est  qu'une  blanchisserie  berthollienne. 
On  dit  même  dans  les  ateliers  bertholler,  berthollage  ;  on  y 
entretient  des  ouvriers  que  l'on  y  appelle  des  bertholleurs. 
Rien  ne  met  plus  authentiquement  le  sceau  au  mérite  d'une 
découverte.  C'est  la  seule  récompense  qu'en  ait  tirée  l'auteur, 
et  il  n'en  désira  point  d'autre.  Toujours  étranger  à  ce  qui 
n'était  pas  la  science  elle-même,  il  ne  prit  pas  seulement 
d'intérêt  dans  ces  fal)ri<iues  élevées  sur  sa  découverte.  Les 
Anglais,  qui  la  mirent  les  premiers  en  usage,  voulaient  lui 
marquer  leur  recoiuiaissance  par  de  beaux  présents.  Tout 
ce  qu'il  accepta  fut  un  morceau  de  toile  blanchi  par  son 
procédé. 

En  étudiant  sous  toutes  ses  faces  cet  agent  singuliw  du 
blanchiment,  le  chlore,  Berthollet  fit  encore  une  décou- 
verte bien  remarquable  :  celle  de  l'acide  chlorique.  Mêlés 
à  un  corps  combustible,  ses  sels  détonent  bien  plus  forte- 
ment que  le  nitre;  bien  plus  aisément  aussi,  car  il  suffit  de 
les  frapper.  On  proposa  d'en  substitu.-îr  au  nitre  dans  la  com- 
position de  la  poudre.  Cette  poudre  serait  terrible,  mais  elle 
est  trop  dangereuse.  La  première  fois  que  l'on  voulut  en 
faire  à  i:ssonne,  le  choc  des  pilons  la  fit  éclater;  le  moulin 
sauta,  et  cinq  personnes  furent  victimes  de  l'essai  ;  on  n'a 
pas  osé  le  renouveler. 

11  existe  cependant  une  composition  encore  plus  effrayante, 
et  c'est  aussi  Berthollet  qui  le  premier  l'a  observée  et  dé- 
crite. C'est  l'argent  fulminant,  qui  s'offrit  à  lui  pendant  ses 
recherches  sur  l'alcali  volatil,  et  qu'il  fil  connaître  en  t788. 
Depuis  longtemps  on  possédait  l'or  fulminant,  qu'une  lé- 
gère chaleur  fait  (dater  avec  fracas;  mais  il  n'approche  pas 
de  l'argent  fulminant.  Sur  celui-ci  le  plus  léger  contact 
produit  une  détonation  épouvantable.  Une  fois  la  prépara- 
tion faite,  on  est  presipie  condamné  à  n'y  plus  toucher;  le 
moindre  grain  resté  dans  un  vase  peut  tuer  celui  qui  le  frot- 
terait; et  cepcndiint  on  n'a  pas  laisse  que  de  tirer  parti 
d'une  couqH)siti()u  iuiitce  de  celle-là,  le  mercure  fulminant 
d'Howard,  que  l'on  cuqjloie  maintenant  à  amorcer  les  fu- 
sils A  percussion.  Voi/cz  l•"LL^u^,\Tl;s. 

En  17!)0,  licrthollct  réunit  toutes  ses  recherches  sur  la 
teinture  <lans  nu  ouvr;ige  eléni-  ntaire  en  <leu\  volumes.  11 
y  offre  une  théorie  générale  des  principes  de  cet  art;  la 
doctrine  des  matières  colorantes  et  de  to\ites  les  moilifica- 
tions  qu'on  peut  leiu'  faire  subir ,  celle  des  mordants  né- 
cessaires pour  les  fixer,  y  sont  exposées  en  détail;  ce  que 
l'on  connaissait  de  plus  avantageux  alors  y  est  expliqué; 
et,  ce  qui  vaut  mieux  encore,  on  y  trouve  les  idées  qui  pe<i- 
vent  conduire  à  découvrir  des  pratiques  plus  simples  ou 
plus  efficaces. 

Lorsque  la  guerre  de  la  révolution  éclata ,  Berthollet  était , 
après  Lavoisier,  le  chimiste  le  plus  connu  du  public.  On 
recourut  à  lui  au  moment  où  la  chimie  devint  pourlaguerre 
un  auxiliaire  de  première  nécessité,  lorsqu'il  fallut  deman- 
der à  notre  sol  le  salpêtre,  la  potasse  et  jusqu'aux  matières 
colorantes,  et  qu'il  fallut  apprendre  à  faire  en  quelques 
jours  toutes  les  opérations  des  arts.  Chacun  se  souvient  de 
cette  prodigieuse  et  subite  activité  qui  étonna  l'Europe,  et 
arracha  des  éloges  môme  aux  ennemis  qu'elle  arrêta  :  Ber- 
thollet et  son  ami  Monge  en  furent  l'âme.  C'était  d'après 
leurs  instructions  que  cet  immense  mouvement  était  di- 
rigé. Les  chimistes  que  l'on  chargeait  des  essais  devenus 
nécessaires  pour  tant  de  procédés  nouveaux  ne  travaillaient 
que  sur  leurs  indications,  et  l'on  dit  que  s'ils  avaient  voulu 
suivre  tous  les  secrets  qui  se  révélèrent  à  eux,  des  moyens 
destructifs  plus  intenses  qu'aucun  de  ceux  que  l'on  pos- 
sède seraient  sortis  de  leurs  laboratoires. 

Pour  Berthollet,  ce  qu'il  voyait  surtout  dans  ces  déve- 
loppements extraordinaires  de  l'industrie  humaine  excitée 
par  les  plus  grands  intérêts,  c'étaient  des  expériences  chi- 
jni(jues  faites  sur  une  grande  échelle.  Les  pliénomènes  dé 


l'extraction  du  salpêtre  réveillèrent  des  idées  qui  déjà  s'é- 
taient présentées  plus  d'une  fois  à  lui,  et  qui  embrassaient 
l'essence  même  de  la  force  dont  la  chimie  dispose.  Il  re- 
marquait qu'à  mesure  que  le  dissolvant  s'empare  de  plus 
de  sel,  la  terre  retient  ce  sel  avec  plus  de  succès;  qu'un  dis- 
solvant pur  surmonte  à  son  tour  cette  résistance ,  et  que 
ces  alternatives  se  répètent  à  plusieurs  reprises.  La  néces- 
sité d'employer  de  nouvelle  eau  bien  avant  que  la  première 
soit  saturée,  ces  quantités  toujours  moindres  que  donnent 
les  lavages  successifs,  lui  firent  conclure  que  l'affinité 
qui  cause  les  dissolutions  n'est  pas  une  force  absolue,  mais 
qu'il  y  a  dans  ces  phénomènes  un  balancement,  un  antago- 
nisme de  forces  contraires. 

Il  avançait  ainsi  vers  sa  grande  théorie  des  affinités,  qui 
se  développa  tout  à  fait  dans  son  esprit  lorsque  l'Egypte 
lui  offrit  dans  le  même  genre  des  phénomènes  encore  plus 
caractérisés. 

Le  général  en  chef  de  l'armée  d'Italie  avait  connu  Ber- 
thollet en  1796,  à  l'occasion  d'une  commission  que  celui- 
ci  avait  reçue  du  Directoire  pour  le  choix  des  monuments 
des  arts  au  prix  desquels  on  avait  accordé  la  paix  aux 
princes  de  ce  pays,  et  il  avait  pris  plaisir  à  une  simplicité 
de  manières  qui  s'alliait  à  tant  de  profondeur  dans  les  idées. 
Pendant  le  séjour  de  quelques  mois  qu'il  fit  à  Paris  après 
le  traité  de  Campo-Formio,  il  voulut  employer  ses  loisirs  à 
recevoir  de  lui  des  leçons  de  chimie.  Il  lui  fit  confidence 
de  son  projet  d'expédition  en  Egypte,  et  lui  demanda  non- 
seulement  de  l'y  accompagner,  mais  de  choisir  des  hommes 
capables  de  le  seconder  par  leurs  talents  et  leurs  connais- 
sances dans  une  entreprise  où  toutes  les  connaissances  pou- 
vaient trouver  de  l'emploi.  On  conçoit  aisément  à  quel 
point  devait  plaire  à  un  liomme  tout  chimiste  l'idée  de  vi- 
siter à  son  aise  la  patrie  originaire  de  la  chimie.  Cependant 
les  caractères  mystérieux  d'Hermès  demeurèrent  pour  lui 
lettres  closes;  mais  dans  ce  pays  extraordinaire  la  nature 
parle  aussi  un  langage  particulier ,  et  Berthollet  sut  l'en- 
tendre. 

Les  petits  lacs  placés  à  l'entrée  du  désert,  et  célèbres  déjà 
dans  l'antiqu'lé  par  le  natron  ,  ou  le  carbonate  de  soude  , 
dont  ils  sont  des  mines  inépuisables,  attirèrent  toute  .son  at- 
tention. C'est  du  muriate  de  soude,  c'est-à-dire  du  sel  ordi. 
naire,  qui  en  se  décomposant  sans  cesse  fournit  continuel- 
lement autant  de  carbonate  de  sou<le  que  l'on  vient  en  en- 
lever ;  et  cependant  il  ne  se  trouve  à  la  portée  du  sel  que  du 
carbonate  de  chaux,  de  la  pierre  calcaire,  qui  dans  les 
circonstances  ordinaires  ne  possède  point  la  force  propre 
à  opérer  cette  décomposition,  mais  qui  la  prend  lorsqu'à 
une  température  donnée  l'eau  salée  filtre  au  travers  de  ses 
pores.  La  grande  quantité  relative  de  la  chaux  donne  donc  ici 
plus  d'intensité  à  son  action  chimique;  l'acide  ne  demeure 
pas  exclusivement  attaché  à  la  base  pour  laquelle  il  a  le 
plus  d'affinité,  à  la  soude;  il  se  partage  entre  elle  et  cette 
autre  buse  que  la  nature  lui  présente  en  grande  masse ,  la 
chaux.  C'était  encore  un  effet  de  ce  balancement  de  lorces 
déjà  observé  dans  les  dissolutions  du  salpêtre,  un  nouvea;i 
pas  dans  cette  appréciation  des  causes,  bien  plus  compli- 
quées que  l'on  ne  croyait,  qui  opèrent  dans  les  phénomènes 
chimiques.  C'était  aussi  un  pas  de  plus  dans  un  des  arts 
les  plus  utiles  à  la  société  ,  art  que  Leblanc  avait  déjà  mis 
en  pratique,  mais  qui  depuis  le  retour  d'Egypte  a  pris  en 
France  une  extension  surprenante.  Je  veux  parler  de  la  dé- 
composition du  sel  marin  pour  en  extraire  la  soude. 

Mais  ce  qui  préoccupait  surtout  Berthollet,  c'était  ses 
vues  sur  les  lois  de  l'affinité,  sans  cesse  présentes  à  son  es- 
prit, et  que  ces  dernières  observations  mûrirent  à  son  gré. 
Soumises  d'abord  en  esquisse  à  l'Institut  du  Caire,  publiées 
sous  une  forme  plus  étendue  dans  les  Mémoires  de  l'Aca- 
démie des  Sciences  de  ISOl,  appuyées  sur  un  grand  nombre 
de  faits  et  d'expériences  nouvelles,  elles  ont  produit  enfin, 
en  1803,  la  Staliqiie  chimique ,  ouvrage  dont  le  titre  an- 


BERTHOLLET 


87 


nonce  qu'il  a  pour  objet  ce  balancement,  cette  espèce  d'é- 
quilibre entre  les  forces  qui  maintiennent  l'état  d'un  com- 
posé et  celles  qui  tendent  à  en  séparer  les  éléments. 

L'action  cliimique,  selon  BertlioUet,  s'exerce  en  raison  de 
raffinité  et  de  la  quantité  de  chacun  des  corps  mis  en  con- 
tact. L'affinité  d'un  corps  pour  un  autre  peut  s'exprimer 
par  la  quantité  qu'il  doit  en  dissoudre  pour  en  être  saturé, 
ou,  en  d'autres  ternies,  par  sa  capacité  de  saturation.  Lors- 
que deux  acides  agissent  à  la  fois  sur  une  base,  ils  agissent 
chacun  en  raison  de  leur  masse  et  de  leur  capacité  de  satura- 
tion, mais  ces  trois  substances  demeureraient  unies  et  ne  for- 
meraient qu'un  même  liquide,  et  il  en  serait  de  même  de  la 
dissolution  commune  de  deux  composés  binaires  :.  leurs 
quatre  substances  demeureraient  ensemble,  s'il  ne  survenait 
pour  les  séparer  des  causes  étrangères  à  leurs  affinités  mu- 
tuelles. Mais  ces  trois,  ces  quatre  substances,  peuvent  former, 
prises  deux  à  deux,  diverses  combinaisons;  et  si  Tune  de 
ces  combinaisons  est  de  nature,  dans  les  circonstances  don- 
nées ,  à  devenir  cohérente  ou  à  se  changer  en  un  fluide 
élastique,  il  se  fait  alors  un  précipité  ou  il  s'élève  une  va- 
peur, et  le  liquide  ne  garde  que  les  substances  que  ces  causes 
n'en  ont  pas  séparées.  Rarement  encore  la  séparation  est- 
clle  complète.  Pour  qu'elle  le  soit,  il  faut  que  l'échange  des 
combinaisons  n'ait  laissé  au  liquide  aucune  force  dissolvante 
sur  le  composé  qui  tend  à  se  précipiter  ou  sur  celui  qui 
cherche  à  devenir  élastique.  Ce  n'est  donc  point  une  affi- 
nité élective  qui  sépare  ces  combinaisons  nouvelles,  mais 
leur  propre  nature,  leur  plus  ou  moins  de  tendance  à  chan- 
ger d'état.  Il  en  est  de  même  des  simples  dissolutions  :  l'af- 
finité considérée  à  elle  seule  les  opérerait  dans  toutes  sortes 
de  proportions,  si  telle  de  ces  proportions,  à  l'instant  où 
elle  se  réalise,  n'amenait  pas  un  effet  qui  contrarie  ceux  de 
l'affinité,  comme  une  cristallisation  ou  une  évaporation. 
C'est  alors  seulement  qu'il  se  forme  des  composés  à  propor- 
tions fixes.  Telles  sont,  dans  leurs  plus  simples  expressions, 
les  idées  fondamentales  de  Berthollet  ;  mais  ledétail  des  ap- 
plications qu'il  en  fait  et  des  expériences  qu'il  imagine  pour 
en  démontrer  l'exactitude  serait  infini. 

La  force  avec  laquelle  le  charbon  retient  l'hydrogène,  les 
combinaisons  sous  lesquelles  cet  hydrogène  eu  est  chassé 
par  la  distillation,  remplirent  encore  ses  loisirs ,  et  furent 
dans  la  suite  d'un  grand  secours  à  ceux  qui  s'occupèrent  de 
perfectionner  et  de  rendre  usuel  l'art  de  l'éclairage  par  le 
gaz  inflammable.  Il  semblait  de  sa  destinée  que  ses  re- 
cherches les  plus  abstraites  comme  les  plus  simples  de- 
vinssent aussitôt  profitables  et  sur  une  échelle  immense. 
En  s'occupant  du  charbon  et  de  ses  propriétés  antiseptiques, 
il  imagina  un  jour  qu'en  charbonnant  l'intérieur  des  barils 
on  pourrait  conserver  l'eau  plus  longtemps  dans  les  voyages 
de  long  cours.  Enfin,  dans  un  dernier  mémoire  sur  l'analyse 
des  substances  végétales  et  animales,  il  a  préludé  en  quelque 
sorte  aux  méthodes  découvertes  par  MM.  Gay-Lussac  et 
Thénard  pour  réduire  à  leurs  éléments  par  la  combustion 
ces  combinaisons  compliquées. 

Ainsi  se  sont  passées  les  cinquante  années  que  Berthollet  a 
consacrées  sans  relâche  à  sa  science  favorite,  voyant  alter- 
nativement naître  de  ses  recherches  ou  quelque  vérité  neuve, 
ou  quelque  aperçu  profond,  ou  quelque  procédé  d'un  emi>loi 
immédiat.  Aussi  ne  lui  fut-il  pas  difficile  de  conserver  le  cahne 
de  l'esprit  et  de  n'être  point  troublé  par  les  choses  du  dehors. 
C'est  une  tranquillité  dont  Berthollet  a  joui  peut-èlre  plus 
qu'aucun  homme  dans  sa  position.  Toujours  prêt  à  remplir  ses 
devoirs,  toujours  courageux,  mais  toujours  désintéressé,  ce 
qui  lui  arriva  d'heureux  ne  fut  point  provoqué  par  ses  sol- 
licitations, et  son  propre  avantage  ne  le  retint  jamais  quand 
il  lui  fut  possible  d'empôcher  le  mal  d'autrui.  Dans  le  temps 
où  la  terreur  régnait  seule  en  France,  il  ne  craignit  point  de 
dire  la  vérité  à  ceux  dont  un  mot  donnait  la  mort ,  et  l'af- 
fection qu'à  une  autre  époque  lui  montra  l'homme  qui  dis- 
tribuait des  couronnes  ne  l'engagea  point  à  lui  faire  sa  cour. 


Il  ne  manquait  de  courage  d'aucune  sorte.  Momenta- 
nément chargé ,  après  le  9  thermidor ,  de  la  direction  de 
l'agriculture,  il  affronta,  pour  conserver  les  parcs  de  Sceaux 
et  de  Versailles ,  tout  ce  qui  subsistait  dans  la  Convention 
de  la  fureur  révolutionnaire,  et  celui  de  Sceaux  n'a  été  dé- 
truit que  pendant  son  absence.  En  Egypte,  Monge  et  lui 
ne  s'exposaient  pas  moins  que  les  militaires  de  profession  : 
ils  se  montraient  partout.  Devenu  inséparable  de  Berthollet, 
Bonaparte  le  prit  avec  lui,  et  l'embarqua  à  l'impro- 
viste  pour  ce  retour  qui  devait  produire  en  France  une  si 
prompte  et  si  grande  révolution.  Dans  cette  immense  puis- 
sance où  il  fut  bientôt  porté,  au  milieu  de  ce  tourbillon  qui 
ne  lui  permettait  de  prendre  de  rien  une  connaissance  ap- 
profondie, son  chimiste  d'Egypte  était  devenu  pour  lui  une 
sorte  de  savant  officiel;  et  si  quelqu'un  ne  lui  faisait  pas  sur 
un  objet  scientifique  une  réponse  assez  précise  à  son  gré , 
il  avait  coutume  de  dire,  et  quelquefois  avec  humeur  :  Je 
le  demanderai  à  Berthollet.  Il  s'était  habitué  à  placer 
toutes  les  découvertes  chimiques  sur  sa  tête,  et  il  a  fallu 
plus  d'une  fois  que  Bert'.iollet,  qui  ne  voulait  point  se  parer 
du  bien  d'autrui,  lui  répétât  les  noms  des  véritables  auteurs. 

En  de  telles  circonstances ,  un  peu  d'assiduité  l'aurait 
conduit  à  une  aussi  haute  fortune  qu'aucun  des  amis  du 
nouveau  maître.  Ce  fut  le  moment  qu'il  prit  pour  se  confiner 
à  la  campagne.  Nommé  successivement  administrateur  des 
monnaies,  sénateur,  grand  officier  de  la  Légion  d'Honneur, 
grand'croix  de  l'ordre  de  la  Réunion,  titulaire  de  la  séna- 
torerie  de  Montpellier,  il  conserva  toujours  et  les  mêmes 
manières  et  les  mêmes  amis.  Sa  vanité  ne  fut  pas  mise  en 
jeu  plus  que  son  ambition.  Lorsque  ceux  qui  se  trouvaient 
dans  une  position  élevée  reçurent  de-;  titres  et  des  insignes 
héréditaires,  et  que  chacun  s'efforçait  de  faire  placer  dans 
ses  armoiries  quelque  emblème  des  faits  dont  il  tirait  le 
plus  de  gloire,  il  ne  voulut  mettre  dans  les  siennes  que  son 
chien ,  que  l'emblème  de  l'amitié  et  de  la  fidélité. 

Aussi  était-ce  au  milieu  de  l'amitié  qu'il  vivait  dans  sa 
retraite,  mais  d'une  amitié  encore  toute  chimique  :  il  y  avait 
construit  un  laboratoire;  il  y  formait  à  la  science  des  jeunes 
gens  dont  il  avait  pressenti  le  mérite,  et  plus  d'un  chuniste 
renommé  lui  a  dû  la  première  direction  de  son  génie;  il  y 
exerçait  une  noble  hospitalité  envers  les  chimistes  étrangers, 
et  même  envers  ceux  d'entre  eux  qui  avaient  le  plus  combattu 
ses  idées.  Le  monde  doit  à  ces  réunions  savantes  les  trois 
excellents  volumes  connus  sous  le  titre  de  Mémoires  de  la 
Société  d'Arcucil.  Berthollet  fut  le  promoteur  et  le  président 
de  cette  société.  «  Il  y  trouvait ,  dit-il  dans  sa  préface ,  la 
douce  satisfaction  de  contribuer  encore  à  la  fin  de  sa  carrière 
aux  progrès  des  sciences  auxquelles  il  s'était  dévoué,  plus 
efficacement  qu'il  n'aurait  pu  le  faire  par  ses  propres  tra- 
vaux :  »  dernier  trait  de  modestie,  car  les  mémoires  qu'il  a 
insérés  dans  ces  volumes  ne  sont  inférieurs  ni  à  ceux  qui 
les  avaient  précédés,  ni  même  à  ceux  de  ses  jeunes  émules. 

Il  ne  fallait  rien  moins  qu'un  grand  chagrin  domestique 
pour  altérer  le  bonheur  d'un  tel  homme,  et  comme  s'il  ne 
devait  point  y  avoir  d'existence  exempte  de  revers ,  il  en 
éprouva  un,  et  des  plus  cruels  :  la  mort  de  son  fils  unique, 
arrivée  avec  des  circonstances  déxhirantes.  Dès  lors  toute 
gaieté  fut  perdue  pour  lui.  Pendant  le  peu  d'années  qu'il  sur- 
vécut, son  air  morne  et  silencieux  contrastait  péniblement 
avec  ses  habitudes  antérieures;  on  ne  le  vit  plus  sourire; 
quelquefois  une  larme  s'échappait  malgré  lui  ;  une  discussion 
importante  de  phjsique  ou  de  chimie,  quelque  expérience 
neuve  et  riche  en  conséquences,  pouvait  seule  lixer  assez  ses 
idées  pour  le  distraire  de  sa  douleur. 

Sa  dernière  maladie  fut  de  celles  qui  surprennent  et 
désespèrent  toujours  la  médecine.  Un  ulcère  charbonneux 
venu  à  la  suite  d'une  fièvre  légère  le  dévora  lentement  pen- 
dant plusieurs  mois,  mais  sans  lui  arracher  un  mouvement 
d'impatience.  Cette  moit  qui  arrivait  à  lui  par  le  chemin  de 
la  douleur,  dont,  comme  médecin,  il  pouvait  calculer  les 


88 


BERTHOLLET  —  BERTIIN 


pas  et  prévoir  l'heure,  il  l'envisagea  avec  constance  jusqu'à 
son  dernier  moment. 

Bcrthollet  mourut  le  6  novembre  1822,  âgé  de  soixante- 
quatorze  ans.     Georges  Cuvier,  de  l'Académie  des  Sciences. 

BERTHOLLET  (Poudre  fulminante  de).  Voyez  Ful- 
minates. 

BERTIIOUD  (Ferdinand),  né  le  19  mars  1727,  à  Plan- 
ceniont,  dans  le  canton  de  Neuchâtel,  mort  le  20  juin  1807, 
à  Groslay  ,  près  de  Montmorency,  contribua  puissamment 
au  perfectionnement  de  la  géographie  et  de  la  navigation 
en  faisant  les  premières  horloges  marines,  ce  qui  lui  mérita 
d'être  nommé  successivement  horloger-mécanicien  de  la 
manne  pour  la  construction  et  l'inspection  des  horloges  à 
longitude ,  membre  de  l'Institut ,  de  la  Société  Royale  de 
Londres,  et  de  la  Légion  d'Honneur.  11  a  publié  plusieurs 
ouvrages  dans  lesquels  il  expose  les  principes  de  son  art, 

UERTHOUD  (Louis),  neveu  et  digne  élève  du  précédent, 
remporta,  en  179S,  le  prix  proposé  par  le  gouvernement 
pour  le  perfectionnement  des  horloges  marines.  11  fut 
membre  de  l'Institut  et  horloger  de  la  marine,  ainsi  que 
l'avait  été  son  oncle,  dont  il  continua  les  travaux  avec  succès. 
11  mourut  jeune  encore,  le  17  septembre  1813. 

BERTiN  (Antoine).  Né  le  10  octobre  1752,  à  l'île  Bour- 
bon ,  une  année  avant  Parny ,  il  vint  comme  lui  étudier  à 
Paris ,  et  obtint  de  brillants  succès  au  collège  du  Plcssis. 
Suivant  Ginguené ,  il  aurait  même  remporté  le  prix  d'hon- 
neur; mais  cette  assertion  paraît  tout  à  fait  dénuée  de  fon- 
dement. Ainsi  que  le  chantre  d'Éléonore ,  il  entra  de  bonne 
heure  au  service ,  et  devint  même  chevalier  de  l'ordre  de 
Saint-Louis.  En  1777  et  1778  il  exerça  les  fonctions  d'écuyer 
auprès  du  comte  d'Artois,  et  reçut  des  bienfaits  de  ce  prince 
et  de  la  reine  Marie-Antoinette. 

Aussi  spirituel  que  brave  et  galant,  Berlin  manifesta 
dès  l'âge  de  vingt  ans  un  vif  penchant  pour  la  poésie.  Une 
foule  de  jolis  vers  de  sa  composition  étaient  répandus  dans 
la  société.  Il  avaitraôme  imprimé ,  dit-on ,  un  petit  recueil  de 
poésies  en  1773,  année  du  départ  de  Parny  pour  l'île  Bour- 
bon; ce  recueil  n'a  laissé  aucune  trace;  les  érudits  mime 
et  les  bibliographes  ne  croient  pas  à  son  existence,  malgré 
l'asseition  positive  de  Ginguené.  Quelle  que  soit  la  véiilé  à 
ce  sujet ,  Bertin ,  dans  ses  premiers  essais ,  suivait  l'école 
de  Dorât ,  avec  lequel  il  avait  contracté  des  liaisons  de  plai- 
sir; il  imitait  la  manière,  le  coloris  faux  et  brillant  de  ce 
poète,  qui  gâta  comme  à  plaisir  quelques  dons  heureux 
de  la  nature.  Le  succès  universel  de  Parny  et  le  discrédit 
rapide  de  Dorât  dessillèrent  les  yeux  de  son  élève.  Enflammé 
du  désir  d'obtenir  aussi  quelque  gloire ,  il  embrassa  Parny, 
et  quitta  Feuillancourt,  leur  retraite  commune,  pour  un  sé- 
jour plus  solitaire ,  et  ses  joyeux  amis  pour  les  élégiaques 
de  l'antiquité;  il  ne  se  contenta  pas  d'étudier  avec  soin  Ca- 
tulle, Tibulle  et  Properce,  il  les  traduisit  avec  soin  et  en  fit 
des  extraits  considérables  avec  l'intention  de  leur  donner 
place  dans  ses  élégies  françaises.  Avant  que  ce  fait  ne  m'eût 
été  révélé  par  le  chantre  d'Éléonore,  confident  de  tous  les 
secrets  de  Bertin,  une  lecture  attentive  et  mes  souvenirs 
m'avaient  appris  qu'il  n'écrit  presque  jamais  d'original. 

Bertin  demande  son  goût  et  ses  peintures  de  la  campagne 
à  Tibulle,  son  esprit  à  Ovide,  son  enthousiasme  d'amant 
à  Properce,  ses  vives  images  des  plaisirs  des  sens  à  Catulle 
ou  à  Jean  Second ,  sa  tendresse  et  ses  larmes  au  chantre 
d'Éléonore.  Presque  toutes  les  élégies  qu'il  publia  sous  ce 
titre  charmant  :  Les  Amoîws,  se  composent  de  nombreux 
larcins,  qu'il  dissimule  plus  ou  moins  bien,  mais  qui  n'en- 
trent pas  toujours  à  propos  dans  le  cadie  de  la  pensée  pre- 
mière. Aussi  manque-t-il  entièrement  d'unité  dans  la  com- 
position et  de  couleur  propre  dans  le  style.  Quelquefois  il 
reproduit  les  anciens  avec  un  rare  bonheur  ;  telles  do  ses 
imitations  de  Tibulle  sont  peut-être  supérieures  à  toutes  les 
imilalionf  que  l'on  a  faites  de  ce  pocte  parmi  nous.  Mais  la 
fnroiir  de  copier  entraîne  le  chantre  d'Eucharis  au  point  dt; 


prendre  dans  Tibulle  et  d'appli(|ucr  à  une  brillante  héroïne 
de  nos  cercles  de  Paris  des  détails  de  mœurs  qui  semble- 
raient annoncer  une  courtisane  de  Rome ,  occupée  à  filer 
son  fuseau  sous  la  garde  d'une  vieille  esclave.  D'autres  imi- 
tations donnent  lieu  à  d'autres  reproches. 

Bertin  est  plus  heureux  dans  ses  imitations  de  Parny,  qui 
peint  les  mœurs  de  notre  temps ,  et  la  vive  passion  de  l'a- 
mour telle  que  la  sentent  les  modernes.  Mais  il  se  pénètre  si 
profondément  de  ce  nouveau  modèle ,  que  souvent  tout  son 
mérite  est  de  le  répéter,  comme  une  glace  fidèle  réfléchit  les 
objets  qu'on  lui  présente.  Dans  Parny  la  passion  est  vraie, 
tendre,  et  devient  plus  profonde  chaque  jour,  après  avoir 
paru  légère  dans  la  peinture  de  ses  premiers  plaisirs.  Elle 
remplit  le  cœur  du  poète,  elle  s'accroît  en  silence,  et  se  ré- 
pand sans  peine  au  dehors ,  comme  une  eau  vive  que  re- 
nouvelle sans  cesse  une  source  abondante.  Dans  Bertin  l'a- 
mour paraît  un  sentiment  factice  ou  emprunté  ;  l'orgueil , 
la  vanité,  la  fièvre  des  sens,  font  fermenter  son  esprit,  mais, 
le  cœur  reste  froid.  Aussi,  dans  le  tôte-à-tôte,  cette  grandej 
épreuve  de  l'amour,  sa  conversation  avecEucbaris  est  sté 
rile,  et,  pour  prévenir  la  froideur,  il  est  obligé  de  faire ia 
tervenir  des  tiers  entre  sa  maîtresse  et  lui.  Nous  sentons) 
que  s'il  n'appelait  pas  les  anciens  et  Voltaire  ou  Parny  à  son 
secours,  Eucharis  lui  adresserait  bientôt  une  question  sem- 
blable à  celle  de  Bérénice  à  Titus ,  dont  la  froideur  l'afflige 
Ce  coeur,  après  huit  jours,  n'a-t-il  rien  à  me  dire? 

On  a  cité  avec  de  grands  éloges,  et  les  femmes  ainsi  que 
les  jeunes  gens,  quelquefois  également  dupes  de  l'exalta-| 
tion,  ont  retenu  le  début  de  la  peinture  du  premier  bon- 
heur de  Bertin  : 

Elle  est  à  moi!  diviaités  du  Pinde  , 
De  vos  lauriers  ceignez  mon  front  vainqueur! 
Elle  est  à  moi!  que  les  maîtres  de  l'Inde 
Portent  envie  au  maître  de  son  cœur! 

Ce  début  fait  illusion  au  lecteur;  mais,  qui  le  croirait?  un 
triomphe  si  magnifiquement  célébré  par  un  homme  qui  noua 
semble  ivre  d'orgueil  et  d'amour  avait  laissé  en  lui  une  im- 
pression si  faible,  qu'impuissant  à  trouver  des  souvenirs  et 
des  images ,  il  s'est  vu  contraint  de  mettre  à  contribution 
Ovide,  Properce  et  Voltaire,  pour  les  détails  même  de  sal 
victoire.  Le  cœur  féconde  tout  dans  Parny,  l'esprit,  l'ima 
gination ,  les  souvenirs  des  sens  et  le  talent  de  peindre  et 
d'orner  la  vérité  sans  l'altérer.  C'est  encore  dans  un  cœurj 
tendre  et  sensible  que  Parny  a  puisé  ce  sentiment  délicat  des 
convenances ,  ce  choix  d'expressions ,  cette  pudeur  de  pa- 
roles dont  la  poésie  erotique  ne  saurait  se  passer,  et  que 
Bertin  oublie  ou  blesse  quelquefois  d'une  manière  si  étrange. 
L'amant  d'Éléonore  est  toujours  de  bonne  compagnie  ainsi 
que  de  bon  goût.  Berlin ,  qui  avait  cependant  vécu  au  sein 
d'une  société  élégante  et  polie,  n'en  a  pas  toujours  conservé 
l'empreinte.  Dans  ses  élégies  les  plus  agréables,  certains  traits 
communs  et  presque  grossiers  désenchantent  de  tableaux 
dignes  de  l'Albane;  ils  choquent  les  oreilles ,  comme  une 
expression  libre  qui  s'échapperait  tout  à  coup  de  la  bouche 
d'une  lemine  distinguée  par  la  noblesse  des  manières  et  la 
grâce  du  langage. 

Si  Bertin  ne  respire  pas  la  douceur  et  la  mollesse  de 
Parny,  il  le  surpasse  en  éclat,  en  audace  et  en  vigueur. 
Trempé  dans  les  sources  antiques,  il  y  puise  parfois  des 
transports  d'enthousiasme  qui  donnent  presque  le  mouve- 
ment lyrique  à  ses  vers.  Peut-être  même  la  nature  l'avait- 
oUe  appelé  à  la  haute  poésie;  c'est  une  opinion  que  font 
naître  ses  beaux  vers  sur  l'Italie,  et  d'autres  encore,  qui 
sont  pleins  d'inspiration. 

Dans  quelques-unes  de  ses  pièces,  Bertin  n'a  pris  conseil 
qnc  de  lui-même,  et  ce  ne  sont  pas  les  plus  faibles  du  re- 
cueil. L'élégie  qui  a  pour  titre  le  Portrait  d'Eucharis  res- 
pire tout  l'enthousiasme  d'un  amant  pour  la  beauté  de  sa 
maîtresse,  et  contient  de  ces  détails  brillants  et  vrais  qui 


à 


BERTIN 

donnent  à  la  poésie  erotique  une  variété  dont  le  genre  a  be- 
soin. Toutefois,  le  nom  d'idylle,  suivant  le  sens  que  lui  don- 
naient les  Grecs,  conviendrait  mieux  à  ce  petit  poëme  que 
celui  d'élégie.  D'autres  pièces  sont  marquées  au  coin  de  la 
véritable  poésie ,  et  quelquefois  les  plus  élégantes  formes  de 
stjie  rendent  avec  éclat  des  pensées  dignes  d'elles.  Les  sou- 
venirs de  l'ile  Bourbon,  sa  patrie,  fournissent  surtout  d'heu- 
reuses inspirations  au  compatriote  de  Parny.  II  se  montre 
amant  et  poète  dans  l'élégie  Aux  mânes  d'Eticharis ,  mais 
je  ne  voudrais  pas  voir  Catilie  intervenir  dans  la  scène  des 
derniers  adieux  de  Berlin  à  sa  première  maîtresse;  il  devait 
payer  seul  un  tribut  de  regi  ets  à  cette  Eucharis  tant  célébrée, 
il  ne  devait  s'occuper  que  d'elle  sur  son  tombeau.  11  y  a  dans 
les  clioses  de  sentiment  une  délicatesse ,  une  pudeur  et  un 
caractère  religieux  qui  demandent  à  être  respectés.  Parny 
conuaissiiit  tous  ces  mystères,  qui  ne  s'apprennent  pas,  mais 
que  l'on  trouve  en  soi  quand  oiia  une  àme  tendre  et  que  cette 
âme  est  vraiment  touchée. 

Berlin  reconnaissait  Parny  pour  son  maître,  Parny  voyait 
dans  Bertin  son  émule,  et  partagea  toujours  avec  joie  les 
succès  de  son  ami.  Tous  deux  nés  sous  le  môme  ciel ,  tous 
deux  courant  la  double  carrière  des  armes  et  des  lettres, 
tous  deux  favorisés  des  muses,  tous  deux  célèbres  dans  les 
fastes  de  l'amour,  ils  se  chérissaient  comme  des  frères,  et 
leur  union  ne  fut  jamais  troublée  par  des  jalousies  d'auteur, 
l^arny  était  pour  lîerlin  le  juge  plein  de  candeur  qu'Horace 
a  vanté  dans  son  cher  Tibulle;  Parny  ne  parlait  jamais  de 
Certin  qu'avec  la  plus  tendre  affection  ;  mais  dans  la  con- 
'idence  intime  il  accusait  Bertin  d'être  trop  occupé  de  lui- 
même  ;  il  aurait  voulu  que  Bertin  s'oubliât  pour  être  tout 
entier  à  sa  maîtresse.  Il  trouvait  trop  d'orgueil  personnel  et 
pas  assez  d'amour  dans  le  chantre  d'Eucharis.  «  INIon  ami, 
me  disait-il  un  jour,  les  femmes  sur  le  piédestal,  et  nous 
dans  l'attitude  de  Pygmalion  devant  la  beauté  souveraine , 
voilà  la  poésie  erotique.  » 

Bertin  parait  avoir  cessé  de  bonne  heure  son  commerce 
avec  les  Muses  ;  du  moins  on  ne  voit  plus  paraître  de  vers 
de  lui  depuis  son  édition  de  1785.  Est-ce  une  santé  chance- 
lante, est-ce  le  mariage  de  Catilie  qui  réduisit  son  amant  au 
silence  ?  On  ne  peut  faire  à  cet  égard  que  des  conjectures. 
Nous  ne  savons  pas  davantage  comment  il  accueillit  la  révo- 
lution française ,  qui  avait  excité  lenthousiasme  de  Parny. 

Bertin  quitta  la  France  à  la  fin  de  17S9  pour  aller  à  Saint- 
Domingue  épouser  une  jeune  créole  qu'il  avait  connue  à 
Paris.  De  longues  formalités  retardèrent  la  conclusion  du 
mariage  jusqu'au  commencement  de  juin  1791.  Le  jour  où 
la  célébration  devait  avoir  lieu  ,  Bertin ,  dc'jà  malade ,  de- 
manda qu'elle  se  fît  dans  sa  chambre  ;  mais  à  peine  eut-il 
prononcé  le  oui  d'une  voix  très-faible  qu'il  s'évanouit.  Il  ne 
reprit  connaissance  qu'avec  une  forte  lièvre  et  des  vomisse- 
ments. Après  des  étreintes  douloureuses,  il  mourut  le  dix- 
septième  jour  de  sa  maladie ,  âgé  d'un  peu  plus  de  trente- 
huit  ans,  laissant  une  jeune  épouse  et  toute  une  famille  dans 
le  deuil.  Parny  lui  survécut  vingt-quatre  ans,  et  ne  cessa  de 
donner  des  regrets  à  la  mémoire  de  ce  jeune  poète,  qui  du 
moins  avait  conquis  avant  de  mourir  toute  la  renommé* 
qu'il  pouvait  attendre  de  son  Ulent. 

P. -F.  TiSSOT  ,  de  l'Acadcruie  Française. 

BERTIN  (Tuéodore-Pierre),  né  à  Donemarie  en  Brie, 
près  Provins,  le  2  novembre  1751,  était  fils  d'un  avocat  au 
parlement.  Employé  dans  la  ferme  générale ,  il  s'était  livré 
avec  ardeur,  et,  on  peut  le  dire,  avec  une  sorte  de  passion, 
à  l'étude  de  la  langue  anglaise ,  dans  un  temps  où  les  chefs- 
d'œuvre  de  la  littérature  de  nos  voisins  d'outre-mer  ne  nous 
étaient  guère  connus  que  par  des  traductions.  Étonné  de 
l'oubli  de  Lelourneur,  qui  n'avait  point  compris  dans  les 
œuvres  choisies  du  célèbre  auteur  des  Nitils  la  satire 
d'Young  sur  l'amour  rfe  la  Renommée,  il  en  fit,  vers  1788, 
une  traduction.  La  Vie  de  Bacon  et  un  ouvrage  de  Wil- 
liam Paley  sur  la  justice  criminelle  et  le  jury  ont  été  tra- 

BICT,    DE   LA   CONVERS.   —   T.    lU. 


8D 
duits  aussi  avant  la  révolution  de  1789  par  T. -P.  Bertin. 

Ce  fut  en  1792  qu'il  publia,  non  pas  la  traduction,  mais 
une  imitation  adaptée  à  la  langue  française  de  la  Sténo- 
graphie anglaise  de  Samuel  Taylor,  laquelle  eut  quatre 
éditions,  dont  la  dernière  sorlit  des  presses  de  l'Imprimerie 
impériale  en  1804.  Bertin  a  donc  été,  sinon  par  lui-même,  car 
il  n'était  pas  praticien,  mais  par  ses  élèves  et  ses  imitateurs, 
l'introducteur  en  France  de  la  sténographie. 

Il  avait  préparé  dans  sa  jeunesse  une  traduction  complète 
de  Tom  Jones;  son  but  était  de  venger  l'ingénieux,  le  phi- 
losophe Fieldiug ,  des  mutilations  de  Laplace.  Son  manus- 
crit était  presque  achevé  lorsqu'il  fut  devancé  par  des  con- 
currents plus  diligents,  entre  autres  par  M.  Davaux  en  1794. 
Forcé  de  renoncer  à  cette  entreprise ,  qui  aurait  pu  lui  pro- 
curer un  succès  durable,  il  traduisit  une  multitude  de  romans 
anglais.  On  lui  doit  aussi  deux  versions  libres  des  Curiosités 
de  la  Littérature  de  d'Israéli ,  et  des  Misères  de  la  Vie 
humaine.  Ce  dernier  ouvrage,  qui  a  obtenu  deux  éditions, 
a  fourni  le  sujet  d'une  assez  triste  coméilic,  représentée  et 
tombée  au  Théâtre-Français,  en  1822. 

Doué  d'une  imagination  inventive,  Bertin  avait  conçu  le 
projet  de  reliures  vernies,  pour  lesquelles  il  avait  pris  un 
brevet  d'invention,  et  obtenu  un  logement  à  l'ancien  Châle- 
Ict  avant  sa  démolition.  Constamment  occupé  de  physique, 
il  croyait  avoir  découvert  une  application  nouvelle  du  siphon, 
pour  élever  l'eau  sans  pompe  ni  piston  au-dessus  de  sa 
source,  par  la  seule  force  ascensionnelle,  qui,  en  faisant 
passer  le  liquide  de  la  petite  branche  dans  la  grande,  rem- 
plissait un  réservoir  placé  au  sommet.  L'in^itut  nomma  des 
commissaires  pour  examiner  cet  instrument;  le  crièbie 
physicien  Charles  en  fut  le  rapporteur.  On  étonna  beau- 
coup Bertin  en  lui  montrant  sa  machine  décrite  ef  gravée 
dans  le  r/Y/<7e'  de  la  Magie  naturelle,  par  J,-B.  Porta.  Il 
a  été  plus  heureux  dans  une  invention  que  personne  ne  lui 
a  disputée,  celle  des  lampes  docimastiqucs,  destinces  à  rem- 
placer par  un  éolipyle  le  chalumeau  derémailleur,  soit  poiur 
essayer  les  mines ,  soit  pour  travailler  le  verre. 

Sur  la  fin  de  sa  carrière,  Bertin  avait  repris  ses  an- 
ciennes fonctions  de  chef  de  bureau  dans  l'administration 
des  droits  réunis.  Il  venait  d'être  mis  à  la  retraite,  lorsqu'une 
attaque  de  paralysie,  suivie  d'apoplexie,  l'enleva  le  25  jan- 
vier 1819.  BllETON. 

BERTIN  (Jean-Victor),  peintre  de  paysage,  né  à  Paris, 
en  1767,  et  mort  dans  la  même  ville  en  1842.  Soit  cons- 
cience, soit  développement  tardif,  Bertin  ne  commença  guère 
à  se  faire  connaître  que  vers  l'âge  de  trente-trois  ans.  Le 
premier  ouvrage  qu'il  exposa  lui  attira  des  suffrages  unani- 
mes, et  le  mit  à  même  d'entreprendre  le  voyage  d'Italie, 
d'où  il  revint  avec  un  talent  mûri.  En  1808  il  obtint  une 
médaille  d'or,  et  sous  la  Restauration  la  croix  de  la  Lé- 
gion d'Honneur.  Ce  fut  à  cette  époque  qu'il  fonda  cette 
école  de  paysage  qui  est  devenue  célèbre,  et  d'où  sont 
sortis  tant  de  peintres  habiles.  Michalon ,  son  élève ,  rem- 
porta le  premier  grand  prix  fondé  pour  l'école  de  paysage, 
et  depuis  lors  jusqu'au  moment  de  sa  mort  ce  furent  presque 
toujours  ses  élèves  qui  obtinrent  cet  honneur. 

Ce  qui  distingue  surtout  Bertin,  c'est  une  sévérité  de  lignes 
digne  du  Poussin  et  une  heureuse  haimonie  de  coloris.  Seu- 
lement, on  pourrait  peut-être  lui  reprocher  ce  qui,  du 
reste ,  fut  le  défaut  général  de  son  époque,  d'avoir  jeté  la  na^ 
lure  dans  un  moule  un  peu  uniforme  et  presque  de  convention. 

Les  tableaux  de  Bertin  se  trouvent  répandus  dans  les 
châteaux  nationaux  et  dans  les  musées  de  province.  JNous 
ne  pourrions  les  citer  tous  ici  ;  nous  nous  contenterons  d'en 
indiquer  quelques-uns,  tels  que  :  une  Fête  du  dieu  Pan, 
îine  0/Jrande  à  Vénus,  Cicéron  à  son  retour  de  l'exil, 
une  Vue  de  Nepi  sur  la  roule  de  Rome,  une  Forêt,  la 
Fuite  d'Angélique,  une  Fête  de  Bacchus. 

BERTIN  (Rose),  marchande  de  modes,  a  mérité  une 
sorte  de  célébrité  par  son  désintéressement ,  son  courage,  et 

12 


î>n 


BEIITIIN 


sa  recoiiiiui-isancc.  Née  en  1744,  à  Amiens,  et  ayant  reçu 
de  ses  parents  une  éducation  assez  soignée,  elle  vint  à  Paris, 
où  elle  fut  ouvrière  de  la  modiste  du  Trait-Galant ,  dont 
la  maison ,  aussi  renommée  pour  la  régularité  de  ses  mœurs 
que  pour  l'étendue  de  son  commerce,  fournissait  plusieurs 
princesses  de  la  cour.  Associée  à  cette  maison.  Rose  Bertin 
travailla  ensuite  pour  son  compte,  et  dut  aux  princesses  de 
Conti  et  de  Laniballe  et  à  la  duchesse  de  Chartres  l'avan- 
tage de  fournir,  en  1770,  les  parures  de  ladauphine  Marie- 
Antoinette.  Celle-ci,  devenue  reine ,  admit  dans  sa  fami- 
liarité M"''  Bertin,  dont  elle  avait  su  apprécier  l'esprit  et 
le  caractère ,  et  la  chargea  de  toutes  les  fournitures  de 
modes  pour  la  famille  royale.  Accueillie  au  château  à  toute 
heure,  il  était  bien  dil'licile  qu'elle  n'en  éprouvât  pas 
(juclque  mouvement  de  vanité.  On  cite ,  à  ce  sujet ,  l'anec- 
dote suivante  :  une  dame  du  plus  haut  rang  venait  lui  re- 
demander des  articles  commandés  depuis  longtemps  :  «  Je 
ne  puis  vous  satisfaire,  lui  répondit  majestueusement 
M""  Bertin  ;  dans  le  conseil  tenu  dernièrement  chez  la  reine, 
nous  avons  décidé  que  ces  modes  ne  paraîtraient  que  le 
mois  prochain.  »  Malgré  la  vogue  que  cette  modiste  avait 
obtenue  à  Paris  et  à  Versailles,  comme  elle  était  mal  payée 
|)ar  les  fennnes  des  grands  seigneurs  et  qu'elle  excédait  ses 
dépenses  pour  soutenir  son  espèce  de  rang  à  la  cour,  sa 
(ortnne  se  dérangea  peu  d'années  avant  la  révolution  ,  et  sa 
petite  vanité  fut  punie  par  les  railleries  que  cet  événement 
lui  attira;  mais  les  bienfaits  de  la  reine  ne  lui  firent  pas 
défaut.  M'"'  Bertin,  de  son  côté,  ne  se  montra  pas  ingrate. 
En  1793,  pendant  la  captivité  de  Marie-Antoinette,  elle  brûla 
des  registres  de  commerce  où  figuraient  des  fournitures  qui 
lui  étaient  encore  dues  par  cette  infortunée,  et  répondit 
aux  agents  du  gouvernement  révolulionnaiie  qui  vinrent 
1  interroger  que  la  reine  ne  lui  devait  rien. 

M"^  Bertin  mourut  à  Paris,  en  septembre  1813,  à 
soixante-neuf  ans.  Les  Mémoires  publiés  sous  son  nom  en 
1824  (à  Paris  et  à  Leipzig,  in-8°)  sont  regardés  comme 
apocryphes,  quoiqu'ils  portent  le  cachet  d'une  femme  médio- 
crement lettrée.  Us  finissent  en  1791,  ne  contiennent  rien  de 
neuf  ni  de  piquant,  et  paraissent  n'avoir  été  écrits  que  pour 
justifier  Marie-Antoinette  tles  torts  qui  lui  ont  été  imputés , 
surtout  dans  la  fameuse  affaire  du  Collier.  La  famille  de 
M"'-'  Bertin  a  constamment  réclamé  contre  l'authenticité  de 
ce  livre.  H.  Audiffret. 

BERTIN  (Famille).  Deux  frères  ont  illustré  ce  nom  par 
la  fondation  du  Journal  des  Débats,  la  plus  grande  affaire 
de  presse  qui  se  soit  faite  en  Europe  peut-être,  feuille  po- 
litique qui  leur  a  survécu,  et  qui,  encoredans  les  mains  de  leur 
tamille ,  semble  toujours  destinée  à  marcher  vers  une  for- 
lune  nouvelle  à  travers  les  révolutions  les  plus  inouïes.  Ces 
«leux  frères  appartenaient  à  une  famille  riche  et  considérée. 
Leur  père,  secrétaire  du  duc  de  Choiseul,  premier  mi- 
nistre, mourut  de  bonne  heure.  Leur  mère,  femme  de  beau- 
coup d'esprit  et  d'un  grand  sens,  ne  négligea  rien  pour  leur 
éducation,  qui  fut  forte,  longue  et  complète. 

BERTIN  Valné  (Louis-Fkançois)  naquit  à  Paris,  le  13 
décembre  17G6.  Il  était  venu  au  monde  assez  à  temps  pour 
admirer  encore  dans  tout  leur  éclat  les  fugitives  splendeurs 
du  siècle  passé.  11  était  né  au  beau  milieu  du  doute  et  de 
l'ironie,  mais  aussi  au  milieu  de  la  poésie  et  des  espérances 
du  dix-huitième  siècle.  Il  aimait  à  parier  de  cette  brillante 
époque ,  et  c'était  merveille  de  l'entendre  raconter  comment 
s'étaient  évanouies  toutes  ces  grandeurs,  comment  avait 
éclaié  1789  au  milieu  des  transports  unanimes,  comment 
enfin  la  France  entière,  que  l'on  croyait  sauvée  pour  jamais, 
s'était  précipitée  tête  baissée  dans  la  Terreur  et  dans  l'a- 
narchie. Quand  éclatèrent  ces  fureurs  sanglantes,  M.  Bertin 
était  un  tout  jeune  homme  ;  mais  déjà  ces  abus  de  la  force 
l'indignaient  outre  mesure;  déjà  il  se  demandait  avec  in- 
♦juiétude  (juelle  était  donc  l'espèce  de  liberté  que  nous  dé- 
ïobaicut  les  échafimds?  Cependant  il   suivait  d'un  pas 


ferme  et  d'un  regard  assuré  cette  révolution  éperdue.  Il 
assistait,  la  tête  haute,  à  ces  condamnations  insensées ,  a 
ces  supplices  stupides  ;  il  plongeait  d'un  regard  dédaigneul 
et  ferme  dans  l'ignoble  cruauté  des  bourreaux,  dans  l'hé- 
roïque lâcheté  des  victimes.  Aussi  savait-il  jour  par  jour 
cette  révolution  française  dont  il  eût  été  un  si  digne,  un  si 
éloquent  historien. 

Voilà  comment  il  mit  à  profit  cette  sanglante  époque  : 
plus  il  voyait  ces  excès  terribles ,  et  plus  il  se  disait  à  lui- 
môme  que  contre  des  forces  ainsi  déchaînées  il  fallait  in- 
venter une  force  nouvelle  et  qui  n'existait  pas  encore.  Or, 
quelle  sera  cette  force  qui  peut  sauver  la  société  aux  abois? 
La  tribune  n'est  pas  à  l'abri  de  l'épouvante  et  de  la  surprise  ; 
l'armée  appartient  à  qui  la  commande  ;  le  juge  sur  son  tri- 
bunal marche  souvent  avec  lenteur  :  il  faut  une  force  active, 
agissante ,  toujours  prête ,  toujours  mêlée  aux  passions  du 
moment ,  qui  se  fasse  sa  part  souveraine  dans  les  haines, 
dans  les  amours,  dans  les  libertés,  dans  les  obéissances  de 

la  nation Cette  force,  ce  sera  la  presse  périodique  : 

ainsi  l'a  deviné  ce  jeune  homme.  Mais  cependant  la  liberté 
de  la  presse ,  à  peine  née,  qu'est-elle  devenue?  où  est-elle? 
qu'en  a-t-on  (ait  déjà?  Hélas!  on  en  a  fait  un  affreux  instru- 
ment de  désordre,  d'anarchie,  de  supplices,  de  calomnies  :  le 
sang  a  remplacé  l'encre,  et  l'écrivain  écrit  avec  le  poignard  ! 
Ce  fut  à  cet  instant  même,  où  la  presse  périodique  sem- 
blait s'être  dévorée  elle-même,  que  M.  Bertin  se  mit  à  accom- 
plir le  grand  projet  qu'il  avait  rêvé  au  plus  fort  de  nos  boule- 
versements et  de  nos  tumultes.  Aussi,  à  peine  eut-il  paru,  le 
Journal  des  Débats,  sous  cette  direction  puissante  et  forte, 
qu'il  fut  salué  pr^r  tous  les  honnêtes  gens  comme  une  révo- 
lution salutaire.  Cette  fois  enfin  la  langue  du  journal  était 
trouvée  ;  cette  fois  enfin  la  passion,  l'intérêt,  la  poésie,  l'é- 
vénement, la  bataille  de  chaque  jour  étaient  racontés  par 
d'honnêtes  gens,  dévoués  à  l'ordre,  dévoués  à  l'art,  au  goût, 
à  la  liberté  sage  ;  les  nobles  instincts  de  cette  nation  fran- 
çaise ,  violemment  arrachée  à  cette  urbanité  qui  faisait  une 
partie  de  sa  gloire ,  se  montraient  de  nouveau  dans  cette 
histoire  des  événements  de  chaque  jour.  Or  notez  bien  qu'en 
si  peu  de  temps  toutes  choses  avaient  été  brisées  et  jetées 
au  vent ,  et  que  toutes  choses  étaient  à  refaire. 

Destiné  d'abord  à  l'état  ecclésiastique,  et  pourvu  d'un 
petit  bénéfice,  M.  Bertin  l'aîné  avait  pourtant  salué  d'un 
enthousiasme  reconnaissant  cette  révolution  de  1789  qui  le 
forçait  à  chercher  une  autre  carrière.  JMais  quand  le  torrent 
révolutionnaire  menaça  de  tout  détruire,  M.  Bertin  se  posa 
comme  un  obstacle.  Poussé  par  je  ne  sais  quelle  curiosiié 
funeste,  il  assistait  malgré  lui  à  ces  vastes  funérailles  de  la 
Terreur,  et  plus  d'une  lois  sa  haute  taille,  son  beau  visage, 
l'indignation  qui  animait  ses  tiaits,  l'élégance  même  de  sa 
personne ,  le  désignèrent  aux  dénonciateurs  et  aux  bour- 
reaux de  ces  époques  sanglantes;  sa  jeunesse  le  sauva,  et 
il  paya  son  tribut  à  la  révolution  par  quelques  mois  de 
prison  qu'il  fit  en  très-bonne  compagnie,  comme  cela  était 
d'usage ,  dans  ces  prisons  ouvertes  à  tout  ce  qui  restait  de 
grand ,  d'honnête  et  de  généreux  dans  cette  nation  au  dé- 
sespoir. 

Vint  le  Consulat,  vint  Bonaparte,  tout-puissant  par  la 
gloire ,  et  tout-puissant  surtout  par  la  fatigue  de  la  nation 
française,  qui  ne  voulait  plus  entendre  parler  de  tant  de 
furibondes  et  sanglantes  théories.  Bonaparte ,  quand  il  eut 
dévasté  l'orangerie  de  Saint-Cloud  et  nettoyé  la  place  Saint» 
Roch,  s'occupa  de  la  liberté  de  la  presse.  Cette  toute-puis- 
sante liberté,  qui  a  besoin  d'être  si  respectable  et  si  sage, 
s'était  tant  vautrée  dans  le  barbarisme  et  la  fange,  elle  s'était 
tellement  attaquée  à  toutes  les  personnes  et  à  tous  les  de- 
voirs, qu'il  n'y  eut  pas  une  seule  réclamation  en  France 
quand  le  premier  consul  écrasa  du  talon  de  sa  botte  cette 
hydre  aux  mille  têtes  renaissantes.  Bonaparte  venait  de  dé- 
cider que  de  toutes  les  feuilles  politiques  existantes  douze 
seulement  survivraient  :  et  encore,  que  leur  laissail-il  a 


BERTIN 

cellos-Ià?  l'annonce  des  biens  à  vendre ,  le  récit  des  batailles 
copie  dans  le  Moniteur,  les  lois  nouvelles,  et  le  spectacle 
du  jour  au  bas  de  la  feuille.  Rien  de  plus.  Autrefois,  sous  le 
Consulat  et  sous  l'Empire,  le  plus  grand  journal  se  com- 
posait d'une  simple  feuille  in-4°,  dans  laquelle  on  trouvait 
plus  souvent  une  charade  qu'un  article  de  politique:  la  po- 
litique de  cette  époque  ne  se  discutait  pas.  Il  n'y  avait  qu'un 
homme  dans  ce  temps  qui  eût  le  droit  d'écrire  Je  premier- 
Paris,  c'était  Bonaparte. 

M.  Bertin  l'aîné,  qui  avait  travaillé  au  Journal  Français, 
à  l'Éclair  (il 9b),  au  Courrier  Universel,  acheta,  après  le 
18  brumaire,  le  titre  d'un  journal  d'annonces  20,000  fr.  à 
Baudoin  l'imprimeur.  Quand  il  eut  acheté  ce  privilège,  res- 
tait à  l'exploiter  :  comment  faire  ?  Avec  le  coup  d'œil  qui  ne 
l'a  jamais  trompé,  M.  Bertin  comprit  fort  bien  que  le  journal 
qu'il  projetait  ne  devait  ressembler  en  rien  aux  journaux 
de  l'ancien  régime  ni  aux  journaux  de  la  révolution.  L'an- 
cien régime,  vaniteux,  tout-puissant,  protégé  par  la  Bas- 
tille, se  contentait  du  Mercure  de  France,  sous  l'inspec- 
tion de  deuK  ou  trois  censeurs.  Le  lieutenant  de  police  et 
la  favorite  usaient  du  Mercure  de  France  à  volonté  et  le 
donnaient  à  qui  bon  leur  semblait.  Marmontel  y  imprimait 
ses  contes ,  et  les  beaux  esprits  de  la  cour  y  déposaient , 
sous  un  clairvoyant  incognito,  leurs  logogriphes  et  leurs 
rliarades  :  cela  suffisait.  C'est  qu'en  ce  temps-là  vivait,  de 
toutes  les  forces  de  l'ironie  et  de  toutes  les  grâces  de  l'es- 
prit, le  plus  puissant ,  le  plus  impérieux ,  le  plus  sceptique, 
le  plus  moqueur,  le  plus  redoutable ,  le  plus  français  des 
journaux  ,  la  correspondance  de  Voltaire.  Ajoutez  que  l'op- 
position au  pouvoir,  cette  condition  première  de  la  presse, 
n'était  pas  dans  le  journal.  Elle  était  dans  les  livres,  elle 
était  dans  V Encyclopédie,  aux  discours  de  J.-J.  Rousseau, 
aux  tragédies  de  Voltaire;  elle  était  partout,  excepté  dans 
le  journal.  Voilà  ce  que  M.  Bertin  l'aîné  avait  bien  compris 
lorsqu'il  entreprit  le  Journal  des  Débats.  Mais,  d'autre 
part,  le  journal  tel  que  l'avait  fait  la  révolution  française 
était  impossible  sous  un  gouvernement  qui  voulait  être  craint 
et  respecté.  Quand  bien  même  le  maître  l'eût  permis,  la  na- 
tion française  n'en  eût  pas  voulu  de  longtemps.  Et  comment 
faire  un  journal  sous  un  empereur  tout-puissant ,  qui  ne 
veut  pas  qu'on  discute  les  lois,  qu'on  explique  les  faits, 
qu'on  ne  dise  pas  seulement  pourquoi  ses  armées  vont  si 
loin  et  si  vite  ?  Comment  attirer  à  soi  l'intérêt  et  l'attention 
d'un  peuple  qui  s'occupe  de  toutes  ses  gloires,  et  comment 
lui  faire  lire  un  journal ,  à  ce  peuple  émerveillé ,  qui  peut 
lire  chaque  matin  une  proclamation  dictée  par  Bonaparte  ? 
C'était  une  tâche  bien  difficile ,  en  effet ,  et  il  y  avait  de 
quoi  désespérer  un  moins  hardi  ;  mais  M.  Bertin  ne  désespéra 
pas.  Il  comprit  tout  d'abord  qu'on  ne  pouvait  pas  faire  un 
journal  si  on  ne  pouvait  pas  parler  librement.  Alors ,  il 
se  mit  à  parler  de  la  seule  chose  dont  on  pût  parler  encore  : 
il  parla  de  la  littérature  et  des  théâtres  ;  il  se  figura  que  la 
nation  française ,  échappée  à  tant  de  tourmentes ,  ne  serait 
pas  fôchée  de  se  reposer  quelque  peu  avec  ses  souvenirs 
littéraires,  car  elle  avait  été  arrêtée  dans  un  beau  moment 
littéraire,  la  France  du  dix-huitième  siècle!  elle  avait  été 
rejetée  violemment  de  ses  habitudes  et  de  ses  longues  dis- 
cussions ,  qu'elle  aimait  tant. 

Pour  accomplir  son  œu\Te,  M.  Bertin  appela  à  son  secours 
des  hommes  de  science,  de  talent  et  d'esprit,  qui  avaient 
fort  peu  d'habitude  du  journal,  et  qui  en  firent  tout  d'a- 
bord sans  le  savcfir.  Ces  hommes,  c'était  Geoffroy, 
c'était  D  uss au It,  c'était  Féletz,  c'était  Delalot,  c'était 
M.  Bertin  de  Vaux  ;  et  tout  d'abord,  quand  la  France  lut  un 
journal  écrit  avec  mesure,  pensé  avec  esprit,  fait  pour  la 
bonne  compagnie,  incisif  et  aussi  hardi  qu'on  pouvaitl'ôtre 
alors ,  la  France  fut  émerveillée  ;  on  eût  dit  qu'elle  avait  un 
nouveau  sens.  La  vogue  du  Journal  de  l'Empire  (c'était 
son  titre  depuis  1805)  fut  bientôt  établie  ;  les  Français  d'alors 
ne  demandaient  pas  mieux  que  de  s'occuper  de  théâtres , 


de  livres  nouveaux  et  de  comédiens  a  leur  début.  Just»;- 
ment,  tout  commençait  eu  France,  le  théâtre  surtout. 
Le  dix-huitième  siècle  littéraire ,  coupé  en  deux  par  une 
révolution  politique,  s'était  réfugié  en  Allemagne ,  et  nos 
ignorants  Français ,  sans  s'inquiéter  de  ce  siècle  perdu  et 
sans  songer  à  le  continuer,  comme  c'était  leur  devoir,  re- 
montaient tout  simplement  au  dix-septième  siècle,  et  s'é- 
vertuaient à  refaire  une  poésie  qui  ressemblait  au  siècle  de 
Louis  le  Grand  ;  car  eux-mêmes  n'étaient-ils  pas  les  poètes, 
les  historiens  de  Napoléon  le  Grand?  Geoffroy  se  mit  à 
attaquer  Voltaire  corps  à  corps,  et  la  nation  applaudit 
beaucoup  à  l'ennemi  vivant  de  Voltaire  mort.  Le  Journal 
des  Débats  eut  bientôt  trente-deux  mille  abonnés  dans  cette 
grande  France  que  lui  faisait  Bonaparte.  Après  les  arrêts 
de  l'empereur,  il  n'y  en  avait  pas  auxquels  on  obéît  comme 
à  ceux  du  Journal  de  l'Empire. 

L'influence. toute-puissante  de  ce  journal  à  cette  époque,  le 
nombre  immense  de  ses  lecteurs,  c'est  là  une  histoire  unique 
dans  l'histoire  de  la  presse  périodique.  Il  fallait  bien  que  la 
France ,  réduite  à  ce  grand  silence ,  se  sentît  un  immense 
besoin  de  s'entendre,  même  à  demi-mot,  pour  s'être  mise 
simultanément  à  lire  un  journal  qui  parlait  plus  souvent 
de  prose  et  de  vers  que  de  gouvernement  et  de  bataille , 
plus  souvent  de  Racine  et  de  Boileau  que  de  Bonaparte 
et  de  l'empereur  d'Autriche,  d'autant  plus  qu'en  dépit 
même  du  souverain,  les  plus  hautes  questions  politiques 
s'agitaient  dans  ce  journal ,  sans  qu'aucune  force  pût  l'em- 
pêcher. C'était  là  une  habile  manière  de  rentrer  dans  les 
affaires  de  l'État,  par  la  littérature.  D'autant  plus  que  le 
chef  de  la  France  avait  ses  opinions  littéraires  très-pronon- 
cées; et  alors,  ne  pouvant  faire  d'opposition  au  gouverne- 
ment de  l'empereur,  on  faisait  de  l'opposition  à  sa  tragédie 
et  à  ses  poèmes  descriptifs.  On  ne  pouvait  guère  attaquer 
ses  généraux  ;  on  soutenait  ses  antipathies  de  salon  et  de 
poésie.  Madame  de  Staël  trouvait  asile  dans  le  Journal  de 
l'Empire;  chassée  de  la  cour  impériale,  exilée  de  la  France 
impériale,  elleétait  soutenue  et  rendue  populaire  parle/o«j- 
nalde  VEmpire.  Chateaubriand  était  dans  le  même  temps 
protégé,  défendu  et  compris  dans  le  Journal  de  l'Empire. 
Cette  secousse  donnée  à  l'art  français  par  Chateaubriand  et 
madame  de  Staël  était  trop  vive  et  trop  spontanée  pour  lu 
France.  L'empereur  d'ailleurs  n'aimait  pas  qu'un  autre 
génie  que  le  sien  donnât  des  secousses  ou  même  de;  éton- 
nements  à  la  France.  Il  n'y  eut  donc  en  France  que  le 
Journal  de  VEmpire  qui  vint  au  secours  de  ces  deux  gé- 
nies ;  bien  plus,  ce  fut  de  ce  temps  de  persécutions  que  date 
la  première  amitié  de  M.  de  Chateaubriand  et  de  M.  Bertin. 
Le  grand  poète  confiait  à  la  sévérité  de  son  ami  les  épreuves 
de  son  ouvrage  :  or,  en  fait  de  critique  consciencieuse, 
énergique ,  éclairée ,  amicale,  intelligente,  il  était  impossible 
de  rencontrer  une  critique  supérieure  à  celle  de  M.  Bertin, 
homme  du  dix-septième  siècle  par  ses  études,  homme  du 
dix-huitième  siècle  par  l'urbanité  de  ses  mœurs,  homme  de 
toutes  les  époques  par  son  admirable  faciUté  à  comprendre 
tout  ce  qui  était  jeune ,  tout  ce  qui  était  bon ,  tout  ce  qui 
était  naïf,  tout  ce  qui  pouvait  se  promettre  un  avenir. 

Vous  sentez  bien  (lue  cette  opposition  même  littéraire 
dans  un  journal  qui  était  lu,  qui  était  dévoré  de  l'Europe 
entière ,  ne  pouvait  pas  durer  longtemps.  Le  maître  souve- 
rain de  ce  monde  '  agenouillé  devant  son  épée  et  sa  parole, 
s'était  bien  fâché  un  jour  contre  le  parterre,  qui  n'avait  pas 
admiré  autant  qu'il  l'admirait  lui-même  la  tragédie  A^ Hector 
par  Luce  deLancival  :  à  plus  forte  raisonne  pardonnait- 
il  pas  l'admiration  qui  n'était  pas  la  sienne.  Vous  savez 
d'ailleurs  si  c'était  un  homme  obéi ,  et  sur-le-champ.  Un 
soir  donc  on  avait  joué  sur  le  Théâtre-Français  Edouard  en 
Ecosse,  et  le  lendemain,  par  je  ne  sais  quelle  coïncidence, 
le  Journal  de  l'Empire  avait  parlé  avec  éloge  des  Stuarls  ; 
sans  compter  que  le  Mercure  de  France ,  qui  appartenait 
dans  ce  temps-là  à  AL  de  Chateaubriand  et  à  M.  Bertin,  avait 

17. 


«)2 


BERTIN 


parlé  aussi  du  Prétendant  avec  élofje.  L'empereur,  à  son 
réveil,  vit  toiif  à  ronp  une  conjuration  contre  son  trône  et 
son  pouvoir  dans  cette  simultanéité  de  tons  ces  re^rets  et 
de  tous  ces  éloges  pour  la  famille  légitime  d'un  roi  d'An- 
gletcire  détrône  comme  l'avait  été  Louis  XVL  L'empereur 
fait  avertir  son  préfet  de  police.  Aussitôt,  l'ordre  est  donné; 
il  y  aura  quelques  proscrits  de  plus  :  M.  de  Chateau- 
briand, Alexandre  Duval  et  M.  Bertin  l'aîné.  M.  Certin 
l'aîné  était  exilé  à  l'île  d'Elbe,  ne  se  doutant  guère  à  quel 
captif  il  ouvrait  les  voies  de  cet  exil  ;  le  préfet  de  police  lui 
fit  savoir  qu'il  eût  à  partir  le  lendemain  pour  son  exil  entre 
deux  gendarmes;  en  même  temps,  l'empereur  disposait  de 
cette  propriété  du  Journal  de  l  Empire.  Kon  content  de  cet 
e\il  sans  jugement,  il  dépouilla  les  propriétaires  de  ce  noble 
patrimoine  qu'ils  avaient  fondé. 

Une  fois  celle  grande  fortime  partagée  entre  plusieurs 
hommes  de  sa  police  et  de  sa  littérature ,  tout  ce  que  put 
faire  l'empereur  pour  l'homme  qu'il  avait  dépouillé  et  exilé, 
ce  fut  de  l'oublier  parfaitement.  INL  Dertin  s'en  alla  d'abord 
à  l'île  d'Elbe  entre  deux  gendarmes.  11  resta  là  plus  d'une 
année,  sans  qu'on  s'inquiétât  de  lui.  A  la  (In,  se  voyant 
com|)lélement  oublié,  il  rompit  son  ban  et  s'enfuit  en  Ita- 
h'e,  cette  patrie  des  beaux-arts,  toujours  libre  par  le  privi- 
lège des  beaux-arts  et  du  génie.  En  Italie,  se  voyant  oublié 
comme  il  l'avait  été  à  l'île  d'Elbe,  et  poussé  par  un  im- 
mense désir  de  revoir  la  patrie,  M.  Certin  revint  à  Paris, 
comme  on  revient  d'un  voyage  d'agrément.  Il  avait  été  em- 
p<'rté  de  France  entre  deux  gendarmes  ;  il  rentrait  en  France 
connue  on  revient  d'un  long  voyage.  Telle  était  la  légalité 
de  cette  époque  !  Voilà  un  homme  qui  a  fondé  la  plus  grande 
entreprise  littéraire  et  politique  des  lemps  modernes  :...  un 
signe  du  maître  l'exile;  on  le  dépouille  de  sa  propriété,  sous 
prétexte  qu'elle  lui  a  élé  assez  profitable  ;  e\\\é,  il  revient 
à  Paris  sans  être  rappelé,  et  Userait  encore  caché  à  Paris, 
toujours  dépouillé,  toujours  exilé,  s'il  n'avait  pas  été  secouru 
par  une  révolution. 

Il  fallut  que  Louis  XVIII  régnât  sur  la  France,  et  que  la 
charte  se  fil  jour  dans  les  mo'urs  de  ce  peuple,  plus  guerrier 
que  citoyen  ,  pour  qu'enfin  la  liberté  de  penser  et  d'écrire 
s'établit  sur  de  justes  bornes.  A  la  Restauration,  M.  Bertin 
chassa  les  usurpateurs  de  son  journal  :  c'est  une  restauration 
qui  a  duré  plus  longtemps  que  celle  du  roi  Louis  XVllI. 

Le  Journal  de  r Empire  avait  été  plus  littéraire  que  po- 
litique; sous  la  Restauration, le  Journal  des  Débats  fut  plus 
politique  que  littéraire.  Le  premier  a  recueilli  et  remis  en 
ordre  ce  (pii  restait  en  France  de  bonne  littérature  et  de  bon 
goiM  ;  il  remit  en  honneur  les  modèles  oubliés  ;  il  a  rpuni 
en  faiscKiu  tant  de  not'ons  éparses  dont  nous  profitons  au- 
jourd'hui ;  il  a  été  au-devant  des  innovations  et  des  nova- 
teurs, peu  h  peu,  d'un  pas  prudent,  mais  ferme.  Sous  ce 
rapport,  le  Journal  de  l'Empire  a  eu  chez  nous  une  in- 
fluence très-salutaire,  et  dont  on  ne  peut  calculer  tous  les 
elfets.  Cette  première  période  du  journal  a  été  accomplie  par 
M.  Bertin  l'aîné,  aidé  de  Geoffroy,  de  Dussault,  de  Féletz, 
de  Delalot,  d'Hoffman,  de  Fiévée,  de  Malte-Brun. 

Sous  la  Restauration,  il  y  eut  un  mouvement  en  progrès 
trè;)-prononcé.  C'était  l'époque  où  la  mort  de  Bonaparte  ve- 
nait de  réveiller  tant  d'idées  poétiques  assoupies  dans  l'âme 
des  peuples  par  la  terreur,  par  l'étonnement  ou  par  fa  fatigue. 
M.  (le  Lamartine  écrivait  ses  premières  Méditations  poéti- 
ques, ce  livrequi  était  tout  un  avenir  pour  la  poésie  française. 
Byron ,  à  Venise,  faisait  éclater  sa  sauvage  misanthropie  et 
s'abandonnait  avec  toute  la  verve  du  poète ,  avec  toute  la 
rage  du  dandy,  à  ses  sublimes  caprices.  En  Allemagne,  la 
vioillc  renommée  de  Goethe  grandissait  encore  au  milieu  de 
tant  d'efforts  tout  allemands  que  faisait  la  philosophie  fran- 
çaise. En  même  temps,  Schiller  se  révélait  chez  nous  par 
limitation,  comme  se  révèlent  tous  les  grands  poètes  étran- 
gers. Victor  Hugo  était  encore  tout  petit,  peu  lu  et  bien 
moqué,  mais  déjà  ferme  et  ocre,  et  soutenu  par  la  conscience 


de  son  talent.  C'était  donc  une  belle  époque  littéraire,  qni 
ne  demandait  qu'à  être  comprise.  Le  Journal  des  Débats 
l'a  comprise  le  premier.  Cette  fois  encore,  M.  Bertin  l'aîné 
ne  manqua  pas  plus  à  la  littérature  de  la  Restauration  qu'il 
n'avait  manqué  à  la  littérature  de  l'Empire.  Il  avait  fait  de 
l'opposition  à  la  littérature  de  l'Empire  comme  à  une  chose 
morte  et  vaincue,  il  soutint  de  toutes  ses  forces  la  littérature 
naissante  de  la  Restauration.  11  ne  manqua  pas  plus  à  lord 
Byron  qu'il  n'avait  manqué  à  Chateaubriand.  Quand  il  vit 
que  Rossini  devenait  un  pouvoir,  il  alla  chercher  dans  la 
foule  un  musicien,  un  rare  esprit,  M.  Castil-Blaze,  pour 
faire  parler,  à  la  France,  de  Rossini  et  de  Mozart.  Il  renou- 
vela tout  le  personnel  du  Journal  des  Débats  au  moment 
même  où  d'autres  doctrines  littéraires  allaient  surgir.  Il 
sentit  que  la  vieille  critique  devait  disparaître  avec  la  vieille 
littérature.  Une  critique  ardente  et  jeune  s'empara  du  Jour- 
nal des  Débats  en  même  temps  qu'une  poésie  ardente  et 
jeune  s'emparait  du  monde  des  idées.  C'est  ainsi  que,  grâce 
à  sa  jeune  critique ,  le  Journal  des  Débals  le  premier  pro- 
clama Walter  Scott  un  grand  romancier,  M.  de  La  Mennais 
un  grand  écrivain,  Victor  Hugo  un  grand  poète,  après  qu'il 
eut  été  exécuté  par  Hoffman;  mais  l'exécution  n'était  pas 
sans  appel.  Ceci  a  été  un  des  miracles  de  M.  Bertin  :  il  ne 
lui  fallut  que  huit  jours  pour  mettre  le  Journal  des  Débats 
à  la  hauteur  de  la  génération  nouvelle.  Il  a  appelé  à  hu'  de 
jeunes  écrivains ,  les  plus  ignorés  et  les  plus  jeunes,  M.  Saint- 
Marc-Girardin,  M.  de  Sacy,  le  fils  du  savant  orienta- 
liste, E.  Béquet,  critique  plein  de  sens,  exact,  ingénieux, 
railleur  et  bonhomme,  M.  de  Salvandy,  reflet  vigoureux 
de  M.  de  Chateaubriand,  le  premier  jeune  homme  qui  ait 
travaillé  à  la  seconde  période  du  Journal  des  Débals.  C'est 
sur  M.  de  Salvandy  qu'a  roulé  toute  l'opposition  contre 
M.  de  Villèle.  Enfin,  quand  le  successeur  de  Geoffroy,  Du- 
vicquet,  ce  bon  et  digne  vieillard ,  si  indulgent  pour  la  jeu- 
nesse, se  sentit  fatigué  et  déposa  la  plume,  M.  Bertin  remit 
cette  plume  entre  les  mains  d'un  jeune  homme  qui  est 
devenu  vieux  à  son  tour.  Après  une  révolution  à  laquelle  il 
avait  tant  contribué,  après  son  procès  du  mois  de  juin,  qui 
fut  la  première  défaite  des  ordonnances  de  juillet,  et  dans  le- 
quel il  porta  la  parole  avec  tant  de  noblesse  et  de  courage, 
M.  Bertin  resta  journaliste;  il  ne  voulut  jamais  être  que 
journaliste. 

Aussi,  comme  l'a  dit  M.  de  Sacy  sur  cette  tombe  honorée 
à  tous  les  titres  de  l'esprit,  du  talent,  du  courage,  de  la 
bonté,  «  M.  Bertin  aimait  la  profession  qu'il  avait  choisie; 
il  aurait  pu  être  tout  ce  qu'il  aurait  voulu  être  :  il  préféra 
rester  un  journaliste!  Proscrit  à  une  époque,  spolié  it  exilé 
à  une  autre,  battu  par  toutes  les  tempêtes,  il  revenait  tou- 
jours à  son  journal  comme  un  soldai  intnpide  à  son  poste. 
La  vie  de  M.  Bertin  a  été  une  vie  de  combat  ;  il  a  eu  suc- 
cessivement pour  ennemis  tous  les  partis,  toutes  les  factions; 
mais  si  l'on  demande  quel  a  été  le  principe  de  M.  Bi^rtin 
dans  cette  vie  si  agitée,  je  ne  craindrai  pas  de  répondre, 
le  journal  qu'il  a  dirigé  pendant  cinquante  ans  à  la  main  : 
«  C'est  la  raison ,  une  raison  qui  l'elevait  au-dessus  de  tous 
les  excès;  c'est  un  sentiment  juste  et  vrai  des  besoins  et  des 
intérêts  permanents  de  la  société;  c'est  le  désir,  après  tant 
d'elforts  inlructueux,  de  concilier  l'ordre  avec  la  liberté.  » 
M.  Bertin  l'aîné  mourut  le  13  septembre  1841.  La  veille 
encore  il  signait  le  Journal  des  Débats  comme  gérant  res- 
ponsable. Ainsi  pendant  cinquante  ans  M.  Bertin  a  suivi  «le 
très-près  et  de  très-haut  toutes  ces  révolutions  qui  se  sont 
succédé  l'une  à  l'autre  comme  autant  de  coups  de  (oudre. 
Pendant  cinquante  ans  il  a  été  appelé  à  dire  à  l'Europe  en- 
tière son  opinion  haute  et  franche  sur  tous  les  hommes,  sur 
tous  les  événements  de  ce  temps-ci.  Travail  pénible ,  tout 
rempli  de  difficultés,  de  périls  et  de  calomnies  de  tout  genre, 
auquel  ce  courageux  politique  a  résisté  jusqu'à  la  fin  !  Œuvre 
presque  incroyable,  à  laquelle  il  a  usé  doux  générations 
d'écrivains  qu'il  avait  associés  à  sa  noble  tâche.  Et  note» 


BERTIN 

bien  que  pas  un  des  détails  de  cet  ensemble,  qui  n'est  rien 
moins  que  i'iiistoire  complète  du  dix-neuvième  siècle  tout 
entier ,  n'écliappait  au  rédacteur  en  chef  du  Journal  des 
Débats.  Jules  J.vmn. 

BEKTIN  de  Vaux  (Louis-François),  frère  du  précé- 
dent, naquit  à  Paris,  le  18  août  1771.  Il  aida  son  frère  dans 
la  formation  du  Journal  des  Débats  politiques  et  litté- 
raires, dont  le  premier  numéro  parut  le  21  janvier  ISOO. 
En  1801  il  fonda  une  maison  de  banque  à  Paris.  Quelques 
années  après,  il  fut  nommé  juge  ,  puis  vice-président  du 
tribunal  de  commerce.  Son  frère,  impliqué  en  l'an  IX  dans 
une  accusation  de  royalisme,  se  vit  détenu  pendant  neuf  mois 
dans  la  prison  du  Temple,  où  les  épreuves  do  son  journal 
lui  étaient  apportées.  Ensuite  Berlin  l'ainé  fut  déporté  à  l'ile 
d'Elbe,  d'oii  il  s'échappa  pour  l'Italie.  Arrivé  à  Rome,  il  y  lia 
connaissance  avec  Chateaubriand,  dont  il  devint  l'ami  intime, 
et  qui  ne  tarda  pas  à  prendre  une  grande  influence  sur  le 
Journal  des  Débats.  En  ISOi  Berlin  l'aîné  revint  à  Paris; 
la  police  ferma  les  yeux  sur  sa  présence.  11  reprit  même  la 
direction  de  son  Journal;  mais  en  1805  Napoiéon  imposa  le 
titre  de  Journal  de  l'Empire  à  la  feuille  des  frères  Berlin, 
qui  durent  charger  Fiévée  de  la  rédaction  en  chef,  en  lui 
payant  un  traitement  de  50  à  C0,000  fr.  par  an.  Cependant 
Fiévée  laissa  passer  un  morceau  extrait  du  Mercure  de 
France,  où  Chateaubriand  peignait  Tacite  marquant  la 
tyrannie  d'une  empreinte  qui  désignait  suflisaminent  l'em- 
pereur. Celui-ci  mécontent  remplaça  Fiévée  par  Etienne, 
et  les  proprit'taires  du  Journal  de  L'Empire  perdirent  toute 
iniluence  sur  la  rédaction;  ce  qui  n'empêcha  pas  qu'en  1811 
ils  furent  tout  à  fait  dépouillés,  par  un  arrête  de  l'empereur, 
de  leur  propriété.  L'énorme  revenu  du  journal,  le  mobilier 
de  la  rédaction,  jusqu'aux  glaces  et  aux  fauteuils,  l'argent 
en  caisse,  tout  fut  saisi  sans  arrêt  des  tribunaux. 

A  la  chute  du  gouvernement  impérial,  les  deux  frères 
Berlin  se  prononcèrent  hautement  pour  les  Bourbons,  et 
rentrèrent  dans  leur  propriété.  Au  20  mars ,  Berlin  l'aîné 
suivit  Louis  XVI 11  dans  l'exil,  et  contribua  à  la  rédaction 
du  Moniteur  de  Gand  pendant  que  le  Journal  de  l'Empire 
repienait  sous  d'autres  mains  une  couleur  semi-oflicielle. 
Berlin  revint  à  Paris  en  même  temps  que  les  princes.  Le  Jour- 
nal des  Débuts  se  montra  un  des  soutiens  de  la  cause  roya- 
liste, mais  en  se  séparant  des  ultras,  qui  ne  voulaient  tenir 
aucun  compte  de  la  révolution.  En  septembre  1815  Berlin 
de  Vaux  présida  un  des  collèges  électoiaux  de  Paris,  qui  le 
choisit  pour  député.  Un  mois  après  il  devint  secrétaire 
général  du  ministère  de  la  police ,  place  qu'il  conserva  jus- 
qu'en 1817.  Réélu  en  1820,  il  échoua  aux  éleclious  sui- 
vantes; mais  il  représenta  ensuite  Versailles  à  la  Chambre. 
Conseiller  d'État  en  1827,  puis  démissionnaire  en  1829,  il 
se  rangea  parmi  les  221  députés  qui  votèrent  celte  fameuse 
adresse  dont  le  but  était  de  renverser  un  ministère,  et  qui 
culbuta  un  trône.  C'était  sans  doute  plus  que  ne  voulait 
Berlin  de  Vaux.  Cependant,  après  les  journées  de  Juillet  il 
s'associa  à  ceux  de  ses  collègues  qui  proclamèrent  roi  le  duc 
d'Orléans. 

Le  renvoi  de  Chateaubriand  du  ministère  avait  jeté  le 
Journal  des  Débats  dans  l'opposition.  En  juin  1830  un 
art'cle  de  Béquet  avait  fait  passer  Berlin  l'ainé  en  police 
correctionnelle,  où  il  avait  été  condamné  ;  mais  la  cour  royale, 
sur  la  plaidoirie  de  M.  Dupin  aîné,  avait  cassé  ce  jugement. 
Lors  des  fameuses  ordonnances  de  Juillet,  les  rédacteurs 
du  Journal  des  Débats  ne  signèrent  pas  la  protestation 
des  journalistes.  Néanmoins  le  journal  ne  s'en  attacha  pas 
moins  avec  vigueur  au  nouvel  état  de  choses;  bientôt  même 
il  parut  refléter  la  pensée  intime  du  nouveau  roi ,  et  les  la- 
beurs tombèrentdru  surtous  ses  rédacteurs.  Berlin  l'aîné  eut 
i'esprit  de  ne  rien  accepter  pour  lui  ;  il  n'en  eut  que  plus  de 
puissance  pour  ses  amis.  Berlin  de  Vaux,  rappelé  d'abord 
au  Conseil  d'État,  fut  chargé  de  missions  diplomatiques  en 
Hollande  (22  septembre  1830)  et  en  Angleterre.  Une  ordon- 


93 


nance  du  13  octobre  1S32  l'appela  à  la  Chambre  des  Pairs, 
où  il  ne  parla  jamais.  11  survécut  peu  à  son  frère,  et  mourut 
à  Paris  le  23  avril  1842. 

On  attribue  à  son  frère  quelques  romans  en  partie  tra- 
duits de  l'anglais  (1798  et  1799)  :  Éliza,  oif  la  Famille 
d'Elderland;  La  Cloche  de  Minuit;  La  Caverne  de  la 
Mort,  et  L'Église  de  Saint-Sil/rid. 

BERTIN  de  Vaux  (  Auglste-François-Thomas)  ,  fils  du 
précédent,  est  né  à  Paris,  le  26  mai  1799.  Ayant  embrassé  la 
carrière  militaire,  il  devint  officier  d'ordonnance  du  duc 
d'Orléans ,  puis  aide  de  camp  du  comte  de  Paris.  Député 
de  Saint-Germain- en-Laye  de  1835  à  1842,  il  fut  élevé  à  la 
pairie  le  13  avril  1845.  Colonel  du  5^  lanciers  avant  la  révo- 
lution de  Février,  il  fut  nommé  officier  de  la  Légion  d'Hon- 
neur à  la  suite  des  événements  du  13  juin  1849. 

BEUTIN  (LoLis-MAiUE-Ai'JiAftD),  naguère  redacteurenchef 
du  Journal  des  Dé  bat  s,  f\\s  de  Berlin  l'ainé,  naquit  a  Paris 
le  22  août  1801.  Admis  dès  1820  au  nombre  des  collaborateurs 
de  la  feuille  paternelle,  il  suivit  Chateaubriand  à  Londres  en 
qi  alité  d'attaché  d'ambassade,  succéda  à  son  père  dans  la  di- 
rection du  journal,  et  mourut  d'apoplexie  le  12  janvier  1854. 

iM.  Armand  Berlin  sut,  comme  son  père,  conserver  dans 
la  direction  de  son  journal  une  certaine  indépendance ,  toat 
dévoué  qu'il  fût  d'ailleurs  au  pouvoir.  On  raconte  que  Louis- 
Philippe  lui  ayant  envoyé  uu  jour,  pour  être  publié  dans  le 
Journal  des  Débats,  un  article  où  les  hauts  faits  de  son  fils 
le  duc  d'Aumale  en  Algérie  étaient  vantés  outre  toute  me- 
sure, ]\I.  Armand  Berlin  lui  renvoya  le  manuscrit  tout 
biffé;  trait  d'indépendance  dont  le  vieux  roi  lui  garda 
constamment  rancune. 

Depuis  la  révolution  de  Juillet,  le  Journal  des  Débats,  for- 
tement rattaché  à  la  dynastie  des  trois  jours,  avait  fait  une 
certaine  opposition  à  tous  les  ministères  qui  tendaient  à  res- 
treindre l'influence  royale.  On  l'avait  vu  attaquer  Lalftte, 
soutenir  Casimir  Périer,  M.  Mole,  attaquer  la  coalition , 
M.  Thiers,  etc.,  puis  attaquer  et  défendre  tour  à  tour  .M.  Gui- 
zot,  etc.  Sous  la  direction  de  M.  Armand  Berlin,  il  continua 
la  même  politique.  Combattant  toute  reforme,  s'il  était  par- 
fois en  opposition  avec  les  ministres,  il  ne  semblait  du  moins 
jamais  l'être  avec  ce  qu'on  appelait  la  pensée  immuable. 
De  nouveaux  collaborateurs  setaienl  adjoints  à  ceux  que 
nous  avons  déjà  cités  :  M.M.  Cuvillier-Fleury,  précepteur 
du  duc  d'Aumale,  Alloury,  jMichel  Chevalier,  Benazet, 
Th.  Fi'i,  J.  Lemoinne,  Ph.  Chasies,  Guéroult,  Saint- 
Ange,  Berlioz,  étaient  venus  grossir  le  bataillon  poHlique 
et  littéraire  du  Journal  des  Débats. 

Après  la  révolution  de  1848,  on  aurait  pu  croire  l'exis- 
tence du  Journal  des  Débats  singulièrement  compromise 
à  cause  de  tous  ses  antécédents;  mais  à  ce  moment  M.  A. 
Berlin  réussit  à  en  assurer  l'existence  en  se  maintenant  avec 
une  grande  habileté  au  point  de  vue  du  parti  libéral  conser- 
vateur, tandis  que  beaucoup  d'autres  feuilles  qui  avaient 
jusque  alors  défendu  les  mêmes  principes  se  jetaient  dans 
la  réaction  la  plus  violente,  ou  bien  épousaient  avec  im(  u- 
dence  les  doctrines  révolutionnaires  les  plus  exagérées.  Ne 
cachant  ni  sa  couleur  ni  .ses  regrets,  le  Journal  des  Débats 
combattit  les  gouvernements  qui  se  succédèrent  avec  toute 
la  latitude  que  lui  laissaient  la  loi  ou  les  circonstances ,  et 
sut  du  moins  ne  jamais  se  départir  de  l'urbanité  que  se  doi- 
vent des  gens  bien  élevés ,  même  quand  ils  se  trouvent  dans 
des  camps  opposés.  Tous  les  rapports  des  gens  de  lettres  et 
des  artistes  avec  M.  Arm.  Berlin  étaient  de  la  nature  la 
plus  bienveillante.  Fidèle  à  la  tactique  paternelle,  il  avait 
fait  donner  des  croix,  des  pensions,  des  missions,  des  rubans 
de  toutes  couleurs  à  tous  ses  collaborateurs,  sans  jamais  rien 
accepter  pour  lui-même. 

Son  frère  Edouard  Bertin  s'est  fait  un  nom  comme  pay- 
sagiste. 

[BERTIN  (M"*  Lolise-AiNCélique),  née  aux  Roches,  près 
de  Bièvrc,  le  5  janvier  1805,  est  la  sœur  de  .M.  Armand 


94 


BERTIN  —  BERTON 


Berlin.  M"*  Berlin  possède  celle  inlelligence  supérieure  qui 
semble  héréditaire  dans  sa  famille,  et  qui,  modifiée  par  sa 
qualité  defemme,  s'est  manifestée  dans  de  gracieuses  et  belles 
compositions  poétiques  et  musicales.  C'est  quelque  chose 
d'extraordinaire,  et  qui  mérite  l'admiration,  qu'une  femme 
ayant  fait  applaudir  la  musique  d'un  grand  opéra,  Esmé- 
ralda,  à  l'Opéra,  pendant  que  l'Académie  Française  couron- 
nait son  recueil  de  poésies  intitulé  les  Glanes. 

Voici  ce  que  M"*  Berlin  a  publié ,  comme  musicienne  : 
Ze  Loup-Garoii,  opéra-comique  en  un  acte,  représenté  à 
Feydeau  le  10  mars  1827  ;  Fausto,  opéra  itahen,  en  4  actes, 
représenté  le  8  mars  1831  ;  la  Esméralda ,  opéra  en  4  actes 
représenté  le  12  novembre  1836;  plusieurs  ballades  sur 
des  paroles  des  Glanes.  Comme  poète  on  lui  doit  un  vo- 
lume de  poésies  intitulé  :  Glanes,  publié  en  1842.  Toutes  les 
délicatesses  d'un  cœur  tendre,  rêveur  et  mélancolique,  toutes 
les  inspirations  d'une  pensée  en  même  temps  naïve  et  élevée, 
sont  embellies  par  la  forme  pure ,  correcte  et  élégante ,  dans 
les  vers  de  M"^  Berlin.  On  est  ému  avant  d'avoir  admiré. 
De  môme,  les  gracieuses  et  fortes  mélodies  de  ses  créations 
musicales  sont  rehaussées  par  la  science,  et  l'on  est  charmé 
des  airs  harmonieux  ,  avant  de  s'être  convaincu  qu'ils  sont 
remarquables  par  l'art  qui  a  présidé  à  leur  composition.  Et 
cependant  aucune  de  ces  compositions  n'a  eu  un  succès 
décidé.  Il  y  a  dans  les  ouvrages  de  M"*  Berlin,  comme  dans 
presque  tous  les  ouvrages  de  femme,  quelque  chose  de  plus 
personnel  et  de  plus  intime  que  dans  les  ouvrages  des  hom- 
mes. On  voit  qu'ils  se  sont  échappés  de  l'âme,  bien  plus  qu'ils 
n'ont  été  cherchés  par  l'esprit,  et  l'on  devine  que  c'est  dans 
la  retraite  et  le  calme  du  foyer  de  famille  que  sont  nées 
leurs  douces  rêveries  et  leurs  tendres  inspirations. 

jyjme  yirginje  Angelot.  ] 

BERTIIVAZZI  (Charles).  Voyez  Carlin. 

BERTIUS  (Pierre),  cosmographe  célèbre  et  histo- 
riographe de  Louis  XIII,  étjiit  né  en  1565,  à  Beveren ,  en 
Flandre,  et  mourut  à  Paris,  en  1629.  Il  commença  ses 
études  à  Londres ,  où  les  troubles  de  religion  avaient  fait 
passer  sa  famille,  et  alla  à  l'âge  de  douze  ans  les  ter- 
miner à  Leyde,  où  le  fit  venir  son  père,  qui  était  devenu 
pasteur  protestant  à  Rotterdam.  Dès  l'âge  de  dix-sept  ans 
il  embrassa  la  carrière  de  l'enseignement  public ,  et  professa 
successivement  en  Flandre ,  dans  le  Hainaul ,  dans  le  Bra- 
bant ,  à  Strasbourg.  Il  voyagea  ensuite ,  dans  le  but  de 
perfectionner  son  instruction,  en  Allemagne,  en  Silésie  ,  en 
Bohême,  en  Pologne,  en  Russie  et  en  Prusse,  et  revint 
à  la  fin  de  ses  voyages  occuper  une  chaire  à  Leyde.  On 
l'avait  en  même  temps  chargé  de  la  bibliothèque  de  l'uni- 
versité de  celte  ville ,  et  il  en  rédigea  le  catalogue.  La  part 
active  qu'il  prit  ensuite  aux  querelles  théologiques  des  par- 
tisans d'Arminius  contre  ceux  de  Gomar  le  força  de  quitter 
Leyde,  après  avoir  perdu  ses  différents  emplois.  Ciiargé  d'une 
nombreuse  famille,  Bertius  passa  en  France,  et,  pour  s'y 
assurer  du  pain,  se  convertit  avec  éclat  au  catholicisme. 
Les  spéculations  de  ce  genre  ont  rarement  manqué  leur 
effet.  Celle-ci  aussi  fut  couronnée  de  succès ,  et  valut  au 
néophyte  une  place  de  professeur  surnuméraire  de  mathé- 
matiques au  Collège  de  France,  et  le  litre  d'historiographe 
et  de  cosmographe  du  roi. 

Bertius  a  laissé  un  grand  nombre  d'ouvTages.  Nous  ne 
parlerons  pas  ici  de  ses  écrits  de  controverse,  origine  de 
toutes  les  misères  de  sa  vie  ;  nous  ne  citerons  que  celui  de 
ses  ouvrages  scientifiques  qui  obtint  le  plus  de  réputation  : 
le  Thealntm  Geographix  veteris  (2  vol.  in-fol.,  1618  et 
IfilO  ,  EIzevir).  Le  premier  volume  comprend  la  géographie 
de  Ptolémée,  en  grec  et  en  latin;  le  second  renterme  l'Iti- 
néraire d'Antonin ,  la  Notice  des  provinces  de  l'Enipne ,  la 
Table  de  PeuUnger  avec  les  commentaires  de  Veller,  un 
choix  de  cartes  anciennes  extraites  du  Parergon  d'Ortelius, 
avec  le  texte  descriptif  de  ce  savant  géographe.  Bien  que  ce 
ne  soit  en  définitive  qu'une  compilation  assez  mal  exécutée. 


surtout  sous  le  rapport  de  la  pureté  des  textes,  le  Then-. 
trum  de  Bertius  est  encore  aujourd'hui  consulté  par   les 
savants. 

BERTON  (Jean-Baptiste,  baron),  général  de  bri- 
gade ,  né  le  15  juin  1769  à  Francheval,  près  de  Sedan  (Ar- 
dennes),  entra  à  l'école  militaire  de  Brienne  à  l'âge  de  dix- 
sept  ans ,  lorsque  Bonaparte  en  sortait.  Il  passa  de  cette 
école  à  celle  d'artillerie ,  qui  venait  d'être  établie  à  Châlons 
(  Marne),  et  fut  ensuite  nommé  sous-lieutenant  dans  la  légion 
des  Ardennes.  Promu  au  grade  de  capitauie  dans  les  pre- 
mières campagnes  de  la  guerre  de  l'indépendance ,  il  resta 
dans  l'élat-major  de  Bernadotte  jusqu'en  1807.  Le  maré- 
chal Victor,  qui  avait  succédé  à  Bernadotte  dans  le  com- 
mandement de  son  corps  d'armée ,  promit  à  Berton ,  alors 
chef  d'escadron ,  de  le  proposer  pour  le  grade  de  colonel, 
en  récompense  de  ses  signalés  services  à  la  bataille  de 
Friedland.  Il  n'obtint  néanmoins  ce  grade  que  dans  la  cam- 
pagne d'Espagne,  en  1808. 

Berton  fut  successivement  chef  d'élal-major  des  géné- 
raux Valence  et  Sébasliani.  Son  courage,  ses  talents,  crois- 
saient avec  le  danger.  11  fit  des  prodiges  de  valeur  à  la 
bataille  de  Talavera  ;  à  celle  d'Almonacid  ,  il  enleva  la  po- 
sition la  plus  élevée  du  double  pic  sur  lequel  cette  ville  est 
assise.  A  la  bataille  d'Occana,  il  fit  une  charge  brillante  à 
la  tête  des  lanciers  polonais  ;  son  sang-froid  et  son  habi- 
leté étonnèrent  toute  l'armée.  Le  prince  Sobieski,  à  côté 
duquel  il  avait  été  blessé  ,  l'embrassant  en  présence  de  sou 
régiment  :  «  Je  ferai  savoir  à  ma  nation,  lui  dit-il,  l'hé- 
roïque intrépidité  avec  laquelle  vous  venez  de  combattre  à 
la  tête  de  ses  enfants  ;  je  demanderai  pour  vous  la  croix  du 
Mérite  militaire  :  les  Polonais  seront  fiers  de  la  voir  briller 
sur  la  poitrine  d'un  brave  tel  que  vous.  »  Berton ,  à  la  tête 
de  deux  mille  hommes,  s'empara  de  Malaga,  défendu  par 
sept  mille  Espagnols,  qu'il  fil  prisonniers.  Il  fut  nommé,  par 
le  maréchal  Soull,  gouverneur  de  la  place  qu'il  venait  de 
conquérir.  La  guerre  n'offrit  plus,  après  la  bataille  des 
Arapiles ,  qu'une  suite  de  retraites.  Berton  se  distingua  par 
ses  talents  stratégiques.  Un  décret  impérial  du  30  mai  1813 
le  nomma  général  de  brigade.  Il  commandait  une  brigade 
à  la  bataiOe  de  Toulouse ,  où  vingt  mille  Français  eurent  à 
combattre  une  armée  triple  en  nombre,  sous  les  ordres  de 
Wellington,  qui  perdit  plus  de  monde  que  les  Français 
n'avaient  de  combattants. 

Mis  à  la  demi-solde  en  1814,  il  reprit  son  rang  dans 
l'armée  nationale  en  1815,  et  combattit  à  Waterloo  à  la 
tête  des  14^  et  17*^  régiments  de  dragons.  De  retour  dans 
les  murs  de  la  capitale  avec  sa  demi-brigade,  il  suivit  l'ar- 
mée sur  les  bords  de  la  Loire.  Après  le  licenciement ,  il  se 
fixa  à  Paris;  mais  il  n'y  jouit  pas  longtemps  de  sa  liberté; 
il  fut  arrêté  par  ordre  du  directeur  général  de  la  police, 
Mounier,  et  détenu  à  la  prison  de  l'Abbaye,  dont  il  ne  sortit 
qu'après  cinq  mois  de  captivité ,  et  sans  avoir  été  mis  en 
jugement.  Il  publia  ensuite  plusieurs  ouvrages  de  stratégie, 
et  adressa  plusieurs  pétitions  à  la  Chambre  des  Députés, 
dans  lesquelles  il  rappelait  avec  une  énergie  toute  française 
les  promesses  royales  de  la  proclamation  de  Cambrai ,  et 
réclamait  l'observation  fidèle  de  la  charte.  Le  ministre  de 
la  guerre  Latour-Maubourg  le  fil  rayer  des  contrôles  de 
l'armée.  Quelque  ressentiment  était  permis  à  un  vétéran  de 
l'ancienne  armée,  dont  le  sang  avait  coulé  sur  tant  de 
champs  de  bataille,  et  qui  se  voyait  arbitrairement  éliminé 
des  contrôles  des  braves  et  privé  de  sa  retraite.  Il  publia 
un  mémoire  contre  le  directeur  général  de  la  pofice,  Mounier, 
auteur  de  sa  longue  et  illégale  détention  ;  puis  il  partit  pour 
la  Bretagne,  et ,  après  un  court  séjour  à  Brest  et  à  Rennes 
il  se  rendit  à  Saumur.  Ce  fut  là  qu'il  vit  les  chefs  de  l'assi 
cialion  patriolique  connue  sous  le  nom  des  Chevaliers  rfi 
la  Liberté.  Cette  association  s'était  formée  depuis  quelque 
temps;  son  but  avoué  était  de  signaler  les  abus,  de  pro- 
téger les  libertés  publiques  et  de  maintonir  \k^  institutions 


I 


BERTON 


95 


!  garanties  par  la  cliarte.  Berton  eut  quelques  conférences 
avec  les  cliefs  de  l'association.  Il  en  accepta  le  commande- 
ment, à  condition  «  qu'on  ne  tirerait  pas  un  coup  de  fusil, 
même  dans  le  cai  où  l'on  résisterait  et  où  l'on  prendrait 
l'initiative  ».  Il  aurait  ajouté  «  qu'il  était  louahle  sans  doute 
de  vouloir  empêcher  son  pays  d'être  esclave ,  mais  qu'il 
fallait  surtout  éviter  l'anarchie...  »  Telle  est  la  version  con- 
firmée par  une  lettre  de  M.  Chauvet,  qui  a  joué  un  grand 
rôle  dans  ce  qu'on  appela  la  conspiration  de  Saumur,  lettre 
datée  de  Londres,  du  22  septembre  1822.  L'auteur,  parvenu 
à  échapper  à  toutes  les  poursuites  de  la  police,  s'était  réfugié 
dans  la  capitale  de  la  Grande-Bretagne. 

Le  24  février  1822,  Berton  se  rendit,  pendant  la  nuit,  à 
ïhouars,  revêtu  de  son  uniforme  de  général,  la  cocarde  tri- 
colore au  chapeau,  et  à  la  tête  de  cinquante  hommes  ar- 
més. Le  drapeau  national  flottait  dans  leurs  rangs.  11  pro- 
clama un  gouvernement  provisoire,  qui  devait  être  composé 
de  cinq  membres  de  la  Chambre  des  Députés,  dont  les  noms 
étaient  indiqués.  Cette  proclamation  fut  publiée  dans  la 
ville  ;  il  pourvut  à  la  nomination  de  nouveaux  fonctionnaires 
publics  :  quelques  magistrats  furent  conseivés.  Berton  pre- 
nait le  titre  de  général  commandant  la  garde  nationale  de 
l'Ouest.  Bientôt,  aux  cris  de  Vive  la  liberté!  vive  Napo- 
léon III  il  se  dirigea  sur  Saumur.  Sa  troupe  se  composait 
de  vingt  cavaliers  et  de  cent  vingt  fantassins.  Prévenues  de 
sa  marche,  les  autorités  s'étaient  mises  sur  la  défensive  ;  il 
avait  déjà  traversé  le  pont  Fouchard,  quand  le  maire  se 
présenta  à  lui,  et  obtint  que  son  entrée  serait  différée  au 
lendemain.  Berton  repassa  le  pont,  le  fit  barricader,  et  éta- 
blit des  postes  pour  éviter  d'être  surpris.  Il  garda  sa  posi- 
tion jusqu'à  minuit. 

Informé  alors  que  les  autorités  réunies  avaient  décidé  de 
s'opposer  de  vive  force  à  l'entrée  de  sa  troupe  le  lendemain, 
il  donna  l'ordre  de  la  retraite.  Après  avoir  fait  halte  à  Mon- 
treuil,  il  continua  sa  marche  jusqu'à  Brion.  Son  intention 
était  de  se  replier  sur  Thouars  ;  mais  toutes  les  précautions 
avaient  été  prises  pour  s'opposer  à  son  retour.  Il  jugea  à 
propos  de  renoncer  à  son  entreprise;  les  chefs  et  les  autres 
attroupés  se  séparèrent,  et  lui-même  erra  pendant  quelque 
temps  dans  les  départements  des  Deux-Sèvres  et  de  la  Cha- 
rente-Inférieure. On  avait  fait  courir  le  bruit  qu'il  était  passé 
en  Espagne  ;  mais  il  s'était  réfugié  à  Laleu,  chez  un  de  ses 
amis.  Un  sous-officier  de  carabiniers,  Wolfel,  avait  obtenu 
sa  confiance  par  toutes  les  démonstrations  d'un  dévouement 
sans  bornes  et  d'une  discrétion  à  toute  épreuve  :  c'était  im 
traître  ;  il  avait  tout  révélé  à  son  colonel,  M.  Bréon,  et,  d'a- 
près les  ordres  de  ce  chef,  il  avait  continué  des  relations 
avec  Berton,  qu'il  avait  ordre  de  ne  pas  perdre  de  vue.  Il 
poursuivit  son  rôle  d'observateur  tant  que  l'on  conserva 
l'espérance  d'obtenir  quelques  renseignements  sur  les  projets 
du  général  et  sur  l'association  des  Chevaliers  de  la  Liberté, 
que  l'on  supposait  n'être  autre  chose  que  l'association  des 
carbonari  français  ;  mais  quand  on  eut  acquis  la  certitude 
que  les  Chevaliers  de  la  Liberté  n'avaient  plus  de  centre 
d'action  et  que  l'association  était  dissoute  de  fait,  on  donna 
à  Wolfel  l'ordre  d'arrêter  le  général. 

L'apparition  d'une  force  armée  considérable  eût  pu  avertir 
Bcf'on  du  danger  dont  il  était  menacé ,  et  provoquer  de  sa 
part  une  vive  et  éclatante  résistance.  Wolfel  lui  présenta 
plusieurs  fois  des  militaires  de  son  régiment,  au  nombre  de 
trois ,  dont  il  lui  garantissait  le  dévouement  pour  la  cause 
de  la  liberté.  Un  jour  qu'ils  revenaient  ensemble  de  la  chasse, 
à  peu  de  distance  de  la  maison  de  M.  Delalande,  notaire,  où 
ils  étaient  attendus  pour  dîner,  Wolfel  le  couche  en  joue,  en 
lui  disant  :  «  Vous  êtes  prisonnier.  »  Les  trois  autres  tien- 
nent le  général  en  arrêt,  et  sont  prêts  à  faire  feu.  Berton, 
surpris,  mais  non  effrayé,  répond  à  Wolfel  :  «  Je  ne  m'at- 
tendais pas  à  cela  de  votre  part,  vous  qui  venez  de  ra'em- 
brasser.  »  Wolfel,  sans  l'écouter,  avait  ordonné  aux  trois 
soldats  de  tirer  sur  le  prisonnier  s'il  faisait  le  moindre  mou- 


vement. Il  allait  chercher  un  détachement  qui  était  embus- 
qué à  quelques  pas,  quand  il  s'aperçut  que  Magnan,  qui  ac- 
compagnait le  général ,  se  disposait  à  entrer  dans  la  maison 
pour  amener  du  secours  et  le  délivrer;  il  déchargea  à  Tins 
tant  ses  pistolets  sur  lui ,  et  l'étendit  mort  à  ses  pieds.  Le 
général  était  sans  armes.  Le  détachement  ne  se  lit  pas  at- 
tendre ,  et  le  général  fut  conduit  au  château  de  Saumur.  De 
l'or,  peut-être,  et  toujours  du  mépris,  c'était  ce  que  la  po- 
lice devait  à  Wolfel  pour  prix  de  ses  services  :  il  fut  immé- 
diatement nommé  officier. 

Ceci  se  passait  le  22  juin.  Le  général  Berton  et  ses  cin- 
quante-cinq coaccusés  furent ,  par  arrêt  de  la  cour  royale 
de  Poitiers,  renvoyés  devant  la  cour  d'assises  de  Niort,  dans 
le  ressort  de  laquelle  la  conspiration  avait  éclaté  ;  mais  sur  la 
demande  du  procureur  général ,  et  malgré  la  plaidoirie  de 
M^  O.  Barrot,  la  cour  de  cassation  renvoya  l'affaire,  pour 
cause  de  suspicion  légitime  et  de  sûreté  publique,  devant  la 
cour  d'assises  de  Poitiers.  Le  26  août  les  débats  commen- 
cèrent :  quarante  accusés  étaient  présents ,  et  entourés  de 
gendarmes  armés  de  leurs  carabines.  Berton  déclina  la 
compétence  de  la  cour ,  et  insista  pour  son  renvoi  devant  la 
Cour  des  Pairs ,  seule  compétente  pour  juger  les  complots 
à  main  armée  contre  le  gouvernement  royal.  Il  avait  choisi 
pour  conseil  et  pour  défenseur  M*  Mérilhou,  qui  ac- 
cepta ;  mais  comme  il  appartenait  au  barreau  de  la  cour  de 
Paris ,  cet  avocat  ne  pouvait ,  sans  l'autorisation  du  garde 
des  sceaux ,  plaider  hors  du  ressort  de  cette  cour.  L'autori- 
sation fut  demandée  et  refusée  powr  des  considérations  po- 
litiques. M.  Mérilhou  écrivit  au  président  de  la  chambre 
d'accusation  de  Poitiers ,  et  demanda  à  défendre  le  général 
comme  ami.  Ce  président  promit  de  le  permettre,  si  mon- 
seigneur le  garde  des  sceaux  ne  s'y  opposait  pas.  Nouveau 
refus!  Et  cependant  notre  législation  criminelle  de  toutes  les 
époques  consacre  le  principe  que  la  défense  est  de  droit  na- 
turel. Privé  d'un  défenseur  de  son  choix,  le  général,  pour  se 
renfermer  dans  les  restrictions  du  Code ,  désigna  M*  Mes- 
nard,  avocat  à  Rochefort,  et,  par  conséquent,  dans  le  res- 
sort de  la  cour  de  Poitiers.  Encore  un  refus  !  La  cour  nomma 
d'office  un  avocat  de  Poitiers,  M"  Barbau,  qui  n'accepta 
point.  Par  une  nouvelle  décision,  elle  lui  substitua  M^  Drault. 
Berton  persista  à  demander  M*  Mesnard  ;  il  n'y  avait  rien  de 
raisonnable ,  de  légal  à  objecter  à  sa  requête.  La  protestation 
du  général ,  fondée  sur  le  droit  naturel  et  sur  la  législation, 
(ut  rejetée.  L'accusé  se  vit  donc  contraint  d'accepter  l'avo- 
cat d'office  :  il  l'eût  demandé  lui-même  s'il  l'eût  connu. 
M"  Drault  ne  put  lui  parler  qu'à  travers  deux  grilles  dis- 
tantes l'une  de  l'autre  de  quelques  pieds ,  et  en  présence  du 
geôlier  et  de  deux  gendarmes.  Plus  l'accusation  est  grave, 
plus  il  importe  que  l'accusé  ait  une  libre  communication  avec 
son  conseil.  Cette  communication  fut  refusée  à  M*  Drault. 
Il  y  a  plus,  sa  qualité  d'avocat  lui  donnait  le  droit  d'entrer 
dans  la  prison ,  et  cette  entrée  ne  lui  était  accordée  que  sur 
une  permission  spéciale  du  procureur  général  Mangin,  visée 
par  le  colonel  de  la  gendarmerie.  M*"  Drault,  avocat  désigné 
par  la  cour  elle-même ,  réduit  par  les  plus  arbitraires  prohi- 
bitions à  ne  pouvoir  présenter  qu'une  défense  incomplète, 
dut  s'en  abstenir  et  protester  contre  tant  d'illégalités  fla- 
grantes. C'était  son  droit  et  son  devoir  :  il  fut  rajé  du  ta- 
bleau. 

Les  accusés  étaient  conduits  à  l'audience  sur  des  charrettes 
fermées ,  garrottés  avec  des  chaînes  ou  des  cordes ,  et  les 
soldats  de  leur  nombreuse  escorte  avaient  l'ordre  de  faire 
fermer  toutes  les  fenêtres  dans  les  rues  qu'ils  traversaient 
pour  aller  de  la  prison  au  palais.  Le  général  se  maintint 
dans  un  système  absolu  de  dénégations  quant  à  l'existence  d'un 
complot  ;  il  soutint  que  l'unique  but  de  sa  démonstration  était 
d'obtenir  le  redressement  des  abus  et  l'accomplissement  de 
toutes  les  garanties  stipulées  par  la  charte,  sans  l'emploi  de 
moyens  de  vive  force.  Les  débats  se  prolongèrent  pendant 
dix-sept  jours.  Cinq  accusés  furent  condamnés  à  la  pciuft 


98 


BERTON 


de  mort ,  les  autres  à  un  long  emprisonnement.  Les  enCants 
du  général  n'avaient  pu,  avant  l'arrêt,  voir  leur  père,  et  ce- 
pendant ils  y  étaient  formellement  autorisés  par  le  ministre 
de  la  guerre  et  le  garde  des  sceaux.  Ces  deux  ministres 
avaient  sans  doute  en  secret  donné  des  ordres  contraires 
au  procureur  général  de  Poitiers ,  qui  refusa  impitoyable- 
ment toute  comuninication  du  père  avec  ses  fils.  Ces  jeu- 
nes infortunés,  instruits  du  fatal  arrêt  et  munis  de  nouvel- 
les permissions  ministérielles,  s'étaient  liâtes  de  se  rendre 
de  l'aris  à  Poitiers  pour  recevoir  les  derniers  embrassemenis 
de  leur  père.  Us  arrivèrent  trop  tard.  Le  pourvoi ,  appuyé 
sur  des  motifs  qui  semblaient  devoir  déterminer  infaillible- 
ment la  cassation  de  l'arrêt,  avait  été  rapidement  jugé,  et  le 
rejet  transmis  à  Poitiers  par  estafette  dans  la  nuit  du  4  au  5 
octobre  1822. 

Sur  les  cinq  condamnés  à  mort,  trois  étaient  contu- 
maces; le  géniral  Berlon  et  le  docteur  Caffé,  ancien  cbirur- 
gien-niajor  des  armées ,  étaient  seuls  présents.  Caffé  avait 
dans  tout  le  cours  des  débats  montré  le  plus  noble  carac- 
tère, et  s'était  défendu  avec  un  rare  talent.  Dès  que  le  rejet 
du  pourvoi  lui  eut  été  notifié,  il  s'ouvrit  l'artère  crurale.  Le 
bourreau  ne  trouva  plus  qu'un  cadavre.  Berton  restait  seul. 
Les  tristes  préparatifs  ne  furent  terminés  qu'à  onze  lieures 
du  matin.  Berton ,  dont  les  cbeveux  étaient  coupés ,  et  déjà 
tout  préparé  pour  l'écbafaud,  fut  conduit  dans  la  cuisine  de 
la  prison,  où  l'attendaient  deux  missionnaires,  mandés  pour 
la  double  exécution.  Le  suicide  de  Caffé  avait  rendu  inutile 
le  ministère  de  l'un  des  deux.  Tous  deux  étaient  restés. 
«  Messieurs,  leur  dit  Berton,  dispensez-vous  de  m'accom- 
pagner  !  je  sais  aussi  bien  que  vous  tout  ce  que  vous  pouvez 
me  dire.  »  Une  petite  charrette  l'attendait  dans  la  cour.  Il 
y  monta  d'un  pas  ferme ,  et  les  deux  missionnaires  se  pla- 
cèrent à  ses  côtés.  11  franchit  avec  une  tranquille  gravité  les 
degrés  de  l'écbafaud,  en  répétant  ces  cris  :  Vive  la  liberté  ! 
Vive  la  France!  Deux  minutes  après  il  n'était  pluï.  Ses 
deux  lils  n'avaient  pu  le  revoir  à  ses  derniers  moments  ;  ils 
demandèrent  qu'il  leur  fût  permis  de  couvrir  d'une  pierre 
le  lieu  où  leur  père  avait  été  inhumé...  Cette  dernière  grâce 
leur  fut  refusée  1 

Le  procès  du  général  Berton  eut  un  long  retentissement 
en  France.  L'opinion  publique,  déjà  froissée  par  le  zèle  fa- 
rouche déployé  dans  le  cours  de  cette  affaire  par  le  trop 
fameux  Man^in,  llétritdn  nom  d'assassinat  une  condamna- 
tion que  le  pouvoir  n'eût  peut-être  pas  obtenuedu  jury ,  si 
la  défense  avait  été  libre.  Il  y  a  dans  ce  fait  une  preuve  de 
plus  que  la  position  des  Bourbons  n'était  pas  tenable. 

DUFEY  (de  l'Yonne). 

BEIITON  (HENhi  MONT  AN),  compositeur  de  musique, 
né  à  Paris,  le  17  septembre  1767,  était  lils  de  Pierre  Mon- 
tan  Beiton,  compositeur,  chanteur,  acteur,  organiste,  et  en- 
fin chef  d'orchestre,  puis  directeur  de  l'Opéra,  qui,  comme 
on  le  voit,  jouissait  d'une  des  plus  belles  positions  musicales 
qui  lussent  alors.  Destinant  son  fils  à  sa  profession,  illui  lit 
apprendre  la  musique  dès  l'àge  de  six  ans,  et  bientôt  après 
le  violon ,  en  sorte  qu'à  quinze  ans  le  jeune  Henri ,  qui  en 
1780  avait  perdu  son  père,  fut  admis  à  l'orchestre  de  l'O- 
péra comme  surnuméraire ,  et  devint  titulaire  l'année  sui- 
vante. II  reçut  des  leçons  de  composition  de  Rey ,  profes- 
seur et  compositeur  médiocre,  qui  ne  parut  pas  soupçonner 
les  heureuses  dispositions  de  sou  élève.  Par  bonheur  l'opi- 
nion de  son  maître  ne  le  découragea  pas,  et,  sans  trop  s'in- 
qin'éfer  de  la  rigueur  des  règles  du  contre-point,  il  chercha 
d'aboid  à  se  rendre  compte  de  la  musique  qu'il  exécutait  à 
l'Opéra  et  de  celle  qu'il  allait  entendre  aux  Italiens  les  jours 
où  il  n'élait  pas  occupé. 

Il  est  à  croire  que  les  opéras  de  Paesiello,  qui  alors  s'in- 
Irodnisaienten  France,  fiappèrent  vivement  son  imagination, 
car  ses  premiers  ouvrages  s'écartaient  notablement  du  sys- 
tème de  chant  français  alors  en  usage,  dans  lequel  il  était 
si  rare  de  rencontrer  une  pensée  mélodique  liahilemcnt  dé- 


veloppée. Il  avait  débuté  par  des  cantates  ou  pièces  ana- 
logues, exécutées  au  Concert  spirituel  dont  son  père  avait-, 
eu  la  direction  ;  mais  il  désirait  ardemment  mettre  en  mu- 
sique une  œuvre  dramatique,  et  il  s'essaya  en  1786  dam 
un  acte  intitulé  le  Premier  Navigateur,  qui  n'a  jamais  été 
représenté  ;  il  en  écrivit  l'année  suivante  un  autre  sur  des 
paroles  de  Morlière;  cet  ouvrage,  qui  portait  pour  titre  la 
Dame  invisible,  était  achevé  lorsque  le  jeune  auteur  se  sentit 
tout  à  coup  frappé  de  vives  craintes  pour  le  résultat ,  en 
sorte  qu'il  n'osait  faire  aucune  démarche  pour  en  obtenir  la 
représentation,  m"*  Maillard,  première  cantatrice  de  rOj)éra, 
s'intéressait  vivement  à  lui  ;  elle  s'empara  de  la  partition, 
et,  sans  le  lui  dire,  la  porta  au  célèbre  Sacchini,  qui,  trou 
vant  dans  cet  essai  les  germes  d'un  beau  talent,  et  voyant 
surtout  avec  plaisir  un  jeune  compositeur  français  se  rap 
procher  autant  qu'il  le  pouvait  du  beau  style  et  de  la  belle 
manière  de  l'école  italienne,  voulut  voir  l'auteur,  et  lui  dit 
de  venir  chaque  jour  travailler  chez  lui.  Berton  avait  trou- 
vé précisément  le  maître  qui  lui  convenait  le  mieux  ,  car 
Sacchini  se  contentait  de  corriger  ses  compositions,  en  lui 
indiquant  sommairement  ce  qui  était  défectueux  et  l'habi- 
tuant surtout  à  ne  jamais  négliger  la  pureté  et  la  beauté  de 
la  mélodie. 

Ces  leçons  ne  durèrent  pas  longtemps,  car  Sacchini  mou- 
iTil  dans  l'année  même  ;  son  élève  en  avait  heureusement 
profité.  Ne  songeant  plus  à  sa  Dame  invisible,  il  écrivit 
en  1787  les  Promesses  de  Mariage,  composition  légère  et 
gracieuse  donnée  à  la  Comédie  Italienne,  et  suivie  rapidement 
de  deux  autres  actes,  les  Brouilleries  (1789)  et  les  Deux 
Sentinelles  (lldO),  dontle  succès  fut  grandement  dépassé  par 
les  Rigueurs  du  Cloître,  en  deux  actes,  paroles  de  F  levée, 
données  presque  aussitôt  après.  On  aurait  tort  de  croire  que 
le  succès  prodigieux  de  ce  dernier  ouvrage  vint  surtout  des 
paroles;  la  musique  y  entra  pour  une  bonne  part.  En  1790 
Berton  avait  fait  répéter  à  l'Opéra  Cora,  en  trois  actes,  que  la 
situation  politique  empêcha  de  représenter.  Huitautres  pièces, 
parmi  lesquelles  on  remarque  Ponce  de  Léon,  dont  il  avait 
écrit  les  paroles  et  la  musique ,  se  succédèrent  jusqu'en 
1798.  L'année  suivante  parut  Montano  et  Stéphanie,  chef- 
d'œuvre  de  l'auteur  et  l'un  des  ouvrages  les  plus  remar- 
quables qui  se  soient  montrés  sur  la  scène  française  depuis 
le  mouvement  musical  opéré  dans  le  dernier  quart  du  dix- 
huitième  siècle.  Grâce,  énergie,  élégance  de  mélodie,  origi- 
nalité dans  la  cantilène,  habileté  et  sagesse  dans  l'orches- 
tration, tout  s'y  rencontre  à  un  degré  éminent,  et  aucun 
morceau  faible  ne  suspend  l'admiration  de  l'auditeur.  Cet 
ouvrage  produisit  sur  le  public  une  impression  qui  ne  s'&st 
ralentie  à  aucune  des  nombreuses  reprises  qu'on  a  faites  de 
ce  beau  drame»  ^1"'  marqua  la  place  de  Berton  parmi  les  pre- 
miers compositeurs  français. 

Nous  ne  pouvons  citer  ici  tous  ceux  des  ouvrages  de  Ber- 
ton qui  ont  obtenu  plus  ou  moins  de  succès;  mais  nous  de- 
vons au  moins  mentionner  d'une  manière  spéciale  le  Dé- 
lire  (1799),  Aline,reine  de  Golconde  (1803),  ouvrages  qui, 
dans  des  genres  fort  différents ,  ne  sont  pas  inférieurs  à 
montano;  la  Romance  (  1804),  où  se  trouve  un  duo  co- 
mique, chef-d'œuvre  d'esprit  et  de  goût  mélodique  ;  les  Ma- 
ris garçons  (\^0G)  ,  Françoisede Foix {i8Q9),  les  Mousque-. 
taires  (1824);  tous  ces  ouvrages  ont  été  représentés  au 
théâtre  Feydeau.  Berton  a  aussi  donné  à  l'Académie  de  Mu- 
sique seul  ou  en  société  plusieurs  opéras  et  ballets;  par- 
mi ceux  qui  n'appartiennent  qu'à  lui  on  remarque  Virgi 
nf'e  (1823);  ses  œuvres  de  théâtre,  en  y  comprenant  les, 
grandes  cantates,  s'élèvent  à  plus  de  cinquante-cinq.  Il  esf 
en  outre  auteur  de  quantité  de  romances  et  de  plusieu 
charmants  canons  de  société,  dont  quelques-uns  sont  deve 
nus  populaires. 

Lors  de  la  première  organisation  du  Conservatoire  de  M» 
sique  à  Paris,  en  1795,  Berton  y  fut  nommé  professeur  d'ha 
monie.  De  1807  à  1809  il  eut  la  direction  de  l'Opéra-Bui'" 


puis  itoviul  chef  du  chant  à  TOpéia  sous  Tadministralion 
de  iMcard  jusqu'en  1815.  Cette  même  année,  le  nombre  des 
membres  de  la  section  de  musique  à  l'Institut  ayant  été 
augmenté,  il  y  fut  nommé;  et  lors  de  la  réorganisation  du 
Conservatoire  sous  le  nom  d''École  royale  de  Musique  et 
de  Déclamation,  il  y  fut  appelé  comme  professeur  de  com- 
position et  membre  du  jury  d'examen,  emplois  qu'il  a  con- 
servés jusqu'à  sa  mort.  11  a  formé  pendant  sa  longue  car- 
rière un  grand  nombre  d'élèves. 

Berton  n'était  pas  seulement  musicien,  il  possédait  des 
connaissances  littéraires  assez  étendues  ;  il  s'est  abusé  sur  l'u- 
tilité de  ses  ouvrages  théoriques  :  son  Arbre  généalogique 
des  Accords,  son  Dictionnaire  des  Accords  et  son  Traité 
d'Harmonie  n'ont  obtenu  aucun  succès.  Il  a  publié  des  ar- 
ticles dans  quelques  journaux,  fourni  à  V Encyclopédie  mo- 
derne de  Courtin  ceux  qui  concernent  la  musique,  et  revu 
les  délînitions  musicales  de  la  dernière  édition  du  Diction- 
naire de  l'Académie  Française.  Il  a  eu  le  malheur  d'é- 
crire contre  la  musique  de  Rossini  une  brochure  assez  promp- 
tement  oubliée  pour  que  sa  réputation  n'ait  pas  eu  à  en 
souffrir. 

Au  reste,  cette  attaque,  qui  étonnerait  chez  un  musicien 
formé  à  l'école  italienne  si  l'on  ne  savait  combien  il  est  fa- 
cile de  ne  pas  saisir  le  côté  vrai  des  questions  musicales,  ne 
prouve  rien  contre  le  caractère  et  le  mérite  de  Berton,  qui 
tout  au  contraire  a  peut-être  été  le  moins  envieux  des  mu- 
siciens; aucun  n'a  eu  un  plus  grand  nombre  d'amis,  que  sé- 
duisaient surtout  la  parfaite  égalité  et  la  gaieté  habituelle  de 
son  caractère,  son  extrême  bienveillance  pour  tout  le  mondé, 
le  plaisir  qu'il  avait  à  obliger  et  surtout  à  protéger  les  jeunes 
artistes.  Et  pourtant  cet  homme  d'une  humeur  si  égale  et 
d'un  si  excellent  cœur  avait  dès  l'iige  de  vingt  ans  souffert 
les  cruelles  atteintes  de  la  goutte,  et  les  progrès  de  cette  ter- 
rible maladie  avaient  suivi  les  années,  en  sorte  qu'il  restait 
souvent  plusieurs  mois  entièrement  pcrclu,  mais  conser- 
vant toujours  une  entière  liberté  d'esprit ,  et  se  plaisant 
même  dans  cet  état  à  créer  certaines  compositions  burles- 
ques qu'il  affectionnait  infiniment.  Ayant  toujours  vécu  en 
artiste,  qui  ne  songe  guère  au  lendemain ,  il  avait  de  bonne 
heure  vendu  ses  droit;  d'auteur,  et  ne  subsistait  que  de  ses 
émoluments  du  Conservatoire  et  de  l'Institut.  Il  eut  de  plus  le 
malheur  de  perdre  ses  deux  fds,  dont  l'un  était  professeur  de 
chant  et  compositeur  et  l'autre  peintre,  tous  deux  distin- 
gués; sa  fille,  dont  l'esprit  plein  d'élévation  retraçait  le  ca- 
ractère de  son  père,  leur  survécut  bien  peu  ;  mais  il  eut  la 
consolation  de  conserver  la  compagne  de  sa  vie,  entre  les 
bras  de  laquelle  il  expira  le  22  avril  1S44,  regretté  de  tous 
ceux  qui  avaient  eu  le  bonheur  de  le  connaître.  II  était  le 
doyen  des  compositeurs  français,  et  en  lui  s'éteignit  le  der- 
nier rejeton  de  cette  école  qui  suivit  celle  de  Monsigny  et 
de  Grétry,  et  dont  l'influence  a  conservé  à  la  musique  de 
nos  théâtres  les  principaux  traits  du  genre  français. 

Adrien  de  Lafage. 

liERTRADE  ou  BERTHE  de  Montfort,  fille  de  Si- 
noon,  comte  de  Montfort,  et  seconde  épouse  de  Philippe  I'"', 
1  oi  de  France,  avait  été,  jeune  fille  encore,  mariée  au  comte 
li'.Vnjou,  Foulques  le  Rechin,  en  1089.  Ce  mari,  vieux,  dif- 
forme ,  usé  par  les  débauches  ,  avait  déjà  répudié  deux 
femmes.  Il  convenait  peu  à  la  belle  comtesse  de  Montfort  ; 
aussi,  le  roi  Philippe  I*"'",  qui  vivait  séparé  de  Certiie,  sa 
femme,  étant  venu  à  Tours,  reçut  de  Dertrade  une  lellre 
de  félicitation  ,  qui  n'était  qu'un  message  d'amour.  Le  roi 
le  comprit  ainsi.  Il  prit  un  rendez-vous  avec  la  belle  com- 
tesse, et  l'enleva  pendant  qu'on  bénissait  les  fonts  baptis- 
maux, le  jour  delà  Pentecôte  de  l'an  1092.  Une  fois  réunis, 
les  deux  amants  s'occupèrent  du  soin  de  légitimer  leur 
amour  par  le  mariage,  liertrade  lit  aisément  annuler  celui 
que  la  violence  lui  avait  imposé  précédemment;  et  Philippe, 
=ious  prétexte  de  parenté,  lit  casser  le  sien  avec  Derthe,  qui 
lu  reste  mourut  piu  de  temps  après.  La  bénédiction  nup- 

DICT.    \)K    I.A    COXVEKS.    —   T.    III. 


BERTON  —  BERTRAND  DE  BORN  97 

tiale  leur  fut  donnée  par  l'évêque  de  Senlis  à  Paris,  kais  l'é- 
vêque  de  Charti'es,  Yves,  se  mit  à  protester.  Un  concile  s'as- 
sembla à  Autun  le  6  novembre  1094,  et  Philippe  y  fut  ex- 
communié pour  avoir  épousé  Bertrade.  Le  pape  Urbain  II 
déiendit  de  célébrer  le  saint  sacrifice  partout  où  le  roi  se 
trouverait.  Philiiipe  alla  trouver  le  pape  à  Nîmes,  et  reçut 
l'absolution  après  s'être  engagé  en  plein  concile  à  se  sépa- 
rer de  Bertrade.  Mais  la  vie  lui  devint  insupportable,  et  il 
reprit  sa  femme  en  1097.  La  cour  de  Rome  lança  de  nou- 
veaux anathèmes.  La  mort  vint  soustraire  l^hilippe  à  ses 
tourments,  en  1108. 

Quelques  historiens  assurent  que  le  pape  aurait  cédé  de 
guerre  lasse,  et  parla  crainte  d'exciter  un  schisme  en  France, 
et  que  Philippe  et  Bertrade  auraient  été  définitivement  ab- 
sous. Bertrade  avait  payé  bien  cher  le  beau  titre  de  reine 
de  France.  Elle  avait  été  l'objet  des  plus  ridicules  calom- 
nies; mais  il  paraît  démontré  que  sa  conduite  fut  sans  re- 
proche ,  qu'elle  aimait  uniquement  le  roi  son  époux.  Louis 
le  Gros,  fils  aîné  de  Philippe  et  son  successeur,  avait  pour 
sa  belle-mère  toute  l'estime,  toute  la  tendresse  d'un  fils.  On 
peut  opposer  aux  satires,  au  dévergondage  d'incriminations 
d'Yves  et  de  ses  hargneux  partisans  le  témoignage  hono- 
rable du  sage  Suger,  ami  et  premier  ministre  du  roi  Phi- 
lippe. Bertrade  était,  à  la  mort  de  ce  prince,  dans  tout  l'é- 
clat de  sa  beauté.  Elle  resta  fidèle  à  la  mémoire  de  son 
époux,  et  prit  le  voile  parmi  les  religieuses  de  l'ordre  de  Fon- 
tevrault,  qu'elle  avait  richement  doté.  Elle  passa  le  reste 
de  ses  jours  dans  le  monastère  de  Hautes-Bruyères,  où  elle 
mourut,  le  19  janvier  1117  ou  1118. 

Bertrade  avait  eu  de  son  premier  mariage,  avec  Foulques 
le  Rechigné,  un  fils ,  qui  fut  depuis  comte  d'Anjou  et  roi  de 
Jérusalem,  et  de  son  second  mariage,  avec  le  roi  Philippe  I", 
deux  fils  et  une  fille  :  1°  Philippe,  comte  de  Mantes  et  sei- 
gneur de  Melun-sur-Yèvreset  de  Montlhéry  ;  2"  Florus,  Flore 
ou  Fleuri,  qui  depuis  épousa  l'héritière  de  Nangis  ;  3"  Cécile, 
mariée  en  premières  noces  à  Tancrède,  prince  deïabarie,  et 
ensuite  à  Ponce,  comte  de  Tripoli.       Dufey  (de  l'Yonne.) 

BERTRAJ\D  DE  BORJV  fut  à  la  lois  un  des  plus 
célèbres  troubadours  et  le  plus  grand  batailleur  peut-être  du 
douzième  siècle.  Vicomte  de  Hautefort,  et  châtelain  redouté 
dans  l'évôchédePérigueux,  réunissant  près  de  mille  hommes 
sous  sa  bannière  féodale,  «  il  était,  dit  son  biographe  proven- 
çal, bon  cavalier,  bon  séducteur  de  (emmes {domnejaire) 
et  bon  troubadour.  «  Brave,  infatigable,  adroit  et  bien  par- 
lant, il  embrassait  également  les  bons  et  les  mauvais  pro- 
jets, et  tout  son  temps,  môme  en  campagne,  il  l'employait 
à  exciter  de  nouvelles  guerres,  tantôt  contre  le  comte  de 
Périgord,  tantôt  contre  le  vicomte  de  Limoges,  tantôt  contre 
son  propre  frère  Constantin.  «  La  paix  ne  me  convient  pas , 
dit-il  lui-même,  la  guerre  seule  me  plaît.  Que  d'autres 
cherchent,  s'ils  veulent,  à  embellir  leurs  châteaux  et  à  se 
faire  une  vie  douce.  Pour  moi,  faire  provision  de  lances,  de 
cas(|ues,  d'épées,  de  chevaux,  c'est  ce  que  j'aime.  » 

Fidèle  à  cotte  ligne  de  conduite,  Bertrand  ne  manqua  pas 
de  se  mêter  de  toutes  les  querelles  de  Henri  H,  roi  d'Angle- 
terre, et  de  ses  fils,  Richard  comte  de  Poitou  et  Henri  duc 
de  Guienne,  que  ce  prince  avait  imprudemment  associés 
à  sa  couronne.  Intùneraent  lié  avec  ce  dernier,  qui  était 
l'aîné,  Bertrand  le  poussa  à  se  révolter  contre  son  père  et  à  se 
déclarer  souverain  des  possessions  continentales  dont  le  gou- 
vernement lui  avaitété  confié.  Sous  son  inspiration,  en  1 173, 
les  principaux  seigneurs  d'Aquitaine  se  confédérèrent  avec 
Henri  le  jeune  roi,  et  Louis  VII  de  France  reconnut  ce 
dernier.  Mais,  au  grand  chagrin  de  Bertrand,  et  tandis  qu'il 
poussait  la  guerre  avec  vigueur ,  Henri  se  soumit  à  son 
père.  INéanmoins,  la  ligue  foiinée  et  excitée  par  ses  chants 
subsista,  grâce  à  lui,  et  il  continua  la  lutte.  «  Puisque  le 
seigneur  Henri ,  .s'écria-t-il ,  n'a  plus  de  terre  et  qu'il  n'en 
veut  plus  avoir,  fiu'il  soit  proclamé  le  roi  des  lâches.  Puis- 
qu'il a  trahi  les  roitcvins  cl  (lu'il  leur  a   menti,  qu'il  ne 

13 


BERTRAND  DE  BORN  —  BERTRAND  DE  MOLLE  VILLE 


98 

compte  plus  être  aimé  d'eux.  »  Et  les  Aquitains  répétaient 
avec  enthousiasme  ce  cri  ;  mais  les  chances  de  la  guerre 
leur  furent  contraires.  Ricliard  Cœur  de  Lion  vint  en  force 
mettre  le  siège  devant  le  château  de  Bertrand.  Le  trouba- 
dour, bien  que  trahi  par  ses  alliés  ,  négocia  si  adroitement 
que  Kichard,  troubadour  lui-même,  lui  fit  merci  et  luiren- 
dit  son  château.  Bertrand  se  vengea  alors  d'Alphonse  d'A- 
ragon, dont  la  tralxison  avait  hâté  la  prise  d'Hautefort,  par 
un  sir  vente. 

En  1 182 ,  toujours  sous  l'inspiration  de  Bertrand ,  Henri, 
prince  faible  et  indécis,  se  révolta  de  nouveau,  sans  trop 
savoir  pourquoi,  contre  son  père;  mais  sa  mort,  aiTivoe 
iîicnlôt  après ,  laissa  derechef  le  troubadour  exposé  seul  à 
la  colère  du  roi  d'Angleterre ,  qui  vint  l'assiéger  dans  Hau- 
tefort,  et,  malgré  sa  vigoureuse  résistance,  le  fit  prison- 
nier (1184).  Anicné  devant  le  redoutable  vainqueur ,  d'un 
mot  il  sut  désarmer  sa  colère.  «  C'est  donc  vous  qui  vous 
vantiez  d'avoir  tant  d'esprit?  lui  dit  le  roi.  —  Je  pouvais 
dire  cela  dans  un  temps ,  repartit  Bertrand  ;  mais  en  per- 
dant votre  fils  j'ai  perdu  tout  ce  que  j'avais  d'esprit  et 
d'habileté.  »  Au  nom  de  son  fils ,  le  roi  d'Angleterre  se  prit 
à  pleurer  et  s'écria  :  «  Bertrand,  malheureux  Beilrand! 
c'est  bien  raison  que  vous  ayez  perdu  l'esprit  depuis  que 
mon  fils  est  mort,  car  il  vous  aimait  uniquement;  et  pour 
l'amour  de  lui,  je  vous  rends  votre  liberté,  vos  biens,  votre 
château.  »  Et  il  lui  rendit  tout  en  effet,  poussant  la  généro- 
sité jusqu'à  lui  faire  compter  cinq  cents  marcs  pour  payer 
les  frais  delà  guerre.  Mais  Dante,  moins  facile  à  apaiser, 
n'en  a  pas  moins  placé  l'auteur  de  ces  guerres  parricides 
dans  un  des  cercles  de  son  Enfer,  où  il  nous  peint  Ber- 
trand portant  sa  tète  séparée  de  son  corps  en  guise  de 
lanterne. 

Bertrand ,  au  fond  peu  touché  de  la  clémence  de  Henri, 
ne  cessa  point  ù'excUer  des  guerres,  et  peu  après  il  eut  la 
joie  de  voir  Richard  Cœur  de  Lion,  qui  avait  succédé  à  son 
frère  Henri  dans  le  gouvernement  de  l'Aquitaine,  et  qu'il 
avait  surnommé  Oul-et-non ,  prêter  l'oreille  à  ses  conseils 
et  sur  le  point  de  se  révolter  contre  son  père.  Avant  que 
les  armes  eussent  décidé  du  sort  de  cette  révolte ,  le  vieux 
roi  d'Angleterre  était  mort  (1188),  et  Pdchard  lui  ayant 
succédé  de  droit,  les  plans  de  Bertrand  durent  changer.  Une 
nouvelle  croisade  était  alors  réclamée  à  grands  cris;  le  nou- 
veau roi  d'Angleterre  était  jeune  et  aventureux  ;  le  roi  de 
France,  Philippe-Auguste,  bien  plus  politique,  avait  néan- 
moins l'ambition  de  rivaliser  en  tout  avec  Richard  :  Ber- 
trand ne  crut  pouvoir  mieux  faire  que  d'envoyer,  d'un  coup, 
les  deux  puissants  ennemis  de  son  pays  en  Palestine.  Du 
haut  des  murailles  de  son  château,  il  fit,  par  ses  sirvcntes, 
pour  la  liberté  de  l'Aquitaine  ce  que  les  papes  firent  tant 
de  fois  du  haut  du  saint-siége  pour  agrandir  leur  pouvoir  :  il 
prêcha  la  croisade.  Sans  jamais  s'éloigner  de  Hautelbri, 
Bertrand  ne  cessait  de  gémir  sur  les  envahissements  des 
.Sarrasins ,  et  déiilorant  la  lenteur  des  seigneurs  et  des  rois 
à  les  réprimer,  il  plaisantait  lui-même  sur  son  inaction  vo- 
lontaire, tout  en  gourmandant  celle  des  autres. 

Les  sirventes  de  Bertrand  eurent  la  plus  grande  infiuence 
sur  l'opinion  publique;  le  roi  d'Angleterre  et  le  roi  de  l^rance 
s'observaient  l'un  l'autre,  et  aucun  d'eux  ne  voulait  partir 
le  premier  ;  enfin ,  entraînés  par  le  cri  de  la  chrétienté  ,  ils 
partirent  ensemble,  en  1191.  Ou  sait  l'issue  désasheuse  de 
cette  expédition,  et  la  captivité  de  Richard.  Lorsqu'il  re- 
vint, il  trouva  ses  domaines  continentaux  envahis ,  soit  par 
Philipjie,  soit  par  ses  vassaux  d'Aquitaine.  Il  pan'int  à 
soumettre  ses  vassatix  ,  et  guerroya  avec  eux  contre  la 
France.  Mais  la  fougue  chevaleresque  de  Richard  et  des 
Aquitains  se  trouva  bientôt  paralysée  par  le  génie  poli- 
tique du  roi  de  France,  qui  finit  par  arracher  la  paix  à  Ri- 
chard. Ce  n'était  pas  le  compte  de  l'Aquitaine,  et  Bertrand 
provo(|ua  de  nouveau  la  guerre  entre  ses  deux  jiuissants 
voisins  par  un  sirvente:  A  ce  nouveau  mani/csle  en  vers. 


il  joignit  d'activés  négociations;  la  paix  fut  rompue,  et  il 
chanta  cet  événement,  mais  ce  fut  son  dernier  chant.  Ici 
l'histoire  le  perd  de  vue,  et  les  biographes  ne  parlent  plus 
de  lui  que  pour  nous  dire  qu'il  mourut  sous  le  froc ,  à 
Cîteaux. 

— Son  fils  fut  aussi  troubadour,  et  on  lui  attribue  deux  des 
cinquante-quatre  pièces  de  vers  qui  composent  le  recueil 
de  son  père.  Ayant  fait  hommage  à  Philippe-Auguste  pour 
sa  terre  de  Hautefort,  il  suivit  ce  prince  à  la  bataille  de  Bou- 
vines ,  et  s'y  fit  tuer. 

—  H  y  a  eu,  au  treizième  siècle,  deux  autres  troubadours 
du  nom  de  Bertrand,  Bertrand  (TAlamanon  et  Bertrand 
de  Gordon.  Ce  dernier  n'est  connu  que  par  un  dialogue 
poétique  (  ^ensoJi  )  dont  l'idée  est  la  même  que  celle  dont 
Molière  a  tiré  un  si  grand  parti  dans  sa  scène  entre  Vadius 
et  Trissotin  des  Femmes  Savantes.  11  reste  de  l'autre, 
Bertrand  d'Alamanon ,  quelques  pièces  de  vers  adressées 
à  une  tante  de  la  célèbre  Laure ,  tant  chantée  par  Pétrarque. 

Jean  Aicard. 
BERTRAND  DE  MOLLEVILLE  (ANTOiNE-Fr.AN- 
çois,  marquis  de  ),  mmistre  de  Louis  XYI,  fut  l'un  de  ses  plus 
maladroits  serviteurs,  comme  l'un  des  adversaires  les  plus  in- 
capables de  la  révolution  française.  Né  à  Toulouse,  en  1744, 
il  fit  son  apprentissage  à  l'école  du  ministre  Maupeou,  fut 
nommé  mailre  des  requêtes ,  puis  intendant  de  la  province 
de  Bretagne ,  et  reçut  avec  le  titre  de  commissaire  du  roi  la 
dangereuse  mission  de  dissoudre  le  parlement  de  Rennes. 
Il  n'échappa  qu'avec  peine,  ainsi  que  le  comte  de  Thiars, 
aux  bâtons  de  la  jeunesse  bretonne,  qui  s'arma  pour  défen- 
dre ses  magistrats  et  ses  franchises  provinciales.  A  peine  eut- 
il  été  nommé  ministre  de  la  marine  (4  octobre  1791)  qu'une 
opposition  très-vive  éclata  contre  lui  dans  le  sein  de  l'As- 
semblée législative ,  et  cette  opposition  du  côté  gauche  fut 
souvent  soutenue  par  celle  du  côté  droit,  qui,  voulant 
transiger  avec  la  révolution  et  faire  succéder  au  roi  par  la 
grâce  de  Dieu  un  roi  constitutionnel ,  se  défiait  du  zèle  im- 
prudent de  Bertrand  de  JloUeville  et  des  traditions  du  minis-' 
tère  l\îaupeou.  ^ 

Le  texte  ordinaire  de  l'opposition  violente,  des  accusations 
multipliées  du  côté  gauche,  ce  fut  l'expédition  de  Saint- 
Domingue.  On  reprochait  au  ministre,  tantôt  de  n'avoir 
choisi  pour  cette  expédition  que  des  aristocrates ,  tantôt  de 
s'opposer  secrètement  à  l'émancipation  des  noirs.  H  paraît 
en  effet  prouvé  que  Bertrand  de  MoUeville,  qui,  dans  un 
discours  mieux  accueilli  que  les  autres  par  l'Assemblée  lé- 
gislative, avait  attribué  les  maux  de  Saint-Domingue  aux 
amis  imprudents  des  noirs ,  ne  sut  point  appliquer  à  ces 
^laux  les  remèdes  qu'il  avait  indiqués  et  mériter  par  ses 
actions  l'approbation  qu'on  avait  accordée  à  ses  paroles;  et 
que  ses  intrigues  administratives,  ses  ordres  contradictoires, 
mécontentèrent  également  et  les  amis  des  noirs  et  leurs  en- 
nemis. La  perte  de  Saint-Domingue  lui  fut  attribuée,  sans 
doute  avec  quelque  raison.  L'Assemblée  législative  usa  d'é- 
quité peut-être  autant  que  d'indulgence  en  refusant  de  don- 
ner suite  à  l'accusation  proposée  à  ce  sujet  contre  le  mi- 
nistre de  la  marine.  Celui-ci  n'avait  remporté  que  des  suc- 
cès fort  négatifs,  puisque  son  triomphe  se  bornait  à  n'avorj 
été  ni  condamné  ni  même  jugé  ;  il  fut  même  contraint,' 
pour  satisfaiie  l'Assemblée  sur  quelqi-.es  points,  de  lui  au- 
noncer  la  destitution  du  marquis  de  Vaudreuil,  l'un  de  ses 
principaux  agents  et  l'un  des  plus  fougueux  ennemis  de  la 
révolution. 

Le  lendemain  même  du  jour  où  l'Assemblée  l'avait  absou 
Htirault  deSéd.elles  fut  chargé  par  elle  de  faire  sur  la  co 
duite  de  Bertrand  de  MoUeville  un  rapport  qu'on  mit  soi 
les  yeux  du  roi.  Celui-ci  se  déclara  naturellement  |>our  soi 
ministre;  et  lorsque,  cédant  aux  instances  de  ses  collègir' 
Bertrand  de  MoUeville  eut  quitté  le  ministère  delà  marii 
Louis  WI  lui  donna  celui  de  sa  police  scciète ,  c'cst-à-.l 
la  direction  du  comité  autrichien,  connue  on  disait  nkn 


BERTRAND  DE  MOLLEViLLE  —  BERTRAND 


90 


Ddnoncé  aux  Jacobins  en  cette  nouvelle  qualité,  il  n'en  con- 
tinua pas  moins  ses  fonctions  occultes  et  ses  ridicules  efforts 
etintre  la  révolution.  Il  avait  observé  que  les  tribunes  pu- 
bliques, occupées  par  les  jacobins  ou  par  leurs  émissaires , 
communiquaient  à  l'Assemblée  législative  l'énergie  révolu- 
tionnaire qui  devait  plus  tard  être  le  caractère  de  la  Con- 
vention, et  le  ministre  de  la  police  sscrèle  crut  que  la  mo- 
narchie de  saint  Louis  serait  sauvée  s'il  faisait  taire  les  tri- 
bunes ,  ou  s'il  les  faisait  applaudir  et  crier  pour  la  cour. 

Enfin  Bertrand  de  ]Molleville,  décrété  d'accusation  le 
15  avril  1792,  après  avoir  essayé  vainement  une  nouvelle 
évasion  de  Louis  XVI,  fut  forcé  de  se  réfugier  en  Angleterre, 
où  son  séjour  se  prolongea  jusqu'en  1814.  Là,  consacrant  à 
des  travaux  littéraires  les  loisirs  de  l'émigration,  il  publia 
une  Histoire  de  la  Révolution  française,  en  10  vol.  in-8° 
(Londres,  1801;  Paris,  1803).  Une  seconde  édition  parut 
plus  tard  sous  le  titre  à'' Annales  de  la  Révolution  française, 

9  vol.  in-8°.  Le  ministre  proscrit  écrivit  également  une 
Histoire  d'Angleterre ,  depuis  les  Romains  jusqu'à  la  paix 
de  1763  (Paris,  1815,  6  vol.  in-s");  et  après  son  retour  en 
France,  il  lit  paraître  (1816)  des  illémolres  particuliers 
sur  la  fin  du  règne  de  Louis  XVI.  Le  vieil  avocat  de  la 
contre-révolution  était  assez  heureux  cette  fois  pour  plaider 
en  (ixreur  des  coupables  devant  des  juges  qui  lui  donnaient 
volontiers  gain  de  cause  ;  mais  nous  ne  conseillerions  à  per- 
sonne d'étudier  l'histoire  de  notre  révolution  dans  ces  dif- 
férents ouvrages.  Bertrand  de  MoUeville  est  mort  à  Paris, 
en  1818.  T.  ToDssENEL. 

BERTRAND  (Henri-Gratien,  comte),  général  de  di- 
vision ,  connu  surtout  par  son  dévouement  à  l'empereur , 
naquit  à  Cliâteauroux,  le  23  mars  1773,  d'une  famille  hono- 
rable du  Berry.D'a|irès  le  désir  de  son  père,  maître  des  eaux 
et  forêts,  il  se  destina  d'abord  au  génie  civil;  mais  les 
guerres  que  la  France  avait  à  soutenir  le  déterminèrent  à 
prendre  du  service  et  à  entrer  dan^  le  génie  militaire.  Le 

10  août  1792  ii  avait  déjà  fait  partie,  comme  garde  national, 
d'un  des  bataillons  qui  s'étaient  portés  volontairement  aux 
Tuileries  pour  y  défendre  Louis  XVL  En  1795  et  1796  il 
servit  en  qualité  de  sous-lieutenant  dans  l'armée  des  Pyré- 
nées. En  1797,  après  avoir  concouru  ;\  la  formation  de  l'école 
Polytechnique  et  y  avoir  parfois  suppléé  Monge,  il  lit  partie 
d'une  ambassade  envoyée  à  Constantinople.  Compris  dans 
l'expédition  d'Egypte,  il  s'y  distingua  sous  les  yeux  du  grand 
homme ,  à  la  gloire  et  au  malheur  duquel  il  voua  plus  tard 
le  reste  de  sa  vie.  Demeuré  avoc  Klébcr  après  le  départ  de 
Bonaparte,  et  s'étant  signalé  chaque  jour,  en  fortifiant  des 
places  et  en  rendant  des  services  nouveaux,  il  reçut  les 
brevets  de  lieutenant-colonel ,  de  colonel  et  de  général  de 
brigade,  qui  lui  furent  accordés  successivement,  mais  que  le 
môme  vaisseau  venu  de  France  lui  apporta  à  la  fois  en 
Jtgypte. 

Ce  fut  principalement  au  camp  de  Boulogne,  en  1804  , 
que  Napoléon ,  plus  à  même  d'apprécier  l'étendue  des  con- 
naissances et  toutes  les  qualités  estimables  du  général  Ber- 
trand, lui  accorda  son  amitié.  A  la  bataille  d'Austerlilz,  le 
2  décembre  1805,  Bertrand  donna  de  nouvelles  preuves  de 
ses  talents  militaires  et  de  son  courage.  Après  l'affaire ,  on 
le  vit,  à  la  tête  d'un  faible  corps  qu'il  commandait,  ramener 
un  grand  nombre  de  prisonniers  et  dix-neuf  pièces  de  ç.[\my.\ 
enlevées  à  l'enuemi.  Ce  fut  à  l'issue  de  cette  campague  que 
Napoléon  l'admit  au  nombre  de  ses  aides  de  camp.  11  le 
chargea  d'attaquer  la  forteresse  de  Spandau,  que  Bertrand 
contraignit  à  capituler  le  25  octobre  1806.  Le  vainqueur  de 
cette  place  se  montra  de  la  manière  la  plus  éclatante  à  Fried- 
land,  le  14  juin  1807,  et  reçut  pour  récompense  les  éloges  de 
l'empereur,  qui  ne  les  prodiguait  pas.  A  la  fin  de  mai  1809, 
Bertrand,  lors  de  la  bataille  d'Essling,  rendit  par  la  ra- 
pide construction  de  ponts  hardis  jetés  sur  le  Danube,  pour 
assurer  les  communications  de  l'aimée  française,  le  service 
le  plus  essentiel  de  la  campagne  et  le  plus  iiautement  pro- 


clamé par  la  reconnaissance  de  Napoléon ,  qui  plus  tard  a 
consigné  ce  fait  dans  ses  Mémoires.  Ce  fut  par  l'active  ha- 
bileté du  général  Bertrand  que  l'armée  française ,  enfermée 
dans  l'île  Lobau  ,  parvint  à  traverser  ce  fleuve  pour  se  porter 
sur  le  champ  de  bataille  de  Wagram. 

En  1812  il  accompagna  l'empereur  en  Russie,  et  en  1813  en 
Saxe;  et  la  valeur  qu'il  y  déploya  le  porta  à  un  si  haut  degré 
dans  l'estime  de  Napoléon ,  qu'à  la  mort  du  duc  de  Frioul, 
Du  roc,  tué  à  Wurtschen,  Bertrand  fut  nommé  grand  ma- 
réchal du  palais.  L'armée  applaudit  à  cette  distinction,  comme 
à  la  récompense  de  rares  talents  et  de  grands  services.  Les 
2  et  20  mai  1813,  le  général  Bertrand  commandait  à  Lut- 
zen  et  à  Bautzen  le  4®  corps  de  la  grande  armée,  et  il 
soutint  par  sa  bravoure  sa  première  réputation.  Il  com- 
battit en  diverses  circonstances  et  presque  partout  avec 
avantage  Bernadotte  et  Bliicher  ;  et  si  le  6  septembre  sui- 
vant ce  héros  de  fidélité  fut  moins  heureux  à  Donnewitz 
dans  une  attaque  contre  le  prince  royal  de  Suède ,  si  le  gé- 
néral prussien  lui  fit  éprouver,  le  16  octobre,  au  passage  de 
l'Elbe,  une  perte  assez  considérable,  c'est  que  déjà  la  fortune 
semblait  vouloir  abandonner  nos  armes.  Mais  dès  le  len- 
demain, 17,  l'engagement  fut  repris,  et  le  18  le  général  Ber- 
trand, en  s'emparant  de  Weissenfeld  et  du  pont  sur  la 
Saale,  protégea  efficacement  la  retraite  de  l'armée,  à  la  suite 
de  trois  journées  meurtrières,  qui  ne  furent  en  quelque  sorte 
qu'uTie  seule  et  interminable  bataille.  11  rendit  des  services 
non  moins  importants  après  H  an  au,  en  occupant  la  position 
de  Hocheim  dans  la  plaine  qui  s'étend  entre  Mayence  et 
Francfort.  Dans  cette  double  circonstance,  comme  après 
que  ledépartde  Napoléon  lui  eut  laissé  un  difficile  commande- 
ment ,  il  déploya  une  admirable  énergie  et  un  persévérant 
courage  pour  sauver  les  derniers  et  glorieux  débris  de  notre 
armée. 

De  retour  à  Paris  en  janvier  1814,  Bertrand  fut  nommé 
par  l'erapereur  aide-major  général  de  la  garde  nationale; 
mais  il  n'en  remplit  qu'un  moment  les  fonctions,  et  repartit 
dès  le  commencement  de  février  pour  cette  campagne  de 
Champagne,  où  Napoléon  déploya,  dans  une  situation  que  la 
trahison  vint  rendre  désespérée,  tout  ce  que  le  génie  de  la 
guerre  peut  concevoir  et  exécuter  de  plus  merveilleux.  Après 
la  capitulation  de  Paris,  le  comte  Bertrand ,  fidèle  au  mal- 
heur comme  il  l'avait  été  à  la  puissance  et  à  la  gloire,  n'hésita 
pas  un  instant  à  suivre  Napoléon.  Toutefois ,  avant  ce 
qu'il  appelait  lui-même  la  dette  de  la  reconnaissance  et 
de  l'honneur,  il  faisait  passer  ses  devoirs  envers  la  France. 
En  allant  s'enfermer,  avec  son  empereur,  dans  cette  île 
dont  on  avait  fait  une  souveraineté,  il  écrivit  une  lettre  que 
de  prétendus  juges  et  des  accusateurs  passionnés  ont  bien 
pu  incriminer,  mais  qui  doit  être  un  titre  de  plus  pour  les 
hommes  qui  mettent  le  culte  de  la  patrie  au-dessus  de  tous 
les  autres.  «  Je  reste  sujet  du  roi ,  »  avait-il ,  en  partant , 
écrit  au  gouvernement  nouveau  ;  et  il  avait  ajouté,  avec  une 
tendresse  touchante ,  dans  la  lettre  d'envoi  de  cette  décla- 
ration adressée  au  duc  de  Fitz-James,  son  très-proche  allié, 
le  19  avril  1814  :  «  Je  désire  pouvoir  aller  visiter  ma  famille. 
Il  y  a  plus  de  trois  ans  que  je  n'ai  vu  ma  mère.  Si  dans  un  an 
j'ai  recours  à  vous  pour  obtenir  la  permission  (ie  venir  passer 
quelques  mois  à  Cliâteauroux  dans  le  sein  de  ma  famille , 
je  compte  sur  votre  obligeance ,  mon  cher  Édouara-  » 

Moins  d'un  an  après,  les  fautes  de  la  Restauration  ,  les 
humiliations  de  la  France  avaient  préparé  et  provoqué  le 
retour  de  Napoléon.  Les  déclarations  les  plus  solennelles , 
trop  tôt  oubliées,  avaient  relevé  le  pays  du  serment  qu'on 
lui  avait  fait  prêter.  Le  comte  Bertrand  s'embarquait,  le 
26  février ,  en  qualité  de  major  général  de  cette  armée  de 
huit  cents  hommes,  dont  le  drapeau  et  la  cocarde  suffirent  à 
Napoléon  pour  reconquérir  la  France.  Le  l®"'  mars  il  con- 
tresignait au  golfe'Jouan  les  proclamations  de  l'empereur; 
le  20,  après  cette  marche,  à  la  rapidité,  à  l'entraînement 
triomphal  de  laquelle  la  postérité  aiu'a  peine  à  croire,  il  en- 

13. 


100 


BERTRAND  —  BERTUCH 


trait  aux  Tuileries  avec  JN'apoléon ,  auprès  de  qui  il  repre- 
nait immédiatement  ses  fonctions  de  grand  maréchal. 

Le  comte  Bertrand  contribua  puissamment  à  la  reconstitu- 
tion de  l'armée,  qui  se  trouva  réorganisée  avec  une  activité 
qui  tientdu  prodige.  Enfin,  arriva  la  journée  de  Waterloo, 
l'arti  pour  l'armée  à  la  suite  de  Napoléon,  il  y  subit  l'arrêt 
de  la  fortune  que  la  bravome  ne  put  conjurer,  et  revint  avec 
l'empereur  pour  ne  plus  le  quitter  à  partir  de  ce  moment, 
A  Paris ,  à  la  Malmaison ,  à  Rocliefort,  sur  le  Bellcrophon, 
à  Sainte-Hélène,  il  confondit  sa  destinée  avec  celle  de  l'homme 
extraordinaire  à  la  gloire  fabuleuse  duquel  quelque  chose 
eût  manqué  peut-Ctre  si  son  raalheurn'eùt  pas  fait  naître  le 
plus  sublime  dévouement. 

Si  les  vainqueurs  d'un  jour  exercèrent  leur  haine  en  con- 
finant et  torturant  sur  un  roc  meurtrier  celui  qui  les  avait 
vaincus  pendant  vin.ut  ans,  ceux  qui  avaient  profité  de  cette 
triste  victoire  ne  surent  pas  respecter  davantage  le  malheur, 
le  dévouement,  la  veilu.  Le7  mai  1810,  à  un  an  de  distance 
des  grands  événements  que  nous  nous  sommes  borné  à 
dater,  le  conseil  de  guerre  de  la  première  division  militaire 
condamnait  à  mort  le  général  comte  Bertrand  pour  crime  de 
trahison.  Cette  condamnation  fut  un  crime  inutile  :  l'An- 
gleterre ne  livra  point  Bertrand.  Et  pourtant  on  avait  osé 
plaider  au  nom  de  l'accusation  que  l'intérêt  avait  été  le  mo- 
bile secret  du  dévouement  du  général! 

A  Sainte-Hélène,  Bertrand  écrivit  sous  la  dictée  de  Napo- 
léon le  récit  des  opérations  de  ceile  campagne  d'Egypte  où 
ils  s'étaient  trouvés  réunis  pour  la  première  fois.  11  prodi- 
fi,ua  ses  respects  et  ses  soins  à  l'illustre  captif,  et  ne  quitta  ce 
roc  inhospitalier,  où  la  comtesse  Bertr;ind,  fille  du  général 
Arthur  Dillon,  et  ses  enfants  l'avaient  suivi,  que  quand  il 
eut  recueilli  le  dernier  soupir  de  son  empereur,  de  son  ami. 
L'admiration  que  ce  dévouement  avait  inspirée  à  l'Europe 
entière  amena  le  roi  Louis  XVIII  à  annuler,  en  1821 ,  par 
orilonnance,  le  jugement  de  18 IG.  Le  comte  Bertrand  put 
rentrer  en  France  et  y  Cire  réintégré  dans  son  grade.  11  se 
retira  dans  le  département  de  l'Indre,  où  il  se  livra  tout  entier 
à  l'éducation  de  ses  enfants  et  à  la  culture  d'un  domaine  qu'il 
possédait  près  lie  Chàteauroux. 

Après  la  révolution  de  juillet  1830  ,  le  roi  Louis-PhiHppe 
appela  le  général  Bertrand  au  commandement  de  l'ecoie 
Polytechnique,  qu'il  garda  fort  peu  de  temps.  Bientôt  l'arron- 
dissement de  Chàteauroux  l'envoya  à  la  Chamke  des  Dé- 
putés. L'éducation  toute  libérale  qu'il  avait  reçue,  le  dé- 
vouement au  pays,  que  ie  culte  de  la  gloire  n'avait  jamais  ni 
remplacé  ni  affaibli  dans  son  cœur,  le  firent  asseoir  sur 
ces  bancs  où  siégeait  un  autre  homme  qui  .s'était  dévoué  à 
la  même  infortune,  le  comte  de  Las  Cases.  Le  général  Ber- 
trand prit  plusiciu-s  fois  la  parole,  et  enleva  les  applaudis- 
sements de  ses  collègues,  qu'il  émut  jusqu'aux  larmes,  par 
des  allocutions  à  l'appui  des  réclamations  d'anciens  mili- 
taires et  de  discussions  sur  l'arriéré  de  la  Légion  d'Hon- 
neur. IMais  chacun  de  ces  discoms ,  comme  tous  ceux  qu'il 
prononça  dans  d'autres  circonstances ,  se  terminait  inva- 
riablement par  un  vo'U  en  f  iveur  de  la  liberté  illimitée  de  la 
presse.  C'était  le  vieux  Caton  demandant  sans  relâche  la 
destruction  de  Carthage. 

Le  général  Bertrand  ne  siégeait  plus  à  la  Chambre ,  et  vi- 
vait de  nouveau  retiré  depuis  deux  législatures ,  quand , 
en  1840,  l'Angleterre  ,  voulant  dissimuler  au  gouvernement 
de  Louis-Phihppe,  jusqu'à  ce  qu'elle  fût  consommée,  la 
trahison  qu'elle  préméditait  envers  lui,  consentit,  sur  les  in.s- 
tances  de  IM.  Thiers,  à  restituer  à  la  France  les  cendres  de 
Napoléon.  Le  général  Bertrand  fut  désigné  le  premier 
pour  monter  sur  la  frégate  la  Belle-Poule,  que  comman- 
dait le  prince  de  Joinville,  et  qui  appareillait  pour  Sainte- 
Hélène.  Quelle  traversée!  quel  abordage!  quels  souvenirs! 
quelles  émotions!  quel  contraste  entre  rembarquement  de 
Roche'^ort  en  18)5  et  le  retour  sur  les  côtes  de  Nonnandie 
en  1840  !  On  n'oubliera  jamais  les  transports  universels  qui 


éclatèrent  sous  les  voûtes  de  l'église  des  Invalides  quand  on 
y  vit  entrer  le  glorieux  cercueil  et  son  compagnon  fidèle. 

Après  avoir  rendu  à  la  France  les  cendres  exilées  de  l'em- 
pereur, il  ne  restait  plus  au  général  Bertrand  qu'à  lui  don- 
ner le  complément  des  Mémoires  dont  il  était  resté  le  dé- 
positaire, et  (pi'il  avait  pieusement  mis  en  ordre.  C'est  un 
devoir  qu'il  s'était  promis  de  remplir  au  retour  d'un  voyage 
qu'il  avait  été  obligé  de  faire  en  1843  dans  l'Amérique  du 
Nord,  où  il  avait  été  reçu  avec  enthousiasme;  mais  à  peine 
de  retour  au  milieu  des  siens,  il  fut  emporté  par  une  fièvre 
muqueuse,  à  Chàteauroux,  le  1^"^  février  1844. 

A  cette  nouvelle,  une  noble  et  touchante  motion  fut  faite 
à  la  Chambre  des  Députés  par  le  brave  colonel  de  Bricqne- 
ville.  Il  demanda  qu'on  déposât  dans  le  tombeau  qu'on 
préparait  aux  Invalides  les  cendres  de  Bertrand  près  de 
celles  de  Napoléon,  afin  à'unir  tant  de  fidélité  à  tant  de 
gloire.  Celte  proposition  fut  votée  avec  un  amendement  ac- 
cordant les  mêmes  honneurs  à  l'autre  maréchal  du  palais 
de  l'empereur,  Duroc.  Tous  deux  dorment  maintenant  auprès 
du  héros  des  temps  modernes. 

Le  général  Bertrand  a  laissé  deux  fils,  qui  ont  suivi  la 
carrière  militaire.  L'aîné,  Henri,  entra  à  l'école  Polytech- 
nique en  1830,  et  deux  ans  après  il  en  était  renvoyé  pour 
opinion  avec  soixante  de  ses  camarades.  Béintégré  en  dé- 
cembre 1832 ,  il  reçut  son  brevet  de  sous-lieutenant  d'artil- 
lerie en  1833,  partit  pour  l'Afrique  en  183G,  fit  la  première 
expédition  de  Constantine  avec  le  maréchal  Clauzel,  rentra 
en  France  en  1839,  y  fut  nommé  capitaine  d'artilleiie 
en  1840,  et  officier  d'ordonnance  du  général  Cavaignac  quel- 
ques jours  après  la  révolution  de  Février.  Aux  événements 
du  15  mai  il  vint  dégager  r.\ssemblée  à  la  tète  de  quelques 
compagnies  de  la  garde  mobile.  Envoyé  par  le  département 
de  l'Indre  à  la  Constituante,  il  eut  un  duel  avec  M.  Clément 
Thomas,  général  de  la  garde  nationale,  qui  avait  à  la  tribune 
qualifié  de  hochet  la  croix  de  la  Légion  d'Honneur.  — 
M.  Arthur  Bertrand,  néà  Sainte-Hélène,  en  1817,  aussi  offi- 
cier, a  fait  le  voyage  de  Sainte-Hélène  en  1840  avec  son  père.' 

BERTUCli  (  Fkédéuic- Justin  ) ,  néà  \Veiraar,  eu 
1747  ,  mort  en  1822,  a  laissé  en  Allemagne  un  nom  égale- 
ment cher  aux  amis  des  arts  et  à  ceux  des  lettres.  Destiné 
d'abord  à  l'état  ecclésiastique ,  ses  goûts  l'entraînèrent  dans 
une  autre  carrière;  lié  d'amitié  avec  \N"ieIand ,  Musœus, 
Goethe ,  etc. ,  il  commença  par  s'adonner  à  la  littérature 
dramatique.  Parmi  les  ouvrages  datant  de  ses  débuts  dans 
la  vie  littéraire,  nous  citero;is  :  Wiegenlieder  (Chants  du 
berceau  [1772 1  ),  le  Gros  Lot  (\N'eimar,  1774),  opéra,  et 
Poly xène  {V^'eimetr ,  1774),  mélodrame  dont  la  musique 
fut  composée  par  Scliweizer.  L'éducation  des  fils  du  baron 
d'Eck,  ministre  de  Danemark  en  Espagne,  dont  il  s'était  charge 
vers  17G9,  lui  fournit  l'occasion  d'acquérir  une  connais- 
sance approfondie  des  littératures  espagnole  et  portugaise. 
La  traduction  du  Don  Quichotte  de  Cervantes  avec  la  con- 
tinuation d'Avcllanéda  (6  vol.,  ^Yeinlar,  1779)  etscn^/fl^'a-  . 
sin  des  Littératures  espagnole  et  portugaise  (1780-1782), 
entreprise  en  société  avec  Seckendorf  et  Zanthier,  et  dans 
lequel  il  cherclia  à  faire  pour  ces  langues  ce  que  Meinhard 
avait  fait  pour  la  poésie  italienne,  sont  restés  au  nombre 
des  meilleurs  livres  de  ce  genre. 

En  177  j  Bertuch  était  entré  au  service  du  duc  de  Wei- 
mar  en  quafité  de  secrétaire  du  cabinet;  en  1785,  ce  prince 
lui  conféra  le  titre  déconseiller  de  légation.  En  1785  il  con- 
çut avec  V.ieland  et  Schutz  le  plan  de  la  Gazette  -univer- 
selle littéraire  d'Iéna.  A  partir  de  1786  il  publia  avec 
Kraus  le  Journal  du  Luxe  et  des  Modes.  En  donnant  le  pre- 
mier l'idée  de  la  BiblioUièciuc  bleue  de  toutes  le.";  nations, 
précieuse  collection  de  contes  des  fées,  habilement  traduits 
et  suivis  de  biographies  intéressantes  et  do  commentaires 
ingénieux,  ouvrage  dont  le  succès  fut  immense,  il  jeta  les 
fondements  de  sa  fortime  industrielle,  qui  ne  tarda  pas  à 
devenir  considérable.  On  lui  doit  la  fondation  de  l'Institut 


i 


BERTUCH  —  BERVIC 


101 


géographique  de  Weimar,  établissement  destiné  à  la  gravure 
des  cartes  géographiques,  et  d'où  est  sorti  le  Manuel  com- 
i  plet  de  la  Géographie  moderne  {terminé  seulement  en  183:?, 
20  tomes  gros  in-8°,  composés  chacun  de  plusieurs  vo- 
lumes), vaste  collection  qu'on  peut  considérer  comme  une 
I  véritable  encyclopédie  géographique.  Bertuch  a  publié  en 
outre  une  Nouvelle  Bibliothèque  des  Voyages,  dont  il  a 
paru  60  volumes.  Il  avait  fondé  en  1817  la  Feuille  d'Op- 
position ,  journal  que  le  pouvoir  ne  tarda  pas  à  supprimer, 
à  cause  de  l'indépendance  de  ses  allures. 

BÉRULLE(  Pierre  de),  cardinal,  naquit  d'une  famille 
noble,  au  château  de  Sérilly,  prèsdeTroyes,le4  février  1575, 
et  mourut  à  Paris,  le  2  octobre  1629.  De  bonne  heure  il 
montra  une  pénétration,  des  lumières  et  une  vertu  qui  frap- 
pèrent les  maîtres  sous  lesquels  il  fit  ses  diverses  études. 
Élevé  à  la  prêtrise  ,  il  se  signala  dans  la  controverse.  «  Si 
c'est  pour  convaincre  les  hérétiques ,  disait  le  cardinal  Du 
Perron,  amenez-les-moi;  si  c'est  pom'  les  convertir,  présen- 
tez-lesàM.  de  Genève  (saintFrançois  de  Sales);  mais  si 
vous  voulez  les  convaincre  et  les  convertir  tout  ensemble, 
adressez-vous  à  M.  de  Berulie.  »  Il  lavait  pris  pour  son  se- 
cond dans  le  fameux  duel  théologique  qu'il  eut  avec  D  u- 
plessis-Mornay,  le  4  mai  1600,  à  Fontainebleau ,  en 
présence  de  Henri  IV,  des  princes  et  des  premiers  seigneurs 
des  deux  partis  ,  au  nombre  d'environ  deux  cents,  et  oii  le 
pape  des  huguenots  (c'est  ainsi  qu'on  appelait  Duplessis) 
fut  battu.  Bérulle  ,  par  ordre  du  roi,  soutint  lui-même,  à 
Sézanne  en  Brie,  un  combat  singulier  de  ce  genre  contre 
Pierre  Dumoulin.  Il  en  sortit  également  vainqueur.  Après 
avoir  opéré  des  conversions  ,  refusé  d'être  précepteur  du 
dauphin,  introduit  en  France,  non  sans  peine,  les  carmélites 
réformées  d'Espagne,  il  songea  à  y  fonder  la  congrégation  de 
l'Oratoire,  qui  existait  déjà  en  Italie.  C'était  afin  de  ré- 
générer le  clergé,  en  le  retirant  de  l'ignorance  et  des  vices, 
fruit  des  temps  barbares  et  des  guerres  civiles.  L'esprit  de 
rénovation  travaillait  alors  l'Église. 

Il  suscita  d'autres  établissements,  tels  que  les  prêtres  de 
la  Doctrine  de  saint  Vincent  de  Paul ,  Port-Royal ,  et ,  par 
celte  ardeur  et  ses  travaux  immenses,  la  science  ecclésias- 
tique se  releva,  les  mœurs  s'épurèrent.  Une  belle  part  de 
la  gloire  du  sacerdoce  au  dix -septième  siècle  revient  aux 
oratoriens.  Pour  les  établir,  Bérulleeut  à  surmonter  beaucoup 
d'obstacles.  Heureusement  il  n'était  pas  moins  homme  d'af- 
faires que  d'étude.  Jouant  un  rôle  important  dans  la  poli- 
tique, il  réconcilia  les  membres  de  la  famille  royale,  et  fit  par- 
tie du  conseil  de  la  couronne,  où  il  se  trouva  plusieurs  fois 
en  opposition  avec  Richelieu,  dont  il  excita  la  jalousie.  A  la 
mort  de  ce  rival,  Richelieu  dissimula  si  peu  le  contentement 
d'en  être  débandasse  qu'on  crut  qu'il  l'avait  fait  empoisonner. 
Il  s'en  défendit  avec  indignation,  et  sans  doute  il  était  inno- 
cent. Les  médecins  avaient  jugé  Bérulle  depuis  longtemps 
atteint  d'une  maladie  incurable.  Bérulle  concevait  mieux 
l'indépendance  de  l'Église  gallicane  que  la  liberté  des  cultes. 
Chargé  d'aller  à  Rome  demander  la  dispense  pour  le  ma- 
riage de  Henriette,  sœur  du  roi ,  avec  le  prince  de  Galles, 
depuis  Charles  I^"^,  roi  d'Angleterre,  il  laissa  entendre  qu'on 
s'adressait  au  saint-siége  par  déférence,  et  que  s'U  n'agissait 
point  convenablement ,  on  saurait  se  passer  de  lui  ;  qu'on 
avait  en  France  des  pouvoirs  suffisants.  Il  fut  nommé  con- 
fesseur de  la  nouvelle  reine,  et  il  l'accompagna  en  Angleterre, 
avec  douze  prêtres  de  l'Oratoire.  Il  revint  en  France  expo- 
ser le  triste  état  des  catholiques;  retenu  par  Louis  XIlî,  il 
reprit  ses  anciennes  fonctions. 

Gardien  sévère  de  la  pureté  de  la  foi ,  il  repoussait  à  la 
fois  le  qulétismeet  le  molinisme.  Il  fuyait  l'élévation,  quoi- 
que par  dévouement  il  setiouvât  dans  les  plus  hauts  pos- 
tes. Sans  le  prévenir ,  le  roi  demanda  pour  lui  le  chapeau 
de  cardinal  ;  le  pape,  en  le  lui  envoyant ,  lui  adressa  deux 
brefs  dont  l'un  avait  pour  objet  de  le  relever  du  vœu  par  le- 
quel il  s'était  engage  à  n'accepter  jamais  aucune  dignité  ec- 


clésiastique, et  de  lui  enjoindre  de  recevoir  celle  qui  venait 
de  lui  être  conférée  sous  peine  de  désobéissance.  Ma^ré  ces 
ordres,  quelque  impératifs  qu'ils  fussent,  il  était  tenté  de  faire 
des  repiésentations  pour  être  dispensé  de  s'y  soumettre.  ]Mais 
le  père  Condren,  son  confesseur ,  vint  à  bout  de  l'en  dis- 
suader, en  lui  remontrant  qu'il  devait  se  prêter  à  ce  que 
Dieu  exigeait  visiblement  de  lui.  11  était  en  garde  contre 
tout  ce  qui  pouvait,  même  de  loin,  le  porter  à  se  prévaloir 
du  haut  rang  qu'il  occupait  ;  il  ne  permettait  pas  que  les 
pères  de  sa  maison  adoptassent  une  nouvelle  manière  de 
traiter  avec  lui.  La  veille  des  grandes  fêtes ,  il  lavait  la 
vaisselle,  suivant  un  usage  qui  existait  alors  dans  la  plu- 
part des  communautés. 

Ce  cardinal  remplissant  l'office  de  marmiton  se  déclara 
en  toute  occasion  le  protecteur  des  gens  de  lettres.  Ainsi, 
il  fit  lever  les  difficultés  qui  s'opposaient  à  l'impression  de 
la  Polyglotte  de  Le  Jay.  Lu  des  premiers,  il  comprit  le  gé- 
nie de  Descartes,  et  l'encouragea  à  se  produire.  Dans  une 
réunion  de  savants  tenue  chez  le  nonce  Bagni,  pour  en- 
tendre un  médecin  bel  esprit,  nonmié  Chandoux,  qui  devait 
étaler  un  nouveau  système  philosophique ,  Bérulle  s'aper- 
çoit que  Descartes,  au  milieu  des  applaudissements,  écoute 
en  silence;  U  le  presse  de  s'expliquer  sur  ce  qui  vient  d'être 
dit  ;  Descartes  obéit,  et  ra\it  l'assemblée.  Bérulle,  frappé  de 
la  netteté  et  de  la  justesse  de  ses  idées,  désire  avoir  un  en- 
tretien particulier  avec  lui  ;  Descartes  lui  développe  ses  prin- 
cipes, et  lui  fait  entrevoir  les  avantages  que  les  hommes 
pourraient  en  retirer  pour  la  perfection  des  arts  et  des 
sciences  pratiques,  conune  la  mécanique,  la  médecine  et  les 
autres.  Bérulle  l'engage  vivement  à  poursuivre  ses  recher- 
ches et  à  les  livrer  au  public.  «  Ce  n'est  point  en  vain,  lui 
dit-il,  que  vous  avez  reçu  de  Dieu  une  force  et  une  péné- 
tration si  peu  communes.  Vous  lui  rendrez  compte  de  vos  ta- 
lents; vous  répondrez  à  ce  juge  souverain  des  hommes  du 
tort  que  vous  feriez  au  genre  humain  en  le  privant  du  fruit 
de  vos  méditations.  »  De  pareilles  exhortations,  plusieurs 
fois  réitérées,  raniment  le  courage  de  Descartes,  effrayé  jus- 
que là  des  contradictions  que  les  suppôts  de  la  vieille  phi- 
losophie commençaient  à  lui  faire  éprouver  de  toutes  parts. 
Il  prend  la  résolution  inébranlable  de  suivre  l'impulsion  qui 
le  porte  à  se  frayer  une  route  nouvelle. 

On  a  de  Bérulle  plusieurs  ouvrages  et  des  lettres.  Celui 
où  il  traite  de  l'État  et  des  grandeurs  de  Jésus  fit,  lors- 
qu'il parut,  une  sensation  extraordinaire.  Après  l'avoir  lu, 
le  pape  Urbam  VHI  n'appelait  plus  l'auteur  que  l'apôtre 
du  Verbe  incarné.  Ce  livre  a  peut-être  donné  à  Bossuet 
ridée  de  ses  Élévations  sur  les  Mystères  ei  de  ses  Médita- 
tions sur  l'Évangile.  En  1644,  Bourgoing,  troisième  géné- 
ral de  l'Oratoire,  publia  les  œuvres  réunies  de  Bérulle  eu  un 
gros  volume  in-folio.  Bordas-Democli.n. 

BERVIC  (Charles-Clémem),  célèbre  graveur  français, 
s'appelait  véritablement /ea?i-G2<i7/aî»He  B,sxvaï.  Il  naquit 
à  Paris,  en  1756.  Dès  son  enfance,  cédant  à  un  penchant 
irrésistible,  il  copiait  toutes  les  images  que  le  hasard  faisait 
tomber  dans  ses  mains.  La  vue  de  quelques  tableaux  et  les 
leçons  de  dessin  qu'il  reçut  de  Lepvince  décidèrent  de  sa 
vocation  :  il  voulut  être  peintre  ;  mais,  plus  calculateurs  qu'en- 
thousiastes, ses  parents  préférèrent  lui  voir  étudier  lagravure. 
On  le  plaça  donc  chez  le  graveur  Georges  Wille  dès  l'âge 
de  treize  ans  :  l'élève  devait  laisser  son  maître  bien  loin  der- 
rière lui. 

Après  avoir  successivement  gravé  plusieurs  portraits,  où 
il  est  intéressant  de  suivre  pas  à  pas  les  progrès  de  son  bu- 
rin, après  avoir  fait  à  Lépicié  l'honneur  de  graver  ses 
froids  tableaux  du  7?p/io.s' et  de  L'Accordée  de  villarje,  qu'il 
chercha  vainement  à  réchauffer  du  feu  de  son  talent,  Bervic 
prit  sa  revanche  en  1790 ,  dans  le  grand  portrait  en  pied 
de  Louis  XVI  ;  et  de  la  plus  misérable  peinture  de  Caliet 
il  fit  une  bonne  eslampe,  pleine  de  vérité  ,  de  couleur  et 
d'harmonie.  Celte  magnifique  planche  futniallieureusement 


102 


BERVIC 


biisce  lors  de  la  tempête  révolutionnaire  de  1793  :  aussi  les 
épreuves  en  sont-elles  devenues  très-rares  et  Irès-clières. 

La  peinture,  déchue  dans  l'école  de  Boucher, se  régéné- 
rait alors  sous  rimpulsion  de  David  ;  Bervic  était  appelé  à 
rendre  le  même  service  à  son  art.  Sa  réputation  s'accrut  et 
s'affermit  encore  à  l'apparition  de  V Éducation  cV Achille 
(an  vi),  d'après  Regnault,  et  surtout  de  V Enlèvement 
de  Dcjanire  (an  x),  d'après  le  Guide.  C'est  là  une  belle 
œuvre,  qui  reproduit  avec  fidélité  la  légèreté  de  ton  et  la 
manière  lumineuse  de  ce  maître,  la  noblesse  et  le  haut  style 
de  dessin  et  de  pensée  de  la  figure  de  Déjanire,  avec  l'ex- 
pression passionnée  de  son  ravisseur.  Lors([u'elle  parut, 
lîervic ,  qui  avait  déjà  reçu  en  1792  le  prix  d'encouragement 
pour  la  gravure ,  fut  désigné  pour  le  prix  de  gravure  par  la 
commission  des  prix  décennaux.  «  Cette  estampe  {Y Enlève- 
ment de  Déjanire)  peut  être  regardée,  dit  le  compte-rendu 
du  jury,  comme  une  des  plus  belles  dans  le  genre  histo- 
rique qui  aient  paru  depuis  Louis  XIV  (1).  » 

Après  avoir  gravé  le  groupe  de  Laocoon ,  encore  un  des 
chefs-d'œuvre  de  l'école  française,  Bervic  gémissait  pour- 
tant toujours  de  n'avoir  pu  réaUser  qu'en  partie  les  vues  nou- 
velles qu'il  avait  sur  son  art.  Ces  vues  étaient  sans  cesse 
présentes  à  son  esprit  :  dans  l'école  de  gravure,  où  de  nom- 
breux élèves  recueillirent  ses  leçons ,  nul  maître  ne  s'atta- 
cha plus  à  démontrer  les  dangers  de  l'imitation  servile , 
nul  ne  dirigea  mieux  ses  élèves  dans  la  liberté  du  génie  naturel 
de  chacun:  aussi  cette  école  fut-elle  distinguée  entre  toutes. 

La  vie  de  Bervic  fut  sans  événements  importants.  Les 
souverains  et  les  gouvernements  s'empressèrent  de  lui  dé- 
cerner les  récompenses  et  les  encouragements  dus  à  son  ta- 
lent. Il  fut  logé  par  Louis  XVI  au  Louvre,  et  décoré  succes- 
sivement des  ordres  de  Saint-î\Iichel ,  de  la  Réunion  et  de 
la  Légion  d'Honneur.  Il  avait  été  membre  de  l'ancienne 
Académie  royale  de  Peinture  et  de  Sculpture  ;  il  mourut  à 
Paris,  le  23  mars  1S22,  membre  de  l'Institut,  laissant  un 
nom  qui  ne  sera  jamais  prononcé,  dit  Quatremère  de 
Quincy,  sans  rappeler  une  des  plus  belles  époques  de 
la  gravure  en  France. 

BERVILLE  (  Saint-Albin  ) ,  premier  avocat  général  à 
la  cour  d'appel  de  Paris,  est  né  à  Amiens,  le  22  octobre  1788. 
Son  père,  attaché  ,  en  qualité  de  secrétaire,  à  l'Assemblée 
provinciale  de  Picardie ,  devint  plus  tard  secrétaire  géné- 
ral de  la  préfecture  de  la  Somme,  Il  fit,  dans  sa  ville  natale, 
en  raison  de  sa  frêle  santé,  de  médiocres  études,  mais  il  vint 
dans  la  suite  les  compléter  à  Paris.  Reçu  avocat  en  1812, 
il  ne  tarda  pas  à  se  distinguer,  non  moins  par  une  probité 
sévère  et  un  beau  caractère  politique ,  que  par  le  talent  élevé 
qui  le  plaça  en  peu  dé  temps  aux  premiers  rangs  du  bar- 
reau. Bientôt  il  dévoua  sa  vie  à  la  défense  des  amis  de  la 
liberté  persécutés  par  le  gouvernement  des  Bourbons  de  la 
branche  aînée.  Comme  les  Dupin,  les  Barthe,  les  Mérilhou, 
les  Mauguin,  les  Barrot,  il  fut  l'un  des  chef.s-de  ce  jeune 
libéralisme  qui  ne  cessait  de  combattre  les  mesures  réac- 
tionnaires du  gouvernement. 

Peu  fait  pour  le  mouvement  et  pour  le  bruit ,  il  ne  se  dé- 
lassait des  travaux  de  son  état  que  par  un  autre  genre  de 
travaux.  La  littérature  et  la  musique  composaient  les  seules 
distractions  qu'il  recherchât.  Aussi ,  malgré  la  réputation 
étendue  et  bien  acquise  que  ses  talents  lui  méritèreiit,  il  fut 
peu  mêlé  aux  faits  de  la  Restauration.  Toute  sa  vie  publique 
est  dans  ses  plaidoyers  ;  ses  autres  instants  ont  été  partagés 
entre  les  arts,  «pie  son  goût  délicat  et  sûr  sut  apprécier,  et 
l'amitié,  que  son  caractère,  doux  et  simple,  est  fait  pour 
rendre  sincère  et  de  longue  durée.  Cependant,  quelque  re- 
tiré (ju'il  fût,  quelque  modération  que  comportât  sa  nature, 
aucun  avocat,  pendant  la  longue  durée  de  la  Restauration, 

(1)  Qu'il  nous  soit  permis  de  rappeler  à  nos  premiers 'souscrip- 
tpiiis  que  ces  deux  dernières  gravures,  également  appréciées  pur 
ti'us  les  j'igcs  oynipéleiits,  sont  celles  qiic  nous  leur  avons  offertes 
ï.'è  iiriinc. 


P.  ER  VILLE 

ne  l'a  surpassé  en  courage  et  en  véritable  énergie.  Cherchant 
peu  les  occasions  de  se  produire ,  et  peu  propre  à  la  fougue 
qiii  pousse  en  avant  les  chefs  de  parti ,  il  sut  rester  ave 
une  grande  vigueur  de  probité  sur  la  brèche  toutes  les  foid 
qu'il  s'y  trouva  placé.  Toujours  ses  principes  furent  la  règlf 
de  sa  conduite,  et  ses  principes  sont  ceux  d'un  philosopha 
élevé  et  d'un  bon  citoyen. 

Analyser  tous  les  plaidoyers  de  Berville  serait  faire  l'his- 
toire de  tous  les  procès  politiques  de  la  Restauration.  Nous 
citerons  seulement  quelques-uns  des  principaux.  Il  faut 
mettre  au  premier  rang  sa  défense  des  officiers  de  la  légioixj 
de  la  Seine  devant  la  Chambre  des  Pairs ,  à  l'occasion  de 
la  conspiration  du  19  août.  D'autres  appelèrent  les  passionsi 
à  leur  secours  :  Berville,  avec  le  calme  de  l'honnête  hommeJ 
et  des  hauteurs  de  la  philosophie  du  droit,  analysa  les  ar^ 
licles  de  la  loi  pénale  qui  punissent  le  complot ,  prouva  qu'on 
ne  pouvait  y  voir  qu'un  arsenal  de  tyrannie  et  de  vengeance,! 
et  non  des  prescriptions  morales  et  justes,  et  fit  acquitter 
ses  clients  en  mettant  au  jour  la  cruauté  du  code  et  l'ini- 
quité que  demanderait  l'application  brutale  de  son  texte. 
Jamais  on  ne  pourra  caractériser  la  loi  de  fer  de  l'Empire 
sans  invoquer  cette  belle  discussion  :  elle  sera  désormais  la 
réponse  des  malheureux  de  tous  les  partis  que  voudra  frap- 
per une  vengeance  despotique.  Dans  la  déplorable  affaire 
des  carhonari,  Berville  défendit  le  jeune  avocat  Baradère, 
tt  eut  le  bonheur  de  ne  voir  prononcer  contre  lui  qu'une 
condamnation  correctionnelle ,  tandis  que  Bories  et  trois 
autres  militaires  furent  frappés  d'une  peine  capitale.  Jamais 
le  barreau  ne  s'était  montré  plus  dévoué,  plus  courageux, 
plus  éloquent;  jamais  Berville  n'eut  plus  de  force  et  plus 
de  zèle.  11  prêta  souvent  son  secoms  à  la  presse  dans  sa 
guerre  à  mort  contre  la  vieille  dynastie.  Béranger  fut  au 
nombre  de  ses  clients.  L'auteur  de  cet  article  eut  également 
le  bonheur  de  l'avoir  pour  défenseur.  Dans  cette  affaire  (les 
Mémoires  de  Levasseur,  de  la  Sarthe) ,  en  s'associant  com- 
plètement au  prévenu,  Berville  a  fait  preuve  d'un  dévoue- 
ment qui  égalait  son  talent.  11  osa  venger  la  révolution  des 
lâches  attaques  d'un  pouvoir  rétrogracie,  et  revendiquer  pour 
la  Convention  nationale,  devant  les  juges  de  Charles X,  la 
part  glorieuse  que  lui  fera  l'histoire  dans  nos  discordes  et 
dans  nos  conquêtes.  Ce  plaidoyer  fut  le  dernieï  que  Berville 
eut  à  prononcer  comme  avocat. 

Après  la  révolution  de  Juillet ,  qui  enflamma  toutes  ses 
sympathies,  au  moment  où  Dupont  (de  l'Eure)  était  ministre 
de  la  justice,  Berville  accepta ,  avec  quelque  hésitation,  les 
fonctions  d'avocat  général.  Ce  poste  si  difficile  et  si  glissant 
le  vit  comme  par  le  passé  pur  et  sans  tache.  Il  aurait  relevé 
le  ministère  public  si  le  siège  des  Mangin  et  dos  Bcllart , 
des  ]\Iarchangy  et  des  Persil  n'était  pas  à  jamais  terni.  Une 
fois  il  porta  la  parole  dans  une  affaire  de  presse.  Il  s'agis- 
sait d'une  éloquente  et  vive  diatribe  publiée  par  M.  de  La 
Mennais,  dans  un  journal  catholique  intitulé  l'Avenir.  Le 
nouveau  membre  du  parquet  combattit  avec  force  les  er- 
reurs philosophiques  du  prévenu,  mais  n'insista  pas  sur 
l'accusation.  11  déclara  même  qu'il  voyait  seulement  dans 
l'illustre  prêtre  un  adversaire,  et  un  de  ces  adversaires  à 
qui  l'on  serait  heureux  de  toucher  la  main.  Une  autre  fois, 
il  a  rempli  les  fonctions  de  son  ministère  dans  un  procès  de 
conspiration  carliste,  et  ses  ennemis  mêmes,  si  toutefois  ilj 
peut  avoir  des  ennemis ,  ont  dû  rendre  hommage  à  son  im- 
partialité ,  à  sa  modération  et  à  sa  haute  probité  judiciaire. 
Dès  que  le  juste-milieu  eut  fait  des  tribunaux  un  instriuiienti 
de  vengeance,  Berville  se  renferma  dans  la  partie  pureineiitj 
civile  de  ses  attributions,  et  ne  consentit  jamais  à  prêter  l'ap- 
pui de  son  talent  aux  hommes  qui  avaient  déchiré  le  pro- 
gramme de  juillet.  Sa  carrière  d'avocat  général  a  donné  une 
grande  leçon  aux  hommes  du  pouvoir  :  elle  a  prouvi';  qu'il  ! 
n'est  pas  de  fonctions  que  la  probité  n'honore;  elle  a  prouvé] 
que  la  fermeté  de  caractère  s'allie  tn''s-bien  avec  la  douceur] 
des  mœurs  et  la  véntable  modération. 


BERVILLE  —  BERWICK 


103 


1     Parmi  les  travaux  purement  litt<îraires  de  CerviUe,  le  plus 

1  connu  est  Y  Éloge  de  Rollin ,  couronné  par  rAradémie  Fran- 

I  çaise,  discours  remarquable  par  la  grâce  et  l'olégance  de  la 

diction  et  par  la  finesse  des  aperçus.  Ces  qualités  sont  au  reste 

celles  qui  caractérisent  Téloquent  avocat  général.  Son  style 

I  reproduit  parfaitement  son  âme  douce  et  îeudre.  Il  manque 

peut-être  de  n^.ouvement  et  de  passion,  lî'.ais  son  élégante 

I  simplicité  prend  toujours  de  la  vigueur  quand  la  droiture  et 

la  probité  ont  besoin  pour  se  montrer  dans  tout  leur  jour 

'  d'être  appuyées  sur  une  uiàlc  énergie.  Ev  rviUe  est  le  parfait 

I  modèle  du  calme  et  de  h  sérénité  de  la  bonne  conscience. 

D'autres  peuvent,  émouvoir  plus  fortement ,  nul  ne  peut  se 

I  .faire  plus  aimer  ni  i>lus  estimer.  Acliille  Roche. 

I      En  1837  le  collège  électoral  de  Pontoise  envoya  M.  Eer- 

i  ville,  pour  la  première  fois,  à  la  Chambre  des  Députés,  et  ne 

I  cessa  pas  depuis  de  renouveler  son  mandat.  Il  y  siégeait  sur 

I  la  limite  de  la  gauche  et  du  centre ,  sans  que  le  pouvoir 

d'alors  s'en  préoccupât  beaucoup  et  s'offensât  des  velléités 

du  magistrat  député.  Il  avait  bien  au  fond  une  opinion 

jirogressive  pour  les  choses,  mais  il  n'avait  que  des  services 

pour  ses  collègues  de  toutes  les  nuances;  et  il  lui  arriva  plus 

iPimc  fois,  sur  les  marches  de  la  tribune,  de  donner  en 

0  temps  des  boules  noires  au  ministère  et  des  poignées 

main  aux  ministres ,   lesquels  eussent  peut-être  bien 

[,,  .l'ré  le  contraire. 

Jl  présenta  en  1840  le  rapport  de  la  loi  sur  les  fonds  se- 
crets et  celui  de  la  loi  sur  l'organisation  du  tribunal  de  la 
Seine.  Il  fit  une  proposition  relative  aux  droits  des  veuves 
et  des  enfants  des  auteurs  dramatiques,  et  parla  encore  sur 
la  propnété  littéraire  et  sur  les  sucres.  Un  pair  de  France 
;i',  ;:it  introduit  une  nouvelle  jurisprudence  pour  la  répression 
lélits  de  presse,  lorsqu'il  s'agissait  de  diffamation  exercée 
re  les  fonctionnaires  :  on  ne  s'adressait  plus  au  jury 
(Mnimc  le  voulait  la  charte,  mais  aux  tribunaux  civils,  et, 
au  lieu  d'une  condamnation  pénale  qu'on  n'obtenait  pas  tou- 
jours, on  obtenait  une  réparation  pécuniaire.  Cette  juris- 
l)riiilcnce,  accueilUe  par  la  cour  de  cassation,  trouva  un 
adversaire  dans  BI.  Berville,  qui  fit  une  proposition  à  la 
Chambre  pour  rendre  au  jury  sa  compétence  exclusive  surles 
délits  de  la  presse.  Quand  vint  la  grande  question  de  fa  ré- 
forme, il  avoua  qu'il  désirait  bien  moins  l'extension  du 
suffrage  électoral  qu'une  bonne  distribution  des  électeurs.  II 
ne  voyait  la  corruption  que  dans  les  petits  collèges.  Du  reste 
ses  avertissements  ne  cessèrent  pas  d'être  pleins  de  bienveil- 
lance. «  Il  y  a  toujours  moyen,  disait-il,  de  s'entendre  avec 
un  pouvoir  qui  n'use  pas  de  violence  pour  bri.ser  les  insti- 
tutions du  pays.  » 

Après  la  révolution  de  Février,  le  département  de  Seine- 
et-Oise  envoya  encore  M.  Berville  à  la  Constituante.  Aux 
deux  dernières  sessions  de  l'ex-Chambre  des  Députés,  il  avait 
cessé  de  prendre  la  parole,  son  mince  filet  de  voix  n'arrivant 
qu'à  grand'peine  jusqu'au  tube  auditif  de  ses  collègues  les 
plus  désireux  de  l'entendre.  Dans  la  Constituante  l'étendue 
du  local  et  la  turbulence  d'une  aussi  nombreuse  réunion 
achevèrent  de  lui  fermer  la  bouche.  Il  ne  se  représenta  pas 
pour  l'Assemblée  législative  :  la  loi  avait  déclaré  son  mandat 
incompatible  avec  ses  fonctions. 

M.  Berville  est  toujours,  comme  .par  le  passé,  premier 
avocat  général  à  la  cour  d'appel  de  Paris.  Il  est  de  haute 
taille,  mince  et  fluet;  sa  petite  figure,  maigre  et  allongée, 
respire  à  la  fois  la  candeur,  la  finesse  et  la  bienveillance. 
Il  doit  une  partie  de  sa  fortune  à  la  publication  des  Mé- 
moires sur  la  Révolution  française,  annotés  par  lui  et  par 
son  ami  Barrièic.  Il  a  écrit  dans  le  Journal  des  Débats  au 
temps  où  cette  feuille  faisait  feu  sur  les  romantiques,  en 
attendant  le  jour  où  elle  le  deviendrait,  pour  cesser  de  l'être 
plus  tard.  Knfin ,  il  est  un  des  membres  éminents  de  la  So- 
ciété PliUotechnique,  espèce  d'Institut  au  petit  pied. 

BER  WîCH,  comté  du  sud-est  de  l'Ecosse,"  borné  par  la 
mer  du  Isovà  et  par  les  comtés  d'Iladdington,  de  Koxburgh 


et  d'Edimbourg ,  séparé  en  outre  de  l'Angleterre  par  la 
Tweed,  comprend  une  superficie  de  11  myriamètres  carrésp 
avec  une  population  d'environ  36,000  habitants.  Le  soi, 
stérile  dans  les  districts  du  nord  et  du  nord-ouest,  où  il  est 
couvert  pai-  des  ramifications  des  monts  Lammermoor,  ayant 
au  plus  360  mètres  d'élévation ,  est  au  contraire  très-apte  à 
("tre  mis  en  cultJM-e  dans  les  districts  méridionaux,  où  on  no 
laisse  pas  d';)' ^eurs  que  de  rencontrer  aussi  des  landes  d'une 
grande  éler.fUie.  i.e  grès  domine  dans  tout  ce  comté,  où  le 
Leader,  la  Dye  et  le  'sYhiteadder  viennent,  en  se  dirigeant 
au  sud-est,  se  jeter  dans  la  Tweed  et  l'Ege ,  fleuves  qui  se 
frayent  passage  à  travers  les  rochers  hauts,  abrupts  et 
presque  inaccessibles  qui  bordent  les  côtes ,  pour  se  dé- 
charger dans  la  mer.  Le  climat  est  âpre,  mais  sec,  et  favo- 
rable par  conséquent  à  l'agviculture.  Dans  les  vallées  dos 
parties  montagneuses ,  là  où  un  sol  marécageux  a  pu  êtro 
mis  en  valeur,  de  même  que  dans  les  plaines  bien  situées  où 
la  propriété  se  trouve  extrêmement  divisée,  morcelée,  le  so! 
est  exploité  avec  beaucoup  d'habileté,  soit  par  les  proprié- 
taires eux-mêmes,  soit  par  leurs  fermiers;  les  uns  et  les 
autres  emploient  les  méthodes  de  culture  les  plus  r<-itionnelles 
et  les  plus  perfectionnées.  Les  pâturages  qu'on  rencontre 
dans  les  montagnes  nourrissent  une  remarquable  race  de 
bêtes  à  cornes ,  dont  l'engraissage  forme  avec  l'élève  des 
moutons  et  des  porcs  une  des  principales  ressources  de  la 
population. 

BERWICK,  sur  la  Tweed,  bourg  et  port  de  mer,  qui,  de 
même  que  son  territoire ,  de  440  kilomètres  d'étendue  en- 
viron ,  ne  dépend ,  à  bien  dire ,  d'aucun  comté  particulier, 
bien  qu'on  le  comprenne  souvent  dans  le  NoiHiumberland, 
est  bien  bûti.  Il  possède  plusieurs  édifices  remarquables,  et 
environ  13,000  habitants,  qui  vivent  pour  la  plupart  du 
commerce  des  poissons,  des  grains,  des  charbons  et  de  l'aie, 
en  retour  desquels  ils  font  venir  du  bois,  du  chanvre,  du  fer, 
des  os,  etc.  Il  existe  en  outre  à  Berwick  une  importante  usine, 
dans  laquelle  on  fabrique  les  différents  métiers  et  maclùnes 
propres  à  la  filature  du  lin  et  du  coton.  La  pêche  du  saumon 
y  a  beaucoup  perdu  de  l'impoilance  qu'elle  avait  autrefois. 
Une  grande  jetée  en  pierre  surmontée  d'un  phare  rend  sûre 
et  commode  l'entrée  du  la  Tweed .  On  y  traverse  le  fleuve 
lui-même  sur  un  pont  et  sur  un  ùnmense  viaduc  construit 
pour  la  compagnie  du  chemin  de  fer  à  Edimbourg  par 
Sîephenson. 

BERIVICK  (James  FITZ-JAMES,  duc  nE),  appelé  or- 
dinairement  le  maréchal  de  Berwick,  pair  de  France  et 
d'Angleterre,  et  grand  d'Espagne,  né  le  21  août  1670,  était  fils 
naturel  du  duc  d'York,  qui  fut  plus  tard  le  roi  Jacques  li,  et 
à^Arabella  Churchill,  sœur  du  duc  de  Marlborough.  Il 
porta  d'abord  le  nom  de  Fit:^- James.  Élevé  en  France,  il 
lit  ses  premières  armes  en  Hongrie  sous  les  ordres  du  duc 
Charles  de  Lorraine,  généra!  de  l'empereur  Léopold  V.  Peu 
de  temps  après  éclata  la  révolution  d'Angleterre.  Berwick 
accompagna  son  père  dans  ses  expéditions  d'Irlande,  et  fut 
lilessé  pour  la  seule  fois  de  sa  vie  dans  une  affaire  qui  eut 
lieu  en  1689.  Il  servit  ensuite  en  Flandre  sous  les  ordres  du 
maréchal  de  Luxembourg,  en  1702  et  1703  .sons  ceux  du 
duc  de  Bourgogne,  puis  sous  le  maréclial  de  Villeroi,  et  se 
fit  naturaliser  Français.  En  1706  il  passa  maréchal,  et  fut 
envoyé  en  Espagne,  où  il  remporta  la  victoire  d'Almanza, 
qui  rendit  de  nouveau  le  roi  Philippe  V  maître  de  Valence, 
et  lui  assura  la  possession  du  trône  d'Espagne.  Philippe  l'en 
récompensa  en  le  créant  dtic  de  Liria  et  de  Xerica.  Mais 
en  1719  il  dut  envahir  l'Espagne  à  la  tête  d'une  armée 
française  et  combattre  ce  même  Philippe  Y,  qui ,  par  re- 
connaissance pour  ses  services  passés,  avait  appelé  un  de  ses 
fils  en  Espagne.  En  entrant  sur  le  territoire  espagnol , 
Berwick  écrivit  à  ce  fils,  connu  sous  le  nom  de  duc  de  Liria, 
de  faire  son  devoir  en  toute  occuneuce  et  de  défendre  de 
son  mieux  les  droits  de  son  souverain. 

Après  être  re.sté  iongîcm[is  en  iniictiNité,  Berwick  reçut  la 


104 


BERWICK  —  BEBZELIUS 


commandement  d'une  armée  chargée  d'effectuer  le  passage 
du  Rhin  à  Strasbourg ,  et  alla  mettre  le  siège  devant 
l^hilippsbourg,  où  il  fut  tué  d'un  coup  de  canon.  C'était  un 
homme  froid,  mesuré,  mais  d'une  grande  énergie  de  carac- 
tère, et  possédant  toutes  les  qualités  propres  à  un  capitaine. 
De  son  premier  mariage  avec  la  fille  du  comte  de  Clanricarde 
descendent  les  ducs  de  Liria  en  Espagne.  En  1699  il  épousa 
en  secondes  noces  une  certaine  miss  Bulkelers,  qui  le  rendit 
père  du  premier  duc  de  Fitz-Jaraes.  Les  Mémoires  du 
maréchal  de  Berivick  (2  vol.,  La  Haye,  1737-1738)  sont 
apocryphes;  mais  plus  tard  le  duc  de  Fitz-James  publia  les 
Mémoires  autographes  du  duc  de  Berwick  (  2  vol. , 
Paris,  1778). 

BÉRYL,  variété  de  l'éraeraude.  Les  béryls  de  Sibérie 
sont  d'un  bleu  verd;\tre  ou  d'un  jaune  de  miel  (évierande 
miellée  des  lapidaires);  ceux  de  Bavière,  de  l'île  d'Elbe  et  de 
France  sont  blancs  (  quelquefois  limpides  et  incolores  ) , 
blanc  jaunâtre  on  gris  brunâtre.  Quand  le  béryl  est  d'un  vert 
bleuâtre  ,  il  prend  le  nom  particulier  A'aigzie-viarine. 

La  chaux  sert  de  base  à  deux  combinaisons  qui  portent 
dans  le  commerce  le  nom  de  faux  béryls  :  ce  sont  cette 
variété  de  phosphate  de  chaux  appelée  apatite,  et  les 
gemmes  de  chaux  Jîîtatée  que  les  marchands  nomment 
prime  d'émeraiide,  fausse  améthyste,  fausse  topaze,  sui- 
vant leur  couleur. 

BÉRYLLE  ou  BERYLLUS,  évêque  deBosra,  en  Arabie, 
qui  enseignait  que  Jésus-Christ  n'avait  point  joui  d'une 
existence  particulière  avant  que  de  paraître  parmi  les 
hommes,  et  qu'il  n'avait  point  d'autre  divinité  que  celle  du 
Père,  qui  habitait  en  lui.  C'était  anéantir  la  personne  divine 
du  Verbe  éternel.  Plusieurs  évêques  disputèrent  contre 
Bérylle  pour  le  tirer  de  son  erreur,  et,  ne  pouvant  le  réduire, 
ils  appelèrent  à  leur  secours  Or i gène,  qui  le  pressa  par 
des  raisons  si  fortes  qu'il  le  convaiuquit  et  le  ramena  à 
l'orthodoxie.  11  paraît  toutefois  que  la  sc^te  qu'il  avait  fondée 
n'en  continua  pas  moins  de  subsister,  car  un  concile  as- 
semblé cent  ans  après  fut  obligé  de  promulguer  encore  des 
canoris  contre  elle. 

BÉRYLLIENS.  Voïjez  Bérylle  et  Alogie.ns. 

BÉRYTE.  Voyez  BEmocr. 

BERZELIUS  (Jean-Jacques),  un  des  plus  grands 
chimistes  de  notre  temps,  naquit  le  20  août  1779,  à  Wester- 
lœsa,  près  de  Linkœping,  dans  l'Ostrogothie,  où  son  père 
était  chapelain.  11  reçut  sa  première  éducation  dans  la  maison 
paternelle,  et  alla  en  179G  suivre  les  cours  de  l'université 
d'tJpsal  avec  Tintention  de  se  consacrer  à  la  médecine. 
Son  aptitude  pour  la  chimie  se  ut  remarquer  de  bonne 
heure ,  et  il  acheva  ses  études  dans  cette  science  sous  le 
patronage  du  célèbre  Gahn.  Le  premier  fruit  de  ses  études 
et  aussi  d'un  an  de  séjour  fait  en  qualité  d'aide  auprès  d'un 
médecin  d'un  endroit  thermal  appelé  Medewi ,  fut  la  Nova 
Analysis  Aquarwn  Mediviensium  (Upsal ,  ISOO).  Après 
avoir  encore  publié  un  petit  écrit  intitulé  :  De  Electrïcitutis 
galvanicx  in  Corpora  organica  effectu  (Upsal,  1802),  et 
s'être  fait  recevoir  docteur  en  médecine,  il  fut  nommé  en 
mai  1802  adjoint  pour  la  médecine  et  la  pharmacie  à 
Stockholm  par  le  collège  de  santé.  Berzélius ,  tout  en  rem- 
plissant ces  fonctions,  ne  laissa  pas  que  de  s'occuper  con- 
curremment de  pratique  médicale,  de  faire  des  cours  publics 
sur  la  chiuùe  expérimentale  et  de  donner  des  leçons  par- 
ticulières de  pharmacie.  En  ISOG  il  fut  nommé  professeur 
de  chimie  à  l'école  militaire,  et  l'année  suivante  professeur 
demédecineetdepharmacieàStockholnijOÙil  fonda  en  1807, 
avec  le  concours  d'autres  médecins,  la  Société  Médicale  de 
Suède,  compagnie  savante  qui  a  bien  mérité  des  sciences. 
Nommé  membre  de  l'Académie  des  Sciences  de  Stockholm 
en  1808  ,  il  fut  appelé  à  la  présider  dès  l'année  1810,  et 
en  18)8  on  l'en  élut  .secrétaire  |H'rpétuel,  fondions  qu'il 
remplit  assidûment  jusqu'au  7  août  1848,  jour  où  la  mort 
vint  l'enlever  à  la  sciruice. 


La  découverte  de  la  pile  galvanique  faite  par  Voila,  la 
carrière  nouvelle  que  cet  ingi'nieux  appareil  ouvrait  aux 
sciences  en  leur  fournissant  un  nouveau  moyen  d'action 
portèrent  un  grand  nombre  de  savants  à  rechercher  sor 
influence  sur  une  foule  de  corps.  Berzélius  s'occupa  avei 
assiduité  à  déterminer  celle  qu'elle  exerçait  sur  les  sels ,  el 
ces  travaux  acquirent  un  intérêt  particulier  par  la  décom 
position  si  inattendue  des  alcalis  et  des  terres  qu'opérj 
Davy.  Cette  époque  si  féconde  en  découvertes  importantesj 
et  qui  devint  pour  cet  illustre  chimiste,  et  pour  deux  d( 
nos  compatriotes,  Gay-Lussac  et  Thénard,  l'occasion  d'une 
lutte  dont  la  science  devait  retirer  de  si  grands  avantages, 
imprima  aux  recherches  chimiques  un  degré  de  précision 
inconnu  jusque  alors,  et  porta  les  esprits  vers  des  travaux 
d'une  plus  grande  exactitude. 

Deux  théories  se  disputaient  l'empire  de  la  chimie  :  celle 
de  BerthoUet,  qui  supposait  la  matière  susceptible  de  com^ 
binaisons  en  nombre  illimité,  et  celle  de  Proust,  qui,  traçant 
un  cercle  circonscrit ,  n'admettait  que  deux  combinaison! 
possibles  entre  les  mêmes  corps.  Les  recherches  de  Berzéliui 
\inrent  confirmer  les  idées  de  Proust  en  les  étendant  seu 
lement  un  peu,  et  l'analyse  exacte  d'un  nombre  presque 
incommensmable  de  composés  devint  pour  la  science  une 
de  ses  plus  belles  acquisitions. 

Il  serait  impossible ,  à  moins  d'entrer  dans  des  détails 
extrêmement  minutieux ,  de  rappeler  seulement  le  titre  des 
mémoires  de  Berzélius  :  peu  de  chimistes  en  ont  publié 
ufl  aussi  grand  nombre,  et  la  variété  de  ses  recherches 
prouve  la  haute  capacité  de  cet  infatigable  ami  des  sciences. 
On  peut  à  peine  citer  quelques  corps  sur  lesquels  il  n'ait  l'ait 
d'essais,  et  chacun  de  ses  travaux  renferme  quelque  méthode 
nouvelle  ou  quelque  modification  des  procédés  connus ,  qui 
deviennent  d'une  utile  application  pour  la  science.  De  moitié 
avec  Hisinger,  il  fit  des  recherches  sur  un  minéral  trouvé 
dans  les  mines  de  cuivre  de  la  Westmanie  (Suède) ,  et  dé- 
couvrit l'oxyde  d'un  nouveau  métal  qu'il  appela  cérium , 
du  nom  de  la  planète  Cérès,  nouvellement  découverte  par 
Piazzi.  Il  découvrit  encore  le  sélénium  en  traitant  la  pyrite 
de  Fahlun,  puis  le  thorium,  et  constata  la  présence  du  li- 
thium  dans  les  eaux  de  Carlsbad.  Le  premier  il  présent;»  à 
l'état  métallique  le  calcium,  le  baryum,  le  strontium  ,  le 
tantale,  le  silicium  et  le  zirconium. 

Depuis  que  Bergman  a  donné  les  premiers  procédés 
d'analyse  exacte,  beaucoup  de  chimistes  se  sont  occupés  de 
cette  branche  importante  de  la  chimie.  Klaproth  et  Vauquelin 
se  sont  plus  particulièrement  adonnés  à  ce  genre  de  travaux  ; 
leurs  analyses  sont  des  modèles  ;  mais  les  méthodes  de 
Berzélius  l'emportent  sur  tout  ce  qui  avait  été  fait  de  plui 
exact  dans  ce  genre.  Les  chimistes  suédois ,  parmi  lesquels 
on  peut  citer  principalement  Gahn,  ont  fait  un  usage  extrê- 
mement précieux  du  chalumeau  comme  moyen  d'essai 
des  minçraux  :  à  peine  employé  en  Fiance,  cet  important 
instrument  est  devenu  entre  les  mains  de  BerzéHus  un 
moyen  des  plus  exacts  pour  l'analyse  des  substances  inor- 
ganiques ;  dans  un  ouvrage  sur  cet  instrument,  il  a  lait 
connaître  son  utilité  et  toutes  les  ressources  que  l'on  peut 
tirer  de  son  emploi. 

Presque  toute  la  forme  actuelle  de  la  chimie  a  en  grand 
partie  pour  bases  les  découvertes  qu'il  a  faites  dans  celle] 
science.  Dans  sa  théorie  électro-chimique  il  range  les  corps 
simples  dans  l'ordre  de  leurs  intensités  électriques,  les  div 
sant  d'abord  en  deux  grandes  classes,  en  électro-positifs  et 
en  électro-négatifs  :  ceux  de  la  i)remière  classe  oflVcnt 
toujours  l'électiicilé  positive  en  présence  de  ceux  de  la  se- 
conde, et  leins  oxydes  se  comportent  avec  ceux  des  corps 
de  la  deuxième  classe  comme  des  bases  salifiables  avec  des 
a(;i(les.  La  nomenclature  chimique  et  la  théorie  alomistique 
lui  sont  redevables  d'une  grande  partie  de  leurs  progrès. 

Outre  un  giand  nombre  de  mémoires  publiés  dans  1 
journaux  étrangers,  et  particulièrement  dans  Afliandlingnri\ 


fisik ,  journal  suédois ,  on  possède  de  Berzélius  plusieurs 
ouvrages  traduits  en  français.  Les  principaux  sont  :  Essai 
sur  la  théorie  des  proportions  chimiques  et  sur  l'in- 
fluence chimique  de  V électricité.  ;  Nouveau  système  de 
Minéralogie  ;  De  l'emploi  du  Chalumeau  datis  l'analyse 
chimique  ;  Éléments  de  Chimie ,  traduits  par  Jourdan 
avec  des  additions  et  des  corrections  par  l'auteur  (  Paris  , 
1829),  etc.,  etc.  De  plus,  coname  secrétaire  de  l'Académie 
des  Sciences  de  Stockholm,  Berzélius  publiait  annuellement, 
sous  le  titre  d'AnmiaiJ-e  des  Progrès  des  Sciences  physi- 
ques, un  compte-rendu  de  ce  que  la  chimie,  la  physique  et  la 
minéralogie  avaient  produit  de  remarquable  pendant  l'année 
précédente  :  de  1820  à  1847,  il  fit  paraître  ainsi  vingt-sept 
volumes  qui  ont  été  traduits  en  allemand  par  Gmelin , 
Wœhler,  etc. 

En  1819,  l'illustre  Suédois  fit  un  voyage  à  Paris.  Pendant 
son.  séjour  en  France,  Berzélius ,  par  l'affabilité  de  son  ca- 
ractère, sut  captiver  tout  le  monde.  Les  salons  de  Ber- 
thoUet  à  Arcueil  étaient  à  cette  époque  le  rendez-vous  de 
ce  que  les  sciences  et  les  lettres  avaient  de  plus  illustre. 
C'est  là  que  Berzélius  commença  avec  Laplace,  Gay-Lussac, 
Arago,  Ampère,  Dulong,  Fresnel,  etc.,  des  relations  qui 
n'ont  été  interrompues  que  par  la  mort. 

Anobli  dès  1818  par  le  roi  Charles-Jean,  Berzélius,  à 
l'occasion  de  son  mariage  avec  la  fille  du  conseiller  d'État 
Pappius,  fut  créé  baron  en  1835.  Député  à  la  diète,  il  obtint 
en  183S  le  titre  de  sénateur.  Mais  la  faveur  royale  ne  fit  pas 
de  Berzéhus  un  homme  politique  ;  son  laboratoire  ne  fut 
pas  négligé  pour  sa  nouvelle  dignité.  Il  resta  simple  et 
travailleur  comme  par  le  passé ,  et  par  cette  sage  conduite  il 
laisse  à  sa  patrie  un  nom  illustre,  inattaquable  par  les  partis 
et  les  réactions  politiques.  Utile  enseignement  pour  les  sa- 
vants de  notre  pays! 

BESACE  ou  BISSAC  (du  latin  Us  saccus,  double  sac), 
sorte  de  sac  ouvert  par  le  milieu ,  qu'on  porte  sur  l'épaule 
et  dont  l'un  des  bouts  pend  par  devant  et  l'autre  par  der- 
rière. La  besace  est  surtout  l'apanage  des  mendiants.  De  là 
les  proverbes  Porter  la  besace ,  Réduire  quelqu^m  à  la 
besace.  Une  besace  bien  promenée  nourrit  son  maître , 
dit-on  proverbialement;  et  sous  leurs  haillons,  certains 
animaux  à  deux  pieds  qui  se  plaignent  du  poids  de  leurs 
charges  répètent  encore  que  c'est  toiijours  aux  gueux  la 
besace.  Enfin ,  si  l'on  en  croit  les  fables  des  moralistes , 

Le  fabricaleur  souverain 
Nous  créa  hesaciers ,  tons  de  même  manière. 
Tant  ceux  du  temps  passé  que  du  temps  d'aujourd'liui. 
Il  fit  pour  nos  défauts  la  poche  de  derrière. 
Et  celle  de  devant  pour  les  défauts  d'autrui. 

BESAGUË  ou  BESAIGUË.  Arme  offensive  et  d'hast,  en 
tisage  dans  le  moyen  âge.  C'était  une  sorte  de  serpe  ou  de 
liache  à  deux  tranchants,  garnie  de  pointes  à  son  extrémité 
supérieure.  On  s'en  servit  dans  les  combats  jusqu'à  l'épo- 
que de  l'invention  de  la  poudre  et  des  armes  à  feu.  Elle 
cessa  alors  de  faire  partie  de  l'armement  des  troupes. 

BESAIV.  Voyez,  Besant. 

BESAJXÇON  (Vesuntio,  nommée  aussi  Chrysopolis 
du  temps  de  César) ,  ville  de*  France ,  chef-lieu  du  dé- 
partement du  Doubs.  Sa  population  est  de  29,718  hab. 
Siège  d'un  archevêché,  d'une  cour  d'appel,  d'un  tribunal  de 
première  instance  et  d'un  tribunal  de  commerce ,  Besançon 
possède  une  faculté  des  lettres ,  une  faculté  des  sciences,  un 
lycée,  une  école  secondaire  de  médecine,  une  école  normale 
primaire,  un  séminaire  théologique,  une  bibliothèque  pu- 
blique, renfermant  65,000  volumes,  un  musée  d'antiquités, 
le  musée  Paris,  et  un  jardin  botanique.  Place  forte,  et 
quartier  général  de  la  7^  division  militaire ,  Besançon  pos- 
sède une  école  d'artillerie  et  une  citadelle. 

L'origine  de  cette  ville ,  dont  le  nom  en  langue  celte 
signifierait  sépulcre  dans  une  vallée,  se  perd  dans  la  nuit 
des  temps.  Déjà  célèbre  sous  César,  qui  en  parle  avec  éloge 

UICT.    DR    LA    CONVERS.   —   T.    III. 


BERZÉLIUS  —  BESANT  io5 

(lib.  I,cap.  9,  De  Bell.  Gall.),  elle  devint  sous  Auguste  la 


métropole  de  la  Grande  Séquanie,  et  atteignit  sa  plus  grande 
splendeur  sous  l'empereur  Aurélien ,  à  la  mémoire  duquel 
y  fut  élevé  un  arc  de  triomphe  {la  Porte  Noire),  dont 
les  vestiges,  avec  ceux  d'un  amphithéâtre  et  d'un  aque- 
duc, attestent  encore  aujourd'hui  sa  haute  antiquité.  De- 
venue ville  libre  et  impériale,  puis  cédée  aux  Espagnols , 
reconquise  par  Louis  XIV ,  elle  resta  définitivement  à  la 
France  en  1674-,  et  devint  en  1676  le  siège  du  parlement  et 
la  capitale ;de  la  Franche-Comté. 

Dans  une  situation  agréable ,  à  l'extrémité  d'une  vallée 
arrosée  par  le  Doubs,  la  ville  de  Besançon ,  divisée  en  deux 
portions  inégales  par  la  rivière ,  se  trouve  dominée  par  de 
hautes  montagnes  couvertes  de  vignes,  de  bois  ,  et  couron- 
nées par  plusieurs  forts  dont  les  principaux  sont  la  citadelle 
assise  sur  im  roc  inaccessible ,  la  tour  de  Chaudanne  et  le 
fort  du  Griphon.  La  partie  de  la  ville  située  sur  la  rive  gau- 
che du  Doubs  est  très-bien  bâtie,  et  renferme  des  places  pu- 
bliques vastes  et  régulières  ;  l'hôtel  de  ville ,  bel  édifice  go- 
thique ;  un  magnifique  hôtel  de  préfecture ,  l'hôpital ,  l'an- 
cien palais  du  cardinal  de  Granvelle,  la  cathédrale,  les 
églises  Saint-Jean  et  de  la  Madeleine,  les  casernes,  de  belles 
fontaines  publiques,  des  bains,  la  porte  Taillée,  ouvrage  des 
Romains,  la  salle  de  spectacle ,  le  polygone  ,  la  promenade 
de  Granvelle  et  celle  de  Chamars. 

Besançon  possède  des  manufactures  d'armes  à  feu  et  d'ar- 
mes blanches.  On  y  fabrique  de  l'horlogerie,  des  draps,  des 
toiles,  de  la  mousseline,  de  la  bonneterie,  des  toiles  peintes, 
des  gants,  des  papiers  peints,  de  la  quincaillerie.  Cette  ville 
a  en  outre  une  raffinerie  de  poudre  et  de  salpêtre  et  des 
brasseries  renommées.  Son  commerce  est  actif,  surtout  avec 
la  Suisse,  l'Alsace  et  le  midi  de  la  France.  Elle  possède  un 
bureau  de  douanes. 

A  trois  lieues  sud-ouest  de  Besançon ,  se  trouve  la  grotte 
d'Osselle ,  qui  a  plus  d'un  quart  de  lieue  de  long,  et  qui 
est  remarquable  par  ses  belles  stalactites  et  les  ossements 
fossiles  qu'on  y  rencontre. 

BESAi\T,BESAN  ou  BEZANT,  nom  d'une  ancienne 
monnaie,  qui  a  d'abord  été  frappée  par  les  empereurs  de 
Byzance,  d'où  elle  aurait  tiré  son  nom,  et  qui  était  d'or  pur, 
au  titre  de  vingt-quatre  carats.  Plus  tard,  il  fut  d'usage  en 
France  d'en  présenter  treize  à  la  messe  du  sacre  des  rois ,  et 
Henri  II  en  fit  battre,  expressément  pour  cette  destination , 
un  nombre  pareil,  en  leur  donnant  le  nom  de  byzantins. 
On  s'est  demandé  pourquoi  nos  princes  se  servaient  d'une 
monnaie  étrangère  dans  leur  sacre?  Leblanc  pense  que  ce 
nom  était  donné  autrefois  à  toute  monnaie  d'or,  même 
quand  elle  n'était  pas  frappée  à  Constantinople. 

On  ne  paraît  pas  bien  fixé  sur  la  valeur  du  ôesfi??^  ancien. 
Ragneau  et  Baquet  l'évaluent  à  50  livres  ;  le  sire  de  Joinvilie 
dit  qu'on  demanda  pour  la  rançon  de  Louis  200,000  besants 
d'or,  qui  valaient  500,000  livres  :  ce  serait  à  raison  de  50  sous 
pour  chacun.  Dans  plusieurs  titres  d'abonnement  de  fiefs, 
le  besant  n'est  apprécié  qu'à  20  sous;  dans  un  compte  des 
baillifs  de  France  de  l'an  1277,  il  est  évalué  à  9  sous.  Le 
denier  tournois  était  alors  à  1  denier  6  grains  de  loi,  à  la 
taille  de  200  au  marc  :  ainsi ,  il  valait  de  notre  monnaie 
courante  4  deniers  un  quart,  et  par  conséquent  le  besant 
vaudrait  environ  21  sous  de  la  monnaie  d'aujourd'hui. 

BESANT  (Blason).  C'est  une  pièce  de  métal  ronde  et 
pleine  dont  on  charge  l' écu,  à  la  différence  des  tourteaux, 
qui  sont  de  couleur,  et  des  cercles  et  anneaux,  qui  sont 
à  jour.  Les  paladins  français  mirent  sur  leurs  écus  de  ces 
sortes  de  besants,  pour  faire  voir  qu'ils  avaient  fait  le 
voyage  de  la  Terre  Sainte.  On  appelle  besant-tourteau  celui 
qui  est  mi-partie  de  métal  et  mi-partie  de  couleur.  Les  Es- 
pagnols confondent  les  besants  et  les  tourteaux,  et  les  ap- 
pellent indifféremment  roeles  ;  quelques-uns  appellent  aussi 
les  besants  d'argent  plates,  du  mot  espagnol  plata,  qui  si- 
gnifie argent.  Upton  nomme  les  besants  d'or  talents,  et 

14 


106 


BESAiNT  —  BESELER 


ceux  (ïaLTgenl  palets.  IJ  y  a  aussi  des  besants  saracéniques 
(sarrazins). 

DESBOIIOUÏJO  (Alexandre, prince), secrétaire  d'État 
sous  le  règne  cle  Catlicriiic  II  et  do  Paul  I"  de  Russie,  né 
en  (742,  dans  la  l'eîite-Russie,  mort  à  Saint-Pétersbourg,  en 
1799,  avait  accompagné  en  qualité  de  secrétaire  le  feld-ma- 
r^clial  Roinanzofr  dans  ses  premières  campagnes  contre  les 
Turcs,  lorsqu'il  obtint  un  emploi  de  secrétaire  à  la  chancel- 
lerie. Connaissant  i)arfaitement  sa  langue  maternelle ,  il 
brillait  en  outre  par  la  facilité  et  la  rapidité  de  la  conception. 
Ayant  reçu  un  jour  l'ordre  de  rédiger  un  projet  d'ukase,  il 
oublia  complètement  la  commission  dont  il  était  chargé,  et 
se  présenta  au  palais  de  l'impératrice  sans  être  porteur  du 
travail  qui  lui  avait  été  demandé.  Catherine  II  le  lui  rap- 
pela, et  Besborodko,  sans  se  troubler,  tira  de  son  porte- 
î'euille  une  feuille  de  papier  blanc,  puis  donna  lecture  à  sa 
souveraine  du  projet  d'ukase  comme  s'il  eût  été  réellement 
rédigé  déjà  dei>uis  longtemps.  L'mipératricc,  satisfaite,  lui 
demanda  le  papier  pour  y  apposer  immédiatement  sa  sig;ia- 
ture,  et  sa  surprise  fut  grande  en  le  trouvant  d'une  entière 
blancheur.  Toutefois  elle  prit  la  chose  enbonnopart,  ne  lit 
point  de  reproche  à  Besborodko,  et  le  nomma,  au  contraire, 
conseiller  intime,  puis,  en  1780,  secrétaire  d'État  pour  les 
affaires  étrangères.  Depuis  lors,  et  surtout  après  la  mort<lc 
Panin,  en  17S3,  il  posséda  toute  la  confiance  de  Cathe- 
rine II. 

Créé  comte  du  saint-empire  par  l'empereur  .Joseph  II ,  et 
possesseur  d'une  fortune  immense,  Besborbdko  s'allia  à  la 
Camille  Woronzoff,et  devint  ainsi  l'un  des  adversaires  secrets 
de  Potemkin.  En  1791  l'impératrice  l'envoya  à  Jassy  pour 
renouer  avec  la  Porte  les  négociations  de  paix  rompues  par 
Potemkin  ;  et  au  retour  de  cette  mission  son  crédit  s'accrut 
encore.  11  dirigeait  presque  à  lui  seul  toutes  les  relations  de 
la  Russie  avec  les  puissances  étrangères,  et  il  exerça  la  plus 
décisive  influence  sur  le  sort  fait  k  la  Pologne.  Plus  tard,  le 
favori  Platon  Zouboff  le  remplaça  dans  la  confiance  de  Ca- 
therine II,  sans  que  cependant  il  tombât  pour  cela  en  dis- 
grâce. A  l'avéneuient  de  Paul  F"^  au  trône,  il  tut  créé  prince, 
et  en  1797  cet  empereur  le  chargea  de  négocier  une  alliance 
entre  la  Russie  et  l'Angleterre  contre  la  France.  Il  aimait 
')assionnément  les  beaux-arts ,  et  la  magnifique  galerie  de 
tableaux  qu'il  forma  prouvait  la  sûreté  de  son  goût.  Par 
.^on  testament  il  consacra  nue  grande  partie  de  sa  fortune  à 
des  établissements  d'utilité  publique. 

JBESCIÏIR  (Émir).  Voyez  Bkchir. 

IîESCHTIAI\'S.  Vouez  CuAsmiM. 

BESELER  (GuH,L,viJME-lÎAUTviG  ),  l'un  des  hommes  qui 
ont  tenu  le  plus  dignement  en  1848,  1849  et  1850  le  dra- 
peau de  rindéi)endancc,  de  la  nationalité  allemande  et  de 
l'inséparabilité  politique  des  duchés  de  Schleswig-Hol- 
slein  contre  les  projets  d'absorption  conçus  par  le  cabinet 
<le  Copenhague,  est  né  en  180G,  dans  le  pays  d'Oidenburg. 
Élevé  à  Schleswig,  il  fit  ses  études  de  1825  à  1827  aux 
universités  de  kiel  et  de  Heidclberg ,  et  reçu  avocat,  vint 
se  fixer  à  Schleswig,  où  bientôt  il  sut  se  faire  une  place  des 
plus  honorables  au  barreau  de  cette  ville,  en  môme  temps 
(ju'il  prenait  la  part  la  plus  active  à  toutes  les  discussions 
que  soulevait  dans  le  pays  l'intention  de  le  daniser,  haute- 
ment avouée  par  le  gouvernement  danois.  Bien  que  de- 
venu plus  tard  un  des  chefs  de  l'agitation  anti-danoise, 
il  s'efforça  constammc!ît  de  rester  dans  les  voies  de  la 
stricte  légalité.  Son  rôle  polificpie  ne  date  pourtant,  h  bien 
dire,  que  de  l'aimée  1844,  époque  où  la  ville  de  Touderne 
l'élut  pour  son  mandataire  à  la  diète  de  Schleswig.  A  celte 
époque  le  parti  radical  danois  s'efforçait  d'entraîner  dans 
son  courant  d'idées  et  d'efforts  les  populations  du  nord 
du  Schleswig,  tant  par  de  belles  promesses  que  par  cpiel- 
(pies  concessions.  M.  Beseler  IVit  un  de  ceux  qui  repous- 
sèrent avec  le  plus  d'énergie  les  insidieuses  tentatives  fai- 
tes pour  arriver  à  désunir  ses  concitoyens.  La  diéle  Tayaut 


élu  pour  son  président,  il  eut  en  cette  qualité  à  combattre 
les  usurpations  et  les  excès  de  pouvoir  de  tout  genre  com- 
mis par  le  commissaire  du  gouvernement  Scheele.  Sa  con- 
duite dans  l'exercice  de  ces  importantes  fonctions  lui  valut 
les  sympathies  universelles  de  ses  concitoyens,  et  plus  par- 
ticulièrement la  gratitude  des  habitants  du  pays  d'Angela 
et  de  la  Frise. 

La  conviction  profonde  de  M.  Be.seler  a  toujours  été  qu'il 
n'y  aurait  jamais  de  tranquillité  durable  à  espérer  pour  le 
Schleswig  qu'à  la  condition  de  réunir  à  l'Allemagne  la 
partie  allemande  (plus  des  trois  quarts)  du  territoire  de 
ce  duché,  sans  d'ailleurs  porter  en  rien  atteinte  aux  droits 
du  souverain  par  le  seul  fait  du  maintien  de  l'union 
administrative  et  politique  qui  a  constamment  existé  de- 
puis plus  de  quatre  cents  ans  entre  le  Schleswig  et  le  Hol- 
stein,  partie  intégrante  jadis  de  l'empire,  et  aujourd'hui  en- 
core de  la  Confédération  germanique.  Tels  sont  les  principes 
qu'il  s'esL  efforcé  de  faire  prévaloir  dans  tout  le  cours  de 
sa  cairièrc  politique.  A  la  suite  du  mouvement  produit  en 
mars  1848  dans  les  duchés  par  le  contre-coup  de  la  révo- 
lution ({ui  venait  de  mettre  à  Copenhague  le  pouvoir  aux 
mains  du  parti  radical,  M.  Beseler  fut  appelé  par  ses  conci- 
toyens à  faire  [ir-rtic  du  gouvernement  provisoire  qui  se 
constitua  alors  dans  les  duchés.  Plus  tard,  il  fut  député  par 
la  ville  d(!  Rcndsbourg  au  parlement  allemand  de  Franc- 
fort ;  et  quoique  son  rùie  dans  celte  assemblée  se  soit  à  peu 
près  borné  à  y  défendre  le  droit  de  ses  concitoyens  de  con- 
server leurs  lois,  leui-s  institutions  et  leur  langue  nationale, 
il  n'y  obtint  pas  moins  les  honneurs  de  la  vice-présidence. 
Quand,  trahie  par  la  Prusse,  indignement  sacrifiée  parles 
jalousies  réciproques  de  l'Angleterre  et  de  la  Russie,  et 
niaisement  abandonnée  par  la  France  se  laissant,  dans  cette 
circonstance  comme  dans  tant  d'autres ,  traîner  à  la  remor- 
que par  la  diplomatie  de  ses  ennemis  intimes,  la  cause  des 
duchés  dut  succomber  en  janvier  1851  sous  la  pression  d'i.n 
corps  d'exécution  autrichien ,  M.  Beseler,  personnellement 
exclu  des  diverses  amnisties  proclamées  par  le  roi  de  Da- 
nemark ,  se  retira  à  Brunsvnck,  où  un  asile  lui  avait  été 
offert  au  nom  du  duc. 

Son  ivhve  y  Charles-Georges-Chrétien  Besei.ek,  profes- 
seur de  droit  à  l'université  de  Greifswald  (  Prusse  )  et  l'un  des 
jurisconsultes  les  plus  distingués  de  l'Allemagne,  né  en 
1809,  près  de  Husmn,  dans  le  duché  de  Schleswig,  se  vit 
refuser  par  le  gouvernement  danois  le  droit  de  s'établir 
comme  avocat  à  Schleswig  ou  de  faire  des  cours  particu- 
liers à  l'université  de  Kiel,  parce  que  sa  conscience  ne  lui 
permit  pas  de  prêter  le  serment  de  fidélité  à  la  loi  du  roi 
(  voyez  l'article  Danemark)  que  le  gouvernement  danois,  à 
partir  de  18:îl,  imposa  dans  les  duchés  à  tous  les  fonction 
naircs  publics,  avocats,  notaires,  greffiers,  etc.  Prêter  ce 
serment,  c'était  aux  yeux  de  M.  Beseler  devenir  complice  de 
l'usurpation  danoise.  Après  avoir  successivement  professé 
avec  le  plus  grand  succès  à  Gœttingue,  à  Heidelberg,  à  Bàle, 
à  Rostock,  il  fut  appelé,  en  1842,  par  le  gouvernement 
prussien,  à  occu|)er  une  chaire  à  l'université  de  Greifswald. 
Élu  à  l'Assemblée  nationale  allemande  en  1848,  par  le  cercle 
éle<;toral  de  cette  ville,  il  y  devint  l'un  des  chefs  du  centre 
droit.  En  toute  occasion  il  combattit  les  projets  d'omnipo 
tence  et  de  suiuématie  de  l'Autriche.  11  vota  en  outre  l'hé- 
rédité de  l'empire  dans  la  maison  de  Hohenzollern,  et 
fut  un  des  membres  de  la  députation  que  le  parlement  de 
Francfort  envoya  à  Berlin  pour  y  faire  connaître  au  roi  ie 
vote  de  l'assemhlée  qui  lui  offrait  la  couronne  impériale. 
Plus  tard,  quand  le  parlement  de  Francfort  prit  mie  at 
tilude  décidément  radicale,  il  engagea  tous  ses  collègues 
j)ru.ssicns  à  se  retirer  de  cette  assemblée,  et  son  conseil 
allait  êfre  suivi  quand  arriva  un  ordre  do  Berlin pc.sciivant 
ce  que  M.  Ce.solcr  se  bornait  à  conseiller.  En  J8i9  il  a 
été  élu  par  l'arrondissement  de  aiausfcld  membre  de  la 
Chambre  des  Députés  prussienne,  et  dans  cette  assemblée, 


BESELER  —  BESOIN 


107 


011  il  siège  à  la  gauche,  il  s'est  prononcé  pour  la  révision 
de  la  constitution  dans  le  sens  du  système  constitutionnel. 

BESEMVAL.  Voyez  Bezental. 

BESIADE  (Famille de).  Voyez  Avaiuy. 

BESICLES.  Voyez  Lunettes. 

BESIGUE.  Composé  d'empixints  faits  au  piquet  et 
au  mariage,  le  besigue  se  joue  à  deux  personnes  et  en 
cinq  cents  points ,  avec  un  jeu  de  trente-deux  cartes ,  dont 
Tordre  et  la  valeur  sont  ainsi  réglés  :  l'as  vaut  onze  points  ; 
le  dix  en  vaut  dix;  le  roi,  quatre  ;  la  dame ,  trois  ;  le  valet, 
deux;  les  neuf,  huit,  sept,  suivent  la  progression  descen- 
dante ,  et  peuvent  servir  à  faire  des  levées ,  rçiais  ils  ne 
font  pas  compter  de  points. 

Celui  des  deux  joueurs  que  le  sort  a  désigné  pour  donner 
le  premier,  donne  allernativement,  deux  par  deux,  six 
cartes  à  son  adversaire  et  autant  à  lui-même;  puis  il  re- 
tourne la  treizième ,  qui  indique  la  couleur  de  l'atout.  Si  la 
retourne  est  un  sept,  le  donneur  marque  dix  points.  Si 
c'est  une  autre  carte,  celui  des  deux  joueurs  qui  a  le  sept 
de  même  couleur  peut  l'échanger  contre  la  retourne,  et  il 
marque  dix  points. 

Les  diverses  chances  sont  :  la  quinte  majeure  en  atout , 
qui  vaut  cinq  cents  points  et  fait  gagner  d'emblée;  les  au- 
tres quintes,  qui  valent  deux  cent  cinquante  ;  les  quatre  as, 
qui  valent  cent;  les  quatre  rois,  quatre-vingts;  les  quatre 
dames,  soixante;  les  quatre  valets,  quarante.  Le  bésigue, 
qui  est  la  réunion  du  valet  de  carreau  et  de  la  dame  de  pi- 
que dans  la  même  main,  vaut  quarante.  Le  mariage,  c'est- 
à-dire  le  roi  et  la  dame  de  même  couleur,  vaut  quarante 
s'il  est  en  atout ,  et  vingt  dans  les  autres  cas  ;  enfin  la  der- 
nière levée  vaut  dix. 

Après  chaque  levée ,  chacun  des  deux  joueurs  prend  une 
carte  sur  le  talon  ;  celui  qui  a  fait  la  levée  prend  le  pre- 
mier. On  ne  peut  compter  les  points  qu'on  a  en  main,  comme 
besigue,  mariages,  cent  d'as,  etc.,  qu'après  avoir  fait  une 
levée  et  avant  de  prendre  la  carte  du  talon.  Quant  aux 
points  résultant  des  levées ,  on  ne  les  compte  qu'après  le 
coup. 

Tant  qu'il  y  a  des  cartes  au  taion ,  on  peut  renoncer  ou 
même  couper  avec  de  l'atout,  bien  qu'on  ait  en  main  de  la 
couleur  demandée.  Mais  lorsqu'il  n'y  a  plus  de  cartes  à 
relever,  on  est  tenu  de  suivre  les  règles  de  l'écarté. 

Le  besigue  se  joue  aussi  sans  retourner  la  treizième  carte  ; 
alors ,  c'est  le  premier  mariage  compté  qui  indique  la  cou- 
leur de  l'atout. 

BESKOW  (Bernard  de),  grand  maréchal  de  la  cour 
du  roi  de  Suède,  né  le  19  avril  1796,  à  Stockholm,  est  le 
fils  d'un  riche  négociant,  propriétaire  de  mines  importantes. 
Dès  son  enfance  il  montra  les  dispositions  les  plus  grandes 
pour  la  peinture  et  surtout  pour  la  musique,  et  ne  se  laissa 
que  plus  tard  entraîner  par  les  charmes  de  la  poésie. 
En  1814  il  entra  dans  la  chancellerie,  fut,  en  1824,  at- 
taché au  cabinet  du  prince  royal ,  puis  nommé  secrétaire  de 
ses  commandements,  anobli  en  1826,  créé  chambellan  en 
1827,  et  en  1833  grand  maréchal  de  la  cour.  En  février 
1831  il  prit  la  direction  du  théâtre  royal  de  Stockholm, 
et  fit  représenter  sur  cette  scène  plusieurs  pièces  d'un  grand 
mérite  ;  mais  des  motifs  financiers  le  forcèrent  dès  l'année 
suivante  à  résigner  ce  sceptre  théûtral.  Non  content  de  l'e- 
noncer  aux  émoluments  attachés  à  ses  différents  emplois ,  il 
lui  est  souvent  arrivé  de  consacrer  une  notable  partie  de  sa 
fortune  particulière  à  produire  dans  le  monde  et  à  y  soutenir 
de  jeunes  talents  encore  inconnus.  Il  est  l'un  des  dix-huit  de 
l'Académie  Suédoise,  et  depuis  1834  son  secrétaire  per- 
pétuel. En  1818  et  1819  il  !il  paraître  Vitterheds  Jorsak 
und  jEremimie  or/ver  Torkel  Knuston,  aussi  que  le 
poëme  Cari  XII,  dont  la  publication  lui  valut  la  connais - 
sauce  et  l'amitié  de  Tegner.  En  1824  son  poëme  Sreriges 
MHo?'  lui  fit  avoir  le  grand  prix  de  l'Académie. 
r  Pendar.t  h:s  annres  1S20  et  JS21  ,  1827  et  1828,  M.  de 


Beskow  parcourut  les  principales  contrées  de  l'Europe,  se 
liant  partout  avec  les  hommes  les  plus  considérés  dans  les 
arts  et  les  lettres.  L'un  des  fruits  de  ce  voyage  fut  la  pu- 
blication de  ses  Vandring  minnen  (  Souvenirs  de  voyages, 
2  vol.;  Stockholm,  1832).  Erick  den  Fjortonde  fut  sa 
première  tragédie;  vinrent  ensuite  Hïldegard,  Torkel 
Kmitson,  peut-être  la  plus  remarquable  des  tragédies  qu'offre 
la  littérature  suédoise;  Kong  Birgeroch  Hans  JElt  (  1837  ), 
et  Gustav  Adolfi  Tykland,  traduites  en  danois  et  en  alle- 
mand par  Œhlenschlœger.  Son  opéra  les  Troubadours  a 
élé  mis  en  musique  par  le  prince  royal  lui-même,  depuis 
roi  (le  Suède  sous  le  nom  d'Oscar  i«''. 

M.  de  Beskow  a  aussi  donné  des  articles  à  |)resque  tous 
ceux  des  journaux  suédois  qui  s'occupent  de  littérature  et 
de  beaux-arts.  Abordant  même  le  champ  de  la  politique ,  il 
a  fait  de  la  polémique  monarchique,  notamment  dans  VA- 
beille  suédoise,  et,  comme  on  devait  s'y  attendre,  s'est 
efforcé  de  démontrer  que  la  Suède  a  le  meilleur  des  gcu- 
vernements  possibles,  donnant  ainsi ,  sans  le  vouloir  peut- 
être,  une  nouvelle  preuve  de  la  puissance  d'imagination 
poétique  dont  l'a  doué  la  nature.  Comme  prosateur,  on  doit 
reconnaître  que  son  style  réunit  la  pureté  à  l'éclat,  l'élé- 
gance à  la  noblesse;  il  manie  avec  un  rare  bonheur  l'ironie, 
tout  en  sachant  observer  toujours  les  plus  exactes  conve- 
nances. Ses  poésies  respirent  la  grâce  et  tous  les  sentiments 
tendres  qui  parlent  au  cœur.  Si  la  critique  peut  reprocher 
à  quelques-unes  de  ses  tragédies  des  vices  de  plan  et  des 
caractères  faux,  elle  n'a  que  des  éloges  à  donner  à  sou  style 
et  à  la  facture  de  ses  vers.  En  1842  la  Faculté  de  philoso- 
phie de  l'université  d'Upsal  lui  a  décerné  le  titre  de  doc- 
leur,  honneur  qui  n'avait  encore  été  accordé  qu'au  baron 
deBrinkmann ,  bienfaiteur  delà  bibliothèque  de  l'université. 

BESMES ,  ainsi  appelé  de  ce  qu'il  était  né  en  Bohême, 
mais  dont  le  vrai  nom  était  Charles  Dianovvitz  ,  assassin  à 
la  solde  des  Guise ,  devenu  fameux  par  son  audace  et  sa 
férocité  d;uis  les  massacres  de  la  Sauit-Barthélemi.  Ce  fut 
lui  qui  eut  la  principale  part  au  meurtre  de  l'amiral  Coli- 
gn  y,  et  qui  jeta  son  coriis  par  la  fenêtre.  11  se  distingua  à  la 
tête  des  bandes  d'égorgeurs  tant  que  durèrent  ces  sanglantes 
exécutions.  Pour  prix  de  ses  services,  il  reçut,  avec  une 
riche  dot,  la  main  d'Anne ,  fille  naturelle  du  cardinal  de 
Lorraine,  qui  avait  été  fille  d'honneur  d'EUsabeth  de  France, 
femme  de  Philippe  IJ,  roi  d'Espagne.  Par  reconnaissance 
ou  par  goût,  il  continua  de  poursuivre  à  outrance  les  hugue- 
nots. Il  revenait  à  Paris,  après  avoir  exploité  les  provinces, 
lorsqu'il  tomba  au  pouvoir  d'un  parti  huguenot,  entre  Bar- 
bézieux  et  Château-Neuf.  Les  Rochelais  demandèrent  qu'il 
leur  fût  livré;  mais  il  resta  prisonnier  au  château  de  Ber- 
tanville.  En  1575  il  parvint  à  s'évader  avec  un  soldat  qui 
le  gaidait.  Le  gouverneur,  informé  imméciialement  de  son 
évasion,  se  mit  lui-même  à  sa  poursuite  et  ralteignit.  Besmes, 
qui  ne  pouvait  lui  échapper,  s'arrête,  et  armant  un  pistolet  ; 
n  N'avance  pas ,  dit-il  au  gouverneur,  ou  tu  es  mort.  ïu 
sais  que  je  suis  un  mauvais  garçon.  »  Besme  manqua  son 
coup.  «  Je  ne  veux  pas  que  tu  le  sois ,  »  répond  le  gouver- 
neur ,  et  il  lui  passe  son  épée  au  travers  du  corps.  C'est  une 
chose  digne  de  remarque  que  les  deux  assassins  de  Coligny 
périrent  de  mort  violente.  Maurevel  fut  rencontré  à  Paris, 
rue  Croix-des-Petits-Chanips,  par  le  fils  du  malheureux  de 
Mouy,  que  ce  scélérat  avait  assassiné  à  Niort  Mauievel,  àl'as- 
pect  du  fils  de  sa  victime,  prit  la  fuite;  mais  le  jeune  de  Mouy 
l'alteignit  dans  la  rue  Saint-Honoré,  et  lui  fit  plusieurs  bles- 
sures, dont  il  mourut  le  lendemain.    Dut'EY  (  de  l' Voune  ). 

BESOIN  (Droit  commercial).  Dans  les  effets  de  com- 
merce, on  indique  pour  payer  ati  besoin  une  ou  plusieurs 
personnes  auprès  desquelles  on  a  recours  faute  de  payement 
par  le  débiteur  sur  qui  l'effet  a  été  tiré.  Ainsi ,  d'après  l'ar- 
ticle 173  du  Code  de  Commerce,  les  protêts  faute  d'accep- 
tation ou  de  payement  doivent  être  faits  au  domicile  de  ceux 
qui  ont  été  désignés  par  la  lettre  de  clKuigc  pour  la  paver 

14. 


108 


BESOINS 


(lu  besoin.  Le  besoin ,  étant  d'une  main  étrangère,  n'oblige 
pas,  bien  entendu,  la  personne  désignée.  Celui  qui  consent  b. 
payer  ainsi  peut  exiger  la  remise  de  l'effet  acquitté ,  ainsi 
que  le  protêt  dûment  enregistré  fait  sur  le  tiré. 

ïîESOÎiVS.  On  fait  venir  ce  mot  de  bis  somnium,  parce 
que  les  nécessités  que  cause  le  besoin  doublent  les  soucis  ou 
les  songes.  Cependant,  on  peut  dire  qu'il  y  a  des  besoins  par 
excès ,  comme  d'autres  par  défaut,  que  les  animaux  sont 
réduits  aux  besoins  physiques,  et  que  l'homme  seul  éprouve 
aussi  des  besoins  moraux.  Il  est  même  dans  notre  nature 
de  se  créer  des  besoins  factices,  sources  d'industrie 
comme  de  misère ,  et  qui  ont  pu  élever  notre  espèce  au 
rang  que  la  civilisation  lui  assigne  sur  tous  les  êtres  or- 
ganisés. 

La  plante,  dans  son  insensibilité,  semblerait  exempte  de 
vrais  besoins ,  ou  de  la  douleur  que  les  privations  des  ob- 
jets nécessaires  à  la  vie  imposent;  cependant  elle  appète 
.sa  nourriture,  soit  par  les  racines,  soit  par  les  feuilles,  dont 
les  pores  absorbent  les  sucs  nutritifs,  avec  l'humidité,  l'a- 
cide carbonique ,  etc.  Chez  les  animaux ,  les  besoins  d'ali- 
mentation, la  faim ,  la  soif,  s'expriment  par  des  actes  plus 
manifestes  encore.  Il  en  est  ainsi  de  tous  ceux  que  leur 
instinct  exécute  spontanément  pour  la  conservation  de  l'in- 
dividu et  de  sa  race.  Tout  ce  qui  fait  vide  dans  l'économie 
animale  ou  végétale  est  cause  d'un  besoin ,  afin  de  réparer 
l'indigence  de  l'organisme  :  de  là  les  sensations  de  la  faim, 
de  la  soif,  celles  du  froid,  de  la  chaleur,  etc.;  elles  de- 
mandent leur  contraire,  ou  le  rétablissement  de  cet  équi- 
libre, qui  constitue  la  santé,  le  bien-être  corporel. 

L'économie  vivante  demande  également  à  s'exonérer  des 
matériaux  superllus  qui  peuvent  la  surcharger  ou  gêner  ses 
actes.  Quand  on  ne  citerait  ici  que  les  pioduits  des  excré- 
tions, soit  du  résidu  des  aliments  et  des  boissons,  soit  des 
humeurs  surabondantes ,  dans  l'état  de  santé  comme  dans 
les  maladies,  on  comprend  qu'il  en  résulte  plusieurs  besoins 
tout  aussi  réels  que  ceux  par  défaut.  11  est  surtout  des  ex- 
crétions qui  ont  une  nombreuse  série  de  besoins,  telles  sont 
celles  relatives  à  la  génération  :  ainsi  l'évacuation  meus- 
truelle,  celle  du  lait  et  du  liquide  reproducteur,  sollicitent 
des  besoins  nés  d'un  excès  naturel  d'élaboration  d'aliments 
dans  l'âge  de  la  vigueur  et  au  faîte  de  notre  existence.  Ce 
n'est  donc  point  la  pénurie  qui  est  la  cause  de  tous  lés 
besoins,  comme  on  l'a  supposé;  car  la  diète  même  et  l'abs- 
tinence sont  désirées  par  les  personnes  trop  largement 
repues.  Ainsi  le  besoin  de  débarrasser  l'estomac  surchargé 
d'aliments,  comme  le  faisaient  l'empereur  Vitellius  et 
d'autres  gastronomes ,  est  une  nécessité ,  quoique  tout  op- 
posée à  celle  du  pauvre  affamé.  Les  excrétions  spéciales, 
comme  celles  de  la  matière  de  la  soie  dans  le  ver  à  soie , 
et  d'autres  chenilles  fileuses ,  sont  également  un  besoin  de 
leur  constitution,  puisqu'elles  meurent  si  elles  ne  peuvent  se 
décharger  de  cet  amas  de  matière  soyeuse.  Les  émissions 
comme  les  absorptions  développent  donc  de  vrais  besoins 
chez  les  animaux  et  même  dans  les  végétaux. 

Ainsi  il  y  a  pour  toutes  les  espèces  vivantes  un  principe 
qui  veille  à  leur  existence,  et  qui  les  pousse  par  des  besoins 
appropriés  à  ce  qui  leur  est  utile.  De  là  sont  nés  certains 
appétits  remarquables,  le  besoin  de  nourritures  ou  de  bois- 
sons acides,  rafraîchissantes,  chez  les  personnes  trop  échauf- 
fées, etc.  De  là  ce  besoin  que  le  chien  manifeste  de  se  pur- 
ger ou  de  vomir  en  mâchant  du  gramcn,  et  tant  d'autres 
actes  d'instinct  qui  paraissent  inexplicables.  On  comprendra 
facilement  que  si  la  fatigue  appelle  le  besoin  du  repos, 
l'excès  du  repos  engendre  à  son  tour  le  besom  de  l'activité , 
et  qu'il  y  a  un  tel  degré  d'ennui  qu'on  lui  préfère  des  travaux 
pénibles,  la  chasse,  la  guerre  raôrne,  qui  deviennent  alors 
des  plaisirs. 

L'animal  qui  trouve  sa  nourriture,  une  femelle  et  un  abri, 
accomplit  sa  destinée  dans  l'insouciance  qui  lui  est  naturelle, 
loin  de  ses  ennemis.  11  ne  voit  jamais  au  delà  du  présent; 


il  vit  satisfait ,  parce  qu'il  ne  sort  aucunement  de  l'état  où  le 
sort  l'a  jeté.  "\'oiIà  pourquoi  il  ne  se  perfectionne  ni  ne  se 
détériore  point  de  lui-môme.  A  vrai  dire,  il  agit  moins  par 
une  volonté  réfléchie  qu'il  n'est  guidé  par  l'impulsion  de 
ses  instincts.  Aveugle  instrument  d'une  nature  savante, 
qui  le  forme  et  le  dirige  pour  des  fins  inconnues  à  l'individu, 
c'est  une  sorte  de  marionnette  dépourvue  de  moralité,  c'est 
à-diie  n'étant  point  digne  de  récompense  ni  coupable  de 
crime,  puisque  le  tigre  obéit  à  un  instinct  sanguinaire  autant 
que  l'agneau  subit  le  malheur  de  son  innocence.  De  cet  état 
passif  résulte  pour  l'animal  une  vie  toute  subordonnée  aux 
simples  besoins  corporels.  De  même,  l'homme  qui  se  ré 
duit  à  une  existence  purement  matérielle  végète  pour  ainsi 
dire  comme  la  brute.  Telles  sont  ces  peuplades  de  nègres 
sur  le  sol  brûlant  de  la  Guinée  ;  tels  sont  ces  sauvages  indé- 
pendants des  forêts  de  l'Amériiiue  :  la  terre  fertile  leur  pro- 
digue spontanément  ses  trésors;  ils  en  jouissent  dans  leur 
stupide  indolence,  satisfaits  de  laisser  couler  leurs  jours  et 
d'attendre  le  terme  de  cette  carrière,  insipide  selon  nos 
goiits,  mais  peut-être  channante  par  le  bonheur  de  ce  dolce 
far  nicnte  dont  elle  les  abreuve  sans  cesse.  La  nature  dé 
dommage  ainsi  de  quelque  manière  les  êtres  dont  elle  rcS' 
treint  les  jouissances;  car  les  sots,  les  imbéciles  crétins, 
pour  lesquels  tant  de  besoins  n'existent  pas,  subsistent, 
sinon  bienheureux,  tout  au  moins  exempts  de  grandes  peines, 
sur  la  terre  où  ils  sommeillent. 

L'arbre  de  la  science  et  de  la  civilisation  porte  des  fruits 
délicieux  et  des  semences  d'insupportable  amertume  pour 
•notre  espèce  lorsqu'elle  s'en  nourrit.  Et  cependant,  que 
serions-nous  sans  cette  ardeur,  peut-être  insensée,  de  sortir 
de  notre  spiière  étroite  et  obscure,  pour  nous  élancer, 
à  force  de  travaux  et  de  fatigues,  vers  le  faîte  de  grandeur, 
d'éclat,  de  puissance,  que  nous  promettent  la  curiosité,  l'am 
bition,  le  désir  de  nous  surpasser  aux  regards  de  nos  sem 
blables  et  de  la  postérité.'  C'est  cette  funeste  passion  qui 
met  le  fer  meurtrier  à  la  main  du  conquérant  et  le  pousse 
à  exposer  sa  vie  pour  régner  sur  les  peuples.  Des  besoins 
moins  cruels  ont  inspiré  les  travaux  des  sciences,  des  lettres, 
des  beaux-arts  ;  ont  élevé  les  dômes  magnifiques  des  cités, 
ont  lancé  des  vaisseaux  audacieux  sur  les  flots  de  l'Océan  et 
déployé  leurs  ailes  vers  l'Orient,  afin  de  recueillir  au  milieu 
de  mille  hasards  l'or,  les  diamants,  et  d'autres  produits  non 
moins  précieux.  C'est  le  besoin  de  briller  qui  fait  qu'on  s'ex 
ténue  pour  s'enrichir,  pour  s'entourer  d'objets  de  luxe  ou 
des  jouissances  de  la  vanité ,  jusqu'à  se  glorifier  de  l'abais 
sèment  de  ses  rivaux. 

Plus  on  accroîtra  donc  les  besoins  chez  l'horame,  plm 
on  agacera  ses  désirs  poignants  de  s'agrandir  dans  toutes 
les  carrières,  en  savoir,  en  richesses,  en  jouissances  phy- 
siques et  morales,  au  delà  de  la  nécessité  ;  mais  plus  aussi,  afin 
de  contenter  un  amour-propre  inassouvissable,  l'homme  fera 
d'efforts  d'industrie  pour  se  distinguer  ou  se  satisfaire. 
Voyez  les  peuples  des  climats  prospères  de  l'Inde  ou  de 
l'Asie  :  ils  trouvent  aisément  tout  ce  qui  peut  combler  leurs 
désirs  et  satisfaire  leurs  besoins;  ils  s'en  contentent,  et  ne 
font  nul  effort  pour  s'élever  au  delà  de  ce  simple  bien-être. 
Mais  les  nations  nées  sous  des  cieux  plus  Apres,  subissant 
l'inclémence  de  longs  hivers,  sentent  la  nécessité  de  se  dé- 
fendre par  les  vêtements,  les  habitations,  les  nourritures 
plus  abondantes,  et  par  mille  soins  qui  né  peuvent  se  coor- 
donner que  dans  un  état  de  civilisation,  de  sécurité  sociale. 
De  là  surgissent  les  lois  protectrices  de  la  propriété ,  du 
commerce  et  des  arts  ;  de  là  cet  essor  des  travaux  de  nia^ 
nufactureset  de  l'agriculture;  de  là  se  construisent  les  cités 
où  se  rassemblent  toutes  les  commodités  de  la  vie,  toutes 
les  prosp^ites  du  luxe ,  tous  les  secours  contre  les  besoins. 
Enfin  ,  de  là  jaillissent  les  lumières  des  sciences,  pour  la  pro- 
pagation de  ces  moyens  de  civilisation  et  pour  leurs  i)rogrès 
ultérieurs.  Là  fermentent  ces  associations  puissantes  qui 
créent  des  ouvrages  gigantesques,  ces  canaux,  ces  chemin» 


BESOINS  —  BESSARION 


109 


(!e  fer,  ces  machines  à  vapeur,  elc,  qui  centuplent  les  forces 
(te  l'homme,  font  concouru-  mille  bras  et  les  muscles  ro- 
bustes des  animaux  pour  de  grandes  entreprises ,  avec  l'or 
des  uns  et  le  génie  des  autres. 

Le  citadin  opulent  de  Londres  ou  de  Paris ,  se  créant  des 
besoins  factices,  réunit  dans  ses  palais  les  productions  des 
deux  mondes;  il  savoure  dans  la  porcelaine  du  Japon  le 
thé  de  la  Chine,  ou  le  café  de  l'Yémen,  avec  le  sucre  pres- 
suré par  la  main  des  nègres  des  colonies.  Il  faut  qu'on  aille 
au  pôle  harponner  des  baleines  pour  éclairer  de  leur  huile 
ses  portiques,  ou  pcurtailler  leurs  fanons  élastiquesen  légers 
parasols,  en  corsets  flexibles.  La  perle  qui  rayonne  sur  le 
front  de  nos  beautés  a  été  dérobée  aux  abîmes  des  mers  de 
l'Inde.  Quels  sont  donc  ces  besoins  factices  qui  mettent 
ainsi  tout  l'univers  à  contribution?  Il  est  beau  sans  doute 
de  visiter  par  la  vue,  à  l'aide  d'un  télescope ,  les  déserts  du 
firmament,  et  d'y  suivre  une  comète  flamboyante;  il  est 
grand  de  traverser  l'Océan  et  de  ceindre  le  globe  de  sa  lon- 
1  gue  navigation  au  milieu  des  écueils,  pour  le  seul  besoin  de 
la  science  et  de  la  gloire.  L'homme  s'ennoblit  de  toute  la 
renommée  que  cette  ardente  curiosité  lui  inspire  ;  il  brave 
;  la  mort ,  il  affronte  les  douleurs  et  mille  privations  pour 
faire  fleurir  sa  réputation  parmi  ses  semblables  ;  elle  le  dé- 
dommage de  cruelles  fatigues,  et  une  simple  inscription  sur 
sa  tombe,  en  témoignage  de  ses  immenses  labeurs ,  satisfait 
quelquefois  elle  seule  cet  immense  besoin  de  louange ,  apa- 
I  nage  des  héros  et  des  vastes  génies. 
I  Qu'on  ne  blâme  donc  plus  ces  besoins  factices,  puisqu'ils 
sont  le  stimulant  le  plus  énergique  de  notre  perfectionne- 
ment sur  ce  globe.  C'est  par  eux  que  les  nations  modernes 
d'Europe  se  sont  élevées  si  haut  en  puissance,  en  savoir,  et 
qu'elles  sont  aussi  parvenues  à  dominer,  non-seulement  les 
autres  êtres,  mais  même  les  peuples  moins  éclairés ,  soit 
par  les  armes,  soit  par  la  supériorité  des  connaissances.  On 
pourrait  dire  que  malheureux  sont  les  peuples  physique- 
ment heureux  ;  ils  languissent  dans  l'engourdissement.  C'est 
la  peine  et  la  misère  sur  un  territoire  stérile  qui  sollicitent  les 
travaux  pour  réparer  à  force  d'habileté  ce  que  déniait  la 
nature.  C'est  ainsi  qu'on  oblige  les  abeilles  à  rassembler  de 
nouveaux  trésors  en  les  privant  chaque  année  de  leur  miel. 
La  peine,  le  besoin,  la  privation,  éveillent  donc  le  génie.  La 
nature  n'a  créé  l'homme  faible,  nu,  sensible,  ou  le  plus 
délicat  de  tous  les  animaux,  que  pour  lui  faire  conquérir  le 
sceptre  de  son  empire  sur  eux  ;  elle  lui  a  fait  don,  en  même 
temp^,  de  deux  mains  et  d'un  cerveau  intelligent,  curieux, 
pour  le  rendre  capable  d'inventer  et  d'exécuter  tous  les 
travaux  que  nécessitaient  ses  besoins.  J.-J.  VmEv. 

BESOINS  DES  HOMMES.  Ce  sont  eux  qui  déter- 
minent les  hommes  au  sacrifice  nécessaire  pour  obtenir  les 
produils  capable.»  ûe  satisfaire  ces  besoins.  Le  sacrifice  con- 
siste, soit  à  prendre  la  peine  de  créer  soi-même  les  pro- 
duits, scie  à  donner  en  échange,  pour  les  avoir,  d'autres 
produits  précédemment  acquis. 

Les  besoins  des  hommes  ont  différents  degrés  d'intensité  : 
depuis  les  besoins  impérieux  de  la  satisfaction  desquels  dé- 
pend leur  existence ,  jusqu'aux  goûts  les  plus  légers. 

Une  jouissance  quelconque  est  attachée  à  la  satisfaction 
de  chacun  de  nos  besoins  ;  d'où  il  suit  que  les  expressions 
pourvoir  à  nos  besoins,  multiplier  nos  jouissances ,  et 
même  contenter  nos  goûts,  présentent  des  idées  du  même 
genre ,  et  qui  ne  diffèrent  entre  elles  que  par  des  nuances. 
Les  hommes  ont  des  besoins  comme  individus,  comme 
membres  de  la  famille,  comme  membres  de  l'État.  Ceux  des 
deux  premiers  genres  donnent  lieu  aux  consommations 
privées;  ceux  du  dernier  genre  donnent  lieu  aux  consom- 
mations ptibliqices.  J.-B.  Say. 

BESSARABIE,  ancienne  province  de  l'empire  otto- 
man, aujourd'hui  dépendance  de  la  Russie,  à  laquelle  elle 
fut  cédée  en  1S12  par  la  Porte,  aux  termes  de  la  paix  de 
IJukarest.  Située  entre  la  mer  Noire,  le  Dniester,  le  Pruth  et 


l'embouchure  du  Danube ,  elle  a  pour  limites  les  provinces 
russes  de  Cherson  et  de  Podolie ,  la  Gallicie,  la  Moldavie  et 
la  Bulgarie,  et  comprend  en  superficie  environ  275  myrin- 
mètres  carres  formant  six  cercles,  Kischneff,  Bjettsu, 
Chotin ,  Bender,  Aljerman  et  Ismaïl ,  avec  une  popu- 
lation de  720,000  âmes.  La  Bessarabie  manque  de  bois  et 
d'eau;  cependant  une  zone  de  forêts  qui  ont  péri  depuis 
longtemps  a  laissé  sur  les  chauves  plateaux  des  rochers 
une  épaisse  couche  d'humus  sur  laquelle  se  développent 
d'immenses  steppes  où  l'herbe  parvient  à  plus  d'un  mètre  de 
hauteur  et  où  prospère  d'une  façon  admirable  l'élève  des  bes- 
tiaux. Le  cUmat  essentiellement  continental  de  cette  contrée, 
où  à  un  hiver  d'une  grande  âpreté  succède  un  été  d'une 
chaleur  accablante,  y  favorise  la  production  du  froment,  de 
l'orge,  du  millet,  du  maïs,  du  chanvre,  du  lin,  du  tabac, 
des  melons ,  des  légumes  et  des  fruits  de  toute  espèce,  ainsi 
que  de  la  vigne.  Les  bêtes  à  cornes  et  les  chevaux  sont  au 
nombre  des  animaux  domestiques  qui  y  sont  l'objet  de  plus 
de  soins.  Le  gibier  y  est  rare  ;  mais  partout  où  l'on  trouve 
de  l'eau ,  le  poisson  est  extrêmement  abondant.  En  fait  de 
productions  du  règne  minéral ,  il  faut  surtout  citer,  avec  le 
salpêtre,  le  marbre  et  la  chaux,  le  sel,  particulièrement  ce- 
lui qui  provient  des  marais  salants  d'Akjerman.  L'industrie 
est  encore  bien  arriérée,  et  se  borne  à  peu  près  à  la  tanjierie, 
à  la  fabrication  des  savons  et  à  celle  des  chandelles.  Le 
commerce  est  entre  les  mains  des  Juifs  et  des  Arméniens  et 
a  surtout  pour  objet  l'exportation  des  produits  du  sol.  Les 
habitants  sont  Vulaques,  Moldaves,  Bulgares,  Grecs,  Armé- 
niens, Juifs,  Bohémiens  ou  encore  Tartares  d'origine;  ce- 
pendant, à  la  longue,  plus  de  huit  mille  familles  de  colons 
allemands  sont  venues  s'établir  dans  la  contrée.  Elle  a  pour 
chef-lieu  Kischneff.  Sur  les  rives  du  Dniester  on  trouve  les 
forteresses  de  Chotm  et  de  Bender,  à  l'embouchure  de  ce 
fleuve  Akjerman,  et,  sur  le  bras  septentrional  du  Danube, 
Ismaïl  et  Kilianava. 

BESSARION  (Jean  ou  Basile),  moine  grec  de  Saint- 
Basile,  patriarche  titulaire  de  Constantinople ,  archevêque 
de  Nicée,  ensuite  cardinal  et  légat  en  France,  sous  Louis  XI, 
n'était  point  né  à  Constantinople,  comme  l'écrivent  quelques 
biographes,  mais  à  Trébizonde,  et  dans  l'année  1389, 
comme  le  fait  voir  son  épitapiie ,  qu'il  composa  lui-même; 
il  mourut  à  Ravenne,  le  19  novembre  1472.  Le  philosophe 
Pléthon  avait  été  un  de  ses  maîtres.  Après  avoir  passé  Aingt 
et  un  ans  dans  un  monastère  du  Péloponnèse,  occupé  de 
l'étude  des  belles-lettres ,  qu'il  joignait  à  celle  de  la  théo- 
logie, il  en  fut  tiré  en  1438,  par  Jean  Paléologue ,  qui  avait 
formé  le  projet  de  se  rendre  au  concile  de  Ferrare  pour 
réunir  l'ÉgUse  grecque  et  l'Église  latine.  Il  fut  fait  par  lui 
évêque  de  JSicée,  et  suivit  son  protecteur  en  Italie,  avec 
Pléthon,  l'archevêque  d'Éphèse,  le  patriarche  de  Constanti- 
nople et  plusieurs  autres  Grecs  distingués  par  leurs  talents 
ou  par  leurs  dignités.  Il  seconda  de  tout  son  pouvoir  les 
projets  de  Jean  Paléologue,  et  finit  même  par  se  rendre 
odieux  aux  Grecs  scliismatiques,  pour  le  zèle  avec  lequel  il 
travaillait  à  une  réunion  qu'ils  éloignaient  de  leurs  vœux 
et  de  leurs  efforts. 

Le  pape  Eugène  lY  l'en  dédommagea  et  le  récompensa 
de  son  dévouement  à  l'Église  latine  par  la  dignité  de  car- 
dinal-prêtre du  titi-e  des  Saints-Apôtres ,  qu'il  lui  conféra. 
Dès  lors ,  Bessarion  reprit  sa  vie  studieuse,  et  sa  maison  de- 
vint le  rendez-vous  de  tous  ceux  qui  cultivaient  ou  ai- 
maient les  lettres.  Il  obtint  successivement  la  confiance  et 
les  bonnes  grâces  de  plusieurs  papes,  et  fut  sur  le  point  d'at- 
teindre lui-même  à  cette  dignité  et  de  succéder  à  Nicolas  V  ; 
mais  il  aurait  fallu  acheter  pour  cela  par  une  injustice  la  voix 
du  cardinal  Orsini ,  et  Bessarion  refusa  de  le  faire.  Le  car- 
dinal de  la  Rovère,  moins  scrupuleux ,  consentit  à  ce  qu'on 
voulait  de  lui,  et  tut  nommé.  Bessarion  fut  chargé  successi- 
vement de  quatre  ambassades  délicates  et  difficiles  :  il  se 
tira  avec  honneur  et  succès  des  trois  premières;  mais  il 


110 


BESSARION  —  BESSIERES 


<;chnua  complcfemeiit  <lans  la  quatiième.  Envoyé  ea  Frauce, 
par  Sïxte  IV  ,  pour  réconcilier  Louis  XI  avec  le  duc  de  Bour- 
s^ogne  et  obtenir  des  secours  contre  les  Turcs ,  non-seule- 
ment il  ne  réussit  pas  dans  ce  projet ,  mais  encore  on  pré- 
tend que  Louis  XI  l'humilia  eu  pleine  audience  par  de 
dures  plaisanteries.  Bcssarion  reprit  tristement  le  chemin  de 
Rome ,  où  l'on  veut  que  le  chagrin  ait  causé  sa  mort,  que 
l'ûge  seul  (quatre-vingt-trois  ans)  sufTisait  du  reste  pour 
amener.  Il  a  laissé  plusieurs  ouvrages  sur  le  projet  de  réu- 
nion des  deux  Églises,  et  une  défense  de  la  phllosopliie  de 
Platon ,  que  l'on  a  réunis  dans  le  tome  XVI  de  la  Biblio- 
thèque des  Pères. 

BESSEL  (Frédéric -Guillaume),  professeur  d'astro- 
nomie à  Kœnigsberg,  associé  étranger  de  notre  Académie 
des  Sciences,  naquit  à  Minden,  le  22  juillet  1784.  Il  entra 
à  l'âge  de  quinze  ans  dans  l'une  des  premières  maisons 
de  commerce  de  Brème  en  qualité  de  commis.  Les  rela- 
tions maritimes  de  cette  place  lui  inspirèrent  d'abord  le 
goût  de  la  géographie,  et  plus  tard  celui  de  la  navigation. 
Comme  ses  journées  étaient  absorbées  tout  entières  par  les 
devoirs  de  l'emploi  qu'il  remplissait,  il  prenait  sur  les 
nuits  le  temps  nécessaire  pour  acquérir  des  connaissances 
mathématiques,  et  il  ne  tarda  pas  à  concevoir  le  goût  le 
plus  vif  pour  l'astronomie.  Un  premier  travail  astrono- 
mique le  mit  en  rapport  avec  0 1  b  e  r  s ,  qui  dès  lors  l'aida  de 
ses  conseils.  Sur  sa  recommandation ,  Bessel  fut  nonmié 
inspecteur  des  instruments  astronomiques  appartenant  à  l'u- 
niversité de  Gœttingue,  fonctions  qu'il  remplit  pendant 
quatre  années.  Appelé  alors  à  Kœnigsberg ,  il  présida ,  en 
1812  et  1813,  à  la  construction  de  l'observatoire  de  cette  ville. 

Parmi  les  premiers  ouvrages  de  Bessel ,  il  faut  mentionner 
celui  qu'il  publia  en  1810  à  Kœnigsberg  iMr  le  mouvement 
vrai  de  la  comète  de  1807  et  ses  Eundamenta  astrono- 
viix  deducta  ex  observationibus  J.  Bradiez  (Kcrnigs- 
berg,  1818).  Les Rechei'ckes  sur  la  longueur  dupendule 
simple  à  secondes  pour  Berlin  (Berlin,  1828  et  1837) 
sont  restées  un  livre  classique.  Citons  encore  de  lui  :  Obser- 
vations astronomiques  faites  à  l'Observatoire  de  Kœ- 
nigsberg,  comprenant  la  période  de  ISlâ  à  18:^5  (21 
parties  ;  Kœnigsberg,  1815-134G  ;continuée3  par Busch  )  ;  Ta- 
bulec  regiomontanxreductionumobservatiomim  ab  anno 
1750  usquead  annum  1830  computatx  (Kœnigsberg,  1830)  j 
Mesure  d'un  degré  dans  la  Prusse  orientale  (Berlin , 
1838) ,  pubUé  en  société  avec  Bayer;  Exposition  des  re- 
cherches faites  de  1835  à  1838  pour  établir  l'unité 
d'un  système  de  mesures  pi-usslen,  ouvrage  publié  aux 
frais  des  ministères  du  commerce  et  des  finances,  et  Re- 
cherches astronomiques  (Kœnigsberg,  1841-1842). 

Dans  les  années  1824  à  1833,  Bessel  acheva  une  série  de 
75,011  observations,  faites  en  cinq  cent  trente-six  séances , 
sur  la  zone  du  ciel  située  entre  le  15"  degré  de  déclinai- 
son septentrionale  et  le  15"  degré  de  déclinaison  méridio- 
nale. Ces  observations,  comprenant  toutes  les  étoiles  jusqu'à 
la  neuvième  grandeur,  tirent  le  sujet  de  plusieurs  de  ses 
publications  ;  l'une  des  plus  intéressantes  est  celle  qui  est 
intitulée  Mesure  de  la  distance  de  la  Gl«  étoile  de  la  cons- 
tellation du  Cygne,  publiée  dans  V Annuaire  de  Schu- 
viacher  pour  1839;  Bessel  y  fixe  la  distance  de  cette  étoile 
au  soleil  à  357,700  diamètres  de  l'orbite  terresti'e,  c'est-à- 
dire  à  plus  de  treize  millions  de  myriamètres. 

En  se  li\Tant  à  un  examen  attentif  des  observations  faites 
par  Brandes  et  autres  sur  les  étoiles  filantes,  Bessel 
trouva  que  leur  ascension  est  sans  exemple ,  résultat  qui 
fait  disparaître  une  des  plus  grandes  difficultés  de  la  théorie 
de  ces  phénomènes.  En  1844  cet  infatigable  travailleur 
publia  encore  une  dissertation  qui  contient  des  recherches 
d'un  haut  intérêt  sur  la  mutabilité  des  mouvements  parti- 
culiers des  étoiles  fixes.  A  la  même  époque  il  donnait  une 
esquisse  biographique  sur  son  vénérable  maître  Olbers,  à 
l'occasion  delà  21*  réunion  annuelle  des  naturalistes  et  des 


médecins  allemands  à  Brème.  Sfais  déjà  la  santé  de  Bessel  ^| 
commençait  à  chanceler;  il  finit  par  tomber  dans  une  ma- 'Il 
ladie  de  langueur,  à  laquelle  il  succomba  le  17  mars  1S4o 
Deux  ans  plus  tard  ,  son  ami  Schumacher  publia  les  Leçons 
populaires  sur  divers  sujets  scientifiques  que  Bessel  avait 
faites  presque  toutes  de  1 832  à  1 844  dans  la  Société  Physico- 
Économique  de  Kœnigsberg.  Dans  l'une  de  celles  qu'il  faisait 
en  1840,  se  trouve  déjà  annoncée  la  planète  Neptune  d'a- 
près les  considérations  qui  un  peu  plus  tard  devaient  amener 
sa  découverte  par  M.  Leverrier. 

BESSES  (Bessi) ,  peuple  de  Thrace ,  qui  habitait  sur  la 
rive  gauche  du  Strymon,  au  nord  du  mont  Rhodope.  Ils 
étaient  féroces,  sauvages  et  voleurs.  Après  avoir  été  long- 
temps gouvernés  par  des  rois ,  ils  furent  soumis  par  les 
Romains,  dont  ils  parvinrent  à  secouer  le  joug;  mais  Octa- 
vius,  père  d'Auguste,  les  fit  rentrer  sous  la  domination 
romaine.  Us  firent  une  nouvelle  tentative  sous  son  succes- 
seur, pendant  le  règne  duquel  un  de  leurs  prêtres,  attaché 
au  culte  de  Bacchus ,  souleva  tout  le  pays  et  ravagea  la 
Ciiersonèse;  mais  ils  furent  vaincus  par  Pison ,  et  restèrent 
depuis  attachés  aux  Romains.  ' 

BESSÎÈRES  (JE.iN-B\i>TisTE),  duc  D'ISTRIE,  maré- 
chal de  l'empire,  colonel  général  delà  garde  impériale, 
grand-aigle  de  la   Légion-d'Honneur,  commandeur  de  la 
Couronne-de-Fer,  naquit  à  Preissac  (Lot)  ,  le  6  août  1768. 
Admis  en  1790  dans  la  garde  constitutionnelle  de  Louis  XVI, 
il  y  trouva  l'occasion  de  sauver  la  vie  à  plusieurs  per- 
sonnes delà  maison  de  la  reine.  Au  mois  de  novembre  1792 
il  passa  avec  le  grade  d'adjudant-sous-officier  dans  les  chas- 
seurs à  cheval  de  la  légion  des  Pyrénées.  Il  s'y  battit  bra- 
vement ,  et  s'éleva  rapidement  au  grade  de  capitaine.  11 
fit  remarquer  aux  bolles  affaires  de  Bascara,  Basola,  La 
fiuvia ,  et  dans  les  combats  qui  furent  livrés  dans  les  plaines' 
de  Figuières.  On  l'envoya  quelques  années  après  à  l'armée 
d'Italie.  C'était  à  l'époque   où  Bonaparte  en  prenait  l 
commandement. 

Bessières  se  fit  un  grand  nom  sur  ce  nouveau  théâtre: 
Suivi  seulement  de  six  chasseurs ,  il  enleva  deux  canons  ans 
Autrichiens  au  combat  de  Roveredo;  un  autre  jour,  s'é- 
tant  élancé  seul  sur  une  batterie  ennemie ,  il  perdit  son  clie 
val  en  l'abordant,  mais  il  se  releva  et  courut  à  pied  sur 
une  pièce  ;  les  canonniers  ennemis  le  sabrment,  quand  quel- 
ques-uns de  ses  chasseurs ,  qui  avaient  aperçu  le  péril  où  se 
trouvait  leur  capitaine,  arrivèrent  à  son  secours;  soutenu 
par  eux ,  il  enleva  la  batterie.  Ces  actions  intrépides  fixèrerit 
sur  Bessières  les  regards  du  jeune  général  en  chef,  qui  le 
mit  à  l'ordre  du  jour  et  lui  donna  le  commandement  de 
ses  guides.  Ce  beau  corps  devint  le  noyau  de  la  garde  ini 
périale.  Bessières  s'y  éleva ,  par  les  plus  nombreux  et  le 
plus  brillants  faits  d'anues ,  à  une  haute  réputation  miUtaire. 
Il  passa  en  Egypte,  et  y  garda  le  commandement  du  même 
corps.  Il  servit  avec  éclat  parmi  les  plus  braves  et  les  plus 
intelligents ,  et  prit  une  part  importante  aux  batailles  de 
Saint-Jean  d'Aci-e  et  d'Aboukir.  Bonaparte  lui  confia  dan 
ces  journées  plusieurs  charges  décisives ,  dans  lesquelles  il 
fit  preuve  d'une  haute  et  rapide  intelligence. 

Revenu  en  France  avec  Bonaparte ,  il  prêta  main-forte  à 
l'entreprise  du  18  brumaire.  H  fit  la  seconde  campagne 
d'Italie,  et  décida  àMarengo,  par  une  admirable  charge 
de  la  cavalerie  d'élite,  la  retraite  des  Autrichiens.  C'est 
dans  les  derniers  moments  de  cette  charge  qu'il  s'honora 
par  une  action  digne  des  temps  chevaleresques  ;  ce  fut  le 
mouvement  d'une  bonté  sublime,  car  ce  mouvement  lui 
vint  dans  l'élan  furieux  d'une  dernière  attaque  victorieuse , 
dans  un  de  ces  instants  où  l'iumianité  semble  avoir  perdu 
tous  ses  droits.  Il  avait  à  disperser  les  Autrichiens  fou 
droyés  et  battus  de  toutes  parts.  La  cavalerie  de  la  garde 
des  consuls  chargeait  à  coups  redoublés  l'arrière-garde  en 
nemie.  Bessières  se  trouvait  au  milieu  du  feu,  au  premier 
rang.  Il  aperçoit  tout  à  coup  un  cavalier  autrichien  qui 


BESSiESES 


m 


tombe ,  blessé ,  en  suppliant  les  Français  de  ne  pas  l'écraser 
sous  leurs  chevaux.  Bessières  s'élance  près  de  lui ,  et  crie 
aussitôt  :  «  Ouvrez  vos  rangs ,  soldats ,  épargnez  ce  brave  !  » 
A  ces  mots,  les  rangs  s'ouvrent,  et  la  vie  du  vaincu  est 
■  épai^ée.  C'était  un  jeune  homme  qui  appartenait  à  une 
des  premières  familles  de  la  r\Io:avie. 

Bessières  fut  porté  par  Napoléon  sur  la  première  liste  des 
maréchaux  de  l'empire  (  19  mai  1804),  et  élevé  en  1808  à 
la  dignité  de  duc  d'Islrie.  L'empereur  l'envoya  dans  cette 
înôme  année  à  la  cour  de  Wurtemberg  pour  y  épouser,  au 
nom  du  prince  Jérôme,  une  des  filles  du  roi.  Bessières  resta 
constamment  à  la  tète  de  la  garde.  L'empereur  joignit  dans 
plusieurs  campagnes  à  ce  commandement  celui  d'un  corps 
(l'armée.  En  1805,  en  avant  de  Braunn,  sur  la  route  d'Ol- 
inùtz ,  il  défit  avec  la  cavalerie  de  la  garde  et  la  division  des 
cuirassiers  d'Hautpoul  un  corps  de  six  mille  Russes ,  qui 
formait  l'arrière-garde  de  Koutouzof;  cela  fait,  sa  cavalerie 
s'élança  sur  la  garde  noble  d'Alexandre  et  l'enfonça  ;  puis 
elle  perça  le  centre  de  l'armée  du  czar.  Les  Russes  perdi- 
rent dans  cette  affaire  27  pièces  de  canon.  Durant  la  cam- 
pagne de  Prusse ,  le  maréchal ,  placé  à  la  fête  du  2*  corps 
de  cavalerie ,  commanda  de  la  manière  la  plus  brillante  aux 
fameuses  batailles  d'Iéna,  d'Heilsberg  et  de  Fried- 
I  a  nd.  A  Biezem,  en  avant  de  Thorn,  il  enleva  aux  Prussiens 
cinq  pièces  de  canon ,  deux  étendards ,  et  fit  huit  cents  pri- 
sonniers. A  Eylau,  l'empereur  ayant  réuni  les  divisions 
Jlilhaud ,  Klein ,  Grouchy  et  d'Hautpoul  à  la  cavalerie  du 
maréchal ,  celui-ci  exécuta  cette  terrible  charge  qui  culbuta 
20,000  hommes  d'infanterie  dans  des  boues  glacées.  Bes- 
sières y  prit  toute  l'artillerie  de  ce  corps  ;  un  cheval  fut  tué 
sous  lui. 

En  1803  il  fut  nommé  au  commandement  du  deuxième 
corps  de  l'armée  qui  entrait  en  Espagne.  Il  établit  son  quartier 
général  à  Burgos.  Son  administration ,  juste ,  vigilante  et 
douce,  apaisa  les  agitations  des  populations  qui  lui  furent 
confiées.  Bessières  fut  détaché  de  ces  soins  par  l'arrivée 
subite  d'une  armée  espagnole  ayant  à  sa  tète  le  général 
Cuesta.  Cette  armée,  s'elevant  à  40,000  hommes,  avait  été 
équipée  par  les  Anglais.  Son  général  espérait  couper  les  com- 
unmications  entre  Madrid  et  la  France.  Bessières  courut  à 
lui,  bien  qu'il  n'eût  à  sa  disposition  que  13  à  14,000  hommes. 
L'armée  de  Cuesta,  rangée  en  bataille  sur  les  montagnes 
tle  Médina  de  Rio-Secco,  où  elle  était  appuyée  par  quarante 
pièces  en  batterie ,  fut  attaquée  et  culbutée  de  ces  hau- 
teurs, grâce  aux  habiles  mesures  du  maréchal.  Les  pre- 
miers moments  de  l'atthaue  fiuent  sanglants  et  nous  coûtè- 
rent de  braves  soldats.  Le..  Espagnols  s'enfuirent ,  laissant 
sur  ces  montagnes  mille  tués.  L'ennemi  fut  vivement  pour- 
suivi sur  Benavenle,  Léon,  etc.  Le  maréchal  trouva  dans 
ces  villes  des  dépôts  de  fusils  anglais  et  un  grand  nombre 
lie  munitions.  Cette  admirable  bataille ,  gagnée  au  sommet 
des  montagnes,  fut  admirée  par  Napoléon.  Il  dit  :  «  C'est 
une  seconde  bataille  de  Villa-Viciosa  ;  Bessières  a  rais  mon 
frère  sur  le  trône  d'Espagne.  «  Pendant  cette  campagne 
de  1808,  Bessières  rendit ,  à  la  tète  de  sa  cavalerie ,  d'autres 
grands  services.  A  la  bataille  de  Burgos,  au  combat  de 
.Sommo-Sierra,  il  commanda  des  charges  terribles. 

La  nature  de  son  poste  l'obUgeant  à  accompagner  partout 
l'empereur,  il  quitta  l'Espagne  avec  lui,  et  le'sui^^t  à  Paris  ; 
il  se  rendit  presque  aussitôt  en  Allemagne  (  1809),  où  il  prit 
le  commandement  de  la  cavalerie  de  la  garde  et  d'un  corps 
(le  réserve  delà  même  arme.  Une  nouvelle  campagne  contre 
les  Autrichiens  était  décidée.  L'empereur  ne  se  fit  pas  at- 
tendre, et  les  hostilités  commencèrent  dès  q\i'i!  fut  arrivé. 
Bessières  défit  un  gros  corps  de  cavalerie  aux  portes  de 
Landshut ,  et  fut  chargé  de  poursuivre  avec  deux  divisions 
d'infanterie  et  la  brigade  Marulaz  le  5*^  et  le  6*^  corps  autri- 
chien dans  leur  retraite  sur  l'Inn  ;  puis,  par  d'habiles  manœu- 
vres, il  contint  le  général  Ililler,  qui  lui  était  bien  supé- 
rieur en  forces,  et  lui  disputa  avec  avantage  le  terrain   A 


Ebers!)erg ,  il  appuya  vigoureusement  les  combinaisons  de 
Masséna,  qui  réussirent  toutes.  AEssling,  au  moment  où 
l'archiduc  Charles  parvenait  à  se  placer  au  centre  de  l'armée 
française ,  qui  se  trouvait  forcément  vide  entre  EssUng  et 
Aspern,  il  s'élança  au-devant  de  lui,  et  l'arrêta;  il  l'assaillit 
avec  fureur,  car  il  y  allait  du  salut  de  l'armée ,  et  Napo- 
léon en  avait  appelé ,  dans  cette  circonstance,  au  dévoue- 
ment de  son  vieil  ami.  Bessières  foudroya  les  Auhichiens, 
les  rompit ,  les  repoussri  dans  un  si  épouvantable  désordre 
(ju'ils  ne  purent  se  rallier  et  revenir  sur  leurs  pas.  11  n'é- 
pargna pas  un  moment  sa  vie  dans  cette  difficile  opération. 
Elle  fut  décisive.  11  voulut  rester  au  milieu  du  feu  pour 
exalter  l'intrépidité  du  soldat.  Le  brave  général  d'Espagne, 
plusieurs  colonels  et  un  grand  nombre  d'officiers  furent  tués 
près  de  lui. 

Dans  la  dernière  journée,  celle  de  "W  a  g  r  a  m ,  il  prit  encore 
une  belle  part  à  la  bataille.  Il  conduisit  toute  la  cavalerie 
sur  les  flancs  de  l'armée  autrichienne,  et  la  chargea  cons- 
tamment avec  une  fureur  froide  et  Aaèi^e.Unbouletayant 
atteint  son  cheval ,  il  fut  renversé ,  et  ses  soldats  frémirent 
en  le  voyant  tomber  ;  mais  ce  n'était  heureusement  qu'un  ac- 
cident, il  n'avait  pas  été  atteint.  L'emiiereur  apprit  la  chute 
de  Bessières  au  moment  où  il  remontait  un  second  cheval  ; 
il  courut  à  lui,  et  lui  dit  avec  émotion  en  l'abordant  :  «  Bes- 
sières, voilà  un  beau  boulet;  il  a  fait  pleurer  ma  garde.  » 
Il  y  avait  plus  qu'une  bravoiu-e  chevaleresque  et  des  senti- 
ments élevés  chez  ce  digne  maréchal  ;  il  y  avait  de  rares  ta- 
lents pour  la  guerre  moderne.  C'était  un  des  officiers  les  plus 
éclairés  de  Napoléon.  Il  appuyait  la  pratique  par  la  théorie 
la  plus  profonde.  Lorsque  cette  nouvelle  campagne  d'Au- 
triche (ut  terminée ,  Bessières  fut  nommé  au  commande- 
ment de  l'armée  chargée  de  soumettre  Flessingue  ;  11  y  rem- 
plaça Bernadottc.  Bessières  fut  bientôt  maître  de  cette 
place  par  suite  de  mesures  plus  habiles  et  plus  fermement 
exécutées  que  les  précédentes ,  et,  grâce  à  son  dévouement 
il  l'empereur ,  l'intérêt  de  la  France  et  de  Napoléon  était 
désormais  en  bonnes  mains.  L'influence  qu'il  avait,  il  la  jus- 
tifiait sans  cesse  par  ses  services.  Comme  il  connaissait  tous 
les  sentiments  de  l'empereur,  il  pensait  avec  raison  que  le 
servir,  c'était  senir  le  pays  Son  dévouement  était  sans  li- 
mites comme  sa  confiance  et  son  héroïsme.  Toujours  à  cheval 
et  prêt  à  payer  de  sa  personne,  il  tirait  un  des  premiers 
l'épéc  dans  les  moments  difficiles.  Il  était  intrépide  dans  le 
feu  et  à  la  suite  de  Napoléon. 

En  181 1 ,  l'Espagne ,  qui  ne  fut  jamais  conquise,  le  revit 
sur  son  tenitoire  à  la  tête  d'une  armée ,  celle  du  nord. 
L'empereur  réunit  à  son  commandement  militaire  le  gou- 
vernement de  la  Vieille-Castille  et  du  royaume  de  Léon. 
Lorsque  l'armée  anglaise  débarqua  en  Espagne,  il  vola  au 
secours  de  Masséna,  et  partagea  sa  fâche  et  ses  périls  à  la 
bataille  de  Fuentès  de  Onoro.  La  campagne  de  Russie  étant 
décidée  (1812  ),  l'empereur  le  rappela,  et  lui  donna  le  com- 
mandement de  la  garde  et  d'un  corps  de  cavalerie.  11  fit 
très-bien  exécuter  ce  qui  lui  fut  or<lonné  pendant  notre 
marche  sur  IMoscou  ;  puis  au  retour,  dans  la  retraite,  à  tra- 
vers un  océan  de  neige  et  sous  les  coups  d'un  froid  mortel , 
son  âme  intrépide  et  son  dévouement  firent  tout  ce  qui  était 
humainement  possible. 

Au  commencement  de  la  campagne  d'Allemagne  (en  1813), 
le  duc  d'Istrie  fut  appelé  au  command(îment  en  chef  de  toute 
la  cavalerie  de  l'année.  L'empereur  venait  d'élever  son  poste 
et  de  lui  offrir  l'occasion  de  montrer  ses  talents  actuels  comme 
la  guerre  les  avait  d:''veloppés.  La  veille  de  la  bataille  de 
Lutzcn ,  le  maréchal,  cliargé  de  l'attaque,  se  rendit  au  dé- 
fi!.-de  Rinpath;  rcnnemi  le  défendait  vivement.  Bessières 
commandait  lui-même  les  tirailleurs;  il  avait  mis  pied  à 
terre  ;  il  les  élecfrisait.  L'ennemi  fléchit  bientôt ,  et  le  défilé 
fut  emporté.  Dans  ce  moment  un  boulet  l'atteignit  à  la  po'- 
trine  et  le  tua  (  1"'^  mai  1813  ).  Ses  officiers  prescrivirent  I& 
silence  aux  témoins  afin  que  ce  malheur  fût  coché  un  jouï 


112 

à  l'armée,  qii'i!  eût  pu  consterner.  Le  corps  fut  enveloppé 
dans  un  linceul  et  caché  jusqu'au  surlendemain.  L'empereur 
presque  seul  connut  cette  fatale  nouvelle.  Elle  l'accabla  de 
douleur.  Il  perdit  un  de  ses  plus  habiles  officiers  et  de  ses 
meilleurs  amis ,  un  de  ceux  qui  lui  avaient  ramené  de  Mos- 
cou les  vieilles  phalanges  que  le  froid  n'avait  ni  désarmées 
ni  rompues.  11  écrivit  du  champ  de  bataille  à  madame  d'Is- 
trie  que  son  mari  venait  de  recevoir  la  mort  pour  la 
France,  et  qu'il  avait  terminé  sans  douleur  ta  plus  belle 
vie.  Il  la  dota  ainsi  que  son  (ils  d'une  pension  considérable. 
Depuis  la  mort  de  Muiron  ,  de  Desaix  ,  de  Lannes  ,  il  n'avait 
pas  paru  à  ses  officiers  qu'il  eût  ressenti  une  peine  aussi  vive. 
Le  lendemain  de  la  bataille  de  Lutzen,  il  traversait  silen- 
cieusement, les  bras  derrière  le  dos,  quehpies  rangs  de  sa 
garde ,  quand  un  vieux  soldat  voulut  lui  présenter  une  de- 
mande; un  de  ses  camarades  le  retint ,  et  lui  dit  :  «  Laisse- 
le  aujourd'hui ,  il  ne  pourrait  t'écouter  ;  vois  comme  il  est 
triste  :  il  a  perdu  un  de  ses  enfants.  »  La  France  paya  les 
/rais  des  funérailles  du  maréchal,  qui  eussent  sans  cela 
anéanti  la  modeste  fortune  qu'il  laissait.  L'empereur  à  Sainte- 
Hélène  inscrivit  sur  son  testament  le  jeune  duc  d'Istrie,  son 
lils,  pour  un  don  de  100,000  fr.  Frédéric  Fayot. 

BESSIIX  9  nom  d'une  ancienne  division  de  la  Basse-Nor- 
mandie, comprise  entre  la  campagne  de  Caen ,  la  mer,  le 
Bocage  et  le  Cotentin.  Elle  fait  aujourd'hui  partie  des  dépar- 
lements du  Calvados  et  de  la  Manche,  Le  Dessin  ou 
Bayossin  se  divisait  en  haut  et  bas  Bessin ,  le  premier  au 
levant  et  l'autre  au  couchant.  Bay eux  était  sa  capitale. 
Parmi  les  autres  villes  de  ce  pays,  on  cite  encore  Saint-Lô, 
Isigny  et  Port-en-Bessin. 

BESSOIV  (N...  ) ,  plus  connu  sous  le  nom  de  BESSON- 
BEY ,  qu'il  portait  comme  amiral  de  Méhémet-Ali ,  vice-roi 
d'Egypte,  naquit  en  France ,  en  1782  ,  et  entra  dans  la  ma- 
rine dès  l'âge  de  neuf  ans.  11  fit  les  campagnes  de  1806  et 
de  1807 ,  fut  nommé  lieutenant  de  vaisseau  lors  du  siège  de 
Dantzig,  et  se  trouvait  en  1815  attaché  en  cette  qualité  à 
l'état-major  à  Rochefort,  d'où  Napoléon,  avant  de  se  livrer 
aux  Anglais ,  avait  eu  l'intention  de  se  réfugier  en  Amérique. 
Marié  avec  la  fille  d'un  propriétaire  armateur  de  la  ville  de 
Kiel ,  en  Holstein ,  il  offrit  ses  services  à  l'empereur ,  et  mit 
à  sa  disposition  trois  navires  de  son  beau-père  ,  qui  par  ha- 
sard se  trouvaient  précisément  en  ce  moment  dans  le  port 
de  Rochefort.  Déjà  tous  les  détails  de  ce  plan  d'évasion 
avaient  été  discutés  et  arrêtés  en  présence  de  serviteurs  dé- 
voués ,  et  rien  ne  s'opposait  plus  au  dépait ,  lorsque  Napo- 
léon hésita ,  remit  l'embarquement  à  la  nuit  suivante,  pour 
donner  à  son  frère  Joseph  le  temps  d'arriver ,  puis  s'arrêta 
au  parti  de  se  rendre  à  bord  du  Bellérophon ,  et  de  là  en  An- 
gleterre. Besson  s'efforça  vainement  de  faire  changer  Napo- 
léon de  dessein;  le  monarque  déchu,  entraîné  parla  fatalité, 
y  persista.  Il  congédia  le  courageux  lieutenant  de  vaisseau, 
en  lui  disant  :  «  Je  n'ai  plus  rien  dans  le  monde  à  vous  offrir, 
mon  ami ,  que  cette  arme.  Veuillez  l'accepter  comme  sou- 
venir. "  Et  en  même  temps  il  lui  donna  un  fusil  de  chasse. 

Douloureusement  affecté  d'avoir  vu  ainsi  échouer  le  plan 
d'évasion  qu'il  avait  formé  pour  Napoléon ,  et  l'âme  navrée 
de  la  triste  destinée  du  grand  capitaine,  Besson  abandonna 
la  France,  se  retira  à  Kiel  auprès  de  son  beau-père,  et  fut 
pendant  quelques  années  capitaine  au  long  cours.  Ce  ne  fut 
qu'en  1821  qu'il  entra  au  service  de  Méhémet-Ali.  A  ce  mo- 
ment, le  vice-roi  s'occupait  de  créer  une  marine  ;  il  eut 
tant  h  se  louer  des  services  que  Besson  lui  rendit  sous  ce 
rapport ,  qu'il  lui  confia  le  commandement  de  la  frégate 
Bahiré ,  construite  à  Marseille ,  et  le  nomma  membre  de  son 
conseil  d'amirauté.  Besson  mourut  le  12  septembre  1837, 
à  bord  de  son  vaisseau  amiral ,  dans  le  port  d'Alexandrie. 

BESSUS  satrape  de  la  Bactriane,  vivait  dans  la  seconde 
moitié  du  quatrième  siècle  avant  l'ère  chrétienne.  A  la  tôte  des 
Bactriens ,  des  Sogdiens  et  des  forces  de  l'Inde  soumise  aux 
lois  de  Perse ,  il  vint  au  secours  de  Darius ,  attaqué  par  Alexan- 


BESSIÈRES  —  BESTIAUX 


dre  de  Macédoine,  et  prit  part  à  la  bataille  de  Gnugamèlc, 
D'abord  fidèle  à  son  souverain   dans  la  mauvaise  fortune, 
Bessus  l'accompagna  lorsque  après  sa  défaite  il  chercha  à 
se  retirer  par  l'Hyrcanie  dans  les  forêts  de  la  Bactriane ,  oii 
il  comptait  bien  que  son  vainqueur  ne  s'aventurerait  pas 
îe  poursuivre.  Mais  vint  l'instant  où  Bessus  comprit  qu 
c'en  était  irrémissiblement  fait  de  Darius  et  de  sa  race,  el 
que  l'empire  des  Perses  ne  pourrait  plus  se  reconstituer 
avec  les  mômes  éléments  et  sous  la  môme  dynastie.  Alors 
son  parti  fut  bientôt  pris ,  et  il  résolut  de   traiter  pour  son 
compte  avec  le  vainqueur,  espérant  bien  qu'Alexandre  la 
maintiendrait  dans  sa   position  de  satrape  du  moment  où' 
il   lui  aurait  livré  Darius.  Les  ouvertures  qu'il    fit  à  ce' 
sujet  ayant  été  repoussées,  Bessus  tua  Darius,  et  iirit  1 
titre   de  roi.  Il  n'en  jouit  pas  longtemps  ;  car    deux  ans 
après  il  tombait  aux  mains  de  Spitlsamenès  ou  de  Ptolé- 
mée-Lagus,  el  était  conduit  à  Alexandrie.  Le  roi  de  Macé 
doine  s'en  remit  du  soin  de  venger  la  trahison  dont  Bessus 
s'était  rendu  coupable,  au  frère  de  sa  victime,  àOxathrès, 
à  qui  il  le  livra  après  l'avoir  fait  battre  de  verges.  Les  bis 
toriens  ne  s'accordent  pas  sur  la  nature  du  supplice  par  1 
quel  on  lui  fit  expier  son  crime. 

BESTIAIRES  (  en  latin  bestiarius).  On  appelait  ainsi 
à  Athènes   et  à  Rome  ceux  qui   combattaient  contre  lei 
bêtes  féroces.  On  en  distinguait  de  deux  sortes.  Les  pre 
miers  étaient  des  criminels  ,  des  esclaves  ou  des  prisonnier! 
de  guerre,  que  Ton   condamnait  aux  bêtes,  et  qu'on  leu 
livrait  sans  armes  et  sans  détense  dans  le  cirque.  Il 
leur  servait  de  rien  de  trouver  dans  leur  courage  ou  dan 
leur  désespoir  la  force  et  les  moyens  de  sortir  vainqueurs] 
d'une  première  lutte;  car  on   les  exposait  à  de  nouvelle: 
attaques  jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  succombé.  Du  reste  ,  la 
plupart  du  temps  les  victimes  succombaient  dans  leur  pre 
mier  combat.  Bien    plus,  ordinairement  une  seule  bôtC' 
féroce  suffisait  à  la  destruction  de  plusieurs  hommes.  Ci 
céron ,  dans   l'oraison  pour  Sextius ,   parle  d'un  lion  qui 
seul  avait  suffi  contre  deux  cents  bestiaires.  Les  chrétiens 
furent  souvent  livrés  aux  bêtes  sous  les  empereurs,  mêm 
ceux  qui   avaient  la  qualité  de  citoyen    romain,  quoiqu 
celte  qualité  fût  pour  les  Romains  un  droit  qui  les  exempta 
de  ce  supplice. 

La  seconde  espèce  de  bestiaires  se  composait  de  jeunes 
gens  appartenant  souvent  aux  meilleures  familles ,  et  qui , 
pour  faire  preuve  de  courage  ou  s'habituer  au  rude  métier 
delà  guerre,  descendaient  armés  dans  l'arène  pour  y 
attaquer  les  bêtes  féroces.  Auguste  excita  souvent  les  Romains 
des  premières  classes  à  ces  dangereux  combats  ;  Néron  s'y 
exposa  lui-même,  et  Commode,  après  y  avoir  remporté  de 
grands  succès,  se  fit  proclamer  l'Hercule  romain. 

BESTIAUX  ,  BÉTAIL.  Ces  deux  mots  ont  à  très- 
peu  près  le  même  sens,  quoique  l'un  ne  soit  employé  qu'au 
pluriel ,  et  l'autre  au  singulier.  On  ne  fait  point  de  distinction 
entre  les  bestiaux;  et  bdtail  est  divisé  en  deux  parties,  le 
gros  et  le  menu.  Celte  distinction  fait  voir  que  le  mot  bé-\ 
tail  appartient  plus  spécialement  au  dictioimaire  de  l'éco- 
nomie rurale ,  au  lieu  que  le  mot  bestiaux  est  d'un  usage 
plus  universel.  L'un  et  l'autre  désignent  les  animaux  do- 
mestiques appartenant  à  mie  exploitation  agricole  (à  l'ex- 
ception des  oiseaux  de  basse-cour),  ou  les  troupeaux,  qui 
font  la  richesse  des  peuples  pasteurs.  Ainsi ,  dans  une  ferme  • 
européenne,  les  bestiaux  sont  des  chevaux,  des  bœufs  et  des 
vaches,  des  moutons,  des  chèvres;  dans  les  steppes  de  l'Asie, 
le  Tatar  ajoute  à  ces  espèces  celle  du  chameau,  et  sur  les 
côtes  de  la  mer  Glaciale,  le  Lapon  leur  substitue  le  renne,  etc. 

Aucune  espèce  d'animaux  ne  s'est  perfectionnée  sous  la 
domination  de  l'homme;  le  chien  même  n'a  rien  gagné  à 
devenir  notre  commensal  et  notre  ami ,  quoiqvie  l'on  cite 
quelques  races  dont  la  force ,  le  courage  et  la  sagacité  sem- 
blent être  le  résultat  des  soins  qu'on  a  donnés  à  leur  pro- 
pagation et  à  la  culture  de  leurs  facultés.  En  généraV  ^  *o- 


BESTIAUX 


BESTOUSCHEFF-RJ  UMINE 


observe  que  le  joii^  inipnsé  par  riiomme  aux  animaux  les 
a  fait  dcgéiK^rer  d'antaiit  plus  qu'il  devenait  plus  pesant. 
Ainsi,  les  ber.liaux  des  peuples  asiatiques,  moins  maltraités 
par  leurs  maîtres  que  ceux  de  l'Europe,  conservent  plus  de 
vigueur  et  plus  d'instinct  primitif;  l'homme  peut  en  tirer 
im  meilleur  service. 

L'économie  rurale  c<;t  déjà  parvenue  à  quelques  résultats 
généraux  qiie  l'on  peut  ériger  en  préceptes  :  tel  est,  par 
exemple,  l'avantage  de  la  nourriture  à  l'étable,  au  lien  de 
laisser  vaguer  les  bestiaux  dans  les  pâturages.  Un  autre 
point  sur  lequel  les  agronomes  sont  d'accord ,  ainsi  que  les 
naturalistes ,  c'est  la  diverse  inHuence  des  qualités  du  mâle 
et  de  la  femelle  sur  colle  des  produits  de  l'accouplement.  Il 
semble  constant  que  la  part  du  mâle  est  de  déterminer  les 
formes  extérieures ,  et  d'agir  plus  fortement  sur  tout  ce  qui 
tient  à  la  peau  ;  que  la  femelle  exerce  sa  prépondérance  sur 
la  taille  des  individus  procréés,  et  sur  ceilaines  qualités 
dont  les  gastronomes  savent  apprécier  l'importance.  Si  l'on 
recherche  l'abondance  du  laitage ,  on  n'attachera  que  peu 
d'importance  au  choix  du  taureau  ;  les  bonnes  qualités  de  la 
mère  seront  le  principal  objet  des  investigations.  Toutefois, 
pour  des  motifs  dont  le  perfectionnement  du  laitage  n'est 
pas  le  but,  on  donnera  la  préférence  aux  taureaux  dont  la 
lOte  est  petite  et  les  cornes  peu  saillantes.  S'agit-il  de  l'a- 
mélioration des  laines,  le  choix  du  bélier  est  de  la  plus 
haute  importance  ;  il  est  décisif  pour  le  succès.  Le  proprié- 
taire bien  conseillé  n'épargnera  ni  -soins  ni  dépenses  pour  se 
procurer  les  individus  les  mieux  pourvus  des  perfections 
qu'il  veut  propager  dans  ses  troupeaux.  Mais  si  l'on  voulait 
avoir  des  moutons  faciles  à  nourrir,  et  qui  s'engraissent  à 
peu  de  frais,  il  parait  que  le  choix  des  mères  influerait  es- 
i^entiellemcnt  sur  ces  dispositions  dans  les  agneaux ,  quoique 
le  bélier  y  participe  aussi,  en  sorte  que  le  croisement 
des  races  n'est  pas  un  moyen  assuré  d'arriver  à  ces  sortes 
d'améliorations. 

On  voit  que  dans  l'action  exercée  par  l'homme  sur  les  bes- 
tiaux qu'il  réunit  autour  de  lui  pour  son  usage ,  il  ne  s'agit 
que  d'obtenir  des  variétés  et  de  les  conserver;  aucune  es- 
pèce animale  n'est  considérée  en  elle-même  par  rapport  à  ses 
qualités  spécifiques.  Ainsi,  les  animaux  domestiques  ont  dû 
varier  prodigieusement  en  comparaison  de  ceux  qui  n'é- 
taient soumis  qu'à  l'influence  des  causes  naturelles.  Si  l'on 
s'était  projjosé  de  perfectionner  chaque  espèce  par  la  culture 
de  l'ensemble  de  ses  facultés ,  on  aurait  fait  disparaître  quel- 
ques variations  lociiles,  et  en  s'approchant  de  plusenplusde 
la  limite  du  bien  ou  du  mieux  possible,  les  espèces  ainsi 
perfectionnées  eussent  été  amenées  à  la  plus  grande  uni- 
formité. Nos  arts  ont  besoin  tout  au  contraire  de  diversifier 
leurs  moyens ,  et  de  les  accommoder  à  leur  propre  mobilité  ; 
ce  qui  est  recherché  aujourd'hui  sera  peut-être  négligé  à  une 
époque  peu  distante  :  à  moins  qu'on  ne  panienne  à  fixer 
nosgoitts,  il  faudra  bien  aussi  tolérer  quelque  inconstance, 
même  dans  nos  méthodes  d'économie  rurale.      Ferry. 

BESTOUSCÏIEFF  ou  BESTOLMEF  (Alexandre), 
rcvnancier  russe,  né  vers  1795,  était  officier  aux  gardes  et 
aide  de  c^amp  du  duc  Alexandre  de  Wurtemberg  lorsqu'il  fut 
impliqué  avec  son  ami  Rylejeff  dans  la  conspiration  de  1825. 
A  la  suite  de  l'enquête  à  laquelle  elle  donna  lieu,  il  fut  dé- 
gradé, l'éduit  à  la  condition  de  simple  soldat,  et  envoyé 
comme  tel  à  Jakoutsk  en  Sibérie.  Anmistié  plus  tard  après 
de  longues  sollicitations,  il  eut  ordre  d'alicr  rejoindre  l'ar- 
mée du  Caucase.  Il  y  périt  en  juin  1837,  <ians  un  des  com- 
bats livrés  aux  montagnards  insurgés.  Avant  son  bannisse- 
ment en  Sibérie,  il  avait  publié,  de  concert  avec  Rylejeff, 
mort  du  dernier  supplice  à  la  suite  de  l'écliauffourée  de  1825, 
le  premier  almanach  populaire  qu'eût  encore  eu  la  Russie  : 
l'Étoile  polaire  (Saint-Pétersbourg,  1823).  Son  genre  de 
vie  dans  les  montagnes  du  Caucase  et  le  cercle  au  milieu 
duquel  il  se  trouvait  ont  exercé  une  grande  influence  mr  ses 
travaux  postérieurs,   qui  se  composent  d'esquisses  et  de 

ÛICT,    DE   LA   COXVri'.S.   —   ï.    III. 


113 

nouvelles,  et  q  li  ont  été  publiés  sous  le  nom  du  Kosak  IM;t>- 
linski.  On  y  remarque  un  rare  talent  de  descriiition,  une 
grande  habileté  à  saisir  et  â  reproduire  le  grotesque  des  si- 
tuations ainsi  que  la  vie  rude  et  agitée  du  soldat.  Son  style 
est  plein  de  poésie  et  pétille  d'esprit.  Malheureusement  il  ne 
sait  pas  assez  modérer  sa  verve,  et  trop  souvent  chez  lui 
l'élément  comique  dégénère  en  farce  de  mauvais  goût.  Après 
la  nouvelle  m\\\u\<^.e  Mullah-Nur,  son  meilleur  ouvrage  est 
le  roman  (VAmmn/cfh  Jieg ,  dont  le  sujet  est  l'histoire  de  la 
trahison  d'un  chef  circassien  envers  la  Russie,  et  dans  le<iuel 
on  trouve  les  plus  attachantes  descriptions  des  contrées  cau- 
casiennes. Une  édition  complète  de  ses  œuvres  a  paru  à 
Saint-Pétersbourg  en  1840.  Dès  1835  on  y  avait  public 
Contes  et  Nouvelles,  par  Marlinski. 

—  Ses  frères,  Nicolas  BESTouscnEFF ,  lieutenant  de  vais- 
seau, poète  et  auteur  des  Souvenirs  de  Hollande,  et  Michel 
Bestol'scheff,  capitaine  dans  la  garde  impériale  à  Moscou, 
ainsi  que  Pierre  Bestouscuefi-,  lieutenant  de  vaisseau  et 
aide  de  camp  de  l'amiral  Moller,  furent  tous  impliques 
comme  lui  dans  la  conspiration  militaire  de  1825.  Nicolas 
et  Michel,  bien  que  condamnés  seulement  à  vingt  ans  de  ban- 
nissement, furent  pendus  en  1826  par  ordre  exprès  de  l'em- 
pereur. 

Ces  quatre  frères  étaient  les  fils  du  conseiller  d'État  en 
activité  de  service  Bestouscheff ,  connu  sous  le  règne  d'A- 
lexandre comme  publiciste  gouvernemental,  et  qui  eut  le 
bonheur  de  mourir  avant  celte  fatale  année  1825. 

BESTOUSCHEFF-RJUMIIVE  (  Alexis,  comte  de  ) , 
chancelier  d'État  et  feld-marcchal  russe,  né  à  Moscou, 
en  1693,  fut  élevé  en  Allemagne,  partie  à  Berlin  et  partie  à 
Hanovre,  et  ne  parut  à  la  cour  de  Russie  qu'en  17i8.  Le 
czar  Pierre  Y'  le  nomma  son  envoyé  près  la  cour  de  Dane- 
mark ,  et  l'impératrice  Anne ,  ou  plutôt  le  duc  de  Courlande, 
réleva  au  rang  de  conseiller  intime  et  de  ministre  de  ca- 
binet. Après  la  chute  de  son  protecteur,  il  resta  pendant 
quelque  temps  en  disgrâce,  et  fut  même  arrêté.  L'impératrice 
Elisabeth  non-seulement  le  fit  rendre  à  la  liberté,  mais  en- 
core lui  conféra  le  titre  de  comte  et  la  dignité  de  vice-chan- 
celier de  l'empire.  Investi  de  toute  la  confiance  de  l'impé- 
ratrice, il  profita  de  son  crédit  et  de  son  influence  pour 
satisfaire  ses  dispositions  haineuses  à  l'égard  des  coins  de 
Prusse  et  de  France.  Il  conclut,  en  1746,  un  traité  d'alliance 
offensive  et  défensive  avec  le  cabinet  autrichien,  fit  mar- 
cher, en  1748,  une  armée  de  trente  mille  Russes  vers  le 
Rhin,  et  parvint  à  renverser  Lestocq.  Après  avoir  renou- 
velé, en  1756,  l'alliance  avec  l'Autriche,  il  fit  déclarer  la 
guerre  à  la  Prusse. 

Une  indisposition  de  rimpératrice  lui  ayant  fait  ensuite 
craindre  la  mort  de  cette  princesse,  il  se  décida  à  rappeler 
inopinément  le  général  Apraxin,  qui  commandait  en  chef 
l'armée  russe  chargée  d'agir  contre  la  Prusse,  ordre  auquel 
celui-ci  se  hâta  d'obéir.  11  paraît  que  le  projet  de  Bestous- 
cheff était  de  faire  exclure  de  la  succession  au  trône  le 
grand-duc  Pierre  Fédorovitch ,  duquel  il  se  savait  haï,  et  de 
le  remplacer  par  le  i)rince  Paul  Pétrovitcb.  Mais  l'impéra- 
trice recouvra  la  santé,  et  quand  elle  apprit  le  mouvement 
de  retraite  opéré  par  son  armée ,  elle  en  fut  tellement  irritée 
qu'elle  fit  déclarer  Bestouscheff  coupable  de  haute  trahison,, 
comme  tel  déchu  de  tous  ses  titres  et  emplois,  et  qu'elle 
l'exila  dans  sa  terre  de  Goretowo.  Ces  faits  se  passaient 
en  1758.  Son  exil  dura  pendant  tout  le  reste  du  règne  de 
Pierre  111;  mais  en  1762  l'inqtératrice  Catherine  11  réta- 
blit Bestouscheff  dans  toutes  ses  dignités,  et  le  nomma  feld- 
maréchal ,  sans  lui  accorder  cependant  la  moindre  part  d'in- 
fluence sur  la  direction  des  affaires  politiques.  H  mourut 
en  1766.  11  avait  employé  les  loisirs  que  lui  avaient  faits  ses 
quatre  années  de  disgrâce  à  composer  un  recueil  de  Maxi- 
mes choisies,  tirées  des  saintes  Écritures,  pour  la  con- 
solation de  tout  chrétien  qui  souffre  injustement,  com- 
pilation ascétique  qui  étonnerait  de  la  pai  t  d'un  liommed'unQ 

15 


114 

eiissi  profonde  immoralité,  si  l'on  ne  savait  qu'un  courtisan 
disgracié  est  capable  de  tout.  11  a  donné  son  nom  à  un  mé- 
dicament ferrugineux,  dit  tinctura  tonica  nervina  Bes- 
iuzewi,  qu'il  aurait  inventé  vers  1725 ,  et  dont  la  formule 
fut  achetée  plus  tard  trois  mille  roubles ,  par  l'impératrice 
Catherine  II ,  pour  être  rendue  publique. 

BESTOUSCIIEFF-RJUMINE  (MicnEL)  appartenait 
à  une  branche  collatérale  de  la  fauiille  du  précédent.  Lieute- 
nant au  régiment  d'infanterie  de  Pultawa,  dont  le  colonel  fai- 
sait aussi  partie  des  conjurés,  ce  fut  lui  qui  en  1825  pro- 
voqua et  dirigea  avec  Mourawief  l'insurrection  militaire  dans 
le  sud  de  la  Russie,  surtout  après  l'arrestation  de  Pestel. 
Déjà  il  avait  été  avec  celui-ci  à  la  tête  des  diverses  sociétés 
secrètes  de  la  Russie,  et  s'était  efforcé,  même  après  le  18  dé- 
cembre 1821,  de  les  réunir  dans  les  tendances  panslavistes 
avec  les  sociétés  existant  en  Pologne;  fusion  des  Steve^- 
Unis  qui  s'effectua  pendant  l'été  de  1825  au  camp  de  Lesch- 
tscbin  en  Volhynie.  Quand  la  révolution  militaire  eut  été 
comprimée  dans  le  sud  de  l'empire,  Michel  Bestoniscbcff,  pris 
les  armes  à  la  main,  fut  ramené  à  Saint-Pétersbourg,  où  il 
périt  sur  le  gibet  avec  Pestel ,  Kylejeff  et  Serge  Mourawieff. 
Lui  et  les  deux  derniers  de  ses  compagnons  d'infortune  subi- 
rent leur  arrêt  le  25  juillet  1826  avec  une'fermeté  qui  a  laissé 
de  profonds  souvenirs.  Unecirconstance  horrible  signala  cette 
exécution  :  pour  lancer  les  condamnés  dans  VÉternité , 
comme  disent  les  Anglais,  le  bourreau  dut  s'y  prendre  à 
deux  fois ,  parce  que  la  première  fois  la  corde  fatale  n'avait 
pas  été  serrée  assez  fort  autour  du  cou  des  patients  pour  que 
mort  s'ensuivit. 
BÈTA.  Voyez  B. 
BÉTAIL.  Voyez  Bestiaux, 

BETE.  Ce  mot  s'emploie  dans  la  même  acception  que 
celui  (Tanimal,  surtout  en  tant  qu'être  privé  de  raison.  11  y 
a  plusieurs  sortes  de  bêtes.  Les  bêtes  sativages,  bêtes  fé- 
roces ou  carnassières ,  sont  celles  qui  habitent  les  forêts , 
qui  vivent  dans  l'état  sauvage,  sans  communication  avec 
l'homme,  et  qui  se  nourrissent  pour  la  plupart  en  détruisant 
les  autres  animaux,  telles  que  le  lion,  l'ours,  le  tigre,  etc.  On 
comprend  sous  la  dénomination  de  bêles  à  cornes  les  bœufs, 
les  taureaux,  les  béliers,  etc.  Par  bêtes  à  laine  ou  bêtes 
blanches,  on  entend  les  brebis,  les  moutons,  les  mérinos,  etc. 
Les  bêtes  de  somme  sont  les  animaux  à  quatre  pieds  dont 
l'homme  se  sert,  soit  pour  sa  monture,  soit  pour  le  transport 
de  ses  fardeaux,  tels  que  le  cheval,  le  dromadaire,  le  mulet, 
l'âne,  etc. 

Enfermes  de  chasse,  on  dislingue  les  quadrupèdes  sauvages 
auxquels  on  fait  la  guerre  en  bétes  fauves,  telles  que  le 
cerf,  le  chevreuil,  le  daim  ;  en  bêtes  noires  :  ce  sont  les  san- 
gliers ;  en  bêtes  rousses  ou  carnassières  :  le  loup,  le  renard, 
le  blaireau.  On  applique  aussi  la  dénomination  de  bétes 
rousses  aux  jeunes  sangliers,  depuis  l'ûge  de  six  mois  jus- 
qu'à un  an;  quand  ils  passent  de  la  première  année  à  la 
seconde,  on  les  appelle  bêtes  de  compagnie,  parce  qu'alors 
ils  vont  habituellement  par  troupes. 

Comment  la  métaphore  a-t-ellc  osé  faire  remonter  cette 
qualification  à  notre  espèce  {voyez  Bêtise  )  ?  Est-il  vrai  que 
souvent  entre  l'âne  et  ses  maîtres  le  plus  bête 

...  n'est  pas  celui  qu'on  pense.'' 

Quand  nous  sommes  petits  nous  avons  peur  delà  bête.  Plus 
grands,  nous  trouvons  parmi  nos  semblables  des  i>67es  noires, 
que  nous  ne  pouvons  pas  souffrir,  de  mauvaises  bêtes,  que 
nous  estimons  peu,  et  de  bonnes  bêtes,  que  nous  aimons  assez 
généralement.  Nous  en  voyons  qui /ont  la  bête....  pour 
avoir  du  foin ,  ajoute  le  proverbe.  L'homme  abattu  par  les 
événements  ne  sait  pas  toujours  remonter  sur  sa  bête;  et 
en  dépit  de  la  sagesse  des  nations,  le  venin  ne  meurt  pas  si 
bien  qu'on  le  croit  avec  la  bête. 
BÊTE  (Faire  la).  Voyez  Hombue. 


BESTOUSCHEFF-RJUMINE  —  BÉTES 


BETE  A  BON  DIEU  ou  BÉTE  A  DIEU.  Voyez  Coc- 

CINELLK. 

BÊTE  NOIRE.  Voyez  Blatte. 
BETEL,  plante  sarmenteuse  ,  originaire  des  Indes,  où 
elle  croît  naturellement  le  long  des  côtes.  Dans  l'intérieur 
des  terres,  on  la  cultive  comme  la  vigne.  Les  botanistes  ran- 
gent cette  plante  parmi  les  poivres.  Ses  fruits  croissent  en 
épis  assez  longs,  et  ressemblent  à  une  queue  de  lézard.  Les 
feuilles  de  cette  plante  sont  très-remarquables;  elles  ont 
beaucoup  d'analogie  avec  celles  du  citronnier,  quoiqu'elles 
soient  plus  longues  et  plus  pointues,  ayant  sept  petites  côtes 
ou  nervures,  qui  s'étendent  d'un  bout  à  l'autre.  Elles  ont 
une  saveur  amère,  et  produisent  une  liqueur  rougcâtre 
lorsqu'on  les  mâche.  Aux  Indes  orientales,  elles  font  la  base 
principale  d'une  mixtion  dont  on  fait  grand  usage,  à  peu 
près  comme  en  d'autres  pays  on  fait  usage  du  tabac.  Le 
bétel  préparé  par  les  uns  avec  de  la  chaux,  de  l'arec  et  des 
trochisques,  par  d'autres,  plus  riches,  avec  du  camphre,  de 
î'aloès,  de  l'ambre  gris,  du  musc,  donne  une  odeur  très- 
agréable  à  la  bouche,  mais  il  a  l'inconvénient  de  gâter  et  * 
de  faire  tomber  les  dents.  Les  hommes  et  les  femmes  de 
tout  rang  mâchent  continuellement  du  bétel,  qu'ils  ont  cou- 
tume de  porter  dans  une  petite  boîte,  et  qu'ils  s'offrent  mu- 
tuellement lorsqu'ils  se  rencontrent,  comme  nous  faisons  du 
tabac  à  priser.  On  n'aborde  jamais  une  personne  élevée 
en  dignité  sans  avoir  préalablement  mâché  du  bétel,  et  il  est 
même  impoli  de  se  parler  entre  gens  de  la  même  condition 
sans  avoir  la  bouche  parfumée  de  cet  arôme.  Le  bétel ,  du 
reste,  est  bon  pour  l'estomac ,  et  renforce  les  glandes  sali- 
vaires;  il  prévient  les  sueurs  trop  abondantes,  et  garantit 
par  là  des  affaiblissements,  qui  sont  à  craindre  dans  ces  pays, 
011  la  chaleur  est  excessive. 

BÊTES  (Ame  des).  Les  animaux  ont-ils  une  âme,  et 
s'ils  en  ont  une,  quelle  est-elle?  Telle  est  ici  la  double  ques- 
tion qui  se  présente.  Un  grand  nombre  de  philosophes , 
Descartes  à  leur  tête,  ont  refusé  une  ârne  aux  animaux ,  soit 
que  la  psychologie  ne  fût  pas  alors  assez  avancée  pour  qu'on 
pût  distinguer  nettement  la  nature  du  principe  qui  préside 
à  leurs  actes ,  soit  que  l'opinion  qui  leur  accorde  une  âme 
ait  paru  contrarier  certains  dogmes  du  cliristianisme,  qui 
fit  ses  efforts  pour  la  rtyeter,  soit  enfin  que  l'orgueil  de 
l'homme  ait  été  offense  d'une  trop  grande  analogie  avec  des 
êtres  d'une  nature  inférieure,  et  probablement  pour  toutes 
ces  raisons  à  la  fois.  Maintenant  les  progrès  de  la  science 
psychologique  ne  permettent  pas  de  révoquer  en  doute  que 
les  animaux  soient  mus  par  un  principe  qu'il  convient  d'ap- 
peler une  dme,  si  l'on  veut  continuer  d'appeler  les  choses 
par  leur  nom.  Qu'entendons-nous,  en  effet,  par  dme  hu- 
maine, si  ce  n'est  ce  prmcipe  constitutif  de  notre  être,  en 
vertu  duquel  nous  sommes  capables  de  sentir,  de  connaître 
et  de  vouloir?  Or,  l'induction  la  plus  simple  nous  amène  à 
reconnaître  dans  les  animaux  une  force  autre  que  la  force  or- 
ganique, une  force  à  la  fois  sensible,  intelligente,  active,  qui 
peut  différer  par  degrés  de  la  force  analogue  dans  l'homme , 
mais  qui  n'en  diffère  pas  par  son  essence ,  par  ses  attributs 
constitutifs,  qui  sont  le  sentir,  le  connaître  et  le  vouloir. 
Sentiment.  Pourquoi  sommes-nous  assurés  que  les  êtres 
revêtus  d'un  corps  semblable  au  nôtre  sont  susceptibles  de 
plaisir  ou  de  douleur,  quoique  nous  n'ayons  aucun  moyen 
d'atteindre  directement  le  plaisir  ou  la  douleur  qu'ils  éprouT 
vent  ?  C'est  unujuement  parce  que  nous  leur  voyons  pro- 
duire certains  gestes  et  certains  sons  que  nous  produisons 
nous-mêmes  quand  nous  sommes  affectés  des  mêmes  sen- 
timents. Or,  c'est  aussi  légitimement  que  nous  sommes  au- 
torisés à  conclure  à  l'existence  de  phénomènes  agréables  ou 
désagréables  dans  les  animaux  que  nous  voyons  exécuter 
certains  mouvements,  que  nous  entendons  émettre  certains 
cris,  qui  sont  pour  nous  les  signes  infaillibles  de  leur  peine 
ou  de  leur  plaisir.  Quel  est  l'homme  qui  ne  reconnaît  danj 


ans    I 

1 


l'animal  une  foule  de  phénomènes  psychologiques  dont  il 
a  conscience  en  lui-même ,  et  qui  ne  les  appelle  du  même 
nom ,  comme  la  souffrance ,  la  crainte ,  la  joie ,  l'attache- 
ment, la  jalousie,  le  ressentiment,  la  colère?  Or,  si  tous 
ces  sentiments  sont  dans  l'homme  le  fait  de  l'âme ,  et  non 
du  principe  organique ,  pourquoi  seraient-ils  le  fait  du  prin- 
cipe oi^anique  dans  les  animaux  ?  Nous  avons  également 
à  nous  appuyer  sur  l'analogie  de  l'organisation  ;  et  quand 
nous  voyons ,  par  exemple ,  les  nerfs  disposés  chez  nous  de 
manière  à  transmettre  au  cerveau  une  impression  d'où  ré- 
sulte le  sentiment ,  l'emploi  des  mêmes  moyens  chez  les  ani- 
maux atteste  assez  que  la  nature  s'est  proposé  la  même  fin, 
c'est-à-dire  l'apparition  du  phénomène  affectif  à  la  suite  de 
l'ébranlement  nerveux. 

Connaissance.  Des  raisons  aussi  légitimes  nous  permet- 
tent de  constater  dans  les  animaux  l'existence  du  principe 
intelligent.  Voir  et  distinguer  par  la  vue,  c'est  connaître.  Or, 
un  animal  voit ,  regarde  et  distingue  :  comment  peut-on  dire 
qu'il  ne  connaît  pas?  Assurément,  il  ne  se  rend  pas  compte 
qu'il  connaît ,  il  n'opère  pas  comme  nous  sur  ses  connais- 
sances au  moyen  de  l'abstraction  ;  toujours  est-il  que  cer- 
taines formes  se  présentent  à  ses  regards,  qu'il  se  les  repré- 
sente teUes  qu'elles  existent  dans  la  nature,  qu'il  les  distingue 
entre  elles,  en  un  mot  qu'il  les  connaît.  Le  chien  aperçoit 
son  maître,  le  reconnaît,  distingue  ses  vêtements ,  ses  traits, 
sa  voix ,  des  vêtements ,  des  traits ,  de  la  voix  des  personnes 
qui  ne  soi;t  pas  lui  :  il  connaît  sa  cabahe,  comprend  les 
signes  impératifs  de  l'homme,  c'est-à-dire  y  associe  les  idées 
que  l'homme  y  a  lui-même  associées,  exécute  les  différents 
ordres  attachés  à  chacun  de  ces  signes.  Il  y  a  des  animaux 
susceptibles  d'éducation,  c'est-à-dire  d'apprendre  autre 
chose  que  ce  que  leur  enseigne  la  nature;  il  y  en  a  pour 
cette  raison  qu'on  a  quaUfiés  de  savants  ;  il  y  en  a  dans 
lesquels  on  ne  reconnaît  que  peu  d'intelligence ,  etc.;  en 
un  mot ,  toutes  les  expressions  de  la  langue  prouvent  que, 
sans  le  savoir,  chacun  reconnaît  dans  les  animaux  l'exis- 
tence du  principe  intellectuel. 

Volonté.  Enfin,  ils  sont  doués  comme  nous  d'une  acti- 
vité intelligente,  c'ést-à-dire  de  volonté  :  on  dira  le  mouve- 
lèient  de  la  pierre  qui  tombe,  de  la  fumée  qui  s'élève;  on 
ne  dira  pas  seulement  le  mouvement  de  l'animal  qui  fuit  ou 
qui  se  jette  sur  sa  proie,  on  dira  son  action.  C'est  qu'en 
effet  son  mouvement  n'est  point  imputable  à  la  même  cause 
que  le  mouvement  d'une  pierre  qui  gravite.  La  force  qui 
fait  giaviter  le  caillou  ne  réside  pas  dans  le  caillou  lui-même, 
elle  réside  au  centre  de  la  terre.  La  force  qui  fait  mouvoir 
l'animal  ne  réside  qu'en  lui  ;  c'est  de  lui-même  que  partent 
les  efforts  qu'il  déploie  pour  tendre  vers  son  but.  De  plus , 
cette  forme  n'obéit  pas,  comme  dans  le  végétal,  aveuglément 
et  sans  motif  personnel ,  sans  autre  raison  que  l'impulsion 
communiquée  par  la  loi  générale  qui  préside  à  tel  ou  tel 
développement.  Elle  a  dans  l'animal  le  sentiment  pour  con- 
dition et  pour  mobile ,  et  ce  sentiment  est  accompagné  de  la 
notion  de  l'objet  aimé  ou  haï.  Menacez  un  chien  d'un  bâ- 
ton, et  les  mouvements  qu'il  produira  pour  fuir  auront  pour 
cause  la  force  qui  réside  en  lui-même.  Cett«  force  sera  mue 
par  un  sentiment  de  crainte ,  et  ce  sentiment  supposera  le 
souvenir  d'une  douleur  ressentie  et  la  notion  d'un  danger 
présent.  Assurément,  malgré  l'intervention  du  sentiment  et 
de  la  connaissance,  il  y  a  dans  l'animal  une  sorte  de  fata- 
lité qui  n'existe  pas  pour  l'homme  ;  mais  ses  actions ,  pour 
n'être  pas  libres ,  n'en  sont  pas  moins  volontaires ,  et  parce 
que  l'animal  ne  peut  pas  vouloir  atteindre  un  autre  but  que 
celui  vers  lequel  il  tend,  il  ne  veut  pas  moins  l'atteindre. 
Sensibilité,  intelligence,  activité  volontaire,  tels  sont  in- 
contestablement les  attributs  qui  élèvent  l'animal  au-dessus 
du  minéral,  au-dessus  de  la  plante,  et  qui  nous  obligent  à 
lui  accorder  une  autre  force  que  la  force  moléculaire  ou  la 
force  organique,  dans  lesquelles  rien  jusqu'à  présent  ne  nous 
a  révélé  vestige  d'intelligence  ou  de  sensibilité. 


BÉTES  115 

La  plupart  des  philosophes  qui  refusent  une  âme  aux  ani- 
maux ont  cru  donner  une  explication  suffisante  de  leur  opi- 
nion en  disant  que  les  bêtes  étaient  sensibles ,  à  la  vérité, 
mais  non  point  intelligentes,  raisonnables,  et  que  c'était  là 
ce  qui  lès  distinguait  de  l'homme  et  ce  qui  empêchait  de 
leur  accorder  mie  âme.  Cette  exphcation  prouve  seulement 
un  esprit  peu  psychologique  de  la  part  de  ceux  qui  l'ont 
tentée;  car  la  sensibilité  dont  les  animaux  sont  doués, 
l'homme  l'a  également  reçue  en  partage ,  et  dans  l'homme 
elle  est  le  fait  de  l'âme  et  non  point  du  corps,  puisque  le 
principe  qui  connaît  est  aussi  le  principe  qui  sent.  De  plus, 
il  est  entièrement  faux  que  l'aniinal  soit  borné  à  la  sensi- 
bihté,  c'est-à-dire  au  pouvoir  d'éprouver  du  plaisir  ou  de 
la  douleur.  Car,  comment  pourrait-il  chercher  ou  fuir  ce 
qui  lui  fait  éprouver  un  sentiment,  s'il  ne  connaissait  et  le 
sentiment  qu'il  éprouve  et  l'objet  qui  le  lui  cause?  Or,  du 
moment  où  il  connaît  quoi  que  ce  soit ,  par  quelque  moyen 
que  ce  soit,  il  est  intelligent.  Il  est  vrai  que  la  sensibilité 
a  jusqu'à  présent  été  très-mal  définie,  et  confondue  dans  un 
grand  nombre  de  cas  avec  l'élément  intellectuel.  Ce  n'est 
pomt  ici  le  lieu  d'établir  cette  distinction  et  de  traiter  une 
question  aussi  vaste  ;  mais  quand  on  confondrait  encore  l'é- 
lément affectif  et  l'élément  intellectuel,  il  n'en  faudrait  pas 
moins  rapporter  à  l'âme  le  principe  qui  sent  ;  car,  encore 
une  fois,  c'est  le  moi  et  non  point  l'organisme  qui  éprouve 
du  plaisir  et  de  la  douleur,  c'est  le  moi  qui  est  le  sujet  de  la 
joie  ou  de  la  peine  ressentie,  comme  des  notions  qu'il  reçoit, 
comme  des  efforts  qu'il  produit,  puisqu'il  a  conscience 
de  tous  ces  faits  qui  se  passent  dans  son  sein ,  et  point  du 
tout  des  modifications  qui  se  passent  au  sein  de  l'organisme. 

Descartes  a  été  plus  conséquent  lorsque,  pour  soutenir 
cette  thèse ,  que  les  bêtes  n'ont  point  d'âme ,  il  a  essayé 
d'expliquer  leurs  actes  par  un  mécanisme  disposé  par  la  na- 
ture de  manière  à  prodmre  tous  les  mouvements  que  nous 
leur  voyons  effectuer.  Mais  celte  hypothèse,  quoique  moins 
contradictoire ,  n'est  pas  moins  dénuée  de  fondement  ;  car 
si  l'on  suppose  que  les  animaux  sont  de  pures  machines , 
merveilleusement  organisées ,  si  l'on  veut,  et  avec  infini- 
ment plus  d'art  et  de  puissance  que  le  canard  de  Vaucanson , 
comment  expliquera-t-on  une  foule  de  phénomènes ,  l'é- 
ducation de  certains  animaux,  par  exemple?  Pour  changer 
l'action  d'une  mécanique ,  il  nous  faudrait  déranger  les  res- 
sorts qui  la  font  mouvoir.  Or,  nous  ne  touchons  nullement 
à  ces  ressorts  :  quand ,  par  exemple ,  nous  voulons  dresser 
un  chien  de  chasse ,  nous  nous  contentons  de  nous  adresser 
à  sa  sensibilité  et  à  son  intelligence;  nous  le  déterminons 
à  agir  d'une  certaine  manière  par  la  crainte  d'un  châti- 
ment ou  Vespoir  d'un  bon  morceau.  Si  ce  chien  était  un 
assemblage  de  ressorts  disposés  de  manière  à  le  pousser 
dans  une  direction  à  l'approche  de  tel  animal ,  il  courrait 
à  sa  proie  sans  que  rien  pût  l'en  détourner ,  si  ce  n'est  un 
obstacle  physique.  Or,  les  menaces  l'en  détournent,  et  les 
menaces  supposent  un  être  sensible  et  intelligent.  Pour 
nous  servir  d'un  exemple  trivial ,  mais  excellent ,  si  l'âne 
placé  à  égale  distance  de  deux  paniers  également  remplis 
d'avoine,  était  une  macliine,  il  resterait  aussi  immobile  que 
le  fléau  d'une  balance  que  sollicitent  deux  forces  égales. 
Enfin ,  si  l'on  croyait  pouvoir  expliquer  tous  les  actes  des 
animaux  par  cette  hypothèse  du  mécanisme ,  il  n'y  a  pas 
de  raison  pour  qu'on  n'attribuât  pas  également  au  méca- 
nisme les  actions  analogues  dans  l'homme  et  à  un  mécanisme 
plus  parfait  les  actions  qui  nous  placent  dans  l'échelle  des 
êtres  au-dessus  de  l'animal. 

C'est  donc  pour  nous  une  vérité  au-dessus  de  toute  con- 
testation, que  l'existence  chez  les  animaux  d'un  principe 
qui  sent,  connaît  et  veut,  c'est-à-dire  d'une  âme.  JMais  si 
nous  sommes  forcés  d'avouer  que  les  animaux  ont  avec 
l'homme  une  telle  analogie ,  nous  devons  aussi  reconnaître 
la  prodigieuse  distance  qui  sépare  leur  âme  de  la  nôtre ,  et 
constater  cette  différence  essentielle,  qui  met  un  abîme  entra 

15. 


11 G  BÊTES 

ranimai  le  plus  intelligent  et  l'iiomiTie  le  plus  ordinaire, 
l'ar  là  s'expliquera  la  répugnance  qu'ont  eue  les  meilleurs 
esjirits  à  admettre  une  âme  cliez  les  animaux ,  et  la  compa- 
laison  que  nous  allons  établir,  en  fournissant  la  solution 
(le  la  seconde  question  ,  servira  à  jeter  un  nouveau  jour  sur 
la  picmière. 

En  quoi  l'âme  des  animaux  diffère-t-elle  de  Vâme  hu- 
maine? Quoique  l'élément  affectif,  c'est-à-dire  la  sensibilité, 
soit  chez  les  animaux  le  plus  développé  de  tous,  il  est  loin 
jiourtant  de  posséder  toutes  les  richesses  dont  la  nature  a 
«ioué  la  sensibilité  de  l'homme,  et  il  est,  à  peu  d'excep- 
tions près  ,  borné  aux  plaisirs  et  aux  douleurs  (lui  résultent 
des  modifications  organiques,  c'est-à  dire  aux  sensatio  ns. 
Remarquez  même  que  si  les  sensations  de  l'animal  sont  plus 
vives,  elles  sont  bien  moins  nombreuses.  Ainsi ,  il  n'y  aura 
guère  pour  lui  de  saveurs  et  d'odeurs  agréables  que  celles 
des  substances  qui  sont  appropriées  à  sa  nature  et  qui  ne 
lui  sont  pas  nuisibles.  Pour  l'homme ,  au  contraire ,  il  y  a 
des  parfums  qu'il  aimera  inspirer  pour  eux-mêmes ,  et  in- 
dépendamment de  l'utilité  des  substances  dont  ils  provien- 
nent. Le  café,  par  exemple,  dont  l'usage  est  pour  moi  per- 
nicieux, me  plaira  inliniment  par  son  odeur  et  sa  saveur; 
pour  l'animal  ce  sera  le  contraire ,  il  ne  trouvera  de  plai- 
sir qu'à  savourer  et  à  odorer  les  objets  dont  il  doit  résultisr 
un  bien  pour  son  organisation.  Quant  aux  plaisirs  qui  résul- 
tent des  perceptions  de  forme ,  de  couleur ,  de  son ,  de 
rapport,  c'est-à-dire  aux  plaisirs  du  beau,  ils  sont  à  peu 
près  nuls  pour  les  animaux,  si  l'on  en  excepte  quelques-uns 
que  Ton  voit  adirés  et  agréablement  flattés  par  une  musi- 
que harmonieuse.  Mais  on  n'en  a  jamais  vu  admirer  une 
belle  statue,  un  bel  édihce,  contempler  avec  plaisir  tel  as- 
semblage de  couleurs ,  rire  à  la  vue  de  certains  rapports 
(jui  excitent  chez  l'homme  un  vif  sentiment  de  gaieté,  etc. 
Cependant ,  on  a  remarqué  dans  certains  animaux  des 
sentiments  qu'on  a  qualifiés  de  moraux  chez  l'homme , 
comme  l'amour  de  la  progéniture ,  l'altachement  à  son  maî- 
tre, le  plaisir  de  la  société,  etc.;  maison  aurait  tort  de 
donner  ici  à  ces  sentiments  la  même  quaUfication  d'alfec- 
t ions' morales;  car  on  ne  les  a  appelés  ainsi  que  parce  qu'ils 
sont  pour  nous  les  auxiliaires  de  la  morale,  et  que  l'homme, 
capable  de  les  juger  tels ,  est  moralement  obligé  de  ne  pas 
les  étouffer,  de  les  nourrir  dans  son  cœur,  et  d'en  diriger 
l'impulsion.  Chez  les  animaux  ces  sentiments  restent  cons- 
tamment instinctifs;  ils  ne  sont  pas  plus  libres  de  leur  dé- 
sobéir que  de  s'y  abandonner ,  et  ce  manque  d'empire  sur 
leurs  instincts  est  précisément  ce  qui  empêche  ces  sentiments 
de  mériter  le  nom  de  moraux. 

Mais  c'est  en  comparant  l'homme  et  l'animal  sous  le 
point  de  vue  des  facultés  intellectuelles  qu'on  pourra  mieux 
apprécier  l'intervalle  immense  qui  les  sépare.  Les  ani- 
maux perçoivent  les  formes,  les  couleurs,  les  sons;  ils 
S(.>nt  donc  connue  nous  pourvus  de  la  faculté  de  percevoir 
à  l'extérieur,  c'est-à-diie  de  la  perception  externe.  On  ne 
peut  non  [)his  leur  refuser  une  connaissance  instinctive  de 
certaines  lois  de  la  nature  et  la  croyance  à  leur  stabilité. 
Ainsi,  l'on  cite  l'excuiple  de  ce  singe  qui  plaçait  une  pierre 
sous  la  noix  qu'il  voulait  casser  avec  une  autre  pierre , 
jiarce  qu'il  avait  remarqué  que  la  terre  ne  lui  ofl'rait  pas 
assez  de  résistance.  Il  fallait  donc  qu'il  ciU  pris  connais- 
bance  de  la  qualité  de  dureté  dans  les  corps,  et  qu'il  sût 
que  les  corps  qui  sont  doués  de  cette  propriété  la  conser- 
vent, et  que  les  mêmes  effets  résultent  des  mêmes  causes 
quand  ces  causes  agissent  dans  les  mêmes  circonstances. 
Assurément ,  il  ne  se  rendait  pas  compte  de  ce  que  c'est 
qu'un  effet,  une  cause,  un  rapport,  une  loi  de  la  nature; 
mais  il  ne  iirévoyait  pas  moins,  à  jieu  près  comme  eût  pu 
ie  faire  un  enfant,  qtic  remploi  de  tels  moyens  amènerait 
tel  résultat;  et  c'est  ce  que  j'appelle  connaître  instinctive- 
iuent  certaines  lois  de  la  nature ,  et  ce  qu'on  peut  appeler 
aussi  raisonnement.  Je  ne  parle  pas  ici  de  ces  instincts  in- 


dustrieux, qui  jouent  un  sigraml  rôle,  surtout  chez  les  in- 
sectes (  comme  l'araignée ,  l'abeille ,  le  ver  à  soie ,  etc.  )  ; 
l'accompUssement  des  actes  de  ces  animaux  ne  peut  être  at 
tribué  à  un  raisonnement  de  l'espèce  de  ceux  dont  j'ai  parli; 
plus  haut,  et  dans  lesquels  il  y  a  évidemment  un  calcul 
(lui  n'i  st  point  l'effet  d'un  instinct  aveugle  et  mécanique. 
Les  raisonnements  que  suppose  la  confection  d'une  toilej 
d'araignée,  ce  n'est  point  l'araignée  qui  les  fait,  mais  la 
nature  qui  en  est  l'auteur,  qui  raisonne  ici  pour  l'insecte, 
et  à  son  insu  [voyez  Instinct);  tandis  que  ce  n'est  point 
en  vertu  d'un  instinct  aveugle  et  fatal  que  le  chien ,  qui 
avait  remarqué  comment  on  demandait  à  dîner  dans  un 
couvent ,  tirait  le  cordon  de  la  sonnette  pour  obtenir  son 
repas  de  la  même  manière. 

Nous  serons  donc  forcés  d'accorder  aux  animaux  la  fa- 
culté de  percevoir  des  rapports  et  de  raisonner  jusqu'à  un 
certain  degré.  Ils  possèdent  également  la  conception,  c'est- 
à-dire  la  faculté  de  se  représenter  les  objets  en  leur  absence. 
Ainsi,  le  chien  qui  se  réjouit  en  voyant  son  maître  revêtir 
ses  habits  de  chasse,  doit  nécessairement  se  représenter  des 
circonstances  dont  l'idée,  associée  dans  son  esprit  à  celle  de 
ces  vêtements,  cause  maintenant  par  son  réveil  la  joie  qu'il 
ressent.  Les  idées  peuvent  donc  aussi  s'associer  dans  les 
animaux;  mais  c'est  là  leur  seule  mémoire.  Je  ne  sais  même 
si  on  peut  leur  accorder  la  mémoire  proprement  dite  ;  car 
le  souvenir  ne  consiste  pas  seulement  dans  la  représentation 
d'une  notion  antérieurement  acquise ,  et  qui  vient  s'associer 
à  une  autre  dont  l'objet  est  présent  ;  il  consiste  surtout  use 
rappeler  l'objet  d'une  notion  comme  déjà  connu  et  à  re- 
marquer son  identité  avec  celui  dont  la  perception  a  été 
acquise  précédemment.  Or,  pour  cela  il  faut  avoir  l'idée 
distincte  du  temps  passé,  et  cette  idée  est  refusée  aux  ani- 
maux. Tout  entiers  au  présent  et  à  un  avenir  extrêmement 
borné,  et  qui  se  rattache  au  présent  qui  les  occupe,  le  passé 
n'existe  pas  pour  eux  ;  et  s'ils  sont  quekjuefois  occupes  par 
des  conceptions  de  faits  antérieurement  connus,  ces  faits 
leur  apparaissent  comme  actuels.  Ainsi,  la  douleur  que  re- 
doute l'animal  qui  se  voit  menacé  par  le  fouet  dont  il  a  été 
frappé  ne  se  retrace  pas  à  lui  comme  un  fait  plus  ou  moins 
éloigné  dans  le  passé,  mais  bien  comme  un  fait  actuel  et 
tellement  présent  qu'il  l'indique  souvent  par  ses  cris.  On 
peut  donc  regarder  les  animaux  comme  privés  de  la  faculté 
de  la  mémoire,  et  doués  seulement  de  la  conception  et  delà 
faculté  d'association. 

Mais  ce  qui  place  l'animal  à  un  rang  si  inférieur  relative- 
ment à  l'homme ,  ce  qui  lui  interdit  le  progrès  et  la  qua- 
lité à^être  moral,  c'est  l'absence  de  la  réflexion,  et  l'on  peut 
dire  que  c'est  cette  défectuosité  capitale  qui  entraîne  avec 
elle  toutes  les  autres.  Un  être  incapable  de  faire  un  retour 
sur  ses  propres  idées  par  la  réflexion,  et  de  les  distinguer 
par  l'abstraction ,  est  également  incapable  d'attacher  des 
signes  à  ces  idées ,  et  par  conséquent  d'avoir  un  langage. 
Qu'on  ne  croie  pas,  en  effet,  que  ce  soit  le  langage  seul  qui 
permette  d'avoir  des  idées  abstraites  et  générales.  C'est  le 
langage,  assurément,  qui  permet  de  les  maintenir  dans  l'es- 
prit et  d'opérer  sur  elles ,  mais  ce  n'est  point  le  langage 
qui  les  fait  acquérir,  c'est  la  réflexion  seule  qui  les  donne; 
le  langage  n'est  qu'un  instrument  destiné  à  favoriser  l'ac- 
tion de  la  pensée.  Un  animal  qui  serait  doué  d'un  organe 
vocal  bcaucoui)  plus  perfectionné  encore  que  celui  de 
l'homme  ne  parlerait  pas  plus  pour  cela  s'il  était  privé  delà 
réflexion.  C'est  ce  que  prouvent  certains  oiseaux  à  qui  l'on 
])arvient  à  faire  prononcer  un  très-grand  nombre  de  phrases 
sans  qu'ils  puissent  néanmoins  comprendre  jamais  un  mot 
de  ce  qu'ils  disent,  parce  qu'ils  sont  incapables  de  rp/?^cAJr, 
c'est-à-dire  de  concevoir  les  abstractions  que  ces  mots  re- 
pnsenlent. 

On  conçoit  alors  que,  privé  de  langage,  l'animal  soit  in- 
capable de  se  réunir  en  société,  d'améliorer  par  conséquent 
son  état  physique  et  intellectuel,  de  se  livrer  aux  sciences, 


BETES  —  BEïnLEN  GABOU 


n: 


mères  de  l'industrie  et  de  la  morale,  lesquelles  ne  peuvent 
être  étudiées  qu'avec  le  secours  des  signes  qui  prêtent  un 
soutien  aux  idées  abstraites,  dont  elles  ne  sont  qu'un  long 
encliaineinent.  On  concevra  pareillement  que  sans  le  se- 
cours de  la  réflexion  l'animal  ne  puisse  pas  s'élever  à  l'idée 
abstraite  de  devoir,  c'est-à-dire  d'une  loi  que  la  créature  est 
obligée  d'accomplir  pour  remplir  sa  destination;  car  il  fau- 
drait qu'il  se  distinguât  comme  individu,  comme  personne, 
et  qu'il  se  distinguât  de  la  loi  qui  lui  est  imposée.  Or,  pour 
envisager  distinctement  et  ses  propres  actes,  et  la  loi  qui  y 
préside  ou  doit  y  présider,  il  faudrait  s'élever  à  des  abstrac- 
tions auxquelles  la  réflexion  peut  seule  conduire,  et  cette 
faculté  est  refusée  à  l'animal.  Il  ne  peut  donc  pas  séparer 
dans  son  esprit  l'idée  de  ses  actes  et  l'idée  de  la  loi  en  vertu 
de  laquelle  ces  actes  doivent  être  produits.  Il  n'obéit  qu'aux 
suggestions  de  la  nature,  dont  il  a  conscience  au  moment  où 
il  les  reçoit,  mais  qu'il  ne  distingue  pas  de  l'acte  même  au- 
quel il  est  poussé.  11  n'est  donc  pas  doué  de  cette  liberté 
morale  qui  consiste  dans  l'homme  à  pouvoir  choisir  sciem- 
ment entre  deux  actes  dont  l'un  est  l'accomplissement  de 
sa  loi,  et  l'autre  la  satisfaction  d'un  désir  contraire  au  but 
pour  lequel  il  a  été  créé.  D'ailleurs,  et  qu'on  remarque  bien 
ceci,  l'animal  n'éprouve  pas  de  désirs  qui  ne  le  mènent  à 
l'accomplissement  des  lois  de  sa  nature.  Ses  instincts  ont 
été  calculés  de  manière  à  ce  qu'il  ne  pût  outrepasser  comme 
l'homme  les  limites  de  ses  besoins. 

L'homme,  au  contraire,  ressent  des  désirs  dont  la  satis- 
faction l'entuaînerait  loin  de  son  but  :  il  a  des  instincts  qu'il 
doit  régler  ou  étouffer,  des  passions  auxquelles  il  doit  imposer 
silence  s'il  veut  accomplir  sa  loi  ;  et  c'est  là  précisément  ce 
qui  lui  donne  occasion  d'exercer  sa  hberté;  autrement  il 
aurait  beau  connaître  sa  loi  et  la  distinguer  de  lui-même,  si 
lien  ne  l'engageait  à  l'enfreindre,  il  ne  serait  réellement  pas 
libre  en  l'accomplissant,  parce  qu'il  n'aurait  pas  de  motif 
pour  la  violer  ;  il  ferait  le  bien  sans  vertu  et  sans  mérite. 
Ce  qui  constitue  le  mérite  chez  l'homme,  c'est  ce  conflit  de 
penchants  divers  qui  se  disputent  son  cœur,  et  les  eftorts 
qu'il  produit  pour  comprimer  ceux  qui  sont  un  obstacle  à 
l'accomplissement  de  sa  destinée. 

Pour  l'animal ,  non-seulement  il  n'a  pas  la  connaissance 
distincte  de  sa  loi,  il  n'a  pas  môme  besoin  de  la  connaître , 
puisque  rien  ne  le  porte  à  la  transgresser  ;  et  il  n'est  pas  le 
maître  de  commander  à  ses  penchants,  parce  qu'il  n'en  est 
|)as  distinct,  et  que  la  réflexion  n'a  pas  éclairé  sa  conscience 
de  manière  à  le  séparer  à  ses  yeux  des  instincts  dont  la  na- 
ture l'a  doué.  Par  là,  il  est  privé  de  ce  qui  fait  le  plus  noble 
attribut  de  la  créature  humaine,  c'est-à-dire  de  la  liberté, 
<lu  pouvoir  d'acquérir  du  mérite  par  la  vertu,  et  par  consé- 
quent de  tout  droit  à  l'immortalité. 

Nous  pouvons  donc,  sans  crainte  d'abaisser  l'homme  ou 
de  blesser  son  amour-propre,  accorder  à  la  bête  une  âme 
dont  la  nature  est  si  inférieure  à  la  nôtre ,  et  dont  les  facultés, 
uniquement  appropriées  à  la  satisfaction  des  besoins  ter- 
restres, prouvent  qu'elle  n'a  pas  d'autre  destination  que  cette 
/îemeure  où  elle  est  condamnée  à  vivre  et  à  mourir,  sans 
souvenir  dupasse,  sans  inquiétude  de  son  avenir,  sans  autre 
pensée  que  celle  de  ses  besoins  présents,  sans  conscience 
de  son  être ,  sans  intelligence  de  l'univers  qui  l'entoure  et 
du  Dieu  qui  l'y  a  placée.  C.-M.  Paffe. 

BETli ,  nom  de  la  seconde  lettre  de  l'alphabet  chez  les 
hébreux.  Voyez  B. 

BETIIANIE ,  bourg  et  forteresse  de  la  tribu  de  Benja- 
min; il  était  situé  aux  environs  de  Jérusalem,  au  pied  du 
mont  des  Oliviers.  C'est  à  Béthanie  que  Jésus-Christ  opéra 
la  résurrection  de  Lazare. 

Il  y  avait  encore  une  autre  Béthanie,  au  delà  du  Jourdain, 
appelée  aussi  Béthabara. 

UÉTHESDA,  c'est-à-dire  lieu  de  miséricorde  ou  Ueic 
sai7H.  C'est  le  nom  d'un  étang  situé  à  peu  de  distance  de 
Jérusalem,  mais  dont  l'Évangile  de  suint  Jean  (chap.  v) 


fait  seul  mention.  Il  y  avait  cinq  salles  on  passages  couverts 
sous  lesquels  les  malades,  au  rapport  de  saint  Jean,  at- 
tendaient  que  l'eau  se  mît  ea  mouvement  pour  s'y  baigner. 
D'après  une  opinion  populaire  parmi  les  Juifs ,  c'était  un 
ange  qui  opérait  ce  mouvement  et  qui  faisait  jaillir  les 
sources  salutaires.  Le  malade  qui  le  premier  s'y  baignait 
immédiatement  après  était  sûr  de  guérir.  Les  Pères  de 
l'Église,  Nonnus  surtout,  ce  poétique  commentateur  de 
saint  Jean,  expliquaient  déjà  d'une  manière  naturelle  ce 
phénomène.  A  une  époque  plus  récente  on  attribuait  l'effet 
de  ces  eaux  soit  à  leurs  vertus  minérales,  soit  à  cette 
circonstance  quele  sang  des  victimes  sacrifiées  dans  le  temple 
s'écoulait  dans  l'étang.  Aujourd'hui  encore,  d'ailleurs,  la  tra- 
dition montre  l'endroit  où  était  jadis  l'étang  de  Béthesda, 
depuis  longtemps  desséché. 

BETIILEIIEM,  originairement  Ephrata,  aujourd'hui 
Beth-Lalnn,  lieu  de  naissance  du  roi  David  et  de  Jésus- 
Christ,  village  et  autrefois  ville  de  la  Palestine,  à  deux 
lieues  de  Jérusalem ,  sur  une  montagne  toute  couverte  de 
vignes  et  d'oliviers,  compte  aujourd'hui  près  de  300  maisons 
et  une  population  d'environ  3,000  Grecs  et  Arméniens,  qui 
fabriquent  à  l'usage  des  pèlerins  des  chapelets  de  bois  ainsi 
que  des  crucifix  garnis  de  nacre  de  pede,  et  produisent  de 
fort  bon  vin  blanc.  Sur  l'emplacement  où  la  tradition  veut 
que  soit  né  Jésus-Christ  s'élève  une  église  construite  par 
Justinien  ,  et  non  pas ,  comme  on  le  dit  quelquefois ,  par 
l'impératrice  Hélène.  Elle  est  consacrée  à  sainte  Marie  de  la 
Crèche  {di  Presepio),  et  on  y  conserve  une  crèche  en  marbre, 
dans  laquelle  la  tradition  porte  que  fut  placé  Jésus-Christ 
alors  enfant.^ 

BETULÉÏIEM,  établissement  central  des  frères  Mo  ra- 
ves ou  herrnhutes  dans  l'Amérique  du  Nord,  ville  bâtie  en 
Pensylvanie,  dans  le  comté  de  Northampton,  au  confluent  du 
Manakiny  dans  le  Lehigh ,  au  nord-ouest  de  Philadelphie , 
fut  fondée  en  1741.  Elle  est  le  siège  d'un  évêque,  possède 
une  belle  église,  400  maisons  et  3,000  habitants,  avec  d'im- 
portantes usines  et  trois  grandes  tanneries,  trois  maisons 
différentes  établies  pour  loger  les  jeunes  hommes  non  mariés  ; 
les  jeunes  filles  et  les  veuves  sont  soumises  à  un  régime 
presque  claustral.  Dans  les  excellentes  écoles  dépendant  de 
ces  maisons  on  admet  également  des  enfants  de  parents  ap- 
partenant à  d'autres  confessions  clirétiennes.  Les  villages  her- 
rnhutes de  Gtiadenthal,  Christianbrimn,  Guadenhutten 
et  Schœneck  dépendent  de  Bethléhera.  Des  frères  Moraves 
habitent  également  les  localités  situées  à  peu  de  distance  de 
là  et  désignées  sous  les  noms  de  Kitis  et  de  Nazareth. 

BETIILÉHÉMITES.Cenom  aété  celui  d'un  ordre  reli- 
gieux quiexistait  à  Cambridge  au  treizième  siècle,  et  qui  portait 
l'habit  des  dominicains  ;  plus  tard,  d'un  ordre  fondé  à  Gua- 
temala par  Pierre  de  Bétancourt,  qui  ne  fut  confirmé 
qu'en  1673,  qui  portait  l'habit  des  capucins  et  suivait  la 
règle  de  Saint-Augustin.  Les  partisans  de  Jérôme Huss  emr 
pruntèrent  aussi  le  nom  de  Bethléhémites  à  l'église  de  Beth- 
léhem  de  Prague,  où  il  prêchait. 

BETIILÈN  GABOB  (c'est-à-dire  Gabriel  Bethlen), 
prince  de  Transylvanie  et  roi  de  Hongrie,  né  en  1580,  des- 
cendait d'une  famille  ancienne  et  considérée  de  la  haute 
Hongrie,  qui  possédait  aussi  d'importants  domaines  en 
Transylvanie  et  avait  embrassé  la  religion  protestante.  Pen- 
dant les  troubles  qui  désolèrent  la  Transylvanie,  sous  le 
gouvernement  de  Sigismond  et  de  Gabriel  Bathori,  Beth- 
len sut  se  taire  des  amis  et  des  partisans  parmi  les  grands 
du  pays,  et  après  la  mort  de  ces  deux  malheureux  princes, 
en  1613,  il  réussit,  avec  l'assistance  de  la  Turquie,  à  se 
faire  élire  prince  souverain  de  Transylvanie,  la  maison 
d'Autriche  ne  se  trouvant  pas  à  ce  moment  en  position  de 
faire  valoir  ses  droits  contre  lui.  Lorsqu'en  1619  les  États 
de  Bohômase  révoltèrent  contre  l'Autriche,  Bethlen,  faisant 
cause  commune  avec  eux,  pénétra  en  Hongrie  à  la  tète 
d'une  armée,  s'empara  de  Presbourg,  menaça  un  instant 


118 


BETHLEN  GABOR  —  BETHMANN  FRERES 


Vienne,  et  se  fit  élire  roi  de  Hongrie  le  25  août  1620.  La  for- 
tune ayant  été  plus  favorable  dès  Tannée  suivante  aux  armées 
impériales,  Gabor  fit  sa  paix  avec  Ferdinand,  renonça  à  la 
eouronne  de  Hongrie,  et  reçut,  à  titre  d'indemnité,  sept  pa- 
latinats  de  Hongrie ,  la  ville  de  Kaschau  et  les  principautés 
d'Oppein ,  de  Ratibor,  en  Silésie. 

Mais  cette  paix  dura  peu,  et  fut  violée  par  les  Impériaux, 
à  qui  les  victoires  remportées  par  Till y  avaient  rendu  tout  leur 
orgueil.  Aussi  Bethlen-Gabor  dut-il  prendre  de  nouveau  les 
armes,  en  1623.  Il  pénétra  alors  jusqu'à  Brunn,  en  Moravie, 
à  la  tête  d'une  armée  de  soixante  mille  hommes.  N'ayant  pu 
opérer  sa  jonction  avec  les  troupes  du  duc  Christian  de 
Brunswick ,  il  fut  contraint  de  conclure  un  armistice ,  et 
d'accepter  la  paix  aux  anciennes  conditions.  Le  mariage 
qu'il  contracta  en  1G26  avec  Catherine  de  Brandebourg  eut 
pour  suites  de  lui  faire  prendre  part  aux  luttes  de  la  guerre 
de  trente  ans.  Cependant  dès  1626  il  concluait  pour  la  troi- 
sième fois  sa  paix  avec  l'empereur.  Il  ne  s'occupa  plus  de- 
puis que  de  l'administration  de  la  Transylvanie,  et  mourut 
le  15  novembre  1629,  sans  laisser  d'enfants.  Dans  son  testa- 
ment il  recommandait  son  pays  et  sa  veuve  à  la  protection 
de  l'empereur  Ferdinand  II ,  instituait  le  sultan  des  Turcs 
son  exécuteur  testamentaire ,  et  lui  faisait  don,  ainsi  qu'au 
roi  des  Romains,  Ferdinand  III,  d'un  beau  cheval  richement 
caparaçonné ,  et  d'une  somme  de  quarante  mille  ducats 
payable  en- or. 

La  famille  Bethlen  a  encore  produit  : 

Jean  Betule?},  chancelier  de  Transylvanie,  mort  en  1687, 
célèbre  par  son  intéressant  ouvrage  Rerum  Transilvanica- 
rum  librilV  (  Hermannstadt,  1683),  qui  contient  l'histoire 
delà  Transylvanie  de  1629  à  1663.  L'auteur  laissa  en  ma- 
nuscrit la  continuation  de  cet  ouvrage  jusqu'à  l'année  1674. 
Storanys  l'a  publiée  à  Vienne  en  1783. 

Wol/gang  Bethlen,  qui  fut  aussi  chancelier  de  Tran- 
sylvanie, mort  à  l'âge  de  quarante  ans,  en  1679,  est  auteur 
d'une  histoire  de  Transylvanie  en  seize  livres ,  comprenant 
les  événements  qui  se  sont  accofnplis  depuis  la  bataille  de 
Mohacs  jusqu'à  l'an  1609;  mais  la  mort  l'empêcha  de  livrer 
à  l'impression  cet  ouvrage ,  l'une  des  sources  les  plus  pré- 
cieuses auxquelles  on  puisse  puiser  pour  l'histoire  de  la  Hon- 
grie et  de  la  Transylvanie.  Le  manuscrit  en  avait  singulière- 
ment souffert;  mais  il  a  été  restauré  et  complété  avec 
beaucoup  de  bonheur,  puis  publié  par  J.  Benkœ,  sous  le 
titre  de  Wolfgangi  de  Bethlen  Historia  de  Rébus  Transil- 
rflnicjs( Hermannstadt,  1792,6  vol.). 

BETIIMANN  FRÈRES,  raison  sociale  sous  laquelle 
est  connue,  dans  le  monde  financier,  l'une  des  plus  impor- 
tantes maisons  de  banque  de  l'Europe,  dont  le  siège  est  à 
Francfort. 

La  famille  Bethmann  est  originaire  des  Pays-Bas,  qu'elle 
dut  quitter  par  suite  de  persécutions  religieuses  pour  venir 
s'établir  dans  la  petite  ville  de  Nassau,  située  à  peu  de  dis- 
tance de  TTàQcfort.  Simon- Maurice  Bethmann,  né  en  1687, 
mort  en  1725  avec  le  titre  de  bailli  de  Nassau,  laissa  quatre 
enfants,  Jean-Philippe,  Jean-Jacques,  Catherine-Elisa- 
beth et  Maurice ,  tous  encore  en  bas  âge.  Leur  oncle  ma- 
ternel ,  Jacques  Adamy,  négociant  riche  et  considéré  fixé  à 
Francfort,  qui,  bien  que  marié,  n'avait  pas  d'enfants,  re- 
cueillit ces  orphelins,  et  les  fit  élever  avec  le  plus  grand  soin. 
L'ainé,/ean-P/a?i7)/)e  Bethmann,  né  en  1715,  et  qui  était 
doué  de  remarquables  facultés  intellectuelles,  fut  associé  de 
bonne  heure  par  Adamy  à  ses  affaires,  déjà  très-prospères, 
puis  institué  par  lui  son  héritier  universel  en  vertu  d'une 
disposition  testamentaire.  Après  la  mort  de  son  oncle,  ar- 
rivée le  23  décembre  1745,  Jean-Philippe  Bethmann  con- 
tinua encore  pendant  quelque  temps  ses  affaires  sous  la  raison 
Jacques  Adamy.  Plus  tard,  il  s'associa  le  plus  jeune  de  ses 
frèies,  Simon-Maurice ,  né  le  6  octobre  1721 ,  et  tous  deux 
adoptèrent  alors  la  raison  sociale  de  Bethmann  frères.  L'autre 
frère,  Jean-PliLUppe ,  né  en  1717,  s'établit  à  Bordeaux. 


Par  leur  intelligence ,  leur  activité  et  leur  loyauté  en  af- 
faires, les  frères  Jean-Philippe  et  Simon-Maurice  Bethmann 
réussirent  à  donner  un  essor  immense  à  leurs  opérations  et  ' 
fondèrent  la  fortune  de  leur  famille.  L'un  et  l'autre*  se 
marièrent  heureusement.  L'ainé  eut  quatre  enfants  ,  un  filg 
et  trois  filles  ;  le  cadet  au  contraire  ne  laissa  pas  d'héritien 
en  mourant.  Leur  sœur  Catherine-Elisabeth  était  morte  déU 
longtemps  auparavant,  sans  avoir  jamais  été  mariée.  Jean, 
Philippe  Bethmann,  banquier  et  conseiller  aulique,  mourul 
le  27  novembre  1793. —  Son  fils  unique,  Simon-Maurice,  lU 
le  31  octobre  1738 ,  devint  le  chef  de  la  maison ,  qui,  pai 
l'importance  toujours  croissante  de  ses  opérations  de  banques 
et  par  la  négociation  de  différents  grands  emprunts  pour  I( 
compte  de  l'Autriche,  du  Danemark  et  d'autres  puissances 
parvint  à  une  prospérité  extrême  en  même  temps  que  son 
nom  se  répandait  dans  toutes  les  parties  du  monde. 

Simon-Maurice  Bethmann  était  un  homme  aussi  heu- 
reusement doué  sous  le  rapport  physique  que  sous  le  rapport 
intellectuel,  qui  vécut  dans  des  temps  extrêmement  agiles,  et 
qui,dans  les  circonstances  les  plus  difficiles  et  lesplus  critiques, 
excellait  à  distinguer  et  à  saisir  en  toutes  occasions  l'instant 
favorable.  Les  hommes  les  plus  distingués  de  l'époque  recher- 
chèrent son  amitié,  et  les  souverains  les  plus  puissants  recon- 
nurent et  récompensèrent  ses  services  par  des  collations  de 
litres  et  de  décorations  honorifiques.  L'empereur  d'Autriche 
l'anoblit,  et  l'empereur  Alexandre  de  Russie  le  nomma  con- 
seiller d'État  et  consul  général.  Bienfaiteur  des  pauvres,  il 
protégeait  noblement  les  arts  et  les  lettres  ;  et  dans  toutes 
les  circonstances  difficiles  qu'elle  eut  à  traverser,  sa  ville 
natale  trouva  auprès  de  lui  de  sages  et  prudents  conseils  en 
même  temps  que  l'appui  et  la  protection  les  plus  efficaces^ 
Quand ,  à  la  suite  de  la  bataille  de  Leipzig  et  de  la  bataille 
de  Hanau,  l'armée  française  battit  précipitamment  en  retraite 
sur  le  Rhin,  Napoléon  passa  avec  son  état-major  la  nuit  du 
31  octobre  au  i"  novembre  1813  dans  \Bi  villa  Bethmann, 
située  en  avant  de  la  porte  de  Friedberg,  et  dont  le  pro- 
priétaire était  déjà  allé  la  veille  dans  l'après-midi ,  en  com- 
pagnie du  maire  de  Francfort  Guiollet,  de  quelques  cavaliers 
de  la  garde  bourgeoise,  au  devant  de  l'empereur,  qu'il  n'avait 
pu  joindre  qu'à  travers  des  dangers  de  tout  genre.  Dans  ces 
quelques  heures  si  décisives ,  Bethmann ,  par  son  influence 
personnelle  sur  l'esprit  de  Napoléon  et  par  la  prudence  de 
toute  sa  conduite,  réussit  à  détourner  de  sa  ville  natale  d'in- 
calculables calamités.  Il  mourut  le  28  décembre  1826. 

Sa  veuve,  Louise-Frédérique  Boode,  issue  d'une  famille 
hollandaise  de  distinction,  se  remaria  avec  Mathias-François 
Borgnis,  devenu  plus  tard  associé  de  la  maison  Bethmann 
frères.  Des  trois  sœurs  de  Simon-;Maurice  Bethmann ,  qui 
toutes  lui  survécurent,  sont  mortes  depuis  Suzanne-Élisa- 
beth,msinéeh.  Jean-Jacques  Hollweg, associé  de  la  maison 
Bethmann  frères,  qui  prit  le  nom  et  les  armes  de  la  famille 
Bethmann,  et  devint  le  fondateur  de  la  ligne  de  Bethmann- 
Hollweg,  et  Marie-Élisabeth,  mariée  en  premières  noces  à 
Jean-Jacques  Bethmann ,  associé  de  la  maison  Bethmann 
yrères,  et  en  secondes  noces  à  Victor-François  vicomte  de 
Flavigny.  De  ce  second  mariage  est  issu  Maurice  de  Flavi- 
gny,  pair  de  France  sous  Louis-PhiUppe,  et  qui,  après  la  ré-, 
volution  de  Février ,  a  fait  partie  de  l'Assemblée  nationale. 
La  troisième  sœur,  encore  vivante  aujourd'hui,  Sophie^ 
Elisabeth ,  veuve  De  Luze ,  et  en  secondes  noces  veuva 
baronne  de  Mettingh,  habite  Munich.  : 

La  maison  Bethmann  frères  continue  à  jouir  d'une  pros- 
périté qui  repose  sur  les  bases  les  plus  solides.  Outre  d'im- 
menses affaires  de  banque  et  de  commission ,  ainsi  qu'une^ 
participation  importante  à  toutes  les  grandes  opération* 
financières  de  notre  époque,  elle  s'est,  dans  ces  demiera 
temps,  mis  à  la  tête  de  différentes  entreprises  de  chemins  dfl 
fer,  tant  sous  le  rapport  financier  qu'en  ce  qui  est  de  l'exé- 
cution et  de  l'administration.  Elle  a  aujourd'hui  pour  chel 
Philippe-Henri-Maurice- Alexandre  de  Bethmann;  ni 


J 


BETHMANN  FRÈRES  —  BÉTHUNE 


es  octobre  1811,  fils  aîné  de  Simon-Maurice  Bethmann.  Il 
jossède  les  qualités  du  cœur  et  de  l'esprit  qui  semblent  hé- 
•éditaires  dans  la  famille  Bethmann  :  aussi  jouit-il  de 
'estime  générale.  Il  est  connu  par  son  zèle  à  venir  en  aide 
i  toutes  les  institutions  charitables  et  à  toutes  les  entreprises 
l'utilité  publique.  Il  est  consul  général  de  Prusse  à  Francfort 
■t  décoré  de  plusieurs  ordres.  —  Ses  frères,  Charles-César- 
Loitis,  nommé  baron  et  chambellan  par  le  roi  de  Bavière , 
'i  Alexandre ,  propriétaire  des  seigneuries  de  Krzinétz, 
^onow  et  Dobrowan  en  Bohême,  résident  alternativement  à 
Tancfort  et  dans  leurs  terres.  L'aîné  a  épousé  Marie-Thérèse 
)aronne  de  Prindts,  de  la  maison  Prindts  de  Treuenfeld  ;  le 
)lus  jeune,  Jeanne-Frédérique  Heyder,  fille  d'un  banquier  de 
•'rancfort. 

Dans  la  villa  Bethmann,  dont  il  a  été  question  plus  haut, 
labitation  où  l'on  trouve  réunies  toutes  les  délicatesses  et 
outes  les  rechercheâ  du  bon  goût  et  du  luxe,  et  ornée  d'une 
ouïe  de  trésors  artistiques  de  tout  genre,  les  amateurs  des 
leaux-arts  vont  admirer  une  magnifique  galerie  où  se 
rouvela  célèbre  Ariadne,  montée  sur  la  panthère,  exécutée 
n  marbre  par  Dannecker. 
BETHMANIV-HOLLWEG  (  Maurice- Augdste  de  ) , 
élèbre  jurisconsulte,  né  le  10  avril  1795,  à  Francfort,  est  le 
'is  de  J.-J.  Bethmann-HoUweg ,  alors  second  chef  de  la 
laison  de  banque  Bethmann  frères.  Après  d'excellentes 
tudes  faites  au  gymnase  de  sa  ville  natale  sous  la  direction 
e  Ch.  Ritter,  il  parcourut,  de  1811  à  1813,  la  Suisse  et  l'I- 
alie,  revint  en  I8l3  suivre  les  cours  de  l'université  de  Gœt- 
ngue,  et  en  1 8 1 5  ceux  de  l'université  de  Berlin,  pour  s'y  livrer 
l'étude  du  droit  sous  Hugo  et  Savigny.  Il  passa  l'été  de  1817 
vec  Gœschen  à  Vérone ,  pour  y  déchiffrer  le  manuscrit 
es  Institutes  de  Gaius,  et  l'année  suivante  il  fut  reçu  doc- 
eur  en  droit  par  l'université  de  Gœttingue.  En  1819  il  vint 
'établir  à  Berlin ,  à  la  demande  de  Savigny ,  et  y  fit  des 
ours  particuliers.  Un  an  après  il  était  nommé  professeur 
grégé,  puis  trois  ans  plus  tard  professeur  titulaire  de  droit 
ivil  et  de  procédme.  De  1827  à  1828,  il  remplit  les  fonç- 
ons de  recteur  de  l'université  de  Berlin.  Transféré  à  Bonn, 
ur  sa  demande,  en  1829,  il  y  occupa  les  mêmes  chaires  jus- 
u'en  1842,  époque  où  il  renonça  aux  fonctions  de  profes- 
)ur  pour  accepter  celles  de  curateur  de  l'université,  qu'il 
remplit  jusqu'en  1845.  Nommé  cette  même  année  conseiller 
'État,  il  prit  part,  en  1846,  en  qualité  de  député  du  synode 
e  la  province  rhénane,  au  synode  général  tenu  à  Berlin,  et 
n  1849  il  fut  élu  membre  de  la  première  chambre  prus- 
enne.  En  1840,  à  l'occasion  du  couronnement  de  Frédéric- 
uillaume  FV,  il  avait  été  anobli  comme  l'un  des  plus  grands 
ropriétairesde  la  province  rhénane.  Il  possède,  entre  autres, 
!  château  de  Rheineck  sur  le  Rhin,  qu'il  a  fait  reconstruire 
t  dans  lequel  il  a  réuni  un  grand  nombre  de  tableaux  et 
'objets  d'art  du  plus  grand  prix.  On  a  de  lui ,  outre  diver- 
•s  dissertations.  Éléments  de  Procédure  civile  (3^  édit., 
onn,  iiZI) ,  Essais  sur  quelques  parties  de  la  Théorie 
e  la  Procédure  civile  (  Bonn,  1834  ) ,  et  Origine  des  Liber- 
's  des  villes  lombardes  (  Bonn,  1846  ) ,  ouvrages  qui  té- 
i.oignent  de  sa  sagacité  et  de  l'i^teadue  de  son  savoir. 
BETHSAMiTES,  habitants  delà  petite  ville  deBeth- 
imès ,  en  Palestine ,  dont  plusieurs  périrent  au  passage  de 
arche  d'alliance. 

Sous  le  pontificat  d'Héli,  l'arche  était  tombée  au  pouvoir 
as  Philistins.  Ceux-ci ,  lassés  des  maux  qu'attirait  sur  leur 
ays  la  présence  de  ce  symbole  sacré,  résolurent  de  s'en  dé- 
ire.  L'arche  fut  donc  renvoyée,  chargée  de  présents  ex- 
iatoires,  sur  un  chariot  traîné  par  des  animaux,  qui  se 
irigèrent  d'eux-mêmes  vers  le  pays  des  Hébreux ,  et  s'ar- 
'tèrent  non  loin  de  Bethsamès.  A  la  vue  de  cet  objet  de  la 
i^nération  publique ,  les  habitants  de  la  ville,  alors  occupés 
ix  travaux  de  la  moisson,  s'empressèrent  de  courir  à  sa 
încontre,  et  bientôt  l'arche  fut  entourée  d'une  foule  im- 
lense  qui  poussait  des  cris  de  joie.  Quelques  Bethsamites, 


119 

poussés  par  une  profane  curiosité,  osèrent,  au  mépris  da 
la  loi  (  Num.,  rv,  20),  porter  des  regards  indiscrets  jusque 
dans  l'intérieur  de  l'arche  :  ils  tombèrent  sur-le-champ  frap- 
pés de  mort. 

On  a  porté  à  cinquante  mille,  d'après  la  Vulgate,  le  nom- 
bre de  ceux  qui  périrent  en  cette  occasion.  Mais  il  y  a  sans 
doute  erreur  dans  la  traduction  latine.  Car ,  l°  il  eût  été 
difficile  à  cinquante  mille  personnes  de  regarder  dans  l'ar- 
che; 2"  la  petite  ville  de  Bethsamès  ne  comptait  vraisem- 
blablement pas  cinquante  mille  habitants ,  et  toute  la  popu- 
lation ne  fut  pas  frappée  ;  3°  le  texte  original  dit  clairement 
que  dans  cinquante  mille  personnes  qui  étaient  venues  des 
pays  circonvoisins  au-devant  de  l'arche ,  soixante-dix  hom- 
mes périrent  pour  avoir  bravé  la  défense  du  Seigneur.  Ainsi, 
au  lieu  de  septuaginta  viras  et  quinquaginta  millia  pie- 
bis,  il  faudrait  lire  :  septuaginta  viras  è  quinquaginta  mil- 
libus,  ce  qui  est  bien  différent.  {Joseph.  Antiq.,  lib.  vi, 
cap.  2.  )  L'abbé  C.  Bandeville. 

BÉTHULIE,  ville  de  la  Terre  Sainte,  dans  la  tribu  de 
Zabulon ,  et  qui  était  située  sur  une  montagne ,  est  célèbre 
par  l'action  .hardie  de  Judith(la  mort  d'Holoferne)  et  la 
défaite  des  Assyriens,  qui  assiégeaient  cette  ville. 

Les  Francs  ont  eu  aussi  leur  Béthulie  :  c'était  une  for- 
teresse que  les  chrétiens  avaient  fait  bûtir  sur  le  sommet 
d'une  montagne ,  ou  plutôt  d'un  rocher ,  et  que  les  Arabes 
appellent  Bethli-el-Franki. 

BÉTHUIVE  ,  ville  forte  de  l'ancienne  province  d'Artois, 
à  25  kilomètres  nord-nord-ouest  d'Arras ,  aujourd'hui  chef- 
lieu  d'arrondissement  du  Pas-de-Calais,  avecun  tribu- 
nal de  1"  instance,  des  fabriques  de  savon,  de  poterie,  de 
sucre  de  betterave ,  des  raffineries  de  sel ,  des  blanchisseries , 
un  commerce  considérable  de  lin ,  toiles ,  fil ,  graines  oléagi- 
neuses, et  une  population  de  près  de  7,150  habitants.  Elle 
avait  autrefois  des  seigneurs  particuliers;  en  1248  elle  devint 
une  des  propriétés  des  comtes  de  Dampierre.  Plus  tard  eUe 
fut  soumise  par  Philippe  le  Hardi.  Louis  XI  s'en  empara. 
Charles  VIII  la  rendit  à  l'Espagne.  Tombée  en  notre  pouvoir 
en  1645,  elle  fut  réunie  à  la  France  par  la  paix  des  Pyré- 
nées. Vauban  en  agrandit  les  fortifications  ;  cependant  les 
alliés  la  prirent  encore  en  1710;  mais  ils  la  rendirent  quatre 
ans  après,  au  traité d'Utrecht. 

La  petite  ville  de  Charost ,  dans  le  Berry,  à  24  kilomètre» 
de  Bourges ,  département  du  Cher,  a  pris  le  nom  de  Bé- 
THLNE  après  son  érection  en  duché-pairie  au  dix-septième 
siècle,  en  faveur  de  Louis  de  Béthune  (Voyez  l'article  sui- 
vant). Elle  portait  auparavant  le  titre  de  comté.  Situé  sur 
l'Arnon,  ce  chef-lieu  de  canton  compte  aujourd'hui  1,300  ha- 
bitants. 

BÉTHUIXE  (famille  de).  Cette  maison,  originaire  de 
l'Artois  et  descendant  de  Robert  dit  Faisseux,né  vers  970, 
était  une  des  plus  anciennes  et  des  plus  illustres  du  royaume. 
Un  de  ses  descendants ,  François  de  Béthune,  baron  de 
Rosny,  embrassa  le  calvinisme  ,  et  fut  fait  prisonnier  à  la 
bataille  de  Jarnac.  Ses  deux  fils  devinrent  les  souches  de 
deux  branches. 

La  branche  aînée  fut  fondée  par  Maximilien  de  Béthune, 
marquis  de  Rosny,  ministre  de  Henri  IV,  qui,  ayant 
acheté  la  terre  de  Sully -sur-Loire,  obtint  qu'elle  serait 
érigée  en  duché-pairie  au  mois  de  février  1606  (voyez 
Sully).  Cette  branche  s'est  éteinte  le  20  septembre  1802,  en 
la  personne  d'Alexandre  de  Béthune  ,  dernier  duc  de  Sully. 

Le  irère  du  célèbre  Sully,  Philippe  de  Béthune,  qui 
remplit  de  hautes  fonctions  militaires  ou  administratives 
sous  les  règnes  de  Henri  III  et  Henri  IV,  et  mourut  en  1049, 
fut  le  fondateur  de  la  branche  cadette.  —  La  ville  de  Charost 
en  Berry,  qui  portait  le  titre  de  comté,  fut  érigée  en  duché- 
pairie,  dans  l'année  1672,  pour  Louis  de  Béthune,  petit 
neveu  de  Sully,  et  chef  alors  de  cette  branche,  à  laquelle 
appartenait  d'abord  le  titre  de  marquis  de  Chabris,  puis 
celui  de  duc  de  Charost,  et  qui  s'est  éteinte  en  1807. 


BÉTIÎUNE  —  BÊTISE 


J20 

La  famille  Béthune  des  Pl\ncques,  qui  existe  encore  au- 
jourd'hui en  France,  descend  (la  Michel  des  Plancqves, 
seigneur  d'Hesdigneul  et  lieutenant  de  la  ville  et  du  cliàteau 
de  liéthune  vers  l'an  1522.  Son  dh,  Pierre  des  Plcincques, 
laissa  deux  fils,  dont  l'un, /e««  des  Plancqucs,  seii^neur 
d'Hesdigneul,  fonda  la  ligne  de  Béthune  Hesdigneul,  et 
l'autre,  Georges,  seigneur  de  Uerlelle,  la  ligne  des  comtes 
de  Saint-Venant.  Depuis  deux  siècles  les  descendants  de 
l'une  et  l'autre  de  ces  maisons  ont  ajouté  à  leur  nom  celui 
de  la  ville  de  IJétliune.  L'un  des  descendants  de  Jean  des 
Plancques,  le  marquis  Eugène- François-Léon  deBétuu.ne, 
né  en  1746,  obtint  de  l'empereur  Joseph  II,  le  6  septembre 
1781,  pour  lui  et  ses  descendants ,  le  titre  deprincede  Bé- 
thune-Hesdigneul,  et  mourut  le  17  août  1823.  Son  (ils  aîné, 
Maximilien ,  prince  de  Béthune,  né  le  17  septembre  1774, 
est  aujourd'hui  le  chef  de  cette  famille. 

Un  petit-fiis  de  Georges  des  Plancques,  appelé  Adrioi- 
François  de  Béthlune,  épousa  Marie  de  Lierres,  fille  aînée 
de  Maximilien  de  Lierres ,  comte  de  Saint- Venant;  mariage 
qui  réimit  dans  la  môme  branche  tous  les  biens  de  la  fa- 
mille des  Plancques.  C'est  pour  ce  motif  que  depuis  lors  les 
membres  de  cette  branche  prennent  le  titre  de  comtes  de 
Saint-Venant.  L'arrière-pelit-lils  d'Adrien-François  de  Bé- 
thune, Marie-Louis-Eugène,  moïi  en  1812,  crut  pouvoir 
prendre  le  nom  de  Béthuxe-Sully,  parce  qu'il  avait  acheté 
en  ISOS  les  biens  du  dernier  duc  de  Sully.  Son  fils  ,  Maxï- 
viilien-Léonard-Marie-LouiS' Joseph ,  comte  de  Cétuune- 
SuLLY,  est  aujourd'hui  le  clicide  cette  branche  de  la  famille. 

BÉTHUrVE  (  DAvm  ).  Voyez  Beatoun. 

BETHYLE,  genre  d'insectes,  de  l'ordre  des  hyméno- 
ptèies,  section  des  porte-tarière.  Ce  genre,établi  parLatreille, 
est  caractérisé  par  des  mandibules  longues ,  arquées  et  qua- 
dridentées;  par  des  palpes  maxillaires  filiformes;  par  des 
antennes  coudées ,  composées  de  douze  ou  treize  articles , 
et  par  des  pattes  robustes ,  ayant  les  cuisses  renflées  et  les 
jambes  droites. 

BÉTIIYLES  ou  BÉTYLES,  pierres  informes,  que  les 
Orientaux  adoraient,  avant  de  donner  des  formes  humaines  à 
leurs  divinités.  Les  Grecs  appelaient  ainsi  la  pierre  abadir, 
que  Cybèle  (it  avaler  à  Saturne.  Bochart  tire  l'origine  des 
béthyles  de  cette  pierre  mystérieuse  sur  laquelle  Jacob  re- 
posant pendant  la  nuit  eut  une  vision ,  et  qu'à  son  réveil  il 
oignit  d'huile,  d'où  le  lieu  fut  appelé  Belh-el.  Selon  d'au- 
tres ,  Uranus  fabriqua  des  pierres  animées  qui  portèrent  le 
nom  de  béthyles.  Daraascius,  qui  écrivait  sous  Justinien , 
racontait  qu'il  avait  vu  une  de  ces  pierres  se  mouvoir  en 
l'air.  Héliogabale  rapporta  de  la  Phénicie  à  Rome  une 
grosse  pierre  noire  en  forme  de  cône ,  qu'il  voulut  faire 
adorer.  Les  béthyles  passaient  aussi  pour  Ctre  descendues  du 
ciel  :  de  là  des  commentateurs  en  ont  fait  des  aérolithes.  On 
en  trouvait  dans  les  tem])les,  chez  des  particuliers,  et  elles 
servirent  naturellement  d'amulettes. 

BETIQUE,nnedes  trois  grandes  contrées  de  l'EspagiK', 
ainsi  nommée  du  fleuve  Bétis  (aujourd'hui  leGuadal- 
quivir)  qui  la  traversait  dans  toute  sa  longueur,  et  qui 
comprenait  à  peu  près  l'Andalousie  et  le  royaume  de  Gre- 
nade. Elle  était  bornée  à  l'ouest  par  l'Anas ,  qui  la  séparait 
de  la  Lusitanie,  à  l'est  par  la  mer  et  au  nord  par  la  ïarra- 
conaise,  et  avait  cinq  sous-divisions  principales  (Béturie. 
Turdétains ,  Turdules  ,  Bastules  et  Bastitaius).  Le  sol  delà 
Bétique  était  extraordinairemcnt  fertile,  et  elle  offrait  des 
sites  délicieux.  Ses  ports  excellents  attiraient  les  naviga- 
teurs des  contrées  les  plus  lointaines,  et  les  Carthaginois  y 
menèrent  de  nombreuses  colonies.  Du  temps  des  Romains 
la  Bétique,  au  dire  de  Pline,  comprenait  cent  soixante- 
quinz-e  villes. 

BETISE.  La  bêtise  est  chez  l'homme  un  manque  d'in- 
telligence; c'est  l'opposé  de  celte  précieuse  faculté  qu'on 
nomme  esprit.  La  bêtise  n'est  pas  moins  que  l'esprit  un  at- 
tribut qui  distingue  l'homme  delà  hète,  douée  seulement 


de  l'instinct.  Une  bête  des  forêts  n'est  pas  plus  bête  qu'une 
autre  :  tous  les  animaux  de  môme  espèce  (  il  nous  le  semble 
du  moins)  ont  la  même  dose  d'instinct;  l'homme,  au  con- 
traire ,  reçoit  le  don  de  l'esprit  à  doses  plus  ou  moins  fortes, 
et  il  existe  autant  de  distance  d'une  intelligence  humaine 
à  une  autre  qu'il  peut  s'en  trouver  entre  l'instinct  de  l'huître 
et  celui  du  chien. 

Tandis  que  l'esprit  court,  dit-on,  les  rues,  la  bêtise, 
presque  toujours  privilégiée  dans  ce  monde,  en  attendant  la 
béatitude  qui  lui  est  promise  dans  l'autre  (Beati  pauperes 
spiritu),  s'est  réfugiée  dans  les  conseils  des  rois  et  des  na- 
tions, voire  dans  les  académies  et  dans  les  collèges.  Pour 
indiquer  tous  les  lieux  où  règne  la  bêtise,  pour  exprimer 
tous  les  cas  où,  à  l'exclusion  du  bon  sens  et  de  la  raison, 
elle  trône,  .se  prélasse,  pérore,  disserte,  professe,  il  fau- 
drait reprendre  de  haut  et  de  loin  i'hisloire  des  institutions 
humaines,  en  religion,  en  politique,  en  administration,  et 
dans  tous  les  usages  de  la  vie. 

Il  n'est  personne  dans  le  monde  qui  n'ait  été  à  portée  de 
constater  la  distinction  qui  existe  entre  la  bêtise  et  la  sottise. 
L'homme  qui  n'est  que  bêle  peut  être  ennuyeux,  ridicule; 
mais  quand  la  vanité  s'en  mêle,  quand  une  bête  s'imagine 
avoir  de  l'esprit,  alors  elle  devient  incomcuode,  importune, 
insupportable;  en  un  mot,  elle  tombe  dans  la  sottise.  On 
peut  être  une  bonne  bête,  on  n'est  jamais  bon  quand  on 
est  sot;  car  la  sottise  suppose  à  la  fois  un  défaut  d'esprit 
et  un  vice  de  caractère.  Il  est  plus  bête  que  méchant  ;  Il 
est  si  bon  qu'il  en  est  bête,  voilà  deux  proverbes  dont 
personne  ne  conteste  la  justesse.  Les  bêtes  de  cet  acabit  se 
confondent  avec  les  benêts,  gens  qui  trouvent  tout  bon ,  tout 
bien;  benè  est,  voilà  leur  devise,  d'où  est  tiré  leur  nom. 
Vidiot  est  la  bête  par  défaut  de  connaissance  et  d'aptitude 
à  rien  apprendre.  Lestupide  est  la  bêle  renforcée.  La  brute 
est  l'homme  qui  à  la  bêtise  joint  des  manières  grossières  et 
brutales  :  il  y  a  là,  comme  dans  la  sottise,  défaut  d'esprit  et 
vice  du  cœur.  L'imbécile  est  le  faible  d'esprit  :  être  encore 
plus  négatif  que  la  bête ,  il  n'a  pas  d'idées,  il  ne  conçoit  pas 
celles  des  autres;  la  bête  an  moins  a  le  triste  avantage  d'a- 
voir des  idées  à  elle,  des  idées  telles  qu'elle  peut  les  conce- 
voir. Le  niais,  le  nigaud ,  ne  doivent  pas  non  j)lus  être 
confondus  avec  la  bête.  Le  niais  est  un  être  novice  sur 
tout,  qui  se  laisse  mener  comme  à  la  lisière  parle  premier 
venu;  mais  une  fois  déniaisé,  grâce  à  l'expérience,  il  peut 
quelquefois  n'être  plus  une  bête.  Le  nigaud  (nugator)esl 
un  grand  innocent, qui  ne  s'occupe  que  de  niaiseries.  L'es- 
prit du  nigaud,  comme  celui  du  iiiais,  est  susceptible  de 
se  réveiller.  11  serait  facile  de  citer  des  niais  qui  sont  tou- 
jours restés  tels  et  qui  ont  fait  des  livres,  des  journaux ,  des 
constitutions,  et  jusqu'à  des  révolutions,  pour  ne  s'en  trou- 
ver ni  plus  riches  ni  mieux  gouvernés.  Il  y  a  plus  :  en 
politique ,  les  véritables  gens  d'esprit  sont  presque  toujours 
des  )iiais  de  comédie;  et  ce  sont  des  fripons  assez  bêtes, 
mais  à  la  tête  froide,  qui  emboursent  la  recette. 

Bien,  dit-on,  de  si  bête  que  les  gens  d'esprit.  Il  est  en 
effet  des  bêtises  que  la  préoccupation ,  la  distraction ,  l'ha- 
bitude de  se  complaire  à  ses  propres  idées ,  font  commettre 
à  un  homme  d'esprit,  et  que  ne  commettrait  [las  une  bête^ 
renforcée.  Qui  ne  se  rappelle  le  mot  de  la  garde-malade  de 
La  Fontaine  au  confesseur  de  ce  poète  :  «  Laissez-le  doncj 
en  paix  !  Dieu  n'aura  pas  le  courage  de  le  condamner,  il  cslj 
plus  héte  que  méchant.  « 
L'amour,  dit-on  encore, 

Rn  gens  d'esprit  clian{;c  les  bêtes 
Et  rend  bctcs  les  gens  d'esprit. 

Il  est  effectivement  peu  de  passions  qui  bouleversent  au-1 
tant  l'homme ,  donnant  tant  de  ressources  au  plus  stu|)ide,J 
et  embarrassant  en  mémo  temps  le  plus  spirituel ,  conuna 
pour  rappeler  à  notre  espèce  son  identité  d'origine. 
L'osprif  est  moins  utile  qu'on  ne  croit  généralement  à  H 


BÊTISE  —  BÉTOINE 


121 


réussite  dans  ce  monde.  Pour  un  homme  d'esprit  qui  perce, 
combien  d'idiots  qui  parviennent!  Une  certaine  dose  de 
bêtise  profite  à  beaucoup  de  gens.  Un  imbécile  n'inspire 
jamais  d'ombrage  à  ses  supérieurs,  on  le  protège  do  préférence. 
On  se  croit  toujours  sûr  d'en  faire  ce  qu'on  voudra.  On  aide 
l'Imître  à  fixer  son  byssus  n'importe  où ,  et  l'huître  s'en- 
graisse. Aussi  le  poète  a  bien  eu  raison  de  dire  : 

Pour  êlre  heureux  faut  être  bête! 

L'histoire  n'est  autre  chose  que  les  annales  de  la  bêtise 
des  rois  et  de  leurs  ministres  :  sous  ce  rapport  elle  est  par- 
fois assez  divertissante ,  du  moins  pour  la  postérité.  Il  doit 
manquer  aux  rois  une  foule  d'idées  pratiques  qui  sont  à 
l'usage  du  plus  mince  bourgeois  :  voilà  pourquoi  le  sens 
commun  est  encore  plus  rare  sur  le  trône  que  l'esprit  et  le 
génie.  C'est  en  effet  par  un  homme  de  génie  que  commencent 
d'ordinaire  les  races  royales  ;  elles  finissent  le  plus  souvent 
par  des  bêles  méchantes  et  sottes.  Ceci  me  remet  en  mé- 
moire le  trait  par  lequel  de  jeunes  auteurs  ont  buriné  dans 
un  drame  historique  le  personnage  impérial  de  Claude  :  Gros, 
gras  et  bête!  ces  trois  mots  résumaient  vingt  pages  de  Ta- 
cite :  aussi  ont-ils  fait  fortune. 

Il  faut  le  reconnaître,  l'homme  du  peuple  qui,  à  la  faveur 
d'une  convulsion  politique,  devient  un  homme  en  place, 
contracte  bientôt  ce  penchant  à  la  bêtise.  On  a  fait  un  volume 
entier  des  dneries  révolutionnaires.  Bien  digne  assurément 
était  de  figurer  dans  ce  recueil  cet  officier  municipal  qui 
fit  incarcérer  comme  patriote  tiède  un  malheureux  violo- 
niste, pour  avoir,  dans  un  concert  patriotique,  observé  les 
pauses,  n  Je  vous  apprendrai ,  lui  dit  le  fonctionnaire ,  à 
rester  les  bras  croisés  la  moitié  du  temps  quand  les  autres 
Jouent!  »  N'a-t-on  pas  entendu  sous  la  Restauration  im  cour- 
tisan de  Louis  XVIII  répondre  à  ce  roi  fin  railleur,  qui  lui 
avait  dit  :  «  Vous  venez  de  parler  comme  un  Démosthène  : 
—  Sire,  il  est  possible  que  je  n'aie  pas  l'éloquence  de  Dé- 
mosthène, mais  Démosthène  n'avait  pas  assurément  plus 
d'amour  pour  son  roi.  »  Ce  trait  nous  rappelle  ce  seigneur 
de  la  cour  de  Louis  XV  qui  demandait  si  Cicéron  avait  fait 
ses  études  chez  les  jésuites,  et  cet  autre  qui  priait  Cassini 
de  recommencer  l'éclipsé.  Du  reste,  plus  près  de  nous ,  n'a- 
vons-nous pas  vu  un  prince  s'ébahir  sur  la  haute  température 
qu'avait  dû  ressentir  iin  savant  académicien  dans  une  ascen- 
sion aérostatique  ! 

A  la  cour,  les  flatteurs  réussissent  quelquefois  par  des 
bêtises  dites  à  propos.  Le  courtisan  qui  répondait  à 
Louis  XIV  :  «  Sire,  il  est  l'heure  qu'il  plaira  à  Votre  Ma- 
jesté ;  »  le  cardinal  d'Estrées  montrant  sans  le  vouloir  les 
plus  belles  dents  du  monde  en  disant  au  même  monarque, 
qui  se  plaignait  de  la  perte  des  siennes  :  «  Sire,  qui  est-ce 
qui  a  des  dents  !  »  ont  su  plaire  au  maître.  Mais  de  nos  Jours 
furent  siffles ,  baffoués  par  tous  les  partis ,  ces  sénateurs  par- 
venus dont  l'un ,  haranguant  l'impératrice  mère ,  la  compa- 
rait à  la  mère  du  Christ,  et  l'autre,  en  offrant  à  Napoléon 
trois  cent  mille  conscrits  de  dix-sept  ans,  xantàit  l'exercice 
salutaire  qu'ils  allaient  prendre  en  allant  laisser  leurs  os 
sur  la  route  de  Moscou  ou  de  Madrid. 

Que  de  bêtises  n'ont  pas  dites  les  premiers  hérésiarques 
du  christianisme,  depuis  celui  qui  s'est  attaché  à  nous  faire 
connaître  les  joies  promises  aux  deux  sexes  dans  le  paradis. 
Jusqu'à  cet  autre  qui  avait  mesuré  la  taille  d'Adam,  celle  de 
Jésus,  même  celle  du  Saint-Esprit!  Mais  laissons  Bayle  et 
Voltaire  moissonner  dans  le  champ  des  bêtises  sacrées. 

Si  des  hauteurs  du  trône  et  de  l'autel  nous  descendons  aux 
usages  des  peuples,  nous  ne  trouverons  pas  le  genre  humain 
en  masse  moins  sujet  à  la  bêtise  que  Tliommc  pris  indivi- 
duellement. Hérodote  nous  apprend  que  chez  certain  peuple 
d'Asie,  les  Tibaréniens,  quand  la  femme  accouchait,  le  mari 
se  mettait  au  lit,  puis  se  faisait  soigner  et  recevait  des  vi- 
sites comme  une  accouchée.  Cela  n'est  pas  assurément  plus 
bête  que  de  faire  servir  un  somptueux  repas  pendant  huit 

DICT.   DE  LA  CONVERS.    —   T.    lU. 


jours  au  cadavre  d'un  roi  ou  d'un  évêque,  assis,  couvert 
d'oripeaux  et  de  fard,  sur  un  lit  de  parade. 

Mais  plus  nous  exploitons  la  matière  de  cet  article ,  moins 
nous  l'épuisons,  et  plus  elle  s'étend.  Après  avoir  parlé  des 
rois ,  des  princes ,  et  de  leur  entourage ,  il  ne  nous  reste  plus 
qu'à  indiquer  la  bêtise  observée ,  reproduite  avec  esprit  par 
certains  acteurs  si  aimables  et  si  chers  au  public  :  depuis 
Janot ,  avec  son  fameux  c'en  est,  qui  fit  fureur  à  la  cour  de 
Louis  XVI ,  et  qui  eut  même  l'honneur  de  passer  dans  la 
befle  bouche  de  Marie- Antoinette  ;  depuis  Jocrisse  Bru  net, 
jusqu'à  Potier,  toujours  divers  et  toujours  si  risible;  jus- 
qu'à Odry,  toujours  le  môme  et  toujours  si  divertissant; 
jusqu'à  ce  bon  Arnal,  si  innocent  et  si  persécuté,  on  a  vu 
se  succéder  en  France  cinq  générations  au  moins  de  rois  de 
la  bêtise.  Ceux-là  du  moins  n'ont  fait  que  des  heureux  :  plus 
fortunés  que  Titus ,  chaque  soir  ils  ont  pu  dire  :  Je  n'ai  pas 
perdu  ma  journée.  Ch.  du  Rozom. 

BETJOUAJVS  ou  BETSCHOUANS,  nombreuse  et 
puissante  nation  de  l'Afrique  méridionale,  où  elle  liabitc depuis 
le  Kou-Gariep  ou  fleuve  Jaune ,  par  28°  de  lat.  sud,  entre 
le  canal  de  Mozambique  et  les  Boschimans,  un  territoire 
de  t.'^ente  à  quarante  journées  de  marche ,  jusqu'au  tropique 
du  Capricorne.  Us  appartiennent  à  la  grande  famille  des 
Cafres,  et  se  rapprochent  beaucoup  des  Koosas.  Leur  langue 
a  beaucoup  d'analogie  avec  celle  qu'on  parle  au  Congo.  Les 
nombreuses  tribus  dont  se  compose  le  peuple  betjouan  obéis- 
sent à  un  chef  suprême,  qui  jouit  d'une  autorité  à  peu  près 
absolue,  et  sont  continuellement  occupées  à  guerroyer,  bien 
qu'elles  aient  moins  le  renom  de  bravoure  que  leurs  voisins 
de  l'ouest  et  du  sud ,  et  qu'elles  soient  parvenues  à  une  cer- 
taine civilisation.  Le  Malopo  est  le  principal  cours  d'eau 
qui  arrose  leur  territoire,  lequel  est  traversé  par  les  belles 
vallées  qu'y  forment  les  monts  Kammani.  Comme  il  est 
situé  dans  la  zone  où  réussissent  les  diverses  espèces  de 
céréales  du  midi  de  l'Europe,  l'agriculture  s'y  pratique  sans 
grande  peine;  mais  on  s'y  livre  plus  particulièrement  à 
l'élève  des  bestiaux,  des  bêtes  à  cornes  surtout.  Les  chevaux 
y  sont  un  objet  d'horreur.  La  fréquence  des  guerres,  la  pré- 
paration habile  du  fer,  du  cuivre ,  de  l'ivoire  et  des  peaux 
d'animaux  expliquent  pourquoi  on  y  trouve  d'assez  grandes 
villes,  dont  quelques-unes  ont  jusqu'à  15,000  habitants,  et 
dans  lesquelles  chaque  maison  constitue  une  espèce  de  for- 
teresse défendue  par  des  remparts  et  des  fossés.  La  plupart 
des  travaux  ordinaires  sont  abandonnés  aux  femmes,  qui  y 
sont  l'objet  d'un  profond  mépris.  Ces  populations  ne  présen- 
tent d'ailleurs  que  de  très-faibles  traces  d'idées  religieuses. 
Ce  n'est  guère  que  vers  1801  que  le  nom  de  cette  nation  est 
parvenu  en  Europe,  et  jusqu'à  présent  on  n'a  encore  obtenu 
sur  elle  que  des  renseignements  fort  insuffisants.  Le  peu 
que  nous  en  savons  nous  a  été  appris  par  des  missionnaires 
qui  entretiennent  d'importants  établissements  au  Vieux  et 
au  Nouveau  Latakou.  Consultez  Lichtenstein ,  Voyages  dans 
VAfrique  méridionale  (Bedin,  1812);  Shaw,  Memorials 
of  south  Africa  (New-York,  1841);  Napier,  Excursions  in 
Southern  Africa  (2  vol.,  Londres,  1849),  et  Casali,  Études 
sur  la  langue séchuna  (Paris,  1841). 

BÉTOINE ,  genre  de  la  famille  des  labiées  et  de  la 
didynamie  gymnospermie  ,  plante  vivace ,  dont  les  fleurs 
sont  en  gueule.  Sa  racine  est  grosse  comme  le  doigt  et  garnie 
de  plusieurs  fibres  longues  et  chevelues.  Les  feuilles  qui  en 
partent  sont  oblongues,  bosselées  et  velues.  Sa  tige  est  car? 
rée,  rarement  branchue,  hautes  de  45  centimètres,  chargée 
par  intervalles  de  quelques  feuilles  opposées,  plus  allongées 
que  celles  du  bas  et  plus  étroites.  Cette  tige  se  termine  par 
un  épi  de  fleurs  purpurines  assez  pressées,  dont  chacune 
est  un  tuyau  découpé  par  devant  en  deux  lèvres ,  la  supé- 
rieure relevée,  pliée  en  gouttière  et  échancrée,  et  l'inférieure 
divisée  en  trois  parties.  Le  cahce  est  un  cornet  verdâtre , 
au  fond  duquel  sont  contenues  quatre  petites  semences 
oblongues.  jg  / 


122 


BETOINE 


La  hétoine  commune  {bctonica  o/ficinalis)  était  très- 
renommée  chez  les  anciens,  qui  employaient  ses  fleurs  et 
ses  feuilles  en  décoction  contre  la  goutte ,  la  sciatique ,  la 
céphalalgie ,  etc.  Ce  qui  est  resté  de  certain  de  toutes  les 
vertus  que  l'on  se  plaisait  à  prêter  ainsi  à  la  bétoine,  c'est 
que  les  racines  de  cette  plante ,  qui  a  une  odeur  pénétrante, 
sont  purgatives ,  et  que  ses  feuilles  sont  sternutatoires  et 
peuvent  être  prises  en  guise  de  tabac. 

Quant  au  nom  de  bétoine ,  il  paraît  qu'il  provient  de  celui 
d'un  peuple  d'Espagne,  les  Vetones  (aujourd'hui  habitants 
du  Béarn  ),  qui  ont  les  premiers  fait  usage  de  cette  plante. 

BÉTOINE  DES  MONTAGNES.  Voyez  Arnica. 

BÉTON,  sorte  de  mortier  formé  de  chaux,  de  sable 
et  de  gravier.  Pour  obtenir  ce  mélange  on  prend  de  la  chaux 
récenuTient  tirée  du  four,  et  on  l'éteint  dans  un  bassin  pro- 
portionné à  sa  quantité  :  ce  bassin  n'est  autre  chose  que  du 
gros  gravier  môle  de  sable  disposé  circulairement  pour  con- 
tenir l'eau.  Dès  que  la  chaux  est  éteinte  et  lorsqu'elle  est 
encore  cliaude,  plusieurs  hommes  armés  de  broyons  mé- 
langent cette  chaux ,  ce  sable  et  ce  gravier  ;  et  lorsque  ce 
mélange  est  bien  fait,  c'est  le  moment  de  l'employer. 

S'il  s'agit  d'un  édifice  à  l'air  libre  et  sur  le  sol ,  on  com- 
mence par  ouvrir  les  tranchées  nécessaires  ;  la  terre  étant 
enlevée,  on  place  de  distance  en  distance  des  bassins  de 
sable  ou  de  gravier,  où  l'on  éteint  la  chaux.  Aussitôt  qu'elle 
a  été  broyée  de  la  manière  que  nous  avons  indiquée ,  les 
ouvriers,  armés  de  pcUes,  poussent  le  tout  dans  les  tran- 
chées ,  se  hâtent  d'éteindre  la  nouvelle  chaux ,  et,  procédant 
de  la  môme  manière,  continuent  l'opération  jusqu'à  ce  que 
la  tranchée  soit  remplie.  Pendant  ce  temps ,  d'autres  ou- 
viiers  tassent  le  béton  dans  la  tranchée  afin  de  chasser  l'air 
qui  pourrait  rester  entre  les  différentes  couches.  Enfin,  quand 
la  tranchée  est  remplie ,  elle  est  aussitôt  recouvei'te  de  deux 
à  trois  pieds  déterre,  et  reste  ainsi  pendant  un  an,  ou,  ce 
qui  vaut  mieux  encore,  pendant  deux  ans.  Dans  cet  inter- 
valle, la  masse  totale  se  cristnl!i<^e  tout  d'une  pièce,  et 
quelques  années  après  elle  est  si  dure  (jue  la  scie  ne  peut 
y  mordre.  Il  n'est  pas  nécessaire,  pour  cette  opération,  de 
choisir  du  gravier  fin  ;  lors  même  qu'il  serait  gros  comme  le 
poing,  quand  Lien  môme  à  la  ])lace  du  gravier  on  emploie- 
rait des  retailles  de  pierres ,  elle  n'en  serait  pas  moins  parfaite. 
Enfin,  lorsque  la  cristallisation,  ou,  pour  parler  vulgairement, 
lorsque  la  prise  du  mortier  est  faite ,  on  enlève  la  terre  de 
la  surface,  et  l'on  élève  le  reste  de  la  iuaçonnerie.  C'est  ainsi 
qu'ont  été  faites  les  fondations  de  toulcs  les  maisons  qui 
couvrent  actuellement  les  Brotteaux ,  vis-à-vis  de  Lyon. 

S'agit-il  d'élever  un  quai,  d'empôcher  qu'un  ruisseai' 
n'emporte  le  terrain  ,  de  faire  enfin  des  consîruclions  sous 
l'eau,  le  béton  fournit  encore  le  moyen  le  pioins  dispen- 
dieux et  le  plus  sûr.  Lorsque  les  pilotis  sont  enfoncés ,  on 
coule  sur  le  devant  et  contre  eux  des  revêtements  formés  de 
vieilles  planches  qui  servent  d'encaissement  pour  la  partie 
extérieure.  Si  le  courant  est  rapide  et  profond ,  on  plante  en 
ayant  quelques  pilotis,  qu'on  enfonce  peu.  Ces  premiers 
pilotis  retiennent  les  planches  d'encaissement  comme  le 
ferait  une  coulisse.  Tout  étant  ainsi  disposé ,  on  se  hâte  de 
lemplir  l'intervalle  en  béton  jusqu'il  la  hauteur  voulue.  Il 
prend  aussitôt  de  la  consistance ,  et  quelques  années  après 
il  faut  faire  jouer  la  mine  pour  le  détruire.  Il  est  inutile  de 
faire  remarquer  que  c'est  la  chaux  hydraulique,  et  non  la 
chaux  grasse ,  qui  doit  servir  pour  la  fabrication  du  béton 
qui  est  destiné  à  être  employé  sous  l'eau. 

Le  béton  sert  à  une  foule  d'usages.  On  en  fait  encore  des 
iures  sur  lesquelles  on  pose  le  bitume.  On  en  fabrique  d'é- 
normes pierres  artificielles  qu'on  emploie  pour  asseoir  de 
(grands  travaux  hydrauliques,  conune  le  môle  du  port  d'Alger. 

BETTEjgenre  de  la  famille  des  cliénopodécs,  dans  lequel 
Linné  reconnaît  trois  espèces  distinctes  :  le  lela  mari/ima, 
\>lante  indigène  croissant  sur  les  bords  de  la  mer  ;  le  bc/a 
vuUjarls  ou  poirée,  et  le  bc/a  cijcla  ou  betterave.  De 


BETTERAVE 

l'avis  d'un  grand  nombre  de  botanistes  et  d'agronomes ,  ces 
deux  dernières  ne  seraient  que  des  variétés  du  beta  mari- 
tima  modifié  par  la  culture. 

Le  genre  bette  a  pour  caractères  :  un  périgone  à  cinq  di- 
visions profondes ,  à  moitié  adhérent  par  sa  base  à  l'ovaire, 
cinq  étamines,  deux  ou  trois  styles  très-courts,  et  un  fruit 
réniforme  entouré  par  le  périgone,  qui  forme  cinq  côtes  et 
qui  est  béant  dans  sa  partie  supérieure. 

BETTERAVE  ou  BETTE-RAVE.  Qu'elle  constitue 
une  espèce  du  genre  bette  ou  qu'elle  soit  simplement  une 
variété  du  beta  maritima,  la  betterave  n'occupe  pas  moins 
un  rang  imi)ortant  dans  l'agriculture.  Sa  racine  fournit  un 
aliment  agréable,  quoique  peu  nourrissant,  et  d'une  digestioû 
assez  difficile  pour  les  estomacs  délicats  ;  dans  certaines 
contrées,  ses  feuilles  s'accommodent  comme  les  épinards,  on 
mange  en  salade  les  jeunes  pousses  que  les  racines  jettent 
en  hiver  dans  la  cave  où  on  les  conserve.  En  mêlant  des 
racines  de  betterave  avec  des  poires,  du  houblon  et  des 
pommes  de  terre ,  on  obtient  une  très  bonne  eau-de-vie.  En 
Allemagne,  et  principalement  dans  la  Thuringe,  on  prépare 
aussi  avec  ses  racines  torréfiées  une  poudre  qui,  mêlée  au 
café ,  lui  donne  un  très-bon  goût.  Mais  la  betterave  est  sur- 
tout précieuse  pour  le  sucre  qu'elle  fournit  et  pour  la  nour- 
riture abondante  qu'elle  procure  aux  bestiaux,  qui  en  mangent 
avec  avidité  les  feuilles  et  les  racines. 

La  diversité  des  emplois  de  la  betterave  a  multiplié  le 
nombre  de  ses  variétés ,  chaque  cultivateur  ayant  cherché  à 
développer  au  plus  haut  point  les  qualités  qui  se  trouvaient 
être  les  principales  pour  remplir  le  but  qu'il  se  proposait. 
C'est  ainsi  que  la  betterave  champêtre ,  appelée  aussi  bette- 
rave sur  terre,  racine  d'abondance,  racine  de  disette , 
plus  spécialement  destinée  à  la  nourriture  des  bestiaux,  est 
beaucoup  plus  volumineuse  dans  ses  racines,  plus  abondante 
en  feuilles,  d'une  constitution  plus  robuste  et  d'un  produit 
plus  considérable  que  les  autres  betteraves;  cette  variété  a 
une  racine  très-grosse,  longue,  et  croissant  plus  de  moitié 
hors  déterre,  rose  en  dehors  et  panachée  à  l'intérieur,  ou 
bien  quelquefois  seulement  marquée  de  stries  rouges  très- 
pou  prononcées.  C'est  dans  la  betterave  champêtre  que 
Margraff  eut  la  gloire  de  découviir  la  présence  du  sucre, 
et  c'est  sur  elle  qu'A chard  répéta  les  expériences  de  son 
devancier. 

Le  jardin  potager  possède  la  betterave  rouge  ordinaire, 
dont  les  racines ,  allongées ,  sont  d'un  rouge  tirant  sur  le  pour- 
pre et  entrent  dans  la  composition  des  salades ,  et  surtout  de 
la  salade  de  barbe  de  capucin  ;  la  grosse  betterave  rouge  de 
Casteinaudarg,  encore  plus  foncée  en  couleur  et  plus  volu- 
mineuse; \a  petite  betterave  rouge  ronde  précoce,  variété 
plus  petite  dans  toutes  ses  parties  que  les  deux  précédentes; 
\&bettcrave  jaiine ordinaire,  de  forme  allongée,  d'une  sa- 
veur sucrée  prononcée,  et  sans  aucun  mélange  d'âcreté;  la 
betterave  Jaune  de  Casteinaudarg,  plus  grosse,  également 
d'une  saveur  douce;  la  betterave  jaune  à  chair  blanche, 
approchant  beaucoup  plus  de  la  couleur  blanche  et  beau- 
coup plus  riche  en  principe  saccharin  ;  la  betterave  jaune 
ronde,  née  de  la  betterave  de  Casleluaudary,  mais  qui  a 
la  chair  presque  blanche,  et  dont  la  racine,  très-grosse,  a 
une  tendance  marquée  à  croître  hors  de  terre. 

Le  caractère  principal  des  betteraves  à  sucre  est  d'être 
de  la  plus  grande  blancheur  possible.  On  en  connaît  trois 
variétés,  qui  sont  :  la  betterave  blanche  de  Silésie,  née 
des  betteraves  acclimatées  dans  le  Nord ,  d'un  blanc  mat 
dans  toutes  ses  parties,  mais  très-sujette  à  dégénérer  en 
betterave  rose  ;  la  betterave  blanche  de  Prusse  à  collet 
rcse,  plus  sujette  encore  à  dégénérer  en  betterave  entière- 
iHcnt  rose-rouge  panachée  ;  la  betterave  jaune  blanche  de 
France,  d'une  blancheur  parfaite  dans  l'intérieur  et  d'un 
blanc  tirant  sur  le  jaune  à  l'extérieur;  elle  est  la  plus  riciie 
(!c  toides  en  sucre. 
Toutes  les  bettciaves  se  cultivent  de  môme.  Après  avoir 


BETTERAVE  —  BEUCHOT 


123 


bien  amcublé  la  terre  par  un  ou  deux  labours  profonds,  on 
sème,  à  la  volée  ou  en  rayons,  depuis  la  mi-mars  jusqu'en 
mai  ;  on  éclaircit ,  suivant  la  qualité  du  sol  et  le  volume  de 
l'espèce ,  Ue  manière  à  ce  que  les  plants  soient  à  trente  ou 
cinquante  centimètres  les  uns  des  autres  :  on  sarcle  et  l'on 
.lonne  plusieurs  binages.  On  peut  aussi  semer  en  pépinière 
pour  mettre  en  place  lorsque  la  racine  a  atteint  la  grosseur 
du  doigt ,  en  ayant  soin  que  l'extrémité  ne  soit  pas  repliée 
au  fond  du  trou;  mais  les  racines  plantées,  quelque  jeunes 
qu'elles  soient  alors,  ne  viennent  jamais  aussi  belles  que  celles 
des  betteraves  qui  ont  été  semées  sur  place  :  on  ne  doit  donc 
employer  la  transplantation  que  pour  regarnir  les  places  du 
champ  semé  où  le  plant  manquerait.  Le§  betteraves  aiment 
une  terre  douce,  profonde,  fumée  de  l'année  précédente. 

Les  racines  se  récoltent  en  novembre  :  après  avoir  coupé 
les  (l'uiilcs,  on  les  laisse  se  ressuyer,  et  on  les  met  dans  une 
cave  ou  une  serre  sèche,  à  l'abri  de  la  gelée.  Pour  récolter  de 
la  graine,  on  replante,  en  mars,  des  racines  choisies  et  bien 
conservées  ;  cette  graine  se  conserve  quatre  ou  cinq  ans. 

En  1599  Olivier  de  Serres  parla  le  premier  de  la  bette- 
rave, qui  venait  d'être  rapportée  d'Italie.  Plus  tard,  l'abbé  de 
Commerel  et  le  baron  de  Those  contribuèrent  puissamment 
à  faire  connaître  cet  intéressant  végétal.  La  découverte  de 
Margraff  donna  lieu  à  un  grand  nonubre  de  travaux,  dont  les 
principaux  sont  ceux  d'Acliard,  de  SIM.  de  Beaujeu  et 
Paven,  et  de  notre  collaborateur  M.  Tollard. 

BETTERTON  (Thomas),  comédien  et  auteur  drama- 
tique anglais,  né  à  Londres,  en  1635,  et  mort  en  1710,  était  le 
lils  d'un  sous-chef  des  cuisines  du  roi  Charles  F"".  Son  père 
lui  fit  donner  une  bonne  éducation.  Ambitieux  pour  son. 
fils,  qui  annonçait  les  plus  heureuses  dispositions,  ille  des- 
tinait à  une  profession  libérale  ;  mais  la  révolution  renversa 
la  marmite  de  notre  maître  queux  en  même  temps  que  le 
trflne  de  son  maître,  et  il  dut  se  résigner  à  placer  son  (ils 
en  qualité  de  commis  chez  un  libraire.  Thomas  s'enn  lya 
bientôt  de  cette  position  ;  et  il  ne  se  sentit  pas  plus  tôt  en  élat 
de  voler  de  ses  propres  ailes,  qu'il  s'engagea  dans  la  troupe' 
de  William  Davenant.  Ses  débuts  sur  la  scène  lurent  heu- 
reux. 11  devint  un  des  acteurs  favoris  du  public,  qui  n'esti- 
mait pas  moins  en  lui  l'homme  privé  que  le  comédien,  .^u 
déclin  de  sa  vie,  Betterton  eut  le  chagrin  de  perdre  dans  une 
entreprise  commerciale  une  somme  considérable ,  fruit  des 
travaux  et  des  épargnes  de  toute  sa  carrière  dramatique  ;  et 
réduit  à  un  état  voisin  de  la  misère,  il  supporta  son  mal- 
iienr  avec  la  plus  philosophique  résignation.  On  lui  attribue 
les  pièces  suivantes  :  The  v:oman  made  a  justice  (La  femme 
prise  pour  juge),  et  une  imitation  du  Georges  Dandin  de 
notre  Molière,  The  amourous  Widow  (  La  Veuve  amou- 
reuse). Il  refit  aussi  pour  le  théâtre  une  pièce  de  John 
Welster,  The  injust  Jadge,  or  Appuis  and  Virginia. 

BETTI.Deiix  peintres  florentins  ont  porté  ce  nom.  L'un, 
ISiccolo  Betti,  florissait  vers  le  milieu  du  seizième  siècle. 
11  aida  Vasari  dans  la  décoration  du  Palazzio  Vecchio,  et 
peignit  pour  le  cabinet  d'étude  un  tableau  représentant  des 
Soldats  ro77iains  déposant  aux  pieds  de  César  les  dépouilles 
des  peuples  vaincus.  Cette  toile  orne  aujourd'hui  la  galerie 
de  Florence.  L'autre,  Sigismondo  Betti,  vivait  au  milieu 
du  siècle  dernier,  et  fut  élève  de  .Matteo  Bonechi.  C'était  un 
bon  dessinateur  et  un  habile  peintre  à  fresque  et  à  l'huile. 
Parmi  les  principaux  ouvrages  qu'on  voit  de  lui  à  Florence, 
nous  mentionnerons  la  voûte  de  la  nef  de  l'église  Saint-Jo- 
seph ;  une  fresque  exécutée  vers  1754  et  représentant  Saint 
François  de  Poule  ravi  au  ciel  par  les  anges;  et  une 
Vierge  dans  une  gloire,  entre  saint  Paul  et  sainte  Ca- 
therine, pour  l'église  des  Barnabites.  En  1765  il  exécuta 
encore,  pour  le  sanctuaire  de  Varallo,  une  Présentation  de 
Jésus  au  Temple.  On  a  aussi  de  lui  quelques  bons  pastels. 

Un  poète  du  même  nom,  Zacharia  Betti,  né  à  Vérone, 
en  173?.,  mort  dans  la  même  ville,  en  178S,  est  auteur  d'un 
poëme  sur  le  ver  à  soie,  intitulé  :  Vel   h'aco  da  Sela, 


l  Canti  IV,  con  annotazioni  (Vérone,  1756),  et  dédié  au 
marquis  Spolverini,  auteur  d'un  poëme  sur  la  culture  du 
riz.  Il  avait  fondé  à  Vérone  une  Académie  d'Agriculture. 
BETTIJXA,  célèbre  peintre  de  l'école  milanaise,  qui  flo- 
rissait dans  les  dernières  années  du  dix-septième  siècle.  Elle 
■  excellait  à  peindre  les  fleurs  et  les  fruits. 

BETTllVA  D'ARXIM.  Voyez  Arnim  (Elisabeth  d'). 
BETTINELLI  (Giuseppe-Maria),  littérateur  italien,  né 
à  Mantoue,  en  1713  ,  mort  en  180S,  entra  dans  la  société  de 
Jésus,  et  professa,  ne  1739  à  1744,  les  belles-lettres  au  collège 
i   de  Brescia.  En  174S,  il  alla  occuper  une  chaire  de  rhé- 
'  torique  à  Venise;  mais  contraint  bientôt  après,  par  la  fai- 
blesse de  sa  santé,  à  la  partie  active  de  l'enseignement  pu- 
blic, il  dirigea  pendant  huit  ans  le  collège  noble  de  Parme. 
]    Des  voyages  qu'il  eut  occasion  de  faire  en  Italie,  en  Alle- 
I   magne  et  en  France,  le  mirent  en  rapport  avec  quelques- 
I   uns  des  littérateurs  les  plus  éminents  de  son  siècle,  entre 
autres. avec  Voltaire,  qui  le  reçut  aux  Délices.  Bettinelli  se 
I   trouvait  à  Modène  lorsque  eut  lieu  la  suppression  de  l'ordre 
des  Jésuites,  et  il  se  retira  alors  à  ]\iantoue,  où  il  continua 
à  se  livrer  à  la  culture  des  lettres.  Obligé  de  se  réfugier  a 
Vérone  devant  l'invasion  française, en  1796,  il  ne  revintdans 
sa  ville  natale  qu'en  1797.  Il  y  commença  une  édition  de  ses 
œuvres  complètes,  intitulée  :  VAhbate  Bettinelli,  Opère 
édite  ed inédite,  in  prosa  edin  versi  (Venise,  ISOi). 

BETTIiVi  (Anto.mo),  écrivain  ascétique  italien,  né  à 
Sienne,  en  1396,  fut  élu,  à  l'âge  de  soixante-cinq  ans,  évo- 
que de  Foligno,  diocèse  qu'il  édifia  par  ses  vertus  chré- 
tiennes. Parvenu  à  un  âge  très-avancé,  il  se  démit  de  son 
évêché  pour  se  retirer  dans  le  monastère  des  Jésuites  de 
Saint-Jérôme,  oii  il  avait  fait  profession  dans  sa  jeunesse.  Il 
est  auteur  d'un  ouvrage  mystique,  intitulé  :  Monte  santo  di 
Dio,  qui  fut  imprimé  à  Florence,  in-4°,  en  1477.  C'est  le  pre- 
mier livre  imprimé  avec  des  gravures  en  taille-douce  dans  le 
texte.  Une  autre  édition,  imprimée  à  Florence,  en  1491,  est 
ornée  de  gravures  sur  bois.  On  a  en  outre  d'A.  Bettini  une 
Esposizione  délia  Dominicale  Oratione  et  un  traité  De 
divina  Prxordinatione  Vitx  et  mortis  humanas. 

BETTIIXI.  On  compte  deux  peintres  italiens  de  ce  nom. 
L'un,  Domenico  Bettini,  né  à  Florence,  en  1644,  mort  à 
Bologne,  en  1705,  fut  à  Rome  l'élève  de  Mario  Nuzzi, 
alors  le  plus  célèbre  peintre  de  fleurs  qu'il  y  eût  en  Italie, 
et  devint  dans  ce  genre  presque  l'égal  de  son  maître.  Le 
premier  il  sut  faire  saillir  ses  groupes  de  fleurs  ou  de  fruits 
sur  des  paysages  éclairés  et  agréables,  au  lien  de  les  déta- 
cher sur  des  fonds  obscurs  et  insignifiants,  ainsi  que  cela 
s'était  toujours  pratiqué  avant  lui.  Appelé  à  la  cour  du  duc 
de  Modène  vers  1760,  il  y  resta  pendant  dix-huit  ans,  puis 
alla  travailler  à  Bologne,  où  s'écoula  le  reste  de  sa  vie. 

L'autre,  Giovanni-Antonio  UEjnm  ,  peintre  bolonais , 
mort  en  1773,  étudia  rarchitecture,  la  perspective  et  l'or- 
nement sous  Carlo  Giuseppe  Carpi.  Il  déploya  en  ce  genre 
une  remarquable  habileté,  et  on  peut  voir  des  échantillons 
de  son  talent  dans  divers  palais  et  églises  de  Bologne. 

BETTIO  (Gilseppe),  peintre  de  l'école  vénitienne,  né  à 
Bellune,  en  1720,  mort  en  1803,  se  forma  par  l'étude  réfléchie 
des  chefs-d'œuvre  du  Titien ,  de  Paris  de  Bordone ,  de  Paul 
Véronèse  et  du  Bassano.  Ju  amateur  anglais  l'attira  à  Lon- 
dres, où  avec  son  pinceau  il  acquit  une  fortune  honorable. 
Il  revint  alors  dans  sa  patrie,  où,  quoique  en  état  de  se  livrer 
aux  cl'.armes  du  far  niente,  il  ne  cessa  point  de  cultiver  son 
art.  Si  à  la  facilité  d'exécution ,  à  la  fraîcheur  et  à  la  vi- 
gueur du  coloris,  il  avait  réuni  un  dessin  plus  sévère  et  une  ob- 
servation plus  exacte  de  la  vérité  du  costume,  sa  mémoire 
occuperait  plus  de  place  dans  l'histoire  de  l'art. 
BÉTYLES.  Voyez  Béthyles. 

BEL'CIIOT  (Adrien-Jea:<-Qlentïn),  savant  et  scrupu- 
leux bibliographe ,  ancien  bibliothécaire  de  la  Chambre  des 
Députés,  naquit  à  Paris,  le  13  mars  1773 ,  d'un  père  qui  y 
exerçait  le  profession  d'avocat,  et  qui,  vers  1781,  fut  nomme 


124 

secrétaire  de  l'intendance  de  Lyon ,  où  il  alla  s'établir  avec 
sa  famille.  Le  jeune  Beuchot  fut  élevé  au  collège  de  la  Tri- 
nité de  Lyon ,  que  dirigeaient  des  pères  de  l'Oratoire  ;  il  fut 
ensuite  un  moment  clerc  de  notaire  à  Lyon ,  puis  il  se  mit 
à  étudier  la  médecine,  et  fut  attaché  eu  1794,  en  qualité  de 
chirurgien-major,  au  9*  bataillon  de  l'Isère.  Après  trois  an- 
nées de  sen'ice ,  il  renonça  à  ces  fonctions  ,  qui  étaient  peu 
conformes  à  ses  gortts ,  re\int  à  Lyon,  et  se  remit  à  travailler 
chez  un  notaire.  Tout  en  grossoyant,  Beucliot  cultivait  déjà 
les  lettres  ,  faisait  des  chansons  et  des  vers,  et  enrichissait 
de  sa  prose  et  de  sa  poésie  la  partie  littéraire  des  Petites- 
Afjkhcs  du  département  du  Rhône. 

Beuchot  se  décida  à  venir  à  Paris  en  1801.  11  n'y  trouva 
d'abord  que  de  faibles  ressources,  et  ne  réussit  à  placer  des 
articles  que  dans  le  Courrier  des  Spectacles ,  que  publiait 
Lepan.  11  eut  alors  l'idée  de  se  faire  libraire ,  et  travailla  aussi 
pour  le  théâtre,  oii  il  eut  à  passer  par  toutes  les  épreuves 
cruelles,  à  essuyer  tous  les  déboires  réservés  aux  auteurs 
encore  inconnus,  et  où  cependant  il  finit  par  se  faire  une 
place,  car  nous  po un-ions  citer  les  titres  de  plusieurs  de  ses 
l)icces  jouées  avec  succès  sur  différents  théâtres  consacrés  au 
vaudeville.  Ceux  qui  l'ont  connu  à  cette  époque  s'accordent 
à  dire  qu'il  cultivait  avec  succès  le  couplet  à  la  Collé  et  à 
la  Panard.  En  1808  il  entreprit  la  publication  du  nouvel 
Almanach  des  Muses;  il  écrivit  en  môme  temps  dans  la 
Décade  Philosophique  avec  Andrieux,  Ginguené,  etc. 
Dès  l'origine  de  la  Biographie  Universelle  publiée  par 
M.  Michaud  ,  il  prit  une  part  active  à  ce  vaste  et  précieux 
recueil ,  et  apporta  dans  la  rédaction  des  articles  dont  il  fut 
chargé  cette  science  scrupuleuse  devenue  le  cachet  de  tout 
ce  qui  est  sorti  de  sa  plume. 

L'imprimerie ,  par  l'immense  multiplication  des  livres ,  a 
fait  de  la  bibliographie  une  science  vaste  et  compliquée , 
science  qui  oblige  ceux-là  môme  qui  y  sont  le  plus  profon- 
dément versés,  et  malgré  la  plus  grande  mémoire,  à  recou- 
rir fréquemment  aux  catalogues ,  et  à  s'aider  de  moyens 
matériels  pour  ne  pas  perdre  le  fruit  de  leurs  recherches  et 
de  leurs  travaux.  Le  législateur  a  senti  la  nécessité,  entre 
aiittes  choses,  de  fonder  légalement  une  sorte  d'état  civil 
de  l'imprimerie,  vrs  artium  conservalrix.  Un  décret  im- 
périal du  14  octobre  1811  imposa  à  la  direction  de  la  li- 
brairie l'obligation  d'insérer  dans  un  journal  l'annonce  de 
tous  les  ouvrages  qui  seront  imprimés ,  d'y  indiquer  le  lieu 
et  l'année  de  leur  impression ,  le  format  et  le  nombre  de 
leurs  volumes,  leur  prix,  les  noms  de  leurs  imprimeurs, 
ceux  des  libraires-éditeurs,  ceux  de  leurs  auteurs  s'ils  sont 
connus,  etc.  Beuchot  fut  choisi  poiu-  rédiger  la  Bibliogra- 
phie de  la  France,  dont  Pillet  aùié  était  nomraéd'impri- 
iueur;  rédaction  que  Bcuciiot  a  continuée  avec  le  môme 
zèle  et  la  uîCine  autorité  juscpi'à  sa  mort. 

Kn  1814,  Beuchot,  qui  n'avait  jamais  encensé  la  gloire  des- 
potique de  Bonaparte  empereur,  s'indigna  en  voyant  ceux  qui 
s'éiaient  prosternés  aux  pieds  de  l'idole  aux  jours  de  sa  puis- 
sance, lui  jeter  la  pierre  quand  elle  était  tombée  de  son  pié- 
destal. 11  prit  la  plume,  et  publia,  sous  le  titre  de  :  Oraison 
funèbre  de  Bonaparte,  i>ar  une  société  de  gens  de  lettres , 
■prononcée  au  Luxeinbourg ,  «m  Palais  Bourbon  et  ail- 
lerirs  (Paris,  1814,  Delaunay),  le  curieux  recueil  de  toutes 
les  basses  adulations  prodiguées  à  Napoléon  par  ses  liants 
fonctionnaires,  et  insérées  à  diverses  époques  au  Moniteur. 
Pendant  les  Cent-Jours  il  fit  acte  de  bon  citoyen  dans  une 
courte  brocluu-e,  où  respire  l'esprit  île  1789,  et  qui  est  inti- 
tulée :  Opinion  d'un  Français  sur  l'Acte  additionnel  aux 
Constitutions  de  l'empire.  Il  donna  la  môme  année,  sous 
le  voile  de  l'anonyme,  son  Dictionnaire  des  Immobiles, 
par  ïin  homme  qtii  jusqu'à  présent  n'a  rien  juré  et  n'ose 
nirer  de  rien  (Paris,  septembre  1815),  publication  qui  lui 
a  fait  à  tort  attribuer  la  paternité  du  Dictionnaire  des  Gi- 
rouettes. On  sent  que  Beuchot  ne  prend  le  mot  immo- 
bile (lue  dans  une  acception  toute  favorable  et  par  opposi- 


BEUCHOT  —  BEUDANT 


tion  h  girouette.  Ses  Immobiles  ne  sont  autres  que  de 
fermes  et  généreux  citoyens,  tels  que  Lanjuinais,  Lafayette , 
Daunou ,  Stanislas  Gù-ardin,  etc. ,  etc. 

Nous  ne  mentionnerons  pas  ici  tous  les  autres  travaux 
de  Beuchot ,  et  nous  nous  bornerons  à  parler  de  sa  ma- 
gnifique édition  de  Voltaire  en  70  volumes,  commencée 
en  1828  et  terminée  en  1834.  C'est  la  plus  correcte  et  la  plus 
complète  qui  existe.  Beuchot  ne  s'est  pas  contenté  de  lire  son 
auteur,  il  en  a  lu  tous  les  réfutateurs,  les  Fréron,  les  La 
Beaumelle,  les  Nonotte,  les  Patouillet,  les  Clément;  et 
quand  il  a  trouvé  que  par  hasard  ils  avaient  noté  quelque 
point  à  propos,  il  en  a  tenu  compte.  Deux  volumes  d'index 
ou  de  table  alphabétique  des  matières,  publiés  en  1841, 
facilitent  singulièrement  les  recherches,  et  achèvent  de 
donner  la  clef  de  cette  œuvre  immense.  Cette  édition,  fruit 
de  vingt  ans  de  travaux ,  est  et  restera  le  plus  beau  fleu- 
ron de  la  couronne  de  Beuchot.  On  lui  doit  aussi  une  édi- 
tion du  Dictionnaire  de  Bayle  en  IG  volnmes. 

Ce  laborieux  bibiiogrnplie  reçut,  le4  mars  1831,  la  déco- 
ration de  la  Légion-d'Honneur;  et  la  Chambre  des  Députés 
ayant  perdu  son  bibliothécaire  à  la  fin  de  18.33,  Beuchot 
fut  élu,  au  scrutin,  le  18  janvier  1834  ,  pour  en  remplir  les 
fonctions,  qu'il  n'a  quittées  que  peu  de  temps  avant  sa 
mort,  arrivée  en  1851.»  Ch.  Romey. 

BEUDANT  (FRATsçois-SuLncE),  membre  de  l'Aca- 
démie des  Sciences,  un  des  minéralogistes  les  plus  distingués 
de  notre  époque,  était  né  le  5  septembre  1787,  à  Paris.  Ar- 
rivé à  l'âge  de  vingt  et  un  ans  sans  avoir  encore  aucune 
carrière  ouverte  devant  lui ,  Beudant ,  devenu  maître  de 
disposer  à  son  gré  du  faible  patrimoine  que  son  père  lui 
avait  laissé ,  n'hésita  pas  à  le  sacrifier  tout  entier  pour  , 
assurer  un  peu  d'aisance  à  sa  mère.  Ne  voulant  devoir  qu'à 
son  travail  les  moyens  d'existence  dont  il  aurait  lui-même 
désormais  besoin,  il  entra  comme  élève  à  l'École  Normale, 
où  il  se  prépara  à  suivre  la  caiTière  ardue  et  obscure  d'». 
l'enseignement  .secondaire.  Il  s'y  distingua  bientôt,  et,  a|)rès 
une  année  d'études  solides ,  il  obtint  une  chaire  de  mathé- 
matiques au  lycée  d'Avignon. 

«...  Dix  ans  plus  tard,  a  dit  M.  Milne-Edwards ,  après 
avoir  occupé  avec  distinction  la  chaire  de  physique  au 
lycée  de  Marseille,  et  avoir  acquis  un  rang  élevé  dans  la 
science  par  ses  nombreux  travaux  de  recherches ,  Beudant 
fut  désigné  par  l'Académie  des  Sciences  et  par  le  Collège  de 
France  pour  remplir  la  place  de  professeur  de  physique  dans 
ce  dernier  établissement.  L'ordonnance  du  roi  Louis  XYIII 
qui  lui  conférait  ce  titre  était  déjà  signée  par  ce  monarque, 
lorsque  notre  modeste  collègue  apprend  que  son  ami  Am- 
père désirait  vivement  obtenir  cette  position,  et  en  avait 
réellement  besom  pour  pouvoir  s'occuper  d'expériences  dont 
l'importance  bu  était  connue  ;  il  pensa  peut-être  aussi  que 
les  droits  scientifiques  d'Ampère  étaient  supérieurs  aux 
siens,  et,  n'obéissant  qu'au  noble  mouvement  de  son  cœur, 
il  courut  chez  le  ministre,  demanda  l'annulation  de  l'or- 
donnance rendue  en  sa  faveur,  et  destinée  à  paraître  dan.> 
le  Moniteur  du  lendemain  ;  plaida  avec  chaleur  la  cause 
de  son  ami,  et,  ne  pouvant  dans  cette  première  entrevue 
vaincre  la  résolution  déjà  prise  par  M.  Corbière ,  dans  les 
attributions  duquel  le  Collège  de  France  était  alors  placé ,  I 
il  insista  sans  relâche,  pendant  quinze  jours,  pour  obtenir 
le  remplacement  qu'il  sollicitait  comme  bien  d'autres  au- 
raient sollicité  une  faveur;  et  enfin,  pour  trancher  la  ques- 
tion, il  rendit  sa  démission  publique  par  la  voie  de  la  presse. 
Cet  acte  d'un  désintéressement  si  rare  ouvrit  à  Ampère  , 
les  laboratoires  de  physique  du  Collège  de  France,  où  il 
fit  bientôt  après  ses  belles  découvertes  sur  l'électro-magné- 
tisme;  et  Beudant,  en  voyant  son  ami  rendre  à  la  science 
de  pareils  services ,  se  sentit  heureux  d'avoir  été  la  cause 
première  de  ses  succès ,  et  trouva  dans  la  gloire  d'Ampère 
la  récompense  du  sacrifice  qu'il  s'était  lui-môme  si  gêné-  , 
reusement  imposé.  » 


BEUDANT  —  BEUGNOT 


125 


Le?  recherches  par  lesquelles  Beudant  se  fit  d'abord  con- 
naître portèrent  sur  la  zoologie ,  et  avaient  principalement 
pour  objet  les  mollusques;  elles  datent  de  ISIO,  et  on  cite 
surtout  ses  expériences  sur  la  possibilité  de  faire  ■vivre  des 
mollusques  d'eau  douce  dans  les  eaux  salées ,  et  des  mol- 
lusques marins  dans  les  eaux  douces  ;  question  qui  intéresse 
les  géologues  ainsi  que  les  physiologistes ,  et  qui  avait  été 
soulevée  parla  découverte  d'un  mélange  de  coquilles  fossiles 
fluviales  et  marines  dans  les  grès  de  Beauchamp ,  fait  dont 
la  science  était  également  redevable  à  Beudant. 

Mais  ses  travaux  les  plus  nombreux  et  les  plus  unportants 
sont  relatifs  à  la  minéralogie  et  à  la  géologie.  Chargé  en 
1815  de  faire  transporter  d'Angleterre  en  France  une  belle 
collection  minéralogique  formée  par  le  comte  de  Bourraont 
et  appartenant  à  Louis  XVill ,  collection  que  l'on  voit  au- 
jourd  luii  an  Collège  de  France,  Beudant  hit  bientôt  après 
noumié  sous-directeur  de  ce  cabinet;  et  dès  ce  moment  il 
se  consacra  spécialement  à  l'étude  du  règne  minéral.  En  1818 
il  visita  la  Hongrie,  et  y  recueillit  les  matériaux  d'un  grand 
ouvrage  sur  la  constitution  géognostique  de  ce  pays  : 
Voyage  minéralogique  et  géologique  en  Hongrie,  etc. 
(Paris,  is;.2).  On  y  remarque  surtout  ses  observations  sur 
le  terrain  aurifère  de  Schemnitz,  dont  il  a  déterminé  la 
position  géologique  et  le  mode  probable  de  formation  ;  sur 
les  tracliytes  qui  abondent  en  Hongrie  ;  sur  les  opales  de  ce 
pays  si  célèbre  en  bijouterie,  et  sur  l'âge  des  g(:ands  dépôts 
de  se!  gemme  de  Villiczka.  il  entreprit  aussi  vers  la  môme 
époque  de  nombreuses  expériences  sur  les  causes  qui  peu- 
vent faire  varier  les  formes  cristallines,  et  il  publia  sur  ce 
sujet,  dans  les  Annales  des  Mines  de  1818,  un  mémoire 
où  il  montra  que  si  le  système  cristallin  est  lié  avec  la 
composition  chimique,  les  formes  variées  qui  en  dépendent 
sont  le  résultat  des  circonstances  qui  se  produisent  pendant 
l'acte  de  la  cristallisation.  Ce  beau  travail,  qui  restera  tou- 
jours comme  un  modèle  de  recherches  cristallographiques , 
fut  suivi  de  plusieurs  mémoires  importants.  11  avait  précé- 
demment fait  paraître  dans  les  Annales  des  Mines  de  1817 
des  Recherches  tendant  à  déterminer  Vimporlance  rela- 
tive des  formes  cristallines  et  de  la  composition  chimique 
dans  la  détermination  des  espèces  minérales. 

Depuis  1822  jusqu'à  1840,  Beudant  occupa  la  chaire  de  mi- 
néralogie à  la  Sorbonne,  et  donna  à  l'enseignement  de  cette 
science  un  caractère  de  généralité  qui  mancpjait  jusqu'alors. 
Le  Traité  de  Minéralogie  qu'il  publia  en  1824  renferme  la 
substance  de  ses  leçons ,  et  fait  connaître  avec  détail  sa  clas- 
sification naturelle  des  minéraux.  Dans  cet  ouvrage,  Beu- 
dant, comprenant  qu'il  ne  fallait  pas  refaire  l'immortel 
traité  de  H  au  y,  a  spécialement  étudié  la  minéralogie  sous 
le  rapport  chimique.  On  lui  doit  aussi  un  Traité  de  Phtj- 
sique;  et  dans  ces  dernières  années  il  a  publié  pour  l'ensei- 
gnement élémentaire  de  la  géologie  un  petit  manuel  dont  le 
succès  a  été  si  grand  que  déjà  ce  Uvre  a  eu  cinq  éditions, 

Membre  de  l'Académie  des  Sciences  depuis  1824,  Beudant 
«piilta  la  Faculté  en  1840,  pour  aller  renq)lir  dans  l'Uni- 
versité des  fonctions  adminislratives.  Inspecteur  général  de 
l'instruction  publique,  il  s'acquitta  avec  zèle  et  intelligence 
de  tous  ses  devoirs  jusqu'à  son  dernier  moment.  Il  mourut 
le  y  décembre  1850.  E.  MEr.uEux. 

BEUDli\(  Jacques-Félix),  ancien  banquier,  auteur  dra- 
matique et  député,  né  à  Paris,  le  12  avril  179G,  n'est 
guère  connu  par  le  côté  le  plus  curieux  de  sa  triplicité  phé- 
noménale (  pour  parler  comme  l'honorable  M.  Cousin),  nous 
voulons  due  par  sa  qualité  d'auteur  dramatique.  M.  Beudin 
est  cependant  auteur,  en  collaboration  avec  MM.  Goubaux, 
Victor  Ducange  et  Alexandre  Dumas,  de  deux  des  drames 
de  la  nouvelle  école  qui  ont  obtenu  le  plus  de  succès  dans 
les  dernières  années  de  la  Bestauration  :  Trente  Ans,  ou 
la  Vie  d'un  Joueur,  et  Richard  d'Arlington.  Il  fut,  avec 
ces  messieurs,  l'un  des  précurseurs  et  des  introducteins  au 
théâtre  du  genre  romantique,  qui  violait,  aux  grands  ap- 


plaudissements du  public,  les  trois  unités  qui  ne  sont  pas 
d'Aristote ,  quoi  qu'on  dise.  On  ne  sait  comment  ni  à  quel 
propos  vint  à  M.  Félix  Beudin,  banquier,  et  à  iM,  Prosper 
Goubaux,  chef  d'une  maison  d'éducation,  l'idée  de  cetta 
croisade  dramatique.  Ce  qu'il  y  a  de  certain ,  c'est  qu'ils 
convinrent  de  prendre  un  pseudonyme  formé  de  la  fin  du 
nom  du  premier  réunie  à  la  fin  du  nom  du  second,  ce  qui 
fit  DiN\cx,  nom  devenu  célèbre  dans  les  fastes  du  théâtre, 
et  qui ,  à  la  suite  de  la  dissolution  de  la  société  littéraire 
des  deux  amis  après  ces  deux  œuvres,  échut  en  héritage  à 
M.  Goubaux,  qui  n'a  pas  cessé  de  l'exploiter  depuis. 

La  banque  et  la  politique  absorbèrent  ensuite  tout  M.  Beu- 
din. En  1837,  M.  Paturle,  député  de  Paris,  étant  mort, 
M.  Beudin  se  présenta  pour  le  remplacer  aux  électeurs 
du  8"*  arrondissement.  Son  concurrent  était  le  statuaire 
David  (d'Angers)  ;  M.  Beudin  l'emporta  ( 4  novembre  1837  ), 
et  fut  admis  à  la  Chambre  le  21  décembre  suivant.  Il  alla 
prendre  place  au  centre  dans  le  bataillon  sacré  des  conser- 
vateurs ,  et  ne  cessa  pas  de  voter  avec  le  ministère.  Dans 
sa  carrière  législative,  IM.  Beudin  eut  quelques  vagues  vel- 
léités littéraires,  qu'il  trouva  le  moyen  de  satisfaire  au 
grand  avantage  de  ses  intérêts  électoraux  :  c'est  ainsi  que 
le  18  janvier  1841  il  montra  un  beau  zèle  pour  les  lettres, 
dans  un  rapport  à  la  Chambre  des  Députés,  à  propos  d'un 
crédit  de  "6:5,000  fr.  demandé  pour  être  appliqué  aux  dé- 
penses des  travaux  à  faire  à  la  Bibliothèque  de  l'Arsenal.  No- 
dier avait  été  l'inspirateur  de  la  demande,  qui  eut  un  plein 
succès.  Ch.  RoMEV. 

j\Ialgré  cela,  les  électeurs  préférèrent  M.  Bethmont  en  1 842  ; 
mais  en  1846  ils  en  revinrent  à  M.  Beudin,  qui  était  au 
nombre  des  satisfaits  ,  lorsque  la  révolution  de  février  mit 
fin  à  la  mission  de  la  Chambre  des  Députés.  Déçu  dans  la 
politique,  il  quitta  la  banque,  et  du  fond  de  sa  retraite 
peut-être  rêve-t-il  au  théâtre,  qui  seul  fait  encore  quelquefois 
penser  à  lui. 

BEUGIVOT  (Jacques-Claude,  comte),  né  en  1701,  à 
Bar-sur-Aube,  et  qui  en  1788  exerçait  les  fonctions  de  lieu- 
tenant général  du  présidial  de  cette  ville,  est  à  coup  sftr 
un  des  hommes  qui  depuis  la  révolution  ont  traversé  le 
plus  de  places  et  d'emplois.  Procureur  général  syndic  du 
département  de  l'Aube  en  1790,  il  y  fut  nommé  l'année 
suivante  député  à  l'Assemblée  législative.  C'est  là  qu'il 
commença  à  se  faire  connaître  comme  orateur  distingué. 
Deux  circonstances  signalèrent  honorablement  ce  début  de 
sa  carrière  politique.  Zélé  défenseur  de  la  liberté  des  cultes, 
Beugnot,  dans  une  discussion  sur  cet  objet,  proposa,  tout 
en  accordant  des  traitements  aux  seuls  prêtres  assermentés, 
de  laisser  aux  communes  la  faculté  de  salarier  elles-mêmes 
les  autres  prêtres  qu'elles  désireraient  conserver,  en  bornant 
l'action  du  pouvoir,  dans  ce  cas,  à  la  répression  des  troubles 
qui  pourraient  en  résulter  pour  l'ordre  public.  L'époque 
n'était  pas  à  la  tolérance,  cette  proposition  fut  rejetée. 
Plus  tard  Beugnot  ne  montra  pas  moins  de  sagesse ,  et  fit 
preuve  de  courage  en  demandant  contie  Marat  un  décret 
d'accusation  pour  avoir  provoqué,  par  ses  discours  et  ses 
écrits,  l'assassinat  du  général  Dillon,  décret  qu'il  obtint  de 
l'Assemblée,  mais  qui  n'eut  point  de  résultat.  Il  dénonça 
aussi  la  Commune  et  le  ministre  de  la  justice  relativement 
à  la  publication  du  journal  l'Ami  du  Peuple.  Un  tel  sou- 
venir devait  être  en  1793  sa  sentence  de  mort.  En  effet 
il  fut  arrêté  au  mois  d'octobre  de  cette  année  ;  mais  il  eut 
le  bonheur  d'être  oublié  dans  l'immense  population  des 
prisons  jusqu'au  9  thermidor,  qui  lui  rendit  la  liberté. 

Le  18  brumaire  ramena  Beugnot  sur  la  scène  politique. 
Tour  à  tour  conseiller  intime  de  Lucien  Bonaparte,  préfet 
de  la  Seine-lnferieure,  conseiller  d'État,  président  du  collège 
électoral  de  la  Haute-Marne,  ministre  des  finances  du 
royaume  de  Westplialie  sous  Jérôme  Bonaparte,  puis  du 
giand-duclié  de  Berg  et  de  Clèves  sous  Murât,  il  fut  en 
outre  nommé  comte  de  l'empire  et  grand-officier  de  la 


126 

l-égion  d'Honneur.  Revenn  dans  sa  patrie  en  1813,  après 
la  fatale  journée  de  Leipzig,  il  fut  nomn.é  préfet  du  Kord, 
et  lorsque  le  sénat,  en  1814,  prononça  la  déchéance  de 
l'empereur,  il  reçut  du  gouvernement  provisoire  le  porte- 
feuille de  l'intérieur  ;  Louis  XVIII  lui  confia  bientôt  la  di- 
rection générale  de  la  policé,  et  les  gens  de  cette  époque 
n'ont  pas  oublié  sa  fameuse  ordonnance  sur  la  stricte 
observation  du  dimanche,  qui  donna  lieu  à  tant  de  plai- 
santeries. 

Il  était  d'autant  plus  étonnant  que  Beugnot  eût  ainsi  prêté 
le  flanc  à  la  raillerie ,  qu'il  avait  lui-môme ,  outre  ses  autres 
talents ,  beaucoup  de  cet  esprit  français,  fécond  en  saillies 
et  en  bons  mots.  Un  des  meilleurs  est  sans  doute  celi;i 
qu'il  laissa ,  dit-on ,  échapper  dans  un  comité  secret  de  la 
Chambre  de  1815,  où  il  eut  l'honneur  de  faire  partie  de  la 
minorité.  Un  des  introuvables  demandait  que  la  figure  du 
Christ  sur  la  croix  fût  placée  au-dessus  du  président  :  «  Je 
demande  de  plus,  dit  alors  le  caustique  orateur,  que 
l'on  inscrive  au-dessous  ses  dernières  paroles  :  «  Mon 
«  Dieu ,  pardonnez-leur,  car  ils  ne  savent  ce  qu'ils  font  !  » 
Au  commencement  de  1815  il  échangea  la  direction  de 
la  police  contre  le  portefeuille  de  la  marine  ;  mais  Napoléon 
étant  revenu  de  l'Ile  d'Elbe,  Beugnot  suivit  Louis  XVIII  à 
Gand.  Après  le  second  retour  des  Bourbons,  il  devint  suc- 
cessivement directeur  général  des  postes,  ministre  d'État, 
membre  du  conseil  privé,  président  de  plusieurs  collèges 
électoraux;  de  plus,  député  presque  inamovible,  il  fut 
aussi ,  dans  beaucoup  de  sessions ,  rapporteur  de  la  com- 
mission du  budget.  Pair  de  France  en  expectative  depuis 
le  règne  de  Louis  XVIII ,  et  ayant  dès  lors  dans  sa  poche, 
à  ce  que  l'on  a  prétendu,  sa  lettre  dénomination,  sans  qu'une 
ordonnance  officielle  l'en  fit  jamais  sortir,  le  comte  Beu- 
gnot, qu'on  a  surnommé,  à  bon  droit,  le  Tantale  de  la 
pairie,  n'obtint  pas  même  du  gouvernement  de  Juillet 
cette  faveur,  si  désirée  et  si  longtemps  attendue.  Il  est  mort 
à  Bagneux,  le  24  juin  1835,  laissant  de  curieux  mémoires, 
dont  la  Revue  Française  a  publié  des  extraits  en  1839. 

BEUGNOT  (Arthur-Auguste,  comte),  membre  de  l'Ins- 
titut (  Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  ),  fils  aîné  du 
précédent,  et  de  VÉmilie  à  laquelle  Demoustier  adressa 
ses  Lettres  sur  la  Mijthologie,  est  né  à  Bar-sur-Aube,  le  25 
mars  1797.  L'année,  de  désastreuse  mémoire,  qui  vit  les 
étrangers  traiter  Paris  en  ville  conquise ,  le  trouva  termi- 
nant ses  études  dans  un  lycée  impérial.  Il  en  sortit  vers  la 
troisième  année  de  la  Restauration ,  pour  suivre  les  cours  de 
l'École  de  Droit.  Reçu  avocat  très-jeune ,  il  fit  son  stage, 
plaida  plusieurs  causes  civiles  devant  la  cour  royale  de 
Paris,  et  défendit  quelques  accusés  politiques  devant  la 
CQur  des  Pairs ,  mais  non  sans  cultiver  les  sciences  et  les 
lettres.  La  muse  de  l'histoire  le  détourna  bientôt  du  palais. 
En  1820,  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  ayant 
proposé  pour  sujet  de  prix  cette  question  :  «  Examiner  quel 
«  était  à  l'époque  de  l'avènement  de  saint  Louis  l'état  du 
«  gouvernement  et  de  la  législation,  et  montrer  quels  étaient 
«  à  la  fin  de  son  règne  les  effets  des  institutions  de  ce  prmce,  » 
M.  Beugnot  concourut,  et  partagea  le  prix  ex  œquo  avec 
M.  Mignet,  alors  avocat  à  Aix,  aujourd'hui  son  confrère  à 
l'Institut.  Son  travail  fut  publié  en  1821 ,  sous  le  titre  de  : 
Essai  sur  les  Institutions  de  saint  Louis. 

Peu  de  temps  après ,  la  même  Académie  proposa  un  au- 
tre sujet  de  prix  :  «  Examiner  l'état  civil ,  religieux  et  lit- 
«  téraire  des  juifs  en  France,  en  Espagne  et  en  Italie,  depuis 
«  le  commencement  du  douzième  siècle  jusqu'à  la  fin  du 
«  seizième.  »  M.  Beugnot  fut  moins  heureux  celte  fois,  et  n'ob- 
tint qu'une  mention  honorable.  11  n'en  publia  pas  moins 
son  travail  sous  ce  titre  :  Les  Juifs  d'Occident,  ou  Recher- 
ches sur  l'état  civil,  le  commerce  et  la  littérature  des 
Juifs  en  France,  en  Espagne  et  en  Italie ,  pendant  la 
durée  du  moyen  âge  (  1824  ). 
Dès  cette  époque,  dit-on,  M.  Beugnot  s'occupait  de  deux 


BEUGNOT  —  BEUR.NONVILLE 


ouvrages  qui,  après  longues  années,  sont  encore  à  p.-iraîlre; 
l'un  devait  être  intitulé  :  Recherches  sur  les  cérémonies  re- 
ligieuses symboliques  usitées  dans  rancienne  jurispru- 
dence des  Français ,  et  l'autre  :  Aperçu  de  l'influence  que 
les  corporations  d'arts  et  métiers  ont  exercée  sur  le  gou- 
verneynent  municipal  de  la  France.  En  1829  il  rentrait 
de  nouveau  dans  la  lice  des  concours  académiques,  et  ob- 
tenait une  nouvelle  couronne  pour  un  mémoire  intitulé  : 
Des  Banques  publiques  de  prêts  sur  gages,  et  de  leurs 
inconvénients.  Enfin,  M.  Arthur  Beugnot  reçut  en  1832 
une  dernière  palme  académique  pour  un  ouvrage  qui  lui 
ouvrit  la  même  année  les  portes  de  la  classe  qui  venait  de 
le  couronner.  Son  mémoire  avait  pour  titre  :  Histoire  de  la 
Destruction  du  Paganisme  en  Occident. 

Vers  1840,  le  ministre  de  l'instruction  publique  confia  à 
M.  Beugnot  le  soin  de  publier,  pour  la  Collection  des  do- 
cuments inédits  sur  l'histoire  de  France,  les  Olim,  ou  re- 
gistres des  arrêts  rendus  par  la  cour  du  roi  sous  les  règnes 
de  saint  Louis,  de  Philippe  le  Hardi,  de  Philippe  le  Bel ,  de 
Louis  le  Hutin  et  de  Plnlippe  le  Long.  On  connaissait  l'im- 
portance de  ces  registres  ;  mais  la  gloire  de  M.  Beugnot  n'eût 
pas  été  moindre  sans  doute  s'il  se  fût  rappelé  davantage  ce 
qu'il  pouvait  devoir  au  laborieux  archiviste  qui  avait  passe 
une  partie  de  sa  vie  à  mettre  en  ordre  ces  actes  qu'il  n'avait, 
lui,  que  la  peine  de  faire  imprimer,  et  qu'il  a  fait  précéder  de 
préfaces  dont  ses  travaux  antérieurs  font  en  partie  les  frais. 

On  doit  encore  à  M.  Beugnot  une  édition  des  Assises  de 
Jén(salem ,  ou  recueil  des  ouvrages  de  jurisprudence  com- 
posés pendant  le  treizième  siècle  dans  les  royaumes  de  Jé- 
rusalem et  de  Chypre,  et  une  Chronologie  des  états  gé- 
néraux {Annuaire  de  la  Société  d'Histoire  de  France 
pour  1840). 

Arrivé  à  la  Chambre  des  Pairs  sous  les  dernières  années 
du  règne  de  Louis-Philippe,  M.  le  comte  Beugnot  y  faisait, 
avec  le  marquis  de  Barthélémy,  partie  do  cette  fameuse 
triade  néo-catholique  dirigée  par  M.  deMontalembert, 
qui  se  signala  surtout  dans  sa  croisade  en  faveur  de...  d'autres 
diraient  contre  la  liberté  de  l'enseignement.  On  le  vit  en 
1845  prendre  chaudement  le  parti  des  jésuites,  et  prétendre 
que  le  gouvernement  était  impuissant  contre  eux.  Il  regret- 
tait que  le  ministère  eût  déserté  la  défense  de  la  liberté  reli- 
gieuse. «  C'était,  disait-il,  un  moyen  de  réconciliation  avec 
un  parti  séparé  du  gouvernement  par  une  simple  question 
dynastique,  et  que  le  bonheur  dont  la  France  jouissait  de- 
vait appeler  à  se  rallier  à  la  grande  famille  nationale.  »  Ces 
avances  furent  entendues  du  gouvernement  de  Louis-Philippe  : 
on  se  rapprochait  beaucoup  quand  la  révolution  de  Février 
survint.  Si  le  parti  qui  prétendait  que  les  jésuites  n'avaient 
ni  armées  ni  trésors  n'avait  pas  aidé  à  cette  révolution,  il 
n'y  avait  du  moins  pas  nui.  Il  ne  se  laissa  donc  pas  abattre, 
et  après  un  an  de  troubles  il  entrait  en  force  à  l'Assemblée 
législative.  M.  Beugnot  avait  trouvé  le  moyen  de  se  faire 
élire  le  troisième  dans  la  Haute- Marne.  Uni  à  cette  majorité 
de  confusion  qui  avait  pu  faire  de  M.  Thiers  un  défenseur 
des  jésuites,  M.  Beugnot,  un  des  dix-sept  burgraves  qui 
suspendirent  le  suffrage  universel,  fut  le  rapporteur  de  la  loi 
sur  l'instruction  publique  qui ,  sous  le  prétexte  de  liberté, 
devait  remettre  l'enseignement  tout  entier  dans  la  main  du 
clergé.  11  en  fut  récompensé  par  l'Institut,  qui  le  chargea 
de  le  représenter  dans  le  conseil  supérieur.  Après  le  2  dé- 
cembre 1851  nous  retrouvons  M.  Beugnot  dans  la  commis- 
sion consultative.  Nous  ne  savons  trop  ce  qu'il  est  devenu 
depuis.  Ah!  s'il  pouvait  être  rendu  à  l'étude!  peut-être  fini- 
rait-il ces  deux  importants  ou\Tages  que  depuis  si  longtemps 
il  promet  à  ses  amis. 

BEURNOXVJLLE  ( PiEKRE  RIEL,  comte,  puis  mar- 
quis de),  pair,  maréchal  de  France,  ministre  d'État,  mem- 
bre du  conseil  privé,  etc.,  né  le  10 mars  I7C2,  à  Champigno- 
les,  près  de  Bar-sur-Aube,  fut  destiné  par  ses  parents  à  l'état 
ecclésiastique;  mais,  entraîné  par  son  goût  pour  l'état  mi- 


BEUR^lO^ViLLE  —  BEURRE 


127 


litaire,  il  fut  admis  à  l'âge  de  quatorze  ans  dans  le  corps  des 
gendarmes  de  la  Reine.  En  1775,  ayant  passé  avec  le  grade 
de  sous-lieutenant  dans  le  régiment  colonial  de  l'ile  de 
France,  il  se  signala  dans  les  trois  campagnes  de  l'Inde, 
sous  les  ordres  de  Suffien(  1778-1781).  Il  était  comman- 
dant des  milices  de  l'île  Bourbon  lorsqu'au  moment  de  la 
révolution  de  17S9  il  fut  destitué  par  le  gouverneur.  Il 
porta  ses  plaintes  au  ministre ,  et  même  à  l'Assemblée  na- 
tionale ,  et  pour  tout  dédommagement  obtint  la  croix  de 
Saint-Louis.  Au  commencement  de  1792  Beumonville  était 
aide  de  camp  du  maréchal  Luckner ,  avec  le  grade  de  colo- 
nel ;  il  passa  maréchal  de  camp  au  mois  de  mai  de  celte 
même  année.  Chargé  de  la  défense  du  camp  de  Maulde,  il 
résista  pendant  plusieurs  mois  à  des  forces  supérieures.  Ce 
fut  à  cette  occasion  que  le  général  en  chef  Dumouriez ,  qui 
l'avait  pris  en  affection,  le  surnomma,  à  cause  de  sa  haute 
stature  et  de  son  courage  impétueux,  YAjax  français. 

Beumonville  prit  part  aux  journées  de  Valray  et  de  Jem- 
mapes.  Il  reçut  le  jour  môme  (  4  novembre  1792  )  la  mission 
d'aller  conquérir  le  Luxembourg,  tandis  que  Dumouriez 
envahissait  la  Belgique.  Beumonville  n'effectua  pas  cette 
conquête  sans  difficulté  ni  sans  éprouver  des  perles,  que 
dans  ses  rapports  officiels  il  dissimulait  soigneusement. 
C'est  dans  un  de  ces  rapports  qu'il  ne  craignait  pas  de  dire 
que  l'ennemi  avait  perdu  beaucoup  de  monde,  mais  que  les 
l' rançais  en  avaient  été  quittes  pour  le  petit  doigt  d'un 
chasseur. 

Quand  d'ennemis  tués  on  compte  plus  de  mille. 
Nous  ne  perdons  qu'un  doijt,  encor  le  plus  petit. 

Holà!  monsieur  de  Beumonville, 

Le  petit  doigt  n'a  pas  tout  dit. 

Telle  fut  l'épigramme  qui  flétrit  cette  impudente  gascon- 
nade.  Beumonville  prit  ses  quartiers  d'hiver  derrière  la 
Sarre.  C'est  là  que,  dans  les  premiers  jours  de  février  1793, 
il  reçut  sa  nomination  au  département  de  la  guerre ,  à  la 
place  de  Pache.  Entouré  de  difficultés,  il  ne  tarda  pas  à 
offrir  à  la  Convention  sa  démission  pour  retourner  à  l'armée. 
Après  de  vifs  débats,  cette  démission  ne  fut  acceptée 
qu'à  la  condition  que  le  ministre  rendrait  ses  comptes  avant 
de  partir.  Il  venait  de  les  rendre,  lorsqu'une  nouvelle 
nomination  aux  mômes  fonctions ,  du  4  mars  1793,  le  força 
de  rester.  C'était  le  parti  modéré  qui  avait  ménagé  cet 
interrègne  ;  aussi ,  plus  que  jamais ,  Beumonville  se  vit-il  en 
butte  à  l'animadversion  du  parti  jacobin ,  qui  tenta  même 
de  l'assassiner.  La  lettre  qu'il  reçut  alors  de  Dumouriez ,  et 
dans  laquelle  ce  général  exhalait  ses  plaintes  contre  la  Con- 
vention, mit  le  comble  aux  embarras  de  Beumonville,  qui 
ne  crut  pas  pouvoir  se  dispenser  de  communiquer  cette 
lettre  à  l'Assemblée.  Un  décret  d'accusation  s'ensuivit  contre 
Dumouriez,  et  Beumonville  fut  adjoint  aux  commissaires 
chargés  d'aller  l'arrêter  dans  son  camp.  Lorsque  Dumouriez 
donna  l'ordre  d'arrêter  ces  commissaires,  il  allait  excepter 
de  cette  mesure  Beumonville,  qui,  s'approcliant  de  lui,  lui 
dit  tout  bas  :  Vous  me  perdez.  Dumouriez  le  comprit,  et  le 
(it  arrêter  comme  les  autres.  Livré  aux  Autrichiens,  il  fut 
incarcéré  dans  diverses  forteresses  pendant  trente-trois  mois, 
dont  il  passa  vingt-sept  accablé  par  la  fièvre  et  par  les  mau- 
vais traitements.  Échangé,  en  novembre  1795,  avec  les 
;  utres  commissaires  contre  la  fille  de  Louis  XYI,  il  rccon- 
'  ;a  son  grade,  et  fut  chargé  du  commandement  de  l'armi-e 

'^ambre-et-]Mcnse,  qu'il  ne  conserva  que  quelques  mois. 

trouvant  à  Paris  en  1797,  il  se  lia  avec  Pichegru  et  quel- 
([ues  autres  membres  du  parti  clichien,  et,  porté  par  eux  au 
Directoire,  il  ne  lui  manqua  que  peu  de  voix  pour  l'emporter 
sur  Barthélémy.  Toutefois,  après  le  18  fructidor,  loin  d'être 
inqm'été  par  la  faction  qui  triomphait,  il  fut  investi  par 
le  Directoire  du  commandement  de  l'armée  de  Hollande, 
et  chargé  de  faire  dans  ce  pays  de  la  propagande  républi- 
caine, il  paraît  qu'on  ne  le  trouva  pas  à  la  hauteur  ;  on  lui 


donna  pour  successeur  Joubert,  et  il  revint  à  Paris  avecle 
titre  d'inspecteur  général ,  comme  dédommagement. 

Au  18  bramaire,  Beumonville  se  montra  un  des  fauteur? 
les  plus  zélés  des  projets  de  Bonaparte.  Il  en  fut  bientôt  ré^ 
compensé  par  l'ambassade  de  Berlin  ;  mais  il  se  trouva  ef- 
facé par  Duroc ,  qui ,  possesseur  de  toute  la  confiance  du 
premier  consul,  était  seul  instruit  des  secrets  les  plus  im- 
portants. Beumonville  fut  chargé  d'intimer  à  la  cour  df 
Berlin  l'ordre  d'arrêter  Précy  et  quelques  autres  royalistes 
qui  s'étaient  réfugiés  à  Baireuth.  A  son  retour  à  Paris,  il 
rapporta  une  correspondance  qui  révélait  toutes  les  intrigues 
du  parti  royaliste,  et  que  le  gouvemement  consulaire  s'em- 
pressa de  faire  imprimer  sous  ce  titre  :  Papiers  saisis  à 
Baireuth  (  1  vol.  in-S",  1800  ).  BeurnonviUe  fut  envoyé  en- 
suite, en  la  même  qualité,  à  Madrid;  mais  il  fut  bientôt  rap- 
pelé, le  premier  consul  ne  trouvant  pas  qu'il  montrât  assez 
de  capacité  ni  d'énergie  dans  cette  mission  toute  d'exigences 
en\ers  la  faible  cour  d'Espagne.  Nommé  alors  membre  du 
sénat,  grand-officier  de  la  Légion  d'Honneur,  comte  de 
l'empire,  Beumonville  eut  le  chagrin  de  se  voir  seul,  de  tous 
les  généraux  de  la  révolution  qui  avaient  commandé  en  chef, 
exclu  du  titre  de  maréchal.  Bonaparte,  si  l'on  en  croit  le 
Mémorial  de  Sainte-Hélène,  ne  lui  accordait  aucune  ca- 
pacité militaire.  Le  seul  emploi  dont  il  fut  encore  investi 
sous  l'empire  fut  celui  de  commissaire  extraordinaire  dans 
les  départements  de  l'Est,  en  1814;  mais  il  ne  remplit  pas 
longtemps  cette  mission.  Les  événements  qui  amenèrent  la 
chute  de  Napoléon  élevèrent  Beumonville  au  gouvernement 
provisoire,  lequel  servit  de  transition  au  rappel  des  Bour- 
bons. 

Louis  XVIII,  à  peine  de  retour,  le  nomma  pair  de  France  et 
membre  de  son  conseil  privé.  Proscrit ,  par  un  décret,  pen- 
dant les  Cent-Jours,  Beumonville  suivit  à  Gand  Louis  XVIII, 
et  après  la  seconde  Restauration  rentra  dans  toutes  ses 
dignités.  Il  fut  au  mois  d'août  1815  nommé  président  du 
collège  électoral  de  la  îtloselle ,  adressa  aux  électeurs  une 
allocution  très-royaliste,  et  tint  toujours  le  même  langage 
quand  il  eut  occasion  de  prendre  la  parole  dans  la  Chambre 
des  Pairs.  A  son  retour  des  élections ,  désigné  pour  présider 
la  commission  chargée  d'examiner  les  réclamations  des  an- 
ciens officiers  vendéens,  il  s'acquitta  avec  beaucoup  d'impar- 
tialité de  cette  mission  délicate.  C'est  alors  que  Louis  XVIII 
le  nomma  commandeur  de  l'ordre  de  Saint-Louis,  puis, 
en  1816,  marquis,  maréchal  de  France,  cordon-bleu,  etc. 
Beumonville  mourut  le  23  avril  1821.        Ch.Du  Rozom. 

BEURRE  (en  latin  butyrum,  formé  du  grec  poù-njpov, 
composé  de  pov;,  vache,  et  de  Tupo?,  lait,  fromage),  sub- 
stance grasse  et  onctueuse  que  l'on  obtient  du  1  a  i  t  ou  de  la 
crème  épaissie  par  le  battage. 

Les  Grecs  n'ont  connu  le  beurre  que  fort  tard  :  Horaèr£, 
Théocrite,  Euripide  et  les  autres  poètes  grecs  parlent  sou- 
vent de  lait  et  de  fromage,  jamais  de  beurre.  Aristote  a  réuni 
plusieurs  choses  remarquables  touchant  le  lait  et  le  fromage 
dans  ïon  Histoire  des  Animaux  (III,  20  et  21)  ;  il  n'a  pas 
dit  un  mot  du  beurre.  Il  paraît  que  les  Grecs  durent  la 
découverte  du  beurre  aux  Scythes ,  aux  Thraces  ou  aux 
Phrygiens,  et  que  ce  seraient  les  Germains  qui  en  auraient 
fait  connaître  l'usage  aux  Romains.  Pline  (XVlII,  9)  dit  que 
le  beurre  était  un  mets  délicieux  chez  les  nations  barbares, 
et  qui  faisait  distinguer  les  riches  d'avec  les  pauvres;  mais 
les  Roraams  ne  s'en  servirent  que  comme  remède,  et  non 
comme  aliment,  de  même  que  les  Espagnols,  qui  n'en  firent 
pendant  très-longtemps  que  des  topiques  pour  les  plaies. 
Dans  les  ordonnances  indiennes  de  Wishnou,  écrites  douze 
siècles  avant  l'ère  chrétienne,  il  est  question,  dit  Beckmann, 
de  beurre  pour  certaines  cérémonies  religieuses;  il  ea  est 
parié  aussi  dans  la  Genèse  (XYIII,  8)  ;  mais  le  même  auteut 
prétend  que  c'est  une  méprise  du  traducteur,  et  que  le  mot 
devait  être  rendu  par  celui  de  crème  ou  de  lait  aigri. 

Dura.it  les  premiers  siècles  de  l'Église,  dit  Clément  d'A- 


128 


BEURRE 


lexandrie ,  on  brûlait  du  beurre  dans  les  lampes  au  lieu 
d'huile;  cette  pratique  s'obseiTe  encore  dans  l'Abyssinie. 
Comme  nos  provinces  méridionales  sont  les  seules  où  l'olivier 
puisse  croître  avec  un  certain  avantage,  il  ne  s'est  jusque  ici 
que  peu  multiplié  en  France  :  aussi  la  quantité  que  produi- 
saient ces  provinces  n'a-t-elle  jamais  été  suffisante ,  à 
beaucoup  près,  pour  la  consommation  du  royaume.  Ce  fut 
cette  disette  qui,  en  817,  porta  le  concile  d'Aix-Ia-Chapellc 
à  permettre  aux  moines  l'usage  du  jus  de  lard;  plus  tard, 
en  1401,  le  souverain  pontife  permit  à  la  reine  Anne,  puis 
ensuite  à  la  Bretagne,  et  successivement  à  nos  autres  pro- 
vinces, l'usage  du  beurre  en  assaisonnement  pour  les  jours 
maigres.  Il  a  existé  longtemps  dans  les  églises  un  tronc  pour 
le  beurre,  c'est-à-dire  pour  la  permission  qu'on  obtenait 
d'en  manger  dans  le  carôme.  La  cathédrale  de  Rouen  a  une 
tour  appelée  la  tour  de  Beurre,  nom  qui  lui  vient  de  ce  que 
Georges  d'Amboise ,  qui  était  archevêque  de  celte  ville 
en  1500,  voyant  que  l'huile  manquait  dans  son  diocèse 
pendant  le  carôme ,  autorisa  l'usage  du  beurre,  à  condition 
que  chaque  diocésain  payerait  six  deniers  tournois  pour 
obtenir  cette  permission.  L'argent  qu'on  recueillit  ainsi 
servit  à  la  construction  de  cette  tour,  Notre-Dame  de  Paris 
et  la  cathédrale  de  Bourges  ont  aussi  une  tour  du  môme 
nom ,  dont  la  construction  doit  être  sans  doute  attribuée  à 
la  même  source  et  au  même  principe. 

Le  beurre  est  la  partie  grasse,  huileuse  et  inflammable  du 
lait.  Celte  espèce  d'huile  est  distribuée  naturellement  dans 
toute  la  substance  du  lait,  en  molécules  très-petites,  qui  sont 
interposées  entre  les  parties  caséeuses  et  séreuses  de  cette 
liqueur,  entre  lesquelles  elles  se  tiennent  suspendues  à  l'aide 
d'une  très-légère  adhérence,  mais  sans  être  dissoutes.  Cette 
huile  est  dans  le  même  état  où  est  celle  des  émulsions  ;  et 
c'est  par  cette  raison  que  les  parties  butyreuses  contribuent 
à  donner  au  lait  le  même  blanc  mat  qu'ont  les  émulsions, 
et  que ,  par  le  repos ,  ces  mêmes  parties  se  séparent  de  la 
liqueur  et  viennent  se  rassembler  à  sa  surface ,  où  elles 
forment  une  crème.  Tant  que  le  beurre  est  seulement  dans 
l'état  de  crème,  ses  parties  propres  ne  sont  point  assez  unies 
les  unes  aux  autres  pour  qu'il  se  forme  en  une  masse  homo- 
gène ;  elles  sont  encore  à  moitié  séparées  par  l'interposition 
d'une  assez  grande  quantité  de  parties  séreuses  et  caséeuses. 
On  perfectionne  le  beurre  en  exprimant,  par  le  moyen  d'une 
percussion  réitérée,  ces  parties  hétérogènes  d'entre  ses  par- 
ties propres  ;  alors  il  est  en  une  masse  uniforme  et  d'une 
consistance  molle.  La  liqueur  qui  reste  après  que  le  lait  a 
été  battu  et  converti  en  beurre,  porte  le  nom  de  babeurre 
ou  lait  de  beurre  :  elle  renferme  du  caseum  et  une  petite 
quantité  de  beurre. 

Le  beurre  récent,  et  qui  n'a  éprouvé  aucune  altération, 
n'a  presque  point  d'odeur  ;  sa  saveur  est  très-douce  et 
agréable  ;  il  se  fond  à  une  chaleur  très-faible,  et  ne  laisse 
échapper  aucun  de  ses  principes  au  degré  de  l'eau  bouillante. 
Ces  propriétés,  jointes  à  celles  qu'a  le  beurre  de  ne  pouvoir 
s'enllammer  que  lorsqu'on  lui  applique  une  chaleur  bien 
supérieure  à  celle  de  l'eau  bouillante,  capable  de  le  dé- 
composer et  de  le  réduire  en  vapeurs,  prouve  que  la  partie 
buileuse  du  beurre  est  de  la  nature  des  huiles  douces,  grasses 
et  non  volatiles,  qu'on  retire  de  plusieurs  matières  végétales 
par  la  seule  expression.  La  consistance  demi-ferme  qu'a  le 
beurre  est  due,  comme  celle  de  toutes  les  autres  matières 
buileuscs  concrètes  ,  à  une  quantité  assez  considérable 
d'acide  butyrique  qui  est  uni  dans  ce  corps  composé  à  la 
partie  huileuse  ;  mais  cet  acide  est  si  bien  combiné  qu'il 
n'est  aucunement  sensible  lorsque  le  beurre  est  récent  et 
tant  qu'il  n'a  reçu  aucune  altération.  Lorsque  le  beurre 
vieillit  et  qu'il  épionve  une  sorte  de  fermentation,  alors  cet 
acide  se  développe  de  plus  en  plus,  et  c'est  la  cause  de  la 
rancidité  qu'ac(iiiicrt  le  beurre  avec  le  temps,  comme  les 
huiles  douces  de  son  esp('-ce. 

La  fabrication  du  beurre  intéresse  vivement  l'économie 


domestique,  et  n'est  pas  un  des  produits  les  moins  impor- 
tants de  la  ferme  dans  certaines  contrées.  On  aura  sur-le- 
champ  une  idée  de  celte  importance  pour  les  environs  de 
Paris,  quand  on  saura  que  cette  ville  consomme  annuelle- 
ment pour  environ  onze  millions  de  francs  de  beurre.  La  fa- 
brication du  beurre  est  d'ailleurs  facile  et  ne  demande  que  des 
soins  et  une  propreté  qui  malheureusement  ne  sont  pas  aussi 
communs  qu'on  pourrait  toujours  le  désirer.  Le  beurre, 
comme  nous  l'avons  dit  en  tête  de  cet  article ,  s'obtient  ou 
du  lait  ou  de  la  crème  :  la  première  méthode  est  moins  éco- 
nomique; cependant  on  l'emploie  dans  quelques  localités, 
surtout  dans  les  départements  du  Nord,  où  le  lait  de  beurre 
sert  à  la  nourriture  des  gens  de  la  ferme.  L'usage  de  tirer  le 
beurre  de  la  crème  est  plus  général  et  permet  d'employer  le 
lait  à  faire  des  fromages  maigres.  Pour  opérer  la  séparation 
de  la  crème  d'avec  le  lait,  il  faut  mettre  ce  dernier,  au  sortir 
de  l'étable ,  dans  des  vaisseaux  de  ferre  évasés ,  tenus  pro- 
prement et  dans  un  lieu  frais;  en  été,  cinq  ou  six  heures 
suffisent  pour  opérer  l'ascension  des  parties  crémeuses;  en 
hiver,  il  en  faut  au  moins  vingt-quatre  pour  que  cette 
séparation  soit  complète  ;  on  s'en  assure  en  posant  le  doigt 
légèrement  sur  la  surface,  et  dès  qu'on  l'en  retire  intact,  c'est 
un  signe  certain  que  toute  la  crème  est  montée.  L'écrémage 
fif  fait  de  diverses  manières,  mais  la  pratique  la  plus  géné- 
rale et  la  plus  simple  consiste  à  l'enlever  au  moyen  d'une 
cuillère  presque  plate  et  assez  large. 

On  trouvera  à  l'article  BAnATTE  le  détail  des  diverses 
machines  employées  au  battage  et  à  la  fabrication  du  beurre. 
Nous  ferons  seulement  remarquer  ici  que  dans  l'hiver  le 
beurre  est  lent  à  se  séparer,  et  qu'on  fera  bien,  pour  en 
hâter  la  formation,  d'envelopper  la  baratte  d'un  linge  chaud 
en  opérant  près  du  feu  et  en  ajoutant  à  la  crème  une  cer- 
taine quantité  de  lait  chaud.  Quant  aux  matières  étrangères 
conseillées  quelquefois  dans  le  même  but,  il  vaux  mieux 
s'en  abstenir  que  de  risquer  de  nuire  à  la  qualité  du  beurre  ; 
ce  qui  s'est  vu  très-souvent.  En  été ,  et  dans  les  grandes 
chaleurs,  il  faut  procéder  tout  différemment,  ne  travailler  à 
la  fabrication  du  beurre  que  le  malin,  dans  un  lieu  frais,  en 
observant  même  de  placer,  au  besoin,  la  machine  dans  une 
cuve  pleine  d'eau  fraîche,  précaution  nécessaire  pour  em- 
pêcher la  crème  de  s'aigrir.  Lorsque  le  beurre  est  tait,  ce 
dont  on  s'aperçoit  aisément  à  une  sorte  de  granulation  qui 
se  précipite ,  on  retire  le  petit-lait.  Si  le  beurre  doit  être 
consommé  frais,  surtout  pour  la  table,  et  qu'il  ait  été  fait 
avec  de  la  crème  nouvelle ,  on  se  contente  de  le  pétrir  lé- 
gèrement avec  une  cuillère  de  bois  et  de  le  laver  à  l'eau 
fraîche.  Neuf  kilogrammes  de  lait  donnent  environ  cinq 
cents  grammes  de  beurre;  ce  qui  est  à  peu  près  le  produit 
d'une  vache  par  jour. 

Le  beurre  d'automne  est  généralement  préféré,  parce  que 
le  lait  est  meilleur  dans  cette  saison ,  qui  est  aussi  plus  fa- 
vorable à  sa  conservation.  Il  est  à  remarquer  aussi  que  la 
qualité  des  fourrages  influe  sur  la  couleur  et  le  goiil  du 
beurre,  de  même  que  ce  produit  offre  souvent  la  saveur  des 
plantes  dont  la  vache  a  fait  sa  pâture.  La  fane  des  pounnes 
de  terre  produit  un  beurre  trèsnnauvais  ;  celui  qui  est  fourni 
par  les  vaches  nourries  de  luzerne  et  de  trèfle  est  de  qualité 
inférieure;  et  enfin  le  meilleur  est  celui  que  donnent  les 
vaches  qui  paissent  dans  les  prairies  naturelles. 

Le  beurre  a  une  couleur  jaune  naturelle,  plus  ou  moins 
foncée,  selon  la  saison  ;  mais  celui  d'hiver  est  presque  blanc, 
et  la  préférence  qu'obtiennent  en  général  les  beun'es  jaunes 
a  amené  l'habitude  de  colorer  ceux  qui  ne  le  sont  pas.  On  se 
sert  ordinairement  à  cet  effet  de  la  fleur  de  souci ,  que  l'on 
recueille  et  que  l'on  entasse  dans  des  vases  de  grès,  où  elle 
dépose  une  substance  jaune  et  épaisse,  dont  une  très-petite 
quantité,  délayée  dans  un  peu  de  lait  et  jetée  dans  la  baratte, 
suffit  pour  donner  la  couleur  à  une  certaine  quantité  de 
beurre.  On  emploie  aussi  au  même  usage  diflérenles  autres 
matières  colorantes  moins  innocentes,  telles  que  le  safran. 


BEURRE  —  BE VERLAN D 


129 


la  grrune  d'asperge,  les  baies  d'alkekenge;  mais  souvent 
la  qualité  du  beurre  en  est  altérée ,  et  il  se  conserve  moins 
longtemps. 

Le  beurre  frais  peut  se  conserver  quelques  jours  en  été ,  et 
plus  longtemps  en  hiver  ;  le  seul  soin  à  prendre  pour  cela , 
t'est  de  le  tenir  sous  une  eau  fréquemment  renouvelée  et 
dans  un  lieu  frais  et  aéré  ;  il  suffit  même  de  l'envelopper 
d'un  linge  humide,  en  observant  que  ce  linge  soit  toujours 
tenu  fort  propre.  Cette  conservation,  du  reste,  peut  être  plus 
ou  moins  longue ,  selon  que  la  séparation  du  petit-lait  aura 
été  plus  ou  moins  complète.  Quant  à  la  conservation  du 
beurre  pendant  un  temps  plus  long,  qui  peut  s'étendre 
jusqu'à  une  et  deux  années ,  on  l'obtient  en  le  salant  ou  en 
le  fondant ,  ce  qui  le  rend  en  même  temps  propre  à  être 
transporté  au  loin.  De  ces  deux  méthodes,  la  première  de- 
vrait sans  aucun  doute  obtenir  partout  l'avantage,  car  le 
beurre  salé  perd  moins  de  sa  quaUté  et  de  son  bon  goût , 
et  il  peut  se  servir  sur  la  table ,  tandis  que  le  beurrefondu 
n'est  guère  propre  qu'à  l'usage  de  la  cuisine  ;  la  cherté  exces- 
sive du  sel  a  pu  seule  faire  choisir  si  souvent  la  seconde 
méthode,  et  l'on  remarque  en  effet  que  dans  les  cantons 
désignés  autrefois  sous  le  nom  de  pays  de  gabelle  l'usage 
de  saler  le  beurre  était  à  peine  connu ,  tandis  que  cette  pra- 
tique était  constamment  employée  dans  ceux  qui  jouissaient 
d'une  franchise  à  l'égard  de  cet  impôt. 

La  salaison  du  beurre  se  fait  ordinairement  au  prin- 
temps ou  à  l'automne  ;  les  chaleurs  de  l'été ,  qui  nuisent 
toujours  plus  ou  moins  à  la  qualité  du  beurre,  doivent  faire 
préférer  cette  seconde  époque.  On  emploie  communément 
le  sel  blanc  pour  le  beurre  fin ,  et  le  gris  pour  le  beurre 
commun  ;  mais  il  est  toujours  nécessaire  que  l'un  et  l'autre 
soient  bien  secs  :  il  faut  même  faire  sécher  le  sel  gris  au 
four  et  le  broyer  grossièrement  avant  de  s'en  servir.  On 
emploie  le  sel  dans  la  proportion  de  60  à  120  grammes  par 
kilogramme  pour  le  beurre  qui  doit  voyager,  et  moins  pour 
celui  qui  doit  être  consommé  sur  les  lieux.  Pour  bien  saler 
le  beurre,  on  l'étend  par  couches,  que  l'on  saupoudre  à 
mesure  de  sel ,  et  que  l'on  manipule  ensuite  partiellement  et 
en  masse  pour  rendre  le  mélange  bien  complet  et  saler  éga- 
lement. On  le  met  ensuite  dans  des  pots  de  grès  ou  des 
tonneaux ,  et  il  doit  y  être  foulé  avec  force  et  ensuite  recou- 
vert d'une  saumure  très-épaisse. 

Pour  obtenir  le  beurre  fondu ,  il  ne  faut  pas  attendre 
que  le  beurre  que  l'on  a  intention  de  fondre  soit  ancien , 
parce  qu'il  aurait  pu  contracter  un  état  de  rancidité  que  la 
chaleur  nécessaire  à  l'opération  ne  parviendrait  jamais  à  lui 
faire  perdre  entièrement.  On  prend  un  chaudron  de  cuivre 
jaune,  extrêmement  propre ,  d'une  capacité  proportionnée 
à  la  quantité  de  beurre  qu'on  veut  fondre  ;  on  a  soin  que  le 
feu  auquel  il  est  exposé  soit  clair,  égal ,  modéré ,  et  d'éviter, 
autant  qu'il  est  possible,  la  fumée,  qui  ,  par  suite  de  son 
contact  avec  la  surface  du  beurre  fluide  et  chaud ,  finirait 
par  se  combiner  entièrement  avec  lui  et  lui  communiquer  un 
goût  désagréable.  Au  moyen  d'une  chaleur  douce  et  uni- 
forme, le  beurre  se  liquéfie  très-facilement ,  et  dès  qu'il 
commence  à  frémir,  il  ne  faut  plus  le  perdre  de  vue.  On 
l'agite  pour  favoriser  l'évaporation  de  l'iiumidité,  empêcher 
qu'il  ne  monte,  et  pour  enlever  à  la  matière  caséeuse  in- 
terposée dans  le  beurre  son  adhérence,  sa  fluidité  et  sa  so- 
lubilité. Bientôt  une  portion  de  cette  matière  recouvre  la 
surface  comme  une  écume  ;  on  la  sépare  à  mesure  qu'elle  se 
forme  ;  l'autre ,  pendant  la  liquéfaction,  se  concrète,  se 
précipite  au  fond  du  chaudron ,  y  adhère ,  et  présente  une 
matière  connue  sous  le  nom  vulgaire  de  gratin.  Dès  que 
cette  matière  est  formée,  il  faut  se  hâter  de  diminuer  le 
feu,  car  elle  se  déco.nposerait  et  conununiquerait  au  beurre 
une  mauvaise  qualité  ;  l'indice  le  plus  certain  pour  juger  si 
le  beurre  est  parfaitement  fondu,  c'est  lorsque  la  totalité  a 
une  transparence  comparable  à  celle  de  l'huile,  et  qu'il 
s'eullauune  sans  pétiller  quand  on  en  jette  quelques  gouttes 

DICT.    DE   LA   CONVERS.    —  T.    IIl, 


sur  le  feu.  On  achève  alors  d'écumer  le  beurre,  et  on  re- 
tire le  chaudron  de  dessus  le  feu.  On  laisse  ensuite  reposer 
un  instant  la  liqueur  sur  le  feu ,  puis  on  la  verse  par  cuil- 
lerées dans  des  pots  bien  échaudés  et  séchés  au  feu ,  qu'on 
recouvre  après  que  le  beurre  est  tout  à  fait  refroidi.  Une 
autre  méthode,  que  beaucoup  de  personnes  préfèrent,  parce 
qu'elle  entraîne  moins  d'embarras  et  qu'elle  exige  moins  de 
soins ,  est  d'exposer  le  beurre  au  four  après  que  le  pain  en 
est  retiré.  Pour  cet  effet ,  on  emploie  tout  simplement  des 
pots  de  terre  :  le  beurre  se  fond  insensiblement ,  et  du  soir 
au  lendemain  matin ,  on  le  retire ,  on  l'écume  et  on  le  laisse 
se  refroidir.  Mais  on  sent  facilement  que  par  cette  méthode 
le  beurre  n'est  souvent  pas  assez  dépouillé  de  son  humidité, 
qu'il  est  mal  écume,  et  qu'enfin  la  séparation  de  la  matière 
caséeuse  ne  s'opère  pas  assez  complètement.  Un  troisième 
procédé  consiste  à  tenir  le  beurre  en  liquéfaction  pendant 
un  certain  temps  au  bain-marie,  et  à  le  verser  ensuite  par 
inclinaison  dans  des  pots  de  terre.  La  matière  caséeuse, 
en  se  déposant ,  entraîne  avec  elle  une  portion  de  beurre  : 
pour  l'en  séparer  entièrement,  on  ajoute  au  dépôt  une 
quantité  proportionnée  d'eau  bouillante  ,  et  on  remue  un 
instant  le  mélange  ;  après  quoi  on  le  laisse  en  repos  jus- 
qu'au parfait  refroidissement.  Le  beurre  vient  surnager  à  la 
surface  du  liquide ,  d'où  on  le  retire  facilement  lorsqu'il  est 
entièrement  figé.  On  mêle  à  ce  beurre ,  lorsqu'il  n'est  en- 
core qu'à  demi  figé,  une  quantité  proportionnée  de  sel  sé- 
ché ,  parfaitement  égrugé  ;  et  lorsque  son  refroidissement 
est  complet,  on  le  met  dans  des  pots,  dont  on  couvre  l.i 
surface  d'une  légère  couche  de  sel  pareillement  pulvérisé.  Ce 
beurre,  fondu  et  salé  en  même  temps,  s'exporte  au  loin 
sans  se  détériorer. 

On  fait  du  beurre  non-seulement  avec  le  lait  de  vache  , 
mais  aussi  avec  le  lait  de  brebis  et  de  chèvre ,  et  même  avec 
le  lait  de  cavale  et  d'ûnesse. 

L'analogie  a  fait  donner  le  nom  de  beurres  à  plusieurs 
produits  végétaux  ;  ce  sont  en  général  des  matières  grasses, 
solides,  extraites  de  fruits  exotiques,  comme  les  beurres 
de  Galam  {voyez,  El^is),  de  cacao,  de  coco,  de  mus- 
cade, etc. 

BEURRE  (  Botanique  ).  Plusieurs  plantes  cryptogames 
portent  vulgairement  ce  nom.  Le  beurre  d'eau  (ulva  pru- 
ni/ormis)  appartient  au  groupe  des  ulves  d'eau  douce.  D'a- 
près Pallas,  il  est  employé  en  Sibérie  pour  guérir  les  maux 
des  jambes  ou  des  yeux.  Le  beurre  de  fourmi  est  une  es- 
pèce d'ulve  qui  croît  dans  les  fourmilières.  Le  beurre  du 
terre  est  une  autre  espèce  d'ulve  qui  croît  au  pied  des 
sapins. 

BEURRE  (rAmie).  Dans  l'ancienne  chimie,  ce  mot 
était  synonyme  de  chlorure  :  c'est  ainsi  que  l'on  disait 
beurre  d'antimoine,  beurre  d'arsenic,  beurre  de  bismuth, 
beurre  d'étain ,  beurre  de  zinc ,  au  lieu  de  chlorure  d'an- 
timoine,  etc. 

BEURRE  DE  CIRE.  On  nomme  ainsi  la  cire  dis- 
tillée, à  cause  de  sa  consistance  butyreuse  après  cette 
opération. 

BEURRE  DEMOWTAGNE,  BEURRE  DE  PIERRE, 
ou  BEURRE  DE  ROCHE,  matière  onctueuse,  de  couleur 
jaunâtre,  qui  forme  de  petits  amas,  et  quelquefois  des  es- 
pèces de  stalactites  dans  les  cavités  des  montagnes  schis- 
teuses de  Sibérie  ;  celte  substance  est  un  mélange  d'argile, 
d'alumine  sulfatée,  d'oxyde  de  fer  et  de  pétrole.  (Foj/es  Alun.) 

BEURRÉ,  sorte  de  poire  ainsi  appelée  parce  qu'elle 
a  la  chair  douce  et  fondante. 

BEUVRON.  Voye:>  Harcourt. 

BEVERLAND  (Adrien)  ,  savant  Hollandais ,  qui,  par 
la  nature  de  plusieurs  de  ses  ouvrages  et  par  les  obscénités 
qu'on  y  trouve,  excita  les  plus  vives  discussions  parmi  les 
théologiens  de  son  temps ,  était  né  à  Middcibourg ,  v*rs  le 
milieu  du  dix-septième  siècle.  Il  avait  étudié  le  dioil,  visité 
l'université  d'Oxford ,  et  était  procureur  en  Hollande  ,  lors- 

17. 


130 

(priKit  paraître,  en  1678,  l'ouvrage  intitulé  :  Peccatumori- 
(jinale.  «  I,e  but<le  ce  livre  est  de  prouver,  dit  JI.  Depping, 
que  le  péclié  d'Adam  est  son  commerce  charnel  avec  Eve, 
et  que  le  péché  originel  est  le  penchant  mutuel  d'un  sexe 
vers  l'autre.  »  A  La  Haye,  on  le  brûla  publiquement  parla 
main  du  bourreau,  et  on  emprisonna  l'auteur,  à  qui  les 
villes  de  Leyde  et  d'Utrecht  interdirent  désormais  tout  sé- 
jour dans  leurs  murs.  De  retour  à  La  Haye,  il  y  composa 
sous  ce  titre  :  De  xiolatx  virginltatis  jure  (1680),  un 
écrit  qui  l'emportait  encore  en  obscénité  sur  le  premier. 

Peu  de  temps  après,  il  passa  en  Angleterre,  où  il  trouva 
un  protecteur  dans  la  personne  d'Isaac  Vossius  ,  et  il  pa- 
raît même  qu'il  se  fit  alors  recevoir  docteur  en. droit  à 
Oxford.  Mais  il  rencontra  parmi  les  théologiens  des  ad- 
versaires non  moins  ardents  en  Angleterre  que  dans  sa  pa- 
trie, à  en  juger  du  moins  par  les  sales  pamphlets  qu'il  com- 
posa contre  plusieurs  chefs  de  l'Église  anglicane.  Peut-être 
la  mort  île  &on  protecteur,  Isaac  Vossius,  en  1689,  fut- 
elle  ce  qui  le  détermina  à  se  rétracter  et  à  exprimer  le  re- 
giet  d'avoir  employé  pou'' démontrer  les  vérités  du  christia- 
nisme une  méthode  d'exposition  qui  avait  si  justement  cho- 
(pié  le  public  savant.  Il  paraît  qu'il  finit  par  être  atteint 
d'aliénation  mentale,  et  qu'il  mourut  en  Angleterre,  vers 
1712.  Malgré  les  nombreux  adversaires  qu'il  s'était  attirés, 
Heverland  compta  des  amis  parmi  les  hommes  les  plus  cé- 
lèbres de  son  temps.  Il  faut  reconnaître  d'ailleurs  que  les 
opinions  qu'il  a  émises  au  sujet  du  péché  originel  ont  été 
partagées,  tant  avant  qu'après  lui,  par  un  grand  nombre 
d'auteurs,  mais  que  ceux-ci  les  ont  présentées  avec  plus  de 
gravité.  Ses  ouvrages,  devenus  extrêmement  rares,  appar- 
tiennent aujourd'hui  aux  curiosités  bibliographiques. 

lîEVEULEY(JEANnE),  Joannes  Beverlacius,  arclie- 
vê(jue  d'York  ,  né  à  Harpham ,  dans  le  Northumberland  , 
dans  la  seconde  moitié  du  septième  siècle,  mort  en  721,  com- 
mença par  être  abbé  du  monastère  de  Saint-Hilda.  En  685 
Alfred,  roi  de  Northumberland,  lui  donna  l'évêché  d'Hexam, 
et  deux  ans  plus  tard  l'arcbevêclié  d'York.  Ce  prélat  ap- 
porta un  soin  tout  particulier  à  favoriser  l'étude  et  la  propa- 
gation (les  lumières.  Dans  ce  but  il  fonda  en  704 ,  à  Beveriey, 
un  collège  pour  les  prêtres  séculiers ,  où  il  se  retira  après 
trente-quatre  ans  d'épiscopat.  Bède  et  quelques  autres  écri- 
vains ecclésiastiques  lui  ayant  attribué  divers  miracles, 
son  corps  fut  exhinné  au  douzième  siècle  par  Al  fric,  ar- 
chevêque d'York  ,  et  exposé  dans  une  châsse  magnificjue 
à  la  vénération  des  fidèles;  et  en  1416  un  synode  tenu  à 
Londres  institua  une  fête  annuelle  pour  célébrer  l'anniver- 
saire de  sa  mort.  Sa  mémoire  inspirait  une  si  grande  véné- 
ration aux  populations  du  Northumberland,  que  Guil- 
laume le  Conquérant,  lorsqu'il  ravage.ait  cette  province,  crut 
politique  d'épargner  la  ville  de  Beveriey. 

KEVERN,  petit  bourg  du  Brunswick,  situé  dans  le  Harz, 
h  4  kilomètres  de  Holzminden,  sur  la  Bever,  avec  1,400 
habitants.  On  y  voit  les  ruines  de  l'ancien  château  d'E- 
berstein.  Ce  bourg  avait  donné  son  nom  à  une  branche  colla- 
térale, aujourd'hui  éteinte,  de  la  maison  de  Brunswick. 
II5EVEll]\(AUGUSTE-GuiLL,VUME,  ducDE  BRUNSWICK-), 

général  au  service  de  Prusse  [)endant  la  guerre  de  sept 
ans,  était  né  en  1715,  à  Brimswick,  d'une  branche  collaté- 
rale de  la  maison  de  Woli'enbnttel.  11  entra  de  bonne 
heure  au  service,  et  fit  la  campagne  de  1734  sur  le  Rhin, 
l'mmu  au  grade  de  général,  en  récompense  de  la  distinc- 
tion avec  laquelle  il  avait  fait  les  deux  guerres  de  Silésie 
il  contribua  beaucoup  au  gain  delà  bataille  de  Lovvositz, 
livrée  le  !*■■  octobre  i756.  L'aile  gauche  qu'il  commandait 
ayant  consommé  toutes  ses  cartouches  sans  que  la  position 
de  Lowositz  eût  encore  pu  être  enlevée  ,  il  s'écria  ,  quand 
on  vint  lui  apprendre  que  les  munitions  manquaient  :  «  Ab 
çà,  camarades  !  n'avez- vous  donc  plus  de  baïonnettes  au 
bout  de  vos  fusils?  »  A  ces  mots,  les  Prussiens  ,  enflam- 
més d'une  nouvells  ardeur ,  se  précipitent  à  la  baïonnette 


BEVERLAND  —  BÉVUE 


sur  les  retiancliements  antricliiens  ,  les  enlèvent ,  et  déci- 
dent du  succès  de  la  journée.  Le  29  avril  t757,  peu  de  temps 
avant  la  bataille  de  Prague  ,  il  enleva  aussi,  après  des  pro- 
diges de  valeur ,  le  camp  retranché  du  comte  de  Kœnigseck, 
près  Rcichenberg.  H  prit  également  part  aux  batailles  da 
Prague  et  de  Collin.  Pendant  (pie  Frédéric  le  Grand  mar- 
chait contre  Soubise,  le  duc  de  Bevern  commandait  l'armé« 
de  la  Silésie  et  de  la  Lusace  ;  il  fut  cause ,  par  ses  fausses 
manœuvres ,  de  la  mort  prématurée  du  Winterfeldt.  Cons- 
tamment malheureux  depuis  ce  moment,  il  se  laissa  com» 
plétement  battre  à  Breslau,  le  25  novembre  1757.  Doulou. 
reusement  affecté  d'avoir  si  mal  répondu  à  la  confiance  du 
grand  Frédéric,  il  tenta  de  se  soustraire  à  sa  colère  en  se 
faisant  faire  prisonnier  le  lendemain  de  cette  malheureuse 
affaire  dans  une  reconnaissance  poussée  jusqu'aux  avant- 
postes  autrichiens.  Il  fut  cependant  échangé  dès  l'année 
suivante,  et  le  roi  de  Prusse  le  nomma  gouverneur  deStet- 
tin.  En  1762  ce  prince  lui  confia  encore  le  commandement 
il'un  corps  détaché  à  Reichenbacb  ,  où  il  prit  sa  revanche 
sur  les  Autrichiens ,  qu'il  battit  le  7  août.  Après  la  paix 
d'Hubertsbourg,  il  passa  la  plus  grande  partie  du  reste  de  sa 
vie  à  Stettin,  et  y  mourut,  en  1782. 

BEVERÎ\INGî»  (JÉRÔME  van),  célèbre  homme 
d'État  hollandais,  né  àTergau,  en  1614,  mort  aux  environs 
de  Leyde,  en  1690,  fut  un  des  plus  habiles  diplomates  de 
son  temps. Ce  fut  lui  qui,  en  1654,  dirigea  les  négocia- 
tions de  la  paix  qui  se  conclut  alors  entre  les  Provinces- 
Unies  et  l'Angleterre.  Il  prit  également  part  à  celles  qui  ame- 
nèrent en  1667  la  conclusion  du  traité  de  Breda,  en  1668 
celle  du  traité  d'Aix-la-Chapelle,  et  en  1678  celle  delà  paix 
de  Nimègue.  Botaniste  instruit,  c'est  à  lui  qu'on  est  rede- 
vable de  l'introduction  en  Europe  de  la  capucine  à  grandes 
fleurs  (tropolcTum  majiis).  Ce  fut  lui  aussi  qui  détermina 
Paul  Hermann  à  voyager  dans  l'Inde,  d'où  il  rapporta  un 
herbier  des  plus  précieux.  La  protection  généreuse  que 
Beverningk  accordait  aux  sciences  et  aux  lettres  lui  avait 
mérité  l'honneur  d'être  nommé  curateur  de  l'université 
de  Leyde. 

BÉVUE.  Ce  mot ,  employé  autrefois  en  pathologie  dans 
le  sens  de  d  i  p  1  o  p  i  e ,  vue  doiible  (  de  bis,  deux  fois,  et  vi' 
sus ,  vue)  signifie  dans  la  langage  usuel  une  méprise ,  une 
errmr,  dans  laquelle  on  tombe  par  ignorance,  par  inadver- 
tance ,  par  défaut  de  réflexion.  La  inéprise  est  l'action  de 
n)al  prendre  ;  elle  est  un  mauvais  choix.  L'errewr  est  un 
écart  de  la  rai.son  ;  elle  est  tantôt  un  faux  principe,  tantôt  une 
fausse  application  de  principe,  tantôt  enfin  une  fausse  con- 
séquence ;  elle  est  donc  toujours  en  opposition  avec  la  vérité. 

Que  de  bévues  se  sont  commises  depuis  que  le  monde  es' 
monde!  Les  auteurs  en  ont  plus  d'une  à  se  reprocher,  les 
traducteurs  surtout.  Ainsi  les  abréviateurs  de  la  Biblio- 
thèque de  Gessner  attribuent  le  roman  iVAmadis  à  un  certain 
Aciierdo  Olvido,  ignorant  que  ces  deux  mots,  placés  en  épi- 
graphe au  frontispice  de  la  traduction  ,  signifient  en  espa- 
gnol :  souvenir  oublié.  Un  honnête  franciscain,  compila- 
teur d'une  Histoire  de  Vlùjlise,  place  parmi  les  écrivains 
sacrés  le  poète  Guarini ,  trompé  par  sa  célèbre  pastorale  II 
Pastorjido, qu'il  traduisait  Le  Pasteur  fidèle.  Un  autre  tra- 
ducteur français,  l'abbé  Vial,  prétend  que  l'évêque  de  Can- 
tcrbury  «lisposa  des  c«hoh5  sur  les  stalles  de  sa  cathédrale. 
Le  malheureux  ignorait  qu'en  anglais  le  mot  cannon  ne  si- 
gnifie pas  seulement  canon ,  mais  chanoine.  Un  écrivain 
français,  enfin,  dans  une  version  de  la  comédie  de  Cibber  : 
Love's  last  Shi/t,  intitule  la  piècenon  La  dernière  Ruse  de 
l'Amour,  mais  La  dernière  Chetnise  de  l'Amour. 

Toute  érudition  d'emprunt  expose  aux  bévues.  Combien 
de  savantasses,  dans  notre  siècle  de  lumière,  prendraient, 
comme  le  .singe  de  la  fable , 

Vu  nom  (le  porl  [lour  un  nom  d'iiominfl! 
Nous  avons  entendu  un  financier  en  renom  de  la  rue  I.af- 


BEVUE  —  BEYLE 


ISJ 


fitte  (lire  sérioascnient  à  un  gentil-liomme  du  faubourg  Saint- 
Gerrrain  qui  avait  une  fille  h  marier  :  «  Eh  bien ,  cher , 
ne  pensez-vous  donc  pas  sérieusement  à  donner  un  Plu/ar- 
que à  votre  Laure?  »  Un  vaudevilliste  bien  connu,  que  la 
Rf.^tauration,  en  un  jour  de  gaieté,  avait  transformé  en  biblio- 
thécaire, trouvant  sur  tous  les  bouquins  confiés  à  sa  garde 
l'inévitable  étiquette  ex  Ubris,  s'imagina  de  la  faire  gra- 
ver, en  vedette  de  son  nom,  dans  la  coiffe  de  son  chapesoj, 
persuadé  qu'elle  voulait  dire  :  J'appartiens  à... 

BEWICK  (Thomas),  né  en  1753,  au  petit  village  de 
Cherryburn,  daus  le  Northumberland,  montra  dès  son  en- 
fance de  grandes  dispositions  pour  le  dessin. 

Il  était  venu  au  monde  dans  une  ferme  appartenant  à 
son  père.  Nouveau  Giotto,  son  unique  plaisir  était  de  re- 
produire avec  un  peu  de  craie  ou  de  charbon  les  formes  des 
animaux  qui  rentouraieut.  Giotto  avait  été  deviné  par  Ci- 
raabue  :  un  graveur  sur  cuivre  nommé  liielby,  ayant  vu  par 
hasard  les  essais  du  jeune  Bewick ,  pria  instamment  son 
père  de  lui  laisser  eimîiener  l'enfant  comme  apprenti  à  New- 
castle.  La  famille  y  consentit.  Les  progivîs  de  l'apprenti 
furent  rapides,  et  il  se  distingua  surtout  dans  la  gravure  sur 
bois,  dont  il  devait  être  le  régénérateur. 

Bewick  eut  bientôt  sa  part  dans  les  travaux  et  dans  les 
bénéfices  de  son  maître,  et  en  1775  il  remporta  le  prix  pro- 
posé par  la  Société  des  Arts  de  Londres  pour  la  meilleure 
gravure  sur  bois;  sa  composition,  qui  représentait  un  chien 
de  chasse,  le  plaça  au  premier  rang  des  graveurs  anglais. 
Ce  dessin  fut  inséré  plus  tard  dans  une  édition  des  fables 
de  Gay,  imprimée  à  ISewcastle ,  illustrée  par  Bewick  et  par 
son  frère  John,  qu'il  s'était  associé  depuis  plusieurs  années. 

L'œuvre  de  Bewick  est  immense.  Dans  les  ventes ,  les 
amateurs  et  les  artistes  se  disputent  ses  dessins.  Le  plus 
remarquable  de  ses  ouvrages  est  son  Histoire  des  Quadru- 
pèdes, oi\  il  a  surmonté  d'immenses  difficultis. 

Entièrement  voué  à  son  art,  Bewick  mourut  en  1828,  après 
avoir  formé  un  grand  nombre  d'élèves. 

BEY,  BEG,  BEK,  ou  BEIGH,  est  un  mot  turc,  dont  l'or- 
thographe ne  varie  que  d'après  la  prononciation  en  usage 
dans  les  divers  pays  où  on  l'emploie;  il  répond  au  litre  de 
prince  et  de  seigneur,  et  se  donne  aux  chels  militaires,  ai>\ 
capitaines  de  vaisseau  et  aux  étrangers  de  distinction.  Il 
désigne  pins  particulièrement  le  gouverneur  d'un  petit  dis- 
trict nommé  quelquefois  beylich,  lequel  porte  comme  signe 
distinctif  de  sa  d'gnité  une  queue  de  cheval.  On  sait  que  le 
sultan  en  a  sept  et  le  grand  vizir  cinq,  et  les  pachas,  sui- 
vant leur  importance,  trois  ou  deux.  Nous  trouvons  ridi- 
cule cette  distinction  des  rangs  par  queues  de  cheval  ;  mais 
combien  les  Orientaux,  de  leur  côté ,  ne  doivent-ils  pas  rire 
de  nos  croix ,  de  nos  cordons  et  de  nos  crachats  ! 

Le  fondateur  de  la  puissante  dynastie  des  Seidjoukides, 
Tbogrul ,  en  arrivant  en  Perse  à  la  tète  de  sa  nombreuse 
tribu,  vers  le  milieu  du  onzième  siècle,  n'y  apporta  que  le 
titre  de  beigh ,  (pj'il  conserva  même  après  avoir  reçu  du 
klial'fe  celui  de  sulthan. 

Le  fameux  Timour  (  Tamerlan  ),  le  conquérant  de  la 
Perse,  de  l'indonstan,  de  l'Asie  Mineure,  de  la  Syrie,  d'une 
partie  de  la  Tartarie  et  de  la  Russie,  le  vainqueur  de  Baja- 
zet,  qui  était  sulthan  et  khan  (empereur),  et  de  plusieurs 
khans  tatares,  ne  portait  que  le  titre  de  bek  et  celui  à'émir, 
qui  en  arabe  signifie  également  prince. 

Les  princes  de  la  dynastie  turcomane .4 c-Coi h  Zw,  ou  du 
Mouton-Blanc,  qui  ont  régné  en  Perse  à  la  fin  du  quin- 
zième siècle,  n'ont  pas  porté  d'autre  titre  que  celui  de  bey. 

Le  souverain  héréditaire  de  Tunis  porte  le  titre  de  bey. 
C'était  aussi  le  tilreque  prenaient  les  gouverneurs  de  Cons- 
tantine,  d'Oran,  deTittery,  avant  la  conquête  de  l'Algérie  par 
la  France. 

lîEYLE  (  HEiNri),  plus  connu  comme  écrivain  que 
par  les  emplois  qu'il  a  occupés,  mort  en  1S42,  était  né 
à  Grenoble  en  1783.    Fils  d'un  riclie  propiiétaiie ,  avocat 


au  parlement  de  cette  ville,  il  devint  par  la  protection  du 
comte  Daru,  son  parent,  inspecteur  du  mobilier  et  des  bA- 
tiraeuts  de  la  couronne  sous  l'Empire,  et  auditeiu-  au  conseil 
d'État.  Investi  d'une  mission  en  Allemagne,  spécialement 
pour  le  choix  des  livres  et  manuscrits  que  l'on  voulait  tirer 
de  la  célèbre  bibliothèque  de  Wolfenbuftel,  à  laquelle  avait 
présidé  Leibnitz ,  il  nous  apprend  lui-même,  dans  sa  publi- 
cation sur  Rome,  Nnples  et  Florence,  qu'il  séjourna  à 
Cassel  (Hesse),  et  qu'il  y  connut  l'historien  Jean  de  Millier. 
Nous  étant  trouvé  dans  la  même  ville ,  à  la  même  époque, 
en  rapport  par  nos  fonctions  avec  cet  homme  illustre,  ainsi 
qu'avec  un  M.  Ceyle  remplissant  alors  l'emploi  de  secré- 
taire général  du  ministère  des  finances  auprès  du  comte 
Beugnot ,  nous  avons  tout  lieu  de  croire  que  notre  collègue 
était  l'écrivain  à  qui  cette  notice  est  consacrée. 

Presque  tous  les  travaux  littéraires  de  5Î.  Beyle  ont  été 
publiés  sous  les  pseudonymes  Z.-^.-C.  Bombct  ou  de  Sten- 
dhal. Six  voyages  et  un  séjour  de  dix  ans  en  Italie,  son 
amour  pour  les  arts  du  dessin  et  pour  la  nmsique,  lui  avaient 
donné  le  droit  d'écrire  sur  les  merveilles  comme  sur  les 
mœurs  de  la  Péninsule  et  sur  le  caractère  de  ses  habitants. 
Refusé  d'abord  par  l'Autriche  en  qualité  de  consul  à  Trlestc, 
c'est  cependant  en  Italie  qu'il  a  terminé  sa  carrière,  à  Ci- 
vita-Vecchia,  oii  il  avait  été  appelé  à  exercer  les  mômes 
fonctions. 

Le  début  de  cet  écrivain  dans  la  carrière  des  lettres  ne 
fut  pas  heureux.  Publiant,  en  1815,  sous  le  pseudonyme 
Bombet,  des  Lettres  écrites  de  Vienne  sur  IJayd)i ,  il  avait 
oublié  de  signaler  l'auteur  italien  de  ces  lettres,  Carpaui, 
l'ami  du  grand  compositeur.  Il  reproduisit  avec  plus  de 
succès  ce  travail  en  1817,  sous  le  titre  de  Vies  de  Haydn , 
Mozart  et  Métastase ,  in-8". 

M.  Beyle  s'est  fait  connaître  comme  amateur  écrivant  sur 
les  arts,  comme  moraliste  et  voyageur,  enfin  comme  roman- 
cier et  conteur.  A  l'écrivain  amateur  appartiennent,  outre 
l'œuvre  que  nous  venons  de  citer  :  1°  son  Histoire  de  la 
Peinture  en  Italie  (Paris,  1817);  2°  en  italien,  l'écrit 
intitulé  :  Del  Romantismo  nelle  Arti  (Florence,  18 19);  3°  sur 
l'art  dramatique,  et  en  faveur  du  romantisme.  Racine  et 
Shakspeare  (Paris,  1823  et  1825);  4°  Vie  de  Rossini 
(  1823  et  1824  ).  Le  voyageur,  le  moraliste,  souvent  sati- 
rique, réclame  :  1°  le  livre  intitulé  De  l'Amour  (1822). 
On  a  vanté  le  mot  cristallisation,  donné  par  l'auteur  comme 
définition  de  l'amour.  Nous  avouons  nous  en  tenir  de  préfé- 
rence à  celle  de  Platca  :  «  L'amour  est  une  entremise  des 
dieux  avec  la  jeunesse  »;  2°  Rome,  Aaples  et  Florence 
(1817,  in-8°  );  3"  D'un  nouveau  complot  contre  les  in- 
dustriels, diatribe  contre  l'industrialisme,  dans  la  feuille 
le  Globe  (1825);  4"  Promenades  dans  Rome  (  1829);  5°  Mé- 
moires d'un  Touriste  (1838).  Au  romancier  (t  au  conteur 
doivent  être  rapportées  les  publications  suivantes  :  r  Ar- 
mance,  ou  qxielques  scènes  dfi  Paris  (  1827);  2"  le  Roùye 
et  le  Noir,  chronique  du  dix-neuvième  siècle  (1830);  la 
Chartreuse  de  Parme  (1839),  louée  dans  les  journaux 
et  dans  les  revues,  presque  comme  un  chef-d'o^uvre;  3°  t'Ab- 
besse  de  Castro,  publiée  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes. 
On  en  a  fait  un  drame;  4°  enfin,  différentes  nouvelles  publiées 
dans  les  revues,  entre  autres  Vanino  Vanini,  et  Le  Cenci, 
histoire  de  1599. 

L'écrivain  à  qui  l'on  a  dû  tant  de  pidjlications  en  divers 
genres  était  certainement  un  homme  de  beaucoup  d'esprit 
et  de  talent;  on  lui  a  reproché  un  esprit  frelaté,  une  affec- 
tation Continuelle  d'originalité,  la  prétention  aux  idées  sin- 
gulières et  bizarres.  Ce  reproche  avait  déjà  été  fait  à  un 
écrivain  que  Beyle  semblait  quelquefois  avoir  pris  pour 
modèle,M.  Simond,auteurdeFoî/«pcA,  curieux  et  estimés,  en 
Angle/erre,  en  Suisse  et  en  Italie.  Il  arrive  en  elVel  trop 
souvent  au  premier,  et  peut-être  à  tous  deux ,  de  chercher 
ce  que  les  Allemands  appellent  Vexcenlricité.  Toutefois,  il 
y  a  aussi  beaucoup  de  naturel  dans  leur  singularité,  et  c'esi 

17 


132 


BEYLE  —  BEZE 


là  ce  qui  les  rend  piquants;  on  est  agréablemciit  surpris  de 
rencontrer  des  iiomnies  qui  jugent  comnne  ils  ont  senti.  On 
a  beau  se  trouver  souvent  choqué  de  leur  témérité,  on  leur 
sait  gré,  en  définitive ,  de  ne  pas  se  faire  les  échos  de  tous 
ceux  qui  ont  écrit  avant  eux.  Il  y  aurait  d'ailleurs  trop  de 
rigueur  à  apprécier  la  plupart  des  écrits  de  M.  Beyle  comme 
des  ouvrages  ;  car  son  humeur  indépendante  ne  s'y  astrei- 
gnait à  aucun  plan ,  à  aucune  méthode  :  il  suivait  son  im- 
pulsion et  laissait  courir  sa  plume;  à  meilleur  titre  que 
Sterne,  il  eût  pu  dire  :  «  J'écris  ma  première  phrase ,  et  je 
m'abandonne  pour  le  reste  à  la  Providence.  »  Nous  ne  le 
prendrons  donc  pas  plus  au  sérieux  qu'il  n'a  voulu  l'être. 
Il  était  de  l'école  de  Voltaire,  mais  du  Voltaire  qui  a  écrit 
Candide,  Babouc,  etc.  Quoique  M.  Beyle  sentît  vivement 
tes  arts  et  les  passions ,  et  qu'il  s'y  connût ,  il  s'en  faut  bien 
que  ses  opinions  fussent  toujours  celles  d'un  homme  d'un 
goût  et  d'un  jugement  sûrs.  Mais  avec  ses  défauts,  ses  bou- 
tades et  ses  élrangetés  en  goût  et  en  morale,  il  se  fait  lire, 
parce  qu'il  intéresse  quelquefois ,  et  qu'il  amuse  presque  tou- 
jours. 

On  aurait  grand  tort  toutefois  de  ne  voir  dans  M.  Beyle 
qu'un  touriste  frivole  et  paradoxal  :  quand  il  peint  les  ha- 
bitudes, les  mœurs,  les  passions  des  peuples  de  l'Italie, 
il  se  montre  bon  observateur,  et  ses  remarques  sur  les  vices 
des  institutions  et  des  gouvernements,  sur  les  funestes  con- 
séquences de  ces  abus  invétérés ,  annoncent  une  âme  hon- 
nête, indépendante,  qui  sent  vivement  le  mal  lait  aux 
hommes ,  et  réclame  avec  énergie  eu  faveur  des  malheu- 
reux. Pourquoi  faut-il  que  l'auteur  n'ait  pas  apporté  plus 
de  sérieux  et  de  soins  dans  ses  travaux  !  Selon  lui,  ce  n'est 
pas  la  durée  du  succès  qui  classe  une  œuvre  quelconque; 
c'est  la  vivacité  de  l'impulsion  produite,  ou,  pour  parler 
net,  la  vogue  du  moment.  «  11  n'y  a  pas  de  prochain  »,  écri- 
vait l'abbé  Galiani  à  l'un  de  ses  amis.  Nous  disons  à  pré- 
sent :  n  11  n'y  a  pas  de  postérité  »  :  à  la  bonne  heure  ! 

AUBERT  DE    VlTRY. 

BEYROUTH.  Voyez  BEinouT. 

BEZAKT.  Voyez  Besant. 

BÈZE  (Théodore  de),î<h  des  principaux  piliers  de  la 
réforme  (Bayle),  qui  fut  à  Calvin  ce  que  Mélanchthon  fut 
à  Luther,  et  que  ses  coreligionnaires  avaient  surnommé  le 
Phénix  de  son  siècle,  naquit  le  24  juin  1519,  à  Vézelai 
dans  le  Nivernais,  au  même  lieu  où  saint  Bernard  avait 
prêché  la  seconde  croisade.  Il  fut  destiné  d'abord  à  l'état  ec- 
clésiastique. Sa  famille  éta't  riche  et  noble;  il  avait  fait  avec 
succès  les  plus  brillants  progrès  dans  les  lettres  sacrées  et 
profanes.  A  peine  âgé  de  vingt-cinq  ans,  sans  avoir  encore 
pris  les  ordres,  il  était  pourvu  de  deux  ou  trois  riches  béné- 
fices ,  entre  autres  du  prieuré  de  Lonjumeau.  Beau  comme 
Adonis ,  fort  comme  Hercule,  éloquent,  doué  de  Xa  pres- 
tance d'un  prince  et  de  ['esprit  d'un  ange,  pour  meservT 
des  expressions  de  ses  contemporains,  il  pouvait  prétendre 
aux  premières  dignités  de  l'Église  catholique;  mais  dès  son 
enfance  il  avait  été  imbu  des  principes  de  la  Réforme  par 
Melcliior  Wolkmar  de  Rothwell ,  jurisconsulte  et  helléniste  , 
qui  professa  pendant  plusieurs  années  à  Orléans  et  à  Bourges. 
L'indépendance  des  nouvelles  doctrines  convenait  merveil- 
leusement à  l'esprit  fier,  fougueux  et  empoilé  du  jeune 
Théodore,  qui,  malgré  les  écarts  d'une  adolescence  très - 
dissipée ,  était  parvenu  presque  en  se  jouant  à  en  savoir  au- 
tant que  son  docte  maître.  Mais,  par  une  loi  de  la  nature  qui 
admet  peu  d'exceptions ,  elle  n'avait  pu  départir  tant  de 
dons  à  un  mortel  sans  y  mêler  le  germe  des  passions  les 
plus  orageuses.  Homme  complet  s'il  en  fut  jamais,  Bèze  les 
eut  toutes.  Il  ne  connaissait  dans  sa  vie  privée  que  cette 
autre  loi,  appelée  par  les  épicuriens  la  bonne  loi  naturelle, 
et  il  s'y  livra  sans  frein  et  ouvertement. 

Celui  qui,  par  la  séduction  de  la  parole  ,  devait  un  jour 
faire  tant  de  prosélytes  à  la  Réforme,  commença  par  faire 
chez  l'un  et  l'autre  sexe  maintes  conquêtes  à  Satan  : 


c'est  l'expression  dont  plus  tard  il  se  servit  luî-méme  pour 
faire  allusion  à  cette  époque  de  sa  vie.  Toutefois ,  dans  l'in- 
fâme diversité  de  ses  goûts,  une  femme,  Claudine  Denosse, 
épouse  d'un  tailleur,  et  un  jeune  homme  de  famille,  d'esprit 
et  de  talent,  Audebert,  depuis  présidente  l'élection  d'Or- 
léans ,  inspirèrent  à  Bèze  une  double  passion ,  qu'il  s'est  plu 
à  immortaliser  dans  des  vers  latins  livrés  par  lui  sans  pu- 
deur à  l'impression.  Je  veux  parler  de  cette  fameuse  pièce 
qui  a  toujours  été  contre  lui  un  si  grave  sujet  d'accusation , 
et  qui  a  donné  lieu  à  une  polémique  qui  remplirait  des  in- 
folio. En  vain  Bayle,  ordinairement  plus  impartial,  a  voulu 
le  défendre  de  ce  méfait,  en  vain  a-t-il  rassemblé  toutes  les 
preuves  à  côté  de  la  question  pour  innocenter  soupape  cal^ 
viniste,  il  n'a  pu  y  parvenir.  C'était  impossible.  On  en  ju- 
gera, du  reste,  par  la  citation  suivante,  qui  n'a  besoin  ni 
de  traduction  ni  de  commentaire  : 

At  est  Candida  sic  avara  novi. 
Ut  tntum  copiât  tencre  Bezani  : 
Sic  Braœ  est  cupiilus  sui  Audebertus 
Bezà  Ht  geslist  integro  potiri. 
Amploctor  quoqiie  sic  et  hune  et  illam , 
Ut  totns  cupiam  \idere  utrumque.... 

Ces  vers,  et  diverses  autres  pièces  erotiques,  écrits  avec  le 
me!  abandon  de  Catulle  et  toute  la  hcence  de  Pétrone ,  pa- 
rurent pour  la  première  fois  en  1548 ,  avec  le  portrait  de  l'au- 
teur, alors  âgé  de  vingt-neuf  ans.  Depuis  quatre  ans,  Bèze 
vivait  avec  sa  Candida,  qui  voulait  à  toute  force  se  faire 
épouser;  mais  pour  y  parvenir,  l'un  et  l'autre  devaient ,  en 
apostasiant,  rompre  les  liens  qui  attachaient  Claudine  à  un 
honnête  artisan,  et  Bèze  à  l'Église  catholique.  «  Cette  femme, 
dit  Bayle,  avait  beau  lui  parler  de  noces,  le  revenu  des  bé- 
néfices auquel  il  eût  fallu  renoncer  réfutait  fortement  toutes 
ses  instances.  »  Mais  il  rompit  enfin  cette  ligature.  Une 
maladie  grave  le  fit  sortir  de  cet  état  d'irrésolution  ;  il  eut 
peur  de  l'enfer,  et  il  abandonna  ses  bénéfices ,  ses  espérances 
et  sa  famille,  pour  se  rendre  â  Genève,  où  il  épousa  sa  con- 
cubine, après  avoir  bien  et  dûment  abjuré,  comme  il  le  dit 
hii-même ,  la  papauté ,  ainsi  quHl  l'avait  voué  à  Dieu 
depuis  seize  ans. 

Bayle  admire  son  désintéressement,  d'avoir  ainsi ,  pour 
faire  un  mariage  de  conscience  et  embrasser  la  Réforme, 
sacrifié  la  douce  opulence  que  lui  promettait  la  prélature  ro- 
maine ;  mais  il  ne  dit  pas  d'abord  que  la  publication  de  ses 
Juvenilia  allait  lui  attirer,  de  la  part  du  parlement  de  Pa- 
ris ,  un  procès  pour  adultère  et  vice  contre  nature  ;  en  se- 
cond lieu,  qu'il  sut,  en  quittant  la  France,  vendre  a  beaux 
deniers  ses  bénéfices ,  «  commençant  ainsi ,  dit  Mé/erai ,  la 
réforme  de  sa  vie  par  une  simonie  et  par  un  adultère  ».  On 
trouve  en  outre  dans  Bayle ,  indépendamment  de  ses  réti- 
cences et  de  la  faiblesse  de  ses  arguments,  une  preuve  plus 
positive  de  la  culpabilité  de  Bèze  :  ce  sont  les  insinuations 
mêmes  que  cet  auteur,  entraîné  par  la  force  de  la  vérité  et 
la  justesse  de  son  esprit,  a  glissées  dans  les  notes  de  son  élo- 
gieux  article.  Il  tance  vertement  les  maladroits  apologistes 
de  Bèze  :  l'un  d'eux,  par  exemple,  pour  prouver  que  la  Can- 
dida des  Juvenilia  n'était  pas  Claudine  Denosse ,  enlevée 
à  son  mari ,  soutenait  que  les  vers  sur  l'agrafe  qui  voilait 
le  srin  de  Candida  ne  pouvaient  s'appliquer  à  la  femme 
d'un  tailleur,  comme  si  la  femme  d'un  tailleur  de  Paris  n'é- 
tait pas  dans  le  cas,  en  ce  temps-là,  «  de  porter  une  agrafe, 
dit  Bayle,  qui  empêchât  qu'on  ne  lui  vît  à  son  aise  ses  ap- 
pas ».  D'ailleurs,  n'était-elle  pas  en  même  temps  la  maîtresse 
entretenue  d'un  riche  bénéficier?  Enfin,  Cayle  reconnaît 
lui-même,  dans  une  autre  note  ,  que  pour  ne  voir  qu'un 
jeu  d'esprit  dans  une  fatale  épigramnie,  pour  la  voir  nette 
et  pure  des  horreurs  que  les  missionnaires  (catholiques 
et  luthériens)  prétendent  y  découvrir,  il  faut  être  des  amis 
de  l'auteur.  Cela  n'équivaut-il  pas  à  un  aveu  ? 

Après  son  changement  de  religion,  Bèze  fut  nommé  pro- 
fesseur de  grec  à  Lausanne  :  c'est  là  qu'il  pul)lia  sa  tragédie 


française  d'^ftraAaJ»  sacrifiant  (1550),  qui  fut  bientôt  tra- 
duite en  latin  et  répandue  partout.  Quiconque  essayera  de  la 
lire  aujourd'hui  aura  peine  à  concevoir  ce  qu'en  dit  Estienne 
Pasquier  :  «  qu'Abraliam  est  si  bien  retiré  au  vif,  qu'en  le 
lisant  il  me  fit  autrefois  tomber  les  larmes  des  yeux.  »  Mais 
un  ouvrage  qui  étendit  bien  davantage  la  renommée  de 
Bèze,  et  qui  prouve  qu'il  n'y  avait  alors  pas  plus  de  philo- 
sophie et  d'esprit  de  tolérance  chez  les  réformateurs  que 
chez  leurs  adversaires ,  c'est  son  fameux  traité  De  hxreticis 
a  civili  magistratu  puniendis.  C'est  l'apologie  du  ju- 
gement et  du  supplice  de  Servet,  condamné  au  bûcher 
comme  hàétique  par  les  magistrats  de  Genève,  le  27  oc- 
tobre 1553.  Bèze  n'était  au  surplus,  dans  cette  circonstance, 
que  l'interprèle  des  seni' :ients  et  de  la  doctrine  des  hommes 
les  plus  importants  de  n;!  parti.  Us  applaudirent  vivement 
à  son  ouvrage,  qu'iis  ri:._,urdaient  couuue  publié  à  propos 
pour  refréner  les  esprits  flottants.  Il  devint  dès  lors  un 
homme  très-important  parmi  ses  coreligionnaires,  et  fut 
chargé  en  1558  d'alier  en  Allemagne  solliciter  l'intercession 
de  quelques  princes  auprès  du  roi  de  France,  en  faveur  des 
protestants  de  ce  royaume.  Dans  cette  mission ,  ses  avan- 
tages extérieurs  ne  le  servirent  ;ias  moins  bien  que  son  élo- 
quence, sa  dextérité,  son  zèle  infatigable.  L'année  suivante 
il  quitta  Lausanne,  pour  iillcr  s'établir  à  Genève.  Était-il 
dans  cette  circonstance  giiiué  par  le  seul  désir  de  se  fixer 
dans  la  métropole  de  la  Réforme,  ou  l'aventure  scandaleuse 
d'un  enfant  fait  à  sa  servante  lui  rendait-elle  impossible 
un  plus  long  séjour  à  Lausanne?  Car  voilà  encore  contre  lui 
une  accusation  que  ses  ennemis  opt  su  fort  bien  établir,  et 
(pie  ses  apologistes  n'ont  |)as  victorieusement  réfuti  ?•.  A  l'ar- 
ticle Bèze,  liayle,  en  la  rapportant  sans  conmientaire,  ajoute 
que  dans  ce  départ  il  y  eut  quelque  chose  de  caché.  11  est 
vrai  que  dans  l'ailicle  Calvin  il  avance  que  ce  déplacement 
)i'eut  d'autre  molit"  que  àe?,  factions  consistoriales  et  aca- 
démiques. 

A  cette  époque  Bèze  était  devenu  l'ami  intime  de  Cal- 
vin. Ce  réformateur,  maigre  l'àpreté  de  son  caractère, 
avait  cédé  conune  tous  les  autres  à  la  séduction  que  Bèze 
exiiirait  sur  ceux  qui  rapprochaient.  «  En  comparant  l'ai- 
greur sauvage  de  Calvin ,  sa  sécheresse  caustique  et  atra- 
bilaire, dit  un  moderne,  avec  la  douceur  affable  et  enjouée 
de  Théodore  de  Bèze ,  son  plus  constant  ami ,  on  disait  qu'on 
aimerait  mieux  être  en  enfer  avec  Théodore  de  Bèze  qu'en 
paradis  avec  Calvin.  »  On  cherchait  alors  à  Genève  à  per- 
fectionner les  études  et  à  répandre  le  goût  des  lettres.  Une 
académie  venait  d'être  formée  (1559)  :  Calvin  voulut  que 
Bèze  en  fOt  nommé  recteur,  et  y  occupât  une  chaire  de 
théologie.  L'éclat  de  son  cours,  qu'il  interrompit  pour  aller 
en  France  convertir  le  roi  de  Navarre ,  Antoine  de  B  o  u  r  b  o  n , 
le  succès  de  sa  mission  calviniste  dans  le  Béarn  ,  avaient 
fixé  sur  lui  les  yeux  de  l'Europe  politique  et  lettrée,  lorsque 
le  colloque  de  Poi  ssy  vint  ajouter  à  sa  célébrité.  Bèze  y  fut 
envoyé  avec  onze  docteurs  de  la  Réforme.  Si  l'on  en  croit 
les  mémoires  du  temps,  le  cardinal  de  Lorraine,  avant 
d'entrer  en  lice  avec  lui ,  tenta  inutilement  de  le  conquérir 
à  la  foi  catholique  par  l'appât  des  honneurs.  11  résista 
avec  une  fermeté  modeste.  Le  jour  de  la  conférence  arrivé, 
Bèze  et  ses  collègues,  avant  d'exposer  leur  doctrine,  tom- 
bèrent à  genoux ,  et  il  récita  à  voix  haute  une  fervente 
oraison  dans  laquelle  il  implora  les  lumières  du  ciel.  11  ex- 
pliqua ensuite  avec  modération  ,  et  d'une  manière  aussi  peu 
polémique  que  possible ,  les  points  sur  lesquels  les  calvi- 
nistes s'accordaient  avec  l'Église  romaine ,  et  ceux  .sur  les- 
quels ils  en  différaient.  Mais  quand  il  vint  à  dire  qu'encore 
bien  que  ses  frères  confessassent  la  i)résence  réelle  de  Jésus- 
Christ  dans  l'Eucharistie,  ils  croyaient  que  son  vrai  corps, 
formé  dans  le  sein  d'une  vierge ,  était  aussi  éloigné  du  pain 
et  du  vin  après  la  consécration  que  le  plus  haut  ciel  est 
éloiijné  de  la  (erre,  cette  parole  parut  si  choquante  aux  j 
évt;T;ues  «  qu'ils  commencèrent  à  bruire  et  murmurer,  dont  ! 


BÈZE  ,3:? 

les  uns  disoient  :  blasphemavit  ;  entre  autres  le  cardinal  d» 
Toumon ,  doyen  des  cardinaux ,  qui  étoit  assis  au  premier 
lieu ,  requist  au  roy  et  à  la  reyne  que  l'on  imposât  silence  à 
de  Bèze,  ou  qu'il  fust  permis  à  sa  compagnie  de  se  retirer. 
(  Bèze ,  Hist.  Ecclésiastique.  )  »  Catherine  ne  céda  point 
à  ce  coni-eil  violent,  et  il  fut  écouté  jusqu'au  bout.  Ce- 
pendant «lie  ne  laissa  pas  de  blâmer  Bèze  «  de  s'être  oublié 
en  une  comparaison  si  absurde  et  tant  offensive  des  oreilles 
de  toute  l'assistance  ».  Le  cardinal  de  Lorraine,  qui  lui 
répondit  quelques  jours  après,  montra  plus  de  modé- 
ration :  «  Plût  à  Dieu ,  s'écria-t-il ,  que  cet  homme  eût  été 
muet,  et  que  nous  eussions  été  sourds!  »  Tout  cela  est  sans 
doute  bel  et  bien;  mais,  comme  on  l'a  dit  avec  esprit, 
puisqu'on  A'oulait  des  colloques ,  il  f;!l!ait  y  apporter  des 
oreilles  plus  aguerries.  On  sait  quel  fut  le  résultat  du  col- 
loque :  il  fit  briller  les  orateurs  de  ciiaque  parti ,  et  en- 
flamma davantage  le  fanatisme  des  deux  côtés. 

Bèze  ne  retourna  point  à  Genève  :  l'édit  de  janvier  1562 
ayant  permis  aux  réformés  l'exercice  public  de  leur  culte , 
il  prêcha  à  Paris,  et  se  distingua  dans  toutes  les  occasions 
par  la  ferveur  de  son  zèle.  Ses  adversaires  disaient  alors  do 
lui  qu'il  était  la  trompette  de  discorde  dans  les  guerres  ci- 
viles. U  assista  à  la  bataille  de  Dreux ,  où  les  protestants 
furent  défaits  (  15C3).  On  l'accusa  de  s'être  battu  ,  mais  il  se 
défend  d'avoir  jamais  quitté  la  houlette  du  pasteur  pour  le 
glaive  de  l'homme  de  guerre.  Poltrot  de  Méré,  assassin  du 
duc  de  Guise,  dans  son  premier  interrogatoire,  nonuna 
Bèze  avec  l'amiral  de  Coligny  comme  lui  ayant  inspiié  son 
exécrable  projet.  Il  se  rétracta  ensuite  devant  le  président 
de  Thou.  On  doit  dire  que  sa  première  déclaration  paraît 
avoir  obtenu  peu  de  créance  parmi  les  contemporains. 

Bèze  quitta  la  France  lors  de  la  pacification  de  1563,  et 
revint  prendre  sa  place  dans  l'académie  de  Genève.  A  la 
mort  de  Calvin,  en  1564,  il  succéda  à  tous  les  emplois  de 
son  ami  et  de  son  maître,  et  fut  dès  lors  regardé  comme  le 
chef  des  réformés  en  France  et  à  Genève.  Il  ne  revit  dé- 
sormais que  rarement  la  France,  et  toujours  pour  l'intérêb 
des  calvinistes.  Au  synode  de  La  Rochelle ,  toutes  les  Églises 
réformées  de  France  lui  déférèrent  l'honneur  de  présider 
l'assemblée.  11  fut  encore  employé  à  une  négociation  im- 
portante en  Allemagne,  dans  l'année  1574,  et  assista  à 
différentes  époques  à  des  conférences  tenues  en  Suisse  et 
en  Allemagne  pour  l'éclaircissement  de  quelques  points  de 
doctrine.  En  1586  41  eut  à  Montbéliard  une  conférence  pu- 
blique avec  Jacques  André,  théologien  de  Tuhingue.  L'issue 
de  cette  dispute  «  fut  comme  toujours ,  obsejve  Bayle  : 
chaque  parti  se  vanta  d'avoir  triomphé ,  et  publia  des  rela- 
tions victorieuses  ». 

Dans  la  discussion  orale,  Bèze  conservait  delà  dignité, 
de  la  grâce,  de  la  modératicn;  il  n'en  est  pas  de  même  de 
ses  écrits  polémiques.  Quel  amas  d'injures  et  de  trivialités! 
avec  quelle  avidité  il  recueille  et  reproduit,  en  les  enveni- 
mant, les  bruits  les  plus  hasardés  qui  couraient  contre  ses 
adversaires!  Vilain,  effronté,  misérable,  pédant,  puant, 
Ivup  déguisé,  serpent,  singe,  telles  sont  les  épithètes  qui 
reviennent  fréquemment  sous  sa  plume.  Les  écrivains  ré- 
formés, entre  autres  Jurieu  et  Claude,  ne  lui  ont  pas  re- 
proché moins  sévèrement  que  les  catholiques  «  les  médi- 
sances bouffonnes,  impures,  qui  ne  pouvaient  convenir  qu'à 
ceux  qui  n'ont  point  eu  d'autre  école  que  îles  lieux  de  pros- 
titution. «  Au  surplus ,  si  Bèze  mi'-nageait  peu  ses  adver- 
saires, ceux-ci  le  lui  rendaient  bien.  On  doit  regretter  qu'un 
esprit  aussi  distingué,  qu'un  lionune  qui  avait  tant  de 
grâce  dans  la  vie  privée ,  ne  se  soit  pas  sous  ce  rapport 
élevé  au-dessus  de  ses  fanatiques  amis  et  de  ses  fanatiques 
adversaires.  Aucune  philosophie  dans  ses  écrits  polémiques, 
rien  qui  décèle  l'esprit  de  justice,  de  sagesse,  de  charité. 
La  liberté  ne  s'y  montre  que  sous  les  traits  de  la  licence; 
l'obéissance  y  est  servilité.  Dans  l'entraînement  de  son  zèle, 
ses  injures  ne  sont  pas  seiilcment  pour  les  théologiens,  les 


134 


BEZE 


évèqiies  et  les  pontifes  ;  elles  montent  jusqu'aux  souverains 
temporels.  Antoine  de  Ijourbon ,  roi  de  Navarre ,  est  sous  sa 
plume  un  Julien  P Apostat,  Marie  Stuart  une  Mcdôe.  S'^s 
adulations  furent  pour  la  roiiio  d'Angleterre  Elisabeth  et 
pour  Jacques  l*^',  son  successeur.  11  leur  a  dédié  à  l'un  et  à 
l'autre  plusieurs  de  ses  écrits;  et  l'on  a  reproclié  justement 
à  IJèze  ,  Français  de  naissance,  d'avoir  dans  une  de  ses  dé- 
dicaces donne  à  ÎLlisabetli  le  titre  de  reine  de  France. 

Si  |)ersonne  n'eut  de  plus  ardents  ennemis  que  Bèze , 
personne  aussi  n'a  eu  de  partisans  plus  enthousiastes.  De 
Genève,  il  guidait ,  il  anhiiait  tous  ses  disciples ,  accoutumé.^ 
à  ne  jiner  que  par  lui.  Gregorio  Leti  nous  apprend  que 
Sixte-Quint,  qui  se  connaissait  en  hommes,  songea  sérieu- 
sement aux  inoyens  d'ôter  aux  protestants  «  l'appui  et  le 
grand  ressort  qu'ils  avaient  en  la  personne  de  Bèze  ».  Des 
calvinistes  ont  écrit  (jue  la  cour  de  lîome  avait  voulu  em- 
ployer le  poison  ou  le  poignard  pour  se  défaire  de  lui.  Toute- 
fois, il  est  prouvé  «pie,  soit  de  bonne  foi,  soit  pour  faire 
croire  à  la  méchanceté  de  ses  ennemis,  il  prenait  dfs 
précautions  pour  sa  silreté;  il  ne  sortait  jamais  sans  être 
accompagné  de  qu(^!(iues  disciples.  Son  caractère  s'était 
fort  adouci  dans  ses  dernières  années;  et  lorsqu'il  eut  le 
bonheur  de  voir  Henri  IV  dans  un  village  de  la  Savoie  près 
de  Genève,  ce  [)rince  lui  ayant  demandé  ce  qu'il  pourrait 
faire  pour  lui,  Lèze ,  qui  avait  alors  quatre-vingt-un  ans, 
n'exprima  qu'un  seul  vo'U,  celui  de  voir  la  France  entière- 
ment pacifiée.  11  jouissait  alors  en  France  d'une  considéra- 
tion universelle  :  Sully  le  comliled'éloges  dans  ses  Mémoires, 
et  dit  que  le  suffrage  de  ce  vieillard  vénérable  suflit  seul 
pour  le  consoler  de  la  perte  de  tous  les  autres  suffrages 
prolestants,  lièze,  maigre  son  âge  et  ses  infirmités,  conser- 
vait toute  sa  verdeur.  II  avait  perdu  en  15S8  sa  première 
femme ,  et  à  l'Age  de  soixante-dix  ans  il  se  remaria  avec 
une  jeune  personne,  mieux  apparentée  que  la  défunte,  Ca- 
therine de  la  Plane,  qu'il  appt;l;'.il  sa  Sunamite.  •<  C'était, 
dit  Etienne  Pasquier,  un  vieux  coq  qui  ne  pouvait  se  déta- 
cher du  char  du  Vénus ,  au(iuel  il  avait  été  attelé  dès  sa 
jeunesse.  »  Il  n'eut  jias  |)lus  d'enfants  de  cette  seconde 
épouse  que  de  la  première. 

Bèze  ne  discontinua  qu'en  IGOO  ses  leçons  à  l'académie  de 
Genève.  «  S(m  meilleur  titre  à  la  gloire,  ditM.  deBarante  père, 
celui  qui  diiit  lui  assurer  la  reconnaissance  de  tous  les  amis 
des  lettres  vi  des  sciences,  c'est  l'heureuse  direction  qu'il  a 
donnée  pendant  quarante  ans  à  toutes  les  études  dans  l'aca- 
démie de  Genève,  dont  il  fut  le  prenn'er  recteur.  Le  mal- 
heur des  tenq)s  ayant  obligé  le  conseil  de  Genève  de  sup- 
primer deux  cliaii es  d(;  professeurs  dont  on  ne  pouvait  payer 
le  traitement,  Bèze,  âgé  de  plus  de  soixante-dix  ans,  et 
sans  négliger  aiu'un  de  ses  autres  travaux,  suppléa  les  i)ro- 
fesseurs  supprimés  pendant  plus  de  deux  années.  Quand  on 
songe  au  nombre  d'hommes  illustres  ou  utiles  que  l'académie 
de  Genève  a  iiroduits  pendant  les  deux  derniers  siècles ,  et 
à  larenoumiée  qu'ont  procurée  à  cette  petite  cité  ses  institu- 
tions, ses  lumières  et  les  succès  de  l'enseignement  ([u'on  y 
reçoit,  on  ne  peut  se  défendre  d'un  sentiment  vif  d'estime 
et  de  reconnaissance  i>oiu'  Théodore  de  Bèze.  C'est  lui  qui 
fut  le  véritable  fondateur  de  cette  académie,  qui  lui  doima 
des  règles,  et  légua  à  ses  successeuis  la  tradition  et  les 
exenq>les<lont  l'utilité  se  fait  encore  sentir.  Si  l'on  considère 
Théodore  de  Bèze  sous  ce  point  de  vue,  on  sera  plus  dis- 
posé à  lui  pardonner  les  torts  de  sa  jeunesse  et  ceux  de 
l'esprit  de  parti.  » 

Nous  ne  donnerons  pas  la  liste  des  écrits  de  Bèze  :  elle  est 
immense.  La  Comédie  du  J'ape  malade,  par  Tlirasijbutc- 
J'hénice  (l.'^)6i);  V Histoire  de  la  Mappeinonde  pa;)is- 
lique,  par  Fraïujidetplie  lùscorc/ie-Messes,  sont  des  pam- 
phlets mordants,  mais  sans  délicatesse  :  il  y  avait  la  de 
quoi  transporter  d'aist;  la  plébicule  calviniste.  On  ne  les  lit 
plus  depuis  longtemps.  Dans  ses /foxes  Viroruiniliuslrium, 
ouvrage  d'un  genre  i>lus  sérieux ,  et  qui  a  été  traduit  en 


BEZENVAL 

français,  Bèze  lance  des  coups  de  foudre  contre  l'épiscopal. 
Dans  son  Histoire  F.cclésiastique  des  Églises  réformées  au 
rotjnume  de  France,  depuis  l'an  1521  jusqiCen  15G3,j 
écrite  en  français  et  publiée  en  1580,  il  se  montre  plus  mo- 
<Ieré ,  plus  impaitial  que  dans  ses  écrits  polémiques.  Il  avaH 
fait  inqjrimer  en  1550  sa  version  du  Nouveau  Testament 
avec  des  notes.  Cette  traduction  eut  sept  éditions  du  \ivan| 
de  l'auteur,  mais  toujours  avec  de  nouveaux  changements 
dans  les  annotations,  ce  qui  lui  a  attiré  de  grands  reproche!» 
de  la  part  de  ses  contemporains.  M  a  rot  avait  traduit  en 
vers  français  les  cinquante  premiers  psaumes  de  David 
Bèze,  d'après  le  conseil  de  Calvin,  entreprit  de  compléter 
celte  version,  et  donna  les  cent  autres  psaumes,  traduits, 
dif  un  contemporain,  non  avec  lamêmejoHoeté  que  Marot 
L('s  révolutions  de  la  langue  ont  rendu  cette  joliveté  bien 
ridicule.  La  traduction  de  Marol  et  de  Théodore  de  Bèze  fut 
admise  dans  la  liturgie  protestante,  et  par  là  devint  plus 
odifHise  aux  catholiques  :  dans  la  suite,  elle  fut  rajeunie  par 
Conrad  et  La  Bastide,  et  longtemps  les  Églises  protestan- 
tes, suivant  leur  degrô  de  pédanterie,  se  pailagèrent  entre 
l'ancienne  traduction  et  la  nouvelle,  toutes  deux  assez  vieilles 
aujourd'hui. 

Pendant  que  Bèze  mettait  la  dernière  main  à  la  publication 
des  i)saumes,  il  fut  attaqué  de  la  peste  qui  régnait  à  Genève 
(1005).  A  ce  propos  il  publia  un  écrit  en  latin,  fort  rare, 
et  qui  prouve  qu'alors  comme  aujourd'hui  il  y  avait,  eu  lait 
d'i'pidémie ,  des  contagionistes  et  des  non-contagionistes. 
V.n  voici  le  titre  en  français  :  Solution  de  deux  questions 
sur  la  peste  :  Est-elle  ou  non  contagieuse?  Est-il  permis 
aux  ch'etiens  de  s'y  soustraire  par  l'éloignêment? 

En  1597,  à  soixante-dix-huit  ans,  il  retrouva  toute  la 
verdeur  de  sa  jeunesse  pour  faire  la  petite  guerre  aux  jé- 
suites. Clément  Dupuy,  l'un  d'eux,  avait  écrit  que  Bèze 
élait  mort  après  avoir  fait  profession  de  la  foi  romaine. 
"  Ne  fallait-il  pas,  s'écria  Bayle,  être  de  la  dernière  bêtise 
pour  s'iniagiucr  que  les  protestants  laisseraient  perdre  une 
si  belle  occasion  de  crier  contre  les  impostures  et  les  four- 
beries monacales.  »  Sous  le  titre  de  £eza  redivivus,  le 
prétendu  mort  publia  une  satire  en  vers  latins,  qui  pi-o- 
diiisit  tant  d'effet,  que  les  jésuites  ,  habiles  à  se  retourner , 
n'eurent  d'autre  ressource  que  de  soutenir  que  la  prétendue 
lettre  à  eux  imputée,  sur  la  mort  et  conversion  de  Bèze,  était 
une  pure  imposture  de  Bèze  et  des  Bézanites  de  Genève, 
forgée  par  ceux-ci  pour  le  plaisir  de  la  leur  imputer.  Il  est 
assez  remarquable  (lu'un  de  ses  derniers  écrits  rappelle,  par 
le  feu  de  la  composition,  toute  la  verve  qui  avait  présidé  à 
la  composition  (lèses  Juvenilia. 

Cet  étonnant  vieillard,  beau  encore  à  quatre-vingt-six  ans, 
n'eut  pas,  comme  tant  d'autres,  le  malheurdesesurvivreà  lui- 
même.  Seulement,  eouinie  dit  Bayle,  sa  mémoire  était  «  fort 
bonne  et  fort  mauvaise  :  fort  bonne  à  l'égard  des  choses  qu'il 
avait  apprises  pendant  la  force  de  son  esprit;  car  il  pouvait 
réciter  par  cœur  tous  les  psaumes  ettousles  chapitres  de  saint 
Paul;  (t  fort  mauvaise  à  l'égard  des  choses  présentes,  car 
après  avoir  dit  une  chose  il  ne  s'en  souvenait  point.  »  Le 
testament  de  Bèze,  qui  est  imprimé,  respire  partout  l'amour 
de  la  France  et  de  la  i)aix,  mêlé  au  souvenir  et  au  regret  de 
ses  faiit(s.  !1  mourut  ii  Genève  eu  1C05.    Ch.  du  Rozoik. 

lîEZEiWAL  (  Pir.KRE-VicTOK,  baron  de),  né  à  Soîeure, 
en  IT9.2,  d'une  famille  noble  de  la  Savoie,  mériterait  à  peine 
d'èfreici  nommé  si,  après  avoirtraversé  lerègnedeLouis.W 
et  de  Louis  XVI,  il  n'avait  assisté,  dans  ses  derniers  jours, 
au  début  de  la  révolution  française;  s'il  n'en  eût  été  le  plus 
ridicule  adversaire,  et  si  enfin  la  petitesse  de  certains 
hommes  ne  servait  à  mesurer  la  grandeur  d'une  époque.  Le 
baron  de  Bezenval  entra  dès  l'âge  de  neuf  ans  dans  les 
gardes  suisses,  lit  eu  1735  et  174S  les  campagnes  de  Bohême 
et  de  Hanovre,  fut  nommé  maréchal  de  camp  en  1757,  et 
après  la  paix  de  1702  lieutenant  général,  inspecteur  géné- 
ral des  Suisses  et  des  Grisons  ,  grand-croix  de  Saint-Louis, 


BEZENVAL  —  liEZIERS 


135 


Ajoutez  à  toutes  ces  dignités  une  brillante  réputation  d'es- 
[irit  et  de  courage,  des  succès  de  cour,  succès  de  femmes 
ot  de  cliansons,  la  faveur  de  Marie-Antoinette,  le  renvoi  de 
quelques  ministres,  le  titre,  fort  honorable  alors ,  d'officier 
suisse,  une  confiance  illimitée  en  son  heureuse  étoile ,  et 
vous  aurez  une  idée  complète  de  Parrogance  du  vieux  cour- 
tisan ,  qui  voulait  lutter  corps  à  corps  avec  la  révolution 
française.  Le  baron  de  Bezenval  la  menaçait  des  mesures 
les  plus  énergiques  dans  le  conseil  privé,  dans  ce  que  le 
peuple  appelait  éloquemment  le  comité  autrichien.  Au  14 
juillet,  la  cour,  dans  son  embarras ,  jeta  naturellement  les 
yeux  sur  le  baron  suisse,  et  le  fit  commandant  de  l'intorieur. 
Bezenval,  qui  n'avait  pas  compté  sur  tant  d'énergie  popu- 
laire, perdit  contenance,  prit  la  fuite,  fut  arrêté  à  Villenaux, 
et  mis  en  jugement,  malgré  toutes  les  démarches  deKec- 
ker.  Il  ne  pouvait  nier  ses  intelligences  avec  le  gouverneur 
de  la  Bastille  ;  mais  la  cour  et  iVecker  redoublèrent  d'ins- 
tances et  d'intrigues;  Mirabeau  s'employa  pour  lui,  et  Be- 
zenval fut  absous.  Depuis  ce  jour,  il  vécut  dans  la  plus  pro- 
fonde obscurité,  guéri  sans  doute  de  son  fanatisme,  et  mou- 
rut en  1794,  cachant  également  sa  vie  et  sa  mort  à  ces 
révolutionnaires  qu'il  avait  tant  méprisés.  Les  mémoires 
(le  liezenval  ont  été  publiés  en  1806  par  son  héritier,  le 
comte  de^  Ségur.  T.  Toussexel. 

BÉZERËDJ  (Etienne),  l'un  des  membres  les  plus 
marquants  de  l'opposition  hongroise  avant  1848  ,  né  le  28 
novembre  1796,àSzerdahely,  dans  lecomitatd'Œdenbourg, 
fit  ses  études  à  Œdenbourg  et  à  Presbourg,  et  se  fixa  en- 
suite dans  le  comitat  de  Tolna ,  oii  il  se  rattacha  à  la  frac- 
tion la  plus  avancée  de  l'opposition,  et  prit,  dès  l'année  tS^.i, 
la  part  la  plus  active  à  la  résistance  aux  mesures  incons- 
titutionnelles du  pouvoir.  Élu  en  1830  député  à  la  diète  par 
le  comitat  de  Tolna,  qui  le  réélut  pour  son  mandataire  jus- 
qu'à l'année  1849,  il  figura  constamment  dans  cette  assem- 
blée au  premier  rang  de  l'opposition,  se  distinguant  de  ses 
collègues  en  ce  qu'il  s'attachait  à  traiter  plutôt  les  questions 
sociales  que  les  questions  politiques;  c'est  pourquoi  il  y 
avait  la  réputation  d'un  philanthrope  par  excellence.  Ses 
discours,  toujours  remarquables  par  un  style  fleuri  et  par 
une  chaleur  entraînante,  étaient  souvent  plus  pathétiques 
que  parlement-lires.  11  insistait  surtout  sur  l'urgence  d'amé- 
liorer la  condition  des  paysans;  et  en  donnant  le  premier 
l'exemple  de  se  soumettre  volontairement  à  l'impôt,  alors 
qu'un  projet  de  loi  tendant  à  soumettre  la  noblesse  au 
payement  de  l'impôt  avait  été  repoussé  par  la  diète  dans  sa 
session  de  1833-1834,  il  prouva  tout  ce  qu'il  y  avait  de  sin- 
cère dans  ses  efforts  pour  arriver  à  une  plus  équitable  ré- 
partition des  charges  publiques.  Plusieurs  centaines  de  no- 
bles et  de  magnats,  électiisés  par  cette  preuve  de  patrio- 
tisme, s'honorèrent  en  l'imitant.  Il  s'efforça  aussi  de  faciliter 
aux  paysans  de  ses  domaines  le  rachat  des  corvées,  de  môme 
que  de  favoriser  autant  que  possible  les  entreprises  de  co- 
lonisation. Ses  tendances,  plus  philanthropiques  que  i)oli- 
tiqucs,  l'empêchèrent  déjouer  un  rôle  bien  saillant  dans  les 
événements  de  1848  et  1849. 11  ne  prit  part  que  comme  dé- 
puté du  comitat  de  Tolna  aux  délibérations  de  la  diète, 
parla  toujours  pour  le  parti  de  la  modération  et  de  la  con- 
ciliation :  aussi,  après  la  compression  de  la  révolution  hon- 
groise, ne  fut-il,  de  la  part  du  gouvernement  autrichien, 
l'objet  d'aucune  recherche. 

Sa  femme,  Amélie  Bézérédj,  douée  de  toutes  les  qua- 
lités du  cœur  et  de  l'esprit ,  née  en  1804  ,  dans  le  comitat 
d'Eisenburg,  s'est  fait  avantageusement  connaître  par  la  pu- 
blication de  ses  Nouvelles  et  Récits  (2  vol.,  Pesth,  1840  ). 
Elle  mérita  surtout  de  ses  compatriotes  par  la  part  active 
qu'elle  prit  à  la  fondation  de  crèches  et  d'écoles  pour  l'en- 
fance ,  de  même  que  par  d'excellents  ouvrages  à  l'usage  de 
la  jeunesse,  Flori  Eœhive  (  Pesth,  3*  édit.,  1846)  et  Fœl- 
desi  estvék  (2*  édit.,  Pesth,  1848).  Elle  est  morte  à  l'âge 
ie  trente-trois  ans,  en  1837. 


BÉZIERS,  très-ancienne  ville  du  bas  Languedoc,  au- 
jourd'hui du  département  de  l'Hérault,  et  dont  la  popu- 
lation s'élève  à  17,442  habitants.  Sa  position  géographique 
est  au  43*  degré  de  latitude,  sur  le  parallèle  de  Livoume,  et 
à  52'  de  longitude  à  l'est  du  méridien  de  Paris.  Les  chaleurs 
de  juillet  et  d'août  y  sont  heureusement  tempérées  par  la 
brise  de  mer  qui  vient  tous  les  matins  rafraîchir  l'atmo- 
sphère. Cette  ville  est  assise  du  côté  de  Narbonne  sur  la 
crête  d'une  montagne  escarpée  d'où  se  découvre  un  im- 
mense panorama;  vers  le  midi ,  à  10  kilomètres,  la  Médi- 
terranée forme  la  ceinture  d'une  riche  plaine ,  parsemée  de 
villages  et  de  maisons  de  campagne.  Au  nord,  les  derniers 
contre-forts  des  Cévenncs  bornent  l'horizon  à  40  kilomètres 
de  distance  ;  à  l'ouest,  ce  sont  les  montagnes  qui  touchent 
au  département  du  Tarn.  Entre  ces  deux  chaînes  s'étend 
une  autre  plaine  ,  couverte  d'habitations  et  de  riches  cultu- 
res. La  rivière dOrbe  descend  des  hauteurs  du  nord,  vient 
baigner  le  pied  de  la  ville,  y  prête  un  moment  ses  eaux  au 
canal  des  deux  mers,  et  va  se  perdce  dans  la  Méditerranée  à 
deux  kilomètres  du  village  de  Sérignan.  Le  canal  y  descend 
par  neuf  écluses  de  la  colline  de  Foncerannes,  qui  est  en  face 
de  Béziers,  et,  après  avoir  franchi  la  rivière,  se  prolonge  vers 
les  ports  d'Agde  et  de  Cette.  Un  pont  fort  tortueux  avait 
été  jeté  dans  le  moyen  âge  sur  la  rivière;  un  autre,  plus 
digne  de  notre  temps,  l'a  remplacé;  là  viennent  aboutir 
la  route  de  Sérignan  et  de  la  mer,  celle  de  Narbonne  et  d'Es- 
pagne, celle  de  Carcassonne  et  celle  de  Castres.  Au  delà  de 
la  rivière  est  la  route  d'Agde,  qui  arrive  au  faubourg  Saint- 
Pierre,  comme  les  routes  de  Bédarieux  et  de  Montpellier. 
Mais  de  ce  côté,  vers  le  levant,  la  ville  n'est  aperçue  qu'au 
moment  où  l'on  y  entre;  et  ce  n'est  point  cette  situation 
qui  a  donné  lieu  au  proverbe  latin  dont  elle  se  glorifie. 
C'est  la  perspective  qu'elle  offre  du  côté  de  l'Orbe  et  le 
beau  climat  dont  elle  jouit  qui  ont  fait  dire  à  quelques  voya- 
geurs du  vieux  temps  :  Si  vellet  Dens  in  terris  habitare, 
Bïterris.  Les  bourreaux  des  Albigeois  ont  ajouté  ces  trois 
mots  injurieux  :  ut  iterum  crucijigeretur. 

Le  nom  de  Bîterrx  lui  vient  des  Romains,  et  n'est 
qu'une  corruption  du  nom  primitif  de  la  contrée,  qui  était 
celle  de  Biiterres  ou  Bxterres.  Cette  peuplade  appartenait 
à  la  nation  des  Volces ,  et  comme  on  la  donne  tantôt  aux 
Tectosages  et  tantôt  aux  Arécomices,  il  est  probable  qu'elle 
était  sur  la  frontière  qui  séparait  ces  deux  divisions  du 
peuple  volce.  Conquise  par  les  Romains,  elle  fit  partie  de 
la  Gaule  narbonuaise,  et  devint  la  station  des  vétérans  de 
la  septième  légion ,  qui  lui  imposèrent  le  nom  de  colonie 
des  Septimaniens.  Cinq  cents  ans  i)lus  tard,  en  40;'i,  Béziers 
fut  comprise  dans  le  territoire  concédé  aux  Visigoths  par 
Honorius  ;  tomba  trois  siècles  après  au  pouvoir  des  Sarra- 
zins,  qui  la  pillèrent  ;  fut  reconquise  sur  eux  parCharies-Mar- 
tel,  qui  la  démantela  en  737,  au  lieu  de  la  fortifier.  Rebâtie 
par  les  rois  d'Espagne,  elle  fut  reprise  par  Pépin  en  752, 
gratifiée  d'un  vicomte  particulier  par  Charlemagne,  ruinée 
au  treizième  siècle  par  les  sanguinaires  compagnons  du 
légat  d'Innocent  111,  de  Simon  de  Montfort  et  de  saint  Domi- 
nique, adjugée  enfin  à  saint  Louis  et  à  la  France  par  un 
traité  signé  en  1258,  par  la  maison  d'Aragon.  Le  premier 
évèque  de  Béziers  fut  saint  Aphrodise,  contemporain  de 
.saint  IJenis,  et  décapité  comme  lui  pendant  la  même  per- 
sécution. Ses  successeurs  partagèrent  plus  tard  avec  le  vi- 
comte le  droit  de  justice,  portèrent  le  titre  de  comtes ,  et 
laissèrent  de  grands  biens  que  la  Convention  vendit  pour 
du  papier,  comme  tant  d'autres. 

Les  Romains  avaient  élevé  deux  temples  dans  Béziers, 
l'un  à  l'empereur  Auguste,  l'autre  à  Julie,  sa  fille.  C'étaient 
des  dieux  fort  étranges.  Il  ne  reste  rien  de  ces  édifices. 
La  ville  ne  possède  que  des  vestiges  fort  douteux  d'un 
cirque,  qui  formerait  aujourd'hui  le  jardin  d'un  établisse- 
ment de  bains.  Les  monuments  du  christianisme  y  étaient 
très-considérables  :  c'était  la  cathédrale  de  Saint-Nazaire , 


ne 

les  églises  paroissiales  de  Saint-Aplirodise,  de  Saint- Jacques, 
de  la  Madeleine  ot  de  Saint-Ft'lix.  La  nef  de  celle-ci  sert 
aujourd'hui  de  halle.  Les  quatre  autres  existent.  De  ses 
couvents,  il  ne  reste  que  la  moitié  de  l'église  des  RécoUets. 
L'hospice  des  Enfants-Trouvés  existe  encore,  ainsi  que  la 
maison  des  Sœurs  de  la  Charité.  Rien  n'a  été  changé  à  l'é- 
glise ni  au  collège  fondés  par  les  jésuites  en  1599.  Cet  éta- 
blissement sert  aujourd'hui  à  un  des  meilleurs  collèges 
communaux  de  France.  Les  monuments  modernes  sont  la 
statue  de  Paul  Riquet,  ouvrage  du  statuaire  David  d'Angers, 
et  une  salle  de  spectacle. 

Béziers  possédait  autrefois  une  académie  des  sciences  et 
lettres,  (ondée  en  1723.  Elle  a  aujourd'hui  une  société  ar- 
chéologique, qui  s'occupe  de  recueillir  les  débris  de  ses  anti- 
quités et  de  son  histoire.  Cette  ville  est  depuis  longtemps 
célèbre  par  son  commerce.  Elle  était  déjà  au  dixième  siècle 
un  entrepôt  des  produits  asiatiques,  italiens  et  mauresques. 
Plus  tard,  les  soies,  les  cuirs,  le  vert-de-gris,  exercèrent 
son  industrie.  Aujourd'hui  toutes  les  spéculations  se  tour- 
nent vers  les  esprits  et  la  culture  de  la  vigne,  qui  en  four- 
nit avec  abondance.  Un  fort  marché  s'y  tient  tous  les  ven- 
dredis :  c'est  une  espèce  de  bourse  hebdomadaire  pour 
toute  la  contrée;  et,  malgré  une  distance  de  plus  de  deux 
cents  kilomètres,  grâce  aux  bateaux  à  vapeur,  Marseille  y 
approvisionne  ses  abattoirs  et  ses  boucheries.  L'évêché  de 
Béziers  était  suffragant  de  l'archevêché  de  Narbonne.  La 
ville  avait  en  outre  une  sénéchaussée  et  un  présidiai  dé- 
pendant de  la  généralité  de  Montpellier;  elle  a  aujourd'hui 
une  sous-préfecture,  un  tribunal  de  première  instance,  un 
tribunal  de  commerce,  une  bibliothèque,  quatre  typogra- 
phies ,  etc.  Après  le  coup  d'État  du  2  décembre  1851,  des 
troubles  graves  éclatèrent  dans  cette  ville. 

BEZOARD.  Les  Arabes  ont  désigné  sous  ce  nom  des 
concrétions  calculeuses  formées  dans  l'estomac  ou  les  intes- 
tins de  divers  animaux,  et  auxquelles  ils  attribuaient  la  vertu 
de  prévenir  ou  de  guérir  une  foule  de  maladies,  de  préserver 
des  contagions  et  de  neutraliser  les  poisons.  Ces  propriétés 
merveilleuses ,  et  généralement  reconnues  sur  la  foi  des  mé- 
decins arabes,  faisaient  des  bezoards  des  objets  très-précieux, 
que  les  grands  recherchaient  avec  ardeur  et  payaient  au 
poids  de  l'or.  A  l'époque  de  la  découverte  de  l'Amérique , 
on  apporta  de  ce  continent  de  nouveaux  bezoards,  dont  les 
voyageurs  vantèrent  les  vertus,  mais  qui  cependant  n'attei- 
gnirent jamais  la  réputation  des  bezoards  arabes ,  nommés 
dès  lors  bezoards  orientaux,  par  opposition  à  ceux  d'A- 
mérique ,  que  l'on  réunit  avec  d'autres ,  trouvés  en  Europe, 
sous  la  dénomination  commune  de  bezoards  occidentaux. 

Les  bezoards  orientaux  présentent  une  surface  lisse  et 
brillante,  une  couleur  brune  ou  d'un  vert  foncé  ;  ils  ont  une 
saveur  un  peu  acre  et  chaude,  et  dégagent,  quand  on  les 
chauffe,  une  odeur  forte  et  aromatique.  Us  sont  composés  de 
couches  concentriques,  et  ont  ordinairement  pour  noyau  un 
fruit,  une  graine  ou  quelque  autre  corps  étranger.  Leur 
forme  est  variable  ainsi  que  leur  grosseur  :  on  en  trouve 
quelquefois  du  volume  d'un  œuf  de  poule,  mais  ils  sontor- 
diuairement  beaucoup  plus  petits.  Ce  sont  des  concrétions 
résino-bilieuses ,  solubles  dans  l'alcool  et  précipitées  par 
l'eau  de  celte  dissolution,  qui  se  fondent  à  une  chaleur  douce, 
mais  s'enflamment  quand  on  les  chauffe  fortement.  C'est  dans 
la  quatrième  des  cavités  gastriques  de  l'antilope  des  Indes 
qu'on  les  trouve  le  plus  ordinairement;  toutefois,  d'autres 
ruminants ,  et  même ,  à  ce  qu'il  paraît,  toutes  les  chèvres  et 
antilopes  des  montagnes  de  l'Asie  et  de  l'Afrique,  fournis- 
saient jadis  à  l'Europe  cette  drogue  précieuse.  La  famille 
des  ruminants  n'est  pas  la  seule  dans  laquelle  on  l'ait  prise  : 
le  bezoard  de  porc-épic,  par  exemple,  qui  se  reconnaît  à 
son  toucher  et  à  son  aspect  grai  et  savonneux ,  passait  pour 
un  préservatif  infaillible  contre  toute  espèce  de  contagion. 
Quant  à  la  manière  dont  on  employait  les  bezoards,  nous 
nous  Ijornerons  h  dire  qu'on  les  portait  en  amulettes,  qu'on 


BÉZIERS  -  BEZOUT 


les  appli(iuait  sur  les  plaies  ou  les  parties  malades,  et  qu'on 
les  prenait  à  l'intérieur,  soit  en  poudre,  soit  associés  à 
d'autres  substances.  Est-il  nécessaire  d'ajouter  que  cette 
panacée  merveilleuse  est  complètement  tombée  en  désué- 
tude, du  moins  chez  les  nations  éclairées  de  l'Europe,  et 
qu'elle  ne  fournit  plus  aujourd'hui  qu'un  fait  assez  curieux 
à  l'histoire  naturelle  des  animaux ,  et  un  article  à  l'histoire, 
malheureusement  si  longue,  des  aberrations  de  l'esprit  hu- 
main. 

Les  bezoards  occidentaux  sont  fournis  par  différents 
animaux  herbivores  des  hautes  montagnes  de  l'Europe,  et 
surtout  des  parties  élevées  de  l'Amérique  méridionale,  tels, 
par  exemple,  que  le  chamois,  la  vigogne ,  les  cerfs  des  mon- 
tagnes de  la  Nouvelle-Espagne.  Us  sont  formés ,  comme  les 
bezoards  orientaux,  de  couches  concentriques ,  et  il  est  bien 
difficile  de  les  distinguer  par  des  caractères  précis,  ce  qui 
d'ailleurs  est  tout  à  fait  naturel ,  puisque  leur  origine  est 
semblable.  Toutefois  l'on  a  rangé  également  parmi  les  be- 
zoards occidentaux  des  composés  salins,  blancs  ou  gris, 
formés  de  carbonate  de  chaux  ou  de  phosphate  ammoniaco- 
magnésien,  et  qui  paraissent  venir  delà  vessie  plutôt  que 
du  canal  intestinal.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  bezoards  de  l'Oc- 
cident, bien  qu'employés  dans  diverses  maladies,  et  préco- 
nisés surtout  pour  les  cas  de  blessures  empoisonnées ,  n'ont 
jamais  eu  ni  la  réputation  ni  la  valeur  des  bezoards  de  l'O- 
rient, et  môme  on  ne  cherchait  souvent  à  s'en  procurer  que 
pour  mieux  les  disUnguer  des  anciens  et  vrais  bezoards.  Les 
uns  comme  les  autres  ne  figurent  plus  que  pour  mémoire 
dans  nos  matières  médicales.  Démezil. 

BEZOrVS  (Jacques  BAZIN  de),  fils  de  Claude  Bazin ,  sei- 
gneur de  Bezons ,  conseiller  d'État,  intendant  de  Languedoc, 
membre  de  l'Académie  Française,  naquit  en  1645,  et  mourut 
en  1733.  U  n'avait  pas  encore  vingt-trois  ans  lorsqu'il  servit 
en  Portugal,  sous  le  maréchal  de  Schomberg  ;  puis  il  suivit 
La  Feuillade  à  l'expédition  de  Candie.  En  1671,  au  passage 
du  Rhin,  il  était  capitaine  de  cuirassiers;  en  1674  il  fut 
blessé  à  la  bataille  de  Senef.  Comme  brigadier  (  général  de 
brigade),  il  commandait,  en  1692,  le  corps  de  réserve  aux 
affaires  de  Steinkerque  et  de  Nerwinde.  Apiès  la  paix  de 
Riswick,  Louis  XIV  lui  donna  le  gouvernement  de  Grave- 
lines;  il  ne  le  quitta  que  pour  aller  combattre  d'abord  en 
Allemagne,  sous  Villeroi ,  en  170l,et  passer  ensuite  en  Italie 
pour  assister  à  la  bataille  de  Chieri.  Nommé  lieutenant  gé- 
néral, il  seconda  le  duc  de  Vendôme  dans  toutes  ses  expé- 
ditions. U  se  trouva  avec  lui  à  l'affaire  de  Luzzara  et  au 
siège  de  Governolo.  Tandis  que  le  duc  couvrait  le  Piémont, 
Bezons  fut  chargé  de  commander  l'armée  du  Pô  et  de  proté- 
ger Mantoue.  On  le  retrouve  plus  tard  aux  sièges  de  Verceil, 
d'Ivrée  et  de  Verrue;  en  1708  il  commandait  la  ville  et  la 
citadelle  de  Cambrai;  en  1713  il  prenait  Landau,  et  dans  la 
suite  il  activait  le  siège  de  Tortose  en  Espagne ,  sous  le 
duc  d'Orléans.  Le  bâton  de  maréchal,  la  grand'croix  de  Saint- 
Louis  ,  et  ensuite  le  cordon-bleu ,  furent  la  récompense  de 
ses  services. 

Armand  Bazin  de  Bezons,  son  frère,  docteur  de  Sor« 
bonne,  fut  agent  général  du  clergé  de  France,  puis  évoque 
d'Aire,  ensuite  archevêque  de  Bordeaux,  de  Rouen,  membre 
du  conseil  de  la  régence ,  pendant  laquelle  il  ordonna  le 
fameux  abbé  Dubois,  et  chargé  de  la  direction  des  écono- 
mats après  la  mort  de  Louis  XIV.  il  mourut  à  Gaillon,  en 
1721,  à  l'âge  de  soixante-six  ans.  Aug.  Savacner. 

BEZOUT  (  Etienne  ),  membre  de  l'Académie  des  Sciences 
au  siècle  dernier,  s'est  surtout  rendu  célèbre  par  ses  Cours 
de  Mathématiques  à  l'usage  de  la  marine  et  de  l'artillerie, 
qui  parurent  pour  la  première  fois  en  1764  et  en  1770,  et 
dont  on  ne  compte  plus  maintenant  les  éditions.  Né  à  Ne- 
mours, en  1730,  d'une  famille  fort  pauvre,  la  lecture  de 
quelques  livres  de  mathématiques  lui  révéla  sa  vocation  ; 
l'Académie  des  Sciences  lui  ouvrit  ses  portes  en  1758,  à  la 
suite  de  deux  mémoires  qu'il  venait  de  publier  sur  le  calcul 


dl 


BEZOUT  —  BIAir< 


137 


îrte^al.  On  lui  doit  aussi  une  Théorie  générale  des  Équa- 
tions algébriqties  (Paris,  1779,  in-4"),  où  se  trouve  la 
première  démonstration  qui  ait  été  donnée  de  la  proposition 
fondamentale  de  cette  théorie  envisagée  dans  toute  sa  géné- 
ralité. Il  mourut  à  Paris  le  27  septembre  1783.  Il  était 
depuis  1763  examinateur  des  gardes  du  pavillon  et  de  la 
marine,  et  depuis  1768  examinateur  de  l'artillerie.  Quoique 
s'adonnant  de  préférence  à  l'étude  de  la  géométrie,  il  cul- 
tivait aussi  avec  succès  les  sciences  physiques.  C'est  lui  qui 
le  premier  fit  connaître  les  grès  cristallisiés  de  Fontainebleau, 
qui  depuis  ont  été  l'objet  de  savantes  recherches. 

Be/out  fut  le  type  du  savant  honnête  et  laborieux  :  aussi 
sa  vie  a-t-elle  été  paisible,  pure  et  heureuse.  Condorcet  a 
relevé,  dans  l'éloge  de  ce  géomètre ,  un  trait  qui  honore  à  la 
l'ois  son  courage  et  la  bonté  de  son  cœur.  Deux  jeunes  aspi- 
rants de  marine  étaient  malades  de  la  petite  vérole ,  que 
Bezout  n'avait  pas  eue.  Il  était  alors  dans  un  âge  déjà  avancé, 
et  il  eût  été  dangereux  pour  lui  de  contracter  à  cette  époque 
cette  cruelle  maladie.  IMais  il  n'hésita  pas  entre  cette  crainte 
et  celle  de  retarder  d'un  an  l'avancement  de  ses  jeunes  dis- 
ciples; il  alla  les  examiner  dans  leur  lit.  «  On  ne  dit  pas, 
ajoute  M.  Harginet,  que  Bezout  ait  eu  l'habitude  de  n'agréer 
que  ceux  de  ses  élèves  qui  avaient  étudié  les  mathéma- 
tiques dans  ses  livre-s;  les  professeurs  de  notre  époque  ont 
seuls  le  triste  droit  de  réclamer  l'honneur  d'un  pareil  pro- 
grès. «. 

BHAGAVAD-GITA  (c'est-à-dire,  Révélations  chan- 
tées par  la  divinité),  tel  est  le  titre  d'un  poème  didac- 
tique, philosophico- religieux,  intercalé  comme  épisode 
dans  la  grande  épopée  indienne,  le  Mahdbhdratta.  L'action 
en  est  à  peu  près  celle-ci:  Le  dieu  Krischna  a  accompagné, 
eous  une  forme  invisible,  le  héros  Ardjouna  au  combat  qui 
va  se  livrer.  C'est  à  ce  moment  que  l'épisode  commence. 
Les  deux  armées  ennemies,  celle  des  Kourouides  et  celle 
des  Pandouïdes,  qu'unissent  des  liens  de  proche  parenté, 
sont  en  présence  et  déjà  rangées  en  balaille.  Les  trompettes 
donnent  le  signal  du  combat,  et  le  Pandouïde  Ardjouna 
monte  sur  son  char  de  guerre,  (jue  conduit  la  divinité  elle- 
niôine  sous  la  forme  humaine  de  Krischna.  Mais  quand 
Ardjouna  aperçoit  dans  les  rangs  ennemis  ses  parents,  les 
amis  de  sa  jeunesse ,  ses  maîtres ,  il  hésite  à  se  précipiter 
dans  la  mêlée ,  tourmenté  par  le  doute  de  savoir  si  lorsqu'il 
.s'agit  du  gain  d'un  avantage  terrestre ,  comme  ici  de  re- 
conquérir le  royaume  paternel,  il  est  licite  de  violer  les 
lois  sacrées  de  tout  l'organisme  politique.  Alors  Krischna 
lui  démontre  dans  une  série  de  dix-huit  chants  la  nécessité 
de  l'action  ,  sans  se  préoccuper  du  résultat  ;  et  dans  la  suite 
du  dialogue  qui  s'établit  entre  le  héros  et  le  dieu,  le  poète 
développe  un  système  complet  de  philosophie  religieuse 
des  Indiens ,  où  il  s'efforce  de  résoudre  avec  autant  de  clarté 
de  style  que  d'élégance  d'exposition  les  problèmes  les  plus 
élevés  de  l'esprit  humain. 

Il  a  été  jusqu'à  ce  jour  impossible  de  déterminer  à  quelle 
époijue  appartenait  ce  poème  et  par  qui  il  a  été  composé. 
On  ne  saurait  toutefois  le  faire  dater  de  l'époque  des  pre- 
miers essais  de  l'esprit  philosophique  des  Indiens.  La  nature 
en  e<;t  plutôt  éclectique ,  et  suppose  une  longue  culture  de 
l'esprit  obtenue  par  la  fréquentation  de  nombreuses  écoles 
philosophiques.  11  est  vraisemblable  dès  lors  que  le  Bha- 
gavad-Gitd  est  contemporain  du  premier  siècle  de  l'ère 
chrétienne.  Cet  ouvrage  jouit  dans  toute  l'Inde  d'une  im- 
mense réputation;  aussi  a-t-il  été  souvent  commenté  (le 
meilleur  commentaire  est  celui  de  Sridhara  Svâmin;  il  a 
paru  à  Calcutta  en  1832  )  et  traduit  dans  les  divers  dialectes 
de  rindc.  Cinq  imitations  en  vers  en  ont  été  publiées  en  1842 
à  Bombay.  Il  en  a  paru  une  traduction  eu  langue  télégu  à 
Madras  (1840),  et  en  langue  canarcsi  à  Bangalove  (1846), 
etc.,  etc.  On  doit  à  Guillaume  de  Schlegel  la  meilleure  édition 
critique  du  texte  sanscrit  avec  traduction  latine  (  2*  édition , 
Conn,  1846).  Citons  encore,  en  fait  de  traductions,  celle 

lilCT.    DE   L\    CONVEr.S.     —    T.    IH 


qu'ena  donnée,  en  langue  anglaise,  \Vilkins(  Londres,  1785), 
qui  le  premier  fit  connaître  ce  poème  à  l'Europe  ;  la  traduc- 
tion allemande  de  Peiper  (  Leipzig ,  1834  ) ,  et  la  traduction 
grecque  de  Galanos  (Athènes,  1848).  Guillaume  de  Hum- 
boldt  a  exposé  de  la  manière  la  plus  ingénieuse  le  contenu 
de  ce  poème,  dans  sa  dissertation  Sur  l'épisode  du  Mahd- 
bhdratta connu  sous  le  nom  de  Bhagavad-Gitd  (  Berlin , 
1827). 

BH ARTRIHARI ,  célèbre  poète  indien ,  auteur  d'un 
grand  nombre  de  sentences  en  vers.  On  n'a  aucun  détail  précis 
sur  les  circonstances  de  sa  vie.  La  tradition  en  fait  un  frère 
du  roi  Pikramàditya,  qui  vivait  au  premier  siècle  avant  J.-C, 
et  rapporte  qu'il  passa  sa  jeunesse  dans  des  excès  de  tout 
genre  pour  finir  comme  ermite  les  dernières  années  dans 
les  pratiques  de  la  vie  ascétique.  Son  nom  figure  en  tète 
d'une  collection  de  trois  cents  sentences ,  soit  qu'il  l'ait  réel- 
lement composée ,  soit ,  ce  qui  est  plus  probable ,  que  nous 
ne  possédions  là  qu'une  anthologie  attribuée,  suivant 
l'usage  indien,  à  un  personnage  célèbre  dans  les  fables  et  les 
traditions  populaires.  Dans  ces  sentences ,  de  gracieux  ta- 
bleaux de  la  nature  et  de  séduisantes  images  d'amour  al- 
ternent avec  de  sages  observations  sur  toutes  les  circon- 
tances  de  la  vie  et  avec  des  pensées  pleines  de  profondeur  sur 
Dieu  et  sur  l'immortalité  de  l'àme. 

M.  de  Bohlen  a  donné  (Berlin,  1833)  de  ces  sentences, 
dont  la  forme  est  remarquablement  belle,  une  édition  cri- 
tique, à  laquelle  se  rattachent  les  varix  lectiones  du  même 
commentateur  (Berlin,  1850),  qui  en  a  également  publié 
une  traduction  en  vers  (Hambourg,  1833).  Bhartrihari  n'a 
d'ailleurs  aujourd'hui  d'intérêt  pour  nous  que  parce  que 
c'est  le  premier  écrivain  indien  dont  les  œuvres  aient  été 
connues  en  Europe,  attendu  que  le  missionnaire  Abraham 
Boger  traduisit  dans  son  savant  ouvrage  intitulé  :  Porte 
ouverte  pour  arriver  à  la  connaissance  du  Paganisme 
(  Nuremberg,  1653  ),  deux  cents  de  ces  sentences,  que  Herder 
a  beaucoup  imitées  dans  ses  Zerstrenten  Blœttern. 

BHAWALPOUR  ou  BAWLPOUR ,  ancienne  princi- 
pauté ,  située  à  l'ouest  de  l'Inde,  dans  le  Sind,  et  bornée  par 
le  territoire  des  Sikhs  et  les  déserts  de  Bliatnir,  Bikaïuiïr  et 
Djessalmair,  ne  contient  sur  une  superficie  d'environ  55,000 
kilomètres  carrés  qu'une  population  d'à  peine  300,000  âmes , 
à  cause  de  l'inféconditéde  son  sol.  La  Ghara,  le  Pancijuoud  et 
rindus  baignent  ses  limites  au  nord-ouest,  et  ce  n'est  guère 
qu'au  voisinage  de  c«s  cours  d'eau  que  le  sol  est  susceptible 
de  culture.  Les  exportations  consistent  en  coton,  indigo, 
sucre,  cuirs,  laines,  matières  tinctoriales  de  tout  genre  et 
matières  pharmaceutiques.  La  population,  composéede  Djàts, 
peuple  aborigènedecettecontrée,  d'Hindous,  de  Béloutches  et 
d'Afghans,  fait  le  plus  généralement  profession  d'islamisme  ; 
cependant  les  Hindous  sont  traités  avec  beaucoup  de  dou- 
ceur et  de  tolérance.  Les  khans  de  Bhawalpour  ont  suc- 
cessivement reconnu  la  souveraineté  des  Afghans,  celle  des 
Sikhs,  et  depuis  1837  celle  des  Anglais,  qui  en  1847  ont 
placé  cette  contrée  directement  sous  leur  dépendance. 

Bhawlpour,  chef-lieu  de  la  contrée,  compte  une  popula- 
tion de  20,000  âjnes.  Càtie  sur  un  bras  de  la  Ghara ,  elle 
est  renommée  pour  ses  manufactures,  et  fait  un  important 
commerce,  favorisé  par  sa  situation,  dans  un  centre  naturel 
auquel  viennent  aboutir  trois  grandes  routes.  Les  Ilindons 
de  Bhawlpourexpédient  des  marchandises  dans  l'Asie  centrale 
et  jusqu'à  Astrakkan. 

BHÉLAD-AL-DSCHÉRID.  Voye::.  Bélud-el-Djérid. 

BI ACUiVlIlVÉ ,  épithète  donnée,  en  botanique,  aux 
poils  des  plantes  qui  ont  deux  branches  opposées  par  la 
base ,  et  qui  semblent  attachées  par  le  milieu. 

BIAIN  ou  BIAIV,  terme  de  coutume  par  lequel  on  in- 
di(piait ,  dans  les  anciennes  provinces  d'Angoumois,  d'Anjou, 
de  Bretagne,  de  Poitou  et  de  Saint-Jean  d'Angely,  les  cor- 
vées d'hommes  ou  de  bêtes  {operarxim  privbitio)  aux- 
quelles les  paysans  étaient  sujets  envers   leurs  seigneurs. 

IS 


13» 


De  Laurière  j)ense  que  ces  corvidés  étaient  ainsi  nommées 
de  ce  qn'oilcs  se  proclamaient  ou  se  publiaient  au  ban. 

BIAIS,  ce  (\u\  n'est  pas  taillé,  coup!'-  à  angle  droit.  On 
entend  par  là  en  architecture  les  obliiiuités  qui  se  rencon- 
trent dans  la  construction  d'un  bâtiment ,  dans  un  mur  de 
(ace  ou  mitoyen,  et  qu'on  ne  peut  éviter,  à  cause  des  coudes  que 
forment  souvent  les  rues  d'une  ville  ou  d'un  grand  chemin, 
ou  le  terrain  d'une  maison  voisine.  On  distingue  plusieurs 
sortes  de  biais.  Le  biais  gras  est  celui  qui  résulte  d'un 
angle  obtus;  le  biais  inaigre,  celui  que  produit  un  angle 
aigu.  Le  biais  par  tête  est  la  déviation  d'un  plan  qui  pro- 
vient de  ce  que  le  mur  de  l'entrée  d'une  voiUe  droite  ou 
rampante  n'est  pas  d'équerre  avec  ceux  qui  portent  cette 
voûte;  le  biais  passi'.  est  la  fermeture  d'un  arc  ou  d'une 
voûte  sur  les  pieds-droits  de  travers  par  leur  plan.  Selon  l'ex- 
jilicalion  qu'a  laissée  Frczier ,  on  donne  ce  dernier  nom , 
dans  une  voûte ,  à  un  berceau  biaisé  par  devant  et  par 
derrière,  dont  les  joints  du  lit  ne  sont  pas  parallèles  aux 
côtés  du  passage,  tomme  dans  les  voûtes  ordinaires 
biaises ,  mais  dont  la  direction  tend  à  des  divisions  des 
voussoirs  inégaux  ,  en  situation  inverse  du  devant  au  der- 
rière, c'est-a-dire  de  l'entrée  à  la  sortie,  de  telle  façon  que 
les  joints  de  lit  à  la  droite  ne  doivent  pas  être  droits.  On 
désigne  aussi  sous  le  nom  de  biais  passe  certaines  sujétions 
qui,  dans  les  bâtiments,  obligent  à  faire  des  portes  ou  des 
fenêtres  de  biais,  qualilication  qui  leur  vient  du  trait  géo- 
ms'trique  qui  se  produit  ou  par  équarrissement  ou  par 
panneaux  ;  on  appelle  corne  de  bœuf  ou  corne  de  vache 
les  ouvertures  ou  les  passages  construits  de  cette  sorte,  et 
(jui  sont  seulement  de  biais  d'un  côté.  Les  expressions  de 
biais  par  (été ,  biais  par  derobement ,  biais  par  équar- 
rissement s'emploient  également  dans  la  coupe  des  pierres. 

En  termes  de  manège,  on  dit  aller  en  biais, /aire  aller 
un  cheval  en  biais,  c'est-à-dire  les  épaules  avant  la  croupe, 
ou  les  parties  de  devant  toujours  avant  celles  de  derrière. 
Pour  cela,  il  faut  aider  à  toutes  mains  le  cheval  de  la  rêne 
de  dehors,  et  le  soutenir,  c'est-à-dire  le  tenir  ferme,  sans 
lui  donner  aucun  temps ,  en  l'aidant  aussi  de  la  jambe  de 
dehors,  de  làçon  que  la  rône  et  la  jambe  soient  du  même 
côté ,  et  toujours  en  dehors. 

tiiais  se  dit  par  extension  en  morale  ,  ou  dans  le  si-ns 
figuré,  avec  la  même  acception  que  dans  le  sens  propre  et 
direct ,  des  diverses  faces  sous  lesquelles  on  peut  envisager 
une  chose,  des  divers  moyens,  des  divers  expédients  dont 
on  peut  se  servir  pour  y  réiissir,  des  diverses  manières  enlin 
«le  tourner,  de  regarder  une  alïaire,  une  entreprise.  Mais 
c'est  surtout  en  politique  (jue  ce  mot  reçoit  son  acception 
la  jilus  fréquente  el  la  plus  étendue.  L'adresse  et  la  ruse 
font  plus  en  politique  ([ue  la  force  et  la  violence  ;  là  l'ha- 
bileté consiste  souvent  a  savoir  tourner  les  diflicultés,  à  les 
aborder  de  biais  et  non  eu  f;ice,  car  il  n'est  pas  donné  a 
tout  le  monde  de  trancher  le  nœud  gordien  ;  mais  en  politique 
comme  en  architecture  on  ne  doit  jamais  user  d'un  piucil 
moyen  sans  nécessite  absolue,  ni  recourir  à  la  ruse  (juand 
on  peut  employer  la  franchise,  ni  aller  en  biaisant  quand 
ou  peut  marcher  droit,  ni  tourner  la  dil'liculté  quand  il  est 
aussi  silr  et  plus  honorable  de  l'aboider  de  face. 

BIALOVVICZ  (  Forêt  de  J.  Celte  lorêt  primitive  est  si- 
tuée en  Lilhuanie, dans  le  gouveitiement  de  Grodno,  entre 
le  Boug  et  la  ville  d'isla.  Sa  plus  grande  longueur  est  de 
:{1  myriamèlres  et  demi,  sa  plus  grande  largeur  de  27  myria- 
inètres,  et  son  circuit  de  il  2  myriameires.  Arrosé  par  trois 
rivières,  laNarwa,  la  Narewca  et  la  Uialowiczouka,  le  sol 
en  est  géntiralement  marécageux,  et  elle  tire  son  nom  d'un 
village  a|)pelé  liialowic/.a.  On  y  trouve  des  sangliers,  des 
loups,  des  ours  cl  des  élans.  L'aurochs  (t;o//e:  lloi:i;i-),  que 
l'on  voyait  autrefois  dans  foules  Ic'^  grandes  forêts  de  l'Eu- 
rope, ne  se  rencontre  ,<lus  aujourd'hui  que  dans  la  forêt  de 
liiaiowicz  et  dans  les  marais  boises  du  Caucase.  La  chasse 
à  i'aurochs  foisait  un  Aks  plus  magniliques  diverlissemenls 


BIAIN  —  BIANCHINI 

des  rois  de  Pologne.  Une  pyramide  élevée  au  milieu  de 
la  foiôt  de  Bialowicz,  et  portant  le  millésime  1752,  a  pour 


but  de  consacrer  le  souvenir  d'une  grande  chasse  exécutée 
cette  année-là  par  le  roi  Auguste  lll,  et  dans  liiquelle  furent  ', 
tués  quarante-deux  aurochs.  Depuis,  la  crainte  de  voir  l'es- 
pèce complètement  s'éteindre  (on  estime  qu'il  n'en  reste 
pas  au  plus  cinq  cents  individus  dans  toute  l'étendue  de  la 
forêt  de  Bialowicz)  en  a  fait  interdire  la  chasse  sous  les 
peines  les  plus  sévères,  même  sous  celle  de  mort.  On  con- 
çoit dès  lors  que  les  exceptions  admises  à  cette  règle  géné- 
rale soient  regardées  comme  de  véritables  événements ,  el 
que  le  souvenir  s'en  perpétue  à  l'instar  des  faits  historiques. 
C'est  ainsi  que  l'on  cite  une  chasse  à  l'aurochs  faite  par 
l'empereur  Alexandre  en  1829.;  on  y  tua  plusieurs  de  ces 
nobles  animaux,  dont  les  peaux  lurent  envoyées  à  difiéreuts 
musées  d'histoire  naturelle  de  Russie  et  d'Allemagne,  pour 
enrichir  leurs  collections  zoologiques.  On  cite  encore  une 
grande  chasse  exécutée  en  1836,  par  ordre  du  prince  Dol- 
goroucki,  gouverneur  général  de  Lithuanie,  et  dans  laquelle 
on  abattit  un  aurochs  en  grande  solennité. 

Pendant  la  lutte  que  les  Polonais  soutinrent  pour  la  dé- 
fense de  leur  indépendance  nationale,  les  patriotes  de  Grod- 
no, après  s'être  soustraits  à  la  surveillance  des  autorité* 
russes,  se  réunirent  dans  la  forêt  de  Bialowicz  et  y  levèrent 
l'étendard  de  l'insurrection  dans  les  premiers  jours  d'avril 
1831.  Grâce  à  la  position  qu'ils  y  avaient  prise,  ils  cau- 
sèrent beaucoup  de  mal  aux  Russes ,  et  ne  contribuèrent 
pas  peu  à  les  empêcher  pendant  quelque  temps  de  franchir 
le  Boug. 

lîl  ALYSTOCK,  cercle  du  gouvernement  russe  de  Grod- 
uo,  dont  il  tbrme  l'extrémité  occidentale  et  confinant  à  la 
Pologne,  qui  forma  jusqu'à  la  (in  de  l'année  1842  une  pro- 
vince particulière  de  lô8  myriamèfres  carrés,  avec  une  i)0- 
pulation  de  18;j,500  habitants,  dans  l'ancienne  Podlaquie. 
C'était  autrefois  une  voïvodie,  et  elle  faisait  alors  partie  in- 
tégrante de  la  Pologne.  Lors  du  dernier  partage,  elle  fut 
donnée  à  la  Prusse;  mais  la  paix  conclue  à  Tilsitt  en  1807 
l'adjugea  à  la  Russie. 

Le  sol  en  est  plat  et  léger,  mais  fertile,  arrosé  dans  .sa 
plus  grande  partie  par  le  Boug,  qui  y  est  navigable,  et  gé- 
liéralement  sain,  malgré  ses  nombreux  marais,  qui  sur  les 
bords  du  Bolz,  par  exemple,  ont  quelquefois  jusqu'à  dix 
myriamètres  détendue.  Les  forêts,  oii  les  loups  et  les  renards 
so;it  très-nombreux,  fournissent  d'excellents  bois  de  cons- 
truction. Le  sapin  y  est  l'essence  la  plus  commune.  Les  ha- 
bitants du  cercle  de  Bialystock  sont  pour  la  grande  majo- 
rité d'origine  polonaise  et  catholique  ,  sous  l'autorité  spiri- 
tuelle de  l'évêque  de  I>uck  ;  ceux  qui  professent  la  religion 
grecque  ressortissent  à  l'évêché  de  Polotsk.  On  y  trouve 
eu  outre  des  Lettons,  desRus.ses,  et  des  juifs,  dont  le  noudire 
s'(  lève  au  neuvième  de  la  [lopulation  totale.  L'agriculture, 
l'élève  du  bétail,  celle  des  porcs  surtout,  l'exportation  des 
céréales,  du  houblon,  de  la  graine  de  lin,  du  bois  de  cons- 
truction, des  draps,  constituent  les  principales  ressources 
de  cette  contrée. 

BIALYSTOCK,  ville  bien  bâtie,  sur  la  Binly,  et  centre 
d'un  commerce  important ,  e.st  le  chef-lieu  du  cercle,  avec 
une  population  de  10, .^OO  habitants.  On  y  voit  un  beau  châ- 
teau, appartenant  au  conde  Branicki,  et  entouré  d'un  parc 
de  toute  beauté,  ce  qui  l'a  fait  surnommer  le  Versailles  de 
Il  Podlaquie.  On  y  trouve  aussi  un  gyumase,  un  hôpital, 
une  école  de  sages-femmes ,  deux  églises ,  un  couvent  de 
religieuses  et  deux  chapelles. 

BIAIVCIIIA'I  (FiiANCEsco),  célèbre  par  ses  travaux  as- 
tronomiques et  archoologi(|ues,  naquit  en  liî(i2,  à  Vérone, 
011  il  fut  élevé  au  collège  des  jésuites.  Destiné  à  la  carrière 
ecclésiastique,  il  alla,  en  liiso,  étudier  à  Pailoue  la  théolo- 
gie, les  mathématiques,  la  pliysicpu;  et  suriout  la  botanique, 
puis  le  droit  à  Rome,  en  1(kS4.  Il  s'y  lia  avec  les  .savants  les 
plus  célèbres,  et  s'y  livra  en  même  temps  à  l'élude  appro- 


B!ANCHINÏ  —  BIARMIE 


139 


fondîe  (les  langues  et  des  littératures  grecque ,  hébraïque  et 
française.  Les  antiquités  romaines  (ievinreiil  aussi  l'objet 
parîiculier  de  ses  recherches  ,  et  il  eu  exécuta  lui-uiêiue  «les 
dessins  avec  autant  de  goût  que  d'habileté.  Alexandre  \  lit 
lui  accorda  une  riche  prébende,  et  Clément  XI  le  notiuiia 
secrétaire  de  la  commission  instituée  pour  rectiherle  calen- 
drier. Chargé  de  trac<T  une  ligne  inf^ridienne  et  d'établir  un 
cadran  solaire  dans  Pégiise  de  Santa-Maria  degli  Angeli , 
il  s'acquitta  avec  un  rare  bonheur  de  ce  travail  dihicile.  Dans 
un  voyage  qu'il  fit  en  France,  en  Hollande  et  en  Angleterre, 
il  conçut  le  plan  de  tracer  en  Italie  d'une  mer  à  l'autre  une 
méridienne ,  à  l'instar  de  celle  qu'avait  tracée  Cassini  en 
France.  11  consacra  huit  années  à  ce  travail,  qu'il  exécuta  à 
ses  propres  frais,  mais  qui  resta  inachevé,  indépendamment 
des  nombreuses  dissertations  astronomiques  et  archéolo- 
giques qu'on  a  de  lui ,  nous  citerons  son  histoire  universelle, 
Storia  universale  provata  co'  monumenti  ejigurata  co' 
simboli degli  antichi  (Rome,  l(i94),  et  sa  grande  édition 
de  l'ouvrage  d'Anastasius ,  De  VUis  Romanorum  Pontiji- 
cuin,  qu'acheva  son  neveu  Giuseppe  Bianchini  (Rome, 
171S-1724,  4  vol.).  Il  mourut  en  il  M;  un  monument  lui  a 
été  érigé  dans  la  cathédrale  de  Vérone. 

î$IAi\COLELLI.  Voyez  Dominique. 

BIARD  (FuAiNçois-AuGtSTE).  Lvon  nous  a  donné  des 
poètes,  des  historiens,  des  philosophes,  des  mécaîiiciens, 
(les  peintres.  Parmi  ceux-ci,  et  en  première  ligne,  citons 
îîiard,  créateur  d'un  genre  qu'on  avait  rêvé  peut-être,  mais 
(;ue  nul  encore  n'avait  eu  le  courage  d'exploiter.  Ce  n'est 
point  la  caricature,  comme  l'ont  laite  les  Charlet ,  les  Eel- 
langé,  les  Teniers ,  les  Callot,  les  Decamps.  C'est  une  pen- 
sée toujours  rieuse,  caustique;  c'i'.>-t  le  coup  de  lanière  sur 
\m  ridicule,  un  sarcasme  suf  un  travers.  La  main  de  Ciard 
n'est  point  armée  d'un  pinceau ,  elle  tient  le  fouet  et  la  te- 
rnie; elle  frappe,  elle  sillle,  elle  fait  crier,  mais  les  douleurs 
de  la  victime  excitent  le  rire,  et  c'est  pour  cela  qu'on  peut 
dire  avec  raison  que  Biard  est  un  ])eintre  de  mœurs.  Ce 
qu'on  doit  le  plus  admirer  <lans  ses  tableaux,  c'est  l'esprit, 
c'est  la  vérité,  c'est  le  piltorescjue  des  détails,  c'est  la  phy- 
sionomie de  ses  personnages.  Les  rôles  sont  doimés  :  à  cha- 
cun le  sien ,  plaisant  ou  grave.  Ln  présence  de  ses  toiles , 
vous  assistez  à  un  jeu,  à  une  lutte,  à  une  revue,  à  une  scène, 
auxquels  vous  aussi  vous  prenez  une  part.  Vous  riez  avec 
le  joyeux  convive,  vous  pensez  avec  le  philosophe,  vous 
folâtrez  avec  le  bambin  ou  la  jeune  fille,  vous  criez  avec  le 
malheureux  dont  le  rasoir  entaille  la  joue,  vous  entendez 
les  sons  discordants  de  la  clarinette  de  village  qu'un  ma- 
gistrat homérique  a  placée  en  tète  de  la  formidable  garde 

nationale  défilant  sous  son  balcon Biard  veut  que  vous 

soyez  un  personnage  de  ses  tableaux. 

On  se  rappelle,  comme  d'hier,  le  triomphe  de  notre  peintre 
lors  de  sa  première  apparition  au  musée.  Ou  criait  en  s'abor- 
dant,  on  se  donnait  la  main  en  se  disant  :   L'as-tu  vu? 

n'est-ce  pas  que  c'est  piquant,  original,  curieux? Et 

la  foule  entourait  les  cadres  de  Biard,  et  la  gravure  se  dis- 
putait ses  grandes  et  ses  petites  créations.  Mais  quan<l  le 
peintre  se  fut  rassasié  des  scènes  amusantes  qu'il  traduisait 
à  sa  barre  impitoyable,  il  alla  chercher  au  loin  de  nou- 
velles émotions,  de  nouvelles  études,  de  nouveaux  spec- 
tacles   11  part  vers  le  pôle,  il  est  en  face  d'un  monde 

inconnu  de  la  foule;  il  nous  le  rapportera  tel  qu'il  le  voit, 
tel  qu'il  est,  avec  ses  glaces  éternelles,  avec  ses  aurores  si 
merveilleuses,  avec  ses  avalanches,  avec  ses  ours  devora- 
feurs  et  ses  scènes  de  deuil,  qui  ont  jeté  sur  la  côte  tant 
de  cadavres  d'hommes  et  de  navires.  Biard  est  devenu 
grave,  solennel  comme  le  ciel  d'airain  qui  pèse  sur  sa  tête, 
connue  l'ouragan  qui  balaye  l'espace,  comme  le  chaos  qui 
l'accompagne,  comme  l'imposante  solitude  qui  l'entoure.  Sa 
palelle  a  de  la  réflexion;  elle  revient  du  Groenland  et  du 
Spit/berg,  séjour  désolé  du  phoque  et  de  la  baleine,  où  le 
voyageur  no   porte  ses  pas  q<ie  lorsqu'il  y  est  pousse  jmr 


l'étude  cl  par  cette  ardente  passion  devoir  qui  ne  peut  naître 
que  dans  les  âmes  élevées.  Sa  femme  l'avait  courageusement 
suivi  dans  ce  voyage. 

La  seule  nomenclature  des  tableaux  de  Biard  nous  mène- 
rait trop  loin.  Paysages,  scènes  burlesques,  terribles  drames 
>ous  les  zones  brillantes  ou  dans  les  glaces  du  pôle ,  tout 
passe  sous  l'habile  pinceau  de  l'artiste,  tout  s'y  colore;  le 
monde  est  son  domaine,  et  il  s'en  empare  avec  une  audace 
que  le  succès  seul  pouvait  justifier.  Le  Baptême  sous  les 
tropiques;  La  Chasse  à  l'ours  blanc;  Du  Couédic  rece- 
vant les  adieux  de  son  équipage;  Le  Duc  d''Orléans  des- 
cendant la  grande  cascade  de  l'Eyanpaïkka,  sur  le 
fleuve  Muonio ,  en  Laponie;  une  Vue  de  la  presqu'île 
des  Tombeaux,  au  nord  du  Spitzberg  ;  un  superbe  Effet 
d'aurore  boréale;  Le  Gros  péché;  une  Chasse  aux  morses 
par  des  Groënlandais ,  dans  l'océan  Glacial;  une  autre 
Chasse  aux  rennes,  en  Laponie;  Les  Demoiselles  à  ma- 
rier ;  Le  Viatique  dans  la  montagne,  en  Suisse;  La  Dis- 
traction; un  Épisode  de  la  guerre  d'Espagne;  Le  Sacri- 
fice de  la  veuve  d'un  brahmine;  Le  Désert,  où  la  pensée 
même  ne  trouve  |)as  d'horizon;  une  Scène  de  la  douane  à 
la  frontière;  une  Scène  sur  les  bords  du  Hkin;  Diver- 
tissement troublé;  une  Distribution  de  prix  dans  une 
école  allemande;  Le  Triomphe  de  l'Embonpoint;  La  Haie 
de  la  Madelaine,  aii  Spitzberg  ;  La  Pudeur  orientale  ; 
La  Convalescence  ;  Un  Appartement  à  louer;  Les  Incon- 
vénients d'un  voyage  d'agrément  ;  V Arrivée  de  l'artiste 
à  Pile  aux  Ours,  dans  l'Océan  Arctique Arrêtons- 
nous  là;  notre  plume  se  fatiguerait  à  suivre  l'ardent  explo- 
rateur dans  ses  incessantes  excursions.  Chez  lui ,  ou  peut 
dire  que  le  pinceau  (;iée,  quoiqu'il  copie;  il  ne  tâtonne  pas, 
il  trouve  l'effet  ilu  premier  coup,              Jacques  Akago. 

Nous  ne  reparlerons  pas  des  tableaux  de  Bianl  inspirés  par 
son  expédition  du  Nord.  Ces  tableaux  égayés  trop  nombreux, 
couverts  de  neige  éternelle,  trop  souvent  d'ours  blancs, 
sont  beaucoup  trop  semblables  et  d'une  monotonie  trop 
naturelle.  Nous  jiarlerons  encore  moins  de  ses  tableaux 
d'histoire:  Louis-Philippe  au  bivouac  de  la  garde  natio- 
nale dans  la  soirée  du  5  juin  1832  (1844);  Le  Prince 
de  Joinville  au  Liban  (1843);  Les  Prisonniers  au  Sa- 
hara (  1848);  Proclamation  de  la  liberté  des  Aoirs  aux 
colonies  (1849)  ;  encore  bien  moins  de  ses  portraits.  Mais 
nous  reviendrons  sur  le  genre  qu'il  a  créé  et  qui  lui  doit  : 
Les  Comédiens  ambulants (wyi); Le  Repas  interrompu; 
Le  Concert  de  Famille;  La  Poste  restante;  Les  Suites 
d'un  Bal  masqué  (  1839)  ;  La  Traversée  dujfavreà  Hon- 
Jlcur  (1842)  ;  Le  Droit  de  Visite  ;  Le  Peintre  classique;  Un 
Dessert  chez  le  Curé  (  1 846)  ;  Henri  IV  et  Fleurette  ;  Quatre 
Heures  au  Salon  (1847);  Le  Propriétaire  ;  Le  Conseil  de 
Révision  (1848);  ^fan^  elAprès  la  Soirée  { 1849);  LesPé- 
cheurs  (1852).  Ce  sont  là  autant  de  petits  chefs-d'œuvre 
pleins  d'esprit,  <le  mouvement  et  d'expression.  INL  Biard  a 
reçu  la  décoration  de  la  Légion  d'Honneur  en  1838.  Peu  de 
Salons  s'ouvTent  sans  qu'il  n'y  dépose  quelques-uns  de  ses 
charmants  tableaux.  Aussi  fut-on  bien  étonné,  en  1845, 
de  ne  rien  trouver  de  lui  à  l'exposition;  et  tout  le  inonde  se 
demandait  avec  inquiétude  s'il  était  arrivé  quelque  acci- 
dent à  l'aimable  jieintre,  autrefois  si  fécond;  s'il  était  re- 
tourm3  au  Si)it/-berg  avec  sa  courageuse  moitié,  ou  bien  si 
quelque  commande  du  roi  l'avait  convié  à  la  retraite ,  ou 
enfin  si  quelque  faux  ami  lui  avait  fait  prendre  la  peinture 
des  ridicules  en  aversion.  Heureusement  il  n'en  était  rien  ; 
les  années  suivantes  M.  Biard  reparut  plus  brillant  que  ja- 
mais au  Salon,  et  à  Iheure  qu'il  est  son  talent  est  encore 
dans  toute  sa  vigueur. 

lilAU.^IlE,  nom  d'un  royaume  finnois,  au  nord  ou 
nord-isl  de  la  Russie,  dont  il  est  souvent  question  dans  les 
traditions  et  les  annales  des  pays  Scandinaves,  mais  dont 
il  est  impossible  aujourd'hui  de  déterminer  les  hmites.  C'est 
de  ce  mot  que  vient  sans  doute  le  nom  du  gouvernement 


140 


BÎÂRMIE  —  BIBANS 


russe  appelé  Périme,  Perm;  mais  ce  serait  à  tort  que  l'on 
confondrait  avec  ce  pays  l'ancienne  Biarmic,  qui  semble 
s'Clre  étendue  le  long  de  la  Dwina ,  sur  une  grande  partie 
des  gouvernements  d'Archangel  et  de  Vologda ,  et  avoir  été 
baignée  par  la  mer  Blanche. 

BIARQUE  (de  pcoç,vic,  et  àpxri,  commandement), 
nom  que  Ton  donnait  dans  l'empire  d'Orient  à  l'intendant 
des  vivres ,  charge  analogue  à  celle  du  prxfectxis  annonx 
de  Rome. 

BIAS,  l'un  des  sept  sages  de  la  Grèce,  naquit  à  Priène, 
Tille  d'Ionie,  vers  Tan  570  avant  J.-C.  Il  s'attacha  princi- 
palement à  l'étude  de  la  morale  et  de  la  politique,  et,  philo- 
sophe pratique  avant  tout ,  il  resta  étranger  aux  spécula- 
tions hasardeuses  qui  caractérisent  la  métaphysique  de 
l'école  ionienne,  disant  que  nos  connaissances  sur  la  Divi- 
nité se  bornent  à  savoir  qu'elle  existe,  et  qu'on  doit  s'abs- 
tenir de  raisonner  sur  son  essence.  Aussi  éloquent  que  dé- 
sintéressé, il  consacra  ses  connaissances  en  législation  à 
plaider  devant  les  tribunaux,  mais  sans  exiger  de  rétribution, 
et  seulement  pour  les  causes  qu'il  croyait  justes.  Aussi  di- 
jait-on,  pour  désigner  une  cause  excellente  :  C'est  une 
cause  dont  se  chargerait  Blas.  Lors  de  la  conquête  de 
l'Ionie  par  les  généraux  deCyrus,  les  Priéniens,  voyant 
leur  ville  assiégée,  la  quittèrent  en  emportant  ce  qu'ils 
avaient  de  plus  précieux  ;  et  comme  on  demandait  à  Bias 
pourquoi  il  ne  faisait  pas  comme  les  autres  :  u  C'est,  dit-il, 
])arce  que  je  porte  tout  mon  bien  avec  moi.  »  Il  resta  dans 
sa  patrie  dans  un  âge  très-avancé ,  avec  la  réputation  d'ora- 
teur habile,  de  bon  politique  et  d'excellent  citoyen.  Les 
Pri(''niens  lui  élevèrent  un  magnifique  tombeau,  et  lui  con- 
sacrèrent une  enceinte,  qu'on  nommait  le  Teutamium  (il 
éiait  fils  de  Teutamus).  11  composa  unpoëme  de  deux  mille 
•vers,  où  il  enseignait  les  moyens  de  rendre  un  État  heureux 
et  florissant.  On  nous  a  conservé  de  lui  un  grand  nombre 
<Ie  maximes,  qui  attestent  la  finesse  de  son  esprit,  l'austé- 
rité de  sa  morale,  et  les  sentiments  d'une  piété  sage  et 
élevée.  C.-M.  Paffe. 

BIBACIER.  On  désigne  sous  ce  nom  vulgaire  le  bel 
arbrisseau  que  Thunberg  a  rapporté  en  1784,  et  qu'on  ap- 
pelle encore  néflier  du  Japon  {mespilus  japonica).  Le 
hibacier  s'est  acclimaté  dans  notre  pays,  et  a  soutenu  en 
pleine  terre  et  dans  toutes  les  localités  un  froid  de  treize  de- 
grés centigrades.  Cet  arbrisseau  plaît  par  ses  fruits  jaunâ- 
tres acidulés  et  agréables  au  gotit,  par  ses  fleurs,  qui  sont 
très-odorantes ,  et  par  ses  feuilles ,  qui  sont  larges  et  per- 
sistantes. On  le  cultive  aussi  dans  l'Inde  et  à  l'île  de  l'rance. 
Liudley  en  a  formé  un  nouveau  genre ,  sous  le  nom  de  erio- 
hotrija  (du  grec  Ipiov, laine,  et  pôtpu; ,  grappe),  par  allusion 
à  SOS  fleurs  en  grappes  lanugineuses.  L.  Laurent. 

li! BANS.  Au  sud  des  montagnes  de  Bougie,  dans  la 
province  de  Constantine,  règne  une  plaine  assez  étendue, 
que  sépare  du  Sahara  une  suite  non  interrompue  de  ma- 
melons liés  aux  montagnes  de  Bougie  et  de  Flissa  par  une 
chaîne  transversale  dont  le  mont  Jurjura  est  le  nœud.  C'est 
là  que  se  trouve  le  fameux  défilé  des  Bibans ,  appelé  par 
plusieurs  voyageurs  les  Portes  de  Fer.  C'est  une  gorge 
étroite,  formidable  et  sombre,  d'un  accès  fort  difficile  et 
bordée  de  rochers  à  pic  très-élevés.  Le  chaînon  de  l'Atlas 
qu'elle  traverse  est  formé  par  un  grand  soulèvement  qui  a 
relevé  verticalement  des  couches  de  roches  horizontales  à 
l'origine.  L'action  des  siècles  a  successivement  enlevé  les 
portions  de  terrain  qui  réunissaient  auti  efois  les  bancs  de 
roclie,  de  telle  sorte  qu'elles  offrent  aujourd'hui  laspccl  d'un 
nuir  presque  droit,  sans  aspérités,  impossible  à  franchir, 
et  qui  se  prolonge  au  loin,  se  rattachant  çà  et  là  à  des  som- 
mets tout  à  fait  inabordables.  Un  ruisseau  salé,  l'Oued- 
lîiban,  qui  s'est  ouvert  une  route  h  travers  ua  lit  de  cal- 
caire dont  les  faces  verticales  s'élèvent  à  plus  de  :5:J  mètres, 
de  hauteur,  et  atteignent ,  par  des  escarpements  successifs , 
ajix  crêtes  anguleuses  et  bizarrement  découpées  qui  couron- 


nent les  montagnes ,  coule  en  grondant  au  milieu  de  ceffe 
chaîne,  et  y  fait  tant  de  circuits  qu'on  est  obligé  de  le  tra- 
verser au  moins  quarante  fois  pendant  les  quelques  heures 
qu'on  met  à  passer  le  défilé.  Le  sentier,  rude  et  caillouteux 
ici,  sablonneux  et  effondré  plus  loin,  se  dresse  tantrtt  en 
montée  à  pic  et  tantôt  fuit  sous  le  pied  par  des  pentes  d'une 
roideur  extrême,  qui  rendent  la  marche  des  hommes  et  des 
chevaux  excessivement  pénible.  Bientôt  on  descend  vers  un 
fond ,  entouré  d'une  pittoresque  couronne  de  rochers  énor- 
mes ,  surplombants  et  comme  pendants  dans  le  vide  :  ce 
site  est  le  plus  sativage  qu'on  puisse  voir.  C'est  là  qu'on 
rencontre  une  première  ouverture  pratiquée  perpendiculai- 
rement dans  ces  masses  de  granit,  sur  une  largeur  de  trois 
mètres  environ.  A  partir  de  cette  première  porte ,  le  sentier 
se  rétrécit  insensiblement  pendant  une  centaine  de  pas 
jusqu'à  une  seconde  ouverture,  mais  si  étroite,  qu'un  mulel 
chargé  n'y  passe  qu'avec  une  grande  difTiculté.  Ce  chemin 
caverneux  tourne  alors  un  peu  vers  la  droite ,  et  par  des  si- 
nuosités sans  nombre ,  sous  deux  nouvelles  voûtes  de  ro- 
chers, gris  à  leur  base  et  rosés  au  sommet,  vous  permet 
enfin  de  continuer  sans  intemiption ,  sans  trop  d'obstacles, 
le  parcours  de  la  gorge ,  qui  s'élargit  peu  à  peu  dans  une 
étendue  de  cinq  cents  pas  à  peu  près.  Un  petit  vallon,  res- 
serré par  de  hautes  montagnes,  sert  d'écoulement  aux  eaux 
de  l'Oued-Biban  dans  la  saison  des  pluies,  où,  devenu 
torrent ,  ce  ruisseau ,  arrêté  dans  son  cours  par  les  rétrécis- 
sements de  ce  passage ,  élève  quelquefois  le  niveau  de  ses 
eaux  jusqu'à  dix  mètres  au-dessus  du  sol ,  puis  s'échappe 
enfin  avec  violence  par  la  seule  issue  que  lui  ait  ménagée  la 
nature  en  creusant  cette  vallée  à  l'extrémité  même  de  la 
pente  des  Bibans. 

Une  fois  hors  de  ce  passage,  où  le  soleil  pénètre  rare- 
ment ,  où  le  vent  s'engouffre  avec  sa  voix  grondeuse  et  ses 
cris  lamentables,  où  quelques  palmiers  nains,  étiolés,  éten- 
dent leurs  maigres  rameaux  souvent  brisés  par  l'aile  puis- 
sante d'un  vautour,  on  retrouve  comme  par  enchantement 
le  ciel  chaud  et  rayonnant  de  l'Afrique,  la  verdure  vigou- 
reuse des  vallées,  et  ces  points  de  vue  admirables  qui  re- 
posent si  heureusement  le  regard ,  encore  fatigué  de  la  dé- 
solation des  Bibans.  Trop  heureux  si  des  maraudeurs 
embusqués  dans  ces  positions  formidables  ne  vous  fusillent 
pas  à  bout  portant,  car  il  serait  impossible,  en  cas  d'atta- 
que ,  d'opposer  la  moindre  résistance  dans  ces  lieux.  Avant 
notre  conquête,  les  caravanes,  quelque  nombreuses  et  bien 
armées  qu'elles  fussent ,  ne  manquaient  jamais  d'être  sur- 
prises, à  leur  passage  aux  Bibans,  par  les  Berbères.  Il  fal- 
lait composer  avec  eux  sous  peine  de  mort.  Le  bey  de 
Constantine  lui-même,  qui  n'allait  à  Alger  qu'avec  une  ar- 
mée, était  obligé  de  leur  payer  une  somme  pour  passer  le 
défilé  ;  sans  cela  ils  l'auraient  attaqué  et  volé  comme  après  la 
conquête  d'Alger,  lorsqu'il  se  retira  avec  un  trésor  consr- 
dérabie  pris  dans  la  maison  de  l'aga. 

Telle  était  donc  la  route  d'Alger  à  Constantine  du  temp» 
des  Turcs.  La  mine  et  la  pioche  y  avaient  laissé  leurs  mar- 
ques ;  elles  indiquaient  (jue  des  travaux  immenses  avaient 
dû  être  exécutés  avant  d'obtenir  seulement  pour  résultat  un 
sentier  à  peine  franchissable  aux  bêtes  de  somme  en  de 
certains  endroits.  Évidemment,  elle  n'existait  pas  avant 
l'établissement  de  la  puissance  algérienne  ;  car  aucune  trace 
des  soldats  romains  ne  se  fait  remarquer  aux  environs,  et 
l'étude  du  système  de  routes  qui  liaient  ensemble  les  diffé- 
rents points  de  la  Mauritanie  semble  prouver  que  la  commu- 
nication entre  S<^/yÎ5  Colonia  (Sétif)  et  Auzia  (Aumale)  se 
faisait,  soit  par  Saldœ  (Bougie)  et  la  station  de  Tubusup- 
tus  (Bordj-el-Bouberak  ),  soit  par  la  route,  plus  longue  en- 
core, qui  tourne  par  le  désert  les  montagnes  d'Ouennouagh. 

Depuis  quelque  temps  on  avait  compris  la  nécessité  de  re- 
connaître cette  partie  de  la  province  de  Constantine  qui  s'étend 
depuis  la  ville  jusqu'aux  Portes  de  Éer,  et  de  là  jusqu'à 
J'Oued-Kadd;ira,  en  passant  par  le  fort  de  Hamza,  oii  le  dey 


BIBANS  - 

Omar  avait  fait  ouTrirune  route  royale  (soi^ania),  qui  con- 
duit aux  Bibans  en  passant  par  le  sud  et  assez  près  du  fort.  La 
présence  du  duc  d'Orléans,  débarqué  pour  la  seconde  fois  en 
Afrique,  liâta  le  moment  de  cette  importante  opération.  Le  25 
octobre  1 830,  une  colonne  expéditionnaire ,  commandée  par 
le  maréchal  Valée  et  composée  de  deux  divisions,  sous  les 
ordres,  la  première,  du  prince  royal ,  la  seconde,  du  général 
Galbois,  partit  du  Sétif  et  vint  s'établir  sur  l'oued  Bouselah. 
De  là  le  corps  expéditionnaire  se  porta  rapidement  vers 
Sidi-Embarek  ;  et  après  avoir  traversé  le  territoire  des  Ben- 
Bou-Kethon  et  des  Beni-Abbas ,  les  deux  divisions  se  sépa- 
rèrent. Le  général  Galbois  rentrait  dans  la  Medjanab;  le 
gouverneur  général  et  le  duc  d'Orléans,  avec  la  première 
division,  marchaient  sur  Alger.  On  s'engagea  dans  le  terrible 
défilé  des  Bibans ,  gardé  seulement  par  quelques  compagnies 
d'élite  à  ses  deux  extrémités.  Les  chéiks  arabes  gardiens 
des  Portes  de  Fer,  qui  devaient  nous  guider  dans  cette  mar- 
che, ayant  recomiu  l'autorité  de  El-Mokrani,  notre  kalifat, 
reçurent  du  prince  leurs  burnous  d'investiture,  puis  se  pla- 
cèrent à  notre  tête,  et  la  colonne  s'ébranla  aux  mâles  accents 
du  clairon.  Il  s'agissait  de  se  porter  sur  Alger  par  les  vallées 
de  rOued-Beni-Mansour  et  de  son  affluent  l'Oued-Hamza. 
Le  passage,  commencé  le  28  à  midi,  ne  fut  terminé  qu'à 
quatre  heures  du  soir.  Ce  ne  fut  qu'un  longue  promenade, 
sans  dangers  sérieux,  et  qui  n'eut  pas  eu  autant  de  reten- 
tissement si  le  prince  royal  en  personne  ne  l'avait  dirigée  ; 
mais  il  y  avait  quelque  chose  de  grand  et  de  glorieux  dans 
cette  marche  triomphale  de  nos  drapeaux  à  travers  ces 
gorges  redoutables,  que  les  Turcs  eux-mêmes  n'avaient  jamais 
franchies  sans  payer  tribut ,  et  où  n'étaient  point  parvenues 
les  invincibles  légions  romaines.  Nos  soldats,  grimpant 
comme  des  chamois  sur  les  flancs  de  cette  immense  muraille, 
y  tracèrent  avec  la  pointe  de  leurs  baïonnettes  cette  simple 
inscription,  qu'on  lit  aussi  sur  les  plus  hautes  pyramides 
«l'Egypte  :  Armée  Jrançaise  !  Quelques  coups  de  fusil  de 
maraudeurs  les  interrompirent  à  peine  dans  leur  orgueilleuse 
opération.  On  quitta  le  défilé  en  chantant  la  Marseillaise, 
et  la  colonne  se  dirigea  vers  le  territoire  des  Beni-Mansour. 
Le  30  elle  se  porta  sur  Hamza.  Au  moment  oii  l'avant-garde 
débouchait  dans  la  vallée  de  Hamza,  on  aperçut  les  troupes 
d'Ahmed-ben-Salera,  établies  sur  une  crête  parallèle  à  celle 
qui  suivait  la  division.  La  cavalerie  fut  immédiatement  lancée 
dans  la  vallée  ;  mais  les  cavaliers  de  Ben-Salem  ne  l'atten- 
dirent pas.  On  trouva  le  fort  de  Hamza  complètement 
abandonné.  Sur  le  territoire  des  Beni-Djaad  le*  tribus  de  cet 
outhan  voulurent  s'opposer  à  la  marche  de  la  colonne,  mais 
sans  pouvoir  l'inquiéter  sérieusement.  Enfin  le  l*""  novembre, 
au  soleil  couchant,  la  division  expéditionnaire  s'établissait 
sous  la  protection  du  camp  du  Fondouck ,  réunie  à  la  di- 
vision du  général  Dampierre,  qu'elle  avait  rencontrée  à 
rOued-Kadara.  Le  lendemain  les  troupes  entraient  à  Alger, 
où  une  fête  fut  célébrée.  Le  passage  des  Bibans  irrita  l'or- 
gueil de  l'émir.  C'était  en  quelque  sorte  la  contre-partie  de 
l'excursion  tentée  par  lui  peu  de  temps  auparavant  du  côté 
de  Bougie.  Notre  expédition  tranchait  par  le  fait  une  ques- 
tion de  limites ,  et  consommait  la  prise  de  possession  des 
comnHinications  entre  Alger  et  Constantine.  Les  dispositions 
hostiles  d'Abd-el-Kader  ne  se  dissimulaient  plus.-  On  avait 
pris  pendant  la  route  des  courriers  de  l'émir  qui  portaient 
des  lettres  où  il  appelait  des  chefs  à  la  guerre  sainte.  Bientôt 
les  Arabes  passaient  la  Chiffa,  et  la  guerre  éclatait  de  tous 
côtés. 

BIBASIS.  Nom  d'un  jeu  en  usage  parmi  les  Jeunes  La- 
cédémoniens  ;  c'était  un  exercice  propre  à  donner  de  l'agilité 
et  de  la  souplesse,  une  espèce  de  danse.  Les  jeunes  garçons 
et  les  jeunes  filles  qui  s'y  livraient  étaient  nus.  La  biha^is 
consistait  principalement  en  sauts,  dans  lesquels  il  fallait, 
en  se  repliant  sur  soi-même ,  frapper  son  derrière  avec  ses 
talons.  Celui  qui  faisait  les  plus  beaux  sauts  et  les  plus  nom- 
breux remportait  le  prix.  Les  peintures  d'Herculanum  et 


BIBERACH 


141 


les  pierres  gravées  offrent  des  sauteurs  de  bibasis  ;  il  y  eii  a 
même  qui  l'exécutent  sur  la  corde. 

BIBBIENA  (Bernard  DOVIZI,  cardinal  de),  né  de  pa- 
rents obscurs,  en  1470,  entra  comme  précepteur  dans  la  mai- 
son de  Laurent  de  Médicis,  qui  lui  confia  le  soin  de  veiller  sur 
la  conduite  de  son  fils ,  le  cardinal  Jean  de  Médicis.  L'élève , 
qui  devint  pape  sous  le  nom  de  Léon  X ,  conféra  la  pourpre 
romaine,  en  1513,  à  son  gouverneur,  et  cinq  ans  plus  tard 
l'envoya  en  qualité  de  légat  du  saint-siége  en  France,  à  l'effet 
de  déterminer  François  l"  à  laisser  prêcher  dans  ses  États 
une  croisade  contre  les  Turcs.  Ce  prince  ne  paraissait  pas 
éloigné  d'en  entreprendre  une  pour  son  propre  compte;  mais 
les  secrètes  intrigues  et  les  défiances  de  la  cour  pontificale 
ne  tardèrent  pas  à  l'en  dissuader.  Le  cardinal  Bibbiena,  à 
ce  que  rapporte  le  P.  Fabre ,  prévoyant  les  conséquences 
d'une  conduite  si  peu  politique,  en  écrivit  à  Bome  dans  les 
termes  de  reproches  les  plus  vifs.  On  y  interpréta  mal  une 
franchise  qui,  quelque  sensée  et  bien  intentionnée  qu'elle 
fût,  devint  cause  de  sa  perte.  En  effet,  quelques  jours  après 
son  arrivée  dans  la  capitale  du  monde  chrétien,  il  succomba 
tout  à  coup  à  une  mystérieuse  maladie ,  à  l'âge  de  cinquante 
ans  à  peine,  au  moment  où  jamais  sa  santé  n'avait  été  plus 
robuste.  On  croit,  dit  Paul  Jove,  qu'il  fut  empoisonné  avec 
des  œufs  à  la  mouillette.  Il  était  évêque  de  Coutances ,  en 
Normandie. 

Ce  prélat,  homme  d'esprit  et  de  savoir,  compte  parmi  les 
restaurateurs  du  théâtre.  Sa  comédie  intitulée  la  Calandra 
(Rome,  1524)  est  la  première  qui  ait  été  écrite  en  prose 
italienne.  L'auteur  la  composa  à  l'époque  d'un  carnaval ,  à 
l'effet  de  divertir  la  marquise  de  Mantoue,  Isabelle  d'Esté, 
dont  la  cour  était  le  sanctuaire  des  arts  et  le  siège  du  plaisir. 

Le  nom  de  Bibbiena  a  été  aussi  porté  par  plusieurs  ar- 
tistes du  dix-septième  siècle,issus  du  peintre  J.-Marie  Galli. 

BIBBY9  nom  vulgaire  d'un  palmier  de  l'Amérique  méri- 
dionale que  les  botanistes  rapportent  au  genre  ^'/asis, 

BIBERACH  est  une  ville  du  Wurtemberg,  autrefois 
ville  libre  impériale,  aujourd'hui  chef-lieu  de  l'arrondisse- 
ment de  son  nom ,  dans  le  cercle  du  Danube,  à  34  kilom. 
sud-sud-ouest  d'Ulm ,  sur  la  Riss ,  avec  une  fabrication  très- 
active  de  peaux  mégissées,  de  pelleteries,  de  toiles  fortes, 
de  lainages,  un  important  commerce  de  grains  et  une  popu- 
lation de  près  de  5,000  âmes,  dont  1,800  catholiques  envi- 
ron. Elle  fut  témoin  de  deux  victoires  des  Français  sur  les 
Autrichiens,  dont  la  première  remonte  au  2  octobre  1796. 

Afin  de  ne  pas  être  cernée  par  toutes  les  forces  autri- 
chiennes, l'armée  de  Rhin  et  Moselle  était  rentrée  en  France 
au  mois  d'octobre  1796.  Il  ne  lui  était  plus  possible  de  con- 
tinuer sa  retraite,  ni  de  forcer  le  passage  des  montagnes 
Noires ,  qu'après  s'être  débarrassée ,  au  moins  pour  quelques 
jours',  du  général  Latour,  qu'il  fallait  rejeter  à  une  certaine 
distance.  Les  Français  avaient  pour  unique  avantage  dépos- 
séder des  forces  concentrées.  Ils  ne  pouvaient  point  se  dis- 
simuler cependant  qu'ils  étaient  environnés  de  dangers.  Mais 
ils  avaient  la  faculté ,  dans  cette  position ,  de  porter  à  leur 
gré  leurs  masses  réunies  contre  les  divers  corps  qui  les  pres- 
saient isolément  de  tous  côtés  ;  ils  pouvaient  ainsi  battre 
l'ennemi  successivement  et  en  détail.  Le  général  Jloreau  ga- 
rantit son  armée  d'une  perte  certaine  en  profitant  habilement 
de  cette  situation. 

Le  corps  de  Naùendorf  marchait  dans  les  vallées  de  la 
Kiniig  et  de  la  Rench  pour  couper  le  passage  des  Français; 
il  avait  déjà  passé  Tubingue,  il  avait  trop  d'avance,  et  se 
trouvait  trop  éloigné  du  général  Latour  pour  que  celui-ci 
pilt  en  recevoir  des  secours.  Dans  cet  isolement ,  Moreau 
résolut  d'attaquer  ce  général.  Sa  seule  ressource  était  dans 
une  bataille  :  ce  parti  était  audacieux  peut-être,  mais  la 
constance  admirable  des  troupes  semblait  l'y  convier.  îl  fit 
donc  tous  ses  préparatifs  :  l'aile  droite  était  commandée  par 
le  général  Férino,  qui  devait  laisser  sur  l'Argen  un  corps 
de  troupes  destiné  à  être  opposé  au  général  autrichien  Frœ- 


^42 


BTBERACH  —  BIBERO^^ 


licli.  Dans  le  même  moment,  le  suiplus  avait  ordre  de  se 
diriger  vers  le  village  d'Essendorff,  en  poursuivant  l'ennemi, 
après  avoir  passé  par  Waldsée.  Le  général  Saint-Cyr,  com- 
mandant le  centre  et  la  réserve ,  était  chargé  d'attaquer  les 
Imi)criaux  vers  Steinliausen,  et  ses  instructions  lui  enjoi- 
gnaient de  faire  ses  efforts  pour  pousser  l'ennemi  jusqu'à 
Biberacli  ;  dans  le  même  temps ,  Desaix ,  à  la  tête  de  l'aile 
gauche,  devait  par  la  route  de  Rieldingen  à  Riberach  aller 
attaquer  Tennerni  de  l'autre  côté  du  lac.  Il  lui  était  expres- 
sément ordonné  de  tâcher  de  précéder  le  général  Latour  sur 
les  hauteurs  près  de  Steinliausen. 

La  principale  attaque  fut  commencée  par  le  centre ,  le  2  oc- 
tobre 1796,  vers  sept  heures  du  matin,  sur  la  route  qui 
conduit  de  Reichenbach  à  Bibcracli.  Une  seconde  colonne 
fut  commandée  pour  marcher  à  l'ennemi  par  la  droite  de 
Schussenried ;  une  autre  attaque  enfin  était  disposée,  et  fut 
exécutée  sur  Oggelthausen.  Après  un  combat  très-animé  de 
part  et  d'autre ,  les  Français  eurent  la  gloire  de  culbuter  les 
Autrichiens ,  qui  furent  aussitôt  vivement  poursuivis.  Tous 
les  divers  mouvements  avaient  été  calculés ,  et  tout  fut  exé- 
cuté avec  une  précision  qui  coopéra  beaucoup  au  succès  que 
nous  obtînmes.  L'aile  gauche,  s'étant  mise  en  mouvement  plus 
matin,  devait  arriver  au  centre  à  l'instant  dési^mé  pour 
l'attaque  entre  Seekirk  et  Ala.  Alors,  l'aile  droite  des  Impé- 
riaux, pour  soutenir  leur  centre,  fut  obligée  de  plier  ainsi  que 
leur  corps  de  bataille,  qui  supportait  tout  le  choc  des  Fran- 
çais, dont  la  victoire  fut  complote.  Les  trophées  de  cette 
brillante  journée  furent  cinq  mille  prisonniers  autrichiens , 
dix-huit  pièces  de  canon  et  deux  drapeaux. 

Telle  fut  la  première  bataille  de  Biberath.  Jetons  un  coup 
d'oeil  sur  la  seconde,  qui  fut  livrée  le  9  mai  1800. 

Le  cabinet  de  Vienne  avait  profité  de  l'absence  de  Bona- 
parte, qui  était  en  Égjpte,  pour  reprendre  son  ancienne  do- 
mination en  Italie  et  en  Allemagne;  mais  Bonaparte,  à  son 
retour  d'Egypte,  placé  à  la  tête  du  gouvernement,  en  qua- 
lité de  premier  consul  de  la  nation  française,  réorganise  ses 
armées,  qui  se  sont  ressenties  de  son  éloignement.  Son  ima- 
gination le  reporte  encore  vers  l'Italie;  il  se  repaît  des  sou- 
venirs glorieux  de  cette  époque.  Déjà  les  Impériaux  ont  été 
vaincus  par  l'armée  du  Rhin  à  Engen  et  à  Moèskirk.  Ces 
deux  batailles  sanglantes  ont  fait  penser  que  le  général  Kray 
se  retirerait  derrière  l'I lier.  Cependant,  on  le  voit  se  porter, 
par  des  marches  forcées,  sur  les  hauteurs  en  avant  de  la  Riss. 
Le  général  Lecourbe  marche  le  9  mai  1800  sur  l'Atrachi.  Il 
dirige  sa  droite  vers  la  hauteur  de  Lenkirk ,  le  centre  vers 
Welishoffen  et  Arnach,  la  gauche  sur  Wurtzach,  la  réserve 
sur  Biberach,  par  la  route  de  Pfullendorf,  tandis  que  le 
général  Saint-Cyr  s'y  rend  également  en  suivant  la  route 
de  Buchau ,  avec  les  deux  divisions  Baraguay  d'Hilliers  et 
Thurreau.  La  première  de  ces  divisions  est  rencontœe  par 
l'ennemi  ;  on  en  vient  aux  mains ,  mais  ces  escarmouches  ne 
retardent  presque  point  sa  marche.  Les  Impériaux,  forts  de 
dix  bataillons,  voient  arriver  à  eux  devant  les  hauteurs 
qu'ils  occupent  les  deux  divisions  françaises.  L'ennemi  a  sur 
celte  position  quinze  pièces  d'artillerie  et  un  corps  nom- 
breux de  cavalerie.  Le  général  Kray  plaçait  le  reste  de  son 
armée  en  arrière  de  Biberach  ;  le  grand  ravin  formé  par  la 
rivieie  de  la  Riss  couvre  le  front  de  ses  troupes. 

A  peine  arrivés  en  présence,  les  bataillons  du  général 
Saint-Cyr  se  précipitent  avec  une  telle  impétuosité  sur  les 
Autrichiens  qui  occupent  les  hauteurs,  que  du  premier  choc 
ils  sont  culbutés  dans  le  ravin,  et  que,  bien  loin  de  cher- 
cher à  reprendre  leurs  lignes  pour  résister,  ils  jettent  en 
jiartie  leurs  armes.  Le  général  Kray  se  hâte  d'envoyer  des 
secours  assez  puissants  pour  protéger  la  retraite  ou  plutôt 
la  déroute  des  siens.  Il  fait  aussi  diriger  son  peu  d'artillerie 
dans  la  même  intention  ;  sans  cela  on  aurait  lait  un  grand 
nombre  de  prisonniers  sur  ce  point. 

L'ennemi  avait  aussi  été  rencontré  par  le  général  Riche- 
panse  dans  la  direction  de  Pleinheiss,  a  un  mjriamèlre  de 


Biberach  ;  il  s'était  avanté  en  combattant  toujours  depuis 
Indelfmgen ,  et  à  peine  il  arrivait  sur  les  hauteurs  en  deçà 
de  Biberach ,  que  le  général  Saint-Cyr ,  à  la  tète  de  ses 
troupes,  pénétrait  dans  la  ville.  Bien  que  les  Impériaux  oc- 
cupassent un  plateau  en  arrière  de  la  ville,  et  eussent  une 
artillerie  considérable  et  un  corps  nombreux,  le  général  Ri- 
chepanse  résolut  de  les  en  débusquer.  La  situation  des  rives 
de  la  Riss  est  peu  favorable  à  une  pareille  attaque  :  elle  est 
encaissée  dans  un  terrain  bourbeux,  bordée  par  des  ma- 
récages; et  c'est  sur  ce  point  que  l'artillerie  ennemie  vo- 
missait SI  s  boulets  et  sa  mitraille.  Ces  obstacles  n'effravè- 
rent  point  les  troupes  françaises,  et  la  Riss  fut  traversée  par 
l'infanterie  ayant  de  l'eau  jusqu'à  la  ceinture  ;  les  hussards 
du  b''  régiment  la  suivirent  :  ils  eurent  de  la  peine,  car  le 
terrain  était  devenu  trop  mou  ;  il  fut  donc  ordonné  à  deiix 
régiments  de  cavalerie  d'aller  an  galop  traverser  la  Hiss 
à  Biberach  ;  et  comme  l'ennemi  se  i-ejjliait  directement  sur 
Memmingen,  Richepanse  leur  prescrivit  de  prendre  enMiile 
le  chemin  de  cette  ville.  D'après  ces  dispositions,  dont 
l'exécution  ne  laissa  rien  à  désirer,  les  hauteurs  furent 
gravies,  la  baïonnette  en  avant,  i  ar  les  généraux  Digonet  et 
Durut.  Au  moment  de  leur  arrivée,  la  cavalerie  débouchait 
sur  la  route  de  Memmingen;  alors  les  Autrichiens  lurent 
chargés  par  la  division  entière,  qui  les  battit  et  les  accdhia 
avec  cette  impétuosité  dont  les  Français  setds  ont  le  sccrit, 
et  l'on  vit  les  Impériaux,  loin  de  résister,  abandonner  pré- 
cipitamment le  champ  de  bataille,  couvert  de  morts  et  de 
blessés. 

Cependant  un  débris  de  leur  armée  scmaintenait  encore 
sur  le  prolongement  du  plateau  qui  se  dirige  vers  Mitem- 
bach.  Tandis  que  Digonet  et  Dunjt  venaient  de  battre  les 
Autrichiens  auprès  de  Biberach,  le  général  Saint-Cyr  or- 
donne d'attaquer  ce  débris  sur  l'éminence,  où  l'on  n'arrive 
que  par  un  débouché,  ce  qui  rendait  au  premier  coup  d'o-'l 
cette  position  inexpugnable  ;  mais  l'intelligence  du  général 
Saint-Cyr,  égale  à  sa  valeur,  eut  bientôt  surmonté  ces  difli- 
cultés  locales.  Ses  dispositions  furent  si  bien  prises,  et 
son  attaque  fut  exécutée  avec  tant  de  vigueur,  que  les  Im- 
périaux se  défendirent  à  peine,  et  que  la  déroute  fut 
bientôt  dans  leurs  rangs;  ils  finirent  par  abandonner  le 
champ  de  bataille  aux  Français,  qui  trouvèrent  dans  Bibe- 
rach des  magasins  immenses.  Cette  brillante  journée,  où 
toutes  les  armes  se  distinguèrent,  coûta  aux  Autriclùens 
4,000  hommes,  dont  2,000  prisonniers. 

BIBEROiV.  Ce  n'est  point  de  ces  hommes  à  rouge  tro- 
gne que  le  peuple  nomme  ainsi  dont  nous  voulons  parler,  mais 
seulement  d'un  instrument  destiné  à  remplacer  le  sein  dans 
l'allaitement  artificiel  des  enfants.  Le  plus  simple  et  le 
plus  généralement  employé  est  une  sorte  de  bouteille  plate  en 
verre  blanc ,  ouverte  en  dessus  d'un  trou  par  lequel  on  fait 
entrer  le  liquide  et  qu'on  peut  fermer  au  moyen  d'un  bouchon. 
Le  goulot  est  terminé  par  une  sorte  de  bouchon  aussi  en  verre 
et  en  forme  de  mamelon,  percé  d'un  petit  trou  par  lequel  le 
lait  s'écoule  dans  la  bouche  de  l'enfant  lorsque  celui-ci  tient 
ce  mamelon  entre  ses  lèvres.  Quelquefois  on  entoure  ce 
mamelon  d'un  linge  pour  empêcher  le  liquide  de  venir  en 
trop  grande  abondance.  On  peut  ôter  le  bouchon  dont  nous 
avons  parlé  plus  hSTut  lorsque  l'enfant  boit,  afin  que  Fair  ne 
manque  pas  dans  la  bouteille.  Avant  l'invention  de  ce  bibe- 
ron, on  avait  imaginé  d'en  faire  dont  le  mamelon  était  en 
liège  artistement  travaillé  ou  en  tétine  de  vache. 

Les  nourrices  se  servent  tout  bonnement  de  bouteilles 
qu'elles  ferment  avec  une  éponge ,  avec  un  linge  ou  avec  un 
bo\ichon  troué.  Ces  derniers  ont  un  inconvénient  a.ssez  grave  ; 
l'air  ne  pouvant  entrer  dans  le  vase  au  fur  et  à  mesure  que 
le  liquide  s'en  échappe,  l'enfant  finit  par  s'épuiser  en  efforts 
inutiles  pour  attirer  le  lait.  Un  autre  inconvénient  de  ces  bi- 
berons, c'est  que  l'enfant  aspire  beaucoup  d'air,  qui,  introduit 
dans  l'estomac,  se  dilate  et  occasionne  des  flatuosités,  sui 
vies  quelquefois  de  vomissements.  D'ailleurs ,  quelque  soin 


BIBERO?(  —  BIBLE 


Î43: 


<j!ie  Ton  apporte  à  entretenir  lV|ioii£;c  propre,  on  ne  peut  guère 
(viter  qu'il  n'y  s«^jonrneunpeu  delait,  qui  s'aigrit  trèspromp- 
lement  et  altère  bientôt  toute  la  noiirriture  de  l'enfant. 

BIBI.WK  011  VIV11:NXE  (Sainte),  vierge  romaine  qui 
souffrit  11'  martyre,  à  ce  ipron  croit,  sous  le  règne  de  Julien 
l'Apii-tat.  On  lit  dans  Aniinien  Marcellin  qu'en  l'an  363  de 
notre  ère  cet  empereur  nomma  Apronien  gouverneur  de 
Rome,  et  que  dans  le  voyage  qu'il  dut  faire  pour  se  rendre 
dans  cette  ville,  Apronien  eut  le  malheur  de  perdre  un  oeil. 
Non  moins  super>titieii\  que  son  maître,  ce  fonctionnaire 
attribua  aussitôt  l'accident  dont  il  était  victime  aux  maléfices 
des  magiciens;  et  dans  cette  folle  persuasion  il  résolut 
d'exterminer  les  raasiciens  (sous  ce  nom  on  entendait  les 
chrétiens  ).  Parmi  les  victimes  de  cette  persécution  on  com- 
prit sainte  Bibiane,  son  père  Fiavien,  qui  appartenait  à 
l'ordre  des  chevaliers,  Dalrose  samère,  et  Démétrie  sasœur. 
Quand  les  chrétiens  recouvrèrent  le  libre  exercice  de  leur 
culte,  ils  érigèrent  une  chapelle  sur  l'emplacement  où  avaient 
été  déposés  ses  restes  mortels.  En  405  le  pape  Simplice  y 
fit  construire  une  b^ile  éi;lise,  qu'on  appela  Olympia,  du 
nom  d'une  pieuse  dame  romaine  qui  avait  fait  les  frais  de 
l'édifue.  Plus  tard,  Honorius  llllatit  réparer;  et  comme  elle 
finit  avec  le  temps  par  tomber  en  ruines,  on  la  réunit  à  Sainte- 
Marie-Vajeiire.  Urbain  VIII,  qui  lit  reconstruire  cette  église 
en  I62S,  ordonna  d'y  déposer  les  reliques  de  sainte  Bibian-^, 
de  sainte  Dalrose  et  de  sainte  Démétrie. 

ClIilOX  (Ornithologie) ,  nom  vulgaire  de  l'oiseau 
qu'on  appelle  aussi  demoiselle  de  yumidie  (Ardea  vir- 
go,  Linn.). Cette  espèce  de  grue  a  été  remarquée  de  tout 
temps,  à  cause  de  sa  démarche  cadencée,  de  ses  mouvements 
mimiques  et  de  ses  sauts,  par  lesquels  elle  semble  vouloir 
fixer  l'attention  ,  et  qui  lui  avaient  fait  donner  par  les  an- 
ciens le  nom  de  Comédien. 

Le  bibion  se  reconnaît  à  son  corps,  d'un  joli  gris  bleuâtre, 
avec  la  tête  et  le  haut  du  cou  noirs  ;  il  a  derrière  chaque 
œil  un  faisceau  de  plumes  blanches ,  longues  ,  flexibles  ,  et 
pendantes  en  arrière;  un  troisième  faisceau  de  même  nature 
mais  composé  de  plumes  noires ,  prend  naissance  au  bas 
du  cou.  Il  offre  dans  son  anatomie  une  particularité  remar- 
quable, qui  ne  s'est  retrouvée  jusqu'ici  que  chez  quelques 
espèces  de  cygnes  :  sa  trachéc-artcre  xient  s'engager  par 
une  double  circonvolution  dans  la  crête  du  sternum,  creusée 
à  cet  effet.  Cet  oiseau  se  rencontre  dans  la  Guinée,  dans  la 
>"i!midie  et  dans  les  parties  de  l'Asie  voisines  de  l'Europe. 

BiB10\  (  Entomologie), '^cnrt  d'insectes  diptères,  de 
la  famille  des  sarcostomes ,  et  dont  plusieurs  espèces 
stijit  connues  sous  des  noms  qui  rappellent  les  époques  où 
elles  paraissent  :  telles  sont  les  mouches  de  Saint-Marc , 
qui  se  montrent  au  printemps,  et  les  mouches  de  la  Saint- 
Jean  ,  qu'on  voit  plus  tard.  Ces  insectes  se  posent  en  grand 
nouibie  sur  les  arbres  Iruitiers,  auxquels  ils  ne  causent,  du 
reste  ,  aucun  dommage.  Les  femelles  fécondées  déposent 
leurs  œufs  dans  la  terre  ;  les  larves  (jui  en  sortent  sont 
apodes,  cylindriques,  munies  de  vingt  stigmates  et  cou- 
vertesde  poilsquiles  font  ressemblera  de  certaines  chenilles. 
Pendant  l'hiver  ces  larves  s'enfoncent  dans  les  terres,  pour 
se  garantir  de  la  gelée;  elles  y  pénètrent  encore  au  mois  de 
mars,  pour  s'y  changer  en  nymphes:  sous  cette  dernière 
(onr.Q  elles  sont  oblongues  ,  et  u'odrent  plus  que  seize 
stigmates.  Enfin,  lorsque  l'animal  est  parvenu  à  l'état  par- 
fait, ses  caractères  génériques  sont  :  une  tète  presque  en- 
tièrement occupée  par  les  yeux  dans  les  mâles,  mais  petite, 
allongée  et  inclinée  dans  les  femelles;  une  trompe  saillante; 
des  antennes  cylindriques,  insérées  sous  les  yeux  et  com- 
|K)sées  de  neuf  articles  ;  des  pieds  velus  ;  deux  cellules 
basiiaires  aux  ailes. 

BIBLE  (du  grec  Ta  P'.g/.îa,  c'est-à-dire  les  livres,  ou 
le  livre  des  livres).  C'est  le  nom  sous  lequel  on  désigne 
<l!';iiiis  <aint  Jean  Chrysostome  la  collection  des  sain- 
tes Éciilures,  coasidéices  et  lionoiée^î  par  les   clirétiens 


comme  la  base  de  la  religion  qni  leur  a  été  révélée  par 
Dieu.  >'ous  n'avons  point  à  faire  ressortir  ici  l'excellence 
de  ce  livre,  dans  lequel  Chateaubriand  croyait  retrouver 
comme  un  écho  de  l'Éternité  :  un  homme  d'une  plus  grande 
autorité  se  chargera  d'ailleurs  de  cette  tâche  à  l'article 
ÉcRiTCKE  Sainte.  Nous  n'avons  point  à  juger  les  raisons  qui 
ont  fait  admettre  tel  ou  tel  livre  dans  le  canon  de  la  Bible , 
et  nous  donnerons  au  mot  Canomqlf.s  (livres ;i  la  liste  des 
ouvrages  admis  dans  ce  canon ,  et  aussi  celle  des  livres  re- 
jetés comme  apocryphes,  par  les  différentes  églises  chré- 
tiennes. Nous  laisserons  pour  les  mots  Exégèse  ,  iNTEr.piiÉ- 
TATio.N,  L\spiR.\TiON ,  etc,  les  discussions  relatives  a  la  saine 
explication  des  saintes  Écritures.  Enfin  chaque  livre  de  ce 
livre  des  livres  ayant  dans  notre  Dictionnaire  un  article  par- 
ticulier, où  nous  ferons  son  histoire  spéciale  et  où  nous  ana- 
lyserons son  contenu,  il  ne  nous  reste  plus  qu'à  donner  l'h's- 
toire  littéraire  de  la  collection  ,  la  manière  dont  elle  s'est 
formée,  l'historique  de  ses  éditions  et  de  ses  traductions  les 
plus  importantes. 

Au  point  de  vue  de  la  langue,  comme  à  celui  de  leur 
contenu,  les  livres  de  la  Bible  se  divisent  en  deux  parties 
fort  inégales,  V Ancien  et  le  youveau  Testament,  c'est-à- 
dTe  r.\ncienne  et  la  Nouvelle  .Mliance.  En  efTel.  le  mot 
Testamentum  n'est  que  la  traduction  en  latin  postérieur 
(du  deuxième  siècle)  du  grec  ôiaOr.xr, ,  qui  veut  dire  al- 
Hance,  le  système  religieux  du  Mosaïsme  étant  con- 
sidéré comme  une  alliance  entre  Jchova  et  Israël,  et  le  prin- 
cipe de  la  rédemption  dans  le  Christ  étant  mentionné  de 
même  à  diverses  reprises  sous  cette  dénomination  dans  le 
Nouveau  Testament. 

VAncien  Testament  est  la  collection  des  trente-neuf 
livres  en  langue  hébraïque  ou  chaldéenne  considérés  par 
les  Juifs  et  par  l'Église  chrétienne  comme  samts  et  inspirés 
(  le  nombre  en  a  été  artificiellement  réduit  à  vingt-deux ,  pour 
répondre  aux  lettres  de  l'alphabet  hébraïque).  Il  contient 
tous  les  débris  de  la  littérature  hébraïque  et  chaldéenne  jus- 
que vers  le  milieu  du  deuxieiue  siècle  avant  Jésus-Christ. 
A  l'cpoqt.i  de  Jésus-Christ  cette  collection  portait  indiffé- 
remment les  titres  &" Écriture  (TpaçT)),  de  saintes  Écri- 
tures, ou,  suivant  leur  contenu,  de  la  Loi  et  les  Prophètes; 
a  quoi  on  ajoute  quelquefois  les  Psaumes  ou  le  reste  des 
Ecritures.  De  là  aussi  une  division  de  r.\ncien  Testament 
fort  ancienne,  et  qui  existait  déjà  avant  le  Nouveau  Testa- 
ment ,  en  la  Loi,  les  Prophètes  et  les  autres  saintes  Écri- 
fines.  La  Loi  comprend  les  cinq  livres  de  Moïse  :  la  Genèse, 
ï  Exode,  le  Lévi  tique,  les  .SnmbresciXe.  Deutéro- 
nome.  Les  Prophètes  se  divisent  en  Anciens,  qui  sont 
les  livres  de  Jo  sué,  des  Juges,  de  Samuel  et  «les  Pi  ois; 
et  en  youveavx,  lesquels  se  subdivisent  en  grands  et  fn 
petits  prophètes.  Les  premiers  sont  :  Isaïe,  Jérémie, 
Êzéchiel,  auxquels  les  chrétiens  ajoutent  Daniel,  d'après 
la  traduction  d'.Alexandiie;  les  seconds  comprennent  tous 
les  autres  prophètes.  La  troisième  division,  contient  les 
Écritures  désignées  sous  le  nom  iVNagioiraphes,  et  ren- 
ferme, outre  les  livres  poétiques  lie  Job,  les  Prov  erbes 
et  les  Psaumes,  le  Cjn tique  des  cantiques,r Ecclé- 
siaste,  Rut  h,  Jérémie  et  Esther. 

Les  traducteurs  d'Alexandrie  et  les  Pères  de  l'Égli.se, 
Luther,  etc.,  n'adoptent  pas  pour  le  placement  de  ces  livres 
le  même  ordre  que  les  Juifs  ;  ceux-ci  eux-mêmes  différent 
entre  eux,  les  Talmoudistes  n'admettant  pas  l'ordre  adopté 
par  les  .Mazoreths ,  les  manuscrits  allemands  en  ayant  un 
autre  que  les  manuscrits  espagnols. 

Quant  à  l'origine  même  de  la  collection,  en  raison  de 
l'usage  excessivement  restreint  que  Moïse,  les  poètes  et  les 
légendairesderépoquehéroique  suivante  firent  de  l'Écriture,  il 
faut  admettre  que  ce  fut  seulement  à  dater  des  écoles  de  pro- 
phètes que  se  formèrent  les  rédactions  plus  complètes  de 
lois  et  d'histoires  qui  portent  le  nom  de  Samuel ,  de  même 
que  quelques  coileclion.;  de  cantiques.  Les  quatre  livres  ipii 


144 

nous  possétlons  aujourd'hui  sous  le  nom  de  Moïse  datent 
(le  l'époque  de  Salomon  (dixième  siècle  avant  J.-C),  peut- 
être  bien  au-jsi  le  livre  de  Josué  ;  plus  tard  vinrent  les 
livrée  des  Juges  et  de  Samuel ,  puis  les  i'rophéties  au  hui- 
tième siècle  avant  J.-C.  ;  avant  et  à  l'époque  d'Ezéchias 
(vers  l'an  712  avant  J.-C),  une  collection  des  Proverbes 
de  Salomon;  vers  l'époque  de  Josias  (environ  vers  l'an  627) 
eut  li€u  l'achèvement  duPentateuque,  et  dans  l'exil seu- 
leiucnt  furent  composés  les  livres  des  Rois.  Par  conséquent 
la  première  partie,  la  Loi,  et  la  première  moitié  de  la  se- 
conde partie,  les  Prophètes,  datent  de  l'époque  de  l'exil. 
Ajirès  l'exil  et  après  la  mort  du  dernier  prophète,  Malachie 
(vers  la  fin  du  cinquième  siècle  avant  J.-C),  se  forma  la 
collection  de  la  seconde  moitié  de  la  seconde  partie,  laquelle 
fut  terminée  alors  qu'existaient  déjà  les  Paralipomèncs 
(dans  la  seconde  moitié  du  quatrième  siècle)  et  le  livre  de 
Daniel  (  vers  la  fin  du  deuxième  siècle) ,  qui  par  conséquent 
auraient  pu  y  être  compris.  Peut-être  est-ce  seulement  à  la 
fin  de  la  période  perse  (  dans  la  seconde  moitié  du  quatrième 
siècle)  que  se  forma  la  troisième  partie,  celle  des  Ha- 
giographes,  qui  ne  fut  pas  terminée  avant  le  milieu  du 
deuxième  siècle  avant  J.-C,  puisqu'on  y  comprit  encore  le 
Livre  de  Daniel ,  qui  ne  fut  écrit  que  vers  ce  temps-là.  La 
plus  ancienne  mention  qui  soit  faite  de  la  collection  de 
l'Ancien  Testament  se  trouve  dans  le  prologue  de  Jésus 
Sirach  (  vers  l'an  130  environ  avant  J.-C  ),  ce  qui  ne  prou- 
verait pas  d'ailleurs  que  la  troisième  partie  eiU  été  terminée 
alors.  Les  citations  qui  en  sont  faites  dans  le  Nouveau  Tes- 
tament (S.  Luc,  XXIV,  44;  S.  Matthieu,  xxin,  25)  ne  le 
prouveraient  pas  davantage  ;  la  preuve  complète  ne  se  trouve 
que  dans  la  seconde  moitié  du  premier  siècle  après  J.-C.  et 
dans  les  ouvrages  de  Josèphe,  sans  que  pour  cela  toutes 
incertitudes  en  ce  qui  touche  la  troisième  partie  soient  de- 
venues impossibles  parmi  les  Juifs  et  les  chrétiens  versés 
<lans  la  connaissance  des  langues  grecques. 

Les  écrits  de  Moïse ,  des  Prophètes  et  de  David,  ou  une 
certaine  partie  de  ceux  qui  leur  sont  attribués,  ne  furent 
admis  dans  la  sainte  collection  qu'en  raison  du  caractère 
personnel  de  leurs  auteurs  ;  et  les  autres  ouvrages ,  anony- 
mes pour  la  plupart,  tantôt  à  cause  de  leur  contenu,  tantôt 
en  raison  de  l'espèce  de  consécration  que  leur  donnait  leur 
antiquité  ;  enfin,  parmi  les  écrits  postérieurs  à  l'exil,  quelques- 
uns  (le  Cantique  des  Cauliqucs,  l'ixclésiaste,  Daniel)  en  rai- 
son de  l'époque  reculée  où  vivait  l'auteur  qu'on  leur  donne; 
d'autres  (les  Paralipomènes,  Esther),  à  cause  de  leur  con- 
tenu; d'aiiti  es  encore  (lisdras  et  Néliémie),  parégaiO  |iour 
les  services  importants  rendus  par  leur  auteur  au  rétablisse- 
ment du  culte  et  de  la  loi.  Une  critique  sévère  ne  fut  point 
exercée  à  cet  égard,  et  ce  soiii  a  été  laissé  à  la  critique  mo- 
derne, exempte  (le  préventions.  Mais  tandis  qu'en  haine  des 
Juifs,  et  par  un  prétendu  respect  pour  Moïse,  les  Samaritains 
«le  reconnaissaient  couune  canoniques  que  les  cinq  livres  de 
Moïse  et  ne  possédaient  d'ailleurs  encore  qu'une  paraphrase 
postérieure  du  livre  de  Josué,  les  Juifs  d'Egypte  ajoutaient 
dans  leur  traduction  grecque  d'Alexandrie,  du  moins  par- 
tiellement, d'autres  livres  apocryphes  que  les  Juifs  de  la 
Talestine  ou  rejetaient  de  l'Ancien  Testament  ou  bien  ne 
lisaient  pas  du  tout. 

L'Église  chrétienne  se  trouva  d'autant  plus  obligée  de  faire 
usage,  dans  sou  culte  et  dans  sesenseignementsdogmatiques, 
de  l'Ancien  Testament ,  que  plusieurs  siècles  s'écoulèrent 
«ans  qu'on  eût  réuni  en  collection  les  livres  du  Nouveau 
Testament;  seulement  elle  en  fit  usage  avec  toute  liberté. 
Toutefois ,  par  suite  de  l'ignorance  des  langues  hébraïque  et 
«haldéenne,  qui  était  généiale  dans  l'Église  chrétienne  pri- 
mitive ,  elle  ne  put  se  servir  que  de  la  traduction  de  l'Ancien 
Testament  faite  en  grec  à  Alexandrie.  Or,  comme  celle-ci 
contenait  aussi  ce  qu'on  a  coutume  d'ai)peler  les  Apoery- 
jilics,  livres  que  les  Juifs  de  la  Palestine  ne  considéraient 
çt;is  comme  des  onvnu^es  canoniques,  il  eu  résulta  que  les 


BIBLE 

premiers  Pères  de  l'Église  eux-mômes  fiient  un  usage  plus 
large  et  plus  libre  des  Apoci-jpheâ.  Toutefois,  jusqu'au  quu'^ 
trième  siècle  dans  l'Église  grecque  les  livres  de  l'Ancic 
Testament  appelés  apocryphes  pour  la  première  fois  aii_ 
cinquième  siècle  par  saint  Jérôme,  furent  considérés  comme" 
des  livres  propres  à  être  lus  dans  l'église  et  dont  la  lecture 
était  recommandée  par  l'Église,  sans  qu'elle  les  assimilât  auTM 
livres  canoniques.  Des  principes  beaucoup  plus  sévères  rôfll 
gnaient,  au  contraire,  à  cet  égard  dans  l'Église  latine.  On  y 
considérait  précisément  comme  canoniques  les  livres  regardés 
par  les  Grecs  comme  seulement  propres  à  être  lus  à  la  foule, 
encore  bien  que  quelques  savants,  comme  saint  Jérôme,  saint 
liilaire,  Rufin,  Junilius,  peu  d'accord  entre  eux  à  ce  sujet, 
s'y  opposassent  et  ne  voulussent  Voir  dans  ce  qu'on  appelle 
aujourd'hui  les  Apocryphes  que  des /tôrj  ecc/esiositci  rcjetcs 
de  l'Ancien  Testament  canonique. 

Les  protestants  revinrent  les  premiers  au  canon  juif  de 
l'Ancien  Testament,  et  séparèrent  des  livres  hébreux  de  l'An- 
cien Testament  les  ouvrages  ajoutés  à  la  traduction  latine  et 
à  celle  d'Alexandrie,  en  n'admettant  que  les  premiers  à 
une  démonstration  dogmatique.  On  ne  saurait  nier  toutefois 
que  ces  Apocryphes  constituent  une  expression  historique 
de  l'époque  de  transition  de  l'Ancien  Testament  au  Nou- 
veau ,  et  qu'il  serait  bien  difficile  de  s'en  passer  si  l'on  tenait 
à  se  faire  une  idée  complète  des  idées  religieuses ,  et  aussi 
qu'ils  forment  (le  Livre  de  la  Sagesse,  par  exemple)  une 
très-précieuse  partie  de  l'Ancien  Testament.  C'est  donc  au 
fond  avec  raison ,  quoicjuc  peut-être  au  point  de  vue  d'une 
tradition  et  d'une  dogmatique  trop  rigides,  qu'au  concile  de 
Trente  l'Église  catholique,  contrairement  à  l'opinion  des  pro- 
testants, sanctionna  tous  les  ouvrages  contenus  dans  la  V  u  I- 
gate,  et  qu'elle  déclara  par  conséquent  que  les  Apocryphes 
constituaient  une  partie  canonique  de  l'Ancien  Testament. 
Beaucoup  de  savants  catholiques  (par  exemple,  Bernard 
Lamy,  Jahn,  etc.  )  .se  sont  efforcés  pourtant  de  se  rapprocher 
du  droit  historique,  en  établissant  une  distinction  entre  le 
premier  et  le  second  canon.  Les  protestants  ont  d'ailleurs 
admis  aussi  les  Apocryphes  dans  leurs  éditions  de  r.\ncien 
Testament.  En  effet,  Luther  les  ayant  compris  dans  sa  tra- 
duction delà  Bible  en  allemand,  comme  des  livres  «  qu'il  no 
faut  pas  sans  doute  estimer  à  l'égal  des  saintes  Écritures , 
mais  qu'il  est  cependant  utile  de  lire ,  «  on  les  trouve  en- 
core aujouid'hui  Imprimés  dans  toutes  les  Bibles  allemandes. 

De  ce  qui  précède  il  résulte  que  si  de  tout  temps  l'admis- 
sion des  Apocryphes  a  été  contestée,  par  contre,  de  tout 
temps  aussi  les  clirétiens,  à  l'exception  des  sociniens  et  »le 
quehpies  autres  sectaires,  se  sont  accordés  à  reconnaître 
à  l'Ancien  Teslamcut  une  autorité  canonique  égale  à  celle 
du  Nouveau  Teslament.  On  ne  saurait  nier  cependant,  et  il 
est  tout  au  moins  généralement  reconnu  tacitement,  que  le 
Nouveau  Testament  a  remplacé  l'Ancien  Testament,  dont  le 
Christ  a  osscntiellement  accompli  toutes  les  prophéties.  Le» 
auteurs  du  Nouveau  Testament  et  les  législateurs  chrétiens 
se  sont  effectivement  placés,  au  moyen  d'une  interpréta» 
tion  des  plus  libres,  au-dessus  de  l'Ancien  Testament  par 
les  rectifications  qu'ils  lui  ont  fait  subir,  et  aussi  en  n'hésitant 
pas  à  supprimer  de  leur  autorité  privée  certaines  institu- 
tions de  l'Ancien  Testament  (par  exemple,  celles  des  sacri- 
fices, du  sabbat,  et  de  presque  tout  le  cérémonial).  Mettre 
l'Ancien  Testament  sur  la  même  ligne  que  le  Nouveau 
Testament,  ce  ne  serait  pas  seulement  renier  celui-ci  el 
jusqu'à  un  certain  point  le  déclarer  nul,  mais  encore,  si  on 
était  conséquent,  aller  droit  aux  contradictions  les  plus  ins 
lubies  en  ce  qui  est  du  dogme,  des  mœurs  et  du  culte.  Cepen 
dant  l'Ancien  Testament  contient  si  bien  l'histoire  antérieur 
du  Nouveau  Testament  qu'il  est  indispensable  pour  pouvoir 
comprendre  la  nouvelle  alliance;  il  y  en  est  si  souveni 
fait  mention,  et  par  Jésus-Christ  lui-même  (  Saint  Matthiei^ 
surtout,  v,  17  et  suivants  ),  comn>ed'une  base  qu'il  faut  bie 
se  garder  de  délniiie,  parce  que  c'est  sur  elle  que  s'élèvera 


l'élifice  (In  clinstianisme  ;  il  a  e\crcé  une  influence  si  dé- 
risivc  sur  le  développement  de  l'Église  cliréllenne,  et,  mal- 
gré son  point  de  vue  judaïque  et  partial ,  il  a  produit  en  re- 
ligion et  en  morale  tant  et  de  si  grandes  choses  auxquelles 
aucun  autre  peuple  n'a  rien  à  comparer,  que  ce  serait  trahir 
fhistoire  et  la  religion  que  vouloir  l'effacer  de  la  liste  de  nos 
livres  saints  et  le  séparer  du  Nouveau  Testament. 

Le  Nouveau  Testament  est  la  collection  des  ouvrages 
considérés  par  les  chrétiens  comme  imposés,  saints  et  véri- 
tahles,  datant  de  l'époque  primitive  du  christianisme,  de 
celle  où  vivaient  encore  les  apôtres  du  Christ,  ses  aides  et 
ses  disciples,  et  ayant  trait  à  Thistoire  ainsi  qu'aux  dogmes 
de  la  religion  chrétienne.  Cette  collection  se  compose  égale- 
ment, d'après  son  origine  et  d'après  son  contenu,  de  trois 
parties  bien  distinctes. 

La  première  comprend  les  livres  historiques  :  les  Évan- 
giles, à  savoir  :  les  synoptïqxies ,  c'est-à-dire  les  Évangiles 
de  saint  Matthieu,  de  saint  Marc  et  de  saint  Luc,  l'Évan- 
gile de  saint  Jean,  elles  Actes  des  Apôtres  de  saint  Luc, 
qui,  en  raison  de  leur  grande  ressemblance  dans  les  faits  et 
dans  les  paroles,  se rertco«^re«^ souvent. 

La  seconde  partie  comprend  les  ouvrages  épistolaires  et  di- 
dactiques :  en  premier  lieu  les  Épîtres  de  saint  Paul,  deux 
aux  Romains,  deux  aux  Corinthiens,  une  aux  Galates,  une 
aux  Éphésiens,  une  aux  Philippiens,  une  aux  Colossiens,  deux 
aux  ïhessaloniciens ;  les  épitres  pastorales  (à  TimoUiée  et 
une  à  Tite);  l'Épître  de  saint  Paul  à  Philémon;  eiilin  les 
épitres  catholiques ,  deux  épîtres  de  saint  Pierre  et  de  saint 
Jean,  de  saint  Jacques  et  saint  Jude,  et  en  outre 
l'épître  aux  Hébreux ,  écrite  avant  l'épître  de  saint  Jacques. 

La  troisième  partie  est  la  partie  prophétique ,  et  ne  con- 
tient que  la  révélation  de  saint  Jean,  l'Apocalypse. 

Mais  cette  collection  telle  qu'elle  existe  aujourd'hui  ne 
date  pas,  pour  toutes  ses  parties,  de  l'origine  du  christia- 
nisme, et  n'est  pas  non  plus  demeurée  à  l'abri  des  doutes  de 
la  critique  ancienne  et  moderne  pour  quelques-unes  de  ses 
parties.  Les  premiers  chrétiens  ne  reconnurent  comme  base 
de  leur  foi  que  l'Ancien  Testament.  Aussi  à  côté  de  citations 
accumulées  de  l'Ancien  Testament  ne  trouve-t-on  que  très- 
rarement  dans  les  Pères  apostoliques  des  invocations  bien 
précises  de  textes  des  épîtres  des  Apôtres,  notamment  de 
celles  de  saint  Paul  :  par  exemple ,  des  épîtres  aux  Romains, 
aux  Hébreux  et  aux  Corinthiens,  dans  Clément  Romain; 
de  l'épître  aux  Éphésiens  et  de  la  première  aux  Coiinlhicns, 
dans  Ignace;  de  l'Épître  aux  Philippiens  et  de  la  première 
aux  Corinthiens,  dans  Polycarpe.  Les  citations  de  textes 
des  Évangiles,  qui  ne  furent  séparés  que  beaucoup  plus  tard 
des  apocryphes,  sont  encore  bien  moins  précises,  par 
exemple  dans  Barnabas,  Clément  Romain ,  li;nace,  Poly- 
carpe; circonstance  qui  tend  à  prouver  tout  au  moins 
que  ce  fut  dès  le  premier  siècle  et  au  commencement  du 
second  qu'on  s'occupa  de  recueillir  et  de  fixer  les  traditions 
chrétiennes  et  les  docimients  évangéliques.  L'incertitude  des 
textes  réunis  par  l'Église  est  en  outre  démontrée  par  l'usage 
qu'on  n'hésitait  pas  à  faire  dans  les  premiers  siècles  d'Évan- 
giles déclarés  plus  tard  apocryphes  et  à  ce  titre  rejetés  du 
Nouveau  Testament,  par  exemple  de  VÉvanrjile  égyptien 
cité  par  Clément  d'Alexandrie ,  et  d'autres  Évangiles  encore 
invoqués  par  Clément  Romain  et  par  Ignace.  C'est  seule- 
ment à  partir  de  la  seconde  moitié  du  deuxième  siècle  qu'on 
trouve  des  citations  plus  précises  des  Évangiles  et  de  l'A- 
pocalypse dans  saint  Justin  Martyr  (  mort  vers  l'an  160  )  et 
dans  son  disciple  Tatien  (mort  en  176),  des  Épîtres  de 
saint  Paul  dans  Athénagoras  (  mort  en  180  ),  des  Évangiles 
et  des  Épîtres  de  saint  Paul  dans  Théophile  (  qui  floiissait 
vers  l'an  ISS). 

La  conscience  de  la  liberté  dans  l'Esprit  saint  qui  péné- 
trait les  premiers  siècles  chrétiens  à  l'égard  de  toute  auto- 
rité ,  même  de  celle  des  Apôtres  ;  la  tradition  ecclésiastique , 
encore  récente  et  vivante;  la  lenteur  extrême  que  mit  l'É- 
Dicr.  nr.  la  convfjîs.  —  t.  uj. 


BIBLE  \4h 

glise  catholique  à  se  constituer;  la  difficulté  qu'il  y.ivait  i\ 
obtenir commiinicationd'écrits  apostoliques  dispersés  pour  la 
plupart  dans  diverses  communautés;  l'absence  de  critique  à 
l'égard  d'hérésies  et  de  falsifications  condamnées  plus  fard 
seulement;  enfin  les  incertitudes  existant  dans  la  détermi- 
nation des  limites  oij  cessait  le  caractère  des  hommes  apos- 
toliques et  où  commençait  la  canonicité,  principe  qui  ne  fut 
admis  et  reconnu  qu'à  la  longue  ;  la  maxime  encore  générale- 
ment admise  qu'il  suffisait  pour  le  but  du  culte  chrétien 
de  lectures  de  l'Ancien  Testament  ou  de  quelques  ouvrages 
chrétiens  existant  par  hasard  dans  les  différentes  commu- 
nautés, sans  avoir  pour  cela  de  caractère  canonique;  toutes 
ces  circonstances  empêchèrent  jusque  vers  le  milieu  du  se- 
cond siècle  qu'on  s'occupât  sérieusement  de  réunir  les  ou- 
vrages du  Nouveau  Testament  pour  en  former  une  collec- 
tion d'une  certaine  étendue  et  la  soumettre  à  une  critique 
plus  attentive.  Des  livres  de  la  première  moitié  du  premier 
siècle  de  l'èrechrétienne  dont  l'authenticité  est  évidente  pour 
tout  juge  réfléchi,  par  exemple  l'Épître  aux  Galates,  ne  pa- 
rurent très-certainement  que  cent  cinquante  ans  après  l'é- 
poque où  ils  furent  composés,  à  la  fin  du  second  et  au  com- 
mencement du  troisième  siècle,  sans  que  pour  cela,  comme 
la  critique  modernel'a  essayé  pour  d'autres  ouvrages  du  Nou- 
veau Testament,  il  y  eût  à  douter  qu'ils  fussent  auliientiqucs 
ou  tout  au  moins  qu'ils  eussent  été  composés  à  une  époque  bien 
antérieure.  On  ne  trouve  donc  pas  de  traces  d'une  collection 
des  ouvrages  du  Nouveau  Testament  avant  la  seconde  moitii'; 
du  deuxième  siècle  ;  elle  fut  faite  alors  en  opposition  à  une  fal- 
sification gnostique  du  ciirislianisme  primitif  par  Marcion  de 
Pont,  lequel  avait  réuni  dix  épîtres  de  saint  Paul  en  omet- 
tant ses  pastorales,  et  s'était  en  outre  servi  d'un  Évangile  de 
saint  Luc  en  lui  faisant  subir  les  mutilations  les  plus  arbi- 
traires. 

L'origine  du  canon  du  Nouveau  Testament  actuel  ne  date 
donc  à  bien  dire  que  de  la  fin  du  deuxième  siècle  et  du 
commencement  du  troisième  siècle,  époque  où  saint  I  renée, 
saint  Clément  d'Alexandrie  et  Tertullien  reconnaissent  comme 
canon  déjà  concordant  les  quatre  Évangiles  atlmis  encore 
aiiourd'hui  pour  canoniques,  les  Actes  des  Apôtres,  les 
13  épitres  de  saint  Paul,  la  première  épître  de  saint  Pierre, 
l'épitre  de  saint  Jean  et  l'Apocalypse,  Deux  recueils  se  trouvè- 
rent alors  en  présence,  mais  ne  tardèrent  pas  à  se  combiner  : 
Yinstrumentumevangelicum  (tô EùayYs'Xiov),  comprenant 
les  quatre  Évangiles,  et  Vlnstrumentum  apostolicum  (6 
'ATiôffxoXoî)  avec  les  Épitres  de  saint  Paul  et  autres.  Cepen- 
dant les  discussions  de  la  critique  se  prolongèrent  jusqu'au 
sixième  siècle.  C'est  ainsi  qu'Origène  révoque  encore  en  doute 
l'authenticité  de  l'Épître  aux  Hébreux,  des  Épîtres  de  saint 
Jacques  et  de  saint  Jude,  de  la  seconde  et  de  la  troisième  Épî- 
tres de  saint  Jean,  tandis  qu'il  incline  à  admettre  comme  ca- 
noniques beaucoup  d'apocryphes  du  Nouveau  Testament,  no- 
tamment des  ouvrages  d'Hermas  etde  Barnabe,  rejetés  déci- 
dément plus  tard  par  l'Église.  L'Apocalypse  elle-même  fut 
révoquée  en  doute  jusqu'au  milieu  du  septième  siècle  par 
des  motifs  dogmatiques.  Eusèbe ,  ce  père  de  l'Église  si  ins- 
truit et  si  sagace,  distingue  encore  au  quatrième  siècle  trois 
classes  de  livres  du  Nouveau  Testament  :  1°  les  ouvrages  gé- 
néralement reconnus  (  ôîAo/oyoyjAEva  ) ,  les  quatre  Évangiles, 
les  Actes  des  Apôtres,  14  Épîtres  de  saint  Paul,  la  première 
Épître  de  saint  Jean  et  de  saint  Paul  ;  1°  les  ouvrages  non 
généralement  reconnus  (  àvtiXeYÔixeva  ) ,  entre  autres  les  épî- 
tres de  saint  Jacques,  de  saint  Jude,  deux  épîtres  de  saint 
Pierre  (2""  et  3^  épîtres)  ainsi  que  l'Apocalypse  de  sai:i 
Jean,  et  encore  en  seconde  ligne  les  Actes  de  saint  Paul,  com- 
plètement rejetés  plus  tard  ,  le  livre  du  Berger  (  Hermas), 
la  Révélation  de  saint  Pierre,  l'Épître  de  Barnabe,  les  Le- 
çons des  Apôtres  et  l'Évangile  des  Hébreux  ;  3°  les  ouvrages 
absurdes  et  impies  (hérétiques). 

L'Occident,  plus  porté  à  conserver,  plus  éloigné  aussi  du 
la  source  des  traditions  chiéliennes  primitives,  se  décida  a 


H6 

fi\er  le  titre  du  NouTeau  Testament  beaucoup  plus  tôt  que 
l'Orient,  plus  enclin  à  la  critique.  Le  concile  tenu  à  Laodicée 
(  de  360  à  304  )  avait  encore  exclu  l'Apocalypse  du  canon, 
tandis  que  les  synodes  tenus  à  Hippone  (393)  et  à  Carthage 
(  397),  l'êvêque  de  Rome  Innocent  1"  au  commencement 
du  cinquième  siècle,  et  le  concilium  romanum  sous  Gé- 
lase  !"■  (  494  ),  reconnurert  et  admirent  l'ensemble  du  ca- 
non du  Nouveau  Testament  tel  qu'il  existe  actuellement.  Les 
doutes  au  sujet  de  certains  ouvrages  du  Nouveau  Testa- 
ment ne  durèrent  guère  au  delà  du  septième  siècle.  Le 
moyen  âge,  enchaîné  très-iiiérarcliiquement  et  devenu ,  surtout 
dans  sa  première  moitié,  généralement  étranger  à  la  con- 
naissance de  la  langue  grecque,  demeura  sans  critique.  Ce 
fut  la  Réformation  qui  la  première  fit  renaître  les  anciens 
doutes  au  sujet  de  l'Épitre  aux  Hébreux,  des  Épîtres  de 
saint  Jacques  et  de  saint  Jude,  et  Luther  ne  craignit  même 
pas  de  qualifier  à' apocryphes  l'Épitre  aux  Hébreux  et  l'A- 
pocaljTJse.  Cependant  l'engourdissante  orthodoxie,  qui,  à  par- 
tir de  la  deuxième  moitié  du  seizième  siècle,  pendant  tout 
le  courant  du  dix-septième  et  jusque  dans  le  milieu  du  dix- 
huitième,  domina  dans  l'Église  protestante,  recula  tellement 
sur  ces  matières  tout  libre  développement  scientifique,  que 
ce  fut  un  catholique  libre  penseur,  Richard  Simon  (mort 
en  1712  ),  qui,  en  opposition  à  l'étroite  théologie  des  protes- 
tants ,  dut  le  premier  faire  prévaloir  l'idée  d'une  Introduc- 
tion historique  et  critique  à  la  Bible  contenant  l'Ancien  et  le 
Nouveau  Testament.  Les  protestants,  à  l'invitation  de  Lowth, 
de  Semler,  de  Herder,  de  Giiesbach,  de  Miciiaelis,  d'Eich- 
horn,  etc.,  finirent  par  se  décider  à  faire  des  études  plus 
critiques.  A  la  vérité ,  la  manie  des  hjrpothèses  et  aussi  en 
partie  le  résultat  de  ces  investigations  scientifiques  trouvè- 
rent des  adversaires  aussi  ardents  parmi  les  catholiques 
^ue  parmi  les  protestants  restés  orthodoxes.  Mais  l'œuvre 
le  critique  rationnelle  n'en  trouva  pas  moins  d'intrépides 
continuateurs. 

Depuis  la  publication  de  la  Vie  de  Jésus  de  Strauss 
tous  les  ouvrages  du  Nouveau  Testament,  à  l'exception  des 
quatre  grandes  Épîtres  de  saint  Paul.del'Épîlre  auxRomains, 
de  deux  Épîtres  aux  Corinthiens  et  de  l'Épitre  aux  Galates , 
ont  été  révoques  en  doute  par  l'école  de  'fubingue;  tout  ré- 
cemment même,  Bruno  Bauer  a  traité  d'apocryphes  les  li- 
vres qui  avaient  trouvé  grâce  devant  ses  devanciers,  et  la 
lutte  sur  les  autres  ouvrages  dure  encore.  Mais  si  la  fausseté 
de  la  seconde  épître  de  saint  Pierre  peut  être  aujourd'hui 
considérée  comme  scientifiquement  démontrée,  en  revanche 
raiillienticitc  de  tous  les  autres  ouvrages  du  Nouveau 
Testament  est  reconnue  par  les  plus  habiles  critiques  (  à 
l'exception  de  l'école  de  Tubingue),  soit  comme  indubitable, 
soit  comme  présentant  tous  les  caractères  déterminants  de 
la  vraisemblance.  Le  canon  du  Nouveau  Testament  sub- 
siste donc  encore  historiquement  en  entier,  à  l'exception  de 
la  deuxième  Épître  de  saint  Pierre.  Mais  c'est  là  un  résultat 
plus  important  au  point  de  vue  historique  qu'au  point  de  vue 
dogmatique. 

Quelque  importance  historique  que  puisse  avoir  la  ques- 
tion de  savoir  si  la  plupart  des  livres  du  Nouveau  Testament 
datent  dans  leur  forme  actuelle  du  milieu  du  deuxième 
iècle,  ainsi  que  le  prétend  l'école  de  Tubingue,  ou  bien  de 
fa  première  moitié  du  premier  siècle,  comme  l'affirme  l'école 
opposée,  elle  n'en  saurait  avoir  aucune  en  ce  qui  touche  le 
do^Mic  môme.  Un  dogme,  comme  l'enseignent  les  protes- 
tants demeurés  orfiiodoxes,  ne  doit  pas  être  tenu  pour  vrai 
parce  qu'il  a  été  écrit  dans  tel  ou  tel  livre,  dans  le  premier 
ou  d:ins  le  second  siècle  ou  à  toute  autre  époque,  ou  encore 
parce  qu'il  est  commandé  par  une  autorité  extérieure,  mais 
parce  qu'il  a  jiour  lui  la  vérité  qui  résulte  d'une  nécessité 
intérieure  particulière ,  alors  même  que  les  livres  qui  ont 
fait  jusiiue  alors  autorité  absolue  le  déclareraient  faux.  Ce- 
pen.ianl  il  n'en  est  p.îs  moins  nécessaire  de  combattre  dog- 
uialiquemenl  les  tendances  d'une  critique  uniquement  des- 


BIBLE 

tructive,  parce  que  le  plus  souvent  elle  est  dirigée  par  de 
fausses  prémisses  et  qu'elle  mène  à  l'erreur. 

L'Ancien  et  le  Nouveau  Testament  ayant  été  écrits  tous 
deux  dans  une  langue  ancienne  et  fixés  dans  leur  forme  ex- 
térieure à  une  époque  où  la  critique  n'avait  pas  encore  de 
base  solide ,  la  restauration  possible  du  texte  original  tant 
de  l'Ancien  que  du  Nouveau  Testament  constitue  une  partie 
importante  de  la  théologie  scientifique ,  dont  les  travaux  se 
partagent  le  plus  souvent  entre  l'Ancien  et  le  Nouveau  Tes- 
tament. 

L'opinion,  jadis  orthodoxe,  suivant  laquelle  l'Ancien  Tes- 
tament serait  parvenu  intact  jusqu'à  nous,  une  fois  écartée, 
comme  aussi  le  reproche  adressé  aux  Juifs  par  les  anciens  et 
les  modernes  d'y  avoir  intentionnellement  introduit  des  fal- 
sifications destinées  à  favoriser  leurs  dogmes  particuliers ,  il 
s'agissait  d'abord  pour  la  critique  de  fixer  des  leçons  en  gé- 
néral très-différentes,  et  d'indiquer  les  moyens  de  rétablir  le 
texte  dans  sa  pureté  primitive.  Les  investigations  les  plus 
récentes  prouvent  qu'en  général  les  Juifs  de  la  Palestine  et 
de  Babylone  ont  traité  leurs  livres  saints  avec  beaucoup  plus 
de  soin  et  de  respect  que  les  Samaritains  et  les  Alexandrins. 
Dans  les  écoles  savantes  qui  florissaient  vers  l'époque  de  Jé- 
sus-Ciirist  à  Jérusalem ,  peu  après  la  destruction  de  cette 
ville  en  Palestine,  et  plus  tard  encore  en  Babylonie,  le  texte 
de  l'Ancien  Testament  fut  rectifié  et  fixé  avec  assez  de  soin, 
surtout  après  que  le  texte  du  Talmoud  eut  été  fixé  au  sixième 
siècle  par  ce  qu'on  appelle  la  Masora.  Ce  soin  ne  s'éten- 
dit d'abord  qu'aux  consonnantes  du  texte  hébreu,  de  môme 
que  la  ponctuation  ne  devint  l'objet  d'une  grande  sollicitude 
qu'à  partir  du  onzième  siècle ,  quoiqu'à  un  degré  moindre 
que  les  anciennes  consonnantes ,  réputées  par  cela  même 
pour  saintes.  En  1477  parut  d'abord  (  vraisemblablement  à 
Bologne)  le  Psautier,  imprimé  aussi  avec  le  commentaire  de 
Kimchi;  en  148S  à  Soncino,  pour  la  première  fois,  tout  l'An- 
cien Testament  petit  in-folio,  édition  qui  paraît  avoir  été 
suivie  pour  celle  de  Brescia  (1494),  dont  Luther  se  servit 
pour  sa  traduction  de  l'Ancien  Testament.  La  Biblia  Poly- 
ylotta  Complutensis  (1514-1517),  la  Biblia  Rabbinica  de 
Bamberg,  publiée  par  le  rabbin  Jacob  Ben-Chajim  (Venise, 
1525-1526),  édition  qui  a  été  suivie  par  la  plupart  des  édi- 
tions postérieures;  enfin  la  Biblia  Polyglotta  d'Angers  (8 
vol.,  1569-1572),  les  Bibles  d'Hutterus  (Hambourg,  1587; 
souvent  réimprimées  depuis) ,  de  Buxtorf  (Bàle,  1611),  et  sur- 
tout celle  de  Jos.  Athias  (  Amsterdam ,  1660  et  1667),  qu'ont 
presque  entièrement  suivie  les  éditions  les  plus  récentes  et 
les  plus  estimées,  par  exemple,  celles  de  Simonis,  de  Hahn, 
de  Theile,  etc.),  sont  justement  célèbres.  Par  conséquent, 
si  le  caractère  Httéraire  des  écrivains  de  l'Ancien  Testament 
peut  être  signalé  comme  incertain  et  induisant  le  critique  en 
erreur,  les  éditions  hébraïques  que  nous  possédons  aujour- 
d'hui de  l'Ancien  Testament  peuvent,  au  total,  être  con- 
sidérées comme  bonnes  et  exactes.  La  division  qu'on  y 
trouve  du  Pentateuque  en  six  cent  soixante-neuf  parasch 
(chapitres)  provient  ^Taisemblablement  de  l'époque  reculée 
où  existait  l'usage  de  donner  pubUquement  lecture  de  l'É- 
criture sainte ,  et  se  trouve  déjà  dans  le  Talmoud.  Les  gi'ands 
^parasch  ou  les  cinquante-quatre  péricopes  actuels  du  Sab- 
bath  apparaissent,  au  contraire,  pour  la  première  fois  dans  la 
Masora,  et  ne  se  trouvent  pas  dans  les  rouleaux  de  la  syna- 
gogue. Les  morceaux  de  lecture  choisis  dans  les  prophètes, 
tous  écrits  sur  des  rooleaux  particuliers  et  appelés  naph- 
^ares, c'est-à-dire  chapitres  finaux,  parce  qu'on  en  donnait 
lecture  à  la  fin  des  assemblées  du  culte,  sont  aussi  déjà  dans 
le  Talmoud.  Notre  division  actuelle  en  chapitres  est,  au  con- 
traire, de  beaucoup  postérieure.  Bien  qu'empruntée  aux  Juifs, 
elle  est  d'origine  chrétienne,  et  date  à  peu  près  de  la  (in  du 
treizième  siècle.  La  division  des  livres  poétiques  en  phrase;» 
détachées  ou  membres  rhythmiq\ies  (versets)  est  beaucoup 
plus  ancienne,  et  précéda  même  les  divisions  des  livres  de 
prose  en  périodes  logiques  qui  se  trouvent  ausi.i  déjà  dans  le 


i 


BIBLE 


147 


Talinoutl  et  qui  sen'ent  de  base  à  notre  division  actuelle  de 
l'Ancien  Testament  en  versets.  Toutefois ,  c'est  seulement  à 
la  longue  et  depuis  le  commencement  du  seizième  siècle  que 
s'introduisit  l'indication  par  ctiiffres  aujourd'hui  en  usage, 
l'ar  conséquent,  la  mise  en  ordre  et  l'arrangement  si  commode 
actuel  de  l'Ancien  Testament  sont  également  sous  ce  rapport 
le  travail  de  plusieurs  siècles. 

Indépendamment  de  Marcion,  qui  a  été  accusé  d'avoir 
commis  plusieurs  falsifications  dans  le  Nouveau  Testament, 
et  surtout  plusieurs  mutilations ,  indépendamment  encore 
des  erreurs  qui  t'taient  inévitables  dans  la  reproduction  des 
manuscrits,  les  chrétiens  du  premhsr  siècle,  qui  n'étaient 
pas  enchaînés  par  l'autorité  de  la  lettre ,  se  permirent  un 
grand  nombre  d'interpolations,  ou  encore  des  modifica- 
tions au  texte  primitif,  sans  les  soumettre  à  une  critique 
suffisante.  Le  courant  d'idées  et  la  civilisation  si  différents 
de  l'Orient  et  de  l'Occident  aggravèrent  encore  le  mal  ;  et  la 
critique  moderne  n'évalue  pas  à  moins  de  80,000  le  nom- 
bre des  variantes  qui  en  sont  résultées.  Afin  d'arriver  à 
mettre  un  peu  d'ordre  dans  ces  matériaux  critiques ,  Gries- 
bach  adopta  trois  leçons  différentes  des  matériaux  cri- 
tiques :  t°  la  leçon  occidentale;  2°  la  leçon  d'Alexandrie; 
3°  la  leçon  de  Conslantinople.  Ce  point  de  vue  a  été  ou 
combattu  ou  adopté  par  les  critiques  Matthoei,Rink,  Bach- 
niann  et  Tischendorf,  sans  qu'on  puisse  dire  jusqu'à  ce 
jour  que  les  matériaux  critiques  aient  été  l'objet  d'inves- 
tigations suffisantes  et  même  que  les  bases  de  ce  travail 
aient  encore  été  posées. 

Le  Nouveau  Testament  fut  imprimé  beaucoup  plus  tard 
(lue  l'Ancien  :  d'abord  dans  la  Polyglotta  CompliUensis , 
en  1514,  d'après  des  manuscrits  non  complètement  authen- 
tiques, et  à  diverses  reprises  à  partir  de  1510  (5  fois, 
jusqu'en  1535),  mais  avec  peu  de  soin  au  point  de  vue 
critique ,  par  Érasme,  à  Bàle.  Les  nombreuses  éditions  du 
Nouveau  Testament  qui  furent  faites  ensuite  suivirent  pour 
la  plupart,  sauf  de  minimes  changements,  l'édition  d'Érasme 
ou  la  Polyglotta  Complutensis ,  ou  bien  les  deux  textes 
combinés.  On  ne  peut  mentionner  spécialement  que  celles 
de  Colonaei  (Paris,  1534),  de  Bogard  (Paris,  1543),  et  la 
troisième  édition  d'Etienne  l'aîné  (1550)  et  d'Etienne  le 
jeune  (Genève,  1569).  Théodore  de  Bèze  fut  le  premier 
qui,  par  des  études  comparatives  faites  sur  la  troisième 
édition  d'Etienne ,  fit  progresser  la  critique  du  Nouveau 
Testament.  On  doit  dire  toutefois  que  ce  fut  moins  son 
travail  fondamental  que  sa  réputation  personnelle  et  l'ac- 
tive industrie  des  imprimeurs  hollandais  qui  firent  adop- 
ter leur  édition  comme  texte  ordinaire  actuel  du  Nou- 
veau Testament,  comme  textus  receptus,  imprimé  pour  la 
première  fois  (Genève,  1565)  par  Etienne,  avec  la  Vulgate 
et  des  observations  critiques ,  puis  à  diverses  reprises ,  no- 
tamment par  Elzévier  (Leyde,  1024,  et  souvent  depuis). 
Le  labeur  des  Anglais  Walton  dans  la  Polyglotte  de  Londres 
(5^  et  6^  parties,  1657),  Fels  (Oxford,  1075)  et  surtout 
Mill  (Oxford,  1707),  ranima  de  nouveau  la  critique  du 
Nouveau  Testament;  on  peut  associer  honorablenient  à 
leurs  travaux  ceux  de  Bengel,  si  remarquables  sous  le  rap- 
port du  tact  et  de  la  sagacité  (Tubingeu,  1734  ;  nouvelle 
édition,  avec  additions  par  son  fils,  1790),  et  de  Welstein 
(2  parties,  Rotterdam,  1731;  2"  édit.  parLotze,  1732).  Les 
uns  et  les  autres  toutefois  ont  été  de  beaucoup  dépassés  par 
la  prudente  critique  et  la  réserve  systématique  de  Griesbach 
(Halle,  1774),  qui  dans  sa  seconde  édition  (2  vol..  Halle 
et  Londres,  1796  et  1806)  put  mettre  à  profit  les  matéiiaux 
nouveaux  recueillis  dans  l'intervalle  par]\Ialthœi,et  extraits 
de  plus  de  100  manusciits  moscovites  et  autres,  de  même 
que  les  travaux  de  Birch  (Copenhague,  1788),  de  Molden- 
liauer  et  d'Adler  :  aussi  cette  seconde  édition  de  l'ouvrage 
de  Griesbach  avec  sa  savante  Polyglotte  forme-t-elle  en- 
core le  manuel  indispensable  du  critique.  Les  Essais  de 
Scholz,  la  Lucubraito  crilicu  cl  l'édition  critique  de  Rink 


(2  vol.,  Leipzig,  1830-1836)  ainsi  que  celle  de  Lachmann 
(Berlin,  1831  )  et  Tischendorf  (Leipzig,  1851)  ont  fourni  à 
la  science  de  nouveaux  matériaux ,  et  lui  ont  permis  d'aller 
bien  au  delà  du  point  où  Griesbach  en  était  resté. 

l'ai  mi  les  manuscrits,  les  plus  anciens  (ils  datent  au  plus 
du  qiiatiièn)e  siècle),  sont  écrits  en  lettres  onciales;  les 
plus  récents  (à  partir  du  dixième  siècle) ,  en  écriture  cur- 
sive.  Les  plus  importants  sont  le  Codex  Alexandri- 
n«s,  le  Codex  Vaticanus,  le  Codex  Ephrœmi  (un  Codex 
rescriptus  ou  palimpsestus  sur  lequel  sont  écrits  des  ou- 
vrages de  saint  Éphrem,  Pèrede l'Église), \eCodex Cantnbri- 
gensis  ou  BezcV  (ainsi  appelé  parcequ'il  appartint  à  Bèze,  qui 
en  fit  don  à  l'université  de  Cambridge,  l'un  des  manuscrits  les 
plus  anciens ,  mais  où  ne  se  trouvent  que  les  Évangiles  et 
les  Actes  des  Apôtres),  etc. ,  etc.  Ceux  que  nous  venons  de 
citer  sont  ordinairement  désignés  par  les  critiques,  dans 
l'ordre  où  nous  les  avons  placés,  par  les  lettres  A,  B,  C,  D. 
Dans  la  plupart  il  n'existe  pas  de  séparations  entre  les 
mots ,  et  c'est  là  précisément  une  des  preuves  de  leur  haute 
antiquité.  Les  divisions  actuellement  existantes  dans  le  Nou- 
veau Testament  ne  remontent  qu'en  partie  à  une  époque 
reculée.  Vers  l'an  462,  Eulhalius,  diacre  à  Alexandrie, 
imagina  la  division  en  versets  ((ttîxoij  ;  ce  fut  lui  qui  eut  l'i- 
dée de  diviser  ainsi  les  Épîtres  de  saint  Paul  et  les  Actes  des 
Apôtres  ainsi  que  les  Épîtres  catholiques  en  alinéas ,  pour 
indiquer  comment  il  faut  les  distinguer  à  la  lecture.  La  di- 
vision actuelle  du  Nouveau  Testament  en  chapitres  ne  date 
comme  celle  de  l'Ancien  Testament,  que  du  treizième  siè- 
cle ,  époque  où  elle  fut  introduite  par  le  cardinal  Hugo  ; 
celle  des  versets  fut  faite  par  Etienne  dans  son  édition  de 
1551.  De  môme,  les  titres  et  épigraphes  sont  d'origine  pos- 
térieure ,  et  tombent  par  conséquent  complètement  dans  le 
domaine  de  la  critique  scientifique.  Mais  sur  ce  point  encore 
il  n'y  a  de  progrès  possible  qu'à  la  condition  d'une  indé^)en- 
dance  complète  des  dogmes.  On  doit  reconnaître  d'ailleurs 
que ,  en  dépit  de  ses  nombreuses  incertitudes ,  le  texte  du 
Nouveau  Testament  est  encore  (sauf  un  petit  nombre  d'ex- 
ceptions) dans  un  état  tout  à  fait  satisfaisant  sur  tous  les 
points  les  plus  importants. 

Les  traductions  de  la  Bible  devinrent  d'autant  plus  im- 
portantes et  nécessaires  pour  l'Ancien  et  pour  le  Nouveau 
Testament  que  l'usage  de  la  Bible  se  répandit  loin  de  son 
sol  historique  original  et  national.  C'est  ce  qui  explique  les 
différences  essentielles  que  présente  l'histoire  des  traduc- 
tions de  la  Bible ,  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament. 

En  ce  qui  touche  l'Ancien  Testament,  il  faut  signaler  en 
première  ligne,  parmi  les  traductions  faites  directement  du 
texte  hébreu  original  : 

1"  Les  traductions  grecques,  dont  la  plus  remarquable  est 
celle  qui  fut  laite  à  Alexandrie  et  qu'on  connaît  sous  le  nom 
des  Septante,  puis  celles  d'Aquila,  de  Théodotion  et  de 
Symmaque,  lesqueHes  datent  de  la  lin  du  deuxième  siècle. 
Toutes  ces  traductions,  avec  des  fragments  de  quelques  au- 
tres dont  les  auteurs  ne  sont  point  connus ,  se  trouvaient 
réunies  dans  les  Hexaples  d'Origène.  La  traduction  en 
grec  de  plusieurs  livres  de  l'Ancien  Testament  qui  fut  faite 
au  quatorzième  siècle,  et  qui  existe  dans  la  bibliothèque  de 
Saint-Marc  à  Venise,  la  versio  venetica  (publiée  par  Villoi- 
son,  Strasbourg,  1784,  et  par  Ammon,  Erlangen,  1790), 
n'a  été  reproduite  dans  aucune  autre  langue.  De  bonne 
heure,  au  contraire,  la  traduction  faite  à  Alexandrie  par  les 
Septante  passa  dans  d'autres  langues.  Ainsi  naquirent  les 
anciennes  traductions  latines,  dont  la  plus  importante  est 
celle  qu'on  désigne  sous  le  nom  A'Itala,  que  saint  Jérôme 
corrigea  en  partie,  et  qui  date  des  premiers  temps  du  chris- 
tianisme ;  puis  les  traductions  syriaques,  entre  autres  la  tra- 
duction faite  en  017  par  Paul,  évoque  de  Tela,  et  Vlnter- 
pretatio  figurata  (ce  qui  veut  dire  :  traduction  faite  d'a- 
près celle  des  Septante),  aujourd'hui  presque  coinpléleiur-iit 
perdue,  mais  critiquée  au  couiuiencement  du  huitième  siccla 

la. 


148 

par  Jacob  d'Edesse.  La  traduction  éthiopienne  faite  par  les 
ctiréliens  vers  le  quatrième  siècle  environ ,  et  dont  il  n'a  été 
publié  jusqu'à  ce  jour  que  des  fragments,  provient  également 
de  la  traduction  des  Septante,  de  même  que  la  double  tra- 
duction égyptienne,  la  traduction  copte  ou  de  Memphis  et 
la  traduction  saidique  ou  de  la  Thébaide,  toutes  deux  faites 
vraisemblablement  vers  la  fm  du  troisième  ou  le  commen- 
cement du  quatrième  siècle.  La  traduction  arménienne  faite 
au  cinquième  siècle  par  Miesrop  et  par  ses  disciples  Johan- 
nes  Ekelensis  et  Josephus  Palnensis  (  publiée  pour  la  pre- 
mière fois  par  l'évéque  Uskan,  Amsterdam,  1665  ;  en  der- 
nier lieu,  Venise,  1805)  ;  la  traduction  géorgienne  ou  gru- 
sinienne  (  Moscou,  1743  )  qui  date  du  sixième  siècle  ;  la  tra- 
duction slave  du  neuvième  siècle,  ordinairement  attribuée 
aux  missionnaires  Méthode  et  Cyrille  (  Moscou,  1766  )  ; 
enfin  plusieurs  traductions  arabes  du  dixième  au  douzième 
siècle  de  l'ère  chrétienne ,  proviennent  toutes  de  la  même 
source. 

2°  Les  traductions  chaldéennes  (  Targumim  )  remontent 
à  une  époque  extrêmement  ancienne;  mais  le  texte  en  a 
trop  souffert  pour  que  la  critique  puisse  s'en  occuper  avec 
fiùreté. 

3°  La  traduction  samaritaine  du  Pentateuque,  le  plus  sou- 
vent Httéralement  fidèle,  dont  l'auteur  et  l'époque  sont  in- 
connus, remonte  également  au  delà  du  troisième  siècle  de 
l'ère  chrétienne. 

4°  La  traduction  ecclésiastique  adoptée  par  tous  les  chré- 
tiens de  Syrie  et  qui  à  l'origine  ne  comprenait  que  les  li- 
vres canoniques  de  l'Ancien  Testament,  diisignée  sous  le  nom 
de  Peschito,  qui  veut  dire  simple,  (idole,  parait  être  l'ime 
des  plus  anciennes  traductions  de  la  Bible  et  avoir  été  faite 
par  un  chrétien  vers  la  fin  du  deuxième  siècle.  Elle  a  sem 
de  source  à  plusieurs  traductions  arabes. 

5"  Les  traductions  arabes  provenant,  soit  du  texte  judaï- 
co-hébreu  (par  exemple,  du  rabbin  Saadia  Gaon),  soit  du 
Pentateuque  samaritain,  traduit  au  onzième  ou  douzième 
siècle  par  le  Samaritain  Abou-Saïd,  sont  d'une  date  posté- 
vieure. 

6"  La  traduction  persane  du  Pentateuque,  (ruvre  d'un 
Juif  appelé  Jacob,  qui  remonte  au  plus  au  neuvième  siècle 
de  notre  ère. 

1"  Enfin,  il  faut  encore  mentionner  la  V  u  1  g  a  t  e  latine. 

Parmi  les  traductions  du  Nouveau  Testament  il  faut  d'a- 
bord citer  trois  traductions  syriaques  : 

TLatrès-tidèle  Peschito,  composée  vers  la  fin  du  deuxième 
siècle  (publiée  par  la  Société  Biblique  d'Angleterre,  Lon- 
dres, 1816),  avec  une  double  reproduction  :  l'une  en 
arabe  (  publiée  par  Erpennius,  Leydc,  1816  ) ,  et  une  traduc- 
tion persane  des  Évangiles. 

2"  La  traduction  très-littérale  de  tous  les  livres  du  Nou- 
veau Testament,  à  l'exception  de  l'Apocalypse,  désignée  sous 
le  nom  de  Traduction  de  Philoxène  ou  de  Charkel,  faite  en 
fi08  sur  l'ordre  de  Philoxène,  évoque  d'Hiérapolis,  par  le 
chorévêquc  Polycarpe,  puis  revue  en  616  par  Thomas  de 
Chakel  (  Héraclée),  dont  While  a  donné  une  édition  (2  vol., 
Oxford,  1778). 

3"  La  traduction  en  syriaque  hiérosolyraitain  contenue 
dans  un  manuscritde  l'an  1030,  que  possède  la  bibliothèque 
du  Vatican. 

A  ces  traductions  syriaques  se  rattachent  la  très-littérale 
traiiuction  éthiopienne;  les  traductions  égyptiennes,  d'une 
haute  importance  pour  la  critique,  et  datant  vraisemblable- 
ment déjà  de  la  seconde  moitié  du  troisième  siècle  (l'une  eu 
dialecte  de  la  Haute- Egypte  ou  saidique,  l'autre  en  dialecte 
de  la  Basse-Egypte  ou  de  Memphis,  et  une  troisième  en 
dialecte  de  Basmuri);  la  traduction  arménienne,  peu  impor- 
tante pour  la  critique,  mais  fort  ancienne  dans  quelques-nnes 
de  ses  parties;  enfin  les  traductions  géorgienne,  persane, 
iirahe  et  arabe-copte.  Indéfiondaiimicnt  de  la  traduction 
slave  (Moscou,  1GU3),  la  liailuction  en  langue  gotlic  par 


BIRLE 

Ulfilas  est  d'une  importance  liistorique  toute  particu- 
lière; elle  est  cependant  encore  surpassée  sous  ce  rap- 
port par  l'ancienne  Bible  latine  dite  Itala  (  publiée  par  Mar- 
tianay;  Paris  1695),  traduite  à  son  tour  en  anglo-saxon 
(  publiée  par  Thorpe;  Londres,  1845  ),  mais  surtout  par  la 
traduction  latine  retouchée  par  saint  Jérôme  et  désignée  sous 
le  nom  de  Vulgate.  C'est  surtout  au  point  de  vue  de  la 
critique  que  ces  différentes  traductions  ont  de  l'importance, 
laquelle  s'accroît  en  raison  de  leur  antiquité,  et  de  cette  cir- 
constance qu'elles  peuvent  avoir  été  faites  sur  des  manus- 
crits contenant  les  textes  originaux. 

En  raison  des  efforts  faits  au  moyen  âge  par  l'Église  pour 
empêcher  le  peuple  de  lire  librement  la  Bible ,  l'imitatioa 
poétique  de  l'histoire  évangélique,  par  Otfried  de  Wissem- 
bourg,  la  traduction  du  livre  de  Job  et  des  Psaumes  faite  par 
Nokter  Labeo  vers  l'an  980 ,  et  d'autres  encore,  eurent  une 
importance  toute  particulière,  et  les  efforts  faits  déjà  à  partir 
du  quatorzième  siècle  pour  traduire  toute  la  Bible  en  alle- 
mand on  eurent  bien  davantage  encore.  A  cet  égard ,  la 
France,  de  tout  temps  plus  disposée  que  les  autres  nations 
du  continent  à  faire  acte  d'indépendance,  fit  preuve  et  de 
plus  d'activité  et  de  plus  d'énergie.  Dès  l'an  1170  le  réfor- 
mateur Potrus  Waldus  se  faisait  traduire  le  Nouveau  Tes- 
tament en  provençal  par  Etienne  d'Aure.  Si  cette  traduction, 
qui  proiiuisit  d'immenses  résultats,  de  même  que  celles  qui 
furent  faites  pour  saint  Louis  (  1227  ),  Charles  le  Sage  (1380), 
etc.,  n'existent  plus  aujourd'hui  pour  la  plupart,  l'histoire  de 
la  Bible  {Bible  ystorieus,  hijstoire  escolastre),  écrite  en  1380 
par  Guyars  de  Moulins ,  ne  laissa  point  que  de  les  suppléer 
et  d'exercer  à  son  tour  une  grande  influence.  Cet  exemple 
ne  tarda  pas  à  être  imité  par  l'Espagne  sous  Alphonse  V 
(  au  treizième  siècle),  par  l'Angleterre,  où  Wi  clef  traduisit 
la  Bible  (imprimée  à  Londres,  1757  et  1810),  par  la  Bohême, 
oii  Jean  Huss  traduisit  également  la  Bible  en  langue  natio- 
nale. Une  fois  que  l'art  de  l'imprimerie  eut  été  inventé,  et 
surtout  à  partir  de  la  seconde  moitié  du  quinzième  siècle,  on 
vit  poindre  les  signes  avant-coureurs  d'une  reconstitution 
totale  du  christianisme  dans  les  réimpressions  sans  nombre 
qu'on  fit  alors  des  textes  bibliques  :  ainsi  il  nous  faut  citer 
les  traductions  espagnoles  (  1478  et  1515),  la  traduction  ita- 
lienne du  bénédictin  Nicolas  Malherbi  (1471  ),  la  traduc- 
tion française  de  Des  Moulins  (1477-1546),  la  traduction 
en  langue  bohème  (Prague,  1448;  Venise,  1506,  souvent 
réimprimée  depuis),  la  traduction  hollandaise  (Délit,  1477), 
et  surtout  les  dix-sept  traductions  allemandes  publiées  avant 
celle  de  Luther,  dont  cinq  antérieurement  à  l'année  1477  et 
les  autres  de  1477  à  1518. 

Luther  éclipsa  dans  sa  traduction  de  la  Bible  les  réfor- 
mateurs qui  l'avaient  précédé.  Jamais  on  ne  s'était  encore 
aussi  entièrement  pénétré  du  sens  et  de  l'esprit  des  saintes 
Écritures.  Possédant  des  connaissances  philologiques  aussi 
étendues  qu'on  pouvait  les  avoir  de  son  temps,  il  fut  se- 
condé dans  sonœuvrc  par  quelques-uns  de  ses  contemporains 
les  plus  savants,  tous  précurseurs  et  champions  ardents 
delà  Réformation,  Mélancbthon,  Bugenhagen,  Jonas, 
Creutziger,  Aurogallus,  et  Nicolas  d'Amsdorf.  Luther  avait 
la  conscience  de  l'importance  que  devait  avoir  sa  traduction 
pour  l'œuvre  de  sa  vie,  la  Réformation  ;  car  c'est  en  s'élèvant 
jusqu'à  l'étude  de  la  Bible  qu'il  avait  pu  trouver  la  force 
nécessaire  pour  résister  au  despotisme  spirituel.  Alleman<l 
avant  tout,  il  s'attacha  à  mettre  entre  les  mains  du  peuple 
allemand  une  version  des  saintes  Écritures  claire ,  intelli- 
gible, reproduisant  l'inspiration  des  anciens  livres,  afin  de  lui 
fournir  une  arme  défensive  contre  l'asservissement  systéma- 
tique des  infolligences ,  poursuivi  sans  cesse  par  l'Église  de 
Rome.  C'est  ainsi  que  sa  traduction  de  la  Bible  en  langue 
allemande  est  restée  un  chef-d'œuvre  inimitable,  un  livre 
essonliollement  populaire,  le  bouclier  et  l'épée  de  l'Église 
proteslanfo.  Pondant  son  séjour  à  Wartbourg,  Luther  avait 
déjà  achevé  sa  traduction  du  Nouveau  Tcstauicnt.  Elle  lut 


BIBLE  —  BlBLTOGRAPHl!: 


149 


publiée  en  seplembre  1522.  En  1523  parurent  les  cinq  livres 
(le  ^Moïse  ;  et  le  tout  se  trouva  successivement  terminé  et 
complété  en  1 53'*  par  les  Apocryphes.  Cette  traduction  se 
répandit  dans  toute  l'Allemagne  avec  la  rapidité  d'un  torrent. 
Les  presses  seules  de  l'imprimeur  Hans  Luft  à  Wittemberg 
en  mirent  dans  l'espace  de  quarante  ans  cent  mille  exem- 
plaires en  circulation  sur  tous  les  points  de  l'Allemagne  ; 
on  la  réimprima  en  même  temps.  En  1558  il  en  existait  déjà 
trente-huit  éditions  différentes,  sans  compter  soixante- 
douze  éditions  du  Nouveau  Testament  seul.  Dans  le  nord 
de  lAllemagne  on  la  réimprima  en  plat-allemand  (de- 
puis 1553,  à  Lubeck,  Hambourg,  Wittemberg,  Magde- 
bourg,  etc.  )  ;  on  la  traduisit  à  l'usage  des  populations  du  Da- 
nemark (le  Nouveau  Testament,  1524  ;  la  Bible  entière,  1550), 
tie  la  Suède  (le  Nouveau  Testament,  1526;  la  Bible  en- 
tière. 1550),  de  la  Hollande  (1526),  de  l'Islande  (le  Nou- 
veau Testament,  1540;  la  Bible,  1584),  et  amsi  jusqu'en 
Laponie. 

Le  clergé  catholique,  irrité  de  l'énorme  propagation  de  la 
traduction  de  Luther,  lui  reprocha  de  n'être  qu'une  falsifi- 
cation des  saintes  Écritures;  mais  ses  attaques  ne  firent 
qu'accroître  le  succès  du  livre. 

Pendant  ce  temps-là  Zwingle  avait  également  entrepris 
de  son  coté,  avec  Léon  Judae  et  Gaspard  Grossmann  (Me- 
gander),  une  traduction  de  la  Bible,  qui  parut  de  1524  à  1531. 
Après  Lerèvre  d'Étaples  (Faber  Stapulensis,  le  Nouveau 
Testament,  Paris  1523;  la  Bible,  1528  ), un  cousin  deCalvin, 
Oliveton,  traduisit  d'abord  le  Nouveau  Testament  (Neuciià- 
tel,  1535),  puis  toutç  la  Bible  (Genève,  1545;  c'est  pour- 
-luoi  on  la  désigne  sous  le  nom  de  Bible  de  Genève).  Cette 
traduction,  revue  en  1551  par  Calvin,  et  plus  tard  par  Th.  de 
Bèze ,  devint  le  texte  officiel  de  la  Bible  pour  l'Église  ré- 
formée, qui  rejeta  alors  celles  de  Faber  et  de  Castellio,  tandis 
ijuc  l'Angleterre,  en  proie  aux  plus  sanglantes  discordes 
religieuses,  ne  recevait  qu'en  1568,  sous  le  règne  d'Élizabeth 
et  i)ar  les  soins  de  l'archevêque  Parker,  la  Bible  épiscopale, 
que  précédèrent  des  tentatives  de  traduction  faites  par 
Sv.  Tindal  (le  Nouveau  Testament,  imprimé  en  Hollande, 
1527,  et  souvent  depuis),  par  Taverner  (Londres,  1539),  par 
Mattliew  (1549),  enfin  par  les  puritains  Coverdale  et  Gilbie, 
par  Cranmer  (1561).  Pendant  le  cours  du  dix-septième 
siècle  un  grand  nombre  de  souverains ,  soit  spirituels ,  soit 
temporels,  s'attachèrent  à  renouveler  et  à  corriger  les  tra- 
ductions de  la  Bible  usitées  dans  les  terres  placées  sous 
leur  domination.  Telle  est  l'origine  des  traductions  encore 
en  usage  aujourd'hui  dans  diverses  éghses  nationales.  C'est 
ainsi  qu'en  1611  l'AngleteiTe  reçut  la  Royal  version  de 
Jacques  !"■,  à  laquelle  quarante-sept  savants  avaient  travaillé 
pendant  sept  années  consécutives;  la  Hollande,  en  1637,  la 
Bible  officielle  publiée  par  le  synode  de  Dordrecht;  la  Suède, 
une  édition  officielle  à  laquelle  a  coopéré  toute  la  Suède 
savante  à  partir  de  1774  ;  la  Suisse  (  1665),  une  Bible  toute 
nouvelle  par  J.-H.  Hottinger,  C.  Sincer,  P.  Fùsslin  et  autres 
(revue  et  corrigée  en  1772);  l'Église  française  réformée 
(les  Huguenots),  outre  diverses  autres  éditions, celle  publiée 
en  1588  par  la  Vénérable  Compagnie ,  sous  la  direction  de 
Beitram,  à  laquelle  est  venu  s'ajouter  un  nouveau  com- 
mentaire genevois  de  1805  et  de  1835. 

Les  catholiques  aussi ,  notamment  en  France  et  en  Alle- 
magne, eurent  leur  part  de  travail  dans  l'œuvre  biblique, 
là  surtout  où  les  doctrines  du  jansénisme  et  celles  de  la 
philosophie  religieuse  dont  Joseph  II  fut  le  patron  entrè- 
rent en  lutte  ouverte  contre  l'ancienne  Église.  La  Bible  de 
Louvain  fut  ou  revue  ou  traduite  de  nouveau  en  France 
(entre  autres  par  Richard  Simon,  1702  ),  mais  surtout  par  les 
jansénistes  de  Sacy ,  Arnauld,  Nicole,  dont  la  tra- 
duction de  la  Bible  (Amsterdam,  1667  ;  dite  Bible  de  Mons, 
par  suite  de  l'indication  fausse  du  lieu  d'impression  )  fut 
condamnée  par  le  pape  Clément  IX ,  tout  comme  le  fut  en 
I70S  par  Clément  XI  le  Nouveau  Te^tamcnl  en  français 


avec  des  réflexions  morales  (Paris,   1687  et  1693)  du 
P.  Quesnel. 

Conséquente  avec  la  base  même  de  ses  enseignements , 
l'Église  catholique  s'est  toujours  montrée  jusqu'à  ce  jour  op- 
posée à  la  libre  propagation  de  la  Bible,  dans  quelque  tra- 
duction que  ce  pût  être  ;  encore  bien  qu'elle  n'ait  pu  em- 
pêcher de  paraître  de  nouvelles  et  de  meilleures  traductions 
de  la  Bible  (  par  exemple,  par  van  Ess,  en  1807  ;  par  Schnap- 
pinger,  1807;  par  l'abbé  deGenoude,  en  1818;  par  Kistenia- 
ker,  en  1825  ;  par  Scholz ,  en  1828;  par  Allioh,  en  1836). L'É- 
glise protestante,  de  son  côté,  persistant  dans  ses  principes,  a 
voulu  que  peu  à  peu  la  Bible  devînt  accessible  aux  peuples  les 
plus  lointains ,  et  qu'on  pût  la  lire  dans  toutes  les  langues  de 
la  terre.  Elle  entreprit  celte  œuvre  dès  le  seizième  siècle , 
mais  c'est  dans  le  siècle  actuel ,  par  la  coopération  des  So- 
ciétés Bibliques,  et  surtout  par  celle  de  la  Société  Biblique 
de  Londres,  qu'elle  est  parvenue  à  obtenir  les  résultats  les 
plus  certains.  A  l'exposition  universelle  qui  a  eu  lieu  à 
Londres  en  \%h\  ,\mSi\\\URritish  and  foreign  Bible  So- 
ciety exposer  la  Bible  traduite  en  cent  trente  langues  dif- 
férentes. Par  une  bizarre  anomalie,  la  traduction  de  la  Bible 
adoptée  et  avouée  par  l'église  Anglicane  n'est  pas  dans  le 
domaine  public  en  Angleterre,  et  y  constitue  une  propriété 
particulière. 

BIBLIA  PAUPERUM,  c'est-à-dire  Bible  des  pau- 
vres. On  appelle  ainsi  un  ouvrage  qu'il  ne  faut  pas  con- 
fondre avec  un  livre  de  saint  Bonaventure  qui  porte  le 
même  titre.  C'est  un  système  ou  typique  ou  de  typologie 
biblique,  contenant,  en  quarante  ou  cinquante  tableaux,  les 
principaux  événements  de  la  rédemption  du  genre  humain 
par  Jésus-Christ,  avec  de  courtes  explications  et  des  senten- 
ces des  prophètes  en  langue  latine.  Le  Spéculum  humanx 
Salvationis,  c'est-à-dire  le  Miroir  du  Salut,  est  le  déve- 
loppement plus  large  de  la  même  pensée  première,  tant  sous 
le  rapport  des  figures  que  par  un  texte  rimé  plus  étendu. 
Avant  la  Réformation,  ces  deux  ouvrages  étaient  les  guides 
principaux  des  prédicateurs,  de  ceux  surtout  qui  apparte- 
naient aux  ordres  mendiants.  Ils  tenaient  lieu  de  la  Bible 
aux  laïques  et  même  aux  ecclésiastiques.  Les  membres  des 
ordres  inférieurs ,  par  exemple  les  franciscains ,  les  char- 
treux, etc.,  se  qualifiaient  de  Pauperes  Christi;  de  là  le 
nom  de  Biblia  Pauperum  donné  à  un  livie  dont  ils  fai- 
saient un  si  fréquent  usage.  Il  existe  encore  aujourd'hui 
dans  différentes  langues  un  certain  nombre  d'exemplaires 
de  la  Biblia  Pauperum  et  du  Spéculum  Salvationis;  quel- 
ques-uns datent  du  treizième  siècle.  Cette  série  de  tableaux 
était  répétée  en  sculptures,  en  peintures  de  muraille  et  en 
verrines  ;  souvent  aussi  on  y  prenait  des  sujets  pour  les  ta- 
bleaux d'autels  à  compartiments.  C'est  ce  qui  leur  donne 
une  importance  toute  particulière  pour  l'art  du  moyen  âge. 
Au  quinzième  siècle,  la  Biblia  Pauperum  fut  peut-être  le 
premier  livre  imprimé  dans  les  Pays-Bas  et  plus  tard  eu 
Allemagne  (  tout  en  planches  de  bois  dans  beaucoup  d'édi- 
tions, et  de  la  même  manière  typographiquement  pour  la 
première  fois  par  Pfister,  à  Bamberg).  Les  premières  im- 
pressions du  Spéculum  humanœ  Salvationis  sont  un  des 
principaux  arguments  qu'on  fait  valoir  pour  attribuer  à  la 
ville  de  Harlem  l'honneur  de  l'invention  de  l'imprimerie 
(voyez  l'article  Coster  ).  Consultez  Heinecken,  Idée  géné- 
rale d'une  collection  d'estampes  (Leipzig,  1771). 
BIBLIOGNOSIE.  Voyez  BmLiocRAPHiE. 
BIBLIOGRAPHE.  La  découverte  de  l'imprimerie  a 
répandu  dans  le  monde  une  multitude  d'ouvrages,  dont  les 
uns  sont  marqués  au  sceau  du  génie,  tandis  que  d'autres 
sont  frappés  au  coin  de  la  médiocrité  :  il  est  essentiel  do 
savoir  distinguer  les  bons  ouvrages  d'avec  les  mauvais. 
Parmi  les  bons  ouvrages,  il  y  a  des  éditions  qui  méritent  la 
préférence  sur  d'autres  :  il  faut  être  capable  d'en  faire  le  dis- 
cernement. Quelques  éditions  ou  quelques  ouvrages  de- 
viennent raivs  par  dinércnls  molifs  :  la  connaissance  ûet 


150 


BIBLIOGRAPHE  — 


livres  rares  peut  donc  aToir  son  utilité.  Enlin  ,  la  multipli- 
cité des  livres  qui  encombrent  aujourd'hui  les  bibliothèques 
publiques  impose  la  nécessité  de  préférer  les  ouvrages  les 
plus  utiles  à  ceux  qui  le  sont  moins  :  la  bibliographie 
apprend  à  faire  ce  choix..  On  voit  donc  que  la  bibliographie 
peut  devenir  la  science  de  l'homme  de  lettres ,  et  surtout  de 
l'homme  de  goût.  C'est  quand  elle  est  envisagée  sous  ces 
différents  rapports  que  la  bibliographie  mérite  d'occuper 
une  place  distinguée  parmi  les  connaissances  humaines. 

Le  bibliographe  digne  de  ce  nom  sera  celui  qui,  préfé- 
rant les  bons  ouvrages  à  ceux  qui  ne  sont  remarquables  que 
par  leur  rareté  ou  leur  bizarrerie,  aura  puisé  une  véritable 
science  dans  les  meilleurs  auteurs  anciens  et  modernes , 
et  saura  communiquer  aux  personnes  qui  le  consulteront 
les  renseignements  les  plus  propres  à  les  bien  diriger  dans 
les  études  auxquelles  elles  voudront  se  livrer.  Les  recherches 
diverses  dont  il  se  sera  occupé  lui  donneront,  en  outre, 
la  facilité  d'assigner  à  chaque  ouvrage  la  place  qui  lui 
convient  ou  de  retrouver  cet  ouvrage  dans  une  collection 
de  livres,  quelque  nombreuse  qu'on  la  suppose,  pourvu 
qu'elle  soit  rangée  suivant  l'ordre  des  matières.  On  n'ap- 
précie pas  assez  ce  talent,  qui  ne  peut  être  que  le  fruit 
d'une  iuunense  lecture  et  de  profondes  méditations.  En  ef- 
fet, les  livres  sont  presque  aussi  multipliés  aujourd'hui  que 
les  productions  delà  nature;  et  comme  le  génie  de  l'homme, 
nécessairement  borné,  ne  peut  faire  éclater  dans  les  sujets 
qu'il  se  propose  de  traiter  renchaînement  et  la  régularité 
que  l'on  admire  dans  les  diverses  espèces  d'êtres  créés,  le 
bibliographe  doit  éprouver  dans  le  classement  des  travaux 
de  l'esprit  humain  plus  de  difficultés  que  n'en  rencontre  le 
naturaliste  dans  la  classification  des  êtres.  Un  bibliographe 
tel  que  je  le  dépeins  mérite  aussi  le  nom  de  bibliophile, 
c'est-à-dire  d'amateur  de  livres  ;  mais  il  ne  faut  pas  le  con- 
fondre avec lebiblio7nane,  qui  ne  s'attache  qu'à  certains 
livres  rares  et  chers,  ni  avec  les  bibliotaphes,  qui  ne 
possèdent  des  livres  que  pour  eux-mêmes,  sans  vouloir  les 
■communiquer  à  leurs  amis. 

Ant.-Alex.  Bakdieii,  bihliolh.  du  Louvre. 

BIBLIOGRAPHIE,  BIBLIOGNOSIE ,  ou  encore  BI- 
BLIOLOGIE  (du  grec  piêXiov,  livre,  et  ypàçw ,  j'écris  ;  yvwcri; , 
connaissance ,  et  ).6yo;,  discours).  Sous  ces  trois  mots  on 
entend  une  science  qui  s'occupe  de  la  connaissance  des  pro- 
ductions littéraires  de  tous  les  siècles  et  de  tous  les  peu- 
pies,  considérées  et  en  elles-mêmes  et  d'après  certaines  cir- 
constances extérieures.  Dans  l'antiquité  le  mot  grec  (îi- 
fiXioYpdçoc  était  synonyme  de  copiste.  Depuis  l'invention 
de  l'imprimerie  les  imprimeurs  portèrent  d'abord  quelque- 
fois ce  nom  ;  plus  tard  on  le  donna  aux  connaisseurs  et  aux 
<léchiffreurs  d'anciens  manuscrits,  jusqu'à  ce  qu'enfin,  vers 
le  milieu  du  dix-huitième  siècle,  ce  mot  reçut  en  France  sa 
signification  actuelle. 

Nous  diviserons  cette  science  d'après  Ébert  en  biblio- 
graphie pure  et  bibliographie  appliquée. 

La  bibliographie  pure  considère  les  livres  et  les  ma- 
nuscrits en  eux-mêmes;  elle  a  pour  mission  d'inventorier  ce 
qui  se  trouve  en  général  écrit  ou  imprimé.  Son  fondateur  fut 
K.  Gessner,  au  seizième  siècle,  qui  la  traita  dans  toute  son 
extension,  embrassant  toutes  les  contrées,  toutes  les  époques, 
toutes  les  sciences.  Depuis  lors,  comme  une  pareille  tâche , 
en  raison  de  l'immense  accroissement  du  nombre  des  livres, 
eût  dépassé  les  forces  d'un  seid  individu ,  elle  n'a  été  cul- 
tivée que  dans  des  ouvrages  d'une  étendue  plus  restreinte, 
d'après  l'un  ou  l'autre  de  ces  points  de  vue.  Les  ouvrages  bi- 
bliographiques sont  donc  de  trois  espèces  :  1"  ceux  qui 
se  rapportent  aux  productions  littéraires  de  certaines  épo- 
<|ues  :  ainsi,  pour  en  citer  un  exemple,  Ersch,  le  fondateur 
Ile  la  bibliographie  en  Allemagne,  déciit  dans  son  AlUjemei- 
iies  fipperlorittm  der  Literalur  (8  vol.,  léna  et  Weimar, 
1 7!)3  -  1  sot)  )  toute  la  littérature  des  quinze  années  cunq)rises 
i-nlrc  17S5  et  1800;  "2"  les  bibliographies  nationales  se  rat- 


BIBLIOGRAPHIE 

tachant  à  certains  pays  et  à  certaines  localités  :  nous  cite 
rons  comme  exemples  les  Sertecle  Testi  de  Gamba  (4*  édit.» 
Venise,  1839)  pour  l'Italie;  le  DibUograp\efs  Manual  d^ 
Lowndes  (  4  vol.,  Londres,  1S34  )  pour  l'Angleterre  ;  la  Bi 
bliographie  nts^e  de  Sopikoff  (5  vol.,  Saint-Pétersbourg 
1813- 1821);  h  Jiibtiotheca Scoiico-Celtica  deReid  {Édim< 
bourg,  I8.'î4);  la  Bibliotheca  Judaïca  de  Furst  (3  vol. 
Leipzig,  1850)  et  le  Bïbliographical  Diclionary  du  Tun 
Hadji-Chalfa  (  traduit  par  Flugel,  tomes  t  à  5 ,  Londres 
1845-1800).  3"  Le  plus  grand  nombre  des  ouvrages  biblio' 
graphiques  traitent  d'une  littérature  particulière  à  uns 
science  ou  bien  à  une  branche  de  cette  science  :  parmi  les 
plus  récents  travaux  de  ce  genre,  on  peut  citer  comme  des 
modèles  le  Thesaurtis  Lileraturx  Botanicœ  de  Pretzel 
(Leipzig,  1847  et  suiv.  );  la  Bibliographie  Biographique 
d'Œttinger  (Leipzig,  1850);  la  Bibliotheca  Medico-Histo 
ricrtde  Chouland  (Leipzig,  1828,  2*  édit.,  1842);  le  Mor 
nuel  de  Bibliographie  classique  de  Schweigger  (  3  vol., 
Leipzig,  1830-1844);  le  Manuel  de  Littérature  Théolo- 
gique de  Winer  ( 2  vol. ,  3*  édit ,  Leipzig ,  1837-1840); 
Y  Exposition  delà  Littérature  i)/H.siCfl/eparBecker(2  vol., 
Leipzig,  1836;  supplément,  18:59);  le  Manuel  de  Litté- 
rature Jurisprudcnticlle  de  Scliletler  (tom.  T"',  Grimma, 
1843);  la  Littérature  des  Grammaires  et  des  Diction- 
naires, par  Water  (  2^  édit.,  Berlin,  1847  )  ;  la  Science  des 
Écritures  du  Blason,  par  Bernd  (4  vol.,  Bonn,  1830-1841). 
Dans  cette  catégorie  rentrent  encore  les  catalogues  relatifs 
à  l'histoire  de  ceilains  pays  et  de  certaines  localités,  à  cer- 
tains faits  et  événements  (par  exemple,  le  Jubilé  de  la  Ré- 
formation), à  des  personnages  célèbres,  et  à  des  sujets 
particuliers  :  nous  citerons  comme  exemples  la  Bibliogra- 
phie parémiographique  île  Duplessis  (Paris,  1846);  le 
Shakspeariana  de  HaUiwell  (Londres,  1841  );  la  i?ii)/(o- 
theca  Petrarchesca  de  Mansard  (Milan,  1826);  les  Série 
degli  Scritti  impressi  in  dialetto  veneziano  de  Gamba 
(Venise,  1832);  le  Bibliothecx  sanscritx  Spécimen  de 
Gildemeister  (Bonn,  1847);  h  Littérature  du  Jeti  des 
Échecs,  par  Schraid  (Vienne,  1846  ) ,  etc.,  etc. 

A  ces  dilférences  constituées  par  les  matières  et  par  le 
contenu  de  la  bibliographie  il  faut  encore  ajouter  celles  qui 
proviennent  de  la  manière  différente  de  les  traiter.  Les  uns 
choisissent  l'ordre  alphabétique  ou  chronologique  ,  les  au- 
tres l'ordre  systématique.  Tantôt  les  livres  sont  indiqués  pu- 
rement et  simplement,  tantôt  cette  indication  est  accompa- 
gnée de  notes  critiques  et  rai  sonnées.  Ceux-ci  ont  un  but  bi- 
bliographique, ceux-là  un  but  scientifique  ;  tantôt  ils  visent 
avant  tout  à  être  complets,  tantôt  Us  s'attachent  à  faire  un 
choix  de  ce  qu'il  y  a  de  meilleur  et  de  plus  important.  C'est 
ainsi  que  V Allgemeincs  Bucherlexicon  de  Heinsius  (  tom.  I 
à  VII,  Leipzig,  1812-1829  :  tomes  VIII  et  IX,  par  Schulz, 
Leipzig,  I83G-1847;  tom.  X,  par  Schiller, Leipzig,  1847-1849) 
présente  la  liste,  par  ordre  alphabétique,  de  tous  les  livres 
que  la  librairie  allemande  a  fait  paraître  depuis  l'année  1700, 
et  qu'on  trouve  systématiquement  classés  par  science  dans 
le  Handbuch  der  Deutschcn  Literatur  d'Ersch  (4  vol., 
2*  édit.,  Leipzig,  1822-1840;  3*  édit.,  par  Geissler,  1840  et 
suiv.  )  tous  les  ouvrages  qui  ont  paru  en  Allemagne  depuis 
1750.  L'excellent  ouvragede  Quérard,  LaFrance  littéraire 
(10  vol.,  Paris,  1837-1840),  avec  ses  compléments;  La^ 
Littérature  française  contemporaine  {Vatm,  1842  et  suiv.)  J 
Ouvrages  polijomjmcs  et  anonymes  (Paris,  1848  et  suiv.).- 
Superchcries  littéraires  dévoilées  :  galerie  des  auteurs 
apocryphes  {Varh,  1848),  et  Les  auteurs  déguisés  delà 
Littérature  française  (Paris,  1845),  présentent  le  tableau 
complet  delà  littérature  française  depuis  1700,  par  auteurs.  , 
Les  Hollandais,  les  Danois,  les  Suédois,  les  ^orvégiens,  leS: 
Anglais  et  les  Américains  possèdent  de  sendjiahics  revues; 
bibliographiques,  quoique  moins  complètes,  moins  biea 
faites  et  méritant  moins  de  conliance.  C'est  la  France  qut 
en  donna  le  premier  exenqjle  avec  sa  Bibliographie  gén 


BIBLIOGRAPHIE  —  BIBLIOMANIE 


161 


aie  (le  la  France  {  voyez  BrucnoT),  qui  parait  régulière- 
nent  toutes  les  semaines  depuis  1812.  Ce  recueil  provoqua 
in  182S  la  publication  en  Italie  de  la  Bibliografia  Italia- 
ia;  en  Hollande,  àeLijst  van  Nieiv  intgekomen  boeken; 
i  'H  Suède,  de  la  Svensk  Bibliographi  (  1829  )  et  du  Svensk 
litteratur Bulletin  (  1844) ;  en  Danemark,  de  ïaDanskBi- 
bliographie,  par  Hœst  (  1843)  ;  de  la  Bibliographie  de  Bel- 
vque,  parMucquardt  (1838);  en  Espagne  (1840),  de  la  Bi- 
bliografia  de  Espaîia  et  du  Boletin  Bibliografico  ;  en 
Angleterre  (  1838),  à&Thepublisher' s  circular  and  gênerai 
Record  qfbritish  littérature  ti  An  Monthly  List  of  New 
Books;  en  Hongrie  depuis  1843  du  Honi  irodalmi  Hirde- 
lœ,  par  Eiggenberg;  enfin  en  Allemagne  depuis  1836  de 
VAllgemeine  Bibliographie  fur  Dentschland.  Le  cata- 
logue semest'iel  des  livres,  cartes,  etc.,  par  Heinrichs,  paraît 
régulièrement  depuis  1799.  Le  Leipziger  Repertorium  der 
Deiitschen  xind  Auslxndischen  Literatur,  fondé  en  1818 
par  Beck,  continué  après  sa  mort,  en  1833,  par  Pœlitz,  et 
depuis  1834  par  Gersdorf,  présente  le  tableau  critique  de 
toutes  les  publications  les  plus  importantes. 

La  Bibliographie  appliquée ,  appelée  de  préférence  Bi- 
bliographie ,  considère  les  livres  d'après  leur  état  actuel , 
les  destinées  qu'ils  ont  éprouvées  et  leurs  conditions  exté- 
rieures ,  qui  en  constituent  la  valeur  aux  yeux  des  collec- 
tionneurs (  bibliothécaires,  bibliophiles,  biblio- 
manes).  C'est  une  science  qui  a  fleuri  surtout  en  France 
et  en  Angleterre,  parce  que  c'est  dans  ces  deux  pays  que  le 
luxe  des  livres  et  la  bibliomanie  ont  été  poussés  le  plus 
.loin.  Les  livres  dont  s'occupent  les  collectionneurs,  et  qui 
par  suite  rentrent  dans  le  domaine  de  la  bibliographie  ap- 
pliquée, sont  ceux  que  leurs  destinées ,  leur  âge  et  leur  état 
extérieur  rendent  remarquables;  les  livres  rares,  défendus, 
mutilés,  les  incunables,  \es  editiones  principes  des,  an- 
ciens classiques,  les  An  a,  les  Facéties,  les  ouvrages  pro- 
venant des  presses  de  certains  imprimeurs  célèbres,  comme 
les  Elzevier,  les  Aide,  les  Giunti,  les  Bodoni,  les 
Etienne,  etc.  Les  conditions  extérieures  dont  les  biblio- 
graphes ont  habitude  de  tenir  compte  varient  à  l'infini.  Ils 
considèrent  l'impression  et  la  manière  dont  elle  a  été  exé- 
cutée, les  caractères,  le  papier,  l'état  particulier  dans  lequel 
se  trouvent  les  exemplaires.  La  Bibliographie  appliquée  a 
pour  créateur  le  Français  De  bure ,  auteur  de  la  Bibliogra- 
phie instructive  (7  vol.,  Paris,  1763-17G8).  Plus  tard 
Bru  net  fit  paraître  son  excellent  Manuel  du  Libraire 
(3  vol.,  Paris,  1810;  4*^  édit.,  Paris,  1845),  qui  a  servi  de 
hase  à  YAllgemeines  bibliographisches  Lexicon  d'Ébert, 
ouvrage  resté  sans  rival  (2  vol.,  Leipzig,  1821-1830).  Il  faut 
dire  toutefois  que  ce  dernier  inventaire  des  richesses  de  la 
bibliographie,  comme  en  général  tous  ceux  qui  ont  été  dres- 
sés en  Allemagne ,  répond  plus  aux  besoins  des  savants  et 
de  la  science  que  les  ouvrages  analogues  publiés  en  Angle- 
terre, entre  autres  ceux  de  Dibdin,  destinés  plutôt  à  Hatter 
la  passion  de  la  bibliomanie.  Panzer,  Heller,  Sotzmann, 
Fischer,  Bessenmeyer,  Weigel,  Asher,  Zunz,  Grœtz,  Von- 
derHagen,Merzdorf,  Mone,  Hain,  etc.,  sont  en  Allemagne 
les  écrivains  qui  par  de  bonnes  monographies  ont  contribué 
le  plus  aux  progrès  de  la  science  bibliographique. 

[Indépendamment  des  livres  qui  viennent  d'être  cités, 
quelques  ouvrages  bibliographiques  méritent  encore  une 
mention  ;  nous  nommerons  seulement  :  Bibliotheca  biblio- 
thecarum,  par  le  P.  Labbe,  jésuite  (Paris,  1664,  in-4''), 
revue  et  augmentée  par  Ant.  Teissier(  Genève,  1786,  in-4'')  ; 
Dictionnaire  typographique,  historique  et  critique  des 
Livres  rares,  singuliers,  estimés  et  recherchés  en  totis 
genres,  par  Osmont,  17G8,  2  volumes in-8'';DJc^?onnflJre 
bibliographique,  historiq^ic  et  critique  des  Livres  rares , 
précieux,  singuliers,  curieux ,  estimés  et  recherchés, 
soit  imprimés ,  soit  manuscrits ,  avec  leur  valeur,  par 
l'abbé  Duclos,  et  la  supplément  par  Brunet  (1790  à  1802, 
4  vol.  in-'è,°);  Nouveau  Dictionnaire  porîalif  de  Biblio- 


graphie, précédé  d'un  précis  sur  les  bibliothèques  et  la 
bibliographie,  par  Fr.-Ig.  Fournier  (  1809,  in-8"). 

Parmi  les  ouvrages  bibliographiques  spéciaux,  rappelons 
le  Dictionnaire  Bibliographique  choisi  du  quinzième 
siècle,  ou  Description  par  ordre  alphabétique  des  édi- 
tions les  plus  rares  et  les  plus  recherchées ,  etc.,  par  de 
La  Sema-Santander,  bibliothécaire  à  Bruxelles  (1805,  3  vol. 
in-8'');  le  Dictionnaire  Critique,  Littéraire  et  Bibliogra- 
phique des  principaux  livres  condamnés  au  feu,  sup- 
primés ou  censurés ,  précédé  d'un  discours  sur  ces  sortes 
d'ouvrages,  par  Gab.Peignot  (1806,  2  vol.  in-8°);  Vis- 
sai Bibliographique  sur  les  Éditions  des  Elzevicrs  les 
plus  précieuses  et  les  plus  recherchées ,  précédé  d'une 
notice  sur  ces  imprimeurs  célèbres ,  par  M.  Bérard;  le 
Dictionnaire  des  Ouvrages  Anonymes  et  Pseudonymes , 
composés,  traduits  oic  publiés  en  français  et  en  latin  , 
avec  les  noms  des  auteurs  et  éditeurs,  par  Ant.-Al.  Bar- 
bier, 

Sans  entrer  dans  le  détail  des  bibliographies  particulières 
à  chaque  science  et  en  diverses  langues ,  nous  indiquerons 
seulement  :  la  Bibliothèque  Sacrée ,  par  le  P.  Lelong, 
oratorien  (1709,  2  vol.  in-8°)  ;  la  Bibliothèque  Historiqtte 
de  la  France,  par  le  même,  augmentée  et  publiée  par  Fon- 
tette  (Paris,  1768,  5  vol.  'm-îo\.) •,\iL  Bibliothèque  Latine 
deFabricius,  revue  par  Ernest;  la  Bibliothèque  Arabe 
de  Schnurrer;  la  Bibliothèque  Orientale  de  Hottinger 
(toutes  deux  en  latin);  la  Bibliographie  Astronomique 
de  Lalande  ;  la  Bibliographie  des  Voyages,  par  Beck- 
mann;  la  Bibliothèque  A mérico- Septentrionale,  par 
W'arden  (en  latin);  le  Catalogue  des  Dictionnaires, 
Grammaires  et  Alphabets  de  toutes  les  Langues,  par  Mars- 
den  (en  anglais);  la  Bibliothèque  Orientale  du  Vatican, 
par  Assemani  (en  latin)  ;  la  Bibliothèque  Arabe  de  l'Es- 
curial,  par  Casiri  ;  le  Catalogue  de  la  bibliothèque  du 
sultan  Tippou  (en  anglais);  \Si  Bibliothèque  Italienne 
de  Haym;  la  Bibliothèque  Bodléienrie  d'Oxiord ,  par  Ury 
et  Nicholl,  etc.,  etc. 

Louis  Jacob  a  publié  un  Traité  des  plus  belles  Bi- 
bliothèques publiques  et  particulières  (in-S",  1655).  Il 
donna  pendant  quelques  années  (en  latin)  une  Bibliothèque 
Parisienne  et  une  Bibliothèque  Française.  On  y  trouve  la 
liste  de  tous  les  ouvrages  imprimés  à  Paris  et  en  France 
depuis  1643  jusqu'en  1663.  Les  journaux  suppléèrent  long- 
temps au  défaut  de  continuation  de  ces  deux  ouvrages  bi- 
bliographiques :  le  Journal  des  Savants,  le  Mercure  de 
France,  le  Journal  Encyclopédique,  le  Journal  de  Tré- 
voux, Y  Année  Littéraire,  le  Journal  de  Bouillon,  YAl- 
manach  des  Muses,  VAlmanach  Littéraire,  et  divers  jour- 
naux de  sciences  spéciales ,  etc.  ;  et  depuis  :  le  Magasin 
Encyclopédique, \a  Décade  Philosophique,^  Revue  Ency- 
clopédique, d'autres  Revues  encore,  ont  publié  périodique- 
ment des  listes  analytiques  plus  ou  moins  complètes  d'ou- 
vrages imprimés  en  France  et  dans  les  pays  étrangers, 

H.   AUDIFFRET.  ] 

BIBLIOLITHES  (de  pi6>îov,  livre,  etXÎÔo;,  pierre). 
On  donnait  anciennement  ce  nom  à  des  schistes  de  con- 
texture  lamelleuse  et  à  certaines  pierres  portant  l'em- 
preinte de  feuilles  végétales ,  parce  que  ces  diverses  pro- 
ductions minérales  offrent  l'apparence  des  feuillets  d'ua 
livre. 

BIBLIOLOGIE.  Voyez  Bibliocrapuie. 

BiBLlOMAIVIGIE  (de  BtêÀîa,  Bible,  et  (lavteîa,  divi- 
nation ),  espèce  de  divination  qui  s'«'xerce  au  moyen  et  par 
le  secours  de  la  Bible,  ouverte  au  hasard,  pour  avoir  une 
réponseà  ce  que  l'on  veut  savoir.  Elle  était  fort  en  usage 
dans  le  moyen  âge  parmi  les  juifs. 

BIBLPOMAME  (de  piê/îov,  livre,  (xavia,  manie), 
fureur  d'avoir  des  livres  et  d'en  ramns'icr. 

Descartes  disait  que  la  lecture  était  ime  conversation  qu'on 
avait  avec  les  gramls  hommes  des  siècles  jiaivsés,  mais  unï 


152 


BIBLIOMANIE  —  BIBLIOPHILE 


conversation  clioisie,  dans  laquelle  ils  ne  nous  découvrent 
que  les  meilleures  de  leurs  pensées.  Cela  peut  être  vrai  des 
grands  hommes;  mais  comme  les  grands  hommes  sont 
en  petit  nombre,  on  aurait  tort  d'étendre  cette  maxime  à 
toutes  sortes  de  livres  et  à  toutes  sortes  de  lectures.  Tant  de 
gens  médiocres  et  tant  de  sots  môme  ont  écrit,  que  Ton  peut 
en  général  regarder  une  grande  collection  de  livres,  dans 
quelque  genre  que  ce  soit,  comme  un  recueil  de  mémoires 
pour  servir  à  l'iiistoire  de  l'aveuglement  et  de  la  folie  des 
hommes  ;  et  on  pourrait  mettre  au-dessus  de  toutes  les  grandes 
bibliothèques  cette  inscription  :  Les  Petites  Maisons  de 
Cesprit  htwiain. 

11  suit  de  là  que  l'amour  des  livres,  quand  il  n'est  pas 
guidé  par  un  esprit  éclairé,  est  une  des  passions  les  plus  ri- 
dicules. Ce  serait  à  peu  près  la  folie  d'un  homme  qui  en- 
tasserait cinq  ou  six  diamants  sous  un  monceau  de  cailloux. 

L'amour  des  livres  n'est  estimable  que  dans  deux  cas  : 
r  lorsqu'on  sait  les  estimer  ce  qu'ils  valent,  qu'on  les  lit  en 
philosophe,  pour  profiter  de  ce  qu'il  peut  y  avoir  de  bon, 
et  rire  de  ce  qu'ils  contiennent  de  mauvais  ;  2°  lorsqu'on 
les  possède  autant  pour  les  autres  que  pour  soi,  et  qu'on 
leur  en  fait  part  avec  plaisir  et  sans  réserve. 

J'ai  ouï  dire  à  un  bel  esprit  qu'il  était  parvenu  à  se  faire, 
par  un  moyen  assez  singulier,  une  bibliothèque  très-choisie, 
assez  nombreuse,  et  qui  pourtant  n'occupait  pas  beaucoup  de 
place.  S'il  achetait,  par  exemple,  un  ouvrage  en  douze  vo  - 
lûmes  où  il  n'y  eût  que  six  pages  qui  méritassent  d'être 
lues,  il  séparait  ces  six  pages  du  reste,  et  jetait  l'ouvrage 
au  feu.  Cette  manière  de  former  une  bibliothèque  m'accom- 
moderait assez. 

La  passion  d'avoir  des  livres  est  quelquefois  poussée  jus- 
qu'à une  avarice  très-sordide.  J'ai  connu  un  fou  qui  avait 
conçu  une  extrême  passion  pour  tous  les  livres  d'astrono- 
mie ,  quoiqu'il  ne  sût  pas  un  mot  de  cette  science  ;  il  les 
achetait  à  un  prix  exorbitant ,  et  les  renfermait  proprement 
dans  une  cassette  sans  les  regarder.  Il  ne  les  eût  pas  prêtés 
ni  même  laissé  voir  à  Halley  ou  à  IMonnier  s'ils  en  eussent 
eu  besoin.  Un  autre  faisait  relier  les  siens  très-proprement; 
et  de  peur  de  les  gâter ,  il  les  empruntait  à  d'autres  quand 
il  en  avait  besoin,  quoiqu'il  les  eût  dans  sa  bibliothèque. 
Il  avait  mis  sur  la  porte  de  sa  bibliothèque  :  Ite  ad  venden- 
tes  ;  aussi  ne  prêtait-il  de  livres  à  personne. 

En  général,  la  bibliomanie,  à  quelques  exceptions  près, 
est  comme  la  passion  des  tableaux,  des  curiosités,  des  mai- 
sons ;  ceux  qui  les  possèdent  n'en  jouissent  guère.  Ainsi 
en  entrant  dans  une  bibliothèque ,  on  pourrait  dire  de  pres- 
que tous  les  Uvres  qu'on  y  voit  ce  qu'un  philosophe  disait 
autrefois  en  entrant  dans  une  maison  fort  ornée  :  Quam 
multis  non  indigeo!  que  de  choses  dont  je  n'ai  que  faire  ! 

D'AlemBERT  ,  de  rAcadémie  des  Sciences. 

Le  bibliomane  n'est  pas  toujours  un  homme  qui  achète 
indistinctement  tous  les  livres  qui  lui  tombent  sous  la  main  ; 
il  collectionne  ordinairement  d'après  certains  principes, 
mais  en  attachant  à  certaines  circonstances  et  conditions , 
toutes  fortuites  et  extérieures ,  des  livres  une  valeur  extra- 
ordinaire; et  il  est  déterminé  dans  ces  acquisitions  plutôtpar 
l'existencede  ces  conditions  que  par  l'importance  scientifique 
ou  littéraire  des  livres.  Les  principes  qui  le  guident  dans  ses 
choix  sont  tantôt  les  destinées  et  l'âge  des  livres,  tantôt  leur 
matériel.  Les  collections  de  Hvres  qu'on  peut  considérer 
comme  faisant  un  ensemble,  parce  qu'ils  se  rapportent  à 
un  sujet  ayant  de  l'importance  aux  yeu\  desbibliomanes  (par 
exemple ,  les  Res  publicx  d'Eizevier) ,  ou  parce  qu'ils  sont 
fabriqués  d'une  manière  à  laquelle  on  attache  un  certain  mé- 
rite ,  ou  encore  parce  qu'ils  sortent  d'officines  renommées 
(d'Elzévier,  d'Aide,  deGiunti,  d'Etienne,  de  Bo- 
d  0  n  i,  etc.),  ont  en  outre  relativement  une  valeur  presque  tou- 
jours scientifique.  Toutefois,  il  est  plus  commun  de  voir  la 
passion  des  bibliomanes  s'attacheraux  conditions  matérielles 
mêmes  des  livres.  On  i)aye  souvent  à  des  prix  inouïs  des  édi- 


tions de  luxe,  des  exemplaires  ornés  de  miniatures  et  de  let- 
ties  initiales  artistemeut  peintes,  des  impressions  sur  parche- 
min ou  vélin,  sur  papier  de  couleur  ou  sur  des  matières  hora 
d'usage  (par  exemple  de  l'asbeste,  de  la  peau  humaine)^ 
sur  grand  papier  (avec  de  très-larges  marges),  et  des  exem- 
plaires non  rognés  d'ouvrages  rares  et  anciens ,  des  impres^ 
sions  en  or ,  en  argent  et  autres  couleurs ,  des  livres  dont  I4 
texte  a  été  complètement  gravé  sur  cuivre;  enfin  des  ou- 
vrages tirés  à  un  très-petit  nombre  d'exemplaires  seulement 
et  numérotés,  portant  l'indication  du  nombre  total  dont  s'es( 
composée  l'édition.  En  France,  en  Angleterre  surtout,  on 
recherche  aussi  les  reliures  sorties  des  ateliers  de  relieurs 
en  renom  (Derome,  Bozérian,  Lewis,  Payne);  les  hvres 
dont  les  pages  sont  ornées  de  lignes  simples  ou  doubles  tra-i 
cées  à  la  plume  (  exemplaires  réglés  )  ;  ce  qu'on  appelle 
des  exemplaires  illustrés,  enfin  les  livres  portant  l'indica- 
tion des  noms  de  leurs  anciens  propriétaires  et  ayant  appar^ 
tenu  à  des  hommes  célèbres,  à  quelque  titre  que  ce  puisse 
être;  toutes  ces  circonstances  fortuites  et  bien  d'autres  en- 
core suffisent  pour  déterminer  le  véritable  bibliomane  à  en 
donner  des  prix  incroyables.  De  toutes  les  ventes  publique» 
à  l'occasion  desquelles  on  vit  les  bibliomanes  s'abandonner 
sans  retenue  à  leur  passion  pour  les  hvres,  la  plus  remar 
quable  est  celle  qui  eut  lieu  à  Londres  en  1812  pour  la  bi 
bliothèque  du  duc  de  Roxburgh.  Presque  tous  les  article! 
y  furent  poussés  à  des  prix  fabuleux.  Ainsi,  un  exemplaire  de 
la  première  édition  de  Boccace,  publiéeen  1471  chez  Valdarfer, 
alla  à  2,260  liv.  sterl.  (56,500  fr.).  C'est  pour  en  éterniser  le 
souvenir  qu'on  fonda  l'année  suivante  le  Roxburgh  Club, 
composé  uniquement  de  bibliomanes  pur-sang,  dont  lord 
Spencer  fut  longtemps  le  président,  et  qui  se  réunit  tous  les 
ans  à  la  taverne  de  Saint- Alban,  le  !.■}  juillet,  jour  anni- 
versaire de  la  vente  du  fameux  exemplaire  de  Boccace.  C'est 
en  Hollande,  et  vers  la  fin  du  dix-septième  siècle,  que  ce  goût 
exagéré  des  livres  revêtit  pour  la  première  fois  des  formes 
singulières;  mais  on  ne  saurait  contester  qu'en  fait  de  bi- 
bliomanie les  Anglais  conservent  une  supériorité  que  les 
Français  et  les  Italiens  essayeraient  vainement  de  leur  dis- 
puter ,  et  bien  moins  encore  les  rares  amateurs  qu'on  peut 
rencontrer  dans  le  midi  de  l'Allemagne.  A  eux  la  gloire  d'a- 
voir érigé  en  système  les  excentricités  les  plus  bizarres  dont 
soit  capable  un  riche  amateur,  et  qui  ont  fourni  à  Dibdin 
le  sujet  de  son  livre  :  Bibliomania  or  Book-Madness  (  Lon- 
dres, 1811). 

Ce  qui  distingue  le  bibliomane  du  bibliophile ,  c'est  qu'il 
attache  de  l'importance  à  des  circonstances  tout  accessoires 
et  se  laisse  dominer  par  des  considérations  qu'aucun  motif 
raisonnable  ne  saurait  justifier.  Le  bibliophile,  au  con- 
traire ,  ne  commence  à  réunir  les  ouvrages  les  meilleurs  et 
les  plus  utiles  dont  il  veut  composer  sa  bibliothèque,  ou 
tout  au  moins  à  former  une  collection  spéciale ,  que  dans 
l'intention  de  s'en  servir.  Sans  doute  il  se  présente  des  cas 
où  il  devient  bien  difficile  d'établir  une  ligne  de  démarcation 
précise  entre  l'un  et  l'autre  ;  et  c'est  là  vraisemblablement 
le  motif  qui  fait  qu'en  Angleterre,  où  depuis  vingt-cinq  ans 
les  hommes  qui  ont  la  passion  des  livres  ont  singulièrement 
perdu  de  l'espèce  de  considération  qui  s'attachait  à  ce  tra- 
vers de  l'esprit ,  on  persiste  à  appeler  bibliomanes  tous  les 
collectionneurs  de  livres.  Nous  retrouverons  les  uns  et  les 
autres  au  mot  Collection,  où  nous  aurons  à  parler  des  plus 
curieuses  collections  de  livres  qui  aient  été  formées. 

BIBLIOPI11LE,BIBLIOMANE.  Le  premier  de  cesmotSj 
vient  de  pt6Xîov,  hvre,  et  çîXoç,  ami.  Il  ne  peut  donc  s'en- 
tendre que  d'une  manière  favorable;  c'est  le  nom  de  celui 
qui  aime  les  hvres  plus  pour  ce  qu'ils  contiennent  que  pour' 
leur  aspect  ;  qui  recherche  avant  tout  les  bonnes  éditions ,; 
qui  estime  les  éditions  correctes,  qui  prise  les  éditions  rares, 
et  bien  imprimées,  celui  enfin  qui  aime  les  livres  avec  Intel' 
ligence.  Le  bibliomane  est  celui  qui  pousse  l'amour  des  li 
vres  jusqu'à  la  fureur,  jusqu'à  la  manie,  qui  en  entasse  san» 


BIBLIOPHILE 


153 


les  lire ,  qui  court  après  les  livres  rares  sans  se  demander 
s'ils  ont  d'autres  mérites,  qui  fait  d'une  bibliothèque  une  col- 
lection de  curiosités.  Ce  n'est  pas  un  homme  qui  se  pro- 
cure des  livres  pour  s'instruire.  «  11  a  des  livres ,  comme 
le  disait  Diderot,  pour  les  avoir,  pour  en  repaître  sa  vue; 
toute  sa  science  se  borne  à  connaître  s'ils  sont  de  la  bonne 
idition ,  s'ils  sont  bien  reliés  :  pour  les  choses  qu'ils  con- 
tiennent, c'est  un  mystère  auquel  il  ne  prétend  pas  être  ini- 
tié ;  cela  est  bon  pour  ceux  qui  auront  du  temps  à  perdre.  • 

On  sait  le  portrait  que  La  Bruyère  a  fait  du  bibliomane  : 
«  Je  vais  trouver,  dit-il ,  cet  homme,  qui  me  reçoit  dans 
une  maison  où  dès  l'escalier  je  tombe  en  faiblesse  d'une 
odeur  de  maroquin  noir  dont  ses  livres  sont  tous  couverts. 
11  a  beau  me  crier  aux  oreilles,  pour  me  ranimor,  qu'ils 
sont  dorés  sur  tranche,  ornés  de  filets  d'or,  et  de  la  bonne 
édition  ;  me  nommer  les  meilleurs  l'un  après  l'autre  ;  dire 
que  sa  galerie  est  remplie  à  quelques  endroits  près ,  qui  sont 
peints  de  manière  qu'on  les  prend  pour  de  vrais  livres  ar- 
rangés sur  des  tablettes,  et  que  l'oeil  s'y  trompe;  ajouter 
qu'il  ne  lit  jamais,  qu'il  ne  met  pas  le  pied  dans  cette  gale- 
rie ;  qu'il  y  viendra  pour  me  faire  plaisir  :  je  le  remercie  de 
sa  complaisance,  et  ne  veux,  non  plus  que  lui,  visiter  sa 
tannerie,  qu'il  Ap\Kl\e  bibliothèqîie.  » 

INIallieureusement  nous  n'avons  pas  de  mot  pour  désigner 
la  passion  du  bibliophile  comme  nous  en  avons  un  pour  dé- 
signer celle  de  bibliomane.  De  là  sans  doute  cette  sorte  de 
confusion  qu'on  rencontre  souvent  entre  ces  deux  genres 
d'amateurs.  Ainsi,  par  exemple,  dans  le  curieux  article  qu'on 
va  lire,  on  reconnaîtra  peut-être  plus  d'une  fois  un  biblio- 
phile sous  le  manteau  du  bibUomane. 

[  Toutes  les  manies  ne  sont  pas  ridicules  et  mauvaises;  il 
en  est  de  bonnes  et  de  respectables,  celle  des  livres,  par 
exemple.  L'amour  devient  passion  :  un  bibliophile  sera  bien- 
tôt bibliomane.  On  aime  les  livres,  on  se  passionne  pour 
eux ,  à  tout  âge,  dans  toute  position  de  vie  et  de  fortune; 
mais ,  contrairement  aux  habitudes  de  l'amour,  c'est  la  pos- 
session qui  échauffe,  active  et  développe  la  passion  des  li- 
vres ;  passion  obstinée  et  fidèle,  inquiète  et  dévorante,  in- 
fatigable et  jalouse.  La  bibliomanie  s'empare  d'une  existence, 
la  tourmente  et  la  remplit,  l'enivre  de  jouissances  douces  et 
paisibles,  la  stimule  de  désirs  capricieux,  et  la  concentre  pour 
ainsi  dire  dans  le  corps  d'une  bibUothèque.  On  aurait  tort  de 
faire  labibliomanie  contemporaine  de  l'imprimerie  ;  elle  exis- 
tait peut-être  avant  les  manuscrits  d'écorce  d'arbre,  de  peau  de 
serpent  et  de  papyrus;  ceux  qui  recueillaient  soigneusement 
les  oracles  des  sibylles  tracés  sur  des  feuilles  de  chêne  et  je- 
tés au  vent,  n'étaient-ils  pas  un  peu  bibliomanesct  amateurs 
d'autographes.'  H  y  eut  de  véritables  bibliomanes  quand  on 
s'occupa  de  former  des  bibliothèques,  et  celle  d'A- 
lexandrie atteste  la  patience,  le  zèle,  le  goût  des  prêtres 
égyptiens,  qui  cherchaient  à  rassembler  le  plus  grand  nom- 
bre de  volumes  et  le  meilleur  choix  d'ouvrages.  Ce  n'é- 
tait pas  l'usage  des  anciens  Grecs ,  qui  confiaient  la  garde 
de  leur  littérature  à  la  mémoire  de  leurs  rapsodes. 

Cependant ,  dans  tous  les  temps  et  en  tous  les  pays ,  la  bi- 
bliomanie a  été  l'apanage  des  esprits  délicats  et  cultivés. 
En  France ,  ii  une  époque  où  l'ignorance  pesait  sur  les  mas- 
ses ,  qui  ne  connaissaient  de  livres  que  le  Missel  public  en- 
chaîné derrière  un  grillage  à  l'entrée  des  églises ,  les  moines 
entassaient  dans  la  librairie  de  leur  monastère ,  avec  au- 
tant de  soin  que  les  tonneaux  dans  leurs  celliers ,  ces  vieux 
codices,  grecs  et  latins,  ces  manuscrits  en  vélin ,  dorés  et 
coloriés,  qui  sont  encore  les  plus  précieux  ornements  de 
nos  bibliothèques. 

11  semble  que  la  bibliomanie  soit  la  distraction  des  grands 
hommes  et  même  des  héros.  Alexandre,  il  est  vrai ,  ne  com- 
posait sa  bibliothèque  de  conquérant  que  d'un  exemplaire 
des  poèmes  d'Homère,  enfeimé  dans  le  cèdre,  au  milieu  des 
parfums  ;  mais  Charies  V  et  François  T'"  fondaient  la  B  i  bl  i  o- 
thèquenaticnale;  mais  Louis  XIV  envoyait  acheter  des 

UlCÎ.    l)L    LA    CO.NM;Ks.    T.   UI. 


livres  en  Orient  et  jusqu'en  Chine  ;  mais  Bonaparte  ic  dé- 
lassait de  sa  rude  guerre  d'Espagne  en  dressant  avec  Bar- 
bier le  plan  ,  en  feuilles,  d'une  bibliothèque  portative.  Ici 
Mazarin  charge  le  savant  Naudéde  créer  sa  bibliothè- 
que ,  dont  il  ne  posséda  que  le  catalogue  complet  ;  là ,  le  gou- 
vernement républicain  se  fait  bibliothécaire  des  1,500,000 
volumes  sauvés  de  la  ruine  des  couvents. 

N'étaient-ils  pas  bibliomanes,  ces  imprimeurs  du  seizième 
et  du  dix-septième  siècle  qui  eussent  sacrifié  à  leurs  livres 
tout,  excepté  l'honneur  de  les  avoir  faits?  cet  Antoine  Vé- 
rard ,  qui,  pour  conserver  à  son  art  les  richesses  de  la  cal- 
ligraphie ,  imprimait  sur  vélin  et  faisait  peindre  ses  romans 
de  chevalerie  ?  ceRobert  Etienne,  qui  mettait  son  orgueil  à 
ne  pas  voir  ses  publications  défigurées  par  un  erratum  ?  ces 
f  rères  E 1  z  e  V  i  e  r  s ,  qui  se  distinguèrent  encore  de  tous  les  typo- 
graphes par  la  netteté  des  caractères  et  la  sonorité  du  papier? 
Hélas  !  aujourd'hui  les  bibliophiles  ne  sont  plus  bibliomanes. 
La  bibliomanie  peut  aller  jusqu'au  déhre,  jusqu'au  sui- 
cide. Le  marquis  de  Chalabre  est  mort,  dit-on,  du  noir 
chagrin  qu'il  conçut  à  la  recherche  infructueuse  d'une  Bible 
imaginaire.  Combien  d'infortunés  n'ont  pu  survivre  à  la  perte 
de  kurs  livres  chéris  !  Certainement  plus  d'un  bénédictin 
s'éteignit  de  douleur  avec  l'incendie  de  la  bibliothèque  de 
Saint-Germam-des-Prés  pendant  la  révolution.  Le  père  Ja- 
cob, qui  a  laissé  le  Traité  des  plus  belles  bibliothèques  du 
monde,  fut  sans  cesse  irrité  du  mépris  où  étaient  tombés 
les  anciens  livres  originaux  «  dont  on  fait  des  fusées ,  dit-il 
avec  amertume ,  et  dont  les  charcutiers  parent  leurs  bou- 
tiques ».  C'est  ce  mépris  qui  tua  ce  bon  religieux,  que  l'on 
mit,  aussitôt  après  sa  mort,  dans  un  carrosse,  avec  ses  livres, 
pour  être  transporté  à  son  couvent  des  Billettes. 

La  bibliomanie  commence  de  bonne  heure ,  quelquefois 
avant  les  autres  passions  :  «  Je  me  rappelle  le  temps ,  dit 
un  camarade  de  classe  de  Barbier,  où  il  rentrait  tous  les 
soirs  au  collège  avec  ce  que  nous  appelions  un  bouquin.  » 
Et  moi  je  me  rappelle  aussi  que  j'aimais  les  livres  avant  de 
savoir  lire  ;  j'aimais  d'avance  à  les  examiner,  à  les  toucher, 
à  les  caresser  cgmme  des  amis  d'enfance. 

Le  bibliomane,  bien  différent  du  bibliographe ,  ne  s'at- 
tache qu'à  certains  livres  curieux ,  rares  et  cliers ,  qu'il  ne 
connaîtra  jamais  qu'en  dehors  si  vous  voulez,  mais  qu'il 
léguera  un  jour  à  des  dépositaires  non  moins  religieux ,  qui 
ne  dissiperont  pas  c&  trésor.  C'est  une  sorte  d'avarice ,  je 
l'avoue,  qui  s'affiche  au  lieu  de  se  cacher,  et  qui  tient  dans 
ses  mains  une  sorte  de  propriété  nationale  des  monuments 
intellectuels  et  typographiques,  la  plupart  enlevés  à  l'oubli 
et  à  la  destruction.  Le  bibliomane  est  le  dragon  du  jardin 
des  Hespérides. 

Il  y  a  des  bibliomanes  de  tonte  espèce.  Les  fous  ne  sont 
pas  plus  variés,  et  bien  des  bibliomanes  pourraient  compter 
parmi  les  fous  :  l'un  ne  rêve  qu'Elzeviers ,  et  surtout  Elze- 
viers  non  rognés,  dont  la  marge  se  mesure  au  compas; 
l'autre  n'estime  des  livres  que  l'habit,  et  se  montre  docte 
en  fait  de  reliures ,  ne  confondant  jamais  Padeloup  et  De- 
rome ,  se  pâmant  d'aise  à  lorgner  un  filet  et  une  nervure  ; 
celui-ci  paye  autant  que  des  chevaux  anglais  ces  bagatelles 
imprimées  qui  n'ont  de  mérite  que  leur  rareté  et  leur  bêtise; 
celui-là  s'identifie  en  quelque  façon  avec  un  auteur  favori, 
dont  il  pourchasse  les  moindres  pièces  fugitives ,  s'enquérant 
d'une  variante  comme  s'il  s'agissait  de  la  pierre  philoso- 
phai. En  général ,  chaque  bibliomane  a  son  genre ,  sa  fan- 
taisie :  tel  passera  cinquante  ans  à  ramasser  tout  ce  qui 
concerne  la  révolution,  tout  ce  qui  touche  à  l'histoire,  à  la 
géographie,  à  la  philosophie,  aux  sciences  occultes,  les 
éiWWons, princeps ,  les  pièces  de  théâtre,  les  facéties,  quel- 
que matière  spéciale  enfin  qui  puisse  (aire  collection.  Tel 
s'intriguera  enfin  pour  découvrir  des  livres  de  bonne  mai- 
son, dont  la  condition  gén('alogique  soit  constatée,  ces  livres, 
(pii  portent  les  armes  et  ks  signatures  de  d'Urfé,  de  Gai-, 
gnat,  de  Goulard  et  de  La  Valhèrc. 

2(». 


154  BIBLIOPHILE  — 

Pour  comprendre  le  bibliomane ,  il  faut  avoir  tu  le  véné- 
rable Boulard  longer  les  quais,  été  comme  hiver,  gelée  ou 
soleil,  analyser  d'un  coup  d'oeil  l'étalage  d'un  bouquiniste, 
et  tirer  la  perle  du  fumier  en  homme  qui  sait  la  valeur  de 
la  perle ,  puis  le  soir  rentrer  dans  son  vaste  sérail  de  livres 
pour  débarrasser  ses  poches  gonflées  de  leur  butin  journalier... 
Il  se  fût  arrêté  découragé  à  l'idée  que  ce  travail  lent  et  pro- 
gressif de  quarante  années  de  recherches  et  de  bonheur  se- 
rait dilapidé  deux  ans  après  sa  mort!  car  le  bibliomane  aime 
ses  livres  comme  un  père  ses  enfants  ;  il  les  choie ,  il  les  con- 
temple, il  leur  rit;  il  s'exagère  leurs  quahtés  pour  mieux 
s'aveugler  sur  leurs  défauts  ;  il  se  préoccupe  de  leur  avenir. 
Heureux  quand  il  espère  que  sa  collection  ira  sous  son  nom 
s'engouffrer  dans  les  catacombes  de  la  Bibliothèque  Natio- 
nale! C'est  en  cet  illustre  tombeau  que  reposent  Dupuy,  Ba- 
luze ,  Cangé  et  La  Vallière.      P.  L.  Jacob  ,  bibliophile.  ] 

BIBLIOPHILES  (Sociétés  de).  On  trouve  fort  bon 
qu'on  se  réunisse  pour  extraire  du  charbon  d'un  sol  où  il 
n'y  a  (juedu  sable  et  des  cailloux,  pour  tisser  du  chanvre  ou 
du  lin  ,*  faire  du  sucre  de  betterave  ,  des  machines  à  va- 
peur, des  moulins  de  toute  espèce,  et  se  ruiner  en  société  , 
sans  se  ruiner  pour  cela  plus  gaiement  :  et  l'on  blâmerait 
des  gens  inoffensifs  qui ,  n'en  voulant  ni  à  la  bourse  ni  au 
repos  de  personne,  s'associent  pour  se  procurer  l'innocent 
plaisir  d'avoir  sur  leurs  tablettes  un  livre  rare  ou  que 
d'autres  ne  peuvent  posséder  !  Ne  médisons  pas,  croyez -moi, 
de  cette  aimable  passion. 

On  cite  en  France  la  société  des  Bibliophiles  français, 
dont  le  siège  est  à  Paris  et  qui  a  été  instituée  en  1820. 
Elle  se  compose  de  vingt-quatre  membres  au  plus ,  et  peut 
s'adjoindre  cinq  associés  étrangers.  Pour  être  admis  dans 
son  sein ,  il  suffit  d'aimer  les  livres,  d'avoir  une  bibliothè- 
que, et  de  se  soumettre  aux  conditions  imposées  par  les  sta- 
tuts. Chaque  soci<^taire  verse  une  cotisation  annuelle  de  cent 
francs.  La  société  a  pour  but  de  faire  imprimer  soit  des  ou- 
vrages français  inédits  ou  devenus  très-rares ,  soit  des  ou- 
vrages en  langue  étrangère  avec  la  traduction  française. 
Lorsque  l'importance  de  l'ouvrage  à  publier  n'a  qu'un  intérêt 
de  pure  curiosité ,  elle  se  borne  à  en  tirer  un  nombre  égal  à 
celui  de  ses  membres;  lorsqu'au  contraire  la  nature  de  l'ou- 
vrage lui  .semble  exiger  une  publicité  plus  étendue,  elle  en 
fait  imprimer  sur  papier  ordinaire  un  certain  nombre 
d'exemplaires  destinés  à  être  mis  en  vente;  mais  elle  réserve 
toujours  à  ses  membres  des  exemplaires  d'un  format  et 
«l'un  papier  particulier.  Les  ouvrages  imprimés  par  la  société 
portent  sur  leur  titre  l'indication  suivante  :  Publié  par  la 
Société  des  Bibliophiles  français ,  le  fleuron  de  la  société 
et  la  date  de  l'année.  La  hste  des  sociétaires  est  imprimée 
sur  le  feuillet  qui  suit  le  titre.  La  Société  des  Bibliophiles 
français  a  fait  tirer,  de  1820  à  1838,  quatre-vingt-huit  ou- 
vrages, dont  la  liste  figure  dans  le  Manuel  du  Libraire.  De- 
puis, elle  a  publié  un  volume  in-folio  sur  les  cartes  à  jouer, 
enrichi  de  cent  planches;  V Apparition  de  Jean  de  Meung 
par  Honoré  Bonet  (  1398  )  ;  un  manuscrit  unique  appartenant 
a  un  des  sociétaires,  le  Ménagier  de  Paris,  ouvrage  fort  im- 
portant pour  l'histoire  delà  vie  privée  des  Français  et  pour 
li-s  statistiques  de  la  ville  de  Paris  au  quatorzième  siècle.  La 
Société  des  Bibliophiles  français  se  réunit  deux  fois  par 
mois,  et  tient  deux  grandes  assemblées  annuelles ,  l'une  en 
janvier  et  l'autre  en  mai. 

En  Angleterre  les  sociétés  de  bibliophiles  se  sont  multi- 
pliées depuis  le  club  de  Roxburgli ,  de  fastueuse  mémoire , 
formé  en  1812.  L'Ecosse  a  vu  naître  :  en  1823,  le  club  de 
Ballautyne;  en  1828,  Glasgow  vit  s'ouvrir  le  club  Mait- 
land  ;  postérieurement,  celui  d'Abbotsford  fut  fondé  à  Edim- 
bourg ,  en  ri-.onneur  de  Walter  Scott  :  il  distribua  h  ses 
membres,  en  1838,  une  magnifique  édition  du  poème  d'^l;-- 
ihour  and  Merlin,  d'après  lemanuscritd'Auchinleck.  Citons 
encore  la  Société  de  Camden  (1837),  qui  est  fort  active  et 
bien  dirigée;  lu  Société  Historique,  dont  les  choix  sont  Ci- 


BliiLIOTUÉCAIRE 

cellents  ;  la  Société  d'Alfred  le  Grand,  dévouée  à  l'anglo-saxon  ; 
la  Percy-Society ,  la  Shakespeare- Society,  la  Parker's-So- 
ciety,  là Surtees-Society  (Duriiam,  1838),  \e Spalding-Club 
(Aberdeen,  1839),  la  Welsh-Manuscript-Society ,  etc. 
Nous  ne  connaissons  en  Allemagne  que  V Association  lit- 
téraire de  Stuttgard ,  quoiqu'à  Vienne  M.  Karajan  fasse  de 
véritables  publications  de  bibliophile.  En  Belgique  on  compte 
la  Société  des  Bibliophiles  du  Hainaut  (à  Mons),  créée  par 
Delmotte  et  M.  Renier-Chalon ,  celle  des  Bibliophiles  de 
Belgique,  à  Bruxelles,  et  celle  des  Bibliophiles  Flamands.  Ces 
trois  associations  impriment  et  dotent  la  littérature  d'ou- 
vrages sérieux  et  ignorés.  Plus  récemment  uue  société  s'est 
constituée  à  Stockholm  pour  la  reproduction  d'anciens  ou- 
vrages imprimés.  De  Reiffenberg. 

BIBLIOTAPHE  (du  grec  pi6X(ov,  livre,  et  xâ^oc, 
tombeau).  C'est  le  nom  qu'on  a  donné  à  ces  espèces  de 
maniaques  qui  n'ont  des  livres  que  pour  les  cacher  {voyez 
BiBLioMANiE),  Encore  lorsque  ces  livres  appartiennent  à  ces 
avares,  on  ne  peut  que  gémir  sur  cet  abus  de  la  propriété 
au  préjudice  de  la  science;  mais  que  dire  de  ces  Cerbères 
qui,  payés  par  le  budget ,  se  plaisent  à  barrer  l'entrée  du 
sanctuaire,  dont  ils  devraient  être  les  guides  fidèles  et  obli- 
geants, à  ceux  qui  ont  soif  d'uistruction  ?  Ne  ressemblent- ils 
pas  à  ce  chien  de  la  fable ,  qui,  couché  près  d'un  tas  de 
foin,  voulait  empêcher  un  bœuf  d'en  approcher?  Par  malheur 
Paul-Louis  Courier  n'est  pas  le  seul  qui  ait  eu  à  se  plaindre 
de  ces  dépositaires  envieux  et  ignorants,  et  les  Furia  ne  sont 
pas  tous  en  Ualie. 

BIBLIOTHÉCAIRE.  On  appelle  ainsi  celui  qui  est 
chargé  de  la  conservation,  du  soin,  de  la  classification  et  du 
service  d'une  b  i  b  1  i  o  t  h  è  q  u  e.  Sous  les  rois  carlovingiens,  les 
bibliothécaires  écrivaient,  dataient  et  expédiaient  les  actes 
de  l'autorité  royale.  Les  mêmes  fonctions  leur  étaient  con- 
fiées par  les  papes ,  et  leur  charge  tenait  le  premier  rang  à 
la  cour  pontificale.  H  en  était  de  même  des  bibUothécaires 
des  archevêchés,  etc.,  surtout  en  Itahe. 

Toutes  les  qualités  nécessaires  à  un  bon  bibliographe 
le  sont  aussi  à  un  bibliothécaire,  puisque  cette  science  est  celle 
à  laquelle  il  doit  surtout  s'adonner.  L'histoire  littéraire  et  le 
mécanisme  de  la  typographie  lui  sont  essentiels  pour  dé- 
cider du  format,  du  caractère  et  de  l'impression  de  certaines 
éditions  des  quinzième  et  seizième  siècles.  La  gravure  sur 
bois  et  sur  cuivre  et  l'écriture  des  différents  siècles  doivent 
être  connues  de  lui,  pour  qu'il  puisse  juger  du  mérite  des 
miniatures  qui  ornent  la  plupart  des  livres  imprimés  ou 
manuscrits,  déchiffrer  les  textes  contenus  dans  le  volume, 
dont  il  est  aussi  tenu  de  donner  une  description  exacte,  qui 
consiste  à  rendre  fidèlement  la  lettre,  la  date,  le  nom  de  la 
ville ,  de  l'imprimeur  et  de  l'auteur  d'un  ouvrage,  notions 
que  l'on  est  obligé  de  chercher  parfois,  soit  à  la  tête  ou  à 
la  fin  d'une  dédicace,  soit  dans  la  préface  ou  dans  le  prologue 
pour  les  manuscrits,  soit  dans  le  privilège,  dans  les  acros- 
tiches, éloges,  devises,  emblèmes,  etc.  ;  il  doit  aussi  compter 
les  feuillets  de  l'ouvrage,  ceux  qui  le  précèdent  nu  le  suivent, 
en  désignant  leur  emploi  ;  indiquer  si  le  livre  est  imprimé 
ou  écrit  à  longues  lignes  ou  à  colonnes ,  si  le  caractère  est 
romain,  gothique,  italique,  etc.  ;  si  les  chiffres,  les  réclames 
et  les  signatures  s'y  trouvent  exactement;  compter  et  exa- 
miner les  miniatures ,  et  annoncer  les  index ,  tables ,  ré- 
pertoires, etc.  :  tous  ces  renseignements  font  partie  d'une 
description  utile  pour  reconnaître  complètement,  soit  un 
manuscrit,  soit  une  édition  princeps,  et  distinguer  celle-ci 
des  éditions  postérieures.  Le  bibliothécaire  ne  doit  pas  être 
étranger  à  la  numismatique ,  parce  que  cette  science  prête 
son  secours  à  l'explication  des  faits  les  plus  marquants 
rapportés  par  les  historiens  classiques.  Après  s'être  fami- 
lial i.sé  avec  la  connaissance  des  livres,  il  doit  se  faire  un 
système  de  classification  .simple,  facile,  et  qui,  suivant 
l'origine  et  la  filiation  des  connaissances  humaines  et  les 
rapports  (ni'ellcs  ont  entre  elles ,  doit  présenter  au  premier 


BIBLIOTHÉCAIRE 

coup  d'œil  un  résultat  capable  de  plaire  à  l'imagination  sans 
fatiguer  l'esprit. 

l'armi  les  bibliothécaires  les  plus  fameux  de  l'antiquité , 
on  cite  d'abord  :  Déraétrius  de  Phalère ,  qui  présida  à  l'or- 
ganisation de  la  fameuse  bibliothèque  d'Alexandrie,  sons 
Ptolémée-Philadelphe ,  et  eut  pour  successeurs  Zénodote , 
Ératosthène,  Apollonius,  Aristonyme,  Aristophane,  etc.  On 
rapporte  ainsi  les  circonstances  qui  firent  choisir  ce  dernier 
pour  occuper  cette  charge  à  la  bibliothèque  des  rois  grecs 
d'Egypte.  Lorsque  Ptolémée-Épiphane  eut  nommé  six  juges 
pour  examiner  les  ouvrages  envoyés  au  concours  des  jeux 
institués  par  lui  en  l'honneur  d'Apollon  et  des  Muses ,  le 
septième  manquant,  les  juges  déjà  désignés  proposèrent  à 
ce  roi  de  leur  adjoindre  un  certain  Aristophane ,  occupé 
depuis  longtemps  à  lire  les  livres  de  la  bibliothèque.  Cette 
proposition  fut  agréée,  et  Aristophane,  contre  l'avis  des 
six  antres  juges ,  décerna  le  prix  à  un  poète  que  l'on  avait 
à  peine  écouté ,  accusant  tous  les  autres  concurrents  de 
plagiat ,  ce  dont  il  les  convainquit  en  allant  lui-même  cher- 
cher les  ouvrages,  et  en  leur  faisant  voir  les  passages 
pillés  par  eux. 

L'on  ne  connaît  aucun  bibliothécaire  des  diverses  villes 
de  la  Grèce.  Asinius  PoUion  organisa  le  premier  une  biblio- 
thèque à  Rome  ;  la  mort  de  JuJes-César  arrêta  le  plan  qu'il 
avait  conçu  pour  la  réunion  de  livres  grecs  et  latins ,  et 
dont  le  soin  avait  été  confié  p«r  lui  à  Varron.  Les  deux 
grammairiens  Melissus  et  Lucius  Hygenus  furent  les  biblio- 
thécaires des  bibliothèques  Octavienne  et  Palatine.  Un 
nommé  Antiochus  et  un  certain  Julius  Félix  furent  aussi 
chargés  de  conserver,  le  premier  tous  les  ouvrages  latins 
de  la  bibliothèque  du  temple  d'Apollon ,  le  second  tous  les 
livres  grecs  de  la  Palatine.  Dans  le  moyen  âge,  la  première 
personne  qui  fut  chargée  en  France  de  ranger  la  biblio- 
thèque des  monarques,  devenue  publique,  fut,  sous 
Charles  V,  Gilles  Malet,  valet  de  chambre  de  ce  prince ,  à 
qui  l'on  donna  le  titre  de  maistre  de  la  librairie  du  roy. 
Il  eut  pour  successeur  Antoine  des  Essarts ,  Jean  Maulin , 
Garnier  de  Saint-Yon.  Robert  Gaguin,  un  de  nos  vieux 
historiens,  a  été,  selon  plusieurs  auteurs,  bibliothécaire  sous 
Louis  XI ,  mais  on  n'en  a  pas  de  preuves  bien  certaines. 
Laurent  Palmier  était  alors  garde  en  titre  de  la  bibliothèque 
royale.  Guillaume  Budé  fût  le  premier  bibliothécaire  en 
chef;  François  1"  créa  cette  charge  pour  lui.  Après  Budé, 
les  provisions  en  furent  expédiées  par  les  rois  à  Pierre 
Chastelin,  Pierre  de  Montdoré,  Jacques  Amyot,  Jacques- 
Auguste  de  Tbou,  François  de  Thou,  Jérôme  Bignon, 
Jérôme  Bignon,  fils  du  précédent,  Camille  Le  Tellier,  Jean- 
Paul  Bignon,  Jérôme  Bignon,  et  Armand-Jérôme  Bignon, 
dernier  bibliothécaire  du  roi.  Une  loi  de  l'an  iv  organisa  na- 
tionalement  ce  vaste  établissement ,  supprima  cette  charge, 
et  nomma  des  conservateurs  qui ,  à  droits  égaux,  partagè- 
rent la  responsabilité  et  l'administration.  Depuis  cette 
époque,  plusieurs  noms  célèbres  dans  la  littérature,  les 
sciences  et  la  bibliographie  sont  venus  contribuer  de  leurs 
lumières  et  de  leur  zèle  à  augmenter  ce  dépôt  si  précieux. 
De  ce  nombre  sont  l'abbé  Barthélémy,  Millin,  Lan- 
glès,  La  Porte  du  Theil,  Legrand  d'Aussy,  Caperonnier, 
Gail,  Abel  Rémusat,  de  Chéey,Dacier,  Sylvestre  de 
Sacy,  Jomard,  Hase,  Letronne,Magnin,Nau- 
det,Reinaud,  Paulin  Paris,  etc.,  elc. 

D'autres  bibliothèques  de  Paris  ont  eu  Barbier  et  Be u- 
chot  pour  bibliothécaires.  Dans  les  départements  se  sont 
fait  connaître  l'abbé  Saas,  à  Rouen;  Laire,  à  Toulouse; 
Gabriel  Pcignot,  à  "Vesoul;  Delandine,  à  Lyon;  Weiss,  à 
Besançon;  A.  Leglay,  à  Valenciennes,  etc.,  etc.;  à  l'étranger, 
en  Allemagne,  l'abbé  Denis  Lambecius,  Chmel,  Endlicher, 
à  Vienne;  Reuss,  à  Gœttingue;  Wilken,  à  Berlin  ;  Falken- 
stein,  Èbert,  à  Dresde;  en  Suisse,  Sinner  (maintenant  à 
Paris),  Senebier;  en  Italie,  Léon  Allatius,  les  Assemani, 
l'abbé  Morclli,  Angelo  Mai;  au  Brésil,  monsignor  Yidigal , 


—  BIBLIOTHÈQUE  155 

le  grand  fondateur  de  villes,  mort  évoque  et  bibliothécaire 
de  Rio  de  Janeiro,  etc.,  etc. 

La  science  du  bibliothécaire  devrait  être  pour  ainsi  dire 
universelle  :  Parent ,  dans  son  Essai  sur  la  Bibliographie , 
trace  ainsi  les  devoirs  de  ce  fonctionnaire  :  «  Le  bibliothé- 
caire doit  être  exempt  de  préjugés  politiques  et  religieux  ; 
il  n'est  le  prêtre  d'aucun  culte ,  le  ministre  d'aucune  secte, 
l'initié  d'aucune  coterie,  le  partisan  idolâtre  d'aucun  sys- 
tème. Il  se  doit  au  public,  et  surtout  à  la  foule  des  vrais 
amateurs,  qui  trouveront  en  lui  une  bibliothèque  parlante, 
qui  tireront  plus  de  secours  de  sa  vaste  et  complaisante 
érudition  que  de  ses  registres  d'ordre.  Il  se  doit  à  une  jeu- 
nesse studieuse,  curieuse  et  avide  d'instruction,  pour  qui 
il  sera  im  guide  sûr,  qui  la  conduira  aux  sources  les  plus 
pures.  Il  d*»it  être  pour  les  professeurs  des  écoles  publiques 
un  confrère  utile,  un  ami  éclairé,  un  conseil  permanent, 
qui,  de  concert  avec  eux,  travaillera  au  succès  de  l'instruc- 
tion publique.  »  Ce  n'est  donc  pas  sans  raison  que  l'on 
compare  le  bibliothécaire  ignorant  à  l'eunuque  chargé  de 
la  garde  du  sérail.  C'est  un  bibliothécaire  de  cette  espèce 
qui,  trouvant  un  livre  hébreu,  le  porta  ainsi  sur  son  ca- 
talogue :  n  Item,  un  livre  dont  le  commencement  est  à  la 
fin.  »  L'académicien  et  ambassadeur  Guill.  Bautru ,  ayant 
visité  la  bibliothèque  de  l'Escurial,  dont  le  bibliothécaire 
était  si  ignorant  qu'il  ne  connaissait  pas  même  la  plupart 
des  livres  de  sa  collection,  dit  au  roi  d'Espagne  qu'il  de- 
vrait donner  l'administration  de  ses  finances  à  son  biblio- 
thécaire de  l'Escurial.  Le  roi  en  demanda  la  raison  :  «  C'est, 
lui  répondit  Bautru,  parce  qu'il  n'a  jamais  touché  à  ce 
que  Votre  Majesté  lui  a  confié.  »  Si  l'on  veut,  au  contraire, 
citer  le  modèle  du  bibliothécaire,  pour  la  science,  le  zèle, 
l'obligeance  et  le  dévouement  le  plus  complet  et  le  plus 
désintéressé,  tout  le  monde  nommera  le  vénérable  Van 
Praet,  dont  les  vieux  habitués  de  la  Bibliothèque  Nationale 
n'ont  pas  perdu  et  ne  perdront  jamais  le  souvenir. 
A.  Champollion-Figeac. 

BIBLIOTHÈQUE.  Ce  mot  est  formé  de  deux  mots 
grecs,  pi6).tov,  livre,  et  Q-fiinri,  dépôt,  lieu  où  l'on  cache,  où 
l'on  conserve.  Il  se  prend  dans  trois  acceptions  différentes  : 
1°  comme  lieu  qui  renferme  des  livres  ;  2°  comme  collection 
de  livres  ;  3°  comme  recueil  de  travaux  de  divers  auteurs  dans 
une  spécialité  commune,  tel  que  Bibliothèque  des  Pères  de 
r Église,  Bibliothèque  des  Auteurs  ecclésiastiques.  Bi- 
bliothèque choisie  des  Romans,  Bibliothèque  générale  des 
Voyages,  Bibliothèque  du  dix-neuvième  siècle;  etc.,  etc. 
(voyez  aussi  l'article  Bibliographie).  Pendant  le  moyen 
âge,  l'on  donna  encore  le  nom  de  bibliothèque  à  la  Bible, 
réunion  des  livres  sacrés. 

La  tradition  veut  que  la  première  bibliothèque  ait  été 
fondéeà  Memphis  par  le  roi  Osymandias,  qui  régnait  près 
de  2000  ans  avant  J.-C.  Suivant  Diodore  de  Sicile,  on  lisait 
sur  la  porte  cette  simple  inscription  :  Remèdes  de  l'âme. 
Chez  les  Phéniciens ,  comme  en  Egypte,  la  conservation  des 
archives  était  confiée  aux  prêtres.  Les  nombreuses  connais- 
sances que  ce  dernier  peuple  acquit  par  la  navigation  et  le 
commerce  lui  firent  recueillir  de  bonne  heure  et  avec  soin 
les  livres  les  plus  utiles.  Les  Hébreux  n'avaient  pas  de  li- 
vres avant  Moïse ,  et  ce  ne  fut  qu'après  la  mort  de  ce  pa- 
triarche que  l'on  songea  à  recueillir  ses  écrits.  Un  exem- 
plaire du  livre  de  la  Loi  était  déposé  dans  le  temple  de 
Jérusalem  ;  plus  tard ,  on  y  ajouta  les  écrits  de  Josué  et  des 
prophètes;  on  les  plaça  dans  la  partie  la  plus  secrète  du 
sanctuaire,  que  le  grand-prêtre  avait  seul  le  droit  de  visi- 
ter. Mais  à  la  prise  de  cette  ville  par  les  Babyloniens,  le 
temple  et  la  bibliothèque  furent  brûlés.  Néhémie.  au  retour 
de  la  captivité  de  Babylone ,  rassembla  de  nouveau ,  en  forme 
de  bibliothèque,  et  avec  l'aide  d'Esdras,  les  livres  de  Moïse, 
les  livres  des  Rois,  les  livres  des  Prophètes.  Chaque  syna- 
gogue possédait  aussi  des  livres  sacrés.  Du  reste,  (ort  peu  de 
i enseignements  nous  ont  cle  conserves  sur  ces  leiiips  n-ciiiés. 

2'J. 


166  BIBLIOTHEQUE 

Si  nous  tournons  les  yeux  vers  la  Perse,  Ctésias  nous  np- 
prendra  que  les  annales  de  cette  nation  étaient  anciennement 
écrites  par  ordre  des  rois;  que  la  loi  forçait  les  faniilles  à 
déposer  dans  des  archives  l'histoire  de  leurs  ancêtres ,  et 
que  c'était  de  ces  monuments  qu'il  avait  tiré  une  grande 
partie  des  fastes  de  ce  peuple.  Aucun  historien  postérieur 
n'a  démenti  ce  récit,  et  l'on  sait  que  le  Grec  Mégasthène  se 
rendit  à  la  bibliothèque  de  Suse  pour  y  composer  aussi  une 
histoire  des  Perses.  Diodore  de  Sicile  et  l'Écriture  Sainte 
parlent  également  de  la  bibliothèque  de  cette  ville.  En 
Grèce  ce  furent  Polycrate  et  Pisistrate  qui  formèrent  les 
plus  anciennes  collections  de  livres,  le  premier  à  Samos, 
le  second  à  Athènes.  Xerxès  enleva  celle-ci  lorsqu'il  brûla 
cette  ville,  et  elle  fut  transportée  en  Perse,  où  elle  était 
encore  du  temps  d'Alexandre.  Aulu-Gelle  rapporte  qu'elle 
ftrt  l'envoyée  à  Athènes  par  Séleucus  Nicator;  Sylla  la  pilla 
de  nouveau ,  et  l'empereur  Adrien  la  rétablit.  La  précieuse 
collection  de  livres  de  médecine  conservée  dans  la  biblio- 
thèque de  Cnide  la  rendit  célèbre  vers  le  même  temps. 
Parmi  les  bibliothèques  particulières  des  Grecs,  on  citait 
celles  d'Euclide,  de  Nicocrate,  d'Euripide,  d'Aristote,  etc. 
Cette  dernière  n'était  ouverte  qu'aux  péripatéticiens ,  et 
passa ,  après  la  mort  d'Aristote ,  à  Théophraste ,  qui  la  ioi- 
gnit  à  la  sienne.  Ptolémée  l'acheta  de  Nélée,  héritier  de 
Théophraste,  et  la  fit  porter  en  Egypte. 

Mais  la  bibliothèque  d' A 1  e  x  a  n  d  r  i  e ,  due  à  la  magnificence 
des  rois  grecs  d'Egypte,  est  la  plus  célèbre  de  toutes  celles  de 
l'antiquité.  Eumène  en  fonda  une  rivale  à  Pergame.  Ptolé- 
mée-Épiphane,  pour  arrêter  cette  concurrence  effrayante,  fit 
défendre  l'exportation  du  papyrus  d'Egypte.  On  y  suppléa 
en  perfectionnant  l'art,  déjà  connu,  d'écrire  sur  des  peaux  d'a- 
nimaux, et  le  parchemin  (pergamena charta  )  devint  d'un 
usage  général.  Plus  tard  Evergète  II  établit  une  seconde  bi- 
bliothèque à  Alexandrie. 

Les  Romains  ne  prirent  le  goût  des  lettres  et  des  arts  qu'a- 
près avoir  vaincu  les  Grecs,  qu'ils  voulurent  imiter  en  tout. 
Paul-Émile  et  Lucullus  rapportèrent  à  Rome  dans  leur  butin 
les  premières  bibliothèques  qu'ait  eues  cette  ville.  L'atrium 
du  temple  delà  Liberté,  situé  sur  le  mont  Aventin,  reçut  la 
première  bibliothèque  publique  qu'Asinius  Pollion  fonda  à 
Rome  avec  les  livres  qu'il  avait  pris  chez  les  Dalmates  et  chez 
les  autres  peuples  conquis.  Cicéron  et  Atlicus  possédèrent, 
eux  aussi ,  de  grandes  et  belles  collections.  L'empereur  Au- 
guste fonda  deux  bibliothèques,  l'une  appelée  Pn/fl^/ne,  parce 
qu'elle  fut  placée  dans  le  temple  d'Apollon  sur  le  mont  Pala- 
tin ;  l'autre  Octavienne,  parce  qu'elle  était  sous  le  portique  du 
temple  de  sa  sœur  Octavie.  Les  deux  incendies  qui  détruisirent 
en  partie  la  ville  de  Rome,  sous  Néron  et  Titus,  consumèrent 
•plusieuis  bibliothèques,  entre  autres  celle  que  Tibère  avait 
établie  dans  son  palais.  Domitien  voulut  réparer  ces  pertes 
■en  faisant  copier  les  manuscrits  d'Al 'xandrie.  Une  biblio- 
thèque fut  placée  dans  le  temple  de  la  Paix  par  Vespasien  et 
brûlée  .par  un  troisième  incendie  pendant  le  règne  de  Com- 
mode. Enfin  le  nom  d'Ulpienne  fut  donné  par  Trajan  à  celle 
qu'il  rassembla  :  elle  l'emportait  sur  toutes  les  bibliothèques 
de  ses  prédécesseurs  par  sa  richesse  et  son  luxe.  Pline  le 
Jeune  avait  un  grand  nombre  de  livres  dans  sa  maison  de 
campagne  à  Laurentium.  Ce  favori  de  Trajan,  en  fondant 
une  école  publique  à  Côme,  sa  ville  natale,  la  dota  d'une 
bibliothèque.  On  en  a  découvert  une  petite  dans  une  maison 
de  campagne  d'Herculanum.  En  général,  les  bibliothèques 
des  Romains  étaient  composées  d'armoires  dans  lesquelles 
on  plaçait  des  rouleaux  ou  volumes  qu'on  distinguait  par  des 
numéros.  On  décorait  les  bibliothèciues  des  statues  et  des 
bustes  des  hommes  célèbres.  Le  médecin  Sammonius  Sérénus 
légua  à  Gordien  le  jeune  soixante-douze  mille  volumes  qu'il 
avait  ramassés.  Enfin  Publius  Victor,  qui  décrivait  la  ville 
éternelle  au  quatrième  siècle,  y  compte  vingt-huit  biblio- 
thèques publiques,  outre  bon  nombre  de  grandes  biblio- 
Ihèques  particulières. 


Constantin ,  en  portant  le  siège  de  l'empire  romain  dans 
la  ville  qu'il  fonda  sur  les  ruines  de  Byzance,  et  à  laquelle 
il  donna  son  nom ,  y  construisit  des  bàtunents  qui  pour  le 
luxe  et  la  somptuosité  pouvaient  rivaliser  avec  ceux  de 
Rome.  Il  y  réunit  aussi  une  bibliothèque ,  qui  de  son  vivant 
renfermait  six  mille  volumes.  Successivement  augmentée  par 
les  héritiers  de  son  empire,  elle  comptait  plus  de  cent  mille 
volumes  à  la  mort  de  Théodose.  Mais  Léon  l'isauiien  ne 
pouvant  réussir  à  entraîner  dans  son  parti  les  savants  pré- 
posés à  sa  garde,  les  enferma  dans  le  bâtiment  où  elle  était 
rangée,  et  y  fit  mettre  le  feu.  C'était  l'an  727  de  J.-C.  Plu- 
sieurs importantes  collections  de  Uvres  furent  formées  du 
neuvième  au  onzième  siècle  par  l'empereur  Basile  le  Macé- 
donien et  par  l'illustre  famille  des  Coranènes,  notamment 
dans  les  couvents  des  îles  de  l'Archipel  et  sur  le  mont  Athos. 
Constantin  Porphyrogénète ,  protecteur  des  sciences  et  des 
lettres,  fonda  de  nouveau  à  Constantinople  une  bibliothèque, 
à  l'arrangement  de  laquelle  il  travailla  lui-môme.  Elle  n'é- 
prouva aucune  perte  lors  de  la  prise  de  Constantinople  par 
les  Turcs.  Les  Arabes  possédaient  de  même  à  Alexandrie  une 
bibliothèque  considérable  dans  leur  langue,  et  Al-Mamoun 
faisait  acheter  et  transporter  à  Bagdad  un  grand  nombre  do 
manuscrits  grecs.  Dans  la  suite,  Amm'athlV,  dans  un  accès 
de  dévotion ,  sacrifia  la  seconde  bibliothèque  de  Constanti- 
nople à  sa  haine  pour  les  chrétiens. 

Quant  à  la  bibliothèque  actuelle  du  sérail,  exclusivement 
réservée  au  service  de  la  maison  impériale,  on  en  attribue 
généralement  la  fondation  à  Achmet  III  et  à  Mustapha  III 
au  commencement  du  dix-huitième  siècle  ;  ils  l'enrichirent, 
ainsi  que  leurs  successeurs.  On  croit  qu'elle  renferme  au- 
jourd'hui 15,000  volumes,  et  le  nombre  s'en  augmente  con- 
tinuellement. Au-dessus  de  la  porte  on  lit  en  arabe  :  E7i- 
trez  en  paix.  A  son  cadenas  pend  le  sceau  du  bibhothécaire. 
Outre  cette  bibliothèque  on  en  compte  plusieurs  autres  à 
Constantinople,  toutes  assez  riches  en  manuscrits.  Dans  les 
bibliothèques  turques,  les  volumes  sont  élégamment  reliés, 
et,  déplus,  enfermés  dans  des  étuis  pour  les  préserver  de 
la  poussière,  et  c'est  sur  ces  étuis  que  sont  écrits  les  titres 
des  ouvrages.  Il  y  a  encore  en  Egypte  quelques  bibliothè- 
ques dans  les  couvents  copktes. 

Au  milieu  des  querelles  théologiques,  la  Grèce  vit  son  gé- 
nie national  s'éclipser;  plus  heureuse  cependant  que  l'Occi- 
dent, elle  échappa  aux  invasions  des  Barbares.  Les  chrétiens 
grecs,  en  fondant  leurâ  monastères ,  y  réunirent  aussi  des 
bibliothèques  dans  lesquelles  passèrent  probablement  des 
volumes  de  1" ancienne  bibliothèque  des  empereurs.  Les  cou- 
vents de  l'île  de  Pathmos  en  possédaient  encore  de  fort 
belles  et  en  fort  bon  ordre.  Bagdad  servit  de  retraite  aux 
savants  grecs  que  les  querelles  de  religion  portèrent  à  aban- 
donner leur  patrie  pendant  le  huitième  et  le  neuvièuue  siècle^ 
Le  khalife  Haroun-al-Raschid,  et  surtout  son  fils  et  succes- 
seur Adallah-al-Mamoun,  les  employèrent  à  traduire  en  aral» 
et  en  syriaque  des  ouvrages  de  sciences  et  de  philosophie. 
Tous  deux  dépensèrent  des  sommes  énormes  pour  recueillir 
dans  leurs  palais  des  livres  d'Egypte,  de  Syrie,  d'Arménie,  etc. 
Ce  dernier  prince  exigea  même,  lors  d'un  traité  avec  l'empe- 
reur de  Byzance,  Michel  III,  que  des  auteurs  grecs  de  toute 
espèce  lui  fussent  donnés.  On  citait  surtout  de  son  temps 
les  bibliothèques  de  Fez  et  de  Maroc,  dont  la  première  comp- 
tait plus  de  cent  mille  volumes. 

l'endant  que  les  sciences  s'étaient  réfugiées  en  Orient, 
sous  la  protection  dos  khalifes,  l'instruction  disparaissait  de 
l'Occident  par  suite  des  invasions  des  peuplades  du  Nord 
La  perte  de  presque  toutes  les  bibliothèques  de  cette  contr» 
la  plongea  dans  l'ignorance,  et  la  conquête  de  l'Egypte  pai 
les  Arabas  l'augmenta  encore  en  rendant  le  papynis  très-rare,j 
et  les  livres  d'une  cherté  excessive.  L'on  se  remit  alors 
écrire  plus  que  jamais  sur  des  peaux  d'animaux;  mais  1er 
prix  élevé  força  souvent  les  moines  à  gratter  d'anciens  m» 
nuscrits,  et  à  convertir  ainsi  des  Tite-Live  et  des  Cicéronei 


BIBLIOT 

de  longues  et  souvent  très-peu  lucides  dissertations  mys- 
tiques. De  là  les  manuscrits  palimpsestes,  où  peuvent 
être  retrouvés  les  livres  des  historiens  classiques  qui  nous 
manquent.  La  barbarie  ne  lit  pourtant  que  s'accroître  en 
Occident  pendant  les  neuvième,  dixième  et  onzième  siècles. 
Quelques  seigneurs  puissants  et  les  principaux  monastères 
possédaient  seuls  un  petit  nombre  de  livres.  On  citait  comme 
magnifiques  en  Fraace  la  bibliothèque  de  Charlemagne,  celle 
de  l'abbaye  Saint-Gennaiu-des-Prés ,  celle  de  l'abbaye  de 
Pontivy,  en  Bretagne, contenant 200  volumes;  en  Angleterre, 
celle  que  fonda,  à  York,  Egbert,  archevêque  de  cette  ville,  et 
celle  du  monastère  de  Saint-Alban,  rassemblée  par  Richard 
de  Bury,  évêque  de  Durham  et  chancelier  d'Angleterre.  En 
Allemagne  il  y  avait  des  bibliothèques  à  Fulda,  à  Corvey  et 
depuis  le  onzième  siècle  à  Hirschau.  En  Italie,  l'abbaye  du 
mont  Cassin  avait  90  volumes;  celle  de  Pompose,  près  de 
Kavenne,  00  ;  et  en  Belgique,  au  commencement  du  onzième 
siècle,  celle  de  l'abbaye  de  Gembloux  en  contenait  160. 

Les  Arabes,  maîtres  de  l'Espagne  méridionale,  y  firent 
fleurir  leur  littératta-e  et  leurs  arts,  en  établissant  des  aca- 
démies et  des  écoles  à  Cordoue,  à  Grenade,  à  Valence  et 
à  Séville.  L'Andalousie  possédait  soixante-dix  bibliothèques, 
parmi  lesquelles  celle  de  Cordoue,  contenant,  dil-on,  250,000 
volumes.  La  plupart  ont  depuis  enrichi  celle  de  l'Escurial. 
Seuls  les  Arabes  cultivaient  alors  les  sciences ,  pendant  que 
l'Europe  chrétienne  était  sans  livres,  sans  lettres,  et  plongée 
dans  la  barbarie. 

L'invention  du  papier  de  chiffon ,  en  fournissant  d'abon- 
dantes matières  à  l'écriture ,  vint  heureusement  remplacer 
dans  le  treizième  siècle  le  papyrus  et  le  vélin  ,  et  multiplier 
ainsi  les  moyens  de  reproduire  les  livres  jusque  là  enfouis 
dans  les  monastères.  Saint  Louis,  de  retour  de  la  Terre 
Sainte,  fit  copier  les  meilleurs  ouvrages  conservés  dans  les 
couvents  pour  en  former  une  bibliothèque.  Malheureusement 
le  roi  et  ses  successeurs  disposèrent ,  par  une  clause  de  leur 
testament,  des  livres  rassemblés  pendant  leur  règne.  On 
peut  voir  au  cabinet  des  titres  de  la  Bibliothèque  iSatiouale 
l'inventaire  de  la  bibliothèque  de  la  reine  Clémence  de  Hon- 
grie, deuxième  femme  de  Louis  X ,  morte  au  Temple,  le  13 
octobre  1338.  Il  peut  servir  à  indiquer  de  quoi  se  composait 
une  bibliothèque  royale  à  cette  époque ,  où  les  livres  étaient 
d'un  prix  si  élevé  :  quarante  volumes  formaient  cette  collec- 
tion, et  l'inventaire  la  di\ise  en  deux  parties  :  les  livres  de 
chapelle  et  les  roumans.  Charles  V  fut  le  premier  qui  fonda 
en  France  une  bibliothèque  publique;  ses  livres  servirent 
de  base  à  la  Bibliothèque  National  e ,  devenue  de  nos 
jOurs  la  plus  riche  de  l'Europe. 

Après  la  découverte  de  l'imprimerie,  la  formation  d'une  bi- 
bliothèque devint  plus  facile.  Celle  du  Vatican  commençait  à 
naître ,  quand  elle  fut  transférée  à  Avignon ,  avec  le  saint- 
siége ,  sous  Clément  V,  et  ne  revint  à  Rome  que  sous 
Martin  V.  Nicolas  V  l'augmenta  tellement  qu'il  passe  pour 
son  fondateur.  Elle  se  composait  alors  de  6,000  volumes  des 
plus  rares.  Dispersée  souslepontificatdeCalixte  III,  Sixte  IV, 
Léon  X  et  Clément  VII  travaiUèrent  à  la  rétablir;  mais  elle 
fut  de  nouveau  détruite  en  partie  par  l'armée  de  Charles- 
Quint  qui  saccagea  la  ville  de  Rome.  Sixte-Quint  lui  rendit 
son  ancienne  splendeur,  et  l'enrichit  d'un  grand  nombre  de 
livres  et  de  précieux  manuscrits.  Elle  compte  aujourd'hui 
300,000  volumes  et  24,000  manuscrits,  dont  quelques-uns 
sont  du  plus  grand  prix.  Les  autres  principales  bibliothè- 
ques de  Rome  sont  :  celle  du  cardinal  François  Barberini 
(25,000  volumes  imprimés  et  5,000  manuscrits);  celles  du 
palais  Farnèse ,  du  prince  Borghèse,  de  Pamfili  et  de  divers 
autres  princes  de  Rome,  ainsi  que  de  plusieurs  maisons  reli- 
gieuses. Ce  fut  le  pape  Clément  VII  qui  fonda,  au  commen- 
cement du  seizième  siècle,  une  bibliothèque  dans  l'église  Saint- 
Laurent  à  Florence  (20,000  volumes).  Côme  de  Médicis, 
«le  la  même  famille  que  ce  pape ,  en  réunit  aussi  une  dans 
l'église  de  Saint-Marc  de  la  même  ville  (20,000  volumes, 


ïïÈQLE  167 

5,000  manuscrits  grecs,  latins,  orientaux).  La  bibliothèque 
Magliabechiana  du  môme  lieu  compte  100,000  volumes  et 
8,000  manuscrits.  La  bibliothèque  de  Saint-Ambroise  de 
Milan ,  fondée  par  Frédéric  Borromée  (voyez  Ambrosienne 
[Bibliothèque]),  celles  de  Mantoue,  Turin,  Ferrare,  Bo- 
logne (150,000  volumes  et  9,000  manuscrits),  de  Saint-Juste, 
Saint- Antoine  et  Saint-Jean  de  Latran  à  Padoue  ;  celle  du  roi 
de  Naples  (150,000  volumes  et  une  foule  de  manuscrits  pré- 
cieux), sont  les  plus  célèbres  d'Italie. 

On  remarque  en  Allemagne  la  bibliothèque  royale  de  Mu 
nich  (plus  de  500,000  volumes,  18,000  manuscrits,  plus  de 
12,000  incunables);  la  bibliothèque  impériale  de  Vienne,  fon- 
dée en  1430,  par  Maximilien ,  enrichie  des  collections  de 
MathiasCorvin,  du  prince  Eugène,  etc.,  etc.  (plus  de  300,000 
volumes  et  10,000  manuscrits),  et  la  bibliothèque  de  l'u- 
niversité dans  la  même  ville  (  115,000  volumes  )  ;  la  biblio- 
thèque de  Gœttingue  (300,000  volumes  et  5,000  manuscrits; 
la  bibliothèque  royale  de  Dresde  (  plus  de  300,000  volumes, 
182,000  dissertations  et  brochures, 2,000  incunables  et  2,800 
manuscrits  )  ;  la  bibliothèque  royale  de  Stuttgard  (  200,000 
volumes,  2,300  incunables  et  3,600  manuscrits  );  la  biblio- 
t  eque  royale  de  Berlin ,  fondée  par  Frédéric-Guillaume 
(520,000  volumes  et  500  manuscrits);  la  bibliothèque  de 
Prague  (  130,000  volumes  et  4,000  manuscrits  );  la  biblio- 
thèque de  Bamberg  (  60,000  volumes,  et  2,600  manuscrits  )  ; 
la  bibliothèque  de  l'université  de  Bonn  (70,000  volumes 
et  230  manuscrits)  ;  la  bibliothèque  de  Carlsruhe  (  80,000 
volumes  et  un  grand  nombre  de  manuscrits  )  ;  la  bibliothè- 
que de  Cassel  (  70,000  volumes  et  400  manuscrits,  pour  la 
plupart  d'une  haute  importance  )  ;  la  bibliothèque  d'Erfurt 
(  40,000  volumes  );  la  bibliothèque  d'Erlangen  (100,000  vo- 
lumes et  500  manuscrits);  la  bibliothèque  de  Francfort-sur 
le-Mein  (80,000  volumes);  la  bibliothèque  de  Fribourg 
en  Brisgau  (  80,000  volumes  )  ;  la  bibliothèque  de  Gies- 
sen  (  près  de  100,000  volmnes  )  ;  la  bibliothèque  de  Gotha 
(  140,000  volumes  et  5,000  manuscrits  )  ;  la  bibliothèque  de 
Halle  (  50,000  volumes);  la  bibliothèque  de  Hambourg 
(  150,000  volumes  et  5,000  manuscrits);  la  bibliothèque 
do  Heidelberg  (  150,000  volumes  et  un  grand  nombre  de 
manuscrits  très-curieux  relatifs  à  l'histoire  d'Allemagne)  ; 
la  bibliothèque  d'Iéna  (  60,000  volumes  )  ;  la  bibliothèque 
d'Inspruck  (  40,000  volumes);  la  bibliothèque  de  Kiel 
(  80,000  volumes  )  ;  la  bibliothèque  de  Kœnigsberg  (  60,000 
volumes)  ;  la  bibliotb.èque  de  l'université  de  Leipzig  (  150,000 
volumes,  plus  de  1  ,S00  incunables  et  2,000  manuscrits  );  la  bi- 
bliothèque de  la  ville  à  Leipzig  (  80,000  volumes  et  2,000 
manuscrits  )  ;  la  bibliothèque  de  Marbourg  (  100,000  volu- 
mes); la  bibliothèque  de  Meiningen  (40,000  volumes  );  la 
bibliothèque  de  Nuremberg  (50,000  volumes  et  800  manus- 
crits )  ;  la  bibliothèque  d'Oldenbourg  (80,000  volumes  )  ;  la 
bibliotlièque  de  Weimar  (  140,000  volumes  );  la  bibliothè- 
que de  Wolfenbuttel  (200,000  volumes  et  4,500  manuscrits). 
La  bibliothèque  Bodléienne  est  la  plus  riche  de  toutes 
celles  d'Angleterre.  Elle  fut  ainsi  appelée  du  nom  de  sou 
principal  fondateur,ThomasBodley  ,qui  la  légua  à  l'univer- 
sité d'Oxford.  Elle  commença  à  être  publique  en  ir,0!>.  Dans 
le  quinzième  siècle,  le  duc  de  Gloucester  avait  donné  à  la 
même  université  lasienne,  composée  de  129  volumes.  11  en 
résulte  aujourd'hui  un  fonds  de  220,000  vol.  et  17,000  ma- 
nuscrits. Georges  III  en  établit  une  au  château  de  Bucking- 
liam,  qui  contient  aujourd'hui  plus  de  80,000  volumes. 
Elle  a  été  augmentée  par  Georges  IV,  qui  l'a  léguée  par 
son  testament  au  Brit'ish-Museum.  Elle  contient  350,000 
vol.,  et  près  de  30,000  manuscrits,  indépendamment  d'envi- 
ron 30,000  chaî-tes,  diplômes,  etc.  Celles  delà  Société  royale, 
du  collège  des  Hérauts,  de  Lambeth,  et  du  collège  des  Méde- 
cins, sont  aussi  fort  nombreuses.  —  Les  débris  des  bibliothC' 
ques  des  Maures  d'Espagne  furent  apportés  au  couvent  de 
Saint-Laurent,  et  servirent  à  fon>?erla  bibliothèque  de  l'Es- 
curial,  que  Cha»les-Quinl  établit,  et  qui  fut  considérable- 


158  BIBLIOTHÈQUE 

ment  augmentée  par  PhUippe  II,  de  celles  du  roi  de  Fez  et 
de  Maroc,  achetées  lors  du  pillage  de  la  forteresse  de  La- 
rache.  La  foudre  détruisit  en  partie  la  bibliothèque  de 
l'Escurial  en  1670.  Elle  contient  aujourd'hui  200,000  toI.  et 
un  grand  nombre  de  manuscrits  arabes. 

L'empire  de  Russie  dut  à  Pierre  l*'  de  nombreuses  aca- 
démies et  de  nombreuses  bibliothèques.  Sous  son  règne  celle 
de  l'Académie  de  Pétersbourg  reçut  un  assez  grand  nombre 
de  volumes ,  que  Catherine  II  augmenta  considérablement 
en  y  ajoutant  ceux  qu'elle  acquit  de  Diderot  et  de  Vol- 
taire. La  bibliothèque  impériale  de  Pétersbourg  est  aujour- 
d'hui très-belle;  elle  contient  plus  de  400,000  volumes  et 
20,000  manuscrits. 

En  1721  les  Russes  découvrirent  chez  les  Tatars  Kalmouks 
une  bibliothèque  dont  les  hvres  étaient  extrêmement  longs, 
les  feuillets  épais ,  tissus  d'une  espèce  de  coton  ou  d'écorce 
d'arbre,  enduits  d'un  double  vernis;  l'écriture  blanche  sous 
un  double  fond  noir.  Des  fragments  de  ces  manuscrits  furent 
donnés  à  diverses  bibliothèques  d'Europe.  On  en  voit  quel- 
ques feuilles  à  la  Bibliothèque  Nationale  de  Paris. 

Les  autres  principales  bibliothèques  d'Europe  sont  ;  en 
Suède,  celle  du  Roi  à  Stockholm,  et  celle  de  l'université 
dIJpsal  ;  en  Danemarck ,  la  Bibliothèque  royale  et  celle  de 
l'université  de  Copenhague  (400,000  volumes  et  plus  de 
3,000  manuscrits);  dans  les  Pays-Bas,  celles  d'Amsterdam, 
de  Leyde,  d'Utrecht,  etc.;  en  Belgique,  la  bibliothèque  de 
la  ville  à  Bruxelles  (100,000  volumes),  et  la  Bibliothèque 
royale  de  la  même  ville  (  70,000  volumes  et  25,000  manus- 
crits ),  fondée  par  le  gouvernement  en  1837,  et  qui  renferme 
la  célèbre  bibliothèque  des  ducs  de  B  0  u  r  g  o  g  n  e  ;  et  celles  de 
Berne,  Bade,  Zurich  (  55,000  volumes  et  beaucoup  de  manus- 
crits), Saint-Gall  et  Genève  en  Suisse.  Parmi  les  biblio- 
thèques de  l'Inde,  on  cite  la  bibliothèque  impériale  éta- 
blie à  Oummera-Pourra,  capitale  du  royaume  d'Ava,  ou  em- 
pire des  Birmans ,  classée  par  ordre  dans  de  grands  coffres 
ornés  de  dorures  et  de  jaspe,  et  portant  sur  le  couvercle  la 
note  du  contenu  en  lettres  d'or.  U  y  a  aussi  dans  chaque 
kioun  ou  monastère  un  dépôt  de  livres  conservés  ordinai- 
rement dans  des  caisses  de  laque.  Ces  livres  se  composent 
généralement  de  minces  filaments  de  bambou ,  artistement 
tressés  et  vernis  de  manière  à  former  une  feuille  solide , 
unie  et  aussi  grande  qu'on  le  veut.  Cette  feuille  est  ensuite 
dorée ,  et  on  y  trace  les  lettres  en  noir  et  en  beau  vernis 
du  Japon.  La  marge  est  ornée  de  guirlandes  et  de  figures 
en  or,  sur  un  fond  rouge,  vert  ou  noir.  Le  gouvernement 
chinois  met,  de  son  côté ,  tous  ses  soins  à  former  de  vastes 
dépôts  de  livres  et  à  les  accroître  sans  cesse.  Dès  la  dy- 
nastie de  Lean,  en  502,  la  bibliothèque  impériale  comptait, 
dSt-on,  370,000  volumes.  Des  dépôts  de  livres  existent  aussi 
non-seulement  dans  la  capitale  et  dans  les  palais  des  em- 
pereurs, mais  encore  dans  les  métropoles  de  provinces;  et 
de  tout  temps,  dans  le  but  de  prévenir  les  pertes  que  pour- 
raient occasionner  les  guerres  ou  les  révolutions,  un  exem- 
plaire de  tous  les  ouvrages  précieux  est  envoyé  dans  les 
grandes  bonzeries  (monastères). 

Enfin  d'importantes  bibliothèques  ont  été  fondées  en  Amé- 
rique, notamment  à  Boston,  à  Cambridge,  à  New-York, 
à  Philadelphie,  à  Providence,  à  Washington,  etc.  Voyez 
Edwards,  Statlstical  Vicwqf  the  principal  public  Libra- 
iries qf  Europe  and  America  (Londres,  1848). 

BiBLiotnÈQCES  DE  Pxnis.  Après  la  Bibliothèque  Natio- 
nale, à  laquelle  nous  consacrons  un  article  particulier,  les 
principales  de  la  capitale  sont  : 

1°  La  Bibliothèque  Mazarine,  fondée  en  1648,  par  le 
cardinal  dont  ello  porte  le  nom,  dans  le  local  occupé  main- 
tenant par  la  Bibliothèque  Nationale,  rendue  publique  dès 
celte  époque ,  et  transportée  quarante  ans  après  au  Collège 
Mazarin,  dont  elle  a  fait  partie  jusqu'en  1792.  A  son  ori- 
gine elle  se  composait  <le  r.0,000  volumes  ;  elle  en  compte 
aujourd'iiui  150,000,  y  compris  les  manuscrits  et  un  grand 


nombre  d'opuscules  remontant  au  quinzième  siècle.  Dans 
une  de  ses  salles  sont  placés  quatre-vingts  modèles  en  re- 
lief des  monuments  pélasgiques  de  l'Italie  et  de  la  Grèce , 
collection  formée  par  Petit-Radel,  administrateur  de 
cette  bibliothèque ,  qui  a  publié  de  savants  mémoires  sur 
ces  monuments,  dits  cyclopéens. 

2°  La  Bibliothèque  de  l'Arsenal,  créée  pjr  le  marquis 
de  Paulmy  {voyez  notre  article  Argenson,  t.  l'f,  p.  785). 
Le  comte  d'Artois  en  fit  l'acquisition  en  1781.  A  cette  époque 
il  y  réunit  la  plus  grande  partie  de  l'ancienne  bibliothèque 
du  duc  de  La  Vallière.  Aujourd'hui  elle  compte  175,000  vo- 
lumes ,  sur  lesquels  il  y  a  environ  6,000  manuscrits.  Elle 
est  riche  surtout  en  romans  depuis  leur  origine,  en  ou- 
vrages de  littérature  moderne,  en  pièces  de  théâtre  de- 
puis l'époque  des  moralités  et  des  mystères ,  et  en  recueils 
de  poésies  françaises  depuis  le  commencement  du  seizième 
siècle. 

3°  La  Bibliothèque  Sainte-Geneviève,  dont  la  fondation  ne 
remonte  qu'à  1624  :  elle  se  compose  aujourdliui  de  150,000 
volumes  et  de  3,000  manuscrits.  Elle  avait  reçu  en  don, 
du  cardinal  de  La  Rochefoucault,  un  fonds  de  600  volumes; 
en  1687;  elle  en  comptait  déjà  20,000, et  en  1710  Letellier, 
archevêque  de  Paris ,  lui  légua  tous  ses  livres.  Sa  collection 
typographique  du  seizième  siècle  est  assez  précieuse,  et 
celle  des  Aide  qui  s'y  trouve  est  une  des  plus  complètes. 
Placée  d'abord  dans  une  dépendance  de  l'ancienne  abbaye 
Sainte-Geneviève,  que  la  révolution  transforma  en  collège , 
elle  occupe  maintenant  des  bâtiments  neufs  élevés  sur  l'em- 
placement de  l'ancien  collège  Montaigu ,  qui  servait  aupa- 
ravant de  prison  militaire.  Elle  est  ouverte  le  soir. 

4°  La  Bibliothèque  de  l'Institut.  Son  premier  fonds 
provient  de  l'ancienne  bibliothèque  de  la  ville  de  Paris,  qui 
contenait  alors  à  peine  20,000  volumes  ;  celle  de  l'Institut 
en  compte  aujourd'hui  plus  de  80,  000.  Cette  bibliothèque 
est  réservée  aux  membres  de  l'Institut,  mais  tous  les  étran- 
gers présentés  par  eux  y  sont  admis. 

5»  La  Bibliothèque  de  la  Ville ,  composée  en  grande 
partie  de  livres  modernes ,  au  nombre  de  50,000.  Elle  est 
riche  en  ouvrages  sur  les  villes  de  France.  La  bibliothèque 
que  légua  à  la  ville  le  procureur  du  roi  Moreau,  en  175î), 
servit  de  base  à  l'ancienne  collection  ;  Bonamy ,  qui  en  fut 
le  premier  conservateur,  y  réunit,  en  1760,  sa  bibliothèque 
particuUère.  A  la  révolution ,  cette  ancienne  bibliothèque 
de  la  ville  fit  le  fonds  de  celle  de  l'Institut;  celle  qui  existe 
aujourd'hui  a  été  tirée  des  dépôts  littéraires  nationaux. 

Parmi  les  bibliothèques  les  plus  importantes  de  Paris ,  on 
compte  encore  celles  du  Louvre  (80,000  vol.),  du  Corps 
législatif,  fondée  en  1703  par  le  comité  d'instruction  publi- 
que de  la  Convention  (  50,000  vol.  ),  du  Sénat  (  18,000  vol.  ), 
du  Muséum  d'Histoire  Naturelle  (  30,000vol.),  du  Bureau  des 
Longitudes  (  4,000  vol.),  du  CoÙége  de  France  (5,000  vol.  ), 
de  la  Faculté  des  Lettres  (  30,000  vol.,  314  manuscrits),  de 
la  Faculté  de  Droit  (8,000  vol.),  de  la  Faculté  de  Médecine 
(26,000  vol.),  de  l'École  Normale  (20,000  vol.),  de  l'École 
Polytechnique  (27,000  vol.),  de  l'École  des  Mines  (4,000 
vol.),  de  l'École  des  Ponts  et  Chaussées  (5,000  vol.),  do 
l'École  des  Beaux-Arts  (1,500  vol.  ),  du  Musée  (  3,000  vol.  ), 
du  Conservatoire  de  Musique,  créée  en  l'an  ii  (5,000  vol.), 
du  Conservatoire  des  Arts  et  Métiers  (  12,000  vol.  ),  du  sé- 
minaire Saint-Sulpice  (20,000  vol.),  du  lycée  Louis  le 
Grand  (30,000  vol.),  de  la  Société  Asiatique  (2,000  livres 
ou  manuscrits),  du  ministère  des  affaires  étrangères  (  15,000 
vol.  ),  du  ministère  de  l'intérieur  (14,000  vol.  ),  de  la  pré- 
fecture de  police  (  8,000  vol.  et  quelques  manuscrits  curieux 
de  1 793  ),  du  conseil  des  mines  (  12,000  vol.  ),  de  Thospice  des 
Quinze- Vingts  (2,000  vol.),  de  l'Imprimerie  nationale  (3,000 
vol.),  du  ministère  de  la  guerre  (7,000  vol.  ),  du  dépôt  de 
la  guerre  (19,000  vol.,  9,000  manuscrits),  du  dépôt  d'artil- 
lerie (9,000  voL  ),  des  Invalides  (20,000  vol.  ),  du  ministère 
des  finances  (3,500  vol.  ),  du  ministère  de  la  justice  (  i2,ooù 


BIBLIOTHÈQUE 


vol.  )»de  la  cour  de  cassation  (36,000  vol.),  du  conseil 
d'État  (35,000  vol.),  de  la  cour  des  comptes  (6,  000  vol.), 
du  tribunal  de  l"^'  instance  (25,000  vol.),  des  avocats,  créée 
en  1810  par  un  legs  de  l'avocat  Ferey  (10,000  vol.),  du 
ministère  de  la  marine  (2,700  vol.  ),  du  dépôt  de  la  marine 
(15,000  vol.  ),  des  Archives  nationales  (14,000  vol.). 

BiBLioTBÈQUES  DES  DÉPARTEMENTS.  On  conipte  ctt  France 
211  villes  possédant  des  bibliothèques,  dont  l'ensemble  s'é- 
lève à  3  millions  de  volumes ,  ce  qui  fait  à  peu  près  un  vo- 
lume pour  15  habitants.  Il  y  a  en  Belgique  95  vol.  par 
100  habitants  et  en  Allemagne  373  pour  le  même  nombre. 
380  villes  de  3  à  20,000  habitants  n'ont  pas  encore  chez  nous 
debibUotlièque.  De  toutes  nos  bibliothèques  départementales 
la  plus  considérable  est  celle  de  Lyon,  qui  contient  1 17,000  vo- 
lumes et  près  de  1,300  manuscrits.  D'abord  placée  au  collège 
de  la  Trinité,  elle  reçut  un  assez  grand  nombre  de  volumes  que 
lui  envoyèrent  Henri  III,  Henri  IV,  Louis  XIII  et  Louis  XIV, 
sur  la  demande  des  pères  Auger,  Coton  et  Lachaise.  Une 
partie  des  livres  et  du  bâtiment  fut  détruite  par  un  incendie, 
en  1644.  Placée  dans-des  bâtiments  de  l'Oratoire,  elle  per- 
dit un  assez  grand  nombre  de  volumes  lors  de  la  suppression 
de  la  compagnie  de  Jésus.  En  1793 ,  pendant  le  siège  de  la 
ville ,  les  boulets  attaquèrent  l'édifice ,  fracassèrent  les  ta- 
blettes et  détruisirent  encore  une  immense  quantité  de  li- 
^Tes.  "Un  bataillon  de  volontaires  y  fut  logé,  qui,  sous  pré- 
texte de  faire  disparaître  les  œuvres  d'église,  en  brûla  et 
en  dispersa  beaucoup  d'autres.  Des  commissaires  du  co- 
mité de  salut  public  y  vinrent  aussi  faire  un  choix  d'ou- 
vrages imprimés  et  manuscrits  les  plus  précieux  pour  être 
envoyés  à  la  Bibliothèque  Nationale  de  Paris.  Quatorze 
caisses  furent  emballées,  mais  la  plupart  n'arrivèrent  pas  à 
leur  destination;  quelques-unes  descendirent  le  Rhône, 
d'autres  se  perdirent  en  chemin.  Bientôt  après,  la  biblio- 
thèque de  Lyon  reçut,  pour  réparer  ses  pertes,  celles  de 
plusieurs  ordres  reUgieux.  Le  catalogue  en  a  été  publié  par 
le  bibliothécaire  Delandine.  Cette  ville  possède  encore  deux 
dépôts,  importants  :  la  bibliothèque  de  l'Académie  (  6,000  vol.) 
et  celle  du  palais  des  Beaux-Arts  (  6,000  également  ). 

La  bibliothèque  de  Bordeaux  contient  110,000  volu- 
mes, et  1 50  manuscrits.  —  Après  elle ,  la  plus  riche  de  nos 
départements  est  celle  d^Aix  en  Provence,  qui  possède 
près  de  100,000volumes  et  1,100  manuscrits.  On  y  remarque 
un  choix  des  plus  belles  productions  des  Aide ,  des  Estienne , 
des  Plantin,  des  Elzevir,  etc.,  etc.  —  La  bibliothèque  de 
Strasbourg ,  riche  en  manuscrits  et  en  livres  des  premiers 
temps  de  l'imprimerie,  compte  80,000  volumes.  Sa  fondation 
remonte  à  l'an  1531.  La  bibliothèque  de  la  faculté  de  méde- 
cine de  cette  ville  contient  10,000  volumes.  —  La  suppres- 
sion des  couvents  et  des  maisons  religieuses,  en  1793,  mit 
à  la  disposition  des  communes  et  des  districts  tous  les  ou- 
vrages rassemblés  par  les  religieux  qui  les  avaient  habités. 
Tel  fut  le  premier  fonds  de  l'établissement  à  Marseille  d'une 
bibliothèque  publique,  qui  compte  50,000  volumes  et  près 
de  1,300  manuscrits.  —  A  Rouen,  la  bibliothèque  de  l'ab- 
baye de  Saint-Ouen  possédait  non-seulement  un  grand  nombre 
de  livres,  mais  encore  une  riche  collection  de  manuscrits 
précieux ,  qui  servirent  de  base  à  la  bibliothèque  de  la  ville 
lorsque  les  religieux  abandonnèrent  leur  maison,  au  com- 
mencement de  la  révolution.  Le  second  étage  des  bâtiments 
de  la  mairie  de  Rouen ,  qui  a  remplacé  le  réfectoire  de  l'an- 
cienne abbaye,  est  le  local  qu'occupent  aujourd'hui  la  bi- 
bliothèque et  le  musée.  La  première  renferme  43,000  vo- 
lumes et  1,100  manuscrits,  pour  la  plupart  en  anglo-saxon, 
provenant  de  l'abbaye  de  Jumiéges.  C'est  un  des  plus  pré- 
cieux trésors  bibliographiques  de  la  France. 

La  fondation  de  la  bibliothèque  de  Grenoble  date  de  l'an- 
née 1772,  et  les  livres  de  Jean  Caulet ,  évoque  de  la  ville, 
ac([uis  par  les  Grenoblois  au  moyen  dune  souscription,  en 
furent  le  premier  fonds.  Bientôt  après,  l'ordre  des  avocats  y 
réunit  la  sienne,  et  les  bâtiments  qu'occupaient  ancicnne- 


1^9 

ment  les  jésuites  furent  en  paiti«  cédés  par  l'adminis- 
tration du  collège  à  la  ville.  Ce  fut  le  5  septembre  1773  que 
la  bibliothèque  devint  publique.  La  révolution  l'augmenta  de 
plusieurs  raretés  bibliographiques,  et  d'un  assez  grand 
nombre  de  manuscrits,  parmi  lesquels  il  faut  citer  ceux 
de  la  Grande-Chartreuse.  La  ville  dépense  annuellement  plus 
de  3,000  francs  pour  cette  bibliothèque,  qui  contient  aujour- 
d'hui 54,000  volumes  et  1,200  manuscrits,  parmi  lesquels 
on  remarque  celui  des  poésies  de  Charles  d'Orléans.  Cham- 
pollion-Figeac  et  ChampoUion  jeune  en  ont  été  bibliothé- 
caires. Le  titulaire  actuel,  M.  Ducoin,  en  a  publié  le  cata- 
logue. —  La  ville  d''Amiens  possède  aujourd'hui  une 
bibliothèque  riche  de  plus  de  42,000  volumes,  dont  la  plu- 
part ont  été  fournis  par  la  suppression  des  abbayes  ;  elle 
compte  aussi  1,500  manuscrits.  La  bibliothèque  du  sémi- 
naire contient  4,000  volumes.  —  A  Versailles,  la  principale 
richesse  de  la  bibliothèque  consiste  en  un  grand  nombre  d'é- 
ditions des  Estienne ,  Plantin ,  Elzevir,  Baskerville ,  etc.  ; 
42,000  volumes  y  sont  réunis.  —  La  ville  d'Arras  en  compte 
40,000 ,  et  1,000  manuscrits ,  dont  le  plus  remarquable  est 
un  Évangile  du  dixième  siècle.  —  La  bibliothèque  de  Cam- 
bray  a  beaucoup  de  manuscrits  ;  le  catalogue  en  a  été  publié 
par  M.  Le  Glay,  bibliothécaire.  Elle  possède  aussi  plusieurs 
raretés  bibliographiques.  Elle  s'accrut  à  la  révolution  des 
collections  du  chapitre  métropolitain  et  de  plusieurs  ab- 
bayes. Le  nombre  de  ses  volumes  s'élève  aujourd'hui  à  plus 
de  30,000,  dont  1,000  manuscrits,  parmi  lesquels  on  distin- 
gue un  Grégoire  de  Tours,  que  dom  Bouquet  croit  être  du 
septième  ou  du  huitième  siècle.  Ce  précieux  manuscrit  con- 
tient plusieurs  leçons  inédites. 

Après  ces  bibliothèques,  les  plus  considérables  de  France- 
sont  celles  :  d'Abbeville  (13,000  vol.),  cataloguée  par 
M.  Louandre  père;  d'Agen  (15,000  vol. ) ;  d'Ajaccio  (14,00a 
vol.);  d'Albi  (14,000);  d'Angers  (28,000);  d'Angouléme 
(16,000,  avec  plusieurs  manuscrits  précieux);  d'Auxerre 
(25,000  vol.  et  200  manuscrits);  d'Avignon  (28,000  vol. 
et  500  manuscrits);  d'Avranches,  dans  laquelle  M.  Cousin 
a  découvert  le  manuscrit  du  Sic  et  non  d'Abeilard  (10,000 
vol.  )  ;  de  Beaune  (  10,000  vol.  )  ;  de  Besançon ,  riche  en  pré- 
cieux manuscrits,  entre  autres  ceux  du  cardinal  Granvelle,  et 
qui  a  pour  bibliothécaire  M.  Weiss  (  60,000  vol.  )  ;  de  Blois, 
longtemps  dirigée  par  M.  de  la  Saussaye,  de  l'Institut, 
(  20,000  vol.  et  quelques  manuscrits  rares  )  ;  de  Boulogne 
(21,000  vol.);  de  Bourg  (17,000  vol.);  de  Bourges  ( 20,000 
vol.  et  de  curieux  manuscrits)  ;'de  Brest,  bibliothèque  de  la 
marine  (20,000  volumes);  de  Caen  (25,000  vol.);  de  Ca- 
hors  (12,000);  de  Carcassonne  (20,000);  de  Carpentras 
(25,000,  ave«  800  manuscrits);  de  Châlons-sur-Marne 
(20,000  vol.)  ;  de  Châlons-sur-Saône  (  10,000);  de  Charle- 
ville  (  22,000 ,  avec  200  manuscrits  )  ;  de  Chartres  (  40,000 
vol.  et  800  manuscrits ) ;  de  Chaumont  (35,000  vol.);  do 
Clermont-Ferrand  (  1 0,000  vol.  )  ;  de  Colmar  (  36,000  ) ;  de  Di- 
jon (40,000  vol.  et  600  manuscrits);  de  Douai  (30,000  vol'., 
et  600  manuscrits);  d'Épemay  (10,000  vol.);  d'ÉpinaÈ 
(17,000  vol.)  ;  d'Évreux  (10,000)  ;  de  La  Flèche  (20,000  vol.)  ^ 
de  Fontainebleau  (à  l'État,  40,000  vol.)  ;  du  Havre  (  15,000. 
voL);  de  Langres  (30,000  vol.);  de  Laon  (20,000  vol., 
et  480  manuscrits);  de  Lille  (  21,000  vol.);  de  Limogea 
(12,000  vol.  et  quelques  manuscrits);  de  Mâcon  (10,000. 
vol.);  du  Mans,  bibhothèque  de  la  ville  (41,000  vol.  et 
7,000  manuscrits),  bibliothèque  du  séminaire  (15,000  vol.); 
deMeaux  (14,000  vol.);  de  Melun  (10,000  vol.);  de  Meta 
(36,000  vol.);  de  Montauban  (  11,000  vol.);  de  Montbel- 
liard  (  10,000  vol.)  ;  de  Montbrison  (  15,000  vol.  )  ;  de  Mont- 
pellier, de  la  ville  (40,000  vol.),  de  la  faculté  de  mé- 
decine (  30,000  vol.  et  600  manuscrits),  du  musée  Fabre 
(  25,000  vol.  )  ;  de  Moulins  (  20,000  vol.  )  ;  de  Nancy  (  25,000 
vol.  )  ;  de  Nantes  (30,000  vol.  et  600  manuscrits,  la  plupart 
d'auteurs  classiques  )  ;  de  Nemours  (  1 1 ,000  vol.  )  ;  de  Niort 
(  20,000  vol.  )  ;  de  Nîmes  (30,000  vol.  )  ;  d'Orléans  ( 20^000 


BIBLIOTHÈQUE  —  BIBLIOTHÈQUE  NATIONALE 


160 

vol.);  de  Pau  (15,000  vol.)  ;  de  Périgueux  (  16,000  vol.); 
<le  Perpignan  (15,000  vol.  )  ;  de  Poitiers  (  25,000  vol.  )  ;  de 
Reims  (30,000  vol.  et  1,000  manuscrits);  de  Rennes 
(30,000  vol.  )  ;  de  La  Rochflle  (20,000  vol.  et  200  manus- 
crits) ;  de  Saint-Brieuc  (24,000  vol.)  ;  de  Saint-Omer  (36,000 
vol.)  ;  de  Saint-Quentin  (  17,000  vol.);  de  Saintes  (25,000 
vol.);  de  Semur  (15,000  vol.);  de  Soissons  (30,000  vol. 
et  220  manuscrits  )  ;  de  Toulouse  (  30,000  vol.  et  plusieurs 
curieux  manuscrits)  ;  de  Tours  (32,000  vol.  et  1,000  ma- 
nuscrits); de  Troycs  (50,000  vol.  et  400  manuscrits);  de 
Valenciennnes  (30,000  vol.);  de  Valognes  (15,000  vol. 
et  100  mantiscrits);  de  Verdun  (  14,000  vol.),  etc.,  etc. 

BIBLIOTHÈQUE  NATIONALE  de  Paris ,  la  plus 
riche ,  la  jiius  vaste  de  l'Europe.  Elle  est  divisée  en  quatre 
départements  :  1"  livres  imprimés;  2°  livres  manuscrits, 
chartes  et  diplômes;  3°  médailles  et  antiques;  4"  estampes, 
cartes  et  plans. 

La  réunion  des  conservateurs  et  des  conservateurs-ad- 
joints ,  qui  ont  voix  consultative ,  forme ,  sous  le  nom  de 
Conservatoire,  l'administration  responsable  de  cet  établis- 
sement. Un  administrateur  général  président,  un  viccrpré- 
sident  et  un  secrétaire  composent  le  bureau. 

L'origine  réelle  de  celte  bibliothèque  est,  comme  celle  de 
la  plupart  des  grands  établissements  publics,  obscure  et 
incertaine  ;  elle  eut  de  faibles  commencements ,  et  ce  n'est 
qu'après  de  longues  suites  d'années  et  de  nombreuses  révo- 
lutions qu'elle  est  parvenue  à  ce  degré  de  magnificence  qui 
en  fait  aujourd'hui  le  plus  vaste  dépôt  des  connaissances  hu- 
maines. Charlemagne  avait  ur.°.  bibliothèque  ;  il  ordonna 
qu'elle  fût  vendue,  et  que  le  prix  en  fat  distribué  aux  pau- 
vres. Ses  successeurs  disposèrent  aussi  de  leurs  livres 
comme  du  reste  de  leur  mobilier.  Saint  Louis  forma  à  son 
tour  une  bibliothèque ,  dont  il  permit  l'usage  aux  savants  ; 
il  la  dispersa  encore  par  une  clause  de  son  testament.  Phi- 
lippe le  Bel  et  ses  trois  fils  imitèrent  cet  exemple  ;  Philippe  de 
Valois  s'occupa  peu  des  sciences  et  des  livres;  le  roi  Jean, 
au  contraire ,  ramassa  quelques  volumes  ;  Charles  V  en  hé- 
rita ,  et  en  réunit  avec  soin  un  assez  grand  nombre  d'au- 
tres :  ce  fut  là  l'origine  et  la  base  primitive  de  la  Biblio- 
thèque Nationale  comme  établissement  public.  Le  premier 
inventaire  qui  s'y  trouve,  et  qui  remonte  à  1373,  est  signé 
de  Gilles  Malet ,  valet  de  chambre  de  Charles  V,  garde  de 
la  librairie  du  Louvre.  Il  constate  un  total  de  910  volumes, 
parmi  lesquels  les  ouvrages  de  théologie,  d'astrologie,  de 
géomancie  et  de  chiromancie  figurent  en  grande  majorité. 
En  1429,1a  bibliothèque  du  roi,  qui  était  à  la  tour  du 
Louvre  depuis  Charles  \,  fut  achetée  par  le  duc  de  Bed- 
ford,  régent  du  royaume,  pour  1,220  livres,  et  ce  sei- 
gneur en  envoya  une  bonne  partie  en  Angleterre.  Louis  XI 
en  ramassa  quelques  débris  épars  dans  les  maisons  royales. 
L'invention  de  l'imprimerie  lui  apporta  de  nouvelles  ri- 
chesses. Louis  XII  la  transporta  à  Blois  ;  François  V  la 
réunit  à  celle  qu'il  avait  formée  à  Fontainebleau,  et  créa  la 
charge  de  maistre  de  la  librairie  du  roi.  Henri  II  ordonna 
qu'il  serait  remis  à  la  bibliothèque  du  Roi  un  exemplaire  de 
chaque  livre  imprimé  par  privilège.  Parmi  les  maistres  de 
la  librairie  figurent  Guillaume  Bu  dé,  Mellin  de  Saint-Ge- 
lais,  Jacques  Amyot,  Auguste  de  Thou,  François  de 
Thou,  un  fils  du  ministre  Colbeit,  etc.  La  bibliothèque  du 
roi  fut  pillée  au  temps  de  la  Ligue.  Henri  IV  la  lit  transporter 
à  Paris  au  collège  de  Clermont,  que  les  jésuites  exilés  ve- 
naient d'abandonner.  Elle  passa  en  1004  aux  Cordeliers  , 
puis  sous  Louis  XIII  à  la  rue  de  la  Harpe,  en  16GG  à  la 
rue  Vivienne,  et  enfin  en  1724  au  local  actuel ,  hôtel  de  Ne- 
vers,  rue  Richelieu. 

Les  i)rincipales  acquisitions  dont  elle  s'enrichit  furent  :  en 
1657,  le  legs  des  frères  Dupuy,  anciens  bibliothécaires, 
consistant  en  126  manuscrits  et  plus  de  9,000  vol.  imprimés, 
les  plus  précieux  peut-être  qu'elle  possède  encore  aujour- 
d'hui ;  en  1G65,  celui  du  comte  IJippoljte  de  IJcthuue,  con- 


sistant en  1,923  volumes  manuscrits;  en  1678  le  don  fait  par 
Cassinide  700  vol.  sur  les  sciences  mathématiques;  en 
1728  l'acquisition  de  mille  volumes  imprimés  provenant  du 
cabinet  de  Co  Ibert,  et  en  1732  la  plus  importante  que  la 
Bibliothèque  nationale  ait  jamais  faite,  cellt;  des  manusciiU 
du  même  cabinet,  au  nombre  de  près  de  10,000,  y  cont 
pris  645  manuscrits  orientaux  et  1,000  manuscrits  grecs 
en  1733  l'acquisition  de  la  bibliothèque  du  sÏL'ur  de  Cangé 
6,000  vol.,  presque  tous  relatifs  à  l'histoire  littéraire  di 
France;  en  1750  l'acquisition  des  manuscrits  de  du  Cangi 
et  de  l'église  de  Paris,  au  nombre  d'environ  300,  la  plupai 
des  onzième  et  douzième  8iècles;en  1762,  le  legs  de  11,001 
volumes  par  Falconnet  ;  en  1765,  la  bibliothèque  du  ce 
lèbre  Huet,  évêque  d'Avranches  (plus  de  8,000  vol.); 
en  1766  l'acquisition  du  cabinet  Fontanieu,  riche  surtout  en 
manuscrits ,  parmi  lesquels  on  remarque  plus  de  60,000 
pièces  originales  sur  l'histoire  de  France  ;  l'acquisition  des 
manuscrits  et  livres  précieux  qui  composaient  la  magnifi- 
que collection  du  duc  de  La  Vallière,  et  enfin,  à  la  révolu- 
tion de  89,  les  abondantes  dépouilles  des  bibliothècpies  des 
émigrés,  efde  celles  des  nombreux  monastères  supprimés, 
sans  compter  les  richesses  étrangères  dues  à  nos  conquêtes. 
Avant  cette  époque  le  vaste  dépôt  de  la  rue  Richelieu 
était  un  établissement  purement  privé ,  mais  que  la  magni- 
ficence du  roi  ouvrait,  à  de  rares  intervalles  ,  à  quelques 
lecteurs   privilégiés.  La  révolution  changea   cet  ordre  de 
choses  :  la  publicité ,  une  publicité  sans  autres  limites  que 
les  précautions  à  prendre  pour  la  conservation  des  objets, 
fut  pour  la  première  fois  posée  en  principe,  et  mise  à  exé- 
cution aussitôt  qu'adoptée. 

L'an  XII,  la  Bibliothèque  eut  à  regretter  les  pertes  qu'é- 
prouva son  cabinet  des  antiques  par  le  vol  qui  y  fut  commis 
le  26  pluviôse.  ]\Iais,  quatre  mois  après,  les  cinq  pièces  capi- 
tales furent  retrouvées  à  Amsterdam,  entre  les  mains  mômes 
des  voleurs ,  et  furent  réijitégrées  à  la  Bibliothèque.  L'em- 
pereur Napoléon  conçut  à  cette  époque  le  projet  de  trans- 
porter la  Bibliothèque  au  Louvre;  mais  l'examen  du  local 
fit  abandonner  ce  projet  à  cause  de  l'insuffisance  des  sur- 
faces. Ce  projet  a  souvent  été  renouvelé  depuis ,  toujoiu's 
sans  succès. 

Les  puissances  étrangères ,  maîtresses  de  la  France  après 
les  désastres  de  1814,  réclamèrent  les  objets  d'art  pris 
dans  leurs  capitales ,  et  dont  la  plupart  avaient  été  stipulés 
comme  conditions  de  traités  antérieurs.  L'Autriche ,  la  pre- 
mière ,  se  fit  restituer  les  différents  monuments  apportés  de 
Vienne  en  1809.  L'ordre  en  fut  expédié  à  l'administrateur 
de  la  Bibliothèque  par  l'abbé  de  Montesquiou ,  et  les  objet;^ 
furent  rendus  le  14  septembre.  Le  retour  de  Napoléon  mit 
fin,  pour  cette  année,  aux  réclamations  des  autres  cabinets; 
et  en  mars  1815  la  Bibliothèque  reprit  son  ancienne  ins- 
cription de  Bibliothèque  Impériale.  En  juillet,  le  baron  de 
MufQing ,  redevenu  gouverneur  de  Paris  au  nom  des  puis- 
sances alliées,  expédia  promptement  des  ordres  sévères  poui 
faire  restituer  aux  divers  États  les  objets  enlevés  de  leun 
musées  et  bibliothèques.  Il  fit  aussi  réclamer  au  nom  de 
l'Autriche  les  monuments  d'Italie  conquis  par  nos  armées 
Mais  Dacier,  alors  administrateur,  refusa  de  les  rendre  avan 
d'avoir  reçu  des  instructions  du  ministre;  sa  fermeté  et  se; 
démarches  réitérées  auprès  des  autorités  préservèrent  alor 
la  Bibliothèque  des  malheurs  inséparables  d'une  invasion 
Les  ordres  expédiés  quelques  jours  après  par  M.  deBarante 
ministre  de  l'intérieur,  avertissaient  les  conservateurs  de  m 
céder  qu'à  la  force,  puisque  aucun  traité  ne  mettait  l'Italie 
sous  la  domination  de  l'Autriche.  Le  commissaire  de  cetti 
puissance  renouvela  sa  visite  le  4  octobre,  accompagné  d'iii 
officier  d'état-major,  et  ce  ne  fut  que  pour  éviter  les  do 
sordres  et  les  dégâts  qui  pouvaient  résulter  de  riutroductioi 
des  troupes  dans  un  établissement  littéraire,  que  l'adminiv 
trateur  cfda  aux  injonctions  des  plus  forts,  et  laissa  enlève 
les  objets  que  naguère  encoïc  on  était  fier  de  contcmpr 


BIBLIOTHÈQUE  NATIONALE 


se  rappelant  les  noms  des  victoires  qui  les  avaient  procurés 
à  la  France. 

Pendant  la  Restauration  de  nombreuses  acquisitions  vin- 
rent se  classer  de  nouveau  dans  les  galeries  de  la  Biblio- 
thèque Nationale.  Citons,  parmi  les  plus  importantes,  les 
manuscrits  autographes  de  La  Porte  du  Theil ,  Miilin ,  Vis- 
conti,  les  pièces  du  duc  de  Mortemart  sur  l'histoire  de 
France  et  du  père  Llorente  sur  l'inquisition  d'Espagne ,  de 
curieux  monuments  rapportés  d'ÉgvT)te  par  M.  Caillaud, 
des  médailles  de  M.M.  Cousinery,  Rollin,  Cadalvène,  et  une 
partie  de  la  précieuse  collection  de  M.  Allier  de  Haute- 
roche. 

En  1831,  la  Bibliothèque  eut  de  nouveau  à  regretter  le 
second  vol  fait  dans  son  cabinet  des  antiques ,  malheur  à 
jamais  funeste  aux  sciences  historiques ,  et  dont  la  perte  a 
justement  retenti  dans  le  monde  savant.  Ce  vol,  commis 
durant  la  nuit  du  5  au  6  novembre,  enleva  à  l'archéologie 
des  moyens  nombreux  d'instruction ,  à  l'étude  de  l'art  de 
pri  cieux  modèles ,  et  à  la  France  un  capital  considérable. 
Dès  avant  le  jour,  les  conservateurs,  avertis  de  ce  désastre, 
SI'  rendirent  en  toute  hâte  au  cabinet  et  trouvèrent  toutes 
1rs  armoires  ouvertes  ;  une  partie  des  montres  placées  sur  le 
liiueau  étaient  forcées,  et  un  grand  nombre  de  tablettes  et 
<le  cartons  avaient  été  entassés  ou  Jetés  pêle-mêle  sur  le 
parquet  ;  quelques-uns  de  ces  cartons  étaient  encore  chargés 
de  médailles  d'or  ou  de  bijoux ,  que  les  malfaiteurs  n'avaient 
pas  eu  le  temps  d'emporter.  Après  de  longues  recherches,  la 
police  parvint  enfin  à  découvrir  leurs  traces,  et,  sur  la  décla- 
ration de  l'un  d'eux,  une  partie  de  ces  richesses  fut  repêchée 
au  fond  de  la  Seine;  l'autre  avait  été  fondue. 

Parmi  les  dernières  acquisitions  faites  par  la  Bibliothèque, 
il  faut  encore  citer  la  collection  d'antiquités  du  général 
Guilleniinot,  les  médailles  de  la  Bactriane  offertes  par  le 
^'énéral  Allard ,  des  antiquités  du  cabinet  Durand,  du  prince 
(le  Canino,  des  manuscrits  autographes  de  CliampoUion 
jeune,  un  précieux  manuscrit  du  code  Thoodosien,  un  au- 
tre des  frères  Pithou,  une  grande  partie  de  la  riche  collection 
de  la  duchesse  de  Beriy. 

Les  bâtiments  de  la  Bibliothèque  Nationale  ont  à  l'ex- 
térieur l'aspect  le  plus  déplorable.  A  l'intérieur  les  propor- 
tions en  sont  vicieuses  et  manquent  de  symétrie.  Une 
partie  de  la  cour  est  convertie  en  jardin ,  dans  lequel  se 
trouve  un  jet  d'eau.  On  y  voit  aussi  une  statue  de  Char- 
les V.  Près  du  jardin,  et  an  i)ied  de  l'escalier  qui  conduit  à 
la  salle  de  lecture,  est  située  la  salle  du  Zodiaque,  orn(''e  du 
fameux  zodiaque  de  Dendôrah  et  de  curiosités  égyptiennes. 
Cette  salle  sert  à  des  cours.  Le  reste  du  rez-de-chaussée  est 
occupé  par  des  bureaux.  En  entrant,  un  large  escalier  pré- 
cédé d'un  vestibule  conduit  au  premier  étage  :  le  grand 
espace  qu'il  occupe  et  sa  rampe  de  fer,  citée  comme  un  des 
plus  beaux  travaux  de  ce  genre,  attirent  l'attention  des  visi- 
teurs. Sur  le  mur  on  voit  une  grande  tapisserie  donnée 
par  M.  Jubinal  et  provenant  du  château  de  Bayard;  on  sup- 
pose qu'elle  a  appartenu  au  célèbre  chevalier  de  ce  nom. 
l)e  cet  escalier  on  entre  dans  une  galerie  divisée  en  plu- 
sieurs salles,  dans  lesquelles  est  exposée,  sous  des  montres, 
une  curieuse  collection  d'incunables  et  de  chefs-d'œuvre 
typographiques.  Ces  salles  sont  ornées  de  la  statue  en  bronze 
de  Voltaire  par  Houdon,  et  du  plan  en  relief  des  pyra- 
mides d'Egypte  par  le  colonel  Grobert.  Au  bout  de  cette 
galerie  se  trouve  le  cabinet  des  antiques,  dont  nous  repar- 
lerons ,  et  en  retour  d'équerre  une  grande  salle  oniée  du 
Parnasse  français  de  Titon  du  Tillet,  pièce  de  bronze  où 
figurent  les  poètes  français  les  plus  connus  depuis  la  Re- 
naissance. Des  deux  côtés  sont  de  charmantes  petites  tours 
chinoises.  Par  un  nouveau  retour  d'équerre  on  entre  dans  la 
grande  salle  de  lecture,  laquelle  communique  avec  la  cour 
par  un  autre  escalier.  Derrière  les  bibliothécaires,  une  grande 
salle  renferme  les  deux  grands  globes  de  Coronelli.  Un  autre 
bâtiment,  faisant  le  quatrième  côté  du  parallélogramme, 

DICT.    DE    LA    COiNVERS.    —   T.    !II. 


161 

ramène  sur  le  grand  escalier;  une  partie  seulement  de  ce 
dernier  bâtiment  est  publique,  et  conduit  au  département  des 
manuscrits.  On  y  voit  une  cuve  de  porphyre ,  qui  était  jadis 
dans  l'église  de  Saint-Denis ,  et  dans  laquelle  on  dit  que 
Clovis  reçut  le  baptême  des  mains  de  saint  Remy. 

Les  murs  de  ces  diverses  galeries  sont  garnis  d'armoires 
remplies  de  livres.  De  belles  et  larges  croisées  s'ouvrent  sur 
la  cour.  Les  imprimés  de  la  Bibliothèque  Nationale  ne  s'é- 
lèvent pas  à  moins  de  600,000  volumes,  sans  compter  un 
pareil  nombre  au  moins  de  brochures  et  pièces  fugitives. 
Chaque  année  ce  fonds  s'augmente  d'un  exemplaire  de 
chacun  des  ouvrages  nouveaux  et  des  éditions  nouvelles  et 
des  opuscules  publiés  en  France  pendant  l'année,  soit 
d'environ  6,000  volumes  ou  brochures,  et  de  3,000  volumes 
publiés  à  l'étranger.  C'est  la  plus  belle  collection  des  pro- 
duits de  l'imprimerie  qui  existe  dans  le  monde. 

Département  des  manuscrits.  L'entrée  de  ce  départe- 
ment est  à  gauche  du  grand  escalier  des  imprimés;  mais 
il  communique  aussi  avec  les  livres  par  une  pièce  du  pre- 
mier étage.  L'escalier  particulier  est  étroit  et  d'assez  mau- 
vaise apparence;  il  conduit  à  une  grande  et  belle  suite  de 
salles  où  on  a  réuni  la  plus  belle  collection  de  manuscrits 
de  tout  âge,  de  tout  genre  et  de  toutes  langues.  En  entrant, 
l'on  trouve  trois  grandes  pièces  dont  les  plafonds  sont  peints 
à  fresque.  Ils  représentent  différents  sujets ,  et  la  plupart 
sont  des  fleurs,  des  oiseaux,  des  paysages,  etc.,  que  l'on 
croit  avoir  été  peints  par  des  élèves  de  Romanelli ,  d'après 
les  cartons  de  ce  maître.  La  cinquième  pièce  est  une  grande 
et  superbe  galerie,  dite  Mazarine,  de  45  mètres  50  centim. 
de  longueur,  sur  7  mètres  20  centim.  de  largeur.  Elle  a  fait 
partie  des  appartements  du  cardinal  dont  elle  porte  le  nom, 
à  l'époque  où  il  habitait  cil  hôtel.  Huit  croisées  en  vous- 
sure éclairent  cette  salie  dans  sa  longueur,  et  en  face  de 
chacune  d'elles  était  une  niche  en  coquilles  décorée  de  pay- 
sages peints  par  Grimaldi  Bolognèse  ;  mais  elles  sont  main- 
tenant masquées  par  des  corps  de  tablettes  couverts  de 
manuscrits.  Le  plafond  envoûte  est  très-beau,  il  a  été  peint 
à  fresque,  en  1051,  par  Romanelli,  qui  y  a  représenté 
divers  sujets  de  la  Fable.  Dans  celte  galerie,  on  a  exposé 
dans  des  montres  \  itrées  des  manuscrits  chinois,  persans,  an- 
ciens et  modernes,  éthiopiens,  birmans,  turcs,  arabes,  etc., 
et  plusieurs  autres  des  différents  siècles  du  moyen  âge , 
depuis  le  septième  jusques  et  y  compris  le  seizième  siècle; 
des  écritures  autographes  en  grand  nombre,  celles,  entre 
autres,  d'Agnès  Sorel  et  de  Molière,  des  lettres  d'Henri  IV 
à  Sully,  de  Voltaire,  J.-J.  Rousseau,  Boileau,  Corneille, 
Racine,  mesdames  de  La  Vallière,  Maintenon  et  Sévigné; 
des  manuscrits  de  Fénelon  ,  Bossuet,  INIontesquieu ,  Pascal 
et  saint  Vincent  de  Paul.  A  l'extrémité  nord  de  la  galerie 
Mazarine  est  l'ancienne  chambre  à  coucher  du  cardinal, 
occupée  par  la  réunion  des  manuscrits  orientaux.  Viennent 
ensuite  de  nombreux  manuscrits  grecs  et  latins.  L'en- 
semble de  cette  collection  enfin  ne  s'élève  pas  à  moins  de 
85,000  volumes,  sans  compter  environ  un  milhon  de  pièces 
et  documents  historiques,  dont  un  grand  nombre  sont  du 
plus  haut  intérêt. 

Département  des  médailles  et  antiques.  L'origine  de 
son  établissement  remonte  à  Henri  IV.  Ce  roi  choisit  le 
gentilhomme  provençal  Bagarris  pour  former  ce  cabinet. 
Louis  XIV ,  après  l'avoir  considérablement  enrichi ,  le  fit 
transporter  au  Louvre  ;  plus  tard ,  on  le  plaça  près  de  la 
Bibliothèque,  pour  le  mettre  plus  en  sûreté.  On  y  réunit 
plus  tard  le  cabinet  de  Caylu  s,  riche  d'un  nombre  prodi- 
gieux de  monuments  en  marbre,  bronze,  etc.  De  Boze, 
Barthélémy  et  Miilin  ont  à  jamais  illustré  leurs  noms  par 
les  services  rendus  à  ce  cabinet,  et  leur  mémoire  sera  tou- 
jours chère  aux  antiquaires.  L'entrée  est  au  bout  de  la  pre- 
mière galerie  des  imprimés.  Dans  la  salle  où  le  public  est 
admis,  une  infinité  d'objets  curieux  sont  exposés  sous  verre 
ou  à  nu.  Des  deux  côtés  de  cette  salle  sont  des  tableaux  de 

21 


162       .  BIBLIOTHÈQUE  ^ATIONALE 

Naloire  et  Van  Loo,  représentant  Apollon  et  les  Muses;  les 
dessus  de  porte  sont  de  Bouclier.  Les  pierres  gravées  sont 
rangées  dans  des  montres  :  l'une  est  garnie  de  scarabées 
égyptiens,  étrusques  et  grecs  ;  ceux  des  Égyptiens  sont  les 
plus  anciens  exemples  connus  de  la  gravure  sur  pierre  fine. 
Dans  une  autre  montre  se  trouvent  des  camées  représentant 
des  sujets  religieux  gravés  pendant  le  moyen  âge;  des  portraits 
de  rois  et  autres  personnages  illustres,  tels  que  Charles  II 
d'Angleterre,  Cromwell,  Marie  Stuart,  Henri  IV,  Elisabeth 
d'Angleterre,  Louis  XII,  Anne  d'Autriche,  Louis  XIII, 
Louis  XIV ,  Richelieu ,  Mazarin ,  Louis  XV  ,  Charles-Quint  ; 
les  portraits  de  madame  de  Pompadour  et  de  Laure  et  Pétrar- 
que, etc.  Des  empereurs  et  différents  personnages  romains 
sont  figurés  sur  les  camées  rangés  dans  une  troisième  montre, 
parmi  lesquels  quelques-uns  se  distinguent  surtout  par  la 
finesse  du  travail  et  la  beauté  de  la  matière.  On  ne  peut 
se  dispenser  de  citer  ['Apothéose  de  Germanïcus,  sardonyx 
h  trois  couches,  conservée  pendant  plus  de  sept  cents  ans 
par  les  bénédictins  de  Saint-Évre  de  Toul.  Ces  religieux 
avaient  cru  que  ce  camée  représentait  saint  Jean  enlevé 
par  un  aigle  et  couronné  par  un  ange  ;  mais  lorsqu'ils  con- 
nurent son  véritable  sujet,  ils  l'offrirent  au  roi  en  1C84.  Une 
quatrième  montre  est  aussi  remplie  par  des  camées  repré- 
sentant des  personnages  romains,  Agrippine,  la  vestale 
Néria,  Claude,  etc.  Nous  prenons  ici  le  mot  camée  dans  son 
acception  générale,  indiquant  à  la  fois,  quoique  abusive- 
ment, les  pierres  gravées  en  relief  et  celles  qui  le  sont  en 
creux,  qui  se  nomment  proprement  intailles. 

Le  casque,  le  bouclier,  l'épée  et  deux  masses  d'armes  qui 
ont  appartenu  à  François  l",  sont  appendus  dans  le  ca- 
binet des  antiques ,  qui  possédait  aussi  l'épée  de  ville  de 
Henri  IV,  ornée  de  camées,  et  son  épée  de  chasse,  portant 
un  pistolet.  L'épée  de  ville  avait  été  tirée  du  cabinet,  lorsque 
les  commissaires  nommés  par  le  peuple  pour  parcourir  la 
Bibliothèque  pendant  la  révolution  de  Juillet  vmrent  cher- 
cher des  armes  pour  l'insurrection.  Cette  épée  fut  fidèlement 
rendue  quelques  jours  après  par  les  personnes  qui  l'avaient 
emportée  en  présence  des  conservateurs.  Le  cabinet  des  an- 
tiques possède  encore  le  fauteuil  dit  de  Dagobert,  autrefois 
conservé  à  Saint-Denis.  Les  quatre  pieds  sont  d'un  travail 
meilleur  que  le  reste  de  ce  meuble  ;  il  ressemble  assez  à  la 
chaise  curule  des  Romains;  il  fut  transporté  à  Boulogne 
pour  la  distribution  des  croix  de  la  Légion  d'Honneur  faite 
par  l'Empereur  ;  il  servit  encore  à  Napoléon  lors  de  la  cé- 
rémonie du  Champ  de  mai,  en  1815.  D'autres  montres  vi- 
trées contiennent  encore  des  camées  et  des  intailles,  sur  la 
plus  grande  partie  desquels  sont  figurés  les  dieux  du  paga- 
nisme ;  puis  des  pierres  gravées  représentant  des  princes  de 
l'antiquité  et  du  moyen  âge.  Parmi  les  objets  antiques  de 
premier  ordre ,  on  remarque  le  plus  grand  camée  connu  : 
il  vient  de  la  Sainte-Chapelle,  où  on  le  conservait  à  cause  de 
son  sujet,  que  l'on  croyait  être  le  triomphe  de  Joseph.  Il 
fut  apporté  en  France  par  Baudouin  II,  qui  vint,  en  1224, 
implorer  le  secours  de  saint  Louis  pour  recouvrer  Cons- 
tantinople;  et  il  fut  donné  à  la  Sainte-Chapelle  par  Char- 
les V.  Ce  monument,  d'un  prix  inestimable,  nous  offre  l'a- 
pothéose d'Auguste,  dans  sa  partie  supérieure;  et  dans  la 
ligne  du  milieu  ,  Tibère  sur  son  trône ,  Agrippine  près  de 
lui,  etc.  Volé  en  1804,  il  perdit  alors  sa  monture  gothique 
en  forme  de  reliquaire.  Des  vases,  des  boucliers,  des  ar- 
mures, enrichissent  encore  ce  cabinet. 

Dans  d'autres  montres  vitrées  sont  placées  les  premières 
monnaies  de  Rome  ;  des  objets  antiques,  tels  que  aiguilles, 
dés,  stylets,  un  coin  à  frapper  les  monnaies ,  etc.,  des  col- 
liers, des  chaînes,  des  bagues  et  autres  ornements;  des 
médailles ,  soit  des  empereurs  romains ,  soit  de  la  Grèce ,  de 
l'Asie  Mineure,  quelques-unes  du  moyen  Age,  et  les  mé- 
dailles modernes  les  plus  récemment  frappées.  D'autres  cu- 
riosités complètent  encore  ce  trésor. 

Les  médailles  sont  divisées  en  deux  classes  princi|)aks , 


-  BIBLIOTHÈQUES  RURALES 

médailles  anciennes ,  médailles  modernes  :  les  unes  et  les 
autres  forment  plusieurs  subdivisions. 

Les  pierres  gravées  ne  furent  réunies  à  la  Bibliothèque 
qu'en  1791.  La  collection  est  assez  belle.  Quant  aux  an- 
tiques ,  cette  partie  a  toujours  été  regardée  comme  acces- 
soire ,  parce  que  le  Louvre  en  possède  une  très-belle  col- 
lection. Cependant  il  se  trouve  à  la  Bibliothèque  quelques 
morceaux  antiques  du  premier  ordre. 

La  collection  des  médailles  s'élevait,  avant  le  vol  de 
18.31 ,  bien  au  delà  de  100,000  pièces,  tant  en  or  qu'en  ar- 
gent et  bronze,  sans  compter  les  pierres  gravées  et  les 
antiques.  Elle  se  compose  aujourd'hui  de  100,000  monnaies 
ou  médailles,  7,000  pierres  gravées,  et  3,000  antiques. 

On  peut  se  faire  une  idée  de  la  manière  dont  on  compre- 
nait la  publicité  des  collections  scientifiques  avant  la  révo- 
lution par  le  passage  d'un  mémoire  de  l'abbé  Barthélémy 
sur  le  cabinet  des  médailles,  mémoire  destiné  à  l'Assemblée 
constituante.  Le  meilleur  moyen  de  conservation  pour  le 
cabinet  était ,  selon  lui ,  de  ne  jamais  songer  à  le  rendre  pu- 
blic. Son  prédécesseur  le  montrait  fort  rarement.  Après  sa 
mort,  Barthélémy  se  laissa  entraîner  à  un  zèle  de  novice, 
mais  il  ne  l'ouvrait  Jamais  à  personne  sans  être  saisi  de 
frayeur.  Pendant  son  voyage  d'Italie,  qui  d'ailleurs  ne  fut 
pas  improductif  pour  la  collection,  il  emporta  la  clef  du  ca- 
binet, qui  resta  fermé  pendant  deux  ans,  de  1755  à  1757. 

Département  des  estampes ,  cartes  et  plans.  Quoique 
ce  département  soit  un  des  plus  importants  de  la  Biblio- 
thèque, et  celui  où  les  artistes  viennent  journellement  con- 
sulter les  chefs-d'œuvre  des  arts  du  dessin  reproduits  par 
la  gravure,  nous  ne  dirons  cependant  que  quelques   mots 
des  monuments  de  tout  genre  qu'il  renferme.  La  seconde 
section,  celledes  cartes  eLplans,  n'estcrééeque  depuis  1828, 
et  l'on  travaille  avec  beaucoup  de  zèle  à  l'enricliir.  On  y 
trouve  quelques  cartes  anciennes,  de  précieuses  cartes  étran- 
gères dessinées  et  gravées ,  et  avec  le  temps  la  collection 
sera  d'un  grand  secours  pour  l'étude  de  l'histoire  et  de  la 
géographie.  L'établissement  du  cabinet  des  estampes  ne  re- 
monte pas  au  delà  du  règne  de  Louis  XIH,  et  l'on  en  est 
surtout    redevable  à  la  protection  de  Colbert  pour  les 
sciences  et  les  arts.  On  le  plaça  d'abord  parmi  les  livres  im- 
primés ;  et  ce  ne  fut  qu'après  plusieurs  acquisitions  impor- 
tantes que  l'on  .songea  à  l'établir  à  part.  On  peut  évaluer 
au  delà  de  1 ,200,000  le  nombre  des  estampes,  la  plupart  en 
belles  épreuves  rares  ou  avant  la  lettre,  augmentées  annuel- 
lement comme  les  livres  imprimés,  et  contenues  dans  près 
de  6,000  volumes  ou  portefeuilles.  Cette  collection  est  la 
plus  riche  en  œuvres  des  vieux  maîtres  d'Italie  et  d'Alle- 
magne ainsi  que  de  Rembrandt,  en  eaux-foiles  des  peintre» 
hollandais  et  en  œuvres  des  graveurs  allemands  et  français. 
Si  d'autres  cabinets  possèdent  de  plus  riches  collections  de 
portraits,  aucun  ne  renferme  des  collections  historiques, 
mythologiques  et  topographiques  aussi  considérables,  et 
nulle  collection  d'Europe  n'offre  autant  de  diversité.  L'ex-  j 
position  des  gravures  attire  de  tout  temps  l'attention  des  eu-  ; 
rieux  ;  on  y  voit  les  plus  belles  estampes  au  burin  ;  d'autres  ' 
se  font  remarquer  par  leur  ancienneté  ;  on  y  trouve  aussi  ; 
des  gravures  à  l'eau-forte  et  les  plus  belles  estampes  mo-  | 
dernes.  En  parcourant  cette  galerie  l'on  y  peut  suivre  toutes  j 
les  phases  de  l'art  de  la  gravure,  depuis  les  plus  vieilles  pro-  ' 
ductions  jusqu'à  celles  de  nos  jours.  Les  cartes  géographiques  ! 
sont  au  nombre  de  50,000,  et  cette  collection  s'augmente  I 
également  d'un  exemplaire  des  atlas  ou  cartes  publiés  en  "! 
France  et  d'acquisitions  faites  à  l'étranger. 

BIBLIOTHÈQUES  RURALES.  Il  faut  avouer  que 
la  somme  delà  richesse  intellectuelle  d'un  pays,  qui  se  réiume 
jiar  les  bibliothèques,  est  bien  inégalement  répartie  sur  toute  , 
la  surface  de  la  France  et  même  de  l'Europe.  Les  hauteurs  j 
de  la  science  sont  illuminées,  les  bas-fonds  restent  dans 
l'oiiibrc.  Les  grandes  villes ,  hormis  Paris  ,  conservent  pré-  ' 
cieuseinent  dans  de  vastes  locaux  des  livres  tout  poudreux,  I 


à 


BIBLIOTHÈQUES  RURALES  —  BIBLIQUE 


1G3 


dont  les  rayons  de  leurs  bibliothèques  sont  chargés ,  et 
qui  ne  sont  lus  que  par  un  petit  nombre  de  lecteurs.  Il 
semblerait  que  la  centralisation ,  dont  on  ne  peut  d'ailleurs 
contester  les  avantages  politiques,  ait  fait  refluer  au  cœur 
le  sang  de  la  France,  en  appau\Tissant  les  extrémités.  Aucun 
point  lumineux  ne  s'élève  au  milieu  des  provinces,  comme 
ces  phares  littéraires  et  scientifiques  des  cités  de  second 
ordre  qui  éclairent  l'Allemagne.  Nos  cliefs-heux  d'arron- 
dissement possèdent  à  peine  de  chétives  bibliothèques,  meu- 
blées la  plupart  de  livres  ramassés  çà  et  là,  ou  expédiés  sur 
la  recommandation  de  n'importe  qui  parle  ministre  de  l'ins- 
truction publique,  livres  qu'on  donne  parce  qu'on  n'a  pu 
les  vendre.  Elles  sont  même  remplies  à  moitié  de  romans , 
de  quelques  voyages  illustrés ,  d'histoires  naturelles ,  de 
Flores  et  de  livres  dits  amusants ,  les  seuls  que  les  oisifs 
des  petites  villes  daignent  parcourir  lorsqu'ils  veulent  bien 
se  donner  la  peine  d'ouvrir  un  volume  pendant  un  demi- 
quart  d'heure.  Quant  aux  artisans ,  ils  travaillent  toute  la 
semaine  ;  les  jours  de  fête  ils  vont  au  bal  et  au  cabaret.  Ils 
ne  mettent  jamais  les  pieds  dans  la  bibliothèque  dite  pu- 
blique ,  et  la  plupart  ne  savent  pas  même  qu'il  en  existe 
une,  ni  où  elle  est.  Et  d'ailleurs  elle  n'est  pas  ouverte  le 
dimanche.  Mais  il  n'existe  pas  de  bibliothèques  dans  les 
campagnes.  Ici,  ce  n'est  point  sous  la  même  forme  qu'elles 
pourraient  se  produire ,  car  il  n'y  a  pas  de  local  pour  rece- 
voir les  lecteurs  ;  à  peine  y  en  a-t-il  un,  fort  encombré ,  fort 
exigu ,  pour  la  tenue  des  écoles  et  des  séances  du  conseil 
municipal.  La  bibliothèque  des  campagnes  consiste  dans 
une  armoire  vermoulue  qui  renferme  les  cartons  du  cadastre, 
les  circulaires  des  préfets  rongées  par  les  souris,  les  nu- 
méros dépareillés  du  Bulletin  de»  Lois,  le  registre  des  actes 
de  l'état  civil,  qui  souvent  n'est  pas  en  meilleur  état,  et  les 
déUbérations  de  la  mairie.  Des  livres ,  il  n'y  en  a  point  :  qui 
les  achèterait?  qui  les  garderait?  qui  les  lirait? 

Ce  n'est  pas  que  l'on  n'ait  souvent  songé  à  en  établir, 
mais  jusque  ici  l'on  a  échoué.  D'où  cela  vient-il?  Ke  serait- 
ce  pas  peut-être  de  ce  que,  lorsqu'on  se  propose  d'organiser 
im  établissement  populaire ,  il  faut  travailler  sérieusement 
pour  le  peuple,  et  non  pour  soi  ?  11  ne  faut  pas  l'endoctriner 
par  surprise  au  profit  de  ses  théories,  de  ses  croyances  ou 
de  ses  opinions.  Le  peuple  s'aperçoit  tout  de  suite  de  vos 
ruses, et  il  s'éloigne.  C'est  pour  cela,  eji  grande  partie,  que 
les  bibliothèques  rurales  n'ont  pu  féussir.  Les  uns  voulaient 
lui  distribuer  des  contes  de  Berquin ,  où  l'on  ne  voit  figurer 
que  des  bergers  la  houlette  à  la  main  et  des  bergères  avec 
des  rubans  roses.  Les  autres  exprimaient  dans  de  petits 
traités  abstraits  la  quintessence  de  leurs  problèmes  scien- 
tifiques ,  ornés  d'un  jargon  incompréhensible.  Ceux-ci  spé- 
culaient ,  en  façon  de  libraires,  sur  la  vente  de  leurs  drogues 
bibliographiques  ;ceux-làdistribuaientdescatalognesde  livres 
purement  ascétiques  ;  d'autres  enfin  n'auraient  pas  été  fâchés 
d'insinuer  le  désir  et  l'imitation  de  leurs  utopies  plus  ou 
moins  sociales.  Chacun  de  ces  entrepreneurs  ne  songeait 
absolument  qu'à  soi,  et  les  communes  rurales  n'étaient  pour 
eux  que  des  unités  ou  des  chiffres  qu'ils  groupaient  très-ar- 
tistement  au  profit  de  leurs  systèmes  ou  de  leur  bourse,  de 
leur  bourse  surtout,  selon  le  précepte  ordinaire  du  siècle. 
Le  peuple  des  campagnes  n'a  pris  confiance  ni  aux  uns  ni 
aux  autres.  Il  résiste  à  tout  ce  qui  lui  est  imposé,  et  il  ne 
veut  servir  d'instrument  à  personne.  11  faut  lui  exposer  ce 
qu'il  y  a  de  mieux  à  faire  et  le  lais!:er  faire,  lui  donner  à 
choisir  et  le  laisser  choisir,  et,  en  un  mot,  ne  forcer  ni  ses 
goûts  ni  sa  volonté. 

Y  a-t-il  cependant  un  objet  qui  soit  plus  digne  que 
celui-ci  d'attirer  les  yeux  et  de  tenter  le  zèle  et  les  efforts 
de  la  vraie  philanthropie,  de  celle  qui  laisse  les  phrases  aux 
faiseurs  intéressés  de  pl^us  et  d'utopies,  et  qui ,  ne  voulant 
d'autres  guides  que  l'expérience  des  fails  et  l'étude  des 
mœurs,  va  pas  à  pas,  sans  bruit  de  sonnettes,  et  s'applique 
à  des  œuvres  do  pratique  usuelle  et  vulgaire?      Timon. 


M.  de  Cormenin  a  tenté  de  résoudre  le  problème  d'une 
manière  ingénieuse.  Il  a  composé  une  bibliothèque  de  cent 
cinquante  volumes,  et  établi  un  système  de  roulement  entre 
dix  communes  dont  chacune  possède  à  la  fois  quinze  vo- 
lumes qui  s'échangent  chaque  année  contre  quinze  volumes 
d'une  autre  commune ,  et  ainsi  de  suite.  L'instituteur  est 
chargé  de  la  garde  de  ces  volumes,  qu'il  prête  aux  habitants. 
De  cette  façon  la  dépense  est  réduite  à  une  très-faible 
somme,  puisqu'elle  est  répartie  entre  dix  communes  et  en 
dix  années.  Mais  reste  toujours  à  choisir  les  volumes.  Pour 
l'essai  tenté  par  M.  de  Cormenin  les  volumes  ont  été  payés 
par  lui.  S'entendra-t-on  quand  il  s'agira  de  renouveler  cette 
bibliothèque  ?  Fera-t-on  des  livres  exprès  pour  ces  nouveaux 
lecteurs?  A  quoi  bon?  on  a  déjà  bien  essayé  de  pareilles 
collections ,  et  on  n'a  jamais  réussi.  Le  ministère  s'en  est 
mêlé  sans  succès.  C'est  s'exposer  à  des  accusations  de  cama- 
raderie, de  tripotage.  On  ne  lit  guère  un  livre  recommandr-  ; 
et  d'ailleurs  les  bons  livres  ne  manquent  pas.  Dieu  merci , 
dans  notre  littérature;  il  s'agit  seulement  de  laisser  chacun 
en  prendre  à  son  goût.  Que  l'État  vienne  donc  au  secours 
des  communes  qui  veident  avoir  des  bibliothèques  rurales, 
et  qu'il  les  laisse  libres  de  les  composer  à  leur  fantaisie  ; 
qu'à  côté  des  Encyclopédies,  ces  bibliothèques  économiques 
des  campagnes,  des  collections  de  petits  traités,  des  biblio- 
thèques classiques,  etc.,  puissent  venir  se  placer  des  romans, 
des  chansons,  des  pamphlets,  des  revues,  des  journaux 
même  ;  quel'État  n'intervienne  en  rien  ni  pour  personne,  qu'i' 
n'ait  pas  même  la  prétention  d'éclairer  des  gens  qui  savent 
mieux  que  lui  ce  qu'il  leur  faut,  et  qui  ont  d'ailleurs  le  curé 
ou  telle  personne  lettrée  du  pays  pour  guider  leur  choix.  Il  y 
aura  sans  doute  quelques  abus;  mais  qu'importe!  et  pour 
un  mauvais  choix ,  il  y  en  aura  peut-être  des  milliers 
d'heureux.  On  aime  à  lire  le  livre  qu'on  a  demandé,  qu'on 
a  voulu  ;  et  comme  il  s'agit  d'abord  de  créer  des  habitudes, 
le  but  sera  atteint.  L.  Louvet. 

BIBLIQUE  (Archéologie).  C'est  la  science  qui  traite 
des  antiquités,  de  la  constitution,  des  mœurs  et  des  usages 
des  peuples  parmi  lesquels  naquirent  les  ouvrages  bibUques 
ou  bien  auxquels  ils  ont  rapport.  La  connaissance  de  l'ar- 
chéologie bibhque  est  de  toute  nécessité  pour  bien  com- 
prendre l'Écriture,  attendu  que  seule  elle  peut  donner 
l'interprétation  d'un  grand  nombre  de  passages  de  la  Bible. 
Quoique  les  antiquités  du  peuple  hébreu  en  composent 
la  partie  la  plus  essentielle,  elle  n'en  doit  pas  moins  s'oc- 
cuper des  peuplades  sémitiques  de  même  origine,  dont  il 
est  fait  mention  dans  la  Bible.  Toutefois,  il  est  généralement 
d'usage  de  ne  rattacher  qu'incidemment  à  l'archéologie  hé- 
braïque ce  qui  regarde  les  autres  peuples. 

Les  souices  principales  de  l'archéologie  biblique  sont 
l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament.  On  trouve  en  outre  de 
précieux  renseignements  à  cet  égard  dans  les  ouvrages  de 
Josèphe  S2ir  les  Antiquités  juives  et  sur  la  guerre  de 
Judée,  de  même  que  dans  ceux  de  Philon.  Les  autres 
sources  sont  les  livres  religieux  postérieurs  des  Juifs,  le 
Talmud  et  les  rabbins,  mais  dont  il  ne  faut  accueillir  le  té- 
moignage qu'avec  une  réserve  extrême  ;  enfin  les  écrivains 
grecs,  romains  et  arabes,  de  môme  que  les  monuments  de 
l'art  et  les  relations  des  voyageurs.  Thomas  Goodwin,  dan? 
son  ouvrage  intitulé  :  Moses  et  Aaron  S.  civiles  et  eccle- 
siastici  Rittis  Antiquitatum  hebraica)-um  (Oxforâ,  1616), 
est  le  premier  écrivain  moderne  qui  ait  fait  de  l'archéologie 
biblique  l'objet  spécial  de  ses  investigations.  Nous  mention- 
nerons encore  parmi  ceux  qui  se  sont  occupés  de  cette 
science  :  Wanekros,  Essai  sur  les  Antiquités  hébraïques 
(  Weimar,  1781  ;  5^  édition,  1832);  John,  Archéologie Bi- 
blique  (5  vol.;  Vienne,  1796-1805);  Winer,  Dictionnaire 
biblique  (3*  édit.,  Leipzig,  1847). 

BIBLIQUE  (Géographie),  science  qui  traite  de  la 
constitution  physique  des  contrées  qui  furent  le  théâtre 
dos  événements  racontés  dans  les  saintes  Écritures,  c'est- 

21. 


164  BIBLIQUE  - 

à-dire  des  faits  dont  se  compose  l'hislolre  du  peuple  juif, 
ainsi  que  de  la  fondation  et  de  la  propagation  du  christia- 
nisme; «lie  décrit  la  Palestine,  mais  elle  fournit  en  même 
temps  des  renseignements  sur  les  contrées  avoisinantes  et 
sur  les  provinces  de  l'empire  romain  où  le  christianisme 
trouva  accès  à  l'époque  des  Apôtres.  Les  sources  de  la  géo- 
graphie biblique  sont,  indépendamment  des  livres  de  la 
Bible,  les  ouvrages  de  Josèphe,  les  géographes  et  les 
historiens  grecs  et  romains,  les  l'ères  de  l'Église  (dont 
l'ouvrage  le  plus  important  sous  ce  rapport  e&tï'Onomasti- 
con  Vrbiuin  et  Locorum  Scripturœ  Sacrée ,  traduit  par 
saint  Jérôme  du  grec  en  latin);  enfin  les  historiens  des 
Croisades,  les  ouvrages  historiques  et  géographiques  des 
Arabes,  ainsi  que  les  ouvrages  des  voyageurs  modernes. 
Les  meilleurs  guides  à  suivre  pour  l'étude  de  la  géogra- 
phie biblique  sont  :  la  Description  de  la  Palestine,  par  le 
Hollandais  Dachiene;  la  Géographie  biblique,  par  un  autre 
Hollandais,  Hamelsveld;  la  Géographie  biblique  de  Bélier- 
mann  (2''édit.  ;Erfurt,  1804),  et  la  Palestine,  par  Raumer 
(3*édit.  ;  Leipzig,  1851). 

BIBLIQUE  (Histoire).  Autrefois  on  désignait  particu- 
lièrement ainsi  l'exposition  historique  des  récits  contenus 
dans  la  Bible.  On  distingue  cette  exposition  do  l'histoire 
du  peuple  hébreu ,  en  ce  qu'elle  comprend  en  même  temps 
l'histoire  primitive  de  l'humanité ,  l'histoire  des  autres  peu- 
ples dont  il  est  f;iit  mention  dans  la  Bible,  enfin  l'histoire  de 
Jésus-Christ  et  des  premiers  temps  chrétiens,  tandis  qu'elle 
néglige  les  périodes  de  l'histoire  du  peuple  hébreu  dont  il 
n'est  pas  fait  mention  dans  la  Bible.  Les  premiers  écrivains 
qui  s'en  occupèrent  ne  la  présentèrent  guère  que  comme 
une  sèche  introduction  à  l'histoire  de  l'Église  chrétienne. 
D'autres  en  mirent  plus  en  relief  le  côté  pratique,  et  présen- 
tèrent les  personnages  bibliques  comme  autant  de  modèles 
à  suivre.  C'est  là  ce  qu'ont  fait  Hess,  dans  son  Histoire 
des  Israélites  avant  la  venue  de  Jésus-Christ  (12  vo- 
lumes, Zurich,  1776-1788);  Niemeyer,  dans  sa  Cfl?-flC^e- 
ristiçiie  de  la  Bible  (  5  vol.,  Halle,  1732;  nouvelle  édition 
1832),  et  Greiling,  dans  sa  Vie  de  Jésus  de  Nazareth 
(Halle,  1813),  ainsi  que  dans  ses  Femmes  de  la  Bible 
(2  vol.,  Halle,  1815).  L'histoire  de  la  Bible  fut  traitée  à  l'aide 
d'autres  sources  par  Prideaux  (4  vol.,  Londres,  1725)  ;  par 
Shuckford  (Londres,  1723-1738,  3  vol.)  ;par  Lardner(4vol., 
Londres,  1764),  et  par  G.-L.  Bauer  (2  vol.,  Nuremberg, 
1804),  dont  l'ouvrage,  demeuré  inachevé,  ne  va  que  jusqu'à 
l'exil  de  Babylone.  Les  premiers  écrivains  qui  se  sont  oc- 
cupés de  l'histoire  biblique  prirent  tous  pour  point  de  départ 
la  maxime  que  toutes  les  autres  sources  historiques  sont  in- 
férieures à  la  Bible.  11  en  résulte  que  leurs  ouvrages  ne 
sauraient  prétendre  à  une  véritable  valeur  historique,  sans 
compter  qu'ils  omettent  à  dessein  les  périodes  historiques 
des  peuples  quand  par  hasard  il  n'en  est  pas  tait  mention 
dans  la  Bible.  Une  histoire  biblique  au  point  de  vue  de  la 
science  actuelle  serait  une  entreprise  d'une  difficulté  extrême, 
parce  que  les  investigations  historiques  sur  les  livres  bibli- 
ques eux-mêmes  ne  sont  pas  près  d'être  terminées. 

BIBLIQUE  (Littérature),  et  mieux  Histoire  bibliogra- 
phiqtie  des  saintes  Écritures.  Les  Allemands  appellent  ainsi 
la  science  qui  soumet  à  l'examen  de  la  critique  l'histoire  des 
différents  livres  de  la  Bible  en  particulier,  et  aussi  celle  de 
toute  la  collection.  Elle  se  divise  naturellement  en  histoire 
générale  et  en  histoire  particulière  :  l'une  qui  s'occupe  de 
l'état  intellectuel  et  littéraire,  de  la  langue  et  de  l'écriture 
du  peuple  hébreu  dans  ses  diverses  périodes ,  de  la  collec- 
tion ,  de  son  ordre  et  de  l'importance  ecclésiastique  des 
livres  bibliques  comme  foi  mant  un  tout ,  le  canon ,  des 
destinées  du  texte  original,  des  modifications  qu'il  a  subies, 
des  moyens  de  le  rétablir  dans  sa  pureté  primitive,  des 
différents  manuscrits,  des  anciennes  traductions  et  des  autres 
moyens  servant  à  l'interprétation  de  l'Écriture;  l'autre  qui 
traite  des  renseignements  sur  les  auteurs  des  différents  livi  es, 


BIBLIQUES 

de  l'époque  où  ils  les  écrivirent ,  du  degré  de  véracité  on 
d'authenticité  et  de  l'intégrité  des  diflérents  livres  de  la  Bible 
de  leur  but ,  de  leur  contenu  et  des  destinées  particulières 
qu'ils  ont  pu  avoir.  Saint  Augustin ,  au  commencement  du 
cinquième  siècle,  dans  sa  Doctrina  Christiuna,  et  Cassio- 
dore  au  sixième  siècle,  dans  son  livre  De  Institutione  Divi- 
narum  Scripturarum,  avaient  déjà  donné  quelque  chose  de 
semblable  à  une  histoire  de  la  Httérature  biblique.  Junilius, 
qui  composa  en  Afrique  (vers  l'an  550)  son  traité  De  Par- 
tibus  Legis  Divinœ,  et  le  dominicain  Paguinus,  de  Lucques 
(  mort  en  1 54 1  ) ,  dans  son  Isagoge  ad  Sacras  Litterus  (  Co- 
logne ,  1540  ),  approchèrent  davantage  du  but.  La  première 
histoire  bibliographique  des  saintes  Écritures  est,  à  bien  dire, 
la  Biblia sancta  à  Sixto  Senensi  collecta  (2  vol.,  Venise, 
1566).  Après  les  précieux  travaux  publiés  par  Calow,  Ilot- 
tinger,  Leusden  et  Buxtorf ,  on  vit  paraître  au  dix-septième  ' 
siècle  et  au  commencement  du  dix-huitième  des  ouvrages 
qui  jetèrent  une  vive  lumière  sur  ces  matières,  notamment 
Y Apparatus  Biblicus  de  l'Anglais  Wallon  (publié  par  He- 
diggcr ;  Zurich ,  1623),  ciV Histoire  critique  du  Vieux  Tes- 
tament Aq  Richard  Simon  (Paris,  1678;  livre  supprimé  en 
France,  et  par  suite  réimprimé  à  Rotterdam,  1085),  ainsi 
que  Y  Histoire  critique  dic  texte  du  Nouveau  Testament, 
par  le  même  (Rotterdam  ,  1689).  Carpzov,  dans  son  Intro- 
ductio  ad  libros  canonicos  Veteris  Testamenti  {Le\\yi\g, 
1721  ),  donna  une  forme  précise  à  cette  science;  et  à  quelque 
temps  de  là  Cramer  publia  une  traduction  allemande  des 
ouvrages  critiques  de  Richard  Simon  relatifs  au  Nouveau 
Testament  (3  volumes,  avec  des  annotations  par  Semler; 
Halle,  1776-1780).  Il  nous  faut  ensuite  citer  relativement  à 
l'Ancien  Testament  les  travaux  d'Eichhorn,  Introduction  à 
l'Ancien  Testament  (3  vol.,  4*  édit. ,  Leipzig,  1821),  de 
De  Wette,  Matériaux  pour  servir  à  l'Introduction  à 
l'Ancien  Testament  (2  vol.;  Berlin,  1807),  son  Manuel 
(6*  édit.  ;  BerHn,  1846  )  ;  et  relativement  au  Nouveau  Testa- 
ment, les  ouvrages  d'Eichhorn,  de  Hug,  de  Credner,  de 
Guerike,  deReuss,  de  Herbst  et  de  De  Wette. 

BIBLIQUES  (Sociétés).  Ces  associations,  ayant  pour 
but  de  répandre  la  Bible  dans  toutes  les  classes  et  tous  les 
états  de  la  société  civile ,  ne  pouvaient  naître  qu'après  l'in- 
vention de  l'imprimerie,  et  seulement  dans  le  sein  du  pro- 
testantisme, puisque  l'Église  catholique  persiste  à  penser 
qu'il  y  a  imprudence  à  permettre  la  lecture  de  la  Bible  à 
tous  les  laïques  indistinctement.  Ce  fut  seulement  lorsqu'on 
eut  trouvé  les  moyens  de  multiplier  rapidement  et  à  peu  de 
frais  les  exemplaires  d'un  ouvrage ,  et  encore  lorsque  la  Ré- 
formation eut  proclamé  que  la  Bible  était  le  livre  du  peuple, 
que  se  trouva  constitué  le  terrain  solide  sur  lequel  pouvaient 
naître  et  prospérer  les  sociétés  bibUques.  Cependant  plusieurs 
siècles  s'écoulèrent  avant  qu'elles  entrassent  en  activité.  Les 
imprimeurs  qui ,  à  partir  de  la  moitié  du  seizième  siècle, 
rivalisèrent  en  Allemagne  pour  rendre  la  traduction  de  la 
Bible  par  Luther  la  propriété  commune  des  protestants,  pré- 
parèrent la  venue  des  sociétés  bibliques,  en  mettant  par  leur 
industrieuse  activité  chaque  famille  aisée  en  état  de  se  pro- 
curer une  Bible  et  en  éveillant  ainsi  de  proche  en  proche  le 
désir  de  posséder  un  pareil  livre.  Les  malheurs  de  la  guerre 
de  Trente-Ans,  l'absence  de  vie  qui  en  fut  le  résultat  dans  la 
dogmatique  protestante ,  furent  cause  d'un  long  temps  d'ar- 
rêt ,  pour  ne  pas  dire  d'un  immense  recul  dans  cette  di- 
rection des  es])rits  ;  et  c'est  à  ce  qu'on  a  appelé  depuis  l'é- 
cole piétiste  qu'il  était  réservé  de  réveiller  ce  besoin  des  in- 
telligences et  de  tenter  pour  la  première  fois  d'y  donner 
satisfaction.  Dès  les  premières  années  du  siècle  passé,  le 
baron  Hildebrandde  Canstein,  l'un  des  plus  intimes  amis 
de  Spener,  avait  fondé  à  Halle,  avec  la  coopération  de 
Francke,  un  établissement  ayant  pour  but  unique  de  fabri- 
quer à  bon  marché  des  exemplaires,  soit  complets,  soit  par- 
tiels, delà  Bible,  afin  qu'ell  ■  put  arriver  ainsi  aux  maips  de' 
l'homme  des  classes  les  plus  communes.  En  lbJ4  il  était 


I 


I 


BIBL10Ui:S 

sorti  Je  cet  établissement  2,754,350  exemplaires  de  la  Bible 
et  2  millions  d'exemplaires  du  Nouveau  Testament.  L'écou- 
lement de  ces  exemplaires  s'était  singulièrement  accru  aus- 
sitôt que  des  sociétés  bibliques  avaient  aussi  surgi  en  Alle- 
magne. 

La  première  association  vraiment  digne  de  ce  nom,  celle 
qui  a  provoqué  la  création  de  sociétés  analogues  dans  toutes 
les  contrées  civilisées  par  le  christianisme,  celle  qui,  et 
sous  le  rapport  des  immenses  moyens  d'action  dont  elle  dis- 
pose, et  sous  celui  de  la  prudence  et  de  l'énergie  de  ses  re- 
présentants ,  ne  saurait  être  comparée  à  aucune  autre  au 
monde,  est  la  Société  Biblique  britannique  et  étrangère 
(the  Bhstish  and  foreign  Bible  Society)  de  Londres. 
Vers  la  fin  de  l'année  1802,  un  prêtre  du  nord  du  pays  de 
Galles,  appelé  Charles,  était  venu  dans  cette  capitale  avec  la 
ferme  conviction  que  la  connaissance  de  la  Bible  était  le 
seul  moyen  de  remédier  à  l'ignorance  et  à  la  rudesse  de 
mœurs  des  populations  galloises.  Ses  pressantes  exhorta- 
tions obtinrent  un  accueil  sympatliique  parmi  les  nombreux 
partisans  d'un  christianisme  agissant,  mais  surtout  parmi 
les  membres  d'une  société  de  missions  anglaises  crét^e  de- 
puis 1796.  Sur  la  proposition  expresse  de  Hughes  de  Batter- 
sea,  dans  le  pays  de  Galles,  il  se  forma  une  .société  (  1803) 
ayant  pour  but  de  propager  la  Bible,  non  pas  seulement  dans 
une  province  particulière ,  non  pas  seulement  dans  toutes 
les  possessions  britanniques,  mais  dans  le  monde  entier. 
C'est  dans  cet  esprit  que  dès  le  premier  jour  de  la  fondation 
de  cette  société  (4  mars  1804),  il  fut  décidé  qu'elle  aurait 
imiquement  pour  but  de  répandre  les  saintes  Écritures  dans 
tous  les  pays  de  la  terre,  qu'ils  fussent  chrétiens,  mahomé- 
tans  ou  païens,  et  que  les  dissidents  eux-mêmes  auraient  la 
liberté  de  participer  à  l'œuvre.  Fut  considéré  comme  membre 
de  la  société  quiconque  en  approuvait  le  but  et  s'efforçait 
par  le  payement  d'une  cotisation  annuelle  d'aider  à  l'at- 
teindre. Ces  tendances  si  libérales  et  si  éclairées  provoquè- 
rent une  foule  d'adhésions  au  projet  proposé  ;  et  le  nombre 
s'en  accrut  bientôt  à  tel  point  qu'il  y  eut  nécessité  de  don- 
ner à  la  société  une  organisation  complète.  A  cet  effet,  on 
nomma  un  comité  composé  par  moitié  de  laïques  et  d'ecclé- 
siastiques tant  de  l'Église  épiscopale  que  des  partis  dissidents  ; 
et  le  comité  ainsi  constitué  élut  à  son  tour  dans  son  sein 
un  président ,  vingt-six  vice-présidents ,  un  trésorier  et  trois 
secrétaires.  Des  agents  furent  désignés  pour  parcourir  l'An- 
gleterre et  le  continent  dans  les  intérêts  de  l'œuvre,  dont  le 
succès  est  demeuré  un  des  faits  saillants  de  notre  époque. 
Des  sociétés  auxiliaires  {auxiliary  societies)  s'organisèrent 
dans  les  grandes  comme  dans  les  petites  villes  d'Angleterre, 
étabhssant  des  affiliations  {branch  societies)  dans  les  locali- 
tés de  moindre  importance,  et  le  nombre  des  unes  et  des  autres 
ne  tarda  pas  à  dépasser  sept  mille,  dont  les  membres  prenaient 
l'engagement  de  verser  au  moins  un  penny  par  semaine  au 
profit  de  l'œuvre.  Des  associations  analogues  se  créèrent 
dans  toutes  les  classes  de  la  société  ;  et  en  adressant  le  pro- 
duit de  leurs  collectes  respectives  à  la  direction  générale  de 
l'œuvre,  elles  obtenaient  le  droit  de  recevoir  des  exemplaires 
de  la  Bible  et  du  Nouveau  Testament  au-dessous  du  pHx  fixé 
pour  la  vente.  En  raison  de  l'empressement  universel  à  par- 
ticiper à  l'œuvre  de  la  Société  Biblique,  des  fonds  considé- 
rables se  trouvèrent  bientôt  à  la  disposition  de  son  comité. 
Si  dans  la  première  année  de  son  existence  la  Société  ne 
put  dépenser  qu'une  somme  de  619  liv.  stcrl.  (15,475  fr.  ), 
par  suite  ses  recettes  s'élevèrent,  année  commune ,  de  80  à 
100,000  liv.  sterl.  La  recette  de  l'exercice  1849-1850  attei- 
gnit le  chiffre  de  118,445  hv.  sterl.  (3,161,125  fr.).  Depuis 
son  origine  jusqu'en  1850  la  dépense  totale  faite  par  la  So- 
ciété s'est  élevée  au  chiffre  énorme  de  3,648,012  liv.  sterl. 
(91,200,300  fr.). 

Si  la  Société  dispose  de  ressources  énormes,  on  doit  dire 
aussi  qu'il  n'y  arien  de  comparable  à  racti\ité  qu'elle  déploie. 
tUc  ne  fournit  pas  seulement  de  Bibles  et  de  Nouveaux 


ig; 


Testaments  en  anglais  foute  l'Angleterre  et  ses  colonies  ;  il 
résulte  encore  de  son  compte  rendu  pour  l'année  1850  qu'elle 
a  fait  traduire  soit  la  Bible  tout  entière ,  soit  des  parties  dé- 
tachées de  la  Bible,  dans  cent  soixante-six  langues  diffé- 
rentes ;  et  aujourd'hui  encore  elle  poursuit  son  entreprise 
de  traduction  des  saintes  Écritures  avec  autant  de  prudence 
que  d'habileté.  De  Calcutta  et  de  Madras  les  populations  de 
l'Asie  centrale  et  de  l'Asie  orientale  reçoivent  les  saintes 
Écritures  traduites  dans  leurs  langues  respectives.  Smyrne 
Malte  et  quelques  autres  dépôts  établis  dans  la  Méditerranée 
fournissent  aux  besoins  des  populations  du  nord  de  l'Asie 
du  Levant  et  de  l'Afrique  septentrionale.  La  Société  entrer 
tient  en  outre  sur  tous  les  points  de  la  terre  habitée  des 
agents  voyageant  à  ses  frais,  à  l'effet  de  trouver  et  d'indiquer 
les  voies  les  plus  sûres  et  les  plus  convenables  à  employer 
pour  la  propagation  de  la  Bible,  et  aussi  afin  de  rencontrer 
d'habiles  traducteurs  ou  d'acquérir  des  manuscrits  d'an- 
ciennes traductions.  C'est  ainsi  que  dans  le  courant,  de 
l'année  1849  jusqu'à  la  fin  de  mars  1850  il  avait  été  expédié 
de  Londres  450,070  Bibles  complètes  et  886,625  Nouveaux 
Testaments.  Depuis  sa  fondation,  la  société  a  répandu 
8,840,891  Bibles  complètes  et  14,269,159  Nouveaux  Tes- 
taments, en  tout  23,110,050  exemplaires  des  .saintes  Écri- 
tures. Consultez  the  46'"  Report  o/  the  british  and  foreign 
BibleSociety  (Londi-es,  1850).  Enfin,  la  Société  Biblique  de 
Londres  a  établi  des  relations  avec  les  sociétés  analogues  qui 
se  sont  créées  sur  les  différents  points  du  globe  civilisé,  con- 
tribuant à  leurs  efforts  par  des  sommes  d'argent,  par  des 
envois  de  caractères  d'imprimerie,  de  planches  toutes  sté- 
réotypées et  de  presses  à  imprimer,  et  aussi  par  des  sous- 
criptions à  un  certain  nombre  d'exemplaires  des  Bibles 
qu'elles  se  chargeaient  d'établir  pour  leur  propre  compte.  Tou- 
tefois, ces  rapports  de  la  Société  de  Londres  avec  les  sociétés 
du  continent  subirent  en  1825  une  grave  perturbation.  A 
l'origine  il  avait  été  convenu  en  principe  que  l'on  réimpri- 
merait la  Bible  purement  et  simplement,  sans  observations 
ni  commentaires.  Mais  on  n'avait  point  tardé  à  tolérer,  avec 
la  division  par  chapitres  et  par  versets,  les  titres  donnés 
aux  chapitres  eux-mêmes  ainsi  que  l'indication  des  concor- 
dances. Les  protestants  d'Allemagne  attachaient  en  elfet  un 
prix  tout  particulier  à  ces  deux  détails  de  l'exécution  maté- 
rielle. Aussi  le  mécontentement  fut-il  général  parmi  eux 
quand  la  Société  de  Londres  exigea  qu'on  les  supprimât  dé- 
sormais dans  tous  les  exemplaires  de  la  Bible  publiés  sous 
son  patronage.  En  1825 ,  le  comité  directeur  de  cette  Société 
ayant  annoncé  en  outre  l'intention  de  ne  plus  distribuer  que 
les  livres  canoniques  de  l'Écriture  sainte,  d'en  retrancher 
tous  les  apocnphes  et  de  refuser  à  l'avenir  toute  espèce 
d'appui  aux  sociétés  bibliques  étrangères  qui  ne  se  confor- 
meraient point  à  cette  décision,  un  grand  nombre  d'entre 
elles  rompirent  les  liens  qui  les  avaient  jusque  alors  ratta- 
chées à  r.Angleterre. 

A  l'instar  de  la  Société  Biblique  de  Londres ,  des  associa- 
tions pour  la  propagation  delà  Bible  se  fondèrent  partout , 
notamment  en  Bussie,  en  Suède,  en  Norvège,  en  Dane- 
mark ,  en  Allemagne ,  en  Suisse  ,  en  Hollande  et  en  France. 
On  conçoit  que  nous  ne  pouvons  nous  occuper  ici  que  de 
celles  qui  ont  obtenu  les  résultats  les  plus  importants. 

On  peut  dire  que  la  Société  Biblique  russe,  qui  a  son  siège 
à  Saint-Pétersbourg,  s'est  montrée  la  digne  rivale  de  la  So- 
ciété Biblique  de  Londres.  Elle  a  fait  imprimer  la  Bible  en 
trente  et  une  langues  ou  dialectes  différents  parlés  par  les 
diverses  populations  de  l'empire  russe,  et  elle  est  parve- 
nue à  organiser  des  succursales  dans  les  piovinces  les  plus 
lointaines  do  cet  immense  empire,  à  Irkutzk  et  à  Tobolsk, 
parmi  les  Tchcikesses  et  les  Géorgiens.  Sa  sollicitude  s'est 
môme  étendue  au  delà  des  frontières  de  la  Bussie,  et  d'O- 
dessa elle  fait  répandre  des  exemplaires  de  la  Bible  dans  tout 
le  Levant. 

La  grande  Société  Biblique  Américaine,  qui  conipie  au< 


166  .  BIBLIQUES 

jourd'hui  plus  de  mille  sociétés  affiliées  dans  l'étendue  de 
l'Union,  n'a  pas  obtenu  des  résultats  moins  grandioses.  Lors 
de  sa  création ,  elle  s'est ,  il  est  vrai ,  imposé  pour  règle  de 
ne  point  chercher  à  agir  au  dehors  tant  que  ciiaque  famille 
habitant  le  territoire  de  l'Union  ne  posséderait  point  un 
exemplaire  de  la  Bible  ;  mais  en  revanche  l'activité  qu'elle  a 
déployée  à  l'intérieur  n'en  a  été  que  plus  grande  et  plus  ef- 
ficace. Elle  imprime  des  Bibles  stéréotypées  que  les  sociétés 
affiliées  sont  chargées  de  répandre  et  de  distribuer  gratuite- 
ment parmi  les  pauvres ,  et  depuis  sa  fondation  elle  n'a  pas 
distribué  moins  d'un  million  d'exemplaires  de  la  Bible.  Dans 
la  seule  année  1848  elle  a  fait  imprimer  760,000  exemplaires 
des  saintes  Écritures,  tant  en  anglais  qu'en  allemand  et  en 
portugais. 

La  grande  Société  Biblique  de  Berlin  est  l'institution  la 
plus  importante  de  ce  genre  qui  existe  dans  l'Allemagne  pro- 
testante. Elle  fut  créée  le  2  août  1814,  et  depuis  cette  époque 
elle  ne  discontinue  pas  de  répandre  tant  à  l'intérieur  qu'à 
l'extérieur  du  pays  des  exemplaires  de  la  Bible  dans  la  tra- 
duction adoptée  par  chaque  confession ,  sans  notes  ni  com- 
mentaires. Le  comité,  composé  d'un  président ,  d'au  moins 
trois  vice-présidents,  d'au  moins  douze  directeurs,  de  trois 
secrétaires  et  d'un  trésorier,  s'attache  avec  le  zèle  le  plus 
digne  d'éloges  à  obtenir  des  renseignements  certains  sur  les 
besoins  des  diverses  provinces  du  royaume ,  et  à  fonder  au- 
tant que  possible  des  succursales  sur  tous  les  points  un  peu 
importants  de  la  monarchie  prussienne.  Le  nombre  en  1849 
en  était  de  quatre-vingt-quinze.  Au  1*"^  janvier  1850  la  so- 
ciété centrale  avait  distribué,  en  totalité,  1,073,680  exem- 
plaires delà  Bible  et  492,343  exemplaires  du  Nouveau-Tes- 
tament. Le  mouvement  général  pour  l'exercice  de  1849  avait 
été  de  34,927  exemplaires  de  la  Bible  et  de  13,575  exem- 
plaires du  Nouveau  Testament. 

Indépendamment  de  la  grande  Société  Biblique  de  Prusse, 
l'Allemagne  compte  encore  bon  nombre  d'associations  de 
ce  genre,  qui  ne  laissent  pas,  toutes  proportions  gardées,  que 
de  rendre  d'importants  services.  La  Société  Biblique  de 
Hambourg,  fondée  en  1817,  a  répandu  jusqu'à  ce  jour 
95,000  exemplaires  des  saintes  Écritures.  Les  succursales 
qu'elle  compte  à  Berggedorf,  Eppendorf,  Ham  et  Steinbeck 
ont  déjà  distribué  pour  leur  propre  compte  87,644  Bibles 
et  8,121  Nouveaux  Testaments.  La  Société  Biblique  de 
Dresde,  fondée  en  1813,  a  répandu  en  tout  200,585  exem- 
plaires de  la  Bible.  La  Société  Biblique  de  Nuremberg  (  as- 
sociation centrale  de  l'Église  protestante  de  Bavière),  fon- 
dée en  1823,  avait  déjà  distribué  en  1850  126,274  Bibles, 
57,741  Nouveaux  Testaments,  et  1,726  Psautiers.  La  So- 
ciété Biblique  de  Lubeck,  depuis  son  origine  jusqu'à  l'année 
1849,  avait  distribué  14,649  exemplaires  des  saintes  Écri- 
tures. La  Société  Biblique  pour  les  duchés  du  Scbleswig- 
Holstein,  fondée  en  1826  à  Schleswig,  a  distribué  dans  les 
duchés,  depuis  son  origine,  130,296  exemplaires  de  la  Bible, 
dont  2,968  pendant  l'année  1849-1850,  au  milieu  même  des 
graves  perturbations  apportées  dans  ce  pays  par  la  guerre 
qu'il  dut  soutenir  contre  le  Danemark  pour  la  défense  de 
sa  nationalité  et  de  son  indépendance.  A  Francfort-sur-le- 
Mein,  à  Brème,  à  Stuttgard,  à  Marbourg,  existent  aussi  des 
Sociétés  Bibliques  rendant  de  non  moins  utiles  services. 

D'un  rapport  publié  par  la  Société  Biblique  de  Paris  pour 
l'exercice  1849,  il  résulte  qu'elle  avait  distribué  cette  année- 
là  2,201  exemplaires  de  la  Bible  et  4,429  exemplaires  du 
Nouveau  Testament.  La  Société  Biblique  de  Colmar,  fon- 
dée en  1820,  avait  distribué  en  1848  2,205  Bibles  et  4,145 
Nouveaux  Testaments. 

La  Société  Biblique  de  Bàle  pendant  l'exercice  1849  avait 
répandu,  .suivant  sou  compte  rendu,  4,959  exemplaires  des 
saintes  Écritures. 

La  Société  Biblique  de  Suède,  qui  a  son  siège  à  StocKlioim, 
a  également  fait  savoir  dans  son  compte  rendu  pour  l'an- 
née 1850  qu'elle  avait  répandu  à  celle  date  45,099  lliblcs. 


—  BICEPS 

La  société  de  Gœthaborg  en  avait  distribué  de  son  côté 
112,983.  En  1849  la  Société  Biblique  de  Copenhague  a  dis- 
tribué 297  Bibles  et  3,670  Nouveaux  Testaments. 

Sans  parler  des  résultats  obtenus  par  la  grande  Société 
Biblique  de  Londres,  et  qui  restent  en  dehors  de  toute  es- 
pèce de  comparaison,  on  voit  par  ce  qui  précède  que  les 
différentes  autres  Sociétés  Bibliques  ont  répandu  jusqu'à  ce 
jour  au  moins  14,500,000  exemplaires  des  saintes  Écritu- 
res. Sur  ce  chiffre,  environ  6  millions  d'exemplaires  ont 
été  distribués  dans  l'Amérique  septentrionale',  1,500,000 
dans  les  Indes  Orientales  et  7  millions  en  Europe.  La 
France  figure  dans  ce  dernier  chiffre  pour  500,000  exem- 
plaires au  moins;  la  Suisse,  pour  une  égale  quantité;  le 
nord  de  l'Europe,  l'Islande,  les  tlesFœroer,  la  Norvège, la 
Suède ,  la  Finlande  et  le  Danemark ,  pour  1  million  ;  le 
Danemark,  à  lui  seul,  pour  185,000.  La  Russie  y  est  com- 
prise pour  au  moins  un  million,  dont  800,000  répandus  par 
une  Société  Biblique  russe  de  Saint-Pétersbourg,  qui  comp- 
tait déjà  289  sociétés  auxiliaires,  et  qui  malheureusement  fut 
supprimée  en  1826  en  vertu  d'un  oukase,  et  200,000  parla  So- 
ciété Biblique  protestante  russe,  fondée  depuis  1826.  L'Al- 
lemagne y  entre  pour  environ  300,000  exemplaires.  Ces 
chiffres  sont  plutôt  réduits  qu'exagérés;  et  beaucoup  de 
sociétés,  telles  que  celle  de  Hanovre,  qui  à  elle  seule  a  ré- 
pandu 110,000  exemplaires  de  la  Bible,  n'y  figurent  même 
pas. 

On  devait  s'attendre  à  ce  que  les  Sociétés  Bibliques  au- 
raient à  triompher  d'un  grand  nombre  d'obstacles  mis  à 
leur  activité.  Ce  n'est  pas  seulement  en  Russie  que  le  clergé 
s'est  opposé  à  la  propagation  de  la  Bible;  en  Autriche 
aussi  un  ordre  de  cabinet,  rendu  en  1817,  proscrivit  les  So- 
ciétés Bibliques.  Par  suite,  celles  qui  s'étaient  déjà  fondées 
en  Hongrie  durent  se  dissoudre.  Une  bulle  pontificale,  pu- 
bliée en  1810  à  la  sollicitation  de  l'archevêque  de  Gnesen, 
interdit  la  propagation  d'une  traduction  du  Nouveau  Testa- 
ment par  les  catholiques  Van  Est  frères  ;  mais ,  grâce  aux 
efforts  faits  par  la  Société  Biblique  de  Londres,  cette  traduc- 
tion a  pu  arriver  aux  mains  d'un  grand  nombre  de  catho- 
liques. 

11  faut  se  garder  de  croire  que  l'Église  catholique  soit  res- 
tée impassible  en  présence  de  ces  efforts  si  actifs  faits  par 
le  protestantisme  pour  répandre  ses  doctrines  dans  le  monde. 
A  l'article  Propagation  de  la  foi  (  Association  pour  la  ) 
nous  présenterons  le  tableau  non  moins  curieux  des  efforts 
faits  par  le  catholicisme  pour  conserver  dans  le  monde  sa  su- 
périorité morale  et  numérique. 

BIBLISTE.  Quelques  auteurs  ont  donné  ce  nom  aux 
hérétiques  qui  n'admettent  pour  règle  de  leur  foi  que  le 
texte  de  la  Bible  et  de  l'Écriture  sainte,  et  qui  rejettent 
l'autorité  de  la  tradition  et  celle  de  l'Église  pour  décider  les 
controverses  de  la  religion. 

BIBRACTE.  Voyez  Autcn. 

BICARS,  mendiants  religieux  qui  se  répandirent  dans 
les  Indes  vers  le  neuvième  siècle.  Ils  allaient  tout  nus,  lais- 
saient croître  leur  barbe,  leurs  cheveux  et  leurs  ongles,    I 
et  portaient  au  cou  une  écuelle  de  terre  dans  laquelle  ils 
recevaient  les  offrandes  des  passants. 

BICEPS  (du  latin  bis ,  deux,  et  ceps,  pour  captif, 
tète,  c'est-à-dire  qui  a  deux  tètes).  C'est  ains'  que  les  Ro- 
mains avaient  surnommé  Janus,  auquel  ils  attribuaient 
deux  visages,  l'un  par-devant,  et  l'autre  au  derrière  de  la 
tête,  d'où  ils  concluaient  qu'il  avait  également  la  con- 
naissance de  l'avenir  et  du  passé.  Ils  le  nommaient  aussi 
bifrons  (de  bis  et  dcfi'ons,  front).  Les  Athéniens  mirent 
sur  leur  monnaie  une  tête  de  femme  unie  à  celle  de  Cécrops, 
qu'ils  regardaient  comme  l'auteur  du  mariage,  et  appelèrent 
cet  emblème  D'iJ'rons. 

Biceps  est,  en  anatomie,  le  nom  spécial  de  deux  muscles, 
dont  l'un  appartient  au  bras  {biceps  brachial)  et  l'autre  à 
la  cuisse  {biceps  ci  tirai  ou  fémoral).  Le  premier,  nommé 


à 


BICEPS  —  BICÉTRE 


aussi  muscle  scapulo-radial ,  est  situé  au-devant  du  bras, 
et  forme  cette  saillie  que  l'on  voit  si  follement  prononcée 
lorsque  te  bras  est  fléchi  ;  ce  muscle  s'attache  par  le  bas  au 
radius  ;  supérieurement,  il  est  divisé  en  deux  parties ,  dont 
l'une  se  fixe  à  la  cavité  articulaire  de  l'omoplate,  et  l'autre 
à  son  apophyse  coracoide  :  ce  muscle  fléchit  le  bras  et  l'a- 
vanl-bras  et  détermine  la  rotation  du  membre  en  dedans. 
Le  biceps  fémoral  ou  muscle  ischio-Jémoro-péromer  est 
situé  à  la  partie  postérieure  de  la  cuisse  ;  il  est  allongé , 
aplati ,  divisé  supérieurement  en  deux  portions ,  dont  l'une 
se  fixe  à  la  tnbérosité  de  l'ischion  [voyez  Bassin),  et  l'autre 
à  la  face  postérieure  du  fémur  dans  la  partie  qui  poi1e  le 
nom  de  ligne  âpre;  il  sert  à  fléchir  la  jambe  sur  la  cuisse, 
et  vice  versa. 

BICÉTRE.  Ce  village,  situé  à  quelques  kilomètres  au  sud 
des  barrières  de  Paris,  fait  partie  du  département  de  la 
Seine ,  de  l'arrondissement  de  Sceaux ,  du  canton  de  Ville- 
juif,  et  de  la  commune  de  Gentilly.  Voici  ce  qu'on  raconte 
sur  l'origine  de  son  nom  :  Louis  IX  ayant  acquis  un  terrain 
pour  des  chartreux  qu'il  établit  près  de  Paris,  Jean, 
évoque  de  ^Vinche5ter,  en  Angleterre,  acheta  une  partie  de 
ce  terrain,  sous  Philippe  le  Bel ,  et  y  fit  construire  ou 
agrandir  une  maison  qu'il  voulait  habiter.  En  1294  le  mo- 
narque confisqua  cette  maison  et  tous  les  biens  du  prélat , 
mais  il  lui  en  donna  mainlevée  en  1301.  Le  peuple  appela 
cet  édifice  Winchestre ,  d'où  sont  venus  par  corruption 
Bischestre,  Bicestre,  et  enfin  Bicêtre,  nom  sous  lequel 
il  était  inscrit,  en  1523,  sur  les  comptes  de  la  préviHé  de 
Paris.  Ce  lieu  appartint  plus  tard  à  Amédée  le  Rouge , 
comte  de  Savoie,  auquel  il  fut  cédé  probablement  pour 
prix  des  secours  qu'il  avait  amenés  à  Charles  VL  C'est 
de  son  fils,  Amédée  Mil  (qui  fut  depuis  le  pape  Félix  V), 
que  Jean,  duc  de  Berry,  oncle  du  roi  de  France,  acquit 
Bicêtre,  sans  doute  en  1400.  Ce  lieu  n'offrait  plus  que  des 
ruines  alors;  Jean  le  fit  rebâtir  avec  magnificence;  mais 
l'évêque  de  Paris,  en  sa  qualité  de  seigneur  de  ce  territoire, 
qui  dépendait  de  Gentilly ,  s'opposa  à  ce  que  le  duc  y  lit 
des  fossés  et  desponts-levis.  En  1411 ,  la  faction  du  duc  de 
Bourgogne  s'empara  de  ce  bel  édifice ,  et  le  détruisit  de 
fond  en  comble.  La  perte  fut  irréparable  sous  le  rapport 
des  arts.  On  voyait  dans  la  grande  salle  les  portraits  origi- 
naux du  pape  Clément  \ï  et  de  ses  cardinaux ,  des  rois  et 
princes  de  France,  des  empereurs  d'Orient  et  d'Occi- 
dent ,  etc.  Il  ne  resta  d'entier  que  deux  petites  chambres 
enrichies  de  superbes  mosaïques. 

En  1416  le  duc  de  Berry  légua  Bicêtre  tel  qu'il  était, 
avec  quelques  dépendances,  au  chapitre  de  Notre-Dame 
de  Paris ,  en  écliange  de  quelques  obits  et  de  deux  pro- 
cessions; la  donation  fut  confirmée  par  Charles  VU  en  1441, 
et  par  Louis  XI  en  1464.  Mais  le  chapitre  n'y  fit  aucune 
réparation ,  et  quarante-cinq  ans  plus  tard  les  ruines  de  ce 
bâtiment  étaient  devenues  un  repaire  de  brigands  ,  sur  les- 
quels on  le  reprit  en  1519.  Dans  un  dialogue  satirique  du 
temps ,  Bicêtre  est  qualifié  de  masure  où  l'on  a  établi  un 
hôpital  d'hôtes  languissants  et  de  courtisans  estropiés.  En 
1632  le  cardinal  de  Richelieu  le  rasa  jusqu'aux  fonde- 
ments ,  et  le  fit  rebâtir  pour  y  recevoir  des  soldats  inva- 
lides. Cet  hospice  n'était  pas  encore  terminé  lorsqu'on  y 
célébra  l'office  en  1634,  dans  une  chapelle  dédiée  à  saint 
Jean-Baptiste ,  qui  vers  1670  fut  remplacée  par  une  éghse 
sous  le  même  nom.  En  164S  saint  Vincent  de  Paul  obtint 
de  la  reine  Anne  d'Autriche  une  partie  de  Bicêtre  pour  ser- 
vir d'asile  aux  enfants  trouvés,  qui  y  restèrent  peu  de  temps, 
parce  que  l'air  y  était  trop  vif.  Louis  XIV ,  songeant  à 
fonder  un  véritable  hôtel  pour  les  invalides  (qui  fut 
commencé  en  1672),  réunit  l'hôpital  général  à  ^ho^■pice  de 
Bicêtre,  et  dès  l'année  1657  on  y  reçut  les  pauvres  qui  s'y 
rendirent  volontairement  et  les  vagabonds  qui  furent  arrê- 
tés après  plusieurs  publicalions  d'une  ordonnance  qui  pro- 
hibait la  mendicité. 


167 

Sous  Louis  XVI  Bicêtre  fut  destiné  à  recevoir  les  hom- 
mes et  les  filles  publiques  atteints  du  mal  syphilitique. 
Avant  de  les  panser  dans  les  deux  salles  qui  leur  étaient  spé- 
cialement consacrées,  les  chirurgiens  les  faisaient  fustiger. 
Les  aliénés,  hommes  et  femmes,  y  étaient  traités  aussi  dans 
un  local  particulier.  On  appelait  petite  correction  une 
autre  partie  de  la  maison  ,  où  des  jeunes  gens  étaient  ren- 
fermés pour  cause  d'inconduite,  de  fainéantise  ou  de  sévices 
envers  leurs  parents  ;  ceux  que  leur  famille  faisait  mettre 
à  Bicêtre  payaient  pension  ,  ceux  qu'on  y  conduisait  par 
ordre  supérieur  ne  payaient  rien.  On  les  employait  tous 
aux  travaux  les  plus  rudes ,  on  ne  les  nourrissait  que  de 
pain  et  d'eau  avec  un  potage.  On  y  ajoutait  un  peu  de  viande 
et  quelques  rafraîchissements  quand  ils  s'amendaient.  Pen- 
dant longtemps  Bicêtre  a  été  à  la  fois  prison,  hospice  et 
maison  de  retraite.  Le  plan  de  l'édifice,  sauf  quelques  ad- 
ditions, offre  un  carré  d'environ  150  toises  de  chaque  côté, 
renfermant  trois  principales  cours.  La  première  sert  d'en- 
trée par  une  avenue  aboutissant  à  la  grande  route  de  Fon- 
tainebleau. Dans  la  seconde  on  voit,  au  sud,  l'église,  fort 
simple  et  en  forme  de  croix  ,  avec  l'ancienne  prison,  et  au 
nord  le  principal  corps  de  bâtiment,  où  est  placée  l'infirmerie 
générale.  La  face  opposée  de  cet  édifice  donne  sur  un  jardin 
qu'entourent  des  bâtiments  moins  élevés,  occupés  depuis 
longtemps  par  des  vieillards  infirmes.  La  troisième  cour 
est  formée  par  un  grand  nombre  de  constructions  non 
symétriques.  Là  sont  les  portes  d'entrée  de  la  division  des 
aliénés. 

La  position  de  Bicêtre,  sur  une  colline  et  en  pleine  cam- 
pagne, en  fait  un  lieu  très-agréable,  et  aucun  hospice  de  la 
capitale  ne  lui  serait  comparable  sous  le  rapport  de  la  sa- 
lubrité si  l'on  pouvait  y  conduire  la  Seine.  On  a  remplacé 
cet  avantage  inappréciable  par  des  canaux  qui  amènent  l'eau 
d'Arcueil ,  et  par  deux  puits  ,  dont  le  principal ,  que  tous 
les  étrangers  vont  admirer,  peut  être  placé  parmi  nos  plus 
grandes  curiosités  d'architecture.  11  fut  construit  de  1733 
à  1735 ,  sur  les  dessins  du  célèbre  Boffrand.  Son  diamètre 
est  de  5  mètres  ;  sa  profondeur  de  57,  et  la  hauteur  de  l'eau, 
intarissable,  est  de  3  mètres,  tout  le  fond  ayant  été  creusé 
dans  le  roc.  La  machine  qui  fait  monter  l'eau  est  fort  simple. 
Une  charpente  tournante  de  12  mètres  de  diamètre  est  fixée 
horizontalement  autour  d'un  gros  arbre,  au  sommet  duquel 
est  un  tambour  qui  sépare  deux  câbles  de  76  mètres  de 
long ,  filant  en  sens  contraire  ;  à  ces  deux  câbles  sont  atta- 
chés deux  seaux  garnis  de  fer,  pesant  environ  600  kilo- 
grammes, et  dont  l'un  monte  tandis  que  l'autre  descend.  Ils 
contiennent  chacun  près  de  270  litres  d'eau ,  et  on  en  tire 
environ  500  par  jour.  Cette  eau  se  rend  dans  un  réservoir 
voûté,  de  6  mètres  66  en  carré  sur  près  de  3  mètres  de 
profondeur,  et  contenant  10,728  hectolitres  ;  ressortant  de 
ce  réservoir,  72  conduits  distribuent  cette  eau  dans  l'établis- 
sement. Douze  chevaux  furent  longtemps  employés  à  faire 
mouvoir  cette  machine  ;  on  en  attelait  quatre ,  et  quelque- 
fois huit.  Le  heutenant  général  de  police  Lenoir  y  fit  em- 
ployer des  prisonniers  vigoureux.  Aujourd'hui  vingt-quatre 
hommes  choisis  parmi  les  aveugles  et  les  idiots  font  marcher 
cette  machine.  On  leur  donne  pour  ce  travail  un  supplé- 
ment de  ration.  Avant  la  construction  de  ce  puits,  plusieurs 
voitures  à  tonneau  allaient  chercher  de  l'eau  de  la  Seine  au 
port  de  l'Hôpital  pour  la  consommation  de  la  maison. 

La  prison  se  composait  de  six  corps  de  bâtunent  à  plu- 
sieurs étages ,  dont  toutes  les  fenêtres  étaient  garnies  d'énor- 
mes barreaux  de  fer.  Là  ont  été  longtemps  confondus  en- 
semble des  prisonniers  d'État ,  des  hommes  suspects  à  la 
police,  des  détenus  par  voie  correctionnelle ,  des  réclusion- 
naires,  des  condamnés  à  mort,  des  forçats  attendant  le  départ 
de  la  chai  ne.  On  fit  d'abord  un  triage,  et  les  trois  dernières 
classes  furent  seules  conservées.  Des  cachots  noirs,  constniits 
en  pierre  de  taille,  étroits,  humides  et  malsains,  où  un  faible 
rayon  de  jour  pénètre  à  peine  à  travers  des  piliers  percés  obK=- 


168 


BICETRE  —  BICHAT 


quement,recevaicntdes  malheureux  qu'on  précipitait  dans  ces 
antres  funèbres  avec  du  pain  noir  et  de  l'eau  pour  toute  nour- 
riture. Avant  la  révolution  chacun  des  habitants  de  ces  tom- 
beaux était  retenu  par  quatre  chaînes,  lîtpourtant, ainsi  privés 
d'air,  de  lumière  et  d'espérance,  des  hommes  ont  pu  vivre  dans 
ces  sombres  demeures!  Le  complice,  le  délateur  de  Car- 
touche ,  y  vécut  quarante-trois  ans  :  comme  deux  ou  trois 
ibiâ  il  avait  contrefait  le  mort ,  pour  qu'on  lui  fit  respirer 
un  peu  d'air  au  haut  de  l'escalier,  lorsqu'il  mourut  tout  de 
bon,  on  eut  peine  à  y  croire.  Vers  1789  on  trouva  dans  un 
de  ces  cachots  un  nommé  Isidore,  menuisier,  voleur  de 
profession ,  qui  pour  avoir  menacé  le  lieutenant  de  police, 
Sartine,  de  le  tuer,  y  avait  été  enteiTé  vivant  depuis  quatorze 
ans;  il  jouissait,  dans  son  tombeau ,  d'une  santé  parfaite. 

Bicôtre  fut  témoin  de  plusieurs  révoltes.  En  1774  un  es- 
pion des  condamnés  fut  crucifié  par  eux.  D'autres  tentatives 
d'évasion  amenèrent  encore  des  rixes  dans  la  prison. 
En  1756  les  prisonniers  du  local  appelé  la  petite  fosse  for- 
cèrent la  sentinelle,  et  se  saisirent  des  armes  du  poste  ;  mais 
la  garde  s'étant  rassemblée  à  un  coup  de  sifflet,  un  com- 
bat s'engagea  ;  deux  archers  et  quatorze  mutins  furent  tués. 
Ceux  qui  s'échappèrent,  reconnus  à  leur  costume,  furent 
bientôt  rattrapés;  et  comme  ils  dirent  que,  las  de  la  vie, 
ils  n'avaient  écouté  que  leur  désespoir,  on  les  prit  au  mot  : 
plusieurs  furent  pendus,  et  les  autres  fouettés  et  resserrés 
plus  étroitement. 

En  septembre  1792  Bicôtre  fut  compris  dans  les  fa- 
meux massacres  de  cette  époque  sanglante.  Une  troupe  d'as- 
sassins, munie  d'armes  et  d'artillerie,  se  présenta  devant  cette 
maison.  Le  concierge  fut  tué  au  moment  de  mettre  le  feu 
à  deux  pièces  de  canon  qu'il  avait  fait  braquer  contre  eux. 
Les  prisonniers,  conduits  par  leurs  gardiens,  se  défendirent 
avec  courage,  armés  de  pierres,  de  barres  de  fer  arrachées 
de  leurs  cachots.  Plusieurs  se  servirent  des  fers  qu'on  n'avait 
pas  eu  le  temps  de  leur  ôter.  On  vit  alors  des  insensés  re- 
couvrer la  raison  et  vendre  chèrement  leur  vie.  Les  assail- 
lants pointèrent  enfin  leur  artillerie  sur  une  cour  où  les  dé- 
tenus avaient  établi  leur  principale  défense ,  et  tirèrent  à 
mitraille.  Pétion,  arrivé  au  moment  où  l'on  poursuivait  dans 
les  cours  et  dans  les  cabanons  quelques  fugitifs  éciiappos  à 
cette  boucherie ,  et  qu'on  allait  inonder  avec  des  pompes 
dans  leurs  asiles ,  fit  d'inutiles  efforts  pour  arrêter  le  car- 
nage. La  mort  plana  pendant  trois  jours  et  trois  nuits  sur 
Bicètre;  les  meurtriers  n'épargnèrent  personne  :  prison- 
niers, malades,  gardiens,  tout  périt,  excepté  200  individus, 
qui  furent  enfermés  dans  régli.se.  Depuis  ISOl  jusqu'en  1813, 
et  particulièrement  en  1806,  plusieurs  tentatives  d'évasion 
eurent  lieu.  A  la  dernière  ,  quelques  détenus  montèrent  sur 
les  toits  ou  gagnèrent  les  champs.  L'un  d'eux  se  sauva,  un 
autre  fut  tué,  et  le  reste  fut  promptement  ressaisi;  un  seul, 
prisonnier  d'État,  assis  encore  sur  un  toit  d'où  il  criait  qu'il 
se  rendait,  fut  précipité  de  haut  en  bas  par  un  féroce  gui- 
chetier. Un  autre  prisonnier  d'État,  qui,  malade  dans  son  ca- 
banon ,  n'en  était  pas  sorti ,  fut  arraché  de  son  lit,  frappé 
avec  une  barre  de  fer,  et  mourut  trois  jours  après.  C'est  à 
Bicèlre  que  mourut,  en  1812,  Hervagau  It,  fils  d'un 
tailleur  de  Saint-Lô,  qui  s'('lait  hardiment  fait  passer 
pour  le  fils  de  Louis  XVL  C'est  là  aussi  que  le  marquis  de 
Sade  fut  enfermé.  En  juillet  1815  on  transféra  les  détenus 
de  Bicètre  à  Paris,  à  cause  de  l'approche  des  armées  enne- 
mies. En  1818  et  1819  beaucoup  d'abus  furent  réformés 
dans  cette  prison.  Enfin,  sous  le  règne  de  Louis-Philippe  la 
prison  de  la  Roquette  remplaça  petit  à  i)etit  la  prison  de  Bi- 
cètre, et  toute  la  maison  put  être  transformée  en  hospice. 

Celui-ci  n'avait  jamais  eu  du  reste  aucune  espèce  de  com- 
munication avec  la  prison.  Avant  la  révolution  il  contenait 
des  individus  des  deux  sexes  et  de  tout  âge,  atteints  de  toute 
espèce  d'infirmité  ou  de  maladie.  11  y  avait  des  lits  oii  six 
malheureux  couchaient  ensemble ,  et  se  communiciuaient 
leurs  principes  morbiliques.  M"'"  Neckcr,  lorsque  son  mari 


était  ministre,  fut  frappée  de  ce  hideux  spectacle  en  visi- 
tant les  salles  ;  elle  employa  tout  son  crédit  pour  faire  cons- 
truire des  lits  où  il  ne  couchât  plus  que  deux  malades, 
qu'une  séparation  en  bois  préservait,  tant  bien  que  mal, 
des  miasmes  pestilentiels.  En  1801  il  y  avait  1505  lits  obi 
les  malades  couchaient  seuls ,  262  où  ils  couchaient  deux, 
144  à  double  cloison  qui  .séparait  les  pauvres  couchés  en- 
semble; 172  lits  à  seul,  scellés  dans  le  mur,  126  lits  appe- 
lés auges  pour  les  galeux  ,  et  36  lits  de  réserve.  Les  lits  où 
quatre  coucheurs ,  passant  la  moitié  de  la  nuit,  étaient 
ensuite  remplacés  par  quatre  autres ,  n'existaient  plus  de- 
puis la  révolution.  En  1803  et  après,  de  nombreux  et  utiles 
cliangements  ont  été  faits  dans  cet  hospice  ;  des  plantations, 
des  constructions,  y  ont  été  exécutées.  Destiné  aux  infirmes 
pauvres,  aux  vieillards  sans  moyens  d'existence,  aux  aliénés 
dont  les  familles  ne  sont  pas  dans  l'aisance,  on  n'y  admet 
plus  les  femmes  depuis  cette  époque,  ni  les  enfants  au-des- 
sous de  seize  ans.  Il  n'y  a  que  la  caducité  et  l'infirmité  qui 
soient  oisives.  En  1813  le  nombre  des  travailleurs,  pris 
parmi  les  indigents  ordinaires,  les  fous  et  les  épileptiques,  y 
montait  à  680.  Sa  population  était  de  3,000  individus 
en  1801,  et  de  2,500  en  1814. 

Parmi  les  fous  de  Bicôtre  on  a  vu,  en  1801,  l'abbé  Four- 
nier,  renfermé  par  ordre  du  préfet  de  police  Dubois ,  mis  en 
liberté  en  1804,  à  la  recommandation  du  cardinal  Fe>ch,  et 
nommé  depuis  chapelain  de  Napoléon  et  évéque  de  Mont- 
pellier. Son  délit  était  d'avoir,  dans  un  sermon ,  fait  allu- 
sion à  la  mort  de  Louis  XVI. 

Ce  qu'on  appelle  le  pelit  Bicêlre  se  compose  de  plusieurs 
maisons  près  de  l'ancien  château.  H.  Audiffret. 

La  population  totale  de  l'hospice  de  Bicêtre  est  d'en- 
viron quatre  mille  individus.  Les  vieillards  doivent  être 
septuagénaires  pour  y  être  admis  ;  mais  on  y  reçoit  aussi  des 
infirmes  plus  jeunes.  De  vastes  dortoirs,  bien  aérés,  avec 
des  lits  bien  entretenus,  les  abritent  la  nuit;  une  nourriture 
saine  leur  est  distribuée,  et  il  leur  est  permis  de  sortir  une 
fois  par  semaine;  mais  alors  ils  doivent  quitter  l«s  vêtements 
gris  de  la  maison.  Un  temple  protestant  a  été  adjoint  à  l'é- 
glise catholique.  Des  ateliers  occupent  en  outre  les  bras  de 
ceux  qui  sont  valides ,  et  avec  le  salaire  que  ces  travaux  leur 
rapportent  ils  peuvent  encore  se  procurer,  soit  à  la  cantine, 
soit  au  dehors ,  des  superlluités  et  des  douceurs. 

La  division  des  aliénés  est  redevable  déjà  d'améliorations 
importantes  à  des  hommes  d'une  haute  philanthropie, 
parmi  lesquels  on  cite  M.  î\Iallon,  directeur  de  Bicêtre, 
et  MM.  Pinel ,  Ferrus,  Voisin  et  Leuret,  médecins  de  l'hos- 
pice. Parmi  ces  améliorations  nous  citerons  les  travaux  des 
champs  confiés  aux  aliénés ,  notamment  l'exploitation  de  la 
ferme  Sainte-Anne;  puis  les  travaux  de  plusieurs  genres 
exécutés  dans  l'intérieur  de  l'établissement;  l'école  élé- 
mentaire fondée  pour  les  idiots ,  les  réunions  pour  l'exécu- 
tion de  chants  ou  de  pièces  de  théâtre,  etc.,  etc. 

BICHAT  (Marie-François-Xavier).  Il  est  des  hommes 
privilégiés  qui  tirent  avantage  de  toutes  les  circonstances  de 
leur  vie  :  d'une  naissance   sans  éclat,  de  l'époque  pleine 
d'agitation  où  ils  paraissent ,  des  personnages  incultes  et  fa- 
rouches auprès  desquels  ils  ont  accès ,  et  même  des  mal- 
heurs publics  qui  désolent  la  patrie;  qui,  jeunes,  méconnais- 
sent ces  passions  envahissantes  par  lesquelles  l'existence 
est  infructueusement  consumée;  qui  dès  l'adolescence  sa- 
vent discerner  la  carrière  la  mieux  appropriée  à  leur  génie;  j 
qui  ne  se  laissent  ensuite  ni  décourager  par  les  censures  ni  ] 
enivrer  par  les  applaudissements ,  et  qui ,  à  la  suite  de  nom-  * 
breux  succès,  voyant  tout  près  d'eux  la  fortune,  lui  préfè- 
rent noblement  la  gloire,  non  parce  qu'elle  est  le  plus  in- 
aliénable et  le  plus  important  des  biens,  mais  parce  qu'on 
ne  la  peut  conquérir  que  par  des  actions  ou  des  pensées  pro- 
fitables aux  progrès  de  l'esprit  humain  ou  au  bien-être  des 
hommes  Tel  fut  Bichat,  qui,  mort  à  l'âge  de  trente  et  un  j 
ans ,  a  laissé  une  réputation  au  moins  égale  à  celle  de  Ga^ 


i 


BÎCHAT 

lien.  —  La  vie  de  Bicliat  n'est  connue  que  par  ses  ouvrages 
et  ses  découvertes  :  c'est  une  vie  pleine  de  choses ,  sans 
aucune  aventure. 

Bicliat  naquit  le  12  novembre  1771,  à  Thoirette-en-Bresse 
(Ain),  et  il  est  sans  contredit  le  plus  beau  génie  de  cette 
province ,  oii  reçurent  le  jour  en  même  temps  que  lui  Ri- 
clierand  et  Brillât-Savarin.  Après  de  bonnes  études  au  col- 
lège de  iN'antiia,  puis  au  séminaire  de  Lyon,  il  était  en  âge 
de  choisir  un  état  à  l'époque  où  la  révolution  française  ve- 
nait d'éclater.  Il  n'y  avait  alors  que  trois  carrières  prati- 
cables avec  probabilité  de  succès  :  proclamer  à  la  tribune 
lesdroitsdu  peuple,  courir  aux  frontières  pour  les  défendre, 
ou  bien  secourir  humblement  les  blessés  :  il  fallait  opter 
entre  ces  rôles,  et  c'est  au  dernier  des  trois  que  se  destina 
Bichat.  Aussitôt  voilà  son  parti  pris,  son  plan  conçu. 

«  Comme  Bordeu  ,  je  suis  fds  de  médecin  :  c'est  un  grand 
avantage.  J'ai  appris  à  lire  dans  J.-L.  Petit,  dans  Haller  et 
dans  Sydenham  ;  je  sais  le  langage  de  la  profession  presque 
aussi  bien  que  ces  mots  plus  doux  dont  ma  mère  a  bercé 
mon  enfance  ;  et  de  bonne  heure,  sous  le  toit  paternel,  j'ai 
été  initié  à  des  secrets  précieux,  qu'il  serait  long  de  deviner 
soi-même  et  qu'aucun  maître  ne  peut  enseigner.  J'ai  fait  de 
bonnes  études ,  puisque  j'ai  obtenu  des  couronnes  ;  J'en  ob- 
t'endrai  de  plus  brillantes  ,  ou  j'y  perdrai  la  vie.  En  philoso- 
phie j'ai  rivalisé  avec  mes  professeurs  et  brûlé  mes  ca- 
hiers :  il  doit  exister  une  philosophie  plus  profonde  :  je  veux 
l'apprendre  ;  où  la  faire  .=>  Je  vais  à  Lyon.  J'étudierai  là  sous  un 
maître  habile,  sous  Antoine  Petit,  tout  ensemble  chirurgien, 
médecin  et  poète,  consolant  le  soir,  d'une  voixbarnionieuse, 
les  douleurs  qu'il  a  causées  le  matin.  Le  beau  théâtre  d'ob- 
servation qu'un  hôpital  de  grande  ville  !  que  de  douleurs  à 
adoucir,  que  de  misères  dues  à  l'imprévoyance  ,  que  d'infir- 
mités engendrées  par  les  vices!  mais  aussi  quel  champ  fer- 
tile en  découvertes  !  que  de  moissons  j'y  ferais,  si  la  Fiance 
I  t;iit  tranquille ,  si  Lyon  n'était  pas  assiégé ,  et  si  ma  jeu- 
nesse même  n'y  semblait  pas  un  crime  digne  de  l'échafaud, 
ou  un  motif  suffisant  pour  être  envoyé  aux  frontières  ! 

«  Courons  donc  à  Paris.  Il  est  bien  vrai  que  le  crime  y 
Fuscite  la  terreur  (1793);  mais  l'obscurité  est  une  protec- 
tion ,  et  la  foule  un  refuge  assuré.  J'irai  m' enfermer  à  FHô- 
tel-Dieu;  je  suivrai  là  le  célèbre  Desault,  et  saurai  mettre  à 
profit  son  expérience  et  son  habileté.  L'Hôtel-Dieu  est  d'ail- 
leurs le  seul  lieu  de  Paris  où  régnent  l'ordre  et  la  tranquillité, 
et  où  l'on  retrouve  l'image  d'un  État  gouverné  par  une  seule 
volonté  à  qui  tous  obéissent....  Desault  a  déjà  remarqué 
mon  zèle  et  ma  personne  (1794)  :  c'est  à  moi,  dans  son 
immense  amphithéâtre,  qu'il  adresse  avec  prédilection  ses 
paroles;  sans  doute,  le  feti  de  mes  regards  lui  aura  révélé 
combien  je  sympathise  avec  son  génie.  Mais  le  voilà  qui 
vient  à  moi!....  il  m'écoute,  il  m'accueille,  il  m'adopte;  me 
voilà  donc  certain  de  la  gloire:  il  a  son  trône,  j'aurai  le 
mien.  Quelle  révolution  nous  allons  faire!  îs'ous  allons  re- 
nouveler la  science,  l'éclairer  et  la  féconder.  Sans  cesse 
occupé  de  malades  et  d'opérations,  Desault  n'a  pas  le  temps 
de  méditer  et  d'écrire;  je  composerai  pour  lui  des  ouvra- 
ges (il  publia  en  effet,  de  1796  à  1800,  le  dernier  volume  de 
son  Journal  de  Chirurgie  et  ses  Œuvres  chirurgicales 
en  3  vol.),  et  ferai  qu'ils  resplendiront  de  ce  vernis  de  phi- 
losophie générale  et  de  pénétrante  sagacité  dont  il  n'au- 
rait pu  les  empreindre;  je  lui  ferai  don  de  mon  style  et  de 
mon  savoir,  en  retour  de  ses  conseils  et  de  sa  protec- 
tion. Pour  éviter  jusqu'aux  vains  prétextes  de  désunion 
entre  nous ,  dès  ce  jour  je  quitte  la  chirurgie  pour  la  méde- 
cine (1705).  Plutôt  né  pour  une  science  de  méditation  que 
pour  un  art  d'adresse ,  j'avouerai  d'ailleurs  que  mon  cœur 
s'agite  toujours  à  la  vue  de  ces  chairs  palpitantes  que  le 
bistouri  divise  douloureusement  et  d'où  le  sang  jaillit  par 
flots  :  les  cris  des  opérés  me  remplisseut  d'émotion  ;  je 
prends  trop  de  part  à  leurs  souffrances.  Il  faut  au  chirur- 
Jîien  une  fermeté  de  caractère  dont  le  ciel  ne  m'a  pas  assez 

D(CT.    DE    LA    CONVERS.    —   T.    111. 


169 

pourvu,  et  qui,  après  tout,  se  concilierait  difliciJcmcnt  avec 
des  méditations  habituelles. 

n  Ainsi ,  je  serai  médecin  ;  mais  il  faut  qu'à  moi  seul  j'o- 
père en  médecine  une  révolution  équivalant  à  celle  qui  s'ac- 
complit en  politique.  D'abord  j'effacerai  jusqu'aux  dernières 
traces  de  Vlnanorisme,  qui  règne  encore,  et,  pourmieux  éta- 
blir le  50^((-//5mr',  j'omettrai  presque  entièrement  ce  qui  con- 
cerne les  humeurs  dans  les  ouvrages  d'anatomie  dont  je 
médite  le  plan.  Puisque  j'ai  déjà  découvert  les  membranes 
synoviales ,  je  m'autoriserai  de  cette  découverte  pour  com- 
poser un  Traité  complet  des  Membranes ,  qui  peq)étuera 
ma  célébrité.  Je  dois  par-dessus  tout  affrancbir  la  médecine 
de  la  tyrannie  des  sciences  pbysiques;  je  veux  la  soustraire 
au  moins  pour  un  temps  au  joug  systématique  de  Boërhaavt; 
et  de  Fourcroy.  Tous  ces  dons  qu'on  veut  lui  faire  l'appau- 
vrissent de  jour  en  jour,  outre  qu'ils  la  rendent  méconnais- 
sable. D'ailleurs  les  fonctions  de  la  vie  n'ont  rien  d'identique 
avec  les  phénomènes  de  la  physique  et  de  la  chimie;  et 
même  je  défierai  les  meilleurs  cliimistes  de  l'avenir  décom- 
poser une  seule  goutte  de  sang  ou  de  salive.  Je  prétends 
donc  en  revenir  au  vitalisrae  de  Bordeu  et  de  Barthez;  mais 
je  veux  être  plus  clair  que  l'un,  mieux  coordonné  et  plus 
complet  que  l'autre ,  plus  utile  que  tous  les  deux.  J'étudierai 
chaque  propriété  vitale  dans  chacun  des  tissus  élémentaires, 
et  j'éluderai  ainsi  l'écueil  de  ces  généralités  d'abstraction 
qu'une  simple  objection  fait  crouler. 

n  Aristote  et  Buffon  ont  eu  raison,  il  existe  en  nous  deux 
sortes  de  fonctions  :  les  unes,  purement  automatiques  ,  s'ef- 
fectuent sans  repos,  sans  interruption,  et  à  notre  insu  même, 
dans  le  sommeil  comme  durant  la  veille  ;  les  autres  sont 
arbitraires,  intermittentes,  car  le  sommeil  les  interrompt, 
et  elles  ne  sont  pas  indispensables  à  la  vie.  Les  premières 
servent  à  entretenir  et  à  conserver  les  organes  ;  les  autres, 
à  éclairer  notre  intellect,  à  multiplier  nos  rapports.  Les  ins- 
truments des  unes  diffèrent  beaucoup  des  organes  des  autres  : 
je  noterai  scrupuleusement  ces  différences.  Je  m'approprierai 
en  le  modifiant  le  trépied  vital  de  Bordeu,  et  j'analyserai  avec 
tant  de  soin  le  jeu  concordant  des  trois  organes  que  ce  mot 
désigne  (cœur,  poumon ,  cerveau),  leurs  inlluences  respec- 
tives et  leurs  synergies ,  que  cette  partie  de  la  physiologie 
paraîtra  aussi  évidente  que  le  mécanisme  d'une  machine  des 
arts  et  métiers.  Je  composerai  sur  ces  différentes  idées, 
ainsi  que  sur  la  manière  dont  les  fonctions  de  la  vie  s'em- 
barrassent dans  l'agonie,  puis  s'interrompent  à  l'instant  de 
la  mort,  un  ouvrage  rempli  d'expériences  curieuses,  et 
presque  aussi  étonnant  par  son  exécution  même  que  par  la 
hardiesse  et  l'originalité  des  vues. 

«  Cependant  ces  premiers  ouvrages  ne  seront  encore  qu'un 
essai  de  mes  forces,  et  comme  le  prologue  d'une  composition 
plus  vaste  à  laquelle  j'attacherai  mon  nom.  Jusqu'à  présent 
on  s'est  borné  à  étudier  les  organes  un  à  un  et  tour  à  tour, 
les  os,  les  muscles,  les  vaisseaux,  puis  les  nerfs,  puis  les 
viscères  ou  les  entrailles  :  voilà  ce  que  je  veux  changer.  Je 
réduirai  le  corps  humain  à  peu  près  comme  Montesquieu  a 
réduit  le  corps  social,  dont  il  voulait  scruter  les  lois,  je  veux 
dire  en  ses  plus  simples  éléments.  Je  prendrai  les  uns  après 
les  autres  chaque  espèce  de  fibre ,  chaque  tissu  analogue , 
tissu  cellulaire ,  diverses  membranes,  veines,  artères,  os, 
cartilages,  muscles,  nerfs,  peau,  épiderme,  glandes  et 
organes  à  parenchyme,  vaisseaux  lymphatiques;  j'aurai  de 
la  sorte  vingt-un  ou  vingt-cinq  tissus  :  n'importe,  j'en  voudrais 
avoir  cinquante  au  lieu  de  vingt,  car  ce  seront  là  autant  de 
cases  ou  viendront  se  ranger  sans  désordre  mes  observations 
et  mes  pensées,  assez  nombreuses  pour  les  remplir  toutes. 
A  l'occasion  de  chaque  genre  de  fibre,  je  dirai  ses  propriétés, 
sa  sensibilité  vive  ou  obscure,  ses  mouvements  de  cause  pu- 
rement physique,  et  ses  mouvements  instinctifs  et  arbitraires; 
je  dirai  quels  organes  ce  tissu  concourt  à  former,  à  quelles 
soulfrances  il  peut  donner  lieu,  ses  altérations  maladives,  les 
remèdes  qui  agissent  sur  Ini ,  son  développement  chez  l'en- 

22 


BICHAT 

son  (Icsré  (Vusiire  cliez  le  vieillard,  et  cent  autres 


170 

i;inl  , 

ilioses  souvent  nouvelles,  constamment  vraies,  et  toujours 
utiles  au  praticien  comme  au  savant  spéculatif.  Du  tissu 
simple  je  remonterai  ensuite  à  Torgane  môme  que  plusieurs 
tissus  composent ,  et  j'étudierai  les  fonctions  de  cet  organe, 
ses  sympathies ,  ses  maladies  spéciales  et  leurs  moyens  de 
guérison.  Je  grouperai  enfin  les  organes  par  familles,  ou 
par  appareils ,  dans  le  même  ordre  où  ils  coopèrent  aux 
fonctions  de  la  vie ,  et  j'en  ferai  la  description  sous  le  titre 
iTAnatomie  descriptive. 

-i  Ainsi,  j'aurai  soigneusement  analysé  les  éléments  du  corps 
danslM?7fl^m?e  ^'^«t^mZe,  groupé  et  fait  l'histoire  des  organes 
dans  \^ descriptive,  exposé,  dans  mes  llecherches  sur  la  Vie 
i-t  la  Mort,  mes  opinions  sur  les  organes  des  deux  vies  (ex- 
pression qu'on  critiquera  sans  doute,  mais  dont  j'ai  besoin 
pour  peindre  une  idée  grande  et  neuve).  Quelques  années  m'au- 
ront donc  suffi  pour  reconstituer  la  médecine  sur  des  bases  so- 
lides et  nouvelles,  et  peut-être  alors  me  trouverai-je  entraîné 

malgré  moi  à  faire  de  la  médecine  ailleurs  qu'à  l'hôpital 

:Mais,  en  attendant,  il  me  faut  redoubler  d'activité  :  j'ai  des 
coins  à  faire,  des  dissections  et  des  autopsies  à  multiplier, 
mes  observations  cliniques  à  suivre,  des  essais  thérapeutiques 
à  réitérer.  J'ai  d'ailleurs  à  méditer  sur  les  grandes  lois  de  la 
nature.  Je  sais  mal  la  chimie,  il  me  faut  l'apprendre.  J'aurai 
beau  faire,  beaucoup  de  choses  me  manqueront  :  je  ne  suis 
pas  assez  érudit,  je  n'ai  le  loisir  de  lire  ni  du  latia  ni  de 
l'anglais;  cl  l'allemand  me  demanderait  dix  grandes  années 
d'études  que  j'aime  mieux  employer  à  ma  science  person- 
nelle. On  se  récriera  si  l'on  veut;  mais,  pour  ne  point  com- 
mettre de  nombreuses  erreurs,  je  ne  citerai  que  quelques 
grands  noms  pour  les  idées  les  plus  importantes. 

«  Mon  projet  après  tout  est  d'une  exécution  facile.  La  mé- 
decine à  l'heure  où  je  prends  la  plume  ne  compte  presque 
aucun  homme  dminent,  aucun  de  ces  maîtres  hors  de  fou!e 
et  qui  doivent  à  l'étude  moins  qu'au  génie.  L'anatomie  de 
Boyer  est  d'une  exactitude  rigoureuse,  et  profitable  au  chi- 
rurgien sans  vues  capitales  ;  celle  de  Gavard  est  un  soîn- 
maire;  celle  de  Sabatier,  tine  coiiij)iIaticn.  La  physiologie 
est  négligée  ailleurs  qu'à  Montpellier;  mais  Barthez  l'obs- 
curcit et  Dumas  la  rabaisse  et  la  morcelle.  Reste  l'illustre 
ouvrage  de  Haller,  que  personne  ne  consulte,  et  les  tableaux 
synopliiiues  forf,  arides  deChaussier,  plutôt  faits  pour  guider 
ou  remémorer  qiK!  pour  instruire.  En  thérapeutique,  Des- 
nois  de  Rochefort  est  sans  portée,  Peyrilhe  sans  instruc- 
tioîi  et  sans  profondeur.  Quant  aux  médecins,  Pinel  suit 
trop  servilement  les  naturalistes;  Ilallé,  dont  la  vaste  mé- 
moire fatigue  infructueusement  la  raison,  rapporte  tout  à 
l'hygièite,  et  n'en  l'ait  rien  sortir.  Corvisart,  le  grand  médecin 
de  nos  jours ,  n'a  ni  le  loisir  ni  la  patience  de  faire  un  bon 
livre  ou  de  lier  des  idées  en  doctrine;  d'ailleurs,  le  médecin 
de  Bonaparte  ne  doit  prendre  aucun  souci  de  sa  gloire  :  la 
postérité  saura  son  nom,  quoi  qu'il  arrive.  Pour  Cabanis, 
il  ne  laissera  jamais  que  des  jiaraphrases  d'Helvétius,  quel- 
ques secours  que  Locke  lui  prête.  J'espère  donc  à  moi  seul 
tout  embrasser,  et  faire  plus  que  tous  ensemble.  Si  je  réussis, 
je  mériterai  qu'on  dise  un  jour  :  'Vers  la  fin  du  dix-huitième 
siècle,  la  médecine  était  en  France  assujettie  à  la  physiqi'.e 
quant  aux  dogmes,  comme  esclave  de  la  chirurgie  quant  à 
la  pratique  de  l'art;  détournée  des  voies  sûres  de  l'observa- 
tion et  tributaire  de  la  chimie;  livrée  à  la  médiocrité  et  aux 
.sophismes,  seule,  entre  les  sciences  hiuiiaines,  elle  restait 
sans  progrès.  Un  jeune  homme  la  sortit  de  celte  ornière;  il  se 
nommait  IJichat,  et  n'avait  pas  trente  ans.  Inconnu  hors  de 
l'Hôti'l-Dieu,  sa  demeure  habituelle,  il  n'était  ni  médecin 
titulaire  de  cet  établissement  (il  ne  fut  nonmié  qu'en  1800), 
ni  professeur  à  l'iïcole  de  Médecine  (il  concourut,  mais  sans 
succès),  ni  membre  d'aucune  académie; il  n'était  pas  même 
docteur.  » 

Voilà  ce  qu'aurait  pu  dire  Cichat;  mais  il  avait  trop  de 
liKKlcslioet  trop  de  circonspection  pour  agir  de  la  sorte.  11  se 


borna  à  surpasser  ses  rivaux  et  ses  maîtres ,  sans  montrer 
jamais  ni  présomption  ni  jactance.  11  avait  une  si  grande 
simplicité  de  mœurs,  si  peu  d'attache  pour  le  lucre,  et  si 
peu  de  sentiment  de  la  valeur  vénale  de  ses  ouvrages ,  qu'il 
abandonna  au  libraire  Gabon  pour  vingt-cinq  louis  le  ma- 
nuscrit de  VAnalojnie  générale,  ouvrage  en  4  volâmes  in-s" 
dont  il  a  été  placé  30,000  exemplaires. 

Si  jeune  que  soit  mort  Bichat,  l'anatomie  lui  doit  pins 
qu'à  Chaussier,  qu'à  Sœmmering,  et  peut-être  plus  qu'à 
Scarpa,  lui  cependant  au  nom  de  qui  se  rattachent  tant  de 
découvertes  et  d'admirables  productions.  Corvisart,  âme 
noble  et  sans  envie,  écrivit  au  premier  consul  lorsque  Bichat 
eut  cessé  d'exister  :  «  Bichat  vient  de  mourir.  Il  est  resté 
sur  un  champ  de  bataille  qui  veut  aussi  du  courage  et  qui 
compte  plus  d'une  victime.  Personne  en  si  peu  de  temps  n'a 
fait  tant  de  choses  et  aussi  bien...  »  Cette  lettre  fait  honneur 
à  Corvisart;  car  elle  est  la  preuve,  puisqu'il  n'ajoute  aucun 
commentaire,  qu'il  n'avait  pas  attendu  la  mort  de  Bichat 
pour  entretenir  Bonaparte  de  ce  talent  illustre. 

Quelques  jours  après  sa  mort ,  le  9.  août  1 802 ,  on  grava 
sur  une  table  de  marbre  les  noms  réunis  de  Desault  (mort 
dès  1795)  et  de  Bichat.  On  voit  encore  ce  très-simple  mo- 
nument sous  les  dôntes  de  l'Hôtel-Dieu ,  où  il  fut  placé  dès 
l'origine.  La  ville  de  Paris  a  depuis  donné  le  nom  de  Bichat 
à  l'une  de  ses  rues;  les  départements  de  l'Ain  et  du  Jura  lui 
ont  érigé  une  statue  dans  la  ville  de  Bourg  (août  1843).  Ant. 
Miquel  et  M.  Ph.-G.  Roux  ont  fait  son  éloge,  et  David  son 
buste  et  sa  statue,  après  l'avoir  placé  déjà  au  fronton  du 
Panthéon. 

Parmi  les  vérités  qu'on  doit  à  Bichat,  il  faut  mettre  au 
premier  rang  la  découverte  des  nuMiibranes  synoviales, 
comme  aussi  la  généralisation  du  feuillet  adhérent  des  mem- 
branes séreuses;  découvertes  d'autant  plus  belles  qu'elles 
sont  dues  non  au  hasard ,  mais  au  raisonnement  et  à  l'ana- 
logisme.  L'anatomie  des  tissus  est  de  sa  création.  11  a  fait 
de  l'anatomie  pathologique  une  science  toute  française,  qu'a- 
vant lui  Morgagni  avait  comme  concentrée  dans  l'Italie.  11  a 
pour  ainsi  dire  renouvelé  toute  la  médecine,  non  par  des 
conjectures  et  des  systèmes ,  mais  par  des  observations  avé- 
rées et  décisives. 

Les  ouvrages  de  Bichat  seraient  presque  irréprochables, 
s'il  n'avait  pas  ignoré  l'action  de  la  moelle  épinière,  sup- 
posé, puis  décrit  les  vaisseaux  exhalants,  omis  le  tissu 
érectile,  trop  négligé  l'histoire  des  humeurs,  exagéré  sou 
idée  abstraite  des  deux  ries,  et  déraisonne  sur  les  passions, 
causes  malheureusement  fécondes  en  erreurs  de  toute  espèce. 

La  fin  si  prématurée  de  Bichat  laissa  un  vide  immense 
dans  la  science.  Il  ne  se  trouvait  personne  pour  remplacer 
cet  homme  étonnant  :  on  fut  réduit  à  partager  ses  dépouilles 
scientifiques,  ses  conquêtes.  Ses  principaux  élèves,  et  il 
en  comptait  de  remarquables,  la  plupart  fort  jeunes,  se 
conduisirent  en  quelque  sorte  comme  les  lieutenants  d'A- 
lexandre. Roux  et  Marjolin  s'emparèrent  en  maîtres  de  l'a- 
natomie; Laènnec,  Broussais,  Bayle  et  Dupuytren  s'adju- 
gèrent l'anatomie  patliologique;  Alibert  et  Schwilgué  se 
réservèrent  la  matière  médicale  et  la  thérapeutique,  comme 
Legallois  et  Nyslen  la  physiologie.  D'autres,  plus  paresseux 
à  le  suivre,  ou  perdant  l'espoir  de  l'égalei  en  le  continuant, 
prirent  pour  eux  le  rôle,  moins  fraternel ,  «fe  joindre  à  ses 
œuvres  des  critiques  ou  de  futiles  annotation»'. 

Sans  doute  l'époque  où  parut  Bichat  fut  pmpice  à  ses 
travaux.  La  liberté  de  penser  était  alors  à  son  comble  : 
l)oint  de  censeius ,  si  ce  n'est  les  émules  et  quelques  en- 
vieux passionnés  ;  \me  foule  de  rivaux  de  gloire  dans  toutes 
les  carrières ,  et  nuls  préjugés  qui  vinssent  entraver  les 
investigations  ou  les  expériences.  Dans  ces  temps  de  ré- 
volution fondamentale,  les  esprits,  plus  exaltés,  sont  plus 
féconds;  l'ambition,  plus  ardente,  convoite  et  ose  davan- 
tage :  le  cliquetis  des  armes  et  le  bruit  des  tambours  élec- 
trisent  les  imaginations  et  connnuniquent  au  génie  plus 


lîICIÎAT  — 

d'animation,  phis  de  ferveur.  Chacun  alors  veut  accomplir 
personnellement  sa  révolution  à  rexerapie  du  peuple, 
que  ses  préventions  contre  les  choses  établies  disposent 
à  accueillir  les  innovations  de  toute  nature.  On  voit  alors 
plus  de  puissance  dans  l'éloquence  parlée,  plus  d'origina- 
lité dans  la  poésie;  les  écrivains,  souvent  plus  inégaux, 
sont  aussi  plus  sublimes,  les  savants  plus  inventifs.  Dante, 
Corneille  et  Î^Iilton  composèrent  leurs  glorieux  écrits  à  la 
suite  de  révolutions  ou  de  guerres  civiles;  les  conquêtes 
d'Alexandre,  sans  parler  d'une  protection  plus  directe, 
stimulèrent  le  génie  laborieux  d'Aristote;  enfin  W.  Ilarvey,  à 
qui  est  due  la  découverte  de  la  circulation  du  sang ,  vécut 
sous  Cromwell ,  comme  Bichat  sous  la  Convention. 

Bichat  mourut  à  Paris ,  à  la  suite  d'un  accident  encore 

aggravé  par  ses  veilles  et  ses  continuelles  dissections ,  le 

22  juillet  1802,  n'ayant  pas  trente  et  un  ans.  11  fut  inhumé 

I      au  cimetière  Sainte-Catlîerine ;  mais  en  1845  ses  restes  ont 

été  solennellement  portés  au  cimetière  du  Père  La  Chaise. 

On  peut  se  demander  ce  que  fût  devenu  Bichat  si  sa  vie 
se  filt  prolongée  jusqu'à  la  vieillesse.  L'homme  qu'à  vingt- 
neuf  ans  les  Allemands  comparaient  à  leur  Boérhaave  sans 
doute  n'aurait  pu  déchoir  dans  sa  maturité,  outre  que  Na- 
poléon, ce  judicieux  rémunérateur  des  talents,  aurait  vrai- 
semblablement compris  dans  les  longues  listes  du  sénat  un 
nom  tout  aussi  digne  d'y  figurer  que  ceux  des  Daubenton , 
des  Cliaptal  et  des  Berthollet.         D""  Isidore  Bol'rdon. 

BICHE,  femelle  du  cerf.  C'est  aussi,  en  astronomie,  l'un 
des  noms  (le  Cassiopée. 

BICIIET,  ancienne  mesure  de  grains,  dont  la  conte- 
nance variait  selon  les  lieux,  que  l'on  évaluait  en  général  au 
minot  de  Paris.  Le  bidiet  était  particulièrement  en  usage  en 
Bourgogne  et  dans  le  Lyonnais.  A  INIontereau  le  bichet  de 
froment  pesait  quarante  livres.  Huit  bichets  formaient  le 
septier  du  pays,  lequel  était  de  la  valeur  de  seize  boisseaux 
de  Paris;  douze  septiers  formaient  le  muid;  mais  on  y 
ajoutait  d'ordinaire  quatre  bichets,  pour  faire  le  compte  rou'l 
de  cent  bichets  pour  un  muid.  Le  bichet  de  Meaux  était 
de  cinquante  livres,  c'est-à-dire  de  dix  livres  plus  pesant 
que  celui  de  Montereau.  Ceux  des  autres  localités  variaient 
également. 

On  disait  aussi  un  bichet  ou  une  bichen'e  de  terre,  en 
parlant  de  la  mesure  d'une  terre  qui  avait  besoin  d'un  bi- 
chet de  blé  pour  être  ensemencée. 
iBICHO.  Voyez  Chique. 
BICIlOiX  ou  CHIEN  DE  xMALTE,  peUte  et  jolie  race  de 
chiens,  qui  a  le  nez  court,  le  poil  long,  d'un  foncé  plus 
ou  moins  grisâtre  ou  jaunâtre ,  et  qui  provient  du  croise- 
ment d'un  petit  barbet  etdel'épagneul.  Les  bichons 
ont  été  longtemps  à  la  mode  chez  les  dames,  qui  les  por- 
taient dans  leur  manchon.  Ce  mot  est  le  diminutif  de  celui 
de  barbet;  on  a  dit  d'abord  ôarôic^e ,  barbichon;  puis,  par 
contraction,  bichon. 

BICHOiX  DE  MER.  Toj^e:;  Balate. 

BICOAJJUGUÉ  ou  BIGÉMINÉ,  épithète  donnée  aux 
feuilles  dont  le  pétiole  commun  se  divise  en  deux  rameaux, 
chargés  chacun  de  deux  folioles.  Telles  sont  celles  M  mi- 
mosa unguis  cati. 

BICOQUE,  village  du  royaume  Lombardo-Yénitien , 
sur  le  chemin  de  Lodi  à  Milan  ,  à  sept  kilomètres  de  cette 
dernière  ville ,  où  les  Impériaux  repoussèrent  une  attaque 
de  l'armée  française  en  1522,  et  qui  depuis  a  donné  son 
nom  à  toute  place  sans  importance. 

Lautrec,  qui  depuis  la  perte  de  Milan  s'était  retiré 
à  Crémone  avec  la  cavalerie  française,  et  qui  avait  déjà 
fait  sa  jonction  avec  l'armée  vénitienne,  passa  l'Adda 
le  1"  mars  1522,  réunit  les  Suisses  à  son  armée,  et  s'ap- 
procha jusqu'à  quekiues  kilomètres  de  Milan.  Jean  de  Mé- 
dicis ,  capitaine  aventurier  issu  d'une  branche  cadette  de 
la  famille  domin;mte  à  Florence,  vint  le  joindre  avecle  corps 
d'infenterie  italienne  qu'il  avait  formé.  H  donnait  à  ce 


BICOQUE  j7i 

corps  le  nom  de  Bandes  Noires  (voyez  Bandes  miutaiiiks), 
en  signe  de  deuil  pour  la  mort  de  Léon  X,  et  les  soldats  ras- 
semblés autour  de  son  drapeau  noir  s'étaient  déjà  illustres 
par  leur  bravouic  et  leur  discipline. 

Cependant  Prosper  Colonna,  général  de  la  ligue,  et 
Alphonse  d'Avalos ,  marquis  de  Pescara  ,  commandant  de 
l'infanterie  espagnole ,  avaient  de  leur  côté  reçu  des  renforts 
considérables  ;  les  deux  armées  étaient  à  peu  près  de  force 
égale.  Lautrec  fut  bientôt  obligé  de  renoncer  à  son  attaque 
sur  Milan;  il  prit  Novarra,  mais  il  l'ut  repoussé  devant 
Pavie.  Enfin  il  se  dirigea  vers  Monza,  pour  se  rapprocher 
du  Lac-Majeur.  C'était  par  ses  bords,  et  au  travers  du 
Valais,  qu'il  entretenait  quelques  communications  avec  la 
France.  Le  roi  avait  envoyé  jusqu'à  Arona  une  partie  de 
l'argent  dont  Lautrec  avait  besoin  pour  la  solde  de  ses  trou- 
pes ;  mais  Anchise  Yisconti ,  avec  un  corps  de  troupes  mi- 
lanaises ,  bloquait  Arona  ;  et  Prosper  Colonna ,  retranché  à 
la  Bicoque,   coupait  à  Lautrec  le  chemin  du  Lac-xMajeur. 

La  situation  de  Lautrec  était  infiniment  difficile  :  la  gen- 
darmerie française  quïl  avait  avec  lui  demeurait  dévouée  et 
fidèle  :  toutefois,  elle  n'avait  pas  touché  de  paye  depuis  dix- 
huit  mois  ;  aussi ,  faute  d'argent ,  était-elle  mal  équipée  et 
mal  armée.  Les  Vénitiens  s'étaient  obligés,  par  leur  traité, 
à  se  joindre  au  roi  pour  la  défense  du  Milanais  ;  mais  ils 
n'entraient  qu'avec  répugnance  dans  une  guerre  qui  les  ex- 
posait à  de  grands  dangers,  sans  compenser  leurs  risques 
par  aucun  avantage  :  aussi  se  refusaient-ils  à  toutes  les 
actions  hasardeuses ,  et  ne  voulaient-ils  jamais  s'éloigner  de 
leurs  frontières.  Les  Suisses  s'ennuyaient  d'une  guerre  de 
positions,  où  le  général  pouvait  faire  briller  une  science 
stratégique  qu'ils  méprisaient,  mais  où  les  soldats  soupi- 
raient après  la  bataille  et  le  pillage  des  villes.  C'étaient  ces 
jours  de  gloire  et  d'excès  qu'on  leur  avait  promis  comme 
des  fêtes,  pour  les  engager  à  sortir  de  leur  pays.  Pleins  de 
confiance  en  eux-mêmes  et  de  dédain  pour  leurs  ennemis, 
ils  ne  voulaient  se  soumettre  à  aucune  des  privations  que 
nécessitaient  la  pauvreté  de  Lautrec  et  l'état  hostile  des 
campagnes.  Lorsqu'ils  apprirent  que ,  tandis  qu'on  les  lais- 
sait languir  à  i\lonza  dans  la  misère,  l'argent  qui  leur  était 
dû  était  arrivé  à  Arona,  ils  commencèrent  à  sattrouper 
devant  la  tente  de  Lautrec,  en  criant  qu'ils  voulaient  leur 
solde  ou  la  bataille. 

Lautrec  avait  lieu  de  croire  que  Prosper  Colonna,  au- 
quel le  nouveau  pape  ne  faisait  point  toucher  de  subsides , 
n'avait  pas  plus  d'argent  que  lui  ;  que  les  lansquenets  qui 
lui  étaient  arrivés  d'Allemagne  étaient  aussi  prêts  à  se  mu- 
tiner que  ses  Suisses,  et  qu'il  y  avait,  par  conséquent, 
tout  à  gagner  pour  lui  à  traîner  la  guerre  en  longueur.  De 
plus,  il  avait  chargé  Créqui,  seigneur  de  Pont- Dormi ,  de 
reconnaître  l'armée  impériale ,  et  celui-ci  lui  avait  rapporté 
qu'elle  était  garantie  sur  les  flancs  par  de  profonds  canaux 
d'arrosement ,  et  en  face  par  un  chemin  creux  garni  d'ar- 
tillerie. Un  pont  de  pierre  en  arrière  de  la  gauche  formait 
la  seule  entrée  de  cette  position  formidable ,  qui  prenait  son 
nom  de  la  maison  de  campagne  d'un  seigneur  milanais. 
Lautrec  voulut  faire  comprendre  aux  Suisses  combien  l'at- 
taque de  la  position  de  la  Bicoque  présentait  peu  de  chances 
de  succès  ;  mais  ils  répondirent  que  leurs  hallebardes  les  ren- 
draient bientôt  maîtres  des  batteries  dont  on  les  menaçait, 
et  qu'ils  persistaient  à  vouloir  argent,  bataille,  ou  congé. 

La  retraite  des  Suisses  équivalait  pour  Lautrec  à  une 
déroute  :  elle  aurait  été  bientôt  suivie  de  celle  des  Vénitiens  ; 
d'autre  part,  l'ardeur  des  troupes,  qui  demandaient  impa- 
tiemment la  bataille,  laissait  espérer  d'heureuses  chances. 
Il  partit  donc  de  î\Iouza  le  29  avril  pour  attaquer  la  Bico- 
que, après  avoir  f;u't  les  meilleures  dispositions  que  permît 
la  situation  des  eimemis.  Il  consentit  à  ce  que  les  Suisses , 
selon  leur  demande,  l'attaquassent  de  front;  il  chargea  sou 
frère  Lcscun-.  Ue  tourner  par  la  gauche,  et  d'entrer  par 
le  pont  de  pierre  dans  lo  camp  des  Impériaux  ;  avec  une 


172 

autre  division,  à  kquclle  il  avait  fait  prendre  !a  croix 
rouge,  au  lieu  de  la  croix  blanche  de  France,  il  tournait 
par  la  droite  avec  l'espoir  que  les  soldats  de  C'olonna  le 
recevraient  comme  un  des  leurs.  Les  Bandes  Noires  ,  enfin , 
et  l'armi^c  vénitienne  devaient  soutenir  les  Suisses  et  formiT 
la  réserve;  mais,  pour  le  succès  de  cette  a(ta(|ue  combinée, 
il  fallait  que  les  trois  corps  d'armt'e  arrivassent  ensemble; 
il  fallait  que  les  Suisses,  qui  avaient  beaucoup  moins  de 
chemin  à  faire  que  les  doux  autres  corps,  marchassent  plus 
lentement  ou  attendissent  :  ils  ne  le  voulurent  pas;  ils  parti- 
rent avec  impétuosité,  et,  doublant  le  pas,  ils  arrivèrent  d'un 
Irait  au  bord  du  chemin  creux  qui  couvrait  le  front  de 
Prosper  Colonna.  Avant  d'y  parvenir  cependant  mille  d'en- 
tre eux  avaient  déjà  été  tués  par  le  feu  de  l'artillerie  espa- 
gnole ;  les  survivants  s'élancèrent  avec  courage  dans  le 
chemin  creux  ;  mais  ils  le  trouvèrent  plus  profond  qu'ils 
n'avaient  voulu  le  croire  ;  leurs  hallebardes  pouvaient  à 
peine  atteindre  aux  pieds  de  l'infanterie  espagnole  qui  le 
bordait.  Tous  leurs  eflorts  pour  gravir  de  son  côté  furent 
infructueux  ;  vingt-deux  de  leurs  capitaines  et  trois  mille 
soldats  avaient  trouvé  leur  tombeau  dans  le  chemin  creux, 
lorsque  les  Suisses  reculèrent,  laissant  leurs  ennemis,  qu'ils 
ne  pouvaient  atteindre,  étonnés  de  leur  intrépidité  et  de 
leur  acharnement.  Dans  cet  instant  seulement ,  Lautrec  ar- 
rivait sur  la  droite  de  l'armée  de  Prosper  Colonna;  mais 
celle-ci  .ivait  ajouté  une  branche  de  feuillage  à  sa  croix 
rouge,  et  elle  tomba  sur  les  Français,  qu'elle  reconnut  sous 
leur  déguisement.  Fn  même  temps,  Lescuns  entrait  par  le 
pont  de  pierre,  à  gauche,  dans  la  position  des  ennemis.  Il 
était  trop  tard  ;  Prosper  Colonna ,  sans  inquiétude  désor- 
mais sur  l'attaque  des  Suisses ,  qu'il  avait  rejjoussée,  tourna 
toutes  ses  forces  contre  les  deux  maréchaux ,  et  les  con- 
traignit également  à  la  retraite. 

Malgré  la  perte  considérable  qu'elle  avait  essuyée,  l'armée 
française  était  encore  redoutable;  mais  les  Suisses,  irrités 
d'une  délaite  qu'ils  avaient  provoquée,  ojjposaient  un  si- 
lence hautain  à  toutes  les  instances  de  Lautrec,  qui  voulait 
les  retenir  en  Italie  :  ils  ne  promirent  rien,  ils  n'expliquèrent 
point  leurs  vues,  elle  lendemain  ils  reprirent  le  chemin  du 
lîergamasque  pour  rentrer  en  Suisse.  Lautrec  sévit  lédiiit 
à  les  suivre  pour  se  rendre  en  France,  se  justifier  du  juissé, 
et  obtenir  des  secours  plus  efficaces  pour  l'avenir.  Andié 
Gritti,  avec  l'armée  vénitienne,  se  retira  vers  lesfroniières 
de  sa  république,  qu'il  s'efforça  de  défendre;  Lescuns  de- 
meura chargé  du  commandement  de  la  geudaj'Jiicrie,  qu'il 
distribua  entre  le  petit  nombre  de  places  qui  obéissaient 
encore  aux  Français;  mais  Lodi  se  laissa  surprendre, 
Piz/.ighittone  capitula,  et  Lescuns,  retiré  à  Crémone, 
signa  enfin,  le  21  mai,  une  convention  par  laquelle  il 
s'engageait  à  évacuer  toute  la  Lombardie ,  à  la  réserve  des 
trois  châteaux  de  Crémone,  Novarre  et  Milan,  s'il  n'était 
pas  secouru  avant  quarante  jours.  Ainsi  toute  l'Italie  fut 
])erdue  pour  les  Français  ;  car  Gènes,  qui  n'était  pas  com- 
prise dans  la  capitulation  de  Lescuns,  (ut  surprise,  le 
30  mai ,  par  les  espagnols ,  et  pillée  avec  la  froide  férocité 
qui  signalait  à  la  guerre  les  soldats  de  cette  nation. 

J.-C.-L.-S.   SiSMONDI. 

BICUSPIDE  (de  bis,  deux,  et  ciispis,  pointe).  En 
anatomie,  on  appelle  doits  Oicuspidccs  les  petite^  molaires. 

En  botanique,  bicuspidé  se  dit  des  feuilles  et  des  autres 
parties  qin  sont  divisées  au  sommet,  de  manière  à  être 
terminées  par  deux  pointes  divergentes. 

liïDASSOA,  petite  rivière  presque  toujours  maréca- 
geuse, qui  prend  sa  source  à  la  cime  du  Bélat,  dans  les  Py- 
rénées; française  à  sa  soin'ce  seulement,  elle  parcourt,  en 
serpentant,  un  arc  sinueux  d'environ  48  kilom.,  sur  le  sol 
espagnol ,  pour  venir,  non  loin  du  lieu  oii  elle  se  jette  dans 
la  mer  de  Biscaye,  tracer,  sur  une  très-faible  étendue,  la 
limite  de  la  France  et  de  l'Espagne,  entre  le  village  de  Hen- 
daye  et  la  place  de  Fontarabie.  Elle  coujie  ainsi  la  route  de 


BICOQUE  —  BIDAULT 


I 


Bayonne  à  Madrid.  On  la  traverse  sur  un  pont  de  bois  an 
delà  du  village  Ijasque  de  Eéliobie.  Près  de  là  apparaissent 
des  îlots ,  derniers  débris  de  Vile  des  Faisans  ou  de  la 
Conférence ,  à  laquelle  on  ne  peut  dire  si  ce  dernier  nom 
vient  de  l'entrevue  de  Louis  Xi  et  de  don  Enrique  de  Cas- 
tille  en  avril  1463,  ou  du  congres  qu'y  tinrent  en  1659  lo 
cardinal  Jlazarin  et  don  Luiz  de  Haro,  et  d'où  résultèrent  le 
traité  de  paix  des  Pyrénées  et  le  mariage  de  Louis  XIV  et 
de  l'infante  Marie-Thérèse,  à  Saint-Jean-de-Luz.  « 

Un  siècle  et  demi  plus  tard  ,  le  G  avril  182.3,  l'avant-garde 
d'une  armée  française,  conmiandée  par  un  descendant  de 
Louis  XIV,  et  marchant,  d'après  les  ordres  de  la  Sainte-Al- 
liance, à  la  destruction  des  libertés  espagnoles ,  parut  sur  U 
rive  droite  de  la  Bidassoa.  Au  même  instant,  deux  cents, 
proscrits  français  ,  après  avoir  fraternisé  à  Irun  avec  le  ré- 
giment espagnol  Impérial-Alexandre ,  se  montrèrent  sur  la 
rive  gauche ,  en  uniforme  de  la  vieille  garde ,  commandés 
par  le  colonel  Caron,  portant  tous  la  cocarde  tricolore,  et 
faisant  flotter  dans  leurs  rangs  le  drapeau  de  l'Empire.  lU 
essayaient  vainement  sept  ans  trop  tôt  le  mouvement  natio- 
nal qui  devait  réussir  à  Paris  dans  les  journées  de  Juillet. 
«Vive  la  France!  vive  l'artillerie I  »  s'écriaient-ils  un.inime- 
ment  en  marchant  vers  la  rivière,  et  tendant  les  bras  à  l'armés 
françai.se,  dont  ils  n'étaient  séparés  que  par  un  étroit  es- 
pace. Il  y  eut  un  moment  d'indécision;  mais  la  voix  du  gé- 
néral Valin  .se  fit  entendre  :  «  A  vos  pièces, artilleurs!  s'é- 
cria-t-il;  à  vos  armes!  voltigeurs!  Feu,  camarades!  vive  le 
roi!  u  Et  une  d^'cliarge  à  mitraille,  soutenue  parla  mousque- 
terie,  abattit  douze  malheureux  proscrits;  huit  expirèrent 
sur  le  coup,  quati'e  furent  emportés  blessés,  quelques  autres 
se  virent  traduits  plus  tard  devant  les  tribunaux  royalistes. 
Déjà  le  pouvoir  d'alors  proclamait  dans  toute  la  France  que 
le  canon  de  In  Bidassoa  avait  tué  la  révolution.  Et  cepen- 
dant ce  succès  avait  tenu  à  bien  peu  de  chose  :  Paimée  qui 
marchait  contre  l'Espagne  comptait  dans  son  sein  près  de  «iix 
mille  chevaliers  de  la  Liberté;  il  n'y  en  avait  pas  moins  de 
mille  dans  la  seule  garde  royale.  Un  moment  d'indécision 
avait  tout  perdu  et  retardé  de  sept  ans  le  retour  du  drapeau 
tricolore. 

BIDAULT  (Joseph-Xavier),  peintre  de  paysages  his- 
toriques, naquit  à  Carpentras,  en  1758.  Il  eut  pour  maître 
son  frère,  Jean-Pierre-Xavier  Bidault,  peintre  de  paysages, 
qui  vécut  et  mourut  à  Lyon  (1814),  et  qui  a  laissé  quelques 
bons  clairs  de  lune  et  de  petites  toiles  représentant  avec 
fidélité  des  oiseaux  et  des  fleurs.  Joseph-Xavier  apprit  de 
son  frère  aîné  à  étudier  la  nature,  car  h  nature  avait  été 
l'unique  maître  du  peintre  lyonnais.  Le  jeune  Bidault  profita 
des  leçons  fraternelles,  et  son  nom  rappelle  l'exactitude  dans 
les  sites.  C'est  l'Italie  et  la  France  que  Bidault  a  exploitées  : 
La  Goi-çed'Allevard,\A  Vue  de  San-Cosnnato,h  Vue  du 
lac  et  de  la  ville  de  Bracciano,  le  Lac  Majeur,  la  Vue 
de  Tivoli  et  de  la  plaine  de  Rome,  sont  les  princi|)aux 
souvenirs  italiens  que  son  pinceau  a  reproduits.  Ceux  dont 
nous  sommes  redevables  aux  promenades  du  peintre  dans 
sa  patrie  sont  :  la  Vue  de  Grenoble  et  de  ses  environs, 
la  Vue d' Ermenonville,  hi  Plaine  d'Ivrij,  la  Vue  du  parc 
de  AeuiUij,  celle  de  la  Fontaine  de  Vaucluse.  La  plupart 
de  ses  paysages  sont  animés  par  des  figures  plus  ou  moins 
importantes  :  ainsi,  dans  la  Vue  de  la  Jontaine  de  Vaucluse 
François  \"  écrit  sur  le  tombeau  de  Laure  des  vers  qu'il 
composa  pour  la  belle  prude  tant  aimée  de  Pétrarque.  Bi- 
dault ne  s'en  est  pas  tenu  à  ces  souvenirs  d'une  exactitude 
scrupuleuse,  à  ces  paysages-portraits.  En  utilisant  ses  études 
nombreuses,  il  a  composé  des  paysages  animes  tantôt  par 
Psyché  et  le  dieu  Pan,  tantôt  par  Daphnis  et  Cbloé,  tantôt 
encore  par  un  prètie  portant  le  viatique  à  la  campagne.  On 
voit  que  Bidault  s'est  inspiré  tour  à  tour  de  la  fable,  de 
l'histoire  et  de  la  vie  actuelle. 

On  disait,  de  1812  à  1828,  belle  époque  de  Bidault,  qu'il 
excellait  à  couqioser  un  paysage,  que  ses  sites  élaient  d'uu 


BIDAULT  —  BÎDDLE 


173 


lieau  carndère;  et  la  mcJaille  d'or  qiii  lui  fiit  décernée  au 
salon  de  1812,  le  deuxième  grand  prix  qu'il  obtint  dans  le 
genre  secondaire,  la  croix  de  la  Lésion  d'Honneur  dont  sa 
boutonnière  resplendit  plus  tard,  enfin  sa  nomination  à  TA- 
cadcniie  des  Beaux-Arts,  où  il  remplaça  Prud'hon,  tout  en 
son  temps  parut  juste  et  naturel.  Aujourd'hui  on  s'étonne 
quelque  peu  de  ces  succès.  On  a  dit,  on  a  même  imprimé 
que  ses  paysages  mythologiques  sont  du  Poussin  manqué  ; 
que  ses  autres  toiles  sont  du  Claude  Lorrain  sans  vie, 
qu'elles  n'offrent  rien  de  hardi  dans  le  pinceau  ni  môme 
d'observé  largement.  C'est  là  sans  doute  un  autre  genre 
d'exagération.  Certes,  le  sentiment  large  et  poétique  n'a  pas 
dans  Bidault  un  puissant  interprète;  sa  couleur  n'a  pas 
non  plus  cet  accent  profond  qui  donne  de  la  valeur  aux 
moindres  détails  ;  mais  il  faut  lui  tenir  compte  de  la  fidélité 
locale  et  du  choix  des  sites  aux(]uels  se  rattachent  d'inté- 
ressants souvenirs,  comme  aussi  d'une  sagesse  dans  l'ordon- 
nance de  ses  tableaux  arrangés  et  d'un  certain  charme  pit- 
toresque. 

Bidault  est  mort  le  20  octobre  1846,  à  Montmorency,  où 
il  vivait  retiré  depuis  longtemps.  Etienne  Arago. 

BIDAUX,  coqis  d'infanterie  de  l'ancienne  milice  fran- 
çaise, sorte  d'aventuriers,  dont  on  faisait  assez  peu  de  cas. 
La  Chronique  de  Flandre  en  parle  au  sujet  de  la  bataille  et 
de  la  prise  de  Fumes  en  1297.  Jean  de  Gare,  qui  s'était 
retiré  dans  cette  ville,  ne  voulait  point  se  rendre;  mais 
les  bidaitx  lui  saillirent  au  col  par  denv'ère,  l'abattirent, 
€t  le  tuèrent.  Guillaume  Guyart,  qui  en  fait  aussi  mention 
sous  les  années  1298,  1302  et  1304,  semble  faire  entendre 
qu'ils  tiraient  leur  origine  des  frontières  d'Espagne. 

De  Navarre  et  devers  Espagne 
Reviennent  bidaux  à  grans  routes. 

Il  paraît,  d'après  le  même  auteur,  que  ces  soldats  portaient 
pour  armes  deux  dards  et  une  lance,  et  un  coutel  à  la 
ceinture ,  d'où  Hocsemius  pense  que  les  bidaux  étaient 
ainsi  appelés  a  binis  dardis,  des  deux  dards  qu'ils  por- 
taient; mais  on  trouve  plus  ordinairement  dans  les  auteurs 
•  bidaux,  bidaldï,  que  bidarii,  et  Hocsemius  est  le  seul  qui 
leur  ait  donné  ce  second  nom  latin,  pour  ra|)proclier  davan- 
tage de  sa  prétendue  étymologie.  Ménage  les  nommQ  pilaux. 
11  paraît  que  les  bidaux  n'étaient  pas  de  fort  boimes 
troupes  ;  souvent  ils  lâchaient  pied,  et  lançaient  leurs  dards 
en  s'enfuyant.  Bidaux  ?"e<rflic/i^,  c'est-à-dire  s'enfuient,  et 
dards  ruent,  dit  le  poète  que  nous  avons  déjà  cité;  et  le 
continuateur  de  Nangis  rend  à  peu  près  le  même  témoi- 
gnage de  leur  bravoure  à  la  bataille  de  Cassel,  où  il  dit  que 
les  bidaux,  s'étant  mis  à  fuir,  selçn  leur  coutume,  causè- 
rent quelque  désordre  dans  l'armée  française. 

6IDDLE  (Nicolas)  ,  financier  célèbre,  président  de  la 
banque  des  États-Unis  et  de  la  banque  de  Pensylvanie ,  na- 
quit le  8  janvier  1786,  à  Philadelphie.  Son  père  était  vice- 
président  de  l'État  de  Pensylvanie,  et  fit  donner  à  ses  neuf 
enfants ,  dont  sept  fils ,  une  éducation  distinguée.  Nicolas 
Biddle  fut  élevé  à  Philadelphie,  puis  à  Princetown,  dans  le 
New-Jersey.  En  1801  il  quitta  ce  collège  pour  se  livrer  à  l'é- 
tude de  la  jurisprudence.  Il  débuta  au  barreau  en  1804,  et 
peu  de  temps  après  il  accompagna  à  Paris  le  général  Arms- 
trong,  nommé  ministre  plénipotentiaire  des  États-Unis  près 
la  cour  des  Tuileries  pour  liquider  l'indemnité  que  le  gou- 
vernement français  s'était  engagé  à  payer  à  divers  négo- 
ciants de  l'Union.  Il  suivit  plus  tard  à  Londres,  en  qualité 
de  secrétaire  de  légation,  Monroe,  alors  plénipotentiaire  des 
Etats-Unis  en  Angleterre,  et  devenu  ensuite  président  de 
l'Union.  En  1807  il  revint  dans  sa  patrie,  s'y  livra  de  nou- 
veau à  la  pratique  du  droit,  et  publia  pendant  quelque 
temps,  en  société  avec  Dennie,un  recueil  périodique  inti- 
tulé :  Portfolio,  rédigé  dans  le  sens  démocratique,  et  qui  fit 
alors  beaucoup  de  sensation.  Dans  les  années  1810  et  1811, 
il  représenta  sa  ville  natale  dans  la  législature  de  la  Pen- 


sylvanie, et  s'y  signala  comme  l'un  des  plus  chauds  partisans 
du  système  dit  américain,  conçu  et  proposé  par  Henry 
Clay.  A  la  fin  de  cette  législature,  il  rentra  dans  la  vie 
privée;  mais  en  1814  la  ville  de  Philadelphie  le  nomma 
sénateur,  et  il  profita  alors  de  sa  nouvelle  position  pour  im- 
primer une  vigoureuse  direction  aux  moyens  de  défense  or- 
ganisés contre  l'Angleterre.  En  1817  le  parti  démocratique 
le  porta  comme  candidat  au  congrès;  mais  il  échoua  à  deux 
reprises  dans  ses  efforts  pour  entrer  dans  le  sein  de  la  repré- 
sentation nationale ,  toujours  repoussé  par  une  majorité  fé- 
déraliste. 

Ce  fut  en  1819  que  pour  la  première  fois  commencèrent 
ses  rapports  avec  la  banque  nationale  des  États-Unis  (  voyez 
Banqce),  en  proie  à  ce  moment  à  la  crise  la  plus  périlleuse. 
Le  congrès  nomma  dans  les  circonstances  les  plus  alarmantes 
Biddle  directeur,  en  même  temps  que  Langdon-Cheves  pré- 
sident de  cet  important  établissement  financier.  Ces  deux 
hommes  étaient  assurément  très-capables;  mais  on  doit  re- 
connaître que  ce  fut  surtout  aux  efforts  et  à  l'activité  de  son 
président  que  la  banque  fut  alors  redevable  de  la  résurrec- 
tion de  son  crédit.  Langdon-Cheves  ayant  résigné  ses  fonc- 
tions en  1821 ,  elles  furent  conférées  à  Biddle,  dont  la  ré- 
putation comme  financier  remplissait  alors  toute  l'Union. 
Les  choses  allèrent  au  mieux  pendant  toute  la  durée  de  la 
présidence  de  Monroe  et  de  celle  de  Quincy  A  dams.  La 
confiance  dans  la  banque  nationale  était  illimitée  ;  mais  ce 
fut  aussi  vers  cette  époque  que  les  directeurs  de  la  banque 
et  Biddle  commencèrent  à  se  mêler  des  affaires  générales  de 
l'État,  à  prendre  des  journaux  à  leurs  gages,  à  solder  des 
écrivains  et  des  publicistes,  et  à  vouloir  influer  sur  l'élec- 
tion du  président  de  l'Union.  Il  en  résulta  une  guerre  ouverte 
entre  la  banque  et  le  parti  démocratique,  guerre  à  la  suite 
de  laquelle  le  général  Jackson  enleva  à  la  banque  des 
États-Unis  le  dépôt  des  fonds  appartenant  à  l'État,  et  refusa 
sa  sanction  à  un  bill  déjà  adopté  par  les  deux  chambres,  et 
renouvelant  le  privilège  de  la  banque. 

Biddle  essaya  alors  de  maintenir  la  banque  des  États- 
Unis  tout  au  moins  comme  banque  provinciale ,  et  dépensa 
des  sommes  immenses  pour  obtenir  un  nouveau  privilège  de 
la  législature  de  Pensylvanie.  Comme  dans  cet  État,  essen- 
tiellement démocratique ,  la  banque  était  généralement  dé- 
testée, il  fallut  pour  se  concilier  l'opinion  publique  faire  des 
sacrifices  sans  nombre  et  de  tout  genre.  Il  n'y  eut  point  de 
compagnie  de  chemin  de  fer,  d'entreprise  de  canal,  de  pont 
ou  de  construction  de  route  qui  n'eût  son  compte  ouvert  à 
la  banque,  laquelle  prêta  des  millions  à  ces  diverses  entre- 
prises, bien  qu'il  fût  facile  de  prévoir  que  jamais  la  moitié 
de  ces  avances  ne  pourrait  rentrer  dans  ses  caisses.  On  es- 
pérait couvrir  ces  pertes  en  obtenant  le  dépôt  des  fonds  ap- 
partenant au  trésor  public  ;  et  les  frais  et  les  pertes  d'aller 
ainsi  toujours  en  augmentant  jusqu'au  moment  où ,  après 
l'élection  de  Van-Durcn  à  la  présidence,  force  fut  à  la  banque 
de  Pensylvanie  de  suspendre  ses  payements. 

Une  des  circonstances  qui  contribuèrent  peut-être  le  plus 
à  cette  catastrophe  fut  une  spéculation  faite  sur  les  cotons 
par  la  banque  avec  un  capital  de  35  millions  de  dollars 
(180  millions  de  francs)  pour  lequel  elle  n'avait  pas  d'em- 
ploi ;  spéculation  qui  excita  la  rivalité  de  la  banque  d'An- 
gleterre, et  qui  aboutit  de  la  manière  la  plus  désastreuse  à 
une  dépréciation  subite  du  cours  des  cotons.  On  a  souvent 
reproché  à  Biddle  d'avoir  entrepris  cette  énorme  spéculation 
uniquement  pour  accroître  sa  popularité  et  se  poser  candidat 
à  la  présidence  en  s'assurant  ainsi  les  suffrages  des  planteurs 
du  sud  et  du  sud-ouest.  Quoi  qu'il  en  puisse  être  de  cette 
accusation,  il  est  évident  que  la  spéculation  reposait  sur  des 
données  fausses,  et  que  Biddle  ou  s'était  exagéré  les  res- 
sources de  la  banque,  ou  avait  trop  compté  sur  la  confiance, 
ou,  pour  mieux  dire,  sur  la  crédulité  publique.  En  1839  il 
quitta  la  direction  des  affaires  de  la  banque,  circonstance 
qui  porta  un  coup  funeste  au  crédit  de  cet  établissement  el 


174 


BIDDLE 


fit  douter  qu'il  pût  jamais  reprendre  le  cours  de  ses  paye- 
ments en  numéraire.  Un  an  plus  tard  en  effet  la  banque 
de  Pensylvanie  fit  ouvertement  faiJliie  (1840),  et  peu  de 
tpuips  après  Biddle  comparaissait  en  justice  sous  la  préven- 
tion de  dol  et  de  fraiide ,  ainsi  que  de  conspiration  contre 
l'État;  mais  le  tribunal  le  renvoya  absous.  Depuis  cette 
époque ,  il  vécut  complètement  étranger  aux  affaires  pu- 
bliques, dans  une  propriété  qu'il  possédait  non  loin  de  Phi- 
ladelphie, et  où  il  mourut  en  1844.  C'était  incontestablement 
un  liomme  d'une  haute  capacité  financière  et  politique;  mais 
il  était  devenu  l'objet  de  l'exécration  populaire. 

BIDEIMT,  genre  de  plantes  de  la  faiiul!e  des  corymbi- 
fères,  dont  les  graines  sont  surmontées  de  deux  dents  très- 
marquées  :  telle  est  ïeupatoire  femelle  ou  chanvre  aqua- 
tique (  bidens  tripartita,  L.  ),  qui  pousse  en  France  natu- 
rellement dans  les  fossés  et  les  lieux  marécageux ,  passe 
pour  sternutatoire,  et  sert,  dans  la  teinture,  à  colorer  en 
jaune. 

lilDEIVTALES,  prêtres  institués  chez  les  Romains 
pour  faire  certaines  cérémonies  et  expiations  prescrites 
lorsque  la  foudre  était  tombée  quelque  part.  La  principale 
consistait  dans  le  sacrifice  d'une  brebis  de  deux  ans,  appe- 
lée en  latin  bidens,  d'où  le  lieu  frappé  de  la  foudre  s'appe- 
lait bidental,  et  les  prêtres  chargés  de  le  purifier  bïdentales. 
Il  n'était  point  permis  de  marcher  dans  ce  lieu  avant  sa  pu- 
rification. On  l'entourait  de  palissades,  et  l'on  y  dressait  un 
autel  pour  le  sacrifice  expiatoire ,  après  lequel  seulement  il 
était  rendu  libre. 

BIDENTÉ,  BIFIDE,  BIPARTI.  Ces  trois  expres- 
sions indiquent  des  degrés  divers  d'une  même  disposition 
d'un  organe.  Ainsi,  un  pétale,  un  sépale,  un  stigmate,  etc., 
est  bidenté  quand  il  présente  à  son  sommet  une  fente 
peu  profonde  qui  le  partage  en  deux  dents;  si  la  fente  s'étend 
à  peu  près  jusqu'au  milieu  de  l'organe,  celui-ci  est  bifide; 
enfin,  il  est  biparti  quand  la  fente,  se  prolongeant  plus 
profondément ,  gagne  presque  la  base. 

BIDET,  cheval  de  petite  taille ,  cheval  de  main ,  cheval 
de  monture.  On  appelle  double  bidet  un  cheval  de  taille 
médiocre  au-dessus  de  celle  du  bidet  ordinaire. 

BIDON  ,  terme  de  marine ,  vaisseau  de  bois ,  ou  espèce 
de  broc,  dont  on  se  sert  sur  mer  pour  mettre  et  distribuer 
la  ration  devin  aux  équipages.  —  On  appelle  aussi  bidonun 
vase  de  ferblanc  dans  lequel  les  soldats  vont  ciiercher  leur 
provision  d'eau. 

BIDPAI  ou  PILPAI.  C'est  le  nom  que  l'on  donne  à 
l'auteur  d'une  collection  de  fables  et  de  récits  qui  sont  ré- 
pandus depuis  plus  de  deux  mille  ans  en  Orient  et  en  Occi- 
dent ,  où  on  les  regarde  comme  le  résumé  de  toute  la  sagesse 
pratique  de  la  vie.  Grûce  aux  redierches  approfondies  de 
Colebrooke,  de  Wilson ,  de  Silvestre  de  Sacy  et  de  Loiseleur 
de  Longchamps  {voir  son  Essai  sur  les  Fables  indiennes, 
Paris,  1838),  on  connaît  maintenant  positivement  l'origine 
de  ce  recueil,  ses  publications  successives,  et  les  transforma- 
tions qu'il  a  dû  subir  à  travers  les  siècles  et  chez  les  diffé- 
rents peuples.  Sa  source  première  est  l'ancien  recueil  de 
fables  indiennes  intitulé  :  Pantchatantra,  qui  a  souvent  été 
traduit,  paraphrasé  et  publié  dans  l'Inde  môme  sous  le  nom 
(THitopadeça.  La  meilleure  édition  critique  est  celle  qu'en 
ont  donnée  A.-G.  de  Schlegel  et  Lassen  (Honn,  1829).  En 
fait  de  traductions,  il  faut  surtout  citer  la  traduction  anglaise 
de  Wilkins  (Londres,  1787)  et  la  traduction  allemande  de 
Muller  (Leipzig,  1844). 

Sous  le  règne  du  roi  de  Perse  Nouschirvan  le  Grand 
(531-579)  le  Pantchatantra  fut  traduit  en  langue  pehhvi 
par  son  médecin  Barsouyé ,  sous  le  titre  de  Kalila  et  Dimna 
(noms  de  deux  chacals  qui  figurent  dans  la  première  fable). 
Cette  traduction  en  langue  polilwi  a  péri,  comme  tout  le  reste 
delà  littérature  profane  de  l'ancienne  Perse;  cPiwndanf  elle  fut 
traduite  en  arabe  sous  le  règne  du  khalife  Almansour  (75i- 
775),  par  Abdallah- Ibn-Almokaffa,  mort  en  700  (publiée  i 


CÏDPAI 

par  Silvestre  de  Sacy,  Paris,  181G;  puis  an  Caire,  1936; 
en  allemand,  par  Holomboe,  Christiania,  1832,  et  par 
Woif,  Stuttgard,  1837  ).  Cette  traduction  arabe  est  la  source 
de  toutes  les  traductions  et  imitations  difiérentes  qui  cir- 
culent aujourd'hui  en  Orient  et  en  Occident.  Dans  son  in- 
troiluction,  le  traducteur  arabe,  Abdallah-Iba-Almokalfa , 
nomme  l'auteur  du  recueil  Bidpai,  chef  des  philosophes  in- 
diens; et  sa  traduction  est  le  texte  que  plusieurs  poètes 
arabes  ont  ou  mis  en  vers,  par  exemple  :  Abdelmoumin- 
Ibn-Hassan  {Les  Perles  des  sages  doctrines),  ou  imité,  par 
exemple  :  Abou-Iaali-al-Habariya,  mort  en  1115  {Celui  qui 
crie  fort  et  celui  qui  parle  à  haute  voix  ). 

Le  plus  ancien  poète  de  la  littérature  moderne  persane, 
Roudeji,  mort  en  914,  en  a  faille  sujet  d'une  grande  épopée 
d'animaux.  Il  en  existe  d'ailleurs  dans  la  nouvelle  prose  per- 
sane de  nombreuses  imitations,  savoir  :  celles  d'Abou'l-.Maali- 
Nar-Allah  (vers  1150),  de  Hosséin-Ben-Ali ,  surnommé  Al» 
Vaez  (publiée  vers  la  fin  du  quinzième  siècle,  sous  le  titre 
(VAnvdhri  Souhaili,  ce  qui  veut  dire  :  Lumières  de  Canopc 
[Calcutta,  1805;  Bombay,  1824];  en  français  par  David- 
Sahid  [Paris,  1G44],  et  d'Aboii'l-FasI  (publiée en  1590,  sons 
le  titre  (TAyydri  ddnish,  ce  qui  veut  dire  :  Pierre  de 
touche  de  la  sagesse).  L'ouvrage  fut  traduit  en  turc  d'après 
la  traduction  d'Al-Vaez,  par  Ali  Tschelebi,  vers  l'an  1540, 
sous  le  titre  de  Homayoun  Nameh,  ce  qui  veut  dire  : 
Livre  impérial,  Boulak,  1735  (traduit  en  français  par  Gal- 
land;  Paris  ,  1778).  Le  recueil  a  en  outre  été  traduit  dans 
les  langues  malaise ,  mongole  et  afghane. 

La  traduction  arabe  d'Ibn-Almokaffa  servit  à  répandre 
l'ouvrage  dans  tout  l'Occident,  et  vers  la  fin  du  onzième 
siècle  il  fut  traduit  en  grec  par  Siméon  Seihus,  sous  le  titre 
de  I-reyavir/iç  xoù  iyvY;),âTri; ,  ce  qui  veut  dire  :  Celui  qui  est 
couronné  par  la  victoire,  et  celui  qui  clierche  (publié  par 
Stark  ;  Berhn,  1697).  Un  siècle  plus  tard,  il  en  parut  une 
traduction  en  langue  hébraïque,  par  le  rabbin  Joël ,  que  Jean 
de  Capoue,  juif  converti,  traduisit,  dans  la  dernière  moitié 
du  treizième  siècle ,  sous  le  titre  de  :  Directorium  humanx 
Vitx  (  V^  édit. ,  1480).  Eberhard  1",  duc  de  Wurtemberg, 
mort  en  1325 ,  en  donna  une  traduction  allemande,  sous  le 
titre  de  :  Exemples  des  anciens  Sages  (Ulm,  1483). 

Le  travail  d'Ibn-Almokaffa  fut  aussi  traduit  en  Espagne, 
sous  le  règne  d'Alphonse  X  (1251),  en  langue  castillane; 
puis  de  nouveau  en  latin  par  Raymond  de  Béziers,  savant 
médecin ,  sur  l'ordre  de  la  reine  Jeanne  de  Navarre,  épouse 
du  roi  Philippe  le  Beau.  Les  traductions  de  Jean  de  Capoue 
et  de  Raymond  de  Béziers  ont  servi  de  texte  original  aux 
différentes  traductions  publiées  dans  les  langues  modernes 
de  l'Europe  :  en  espagnol  (Burgos,  1498),  en  italien  (Flo- 
rence, 1548),  en  français  (Lyon,  1556), en  anglais  (1570), 
en  hollandais  (Amsterdam  ,  1623  ) ,  en  danois  (Copenhague, 
1618),  en  suédois  (Stockholm,  1743);  en  allemand  (tra- 
duction la  plus  récente,  Leipzig,  1802,  et  Eisenach,  1803). 

On  a  souvent  confondu  le  recueil  de  Bidpai  avec  le  livre 
populaire  des  Sept  Maîtres  sages. 

[  On  ne  sait  rien  de  bien  certain  sur  Bidpai.  Cependant 
voici  ce  que  raconte  Ali-Ben-Alchah-Faresi  sur  l'auteur  du 
livre  de  Calila  et  Dimma,  ouvrage  qu'il  a  fait  passer 
dans  la  langue  arabe  :  «  Alexandre  venait  d'achever  la  con- 
quête de  l'Inde;  le  roi  Four,  vaincu,  avait  cédé  son  trône 
à  l'un  des  officiers  d'Alexandre.  Mais  bientôt  le  vainqueur 
s'éloigna ,  et  les  Indiens ,  mettant  à  profit  le  repos  qu'il  leur  „ 
laissait,  renvoyèrent  l'élu  d'Alexandre ,  et  choisirent  à  sa  i 
place,  pour  les  gouverner,  Dabschelim,  de  race  royale. 
Dahschclim  ne  se  vit  pas  plus  lot  maître  du  souveraui  |iou- 
voir  qu'il  se  livra  à  toutes  ses  passions,  et  commit  à  l'en- 
droit de  ses  sujets  les  actes  de  la  plus  cruelle  tyrannie.  Or,  en 
ce  temps-là  vivait  un  brahmane  fort  sage,  fort  savant  et  en 
grande  estime  par  foute  l'Inlc.  Ce  brahmane  avait  nom  1 
Bidpai.  Après  avoir  assemblé  ses  disciples,  il  leur  repré-  1 
senta  combien  la  conduite  de  Dabschelim  était  odieuse.  «  il 


À 


BIDPAl  —  BIELSKI 


175 


«  est  (le  votre  devoir,  leur  dit-il,  d'éclairer  le  roi,  et  de 
X  lui  laire  comprendre  les  périls  où  il  nous  précipite.  Ce  n'est 
«  pas  avec  la  force  et  la  violence  que  nous  parviendrons  à 
«  le  convaincre;  la  ruse  peut  nous  aider  utilement.  «  Comme 
les  disciples  de  Bidpaï  semblaient  douter  que  le  succès  fût 
possible  môme  avec  la  ruse,  le  savant  brahmane  imagina  la 
fable  des  grenouilles  qui,  à  l'aide  des  oiseaux,  viennent  à 
bout  de  se  venger  de  l'éléphant ,  qui  les  écrasait  sous  ses 
pieds.  Ses  disciples ,  à  ce  qu'il  paraît ,  eurent  peu  de  con- 
irance  en  la  moralité  de  cet  apologue,  et  ils  refusèrent  net 
d'être  les  oiseaux  qui  vengeraient  les  grenouilles  des  injures 
de  l'éléphant.  Le  brahmane ,  indigné  de  leur  refus ,  se  dé- 
cida à  affronter  seul  la  colère  du  roi.  Il  entre  dans  le  palais 
du  tyran  ;  Dabschelim  s'étonne,  car  un  long  temps  s'écoule, 
et  le  brahmane ,  les  bras  croisés  sur  sa  poitrine ,  la  tète  pen- 
chée, garde  un  profond  silence.  «  Pourquoi  ne  parlcs-tu 
«  pas?  »  lui  demande  enfin  Dabschelim.  «  Grand  roi,  répond 
n  Bidpaï,  les  sages  m'ont  instruit  à  me  taire.  »  Cela  dit,  le 
brahmane  adresse  au  roi  toutes  les  remontrances  que  lui  a 
méritéessaconduitedepnislejouroùilest  monté  sur  le  trône. 
Le  roi  l'ocoute  avec  impatience  ;  mais  le  courageux  brahmane 
n'en  continue  pas  moins  de  lui  reprocher  sa  tyrannie.  Dab- 
schelim, outré  de  colère,  ordonne  qu'on  le  mette  en  croix. 
■<  Tu  périras!  »  s'écrie-t-il.  La  voix  temble  du  tyran  n'a  pas 
fait  trembler  le  brahmane.  U  se  laisse  entraîner  à  la  mort. 
Mais,  par  bonheur,  le  roi  se  ravise.  «  Je  lui  fais  grâce  de  la 
«  vie,  dit-il  à  ses  gardes;  qu'on  le  jette  dans  un  cachot!  » 

«  Bien  longtemps  après ,  une  nuit  que  Dabschelim  ne  pou- 
vait dormir,  il  se  mit  à  chercher  la  cause  de  l'univers.  Il 
pensa  aux  étoiles,  au  soleil,  à  la  lune,  et  ne  put  se  rendre 
compte  de  toutes  ces  merveilles.  Bidpaï  lui  revint  en  mé- 
moire, et  il  l'envoya  chercher.  Le  brahmane  venu,  Dabsche- 
lim lui  demanda  comment  et  pourquoi  avait  été  fait  l'uni- 
vers. Les  réponses  de  Bidpaï  furent  si  sages,  si  concluantes, 
que  le  roi,  charmé,  voulut,  après  l'avoir  délivré  de  ses 
chaînes,  lui  confier  l'administration  de  son  empire.  Le  braii- 
\mne  hésita  beaucoup  à  prendre  cette  charge  périlleuse , 
mais,  vaincu  par  les  instances  du  roi,  il  consentit.  L'InJe 
fut  heureuse. 

Cet  événement  remontait  déjà  à  plusieurs  années,  lorsque 
le  roi,  voyant  son  règne  tranquille, Rongea  à  le  remplir  de 
gloire  comme  avaient  été  précédemment  remplis  de  gloire  les 
règnes  des  souverains  ses  ancêtres.  «  Les  rois  mes  prédéccs- 
'<  seurs,  dit-il  au  brahmane,  ont  été  célèbres  par  les  grandes 
"  et  merveilleuses  choses  qui  furent  écrites  sous  leur  règne. 
«  Je  veux  être  célèbre  comme  eux.  Fais  un  livre  qui  puisse 
«  me  couvrir  d'une  illustration  éternelle.  Je  te  donne  un  an 
«  pour  accomplir  cette  glorieuse  tâche.  «  Le  brahmane  s'em- 
pressa d'obéir.  Knfermé  dans  sa  maison  avec  un  de  ses  disci- 
ples, il  lui  dictait  et  revoyait  à  mesure  tout  ce  que  celui-ci 
venait  d'écrire.  C'est  de  cette  façon  que  l'ouvrage  fut  fait.  U 
le  composa  de  quatorze  chapitres,  dont  chacun  renfermait 
une  question,  suivie  d'une  réponse.  Après  quoi  tous  les  cha- 
pitres étant  réunis  dans  un  seul  livre ,  il  nomma  ce  recueil 
Cailla  et  Dimna.  Une  foule  d'animaux  de  toute  espèce  y 
jouaient  un  rôle,  parlant  et  discutant  sur  les  choses  du  gou- 
vernement et  de  la  vie.  Bidpaï  s'était  servi  de  cette  enveloppe 
pour  faiie  parvenir  la  vérité  aux  hommes.  Le  roi,  fort  con- 
tent de  cet  ouvrage,  demanda  au  brahmane  quelle  récom- 
pense il  voulait  obtenir?  «  Je  ne  souhaite  qu'une  chose,  ré- 
pondit Bidpaï ,  c'est  que  mon  livre  prenne  place  à  côté  des 
livres  qui  ont  illustré  les  règnes  de  vos  ancêtres;  c'est  qu'on 
le  garde  comme  un  trésor,  de  peur  qu'il  ne  tombe  entre  les 
mains  des  Perses.  >• 

Dix-huit  fables  de  La  Fontaine  sont  des  imitations,  plus 
ou  moins  rapprochées  des  fables  de  Bidpaï.  ^'ous  citerons 
entre  autres  :  Les  Deux  Amis ,  La  Lionne  et  l'Oins,  Les 
deux  l'crroqucls,  Le  Roi  et  son  Fils ,  La  Souris  méta- 
morphosée en  fille,  La  Torlite  et  les  deux  Canards,  Le 
Marchand,  le  Gentilhomme  et  le  Fils  de  roi.  Quelques 


orientalistes  ont  même  découvert  dans  Bidpaï  la  fable  des 
Deux  Pigeons.  E.  de  Vall.4.belle.] 

BIEF  ou  BIEZ,  canal  élevé  qui  conduit  l'eau  sur  une 
roue  hydraulique.  Son  nom  lui  vient ,  suivant  la  plupart  des 
étymologistes,  de  ce  qu'il  est  ordinairement  incliné  ou  biaisé. 

L'intervalle  entre  deux  écluses  ou  barrages  d'un  canal 
poi1e  aussi  le  nom  de  bief.  Quand  le  canal  traverse  une 
chaîne  de  montagnes ,  les  biefs  montent  par  échelons  sur 
(es  deux  versants  jusqu'au  bief  de  partage,  point  culminant 
du  canal.  Voyez  Canal. 

lilEL  (Grotte  de) ,  nom  d'une  très-curieuse  cavité  natu- 
relle, située  dans  le  Harz,  duché  de  Brunswick,  non  loin 
de  la  grotte  deBaumann,  sur  la  rive  droite  de  la  Bode, 
dans  une  montagne  appelée  Bielstein.  Elle  fut  découverte 
en  1762 ,  et  en  1788  un  certain  Becker  en  fit  disposer  l'entrée 
de  manière  à  la  renJre  plus  commode  aux  visiteurs.  Cette 
entrée  est  à  38  mètres  environ  au-dessus  de  la  rivière. 

La  grotte  de  Biel  se  compose  de  onze  salles  séparées. 
Parmi  les  figures  bizarres  qu'y  forment  les  stalactites ,  on 
remarque  surtout  le  grand  orgue  de  la  huitième  grotte,  et 
la  mer  en  courroux  de  la  neuvième.  C'est  sur  le  Bielstein 
que  l'on  adorait ,  dit-on ,  dans  les  anciens  temps  l'idole  de 
Biel ,  dont  saint  Boniface  fit  détruire  l'image. 

BIÉLA  (  Comète  de  ).  Voyez  Comète. 

BÏELEFELD ,  chef-lieu  de  cercle  de  l'arrondissement 
de  Paderborn ,  dans  la  province  de  Weslphalie,  sur  le 
chemin  de  fer  de  Cologne  à  îNIinden  et  au  pied  de  la  forêt  de 
Teutobourg,  avec  dix  mille  habitants.  Les  entrons  de  cette 
ville  dépendaient  autrefois  du  comté  de  Ravensberg,  qui  en 
1G09  passa  sous  la  souveraineté  de  Brandebourg.  Bielefeld 
est  le  grand  centre  de  l'industrie  linière  de  la  Prusse;  aussi 
la  culture  et  la  filature,  le  tissage  et  le  blanchissage  du  lin 
constituent-ils  les  principales  industries  de  la  population. 
La  fabrique  de  Bielereld  livre  chaque  année  à  la  consom- 
mation plus  de  soixante-dix  mille  pièces  de  toile  fine  et 
damassée.  Il  existe  aussi  dans  cette  ville  des  fabriques  de 
soie,  de  cuir  et  de  tabac,  etc.  Elle  est  le  siège  d'un  tribunal  de 
cercle ,  d'une  chambre  de  commerce ,  et  d'une  société  d'a- 
griculture. On  y  trouve  trois  églises  protestantes,  une 
église  catholique,  un  gymnase,  une  école  industrielle  et 
plusieurs  auties  établissements  d'instruction  publique.  La 
ville  est  couronnée  par  des  hauteurs,  sur  l'une  desquelles 
s'élève  un  vieux  château  fort,  construit  au  temps  des  luttes 
entre  Henri  le  Lion  et  Frédéric  Barberousse  ,  appelé  Spar- 
renburg ,  et  servant  aujourd'hui  de  pénitentiaire.  L'autre, 
le  Joannisberg,  a  été  transformée  en  un  parc  charmant.  De 
l'une  et  de  l'autre  on  jouit  d'une  vue  délicieuse  sur  une  vaste 
plaine  parfaitement  cultivée  et  couverte  d'habitations. 

BIELLE.  On  appelle  ainsi,  en  mécanique,  une  pièce  de 
fer  employée  le  plus  souvent  pour  les  transmissions  de  mou- 
vements circulaires  et  tournant  dans  l'œil  d'une  manivelle, 
laquelle,  à  chaque  tour,  fait  faire  un  mouvement  de  vibra- 
tion à  un  valet  placé  sur  un  essieu ,  en  le  tirant  à  soi  ou  en 
le  poussant  en  avant.  Il  y  a  des  bielles  pendantes  attachées 
aux  extrémités  d'une  pièce  de  bois.  Elles  sont  accrochées 
par  une  des  extrémités  à  un  valet,  et  par  l'autre  à  im  des 
bouts  du  balancier. 

La  meule  du  rémouleur  offre  un  exemple  vulgaire  de 
manivelle  fixée  au  centre  de  la  meule,  et  recevant  un  mou- 
vement ciiculaire  continu  au  moyen  d'une  bielle  attachée 
à  la  fois  à  la  manivelle  et  à  la  pédale,  à  laquelle  le  pied  du 
rémouleur  imprime  un  mouvement  circulaire  alternatif. 
C'est  aussi  au  moyen  d'une  bielle  que  le  mouvement  recti- 
ligne  du  piston  d'une  machine  à  vapeur  est  transmis  aux 
roues  des  locomotives  et  transformé  en  iiiouvement  circulaire. 
BIELSKI  (Marcin),  ancien  historien  de  la  Pologne, 
né,  vers  Tan  U93  ,  dans  le  domaine  de  Biala,  appartenant 
à  son  |)ère,  et  situé  dans  le  district  de  Siéradz,  passa  sa 
jeunesse  à  la  cour  du  voivode  Kraita ,  entra  plus  tard  au 
service   et  assista  en  1531  à  la  glorieuse  bataille  d'Obertyn, 


176 


BIELSKI  —  BIEN 


dans  laquelle  le  prince  de  Valachie  fut  vaincu  par  l'helmann 
Tarnowski.  Il  revint  plus  tard  se  fixer  à  Biala,  où  il  mourut, 
en  1575.  Il  est  l'auteur  de  deux  poèmes  satiriques.  Dans 
l'un,  intitulé  :  Sen  Majoivij  (Craco^ie,  15i)0),  il  décrit 
les  déchirements  de  la  Hongrie,  cl,  dans  un  rêve  allégo- 
rique, prédit  à  sa  nation  le  même  sort,  si  les  mœurs  pu- 
bliques ne  deviennent  pas  plus  chevaleresques;  dans  l'autre, 
dont  le  titre  est  :  Seym  Aiewiesci  (Cracovie,  1595),  il  dé- 
peint en  termes  éloquents  l'état  déplorable  où  se  trouvait 
alors  la  Pologne.  Sa  Spraioa  rycerska  (Cracovie  ,  1569), 
contenant  les  règles  de  l'art  de  la  guerre  d'après  les  écri- 
vains anciens  et  modernes ,  et  faisant  connaître  comment 
on  menait  alors  la  guerre  en  Pologne  et  dans  les  pays  voi- 
sins ,  est  un  ouvrage  d'un  haut  intérêt.  Mais  c'est  surtout 
par  ses  chroniques  que  Bielsld  est  devenu  célèbre;  elles 
font  époque  pour  la  formation  de  la  prose  polonaise,  et 
sont,  à  bien  dire,  les  premiers  ouvrages  historiques  qu'ait 
eus  la  littérature  polonaise.  Sa  Kronika  swiata  (  Cracovie, 
1 5J0  et  1554  ),  histoire  universelle,  qui  remonte  à  la  création 
et  conduit  le  lecteur  jusqu'au  temps  où  vivait  l'écrivain , 
est  le  résumé  d'une  foule  d'autres  historiens. 

BIELSKI  (JoAcniM),  fils  du  précédent,  après  avoir  fait 
ses  études  à  l'académie  de  Cracovie,  entra  au  service,  et 
fit  les  campagnes  d'Etienne  Bathori  contre  Dantzig  et  la 
P.ussie.  Dans  les  premières  années  du  règne  de  Sigismond  III, 
il  fut  secrétaire  de  ce  prince ,  et  devint  ensuite  député  au 
tribunal  de  Lublin.  Jaloux  de  perpétuer  le  nom  de  son 
père,  il  publia  non-seulement  ses  poèmes  satiriques,  mais 
encore  sa  Kronika  Polska  (Cracovie,  1597),  restée  ma- 
nuscrite et  augmentée  d'un  supplément  qui  la  conduit  jus- 
qu'au règne  de  Sigismond  III;  ouvrage  qui,  bien  que  por- 
tant le  nom  du  père,  serait  presque  entièrement,  à  en  croire 
Ossolinski ,  l'œuvre  du  fils  tout  seul.  Le  style  en  est  beau- 
coup plus  formé ,  et  l'exposition  des  faits  ,  qui  non-seule- 
ment est  calquée  sur  les  chroniques  latines,  mais  contient 
aussi  beaucoup  de  faits  nouveaux,  en  est  impartiale  et 
exacte. 

La  franchise  dont  ont  fait  preuve  les  deux  Bielski ,  sur- 
tout en  ce  qui  touche  les  affaires  de  l'Église,  les  rendit 
suspects  d'hérésie  :  aussi  kurs  chroniques  furent-elles  inter- 
dites et  anathématisées  en  1617,  par  l'évoque  de  Cracovie; 
circonstance  qui  explique  pourquoi  elles  sont  devenues  si 
rares. 

BIEN.  Ce  mot  sert  à  exprimer  plusieurs  idées.  Le  bien, 
dans  son  acception  la  plus  générale,  le  bien  absolu,  c'est 
l'accomplissement  régulier  et  harmonieux  de  toutes  les  lois 
qui  régissent  l'univers ,  c'est  l'ordre  sage  et  bienfaisant  qui 
préside  à  l'ensemble  des  piiénomènes  dont  la  succession 
et  l'enchaînement  constituent  la  nature.  Le  bien  difl'èie  du 
vrai  en  ce  que  le  vrai  est  la  pensée  même  des  lois  et  de 
l'ordre ,  et  que  le  bien  eu  est  l'accomplissement.  Ainsi , 
dans  la  pensée  du  Créateur,  la  terre  doit  tourner  autour  du 
soleil ,  les  corps  doivent  s'attirer  en  raison  inverse  du  carré 
de  leur  distance ,  l'homme  ne  doit  pas  nuire  à  son  sem- 
blable et  lui  prêter  assistance  :  voici  le  vrai.  l\Iais  si  nous 
considérons  ces  pensées  du  Créateur  ou ,  si  l'on  veut,  ces 
lois  de  la  nature  recevant  leur  exécution ,  ce  ne  sera  plus 
seulement  le  vrai,  ce  sera  le  bien.  Ainsi,  il  est  bien  que  la 
terre  accomplisse  sa  révolution  autour  du  soleil,  bien  que 
l'homme  porte  secours  aux  maux  de  son  semblable ,  etc.  Le 
bien  est  donc  la  mise  en  œuvre  delà  pensée  suprême,  la 
réalisation  du  vrai.  Le  principe  du  vrai  est  dans  la  sagesse 
éternelle,  celui  du  bien  dans  la  puissance  dont  cette  sagesse 
est  armée  pour  réaliser  ses  pensées. 

L'homme  ne  peut  connaître  le  bien  dans  tout  son  déve- 
loppement ,  il  sait  seulement  qu'il  existe  ;  de  même  qu'il  ne 
peut  connaître  le  vrai  dans  toute  son  étendue,  à  cause  des 
bornes  de  son  intelligence;  mais  de  même  aussi  qu'il  lui 
suffit  de  voir  un  seul  côté  de  la  vérité  pour  s'élever  aussitôt 
à  son  principe ,  pour  affirmer  son  immobilité  et  sa  sagesse, 


et  pour  étendre  ensuite  son  affirmation  à  tout  ce  qu'il  ne 
connaît  pas  comme  à  tout  ce  qu'il  connaît,  de  même  il  lui 
suffit  de  voir  un  seul  exemple  de  bien  pour  s'élever  à  l'idée 
de  bien  en  général ,  pour  affirmer  que  la  sagesse  bienveil- 
lante du  Créateur  préside  à  l'ensemble  de  l'univers.  Voilà 
comme  il  se  forme  l'idée  du  bien  absolu ,  au  moyen  de  la 
raison ,  qui  généralise. 

Le  bien  d'un  être  en  particulier,  c'est  l'accomplissement 
régulier  et  sans  obstacle  de  la  fin  pour  laquelle  cet  être  a 
été  créé.  Ainsi ,  le  bien  pour  une  plante,  c'est  son  dévelop- 
pement facile  et  complet;  le  bien  pour  un  organe,  c'est 
l'accomplissement  régulier  de  ses  fonctions  ;  le  bien  pour 
un  animal ,  c'est  la  satisfaction  de  tous  les  besoins  que  la 
nature  a  mis  en  lui  ;  le  bien  pour  l'homme ,  c'est  le  déve- 
loppement régulier  et  harmonieux  de  ses  lacultés  physiques, 
intellectuelles ,  affectives  et  morales ,  développement  qui  a 
pour  but  l'accomplissement  de  sa  destinée ,  c'est-à-dire  son 
bien. 

On  voit  par  là  que  l'idée  du  bien  absolu  ne  diffère  de 
l'idée  du  bien  particulier  que  du  plus  au  moins.  Le  bien 
d'un  être,  c'est  toujours  l'accomplissement  régulier  des  lois 
qui  président  au  développement  de  cet  être,  et  qui  doivent 
le  conduire  à  sa  fin.  La  somme  de  tous  les  biens  particu- 
liers doit  donner  le  bien  absolu ,  c'est-à-dire  l'accomplisse- 
ment régulier  de  toutes  les  lois  de  l'univers;  seulement, 
il  ne  nous  est  point  possible  de  connaître  jamais  la  totalité 
de  cette  somme ,  tandis  que  nous  pouvons  connaître  quel- 
ques-unes de  ses  parties. 

On  peut  remarquer  aussi  pourquoi  l'homme  confond  l'idée 
de  son  bien  avec  celle  de  son  bonheur.  C'est  qu'en  effet  la 
nature  a  attaché  un  vif  sentiment  de  plaisir  à  la  satisfaction 
de  chacun  de  ses  besoins,  et  que  l'homme  le  plus  réelle- 
ment heureux  est  celui  qui  satisfait  ses  penchants  les  plus 
importants  et  se  développe  de  la  manière  la  plus  conforme 
à  sa  destinée.  Le  bonheur  n'est  pas  identique  avec  le  bien, 
il  en  est  le  résultat  et  le  complément.  Jlais  l'homme  les  a 
confondus  dans  sa  pensée,  parce  que  l'un  le  conduit  à 
l'autre.  Aussi  se  trompe-t-il  toujours  en  poursuivant  le 
bonheur,  s  il  ne  le  cherche  pas  dans  son  bien ,  c'est-à-dire 
dans  la  satisfaction  des  besoins  les  plus  nobles  et  les  plus 
essentiels  de  sa  nature,  dans  l'accomplissement  de  sa  loi 
dernière,  et  s'il  prend  pour  le  bonheur  les  plaisirs  que  pro- 
cure la  satisfaction  d'un  besoin  moins  important ,  et  qui 
peuvent  entraver  le  développement  de  ses  facultés  princi- 
pales, empûcher  l'accomplissement  de  sa  véritable  destinée, 
c'est-à-dire  son  bien ,  et  par  conséquent  son  bonheur. 

11  est  encore  facile  d'expliquer  pourquoi  on  appelle  du 
nom  de  biens  les  richesses  de  toute  nature  qui  sont  en  la 
possession  de  l'homme  :  c'est  que  ces  richesses  sout  pour  lui 
des  moyens  de  développement,  et  que  les  ressources  dont 
elles  accroissent  sa  puissance  peuvent  l'aider,  s'il  sait  en 
faire  usage,  à  accomplir  plus  aisément  les  lois  de  la  nature, 
c'est-à-dire  son  bien.  Ainsi,  c'est  le  moyen  auquel,  par 
analogie ,  on  a  donné  le  nom  de  la  fin  elle-même. 

Le  mol  ^ie«  a  encore  une  autre  acception,  la  pi  us  importante 
de  toutes  :  nous  voulons  parler  du  bien  moral  (  xquum , 
honestum),  et  que  nous  définirons  :  l'accomplissement  du  de- 
voir. Le  bien  moral  ne  diffère  du  bien  en  soi  que  parce  qu'il 
est  imputable  à  l'homme  lui-même ,  qui  l'accompht  libre- 
ment, lin  effet,  quand  l'homme  pratique  le  bien  (  hones- 
tum ),  il  ne  fait  autre  chose  qu'exécuter  les  lois  de  la  na- 
ture et  réaliser  la  pensée  du  Créateur,  que  sa  conscience  et 
sa  raison  lui  révèlent,  et  dont  il  lui  a  réservé  l'accomplisse- 
ment. Seulement,  il  y  a  cette  différence  entre  le  bien  qui 
s'accomplit  directement  par  le  fait  de  la  nature  et  le  bien  qui 
s'acccomplit  par  le  fait  de  l'homme,  que  c'est  à  l'activité  hu- 
maine qu'a  été  confiée  l'exécution  d'un  grand  nombre  de 
lois,  et  (juc  ces  lois  ne  s'exécutent  qu'autant  que  l'hoiiime  se 
prêle  et  consent  librement  à  le  faire.  Ainsi ,  le  bien  moral 
n'est  aulre  chose  que  le  bien  fait  sciemment  et  librement 


BIEN 

par  l'homme.  Ainsi,  c'est  une  loi  de  la  nature  que  Tintelli- 
gence  d'un  individu  se  développe  en  raison  des  moyens  qui 
lui  sont  fournis  et  du  but  particulier  auquel  il  est  appelé  ; 
c'est  une  loi  de  la  nature  que  la  mère  nourrisse  son  enfant 
et  lui  procure,  pour  opérer  son  développement  physique  et 
moral,  toutes  les  ressources  qu'il  ne  possède  pas  par  lui- 
même.  Mais  ces  lois  ne  recevront  leur  exécution  qu'autant 
que  l'homme  les  connaîtra,  et  emploiera  son  activité  à  en  as- 
surer l'accomplissement.  Le  bien  en  soi  est  hors  de  l'homme, 
le  bien  moral  seul  lui  appartient;  il  constitue  son  mérite, 
car  l'homme  qui  fait  le  bien  concourt  avec  le  Créateur  à 
effectuer  les  lois  qu'a  établies  la  sagesse  éternelle  ;  il  devient 
le  réalisateur  de  la  pensée  suprême.  Remarquons,  en  termi- 
nant, que  ce  qui  rend  le  bien  obligatoire  pour  l'homme,  c'est 
précisément  parce  qu'il  consiste  dans  des  lois  qui  ne  sont 
point  son  ouvrage,  qui  préexistent  dans  la  pensée  de  l'au- 
teur de  la  nature,  et  qu'il  a  seulement  reçu  mission  d'accom- 
plir librement,  par  un  privilège  qui  en  fait  la  plus  noble  de 
toutes  les  créatures.  C.-M.  Paite. 

BIEIV  (  Souverain).  Le  bonheur  est  une  idée  abstraite 
composée  de  quelques  sensations  de  plaisir.  Platon ,  qui 
(Clivait  mieux  qu'il  ne  raisonnait,  imagina  sou  monde  ar- 
chétype, c'est-à-dire  son  monde  original,  ses  idées  générales 
du  beau,  du  bien,  de  l'ordre,  du  juste,  comme  s'il  y  avait 
(les  êtres  éternels  appelés  ordre,  bien,  beau,  juste,  dont  dé- 
rivassent les  faibles  copies  de  ce  qui  nous  parait  ici-bas 
juste,  beau  et  bon. 

C'est  donc  d'après  lui  que  les  philosophes  ont  recherché  le 
soîiverain  bien,  comme  les  chimistes  cherchent  la  pierre 
philosophalejmaislesouverainbien  n'cxistepas  plus  que 
le  souverain  carré  ou  le  souverain  cramoisi  :  il  y  a  des  cou- 
leurs cramoisies,  il  y  a  des  carrés,  mais  il  n'y  a  point 
d'être  général  qui  s'appelle  ainsi.  Cette  chimérique  manière 
de  raisonner  a  gâté  longtemps  la  philosophie. 

Les  animaux  ressentent  du  plaisir  à  faire  toutes  les  fonc- 
tions auxquelles  ils  sont  destinés.  Le  bonheur  qu'on  ima- 
gine serait  une  suite  non  interrompue  de  plaisirs  :  une  telle 
série  est  incompatible  avec  nos  organes  et  avec  notre  des- 
tination. Il  y  a  un  grand  plaisir  à  manger  et  à  boire,  un 
plus  grand  plaisir  est  dans  l'union  des  deux  sexes  ;  mais  il 
est  clair  que  si  l'homme  mangeait  toujours  ou  était  tou- 
jours dans  l'extase  de  la  jouissance,  ses  organes  n'y  pour- 
raient suffire;  il  est  encore  évident  qu'il  ne  pourrait  remplir 
les  destinations  de  la  vie,  et  que  le  genre  humain  en  ce  cas 
périrait  par  le  plaisir. 

Passer  continuellement,  sans  interruption,  d'un  plaisir  à 
un  autre,  est  encore  une  autre  chimère.  Il  faut  que  la  femme 
qui  a  conçu  accouche,  ce  qui  est  une  peine;  il  faut  que 
l'homme  fende  le  bois  et  taille  la  pierre,  ce  qui  n'est  pas  un 
plaisir. 

Si  on  donne  le  nom  de  bonheur  à  quelques  plaisirs  répan- 
dus dans  cette  vie,  il  y  a  du  bonheur  en  effet  ;  si  on  ne  donne 
ce  nom  qu'à  un  plaisir  toujours  permanent,  ou  à  une  file 
continue  et  variée  de  sensations  délicieuses,  le  bonheur  n'est 
pas  fait  jiour  ce  globe  terraqué  :  cherchez  ailleurs. 

Si  on  appelle  bonheur  une  situation  de  l'homme,  comme 
des  richesses,  de  la  puissance  ,  de  la  réputation ,  etc.,  on  ne 
se  trompe  pas  moins.  Il  y  a  tel  charbonnier  plus  heureux 
•que  tel  souverain.  Qu'on  demande  à  Cromwell  s'il  a  été  plus 
content  quand  il  était  protecteur  que  quand  il  allait  au  ca- 
baret dans  sa  jeunesse,  il  répondra  probablement  que  le 
temps  de  sa  tyrannie  n'a  pas  été  le  plus  rempli  de  plaisirs. 
Combien  de  laides  bourgeoises  sont  plus  satisfaites  qu'Hé- 
lène et  que  Cléopâtre  ! 

11  n'appartient  certainement  qu'à  Dieu,  à  un  être  qui  ver- 
rait dans  tous  les  cœurs,  de  décider  quel  est  l'homme  le  plus 
heureux.  11  n'y  a  qu'un  seul  cas  où  un  homme  puisse  aflir- 
mer  que  son  état  actuel  est  pire  ou  meilleur  que  celui  de 
son  voisin  :  ce  cas  est  celui  de  la  rivalité  et  le  moment  de 
la  victoire.  En  effet  il  n'y  a  que  le  seul  cas  du  plaisir  ac- 

DICT.   DE   LA    COÎ(T.   —   T.    lU. 


BIKN-ÉTRE  177 

tuel  et  de  la  douleur  actuelle  où  l'on  puisse  comparer  le 
sort  de  deux  hommes  en  faisant  abstractioH  de  tout  le  reste. 
Un  homme  sain  qui  mange  une  bonne  perdrix  a  sans  doute 
un  moment  préférable  à  celui  d'un  malade  tourmenté  de  la 
colique  ;  mais  on  ne  peut  aller  au  delà  avec  sûreté,  on 
ne  peut  évaluer  l'être  d'un  homme  avec  celui  d'un  autre; 
on  n'a  point  de  balance  pour  peser  les  désirs  et  les  sensa- 
tions. 

Nous  avons  commencé  cet  article  par  Platon  et  son  sou- 
verain bien  ;  nous  le  finirons  par  Solon  et  par  ce  grand  mot 
qui  a  fait  tant  de  fortune  :  «  Il  ne  faut  appeler  personne 
heureux  avant  sa  mort.  »  Cet  axiome  n'est  au  fond  qu'une 
puérilité,  comme  tant  d'apophlhegmes  consacrés  dans  l'an- 
tiquité. Le  moment  de  la  mort  n'a  rien  de  commun  avec 
le  sort  qu'on  a  éprouvé  dans  la  vie;  on  peut  périr  d'une 
mort  violente  et  infâme,  et  avoir  goûté  jusque  là  tous  les 
plaisirs  dont  la  nature  humaine  est  susceptible.  Il  est  très- 
possible  et  très-ordinaire  qu'un  homme  heureux  cesse  de 
l'être  :  qui  en  doute  ?  mais  il  n'a  pas  moins  eu  ses  moments 
heureux. 

Que  veut  donc  dire  le  mot  de  Solon?  qu'il  n'est  pas  sûr 
qu'un  homme  qui  a  du  plaisir  aujourd'hui  en  ait  demain? 
En  ce  cas  ,  c'est  une  vérité  si  incontestable  et  si  triviale 
qu'elle  ne  valait  pas  la  peine  d'être  dite.      Voltaire. 

BIEN  (  Homme  de  ).  Voi/cz  Homme  de  dien. 

BÏEX-DIRE,  langage  poli  et  élégant,  manière  de  s'ex- 
primer agréable  et  engageante ,  mais  qui  doit  être  naturelle 
pour  conserver  une  acception  favorable  :  lorsqu'elle  est 
accompagnée  d'affectation,  elle  touche  au  ridicule.  Il  y  a  des 
différences  marquées  entre  bien  penser ,  bien  dire  et  bien 
faire.  L'axiome  deCicéron  -.virbomis  dicendi  peritus,  n'est 
que  trop  souvent  en  défaut,  et  il  ne  suffit  pas  toujours  de  bien 
penser  et  de  bien  agir  pour  bien  parler.  Le  bien-dire  tient 
de  qualités  qui  sont  le  résultat  de  la  plus  ou  moins  grande 
perfection  de  l'organe  de  la  parole  et  d'une  étude  attentive  et 
suivie,  à  laquelle  les  hoiiimes  d'action  dédaignent  quelquefois 
de  donner  un  temps  qu'ils  pensent  pouvoir  mieux  employer. 
Le  bien-dire  dépend  davantage  aussi  de  la  rectitude  de  l'es* 
prit  ;  le  bien-fdire,  de  la  force  de  caractère.  Bien  des  gens, 
par  exemple ,  sont  d'excellents  donneurs  de  conseils  qui  ne 
savent  pas  toujours  les  mettre  en  pratique  pour  eux-mêmes. 
Il  ne  faut  pas  croire  pour  cela  qu'ils  manquent  de  franchise 
dans  leurs  paroles  ;  ils  peuvent  sentir ,  apprécier  la  force 
et  la  vérité  de  leurs  propres  discours,  ils  peuvent  parler 
enfin  avec  conviction  ;  mais  c'est  l'énergie,  la  force  d'exécu- 
tion qui  leur  fait  faute.  En  général,  les  paroles  perdent 
beaucoup  de  leur  poids  et  de  leur  autorité  dans  la  bouche 
de  ceux  qui  ne  peuvent  y  joindre  l'action. 

BIEIV-ETRE,  situation,  état  d'une  personne  qui  vit 
commodément,  à  qui  rien  ne  manque  pour  être  heureuse 
dans  sa  condition  :  Sors  hominis  oui  nihil  dcest.  Furetière  a 
dit  avec  raison  que  la  nature  a  donné  Vétre  aux  enfants,  et 
que  leurs  parents  leur  doivent  le  bien-être,  c'est-à-dire  une 
bonne  éducation,  de  bons  conseils  et  une  bonne  direction, 
qui  les  mettent  à  même  de  se  le  procurer.  Celui  qui  n'a  que 
le  nécessaire  n'a  cependant  pas  encore  ce  qu'on  peut  appeler 
le  bien-être,  à  moins  qu'il  ne  sache  se  contenter  du  néces- 
saire; et  dans  ce  cas,  qui  est  certainement  fort  rare,  oa 
peut  même  encore  avancer  que  le  bien-être  se  compose 
d'un  peu  plus.  Sans  doute  Horace  comprenait  dans  son 
aurea  mediocritas  non-seulement  la  possibilité  de  satis- 
faire les  désirs  personnels  d'un  homme  modéré,  mais  encore 
la  faculté  de  pouvoir  quelquefois  donner  ou  partager  son 
superllu,  pour  participer  au  bien-être  A'' &y\\v\x\.  Proscrire 
ce  désir  si  louable  et  si  naturel  chez  lliomme  dont  le  cœur 
n'est  pas  corrompu  par  une  fausse  civilisation ,  ce  serait  le 
réduire  à  l'état  d'égoïsme,  pour  lequel  il  n'est  pas  (bit,  et 
qui  est  d'ailleurs  opposé  à  l'état  social.  Cest  donc  dans  la 
bienfaisance  et  dans  les  occupations  utiles  à  la  sociélé 
que  l'homme  qui  a  plus  que  le  nécessaire  doit  chercher  son 

2.3 


178 


BIEN-ÊTRE  —  BIENFAISANCE 


bien-être.  Ceux  qui  le  trouvent  dans  des  jouissances  égoïstes 
sont  presque  aussi  nuisibles  à  la  société  que  ceux  qui  le 
font  consister  dans  le  mal;  car  ils  sont  vis-à-vis  d'elle  dans 
un  môme  état  d'hostilité ,  avec  cette  différence  seule  qu'on 
ne  se  tient  pas  en  garde  contre  eux  comme  on  pourrait  le 
faire  avec  un  ennemi  déclaré. 

L'amour  du  bien-être  est  moins  une  passion  que  la  source 
naturelle  de  toutes  les  passions  nobles.  S'il  l'emporte  quel- 
quefois sur  l'amour  de  la  patrie,  c'est  la  faute  de  celle-ci  ; 
car  un  État  bien  constitué  ne  doit  pas  seulement  protection 
et  sécurité  aux  individus ,  il  leur  doit  encore  les  moyens  de 
mettre  en  œuvre  les  talents  et  les  (acuités  dont  ils  sont  doués 
pour  leur  propre  avantage  et  celui  de  la  société  dans  laquelle 
ils  vivent.  Quand  les  gouvernements  comprendront  cette 
grande  vérité,  ils  auront  des  amis  et  des  citoyens,  au  lieu 
<i'avoir  des  sujets  et  des  créatures  ;  et  ils  n'auront  plus  de 
dépenses  secrètes,  parce  qu'ils  pourront  avouer  tous  leurs 
actes. 

La  langue  française  est  redevable  du  mot  bien-être  à  An- 
toine d'Urfé,  qui  s'en  est  servi  le  premier  dans  son  épître  au 
roi  Henri  IV.  A  qui  devrons-nous  la  chose?    E.  Héreau. 

RIENEWITZ  ou  BENNEWITZ.  Voyez  Apianus. 

BIENFAISANCE ,  de  toutes  les  vertus  de  l'homme  la 
plus  active.  Pour  accomplir  les  œuvres  qu'elle  s'impose,  les 
jours  lui  paraissent  trop  courts,  elle  prend  sur  ses  nuits; 
elle  souffre  du  repos.  La  bienfaisance  fait  plus  que  de  don- 
ner ,  elle  se  dépouille  avec  joie  ;  et  si  les  ressources  lui  man- 
quent, elle  apporte  la  fertilité  de  ses  conseils  et  la  chaleur 
de  son  dévouement;  elle  n'est  pas  que  la  raison  du  bien, 
elle  en  est  la  passion.  Un  des  caractères  propres  à  la  bien- 
faisance ,  c'est  qu'elle  i)ossède  toutes  les  vertus  dont  elle  a 
besoin;  elle  est  tour  à  tour  patiente  et  impétueuse,  vive  et 
insinuante;  elle  compose  avec  les  obstacles,  elle  sait  aussi 
les  franchir.  Un  premier  succès  la  conduit  infailliblement  à 
un  second.  Commandant  par  les  sacrifices  qu'elle  s'impose, 
elle  en  profite  pour  augmenter  à  l'infini  tous  les  genres  de 
soulagement  et  de  consolation. 

A  son  insu,  la  bienfaisance  exerce  une  grande  influence 
lorsque  la  société  touche  au  plus  haut  degré  de  la  civilisa- 
tion. Sans  être  un  rouage  de  l'État,  elle  se  glisse  entre  ceux- 
ci,  et  empêche  qu'ils  ne  se  choquent  et  ne  se  brisent.  En 
effet,  la  fortune  établit  alors  des  distances  si  prodigieuses  et 
des  disparates  si  désolantes,  qu'une  guerre  civile  permanente 
existerait  entre  les  citoyens;  mais  la  bienfaisance  réussit  à 
rétablir  l'équilibre,  et,  sans  qu'on  s'en  aperçoive,  amène  à 
un  partage  continuel.  Elle  constitue  en  définitive  un  pouvoir 
d'autant  plus  irrésistible,  qu'à  la  différence  des  autres,  il 
donne  au  lieu  de  demander. 

On  peut  dès  les  premières  années  habituer  l'enfant  à  la 
bienfaisance;  c'est  une  vertu  à  laquelle  on  s'attache  et  dont 
on  ne  peut  plus  se  séparer.  Ce  devrait  être  la  partie  essen- 
tielle de  l'éducation.  Sur  ce  point  on  abandonne  trop  les  en- 
fants à  leur  propre  sensibilité  :  le  cœur  est  comme  l'es- 
prit ,  11  a  besoin  à  une  certaine  époque  d'une  culture  cons- 
tante. 

La  bienfaisance  pour  s'introduire  dans  les  capitales  est 
forcée  de  revêtir  des  formes  qui  lui  coûtent;  elle  séduit  les 
ims  pour  venir  au'secours  des  autres  ;  le  plaisir  est  son  agent, 
mais  en  l'approchant  elle  le  purifie.  11  n'y  a  pas  d'acte  de 
bienfaisance  où  les  femmes  ne  soient  mêlées  :  dans  ce  genre 
elles  devinent  tout  ce  qu'on  peut  entreprendre;  elles  ont  si 
bien  toutes  les  grâces  du  succès,  qu'elles  séduisent  ceux 
qu'elles  ne  peuvent  toucher. 

Un  érudit  a  prétendu  que  le  mot  bienfaisance  datait  de 
loin,  et  que  l'abbé  de  Saint-Pierre  n'en  était  pas  l'inventeur. 
On  trouve  en  effet,  au  dix-septième  siècle,  dans  Bal/.ac 
l'ancien,  bienfaisant  et  bienfaisante.  Quoi  qu'il  en  soit, 
ce  mot  est  né  de  la  i)hilosophie  ;  il  exprime  un  sentiment  de 
solidarité,  de  sympathie  humaine,  qui  se  manifeste  entre  in- 
dividus, hors  de  l.i  famille  et  indépendamment  du  patrio- 


tisme ou  de  l'amitié.  C'est,  pour  emprunter  une  définition  de 
Sénèque,  un  acte  de  la  conscience,  un  acte  volontaire  par 
lequel  nous  donnons  de  la  joie  et  nous  en  recevons.  Sous  le 
christianisme  la  bienfaisance  des  Grecs  et  des  P>omains,  un 
peu  sensuelle  et  orgueilleuse,  s'absorba  dans  la  charité, 
mot  plus  vaste,  qui  confondait  la  bienfaisance  dans  l'amour 
de  Dieu  et  du  prochain.  Mais  lorsque  les  progrès  de  la  civili- 
sation appelèrent  les  droits  positifs  de  l'homme  à  remplacer 
un  droit  divin ,  poétique  sans  doute,  mais  insuffisant  désor- 
mais, le  mot  de  charité  perdit  de  sa  faveur,  et  la  bienfai- 
sance prit  sa  source  dans  la  philanthropie. 

BIENFAISANCE  (Bureau  de),  administration  locale 
de  secours  publics  qui ,  sous  divers  titres  et  avec  diverses 
modifications ,  existe  dans  tous  les  pays.  En  France ,  les  bu- 
reaux de  bienfaisance  gèrent,  dans  les  communes,  les  re- 
venus des  pauvres  et  distribuent  les  secours  publics.  Sous 
l'ancienne  monarchie,  la  déclaration  de  juin  1642  avait  ins- 
titué les  bureaux  des  pauvres.  Il  y  avait  à  Paris  avant  la 
révolution  un  grand  bureau  des  pauvres,  dirigé  et  présidé 
par  le  procureur  général  au  parlement,  et  prélevant  arbitrai- 
rement une  taxe  annuelle  sur  tous  les  habitants  laïques  et 
ecclésiastiques  de  Paris  sans  distinction ,  depuis  les  princes 
jusqu'aux  artisans  aisés.  11  avait  ses  huissiers  pour  exiger 
le  payement  de  cette  taxe  et  pour  contraindre  les  commis- 
saires des  pauvres  à  accepter  et  à  remplir  leurs  fonctions. 
Quant  aux  ordres  monastiques,  par  leurs  distributions  de 
soupes  à  la  porte  de  leurs  couvents ,  ils  offraient  moins  de 
ressources  à  l'indigence  qu'ils  n'encourageaient  la  paresse 
et  la  mendicité.  Après  leur  suppression,  on  sentit  la  néces- 
sité de  remplacer  ces  secours,  généralement  mal  appliqués, 
par  des  moyens  mieux  dirigés  :  on  institua  donc,  en  1790, 
les  comités  de  bienfaisance ,  lesquels  furent  régularisés  par 
la  loi  du  27  novembre  1796,  et  auxquels  on  assigna  pour  re- 
venu un  droit  sur  les  spectacles ,  les  bals  et  les  plaisirs  pu- 
blics ,  des  fondations ,  des  quêtes ,  des  dons ,  des  souscrip- 
tions, certaines  amendes  de  police  et  des  subventions  sur 
les  revenus  communaux.  Il  y  en  eut  quarante-huit  dans 
Paris  (un  par  section),  et  un  nombre  proportionnel  dans 
toutes  les  villes  de  France. 

Les  comités  devenus  bureaux  de  bienfaisance  survécu- 
rent à  tous  les  gouvernements  qui  se  succédèrent  jusqu'à 
la  Restauration.  En  1814  on  réduisit  le  nombre  de  ces 
établissements  à  douze  pour  Paris  :  on  leur  donna  le  nom 
de  bureaux  de  charité,  et  on  changea  l'organisation  de  leur 
personnel.  Le  maire  de  l'arrondissement  et  ses  adjoints,  le 
curé  de  la  paroisse,  les  desservants  des  églises  succursales, 
les  ministres  protestants,  en  furent  membres  nés;  il  y  avait 
de  plus  douze  administrateurs  nommés  par  le  ministre  de 
l'intérieur,  les  conuuissaires  des  pauvres,  les  dames  de  cha- 
rité et  un  agent  comptable.  En  1831  on  sentit  que  le  mot 
de  bienfaisance  était  plus  significatif  et  moins  humiliant 
que  celui  de  charité,  et  les  bureaux  de  charité  redevinrent 
bureaux  de  bienfaisance.  Toujours  et  en  tout,  mode,  chi- 
cane, et  abus  de  mots.  Leur  organisation  fut  modifiée  après 
1830  :  les  curés,  les  prêtres,  sans  en  être  membres-nés,  pu- 
rent être  élus.  Maintenant  chaque  bureau  est  composé  :  l°du 
maire  de  l'arrondissement,  président-né  du  bureau  ;  des  ad- 
joints, membres-nés,  qui  président  le  bureau  en  l'absence 
du  maire;  V  de  douze  administrateurs  nommés  par  le  mir- 
nistre  de  l'intérieur  ;  3°  de  commissaires  des  pauvres  et  dp 
dames  de  charité,  dont  le  nombre  est  illimité.  Un  secrétaire 
trésorier  comptable  est  attaché  à  chaque  bureau.  Ces  bu- 
reaux ,  sous  l'autorilé  du  préfet  de  la  Seine  et  la  direction 
de  l'administration  générale  de  l'assistance  publique,  sont 
chargés  de  la  distribution  des  secours  à  domicile  dans 
chacun  des  douze  arrondissements  municipaux  de  Paris. 
Dans  tous,  on  disfribue  de  l'argent,  du  pain,  du  bois,  de 
la  soupe,  du  vin ,  du  linge,  des  layettes  pour  les  nouveau- 
nés,  de  la  farine,  des  draps  ,  et  des  médicaments  aux  indi- 
vidus et  aux  familles  inscrits  sur  le  registre  des  indigents, 


I 


BIENFAISANCE  —  BIENFAISANCE  PUBLIQUE  179 


qu'on  appelait  auXrelois pauvres  honteux;  on  subvient  au 
dénùment  dans  lequel  se  trouvent  les  convalescents  qui  sor- 
tent des  hôpitaux,  en  leur  donnant  des  aliments  pour  plu- 
sieurs jours  et  en  leur  procurant  des  outils.  De  plus,  des 
distributions  mensuelles  de  bons  de  pain,  de  viande,  de 
paille,  de  sabots,  etc.,  sont  faites  aux  plus  nécessiteux,  aux 
ménages  chargés  d'enfants,  aux  blessés,  aux  orphelins  sans 
appui.  On  fournit  aux  pauvres  des  cercueils  pour  leur  in- 
iiumation.  Dans  chaque  bureau  il  y  a  une  cuisine  et  un  la- 
boratoire de  pharmacie  confiés  aux  sœurs  de  la  Charité. 
Dans  quelques-uns,  au  lieu  de  donner  du  bouillon  en  na- 
ture, on  distribue  des  cartes  sur  des  entreprises  particu- 
lières. Douze  médecins  et  quatre  chirurgiens  sont  attachés 
à  chaque  bureau  d'arrondissement.  Les  écoles,  les  ouvrolrs, 
les  asiles  de  charité  dépendent  aussi  de  ces  bureaux. 

En  1833  les  bureaux  de  bienfaisance  de  France  avaient 
à  leur  disposition  un  revenu  de  10,315,746  fr.  ;  ils  dépensè- 
rent 7,399,556  fr.,  et  secoururent  695, 932  indigents.  Il  ne 
faut  pas  croire  cependant  que  ce  soit  là  le  chiffre  des  néces- 
siteux du  pays.  Beaucoup  de  pauvres  répugnent  à  demander 
ces  secours  ;  quelques-uns  les  regardent  comme  insuffisants 
pour  soulager  leur  misère;  d'autres  profèrent  mendier  aux 
passants,  d'autres  sont  à  charge  à  leur  famille  ou  à  d'an- 
ciens amis;  enfin,  dans  une  foule  de  communes  il  n'y  a  pas 
de  bureau  de  bienfaisance,  ce  qui  n'empêche  pas  qu'il  n'y 
ait  des  malheureux.  Sur  les  6,275  bureaux  de  bienfaisance 
qui  existaient  en  1833,  le  département  du  Nord  en  possédait 
618,  celui  du  Pas-de-Calais  396;  celui  de  l'Aisne  260  ;  celui 
des  Basses-Pyrénées  242  et  celui  de  Seine-et-Oise  200. 11  n'y 
en  avait  que  2  dans  la  Corse  et  la  Haute-Vienne,  3  dans  les 
Pyrénées-Orientales,  4  dans  la  Creuse,  etc.  Dans  le  dépar- 
lement de  la  Seine,  il  y  en  avait,  en  1841,  92,  dont  les  re- 
cettes s'étaient  élevées  à  près  de  2  millions.  Les  recettes 
des  bureaux  de  bienfaisance  étaient  de  13  millions  en  1840, 
de  12,249,000  fr.  en  1841. 

A  Paris  le  nombre  des  indigents  inscrits  aux  bureaux  de 
bienfaisance  était  en  1835  de  62,539,  formant  ensemble 
28,969  ménages,  dont  19,862  recevaient  un  secours  annuel 
et  9,107  un  secours  temporaire.  La  somme  distribuée  ainsi 
en  secoursà  domicile  s'élevait  à  1,417,514  fr.  En  1841  Pa- 
ris comptait  66,487  indigents  inscrits,  répartis  en  29,282  mé- 
nages. Ce  chiffre  se  décomposait  ainsi  :  ménages  ayant  reçu 
des  secours  temporaires,  10,424;  des  secours  annuels  ordi- 
naires, 14,383;  octogénaires,  1,223;  septuagénaires,  1,962; 
aveugles,  1,054;  paralytiques,  230.  Les  chefs  de  ces  mé- 
nages indigents  se  classaient  de  la  manière  suivante  :  ma- 
riés, 11,917;  veufs,  10,408;  femmes  abandonnées,  1,898; 
on  y  ajoutait  4,496  célibataires  adultes,  563  célibataires  or- 
phelins. 15,230  chefs  dé  ménage  avaient  moins  de  soixante 
ans  ;  14,052  avaient  dépassé  cet  âge.  Un  seul  était  centenaire. 
15,495  chefs  de  ménage  étaient  des  hommes.  5,399  de  ces 
ménages  secourus  occupaient  des  loyers  de  50  francs  et 
au-dessous;  12,081  des  loyers  de  51  à  100  fr.;  5,681  des 
loyers  de  101  à  200  fr.  ;  187  des  loyers  de  201  à  300  francs; 
13  des  loyers  de  301  à  400  fr.  ;  2  des  loyers  au-dessus  de 
400  fr.  ;  3,003  étaient  logés  à  titre  gratuit,  et  2,317  comme 
portiers.  Parmi  ces  indigents  il  y  avait  1,982  individus 
sans  état,  1,805  journaliers,  1,129  commissionnaires  ou 
hommes  de  peine;  880  cordonniers;  778  marchands  re- 
vendeurs; 477  tailleurs;  406  menuisiers;  333  serruriers; 
800  maçons;  278  peintres  vitriers;  197  bonnetiers  ;  192  ébé- 
nistes; 189  porteurs  d'eau;  171  cochers;  156  corroyeurs, 
tanneurs,  mégissiers  et  peaussiers  ;  149  balayeurs;  140  ma- 
nœuvres; 140  employés  et  écrivains;  140  charretiers;  139 
imprimeurs  en  caractères;  132  domestiques;  131  savetiers; 
130  terrassiers;  129  tisserands;  124  fileurs;  122  chiffon- 
niers; 119  tourneurs;  111  charpentiers;  24  relieurs;  15 
graveurs;  10  compositeurs;  6  libraires  et  bouquinistes; 
4  dessinateurs;  3  chantres  de  p-Toisse;  .3  artistes  drama- 
tiques, etc.,  etc. 


Le  rapport  de  la  population  indigente  de  Paris  a  été  en  1 84 1 
de  1  sur  13  habitants.  Cette  proportion  varie  beaucoup  d'un 
arrondissement  à  l'autre.  Ainsi  dans  le  2®  arrondissement 
on  trouvait  un  indigent  sur  33  habitants  ;  dans  le  3®.  1  sur  27  ; 
dans  les  10^,  1^"",  5*,  V,  11®,  6°  et  4^  arrondisssements  1  in- 
digent sur  19  à  15  habitants,  dans  le  9®  1  sur  8,  dans  le  8° 
et  dans  le  12®  1  sur  6. 

Les  recettes  faites  par  les  bureaux  de  bienfaisance  de  Pa- 
ris sont  le  produit  d'une  subvention  de  l'administration  des 
hospices ,  de  legs  et  donations ,  de  dons ,  collectes  et  sous- 
criptions (ces  dernières  ressources  ont  monté  en  1841  à 
259,549  fr.),  des  troncs  et  quêter  dans  les  églises  (  27,692  fr. 
la  même  année  ),  des  représenia lions  théâtrales,  bals  et 
concerts  (9,182  fr.  )  et  d'autres  fonds  généraux  et  spéciaux. 
Leur  dépense  a  été  la  même  année  de  1,361,635  fr.  Le 
12®  arrondissement  est  entré  dans  ce  chiffre  pour  241,323  fr. 
95,811  fr.  ont  été  distribués  en  espèces. 

En  1844  le  nombre  des  indigents  inscrits  dans  les  bureaux 
de  bienfaisance  s'éleva  à  86,401;  il  s'éleva  bien  plus  haut 
en  1847,  année  de  disette.  En  1820  il  avait  atteint  le  même 
chiffre  qu'en  1844.  En  1803  le  chiffre  des  indigents  s'éle- 
vait à  112,626,  et  en  1813  à  102,806.  En  1850  les  secours 
à  domicile  vinrent  en  aide  à  94,619  indigents  et  coûtèrent 
2  418  227  fr. 
'  WÈIXFÀISAXCE  PUBLIQUE,CHARiTÉLÉGALE, 
ASSISTANCE  OFFICIELLE.  Ces  noms  divers  servent  h 
caractériser  les  institutions  par  lesquelles  les  sociétés  or- 
ganisées viemient  publiquement  au  secours  des  infortunes 
qui  naissent  dans  leur  sein.  Si  le  nom  change  avec  le  sen- 
timent qui  l'inspire,  le  but  est  toujours  le  même,  à  savoir 
de  venir  au  secours  de  celui  qui  souflre. 

Dans  les  sociétés  antiques  de  l'Occident  les  pauvres  n'é- 
taient point  isolés  et  livrés  à  eux-mêmes  :  ils  étaient  forte- 
ment groupés  autour  des  riches,  dans  la  famille  par  les  lient 
de  l'esclavage,  dans  la  cité  par  ceux  de  la  confraternité  et 
du  patronat.  Le  maître  avait  intérêt  à  conserver  ses  escla- 
ves, qui  formaient  sa  fortune;  le  patron,  à  assurer  le  bien- 
être  de  ses  clients,  dont  le  nombre  faisait  sa  puissance.  Ce 
ne  fut  que  lorsque  les  liens  qui  aggloméraient  les  pauvrej 
autour  des  riches  se  furent  relâchés,  lorsqu'il  se  fut  formé 
dans  les  villes  un  peuple  indépendant,  voué  au  négoce  et 
aux  travaux  mécaniques,  que  la  misère,  c'est-à-dire  la 
pauvreté  extrême  et  permanente,  se  manifesta,  puis  obtint 
des  riches,  en  excitant  leur  pitié  ou  en  leur  vendant  ses 
suffrages,  des  largesses  régulières,  qui  élevèrent  insensible- 
ment rindigence  et  bientôt  la  mendicité  au  rang  des  faits 
normaux  et  des  plaies  désormais  incurables  du  corps  social. 

Chez  les  anciens,  dit  Chateaubriand,  l'assistance  se  résu- 
mait en  deux  mots  :  infanticide  et  esclavage.  L'hospitalité 
patriarcale  des  temps  primitifs  s'était  singulièrement  amoin- 
drie au  contact  des  lois  brutales  de  la  Grèce  et  de  Rome  ; 
un  patriotisme  farouche,  la  fatalité,  la  servitude,  ne  pou- 
vaient faire  naître  de  douces  compassions.  Ce  fut  bien  len- 
tement que  les  Grecs  et  les  Romains  modifièrent  leurs  sen- 
timents à  cet  égard  et  cessèrent  d'assimiler  leurs  esclaves 
aux  bêtes.  Tite-Live  revient  fréquemment  sur  la  misère  des 
Romains,  mais  sans  mentionner  jamais  ni  hôpitaux  ni  sys- 
tèmes d'assistance  publique.  Le  polythéisme  de  ces  peuples 
ne  faisait  point  de  l'aumône  un  devoir  religieux;  et  si  Vir- 
gile s'écrie  :  ISon  ignara  malt,  miseris  succurrere  disco, 
pensée  d'un  sage  du  paganisme  qui  se  retrouve  chez  plus  d'un 
auteur  éclairé,  chez  plus  d'un  vrai  philosophe  des  anciens 
jours,  Piaule,  qui  écrivait  dans  l'avant-dernier  siècle  avant 
l'ère  chrétienne,  et  qui  ne  faisait  guère  que  copier  les  comi- 
ques grecs,  ne  met-il  pas  dans  la  bouche  de  Frinumnius,  un 
de  ses  personnages ,  cette  sentence  terrible  :  «  C'est  ren- 
dre un  mauvais  service  à  un  mendiant  que  de  lui  donner 
de  quoi  manger  ou  de  quoi  boire,  car  on  jMîrd  ainsi  ce  qu'on 
lui  donne ,  et  l'on  ne  fait  que  prolonger  sans  fruit  pour  Ij 
société  une  misérable  existence.  » 


180 

Dans  rOrien*,  la  religion  faisait,  au  contraire,  de  la  bien- 
faisance un  devoir  positif.  Les  livres  sacrés  des  Indous,  des 
l»erses,  des  Juifs,  vont  jusqu'à  prescrire  la  quotité  de  l'au- 
mône que  les  riches  doivent  aux  pauvres.  Le  Coran,  sans 
fixer  un  minimum,  formule,  à  plusieurs  reprises,  le  pré- 
cepte religieux  de  la  charité.  Moïse  est  à  cet  égard  plus  po- 
sitif encore  :  «  Faites  part,  dit-il,  de  votre  pain  à  celui  qui 
a  faim;  faites  entrer  dans  votre  maison  les  pauvres  qui  ne 
savent  où  se  retirer,  et  lorsque  vous  verrez  un  homme  nu, 
cmpres.'-ez-vous  de  le  vêtir!  »  L'hospitalité  arabe  n'existe- 
t-elle  pas  encore  de  nos  jours?  Aussi  l'indigence  et  la  men- 
dicité ont-elles  atteint  chez  ces  peuples  un  développement 
auquel  l'immuable  organisation  des  sociétés  théocratiques 
était  seule  capable  de  résister. 

Mais  la  véritable  bienfaisance  publique,  il  faut  bien  le 
reconnaître,  est  toute  d'origine  chrétienne.  A  tort  on  essaye- 
rait de  ravir  à  la  religion  du  fils  de  Marie  cette  glorieuse 
auréole;  à  tort  on  nierait  la  charité  chrétienne,  pour  lui  as- 
signer une  origine  plus  raffinée  ou  plus  philosophique.  On 
est  forcé  de  convenir  que  l'application  de  cette  vertu  n'a  été 
réelle  que  dans  les  jours  nouveaux  du  christianisme.  Le  chris- 
ti.inisme,  qui  est  supérieur  aux  autres  cultes  en  ce  qu'il  étend 
le  devoir  religieux  à  tout  ce  qui  peut  inspirer  l'amour  du 
prochain,  mais  qui  n'en  recommande  pas  moins  l'aumône 
couime  une  des  principales  manifestations  de  cet  amour, 
«  onmie  une  forme  et  un  produit  essentiel  de  la  charité, 
lit  éclore  dans  l'empire  romain  de  nombreuses  institutions 
destinées  au  soulagement  des  pauvres,  tandis  que  les  abon- 
dantes aumônes  distribuées  par  les  couvents  et  par  le  clergé 
donnaient  à  l'accroissement  de  la  mendicité  une  impulsion 
dont  les  conséquences  sont  encore  visibles  dans  l'Europe 
moderne. 

Toutefois,  ni  les  sociétés  antiques  ni  celles  du  moyen 
âge  n'ont  connu  le  paupérisme,  cette  lèpre  qui  envahit 
des  classes  entières,  et  devient  leur  état  normal  par  l'effet 
inème  des  causes  qui  favorisent  l'acaoissement  de  la  ri- 
chesse et  le  développement  de  la  prospérité  générale.  On 
ignorait  alors  le  prolétariat,  c'est-à-dire  l'apparition  d'une 
classe  ouvrière  indépendante,  soumise  par  son  indépendance 
même  à  l'action  immédiate  des  lois  qui  règlent  la  distribu- 
tion des  richesses.  A  quoi  songent  Gratien ,  Yalentinien  et 
Théodose  pour  couper  court  aux  abus  de  la  mendicité?  Insti- 
tuent-ils des  maisons  de  travail,  des  ateliers,  des  ouvroirs, 
des  asiles,  des  secours  à  domicile?  Pas  le  moins  du  monde! 
Ils  ordonnent  tout  simplement  d'arrêter  les  mendiants  va- 
lides pour  rendre  à  leurs  maîtres  ceux  qui  sont  esclaves , 
pour  assujettir  au  colonat  ceux  qui  sont  libres. 

Plus  tard  l'esclavage,  au  moins  dans  l'action  préventive, 
fut  remplacé  pour  la  population  agricole  par  le  servage, 
et  pour  celle  des  villes  parles  corporations  de  métiers 
et  par  les  confréries  religieuses.  Le  pauvre  qui  ne  trou- 
vait place  dans  aucun  de  ces  groupes  cessait  d'appartenir 
à  la  société.  La  mendicité  ou  le  brigandage  devenait  sa 
seule  ressource.  Qui  n'a  entendu  parier  de  ces  bandes  orga- 
nisées qui  jadis  étalaient  dans  les  villes  ou  promenaient  dans 
les  campagnes  leurs  ignobles  ruses  et  leurs  mœurs  scandaleu- 
ses? Mais  ce  n'était  pas  le  paupérisme,  qui  atteint  le  travail- 
leur lui-même  au  sein  de  l'industrie.  Les  statuts  des  ordres 
ieligieux  commandaient  aux  fidèles  la  charité  et  les  secours 
envers  les  pauvres.  Les  voyageurs  étaient  inscrits  en  pre- 
mière ligne  dans  la  nomenclature  des  devoirs  du  chrétien. 
Les  invasions  Guccessives  qui  signalèrent  le  laps  de  temps 
qui  s'écoula  du  cinquième  au  dixième  siècle  jetèrent  la 
France  dans  une  confusion  telle,  que  les  fondations  pieu- 
ses ou  furent  détruites,  ou  dévièrent  promptement  de  leur 
primitive  vocation.  Charlemagne  lui-même,  malgré  ses  lois 
et  sa  vigilance,  ne  put  opposer  une  digue  au  torrent.  Pen- 
dant les  croisades  les  sentiments  chrétiens  des  chevaliers  et 
\es  maladies  affreuses  qui  désolèrent  les  villes  et  les  campa- 
gnes motivèrent  la  création  d'une  foule  de  m  al  ad  re  ries, 


BIENFAISAINCE  PUBLIQUE 


et  donnèrent  pour  l'époque  une  extension  remarquable  à  la 
charité  publique. 

De  1254  à  1259  Louis  IX  mit  en  œuvre  les  projets  les 
plus  généreux  qu'il  ait  été  donné  à  un  roi  d'accomplir  pour 
le  soulagement  des  misères  publiques.  En  parcourant  les 
historiens  de  cet  homme  si  prodigieux  de  bienveillance  et 
de  simplicité,  on  a  peine  à  comprendre  comment  il  put 
venir  à  bout  d'aussi  monumentales  fondations  en  présence 
des  difficultés  qu'il  dut  rencontrer  dans  les  esprits  de  son 
temps.  Mais  après  cette  époque,  où  la  charité  française  brille 
d'un  si  vif  éclat,  nous  retombons  dans  les  invasions  étran- 
gères et  dans  les  malheurs  qu'elles  traînent  à  leur  suite. 
Excepté  quelques  fondations,  dues  à  des  grands  vassaux,  à 
des  particuliers ,  à  Henri  IV,  à  Louis  XIV,  à  saint  Vincent 
de  Paul,  dans  la  capitale  ou  dans  les  provinces ,  toutes  ré- 
gies par  des  ordonnances  locales,  des  chartes,  des  titres 
spéciaux,  la  bienfaisance  publique  n'a  rien  de  complet,  de 
régulier,  d'homogène.  Cependant,  en  lisant  nos  vieilles 
chroniques  municipales ,  le  nombre  considérable  de  bien- 
faiteurs,  princes ,  abbés,  prêtres,  bourgeois,  ouvriers  en- 
fants de  leurs  œuvres,  femmes  du  peuple  et  grandes  dames 
prouve  d'une  manière  irrécusable  l'intérêt  que  l'infortunu 
n'a  jamais  cessé  d'inspirer  à  nos  concitoyens ,  même  au  mi- 
lieu des  jours  les  plus  néfastes  de  notre  histoire  nationale. 

Le  dix -huitième  siècle  devait  par  ses  aspirations  économi- 
ques offrir  nécessairement  une  large  part  à  la  bienfaisance  pu- 
blique. Les  Cochin,  les  Mouthyon,  les  Kecker,  les  loisspé- 
cialei  des  .'î  septembre  1791,  19  mars  1793,  7  octobre  1796, 
en  sont  l'expression  la  plus  frappante,  la  plus  réelle.  De  leur 
côté ,  les  nations  étrangères  développaient  aussi  cette  vertu 
suivant  leur  génie  et  leurs  besoins.  En  Angleterre  la  bien- 
faisance recevait  une  extension  considérable,  soit  par  le 
système  (Vallouvince  (secours  aux  valides),  soit  par  la  taxe 
des  pauvres,  soit  par  les  sociétés  charitables,  soit  par  les 
secours  aux  invalides.  Mais  la  plus  forte  partie  de  cette 
taxe  revient  à  la  bienfaisance.  En  1832  elle  s'élevait  à 
7,03G,96sHvressteriing(  175,924,200  francs).  En  1849  l'An- 
gleterre secourait  815,523  indigents.  En  1851  elle  n'en  se- 
courait plus  que  744,860.  Cette  diminution  du  paupérisme 
britannique,  malgré  l'accroissement  notable  de  la  popula- 
tion, est-elle  un  argument  en  faveur  du  bien-être  croissant 
des  classes  laborieuses  et  prévoyantes  de  ce  pays  ?  Faut-il 
en  faire  honneur  aux  607  unions  et  paroisses  de  l'Angle- 
terre ?  En  face  du  poids  écrasant  de  la  taxe  des  pauvres , 
nous  n'avons  pas  à  nous  prononcer  sur  ce  point. 

En  Hollande ,  en  Prusse ,  la  bienfaisance  publique  a  ren- 
contré dans  son  application  moins  d'obstacles,  moins  d'abus 
surtout  qu'en  Angleterre.  La  Belgique  suit  les  idées  fran- 
çaises ;  mais  elle  n'est  pas  arrivée  audegré  de  perfection  de  la 
Suède,  du  Danemark,  de  la  Bavière  et  de  la  Suisse.  Saxe- 
Weimar  et  le  Wurtemberg  pourraient  donner  d'utiles  ensei- 
gnements aux  États  méridionaux  de  l'Europe,  et  leur  ap- 
prendre une  assistance  plus  judicieuse  que  celle  qui  se  pratique 
en  Italie,  en  Espagne,  en  Portugal,  ces  beaux  pays  dans  les- 
quels, malgré  la  somptuosité  des  institutions  charitables,  on 
chercherait  vainement  la  trace  d'une  bienfaisance  publique 
régulièrement  organisée  et  sagement  répartie.  Toutefois ,  les 
établissements  hospitaliers  de  Turin,  Florence,  Vienne, 
Milan,  Gênes,  et  les  associations  religieuses  philanthropiques 
de  Home  sont  bien  dirigés,  et  font  honneur  à  l'intelligence  et 
aux  vertueuses  sympathies  de  leurs  fondateurs.  Au  Brésil 
la  bienfaisance  publique  ne  mérite  que  des  éloges.  Elle  est 
moms  irréprochable  aux  États-Unis.  Il  est  vrai  que  les  im- 
migrants d'Europe  y  augmentent  incessamment  le  nombre  des 
indigents  secourus  par  les  sociétés  charitables,  et  que  sur 
le  chiffre  de  62,000,  auquel  il  s'élève,  ils  ne  figurent  pas 
pour  moins  de  32,000. 

Chez  nous  les  plan.s  de  l'Assemblée  constituante  de  89 
tendaient  à  organiser  d'une  manière  judicieuse  les  secours 
publics;  mais,  comme  beaucoup  de  bonnes  choses  que  les 


liommes  n'ont  pas  le  temps  d'appliquer,  ces  bonnes  inten- 
tions restèrent  à  l'état  de  projet. 

La  bienfaisance  publique  s'exerce  en  France  au  moyen 
de  secours  à  domicile  distribués  par  les  bureaux  de  bien- 
fiiisance  et  par  un  système  d'hospices  et  d'hôpitaux. 
Voici  quelques-unes  de  ses  principales  applications  ma- 
térielles. 

En  1849  les  1270  hôpitaux  et  hospices  de  France  ont 
coûté  51,900,415  fr.,  et  avec  un  revenu  de  54,116,660  fr.  ils 
ont  secoum  plus  d'un  million  d'indigents.  Pour  Paris  l'admi- 
nistration des  hôpitaux  et  hospices  a  dépensé  cette  même 
année  15,132,164  fr.  sur  une  recette  de  15,236,473  fr., 
non  compris  700,153  fr.  de  dons  particuliers.  Avec  cette 
dépense  on  a  réussi  à  soigner  21,997  personnes,  et  l'on 
a  fait  face  à  l'entretien  de  27,296  lits ,  à  celui  des  édifices, 
aux  achats  des  médicaments ,  aux  frais  du  personnel,  etc. 
Enfin,  les  recettes  générales  de  l'administration  de  la  bien- 
faisance publique  à  Paris  ont  été  en  1850  de  15,032,440  fr., 
et  les  dépenses  de  15,156,962. 

On  a  calculé  qu'il  y  avait  en  France  plus  d'un  million 
d'indigents ,  non  compris  ceux  qui  sont  admis  dans  les  hos- 
pices ou  hôpitaux  et  ceux  qui  sont  passagèrement  privés 
de  moyens  suffisants  de  travail  et  d'existence.  Le  paupé- 
risme a  été  divisé  en  zones ,  suivant  son  degré  d'intensité. 
Ainsi  les  départements  du  Nord,  de  la  Seine,  du  Rhône,  de 
l'Aisne,  de  la  Somme,  d'Ille-et-Vilaine,  du  Morbihan  et 
des  Bouches-du-Rhône  occupent  le  premier  degré  de  la 
ïone  principale.  En  général ,  cependant ,  il  n'y  a  guère  que 
vingt  départements  où  le  nombre  des  indigents  soit  un  peu 
considérable. 

Après  avoir  jeté  un  coup  dœil  sur  l'exercice  de  la  bien- 
faisance pubUque  chez  nous  et  chez  quelques  autres  peuples, 
nous  nous  trouvons  jeté  à  notre  insu  dans  des  doutes  fort 
graves.  Ainsi,  d'un  côté  nous  remarquons  que  les  institutions 
charitables  les  plus  étendues,  les  plus  parfaites,  sont  en 
plein  exercice ,  et  de  l'autre  nous  voyons  qu'elles  sont  im- 
puissantes à  opposer  une  digue  à  la  marée  montante  du 
paupérisme,  qui  envahit  les  sociétés  modernes,  et  fait  triste- 
ment penser  à  cette  sombre  vérité  d'un  poète  anglais  : 

Wbat  is  the  lifc?  A  war,elcrual  war,  wiLb  woe!... 

Aussi  se  demande-t-on  partout  avec  anxiété  si  une  po- 
pulation toujours  croissante ,  une  concurrence  de  plus  en 
plus  anarchique,  l'abandon  de  l'agriculture,  l'agglomération 
des  ouvriers  dans  les  villes,  l'ignorance,  l'inintelligence  de  la 
vie ,  le  manque  de  travail ,  la  fréquence  des  révolutions,  les 
mauvaises  récoltes,  l'immoralité,  ne  sont  pas  les  principales 
causes  des  misères  de  toutes  espèces  qui  désolent  tant  de  pays. 
Et  là  dessus  les  gouvernements  se  mettent  à  reviser  leurs  lé- 
gislations charitables.  Mais  est-il  donc  possible,  même  avec 
une  Uixe  comme  celle  de  l'Angleterre,  d'arriver  à  détruire  le 
paupérisme?  Les  illusions  et  les  théories  sont-elles  encore 
l)ernnses  quand  il  faut  secourir  collectivement  malades, 
indigents ,  orphelins ,  enfants  trouvés ,  sourds-muets,  aveu- 
gles, aliénés,  mendiants,  prisonniers,  etc? 

Malheureusement ,  interroger  ainsi ,  c'est  mal  interroger. 
Presque  partout  la  question  a  été  mal  posée  ;  on  en  a  fait  une 
question  de  morale ,  de  politique ,  presque  de  théologie.  On 
s'est  préoccupé  exclusivement  des  devoirs  de  la  société  en- 
vers les  pauvres ,  comme  s'il  ne  fallait  pas  ,  avant  de  recher- 
cher ce  que  la  société  doit,  s'informer  de  ce  qu'elle /je«^. 

M.  Duchàtel ,  dans  son  livre  sur  la  charité ,  expose  fort 
bien  les  causes  de  la  misère  et  les  tendances  désastreuses  de 
la  charité  légale;  mais  après  être  ainsi  entré  dans  la  bonne 
voie,  il  s'arrête,  et  se  borne  à  «  faire  un  devoir  à  l'État  d'in- 
tervenir à  ses  frais  dans  le  soulagement  des  pauvres  toutes  les 
fois  que  la  prudence  ou  la  charité  ne  suffiront  pas  à  préve- 
nir ou  a  soulager  l'indigence  ».  La  charité  légale  ne  pouvait 
pas  s'exprimer  autrement. 

D'autres  écrivains,  MM.   de  Movogues,  de  Villeneuvc- 


BIENFAISANCE  PUBLIQUE  181 

Bargcmont,  Degérando ,  Thiers,  etc.,  se  sont  placés  dans  la 
question  qui  nous  occupe  sur  un  terrain  si  fictif,  si  mou- 
vant, qu'avec  eux  aucune  lutte  sérieuse ,  profitable  àU 
science,  n'est  possible.  M.  Thiers  résume  ainsi  son  opinion  : 

R  L'État,  comme  l'individu,  doit  être  bienlaisant;  mais, 
comme  lui ,  il  doit  l'être  par  vertu ,  c'est-à-dire  librement, 
et ,  de  plus ,  il  doit  l'être  prudemment.  Et  ce  n'est  pas  pour 
lui  assurer  le  moyen  de  donner  moins  ou  de  donner  peu , 
mais  afin  de  garder  la  fortune  publique,  qui  est  celle  des 
pauvres  encore  plus  que  celle  des  riches;  c'est  afin  de 
maintenir  l'obligation  du  travail  pour  tous,  et  de  prévenir 
les  vices  de  l'oisiveté ,  vices  qui  chez  la  multitude  devien- 
nent facilement  dangereux  et  même  atroces.  Mais  l'État 
libre  et  prudent  dans  sa  liberté  n'en  sera  pas  moins  large- 
ment bienfaisant....  Il  voudra  que  nos  cités  ne  soient  pas  des 
repaires  de  misères  ou  de  vices;  il  s'attachera  à  diminuer  la 
somme  des  souffrances  par  l'amour  du  bien,  qui  égalera 
dans  son  cœur  l'amour  du  beau  et  du  grand.  11  sera  aussi  fier 
d'épargner  aux  étrangers  le  spectacle  de  mendiants  mourant 
de  faim  que  jaloux  de  leur  montrer  nos  monuments  d'art  ou 
de  gloire....  L'État,  en  un  mot,  sera  un  honnête  homme, 
agissant  par  les  impulsions  qui  conduisent  l'Iionnête  homme, 
l'amour  du  bien  et  du  beau,  et  en  étant  un  honnête  homme, 
il  sera  aussi  un  homme  juste  et  sage.  Tels  sont,  à  notre 
avis,  les  seuls  principes  vrais  en  fait  d'assistance.  » 

Tout  cela  est  admirablement  écrit;  mais  qu'est-ce  que  tout 
cela  prouve?  M.  Thiers  se  fait  gloire,  nous  le  savons,  d'i- 
gnorer et  de  nier  les  questions  sociales.  «  Pour  être  consé- 
quent avec  lui-même,  dit  M.  A.-E.  CherbuUicz,  M.  Thiers 
doit  nier  bien  d'autres  choses  encore.  Mais  l'arithmétique, 
pour  être  ignorée  et  niée  par  les  dissipateurs,  n'en  est  pas 
moins  certaine.  «  Aussi,  d'après  l'ex-représentant,  pourvu 
que  l'État  paraisse  largement  bienfaisant  dans  ses  lois,  dans 
son  budget,  et  pourvu  qu'on  empêche  les  pauvres  de  vaguer 
en  haillons,  peu  importe  que  la  misère  augmente  d'année 
en  année. 

L'État,  suivant  M.  CherbuUiez,  ne  doit  ni  pratiquer  la  bien- 
faisance publique  ni  intervenir  dans  l'exeicice  de  la  charité 
privée.  La  bienfaisance  est  un  de  ces  besoins  auxquels  la  so- 
ciété ne  saurait  pourvoir  que  par  elle-même,  par  le  libre  déve- 
loppement de  ses  facultés  morales  et  de  ses  forces  produc- 
trices. Livrée  à  ses  propres  inspirations ,  la  société  ne  tarde- 
rait pas  à  comprendre  que  la  bienfaisance  pour  être  efficace, 
pour  ne  pas  devenir  un  encouragement  à  l'oisiveté,  aux 
vices ,  à  la  fraude,  doit  adopter  certains  principes  et  s'im- 
poser certains  devoirs ,  principes  et  devoirs  qui  peuvent  se 
résumer  ainsi  :  la  charité  doit  combattre  les  causes  de  l'in- 
digence, c'est-à-dire  la  prévenir  en  môme  temps  qu'elle 
s'applique  à  la  soulager.  Elle  doit  travailler  à  détruire  la 
misère  plutôt  qu'à  la  secourir. 

Mais ,  répond  un  prudent  économiste,  M.  Félix  Mornand , 
.<  les  détracteurs  de  la  bienfaisance  publique,  et  M.  Cher- 
buUiez  en  tête,  partent  d'une  donnée  évidemment  morale  et 
équitable  :  à  savoir,  que  tout  homme  ici-bas,  sauf  le  cas 
flagrant  d'impossibilité,  dont  ces  rigides  logiciens  paraissent 
ne  tenir  aucun  compte,  est  chargé  de  pourvoir  à  ses  propres 
destinées;  que  c'est  à  tort  qu'il  compte  sur  la  collection  de 
ses  semblables,  c'est-à-dire  sur  la  société,  pour  l'exonérer  de 
ses  strictes  obligations  envers  soi-même.  "Voilà  le  vrai,  sans 
doute;  mais  dans  la  pratique  que  d'exceptions,  que  de  mal- 
heurs involontaires ,  que  de  précoces  infirmités,  que  de  cons- 
titutions débiles,  que  de  maladies  contractées  sous  l'in- 
fluence même  de  ce  travail  qui  doit  donner  à  tous  le  bien- 
être!  Vous  dites  que  chacun  peut  épargner  :  et  comment, 
si  votre  loi  suprême  de  l'offre  et  de  la  demande  réduit  dan» 
tant  de  cas  les  salaires  au  taux  strict,  sinon  au-dessous  des 
besoins?  Oui ,  les  hôpitaux,  comme  toutes  les  autres  institu 
lions  de  bienfaisance,  doivent  tendre  sans  cesse  à  disparaître 
d'un  milieu  de  plus  en  plus  parfait,  de  plus  en  plus  aisé;  il 
est  permis  de  croire  qu'avec  le  temps,  giâce  aux  progrvs 


182 

de  la  richesse  générale ,  grâce  à  l'hygiène ,  grâce  à  la  mora- 
lisation ,  grâce  à  la  charité ,  grâce  h  une  répartition  peut-être 
plus  équitahle  et  plus  fraternelle  des  produits  du  travail 
humain ,  le  pauvre  échappera  à  la  double  épouvante  et  de 
l'infirmerie  commune,  et  de  l'ossuaire  commun.  Nous  croyons 
au  bien ,  non  pas  complet  sans  doute ,  non  pas  définitif,  mais 
croissant,  malgré  des  oblitérations  passagères,  plus  appa- 
rentes que  réelles.  Toutes  ces  choses  alors,  hôpitaux  et  bu- 
reaux de  charité,  et  autres,  cesseront  d'exister  ou  à  peu  près, 
non  de  par  les  arrêts  des  logiciens  de  Genève,  mais  comme 
les  béquilles  tombent  à  un  boiteux  guéri,  qui  n'en  a  plus 
besoin.  En  l'état  actuel  des  sociétés  chrétiennes,  ces  pallia- 
tifs sont-ils  nécessaires!'  Là  est  apparemment  la  question. 
Que  les  théoriciens  de  Genève  ou  d'ailleurs  répondent  non, 
slls  l'osent.  Quant  à  moi ,  j'estime  que  condamner,  au  temps 
où  nous  vivons,  de  telles  institutions,  comme  pouvant  pa- 
ralyser la  prévoyance,  c'est  tout  justement  proscrire  le  vin, 
l)arce  qu'il  grise;  l'eau,  parce  qu'elle  noie;  l'aliment,  parce 
qu'il  indigère;  la  flamme,  parce  qu'elle  brûle.  » 

E.   G.  DE  MONGLAVE. 

BIENHEUREUX.  C'est  celui  qui  jouit  de  la  béati- 
tude, beatus,  beati,  cœli  cives,  cœlites.  On  dit  la  bien- 
heureuse Vierge  Marie,  les  bienheureux  apôtres.  Le  pa- 
radis est  le  séjour  des  bienheureux ,  c'est-à-dire  de  ceux 
auxquels  une  vie  pure  et  sainte  a  mérité  le  royaume  des 
cieux.  Le  titre  de  bienheureux  est  particulièrement  donné 
par  l'Église  à  ceux  qui  ont  été  béatifiés  (  voyez  Béatifica- 
tion ),  comme  on  donne  le  nom  de  saints  à  ceux  qui  ont 
été  canonisés. 

BIEN  JOINT,  nom  d'un  arbre  de  l'île  de  France,  appelé 
par  les  botanistes  tenninalia  angustifolia  (  voyez  Bada- 
MiER  ),  dont  le  bois  est  dur  et  solide.  Ce  mot  s'est  facilement 
transformé  en  celui  de  benjoin ,  quoique  ce  ne  soit  pas  ce 
végétal  qui  fournisse  le  baume  connu  sous  ce  nom. 

BÏENNE,  synonyme  de  bisannuel. 

BÎENNE  (Lac  de).  Ce  lac,  assez  rapproché  de  celui  de 
Neucliàtel,  dont  il  fut  peut-être  l'extrémité  nord-est  à  une 
époque  très-reculée ,  est  traversé  par  la  Thielle ,  qui  en  sort 
près  de  la  petite  ville  de  Nidau,  et  tombe  dans  l'Aar.  Sa  lon- 
gueur est  d'environ  17  kilomètres,  et  sa  largeur  moyenne 
n'excède  guère  3  kilomètres.  Beaucoup  moins  profond  que 
le  lac  de  Neuchâtel,  dont  il  reçoit  les  eaux,  il  se  comble  sen- 
siblement à  l'embouchure  des  torrents  et  des  ruisseaux  qu'il 
reçoit,  en  sorte  que  la  capacité  de  son  bassin  diminuant  sans 
cesse,  tandis  que  les  eaux  y  affluent  quelquefois  avec  abon- 
dance lors  de  la  fonte  des  neiges ,  ses  bords  sont  exposés  à 
de  fréquentes  inondations.  Nidau  et  ses  environs  en  souffrent 
beaucoup;  car  les  eaux  y  séjournent  assez  souvent,  quel- 
quefois pendant  trois  mois.  Malgré  cet  inconvénient  très- 
grave  et  l'insalubrité  qui  en  est  la  suite  inévitable,  Bienneet 
son  lac  sont  visités  par  tous  les  voyageurs  en  Suisse;  aucun 
ne  se  dispense  de  parcourir  l'île  de  Saint-Pierre,  devenue  si 
célèbre  par  le  séjour  qu'y  fit  J.-J.  Rousseau.  Il  ne  fallait 
rien  moins  que  la  plume  de  cet  écrivain  pour  répandre 
quelque  charme  sur  ces  lieux,  que  la  nature  n'a  pas  plus 
lavorisés  de  ses  dons  qu'une  multitude  de  contrées  qui 
n'excitent  pas  la  curiosité ,  quoique  les  sites  y  soient  encore 
plus  pittoresques  que  sur  les  bords  du  lac  de  Bienne. 

La  ville  de  Bienne,  ou  Bicl,  située  à  l'embouchure  de 
la  Suse  dans  ce  lac ,  sert  d'entrepôt  au  commerce  de  Neu- 
châtel. Bâtie  au  onzième  ou  au  douzième  siècle ,  elle  a  en- 
viron 4,300  habitants,  dont  le  plus  grand  nombre  appartien- 
nent à  la  religion  réformée.  Réunie  à  la  France  à  la  suite  de 
la  r 'volution  de  1798,  elle  fit  retour  en  1815  au  canton  de 
Berne,  auquel  ofle  appartenait  depuis  le  quinzième  siècle. 
Qu()i(iue  la  population  y  parle  allemand ,  une  espèce  de  pa- 
tois français  est  déjà  en  usage  dans  les  villages  voisins.  L'in- 
dustrie de  la  ville  de  Bienne  a  pris  des  développements 
considérables  dans  ces  dernières  années.  La  fabrication  des 
cotons ,  des  cigares  et  du  (il  de  fer  s'y  fait  sur  une  large 


BIENFAISANCE  PUBLIQUE  —  BIENS 


échelle;  celle  des  montres  y  occupait  en  1850  près  de  cinq 
cents  ouvriers.  Feriit. 

BIEN  PUBLIC  (Ligue  du).  C'est  le  nom  donné  à  la 
coalition  armée  qui  se  forma  contre  Louis  XI  peu  de  temps 
après  son  avènement  au  trône.  Ce  prince  s'était  aliéné  la) 
peuple  par  les  impôts  dont  il  l'écrasait,  la  noblesse  par  les 
dédains  dont  il  l'abreuvait  et  l'abaissement  où  il  AT)ulait  la 
(aire  tomber,  le  clergé  par  l'abolition  de  la  Pragmatique- 
Sanction.  Spéculant  sur  le  mécontentement  général,  le  duc 
(le  Bretagne  devint  l'instigateur  de  la  révolte,  et,  secondé  par 
Charles,  comte  de  Charolais,  il  parvint  sans  peine  à  entraîner 
le  duc  de  Bourbon  et  le  duc  de  Berry,  frère  du  roi.  \Sn  ma- 
nifeste, publié  en  mars  1465  par  le  duc  de  Bourbon,  annonça 
que  la  ligue  du  Sien  public  avait  pour  objet  la  réforme  de 
l'État,  le  bien  et  le  soulagement  du  peuple,  et  les  hostilités 
commencèrent. 

Le  duc  de  Bretagne  devait  arriver  par  l'Anjou  avec 
10,000  hommes,  et  le  comte  de  Charolais  par  la  Picardie 
avec  les  forces  de  la  Flandre  et  de  l'Artois.  Le  duc  de  Bourbon, 
soutenu  d'un  côté  par  le  prince  d'Armagnac,  qui  soulevait  le 
Languedoc  et  la  Guienne,  de  l'autre  par  les  troupes  de  la 
Bourgogne,  devait  marcher  sur  le  Berry;  tandis  qu'une 
armée  de  Lorrains  et  d'Italiens  serait  conduite  à  travere 
la  Champagne  par  le  duc  de  Calabre.  Ce  plan  formidable 
était  tracé  de  manière  à  envelopper  Louis  XI  vers  Paris  par 
plus  de  60,000  hommes.  Il  ne  s'effraya  pas  cependant.  Il  dé- 
voila nettemeiit  le  but  des  seigneurs,  et  répondit  au  mani- 
feste du  duc  de  Bourbon  :  «  Si  j'avais  voulu  augmenter 
leurs  pensions  et  leur  permettre  de  fouler  leurs  vassaux 
comme  par  le  passé,  ils  n'auraient  jamais  pensé  au  bien 
public.  « 

Après  avoir  pris  d'énergiques  mesures  de  défense,  chargé 
le  comte  de  Foix  de  maintenir  le  Languedoc,  opposé  le 
comte  du  Maine  au  duc  de  Bretagne,  confié  les  marches  de 
Picardie  au  comte  de  Nevers ,  et  livré  la  gardo  de  Paris  à 
Charles  de  Meulan,  au  cardinal  de  Balue,  et  surtout  à  la 
fidélité  des  bourgeois,  Louis  XI  entra  lui-même  dans  le 
Berry,  à  la  rencontre  du  duc  de  Bourbon  ;  l'ayant  obligé 
ainsi  que  le  prince  d'Armagnac  à  conclure  une  trêve  et,  à 
force  d'habileté ,  de  pardons,  capitulations  et  grâces,  ramené 
à  lui  le  Berry,  il  revint  à  marches  forcées  vers  la  capitale, 
que  le  comte  de  Charolais  avait  tenté  vainement  de  sur- 
prendre. Les  deux  armées  se  rencontrèrent  près  de  Mont- 
Ihéri;  la  bataille  fut  sanglante.  Le  roi  et  le  comte  y  si- 
gnalèrent également  leur  bravoure,  sans  pouvoir  décider 
la  victoire.  A  la  suite  de  ce  combat,  Louis  XI  se  retira  à 
Corbeil,  retraite  qui  faillit  lui  coûter  Paris,  dont  la  haute 
bourgeoisie  se  serait  donnée  aux  princes  sans  la  résistance 
du  peuple,  qui  prit  les  armes  et  fit  échouer  la  trahison.  Enfin, 
après  deux  mois  de  négociation ,  suivant  le  conseil  de  Fran- 
çois Sforza,  duc  de  Milan,  qui  lui  disait  que  pour  dissiper 
la  ligue  il  fallait  tout  promettre,  sauf  à  voir  ensuite  ce  que 
les  circonstances  obligeraient  de  tenir,  Louis  XI  signa  le 
traité  de  Conflans ,  par  lequel  il  cédait  la  Normandie  à  son 
frère,  et  donnait  des  terres  considérables  aux  principaux 
chefs.  Cette  trêve  n'était  sincère  ni  d'un  côté  ni  de  l'autre, 
et  le  roi  ne  tarda  pas  à  la  violer.  Dans  ce  traité  il  ne  fut 
pas  dit  un  mot  du  bien  public,  prétexte  de  la  guerre,  et  le 
peuple  fut  plus  accablé  qu'auparavant. 

BIENS.  En  droit  on  comprend  sous  ce  nom  tout  ce  qui 
est  susceptible  de  propriété  ou  de  possession.  Les  biens  ont 
été  ainsi  nommés  parce  qu'ils  contribuent  au  bien-être  et  au 
bonheur  de  l'homme;  bona  ex  eo  dicunlur  quod  béant, 
quod  beatosj'aciunt. 

Les  biens  se  divisent  en  deux  classes  principales,  les 
meubles  et  les  immeubles.  La  nature,  la  destination 
des  biens  ou  ies  déterminations  de  la  loi  règlent  dans  quelle 
classe  on  doit  les  ranger. 

On  distingue  aussi  les  biens  cor/jore/s,  c'est-à-dire  ceux  qui 

ont  une  existence  matérielle ,  et  les  biens  incorporels,  c'est 


C'CSl-  I 

A 


BIENS  —  BIEKS  COMMUNAUX 


183 


à-dire  ceux  qui  ne  se  manifestent  pas  sous  une  forme  phy- 
sique. Ainsi  un  droit  de  servitude,  une  créance,  un  droit 
d'usufruit,  sont  des  biens  incorporels. 

On  distingue  encore  les  biens  qui  sont  dans  le  commerce 
de  ceux  qui  sont  hors  du  commerce.  Ces  derniers  compre- 
naient, outre  les  biens  du  domaine  public,  ceux  qui  sont 
joints  à  la  dotation  présidentielle,  aux  majorais,  etc. 

Considérés  dans  leurs  rapports  avec  ceux  qui  les  possèdent, 
les  biens  appartiennent  aux  particuliers,  à  l'État ,  aux  com- 
raunes  ou  aux  établissements  publics.  Les  particuliers  ont 
la  libre  disposition  des  biens  qui  leur  appartiennent ,  sous 
les  modifications  étabUes  par  la  loi.  Des  lois  particulières 
déterminent  de  quelle  manière  doivent  être  administrés  les 
biens  qui  appartiennent  à  l'État,  dans  quelles  circonstances 
et  avec  quelles  formalités  ils  peuvent  être  aliénés  (  voyez 
Domaine  public  ).  Enfin ,  des  dispositions  spéciales  régissent 
également  les  biens  possédé.s  par  les  communes,  les  fabriques 
et  les  établissements  de  bienfaisance  {voyez  Biens  commu- 
NACx).  La  loi  protège  également  de  garanties  spéciales  les 
biens  des  mitieurs,  des  interdits,  des  femmes,  des 
absents,  etc. 

Depuis  que  les  ministres  des  cultes  sont  salariés  par  l'État, 
comme  les  fonctionnaires  publics,  la  division  des  biens  ec- 
clésiastiqiies  a  disparu.  Dans  un  article  particulier,  un  sa- 
vant académicien  examinera  la  source  et  l'origine  de  ces 
biens.  Un  autre  article  sera  consacré  aux  biens  de  diverses 
natures  que  la  révolution  réunit  au  domaine  national ,  et  que 
l'on  confondit  depuis  sous  le  nom  de  biens  nationaux. 

Sous  l'ancien  régime  on  appelait  biens  nobles  ceux  qui 
étaient  tenus  en  fiefs,  et  qui,  par  conséquent,  jouissaient  de 
certaines  immunités;  ce  qui  le^  distinguait  des  biens  rotti- 
ricrs ,  soumis  à  toutes  espèces  de  tailles. 

Les  biens  se  sont  subdivisés  ou  se  .subdivisent  encore  en 
propres,  acquêts  et  conquêts,  droits  réels,  biens 
paraphernaux,  etc.  Les  biens  profectices  sont  ceux  qui 
viennent  de  succession  directe;  leurs  possesseurs  sont  dési- 
gnés, dans  la  pratique,  sous  le  nom  de  bien-tenants.  Les 
biens  adventices  sont  ceux  qui  procèdent  d'ailleurs  que 
de  succession  de  père  ou  de  mère,  d'aieul  ou  d'aïeule.  Les 
biens  dotaux  procèdent  de  la  dot,  et  leur  aliénation  n'est 
pas  permise  au  mari.  Il  y  avait  encore  autrefois  les  biens  ré- 
ceptices ,  qui  étaient  ceux  que  les  femmes  pouvaient  retenir 
en  pleine  propriété  pour  en  jouir  à  part,  et  qui  étaient  dis- 
tincts des  biens  paraphernaux  et  des  biens  dotaux. 

Enfin,  les  biens  vacants  sont  ceux  qui  se  trouvent  aban- 
donnés, soit  que  leurs  possesseurs  en  mourant  ne  laissent 
point  d'héritiers,  soit  par  renonciation  de  la  part  de  ceux-ci. 
Ils  tombent  alors  dans  le  domaine  de  l'État,  avec  tous  les 
autres  biens  ad  flscum  spectantia,  tels  que  chemins  publics , 
fleuves  et  rivières  navigables ,  etc. 

BIENS  COMMUNAUX.  On  comprend  sous  cette  dé- 
nomination ceux  à  la  propriété  ou  au  produit  desquels  les 
habitants  d'une  ou  plusieurs  communes  ont  un  droit  acquis. 
(  Code  Napoléon ,  article  542.  ) 

Dans  l'ancien  droit,  on  appelait  communaux  les  ma- 
rais ,  prés ,  pâtis ,  bois  et  autres  biens  qui  appartenaient  aux 
communautés  d'habitants  ou  communes.  Indépendamment 
des  biens  communaux  proprement  dits,  on  distinguait  les 
usages,  qui  consistaient  dans  les  droits  que  les  communes 
possédaient  sur  certains  biens  dont  elles  n'avaient  pas  la 
propriété.  Le  droit  intermédiaire,  c'est-à-dire  celui  qui  fut 
établi  par  les  lois  de  la  révolution ,  différait  peu  des  dispo  • 
sitions  actuelles. 

Quelle  était  l'origine  des  biens  communaux,  ou,  pour 
parler  plus  exactement,  d'où  provenait  la  propriété  des  com- 
munes? C'est  ce  qu'il  n'est  pas  toujours  facile  de  déterminer. 
Si  l'on  examine  les  lois  qui  ont  été  rendues  à  diverses  épo- 
ques, notamment  sur  ia  matière  du  triage,  il  paraît  cer- 
tain que  le  principe  de  la  féodalité,  qui  dérivait  de  la  con- 
quête, a-jdnt  attribué  aux  seigneurs  la  totalité  du  terriloire, 


ceux-ci  l'ont  concédé  quelquefois  à  titre  onéreux,  mais  plus 
ordinairement  à  titre  gratuit,  à  leurs  vassaux,  à  la  charge 
de  le  cultiver  ou  de  le  foire  valoir  ;  et  telle  fut ,  pour  un 
grand  nombre  de  communes,  la  cause  de  leur  établissement 
ou  la  source  de  leur  prospérité.  D'autres  fois ,  le  seigneur 
n'abandonnait  pas  la  propriété  des  biens  qu'il  concédait  aux 
habitants;  il  se  bornait  à  leur  en  permettre  Vusage  d'une 
manière  indéfinie.  Au  premier  cas,  la  concession  étant  con- 
sidérée comme  gratuite,  et  faite  non-seulement  dans  l'inté- 
rêt des  vassaux,  mais  dans  celui  du  seigneur  lui-même, 
puisqu'il  était  membre  de  la  commune,  on  supposait  qu'il 
avait  conservé  son  droit  à  la  chose  dans  la  proportion  des 
besoins  de  sa  famille  ou  de  sa  maison,  et  on  lui  attribuait  une 
part  très-considérable,  qui  était  ordinairement  fixée  au  tiers 
de  la  totalité  des  biens  concédés  ;  c'est  ce  qu'on  appelait  le 
droit  de  triage.  Alors  il  devenait  propriétaire  exclusif  de  ce 
tiers,  et  la  commune  conservait  exclusivement  les  deux  autres 
tiers.  Lorsque  le  seigneur  n'avait  concédé  qu'un  droit  d'usage 
dans  les  biens  de  la  seigneurie,  il  pouvait,  à  son  choix,  s'en 
affranchir  ou  le  faire  régler.  Pour  s'en  affranchir  il  cédait 
aux  habitants  une  portion  déterminée  de  la  terre ,  et  cette 
autre  espèce  de  triage  était  connue  sous  le  nom  de  canton^ 
nement.  Pour  modifier  simplement  le  droit,  ou  le  rendre 
moins  onéreux  à  la  seigneurie ,  moins  nuisible  à  l'agricul- 
ture ,  le  seigneur  pouvait  recourir  à  la  voie  de  Vamcnage- 
nient ,  c'est-à-dire  qu'il  faisait  régler  l'usage  du  droit,  qui 
en  conséquence  s'exerçait  tantôt  sur  une  partie ,  tantôt  sur 
une  autre,  de  telle  sorte  que  ce  droit  en  lui-même  n'était 
point  altéré,  et  que  de  son  côté  le  seigneur  ne  cessait  pas 
d'être  propriétaire  du  fonds.  11  résulte  de  ce  qui  vient  d'être 
dit  que  le  droit  de  cantonnement  ou  A'aménagement  ne 
pouvait  être  réclamé  que  par  le  maître  du  sol,  puisque 
lui  seul  était  propriétaire  et  que  lui  seul  avait  un  intérêt 
véritable  à  l'affranchissement  de  la  propriété.  Cependant  la 
loi  du  19  septembre  1790  a  intei-vcrti  sur  ce  point  les  an- 
ciennes règles,  en  accordant  aux  usagers  le  droit  de  ré- 
clamer eux-mêmes  le  cantonnement.  Du  reste ,  quelle  était 
rétendue  de  ce  droit,  c'est-à-dire  quelle  était  la  portion  at- 
tribuée aux  communes?  A  cet  égard  il  n'existait  rien  de 
Lien  précis  :  généralement  il  en  était  comme  en  matière  de 
triage,  et  le  tiers  était  la  base  ordinaire;  mais  cette  me- 
sure n'était  pas  invariable,  elle  pouvait  être  augmentée  ou 
diminuée  suivant  les  titres ,  les  circonstances  et  les  besoins 
bien  constatés  des  communes. 

Au  surplus,  tous  les  droits  dont  nous  venons  de  parler  ont 
été  supprimés  par  les  lois  de  la  révolution.  Il  est  essentiel 
de  faire  remarquer  encore  que  non-seulement  les  lois  ont 
aboli  les  droits  dont  il  s'agit,  mais  que,  par  un  effet  ré- 
troactif, elles  ont  anéanti  les  jugements  et  transactions  qui 
avaient  réglé  les  droits  des  anciens  seigneurs  à  l'égard  des 
communes ,  et  ont  attribué  à  celles-ci  la  propriété  pleine 
et  exclusive  de  tous  les  biens  qui  avaient  fait  l'objet  de  ces 
transactions.  «  Avant  la  loi  du  28  août  1792,  dit  M.  Mer- 
lin, les  jugements  passés  en  force  de  chose  jugée,  les  trans- 
actions sur  procès  et  la  prescription  avaient  contre  les  com- 
munes, relativement  aux  biens  communaux,  les  mômes 
effets  en  faveur  des  seigneurs  de  leur  territoire  qu'en  fa- 
veur des  simples  particuliers.  Mais  l'article  8  de  cette  loi  en 
a  disposé  autrement  :  suivant  cet  article,  les  communes 
qui  justifieront  avoir  anciennement  possédé  des  biens  ou 
droits  d'usage  quelconques  dont  elles  auront  été  dépouil- 
lées, en  totalité  ou  en  partie,  par  des  ci-devant  seigneurs, 
pourront  se  faire  réintégrer  dans  la  propriété  ou  possession 
desdits  biens  ou  droits  d'usage,  nonobstant  tous  édits,  dé- 
clarations,  arrêts  du  conseil ,  lettres-patentes,  jugements  et 
possessions  contraires,  à  moins  que  les  ci-devant  seigneurs 
n'en  représentent  un  acte  authentique  qui  constate  qu'ils 
ont  légitimement  acheté  Icsdits  biens.  » 

Indépendamment  de  cette  disposition  législative,  qui  a 
ouvert  la  porle  à  une  foule  de  prétentions  et  donné  nais- 


184 

sance  à  de  nombreux  procès  ,  la  même  loi  investit  tout  à 
coup  les  communes  de  toutes  les  terres  vaines  et  vagues  , 
landes ,  biens  vacants  situés  dans  l'étendue  de  leur  terri- 
toire, alors  même  qu'elles  ne  pouvaient  justifier  qu'elles 
les  avaient  anciennement  possédés ,  et  il  leur  a  suffi  de  les 
réclamer  dans  le  délai  de  cinq  ans  pour  en  obtenir  l'ad- 
judication. Ce  n'est  pas  tout  :  la  loi  du  28  août  1792  avait 
établi  une  exception ,  et  elle  avait  maintenu  les  anciens  sei- 
gneurs dans  la  propriété  des  ferres  vaines  et  vagues,  landes, 
marais  et  biens  vacants ,  lorsqu'ils  justifiaient  les  avoir  pos- 
sédés depuis  quarante  années  :  la  loi  du  10  juin  1793  supprima 
encore  l'exception,  en  statuant  que  la  possession  de  quarante 
ans  ne  pourrait  en  aucun  cas  suppléer  le  titre  légitime,  et 
en  ajoutant  que  ce  titre  légitime  devait  être  un  acte 
autbentique  constatant  que  les  ci-devant  seigneurs  avaient 
réellement  et  ré^çu fièrement  acheté  lesdits  biens.  On  con- 
çoit qu'une  semblable  législation  ait  dû  susciter  de  nom- 
breuses difficultés  :  et  en  effet  les  tribunaux  ont  long- 
temps retenti  des  plaintes  et  des  contestations  auxquelles 
l'application  des  lois  dont  on  vient  de  parler  a  donné  lieu. 

Mais  cette  matière  des  biens  communaux  était  difficile 
à  régler  :  il  ne  suffisait  pas  d'attribuer  aux  communes  la 
propriété  de  certains  corps  d'héritage,  il  fallait  détermi- 
ner un  mode  de  jouissance,  et  là  s'élevèrent  de  sérieuses 
contestations;  là  les  prétentions  individuelles  se  montrèrent 
à  découvert. 

La  jouissance  en  commun  ne  satisfaisait  guère  l'intérêt 
personnel;  car  aux  yeux  des  individus  quelle  est  la  va- 
leur d'une  possession  qui  appartient  à  tous ,  et  dont  aucun 
ne  peut  disposer?  Aussi  l'Assemblée  législative  se  bûta- 
t-elle  de  décréter  (14  août  1792)  que  tous  les  terrains  et 
usages  communaux,  et  autres  que  les  bois,  seraient  par- 
tages entre  les  citoyens  de  chaque  commune ,  que  ces 
citoyens  jouiraient  en  toute  propriété  de  leurs  portions  res- 
pectives; que  les  biens  connus  sous  le  nom  de  sursis  et  va- 
cants seraient  également  divisés  entre  les  habitants,  et  que 
pour  fixer  le  mode  de  partage  le  comité  d'agriculture  pré- 
senterait dans  trois  jours  un  projet  de  décret. 

Ct  terme  de  trois  jours  annonçait  assez  l'impatience 
des  prétendants  au  partage  ;  mais  il  était  évident  qu'une 
loi  de  cette  importance  exigeait  un  peu  plus  de  maturité. 
Aussi ,  le  1 1  octobre ,  fallut-il  déclarer  que  le  travail  n'était 
pas  achevé  :  la  Convention  nationale  prorogea  le  délai. 
Mais  le  10  juin  1793  la  loi  fut  présentée,  et  le  partage 
des  biens  communaux  fut  décrété.  Tout  habitant  domicilié 
y  fut  appelé ,  quel  que  fût  son  âge  ou  son  sexe ,  qu'il  fût 
présent  ou  absent,  qu'il  eût  le  titre  de  maître  ou  qu'il  fut 
simple  domestique  :  chacun  dut  y  recueillir  part  égale  ;  ct 
pour  être  réputé  domicilié  il  suffisait  d'avoir  habité  la 
commune  pendant  un  an  avant  la  promulgation  de  la  loi. 
Toutefois ,  il  fut  dit  que  le  partage  serait  facultatif,  et  que 
les  habitants  auraient  le  droit  de  s'assembler  pour  décider  si 
les  biens  communaux  devaient  être  partagés  en  tout  ou  en 
partie.  Mais  cette  disposition ,  qui  pouvait  avoir  un  résultat 
avantageux ,  fut  paralysée  par  celle  qui  déclara  que  le  tiers 
des  voix  serait  suffisant  pour  déterminer  le  partage.  Et  pour- 
tant il  arriva  que  dans  plus  d'une  circonstance  l'intérêt  bien 
entendu  de  la  commune  prévalut  sur  l'avidité  des  indivi- 
dus ;  et  c'est  ainsi  que  plusieurs  communes  ont  conservé  les 
biens  dont  elles  jouissent  aujourd'hui. 

N'oublions  pas  de  remarquer  que  la  Convention,  qui  s'é- 
tait montrée  si  jalouse  de  faire  rentrer  dans  les  mains  des 
conmiunes  ceux  de  leurs  biens  dont  elles  pouvaient  avoir 
été  dépouillées  par  l'effet  ou  l'abus  de  la  puissance  féodale, 
ne  parut  plus  aussi  empressée  quand  il  fallut  appliquer  le 
principe  aux  biens  comnumaux  dont  la  nation  était  devenue 
propriétaire  par  l'effet  de  la  confiscation  opérée  sur  les  or- 
dres monastiques  ou  sur  les  émigrés.  A  cet  égard  elle  dé- 
cida formellement  que  la  partie  des  communaux  possédée 
par  les  communautés  ecclésiastiques  ou  les  émigrés  appar- 


BIENS  COMiVlUNAUX 

tiendrait  à  la  nation  et  ne  serait  point  restituée  aux  com» 
munes. 

L'Assemblée  nationale  avait  sagement  excepté  le  sol  des 
bois  du  partage  des  biens  communaux  ;  mais  il  restait  à  ré- 
gler le  mode  du  paitage  en  ce  qui  concernait  le  produit  de 
ces  bois  ou  leur  superficie  :  sur  ce  point  la  Convention  na- 
tionale n'eut  pas  autre  chose  à  faire  qu'à  appliquer  le  prin- 
cipe posé  dans  la  loi  du  10  juin,  et  il  fut  dit  par  le  décret  du 
26  nivôse  an  II  que  les  bois  coupés  seraient  partagés,  non 
par  feux,  mais  par  têtes.  On  alla  même  jusqu'à  soutenirque 
cette  disposition  devait  avoir  un  effet  rétroactif  ;  mais  la  pré- 
tention fut  rejetée  par  le  décretdu  28  ventôse  an  II. 

On  voulut  pousser  plus  loin  encore  le  système  de  réaction. 
Une  commune  du  département  de  l'Yonne ,  interprétant  de 
la  manière  la  plus  large  la  loi  du  28  août  1792,  qui  avait 
réintégré  les  communes  dans  les  biens  dont  elles  avaient 
été  dépouillées  par  l'effet  de  la  puissance  féodale,  demanda 
la  restitution  des  fruits  précédemment  perçus  par  les  ci-de- 
vant seigneurs.  Peut-être  cette  prétention  eût-elle  été  ac- 
cueillie si  les  anciens  seigneurs  eussent  été  en  possession 
de  tous  leurs  biens;  mais  les  lois  sur  l'émigration  en  avaient 
attribué  une  grande  partie  à  la  république  :  c'était  donc  sur 
la  nation  qu'en  définitive  la  réclamation  devait  porter.  Aussi 
b  Convention  décida-t-clle  (6  germinal  an  II)  «  qu'on  ne 
pouvait  ordonner  une  pareille  restitution  de  fruits  sans 
donner  lieu  contre  le  trésor  public  à  des  réclamations  dont 
l'effet  serait  aussi  onéreux  à  la  nation  que  la  cause  en  se- 
rait injuste.  » 

De  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut,  on  a  pu  tirer  la 
conséquence  que  les  partages  lurent  souvent  effectués  avec 
empressement ,  avec  précipitation;  et  en  effet  il  parait 
que  dans  plus  d'un  cas  il  n'en  fut  pas  même  dressé  un 
acte  par  écrit.  C'est  pour  remédier  à  cet  état  de  choses ,  et 
pour  empêcher  les  perturbations  qui  pouvaient  en  résulter, 
que  fut  rendu  le  décret  du  9  ventôse  an  XII.  Par  ce  décret 
il  lut  dit  que  tous  les  partages  de  biens  communaux  dont 
il  avait  été  dressé  acte  seraient  exécutés,  et  qu'à  l'égard  de 
ceux  qui  n'avaient  pas  été  rédigés  par  écrit,  les  détenteurs 
des  biens  seraient  maintenus  en  possession  provisoire  et 
pourraient  devenir  propriétaires  incommutables,  à  la  charge 
par  eux,  «  1°  de  laire  la  déclaration ,  devant  le  sous-préfet , 
du  terrain  qu'ils  occupent,  de  l'état  dans  lequel  ils  l'ont 
trouvé  et  de  celui  dans  lequel  ils  l'ont  mis  ;  2"  de  se  sou- 
mettre à  payer  à  la  commune  une  redevance  annuelle,  ra- 
chetable  en  tout  temps  pour  vingt  fois  la  rente,  et  qui  sera 
fixée,  d'après  estimation,  à  la  moitié  du  produit  annuel  du 
bien  ou  du  revenu  dont  il  aurait  été  susceptible  au  moment 
de  l'occupation.  »  Par  cette  espèce  à'auinislie  lurent  ter- 
minées toutes  les  contestations  auxquelles  les  partages  ir- 
réguliers des  biens  communaux  avaient  donné  lieu ,  et  de 
ce  moment  on  entra  dans  un  meilleur  système  d'adminis- 
tration. 

Une  première  loi  du  19  ventôse  an  X,  confirmée  par  une 
autre  du  9  floréal  an  XI,  régla  l'administration  de  l'espèce 
la  plus  précieuse  de  ces  biens,  c'est-à-dire  des  bois  et  forêts, 
ct  en  confia  la  surveillance  à  l'agence  forestière.  Une  autre 
loi,  du  22  mars  1806,  attribua  à  cette  agence  la  poursuite 
des  délits  commis  dans  les  bois.  Bientôt  on  sentit  la  néces- 
sité de  revenir  sur  les  dispositions  de  la  loi  du  26  nivôse 
an  II,  qui,  du  reste,  avait  été  confirmée  par  un  arrêté  du  19 
frimaire  an  X,  et  qui  décidait  que  le  partage  des  bois  devait 
se  faire  par  tète  d'habitant.  En  conséquence ,  il  fut  ordonné 
par  un  décret  in)pcrial  du  26  avril  1808  que  les  partages  se 
fissent  par  feu ,  c'est-à-dire  par  chef  de  famille  ayant  domi- 
cile :  tel  est  le  mode  qui  s'exécute  encore  aujourd'hui. 

Une  autre  décision  avait  mis  obstacle  à  un  abus  qui  avait 
semblé  vouloir  s'introduire  :  par  un  arrêté  des  consuls,  en 
date  du  7  germinal  an  IX,  il  lut  établi  qu'aucun  bien  rural 
appartenant  aux  hospices,  aux  établissements  d'instruction 
publique,  &\x\  communautés  d'habitants,  ne  pourrait  être 


BIENS  COMMUrs^AUX  —  BIENS  ECCLÉSIASTIQUES 


concédé  à  bail  à  longues  années  qu'en  Tertu  d'arrêté  spé- 
cial des  consuls. 

Ce  n'était  pas  assez  de  pourvoir,  par  des  règlements  sévères, 
à  l'administration  des  biens  communaux,  il  fallait  veiller  à 
ce  que  ces  biens  ne  fussent  pas  compromis  par  des  procès 
entrepris  ou  soutenus  témérairement.  Aussi  l'arrêté  des 
consuls  du  17  vendémiaire  an  X  défendait-il  aux  créanciers 
des  communes  d'intenter  contre  elles  aucune  action  sans  en 
avoir  préalablement  obtenu  la  permission  par  écrit  du  con- 
seil de  préfecture.  Et  cet  arrêté  ne  fut  d'ailleurs  rendu  que 
par  une  conséquence  des  lois  des  14  décembre  t789,  29 
vendémiaire  an  V  et  28  plu^-iôse  an  VIII,  qui  voulaient  que 
les  communes  ne  pussent  plaider  sans  l'autorisation  de  l'ad- 
ministration supérieure. 

A  plus  forte  raison  devait-on  interdire  aux  communes  de 
transiger  sans  une  garantie  expresse  et  formelle  de  l'op- 
portunité de  la  transaction  :  c'est  pourquoi  l'arrêté  du 
21  frimaire  an  Xll  consacrâtes  dispositions  suivantes  :  «  Ar- 
ticle l^"".  Dans  les  procès  nés  ou  à  naître  qui  auraient  lieu 
entre  des  communes  et  des  particuliers  sur  des  droits  de 
propriété,  les  communes  ne  pourront  transiger  qu'après 
une  délibération  du  conseil  municipal  prise  sur  la  consulta- 
tion de  trois  jurisconsultes  désignés  par  le  préfet  du  départe- 
ment et  sur  l'autorisation  de  ce  même  préfet ,  donnée  d'après 
l'avis  du  conseil  de  préfecture.  —  Article  2.  Cette  transac- 
tion, pour  être  défmitivement  valable,  devra  être  homologuée 
par  un  arrêté  du  gouvernement,  rendu  dans  la  forme 
prescrite  pour  les  règlements  d'administration  publique.  » 

Il  va  sans  dire  que  les  communes  ne  peuvent  consentir 
aucune  vente  ou  aliénation  de  leurs  biens  ni  emprunter 
aucune  somme  sans  y  être  autorisées  dans  la  forme  légale. 
L'édit  du  mois  d'avril  1CS3,  la  déclaration  du  2  août  1C87 
et  l'arrêt  du  conseil  du  24  juillet  1775  contenaient  à  cet 
égard  des  prohibitions  expresses.  Aujourd'hui  les  disposi- 
tions de  la  loi  sont  encore  plus  précises ,  et  pour  qu'une 
commune  puisse  aliéner  ou  emprunter  il  feut  1°  que  la 
demande  en  soit  faite  par  le  conseil  municipal  ;  2°  que  sur 
cette  demande  il  intervienne  un  avis  du  préfet,  le  sous- 
préfet  entendu  ;  3°  qu'une  loi  soit  rendue  sur  la  proposi- 
tion du  gouvernement. 

On  sait  que  l'amodiation  des  biens  communaux  rentre 
dans  le  système  de  l'administralion  ordinaire ,  et  qu'elle  est 
placée  dans  les  attributions  des  maires  des  communes. 

Enfin ,  pour  compléter  cet  aperçu  de  la  législation  sur 
les  biens  communaux ,  nous  devons  ajouter  que  chaque 
année  les  recettes  que  les  communes  doivent  effectuer  et 
les  dépenses  qu'elles  peuvent  faire  sont  réglées  d'avance 
par  un  acte  que  l'on  est  convenu  d'appeler  du  nom  étranger 
de  budget.  Aux  termes  d'un  arrêté  du  gouvernement ,  en 
date  du  4  thermidor  an  IV,  les  budgets,  après  avoir  été 
préparés  par  les  maires  assistés  des  conseils  municipaux , 
sont  arrêtés  par  les  préfets  pour  les  communes  qui  n'ont 
pas  plus  de  20,000  fr.  de  revenu  ,  et  par  le  gouvernement 
pour  les  communes  dont  les  revenus  excèdent  cette  somme. 
Chacun  sait ,  d'ailleurs ,  que  les  comptes  de  l'administration 
des  deniers  communaux  sont  soumis  à  la  vérification  de 
l'autorité  supérieure ,  et  que  la  cour  des  comptes  est  même 
appelée  à  exercer  son  contrôle  sur  la  gestion  des  receveurs 
municipaux  ;  en  sorte  que  le  système  légal  de  garantie  paraît 
complet  et  assuré.  Dcbard,  ancleo  procureur  gcDcral. 

BIEXS  ECCLÉSIASTIQUES.  Jésus -Christ  avait 
dit  :  n  Mon  royaume  n'est  pas  de  ce  monde.  »  Il  avait 
enseigné  au  prêtre  à  ne  posséder  rien  en  propre,  à  vendre 
ce  qu'il  avait  et  à  le  distribuer  aux  pauvres,  s'il  voulait 
arriver  à  la  perfection.  Il  lui  défendait  expressément  de  thé- 
sauriser sur  la  terre ,  et  il  ne  rencontra  parmi  ses  apôtres 
qu'un  seul  homme  qui  osa  transgresser  sa  loi.  Judas  volait 
la  bourse  commune,  dont  il  était  chargé,  et  il  vendit  son 
maître  lui-même  pour  accroître  son  pécule.  Cet  exemple  fut 
Ijeu  suivi  des  chrétiens  pendant  les  deux  premiers  siècles 

DICT.    DE   L\   CONVERS,    —    T.    lU, 


155 

de  l'Église  :  on  y  compta  peu  d'usuriers  et  de  fripons.  La 
masse  des  fidèles  observait  scrupuleusement  les  préceptes  du 
divin  législateur.  On  ne  cherchait  pas  à  posséder  quand  la 
persécution  était  toujours  présente  et  qu'elle  menaçait  à 
chaque  instant  d'une  confiscation  soudaine.  Les  collectes 
et  le,?,  offrandes  étaient  les  seuls  revenus  de  l'Église.  L'évo- 
que était  chargé  de  la  distribution;  et  quand  la  multiplica- 
tion des  chrétiens  eut  augmenté  les  charges  et  les  devoirs 
de  l'épiscopat,  les  diacres  furent  créés  pour  avoir  soin 
de  recueillir  et  de  distribuer  les  aumônes.  Ils  furent  insti- 
tués dans  toutes  les  églises  d'Occident  et  d'Orient ,  et  celles 
qui  prospéraient  plus  que  les  autres  venaient  au  secours  des 
plus  pauvres.  Saint  Paul  raconte  qu'il  faisait  des  collectes 
en  Macédoine  et  en  Grèce  pour  subvenir  aux  besoins  de  l'É- 
glise de  Jérusalem. 

C'est  vers  le  milieu  du  troisième  siècle  que  la  corruption 
se  glissa  parmi  les  chrétiens.  Les  évêques  cherchaient  dès 
lors  à  s'enrichir  à  leurs  dépens,  et  faisaient  l'usure  pour 
augmenter  leurs  richesses.  Saint  Cyprien  le  remarque  comme 
un  abus  assez  ordinaire,  et  leur  prédit  une  persécution  comme 
une  punition  divine.  L'empereur  Dèce  se  chargea  d'accomplir 
cette  prophétie.  Cependant  l'Église  ne  possédait  encore  au- 
cun immeuble  :  les  lois  romaines  s'y  opposaient.  Aucun 
collège,  aucune  communauté  ne  pouvait  avoir  de  biens  com- 
muns sans  l'approbation  du  sénat  ou  de  l'empereur,  et  les 
chrétiens  n'étaient  pas  alors  en  position  d'obtenir  ces  sortes 
de  dispenses.  L'exemple  d'Ananie  et  de  Saphire,  qu'on  a  tant 
cité,  est  un  témoignage  irrécusable  de  la  non-possession.  Ils 
n'apportèrent  pas  leurs  biens  à  saint  Pierre;  ils  les  vendirent, 
et  lui  en  remirent  la  valeur.  Cependant ,  les  débats  perpé- 
tuels des  Césars,  leurs  guerres  sanglantes ,  les  révoltes  de 
leurs  soldats,  ayant  produit  partout  le  relâchement  de  la 
discipline  et  la  violation  des  lois,  les  prêtres  chrétiens  osèrent 
accepter  des  donations  d'immeubles,  et  ces  donations  fu- 
rent considérables  ;  mais ,  en  302 ,  Dioclétien  et  Jlaximien 
en  ordonnèrent  la  confiscation ,  et  le  décret  fut  exécuté  par- 
tout, hormis  dans  les  Gaules,  dont  le  gouverneur  Constance- 
Chlore  désobéit  sur  ce  point  aux  deux  empereurs.  Huit  ans 
après,  ces  biens  furent  rendus  à  l'Église  par  Maxence;  et 
cette  indulgence  fut  bientôt  convertie  en  droit  par  Constantin 
et  Licinius  ,  qui  permirent  aux  ecclésiastiques  d'acquérir  et 
de  posséder.  Cet  édit  ou  constitution  est  de  l'an  321 ,  et  de 
cette  époque  datent  la  cupidité,  l'ambition,  la  tyrannie,  la 
corruption  et  tous  les  vices  qui  ont  déshonoré  l'Église. 

Les  prêtres  oublièrent  les  enseignements  du  Christ  et  les 
paroles  de  saint  Paul  sur  l'avarice  ;  et  pourtant  la  loi  de  Jésus- 
Christ  ordonne  sans  ambiguïté  au  prêtre  de  ne  rien  posséder 
en  propre,  de  vivre  d'offrandes  et  d'aumônes,  et  surtout  de 
les  distribuer  aux  pauvres.  Il  avait  pu  être  permis  à  l'em- 
pereur Aurélien  d'adjuger  à  l'Église  d'Antioche  une  maison 
que  lui  disputait  Paul  de  Saniosate ,  évêque  déposé  de  ce 
siège,  et  de  consacrer  ainsi  pour  les  Églises  le  droit  de  pos- 
session ;  Aurélien  n'était  pas  obligé  d'observer  les  lois  du 
christianisme,  qu'il  ne  professait  pas.  ISIais  Constantin, 
orthodoxe,  violait  ouvertement  les  préceptes  de  la  religion 
qu'il  adoptait  ;  et  les  évêques ,  plus  éclairés  que  cet  hypo- 
crite, auraient  dû  refuser  le  privilège  qu'il  leur  accordait. 
Us  usèrent  au  contraire  de  la  permission  avec  une  telle 
avidité ,  ils  firent  des  acquisitions  si  scandaleuses ,  si  outra- 
geantes pour  la  morale  publique,  que,  cinquante  ans  après 
l'édit  de  Constantin,  Valentinien  1"  se  vit  dans  l'obligation 
d'y  mettre  ordre ,  et  les  termes  de  ce  nouvel  édit  n'attestent 
que  trop  les  moyens  illicites  dont  les  prêtres  se  servaient 
pour  accroître  leurs  richesses.  Valentinien  défend  aux  clercs 
de  fréquenter  les  maisons  des  veuves  et  des  pupilles,  livre 
les  délinquants  au  bras  séculier,  leur  interdit  d'accepter  le 
legs  d'une  femme  avec  laquelle  ils  auraient  eu  des  liaison? 
particulières,  casse  les  testaments  de  ce  genre ,  et  confisque 
les  biens  qu'ils  en  auraient  reçus.  Six  ans  avant  cette  loi , 
en  3Gi,  saint  Jérôme  avait  remarqué  ces  désordres.  Il  écrivait 

24 


186 

h  Euslocliic  :  «  Quand  vous  voyez  les  prùlres  aborder  d'im 
air  doux  et  sanctilié  les  riclies  veuves  qu'ils  rencontrent, 
vous  croiriez  que  leur  main  ne  s'étend  (jue  pour  leur  donner 
des  bénédictions ,  c'est  au  contraire  pour  recevoir  le  prix  de 
leur  hypocrisie.  » 

Le  scandale  ayant  continué,  l'édit  de  Valentinien  fut  re- 
nouvelé en  390  par  ïliéodose;  mais  toutes  ces  ordonnances 
restèrent  sans  effet.  Les  évoques  étaient  déjà  les  maîtres  du 
monde  romain,  et  leur  cupidité  n'avait  plus  de  bornes. 
Saint  Jean  Clirysostome  leur  reprochait ,  vers  l'an  404 , 
d'abandonner  leurs  fonctions  ecclésiastiques  pour  vendre 
leurs  denrées,  pour  soigner  leurs  métairies,  de  passer  leur 
temps  à  plaider  au  lieu  d'instruire  le  peuple.  Dix  ans  plus 
tard ,  saint  Augustin  prêchait  aussi  contre  les  acquisitions 
immodérées  des  ecclésiastiques.  11  publiait  qu'il  était  mieux 
de  laisser  les  biens  aux  héritiers  naturels  que  de  les  donner 
aux  prêtres;  et  il  joignait  l'exemple  au  précepte,  en  refusant 
rm  grand  nombre  de  donations  pour  son  église  d'Hippone, 
disant  en  chaire  qu'il  aimerait  mieux  vivre  d'offrandes  et  de 
collectes,  suivant  la  loi  du  Christ,  et  qu'il  aurait  plus  de 
temps  à  donner  à  ses  devoirs  spirituels.  Il  ne  cherchait  pas 
ainsi  dans  les  lois  de  Moïse  ce  qui  était  favorable  à  l'avarice  ; 
il  imitait  au  contraire  les  prêtres  hébreux ,  qui  se  plai- 
gnirent un  jour  à  leur  hjgislateur  que  le  peuple  leur  donnait 
au-dessus  de  leurs  besoins ,  et  Moïse  défendit  au  peuple  de 
donner  davantage.  Jésus-Christ  n'avait  d'ailleurs  demandé 
jjour  ses  apôtres  que  le  vivre  et  le  vêtement,  victum  et  ves- 
titum  ;  et  les  successeurs  des  apôtres  voulaient  des  châteaux, 
des  palais,  des  fermes,  des  chars  et  des  pierreries. 

La  corruption  avait  fait  tant  de  progrès  que  ces  biens , 
destinés  primitivement  à  la  nourriture  des  pauvres ,  étaient 
détournés  de  leur  origine  par  les  évoques.  Ce  nouveau  dé- 
sordre nécessita  un  nouveau  règlement.  Il  fut  statué  en  470, 
dans  les  Églises  d'Occident,  que  les  biens  ecclésiastiques  se- 
raient divisés  en  quatre  parts  :  la  première  était  pour  l'é- 
vêque,  la  seconde  pour  les  prêtres,  la  troisième  pour  l'en- 
tretien des  églises  et  des  maisons  cléricales,  la  quatrième, 
enfin,  pour  les  pauvres.  Ce  règlement  fut  compensé  par  l'é- 
dit de  Marcien ,  qui ,  rapportant  vers  la  môme  année  ceux 
de  Valentinien  et  de  Thcodose ,  remit  les  orphelins  et  les 
veuves  au  pillage  ;  et  de  peur  que  les  gens  d'Église  ne  l'eus- 
sent pas  compris ,  l'édit  de  Marcien  fut  confirmé  en  527  par 
Justinien.  L'empereur  Anastasc  avait  fait  plus  :  en  491  il 
avait  déclaré  que  les  legs  faits  à  l'Église  ne  se  prescriraient 
que  par  quarante  ans.  L'année  suivante ,  il  recula  la  pres- 
cription jusqu'à  un  siècle  ;  et  une  foule  de  testaments ,  de 
donations  périmées  furent  tirées  de  la  poussière  par  les  ec- 
clésiastiques pour  recevoir  leur  effet  :  il  s'ensuivit  des  spo- 
liations sans  nombre. 'La  fraude  môme  y  ajouta  des  spolia- 
lions  nouvelles.  On  falsifia  des  titres ,  et  l'abus  fut  si  criant, 
que  Justinien  fut  forcé  d'abroger  le  second  édit  d'Anastase 
et  de  fixer  la  prescription  à  quarante  années.  C'était  trop 
encore  :  les  richesses  du  clergé  s'accrurent  à  tel  point,  que 
le  roi  de  France  Chilpéric  disait,  en  583  :  «  Nos  coffres  sont 
vides,  nos  richesses  passent  aux  Églises  :  les  prélats  devien- 
nent des  lois,  et  nos  honneurs  sont  transférés  aux  évoques.  » 

A  cette  époque  une  nouvelle  espèce  d'ecclésiastiques 
vint  prendre  part  à  la  curée.  Les  moines,  inventés  en 
Egypte,  sous  le  nom  de  solitaires,  pour  prier  dans  le  dé- 
sert, voulurent  jouir  des  joies  du  monde.  Saint  Basile  les 
réunit  en  communautés  dans  la  Grèce.  Saint  Athanase  les 
introduisit,  vers  370,  en  Italie;  mais  cette  institution  n'y 
fit  de  progrès  que  vers  le  sixième  siècle,  par  les  prédica- 
tions de  saint  Equice  et  les  fondations  de  saint  Benoît, 
qui  s'établit  au  mont  Cassin.  Saint  Maur,  son  disciple,  les 
amena  en  France ,  et  un  siècle  après  ils  avaient  englouti  le 
quart  des  propriétés  de  la  Gaule.  L'abbé  ïrithème  écrivait 
que  de  son  temps  on  comptait  quinze  mille  maisons  de  bé- 
nédictins sur  la  terre.  Ceux  qui  embrassaient  la  vie  monas- 
tique apportaient  leurs  biens  à  la  communauté  :  c'était  le 


BIEJNS  EGCLÉSIASTIQLES 


nouveau  droit  romain  établi  par  les  papes.  Les  rois  de  France 
les  enrichissaient  par  des  donations  de  toutes  espèces,  |)ar  les 
confiscations  même  qu'ils  ordonnaient  dans  leurs  Étals.  Les 
superstitions  dont  les  moines  et  les  prêtres  avaient  rempli 
le  monde  étaient  une  source  féconde  d'acquisitions  et  de 
larcins.  Ils  refusaient  la  sépulture  en  terre  sainte  aux  chré- 
tiens qui  mouraient  sans  laisser  à  l'Église  une  portion  de 
leur  héritage.  La  terreur  des  mourants  était  telle ,  qu'une 
pauvre  femme,  n'ayant  rien  à  donner,  légua  son  chat  à  l'é- 
glise pour  attraper  les  souris  qui  la  pillaient,  énonçant  dans 
son  testament  que  le  chat  était  de  bonne  race.  La  confession 
était  un  des  moyens  les  plus  productifs  qu'ils  eussent  mis  en 
œuvre  :  elle  leur  procura  des  bénéfices  sans  nombre.  On 
crut  arrêter  le  mal  en  réglant  la  part  que  les  mourants  de- 
vaient laisser  à  l'Église  :  cette  part  fut  fixée  au  dixième  des 
biens,  et  ce  règlement  devait,  au  bout  de  dix  générations, 
donner  aux  prêtres  la  totalité  des  biens  de  la  chrétienté; 
mais  les  obsessions  des  confesseurs  avançaient  ce  terme  en 
arrachant  beaucoup  plus  des  malheureux  dont  ils  tourmen- 
taient l'agonie. 

Les  ecclésiastiques  allèrent  plus  loin ,  ils  s'arrogèrent  les 
exécutions  testamentaires  ;  ifs  prétendirent  que  l'exécution 
des  volontés  du  défunt  leur  appartenait,  par  la  raison  sin- 
gulière que  les  morts  avaient  déjà  subi  leur  jugement  au  tri- 
bunal de  Dieu.  Les  papes  confirmèrent  ce  droit;  saint  Louis 
souffrit  qu'il  leur  fût  déféré,  sous  peine  d'excommunication, 
et  cette  décision  fut  ratifiée  plus  tard  par  le  concilede  Trente. 
A  défaut  de  testament,  l'évêque  nommait  des  arbitres  qui 
réglaient  ce  que  le  défunt  aurait  dû  donner  à  l'Éghse.  Les  cu- 
rés eux-mêmes  se  mêlèrent  d'augmenter  leur  pécule  par  des 
inventions  fiscales.  Us  s'attribuèrent  le  droit  d'être  invités  à 
toutes  les  noces  qu'ils  célébraient,  et  d'y  occuper  la  première 
place.  Ce  droit  fut  bientôt  converti  en  argent ,  et  les  abbés 
et  les  évoques  en  réclamèrent  leur  part  ;  les  mariés  ne  pou- 
vaient même  coucher  ensemble  pendant  les  trois  premières 
nuits  sans  la  permission  des  curés,  qui  la  vendirent  le  plus 
cher  qu'ils  purent.  La  collation  de  tous  les  sacrements  fut 
aloi-s  une  occasion  d'augmenter  ce  casuel.  Quelques  per- 
sonnes pieuses  avaient  fait  des  dons  volontaires  pour  les 
baptêmes  et  les  enterrements,  les  curés  finirent  par  les  exi- 
ger de  tous  leurs  paroissiens. 

C'est  au  douzième  siècle  que  ces  prétentions  se  manifes- 
tèrent. Les  fidèles  eurent  beau  dire  que  c'était  pour  cela  qu'ils 
payaient  la  dlme;  il  fallut  payer  encore  le  casuel,  sous 
peine  de  n'être  ni  baptisé ,  ni  marié ,  ni  communié ,  ni  en- 
terré. Le  pape  Innocent  III  mit  fin  à  ces  contestations  vers 
l'an  1200,  et  il  le  fit  à  sa  manière,  c'est-à-dire  à  l'avantage 
du  fisc  ecclésiastique.  Il  défendit  bien  aux  prêtres  de  refuser 
les  sacrements  sous  prétexte  de  non-payement ,  mais  il  leur 
permit  d'employer  la  voie  des  censures  et  de  l'excommuni- 
cation contre  les  fidèles  qui  refuseraient  d'observer  ce  qu'il 
appelle  dans  sa  bulle  une  couttinie  louable.  La  dîme  dont 
nous  venons  de  parler,  et  qui  faisait  entrer  le  dixième  des 
biens  chrétiens  dans  les  trésors  de  l'Église ,  n'était  pas  une 
prescription  de  l'Évangile;  c'est  dans  les  lois  de  Moïse  que 
les  prêtres  allèrent  la  chercher  vers  le  sixième  siècle.  Jusque 
là  elle  n'avait  pas  été  obligatoire,  et  Fra  Paolo  prétend, 
dans  son  Traité  des  bénéfices,  que  la  France  donna  la  pre- 
mière cet  exemple.  Mais  les  papes  et  les  conciles  ne  tardè- 
rent pas  à  généraliser  cet  usage. 

Les  croisades  furent  une  occasion  merveilleuse  pour 
accroître  les  richesses  du  clergé.  Les  seigneurs  lui  cédaient 
leurs  biens  en  partant  ou  les  lui  vendaient  à  vil  prix.  On 
leur  faisait  croire  qu'ils  recevraient  dans  le  ciel  autant  d'ar- 
pents qu'ils  en  donneraient  à  Dieu  sur  la  teiTe,  et  sur  cette 
espérance  ils  se  dépouillaient  de  leur  patrimoine  pour  aug- 
menter les  biens  de  l'Église.  Ceux  qui  ne  voulaient  point 
partir  se  rachetaient  de  leur  vœu  par  des  sommes  considé- 
lables  ou  des  fondations  pieuses.  Les  prélats  se  faisaient 
hjs  curateurs,  les  gardiens  des  biens  que  les  croisés  ne  leur 


BIENS  ECCLE 

donnaient  point;  et  non-seulement  ils  héritaient  de  ceux 
qui  mouraient  en  Palestine,  mais  ils  plaidaient  encore 
contre  ceux  qui  réclamaient  à  leur  retour  les  héritages  de 
leurs  pères.  Cette  moisson  du  clergé  fut  des  plus  abon- 
dantes, et  le  patrimoine  des  églises  s'en  accnit  outre  me- 
sure. Ce  patrimoine  n'était  pas  renfermé  dans  les  limites  de 
leur  juridiction.  Les  abbayes,  les  évêchés,  eurent  des  biens 
dans  toutes  les  parties  de  l'Europe.  Les  Églises  de  Milan  et 
de  Ravenne  en  possédaient  dans  la  Calabre,  dans  la  Sicile, 
dans  les  autres  contrées  de  l'Italie.  Celle  de  Rome  eu  avait 
partout. 

L'ingénieuse  rapacité  des  ecclésiastiques  inventa,  vers 
887,  le  contrat  appelé  prcca/re,  que  nous  nommons  au- 
jourd'hui constitution  de  rente  viagère.  Les  chrétiens  qui 
ne  voulaient  pas  de  leur  vivant  se  dépouiller  de  leurs 
biens ,  et  qui  étaient  sans  héritiers  directs,  les  cédaient  à 
l'Église  pour  le  double  du  revenu  ;  et  quand  les  moines  ou 
les  prêtres  étaient  pressés  de  jouir  d'un  domaine  qui  était  à 
leur  convenance,  ils  portaient  ce  revenu  au  triple  en  faveur 
du  cédant. 

Une  chose  étonnante,  c'est  que  pendant  le  moyen  âge  la 
libéralité  des  chrétiens  s'accroissait  en  proportion  de  la  dé- 
moralisation du  clergé.  Jlais  la  peur  des  anathèmes  avait 
fait  alors  de  tels  progrès,  môme  chez  les  hommes  les  [ilus 
vicieux  et  les  plus  sanguinaires,  que  tout  cédait  à  cet  épou- 
vantail  que  Thypocrisie  avait  imposé  à  l'ignorance.  A 
l'exemple  des  églises  et  des  monastères ,  les  évoques  et  les 
abbés  voulurent  posséder  plus  d'un  bénéfice.  On  a  dit  qu'un 
certain  Ébrouin,  évêque  de  Poitiers,  avait  été  le  premier  à 
cumuler  ainsi  un  évéciié  et  une  abbaye,  avec  la  permission 
de  Charles  le  Chauve.  Voltaire  remarque  avec  raison  que 
c'est  une  erreur,  et  il  cite  Alcuin,  favori  de  Charlemagne, 
qai  était  à  la  fois' abbé  de  Ferrières,  de  Saint-Martin  de 
Tours  et  autres  abbayes.  Si  ce  premier  des  Césars  d'Occi- 
dent n'avait  pas  trouvé  en  effet  cet  abus  établi,  il  n'eût  pas 
publié  un  capitulaire  pour  le  réprimer;  mais  il  est  remar- 
quable que  l'auteur  de  cette  réforme  ait  permis  à  son  favori 
de  s'en  exempter. 

Les  jubilés  furent  encore  une  grande  ressource  pour 
Rorne  et  pour  ses  prêtres.  Les  pèlerins  afiluaient  dans  la 
capitale  du  monde  chrétien  ,  et  l'enrichissaient  de  leurs  of- 
frandes ,  après  avoir  gratifié  les  églises  et  les  monastères 
qui  se  trouvaient  sur  leur  route.  Quelque  impure  que  lût 
la  source  des  b^ens  que  l'Église  convoitait ,  elle  ne  se  fit 
aucun  scrupule  de  les  dévorer.  Les  canons  avaient  défendu 
d'accepter  aucun  legs  ou  donation  des  sacrilèges,  adultères 
et  autres  pécheurs  de  ce  genre.  Les  gens  d'éghse  revinrent 
de  cette  délicatesse,  et  reçurent  indistinctement  de  toute 
main.  Ils  allèrent  plus  loin  :  vers  l'an  1200,  ils  imposèrent 
la  dîme  sur  les  aumônes  que  les  mendiants  recueillaient  de 
porte  en  porte  et  sur  les  produits  de  la  prostitution  des 
courtisanes.  A  la  dîme  le  pape  Alexandre  II  ajouta  les 
prémices,  nouvelle  imitation  de  la  loi  des  Hébreux  ;  et 
ces  prémices,  longtemi)s  contestées,  furent  enfin  fixées  au 
quarantième,  qu'on  nommait  en  Italie  le  quart,  par  allu- 
sion au  décime,  d'où  la  dirne  était  venue. 

Les  prêtres  ne  se  contentèrent  pas  d'acquérir  et  d'aug- 
menter leurs  biens,  ils  prirent  des  mesures  pour  les  con- 
server par  des  défenses  d'aliénation.  La  défense  était  con- 
traire aux  comman<lements  des  versets  14  et  16  du  chapi- 
tre xxvii  du  Lévitique  ;  mais  le  verset  2S  défendait  de  vendre 
les  biens  consacrés  au  Seigneur,  et  ce  fut  la  loi  que  les  gens 
d'église  adoptèrent.  L'empereur  Léon  interdit  toute  aliéna- 
tion en  470.  Basilius  Cœcina,  préfet  de  Rome  sous  Odoa- 
cre.  appliqua  cette  règle,  en  483,  aux  églises  d'Occident, 
pendant  la  vacance  du  saint-siége;  mais,  en  501,  le  pape 
Symmaque  et  son  concile  s'indignèrent  qu'un  laïque  eût  fait 
des  constitutions  dans  l'Église;  ils  cassèrent  son  décret,  et 
en  firent  un  pareil.  Les  successeurs  de  ce  pape,  qui  n'avait 
stipulé  que  pour  le  diocèse  de  Rome,  souffrirent  cependant 


SIASTIQUES  187 

que  Justinien  étendît  à  toute  la  chrétienté  l'exécution  du 
décret  de  Léon ,  à  moins  que  l'aliénation  n'eût  lieu  pour 
racheter  les  captifs  ou  nourrir  les  pauvres  dans  une  disette 
extraordinaire.  Saint  Ambroise  déclare  que  dans  ces  deux 
cas  l'Église  vendait  non-seulement  ses  biens,  mais  les  vases 
sacrés  ;  et  pendant  deux  siècles  cet  usage  fut  généralement 
suivi,  jusqu'au  pontificat  d'Adrien  1"^.  Quand  l'Occident  eut 
passé  sous  les  lois  de  Charlemagne,  l'édit  de  Justinien  n'y  fut 
plus  observé,  et  les  biens  ecclésiastiques  furent  fréquemment 
aliénés  pour  servir  à  la  dissipation  des  gens  d'Église  ou  aux 
révoltes  qu'ils  suscitaient  contre  les  imbéciles  Carlovingiens. 
Mais  la  cour  de  Rome  s'occupa  de  réprimer  cet  abus,  et 
depuis  l'an  1000  jusqu'en  1250  plusieurs  bulles  furent  lan- 
cées contre  les  prélats  qui  aliénaient  les  biens  de  l'Église. 
Innocent  IV  annula  même  toutes  les  aliénations  contraires 
à  l'édit  de  Justinien,  et  dans  le  concile  de  Lyon ,  en  1274, 
Grégoire  X  cassa  toutes  celles  qui  pourraient  être  faites 
sans  la  permission  du  saint-siége,  qui  finit  par  ne  plus 
l'accorder  sous  aucun  prétexte.  11  en  résulta  que  les  biens 
ecclésiastiques  furent  à  perpétuité  des  biens  de  main- 
morte, et  qu'il  n'y  eut  plus  moyen  de  rendre  au  monde  ce 
que  les  legs  et  donations  faisaient  entrer  dans  le  domaine 
de  l'Église. 

Les  plus  fameuses  de  ces  donations  furent  faites  au  pape 
ou,  comme  on  disait,  au  patrimoine  de  saint  Pierre. 
Nous  ne  parlons  pas  de  celle  de  Constantin ,  qui  est  une 
fable  ridicule  inventée  par  la  cour  de  Rome  ;  mais  celle  du 
roi  Pépin  est  réelle.  C'est  par  lui  que  (ut  créé  le  patri- 
moine de  saint  Pierre ,  origine  de  la  puissance  temporelle 
des  papes  ;  et  comme  parmi  les  biens  donnés  par  ce  roi  de 
France,  qui  les  avait  conquis  par  la  voie  des  armes,  se  trou- 
vait l'exarchat  de  Ravenne ,  il  répondit  aux  ambassadeurs 
de  Constantin-Copronyme,  qui  le  revendiquait,  que  c'était 
pour  l'amour  de  l'apôtre  qu'il  s'était  exposé  à  tant  de  com- 
bats, et  que  tous  les  trésors  du  monde  ne  lui  feraient  pas 
ôter  ce  qu'il  lui  avait  donné.  Après  la  bataille  de  Pavie,  le 
même  Pépin  ajouta  vingt-deux  villes  à  ce  patrùnoinc,  qui  s'ac- 
crut dès  lors  par  toutes  sortes  d'usurpations  et  de  violences, 
La  séduction  même  y  contribua  sous  Grégoire  VII,  en  atti- 
rant dans  ce  gouffre  les  biens  de  la  comtesse  Mathilde ,  dont 
l'histoire  est  tellement  liée  à  celle  de  ce  pape  qu'il  est  dif- 
ficile de  croire  à  la  pureté  évangélique  de  cette  liaison. 
Charlemagne  ne  fit  que  confirmer  la  donation  de  son  yèrc, 
mais  il  songea  dans  son  testament  aux  églises  de  France , 
et  légua  l'or ,  l'argent  et  les  pierreries  de  son  trésor  aux 
vingt  et  un  sièges  métropolitains  de  son  empire. 

On  ne  finirait  pas  ?i  l'on  voulait  signaler  toutes  les  sources 
qui  contribuèrent  à  alimenter  les  biens  ecclésiastiques.  Ils 
s'accrurent  à  tel  point  que  l'évêque  Jean  de  Palafos,  cano- 
nisé par  Clément  XI! I,  écrivait  à  Innocent  X,  vers  1C30, 
qu'il  avait  trouvé  chez  les  jésuites  de  Portugal  presque 
toutes  les  richesses  du  royaume;  que  deux  de  leurs  collèges 
possédaient  à  eux  seuls  300,000  moutons,  de  riches  mines 
d'or  et  d'argent  et  six  grandes  sucreries,  dont  quelques- 
unes  valaient  un  million  d'écus.  On  sait  quels. biens  les 
Templiers  avaient  ;i massés  pendant  le  court  espace  de 
deux  siècles  qu'avait  duré  leur  ordre.  Le  clergé  de  Castille 
possédait  presque  toutes  les  propriétés  de  ce  royaume.  En 
France,  suivant  le  dtnombrement  fait  en  1655  par  l'ordre 
de  Louis  XIV,  le  clergé  avait  en  sa  possession  6,429  abbayes 
grandes  ou  petites ,  9,000  châteaux ,  252,000  métairies  et 
20,000  arpents  de  vigne.  La  totalité  de  ces  biens  lui  rappor- 
tait 312  millions,  sans  compter  les  produits  des  bois,  mou- 
lins, forges,  scieries,  tuileries  et  foui-s  banaux,  dont  le  re- 
venu n'avait  pu  être  estimé;  ce  qui  ferait  aujourd'hui  près 
de  600  millions  :  et  la  France  n'avait  encore  acquis  ni  l'Al- 
sace, ni  la  Franche-Comté,  ni  la  Lorraine,  ni  la  Flandre!  On 
évaluait  enfin  au  quart  des  propriétés  de  la  terre  cluétiennc 
celles  que  possédaient  les  seuls  monastères  ;  et  Montesquieu, 
qui  examine  en  législateur  si  le  clergé,  considéré  comme  une 

24. 


188 

famille  qui  ne  doit  pas  s'accroître,  ne  doit  pas  être  borné 
dans  ses  acquisitions,  estimait  que  sous  les  trois  races  des 
rois  de  France  les  ecclésiastiques  avaient  reçu  trois  fois  les 
biens  du  royaume. 

On  sait  quel  effet  produisit  sur  les  mœurs  du  clergé  cette 
opulence  extraordinaire.  Les  déclamations  de  saint  Bernard, 
du  moine  Glaber  et  de  tant  d'autres  en  font  foi ,  et  les  plain- 
tes des  peuples  forcèrent  souvent  les  monarques  d'arrêter 
le  cours  de  ces  spoliations,  qui  avaient  élevé  en  Allemagne 
quelques  archevêques  au  rang  de  princes  souverains  et  d'é- 
lecteurs du  Saint-Empire.  Chilpéric  fut  le  premier  qui ,  en 
G04,  entreprit  de  modérer  la  rapacité  des  gens  d'église  :  il 
défendit  les  institutions  d'Iicritiers  qui  se  faisaient  à  leur 
Iirolit  ;  mais  ce  capitulaire  ne  fut  exécuté  que  pendant  sa  vie, 
et  après  lui  les  acquisitions  reprirent  leur  cours.  Charles 
Marlel  adopta  une  voie  plus  efficace ,  mais  en  introduisant 
im  abus  d'une  autre  espèce.  Les  seigneurs  du  royaume 
étaient  au  moins  aussi  avides  que  les  ecclésiastiques  ;  et 
comme  les  premiers  lui  semblaient  alors  plus  redoutables, 
tomme  le  pape  avait  besoin  de  lui  pour  lutter  contre  les 
Lombards,  il  distribua  un  grand  nombre  de  biens  de  l'É- 
j^ise  à  ceux  de  ses  capitaines  qui  l'avaient  servi  dans  la 
f-uerre  contre  les  Sarrasins.  On  vit  alors  des  comtes  et  des 
barons  abbés  de  Saint-Denis  ou  de  Saint-Germain-des-Prés, 
comme  on  vit  bientôt  après  des  évêques  et  des  abbés 
prendre  les  titres  de  barons  et  de  comtes  ,  et  marcher  à  la 
tête  de  leurs  vassaux  contre  l'ennemi.  La  confusion  amenait 
la  confusion,  et  le  ridicule  usage  de  conférer  à  des  laïques  les 
bénéfices  de  l'Église ,  quoique  condamné  par  Charlemagne, 
se  prolongea  jusqu'à  la  minorité  de  Louis  XIV ,  qui  n'eut 
que  la  gloire  de  prêter  son  nom  à  l'abolition  de  cet  abus, 
l'resque  en  même  temps  que  Charles  Martel  reprenait  sur 
l'Église  une  partie  de  ce  qu'elle  avait  usurpé ,  Léon  l'Lsau- 
rien,  empereur  d'Orient,  attentait  en  732  sur  les  biens  ec- 
clésiastiques ,  en  faisant  saisir  les  patrimoines  que  le  clergé 
d'Italie  avait  en  Calabre  et  en  Sicile.  Charlemagne  fit  à  son 
tour  restituer  aux  curés  ce  que  les  évêques  s'étaient  appro- 
prié de  leurs  possessions.  IMais  sa  race  dégénérée  laissa  tout 
envahir  par  les  prêtres  comme  par  les  seigneurs ,  et  les  cinq 
premiers  Capétiens  montrèrent  la  même  indulgence.  Philippe- 
Auguste  enfin  recommença  à  y  mettre  ordre,  et  saint  Louis, 
fout  saint  qu'il  était,  ne  se  gênait  pas  pour  saisir  le  tem- 
porel des  évêques  toutes  les  fois  qu'ils  empiétaient  sur  son 
autorité  ou  qu'ils  exécutaient  les  ordres  de  Rome  qui 
étaient  contraires  à  sa  politique.  Le  Vatican  n'était  pas 
moins  Apre  à  attaquer  les  biens  ecclésiastiques  ;  mais  c'était 
moins  pour  réprimer  les  usurpations  du  clergé  que  pour  les 
attirer  à  lui. 

On  agita  dans  le  moyen  âge  la  question  de  savoir  si  les 
domaines  de  l'Église  étaient  de  droit  divin  ou  humain.  Les 
jurisconsultes  et  les  canonistes  se  divisèrent.  Rome  fit  ce 
singulier  raisonnement  :  Dieu  étant  le  maître  absolu  des 
biens  de  l'Église,  le  vicaire  de  Dieu  sur  la  terre  doit  en  être 
également  le  maître.  Une  décréfale  de  Clément  IV  établit 
cette  proposition  vers  le  milieu  du  treiziL>me  siècle,  époque 
féconde  en  controverses  du  même  genre.  Mais  saint  Thomas 
d'Aquin  la  combattit,  en  disant  que  le  pape  n'était  que  le 
dispensateur  principal  des  bénéfices  ecclésiastiques,  sans 
qu'il  piH  en  inférer  qu'il  on  lut  le  maître  ou  possesseur.  Le 
cardinal  Cajétan,  expliquant  la  jionsée  de  saint  Thomas, 
ajoute  que  le  pape  ne  pouvait  ni  donner  les  biens  de  l'É- 
glise ni  en  disposer  d'aucune  manière,  mais  qu'il  pouvait 
seulement  en  faire  l'application  convenable.  Cette  dispute  en 
produisit  une  autre.  Le  pape  s'éfaya  du  principe  qu'il  avait 
établi  pour  enlever  aux  rois  la  collation  des  bénéfices 
ecclésiastiques,  et  de  là  naquit  la  querelle  des  inves- 
titures. 

Pour  se  venger  de  l'ordonnance  de  saint  Louis ,  qui 
avait  défendu  aux  cleics  de  rien  payer  à  la  cour  de  Rome 
sans  son    consonfcmcnf ,  l'aiticr   Honiface  VJIl  contesta 


BIENS  ECCLÉSIASTIQUES 

à  Philippe  le  Bel  le  droit  de  régale,  dont  les  rois  de 
France  étaient  en  possession  depuis  51 1 ,  par  décision  du 
concile  d'Orléans.  Il  s'agissait  sous  ce  titre  de  la  jouis- 
sance des  biens  vacants  pendant  la  première  année.  Cette 
querelle  fut  de  longue  durée.  Les  monarques  français  exer- 
cèrent ce  droit  malgré  les  ana thèmes  du  saint-siége,  et  In- 
nocent XI  le  leur  disputait  encore  en  1681.  Les  évêques 
assemblés  par  Louis  XIV  n'osèrent  en  décider.  Il  fallut 
convoquer  un  concile ,  et  le  droit  de  régale  fut  maintenu. 
Bonifaca  VIII  avait  inventé  un  nouveau  droit  pour  l'opposer 
à  celui  des  rois.  Il  s'était  approprié  ,  sous  le  nom  (\''anna- 
tes,  le  même  privilège  sur  les  bénéfices  qui  viendraient 
à  vaquer  dans  le  monde  catholique  ;  et  comme  les  annales 
et  la  régale  devaient  s'exercer  sur  les  mômes  biens,  la  ques- 
tion était  de  savoir  à  qui  des  rois  ou  du  pape  resterait  la 
jouissance  des  bénéfices  vacants  pendant  une  année. 

Ce  mot  d''annates  n'était  pas  inconnu  dans  l'Église.  3Iat- 
thieu  Paris  rapporte  qu'en  746  l'archevêque  de  Cantorbéry 
les  levait  dans  toute  l'étendue  de  son  diocèse ,  et  dans  le 
onzième  et  le  douzième  siècle  les  évêques  et  abbés  de 
France  avaient  levé  cet  impôt  sur  les  biens  vacants  de 
leurs  subordonnés.  Boniface  VIII  voulait  travailler  plus  en 
grand,  mais  il  ne  travailla  que  jiour  ses  successeurs.  Clé- 
ment V  fut  le  premier  qui  obtint  la  jouissance  de  ce  droit 
en  1305.  Il  réussit  à  faire  payer  les  annales  par  le  clergé 
d'Angleterre,  et  les  porta  même  à  deux  ans  de  revenu ,  et 
d'autres  royaumes  se  soumirent  à  cet  impôt  sur  les  biens 
ecclésiastiques.  Les  papes  l'aggravèrent  encore  en  deman- 
dant aux  monastères,  dont  les  bénéfices  ne  vaquaient  jamais, 
la  quinzième  année  de  leur  revenu.  Ils  exigèrent  bientôt  le 
droit  d'annales  sur  les  bénéfices  transférés  ou  résignés  en 
cour  de  Rome,  comme  ceux  des  cardinaux ,  ¥gats,  officiers 
de  cour  et  autres.  Ces  sortes  d'annales  furent  appelées  ré- 
serves. 

Mais  toutes  ces  nouveautés  excitèrent  de  violentes  récla- 
mations. Boniface  IX  essaya  de  les  calmer  en  réduisant  les 
annates  à  la  moitié  du  revenu ,  et  en  fixant  à  trois  ans  la 
durée  de  ce  privilège.  Les  oppositions  continuèrent,  et  le 
pape  Alexandre  V  y  renonça  dans  le  concile  de  Pise ,  en 
1409.  Elles  furent  bientôt  après  condamnées  par  les  conciles 
de  Constance  et  de  Bûle.  Vains  efforts  !  Le  saint-siége 
reprit  cette  prétention  avec  plus"de  ténacité.  Charles  VU  fut 
forcé  de  renouveler  les  défenses  de  Charles  VI  son  père , 
et  de  signer  enfin,  le  7  juillet  143S,  la  pragmatique-sanction 
délibérée  dans  l'assemblée  de  Bourges,  et  dans  laquelle  fut 
insérée  l'abolition  des  annales.  Louis  XI ,  les  états  de  Tours, 
François  F""  lui-même,  résistèrent  à  leur  tour  à  cette  ten- 
tative du  saint-siége.  Mais  le  dernier  de  ces  rois  céda  sot- 
tement à  la  cour  de  Rome  en  signant  avec  Léon  X  le  con- 
cordat qui  abolit  la  pragmatique  :  ce  fut  un  grand  scandale 
dans  le  royaume ,  qui  paya  à  la  chambre  apostolique,  pen- 
dant tout  le  règne  de  François  I*',  une  somme  annuelle  de 
100,000  écus,  qui  vaudrait  aujourd'hui  des  millions.  Le 
clergé,  les  pariements,  l'université,  réclamèrent  avec  force 
le  maintien  de  la  pragmatique.  Henri  II ,  cédant  aux  cris 
de  son  peuple,  renouvela,  en  1551,  la  défense  de  payer 
les  annates  ;  mais  le  concordat  fut  rétabli  en  1572  par  Char- 
les IX.  Henri  lïl  consentit  comme  lui  à  payer;  Henri  IV 
lui-mêmeconfirmace  tribut  par  son  éditdu  22  janvier  1596, 
et  la  vanité  royale  se  contenta  de  stipuler  que  le  pape  n'en- 
jouirait  que  par  la  permission  du  roi. 

Le  temps  était  cependant  venu  où  les  empiétements  et 
les  usurpations  du  clergé  devaient  rencontrer  de  plus  pius- 
sants  obstacles ,  et  attirer  de  grands  châtiments  sur  l'Église. 
Les  cinq  ou  six  cents  conciles  qui  avaient  essayé  de  répri- 
mer ces  désordres  n'avaient  rédigé  que  des  canons  inutiles. 
Le  mal  fut  attaqué  dans  sa  racine.  La  vente  des  indulgen- 
ces, qui  donnait  un  gi-and  revenu  au  saint-siége,  produisit 
la  révolte  de  Luther,  et  enleva  la  moitié  de  l'Allemagne  à 
l'autorité  de  la  cour  de  Rome.  Calvin,  Muncer  et  autres 


nogmentèrent  ces  défections.  Henri  VIII ,  entraîné  par  un 
motif  peu  lionorable ,  sépara  l'Angleterre  de  la  communion 
romaine ,  et  s'appropria  les  immenses  biens  des  monastères  ; 
mais  il  avait  besoin  des  évèques ,  et  leur  laissa  leur  patri- 
moine ,  qui  s'est  scandaleusement  accru  jusqu'à  nos  jouis. 
Henri  III  de  France  se  contenta  d'interdire  aux  religieux 
de  disposer  de  leurs  biens  en  faveur  des  couvents  où  ils 
étaient  admis.  Deux  siècles  plus  tard ,  en  Allemagne,  le  phi- 
losophe Joseph  II  supprima  les  monastères  de  ses  États, 
assura  la  subsistance  des  moines ,  et  consacra  leurs  biens 
à  l'instruction  du  peuple. 

Les  biens  ecclésiastiques  avaient  donné  lieu  à  une  autre 
querelle ,  qui  dura  quinze  siècles.  Les  prêtres  prétendirent 
que  ces  biens  ne  devaient  pas  payer  l'impôt  ;  ils  se  fondaient 
sur  l'édit  de  Constantin,  qui  les  en  avait  exemptés ,  et  sur  le 
caractère  divin  de  leurs  domaines.  Mais  ils  oubliaient  que 
cet  empereur  avait  inséré  dans  son  édit  les  mots  propter 
paupertatem  (à  cause  de  leur  pauvreté) ,  et,  ce  qui  est 
plus  encore,  que  Jésus-Christ  avait  payé  lui-même  son  tri- 
but à  César.  Il  est  vrai  qu'après  avoir  enfreint  sa  défense 
d'acquérir  et  de  posséder,  ils  pouvaient  pousser  l'avarice 
jusqu'à  méconnaître  le  plus  commun  de  ses  préceptes,  qui 
était  de  rendre  à  César  ce  qui  était  à  César  ;  mais  les  suc- 
cesseurs de  Constantin  lui-même  les  en  firent  souvenir,  et 
l'Église  était  devenue  assez  riche  pour  faire  disparaître  la 
condition  de  cette  immunité.  Constance,  Honorius  et  Théo- 
dose le  jeune  les  soumirent  donc  à  l'impôt  comme  les  au- 
tres sujets  de  l'empire.  Saint  Ambroise  déclara  que  c'était 
juste,  et  que  pour  avoir  le  droit  de  réclamer  le  privilège 
des  apôtres  il  fallait  rester  pauvre  comme  eux.  Les  évoques 
répondaient,  il  est  vrai,  que  leurs  biens  étaient  les  biens 
des  pauvres ,  et  qu'on  ne  pouvait  rien  imposer  sur  ceux 
qui  n'avaient  rien.  Mais  c'étaient  eux  qui  jouissaient  de  ces 
biens,  et  ils  ne  servaient  qu'à  leurs  fastueuses  dissipations. 
Saint  Hilaire  répliquait  que  s'ils  ne  voulaient  pas  être  tri- 
butaires de  César,  ils  ne  devaient  pas  posséder  les  biens  du 
monde.  Saint  Augustin  ne  voyait  qu'un  droit  humain  dans 
leurs  possessions.  Hincmar,  archevêque  de  Reims,  écrivait 
que  le  payement  du  tribut  était  l'accomplissement  des  pré- 
ceptes de  l'apôtre  saint  Paul ,  qui  en  avait  fait  un  devoir  de 
conscience.  Plus  près  de  nous  ,  enfin,  Bossuet,  le  seul  mo- 
derne qu'on  fût  tenté  d'inscrire  au  rang  des  Pères  de  l'É- 
glise, enseigna  qu'il  fallait  payer  le  tribut  au  prince  pour 
contribuer  aux  besoins  de  l'État  et  pour  avoir  le  droit  de 
jouir  en  paix  du  reste.  Aussi  les  biens  ecclésiastiques  fu- 
rent-ils soumis  à  l'impôt  dès  les  premiers  temps  de  la  mo- 
narchie française,  comme  ils  le  furent  en  Orient  jusqu'au 
dernier  empereur.  Clovis  n'exempta  les  prêtres  que  des  tri- 
buts personnels;  mais  il  leur  imposa  même  des  subsides 
extraordinaires.  Clotaire  et  tous  les  Mérovingiens  suivirent 
cet  exemple.  Pépin  régla  cet  impôt  au  déchue  ;  Charlemagne 
et  Louis  le  Débonnaire  l'imitèrent.  Charles  le  Chauve  y 
ajouta  cette  clause ,  que  les  biens  des  clercs  qui  ne  le  paye- 
raient pas  seraient  rendus  aux  véritables  héritiers.  En  1298 
les  clercs  d'Angleterre  tentèrent  de  refuser  la  taille ,  sous 
prétexte  que  Boniface  VIII  leur  avait  défendu  de  la  payer. 
Edouard  l^""  les  déclara  déchus  de  sa  protection  ;  et  comme 
leurs  biens  furent  alors  exposés  à  toutes  sortes  de  pillages,  ils 
vinrent  lui  offrir  le  cinquième  de  leurs  revenus.  La  même 
résistance  se  manifesta  partout  à  cette  époque  ;  les  conciles 
l'encouragèrent. 

La  bulle  de  Boniface  VIII  Clericis  laicos  ayant  parlé 
de  don  fjrutuit  au  heu  de  taille  obligatoire,  le  clergé  de 
France  s'empara  de  ce  mot,  et,  après  avoir  payé  la  taille 
sous  tous  les  règnes,  il  essaya  de  faire  prévaloir  cette  nou- 
velle appellation  de  l'impôt ,  qui  lui  offrait  l'espérance  de 
s'en  afi'ranchir  tôt  ou  tard.  Mais  Philippe  le  Bel  força  les 
successeurs  de  Boniface  à  lacérer  la  bulle  qui  avait  causé  les 
révoltes  du  clergé,  et  leva  jusqu'au  cinquième  des  revenus 
ecclésiastiques.  Ses  enfants  se  contentèrent  du  dixième  ;  leurs 


BIENS  ECCLÉSIASTIQUES  isî) 

successeurs  fixèrent  le  tribut  au  quart ,  sans  préjudice  des 
subsides  que  la  guerre  les  obligeait  à  demander.  François  I"" 
porta  cette  espèce  de  subside  à  quatre  décimes ,  avec  la  per- 
mission du  pape;  mais  il  fit  payer  son  concordat  au  saint- 
siége  en  s'affranchissant,  en  1535,  de  cette  humiliante  auto- 
risation ,  et  réclama  sur-le-champ  le  tiers  du  revenu  des 
évêchéset  des  collégiales,  et  la  moitié  des  autres  bénéfices. 
Le  clergé  résista  comme  à  son  ordinaire.  Il  fut  puni  par  la 
saisie  de  ses  biens;  mais  celui  de  Chartres  ayant  offert  de 
payer  sa  part  sous  le  nom  de  don  gratuit ,  tous  les  autres 
s'empressèrent  de  suivre  cet  exemple;  et  cette  forme,  ayant 
dès  lors  été  convenue,  fut  définitivement  arrêtée,  en  1561, 
sous  Charles  IX,  par  l'assemblée  générale  de  Poissy.  Le 
clergé  y  gagna  de  ne  pas  voir  les  biens  ecclésiastiques  exposés 
à  l'investigation  des  agents  du  fisc ,  et  il  ne  donna  que  ce 
qu'il  voulut.  A  chaque  demande  de  subsides,  il  se  hâtait 
d'offrir  un  abonnement,  conservait  les  apparences  d'une 
composition  volontaire,  et  ne  payait  jamais  dans  la  pro- 
portion des  autres  sujets  du  royaume. 

Ce  ne  fut  plus  à  partir  de  cette  époque  qu'une  lutte  de 
finesses,  détours  de  passe-passe,  entre  les  rois  et  le  clergé, 
les  uns  pour  ùnposer  les  biens  ecclésiastiques ,  l'autre  pour 
s'en  défendre.  Ainsi,  Henri  IV  créa  en  1594  dix-sept  offices 
de  receveurs  provinciaux  des  décimes,  et  fit  payer  leurs  ap- 
pointements sbr  les  biens  de  l'Église.  En  1506  il  ordonna  la 
revente  de  ces  offices ,  força  le  clergé  d'y  consentir,  et  n'en 
accorda  la  suppression,  en  1606,  que  pour  un  nouveau  sub- 
side. Louis  XIII  et  Louis  XIV  en  créèrent  de  nouveaux, 
qui  furent  mis  encore  à  la  charge  des  biens  du  clergé,  mal- 
gré son  opposition  et  ses  remontrances. 

La  capitation  fut  une  nouvelle  invention  de  ce  règne  ; 
mais  les  évêques  trouvèrent  encore  le  moyen  de  s'en  af- 
franchir par  une  transaction  et  un  don  gratuit  de  4  et  6  mil- 
lions par  année.  Le  dénombrement  de  1655  fit  voir  claire- 
ment que  ces  sacrifices,  dont  le  clergé  exagérait  l'importance, 
étaient  au  fond  peu  de  chose  pour  lui.  Qu'était  en  effet  une 
somme  de  12  millions,  la  plus  forte  qu'il  consentit  à  payer 
sous  Louis  XIV,  en  1710,  pour  un  revenu  si  considérable? 
A  cette  époque  la  France  avait  acquis  trois  riches  pro- 
vinces de  plus,  et  le  revenu  des  biens  ecclésiastiques  dépas- 
sait 500  millions  de  livres  :  c'était  à  peine  le  quarantième 
qu'il  s'imposait,  tandis  que  les  autres  sujets  du  royaume 
payaient  jusqu'au  tiers. 

Aussi,  lorsqu'en  1750  Louis  XV  pubUa  son  édit  du  ving- 
tième ,  le  clergé  ne  manqua  point  de  recommencer  ses  op- 
positions et  ses  doléances.  Mais  alors  c'était  en  présence 
d'une  philosophie  qui  attaquait  de  toutes  parts  les  abus  du 
sacerdoce ,  et  jamais  sa  résistance  n'avait  été  plus  impoli- 
tique. Elle  le  fut  beaucoup  plus  encore  au  moment  de  la 
révolution.  Ce  n'était  plus  à  des  rois  bigots ,  à  des  parle- 
ments timides,  qu'il  avait  affaire  ;  c'était  à  une  nation  éclai- 
rée et  déterminée  à  en  finir  avec  les  abus  de  toute  espèce- 
Le  clergé  ne  comprit  ni  sa  position  ni  celle  de  ses  adver- 
saires. Qu'était  pour  la  noblesse  et  pour  lui  un  déficit  an- 
nuel de  56  millions  à  combler?  Mais  sa  vanité  se  révolta 
contre  l'égalité  des  charges;  il  parla  encore  du  caractère 
divin  des  biens  ecclésiastiques,  et  l'origine  n'en  était  déjà 
que  trop  bien  démontrée.  On  lui  répondit  qu'il  n'en  était 
pas  le  propriétaire,  que  ces  biens  appartenaient  à  la  nation, 
et  il  n'eut  point  assez  d'esprit  pour  aller  au-devant  de  cette 
observation  ruineuse.  L'Assemblée  nationale  commença  cette 
grande  réforme  par  l'abolition  dos  annales,  de  la  dîme  et 
de  la  pluralité  des  bénéfices ,  et  finit  par  s'emparer  de  tous 
les  biens  ecclésiastiques. 

Il  est  remarquable  que  ce  fut  un  membre  du  clergé, 
Talleyrand-Périgord,  alors  évêque  d'Autun ,  qui  en 
fit  la  proposition.  Il  prouva  qu'il  résultait  de  tous  les  titres 
de  fondation  et  des  diverses  lois  de  l'Église,  que  le  bénéfi- 
cier n'avait  droit  qu'à  la  portion  de  ces  biens  nécessaire  à 
sa  subsistance,  et  qu'il  n'était  que  l'administiatcur  du  reste. 


BfENS  ECCLÉSIASTIQUES  -  BIENS  NATIONAUX 


Mirabeau  survint  avec  sa  grande  voix  pourétalilir  la  pro- 
priété réelle  de  la  nation  ;  Thouret  l'appuya  de  sa  dialec- 
tique serrée.  Barnave  ajouta  que  le  clergé  n'existait  que  par 
la  nation  ;  que  les  biens  du  clergé  ne  lui  avaient  été  donnés 
que  pour  elle,  pour  l'utilité  générale.  L'abbé  Maury  essaya 
vainement  de  repousser  leurs  arguments;  il  défendit  avec 
sou  éloquence  ordinaire  les  titres  de  son  ordre  ;  il  offrit  même 
de  venir  enfin  au  secours  du  trésor.  L'oOre  était  trop  tar- 
dive; l'opinion  publique  s'était  prononcée  :  l'Assemblée  na- 
tionale prononça  le  décret  d'aliénation  (voyez  Biens  na- 
tionaux), et  le  prêtre,  devenu  salarié  de  l'État  ou  de  la 
communauté  des  fidèles,  rentra  dans  les  conditions  de  son 
origine.  Il  n'y  eut  de  changé  que  le  titre  des  collecteurs  :  au 
onzième  siècle ,  on  les  avait  appelés  diacres ,  au  dix-hui- 
tième on  les  appela  percepteurs  ;  mais  le  clergé  vécut  de 
collectes,  comme  Jésus-Christ  l'avait  décidé. 

ViENNET,  de  rAcadémie  Française. 

BFENS-FOIXDS.  Quoique  sous  cette  acception  on  en- 
tende en  général  les  biens  immobiliers,  il  est  nécessaire  de 
les  définir  plus  exactement.  Tous  les  biens-fonds  sont  des 
immeubles,  mais  tous  les  immeubles  ne  sont  pas  des 
biens-fonds.  Les  biens-fonds  sont  plus  particulièrement 
connus  dans  le  langage  des  légistes  sous  le  nom  d'immeu- 
bles corporels  :  ce  sont  les  fonds  de  terre ,  les  vignes ,  les 
bois,  les  édifices,  etc.  D'autres  immeubles,  et  ce  sont  ceux 
désignés  sous  le  nom  d'incorporels ,  ne  peuvent  être  ran- 
gés dans  la  classe  des  biens-londs.  Ainsi ,  les  actions  qui 
tendent  à  la  poursuite  ou  à  la  revendication  d'un  immeuble 
sont  de  la  même  qualité  que  l'immeuble  lui-même,  et  ce- 
pendant on  ne  doit  pas  les  comprendre  sous  la  dénomina- 
tion de  biens-fonds  :  la  faculté  de  rachat ,  les  actions  hy- 
pothécaires, les  actions  en  rescision  pour  cause  de  lésion, 
constituent  bien  évidemment  des  droits  immobiliers;  on 
peut  donc  les  qualifier  immeubles ,  mais  ce  ne  sont  pas  des 
biens-fonds.  Les  servitudes  mômes,  qui  sont  établies 
pour  l'usage  ou  l'utilité  des  fonds,  participent  de  la  nature 
immobilière  de  ceux-ci;  mais,  il  faut  encore  le  dire,  les  ser- 
vitudes ne  sont  pas  des  biens-fonds. 

Autrefois  on  reconnaissait  un  bien  plus  grand  nombre  d'im- 
meubles de  l'espèce  de  ceux  que  nous  venons  de  désigner  : 
tels  étaient  les  droits  de  seigneurie,  de  justice,  de  cens,  de 
ferrage,  de  dîme,  de  banalité,  etc.;  les  rentes  constituées, 
qui  meubles  dans  certaines  provinces  étaient  immeubles 
dans  d'autres ,  et  que  le  Code  Napoléon  a  définitivement 
classées  parmi  les  choses  mobilières.  Le  môme  Code  a  per- 
mis d'établir,  par  exception,  dans  le  contrat  de  mariage  des 
immeubles  fictifs,  ainsi  appelés  parce  que,  meubles  de  leur 
nature,  ils  ne  tiennent  la  qualité  immobilière  que  de  la  fic- 
tion ou  de  la  convention.  Ces  immeubles  ne  peuvent  pas 
recevoir  néanmoins  le  titre  de  biens-fonds;  et  cependant  ils 
participent  de  l'essence  de  ceux-ci  quant  à  certains  effets, 
comme  de  limiter  le  pouvoir  du  mari  sur  leur  aliénation,  en 
échappant  à  la  communauté.      Dlb\rd,  aoc.  proc.  général, 

BIENS  NATIONAUX.  On  appelait  autrefois  biens 
domaniaux  ceux  qui  constituaient  le  patrimoine  ou  la  dot 
de  la  couronne  ;  c'était  le  domaine  royal.  Quand  la  révo- 
lution vint  changer  l'ordre  des  idées  politiques,  et  boule- 
verser tout  à  la  fois  la  fortune  de  l'État  et  celle  des  particu- 
liers ,  le  domaine  royal  devint  celui  de  la  nation ,  ou  ,  pour 
parler  i)lus  exactement ,  on  le  désigna  sous  le  nom  de  biens 
nationaux ,  quoiqu'à  vrai  dire  le  corps  de  la  nation  n'en 
ait  guère  profité. 

La  première  loi  sur  cette  matière  date  du  1  novembre  1789. 
Un  décret  de  l'Assemblée  constituante  plaça  les  biens  ec- 
clésiastiques sous  la  main  de  la  nation,  et,  par  com- 
pensation ,  mit  à  la  charge  de  celle-ci  les  pensions  et  traite- 
ments qui  furent  alloués  au  clergé  dépouillé ,  pour  lui  tenir 
lieu  de  ces  biens.  11  y  avait  dans  cette  disposition  législa- 
tive une  raison  apparente  et  un  motif  d'intérêt  général  ;  car 
ces  biens,  inaliénables  entre  les  mains  du  clergé,  étaient  de- 


venus une  valeur  morte;  ils  étaient  du  moius  sortis  du  com- 
merce, et  il  pouvait  paraître  d'une  bonne  politique  de  les 
rendre  à  cette  destination.  Du  reste,  un  décret  du  17  mars 
1790  pourvut  à  l'entretien  du  clergé  par  la  disposition  qui 
attribua  les  biens  de  ce  grand  corps  aux  municipalités  jus- 
qu'à concurrenœ  de  400  millions,  à  la  charge  par  elles  de 
subvenir  aux  besoins  du  culte;  et  deux  autres  décrets,  en 
date  des  14  mai  et  16  juillet  suivants,  permirent  aux  munici- 
palités de  revendre  ces  mêmes  biens  aux  particuliers. 

Cependant ,  il  y  avait  dans  ces  biens  un  grand  nombre  de 
forêts ,  et  on  ne  pouvait  se  dissimuler  que  si  cette  masse  de 
bois  était  vendue  et  entrait  dans  le  domaine  des  particuliers, 
il  en  résulterait  une  destruction  presque  complète  de  c«tte 
nature  de  propriété,  qu'il  était  pourtant  essentiel  de  conser- 
ver dans  l'intérêt  de  l'État  et  de  l'économie  publique.  On 
dut  nécessairement  penser  que  le  grand  nombre  de  forêts 
qui  allaient  être  abattues  avilirait  le  commerce  des  bois ,  et 
anéantirait  une  ressource  précieuse.  En  conséquence,  le 
6  août  1790,  il  fut  décrété  qu»^  les  grandes  masses  de  bois 
et  les  forêts  nationales  seraie»it  exceptées  de  la  loi  qui  avait 
aliéné  les  domaines  nationaux  aux  municipalités.  Mais 
bientôt  le  mouvement  révolutionnaire  reçut  une  impulsion 
qui  sembla  s'être  accrue  en  raison  de  celte  sorte  de  résis- 
tance. Dès  le  15  août  de  la  même  année  un  décret  fut  rendu 
sur  la  vente  des  biens  nationaux  ;  et  pourtant  le  16  octo- 
bre l'esprit  de  conservation  parut  faire  encore  un  nouvel 
effort  en  produisant  U  décret  qui  statua  sur  l'emploi  des 
bâtiments  et  édifices  publics  dépendant  des  domaines  natio- 
naux ,  et  sur  l'emplacement  des  tribunaux  et  corps  admi- 
nistratifs. Le  3  novembre  nouveau  décret  sur  la  vente  de 
certains  biens  nationaux;  mais  le  22  novembre  loi  qui 
statue  dans  les  termes  suivants  (articles  8  et  9)  :  «  Les  do- 
maines nationaux  et  les  droits  qui  en  dépendent  sont  et 
demeurent  inaliénables  sans  le  consentement  ou  le  concours 
de  la  nation;  mais  ils  peuvent  être  vendus  et  aliénés  à 
titre  perpétuel  et  incommutable ,  en  vertu  d'un  décret 
formel  du  corps  législatif, sanctionné  par  le  roi,  eu  obser- 
vant les  formalités  prescrites  pour  la  validité  de  ces  sortes 
d'aliénations.  Aucun  laps  de  temps,  aucune  fin  de  non  rece- 
voir ou  exception ,  honnis  celle  résultant  de  l'autorité  de 
la  chose  jugée ,  ne  peuvent  couvrir  l'irrégularité  connue 
et  bien  prouvée  des  aliénations  faites  sans  le  consentement 
de  la  nation.  « 

Le  3  décembre  un  décret  fut  rendu  sur  l'ajournement 
de  la  vente  des  biens  des  séminaires,  collèges,  hôpitaux  et 
autres  établissements;  mais  dès  le  6  mai  de  l'année  sui- 
vante il  fut  statué  sur  la  vente  des  églises,  édifices  et  au- 
tres biens  du  culte,  qui  par  l'effet  de  suppressions  nouvelles, 
nous  voulons  parler  des  ordres  monastiques ,  se  trouvaient 
sans  emploi. 

Dès  le  9  février  1792  les  biens  des  émigrés  furent  saisis 
par  la  nation ,  et  de  ce  moment  fut  réalisé  le  vaste  système 
de  conliscation  dont  jusque  alors  on  n'avait  fait  que  quekpies 
essais ,  et  qui  donna  lieu  à  la  réunion  dans  les  mains  du 
gouvernement  de  cette  masse  immense  de  propriétés  plus 
ordinairement  connues  sous  le  nom  de  biens  nationaux. 
Nous  ne  retracerons  pas  les  conséquences  de  cette  résolu- 
tion hardie;  nous  ne  dirons  rien  du  déplacement  des  for- 
tunes ni  de  ces  scandaleuses  richesses  acquises  si  prompte- 
ment,  et  souvent  avec  un  peu  de  papier  presque  sans  va- 
leur {voyez  Assignats);  nous  nous  tairons  sur  la  notable 
atteinte  portée  par  là  aux  lun'urs  publiques  ;  nous  ne  parlerons 
pas  même  îles  ressources  que  le  gouvernement  trouva  <lans 
les  ventes  nationales ,  ressources  qui ,  bien  que  diminuées 
par  le  pillage  et  la  mauvaise  administration,  fournirent  à  la 
nation  les  moyens  de  soutenir  une  lutte  prodigieuse  contre 
toutes  les  puissances  coalisées;  nous  nous  bornerons  à  rap- 
porter les  faits,  et  ces  faits  consistent  dans  l'historique  de 
la  législation. 

La  confiscation  une  fois  décrétée,  la  vente  des  biens  na- 


BIENS  NATIONAUX 

tjonaux  en  fut  la  conséquence  nécessaire  ;  mais  il  paraît  que 
parfois  cette  mesure  rencontra  des  obstacles ,  et  que ,  soit 
scrupule ,  soit  crainte  de  l'avenir,  soit  tout  autre  motif,  les 
fonctionnaires  publics  ne  se  pressèrent  pas  toujours  d'obéir 
à  la  loi  révolutionnaire.  Alors,  et  le  tl  septembre  1793,  la 
Convention  nationale  ,  qui  avait  hâte  de  consommer  son 
œuvre,  décréta  les  dispositions  suivantes  :  «  Art.  1^"^.  Les 
administrateurs  qui,  sous  quelque  prétexte  que  ce  soit, 
refuseront  de  mettre  en  vente  les  biens  immeubles  des  émi- 
grés et  autres  domaines  nationaux  dans  la  quinzaine  des 
soumissions  faites  pour  lesdits  biens,  seront  punis  de  dix 
années  de  fers.  —  Art.  2.  Les  préposés  des  domaines  na- 
tionaux qui  refuseront  d'affermer  lesdits  biens,  sous  pré- 
texte que  les  soumissions  ne  sont  pas  suffisantes ,  ou  sous 
quelque  autre  prétexte  que  ce  soit,  seront  punis  de  dix.  an- 
nées de  fers.  Les  représentants  du  peuple  veilleront  à 
l'exécution  du  présent  décret,  et  nommeront  dans  la  société 
populaire  des  citoyens  zélés  pour  faire  vendre  ou  affermer 
les  biens  <les  émigrés.  »  Le  13  du  môme  mois,  nouveau 
ticcret  pour  accélérer  la  vente  de  ces  biens.  En  exécution 
de  ces  violentes  mesures,  qui  du  reste  furent  puissamment 
secondées  par  la  cupidité ,  les  ventes  ne  rencontrèrent  plus 
d'obstacles. 

.Mais  ce  n'était  pas  tout  :  pour  enlever  aux  églises  les 
moyens  de  se  soutenir  ou  de  se  relever,  il  fut  décrété ,  le 
13  bramairean  II,  que  l'actif  des  fabriques  et  fondations 
serait  propriété  nationale.  Il  va  sans  dire  que  les  presby- 
tères furent  compris  dans  la  confiscation.  Là  ne  s'arrêta  pas 
la  marche  du  système,  et  le  22  frimaire  an  II  les  biens  des 
associations  de  piété  et  de  charité  furent  déclarés  nationaux. 
Et  lorsque  ces  immenses  richesses  furent  englouties  dans  le 
gouffre  révolutionnaire,  lorsqu'il  n'y  eut  plus  ni  prêtres  ni 
nobles  à  dépouiller,  et  qu'on  se  trouva  en  face  d'exigences 
nouvelles  ou  de  besoins  sans  cessi;  renaissants,  il  fallut  bien 
jeter  encore  quelques  miettes  dans  la  bouche  du  géant 
affamé.  C'est  pourquoi  les  biens  des  tribunaux  de  commecce 
furent  fiappés  de  la  condamnation  :  un  décret  du  4  nivôse 
an  II  les  déclara  aussi  nationaux.  Bien  plus,  au  mépris  du 
droit  des  gens ,  on  comprit  dans  la  fatale  dénomination  les 
biens  des  corporations  étrangères  silués  en  France  (  13  plu- 
viôse an  II).  Dès  le  10  mars  1793  on  avait  confisqué  les 
biens  des  personnes  condamnées  pour  crimes  contre-révo- 
lutionnaires. Le  1^"^  août  suivant  il  devint  suffisant  pour 
encourir  la  peine  de  confiscation  d'être  mis  hors  Va  loi. 
Bientôt  la  mesure  ftit  étendue  au  simple  délit  d'avoir  laissé 
subsister  sur  ses  propriétés  des  signes  de  la  royauté.  Mais 
le  comble  de  l'absurdili;  et  de  l'atrocité  tout  ensemble  fut 
d'ordonner  la  confiscation  contre  tout  accusé  qui  se  donne- 
rait la  mort  ;  car,  la  confiscation  n'ayant  lieu  dans  les  pre- 
miers temps  qu'après  la  condamnation ,  il  se  trouva  des 
pères  de  famille  qui  pour  laisser  à  leurs  enfants  les  moyens 
de  subsister  se  donnèrent  la  mort  avant  la  sentence  révo- 
lutionnaire ;  et  c'est  pour  paralyser  l'effet  de  ce  noble  dé- 
vouement que  la  loi  du  29  brumaire  an  II  décréta  qu'il 
suffisait  d'être  accusé  pour  encourir  la  confiscation.  Et  par 
un  semblant  d'humanité ,  qui  n'était  en  effet  qu'une  déri- 
sion cmelle ,  il  fut  ordonné  que  les  enfants  de  ceux  dont  les 
biens  seraient  frappés  de  confiscation  seraient  envoyés  aux 
hospices  des  enfants  trouvés  !  (  16  brumaire  an  II.  ) 

Hâtons-nous  d'arriver  à  des  temps  moins  déplorables.  Un 
premier  décret  du  14  lloréal  an  III  ordonna  la  restitution 
des  biens  confisqués  par  suite  des  jugements  révolutionnaires  ; 
mais^  il  établit  de  si  nombreuses  exceptions,, que  ce  n'était, 
à  vrai  dire ,  qu'une  apparence  de  retour  aux  idées  de  jus- 
tice. Un  autre  décret,  du  21  prairial  an  III,  en  expliquant 
le  premier,  lui  donna  une  certaine  extension  ;  mais  ce  ne 
fut  que  sous  le  gouvernement  consulaire  que  la  réparation 
devint  réelle.  Un  arrêté  du  9  fioréal  an  IX  ordonna  d'abord 
de  surseoir  à  la  vente  des  biens  nationaux.  Une  autre  déci- 
liion,  du  7  messidor  an  IX,  affecta  ceilainsde  ces  domaines  à 


191 

l'indemnisation  de  ceux  des  hospices  dont  les  biens  avaient 
été  vendus.  Et  enfin,  le  6  floréal  an  X,  intervint  le  séna- 
tus-consulte  qui  prononça  sur  les  effets  de  l'amnistie  ac- 
cordée aux  émigrés  :  tous  ceux  de  leurs  biens  qui  étaient 
encore  entre  les  mains  de  la  nation ,  autres  que  les  bois  et 
forêts,  les  immeubles  affectés  à  un  service  pubhc,  et  les 
droits  sur  les  grands  canaux ,  durent  leur  être  restitués , 
et  dès  ce  moment  l'on  put  connaître  ce  qu'il  fallait  définitive- 
ment comprendre  sous  la  dénomination  Aebiens  nationaux. 
Toutefois,  il  intervint  encore  quelques  modifications  à  la 
règle.  C'est  ainsi  que  le  29  floréal  an  X,  par  la  création 
de  la  Légion  d'Honneur,  200  mille  livres  de  rentes 
en  biens  nationaux  furent  affectées  à  chaque  cohorte.  Mr.is 
presqu'en  même  temps,  c'est-à-dire  le  18  germinal  delà 
même  année,  parut  le  célèbre  concordat,  qui ,  en  rati- 
fiant définitivement  la  vente  des  biens  ecclésiastiques ,  re- 
mit les  églises  non  aliénées  nécessaires  au  culte  à  la  dispo- 
sition des  évêques  et  les  presbytères  entre  les  mains  des 
curés.  Cependant  le  système  de  confiscation  n'était  pas  en- 
tièrement abandonné  ;  car  c'est  presque  à  la  même  époque, 
c'est-à-dire  le  20  prairial  an  X,  qu'intervint  un  arrêté  des 
consuls  sur  la  suppression  des  ordres  monastiques,  congré- 
gations régulières,  etc.,  dans  les  quatre  nouveaux  départe- 
ments situés  sur  la  rive  gauche  du  Rhin.  Les  biens  de  ces 
ordres  et  corporations  furent  réunis  au  domaine  national, 
et  les  lois  relatives  à  l'administration ,  aux  baux  et  à  la 
vente  des  domaines  nationaux  leur  furent  appliquées. 

La  réparation  dont  Napoléon  avait  conçu  la  pensée,  mais 
que  Vempereur  ne  put  effectuer,  devenait  possible  pour  le 
roi.  De  là  cette  fameuse  loi  d'indemnité  en  faveur  des 
émigrés  que  fit  rendre  le  gouvernement  de  Charles  X.  Ce 
fut,  quoi  qu'on  en  ait  dit,  une  idée  grande,  politique  et  gé- 
néreuse que  celle  d'indemniser  les  anciens  possesseurs  des 
biens  nationaux.  Elle  tendait  à  réconcilier  les  partis,  à 
dépouiller  ces  biens  de  l'espèce  de  tache  qui  les  couvrait,  à 
leur  donner  toute  la  valeur  vénale  qui  leur  manquait,  en  un 
mot  à  effacer  la  trace  d'une  origine  qui  les  frappait  de  dé- 
faveur, et  en  même  temps  à  dédommager  les  anciens  pro- 
priétaires de  la  perte  qu'ils  avaient  éprouvée.  On  ne  peut 
nier  que  dans  l'opposition  que  la  loi  d'indemnité  rencon- 
tra ,  soit  en  dedans ,  soit  en  dehors  des  Chambres,  il  ne  soit 
entré  quelques  sentiments  peu  louables,  notamment  une 
crainte  jalouse  de  voir  les  anciens  émigrés  reprendre  dans 
les  affaires  pubUques  la  place  que  donne  la  propriété.  Et 
peut-être  cet  acte  n'inrtua-t-il  pas  médiocrement  sur  les 
causes  de  la  révolution  de  Juillet,  par  la  haine  que  les 
classes  moyennes  ressentaient  en  général  contre  les  indem- 
nisée. Peut-être  aussi  faut-il  convenir  que  plusieurs  de 
ceux-ci  n'apportèrent  pas  dans  leur  triomphe  toute  la  mo- 
dération que  la  prudence  leur  commandait,  et  dont  la  dis- 
position des  esprits  leur  faisait  une  loi. 

Ce  n'était  pourtant  pas  la  première  fois  que  des  réparations 
de  ce  genre  avaient  eu  lieu.  On  avait  vu  des  rois  de  France, 
pressés  par  les  besoins  de  l'État,  et  ne  pouvant  trouver  des 
ressources  suffisantes  dans  le  trésor  public,  aliéner,  à  titre 
d'' engagement,  des  biens  de  la  couronne;  et  plus  tard,  à 
diverses  reprises ,  sous  le  règne  même  de  Napoléon,  on  avait 
imposé  de  fortes  redevances  aux  possesseurs  de  ces  biens. 
Le  recouvrement  de  cet  impôt  n'avait  point  rencontré  d'obs- 
tacles. Et  cependant  un  long  espace  de  temps  s'était  écoulé, 
une  longue  prescription  s'était  acquise,  et  l'on  ne  s'était  ja- 
mais avisé  ni  d'attaquer  cette  mesure  ni  d'en  faire  un  crime  à 
ses  auteurs.  C'est  qu'elle  portait  principalement  sur  l'ancienne 
aristocratie,  et  que  les  ennemis  de  celle-ci  voyaient  d'un  œil 
favorable  tout  ce  qui  pouvait  diminuer  ses  moyens  ou  sa 
puissance.  Et  remarquons  bien  que  le  chef  de  l'État,  en  frap- 
pant les  domaines  engagés,  avait  agi  directement  contre 
les  possesseurs  de  ces  domaines.  On  n'avait  pas  appelé  tous 
les  Français  à  réparer  des  torts  que,  par  fiction  et  pour  ne 
pas  blesser  la  classe  des  acquéreurs,  on  a  fait  de  nos  jouta. 


192 


BIENS  NATIONAUX  —  BIENVEILLANCE 


Bupporfer  à  la  France  entière.  Qu'auraient  donc  dit  ces  ac- 
quéreurs, dont  le  plus  grand  nombre  avaient  acquis  à  vil  prix, 
si  on  n'eût  demandé  qu'à  eux  seuls  le  juste  supplément  de 
ce  prix?  Ce  moyen  eût  sans  doute  paru  plus  équitable ,  peut- 
être  môme  eùt-il  rencontré  moins  d'opposition  réelle  ;  mais 
on  dut  et  l'on  voulut  ménager  le  principe  d'inévocabilité  des 
ventes  nationales;  le  prince  demeura  fidèle  à  ses  serments. 
Il  cmt  être  plus  juste,  il  parut  plus  faible;  on  feignit  de  ne 
pas  croire  à  sa  bonne  foi,  et,  au  lieu  de  la  reconnaissance  qui 
lui  était  due  pour  avoir  voulu  fermer  les  plaies  de  la  révo- 
lution ,  il  ne  put  satisfaire  les  uns  et  s'attira  la  haine  des 
autres. 

Nous  ferons  remarquer,  en  terminant  cet  article,  que 
la  régie  des  biens  nationaux  a  toujours  été  confiée  et  se 
trouve  encore  entre  les  mains  de  cette  administration  de 
l'enregistrement  et  des  domaines,  si  recomraan- 
dable  par  son  zèle,  sa  parfaite  connaissance  des  lois  de  la 
matière,  et  la  régularité  de  son  travail. 

DUBARD,  ancien  procureur  général. 

DIEIXSÉAIVCE.  Conformité  d'une  action  avec  les  temps, 
les  lieux  et  les  personnes.  C'est  l'usage  qui  rend  sensible  à 
cette  conformité.  Manquer  à  la  bienséance  expose  toujours 
au  ridicule  et  dénote  même  parfois  un  vice.  Cicéron  va 
peut-être  trop  loin  quand  il  définit  la  bienséance  :  ce  qui  con- 
siste à  ne  rien  faire  en  dépit  de  la  nature.  Les  bienséances 
ne  se  devinent  pas,  elles  s'apprennent  ;  l'éducation  du  monde 
vous  les  inculque,  et  encore  ce  n'est  que  d'une  manière  res- 
treinte et  tout  à  fait  personnelle.  En  effet,  chaque  classe  a 
ses  bienséances  particulières ,  qui  varient  à  leur  tour  avea 
les  localités.  «  Les  bienséances  d'une  nation  ne  sont  pas 
toujours  les  bienséances  d'une  autre  nation,  dit  Voltaire, 
ni  les  bienséances  d'un  siècle  celles  d'un  autre  siècle.  »  Sur 
un  même  point ,  tout  est  contradiction.  Il  y  a  néanmoins  une 
exception  à  faire  pour  certaines  bienséances ,  qui  tiennent 
aux  sentiments  du  cœur;  toutes  les  classes  de  la  société  les 
rencontrent  par  instinct,  il  n'y  a  de  dittérence  que  dans 
les  formes.  »  La  bienséance  du  langage  est,  dit  Rœderer, 
l'expression  naturelle  des  mœurs  honnêtes.  Elle  serait  une 
loi  du  goût ,  quand  elle  ne  serait  pas  une  règle  de  morale,  et 
c'est  pour  cette  raison  que  la  bienséance  peut  être  respectée 
au  plus  haut  point  chez  une  nation  où  la  corruption  des 
mœurs  est  portée  au  dernier  excès.  >>  Les  hommes  les  plus 
vertueux  comme  les  plus  instruits  sont  sujets  à  négliger 
quelques  bienséances  de  détail  ;  ils  ne  les  aperçoivent  pas , 
ils  portent  leur  vue  plus  haut. 

Auprès  des  gens  en  place  manquer  aux  bienséances,  c'est 
abjuier  leur  protection ,  c'est  même  une  espèce  de  déclara- 
tion de  guerre  ;  avec  ses  égaux  négliger  quelques  bien- 
séances n'est  qu'une  faute  de  bon  goût;  avec  ses  véritables 
amis ,  c'est  une  légère  imperfection  que  l'habitude  de  se  voir 
fait  oublier.  A  la  suite  d'une  grande  révolution  règne  une 
sorte  de  guerre  civile  entre  les  bienséances  anciennes  et  les 
bienséances  nouvelles  ;  mais,  comme  dans  les  modes,  ce  sont 
toujours  les  dernières  qui  ont  raison.  Il  n'y  a  jamais  à  hé- 
siter entre  les  devoirs  essentiels  et  les  bienséances  du  mo- 
ment ;  les  uns  tiennent  à  la  moralité ,  les  autres  ne  dérivent 
que  de  l'usage.  Saint-Prosper. 

Dans  l'imitation  poétique,  les  convenances  et  les  bien- 
séances ne  sont  pas  précisément  la  même  chose  :  les  conve- 
nances sont  relatives  aux  personnages  ;  les  bienséances  sont 
plus  particulièrement  relatives  aux  spectateurs.  Les  unes 
regardent  les  usages,  les  mœurs  du  temps  et  du  lieu  de  l'ac- 
tion ;  les  autres  regardent  l'opinion  et  les  mœurs  du  pays  et 
du  siècle  où  l'action  est  représentée.  Lorsqu'on  a  fait  parler 
et  agir  un  personnage  comme  il  aurait  agi  et  parlé  dans  son 
tcnips,  on  a  observé  les  convenances;  mais  si  les  mœurs  de 
ce  temps-là  étaient  choquantes  pour  le  nôtre ,  en  les  peignant 
sans  les  adoucir  on  aura  manqué  aux  bienséances  ;  et  si  une 
imitation  trop  fidèle  blesse  non-seulement  la  délicatesse,  mais 
la  luidcur,  on  aura  manqué  à  la  décence.  Ainsi,  pour  mieux 


observer  la  décence  et  les  bienséances  actuelles,  on  est  sou- 
vent obligé  de  s'éloigner  des  convenances  en  altérant  la  vé- 
rité. CeDe-ci  est  toujours  la  même,  et  les  convenances  sont 
invariables  comme  elle  ;  mais  les  bienséances  varient  selon 
les  lieux  et  les  temps  :  on  en  voit  une  preuve  frappante  dan» 
l'histoire  de  notre  théâtre. 

Ce  n'est  pas  le  progrès  des  mœurs ,  mais  le  progrès  da 
goût,  de  la  culture  de  l'esprit,  de  la  politesse  d'un  peuple, 
qui  décide  des  bienséances.  C'est  à  mesure  que  les  idées  de 
noblesse,  de  dignité ,  d'honnêteté  se  raffinent,  et  que  la  mo- 
rale théorique  se  perfectionne ,  qu'on  devient  plus  sévère 
plus  délicat  : 

Chastes  sont  les  oreilles, 

Encor  que  le  cœur  soit  fripon, 

a  dit  La  Fontaine.  On  va  plus  loin,  et  l'on  prétend  que  plus 
le  cœur  est  corrompu,  plus  les  oreilles  sont  chastes;  mais 
ce  n'est  qu'une  façon  ingénieuse  de  faire  la  satire  des  siècles 
polis.  L'innocence,  il  est  vrai ,  n'entend  mahce  à  rien ,  et  à 
ses  yeux  rien  n'a  besoin  de  voile;  mais  le  monde  ne  peut 
pas  toujours  être  innocent  et  naïf,  comme  dans  son  enfance; 
et  les  siècles,  comme  les  personnes,  peuvent  en  s'éclairant 
devenir  à  la  fois  et  plus  décents  dans  le  langage  et  plus  sé- 
vères dans  les  mœurs.  Marmontel. 

BIENVEILLANCE.  Heureuse  disposition  du  cœur 
qui  nous  fait  entrer  dans  les  peines  des  autres  et  nous  inspire 
la  pensée  de  les  adoucir.  C'est  un  sentiment  que  Dieu  im- 
prime dans  tous  les  cœurs,  et  par  lequel  nous  sommes  portés 
à  nous  vouloir  du  bien  les  uns  aux  autres.  La  société  lui  doit 
ses  liens  les  plus  doux  et  les  plus  forts.  Le  principal  moyen 
dont  s'est  servi  l'auteur  de  la  nature  pour  établir  et  conserver 
le  genre  humain,  a  été  de  rendre  communs  entre  tous  les 
hommes  leurs  biens  et  leurs  maux ,  toutes  les  fois  que  leur 
intérêt  personnel  n'y  met  point  obstacle.  Il  est  des  hommes 
en  qui  l'intérêt,  l'ambition,  l'orgueil  empêchent  qu'il  ne 
s'élève  de  ces  mouvements  de  bienveillance ,  mais  il  n'en  est 
point  qui  n'en  portent  dans  le  cœur  les  semences  prêtes  à 
éclore  en  faveur  de  l'humanité ,  de  la  vertu  ;  ou,  s'il  en  est 
qui  n'aient  point  reçu  de  la  nature  ces  précieux  germes ,  ce 
doit  être  un  défaut  de  conformation  ,  semblable  à  celui  qui 
rend  certaines  oreilles  insensibles  au  charme  de  la  musique. 

n  II  y  a  dans  la  nature  de  l'homme,  selon  Diderot, deux 
principes  opposés  :  l'amour-propre,  qui  nous  rappelle  à  nous, 
et  la  bienveillance,  qui  nous  répand.  Si  l'un  des  deux  ressorts 
venait  à  se  briser,  on  serait  ou  méchant  jusqu'à  la  fureur, 
ou  généreux  jusqu'à  la  fohe.  » 

Sans  doute  il  n'est  pas  toujours  possible  de  donner,  ni 
môme  de  s'offrir  à  des  périls  pour  sauver  ceux  qui  souffrent, 
mais  du  moins  on  les  console  par  la  démonstration  d'une 
véritable  sympathie  :  telle  est  la  bienveillance.  On  allègue 
contre  elle  qu'à  force  d'être  générale ,  il  lui  arrive  quelquefois 
de  n'être  utile  à  personne  en  particulier  :  c'est  une  grave 
erreur.  Il  est  une  foule  de  circonstances  qui  n'exigent  ni 
secours  ni  sacrifices;  la  vie  ne  se  compose  pas  que  d'intérêts 
ou  de  besoins;  on  est  déchiré  dans  ses  sentiments  et  ses  af- 
fections :  c'est déjàunallégementqued'être compris,  qu'est-ce 
donc  quand  la  bienveillance  pleure  avec  nous  ?  Mais  là  ne 
s'arrête  pas  son  rôle;  elle  intervient  avec  délices  entre  les 
prétentions  et  les  haines  ;  et  si  elle  ne  réussit  pas  toujours  à 
les  désarmer,  souvent  elle  les  apaise  d'abord,  pour  les  ré- 
concilier ensuite. 

Aux  époques  de  crises  et  de  désastres,  la  bienfaisance 
sans  doute  est  d'une  utilité  plus  immédiate;  je  conviendrai 
même  que  dans  les  temps  ordinaires  son  activité  embrasse 
les  classes  les  plus  nombreuses  de  la  société  :  elle  est  toute  en 
action.  C'est  dans  un  autre  cercle  que  se  meut  la  bienveil- 
lance; elle  ne  va  pas  qu'au-devant  du  malheur,  elle  est  li 
mise  en  œuvre  de  la  félicité  ;  elle  répand  le  calme,  la  douceu 
et  le  bien-être  stir  tout  ce  qui  l'entoure  :  c'est  son  soin  con 
tinuel.  On  reçoit  avec  empressement  les  dons  de  la  bie: 


BIENVEILLANCE  —  BIERE 


103 


faisancc  ;  encore  une  minute  peut-être ,  ils  seraient  arrivés 
trop  tard.  Mais,  dans  toutes  les  positions,  c'est  avec  ravis- 
sement qu'on  agrée  l'aspect  de  la  bienveillance  :  elle  s'as- 
socie tout  ce  qui  l'approche. 

On  confond  quelquefois  la  politesse  avec  la  bienveil- 
lance; il  est  pourtant  bien  facile  de  les  distinguer  :  c'est 
pour  soi  qu'on  possède  la  première  ;  on  la  regarde  comme 
l'apanage  du  rang  que  l'on  occupe  ou  de  l'éducation  que  l'on 
a  reçue.  La  politesse  est  souvent  haute  et  froide  ;  la  bienveil- 
lance ,  au  contraire ,  a  quelque  chose  de  tendre  et  de  cares- 
sant :  elle  laisse  de  côté  tout  ce  qui  est  distinction  ;  elle  oblige 
a  sa  mesure,  mais  sans  jamais  classer.    Saint-Pkosper. 

BIENVEIVUE,  bonne  arrivée,  heureuse  arrivée, 
ne  se  dit  proprement  que  de  la  première  fois  qu'on  arrive 
en  quelque  endroit  ou  qu'on  est  reçu  en  quelque  corps  : 
c'est, en  style  familier,  ce  que  les  Romains  appellent  sur 
leurs  médailles /c/ix  adventus,  ou  simplement  aclven- 
tus.  L'usage  veut  que  celui  qui  est  admis  dans  une  com- 
pagnie offre  un  repas  ou  une  collation  à  ceux  qui  en  font 
partie  et  qui  le  reçoivent  parmi  eux  ;  cela  s'appelle  payer 
sa  bienvenue.  Cet  usage  s'exerce  principalement  entre 
écoliers ,  entre  militaires  ou  entre  prisonniers  ;  et  il  doit 
être  fort  ancien,  comme  il  paraît  avoir  donné  lieu  à 
plus  d'un  abus,  puisqu'une  ordonnance  du  roi  sur  les  ma- 
tières criminelles,  datée  de  1670,  défend,  à  peine  de  puni- 
tion exemplaire,  aux  geôliers,  greffiers,  guichetiers,  et  à 
Vancien  des  prisonniers,  sous  prétexte  de  bienvenue,  de 
rien  prendre  des  nouveaux  arrivants ,  en  argent  ou  en  vi- 
vres, quand  bien  même  il  leur  serait  volontairement  offert. 

BIERE,  cercueil  de  bois.  Voyez  Cercueil.  • 

BIÈRE  ou  BIERRE.  C'est  après  le  vin  la  meilleure 
liqueur  termentée;  on  la  prépare  avec  l'orge  germé,  au- 
quel on  associe  le  houblon,  sans  lequel  la  liqueur  serait 
très-promptement  altérée. 

L'orge,  ainsi  que  les  autres  graines,  renferme  une  sub- 
stance amilacée,  qui  ne  peut  directement  subir  la  fermenta- 
tion, mais  qui  se  transforme  en  partie  en  sucre  lorsque  la 
graine  germe,  et  peut  alors  fermenter (  voj/e-  Fermentation). 
Trois  conditions  sont  nécessaires  pour  que  la  germination 
ait  lieu  :  de  l'humidité,  une  certaine  température  et  la  pré- 
sence de  l'air.  On  verse  dans  un  grand  bassin  en  bois  ou 
en  pierre  une  assez  gi'ande  quantité  d'eau  pour  que  le  grain 
en  soit  recouvert  à  six  ou  huit  centimètres  d'épaisseur,  et  on 
y  jette  ptju  à  peu  l'orge;  si  des  grains  viennent  nager  à  la 
surface,  on  les  retire,  parce  qu'ils  donneraient  un  mauvais 
goût  à  la  bière.  L'orge  est  assez  trempé  quand  les  grains 
se  laissent  écraser  entre  les  doigts.  On  renouvelle  deux  ou 
trois  lois  l'eau  du  bassin  pendant  le  cours  de  l'opération, 
qui  dure  environ  quarante  heures;  et  quand  les  grains  sont 
arrivés  au  point  convenable  de  gonflement,  on  soutire  toute 
l'eau  et  on  en  passe  une  dernière  pour  les  bien  laver  ;  on 
laisse  égoutter  les  grains,  qui  continuent  à  se  gonfler,  et, 
au  bout  de  huit  heures  à  peu  près  en  été,  et  de  quinze 
heures  à  peu  près  en  hiver,  on  retire  l'orge,  que  l'on  réunit 
en  tas,  dans  lesquels  il  se  développe  bientôt  de  la  chaleur , 
et  peu  de  temps  après  on  voit  se  former  à  l'extrémité  du 
grain  de  petits  points  blancs ,  qui  sont  produits  par  la  ger- 
mination. Il  faut  alors  retourner  de  temps  à  autre  les  tas 
pour  en  exposer  toutes  les  parties  à  l'action  de  l'air.  Après 
un  certain  temps,  qui  dépend  de  la  température,  des  radi- 
cules se  sont  développées,  et  le  grain  est  devenu  sec  et  a 
pris  une  saveur  sucrée.  Arrivée  à  ce  terme,  si  la  germina- 
tion continuait,  la  matière  sucrée  se  décomposerait,  et  l'on 
ne  pourrait  plus  se  servir  de  l'orge  pour  fabriquer  la  bière. 

On  le  poile  alors  dans  un  atelier  nommé  touraille,  où  il 
se  trouve  exposé  à  une  température  suffisante  pour  le  tor- 
réfier légèrement;  le  germe  se  détache,  et  le  grain  peut  se 
conserver  pendant  plusieurs  mois  sans  éprouver  d'altération. 
La  touraille  est  formée  d'un  plancher  en  tôle,  percé  d'un 
grand  nombre  de  petites  ouvertures,  et  placé  au-dessus  d'un 

DICT.    DE  LA   CONVEKS.  —  T.    III. 


fourneau  dans  lequel  on  fait  du  feu  avec  un  combustible  qui 
donne  très-peu  de  fumée;  on  étend  l'orge  en  couches  min- 
ces, afin  que  l'action  de  la  chaleur  s'exerce  plus  rapidement 
sur  lui,  et  on  le  remue  avec  des  râbles  en  fer  pour  en  ex- 
poser toutes  les  parties  à  l'action  de  la  chaleur.  On  l'agite 
ensuite  dans  des  cribles,  au  travers  desquels  passent  tous 
les  germes  desséchés  :  l'orge  reste  sur  le  crible.  On  broie 
l'orge  sous  des  meules,  de  manière  à  obtenir  une  farine  très- 
grossière,  que  l'on  place  dans  des  cuves  en  bois,  munies 
d'un  double  fond  percé  d'un  graud  nombre  de  trous  coni- 
ques ,  dont  la  base  est  tournée  vers  le  bas,  afin  qu'ils  ne 
puissent  jamais  se  boucher,  et  Ton  fait  arriver  au-dessus  du 
double-fond  de  l'eau  chaude  à  40"  à  peu  près,  en  agitant 
toute  la  masse  pour  la  bien  mêler  avec  l'eau.  Après  l'avoir 
laissée  reposer  pendant  quelque  temps,  on  y  ajoute  de  l'eau 
plus  chaude ,  de  manière  que  la  masse  marque  environ 
50".  On  continue  à  l'agiter,  et,  après  un  certain  temps ,  on 
jette  à  la  surface  une  certaine  quantité  de  farine  de  malt 
très-fine;  on  couvre 'bien  la  cuve,  et  on  abandonne  la  li- 
queur à  elle-même  pendant  quelques  heures  ;  on  la  retire 
par  le  double  fond  et  on  la  porte  dans  une  chaudière  ;  après 
quoi  on  fait  arriver  à  deux  fois  dans  la  cuve  une  quantité 
d'eau  semblable  à  celle  que  l'on  avait  employée  la  première 
fois. 

Ji.  mesure  que  la  liqueur  qui  sort  de  la  cuve,  et  que  l'on 
appelle  moût  de  bière,  arrive  dans  la  chaudière,  on  y  jette 
du  houblon  et  on  porte  la  liqueur  jusqu'à  l'ébuUition;  on 
la  fait  ensuite  écouler  dans  de  vastes  cuves  appelées  bacs, 
qui  présentent  une  très-grande  surface  pour  faciliter  le  plus 
possible  le  refroidissement.  Le  moût  s'aigrit  aisément 
lorsque  la  température  est  élevée  ;  il  est  de  la  plus  grande 
importance  d'éviter  cet  inconvénient,  et  malgré  tous  les 
soins  que  l'on  donnait  autrefois  à  cette  partie  de  l'opéra- 
tion, il  n'arrivait  que  trop  souvent  qu'une  altération  plus  ou 
moins  sensible  de  la  liqueur  avait  lieu  pendant  les  chaleurs 
de  l'été.  On  a  employé  différents  procédés  pour  obvier  à 
cet  inconvénient  :  celui  qui  a  donné  les  meilleurs  résultats 
consiste  à  faire  passer  la  liqueur  dans  un  appareil  où  elle 
se  trouve  refroidie  par  un  courant  d'eau  froide  qui  circule 
dans  une  double  enveloppe  en  sens  inverse  du  moût.  Ce 
système  présente  de  grands  avantages,  par  le  refroidissement 
Irès-rapide  du  mofrt,  qui  ne  risque  pas  de  s'aigrir,  et  pro- 
cure en  même  temps  une  grande  quantité  d'eau  chaude, 
utile  pour  diverses  opérations  de  la  brasserie.  La  quantité 
d'eau  nécessaire  pour  abaisser  la  température  du  moût  au 
degré  con^^nable  n'excède  pas  celle  du  moût  lui-même  ;  il 
n'y  a  pas  de  brasserie  où  on  ne  puisse  se  la  prociu-er  facile- 
ment. 

Le  moût  de  bière,  reçu  dans  une  grande  cuve  destinée  à 
cet  usage,  étant  abaissé  à  une  température  convenable,  on 
y  ajoute  de  la  levure;  bientôt  une  fermentation  s'y  déve- 
loppe ,  et,  selon  la  température  de  la  saison ,  elle  est  ache- 
vée plus  ou  moins  rapidement,  ce  qu'on  reconnaît  à  la 
cessation  du  mouvement  très-rapide  que  présente  la  liqueur. 
On  la  soutire  alors  dans  des  tonneaux ,  où  la  fermentation 
présente  ses  dernières  phases ,  après  qu'une  écimie  épaisse 
qui  est  formée  de  la  levure  s'est  déversée  au  dehors.  Il 
suffit  alors,  pour  que  la  bière  puisse  être  bue,  de  la  clari- 
fier avec  de  la  colle  de  poisson  et  de  la  tirer  en  bouteilles. 
Pour  coller  la  bière,  on  délaye  dans  dix  fois  son  poids  de 
la  colle  de  poisson  gonflée  et  divisée  le  plus  possible  en  la 
malaxant  entre  les  doigts ,  et  on  passe  la  liqueur  dans  un 
linge.  On  mélange  cette  liqueur  avec  un  volume  égal  de 
bière,  et  on  en  verse  une  bouteille  dans  un  quart  de  bière  ; 
on  agite  fortement  avec  un  bâton  ;  on  laisse  reposer,  et  on 
tire  la  liqueur  après  vingt-quatre  heures.  Si  on  veut  avoir 
une  bière  ti'ès-mousseuse,  on  laisse  les  bouteilles  couchées 
pendant  vingt-quatre  heures,  et  on  les  relève  ensuite  ;  si  on 
les  gardait  trop  longtemps  couchées,  un  grand  nombre  se 
briseraient ,  parce  que  le  gaz  acide  carbonique  qui  se  dé- 

23 


BIÈRE  —  BIÈVRE 


194 

vcloppedans  la  liqneur,  ne  trouvant  aucune  issue,  acquer- 
rait bientôt  assez  de  force  pour  surmonter  la  résistance 
des  parois. 

L'action  qu'exerce  la  colle  de  poisson  quand  elle  clarifie 
la  bière  s'explique  ainsi  :  elle  forme  en  s'étendant  un  ré- 
seau qui,  en  descendant,  entraîne  toutes  les  substances 
qu'elle  rencontre  en  suspension  dans  la  liqueur,  et  cet  effet 
remarquable  explique  bien  pourquoi  la  gélatine ,  quelque 
pure  qu'elle  fiit,  n'a  jamais  pu  servir  à  cet  usage  :  cette 
dernière  substance  ne  présente  pas  une  organisation  qui  lui 
permette  d'agir  de  la  même  manière ,  et  il  est  certain  que 
cette  substitution  ne  pourra  jamais  avoir  lieu. 

La  bière  soumise  à  la  distillation  donne  une  liqueur  al- 
coolique d'un  goût  désagréable,  qui  est  dû  à  une  substance 
acre  qui  l'accompagne  constamment. 

Dans  les  pays  où  cette  liqueur  sert  de  boisson  babituelle, 
comme  en  Angleterre,  en  Flandre,  en  Belgique,  etc.,  on 
prépare  des  bières  extrêmement  fortes,  qui  enivrent  très- 
promptement  ceux  qui  en  font  usage,  et  on  a  même  re- 
marqué que  cet  enivrement  est  beaucoup  plus  dangereux 
que  celui  qui  est  dû  au  vin.  Les  bières  épaisses  que  l'on  boit 
dans  quelques  pays  donnent  souvent  lieu  à  des  accidents, 
qui  sont  dus  à  une  quantité  plus  ou  moins  considérable  de 
levure  qu'elles  tiennent  en  suspension.  Voyez  Boissons. 
H.  Gaultier  de  Claubry. 

BIERNACKI  (  Aloys-Prosper  ) ,  agronome  qui  a  rendu 
à  la  Pologne,  sa  patrie,  les  plus  grands  services,  et  qui  fut 
ministre  des  finances  pendant  la  révolution  de  1830 ,  naquit 
en  1778,  dans  lepalatinat  de  Kaliscb.  Après  avoir  étudié  à 
l'université  de  Francfort-sur-l'Oder  et  avoir  acquis  des  con- 
naissances agronomiques  très-étendues,  grâce  à  de  nombreux 
■voyages  dans  les  différentes  contrées  de  l'Europe ,  il  réussit 
à  faire  de  sa  teiTC  de  Soulislawice ,  près  deKalisch,  une 
véritable  ferme  modèle  ;  et  les  moutons  de  race  électorale 
qu'il  y  introduisit  dès  l'année  1811  acquirent  bientôt  à  ses 
troupeaux  une  réputation  méritée.  Jaloux  de  faire  participer 
sa  patrie  à  tous  les  perfectionnements ,  il  fonda  dans  ses  do- 
maines une  école  d'enseignement  mutuel  pour  l'agriculture, 
l'horticulture,  l'histoire  naturelle  et  les  mathématiques.  11 
s'associa  aussi  aux  efforts  de  l'opposition  contre  la  Russie,  et 
s'attira  ainsi  la  haine  du  parti  impérial,  en  même  temps  qu'il 
se  faisait  de  nombreux  partisans  parmi  ses  concitoyens.  A 
l'époque  de  la  révolution  de  Pologne,  en  1830 ,  il  fut  nommé 
membre  de  la  diète  et  président  de  la  chambre  des  comptes, 
puis  chargé  du  portefeuille  des  finances.  Après  la  chute  de 
Varsovie ,  il  émigra  en  France. 

BIETT  (LAOKENT-TnoMAs),  médecin  en  chef  de  l'hô- 
pital Saint-Louis,  était  né  à  Scamf,  en  1784,  dans  une  des 
vallées  les  plus  sauvages  du  pays  des  Grisons.  Il  avait  fait 
en  partie  ses  études  en  France ,  et  était  devenu  Français  de 
toutes  façons,  non  toutefois  sans  conser\'er  de  son  pays  natal 
un  vif  souvenir  et  quelque  chose  d'embarrassé ,  d'original 
et  de  naïf  qui  ajoutait  un  charme  singulier  à  son  mérite  et 
à  l'attrait  mélancolique  et  distingué  de  sa  personne  et  de 
ses  manières.  Mais  il  était  avant  tout  un  homme  de  bien , 
un  bon  esprit,  un  cœur  droit.  Enclin  à  l'enthousiasme,  il 
avait  plus  qu'un  autre  de  ces  instants  de  découragement  et 
de  désillusion  qui  font  brèche  au  bonheur.  Ceux  qui  ont 
connu  le  docteur  Biett ,  ses  élèves ,  ses  amis  et  ses  clients , 
savent  avec  quel  dévouement,  quelle  douceur  et  quel  zèle  in- 
génieux il  traitait  ses  malades ,  principalement  ceux  qui  n'a- 
vaient à  espérer  aucun  adoucissement  de  la  fortune,  et  quelle 
délicatesse  il  apportait  dans  les  relations  sociales.  Sa  règle 
était  de  traiter  sans  aucune  rétribution  les  artisans  et  les 
artistes  entons  genres,  et  de  recevoir  des  riches  tout  ce  qu'il 
leur  plaisait  de  lui  offrir.  Hélas!  parce  système  si  humain, 
il  ne  laissa  à  sa  veuve ,  avec  un  nom  sans  tache  et  un  ca- 
binet magnifiquement  orné,  qu'une  fortune  fort  dispropor- 
tionnée à  sa  grande  et  légitime  réputation. 
Le  docteur  Biett  avait  une  instruction  solide  et  varice,  un 


esprit  délicat ,  un  goût  littéraire  très-pur  ;  il  avait  donné  ses 
soins  et  son  concours  à  deux  des  ouvrages  de  son  maître,  le 
célèbre  docteur  A  liber  t.  Il  était  protestant,  et  connu  pour 
ses  opinions  politiques,  à  la  fois  sages  et  libérales.  Médecin  et 
ami  du  comte  .Mole  et  de  Benjamin  Delessert,  qui  le  prenuer 
avait  éprouvé  son  zèle  et  ébauché  sa  fortune ,  Biett  n'était 
ni  sans  influence  ni  sans  crédit.  Il  excellait  à  protéger  comme  j. 
à  conseiller. 

Reçu  docteur  en  1814  à  la  faculté  de  Paris,  il  montra 
bientôt  l'élévation  et  la  fermeté  de  son  caractère.  On  le 
nomma  en  1815  médecin  inspecteur  des  services  sanitaires 
de  l'hôpital  Saint-Louis,  alors  encombré  de  soldats  atteints 
du'typhus  :  il  vit  tomber  autour  de  lui  onze  élèves  frappés 
par  le  fléau  meurtrier  sans  quitter  un  poste  si  périlleux.  11 
devint  médecin  titulaire  du  même  hôpital  le  11  février  1819. 
A  la  suite  d'un  voyage  en  Angleterre ,  il  créa  dans  cet  hô- 
pital, dévolu  entièrement  aux  maladies  de  la  peau,  un  trai- 
tement externe  qui  permit  de  secourir  six  mille  dartreux 
par  an.  Sous  son  intelligente  direction ,  les  bains  de  Saint- 
Louis  devinrent  un  établissement-modèle,  où  les  riches  pri- 
rent place  tout  à  côté  des  pauvres. 

D'abord  prévenu  en  faveur  des  classifications  de  Willan 
et  de  Bateman ,  il  finit  cependant  par  distribuer  d'après  ses 
propres  vues  les  affections  cutanées  en  quinze  classes.  Il  était 
réservé  à  ses  élèves,  MM.  Schedel  et  A.  Cazenave,  de  pu- 
bUer  les  idées  qu'il  avait  surabondamment  exposées  dans  les 
leçons  cliniques  qu'il  donnait  chaque  année  à  Saint-Louis. 
Pendant  le  choléra  de  1832 ,  il  se  signala  par  un  dévouement 
incomparable  :  on  le  vit  passer  sans  désemparer  jusqu'à 
quatorze  heures  par  jour  auprès  de  ses  malades  de  Thôpital. 
Biett  était  membre  de  l'Académie  de  Médecine  depuis  1823, 
et  il  avait  publié  quelques  bons  articles  dans  le  grand  Dic- 
tionnaire des  Sciences  médicales  de  Panckoucke,  et  dans 
divers  recueils.  Il  succomba  à  une  hydropisie  de  poitrine, 
le  3  mars  1840.  Isid.  Bourdon. 

BIÈ'VRE.  Voyez  Castor. 

BIÈVRE,  petite  rivière  qui  prend  sa  source  aux  en- 
virons de  Versailles,  entre  Bouviers  et  Guy ancourt,  et  vient 
se  perdre  dans  la  Seine  à  Paris,  après  un  cours  de  31  ki- 
lomètres, dans  lequel  elle  baigne  les  villages  de  Jouy,  de 
Bièvre ,  dont  elle  tire  son  nom ,  arrose  des  prairies ,  se  cache 
dans  de  fraîches  vallées ,  fait  tourner  des  moulins  et  ali- 
mente des  fabriques.  Elle  entre  à  Paris  sur  le  boulevard 
Saint-Jacques.  A  cent  pas  en  avant  de  l'enceinte,  de  beaux 
arbres  la  couvrent  de  leur  ombrage,  ses  bords  sont  parés 
de  gazon ,  et  l'on  s'étonne  de  trouver  ses  eaux  encore  asseï 
pures.  Elles  n'ont  pas  fait  cent  pas  dans  Paris ,  que  l'indus- 
trie s'en  empare,  les  trouble  ,  les  épaissit,  les  altère.  Cette 
corruption  date  de  bien  loin.  La  Bièvre  suivait  doucement 
sa  pente  naturelle ,  quand  les  religieux  de  Saint-Victor 
voulurent,  sous  Louis  VII,  la  forcer  d'entrer  dans  leur  en- 
clos et  d'y  moudre  leurs  grains.  Saint  Bernard  les  y  aida, 
au  préjudice  des  riverains.  Le  temps ,  les  fortifications  de 
la  ville  obligèrent,  plus  tard,  à  l'abandon  d'une  partie  de 
ce  nouveau  canal.  La  partie  délaissée  devint  pour  le  voi- 
sinage un  égout;  chacun  y  jeta  ses  immondices;  on  l'appela 
le  ti'ou  punais.  Ce  fut  pour  tout  ce  côté  de  Paris  un  foyer 
de  contagion  ;  et  cependant  de  bien  longtemps  encore  on 
n'osa  porter  remède  au  mal,  tant  on  appréhendait  de  blesser 
les  droits  seigneuriaux  des  moines  1  Ce  canal  est  devenu 
la  rue  de  Bièvre. 

Mais  la  Bièvre  coulait  en  même  temps  dans  Paris  pour 
le  travail.  Des  drapiers  et  des  teinturiers  en  laine  s'étaient 
établis  sur  ses  bords  dès  le  quatorzième  siècle.  Jean  Go- 
belin  donna  le  premier  beaucoup  d'éclat  et  de  célébrité  à  seJ 
couleurs.  Ses  descendants  l'imitèrent.  Cette  famille  des  Go^ 
belins  devint  riche  et  puissante.  Colbert,  qui  appréciait  leurs 
travaux,  fit  de  leur  fabrique,  en  1667,  la  manufacture  royale 
des  Gobelins.  La  Bièvre  en  prit  le  nom.  C'était  une  d' 
nomination  et  presque  une  illustration  nouvelle.  La  peti 


BIÈVRE  —  BIFIDE 


19; 


rivière  n'en  fut  ni  plus  fière  ni  plus  propre.  L'usurpation 
des  moines,  les  saignées  faites  aux  berges  par  les  riverains, 
les  batardeaux  établis  par  des  seigneurs  du  voisinage,  le 
rouissage  des  chanvres,  la  lessive  des  blanchisseurs,  le  dé- 
pôt des  teintures,  le  déversement  des  égoiits,  appauvrirent, 
corrompirent  de  plus  en  plus  les  eaux  de  la  Bièvre.  L'oubli 
de  tous  règlements ,  l'absence  de  toute  répression  pendant 
la  révolution  aggravèrent  l'état  des  choses.  Enfin  un  arrêté 
des  consuls ,  signé  Bonaparte,  réglementa  le  cours,  la  jouis- 
sance, l'usage,  l'entretien,  la  police  de  la  rivière. 

Les  dispositions  de  cet  arrêté  des  consuls  étaient  sages. 
Le  libre  cours  de  la  BièvTC  importe  à  beaucoup  d'existen- 
ces. Quarante  mille  ouvriers  vivent,  sur  ses  bords,  des  in- 
dustries qu'elle  alimente.  Ses  eaux,  dont  les  exhalaisons  ont 
été  si  souvent  incommodes,  si  souvent  nuisibles ,  retenues 
par  des  travaux  bien  dirigés ,  giossies  par  les  tributs  de 
sources  voisines,  surv  cillées  par  une  propreté  vigilante,  peu- 
vent rendre  encore  de  plus  grands  services  et  devenir  même 
un  moyen  de  salubrité.  C'est  dans  ce  but  que  la  ville  de 
Paris  en  entreprit  la  canahsation  vers  1844.  Devenue  maî- 
tresse du  plan  des  eaux  par  l'achat  de  plusieurs  moulins,  la 
ville  a  fait  maçonner  le  lit  de  la  rivière  et  réglé  sa  pente  par 
des  barrages.  De  plus,  un  long  tunnel  doit  la  recevoir  à  son 
embouchure  sur  le  quai  d'Austerlitz,  et  la  conduire,  grossie 
des  eaux  des  égouts  de  la  rive  gauche,  sous  ce  canal  cou- 
vert, jusqu'au  dessous  du  pont  des  Arts,  et  même  plus  tard 
plus  loin,  afin  de  l'empêcher  de  troubler  les  eaux  de  la  Seine. 

Dans  son  cours  supérieur  la  Bièvre  est  voisine  de  plu- 
sieurs étangs,  qui,  dans  les  saisons  pluvieuses,  déversent 
leur  trop-plein  dans  cette  rivière ,  ce  qui  a  plusieurs  fois 
causé  des  inondations.  Le  Jmirnal  de  l'Étoile  nous  a  con- 
servé la  mémoire  d'un  débordement  de  la  Bièvre,  qui  em- 
porta plusieurs  maisons  et  dans  lequel  plusieurs  personnes 
perdirent  la  vie.  Dans  l'été,  au  contraire,  le  lit  de  cette  petite 
rivière  était  à  sec.  Pour  parer  à  ces  accidents,  il  a  été  formé 
dans  le  bois  de  la  Minière  un  étang-réservoir,  qui  recueille  les 
eaux  quand  elles  sont  trop  abondantes,  et  qui  les  déverse 
dans  la  rivière  quand  elle  baisse.  Ce  vaste  réservoir  peut 
contenir  G00,000  mètres  cubes  d'eau. 

BIÈVRE  (MARÉCHAL  marquis  de),  né  en  1747,  en- 
tra ,  fort  jeune  encore ,  dans  les  mousquetaires.  Sa  facilité  à 
produire  des  rébus,  des  jeux  de  mots,  des  calembours, 
lui  créa  parmi  ses  camarades  une  sorte  de  réputation ,  qui 
bientôt  s'étendit  dans  le  monde.  Pour  la  société  frivole  du 
règne  de  Louis  XV,  tous  les  genres  d'esprit  étaient  bons, 
même  dans  leurs  abus.  Se  voyant  un  homme  fameux  à  si 
bon  marché ,  de  Bièvre  voulut  augmenter  sa  renommée  en 
faisant  des  ouvrages  avec  ses  mauvais  bons-mots,  et  de  la 
littérature  avec  ses  coq-à-l'àne.  En  1770  il  publia  une 
Lettre  à  la  comtesse  Tatlon  ,  par  le  sieur  de  Bois-Jlotté, 
étudiant  en  droit  fil,  suivie  bientôt  de  quelques  autres  chefs- 
d'œuvre  de  la  même  espèce ,  tels  que  la  tragédie  burlesque 
de  Vercingetorix,  où  l'on  trouve  des  vers  de  cette  force  : 

Il  plut  à  fer^e aux  dieux  de  m'enlever  ces  biens. 
Hclas!  saos  eux  brouillés  que  peuvent  les  humaias! 

Puis  vinrent  encore  Les  Amours  de  l'ange  Lure  et  de  la  fée 
Lure  (  1772  ) ,  l'Almanach  des  Calembours,  etc. ,  etc. 

Ces  sottises  imprimées  eurent  assez  de  succès  et  de  vogue 
pour  effrayer  Voltaire,  indigné ,  suivant  son  expression ,  de 
voir  «  \m  tyran  si  bête  (le  calembour)  usurper  l'empire  du 
monde  ».  La  mode  avait  prononcé,  et  il  fallait  attaquer 
son  protégé  avec  ses  piopres  armes  :  c'est  ainsi  que  lors- 
qu'il lui  convint  de  quitter  son  nom  de  famille,  Maréchal, 
pour  se  donner  un  titre  :  «  Pourquoi,  lui  dit  un  ami  gogue- 
nard ,  ne  vous  faites-vous  pas  appeler,  au  lieu  du  marquis , 
le  maréchal  de  Bièvre?  »  Le  fait  est  que  son  grand-père, 
Georges  Maréchal,  avait  dû  à  ses  talents  la  place  de  premier 
chirurgien  de  Louis  XTV.  Cette  illustration  en  valait  bien 
une  autre.  Un  railleur  amusa  aussi  la  capitale  aux  dépens 


du  marquis  par  une  plaisanterie  d'un  goût  moms  délicat. 
M.  de  Chambre  (c'était  son  nom)  fit  circuler  une  lettre 
dans  laquelle  il  l'invitait  à  dîner,  en  ne  lui  promettant  que 
la  fortune  du  pot ,  phrase  immédiatement  sui^^e  de  sa  si- 
gnature. Une  leçon  plus  ingénieuse  fut  donnée  au  grand  fai- 
seur de  calembours  par  une  dame  chez  laquelle  il  dînait. 
A  chaque  mets  demandé  par  h.'i,  elle  feignait  de  chercher 
dans  les  mots  qu'il  avait  prononcés  un  double  sens.  En  vain 
se  tuait-il  à  protester  du  contraire.  «  Je  n'entends  pas  celui- 
là,  u  répétait  la  maîtresse  de  la  maison,  qui  s'amusa  à  le  dé- 
sespérer ainsi  pendant  tout  le  repas. 

M.  de  Bièvre,  approchant  delà  quarantaine,  s'avisa  en- 
fin de  penser  qu'il  était  temps  de  produire,  à  l'appui  de 
son  titre  d'homme  de  lettres,  quelque  ouvrage  plus  impor- 
tant et  plus  sérieux.  Il  fît  jouer  au  Théâtre-Français ,  en 
1783,  Le  Séducteur,  prétendue  comédie  de  caractère,  mais 
drame  écrit  en  général  avec  assez  d'élégance,  et  parfois  d'un 
style  assez  maniéré  pour  que  Dorât  en  fût  soupçonné  le  vé- 
ritable auteur.  Quoi  qu'il  en  soit ,  la  pièce  eut  un  succès 
prononcé,  et  quelques  jours  après,  la  tragédie  des  Brames, 
de  La  Harpe,  éprouva  un  échec;  aussi  le  calembouriste 
ne  manqua-t-il  pas  de  dire  :  «  Le  Séducteur  réussit ,  les 
bras  me  (Brames)  tombent.  »  L'irascible  La  Harpe  ne  lui 
pardonna  pas  ce  mot  :  un  de  ces  bons  arrêts....,  bien 
justes,  dont  parle  Figaro  ,  fut  rendu  dans  le  Cours  de  lit- 
térature contre  le  Séducteur  du  marquis.  En  1788  ce 
dernier  fit  représenter  au  même  théâtre  une  autre  comédie, 
en  cinq  actes  et  en  vers.  Les  Deux  Réputations  ;  mais  elle 
éprouva  une  chute  complète,  et  ce  fut  à  qui  répéterait 
que  les  Deux  Réputations  ne  lui  en  feraient  pas  ttne. 

Lorsque  la  révolution  éclata,  l'année  suivante,  ]M.  de  Biè- 
vre, en  sa  double  qualité  de  marquis  et  d'ancien  mousque- 
taire, crut  devoir  suivre  un  des  premiers  le  torrent  de  l'é- 
migration. Les  graves  événements  qui  occupaient  alors  les 
esprits  le  firent  oublier  plus  encore  que  son  absence ,  à  tel 
point  qu'il  reste  encore  quelque  incertitude  sur  le  lieu  et  l'é- 
poque de  sa  mort  :  suivant  les  uns,  elle  eut  lieu  peu  de  temps 
après  son  départ,  en  1789,  à  Spa,  où  il  prenait  les  eaux;  et 
ils  ajoutaient  que ,  fidèle  encore  au  calembour  à  ce  moment 
suprême,  il  avait  dit  aux  personnes  qui  l'entouraient  :  «  Mes 
amis,  je  m'en  vais  de  ce  pas  (de  Spa).  »  Mais  les  auteurs 
de  ce  récit  pourraient  bien  avoir  cédé  au  besoin  d'ajouter  un 
calembour  in  extremis  à  tous  ceux  dont  se  compose  la 
couronne  du  marquis.  La  seconde  version,  d'après  laquelle 
de  Bièvre  serait  mort  à  Anspach,  dans  le  Palatinat,  en  1792, 
paraît  plus  vraisemblable.  Mais  ce  qu'on  n'eût  guère  soup- 
çonné alors  ,  c'est  que  cet  homme  si  profondément  oublié, 
et  le  détestable  genre  qu'il  avaH  créé ,  auraient  quelques 
années  plus  tard  ce  qu'on  pourrait  appeler  une  reprise  de 
vogue;  mais  dans  la  réaction  qui  suivit  la  Terreur,  sous 
le  Directoire,  un  égal  dévergondage  détériora  le  goût  et  les 
mœurs.  Cet  abus  de  l'esprit  reprit  faveur  :  le  Bievriana, 
collection  des  prétendus  bons  mots  du  marquis,  eut  jusqu'à 
trois  éditions  en  peu  de  temps  ;  lui-même  fut  mis  sur  la 
scène ,  comme  on  y  montrait  alors ,  avec  accompagnement 
de  couplets,  tous  les  hommes  célèbres  de  la  nation,  et,  pour 
renchérir  sur  les  facéties  du  maître ,  le  théâtre  des  Variétés 
nous  offrit  celles  de  son  portier. 

Les  personnes  qui  ont  connu  particulièrement  de  Bièvre 
assurent  que  son  caractère  valait  beaucoup  mieux  que  ses 
ouvrages,  et  que,  souverainement  bon  et  obligeant,  il  n'a 
guère  moins  rendu  de  services  qu'il  n'a  dit  et  publié  de 
1-ébus  et  de  niaiseries.  11  est  doux ,  en  compensation  des 
torts  de  son  esprit,  de  pouvoir  faire  un  pareil  éloge  de  son 
cœur.  OijRRY. 

BIEZ.  Voyez  Bief. 

BIFÈRE  (du  latin  bis,  deux  fois,  et  fera,  je  porte). 
On  donne  ce  nom  aux  plantes  qui  fleurissent  et  fructifient 
deux  fois  dans  l'année. 

BIFIDE.  Voyez  Bidenti^. 

25. 


1U6 


BIFLORE  —  BIGARRURE 


BIFLORE,  qui  porte  ou  renferme  deux  fleurs  :  tels 
sont  le  ;)C'tloncule  du  géranium  phxum  et  la  glume  de 
Y  air  a  can/op/njHa. 

BIFIIONS.  Votjez  Bicnps. 

1JIFJJ11CA.TIOIV, endroit  où  une  chose  fourchue  se  di- 
vise en  deux  :  exemple ,  la  bifurcation  d'un  chemin.  Par 
suite,  les  botanistes  nomment  ainsi  l'endroit  où  une  bran- 
che, une  tigf,  un  poil,  etc.,  se  divise  en  deux,  de  manière 
à  figurer  une  fourdie.  —  Bifurcation  se  dit  aussi  de  la  sé- 
paration d'une  artèie,  d'une  veine  ou  d'un  vaisseau,  telle  que 
celle  de  l'aorte  abdominale. 

niGAILLE,  terme  générique  sous  lequel  les  habitants 
des  Antilles  comprennent  tous  les  insectes  volatiles,  comme 
mouches ,  moucherons ,  etc. 

BIGAMIE  (mot  hybride,  formé  du  latin  Sis, deux  fois, 
et  du  grecYaiAEiv,  se  marier).  D'après  la  définition  de  l'article 
340  du  Code  Pénal,  la  bigamie  est  l'état,  le  crime  d'une  per- 
sonne qui,  étant  engagée  dans  les  liens  du  mariage,  en  a 
contracté  un  autre  avant  la  dissolution  du  précédent. 

On  conçoit  que  chez  les  peuples  chrétiens ,  le  mariage 
étant  considéré  comme  une  institution  tout  à  la  fois  civile 
et  religieuse,  celui-là  qui  se  joue  d'un  titre  sacré,  d'un  con- 
trat sur  lequel  reposent  les  fondements  de  la  société,  doive 
être  soumis  à  une  punition  sévère.  Les  empereurs  romains 
avaient  poussé  la  rigueur  jusqu'à  prononcer  la  peine  de 
mort  contre  la  femme  et  son  complice.  Puis  ils  s'étaient  re- 
lâchés de  cet  excès  de  sévérité ,  et  alors  la  femme,  assimilée 
à  r  a  d  u  1 1  è  r  e,  était  fouettée  et  renfermée  dans  un  monastère. 

Les  peuples  prolestants  se  sont  surtout  distingués  dans 
la  répression  de  la  bigamie.  En  Suède  on  a  affligé  la  peine 
de  mort  ;  en  Angleterre  la  même  peine  fut  en  vigueur  jus- 
qu'au règne  de  (juillauine  111  ;  depuis,  le  coupable  dut  être 
condamné  à  rester  en  prison  après  avoir  eu  la  main  brûlée. 
Mais  rien  n'égale  l'atrocité  de  la  législation  suisse,  où  lors- 
que deux  femmes  réclamaient  le  même  mari ,  et  que  le  crime 
(le  bigamie  était  prouvé,  la  loi  ordonnait  que  le  corps  du  bi- 
game fut  coupé  par  la  moitié. 

En  France,  et  avant  le  Code  Pénal  de  1791 ,  il  n'existait 
aucune  loi  spéciale  sur  le  crime  de  bigamie.  Les  parlements, 
juges  souverains  du  fait  et  de  sa  gravité  ,  appliquaient  la 
l)ciiie  qui  leur  paraissait  propotiionnée  à  son  importance, 
et ,  il  faut  le  dire,  le  dernier  supplice  a  plus  d'une  fois  été 
infligé  aux  coupables.  L'exemple  le  moins  ancien  qu'on  en 
puisse  citer  date  de  l'année  1G26  :  par  arrêt  du  12  féviier, 
le  baron  de  Saint-Angel  fut  condamné  à  être  pendu  à  Paris, 
pour  avoir  épousé  plusieurs  femmes  alors  encore  vivantes. 
A  partir  de  celte  époque,  on  exposait  le  coupable  au  car- 
can ou  au  pilori,  avec  autant  de  quenouilles  qu'il  avait  de 
femmes  vivantes,  ou,  si  c'était  une  femme,  avec  autant  de 
chapeaux  qu'elle  avait  de  maris  vivants.  On  aggravait  ordi- 
nairement cette  peine  en  y  ajoutant  celle  des  galères  ou 
du  bannissement  ;i  temps  pour  les  hommes;  et  à  l'égard 
des  femmes,  on  les  condamnait  aussi  au  bannissement  ou 
à  être  renfermées  pendant  un  certain  temps  dans  une  mai- 
son de  force. 

La  loi  du  9.5  septembre  1791  établit  enfin  en  France  une 
règle  uniforme  :  elle  statua  que  toute  personne  engagée  dans 
les  liens  du  mariage,  et  qui  en  contracterait  un  second  avant 
la  dissolution  du  premier,  serait  punie  de  douze  années  de 
fers.  Le  Code  Pénal  de  ISIO,  qui  nous  régit  actuellement, 
n'a  pas  changé  la  nature  de  la  peine;  mais  il  a  converti  le 
ternie  fixe  de  douze  années  de  fers  en  une  période  de  cinq 
à  vingt  ans  de  travaux  forcés ,  variable  à  la  volonté  des 
juges,  suivant  le  degfé  de  culpabilité  du  bigame  et  les  cir- 
constances de  son  crime.  Il  a  de  plus  ordonné  que  la  même 
peine  serait  iniligée  à  l'officier  public  qui  aurait  prêté  son 
n'.inistère  au  mariage  bien  qu'il  connût  l'existence  du  pré- 
cédent. Mais  c'est  une  question  de  savoir  si  l'on  doit  punir 
comme  bigame  celui  qui  s'est  marié  deux  fois,  et  dont  le 
premier  mariage  est  nul.  Assurément  l'auteur  de  celte  double 


action  peut  paraître  grandement  répréhensible  aux  yeux  de 
la  morale;  mais  devant  la  loi  le  premier  mariage,  étant 
nul,  est  considéré  comme  s'il  n'avait  point  existé. 

Maintenant  il  s'agit  d'examiner  quels  sont  les  effets  de  la 
bigamie  à  l'égard  des  enfants  qui  peuvent  être  issus  de  l'un 
ou  de  l'autre  mariage.  En  ce  qui  concerne  le  premier,  il  est 
clair  que  la  légitimité  ne  saurait  être  contestée  ;  et  quant 
au  second  mariage,  le  lien  étant  illégitime,  il  n'a  pu  en 
provenir  que  des  enfants  naturels  ou  bâtards  :  d'où  dérive 
la  conséquence  qu'ils  ne  peuvent  hériter  ni  de  leur  père  ni 
de  leur  mère.  Cependant,  si  l'un  des  deux  époux  avait  ignore 
l'existence  du  premier  mariage  de  son  conjoint;  si,  pour 
nous  sei'vir  des  expressions  adoptées  par  les  jurisconsultes, 
il  avait  été  dans  la  bonne  foi,  alors  cette  exception  profiterait 
à  ses  enfants ,  et  ceux-ci  pourraient  être  admis  à  la  succes- 
sion. Grand  nombre  d'arrêts  l'ont  décidé  de  la  sorte.  Le 
Code  Pénal  de  1791  admettait  d'ailleurs  en  matière  de  biga- 
mie la  preuve  de  cette  bonne  foi. 

C'est  à  fa  société ,  qui  est  blessée  dans  une  de  ses  lois  les 
plus  essentielles ,  qu'appartient  la  poursuite  du  crime  de  bi- 
gamie ,  et  le  ministère  public  doit  agir  d'office  pour  en  ob- 
tenir la  répression  ;  les  personnes  qui  en  ont  ressenti  du  dom- 
mage ont  la  faculté  de  se  rendre  parties  civiles  dans  l'ins- 
tance; mais  en  aucun  cas  elles  ne  peuvent  être  contraintes 
d'y  prendre  qualité,  encore  moins  de  se  charger  de  l'initia- 
tive. Du  reste,  la  prescription  de  l'action  publique  et  de  l'ac- 
tion privée  s'acquiert  par  le  laps  de  dix  années,  ainsi  qu'il 
résulte  de  l'article  637  du  Code  d'Instruction  criminelle; 
mais  de  quelle  époque  le  délai  commence-t-il  à  courir?  C'est 
à  partir  du  jour  du  second  mariage ,  à  moins  que  la  pres- 
cription n'ait  été  interrompue  par  des  actes  d'instruction  ou 
des  poursuites ,  cas  auquel  il  faut  compter  les  dix  ans  du 
jour  de  l'interriqition.  Ainsi  l'ont  décidé  plusieurs  arrêts  de 
la  cour  de  cassation,  notamment  celui  du  30  décembre  1819. 
DUBAKD  ,  ancien  procureur  gcoéral. 

La  bigamie  ne  s'entendait  pas  seulement  autrefois  de 
ceux  qui  étaient  mariés  à  deux  personnes  vivantes  à  la  fois, 
mais  aussi  de  ceux  qui  avaient  contracté  mariage  deux  fois 
dans  leur  vie.  Bien  plus,  on  donnait  quelquefois  le  nom 
de  bigame  à  celui  qui  épousait  une  veuve ,  une  femme 
débauchée  ou  une  femme  répudiée,  toute  femme  enfin  qui 
avait  appartenu  à  un  autre.  Hermenopule  met  au  nombre 
des  bigames  ceux  qui ,  après  s'être  fiancés  à  une  fiUe,  con- 
tractent mariage  avec  une  autre  ou  qui  épousent  la  fiancée 
d'un  autre  homme.  Quelques  canonistes  prétendent  même 
qu'il  y  a  bigamie  lorsqu'un  homme,  après  que  sa  femme  est 
tombée  en  adultère,  a  commerce  avec  elle.  On  sait  que  l'É- 
glise déclarait  les  bigames  irréguliers,  c'est-à-dire  inhabiles  à 
être  promus  aux  ordres  sacrés  ou  mineurs,  et  incapables  de 
posséder  des  bénéfices.  Saint  Thomas  décide  que  l'évêque 
peut  relever  de  la  bigamie  pour  les  ordres  mineurs  et  les 
bénéfices  simples;  mais  Sixte  V  et  le  concile  de  Trente  ont 
décidé  le  contraire. 

Il  y  a  une  autre  sorte  de  bigamie  par  interprétation, 
comme  quand  une  personne  qui  est  dans  les  ordres  sacrés, 
ou  qui  s'est  engagée  dans  quelque  ordre  monastique,  se 
marie.  Il  y  a  aussi  une  sorte  de  bigamie  spirituelle,  comme 
quand  une  personne  possède  deux  bénéfices  incompatibles  : 
deux  évêchés,  deux  cures,  deux  canonicats,  etc. 

BIGARADIER.  Voypz  Orangku. 

BIGARREAU,  espèce  de  cerise,  de  la  grosseur  des 
guignes,  mais  dont  la  chair  est  beaucoup  plus  ferme;  sa 
figure,  moins  ronde  que  celle  des  cerises,  approche  de  la 
forme  du  cœur;  il  a  reçu  son  nom  de  la  bigarrure  de  sa 
peau  ,  qui  est  mêlée  de  blanc  et  de  rose.  L'arbre  qui  porte 
ce  fruit  s'appelle  bigarreautier.  Voyez  Ceuisiek. 

BIGARRURE.  Variété  de  couleurs  tranchantes  ou 
mal  assorties.  Voyez  Dri  fékknce. 

Bigarrure  se  dit  aussi  des  ouvrages  de  l'esprit  qui  n'ont 
aucune  liaison  ni  relation  ensemble,  et  qui  n'offrent  qu'un 


BIGARRURE  —  BIGNON 


197 


mélange  de  choses  disparates.  Et.  Tabourot,  seigneur  des 
Accords,  a  publié,  sous  le  titre  Ac Bigarrures, un  recueil 
dont  Pasquier  a  dit  qu'il  était  «  plein  de  gentillesses  et 
de  naïvetés  d'esprit,  bigarrées  et  diversifiées  d'une  infinité  de 
beaux  tiaits  ». 

En  termes  de  fauconnerie,  on  appelle  bigarrures  des  di- 
versités de  couleurs  que  l'on  remarque  sur  le  pennage  de 
quelques  oiseaux. 

BIGAT  (en  latin  higatus),  nom  d'une  ancienne  monnaie 
des  Romains  qui  portait  wabige  pour  empreinte.  Pline  dit 
que  ce  fut  aussi  le  nom  du  denier,  dont  la  marque  au 
temps  de  la  république  était  un  char  conduit  par  une  Vic- 
toire, et  tiré  par  deux  chevaux.  Quelquefois,  au  lieu  de 
deux  chevaux,  c'étaient  deux  cerfs  qui  tiraient  le  char, 
comme  sur  les  médailles  de  la  famille  Axsia;  ou  deux 
hippopotames  portant  un  Neptune  sur  leurs  queues,  comme 
sur  celles  de  la  famille  Crepcrcia. 

BIGE  (en  latin  blga) ,  chariot  à  deux  chevaux,  appelé 
aussi  par  les  Pioraains  bijuga ,  parce  que  les  deux  chevaux 
y  étaient  attelés  au  môme  joug.  Les  biges,  comme  les  qua- 
driges, étaient  employés  à  la  course  dans  la  lice.  Dans  des 
temps  plus  anciens,  cette  espèce  de  chariot  avait  été  aussi 
d'un  usage  fort  commun  à  la  guerre  et  dans  les  combats. 
Dans  Homère ,  Hésiode,  Virgile,  tous  les  héros  combattent 
en  bige,  c'est-à-dire  sur  un  char  attelé  de  deux  chevaux 
soumis  au  même  joug.  Plusieurs  médailles,  surtout  celles 
de  Syracuse  et  celles  qu'on  nonmie  consulaires,  portent  des 
biges  pour  effigie. 

BIGÉMINÉ.  Voyez  Biconjdcué. 

BIGIVAJM  (Anne).  C'est  un  de  ces  hommes  qui  semblent 
toujours  jeunes,  mais  non  au  môme  titre  que  les  génies 
supérieurs.  On  dirait  toujours  un  poète  qui  donne  les  plus 
heureuses  espérances.  IS'ous  allons  cependant  trahir  son 
âge  ;  et  ce  sera  peut-être  un  malheur  pour  lui.  Né  à  Lyon, 
le  3  août  1795,  le  jeune  Bignan  fut  envoyé  à  Paris  pour  y 
faire  ses  études.  Il  se  distingua  dans  l'université  impériale, 
où  il  préluda  aux  nominations  et  aux  prix  académiques  par 
des  nominations  et  des  prix  de  collège.  Helléniste  studieux 
sur  les  bancs  de  l'école ,  M.  Bignan  songea  à  utiliser  ses 
premières  et  excellentes  études.  Loin  de  se  livrer  aux  dissi- 
pations du  monde,  il  se  mit  à  traduire  Y  Iliade;  et  en 
1819  il  lit  paraître  trois  chants  du  chef-d'œuvre  d'Homère 
mis  en  vers  français.  On  y  sent  un  peu  la  version  de  col- 
lège ;  on  voit  qu'il  y  a  effort ,  mais  aussi  application,  et  con- 
science ;  et  si  l'exactitude  et  la  fidélité  sont  les  premiers 
mérites  d'un  pareil  travail ,  on  ne  peut  refuser  à  celui  de 
M.  Bignan  une  supériorité  sur  plusieurs  de  ceux  qui  l'ont 
précédé. 

Loué  par  de  bons  critiques  de  l'époque,  encouragé  par 
ses  amis,  M.  Bignan  donna  tout  son  avenir  à  la  carrière 
poétique.  Il  concourut  à  toutes  les  académies  ;  et  trois  fois 
lauréat  aux  Jeux  Floraux,  11  fut  nommé  maître  ès-art  à  l'A- 
cadémie toulousaine.  L'Académie  Française  eut  aussi  pour 
lui  des  couronnes  et  des  nominations  :  il  y  remporta  le  prix 
de  poésie  sur  un  sujet  bien  aride  :  le  Voyage  de  Charles  X 
dans  les  départeinents  de  l'Est.  L'Invention  de  l'impri- 
merie, qui  aurait  pu  exalter  davantage  une  muse  chaleu- 
reuse ,  fut  moins  favorable  à  la  sienne.  M.  Bignan  n'obtint 
que  l'accessit.  Le  Dévouement  des  médecins  français  à 
Barcelone,  l'Abolition  de  la  traite  des  noirs,  autres 
sujets  de  concours  qui  prêtaient  aussi  aux  élans  poétiques 
et  aux  vives  émotions ,  ne  lui  valurent  que  des  mentions  ho- 
norables. Son  ode  sur  Joseph  Vernet  fut  couronnée  par 
l'Académie  de  Vaucluse;  ses  deux  poèmes  sur  Venise  et 
sur  les  Ruines  de  la  France  lui  méritèrent  la  couronne 
de  la  Société  d'Émulation  de  Cambrai. 

Outre  ces  poèmes,  M.  Bignan  a  publié  la  Grèce  libre, 
ode;  lepauvre  Vieillard,  élégie;  Napoléon  ou  le  Glaive; 
Is  Trône  et  le  Tombeau,  poème  suivi  du  Siège  de  Lyon. 
Mais  son  titre  séiieux ,  c'est  une  traduction  de  V Iliade , 


précédée  d'un  Essai  sur  l'épopée  homérique ,  œuvre  lon- 
gue et  réfléchie  dans  ce  siècle  où  tout  s'improvise.  Vessai 
est  un  morceau  de  critique  historique  et  littéraire  qui  fait 
honneur  à  la  sagacité  de  l'écrivain  ;  la  traduction  se  lit 
avec  intérêt,  laisse  deviner  le  génie  d'Homère,  et  réunit 
l'exactitude  et  l'élégance. 

On  voit,  en  lisant  ses  compositions  originales,  que  l'au- 
teur aime  et  sent  la  poésie  ;  mais  souvent  son  expression 
est  forcée ,  sa  précision  sèche ,  son  harmonie  imparfaite. 
Il  manque  surtout  de  chaleur,  d'animation,  de  vie,  et  son 
imagination  n'est  bien  riche  ni  dans  le  fond  de  ses  sujets  ni 
dans  les  accessoires  dont  il  les  entoure  ;  enfin ,  on  éprouve 
en  lisant  ses  poèmes,  plus  d'estime  que  de  plaisir.  Cette 
estime  des  ouvrages  est  un  reflet  de  celle  dont  l'auteur  s'est 
entouré.  Dans  un  siècle  positif,  M.  Bignan  a  su  se  renfer- 
mer dans  les  émotions  poétiques  ;  et  quand  les  Uttérateurs 
en  vers  et  en  prose  vont  à  la  curée  des  honneurs,  des  places 
et  des  pensions ,  il  a  su  borner  son  ambition  aux  récom- 
penses académiques. 

Dès  que  le  nom  de  Bignan  est  jeté  dans  une  conversation, 
on  se  figure  entendre  un  cliquetis  de  médailles  et  unfrou- 
frou  de  palmes  et  de  couronnes.  C'est  que  M.  Bignan  est 
un  des  hommes  qui  ont  été  le  plus  souvent  proclamés  dans 
les  concours  poétiques  ;  c'est  que  sa  tête  est  une  de  celles 
qui  ont  été  le  plus  fréquemment  ombragées  du  vert  laurier. 
Il  est  dans  notre  dix-neuvième  siècle  comme  le  représentant 
des  lutteurs  académiques  du  dix-huitième,  et  nul  auteur 
n'est  plus  que  lui  en  droit  de  dire  avec  le  métromane  de 
Piron  : 

De  Paris  à  RoueD ,  de  Toulouse  à  Marseille  , 
J'ai  concouru  partout,  partout  j'ai  fait  merveille, 

Etienne  Arago. 

M.  Bignan  a  réuni  et  publié  en  1837  sous  le  titre  ^Aca- 
démiques toutes  ses  productions  couronnées.  En  1823 
il  avait  fait  un  voyage  en  Italie,  et  en  1828  il  publia  un 
recueil  des  poésies  que  la  patrie  des  arts  lui  avait  inspirées. 
En  1827  il  écrivit  une  nouvelle  en  prose,  L'Ermite  des 
Alpes ,  qu'il  fit  suivre  de  plusieurs  autres  romans  :  L'Écha- 
faud  (1832  ),  plaidoyer  contre  la  guillotine;  Louis  XV  et  le 
cardinal  de  Fleury  (  1834)  ;  Le  dernier  des  Carlovingiens 
(  1836)  ;  Une  Fantaisie  de  Louis  XIV  { 1838  ).  C'est  M.  Bi- 
gnan qui  a  défini  le  roman  actuel  :  roman  épileptique ,  gal- 
vanique ,  pulmonique ,  fantastique ,  satanique ,  etc.  On  lui 
doit  encore  une  pièce  de  théâtre  intitulée  :  La  Manie  de  la 
Politique,  qiù  n'a  pas  été  jouée.  Dans  ces  dernières  années 
il  a  donné  ses  soins  à  une  édition  de  ses  œuvres  complètes. 
Il  garde,  dit-on,  en  portefeuille  une  tcadaclioa  àeVOdyssée. 
Enfin,  tourmenté  sans  doute  par  les  progrès  des  doctrines 
nouvelles,  il  a  eu  la  malheureuse  pensée,  en  1852,  d'impri- 
mer une  traduction  en  vers  de  l'Evangile  ! 

BIGNOIV  (Jérôme)  naquit  à  Paris,  le  24  août  1589,  de 
Rolland  Bignon  ,  homme  érudit,  qui  lui  enseigna  les  lan- 
gues, les  humanités,  l'éloquence,  la  philosophie,  les  ma- 
thématiques, l'histoire,  la  jurisprudence,  la  théologie,  si 
bien  qu'à  dix  ans  il  publiait  une  Chorographie  de  Terre 
Sainte,  et  peu  de  temps  après  un  Discours  sur  la  ville 
de  Rome,  qui  eût  fait  honneur  à  un  savant  consommé. 
Henri  IV,  ayant  entendu  parler  de  ce  petit  prodige ,  le 
choisit  pour  enfant  d'honneur  du  dauphin,  depuis  Louis  XJII. 
Il  composa  à  quatorze  ans  pour  ce  prince  un  livre  sur  Vé- 
lection  des  papes ,  ouvrage  fort  estimé  de  Casauhon,  de  de 
Thou  et  de  Grotius.  A  dix-neuf  ans  il  dédiait  à  Henri  IV  son 
Traité  de  l'excellence  des  rois  et  du  royauine  de  France. 
Il  quitta  la  cour  après  la  mort  de  ce  roi,  voyagea  en  Italie, 
et  de  retour  en  France  se  livra  tout  entier  aux  exercices  du 
barreau.  Ssn  père  le  fit  pourvoir  en  1620  d'une  charge 
d'avocat  général  au  grand  conseil ,  où  il  s'acquit  une  si  belle 
réputation,  que  Louis  XIH  le  nomma  quelque  temps  après 
conseiller  d'État,  puis  avocat  général  au   paiiement  en 


19«  BÎG 

1625.  En  1641  il  céda  cette  cliarge  à  Briguet,  son  gendre, 
et  fut,  en  1642,  nommé  grand  maître  de  la  bibliothèque  du 
roi  après  la  mort  de  de  T  h  ou.  11  refusa  dans  la  suite  la 
place  de  surintendant  des  finances.  Son  gendre  étant  mort 
en  1645,  Bignon  fut  obligé  de  reprendre  sa  charge  pour  la 
conserver  à  son  fds.  Il  arait  été  employé  dans  diverses  af- 
faires importantes,  et  Anne  d'Autriche,  pendant  la  régence, 
l'appela  plusieurs  fois  au  conseil.  Il  mourut  à  Paris,  le 
7  avril  1656, 

Son  fils  aîné,  Jérôme,  obtint  en  1651  la  survivance  de  la 
charge  de  maître  de  la  librairie  ,  qu'occui)ait  son  père,  et 
conserva  cette  place,  qu'il  réservait  pour  son  fils,  jusqu'à  ce 
qu'en  1683,  le  marquis  de  Louvois  le  contraignit  h  donner 
sa  démission  pour  en  faire  hommage  à  l'abbé  de  Louvois, 
son  fils,  âgé  de  huit  ans. 

BIGIXOIV  (Jean-Paul),  abbé  de  Saint-Quentin,  de  l'Aca- 
démie Française,  bibliothécaire  du  roi  à  la  mort  de  l'abbé 
de  Louvois,  et  membre  honoraire  de  l'Académie  des  Sciences 
et  de  celle  des  Inscriptions,  né  à  Paris,  en  1662,  mort  à  l'Ile- 
Belle,  prèsdeMelun,  en  1743,  à  l'àgpde  quatre-vingt-un  ans, 
était  petit-fils  de  l'avocat  général  Jérôme  Bignon,  dont  nous 
avons  parlé  dans  l'article  précédent.  Entré  d'abord  dans  la 
congrégation  de  l'Oratoire,  il  devint  ensuite  prédicateur  du 
roi  et  l'un  des  plus  laborieux  et  des  plus  habiles  coUabora- 
leursdu  Journal  des  Sava77ts.  Ses  Explications  historiques 
des  médailles  du  règne  de  Louis  XIV  se  font  remarquer  par 
leur  précision  et  une  juste  appréciation  des  faits.  On  lui  doit 
aussi  une  Description  du  sacre  de  Louis  XV,  une  Vie 
du  père  François  Levesque ,  oratorien  {ifjSi)  ;  Les  Aven- 
tures d'Abdalla  (  2  vol.,  1713).  Les  gens  de  lettres,  les 
savants,  consultaient  souvent  l'abbé  Bignon,  qui  n'affectait 
pas  avec  eux  un  orgueilleux  patronage  :  érudit  sans  pédan- 
tisme ,  obligeant  par  caractère  et  par  goût,  il  les  accueillait 
avec  tout  l'abandon  d'une  franche  amitié.  Il  fut  un  des  plus 
zélés  protecteurs  de  Tournefort ,  qui  lui  témoigna  sa  recon- 
naissance en  donnant  le  nom  de  Bignonia  (  voyez  Bignone  ) 
à  un  nouveau  genre  de  plantes  d'Amérique.  Sa  maison  de 
plaisance  de  Saint-Côme  était  le  rendez-vous  des  savants  et 
des  artistes.  Les  poètes  ont  célébré  ce  séjour  champêtre 
avec  plus  de  zèle  que  de  talent.  La  chanson  de  Moreau  de 
Mautour  nous  apprend  que 

C'est  là  que  l'eau  de  la  Seine 
Se  change  en  eau  d'Hippocrène. 

La  Motte-Houdard  a  été  plus  hemenx.  Voici  l'épitaplie  qu'il 
a  composée  en  l'honneur  de  l'abbé  Bignon  : 

l^es  sciences,  les  arts,  lui  durent  des  hommages; 
11  en  fut  l'ardent  protecteur; 
S'il  fût  ué  dans  les  premiers  âges, 
Il  en  eût  été  l'inventeur. 

DuFEY  (de  l'Yonne). 

BIGNON  (Armand-Jérôme  ),  neveu  du  précédent,  né 
en  1711,  mort  en  1772,  maître  des  requêtes  et  intendant 
de  Soissons,  obtint  en  1722  la  siuvivance  de  la  charge  de 
bibliothécaire  du  roi,  occupa  cette  place  dès  1741,  date  de 
la  démission  de  son  oncle,  et  s'en  démit  lui-même  en  1770 
en  faveur  de  son  (ils. 

BIGNON  (Jean-Frédéric),  son  fils,  né  à  Paris  en  1747, 
était  depuis  quelques  années  à  peine  conseiller  au  parlement, 
lorsque,  sur  la  démission  de  son  père,  il  fut  en  1770  nommé 
bibliothécaire  du  roi.  Reçu  à  l'Académie  des  Inscriptions 
en  1781,  il  mourut  en  1784. 

BIGNON  (  Louis-Pierre-Édouard,  baron  ),ministre  plé- 
nipotentiaire de  Napoléon,  député,  pair  de  France ,  mem- 
bre de  l'Académie  des  Sciences  morales  et  politiques ,  mi- 
nistre de  l'instruction  publique  et  historien,  naquit  le  3  jan- 
vier 1771  àGuerbaviile,  près  de  La  Meilleraye  (  Seine-Infé- 
rieure), d'un  père  qui  exerçait  la  profession  de  teinturier.  Il 
lit  de  bonnes  études  au  collège  de  Lisieux,  à  Paris,  et  se  trouvait 
dans  cette  capitale  lorsque  éclata  la  révolution  de  17S9,  dont  il 


NON 

embrassa  chaudement  les  principes;  et  quand  les  étrangers 
menacèrent  le  sol  de  la  France,  il  s'enrôla  dans  un  bataillon 
de  volontaires.  Cependant  Bignon,  qui  rêvait  une  autre  car- 
rière, s'avisa  un  jour  d'adresser  une  requête  en  vers  à  Talley- 
rand,  pour  solliciter  un  emploi  dans  la  diplomatie  directo- 
riale. Cette  excentricité  fut  l'origine  de  sa  fortune.  Nommé 
en  l'an  IV  secrétaire  de  la  légation  française  près  des  Can- 
tons helvétiques ,  il  passa  bientôt  en  cette  même  qualité 
près  de  la  république  Cisalpine.  Sous  le  gouvernement  con- 
sulaire ,  il  fut  successivement  chargé  d'affaires  à  la  cour  de 
Berlin  et  ministre  plénipotentiaire  près  de  l'électeur  de  Hesse- 
Cassel ,  et  sa  modération  contribua  longtemps  à  maintenir 
de  bons  rapports  entre  ces  pays  et  la  France. 

Dès  ce  moment  Bignon  fut  associé  à  tous  les  grands  des- 
seins de  la  politique  impériale.  Après  la  bataille  d'iéna,  Na- 
poléon le  nomma  administrateur  général  des  domaines  et 
des  finances  dans  les  pays  conquis ,  difficiles  fonctions,  dans 
lesquelles  il  déploya  autant  de  probité  que  de  talents  admi- 
nistratifs. En  1808  il  rentra  dans  la  diplomatie  comme  mi- 
nistre de  France  à  la  cour  de  Bade;  puis  en  1809  il  fut 
chargé  de  l'administration  provisoire  des  provinces  autri- 
chiennes que  la  victoire  avait  rangées  sous  la  domination 
française.  Là  encore  Bignon  s'attacha  à  adoucir  le  sort  des 
vaincus.  Devenu,  au  commencement  de  1810,  résident  de 
France  à  Varsovie,  il  contribua,  lors  des  désastres  de  1812, 
à  arrêter  le  mouvement  rétrograde  des  Autrichiens  et  à  ra- 
lentir l'évacuation  du  territoire  polonais.  En  1813  il  fut 
l'un  des  plénipotentiaires  de  Napoléon  au  congrès  de 
Dresde. 

Quand  l'empire  se  fut  écroulé ,  Bignon  publia ,  sous  ce 
titre  :  Exposé  comparatif  de  l'état  financier,  militaire, 
politique  et  moral  de  la  France  et  des  principales  puis- 
sances, un  livre  qui  produisit  une  vive  impression  en  Eu- 
rope ,  et  rendit  à  la  France  le  sentiment  de  sa  prépondé- 
rance naturelle.  Il  passa  dans  la  retraite  le  temps  qui 
s'écoula  entre  la  première  restauration  et  le  retour  de  l'île 
d'Elbe.  Pendant  les  Cent  Jours  il  exerça  les  fonctions  de 
sous-secrétaire  d'État  aux  affaires  étrangères,  et  fut  con- 
damné, après  la  bataille  de  Waterloo,  à  signer  la  fatale 
convention  du  3  juillet  1815. 

Bignon  entra  en  1817  à  la  Chambre  des  Députés,  où  il 
combattit  toujours  dans  les  rangs  des  défenseurs  des  li- 
bertés publiques.  C'est  alors  qu'il  fît  paraître  son  livre  Des 
Proscriptions,  allusion  sanglante  à  la  situation  de  la 
France ,  œuvre  de  conscience  et  de  véritable  courage ,  dans 
un  moment  où  les  proscriptions  étaient  partout  à  l'ordre 
du  jour.  Napoléon,  en  mourant,  avait  légué  à  Bignon  une 
somme  de  cent  mille  francs ,  en  l'engageant  à  écrire  Y  His- 
toire de  la  Diplomatie  française  de  1792  à  1815.  II  ac- 
cepta et  accomplit  rehgieusement  cette  tâche.  De  1829  à 
1840,  il  publia  10  vol.  du  vaste  travail  dont  l'empereur  lui 
avait  légué  la  pensée.  Ce  livre,  susceptible  de  quelques 
critiques ,  mais  inspiré  par  de  nobles  sentiments ,  est  à  la 
fois  l'œuvre  d'un  homme  d'État,  d'un  écrivain  habile  et 
d'un  bon  citoyen. 

La  révolution  de  Juillet  trouva  Bignon  au  nombre  des 
hommes  les  plus  considérables  du  parti  triomphant  :  aussi 
fut-il  nommé  tout  d'abord  commissaire  provisoire  du  gou- 
vernement pour  les  affaires  étrangères,  et  puis  ministre  de 
l'instruction  publique.  Cependant  il  ne  conserva  ce  porte- 
feuille que  jusqu'au  27  octobre  1830.  Redevenu  simple 
député,  il  reprit  sa  place  dans  l'opposition  ;  mais  le  nouveau 
pouvoir  ne  trouva  plus  en  lui  qu'un  athlète  épuisé  et  bien 
plus  disposé  à  excuser  ses  fautes  qu'à  les  fiétrir.  Toutefois, 
il  défendit  avec  énergie  la  cause  polonaise,  lâchement  aban- 
donnée par  le  cabinet  Périer.  Là  finit  la  vie  militante  de 
Bignon.  Élevé  à  la  pairie  en  1837,  les  dernières  années  de 
son  existence  parlementaire  s'écoulèrent  dans  le  silence  et. 
le  désenchantement.  Le  15  décembre  1840  il  tomba  ma- 
lade, après  avoir  accompagné  aux  Invalides  le  char  fu- 


BIGNON  —  BIGORRE 


199 


nèbre  qui  contenait  les  cendres  de  Napoléon ,  et  mourut 
ie  (i  janvier  suivant.  B.  Sarrans. 

BIGXOiXE.  Ce  genre  de  plantes  exotiques,  type  de  la 
famille  des  bignoniacées,  fut  ainsi  appelé  par  Tourne- 
fort,  du  nom  de  son  ami  racadémicien  Bignon.  Son 
caractère  distinctif  est  d'avoir  toujours  quatre  étamines 
didynames,  et  souvent  une  cinquième  stérile.  Nous  citerons 
les  espèces  que  l'horticulture  est  parvenue  à  acclimater  en 
France. 

La  bignone  à  vrilles  {bignonia  capreolata,  Linné), 
originaire  de  la  partie  méridionale  des  Étals-Unis,  est  une 
belle  plante  grimpante,  à  tiges  longues  et  flexibles,  à  feuilles 
persistantes ,  géminées ,  sur  un  pétiole  muni  de  vrilles.  En 
mai  et  juin  elle  se  couvre  d'une  profusion  de  fleurs 
tubuleuses,  d'un  rouge  fauve.  Longtemps  cultivée  en  oran- 
gerie ,  elle  a  été  livrée  à  la  pleine  terre ,  et  résiste  bien  aux 
hivers  avec  une  légère  couverture  de  litière  sur  le  pied. 
Plus  elle  est  âgée,  plus  elle  fleurit  abondamment. 

La  bignone  à  fleurs  pourpres  {b'igiionia  speciosa,llo6[i), 
qui  croit  naturellement  à  Buénos-Ayres ,  vient  bien  en 
pleine  terre ,  contre  le  mur  d'une  serre  tempérée.  Sa  tige 
sarmenteuse  donne  naissance  à  des  feuilles  géminées,  à 
folioles  ovales ,  oblongues  et  lisses  ;  elle  est  terminée  par  des 
Heurs  d'un  beau  pourpre  lilas ,  veinées  de  lignes  plus  foncées. 
N'oublions  pas  la  bignone  de  Virginie  {bignonia  radi- 
Cflns,  Linné),  vulgairement  appelée  jo5J«;?i  de  Virginie, 
dont  les  tiges,  grimpantes  comme  celles  du  lierre,  s'atta- 
chent aux  murailles  et  aux  arbres  par  les  petites  racines 
qui  poussent  aux  nœuds  des  branches.  Lorsqu'elle  trouve 
des  soutiens  convenables ,  cette  belle  plante  porte  jusqu'à 
dix  à  treize  mètres  de  haut  ses  nombreux  bouquets  de 
grosses  fleurs  d'une  couleur  écarlate  un  peu  sombre. 

Du  reste,  toutes  les  espèces  du  genre  bignone  sont  à  tige 
sarmenteuse  et  grimpante,  et  plus  ou  moins  armées  de  vrilles  ; 
ce  qui  les  lend  propres  à  être  employées  dans  la  décoration 
des  berceaux.  Seule,  la  bignone  catalpa  de  Linné  n'offrait 
pas  ce  caractère  ;  mais  De  Candolle  en  a  fait  le  type  du  nou- 
veau genre  ca  fa  Z^a. 

BIGNOMIACÉES.  Cette  famiUe  de  plantes  dicotylé- 
dones monopétales  hypogynes  tire  son  nom  du  genre  bi- 
gnone. Elle  est  ainsi  caractérisée  par  De  Candolle  :  calice 
irrégulier ,  k  cinq  divisions  plus  ou  moins  profondes  ou  à 
deux  lèvres  ;  corolle  à  tube  souvent  renflé,  à  limbe  divisé  ré- 
gulièrement, ou  plus  ordmairement  partagé  en  deux  lèvres, 
dont  la  supérieure  est  entière  ou  bilobée  et  rinfcrieure  tri- 
lobée; cinq  étamines  alternant  avec  les  lobes;  de  ces  cinq 
étamines,  une  (et  même  quelquefois  trois)  avorte  presque 
constamment;  anthères  à  deux  loges;  ovaire  placé  sur  un 
disque  annulaire,  surmonté  d'un  style  simple  que  termine 
un  stigmate  bilamellaire. 

«  Les  bignoniacées,  dit  M.  A.  de  Jussieu,  sont  des  arbres 
ou  des  arbrisseaux ,  très-souvent  des  lianes  ;  et  le  bois  de 
celles-ci  se  reconnaît  à  un  caractère  particulier,  extrêmement 
remarquable  :  le  partage  du  corps  ligneux  en  plusieurs  lobes 
dont  l'intervalle  est  rempli  par  le  corps  cortical,  et  qui, 
ordinairement  au  nombre  de  quatre,  figurent  une  sorte  de 
croix  de  Malte.  Dépourvues  de  stipules,  les  feuilles  sont 
presque  constamment  opposées ,  simples  ou  composées,  et 
fréquemment  terminées  en  une  vrille  simple  ou  rameuse. 
Les  fleurs,  souvent  remarquables  par  leur  beauté ,  forment 
le  plus  ordinairement  des  panicules  terminales  ;  l'inflores- 
cence est  plus  rarement  axillaireou  opposée  aux  feuilles,  ou 
uniflore.  C'est  sous  les  tropiques,  dans  les  deux  hémisphères , 
et  surtout  en  Amérique,  qu'on  trouve  la  plupart  des  bigno- 
niacées, quoique  quelques-unes  se  rencontrent  dans  les  cli- 
mats tempérés,  au  sud  jusqu'au  Chili,  au  nord  jusque  dans 
la  Pensylvanie.  « 

Les  genres  bignone,  catalpa, paulownia,  sontles 
pliis  connus  de  cette  famille ,  qui  renferme  près  de  quatre 
cents  espèces. 


BIGNOU,  espèce  de  cornemuse,  fort  en  usage  en  Basse- 
Bretagne.  Le  joueur  de  bignou  remplace  dans  chaque  vil- 
lage bas-breton  le  ménétrier  de  nos  villages  de  l'Ile-de- 
France.  C'est  presque  un  personnage  dans  quelques-uns 
et  il  n'y  a  pas  de  bonne  fête  sans  lui.  Il  préside  à  la  danse 
des  villageois,  aux  kermesses  bretonnes,  aux  noces  et  festins, 
et  plus  d'une  tradition  populaire  sur  certains  d'entre  eux 
au  bon  vieux  temps,  a  cours  encore  dans  les  Côtes-du- 
Nord ,  le  Finistère  et  le  Morbihan.  Telle  est  la  légende  bre- 
tonne sur  le  joueur  de  bignou  Nicolas  Penhoët,  qui  pour 
avoir ,  au  bourg  de  Goësnou ,  changé  le  matin  son  chapelet 
contre  le  ruban  qui  nouait  son  bignou ,  fut  enlevé  la  nuit , 
en  s'en  retournant  chez  lui,  par  sept  jeunes  filles  qui  l'en- 
traînèrent, non  sans  l'avoir  préalablement  forcé  de  les  faire 
danser. 

Souvent  le  joueur  de  bignou  est  considéré  comme  ayant 
donné  son  âme  au  malin  esprit;  et  comme  il  y  a  les  lavayi- 
dièrcs  de  nuit ,  forçant  les  passants  à  laver  avec  elles  les 
chemises  sales  du  diable,  il  y  a  le  joueur  de  bignou  du 
diable ,  qui  donne  à  danser  dans  les  bruyères  au  clair  de 
la  lune,  et  mène  ensuite  de  force  les  danseurs  au  sabbat.  11 
faut  bien  se  garder  surtout  du  bignou  enchanté,  si  l'on  ne 
veut  voir  l'enfer  avant  le  temps.  Charies  Romey. 

BIGORRE,  pays  de  France,  qui  faisait  jadis  partie, 
comme  comté,  du  duché  de  Gascogne.  Il  était  borné  au 
nord  par  l'Armagnac ,  au  sud  par  les  Pyrénées ,  à  l'est  par 
les  Quatre-Vallces,  le  Nébouzan,  et  l'Astarac,  à  l'ouest  par 
le  Béarn ,  et  avait  Tarbes  pour  capitale. 

Ce  pays,  dont  la  superficie  est  de  242,000  hectares,  et 
qui  forme  aujourd'hui  la  majeure  partie  du  déjjailement 
des  Hautes-Pyrénées,  se  divisait  en  trois  parties  :  1°  la 
plaine,  où  se  trouvait  Tarbes;  2"  les  montagnes ,  compre- 
nant la  vallée  de  Lavedan  ,  où  se  voit  Lourdes  ;  la  vallée  de 
Carapan,  où  C5t  situé  Bagnères,  et  enfin  la  vallée  de  Barèges  ; 
3°  le  Rustan,  dont  Saint-Séver  était  le  chef-lieu.  Arrosé  par 
le  Gave,  l'Adour  et  l'Arroz,  il  jouit  d'un  climat  doux  et  tem- 
péré dans  la  plaine,  mais  se  refroidissant  à  mesure  qu'on  se 
rapproche  des  régions  montagneuses.  Les  arbres  de  la  contrée 
fournissent  de  très-beaux  bois  de  charpente,  de  construction 
et  de  mature.  On  y  trouve  des  vins  d'assez  bonne  qualité , 
de  magnifiques  pâturages,  de  l'amiante,  des  eaux  miné- 
rales fort  renommées,  et  les  marbres  fins  qu'on  extrait 
de  ses  carrières ,  trop  longtemps  laissés  dans  l'oubli ,  sont 
enfin  depuis  quelques  années  l'objet  d'une  exploitation  digne 
de  leur  mérite. 

Le  Bigorre  était  un  pays  d'états.  Le  sénéchal  les  convo- 
quait chaque  année,  pour  une  session  de  huit  jours,  en 
qualité  de  gouverneur  du  pays  et  de  commissaire  du  roi  ; 
il  les  présidait  dans  l'origine  ;  mais  l'évêque  de  Tarbes  par- 
vint à  s'approprier  cette  prérogative ,  et ,  en  son  absence , 
l'abbé  de  Saint- Pé  le  remplaçait.  Le  clergé  était  représenté 
aux  états  par  l'évêque ,  quatre  abbés  mîtrés ,  deux  prieurs , 
et  un  commandeur  de  ISIalte  ;  la  noblesse,  par  douze  barons, 
et  le  tiers  état  par  les  consuls  et  jurats  des  villes  de  Tarbes^^ 
Vie,  Bagnères,  Lourdes,  etc.,  et  par  les  vingt-huit  députés 
des  sept  vallées.  Les  trois  chambres  commençaient  par  déli- 
bérer séparément ,  puis  elles  se  réunissaient  pour  résoudre 
chaque  question  à  la  pluralité  de  deux  voix  contre  une. 
Les  impôts  et  toutes  les  affaires  du  pays  étaient  discutés  et 
réglés  par  ces  assemblées. 

Lorsque  Crassus  soumit  cette  contrée  à  la  puissance 
romaine,  elle  était  habitée  parles  Bigerri  ou  Bigerrones, 
et  près  de  cinq  cents  ans  plus  tard ,  quand  elle  tomba  sous 
la  domination  des  Yisigoths,  elle  faisait  partie  de  la  Novem- 
populanie.  Les  Francs  s'en  emparèrent  à  leur  tour  après  la 
mortd'Alaric,  et  les  Gascons,  l'ayant  envahie,  l'incorporèrent 
à  leur  territoire.  Louis  le  Débonnaire,  s'étant  décidé  à  dé- 
posséder les  ducs  de  Gascogne  en  819,  ne  voulut  pas  en- 
velopper les  enfants  de  Loup-Centule,  dernier  duc  méro- 
I  vingien  de  Gascogne,  dans  la  disgrâce  de  leur  père;  il 


203 


BIGORRE  —  BIGOT  DE  PRÉ  AMEN  EU 


cépara  de  ce  duché  le  pays  de  Bigorre,  et  en  investit,  avec 
le  titre  de  comte  ,  Donat-Loup,  (ils  aine  de  Loup-Cenlule. 
Donat-Loup  vivait  encore  en  845.  On  ne  connaît  pas  ses 
successeurs  jusqu'à  Raimond,  comte  de  Bigorre,  qui  vivait 
en  947,  et  fit  réédilier  le  monastère  de  Saint-Savin ,  dans  la 
vallée  de  Lavedan.  Garcie-Arnaud  I"  (983) ,  Louis  (1009) 
et  Garcie-Arnaud  II  (1032)  furent  successivement  comtes 
de  Bigorre.  Gersende,  sœur  et  héritière  de  Garcie-Arnaud  II, 
porta  le  comté  de  Bigorre  ,  vers  1036,  à  son  mari  Bernard- 
Roger,  comte  en  partie  de  Carcassonne  et  de  Foix.  Ber- 
nard 1'^''  (1038)  et  Raimond  P'",  son  fils  et  son  successeur 
en  10G5,  ont  été  les  seuls  comtes  de  Bigorre  de  la  maison  de 
Carcassonne. 

Ce  comté  fut  porté,  en  1080,  par  Béatrix  F^,  sœur  du 
comte  Raimond,  dans  la  maison  do  Béarn.  Centule,  vicomte 
de  Béarn ,  son  mari ,  porta  du  clief  de  Béatrix  le  titre  de 
comte  de  Bigorre,  qui  passa  vers  1096  à  Bernard  II,  son  fils 
aîné.  Celui-ci  fut  père  de  Centule  II,  comte  de  Bigorre 
en  11 13,  lequel  contribua  à  la  conquête  de  Saragosse  sur  les 
Maures  d'Espagne  en  1118.  Béatrix  II,  fille  unique  de 
Centule II,  lui  succéda  en  1127,  avec  son  mari,  Pierre, 
vicomte  de  Marsan,  fondateur,  en  1141,  de  la  ville  de 
Mont-de-Marsan.  Centule  III,  fils  de  la  comtesse 
Béatrix  II,  et  de  Pierre,  vicomte  de  Marsan,  et  leur  suc- 
cesseur (1163),  soutint  une  guerre  malheureuse  contre 
Richard  d'Angleterre ,  duc  d'Aquitaine,  qui  le  fit  prisonnier 
en  1178,  et  ne  lui  accorda  la  liberté  qu'après  en  avoir 
obtenu  la  ville  de  Clermont  et  le  château  de  Montbrun. 
Béatrix  III  de  Marsan,  sa  fille  unique  (nommée  aussi 
Stéphanie),  fut  mariée  d'abord  à  Pierre,  vicomte  de  Dax  , 
ensuite  à  Bernard  IV,  comte  de  Comminges.  Elle  eut 
de  ce  second  mariage  une  fille  nommée  Pétronille  de 
Comminges,  comtesse  de  Bigorre,  mariée:  1"  en  1196  à 
Gaston  VI,  vicomte  de  Béarn,  mort  sans  enfants  en  1215  ; 
2°  à  Nugnès-Sanche,  comte  de  Cerdagne,  mariage  déclaré 
nul  presque  aussitôt;  3°  en  1216  à  Gui,  fils  du  fameux 
Simon  de  Montfort;  4°  avec  Aimar  de  Rançon;  5°  avec 
Boson  de  Mathas. 

Eschivat  de  Chabanais,  fils  de  la  fille  aînée  de  Pétronille 
et  de  Gui  de  Montfort,  eut  à  lutter  contre  Mathe  de  Mathas, 
sa  tante,  née  de  Boson,  qui  avait  épousé  Gaston  VII,  vicomte 
de  Béarn,  et  qui  se  prétendait  seule  héritière  légitime  de  Pé- 
tronille; la  médiation  de  Roger  IV,  comte  de  Foix,  ter- 
mina le  différend,  par  un  traité  qui  détacha  du  Bigorre  la 
vicomte  de  Marsan  et  le  pays  de  Rivière-Basse,  pour  les 
donner  à  Mathe.  Eschivat  étant  mort  sans  postérité ,  ce  fut 
sa  sœur  Laure  de  Chabanais  qui  lui  succéda  avec  Rai- 
mond VI,  vicomte  de  'furenne,  son  mari.  Il  y  eut  bicnlût 
après,  pour  la  succession  du  comté  de  Bigorre,  six  concur- 
rents, tous  issus  de  la  comtesse  Pétronille  de  Comminges. 
Les  états  du  pays  étaient  partagés.  Celte  affoire  ayant  été 
évoquée  au  parlement  de  Paris ,  le  roi  Philippe  le  Bel  sé- 
questra le  comté  litigieux  ;  et  comme  Jeanne ,  reine  de  Na- 
varre ,  sa  femme ,  y  formait  aussi  des  prétentions ,  elle  en 
rendit  hommage,  l'année  suivante,  à  l'église  du  Puy.  Dans 
la  suite,  Philippe  le  Bel,  ayant  éteint  par  des  indemnités  les 
droils  des  autres  prétendants,  fit  porter  le  titre  de  comte  de 
Bigorre  au  troisième  de  ses  fils,  qui  fut  depuis  le  roi  Charles 
le  Bel.  En  1368,  Edouard  III,  roi  d'Angleterre ,  donna, 
comme  duc  de  Guienne,  le  comté  de  Bigorre  à  Jean  II,  sei- 
gneur de  Grailly;mais  ce  dernier  en  fut  presque  aussitôt 
dépouillé  par  Charles  V,  roi  de  France,  qui  investit  de  ce 
comté  et  de  celui  de  Gaure  Jean  \",  comte  d'Armagnac.  Ce 
monarque  repi  it  le  comté  de  Bigorre  par  un  échange  en  1374  ; 
et  Charles  VI  le  donna  en  1389  à  Gaston-Phébus ,  comte  de 
Foix,  descendu  de  Roger-Bernard  III,  qui  avait  épousé 
en  1262  Marguerite  de  Béarn,  fille  de  Gaston  VII,  vicomte 
de  Béarn,  et  de  Mathe  de  Mathas-Bigorre,  vicomtesse  de 
Marsan,  alliance  qui  avait  réuni  dans  la  même  maison  les 
pays  de  l'oix,  de  Béarn,  de  Bigorre  et  de  Marsan.  Cepen- 


dant, ce  ne  fut  qu'à  partir  de  1425  que  les  comtes  de  Foix 
jouirent  paisiblement  du  comté  de  Bigorre.  Un  arrêt  du 
parlement  de  Paris  mit  fin  à  toutes  les  difficultés  relatives  à 
l'investiture  de  ce  pays ,  qui  depuis  ce  temps  a  suivi  le  sort 
du  Béarn.  Ils  passèrent  en  1484  dans  la  maison  d'Albret. 
Henri  IV,  les  ayant  recueillis  de  Jeanne  d'Albret,  sa  mère, 
les  réunit  à  la  couronne  de  France  par  lettres  patentes  du 
mois  d'octobre  1607.  Laîné. 

BIGOT,  dévot  outré,  superstitieux.  Camden  rapporte, 
dans  sa  Britannia,  que  les  Normands  ont  été  appelés  bi- 
gots, et  voici  pourquoi  :  Lorsque  Charles  le  Simple  eut  résolu 
de  donner  la  Normandie ,  avec  sa  fille  Gissa,  à  Rollon,  les 
courtisans  ayant  averti  ce  duc  qu'il  fallait  qu'il  baisât  les 
pieds  du  roi,  il  répondit  en  anglais  :  No  so,  by  God ,  c'est- 
à-dire  :  Non,  cJepar  Dïeti.  Aussitôt,  le  roi  et  les  siens,  en 
se  moquant,  l'appelèrent  Bygod,  dont  on  a  fait  bigot ,  et 
cette  qualification  passa  à  tous  les  Normands.  Pasquier  a 
adopté  la  même  version  sur  l'origine  de  ce  mot ,  ainsi  que 
Guillaume  de  Nangis. 

Le  mot  bigot  ne  se  prend  guère  qu'en  mauvaise  part.  Il 
y  a  cette  différence  entre  les  bigots  et  les  c  a  g^  o  ^  s,  que  ceux-ci 
sont  bien  réellement  de  faux  dévots,  des  hypocrites,  des 
tartufes,  tandis  que  la  bigoterie  ou  le  bigotisme  est  plutôt 
le  vice  des  petits  esprits,  des  esprits  faibles,  étroits  et  su- 
perstitieux, qui  font  consister  la  religion  dans  de  menues 
pratiques,  indignes  souvent  du  caractère  élevé  qu'elle  doit 
avoir. 

BIGOT  DEPRÉAMENEU  (Félix-Julien- Jean), 
ministre  des  cultes  sous  l'empire ,  naquit  à  Rennes ,  le  20 
mars  1747.  Destiné  d'abord  à  la  carrière  ecclésiastique,  il  y 
renonça  pour  se  préparer  à  la  profession  d'avocat,  que  son 
père  avait  exercée  avec  succès.  Après  plusieurs  années 
passées  au  parlement  de  Rennes,  il  vint  se  fixer  à  Paris,  en 
1779,  et  y  fut  bientôt  remarqué  par  sa  droiture,  sa  sagesse 
et  l'étendue  de  ses  connaissances.  Les  suffrages  de  ses  con- 
citoyens ne  tardèrent  point  à  lui  prouver  que  ces  mérites 
divers  étaient  appréciés.  Il  fut  successivement  nommé  juge 
d'un  des  tribunaux  créés  à  Paris  par  la  loi  du  5  décembre 
1790,  et  membre  de  l'Assemblée  législative  pour  le  dépar- 
tement de  la  Seine.  Il  siégea  au  côté  droit  de  cette  assem- 
blée ;  il  était  de  ceux  qui,  acceptant  suicèrement  la  constitu- 
tion de  1791,  cherchaient  à  y  trouver  des  éléments  d'ordre, 
étaient  résolus  à  maintenir  la  monarchie,  et  croyaient  né- 
cessaire de  lutter  contre  le  débordement  des  passions  popu  - 
laires.  Les  violences  dont  le  clergé  commençait  à  être  l'objet 
excitèrent  sa  résistance,  et  le  courage  qu'il  déploya  pour 
lutter  contre  l'entraînement  des  esprits  l'exposa  plus  d'une 
fois  aux  murmures  et  aux  attaques  de  ses  adversaires  po- 
litiques. Cependant  la  modération  de  son  caractère,  la 
loyauté  de  ses  opinions,  lui  concluaient  l'estime  de  tous,  et 
il  eut  l'honneur,  bien  que  membre  de  la  minorité,  d'être 
appelé  aux  devoirs,  toujours  délicats  et  souvent  périlleux,  de 
la  présidence.  Au  20  juin  il  contribua  à  sauver  les  jours 
du  roi  et  à  conjurer  une  collision  sanglante,  qui  n'éclata  que 
quelques  jours  plus  tard.  Rentré  dans  la  vie  privée  lorsque 
les  événements  eurent  pris  une  direction  incompatible  avec 
ses  sentiments  et  ses  principes,  il  fut  décrété  d'accusation, 
arrêté  à  Rennes  et  transféré  à  Paris,  dans  la  prison  de 
Sainte-Pélagie,  où  il  retrouva  plusieurs  de  ses  anciens  col- 
lègues ,  et  resta  pendant  six  mois  sous  les  verrous ,  menacé 
chaque  jour  de  comparaître  devant  le  tribunal  révolution- 
naire, qui  était  devenu  le  servile  et  cruel  agent  des  pres- 
cripteurs. Enfin,  les  événements  de  thermidor  lui  rendirent 
la  liberté  :  il  en  profita  pour  se  retirer  dans  sa  ville  natale, 
où  il  demeura  trois  ans,  n'acceptant  pour  tout  emploi  que 
l'utile  et  humble  soin  de  réorganiser  les  écoles  primaires. 

Cependant  son  nom  et  ses  services  n'étaient  point  oubliés 
à  Paris  :  en  1796  l'Institut  l'appelait  à  faire  partie  d'une 
de  ses  classes,  et  lui  faisait  sentir  le  besoin  de  reparaître 
sur  un  théâtre  où  il  avait  laissé  de  si  honorables  souvenirs; 


BIGOT  DE  PRÉAMENEU  —  BIGOT  DE  MOROGUES 


201 


hientùt  IVlcclioii  îe  replaça  dans  le  tribunal  unique  substi- 
tué aux  anciens  tribunaux  d'arrondissement  de  la  Seine, 
ot  ses  collègues  le  choisirent  pour  présider  une  des  sections. 
Le  18  brumaire,  en  rétal)lissant  le  règne  de  l'ordre  et  des 
lois ,  ouvrit  une  carrière  plus  élevée  aux  talents  et  au  dé- 
vouement éclairé  de  M.  Bigot  de  Préameneu.  Le  premier 
consul  cherchait  à  s'attacher  tous  les  hommes  que  leur  ca- 
lactère  et  leurs  services  antérieurs  avaient  entourés  d'une 
juste  considération.  A  ce  titre  M.  Bigot  se  recommandait 
à  son  attention  :  il  le  nomma  commissaire  du  gouvernement 
( procureur  général )  près  le  tribunal  de  cassation,  et  lui 
conféra  quelques  mois  plus  tard  une  mission  plus  glorieuse, 
bien  que  purement  temporaire,  et  qui  suffirait  pour  illustrer 
son  nom.  M.  Bigot  fut  chargé,  avec  Tronchet  et  Portails, 
de  préparer  la  rédaction  de  ce  Code  civil,  un  des  plus  beaux 
titi'es  de  gloire  de  l'homme  de  génie  qui  sut  le  vouloir,  qui 
en  fut  lui-môme  un  des  auteurs,  et  qui  parvint  enfin,  en  dépit 
des  résistances,  des  préjugés  et  des  obstacles  de  tous  genres, 
à  en  doter  la  France.  I^L  Bigot  de  Préameneu  se  livra  avec 
ardeur  à  cet  immense  travail.  Le  premier  consul,  selon  les 
habitudes  de  son  esprit,  avait  assigné  par  avance  le  terme 
des  travaux  confiés  aux  trois  commissaires.  Ce  terme  ne  fut 
point  dépassé,  ftl.  Bigot,  nommé  conseiller  d'État,  puis  pré- 
sident du  comité  de  législation,  prit  en  cette  double  qualité 
une  part  active  aux  discussions  qui  s'engagèrent  plus  tard 
devant  le  Corps  législatif,  et  rédigea  l'exposé  des  motifs  de 
plusieurs  titres.  Son  nom  est  donc  resté  attaché  à  cet  admi- 
rable monument  de  législation. 

Ses  fonctions  de  président  du  comité  de  législation  l'a- 
vaient initié  aux  questions  ecclésiastiques  ;  il  fut  ci)argé  de 
diriger  exclusivement  cette  branche  importante  du  gouver- 
nement par  sa  nomination  au  ministère  des  cultes.  Portahs, 
qui  avait  aussi  contribué  avec  éclat  à  la  rédaction  du  Code 
civil ,  et  qui  occupait  ce  ministère  depuis  plusieurs  années , 
était  mort  le  5  août  1807  ;  l'empereur  lui  donna  M.  de  Préa- 
meneu pour  successeur.  Les  circonstances  étaient  graves,  et 
réclamaient  des  qualités  spéciales.  Le  saint- siège  se  livrait 
depuis  quelque  temps  à  de  sourdes  hostilités  ;  il  refusait 
l'institution  canonique  aux  évêques  nommés  par  l'empereur  ; 
il  n'avait  pas  voulu  s'associer  au  système  continental ,  et  les 
nécessités  de  la  politique  étaient  sur  le  point  d'engager  le 
gouvernement  français  dans  des  mesures  de  rigueur  contre 
le  pouvoir  pontifical.  Il  fallait  au  moins  que  le  ministre 
chargé  de  ces  affaires  tempérât  par  l'aménité  des  formes  la 
sévérité  des  actes.  Nul  n'était  plus  propre  à  atteindre  ce  but 
que  l'ancien  défenseur  du  clergé  à  l'Assemblée  législative , 
que  le  président  du  comité  de  législation,  déjà  habitué  à  ré- 
gler ces  grands  intérêts.  M.  Bigot  de  Préameneu  eut  à  inter- 
venir dans  les  circonstances  les  plus  critiques.  Il  est  vrai 
que  la  volonté  prépondérante  de  l'empereur  ne  lui  laissait 
qu'une  part  secondaire  de  responsabilité,  mais  cette  part 
était  encore  assez  grande  pour  que  l'aptitude  spéciale  qu'il  y 
déploya  exerçât  une  heureuse  intluence.  Napoléon ,  poussé 
aux  dernières  extrémités  contre  le  pape ,  s'emparant  de  ses 
États  et  de  sa  personne,'  voulait  éviter  de  soulever  dans  le 
clei'gé  français  des  résistances  trop  ouvertes.  Il  se  proposait, 
pour  assurer  au  culte  une  sorte  de  représentation  et  de  pou- 
voir propre,  de  convoquer  à  Paris  un  concile  œcuménique; 
il  avait  formé ,  sous  le  nom  de  petit  conseil  du  clergé  de 
France,  une  commission  composée  de  prélats  et  d'ecclésias- 
tiques recommandables  pour  préparer  le  travail  de  ce  con- 
cile et  lui  servir  de  conseil  à  lui-même.  Il  faisait  venir  à  Pa- 
ris tous  les  cardinaux  italiens  pour  assister  à  son  mariage. 
Le  pape ,  bien  que  prisonnier,  créait  encore  de  grands  em- 
barras. C'était  le  ministre  des  cultes  qui  dirigeait  toutes  les 
négociations  officielles  ou  secrètes  appropriées  à  une  situa- 
tion si  compliquée.  M.  Bigot  de  Préameneu  remplit  cette 
tache  difficile  avec  assez  de  succès  pour  conserver  la  con- 
fiance de  l'empereur  jusqu'aux  événements  de  1814,  et  pen- 
dant les  Cent -Jours  il  eut  encore  l'honneur  d'être  placé  à  la 

DtCT.    DE   LA   CONVERS.    —  T.  HI 


tête  de  l'administration  des  cultes.  11  demeura  fidèle  au  gou- 
vernement dont  il  avait  été  l'un  des  pUis  dignes  auxiliaires. 

La  Restauration  le  rendit  définitivement  à  l'étude  qui  avait 
toujours  charmé  sa  vie ,  à  sa  famille,  dont  il  était  l'honneur, 
à  ses  amis ,  qui  avaient  toujours  trouvé  en  lui  des  sentiments 
affectueux  et  sincères.  Il  mourut  en  1825.  Sa  mort  fut  simple 
et  modeste  comme  sa  vie;  et  c'est  en  vain  que  l'esprit  de 
parti,  égarant  son  pieux  successeur  à  l'Académie  Française, 
s'efforça  de  ternir  sa  mémoire.  Son  nom  restera  comme 
celui  d'un  homme  de  bien  qui  a  traversé  avec  honneur  des 
temps  difficiles,  et  a  su  conserver  toujours  sa  modération  en 
face  des  violences  populaires  et  des  emportements  d'un 
pouvoir  snns  frein.  Vivien,  de  l'Institut. 

BîGOT  DE  MOROGUES  (PiErj^E-MARiE-SÉBASTiEN, 
baron),  minéralogiste,  géologue,  économiste  et  agronome 
distingué,  né  à  Orléans,  le  5  avril  1776 ,  mort  dans  la  même 
ville,  le  15  juin  1840 ,  descendait  d'une  famille  noble  d'An- 
gleterre ,  qui ,  vers  le  onzième  ou  douzième  siècle ,  était  ve- 
nue s'établir  en  France,  où  elle  avait  acquis  la  seigneurie  de 
Morogues,  dans  le  Berry.  Le  père  du  savant  auquel  est  con- 
saci'ée  cette  notice  était  Augustin-Pierre ,  vicomte  de  Mo- 
KOGUES,  ce  major  de  vaisseau  qui  sous  Louis  XVI  était 
connu  dans  la  marine  sous  le  nom  di  Intrépide  major. 

Le  baron  de  Morogues  était  bien  jeune  lorsqu'il  perdit  son 
père.  Sa  mère  l'envoya  à  l'école  de  Vannes,  avec  l'intention 
de  lui  faire  suivre  la  carrière  de  la  marine,  qu'avaient  digne- 
ment parcourue  son  père,  son  aïeul  et  son  bisaïeul.  L'enfant 
s'adonna  avec  ardeur  à  l'étude  des  sciences  exactes  ;  mais 
la  Révolution  ne  tarda  pas  à  supprimer  l'école  de  Vannes. 
Le  baron  de  INIorogues  n'avait  encore  que  quinze  ans ,  quand 
il  vit  la  foudre  révolutionnaire  frapper  une  partie  de  sa  fa- . 
miile.  Mais,  loin  de  se  laisser  aller  à  la  haine  et  d'armer  son 
bras  d'un  fer  étranger  pour  le  tourner  contre  sa  patrie,  il 
voulut  étudier  encore  pour  être  utile  à  ses  concitoyens. 
En  1794  il  entra  à  l'École  des  Mines,  où  il  mérita  les  en- 
couragements de  ses  maîtres ,  Vauquelin  et  Haùy.  Compris 
dans  la  réforme  que  cet  établissement  subit  en  1795,  le  ba- 
ron de  Morogues  continua  de  suivre  quelques  cours  et  de  se 
livrer  à  l'étude  de  la  minéralogie  dans  le  laboratoire  de  Vau- 
quelin. 

De  retour  à  Orléans,  il  devint,  par  son  mariage ,  le  beau- 
frère  du  comte  de  Tristan.  Unis  déjà  par  les  mêmes  goûts 
scientifiques,  ils  firent  ensemble  un  voyage  où  ils  explorèrent 
la  Bretagne,  les  Vosges,  le  Jura,  la  Suisse  et  la  Savoie.  Le 
Journal  des  Blines ,  les  Annales  du  Muséum  d'Histoire 
Naturelle  et  autres  feuilles  de  l'époque  suivirent  presque 
jour  par  jour  leurs  traces  en  donnant  au  public  des  rensei- 
gnements aussi  positifs  q\ie  curieux  sur  les  productions  mi- 
néraloei^ues  des  pays  qu'ils  venaient  de  parcourir.  Revenu 
avec  ui  grand  nombre  de  matériaux,  le  baron  de  Morogues 
publia  plusieurs  mémoires  intéressants.  En  1810  il  fit  pa- 
raître des  Observations  minéralogigues  et  géologiques  sur 
les  principales  substances  des  départements  du  Mor- 
bihan, du  Finistère  et  des  Côtes-du-Nord;  puis,  en  1812, 
un  Mémoire  historique  et  physique  sur  les  chutes  de 
pierres  tombées  sur  la  surface  de  la  terre  à  diverses 
époques ,  l'un  des  premiers  qui  aient  paru  sur  cet  ordre  de 
phénomènes  {voyez  Aérolitues). 

En  ISU,  définitivement  fixé  dans  sa  propriété  de  la  Source 
du  Loiret,  près  d'Orléans ,  le  baron  de  IMorogues  se  fit  agro- 
nome. Il  eut  la  généreuse  pensée  d'améliorer  la  Sologne, 
d'en  régénérer  les  habitants ,  et  rien  ne  lui  coûta  pour  vaincre 
les  obstacles  presque  insurmontables  qu'il  rencontrait  à 
chaque  pas.  Il  démontra  la  possibilité  d'arriver  à  son  but , 
dans  une  série  d'écrits  estimés,  tels  que  :  V Essai  sur  l'ap- 
propriation des  bois  aux  divers  terrains  de  la  Sologne; 
V Essai  sur  la  topographie  de  la  Sologne  et  sur'les-prin- 
cipatix  moyens  d'amélioration  qu'elle  présente;  V Essai 
sur  les  moyens  d'améliorer  ragriculinre  en  France,  etc. 

L'élude  de  l'agriculture,  considérée  dans  ses  rapports 

•;,6 


202 


avec  la  prospérité  du  pays ,  avec  le  commerce  intérieur  et 
étranger,  avec  les  besoins  du  peuple,  conduisit  naturellement 
le  baron  de  Morogues  à  l'étude  de  l'économie  politique.  Son 
premier  opuscule  sur  cette  matière  parut  en  1815  sous  ce 
titre  :  De  Vinjlucnce  de  la  forme  du  gouvernement  sur 
la  gloire,  l'honneur  et  la  tranquillité  nationale.  L'auteur 
l'écrivit  pour  prouver,  lors  des  élections  de  1815,  la  néces- 
sité de  se  rallier  aux  formes  constitutionnelles.  De  môme 
qu'il  avait  appliqué  ses  connaissances  agricoles  à  l'améliora- 
tion des  pays  pauvres,  ce  l'ut  principalement  à  l'améliora- 
tion des  classes  souffrantes  qu'il  consacra  ses  études  poli- 
tiques. Dans  son  ouvrage  intitulé  :  La  Noblesse  constitu- 
tionnelle, ou  Essai  sur  l'importance  des  honneurs  et  des 
distinctions  héréditaires ,  appliqués  et  modifiés  confor- 
mément aux  progrès  naturels  de  la  Société  (Paris,  1825, 
in-8°),  il  démontra  que  les  honneurs  ne  pouvaient  plus 
<^.tre  que  la  récompense  du  mérite  et  des  services  rendus  à 
l'État,  et  que  l'hérédité  ne  saurait  les  conserver  sans  le 
mérite  personnel.  Dans  sa  Politique  religieuse  et  philo- 
sophique, ou  Constitution  morale  du  gouvernement  (Pa- 
ris, 1827,  4  vol.  in-8°),  après  avoir  remonte  à  l'origine  des 
sociétés  religieuses  et  politiques,  il  chercha  à  déduire  de 
leurs  progrès  les  causes  de  la  révolution  et  la  nécessité  de 
ses  institutions  avec  l'extension  dont  elles  sont  susceptibles. 
La  censure  l'empêcha  de  développer  toutes  ses  opinions  po- 
litiques; mais  en  1834  il  les  émit  plus  librement  dans  sa 
Folitique  basée  sur  la  morale. 

Quoique  le  baron  de  Morogues  fût  partisan  de  la  légitimité, 
les  tendances  réactionnaires  de  la  Restauration  le  poussèrent 
dans  les  rangs  de  l'opposition.  Aussi  la  révolution  de  Juil- 
let le  trouva-t-elle  rallié  à  la  cause  nationale,  et  en  1835 
il  fut  élevé  à  la  dignité  de  pair  de  France.  Il  apporta  dans 
l'accomplissement  de  ses  devoirs  législatifs  un  zèle  incompa- 
rable ,  et  il  allait  encore  à  la  Chambre  quand  déjà  ses  forces 
défaillantes  lui  annonçaient  l'approche  de  sa  fin. 

Le  Cours  complet  d'Agriculture ,  publié  presque  cora- 
j)létement  sous  sa  direction,  renferme  un  grand  nombre 
d'articles  du  baron  de  Morogues ,  articles  où  les  connais- 
sances de  l'agronome  ne  le  cèdent  en  rien  à  celles  de  l'écono- 
miste. 11  a  aussi  apporté  sa  collaboration  aux  premiers  vo- 
lumes de  la  Biographie  Universelle  de  Michaud,  à  la  Revue 
Encyclopédique ,  etc. 

BIGOTINI  (M"*),  célèbre  artiste  de  l'Opéra.  Née  à 
Paris,  vers  1784,  et  nièce  de  Milon,  elle  débuta  en  1804, 
et  fut  reçue  comme  remplaçant  dans  le  genre  noble.  Le 
premier  sujet  dans  ce  genre  était  alors  M""  Clotilde. 
Comme  on  voit  aujourd'hui  la  manie,  la  vanité,  la  mode  du 
chaut  introduite  dans  les  classes  les  moins  bien  disposées  à 
la  culture  de  cet  art,  ainsi,  au  commencement  de  ce  siècle, 
et  pendant  douze  ou  quinze  ans,  la  société ,  à  tous  ses  étages, 
avait  ses  virtuoses  chorégraphiques.  Sous  l'Empire  on  ne 
chantait  pas,  on  dansait.  Aujourd'hui  c'est  le  contraire:  on 
ne  danse  pas ,  on  chante.  La  vocalisation  ayant  pris  un  grand 
développement  par  le  succès  de  l'opéra  italien  et  de  l'opéra 
français,  nous  avons  eu  des  Sontag  de  salon,  des  Damoreau 
de  comptoir;  mais  pendant  l'époque  impériale  c'était  la 
gavotte  et  le  pas  russe  qui  régnaient  dans  les  soirées  do- 
mestiques. L'art  public  se  leflétant  sur  l'art  privé,  tous  les 
yeux  étaient  fixés  sur  Vestris  et  Clotilde ,  sur  Duport  et 
Bigotini,  sur  Albert  et  Noblet.  Ils  tenaient  le  sceptre  de  la 
chorégraphie  théâtrale.  On  ne  voyait  qu'en  eux  la  perfection 
du  la  grûce ,  de  la  noblesse ,  de  la  décence  relative,  et  que 
dans  leur  pantomime  l'expression  d'actions  ou  de  sujets 
élevés,  gais  sans  bouffonnerie,  comiques  sans  charge. 
M""^  Bigotini  brillait  au  premier  rang.  Elle  régna  sans  par- 
tage du  jour  où  M""  Clotilde  se  fut  retirée  du  théâtre. 

D'une  taille  au-dessus  de  la  moyenne,  d'une  beauté  régu- 
lière et  sérieuse  sans  sévérité,  douée  des  yeux  noirs  les  plus 
expressifs  et  d'une  chevelure  d'ébène,  M"*'  Bigotini  était 
-assurément  une  des  plus  belles  femmes  du  théâtre  à  celte 


BIGOT  DE  MOROGUES  —  BIGRE 

époque.  Il  y  avait  dans  toute  sa  personne  un  charme  de  no- 
blesse et  de  sensibihté  qui  pénétrait  la  salle  entière  dès 
qu'elle  paraissait  sur  la  scène.  Comme  danseuse ,  elle  mérita 
d'être  distinguée  parmi  celles  qui  se  distinguaient  alors; 
mais  dans  les  dix  dernières  années  de  sa  carrière  théâtrale 
ce  fut  surtout  et  presque  exclusivement  dans  la  pantomime 
que  M""  Bigotini  se  plaça  kors  ligne.  Rien  aujourd'hui  à 
l'Opéra  ne  saurait  donner  l'idée  de  ce  que  le  véritable  art 
mimique  peut  pro  luire  d'effet,  et  ce  qu'il  en  produisait  alors 
que  Vestris ,  Goyon ,  Milon ,  Beaupré ,  et  M""^'  Chevigny, 
Clotilde  ,  Gardel ,  prêtaient  la  mobilité  de  leurs  traits,  l'é- 
nergie ,  le  naturel ,  la  grâce  de  leurs  gestes  à  l'expression  des 
sentiments  et  des  personnages  de  toute  nature. 

Quoitiue  danseuse  excellente,  sons  ce  rapport  elle  avait 
plus  que  des  rivales;  mais  aussi  finit-elle  par  s'adonner  plus 
exclusivement  à  la  pantomime,  et  y  prima-t-elle  d'autant  plus 
qu'elle  perdait  ainsi  une  partie  du  charme  de  ses  facultés 
dansantes.  Ses  airs  de  tête,  ses  expressions  plastiques,  sa 
démarche,  ses  gestes,  sa  représentation  tout  entière,  avait 
alors  la  vérité  de  chacun  des  personnages  qu'elle  avait  à  re- 
présenter, dégagés  de  l'apprêt,  de  la  roideur,  de  l'innaturel 
qui  sont  nécessairement  dans  la  condition  de  la  danse. 

L'art  théâtral ,  dans  toutes  ses  expressions ,  est  l'art  de  la 
transformation  ;  c'est  ce  que  l'on  ne  rencontre  plus  aujour- 
d'hui; c'est  ce  que  l'on  voyait  briller  chez  M"*  Bigotini, 
toujours  vraie,  toujours  réelle,  quoiqu'elle  parût  sous  les 
traits  des  personnages  les  plus  opposés,  soit  qu'elle  eût  à 
représenter  le  charme  idéal  et  l'amour  mystique  du  fils  de 
Vénus  dans  Pstjché,  soit  que,  fille  de  condition ,  mélanco- 
lique et  passionnée ,  elle  nous  attendrit  sur  les  infortunes  de 
Mirza  ou  de  Nina,  soit  enfin  qn' Eucharis ,  Cendrillon  ou 
Reine  de  Golconde,  elle  se  livrât  à  l'expression  des  caprices 
ou  des  sentiments  de  ces  caractères  si  divers.  M"*  Bigotini 
savait  sans  cesse  faire  naître,  entretenir  l'illusion,  et  porter 
jusqu'au  bout  les  émotions  que  comportait  chacun  de  ses 
rôles.  Après  elle  et  pour  ceux  qui  ont  pu  en  jouir  encore, 
M""  Legallois  dans  Clari  et  M™*  Montessu  ont  seules 
donné  quelque  juste  idée  de  la  puissance  de  l'art  mimique, 
cette  dernière  surtout,  puisqu'elle  jouait  avec  une  égale  su- 
périorité la  Fille  mal  gardée  et  la  Fée  Nabotte,  la  Som- 
nambule et  Manon  Lescaut,  derniers  reflets  du  génie 
de  M"''Rigotini,  qui,  après  avoir  brillé  sur  la  scène  du  monde 
entourée  des  honnnages  et  môme  des  attachements  les  plus 
illustres  du  siècle,  après  avoir  vu  à  ses  pieds  non-seulement 
le  fils  adoptif  de  l'empereur,  le  grand-maréchal  du  palais 
impérial,  le  plus  grand  seigneur  de  l'Espagne,  mais,  ce  qui 
valait  mieux  encore ,  le  public  tout  entier,  de  M"*  Bigotini 
enfin  qui ,  après  avoir  jeté  le  plus  bel  éclat  sur  l'Académie 
royale  de  Musique  et  sur  l'art  de  la  pantomime,  s'est  sous- 
traite en  1 825  à  sa  célébrité  artistique ,  qu'elle  pouvait  aug- 
menter encore ,  pour  se  livrer,  dans  la  retraite  modeste  de 
la  vie  de  famille,  à  l'éducation  chrétienne  et  sévère  d'une 
fille  charmante,  qu'elle  croyait  avoir  honorablement  ma- 
riée (1),  et  dont  la  mort  prématurée  ne  lui  a  laissé  qu'un  fils 
et  des  regrets.  A.  Delaiorest. 

IÎIGRE9  mot  souvent  employé  dans  les  chartes  latines 
et  françaises  à  partir  du  douzième  siècle,  désignait  principa- 
lement un  garde  chargé  de  veiller ,  dans  les  forêts ,  à  la  con- 
servation des  abeilles,  de  réumr  les  essaims,  de  construire 
les  ruches,  de  recueillir  le  miel  et  la  cire.  Les  bigres  avaient 
le  droit  île  couper  et  d'abattre  les  arbres  où  se  trouvaient 
les  abeilles,  sans  pouvoir  être  recherchés  ni  inquiétés  pour 
ce  fait.  Depuis,  et  agrandissant  toujours  leur  pouvoir,  ils  en 
vinrent  à  s'arroger  le  droit  de  prendre  dans  les  forêts  tout 
le  bois  dont  ils  avaient  besoin  pour  leur  chaulVage  :  d'où  ils 
furent  appelés  dans  quelques  endroits ./)fl?îcs  bigres.  Un 


(1)  Elle  avait  épousé  M.  Dalloz,  notaire  à  Paris,  qui  ,  marié  en 
secondes  noces  ,  a  eu  à  soutenir  un  procès  si  tristement  cclélire  pour 
lui,  pour  cette  seconde  épouse  et  pour  le  /rire  <le  s.i  première 
femme. 


BIGRE  —  BTJOU 


203 


édit  royal  de  1669  ayant  supprimé  tous  les  droits  de  chauf- 
fage, à  quelques  exceptions  près ,  les  bigres ,  qui  n'avaient 
d'autre  titre  que  l'usage,  durent  renoncer  à  cet  avantage. 
Selon  le  Mercure  de  Fraiice  de  février  1729,  è/gre  viendrait 
du  latin  ap'ujer  ou  apicurus  (qui  gouverne  les  mouches, 
qui  a  soin  des  abeilles  ). 

6IGUE,  forte  et  longue  pièce  de  bois  de  sapin,  placée 
debout  près  des  navires  en  construction.  Elle  est  garnie  à 
sa  tête  de  poulies  et  de  cordages ,  et  sert  à  élever  les  lourdes 
pièces  de  bois,  de  fer,  etc.,  qui  entrent  dans  la  confection 
d'un  bâtiment.  Souvent  on  établit  deux  bigues  à  bord  des 
grands  navires  ;  on  les  fait  se  joindre  et  se  croiser  par  leurs 
têtes ,  qui  sont  dans  cette  position  fortement  liées  ensemble 
à  l'endroit  où  elles  se  croisent;  leurs  pieds  s'écartent  de 
tout  l'espace  offert  par  la  largeur  du  navire  ;  des  cordages , 
fixés  en  étais  à  divers  points  de  leur  longueur,  les  maintien- 
nent en  équilibre.  Dans  cet  état,  ces  deux  bigues  consti- 
tuent, momentanément,  un  puissant  appareil  qui  sert  à 
mettre  en  place  les  bas-mâts  d'un  vaisseau ,  ou  à  les  arra- 
cher et  enlever  de  leur  place  quand  ils  ont  besoin  d'être 
réparés.  Cet  appareil  est  employé  à  défaut  de  machine  à 
mater,  plus  spécialement  consacrée  à  la  même  opération. 

Jules  Lecomte. 

BIHAI,  genre  de  plantes  de  la  famille  des  musacées, 
qui  croit  en  Amérique,  principalement  aux  Antilles,  où  on 
le  trouve  dans  les  lieux  humides.  Les  branches  du  bihai  des 
Antilles  {heliconia  caribxa)  sont  assez  semblables  à  celles 
du  platane;  elles  jettent  des  rameaux  et  des  verges,  au  mi- 
lien  et  autour  desquels  sont  les  feuilles,  qui  sont  assez 
grandes  et  assez  larges  pour  que  les  Indiens  les  emploient 
à  couvrir  leurs  maisons.  Ils  s'en  servent  aussi  pour  eux- 
mêmes  en  guise  de  parapluie,  et  font  avec  ses  jeunes  bran- 
ches des  paniers  ou  corbeilles,  qu'ils  noxamcai  havas.  Dans 
le  besoin ,  ils  en  mangent  aussi  les  racines  ou  jeunes  pous- 
ses, qui  sont  blanches,  tendres,  et  ressemblent  assez  à  la 
partie  du  jonc  qui  est  en  terre,  avec  cette  différence  qu'elles 
ont  une  légère  saveur  qui  n'a  rien  de  désagréable. 

BIHAR.  Voyez.  Béhar. 

BIHOREAU.  Genre  d'oiseaux  du  groupe  des  hérons , 
qui  se  distinguent  des  butors,  dont  ils  ont  le  port,  par  un 
bec  plus  gros  à  proportion  et  par  quelques  plumes  grêles 
implantées  dans  l'occiput  de  l'adulte.  Cuviern'en^ite  qu'une 
seule  espèce,  lebihoreau  d'Europe  {ardea  ntjcticorax , 
Linné  ),  dont  le  mâle  est  blanc ,  à  calotte  et  à  dos  noirs  ;  les 
jeunes  sont  gris,  à  manteau  brun,  calotte  noirâtre.  Il  en  in- 
dique trois  autres  espèces ,  caractérisées  d'après  leur  cou- 
leur. L.  Laurent. 

BIJOU.  Ce  mot,  ainsi  que  ceux  de  joyau  et  joujou, 
dérive  de  la  racine  jo,joc,ioM,  d'où  sont  aussi  venus  les 
mots  je«,jo/e,^m«r;  il  exprime  l'idée  de  tout  ce  qui  réjouit, 
amuse,  procure  du  plaisir.  Bijou,  composé  des  syllabes  bi 
ou  bis  (deux  fois  )  et  jou ,  est  donc  en  quelque  sorte  syno- 
nyme de  joujou,  car  ils  signiOent  tous  deux  double  jeu,  avec 
cette  différence  que  le  joujou  n'amuse  que  les  petits  enfants, 
et  que  le  bijou  sert  à  divertir  les  grands  enfants,  tant  les  fem- 
mes que  les  hommes,  qui  en  raffolent  et  y  attachent  un  grand 
prix.  Matériellement  parlant,  un  bijou  est  un  ouvrage  d'or- 
fèvrerie, moins  nécessaire  à  l'habillement  qu'accessoire 
plus  ou  moins  recherché  de  la  toilette.  Pour  les  femmes ,  ce 
sont  des  bracelets,  des  boucles  d'oreilles,  des  ai- 
grettes, des  ceintures,  des  colliers,  des  écrins,des 
boîtes  et  paniers  à  ouvrage,  des  peignes,  etc.;  pour  les 
hommes,  des  tabatières,  des  pommes  de  canne,  des 
cachets,  des  boucles  de  souliers  et  de  jarretières,  etc.  ; 
pour  les  deux  sexes ,  des  agrafes,  des  anneaux,  des 
bagues, des  bombonnières,  des  chaînes, des  breloques, 
des  boutons,  des  croix,  de  étuis,  des  épingles,  des 
flacons,  des  lorgnons,  des  lunettes,  des  montres, 
des  nécessaires,  des  tablettes,  etc.,  etc.  Cette  nomen- 
clature ,  quoique  assez  longue ,  est  pourtant  bien  loin  d'être 


complète  ;  car  il  est  difficile  de  se  souvenir  de  tout  ce  que  le 
caprice  et  la  mode  ont  produit  en  tous  temps,  en  tous  heux, 
et  de  prévoir  ce  qu'ils  peuvent  inventer  encore;  mais  nous 
laissons  le  soin  d'y  suppléer  aux  amateurs  des  deux  sexes 
plus  versés  que  nous  dans  la  connaissance  et  l'usage  de  ces 
colifichets. 

Il  serait  pourtant  curieux  de  savoir  en  quoi  consistaient 
les  bijoux  qu'Isaac  envoya  à  Rébecca;  la  forme,  la  matière 
et  les  ornements  des  diadèmes  de  Sémiramis  et  de  Didon , 
du  collier  qui  coûta  la  vie  à  Ériphyle  et  à  son  époux  Am- 
phiaraus,  de  celui  que  portait  le  Gaulois  qui  tut  tué  par 
Manlius ,  surnommé  depuis  Torquatus ,  etc.  ;  on  voudrait 
avoir  quelques  détails  sur  l'anneau  de  S  a  lo  m  on,  sur 
celui  de  Polycrate,  sur  ceux  qui  servaient  de  cachet  à 
Mahomet  et  aux  khalifes ,  ses  successeurs ,  et  qui  générale- 
ment étaient  d'argent,  comme  le  sont  encore  ceux  des 
Turcs  ;  de  la  prétendue  bague  de  Ja  sainte  Vierge,  ou  plutôt 
d'Agrippine,  épouse  de  Germanicus,  qu'on  voit  au  cabinet 
des  médailles  de  la  Bibliothèque  Nationale  ;  sur  les  anneaux 
que  des  femmes  indiennes  et  sauvages  portent  aux  narines 
ou  à  la  membrane  intermédiaire  du  nez;  sur  l'anneau  de 
chasteté  des  kalandcrs,  etc. 

Il  est  certain,  du  reste,  que  l'usage  des  bijoux  est  fort  an- 
cien. Si  l'on  réfléchit  que  l'art  de  découvrir,  d'extraire,  de 
travailler  l'or  et  l'argent,  de  mettre  en  œuvre  les  pierreries, 
fait  supposer  un  degré  assez  avancé  de  civUisation,  et 
qu'avant  de  fabriquer  des  bijoux,  les  hommes  ont  dû  songer 
à  se  nourrir,  à  se  loger,  à  se  vêtir,  à  inventer,  à  perfec- 
tionner tous  les  objets  nécessaires,  non-seulement  aux  pre- 
miers besoins,  mais  à  l'aisance  de  la  vie ,  on  jugera  avec 
nous  que  le  monde  est  beaucoup  plus  vieux  qu'on  ne  pense. 

Les  bijoux,  les  ornements  d'or,  d'argent  et  de  pierres  pré- 
cieuses ,  ont  été  adoptés  principalement  par  les  femmes , 
dans  tous  les  temps  et  dans  tous  les  pays.  L'Orient ,  Athè- 
nes ,  Rome,  virent  des  excès  en  ce  genre.  On  cite  Cornélie, 
la  mère  des  Gracques,  comme  ayant  su  s'affranchir  de 
cette  vanité  ridicule,  et  préférer  ses  enfants  à  ses  bijoux; 
mais  les  Cornélies  sont  rares,  même  de  nos  jours.  On  se 
souvient  des  fameuses  perles  que  Cléopâtrefit  dissoudre 
dans  un  festin.  Sous  les  empereurs  d'Orient,  au  cinquième 
siècle,  les  dames,  outre  leurs  boucles  d'oreilles,  avaient 
d'autres  bijoux,  pour  orner  l'extrémité  de  leurs  joues;  elles 
portaient  des  lames  d'or  au-dessus  de  leurs  mains.  Les 
jeunes  gens  avaient  des  bracelets  d'or.  Comment  le  luxe 
n'aurait-il  pas  gagné  toutes  les  classes,  lorsque  les  pontifes 
de  Jésus-Clu-ist  en  donnaient  l'exemple?  Sans  parler  des 
mitres,  des  crosses,  des  croix  des  évêques,  en  or  et  en 
argent,  de  la  belle  améthyste  qu'ils  portaient  au  doigt,  on 
sait  que  le  pape  Grégoire  IX ,  à  son  couronnement ,  était 
couvert  de  pierreries ,  et  que  le  faste  de  la  cour  de  Rome , 
sauf  quelques  rares  exceptions,  n'a  pas  diminué.  Le  luxe  des 
bijoux  n'est  pas  général  en  Orient;  les  Turcs  et  leur  sultan 
affectent  beaucoup  de  simplicité  dans  leur  costume  ;  mais  le 
chah  de  Perse  est  resplendissant  de  diamants  et  de  pierre- 
ries. Là  aussi  ce  sont  les  femmes  qui  poussent  la  maïue 
plus  loin  que  les  hommes  :  en  Turquie  elles  ont  des  col- 
liers de  sequins  d'or,  et  des  bagues  à  tous  les  doigts. 

Autrefois,  en  France  les  bijoux  étaient  un  des  attributs 
de  la  puissance  et  de  la  noblesse  ;  les  vilains  n'avaient  pas 
le  droit  d'en  porter.  Aujourd'hui  c'est  presque  le  con- 
traire :  l'usage  en  est  devenu  si  commun ,  que  certaines 
femmes  qui  attirent  le  plus  les  regards  par  l'éclat  de  leurs 
diamants  ne  sont  pas  pour  cela  les  plus  considérées.  Agnès 
Sorel  est,  dit-on,  la  première  en  France  qui  ait  eu  un  collier 
de  diamants  bruts;  car  on  ne  savait  pas  encore  les  tailler. 
Comme  ce  collier  la  gênait  beaucoup,  elle  l'appelait  son 
carcan,  et  ne  le  portait  que  pour  plaire  à  Charles  VII.  Les 
dames  de  la  cour  imitèrent  la  favorite,  et  les  diamants 
furent  en  crédit.  Le  goût  varia  depuis.  Françoise  de  Foix  , 
comtesse  de  Château  briant,  préférait  l'or;  dit'  fit  fondre 

20. 


204 


BIJOU  —  BIJOUTIER 


ses  bijoux  en  lingols  avant  tle  les  ronJie  à  François  l",  qui 
voulait  les  donner  à  la  duchesse  d'Étampes,  sa  rivale.  La 
belle  Fé  ronnière  portait  sur  le  front  une  plaque  de  pier- 
reries, dont  la  mode  s'est  renouvelée  de  nos  jours.  Cathc- 
rine  de  Médicis  et  Diane  de  Poitiers  préférèrent  les 
perles.  Marie  Stuart,  épouse  du  dauphin  qui  fut  Fran- 
i^oh  II,  ayant  apporté  de  superbes  diamants,  ce  luxe  reprit 
faveur.  Après  son  départ  pour  l'Ecosse,  on  revint  à  l'usage 
des  perles;  au  couronnement  de  Marie  de  Médicis, 
femme  d'Henri  IV,  les  dames  de  sa  suite  en  portaient  dans 
leurs  cheveux  et  sur  leurs  robes.  Sous  Louis  XIV  on  reprit 
les  diamants  et  les  pierreries,  dont  l'usage  devint  plus  gé- 
néral en  raison  des  relations  que  les  voyageurs  Tavernier, 
Chardin  et  Paul  Lucas  entretinrent  avec  la  Perse  et  l'Inde. 
Les  actrices  qui  figuraient  aut  spectacles  de  la  cour ,  ne 
voulant  pas  se  laisser  éclipser  par  les  marquises,  parsemèient 
leurs  robes  de  pierres  fausses,  qui  brillaient  au  théâtre  comme 
des  pierres  fines.  Les  dames  de  haut  rang  adoptèrent  les 
diamants  comme  paruie  distinctive  :  elles  eurent  des  bra- 
celets, des  boucles  d'oreilles,  des  colliers,  des  aigrettes, 
môme  des  pièces  en  diamants  placées  sur  le  devant  du 
corsage  de  leurs  robes.  La  reine  en  avait  à  sa  ceinture,  à 
ses  épaulettes,  à  l'agrafe  de  son  manteau.  On  se  rappelle  le 
fameux  collier  acheté  parle  cardinal  de  Rohan  pour 
Marie-Antoinette.  Ce  luxe  gagna  les  hommes,  et  peu  d'an- 
nées avant  la  révolution  de  1789  on  fit  des  garnitures  d'ha- 
bit, des  boutons,  des  ganses  de  chapeau,  des  nœuds  et 
des  poignées  d'épée,  des  montres  et  des  tabatières  enrichis 
de  diamants.  On  portait  deux  chaînes  de  montre,  qui  des- 
cendaient jusqu'à  mi-cuisse,  et  garnies  de  breloques  dont 
le  frémissement  se  faisait  entendre  de  loin  ;  on  avait  des 
boîtes  pour  chaque  saison,  pour  tous  les  jours  de  l'année. 
Le  marquis  de  Crochant,  à  Avignon,  possédait  trois  cents 
soixante-cinq  bagues  plus  précieuses  les  unes  que  les  autres. 
Sans  pousser  l'extravagance  à  ce  point,  de  simples  jjarti- 
culiers  portaient  à  leurs  doigts  des  bagues  énormes,  octo- 
gones, ovales,  à  losange ,  qu'on  appelait  des  firmaments , 
parce  qu'elles  étaient  composées  de  diamants  montés  sur 
une  pierre  facsse  bleue  ou  violette.  Tandis  que  les  hommes 
faisaient  la  belle  main,  les  femmes  avaient  des  baguiers 
qui  absorbaient  un  ou  deux  patrimoines  ;  l'anneau  conjugal 
y  était  totalement  éclipsé.  La  Révolution  fit  disparaître  ce 
luxe,  aussi  insolent  que  bizarre,  et  ramena  des  idées  plus 
saines  et  des  goûts  plus  shnples. 

11  reparut,  avec  quelques  modifications,  sous  Napoléon; 
mais  ses  progrès  n'ont  pas  été  aussi  rapides  ni  aussi  scan- 
daleux, et  ses  écarts  ont  été  moins  ridicules.  La  mode  des 
boucles  de  souliers,  quoique  plus  petites  qu'autrefois,  n'a 
pas  pu  se  soutenir  ;  celle  des  pantalons  a  fait  disparaître  les 
boucles  de  jarretière.  A  l'exception  des  épingles  de  che- 
mise, pour  lesquelles  on  a  employé  diverses  pierres  pré- 
cieuses, et  qui  ont  été  remplacées  par  des  boutons,  les 
hommes  ne  portent  presque  plus  de  bijoux.  Les  femmes 
seules  ont  conservé  ce  privilège  ;  mais  elles  n'en  abusent 
pas. 

Le  mot  de  joyau  n'est  pas  tout  à  fait  synonyme  de  celui 
de  bijou.  Il  entraîne  avec  lui  l'idée  de  grand ,  de  beau,  de 
précieux  :  c'est  ainsi  que  l'on  dit  las  joyaux  de  la  couronne. 
Le  bijou  est  généralement  plus  petit,  plus  mignon,  plus  cu- 
rieux :  aussi  emploie-t-on  d'ordinaire,  par  métaphore,  le  nom 
de  bijou  pour  exprimer  tout  ce  qui  est  propre,  commode, 
agréa'ole  et  gentil;  on  dit  d'une  maison  bien  distribuée, 
d'un  appartement  décoré  avec  goût,  d'un  meuble  élégant, 
d'une  femme  cliarmante,  d'un  enfant  iilein  de  grâce,  d'un 
jeune  cheval,  d'un  petit  chien,  d'un  serin,  etc.  :  Cest  un 
\rai  bijou.  On  dit  également  à  son  amie,  à  sa  maîtresse,  à 
son  enfant,  plus  rarement  à  sa  femme  :  mon  bijou,  mon 
pelit  bijou.  Les  dames  de  la  halle ,  renommées  par  leur 
amour  des  bijoux,  se  servent  aussi  fréquemment  de  ce  nom 
pour  amadouer  le  chaland.  IL  Aunirii'.KT. 


BIJOUTIER.  Les  bijoutiers  sont  les  ouvriers  qui  s\i 
donnent  à  la  confection  de  légers  ouvrages  d'art  servant  à 
l'ornement  des  personnes.  Les  orfèvres  s'occupent  plus 
spécialement  de  pièces  dépendant  du  mobilier,  et  les  pierres 
précieuses  sont  le  domaine  des  joailliers. 

Il  y  a  cinq  classes  principales  de  bijouterie  :  1°  la  bi- 
jouferie  enjin,  qui  est  toute  d'or  sur  lequel  l'ouvrier  monte 
les  émaux,  les  nielles,  etc.  ;  2"  la  bijouterie  en  argent, 
qui  est  souvent  dorée  ou  vermcillée  ;  3"  la  bijouterie  en 
fa^ix,  qui  a  pour  constituant  le  chrysocale,  soit  bruni, 
soit  doré;  4"  la  bijouterie  d'acier;  5°  la  bijouterie  en 
fonte  de  fer. 

Les  pièces  qu'exécute  le  bijoutier  en  fin  passent  en  gé- 
néral par  toutes  les  phases  que  nous  allons  décrire. 

On  en  fait  d'abord  un  dessin  de  grandeur  naturelle  ;  sur 
ce  dessin  on  exécute  en  cuivre  un  modèle  sur  lequel  on 
moule.  Quand  on  a  à  faire  des  pièces  d'un  assez  fort  vo- 
lume, on  commence  par  exécuter  un  premier  modèle  en 
cire  sur  lequel  on  ne  fait  figurer  que  les  parties  saillantes 
principales;  on  le  moule  dans  du  sable  fin ,  et  on  coule  en 
cuivre  un  second  modèle  qu'on  répare  avec  soin,  et  qui  de- 
vient le  modèle  définitif  après  qu'on  l'a  ciselé  exactement 
tel  que  l'objet  doit  être  moulé  ;  on  moule  dans  le  sable  pour 
l'or  comme  on  l'a  fait  pour  le  modèle  en  cuivre.  Le  mou- 
lage des  petits  objets  se  fait  dans  des  os  de  sèche,  par  un 
procédé  particulier. 

Les  parties  plates  des  bijoux,  les  plaques,  les  fils,  etc., 
sont  passés  au  laminoir  ou  à  la  filière.  Les  parties  creuse:, 
sont  estampées ,  les  métaux  employés  en  bijouterie  ayant 
toujours  une  assez  grande  malléabilité  pour  qu'il  soit  facile 
de  leur  faire  prendre  toutes  les  formes  au  moyen  de  l'ef- 
tampage.  Très-souvent  aussi  on  emploie  la  gravure  pour 
orner  les  faces  des  bijoux.  Voyez  Nielle. 

Les  soudures  sont  très-fréquentes  daps  la  bijouterie.  On 
les  fait  au  moyen  d'alliages  plus  fusibles  que  les  parties  à 
réunir,  et  dont  le  titre  est  déterminé  par  la  loi.  Ceux  que 
l'on  emploie  pour  souder  l'or  portent  les  différents  noms 
de  soudure  au  quart,  soudure  au  tiers,  soudure  au 
deux,  suivant  la  proportion  des  métaux  étrangers  qui  en- 
trent dans  leur  composition  :  la  soudure  au  quart  est  com- 
posée de  trois  j)arties  d'or  et  d'une  partie  d'un  alliage 
formé  de  ikux  tiers  d'argent  fin  et  d'un  tiers  de  cuivre;  la 
soudure  au  tiers,  de  deux  parties  d'or  et  d'une  partie  du 
même  alliage;  la  soudure  au  deux,  d'une  partie  d'or  et 
d'une  partie  d'un  alliage  composé  moitié  d'argent,  moitié  de 
cuivre.  Les  soudures  pour  l'argent  sont  :  la  soudxire  au  six, 
qui  contient  cinq  parties  d'argent  et  une  de  cuivre  jaune;  la 
soudure  au  quart,  qui  contient  trois  parties  d'argent  et 
une  de  cuivre  jaune,  et  la  soudure  au  tiers,  qui  contient 
deux  parties  d'argent  et  une  de  cuivre  jaune.  Le  bijoutier 
fait  lui-même  ses  alliages  pour  les  soudures. 

Pour  souder,  on  réunit  avec  un  fil  de  fer  les  deux  parties 
à  joindre;  on  les  saupoudre  de  limaille  de  soudure  mêlée  de 
poudre  de  borax  (le  borax  en  fondant  prévient  l'oxydation 
et  opère  un  décapagequi  facilite  la  réunion)  ;  puis  on  dirige 
dessus  le  dard  d'un  chalumeau,  qui  opère  la  fusion  de  la 
soudure ,  et  par  suite  l'assemblage  des  pièces.  Lorstju'on  a 
plusieurs  soudures  successives  à  fiiire  sur  la  môme  pièce,  on 
a  soin  d'employer,  pour  les  premières,  les  alliages  au  titre 
le  (lus  élevé,  parce  qu'étant  les  moins  fusibles,  ils  ne  peu- 
vent être  fondus  quand  on  fait  les  autres  soudures ,  pour 
lesquelles  on  emploie  les  alliages  aux  titres  inférieurs,  qui 
exigent  moins  de  chaleur  pour  entrer  en  fusion. 

Les  bijoutiers  se  servent  quelquefois  de  soudures  de  titres 
inférieurs;  mais  la  loi  punit  cette  tromperie,  qui  ne  doit  pas 
d'ailleurs  échapper  au  contrôle.  Tous  les  bijoux  fabriqués  , 
en  France  sont  en  effet  vérifiés  et  poinçonnés  suivant  leur 
titre  dans  les  bureaux  de  garantie  à  ce  destinés.  Certains 
fabricants  trouvent  cependant  parfois  les  moyens  d'éluder 
ces  sages  dispositions.    Les    bijoux  fourrés  en  sont  un 


i 


BIJOUTIER  —  BILAN 


tiù3 


exemple  :  on  appelle  ainsi  des  bijoux  creux,  qui,  faits  d'or 
au  titre  à  l'extérieur,  sont  remplis  de  matières  lourdes  desti- 
nées à  leur  donner  du  poids;  ces  ouvrages,  jadis  tolérés, 
mais  assujettis  à  une  marque  particulière,  sont  actuellement 
prohibés.  D'autres  fois,  des  marchands  présentent  au  bu- 
reau de  garantie  de  petites  épingles  ou  de  petits  anneaux  à 
bon  titre,  et  qui  par  conséquent  reçoivent  le  poinçon.  Ces 
mêmes  épingles  ainsi  marquées  leur  servent  à  faire  des  cli- 
quets pour  des  boucles  d'oreilles  fourrées,  en  les  y  attachant 
à  l'aide  de  goupilles;  c'est  ce  qu'on  appelle  Vent  âge.  11  est 
inutile  de  dire  que  tous  ces  délits,  lorsqu'on  parvient  à  les 
constater,  sont  l'objet  d'une  peine  plus  ou  moins  forte. 

N'étant  jamais  faits  qu'avec  des  alliages  qui  n'ont  pas  l'éclat 
de  l'or  fin,  on  est  obligé  de  parer  les  bijoux  en  les  plongeant 
dans  des  liquides  qui  exercent  une  action  corrosive  sur  les 
alliages  de  la  surface  et  laissent  à  nu  une  couche  d'or  fin.  C'est 
cette  dernière  opération  qu'on  appelle  làmise  en  couleur.  La 
composition  la  plus  employée  est  un  mélange  de  deux  par- 
ties de  nitre,  une  de  sel  marin  et  une  d'alun,  en  dissolution. 
On  y  fait  bouillir  la  pièce  après  l'avoir  fait  rectùre  et  dé- 
rocher. 

Le  besoin,  la  mode,  le  caprice  font  sortir  des  ateliers  une 
multitude  presque  innombrable  de  bijoux  que  les  ouvriers 
rangent  en  plusieurs  catégories  :  \%gros  bijou,  le  massif, 
Iccre^ix,  la  chaîne,  \g  filigrane.  Dans  le  bijou  propre- 
ment dit,  les  pièces  principales  de  fabrication  sont  les  taba- 
tières, les  garnitures  de  lunettes ,  les  encadrements  en  or 
et  en  argent  des  pierres  précieuses,  les  bagues,  chaînes, 
boucles  d'oreilles,  bracelets,  bandeaux,  boucles  ornées,  etc. 
Paris  compte  aujourd'hui  un  grand  nombre  de  fabriques  de 
bijouterie  fine ,  qui  occupent  une  population  de  bijoutiers , 
de  polisseuses ,  de  reperceuses  ou  brunisseuses ,  d'émail- 
leurs  ,  de  sertisseurs ,  de  graveurs ,  de  ciseleurs ,  et  d'ou- 
vriers qui,  sans  être  bijoutiers,  ont  des  rapports  directs  ou 
indirects  avec  ce  commerce,  tels  que  doreurs,  tourneurs, 
estampeurs,  fondeurs,  guilloclieurs,  apprêteurs,  etc.  Tout 
concourt  à  faire  rechercher  l'orfèvrerie  et  la  bijouterie  de 
Paris  :  le  titie  de.->  matières  qu'on  y  emploie,  la  beauté,  l'é- 
légance ,  la  grâce  et  la  variété  des  dessins ,  la  perfection  de 
la  main-d'œuvre,  sont  autant  de  causes  qui  lui  donnent 
une  prépondérance  et  une  supériorité  réelles  sur  celles  des 
autres  nations.  A  Paris,  la  place  Dauphine  et  quelques  autres 
quartiers  offrent  une  réunion  et  en  même  temps  une  divi- 
sion du  travail  qui  sont  telles  qu'on  y  exécute  quelquefois 
des  commandes  avec  une  promptitude  surprenante.  Après 
Paris  viennent  Lyon,  Marseille,  Bordeaux,  Clermont-Fer- 
rand.  A  Lyon,  on  établit  un  peu  de  joaillerie  et  de  la  bijou- 
terie pour  les  campagnes  du  midi  ;  à  Marseille ,  on  monte 
des  roses  et  quelques  brillants  pour  le  Levant;  à  Bordeaux, 
il  y  a  quelques  fabriques  de  joaillerie;  Clermont  fait  prin- 
ci])alement  des  bijoux  creux  pour  la  campagne. 

La  seule  bijouterie  qu'on  pourrait  opposer  à  celle  de  la 
France  est  celle  de  Londres,  qui  sans  contredit  est  fort 
belle  ;  en  général ,  les  ouvrages  anglais  sont  bien  soignés , 
mais  on  leur  reproche  de  la  sécheresse  et  un  peu  de  mai- 
greur dans  les  dessins.  La  bijouterie  d'Anvers  jouit  d'une 
estime  méritée.  Celle  de  Genève  est  également  renommée. 
L'Allemagne  envoie  tous  les  ans  à  la  foire  de  Francfort  une 
prodigieuse  quantité  de  bijouterie,  qui  ne  se  distingue  ni 
par  l'élégance  ni  par  le  fini  des  ouvrages  ;  elle  est  massive 
et  de  mauvais  goût.  Enfin,  des  Français  ayant  élevé  quel- 
([iies  fabriques  à  New-York,  les  États-Unis  ont  fait  des  pro- 
^iès  rapides,  et  ils  approvisionnent  le  Mexique  et  les  mers 
t'.u  Sud. 

La  bijouterie  en  faux ,  abandonnée  autrefois  à  quelques 
villes  d'Allemagne,  occupe  aujourd'hui  chez  nous  une 
/ouïe  d'artisans  fort  habiles  ;  car,  en  se  substituant  aux  ou- 
vriers de  Manheim  et  de  Nuremberg,  qui  ne  travaillent 
que  des  bijoux  assez  giossiers  en  faux  or,  les  Français  ont 
élevé  cet  art  à  un  grand  degré  de  perfection,  tant  dans  le 


bijou  tout  métal  que  dans  la  monture  et  le  sertissage  des 
pierres  fausses  enchaînées  dans  le  chrysocale.  C'est  au  rare 
perfectionnement  des  pierres  fausses,  du  strass,  des  éme- 
raudes  fôctices,  des  améthystes  de  cristal,  des  saphirs, 
des  grenats  de  composition ,  qu'il  faut  sans  doute  en  grande 
partie  attribuer  la  vogue  du  bijou  en  faux.  La  matière  de 
ces  sortes  de  bijoux ,  qu'on  lui  donne  le  nom  de  similor, 
d'or  de  Manheim,  de  chrijsocale ,  etc.,  est  toujours  une 
espèce  de  laiton ,  dont  la  couleur  ne  peut  être  aussi  pure  et 
aussi  flatteuse  que  celle  de  l'or.  Pour  obtenir  une  couleur 
agréable  et  une  certaine  durée  dans  l'éclat  de  ces  bijoux  ,  il 
faut  nécessairement  recourir  à  la  dorure. 

Paris  a  toujours  eu  la  palme  pour  la  fabrication  de  la 
bijoxiterie  en  acier,  fabrication  qui  embrasse  des  objets  en- 
core plus  variés  que  la  bijouterie  d'or.  Pour  donner  au  bijou 
d'acier  cet  admirable  poli  qui  fait  son  principal  mérite , 
l'ouvrier  emploie  d'abord  l'éneri,  puis  la  potée  d'étain,  et 
ensuite  la  potée  dite  d'Angleterre. 

La  bijouterie  de  fonte  de  fer  ou  bijouterie  de  Berlin 
est  une  industrie  encore  nouvelle  et  que  nous  devons  à  la 
Prusse.  Mais  si  les  Prussiens  ont  dans  les  plaines  de  Berlin 
un  sable  plus  fin  qui  leur  permet  de  couler  des  bijoux  aussi 
délicats  que  la  dentelle,  nos  fabriques,  créées  seulement 
depuis  1822,  l'ont  emporté  sur  les  leurs  par  le  bon  marché 
et  par  le  bon  goût  parisien.  Dans  cette  dernière  branche 
de  la  bijouterie ,  comme  dans  les  autres ,  la  France  occupe 
le  premier  rang. 

Les  bijoutiers,  comme  les  coiffeurs,  ont  choisi  pour 
patron  saint  Louis,  sans  doute  à  cause  de  la  couronne  qu'il 
a  portée.  Les  bijoutiers  ne  faisaient  autrefois  qu'un  corps 
avec  les  orfèvres.  Il  fallait  trois  ans  d'apprentissage  pour 
être  reçu  bijoutier.  Certaines  précautions  sont  imposées 
aux  marchands  bijoutiers  pour  l'achat  et  la  vente  des  bi- 
joux. Leurs  livres  doivent  être  tenus  avec  une  exactitude 
scrupuleuse.  Ils  ne  doivent  payer  le  prix  des  objets  de  quel- 
que valeur  qu'ils  achètent  qu'au  domicile  des  vendeurs  qui 
ne  leur  sont  pas  connus  ;  enfin,  l'achat  au-dessous  de  la  va- 
leur réelle  les  expose  à  être  regardés  comme  complices 
dans  le  cas  où  les  objets  auraient  été  volés  :  et  cependant 
aucun  corps  ne  peut  se  vanter  de  savoir  mieux  profiter  de  la 
simplicité  des  ^clients. 

BÎJUGUE  (de  bis  et  de  jugum)  se  dit,  en  botanique , 
des  feuilles  pinnées,  dont  le  pétiole  commun  porte  deux 
paires  de  foUoles,  telles  que  celles  des  mimosa  nodosa 
elfagifolia. 

BIKUIMIS)  religieuses  du  Japon ,  qui  vivent  d'aumônes 
et  mènent  une  vie  vagabonde ,  à  laquelle  se  mêle  la  prosti  ■ 
tution  la  plus  effrénée.  Elles  sont  soumises  aux  jammabes , 
célèbres  moines  du  pays,  qui  n'admettent  dans  cet  ordre 
que  les  plus  belles  femmes,  et  choisissent  ordinairement  leurs 
épouses  dans  ces  coureuses  privilégiées.  On  les  rencontre 
à  la  porte  des  temples,  dans  les  rues,  sur  les  grandes 
routes ,  mettant  en  œuvre  tout  ce  qu'elles  ont  de  charmes 
pour  émouvoir  la  charité  des  passants.  C'est  la  débauche 
sanctifiée  par  la  superstition. 

BILABIÉ  (de  bis,  deux  fois,  et  labium,  lè\Te).  On 
appelle  ainsi,  en  botanique,  les  organes  ou  rudiments  qui 
ont  deux  parties  principales  disposées  comme  les  lèvres 
des  animaux ,  et  désignées ,  l'une  par  le  nom  de  lèvre  su- 
périeure, l'autre  par  celui  de  lèvre  inférieure  :  les  calices 
et  les  corolles  de  la  sauge,  du  phlomis ,  etc.,  ont  cette  con- 
formation ,  ainsi  que  les  pétales  de  la  nigelle  et  de  l'ellé- 
bore. Voyc-,  Labiées. 

BÏLAMELLÉ ,  c'est-à-dire  composé  de  deux  lames  : 
tels  sont,  en  botanique,  le  stigmate  des  mimules  et  les 
cloisons  dont  sont  pourvues  les  capsules  de  la  digitale. 

BILAN.  Ce  mot,  formé  du  latin  bilanx,  sert  à  désigner 
l'acte  ou  l'inventaire  dans  lequel  le  négociant  relève  chaque 
année,  aux  termes  de  la  loi,  l'état  de  ce  qu'il  doit,  de  ce 
qu'il  possède  et  de  ce  qui  lui  est  dû.  C'est  la  balance  de 


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BILAN  —  BILDERDÎJK 


«m  actif  et  de  son  passif  :  Vactif  se  composant  des  meu- 
bles et  immeubles ,  de  l'argent  en  caisse,  des  marchan- 
dises en  magasin,  des  effets  en  portefeuille  et  des  autres 
créances;  et  le ^assi/ comprenant  les  effets  à  payer  et 
généralement  toutes  les  dettes.  Foj/es  Balance  générale 

DES  LrvTffiS. 

Lorsqu'un  commerçant  se  voit  forcé  par  le  mauvais  état 
de  ses  affaires  de  suspendre  ses  payements,  il  dresse  la 
balance  de  ses  comptes,  et,  suivant  l'expression  consacrée , 
il  dépose  son  bilan. 

La  loi  du  28  mai  1838,  qui  a  modifié  plusieurs  articles 
du  Code  de  Commerce ,  a  maintenu  les  art.  438  et  4-39 , 
suivant  lesquels  la  déclaration  que  le  failli  fait  au  greffe 
du  tribunal  doit  être  accompagnée  du  dépôt  de  son  bilan, 
ou  contenir  l'indication  des  motifs  qui  l'empêchent  de  le  dé- 
poser. Ce  bilan  doit  renfermer  l'énumération  et  l'évalua- 
tion de  tous  les  biens  mobiliers  et  immobiliers  du  débiteur, 
l'état  des  dettes  actives  et  passives ,  le  tableau  des  profits 
et  pertes ,  et  celui  des  dépenses. 

L'accomplissement  de  cette  formalité  établit  en  faveur  du 
failli  une  présomption  en  vertu  de  laquelle  le  tribunal 
peut  l'affranchir  du  dépôt  dans  une  maison  d'an-êt  ou  de  la 
garde  de  sa  personne,  s'il  n'est  pas  déjà,  au  moment  de  la 
déclaration  de  la  faillite,  incarcéré  pour  dettes  ou  pour 
toute  autre  cause.  INIais  quand  le  failli  n'a  pas  pris  cette 
initiative,  il  est,  aussitôt  après  les  mesures  conservatoires 
prises ,  procédé  à  la  confection  du  bilan  par  les  syndics 
provisoires  que  le  tribunal  de  commerce  a  nommés  dans 
son  jugement  déclaratif  de  la  faillite. 

BILAN  D'ENTRÉE  et  BILAN  DE  SORTIE. 
Voyez  Balance  d'enti\ée  et  Balance  de  sortie. 

BILATÉRAL  (de  bis,  deux  fois,  et  latus,  côté), 
qui  a  deux  côtés ,  qui  se  dirige  de  deux  côtés  opposés.  On 
«lit  d'un  acte  qu'il  est  bilatéral  lorsqu'il  contient  des  con- 
ventions réciproques  de  la  part  de  plusieurs  parties  dont 
chacune  s'engage  à  f^ire  quelque  chose,  comme  dans  tout 
contrat  synallagmatique;  par  opposition  à  l'acte  tmi- 
latéral,  dans  lequel  une  seule  partie  souscrit  l'obligation,  où 
ne  figure  point  celui  au  profit  de  qui  elle  est  souscrite. 
Ainsi,  une  reconnaissance  d'un  prêt,  un  simple  billet,  un 
billet  à  ordre,  sont  des  actes  unilatéraux;  un  contrat 
de  bail ,  un  contrat  de  vente,  sont,  au  contraire,  des  actes 
bilatéraux.  Aussi  doit-il  en  être  fait,  à  peine  de  nullité, 
autant  de  copies  qu'il  y  a  de  parties  qui  y  figurent  :  cha- 
cune d'elles  doit  avoir  sa  copie,  portant  la  mention  que  cha- 
cune des  autres  parties  obligées  a  également  la  siemie. 

BILBAO,  ville  d'Espagne,  riche  et  florissante,  chef- 
lieu  delà  province,  autrefois  seigneurie  basque  de  Biscaye, 
est  située  dans  une  belle  plaine,  sur  la  rive  droite  de  l'Ansa, 
qu'on  y  passe  sur  un  pont  de  bois  d'une  seule  arche  et 
d'une  grande  élévation.  Elle  est  à  8  kiloni.  de  l'embouchure 
de  cette  rivière  devant  Portugalete,  à  334  kilomètres  de  Ma- 
drid et  à  65  de  Saint-Sébastien.  L'air  y  est  très-pur.  Fondée 
en  1300,  Bilbao  est  le  siège  du  célèbre  consulado  ou  tri- 
bunal de  commerce  de  Burgos,  qui  y  fut  transféré  au  quin- 
zième siècle.  On  n'y  compte  guère  plus  de  900  maisons. 
Aussi  ses  15,000  habitants  s'y  logent-ils  avec  peine,  quoi- 
(ju'elles  soient  hautes  et  bien  bâties  ;  quelques-unes  sont 
ornées  de  fresques  au  dehors.  Ses  rues  sont  droites  et  bien 
pavées. 

On  remarque  à  Bilbao  la  jolie  promenade  de  l'Arsenal, 
une  belle  place,  un  beau  quai,  l'hôtel  de  ville,  l'hôpital  et 
la  boucherie.  Les  environs  sont  couverts  de  jardins  déli- 
cieux et  de  charmantes  maisons  de  campagne.  Rien  déplus 
agréable  que  la  perspective  dont  on  jouit  en  remontant  la 
rivière.  Ce  sont  à  chaque  instant  de  nouveaux  aspects  de 
plus  en  plus  attrayants,  des  groupes  de  maisons,  des  massifs 
de  verdure;  et  ii  gauche  la  ville,  qui  se  déploie  en  un  ma- 
jestueux amphilhéàlre  et  anime  tout  le  tableau. 

L'industrie  y  est  très-aclivc  ;  elle  consiste  en  fabrication 


de  toiles  à  voiles,  cordages,  ancres,  quincaillerie,  cuirs, 
papier,  tabac  et  poterie.  11  y  a  un  arsenal  de  construction 
d'artillerie  et  des  chantiers  de  construction  pour  la  raaiine 
marchande.  Le  port  est  le  plus  important  du  nord  de  l'Es- 
pagne. C'est  le  principal  entrepôt  du  commerce  des  laines 
de  ce  pays.  On  en  exporte  des  fers ,  des  aciers ,  du  poisson, 
des  fruits,  surtout  des  châtaignes,  des  grains ,  quelquefois 
en  quantité  considérable.  On  y  importe  principalement  des 
tissus  de  coton  et  de  laine  et  des  denrées  coloniales.  Les 
transports  ont  lieu,  en  grande  partie,  au  moyen  de  navires 
étiangers,  anglais,  hollandais,  et  des  villes  anséatiques.  Les 
gros  bâtiments  s'arrêtent  à  Portugalete  ou  à  Olaveaga. 

Bilbao  a  été  prise  et  reprise  dans  les  guerres  de  la  France 
et  de  l'Espagne  en  1795,  1808  et  1809,  et  dans  la  guerre  de 
don  Carlos  en  1837. 

BILBOQUET.  C'est  le  nom  qu'on  donne,  en  archi- 
tecture, à  tout  petit  carré  de  pierre  qui,  ayant  été  scié 
d'un  plus  gros,  reste  dans  le  chantier.  —  On  appelle  aussi 
bilboquets  les  moindres  carreaux  de  pierre  provenus  de  la 
démolition  d'un  bâtiment. 

Le  bilboquet  des  monnayeurs  est  un  morceau  de  fer, 
en  forme  d'ovale  très-allongé,  au  milieu  duquel  est  un 
cercle  en  creux  et  au  centre  un  petit  trou.  Celui  des  per- 
ruquiers est  un  petit  morceau  de  bois  tourne ,  sur  lequel  ils 
roulent  les  cheveux  pour  les  friser. 

En  termes  de  doreur,  le  bilboquet  est  un  petit  morceau  de 
bois  carré  où  est  attaché  un  morceau  d'étoffe  fine  pour 
prendre  l'or  et  le  mettre  dans  les  endroits  les  plus  difficiles, 
conmie  dans  les  filets  carrés,  dans  les  gorges  et  dans  le; 
autres  endroits  creux. 

Les  imprimeurs  appellent  bilboquets  certains  petits  ou- 
vrages de  ville,  tels  que  les  billets  de  mariage,  d'enterre- 
ment, les  adresses,  cartes  de  visite,  avis  au  public,  etc. 

Le  bilboquet  est  aussi  un  jouet  d'enfant  fort  connu, 
creusé  par  un  bout  et  pointu  par  l'autre,  au  milieu  duquel  est 
attachée  une  ganse  ou  ficelle,  terminée  par  une  boule  percée 
d'un  trou,  et  que  l'on  doit  chercher,  en  la  lançant,  à  faiie 
retomber  et  à  fixer  sur  l'un  de  ces  deux  bouts.  Le  Journal  de 
Henri  III  nous  apprend  que  ce  prince  portait  quelquefois 
un  bilboquet  à  la  main.  Cet  exercice  était  en  effet  très- 
commun  de  son  temps,  comme  il  l'était  redevenu  en  1789; 
après  quoi  il  fut  remplacé  par  le  jeu  de  Vémigrant. 

Gui  Patin,  prenant  le  mot  de  bilboquet  dans  une  accep- 
tion figurée,  appelait  des  gens  que  la  fortune  avait  élevés 
subitement,  et  dont  la  position  ne  paraissait  pas  bien  assurée, 
les  bilboquets  de  la  fortune. 

Enfin  on  donne  le  nom  de  bilboquets  à  de  petites  figures 
qui  ont  aux  jambes  des  plombs  dont  le  poids  les  fait  tou- 
jours se  retourner  et  se  trouver  debout,  quelque  autre  posi- 
tion qu'on  essaye  de  leur  faire  prendre. 

BILDERDIJK  (^VlLLl•:M),  célèbre  philologue  et  poète 
hollandais,  né  à  Amsterdam,  le  7  septembre  1756,  développa 
rapidement  ses  rares  facultés  en  dépit  d'une  santé  chance- 
lante. Il  étudia  le  droit  à  Leyde,  et  pratiqua  ensuite  à  La  Haye 
comme  avocat.  Lors  de  l'invasion  de  sa  patrie  par  les  troupes 
françaises ,  il  la  quitta  par  attachement  pour  les  droits  du 
stathouder,  et  se  rendit  d'abord  à  Brunswick ,  puis  à  Lon- 
dres, où  il  fit  des  cours  publics  sur  le  droit,  sur  la  poésie  et 
sur  la  littérature.  En  ISOG  il  revînt  en  Hollande;  ce  fut  de 
lui  que  le  roi  Louis  Bonaparte  voulut  apprendre  la  langue 
de  ses  nouveaux  sujets,  et  il  l'appela  l'un  des  premiers  à  faire 
partie  de  l'Institut  national  de  Hollande.  La  restauration 
lui  fit  perdre  son  traitement.  Le  roi  Guillaume  lui  olfril  ce- 
pendant plus  tard  une  place  d'auditeur  militaire,  qu'il  re- 
fusa. Après  avoir  passé^queUpies  années  à  Leyde,  il  se  relira 
vers  la  fin  de  sa  vie  à  Harlem,  où  il  mourut  le  18  dé- 
cembre 1831. 

Familier  avec  les  langues  et  les  littératures  grecque  et  la- 
tine, et  aussi  avec  la  plupart  des  langues  et  des  littératures 
modcrncsde  rEuro{)e,  liilderdijk  possédait  des  connaissances 


BILDERDIJK  —  BILIN 

non  moins  étendues  en  jurisprudence  et  en  histoire,  en  ar- 
chéologie, en  géographie ,  en  théologie  et  même  en  méde- 
c8ie.  Cette  si  vaste  érudition ,  il  l'avait  acquise  à  peu  près 
tout  seul ,  et"  les  résultats  utiles  ou  nuisibles  que  durent 
avoir  sur  sa  vie  son  caractère  et  ses  ouvrages  ,  les  efforts 
qu'il  lui  fallut  faire  pour  atteindre  le  but  qu'il  s'était  pro- 
posé, apparaissent  visiblement  aussi  bien  dans  ce  qu'on 
voit  chez  lui  de  résolu,  de  tranchant  et  de  persévérant, 
que  dans  sa  rudesse  et  son  opiniâtreté.  Dès  l'année  1776  il 
avait  fondé  sa  réputation  comme  poète  par  un  chant  inti- 
tulé :  De  l'Influence  de  la  Poésie  sur  L'art  de  gouverner 
les  hommes ,  lequel  fut  couronné  par  l'Académie  de  Leyde. 
Il  le  fit  suivre,  en  1777,  d'un  poème  ayant  pour  titre  :  Le 
véritable  Amour  de  la  Patrie.  Une  célébrité  d'autant  plus 
grande  s'attacha  à  son  nom  qu'il  s'efforçait  en  même  temps 
dans  sa  romance  d''Eliiis  et  dans  ses  heureuses  traductions 
des  tragédies  de  Sophocle  :  Koning  Edipus  et  De  dood 
van  Edipus,  de  s'affranchir  de  l'influence,  jusqu'alors  toute- 
puissante,  de  la  littérature  française.  Nous  ne  citerons  pas 
tous  ses  drames  empruntés  à  l'histoire  de  la  Hollande ,  non 
plus  que  ses  nombreuses  traductions  ou  imitations  en  vers 
d'Homère,  Sapho,  Pindare,  Théocrite,  Ovide,  Horace,  Os- 
sian  et  DelQle.  Une  mention  particulière  est  due  cependant 
à  son  poème  sur  l'astronomie  ,  à  ses  Adieux,  à  ses  Fleurs 
d'Hiver,  à  ses  Fleursdes  Tombeaux (Asphodè\es) ,  inspirées 
par  la  mort  de  son  fils  et  de  ses  deux  filles ,  et  surtout  à  ses 
étranges  poèmes  de  la  Destruction  du  premier  monde  et 
des  Maladies  des  Savants.  N'oubUons  pas  qu'il  chercha 
ses  modèles  et  ses  inspirations  bien  moins  dans  les  œuvres 
de  ses  contemporains  étrangers  ou  nationaux,  que  dans 
celles  des  anciens  poètes  de  son  pays,  et  dans  les  meilleurs 
écrivains  de  tous  les  siècles  et  de  toutes  les  littératures.  Une 
imagination  aussi  vive  que  hardie ,  une  grande  richesse  de 
pensées,  des  images  neuves  et  frappantes,  beaucoup  de  cor- 
rection dans  l'expression ,  un  style  harmonieux ,  une  heu- 
reuse coupe  de  vers ,  telles  sont  les  quahtés  qui  distinguent 
ses  productions. 

Si  les  œuvres  de  Bilderdijk  sont  à  bon  droit  populaires 
dans  sa  patrie,  elles  sont  encore  peu  connues  à  l'étranger, 
comme  l'est  en  général  toute  la  littérature  hollandaise.  Bil- 
derdijk ne  s'est  pas  uniquement  occupé  de  poésie  ;  il  a  encore 
beaucoup  fait  pour  la  fixation  de  la  langue  nationale.  Les 
ouvrages  qu'on  a  de  lui  dans  cette  direction  d'idées  ou  sont 
de  nature  grammaticale  ou  ont  pour  but  d'élucider  les  plus 
anciens  monuments  écrits  de  la  langue  hollandaise.  On  a 
en  outre  de  Bilderdijk  divers  ouvrages  relatifs  à  la  science 
(lu  droit,  notamment  Observationes  et  emendationes  Juris, 
un  Traité  de  Géologie  et  une  Théorie  de  l'organisation  vé- 
gétale. Il  s'est  également  occupé  de  l'histoire  de  son  pays, 
qu'il  a  traitée  au  point  de  vue  aristocratique,  dans  son  Ges- 
chiedenis  des  Vaderlands ,  publiée  après  sa  mort  par 
Tijdemann  (  12  volumes,  Leyde,  1832-1839). 

Sa  seconde  femme,  Catherine- Wilhehnine  Schwick- 
HVRDT,  était  née  à  La  Haye,  en  1777,  et  mourut  en  1830.  Son 
éducation  avait  été  des  plus  distinguées,  et  elle  se  livra 
avec  un  égal  succès  à  la  culture  de  la  peinture  et  à  celle  de 
la  poésie.  Parmi  ses  ouvrages,  dont  la  plupart  parurent  im- 
jirimés  avec  ceux  de  son  mari ,  on  regarde  comme  un  chef- 
d'œuvre  son  Roderigo  de  Goth ,  traduction  du  Roderick  de 
Southey.  On  estime  aussi  ses  tragédies  Elfrede  et  Jphi- 
génie;  cette  dernière  est  imitée  de  Racine. 

BILE.  Ce  liquide,  provenant  de  la  sécrétion  du  foie, 
est  répandu  en  partie  dans  les  intestins,  pour  favoriser  la 
digestion,  et  en  partie  dans  une  poche  située  derrière  le 
foie,  et  que  l'on  nomme  la  vésicule  biliaire. 

La  bile  existe  chez  tous  les  animaux  vertébrés ,  et  y  rem- 
plit sans  doute  les  mêmes  fonctions.  Son  analyse  a  fait  re- 
connaître qu'elle  était  composée  d'eau,  d'albumine,  d'une 
résine  jaune  qui  lui  est  propre,  de  sonde,  d'hydrochlorale 
de  soude,  de  phosphate  de  cliaux  et  de  soude,  plus  une 


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substance  particulière ,  à  laquelle  M.  Thénard  a  donné  le 
nom  depicromel;  cependant  cette  dernière  substance,  qui 
existe  constamment  dans  la  bile  de  bœuf,  n'est  pas  toujours 
rencontrée,  dit  M.  Chevieul,  dans  la  bile  de  l'homme.  Cette 
dernière  est  verte,  d'im  brun  jaunâtre,  rougeàtre  ou  inco- 
lore; elle  n'est  pas  très-amère,  peu  limpide.  Chauffée,  elle 
répand  l'odeur  du  blanc  d'œuf. 

La  bile  est  un  des  liquides  les  plus  irritants  de  l'éco- 
nomie ;  épanchée  dans  le  pé  ritoinc,  à  la  suite  de  plaies  d  u  foie 
ou  de  la  vésicule  biliaire,  elle  donne  lieu  à  des  périto- 
nites qui  sont  presque  constamment  mortelles.  Dans  cer- 
taines maladies  on  a  vu  la  bile  changer  d'état,  devenir  ou 
noire,  très-épaisse  {voyez  Atrabile),  ou  d'une  fluidité  et 
d'une  décoloration  très-marquées.  On  l'a  même  vue  dans 
quelques  cas  contracter  des  propriétés  délétères. 

On  a  regardé  la  bile  comme  la  cause  d'un  grand  nombre 
de  maladies  ;  cette  opinion  était  surtout  fort  en  crédit  du 
temps  des  médecins  humoristes  :  ainsi  on  admettait  uue 
foule  d'affections  bilieuses,  des  fièvres,  des  pleurésies,  des 
péripneumonies,  etc.,  que  l'on  attribuait  à  la  bile.  Quoi  qu'il 
en  soit  de  l'action  qu'exerce  ce  liquide,  les  maladies  qui  ont 
plus  particulièrement  reçu  le  nom  de  bilieuses  offrent  des 
symptômes  à  peu  près  constants,  savoir  :  amertume  et  em- 
pâtement de  la  bouche ,  ordinairement  accompagnés  d'un 
enduit  plus  ou  moins  jaune  sur  la  langue  ;  soif,  perte  d'ap- 
pétit, nausées,  et  souvent  vomissements  et  déjections  bi- 
lieuses jaunes  ou  vertes.  En  même  temps  le  malade  éprouve 
une  chaleur  acre ,  un  brisement  général ,  de  la  douleur  au 
creux  de  l'estomac  et  souvent  de  la  fièvre;  la  peau  est  plus 
ou  moins  colorée  en  jaune;  l'urine ,  foncée  en  couleur,  paraît 
également  chargée  de  bile.  Ces  phénomènes  peuvent  se  ren- 
contrer séparés  ou  réunis  à  des  degrés  différents,  depuis  le 
simple  embarras  gastrique,  affection  passagère  et  sans 
danger,  jusqu'à  la  fièvre  jaune,  qui  est  presque  toujours 
mortelle. 

Quand  ces  maladies  sont  portées  à  un  certain  degré,  la  bile 
est  expulsée  en  plus  ou  moins  grande  quantité,  et  longtemps 
on  a  provoqué  artificiellement  cette  expulsion  à  l'aide  des 
vomitifs.  Mais  l'abus  de  cette  médication  a  occasionné  de 
nombreux  accidents ,  et  les  praticiens  les  plus  sages  ont  re- 
connu que  dans  le  plus  grand  nombre  des  cas  simples  il 
suffit  de  soustraire  les  malades  à  l'action  des  causes  déter- 
minantes pour  que  la  sécrétion  biliaire  reprenne  son  cours 
habituel ,  et  que  dans  les  circonstances  graves  le  traite- 
ment qui  convient  aux  inllammations  aiguës  est  le  plus  ef- 
ficace. Les  boissons  rafraîchissantes  et  acidulés,  que  les 
malades  recherchent  par  une  sorte  d'instinct  salutaire ,  con- 
tribuent beaucoup  à  la  guérison,  ainsi  que  l'abstinence 
complète,  au  moins  pendant  les  premiers  jours. 

On  se  sert  de  la  .bile  du  bœuf  dans  l.es  arts  pour  dé- 
graisser les  étoffes  de  laine.  Cette  substance  doit  cette  pro- 
priété de  dissoudre  les  matières  grasses  à  la  soude  libre,  et 
au  composé  ternaire  de  soude ,  de  picromel  et  de  résine 
qu'elle  contient. 

BILEAM.  Voyez  Balaam. 

BILED-UL-GÉRID.  Voyez  Belud-el-Djérid. 

BILIAIRES  (  Calculs  ).  Voyez  Calculs. 

BILIAIRES  (Voies).  On  donne  ce  nom  à  l'ensemble 
des  organes  qui  servent  à  sécréter,  à  conserver  et  à  excréter 
la  bile.  Ces  organes  sont  le  foie ,  les  pores  biliaires  ou  les 
radicules  des  conduits  hépatiques ,  la  vésicule  biliaire ,  son 
conduit  cystique  et  le  canal  cholédoque.  Voyez  Foie. 

BILIEUX  (Tempérament).  Voyez  Tejipéi!ament. 

BILIi\,  petite  ville  de  Bohême,  située  dans  le  majorât 
de  la  famille  de  Lobkowitz,  sur  les  rives  de  la  Bila,  dans 
le  cercle  de  Leitmeritz,  et  célèbre  par  ses  eaux  minérales.  Sa 
population  est  de  3,200  habitants  ;  on  y  remarque  un  vieux 
château ,  une  usine  servant  à  l'extraction  de  la  magnésie 
en  dissolution  dans  l'eau  acide  de  Seiijsclmts  et  de  Seidlitz , 
ainsi  qu'une  grande  fabrique  do  bouteilles  de  grès.  La  ville 


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BILIN  —  BILL 


est  entourée  déroches  basaltiques,  entre  lesquelles  on  dis- 
tingue la  pierre  de  Bilin ,  immense  rocher  de  forme  ronde, 
du  haut  duquel  on  jouit  de  la  plus  belle  vue  sur  la  vallée 
de  la  Bohème. 

On  compte  à  Bilin  quatre  sources  différentes ,  dont  celle 
dite  de  Joseph  est  la  plus  renommée.  L'eau  en  est  d'une 
grande  pureté ,  d'un  gofit  rafraîchissant  et  légèrement  aci- 
dulé, à  la  tempi'îrature  moyenne  de  12  à  15  degrés  Réau- 
mur,  et  pétille  vivement,  surtout  lorsqu'on  y  môle  du  vin  et 
du  sucre.  Sous  le  rapport  de  la  composition ,  les  eaux  pro- 
venant des  quatre  sources  diffèrent  peu  entre  elles.  L'eau 
de  Bilin  appartient  à  la  classe  des  eaux  alcalines,  et  con- 
tient plus  d'acide  carbonique  que  les  autres  eaux  minérales 
de  l'Allemagne.  On  ne  l'emploie  qu'en  boisson ,  et  elle  agit 
de  la  manière  la  plus  énergique  sur  le  système  des  glandes 
et  sur  lès  vaisseaux  absorbants.  Elle  provoque  surtout  l'ac- 
tivité de  la  membrane  pituitaire ,  et  est  par  conséquent  sou- 
veraine dans  les  affections  des  organes  génitaux ,  dans  les 
douleurs  des  glandes  et  du  système  lymphatique.  L'eau  de 
BiHn  se  consomme  bien  plus  au  loin  qu'à  la  source  même  ; 
on  en  expédie  dans  tous  les  établissements  thermaux  de  la 
Bohême,  notamment  àTœplitz,  où  on  la  piend  concurrem- 
ment avec  l'eau  locale.  Les  baigneurs  de  Tœplitz  font  de 
fréquentes  excursions  à  Bilin.  On  évalue  de  80  à  100,000  le 
nombre  des  bouteilles  d'eau  de  Bilin  qu'on  envoie  mainte- 
nant année  commune  à  l'étranger,  tandis  qu'en  177i)  cet 
envoi  n'atteignait  pas  le  chiffre  de  3,000.  L'analyse  des 
eaux  de  Bilin  a  été  fiiite  par  Reuts,  Strave,  Steinmann ,  etc. 
Consultez  Reuts,  les  Eaxix  Minérales  de  Bilin  (2°  édit., 
Vienne,  1827). 

Il  y  a  aussi  en  Hongrie  un  établissement  thermal  du 
môme  nom. 

BILINGUE  (du  latin  bilinguis,  en  deux  langues), 
terme  employé  récemment  par  les  archéologues  pour  dési- 
gner les  inscriptions  et  monuments  anciens  où  les  mêmes 
idées  sont  exprimées  en  deux  langues. 

BILL,  mot  qu'on  fait  dériver  de  lihellus,  et  par  lequel  on 
désigne  dans  le  parlement  d'Angleterre  ce  qu'en  France  on 
appelle  un  projet  de  loi.  Dans  le  langage  juridique  anglais, 
tout  engagement  écrit  est  un  MU  :  ainsi ,  on  dit  a  bill  of 
exchange ,  une  lettre  de  change  ;  a  Mil  of  sale ,  un  contrat 
de  vente ,  etc.  Lorsque  le  grand  jury  pense  qu'une  accusa- 
tion criminelle  est  rccevable  aux  assises ,  il  écrit  au  revers 
de  l'acte  :  a  true  bill,  un  vrai  bill  (quand  la  langue  latine 
était  seule  en  usage  dans  les  tribunaux,  les  termes  consacrés 
étaient  vera  billa),  sans  préjuger  d'ailleurs  en  rien  de  la 
réalité  des  faits  qui  servent  de  base  à  l'accusation ,  et  uni- 
quement en  réponse  à  la  question  qui  lui  est  adressée  : 
«  Résulte-t-il  des  faits  rapportés  quelque  charge  contre  l'ac- 
cusé? »  Quand,  au  contraire,  le  jury  ne  trouve  pas  les 
faits  suffisamment  prouvés,  il  écrit  :  IS'ot  a  true  bill 
ou  not  foiinded  (mal  fondé). 

En  matière  civile,  on  entend  par  bill  un  acte  introduisant 
l'instance  et  par  lequel  l'intimé  est  prévenu  de  la  plainte 
et  des  conclusions  auxquelles  elle  donne  lieu.  Il  provient  du 
tiibunal  compétent,  et  doit  toujours  reproduire  les  formules 
adoptées  pour  chaque  espèce  de  plainte. 

Dans  le  langage  parlementaire,  un  bill  est  une  proposition 
que  son  adoption  doit  transformer  en  loi. 

Lesbills  d'intérêt  particulier  {private  b'ills),  c'est-à-dire 
contenant  des  dispositions  ayant  pour  objet  de  favoriser  des 
individus  isoles  ou  des  corporations  (comme  demandes  de 
lettres  de  naturalisation,  d'autorisations  à  l'effet  de  cons- 
truire des  ponts  et  d'y  percevoir  des  droits  de  péage ,  de 
percer  des  routes,  creuser  des  canaux,  etc.,  etc.),  ne  peu- 
vent être  introduits  qu'après  une  pétition  adressée  à  cet  effet 
par  les  intéressés.  11  faut  que  cette  pétition  soit  présentée 
par  un  des  membres  de  la  chambre.  Celle-ci ,  s'il  est  né- 
cessaire, renvoie  la  pétition  à  l'examen  d'un  comité,  lequel 
décide  alors  si  elle  doit  être  transformée  en  bill  ou  bien 


écartée.  Les  projets  de  loi  sur  les  affaires  publiques  (public 
bills)  doivent,  au  contraire ,  toujours  être  précédés  par  une 
motion,  c'est-à-dire  par  la  demande  de  présenter  un  bill 
faite  verbalement  par  l'un  des  membres  de  la  cliambre.  Si 
cette  permission  est  accordée ,  la  proposition  est  présen- 
tée plus  tard  par  écrit. 

Dans  la  copie  de  cette  proposition  écrite ,  on  laisse  un 
grand  nombre  d'espaces  en  blanc  [blancks)  pour  y  insérer 
les  fixations  que  le  parlement  seul  a  droit  d'arrêter,  conr.no 
les  époques ,  les  sommes  et  les  quantités.  Le  bill  est  ensuite 
lu  à  la  chambre ,  à  trois  reprises  successives.  Lors  de  la 
première  lecture,  il  ne  s'agit  que  du  rejet  pur  et  simple 
du  bill.  Il  est  discuté  après  la  seconde  lecture,  soit  par  une 
commission,  soit  par  la  chambre  elle-même ,  qui  se  trans- 
forme en  comité  si  l'affaire  a  quelque  importance.  Dans  ces 
occasions,  l'orateur  [the  speaker,  le  président  de  l'assem- 
blée) quitte  son  fauteuil,  discute  et  vote;  et  la  chambre 
choisit  un  autre  membre  pour  la  présider  momentanément, 
et  qu'on  appelle  tout  simplement  alors  chairman.  On  remplit 
les  blancs,  on  fait  au  bill  des  additions  ou  des  amendements, 
et  souvent  on  en  bouleverse  toute  l'économie.  Cette  tâche 
terminée ,  Voratcur  remonte  au  fauteuil ,  et  son  remplaçant 
provisoire  met  aux  voix  le  bill  tel  qu'il  vient  d'être  arrêté.  Si 
la  majorité  l'adopte,  on  le  transcrit  en  gros  caractères  sur 
du  parchemin,  et  on  procède  à  la  troisième  lecture.  S'il  est 
à  ce  moment  fait  une  nouvelle  addition ,  on  la  consigne  sur 
une  feuille  de  parchemin  séparée,  appelée  rider.  En  cet 
état,  le  bill  est  envoyé  à  l'autre  chambre,  où  on  observe 
encore  la  même  série  de  formalités ,  à  l'exception  toutefois 
de  la  transcription  sur  parchemin.  Si  le  bill  ne  passe  pas  à 
cette  seconde  épreuve ,  il  n'en  est  plus  question.  Si  on  y  fait 
de  nouvelles  additions  ou  de  nouveaux  amendements, 
on  les  communique  à  l'autre  chambre;  et  au  besoin  il 
s'établit,  pour  leur  adoption,  des  conférences  entre 
des  délégués  de  l'une  et  de  l'autre  assemblée.  Si  les  deux 
chambres  ne  peuvent  tomber  d'accord,  la  chose  est  re- 
gardée comme  non  avenue  :  the  bill  is  dropped,  dit-oi) 
alors. 

La  sanction  royale  se  donne  ou  par  le  roi  en  personne,  ou 
par  écrit  avec  l'apposition  du  grand  sceau  de  l'État,  ainsi 
que  l'usage  s'en  établit  pour  la  première  fois  sous  le  règne 
de  Henri  VIII,  à  l'occasion  du  bill  de  condamnation  à 
mort  rendu  contre  la  reine  Catherine  Howard.  Si  la  sanc- 
tion a  heu  par  le  roi  ou  la  reine  en  personne,  ils  se  rendent 
à  la  chambre  haute ,  à  la  barre  de  laquelle  ils  mandent  la 
chambre  des  communes.  Un  secrétaire  donne  lecture  des 
titres  des  différents  bills,  puis  des  réponses  du  roi,  qui  se 
sert  toujours  des  vieilles  formules  en  langue  franco-nor- 
mande, usitées  depuis  r('poque  de  la  conquête.  Pour  un  bill 
relatif  aux  affaires  publiques,  la  formule  de  sanction  est  : 
Le  roi  le  veut  ;  pour  les  bills  relatifs  à  des  intérêts  particu- 
liers :  Soit  fait  comme  il  est  désiré;  pour  les  bills  qui  ac- 
cordent au  gouvernement  des  taxes ,  impôts  ou  emprunts 
(money -bills)  :  Le  loi  remercie  ses  loyaux  sujets,  accepte 
leur  bénévolence,  et  aussi  le  veut.  La  formule  polie  du 
refus  de  sanction  est  :  Le  roi  s'avisera.  En  affaires  de 
grâce,  comme  actes  d'amnistie,  lettres  de  grâce,  etc.,  etc., 
le  parlement  répond  par  l'organe  de  son  secrétaire  :  Les 
Prélats,  Seigneurs  et  Gommons ,  en  ce  présent  parlia- 
ment  assemblés,  au  nom  de  tous  Vos  autres  subjets,  re- 
mercient  très-humblement  Votre  Majesté  et  prient  à  Dieu, 
Vous  donner  en  santé  bonne  vie  et  longue.  La  reine  Eli- 
sabeth usa  fréquemment  du  droit  de  refus  de  sanction  ;  il 
lui  arriva  dans  une  seule  session  de  la  refuser  à  quarante-huit 
bills.  Les  princes  de  la  maison  de  Hanovre,  au  contraire, 
n'y  ont  jamais  eu  recours.  Le  dernier  exemple  qu'en  offre 
l'histoire  date  de  1692,  sous  le  règne  de  Guillaume  III.  C'est 
en  maniant  habilement  les  majorités  parlementaires  et  en 
les  faisant  servir  à  ses  vues  que  le  gouvernement  préfère 
.'uijonrd'hui  arriver  au  but  qu'il  s'est  {U'oposé. 


i 


BILLARD 


209 


BILLARD.  Ce  jeu,  qui  est  foit  aucien,  lire  piobable- 
meiit  son  origine  (îe  celui  de  boule.  En  effet,  il  n'est  pas 
absurde  de  supposer  que  le  tapis  vert  est  une  inoitation  du 
gazon.  Le  billard,  aujourd'hui  fort  en  vogue,  se  compose, 
<  omme  on  sait ,  d'une  table  ayant  en  largeur  la  moitié  de  sa 
longueur,  laquelle  est  en  moyenne  de  S^jOO.  Le  dessus  d'une 
Inble  de  billard  doit  présenter  constamment  un  plan  hori- 
zontal, quelles  que  soient  les  variations  de  température,  de 
sécheresse  ou  d'iiumidité  de  l'atmosphère.  Pour  leur  donner 
autant  que  possible  cette  qualité,  les  constructeurs  les  font 
en  bois  vieux  ciioisi  avec  soin,  débité  en  petits  morceaux, 
qu'ils  assemblent  de  fiiçon  que  leurs  fds  se  croisent.  La  table 
présente  donc  un  large  feuillet  de  parquet  divisé  en  plu- 
sieurs compartiments.  Quoique  cet  assemblage  soit  fort  in- 
génieux ,  et  que  les  bois  aient  beaucoup  d'épaisseur  rela- 
tivement à  leur  longueur  et  à  leur  largeur,  néanmoins  la  table 
travaille  sans  cesse,  tellement  que  si  l'on  tient  à  ce  qu'elle 
soit  à  peu  près  régulière ,  on  est  obligé  de  la  redresser  pres- 
que tous  les  mois  au  moyen  d'une  longue  varlope  et  du 
niveau.  Cette  opération  nécessite  quelques  frais  (  à  Paris , 
environ  150  francs  par  an).  Pour  obvier  aux  inconvénients 
des  tables  en  bois,  on  en  fait  en  marbre,  en  ardoise  et 
même  en  fonte  de  fer. 

Les  billards  ont  reçu  dans  ces  derniers  temps  quelques 
légers  perfectionnements.  Aujourd'hui,  on  peut  soi-même 
enlever  et  replacer  le  tapis  en  très-peu  de  temps.  Ou  a  fa- 
briqué des  billards  qui  jouent  un  air  quand  la  bille  tombe 
dans  la  blouse.  On  fait  aussi  des  billards  circulaires. 

Ce  serait  ici  le  lieu  de  parler  de  la  théorie  des  mouve- 
ments des  billes,  de  la  manière  de  les  frapper  pour  leur  faire 
d<5crire  tel  ou  tel  angle,  leur  faire  produire  tel  ou  tel  effet, 
faire  tel  ou  tel  carambolage.  Mais  ces  questions  sont  d'une 
grande  complication,  et  demandent  l'emploi  de  formules  de 
l'analyse  supérieure.  Nous  ne  pouvons  que  renvoyer  les  lec- 
teurs qui  voudraient  étudier  cette  matière  à  l'ouvrage  de 
Coriolis,  Théorie  mathématique  des  effets  du  jeu  de  bil- 
lard; Paris,  1835. 

La  France,  qui  à  aujourd'hui  le  privilège  presque  exclusif 
de  la  fabrication  des  billards,  en  exporte  en  Suisse,  en  Bel- 
gique, en  Amérique  et  en  Angleterre.  On  compte  à  Paris 
une  trentaine  d'ateliers  d'où  sortent  annuellement  six  à  sept 
cents  billards.  Viennent  ensuite  les  fabriques  de  Lyon ,  de 
Bordeaux ,  de  Cacn  et  de  Rouen ,  bien  moins  importantes. 
Les  prix  des  billards  varient,  depuis  7  ou  800  francs  jusqu'à 
2,500  et  3,000  francs.  Les  queues ei  les  billes, qm  peuvent 
être  regardées  comme  des  dépendances  nécessaires  du  bil- 
lard, sont  l'objet  d'industries  spéciales.         Teyssèdre. 

Avant  la  révolution ,  la  faculté  de  tenir  billard  était  un 
privilège  accordé  aux  seuls  billardiers-paulmiers.  Ils 
avaient  leurs  statuts  et  règlements,  confirmés  par  lettres-pa- 
tentes ;  ils  n'étaient  pas  cent  vingt  dans  l'origine ,  mais  en 
1789  on  en  comptait  deux  cents  dans  Paris.  Leurs  premiers 
statuts  dataient  de  1610.  En  1812  un  recensement  général 
des  billards  publics  donna  pour  résultat  cinq  cent  cinquante 
dans  Paris ,  deux  cent  deux  dans  les  environs.  On  sait  à 
quel  point  ce  nombre  s'est  accru  ;  aussi  presque  tout  le  monde 
aujourd'hui  connaît  ce  noble  jeu  d'adresse ,  au  moins  pour 
l'avoir  vu  pratiquer.  Nous  pouvons  donc,  sans  entrer  dans 
des  détails  fastidieux  ,  nous  borner  à  donner  les  règles  prin- 
cipales des  différentes  sortes  de  parties  qui  se  jouent  main- 
tenant. 

Partie  au  même.  Cette  partie,  que  le  doublet  a  presque 
complètement  détrônée,  se  joue  ordinairement  à  deux  per- 
sonnes, avec  deux  billes  blanches  et  une  rouge.  Après  avoir 
tiré  à  qui  commencera ,  on  pose  la  rouge  sur  la  mouche 
d'en  haut,  puis  celui  qui  doit  jouer  le  premier  place  sa  bille 
dans  le  demi-cercle  tracé  au-dessous  de  la  mouche  du  quar- 
tier (bas  du  billard),  et  vise  la  rouge  en  cherchant  à  la 
faire  (faire  tomber)  dans  l'une  quelconque  des  blouses.  S'il 
atteint  ce  résultat ,  on  replace  la  rouge  sur  sa  mouche  ;  le 

DICT.    DE   LA   CONVEUS.    —  T.    Hl. 


joueur  qui  a  fait  ce  premier  :oup  recommence  du  point  oîi 
se  trouve  sa  bille,  et  ainsi  de  suite  jusqu'à  ce  qu'il  ne  réus- 
sisse pas.  Le  second  joueur  commence  alors  de  la  même 
manière  que  le  j)remier  ;  seulement  il  peut  chercher  soit  à 
faire  la  rouge,  soit  à  faire  la  bille  de  son  adversaire,  soit 
enfin  à  caramboler.  Quand  il  cesse  de  faire  des  points,  le 
premier  reprend ,  et  ils  continuent  de  même  jusqu'à  ce  que 
1  lin  d'eux  ait  atteint  le  nombre  de  points  fixé  à  l'avance,  et 
qui  le  plus  souvent  est  de  vingt-quatre. 

Celui  qui  fait  une  bille  com[>te  trois  points  si  c'est  la 
rouge ,  deux  points  si  c'est  la  blanche.  Un  carambolage  vaut 
deux  points.  On  peut  donc ,  en  faisant  les  deux  billes  et  en 
carambolant  du  même  coup,  marquer  sept  points.  Suivant 
que  l'un  des  joueurs  manque  de  touche,  se  perd  (sa  bille 
tombant  dans  une  blouse)  en  touchant  la  blanche,  ou 
se  perd  en  touchant  la  rouge,  l'autre  marque  un,  deux  ou 
trois  points.  Un  joueur  faisant  des  points  et  se  perdant  en 
même  temps,  les  points  faits  comptent  à  son  adversaire. 

Quand  on  joue  la  partie  à  trois  ou  à  quatre ,  les  règles  pré- 
cédentes ne  reçoivent  que  les  modifications  qu'exige  l'aug- 
mentation du  nombre  des  joueurs. 

Partie  du  doublet  ou  doublé.  Les  règles  de  cette  partie 
sont  les  mêmes  que  celles  de  la  partie  au  même,  avec  cette 
différence  que,  pour  qu'une  bille  faite  soit  comptée,  il  faut 
qu'avant  d'entrer  dans  la  blouse  elle  aille  frapper  au  moins 
une  des  bandes  du  billard. 

Parjie  russe.  Cette  partie,  qui  trouve  encore  un  assez 
grand  nombre  d'amateurs ,  se  joue  avec  cinq  billes ,  dont 
deux  blanches,  une  rouge,  une  jaune  et  une  bleue  ;  ces  trois 
dernières  se  placent  respectivement  sur  les  mouches  du  haut, 
du  milieu  et  du  quartier.  Le  premier  joueur  donne  son  ac- 
quit, c'est-à-dire  qu'il  pousse  sa  bille  vers  la  bande  d'en 
haut  en  cherchant  à  la  placer  le  plus  près  possible  de  la 
pénitence;  il  ne  faut  pas,  de  ce  coup,  que  sa  bille  touche 
aux  autres,  sans  quoi  il  perd  autant  de  points  qu'il  y  a  de 
billes  touchées.  Le  second  joue  sur  la  bille  blanche  d'abord  ; 
s'il  en  touche  d'autres  avant  elle,  il  perd  autant  de  points 
qu'il  a  touché  de  billes  de  couleur. 

Les  billes  blanches  peuvent  se  faire  dans  toutes  les  blouses, 
et  elles  comptent  deux  points  ;  la  rouge  ne  peut  se  faire 
qu'aux  quatre  coins,  et  elle  compte  trois  points;  la  bleue  ne 
peut  se  faire  également  qu'aux  quatre  coins ,  et  elle  compte 
quatre  points  ;  la  jaune  ne  peut  se  faire  qu'aux  blouses  du 
milieu,  et  elle  compte  six  points;  le  carambolage  compte 
deux  points.  Mais  toute  bille  faite  dans  l'une  des  blouses  qui 
lui  sont  interdites  fait  perdre  au  joueur  autant  de  points 
qu'il  en  eût  gagné  en  la  faisant  à  une  des  blouses  qui  lui 
sont  assignées.  Enfin,  les  pertes  se  comptent  comme  dans  les 
parties  précédentes. 

Partie  du  carambolage.  On  joue  ordinairement  cette 
partie  sur  un  billard  sans  blouses;  car,  ainsi  que  son  nom 
l'indique,  on  n'y  marque  que  les  carambolages.  Ses  règles 
sont  plus  simples  que  celles  des  autres  parties  ;  mais  la  dif- 
ficulté du  jeu  est  beaucoup  plus  grande.  Aussi  est-ce  la  partie 
par  excellence  pour  les  véritables  joueurs.  On  n'y  tient 
compte  ni  des  pertes  ni  des  manques  de  touche. 

Poule.  Cette  partie  se  joue  entre  un  nombre  illimité  de 
joueurs.  On  convient  de  mourir  (  se  retirer  du  jeu  )  en  un 
certain  nombre  de  points  appelés  marques;  puis  chacun 
donne  sa  mise  au  marqueur.  Ce  dernier,  après  avoir  mis 
dans  un  panier  en  forme  de  bouteille  autant  de  petites  bou- 
les portant  un  numéro  qu'il  y  a  de  joueurs,  agite  ce  panier, 
tire  les  boules  au  hasard,  et  une  à  une,  et  les  distribue  en 
commençant  par  sa  droite  aux  joueurs  rangés  autour  du 
billard.  Cela  terminé,  le  joueur  qui  a  eu  le  numéro  1  donne 
son  acquit  {voyez  plus  haut);  le  numéro  2  joue  sur  le 
numéro  1  ;  le  numéro  3  joue  sur  le  numéro  2  avec  la  bille 
du  numéro  1  (car  il  n'y  a  que  deux  billes  sur  le  tapis),  et 
ainsi  de  suite.  Chaque  fois  qu'une  bille  est  faite,  celui  qui 
a  joué  le  coup  précédent  est  marqué;  celui  qui  manque  de 

27 


2tO 

tfniche  est  également  marqué.  Sitôt  qu'un  joueur  a  atteint  le 
nombre  de  marques  fixé,  il  est ?nor^,  il  se  retire.  Celui  qui 
reste  le  dernier  empoche  l'ensemble  des  mises  diminué  des 
frais  du  billard. 

Outre  les  règles  particulières  que  nous  venons  d'énoncer, 
toutes  les  parties  sont  soumises  à  des  règles  générales  dont 
voici  les  principales  :  Le  joueur  qui  est  en  main  doit  pour 
jouer  se  tenir  dans  le  billard ,  c'est-à-dire  que  ni  ses  pieds  ni 
son  corps  ne  doivent  dépasser  les  grandes  bandes.  —  En 
jouant ,  il  faut  toujours  avoir  au  moins  un  pied  sur  le  par- 
quet. —  Bille  touchée,  bille  jouée.  —  On  ne  doit  jamais 
arrêter  une  bille  qui  roule  sur  le  tapis ,  etc....  Toute  infraction 
à  ces  règles  générales  est  ordinairement  préjudiciable  au 
joueur  qui  s'en  rend  coupable:  ainsi,  celui  qui  billardc, 
c'est-à-dire  qui  chasse  deux  billes  d'un  même  coup,  perd 
un  point;  il  en  est  de  même  de  celui  qui  touche  à  une  bille 
arrêtée,  etc....  Si  le  cas  est  douteux,  s'il  y  a  contestation 
entre  les  joueurs,  un  tribunal  est  là  qui  prononce  sans 
appel...  Ce  tribunal,  dont  les  arrêts  sont  toujours  respectés, 
c'est  la  galerie. 

BILLARD  DU  MONCEAU,  trésorier  général  des 
postes,  doit  moins  sa  triste  célébrité  au  hasard,  qui  le  fit 
parrain  de  madame  Dubarr  y,  qu'à  ses  relations  avec  le  fa- 
meux abbé  Grisel,  et  à  la  sentence  qui  le  condamna  comme 
banqueroutier  frauduleux.  L'abbé  Grisel ,  sous-pénitencier 
du  chapitre  de  Paris  et  confesseur  de  l'archevêque,  cachait, 
sous  l'apparence  d'une  grande  sévérité  de  mœurs  et  d'une 
fastueuse  dévotion ,  une  insatiable  cupidité.  Il  était  à  la 
piste  de  tous  les  vieillards  riches  et  dévots,  et  directeur  ti- 
tulaire de  toutes  les  douairières  opulentes  ;  il  recevait  des 
dépôts  qu'il  ne  rendait  jamais  s'ils  étaient  considérables; 
il  se  ménageait  une  place  dans  tous  les  testaments  de  ses 
pénitents  et  pénitentes,  non  sous  son  nom,  mais  sous  celui 
de  son  digne  ami  Billard.  Ainsi ,  les  legs  n'étaient  que  des 
fidéicommis ,  et  chaque  fois  l'officieux  Billard  se  parju- 
rait en  justice.  Le  partage  venait  ensuite,  à  quelques  ex- 
ceptions près  ;  car  si  le  legs  était  d'une  quotité  trop  sédui- 
sante ,  le  prête-nom  éprouvait  des  scrupules,  et  gardait  tout. 
L'autorité  fut  informée;  une  pareille  spéculation  devait 
faire  naître  les  plaintes  des  héritiers  légitimes.  L'association 
fut  rompue,  et  l'abbé  Grisel  emprisonné.  Soit  que  cette 
découverte  eût  fixé  l'attention  des  fermiers  généraux  sur  la 
gestion  du  caissier  général  des  postes,  soit  toute  autre  cause. 
Billard  du  Monceau  fut  arrêté  bientôt  après  l'abbé  Grisel. 
Ses  registres  furent  examinés,  et  il  résulta  de  l'examen  de 
ses  livres  et  de  sa  caisse  la  preuve  d'une  soustraction  de 
plusieurs  millions. 

Billard  du  Monceau  ne  témoigna  ni  surprise  ni  crainte; 
sa  réputation  de  piété  était  bien  établie ,  et  la  protection 
de  sa  filleule ,  favorite  déclarée ,  ne  pouvait  lui  manquer.  Il 
entendait  chaque  jour  une  ou  plusieurs  messes  à  sa  paroisse, 
et  communiait  tous  les  deux  jours.  Rien  de  plus  curieux 
que  le  mémoire  justificatif  qu'il  rédigea  lui-même ,  et  que 
tout  Paris  voulut  lire.  C'est  lui  seul  qui  parle;  il  n'invoque 
point  de  texte  de  loi ,  il  n'élève  aucune  question  d'irrégula- 
rité de  procédure  ou  d'incompétence  ;  il  ne  met  en  avant 
aucun  avis  de  jurisconsulte;  il  convient  tout  bonnement 
des  soustractions  qui  lui  sont  reprochées.  Ses  aveux  se  con- 
fondent avec  des  citations  des  saintes  Écritures  et  des  déci- 
sions de  casuisles;iltraceun  tableau  peu  édifiant  des  mœurs 
des  fermiers  généraux  ,  ses  chefs  ;  il  déplore  l'emploi  qu'ils 
font  de  leurs  énormes  bénéfices ,  dont  ils  prodiguent  la 
plus  grande  partie  à  des  prostituées  et  à  leurs  passions 
pour  les  pompes  et  les  vanités  du  monde.  11  en  conclut  que 
s'il  leur  a  soustrait  des  sommas  considérables ,  c'est  pour 
le  bien  des  pauvres ,  pour  consacrer  à  des  œuvres  pies  une 
partie  de  l'or  que  ces  grands  pécheurs  auraient  employé 
en  œuvres  du  démon.  C'était  sur  de  pareils  arguments 
qu'il  fondait  la  preuve  de  son  innocence.  11  n'avait ,  disait- 
il  ,  cru  devoir  prendre  aucune  précaution  pour  cacher  ses 


BILLARD  —  BlLLARDIÈllE 


soustractions,  le  plus  léger  examen  de  ses  écritures  suffi* 
sait  pour  s'en  convaincre  ;  et  si  MM.  les  fermiers  généraux 
ne  les  avaient  pas  découvertes  plus  tôt ,  c'était  sans  doute 
parce  que  la  Providence  les  avait  frappés  d'imprévoyance 
et  d'aveuglement.  Ces  erreurs  si  claires  se  renouvelaient 
chaque  jour  depuis  plusieurs  années.  Il  en  inférait  «  qu'il 
pouvait  à  bon  droit  se  regarder  comme  étant  sous  la  gard« 
de  Dieu  ». 

Le  prince  de  Conti  avait  fait  le  pari  que  Billard  ne  se- 
rait point  pendu,  ni  même  condamné  aune  peine  quel- 
conque. Il  le  perdit.  Le  vol  était  si  énorme,  si  évident;  le 
procès  avait  eu  une  si  grande  publicité ,  que  madame  Du- 
barry  ne  put  sauver  Billard  ;  le  chancelier  lui-même,  qui  lui 
était  tout  dévoué  ,  n'osa  pas  soustraire  le  coupable  ni  ar- 
rêter le  cours  de  la  justice.  Billard  fut  condamné  au  pilori 
et  au  bannissement.  «  Le  fameux  banqueroutier  Billard  , 
écrivait  madame  du  Deffant,  a  été  au  pilori  à  la  Grève, 
une  seule  (ois,  pendant  deux  heures,  avec  un  écriteau  : 
Banqueroutier  frauduleux ,  commis  infidèle.  Il  était  en 
bas  de  soie,  en  habit  noir,  bien  frisé,  bien  poudré.  Quand 
le  bourreau  vint  le  chercher  à  la  Conciergerie,  il  voulut 
l'embrasser,  l'appela  son  frère ,  le  remercia  de  ce  qu'il  lui 
ouvrait  la  porte  du  ciel,  bénit  Dieu  de  son  humiliation,  et 
récita  des  psaumes  tant  qu'il  resta  au  carcan.  Il  fut  con- 
duit après  hors  de  Paris  ;  et  comme  sa  sentence  porte  le 
bannissement ,  on  ne  doute  pas  qu'il  n'aille  à  Rome  auprès 
du  général  des  jésuites  ;  et  comme  sa  banqueroute  est  de 
cinq  millions,  il  aura  eu  la  précaution  de  faire  passer  des 
fonds  dans  les  pays  étrangers.  Il  aurait  été  juste  de  le  con- 
damner aux  galères.  » 

Les  prévisions  de  madame  du  Deffant  se  réalisèrent.  Une 
berline  bien  attelée  attendait  Billard  du  Monceau  à  la  bar- 
rière; il  fit  la  route  de  Rome.  Il  était  jésuite  de  robe 
courte;  il  soutint  son  rôle  jusqu'à  la  fin.  Il  avait  été  arrêté 
et  mené  à  la  Bastille  le  17  décembre  1769;  il  y  resta  jus- 
qu'au 18  février  1772,  époque  où  il  fut  transféré  à  la  Con- 
ciergerie ,  pour  de  là  être  conduit  au  pilori.  L'abbé  Grisel 
avait  été  plus  heureux  :  il  en  fut  quitte  pour  quelques  mois 
de  séjour  à  la  Bastille.  Dcfey  (  de  l'Yonne). 

BILLARDIÈRE,  genre  de  plantes  de  la  famille  des 
liittosporacées,  institué  par  Smith,  en  l'honneur  de  La  Bil- 
lard i  è  r  e ,  auteur  du  Aovie  Hollandix  Plantarum  Spéci- 
men. 

Introduite  en  France  il  y  a  vingt-cinq  à  trente  ans,  dans 
nos  collections  de  plantes  de  serre  tempérée,  la  billardière 
sarmenteuse  (billardiera  scandens)  y  fut  accueillie  avec  ena- 
pressement,  ainsi  qu'un  grand  nombre  de  végétaux  de  la 
Nouvelle-Hollande,  parce  que  ces  plantes  sont  la  plupart 
remarquables  par  leurs  formes,  la  beauté  de  leurs  fleurs, 
la  singularité  de  leur  feuillage,  et,  pour  parler  d'une  ma- 
nière générale,  par  leur  ensemble,  qui  a  peu  d'analogie  avec 
nos  végétaux  de  France  et  môme  de  l'Europe  entière.  La 
billardière  sarmenteuse  est  ligneuse,  grimpante,  et  acquiert 
60  à  95  centimètresde  hauteur;  ses  rameaux  sont  grêles,  ses 
feuilles  dentées,  velues  et  ovales,  et  ses  fleurs,  tirant  sur  le 
jaune,  sont  remarquables  par  leurs  longs  pétales,  qui,  quoi- 
que divisés  profondément,  donnent  par  leur  rapprochement 
une  disposition  tubuleuse  à  cette  fleur,  de  forme,  de  cou- 
leur et  d'un  aspect  réellement  peu  communs.  Ses  fruits 
inclinés  et  tombants,  sont  charnus  et  de  forme  oblongue. 

On  voit  encore  dans  les  collections  de  plantes  de  choix 
pour  la  serre  tempérée  la  billardière  variable  (billardiera 
mutabilis  ),  également  originaire  de  l'Océanie,  moins  forte 
dans  toutes  ses  parties  que  la  précédente,  et  néanmoins  fort 
recherchée  par  les  amateurs. 

Les  billardières,  étant  originaires  de  l'une  des  parties 
froides  de  la  Nouvelle-Hollande  (  le  cap  Van-Diemen  ), 
pourront  sans  doute,  ainsi  que  les  autres  plantes  qui  ont 
été  rapportées  de  ce  point  de  l'Océanie,  être  cultivées  un 
jour  en  pleine  terre  en  France. 


BILLARDIERE  —  BILLAUD-VARENNES 


Les  biHardières  se  multiplient  par  bouturas  et  par  leurs 
(iraines  ;  on  les  tient  en  pot  comme  l'oranger  :  la  terre  qui 
leur  convient  le  plus  est  celle  de  bruyère,  ou  toute  autre 
terre  douce  et  légère.  C.  Tollard  aîné. 

BILLAUD-VAREIVNES  (Jean-Nicolas),  né  à  La 
Rochelle,  en  1760 ,  et  fils  d'un  avocat  de  cette  ville,  fut  des- 
tiné de  bonne  heure  à  l'état  ecclésiastique;  il  fit  partie  de 
la  congrégation  de  l'Oratoire,  et  devint  professeur  au  collège 
de  Juilly;  mais,  son  goût  pour  le  théâtre  lui  ayant  fait 
perdre  sa  place,  il  vintà  Paris  à  l'âge  de  vingt-cinq  ans,  et  fut 
reçu  avocat  au  parlement  de  cette  ville.  Il  épousa  quel- 
que temps  après  une  fille  naturelle  de  M.  de  Verdun  ,  fer- 
mier général.  Il  avait  fait  une  étude  approfondie  de  notre 
histoire  et  de  notre  droit  public  ;  et  avant  l'ouverture  des 
états  généraux  il  avait  manifesté  hautement  son  ardent 
amour  pour  la  liberté  et  son  horreur  pour  tous  les  genres  de 
tyrannie. 

Son  premier  ouvrage  ne  fut  point,  comme  on  l'a  dit  et 
ré|)été  dans  toutes  les  biographies,  un  pamphlet  éphémère, 
une  diatribe  fugitive  passionnée ,  mais  un  grand  tableau 
historique  des  révolutions  dont  la  France  avait  été  le  tiiéà- 
tre  depuis  l'origine  de  la  monarchie.  Cet  ouvrage,  en  3  vol. 
in-8°,  est  intitulé  :  Despotisme  du  Ministère  de  France, 
ou  Exposition  des  principes  et  moyens  employés  par  l'a- 
ristocratie pour  mettre  la  France  dans  les  fers  (Ams- 
terdam, 1789).  Son  nom  n'est  indiqué  que  par  les  initiales 
B.  V.  Mais  Billaud-Varennes  a  depuis  déchiré  le  voile  de 
l'anonyme,  dont  il  avait  cru  devoir  s'envelopper  en  1789. 
Cet  ouvrage,  écrit  sous  l'influence  d'une  conviction  profonde 
et  de  la  plus  vive  irritation ,  se  faisait  remarquer  par  l'éner- 
gie du  stjle  et  par  une  rare  érudition.  L'auteur  ne  raconte 
point,  il  ne  discute  point,  il  accuse;  mais  ses  attaques  ne 
portent  que  sur  les  ministres  qui  avaient  abusé  de  l'auto- 
rité que  les  rois  leur  avaient  confiée. 

Voilà  dans  quelles  dispositions  la  révolution  trouva  Bil- 
laud-Varennes. Il  soutint  d'abord  les  mêmes  doctrines; 
il  montra  la  môme  indépendance  d'opinion  et  de  caractère 
à  la  tribune  de  la  société  des  Amis  de  la  Constitution ,  si 
connue  depuis  sous  le  nom  de  Société  des  Jacobins,  où 
il  fut  admis  dès  l'origine.  Il  prit  une  part  très-active  à  l'in- 
surrection du  10  aoftt.  On  lui  a  même  reproché  de  s'être 
associé  aux  auteurs  des  massacres  des  2  etSseptembre. 

Dans  les  derniers  jours  de  l'orageuse  session  de  l'Assem- 
blée législative ,  il  fut  envoyé  en  mission  dans  les  départe- 
ments ;  il  ne  dépendit  pas  de  lui  que  les  habitants  et  la  muni- 
cipalité de  Cbaions  ne  devinssent  l'objet  de  mesures  sévères 
et  terribles  de  la  part  de  l'Assemblée  et  de  la  municipalité 
de  Paris.  Il  fut  à  cette  époque  élu  substitut  du  procu- 
reur de  la  commune.  Billaud-Varennes  dut  son  élection  à 
la  part  qu'il  avait  prise  à  l'insurrection  du  10  août.  Il  était 
membre  du  club  qui  siégeait  alors  à  l'ancien  hôtel  Soubise , 
occupé  maintenant  par  l'Imprimerie  impériale.  Ce  club  eut 
une  très-grande  influence  sur  les  élections  des  députés  à  la 
Convention.  Les  Girondins  étaient  en  majorité  au  club  des 
Jacobins,  qui  avait  alors  une  couleur  républicaine  moins 
prononcée  que  le  club  des  Cordeliers.  Il  était  facile  de 
prévoir  les  conséquences  de  l'ascendant  de  la  commune  de 
Pnris  sur  l'Assemblée  nationale  et  sur  les  départements.  La 
nouvelle  municipalité  de  Paris  s'arrogea  une  véritable  et 
toute-puissante  dictature.  Les  Fédéralistes  ou  Girondins  et 
les  Montagnards  se  dessinèrent  dès  les  premières  séances 
de  la  Convention.  Billaud,  député  de  Paris,  et  membre  de 
cette  municipalité ,  appelée  Commune  du  10  août,  apparte- 
nait par  sa  position ,  ses  relations  et  ses  doctrines  poli- 
tiques, au  parti  des  Montagnards.  Une  nouvelle  carrière 
s'ouvrait  devant  lui,  il  s'y  jeta  corps  et  âme;  c'était  riionune 
des  partis  extrêmes. 

En  1789  il  s'était  prononcé  avec  la  plus  véhémente  éner- 
gie contre  l'arbitraire  ministériel;  déi>uté  à  la  Convention, 
il  se  constitua  laccusaleur  des  rois  et  de  la   royauté.  Mais 


211 

dans  cette  seconde  période  de  sa  vie  politique,  comme  dans 
la  première,  il  ne  parlait  et  n'agissait  que  par  conviction  ;  il 
ne  voyait  de  moyen  possible  pour  consolider  la  liberté  que 
dans  la  destruction  de  tout  ce  qui  pouvait  lui  faire  obstacle. 
Il  n'était  arrêté  dans  ses  actions  par  aucune  considération, 
même  d'intérêt  personnel. 

Dans  le  procès  de  Louis  XVI  il  proposa,  le  13  décembre 
1792,  d'ajouter  à  l'acte  d'accusation  présenté  par  Barrère 
l'article  suivant  :  «  La  nation  t'accuse  d'avoir  fait  prêter 
aux  Suisses ,  dans  la  matinée  du  10  août ,  le  serment  de 
soutenir  ta  puissance.  La  nation  t'accuse  d'avoir  établi  au 
château  des  Tuileries  un  bureau  central,  composé  de  plu- 
sieurs juges  de  paix,  où  se  fomentaient  tes  desseins  crimi- 
nels. La  nation  t'accuse  d'avoir  donné  ordre  à  Mandat, 
commandant  de  la  garde  nationale,  de  tirer  sur  le  peuple 
par  derrière,  quand  il  serait  entré  dans  les  cours  du  châ- 
teau. Enfin,  la  nation  te  reproche  l'arrestation  du  maire  de 
Paris  dans  l'intérieur  du  château ,  pendant  la  luiit  du  9 
août.  » 

La  Convention  ayant,  malgré  son  opposition,  décidé  que 
toutes  les  pièces  dont  Louis  XVI  pourrait  avoir  besoin  pour 
sa  défense  lui  seraient  remises ,  et  qu'il  lui  serait  permis 
de  choisir  ses  défenseurs ,  Billaud-Varennes  s'indigna  de 
ces  formes  dilatoires,  s'emporta  contre  ceux  qui  en  avaient 
appuyé  la  proposition,  et  qu'il  qualifiait  di'amis  du  tyran  , 
et  termina  son  impétueuse  harangue  en  proposant  de  bri- 
ser la  statue  de  Brutus ,  placée  dans  la  salle  des  séances. 
•  Cet  illustre  Romain ,  s'écriait-il,  n'a  pas  balancé  à  détruire 
un  tyran,  et  la  Convention  ajourne  la  justice  du  peuple 
contre  un  roi  !  «  Il  s'o|iposa  avec  la  même  véhémence  à 
l'appel  au  peuple,  et  demanda  si  dans  le  cas  où  ce  ridicule 
appel  serait  prononcé,  les  Français  des  Grandes -Indes,  de 
l'Amérique  et  des  îles  seraient  aussi  convoqués  pour  pronon- 
cer sur  cet  appel,  comme  faisant  partie  du  gouvernement 
français.  Il  vota  en  ces  termes  :  «  La  mort  dans  les  vingt- 
quatre  heures.  » 

La  Convention  hésitait  à  livrer  à  la  publicité  les  pièces 
relatives  à  la  trahison  de  Dumouriez  ;  Billaud  s'écria  qu'il 
ne  fallait  rien  cacher  au  peuple  :  «  C'est  à  la  nouvelle  de 
la  prise  de  Verdun  qu'il  s'est  levé  et  qw'il  a  sauvé  la  pa- 
trie. >  Le  décret  qui  instituait  le  tribunal  révolutionnaire 
était  à  peine  adopté  que  Billaud-Varennes  n'hésita  pas  à  té- 
moigner ses  craintes  sur  le  pouvoir  exorbitant  et  vraiment 
arbitraire  conféré  à  cette  redoutable  juridiction.  Il  pensa 
que  les  accusés  auraient  une  puissante  garantie  dans  les 
j\irés  s'ils  étaient  choisis  par  tous  les  départements  de  la 
république ,  et  souvent  renouvelés.  Sa  proposition  fut  re- 
jetée; les  jurés  furent  choisis  dans  le  déparlement  de  la 
Seine  et  les  quatre  départements  les  plus  voisins  de  la  capi- 
tale, et  la  Convention  s'en  attribua  la  nomination.  La  lii^e 
fut  arrêtée  les  13  et  15  mars  1793.  Ces  jurés  devaient  rester 
en  fonctions  jusqu'au  1"  mai  seulement.  A  cette  épocjuc 
la  Convention  devait  procéder  à  leur  remplacement  en  clioi- 
.sissant  leurs  successeurs  dans  tous  les  départements.  Des 
décrets  ultérieurs  étendirent  les  attributions  de  ce  tribunal. 
Le  jour  même  où  Billaud-Varennes  proposait  im  jury  dé- 
partemental, il  dénonçait  à  la  Convention  Clavière,  niinistie 
des  finances,  et  le  fameux  Fonrnier  l'Américain.  Il  signaU 
celui-ci  comme  le  provocateur  et  le  chef  de  toutes  le« 
émeutes  populaires,  et  l'autre  comme  son  complice.  Il  était 
impossible  de  réunir  dans  une  même  accusation  deux 
hommes  plus  opposés  de  caractère  et  d'opinion,  et  entre 
lesquels  il  ne  pouvait  y  avoir  aucun  rapport. 

Billaud-Varennes,  envoyé  en  mission  dans  le  département 
d'Ille-et- Vilaine,  ne  se  fit  point  illusion  sur  le  caractère,  les 
forces  et  l'intensité  de  cette  déplorable  guerre  de  la  Ven- 
dée, sur  l'insuflisance  des  moyens  adoptés  pour  en  arrêter 
les  progrès;  il  se  haia  de  transmettre  à  la  Convention  le  ré- 
sultat de  ses  observations,  et  réclama  avec  instance  l'envoi 
de  nouvelles  forces.  Sa  réclamation  n'obtint  aiic\m  succès^ 

27. 


212 


BILLAUD-VARENNES 


et,  coirvaincu  de  l'impoissance  des  moyens  mis  à  sa  dispo- 
sition pour  remplir  sa  mission,  il  revint  s'asseoir  à  l'Assem- 
blée, pour  lui  rendre,  disait-il,  son  énergie  républicaine. 

Le  17  mai  le  conseil  exécutif  déposa  sur  le  bureau  de  la 
Convention  un  travail  sur  l'organisation  des  états-majors. 
Billaiid  adressa  les  plus  vifs  reproches  au  conseil  sur  la  pré- 
sentation de  plusieurs  officiers  généraux  ;  il  déclara  ne  vou- 
loir prendre  aucune  part  à  une  délibération  qui  aurait  pour 
objet  la  nomination  des  généraux  Custine  et  Houcbard  au 
commandement  en  cbef  des  armées  du  Nord  et  du  Rhin. 
Le  27  du  même  mois  il  soutint  avec  la  même  acrimonie 
son  opposition  :  il  accusa  formellement  le  général  Custine 
d'avoir  fait  battre  30,000  Français  par  6,000  ennemis. 

La  journée  du  31  mai  1793  occupe  une  grande  place  dans 
les  fastes  de  la  Convention  nationale.  Les  deux  partis  qui 
la  divisaient  ont  cessé  de  s'observer;  le  combat  s'engage, 
et  c'est  un  combat  à  outrance  :  d'un  côté,  les  Girondins, 
sans  autre  appui  que  leurs  talents  et  leur  courage  ;  de  l'autre, 
la  Montagne  avec  ses  doctrines  radicales,  son  audace,  et 
l'immense  pouvoir  de  la  Commune  de  Paris  et  des  sec- 
tions armées.  Lanjuinaisse  prononça  contre  la  Commune 
et  ses  partisans,  contre  ce  qu'on  appelait  déjà  la  révolution 
du  31  mai,  à  l'instant  où  elle  ne  faisait  qu'éprouver  ses 
forces.  Biliaud  répondit  à  Lanjuinais  par  une  accusation  ; 
il  lui  reprocha  d'avoir  favorisé  le  parti  de  la  contre-révo- 
lution à  Rennes ,  et  d'avoir  protégé  ouvertement  les  roya- 
listes de  cette  ville.  Il  proposa  le  lendemain  l'accusation 
des  députés  de  la  Gironde  et  de  leurs  partisans,  et  le  renvoi 
de  sa  motion  au  comité  de  salut  public  pour  faire,  séance 
tenante ,  le  rapport  d'une  pétition  des  autorilcs  révolu- 
tionnaires de  l'aris,  qui  proposaient  diverses  mesures  de 
salut  public.  La  pétition  se  terminait  en  ces  termes  :  «  Ci- 
toyens ,  le  peuple  est  las  d'ajourner  sans  cesse  l'instant  de 
son  bonheur;  il  le  laisse  encore  un  moment  entre  vos 
mains  -.  sauvez-le,  ou  nous  ^ous  déclarons  qu'il  va  se  sau- 
ver lui-même.  » 

Biliaud-Varennes  avait  considéré  le  gouvernement  révo- 
lutionnaire «  comme  moyen  nécessaire  pour  comprimer 
tous  les  partis  opposés  au  système  démocratique  ».  Il  com- 
battait avec  la  même  violence  tous  ceux  qui ,  par  la  mo- 
dération ou  l'exagération  de  leurs  opinions  politiques  ,  pou- 
vaient compromettre  le  succès  de  la  révolution  du  10  août. 
Il  s'éleva  avec  le  sentiment  de  la  plus  vive  indignation  contre 
les  doctrines  anarcbiques  de  Jacques  Roux,  à  l'occasion 
d'une  adresse  contre  les  riches.  11  renouvela  le  15  juillet 
ses  attaques  contre  les  Girondins ,  et  lit  décider  leur  mise 
en  jugement.  Le  lendemain  il  lit  comprendre  dans  la  même 
accusation  Polverel  et  Santonax ,  par  le  seul  motif  qu'ils 
étaient  partisans  de  Brissot.  Quinze  jours  apiès  il  jiarlil 
en  mission  pour  les  départements  du  Nord  et  du  Pas-de- 
Calais.  La  guerre  civile  ensanglantait  les  départements  de 
l'Ouest;  de  nombreuses  armées  ennemies  menaçaient  ceux 
du  Nord.  Biliaud  se  hâta  de  revenir  à  Paris,  et,  après  avoir 
exposé  le  tableau  des  dangers  qui  menaçaient  l'indépen- 
dance nationale,  il  proposa  de  faire  marcher  vers  le  nord 
toutes  les  troupes  de  l'intérieur,  et  de  mettre  en  réquisition 
tous  les  Français  depuis  l'âge  de  vingt  ans  jusqu'à  celui 
de  trente.  Le  23  décembre  quel((ues  sections  de  Paris  de- 
mandèrent la  formation  d'une  armée  révolutionnaire;  il 
appuya  leur  pétition,  et  lit  révoquer  le  décret  qui  défendait 
les  visites  domiciliaires  pendant  la  nuit.  Un  décret  d'accu- 
sation fut  rendu  le  même  jour  contre  les  ministres  Clavière 
et  Lebrun.  «  11  faut,  disait-il,  que  le  tribunal  révolution- 
naire les  juge,  toute  afiairc  cessante ,  et  qu'ils  périssent 
avant  huit  jours.  Lorsque  leurs  têtes  seront  tombées ,  ainsi 
que  celle  de  Marie-Antoinette,  dites  aux  puissances  coali- 
sées contre  vous  qu'im  seul  fd  retient  le  fer  suspendu  sur 
la  tète  du  fds  du  tyran,  et  que  si  elles  font  un  pas  de  plus, 
il  sera  la  première  victime  du  peuple.  « 

Il  fut  le  même  jour  nommé  président  de  la  Convention. 


Le  comité  de  salut  public  se  vit  presque  entièrement  renou- 
velé le  23  frimaire  de  Tan  II.  Biliaud  fut  élu,  et  ne  cessa  d'en 
faire  partie  qu'un  mois  après  le  9  thermidor.  Alors  qu'il  y  sié- 
geait encore,  il  fut  accusé.  Avant  cette  époque  il  avait  été 
obligé  de  défendre  ce  même  comité  contre  les  attaques  dont 
il  était  l'objet,  et  qu'il  attribuait  aux  ennemis  de  la  répu- 
blique. 

C'était  Biliaud-Varennes  qui  avait  proposé  l'établissement 
d'un  tribunal  criminel  extraordinaire.  Il  demanda  que  ce 
tribunal  prît  le  nom  de  révolutionnaire.  Nous  avons  dit 
plus  haut  les  modilications  qu'il  proposa  ensuite  de  faire  à 
cette  institution.  Le  gouvernement  conventionnel  de  la  ré' 
publique  ne  devait  être  d'abord  que  provisoire;  il  fut  dé- 
claré permanent  jusqu'à  la  paix  générale.  Biliaud-Varennes 
s'opposa  à  ce  que  le  comité  de  salut  public  prit  le  nom 
û&  comité  de  rjouvernement.  «  C'est  la  Convention,  disait- 
il,  qui  seule  doit  gouverner.  »  Il  fit  décréter  en  nivôse  an  n 
que  tout  général  ou  fournisseur  condamné  serait  exécuté  à 
la  tête  des  armées.  Le  2  pluviôse,  anniversaire  de  la  mort  de 
Louis  XVI,  il  fit  décréter  que  la  Convention  assisterait  en 
corps  à  la  fête  de  l'abolition  de  la  royauté.  Il  s'était  séparé 
de  Danton  dès  qu'il  l'avait  soupçonné  de  vouloir  substituer 
un  nouveau  patriciat  à  l'ancienne  noblesse.  Le  système 
d'Hébert  ne  lui  parut  pas  moins  dangereux,  et  il  se  rendit 
l'accusateur  de  ce  parti.  Nul  ne  proposa  plus  d'accusations. 

Vilalte,  dans  ses  Révélations  sur  les  causes  secrètes  du 
9  thermidor,  peint  Biliaud-Varennes  «  bilieux,  inquiet  et 
faux  ,  pétri  d'hypocrisie  monacale  ,  se  laissant  pénétrer  par 
ses  efforts  mêmes  à  se  rendre  impénétrable,  ayant  toute 
la  lenteur  du  crime  qui  médite  et  l'énergie  concentrée  pour 
le  commettre....  Son  ambition,  ajoute-t-il ,  ne  peut  souffrir 
de  rivaux  :  il  est  morne,  silencieux;  ses  regards  sont  vacil- 
lants et  convulsifs,  il  marche  comme  à  la  dérobée;  sa  figure, 
au  teint  pâle,  froide,  sinistre,  montre  les  symptômes  d'un 
esprit  aliéné.  »  Ce  portrait  est-il  aussi  fidèle  que  hideux? 
L'histoire  «prononcé.  Biliaud-Varennes  disait  de  la  tragédie 
de  Timoléon  :  «  Elle  ne  vaut  rien,  elle  n'aura  pas  l'honneur 
do  la  rejirésentation.  Qu'entend  Chénier  par  ce  vers  contre- 
révolutionnaire  : 

N'esl-on  jamais  tyran  qu'avec  un  diadème?  » 

En  littérature  comme  en  politique,  Biliaud-Varennes  avait 
toujours  une  opinion  tranchée.  H  croyait  sans  doute  que 
l'auteur  faisait  allusion  à  Robespierre,  et  alors  Robespierre 
était  pour  Biliaud-Varennes  la  personnification  de  toutes  les 
vertus  politiques.  Biliaud-Varennes,  en  provoquant  des 
mesures  teriibles,  ne  s'est-il  pas  peint  lui-même  dans  ces 
phrases  :  «  Le  sommeil  est  passé  ;  le  lion  n'est  pas  mort  parce 
qu'il  doit;  le  moment  où  il  s'éveille  est  cehii  où  il  étrangle 
et  déchiie  ses  victimes  !  »  Quel  sens  attachait-il  au  mot  ace- 
phalocratie,  qu'il  avait  écrit  et  placé  en  tête  d'un  ouvrage  sur 
la  félicité  publique,  et  qu'il  publia  en  1791?  Les  utopies  de 
Biliaud-Varennes  ne  se  jirésentaicnt  point  sous  une  forme 
sédui^ante  ;  sa  philanthropie  était  effrayante. 

Robespierre ,   qui   jusqu'à  l'époque   de  la  fête  de  l'Être 
suprême  avait  suivi  avec  la  plus  grande  exactitude  les 
séances  de  la  Convention  et  des  Jacobins,  ne  s'y  montrait 
plus  que  rarement;  il  cessa  tout  à  fait  d'y  paraître.  Ce  chan- 
gement de  conduite  fixa  l'attention   de  ses  collègues  du  m 
comité  de  salut  public.  Leur  confiance  fut  ébranlée.  Enfin,  il  " 
rompit  le  silence  le  8  thermidor.  Cette  brusque  réappari- 
tion après  une  longue  absence,  ce  manifeste  menaçant  a|)rès 
un  silence  d'un  mois,  ne  permettaient  plus  d'incertitude  sur 
les  nouveaux  projets  de  Robespierre,  de  Saint-Just  et  de 
Couthon.  De  nouvelles  [jrosciiptions  menaçaient  les  autrrs 
membres  du  comité  et  la  Convention  elle-même.  Mais  dès 
le  22  lloréal  précèdent  Biliaud-Varennes   avait  rompu  av<cj 
Robespierre;  il  lui  reprochait  vivement  d'avoir  propo.sé  à 
la  Convention,  au  nom  du  couuté,  un  projet  de  décret  sur 3 
lequel  il  n'avait  pas  mêiue  été  consulté.  Robespierre  s'étaitT 


BÎLLAUD-VARENNES 


2t? 


excus<5  sur  ce  que  jusque  alors  tout  s'était  fuit  de  confiance, 
et  qu'il  avait  cru  pouvoir  agir  seul  avec  Couthon.  Bil- 
laud-Varenncs,  après  lui  avoir  rappelé  que  jamais  aucune 
mesure  en  matière  grave  n'avait  été  proposée  à  l'Assemblée 
qu'après  avoir  été  soumise  aux  délibérations  du  comité  et 
approuvée  par  la  majorité  de  ses  membres,  ajoutait  :  ><  Le 
jour  où  un  membre  du  comité  se  permettra  de  présenter 
seul  un  décret  à  la  Convention ,  il  n'y  aura  plus  de  liberté, 
il  n'y  aura  plus  l'opinion  de  plusieurs,  comme  dans  les 
pays  libres,  mais  la  volonté  d'un  seul,  pour  proposer  la  lé- 
gislation. »  La  discussion  continua,  et  Robespierre,  ne  se 
sentant  plus  soutenu  par  la  majorité  du  comité,  entra  dans 
une  véritable  fureur.  Cette  séance  devait  être  le  signal  d'une 
crise  prochaine. 

Une  dernière  scène,  plus  vive ,  plus  passionnée,  plus  dé- 
cisive, se  passa  au  comité  de  salut  public  dans  la  nuit  du  8 
au  9  thermidor.  Le  8  Robespierre  avait  prononcé  à  la  Con- 
vention le  discours  de  rentrée,  qui  annonçait  de  nouvelles 
proscriptions  ;  il  l'avait  répété  le  soir  à  la  séance  des  Jaco- 
bins. Saint-Just  était  resté  au  comité  jusqu'à  minuit  et  demi  ; 
il  avait  beaucoup  parlé  d'un  rapport  qu'il  devait  faire  le  len- 
demain ;  il  avait  promis  à  ses  collègues  de  le  leur  communi- 
quer avant  la  séance,  et  il  était  sorti  apiès  avoir  échangé  des 
paroles  vives  avec  Carnot  et  les  autres  membres  qui  restè- 
rent en  permanence.  Ils  délibéraient  et  travaillaient  encore  le 
matin,  lorsque  Coullion  entra,  et  un  instant  après  un  huis- 
sier lui  remit  un  billet  de  Saint-Just  ainsi  conçu  :  «  L'in- 
justice a  fermé  mon  cœur;  je  vais  l'ouvrir  tout  entier  à  la 
Convention.  »  On  veut  garder  ce  billet,  Couthon  le  déchire, 
et  sort.  Rulh  se  lève  :  «  Allons  ,  dit-il  à  ses  collègues,  allons 
démasquer  ces  scélérats ,  ou  présenter  nos  tètes  à  la  Con- 
vention. »  Saint-Just  n'avait  encore  prononcé  que  les  pre- 
mières phrases  de  son  discours  ;  il  est  interrompu  par  Bil- 
laud-Varennes ,  il  ne  peut  continuer.  On  a  cru  ce  discours 
perdu  :  Saint-Just  avait  laissé  le  manuscrit  à  la  tribune;  il 
a  été  publié  dans  un  recueil  de  réjioque.  Saint-Just  y  accu- 
sait tous  ses  collègues  du  comité  cl  beaucoup  d'autres  mem- 
bres de  la  Convention.  Voici  le  passage  relalif  à  liiliaud , 
qu'il  f)laçait  sur  la  même  ligue  que  Collot-d'Herbois  :  «  Collot 
et  liiliaud  prennent  peu  de  part  depuis  quelque  temps  aux 
délibérations  ;  ils  paraissent  livrés  à  des  intérêts  et  des  vues 
plus  particulières.  Billaud  assiste  à  toutes  les  séances  sans 
parler,  à  moins  que  ce  ne  soit  dans  le  sens  de  ses  passions, 
ou  contre  Paris,  contre  le  tribunal  révolutionnaire,  contre 
les  hommes  dont  il  paraît  souhaiter  la  perte.  Je  me  plains 
de  ce  que  lorsqu'on  délibère  il  iérnie  les  yeux  et  feint  de 
dormir,  comme  si  son  attention  se  concentrait  sur  d'autres 
objets.  A  sa  conduite  taciturne  a  succédé  l'inquiétude  de- 
puis quelques  jours.  »  Il  rappelle  ensuite  que  lorsque  les 
premiers  bruits  de  dictature  commencèrent  à  circuler,  Bil- 
îaud  avait  dit  à  Robespierre  :  «  Nous  sommes  tes  amis , 
nous  avons  toujours  marché  ensemble  »  ,  et  que  la  veille  il 
l'avait  traité  de  Pisistrate  ;  il  concluait  de  ces  contradic- 
tions que  Billaud-Varennes  conspirait  pour  un  nouvel  ordre 
de  choses,  et  cherchait  à  faire  perdre  aux  plus  ardents  dé- 
fenseurs de  la  république  leur  popularité.  C'était,  selon 
Saint-Just,  un  système  de  diffamation  imaginé  pour  con- 
centrer dans  les  mains  de  deux  ou  trois  hommes  tous  les 
pouvoirs  du  comité.  «  Car,  ajoutait-il ,  en  même  temps  que 
Billaud-Varennes  et  Collot-d'Herbois  ont  conduit  le  plan,  ils 
ont  manifesté  depuis  quelque  temps  leur  haine  contre  les 
Jacobins;  ils  ont  cessé  de  les  fréquenter.  « 

Billaud-Varennes  fut  un  des  premiers  qui  accusèrent  Ro- 
bespierre dans  la  séance  du  9  thermidor.  Six  jours  après 
il  donna  sa  démission  de  membre  du  comité  de  salut  public, 
«t  le  IG  fructidor  il  fut,  ainsi  que  Collot-d'Herbois,  Bar- 
rère,  Yadier,  Amar,  Vouland  et  David ,  dénoncé  à  la  Con- 
vention nationale  par  le  comité  de  Versailles,  comme  com- 
,pli(;e  de  Robespierre.  Un  déciet déclara  que  sa  conduite 
avait  été  conforme  au  vœu  national.  Une  autre  accusation 


fut  peu  de  temps  après  portée  contre  lui  à  la  tribune  de  l«t 
Convention  par  L'tgendre;  elle  fut  écartée  par  un  ordre 
du  jour.  Billaud-Varennes  ne  tarda  pas  à  se  convaincre  que 
le  parti  de  la  contre-révolution  s'était  emparé  des  résul- 
tats de  la  journée  du  9  thermidor  pour  l'exploiter  à  sou 
profit.  La  réaction  en  était  venue  au  point  de  ne  plus  dis- 
simuler ses  projets.  Billaud-Varennes  n'avait  point  cessé  de 
se  rendre  aux  séances  des  Jacobins.  Son  silence  depuis  le  9 
thermidor  avait  été  remarqué  ;  il  le  rompit  enfin  le  14  bru- 
maire an  III  (4  novembre  1794).  Il  retraça  sous  les  plus 
sombres  couleurs  le  tableau  des  progrès  de  la  contre-révolu- 
tion. «  Le  lion  que  l'on  croit  mort,  dit-il,  n'est  qu'endormi  ; 
il  est  temps  qu'il  se  réveille ,  qu'il  se  précipite  sur  ses  enne- 
mis, qu'il  les  déchire;  le  temps  est  venu  d'écraser  les  en- 
nemis de  la  république.  »  Son  discours  produisit  la  plus 
vive  sensation.  Le  lendemain  il  fut  accusé  à  la  tribune 
d'avoir  provoqué  une  insurrection  contre  la  Convention  na- 
tionale. Il  ne  rétracta  pas  ses  paroles  de  la  veille.  Bentabole 
le  somma  de  s'expliquer  sur  cette  expression ,  le  réveil 
du  lion.  Billaud  éluda  la  question  en  se  jetant  dans  les  gé- 
néralités. Il  lutta  encore  quelque  temps  contre  ses  infati- 
gables adversaires  ,  et  succomba  enfin.  Il  fut  condamné  à  la 
déportation,  ainsi  que  Collot-d' Herbois,  Barrère  et 
Vadier,  sur  le  rapport  de  Saladin ,  au  nom  de  la  commission 
des  vingt-et-un,  le  12  germinal  an  III  (  1"  avril  1795).  U 
fut  arrêté  le  lendemain,  et  conduit  avec  Barrère  et  Collot- 
d'Herbois  au  château  de  Ham,  et  ensuite  à  l'île  d'Oléron. 
Vadier  s'était  soustrait  par  la  fuite  au  décret.  L'ordre  d'em- 
barquer les  autres  pour  Cayenne  fut  expédié.  Barrère 
était  malade,  il  ne  partit  point.  Le  navire  qui  transportait 
Billaud-Varennes  et  Collot-d'Herbois  était  à  peine  en  pleine 
mer,  qu'un  autre  décret  rendu  dans  l'orageuse  séance 
du  !"■  prairial,  et  qui  rappelait  les  déportés,  pamnt  ii  Olé- 
ron.  11  était  trop  tard.  Les  deux  bannis  arrivèrent  à  leur 
destination.  Le  nouveau  décret  ne  les  aurait  pas  rendus  im- 
médiatement à  la  liberté  ;  ils  devaient,  ainsi  que  Barrère,  être 
traduits  devant  le  tribunal  de  la  Charente-Inférieure  pour  y 
Être  jugés. 

Arrivé  à  Cayenue,  Billaud-Varennes  fut  envoyé  dans  l'in- 
térieur du  pays,  et  séparé  de  Collot-d'Herbois,  qui  mourut 
bientôt  après.  Quant  à  lui,  il  était  encore  à  Siuuamari  quand 
les  déportés  du  18  fructidor  y  arrivèrent.  On  conçoit  que  les 
nouveaux  prisonniers  n'aient  pas  voulu  se  lier  avec  Biilaud- 
"\arcnues;  cependant  la  conformité  de  malheur  aurait  dû, 
sinon  détruire,  du  moins  modérer  leur  antipathie.  L'abbé 
Broltier,  qui  dans  une  opinion  tout  à  fait  opposée  mour 
trait  la  même  exaltation,  se  rapprocha  de  Billaud-Varennes, 
et  bientôt  une  liaison  intime  s'établit  entre  le  fougueux  Ja- 
cobin et  le  fanatique  défenseur  de  la  royauté  absolue. 

On  a  publié  en  1823  deux  volumes  in-8°,  intitulés  Mé- 
moires de  Billaud-Varennes  :  il  en  résulte  qu'il  auiait  par- 
couru en  missionnaire  religieux  et  politique  l'Amérique  du 
Sud  et  les  Antilles^  et  qu'il  aurait  pris  une  part  très-active 
aux  révolutions  de  l'Amérique  méridionale  et  de  Saint-Do- 
mingue. L'éditeur  de  ces  mémoires,  évidemment  apocryphes, 
donne  quelques  fragments  d'une  lettre  que  lui  aurait  écrite 
l'abbé  Grégoire,  et  cite  un  soi-disant  ouvrage  de  Billaud- 
Varennes  intitulé  :  Question  du  droit  des  gens  :  Les  répu- 
blicains d'Haïti  possèdent-ils  les  conditions  requises 
pour  obtenir  la  ratification  de  leur  indépendance?  l'ar 
un  observateur  philosophe.  Ail  Port-au-Prince,  1818, 
an  XV  de  l'indépendance.  Pendant  le  cours  de  la  révolution 
française  Billaud-Varennes  avait  publié:  \°  Plusde  minis- 
tres, ou  Point  de  grâce;  avertissement  donné  aux  pa- 
triotes français  et  justifié  par  quelques  circonstances  de 
l'affaire  de' Nancy  (1790);  2"  le  Dernier  Coup  porté  aux 
préjugés  et  à  la  superstition  (1790);  3°  le  Peintre  poli- 
tique, ou  Tarif  des  opérations  actuelles  (1790);  4°  VAcé- 
phalocratie,  ou  le  Gouvernement  fédératif  démontré  le 
i  meilleur  de  tous   (1791);  o°  Élcmcnls  du  rcpublica- 


2f4 


BILLAUD-VARENNES 


nisme  (1793).  On  reproclie  avec  raison  à  lîillaud-Varen- 
ncs  lin  style  emphatique  et  boiirsoullé  et  un  grand  luxe  de 
métaphores.  Des  pensées  souvent  justes  jaillissent  quel- 
quefois de  ce  chaos  ;  ces  df'fauts  sont  moins  sensibles  dans 
8on  premier  ouvrage  que  dans  ceux  qui  l'ont  suivi.  C'était 
le  style  obligé  de  la  pdlétnique  de  l'époque.  Il  avait  dans  sa 
jeunesse  cultivé  la  po('sie.  Dufey  (de  l'Yonne). 

Six  ans  s'étaient  écoulés  depuis  que  Biilaud-Varennes 
supportait  son  exil  en  véiitable  Homain,  lorsque  je  le  vis  à 
Cayenne,  où  je  servais  en  qualité  d'aide  de  camp  du  gou- 
vei-neur  de  cette  colonie.  L'amnistie  qui  rendit  la  liberté  à 
tous  U's  déportés  me  fournit  l'occasion  de  connaître  ses  sen- 
timents et  la  fermeté  de  son  caractère.  Le  gouverneur  me 
dicta  la  lettre  dans  laquelle  il  annonçait  à  cet  ancien  membre 
du  Comité  de  salut  public  que  l'arrêté  des  consuls  faisait 
cesser  sa  d(''portation  et  qu'il  pouvait  retourner  dans  sa 
patrie.  J'allai  moi-même  porter  ce  message  à  Dorvilliers, 
petite  habitation  qui  avait  appartenu  à  un  ancien  gouver- 
neur, et  qui,  restée  sous  le  séquestre  comme  bien  d'émigré, 
venait  d'être  affermée  à  Billaud.  Elle  était  située  sur  la  pente 
d'une  belle  montagne,  dont  la  mer  baigne  le  pied  dans  le 
quartier  connu  sous  le  nom  de  la  Côte.  Je  le  trouvai  sous 
la  galerie  de  sa  petite  maison  sans  étage,  couché  dans  son 
hamac.  Il  se  leva,  vint  à  moi,  et,  avec  la  politesse  qui  lui 
«.■tait  familière,  me  demanda  ce  qui  lui  procurait  l'honneur 
de  ma  visite.  «  La  fin  de  votre  exil ,  »  lui  dis-je  avec  émo- 
tion ;  et  lui  remettant  la  lettre,  j'y  ajoutai  les  félicitations  du 
gouverneur  et  les  miennes. 

Biilaud-Varennes  prit  la  dépêche  ;  un  sourire  glissa  sur  ses 
lèvres,  mais  ce  n'était  pas  un  sourire  de  joie;  il  me  pria  de 
me  reposer  dans  son  hamac,  et  lut  lentement  sans  que  je  pusse 
reconnaître  en  lui  la  moindre  émotion.  Il  était  d'une  haute 
stature;  sa  figure  large  et  pâle  ne  révélait  son  âme  énergique 
par  aucun  signe  extérieur.  Sa  physionomie  était  pleine  de  dou- 
ceur ;  il  portail  une  perruque  rousse,  taillée  à  la  jacobin.  Son 
accent,  ses  manières,  annonçaient  de  l'affabilité  et  une  dis- 
tinction que  son  costume,  plus  que  simple,  ne  pouvait  effacer. 
Un  pantalon,  une  veste  de  toile  grossière,  un  chapeau  à  larges 
bords,  de  gros  souliers,  tel  était  le  costume  du  Spartiate. 
Il  vivait  paisiblement  dans  sa  solitude.  Les  faibles  produits 
de  l'habitation  suffisaient  à  ses  besoins.  Le  hamac  était  le 
seul  meuble  de  la  galerie  ;  une  table  de  sapin  et  trois  chaises 
à  moitié  dépaillées  composaient  le  mobilier  de  la  pièce  in- 
térieure de  cette  maison,  occupée  par  un  des  oligarques  qui 
avaient  gouverné  la  France.  Sans  me  dire  un  seul  mot  sur 
le  sujet  de  ma  mission,  il  me  pria  d'accepter  un  verre  de 
punch  et  de  lui  permettre  d'aller  répondre  à  la  lettre  obli- 
geante du  gouverneur.  Pendant  ce  temps  je  visitai  l'habita- 
tion; et  lorsque  je  rentrai,  Biilaud-Varennes  me  remit  avec 
gravité  sa  réponse,  sans  me  laisser  rien  soupçonner  de  son 
contenu.  Je  courus  près  du  gouverneur.  Celui-ci  connais- 
sait notre  Romain  ;  il  prit  la  lettre  avec  empressement,  la 
lut ,  et  me  la  remit  en  me  disant  :  «  Je  m'y  attendais.  » 
Billaud  s'exprimait  à  peu  près  ainsi  dans  quelques  lignes  tra- 
cées d'une  main  ferme  :  «  Je  sais,  par  l'histoire,  que  les 
consuls  romains  tenaient  du  peuple  certains  droits;  mais 
le  droit  de  faire  grâce,  que  s'arrogent  les  consuls  français, 
n'ayant  pas  été  puisé  à  la  même  source,  je  ne  puis  accep- 
ter l'amnistie  qu'ils  prétendent  m'accorder.  » 

Ce  refus,  d'ailleurs,  ne  changea  rien  à  la  position  du  dé- 
porté. Depuis  l'arrivée  de  V.  Hugues,  il  jouissait  d'une 
complète  liberté  et  se  voyait  traité  avec  tous  les  égards  qu'il 
méritait.  Il  était  parti  de  France  sans  ressources  ;  quel- 
ques colons  le  soutinrent  dans  sa  détresse,  il  lui  fallait  si 
peu  de  chose!  Il  se  suffit  à  lui-même  par  son  travail  quand 
il  eut  affermé  Dorvilliers.  Peu  de  temps  après ,  il  éprouva 
un  changement  favorable  dans  sa  fortune  :  son  père  mourut 
à  La  Rochelle,  en  lui  laissant  .30,000  francs.  Dès  ce  moment 
il  put  jouir  de  la  vie  indépendante  qu'il  désirait.  Du  lesle, 
iJillaud  était  considéré  à  Cayenne  comme  citoyen  français  ; 


il  y  jouissait  de  ses  droits  civils,  et  y  acheta  une  pefife  ha- 
bitation avec  huit  nègres  et  négresses  sur  le  bord  de  la  ri- 
vière du  Tour  (le  l'Ile.  Des  esclaves  à  un  ancien  membre 
du  comité  de  salut  public!  quelle  contradiction  ! 

La  situation  de  cette  propriété  était  fort  agréable.  Billaud 
y  construisit  une  demeure  commode,  et  l'entoura  de  belles 
allées.  11  cJioisit  pour  culture  le  girofle,  et  pour  principale 
industrie  l'élève  du  bétail. 

Mon  habitation  était  limitrophe  de  la  sienne,  et  nous 
nous  visitions  quelquefois.  Je  le  trouvais  toujours  au  travail, 
tantôt  l'herminette  ou  le  ciseau  de  charpentier  à  la  main , 
planant  les  bois  de  sa  maison,  creusant  les  mortaises,  sciant 
les  tenons,  tantôt  ralliant  son  troupeau  ou  fouillant  des  trous 
pour  ses  plantations. 

Un  profond  chagrin  pesaitnéanmoins  surlecœurdeBillaud. 
Après  sa  condamnation,  sa  jeune  femme,  qu'il  avait  adorée, 
et  qu'il  aimait  peut-être  encore,  profitant  de  la  loi  du  di- 
vorce, s'était  remariée.  Embarqué  eu  1806  sur  le  Vétéran, 
que  commandait  Jérôme  Bonaparte,  je  suivis  le  prince  à 
Paris.  J'étais  lié  avec  un  chef  de  division  du  ministère  des 
finances,  qui  m'invita  à  dîner,  en  médisant  que  je  trouve- 
rais chez  lui  Prieur  (de  la  Marne)  et  une  dame  qui  désirait 
faire  ma  connaissance.  Le  mystère  me  fut  expliqué  tout 
de  suite  en  apercevant  au  cou  de  cette  dame  un  grand  raé- 
.  daillon  sur  lequel  étaient  peints  avec  une  ressemblance  frap- 
pante les  traits  de  Biilaud-Varennes.  Je  connaissais  l'his- 
toire de  son  divorce,  et  la  beauté  de  madame  Billaud  jus- 
tifiait à  mes  yeux  la  passion  qu'elle  avait  inspirée  à  son  mari. 
Elle  vit  bien  que  le  portrait  lui  épargnait  la  moitié  de  sa  con- 
fidence, et,  s'adressant  à  moi  sans  embarras,  elle  me  dit  : 
«  Vous  savez  qui  je  suis,  monsieur,  et  vous  reconnaissez  les 
traits  de  votre  voisin  de  campagne?  —  Oui,  madame.  —  Mais 
cette  perruque  rouge,  la  porte-t-il  toujours?  —  Oui,  ma- 
dame. —  Mon  Dieu  !  que  cette  manie  est  bizarre,  et  combien 
elle  lui  a  fait  de  tort  !  Sa  physionomie,  naturellement  douce, 
en  a  été  changée.  Vous  allez  le  revoir,  monsieur  :  veuillez 
bien  vous  charger  de  cette  lettre.  Mais  j'attends  plus  encore 
de  votre  obligeance  :  soyez  mon  avocat  auprès  de  cet 
homme  inflexible;  obtenez  de  lui  qu'il  me  permette  d'aller 
partager  son  exil,  devenu  volontaire.  Toutes  mes  lettres  res- 
tent sans  réponse,  et  je  n'ai  cessé  de  lui  écrire  depuis  que  la 
mort  de  mon  second  mari  m'a  rendu  la  liberté.  Je  sais  tout 
ce  qu'a  d'aflVeux  le  séjour  de  Cayenne,  et  surtout  la  soli- 
tude que  M.  Billaud  s'est  faite  sur  sa  petite  habitation  ;mais 
je  n'attends  plus  de  bonheur  que  dans  notre  réconciliation. 
Qu'il  se  rappelle  la  position  dans  laquelle  il  m'a  laissée  : 
je  n'avais  que  vingt  ans,  un  nom  terrible  à  porter ,  et  aucune 
ressource  pour  les  premiers  besoins  de  la  vie.  Un  homiue 
âgé  et  riche,  touché  de  cette  position  déplorable,  m'offrit  sa 
main.  Je  l'acceptai.  11  est  mort;  j'ai  hérité  de  sa  fortune; 
je  désire  la  consacrer  à  améliorer  le  sort  de  M.  Billaud  à 
Cayenne,  et  pour  me  réunir  à  lui  j'adopterai  aussi  sa  nou- 
velle patrie.  » 

Je  ne  doutai  pas  du  succès  de  ma  mission  en  admirant  les 
beaux  yeiix  de  la  jolie  veuve.  Bientôt  le  ministre  de  la  ma- 
rine me  renvoya  à  Cayenne  sur  un  bâtiment  neutre.  En  route 
je  perdis  la  lettre  de  madame  Billaud.  Arrivé  dans  la  colo- 
nie, je  profitai  de  mon  premier  moment  de  liberté  pour 
courir  chez  mon  voisin  m'excuser  de  mon  étourderie  et  n-ju- 
plir  au  moins  ma  mission  verbale.  Mon  accent  révélait  le 
plus  vif  intérêt.  Billaud  m'écouta  avec  attention,  et  je  saisis 
des  larmes  dans  ses  yeux.  Je  crus  au  succès  de  ma  dé- 
marche; mais  quand  j'eus  cessé  de  parler,  l'homme  in- 
flexible me  dit  :  «  Ne  regrettez  pas  la  perte  de  cette  lettre  ; 
je  l'aurais  déchirée  sans  la  lire...  Il  est  des  fautes  irrépa- 
rables. »  Puis  le  calme  reparut  sur  son  visage,  et  il  me  mena 
voir  les  progrès  de  ses  plantations.  Il  évita  aussi  de  nie 
parier  des  afraires  publiciiies,  et  d'une  patrie  où  il  avait  pour- 
tant laissé  un  nom  m;ir(piant. 

Il  continua  de  vivre  auisi  retiré  jusqu'en  1800,  époque  de 


la  conquête  de  Cayenne  par  les  Portugais.  L'intendant  de 
cette  nation ,  M.  Da  Costa ,  le  voyait  souvent ,  et  s'aidait  de 
ses  conseils.  Mais  lorsque  Billaud-Varennes  apprit  le  retour 
des  Bourbons  et  la  prochaine  arrivée  de  l'expédition  qui  ve- 
nait reprendre  la  colonie,  il  vendit  son  habitation,  alors  en 
plein  rapport  et  devenue  délicieuse  par  ses  soins;  puis  il 
partit  pour  le  Port-au-Prince,  où  il  est  mort  en  1819,  pro- 
tégé par  Pétion ,  président  d'Haïti.  Le  nouveau  propriétaire 
de  l'habitation  de  Billaud-Varennes  transporta,  plus  tard, 
son  établissement  dans  l'intérieur.  Ce  n'est  plus  qu'une  ruine. 
Dans  un  pareil  climat  la  nature  a  bientôt  détruit  l'œuvre  des 
Iwnmies  :  les  lianes  et  la  mousse  ont  couvert  les  arbres  frui- 
tiers ;  de  grandes  herbes  épineuses  embarrassent  les  allées , 
les  cours,  les  jardins  ;  les  termites  enlin  rongent  les  bâtiments 
en  bois,  et  les  font  écrouler...  G"'  B.  Bernard. 

BILLAULT  (  Aoolpue-Auccste-JIarie  ) ,  président  du 
Corps  législatif,  est  né  à  "Vannes  (Morbihan),  le  12  no- 
vembre 1805.  11  avait  vingt  ans  à  peine  quand,  après  avoir 
achevé  son  droit  à  Bennes,  il  vint  en  1825  exercer  auprès 
du  tribunal  de  première  instance  de  Nantes  la  profession 
d'avocat.  Son  talent  le  plaça  de  prime  abord  à  la  tète  du 
barreau  de  cette  ville ,  dont  quelques  années  après  il  deve- 
nait bâtonnier.  Jusqu'en  1830  il  ne  s'occupa  que  de  sa  pro- 
fession ;  mais,  une  ère  nouvelle  s'ouvrant  dès  lors  pour  lui 
comme  pour  la  France ,  il  sembla  prévoir  son  avenir  et  se 
faire  un  plan  de  conduite  qu'il  n'a  pas  cessé  de  suivre  avec 
une  rare  persévérance  en  étudiant  tous  les  degrés  de  l'admi- 
nistration publique  pour  en  connaître  les  ressorts.  Élu  suc- 
cessivement membre  du  conseil  municipal  à  vingt-cinq  ans, 
et  membre  du  conseil  général  à  vingt-sept,  il  prit  à  leurs 
travaux  la  part  la  plus  active,  publiant  en  même  temps 
plusieurs  écrits  :  1°  Recherches  historiques  sur  les  voies 
de  transport;  2°  Considérations  sur  l'organisation  de  la 
commune  en  France;  3°  De  V Éducation  en  France,  et  de 
ce  qu'elle  devrait  être  pour  satisfaire  aux  besoins  du 
pays,  brochures  d'un  style  élégant  et  net,  abondantes  en 
idées  ingénieuses,  libérales  et  surtout  pratiques. 

M.  Billault  venait  d'avoir  trente  ans  quand  arrivèrent  les 
élections  générales  de  1837.  Trois  collèges  le  portaient  à  la 
fois.  Élu  au  premier  tour  de  scrutin  à  Nantes  et  à  Ancenis, 
il  allait  l'être  également  à  un  deuxième  scrutin  à  Paim- 
bœuf,  quand  la  nouvelle  de  sa  double  élection  vint  changer 
le  vote.  Arrivé  à  la  Chambre,  M.  Billault  eut  de  nombreux 
obstacles  à  vaincre.  Son  début  ne  fut  pas  heureux.  La  forme 
un  peu  déclamatoire  de  son  débit,  quelques  habitudes  de 
barreau  dont  il  n'avait  pu  réussir  à  se  dépouiller  entiè- 
rement, nuisirent  à  son  succès.  Mais  il  n'en  fut  pas  décou- 
ragé; il  se  transforma.  Son  discours  de  1837  sur  la  corruption 
électorale  fut  généralement  goûté  ;  et  dès  lors  il  commença 
à  fournir  au  labeur  parlementaire  im  énorme  contingent 
de  rapports  et  de  discours. 

On  distinguait  à  cette  époque  à  la  Chambre  des  hommes 
spéciaux  et  des  hommes  politiques  :  M.  Billault  commença 
par  être  un  homme  spécial,  non,  comme  on  eût  pu  le  croire, 
dans  le  droit ,  la  législation,  la  jurisprudence,  mais  dans  les 
relations  commerciales  et  dans  les  travaux  publics.  Dès  1838 
il  était  nommé  membre  et  secrétaire  de  la  gi-ande  commission 
chargée  de  la  question  des  chemins  de  fer.  En  1839  deux 
autres  commissions  lui  confiaient  leurs  rapports;  il  avait 
déjà  conquis  droit  de  cité  dans  ces  matières.  La  même  pen- 
sée présida  aux  actes  de  sa  vie  politique.  Lorsque  l'admi- 
nistration du  12  mai  se  forma ,  le  ministre  de  la  justice  Teste 
lui  proposa  le  secrétariat  général  de  son  département.  Il  re- 
fusa sans  hésiter.  A  quoi  lui  eût  servi  de  s'occuper  du  per- 
sonnel de  la  magistrature?  Quand  le  cabinet  du  1"  mars  se 
constitua,  il  fut  fortement  question  de  confier  à  M.  Billault 
le  portefeuille  du  commerce  et  de  l'agriculture.  M.  Gouin  ne 
lui  fut  préféré  qu'après  beaucoup  d'hésitation.  On  voulut  du 
moins  l'avoir  pour  sous-secrétairc  d'État,  et  l'on  créa  pour 
loi  cette  place,  qui  disparut  avec  le  ministère  de  M.  Thiers. 


BILLAUC-VARENNES  —  BILLAULT  216 

Ces  fonctions  nouvelles  fournirent  à  M.  Billault  une  occa- 
sion précieuse  de  compléter  ses  études  et  d'entrer  dans  la 
pratique  des  affaires.  Il  fut  bientôt  chargé  de  préparer  et  de 
rédiger  le  traité  avec  la  Hollande;  soutint  comme  commis- 
saire du  roi,  à  la  session  de  1840,  la  discussion  de  la  loi  sur 
les  sucres ,  donna  son  assentiment  à  la  proposition  de  créer 
des  chambres  consultatives  d'agriculture ,  défendit  enfin  les 
projets  de  loi  relatifs  aux  fortifications  de  Paris,  aux  tarifs 
de  douanes  de  1841,  à  la  propriété  des  œuvres  littéraires,  et 
donna  sa  démission  lorsque  le  cabinet  du  1"  mars  se  retira. 
L'année  suivante  il  se  fit  inscrire  au  tableau  des  avocats  de 
Paris. 

péjà  sa  position  à  la  Chambre  avait  complètement  changé 
de  face.  Absorbé  jusque  là  dans  des  questions  spéciales,  il 
hasardait  rarement  quelques  pas  sur  le  terrain  brûlant  de  la 
politique.  Les  uns  n'accordaient  à  ses  discours  qu'une  mé- 
diocre attention,  les  autres  lui  déniaient  jusqu'à  la  possibi- 
lité d'aborder  de  plus  graves  débats.  Il  s'affranchit  de  cette 
réserve  dans  la  discussion  de  l'adresse  de  i841  ;  sa  place  fut 
dès  lors  marquée  parmi  les  orateurs  politiques;  et  tandis  que 
M.  Thiers  se  tenait  davantage  en  réserve,  M.  Billault  harce- 
lait continuellement  le  ministère  du  29  octobre  :  aussi  fut- 
il  bientôt  de  toutes  les  combinaisons  qu'on  imaginait  pour 
le  cas  où  le  ministère  Guizot  viendrait  à  être  renvei-sé. 
Deux  discussions  appelèrent  d'abord  l'attention  sur  lui,  la 
question  du  droit  de  visite  et  celle  de  l'adjonction  de  la 
seconde  liste  du  jury  à  la  liste  électorale.  Ses  discours 
étaient  toujours  longs ,  diffus,  prétentieux  ;  mais  enfin  il  y 
avait  une  apparence  de  science  pratique,  qui  n'ébranlait  pas 
la  majorité  assurément,  mais  qui  faisait  de  M.  Billault  un 
membre  obligé  du  futur  ministère  si  une  révolution  n'était 
venue  renverser  le  trône  avec  le  cabinet. 

C'est  alors  que  Timon  faisait  de  M.  Billault  ce  portrait, 
certainement  flatté  :  u  M.  Billault  est  le  plus  remarquable  de 
tous  les  nouveaux  orateurs.  S'il  était  plus  précis ,  il  serait , 
comme  un  autre  Phocion,  la  hache  des  discours  de  M.  Guizot, 
cet  autre  Démosthène.  Tout  avocat  qui  veut  cueillir  les 
palmes  de  l'éloquence  politique  ne  doit  plus  aller  au  palais 
courir  le  mur  mitoyen  et  la  question  d'état.  M.  Billault  a 
autant  de  principes  qu'un  avocat  en  puisse  avoir,  et  beaucoup 
plus  dans  tous  les  cas  qu'il  n'en  faut  pour  un  ministre  de  ce 
temps-ci  ;  lieutenant  de  M.  Thiers,  il  aime  à  se  divertir  comme 
son  général  dans  les  pérégrinations  de  la  mer  et  de  la  terre 
ferme....  Ce  n'est  pas  que  M.  Billault  ne  puisse  être  un  jour 
un  très-productif  ministre  de  n'importe  quelle  branche  de  re- 
venu public.  Il  n'est  gêné,  du  côté  droit  ni  du  côté  gauche,  par 
aucun  précédent.  Il  a  ses  petites  entrées  au  Louvre  sans  y 
être  ni  échanson  ni  panetier.  11  jouit  des  bonnes  grâces  de 
l'opposition ,  sans  qu'il  lui  faille  approcher  les  doigts  des 
charbons  ardents  du  radicalisme.  Il  a  la  parole  à  tout,  se 
porte  en  avant,  bat  en  retraite,  se  jette  sur  les  talus  du  che- 
min et  revient  au  lancé  avec  la  même  prestesse  d'évolu- 
tion. Ces  sortes  d'éloquences,  chauffées  à  une  température 
moyenne ,  sont  encore ,  après  tout ,  celles  qui  réussissent  le 
mieux  dans  nos  serres  du  monopole.  » 

La  Chambre  fut  dissoute.  Aux  élections  générales  qui 
suivirent,  le  3*  arrondissement  de  Paris,  agité  par  M.  Perrée, 
directeur  du  Siècle,  le  choisit  pour  son  candidat,  quoiqu'un 
autre  collège  lui  assurât  l'unanimité  de  ses  sullïages.  Mais 
M.  Billault  se  crut  enchaîné  par  les  liens  qui  l'attachaient 
aux  électeurs  d' Ancenis,  et  il  opta  pour  son  département. 

L'amiral  Lalande,  sentant  les  approches  de  la  mort,  ne 
voulut  pas  que  les  fruits  de  son  expérience  fussent  perdus 
pour  le  pays  ;  il  résolut  de  parler  encore  à  la  France  du  fond 
de  son  tombeau.  Ce  fut  à  M.  Billault  qu'il  légua  cette  sainte 
mission,  et  M.  Billault  justifia  complètement  le  choix  de  l'il- 
lustre amiral.  A  propos  de  la  célèbre  affaire  Pritchard ,  il 
prononça  encore  plusieurs  discours  qui  resteront  comme 
l'expression  la  plus  éloquente  de  l'indignation  soulevée 
dans  le  pays  par  l'administration  du  29  octobre.  Enfin, 


21G 


BILL  AU  LT 


parlant  il  loîitc  occasion,  on  le  vit  faire  des  discours  à  jmo- 
pos  (ifi  l'EspaRne,  de  la  Plala,  du  Mexique,  etc.,  etc.,  et 
«n  1846  il  signalait  ><  la  corruption  coulant  à  pleins  bords, 
d(?bonlant  dans  le  pays,  couvrant  toute  la  France,  mena- 
çant d'engloutir  à  jamais  les  institutions  représentatives  ». 

Cette  opposition  constante  ne  l'empêcha  pas  cependant 
d'accepter  la  clientèle  du  domaine  privé  du  duc  d'Aumale, 
pour  lequel  il  rédigeait  des  consultations,  plaidait,  et  duquel 
il  recevait,  comme  de  raison,  des  honoraires.  Il  consentit  aussi 
à  être  le  conseil  judiciaire  d'une  compagnie  de  chemin  de 
1er;  mais  il  réclama  contre  la  qualification  de  député  qu'on 
lui  donnait  dans  les  annonces,  prétendant  ingénieusement 
qu'il  y  avait  deux  hommes  en  lui  :  d'un  côté  l'avocat,  de 
l'autre  le  député. 

Comme  M.  Thiers,  qui  l'avait  fait  chevalier  de  la  Légion 
d'Honneur  en  1840,  mais  dont  il  ne  fréquentait  pas  les  réu- 
nions et  auquel  il  tenait  peu  d'ailleurs  dans  les  derniers  temps 
de  la  monarchie,  et  bien  différent  en  cela  de  M.  Odilon 
Barrot,  qui  ne  se  mettaiten  avant  que  pour  reculer  plus  tard, 
M.  Billault  ne  paraît  avoir  pris  aucune  part  aux  banquets 
réformistes  qui  préparèrent  la  chute  du  trône  de  Louis- 
Philippe  et  l'inauguration  de  la  république.  Après  la  ré- 
vohilion  de  Février,  le  suffrage  universel  songea  dans  la 
Loire-Inférieure  à  acquitter  la  dette  du  suffrage  censitaire 
envers  M.  Billault,  et  l'envoya  à  l'Assemblée  constituante 
avec  un  contingent  de  près  de  89,000  voix.  Là  il  se  sépara 
de  M.  Thiers,  pour  défendre  le  droit  au  travail;  puis,  après 
l'élection  du  président  de  la  république,  il  se  posa  en  suc- 
cesseur obligé  du  ministère  0.  Barrot,  comme  il  s'était  posé 
en  successeur  obligé  de  M.  Guizot  avant  le  24  février.  Et 
pourtant  il  ne  fut  pas  élu  à  la  Législative.  Radicaux  ou  lé- 
gitimistes, il  fallait  à  cette  époque  des  caractères  plus  tran- 
chés aux  Bretons.  Le  8juinl850  M.  Billault,  pour  faire  acte 
de  politique,  défendit  devant  la  cour  d'assises  de  la  Seine  le 
journal  républicain  avancé  L'Événement,  prévenu  d'avoir 
outragé  l'Assemblée  et  le  gouvernement  en  attaquant  la  ma- 
jorité et  lesDurgraves,  MM.  Thiers,  Montalembert, etc.,  à 
propos  de  la  loi  du  31  mai.  La  feuille  radicale  fut  acquittée, 
bonheur  qu'elle  n'eut  pas  toujours  depuis. 

Vers  la  fin  d'octobre  1851,  le  bruit  se  répandit  que  le 
prince  Louis-Napoléon  voulait  revenirau  suffrage  universel. 
Son  ministère,  craignant,  disait-on, une  rupturcavec  la  ma- 
jorité, n'osait  accepter  la  responsabilité  du  message.  Le 
président  dut  chercher  de  nouveaux  ministres.  M.  Billault 
fut  appelé  ;  mais  sa  mission  ne  put  aboutir.  L'opposition  de 
certains  journaux,  présage  d'une  autre  opposition  dans  l'As- 
semblée, le  fit  reculer.  Après  le  coup  d'État  du  2  décembre 
M.  Billault,  candidat  du  gouvernement,  fut  élu  àNantes  dé- 
puté au  corps  législatif,  et  le  prince  Louis-Napoléon  lui  a 
confié  la  présidence  de  cette  assemblée  délibérante,  dont  il 
a  fait  l'ouverture  par  un  discours  où,  en  rappelant  à  ses 
collègues  les  (onctions  que  leur  confère  la  nouvelle  consti- 
tution, il  n'a  pas  craint  de  faire,  sans  y  ponser  peut-être,  la 
critique  la  plus  sévère  de  sa  vie  parlementaire. 

BILLAÛT  (Adam),  généralement  connu  sous  le  nom  de 
Maître  Adam,  poète  français  du  dix-septième  siècle,  dont 
une  chanson  pleine  de  verve, 

Aussitôt  que  la  lumière 
Vient  redorer  nos  coteaux,  etc., 

dérobera  toujours  le  nom  à  l'oubli,  naquit  à  Nevers,  vers  la 
fin  du  règne  de  Louis  XIII,  et  mourut  dans  sa  ville  natale,  le 
19mailG62.  Il  exerçait  la  profession  de  menuisier;  aussi  les 
poètes  ses  contemporains  le  surnommèrent-ils  le  Virgile 
au  rabot.  C'est  tout  en  maniant  le  rabot  et  la  varlope, 
et  au  milieu  des  rudes  travaux  de  son  métier,  qu'il  com- 
posait des  vers  pour  se  distraire,  demandant  le  plus  ordi- 
nairement ses  inspirations  à  la  divine  bouteille.  Ses  Che- 
villes (  lfi44),  son  Vilbrequin  (  1653),  obtinrent  un  grand 
succès,  tant  à  cause  de  quelques  vers  vraiment  heureux  et 


-  BILLECOCQ 

d'un  grandnombre  de  pensées  ingénieuses  qu'on  y  rencontre 
au  milieu  de  beaucoup  de  fatras,  que  par  la  singularité 
qu'il  y  avait  à  cette  époque  à  voir  un  liomme  occupé  de 
travaux  tout  matériels,  chercher  des  distractions  dans  la 
culture  de  la  poésie.  Le  cardinal  Richelieu  crut  s'honorer 
en  accordant  des  pensions  au  modeste  menuisier  de  Nevers, 
qui  eut  le  bon  sens  de  se  défendre  contre  les  séductions  de 
la  gloire  et  de  persister  à  ne  pas  quitter  Nevers.  S'il  avait 
cédéaux  sollicitations  de  ceux  deses  protecteurs  qui  voulaient 
l'attirer  dans  la  grande  ville,  il  est  probable  que  la  curiosité 
publique  une  fois  satisfaite  il  eût  fini  par  y  être  oublié,  et 
peut-être  bien  déprécié.  Il  ne  faut  pas  croire  au  reste  que 
Maître  Adam  fût  au  dix-septième  siècle  le  seul  ouvrier  qui 
se  niêlût  de  rimer.  Il  y  avait  aussi  alors  un  pâtissier  de  Paris, 
appelé  Ragueneau,  qui  faisait  des  vers,  les  imprimait  et  les 
servait  à  ses  pratiques,  sous  forme  d'enveloppes  pour  les 
biscuits  dont  il  faisait  un  grand  débit.  Ra;;ueneau  adressa 
même  à  son  rival  de  Nevers  un  sonnet  dans  lequel  il  lui  di- 
sait, en  détestables  vers  d'ailleurs,  que  s'il  travaillait  avec 
plus  de  bruit,  lui  travaillait  avec  (ilus  de  feu.  Maynard, 
faisant  de  l'esprit  sur  son  confrère  en  Apollon,  disait  que  les 
Muses  ne  devaient  être  assises  que  sur  des  tabourets  faits 
de  la  main  de  ce  poëte  menuisier. 

BILLE  (du  latin  piln  ,  globe,  ou  billus  ,  bâton,  selon 
l'acception  qu'on  lui  donne).  Autrefois  ce  mot  signifiait  un 
bâton,  ce  que  témoignent  les  mots  de  biller  et  de  débiller, 
dont  on  s'est  longtemps  servi,  etdont  on  se  sert  encore  quel- 
quefois aujourd'hui  sur  les  rivières,  pour  dire  attacher  la 
corde  du  bateau  aux  billes  ou  bâtons  qui  sont  au  bout  des 
traits  des  chevaux  qui  firent.  C'est  dans  ce  sens  qu'il  faut 
prendre  aussi,  1*  la  bille  ou  rouleau  dont  se  servent  les  bou- 
langers pour  aplatir  la  pâte;  2°  la  bille  ou  morceau  de  ter 
ou  de  bois  rond,  gros  et  long  à  volonté,  qui  sert  aux  cha- 
moiseurs  pour  tordre  les  peaux  et  pour  en  faire  .sortir  toute 
l'eau,  la  gomme  ou  la  graisse  qu'elles  peuvent  contenir  ; 
.3°  la  bille  ou  bâton  qui  sert  surtout  aux  emballeurs  pour 
serrer  les  cordes  de  leurs  ballots  ;  4°  les  billes,  ou  rejetons, 
enlevés  par  les  jardiniers  du  pied  des  arbres  pour  être  mis 
en  pépinière;  5°  les  billes  à  moulure,  ou  morceaux  de  fer 
plat  modelés  dans  le  milieu,  entre  lesquels  les  orfévies  ti- 
rent la  matière  où  ils  veulent  faire  des  moulures;  6°  les 
billes  ou  pièces  de  bois  de  toute  la  grosseur  de  l'arbre  dont 
elles  proviennent,  et  qu'on  équarrit  pour  les  employer  soit  à 
soutenir  des  rails,  soit  à  faire  des  planches,  etc. 

La  signification  du  mot  bille,  comme  dérivé  de  pila,  et 
rappelant  la  forme  d'un  globe,  est  beaucoup  plus  restreinte, 
et  ne  .s'applique guère  qu'aux  boules  d'ivoire  avec  lesquelles 
on  joue  au  billard,  ou  aux  petites  boules  de  pierre,  <Io 
marbre  ou  de  verre  qui  servent  de  jouets  aux  enfants. 

BILLECOCQ  (Jean-Baptiste-Louis-Josepu;,  avocat 
et  homme  de  lettres,  naquit  à  Paris,  le  31  janvier  1765.  Son 
père,  qui  avait  occupé  plusieurs  emplois  dans  la  haute  fi- 
nance, et  qui  est  mort  régisseur  des  droits  du  roi,  lui  fit 
faire  ses  études  à  l'un  des  meilleurs  collèges  de  l'ancienne 
université,  celui  du  Plessis-Sorbonne.  Ses  poésies  latines 
attestent  le  culte  qu'il  voua  toute  sa  vie  à  nos  vieilles  muses 
classiques.  La  révolution,  survenue  comme  il  terminait  son 
stage,  le  jeta  pour  un  temps  dans  la  carrière  des  emplois  et 
des  fonctions  publiques.  Appelé  à  faire  partie  du  c^rps  élec- 
toral de  Paris,  et  nommé  député  suppléant  à  l'Assemblée  lé- 
gislative, il  n'eut  point  occasion  d'y  paraître.  Le  9  thermi- 
dor l'arracha  à  la  prison  où  l'avait  jeté  le  10  aoijt  1792. 
Proscrit  pendant  une  autre  phase  révolutionnaire  comme 
ayant  occupé  avec  courage,  durant  les  mitraillades  du  13 
vendémiaire  an  iv,  le  fauteuil  de  président  dans  la  section 
insurgée  de  la  Butte  des  Moulins  ;  devenu  ensuite,  lorsqu'il 
put  reparaître,  membre  de  l'administration  municipale,  le 
coup  d'État  du  18  fructidor  amena  sa  destitution.  A  cette 
époque,  des  traductions  de  l'anglais,  d'autres  traduction» 
ou  éditions  de  classiques  latins  occupèrent  sa  plume.  H  put 


( 


BILLECOCQ 

«iiiM  suivre  la  généreuse  impulsion  de  sa  piété  filiale  et 
eiupêclier que  sa  mère,  qu'il  conserva  près  de  lui  jusqu'à 
l'âge  de  plus  de  quatre-vingt-quatre  ans,  ne  se  ressentît  des 
pertes  causées  à  sa  famille  par  les  révolutions. 

«  A  la  fin  de  1797,  dit  M.  Dupin  l'aîné,  les  temps  étant 
devenus  meilleurs,  Billecocq  rentra  au  barreau,  où  la  ri- 
chesse de  ses  connaissances  littéraires,  sa  haute  réputation 
de  probité,  son  désintéressement,  son  attention  scrupuleuse 
dans  l'examen  et  l'étude  des  intérêts  qui  lui  étaient  con- 
fiés ,  le  placèrent  bientôt  à  un  rang  très-distingué.  Sa  dic- 
tion, naturellement  persuasive,  animée  par  la  chaleur  d'une 
àme  ardente  et  sincère,  s'est  fait  remarquer  par  son  éléva- 
tion et  son  entraînement,  toutes  les  fois  qu'il  a  fallu  traiter 
des  questions  liées  à  de  grandes  considérations  morales.  » 
Aussi  beaucoup  d'affaires  importantes  furent-elles  confiées 
au  talent  consciencieux  et  au  zèle  chaleureux  de  Billecocq. 
Celles  qui  signalèrent  avec  le  plus  d'éclat  ces  précieuses  et 
rares  qualités  furent  :  la  défense  du  marquis  depuis  duc  de  Ri- 
vière, impliqué  dans  la  conspiration  de  Georges  Cadoudal  et 
Pichegru;  la  cause  de  Toninges,  ancien  négociant,  accusé 
de  complicité  dans  un  faux  testament,  et  le  patronage  des 
enfants  de  la  veuve  du  duc  de  Montebello  (  le  général  Lan- 
nes  ).  Le  plus  touchant  comme  le  plus  remarquable  des  suc- 
cès qui  couronnèrent  les  efforts  du  courageux  défenseur 
dans  ces  grandes  causes  fut  sans  doute  la  grâce  du  marquis 
de  Rivière  :  l'éloquence  de  l'orateur,  homme  de  bien,  sup- 
pliant à  chaudes  larmes,  l'arracha  au  cœur  de  l'offensé  tout- 
puissant.  » 

Le  retour  des  Bourbons,  salué  par  celui  qui  leur  était  dé- 
voué de  cœur  et  par  principes  religieux,  le  trouva  fidèle  à 
son  caractère  de  compatissante  modération  et  de  désinté- 
ressement. Il  crut  toujours  à  la  bonne  foi  et  à  la  droiture 
d'intentions  du  pouvoir  deux  fois  rétabli.  Créé  chevalier  de 
l'ordre  de  Saint-Michd  en  1819,  admis,  seul  parmi  les  avo- 
cats, au  conseil  des  prisons;  nommé  en  1S21  bâtonnier 
de  l'ordre,  et,  par  continuité,  en  1822,  il  fut  bientôt  con- 
traint par  les  fatigues  de  l'âge  et  de  la  santé  à  se  restreindre 
aux  consultations  et  aux  travaux  littéraires.  Parmi  ceux  de 
ses  écrits  qui  appartiennent  au  barreau,  nous  citerons  sa 
Aoticehistoi-iqiie  sur  M.  Bellart.  Trois  autres  écrits  de  Bil- 
lecocq, qui  appartiennent  à  la  morale  et  à  la  politique,  ont 
■droit  à  une  attention  spéciale  :  1°  Quelques  considérations 
sur  les  tyrannies  diverses  qui  ont  précédé  la  Restaura- 
tion, sur  le  gouvernement  royal  et  la  dernière  tyrannie 
impériale  {V^ris,  1815,  in-8°);  2°  Un  Français  à  Vho- 
norable  lord  Wellington  sur  sa  lettre  dît  23  septembre 
à  lord  Castlereagh  (1815);  3°  De  ta  Religion  chrétienne, 
rc'ativemcnt  à  l'État,  aux  familles  et  aux  individus 
(S'édit.,  1824).  Les  poésies  latines  de  Billecocq,  preuvesd'ex- 
cellentes  études ,  peuvent  être  lues  avec  intérêt  par  les  ama- 
teurs d'un  genre  de  délassement  poétique  que  ne  dédaigna  pas 
le  vertueux  chancelier  L'Hôpital.  Après  avoir  traduit  Sal- 
luste  {Conjuration  de  Catilina),  Billecocq  a  voulu  rendre 
un  autre  service  aux  lettres  latines  :  il  a  donné  une  édition 
soignée  de  Lucain  (  la  Pharsale),  avec  la  traduction  en  vers 
de  Brébeuf  en  regard ,  la  Vie  des  deux  poètes,  et  des  Ré- 
flexions critiques  sur  leurs  poèmes  (Paris,  1796,  2  vol.  ). 
Les  traductions  d'ouvrages  anglais  publiées  par  Billecocq 
sont  au  nombre  des  meilleures  que  nous  ayons.  Ses  addi- 
tions et  ses  notes  y  donnent  un  nouvel  intérêt.  Ce  sont  des 
récits  de  voyages,  entre  autres  ceux  de  J.  Long  chez  les 
différentes  nations  sauvages  de  l'Amérique  septentrionale; 
de  John  Meares,  allant  de  la  Chine  à  la  côte  nord-ouest  de 
l'Amérique;  de  Bogie  au  Boutan  et  au  Thibet;  de  H.  Tim- 
lierlake  chez  les  Chérokées.  Mais  celle  des  traductions  de 
ce  genre  qui  a  obtenu  le  plus  de  succès  est  sa  traduction  du- 
Voyage  de  Néarque,  par  le  docteur  William  Vincent  (  Pa- 
ris, 1800  ).  On  sait  que  cette  relation,  publiée  par  ordre  du 
çouverncment ,  est  le  journal  de  l'expédition  de  la  flotte 
a'AJexandre  des  bouches  de  l'Indus  jusqu'à  l'Euphrato,  ré- 

lilCT.    DR    L,\    C'I.WEnS.    —   T.    III. 


—  BILLET 


217 


digé  sur  le  journal  original  de  Néarque,  son  anural,  journal 
que  nous  a  conservé  Arrien.  Billecocq  mouixit  à  Paris,  le 
15  juillet  1829.  AuBEKT  de  Vitry. 

BILLET.  C'est  un  de  ces  mots  qui  reviennent  à  tout 
propos  dans  les  conversations  et  les  lectures ,  et  dont  les 
acceptions  varient  à  l'infini.  Nous  l'examinerons  plus  bas  au 
point  de  vue  du  droit.  Le  billet,  dans  l'acception  primitive, 
n'est  qu'une  petite  épître,  un  diminutif  de  la  lettre.  Les  fem- 
mes y  excellent.  Sous  une  plume  masculine,  la  concision 
qu'il  exige  a  presque  toujours  un  peu  de  sécheresse  ;  chez 
elles,  au  contraire,  la  grâce  et  la  finesse  s'accommodent  bien 
de  cette  brièveté. 

Les  billets  de  naissance,  de  mariage,  de  décès,  sont 
maintenant  désignés  sous  le  nom  commun  àe  billets  de  fa  ire 
part ,  quelle  que  soit  la  spécialité  de  leur  destination.  Les 
billets  doux  jouentun  grand  rôle  dans  les  romans  et  dans 
les  premiers  rêves  d'amour  du  jeune  âge.  La  Châtre  était 
de  bonne  foi  quand  il  exigeait  de  Ninon  l'engagement  de 
lui  rester  à  jamais  fidèle.  Elle  riait  en  le  signant.  La  Châtre 
avait  plus  d'amour,  Ninon  plus  de  raison.  Elle  riait  encore 
en  s'écriant  à  quelque  temps  de  là  dans  une  circonstance  dé- 
cisive :  Ah!  le  bon  billet  qu'a  La  Chdtre!  On  peut  sans 
grave  inconvénient  laisser  protester  un  billet  d'amour;  il 
en  est  tout  autrement  d'un  billet  de  commerce.:  il  y  va  de 
l'honneur,  souvent  de  la  liberté.  Les  billets  decon/ession 
ont  eu  une  certaine  importance  :  ils  se»^lblaient,  à  une  époque 
qui  n'est  pas  bien  loin  de  nous,  devoir  conduire  aux  hon- 
neurs et  à  la  fortune.  L'époque  suivante  préféra  les  bil- 
lets de  banque.  Les  jeunes  gens  aiment  toujours  les  billets 
de  bal,  de  concert,  de  spectacle  ;  mais  qui  peut  nous  dire 
quels  sont  aujourd'hui  les  billets  à  la  mode? 

Nous  aurions  dû  commencer  par  indiquer  l'étymologie  du 
mot  billet.  Les  savants  varient ,  et  ne  vont  pas  au  delà  des 
conjectures.  Ce  mot  n'est-il  que  la  traduction  de  libellas, 
petit  écrit  ?  Le  mot  latin  est  un  peu  long  ;  il  y  a  là  une  syl- 
labe de  trop.  Billet  vient-il  de  bulletin,  ou  bulletin  vient-il  de 
billet  ?  Cet  autre  problème  n'est  pas  moins  embarrassant;  mais 
personne  ne  se  méprend  sur  sa  véritable  signification,  et 
c'est  là  le  point  important.  Dufey  (de  l' Yonne  ). 

Un  mot  à  présent  sur  les  billets  de  faveur  et  sur  les 
billets  d'auteur.  Les  premiers,  signés  d'une  autorite  quel- 
conque du  théâtre,  sont  ou  distribués gro^is aux  amis  delà 
direction,  aux  chefs  de  claque,  aux  familles  des  acteurs  et 
actrices,  ou  donnés  et  vendus  au  public  moyennant  un  impôt 
plus  ou  moins  élevé  que  le  théâtre  prélève  à  l'entrée  sur  le 
porteur.  Ils  portent  toujours  cette  indication  sournoise  :  Le 
présent  billet  sera  refusé  s'il  a  été  vendu ,  leurre  gros- 
sier, puisque  le  théâtre  n'a  souvent  dans  les  mauvais  jours 
d'autre  recelte  que  le  trafic  de  ces  billets  à  moitié  prix. 

Les  billets  d'auteur,  signés  par  ces  grands  hommes  à  tel 
nombre  pour  la  première  représentation  de  la  pièce,  tel 
pour  la  seconde,  tel  pour  la  troisième,  tel  pour  les  autres, 
passent  généralement  les  trois  premiers  jours  entre  les  mains 
du  personnel  nombreux  de  la  claque,  qui  trouve  pourtant 
encore  à  trafiquer  d'une  partie.  Le  reste  est  offert  à  quel- 
ques amis  intimes,  qui  s'en  servent  très-souvent  pour  sifller 
l'ami  intime  dont  ils  les  tiennent.  Le  succès  consolidé, 
gardez-vous  bien  d'en  demander  aux  auteurs.  Ils  en  font 
argent  pour  augmenter  leurs  recettes,  et  en  établissent  des 
dépôts  à  commission  chez  les  marchands  de  vin  et  les  cafés 
borgnes  des  environs  du  théâtre,  dont  les  clercs  de  notaire, 
les  comniis  de  nouveautés,  les  modistes  et  les  lorettes  savent 
toujours  l'adresse  sur  le  bout  du  doigt;  et  pourtant  on  lit 
aussi  sur  ces  chiffons  de  papier  :  Le  présent  billet  sera  re- 
fusé s'il  a  été  vendu. 

BILLET  {Droit).  Ce  mot,  pris  dans  le  sens  d'obliga- 
tion, signifie  un  acte  par  lequel  on  s'engage  envers  quelqu'un 
à  lui  payer  une  somme  d'argent  ou  d'autres  valeurs  ;  il  a  les 
formes  diverses  du  billet  simple,  du  billet  à  domicile,  du 
billet  de  change,  du  billet  au  porteur,  du  billet  en  viar- 


218 


BILLET 


c/t(iiidises,  du  billet  de  grosse,  du  billet  de  prime,  du 
billet  de  rançon. 

Le  billet  simple  renferme  une  obligation ,  qu'on  appelle 
unilatérale,  parce  qu'il  n'y  a  d'engagement  que  d'un  seul 
côté. 

On  a  assujetti  le  simple  billet  à  quelques  règles  faciles  à 
observer  :  il  <loit  Ctre  écùi  en  entier  de  la  main  du  souscrip- 
teur, ou  du  moins  il  laut  qu'outre  la  signature  il  ait  écrit 
de  sa  main  la  somme  ou  la  quantité  de  la  chose  qu'il  s'en- 
gage à  remettre.  Mais  si  ce  billet  est  souscrit  par  des  mar- 
chands, des  artisans,  des  laboureurs,  des  vignerons,  des  gens 
(le  journée  et  de  service,  il  suflit,  pour  sa  validité,  qu'ils  y 
aient  apposé  leur  signature.  La  loi  ne  pouvait  exiger  davan- 
tage de  cette  classe  de  personnes  sans  restreindre  considé- 
rablement le  nombre  des  transactions  civiles  et  commer- 
ciales. Le  billet  simple  doit  être  daté,  comme  toutes  les  obli- 
gations ;  mais  il  n'en  serait  pas  moins  valable  si  la  date 
était  omise;  le  créancier  se  ti'onverait  alors  dans  la  iiéxe.s- 
sité  de  faire  fixer  un  délai  par  les  tribunaux  pour  déterminer 
l'époque  du  payement.  Quant  à  la  cause  de  l'engagement,  ce 
billet  doit  la  contenir;  elle  est  toutefois  suffisamment  expri- 
mée par  ces  mots  :  Je  reconnais  devoir  la  somme  de... 

Le  billet  simple  diffère  des  billets  de  commerce  ordinaires 
sous  plusieurs  rapports  :  en  premier  lieu ,  il  n'est  pas  sus- 
ceptible d'être  négocié  par  la  voie  de  l'endossement.  Si 
l'on  veut  en  céder  la  propriété  à  un  tiers,  un  autre  acte  est 
nécessaire  :  cet  acte  s'appelle  cession  ou  transport  ;  le  ces- 
sionnaire  doit  le  faire  signifier  par  un  huissier  à  celui  qui  a 
consenti  le  titre.  En  second  lieu ,  le  billet  simple  n'est  pas 
susceptible  d'être  protesté  à  son  échéance,  comme  le  billet 
à  ordre,  dont  le  porteur  fait  constater  le  non-payement  par 
un  acte  appelé /)ro^(?^ 

Cependant  le  billet  simple  peut  être  soumis  à  la  juridic- 
tion commerciale  et  entraîner  la  contrainte  par  corps  s'il 
a  été  souscrit  par  des  commerçants  ou  pour  des  faits  de 
commerce. 

Les  billets  simples  offrent  le  même  avantage  que  les 
actes  sous  seing  privé;  ils  peinent  procurer  une  hypo- 
thèque à  celui  qui  en  est  porteur  ;  et  voici  comment  :  Si  le 
créancier  conçoit  des  craintes  sur  l'avenir  de  son  débiteur , 
il  peut  faire  vérifier  et  reconnaître  en  justice  le  billet  simple, 
même  avant  l'échéance,  mais  à  ses  frais  si  l'écriture  n'est 
pas  déniée;  le  jugement  qui  intervient  sur  la  vérification 
et  la  reconnaissance  de  l'écriture  ou  de  la  signature  du 
billet  donne  le  droit  de  prendre  une  hypothèque ,  qui  aurait 
bien  pu  être  prise  après  une  condamnation  obtenue  ;  mais 
.souvent  il  est  alors  trop  tard,  parce  que  d'autres  inscriptions 
hypothécaires  grèvent  et  au  delà  les  immeubles  du  débiteur. 

Le  billet  à  domicile  est  un  billet  payable  en  un  lieu  et 
dans  un  domicile  autre  que  celui  où  il  est  souscrit;  il  peut 
être  à  ordre  ou  au  porteur,  ou  à  une  personne  désignée.  Il 
ne  faut  pas  confondre  le  billet  à  domicile  avec  la  lettre 
dechange  :  dans  celle-ci,  c'est  un  tiers  qui  est  charge  de 
payer,  tandis  que  dans  le  billet  à  domicile  c'est  le  souscrip- 
teur lui-même  qui  s'oblige  au  payement ,  mais  dans  un  autre 
lieu  que  celui  de  son  domicile.  Ce  billet  peut,  comme  la  lettie 
de  change,  avoir  pour  objet  une  remise  d'argent  de  place  en 
place;  c'est  dans  ce  sens  que  la  loi  le  répute  acte  de  com- 
merce, et  qu'il  donne  lieu  à  la  contrainte  par  corps.  Il  est 
bien  essentiel  de  savoir  que  le  billet  à  domicile  peut  avoir 
un  effet  commercial  ;  sans  cela  on  pourrait  s'exposer  à  des 
conséquences  bien  rigoureuses.  C'est  donc  à  tort  qu'un  poète, 
du  reste  fort  ingénieux,  a  fait  dire  à  l'un  des  personnages 
d'une  très-amusante  et  très-spirituelle  comédie  : 

....  Je  souscris,  cher  Dorlange, 
Dcsbillcta  laol  qu'un  veut,  poiut  de  leltres  de  change. 

Il  voulait  faire  entendre  par  là  que  les  billets  n'exposaient 
pas,  comme  les  lettres  de  change,  à  la  contrainte  par 
corps;  on  vient  de  voir  que  c'est  une  erreur,  et  que  si 


le  billet  à  domicile,  ce  qui  d'ailleurs  est  son  caractère, 
constate  réellement  une  remise  de  place  en  place,  il  a  le 
même  effet  que  la  lettre  de  change,  celui  d'entraîner  la  con- 
trainte par  corps.  Peut-être  aussi  le  poète  a-t-il  voulu 
ajouter,  comme  un  trait  de  plus,  cette  erreur  aux  saillies  de 
l'un  des  étourdis  qu'il  met  en  scène  dans  la  comédie  qui 
porte  ce  titre  ;  mais  enfin  le  public  a  besoin  d'être  averti. 

Le  billet  à  domicile  peut  aussi  avoir  la  forme  de  billet  à 
ordre;  et  dans  ce  cas  il  est  soumis  à  toutes  les  règles  de 
forme  et  de  poursuite  relatives  à  ces  sortes  de  billets. 

Le  billet  de  chawje  est  la  promesse  que  fait  le  preneur 
d'une  lettre  de  change  d'en  fournir  la  valeur  à  une  époque 
déterminée ,  ou  bien  encore  la  promesse  de  celui  qui  reçoit 
une  somme  d'argent  de  fournir  une  lettre  de  change  d'une 
somme  égale  dans  un  temps  fixé. 

Le  billet  à  ordre  est  l'engagement  de  payer  à  une  personne 
dénommée  ou  à  son  cessionnaire ,  par  voie  d'endossement, 
une  somme  déterminée  ;  il  se  fait  ordinairement  sous  seing 
privé.  Mais  il  peut  avoir  lieu  devant  notaire.  Ce  billet  doit 
être  daté;  il  doit  énoacer  la  somme  à  payer,  le  nom  de  celui 
à  l'ordre  de  qui  il  est  souscrit ,  l'époque  à  laquelle  et  le 
lieu  où  le  payement  doit  s'effectuer,  la  valeur  qui  a  été 
fournie  en  espèces ,  en  marchandises  ,  en  compte  ou  de 
toute  autre  manière.  S'il  ne  réunit  pas  ces  conditions ,  il  est 
assimilé  à  une  simple  promesse;  et  s'il  n'est  pas  écrit  en  en- 
tier de  la  main  du  souscripteur,  il  faut  que  celui-ci  exprime 
en  toutes  lettres  l'approbation  de  la  somme  pour  laquelle  il 
s'est  obligé,  à  moins  qu'il  n'émane,  ainsi  que  nous  l'avons 
déjà  dit  pour  le  simple  billet,  de  marchands,  artisans,  la- 
boureurs, vignerons,  gens  de  journée  et  de  service. 

Le  billet  à  ordre  est,  pour  ainsi  dire,  la  monnaie  courante 
du  commerce;  il  est  tellement  répandu  dans  la  circulation, 
qu'il  nous  semble  de  la  plus  grande  importance  de  faire  con- 
naître en  détail  les  règles  légales  auxquelles  il  est  assu- 
jetti. 

La  transmission  ou  cession  de  ce  billet  se  fait  par  la  voie 
derendossement.Cetendossementdoitêtredaté,exprimer 
la  valeur  fournie,  et  énoncer  le  nom  de  celui  à  l'ordre  de  qui 
il  est  passé.  Si  l'endossement  ne  réunit  pas  ces  conditions, 
il  n'opère  pas  le  transport  ;  il  n'est  qu'une  procuration  ;  c'est, 
en  un  mot,  un  endossement  irrégulier.  Tel  est  surtout  celui 
qui  ne  porte  qu'une  simple  signature ,  et  qu'on  appelle  en- 
dossement en  blanc.  La  loi  n'exige  pas  que  l'endossement 
soit  écrit  de  la  main  de  l'endosseur  ;  il  suffit  qu'il  soit  signé 
de  lui,  et  dans  ce  cas  l'endosseur  n'est  pas  tenu  d'approuver 
l'écriture.  Il  peut  comme  le  souscripteur  indiquer  un  tiers 
pour  payer  uu  besoin  l'efiet  endo.ssé. 

Outre  l'endossement,  le  payement  d'un  billet  à  ordre  à 
l'échéance  peut  être  garanti  par  un  aval,  qui  est  fourni 
sur  le  billet  même  ;  celui  qui  cautionne  écrit  sous  la  signa- 
ture ces  mots  :  Pour  aval.  Ce  cautionnement  peut  môme 
résulter  d'une  simple  signature  sans  autre  énonciation, 
pourvu  qu'elle  soit  apposée  au  bas  de  l'effet,  ou  que,  mise  au 
dos  après  un  endossement,  elle  ne  soit  pas  celle  de  la  per- 
sonne à  qui  cet  endossement  transmet  le  titre ,  car  dans  ce 
cas  elle  ne  serait  qu'un  endossement  en  blanc. 

Le  relus  ou  l'impossibilité  de  payer  un  billet  à  ordre  à 
son  échéance  est  constaté  par  un  acte  appelé  protêt;  il  est 
fait  à  la  requête  de  celui  qui  est  porteur  du  titre;  c'est  par 
ce  seul  acte  qu'il  peut  conserver  le  droit  de  recourir,  en  cas 
de  non-payement,  contre  son  cédant  ou  les  endosseurs  anté- 
rieurs; la  dérogation  à  l'usage  du  protêt  s'exprime  habituel- 
lement par  ces  mots  :  Retour  sans  frais,  ou  simplement 
Sans  frais,  apposés  sur  l'effet  par  le  souscripteur  ou  l'un 
des  endosseurs;  le  porteur  n'en  a  pas  moins  les  mêmes, 
droits. 

Le  billet  à  ordre  diffère  de  la  lettre  de  change  en  ce  qu'il 
ne  contient  pas  de  remise  d'argent  de  place  en  place,  et 
qu'il  n'est  pas  un  acte  commercial  par  essence  ;  il  n'a  en  effet 
ce  caractère  qu'autant  qu'il  est  sousciit  par  un  commerçant 


i 


BILLET  —  BILLON 


011  pour  affaii-es  commerciales.  Quant  aux  intérêts  résultant 
de  la  somme  portée  dans  un  billet  à  ordre,  ils  courent  à 
dater  du  protêt. 

La  durée  de  l'action  à  laquelle  peut  donner  lieu  un  billet 
à  ordre  est  de  cinq  ans  pour  les  billets  à  ordre  souscrits  par 
des  commerçants  ou  qui  émanant  de  non-commerçants  ont 
pour  objet  des  dettes  de  commerce  :  il  s'ensuit  que  les  billets 
à  ordre  qui  ont  été  consentis  par  des  non- commerçants, 
lorsqu'ils  n'ont  point  pour  objet  des  actes  de  commerce,  se 
prescrivent  par  le  laps  de  temps  ordinaire  de  prescription , 
c'est-à-dire  par  trente  ans. 

Les  billets  ou  mandats  au  porteur  sont  des  effets  qiii 
sont  payables  à  quelque  personne  que  ce  soit  qui  s'en  trouve 
porteur  lors  de  l'échéance  ;  le  billet  au  porteur  diffère  du 
billet  en  blanc  en  ce  que  dans  ce  dernier  le  nom  du  créan- 
cier est  laissé  en  blanc  de  manière  à  pouvoir  être  rempli  à 
toute  heure  du  nom  que  l'on  veut  y  mettre  ;  il  ne  peut  être 
confondu  avec  le  billet  à  ordre,  puisque  dans  celui-ci  il  est 
indispensable  d'énoncer  le  nom  de  la  personne  à  l'ordre  de 
qui  le  billet  est  souscrit.  De  ce  que  le  Code  de  Commerce 
est  muet  sur  les  billets  au  porteur,  il  ne  faut  pas  conclure 
qu'ils  soient  prohibés,  et  par  conséquent  non  obligatoires  : 
en  effet,  on  se  trouve  toiyours  sous  l'empire  des  lois  qui  en 
reconnaissent  l'existence  légale. 

Le  billet  en  blanc  est  le  billet  fait  au  profit  d'une  per- 
sonne dont  le  nom  est  laissé  en  blanc ,  et  qu'on  peut  rem- 
plir d'un  nom  quelconque.  Comme  la  législation  actuelle  re- 
connaît la  validité  des  billets  au  porteur,  il  en  résulte  que 
les  billets  en  blanc  sont  aujourd'hui  valables. 

Les  billets  en  marchandises  sont  des  billets  par  les- 
quels le  souscripteur  s'engage  ,  en  échange  de  l'argent  qu'il 
reçoit,  à  remettre  des  marchandises  dans  un  lieu  déterminé 
et  à  une  époque  convenue. 

On  appelle  billet  de  grosse  le  billet  souscrit  par  suite  d'un 
prêt  à  la  grosse  ou  contrat  par  lequel  une  somme  d'argent  est 
prêtée  sur  des  objets  exposés  aux  dangers  de  la  navigation. 

Le  billet  de  prime  est  le  billet  par  lequel  l'assuré  s'o- 
blige à  payer  la  prime  ou  le  coût  de  l'assurance. 

Le  billet  de  rançon  est  celui  que  souscrit  un  capitaine  de 
navire  capturé  au  profit  du  capteur,  afin  d'obtenir  sa  liberté. 

Les  billets  de  banque,  créés  en  France  par  la  loi  du  24  avril 
1803, ne  peuvent  être  émis  que  par  les  banques  publiques; 
ce  papier,  qui  fait  la  fonction  du  numéraire,  peut  être  consi- 
déré en  quelque  sorte  comme  une  dépendance  du  droit  de 
battre  monnaie,  droit  qui  n'appartient  qu'au  pouvoir  sou- 
verain. Le  crédit  des  banques  publiques  a  sa  base  dans  la 
confiance  que  le  public  accorde  aux  billets  qu'elles  répan- 
dent dans  la  circulation.  La  moindre  coupure  de  ces  billets 
était  autrefois  de  500  fr.  ;  depuis  uu  décret  rendu  en  1848, 
cette  coupure  a  été  réduite  à  lOO  fr.  Voyez  Banque. 

J.  DE  LassiME,  avocat  à  la  cour  impériale  de  Paris. 

BILLEVESEE,  balle  soufflée  et  remplie  de  vent,  mot 
composé  de  bille  ou  boule,  et  de  vèse,  nom  que  l'on 
donne  en  plusieurs  provinces  de  France  à  l'instrument  que 
nous  appelons  musette  ou  cornemuse.  —  Le  nom  de  bille- 
vesée a  été  appliqué  h  tous  les  discours  frivoles  et  inutiles, 
aux  sottises ,  aux  folies ,  aux  niaiseries ,  à  toutes  les  paroles 
vides  de  sens. 

Tous  les  propos  qu'il  tient  sont  des  billevesées, 

a  dit,  dans  les  Femmes  Savantes,  Molière,  qui  s'était  servi 
dans  les  Précieuses  ridicules  de  l'expression  sottes  bille- 
vesées, en  parlant  des  vers,  des  romans  et  des  chansons. 
Le  mot  de  billevesée  est  donc  synonyme  de  baliverne,  de 
fadaise,  de  sornette;  mais  il  exprime  mieux  le  vide,  l'en- 
lUire  d'un  discours,  d'un  ouvrage  littéraire.  Baliverne 
s'applique  plus  spécialement  à  un  discours,  à  un  ouvrage 
dont  l'inutilité  résulte  de  son  obscurité,  de  son  style  am- 
phigourique. Le  mot  fadaise  a  plus  de  rapport  à  tout  ce 
qui  se  dit  ou  s'écrit  de  fade,  de  niais,  de  plat  et  d'insipide. 


219 

Quant  au  mot  sornette ,  il  signifie  plus  spécialement  un 
discours  ou  un  ouvrage  frivole,  qui  trompe,  qui  ment  sans 
le  vouloir,  et  sans  autre  but  que  d'amuser  celui  qui  le  fait, 
un  peu  aux  dépens  de  ceux  qui  l'entendent  ou  qui  le  lisent, 
mais  sans  tu-er  à  conséquence.  Le  conteur  de  sornettes  est 
l'homme  qui  fait  des  contes  en  l'air.  H.  Audiffret. 

BILLIIVGTOIV  (ÉLiSABETn  WEICHSEL),  célèbre  can- 
tatrice, née  à  Londres,  en  1769.  Son  père,  pauvre  mu- 
sicien ambulant.  Saxon,  bon  violon  du  reste,  profitant  des 
rares  dispositions  d'Elisabeth,  lui  fit  donner  des  leçons  paF 
Thomas  Billington,  contrebassiste,  qui  eut  la  satisfaction 
de  voir  son  élève  jouer  un  concerto  de  piano  au  théâtre  de 
Hay-Market  à  l'âge  de  sept  ans.  Quatre  ans  après,  elle  exé- 
cutait en  public  des  pièces  qu'elle  avait  composéos.  Sa 
voix,  sa  beauté  précoce  comme  son  talent,  aveuglèrent 
l'infortuné  Billington  ;  Elisabeth  n'avait  pas  atteint  sa  quin- 
zième année ,  qu'il  l'épousa,  et  la  fit  débuter  au  théâtre  de 
Dublin  en  1786.  Peu  de  temps  après,  mauvaise  épouse, 
écolière  ingrate ,  Elisabeth ,  ne  gardant  que  le  nom  de  son 
mai-i ,  s'enfuit  avec  un  séducteur.  Ses  désordres  nuisirent  à 
ses  succès  :  ce  ne  fut  qu'après  avoir  pris  à  Paris  des  leçons 
de  Sacchini  qu'elle  ramena  le  public  de  Londres.  A  cette 
époque  Catherine  II  lui  fit  proposer  par  son  ambassadeur 
un  engagement  pour  le  théâtre  de  Saint-Pétersbourg.  La 
prima  donna  demanda  une  somme  si  exorbitante,  que 
l'ambassadeur  se  permit  de  lui  dire  :  «  Mais  l'impératrice 
de  toutes  les  Russies  ne  donne  pas  davantage  à  ses  mi- 
nistres! —  Eh  bien  !  qu'elle  fasse  chanter  ses  ministres,  » 
répondit  la  positive  mistriss  Billington. 

En  1794  elle  alla  se  perfectionner  à  Naples,  où  son  mari , 
qui  l'avait  suivie,  mourut  si  brusquement  qu'on  le  crut  em- 
poisonné. Florissant,  jeune  Franç^iis,  épousa  sa  veuve,  et  la 
conduisit  à  Venise.  Elle  y  excita  le  plus  grand  enthousiasme, 
mais  ne  put  jamais  empêcher  la  foule  de  déserter  chaque 
soir  le  théâtre  où  elle  chantait  Y  opéra  séria,  pour  aller  en- 
tendre la  cavatine  de  la  Capriciosa  corretta,  air  bouffe  et 
favori  delà  Morichelli,  qui  avec  un  reste  de  voix,  un  laid  visage 
et  quarante-cinq  ans ,  l'emportait  sur  la  plus  célèbre  et  la 
plus  belle  cantatrice  de  son  époque.  Ce  triomphe  d'un  quart 
d'heure ,  dû  au  jeu  de  la  Morichelli,  déplut  extrêmement  à 
mistriss  Billington,  qui  manquait  d'expression  et  sentait 
qu'elle  ne  pouvait  devenir  actrice  ;  elle  repartit  pour  Lon- 
dres (1801),  et  y  devint  l'objet  d'une  telle  faveur  qu'on 
l'engagea  à  la  fois  pour  les  théâtres  de  Covent-Garden  et 
de  Drury-Lane ,  sur  lesquels  elle  jouait  alternativement. 
VAlien-bill  ayant  forcé  son  mari  à  quitter  l'Angleterre,  mis- 
triss Billington  se  retira  à  San-Arziano,  près  de  Venise ,  où 
elle  mourut  le  26  août  1818.  C"'  de  Bradi. 

BILLOIV  {Monnayage),  mélange  de  substances  métal- 
liques pour  la  fabrication  de  menue  monnaie,  d'un  titre  in- 
férieur à  l'argent  et  supérieur  au  cuivre.  Le  billonnage, 
considéré  comme  altération  des  monnaies  ayant  cours  par 
un  mélange  au-dessous  du  titre  légal ,  est  puni  comme  criiue 
de  fausse  monnaie. 

Les  gouvernements ,  dans  les  crises  financières  où  le  tré- 
sor ne  peut  suffire  aux  dépenses,  ont  eu  souvent  recours  à 
la  fabrication  de  pièces  d'or  ou  d'argent  au-dessous  du  litre 
légal.  L'opinion  en  a  fait  bonne  et  prompte  justice. 

Dans  le  style  figuré ,  on  appelle  billon  tout  ce  qui  n'est 
pas  de  bon  aloi.  Lorsque,  sous  l'ancien  gouvernement,  on 
soumit  à  une  révision  générale  les  titres  de  noblesse ,  on  dé- 
couvrit une  foule  de  titres  ''aux  ou  usurpés;  on  disait  alors 
que  la  noblesse  avait  été  mise  au  billon. 

On  a ,  dans  le  sens  positif,  appelle  billonneurs  les  hommes 
préposés  par  Charles  Yl ,  en  1385,  pour  retirer  de  la  circu- 
lation les  pièces  démonétisées  et  les  mettre  au  billon.  On  a 
depuis  donné  le  nom  de  billonneurs  à  ceux  qui  faisaient  un 
trafic  illicite  sur  la  valeur  des  espèces.  Les  anciennes  or- 
donnances les  assimilaient  aux  faux  monnayeurs. 

DtFEY  (  de  rvoDtic). 

2». 


236 


BILLON  —  BIMBELOTERIE 


Toutes  les  mounaics  de  billon  n'ont  pourtant  pas  été  frap- 
l)ées  daas  le  but  coupable  de  tromper  sur  la  valeur.  Le  prix 
du  cuivre  étant  en  général  trop  faible  pour  permettre  de  fa- 
briquer avec  ce  métal  une  monnaie  commode,  et  aucun  autre 
métal  ne  se  présentant  jusqu'ici  pour  le  remplacer,  on  a  quel- 
quefois essayé  de  mêler  au  cuivre  quelque  métal  précieux , 
comme  l'argent,  afin  de  rapprocbcr,  dans  des  monnaies  d'ap- 
point légères,  la  valeur  intiinsèque  de  la  valeur  nominale. 
Partout,  d'ailleurs,  on  admet  un  alliage  dans  les  pièces  de 
monnaie  fabriquies  avec  des  métaux  précieux ,  et  quelque- 
fois cet  alliiige  est  assez  considérable  pour  constituer  du  bil- 
lon :  c'est  ainsi  que  les  pièces  de  Prusse  laissent  apercevoir 
en  quelque  sorte  à  l'œil  le  cuivre  qui  les  altère.  Mais  la  con- 
trefaçon de  ces  pièces  est  tellement  facile  et  tellement  avanta- 
geuse, que  les  gouvernements  devront  renoncer  à  émettre  des 
pièces  de  bas  aloi.  Lorsque  nos  sous  seront  refondus,  comme 
une  loi  récente  vient  de  l'ordonner ,  la  France  n'aura  plus 
que  des  monnaies  d'or,  d'argent  et  de  bronze.  Il  y  a  quelques 
années,  nous  avions,  en  billon  :  des  pièces  de  six  liards, 
comprenant  toutes  sortes  de  pièces ,  de  tous  les  pays  et  de 
toutes  les  provinces,  la  plupart  complètement  effacées  et 
fabriquées  en  général  de  1705  à  1794;  des  pièces  de  dix  cen- 
times portant  une  lettre  N  couronnée,  mises  en  circulation 
en  vertu  de  la  loi  du  t5  septembre  1807;  des  pièces  de 
quinze  et  de  trente  sous,  créées  en  vertu  du  décret  de  l'As- 
semblée constituante  du  11  janvier  1791.  Une  loi  du  11  avril 
1845  ordonna  la  démonétisation  de  la  monnaie  de  billon. 
Cette  mesure  fut  exécutée  à  la  fin  de  1845  pour  les  pièces  de 
six  liards  et  de  dix  centimes ,  et  au  milieu  de  1846  pour  les 
pièces  de  quinze  et  de  trente  sous.  Des  commissions  moné- 
taires reprirent  au  pair  les  monnaies  en  question.  A  chaque 
fois  il  se  présenta  un  certain  nombre  de  pièces  fausses  dont 
les  porteurs  ne  purent  tirer  que  la  valeur  intrinsèque.  Avant 
cette  opération  on  évaluait  la  circulation  des  pièces  de  six 
liards  et  des  petits  décimes  à  10  millions  de  francs;  le  retrait 
n'en  fit  retrouver  que  pour  5,500,000  fr.  On  savait  qu'il 
avait  élé  émis  des  pièces  de  quinze  et  de  trente  sous  pour 
25  millions  de  francs,  on  supposait  qu'il  devait  en  rester 
pour  20  millions  en  circulation  :  18  millions  seulement  ont 
été  retirés.  Celte  déltionélisation  du  billon  coûta  5,250,000  fr. 
Le  gouvernement  remplaça  cette  monnaie  par  une  émis- 
sion nouvelle  de  petites  pièces  d'argent  de  20  centimes. 
Malheureusement  nous  avons  trop  peu  de  types  de  monnaies 
«l'argent  ;  des  pièces  de  20  centimes  il  faut  sauter  aux  pièces 
de  50  centimes,  puis  de  1  fr.,  de  2  fr.  et  de  5  fr.  La  Bel- 
gique a  déjà  des  pièces  de  2  fr.  50  cent.  Si ,  comme  Gay- 
Lussac  le  demandait  avec  tant  d'autorité  à  la  Chambre  des 
Pairs,  nous  avions  des  pièces  de  30  centimes,  de  60  centimes, 
de  75  centimes,  de  1  fr.  25  cent.,  de  1  fr.  75  cent.,  etc.,  nous 
aurions  besoin  de  bien  moins  de  pièces  de  cuivre,  puisque 
la  plupart  des  appoints  pourraient  se  faire  par  des  échanges 
de  pièces  d'argent  de  valeurs  diverses.  L.  Louvet. 

BILLOIV  (Agriculture).  On  nomme  ainsi  les  bandes 
de  terre  plus  ou  moins  larges,  formées  par  la  réunion  de  deux 
ou  plusieurs  traits  de  charrue,  et  pratiquées  dans  les  champs 
par  le  labour.  Les  billons  sont  plus  ou  moins  bombés 
dans  leur  n\ilieu  et  ordinairement  bordés  des  deux  côtés  par 
des  sillons  ou  rigoles  qui  servent  à  l'écoulement  des  eaux. 
Les  billons  sont  dans  la  grande  culture  ce  que  sont  les  plates- 
bandes  dans  le  jardinage.  Généralement  parlant,  labourer 
en  billons  est  l'opposé  de  labourer  à  plat. 

Le  bïllonnage  est  usité  dans  les  terrains  humides,  et  en 
général  dans  tous  les  sols  qui  ont  peu  de  profondeur;  on 
obtient  cette  disposition  en  labourant  le  terrain  avec  une 
charrue  à  deux  versoirs ,  qui  rejette  la  terre  à  droite  et  à 
gauche,  et  forme  ainsi,  quand  toute  la  surface  est  labourée, 
une  suite  d'ados  plus  ou  moins  larges,  et  qui  sont  séparés 
par  des  raies  profondes.  Le  billonnage  est  un  bienfait  pour 
des  pays  entiers  qui,  sans  son  secours,  ne  connaîtraient 
pas  le  blé.  Labourer  en  planches  ou  labourer  en  billons  est 


presque  synonyme  ;  la  seule  différence  e<;t  que  la  planche  a 
plus  de  superficie  que  le  biîlon  :  elle  peut  avoir  jusqu'à 
trois  mètres  de  largeur,  et  ce  dernier  en  a  tout  au  plus  un. 
Il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  que  la  méthode  du  billonnage 
doit  être  interdite  pour  tous  les  champs  où  l'on  ne  craint 
pas  la  submersion.  Dans  tous  les  sols  qui  sont  d'une  nature 
sèche  et  exposés  à  manquer  d'humidité,  il  faut  semer  à 
j)lat,  parce  que  toute  culture  à  raies  tendrait  à  faciliter  l'é- 
coulement des  eaux ,  et  serait  par  conséquent  plus  nuisible 
qu'utile.  Dans  les  autres,  elle  fait  obtenir  des  produits 
qu'on  aurait  difficilement  sans  cela. 

Le  mot  billon  est  aussi  usité  en  Bourgogne  par  les  vigne- 
rons pour  indiquer  un  sarment  taillé  court,  à  trois  ou  quatre 
doigts  seulement  Cette  taille  est  particulière  à  toute  espèce 
de  plant  de  vigne  qui  porte  ses  raisins  près  le  cep,  et  non 
sur  l'avant  du  sarment.  Le  meunier,  par  exemple,  dont  les 
feuilles  sont  blanches  en  dessous  et  le  grain  plus  long  que 
rond ,  a  besoin  d'être  taillé  court  ;  tandis  que  le  vionnier, 
raisin  blanc,  cultivé  au  territoire  de  la  Côte-Rôtie,  exige 
une  taille  longue,  parce  qu'il  ne  charge  bien  qu'à  l'extrémité 
du  sarment. 

BILLOT,  grosse  pièce  de  bois  faite  le  plus  ordinaire- 
ment d'un  tronc  d'arbre  gros  et  court,  sur  laquelle  les  bou- 
chers découpaient  autrefois  leur  viande,  et  qui  sert  aujour- 
d'hui dans  les  cuisines,  et  à  différents  autres  usages,  dans 
divers  arts  et  métiers.  Ainsi,  l'on  appelle  billot  la  pièce  de 
bois  sur  laquelle  les  boisseliers  et  les  tourneurs  travaillent, 
celle  sur  laquelle  repose  l'enclume  des  maréchaux  et  des 
serruriers,  celle  que  l'on  met  sous  les  pinces  ou  leviers  pour 
mouvoir  quelque  fardeau.  Le  billot  servait  aussi  autrefois 
pour  la  décollation  par  la  hache. 

BILLUi\GEl\  (  Les),  nom  générique  donné  aux  princes 
de  la  dynastie  de  Dillung,  qui  régnèrent  dans  le  duché  de 
Saxe  de  l'an  961  à  l'an  1106. 

BIL08É.  On  nomme  ainsi  les  parties  des  végétaux  qui 
offrent  deux  lobes  ou  des  divisions  élargies  séparées  par  un 
sinus  obtus ,  plus  ou  moins  arrondi  à  son  fond.  Cette  épi- 
thète,  attachée  à  la  graine,  signifie  la  même  chose  que  di- 
coty  lédone. 

BILOCULAIRE.  On  appelle  ainsi,  en  botanique,  les 
organes  qui  ont  deux  loges  :  telles  sont  la  baie  du  troène , 
la  capsule  du  lilas,  les  anthères  des  orchis,  etc. 

BWI  A]\ES.  Buffon  s'est  servi  le  premier  de  ce  mot,  que 
Blumenbach  et,  plus  tard,  Cuvier  choisirent  pour  désigner 
le  premier  ordre  de  la  classe  des  mammifères,  renfer- 
mant l'unique  genre  Homme.  Le  mot  émanes  (formé  de 
bis,  deu^,  et  de  manus,  main)  exprime,  en  effet,  l'un  des 
attributs  les  plus  remarquables  et  les  plus  éminemment  ca- 
ractéristiques de  l'homme,  savoir  :  la  diversité  des  types 
sur  lesquels  sont  construites  ses  deux  paires  de  membres , 
l'une  spécialement  affectée  à  la  station  et  à  la  progression , 
l'autre  à  la  préhension  et  au  tact. 

Cuvier  a  aussi  donné  le  nom  de  bimanes  aux  reptiles  du 
genre  chirote,  qui  ont  seulement  deux  membres  antérieurs , 
et  forment,  avec  les  hystéropes,  le  passage  des  sauriens 
aux  ophidiens. 

BIMBELOTERIE  (du  vieux  mot  bimbelot,  jouet 
d'enfant).  Cette  branche  d'industrie  se  rattache  à  une  foule 
d'autres,  et  il  serait  difficile  d'assigner  des  limites  fixes  aux 
ouvrages  qu'elle  produit.  Les  ateliers  qui  s'occupent  de  l'a- 
musement des  enfants  reproduisent  en  petit,  d'une  manière 
plus  ou  moins  grossière,  une  foule  d'objets  divers  dont  les 
types  appartiennent  à  des  arts  très-variés,  tels  que  ceux  du 
sculpteur,  du  mouleur,  du  tourneur,  du  tailleur,  de  la  cou- 
turière, de  la  modiste,  de  l'ébéniste,  du  menuisier,  du  car- 
rossier, etc.,  etc.  Que  de  ressources  il  faut  déployer  pour 
amuser  les  enfants  et  tenter  les  parents!  Mais  comme  tous 
ces  produits  doivent  peu  durer,  le  point  capital  pour  le  bim- 
belotier  est  de  produire  à  bon  marché.  Et  cependant  com- 
bien de  jolies  choses  vont  périr  dans  ces  mains  enfantines. 


BIMBELOTERIE  —  BINAIRE 


221 


pour  qui  rien  n'est  sacré,  et  qui  briseraient  une  statuette 
de  Dantan  avec  autant  d'amour  qu'une  figurine  d'Italien 
ambulant! 

Il  y  a  cependant  dans  la  bimbeloterie  quelques  parties 
mieux  caractérisées.  Ainsi  nous  trouvons  d'abord  toutes 
ces  pièces  en  étain  de  bas  aloi  et  en  pjomb,  coulées  dans 
des  moules  et  quelquefois  colorées  et  vernies,  dont  on  com- 
pose les  ménages  et  les  régiments  :  il  y  a  là  des  soldats  de 
tous  les  grades  à  deux  liards,  qui,  comme  le  vieux  soldat 
de  31.  Scribe,  savent 

souffrir  et  se  taire 

Sans  murrniiror; 

des  plats,  des  gobelets ,  des  chaises ,  des  chandeliers ,  des 
s-aiuts-sacrements ,  quesais-je!  Tout  cela,  c'est  l'affaire  du 
potier  d'étain.  "Viennent  ensuite  les  jouets  en  bois,  imitation 
de  toutes  espèces  de  meubles  ;  puis,  encore  en  bois,  des  grands 
chevaux  de  bataille,  des  sabres,  des  fusils,  des  poupées  dites 
à  ressort;  des  bons-hommes  mécaniques,  exécutant  toute 
.sorte  de  tours  et  d'exercices;  des  martinets  de  forge,  etc.  ; 
des  tambours  avec  leurs  baguettes;  puis  des  ménageries 
avec  des  maisons,  des  arbres,  des  houmies  et  des  animaux 
peints  et  sculptés  :  toutes  les  variétés  de  la  nature. 

Le  cartonnage  fournit  beaucoup  à  la  bimbeloterie.  C'est 
avec  du  carton  que  l'on  fabrique  ces  poupées,  ces  chiens, 
ces  chats,  ces  oiseaux,  qui  parlent,  aboient,  miaulent  et 
chantent  comme  des  personnes  naturelles,  à  l'aide  de  quel- 
ques ressorts  ou  de  quelques  lames  métalliques  et  de  souf- 
llels.  Ces  animaux  charmants  ont  le  bon  esprit  de  ne  pas 
manger.  Mais  ce  n'est  pas  tout;  outre  les  comédies  et  les 
pantins,  la  bimbeloterie  fait  des  instruments  de  musique, 
des  violons ,  des  accordéons,  des  trompettes,  des  flageolets. 
Et  des  mirlitons  donc  !  voilà  son  triomphe,  lille  en  a  à  tout 
prix,  et  de  toutes  les  grandeurs.  Elle  fait  des  cannes  de 
tambour-major  de  deux  pieds ,  des  fouets  de  postillon  avec 
des  lanières  de  martinet.  Puis  la  mercière  donne  de  îa  gaze 
et  de  la  dentelle  pour  habiller  les  poupées ,  qui  malheureu- 
sement ont  besoin  d'être  empalées  pour  se  tenir  debout.  Y 
en  a-t-il  des  poupées  !  poupées  en  carton ,  poupées  en  peau, 
poupées  en  toile,  poupées  en  son,  à  tète  de  carton,  à  tète  de 
porcelaine,  avec  des  yeux  d'émail,  avec  des  cheveux,  etc. 
Dans  ce  petit  monde  l'habillement  fait  le  moine,  et  le  hasard 
préside  aussi  à  la  destinée.  Pourquoi  cette  petite  tète  de- 
vient-elle une  vivandière,  celle-ci  une  bergère,  celle-ci  une 
grande  dame?  Elles  sortent  toutes  du  même  moule  pourtant  ; 
elles  se  ressemblent  à  peu  près,  et  la  plus  laide  n'a  pas  tou- 
jours l'habit  le  plus  grossier.  Enfants ,  c'est  que  ces  petits 
êtres  sont  aussi  les  enfants  des  hommes,  et  à  défaut  de  pas- 
sions personnelles,  nous  leur  donnons  les  nôtres. 

Voici  encore  des  chariots,  des  canons,  des  tonneaux,  des 
charrettes,  des  équipages,  des  carrosses,  etc.  Tous  les  rôves 
de  la  vie,  quoil  L'optique  fournit  aussi  sa  part.  N'oublions 
pas  l'intéressante  toupie  d'Allemagne,  le  sabot,  et  ces  jolies 
petites  pièces  de  poterie  qui  durent  peu,  hélas!  dans  les 
mains  de  cea  ménagères  futures.  Enfin  nous  n'en  finirions 
pas  si  noua  voulions  passer  en  revue  tous  les  produits  de 
îa  bimbeloteije.  C'est  en  quelque  sorte  la  représentation  de 
toute  l'industrie  humaine;  ce  qui  prouve,  dirait  un  plus  sa- 
vant, que  nous  ne  sommes  que  de  grands  enfants! 

On  range  par  analogie  dans  la  bimbeloterie  des  objets 
qui  ne  sont  pas  particulièrement  à  l'usage  de  la  marmaille, 
.omme  les  petits  étuis,  les  dés  à  coudre,  etc.  Mais,  enfants, 
tirez  vos  mouchoirs!  une  ordonnance  de  M.  Carlier  a  dé- 
fendu la  vente  des  objets  de  bimbeloterie  sur  le  pavé  de 
Paris.  Pour  acheter  des  joujoux  il  faut  entrer  dans  des  bou- 
tiques. Adieu  la  tentation  :  vous  n'aurez  plus  de  jouets 
qu'aux  jours  de  fôte.  Je  le  crains,  du  moins. 

Les  jouets  se  fabriquîuent  autrefois  exclusivement  en  Al- 
lemagne, principalement  dans  la  ville  de  Nuremberg;  mais 
c'est  une  branche  importante  dont  l'industrie  française  s'est 


emparée.  Notre  bimbeloterie  est  à  meilleur  marché  que  cella 
des  Allemands ,  et  elle  participe  jusqu'à  un  certain  point  au 
caractère  d'élégance  et  de  bon  goût  qui  distingue  tout  ce 
qui  se  fabrique  à  Paris.  Cependant  la  capitale  n'est  pas  le 
principal  siège  de  cette  fabrication ,  qui  se  fait  surtout  à  Va- 
lenciennes.  Quant  aux  petites  figures  sculptées  en  bois ,  nos 
produits  sont  encore  inférieurs  à  ceux  de  Manheim.  Ce  qui 
en  approche  le  plus  en  France,  c'est  l'article  dit  de  Saint- 
Claude  (Juta).  L.  LOUVET. 

BINAGE,  BINER,  BINETTE.  En  agriculture,  le  binage 
est  un  second  labour  donné  aux  terres  déjà  labourées  une 
première  fois.  Le  but  de  cette  opération  est  non-seulement 
d'ameublir  de  plus  en  plus  le  sol,  mais  aussi  d'enterrer  les 
fumiers  ou  autres  engrais  que  l'on  a  eu  soin  de  répandre  sur 
les  champs  entre  les  deux  labours.  Par  extension,  on 
nomme  aussi  binage  une  opération  qui  n'est  pas  un  labour, 
et  qui  n'a  pas  été  faite  une  première  fois  :  tel  est  le  her- 
sage des  prairies  artificielles,  et  même  des  céréales,  que 
certains  cultivateurs  font  au  printemps,  et  que  les  agro- 
nomes les  plus  dignes  de  confiance  recommandent. 

En  horticulture,  le  binage  est  un  béchottage ,  expression 
usitée  et  descriptive  qui  devrait  être  généralement  adoptée. 
Il  y  a  cependant  entre  les  deux  opérations,  dont  le  but  et 
le  résultat  sont  absolument  les  mômes,  une  différence,  qui 
consiste  dans  les  instruments  avec  lesquels  on  les  exécute  : 
on  bine  avec  une  binette,  et  on  béchotte  avec  un  béchot. 
Le  premier  instrument  est  une  petite  pioche  en  fer,  armée 
d'un  long  manche;  un  des  côtés  est  à  deux  pointes,  et 
l'autre  est  tranchant.  L'autre  outil  est  une  petite  bêche, 
comme  son  nom  l'indique.  Ainsi ,  le  binage  ou  béchottage 
est  un  travail  léger  et  superficiel  pour  diviser  et  ameubfir  la 
terre  autour  des  plantes  cultivées,  arracher  et  détruire  les 
plantes  adventices,  etc. 

La  culture  en  grand  emploie  très-fréquemment  le  binage 
horticole  :  le  travail  du  sol  autour  des  vignes,  des  pommes 
de  terre,  du  mais  et  de  [)lusieurs  autres  plantes  ne  diffère 
point  de  celui  qu'on  exécute  dans  les  jardins.  Les  cultiva- 
teurs anglais  sont  parvenus  à  le  rendre  plus  facile  et  plus 
fructueux  en  semant  en  rangées  parallèles  et  équidistantes 
non-seulement  les  céréales  et  les  prairies  artificielles,  mais 
presque  toutes  les  plantes  qu'ils  cultivent.  C'est  ainsi  qu'ils 
sont  parvenus  à  avoir  des  blés  toujours  exempts  de  mau- 
vaises herbes. 

Le  mot  biner  a  dans  notre  langue  une  autre  acception  : 
un  prêtre  bine  lorsqu'il  dit  deux  messes  le  même  jour,  dans 
deux  églises  différentes.  La  permission  de  biner  doit  être 
obtenue  de  l'évêque.  Ferry. 

BIIVAILLE.  Voyez  Bisaiixe. 

BliXAlRE  (  Composé  ).  Voyez  Composés. 

BINAIRE  (Système).  C'est  un  système  de  numéra- 
tion qui  exprime  tous  les  nombres  avec  deux  chiffres  seu- 
lement représentant  l'un  le  zéro,  l'autre  l'unité.  Dans  le  sys- 
tème décimal ,  qui  emploie  dix  caractères ,  tout  chiffre  placé 
à  la  gauche  d'un  autre  représente  des  unités  dix  fois  plus 
fortes.  Dans  le  système  binaire,  la  position  d'un  chiffre  à  la 
gauche  d'un  autre  ne  lui  (ait  acquérir  qu'une  valeur  double. 
Ainsi  les  signes  1,  10,  100,  1000,  etc..  dans  notre  ma- 
nière habituelle  de  calculer,  valent  respectivement  wn,  dix, 
cent,  mille,  etc.,  tandis  que  ces  mêmes  signes,  dans  le 
système  binaire,  ne  représentent  que  un,  deux,  quatre, 
huit,  etc.  Les  nombres  que  nous  désignons  ordinairement 
par  1,  2,  3,  4,  5,  6,  7,  8,  t),  10,  etc.,  s'écrivent,  dans 
le  système  binaire,  1,  10,11,  100,  101,  110,  111,  1000, 
1001,  1010,  etc.  11  va  sans  dire  qu'on  pourrait  employer 
d'autres  signes ,  pour  éviter  l'équivoque. 

Pour  hre  un  nombre  écrit  dans  le  système  binaire,  il 
faut  se  rappeler  que  le  premier  chiffre  à  droite  représen- 
tant 1 ,  le  second  représente  2 ,  le  troisième  4 ,  et  ainsi  de 
suite,  en  doublant  toujours.  Par  exemple,  10,111  peut  se 
décomposer  en  l-flO-flOO-l-tOOOO,  ou  bien,  dans  le  sys- 


222 


BINAIRE  —  BINGEN 


tème  dédmal,  1+2+4+16,  c'est-à-dire  23.   L'opération 
inverse  n'offre  pas  plus  de  difficulté. 

Leibnitz  donna  quelque  célébrité  au  système  binaire.  Le 
père  Bouvet,  savant  missionnaire  à  la  Chine ,  à  qui  il  avait 
fait  part  de  diverses  observations  que  lui  avait  suggérées 
l'étude  de  ce  système,  lui  écrivit  que  l'arithmétique  bi- 
naire donnait  très-probablement  l'explication  d'un  sym- 
bole attribué  à  Fo-Hi ,  et  dont  les  lettrés  avaient  depuis 
longtemps  perdu  la  clef.  Cette  opinion  fut  partagée  par  Leib- 
nitz ,  qui ,  avec  ses  tendances  mystiques ,  vit  dans  l'énigme 
nouvellement  déchiffrée  une  image  de  la  création  tirée  du 
néant  par  la  volonté  de  Dieu ,  de  même  que ,  disait-il,  tous 
les  nombres  sont  engendrés  dans  le  système  binaire  par  le 
zéro  et  l'unité. 

Comme  application  usuelle,  disons  que  le  système  bi- 
naire démontre  à  première  vue  que  l'on  peut  faire  toutes  les 
pesées  possibles  avec  une  série  de  poids  dont  chacun  est 
double  du  précédent.  Ainsi ,  avec  des  poids  représentés  par 
les  nombres  1,  2,  4,  8,  on  pourrait  faire  toutes  les  pesées 
(qui  n'exigeraient  pas  de  poids  fractionnaires)  jusqu'à  15; 
avec  un  poids  de  plus,  on  irait  jusqu'à  31  ;  etc. 

E.  Merliecx. 

BINEAU  (Jean-Martial),  ingénieur  en  chef  des  mines, 
ciiargé  de  l'inspection  du  matériel  et  de  l'exploitation  des 
chemins  de  fer,  puis  député,  représentant  du  peuple,  ministre 
des  travaux  publics,  et  aujourd'hui  ministre  des  finances  et 
sénateur,  est  né  le  19  mai  1805  à  Gennes  (Maine-et-Loire). 
Ayant  eu  le  prix  de  mathématiques  au  grand  concours  de 
1821,  il  entra  à  l'École  Polytechnique.  Admis  à  l'École 
des  Mines  le  15  novembre  1826 ,  il  passa  ingénieur  le  4  juil- 
let 1830 ,  et  devint  ingénieur  en  chef  en  1840.  Ses  connais- 
sances en  métallurgie  le  firent  choisir  pour  diriger  la  partie 
des  chemins  de  fer  près  du  ministère  des  travaux  publics , 
spécialité  que  quelques  années  auparavant  il  était  allé  étu- 
dier en  Angleterre.  C'est  à  la  suite  de  ce  voyage  qu'il  pu- 
blia un  ouvrage  remarquable  ayant  pour  titre  :  Chemins 
de  fer  d'Angleterre  (  Paris,  1840  ).  En  outre,  il  a  fait  im- 
primer dans  les  Annales  des  Mines,  en  1833,  un  Rapport 
sur  l'emploi  de  la  tourbe  pour  le  puddlage  de  la  fonte 
et  le  travail  du  fer  au  four  à  réverbères  dans  les  forges 
d'Ichoux  (Landes);  en  1838,  un  Mémoire  sur  les  di- 
vers procédés  mis  en  usage  pour  remplacer  dans  les 
hauts  fourneaux  et  les  feux  d'affinerie  le  charbon  de 
bois  par  le  bois  vert  desséché  ou  torréfié;  en  1841,  \  Ex- 
trait d'un  rapport  sur  les  divers  procédés  qui  ont  été 
imaginés  pour  franchir  à  grande  vitesse  les  courbes  de 
petit  rayon. 

En  1841 ,  M.  Robineau ,  député  du  2«  collège  d'Angers, 
pour  complaire  à  son  neveu  M.  Bineau ,  donna  sa  démis- 
sion ,  et  les  électeurs ,  non  moins  aimables ,  élurent  en  effet 
le  neveu  à  la  place  de  l'oncle.  A  la  Chambre ,  M.  Bineau 
s'assit  au  centre  gauche ,  et  parla  sur  les  rail-ways,  sur  les 
travaux  publics,  sur  le  roulage,  sur  les  établissements  fran- 
çais de  rocéanie,  sur  la  police  des  chemins  de  fer,  sur  les 
brevets  d'invention ,  sur  la  réforme  postale ,  sur  la  conver- 
sion des  rentes,  sur  la  navigation  intérieure,  etc.,  etc.  Fonc- 
tionnaire public ,  quoique  membre  de  l'opposition,  candidat 
déclaré  pour  le  portefeuille  des  travaux  publics,  il  nageait 
généralement  dans  les  eaux  de  M.  Thiers,  ce  qui  explique 
comment  il  ne  prit  aucune  paît  aux  fameux  banquets  réfor- 
mistes de  1847. 

M.  Bineau  accepta  néanmoins ,  comme  tout  le  monde ,  la 
révolution  de  Février,  et  se  garda  bien  de  bouder  la  répu- 
blique. Aussi  le  30  mars  un  décret  du  gouvernement  pro- 
visoire le  chargeait,  lui  et  son  collègue  Didion,  en  qualité  de 
commissaires  extraordinaires,  de  résoudre  les  difficultés 
graves  qui  avaient  surgi  dans  le  service  des  chemins  de 
fer  d'Oriéans  et  du  Centre.  Sept  jours  après,  un  nouveau  dé- 
cret lui  donnait  la  chaire  d't'coHomie  générale  et  statis- 
tique des  mines ,  usines,  arts  et  manufacttires  dans  l'in- 


saisissable École  d'Administration  créée  par  les  fantaisiste? . 
du  gouvernement  provisoire. 

En  même  temps  le  département  de  Maine-et-Loire,  fidèle 
à  ses  premières  amours,  l'envoyait  à  l'Assemblée  consti- 
tuante. 11  y  fit  partie  du  comité  des  finances,  appartint  par 
ses  votes  à  la  fraction  modérée  de  l'Assemblée,  et  prit  une 
part  activée  ses  travaux.  Réélu  à  l'Assemblée  législative,  il 
devint  ministre  des  travaux  publics  le  31  octobre  1849,  à  la 
chute  du  cabinet  de  M.  O.  Bar  rot.  C'est  à  lui  que  Paris 
doit  la  conversion  de  la  chaussée  pavée  des  boulevards  et 
de  quelques  grandes  rues  en  chaussée  empierrée.  Ennemi , 
lorsqu'il  était  de  l'opposition,  du  monopole  des  compagnies 
financières,  il  en  devint,  étant  ministre,  le  panégyriste  et  le 
défenseur.  Il  eut  du  moins  le  bon  esprit,  lui  ancien  élève 
de  l'École  Polytechnique,  de  protéger  la  proposition  de 
MM.  Charras  et  Latrade  qui  donnait  aux  conducteurs  des 
ponts  et  chaussées  le  droit  de  devenir  ingénieurs  lorsqu'ils 
faisaient  preuve  suffisante  de  capacité. 

Remplacé  le  9  janvier  1851  par  M.  Magne,  et  nommé 
commandeur  de  la  Légion  d'Honneur,  M.  Bineau  défendit  la 
proposition  de  révision  de  la  constitution  dans  les  bureaux. 
Au  mois  de  décembre  de  la  même  année  il  fit  partie  de  la 
commission  consultative  créée  par  le  président  après  son 
coup  d'État;  puis,  le  22  janvier  1852,  il  remplaça  M.  Fould 
au  ministère  des  finances.  La  rente  5  pour  100  dépassait 
alors  le  pair,  M.  Bineau,  fidèle  aux  principes  qu'il  avait  dé- 
fendus autrefois,  n'hésita  pas  à  en  proposer  la  conversion 
en  4  1/2  pour  100.  L'opération  ne  se  fit  pas  sans  difficulté; 
mais,  grâce  à  l'intervention  des  grandes  maisons  de  banque 
et  au  secours  de  la  Banque  de  France,  elle  a  pu  arriver  a 
son  terme.  Peu  de  demandes  de  remboursement  ont  eu  lieu. 
Une  partie  des  rentes  rachetées  ont  été  converties  en  3 
pour  100,  mais  elles  devront  s'écouler  lentement  sur  la  place 
pour  ne  pas  produire  de  perturbation.  M.  Bineau  a  d'ailleurs 
une  tâche  bien  lourde.  Nos  budgets  se  soldent  continuelle- 
ment en  déficit  depuis  longtemps.  Parviendra-t-il  à  rétablir 
l'équilibre  entre  les  recettes  et  les  dépenses  dans  nos  budgets .' 
Ce  serait  bien  beau  ;  mais  cela  nous  parait  bien  difficile.  En 
tout  cas,  la  voie  des  nouveaux  impôts  qu'il  a  proposés  est 
loin  de  nous  paraître  la  meilleure. 

BIIXET  (  Jacques-Philippe-Marie  ),  de  l'Académie  des 
Sciences,  mathématicien  et  astronome  distingué,  est  né  à 
Rennes,  en  1786.  Reçu  comme  élève  à  l'École  Polytechnique 
en  1804,  il  y  fut  plus  tard  répétiteur,  puis  examinateur,  et 
enfin  professeur  de  mécanique  et  inspecteur  général  des 
études  jusqu'en  1830.  Il  fut  destitué  par  le  gouvernement 
de  Juillet,  qui  ne  pouvait  conserver  un  fonctionnaire  aussi 
dévoué  aux  principes  de  la  Restauration.  Cependant  on  lui 
laissa  sa  chaire  d'astronomie  au  Collège  de  France,  qu'il  oc- 
cupe depuis  1823. 

Les  ouvrages  de  M.  Binet  consistent  en  mémoires  sur  des 
parties  élevées  des  mathématiques  et  de  la  mécanique  cé- 
leste. Ces  recherches  ont  été  imprimées,  pour  la  plupart, 
dans  le  Journal  de  l'École  Polytechnique,  ainsi  que  dans 
le  Journal  des  Mathématiques  de  M.  Liouville.  Diverses 
notes  de  M.  Binet  ont  été  insérées  dans  la  Correspondance 
sur  l'École  Polytechnique,  dans  les  Bulletins  de  la  So- 
ciété Philomatique  de  Paris,  et  dans  les  CompteS'Re.ndus 
de  l'Académie  des  Sciences. 

En  1843  M.  Binet  a  succédé  à  Lacroix  dans  la  section  de 
géométne  de  l'Ac^idémie  des  Sciences. 

BI]\GEI\  (Fond  de),  en  allemand  Binger-Loch.  Point 
remarquable  sur  le  cours  du  Rhin,  près  de  la  petite  ville 
de  Bingen,  dans  le  grand-duché  de  Hesse,  à  une  trentaine  de 
kilomètres  au-dessus  de  Mayence. 

Le  Rhin,  qui  depuis  Bàle  coule  dans  la  riche  et  belle  vallée 
qui  sépare  les  Vosges  de  la  Forêt- Noire,  élargit  encore 
son  lit,  et  ralentit  son  cours  au  milieu  des  plaines  fertile* 
et  variées  qui  s'étendent  de  Mayence  à  Bingen.  Ici  l'aspect 
change  subitement  ;  plus  de  rives  verdoyantes  et  unies  ;  des 


BINGEN  -  BIOGRAPHIE 


223 


masses  effrayantes  de  rocs  escarpés  s'avancent  dans  le  fleuve 
et  se  resserrent  tellement  qu'elles  semblent  l'arrêter  et  l'en- 
gloutir. C'est  même  une  opinion  assez  accréditée  que  dans 
les  teiiips  anciens  ces  montagnes  arrêtaient  complètement 
son  cours,  et  que  les  eaux  formaient  un  vaste  lac  du  pays 
compris  entre  Manheim,  Spire,  Francfort ,  Darmstadt,  etc. 
Les  couches  de  sable  qui  couvrent  cette  plaine,  et  surtout 
des  coquilles  et  des  arêtes  de  poissons  découvertes  sur  les 
hauteurs  environnantes,  confirment  cette  hypothèse.  Une 
grande  convulsion  de  la  nature,  provoquée  par  le  lent  tra- 
vail des  eaux,  aurait  ouvert  ce  passage. 

A  Bingen  le  tableau  est  effrayant  et  admirable.  La  mon- 
tagne de  Riidesheini  cache  sa  cime  dans  les  nues  ;  aux  som- 
mets voisins,  aux  flancs  des  hauteurs,  l'œil  découvre  d'an- 
tiques châteaux  forts  suspendus  comme  des  nids  d'aigles.  Le 
Rhin  était  jusque  là  majest\ieux  et  calme;  resserré  ici  et  ra- 
pide, il  se  lance  avec  impétuosité  contre  les  masses  qui  se 
dressent  devant  lui  et  le  défient;  il  se  brise  avec  un  fracas 
dont  résonnent  sourdement  les  échos  d'alentour ,  tourbil- 
lonne avec  force ,  et ,  rejeté  brusquement  au  nord,  il  tombe 
entre  deux  gigantesques  lignes  de  rochers  qui  l'encaissent 
jusqu'à  Bonn. 

Sur  l'un  des  rochers  qui  s'avancent  au  milieu  du  fleuve  et 
contre  lesquels  il  se  brise,  s'élève  le  Maûse  Thvnn  (Tour 
des  Rats),  aujourd'hui  en  ruines,  qui  rappelle  la  mort  de 
l'archevêque  Hatto,  dévoré  par  des  rats  affamés  ;  tradition 
qui  a  inspiré  ime  belle  ballade  au  poète  anglais  Southey. 

Il  n'y  a  pas  longtemps  que  les  rochers,  traversant  le 
Rhin  dans  toute  sa  largeur,  ne  laissaient  aux  bateaux  qu'un 
passage  fort  étroit.  Les  récifs  se  montraient  à  nu  au-dessus 
des  flots  lorsque  les  eaux  étaient  basses  ;  ils  causèrent  des 
accidents  nombreux.  Le  gouvernement  prussien,  pour  fa- 
voriser la  navigation,  a  fait  exécuter  des  travaux  qui  ont 
rendu  le  passage  très-praticable  et  sans  danger  aujourd'hui. 

BINGER-LOCH.  Voyez  Bingen. 

BINGLEY,  le  Garrick  de  la  scène  nationale  hollan- 
daise, naquit  en  1755,  à  Rotterdam,  de  parents  d'origine 
anglaise  et  qui  possédaient  quelque  fortune.  Après  avoir 
achevé  ses  études,  il  fut  destiné  au  commerce  et  placé  im- 
médiatement dans  un  comptoir.  Mais  bientôt  se  manifesta 
en  lui  un  penchant  irrésistible  pour  le  théâtre.  En  1779  il 
débuta  sur  le  théâtre  d'Amsterdam.  Il  avait  alors  vingt-quatre 
ans,  et  fut  fort  mal  accueilli  parce  qu'on  le  croyait  Anglais 
de  naissance,  et  que  les  Hollandais  avaient  dans  ce  temps 
de  graves  sujets  de  mécontentement  contre  l'Angleterre,  qui, 
sans  déclaration  de  guerre  préalable ,  faisait  saisir  tous  les 
vaisseaux  hollandais.  Mais  bientôt  il  sut  vaincre  tous  les 
préjugés,  qui  s'élevaient  contre  lui,  et  devint  l'acteur  favori 
du  public.  Bien  que  la  tragédie  fût  le  genre  le  plus  favo- 
rable à  son  talent,  il  ne  créa  pas  moins  avec  grand  succès 
plusieurs  rôles  comiques.  Il  possédait  la  langue  française 
presque  aussi  bien  que  la  sienne  propre,  et  des  comédiens 
français  étant  venus  en  tournée  à  Amsterdam  et  à  La  Haye, 
il  prit  plusieurs  rôles  dans  leur  répertoire ,  qu'il  joua  fort 
souvent  .sur  les  théâtres  français  de  ces  deux  villes  avec 
un  succès  très-remarquable  ;  principalement,  en  1811,  ceux 
de  Philoctète  et  de  Léar.  Depuis  1796  il  était  directeur  d'une 
troupe  qui  donnait  des  représentations  surtout  à  Rotterdam 
et  à  La  Haye.  11  mourut  dans  cette  dernière  ville,  en  1818. 

BINOCLE  (du  latin  bimis,  double,  et  oculus,  œil).  On 
a  d'abord  donné  ce  nom  aux  lunettes  à  branches  ou  6e- 
sicles;  aujourd'hui  on  appelleencore  ainsi  les  lorgnettes 
jumelles. 

BIA'OIR  ou  BINOT,  sorte  de  charrue  légère,  destinée, 
comme  son  nom  liudique ,  à  donner  à  la  terre  un  second 
labour  avant  les  semailles.  Le  binot-bascule  de  Dassaux  est 
muni  de  trois  socs,  qui,  dans  une  terre  légère,  ouvrent  trois 
sillons  parfaitement  égaux  occupant  une  largeur  de  1™,354 
sur  0"',2t7de  profondeur. Le  binot  simple,  travaillant  com- 
parativement moins  vile,  ouvre  trois  sillons  sur  une  lar- 


geur de  l'°,33  et  une  profondeur  de  0",16  ;  mais  les  flancs 
et  arêtes  des  sillons  sont  inégaux,  attendu  que  le  soc  porte 
la  terre  dans  le  sillon  voisin,  ce  qui  n'a  pas  lieu  dans  les 
labours  du  binot  à  trois  socs.  Ce  dernier  exécute  avec  plus 
de  perfection ,  et  sans  une  augmentation  de  force  bien  sen- 
sible, trois  fois  plus  d'ouvrage  que  n'en  fait  le  binot  simple, 
et  en  trois  fois  moins  de  temps.  Le  binot  à  trois  socs  s'em- 
ploie avec  avantage  dans  toutes  les  terres  crayeuses ,  ainsi 
que  dans  les  terrains  dont  l'argile  est  peu  compacte.  Voyez 
Scarificateur. 

BliVOME  (de  bis,  deux,  et  voii:^,  part).  C'est  le  nom 
général  de  toute  expression  algébrique  composée  de  deux 
termes  réunis  par  l'un  des  signes  -^ou  —  :  a-\-  b,  a  —  b 
sont  des  binômes. 

On  appelle  binôme  de  Newton  une  formule  importante 
que  le  célèbre  géomètre  découvrit  vers  la  fin  de  1663. 
Elle  permet  d'élever  immédiatement  un  binôme  donné  à 
une  puissance  quelconque,  entière  ou  fractionnaire,  posi- 
tive ou  négative.  Elle  consiste  dans  l'égalité 

,     _i_,v»»         "*<_        m— I,    ,   mim — 1)     m— a    a 

(a'ZZb)    =o    nzma        bA a         b 

^  '  '1.2 

_,  w(m— 1)  (m  — 2)    m-iz  , 

1.2.3  ' 

dont  la  loi  est  facile  à  saisir  et  dont  on  trouve  la  démons- 
tration dans  tous  les  traités  d'algèbre. 

Les  équations   binômes  sont  des  équations  qui  ne 
renferment  qu'une  seule  puissance  de  l'inconnue  :  telle  est 
ax"^±b=0 

Ces  équations  sont  toujours  susceptibles  d'être  abaissées, 
et  dans  tous  les  cas  on  exprime  facilement  leurs  racines  à 
l'aide  des  fonctions  circulaires. 

Les  propriétés  des  équations  binômes  ont  servi  de  base 
au  célèbre  théorème  de  Cotes.  E.  Merlieux. 

BIOGRAPHIE  ,  BIOGRAPHE  (  du  grec  pio; ,  vie ,  et 
Ypâçio),  j'écris):  La  biographie  est  la  description  de  la  vie, 
ou,  pour  mieux  dire,  l'histoire  particulière  d'un  individu.  Elle 
prend  les  formes  les  plus  diverses.  Tantôt  c'est  une  sèche 
nomenclature  des  faits  qui  ont  signalé  l'existence  d'un 
homme,  tantôt  c'est  un  morceau  d'histoire  où  l'on  juge,  à 
propos  de  celui  dont  on  écrit  la  vie,  l'époque  où  il  a  vécu 
et  les  hommes  avec  lesquels  il  a  été  en  relation  ;  tantôt  ce 
n'est  qu'un  cadre  pour  s'élever  à  des  considérations  morales 
d'une  haute  portée,  par  l'exposition  des  vertus  ou  des  vices 
d'un  homme;  tantôt  c'est  un  panégyrique  dans  lequel  un 
écrivain  habile  ou  maladroit  fait  ressortir  les  qualités  de 
son  héros  en  en  cachant  les  défauts;  tantôt,  au  contraire, 
c'est  une  violente  diatribe  contre  l'homme  dont  on  se  fait  le 
juge.  C'est  ainsi  qu'on  peut  regarder  comme  des  biographies 
les  Parallèles  de  Plutarque,  les  Vies  de  Cornélius  Népos 
et  d'autres  auteurs  anciens  et  modernes ,  les  Éloges  acadé- 
miques ,  les  Notices  historiques ,  les  Nécrologies,  etc.,  etc. 
Les  Mémoires  et  les  Autobiographies  se  rapportent  encore 
à  ce  genre  de  littérature;  mais  ici  c'est  l'individu  lui-même 
qui  écrit  sa  vie,  en  mêlant  à  son  récit  plus  ou  moins  de  l'his- 
toire de  son  temps. 

Le  biographe  qui  veut  intéresser  ne  doit  pas  se  borner  à 
l'exposition  des  faits  extérieurs  de  la  vie  qu'il  retrace,  il  doit 
encore  s'attacher  aux  faits  intellectuels  et  moraux.  Il  doit 
prendre  pour  sujets  des  personnages  dont  la  vie  se  lie  aux 
destinées  de  l'humanité ,  c'est-à-dire  des  personnages  qui  se 
sont  tout  particulièrement  distingués  par  leurs  aventuras , 
leur  position  et  leurs  actes,  ou  au  moins  par  les  circons- 
tances morales  ou  psychologiques  de  leur  existence.  Dans 
tous  les  cas,  une  connaissance  parfaite  de  la  vie  de  son  hé- 
ros, un  grand  amour  de  la  vérité,  et  une  impartialité  qui 
ne  doit  pas  exclure  la  fermeté,  sont  nécessaires  au  bio- 
graphe ,  s'il  veut  s'élever  à  la  hauteur  de  l'historien.  La  bio- 
graphie de  personnages  historiques  suppose  en  outre  chez 
l'écrivain  une  connaissance  approfondie  de  l'épo(|iie  dans  la- 


224 


BIOGRAPHIE 


quelle  le  héros  a  vécu  et  des  influences,  des  relations  au 
milieu  desquelles  il  a  parlé  et  agi.  Les  ouvrages  qui  revê- 
tent d'ornements  poétiques,  romanesques  ou  merveilleux 
la  vie  d'un  homme  considérahie,  ne  peuvent  pas  être  comp- 
tés au  nomhre  des  biographies. 

Variété  de  l'histoire,  la  biographie  a  dû  suivre  les  progrès 
de  cette  science  ;  et  si  l'on  s'accorde  à  chercher  maintenant 
dans  l'histoire  des  nations  les  lois  du  développement  de  l'hu- 
manité, on  peut  aussi  trouver  dans  la  vie  des  hommes  l'his- 
toire des  progrès  des  peuples  au  milieu  desquels  ils  ont  vécu. 
IMais  à  C(Mé  de  cette  grande  biographie  historique,  il  y 
aura  toujours  place  pour  une  biographie  plus  individuelle, 
plus  anecdotique,  une  biographie  pour  ainsi  dire  privée, 
comme  à  côté  des  tableaux  d'histoire  il  y  a  place  pour  des 
portraits  de  famille. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  deux  manières  d'écrire  la  biogra- 
phie ,  quand  le  personnage  dont  on  retrace  la  vie  l'a  illus- 
trée par  ses  talents  ou  par  ses  vertus,  et  que  l'iiistorien  sait 
le  peindre  sans  flatterie  et  sans  haine,  il  est  peu  de  livres 
qui  soient  plus  attachants  et  plus  riches  en  leçons  pour  la 
vie  publique  ou  pour  la  vie  privée.  Ce  genre  de  littérature 
était  pourtant  moins  cultivé  chez  les  anciens  que  chez  les 
modernes ,  sans  doute  parce  que  l'individu,  le  moi,  a  acquis 
dans  nos  sociétés  une  importance  ignorée  des  anciens.  De 
nos  jours  la  biographie  est  tellement  goûtée,  qu'il  est  im- 
possible de  publier  les  œu^Tes  de  qui  que  ce  soit  sans  les 
faire  précéder  d'une  notice  sur  l'auteur,  comme  on  ne  saurait 
se  dispenser  de  la  faiie  entrer  dans  les  Encyclopédies ,  où 
elle  semble  cependant  un  hors-d'œuvre ,  mais  utile  et  néces- 
saire ;  et  son  attrait  est  tel,  que  les  recueils  où  l'on  ne  trouve 
que  de  la  biographie  se  succèdent  rapidement  sous  toutes 
les  formes.  En  même  temps  le  public,  afl'riandé,  accourt  à  ces 
séances  académii^ues  où  quelque  savant  plus  ou  moins  disert 
prononce  l'éloge  d'un  de  ses  collègues,  avec  autant  d'empres- 
sement que  la  cour  en  pouvait  mettre  autrefois  à  aller  en- 
tendre les  oraisons  funèbres  d'un  Bossuet ,  d'un  Fléchier  ou 
d'un  Massillon. 

La  littérature  biographique  est  e.'itraordinairement  riche. 
On  peut  la  diviser  en  biographies  individuelles,  biogra- 
phies spéciales,  biographies  colleclives  et  biographies 
universelles. 

Biographies  individuelles.  Tacite,  dans  sa  Vie  d'Agri- 
cola,  a  donné  en  ce  genre  un  modèle  qui  n'a  pas  été  souvent 
surpassé.  V Histoire  d'Alexandre  par  Quinte-Curce, 
quoique  se  rapprochant  de  temps  à  autre  du  roman ,  a  sur- 
vécu à  l'antiquité.  Certains  livres  de  la  Bible,  comme  ceux 
de  Joseph  et  de  Tobie,  peuvent  être  rangés  dans  les  bio- 
graphies. 

Parmi  les  biographies  modernes,  nous  citerons  en  France  : 
les  Vies  de  Descartes ,  par  Baillet  ;  de  Voltaire,  par  Condor- 
cet;  de  Théodose,  par  Fléchier;  les  Histoires  de  Fcnclon 
et  de  Bossvct,  par  le  cardinal  de  lîausset;  les  Vies  de  La 
Fontaine  et  de  Madame  de  Scvigné,  par  Walckenacr;  de 
Molière  et  de  Corneille,  par  M.  Tascheieau  ;  de  Monck  et  de 
Wushi)igton,par  M.  Guizot;  de  Napoléon,  par  M.  Laurent 
(de  l'.\rdèche);  en  .\nglelerre,  les  Vies  de  Cicéron,  par 
Widdielon;  de  Laurent  de  Médicis  et  de  Léon  X,  par  W. 
Roscoc;  en  lloliinule,  les  Fies  de  Ruhnkenitis ,  par  Wit- 
tenhacii,  et  de  Wittenbach ,  par  Mahne;  en  Alleniagne,  les 
Vies  de  Hegnr,  par  Henren;  du  prédicateur  Reinhard,  par 
Pa'litz,  et  de  Dorothée,  duchesse  de  Cour  lande,  par  Tiedge; 
aux  États-Unis,  celle  de  Christophe  Colomb,  par  Washing- 
ton Irving,  etc.,  etc.  Nous  en  passons  des  plus  curieuses  et 
des  meilleures;  car  c'est  surtout  en  biographies  indivi- 
duelles que  les  littératures  modernes  sont  riches. 

De  nos  jours,  en  dehors  de  toute  littérature,  Paris  a  vu 
naître  de  nomhicuK  atelieis  biographiciues,  dont,  grâce  à  la 
concurrerice,  les  entrepreneurs  peuvent  vendre, sans  les  sur- 
faire, aux  grands  et  auv  petits  hoinuics  vivants  (quelles 
que  soient  leurs  spécialités)  de  la  gloire  à  toute  dose  et 


à  tout  prix.  Comme  de  raison,  le  blAme  et  la  critique, 
même  la  plus  bienveillante,  sont  sévèrement  exclus  de  ces 
recueils,  dont  les  entrepreneurs  et  les  commanditaires  ont 
l'habitude  de  distribuer  les  produits  à  leurs  amis  en  guise 
de  cartes  de  visite.  Et  pourtant  ces  biographies  ne  sont 
pas  tout  à  fait  inutiles  à  quiconque  veut  écrire  l'histoire 
contemporaine  :  à  défaut  de  critique  impartiale,  on  y  trouve 
au  moins  le  calque  de  nombreux  faits  curieux,  souvent  iné- 
dits, qui  n'y  sont  pas  toujours  trop  défigurés. 

Biographies  spéciales.  Les  ouvrages  que  nous  rangeons 
dans  celte  catégorie  sont  innombrables,  et  embrassent  le  do- 
maine entier  des  sciences  et  des  arts ,  l'histoire  entière  an- 
cienne et  moderne,  civile,  religieuse,  guerrière,  politique,  ar- 
tistique, littéraire.  Diogène-Laerce  écrivit  dix  livres  des  Vies 
des  Philosophes  ;  Denys  d'Halicarnasse ,  un  Traité  des  an- 
ciens Orateurs  ;  Cicéron,  des  Entretiens  sur  les  Orateurs 
ilhistres;  Suétone,  les  Vies  des  douze  premiers  Césars  et 
un  Catalogue  biographique  des  grammairiens  et  rhéteurs 
illustres  ;  Cornélius  Népos,  les  Vies  des  grands  Capitai- 
nes; Eunapius,  celles  des  Philosophes  et  des  Sophistes; 
saint  Jérôme,  celle  des  Pères  du  désert  et  un  Traité  de 
la  vie  et  des  écrits  des  Auteurs  ecclésiastiques  morts 
avant  le  cinquième  siècle. 

Depuis  la  Renaissance  nous  possédons  les  Acta  Sancto- 
rwm  des  Bollandistes  (53vol.);  les  Vies  des  Saints, 
par  Baillet  et  Alban  Butler  ;  les  Vies  des  Pères  du  Désert, 
par  Arnaud  d'Andilly;  celles  des  Papes,  par  Platine  et 
F.  Bruys  ;  ï Histoire  générale  des  Auteurs  sacrés  et  ecclé- 
siastiques, par  D.  Cellier,  25  vol.;  la  Bibliothèque  des 
Auteurs  ecclésiastiques,  par  Ellies  du  Pin  (61  vol.);  les 
Vies  des  Philosophes,  par  Fénelon,  par  Savérien,  par  >ai- 
geon;  des  Grands  Capitaines,  par  Brantôme  et  par  Chas- 
teauneut  (  le  Cornélius-Népos  français )  ;  des  Marins  Cc'.è- 
bres  par  Kicher;  des  Illustres  Favoris,  par  P.  Dupuy  ;  des 
Femmes  Galantes,  par  Brantôme  ;  des  Femmes  Célèbres, 
par  Boccace,  par  Ménage,  par  le  P.  Lemoyne,  par  M"*  de 
Kéralio,  par  M™^  Fortunée  Briquet;  des  Enfants  Célè- 
bres, par  Baillet ,  par  Fréville  ;  des  Poètes  Grecs,  par  Le- 
fèvre  ;  des  Poètes  Grecs  et  Lutins,  par  Yossius,  par  J.  Al- 
bert Fabricius,  par  Lanleires,  etc.  ;  des  Poètes  Provençaux, 
par  Jehan  de  ^■ostre-Dame  ;  des  Troubadours,  par  Fauchet, 
par  La  Cume  de  Sainte- Palaye  et  par  Millot;  des  Poètes 
Français,  par  l'abbé  Goujet  (  Bibliothèque  française),  par 
Sautreau  de  Marsi,  par  Auguis,  par  Crapelet,  etc.;  les 
Vies  des  Historiens  Grecs  et  Latins,  par  Vossius;  des  An- 
ciens Minéralogistes  de  France,  par  Gobet;  des  Méde- 
cins et  des  Jurisconsultes;  Les  trois  Siècles  Littéraires 
de  l'abbé  Sabatier,  etc.,  etc. 

La  Restauration  avait  vu  naître  le  Dictionnaire  des  Gi- 
rouettes, dont  le  véritable  auteur  est  inconnu  et  qui  a  été 
plusieurs  fois  refait  avec  moins  de  succès  que  la  première. 
Puis,  il  y  a  eu  depuis  à  Paris  une  avalanche  de  petites  bio- 
grapiùes  spéciales,  à  la  publication  desquelles  l'esprit  de  parti 
resta  rarement  étranger,  mais  où  par  contre  l'esprit  faisait 
souvent  défaut,  tellesque  celles  rfes  Ministres,  des  Conven- 
tionnels, des  Députés,  des  Pairs,  des  Généraux,  des  Pré- 
fets, des  Commissaires  de  police,  du  Clergé  contempo- 
rain, des  Quarante  de  V Académie  Française,  des  Jour- 
nalistes, des  Hommes  de  Lettres,  des  Représentants  de 
184S  et  1849,  des  Sénateurs,  etc.,  etc.  Une  seule  se  distin- 
gua dans  la  foule  par  sa  grâce  caustique  et  son  imperti- 
nence de  bon  ton  :  c'était  la  Biographie  des  Dames  de  la 
Cour  et  du  Faubourg  Saint-Germain,  qui  eut  maille  à 
partir  avec  la  justice,  et  dont  l'auteur  vrai  ou  supposé  ex- 
pia par  une  longue  détention  le  tort  d'avoir  oublié  que 
tojites  les  vérités  ne  sont  pas  bonnes  à  dire. 

La  France  possède  encore  des  Biographies  des  Pères  de 
l'Eglise,  des  Prédicateurs,  des  Hérétiques  (  par  Pinchi- 
nat  et  Pluquet);  des  Hommes  utiles,  par  la  société  Mon- 
thvon  et  Franklin.  M.M.  Haag  lord  paraître  la  France  pro- 


BIOGRAPHIE 


32S 


testante,  qui  contient  de  consciencieuses  recherches  sur  la 
■vie  des  profeslants  célèbres  de  notre  pays.  Nous  avons  en- 
core des  biographies  des  Romanciers,  des  Auteurs  dra- 
matiques, par  les  frères  Parfait,  par  le  duc  de  la  Vallière, 
par  de  Laborde,  etc.  ;  des  Musiciens,  par  de  Laborde,  par 
Choron ,  par  Fayoiie ,  par  Gerber  (  en  allemand  )  ;  des  Ar- 
tistes, par  Fontenay,  par  Fuessly  (en  allemand)  ;  des  Pein- 
tres, par  Vasari,  Bellori,  Orlandi  (toutes  trois  en  italien), 
Pilkinton  (eo  anglais),  Houbraken  (en  hollandais),  Félibien, 
Descamps,  de  Piles,  d'Argenville,  LaFerté,  Quillet  (en 
français  ),  Zea  Bermudez,  Palomino,  Velasco  (en  espagnol)  ; 
des  Graveurs  par  Gori,  Basan,  Walpole;  des  Architectes 
par  Milizzia,  Pingoron,  d'Argenville,  etc. 

Peu  de  nations  manquent  de  biographies  spéciales  de 
Jeurs  hommes  célèbres  :  Rossi  a  publié  V Histoire  des  Au- 
teurs Hébreux  et  celle  des  Auteurs  Arabes;  d'Herbelot, 
la  Bibliothèque  Orientale;  Hassan  Tcheleby,  des  Notices 
sur  les  Poètes  Turcs;  Graberg  de  Hemsoë,  Ise  Vies  des 
Scaldes  Scandinaves;  Johnson,  des  Biographies  de  Poètes 
Anglais  ;  Eguia,  une  Bibliothèque  Mexicaine,  etc.,  etc. 

Presque  toutes  les  anciennes  provinces  de  France  ont 
leurs  Biographies  spéciales,  telles  que  celle  de  Lorraine,  par 
dom  Calmet  et  Chevrier  ;  de  Bourgogne ,  par  Papillon  ; 
du  Poitou,  par  Dreux  du  Radier;  du  Dauphiné,  par  Al- 
lard  ;  du  Maine,  par  Ansart,  etc. ,  etc.  L'Italie  en  possède 
aussi  un  grand  nombre  :  générales  par  Mazzuchelli  et  Fa 
broni,  etc.;  /oca^es,  pour  Bologne,  Crémone ,  Modène ,  le 
Piémont,  la  Toscane,  Venise,  Naples,  etc.  L'Espagne' cite 
Nicolas  Antonio,  Rodrigues  de  Castro ,  Ximenez  ;  le  Portugal, 
Machado;  l'Allemagne,  Meusel,  Mùller,  Balbini;  la  Hol- 
lande et  la  Belgique,  Foppens,  Paquol,  Burmann,  etc.  ;  l'An- 
gleterre, enfin ,  Johnson,  Walton ,  Ballard,  Mackensie,  etc. ,  etc. 

H  est  peu  de  congrégations  monastiques  qui  n'aient  eu 
des  Biographies  spéciales  de  leurs  écrivains.  Depuis,  on  a 
publié,  sous  le  titre  de  Galeries ,  des  biographies  de  femmes 
célèbres,  de  gens  de  lettres,  d'artistes  dramatiques,  de 
médecins,  des  protestants  célèbres,  etc.,  avec  ou  sans  gra- 
vures, lithographies,  notices,  portraits,  facsimilés,  etc. 

Biographies  collectives.  Cette  catégorie  se  distingue  de 
]a  précédente  en  ce  qu'elle  ne  s'astreint  pas,  dans  le  choix 
de  ses  sujets,  aux  hommes  d'un  certain  pays  ou  d'une  cer- 
taine profession,  mais  elle  adopte  des  hommes  de  tous  les 
états  et  de  toutes  les  nations,  sans  cependant  vouloir  nom- 
mer tous  ceux  qui  ont  un  nom  célèbre,  ce  qui  est  le  propre 
des  Biographies  universelles.  L'ouvrage  le  plus  justement 
célèbre  à  inscrire  en  ce  genre  est  la  Vie  des  Hommes  II- 
bistres  de  Plutarque ,  reproduite  d'âge  en  âge  dans  toutes  les 
langues  et  admirablement  traduite  chez  nous  par  Amyot.  C'est 
le  bréviaire  des  grands  capitaines  et  des  hommes  d'État;  c'est 
le  livre  de  prédilection  de  deux  puissants  génies,  Montaigne 
et  Jean-Jacques  Rousseau.  Hesychius  de  Milet  composa  en 
grec  et  en  latin  ime  Biographie  Be  ils  qui  eruditionis 
fama  claruerc;  Pline  le  jeune,  un  recueil  Be  Viris  Illus- 
tribus ,  attribué  aussi  à  Aurélius  Victor ,  et  traduit  en  fran- 
çais par  Savin.  Enfin  Valère  Maxime  et  Élien  peuvent  être 
comptés  parmi  les  biographes  de  cette  catégorie. 

Elle  s'est  tellement  agrandie,  que  l'embarras  est  immense 
pour  citer  seulement  quelques  exemples.  Mentionnons  en 
passant  :  Begli  l/omini  i^omosi, par  Pétrarque;  £i6/io/Aeca 
Illustrium  Virorum,  par  Boissard  ;  la  Bibliothèque  Fran- 
çaise de  La  Croix  du  Maine,  celle  de  Du  Verdier;  les  Hommes 
Illustres  de  Perrault;  les  Mémoires  de  Niceron  (44  vol.), 
ceux  de  Palissot;  l'Eujope  Ilhistre  de  Dreux  du  Radier, 
les  Vies  des  Hommes  Illustres  ded'Auvigny  (27  vol.),  le 
Plutarque  Anglais ,  12  vol.,  le  Plutarque  Français,  le 
Plutarque  Brésilien,  de  Pereira  da  Silva,  la  Galerie 
des  Contemporains  illustres,  par  un  homme  de  rien  ;  V An- 
nuaire Nécrologique ,  de  Mahul,  eties  Éloges  prononcés  et 
publiés  par  l'Académie  des  Sciences ,  l'Académie  Française, 
l'Académie  des  Inscriptions  et  les  Académies  étrangères. 

DICT.    DE    I.A    r.ONVKIiS.    —    T.     Ml. 


Biographies  unixter selles.  Il  n'y  a  pas  d'exemple  chez  les 
anciens  de  ce  genre  d'ouvrage,  dans  lequel  tous  les  hommes 
célèbres  ou  seulement  fameux ,  anciens  et  modernes,  doivent 
se  donner  rendez-vous ,  et  dont  la  vogue  chez  les  peuples  mo- 
dernes tient  au  désir,  au  besoin  de  trouver  réunies  en  corps 
des  notices  historiques  sur  les  personnages  illustres  de  tous 
les  pays  et  de  toutes  les  époques.  La  première  pensée  d'un 
Bictionnaire  Historique  remonte  à  1545;  il  fut  publié  à 
Zurich  par  Conrad  Gessner,  surnommé  le  Pline  de  V Alle- 
magne. Juigné  de  la  Boissinière  en  fit  paraître  un  en  France, 
dont  la  8^  édition  est  de  1645.  Il  fut  suivi  du  fameux  Bic- 
tionnaire de  Moreri,  d'abord  en  1  vol.  (  1673),  puis  en  10  à 
sa  19^  édition  de  1759;  du  Bictionnaire  de  Bayle,  qui  date 
de  1697,  et  eut  six  éditions,  plus  une,  refondue  en  1820  par 
Beuchot,  eu  16  vol.;  du  supplément  de  Chaufej)ié  (1750), 
4  vol.  ;  du  Bictionnaire  de  Prosper  Marchand  (  1758),  2  pe- 
tits vol.  ;  du  Bictionnaire  portatif  àe.  Ladvocat,  dont  les  édi- 
tions et  contrefaçons  sont  innombrables;  du  Dictionnaire  de 
l'abbé  Barrai  (1758),  6  vol.  ;  de  celui  de  Chaudon,  continué 
par  Delandine,  9^  édition  (1810-12),  20  vol.;  du  Biction- 
naire Historique  de  l'Abbé  Feller,  qui  a  eu  plusieurs  édi- 
tions, et  enfin  de  la  Biographie  Universelle  des  frères  Mi- 
chaud  ,  en  52  volumes,  sans  compter  le  supplément. 

Cette  vaste  publication ,  une  des  plus  importantes  du  dix- 
neuvième  siècle,  adroit  à  quelques  détails.  Entreprise  en 
1811 ,  elle  parvint  en  182S  à  son  52*  volume,  et  fut  bientôt 
suivie  de  trois  vol.  consacrés  à  un  Bictionnaire  Mytholo- 
gique, ç&r  M.  Parisot.  Un  supplément  était  indispensable 
pour  enre{;islrer  les  contemporains  illustres  morts  dans  une 
période  de  trente  années  et  combler  d'inévitables  lacunes. 
Le  dernier  volume  qui  a  vu  le  jour  est  le  84®.  En  1843  une 
nouvelle  édition  en  a  été  entreprise;  elle  est  arrivée  à  son 
huitième  volume.  La  plupart  des  savants  et  des  littérateurs 
qui  depuis  le  commencement  du  siècle  se  sont  fait  un  nom 
en  France  ont  coopéré  à  la  rédaction  de  la  Biographie 
Universelle.  Citons  Chateaubriand,  Daunou,  Letronnc, 
Auger,  Silvestre  de  Sacy,  Suard,  Clavier,  Féletz,  Benjamin 
Constant,  Fiévée,  Walckenaer,  M'"®  de  Staël,  Sismondi,  Gin- 
gueiio,  Malte-Brun,  Delambre,  Esménard,  Dupetit-Thouars, 
Beuchot,  le  chevalier  Artaud,  Weiss,  MM.  Guizot,  ViHe- 
main,  Cousin,  de  Barante,  Boissonade,  Tissot,  Biot,  etc.,  etc. 
Auger  s'était  chargé  du  Biscours  préliminaire.  Cependant 
la  Biographie  Universelle  n'est  pas  sans  reproche,  il  s'en 
faut.  Faite  avec  passion,  souvent  avec  de  la  haine  et  du  fiel, 
presque  jamais  avec  impartialité,  elle  n'a  pas  de  justes  pro- 
portions :  des  articles  importants  sont  trop  courts,  tandis  que 
des  articles  sans  importance  sont  d'une  longueur  extraordi- 
naire. On  y  découvre  des  méprises,  des  inexactitudes,  de 
doubles  emplois.  C'était  inévitable  dans  une  publication 
aussi  gigantesque.  La  diversité  d'opinions  dans  un  personnel 
de  rédacteurs  souvent  renouvelé  a  conduit  aussi  à  d'étranges 
divergences  d'appréciations  en  politique  et  en  philosophie  ; 
mais,  en  somme,  l'ouvrage  est  resté  anti-hbéral  et  jésuitique, 
et  l'histoire  y  trouve  surtout  des  matériaux  amassés  par  l'es- 
prit de  parti.  Quelques  articles  sont  cependant  des  livres. 

M.  Barbier,  le  savant  auteur  du  Bictionnaire  des  Ano- 
nymes, publia  en  1820  le  r'  vol.  d'un  Examen  critique 
des  Bictionnaires  Historiques ,  qui  forme  un  utile  com- 
plément à  la  Biographie  Universelle.  De  1822  à  1831  il  a 
paru  à  Venise  une  traduction  de  ce  dernier  ouvrage  en 
65  vol.,  qui  renferme  d'utiles  augmentations  et  des  correc- 
tions sur  les  hommes  célèbres  de  l'Italie. 

La  Biographie  tiniverselle  des  frères  Michaud,  de- 
venue royaliste  à  la  chute  de  l'empire,  fut  suivie,  de  1816 
à  Î819,  d'une  Biographie  des  Vivants,  en  5  volumes,  exé- 
cutée dans  le  même  esprit,  à  laquelle  le  parti  libéral 
répondit  en  Belgique  parla  Galerie  Historique  des  Contem- 
porains (1817-1819),  8  volumes,  et  à  Paris  par  la  Bk}- 
graphie  des  Contemporains,  de  Jay,  Jouy,  Amault,  Nor- 
vins,  etc.  (  20  volumes);  celle-ci  tut  suivie  d'un  recueil  plus 

29 


220 


BIOGRAPHIE  —  BIOLOGIE 


jeune,  plus  littéraire,  plus  progressif,  la  Biographie  Uni- 
■  verselle  et  portative  des  Contemporains ,  par  Rabbe,  de 
Boisjolin,  Sainte-Preuve,  etc.  (1826),  malheureusement 
imprimée  en  caractères  microscopiques.  Citons  encore  le 
Dictionnaire  Historique  rédigé  par  le  général  Beauvais  et 
Al.  Barbier  ;  le  Dictionnaire  Historique,  Critique  et  Bio- 
graphique du  libraire  Desenne,  en  30  vol.  ;  le  Dictionnaire 
de  l'Histoire  de  France  de  M.  Pli.  Lebas,  12  vol.  ;  le  Dic- 
tionnaire d'Histoire  et  de  Géographie  de  M.  Bouillet, 
1  vol.;  en  Allemagne,  le  Lexicon  de  Jœcber,  continué  par 
Adelung  et  autres  (  1 1  vol.  )  ;  les  dictionnaires  de  Hirscliing 
etErnesti,  etc.;  en  Angleterre,  le Biographical  Dictiona- 
rij,  de  Chalmers(32  vol.);  \e  General  Biography  d'Aikin 
(10  vol.),  et  comme  complément  de  toutes  les  biographies 
universelles  l'excellent  journal  allemand  intitulé  :  les  Con- 
temporains (Zeitgenossen),  18  volumes,  1816-1841.  En  ce 
moment  MM.  Didot  font  paraître  une  Nouvelle  Biographie 
Universelle,  dirigée  par  M.  le  docteur  Hoefer,  et  d'où  la 
science  ne  doit  bannir  ni  l'urbanité  ni  l'impartialité. 

[  La  biographie,  dans  le  sens  collectif  où  ce  mot  se  prend 
aujourd'hui,  est  d'invention  moderne.  L'utilité  devait  s'en 
faire  sentir  vivement  à  une  époque  où  l'histoire ,  chargée  de 
faits,  est,  pour  ainsi  dire,  obligée  de  se  résumer  en  tables  de 
matières.  Toutes  les  idées ,  à  force  de  se  disséminer  en  ex- 
pressions diverses,  plus  ou  moins  confuses,  ont  fini  par  se 
formuler  en  noms  d'hommes.  De  notre  temps  surtout,  quand 
les  grandes  théories  sociales  qui  animaient  les  compositions 
des  Thucydide  et  des  Tite-Live,  des  Froissart  et  des  de  Tbou , 
semblent  s'être  écroulées  sans  espoir  de  se  relever  jamais , 
l'histoire  offre  l'aspect  de  ces  constructions  cyclopéennes  qui 
se  bâtissaient  par  le  seul  artifice  de  la  juxtaposition  et  qui 
n'avaient  point  de  ciment.  Les  notices  biographiques  sont 
les  pierres  de  l'édifice.  Finira  Babel  qui  pourra  ! 

Il  en  était  autrement  chez  les  anciens,  où  le  fait  moral  de 
la  société  prévalait  sur  toutes  les  considérations  particulières. 
Dans  notre  civilisation  matérialisée ,  c'est  le  nom  de  l'homme 
qui  fait  la  valeur  de  l'action.  Dans  la  civilisation  grecque  ou 
romaine ,  un  service  rendu  au  pays  absorbait  ce  nom  indi- 
viduel. Quand  on  nommait  Capitolinus  ou  Coriolan,  on 
rappelait  plutôt  un  acte  qu'une  personne.  Le  vieux  Caton 
avait  fait  une  histoire  de  la  République  où  il  ne  se  trouvait 
pas  un  seul  nom  propre.  Il  disait  simplement  :  «  Le  consul 
lit  adopter  telle  loi ,  le  général  gagna  telle  bataille.  «  Cela  est 
touchant  et  sublime,  à  la  vérité;  mais  ce  n'était  pas  à  Paris 
que  cela  se  faisait,  c'était  à  Rome  :  on  n'obtiendrait  pas 
chez  nous,  à  ce  prix,  la  plus  légère  manifestation  de  la 
moindre  des  vertus  civiles. 

<3'est  le  sentiment  du  fatal  égoïsme  des  peuples  usés  qui 
a  donné  naissance  aux  biographies;  la  presse  dut  se  faire 
rémunératiice  et  vengeresse  quand  elle  eut  dénié  ses  titres 
à  la  Providence.  Les  biographies  à  venir  seront  le  Panthéon, 
le  Tartare  et  l'Elysée  des  nations  athées.  C'est  là  ce  qu'on 
appelle  le  progrès. 

Malheureusement,  la  presse  est  un  instrument  passif  au 
service  de  toutes  les  opinions.  Un  recueil  de  notices  biogra- 
phiques ,  formé  sous  l'inspiration  des  partis  ,  est  un  registre 
de  mcuso.nges.  L'histoire  impartiale  et  consciencieuse  sera 
un  jour  fort  embarrassée  de  choisir  entre  ces  liaines  contra- 
dictoires qui  font  horreur  et  ces  apothéoses  contradictoires 
qui  font  pitié.  Un  des  écrivains  les  plus  ingénieux  de  notre 
époque  a  spirituellement  comparé  le  travail  du  biographe  à 
celui  de  l'habitant  des  pays  volcanisés,  qui  fait  des  meubles 
ou  des  bijoux  avec  les  laves  qu'il  ramasse  brûlantes. 

Et  pourtant  elle  est  fausse  la  maxime  de  Voltaire  :  «  On 
doit  des  égards  aux  vivants;  on  ne  doit  aux  morts  que  la 
vérité.  »  C'est  juste  le  contraire  qu'il  fallait  dire.  L'his- 
toire a  besoin ,  avant  tout,  du  témoignage  des  oreilles  et  des 
yeux.  La  tradition  écrite  est  encore  moins  suspecte  que  la 
tradition  orale,  et  la  plume  a  plus  de  pudeur  que  la  parole. 
D'ailleurs  je  ne  demande  au  biographe  des  conlcmporaips 


qu'une  conscience  droite,  une  âme  douce  et  tolérante,  ce 
qu'il  faut  de  méthode  pour  classer  les  faits  avec  exactitude , 
ce  qu'il  faut  de  talent  et  de  style  pour  les  raconter  avec 
simplicité.  Je  n'exige  de  lui  ni  éloquence  ambitieuse,  ni 
prétentions  philosophiques.  L'histoire  s'en  passe  fort  bien. 
Qu'il  me  donne  le  vrai,  dépouillé  des  artifices  du  romancier, 
des  controverses  du  publiciste,  de  la  morgue  du  juge  ;  ses  per- 
sonnages n'auront  d'autre  juge  que  le  temps.    Ch.  Nodieh.] 

BIOLOGIE  (de  pîo;,  vie,  et  ),6yo;,  discours).  C'est  la 
science  de  la  v  i  e  ;  mais  ce  dernier  mot  a  des  sens  si  divers, 
que  le  domaine  de  la  biologie  peut  être  singulièrement  étendu 
bu  restreint  suivant  les  auteurs.  Par  exemple,  la  Biologie 
de  G.-R.  Treviranus  est  uu  traité  sur  la  vie,  les  facultés  et 
les  fonctions  des  animaux  et  des  plantes.  C'est  de  toutes  les 
questions  la  plus  compliquée  par  l'immense  variété  des 
causes  et  l'obscurité  des  principes  qui  ont  pu  concourir  à 
produire  tant  d'êtres  différents  à  la  surface  du  globe,  et 
jusque  dans  les  profondes  entrailles  des  mers.  Sans  doute, 
par  l'impossibilité  où  nous  nous  trouvons  d'expliquer  avec 
nos  sciences  les  phénomènes  de  la  formation  des  êtres  or- 
ganisés, une  sorte  de  nécessité  existe  de  recourir  à  l'in- 
tervention divine.  La  création  dans  la  Genèse  s'explique 
par  l'acte  ineffable  de  la  toute-puissance  et  de  la  sagesse 
suprême  (  voyez  Cosmogonie).  Les  merveilles  de  l'organisa- 
tion du  i)lus  chétif  insecte  prouvent  des  rapports  de  causes 
et  d'effets  tellement  inexplicables  par  les  lois  du  hasard 
que  l'iiypothèse  des  épicuriens  sur  la  production  spontanée 
des  êtres  vivants  ne  peut  aucunement  satisfaire  l'esprit  hu- 
mam;  elle  n'a  conservé  que  peu  de  partisans.  On  admet  un 
concours  de  circonstances  heureuses,  une  nature  intelli- 
gente pendant  une  suite  de  longs  siècles  pour  parvenir  à 
développer,  soit  des  moisissures ,  soit  des  animalcules ,  des 
expansions  gélatineuses ,  des  ébauches  d'organes ,  dans  les 
eaux  croupissantes  et  la  fange  des  marécages.  Amsi ,  Tel- 
liaraed  (ou  Demaillet  ) ,  héritant  du  système  de  Thaïes ,  qui 
fait  sortir  tous  les  êtres  vivants  de  l'eau  et  des  mers ,  nous 
représente  la  longue  série  des  animaux  comme  émanée  d'es- 
pèces aquatiques,  s'élevant  par  des  degrés  successifs  de 
perfectionnement  jusqu'au  faite  de  la  plus  haute  élabora- 
tion organique ,  qui  est  l'homme. 

Cette  généalogie  assez  ridicule  des  carpes  ou  des  requins 
pour  atteindre  le  rang  d'un  Homère ,  d'un  Newton  ou  d'un 
Voltaire,  n'a  pas  pris  une  grande  faveur.  Toutefois  ce  ro- 
man a  été  repris  avec  beaucoup  plus  de  science  en  fiistoire 
naturelle  par  Lamarck,  dans  ce  siècle.  Ce  naturaliste 
suppose  que  dans  l'origine  des  choses  une  matière  gélati- 
neuse, informe,  soumise  aux  influences  de  la  chaleur,  de 
l'électricité  et  d'autres  agents  impondérables,  en  des  eaux 
stagnantes ,  élabore  peu  à  peu  des  formes  convenables  aux 
circonstances  dans  lesquelles  elle  se  trouve  placée;  qu'il 
s'y  établit  des  courants  électriques,  des  mouvements  de 
fluides,  des  contractions  et  des  dilatations;  que  ce  corps 
tend  à  s'accroître  par  intussusception  ;  qu'il  s'opère  ainsi 
une  nutrition  ou  réparation.  Ensuite  il  y  a  possibilité  de 
reproduction  par  division  ou  boutures ,  comme  chez  les  zoo- 
phytes.  Bientôt ,  ce  corps  tendant  à  maintenir  l'intégrité  de 
ses  parties,  ou  son  individualité,  aspire  à  se  coordonner 
convenablement  avec  les  choses  environnantes  :  l'huitre  se 
colle  au  rocher,  elle  enveloppe  sa  chair  mollasse  d'un  test 
calcaire,  afin  d'échapper  à  la  fureur  des  vagues;  le  poisson, 
éprouvant  le  besoin  de  s'avancer  à  travers  les  ondes ,  tend 
à  déployer  ses  nageoires,  à  se  renfler  pour  se  rendre  plus 
léger,  et  pour  remonter  à  la  surface  des  mers  ;  l'oiseau  na- 
geur, élargissant  les  doigts  de  ses  pattes,  y  étend,  par  ses 
efforts,  des  membranes  natatoires  sous  la  forme  de  rames; 
enfin ,  d'après  ce  système  de  Lamarck ,  il  se  créerait  au  sein 
des  animaux  des  tendances,  des  besoins  instinctifs  cai)ables 
de  former,  de  développer  les  organes  nécessaires  à  l'individu, 
comme  les  cornes  au  front  des  ruminants,  les  griffes,  les 
becs  aux  oiseaux  de  proie,  etc. 


< 


BiOLOGrE 


On  reconnaît  ici  un  constant  paralogisme  de  ce  savant , 
puisqu'il  faudrait  admettre  avec  lui  que  l'animal  le  plus  in- 
forme ,  le  plus  dépourvu  de  tout  intellect ,  se  créât  par  de- 
grés ces  instincts  inventifs,  cette  intelligence  prévoyante 
pour  toutes  les  circonstances  ;  ce  qui  ferait  supposer  le  plus 
iiaut  génie  dans  la  matière  la  moins  organisée.  En  effet ,  les 
plantes  elles-mêmes  sont  constituées  relativement  aux  lieux 
où  elles  croissent  spontanément.  On  ne  peut  supposer  que 
ce  soit  par  l'effet  d'une  savante  industrie ,  résidant ,  comme 
une  dryade,  dans  les  troncs  de  ces  végétaux.  Qui  expli- 
querait encore  les  fonctions  reproductives ,  chez  les  fleurs 
dioiques  surtout?  Enfin,  les  merveilleuses  structures  de 
l'œil,  de  l'oreille,  etc.,  si  bien  appropriées  aux  rayons  lu- 
mineux ,  aux  ondes  sonores  de  l'air  (  ou  de  l'eau  pour  l'o- 
reille des  poissons  ) ,  sont  au-dessus  de  tous  nos  moyens 
d'investigation. 

La  biologie  renferme  donc  une  foule  infinie  de  problèmes 
insolubles  à  notre  intelligence  dans  l'état  actuel  des  sciences. 
Nous  voyons,  à  la  vérité,  cette  échelle  ou  cette  série  d'a- 
nimaux et  de  végétaux  de  plus  en  plus  compliqués  ou  per- 
fectionnés ,  depuis  l'hydre  ou  polype  jusqu'à  l'homme.  On 
a  pu  en  conclure  que  le  mouvement  organique,  d'abord 
très-simple  chez  des  races  inférieures  et  imparfaites ,  se 
complique,  se  perfectionne  de  lui-môme,  et  crée  des  races 
mieux  conformées,  jouissant  de  facultés  plus  étendues  à 
mesure  que  leurs  sens  se  multiplient  et  que  leurs  fonc- 
tions deviennent  plus  composées  ;  mais  ce  perfectionnement 
graduel  n'est-il  pas  le  résultat  d*iine  puissance  intelligente , 
supérieure  ou  hyperphysique,  dont  la  sage  prévision  sait 
ordonner  de  nouveaux  rapports  entre  toutes  ses  produc- 
tions ?  En  effet ,  tel  insecte  est  prédisposé  pour  telle  espèce 
de  plante  sur  laquelle  il  vit  en  parasite;  tel  quadrupède, 
comme  la  gerboise  sauteuse,  est  formé  pour  s'élancer  du 
milieu  d'un  sol  sablonneux,  et  le  chameau  est  constitué  pour 
l'aridité  des  déserts ,  comme  le  phoque  pour  les  rivages  des 
mers  glacées.  S'il  y  a  prédisposition  harmonique  des  êtres 
les  uns  par  rapport  aux  autres ,  ou  appropriation  aux  lo- 
calités ,  sans  qu'on  puisse  raisonnablement  en  faire  honneur 
à  l'industrie  et  à  la  sagesse  de  l'individu ,  il  faut  donc  re- 
connaître qu'une  plus  sublime  intelligence  organisa  l'aile 
emplumée  de  l'aigle  et  la  trompe  du  papillon  qui  pompe  le 
nectar  des  fleurs.  Dès  lors,  il  y  a  providence  ou  prévoyance 
supérieure  sur  ce  globe ,  et  il  n'est  point  déshérité  de  la  Di- 
vinité. 

Mais  notre  dessein  est  bien  moins  de  discuter  ici  les  hy- 
pothèses établies  par  des  physiologistes  sur  les  causes  de 
l'existence,  que  d'exposer  quelques-unes  de  ses  lois  prin- 
cipales. 

La  force  vitale,  en  effet,  est  toujours  en  rapport  avec  l'or- 
ganisation qu'elle  attribue  aux  êtres.  Dans  les  tissus  simples 
des  végétaux,  deszoophytes  ou  animaux-plantes,  la  vitalité 
n'est  guère  développée  et  guère  apparente;  mais  si  elle  agit 
lentement,  obscurément,  elle  est  par  cela  même  plus  tenace, 
plus  inhérente  chez  ces  êtres  ;  elle  peut  se  partager,  se  sub- 
diviser dans  leurs  parties  :  c'est  ainsi  qu'un  arbre  se  multi- 
plie de  boutures,  de  surgeons,  et  qu'un  polype  coupé,  taillé 
en  morceaux,  recompose  autant  d'individus  de  chacune  de 
ces  pièces  séparées  et  semble  être  plus  indestructible  que 
l'hydre  de  la  Fable.  Au  contraire ,  chez  les  êtres  formés  de 
tissus  différents  ou  très-compliqués ,  tels  que  l'homme  ou  les 
quadrupèdes,  sans  doute  la  puissance  vitale  est  bien  autre- 
ment complète ,  active  et  sensible,  mais  elle  n'est  plus  inhé- 
rente ni  tenace  dans  l'organisation  :  aussi  un  seul  coup  peut 
tuer  l'homme,  le  quadrupède,  l'oiseau  ;  la  sensibilité,  la  con- 
tractilité  musculaire  s'éteignent  chez  eux  plus  tôt  encore 
que  dans  les  reptiles,  les  poissons,  les  animaux  à  sang  froid, 
chez  lesquels  la  vie  était  déjà  moins  intense  et  moins  im- 
pétueuse. Ainsi ,  la  force  vitale  se  dépense  d'autant  plus 
qu'elle  s'exerce  avec  plus  de  viguem-,  et  elle  manifeste  d'au- 
tant plus  d'énergie  et  d'activité  que  l'organisation  est  plus 


227 

compliquée,  plus  centralisée;  mais  aussi  elle  devient  sus- 
ceptible alors  d'une  destruction  rapide,  instantanée. 

Depuis  le  végétal,  en  remontant  jusqu'à  l'homme  par  tous 
les  degrés  successifs  de  complication  d'organes  des  animaux, 
on  voit  la  force  vitale  devenir  de  plus  en  plus  énergique,  où 
active  et  sensible  au  dehors ,  mais  diminuer  en  même  pro- 
portion pour  sa  ténacité  ou  son  adhérence  particulière  à 
chaque  portion  intérieure  du  corps.  En  effet ,  en  descendant 
la  série  des  animaux,  de  l'homme  jusqu'au  polype,  on  voit 
que  le  système  nerveux  diminue  dans  son  étendue  et  ses 
fonctions ,  en  sorte  que  la  sensibilité  décroît  dans  la  même 
proportion  :  alors  s'élève,  au  contraire,  l'irritabilité  ou  la 
faculté  contractile,  qui  prend  la  place  et  tient  lieu  de  cette 
ardente  sensibilité  (  voyez  Animal).  Les  animaux  à  sang  froid 
jouissent  de  cette  contractilité  plus  que  les  animaux  à  sang 
chaud ,  et  enfin  on  voit  parmi  les  insectes  et  les  vers  la  con- 
tractilité et  diverses  actions  vitales  survivre  longuement 
après  la  destruction  partielle  de  ces  animaux. 

Il  en  sera  de  même  d'une  autre  propriété  de  la  force  vi- 
tale, celle  de  la  génération  et  de  la  fécondité  des  êtres.  Dans 
l'espèce  humaine,  il  n'y  a  pour  l'ordinaire  qu'un  individu 
produit  à  chaque  gestation  ;  chez  plusieurs  mammifères  et 
les  oiseaux ,  chaque  portée,  déjà  plus  nombreuse ,  peut  sller 
à  une  vingtaine  d'individus  ;  chez  les  reptiles,  le  nombre 
peut  s'élever  à  une  ou  deux  centaines,  ou  même  davantage; 
chez  leS  poissons ,  à  des  milliers.  Parmi  les  coquillages ,  les 
insectes  ,  les  individus  produits  sont  presque  incalculables; 
enfin,  dans  les  zoophytes  et  la  plupart  des  végétaux,  outre 
leur  génération  d'œufs  ou  de  graines  sans  nombre ,  chaque 
partie  séparée ,  chaque  bourgeon ,  chaque  branche  ou  scion 
peut  reproduire  un  nouvel  être  par  une  fécondité  incompa- 
rable. Il  semble  que  moins  un  être  organisé  présente  de  vi- 
talité active  au  dehors,  plus  il  la  ramasse,  la  concentre  dans 
lui,  de  manière  à  multipHer  ses  germes  de  vie ,  à  devenir  tout 
entier  une  collection  de  graines  innombrables. 

La  quantité  biotique  peut  donc  se  mesurer  par  la  force 
de  reproduction  ou  de  génération.  Il  suit  encore  de  là  que 
plus  les  animaux  présentent  de  simplicité  dans  leur  organi- 
sation, plus  la  vitalité  s'y  montre  inhérente,  et  plus  ils  sont 
féconds  ou  capables  de  se  multiplier,  de  se  propager,  môme 
par  bouture  et  par  division  de  leurs  parties.  Aussi,  l'homme 
et  les  animaux  perfectionnés,  étant  les  plus  sensibles,  les  plus 
actifs,  deviennent  amoureux,  libidineux,  lascifs  ;  ils  consom- 
ment souvent  en  pure  perte ,  dans  les  transports  de  la  jouis- 
sance, leurs  facultés  vitales;  mais  les  espèces  d'animaux 
des  classes  inférieures  sont  plus  tempérées,  plus  indolentes 
aux  plaisirs,  plus  rebelles  aux  émotions,  plus  disposées  à 
l'indifférence  et  à  l'ennui.  Pareillement  nos  maladies  se  met- 
tent à  l'unisson  de  nos  facultés  vitales  ;  elles  étaient  éminem- 
ment rapides  et  aiguës,  pour  la  plupart,  dans  l'enfance;  elles 
deviennent  de  plus  en  plus  lentes  avec  la  vieillesse.  Ainsi , 
un  catarrhe ,  dont  le  caractère  est  très-inflammatoire  dans 
le  jeune  âge ,  deviendra  languissant ,  inexpugnable ,  hors  d'é- 
tat de  parvenir  à  une  crise  ou  à  une  solution  complète,  clicï 
le  vieillard  caduc,  faute  d'énergie  biotique. 

Les  oiseaux  et  les  poissons,  parmi  tous  les  animaux,  ont 
une  longue  durée  de  vie;  cependant  les  premiers  sont 
excessivement  ardents ,  amoureux ,  et  dépensent  beaucoup 
de  facultés;  les  seconds  sont  froids,  apathiques  à  la  vérité, 
mais  ils  prodiguent  surtout  leurs  forces  par  une  immense 
fécondité ,  et  l'on  sait  que  tous  les  êtres  très-féconds  sont 
peu  vivaces.  Il  semblerait  donc  que  la  longévité  des  oiseaux 
et  des  poissons  devrait  être  raccourcie  par  ces  sortes  de  pro- 
fusions vitales,  ou  que  la  règle  établie  ici  par  nous  est  sujette 
à  de  grandes  exceptions.  Mais  divers  auteurs ,  et  Buffon  en 
particulier,  ont  montré  que  l'uniformité  presque  toujours 
constante  du  milieu  habité  par  les  poissons,  que  l'absence 
des  grandes  variations  atmosphériques,  desquelles  ils  sont 
en  effet  exempts  ,  que  la  mollesse,  l'apathie,  l'inertie  même 
de  leurs  facultés ,  devaient  beaucoup  prolonger  leur  exis- 

2J. 


228 

tence ,  s'ils  en  dissipaient  une  grande  partie  par  la  généra- 
tion. Il  n'est  donc  pas  surprenant  de  voir  des  brochets  et 
d'autres  poissons  vivre  quelquefois  plus  d'un  siècle,  bien 
que  tous  ne  subsistent  pas  aussi  longtemps  d'ordinaire.  A 
l'égard  des  oiseaux,  le  milieu  dans  lequel  ils  existent  est 
(  quoique  dans  un  sens  opposé  aux  précédents  )  la  source 
de  leur  longévité.  On  sait  combien  leur  respiration  est  vaste 
et  fréquente;  que  l'air  s'étend  jus(iue  dans  des  sacs  abdomi- 
naux ,  outre  leurs  larges  poumons,  qui  ne  sont  jamais  bornés 
par  un  diaphragme;  que  cet  air  pénètre  jusque  dans  les  ca- 
vités de  leurs  os,  jusque  dans  les  tuyaux  de  leurs  plumes, 
en  sorte  qu'ils  sont  pour  ainsi  dire  tout  i)oumons,  ce  qui 
les  allège  aussi  pour  le  vol ,  et  ce  qu'on  remarque  à  peu  près 
de  môme  parmi  les  insectes.  Or,  cette  grande  respiration , 
loyer  perpétuel  de  chaleur,  qui  rend  leur  sang  plus  chaud, 
plus  animé  que  le  nôtre,  augmente  extrêmement  en  eux 
l'excitabilité  vitale;  leur  circulation  est  plus  rapide,  leurs 
muscles  sont  plus  mobiles  et  plus  forts,  effets  qu'on  retrouve 
pareillement  chez  les  insectes  ailés  ou  volants. 

Nous  voyons  combien  l'oxygène  atmosphérique  contribue 
à  la  vigueur,  à  ractivité  chez  tous  les  êtres  ;  combien,  au  con- 
traire, les  hommes  deviennent  pâles,  flasques,  inertes,  dé- 
biles en  tout,  dans  ces  lieux  étouffés,  ces  caves,  ces  mines, 
ces  antres  obscurs,  remplis  d'un  air  méphitique  ou  vicié; 
combien ,  en  revanche ,  ils  deviennent  vifs,  colorés,  ardents, 
secs  et  tendus,  sur  les  montagnes,  dans  les  lieux  exposés  à 
l'air  pur  et  agité.  Ainsi,  l'air  est  véritablement  le  pabulum 
vitse,  l'aliment  de  l'existence,  comme  le  disaient  les  an- 
ciens. 

Mais  il  est  encore  d'autres  causes  qui ,  fortifiant  ou  dimi- 
nuant la  puissance  vitale ,  rendent  un  homme  plus  robuste, 
plus  vivace,  plus  énergique  qu'un  autre.  Il  faut  mettre  sans 
doute  au  premier  rang  une  bonne  constitution.  A  cet  égard 
encore ,  l'on  peut  errer  lorsqu'on  établit  comme  la  meilleure 
complexion  celle  qui  paraît  la  plus  vigoureuse,  la  plus  soli- 
dement construite;  car  ces  hommes  s'usent  bientôt,  pour  la 
plupart ,  dans  les  excès  et  toutes  les  jouissances.  En  effet , 
on  peut,  chez  certains  êtres,  prolonger  indéfiniment  la  vie 
en  ne  la  consommant  pas.  Par  exemple,  chez  les  insectes, 
les  mâles  périssent  d'ordinaire  aussitôt  après  avoir  engendré , 
comme  s'ils  léguaient  leur  vitalité  tout  entière  dans  l'acte 
génital  ;  mais  on  peut  les  conserver  très-longtemps  vivants 
lorsqu'on  les  empêche  de  s'accoupler.  11  en  est  de  même 
des  herbes  annuelles ,  dont  on  retarde  la  floraison ,  et  que 
l'on  fait  ainsi  durer  une  seconde  année;  car,  généralement 
parlant,  tous  les  êtres  animés  astreints  à  la  continence  sont 
plus  vivaces.  De  plus ,  l'existence  se  prolonge  en  diminuant 
son  mouvement.  Ainsi ,  Haller  observe  que  les  personnes  à 
pouls  languissant,  ou  ayant  une  circulation  naturellement 
lente,  vieillissent  plus  tard.  De  même,  le  froid,  concentrant 
les  facultés  vitales  à  l'intérieur,  en  diminue  la  dissipation  et 
retarde  les  périodes  du  développement.  C'est  ainsi  qu'on 
peut  conseiTcr  par  le  froid  les  insectes  à  l'état  de  chrysa- 
lides pendant  un  ou  deux  ans,  sans  qu'ils  se  développent; 
tandis  que ,  suivant  le  cours  ordinaire,  ils  achèveraient  dans 
l'année  leur  période  vitale,  et  que  plus  la  chaleur  est  vive, 
plus  ils  se  hâtent  d'éclore  et  d'engendrer,  comme  les  végé- 
taux ,  dont  une  température  élevée  précipite  la  floraison  et 
la  maturation  des  graines.  Pareillement,  les  animaux  que  le 
froid  engourdit  en  hiver,  comme  les  loirs  et  les  marmottes, 
les  serpents  et  les  lézards,  etc.,  pourraient  prolonger  leur 
existence  par  la  continuité  de  cet  état  d'hibernation  et  de 
torpeur.  Une  tortue  ne  dissipe  presque  rien  pendant  six  mois 
d'engourdissement ,  sans  manger  en  hiver. 

Enfin,  il  est  des  intermissions  parfois  complètes  de  la  vie 
cliL'Z  les  êtres  les  plus  simples,  et  des  ressuscitations  de  son 
mouvement.  Jos.  de  Necker  a  vu  des  mousses  desséchées 
pendant  près  d'un  siècle  dans  de  vieux  herbiers,  reprendre 
vie  l't  repousser  à  l'ordinaire  dans  l'eau;  la  tremelle-nostoc 
peut  a  volonté  se  dessécher  ou  mourir,  puis  reprendre  sa 


BIOLOGIE 

verdeur,  sa  faculté  v«golalivc,  dans  l'humidité  ;  les  lichens 
se  dessèchent ,  et  reprennent  la  végétation  par  les  pluies 
cent  (ois  par  an  ;  mais  ce  fait  s'est  remarqué  même  chez  des 
animalcules.  On  connaît  le  vorlicelle  rotatoire  ou  le  rolifère 
observé  par  Spallanzani.  Cet  animal,  aussi  bien  que  de  pe- 
tits polypes  d'eau  douce ,  se  dessèche  pendant  des  années 
même ,  et  peut  ressusciter  dans  l'humidité.  La  vie  ne  semble 
être  chez  eux  qu'un  simple  mouvement  organique  facilité 
par  l'eau  et  déterminé  par  une  douce  chaleur.  Sans  ces 
conditions,  il  se  suspend,  comme  on  voit  une  montre  s'ar- 
rêter par  le  froid ,  ou  faute  d'être  remontée.  11  y  a  pareille- 
ment une  vie  en  puissance,  non  en  acte ,  capable  de  se  con- 
server très-longuement,  dans  des  semences  de  plantes  et  des 
œufs  d'animaux.  On  a  semé  des  haricots  tirés  des  herbiers 
du  célèbre  ïournelort,  et  ayant  au  moins  un  siècle;  ils  ont 
germé  à  l'ordinaire.  Cependant ,  d'autres  graines  contenant 
des  huiles  capables  de  rancir,  comme  celles  du  café,  du 
thé,  etc.,  ne  germent  pas  si  on  ne  les  sème  bientôt.  Pa- 
reillement des  œufs  conserveraient  longtemps  la  faculté 
d'éclore  s'ils  étaient  soustraits  exactement  aux  influences  de 
l'air  et  de  la  chaleur,  qui  peuvent  les  faire  gâter.  L'on  a  vu 
du  frai  de  poisson  se  conserver  .sous  la  boue  des  étangs  des- 
séchés pendant  quelques  années,  puiséclorede  lui-même  aa 
retour  des  eaux. 

Chez  les  animaux  à  sang  chaud ,  la  vie  est  ordinairement 
trop  intense  pour  éprouver  ces  intermissions  qui  la  prolon- 
gent, et  l'on  ne  voit  guère  d'Épiménides  dormir  pendant  qua- 
rante ans,  puis  se  réveiller  comme  du  soir  au  lendemain  ;  mais 
la  consonnnalion  générale  de  la  vie  n'est  pas  uniforme  pen- 
dant toute  sa  durée  active.  Depuis  l'époque  de  la  naissance 
jusqu'à  l'extrême  caducité,  parmi  les  végétaux,  comme 
dans  tous  les  animaux,  \a  force  biotique  marche  constam- 
ment vers  son  décroissement.  Chez  les  enfants ,  en  effet ,  le 
pouls  est  très-rapide,  la  croissance  prompte;  la  réparation 
par  les  aliments  a  lieu  presque  à  chaque  instant;  ces  in- 
dividus sont  toujours  en  action,  en  excitation;  ils  sentent 
avec  vivacité,  ils  sont  bouillants,  téméraires,  même  fou- 
gueux et  emportés,  jusqu'à  ce  que,  avançant  en  âge,  ou 
après  avoir  joui ,  senti ,  expérimenté  de  toutes  choses  et  dé- 
pensé une  grande  partie  de  leurs  facultés,  ce  qui  leur  reste 
ne  se  prodigue  plus  avec  autant  de  profusion.  Alors  la  rai- 
son commande  des  ménagements  et  une  sage  économie;  en 
même  temps ,  nos  organes ,  devenus  moins  sensibles  aux 
stimulants,  restent  lents,  inertes,  froids,  comme  chez  les 
vieillards.  Les  animaux  peu  sensibles ,  froids  et  inaclifs,  ont 
d'autant  plus  de  fécondité  qu'ils  éprouvent  ou  manifestent 
moins  de  volupté  ;  ils  ne  dépensent  rien  en  plaisirs  sans 
but,  mais  font  tourner  tout  au  profit  de  la  reproduction ,  de 
même  que  chez  les  végétaux.  On  voit  pourquoi  les  facultés 
vitales  seront  moins  consommées  chez  l'homme  froid ,  tran- 
quille, passant  des  jours  uniformes,  comme  les  anachorètes, 
évitant  les  passions  et  les  excès ,  les  grands  plaisirs  et  les 
grandes  peines ,  ainsi  que  les  philosophes  le  recomman- 
dent ;  la  carrière  de  l'existence  devra  être  alors,  toutes  choses 
d'aifleurs  égales,  plus  prolongée.  C'est  ainsi  que  vivent  long- 
temps encore  les  êtres  insouciants  ou  toujours  contents  et 
gais,  réfléchissant  peu ,  sentant  peu ,  tels  que  les  hommes 
apathiques,  endurcis  par  un  froid  modéré,  les  montagnards, 
tous  ceux  que  la  médiocrité ,  qu'une  pauvreté  satisfaite  de 
son  sort,  écarte  des  excès  du  luxe,  de  l'intempérance  ou 
des  délices  qui  accompagnent  l'opulence.  Aussi ,  les  climats 
modérément  froids  retardent  non-seulement  la  puberté,  mais 
l'écoulement  de  la  vie,  tandis  que  l'ardeur  des  climats  du 
midi  et  delà  zone  torride  en  développe  rapidement  toutes  les 
phases.  De  même,  dans  la  vieillesse  nous  sentons  moins;  le 
mouvement  organique  étant  ralenti,  l'excitabilité  moins  ac- 
tive, la  chaleur  presque  éteinte ,  le  sentiment  moins  cxpan- 
sil  ou  i)lus  concentré  par  l'égoisme  et  l'avarice  (qui  aug- 
mentent alors),  on  dépense  moins  l'existence,  on  retarde 
le  i»lus  qu'on  peut  la  cluite  fatale.  Les  femmes,  après  l'à^e 


BIOLOGIE  —  BIOMETRIE 


22«) 


crilique  «urtout,  ayant  une  constitution  plus  langoureuse, 
plus  débile,  plus  molle  que  l'homme,  subsistent  par  cela 
seul  très-longuement  dans  la  vieillesse.  C'est  pour  elles  que 
répitliète  de  sempiternelle  (qu'on  me  passe  cette  expres- 
sion )  semble  avoir  été  créée.  Ainsi ,  à  mesure  que  l'éner- 
gie vitale  sera  plus  active  et  plus  intense,  moindres  seront  sa 
ténacité,  son  adhérence  et  sa  durée  dans  l'organisation. 

Les  athlètes,  les  hercules,  étant  pour  l'ordinaire  portés 
à  faire  abus  de  leur  puissance  en  tout  genre,  défiant  même 
les  autres  à  diverses  vaillantises  (par  exemple,  en  excès  vé- 
nériens, ou  de  boisson,  ou  de  table,  ou  d'efforts  musculaires), 
se  ruinent,  se  brisent,  pour  ainsi  parler,  la  santé  ;  et  plu- 
sieurs périssent  tout  cassés  des  suites  de  ces  extravagances. 
Mais  quand  môme  ils  vivraient  dans  une  sage  modération , 
cette  plénitude  de  vigueur  et  de  santé  athlétique ,  parvenue 
surtout  à  l'extrême,  est  toujours  redoutable,  comme  l'avait 
déjà  remarqué  Hippocrate.  Les  maladies  que  l'on  peut  alors 
éprouver  déi)loient  une  affreuse  énergie  :  par  exemple ,  les 
fièvres  se  développent  avec  une  impétuosité  extraordinaire 
dans  tous  leurs  symptômes;  elles  attaquent  avec  une  vi- 
gueur digne  de  l'individu  auquel  elles  ont  affaire.  Dans  ces 
corps  robustes,  le  choc  devient  terrible ,  le  combat  mortel  ; 
résultat  impitoyable ,  parce  que  leur  constitution  mâle,  ré- 
sistante ,  ne  cède  pas  à  l'effort  morbifique,  comme  ces  cons- 
titutions grêles,  délicates,  toujours  subjuguées,  toujours  sou- 
mises ou  se  pliant  à  tous  les  empires.  Voilà  donc  pourquoi 
les  constitutions  les  plus  énergiques  ne  sont  pas  les  plus 
vivaces ,  mais  bien  les  faibles  et  les  languissantes,  pourvu 
que  celles-ci  ne  soient  pas  minées  sourdement  par  quelque 
vice  organique,  et  pourvu  qu'elles  ménagent  leurs  forces  en 
évitant  tout  excès. 

De  plus,  la  longévité  ou  la  force  vitale  inhérente  dépend 
principalement  de  l'énergie  native  qu'on  a  reçue  de  ses  pa- 
rents. Il  est  d'expérience  que  certaines  familles  sont  beaucoup 
plus  vivaces  que  d'autres  ;  et  parmi  les  recueils  de  cente- 
naires, on  voit  d'ordinaire  que  ceux-ci  étaient  nés  la  plupart 
de  parents  qui  vécurent  longtemps.  Certaines  constitutions 
se  développent  naturellement  plus  tard  ou  plus  tôt  que  d'au- 
tres; elles  ont  par  là  des  périodes  d'existence  ou  plus  ra- 
pides ou  plus  prolongées. 

On  peutajouterde  plusque  si  la  viede  beaucoup  d'hommes 
se  trouve  raccourcie  ou  débilitée  si  fréquemment  chez  les 
citadins  opulents  et  dans  les  hautes  classes  de  la  société,  ce 
n'est  pas  toujours  parce  que  ces  individus  ont  prodigué  leurs 
forces  dans  les  jouissances;  au  contraire,  plusieurs  se  mé- 
nagent, non  par  sagesse,  mais  par  crainte.  La  débilité  ne 
vient  pas  d'eux  ;  ils  payent  les  péchés  de  leurs  parents.  Ainsi, 
un  homme  vieux  et  à  moitié  épuisé  se  marie  en  vain  à  une 
jeune  épouse,  saprogéniture  se  ressentira  de  la  faiblesse  pater- 
nelle. Si  les  deux  époux  sont  trop  âgés  ou  trop  jeunes,  les 
fruits  de  ces  époques  n'auront  ni  la  vigueur  natale  ni  la 
ferme  constitution  des  enfants  nés  pendant  la  fleur  des  an- 
nées de  leurs  parents.  Ce  fait  se  remarque  pareillement  dans 
les  races  d'animaux  qu'on  multiplie,  comme  dans  les  haras 
des  chevaux. 

Tout  tempérament  d'ailleurs  ne  manifeste  point  au 
niêmedegré  des  forces  biotiques  naturelles.  Voyez  cet  individu 
llasque,  épais  et  blond,  ayant  une  chair  mollasse  et  pâteuse, 
le  teint  blême,  des  membres  lourds,  un  ventre  tombant,  une 
structure  grossièrement  maçonnée  ;  il  parle,  il  se  traîne  pé- 
niblement ;  on  dirait  que  l'esprit  et  la  vie  ne  peuvent  pas  se 
déiiétrer  chez  lui  de  cette  masse  stupide  et  inerte  d'anima- 
lité; il  est  bientôt  accablé  du  moindre  travail ,  soit  corporel , 
soit  intellectuel  :  aussi  est-il  souverainement  paresseux,  dor- 
meur; celte  inertie  ajoute  encore  à  lamassede  ses  humeurs, 
à  leur  stase,  à  la  langueur  de  ses  fonctions.  Quoiqu'il  dé- 
pense lentement  sa  vie,  on  peut  dire  qu'il  est  comme  mort 
avant  de  mourir.  Tel  est  le  lymphatique  ou  le  pituiteux  :  il 
se  trouve  plus  fréquemment  dans  les  pays  humides  et  bas, 
où  trouiiit  un  air  épai.s,  nébuleux,  tels  que  la  Hollande; 


il  est  entretenu  dans  cet  état  par  des  nourritures  trop  débi- 
litantes, le  laitage,  le  beurre,  les  pâtisseries,  les  farineux 
gluants,  comme  les  bouillies,  et  par  les  boissons  mucilagi- 
neuses,  telles  que  la  bière.  Voyez,  au  contraire,  ce  mince 
et  sec  individu ,  noir  de  cheveux  et  d'un  teint  brun  ;  toute 
sa  structure  est  allègre,  toutes  ses  fibres  sont  tendues,  mo- 
biles ;  SCS  muscles,  solides,  ont  des  formes  anguleuses,  mai- 
gres et  comme  décharnées  en  comparaison  du  précédent  ;  il 
n'a  point  de  ventre;  ses  pieds  et  ses  mains  sont  dans  une 
inquiétude  et  un  mouvement  perpétuels;  il  parle  toujours 
avec  feu  et  volubilité;  il  est  turbulent,  agile,  ou  plutôt  il 
ne  saurait  vivre  en  repos.  Son  esprit  s'élance  toujours  au- 
delà  du  présent,  et  son  corps  n'est  bien  que  là  où  il  n'est 
pas.  Il  se  dessèche ,  il  se  ronge  pour  la  moindre  contrariété  ; 
constamment  fougueux  et  passionné  dans  son  inconstance, 
à  peine  s'il  peut  dormir  et  s'arrêter  longtemps  cpielque  part. 
Voilà  le  bilieux;  et  cette  chaleur  qui  le  dévore,  qui  stimula 
incessamment  son  esprit  et  son  caractère,  mine  son  corps  , 
le  détruirait  bientôt  si  elle  ne  changeait  pas  d'un  instant  à 
l'autre  le  sujet  de  son  enthousiasme  (  t  de  sa  haine.  Ainsi , 
cet  être  impétueux  ne  se  repose  que  par  la  diversion  qui 
laisse  du  répit  à  quelques  facultés,  tandis  que  les  autres  sont 
tour  à  tour  exercées.  Les  pays  secs  et  chauds ,  les  terres 
arides  et  montagneuses  exposées  au  midi ,  à  un  air  vif,  aux 
vents  piquants;  des  aliments  secs,  épicés;  des  spiritueux , 
des  échauffants,  des  salaisons,  et  autres  substances  acres  ou 
stimulantes,  entretiennent,  exaltent  cette  constitution,  qui 
vit  avec  une  prodigieuse  intensité  en  peu  de  temps  et  qui 
s'use  rapidement. 

Entre  ces  deux  extrêmes,  on  comprendra  toutes  les  nuances 
intermédiaires.  L'homme  tient  davantage  du  tempérament 
sec,  actif  et  bilieux;  la  femme,  de  la  complexion  molle  et 
lymphatique  :  ainsi,  leurs  forces  vitales  éprouveront  les 
mêmes  relations  que  ces  tempéraments.  Aussi  la  femme 
vit  généralement  plus  longtemps  que  l'homme. 

Enfin,  nulle  constitution  n'est  également  active  en  tout 
sens,  et  n'emploie  pareillement  en  tout  ses  puissances  vi- 
tales. Le  savant  ou  l'homme  de  lettres,  le  philosophe,  exer- 
çant beaucoup  leur  intelligence,  s'useront  principalement 
par  le  cerveau;  le  gourmand  ou  gastronome,  l'ivrogne, 
fatiguent  surtout  la  capacité  et  l'énergie  de  leur  estomac, 
de  leurs  viscères  digestifs;  le  voluptueux,  le  libertin, 
épuisent  sans  cesse  leurs  organes  sexuels;  des  hommes 
de  peine ,  des  manouvriers  robustes ,  employés  à  de  fa- 
tigants travaux  du  corps,  se  cassent;  ils  énervent  enfin 
leur  contractilité  musculaire.  Voilà  donc  des  pertes  diffé- 
rentes relativement  à  la  force  vitale,  et  des  dissipations  di- 
verses auxquelles  elle  s'accoutumerait  par  des  habitudes 
plus  modérées.  Ainsi ,  la  vie  se  répartit  ou  s'écoule  surtout 
dans  les  organes  les  plus  employés;  elle  les  fortifie,  les 
agrandit,  les  développe,  elle  en  facilite  l'action;  mais 
en  même  temps  elle  diminue  d'autant  les  autres  organisa- 
tions ,  et  néglige  à  proportion  les  autres  fonctions.  Le  gas- 
tronome ramasse  tout  son  esprit  dans  son  estomac,  pour  bien 
digérer,  pour  bien  savourer  d'excellents  morceaux;  le  vo- 
luptueux attire  tout  à  l'organe  de  ses  jouissances,  c'est  là 
son  centre;  aussi  tout  le  reste  languit  :  il  survit  aux  plus 
nobles  fonctions  de  l'âme;  il  n'est  plus  désormais  qu'un 
cadavre  attendant  le  cercueil.  J.-J.  VmEv. 

BIOMÉTRIE,  BIOMÈTRE  (du  grec  pioc,  vie, 
et  [AÉTpov ,  mesure).  On  a  fait  de  la  biométrie  l'art  d'éva- 
luer la  quantité  de  vie  d'un  être,  soit  en  intensité,  soit  en 
durée.  Notre  article  BroLociE  montre  combien  de  circons- 
tances peuvent  pliysiologiquement  faire  varier  cette  quantité 
bioinétrique.  On  a  aussi  appliqué  ce  nom  à  celte  partie  du 
calcul  des  probabilités  qi'i  recherche  par  l'expérience  la  du- 
rée ordinaire  de  la  vie  des  hommes.  D'autres,  enfin,  en  ont 
voulu  faire  cet  art  pratique  de  la  vie  d'après  lequel  l'homme 
calcule  avec  soin  l'empioi  de  son  temps,  de  ses  forces  phy- 
siques et  morales,  en  raisou  de  son  âge,  de  sa  position,  etc  j 


230 


BIOMETRIE  —  BIOT 


de  manière  à  vivre  ou  plutôt  à  se  mouvoir  avec  la  régularité 
d'un  pendule.  Qu'il  soit  nécessaire ,  qu'il  soit  sage  pour 
cliacun  de  régler  prudemment  sa  vie  ,  personne  n'essayera 
de  le  nier;  mais  vouloir  formuler  systématiquement  ces 
règles  de  conduite  ,  c'est  une  ridicule  pédanterie. 

BION,  poète  grec  qui  cultiva  surtout  le  genre  de  l'idylle, 
natif  de  Smyrne,mais  sur  la  vie  duquel  les  écrivains  de 
l'antiquité  ne  nous  fournissent  aucun  renseignement.  Tout 
ce  qu'on  peut  conclure  d'une  élégie  composée  à  l'occasion 
de  sa  mort  par  Mosclius,  son  contemporain  et  son  ami,  c'est 
qu'il  florissait  en  môme  temps  que  Théocri te  (de  l'an 
284  à  l'an  246  av.  J.-C.  ),  qu'il  passa  la  dernière  partie  de  sa 
vie  en  Sicile,  et  qu'il  mourut  empoisonné.  De  tous  les  ouvrages 
de  Bion  qui  sont  parvenus  jusqu'à  nous  le  plus  important 
est  son  Élégie  sur  la  mort  d'Adonis.  Nous  ne  possédons  que 
des  fragments  de  ses  autres  œuvres  ;  et  elles  brillent  plus  par 
la  finesse  de  l'expression  et  la  délicatesse  du  sentiment,  que 
par  la  peinture  vraie  et  simple  de  la  vie  pastorale.  C'est 
Henri  Estienne  qui  le  premier  sépara  les  poésies  de  Bion  de 
celles  de  ïliéocrile  ;  et  van  Metkerke  en  donna  ensuite  une 
édition  ii  part  (Bruges,  1565).  Les  œuvres  de  Bion  réunies  à 
celles  de  Tliéocrite  ont  en  outre  été  publiées  par  Walckenaër, 
BruncketSchœfer  (Leipzig,  1809);  par  Gaisford  ,  dans  sa 
colleclion  des  Poetx  grxci  minores  et  par  Meinecke  (Leip- 
zig, 1825).  Bion  a  été  traduit  en  français  par  Longepierre, 
dont  la  traduction,  à  peine  lisible,  contient  le  texte  grec  en 
regard  et  d'excellentes  remarques  critiques.  Le  même  travail 
fut  entrepiis  par  Poinsinet  de  Sivry,  par  Moutonnet  de 
Clairfons,  et  enfin  parGail  (  Paris,  1795). 

BIOIV  de  Borystbène,  pbilosoplie  qui  vécut  à  la  cour 
d'Antigone  Gonatas  et  qui  mourut  à  Chalcis.  Il  était  af- 
francbietavait  étudié  la  philosophie  à  Athènes  sousCratès  le 
Cynique,  puis  sous Théophraste  et  surtout  sous  ïhéodore- 
l'Athée.  Il  a  composé  beaucoup  d'ouvrages  sur  la  morale, 
dont  quelques  fragments  nous  ont  été  conservés  par  Stobée. 
Comme  son  maître  Théodose,  Bion  faisait  ouvertement 
piofession  d'athéisme.  Diogène  de  Laerte  rapporte  de  lui 
une  pensée  d'une  grande  vérité  :  «  Le  plus  malheureux  des 
hommes  est  celui  qui  désire  le  plus  ardemment  le  bonheur.  » 
Quoique  Bion  de  Borystbène  eût  composé  un  traité  de  mo- 
rale, il  parait  qu'il  était  plus  célèbre  par  ses  bons  mots 
«t  par  ses  reparties  que  par  son  système  de  philosophie. 

Quelqu'un  lui  ayant  demandé  quel  était  de  tous  les  hom- 
mes le  plus  inquiet,  «  Celui  qui  veut  être  le  plus  heureux 
et  le  plus  tranquille ,  »  répondit-il.  Un  envieux  lui  parais- 
sant avoir  l'air  triste  et  rêveur,  il  lui  demanda  «  si  sa  tris- 
tesse venait  de  ses  propres  malheurs  ou  du  bonheur  des 
autres  ».  Il  disait  aussi,  en  parlant  du  mariage,  qu'une 
femme  laide  était  un  supplice  pour  son  mari,  et  que  si  une 
belle  était  un  sujet  de  plaisir,  c'était  moins  pour  lui  que  pour 
ses  voisins.  »  Il  avait  coutume  de  dire  à  ses  disciples  : 
«  Quand  vous  écouterez  avec  une  égale  indifférence  les  in- 
jures et  les  compliments,  vous  pourrez  croire  que  vous  avez 
fait  des  progrès  dans  la  vertu.  —  Honorons  la  vieillesse, 
puisque  c'est  le  but  où  nous  tendons  tous.  « 

Parmi  les  personnages  célèbres  de  l'antiquité  du  nom  de 
Bion,  on  cite  encore:  un  poète  tragi(|ue,  qui  vivait  pro- 
bablement au  premier  siècle  de  l'ère  chrétienne  ;  un  ma- 
thématicien, natif  d'Abdère,  qui  vivait  dans  le  quatrième 
ou  dans  le  troisième  siècle  avant  J.-C,  et  dont  il  ne  nous 
reste  aucun  ouvrage,  mais  qui  avança  le  premier  qu'il  y  a  sur 
la  terre  certaines  régions  où  l'anni'e  se  partage  en  un  jour 
de  six  mois  et  une  nuit  d'égale  durée,  idée  qui  suppose  de 
sa  part  des  notions  assez  positives  sur  les  régions  hyperbo- 
réennes;  enfin,  deux  rhéteurs,  l'un  natif  de  Syracuse, 
auteur  d'un  livre  sur  l'art  de  la  rhétorique;  l'autre,  dont 
on  ignore  l'origine,  auteur  d'un  ouvrage  sur  le  même  sujet 
en  neuf  livres ,  dont  les  noms,  connue  ceux  du  livre  d'iié- 
rodole,  sont  empruntés  aux  neuf  Muses. 

iilOIV  (Jean),  prêtre  catholique,  <iui  embrassa  le  pro- 


testantisme, naquit  à  Dijon,  en  168S,  et  fut  d'abord  curé  à 
Ursy,  en  Bourgogne.  Par  la  suite  il  fut  nommé  aumônier 
de  la  galère  La  Superbe  où  l'on  retenait  les  prisonniers 
protestants  ;  et  ce  fut  le  spectacle  de  la  pieuse  résignation 
avec  laquelle  ils  enduraient  leurs  souffrances  qui  le  décida, 
dit-on,  à  embrasser  une  religion  capable  d'inspirer  de  tels 
sentiments.  11  s'en  alla  donc  abjurer  le  catholicisme  à  Ge- 
nève, en  1704,  puis  en  Angleterre,  où  on  le  nomma  recteur 
d'une  école.  Il  quitta  plus  tard  cette  position  pour  devenir 
chapelain  d'une  église  anglaise  en  Hollande.  On  a  de  lui  : 
Relation  des  tourments  que  Von  fait  souffrir  aux  protes- 
tants qui  sont  sur  les  galères  de  France  (Londres,  1708); 
Essai  sur  la  Providence  et  sur  la  possibilité  de  la  ré- 
surrection (La  Haye,  1719) ,  ouvrage  original,  bien  qu'an- 
noncé comme  étant  une  simple  traduction  de  l'anglais  ; 
Recherches  sur  la  nature  du  feu  de  l'enfer  et  du  lieu  où 
il  est  situé,  traduit  de  l'anglais  de  Swinden  (  1728  )  ;  Traité 
des  Morts  et  des  Ressuscitants,  traduit  du  latin  de  Burnet 
(1731);  Histoire  des  Quiétistes  de  Bourgogne  (1709); 
Relation  du  sujet  qui  a  excité  le  funeste  tumulte  de  la 
ville  de  Thorn  (  1725)  ;  Traité  dans  lequel  on  approfondit 
les  funestes  suites  que  les  Anglais  et  les  Hollandais  ont 
à  craindre  de  rétablissement  de  la  compagnie  d'Osten- 
de  (1726),  traduit  de  l'anglais. 

BION  (Nicolas),  ingénieur,  mort  à  Paris,  en  1733,  à  l'âge 
de  quatre-vingt-un  ans ,  faisait  le  commerce  des  globes  et 
des  sphères,  et  obtint  le  titre  d'ingénieur  du  roi  pour  les 
instruments  de  mathématiques.  On  a  de  lui  :  De  l'usage  des 
Globes  et  des  Sphères  (  1699  )  ;  Traité  de  la  Construction 
des  Instruments  de  Mathématiques  (1765). 

BIOT  (Jean-Baptiste),  astronome  et  physicien,  profes- 
seur au  Collège  de  France,  membre  de  l'Institut,  du  Bureau 
des  Longitudes,  etc.  On  doit  le  compter  parmi  les  hommes 
de  ce  siècle  qui  ont  donné  une  forte  impulsion  à  la  science. 
Né  à  Paris,  en  1774,  il  se  distingua  comme  élève  au  col- 
lège Louis-Ie-Grand ,  et  entra  fort  jeune  dans  l'artillerie; 
inais  peu  de  temps  après  il  se  fit  admettre  à  l'Écoie  Poly- 
technique, où  son  désir  de  tout  embrasser  et  son  aptitude 
à  tout  apprendre  ne  tardèrent  pas  à  fixer  sur  lui  les  re- 
gards. Nommé  professeur  à  l'école  centrale  de  Beauvais ,  il 
y  brilla  par  la  facilité  de  son  élocution.  Cependant,  il  fallait 
un  plus  vaste  théâtre  à  M.  Biot  :  revenu  à  Paris  dans  l'an- 
née 1800,  il  obtint  la  chaire  de  physique  au  Collège  de 
France,  puis  une  place  à  l'Institut,  où  quelques  expériences 
ingénieuses  et  la  protection  de  Laplace  le  firent  asseoir. 

D'où  venait  l'intérêt  si  vif  que  portait  Laplace  à  M.  Biot.' 
Empruntons  à  ce  dernier  quelques  passages  d'une  commu- 
nication par  lui  faite  en  1850  à  l'Académie  Française,  dans  une 
de  ses  séances  particulières,  où  il  raconte  comment,  «  il  y  a 
quelque  cinquante  ans,  un  de  nos  savants  les  plus  illustres 
accueillit  et  encouragea  un  jeune  débutant  qui  était  venu 
lui  montrer  ses  premiers  essais  :  » 

«  Je  savais,  dit  M.  Biot,  que  M.  Laplace  travaillait  à  réunir 
un  magnifique  ensemble  de  découvertes,  dans  l'ouvrage 
qu'il  a  très-justement  appelé  La  Mécanique  céleste.  Le 
premier  volume  était  sous  presse;  les  autres  suivaient  à  de 
bien  longs  intervalles  au  gré  de  mes  désirs.  Une  démarche 
qui  pouvait  paraître  fort  risquée  m'ouvrit  un  accès  privilégié 
dans  le  sanctuaire  du  génie.  J'osai  écrire  directement  à 
l'illustre  auteur  pour  le  prier  de  permettre  que  son  libraire 
m'envoyât  les  feuilles  de  sou  livre  ii  mesure  qu'elles  s'impri- 
maient. M.  Laplace  me  répondit  avec  autant  de  cérémonie 
que  si  j'eusse  été  un  savant  véritable.  Toutefois,  en  fin  de 
compte,  il  écartait  ma  demande,  ne  voulant  pas,  disait-il, 
que  son  ouvrage  fût  présenté  au  public  avant  d'être  terminé, 
afin  qu'on  le  jugeât  dans  son  ensemble.  Ce  déclinatoire  poli 
était  sans  doute  très-obligeant  dans  ses  formes,  mais  au 
fond  il  accommodait  mal  mon  affaire.  Je  ne  voulus  pas  l'ac- 
cepter sans  appel.  Je  récrivis  immédiatement  à  M.  Lapla<  e 
pour  lui  représenter  qu'il  me  faisait  plus  d'honneur  que  je 


n'en  méritais  et  que  je  n'en  désirais.  Je  ne  suis  pas,  lui  dis-je, 
du  public  qui  juge,  mais  du  public  qui  étudie.  J'ajoutais  que, 
voulant  suivre  et  refaire  tous  ses  calculs  en  entier  pour  mon 
instruction ,  je  pourrais ,  s'il  se  rendait  à  ma  prière ,  décou- 
vrir et  signaler  les  fautes  d'impression  qui  s'y  seraient  glis- 
sées. Ma  respectueuse  insistance  désarma  sa  réserve.  11  m'en- 
voya toutes  les  feuilles  déjà  imprimées,  en  y  joignant  une 
lettre  charmante,  cette  fois  nullement  cérémonieuse,  mais 
remplie  des  plus  vifs  et  des  plus  précieux  encouragements. 
Je  n'ai  pas  besoin  de  dire  avec  quelle  ardeur  je  dévorai  ce 
trésor.  Depuis ,  chaque  fois  que  j'allais  à  Paris,  j'apportais 
mon  travail  de  révision  typographique,  et  je  le  présentais 
personnellement  à  M.  Laplace.  Il  l'accueillait  toujours  avec 
bonté,  l'examinait ,  le  discutait,  et  cela  me  donnait  l'occa- 
sion de  lui  soumettre  les  difficultés  qui  arrêtaient  trop  sou- 
vent ma  faiblesse...  » 

Au  mois  d'août  1804  ,  M.  Biot  accompagna  Gay-Lussac 
dans  sa  première  ascension  aérostatique.  Le  ballon  ne  s'é- 
leva ce  jour-là  qu'à  3,400  mètres.  Gay-Lussac  fit  seul 
une  seconde  ascension  qui  eut  les  résultats  les  plus  pré- 
cieux pour  les  sciences  physiques  et  chimiques.  Le  Bureau 
des  Loii^tudes  chargea  en  1806  M.  Biot  et  M.  Ara  go  d'al- 
ler contmuer  en  Espagne  les  opérations  géodésiques  destinées 
à  prolonger  la  m^éridienne.  Les  deux  jeunes  savants  prirent 
ensemble  plusieurs  miUiers  de  hauteurs  de  l'étoile  polaire 
et  de  l'étoile  6  de  la  Petitè-Ourse  pour  déterminer  la  lati- 
tude de  Formentera  ;  ils  observèrent  beaucoup  de  passages 
du  soleQ  et  des  étoiles  à  la  lunette  méridienne,  et  mesu- 
rèrent en  même  temps  la  longueur  du  pendule  à  secondes 
pour  connaître  l'intensité  de  la  pesanteur  à  cette  extrémité 
australe  de  l'arc  ;  enfin  ils  observèrent  l'azimuth  du  dernier 
coté  de  la  chaîne  des  triangles ,  c'est-à-dire  l'angle  que  ce 
côté  forme  avec  la  ligne  méridienne ,  résultat  nécessaire 
pour  orienter  leurs  opérations.  Revenu  seul ,  M.  Biot  fit  à 
l'Institut  le  rapport  de  cette  mission,  rapport  qui  en  1821 
servit  de  base  à  un  ouvrage  qu'il  rédigea  avec  M.  Arago  sous 
le  titre  de  Recueil  d'observations  géodésiques ,  astrono- 
miques et  physiques  exécutées  par  ordre  du  Bureau 
des  Longittides  de  France,  en  Espagne,  en  France,  en 
Angleterre  et  en  Ecosse ,  pour  déterminer  la  variation 
de  la  pesanteur  et  des  degrés  terrestres  sur  le  prolonge- 
ment du  méridien  de  Paris.  Deux  ans  après,  M.  Biot,  que 
la  Société  royale  de  Londres  avait  admis  au  nombre  de  ses 
membres  associés,  alla  en  effet  aux  tles  Orcades  faire  des 
observations  astronomiques.  La  réputation  qui  l'avait  de- 
vancé engagea  plusieurs  savants  écossais  à  l'accompagner 
et  à  le  seconder  dans  ses  travaux  scientifiques,  dont  le 
succès  intéressait  toutes  les  nations.  En  1809  il  devint  pro- 
fesseur d'astronomie  à  la  Faculté  des  Sciences. 

Quand  Bonaparte,  premier  consul,  voulut  cacher  ses 
lauriers  d'Italie  sous  la  couronne  impériale,  M.  Biot, 
comme  membre  de  l'Institut ,  lui  refusa  son  adhésion  ;  et 
en  1815,  lors  de  l'acceptation  demandée  pour  l'Acte  addi- 
tionnel, son  vote  fut  également  négatif.  Ce  sont  là  deux  actes 
courageux  de  la  vie  politique  de  M.  Biot,  qui  plus  tard, 
sous  la  Restauration ,  se  rangea  parmi  les  savants  du  parti 
bourbonnien  ;  et  alors  son  infiaence  fut  plus  d'une  fois  fatale 
à  l'enseignement  public  en  protégeant  de  notoires  incapacités. 

Le  talent  de  M.  Biot  s'est  constamment  plié  avec  bonheur 
à  une  foule  de  questions  ;  l'énoncé  seul  de  ses  mémoires  en 
serait  une  preuve  suffisante.  Il  a  une  très-grande  facilité 
réunie  à  beaucoup  d'esprit  et  de  sagacité.  Dans  sa  chaire, 
M.  Biot  est  très-élégant,  mais  un  peu  diffus  ;  dans  ses  livres, 
il  fait  preuve  de  qualités  de  style  incontestables,  mais  il 
est  prolixe  et  aime  trop  à  s'étendre  longuement  sur  chaque 
objet;  ce  défaut  est  si  sensible  chez  lui  que  les  dernières 
éditions  de  ses  ouvrages  sont  réputées  les  moins  bonnes. 
Le  temps  pour  lui  est  un  moyen ,  non  d'abréger  et  d'éclair- 
cir,  mais  d'allonger  et  d'embrouiller.  Cependant,  pour  lui 
rendre  la  justice  qui  lui  est  due ,  nous  devons  ajouter  que 


BIOT  231 

la  vie  de  M.  Biot  a  été  laborieuse  entre  celles  de  tous  l'.'s 
savants  de  notre  époque  ;  il  aime  la  science  pour  elle-même, 
et  c'est  là  un  de  ses  grands  mérites. 

Une  appréciation  ou  seulement  la  liste  complète  des  ou- 
vrages de  M.  Biot  serait  trop  longue  pour  trouver  place 
ici.  Nous  nous  contenterons  de  citer  ses  principaux  travaux  : 
1°  Analyse  du  Traité  de  Mécanique  céleste  de  Laplace 
(  1801 ,  in-8°),  hommage  rendu  par  M.  Biot  à  son  illustre 
protecteur;  2"  Traité  analytique  des  Courbes  et  des  Sur- 
faces  du  second  degré  (  1802 ,  in-8"  ),  ouvrage  très-estimé, 
et  qui  serait  sans  doute  plus  suivi  dans  l'enseignement  si 
son  auteur  était  examinateur  pour  l'admission  aux  écoles 
du  gouvernement  ;  3°  Essai  sur  V Histoire  des  Sciences  de- 
puis la  Révolution  française  (  1803,  in-8°);  4°  Traité  élé- 
mentaire d'Astronomie  physique  (1805,  2  vol.  in-S"), 
dont  la  réimpression  a  eu  lieu  en  1845  avec  de  notables 
augmentations,  renfermant  un  exposé  complet  des  nouvelles 
métliodes  géodésiques  ;  5°  Recherches  sur  les  Réfractions 
ordinaires  qui  ont  lieu  près  de  l'horizon  (  1810,  in-A"); 
6"  Tables  Barométriques  portatives,  donnant  les  différen- 
ces de  niveau  par  une  simple  soustraction ,  avec  une  ins- 
truction contenant  l'histoire  de  la  formule  barométrique  et 
sa  démonstration  complète  par  les  simples  éléments  d« 
l'algèbre,  à  l'usage  des  ingénieurs  (  181 1,  in-8''  )  ;  7°  Recher- 
ches expérimentales  et  mathématiques  sur  les  mouve- 
ments des  molécules  de  la  lumière  autour  de  leur  cen- 
tre de  gravité  (1814,  in-4°);  8°  Traité  de  Physique 
expérimentale  et  mathématique  (1816,4  vol.  m-8''),un 
des  meilleurs  ouvrages  qui  aient  été  écrits  sur  cette  matière, 
et  qui  se  recommande  surtout  par  l'application  du  calcul 
aux  phénomènes  et  aux  expériences  ;  9"  Précis  élémentaire 
de  Physique  expérimentale  (  2  vol.  in-8°,  3*  édit.,  1825); 
10°  Physique  Mécanique  de  E.  G.  Fischer,  traduite  par 
madame  Biot ,  avec  des  notes  et  un  appendice  sur  les  an- 
neaux colorés,  sur  la  double  réfraction  et  sur  la  polarisa- 
tion de  la  lumière,  par  M,  Biot;  11"  Recherches  sur  plu- 
sieurs points  d»  l'astronomie  égyptienne,  appliquée  aux 
monuments  astronomiques  trouvés  en  Egypte. 

La  p  olarisation  est  surtout  redevable  en  grande  partie 
à  M,  Biot  des  immenses  progrès  réalisés  dans  sa  théorie. 
Depuis  1813  il  a  publié  sur  la  lumière  une  suite  presque 
non  interrompue  de  mémoires  où  il  a  ex,aminé  cette  partie 
de  l'optique  sous  toutes  ses  faces.  Outre  leur  importance 
scientifique,  ces  travaux  ont  eu  souvent  d'heureuses  ap- 
plications :  tel  est  le  Mémoire  sur  un  caractère  optique 
à  Vaide  duquel  on  reconnaît  immédiatement  les  sucs 
végétaux  qui  peuvent  donner  des  sucres  analogues  au 
sucre  de  canne,  et  ceux  qui  ne  peuvent  donner  que 
du  sucre  anatogue  au  sucre  de  raisin.  C'est  en  poursui- 
vant ses  études  sur  l'application  des  propriétés  optiques  à 
l'analyse  chimique,  que  M.  Biot  est  parvenu  depuis  à  me- 
surer exactement  les  proportions  de  sucre  cristallisable  quf 
restent  dans  les  mélasses ,  résultat  d'une  haute  importance 
pour  le  commerce. 

Quelque  nombreux  que  soient  les  ouvrages  et  les  travaux 
scientifiques  de  M.  Biot,  il  n'en  a  pas  fait  son  occupation 
constante;  il  a  rédigé  pour  la  Biographie  universelle  d'im- 
portants articles ,  entre  autres  Descartes,  Francklin,  Gali- 
lée, etc.,  articles  qui  sont  pourtant  moins  complets  qu'on 
n'aurait  dû  s'y  attendre;  en  1812  il  publia  un  Éloge  de  Mon- 
taigne, qui  obtint  une  mention  au  jugement  de  l'Académie 
Française. 

BIOT  (ÉD00ARD-C0NSTA.NT),  fils  du  précédent,  naquit  à 
Paris  le  2  juillet  1803.  Après  avoir  terminé  ses  études  avec 
distinction  au  collège  Louis-le-Grand,  il  fut  reçu  en  1822 
à  l'École  Polyteclmique.  De  retour  d'une  mission  scientifique 
dans  laquelle  il  avait  accompagné  son  père  en  Italie,  Edouard 
Biot  s'associa  à  MM.  Séguin  frères,  d'Annonay,  pour  la  cons- 
truction du  chemin  de  fer  de  Saint-Étienne  à  Lyon.  L'ua 
des  premiers,  il  démontra  en  France  l'immense  avantage 


235 


BIOT  —  BIRAGUE 


que  l'on  devait  retirer  de  ce  nouveau  moyen  de  communi- 
cation. C'est  dans  le  môme  but  que,  en  1833,  il  traduisait 
l'important  traité  de  M.  Babbage,  et  que  l'année  suivante 
il  faisait  paraître,  sous  le  titre  de  Manuel  du  Constructeur 
de  Chemins  de  Fer,  un  livre  élémentaire  tendant  à  popu- 
lariser leur  mécanisme. 

Vers  cette  époque,  Edouard  Biot  commença  à  étudier  la 
langue  chinoise.  Admis  en  1835  dans  le  sein  de  la  Société 
Asiatique,  il  s'en  montra  bientôt  l'un  des  membres  les  plus 
zélés.  Il  appliquait  ses  vastes  connaissances  à  des  recberclies 
historiques.  11  avait  surtout  fait  une  étude  approfondie  de 
l'organisation  et  des  statuts  de  la  corporation  des  lettrés , 
cette  institution  fondamentale  du  Céleste-Empire.  Ses  mé- 
moires^ur  divers  points  de  l'Iiisloire  des  sciences  de  la  Chine 
avaient  aussi  secondé  utilement  les  travaux  mathématiques 
et  astronomiques  de  son  père  et  d'autres  savants.  Edouard 
Biot  fut  élu  en  1 847  membre  de  l'Académie  des  Inscriptions 
€t  Belles-Lettres.  Affaibli  par  des  labeurs  incessants,  il  est 
mort  en  mars  1850,  emportant  les  regrets  de  tous  ses 
collègues. 

On  doit  encore  à  Edouard  Biot  ;  1°  De  V abolition  de 
V  esclavage  ancien  en  Occident,  etc.  (Paris,  1840),  ouvrage 
auquel  une  médaille  d'or  a  été  décernée  par  la  cinquième 
classe  de  l'Institut;  1°  Dictionnaire  des  villes  et  arrondis- 
sements de  l'empire  chinois,  avec  une  carte  de  la  Chine  par 
Klaproth  (Paris,  1845,  grand  in-8")  ;  3°  une  foule  de  Mé- 
moires d'un  grand  intérêt  pour  la  science,  et  qui  ont  été  pu- 
bliés dans  le  Journal  Asiatique,  le  Journal  des  Savants,  etc. 

BIPARTI.  Voyez  BmENTÉ. 

BIPÈDE  (de  bis,  et  de  pes,  pied  ) ,  nom  par  lequel  les 
naturalistes  désignent  en  général  tous  les  animaux  qui  sont 
munis  de  deux  pieds  seulement.  Les  bimanes,  les  ger- 
boises, les  kangourous,  les  oiseaux  sont  bipèdes. 

Lacépèdc,  d'après  Pallas,  avait  appliqué  ce  nom  de  bi- 
pèdes à  certains  reptiles  munis  de  deux  pieds  seulement,  qui 
font  partie  de  l'ordre  des  sauriens  et  de  la  famille  des  uro- 
bènes  ;  le  nom  tVhystérope ,  proposé  par  M.  Duméril ,  a  été 
préféré. 

BIPENNE  (de  bis,  deux,  et  penna,  pointe),  sorte  de 
liacheà  deux  tranchants  dont  se  servaient  surtout  les  anciens. 
Voijez  Hache. 

BIPINNATIFIDE  (de  bis,  deux  fois;  pinna,  aile; 
findo,ie  divise).  Les  feuilles  des  végétaux  sont  dites  bipin- 
natifides  lorsque ,  étant  partagées  en  lobes  latéraux  qui  at- 
teignent presque  jusqu'à  la  nervure  moyenne,  chacun  de  ces 
lobes  est  de  plus  divisé  en  segments  profonds,  de  manière  à 
simuler  une  feuille  p  in  natif  i  de.  On  voit  de  nombreux 
exem])les  de  cette  dis])osition  dans  les  fougères. 

BIPINNÉ  ou  BIPENNE  (de  bis,  deux  fois ,  et  pinna- 
tus  onpennatus,  ailé).  Une  feuille  est  bipinnée  lorsque  son 
pétiole  principal  porte  de  chaque  côté  un  certain  nombre  de 
pétioles  secondaires,  sur  lesquels  les  folioles  sont  rangées 
comme  dans  une  feuillç  pin  née.  Telles  sont  les  feuilles  de 
beaucoup  de  mimeuses. 

BIQUE ,  BIQUET ,  noms  vulgaires  de  la  chèvre  et  du 
chevreau,  que  le  P.  Thomassin  fait  dériver,  ainsi  que  bojic, 
du  mot  grec  péxï],  qu'on  trouve  dans  Hésychius,  pour  dé- 
signer une  chèvre. 

BIRAGUE  (René  de),  chancelier  de  France,  car- 
dinal, était  né  à  Milan,  le  3  février  1507,  d'une  famille  dis- 
tinguée, qui  avait  montré  beaucoup  d'attachement  pour  la 
France  dans  les  guerres  d'Italie.  Galéas  de  Birague,  son  père, 
était  patrice  à  l'époque  où  Louis  XII  et  François  l"  occu- 
paient le  duché  de  Milan.  Pour  éviter  la  vengeance  de  Louis 
Sforcc,  René  de  Birague  se  réfugia  à  la  cour  de  Fran- 
çois !*■■  lorsque  les  Français  abandonnèrent  le  Milanais.  Le 
roi  de  France  le  fit  conseiller  au  parlement  de  Paris.  Lorsque 
la  paix  rendit  le  Piémont  au  duc  de  Savoie,  François  I*"", 
qui  avait  nommé  Birague  surintendant  de  la  justice  et  pré- 
sident an  sénat  de  Turin ,  lui  donna  le  gouvernement  du 


Lyonnais.  Le  même  prince  l'envoya  au  concile  de  Trenfe. 

Birague  obtint  toute  la  confianc*  de  Catherine  de  Mé- 
dicis,  à  laquelle  il  se  dévoua  corps  et  àme.  Il  savait  que 
rien  n'est  à  négliger  pour  gagner  la  faveur  des  princes  :  il 
était  tout  à  tous  ;  c'était  l'homme  indispensable  pour  les  af- 
faires et  les  plaisirs.  Il  avait  introduit  à  la  cour  la  mode  des 
bichons;  les  dames  et  les  courtisans  portaient  partout  de 
petits  chiens  de  Malte  et  de  Lyon.  Henri  III  en  avai/t  tou* 
jours  quelques-uns  dans  une  élégante  corbeille  suspendue  à 
son  cou  avec  des  nœuds  de  ruban.  Aux  bichons  succédèrent 
les  confréries  de  pénitents  et  les  processions.  Toutes  ces  fo- 
lies ,  que  partageait  Birague ,  moins  par  goût  que  par  spé- 
culation, n'étaient  pour  lui  qu'un  moyen  de  parvenir  au 
pouvoir  et  de  s'y  maintenir.  Il  ne  reculait  devant  aucun 
crime  nécessaire  à  son  ambition  ;  la  Ligue  n'eut  point  de 
chef  plus  audacieux  et  plus  effréné. 

En  1570,  Charles  IX  le  fit  garde  des  sceaux.  Ce  fut  lui 
qui  provoqua  et  organisa  le  vaste  massacre  de  la  Saint- 
Barthélemi.  Michel  L'Hospital  avait  donné  pour  la 
dernière  fois  sa  démission  de  chancelier  en  1568.  Sa  retraite 
était  une  bonne  fortune  pour  le  parti  des  Guise.  Birague 
partageait  à  l'égard  de  cette  famille  la  haine  et  la  faiblesse 
de  Catherine  de  Médicis  ;  tous  deux  tremblaient  devant  les 
Guise ,  et  les  détestaient.  Aussi,  dans  le  plan  de  massacre, 
les  Guise  et  les  Montmorenci  étaient  destinés  à  périr  ;  et  de 
leur  côté  les  Guise  ne  voyaient  dans  la  reine-mère  et  dans 
son  confident  intime,  Birague,  que  des  instruments  néces- 
saires et  dociles.  Les  chefs  de  la  Ligue  n'avaient  pas  osé 
braver  l'opinion  au  point  de  donner  à  Birague,  si  décrié 
pour  ses  mœurs ,  et  dont  l'ignorance  était  notoire,  la  charge 
de  chancelier,  vacante  par  la  démission  de  Michel  L'Hos- 
pital. Les  sceaux  avaient  été  provisoirement  donnés  à  Jean 
de  Morvilliers,  évoque  d'Orléans,  qui  n'avait  accepté  que 
dans  l'espoir  de  les  remettre  à  L'Hospital.  La  qualité  d'é- 
tranger était  un  obstacle  à  ce  que  Birague  exerçât  une 
grande  charge  en  France;  on  avait  pris  la  précaution  de  le 
faire  naturaliser  par  Charles  IX.  Morvilliers  ne  garda  le.t 
sceaux  que  deux  ans.  La  Ligue  avait  pris  une  grande  con- 
sistance; tout  était  disposé  pour  l'entière  extermination  de» 
huguenots.  MorvilUers  n'était  plus  qu'un  obstacle.  Il  reçut 
l'ordre  de  remettre  les  sceaux  à  Birague,  et  s'estima  heu- 
reux de  quitter  un  ministère  qu'il  ne  pouvait  plus  garder 
sans  se  rendre  complice  des  attentats  que  l'on  méditait,  et 
dont  il  prévoyait  la  prochaine  exécution.  La  charge  de  chan- 
celier était  avant  le  règne  de  François  l"  une  grande  ma- 
gistrature élective  et  vraiment  nationale;  elle  était  à  vie. 
Aussi  Morvilliers  et  Birague  avaient  la  garde  des  sceaux , 
mais  non  le  titre  de  chancelier.  Birague  ne  prit  ce  titre  qu'a- 
près la  mort  de  Michel  l'Hospital ,  en  1573. 

Henri  III,  dévot  et  libertin,  passait  sa  vie  avec  ses  mi- 
gnons et  en  processions.  Il  avait,  dans  un  voyage  à  Lyon, 
assisté  aune  procession  de  pénitents  appelés  //  agellants . 
Il  s'était  fait  initier  à  ces  confréries,  et  de  retour  à  Paris, 
il  en  avait  fondé  de  semblables.  Le  25  mars  1583  la  capi- 
tale eut  le  spectacle  d'une  de  ces  processions.  Birague,  alors 
chancelier,  y  parut  couvert  d'un  sac  et  armé  d'une  discipline. 
Henri  III  avait  cru  se  concilier  le  respect  public  par  ces 
fastueuses  démonstrations,  il  n'obtint  que  le  mépris.  Birague 
avait  la  réputation  de  savoir  se  servir  du  poison  pour  se  dé- 
barrasser de  ses  ennemis  ou  de  ceux  de  la  reine-mère.  Lorsque 
Henri  III,  à  son  passage  à  Turin,  en  1574,  eut  la  folle  génér 
rosité  de  promettre  au  duc  de  Savoie  la  restitution  des  villes 
de  Pignerol ,  Savillan  et  autres,  Birague  refusa  de  sceller 
les  pouvoirs  qui  devaient  autoriser  cette  remise  impolitique; 
on  le  vit  aux  états  de  Blois,  en  1576,  haranguer  après 
Henri  111.  «  Le  monarque,  dit  L'Étoile,  parla  disertement  et 
fort  à  propos.  »  On  dit  que  Jean  de  Morvilliers  avait  fait  sa 
harangue;  «  mais  celle  du  chancelier  fut  ennuyeuse  et  ridi- 
cule ,  car  il  s'excusa  sur  sa  vieillesse  et  son  ignorance  des 
affaires  de  la  France.  De  quoi  donc  se  mêlait-il?  ajoute  nai- 


BIRAGUE  —  BIREN 


233 


Tement  Mézerai.  «  11  enfila,  dit-il,  un  long  discours  sur  la 
puissance  du  roi ,  lassa  tout  le  monde  des  louanges  de  la 
reine-mère,  et  conclut  par  demander  de  l'argent,  à  quoi 
on  n'était  guère  disposé.  » 

Birague,  devenu  veuf,  embrassa  l'état  ecclésiastique,  et 
fut  nommé  é\'^que  de  Lavaur.  Le  saint-siége  ne  fut  point 
ingrat  envers  lui ,  et  récompensa  ses  services  par  le  chapeau 
de  cardinal.  Birague  vivait  en  prince,  et  sans  souci  de  l'a- 
venir. 11  lui  eût  été  facile  de  se  faire  donner  de  gros  béné- 
fices; il  n'y  songea  pas  :  le  trésor  public  n'était-il  pas  celui 
des  ministres?  Mais  depuis  qu'il  avait  remis  les  sceaux  au 
comte  de  Chiverny ,  son  successeur ,  le  trésor  lui  avait  été 
fermé.  11  n'avait  plus  qu'une  grande  dignité  ecclésiastique 
sans  profit.  L'autorité  royale  était  pour  lui  une  sorte  de  culte. 
Il  répétait  souvent  qu'il  était  chancelier  du  roi,  et  non  pas 
chancelier  de  la  France.  Envoyé  par  Henri  III  au  parlement 
de  Paris  pour  y  faire  enregistrer  de  nouveaux  éditsbursaux, 
il  s'embrouilla  dans  son  discours ,  et  répéta  souvent  :  «  Les 
impôts  demandés  sont  injustes,  mais  nécessaires,  et  tout 
le  monde  sent  cette  nécessité.  »  Il  s'arrêtait  à  cette  phrase 
comme  à  une  idée  fixe.  S'il  eût  montré  un  dévouement  aussi 
exclusif  aux  prétentions  du  saint-siége,  il  en  aurait  obtenu 
des  faveurs,  et  aurait  pu  soutenir  sa  dignité  de  cardinal. 
Quelque  temps  avant  sa  mort ,  il  disait  qu'il  était  cardinal 
sans  titre,  prêtre  sans  bénéfice  et  chancelier  sans  chancel- 
lerie. Dans  le  temps  de  sa  prospérité ,  il  avait  fait  réparer 
et  avait  richement  doté  l'église  Sainte-Catherine  du  Val  des 
l-xoliers.  On  lui  devait  aussi  l'érection  d'une  grande  fontaine 
monumentale  dans  le  même  quartier.  Elle  devait  perpétuer 
son  nom  ;  mais  elle  fut  démolie  par  la  population  du  quartier, 
en  haine  de  son  fondateur.  Cependant  on  la  rebâtit  sur  un 
nouveau  plan  en  1627.  Le  magnifique  tombeau  qu'il  avait 
fait  élever  à  Valencia  Babiani,  son  épouse,  dans  l'église 
Sainte-Catherine,  avait  été  respecté  :  Birague  y  (ut  inhumé. 

Le  cardinal  de  Birague  mourut  à  Paris,  le  6  décembre  1 583, 
âgé  de  soixante-seize  ans  ;  ses  obsèques  furent  magnifiques  ; 
le  parlement  y  assista  en  corps.  Il  n'avait  eu  de  son  ma- 
riage avec  Valencia  Babiani  qu'une  seule  fille,  qui  fut  mariée 
trois  fois,  et  mourut  dans  l'indigence.  Depuis  la  mort  de  son 
troisième  époux ,  elle  n'avait  vécu  que  des  secours  qu'elle 
recevait  de  quelques  personnes  de  la  cour  qui  avaient  eu 
des  relations  d'intérêt  ou  d'affection  avec  son  père. 

DuFEY  (de  l'Yonne). 

BIRD-GRASS  (  c'est-à-dire  herbe  d'oiseau,  de  l'anglais 
fcird,  oiseau,  et  grass,  herbe  ).  Cette  espèce  du  genre  agros- 
tis ,  de  la  famille  des  graminées,  est  cultivée  aux  États- 
Unis,  principalement  dans  les  terrains  humides  et  tourbeux, 
où  elle  produit  en  abondance  un  fourrage  de  bonne  qualité. 
Des  cultures  faites  pour  la  propager  en  France  ont  très- 
bien  réussi  dans  d'autres  terrains,  môme  dans  de  bons  sables 
profonds.  Malheureusement  l'extrême  finesse  de  la  graine 
et  la  lenteur  du  premier  accroissement  delà  plante  rendent 
difficile  le  succès  complet  des  semis  ;  souvent  le  jeune  plant 
est  étouffé  par  les  mauvaises  herbes  ;  il  faudrait  alors  rem- 
placer le  semis  sur  place  par  la  plantation  ,  méthode  qui 
demande  beaucoup  trop  de  soins. 

BIREME  (  de  bis,  deux,  et  ramtts,  rame),  vaisseau  qui 
avait  deux  rangs  de  rames.  Voije::.  Galère. 

BIREN  (Eknest-Jean')  ,  duc  de  Courlande,  né  en  1687, 
était,  à  ce  qu'on  prétend,  petit-fils  d'un  valet  d'écurie  du 
duc  Jacques  de  Courlande,  et  fils  d'un  propriétaire  courlan- 
dais,  nommé  Biibreu.  11  étudia  à  Kœnigsberg,  et  sut  par 
son  élévation  rapide  faire  oublier  la  bassesse  de  son  extrac- 
tion. Son  extérieur  agréable  et  son  esprit  cultivé  lui  méri- 
tèrent les  bonnes  grâces  de  la  duchesse  de  Courlande  Anne 
I  wanow  na,  nièce  de  l'empereurde  Russie, Pierre  le  Grand. 
Lorsque  Anne  monta  sur  le  trône  des  c/.ars,  en  1730,  elle  appela 
Biren  auprès  d'elle  à  Saint-Pétersbourg,  malgré  l'engagement 
qu'elle  avait  pris  de  ne  point  l'amener  en  Russie,  et  le  combla 
U'honneurs.  C'est  alois  qu'il  prit  le  nom  cî  les  armes  des 

DlCr.    Dt   LA  CO.NVEKS.    —  T.    111. 


ducs  de  Biron  de  France  ,  et  il  ne  farda  i>as  à  être  l'arbitre 
souverain  des  destinées  de  la  Russie ,  grâce  à  l'ascendant 
illimité  qu'il  exerçait  sur  l'impératrice.  Plein  d'orgueil  et 
du  caractère  le  plus  despotique,  il  s'abandonna  sans  frein 
à  toutes  les  passions  haineuses  qu'il  nourrissait  contre  les 
rivaux  de  son  ambition.  Les  princes  Dolgorouki  et  leurs 
amis  devinrent  ses  premières  victimes.  Plusieurs  milliers 
d'individus  furent  mis  à  mort  par  ses  ordres ,  et  un  plus 
grand  nombre  encore  frappés  d'exil.  On  assure  que  l'im- 
pératrice se  jeta  plusieurs  fois  à  ses  pieds  pour  le  supplier 
d'adoucir  sa  fureur,  sans  que  jamais  prières  ni  larmes  pus- 
sent l'émouvoir.  On  ne  saurait  contester  toutefois  que  l'é- 
nergie de  son  caractère  imprima  une  activité  utile  aux  dif- 
férents rouages  administratifs  de  ce  vaste  empire. 

En  1737  ,  Anne  contraignit  les  Courlandais  à  l'élire  pour 
leur  duc;  cinq  ans  auparavant  il  avait  épousé  une  Courlan- 
daise  du  nom  de  Treyden  et  de  la  famille  Trotta.  Sur  son 
lit  de  mort,  l'impératrice ,  à  sa  demande,  le  désigna  comme 
régent  de  l'empire  et  comme  tuteur  du  prhice  Iwan  encore 
mineur,  qui  devait  lui  succéder  sur  le  trône.  Anne  moumt 
le  28  octobre  1740,  et  le  régent  se  comporta  d'abord  avec 
prudence  et  modération  ;  mais  bientôt  une  conjuration  se 
forma  contre  lui.  De  concert  avec  la  mère  du  jeune  empe- 
reur, le  fcld-maréchal  Munnichle  fit  arrêter  pendant  la 
nuit  dans  son  lit ,  et  conduire  sans  désemparer  à  la  forte- 
resse de  Schlusselburg ,  où  on  instruisit  son  procès  et  où 
on  le  condamna  à  la  peine  de  mort.  Mais  comme  il  avait 
été  impossible  de  fournir  la  preuve  qu'il  eût  conçu  le  projet 
de  s'emparer  du  trône  pour  lui  et  sa  famille,  la  peine  de 
mort  fut  commuée  en  une  détention  perpétuelle  avec  con- 
fiscation de  ses  biens. 

On  le  déporta  en  Sibérie  avec  toute  sa  famille,  destinée , 
ainsi  que  lui ,  à  habiter  une  prison  construite  à  Pelim  ,  sur 
un  [)lan  qu'avait  fourni  lui-même  le  feld-maréchal  Mun- 
nich  ;  mais  dès  l'année  suivante  ,  Elisabeth  ,  fille  de  Pierre 
le  Grand,  étant  montée  sur  le  trône  par  suite  d'une  révolu- 
tion, Biren  fut  rappelé  le  20  décembre  1741 ,  et  Munnicli 
alla  prendre  sa  place  dans  la  prison  qu'il  avait  fait  biktir  à 
l'intention  de  Biren.  A  Kazan  les  deux  traîneaux  se  ren- 
contrèrent; Munuich  et  Biren  se  reconnurent,  et  continuè- 
rent chacun  sa  route  sans  échanger  une  seule  parole.  Biren 
vécut  alors  avec  sa  famille ,  pendant  tout  le  règne  d'Elisa- 
beth, à  laroslaw,  et  dans  les  conditions  les  plus  agréables. 
A  son  avènement  au  trône  en  1762,  Pierre  111  fit  cesser  son 
exil  en  même  temps  que  celui  de  Munnich  ;  et  quand  Cathe- 
rine II  ceignit  la  couronne  impériale,  le  duché  de  Courlande 
fut  restitué  à  Biren.  11  le  gouverna  dès  lors  avec  justice  et 
humanité,  et  mourut  le  28  décembre  1772,  trois  ans  après 
avoir  abdiqué  le  pouvoir  en  faveur  de  son  fils  aîné,  Pierre. 

BIREIM  (Pierre),  duc  de  Conriande  et  de  Sagan,  comte 
du  Saint-Empire,  fils  aîné  du  précédent,  né  à  INIittau,  le  1 5  fé- 
vrier 172'*,  partagea  la  disgrâce  et  la  captivité  de  son  père  ; 
mais  en  1762  le  tsar  Pierre  III  lui  conféra  le  grade  de  géné- 
ral-major de  cavalerie.  Son  règne  (  qui  dura  du  24  novembre 
1769  au  28  mars  1795)  fut  des  plus  orageux.  Pendant  les 
années  1784  à  17S6,  qu'il  était  allé  passer  à  l'étranger,  il 
suigit  entre  son  gouvernement  et  les  états  des  difficultés 
qui  l'entraînèrent  dans  de  nombreux  procès,  qu'il  lui  fallut 
soutenir  à  Varsovie ,  et  par  suite  desquels  il  se  trouva  con- 
traint, le  28  mars  1795,  de  signer  un  acte  par  lequel  il  céda 
en  foute  souveraineté  la  Courlande  à  l'impératrice  Catherine, 
tout  en  se  réservant  pour  lui  et  sa  descendance  les  honneurs 
et  les  privilèges  inhérents  au  titre  de  prince  souverain.  U 
n'eut  point  d'enfants  de  ses  deux  premières  femmes.  La 
troisième,  Anne-Charlotte- Dorothée,  comtesse  de  Medeh 
(  née  le  3  février  1761,  morte  le  20  août  1821,  dans  la  terre 
de  Lœbichan,  au  pays  d'Altemburg),  femme  aussi  remar- 
quable par  su  beauté  que  par  la  grâce  toute  particulière  »lo 
son  esprit  et  par  la  noblesse  de  tous  ses  sentiments,  (lu'il-- 
avait  épousée  le  6  novembre  1779,  lui  donna  quatre  filles,^ 

M. 


234 


BIREN  —  BIRMAN 


dont  les  deux  plus  jeunes  vivent  encore  :  Jeanne,  née 
le  24  juin  1783,  mariée  le  18  mars  1801  à  François  Pignatelli 
de  Bclmonte  ,  duc  d'Acerenza,  aujourd'hui  veuve;  et  Doro- 
thée, née  le  21  août  1793,  mariée  le  23  avril  1809  à  Edmond 
de  Talleyrand-Périgord ,  duc  de  Talleyrand  et  duc  de  Dino 
en  Calabre,  créée  duchesse  de  Sagan  par  investiture  royale, 
le  G  janvier  1845. 

Après  son  abdication  ,  le  duc  Biren  de  Courlande  vécut 
tantôt  à  Berlin,  tantôt  dans  ses  terres,  la  principauté  de  Sagan, 
achetée  eu  178C  au  prince  Lobkowitz,  et  le  domaine  de  Na- 
chod,  acheté  en  1792  ;  il  mourut  le  12  janvier  l800,àGellenau 
en  Siiésie.  Il  fut  la  souche  de  la  famille  de  Biren-Sagan, 
tandis  que  son  frère ,  Charles-Ernest  de  Biren,  né  le  30 
septembre  1728,  fils  cadet  du  duc  Ernest-Jean,  fonda  la 
ligne  de  Birfn-Wartenberc.  Celui-ci  mourut  le  10  oc- 
tobre 1801,  laissant  deux  fih.  — L'aîné,  le  prince  Gustavc- 
Calixte  de  Biren,  né  le  29  janvier  1780,  avait  d'abord  été 
destiné  par  Catherine  II  à  devenir  un  jour  duc  de  Courlande. 
Quand  ce  duché  eut  été  incorporé  à  l'empire  de  Russie,  il 
fut  nommé  oflicier  dans  la  garde  impériale  et  chambellan. 
Plus  tard  il  entra  au  service  de  Prusse,  et  acheta  en  1802  la 
seigneurie  de  Warteniberg,  située  en  Siiésie.  Après  avoir 
pris  part  aux  dernières  campagnes  des  coalisés  contre  la 
France,  il  mourut  le  20  juin  1821,  avec  le  grade  de  lieutenant 
général  et  le  titre  de  gouverneur  de  Glatz.  Sa  femme ,  fille 
du  comte  de  Maltzan,  lui  avait  donné  trois  fils  :  Calixte, 
prince  de  BikexN-Courlande,  né  le  3  janvier  1817,  proprié- 
taire des  seigneuries  de  Polnisch-Warteniberg  et  delMielecin  ; 
Charles,  né  le  13  décembre  isll ,  mort  le  21  mars  1848, 
auteur  d'un  ouvrage  sur  le  nouveau  système  de  prisons 
(Breslau,  1847),  et  Pierre,  né  le  12  avril  1818 ,  olficier  au 
service  de  Prusse. 

BIRIBI,  nom  d'un  jeu  de  hasard,  qui  nous  est  venu 
d'Italie,  et  dont  les  instruments  sont  un  grand  tableau  qui 
contient  soixante-dix  cases  numérotées,  et  un  sac  dans  le- 
quel sont  soixante-dix  petites  boules ,  contenant  chacune 
un  numéro  du  tableau.  Chaque  joueur  tire  à  son  tour  une 
boule  du  sac ,  et  si  le  numéro  du  billet  répond  à  celui  de 
la  case  du  tableau  sur  laquelle  il  a  mis  son  argent,  le  ban- 
quier lui  paye  soixante-quatre  fois  sa  mise.  On  conçoit  que 
l'avantage  du  banquier  est  toujours  de  6  sur  70.  Le  biribi 
n'est  autre  chose  que  la  loterie  en  miniature. 

BlUKADEJVl,  village  de  la  province  d'Alger,  créé 
spontanément  par  la  population,  vers  1841 ,  dans  le  Fàhs 
ou  banlieue  d'Alger,  autour  de  la  belle  fontaine  de  Birka- 
dem.  L'administration  est  resiée  étrangère  à  cette  œuvre 
des  colons ,  dont  l'industrie  toute  seule  a  su  ériger  ce  vil- 
lage. 11  a  suffi  d'en  régulariser  le  développement  par  un  plan 
d'alignement.  On  a  aliéné  les  terres  que  le  domaine  y  pos- 
dait  ;  on  y  a  construit  une  église,  un  presbytère,  une  école 
et  une  caserne  de  gendarmerie.  La  route  d'Alger  à  B 1  i  d  a  h , 
qui  traverse  Birkadem,  lui  donne  de  l'importance  ;  les  Maures 
y  possèdent  des  vignes  superbes ,  dont  ils  ont  un  soin  par- 
ticulier. 

BIRKEIV  (SiciSMOND  de)  ,  poète  allemand  du  dix-sep- 
tième siècle ,  qui ,  avant  d'être  anobli ,  s'appelait  Betulhis , 
naquit  en  1626,  à  Wildenstein ,  près  d'Eger,  où  son  père 
était  pasteur  protestant.  A  Nuremberg,  où  il  était  venu  s'é- 
tabfir  avant  même  d'avoir  complètement  terminé  ses  études 
académiques ,  les  conseils  d'Harsdœrffer  et  de  Klaj  donnè- 
rent une  sage  direction  à  ses  remarquables  dispositions 
poétiques,  et  bientôt  il  fut  admis  dans  la  célèbre  société  litté- 
raire dite  Ordre  des  Fleurs.  Chargé  en  1646  et  1647  de 
l'éducation  des  deux  fils  du  duc  Auguste  de  Brunswick- 
Wolfenbuttel,  Antoine- Ulrich  et  Ferdinand-Albert ,  et 
plus  tard  de  celle  d'une  princesse  de  Mecklembourg,  il  revint  à 
Nuremberg,  où  se  tenait  une  diète  impériale  chargée  de  pour- 
voir à  l'exécution  de  la  paix  de  Westphalie.  Le  prince  Oc- 
tave Piccolomini  l'ayant  prié  de  composer  un  poëme  sur 
celte  circonstance,  il  s'acquitta  de  cette  tAclic  avec  tant  de 


bonheur,  que  l'empereur  Ferdinand  III,  pour  lui  témoigner 
sa  satisfaction,  lui  accorda  des  lettres  de  noblesse.  En  1658 
VOrdre  des  Fleurs  \e  nomma,  à  la  moit  de  Harsdœrffer, 
président  des  bergers  de  la  Peignitz,  honneur  littéraire 
auquel  il  ne  laissa  pas  que  d'être  très-sensible ,  quoique  la 
grande  joie  de  sa  vie  fût  l'amitié  qu'avait  conservée  pour  lui 
son  ancien  élève  le  duc  Antoine-Ulrich  de  Brunswick,  qui  lui 
demeura  tendrement  attaché  jusqu'à  sa  mort,  arrivée,  à  Nu- 
remberg, le  16  juin  1681. 

Birken  s'essaya,  à  diverses  reprises,  dans  le  genre  drama- 
tique, et  composa  quelques-unes  des  pièces  allégoriques  qui 
faisaient  alors  le  fonds  obligé  de  toutes  les  grandes  fêtes  ou 
cérémonies.  Il  y  fait  preuve  d'un  vrai  talent ,  de  même  que 
dans  ses  poésies  lyriques,  qui  brillent  par  l'imagination  et  le 
sentiment,  bien  qu'une  certaine  afféterie  pédantesque trahisse 
tout  de  suite  l'école  à  laquelle  appartenait  l'auteur. 

Cet  écrivain  n'occupe  pas  une  place  moins  distinguée 
dans  l'histoire  de  la  prose  allemande.  Son  Miroir  des  Gloires 
de  la  maison  d'Autriche ,  ouvrage  composé  par  ordre  de 
l'empereur  Léopold  1*"^,  est  resté ,  en  dépit  des  entraves  de 
tout  genre  imposées  à  l'auteur  par  le  cabinet  de  Vienne,  un 
des  bons  ouvrages  historiques  allemands  du  dix-septième 
siècle. 

BIRKEIVFELD,  principauté  faisant  partie  du  grand- 
duché  d'Oldenbourg,  auquel  elle  a  été  adjugée  en  vertu 
des  stipulations  du  congrès  de  Vienne ,  et  par  un  traité 
conclu  à  Francfort,  le  8  avril  1817,  avec  la  Prusse,  à  titre 
d'indemnité  de  territoire,  comme  compensation  de  divers 
arrondissements  faits  à  ses  dépens  par  le  Hanovre  et  la 
Prusse.  Elle  est  située  dans  le  ci-devant  département  français 
de  la  Saar,  et  compte  une  population  d'environ  30,000 
âmes.  Cette  enclave  est  bornée  au  nord  par  le  grand  bail- 
liage hessois  de  Meisenheim ,  et  renfermée  de  tous  les  autres 
côtés  dans  les  cercles  prussiens  de  Trêves  et  de  Coblentz. 
La  superficie  totale  de  la  principauté  de  Birkenfeld,  dont  le 
territoire  s'étend  entre  le  Rhin,  la  Saar  et  la  Moselle,  est 
d'environ  7  à  8  myriamètres  carrés ,  et  est  divisée  en  trois 
bailliages  :  Birkenfeld,  Oberstein  et  Nohfelden.  Malgré  la 
présence  d'un  grand  nombre  de  forêts,  de  montagnes  et  de 
rochers ,  la  bonne  terre  arable  n'y  lait  pas  défaut ,  et  on  y 
cultive  même  la  vigne.  Cependant  la  culture  des  céréales  n'y 
donne  pas  des  produits  en  rapport  avec  les  besoins  de  lu 
population.  Sous  le  rapport  religieux  ,  la  principauté  est  di- 
visée en  douze  églises  luthériennes,  deux  églises  réformées, 
et  sept  cures  catholiques  placées  sous  l'autorité  hiérarchique 
d'un  doyen  et  relevant  de  l'évêché  de  Trêves.  Birkenfeld , 
ville  de  2,900  habitants,  chef-lieu  de  la  principauté,  est 
située  au  centre  même  du  pays. 

BIRMAN  (Empire)  ou  BIRMANIE,  l'empire  des 3/ran- 
mas,  ainsi  que  s'appellent  eux-mêmes  les  habitants  de 
cette  contrée,  est  le  pays  le  plus  important  et  le  plus  vaste 
de  la  Péninsule  indienne,  dont  il  couvre  la  quatrième  partie. 
On  ne  possède  encore  que  des  renseignements  fort  incom- 
plets sur  son  état  intérieur;  et  il  n'y  a  guère  que  les  rap- 
ports récents  des  Anglais  avec  les  Birmans ,  l'ouvrage  de 
San-Germano  et  les  recherches  de  Crawfurd  qui  aient  jeté 
quelque  lumière  sur  ces  régions.  Ses  limites  sont  au 
nord  les  contrées  montagneuses  et  inconnues  du  Sive- 
Schân  et  du  Bor-Khamti;  à  l'est,  les  frontières  occiden- 
tales de  la  province  chinoise  de  Younnan,  et  le  Salouan  ou 
Thalouan,  cours  d'eau  qui  les  sépare  du  royaume  de  S  i  a  m  ; 
au  sud ,  le  golfe  de  Martaban ,  et  à  l'ouest  les  chaînes  de 
l'Arakan  et  les  frontières  assez  mal  déterminées  du  pays  de 
Kadjar.  Ce  n'est  qu'approximativement  qu'il  est  possible 
de  préciser  la  superficie  comprise  entre  ces  diverses  déli- 
mitations, c'est-à-dire  entre  le  16"  et  le  24"  de  latitude  sep- 
tentrionale; et  nous  l'évaluerons  ici  à  5,500  myriamètres 
carrés,  dont  4,400  pour  l'empire  Birman  et  1,100  pour  les 
différents  territoires  qui  en  relèvent  plus  ou  moins  direc- 
tement. L'empire  Birman  proprement  dit  n'en  comprend 


BIRMAN 


d'ailleurs  que  le  quart ,  puisqu'il  faut  encore  citer  comme 
faisant  partie  «le  l'enstniiblc  <l<^signt5  sous  cette  dénon.i- 
nalinn  générale  le  pays  de  Koscliàn-Pri  ou  Kasi-Chàn 
et  (le  Mrelap-Cliàn,  placé  dans  des  rapports  de  sujétion 
médiate,  les  parties  de  Cassay  ou  Moitay,  l'Io-Pri  au  nord, 
le  Pégu,  et  les  derniers  débris  de  Martaban  au  sud,  et, 
comme  provinces  défensives  et  tributaires,  les  territoires 
des  Bor-Khamti,  de  l'Albors  et  du  Mischmis  au  nord,  et 
Kliiaen  ainsi  que  Kongkys  au  nord-onest ,  vers  les  sources 
de  l'Arakan. 

Toute  cette  vaste  contrée  n'est,  à  bien  dire,  que  le  bassin 
de  rirawaddi,  qui  au-dessous  d'Ava  reçoit  à  sa  droite 
le  Kienduen,  et  à  sa  gauche  alimente  le  Panlaun,  cours 
d'eau  qui  dans  un  immense  delta  forme  divers  embranche- 
ments, tant  avec  le  lleuve  principal  qu'avec  le  Setaîig  ou 
Zittang  et  avec  le  Solouan.  A  partir  de  l'extrémité  du  del- 
ta du  Pégu,  dont  les  contours  indécis  s'élèvent  au-dessus 
des  eaux  du  golfe  de  Martaban ,  toujours  soulevées  et  bat- 
tues par  la  tempête,  le  territoire  de  l'empire  Birman  forme 
au  nord  une  succession  déterrasses  de  plus  en  plus  hautes. 
L'étranger  qui  arrive  par  le  midi  est  frappé  de  surprise  à 
l'aspect  d'un  sol  bas  et  plat,  où  la  terre  et  l'eau  semblent  en 
lutte  continuelle.  Il  découvre ,  entre  les  deux  grandes  em- 
bouchures de  rirawaddi,  celle  de  Bassein  à  l'ouest,  et  celle 
de  Rangoun  à  l'est,  un  grand  delta  de  i75  myriamètres  car- 
rés, dont  la  superficie  se  trouve  encore  doublée  si  on  la 
prolonge  à  l'est  jusqu'au  Salouan.  C'est  un  territoire  plat,  à 
peu  près  complètement  inondé,  couvert  dans  presque  toutes 
les  directions  de  veines  d'eau,  de  lagunes,  de  lacs  et  de  fo- 
rêts marécageuses;  patrie  amphibie  des  peuplades  du  Pégu, 
dont  le  chef-lieu,  la  ville  de  Pégu,  se  mire  dans  les  im- 
menses plaines  liquides  qui  l'entourent;  dépassant  le  delta 
du  Xil  par  l'importance  naturelle  et  par  l'ampleur  des  pro- 
portions, mais  non  sous  le  rapport  des  grands  et  imposants 
souvenirs  historiques  qui  s'y  rattachent. 

A  l'extrémité  septentrionale  de  ces  basses  terres  s'élève 
insensiblement,  entre  les  rives  du  Sétang  et  celles  de  rira- 
waddi, un  pays  de  montagnes  désigné  sous  la  dénomination 
générale  de  plateau  de  Pégu ,  servant  comme  de  transition 
au  cours  moyen  de  rirawaddi,  que  l'on  peut  suivre  depuis 
son  point  de  partage  jusqu'à  Bahmo,  où  il  commence  à  de- 
venir navigable.  Cette  gradation  moyenne  comprend,  dans  la 
courte  vallée  transversale  qui  se  dirige  de  l'ouest  à  l'est , 
d'importantes  plaines  cultivées  où  s'élèvent  de  grandes  villes. 
Cette  vallée  est  bordée  de  hautes  contrées  montagneuses 
<;onduisantau  plateau  s*ipérieurdunord,  pays  encore  presque 
complètement  inconnu,  et  où  des  pics  couverts  de  neiges 
éternelles  protégeront  probablement  pendant  longtemps  la 
virginité  d'un  sol  que  le  pied  de  l'homme  u'a  point  encore 
foulé.  ApartirduLang-Tau  (l'un  des  contreforts  du  système 
del'Hiiaalaya  du  côté  du  sud-ouest),  s'étendent  dans  la 
direction  du  méridien  des  montagnes  parallèles  qui  sépa- 
rent rirawaddi  des  fleuves  voisins,  à  l'est  les  montagnes  de 
la  Binnanie  et  du  pays  de  Siam ,  à  l'ouest  les  montagnes  de 
l'AraUau.  Les  unes  et  les  autres  enserrent  à  l'aide  de  leurs 
nombreuses  ramifications  le  territoire  de  l'empire  Birman,  et 
elles  le  diviseraient  orographiquement  si  le  système  de  rira- 
waddi n'en  faisait  point  une  unité  hydrographique.  Les  phé- 
nomènes naturels  de  l'empire  Birman  présentent  tous  le  ca- 
ractère particulier  à  l'Inde  orientale.  Dans  les  hautes  icgions 
montagneuses  du  nord  dominent  les  froids  rigoureux  qui 
sont  le  propre  de  tous  les  pays  élevés,  offrant  ainsi  le  con- 
traste le  plus  frappant  avec  la  douce  et  bienfaisante  tempé- 
rature qui  règne  dans  les  vallées  profondes  et  abritées  du 
centre,  tandis  que  la  chaleur  ardente,  étouffante  de  l'Inde, 
règne  au  midi  dans  les  basses  terres. 

L'empire  Birman  abonde  en  forêts  où  l'on  trouve  les  plus 
belles  et  les  plus  dures  espèces  d'arbres  qu'il  y  ait  dans 
l'Inde.  Le  magnifique  bois  de  teak ,  entre  autres,  constitue 
un  de  SCS  principaux  articles  d'exportation.  On  y  récolte 


toutes  les  céréales  de  l'Inde,  notamment  le  riz ,  principale 
alimentation  des  populations,  les  plus  beaux,  fruits  des  tro- 
piques, la  canne  à  sucre  ,  l'indigo,  le  coton  ,  les  épices ,  li» 
tabac  et  jusqu'au  thé  dans  les  vallées  du  nord.  On  y  ren- 
contre le  rhinocéros  et  le  tigre  royal  de  l'Indoustan.  L'élé- 
phant s'y  développe  dans  toute  sa  force,  et  y  fonctionne 
comme  animal  domestique  concurremment  avec  le  boeuf,  le 
buffle  et  le  cheval.  On  y  élève  les  grasses  volailles  de  l'Inde, 
le  ver  à  soie  et  l'abeille  ;  on  y  pêche  tous  les  poissons  par- 
ticuliers à  l'Inde.  Si  le  mouton  y  manque,  en  revanche ,  le 
chakal,  le  loup  et  l'hyène  y  font  aussi  défaut.  Les  mines, 
exploitées  par  des  Chinois,  produisent  d'immenses  richesses. 
Outre  l'or,  l'argent,  le  fer,  le  plomb,  le  cuivre  et  autres 
métaux,  indépendamment  aussi  des  plus  magnifiques  dia- 
mants, oa  y  trouve  encore  du  platine,  depuis  que  ce  métal 
y  a  été  découvert  en  1830  par  le  marchand  anglais  Lane. 
Le  sol,  fréquemment  ébranlé  par  des  tremblements  de  terre, 
fournit  en  abondance  du  soufre  et  du  pétrole. 

La  Birmanie  est  habitée  par  plusieurs  nations  différant 
sans  doute  entre  elles  par  les  mœurs,  la  langue  et  la  religion, 
et  cependant  réunies  au  total  par  un  type  commun  qui  les 
place  à  une  distance  égale  des  Indous  et  des  Chinois.  Elles 
sont  bien  en  arrière  de  ces  deux  peuples  sous  le  rapport  do 
la  civilisation,  aussi  bien  au  point  de  vue  intellectuel  qu'au 
point  de  vue  industriel.  Des  étoffes  de  soie  et  de  coton,  des 
verreries  et  des  porcelaines,  tels  sont  les  principaux  objets 
que  leur  industrie  manufacturière  founiit  au  commerce 
d'exportation.  Les  Birmans  sont  d'ailleurs  d'habiles  tisse- 
rands, et  ils  font  preuve  d'une  adresse  peu  commune  dans 
la  fabrication  de  leurs  œuvres  de  sculpture ,  des  idoles  de 
marbre,  par  exemple ,  qui  constituent  un  article  d'exporta- 
tion, et  aussi  dans  leurs  travaux  d'or  et  d'argent.  Us  font 
avec  la  Chine  un  commerce  très-actif,  que  facilite l'Irawaddi, 
dont  les  rives  sont  bordées  de  populeuses  cités. 

La  noblesse  se  dislingue  des  autres  classes  de  la  popula- 
tion par  ses  vêtements,  ses  habitations  et  ses  ameuble- 
ments. Elle  est  aussi  divisée  en  diverses  classes  hiéiarchi- 
([ues,  et  le  souverain,  dont  l'autorité  est  illimitée,  la  consulte 
cependant  dans  les  atTaires  importantes. 

Le  colonel  Symes,  envoyé  en  ambassade  à  la  cour  d'Ava , 
en  1795,  à  la  suite  de  la  conquête  de  l'Arakan  par  l'An- 
gleterre ,  estima  le  chifi're  total  de  la  population  à  14  millions 
d'âmes.  Trente-deux  ans  plus  tard,  Crawfurd ,  autre  ambas- 
deur  anglais,  ne  l'évaluait  plus  qu'à  4,500,000  âmes.  Si  alors 
on  accusa  la  relation  du  colonel  Symes  d'exagération ,  sans 
tenir  compte  de  ce  q'.ie  les  rigueurs  et  les  extravagances  du 
despotisme,  jointes  aux  autres  causes  dévastatrices  dont 
l'action  est  quelquefois  si  terrible  dans  les  régions  équato- 
riales  de  l'Asie,  avaient  pu  détruire  depuis  1795,  il  semble 
qu'à  son  tour  Crawfurd  ait  donné  dans  l'exagération  con- 
traire, et  que  son  évaluation  soit  trop  faible.  En  effet ,  la 
superlicie  de  l'empire  Birman,  réduit  aux  royaumes  d'Ava 
et  de  Pégu ,  équivaut  au  moins  à  la  moitié  de  la  France  ; 
en  sorte  que  sa  population  ne  serait  guère  que  le  quart  de  la 
population  moyenne  de  nos  départements ,  ce  qui  est  peu 
vraisemblable,  car  tout  semble  concourir  à  multiplier  les 
habitants  de  la  Birmanie  :  la  terre  y  est  si  fertile,  et  l'homme 
y  consomme  si  peu  ! 

A  va  est  la  résidence  de  l'empereur,  qui  jouit  du  pouvoir 
despotique  le  plus  absolu.  Nulle  part  l'orgueil  du  despotisme 
asiatique  ne  s'est  montré  avec  autant  d'arrogance  que  sur 
le  trône  des  Birmans.  Voici,  d'après  Crawfurd ,  le  protocole 
officiel  des  titres  de  l'empereur  :  «  Des  lieux  où  le  soleil 
se  lève,  et  de  la  contrée  orientale  nommée  Chabuda,  le 
maître  de  la  terre  et  des  eaux ,  l'empereur  des  empereni-s 
(  et  si  l'un  d'eux  était  assez  insensé  pour  oser  l'attaquer, 
mieux  vaudrait  pour  lui  que  le  feu  du  ciel  l'eût  anéanti)  ;  le 
seigneurie  plus  humain  et  le  plus  heureux ,  l'espoir  de  tontes 
les  nations,  le  possesseur  des  éléphant? ,  des  chevaux  et  de 
tous  les  héros ,  roi  du  palais  d'or ,  le  plus  grand  et  le  plus 

oJ. 


23G 


BIRMAN 


puissant  des  souverains ,  le  seul  dont  les  pieds  dorés  repo- 
sent sur  la  tête  du  peuple.  » 

Les  Birmans  se  rendirent  indépendants  du  Tégu  au  sei- 
zième siècle.  Mais  en  1740  ils  furent  de  nouveau  subju- 
gués par  cet  État;  et  ce  ne  fut  qu'en  1753  qu'ils  recouvrè- 
rent leur  liberté,  à  la  voix  d'Alompra,  chef  courageux  qui 
les  appela  aux  armes,  délivra  Ava  et  conquit  même  le 
Pégu.  A  sa  mort,  arrivée  en  1760  ,  il  eut  pour  successeur 
son  fils  Namdodji ,  qui  continua  l'œuvre  d'amélioration  in- 
térieure commencée  par  son  père.  Vers  la  fin  du  dix-hui- 
tième siècle,  Arakan,  et  même  en  1793  une  partie  du 
royaume  de  Siara ,  furent  subjugués  par  les  Birmans.  Min- 
deraschi  Praou,  qui  monta  sur  le  trône  en  1819  et  mourut  en 
1832,  fit  la  conquête  des  contrées  montagneuses  et  septen- 
trionales qu'on  appelle  l'Assam.  Il  en  résulta  qu'une  par- 
tie des  vaincus,  faisant  cause  commune  avec  des  Birmans 
révoltés,  se  réfugia  sur  le  territoire  britannique,  d'où  elle  fit 
d'incessantes  incursions  dans  l'empire  Birman.  Le  gouver- 
nement anglais  les  fit  désarmer ,  mais  refusa  de  les  livrer  ou 
de  les  expulser  de  l'île  de  Cliapouri ,  où  ils  s'étaient  fixés. 
Les  Birmans  s'efforcèrent  alors  d'exciter  les  Mahrattes  et 
tous  les  peuples  de  l'Inde  à  prendre  les  armes  contre  l'An- 
gleterre. Ils  en  vinrent  à  exiger  que  celle-ci  leur  abandon- 
nât la  partie  septentrionale  du  Bengale,  et  en  1824  ils  en- 
vahirent le  Kadjar ,  pays  qui  s'était  placé  sous  la  protection 
britannique.  Lord  Amherst ,  alors  gouverneur  général ,  com- 
prit la  gravité  des  dangers  qui  menaçaient  la  puissance  an- 
glaise dans  l'Inde,  et  déclara  la  guerre  aux  Birmans.  Elle 
fut  conduite  par  le  général-major  Archibald  avec  un  succès 
tel,  qu'au  mois  de  décembre  1825  les  Birmans  étaientréduits 
à  accepter  une  paix  désavantageuse.  La  cour  d'Ava  ayant 
refusé  de  sanctionner  le  traité  conclu  'en  cette  occasion ,  la 
lutte  recommença  dès  le  mois  de  janvier  1826;  mais  ce 
ne  fut  que  pour  un  mois  :  les  Birmans  durent  cette  fois 
se  courber  sous  la  nécessité.  Le  gouveinement  birman 
prit  l'engagement  de  céder  à  la  Compagnie  une  grande  par- 
tie de  son  territoù-e ,  l'Assam  entre  autres ,  et  lui  reconnut 
le  droit  de  nommer  des  chefs  chargés  d'administrer  sous  ses 
ordres  les  régions  du  nord,  déclarant  port  franc  Rangoun, 
importante  ville  commerciale.  De  nouvelles  difficultés  se 
sont  élevées  dans  ces  derniers  temps  entre  les  Birmans  et 
la  Compagnie  des  Indes,  et  dans  ce  moment  même  une  armée 
anglaise  envahit  le  pays  d'Ava.  Déjà  Martaban,  Rangoun  et 
Kemmendine  sont  tombées  au  pouvoir  des  Anglais  (5  et  12 
avril  1652).  Consultez  Symes,  ^ccomw^  ofan  embassy  to 
ihe  kingdom  of  Ava  (Londrc?, ,  1800);  Snodgross,  iN'flrra- 
tive  of  ihe  Burmcse  war  (Londres,  1827);  Crawfurd, 
Journal  of  an  embassy  from  the  governor  in  India  to 
the  court  of  Ava  in  theyear  1826-1827  (Londres,  1829); 
et  surtout  A  Description  of  the  Burmese  (Rome,  1830), 
par  le  père  San-Germano. 

[En  1827,  lorsque  sa  majesté  aux  pieds  dorés  fut  con- 
trainte à  se  soumettre  aux  conditions  de  paix  qui  lui  avaient 
été  imposées  à  Yamtabo,  ville  de  ses  États  occupée  par 
l'armée  anglaise,  M.  Crawfurd  fut  chargé  par  le  gouver- 
neur général  de  se  rendre  à  la  cour  d'Ava,  et  de  faire  ac- 
cepter un  traité  de  commerce,  en  exécution  du  traité  de 
paix  qui  mettait  enlie  les  mains  des  Anglais  ime  grande 
partie  du  pays,  les  côtes  dans  toute  leur  étendue,  et  par 
, conséquent  toutes  les  places  de  commerce  maritime,  outre 
le  tribut  annuel  que  le  monarque  birman  devait  payer. 

Le  traité  de  paix  d'YamIaho  avait  été  conclu  à  48  kilom. 
delà  capitale,  en  présence  d'une  armée  victorieuse  prête  à 
couronner  sa  conquête  par  l'incorporation  de  toute  la  Bir- 
manie aux  possessions  anglaises  ;  mais  sa  majesté  aux  pieds 
dorés  n'en  tenait  pas  moins  à  l'observation  scrupuleuse  de 
l'étiquette  de  sa  cour.  Mille  chicanes  furent  faites  à  M.  Craw- 
furd, parce  qu'il  avait  choisi  pour  son  logement  à  Ava  une 
maison  plus  élevée  que  le  palais  impérial.  D'autres  scrupules 
sur  les  formalités  interrompaient  souvent  les  discussions  les 


plus  importantes;  toutes  les  clauses  du  traité  de  co.nmcrc» 
furent  débattues  par  les  négociateurs  birmans  avec  une  obs- 
tination dont  le  plénipotentiaire  anglais  eut  souvent  à  se 
plaindre.  De  vingt-deux  articles  qui  composaient  le  projet 
qu'il  avait  apporté,  il  ne  put  en  faire  admettre  que  quatre; 
encore  furent-ils  tronqués  et  rédigés  d'une  manière  incom- 
plète. Il  crut  cependant  devoir  pousser  la  complaisance  aussi 
loin  qu'il  était  possible  sans  compromettre  les  intérêts  qui 
lui  étaient  confiés  :  il  savait  que  les  ministres  birmans 
tomberaient  dans  la  disgrâce  de  leur  maître ,  et  cette  dis- 
grâce est  ordinairement  suivie  du  supplice.  Les  courtisans 
avaient  persuadé  au  monarque  que  l'ambassadeur  anglais 
était  chargé  d'implorer  la  clémence  de  Sa  Majesté,  de  désa- 
vouer les  victoires  remportées  par  les  armées  de  sa  nation, 
de  restituer  les  provinces  conquises,  de  le  décharger  du 
tribut  stipulé  par  le  traité  d'Yamtabo ,  en  un  mot  de  tout 
remettresur  l'ancien  pied.  Lorsque  le  résultat  des  conférences 
lui  fut  présenté,  il  se  mit  en  fureur,  accusa  ses  ministres 
de  haute  trahison,  et,  la  lance  à  la  main ,  sortit  pour  punir 
lui-même  ces  grands  coupables. 

Les  Birmans  seraient  les  meilleurs  soldats  de  l'Asie  s'ils 
étaient  exercés  à  l'européenne ,  et  organisés  suivant  les  prin- 
cipes d'une  tactique  moins  ignorante  que  celle  des  Asia- 
tiques. Le  simulacre  d'empereur  que  les  Anglais  ont  laissé 
sur  le  trône  d'Ava ,  pour  le  malheur  de  son  peuple ,  n'entre- 
tient plus  d'autre  force  militaire  que  celle  qui  est  indispen- 
sable pour  sa  garde ,  la  police  des  villes  et  la  perception  des 
impôts.  La  cavalerie  est  peu  nombreuse,  quoique  son  ser- 
vice soit  le  plus  actif  et  le  plus  utile. 

Quoique  la  Birmanie  ait  été  entourée  dans  tous  les  temps 
de  voisins  industrieux,  les  arts  utiles  y  ont  fait  moins  de 
progrès  que  dans  aucune  autre  contrée  de  l'Asie  méridionale. 
Le  faible  Hindou  sait  tirer  plus  de  produit  de  ses  rizières 
que  le  robuste  Birman ,  quoique  la  nature  ait  tout  fait  en 
faveur  de  celui-ci.  Quant  aux  arts  exercés  par  les  hommes, 
ils  se  sont  arrêtés  à  ce  que  les  besoins  exigent  en  tout  cfe 
qui  est  d'un  usage  commun ,  et  n'ont  reçu  quelque  perfec- 
tionnement que  pour  ce  qui  a  trait  au  luxe. 

Les  sciences  et  les  lettres  n'ont  pas  été  moins  négligées 
que  les  arts  utiles;  et  cependant  presque  tous  les  Birmans 
savent  lire ,  écrire  et  compter,  sorte  de  contradiction  qui  ne 
peut  être  expliquée  que  par  la  funeste  influence  du  despo- 
tisme. Pour  écrire  on  se  sert  généralement  de  feuilles  de 
palmier,  et  on  emploie  à  cet  effet  des  styles  de  fer.  Peu  de 
livres  sont  rédigés  en  langue  birmane  :  la  littérature  de  ce 
pays  consiste  principalement  en  chansons ,  hymnes  religieux, 
chroniques  envers,  compositions  confiées  à  la  mémoire,  et 
qui  peuvent  être  conservées  sans  qu'on  les  écrive.  Le 
théâtre ,  où  le  discours  alterne  avec  la  danse  et  la  musique, 
constitue  l'un  des  divertissements  principaux  de  ce  peuple. 
La  langue  birmane  est  un  mélange  de  chinois  et  de  pâli  ; 
le  bouddhisme  mêlé  de  quelques  dogmes  hindous  est  la  re- 
ligion dominante  du  pays. 

Une  (les  croyances  de  ce  peuple  e-.l,  en  quelque  sotte, 
le  système  des  compensations,  agrandi  et  généralisé.  L'uni- 
vers, dit-il,  est  rempli,  de  toute  éternité,  d'âmes  qui  s'u- 
nissent aux  corps  vivants,  et  qui  durant  ces  réunions  suc- 
cessives éprouvent  une  somme  de  biens  et  de  maux 
inégalement  répartis  dans  le  temps,  mais  qui  est  la  môme 
pour  toutes,  suivant  la  loi  d'une  justice  immuable.  Une  âme 
qui  aurait  traversé  des  siècles  de  félicité  constante  devrait 
s'attendre  à  des  souffrances  d'une  aussi  longue  durée.  Celle 
qui  jouit  des  faveurs  célestes  éprouvera  plus  lard  les  tortures 
de  l'enfer;  mais,  pour  chaque  âme,  cette  existence  mêlée 
de  douleurs  et  déplaisirs  a  un  terme  que  chacun  atteint  plus 
ou  moins  promptement,  pour  aller  habiter  un  monde  doré 
où  elle  jouit  d'un  calme  parfait.  Cette  croyance,  comme  on 
voit,  porte  plutôt  à  la  résignation  qu'à  la  vertu  ;«ie  despo- 
tisme s'en  accommode  très-bien,  et  ne  s'avisera  pas  de  la  rem- 
placer par  des  opinions  plus  conformes  à  la  raison  et  plus 


BIRMAN  —  BIRMINGHAM 


237 


favorables  à  la  morale.  Les  prêtres  sont  des  espèces  de 
moines  qui  habitent  des  couvents ,  ne  mangent  qu'une  fois 
par  jour,  font  vœu  de  célibat  et  de  chasteté ,  et  jouissent 
d'une  grande  considération,  à  cause  de  leur  piété  et  de  leur 
savoir. 

Les  Anglais  établis  dans  l'Hindoustan  attachent  beaucoup 
«te  prix  à  la  conquête  de  la  Birmanie;  ils  pensent  que  leurs 
établissements  dans  la  rade  de  Marlaban ,  joints  à  celui  de 
Singapore,  dont  la  prospérité  va  toujours  croissant,  leur  as- 
sureront le  commerce  de  la  Chine ,  en  dépit  des  efforts  de 
toutes  les  nations  rivales.  La  rade  de  IMartaban  est  assez 
vaste  pour  contenir  à  la  fois  toutes  les  flottes  de  la  Grande- 
Bretagne.  Trois  fleuves,  leSaluan,le  Kaïn  etl'Ataxum,  y 
portent  leurs  eaux ,  après  avoir  formé  un  grand  lac  semé 
d'Iles  verdoyantes,  et  se  réunissent  sous  les  murs  de  la  ville. 
Le  cours  entier  de  l'Ataxum  est  sur  le  territoire  ancienne- 
ment acquis  par  les  Anglais  ;  c'est  le  moins  large,  mais  le  plus 
profond  des  trois,  et  les  vaisseaux  peuvent  le  remonter  jus- 
qu'à quatre-vingt-dix  kilomètres  de  son  embouchure.  Ses 
bords  sont  tellement  escarpés  et  chargés  d'une  végétation 
si  luxuriante,  que  les  vaisseaux,  ayant  toutes  leurs  voiles 
déployées,  peuvent  y  manœuvrer  sous  des  berceaux  de 
verdure.  Des  forets  s'étendent  au  loin  sur  ses  rives ,  et  sont 
remplies  de  bois  propres  aux  constructions  navales.  Le 
Saluan,  fleuve  mitoyen,  est  aujourd'hui  l'une  des  limites 
du  territoire  concédé.  Quoique  tout  son  bassin  soit  d'une 
admirable  fertilité,  il  était  presque  entièrement  inhabité; 
mais  dès  que  la  cession  en  fut  connue  dans  les  pays  ad- 
jacents, des  familles  birmanes  traversèrent  le  fleuve  par 
centaines  avec  leurs  bestiaux  et  leur  mobilier,  et  vinrent  s'é- 
tablir sur  la  rive  opposée.  Des  lois  très-sages  leur  garantis- 
sent une  sécurité,  une  liberté,  un  bonheur,  dont  elles 
n'eussent  point  joui  sous  le  sceptre  de  sa  majesté  aux  pieds 
dorés. 

A  l'imitation  de  sir  Stamford  Raffles,  qui  a  formé  le  bel 
établissement  de  Singapore ,  M.  Crawfurd  a  fondé  la  ville 
d'Amherst,  dans  une  ciiarmante  position,  sur  un  cap  qui  do- 
mine la  rade  de  Martaban.  Celte  ville  nouvelle  est  destinée 
à  devenir  l'entrepôt  d'un  commerce  très-important  et  la 
succursale  de  l'établissement  de  Singapore. 

La  Birmanie  n'offre  d'autres  objets  nouveaux  aux  natu- 
ralistes qu'une  espèce  de  perruche  qui  n'est  pas  plus  grande 
qu'un  moineau,  dont  la  tête,  le  dessus  du  cou,  le  dos  et  le 
dessus  des  ailes  sont  d'un  beau  vert,  ainsi  que  le  dessus 
de  la  queue ,  tandis  que  le  dessous  des  ailes  est  d'un  bleu 
brillant,  et  tout  le  reste  du  plumage  du  plus  beau  cra- 
moisi. Ce  gentil  oiseau  ne  peut  être  une  acquisition  pour 
l'Europe;  il  ne  supporte  pas  la  captivité.  On  doit  aussi  faire 
mention  des  sources  de  pétrole  duRenan-Khyaung,  les  plus 
abondantes  que  l'on  connaisse,  dont  le  produit  suffit  à  l'é- 
clairage de  tout  l'empire,  et  dont  on  enduit  les  bois  de 
charpente  pour  les  préserver  des  attaques  des  insectes.  Ces 
sources  ou  puits  occupent  un  espace  de  plus  de  5  kilom. 
carrés;  leur  profondeur  moyenne  est  d'environ  65  mètres, 
et  leur  ouverture  n'a  pas  plus  d'un  mètre  et  demi  carré. 
L'huile  qui  en  sort  est  recueillie  dans  des  bassins  dont  le 
fond  est  un  tamis  qui  laisse  passer  l'eau ,  tandis  que  le  pé- 
trole se  coagule  en  se  refroidissant.  On  l'extrait  des  bassins 
pour  la  mettre  dans  de  grandes  terrines  que  l'on  transporte 
sur  des  chariots  jusqu'aux  bords  de  l'Irawaddi,  oii  des  ba- 
teaux s'en  chargent  pour  la"  distribuer  dans  tout  l'empire. 
M.  Crawfurd  estime  que  le  produit  annuel  de  ces  deux 
sources  s'élève  à  466,552,000  livres  d'huile. 

Comme  le  climat  de  cette  contrée  est  très-humide,  les 
'nsectesy  abondent  et  sont  fort  incommodes.  Six  à  sept  se- 
maines avant  la  saison  des  pluies ,  la  lumière  des  apparte- 
ments attire  des  légions  de  fourmis  ailées,  de  punaises 
vertes  et  d'une  multitude  d'autres  insectes  qui  couvrent  les 
tables, les  meubles,  les  personnes.  Les  Birmans  font  pro- 
vision de  fourmis  ailées,  comme  d'autrC'?  peuples  de  l'Asie 


profitent  de  l'arrivée  des  sauterelles.  C'est  une  manne  que 
la  Providence  leur  envoie;  mais  en  Birmanie  les  fourmis 
ailées  sont  un  luxe  gastronomique,  et  non  un  aliment  popu- 
laire. On  dit  que  certains  gourmets  européens  trouvent  co 
mets  délicieux ,  et  leur  jugement  est  sans  appel. 

Un  autre  fléau  de  ces  contrées ,  c'est  la  multitude  pro- 
digieuse de  corneilles,  qui ,  perchées  sur  les  arbres ,  les  ro- 
chers, les  édifices,  vous  étourdissent  par  leurs  cris,  et  y  guet- 
tent sans  cesse  l'occasion  de  piller.  La  poule  la  plus  vigilante 
ne  réussit  point  à  en  préserver  ses  poussins.  Si  ces  brigands 
ailés  s'introduisent  dans  une  maison ,  ils  n'y  laissent  que  ce 
qu'ils  ne  peuvent  emporter.  Laisse-t-on  les  fenêtres  ou- 
vertes pendant  que  l'on  est  à  table,  des  corneilles  viennent 
enlever  effrontément  ce  qu'il  leur  convient ,  sans  être  ef- 
frayées par  le  nombre  des  convives.  Ces  incommodités, 
jointes  à  l'insalubrité  du  climat  pour  les  Européens ,  sont 
un  grand  obstacle  à  la  prospérité  des  établissements  qu'on 
y  formera,  jusqu'à  ce  qu'on  puisse  les  peupler  de  créoles 
acclimatés.  La  race  vigoureuse  des  Birmans  prouve  que 
cette  acclimatation  est  possible,  et  môme  facile;  ces  peu- 
plades, sorties  de  régions  extrêmement  sèches,  jouissent 
aujourd'hui  de  la  santé  la  plus  florissante  dans  un  pays 
où  pendant  la  saison  des  pluies  on  ne  peut  quitter  une 
paire  de  bottes  sans  l'exposer  h  pourrir  en  peu  de  jours. 
La  bonne  constitution  des  Birmans  est  surtout  remarquable 
aux  environs  de  Tavoi,  contrée  plus  humide  qu'aucune 
autre  partie  de  la  presqu'île  de  l'Inde.  Le  teint  de  ces  i)cu- 
ples  est  moins  basané  que  celui  des  Hindous,  et  ils  esti- 
ment beaucoup  la  blancheur  des  Européens.  Lorsque  des 
dames  anglaises  arrivèrent  pour  la  première  fois  à  ïavoi , 
les  habitants  de  cette  ville  les  prirent  pour  des  anges  des- 
cendus du  ciel,  et  ne  furent  désabusés  que  lorsqu'ils  virent 
que  ces  créatures  étaient  soumises  aux  besoins  et  aux  infir- 
mités de  la  nature  humaine.  Ferry.] 

BIRMINGHAM,  après  Manchester  la  plus  impor- 
tante cité  industrielle  de  l'Angleterre,  à  environ  130  kilo- 
mètres de  Londres,  est  située  dans  la  partie  nord-ouest  du 
comté  de  Warwick  et  bâtie  sur  les  flancs  d'une  suite  de 
collines  longeant  les  bords  de  la  Nea ,  et  dominant  une  vaste 
plaine.  Quoique  cette  ville ,  désignée  dès  le  commencement 
du  quatorzième  siècle  comme  bourg  à  marclié,  ait  eu  de 
bonne  heure  une  certaine  importance,  puisque  Henri  Vlil 
et  Guillaume  III  y  faisaient  fabriquer  des  armes  à  feu ,  ot 
qu'elle  était  déjà  aussi  célèbre  pour  la  fabrication  du  fer  et 
de  l'acier  que  pour  celle  du  cuir,  elle  est  surtout  redevable 
de  son  immense  prospérité  actuelle  à  John  Watt  et  à  Boul- 
ton,  qui  y  firent  leur  premier  essai  de  construction  d'une 
machine  à  vapeur;  invention  puissante,  qui  ne  contribua  pas 
peu  à  l'immense  parti  que  l'industrie  put  bientôt  tirer  de> 
inépuisables  mines  de  houille  et  de  fer  situées  aux  environs. 
En  1700  on  ne  comptait  encore  à  Birmingham  que  15,032  ha- 
bitants. En  1801  le  nombre  en  était  de  73,670,  en  1831  de 
146,986,  et  en  1841  de  182,092.  Il  doit  très-certainement 
dépasser  aujourd'hui  le  chiffre  de  200,000.  Le  bill  de  la  ré- 
forme parlementaire,  rendu  en  1832,  a  donné  à  cette  impor- 
tante cité  le  droit  d'être  représentée  au  parlement,  dont  jus- 
qu'alors elle  était  demeurée  privée,  en  même  temps  qu'une 
loi  absurde  en  investissait  les  bourgs -pourris,  composes 
souvent  d'une  douzaine  de  masures  au  plus,  appartenant  à 
un  seul  et  môme  propriétaire  : 

L'aspect  de  Biruiinghani  est  au  total  assez  peu  agréable, 
surtout  dans  les  parties  vieilles  et  basses.  Les  maisons  sont 
construites  en  briques  d'un  rouge  foncé ,  que  jamais  on  ne 
cherche  à  dissimuler  à  l'aide  du  badigeonnage;  de  sorte  que 
la  ville  a  une  physionomie  triste  et  monotone,  qu'accroît 
encore  la  fumée  de  machines  à  vapeur  qui  s'échappe  in- 
cessamrnent  d'innombrables  cheminées.  On  y  voit  vingl- 
deux  églises  et  chapelles,  parmi  lesquelles  il  faut  cilcr 
surtout,  à  cause  de  sa  belle  architecture,  l'église  Saint-Phi- 
lipjjc,  située  sur  le  point  culminant  de  la  ville;  deux  syna- 


•238 

gogiies.deux  écoles  de  Bell  etLancaster ,  indépendam- 
ment de  plus  de  six  cents  établissements  d'instruction  de 
tout  genre  destinés  à  l'éducation  du  peuple;  deux  biblio- 
thèques, contenant  environ  trente  mille  volumes;  de  remar- 
quables institutions  de  bienfaisance;  un  beau  palais  pour 
les  sessions  du  comté;  un  théâtre;  un  magnifique  liôpital, 
construit  de  1776  à  1778,  uniquement  avec  le  produit  de 
souscriptions  volontaires;  un  hôtel  de  ville  aux  proportions 
grandioses,  construit  sur  le  modèle  du  temple  de  Jupiter 
Stator  à  Rome  et  entouré  ile  colonnes,  et  sur  la  place  du 
marché  une  statue  en  bronze  de  Nelson ,  indi'pemlamment  de 
laquelle  il  faut  encore  mentionner  le  monument  élevé  à  la 
mémoire  de  John  Watt.  De  môme  que  la  ville  ne  se  com- 
pose que  de  vastes  édifices  publics  et  de  maisons  particu- 
lières très-petites,  sa  population  se  divise  en  deux  classes 
bien  distinctes  :  celle  des  patrons  et  celle  des  travailleurs , 
qu'on  ne  peut  pas  évaluer  à  moins  de  60,000  âmes. 

La  plaine  que  domine  la  ville  offre  l'aspect  d'une  stérilité 
profonde.  Le  sol  en  est  entrecoupé  par  des  mines  de  houille. 
Les  routes  qui  la  traversent  sont  pav^^es  de  scories  et  comme 
ensevelies  sous  une  poussière  noire,  qui ,  s'attachant  aux  vê- 
tements, au  linge  et  à  la  peau  des  habitants,  donne  à  leur 
extérieur  quelque  chose  de  cyclopécn.  Aussi  l'a-t-on  sur- 
nommée la  plaine  des  Cyclopes.  Mais  des  fosses  énormes 
qu'on  rencontre  là  de  distance  en  distance,  Birmingham  tire 
le  puissant  mobile  qui  donne  la  vie  à  ses  machines ,  le  char- 
bon ,  ou  plutôt  la  vapeur  dont  il  est  le  principe. 

Birmingham  est  le  grand  centre  de  la  fabrication  des  ar- 
ticles de  quincaillerie  fine  et  commune,  des  boutons ,  boucles , 
éperons,  épingles,  covjteaux,  ciseaux,  aiguilles,  objets  de 
laiton ,  articles  de  bijouterie,  objets  en  laque,  verroteries 
de  couleur,  etc. ,  dont  on  estimait  déjà  la  valeur  annuelle  au 
commencement  de  ce  siècle  à  plus  de  3  millions  de  liv.  sterl.  ; 
industrie  spéciale,  dont  tous  les  produits  sont  marqués  au 
coin  du  bon  goût  et  de  l'élégance.  Aussi  Burke  a-t-il  eu  rai-   i 
,  son  de  dire  de  cette  ville  que  c'était  le  magasin  de  joyaux   j 
de  l'Euroiie  (  the  toij-shop  nf  Europe  ).  Parmi  les  usines  les   | 
plus  importantes  qu'elle  renlerme,  il  faut  citer  :  VEtking-    1 
ton's  electro-plating-manufacture ,  la  Britannia   nail- 
inanujaciure,q[n  consomme  quarante-deux  tonnes  de  fer 
par  semaine,  et  livre  à  la  consommation  des  clous  dont  il   | 
faut  six  mille  pour  peser  un  demi-kilo  ;  la  belle  manufacture   ! 
de  papier  mâché  de  Jennens  et  Bettridgc,  qui  emploie  plus   | 
de  deux  cents  ouvriers,  et  surtout  des  jeunes  filles  ;  la  grande   [ 
fabrique  de  boutons  de  Turner  et  Comp'«;  la  fabrique  d'é-   1 
pingles  de  Pbipson  et  fils,  enfin  parmi  les  énormes  manu-   I 
factures  d'armes  à  feu,  celle  de  Seigeant  et  Comp'*,  qui  peut   ! 
livrer  à  elle  seule  mille  fusils  par  semaine.  [ 

Dans  le  voisinage,  mais  déjà  dans  le  comté  de  Stafford  ,    î 
on  trouve  Soho  ,  gros  bourg  industrieux  ,  remarquable  par    ; 
les  ateliers  que  Watt  y  créa  pour  la  construction  des  ma-   ! 
chines  à  vapeur,  qu'on  établit  de  la  force  de  six  à  quatre   i 
cent  cinquante  chevaux,  surtout  pour  les  navires,  et  qu'on   ; 
expédie  au  loin ,  grâce  à  un  canal  qui  passe  devant  cet  endroit.    ■ 
On  y  voit  aussi  une  immense  fabrique  d'objets  en  laque,  ainsi   { 
qu'un  vaste  établissement  de  monnayage  mù  par  la  vapeur, 
qui  est  chargé  de  frapper  la  monnaie  de  cuivre  circulant  en 
Angleterre  et  celle  que  la  compagnie  des  Indes  émet  dans 
l'Inde.  11  n'y  avait  encore  là  en  1764  qu'une  plaine  aride  et 
déserte  ;  mais  comme  tous  les  environs,  cet  endroit  a  parti- 
cipé aux  développements  énormes  de  Birmingham. 

Birmingham ,  à  la  vérité,  n'est  pas  bâti  sur  un  cours  d'eau 
navigable  qui  puisse  faciliter  l'exportation  des  immenses 
produits  de  son  industrie;  mais  des  canaux,  notanunent  le 
canal  de  Worcester  et  celui  qui  porte  son  nom  ,  la  mettent , 
en  communication  avec  HuU,  Liverpool,  Bristol, 
Londres,  Oxford,  Mancheste  r  et  Glasgow.  Des 
voies  de  fer  la  relient  également  aux  quatre  dernières  de  ces 
villes,  où  elle  peut  non-seulement  expédier  ses  produits, 
avec  une  facilité  et  une  rapidité  extrêmes ,  mais  en  tirer  do 


BIRMINGHAM  —  BIRON 

même  les  matières  premières  nécessaires  à  son  industrie. 

BiROAT  (Jacques)  ,  né  à  Bordeaux  ,  mort  vers  1666  , 
entra  d'abord  dans  la  compagnie  de  Jésus  et  passa  ensuite 
dans  l'ordre  de  Cluny.  Il  devint  prieur  de  Beussan ,  abbaye 
relevant  de  son  ordre ,  et  eut  le  titre  de  conseiller  et  de  pré- 
dicateur du  roi.  On  a  de  lui  plusieurs  volumes  in-S"  de  Pa- 
négyriques et  de  Sermons ,  qui  eurent  de  son  temps  une 
grande  vogue  et  qui  sont  complètement  oubliésaujourd'hui, 
et  à  bon  droit,  car  le  style  en  est  aussi  plat  que  la  pensée 
en  est  vulgaire.  Sans  doute ,  c'était  un  théologien  instruit  ; 
mais  alors,  au  lieu  de  vouloir  prêcher,  que  ne  composait-il 
des  traités  de  théologie! 

BIRON  (  Arjiand  de  GONTAUT,  baron  de),  issu  d'une 
ancienne  famille  du  Périgord  ,  né  vers  1524,  mort  le  26  juil- 
let  1592,  fut  d'abord  page  delà  reine  M  a  r  g  u  e  r  i  t  e  de  Na- 
varre. Il  se  distingua  ensuite  dans  les  guerres  du  Piémont 
et  eut  tout  à  son  début  l'honneur  d'être  choisi  parle  maréchal 
de  Brissac  pour  porter  le  guidon  de  sa  compagnie.  Une  bles- 
sure qu'il  reçut  au  siège  du  fort  Marino  le  rendit  boiteux 
pour  le  restant  de  ses  jours  ;  malheur  que  François  I*"^  es- 
saya d'adoucir  en  le  nommant  à  cette  occasion  gentilhomme 
de  sa  chambre.  Quoique  penchant  en  secret  pour  les  doc- 
trines de  la  Réformation ,  il  ne  laissa  pas  que  de  combattre 
rudement  les  huguenots  dans  les  guerres  de  religion.  Ses  bril- 
lants faits  d'armes  furent  récompensés,  peu  de  temps  après 
la   bataille  de  Moncontour  (1569),  par  les  fonctions  de 
grand-maître  de  l'artillerie.  Il  fut  ensuite,  avec  de  Mesme, 
chargé  par  la  cour  de  négocier  avec  les  chefs  des  réformés 
la  paix  de  Saint-Germain   (1570),  paix    dite   boiteuse  et 
mal  assise,  parce  que  Biron ,  comme  nous  l'avons  dit ,  boi- 
tait depuis  ses  campagnes  en  Piémont,  et   parce  que  de 
Mesme  était    propriétaire   d'un  domaine  appelé  Malassise. 
Lors  de  la  Saint-Barthélémy  (1572),  il  se  tfnt  renfermé  à 
l'Arsenal ,  où  il  demeurait  en  sa  qualité  de  grand  maître  de 
l'artillerie,  et  fit  repousser  ceux  qui  tentèrent  de  s'y  intro- 
duire pour  égorger  les  protestants  qui  étaient  venus  y  cher- 
cher un  refuge.  La  même  année  Charles  IX  l'envoya  à  la 
Rochelle  pour  faire  rentrer  les  habitants  de  cette  ville  dans 
le  devoir;  mais  ils  refusèrent  de  le  recevoir.  Il  fut  plus  heu- 
reux en  Guienne,  oii  il  fit  éprouver  maintes  défaites  aux 
Calvinistes.  Il  en  fut  récompensé  en  1577  par  le  bâton  de 
maréchal  de  France.  Il  conserva  en  outre  le  gouvernement  de 
Guienne  jusqu'en  1580,  époque  où  le  nouveau  roi  le  rap- 
pela à  Paris,  et  lui  conféra  l'ordre  du  Saint-Esprit.  On  rap- 
porte qu'à  cette  occasion  il  affecta  de  ne  produire  qu'un  très- 
petit  nombre  de  parchemins  comme  titres  de  noblesse,  allé- 
guant que  ses  services  militaires  étaient  bien  de  nature  à 
lui  en  tenir  lieu.  Il  n'apporta,  rapporte  Brantôme,  que  cinq 
ou  six  titres  fort  antiques,  et  les  présentant  au  roi  et  aux  com- 
missaires, «  Sire,  dit-il ,  voilà  ma  noblesse  ici  comprise  » , 
puis  mettant  la   main  sur  la  garde  de  son  épée;  «  mais. 
Sire,  ajouta-t-il,  la  voici  encore  mieux  ».  En  1583  Henri  III 
l'envoya  dans  les  Pays-Bas  au  secours  du  duc  d'Alençon;  mai* 
il  fut  à  plusieurs  reprises  battu  par  le  duc  de  Parme.  Cinq  ans 
après  il  essaya,  sans  y  réussir,  d'empêcher  la  journée  des 
Bar  ri  cad  es.  Après  l'assassinat  de  Henri  111,  il  fut  un 
des  premiers  à  reconnaître  Henri  IV,  à  qui  il  rendit  un 
service  signalé  en  déterminant  les  Suisses  à  demeurer  dans 
son  armée.   A  la  journée  d'Arqués,  au   premier  siège  de 
Paris  (1589),  à  la    baUulle  d'Ivry  (1590),  il  se  distingua 
par  sa  bravoure  et  par  ses  habiles  dispositions  stratégiques, 
et  souunt  au  roi  la  plus  grande  partie  de  la  Normandie. 
Deux  ans  après  il  eut  la  tête  emportée  par  un  boulet  de 
canon  au  siège  d'Épernay.  Il  était  âgé  de  68  ans  ,  avait  com- 
mandé en  chef  dans  sept  batailles  et  avait  été  blessé  sept 
fois  en  sa  vie.  Aux  quafités  qui  font  le  bon  militaire,  Biron 
joignait  quelques  connaissances  littéraires.  Il  portait  tou- 
jours avec  lui  des  tablettes ,  où  il  notait  jour  par  jour .  tout 
ce  qu'il  voyait  faire  ou  entendait  dire  de  remarquable.  De 
I  Thou  regrette  fort   la  perte  de  ces  espèces  de  Mémoire»  t 


Bmo.x 


qui  plissent  sans  aucun  doiile  jeté  nne  vive  lumière  sur  l'é- 
poque si  dramatique  et  si  agitée  où  vécut  l'auteur.  Biron 
tenait  à  honneur  d'avoir  successivement  passé  par  tous  les 
grades  avant  d'obtenir  le  bâton  de  maréchal;  et  sa  devise 
était  une  mèche  allumée,  avec  ces  mots  :  Périt,  sed  in 
ARMis.  Une  circonstance  qu'il  ne  faut  pas  oublier  de  rap- 
porter, c'est  que  Biron  (ut  le  parrain  de  l'entcint  qui  fut  plus 
tard  le  maître  de  la  France  sous  le  nom  de  cardinal  de  Ri- 
chelieu, et  que  ce  fut  lui  qui,  sur  les  fonts  du  baptême,  lui 
donna  sou  nom  d'Armand. 

BIROIV  (Cn.uiLES  de  GONTAUT,  duc  de)  ,  fils  du 
précédent ,  pair  et  amiral  de  France,  maréchal  général  des 
camps  et  armées  du  roi,  gouverneur  de  Bourgogne  et  de 
Bresse,  né  en  1562,  fit  ses  premières  campagnes  dans  les 
armées  de  la  Ligue.  Et  cependant  il  professait  une  égale 
indifférence  pour  les  deux  religions,  causes  alors  de  guerres 
cruelles.  Dès  sa  jeunesse  il  montra  un  goût  décidé  pour 
les  armes,  et  l'ut  obligé  de  s'éloigner  quelque  temps  de  la 
cour  à  la  suite  d'un  duel  qui  eut  beaucoup  d'éclat.  Attaché 
à  Henri  IV  dès  l'avénemeut  de  ce  prince,  il  devint  son 
ami,  son  favori,  et  obtint  uii  avancement  rapide,  qu'il  justifia 
par  ses  talents  et  son  intrépidité  à  Arques,  à  Ivry,  aux 
sièges  de  Paris  et  de  Rouen ,  au  combat  d'Aumale.  Il  était 
colonel  des  Suisses  dès  l'âge  de  quatorze  ans  ;  il  fut  bientôt 
maréchal  de  camp,  puis  lieutenant  général.  En  1592,  après 
la  mort  de  son  père ,  le  roi  lui  donna  le  titre  d'amiral  de 
France.  Biron  était  d'une  activité  effrénée,  brillant  à  la  cour 
et  sur  les  champs  de  bataille,  prodigue,  magnifique,  sans 
aucun  [)rincipe  de  morale,  vain,  léger,  opiniâtre  ,  présomp- 
tueux, ii'opaignaut  pas  même  dans  ses  propos  Henri  IV, 
qui  en  1594  lui  donna  le  titre  de  maréchal  de  France,  en 
échange  de  celui  d'amiral ,  qu'il  rendit  à  Yillars.  En  1595  il 
fut  nommé  gouverneur  de  Bourgogne  ;  Henri  lui  sauva  la 
vie  au  combat  de  Fontaine-Française. 

Mais  Biron  avait  toujours  besoin  d'argent;  il  s'irritait  de 
ce  que  le  roi  n'épuisait  pas  pour  lui  son  trésor.  Il  devait 
bientôt  passer  du  mécontentement  au  crime.  Son  ambition 
le  perdit.  Henri  IV  lui  avait  conféré  le  commandement  de 
l'armée  envoyée  par  lui  contre  le  duc  de  Savoie,  qui  s'obs- 
tinait à  se  maintenir  en  possession  du  marquisat  de  Salu- 
ées. Biron  s'empara  de  la  capitale  de  cette  principauté.  Ce 
tut  pendant  cette  courte  campagne  que  le  roi  d'Espagne  et 
le  duc  de  Savoie  hasardèrent  une  négociation  avec  Biron. 
Ce  ne  fut  qu'un  premier  essai.  Henri  érigea  en  duché-pairie 
la  baronnie  de  Biron ,  et  envoya  le  maréchal  en  ambassade 
auprès  de  la  reine  Elisabeth.  Mais  le  roi  d'Espagne  n'avait 
point  renoncé  à  ses  prétentions  à  la  couronne  de  France,  il 
n'avait  soutenu  la  Ligue  que  pour  l'obtenir;  il  avait  échoué 
sous  les  derniers  Valois.  Henri,  qui  leur  avait  succédé, 
n'avait  point  d'enfant  légitime  ;  à  sa  mort  le  trône  se  trou- 
vait encore  vacant.  On  promit  à  Biron  la  main  de  la  fille 
du  duc  de  Savoie  et  la  principauté  d'une  province  de  France. 
On  lui  persuada  que  la  politique  avait  eu  plus  de  part  que 
la  reconnaissance  aux  dernières  libéralités  d'Henri,  et  que 
l'ambassade  de  Londres  n'était  dans  le  fait  qu'un  véritable 
exil.  Lalin ,  gentilhomme  attaché  à  Biron,  était  l'agent  se- 
cret de  cette  perfide  et  mystérieuse  négociation.  Il  révéla  à 
Henri  IV  le  complot,  et  lui  remit  toute  la  correspondance 
de  Biron.  Le  maréchal  était  de  retour  de  son  ambassade  de 
Londres.  11  était  allé  rejoindre  Henri  IV  à  Lyon.  Ce  prince 
lui  fit  l'accueil  le  plus  amical,  lui  rendit,  ou  parut  lui  rendre 
toute  sa  confiance,  et  lui  remit  le  gouvernement  de  Bour- 
gogne. 

Cependant  Henri  et  son  conseil  ayant  décidé  de  faire  ar- 
rêter et  juger  Biron ,  l'exécution  de  ce  projet  fut  ajournée 
au  retour  de  la  cour  à  Fontainebleau.  Tout  fut  concerté 
entre  le  roi  et  Sully.  Celui-ci  fit  préparer  un  bateau  couvert 
pour  conduire  le  maréchal  à  la  Bastille,  où  il  se  rendit  lui- 
/lu'ine  afin  de  tout  disposer  pour  le  recevoir.   Henri  avait 


239 


après  un  court  entretien,  il  sortit.  Vitry,  capitaine  des 
gardes  (  le  même  qui,  sous  le  règne  suivant,  fit  assassiner 
le  maréchal  d'Ancre),  l'attendait  dans  l'antichambre,  et 
portant  sa  main  gauche  à  la  droite  de  Biron,  et  de  l'autre 
saisissant  son  épée  :  «  Mon.sieur,  lui  dit-il,  le  roi  m'a  dit  de 
lui  rendre  comi)te  de  votre  personne;  baillez  votre  épée!  — 
Tu  te  railles,  Vitry?  dit  le  maréchal,  étonné.  —  Monsieur, 
le  roi  me  l'a  commandé.  —  Eh  !  je  te  prie,  que  je  parle  au 
roi!  —  Non,  monsieur,  le  roi  est  retiré.  «  Biron  remit  son 
épée  en  s'écriant  :  «  Ah!  mon  épée,  qui  as  tant  de  fois  fait 
de  bons  services  !  »  Il  resta  sous  la  garde  de  Vitry,  et  fut 
conduit  au  bateau,  qui  le  transporta  à  la  Bastille.  Le  comte 
d'Auvergne,  son  coaccusé,  fut  en  même  temps  arrêté  par 
Praslin,  autre  capitaine  des  gardes,  et  conduit  à  la  même 
prison. 

La  double  opération  terminée,  Henri  TV  partit  pour  Pa- 
ris, où  il  entra  par  le  faubourg  Saint-Marceau.  Il  était  à 
Saint -Maur-des-Fossés  quand  la  famille  du  maréchal  vint 
se  jeter  à  ses  pieds,  et  implorer  sa  clémence.  Le  duc  de  La 
Force  parla  au  nom  de  tous.  D'autres  seigneurs,  amis  de 
Biron,  se  joignirent  à  ses  parents.  La  réponse  d'Henri  IV 
leur  laissa  peu  d'espérance.  «  J'ai  toujours  reçu,  dit-il,  les 
requêtes  des  amis  du  sieur  Biron  en  bonne  part,  ne  faisant 
pas  comme  mes  prédécesseurs,  qui  n'ont  jamais  voulu  que 
non-seulement  les  parents  et  les  amis  du  coupable  parlassent 
pour  eux,  mais  non  pas  même  les  père  et  mère,  ni  les 
frères.  Jamais  le  roi  François  ne  voulut  que  la  femme  de 
mon  oncle,  le  prince  de  Condé,  lui  demandât  pardon. 
Quant  à  la  clémence  dont  vous  voulez  que  j'use  envers  le 
sieur  Biron,  ce  ne  serait  miséricorde,  mais  cruauté.  S'il  n'y 
allait  que  de  mon  intérêt  particulier,  je  lui  pardonnerais 
comme  je  lui  pardonne  de  bon  cœur;  mais  il  y  va  de  mon 
État,  auquel  je  dois  beaucoup,  et  de  mes  enfants  que  j'ai 
mis  au  monde,  car  ils  pourront  me  le  reprocher,  et  tout  mon 
royaume.  Je  laisserai  faire  le  cours  de  justice,  et  vous  ver- 
rez le  jugement  qui  en  sera  donné.  J'apporterai  ce  que  je 
pourrai  à  son  innocence  ;  je  vous  permets  d'y  faire  ce  que 
vous  pourrez ,  jusqu'à  ce  que  vous  ayez  connu  qu'il  soit 
criminel  de  lèse-majesté.  Car  alors  le  père  ne  peut  solliciter 
pour  son  fils,  le  fils  pour  son  père,  le  frère  pour  le  frère. 
^'c  vous  rendez  pas  odieux  à  moi  pour  la  grande  amitié  que 
vous  lui  portez.  Quanta  la  note  d'infamie,  il  n'y  en  a  que 
pour  lui.  Le  connétable  de  Saint-Pol,  de  qui  je  viens,  le 
duc  de  Nemours  (Jacques  d'Armagnac),  de  qui  j'ai  hérité, 
ont-ils  laissé  moins  d'honneur  à  leur  postérité.?  Le  prince 
de  Condé,  mon  oncle,  n'eùt-il  pas  eu  la  tête  tranchée  la 
lendemain,  si  le  roi  François  II  ne  fût  mort?  Voilà  pour- 
quoi, vous  autres,  qui  estes  parents  du  sieur  Biron,  n'aurez 
aucune  honte,  pourvu  que  vous  continuiez  en  vos  fidélités, 
comme  je  m'en  assure;  et  tant  s'en  faut  que  je  veuille  vous 
ôter  vos  charges ,  que  s'il  en  venait  de  nouvelles,  je  vous  les 
donnerais.  Voilà  Saint-Angel ,  qu'il  avait  éloigné  de  lui 
parce  qu'il  était  homme  de  bien.  J'ai  plus  de  regret  à  sa 
faute  que  vous-mêmes.  Mais  avoir  entrepris  contre  son 
bienfaiteur,  cela  ne  se  peut  supporter.  »  Le  frère  du  maré- 
chal insista  sur  ce  que  Biron  n'avait  rien  entrepris  contre  la 
peisonne  du  roi.  «  Faites  ce  que  vous  pourrez,  répondit 
Henri,  pour  son  innocence  ;  je  ferai  de  même.  » 

La  suite  de  cette  déplorable  affaire  prouvera  s'il  se  rap- 
pela cette  promesse.  Biron  comptait  beaucoup  sur  l'ancienne 
amitié  du  roi  et  sur  le  crédit  de  sa  famille.  Cette  confiance 
l'abandonna  lorsqu'il  vit  qu'on  entrait  dans  sa  chambre 
sans  armes ,  et  qu'on  le  servait  avec  des  couteaux  sans 
pointe.  «  Ah!  je  vois  bien,  dit-il  alors,  qu'on  veut  me  faire 
tenir  le  chemin  de  la  Grève.  »  Il  circula  à  cette  épo(iue  une 
longue  lettre  de  Biron  au  roi  ;  il  demandait  à  être  exilé  en 
Hongrie,  pour  y  combattre  encore  et  y  rétablir  sa  fortune; 
il  affirmait  que  là ,  comme  partout  ailleurs ,  il  serait  et  pa- 
raîtrait toujours  Français.  Il  terminait  ainsi  :  «  Laissez» 


mandé  le  maréchal,  qui  était  au  jeu  de  la  reine;  il  vint,  et,  j  vous  toucher,  sijc,  à  mes  soupirs,  et  détournez  de  votre 


210 

règne  ce  prodige  de  fortune ,  qu'un  maréchal  de  France  serve 
de  funeste  exemple  aux  Français ,  et  que  son  roi ,  qui  le 
voulait  voir  combattre  dans  les  périls  de  la  guerre,  ait  per- 
mis durant  la  paix  qu'on  lui  ait  ignominieusement  ravi  l'hon- 
neur et  la  vie!  Faites-le,  sire,  et  ne  regardez  pas  tant  à  la 
conséquence  de  ce  pardon  qu'à  la  gloire  d'avoir  pu  et  voulu 
[tardonner  un  crime  punissable;  car  il  est  impossible  que 
cet  accident  puisse  arrivera  d'autres,  parce  qu'il  n'y  a  per- 
sonne de  vos  sujets  qui  puisse  être  séduit  comme  j'ai  été  par 
les  malheureux  artifices  deceux  qui  aimaient  plus  ma  ruine 
que  ma  grandeur,  et  qui,  se  servant  de  mon  ambition  pour 
corrompre  ma  (idélité ,  m'ont  conduit  au  danger  où  je  me 
trouve.  Voyez  cette  lettre ,  sire ,  de  l'œil  que  Dieu  a  accou- 
tumé de  voir  les  larmes  des  pécheurs  repentants ,  et  surmon- 
tez votre  j\iste  courroux  pour  réduire  cette  victoire  à  la  grâce 
que  vous  demande,  sire,  votre  très-humble,  etc.  Biron.  » 

Le  maréchal  avait  été  arrêté  dans  la  nuit  du  13  au  14 
juin  1G02.  11  avait  été  interrogé  le  17  par  les  présidents 
Ilarlay  et  Rlancraesnil  et  les  deux  plus  anciens  conseillers , 
Fleury  et  ïhurin.  Le  parlement  s'assembla  le  6  juillet ,  et 
s'ajourna  au  1 1  pour  assister  à  la  confection  du  procès.  Les 
pairs  ne  se  présentèrent  point,  quoiqu'ils  en  eussent  reçu 
l'ordre  exprès  du  roi ,  qui  était  venu  de  Fontainebleau  à  Paris 
pour  leur  ôter  tout  sujet  d'excuse.  La  plupart  alléguèrent 
que  la  cour  ne  les  avait  point  appelés  au  procès  du  ducd'Au- 
male;  d'autres,  qu'ils  étaient  alliés  ou  amis  de  l'accusé. 
Lafin ,  dénonciateur  de  Biron ,  arriva  à  Paris  le  13  ;  il  ne  pa- 
raissait dans  les  rues  qu'accompagné  de  quinze  à  vingt  ca- 
valiers, tous  armés;  le  roi  l'avait  autorisé  à  se  faire  ainsi 
escorter  pour  sa  sûreté.  Le  15  il  fut  confronté  avec  le  ma- 
réchal ,  gjti  lui  dit  pouille.  Le  parlement  ne  procéda  à 
l'instruction  que  le  23.  Le  conseiller  Fleury,  rapporteur, 
communiqua  une  requête  de  la  maréchale  de  Biron ,  tendant 
à  ce  que  son  fds  fût  assisté  d'un  conseil,  attendu  qu'étant 
homme  de  guerre,  il  était  peu  versé  en  telles  affaires; 
mais,  sur  les  conclusions  des  gens  du  roi,  la  cour  rejeta  sa 
demande ,  et  continua  l'examen  du  procès.  Les  audiences 
des  24,  25  et  26  furent  employées  h  cet  examen.  Le  chan- 
celier était  au  palais  à  six  heures  du  matin.  Le  27  le  ma- 
récliai  y  fut  conduit  dans  un  bateau  couvert,  avec  quinze  ou 
vingt  soldats  à  bord  ;  suivait  un  autre  bateau  rempli  de  gar- 
des du  corps  et  du  chevalier  du  guet  ;  d'autres  détachements 
marchaient  sur  les  quais  jusqu'à  l'île  du  Palais,  où  le  maré- 
chal descendit,  et  fut  conduit  à  la  grand'chambre ,  où  il 
subit  un  interrogatoire  de  deux  heures,  assis  sur  une  basse 
et  petite  sellette.  A  neuf  heures,  il  lut  ramené  à  la  Bastille, 
couune  il  était  venu ,  et  avec  la  môme  escorte.  Le  Palais, 
les  quais ,  les  rues ,  étaient  remplis  de  troupes. 

Le  29,  à  six  heures  du  matin  ,  le  chancelier  ouvrit  la  der- 
nière séance ,  composée  de  cent  vingt-sept  juges.  Le  maré- 
chal fut  condamné  à  estre  décapité  en  place  de  Grève, 
comme  atteint  et  convaincu  d'avoir  attenté  à  la  personne 
du  roi,  et  entrepris  contre  so7i  Estât;  tous  ses  biens  con- 
fisqués, sa  pairie  réunie  à  la  couronne,  et  dégradé  de 
tous  honneurs  et  dignités.  Le  30  une  foule  immense  était 
réunie  sur  la  place  de  la  Bastille  et  à  la  Grève ,  et  ne  se  sé- 
para que  le  soir.  On  s'attendait  que  l'exécution  aurait  lieu  ce 
jour-là.  «  Le  lendemain ,  le  roi  adressa  des  lettres  patentes 
par  lesquelles  il  déclarait  qu'aux  instances  et  prières  des 
parents  du  sieur  de  Biron,  et  pour  l'amitié  qu'il  lui  avait  au- 
trefois portée,  et  pour  plusieurs  autres  grandes  considéra- 
tions, son  plaisir  était  qu'il  fût  exécuté  dans  la  Bastille, 
quoique  l'arrêt  portât  qu'il  le  serait  dans  la  place  de  Grève, 
voidant  par  ce  moyen  l'exempter  de  l'infamie  d'un  spectacle 
public.  «  La  cour  néanmoins  délibéra  si  elle  adresserait  au 
roi  des  remontrances  sur  les  changements  apportés  à  son  ar- 
rêt ;  mais  comme  ces  changements  ne  concernaient  que  le 
lifi)  de  l'exécution,  les  lettres  patentes  furent  enregistrées. 

I,a  principale  question  du  procès  n'était  pas,  (piant  à  la 
culpabilité,  de  savoir  si  Biron  avait  conspiré,  mais  s'il  avait 


BIRON 

renoncé  à  son  projet.  Or,  il  résultait  d'une  de  ses  lettres  pro- 
duites au  procès  et  adressées  à  Latin ,  qu'il  avait  tout  à  fiit 
abandonné  son  dessein.  «  Puisqu'il  a  plu  à  Dieu,  lui  écri- 
vait-il ,  de  donner  un  fds  au  roi ,  je  ne  veux  plus  songer  à 
toutes  ces  vanités  :  ainsi,  ne  faites  faute  de  revenir!  »  l't 
depuis,  rien  n'indiquait  qu'il  eût  agi  dans  le  sens  de  la  cons- 
piration. Aucun  fait  nouveau  ne  l'accusait.  Il  avait  vu  depuis 
le  roi  à  Lyon,  et  en  avait  été  bien  accueilli;  il  avait  con- 
servé son  rang,  ses  grades,  son  gouvernement  de  Bourgogne. 
Il  hésitait  cependant  à  revenir  à  la  cour.  Il  ne  se  détermina 
à  s'y  rendre  qu'après  plusieurs  conférences  avec  le  président 
Jeannin,  qui  lui  avait  été  envoyé  par  le  roi;  et  sans  doute 
il  n'était  parti  que  sur  la  garantie  de  n'être  point  inquiété 
Il  y  avait  eu  de  sa  part  tentative  de  crime,  mais  le  crime 
n'avait  pas  été  consommé ,  l'exécution  en  avait  été  sus- 
pendue par  une  circonstance  dépendante  de  sa  volonlé. 
11  n'était  donc  pas  coupable.  Il  y  avait  eu  abolition  de  fait 
en  sa  faveur;  mais  cette  abolition  n'avait  pas  été  sanctionnée 
dans  les  formes  d'usage ,  et  ce  fut  ce  défaut  de  forme  qui 
entraîna  sa  condamnation.  Cette  grave  question  de  droit 
n'avait  pas  subi  l'épreuve  d'une  discussion  contradictoire, 
parce  qu'on  lui  avait  refusé  l'assistance  d'un  conseil. 

11  entendit  à  genoux  la  lecture  de  l'arrêt ,  et  entendant 
les  mots  avoir  conspiré  contre  le  roi  et  son  Estât,  il  s'é- 
cria :  «  C'est  faux  !  c'est  faux!  ôtez  cela!  »  Après  les  mots 
en  Grève,  il  répéta  :  «  En  Grève!  voilà  une  belle  récompense 
de  mes  services,  de  mourir  ignomiiiieusement  devant  tout 
le  monde  !  »  Le  chancelier  l'avertit  que  le  roi  lui  faisait  la 
grdce  d'être  exécuté  à  la  Bastille.  «  Est-ce  là  la  grâce  qu'il 
me  fait.'  dit  Biron.  Ah  !  ingrat,  mesconnoissant,  sans  pitié, 
sans  miséricorde,  qui  n'eurent  oncques  de  lieu  en  lui,  car 
si  quelquefois  il  semble  en  avoir  usé,  c'a  été  plutôt  par 

crainte  qu'autrement Eh!  pourquoi   n'use-t-il  pas   de 

pardon  envers  moi,  vu  qu'il  l'a  fait  à  beaucoup  d'autres 
qui  l'ont  beaucoup  plus  offensé  que  je  ne  l'ai  fait?  »  il 
nomma  d'Épernon  et  Mayenne.  «  La  reine  d'Angleterre, 
ajouta-t-il,  eût  pardonné  au  comte  d'Essex ,  s'il  l'eût  voulu 
demander.  Et  pourquoi  non  à  moi ,  qui  le  demande  si  hum- 
blement ,  sans  mettre  en  ligne  de  compte  les  services  de 
feu  mon  père  et  les  miens ,  mes  plaies ,  qui  le  demandent 

assez  d'elles-mêmes Il  (le  roi)  a  regardé  à  peu  de 

chose,  tant  sa  haine  est  grande  contre  moi.  Eh  quoi  !  on  me 
fait  donc  mourir  sur  la  déposition  d'un  sorcier  et  le  plus 
grand  négromancien  du  monde,  qui  s'est  servi  à  la  malheure 
de  mon  ambition ,  m'ayant  souvent  fait  voir  le  diable  en 
particulier,  et  même  parlant  par  une  image  de  cire,  qui  au- 
rait bien  articulément  prononcé  ces  mots  :  Re.x  impie,  pe- 
ribis  ;  et  sicut  cera  Uquescit ,  morieris.  ^  —  Et  après  il 
se  desborda  en  injures  contre  M.  le  chancelier,  l'appelant 
«  homme  injuste,  sans  foi,  sans  loi,  statue,  image  plâtrée, 
grand  nez,  qui  seul  l'avait  condamné  à  mort  iniquement, 
sans  aucune  raison,  et  tout  innocent  et  nullement  coupable.  » 

Aveiti  de  mettre  ordre  à  sa  conscience  et  à  ses  affaires, 
il  dit  qu'il  devait  30,000  écus ,  et  que  pour  s'acquitter  il 
en  avait  50,000  au  château  de  Dijon;  que  le  roi  disposerait 
du  reste  ;  qu'il  laissait  une  fille  grosse  de  son  fait  (Sebillolte, 
fdle  du  procureur  du  roi  de  Dijon),  à  l'enfant  de  laquelle 
il  laissait  une  maison  qu'il  avait  achetée  près  de  Dijon, 
et  6,000  écus.  Il  chargea  un  des  secrétaires  de  Sully  d'as- 
surer son  maître  qu^il  avait  toujours  été  son  bon  ami ,  et 
qu'il  mourait  tel;  que  ceux  qui  lui  avaient  fait  entendre 
qu'il  avait  eu  dessein  de  le  tuer,  l'avaient  trompé.  Il  recom- 
manda son  enfant  à  ses  deux  frères.  11  donna  ausecréiaire- 
de  Sully  une  bague  qu'il  le  pria  de  remettre  à  sa  sa-ur,  la 
comtesse  de  Roussi;  il  en  donna  une  autre  au  capitaine  de  la 
forlercsse.L'échafaud  avait  été  élevé  au  niveau  d'une  chambre 
<Ie  la  Bastille.  L'épouse  de  M.  de  Rumigny,  concierge  de  la 
prison,  le  voyant  passer  pour  aller  au  supplice,  se  mit  à 
pleurer  ayant  les  mains  jointes ,  et,  s'adressant  au  chan 
cclicr,  Biron  s'écria  :  «  Quoi,  monsieur!  vous  'lui  avez  li 


BTRON  — 

visage  d'un  homme  de  bien ,  avez  souffert  que  j'aie  été  si 
misérablement  condamné  !  Ah  !  si  tous  n'eussiez  témoigné 
devant  ces  messieurs  que  le  roi  voulait  ma  mort,  ils  ne 
m'auraient  pas  ainsi  condamné.  Vous  avez  pu  empêcher  ce 
mai ,  et  ne  lavez  pas  fait  :  vous  en  répondiez  devant  Dieu , 
oui ,  devant  lui ,  où  je  vous  appelle  dans  l'an,  et  tous  les 
juges  qui  m'ont  condamné.  »  Parvenu  sur  l'échafaud ,  il  se 
banda  les  yeux ,  en  ôta  deux  fois  le  bandeau ,  se  leva  en 
protestant  de  son  innocence  ;  il  se  relevait  pour  la  troi- 
sième fois,  quand  le  bourreau  l'invita  à  dire  son  In  manus  ; 
et  tandis  qu'il  priait ,  il  lui  (it  sauter  la  tête,  qui  tomba  eu 
bas  de  l'échafaud;  elle  fut  jetée  avec  le  corps  dans  un  cer- 
cueil qui  fut  porté  à  Saint-Paul.  Ceci  se  passait  le  31  juil- 
let 1602.  Le  maréchal  n'avait  que  quarante  ans. 

Biron  était  de  mojenne  taille;  il  avait  le  visage  d'un  brun 
très-marqué ,  les  yeux  enfoncés ,  le  regard  sinistre.  Son  or- 
gueil égalait  son  ambition;  il  avait  foi  à  l'astrologie  judi- 
ciaire; mais  il  était  brave  jusqu'à  la  témérité,  et  son  corps 
était  tout  sillonné  de  blessures.        Dcfey  (de  l'Yonne). 

BIROiV  DE  COURLANDE  (Famille).  Voyez  Biren. 

BIS,  mot  latin,  depuis  longtemps  francisé  au  théâtre,  et 
par  lequel  les  spectateurs  demandent  à  entendre  une  se- 
conde fois  la  phrase  ou  le  couplet  qui  a  excité  vivement 
leur  approbation.  Très-ambitieux  autrefois  de  ce  genre  de 
succès,  les  vaudevillistes  avaient  créé  pour  le  désigner  le 
mot  bisser,  qui  n'a  pas  encore  reçu  la  sanction  de  l'Aca- 
démie. Quelques-uns  d'eux  obtinrent  même  les  honneurs 
du  ter;  mais  une  seule  fois  la  flatteuse  demande  du  quater 
eut  lieu  pour  un  couplet  d'une  pièce  de  Désaugiers ,  qui  se 
terminait  par  ces  deux  vers  : 

Le  Français  a  su  Taincre,  il  le  saurait  encore, 
11  le  saura  toujours. 

C'était  en  181G,  époque  où  les  armées  de  la  coalition  occu- 
paient encore  notre  territoire;  ce  qui  explique  facilement 
le  témoignage  éclatant  de  la  sympathie  nationale  pour  cet 
avis  à  l'étranger.  Plus  tard,  l'emploi  continuel,  dans  les 
vaudevilles,  des  inévitables  rimes  de  guerriers  et  lauriers, 
de  la  gloire  et  de  la  victoire ,  entraîna  un  abus  fastidieux 
du  bis  approbateur.  Maintenant ,  on  ne  le  demande  plus 
dans  nos  théâtres  que  pour  un  trait  saiilunt,  un  couplet  in- 
génieux, un  air  bien  chanté  :  c'est  dire  qu'il  est  beaucoup 
moins  prodigué.  —  Dans  la  même  circonstance  où  le  Français 
crie  bis  en  latin,  l'Anglais  crie  encore  en  français.  Ocrry. 
IîIS(Hippolvte),  auteur  dramatique,  est  né  à  Douai  (>'ord), 
on  ne  dit  pas  en  quelle  année.  Il  était  en  1816  attaché  à 
la  direction  des  droits  réunis  à  Lille,  lorsqu'il  fit  paraître 
dans  le  journal  du  département  un  article  qui  fut,  dit-on, 
la  cause  de  quelques  collisions  entre  la  garde  nationale  et 
les  officiers  d'artillerie  en  garnison  dans  cette  ville.  A  cette 
époque,  où  les  opinions  politiques  étaient  fort  animées,  un 
pouvoir  persécuteur  n'aurait  pas  manqué  de  sévèrement 
punir  l'employé  qui,  par  l'aigreur  de  ses  sentiments  et  l'in- 
candescence d'un  écrit  dangereux  pour  la  tranquillité  de  la 
cité,  donnait  lieu  à  une  agitation  qui  pouvait  devenir  grave. 
La  jeunesse  et  l'inexpérience  de  M.  Bis  plaidèrent  en  sa  fa- 
veur auprès  de  ses  supérieurs ,  et  il  tut  seulement  changé 
de  résidence.  Ce  changement  servit  même  sa  fortune  litté- 
raire. Sans  abandonner  la  carrière  administrative,  il  s'a- 
donna plus  viven^ent  à  la  culture  des  lettres.  Dès  1817 
il  avait  composé,  en  société  avec  M.  Jay,  une  tragédie 
intitulée  :  Lothaire,  qui  fut  reçue,  mais  non  représentée. 
En  1822  il  fit  jouer  à  l'Odéon  une  autre  tragédie ,  Attila, 
qui  eut  quelque  succès,  et  publia  un  poème,  le  Cimetière, 
que  nous  ne  connaissons  pas  et  qui  eut  peu  de  retentisse- 
ment. C'est  peut-être  avec  les  débris  de  Lothaire  que 
M.  Bis  composa  et  fit  représenter,  en  1827,  une  troisième 
tragédie,  Blanche  d'Aquitaine,  ou  le  Dernier  dcsCarlo- 
vingiens,  tout  empreinte  de  cet  esprit  d'hostilité  politique 
qui  devait  aboutir  à  réaliser  au  profit  de  la  maison  d'Or- 

niCT.    DE   LA  cd.WERS.    —  T.    III. 


BISANNUEL  241 

léans  les  vœux  à  peine  déguisés  de  ]\L  Bis  contre  la  bran- 
che aînée  des  Bourbons,  et  en  faveur  d'une  dynastie  nou- 
velle. Bien  que  cette  pièce,  qui  ne  manquait  pas  de  quelque 
mérite  littéraire,  n'ait  obtenu  qu'un  succès  médiocre  et 
promptement  oublié,  elle  servit  à  entretenir  l'esprit  public 
dans  ses  sentiments  d'opposition,  exploités  alors  générale- 
ment au  théâtre.  Cette  tendance  se  retrouve  dans  le  poème 
de  Guillaume  Tell,  que,  cette  fois  en  compagnie  de  M.  de 
Jouy,  ]\I.  Bis  fit  jouer  au  grand  Opéra  en  1829.  Il  serait  dif- 
ficile d'exprimer  la  nullité  de  cette  o'uvre  sous  le  rapport 
de  l'action  et  des  effets  scéniques.  Elle  est  pourtant  deve- 
nue un  chef-d'œuvre...,  chef-d'œuvre  lyrique,  bien  entendu, 
entre  les  mains  de  Rossini,  à  qui  la  partition  en  avait  été 
confiée,  et  qui,  dans  son  inexpérience  des  conditions  d'un 
véritable  poème  français,  se  laissa  éblouir  et  entraîner  par 
la  vieille  réputation  que  M.  de  Jouy  avait  encore  comme 
auteur  d'opéras.  C'est  à  lui,  en  bonne  conscience,  et  non  à 
ûl.  Bis ,  son  triste  complice  dans  cette  occasion ,  qu'il  faut 
attribuer  l'étrange  naïveté  du  plan  et  du  style,  qui  ont  pour- 
tant presque  disparu  sous  la  splendide  magnificence ,  sous 
l'expression  énergique  et  charmante  des  accords  divins  de 
Rossini.  A.  Delaforest. 

Après  la  révolution  de  1830,  M.  Bis  obtint  la  décoration 
de  la  Légion  d'Honneur.  Il  la  méritait  sans  doute,  ne  fût-ce 
que  pour  ces  vers  d'Attila  : 

Juge  pour  les  Français  si  ma  haine  est  profonde  : 
Ils  osent  conspirer  la  liberté  du  monde! 

En  1845  M.  Bis  se  réveilla  avec  une  quatrième  tragédie, 
qui  fut  reçue  au  Théâtre-Français,  et  qui  était  intitulée 
Jeanne  de  Flandre.  Cette  pièce,  qui  manquait  d'bitérêt 
dans  l'action ,  de  clarté  dans  l'exposition,  de  précision  dans 
les  caractères ,  de  noblesse  dans  le  style ,  n'eut  qu'une  seule 
représentation.  Et  pourtant  on  avait  parlé  de  cette  tragédie 
comme  devant  ouvrir  à  M.  Bis  les  portes  de  l'Académie 
Française!  O  fi agilité  des  choses  humaines!  Et  M.  Bis  n'a 
pas  encore  pris  sa  revanche. 

En  attendant ,  il  est  vrai ,  l'auteur  d'Attila  continue  à 
joindre  plus  fructueusement  à  son  titre  de  poète  tragique 
celui  de  chef  de  bureau  à  l'administration  des  contributions 
indirectes  et  des  tabacs.  Dieu  le  bénisse  ! 

BISACRAJMEIXT AIRES,  hérétiques  qui  ne  recon- 
naissaient que  deux  sacrements,  le  baptême  et  l'eucharistie. 

BISAILLE  ou  BINAILLE.  La  bisaille  est  un  mélange 
de  pois  des  champs  (pisum  arvense)  et  de  vesce  commune 
(  vicia  saliva  )  pour  la  nourriture  des  animaux.  Ce  mélange 
est  ainsi  nommé,  selon  les  uns  parce  que  sa  farine  est  bise, 
et  selon  d'autres  parce  que  les  pigeons  bisets  s'en  nourris- 
sent. Cette  composition  binaire  est  annuelle  et  se  sème  sur 
les  jachères  :  c'est  un  mélange  excellent  et  très-productif, 
qui  se  consomme  en  vert  et  en  sec ,  et  dont  on  ne  peut 
trop  recommander  la  culture  dans  les  terres  à  blé  et  même 
dans  les  terres  à  seigle. 

Les  combinaisons  binaires  de  plantes  propres  à  la  nour- 
riture des  animaux  s'étant  multipliées  avec  les  progrès  de 
l'agriculture,  on  a  proposé  d'étendre  le  mot  bisaille  non- 
seulement  aux  plantes  annuelles  autres  que  le  mélange 
de  pois  et  de  vesce ,  mais  encore  à  toutes  les  autres  combi- 
naisons de  plantes  bisannuelles  et  vivaces  cultivées  deux  à 
deux  pour  la  nourriture  des  animaux.  D'autres  ont  projtosé 
avec  plus  de  raison  encore  de  remplacer  le  mot  bisaille 
par  celui  de  binaille,  qui  est  évidemment  meilleur,  comme 
indiquant  la  composition  binaire  du  mélange  :  c'est  ainsi 
qu'on  dit  binaille  de  pois  et  de  vesce,  binaille  de  trèfle  et 
de  luzerne,  binaille  de  vesce  et  de  mélilot  de  Sibérie,  etc. 

ToLLARD  aîné. 

BISANNUEL  ,  terme  de  botanique,  qui  sert  à  qualifier 
Jcs  plantes  qui  accomplissent  tous  les  degrés  de  la  végéta- 
tion jusqu'à  la  mort  en  deux  ans  -.  tels  sont  le  persil,  le 
salsifis,  etc.  Dans  les  ouvrages  hotiun'ques,  les  piaules  bis- 

31 


242 


mS  ANNUEL 


annuelles  sont  indiquées  par  le  signe  cJ  ,  qui  est  celui  de 
Mars ,  planète  dont  la  révolution  autour  du  soleil  est  de 
deux  ans.  __ 

BISCAÏEN,  mot  d'abord  employé  comme  adjectif,  et 
qui  se  retrouve  dans  les  mots  mousr/uct  biscaïen  ou  de 
Biscaye,  c'est-à-dire  mousquet  à  fort  calibre  ou  fusil  de 
rempart.  On  a,  par  abréviation,  nommé  biscaïen  la  balle 
du  mousquet  biscaïen,  et  elle  est  devenue,  depuis  l'invention 
du  fusil  ordinaire,  le  plus  petit  des  boulets  de  canon,  qu'on 
lance  de  400  à  600  mètres.  Dans  le  siècle  dernier,  on  tirait 
les  biscaiens  par  grappes  de  mitraille.  Aujourd'hui  les  bis- 
caïens  sont  exactement  rangés  par  couches  dans  les  boites 
à  cartouches  :  on  met  au  fond  des  boîtes  un  culot  de  fer 
l)attu  qui  donne  beaucoup  de  portée  aux  biscaiens ,  parce 
qu'il  leur  communique  toute  l'action  de  la  charge ,  qui 
sans  cela  s'échapperait  à  travers  les  balles  et  les  ferait  écar- 
ter davantage.  G"'  Baudin. 

BISCAYE,  en  espagnol  Vizcaya,  la  plus  septentrionale 
des  trois  anciennes  provinces  basques,  et  dont  en  1833  on 
a  composé,  avecdes  parties  de l'Alava et  de  la  Vieille  Castille, 
la  province  de  Bilbao,  comprenait  autrefois  3,280  liilo- 
mètres  carrés.  Elle  était  bornée  au  nord  par  le  golfe  de  Bis- 
caye, à  l'ouest  parla  Vieille  Castille,  au  sud  par  l'Alava  et  h 
l'est  par  le  Guipuzcoa.  Elle  embrasse  les  versants  septen- 
trionaux de  la  chaîne  orientale  des  monts  Cantabres,  acci- 
dentés de  la  manière  la  plus  sauvage ,  s'élevan!  en  terrasses 
couvertes  d'épaisses  forêts,  et  s'avançantsi  près  de  la  mer, 
(pie  souvent  un  étroit  àéMé  seulement  les  en  sépare-  Indé- 
pendamment de  l'ibaizabal,  de  l'Ansa,  de  la  Mundaca,  du 
Salado  et  du  Queytis,  qui  se  jettent  dans  l'Océan,  elle  est  ar- 
rosée par  un  grand  nombre  d'impétueux  torrents,  qui  vien- 
nent des  forêts.  La  température  est  un  peu  humide  et  ce- 
pendant salubre,  à  l'exception  des  gorges  étroites  de  cer- 
taines vallées,  où  il  règne  parfois  une  chaleur  étouffante.  Le 
sol  est  montueux,  peu  fertile,  et  le  blé  qu'on  y  moissonne  ne 
sufiit  pas  au  besoin  des  habitants.  En  revanche,  on  y  re- 
cueille beaucoup  de  maïs,  de  légumes,  de  chanvre  et  de  noix. 
Le  vin  n'y  est  pas  de  garde,  mais  les  fruits  y  sont  excellents. 
Le  cerisier  y  atteint  la  hauteur  de  l'oime.  On  y  élève  beau- 
coup (le  châtaigniers.  Les  pèches  et  les  poires  y  sont  sa- 
Toureuses,  le  cidre  délicieux;  le  pommier  y  semble  être 
dans  son  pays  natal.  Vers  la  côte,  la  température,  adoucie 
par  la  mer,  permet  la  culture  des  orangers  et  des  citronniers. 
Les  montagnes ,  hautes  et  boisées,  sont  couvertes  de  chênes, 
de  hêtres,  de  noyers.  Le  gros  bétail  y  est  moins  abondant 
que  les  moutous  et  les  chèvres.  Près  du  littoral  la  mer  est 
très-poissonneuse.  On  exploite  aussi  en  Biscaye  des  carrières 
(le  marbre,  et  on  tire  des  montagnes  de  Somorostro  et  de 
Mondragon  du  plomb,  du  soufre,  de  l'alun  et  du  fer  de  la 
meilleure  qualité. 

Les  habitants,  au  nombre  de  140,000  environ,  vivent  soit 
sur  les  côtes ,  où  ils  forment  une  population  de  pêcheurs 
infatigables  et  de  matelots  intrépides  ;  soitdans  l'intérieur,  où 
ils  se  livrent  avec  succès  à  l'agriculture,  à  l'exploitiilion  des 
mines,  au  rude  travail  des  hauts  fourneaux,  à  la  confection 
des  cordages,  au  tissage  de  grossières  étoffes  de  laine,  à  la 
préparation  des  cuirs,  qui,  avec  les  fers  bruts,  les  châtaignes 
et  le  cidre,  donnent  lieu  à  un  commerce  très-actif.  Le  chef- 
licu  de  la  provmce  est  Bilbao. 

Tout  est  riant  en  Biscaye.  C'est  le  dernier  asile  de  l'indus- 
trie et  de  la  liberté  espagnoles  ;  les  vallées  sont  cultiv(!es , 
les  coteaux  couverts  de  villages  etde  hameaux.  LesBiscayens 
sont  robustes,  actifs,  gais,  ouverts,  hospitaliers.  Descendants 
des  Cantabres,  ils  ont  conservé  beaucoup  de  traits  caracté- 
risti(iues  de  ce  peuple  brave,  indépendant,  et  ils  parlent  en- 
core sa  langue.  Les  femmes  sont  jolies,  grandes,  bien  faites, 
et  leurs  tresses  de  longs  cheveux  noirs,  leurs  beaux  yeux, 
leur  sourire,  offrent  un  mélange  de  volupté  impossible  à 
décrire. 

La  Biscaye  a  eu  ses  seigneurs  parlitiiliers  depuis  la  lin 


—  BISCUIT 

du  neuvième  siècle  jusqu'en  1479.  Philippe  II  anoblit  tous 
les  Biscayens,  et  leur  octroya  de  nombreux  privilèges.  C'r* 
peuple,  exempt  de  régie  et  d'intendance,  reconnaissait  les 
monarciues  d'Espagne  non  pour  ses  rois,  mais  pour  ses  sei- 
gneurs, et  affecte  encore  d'appeler  ses  communes  respubUcas. 
Chargé  lui-même  de  la  (léfense  de  ses  foyers,  il  ne  tirait 
point  à  la  milice ,  n'était  point  passible  du  logement  d(>s 
troupes,  et  ne  connaissait,  en  vertu  de  Re&fueros,  d'autre  loi 
que  celle  du  grand  juge  de  la  province.  Il  ne  devait  au  roi 
que  ce  qu'il  devait  à  ses  anciens  seigneurs,  et  ne  payait 
d'autre  impôt  que  quelques  cens,  des  droits  sur  le  fer,  la 
dîme  dans  quelques  villages,  et  des  contributions  locales. 
La  puissance  législative  y  était  partagée  entre  le  seigneur 
et  la  junte  des  députés  du  peuple,  qui  se  réunissait  réguliè- 
rement chaque  année,  et  plus  fréquemment,  dans  les  gran- 
des circonstances,  à  l'ombre  du  vieil  arbre  de  Gucrnica. 
Elle  était  élue  par  tous  les  citoyens  a/orados,  à  l'exceptioa 
des  bouchers,  des  crieurs  publics  et  des  étrangers ,  qui  no 
pouvaient  exercer  en  Biscaye  que  les  professions  les  phis 
humbles.  Le  pouvoir  exécutif  était  exercé  par  un  corrégidor 
à  la  nomination  du  seigneur,  et  par  un  conseil  de  deux  (!■  - 
légués  choisis  pour  deux  ans  par  la  junte.  Les  villes  et  les 
bourgs  élisaient  leurs  muuicipalités.  Les  fueros  de  cette 
province  furent  en  grande  partie  la  cause  de  la  vive  répu- 
gnance que  ses  populations  témoignèrent  pour  la  constitu- 
tion unitaire  des  Cortès  de  Madrid ,  et  de  leur  empres- 
sement à  suivre  l'étendard  insurrectionnel  de  don  Car- 
los, ainsi  que  l'origine  des  sanglants  conflits  qui  en  résul- 
tèrent. E.  G.  DE  MONCLAVE. 

BISCOTE  (  de  bis,  deux  fois,  et  coctus,  cuit  ).  Les  b/s- 
coles  sont  des  tranches  de  pain  coupées  très-minces  et  sc- 
ellées au  four.  Elles  constituent  un  aliment  très-bon  pour 
les  enfants  et  les  convalescents.  Pour  les  premiers  surtout, 
elles  sont  recommandées  par  tous  les  médecins,  de  préfé- 
rence aux  potages  farineux,  dont  les  biscotes  n'ont  pas  les 
inconvénients. 

BISCUIT  (  du  latin  6Js,  deux  fois,  et  coctus,  cuit  ),  pA- 
tisserie  délicate  faite  avec  de  la  farine  ou  de  la  fécule  de 
pomme  de  terre,  du  sucre  et  des  œufs  (le  blanc  et  le  jaune  ). 
On  les  fait  cuire  au  four,  dans  des  moules  de  ferblanc  ou 
de  papier.  Il  faut  au  four  une  chaleur  modérée,  et  on  y  laisse 
les  biscuits  vingt  minutes  au  plus.  Ceux  qui  sont  cuits  dans  les 
moules  de  papier  y  restent,  ctse  nomment  biscuits  en  caisse. 
Les  biscuits  dits  à  la  cuiller  se  font  de  8  centim(;tres  de 
long  sur  3  de  large,  se  placent  sur  des  feuilles  de  papier,  se 
cuisent  sur  de  minces  feuilles  de  cuivre,  et  se  détachent  du 
papier  lorsqu'on  veut  les  vendre  ou  les  servir.  Les  biscuits 
(le  Reims  sont  cuits  dans  des  moules  chauds  et  passés  dans 
l'étuve.  Pour  faire  des  biscuits  de  Savoie,  on  prend  de  la 
fine  farine  ou  delà  fécule  de  pomme  de  terre,  du  sucre,  des 
jaunes  d'œufs  bien  frais;  on  fouette  ensuite  le  blanc  des  œufs 
avecun  peu  d'eau,  eton  le  mêle  aux  jaunes.  Si  on  veut  que 
les  biscuits  soient  à  la  lleur  d'orange,  on  r;\pe  sur  le  sucre  les 
zestes  de  deux  oranges,  ou  bien  on  met  de  l'eau  de  fleur  d'o- 
ranger; on  les  lait  à  la  vanille  avec  de  l'essence  de  vanille; 
si  on  veut  qu'ils  soient  aux  amandes  amères  ou  douces,  ou 
aux  avelines,  on  les  torréfie,  les  pile  et  les  môle  aux  jaunes 
d'œufs  et  au  sucre.  On  amalgame  ensuite  la  fécule  ou  la  fa- 
rine avec  les  œufs  et  le  sucre  en  la  laissant  tomber  douce- 
ment et  en  remuant  le  tout  à  mesure  (ju'elle  tombe.  Lors- 
que le  tout  est  bien  amalgamé,  et  qu'il  coule  lisse  de  l'instru- 
ment avec  lequel  on  remue,  on  verse  dans  le  moule,  que 
l'on  beurre  légèrement  :  deux  heures  suffisent  pour  la  cuis- 
son. —  On  fait  aussi  des  biscuits  de  carême  sans  œufs. 

On  fait  habituellement  usage  des  biscuits  pour  Ja  nourri- 
tiu'e  desenfanis  et  des  convalescents,  parce  qu'on  les  regarde 
comme  étant  d'une  digestion  facile;  mais  les  blancs  d'œufs 
battus  qui  entrent  dans  la  composition  de  ces  pâtisseries 
nous  semblent  de  nature  à  combattre  cette  opinion. 

Ou  appelle  encore  biscuit  un  ouvrage  de  porcelaine  qui 


BISCUIT  —  HÏSCUITS  MEDICAMENTEUX 


reçoit  deux  cuissons,  et  qu'on  laisse  dans  son  blanc  mat, 
sans  peinture  ni  couverte. 

BISCUIT  DE  MER.  C'est  le  nom  que  l'on  donne  à 
nne  espèce  de  pain  employé  particulièrement  dans  la  navi- 
gation, à  cause  de  la  facilité  qu'on  a  de  le  conserver  des  an- 
nées entières.  On  le  nomme  biscuit  (  cuit  deux  fois  )  pro- 
bablement parce  qu'il  est  plus  cuit  que  le  pain  ordinaire. 
L'usage  d'un  pain  qui  peut  se  garder  longtemps  sans  altéra- 
tion remonte  bien  haut  dans  l'antiquité  ;  les  Romains  le  con* 
naissaient,  Pline  le  nomme  panis  naiiticus;  mais  il  ne  pa- 
raît pas  qu'ils  le  fissent  cuire  deux  fois.  Il  est  évident  que  la 
première  condition  à  observer  dans  sa  préparation,  c'est 
qu'il  soit  très-dur,  très-sec,  et  mis  sous  une  forme  qui  le 
rende  facile  à  emmagasiner.  Pour  sa  conservation,  il  doit 
être  renfermé  dans  des  endroits  qui  soient  à  l'abri  du  con- 
tact de  l'air  et  surtout  de  l'humidité. 

Le  biscuit  dont  on  se  sert  dans  la  marine  mQitaire  est  fait 
de  farine  de  froment  épurée  à  25  ou  30  pour  100  ;  celui 
qu'on  emploie  dans  la  marine  marchande  est  ordinairement 
plus  délicat,  sans  doute  parce  que  les  armateurs  ont  à  l'é- 
gard des  matelots  plus  de  ménagements  à  garder  que  le  gou- 
vernement. Quatre-vingts  kilogrammes  de  farine  pétrie  dans 
vingt  kilogrammes  d'eau  ne  fournissent,  après  l'évaporation 
produite  par  la  cuisson,  que  133  rations  de  chiquante-six 
décagrammes  chacune,  la  ration  d'un  homme  étant  évaluée 
à  cinquante-six  décagrammes  par  jour.  Aujourd'hui  on  se 
sert  pour  le  biscuit  d'un  levain  plus  jeune  que  pour  le  pain 
ordinaire,  et  on  en  met  une  plus  grande  quantité;  ce  levain, 
d'ailleurs,  doit  être  de  pûte  de  biscuit  :  la  levure  de  bière 
et  tout  autre  levain  semblable  sont  proscrits.  L'eau  des- 
tinée à  le  pétrir  doit  être  bien  chaude  :  c'est  un  moyen  de 
faire  sécher  la  pâte  plus  aisément.  Le  pétrissage  est  très- 
difficile  ,  et  exige  des  boulangers  forts  et  adroits ,  et  quel- 
quefois on  emploie  un  levier  en  bois  pour  briser  la  pâte.  La 
pâte  pétrie  et  ramenée  à  une  consistance  ferme,  ou  la  bille 
avec  des  rouleaux  en  bois;  on  l'aplatit  jusqu'à  n'avoir  plus 
que  trois  à  quatre  centimètres  d'épaisseur  ;  puis  on  la  coupe 
en  galettes  de  dix-huit  décagrammes  environ,  à  l'aide  d'un 
instrument  armé  de  pointes  en  fer,  qui  façonne  le  biscuit  en 
même  temps  qu'il  le  perce  de  plusieurs  trous ,  afin  de  faci- 
liter l'évaporation  de  l'eau  et  d'éviter  les  boursouflements. 
Ces  galettes  sont  jetées  dans  un  four  plus  chaud  que  les 
fours  à  pain  ordinaire,  car  moins  il  y  a  d'eau  dans  une  pâte, 
et  plus  difficilement  elle  cuit.  Après  les  avoir  laissées  envi- 
ron deux  heures,  on  les  en  retire  pour  les  mettre  à  ressuer 
dans  une  étuve  et  achever  de  les  priver  de  toute  humidité  : 
peut-être  est-ce  le  ressuage ,  qu'on  a  pris  pour  une  seconde 
cuisson ,  qui  lui  a  fait  donner  le  nom  de  biscuit.  On  sent 
combien  il  est  important,  pour  le  maintenir  sec,  de  ne  pas 
mettre  de  sel  dans  l'eau  qui  sert  à  le  pétrir. 

Le  biscuit  ainsi  préparé  peut  se  conserver  un  an  et  sou- 
vent davantage  ;  on  reconnaît  qu'il  est  bon  à  sa  cassure  bril- 
lante et  à  son  odeur  suave;  en  vieillissant  il  perd  de  ses 
qualités,  et  se  réduit  en  poussière.  On  l'embarque  ordinai- 
rement dans  des  barriques  ou  des  soutes  enduites  de  goudron 
jiour  le  préserver  de  l'hmnidité  ;  mais  comme  le  goudron  com- 
munique une  certaine  amertume  aux  galettes  avec  lesquelles 
il  est  en  contact,  et  que  d'ailleurs  il  est  très-difficile  d'obtenir 
dans  ces  soutes  une  sécheresse  parfaite ,  on  a  proposé  Tu- 
sage  des  caisses  en  fer,  daris  lesquelles  il  se  conserve  très- 
bien  :  les  Anglais  les  premiers  ont  fait  usage  de  ces  caisses 
quand  ils  destinaient  du  biscuit  à  des  missions  éloignées. 

L'avantage  que  présente  le  biscuit  dans  la  navigation , 
c'est  qu'il  permet  d'embarquer  une  quantité  considérable  de 
pain  sous  un  petit  volume.  Quand  il  est  bon ,  les  matelots 
s'en  accommodent  volontiers  ;  néanmoins,  ainsi  que  les  pains 
azymes  ou  mal  levés,  il  est  d'une  digestion  difficile,  et  fa- 
tigue à  la  longue  l'estomac  :  aussi  est-on  oblige  souvent  de 
substituer  le  pain  frais  au  biscuit  dans  les  rations  des  ma- 
telots malades,  d  surtout  de  ceux  qui  sont  afiectés  du  scorbut  ; 


2-43 

car  cette  maladie ,  qui  attaque  les  gencives ,  ne  laisse  [las 
de  force  aux  dents  pour  broyer  le  biscuit.  Tl  est  évident  que 
ce  n'est  que  l'impossibilité  oii  l'on  se  trouve  à  bord  d'avoir 
toujours  du  pain  frais  qui  a  fait  adopter  l'usage  du  biscuit; 
par  conséquent  on  devra  suspendre  cet  aliment  dès  que  les 
circonstances  permettront  de  donner  du  pain  ordinaire  aux 
matelots.  A  cet  égard  on  a  introduit  de  grandes  améliora- 
tions dans  notre  marine  :  dès  que  nos  navires  arrivent  dans 
un  port,  les  équipages  reçoivent  des  vivres  frais,  et  l'on 
embarque  aujourd'hui  à  bord  de  nos  bâtiments  une  certaine 
quantité  de  farine ,  qui  permet  de  distribuer  aux  matelots 
quatre  rations  de  pain  frais  par  semaine  à  la  mer.  Tout  en 
regrettant  qu'on  ne  puisse  encore  leur  en  donner  davan- 
tage ,  nous  devons  nous  féliciter  d'être  ici  en  avance  sur  les 
Anglais,  dont  les  matelots  ne  mangent  presque  jamais  de 
pain  frais,  et  qui  n'ont  pas  adopté  l'usage  d'embanjuer  des 
fours  à  pain  à  bord  de  leurs  bâtiments. 

A  Portsmouth,  dans  les  magasins  du  gouvernement,  on 
a  remplacé  les  bras  des  hommes  par  la  vapeur  pour  le  pé- 
trissage et  la  manutention  de  la  pâte  destinée  à  faù'e  du  bis- 
cuit. Une  machine  met  en  mouvement  un  pétrisseur  méca- 
nique composé  d'un  cylindie  armé  de  plusieurs  rangs  de 
lames,  lesquelles  opèrent  l'union  de  l'eau  et  de  la  farine;  la 
pâte  qui  en  résulte  est  brisée  par  des  cylindres  qui  roulent 
horizontalement  sur  de  forts  madriers  en  bois ,  et  ou  la  fait 
passer  et  repasser  sous  ces  cylindres  jusqu'à  ce  qu'elle  ait 
atteint  le  degré  d'homogénéité  nécessaire.  La  di\ision  en 
biscuits  se  fait  au  moyen  d'un  réseau  de  petits  moules  à 
bords  tranchants  et  affilés ,  qui  la  coupent  par  un  mécanisme 
fort  simple  et  fort  ingénieux.  Le  biscuit  est  ensuite  mis  au 
four,  et  un  quart  d'heure  suffit  pour  le  cuire;  de  là  il  est 
placé  pendant  trois  jours  dans  un  séchoir  échauffé  à  32°  cen- 
tigrades. 

Le  biscuit  d'Amérique  est  plus  blanc,  plus  affriolant  et 
d'une  pâte  plus  fine  que  le  biscuit  français ,  m.ais  il  se  con- 
serve moins  longtemps.  Nous  ne  dirons  rien  du  biscuit  de 
pommes  de  terre  ;  il  ne  pourrait  être  employé  que  dans  le  cas 
où  il  y  aurait  disette  de  blé.        Th.  Page,  contre-amiral, 

BISCUITS  aiÉDICAMENTEUX.  La  pâle  légère 
des  biscuits,  le  goût  agréable  qu'on  leur  communique  au 
moyen  du  sucre  et  de  différents  aromates,  ont  induit  à 
croire  que  ce  comestible  pourrait  servir  d'euveloppe  sédui- 
sante aux  substances  médicinales  qu'on  a  de  la  peine  à  faire 
prendre  aux  enfants.  Ce  sont  principalement  des  médica- 
ments vermifuges  qu'on  a  voulu  associer  aux  biscuits. 

La  poudre  de  santoline,  semen  contra  vcrmes,  a  sur- 
tout été  mélangée  avec  les  biscuits ,  parce  qu'elle  expulse 
énergiquement  les  vers  des  voies  digestives,  principalement 
les  lombrics,  ceux  dont  la  forme  est  pareille  à  celle  des 
vers  de  terre.  Les  épreuves  qu'on  a  faites  de  cette  prépara- 
tion n'ont  pas  réalisé  les  résultats  qu'onen  espérait.  L'a^ 
mertume  de  la  santoline  n'était  point  assez  masquée  dans  le 
biscuit  pour  que  les  enfants  s'y  trompassent  deux  fois  :  en 
fait  de  goût,  ils  sont  de  grands  docteurs,  et  ils  découvrent 
instinctivement  le  chicotin  dans  la  dragée.  Aussi  toute  la 
rhétorique  des  mères  ou  des  nourrices  ne  peut  les  engager 
à  prendre  ainsi  le  scmen-contra ,  pas  plus  que  dans  le  pain 
d'épice,  où  on  avait  aussi  imaginé  de  l'introduire.  Déplus, 
le  sucre,  employé  à  grandes  doses,  pour  détruire  eu  grande 
partie  l'amertume  des  médicaments ,  en  anéantissait  par  ce 
même  effet  l'efficacité.  Ces  désavantages  ont  fait  à  peu  près 
abandonner  les  biscuits  préparés  avec  la  santoline.  Cepen- 
dant les  biscuits  vermifuges  ont  paru  si  nécessaires  pour  les 
personnes  chargées  d'élever  les  enfants,  qu'on  s'est  ingénié 
à  chercher  d'autres  médicaments  dont  la  saveur  n'altérât 
pas  le  goût  agréable  de  l'appât.  Le  mercure  doux,  autrement 
appelé  calomel,  ayant  tes  propriétés  désirées,  a  été  choisi, 
et  il  sert  à  préparer  les  biscuits  anfi-vermineux  qui  sont 
aujourd'hui  en  usage  :  chacun  contient  à  peu  près  trois  déci- 
grammes  de  calomel. 

31. 


241 

On  a  aasst  imaginé  de  confectionner  des  biscuits  purga- 
tifs, et  toujours  pour  tromper  les  enfants  dans  leur  propre 
intérêt  :  c'est  avec  le  jalap  en  poudre  qu'on  pn'pare  ceux-ci, 
en  incorporant  huit  décigrammes  de  cette  résine  éminem- 
ment purgative  dans  chaque  biscuit. 

On  a  allié  encore  Tart  du  pharmacien  à  celui  du  pâtissier, 
pour  composer  <les  biscuits  propres  à  guérir  les  accidents 
que  le  culte  de  la  Vénus  cloacine  engendre  trop  communé- 
ment, et  dont  plusieurs  enfants  sont  affligés  en  recevant  la 
vie.  C'est  encore  le  mercure  doux  qui  sert  à  préparer  ces 
biscuits  anti-syphilitiques,  inventés  par  M.  Ollivier. 

Si  les  biscuits  qu'on  vient  de  faire  connaître  sont  utiles 
pour  administrer  aux  enfants  des  médicaments  qu'ils  re- 
poussent avec  une  opiniâtreté  d'autant  plus  grande  qu'ils 
sont  beaucoup  plus  dominés  par  l'instinct  dans  l'état  de 
maladie  qu'ils  ne  le  sont  étant  en  santé,  ces  préparations 
sont  reprocliablcs  sous  le  rapport  de  leur  composition  et 
surtout  sous  celui  des  substances  pharmaceutiques  qu'elles 
renferment.  Comme  aliment,  le  biscuit  met  en  jeu  les  or- 
ganes digestifs;  comme  médicament,  il  trouble  leur  action, 
il  rend  ainsi  la  digestion  pénible  :  aussi  les  enfants  témoi- 
gnent-ils très-souvent  du  malaise  après  cette  médication. 
L'expérience  n'est  pas  perdue  pour  eux  ;  l'appât  employé  ne 
les  séduit  pas  longtemps.  Les  médicaments  qu'on  admi- 
nistre sous  cette  enveloppe  exposent  les  enfants  à  des 
dangers  plus  grands.  Le  jalap  est  un  purgatif  qui  irrite  vio- 
lemment les  intestins  ;  le  calomel ,  qui  n'est  appelé  mercure 
doux  que  par  sa  comparaison  avec  d'autres  combinaisons 
mercurielles,  qui  sont  des  poisons  violents,  est  aussi  une  sub- 
stance irritante  et  déterminant  des  coliques  vives ,  comme  on 
en  voit  trop  d'exemples  depuis  qu'on  fait  en  France  un  abus 
déplorable  de  ce  sel,  à  l'imitation  des  Anglais.  Si  les  per- 
sonnes étrangères  aux  connaissances  de  l'anafomie  et  de  la 
physiologie  pouvaient  comprendre  combien  les  organes  de 
la  digestion  sont  impressionnables  chez  les  enfants,  elles  se 
garderaient  bien  de  leur  administier  des  purgatifs  tels  que 
le  jalap  et  même  le  calomel ,  comme  elles  le  font  trop  com- 
munément sans  avis  de  médecin  et  avec  une  détermination 
prise  aussi  légèrement  que  pour  les  moindres  affaires  de  la 
■vie.  Plusieuis  mères  creusent  ainsi  le  tombeau  de  leurs  en- 
fants; car  c'est  dans  les  irritations  de  l'estomac  et  des  intes- 
tins qu'elles  font  habituellement  usage  des  purgatifs  qui  at- 
tisent un  feu  qu'il  faudrait  éteindre.        D'  Charbonnier. 

BISE,  vent  sec,  pénétrant,  qui  règne  dans  le  fort  de 
l'hiver,  et  souille  du  nord-est.  C'est  un  vent  très-dangereux 
sur  la  Méditerranée.  La  bise  suspend  l'action  de  la  sève  dans 
les  plantes ,  sèche  les  fleurs  et  fait  geler  les  vignes. 

BÏSEAU,  extrémité  ou  bord  coupé  en  biais,  en  talus. 
Il  se  dit  surtout  du  bord  des  glaces  de  miroirs,  des  glaces  de 
Toitures,  etc.,  et  du  tranchant  (le  certains  outils;  puis,  par 
extension,  de  certains  outils  dont  le  tranchant  est  en  biseau. 
En  joaillerie,  il  s'emploie  en  parlant  des  principales  faces  qui 
environnent  la  table  d'un  brillant.  —  En  termes  d'impri- 
merie, les  biseaux  sont  des  morceaux  de  bois  entourant  les 
pages  de  caractères,  et  dont  un  côté  est  taillé  en  biais  pour 
recevoir  les  coins  qui  servent  à  serrer  la  forme. 

Eniin,  biseau  se  dit,  dans  une  acception  toute  difOrcntc, 
de  l'endroit  du  pain  où  la  croûte  ne  s'est  point  formée;  ce 
qui  provient  du  contact  et  de  la  réunion  des  pains  dans  le 
four,  partie  que  l'on  appelle  plus  communément  baisure. 

BISEAUTÉES  (Cartes).  C'est  là  un  terme  technique 
dont  se  servent  les  fabricants  de  cartes  et  les  joueurs  pour 
désigner  des  cartes  qui,  par  maladresse  ou  volontairement, 
ont  été  coupées  en  trapèze  au  lieu  de  l'être  en  parallélo- 
gramme parfait.  On  sent  bien  qu'en  coupant  la  carte  avec 
des  ciseaux  ym^i  à  la  boîte  nommée  coupcau,  si  l'ouvrier 
ne  présente  pas  la  carte  bien  perpendiculairement,  elle  se 
trouve  un  peu  plus  étroite  par  un  bout  que  par  l'autre,  ce 
qui  forme  un  angle  ou  biseau.  Cette  maladresse  de  l'ouvrier 
doit  faire  jeter  la  carte  au  rebut;  mais  celte  imperfection  a 


BISCUITS  MÉDICAMENTEUX  —  BISHOP 


donné  des  facilités  à  ceux  qui  font  des  tours  de  cartes  ,  et 
aux  joueurs  de  mauvaise  foi  qui  veulent  frauder  leur  adver- 
saire :  aussi  les  cartes  biseautées  sont-elles  défendues,  et 
occasionneraient  des  punitions  à  ceux  qui  en  vendraient  ou 
seraient  convaincus  d'en  faire  usage  sciemment.  Nous  ter- 
minerons en  disant  que  cependant  les  faiseurs  de  tours  ont 
quelquefois,  des  cartes  biseautées  de  différentes  manières,  afin 
de  reconnaître  dans  un  jeu ,  soit  toutes  les  cartes  d'une  même 
couleur,  soit  toutes  les  figures.  Quand  ils  veulent  recon- 
naître une  seule  carte  dans  un  jeu ,  ils  ne  h  font  pas  bi- 
seauter,  mais  ils  font  changer  sa  dimension;  alors  on  la 
nomme  carte  large  ou  carte  longue.  Il  n'est  pas  besoin  de 
dire  que  ces  différences,  peu  sensibles  à  l'œil  de  tout  le 
monde ,  le  deviennent  pour  celui  qui  a  les  yeux  et  les  doigts 
exercés.  Duchesne  aîné. 

BISELLIAIRE.  On  appelait  ainsi  celui  qin'  avait  le 
droit  de  siéger  sur  le  bisellium,  prérogative  que  les  usages 
de  Rome  accordaient  à  ceux  qui  s'étaient  distingués. 

BISELLIUM,  siège  d'honneur,  à  deux  places,  qui  était 
réservé  à  certaines  personnes  aux  spectacles  et  dans  les  as- 
semblées publiques,  chez  les  Romains.  Le  bisellium  était 
aux  Augustaux ,  dans  les  municipes  et  dans  les  colonies  ,  ce 
qtie  la  chaise  curule  était  à  certains  magistrats  de  Rome. 

BISEURULE  (de  bis,  double ,  et  serrula,  petite  scie, 
par  allusion  aux  fruits  de  cette  plante  qui  ressemblent  à  une 
double  scie).  Ce  genre  de  la  famille  des  papilionacées  ne 
renferme  qu'une  seule  espèce,  le  biserruln pelecinus ,  qui 
croît  au  midi  de  l'Europe  et  en  Orient,  dans  les  lieux  pier- 
reux. C'est  une  plante  herbacée,  annuelle,  à  feuilles  irapari- 
pennées,  et  à  fleurs  bleuâtres  disposées  en  un  épi  ovale. 

BISET,  espèce  de  pigeon  sauvage,  plus  petit  que  le 
ramier,  dont  la  chair  est  plus  noire  que  celle  des  autres 
pigeons,  et  qui  a  été  ain*i  nommé  de  la  couleur  de  son 
pennage,  tirant  sur  la  rouille.  Il  vient  de  la  Flandre  et  des 
pays  septentrionaux,  et  l'automne  est  la  saison  où  il  abonde. 
Le  biset  ne  fait  des  petits  qu'une  fois  l'an.  Il  a  le  bec  entière- 
ment rouge,  de  la  longueur  de  celui  du  pigeon  privé,  et  pointu 
par  le  bout.  Sa  tête ,  son  ventre  et  ses  ailes  sont  cendrés ,  mais 
ses  grandes  pennes  sont  noirâtres  ;  le  sommet  de  la  première 
est  verdâtre  et  mélangé  de  plumes  noires.  Sa  queue,  à  son 
origine ,  est  cendrée ,  et  noire  vers  .ses  extrémités.  Ses  pieds 
sont  rouges ,  raboteux  et  munis  d'ongles  noirs.  Sa  femelle  a 
le  bec  et  les  pieds  d'un  rouge  moins  éclatant.  Le  biset  fend 
l'air  avec  une  grande  vitesse.  On  fait  cas  de  sa  chair,  qui 
est  plus  délicate  et  plus  serrée  que  celle  du  pigeon. 

On  a  aussi  appelé  bisets  les  citoyens  qui ,  par  goût  ou 
par  nécessité,  font  leur  service  de  garde  national  sans  por- 
ter d'uniforme.  L'origine  de  ce  sobriquet  semble  indiquer 
qu'il  a  d'abord  été  appliqué  à  ces  prudents  et  timides  bour- 
geois, coiffés  à  l'oiseau  royal  on  à  ailes  de  pigeon,  qui  ne 
figurent  dans  la  grande  armée  de  l'ordre  public  qu'à  leur 
corps  défendant.  Toujours  de  l'opinion  de  Figaro  :  Qui  sait 
si  cela  durera  trois  semaines?  pour  ne  pas  compromettre 
leur  avenir  ou  leur  bourse  en  cas  de  licenciement  imprévu, 
ils  font  leur  station  au  cori)s-de-garde  en  habit  marron  et 
en  chaussons  de  lisière.  Edme  Hi^;reau. 

Depuis  longtemps  déjà  les  lois  sur  la  garde  nationale 
n'admettent  plus  de  bisets  dans  les  rangs  de  la  milice  ci- 
toyenne. Cependant  on  en  voit  de  temps  à  autres  reparaître. 
Un  charmant  conteur  donnera  d'ailleurs  au  mot  Oizet  une 
autre  origine  de  ce  nom,  dont  l'orthographe  n'est  pas  encore 
fixée. 

BISHOP,  nom  d'une  agréable  boisson  artificielle  qu'à 
l'imitation  des  peuples  du  Nord  on  prépare  au  moyen  dune 
infusion  d'oranges  amères  parfaitement  mûres,  coupées  en 
rond  ou  divisées  par  quartiers,  dans  du  vin  ronge  chaud  ou 
froid  (médoc,  pontac,  bourgogne),  et  à  laquelle  on  ajoute 
du  sucre  et  quelques  épiées.  On  la  boit  chaude  ou  froide. 
Pour  la  préparer  avec  plus  de  promptitude,  on  se  seit  aussi 
d  essejàce  ou  d'extrait  de  bishop  qu'on  obtient  en  faisant 


EISHOP  —  BISMUTH 


245 


mac<?rer  de  Técorce  d'orange  dans  de  Tesprit  de  vin  et  on  y 
ajoutant  des  épices.  La  bonté  du  bishop  dépend  d'ailleurs 
de  la  qualité  du  vin.  Il  faut  aussi  avoir  soin  de  ne  se  servir 
que  de  bons  fruits  et  de  leur  enlever  le  blanc  qui  se  trouve 
entre  la  cliair  et  l'écorce.  Quand  on  emploie  du  vin  blanc , 
la  boisson  en  question  prend  le  nom  de  cardinal  ;  nos  voi- 
sins les  Allemands  distinguent  le  prélat,  ainsi  appelé  quand 
c'est  le  vin  de  Bourgogne  qui  en  est  la  base.  Pris  modéré- 
ment, le  bishop  est  ime  boisson  saine  et  stomachique;  mais 
si  on  en  abuse,  l'huile  volatile  contenue  dans  l'écorce  d'o- 
range provoque  fréquemment  des  céphalalgies.  Quoiqu'il 
n'en  soit  guère  mention  sous  ce  nom  qu'à  dater  du  dix-sep- 
tième siècle,  cette  boisson  était  en  usage  en  Allemagne  dès  le 
moyen  âge,  et  y  avait  été  introduite  de  France  et  d'Italie. 

BISKARA  ,  chef-lieu  des  agglomérations  groupées  dans 
les  oasis  du  Ziban.  Cette  petite  ville  fortifiée,  oîi  les  Turcs 
tenaient  autrefois  garnison,  est  située  à  220  kilomètres  de 
Constantine,  près  du  grand  lac  El-Schott. 

Aussitôt  après  l'occupation  de  Constantine,  toutes  les 
peuplades  de  cette  cx)ntrée  tombèrent  dans  l'anarchie,  et 
l'autorité  qu'avaient  jusque  là  exercée  sur  elles  les  chefs 
investis  par  le  bey  H  adji-Ahrned,  que  nos  armes  venaient 
d'expulser,  leur  fut  disputée  dès  ce  moment  soit  par  des 
chefs  revendiquant  le  pouvoir  au  nom  du  gouvernement 
français,  dont  ils  recherchaient  l'appui ,  soit  par  des  khali- 
fats,  qui  tenaient  leurs  titres  d'Abd-el-Kader. 

Au  mois  de  janvier  1839  le  maréchal  Valée  nomma 
Bou-Aziz-ben-Ghannah  chéik-el-Arab;  mais  les  klialifats  de 
l'émir,  sans  cesse  en  guerre  avec  lui,  combattirent  avec 
aciwrnement  son  influence,  et,  d'accord  avec  les  habitants,  le 
contraignirent  à  abandonner  Biskara,  dont  il  avait  été  maître 
im  instant.  Une  expédition  fut  résolue.  Dans  le  courant  de 
février  l  S44, 2,400  hommes  et  600  chevaux,  quatre  pièces  de 
montagne  et  deux  de  campagne,  se  réunirent  à  Bathna,  sous 
le  commandement  du  duc  d'Aumale ,  et  partirent  pour  Bis- 
kara avec  un  mois  de  vivres.  Des  razzias  vigoureuses  prépa- 
rèrent peu  à  peu  la  soumission  des  tribus  rebelles.  El-Kantara 
nous  accueillit  avec  empressement;  Biskara  fit  de  même  : 
débarrassée  depuis  cinq  jours  du  joug  tj'rannique  de  Moha- 
raed-Seghir,  khalifat  d'Abd  el-Kader,  qui  s'était  enfui  dans 
le  mont  Aurès  avec  ses  réguliers,  cette  ville  nous  ouvrit  ses 
portes  le  4  mars.  Dix  jours  furent  consacrés  à  l'organisation 
du  pays.  Ben-Ghannah  demeura  investi  du  pouvoir.  On  ins- 
titua une  compagnie  de  tirailleurs  indigènes  pour  le  soutenir, 
et  (les  goinns  choisis  parmi  les  tribus  environnantes  com- 
plétèrent cette  organisation  militaire  délensive.  Puis  on 
courut  à  l'attaque  de  3Iehounech ,  où  l'on  prétendait  que 
Mohamed  avait  caché  ses  richesses.  Au  bout  de  quatre  heu- 
res de  combat,  les  trois  petits  fortins  dominant  cette  oasis, 
défendus  par  .3,000  hommes  exaspérés,  furent  escaladés  de 
vive  force,  et  le  village  livré  aux  flammes  avec  ses  magasins. 
L'ennemi  s'enfuit  dans  les  montagnes.  Les  Ouled-Zian  et  les 
Beni-Hamed  vinrent  demander  ïaman ,  en  nous  apprenant 
que  le  khalifat  s'était  réfugié  sur  le  territoire  de  Tunis. 

Rassuré  désormais  sur  la  tranquillité  du  Zlban,  le  duc 
d'Aumale  retourna  à  Bathna,  soudainement  attaquée  par 
Hadji-Ahmed-Bey.  Il  laissait  à  Biskara  une  petite  garnison 
composée  de  quelques  officiers  et  sous-ofiiciers ,  de  cin- 
quante tirailleurs  indigènes  de  Constantine,  destinés  à 
servir  de  noyau  pour  la  formation  d'un  bataillon  sea^blable. 
11  y  avait  avec  les  Français  une  jeune  fille  de  dix-neuf  ans, 
Marianne  Morati ,  dont  le  père  était  sergent  au  2*  de  ligne. 
Le  bataillon  des  tirailleurs  s'accrut  rapidement  des  déserteurs 
de  Mohamed,  de  quelques  réguliers  d'Abd-el-Kader  et  d'un 
certain  nombre  d'Arabes  du  pays,  battus  à  Mehounech.  Le 
marabout  de  Sidi-Okba,  dans  la  famille  duquel  la  charge 
de  chéik  était  héréditaire ,  n'eut  pas  grand'peine  à  nouer 
des  intrigues  avec  des  hommes  qui  lui  avaient  longtenips 
obéi.  Dans  la  nuit  du  12  au  13  mai,  vers  deux  heures  du 
matin,  le  chirurgien  Arcelin  se  réveille  en  sursaut;  il  a  cru 


entendre  des  coups  de  fusil  dans  la  plaine...  Bientôt  quelques 
coups  retentissent  dans  la  casbah  même;  un  grand  tumulte 
se  fait  dans  la  ville.  Il  s'habille  à  la  liàfc.  A  peine  a-t-il  mis 
le  pied  sur  le  seuil  de  sa  porte  qu'un  coup  d'yatagan  l'at- 
teint au  cœur.  Les  conjurés  avaient  ouvert  les  portes  au 
khalifat,  dont  le  premier  mouvement  avait  été  de  se  portera 
la  casbah  pour  égorger  les  officiers.  Le  lieutenant  Petitgaud 
fut  percé  de  coups  de  baïonnette  dans  son  lit,  par  un  an- 
cien zouave  préposé  à  sa  garde  personnelle.  Le  sous-lieu- 
tenant Crochard  fut  surpris  également  dans  son  sommeil,  et 
déchiré  à  coups  de  poignard  par  un  factionnaire.  Le  reste 
des  tirailleurs  de  Constantine ,  fidèle  à  notre  cause,  fut  im- 
pitoyablement massacré.  Le  fourrier  Fischer  avait  reçu  un 
coup  de  baïonnette  dans  l'aine;  il  mourut  après  trois  jours 
de  souffrances  et  de  tortures.  Le  sergent  Pelisse ,  échappé 
seul  au  carnage,  grâce  à  un  burnous  blanc  dont  il  s'était  cou- 
vert et  à  la  facilité  avec  laquelle  il  pariait  l'arabe,  sauta  par- 
dessus les  murailles  de  la  casbah,  et  s'enfuit  à  Touaigha, 
d'oïl  il  fit  passer  l'affreuse  nouvelle  du  désastre  à  Bathna. 

Pendant  que  le  duc  d'Aumale  préparait  de  terribles  repré- 
sailles aux  traîtres  de  Biskara,  une  scène  horrible  se  passait 
dans  la  mosquée  de  cette  ville ,  où  ."Marianne  Morati ,  qui  y 
avait  été  traînée  avec  les  trois  cadavres  de  nos  officiers  as- 
sassinés, s'était  vue  condamnée  pendant  une  heure ,  presque 
sur  leurs  corps,  à  subir  l'ignoble  brutalité  des  vainqueurs. 

Le  16  mai,  le  drame  changea  d'acteurs;  nos  chasseurs 
chargèrent  dès  le  matin  dans  la  vifle  ;  le  sergent  Pelisse , 
avec  une  avant-garde  de  volontaires ,  reprit  la  citadelle ,  et 
s'y  vengea  cruellement  sur  tous  les  Arabes  qu'il  rencontra. 
Le  pillage  fut  permis  pendant  deux  jours;  vingt  prisonniers 
furent  fusillés;  un  grand  nombre  d'habitants  fut  incarcéré. 
Sidi-Okba,  où  le  marabout  Mohamed  s'était  caché,  fut  pris, 
pillé ,  incendié  et  rasé.  La  casbah  ,  restaurée  et  fortifiée , 
reçut  une  garnison  de  400  zéphyrs  du  3*^  bataillon  d'Afrique, 
et  depuis  cette  punition  exemplaire ,  l'autorité  de  la  France 
à  Biskara  n'a  pas  été  un  seul  instant  méconnue. 

BISMUTH.  Ce  métal,  qui  est  employé  dans  plusieurs 
arts,  et  qui  entre  principalement  dans  la  composition  des 
caractères  d'imprimerie,  est  d'un  blanc  argentin ,  à  peu  près 
aussi  fusible  que  l'étain,  et  d'une  pesanteur  spécifique 
(  0,82  )  un  peu  moindre  que  celle  de  l'argent.  Quoiqu'il  soit 
très-oxydable,  on  le  trouve  natif  dans  quelques  mines  en 
Bohème,  en  Saxe,  en  Suède  et  dans  la  Transylvanie;  il  se 
rencontre  dans  les  filons  arsénifères,  argentifères  et  cobal- 
tifères  à  Bieber,  dans  le  Hanau;  à  "NVittichen,  en  Souabe; 
à  Joachimsthal ,  en  Bohême;  à  Schnéeberg,  en  Saxe;  à 
Bispberg  et  à  Bastnaës ,  en  Suède.  On  en  trouve  aussi  des 
traces  dans  la  raine  de  plomb  de  Poullaouen ,  en  Bretagne , 
et  dans  la  vallée  d'Ossau  (Pyrénées).  Mais  les  mines  les 
})!us  abondantes  sont  celles  de  bismuth  sul/tiré  (  bismu- 
thine,  Beudant),  où  ce  métal  est  quelquefois  allié  au  cuivre, 
au  plomb  et  même  à  l'argent.  En  Sibérie ,  les  mines  d'or 
contiennent  ordinairement  du  minerai  de  bismuth  sulfuré , 
avec  un  alliage  quadruple  de  plomb,  de  cuivre,  de  nickel 
et  de  tellure.  Quant  au  bismuth  oxydé,  il  est  très-rare  ; 
on  ne  l'a  trouvé  jusqu'à  présent  que  disséminé ,  quelque- 
fois en  couches  ou  en  masse.  Ainsi,  le  bismuth  répandu  dans 
le  commerce  provient  presque  en  entier  des  sulfures  de 
ce  métal.  11  existe  cependant  encore  trois  espèces  minéra- 
iogiques  du  genre  bismuth ,  savoir  :  le  bismuth  tellure , 
qui  n'est  autre  chose  qu'un  sulfo-tellurure  de  bismuth  avec, 
traces  de  sélénium,  et  qui  se  trouve  principalement  dans  un 
conglomérat  trachytique,  près  de  Schemnitz,  en  Hongrie; 
le  bismuth  carbonate,  dont  l'analyse  laisse  beaucoup  à 
désirer;  et  le  bismuth  silicate  phosphorifère,  qu'on  ne 
rencontre  jusqu'ici  qu'à  Schnéeberg. 

Le  bismuth  est  tellement  oxydable,  qu'il  perd  très-promp- 
tenient  son  éclat  métallique  lorsqu'il  est  exposé  à  l'air.  Tous 
les  acides  le  réduisent  plus  ou  moins  promplement  à  l'état 
d'oxyde;  100  parties  de  métal  absorbent  22  parties  d'oxy- 


248 


BISMUTH  —  BISSEN 


gène.  L'oxyde  de  bismuth  est  volatilisé  à  une  haute  tempéra- 
ture. De  quelque  manière  (lu'on  l'ait  obtenu,  il  est  «l'un 
beau  blanc ,  et  a  mérité  le  nom  de  blanc  de  fard,  quoiq-.'.e 
l'antimoine  puisse  le  lui  disputer  à  tous  éganls,  et  surtout 
en  faisant  valoir  les  droits  d'une  très-ancienne  possession. 
On  sait,  en  effet ,  que  l'une  des  femmes  de  Job,  après  l'é- 
preuve à  laquelle  ce  serviteur  de  Dieu  fut  soumis,  portait 
un  nom  que  l'on  a  traduit  en  latin  de  la  Bible  par  celui  de 
cornu  stibil. 

Le  bismuth  est  le  plus  dur  des  métaux  après  le  tungstène, 
le  fer,  le  manganèse,  le  titane,  le  nickel  et  le  platine. 
11  augmente  la  dureté  des  métaux  auxquels  il  s'allie,  tels 
que  l'étain ,  qu'il  rend  en  môme  temps  plus  sonore  ;  le 
plomb,  qui  devient  plus  solide  et  plus  tenace  par  l'addi- 
tion d'une  petite  dose  dr;  bismuth  ;  le  cuivre,  qui  est  déco- 
loré et  rendu  cassant.  Il  entre  dans  la  composition  de  la  plu- 
part des  alliages  fusibles. 

L'oxyde  de  bismuth  donne  une  couleur  jaunâtre  aux 
verres  dans  lesquels  on  le  fait  entrer.  Comme  cet  oxyde  est 
très-fusible,  et  vitrifie  aisément  ceux  des  autres  métaux 
oxydables ,  on  regarde  le  bismutii  comme  plus  propre  que  le 
plomb  à  opérer  la  séparation  de  l'étain  dans  la  coupellation. 
L'antimoine  et  le  bismuth  sont  encore  en  rivahlé  pour  la 
composition  des  caractères.  Le  premier  de  ces  deux  mé- 
taux eut  longtemps  la  possession  exclusive  de  cet  emploi , 
comme  de  servir  à  la  toilette  des  femmes  qui  ne  se  con- 
tentent pas  de  la  blancheur  naturelle  de  leur  visage.  Il  est 
probable  que  le  bismuth  finira  par  l'emporter,  parce  que 
ses  mines  sont  plus  abondantes ,  qu'il  n'est  propre  qu'à 
l'art  du  fondeur,  au  lieu  que  l'antimoine  peut  être  réservé 
pour  plusieurs  autres  destinations.  Ferry. 

BISMUTH  (  Blanc  de).  Voyez  Blanc  de  bismlth. 
BISON,  nom  que  les  auteurs  latins  donnaient  à  une 
espèce  de  bœuf  sauvage  qui  nous  paraît  être  Vaurochs. 
Voyez  Boeuf. 

Le  bison  cV Amérique  {buf/alo  des  Anglo-Américains; 
bos  bison,  Linné  ;  bos  americamis,  Gmelin)  a  la  tête  os- 
seuse, très-semblable  à  celle  de  l'aurochs  et  couverte  de 
même ,  ainsi  que  le  cou  et  les  épaules ,  d'une  laine  crépue, 
(pii  devient  fort  longue  en  iiiver;  mais  ses  jambes  et  sur- 
tout sa  queue  sont  plus  courtes.  11  habite  dans  toutes  les 
parties  tempérées  de  l'Amérique  septentrionale,  et  produit 
avec  nos  vaches.  G.  Cuvieiî. 

Le  bison  porte  basses  ses  cornes  noires  et  courtes  ;  il  a 
une  longue  barbe  de  crin  ;  un  toupet  pareil  peiid  éche- 
velé  entre  ses  deux  cornes  jusque  sur  ses  yeux;  son  poi- 
trail est  large,  sa  croupe  effilée,  sa  queue  épaisse  et  courte  ; 
ses  jambes  sont  grosses  et  tournées  en  dehors  ;  une  bosse 
(cette  bosse,  qui  n'est  formée  que  d'une  masse  graisseuse, 
comme  celle  du  zébu,  varie  en  grosseur  dans  les  dif- 
férents individus  selon  leur  embonpoint)  d'un  poil  rous- 
sàtre  et  long  .s'élève  sur  ses  épaules;  le  reste  de  .son  corps 
est  couvert  d'uneliiinenoire,  que  les  Indiennes  filent  poiiren 
faire  des  sacs  à  blé  et  des  couvertures.  Cet  animal  a  l'air 
féroce,  et  il  est  fort  doux.  11  y  a  des  variétés  dans  les  bisons, 
ou,  si  l'on  veut,  dans  les  buffaloes,  mot  espagnol  anglicisé. 
Les  plus  grands  sont  ceux  que  l'on  rencontre  entre  le  Mis- 
souri et  le  Mississipi.  Dans  cette  espèce,  le  nombre  des  fe- 
melles surpasse  de  beaucoup  celui  des  mâles.  Le  taureau 
fait  sa  cour  à  la  génisse  en  galopant  en  rond  autour  d'elle. 
Immobile  au  milieu  du  cercle,  elle  mugit  doucement.  Les 
sauvages  imitent ,  dans  leurs  jeux  propitiatoires,  ce  manège, 
qu'ils  appellent  la  danse  du  bison. 

Le  bison  a  des  temps  irréguliers  de  migration  :  on  ne 
sait  trop  où  il  va;  mais  il  paraît  qu'il  remonte  beaucoup  au 
nord  en  été,  puisqu'on  le  retrouve  aux  bords  du  lac  de  l'Es- 
clave ,  et  qu'on  l'a  rencontré  jusque  dans  les  îles  de  la  mer 
Polaire.  Peut-être  aussi  gagne-t-il  les  vallées  des  monta- 
gnes Rocheuses  à  l'ouest  et  les  plaines  du  Nouveau-Mexi- 
que au  midi.  Les  bisons  sont  si  nombreux  dans  les  steppes 


verdoyants  du  Missouri  que  quand  ils  émigrent  leur  troupe 
met  quelquefois  plusieurs  jours  à  défiler  conune  une  immense 
armée  :  on  entend  leur  marche  à  plusieurs  milles  de  dis- 
tance, et  l'on  sent  trembler  la  terre.  Les  Indiens  tannent 
supérieurement  la  peau  du  bison  avec  l'écorce  du  bouleau  , 
l'os  de  l'épaule  de  la  bête  tuée  leur  sert  de  grattoir.  La 
viande  du  bison ,  coupée  en  tranches  larges  et  minces ,  sé- 
chée  au  soleil  ou  à  la  fumée,  est  très-savoureuse;  elle  se 
conserve  plusieurs  années  comme  du  jambon  ;  les  bosses  • 
et  les  langues  des  vaches  sont  les  parties  les  plus  friandes  à 
manger  fraîches.  La  fiente  du  bison  brûlée  donne  une  braise 
ardente;  elle  est  d'une  grande  ressource  dans  les  savanes, 
où  l'on  manque  de  bois.  Cet  utile  animal  fournit  à  la  fois 
les  aliments  et  le  feu  du  festin.  Les  Sioux  trouvent  dans  sa 
dépouille  la  couche  et  le  vêtement.  Le  bison  et  le  sauvage, 
placés  sur  le  môme  sol ,  sont  le  taureau  et  l'homme  dans 
l'état  de  nature  :  ils  ont  l'air  de  n'attendre  tous  les  deux 
qu'un  sillon,  J'un  pour  devenir  domestique,  l'autre  pour  se 
civiliser.  Cn\TE\L'BRiANn. 

BISOUTOUIV,  BÉHISTUN,  ou  encore  BIHSUTUN  , 
nom  d'une  montagne  du  Kourdistan  persan ,  aux  environs 
de  Kirmanschah,  à  trois  journées  de  marche  du  mont  Zagros, 
et  particulièrement  célèbre  par  l'inscription  en  caractères 
cunéiformes  que  le  roi  de  Perse  Darius  P""  fit  sculpter  sur  l'un 
de  ses  côtés  qui  s'élève  perpendiculairement  à  1700  pieds 
de  hauteur.  Il  y  rappelle  avec  des  termes  pleins  de  gratitude 
pour  Dieu  les  victoires  qu'il  a  remportées  dans  dix-neuf  ba- 
tailles livrées  contre  des  rebelles  dans  diverses  provinces  de 
son  empire.  Cette  montagne  est  célèbre  depuis  bien  long- 
temps. Diodore  en  fait  mention  sous  le  nom  de  BayîffTavov , 
mot  qui  dans  l'ancienne  langue  des  Perses  voulait  dire  séjour 
des  dieux ,  de  même  que  de  la  tradition  encore  aujourd'hui 
existante  suivant  laquelle  les  ouvrages  de  sculpture  qu'on  y 
voitseraientl'œuvredela  reine  Sémiramis.  Une  tradition  perse 
plus  récente  les  attribue  au  siècle  postérieur  des  Sassanides , 
de  la  première  période  desquels  datent  effectivement  les  ins- 
criptions de  Tah-i-Rostdn  et  de  Tacht-i-Rustem  qui  s'y 
trouvent.  Mais  le  monument  historique  le  plus  important 
de  rindo-Perse  est  toujours  ce  grand  relief  représentant  une 
figure  mythologique ,  un  roi  avec  deux  grands  et  neuf  cap- 
tifs,demême  que  les  seize  inscriptions  cunéiformes  achx'mé- 
nides  de  première  espèce  (l'inscriptton  dite  des  mille  lignes  ) 
qui  en  dépend,  avec  leurs  traductions  si  compliquées.  C'est 
le  major  anglais  Rawlinson  qui  a  eu  le  mérite  de  découvrir 
ce  monument  et  de  prouver  qu'il  provenait  du  grand  roi 
perse  Darius.  Consultez  Benfey ,  Viiiscription  cunéiforme 
persane  (Leipzig,  1847). 

BÎSQUE,  terme  de  jeu  de  paume,  qui  sert  à  expri- 
mer l'avantage  qu'un  joueur  fait  à  un  autre  en  lui  donnant 
un  quinze,  que  celui-ci  peut  prendre  dans  le  cours  de  la 
partie ,  quand  il  le  juge  à  propos. 

On  nomme  aussi  bisque  une  sorte  de  potage  ou  coulis 
fait  d'écrevisses  et  de  divers  ingrédients. 
BISSAC.  Voijez  Besace. 

BISSE,  nom  que  l'art  héraldique  'donne  au  serpent. 
Voyez  Meubles. 

BISSEIV  (Wilhelm),  célèbre  sculpteur  danois  contem- 
porain, est  né  en  1798,  à  Gilding,  près  de  Schleswig,  et  se 
forma  dans  la  pratique  de  son  art  sous  la  direction  de  son 
illustre  compatriote  Thorwaldsen  pendant  un  séjour  de 
dix  années  à  Rome.  A  son  retour  dans  sa  patrie,  il  exécuta 
d'abord  les  quatre  anges  qui  décorent  la  chapelle  du  château 
de  Christiansborg  à  Copenhague ,  et  un  grand  nombre  de 
bustes  remarquables,  entre  autres  celui  d' Π r  s  t  e  d  ;  deux  sta- 
tues, le  Chasseur  Ccphale  &i\xxi&  Atalante  à  la  chasse,  qu'il 
avait  déjà  commencés  à  Rome,  et  qui  appartiennent  aujour- 
d'hui à  M.  Baur,  négociant  à  Allona.  En  1841  cet  artiste 
se  rendit  pour  la  seconde  fois  à  Rome ,  à  l'effet  d'y  exécuter 
dix-huit  figures  de  grandeur  surnaturelle  que  lui  avait 
commandées  son  gouvernement.  Indépendamment  des  es- 


BISSEN  —  BITAURÉ 


quisses  de  ces  figures,  il  y  fit  aussi  une  Vénus ,  et  son  plus 
cliarniant  ouvrage,  l'Amour  aiguisant  son  trait.  A  son 
retour  à  Copenhague  on  le  chargea  de  la  sculpture  d'une 
(rise  longue  de  plusieurs  centaines  de  pieds  pour  la  grande 
salle  du  château ,  et  qui  doit  représenter  le  développement 
du  genre  humain  d'après  la  mythologie  grecque.  Outre  cette 
grande  composition,  M.  Bissen  a  fait  encore  une  statue 
à' Apollon  (  propriété  de  M.  Vernus  du  Fay,  à  Francfort), 
le  modèle  d'une  statue  de  Minerve  pour  la  grande  salle  de 
l'université  à  Copenhague,  et  divers  autres  ouvrages.  Dans 
son  testament  Thorwaldsen  le  désigna  pour  terminer  les 
travaux  qu'il  laissait  inachevés  et  pour  être  chargé  de  la  di- 
rection artistique  de  son  musée.  La  Société  des  Amis  des 
Arts  de  Copenhague  a  commandé  une  statue  de  Tycho- 
Brahe  à  cet  artiste,  qui  depuis  le  mois  d'avril  1850  est  prési- 
dent de  l'Académie  des  Beaux-Arts  de  Copenhague.  —  Son 
frère,  fixé  depuis  longues  années  en  France,  et  chef  de 
l'une  des  maisons  d'horlogerie  les  plus  importantes  de  la 
capitale ,  est  bien  connu  des  amateurs  par  les  belles  collec- 
tions de  fleurs  et  d'oiseaux  exotiques  qu'il  a  réunies  dans  la 
charmante  villa  qu'il  possède  aux  portes  de  Paris. 

BISSEXTILE  (Année).  Voyez  Année,  tom.  I",  p.  625. 

BISSOIV  (Henri),  jeune  officier  de  marine  célèbre  par 
son  dévouement  et  sa  mort  héroïque,  était  né  en  1796,  à 
Guéraénée  (  Morbihan  ).  Entré  dans  la  marine  royale  en  1815, 
en  qualité  d'élève,  il  se  trouvait  en  1827,  avec  le  grade  d'en- 
seigne de  vaisseau,  à  bord  de  la  flotte  française  chargée  de 
surveiller  les  mers  du  Levant,  infestées  alors  par  des  pi- 
rates que  tolérait  le  nouveau  gouvernement  établi  à  Égine, 
à  la  suite  de  l'insurrection  des  Grecs  contre  le  sultan  Mah- 
moud. Les  réclamations  adressées  au  gouvernement  provi- 
soire d'Égine  contre  l'existence  de  ces  pirates,  qui  ne  ran- 
çonnaient pas  seulement  les  vaisseaux  turcs ,  étant  demeu- 
rées sans  résultat,  l'amiral  français  résolut  de  donner  lui- 
même  la  chasse  à  ces  pirates.  C'est  à  la  suite  d'une  de  ces 
expéditions  que  fut  capturé  par  la  frégate  la  Lamproie, 
sur  les  côtes  de  la  Syrie,  le  brick  grec  le  Panaijotis,  dont 
Bisson  fut  nommé  commandant  avec  un  équipage  composé 
de  quinze  Français  et  de  six  matelots  grecs  faits  prisonniers 
à  bord  de  ce  même  brick.  Bisson  reçut  l'ordre  de  diriger 
cette  prise  sur  Smyrne,  où  se  rendait  la  Magicienne,  fré- 
gate avec  laquelle  il  devait  naviguer  de  conserve.  Un  coup 
de  vent  sépara  les  deux  bâtiments  dans  la  nuit  du  4  no- 
vembre 1827,  et  força  le  Panayotis  d'aller  chercher  un  abri 
sous  les  rochers  de  l'de  de  Stampalie.  A  peine  l'ancre  eut- 
elle  été  jetée  que  deux  des  pirates  prisonniers  se  sauvèrent 
à  la  nage  et  gagnèrent  la  terre.  Bisson  ne  douta  pas  dès 
lors  qu'ils  ne  revinssent  bientôt  avec  un  grand  nombre  des 
leurs  pour  profiter  d'une  circonstance  si  favorable  et  re- 
prendre le  navire  confié  à  sa  garde.  Aussi  fit-il  promettre  à 
son  lieutenant,  le  pilote  Trémentin,  que  si  leur  vaisseau 
venait  à  être  attaqué,  dans  la  situation  critique  où  il  se 
trouvait,  par  des  forces  supérieures,  celui  des  deux  qui  sur- 
Aivrait  ferait  sauter  le  Panayotis,  plutôt  que  de  le  laisser 
tomber  aux  mains  des  pirates. 

L'intrépide  Bisson  avait  deviné  juste.  A  dix  heures  du 
soir,  deux  grands  misticks  attaquent  avec  furie  le  brick  ; 
il  est  abordé  par  l'avant;  quinze  hommes  luttent  avec  une 
admirable  intrépidité  contre  cent  trente  ;  le  nombre  seul 
peut  l'emporter  :  neuf  Français  tombent;  le  pont  est  en- 
vahi. Bisson,  blessé,  couvert  de  sang,  s'échappe  de  la  mê- 
lée; il  n'a  que  le  temps  de  dire  à  ses  amis  :  Sauvez-vous , 
jetez-vous  àlamer!  Puis  se  tournant  vers  Trémentin,  il 
ajoute  :  Adieu,  pilote,  voilà  le  moment  d'en  finir.  Aus- 
sitôt Bisson  se  précipite  dans  la  chambre  où  d'avance  il 
avait  tout  disposé  ;  il  prend  la  mèche,  il  met  le  feu  aux  pou- 
dres :  le  navire  saule,  le  sacrifice  de  l'honneur  et  du  pa- 
triotisme est  consommé;  un  noble  cœur  a  eessé  de  battre, 
et  la  France  compte  un  héros  de  plus.  Le  gouvernement 
accorda  une  pension  de  quinze  cents  lianes  à  la  sœur  de 


247 

Bisson.  Le  pilote  Trémentin,  qui  avait  été  assez  heureux 
pour  gagner  le  rivage  à  la  nage  avec  quatre  matelots  fran- 
çais, fut  récompensé  par  le  grade  d'enseigne  et  par  la  croix 
de  la  Légion  d'Honneur.  Un  monument  a  été  élevé  à  Lorient 
pour  perpétuer  le  souvenir  de  cette  action  éclatante. 

BISSUS.  Voyez  Bysscs. 

BISTIV  AOUS,  secte  de  Banians,  qui  croient  en  un  Dieu 
unique  et  marié,  qui  vivent  de  légumes  et  de  laitage,  et  dont 
les  femmes  jouissent  de  l'heureux  privilège  de  ne  pas  être 
obligées  de  se  brûler  sur  le  corps  de  leur  mari. 

BISTORTE,espèce  de  renouée,  ainsi  nommée  parce 
que  ses  racines  sont  tortues  et  repliées  en  forme  d'S. 

BISTOURI ,  instrument  de  chirurgie  qui  sert  à  couper 
et  à  faire  des  incisions  dans  les  chairs.  Selon  Huet,  son  nom 
viendrait  de  celui  de  la  ville  de  Pistoie  ou  Pistori,  renommée 
autrefois  pour  la  fabrication  des  instruments  de  chirurgie.  Le 
bistouri  a  ordinairement  la  forme  d'un  petit  couteau,  composé 
d'une  lame  et  d'un  manche  ou  châsse.  La  lame ,  qui  est  le 
plus  souvent  mobile  sur  le  manche,  peut  être  assujettie 
par  un  bouton ,  un  ressort ,  un  anneau  coulant  ou  tout  autre 
moyen ,  et  quand  elle  est  fixée  sur  le  manche ,  elle  donne 
au  bistouri  le  nom  de  bistouri  à  lame  fixe  ou  dormante. 
Les  dimensions,  la  forme  et  les  usages  du  bistouri  sont  fort 
variables;  il  y  en  a  de  grands,  de  moyens,  de  petits,  de 
plats ,  de  courbes ,  qu'on  emploie  suivant  les  cas. 
♦  BISTOURNAGE ,  sorte  de  castration  usitée  à  l'é- 
gard des  anmiaux.  Cette  opération  consiste  à  serrer  et 
tordre  les  vaisseaux  qui  aboutissent  aux  testicules ,  de  ma- 
nière que  ces  vaisseaux  se  déchirent  ou  se  bouchent  au  point 
qu'il  n'y  passe  plus  d'humeur  prolifique.  Par  le  bistoïtr- 
nage  les  animaux  sont  à  la  vérité  plus  vigoureux  que  ceux 
que  l'on  châtre;  mais  ils  sont  moins  dociles,  moins  tran- 
quilles ;  ils  de\iennent  moins  gros  et  moins  gras,  et  leur  chair 
est  moins  délicate. 

BISTRE ,  couleur  d'un  brun  roussâtre,  que  l'on  tire  or- 
dinairement de  la  suie  broyée  et  dissoute  dans  le  vinaigre 
puis  mélangée  avec  de  l'eau  gommée.  On  en  faisait  autrefois 
beaucoup  usage.  Les  peintres  s'en  servaient  habituelle- 
ment pour  faire  leurs  croquis,  et  les  architectes  leurs  des- 
sins; mais  le  bistre  a  été  remplacé  depuis  plusieurs  an- 
nées par  la  sépia,  dont  la  couleur  un  peu  rougeâtre  est 
plus  agréable,  et  l'emploi  plus  facile.  Lorsque  l'on  commença 
à  faire  usage  de  la  gravure  au  lavis,  ou  à  Vaqua-tinta,  on 
imprima  souvent  les  planches  avec  une  encre  bistrée,  pour 
leur  donner  davantage  l'apparence  d'un  dessin  ;  c'est  ainsi 
que  furent  publiés  les  croquis  de  Le  Prince  sur  la  Russie,  et 
le  Voyage  de  Houel  en  Sicile. 

BISULCE  ou  BISULQUE  (  de  Us  et  de  sulciis,  fente), 
nom  collectif  de  tous  les  mammifères  ruminants  à  pied  four- 
chu ,  tels  que  les  cerfs ,  les  bœufs ,  les  moutons ,  etc.  Les 
Hébreux  n'osaient  manger  que  des  animaux  bisulques;  les 
Russes ,  au  contraire,  ont  été  fort  longtemps  avant  de  per- 
mettre qu'on  servit  sur  leurs  tables  ces  animaux ,  qui  leur 
paraissaient,  par  la  conformation  de  leurs  pieds,  être  un  pro- 
duit de  l'enfer. 

BITAUBÉ  (Paul-Jérémie),  né  à  Kœnigsberg,  en  1732, 
d'une  famille  de  protestants  que  les  persécutions  de  LouisXIII 
avaient  forcée  de  fuirleBéarn,  sa  patrie,  s'annonça  dans  le 
monde  littéraire  par  une  traduction  française  de  V Iliade  et  de 
VOdyssée.  Il  futreçu  membre  de  l'Académie  de  Berlin,  fondée 
par  Frédéric;  ce  prince  l'avait  admis  dans  son  intimité,  et 
lui  avait  assuré  une  existence  honorable  et  indépendante. 
Sa  mort  priva,  en  1786 ,  les  savants  et  les  artistes  de  leur 
puissant  et  unique  appui.  Bitaubé  vint  alors  se  fixer  à  Paris. 
11  publia  successivement  son  Examen  de  la  Profession  de 
foi  du  Vicaire  savoyard  de  J.-J.  Rousseau,  son  Traité  de 
l'influence  des  lettres  sur  la  philosophie,  etc. 

Bitaubé  fut  le  créateur  et  le  modèle  d'un  nouveau  genre 
littéraire,  aujourd'hui  oublié,  dans  lequel  il  s'efforçait  d'unir 
jusqu'à  un  certain  point  h  la  vérité  historique  le  charme  et 


24S 

l'intérêt  de  la  poésie  épique.  11  intitula  son  Joseph,  poëtne,  et 
le  divisa  enncnf  ciiants.  Ce  premier  ouvrage  réussit  complè- 
tement. En  1790  parut  Guillaume  de  Tfassau,  ou  les  Ba- 
taves,m  dix  chants.  C'est  le  tableau  animé  du  grand  drame 
politique  de  la  première  révolution  de  Hollande.  Le  succès 
ne  fut  pas  douteux,  il  surpassa  les  espérances  de  l'auteur,  et 
lui  assura  une  place  distinguée  parmi  les  écrivains  de  l'é- 
poque. Il  lui  eût  été  facile  d'obtenir  de  grands  emplois; 
ses  relations  avec  les  hommes  les  plus  distingués  par  leurs 
talents  et  les  plus  influents  par  leur  position  politique  lui 
permettaient  de  prétendre  à  tout.  l\Iais  il  n'avait  qu'une  am- 
bition ,  celle  d'être  utile  ;  ses  vœux  étaient  pour  le  triomplie 
de  la  révolution.  Il  fournit  d'excellents  articles  à  plusieurs 
journaux,  notamment  au  Patriote  françcns,  dirigé  par  Cris- 
sot.  Tolérant  par  caractère  et  par  principes ,  il  voyait  le 
succès  de  sa  cause  dans  la  marche  progressive  de  la  civili- 
sation. Il  ne  comprenait  point  de  liberté  durable  pour  un 
peuple  sans  instruction,  et  ses  vœux  comme  ses  efforts 
étaient  d'arriver  à  une  régéuération  politique  et  morale  par 
les  bienfaits  d'une  éducation  vraiment  nationale. 

Bilaubé  ne  se  plaisait  qu'au  milieu  de  ses  livres  et  de  sa 
famille  ;  on  ne  le  rencontrait  que  dans  la  réunion  de  queUjues 
amis.  Il  fréquentait  régulièrement  la  maison  de  Julie,  pre- 
mière femme  de  ïalma.  li  parlait  peu,  mais  toujours 
bien ,  et  je  l'ai  aperçu  souvent  entre  Jlirabeau  et  Chéuier, 
les  étonnant  tous  deux  par  la  justesse  et  l'élévation  de  ses 
pensées.  Les  députés  de  la  Législative,  devenus  plus  tard 
les  chefs  de  la  Gironde,  étaient  liés  avec  Bitaubé;  ils  se 
donnaient  souvent  rendez-vous  dans  le  joli  pavillon  de 
Talma  et  dans  les  salons ,  non  moins  modestes ,  de  madame 
Roland.  Bitaubé  et  sa  famille  n'avaient  d'autres  revenus 
que  ceux  de  ses  biens  en  Prusse,  et  ses  pensions  comuie 
académicien  de  Berlin.  Aussi,  dès  que  la  guerre  eut  éclaté 
entre  la  Prusse  et  la  France,  ses  biens  furent-ils  séques- 
trés, et  ses  pensions  supprimées.  Tous  ses  ouvrages  publiés 
en  France  avaient  réussi  ;  mais  alors  un  succès  littéraire 
n'était  pas  un  succès  de  fortune.  Dans  une  circonstance 
grave,  son  libraire,  M.  Lami,  se  montra  plus  que  généreux  ; 
il  ne  se  borna  pas  à  pom'voir  à  ses  besoins ,  il  ne  recula  de- 
vant aucun  péril  pour  acquitter  la  dette  de  la  reconnaissance 
et  de  l'amitié. 

La  Convention  dès  les  premiers  jours  s'était  divisée  en 
deux  partis  très-prononcés.  Les  girondins  ou  fédéralistes 
seniblèrent  d'abord  dédaigner  leurs  adversaires.  Leur  imi)ré- 
voyance  leur  cofila  la  vie.  Malheur  à  qui  avait  eu  des  rela- 
tions avec  eux  !  Un  ami  offrit  aux  époux  Bilaubé  un  asile  à 
Saint-Germain  ;  ils  acceptèrent,  et  y  passèrent  toute  la  belle 
saison.  Mais  un  comité  révolutionnaire  s'y  établit,  et  dès  lors 
Bitaubé  et  sa  femnie  durent  revenir  à  Paris.  Un  mois  après 
ils  furent  arrêtés  et  conduits  au  Luxembourg;  ils  étaient 
aimés,  respectés  de  tous  leurs  voisins  :  leur  section  adressa 
plusieurs  pétitions  en  leur  faveur  ;  elles  restèrent  sans  réponse. 
On  envoya  alors  aux  comités  de  salut  public  et  de  sûreté  gé- 
nérale plusieurs  députations.  La  liberté  de  Bitaubé  et  de  sa 
femme  leur  fut  promise;  mais  une  main  invi^ible  s'opposait 
à  leur  délivrance.  Us  restèrent  en  prison  jusqu'au  9  ther- 
midor. Le  chevalier  Pougens  et  le  libraire  Lami  ne  les 
avaient  pas  abandonnés  un  seul  instant;  ils  leur  avaient  fait 
parvenir  pendant  leur  longue  détention  des  vivres,  du  linge, 
de  l'argent.  Leur  vieux  domestique  Leclerc  et  sa  nièce  Julie 
se  chargeaient  de  toutes  leurs  commissions,  et  stationnaient 
tour  à  tour  devant  la  grille  du  Luxemboiu'g. 

Leur  mise  en  liberté  fut  un  jour  de  fé!e.  Bitaubé  vit  enfin 
cesser  sa  détresse.  La  paix  lut  signée  entre  la  réi)ubli(pie  et 
le  roi  de  Prusse  ;  le  séquestre  mis  sur  ses  biens  en  Prusse  fut 
levé,  et  l'arriéré  de  ses  pensions  lui  parvint.  Cette  affaire 
avait  été  terminée  par  Sieyès,  alois  ambassadeur  de  la  ré- 
publique à  Berlin,  et  le  ministre  prussien  llardenberg. 

Bitaubé,  qui  avait  été  membre  de  rAcad('niie  rojalc  des 
Inscriptions  et  Belles  Lettres,  (ut  nommé  mem])rc  de  l'insli- 


BITAUBÉ  —  BITHYNIE 


tut  dès  sa  formation.  Chaque  année  ce  corps  savant  devait 
rendre  compte  de  ses  travaux  à  l'Assemblée  nationale  :  eo 
l'an  \'I,  Bitaubé,  à  la  tête  de  ses  collègues ,  vint  s'acquitter 
de  ce  devoir  à  la  barre  du  conseil  des  Cinq-Cents.  L'empereur 
Napoléon  le  nomma  membre  de  la  Lég'oa  d'Honneur,  et  lui 
assura  une  forte  pension.  Il  mourut  en  novembre  1S08,  du 
chagrin  d'avoir  perdu  sa  femme.  .Ses  ouvrages  ont  été  sou- 
vent réimprimés.  Il  termina  sa  carrière  littéraire  par  une 
traduction  d'Hennann  et  Dorothée,  de  Goethe.  Cette  tra- 
duction vit  le  jour  en  1802.  Les  oeuvres  complètes  de  Bitaubé, 
en  9  volumes,  ont  paru  en  1807.  l.Ues  ne  sont  pas  encore 
aujourd'hui,  tant  s'en  faut,  exemptes  de  mérite,  quoiqu'on 
y  regrette  souvent  des  expressions  impropres  qui  décèlent 
un  écrivain  étranger.  Dlfey  (de  rvoone). 

BITCHE,  petite  ville  du  département  de  la  Moselle, 
place  de  guerre  de  (juatrième  classe,  située  à  l'extrême  fron- 
tière, près  du  revers  occidental  des  Vosges,  entre  Weissen- 
bourg  et  Sarreguemines.  Elle  domine  d'étroites  vallées ,  et 
est  entourée  d'immenses  forêts  et  de  montagnes  couvertes 
de  bruyères.  La  ville  est  bàlie  en  partie  au  pied  d'un  rocher 
près  d'un  grand  étang  d'où  sort  un  ruisseau.  Elle  a  î.f.fio 
habitants.  On  y  fabriciue  de  la  porcelaine ,  de  la  faïence  et 
de  la  poterie. 

L'ancien  château,  qui  sert  de  citadelle  et  de  prison  mili- 
taire, s'élève  sur  un  rocher  de  cinquante  mètres  d'élévation. 
Le  fort  de  Bilclie,  qui  n'est  placé  sur  aucune  grande  voie 
de  communication,  n'a  plus  aujourd'hui  l'importance  qu'y 
attachaient  les  ducs  de  Lorraine.  A  une  époque  oii  les 
guerres  se  passaient  sur  un  théâtre  peu  étendu,  cette  place 
offrait  un  refuge  assuré  à  des  partis  qui  pouvaient  agir  des 
deux  côtés  des  Vosges  :  elle  était  importante,  dès  le  onzième 
siècle,  comme  chef-lieu  d'une  seigneurie  ayant  titre  de  comté, 
et  appartint  tour  à  tour  au  duché  des  Deux-Ponts,  à  la  Lor- 
raine et  à  la  France. 

Dans  les  guerres  entre  la  France  et  l'Allemagne ,  Bitche 
soutint  plusieurs  sièges'.  Celui  de  1793  occupe  une  page 
glorieuse  dans  les  annales  du  siècle  dernier.  Les  alliés  ve- 
naient de  s'emparer  des  lignes  de  Weissembourg ,  quand, 
dans  la  nuit  du  16  au  17  septembre,  un  officier  français 
émigré  conduisit  une  division  prussienne  sous  les  murs  de 
la  place ,  et  un  bataillon  se  glissa  dans  le  chemin  couvert. 
La  ville  n'avait  pour  garnison  qu'un  bataillon  du  Cher,  de  six 
à  sept  cents  hommes,  et  une  compagnie  de  canonniers  ;  mais 
tous  coururent  à  leurs  postes.  L'obscurité  favorisait  l'enne- 
mi. Le  propriétaire  d'une  maison  en  bois,  située  du  côté  de 
l'attaque,  proposa  lui-même  aux  assiégés  d'y  mettre  le  leu. 
A  la  lueur  de  l'incendie ,  on  put  voir  les  mouvements  des 
Prussiens;  déjà  ils  étaient  entrés  dans  la  ville,  et  avaient 
abattu  un  pont-levis;  mais  l'artillerie  foudroya  les  colonnes 
qui  descendaient  des  hauteurs,  et  l'infanterie  chassa  les 
Prussiens,  à  l'exception  de  deux  cent  cinquante  hommes, 
qui  restèrent  prisonniers.        I.  Favé,  coli>riel  d'anillerie. 

BITESTACÉS.  On  donne  ce  nom  à  des  animaux  arti- 
culés de  la  classe  des  crustacés,  dont  le  dos  est  recouvert 
par  un  (est  divisé  en  deux  pièces  latérales. 

BITÏÏIES,  sorcières  célèbres  chez  les  Scythes.  Elles 
avaient,  dit-on,  à  l'un  des  yeux  la  prunelle  double,  à  l'autre 
la  ligure  d'un  cheval,  et  le  regard  si  dangereux  qu'elles 
tuaient  ou  ensorcelaient  ceux  sur  qui  elles  l'attachaient. 

BITIIYIVIE, contrée  du  nord-ouest  de  l'Asie  Mineure, 
appelée  aussi  quelquefois  Bcbrtjcie,  à  cause  des  Bébryces 
qui  l'habitaient,  et  séparée  de  l'Europe  par  la  Propontidcet 
le  Bosphore  de  Thrace,  était  bornée  au  nord  par  le  Pont- 
Euxin,  à  l'ouest  par  la  Paphlagonie,  dont  elle  é(ait  séparée 
par  le  fieuve  Parthénius;  au  sud-ouest  par  la  Mysie,  dont 
elle  é(ait  séparée  parle  Ueuve  Rhyndacus;  au  sud  par  la 
Phrjgie  et  la  Galatie  où  des  montagnes  formaient  ses  li- 
mites naturelles.  Les  villes  les  plus  célèbres  de  la  Bidiyme 
éttiient  les  colonies  grecques  Chalcédoinc,  1/ éraclée, 
Mijdée  (appelée  plus  tard  .4;;rt?« .v'),et  Aslaque.  Quand 


BITHYNIE  —  BITUME  DE  JUDEE 


249 


celte  dernière  eut  été  détruite  par  Lysimaque,  Nicomède  l" 
fonda  non  loin  delà  Nicomédie ,  qui  ne  tarda  pas  à  de- 
veuir  la  résidence  des  rois  de  Bithynie  et  Tune  des  villes 
les  plus  considérables  de  l'Asie  Mineure.  Les  villes  de  Ni- 
cee  et  de  Pruse  ou  Brousse  étaient  aussi  florissantes. 

Les  liabitants  de  la  Bithynie  étaient,  à  ce  qu'il  semble, 
originaires  de  la  Thrace.  L'an  560  avant  J.-C,  le  roi  C  ré- 
su  s  lit  passer  leur  pays  sous  la  domination  des  Lydiens,  et 
à  la  chute  de  l'empire  lydien,  en  555,  il  passa  sous  celle  de 
ta  Perse.  Après  la  bataille  livrée  en  334  sur  les  bords  du 
Granique,  la  Bithynie,  comme  tout  le  reste  de  l'Asie 
Mineure,  tomba  au  pouvoir  d'Alexandre;  le  Grand. 
Toutefois,  Bias  ou  Bas,  prince  indigène,  réussit  à  se  main- 
tenir dans  les  montagnes ,  et  après  la  mort  d'Alexandre  sou 
lils  Zipœtes  parvint  à  arracher  la  Bithynie  à  Lysimaque.  Isi- 
comède  P"^,  successeur  de  Zipœtes,  sous  le  règne  duquel  les 
mœurs  et  la  langue  des  Grecs  s'introduisirent  à  la  cour,  ré- 
sista aux  essais  de  conquête  tentés  par  le  roi  de  Syrie  An- 
tiochus  r'',  en  appelant  à  son  secours,  l'an  27S  avant  J.-C, 
des  bandes  de  Gîiulois  errants.  Son  petit-fils ,  Prusias  F'' , 
agrandit  sa  domination  à  la  suite  de  la  guerre  heureuse 
qu'il  fit  en  l'an  196  aux  Grecs  d'Héraclée.  Il  s'allia  à  Phi- 
lippe III  de  Alacédoine  contre  les  Romains.  Prusias  II,  son 
.successeur,  accéda  également  à  cette  ligue;  et  Annibal, 
(jui  avait  fui  d'Antioclia  pour  venir  se  réfugier  à  sa  cour,  se 
donna  volontairement  la  mort  en  183,  afin  de  ne  pas  être 
livré  par  lui  à  ses  implacables  ennemis.  A  partir  de  cette 
époque,  la  Bithynie,  quoiqu'elle  continuât  à  avoir  ses  pro- 
pres rois,  ne  cessa  plus  d'être  sous  la  dépendance  des  Ro- 
mains. Elle  fut  érigée  en  province  romaine  à  la  mort  de  M- 
comède  III,  qui,  l'an  75  avant  J.-C,  institua  les  Romains 
héritiers  de  son  royaume,  que  ceux-ci  toutefois  durent  en- 
core disputera  Mithridate.  Parmi  les  gouverneurs  ro- 
mains qui  furent  chargés  d'administrer  la  Bithynie,  il  faut 
surtout  mentionner  Pline  le  jeune  sous  Trajan.  L'an  260  de 
notre  ère,  sous  le  règne  de  Valérien,  cette  contrée  fut  en 
proie  aux  dévastations  des  Golhs.  Sous  Dioclétien,  Kicomé- 
die  devint  le  séjour  habituel  de  l'empereur.  Au  onzième 
siècle,  la  Bithynie  fut  pendant  quelque  temps  (  1074-1097) 
au  pouvoir  des  Seldjoukides,  auxquels  on  la  reprit  dans  la 
première  croisade.  Nicée,  qui  dans  cet  intervalle  avait  été 
la  résidence  des  sultans  seldjoukides,  devint  aa  treizième 
siècle  (1204-1261),  pendant  la  durée  de  l'empire  latin  à 
Constantinople,  le  siège  d'un  empire  grec.  En  1298  Osman 
envahit  la  Bithynie,  et  Pruse,  tombée  en  1325  au  pouvoir 
des  Osmanlis,  devint  en  1328  la  capitale  de  leur  empire. 

BITOME.  On  désigne  sous  ce  nom  (  formé  de  bis  et  de 
xo\i.r\ ,  section ,  par  allusion  aux  deux  articles  de  la  massue 
des  antennes)  un  genre  de  l'ordre  des  coléoptères,  section 
des  tétramères,  qui  a  été  établi  par  Herbst.  Les  bitomes  ne 
diffèrent  des  lyctes  de  Fabricius  que  par  des  antennes  plus 
courtes,  et  par  des  mandibules  cachées  ou  peu  découvertes. 
Latreille  a  i)roposé  de  substituer  le  mot  ditome  à  celui  de 
bitome,  pour  plus  de  correction  dans  l'étymologie. 

Une  espèce  de  bitome  (  le  bitoma  crenata  ) ,  qui  sert  de 
type  à  ce  genre ,  se  trouve  sous  les  écorces  d'arbre  des  en- 
virons de  Paris.  L.  Laurent. 

BITON  et  CLÉOBIS  étaient  fils  de  Cydippe,  prê- 
tresse de  Juhon.  Un  jour  qu'il  fallait,  pour  un  sacrifice, 
qu'elle  fût  menée  au  temple  sur  un  char,  et  qu'on  manquait 
de  bœufs,  ils  s'y  attelèrent  eux-mêmes ,  et  le  traînèrent  ainsi 
l'espace  de  quarante  stades  jusqu'au  temple.  Touchée  de 
cette  preuve  de  piété  filiale ,  leur  mère  pria  Junon  de  leur 
accorder  le  plus  grand  bien  que  les  moi-tels  pussent  rece- 
voir des  dieux.  Quand  elle  sortit  du  temple,  elle  les  trouva 
endormis,  pour  toujours  dans  les  bras  l'un  de  l'autre.  Les 
habitants  d'Argos  leur  élevèrent  des  statues  à  Delphes. 

BITORS.  Voyez  Corde. 

IBITTAQUE,  genre  d'insectes  de  l'ordre  des  névrop- 
tères,  faïuillo  des  planipennes,  tribu  des  panorpates,  dont 

DICr.    UF.     l\    CONVtliS.    —    T.    III. 


le  bittacus  tipularius  {panorpa  tipularïa,  Linné)  est 
le  type. 

BITTERSPATH.  Voyez  Dolouie. 

BITUME  (ùepitus,  pin,  ou  depitta,  poix).  On  donne 
ce  nom  collectif  à  des  matières  de  consistance  liquide,  moUo 
ou  solide,  que  l'on  trouve  toutes  formées  dans  le  sein  de  la 
terre.  Les  bitumes,  avec  lesquels  on  confondait  autrefois  plu- 
sieurs autres  substances,  comme  la  houille,  le  jayet,  le  suc- 
cin ,  mais  que  les  minéralogistes  en  ont  séparés  depuis  avec 
raison ,  sont  électrisables  par  le  frottement ,  très-odorants , 
d'un  poids  spécifique  généralement  plus  léger  que  celui  de 
l'eau  ,  et  susceptibles  de  brûler  avec  flamme,  en  répandant 
une  fumée  épaisse ,  accompagnée  d'ufle  odeur  toute  particu- 
lière, à  laquelle  on  a  donné  l'épithète  de  bitumineuse. 

Les  caractères  par  lesquels  ils  diffèrent  essentiellement  des 
trois  autres  corps  indiqués  plus  haut  sont  les  suivants  ; 
1°  frottés  ou  exposés  à  une  légère  chaleur,  ils  exhalent  une 
odeur  qui  se  rapproche  de  celle  de  la  poix  ;  ce  qui  ne  se 
rencontre  ni  dans  la  houille  ,  ni  dans  le  jayet  ou  le  succin  ; 
2°  ils  n'ont  pas  besoin  d'être  isolés  pour  acquérir  l'électricité 
résineuse  par  le  frottement,  comme  il  est  nécessaire  de  le 
faire  pour  la  houille:  3°  le  plus  compacte  d'entre  eux  est 
ordinairement  facile  à  briser  entre  les  doigts,  ce  qui  n'airive 
pas  avec  les  pseudo-bitumes  ;  4"  enfin  ,  ils  ne  donnent  point 
d'ammoniaque  à  la  distillation,  tandis  que  la  houille  eu 
fournit. 

On  connaît  cinq  variétés  de  bitumes  :  1°  le  bitume  liquide 
ou  n  aphte,  source  des  Jeux  perpétuels  de  la  Perse  ;  2"  le 
bitume  oléagineux  ou péti'ole,  qui  fournit  un  excellent 
goudron;  3°  le  bitume  glutinezix  ou  pissasphalte, 
qu'on  emploie  sous  le  nom  à^asphalte  au  dallage  de  nos 
trottoirs;  4°  le  bitume  résinoïde  noir  ou  bitume  de 
Judée ,  qui  est  le  véritable  asphalte  des  minéralogistes; 
5°  le  bittcme  élastique  ou  élatérite,  dont  les  usages 
sont  assez  restreints. 

Les  auteurs  qui  se  sont  occupés  de  l'origine  des  bitumes 
sont  loin  d'être  d'accord  sur  ce  point.  On  les  a  considérés 
comme  des  produits  de  l'organisation ,  et  spécialement  des 
végétaux  ;  Patrin  les  a  regardés  comme  résultant  de  la  com- 
binaison de  certains  gaz ,  et  de  réactions  opérées  dans  le 
sein  du  globe  ;  d'autres ,  enfin ,  ont  cru  que  le  naphte  et  le 
pétrole  étaient  dus  k  une  distillation  de  la  houille  par  des 
feux  souterrains;  mais  toutes  ces  opinions  sont  hypothé- 
tiques, et  ne  reposent  sur  aucun  fait  positif  :  il  est  donc 
préférable  d'avouer  franchement  que  nous  ne  savons  rien  à 
cet  égard.  ^  P.-L.  Cottereau. 

BITUME  DE  JUDÉE.  Cebitume,  que  l'on  connaît 
encore  sous  les  noms  de  bitume  résinoïde  noir,  karabé  de 
Sodome,  gomme  des  funérailles ,  poix  de  montagne, 
baume  des  momies,  asphalte,  etc.,  est  solide,  très-fragile 
et  à  cassure  vitreuse;  examiné  en  masse,  il  paraît  complè- 
tement opaque  et  d'une  couleur  noire  ;  mais  vu  en  fragments 
très-minces,  on  remarque  parfois  qu'ils  sont  translucides 
vers  leurs  bords,  et  que  leur  couleur  est  le  rouge  obscur.  On 
le  tirait  anciennement  du  lac  Asphaltite  ou  mer  Morte  de 
Judée ,  d'où  lui  viennent  plusieurs  dénominations  qu'il  a  re- 
çues ;  et  à  cette  occasion  il  convient  de  faire  observer  que , 
bien  qu'il  y  surnage,  il  est  cependant  d'une  pesanteur  spé- 
cifique plus  grande  que  celle  de  l'eau  pure.  On  en  trouve  la 
raison  dans  la  quantité  considérable  de  sel  que  ce  lac  con- 
tient ,  ce  qui  augmente  la  densité  du  liquide. 

Des  mines  d'asphalte  ont  été  découvertes  en  Suisse ,  près 
de  Neucliâtel ,  et  en  France,  dans  les  départements  de  l'Ain 
et  du  Bas-Rhin.  On  vend  aussi  sous  ce  nom  le  résidu  char- 
bonneux et  huileux  qui  résulte  de  la  distillation  du  succin. 

Un  des  usages  les  plus  remarquables  du  bitume  dont 
nous  parlons  est  celui  qu'en  ont  fait  les  anciens  Égyptiens 
pour  embaumer  et  momifier  les  cadavres.  Du  reste,  il  est 
probable  qu'ils  le  dissolvaient  préalablement  dans  le  n  a  ji  h  t  e , 
afin  de  le  rendre  assez  fluide  pgur  pouvoir  l'injecter  dans 

:v2 


250 


BITUME  DE  JUDÉE  —  BIVOUAC 


les  différentes  caviti^s  du  corps,  où  il  était  nécessaire  de  le 
jaire  pénétrer,  et  que  c'est  au  temps  et  aux  combinaisons 
qu'il  a  pu  former  avec  les  substances  animales  qu'il  est  re- 
ilevable  de  la  dureté  qu'il  possède  dans  les  momies  qui  nous 
sont  envoyées.  On  en  retire,  par  distillation,  une  huile  d'un 
blanc  clair,  regardée  comme  anti-spasmodique  par  les  mé- 
/lecins  allemands,  qui  la  prescrivent  quelquefois ,  mais  inu- 
sitée chez  nous. 

Dans  les  arts,  les  usages  de  l'asphalte  sont  assez  étendus  ; 
et  il  n'est  pas  douteux  qu'ils  ne  le  deviennent  davantage 
encore  parla  suite.  En  Arabie  et  en  Judée  on  n'a  pas  d'autre 
ciment  pour  joindre  les  briques  des  maisons.  Mélangé  avec 
lin  dixième  de  poix  noi5e,  il  donne  un  mastic  complètement 
impénétrable  à  l'eau,  et  dont  on^e  sert  avec  le  plus  grand 
succès  pour  luter  les  joînlures  des  pierres  et  des  dalles  dans 
la  construction  des  bassins  et  des  terrasses.  Uni  à  des  ma- 
tières grasses,  on  l'emploie  pour  oindre  les  rouages  des  ma- 
chines et  les  roues  des  voitures ,  pour  goudronner  les  ba- 
teaux et  bâtiments  de  toutes  sortes,  ainsi  que  les  portes  des 
écluses  ;  pour  enduire  les  charpentes ,  le  fer,  les  pierres ,  et 
pour  lecouvrir  les  lenasses.  On  le  fait  entrer  dans  la  com- 
position des  vernis  servant  à  imiter  les  laques  de  Chine,  ou 
destinés  aux  ouvrages  en  fer  employés  dans  l'intérieur  des 
maisons,  comme  les  serrures,  les  tringles,  les  espagnolettes, 
les  rampes  d'escali«rs ,  etc.  Enfin ,  les  artificiers  l'emploient 
pour  la  préparation  des  pièces  pyrotechniques  qui  doivent 
brfiler  sur  l'eau.  P.-L.  Cottereau. 

BITUMINEUSES  (Fontaines  ).  Voyez  Naphte  et  Fon- 
taine. 

BITURIGES5  nom  d'un  ancien  peuple  de  la  Gaule,  qui 
occupait  ce  qu'on  a  appelé  ensuite  le  diocèse  de  Bourges, 
c'est-à-dire  le  Ijerry,etune  partie  du  Bourbonnais,  et  dont 
Bourges  était  la  capitale.  Lorsque  le  premier  Tarquin  était 
roi  de  Rome,  Ambigat,  l'un  des  Bituriges,  était  roi  des 
Celtes.  Ce  prince,  pour  soulager  le  pays,  qui  était  trop  peu- 
plé, envoya  un  très-grand  nombre  d'hommes,  de  femmes 
et  d'enfants,  sous  la  conduite  deSigovèse  et  deBello- 
vèse,  enfants  de  sa  sœur.  Le  sort  donna  à  Sigovèse  la  foret 
Hercynie,  dont  une  partie  a  été  appelée  depuis  la  forêt 
Noire.  La  colonie  de  Bellovèse  se  partagea  en  deux  bandes, 
doni  l'une  tourna  vers  les  Pyrénées  et  l'autre  vers  les  Alpes  : 
tous  les  peuples  voisins  s'enfuirent  devant  eux.  Quelque 
temps  après ,  les  Toscans,  ayant  voulu  s'opposer  à  ces  Gau- 
lois, fiweni.  défaits,  et  les  vainqueurs  se  rendirent  maîtres 
de  toute  la  partie  occidentale  de  l'Italie,  qu'on  a  nommée 
depuis  Gaule  Cisalpine. 
BiVAC.  Voyez  Bivouac. 

B3VALVE, c'est-à-dire  qui  est  composé  de  deux  valves 
ou  ballants.  C'est,  en  conchyliologie,  le  nom  que  l'on  donne 
aux  coquillages  qui  sont  formés  de  deux  pièces,  pour  les 
distinguer  des  tinivalvcs ,  coquillages  à  une  seule  pièce,  et 
des  mnliivalves,  coquillages  à  plusieurs  pièces.  L'huître, 
la  moule,  et  un  grand  nombre  <rantres  mollusques  acé- 
phales sont  bivalves.  Votiez  Coquilles. 

On  qualifie  également  du  nom  de  bivalves,  en  botanique, 
les  végétaux  ou  parties  des  végétaux  qui  ont  deux  capsules, 
tels  que  le  lilas,  le  noyau  de  la  pèche,  etc.,  et  l'on  appelle 
bivalvulées  les  anthères,  qui  ont  deux  pores  fermés  par  des 
valvules  qui  s'ouvrent  au  moment  de  l'émission  du  pollen  : 
telles  sont  celles  du  berberis. 

BIVOUAC  ou  BIVAC ,  campement  des  troupes  en  plein 
air,  sans  tentes,  chaque  homme  se  couchant  tout  habillé 
et  conservant  près  de  lui  ses  armes.  L'orthographe  de  ce 
mot  est  fort  équivoque.  Pierre  Borel  écrit  bivoie,  Court  de 
Gebelin  bihouac,  Grassi  bivonacq,  Boiste  et  bon  nombre 
d'ordonnances  bivouac;  mais  l'Académie,  contre  l'avis  des 
militaires ,  incline  pour  bivac.  Ménage  emprunte  ce  mot  à 
rallemand,\^t  le  fait  dériver  de  bcy,  auprès,  et  wac/U,  garde, 
veille,  parce  qu'autrefois  dans  les  campements  les  j;ardes 
saules  restaient  exposées  à  l'inclémence  de  l'air  :  la  masse 


(Us  troupes  reposait  sous  la  toile  ou  dans  des  huttes.  Jus- 
qu'aux grandes  guerres  de  la  révolution,  bivouac  ne  fut  donc 
en  ce  sens  qu'un  terme  de  service,  et  non.  l'indication  d'iiu 
gîte  à  la  belle  étoile.  On  disait  monter,  descendre  le  bi- 
vouac. Cependant,  il  s'était  vu  maintes  fois  que  la  veille 
d'une  bataille ,  ou  à  la  suite  d'une  action ,  on  avait  fait  bi- 
vouaquer Varméc ,  et  qu'en  des  circonstances  dangereuses 
elle  avait  passé  ainsi  la  nuit,  les  tentes  à  bas.  On  a  cité 
comme  une  merveille  la  résolution  que  prit  l'armée  fran- 
çaise de  coucher  au  bivouac  pendant  plus  de  quinze  nuits 
lorsqu'on  1734  le  prince  Eugène  s'approcha  des  lignes  cTe 
Pliilipsbourg.  On  aégaiement  fort  e.xaltfi  en  cette  même  année 
la  conduite  de  la  garnison  de  Dantzig  bivouaquant  sans  re- 
lâche en  attendant  l'assaut  des  Russes. 

En  1793  le  mot  bivouac  avait  perdu  dans  l'armée  fran- 
çaise son  ancienne  signification  ;  il  était  bien  convenu  qu'il 
n'exprimait  plus  qu'un  établissement  en  plein  air.  Les  tentes 
avaient  disparu  de  toutes  les  armées  de  l'Europe ,  l'année 
anglaise  exceptée,  et  les  troupes  les  remplaçaient  par  des 
abris,  des  huttes  en  paille,  en  branches  d'arbres,  etc.  Mais 
comme  passer  les  nuits  en  piein  air  n'est  pas  moins  con- 
traire à  la  santé  des  hommes  qu'aux  propriétés  dans  les- 
quelles ils  bivouaquent,  comme  c'est  la  ruine  des  forêts, 
comme  il  en  résulte  des  déprédations  de  toute  nature,  on  a 
fini  partout  ]iar  reprendre  les  tentes.  Noire  orddniwnri' 
du  5  avril  1792  disposait  que  lorsque  les  troupes  couche- 
raient au  bivouac,  les  officiers  généraux  y  demeureraient  avec 
elles.  Cette  obligation ,  si  l'on  s'y  fût  conformé ,  aurait  rendu  ^ 
les  bivouacs  plus  rares  et  les  généraux  plus  soigneux  du 
bien-être  de  leurs  soldats. 

Le  général  Rogniat ,  Xilanrler  et  M.  Ch.  Dupin  se  sont 
élevés  avec  raison  contre  l'usage  immodéré  du  bivouac;  ils 
l'accusent  de  ces  énormes  consommations  de  fantassins  qui 
ne  duraient  pas  plus  de  deux  campagnes.  On  a  beau  faire 
néanmoins,  quels  que  soient  les  inconvénients  des  bivouacs, 
la  pratique  actuelle  de  la  guerre  ne  permettra  jamais  de  s'en 
passer  complètement,  parce  qu'ils  offrent  le  moyen  le  plus 
simple  de  tenir  de  grandes  masses  en  état  d'entrer  toujours 
en  ligne,  et  qu'en  raison  de  la  rapidité  des  marches,  qui  est 
aujourd'hui  une  des  conditions  de  la  victoire,  il  serait  cxlrê- 
mement  difficile  ae  traîner  constamment  à  la  suite  d'un  corps 
d'armée  un  nombre  de  tontes  considérable.  (Voyez  Camp.) 
BIVOUAC  (Scènes  de).  A  des  choses  nouvelles,  des 
mots  nouveaux.  Celui-ci  s'est  étendu  des  gardes  de  nuit, 
qui  étaient  son  véritable  sens,  aux  plus  grandes  armées  ;  et 
de  l'établissement  volant  de  postes  perdus,  naturellement 
sans  abri ,  sans  provisions ,  couchant  sur  la  dure  et  à  la 
belle  étoile,  quels  que  fussent  les  temps,  au  régime  perma- 
nent, et  en  quelque  sorte  régulier,  des  armées  de  l'Empire, 
dans  leurs  plus  glorieuses  époques  :  dur  régime,  né  pour 
elles  de  l'iminensité  surhumaine  des  entreprises  et  de  l'é- 
puisement absolu  de  toutes  les  ressources  humaines. 

Les  anciens,  dans  leurs  marches  militaires,  allaient  de 
viile  en  ville,  ou  de  campement  en  campement.  Les  carnps 
dos  Romains  étaient  les  forteresses  et  les  places  d'armes 
des  légions  ;  ceux  des  barbares  étaient  des  cités  mobiles , 
les  seules  qu'ils  connussent.  Dans  les  temps  féodaux ,  la 
guerre ,  étant  partout ,  n'entraînait  que  peu  de  grands  dé- 
placements d'hommes.  Caravanes  d'exacleurs  ou  de  pèle- 
rins formidables,  les  compagnies  trouvaient  dans  les 
abbayes  et  les  châteaux  leurs  principaux  quailiers.  11  avait 
fallu  une  grande  cause,  la  querelle  de  Jo?us-Cliri.st,  ctle génie 
des  croisades ,  pour  soulever  deux  ou  trois  fois  les  masses 
populaires  comme  les  Ilots ,  et  les  jeter  sur  l'Orient. 

Avec  la  guerre  régulière,  c'est-à-dire  la  guerre  taclicienne 
et  savaHte  des  deux  derniers  siècles,  les  camps  reparurent, 
véritables  séjours  de  j)laisance  de  l'armée.  Tout  le  luxe  de 
la  cour  et  de  la  ville  suivait  dans  la  carrière,  sous  la  con- 
duite des  Condé,  desTurenne,  des  Luxeinlwurg,  des  Villars, 
des  Richelieu ,  les  importants  de  Paris  et  les  petits-mai- 


I^IVOUAG 

très  de  Versailles ,  transformés ,  à  la  vue  du  péril  et  à  la 
voi\  du  roi,  en  héros. 

Vinrent  nos  guerres  désordonnées  de  la  Révolution,  nos 
guerres  géantes  de  l'Empire.  Adieu  le  luxe  des  tentes  innom- 
brables et  rapi)areil  des  camps  méthodiques  !  C'étaient  les 
soulèvements  guerriers  du  moyen  âge,  avec  quelques  cent 
mille  hommes  de  plus,  et  Dieu  de  moins;  c'étaient  les  in- 
vasions de  Bcllovèse  et  de  Crennus ,  en  pleine  civilisation , 
par  les  enfants  armés  du  peuple  le  plus  policé  de  l'univens. 
Qui  pouvait  songer  à  mettre  des  tentes  dans  nos  bagages, 
alors  que  nous  étioi*  cinq  cent  mille ,  et  qu'on  pouvait  partir 
du  pied  de  Lisbonne  ou  de  Cadix  pour  les  confins  des  Tar- 
tares  ?  Le  moyen  de  planter  des  tentes  quelque  part  au  temps 
de  nos  prospérités,  quand  nous  courions  comme  la  vic- 
toire !  Le  moyen  encore,  dans  nos  revers,  quand  nous  ne 
cheminions  que  de  bataille  en  bataiOe,  et  couchions  sur  un 
sol  détrempé  de  notre  sang  et  de  nos  sueurs  !  D'un  autre 
côté,  quelles  villes,  quels  villages  eussent  contenu  ces  masses 
formidables.'  A  de  telles  armées  il  fallait  pour  couche  la 
terre,  et  pour  tente  le  firmament.  Les  temps  barbares  étaient 
revenus,  avec  leurs  vastes  déplacements  d'hommes,  leurs 
profondes  misères,  leurs  duretés  inévitables,  leur  fataliste 
insouciance  de  soi  et  des  autres,  i^à  régnait  cette  double  indif- 
férence, tout  ensemble  aveugle  et  stoique,  d'un  peuple  brave 
et  d'un  temps  incrédule.  Alors  on  ne  s'inquiète  plus  de  cette 
vie ,  on  ne  pense  pas  à  l'autre  ;  l'homme ,  instrument  dé- 
voué, multiplie,  sans  compter,  les  destructions  et  les  vic- 
toires, les  ravages  etles  prodiges.  Lorsque  nous  serons  courbés 
sous  le  poids  des  années  ,  et  que  les  jeunes  générations  re- 
garderont comme  des  monuments  extraordinaires  les  der- 
niers témoins  de  la  longue  Odyssée  des  campagnes  impé- 
riales, nous  raconterons  à  nos  enfants  étonnés  cet  abri, 
ce  repos,  ces  joies  du  bivouac ,  quand  ,  à  la  fin  de  journées 
remplies  par  des  marches  surhumaines ,  et  charmées  seule- 
ment par  des  périls  inépuisables,  un  signal  du  héros  de  notre 
épopée  nous  permettait  de  faire  halte  où  nous  étions,  de  nous 
jeter  sur  un  sol  défoncé  par  les  pluies  ou  durci  par  les  frimas, 
de  fermer  la  paupière  sous  le  ciel  brûlant  des  CastiUes  ou 
sous  les  neiges  de  la  Moscovie!  On  avait  cheminé  tout  le 
jour,  tantôt  pour  atteindre  l'ennemi  qui  fuyait,  tantôt  pour 
dépasser  sas  colonnes  dispersées,  quelquefois  en  combattant, 
la  baïonnette  au  bout  du  fusil ,  mèche  allumée,  au  pas  de 
course  des  canons ,  comptant  les  bataillons  prisonniers  et 
non  pas  les  lieues  francliies  ;  d'autres  fois  aussi,  car  toule  mé- 
daille a  un  revers,  toute  conquête  une  réaction,  d'autres  fois, 
les  aigles  repliées ,  le  cœur  brisé ,  ayant  derrière  nous  l'é- 
tranger, devant  nous  la  patrie!  «  Allons,  conscrits,  disait  le 
vieux  sergent,  vous  n'allez  pas?  Tu  tires  la  semelle,  enfant, 
parce  que  tu  es  venu  de  Lisbonne  à  \N  ilna ,  en  passant  par 
Moscou!  Belle  misère!  c'est  pour  ton  bien  ce  qu'il  en  fait 
cet  autre.  Au  moins  avec  lui  on  ne  moisit  pas.  »  Le  conscrit, 
Venfant  marchait  douloureusement.  C'était  un  enfant  en 
effet  !  il  n'avait  pas  vingt  ans  sonnés,  et  on  voyait  ses  yeux 
se  remplir  d'une  gi'osse  larme  quand  il  lui  fallait,  pliant 
sous  le  poids  de  son  sac  et  de  son  fusil ,  courir  une  demi- 
lieue  durant  afin  de  suivre  le  mouvement  de  la  colonne  qui 
se  serrait.  «  Hé  bien!  conscrit,  reprenait  le  vétéran,  qu'est- 
ce  qui  t'arrive?  tu  fais  le  rechigné ,  parce  que  tu  as  couru, 
quatorze  lieues  aujourd'hui  pour  n'en  pas  perdre  l'habi- 
tude. Tu  sauras ,  mon  ami,  qu'un  Français  ne  compte  pas 
les  étapes  de  la  gloire.  »  Le  conscrit  répondait  souvent 
pour  son  excuse  qu'il  était  blessé  ;  et  si  on  lui  demandait 
pourquoi  il  ne  restait  pas  à  l'hôpital  à  se  faire  guérir  :  «  Ah 
bien  !  oui  !  répondait-il  sans  se  douter  d'être  un  héros  :  pour 
qu'on  dise  que  je  suis  un  falgnant!  »  Puis,  la  colonne  refor- 
mée entonnait  quelques  chants  de  guerre,  quelques  airs  de 
caserne,  qu'officiers  et  soldats  répétaient  en  cha'ur,  en  s'in- 
terrompant  par  un  long  éclat  de  rire,  si  le  refrain  iiarlait 
à  nos  soldats  des  ennemis  ou  des  belles  en  langage  par  trop 
fait  pour  eux.  Les  officiers,  (rais  émoulus  du  collège,  s'é- 


tonnaient d'une  littérature  à  laquelle  leurs  études  ne  les 
avaient  pas  préparés;  ils  faisaiciit  chorus  par  respect  hu- 
main ,  tout  en  pensant  aux  sœ.urs  et  aux  mères  qui  pour-" 
raient  les  entendie.  Ainsi  allait  la  grande  armée  d'iéna  à 
Friedland,  ou  de  .Mojaisk  à  Chaaipaubert. 

Cependant,  qu'est-il  arrivé?  Un  fitniissement  a  couru  d'une 
extrémité  à  l'autre  des  colonnes.  Les  rangs  se  sont  ouverts 
pour  faire  passage.  Une  voix  ciie  au  conscrit  affaissé,  qui  se 
débat  dans  la  boue  profonde,  sans  rien  voir  et  rien  entendre  : 
«  Gare  donc,  ami  !  «  Cette  voix ,  d'un  mot  elle  remplit  le 
monde  :  c'est  l'Empereur  !  Il  fend  au  galop  les  lignes  de  son 
armée.  Ses  officiers  ont  un  air  affairé  ;  on  a  vu  des  aides  de 
camp  courir  en  avant  ;  d'autres  étaient  allés  et  vei'.us  ;  un  ma- 
réchal s'installe  déjà,  avec  son  état-major,  dans  le  château 
prochain,  et  voilà  deux,  généraux  qui  vont  se  loger  dans  une 
abbaye  qu'on  aperçoit  plus  loin.  «  C'est  bon  !  dit  le  sous- 
officier  blanchi  sous  le  harnais  :  nous  ne  sommes  pas  au  sep- 
tième jour,  car  nous  ne  sommes  pas  près  de  nous  reposer, 
comme  Dieu  le  Père.  Mais  celui-ci  toujours  est  fini  :  c'est 
un  de  moins!  Allons,  conscrit,  ton  lit  de  plume  et  ton 
traversin  sont-ils  prêts?  Tu  peux  faire  ta  prière,  mon  ami, 
et  dire  bonsoir  à  madame  ta  mère  :  nous  allons  nous  cou- 
cher. »  Et  comme  il  raillait,  on  traversait  une  vilie,  un  ha- 
meau ,  un  bourg ,  suivant  les  temps.  Ici ,  à  la  fenêtre  du  plus 
beau  des  hôtels,  là,  sur  la  porte  de  la  plus  humble  des 
chaumières,  la  troupe  voyait  déjà  arrivé,  déjà  établi,  déjà 
liabillé,  avec  son  uniforme  de  chasseur  à  la  place  de  la  re- 
dingote grise,  et  la  culotte  courte,  les  bas  de  soie  blancs,  les 
souliers  à  boucles,  toute  la  toilette  des  Tuileries  enfin,  l'em- 
pereur, qui  prenait  son  tabac,  montrait  sa  blanche  main, 
donnait  ses  ordres  au  prince  de  Neuchàtel  pour  les  opéra- 
tions suivantes,  et  souriait  à  la  grande  armée.  «  Tiens! 
reprenait  le  vétéran,  il  n'a  pas  été  long,  le  Tondu!  Dis  donc, 
conscrit,  ton  valet  do  chambre  ne  t'habille  pas  si  vitement; 
c'est  un  maladroit,  mon  ami.  Je  te  conseille  de  mettre  sous 
la  remise  ce  drôle-là.  »  Et,  ce  disant,  il  se  retournait  vers 
son  peloton,  rép' tait  les  commandements,  et,  prêt  à  défiler 
devant  l'empereur,  il  criait  avec  toute  la  troupe,  en  regar- 
dant son  général  d'un  air  attendri  :  Vive  Vempereurl 

Vive  l'empereur,  en  effet!  L'avant-garde  a  pris  parles 
champs,  sur  la  droite  :  elle  a  devant  soi  une  belle  et  vaste 
plaine ,  où  on  ne  voit  pas  un  village,  pas  un  arbre,  pas  une 
\igne,  à  trois  lieues  a  la  ronde.  Le  bon  Dieu  les  bénisse! 
Nous,  au  contraire ,  nous  tournons  vers  la  gauche.  —  «  Ca- 
marades ,  vive  l'empereur  !  voilà  quatre  clochers  bien  comp- 
tés; un  peu  loin ,  mais  c'est  égal  :  il  y  aura  du  vin  dans 
les  caves...  —  Parbleu  oui,  du  vin*  comptez-y!  ces  Alle- 
mands, ça  n'en  a  jamais  bu  :  ils  auraient  peur  de  se  fêler 
la  voix.  C'est  des  virtuoses.  Leur  vendange  est  là,  sergent, 
pendue  à  ces  pommiers.  —  Hé  bien  ,  nous  les  brûlerons, 
les  pommiers,  pour  leur  peine  :  cela  ferale  mêm.e  effet...  Oh  ! 
voyez  donc  ce  joli  bois  de  sapins!  on  se  chauffera,  vous 
dis-je.  Vive  l'empereur!...  Et  un  vignoble  encore,  un  vrai 
vignoble  de  vignes.  11  y  aura  des  sarments,  et  de  plus  les 
échalas,  de  bon  bois  sec.  Allons,  conscrit,  la  broche  ira  bien. 
Tu  peux  lécher  tes  barbes.  Vive  l'empereur  !  » 

Cependant ,  on  passait  tour  à  tour  devant  les  eldorado 
qu'on  avait  convoiîé's  :  c'était  l'autre  division  du  corps  d'ar- 
mée, l'autre  brigade  de  la  division,  l'autre  régiment  de  la 
brigade ,  qui  avaient  les  bonnes  fortunes  qu'on  venait  de  se 
promettre,  k  chaque  mécompte,  les  rangs  devenaient  mornes 
et  silencieux.  Puis,  un  aide  de  camp  apportait  un  ordre;  on 
faisait  halle.  «■  Vive  l'empereur!  >'ous  ne  sommes  pas  mal- 
heureux tout  de  même!  Voilà  trois  chaumières  qui  ont  de 
fiers  toits ,  de  bonne  paille  fraîche.  Qu'est-ce  qui  est  de 
corvée?  Ah  çà,  soyez  lestes,  les  bons  enfants!  Arrivez  là- 
dessus  vivement,  avant  les  dragons,  qui  regardent  d'un  air 
tendre  les  trois  chaumines,  et  que  cette  toiture  soit  enlevée 
proprement,  comme  il  convient  à  des  grenadiers  de  la... 
Suflit.  Notre  colonel  aura  le  meilleur  lit  de  l'armée.  Cela 

32. 


252 


BIVOUAC 


fera  plaisir  au  bon  bourgmestre  qui  habite  là-dedans ,  et 
ça  nous  fera  honneur.  » 

C'étaient  là  les  bonheurs  de  l'armée.  Il  me  souvient 
qu'une  fois ,  en  France  ,  aux  derniers  jours  de  la  campagne 
de  1S14,  au  terme  de  la  rapide  marche  qui  commencée 
à  Vitry  ne  se  termina  qu'à  la  Cour-de-France  et  à  Essonne, 
nous  eûmes  la  fausse  joie  d'un  séjour  en  deçà  de  la  jolie  et 
vieille  petite  ville  de  Moret.  Le  temps  était  effroyable  :  il 
pleuvait  d'une  façon  horrible.  Nous  fûmes  établis  le  long  de 
la  grande  route.  Je  pus  m'emparer  d'un  de  ces  lits  de  cail- 
loux qui  garnissent  le  bord  de  la  chaussée.  Ce  me  fut  un 
triomphe.  Je  jouissais  de  mon  sort  :  je  n'aurais  de  l'eau  que 
d'un  cùté!  Des  cailloux  pour  couche  au  lieu  de  boue,  ce 
sont  là  de  ces  fortunes  qu'on  ne  peut  comprendre  dans  les 
habitudes  uniformes  de  la  cité  ;  dans  les  camps  ,  il  n'en  faut 
pas  plus.  Il  y  a  un  luxe  relatif  de  toutes  les  situations 
de  la  vie.  L'existence  des  armées ,  pleine  d'émotions  et  de 
troubles ,  entourée  de  périls ,  est  une  longue  ivresse.  On 
porte  en  soi-même  une  exaltation  oîi  les  peines  ne  sont  plus 
mesurées,  où  les  jouissances ,  par  cela  même,  le  sont  fidè- 
lement. TemjJS  heureux  après  tout  !  drame  terrible,  qui  ne 
menace  la  trame  fragile  de  notre  vie  d'un  redoublement  et  en 
quehjue  sorte  d'une  fièvre  de  fragilité,  qu'en  l'agrandissant 
sans  mesure  par  toutes  les  facultés  nouvelles  qu'il  développe 
(!n  nous  !  De  ces  facultés,  la  première  est  l'instinct  univeisel 
([ui  fait  sentir  non  point  les  sacrifices ,  mais  les  biens  ;  qui 
fu't  voir  non  point  la  mort,  mais  le  devoir,  la  nécessité,  la 
gloire! 

Si  cet  instinct  héroïque  fait  le  soldat,  le  Français  est  plus 
soldat  que  tout  autre.  Nulle  part  ailleurs  on  ne  trouve 
comme  dans  ses  rangs  la  vivacité  des  saillies  dans  les  souf- 
Irances  et  les  périls.  Sa  résignation  ingénieuse  et  altière  défie 
le  sort.  Sa  gaieté  insouciante  et  moqueuse  oppose  un  sar- 
casme à  tous  les  maux  ;  elle  salue  d'une  folie  les  moindres 
cliances  favorables,  rit  de  la  mauvaise  fortune,  croit  à  la 
bonne,  fronde  la  discipline  sans  cesser  de  s'y  asservir,  res- 
pecte les  chefs  tout  en  les  aimant  beaucoup  et  les  raillant  un 
peu  ;  elle  est  enfin  mobile,  variée,  inépuisable  ;  elle  renaît  sans 
cesse  d'elle-même,  et  fait,  on  peut  le  dire,  le  génie,  l'âme,  la 
force  de  nos  armées.  Les  rangs  rompus,  les  armes  mises 
en  faisceaux  et  les  emplacements  fixés,  il  fallait  voir  ces 
quokiues  cent  mille  hommes,  oubliant  joyeusement,  pour  un 
moment  de  repos,  et  quel  repos  !  les  fatigues  du  jour,  celles 
du  lendemain ,  l'Europe  en  armes  qui  les  pressait  à  deux 
lieues  plus  loin  !  Déjà  la  corvée  est  partie  dans  tous  les 
sens.  Ceux  qui  restent  ont  promené  l'œil  de  tous  côtés,  et  vu 
tout  ce  qui  peut  se  conquérir,  sur  cette  terre  qui  leur  est 
donnée  pour  demeure.  Les  arbres  tombent ,  les  haies  sont 
coupées ,  la  vigne  court  de  grands  hasards.  Il  faut  du  feu  à 
tout  prix  :  la  50if;;e  l'exige.  Que  serait  d'ailleurs  la  nuit,  sans 
la  ilanune  du  foyer  qui  réchauffe  et  console  le  soldat?  Les 
misères  des  populations,  la  ruine  et  le  désespoir  chez  ces 
paisibles  habitants,  étrangers  à  tous  les  jeux  de  la  politique 
et  à  toutes  les  chances  de  la  gloire,  qui  y  songe?  Qui  peut 
y  songer?  Les  généraux  pas  plus  que  les  soldats ,  et  le  der- 
nier des  sous-lieutenants  pas  plus  que  l'officier  de  fortune 
couronné  qui  a  mis  en  branle  le  monde  pour  la  satisfaction 
de  son  orgueil  et  jusqu'à  l'épuisement  de  ses  grandeurs  !  La 
grande  affaire  est  de  pourvoir  au  salut  de  l'armée  :  qu'im- 
porte le  reste?  Comment  n'être  pas  blasé  sur  les  misères 
passagères  des  populations ,  quand  on  l'est  sur  les  siennes 
à  perpétuité?  D'ailleurs ,  il  n'y  a  pas  là  un  défenseur  offi- 
cieux des  infortunés,  un  modérateur  des  âmes,  qui  tente  de 
plaider,  contre  les  cris  de  la  soif,  du  froid  et  de  la  faim,  la 
cause  des  droits  de  l'humanité.  Le  génie  du  dix-huitième 
siècle  n'a  que  trop  aidé  les  fléaux  de  la  guciTC  à  fermer  les 
âmes  à  ces  vaines  pensées,  à  ces  impuissants  sciupules ! 

Cependant,  voilà  les  feux  allumés!  chaque  compagnie  a 
le  sien.  Quelquefois  elle  en  a  plusieurs ,  dans  les  temps  de 
luxe.  Dans  les  temps  d'indigence,  malheur  à  la  contrée! 


Tout  y  passe.  Qui  n'a  vu,  et  cela  dans  nos  bivouacs  de  France 
comme  dans  ceux  de  l'Allemagne  ou  de  la  Pologne,  les 
meubles  du  paysan,  employés,  après  les  barrières  de  sa  cour 
et  les  portes  de  sa  chaumière,  à  faire  les  frais  de  la  cuisine 
des  régiments?  C'était  pitié  d'entendre  les  vantaux  ciselés 
et  luisants  de  l'armoire  séculaire  pétillant  dans  l'àtre  impro- 
visé; pitié  surtout  de  voir  la  douleur,  d'écouter  les  cris  des 
habitants  dévastés.  Les  hommes  en  général  se  regardaient 
ruiner  silencieusement.  Mais  qui  dira  les  cris  des  femmes , 
leurs  sanglots,  leurs  malédictions?  Cruel  pour  autrui  à  son 
insu,  parce  qu'il  l'est  pour  lui-même,  le  soldat,  dans  sa 
détresse,  plaisante  jusque  sous  l'orage  de  ces  Xantippes 
révoltées.  Il  parle  gaiement  à  la  vieille  qui  l'outrage,  pour 
s'étourdir  lui-même,  et  poursuit  sa  course  en  disant,  afin 
de  s'affermir  dans  sa  dureté  forcée  :  «  Bah  !  la  mère,  on  traite 
comme  ça  ma  cabine  à  l'heure  qu'il  est.  Quand  je  retour- 
nerai chez  mon  père ,  je  n'y  trouverai ,  pour  récompense 
de  mes  services  à  la  patrie ,  que  ce  que  les  Cosaques  y  au- 
ront laissé.  Chacun  son  tour!  Il  faut  bien  que  le  soldat  vive. 
Vive  l'empereur!  »>  Et  il  courait,  laissant  derrière  lui  la  rage 
et  le  désespoir. 

Comment  oublier  jamais  que  dans  les  plaines  de  la  Cham- 
pagne, près  de  Méry-sur-Seine,  nous  avions  pu,  quelques 
officiers  exténués  de  fatigue,  nous  jeter  sur  un  lit  dans  une 
vaste  ferme  encomhrée  de  soldats.  Tout  à  coup  des  cris,  les 
flammes,  la  fumée,  nous  réveillèrent  :  c'était  la  fermière,  qui, 
dans  l'ivresse  de  sa  douleur  et  de  sa  vengeance,  avait  elle- 
même  mis  le  feu  à  son  propre  toit.  Quand  on  voulait  sortir 
du  milieu  de  l'incendie,  on  trouvait  celte  malheureuse,  la 
fourche  à  la  main ,  essayant  de  fermer  les  passages  et  de  re- 
jeter dans  l'incendie  les  coupables  de  ses  malheurs.  Les  cou- 
pables! elle  se  trompait;  il  aurait  fallu  chercher  ailleurs  : 
ses  coups  ne  pouvaient  pas  porter  jusque  là! 

Au  milieu  donc  de  tant  et  de  si  tristes  scènes,  l'insoii- 
ciance  militaire  n'était  pas  ébranlée  des  désolations  du  pays 
plus  que  des  propres  maux  de  la  troupe.  Ce  qui  l'attristait 
un  moment,  c'est  quand  la  pluie,  tombant  à  torrents,  étouf- 
fait le  feu  du  bivouac.  Contre  ce  malheur,  on  était  sans  dé- 
fense; alors  on  traitait  la  gloire  comme  peut-être  elle  le  mé- 
rite, et  l'empereur  quelquefois  n'était  pas  mieux  traité  que 
la  gloire.  11  t^iut  le  dire  :  (lans  les  temps  ordinaires,  c'était  un 
beau  spectacle,  à  la  nuit  tombante,  que  ces  lignes  de  feux 
sans  nombre,  qui  couraient  d'un  bout  à  l'autre  de  l'horizon 
comme  des  festons  de  lumière,  s'élevant  sur  les  collines,  re- 
descendant à  travers  les  vallées,  et  renvoyant  au  ciel  les  clar- 
tés qu'il  verse  à  la  terre.  Les  feux  une  fois  allumés  dans  chaque 
bivouac,  deux  pieux  plantés  à  terre  en  portaient  horizonta- 
lement un  troisième  auquel  pendait  la  marmite.  Le  cuisinier 
de  service  la  remplissait  comme  il  pouvait  :  d'abord  l'eau 
du  niisseau  ,  du  puits,  de  l'étang  voisin  ;  puis  ,  le  bœuf  et 
le  pain,  quand  il  y  avait  distribution  ;  autrement,  le  pain 
grossier  du  paysan,  les  légumes  qu'on  lui  avait  arrachés,  la 
pomme  de  terre  des  cantines,  enfin  le  salé  dont,  le  matin,  à  la 
jiàte  ,  le  vieux  soldat  avait  eu  la  précaution  de  charger  vic- 
torieusement son  sac.  Quand  tout  manquait,  on  attendait 
une  heure  ou  deux  la  picorée.  «  Ah!  vous  voilà!  vous  y 
avez  mis  le  temps.  Vous  êtes  donc  allés  chercher  le  ma- 
caroni chez  les  Napolitains  et  le  piment  chez  les  Espa- 
gnols? —  Soyez  tranquilles,  mou  officier;  il  n'y  a  pas  de 
misère.  Quand  vous  allez  voir  ce  qui  sortira  de  cette  bottfc 
de  paille,  vous  nous  en  direz  des  nouvelles.  Vous  ne  dî- 
niez pas  mieux  chez  votre  comtesse  de  Canifurshtein.  »  On  . 
se  pressait.  Quelquefois  des  miracles  :  poules,  canards, 
moutons  tout  entiers,  qui  criaient  encore.  «  Mille  bombes! 
vous  aurez  ruiné  la  compagnie,  vous  autres.  Toutes  ces 
têtes  de  gibier  ont  dO  coûter  un  argent  fou.  —  Ne  t'inquiète 
pas,  mon  vieux;  c'est  moi  qui  régale.  «Quelquefois  rien, 
ou  peu  s'en  {allait.  D'autres  partaient  aussitôt ,  se  croyant 
plus  habiles.  Ou  bien  la  lassitu<le  l'emportait,  et  on  en 
passait  par  où  le  sort  avait  voulu.  11  se  trouvait  bien  tou- 


BIVOUAC 


jours ,  dans  l'arrière -fond  des  cantines ,  iiu  quartier  de  veau , 
ou  de  porc ,  ou  de  mouton ,  qu'on  suspendait  sur  le  foyer 
comuieon  pouvait,  et  qu'on  regardait  rôtir  avec  recueillement. 
C'était  le  moment  du  silence  pour  la  troupe;  elle  contem- 
plait d'un  air  religieux  le  palladium  de  la  compagnie. 
Dans  cette  attente,  on  procédait  à  d'autres  soins  :  on  net- 
toyait les  armes ,  on  préparait  la  toilette  du  lendemain ,  on 
réparait  les  ravages  de  celle  du  jour,  on  faisait  les  lits.  «  A 
l'ouvrage!  criait  le  sergent.  La  paille  est  belle  et  bonne. 
Nous  aurons  une  nuit  de  rois.  Voyons  !  la  chambre  du  ca- 
pitaine. »  Une  ligne  d'échalas  était  établie  à  l'entour  du 
foyer,  marquant  les  limites  du  nouvel  État,  plus  haute  du 
côté  du  vent  et  de  la  pluie ,  opposant  aux  intempéries  le 
rempart  débile  d'une  étroite  cloison  de  paille  ou  de  bran- 
chages. Souvent  on  allait ,  s'il  y  avait  abondance  de  maté- 
riaux, jusqu'à  surmonter  la  place  réservée  pour  le  capitaine 
et  les  officiers,  d'un  toit  ni  plus  ni  moins  solide,  haut  de  trois 
pieds  et  appuyé  à  la  haie  commune.  Alors  la  paille  fraîche 
était  étendue  sans  tarder  sous  l'abri  protecteur.  Et  déjà  le 
capitaine ,  ou  du  moins  ses  jeunes  lieutenants,  sortis  la  veille 
des  écoles  et  plus  ardents  que  robustes ,  goûtaient  un  pre- 
mier sommeil ,  quand  tout  à  coup  :  «  Alon  lieutenant ,  la 
soupe  !  vous  n'entendez  pas  la  cloche  du  château  de  M.  votre 
père?  Vous  êtes  servi.  »  Alors ,  tout  le  monde  est  sur  pied. 
Joie  universelle.  C'est  un  coup  de  feu  ,  un  assaut  de  quoli- 
bet,s ,  de  dictons ,  de  réminiscences.  —  «  La  soupe  !  mon 
capitaine ,  à  vous  l'attaque.  »  —  Il  se  trouvait  souvent  une 
assiette ,  toujours  une  cuiller  pour  lui  ;  cuiller  de  bois  ou 
d'étain ,  qui  voyage  attachée  au  shako  des  chefs  d'escouade. 
L'assiette  est  de  bois,  de  faïence,  de  porcelaine ,  suivant  la 
statistique  du  voisinage  ou  la  fortune  de  la  compagnie. 
Quoi  qu'il  en  soit,  le  capitaine  et  les  officiers  ont  donné  le 
signal.  iMais  on  s'arrête  :  la  dîme  doit  être  levée  en  faveur 
des  sentinelles ,  car  à  l'armée  les  absents  n'ont  jamais  tort. 
Leur  part  faite,  à  chacun  la  sienne!  l^lus  heureux  que  les 
chefs  des  cuisines  opulentes ,  le  cuisinier  de  la  troupe  as- 
siste à  son  succès.  11  est  témoin  de  l'appétit  qu'il  excite  et 
qu'il  satisfait.  11  entend  ses  louanges;  il  en  jouit.  Son  con- 
frèie  des  cités  est  obligé  de  se  complaire  seul  dans  son  ou- 
vrage, d'imaginer  à  part  lui  tout  ce  qui  se  jiasse  à  l'autre 
étage,  dans  l'àme  charmée  de  convives  qui  l'ignorent  ;  il  ne 
peut  que  s'enivrer  des  fumées  de  son  amour-propre,  aliment 
peu  substantiel,  dont  il  (aut  bien  qu'il  se  contente ,  faute 
de  mieux.  Ici  ce  sera  autre  chose  :  des  réalités  seront  of- 
fertes au  cuisinier  du  bivouac.  L'un  ressemble  à  l'auteur 
inconnu  dont  l'œuvre  reste  ignorée  de  sou  vivant ,  et  qui 
est  réduit  à  rêver  les  admirations  lointaines  de  la  posté- 
rité; l'autre,  au  contraire,  est  le  poète  qui  assiste  à  la  re- 
présentation de  sa  tragédie  et  à  son  succès.  Le  succès  est 
toujours  grand  au  bivouac,  quelles  que  soient  les  censures 
dont  la  malignité  des  convives  l'assaisonne.  Car  rien  ne 
reste  ;  la  marmite  est  vidée.  Le  rôti  a  la  même  fortune.  Les 
bouteilles  qui  courent  à  la  ronde ,  quand  il  y  a  des  bou- 
teilles, donnent  au  succès  l'éclat  bruyant  de  ces  cinquièmes 
actes  romantiques  où  il  ne  reste  sur  la  scène  que  des  débris  , 
où  il  n'y  a  plus  que  le  public  qui  soit  vivant  :  ce  qui  vaut 
sans  doute  à  ces  ouvrages  les  transports  des  spectateurs , 
comme  s'ils  étaient  heureux  d'avoir  seuls  échappé  au  car- 
nage. Tels  sont  les  assistants  des  banquets  du  bivouac.  Eux 
aussi  ont  échappé  à  bien  des  périls.  Leur  drame,  dont  iis 
sont  les  héros  à  la  fois  et  le  parterre ,  leur  promet  par  ha- 
sard quelques  heures  de  repos.  C'est  par  de  bienfaisantes 
libations  qu'ils  y  préludent,  comme  pour  se  distraire  de  plus 
en  plus  des  cruelles  péripéties  de  cet  étrange  spectacle  de 
la  guerre  pour  la  guerre ,  et  de  la  conquête  pour  la  con- 
quête, que  la  révolution  est  venue  donner  au  monde!  Le 
vin  manque-t-il,  l'eau-de-vie  ne  manque  jamais.  Paraissez, 
cantinières,  avec  vos  tonneaux  de  poche,  qui  tiennent 
enfermée  la  moitié  de  l'âme  et  de  l'esprit  de  l'armée  ;  parais- 
sez, vous  qu'on  ne  peut  oublier  quand  on  parle  de  ces 


guerres ,  de  ces  marches ,  de  ces  batailles  terribles  !  Venez 
à  la  ronde  verser  les  joyeux  propos,  les  vivants  souvenirs , 
les  mémoires  improvisés,  les  récits  de  l'Espagne  et  de 
l'Egypte,  les  parallèles  entre  tous  les  soldats  et  entre  toutes 
les  beautés  de  l'univers  !  Versez ,  par-dessus  tout,  l'oubli 
de  cette  destinée  faite  à  un  grand  peuple  :  combattre  sans 
repos  et  vaincre  jusqu'au  suicide  ! 

La  eau  fini  ère  est  aimée  de  tout  le  monde,  aimée  dans 
le  sens  sérieux  du  mot.  Elle  n'est  pas  seulement  la  vivan- 
dière, elle  est  aussi,  si  on  ose  écrire  le  mot,  la  sœiu"  grise 
de  l'armée.  Son  ambulance  mobile  ne  l'abandonne  jamais. 
On  trouve  toujours  de  la  charpie  dans  ses  paniers  et  de  la 
commisération  dans  son  cœur.  Le  conscrit,  quand  il  se  traîne 
sur  les  chemins ,  boiteux  et  malade ,  sait  qui  aura  pitié  de 
lui ,  qui  lui  prendra  le  fusil  et  le  sac  pour  en  charger  ses  mu- 
lets ,  qui ,  au  besoin,  l'y  établira  lui-même ,  raillé  par  ses 
camarades ,  mais  porté  au  terme  de  sa  course ,  et  sur  d'as- 
sister, malgré  tout,  à  la  bataille  du  lendemain.  La  cantinière 
mêle  une  femme  à  cette  société  de  célibataires  armés.  C'est 
l'Eve  des  régiments.  Elle  a  mêmes  allures  que  le  soldat ,  et 
même  langage;  mais  sous  son  langage  grossier,  sous  ses  al- 
lures guerrières,  se  cache  un  cœur  de  femme.  L'esprit  dessé- 
chant du  siècle  où  nous  sommes  n'a  pas  agi  sur  elle  aussi  pro- 
fondément que  sur  l'âme  des  hommes.  Ses  quahtés  natives 
ont  résisté,  détournées  de  leur  but  quelquefois ,  mais  exal- 
tées par  cette  vie  d'émotions  et  de  sacrifices.  Son  dévouement 
inépuisable  s'accroît  parle  péril.  Son  courage  reste  tout  en- 
tier quand  celui  des  soldats  mollit,  et  qu'il  lui  en  faut  pour 
le  bataillon  comme  pour  elle.  Les  hommes  entre  eux  se 
secourent;  ils  ne  se  plaignent  pas.  Elle  plaint  en  secou- 
rant. Elle  ranime  par  ses  exemples,  par  ses  discours,  par 
ses  chansons.  Elle  a  toutes  les  intrépidités ,  celle  de  la  re- 
traite de  Russie,  comme  celle  de  la  mêlée  d'Eylau  jçt  de 
Friediand.  Les  hommes  n'en  ont  qu'une  souvent,  celle  du 
danger  ;  les  soldats  puisent  toutes  les  autres  dans  son  as- 
sistance. Fleurange  disait  :  «  Si  ma  belle  me  voyait!  »  le 
grenadier  est  plus  heureux  :  sa  belle  le  voit.  Aussi  sait-elle 
les  exploits  de  chacun.  Elle  ne  provoque  pas  seulement  des 
hauts  laits  nouveaux  ;  elle  se  rappelle  ceux  qui  ont  illustré 
le  régiment.  Elle  était  là ,  elle  a  tout  vu.  Il  y  a  quelqu'un 
qui  se  souvient  des  morts ,  qui  parle  d'eux,  qui  redit  leur 
nom  oubhé,  et  leur  histoire  digne  de  ne  pas  l'être.  Les  faits 
de  guerre  ne  sont  pas  seuls  restés  dans  son  souvenir;  elle 
sait  d'autres  exploits;  elle  les  dit  ;  elle  s'en  amuse  vaillam- 
ment. Et  ce  n'est  pas  qu'elle  ne  sache  s'honorer,  sous  son 
habit  et  ses  formes  mihtaires,  des  véritables  vertus  de  son 
sexe.  Bien  souvent  elle  voue  une  intrépide  fidéUté  au  vieux 
brave  dont  elle  porte  le  nom,  de  qui  elle  est  fière,  et  qui  est 
son  porte-respect  devant  le  régiment.  Mais  si  sévère  qu'il  ait 
le  visage,  il  n'empêche  pas  les  propos  galants  autour  d'elle; 
il  n'y  prétend  même  pas ,  ni  elle  non  plus.  Elle  va  au- 
devant,  quand  il  le  faut,  pour  pemonter,  comme  on  dit,  le 
moral  affaissé  de  la  troupe.  Alors,  elle  est  Brantôme  comme 
Joinville,  et  Dieu  sait  les  bravos  qui  accueillent  ses  rémi- 
niscences héroïques  !  Sous  la  pluie ,  sous  les  frimas,  sa  verve 
est  plus  animée  que  jamais.  «  Ils  ont  froid ,  eux  autres. 
Moi,  c'est  comme  à  la  journée  des  Pyramides.  La  terre  me 
brûle,  et  c'est  comme  cela  qu'il  faut  être.  Qui  faiblit  pour 
une  averse  peut  faiblir  partout.  Qui  tremble  au  froid  peut 
trembler  devant  l'ennemi.  »  Et,  ainsi  disant,  elle  verse  son 
breuvage  heureux.  La  souffrance  s'oublie.  On  pense  à  trouver 
le  sommeil,  comme  on  pourra,  une  fois  de  plus,  pour  vivre 
encore  un  jour,  et,  selon  le  mot  du  tambour  mourant, 
pour  en  voir  encore  une  !  On  répartit  ce  qu'on  a  de  paille 
autour  du  foyer.  On  met  le  havre-sac  sous  la  tête,  les  pieds 
au  feu;  le  silence  s'établit  de  foyer  en  foyer,  de  bataillon 
en  bataillon.  Dans  la  cavalerie,  les  chevaux  s'avancent 
au-dessus  des  héros ,  leur  tète  sur  la  tête  du  compagnon 
de  leurs  travaux  ;  intrépides  combattants,  qui  donnent  leur 
vie  avec  la  même  ardeur  que  le  soldat,  et  en  échange 


254  BIVOUAC  — 

n'ont  point  ce  bniit  que  nous  appelons  la  gloire.  Gloire, 
péril,  fatigue,  voilà  tout  oublié. 

...  Tout  dort,  et  rariiice,  et  les  vents,  et  Ni'[)tunc. 

Oui ,  mais  Napoléon  ne  dort  pa^;.  11  s'est  levé  du  lit  de 
camp  où  il  s'était  jeté.  «  A  cheval,  a-t-il  dit,  à  cheval!  » 
Son  état-major  vole  par  tous  les  chemins.  Sa  parole  est  arri- 
vée aux  trois  cent  mille  hommes  dont  il  est  l'âme  et  la  vo- 
lonté. Les  tambours,  les  trompettes,  remplissent  les  airs. 
«  Allons,  conscrit,  dit  le  sergent,  lu  as  assez  dormi,  mon 
enfant;  prends  garde  que  le  sommeil  t'engraisse  comme  un 
chanoine.  Allons,  te  dis-je,  mets  ton  cas(iue  à  mèche  dans 
l'armoire.  Prends  ta  (lûle  d'acier  :  nous  aurons  encore  à  en 
jouer  un  air  aujourd'hui.  »  Le  conscrit  n'entend  pas.  Le 
bruit  des  tambours  n'ébranle  pas  ce  sommeil  de  plomb. 
Mais  voilà  le  canon  q^i  gronde.  «  Une,  deux,  trois;  oh!  oh  ! 
cela  va  bien,  dit  la  cantinière,  en  rechargeant  son  mulet; 
nous  allons  rire,  les  bons  enfants.  La  chasse  aux  Cosaques 
doit  bien  se  faire  la  nuit.  Celui  qui  m'en  rapportera  un...  « 
Voilà  l'empereur!  les  sacs  sont  repris,  les  faisceaux  sont 
rompus;  le  régiment  est  en  bataille.  Le  conscrit,  autant  son 
schako  au  bout  de  sa  baguette,  cric  plus  haut  qu'un  autre  : 
Vive  Vempereur  !  On  rompten  colonne.  Toute  l'armée  se  pré- 
cipite sur  les  pas  de  son  chef.  Elle  court  à  Lutzen ,  à  Baut- 
zen,  à  la  victoire.  Les  feux  continuent  à  éclairer  au  loin  la 
nuit  profonde.  Il  ne  leste  de  l'armée  que  ces  feux  décevants, 
les  abris  abattus,  la  paille  que  le  vent  emporte,  la  terre  dé- 
vastée ,  une  ruine   de  bivouac  au  milieu  de  tant  d'autres 

ruines C'est  toute  l'image  de  l'ère  impériale  :  ces  débris 

représentent  ses  créations  d'un  jour,  ses  royaumes ,  son 
empire,  si  tôt  élevés,  sitôt  emportés  par  la  fortune;  cette 
paille,  que  l'ouragan  disperse  et  brise,  ses  armées  éparses 
à  travers  tous  les  champs  de  bataille;  ces  feux,  qui  bril- 
lent après  elles  sans  profit  comme  un  incendie ,  sa  gloire 
guerrière,  si  brillante  ,  si  terrible  et  si  vaine!  (1835). 

N.-A.  DE  SaLVANDY,  de  l'Acad.   Frnnrnise, 

BIZARRERIE.  Jadis  on  disait  bigeare  ce  qu'on  a 
depuis  appelé  bisarre,  ou  bizarre,  car  ces  termes  dérivent 
du  mot  bigarré  et  de  bis  variare,  appellation  qui  leur 
convient  comme  à  ces  étoffes  changeantes  qui  miroitent  et 
varient  d'aspect  à  la  lumière.  La  bizarrerie  diflère  du  ca- 
price en  ce  que  celui-ci  veut  ou  ne  veut  pas,  suivant  une 
disposition  instantanée  résultant  de  réflexions  ou  d'impres- 
sions rapides,  telles  qu'il  en  survient  dans  l'inconstante 
sensibilité  des  êtres  délicats,  des  fenmies  ou  des  enfants, 
tandis  que  la  bizarrerie  est  une  sorte  de  désordre  ou  même 
de  dépravation  dans  les  idées  et  les  actions,  se  manifestant 
tantôt  par  une  légère  folie,  une  monomanie  partielle, 
tantôt  par  une  espèce  d'orgueil  visant  à  l'originalité  ou  qui 
cherche  à  se  distinguer  :  il  est  des  génies  fantasques  ou 
vaniteux  qui  se  croient  neufs  et  ne  se  rendent  que  bizarres 
parleur  accoutrement ,  leur  démarche,  leur  tournure,  etc. 
Uiogène  avait  ses  prétentions,  non  moins  que  le  fastueux 
Aristippe. 

Néanmoins,  la  plupart  des  bizarreries  de  l'esprit  qui  ne 
sont  pas  de  commande  peuvent  naître  d'une  espèce  de  ma- 
ladie, c'est-à-dire  d'une  dépravation  dans  l'état  ou  le  mode 
de  la  sensibilité.  Elles  tiennent  souvent  à  de  vraies  idio- 
syncrasies  de  la  constitution.  Elles  résultent  parfois  de 
vices  d'organisation,  d'inégalité  d'action  d'un  sens  interne  ou 
externe  par  rapport  à  d'autres  sens  :  de  là  des  impressions  peu 
justes  ou  des  idées  fausses.  On  comprend,  par  exemple,  que 
de  jeunes  personnes  dont  la  menstruation  n'est  point  encore 
régidière,  éprouvent  desplélhores  partielles  de  sang  qui  bc 
porte  sur  diverses  régions  de  l'économie,  l'utérus,  le  système 
de  la  veine-porte,  le  foie,  les  poumons,  le  cerveau,  etc.  Il 
en  résulte  de  profondes  anomalies  dans  la  sensibilité,  counne 
on  en  observe  chez  les  fdles  chloroticpies  atteintes  d'hystérie. 
Les  hypocondriaques  manifestent  de  même  d'étonnant&s  irré- 
gularités dans  leurs  fonctions,  par  les  spasmes,  les  laborieuses 


BIZARRERIE 

digestions,  accompagnées  de  flatulences,  de  constipation,  de 
coliques,  de  tensions,  de  battements  de  cœur,  de  resserre- 
ments de  la  gorge,  d'agitations  inquiètes  pendant  le  som- 
meil, etc.  Alors  l'ennui  fermente  dans  l'esprit,  la  vie  déplaît 
jusque  dans  les  plaisirs;  on  se  tourmente,  on  aspire  même 
aux  douleurs  pour  sortir  de  cette  position  insupportable  qui 
tourne  la  cervelle.  C'est  alors  que  le  goût  se  dégrade;  on 
voit  des  fdlcsaux  pâles  couleurs  et  des  négresses,  atteintes 
du  mal  d'e-stomac,  dévorer  du  plâtre,  des  cheveux,  ronger 
de  la  cire  à  cacheter,  avaler  de  la  terre  ou  du  charbon ,  ou 
des  poignées  de  sel.  Ces  bizarreries  sont  involontaires, 
comme  les  appétits  de  certaines  femmes  grosses.  P>ien  de 
plus  extravagant  que  certains  goûts  pour  les  chairs  in- 
fectes, etc.  Plusieurs  empereurs  romains  poilèrent  jusqu'au 
délire  la  passion  de  la  gourmandise.  Rien  ,  en  effet,  ne  dis- 
pose davantage  aux  bizarreries  que  la  facilité  de  satisfaire 
tous  ses  désirs,  puisque  les  jouissances  assouvies  amènent 
le  dégoût  avec  la  recherche  des  nouveautés  les  plus  inusi- 
t;''es.  Il  en  résulte  des  vices  infâmes,  hideux,  surtout  dans 
les  climats  ardents,  où  les  passions  s'allument  avec  plus  de 
fureur,  et  où  la  fertilité  du  sol  multiplie  les  plaisirs. 

On  ne  doit  accuser  de  bizarrerie  que  les  actes  résultant 
de  volontés  dépravées,  soit  par  quelque  affection  de  nos 
organes ,  soit  par  le  délire  îles  passions.  Le  sexe  masculin , 
dit-on,  paraît  moins  sujet  aux  bizarreries,  parce  que,  doué 
d'une  sensibilité  moins  vive  et  moins  délicate  que  la  femme, 
ses  nerfs  obtus  jouent  faiblement  et  n'éprouvent  point  ces 
élans  d'agacement  qui  exaltent  à  un  si  haut  degré  des  êires 
plus  impressionnables.  La  colère  devient  impétueuse  chez 
les  personnes  remuantes,  maigres,  sujettes  à  l'exaspération. 
Ainsi ,  l'on  voit  des  enfants ,  des  jeunes  fdles ,  pleurer  et 
rire  presque  à  volonté;  d'autres,  non  moins  flexibles,  peu- 
vent s'endormir  ou  s'éveiller  sous  l'influence  de  l'imagina- 
tion,  ou  du  magnétisme  animal.  Rien  n'égale  les  bi- 
zarreries qu'on  peut  susciter  en  quelques  têtes  légères  ou 
folles ,  tandis  qu'une  forte  et  constante  volonté  rafl^ermit  le 
caractère  et  dompte  même  les  perturbations  les  plus  pas- 
sionnées. On  a  vu  des  hommes  résolus  surmonter  la  douleur 
du  corps  et  commander  à  des  maladies,  arrêter  avec  viri- 
lité les  affections  spasmodiques ,  suspendre  les  accès  ou 
paroxismes  fébriles,  etc.  Au  contraire,  toute  bizarrerie,  toute 
habitude  maladive  qu'on  laisse'  pénétrer ,  qu'on  accueille 
avec  complaisance,  par  mollesse,  finit  par  se  loger  obstiné- 
ment dans  l'économie  animale,  de  même  que  les  vices. 
N'avons-nous  pas  adopté  la  bizarre  coutume  des  sauvages 
de  fumer  une  herbe  narcotique?  Un  fakir  s'accoutume  à 
tenir  ses  mains  croisées  au-dessus  de  sa  tête;  après  des 
mois  et  des  années ,  ses  bras ,  ainsi  suspendus ,  deviennent 
paralytiques,  et  sa  bizarre  manie  est  une  nécessité. 

Que  dira-t-on  de  bizarres  rétroversions  de  la  sensibilité? 
Ou  a  connu  des  iiersonnes  ayant  pris  en  aversion  la  mu- 
sique, et  préférant  le  coassement  des  grenouilles  ou  les  bruits 
discordants.  On  en  voit  d'autres  qui  pleurent,  comme  les 
chiens  hurlent,  quand  on  joue  du  violon.  On  sait  quels 
bizarres  mouvements  suscitent  plusieurs  genres  de  specta- 
cles. La  [tuissance  d'imitation  transmet  les  douleurs  comme 
les  voluptés.  Il  est  enfin  des  esprits  tellement  organisés 
que  le  bizarre,  le  grotesque,  le  laid,  l'absurde  même,  ont 
seuls  le  don  de  leur  plaire. 

Cette  dis])osition  fantasque  à  des  boutades,  à  des  saillies 
extiavagantes  qu'on  nomme  des  bizarreries,  est  plus  souvent 
remarquée  encore  que  la  mobilité  instantanée  du  caractère, 
dans  les  tempéraments  grêles  et  légers,  soit  chez  les  femmes, 
soit  chez  les  hommes  doués  d'une  complexion  émiiu;mment 
hypocondriaque.  Le  caprice  n'est  pas  folie,  mais  la  bizarre- 
rie y  touche  souvent.  Tel  homme  qui  vise  à  l'originalité  ne 
rencontre  d'ordinaire  que  le  baroque,  s'il  mamiue  d'une 
intelligence  un  peu  supérieure  au  commun.  L'houuue  bi- 
zarre par  caractère  peut  être  timbré,  par  rai)port  à  sa  ma- 
rotte ;  il  a  son  genre  de  manie.  C'est  la  débilité  du  moral  ou 


i 


BIZARREIUE  —  B.TŒRISSTJERNA 


celle  lie  l'r.npareil  nerveux  ct^rébral  qui  le  rend  susceptible 
de  ces  agitations  soudaines  et  vives  comme  des  agacements 
désordonnés.  Telle  impression,  à  peine  capable  d'ébranler 
les  muscles  épais  et  robustes  d'un  athlète ,  d'un  guemer 
endurci  aux  fatigues  et  aux  conibats,  va  terrasser  de  con- 
vulsions et  lancer  dans  les  idées  bizarres  une  femmelette. 
Toujours  dominée  ou  plutôt  tyrannisée  par  la  sensibilité, 
Vimpressionabilité  de  ses  sens,  cette  complexion  délicate 
est  exposée  à  ces  tiraillements  étranges.  La  femme ,  l'en- 
fant, sont  précipités  dans  leucs  penchants  et  succombent  aux 
émotions.  Il  ne  faut  pas  leur  en  vouloir.  Il  y  a  peut-être 
plus  d'esprits  désordonnés  parmi  le  sexe  faible  que  parmi 
les  hommes.  Les  femmes  même  qui  montrent  le  plus  de  vi- 
gueur dans  le  caractère  subissent  nécessairement ,  par  cer- 
tains états  du  physique ,  comme  aux  approches  des  règles 
ou  dans  la  première  période  de  la  grossesse,  et  surtout  par 
l'hystérie,  une  multitude  d'idées  disloquées  ou  de  senti- 
ments empreints  d'irrégularités  extravagantes.  S'émouvant 
de  tout  avec  force,  les  plus  petits  chocs  doivent  paraître  dou- 
loureux ou  révoltants  à  ces  organisations  frêles.  De  là  nais- 
sent également  et  l'ardente  curiosité ,  et  ce  goût  si  violent 
pour  tout  ce  qui  est  singulier,  éclatant,  spécieux;  de  là 
ce  besoin  d'émotions,  cette  exagération  de  sensibilité  qui  les 
précipite  sans  cesse  vers  des  démarches  immodérées. 

Il  serait  cependant  injuste  d'attribuer  aux  femmes  seules 
le  monopole  de  la  bizarrerie,  ou  de  n'en  voir  que  les  effets 
nuisibles  et  déplaisants  dans  la  société.  Disons,  au  contraire, 
que  cette  mobilité  du  système  nerveux  en  atteste  souvent  les 
plus  brillantes  qualités.  Vous  ne  trouverez  jamais  un  grand 
poète,  un  nmsicien  subUme,  un  artiste  supérieur  au  vul- 
gaire, qui  ne  soit  pas  doué  de  cette  exquise  sensibilité  et 
qui  n'éprouve  pas  de  ces  agacements  involontaires.  Qu'est-ce 
que  l'inspiration,  ou  cet  état  d'exallation  morale  qui  tout 
à  coup  se  montre  et  improvise  quelquefois  de  sublimes  pen- 
sées ?  Croyez-vous  l'obtenir  par  une  froide  volonté  et  à  point 
nommé?  11  faut  que  la  machine  intellectuelle  et  sensible 
éprouve  cette  mobilité  vive ,  capricieuse  ,  qu'Horace  recon- 
naît être  l'apanage  du  poëte  et  du  musicien  ;  il  faut  être  tour- 
menté de  celte  divine  flamme  qui  embrase  lorsqu'on  s'y  at- 
tend le  moins.  Telle  est  aussi  cette  fureur  inspiratrice  des 
grands  acteurs,  non  moins  que  des  héros  dans  tous  les  genres. 
On  ne  peut  jouer  d'entraînement  si  l'on  ne  possède  pas  ces 
cordes  tendues  et  mobiles  qui  vibrent  à  l'unisson  de  l'âme 
et  qui  transportent  les  c(i>urs.  Pour  cet  effet  une  heureuse 
sensibilité  est  une  condition  admirable;  elle  annonce  l'élan 
poétique  et  allume  le  feu  sacré,  et,  comme  la  Sibylle,  on  s'é- 
crie :  Ecce  Deus  !  Cependant  on  peut  dire  que  c'est  une 
maladie,  puisque  le  parfait  équilibre  de  la  santé  est  une  as- 
siette tranquille,  froide,  imperturbable.  L'artiste,  inconstant 
ou  bizarre,  n'est  qu'un  malade  liévreux ,  pétri  de  passions, 
comme  Yoltaire  et  le  Tasse.  Les  poètes  lyriques,  comme 
les  nmsiciens,  semblent  être  surtout  les  plus  extravagants, 
les  plus  impressionnables  des  mortels  ;  ils  s'enflamment  ai- 
sément de  colère,  et  presque  tous  crachent  le  sang,  comme 
Grétry,  après  avoir  fait  des  efforts  de  composition  dans  leurs 
inspirations  les  plus  ravissantes. 

La  bizarrerie  est  une  disposition  commune  également  aux 
personnes  menacées  de  phthisie,  maigi'es,  vives,  irritables, 
disposées  aux  plaisirs ,  ou  qui  consument  trop  ardemment 
leur  jeunesse.  Les  personnes  âgées,  au  contraire,  plus  froiiles 
et  plus  constantes,  se  voient  bien  moins  exposées  à  ces  iné- 
galités d'humeur,  qui  sont  comme  d'utiles  décharges  d'électri- 
cité vitale  pour  le  jeune  âge.  Ces  extravagances  en  effet 
deviennent  parfois  un  besoin  pour  l'économie,  en  la  dé- 
barrassant d'une  pléthore  de  sensibilité  qui  l'oppresse.  On 
sait  que  des  femmes  éprouvent  l'inévitable  besoin  de  pleurer 
ou  de  rire,  même  sans  motif;  elles  étoiiffent  si  elles  sont  con- 
traintes de  renfermer  ces  débordements  de  leur  sensibilité. 
La  vie  cherche  à  s'épancher  au  dehors;  il  y  a  des  personnes 
qui  aiment  mieux  souffrir  de  la  douleur  que  de  subsister  dans 


l'apathie;  à  l'un  il  faut  la  guerre,  à  l'autre  l'amour,  à  cha- 
cun sa  folie.  J.-j.  Vuiey. 

BîZET.  Ce  substantif  est  resté  dans  la  langue ,  et  il 
faudra  bien  que  le  Dictionnaire  de  l'Académie  se  décide  à 
l'adopter  et  à  le  consacrer  officiellement  dans  l'acception  du 
garde  national  faisant  son  service  militaire  en  costume  civil. 
Mais  si  le  mot  est  admis,  si  l'usage,  plus  puissant  que  l'A- 
cadémie, lui  a  déjà  donné  ses  grandes  lettres  de  naturalisa- 
tion ,  en  revanche,  son  origine  est  peu  connue,  et  nous  le 
rappelons,  afin  de  ne  pas  laisser  ce  document  historique 
tomber  tout  à  fait  dans  l'oubli. 

A  l'époque  où  les  armées  étrangères  occupaient  Paris,  le 
général  russe  qui  commandait  la  place  avait  décrété  que  les 
rondes  de  nuit  seraient  faites  par  des  patrouilles  composées 
moitié  de  gardes  nationaux ,  moitié  de  soldats  moscovites 
ou  prussiens.  Un  tel  ordre  devait  exciter  et  souleva  sans 
doulebien  des  murmures  dans  la  milice  citoyenne  ;  un  garde 
national  nommé  Bizet  fit  plus  que  murmurer.  La  première 
fois  que,  se  trouvant  de  garde,  on  voulut  le  foire  marcher 
côte  à  côte  avec  un  soldat  russe,  il  s'écria  que  jamais  il  ne 
consentirait  à  cet  odieux  accouplement,  et,  déposant  les 
armes ,  il  quitta  le  poste  avec  indignation.  C'était  un  cœur 
chaud,  ce  brave  I^L  Bizet,  plein  de  susceptibilité  patriotique; 
de  plus,  très-bonapartiste,  et  beau-frère  du  secrétaire  de  l'em- 
pereur, de  Bourienne ,  qui  avait  épousé  sa  sœur.  On  voulut 
d'abord  étouffer  l'affaire.  Requis  bientôt  pour  un  nouveau 
service,  M.  Bizet  s'y  refusa,  déclarant  qu'il  ne  voulait  plus 
faire  partie  de  la  garde  nationale ,  et  qu'il  ne  rentrerait  pas 
dans  ses  rangs  tant  que  les  soldats  étrangers  s'y  trouveraient 
mêlés.  Cette  résistance  hautement  accomplie  et  vaillamment 
soutenue  eut  un  grand  retentissement;  le  garde  national 
rebelle  fut  traduit  devant  un  conseil  de  guerre,  et  il  eût  payé 
cher  sa  généreuse  révolte  si  la  clémence  royale  n'était  in- 
tervenue pour  le  tirer  de  ce  mauvais  pas.  Ainsi  M.  Bizet 
n'eut  que  le  bénéfice  et  la  gloire  de  son  action  un  instant 
menacée  des  plus  fâcheuses  conséquences.  Il  fut  prôné,  ap- 
plaudi ,  et  son  nom  eut  l'honneur  de  devenir  un  substantif 
dans  la  langue  française.  Dès  lors,  on  donna  le  titre  de  bizet 
aux  gardes  nationaux  récalcitrants,  et,  par  extension,  ce 
nom  s'appliqua  plus  tard  à  ceux  qui  refusent  de  prendre 
l'uniforme  et  qui  font  le  service  en  habit  bourgeois. 

Peu  de  temps  après  l'aventure  que  nous  venons  de  citer, 
1\L  Scribe,  qui  en  était  alors  à  ses  premières  armes  dans  la 
carrière  d'auteur  dramatique,  fit  représenter  un  vaudeville 
intitulé  Une  Nuit  de  la  garde  nationale,  qui  eut  un  im- 
mense succès.  Dans  cette  pièce,  figurait  un  soldat-citoyen 
rebelle  à  l'uniforme  ;  les  convenances  défendant  à  l'auteur 
de  donner  à  ce  personnage  comique  le  nom  de  RL  Bizet ,  il  le 
nomma  M.  Pigeon ,  ce  qui  est  en  quelque  sorte  un  syno- 
nyme dans  le  vocabulaire  de  l'histcire  naturelle  (voyez 
Biset).  Eugène  Guinot. 

B  JCffiRKST  JERNA  (  M  acnus  -  Frédéric-Ferdinand  , 
comte),  écrivain  et  homme  d'État  suédois,  naquit  le  10  oc- 
tobre 1779,  à  Dresde,  où  son  père  remplissait  alors  les  fonc- 
tions de  secrétaire  de  légation.  Élevé  en  Allemagne,  il  vint 
en  Suède  pour  la  première  fois  en  1793,  à  l'effet  d'entrer 
dans  l'armée.  Déjà  parvenu  au  giade  de  capitaine  au  mo- 
ment où  éclata  la  guerre  de  Finlande ,  la  bravoure  dont  il 
fit  preuve  dans  cette  campagne  lui  valut  le  grade  de  major. 
Après  la  paix,  il  fut  envoyé  en  1809  avec  une  mission  secrète 
auprès  de  Napoléon,  qu'il  rejoignit  la  veille  de  la  bataille 
d'EckmiihI.  En  octobre  1812  il  alla  négociera  Londres  la 
vente  de  l'île  de  la  Guadeloupe,  et  en  1S13  il  accompagna 
l'armée  suédoise  en  Allemagne  comme  colonel.  Chargé  alors 
d'occuper  Hambourg,  il  dut  battre  en  retraite  et  assista  en- 
suite aux  affaires  de  Grossbeeren  et  de  Dennewilz.  A  la  prise 
de  Dessau,  il  eut  deux  chevaux  tués  sous  lui,  et  fut  griève- 
ment contusionné  par  un  boulet  de  canon;  mais  il  n'en  prit 
pas  moins  part  à  la  bataille  de  Leipzig.  Plus  tard  ce  fut  lui 
qui  conclu'  avec  le  général  Lallemaud  la  capitulation  relative 


256 

à  Lubeck  ;  et  il  négocia  également  la  reddition  de  Maestriclit. 
Après  la  prise  de  Paris ,  il  agit  encore  contre  le  corps  fran- 
çais reste  à  Hambourg  sous  les  ordres  de  Davoust,  et  fit 
ensuite  partie  du  corps  d'armée  expéditionnaire  chargé  de 
faire  passer  la  Norvège  sous  les  lois  de  la  Suède.  Ce  fut  lui 
qui  conclut  avec  le  prince  Cliristian-Frédéric  de  Danemark 
la  convention  de  Moss,  qui  mit  fin  à  la  lutte.  En  1815  il  passa 
adjudant  général  et  fut  créé  baron.  Nommé  lieutenant  géné- 
ral en  1820,  il  fut  promu  en  1826  à  la  dignité  de  comte,  et 
envoyé  en  182S  en  Angleterre  avec  le  titre  de  ministre  plé- 
nipotentiaire. Il  conserva  ces  fonctions  jusqu'en  1846,  époque 
où  il  revint  à  Stockholm,  où  il  mourut,  le  6  octobre  1847. 

Comme  publiciste,  le  comte  Bjrenisfjerna  appartenait  h 
l'opinion  libérale  mod-^rée.  Dans  les  écrits  intitulés  :  Om 
tUlxmpnlng  af  fond-eller  stochs-sijstemet  pa  Svcrige 
(Stockholm,  1829);  Om  bcslmttningcm  grimdcri  Sverige 
(1832;  2"=  éilit.,  1833)  et  Englcska  Statsskulden  (1833),  il 
recommandait  à  ses  compatriotes  l'adoption  du  système  an- 
glais de  crédit  [Miblic.  Mais  quand  la  question  se  présenta 
devant  la  diète  ,  c!!e  y  fut  assez  mal  accueillie  par  les  états. 
Dans  ses  Gnindcr/err  rrprescntntionensmœjliga  ombyg- 
gnad  och  fœrenlUing  (  Stockholm ,  1835  ),  il  avait  déjà  pro- 
posé d'apporter  des  améliorations  au  système  suivi  pour  la 
représentation  nationale.  Lors  delà  diète  de  18'ÎO,  il  défendit 
avec  beaucoup  de  talent  dans  une  brochure  le  principe  du 
f-uffrage  universel  conjme  base  de  la  représentation. 

On  a  encore  du  comte  de  Bjœrnstjerna  :  Fœrslag  till 
jury  i  trych-frihetsmal  (18.35);  Dct  BriUisha  riket  i  Os- 
f Indien  (  1839) ;et  Théogonie,  Philosophie  et  Cosmogonie 
des  Hindous  (  en  allemand  et  en  suédois,  1843). 

BLACAS  (Blacas  de),  seigneur  d'Aulps,  surnommé 
le  grand  Guerrier,  et  l'un  des  neuf  preux  de  la  Provence, 
naquitau  milieu  du  douzième  siècle.  Sa  naissance  était  il- 
lustre; caries  chartes  du  temps  prouvent  qu'il  tenait  le  rang 
(le  haut  baron.  Sa  valeur,  su!i  esprit  et  sa  magnificence  lui 
donnèrent  un  grand  crédit  à  la  cour  d'Alfonse  II  et  de  Rai- 
inond-Bérenger,  comtes  de  Provence.  Les  contemporains 
(le  Blacas ,  éblouis  par  ses  grandes  qualités ,  ont  peut-être 
cru  qu'il  manquerait  quelque  chose  à  sa  gloire  s'ils  n'inscri- 
vaient pas  son  nom  parmi  ceux  des  troubadours.  Mais  le  peu 
de  tensons  qu'on  a  recueillis  de  lui  ne  donnent  pas  une  idée 
fort  avantageuse  de  son  imagination  poétique.  Sa  renommée 
guerrière  était  assise  sur  des  fondements  plus  solides;  aussi 
6on  caractère  est-il  passé  à  la  postérité  comme  le  type  de 
la  générosité  et  de  la  vaillance.  Les  vieux  historiens  nous 
en  ont  transmis  le  portrait  suivant  :  «  Noble  baron,  riche, 
généreux,  bien  fait ,  il  se  plaisait  à  faire  l'amour  et  la  guerre, 
.'i  dépenser,  à  tenir  des  cours  plénières.  Il  aimait  la  magni- 
ficence, la  gloire,  le  chant,  le  plaisir,  et  tout  ce  qui  donne 
de  l'honneur  et  de  la  considération  dans  le  monde.  Personne 
n'eut  jamais  autant  de  plaisir  à  recevoir  que  lui  à  donner. 
]l  nourrit  toujours  les  nécessiteux;  il  fut  le  protecteur  des 
délaissés,  et  plus  il  avança  en  âge,  plus  on  le  vit  croître  en 
générosité,  en  courtoisie,  en  valeur,  en  richesse  et  en  gloire, 
j)lus  aussi  il  se  fit  aimer  de  ses  amis  et  redouter  de  ses  en- 
nemis. Il  fit  les  mêmes  progrès  en  esprit,  en  savoir,  en 
habileté  à  composer  et  en  galanterie.  »  Ces  derniers  traits, 
s'ils  ne  sont  pas  outrés,  peuvent  faire  supposer  que  les 
chansons  les  plus  remarquables  de  Blacas  ne  sont  pas  par- 
venues jusqu'à  nous.  Blacas  mourut  dans  un  voyagea  Rome, 
en  1235. 

Bertrand  d'Alamanon ,  Richard  de  Noves  et  Sordel  (pocfc 
du  Mantouan),  ses  amis  et  ses  frères  d'armes,  ont  célébré 
sa  mémoire  par  plusieurs  chants  funèbres.  Celui  de  Sordel 
est  surtout  remarquable  par  la  hardiesse  d'une  apostrophe 
(lu'il  adresse  nommément  à  tous  les  princes  delà  chrétienté, 
en  les  conviant  à  venir  manger  du  cœur  de  Blacas,  s'ils 
veulent  être  animés  de  son  courage. 

Blacas  eut  deux  petits-fils ,  également  célèbres  dans  les 
armes,  Blacassct  </eI3i-ACAS,  qui  composa  le  poème  De 


BJOERNSTJERNA  —  BLACAS 

la  manière  de  bien  guerroyer,  et  Guillaume  de  Blacas, 
l'un  des  preux  que  Charles  d'Anjou,  comte  de  Provence, 
choisit  pour  le  combat  en  champ  clos  que  ce  prince,  à  la  tête 
décent  chevaliers,  devait  soutenir  contre  Pierre  III,  roi  d'A- 
ragon,  dans  la  ville  de  Bordeaux,  le  1^"'  juin  1283 ,  mais  où 
l'Aragonais  ne  jugea  pas  à  propos  de  paraître.    Laine. 

BLACAS  (PrEiuîF,-LoL'is-JEAN-CASiMiR,duc  de),  marcjuis 
d'Aulps  et  des  Roîands,  grand  maître  de  la  garde-robe, 
naquit  en  1770,  à  Aulps,  d'une  noble  famille  illustrée  par  le 
précédent,  et  qui  était  devenue  une  des  plus  pauvres  de  la 
Provence.  Le  duc  de  Blacas ,  qui  n'était  d'abord  que  comte, 
qui  devint  ensuite  marquis,  puis  enfin  duc,  a  prouvé  d'une 
manière  éclatante,  par  l'exemple  de  sa  vie,  qu'on  peut  être 
à  la  fois  un  grand  seigneur  spirituel,  môme  lettré,  et  le  plus 
inepte  des  ministres.  Capitaine  de  cavalerie  au  moment  où 
éclata  la  révolution  de  1789,  il  émigra,  servit  dans  l'armée 
des  princes,  puis  dans  la  Vendée.  Plus  tard,  à  Vérone,  en 
Italie ,  il  gagna  la  bienveillance  du  marquis  d'Avaray,  con- 
fident de  Louis  XVIII ,  et  fut  bientcJt  honoré  de  la  faveur 
particulière  de  ce  monarque,  qui  le  chargea  de  diverses 
missions  qu'il  remplit  avec  succès.  Ce  fut  lui  qui,  lorsque 
la  petite  cour  de  Vérone  dut  s'éloigner  devant  les  armées 
républicaines,  obtint  pour  elle  de  l'empereur  Paul  1"  un 
asile  en  Russie.  Lorsqu'en  1800  l'auguste  exilé  fut  expulsé 
des  Étals  moscovites,  Blacas  le  suivit  à  liartwell,  en  An- 
gleterre, et  devint  son  ministre  de  la  guerre.  En  1814 
Louis  XVllI  ramena  avec  lui  en  France  Blacas ,  que  le  mar- 
quis d'Avaray,  en  mourant,  lui  avait  en  quelque  sorte 
légué.  Il  le  nomma  ministre  de  sa  maison ,  secrétaire  d'État, 
intendant  des  bâtiments  et  grand  maître  de  la  garde-robe, 
bien  que  l'ancien  titulaire,  le  duc  de  La  Rochefoucault-Lian- 
court,  fot  encore  vivant.  Enfin,  sans  avoir  le  titre  de  pre- 
mier ministre,  le  comte  de  Blacas  le  devint  de  fait  ;  mais  ni  lui 
ni  ses  collègues  n'étaient  à  la  hauteur  de  leur  situation. 

Ce  cabinet  trouva,  dès  les  premiers  mois  de  son  existence, 
le  moyen  de  mécontenter  les  émigrés,  et  surtout  les  roya- 
listes de  l'intérieur,  sans  se  concilier  les  partisans  de  Bona- 
parte et  de  la  république.  Inintelligent  des  ressorts  du  gou- 
vernement représentatif,  il  ne  fit  rien  pour  se  former  une 
majorité  dans  les  deux  Chambres.  Aussi  la  session  de  1814 
elfaça-t-elle  le  prestige  de  la  Restauration.  De  la  part  du 
gouvernement ,  aucune  loi  ne  répondit  aux  intérêts  réels  du 
pays,  les  deux  Chambres  ne  furent  qu'un  ressort  impuissant. 
Blacas  et  ses  collègues  ne  voulurent  pas  comprendre  que 
pour  rétablir  la  monarchie  française  il  fallait  autre  chose  que 
les  débris  d'un  empire  tombé,  et  que  la  Charte  appelait  immé- 
diatement une  législation  nouvelle.  Loin  de  là,  ce  ministère 
laissait  percer  dans  ses  discours  qu'il  ne  regardait  la  Charte 
que  comme  une  œuvre  de  transition.  Dans  sa  présomption, 
Blacas  repoussait  tous  les  conseils.  Dès  que  quelqu'un  avait 
à  lui  faire  tenir  un  avis  salutaire,  il  disait  avec  une  impertur- 
bable suffisance  :  «  Qui?...  cet  homme-là!  Ah  bah!  c'est 
un  intrigant,  un  alarmiste,  un  frondeur.  Je  ne  veux  pas  en 
entendre  parler.  »  Ce  n'était  pas  en  conseil  des  ministres  que 
se  traitaient  les  affaires  ;  Blacas  servait  d'interprète  entre 
ses  collègues  et  le  roi ,  qu'il  rendait  inabordable.  Les  choses 
allèrent  même  si  mal  que  l'abbé  de  Montesquieu,  ministre 
de  l'intérieur,  fut  bientôt  en  inimitié  ouverte  avec  lui.  L'abbé 
de  Montesquiou  était  l'homme  des  affaires;  M-  de  Blacas, 
l'homme  de  l'intimité.  De  là  ces  altercations  animées  qui 
troublèrent  plus  d'une  fois  le  conseil,  et  amenèrent  ce  mot 
adressé  à  M.  de  Blacas  :  Jm  France  peut  supporter  dix 
maîtresses  et  pas  iin  seul  favori.  On  sait  comment  finit 
ce  gouvernement,  qu'on  a  qualifié  â' anarchie  paternelle. 
Jusqu'au  dernier  moment ,  aveugle  par  son  incurable  pré- 
somption, Blacas  envisagea  la  tentative  de  Napoléon  comme 
l'acte  d'un  insensé.  Les  avis  les  plus  précis  donnés  par  Fou- 
ché  ,  par  Barras  ,  qui  devaient  être  bien  instruits ,  l'opinion 
même  de  Louis  XVIll,  ne  purent  lui  dessiller  les  yeux. 

11  suivit  le  roi  jusqu'à  Ostende,  et  se  jeta  aux  pieds  du  no 


BLACAS  —  BLACK 


257 


narque  pour  le  détourner  de  se  réfugier  en  Angleterre, 
comme  certains  conseillers  en  avaient  ouvert  l'avis.  A  Gand, 
il  continua  de  diriger  les  aflaires  ;  mais  à  la  fln  des  Cent- 
Jours,  lorsqu'il  parut  certain  que  le  roi  allait  être  rendu  à  la 
France,  une  clameur  universelle  s'éleva  contre  Blacas.  Le 
monaixjue  résista  longtemps.  Mais  Blacas  lui-même  tinit  par 
sentir  qu'il  était  un  ministre  impossible  ;  ses  amis  en  con- 
vinrent ;  les  puissances  étrangères  exigèrent  formellement 
son  renvoi;  le  vieux  roi  était  inflexible.  Enfin  Blacas  prit  le 
parti  de  s'éloigner  volontairement.  Ce  fut  à  Mous  qu'il  an- 
nonça au  roi  Louis  XVIII  sa  résolution  :  «  Je  ne  veux  pas , 
dit-il ,  que  l'impopularité  de  mon  nom  devienne  un  obstacle, 
ni  que  le  moindre  murmure  se  mêle  aux  acclamations  du 
peuple  qui  vous  attend.  »  Le  jour  même  il  partit  pour  l'An- 
gleterre; mais  cette  espèce  d'exil  ne  fut  pas  long;  nommé 
pair  de  France ,  il  fqt  quelques  mois  après  chargé  de  l'am- 
bassade- de  Naples.  Certains  journaux  étrangers  publièrent 
alors  sur  lui  une  note  apologétique,  que  répétèrent  deux  ou 
trois  feuilles  parisiennes.  Cette  apologie  était  si  outrée  qu'elle 
ne  produisit  d'autre  effet  sur  l'opinion  que  de  raviver  le 
souvenir  des  torts  de  celui  qui  en  était  l'objet.  On  rappe- 
lait surtout  qu'environné  d'une  foule  de  fripons,  d'agents 
d'affaires,  d'agioteurs,  qui  mettaient  à  profit  sa  profonde 
ignorance  des  hommes,  il  laissa  mettre  à  l'encan  les  croix 
de  Saint-Louis  et  de  la  Légion  d'Honneur.  Les  places ,  les 
pensions ,  tout  se  vendait  alors  au  ministère  de  la  maison 
du  roi.  On  récompensait  des  services  qui  jamais  n'avaient 
été  rendus,  de  prétendues  vieilles  fidélités  qui  ne  faisaient 
que  de  naître;  on  était  digne  des  grâces  royales  dès  qu'on 
avait  de  l'argent  pour  les  payer. 

A  Naples,  le  marquis  de  Blacas  fut  le  négociateur  du 
mariage  du  duc  de  Berr  y  avec  la  princesse  Caroline,  fille 
du  roi  des  Deux-Siciles.  Jamais  ambassadeur  ne  déploya 
plus  de  magnificence  dans  ses  fêtes  :  telle  était  la  volonté  de 
Louis  XYIII ,  dont  les  bienfaits  furent  la  source  de  l'opu- 
lence de  Blacas.  Ce  ministre  se  rendit  ensuite  à  Rome ,  où 
il  arriva  dans  le  mois  d'avril  1816.  Secondé  par  l'ambassa- 
deur de  France ,  Courtois  de  Pressigny,  évêque  de  Saint- 
Malo,  il  signa  le  concordat  de  1817.  A  la  suite  de  cette 
transaction ,  qui  fut  si  mal  reçue  chez  nous,  et  à  laquelle  le 
gouvernement  finit  par  renoncer,  Blacas  vint  h  Paris.  Son 
retour  fit  passer  plus  d'une  mauvaise  nuit  fi  celui  qui  était 
alors  en  possession  de  la  faveur  du  monarque  ;  mais  M.  D  e- 
c  az  es  l'emporta,  et,  aprèsune  seule  audiencedeLouisXVllI, 
avec  lequel  il  eut  l'honneur  de  déjeuner,  Blacas  retourna  à 
Rome ,  où  il  continua  de  représenter  sa  cour  avec  magnifi- 
cence. En  1S20  le  roi  le  créa  duc ,  et  lui  conféra  le  cordon 
bleu.  On  prétend  qu'il  assista  invisible  au  congrès  de  Lay- 
bach,  en  1821.  Quoiqu'il  en  soit,  il  retourna  en  1822  à  son 
ambassade  de  Naples ,  ne  revenant  à  Paris  que  périodique- 
ment pour  y  exercer  les  fonctions  de  premier  gentilhomme  de 
la  chambre;  du  reste,  sa  présence  n'y  produisit  plus  aucune 
sensation.  En  1830  il  réalisa  tous  ses  biens  pour  les  offrir 
au  roi  Charles  X,  qu'il  suivit  dans  son  exil.  Après  la  mort 
de  ce  prince,  il  continua  d'habiter  l'Allemagne,  et  mourut 
à  Vienne,  au  mois  de  novembre  1839. 

Archéologue  distingué ,  le  duc  de  Blacas  était  membre  de 
rinstitut  en  quaUté  d'associé  libre  de  l'Académie  des  Ins- 
criptions et  de  celle  des  Beaux -.\rts.  Il  fut  le  protecteur  zélé 
de  Champollion  jeune,  qui  lui  a  adressé  ses  Lettres 
sur  les  antiquités  égyptiennes.  11  avait  formé  ce  riche  ca- 
binet d'antiquités  que  M.  Reinaud,  de  l'Institut,  a  décrit  en 
partie  dans  un  ouvrage  intitulé  :  Description  des  vionu- 
ments  musulmans  du  cabinet  de  M.  le  duc  de  Blacas 
(Paris,  182S,  2  vol.  ).  Ch.  Du  Rozom. 

BLACK  (Joseph),  chimiste  et  physicien  anglais,  qui 
a  mérité  que  Fourcroy  l'apixilàt  l'illustre  Nestor  de  la 
révolution  chimique,  est  un  de  ces  hommes  de  talent  qui 
font  époque  dans  l'histoire  des  sciences,  moins  par  le  nom- 
bre que  par  l'à-propos  de  leurs  découvertes.  L'école  de 

DICT.    DE   LA  CONVEUS.   —  T.     111. 


Boy  le  avait  légué  à  ses  successeurs,  avec  les  germes  d'una 
chimie  toute  nouvelle ,  un  excellent  esprit  d'observation. 
Plusieurs  savants  étaient  à  la  poursuite  du  nouvel  ordre 
de  vérités  que  laissaient  entrevoir  les  aperçus  donnés  par 
Boyle  et  Haies.  Black  eut  le  bonheur  de  rencontrer  un  des 
premiers  la  riche  veine  qui  a  produit  la  chimie  moderne. 
Mais  à  l'habileté  qui  découvre  il  ne  joignait  pas  le  génie 
qui  féconde;  cette  gloire  fut  celle  de  Lavoisier. 

Ké  en  1728,  à  Bordeaux,  de  parents  écossais,  Black  fit  ses 
études  à  l'université  de  Glasgow ,  et  y  apprit  la  profession 
de  médecin  sous  le  docteur  CuUen.  Des  discussions  s'étant 
élevées  entre  divers  professeurs  sur  quelques  points  de  la 
médecine  lithognostique,  et  particulièrement  sur  l'eau  de 
chaux,  Black  fut  conduit  à  rechercher  les  causes  de  la  caus- 
ticité de  cette  terre.  Déjà  Van  Helmont  avait  reconnu  que 
les  pierres  calcaires  laissent  dégager  quelquefois  un  air  au- 
quel il  donna  le  nom  de  gaz.  Haies  vit  ensuite  que  cet  air 
faisait  une  partie  essentielle  de  ces  pierres.  Black  vint  bien- 
tôt après  (1752)  annoncer  que  ce  gaz  était  capable  d'être 
absorbé  par  la  chaux  et  les  alcalis,  de  les  neutraliser  et  de 
leur  donner  la  propriété  de  faire  effervescence  avec  les 
acides.  Enfin  il  prouva  que  la  calcination  de  la  chaux  lui 
donnait  de  la  causticité,  parce  que  la  chaleur  en  expulsait 
l'air  fixe,  et  que  la  chaux  amène  les  alcalis  du  commerce  à 
l'état  caustique,  en  leur  enlevant  ce  gaz  (aujoiu-d'hui  l'a- 
cide carbonique). 

Frédéric  Hoffmann  avait  entrevu  la  magnésie  en  1722  ; 
mais  ce  fut  Black  qui  en  1755,  ayant  examiné  avec  le  plus 
grand  soin  la  base  du  sel  d'Epsom  ,  démontra  que  c'était 
une  substance  particulière,  qui  devait  être  rangée  parmi  les 
terres. 

Ces  découvertes  étaient  importantes  ;  mais  elles  avaient 
bien  moins  de  portée  que  celle  à  laquelleil  parvint  en  17()2, 
étant  professeur  de  médecine  à  Glasgow,  Il  essaya  de  me- 
surer la  quantité  de  chaleur  qu'arbsorbe  la  glace  en  se  li- 
quéfiant, et  cette  simple  expérience  fut  une  grande  décou- 
verte. Quand  les  corps  passent  de  l'état  solide  à  l'état  li- 
quide ou  gazeux,  ce  changement  est  accompagné  d'une  ab- 
sorption de  chaleur  que  le  thermomètre  ne  révèle  pas  :  c'est 
ce  phénomène  que  Black  a  découvert ,  et  qu'il  a  nouuiié 
calorique  latent.  Sa  théorie  ne  fut  pas  plus  tôt  connue 
dans  le  monde  savant  qu'elle  reçut  un  grand  nombre  d'ap- 
plications importantes.  Black  lui-même  s'occupa  de  déler- 
mhier  la  chaleur  latente  de  la  vapeur  d'eau  ;  mais  ses  ex- 
périences ne  le  conduisirent  pas  à  des  résultats  précis;  la 
solution  de  ce  problème  était  réservée  à  James  Watt,  son 
illustre  disciple. 

Ce  qu'il  y  a  de  singulier  dans  l'histoire  de  ces  découvertes 
de  Black,  c'est  qu'il  combattit  pendant  dix  ans  la  doctrine 
que  les  chimistes  français  avaient  en  grande  partie  fondée 
sur  ses  travaux.  Ses  recherches  sur  l'air  fixe  avaient  ouvert 
la  voie  aux  expériences  de  Priestley,  Cavendish  et  Lavoi- 
sier ;  sa  théorie  de  la  chaleur  latente,  en  expfiquant  la  haute 
température  qui  se  développe  au  moment  de  la  combustion 
par  le  calorique  latent  contenu  dans  l'oxygène ,  coupait 
court  aux  objections  que  les  partisans  de  Stahl  élevaient 
contre  la  chimie  pneumatique.  Ainsi ,  les  découvertes  de 
Black  avaient  grandement  contribué  à  la  connaissance  des 
fluides  élastiques,  connaissance  qui  venait  de  changer  la 
face  de  la  chimie,  et  l'on  ne  peut  que  s'étonner  de  voir 
Black,  professeur  de  chimie  à  Edimbourg  depuis  1765,  en- 
seigner à  ses  élèves  la  doctrine  du  phlogistique  de  Stahl.  1! 
finit  cependant  par  se  rendre  aux  preuves  que  chaque  jour 
accumulait  en  faveur  des  chimistes  français;  et  si  la  durée 
de  son  erreur  fait  peu  d'honneur  à  son  génie,  la  franchise 
avec  laquelle  il  la  reconnut  en  fait  beaucoup  à  son  caractère. 
11  ne  démontra  plus  dès  lors  dans  ses  cours  que  la  chimie 
pneumatique.  Jamais  professeur  ne  sut  mieux  faire  aimer 
la  science  qu'il  enseignait  ;  aussi  ses  leçons  contribuèrent- 
elles  beaucoup  à  répandre  en  Angleterre  le  goût  de  la  chimie. 

.13 


2-8  BLACK  — 

Black  mourut  en  1799.  Il  était  associé  de  l'Académie  Jcs 
sciences.  On  a  de  lui  :  Lectures  on  tlie  Eléments  of  C/ie- 
jnî5<jv/{1803)  ;deuxmétiioiresdaHslesP/ii/oso;;/i«ca/ ïnm- 
saclions  (1774  et  1701),  et  deux  lettres  sur  des  sujets  de 
chimie  nul)liées  par  Creilet  Lavoisier.  A.  Des  Geneviz. 
BLACK-DROPS,  c'est-à-dire  gouttes  noires  i-répa- 
ration  d'opium  par  l'acide  acétique,  très- usitée  en  An.le- 
e  e  où  elle  passe  pour  jouir  de  propriétés  supérieures 
aux  autres  com  osés  d'opium,  parce  qu'elle  tend  mo.ns  a 
occasionner  les  phénomènes  nerveux  ^^^'^^Z'tuThf^ 
l'administration  des  opiacés.  On  en  donne  de  deux  à  s  x 
gouttes  dans  une  potion  :  six  gouttes  contiennent  un  dem.- 

déci"ramme  d'opium.  .    . 

BLACKSTOi\E  (  William  ),  célèbre  jurisconsulte    ne 

à  Londres    le  10  juillet  172.'i,  était  le  lils  d'un  tisserand  en 

oie    OiTl  eiin  de  bonne  heure,  il  fut  élevé  par  les  soins  .l'un 

r  mit  qui  en  1738  l'envoya  à  Oxlbrd,  où  il  se  distingua  par 

on    rdeur  et  son  assiduité  au  travail.  Il  annonça,  beaucoup 

r«o,  t  it  de  dispositions  pour  la  littérature  et  la  poésie; 

cependan    iUe  décida  à  suivre  la  carrière  de  la  jurispru- 

icpce    ets'  tahliten  1746  comme  avocat.  Décourage  par 

on  peu  de  talent  pour  l'improvisation,  il  quitta  le  barreau 

lie  la  capitale  après  sept  ans  de  pratique ,  pour  aire  a  1  u- 

niver.ité  d'Oxford,  comme  agrégé,  <les  leçons  publiques  sui 

Ir.  constitution  et  les  lois  anglaises.  Son  cours    le  premier 

n„i  eut  lieu  en  Angleterre  sur  ce  sujet,  fut  s.  généralement 

api.laudi,  et  l'on  en  sentit  si  bien  l'utilité,  malgré  la  preoc- 

*  l  1  '  .       ■  i_-    :*.  ^i...ir>   irtc   £tf/\\tic.  Ternir 


eu  nation  u-esoue  exclusive  qu'on  avait  dans  les  écoles  pour 
les  études  classiques ,  qu'un  savant  jurisconsulte ,  du  nom  de 
Viuer,  laissa  par  testament,  en  1758  (cinq  ans  après  1  ou- 
verture de  cet  enseignement),   une  somme  destinée  à  la 
fondation  d'une  chaire  spéciale  de  droit   commun,  que 
niackstone  fut  aiipelé  à  occuper  à  la  mort  du  (ondaleur,  ar- 
rivée en  1758.  Toutefois,  il  ne  la  garda  que  peu  de  temps, 
mué  au  parlement  dès  l'année  1761 ,  il  fut  nomme  en  1703 
solicilor  gênerai  et  assesseur  de  Middlc-Temple.  En  17(;G 
il  renonça  à  la  chaire  d'Oxford.  Elu  de  nouveau  au  parle- 
ment en  1768,  il  fut  alors  nommé  recorder  de  Wallengford  , 
et  en' 1770  juge  à  la  cour  des  common  pteas ,  hautes  fonc- 
tions dans  l'exercice  desquelles  il  mourut,  le  14  féviier  1780. 
11  a  résumé  les  leçons  qu'il  faisait  à  Oxford  ,  dans  un  ou- 
vrage resté  classique  sur  cette  matière  et  intitulé  Commen- 
tâmes on  Ihe  Laws  of  England  ,  dont  on  ne  compte  plus  es 
édition'^  Il  ne  s'y  borne  pas  à  une  simple  explication  des 
lois    il  s'efforce  ou  outre  d'en  bien  faire  connaître  1  esprit  ; 
travail  d'autant  plus  utile  qu'il  était  sans  analogue.  Black- 
stono  cependant  cherche  hen  moins  à  y  présenter  une  ex- 
position philosophique  des  principes  de  droit  qu  a  bien  faire 
connaître  le  système  existant  et  à  le  déf.-ndre.  Saut  quelques 
maximes  générales  favorables  à  la  liberté,  il  s'y  montre  au 
total  l'ardent  délenscur  des  droits  de  la  couronne  et  j.resque 
illibéral  dans  ses  principes  en  matière  de  tolérance  reli- 
Rieuse  Aussi  se  vit-il  à  cet  égard  entraîné  dans  les  discus- 
sions les  plus  vives,  notamment  avec  Bentham  ,  dont  1  ou- 
vrage intitulé  Fragment  on  government  était  la  réfutation 
des  "idées  politiques  de  Blackslone.  On  a  encore  de  lui  Law 
Tracts  (1762)  ;  Analijsis  ofthe  laws  of  England  (1754), 
espèce  d'encyclopédie  et  de  méthodologie  du  droit  anglais. 
Son  fils   Hennj  Blackstone  ,  est  l'éditeur  des  Reports  of 
cases  in  thc  court  of  common  pleas  in  the  28th  year 

of  George  ///(1789).  •  .     »u  ♦    •♦ 

BL\CKWELL  (  Alexandre)  ,  économiste  et  botaniste 
anglais,  né  à  Aberdeen,  en  Ecosse,  mort  décapité,  en  Suède, 
le  9  août  1749  ,  était  le  fils  d'un  prêtre  écossais.  Il  termina 
à  Leydeses  études  médicales,  commencées  à  Edimbourg,  et 
s'y  (it  recevoir  docteur.  Il  se  rendit  alors  à  Londres,  ou,  la 
clientèle  ne  venant  pas,  il  fut  réduit,  pour  vivre,  a  se  faire 
correcteur  d'imprimerie.  Mais  plus  tard  le  mariage  qu  i 
contracta  avec  la  fille  d'un  riche  négociant,  à  laquelle  ilctail 
parvenu  à  inspbvr  le  plus  vif  attachement,  répara  sa  for- 


BLACQUE 

tune,  queson  inconduite  availheancoupcontribuéàdéranger. 
Sa  prospérité  ne  fut  pas  d'ailleurs  de  longue  durée.  Il  man- 
gea la  dot  de  sa  femme,  s'en  alla  se  promener  sur  le  con- 
tinent, visita  les  Pays-Bas  et  l'Allemagne  ;  puis  à  son  re- 
tour à  Londres  essaya  d'y  créer  une  imprimerie.  Redmt  a 
faire  banqueroute ,  il  passa  deux  années  dans  la  prison  pour 
dettes;  pendant  ce  temps-là  sa  malheureuse  femme-lui  pro- 
digua les  soins  les  plus  assidus,  et  à  force  de  travail  lui 
fournit  les  movens  de  désintéresser  ses  créanciers.  Ayant 
pris'un  logement  vis-à-vis  du  jardin  botanique  de  Chelsea, 
elle  fit  un  recueil  de  plantes  médicinales,  qu'elle  dessina, 
grava  et  coloria  elle-même.  Ce  travail  ,  d'une  exécution  par- 
faite fut  publié  sous  ce  titre:  A  curions  Herbal,  contai- 
îiinabQO  cuts  ofthe  most  useful  plants  (2  vol.  in- folio; 
Londres,  1737-1739  ).  Le  texte  en  a  été  rédigé  par  son  mari , 
qui  y  a  ajouté  la  synonymie  et  une  descviption  succincte  de 
chaque  plante.  Traduit  en  latin  et  en  allemand  ,  cet  ouvrage 
futpubhé  par  les  soins  de  Trew  (qui  mourut  pendant  1  en- 
treprise), et  continué  par  Ludwig,  RoseetBœhmer  (C  vol, 
in-fol.;  Nuremberg,  1750-1773). 

Blackwell  ne  gagnant  qu'à  grand'peine  sa  vie  tant  comme 
médecin  que  comme  imprimeur,  accepta  la  proposition  que 
lui  fit  le  duc  de  Chandos  de  diriger  les  travaux  d'améliora- 
tion entrepris  dans  les  terres  de  ce  seigneur;  mais  il  s  eu  lira 
assez  mal ,  quoiqu'il  eût  composé  sur  la  manière  de  faire 
valoir  les  terres  incultes  ou  stériles  et  de  dessécher  les  ma- 
rais un  traité  que  l'ambassadeur  de  Suède  fit  passer  a  sa 
cour,  comme  le  dernier  mot  de  la  science  à  cette  époque  sur 
cet  important  sujet;  et  on  conçut  à  Stockholm  pour  1  auteur 
de  ce  livre  une  si  haute  estime,  qu'on  l'attira  en  Suède. 
Blackwell  accepta  les  propositions  qui  lui  lurent  faites  et 
se  rendit  à  Stockholm.  Il  s'y  occupa  tout  à  la  fois  de  des- 
sèchement  de  marais  et  de  médecine.  Le  roi  étant  venu  à  être 
atteint  d'une  maladie  grave,  on  appela  en  consultation  le  mé- 
decin anglais,  qui  guérit  le  monarque.  Après  un  tel  succès, 
sa  fortune  paraissait  assurée  ;  mais  impliqué  en  174.  dans 
une  conspiration  ayant  pour  but  de  changer  l'ordre  de  suc- 
cession au  trône,  il  subit  la  question,  lut  condamne  a  mort 
et  exécuté  en  dépit  de  ses  i,rotestations  d'innocence.  Outre 
le  texte  explicatif  du  Ctirious  Herbal ,  on  a  de  lui  :  Mw 
Methodofimprovingcold,  tvet  and  barren  land,  parti- 
cularly  clayey  ground,  praclised  in  Great-BritamiLon. 
dres  1741  )  C'est  l'ouvrage  dont  nous  avons  parlé  plus  haut, 
et  dont  ensuite  il  fit  paraître  à  Stockholm  divers  extraits, 
traduits  en  suédois. 

BLAClîWELLIA,  nom  donné  par  Commerson  en 
l-honneur  de  l'intéressante  mistress  Blackwell,  femme  d  Alex. 
Blackwell,  et  auteur  du  Curions  Herbal,^  un  genre 
1  la  famille  des  homalinacées ,  et  adopté  par  Jn^sieu  qu. 
renferme  environ  huit  espèces,  indigènes  des  îles  de  Ma- 
dagascar  et  de  Bourbon  ,  de  l'Asie  tropicale  et  du  Nepauh  Ce 
sont  des  sous-arbrisseaux  ou  arbrisseaux  à  leui  les  alternes 
:  ipulées,courtementpé.ioIées,  dentées  ou  plus  raremen 
très-entières,  glabres  ou  pubescentes  en  dessous;  a  fieurs 
WancE  pdites,  disposées  en  épis  terminaux  ou  ax.l- 
lairps    simules  ou  paniculés. 

BLACQUE  (ALEXANDRE),  né  à  Paris,  en  1794,  mor 
à  Malte    en  1837,  se  rendit  en  Orient  dans  les  première» 
Ss  delaRestai'iration  ,et  fonda  à  Smyrne,  sous  le  titre  de 
Courrier  de  Smyrne,im  journal  destine  tout  a  la  fois  a 
servir  les  intérêts  de  la  civilisation,  ^^T  J  et  à  dé 
pénétrer  nos  idées  européennes  parmi  le*  Ju;^^  •  «;^  ^s 
fendre  les  intérêts  de  nos  nombreux  nationaux  engagés 
da"  s  le  commerce  des  Échelles  du  Levant.  Les  événements 
Sont  rori^nt  devint  le  th.-âtre  à  la  suite  de  l'insurrection 
g?ecqe  donnèrent  bientôt  une  grande  i-P-  t-^^-^J^^^^  < 
denotre  compatriote,  bien  placé  en  effet  pour  être  lenM  •. 
gné  sur  une  foule  de  faits  que  la  diplomatie  eu    a, me  à  «  ; 
nir  sous  le  boisseau.  Dans  sa  poléimque ,  il  ««  ™<>"î  J  °^^^ 
tamraent  l'ennemi  de  la   Russie,  dénonçant  sa  cauteleus- 


BLACQUE 

ambilion  el  sa  perfide  politique ,  conduite  qui  lui  valut  l'ini- 
mitié  déclarée  de  tous  les  agents  du  czar  dans  le  Levant. 
Après  la  bataille  de  ^'avarin,  Blacque  ne  craignit  pas  de 
heurter  de  front  les  préjugés  de  ses  nationaux  él  de  signaler 
la  destruction  de  la  (lotte  turque  comme  une  faute  énorme 
commise  par  la  France ,  dupe  dans  cette  circonstance  des 
manœuvres  de  la  Russie.  Cet  article,  écrit  au  même  point 
de  vue  que  celui  où  se  plaça  le  gouvernement  anglais,  lors- 
qu'il qualifia  en  plein  parlement  la  bataille  de  Navarin  de 
malheureux  événement  {untoward  evcnt),  irrita  singuliè- 
rement la  diplomatie  russe,  qui  en  demanda  justice  au  cabi- 
net français.  M.  de  Rigny ,  commandant  la  (lotie  française  dans 
les  eaux  de  Smyrne,  négocia  d'abord  avec  Blacque  pour 
obtenir  de  lui  une  rétractation  de  l'article  dont  s'était  of- 
fusquée la  susceptibilité  moscovite  ;  puis  ,  sur  le  refus  du 
piibliclste  ,  il  le  fit  conduire  prisonnier  à  son  bord  ,  et  donna 
ordre  de  briser  les  presses  du  Courrier  de  Smyrne. 

Après  avoir  protesté  contre  cet  abus  de  la  force  et  placé 
son  journal  sous  la  protection  du  gouvernementturc,  Blacque 
revint  en  France  demander  justice  aux  tribunaux,  et  l'ob- 
tint. Appelé  ensuite  à  Constanlinople  par  la  confiance  du 
sultan  Mahmoud ,  il  fonda  dans  cette  capitale  \e  Moniteur 
ottoman,  et  devint  le  conseiller  intime  et  souvent  l'inspira- 
teur du  gouvernement  turc.  S'il  eût  cédé  aux  instances  des 
ministres  du  sultan,  et  qu'il  eût  consenti  à  se  faire  musul- 
man, on  ne  sait  où  se  serait  arrêtée  la  fortune  de  notre  com- 
patriote, qui  fut  chargé  en  1837  ,  par  le  sultan,  d'une  mis- 
sion secrète  auprès  des  cabinets  de  Londres  et  de  Paris. 
C'est  en  touchant  à  Malte  dans  le  voyage  qu'il  fit  alors  pour 
remplir  cette  mission,  qu'il  mourut  empoisonné,  à  ce  que 
l'on  croit  généralement ,  par  un  domestique  qui  entretenait 
de  secrètes  relations  avec  l'ambassade  de  Russie.  La  diplo- 
matie du  czar  tut  débarrassée  par  la  mort  mystérieuse  de 
Blacque  d'un  des  hommes  qui  gênaient  le  plus  ses  manœu- 
vres en  Orient.  J.  Mlller; 

BLADAGE.  C'était  un  droit  qui  s'exigeait  dans  l'Albi- 
geois en  forme  decensive,  et  par-dessus  la  censive.  Cette 
redevance  consistait  en  une  certaine  quantité  de  grains  que 
l'emphytéote  était  tenu  de  payer  pour  chaque  bête  employée 
au  labour  du  fonds  inféodé. 

CL/EUW  ou  BLAUW  (eu  latin  Cecsius),  nom  d'une 
célclire  faniiiie  d'imprimeurs  et  d'érudits  hollandais,  qui 
n'a  pas  rendu  à  l'art  et  à  la  littérature  de  moindres  services 
que  les  Aide,  les  Giunti,  les  Etienne  et  les  Elze- 
vir,  et  qui  pendant  près  d'un  siècle  enrichit  sans  interrup- 
tion l'Europe  des  fruits  de  sa  savante  activité. 

Guillaume  Bl^euw,  mathématicien,  ingénieur-géographe 
et  éditeur  de  cartes  géographiques,  était  né  en  1571,  à  Alk- 
mar;  et  comme  son  père  s'ap;ielait  Jean,  il  piit,  suivant 
l'usage  des  Hollandais ,  le  nom  de  Janson Blœuw  (en  laiin 
Jansonius  Casius),  ce  qui  l'a  souvent  fait  confondre  avec 
un  autre  imprimeur  d'Amsterdam,  du  nom  de  Janson,  et, 
comme  lui  aussi ,  éditeur  de  cartes  géographiques.  Élève  de 
Tycho-Brahe ,  et  mathématicien  consommé  non  moins  que 
géographe  et  astronome  distingué,  Janson  Blœuw  rendit  de 
grands  services  à  la  science  par  la  confection  de  globes  célestes 
et  terrestres  surpassant  en  précision  et  en  beauté  tout  ce  qui 
avait  été  fait  jusque  alors,  et  par  la  pubUcation  de  cartes 
dressées  avec  un  soin  infini.  Si  comme  typographe  il  n'at- 
teignit ni  à  l'élégance  ni  à  la  perfection  des  Ehevir,  on  peut 
dire  que  la  plupart  des  livres  sortis  de  ses  presses  se  recom- 
mandent par  une  grande  correction  et  par  une  exécution 
soignée.  Parmi  les  ouvrages  dont  on  lui  est  redevable ,  nous 
citerons  Zeespiegel  (in-folio,  1G27  et  1G43);  Onderwijs 
van  de  hemelsche  en  aerdsche  globcn  (m-4",  1634); 
Kovus  Atlas,  c'est-à-dire  description  <le  l'univers,  avec 
de  belles  cartes  nouvelles  (6  vol.,  dont  on  possède  différentes 
éditions  1C34-1GG2);  et  Theatrum  Urbium  et  Munimen- 
torum  (in-folio,  1C19).  11  mourut  le  21  octobre  ^638,  lais- 
sant deux  fils,  Jean  et  Cornélius  ,  qui  jusqu'à  la  mort  de  ce 


BLAGUE 


2.^)9 


dernier,  arrivée  en  1650,  continuèrent  en  commun  le  com- 
merce de  leur  père. 

Jean  Bl/Euw,  fils  du  précédent, né  à  Amsterdam,  dans 
les  premières  années  du  dix-septième  siècle,  reçut  une  édu- 
cation des  plus  soUdes ,  et,  après  avoir  terminé  ses  éludes 
classiques,  fut  reçu  docteur  en  droit.  Il  entreprit  de  grands 
voyages,  en  Italie  surtout,  et,  à  son  retour  à  Amsterdam, 
fonda  une  maison  de  commerce  qu'il  réunit  plus  tard  à  celle 
de  son  père.  On  a  de  lui  un  Atlas  major  (  il  vol.,  1GG2; 
édition  française,  12  vol.,  1GG3;  et  édition  espagnole, 
10  vol.,  1669-1G72),  magnifiquement  exécuté  et  aussi  com- 
plet que  le  permettait  alors  l'état  de  la  science.  Il  publia  en 
outre  une  série  de  planches  topographiques  et  de  vues  de 
villes  où  une  exactitude  minutieuse  n'exclut  pas  le  luxe  de 
l'exécution ,  et  qui  sont  encore  recherchées  de  nos  jours  : 
la  Belgique  (2  vol.  in-folio,  16^9),  l'Italie  (2  vol.  in-fol., 
1663),  Naples  et  la  Sicile  (2  vol.  in-fol.,  1663),  ta  Sa- 
voie et  le  Piémont  (2  vol.  in-folio,  16S2).  Indt'pendam- 
ment  de  ces  grandes  entreprises ,  il  fit  aussi ,  tout  bon  pro- 
testant qu'il  fût,  mais  à  l'aide  de  divers  prête- noms,  de 
grandes  spéculations  sur  la  fabrication  et  la  vente  d'ouvrages 
catholiques,  ayant  à  cet  effet  d'importants  dépôts  en  diffé- 
rentes villes  et  même  à  Vienne.  Il  mourut  en  1680.  Huit 
années  auparavant ,  il  avait  eu  la  douleur  de  voir  ses  ate- 
hers  et  ses  magasins  complètement  détruits  par  un  effroyable 
incendie;  sinistre  qui  interrompit  et  arrêta  même  complé- 
teinent  quelques-unes  de  ses  entreprises. 

Le  second  de  ses  trois  fils ,  nommé  Guillaume ,  fut 
membre  du  conseil  de  la  ville  d'Amsterdam.  Les  deux  autres, 
Jean  ou  Pierre,  reprirent  l'établissement  typographique 
de  leur  père  et  continuèrent  ses  affaires  depuis  1682  jus 
qu'en  1700,  avec  la  distinction  qui  s'attache  à  cette  profes- 
sion lorsqu'elle  est  honorablement  exercée.  Parmi  les  bonnes 
éditions  d'auteurs  classiques  sorties  de  leurs  presses,  on  doit 
citer  les  Orationcs  Ae  Cicèvon  (6  vol.,  1699),  qui  ont  encore 
aujourd'hui  leur  valeur. 

BLAGUE.  Que  veut  dire  ce  mot?  d'où  vient-il?  pour- 
quoi sa  {orinwe.l  Blaguer,  c'est  mentir,  c'est  parler  la  langue 
que  parlent  les  charlatans  sur  les  places  publiques,  debout 
dans  leurs  cabriolets,  au  son  des  cymbales  et  de  la  trom- 
pette. Ces  arracheurs  de  dents  n'ont  pas  disparu;  leur  élo- 
quence; sert  môme  de  moule  à  la  blague,  nouveau  genre  de 
parler  et  d'écrire,  dans  lequel  grands  et  petits  vont  tous 
les  jours  se  surpassant.  Les  femmes  repoussent  encore  le 
mot  blague  de  la  conversation,  l'Académie  de  son  Diction- 
naire. Il  a  besoin  d'être  décrassé,  et  les  grammairiens  y  tra- 
vaillent, non  sans  succès,  comme  vous  l'allez  voir.  En  1789 
les  grands  seigneurs  mettaient  leur  tabac  dans  une  poche 
de  pélican,  une  blague.  En  1793  le  troupier  républicain 
renfermait  son  tabac  dans  une  vessie  d'une  autre  nature,  et 
l'appelait  sa  blague.  Aussi,  hier  encore  populaire  et  trivial , 
définissait-on  le  mot  blague  :  propos  de  peu  de  valeur, 
comme  une  vessie  vide  ;  mais  aujourd'hui  cette  expression 
prenant  faveur,  atteignant  tout  le  monde,  on  commence  à 
lui  chercher,  ainsi  qu'à  un  parvenu,  une  plus  noble  origine. 
Déjà  on  lui  a  déterré  dans  l'antiquité  d'admirables  racines  : 
en  latin  blatio,  blatire,  qui  signifie  crier  comme  le  cha- 
meau, la  grenouille,  le  bélier;  et  en  grec  pXâ|,  Liche,  pol- 
tron, mou,  sans  cœur.  Où  la  blague  va-t-elle  se  nicher? 
Toujours  est-il  que  l'Académie  ne  saurait  tarder  maintenant 
à  enregistrer  parmi  les  mots  français  un  mot  aussi  latin  et 
aussi  grec  que  celui-là.  Qu'attendrait-elle  encore?  n'est-il 
pas  passé  dans  nos  mœurs  ? 

Les  savants  apprennent  tout  à  coup,  il  y  a  quelques  an- 
nées ,  qu'Herschell ,  ayant  choisi  pour  observatoire  le  cap 
de  Bonne-Espérance,  s'est  enfin  armé  d'un  si  prodigieux  téles- 
cope qu'il  a  vu,  ce  qui  s'appelle  vu,  tout  ce  qui  se  jiassaiî 
dans  la  lune,  les  hommes,  les  femmes,  les  enfanls  et  las 
bonnes  d'enfants ,  et  les  tourlourous,  et  le  veste.  Et  que  di- 
sent les  savants ,  après  un  mois  de  réilexion  :  «  C'est  um 
r  33. 


260 


BLAGUE  —  BLAINVLLLE 


blague!  Une  magnifique  boutique  s'ouvre  plus  tard  dans 
le  plus  beau  quartier  de  Paris,  rue  Richelieu,  pour  l'ex- 
ploitation du  chou  colossal.  En  France  il  ne  manque  d'ar- 
gent pour  aucune  graine  de  niais.  Chacune  cette  fois  se 
vend  un  franc.  Tout  Parisien  d'accourir  et  de  planter  des 
choux  :  va-t'en  voir  s'ils  viennent!  c'est  une  blague!  Ci- 
gît  une  vieille  mine  de  charbon  épuisée;  le  propriétaire  lais- 
sait chômer  l'exploitation.  Un  spéculateur  la  lui  enlève  à 
tout  prix,  et  la  paye  30,000  francs.  Alors  il  appelle  autour 
<le  lui  des  actionnaires;  il  leur  divise  sa  houillère;  des 
;50,000  francs  il  fait  G, 000  parts  de  500  francs,  délivre  les 
trois  millions  de  titres,  encaisse  l'argent,  et  passe  en  Bel- 
gique, en  attendant  que  la  vérité  sorte  de  son  puits.  Lors- 
qu'ensuite  vous  demandez  :  «  Qu'était-ce  donc  que  la  houil- 
lère do  Saint-Bérain?  »  on  vous  répond  :  «  Une  blague.  »  — 
Lt  le  Montet-aux-iMoines?  —  Une  autre.  » 

A  certains  jours ,  les  abords  du  Théâtre-Français  sont 
encombrés  de  gens  qui  frappent  à  toutes  les  issues,  récla- 
mant à  grands  cris  l'ouverture  des  bureaux,  la  distribution 
des  billets  :  ils  sont  de  tous  côtés  écoriduits  par  les  em- 
])loyés,  malmenés  par  les  gendarmes.  La  salle  entière  est 
louée  jusqu'aux  combles  pour  les  trois  pjemières  représen- 
tations de  la  trilogie.  Le  public  de  ces  trois  jours-là  applau- 
dit avec  fureur  tout  ce  qui  se  présente  :  la  toile,  quand 
elle  se  lève;  les  acteurs,  avant  qu'ils  aient  ouvert  labouche, 
«•t  surtout,  quand  la  pièce  est  finie,  l'auteur.  A  la  quatrième 
soirée,  le  drame  tombe  sous  les  coups  de  sifilets.  Mais  les 
applaudissements?  Que  voulez- vous  1  les  amis  de  l'auteur  ont 
remis  leurs  mains  dans  leurs  poches  :  c'était  une  blague. 

Depuis  plus  de  soixante  ans,  entre  hommes  d'État,  cette  lo- 
cution est  acquise  à  la  politique.  Le  maréchal  de  l'empire  n'a- 
t-il  pas  dit  à  l'ex-repiésentant  du  peuple  :  La  liberté,  c'est 
une  blague!  et  le  vieux  marquis  à  l'ex-soldat  de  l'empire  : 
La  gloire,  c'est  une  blague!  et  le  capitaliste  de  1830  au 
vieux  marquis  :  La  légitimité,  c'est  une  blague!  Et  l'ou- 
viier  de  184s  n'a-t-il  pas  dit  au  capitaliste  :  Votre  ordre  pu- 
blic, c'est  une  blague  !  Vmi  les  vainqueurs  de  Juin  ont  dit 
aux  ouvriers:  Votre  égalité,  c'est  une  blague! 

Sur  ce  fond ,  un  grand  acteur  avait  taillé  sous  la  royauté 
de  Juillet,  dans  un  bloc  informe  de  comédie,  un  des  rôles 
les  plus  complets,  les  plus  saisissants  et  les  plus  extraordi- 
naires de  notre  théâtre.  La  pièce  est  morte,  mais  Robert 
Macaire  reste  debout  comme  un  type  vivant  de  démo- 
ralisation. Aujourd'hui,  plus  de  don  Juan,  de  commandeur, 
<le  dona  Anna;  plus  de  passion,  d'honneur  ni  de  vertu, 
mais  Robert  Macaire  entre  Éloa  et  le  baron  de  Wormspire, 
avec  cette  apostrophe  cynique  du  gendre  au  beau-père  : 
«  Mon  beau-père,  vous  êtes  un  vieux  blagueur  !  »  Mais  tai- 
sons-nous !  que  le  lecteur  n'aille  pas  nous  renvoyer  l'épithète 
mortifiante  que  lui  fournirait  notre  snjet!      Jules  Paton. 

BLAINVILLE  (  Hçnri-Marie  DUCROTAY  ne)  naquit 
à  Arques,  le  12  septembre  1777.  Comme  cadet  de  famille 
noble ,  il  fut  envoyé  de  bonne  heure  à  l'école  militaire  de 
Beaumont-en-Auge.  Mais  les  événements  de  la  première  ré- 
volution le  firent  renoncer  à  la  carrière  des  armes,  et  il 
quitta  subitement  l'école  vers  1792.  Poursuivi  ainsi  que  sa 
mère ,  il  alla ,  au  dire  de  quelques  biographes ,  chercher  un 
refuge  à  bord  d'un  bâtiment  qui  était  en  croisière  dans  la 
Manche,  sur  lequel  il  passa  quelques  mois  et  prit  part  à 
plusieurs  combats  sérieux.  Le  danger  passé,  Blainville  se 
livra  pendant  les  premières  années  de  sa  jeunesse,  et  avec 
l'enthousiasme  passager  et  variable  d'une  imagination  ar- 
dente et  d'un  caractère  impétueux ,  à  l'étude  de  diverses 
branches  de  la  littérature  et  des  arts ,  et  aussi  quelque  peu 
aux  dissipations  et  aux  égarements  du  monde ,  à  ce  point 
que  pendant  assez  longtemps  sa  famille  ignora  ce  qu'il  était 
devenu.  Un  jour  même,  et  lorsque  Blainville  avait  obtenu 
des  succès  dans  les  sciences,  un  ami  de  la  famille  demanda 
»  M.  Ducrotay  de  Blainville  aine,  (pii  n'avait  pas  quitté  le 
manoir  paternel,  ce  qu'il  savait  de  son  jeune  frère.  «  Rien  de 


bien,  répondit-il.  —  Mais  apprenez,  lui  dit  son  ami,  qu'il 
est  à  Paris,  et  qu'il  sera  sans  doute  un  jour  l'une  des  gloires 
de  son  pays!  — Impossible,  reprit  M.  Ducrotay;  car  il  n'a 
jamais  voulu  rien  faire ,  et  il  était  toujours  le  dernier  de  sa 
classe.  » 

Pendant  son  séjour  à  Paris ,  Blainville  avait  été  élève  de 
Mars  sous  les  tentes  de  la  plaine  des  Sablons,  musicien  au 
premier  Conservatoire  de  Paris ,  peintre  dans  les  ateliers 
du  célèbre  Vincent.  A  vingt-sept  ans  il  flottait  encore  incer- 
tain sur  son  sort  et  son  avenir,  lorsqu'un  jour  le  hasard  dé- 
termina sa  vocation  d'une  manière  irrévocable  :  il  entra  au 
Collège  de  France ,  et  entendit  une  leçon  de  Cuvier.  Frappé 
tout  à  coup  de  l'intérêt  du  sujet  traité  et  de  la  parole  entraî- 
nante du  célèbre  professeur,  il  sortit  de  l'amphithéâtre  avec 
la  résolution  arrêtée  de  se  vouer  désormais  aux  sciences 
naturelles  et  de  devenir  professeur.  Et  en  effet  il  rompit 
iramédi<itement  avec  ses  précédentes  habitudes  ;  trois  ans 
après  il  faisait  un  cours  d'anatomie  humaine ,  et  deux  ans 
plus  tard,  en  1810,  il  était  docteur  en  médecine.  En  1812, 
après  avoir  déjà  suppléé  Cuvier  au  Collège  de  France  et  au 
Muséum ,  il  obtenait,  au  concours,  de  monter  dans  la  chaire 
de  zoologie ,  d'anatomie  et  de  physiologie  de  la  Faculté  des 
Sciences;  et  lorsqu'en  1832  son  maître  nous  fut  enlevé, 
Blainville,  membre  de  l'Académie  des  Sciences  depuis  1825 
et  successivement  de  tous  les  corps  savants  de  l'Europe, 
déjà  depuis  quatre  ans  successeur  de  Lamarck  au  Muséum, 
pour  l'enseignement  de  l'histoire  naturelle  des  animaux  sans 
vertèbres,  fut  le  seul  que  l'opinion  publique  et  le  choix  de 
ses  confrères  désignèrent  pour  remplacer  Cuvier  dans  la 
chaire  d'anatomie  comparée. 

Cuvier  avait  d'abord  accueilli  Blainville  avec  bonté;  mais 
quand  le  grand  naturaliste  mourut,  il  n'en  était  plus  ainsi  déjà 
depuis  longtemps,  car  vers  1817  une  série  de  circonstances 
diversement  interprétées  amenèrent  entre  ces  deux  hommes 
une  rupture  éclatante.  C'est  alors  que  Blainville  dit  à  Cuvier  : 
«  Je  m'assiérai  un  jour  à  l'Institut  et  au  Muséum  d'Histoire 
Naturelle  à  côté  de  vous ,  en  face  de  vous  et  malgré  vous,  » 
prédiction  que  l'événement  réalisa.  Ces  paroles  ont  donné 
lieu  de  supposer  que  Blainville  était  dès  lors  disposé  à  une 
opposition  systématique  ;  c'est  sans  doute  elles  qui  ont  pu 
faire  dire  que  pour  connaître  son  opinion  sur  tel  ou  tel 
point  de  la  science  il  suffisait  de  prendre  une  conclusion 
diamétralement  opposée  à  celle  de  Cuvier.  Cependant  Blain- 
ville disait  en  parlant  de  l'illustre  savant  dont  une  première 
leçon  l'avait  acquis  à  la  science  :  «  Quel  bien  Cuvier  m'a  fait 
en  me  retirant  sa  faveur  et  sa  protection  !  je  lui  dois  ce  re- 
doublement d'ardeur  pour  le  travail,  ce  feu  dévorant,  qui 
me  permettront ,  je  l'espère ,  de  m'élever  à  sa  hauteur,  et  me 
donneront  peut-être  des  droits  à  lui  succéder!  Sans  celte 
rupture  qui  m'afflige ,  je  me  serais  engourdi ,  et  je  ne  serais 
qu'un  protégé.  » 

Il  est  facile  de  s'expliquer  pourquoi  la  doctrine  de  Blain- 
ville offre  tant  de  dissidences  avec  celle  de  Cuvier.  Celui-ci 
s'arrêta  en  zoologie  après  avoir  formé  ses  groupes ,  comme 
il  s'était  arrêté  en  anatomie  comparée  après  avoir  form;ilé 
sa  double  loi  physiologique  de  la  corrélation  et  de  la  sub- 
ordination des  organes.  Il  déclara  hautement  qu'il  n'en- 
tendait pas  décider  de  la  place  des  groupes  qu'il  décrivait 
successivement,  que  leur  ordre  de  succession  dans  son  livre 
n'impliquait  point  un  ordre  de  supériorité  ou  d'infériorité 
relatives ,  un  ordre  de  succession  dans  la  nature  :  c'est  ce 
que  le  mot  embranchement,  choisi  pour  ses  types  généraux, 
disait  au  reste  également.  Mais  Blainville  alla  plus  loin;  il 
aborda  sans  hésiter  cette  question  de  la  coordination  des 
animaux,  qui  lui  parut  être  la  grande  question  de  la  zoolo- 
gie ;  il  ne  doutait  pas,  a  priori,  qu'une  fois  admis  ce  principe 
de  corrélation  proclamé  par  Cuvier,  qui  fait  de  chaque  es- 
pèce une  combinaison  définie  d'organes  et  démontre  l'im- 
possibilité des  associations  désordonnées,  le  règne  animal  ne 
dût  offrir  un  dessein  régulier  et  susceptible  lui-même  d'être 


i 


BLAINVILLE  —  BLAIREAU 


2G1 


défini.  Pour  Blainville,  ce  devait  être  l'ordre  sériai,  ordre  qui 
se  démontrait  de  lui-mênae  à  l'aide  du  système  des  groupes 
convenablement  établi. Ce  qui  fait  donc  l'originalité  et  la 
supériorité  de  ses  travaux  zoologiques  ,  c'est  bien  moins  ce 
qu'il  a  changé  à  la  classification  proprement  dite  que  sa  doc- 
trine sur  la  coordination  des  groupes,  sur  la  série  animale. 
Sans  être  correct  et  toujours  aussi  disert,  abondant  et  fa- 
cile qu'on  aurait  pu  le  désirer,  Blainville  était  néanmoins 
éloquent ,  parce  que ,  naaître  lui-même  de  son  sujet,  il  savait 
communiquer  à  son  auditoire  les  inspirations  de  son  génie. 
Dans  son  enseignement ,  il  s'efforçait  de  donner  des  bases 
solides  à  l'édifice  scientifique  pour  l'érection  duquel  il  avait 
réuni  d'immenses  matériaux  pendant  une  vie  en  quelque 
sorte  doublée  par  une  incroyable  activité  et  une  facilité  non 
moins  grande.  Il  y  exposait  les  principes  de  cette  classifica- 
tion nouvelle  {voyez  Ammal,  t.  I,  p.  609  )  dont  on  trouve 
déjà  le  germe  dans  quelques-unes  de  ses  premières  publica- 
tions, entre  autres  dans  son  Mémoire  sur  la  place  que 
doit  occuper  Vaye-aye  dans  la  série  des  mammifères,  et 
dans  son  Prodrome  d'une  nouvelle  distribution  systéma- 
tique du  règne  animal  (  1816),  publications  dont  le  cou- 
ronnement fut  VOstéographie,  ou  description  iconogra- 
phique comparée  du  squelette  et  du  système  dentaire 
des  cinq  classes  d'animaux  vertébrés ,  récents  et  fossiles 
(in-4*',  1839-1850  ),  gigantesque  entreprise ,  que  la  mort  de 
son  auteur  laisse  malheureusement  inachevée,  et  à  laquelle 
il  travaillait  encore  une  heure  avant  d'expirer. 

«  Par  la  publication  de  ce  grand  et  important  ouvrage, 
a  dit  M.  Constant  Prévost,  il  voulait  non-seulement  démon- 
trer que  les  détails  de  l'organisation  annoncent  dans  la  série 
des  êtres  actuels  une  conception  dont  toutes  les  parties  sont 
intimement  enchaînées ,  mais  il  se  proposait  encore  de  faire 
voir  que  les  êtres  de  toutes  les  époques  qui  se  sont  succédé  et 
ont  vécu  depuis  les  plus  anciens  temps  géologiques  jusqu'au 
moment  présent  appartenaient  également  au  même  plan.  En 
effet,  si  ces  êtres  anciens  présentent  des  différences  spécifiques 
plus  ou  moins  grandes  en  raison  de  leur  ancienneté,  ils  n'an- 
noncent aucune  différence  importante  d'organisation  ;  bien 
mieux,  parmi  ces  êtres  perdus  de  l'ancien  monde,  ces  gen- 
res, ces  familles  qui  ne  sont  plus  représentés,  dit-on,  dans 
la  nature  vivante ,  le  naturaliste  ne  trouve  rien  de  fonciè- 
rement étrange,  rien  qui  lui  annonce  d'autres  conditions 
d'existence ,  rien  qui  puisse  enfin  lui  faire  raisonnablement 
supposer  que  les  trilobites,  les  plésiosaures,  les  ptérodac- 
tyles, pas  plus  que  les  anoplotheriums  et  les  mastodontes, 
n'auraient  pas  pu  vivre  en  communauté  avec  les  crustacés, 

les  crocodiles,  les  tapirs  ,  les  éléphants  de  notre  époque 

VOstéographie,  loin  d'être  une  copie  ou  un  complément 
des  ouvrages  de  Cuvier,  est  une  œuvre  nouvelle,  originale, 
indispensable ,  et  demandée  par  les  besoins  et  les  progrès  do 
la  science;  elle  est  destinée  à  fournir  des  documents  positifs 
non-seulement  pour  éclairer  des  questions  depuis  longtemps 
controversées  faute  de  preuves ,  mais  encore  pour  aider  à 
renverser  des  préjugés  déjà  trop  fortement  enracinés.  » 

Nous  ne  pouvons  indiquer  tous  les  travaux  de  Blainville, 
notamment  cette  foule  de  mémoires,  d'articles,  de  rapports 
d'un  grand  intérêt,  qu'il  fit  successivement  paraître  dans  di- 
vers recueils  scientifiques;  bornons-nous  à  citer  :  De 
l'Organisation  des  Animaux,  ou  principes  d'anatomie 
comparée  (  1822),  résultat  de  quinze  années  de  travaux  as- 
sidus, dont  on  regrette  que  le  premier  volume  ait  seul  paru  ; 
Manuel  de  Malacologie  et  de  Conchyliologie  (1825); 
Cours  de  Physiologie  générale  et  comparée  professé  à 
la  Faculté  des  Sciences  de  Paris  en  1829-1832,  publication 
restée  inachevée  ;  Manuel  d'Actinologie  ou  de  Zoophyto- 
logie  (1834);  Sur  les  Principes  de  la  Zooclassie  (1847). 
Blainville,  qui  ne  s'adonnait  pas  exclusivement  aux  sciences 
naturelles,  a  laissé  en  outre  parmi  ses  papiers  des  mémoires 
sur  plusieurs  questions  politiques  et  sociales. 
Une  vie  aussi  laborieuse  n'avait  en  rien  affaibli  la  robuste 


constitution  de  Blainville.  Cependant,  le  1"  mai  1850,  à  dix 
heures  du  soir,  encore  plein  de  santé  et  de  vie,  au  moins 
en  apparence ,  il  se  fit  conduire  à  l'embarcadère  du  chemin 
de  fer  de  Rouen,  dans  l'intention  de  se  rendre  à  Dieppe  pour 
y  passer  quelques  jours.  Mais,  frappé  sans  doute  d'une  at- 
taque d'apoi»le\ie  dans  le  wagon  où  il  venait  de  monter, 
tout  ce  qu'on  put  faire  lorsqu'on  s'en  aperçut  fut  de  le 
porter  dans  une  des  salles  d'attente  et  de  courir  chercher 
un  médecin,  dont  les  soins  furent  inutiles  ;  quelques  minutes 
après ,  Blainville  expirait.  Rien  n'indiquait  dans  ses  traits 
qu'il  eût  éprouvé  la  moindre  douleur.      E.  Merlieux. 

BLAIR  (Hugh),  ecclésiastique  et  littérateur  écossais,  dont 
les  sermons  sont  encore  aujourd'hui  considérés  comme  les 
modèles  de  l'éloquence  de  la  chaire  en  Angleterre,  naquit 
le  7  avril  1718,  à  Edimbourg.  Après  avoir  fait  de  brillantes 
études  au  collège  et  à  l'université  de  cette  ville,  il  entra 
dans  les  ordres  à  vingt-trois  ans,  et  ne  tarda  point  à  se  faire 
une  réputation  comme  prédicateur.  En  1758  il  fut  nommé 
pasteur  de  l'église  cathédrale  d'Edimbourg.  En  s'attachant 
moins  aux  discussions  métaphysiques  qu'au  développement 
des  vérités  morales ,  il  opéra  dans  l'éloquence  de  la  chairo 
une  véritable  révolution.  En  1755  il  avait  fait  paraître  dans 
YEdinburgh  Journal  un  extrait  raisonné  de  la  philosophie 
morale  d'Hutcheson,  et  il  transporta  dans  ses  préceptes 
littéraires  ce  sage  éclectisme  philosophique  et  ce  sens  psy- 
chologique qui  sont  le  caractère  distinctif  de  l'école  écossaise. 
En  1759  il  commença  à  faire  des  cours  publics  de  rhéto- 
rique et  de  belles-lettres,  dans  lesquels  il  communiquait  à 
son  auditoire  les  fruits  de  son  expérience  personnelle ,  et 
qui  obtinrent  un  immense  succès.  Il  en  publia  le  résumé 
en  1783,  sous  le  titre  de  Lectures  on  Rhetoric  and  Belles- 
Lettres,  ouvrage  depuis  longtemps  connu  et  jugé ,  dont  le 
succès  fut  européen,  qui  abonde  en  sages  préceptes,  en 
remarques  judicieuses,  en  vérités  utiles,  et  qui  a  été  suc- 
cessivement traduit  dans  notre  langue  par  Cantwell  (  1797), 
par  P.  Prévôt  de  Genève  et  par  Quenot  (  Paris,  1821  ).  L'au- 
teur nous  apprend  lui-même  qu'il  a  mis  à  profit  pour  le 
composer  des  notes  d'Adam  Smith.  Son  cours  charma  tel- 
lement son  auditoire,  que  le  gouvernement  ne  fit  qu'obéir  à 
l'opinion  publique  en  créant,  en  1762,  une  chaire  particu- 
lière de  rhétorique  et  de  belles-lettres  à  Edimbourg ,  et  en 
la  confiantà  l'habile  professeur  qui  venait  de  faire  ses  preuves 
de  bon  goût  et  d'érudition.  Ses  Sermons,  dont  la  première 
édition  parut  en  1777,  ne  furent  pas  moins  bien  accueillis; 
et  le  gouvernement  récompensa  l'éloquent  orateur  par  une 
pension  de  200  liv.  st.  ;  ce  sont  d'ailleurs  plutôt  des  disser- 
tations morales  et  philosophiques,  il  faut  le  reconnaître,  que 
ce  que  nous  entendons  en  France  par  sermons.  On  n'en  compte 
plus  les  éditions ,  et  dès  1784  le  pasteur  Frossard  les  avait 
traduits  en  français.  Blair  encouragea  et  seconda  de  sa 
bourse  Macpherson  pour  la  publication  des  poésies  d'Os- 
sian.  Il  croyait  fermement  à  leur  authenticité,  et  en  1763 
il  écrivit  une  dissertation  pour  la  démontrer.  Ce  digne  minis- 
tre de  l'Évangile  mourut  à  Edimbourg,  le  8  janvier  1801, 
à  l'âge  de  quatre-vingt-trois  ans. 

BLAIR  (James),  théologien  écossais,  mort  en  1743, 
abandonna  l'Église  épiscopale  d'Ecosse,  et  vint  en  Angle- 
terre dans  les  dernières  années  du  règne  de  Charles  II.  Après 
avoir  pendant  longtemps  résidé  en  Virginie,  d'abord  comme 
missionnaire,  puis  comme  commissaire,  il  revint  en  An- 
gleterre solliciter  l'autorisation  et  les  ressources  nécessaires 
pour  fonder  au  chef-lieu  de  cette  colonie ,  Williamsburg, 
un  collège,  qu'il  dirigea  pendant  près  de  trente  ans.  Il  rem- 
plissait en  même  temps  les  fonctions  de  membre  du  conseil 
colonial.  On  a  de  lui  :  Explication  du  divin  sermon  pro- 
noncé par  notre  Sauveur  sitr  la  montagne  {  1742). 

BLAIREAU ,  genre  d'animaux  mammifères,  apparte- 
nant à  l'ordre  des  carnassiers  et  à  la  section  des  planti- 
grades. Leur  système  dentaire  présente  les  caractères  sui- 
vants :  ils  ont  une  très-petite  dent  derrière  la  canine,  puis 


262 


BLAIREAU  —  BLAISE 


deux  molaires  pointues ,  suivies  en  haut  d'une  que  l'on  re- 
connaît pour  dent  carnassière  au  vestige  de  tranchant  qui 
se  montre  sur  son  côté  externe  ;  derrière  elle  est  une  grosse 
tuberculeuse  carrée  ;  en  bas ,  l'avant-dernière  commeflce 
aussi  à  montrer  de  la  ressemblance  avec  les  carnassières 
inférieures  ;  mais  comme  elle  a  à  son  bord  interne  deux 
tubercules  aussi  élevés  que  son  tranchant,  elle  ne  joue  que 
le  rôle  de  fuberculeuse.  La  dernière  dent  d'en-bas  est  très- 
petite.Les  blaireaux  sontdes  animaux  nocturnes,dont  la  queue 
est  très-courte,  les  doists  très-en^jagés  dans  la  peau,  et  qui 
se  distinguent  particulièrement  par  une  poche  située  sous  la 
queue ,  et  d'où  sort  une  humeur  grasse  et  fétide.  Leurs  on- 
gles de  devant ,  très-allongés,  les  rendent  habiles  à  fouir  la 
terre  ;  leurs  poils  sont  longs  et  soyeux. 

On  n'en  connaît  avec  certitude  qu'une  seule  espèce  :  c'est 
le  blaireau  d'Europe ,  vulgairement  aussi  nommé  le  tais- 
son  ,  qui  a  la  taille  d'un  chien  de  médiocre  grandeur  et  la 
physionomie  du  mâtin,  mais  qui  est  beaucoup  plus  bas 
sur  jambes.  Ses  poils,  longs,  rares  et  durs,  présentent 
dans  leur  longueur  trois  couleurs  différentes,  du  blanc,  du 
noir  et  du  roux  ,  et  c'est  l'étendue  relative  de  ces  trois  cou- 
leurs sur  chaque  poil  qui  produit  la  coloration  diverse  de 
chaque  partie  du  corps.  11  est  grisâtre  en  dessus,  noir  en 
dessous.  La  tête  est  blanche  en  dessus,  avec  deux  taches  noi- 
râtres sur  les  côtés,  qui  naissent  entre  l'extiémité  du  mu- 
seau et  l'œil ,  et  vont  en  s'élargissant  de  manière  à  enve- 
lopper l'œil  et  l'oreille,  derrière  laquelle  elles  se  terminent. 

Le  blaireau  est  un  animal  solitaire,  qui  passe  la  plus 
grande  partie  de  sa  vie  au  fond  d'un  terrier  oblique  et  tor- 
tueux, qu'il  tient  toujours  très-propre,  et  dont  il  ne  sort 
guère  que  la  nuit,  pour  chercher  sa  nourriture,  ou  pour  se 
réunir  à  sa  femelle  au  temps  des  amours.  Il  vit  à  la  lois  de 
viande  et  de  fruits ,  comme  l'indique  la  conformation  de  ses 
dents ,  à  la  fois  propres  à  diviser  la  chair  et  à  mâcher  des 
substances  végétales.  La  femelle  met  bas  en  été  trois  ou 
quatre  petits,  pour  lesquels  elle  a  soin  de  préparer  d'a- 
vance ,  au  fond  de  son  terrier,  un  lit  d'herbe  et  de  mousse , 
et  qu'elle  nourrit,  à  l'époque  où  ils  cessent  de  teter,  de  la- 
pereaux ,  de  mulots,  de  lézards,  et  de  miel,  quand  elle  en 
peut  découvrir.  Ces  animaux  pris  jeunes  s'apprivoisent  fa- 
cilement ;  ils  s'habituent  à  suivre,  comme  les  chiens,  la  per- 
sonne qui  les  nourrit.  On  en  trouve  dans  presque  toutes  les 
contrées  de  l'Europe ,  en  France  ,  en  Ilalie,  en  Angleterre  , 
en  Allemagne;  mais  ils  sont  partout  assez  rares.  Leur  chair 
n'est  pas  désagréable  à  manger,  et  leur  peau  s'emploie 
comme  fotirruregrossière.  Démezil. 

«  Le  blaireau  est  carnassier,  dit  M.  Boitard,  mais  moins 
cependant  que  son  système  dentaire  ne  devrait  le  faire 
supposer.  Il  ne  vit  guère  de  proie  que  lorsqu'il  ne  trouve 
plus  de  baies  et  autres  fruits  charnus.  Dans  ce  cas  il  chasse 
aux  mulots,  aux  grenouilles,  aux  serpents:  il  déterre  les 
n-ds  (le  guê|)espour  en  manger  le  couvain;  il  tàcljp  de  sur- 
prendre la  peidrix  sur  sou  nid;  il  creuse  dans  les  garennes 
pour  s'emparer  des  lapereaux;  enfin,  quand  toute-;  ces 
ressources  lui  manquent.  Il  se  contente  de  sauterelles,  de 
hannelous  et  de  vers  de  terre,  qu'il  aime  beaucoup.  Plein 
d'inlelligeuce,  rusé,  déliant,  le  blaireau  ne  doime  que  très- 
rarement  dans  Içs  pièges  qu'on  lui  tend.  Si  l'on  a  tendu  un 
lac  t  autour  de  son  terr'cr,  il  s'en  aperçoit  aussitôt,  rentre 
dans  >a  demeure,  et  y  re>te  renfermé  cinq  à  six  jours,  s'il 
ne  |>eut ,  à  travers  des  rochers,  se  creuser  une  autre  issue* 
mais,  pressé  par  la  f.iim,  il  finit  par  se  déterminer  à  sortir. 
Après  avoir  longtemps  sonde  le  terrain  et  examiné  le  piège, 
il  tr:iversp,  se  roule  le  corps  en  boule  aussi  ronde  que  pos- 
'sible;  puis,  d'un  élan,  il  traverse  le  lacet  en  faisant  ainsi 
trois  ou  quatre  culbuli  s  sans  être  accroché,  laute  de  donner 
piise  au  l;ital  nœud  coulant  Ce  fait  ,  tout  extraordinaire 
qu'il  est,  est  regardé  counne  constant  par  tous  les  chasseurs 
fillemands.  Si  l'on  veut  forcer  un  blaireau  à  sortirde  son  terrier 
pn  l'enfumant,  ou  en  y  faisant  pénétrer  un  chien ,  le  mali- 


cieux animal  ne  manque  jamais  de  faire  ébouler  une  partie 
de  son  terrier,  de  manière  à  couper  la  communication  eniro 
lui  et  ses  ennemis.  Les  Allemands  ont  pour  la  chasse  du 
blaireau  la  même  passion  que  les  Anglais  pour  celle  du  re- 
nard ;  mais  ils  satisfont  leur  goût  avec  plus  de  simplicité. 
En  automne,  trois  ou  quatre  chasseurs  partent  ensemble,  à 
nuit  close ,  armés  de  bâtons  et  munis  de  lanternes  ;  l'un 
d'eux  porte  une  fourche ,  et  les  autres  conduisent  en  laisse 
deux  bassets  et  un  chien  courant  bon  quêteur.  Us  se  ren- 
dent dans  les  lieux  qu'ils  savent  habités  par  des  blaireaux  , 
et  à  proximité  de  leurs  terriers  ;  là  ils  lâchent  leur  chien 
courant ,  qui  se  met  en  quête  et  a  bientôt  rencontré  un  de 
ces  animaux.  On  découple  les  bassets,  on  rappelle  le  cou- 
rant, et  l'on  se  met  à  la  poursuite  de  l'animal  qui  ne  tarde 
pas  à  être  atteint  par  les  chiens  ,  et  qui  se  défend  vigoureu- 
sement des  dents  et  des  griffes.  Le  chasseur  qui  porte  la 
fourche,  la  lui  passe  au  cou,  le  couche  et  le  maintient  à 
terre,  pendant  que  les  autres  l'assomment  à  coups  de  bâton.  Si 
on  veut  le  prendre  vivant,  ou  lui  enfonce,  au-dessous  de  la 
mâchoire  inférieure,  un  chochet  de  fer  emmanché  d'un  bâ- 
ton ;  on  enlève  l'animal,  on  le  bâillonne  et  on  le  jette  dans  un 
sac.  Sa  graisse  passait  autrefois  pour  avoir  de  grandes  vertus 
médicales  ;  aujourd'hui  on  ne  se  sert  plus  que  de  sa  peau, 
qu'on  emploie  pour  couvrir  les  colliers  de  chevaux  de  trait.  » 

Buffon ,  qui  se  trompait  .si  rarement  toutes  les  fois  qu'il 
pouvait  voir  par  ses  propres  yeux ,  a  tracé  du  blaireau  le 
portraitque  voici  :  C'est,  dit-il,  un  animal  paresseux,  défiant, 
qui  se  relire  dans  les  lieux  les  plus  écartés,  dans  les  bois  les 
plus  sombres,  et  s'y  creuse  une  demeure  souterraine.  Il 
semble  fuir  la  société ,  même  la  lumière ,  et  passe  les  trois 
quarts  de  sa  vie  dans  ce  séjour  ténébreux ,  dont  il  ne  sort 
que  pour  chercher  sa  subsistance.  Comme  il  a  le  corps  al- 
longé, les  jambes  courtes,  les  ongles,  surtout  ceux  de  de- 
vant, très-longs  et  très-fermes  ,  il  a  plus  de  facilité  qu'un 
autre  pour  ouvrir  la  terre,  y  fouiller,  y  pénétrer  et  jeter 
derrière  lui  les  déblais  de  son  excavation,  qu'il  rend  tor- 
tueuse, oblique,  et  qu'il  pous.se  quelquefois  fort  loin.  Le 
renard,  qui  n'a  pas  la  même  facilité  pour  creuser  la  terre, 
profile  de  ses  travaux  :  ne  pouvant  le  contraindre  par  la 
force ,  il  l'oblige  par  adresse  à  quitter  son  domicile ,  en  l'in- 
quiétant, en  faisant  sentinelle  à  l'endroit,  en  l'infectant  de 
ses  ordures;  ensuite  il  s'en  empare,  il  l'élargit ,  l'approprie 
et  en  fait  son  terrier.  Le  blaireau,  forcé  à  changer  de  manoir, 
ne  change  pas  de  pays;  il  ne  va  qu'à  quelque  distance  tra- 
vailler sur  nouveaux  frais  à  se  pratiquer  un  autre  gîte,  dont 
il  ne  sort  que  la  nuit,  dont  il  ne  sécarte  guère,  et  où  il 
revient  dès  qu'il  sentquelque  danger.  Les  chiens  l'atteignent 
promplement  lorsqu'il  se  trouve  à  quelque  dislance  de  son 
trou  ;  cependant,  il  est  rare  qu'ils  l'arrêtent  tout  à  fait  et  qu'ils 
en  viennent  a  bout,  à  moins  qu'on  ne  les  aide.  Le  blaireau  a 
les  poils  très-épais ,  les  jambes ,  les  mâchoires  et  les  dents 
très- fortes  ,  aussi  bien  que  les  ongles  ;  il  se  sert  de  toute  sa 
force,  de  toute  sa  résistance  et  de  toutes  ses  armes,  en  se 
couchant  sur  le  dos,  et  il  fait  aux  chiens  de  profondes  bles- 
sures. Il  a  d'ailleurs  la  vie  très-dure;  il  combat  longtemps, 
se  défend  courageusement,  et  jusqu'à  la  dernière  extrémité. 

BL.'VIRIE  (  Droit  de),  droii  sur  les  pâturages. 

BLAISE  (Saint),  patron  de  la  république  de  Ragusc, 
fut,  à  ce  qu'on  croit ,  évêque  de  Sébaste  en  .Arménie,  où  il 
souffrit  le  martyre,  vers  l'année  3 1 6,  sous  le  règne  de  Licinius 
Licinianus  II  eut  les  côtes  déchirées  avec  des  peignes  de  fer; 
d'où  les  cardeurs  de  laine  l'ont  pris  pour  patron.  L'opinion 
qu'il  guérissait  les  maladies  des  enfants  et  des  bestiaux  ré- 
pandit rapidement  son  culte  dans  tout  l'Orient.  Ceculle  passa 
ensuite  en  Occident,  où  on  lui  consacra  une  nmltitude  de  cha- 
pelles. On  se  disputa  ses  reliques  à  tel  point  (lu'on  se  trouva 
réduit,  nous  dit  Baillet,  pour  ne  pas  contrister  les  peuples, 
et  sans  doute  aussi  pour  satisfaire  aux  demandes  toujours 
croissantes  de  reliques ,  de  supposer  l'existence  de  plusieurs 
saints  du  même  nom. 


BLAISE  —  BLAKE 


263 


BLAISE  (Ordre  de  SAINT-).  C'était  un  ordre  militaire , 
que  les  rois  d'Arménie  de  la  maison  de  Lusignan  élablirent 
à  l'honneur  de  ce  saint,  comme  étant  le  patron  de  leur 
royaimie.  Cet  ordre  était  composé  d'ecclésiastiques  et  de 
laïques  ;  l'emploi  de  ces  derniers  était  de  s'opposer  à  main 
armée  aux  hérétiques,  et  les  premiers  devaient  faire  l'office 
divin  et  prêcher  la  foi.  La  marque  de  cet  ordre  était  une 
croix  rouge,  au  mil'eu  de  laquelle  était  une  image  de  saint 
Biaise.  Ils  la  portaient  sur  une  robe  de  laine  blanche  toute 
simple.  On  ignore  l'époque  de  la  création  de  cet  ordre;  on 
croit  seulement  qu'elle  eut  lieu  en  même  temps  que  celle 
des  Templiers  et  des  Hospitaliers.  Les  profès  de  l'ordre  de 
Saint-Biaise  faisaient  vœu  de  défendre  la  religion  catholique 
et  l'Église  romaine ,  et  leur  règle  était  celle  de  saint  Basile. 

BLAISOIS  ou  BLÉSOIS,  pays  d'environ  90  kilomètres 
de  longueur  sur  50  de  large ,  borné  au  nord  par  le  Vendô- 
raois ,  le  Dunois  et  l'Orléanais  propre ,  au  sud  par  le  Berry, 
à  l'est  par  la  Sologne  et  à  l'ouest  par  la  Touraine.  Ce  pays, 
qu'on  divisait  en  haut  et  bas  Blaisois,  et  dont  Blois  était  la 
capitale,  fait  aujourd'hui  partie  du  département  de  Loir-et- 
Cher.  Situé  dans  la  contrée  la  plus  heureuse  et  la  plus  fer- 
tile de  France,  il  est  arrosé  par  la  Loire,  le  Beuvron,  la 
Saudre,  la  Cisse,  la  Raire,  etc.  A  l'époque  où  Jules-César 
entreprit  la  conquête  des  Gaules,  environ  soixante  ans 
avant  l'ère  chrétienne,  le  Blaisois  faisait  partie  du  territoire 
des  Carnutes.  Les  habitants  prirent  part  aux  diverses  con- 
jurations formées  par  les  Gaulois  pour  secouer  le  joug  de 
la  puissance  romaine.  Incorporé  à  la  quatrième  Lyonnaise 
lors  du  dénombrement  des  provinces  de  l'empire  fait  sous 
Honorius,  le  Blaisois,  soumis  par  les  Francs,  échut  en  par- 
tage (511  )  à  Clodomir,  roi  d'Orléans,  second  fils  de  Clovis. 
Ce  pays  suivit  la  destinée  du  royaume  d'Orléans ,  et  devint 
ensuite  province  neustrienne.  Sous  les  rois  carlovingiens, 
des  comtes  furent  établis  dans  la  capitale  du  Blaisois  pour 
administrer  la  justice  et  les  finances  et  commander  les 
troupes.  Kous  leur  consacrerons  un  article  particulier. 
Voijez  Blois  (Comtes  de).  Laîné. 

BLAKE  (  Robert  ) ,  célèbre  amiral  anglais ,  naquit 
en  1599,  à  Bridgewater,  dans  le  comté  de  Sommcrset.  Les 
honneurs  que  les  rois  et  les  nations  elles-mêmes  rendent  à 
certains  hommes  donnent  rarement  la  mesure  du  mérite  de 
ceux-ci;  mais  on  est  heureux  de  voir  la  reconnaissance  des 
peuples  payer  en  distinctions  les  services  qu'on  leur  a  ren- 
dus. L'amiral  Blake  eut  ce  bonheur.  Doué  d'une  imagina- 
tion forte  et  d'une  âme  ardente ,  il  aima  par-dessus  tout  la 
gloire  et  la  patrie ,  et  c'est  cette  noble  passion  qui ,  en  exal- 
tant sa  valeur,  l'a  placé  si  haut  parmi  les  hommes  illustres 
de  son  pays. 

Fils  aine  d'un  commerçant,  il  passa  de  l'école  de  sa  ville 
natale  à  Oxford ,  où  il  resta  plusieurs  années.  Dès  sa  jeu- 
nesse il  accueillit  avec  enthousiasme  les  idées  d'affranchis- 
sement qui  se  répandaient  dans  toutes  les  classes  de  la  so- 
ciété. Bientôt  son  amour  pour  la  liberté  se  tourna  en  haine 
contre  la  royauté,  et  jusqu'à  sa  mort  il  conserva  les  principes 
pui-s  d'un  fier  républicain  des  beaux  temps  de  Sparte  et  de 
Rome.  Membre  de  la  législature  en  1640,  il  ne  fut  pas  réélu 
au  Long  Parlement;  mais  dans  la  lutte  que  le  parlement  en- 
gagea contre  les  rois ,  Blake  fut  un  des  premiers  à  soute- 
nir les  Indépendants  ;  il  leva  nne  compagnie  de  dragons  à 
ses  frais,  et  vint  appuyer  de  son  bras  une  cause  qu'il  avait 
toujours  adorée  dans  son  cœur.  En  1649  il  fut  improvisé 
amiral  après  la  mort  du  comte  de  Warwick;  et  dès  1650, 
quand  l'escadre  du  roi  Charles  se  retira  à  Lisbonne ,  il  fut 
nommé  commandant  de  la  flotte  parlementaire.  Dans  cette 
position ,  si  nouvelle  pour  lui ,  il  déploie  une  vigueur  extraor- 
dinaire; il  fait  voile  vers  les  côtes  de  Portugal,  somme  le 
roi  Jean  de  lui  remettre  entre  les  mains  la  flotte  royale,  qu'il 
réclame  au  nom  du  gouvernement  de  son  pays,  et,  sur  le 
refus  et  les  menaces  de  ce  prince,  il  va  croiser  à  la  hauteur 
des  Açores,  attaque  une  riche  flotte  portugaise  qui  revenait 


du  Brésil,  prend  quinze  navires  et  retourne  passer  l'hiver 
en  Angleterre. 

Les  années  suivantes  présentent  le  tabîeau  d'une  lutte  san- 
glante entre  les  deux  premières  puissances  maritimes  du 
siècle  De  i)ai1  et  d'autre  on  soutint  vaillauîmcnt  l'honneur 
national,  et  Blake,  qui  commandait  la  Hotte  britannique, 
trouva  dans  Tromp  un  digne  rival  de  gloire;  il  serait  diffi- 
cile en  effet  de  décider  entre  ces  deux  grands  honîuies.  Cette 
époque  est  surtout  remarquable  dans  les  annales  de  la  ma- 
rine par  l'immense  développement  que  prit  tout  à  coup  l'art 
des  combats  sur  mer.  Blake  y  contribua  considérablement, 
et,  en  le  suivant  dans  les  divers  engagements  où  il  s'est 
trouvé ,  nous  essayerons  de  lui  assigner  le  rang  qu'il  mérite 
comme  marin. 

En  1651  Blake  se  trouvait  avec  vingt-six  vaisseaux  de 
guerre  dans  la  rade  de  Douvres,  lorsque  Tromp  vint  parader 
devant  la  ville ,  à  la  tète  d'une  escadre  de  quarante-deux 
bâtiments.  Le  parlement  anglais,  désirant  la  guerre  avec  la 
Hollande,  avait  donné  l'ordre  à  ses  amiraux  de  faire  baisser 
pavillon  à  tous  les  navires  hollandais  qu'ils  rencontreraient. 
Tromp  refusa  de  se  soumettre  à  cette  humiliante  formalité, 
et  un  combat  furieux  s'engagea.  Blake,  q\ioique  inférieur  en 
nombre ,  non-seulement  résista  avec  courage  au  choc  de  son 
ennemi ,  mais  encore  il  sut  lui  faire  plus  de  mal  qu'il  n'en 
reçut  lui-même,  et  c'est  à  lui  que  revint  l'honneur  de  la 
journée.  Cependant  on  ne  trouve  ici  aucune  manœuvre  qui 
annonce  un  grand  génie  de  la  guerre  dans  l'un  ou  dans  l'autre 
de  ces  deux  amiraux  :  les  escadres  s'attaquèrent  navire  à 
navire ,  et  le  courage  résista  au  courage.  Comme  Tromp  ne 
sut  pas  tirer  parti  de  sa  supériorité  numérique,  les  Anglais 
durent  avoir  l'avantage,  car  leurs  navires  étaient  d'une  cons- 
truction plus  forte  que  ceux  de  leurs  ennemis. 

Une  expédition  de  quarante  vaisseaux,  qu'en  1652  Blake 
dirigea  contre  les  pêcheries  hollandaises,  lui  acquit  alors 
beaucoup  de  réputation  ;  l'Angleterre  en  tira  de  grands  avan- 
tages :  les  pertes  de  l'ennemi  furent  immenses;  mais  aux 
yeux  de  la  postérité  ce  ne  peut  être  un  titre  de  gloire, 
puisque  l'amiral  n'eut  qu'à  détruire  avec  des  forces  consi- 
dérables des  marchands  presque  sans  défense. 

Au  mois  de  février  1652  Tromp  convoyait,  avec  soixante- 
seize  bâtiments  de  guerre,  une  flotte  de  trois  cents  navires 
marcliands  qu'il  ramenait  en  Hollande;  Blake  l'attaqua 
dans  la  Manche  avec  cent  cinquante  voiles,  et  Tromp, 
trop  engagé  pour  reculer,  accepta  le  combat;  il  fut  long  et 
sanglant  ;  pendant  trois  jours  on  se  battit  avec  acharnement. 
Des  deux  côtés  on  essuya  des  pertes  considérables;  celles 
des  Hollandais  furent  les  plus  grandes,  et  néanmoins  l'hon- 
neur de  la  bataille  appartient  à  Tromp ,  car  Blake  laissa 
échapi^ier  toute  la  flotte  marchande ,  quoiqu'il  eût  pu  à  la 
fois  lui  couper  le  chemin  avec  une  partie  de  ses  nombreux 
vaisseaux,  et  avec  le  reste  écraser  la  flotte  hollandaise;  mais 
cette  manœuvre,  simple  de  nos  jours,  eût  été  dans  ces  temps 
d'ignorance  une  inspiration  de  génie. 

Au  mois  de  décembre  de  la  même  année,  Blake  essaya  de 
nouveau  le  sort  d'une  bataille  contre  Tromp.  Là  encore  au- 
cune combinaison  savante  pu  hardie  ne  vient  tout  à  coup 
donner  à  l'un  ou  à  l'autre  une  supériorité  marquée;  la  for- 
tune seule  et  de  petites  circonstances  imprévues  décident  du 
succès.  Blake  fut  malheureux;  blessé  lui-môme,  il  vit  le 
désordre  se  répandre  dans  sa  Hotte;  mais  il  se  retira  à  temps, 
et,  malgré  des  pertes  considérables,  il  parvint  à  rallier  une 
grande  partie  de  ses  navires ,  soit  aux  Dunes ,  soit  dans  la 
Tamise.  Tromp  triompha  cette  fois  avec  un  insultant  orgueil  ; 
il  fit  planter  un  balai  au  haut  de  son  grand  mât,  pour  indi- 
quer qu'il  avait  nettoyé  les  mers  des  pirates  d'Albion;  mais 
sa  victoire  n'était  pas  de  nature  à  soutenir  l'excès  de  cette 
fanfaronnade,  et  dès  l'année  suivante  il  fut  vaincu  à  son 
tour  :  Blake  était  un  des  amiraux  qui  commandaient  l'es- 
cadre anglaise. 

Mais  si  dans  les  combats  d'escadre  à  escadre  à  la  voile 


264 


BLAKE 


Ulakc  ne  déploie  pas  les  ressources  d'un  talent  supérieur,  il 
n'en  est  pas  ainsi  des  attaques  contre  les  forts  élevés  à  terre  ; 
c'est  là  qu'est  sa  véritable  gloire.  Blake,  le  premier,  apprit 
aux  marins  à  mépriser  les  forteresses,  qui  jusque  alors 
avaient  été  leur  épouvantail  ;  c'était  un  préjugé  adopté  en 
principe  que  le  bois  ne  peut  avoir  raison  contre  les  pierres. 
En  détruisant  cette  prévention,  Blake  étendit  la  terreur  des 
expéditions  navales.  A  cette  époque  les  châteaux  qui  pro- 
tégeaient les  forts  n'étaient  pas,  comme  de  nos  jours,  au  ni- 
veau des  batteries  des  vaisseaux ,  et  couverts  par  des  plans 
de  délilcment ,  mais  bâtis  sur  le  rivage  et  souvent  même 
avancés  jusque  dans  la  mer;  et  alors  ou  ils  dominaient  à 
une  grande  hauteur ,  et  leurs  boulets  passaient  par-dessus 
les  navires ,  et  ils  pouvaient  être  détruits  par  le  feu  supérieur 
d'une  flotte  nombreuse  ;  ou  bien  les  navires  eux-mêmes  do- 
minaient les  forts,  et  le  feu  de  leur  mousqueterie  et  leurs 
grenades  empêchaient  les  batteries  de  terre  de  tirer.  Malgré 
les  préjugés  de  son  siècle ,  Blake  sentit  tous  ces  inconvé- 
nients lorsqu'il  fut  envoyé  dans  la  Méditerranée  pour  châtier 
l'insolence  des  puissances  barbaresques.  Tunis  était  pro- 
tégée par  deux  châteaux ,  Porto-Farina  et  le  foit  de  la  Gou- 
lette.  Blake  fit  avancer  successivement  sa  flotte  sous  les  deux 
forts ,  les  écrasa  du  tonnerre  de  son  artillerie ,  et ,  opérant 
un  débarquement  dans  ses  chaloupes  et  quelques  barques 
longues  qu'il  avait  fait  construire  à  dessein ,  il  incendia  tous 
les  navires  ennemis  qui  s'étaient  réfugiés  dans  le  port;  puis, 
se  rappelant  son  premier  métier  d'officier  de  l'armée  de 
terre ,  il  lit  une  charge  sur  un  corps  de  douze  cents  Turcs 
campés  près  du  rivage,  et  lesdispersaen  un  instant.  Son  au- 
dace lit  sa  force  :  l'ennemi,  épouvanté,  ne  résista  nulle  part , 
et  le  succès  ne  lui  coûta  que  peu  de  monde.  Cet  exploit  eut 
du  retentissement  dans  tout  l'univers.  La  marine  anglaise 
y  gagna  beaucoup  de  considération ,  et  les  puissances  bar- 
baresques fléchirent  hmnblement  devant  le  pavillon  de  la 
Grande-Bretagne. 

Dans  l'année  1655  il  satisfit  à  sa  haine  invétérée  contre 
les  rois  en  attaquant  une  flotte  française  qui  portait  des  mu- 
nitions à  Dunkerque.  Outré  de  ce  que  la  France  laissait  au 
roi  Charles  une  place  pour  reposer  sa  tête,  il  outrepassait 
les  ordres  de  son  gouvernement ,  et  fut  cause  que  la  ville 
tomba  entre  les  mains  des  Espagnols ,  qui  l'assiégeaient. 

L'année  165G  mit  le  comble  à  la  gloire  de  Blake.  Il  com- 
mandait avec  Montagu  une  flotte  anglaise,  et  croisait  sur  les 
côtes  d'Espagne ,  lorsqu'ils  rencontrèrent  près  de  Cadix  huit 
navires  espagnols  revenant  des  Indes  avec  une  riche  car- 
gaison; ils  les  attaquèrent,  en  prirent  deux,  en  firent 
échouer  quelques  autres  et  expédièrent  leur  capture  à  Ports- 
mouth.  L'arrivée  de  ce  trophée  d'une  victoire  facile  fut  ce- 
pendant reçue  en  Angleterre  avec  des  transports  de  joie;  le 
peuple  célébra  le  nom  de  Blake ,  et  le  Protecteur,  qui  voyait 
que  la  gloire  et  }a  puissance  de  son  lie  reposaient  sur  sa  force 
navale,  donna  un  éclat  extraordinaire  à  ce  triomphe.  Il  fit 
transporter  avec  la  plus  grande  pompe  sur  des  chariots  l'ar- 
gent et  les  marchandises  de  Portsmouth  à  Londres  ;  il  in- 
vita le  parlement  à  voter  des  récompenses  publiques  au 
brave  marin,  et  les  représentants,  unanimes  dans  leurs 
vœux ,  et  d'accord  avec  Cromwell ,  lui  adressèrent  des  re- 
mercîments,  et  lui  envoyèrent  un  diamant  de  grand  prix, 
en  témoignage  de  la  reconnaissance  nationale.  Quel  homme 
ne  se  fût  pas  senti  embrasé  soudain  d'un  iinmense  amour 
pour  la  gloire ,  quand  sa  nation  lui  votait  d'enthousiasme 
tant  d'honneurs?  Aussi  Blake  chercha-t-il  tous  les  moyens 
de  les  mériter,  et  l'occasion  ne  lui  manqua  pas  longtemps. 
Une  flotte  espagnole,  forte  de  seize  navires,  et  beaucoup 
plus  riche  que  la  première,  avait  relâché  aux  Canaries; 
Blake  l'apprend,  et  sur-le-champ  il  fait  voile  pour  ces  lies 
(  avril  1657  ).  11  trouve  l'escadre  ennemie  dans  la  baie  de 
Santa-Cruz,  où  l'amiral  don  Diego  Alvarez,  qui  craignait 
une  surprise,  n'avait  négligé  aucune  précaution  pour  se 
mettre^à  couvert  contre  toute  attaque.  La  baie  de  Santa- 


Cruz  était  défendue  par  un  château  fort  et  sept  redoutes 
élevées  à  peu  de  distance  les  unes  des  autres,  et  disposées 
de  manière  à  croiser  leurs  feux  ;  elles  élaicnt  liées  en  outre 
par  une  ligne  de  communication  qu'on  avait  pris  soin  de 
garnir  de  fusiliers  ;  de  sorte  que  la  côte  semblait  hérissée  de 
canons.  De  plus,  l'amiral  avait  fait  amarrer  ses  petits  na- 
vires au  rivage;  quant  aux  galions ,  qui  liraient  plus  d'eau  , 
il  les  avait  embossés  le  travers  au  large.  Cette  double  ligne 
de  défense  était  réellement  imposante  :  la  mort  menaçait  de 
tous  les  côtés.  Blake  ne  vit  que  la  gloire;  il  résolut  de 
vaincre.  Le  vent  soufflait  au  large  et  portait  en  rade  ;  il  ran- 
gea rapidement  sa  flotte  en  ligne  serrée ,  força  de  voiles ,  et 
en  un  instant  se  trouva  au  milieu  des  ennemis.  Alors  un  ter- 
rible combat  s'engagea  ;  de  part  et  d'autre  on  se  battit  avec 
acharnement,  et  pendant  quatre  heures  ce  ne  fut  qu'horreur 
et  carnage;  enfin ,  les  Espagnols  furent  détruits,  leurs  vais- 
seaux brûlés,  et  les  trésors  qu'ils  renfermaient  consumés  avec 
eux.  Mais  le  danger  devint  encore  plus  grand  pour  les  An- 
glais quand  la  flotte  fut  anéantie  ;  les  forts  et  le  château , 
qui  jusque  alors  avaient  ménagé  leurs  feux  dans  la  crainte  de 
foudroyer  à  la  fois  amis  et  ennemis,  commencèrent  une  ca- 
nonnade extrêmement  vive,  et  la  position  des  assaillants 
fut  très-critique.  Les  éléments  les  favorisèrent  :  après  l'ins- 
tant de  calme  que  produit  ordinairement  un  combat,  la 
brise,  qui  précédemment  avait  régné  du  large,  changea  de 
direction  et  souffla  de  terre.  Blake  avait  compté  sur  ce  se- 
cours ,  qui  parut  inespéré  et  miraculeux  à  ceux  qui  igno- 
raient les  localités  :  il  appareilla  sur-le-champ,  et  bientôt  il 
fut  hors  des  atteintes  de  l'ennemi. 

Dans  les  exploits,  si  glorieux,  de  Blake  nous  ne  cherche- 
rons pas  des  leçons  de  tactique  navale;  il  ne  fit  pas  de  .sa- 
vantes combinaisons  pour  disposer  son  escadre  et  attaquer 
la  ligne  ennemie  ;  toute  sa  gloire  consiste  dans  sa  valeur  et 
dans  l'audace  de  l'entreprise.  Il  osa  croire,  encore  une  fois , 
contre  l'opinion  de  son  siècle,  qu'une  escadre  bien  embossée 
n'était  pas  invincible;  il  brava  le  feu  d'une  ligne  de  fortifica- 
tions soutenue  d'une  ligne  d'embossage.  La  fortune  couronna 
son  intrépidité,  et  néanmoins  ce  n'est  pas  par  le  succès 
seul  que  nous  jugeons  son  action ,  il  s'est  conformé  en  cette 
circonstance  aux  principes  naturels  de  l'art;  sa  combinaison 
fut  hardie ,  mais  il  avait  mesuré  ses  moyens ,  et  ses  efforts 
furent  supérieurs  aux  obstacles.  Voilà  le  vrai  talent  de  l'a- 
miral. Blake,  pour  cette  raison,  sera  toujours  un  modèle. 
La  tactique  navale  a  fait  un  grand  pas  depuis  son  siècle  ; 
mais,  sans  entrer  dans  le  détail  de  ses  manœuATCs,  nous 
devons  admirer  l'habileté  avec  laquelle  il  sut  mettre  à  profit 
toutes  les  circonstances  qui  lui  étaient  favorables. 

La  nouvelle  de  ce  beau  fait  d'armes  fut  accueillie  en 
Angleterre  avec  de  nouveaux  transports;  car  dès  lors  la 
marine  élevait  ce  pays  au  premier  rang  parmi  les  nations. 
Blake,  attaqué  d'hydropisie  et  tourmenté  depuis  quelque 
temps  par  le  scorbut,  résolut  de  hâter  son  retour  dans  sa 
patrie,  où  le  peuple  se  préparait  à  le  recevoir  avec  des 
acclamations.  Quoique  abattu  et  souffrant ,  il  était  arrivé  en 
vue  des  côtes  de  la  Grande-Bretagne,  et  il  espérait  au 
moins  rendre  le  dernier  soupir  sur  le  sol  de  cette  patrie 
qu'il  avait  si  tendrement  chérie  et  servie  avec  tant  de  va- 
leur; mais  ce  bonheur  ne  lui  fut  pas  réservé,  et  il  expira, 
le  17  août  1657,  comme  Moïse,  en  contemplant  la  terre  pro- 
mise. 

Blake  se  fit  toujours  gloire  de  ses  principes  républicains. 
En  vain  le  Protecteur  le  combla-t-il  de  caresses  et  d'hon- 
neurs ,  en  vain  inventa-t-il  pour  lui  des  illustrations  incon- 
nues jusqu'alors,  tout  le  monde  resta  persuadé  que  l'amiral 
répugnait  aux  dernières  usurpations.  Mais  le  sol  et  l'hon- 
neur du  pays  furent  toujours  sacrés  pour  lui.  Quel  bel 
ordre  du  jour  que  celui-ci  pour  une  armée  navale,  quand 
les  troubles  civils  déchirent  la  terre  natale  1  «  Marins,  nous 
devons  combattre  jusqu'à  la  mort  pour  notre  patrie,  en 
quelques  mains  que  soit  le  gouvernement.  »  Aussi,  quoique 


BLAKE 


26.^ 


animé  d'un  zèle  ardent  pour  le  parti  qu'il  avait  embrassé , 
fut-il  toujours  estimé  et  respecté  des  partis  opposés.  Du 
reste,  désintéressé,  généreux,  libéral,  il  n'eut  d'autre  am- 
bition que  l'amour  de  la  gloire,  et  sa  valeur  ne  fut  terrible 
qu'aux  ennemis  de  la  patrie.  On  lui  fit  de  pompeuses  funé- 
railles. Ses  cendres  furent  déposées  dans  les  tombeaux  des 
rois,  d'où  la  restauration  les  exclut  plus  tard;  mais  les 
larmes  de  ses  compatriotes  l'honorèrent  bien  davantage  en- 
core que  tout  l'éclat  de  ces  cérémonies.  Qu'on  s'étonne  main- 
tenant que  l'Angleterre  possède  la  plus  glorieuse  marine  du 
inonde,  quand  à  chaque  pas  un  monument,  un  trophée, 
apprend  aux  enfants  mêmes  que  la  patrie  décerne  une 
apothéose  à  ceux  de  ses  fils  qui  ont  assuré  son  triomphe 
sur  les  mers  !  Théogène  Page,  contre-amiral. 

BLAKE  (William),  graveur,  peintre  et  poète  anglais 
d'une  étonnante  imagination,  poussant  l'enthousiasme  de 
l'esprit  jusqu'à  l'illuminisme,  naquit  le  28  novembre  1757, 
à  Londres,  d'un  père  bonnetier,  fort  entêté  de  son  commerce, 
et  qui  voulut,  bon  gré  mal  gré,  y  dresser  son  fils  dès  sa 
plus  tendre  enfance.  Le  digne  père  ne  lui  épargna  point 
en  conséquence  les  maîtres  de  calcul ,  d'arithmétique  et  de 
tenue  ,de  livres;  mais  l'enfant  n'en  profita  guère.  Son  goût 
était  ailleurs,  et  il  s'était  de  lui-même  choisi  d'autres  maîtres 
moins  coûteux,  et  avec  lesquels  il  se  plaisait  davantage.  C'é- 
taient quelques  figures  de  Raphaël  et  de  Reynolds,  qui  lui 
étaient  tombées  sous  la  main ,  et  qu'il  se  mit  à  copier  avec 
une  inctoyable  ardeur  et  à  varier  de  cent  façons.  Le  blanc 
des  factures,  les  planches  de  la  boutique,  les  marges 
des  livres  de  comptes,  reçurent  de  fréquents  témoignages  de 
cette  passion  du  petit  AVilliam  pour  le  dessin.  Son  père 
s'en  ainigea  d'abord  ;  mais  enfin ,  après  quelques  vains 
efforts,  il  eût  consenti,  au  gré  de  l'enfant,  à  le  mettre  en 
apprentissage  chez  un  peintre  en  renom  alors ,  si  le  haut 
prix  que  celui-ci  exigea  pour  ses  leçons  n'eût  été  au-dessus 
de  la  portée  de  sa  fortune.  \N"illiam  en  cette  circonstance 
fit  preuve  de  bonne  volonté  et  de  déférence  filiale  en  en- 
trant jusqu'à  un  certain  point  dans  les  idées  paternelles  : 
il  se  borna  à  vouloir  être  graveur,  et  il  entra  comme  ap- 
prenti chez  Bazire ,  graveur  en  grande  réputation  à  Lon- 
dres à  cette  époque.  Il  y  fit  bien  vile  des  progrès  tels  que 
beaucoup  de  clients  préféraient  les  ouvrages  de  l'élève  à 
ceux  du  maître.  Quand  il  le  pouvait,  il  allait  prendre  des 
leçons  de  dessin  et  de  modèle  chez  Flaxman  et  Fuseli. 
Il  trouva  encore  le  temps  de  s'adonner  à  la  poésie  et  de 
composer  des  chansons ,  des  odes,  des  ballades  et  des  son- 
nets, qu'il  publia  plus  tard. 

Au  sortir  de  son  apprentissage,  qui  avait  duré  un  peu 
moins  de  sept  ans,  Blake  fit  deux  parts  de  son  temps  :  la 
première ,  par  esprit  d'ordre,  il  la  consacra  religieusement 
à  la  gravure,  qui  lui  rapportait  de  quoi  vivre  dans  une  hon- 
nête aisance;  la  seconde,  il  la  donnait  avec  effusion  à  la 
peinture  ou  au  dessin  et  à  la  poésie ,  qu'il  cultivait  simulta- 
nément. Il  était  près  d'atteindre  vingt-six  ans,  lorsque,  saisi 
du  vague  désir  de  trouver  une  âme  qui  répondît  à  la  sienne, 
il  vint  à  rencontrer  une  naïve  jeune  fille,  d'une  naissance  fort 
humble,  et  d'une  grande  beauté,  Catherine  Boutcher,  dont  sa 
plume  et  son  crayon  retracèrent  mille  fois  depuis  le  nom  et 
les  traits,  et  qui  devint  la  compagne  de  sa  vie. 

Peu  après  la  mort  de  son  père,  auquel  ce  mariage  n'a- 
vait pas  été  agréable,  notre  artiste  vint  s'établir  avec  sa 
Catherine  dans  la  maison  paternelle,  où  il  ouvrit  un  ma- 
gasin de  marchand  d'estampes.  Ce  commerce,  quoique  fort 
du  goût  de  sa  femme,  qui  s'y  adonnait  volontiers,  ne  lui 
réussit  point.  11  y  renonça,  quitta  de  nouveau  la  maison  de 
son  père,  et  se  retira  dans  un  quartier  tranquille  pour  s'y 
livrer  tout  entier  et  avec  abandon  à  ses  travaux  de  prédi- 
lection. Dès  lors  les  productions  de  tous  les  genres  sorti- 
rent en  foule  de  ses  mains. 

Peu  d'artistes  ont  mené  une  vie  intérieure  aussi  douce  que 
celui-ci.  Dans  cette  retraite  qu'il  s'était  choisie,  ayant  tou- 
rner.  DE  LA  CONVERS.   —  T.  lU. 


jours  sa  femme  à  ses  côtés,  qui  l'inspirait,  qui  l'encourageait, 
qui  prenait  part  à  tous  ses  travaux ,  à  ses  joies  infinies,  à 
ses  rares  ennuis,  il  s'oubliait  de  longues  heures,  ou,  pour 
mieux  dire,  du  matin  au  soir,  auprès  d'elle,  à  graver,  à  des- 
siner, à  peindre ,  ou  à  composer  des  vers ,  faisant  parfois 
même  de  la  musique  d'un  tour  singulièrement  heureux  ,  au 
dire  de  ceux  qui  furent  admis  au  secret  du  foyer  de  l'artiste. 

Il  conçut  vers  ce  temps  l'idée  d'une  publication  originale, 
qu'il  intitula  :  les  Chants  de  l'Innocence  et  de  V Expérience, 
et  qui  fit  sa  réputation  de  peintre  et  de  poète.  Cette  œuvre 
se  compose  de  soixante-cinq  pièces  :  poésie  et  dessin  y  sont 
réunis ,  selon  l'habitude  que  l'artiste  avait  contractée  dès  ses 
premiers  essais.  Le  même  sujet  se  trouve  ainsi  traité  de  deux 
façons ,  au  moyen  de  deux  arts  différents ,  bien  qu'étroite- 
ment  liés ,  et  qui  se  ressemblent  comme  les  deux  sœurs 
dont  parle  Ovide.  Ces  sujets  sont  des  scènes  diverses  où 
l'auteur  peint  les  hommes  comme  il  les  voyait  au  moment  da 
l'inspiration.  L'enfance  joueuse  y  est  surtout  représentée 
avec  une  simplicité  qui  charme.  Joies  et  soucis  domestiques, 
pleurs  et  ris ,  toute  la  Aie  intime ,  avec  ses  alternatives  da 
peines  et  de  plaisirs,  tout  cela  y  est  retracé  avec  une  grand» 
vérité  et  une  singulière  énergie  d'expression. 

On  dit  que  dès  lors  Blake  éprouvait,  dans  la  contention 
d'esprit  où  le  jetait  la  composition,  une  sorte  d'illuminisme 
qui  le  tourmentait  jusqu'à  ce  que  l'œuvre  fût  faite,  et  où  sa 
raison  se  perdait.  11  se  croyait  alors  sous  l'influence  toute- 
puissante  d'esprits  supérieurs.  Dans  ces  moments  il  voyait 
les  figures,  il  écoutait  les  voix  des  héros  de  l'histoire  etdfl 
la  religion  ;  le  voile  qui  dérobe  à  nos  yeux  vulgaires  les 
choses  du  passé  et  de  l'avenir  se  levait  devant  lui ,  et  il  lui 
semblait  parfois  même  entendre  cette  voix  terrible  qui 
appela  Adam  parmi  les  arbres  du  jardin.  D'une  imagi- 
nation ardente  et  aventureuse,  il  avait  des  hallucinations  et 
des  visions  fréquentes,  qu'il  traduisait  sur  le  papier  indiffé- 
remment à  l'aide  de  la  plume  et  du  crayon  avec  une  mer- 
veilleuse force  de  réalisation.  Il  dut  sans  doute  à  la  fréquence 
d«  cet  état  d'abstraction  rêveuse  ses  défauts,  et  aussi  peut- 
être  ses  qualités.  Il  y  tombait  régulièrement  à  certaine* 
heures.  Dans  les  intermittences  entre  les  paroxismes,  pour 
ainsi  parler,  de  cet  état  fiévreux  de  l'esprit,  le  matin  d'or- 
dinaire ,  Blake  se  livrait  avec  un  grand  calme  et  une  exem- 
plaire assiduité  à  ses  travaux  de  graveur.  Puis,  ce  travail  fait, 
il  se  retirait  en  quelque  sorte  dansson  monde  idéal  et  fantas- 
tique. Blake  avait  foi,  et  toujours,  dansses  propres  fantômes. 
«  Avez-vous  jamais  vu  les  funérailles  d'une  fée?  demanda-t-U 
un  soir  à  une  dame  assise  près  de  lui  dans  un  salon.  —  Ja- 
mais, monsieur.  —  Pour  moi ,  je  les  ai  vues,  pas  plus  tard 
que  la  nuit  dernière.  Je  me  promenais  dans  mon  jardin  ;  il  y 
avait  un  grand  repos  parmi  les  branches  et  les  fleurs,  et  dans 
l'air  une  douceur  peu  commune.  J'entendis  un  son  bas  et 
agréable  ;  j'ignorais  d'où  venait  ce  son.  A  la  fin ,  je  vis  se 
mouvoir  une  large  feuille  de  fleur,  et  au-dessous  je  vis  une 
procession  de  créatures  de  la  grosseur  et  de  la  couleur  verte 
et  grise  des  sauterelles.  Elles  portaient  un  corps  étendu  sur 
une  feuille  de  rose;  elles  l'enterrèrent  avec  des  chansons , 
puis  disparurent.  C'étaient  les  funérailles  d'une  fée.  »  —  C'est 
ce  commerce  de  visionnaire  avec  des  êtres  d'un  ordre  sur- 
naturel, créatures  de  la  fantaisie,  qui  a  empreint  ses  œu- 
vres d'un  caractère  et  d'une  couleur  qui  leur  sont  propres, 
sans  exemple  jusque  là,  et  qui  se  reproduisent  plus  ou  moins 
dans  tout  ce  qu'il  fit  depuis  l'époque  où  il  commença  à  s'y 
laisser  entraîner,  vers  trente  ans.  C'est  évidemment  aussi 
à  ces  emportements  extatiques  qu'il  faut  attribuer  les  fré- 
quentes obscuiités  qu'on  rencontre  dans  la  plupart  de  sei 
compositions  ultérieures ,  obscurités  parmi  lesquelles  la  plus 
forte  intelligence  humaine  se  perd  et  ne  voit  rien. 

Il  serait  trop  long  de  donner  ici  la  nomenclature  exacte 
de  tout  ce  que  l'infatigable  artiste  a  successivement  publié 
pendant  sa  longue  carrière  ;  nous  mentionnerons  seulement, 
outre  les  Chants  de  l'Innocence  et  de  l'Expérience,  les 

■àk 


2GG  BLAKE  — 

Porics  dit  Paradis,  en  seize  dessins;  ses  gravures  pour 
l'édition  (les  Nuits d'Yoxing  ((ue  publia  le  libraire  Edwards; 
(les  Illuslrations  du  tombemi,  de  Blair;  les  Inventions 
du  livre  de  Job,  et  les  Prophéties  sur  l'avenir  de  l'Eu- 
rope et  de  l'Amérique.  Ces  Prophéties,  VUrizen  et  la 
Jérusalem,  sont  de  tous  les  ouvrages  de  Biake  les  plus 
entacliés  de  ses  dc'fauts  habituels.  Lesnoml)reuses  peintures 
qu'il  exposa,  en  1809,  dans  une  salle  de  la  maison  de  son 
Crère,  ne  sont  pas  plus  exemptes  que  ses  dessins  de  cette 
étrangeté  dont  on  lui  reprochait  vivement  l'abus,  surtout 
dans  les  derniers  temps.  Dans  presque  toutes,  et  principale- 
ment dans  le  Pèlerinage  de  Cantorbéry,  on  retrouve  la 
même  main  qui  traça  les  scènes  bizarres  et  indéfinissables  de 
VUrizen  et  de  la  Jérusalem,  impossibles  à  décrire,  et  dont 
on  ne  saurait  se  faire  une  idée  sans  les  avoir  vues.  Quoi 
qu'on  pOt  lui  dire  cependant,  il  faisait  toujours  selon  sa  fan- 
taisie, s'inquiéfaut  peu  du  public,  et  eu  appelant  à  la  posté- 
rité de  la  sévérité  de  quelquiis  jugements  contemporains. 

11  parvint  ainsi  à  un  âge  très-avancé,  n'ayant  peut-être 
jamais  passé  un  seul  jour  sans  produire  quelque  chose. 
Enfin,  plus  que  septuagénaire,  il  sentit  que  la  vie  allait 
lui  échapper ,  cette  vie  si  active ,  que  l'ail  avait  toute  con- 
sumée. Plein  de  force  d'âme  et  artiste  jusqu'au  bout,  il 
voulut  peindre  encore  sur  son  lit  de  mort.  Son  dernier  ou- 
vrage, qui  est  remarquable  par  une  expression  de  tête  naïve 
et  mélancolique  fortement  saisie,  est  le  portrait  de  sa 
femme,  encore  belle  et  respirant,  malgré  l'âge,  un  grand 
air  de  jeunesse,  de  Catherine,  que  seule  il  regrettait  au 
monde,  et  qu'il  reconnaissait  à  cette  heure  suprême  avoir 
été  toujours  un  bon  ange  pour  lui.  Et  ce  fut  dans  ces  der- 
nières préoccupations  d'une  ineffable  tendresse,  dont  il  y  a 
malheureusement  de  si  rares  exemples,  que  Blake  mourut 
à  Londres,  presque  sans  douleur,  le  12  août  1828,  dans 
la  soixante  et  onzième  année  de  son  âge.         Ch.  Romby. 

BLAKE  (Joachim),  l'un  des  généraux  espagnols  qui 
défendirent  le  plus  vigoureusement  l'indépendance  de  leur 
patrie  contre  les  Français  dans  la  lutte  qu'amena  l'invasion 
de  la  péninsule  par  Napoléon  (1808-1813) ,  descendait  d'une 
famille  irlandaise  depuis  longtemps  établie  à  Malaga ,  et 
était  né  dans  cette  ville,  en  1759.  Entré  au  service  comme 
cadet,  il  s'éleva  de  grade  en  grade  jusqu'à  celui  de  briga- 
dier; et  lorsque  éclata  l'insurrection,  il  fut  nommé  tout  aus- 
sit(jt  commandant  des  forces  insurgées  réunies  à  la  Corogne, 
puis  commandant  en  chef  de  l'armée  de  Galice.  BattuàRio- 
Seco  par  Bessières ,  il  réorganisa  son  armée  à  Benavente  ;  et 
quand  Castaiios  eut,  par  la  prise  de  Madrid,  forcé  les 
Français  de  se  concentrer  sur  l'Èbre,  il  occupa  Bilbao,  et  se 
dirigea,  avec  les  renforts  que  La  Romana  lui  amena  alors  du 
Danemark,  vers  la  frontière  de  France.  L'arrivée  de  Napoléon 
en  personne  sur  le  théâtre  des  opérations  militaires  changea 
la  face  des  affaires.  L'empereur  sut  enijiécher  la  jonction 
de  l'armée  de  Blake  avec  celle  de  Castaùos  ;  mais  Blake  , 
repoussé  jusqu'à  Espinosa ,  fit  alors  une  retraite  que  tous 
les  hommes  (lu  métier  ont  admirée. 

Élevé,  en  récompense  de  ce  fait  d'armes,  au  grade  de 
lieutenant  général,  il  remit  au  marquis  de  La  Romana  le  com- 
mandement de  son  corps  d'armée  pour  aller  prendre  celui 
des  trois  provinces  d'Aragon ,  de  Valence  et  de  Catalogne. 
Malgré  ses  efforts  et  quelques  succès  partiels,  l'Andalou- 
sie ne  tarda  cependant  pas  à  être  envahie.  En  1810,  les 
cortès ,  sentant  le  besoin  de  s'appuyer  sur  une  illustration 
militaire,  l'appelèrent  à  faire  partie  de  la  régence;  mais  à 
ireine  quelques  mois  s'étaient-ils  écoulés  qu'on  eut  lieu  de 
regretter  son  absence  du  théâtre  des  opérations  actives;  et 
alors ,  faisant  en  sa  faveur  une  exception  au  règlement  des 
cortès ,  qui  s'opposait  à  ce  qu'un  commandant  militaire  fit 
partie  de  la  régence,  on  le  nomma  capitaine  général.  Tou- 
jours malheureux,  Blake,  complètement  battu  à  Murviedro, 
lut  obligé  de  se  jeter  dans  Valence,' place  mal  fortifiée,  où 
Ù  lit  toutefois  encore  une  vigoureuse  résistance,  mais  où 


BLANC 

force  lui  fuf ,  à  la  fin,  de  capituler,  le  9  janvier  1812.  Fait 
prisonnier  de  guerre  avec  toute  la  garnison ,  il  fut  conduit 
en  ï'rance,  où  on  l'enferma  à  Vincennes. 

Les  événements  de  1813  et  de  1814  lui  rendirent  la  liberté 
et  lui  permirent  de  rentrer  dans  sa  patrie,  qu'il  n'espérait 
plus  revoir.  Le  roi  Ferdinand  le  nomma  directeur  général  du 
génie  ;  mais  la  part  que  prit  ensuite  Blake  à  la  révolution 
de  1820,  qu'il  consentit  à  servir,  effaça  aux  yeux  du  mo- 
narque restauré  par  Louis  XVIII,  en  1823,  dans  la  pléni- 
tude de  son  autorité  despotique,  le  souvenir  des  services 
rendus  à  sa  cause  pendant  la  lutte  de  l'indépendance  par  le 
vieux  général,  qui  se  vit  en  butte  aux  persécutions  des 
absolutistes ,  et  (jui  mourut  pauvre  et  délaissé,  en  1827 ,  à 
Valladolid. 

BLÂME.  Dans  l'ancienne  législation,  le  blâme  était  une 
peine  infamante  d'un  degré  immédiatement  inférieur  à  ce- 
lui de  la  peine  du  bannissement  à  temps.  Elle  consistait  dans 
une  réprimande  adressée  au  coupable,  en  vertu  d'une  sen- 
tence judiciaire,  et  celui  qui  devait  la  recevoir  était  obligé 
de  se  mettre  à  genoux  devant  les  juges.  Le  blâme  se  pro- 
nonçait avec  cette  formule  :  Un  tel,  la  cour  te  blâme,  et  le 
rend  infâme. 

On  fit  un  tel  abus  de  cette  pénalité,  qu'elle  cessa  d'être 
efficace.  Un  cocher  blâmé  par  le  parlement  de  Paris  osa  de- 
mander au  premier  président,  après  avoir  entendu  la  sen- 
tence, si  cela  l'empêcherait  de  conduire  ses  chevaux? 
Beaumarchais  ayant  été  blâmé  dans  son  procès  contre 
le  conseiller  Goezman,  reçut  aussitôt  la  visite  de  toute  la 
cour,  ce  qui  fit  dire  que  le  blâme  mettait  en  honneur.  Le 
Code  Pénal  de  1791  abolit  le  blâme,  et  nous  ne  retrouvons 
plus  aujourd'hui  qu'une  faible  et  incomplète  imitation  de 
cet  usage  ddus  Vavertisseîuent  ou  la  réprimande  d.u\- 
(juels  condamnent  quelquefois  les  conseils  de  discipline  de 
la  cliambre  des  avoués  et  des  notaires,  de  l'ordre  des  avocats, 
et  de  la  garde  nationale. 

Dans  la  langue  du  droit  féodal,  le  blâme  était  l'action 
ouverte  en  faveur  des  seigneurs  suzerains  pour  faire  réfor- 
mer l'aveu  et  dénombrement  qui  leur  était  pré.senté 
par  leurs  vassaux.  D'après  la  coutume  de  Paris,  qui  accor- 
dait au  seigneur  pour  blâmer  le  dénombrement  un  délai  de 
quarante  jours  à  partir  de  sa  présentation,  le  vassal  était 
tenu  iValler  ou  d'envoyer  quérir  ledit  blâme  au  lieu  du 
principal  manoir  dont  était  mouvant  le  fief . 

En  morale,  le  blâme  est  un  sentiment  généralement  ex- 
primé, par  lequel  on  désapprouve  un  acte,  une  opinion,  une 
personne.  Avant  d'exprimer  un  blâme  contre  cpielqu'un  on 
doit  bien  peser  les  actes  cpi'on  désapprouve  ;  et  cependant 
tous  les  jours,  avec  la  plus  grande  précipitation ,  on  jette 
le  blâme  sur  des  hommes  d'État  dont  on  connaît  à  peine 
les  projets;  on  flétrit  des  actions  qu'on  ne  comprend  pas, 
et  des  démarches  qu'on  n'a  pas  étudiées;  enfin,  on  déverse 
à  pleines  mains  le  blâme  sur  des  ouvrages  qu'on  n'a  pas 
lus.  11  n'y  a  peut-être  pas  au  fond  grand  danger  à  tout  cela  : 
mieux  vaut  dans  bien  des  cas  une  certaine  témérité  de  ju- 
gement qu'une  indifférence  profonde  :  la  contradiction  qu'on 
éprouve  force  à  recourir  aux  preuves;  on  s'éclaire,  et  l'on 
finit  quelquefois  par  admirer  sincèrement  ce  qu'on  avait 
d'abord  poursuivi  avec  toute  la  légèreté  d'un  blâme  irré- 
fléchi. 

BLANC ,  adjectif  souvent  pris  substantivement,  et  qui, 
dans  le  style  vulgaire,  est  considéré  comme  une  couleur, 
tandis  qu'en  physique  le  blanc  est  le  résultat  de  la  lumière 
la  plus  éclatante  ;  c'est-à-dire  que  les  corps  blancs  sont  ceux 
qui  réfléchissent  la  lumière  sans  lui  faire  subir  aucune  dé- 
composition, taudis  que  les  corps  colorés  ne  Tédéchissent 
que  tels  ou  tels  rayons,  suivant  leur  nature. 

Le  blanc  réfléchit  aussi  le  calorique  avec  beaucoup  de 
perlection,  tandis  que  le  noir  absorbe  avec  plus  de  facilité 
les  rayons  de  la  chaleur.  On  commet  donc  une  grande  er- 
reur en  peignant  en  noir  ou  en  gris  l'intérieur  d'une  chemi 


;iui-  I 

1 


BLANC 


2G7 


n<*o.  L'expc^rience  a  démontré  que  peinte  en  blanc  elle  donne 
bien  plus  de  chaleur. 

Considéré  matériellement  sous  le  rapport  de  la  peinture , 
le  blanc  est  une  couleur,  et  c'est  celle  qui  est  la  plus  em- 
ployée, puisqu'on  la  mélange  avec  toutes  les  autres,  suivant 
que  l'on  veut  qu'elles  aient  plus  ou  moins  d'intensité.  C'est 
avec  le  blanc  que  l'on  produit  le  mieux  l'éclat  le  plus  bril- 
lant delà  lumière,  lorsqu'elle  se  réfléchit  sur  quelques  points 
d'une  surface  extrêmement  lisse,  telle  que  l'eau  légèrement 
agitée,  l'acier,  ou  quelques  autres  substances  dures  et  po- 
lies ;  mais  ce  blanc  ou  cet  éclat  de  lumière,  loin  d'être  pro- 
digué dans  la  nature,  ne  s'y  montre  que  rarement  ;  et  lors- 
qu'un artiste  veut  imiter  ces  sortes  d'effets,  ce  n'est  qu'a- 
vec bien  du  ménagement  qu'il  doit  employer  des  touches  de 
blanc  pur  qui  rappellent  l'idée  de  la  lumière.  Si,  au  con- 
traire, croyant  rendre  son  tableau  plus  lumineux,  l'artiste 
prodigue  trop  sa  prétendue  lumière,  c'est-à-dire  le  blanc 
de  sa  palette,  son  coloris  devient  fade  et  blafard. 

Parmi  les  animaux  dont  le  poil  varie  de  couleur,  il  s'en 
trouve  qui  sont  habituellement  blancs,  tels  que  les  moutons. 
Les  chevaux  blancs  sont  assez  communs;  les  bœufs  blancs 
sont  au  contraire  assez  rares  ;  on  voit  très-peu  de  biciies 
blanches,  et  les  daines  le  sont  presque  toutes.  On  a  cru 
quelquefois  que  les  animaux  à  poil  blanc  étaient  plus  faibles 
que  les  autres  individus  de  la  même  espèce  :  c'est  une  er- 
reur ;  mais  on  doit  faire  remarquer  que  dans  l'état  sauvage 
les  quadrupèdes  à  poil  blanc  sont  assez  rares,  tandis  qu'il 
s'en  trouve  fréquemment  parmi  les  animaux  domestiques. 
Dans  une  portée  de  dix  ou  douze  lapins,  il  s'en  trouve  sou- 
vent un  blanc;  quelques  mères  offrent  même  la  singularité 
d'en  avoir  habituellement  un  de  cette  couleur.  Dans  le  Nord, 
on  voit  quelques  animaux  dont  la  fourrure  devient  blanche 
en  hiver  :  c'est  ainsi  que  l'on  trouve  des  lièvres  blancs,  des 
renards  blancs.  Il  n'en  est  pas  ainsi  de  l'ours  blanc,  qui  est 
une  espèce  tout  à  fait  distincte  de  l'ours  noir.  Le  cygne,  ori- 
ginaire du  Nord,  est  remarquable  par  sa  blancheur;  il  est 
pourtant  gris  dans  la  première  année.  On  trouve  aussi  quel- 
ques autres  oiseaux  blancs  dans  le  Nord  ;  dans  la  zone  tem- 
pérée, ils  sont  habituellement  gris  ;  ce  n'est  que  dans  la 
zone  torride  que  l'on  voit  des  oiseaux  de  couleurs  variées 
très-brillantes;  cependant  les  kakatoès  sont  entièrement 
blancs.  Dans  la  vieillesse,  les  poils  de  l'homme  et  de  plu- 
sieurs animaux  deviennent  blancs.  Us  sont  blancs  aussi  chez 
les  albinos. 

Dans  la  peinture  d'impression,  c'est-à-dire  dans  celle  que 
l'on  applique  sur  les  parois  d'un  appartement ,  le  blanc  est 
encore  la  couleur  le  plus  en  usage  :  l'emploi  en  est  si  fré- 
quent que  les  autres  couleurs  réunies  n'entrent  que  pour 
4  ou  5  pour  100  dans  la  masse  du  poids  général. 

Dans  l'imprimerie,  les  blancs  sont,  en  général,  toutes  les 
pièces  qui,  fondues  plus  bas  que  la  lettre,  ne  reçoivent  pas 
d'encre  du  rouleau  et  laissent  après  l'impression  le  papier 
blanc  à  la  place  qu'elles  occupent.  Les  fondeurs  en  carac- 
tères disent  qu'une  lettre  a  blanc  dessus  et  dessous,  comme 
la  lettre  m,  ou  bien  blanc  dessus,  comme  un  p,  ou  blanc 
dessous,  comme  un  d. 

En  termes  de  pratique ,  blanc  se  dit  de  l'endroit  d'un  acte 
qui  est  resté  non  écrit.  C'est  en  ce  sens  que  l'on  dit  qu'on 
a  laissé  deux  ou  trois  lignes,  le  nom,  e»  blanc.  —  On  donne 
improprement  le  nom  de  blanc  à  une  sorle  de  brûlure. 

Blanc  a  été  aussi  le  nom  d'une  petite  monnaie  dont  l'exis- 
tence se  trouve  rappelée  par  l'expression  de sia;  6/fl??c5,  em- 
ployée pour  exprimer  deux  sous  et  demi  ou  trente  deniers, 
ce  qui  indique  que  le  blanc  valait  cinq  deniers. 

Blanc  est  encore  la  marque  que  l'on  fait  pour  s'exercer  à 
tirer  l'arc  ou  le  fusil.  De  là  l'expression  :  tirer  au  blanc, 
pour  dire  tirer  à  la  cible.  —  Dans  les  fabriques  de  faïence ,  on 
dit  passer  au  blanc,  donner  le  blanc  :  cette  opération  con- 
siste à  passer  dans  une  eau  chargée  d'émail  blanc  la  pièce 
sur  laquelle  on  veut  mettre  une  couverte  avant  de  la  faire 


passer  au  feu.  —  Enfin  les  doreurs  eur  bois  emploient,  comme 
préparation  pour  recevoir  l'or,  un  blanc ,  qui  n'est  autre 
chose  que  du  plâtre  broyé  et  passé  dans  un  tamis  très-fin 
et  ensuite  séché  et  mis  en  pain.  Ducnr-SNE  aîné. 

BLANC  (  Botanique  ).  On  appelle  ainsi  un  état  maladif 
des  végétaux,  dans  lequel  leurs  feuil'es  sont  couvertes  d'une 
sorte  de  poussière  blanche.  Cette  maladie  a  été  regardée  à 
tort  comme  contagieuse.  On  en  distingue  deux  sortes,  sa- 
voir :  le  blanc  sec ,  qui  est  général  ou  partiel ,  et  qui  ne  fait 
pas  mourir  les  plantes.  Bosc  croit  avec  raison  que  cette  pous- 
sière blanche  et  sèche  n'est  autre  chose  qu'un  champignon 
parasite  voisin  des  urédos  et  des  érésyphies.  On  a  remarqué 
que  quelques  végétaux ,  entre  autres  les  rosiers  et  l'absinthe, 
sont  les  plus  sujets  au  blanc  sec.  Le  deuxième  état  maladif, 
souvent  nommé  lèpre  ou  metinier,  est  le  blanc  mielleux, 
qui  se  montre  depuis  juillet  jusqu'en  septembre  sous  forme 
d'une  substance  blanchâtre,  un  peu  visqueuse,  transsudant 
à  travers  les  pores  des  feuilles.  Cette  substance,  qui,  vue  au 
microscope ,  est  composée  de  petits  filaments  enlacés ,  est 
probablement  une  mucédinée.  Elle  est  très-nuisible ,  sur- 
tout lorsqu'elle  détermine  l'avortement  des  boutons  des  ar- 
bres fruitiers.  L.  Laurent. 

BLANC  (fleuve)  ou  BAHR-EL-ABIAD.  Voyez  Nil. 

BLANC  (Mont).  Foycs  Mont-Blanc. 

BLANC  (  Jean-Joseph-Louis  ),  né  à  Madrid ,  le  28  oc- 
tobre 1813,  appartient  à  une  famille  du  Rouergue.  Son  père 
et  son  grand-père  furent  arrêtés  pendant  la  Terreur.  Sou 
père  parvint  à  s'échapper  de  prison  ;  mais  son  grand-père , 
transféré  à  Paris,  et  jugé  par  le  tribunal  révolutionnaire, 
porta  sa  tête  sur  l'échafaud.  Le  père  de  M.  L.  Blanc  entra 
plus  tard  dans  l'administration ,  et  il  devint  inspecteur  gé- 
néral des  finances  en  Espagne ,  sous  le  règne  de  Joseph 
Napoléon.  Sa  mère,  Corse  d'origine,  se  rattache,  dit-on ,  à 
la  maison  de  Pozzo  di  Borgo.  A  la  Restauration ,  M.  Blanc, 
de  retour  en  France,  obtint  pour  ses  fils  deux  bourses  au  col- 
lège de  Rodez.  En  1S30  Louis  Blanc 'quitta  le  collège,  et 
vint  rejoindre  son  père  à  Paris.  La  révolution  de  Juillet  l'a- 
vait ruiné.  Louis  Blanc  chercha  longtemps  une  place  sans 
en  trouver.  C'est  alors  que  les  idées  socialistes  germèrent 
dans  sa  tête.  Plein  de  bonne  volonté,  il  était  exposé  à  mille 
privations  dans  cette  ville  de  Paris,  où  les  ressources  ne 
manquent  pourtant  pas.  Il  se  prit  à  regretter  que  la  société 
ne  se  chargeât  pas  de  diriger  elle-même  chacun  dans  la  voie 
du  travail  et  de  la  nourriture. 

Néanmoins  le  jeune  homme  ne  se  découragea  pas.  Aidé  par 
une  petite  pension  que  lui  fit  son  oncle,  M.  Ferri-Pisani , 
conseiller  d'État  et  gendre  du  maréchal  Jourdan,  il  trouva 
enfin  à  donner  quelques  leçons  de  mathématiques.  En  1831 
il  entra  chez  un  avoué  à  la  cour  royale,  en  qualité  de  troi- 
sième ou  quatrième  clerc.  En  même  temps  M.  de  Flau- 
gergues,  ancien  président  de  la  Chambre  des  Députés  et  ami 
de  sa  famille ,  se  plut  à  l'initier  aux  secrets  de  la  politique. 
En  1832,  sur  la  recommandation  de  M.  Corne  de  Brille- 
mont,  Louis  Blanc  fut  chargé  de  l'éducation  du  fils  de 
M.  Hallette ,  mécanicien  d'Arras.  Il  resta  deux  ans  dans 
cette  ville,  où  il  fit  insérer  des  articles  dans  le  Propagateur 
du  Pas-de-Calais ,  et  écrivit  trois  ouvrages  :  un  poème  in- 
titulé Mirabeau,  un  poème  sur  l'Hôtel  des  Invalides,  et 
un  Éloge  de  Manuel,  qui  furent  couronnés  par  l'Acadcmie 
d'Arras. 

Revenu  à  Paris  en  1834,  M.  L.  Blanc  s'aventura  dans  les 
bureaux  du  Bon  Sens ,  et  fut  assez  bien  accueilli  par  Rodde 
et  Cauchois-Lemaire.  Une  place  de  douze  cents  francs  lui 
fut  provisoirement  offerte.  Au  bout  de  quinze  jours  ses  ap- 
pointements s'élevaient  à  deux  mille  francs,  plus  tard  à 
trois  mille,  et  enfin  la  rédaction  en  chef  de  ce  journal  lui  fut 
confiée. 

C'est  par  erreur  qu'on  a  dit  que  Carrel  l'avait  généreuse- 
ment fait  entrer  dans  la  rédaction  du  National.  Il  le  con- 
gédia, au  contraire,  fort  sèchement,  selon  son  habitude ,  ta 


268 


BLANC 


lui  déclarant  qu'il  n'y  avait  pas  de  place  vacante  dans  sa 
rédaction.  Les  successeurs  de  Carrel  n'eurent  pas  beaucoup 
plus  de  sympathie  pour  l'auteur  de  V Organisation  du 
Travail.  »  Caractère  ombrageux  et  envahissant  à  la  fois , 
dit  le  peintre  des  Profils  révolutionnaires,  L.  Blanc 
ne  put  jamais  s'introduire  dans  la  rédaction  du  National 
ou  dans  la  direction  de  la  Réforme.  Deux  hommes  lui  fu- 
rent toujours  sourdement  hostiles  :  Marrast  et  Flocon,  à  qui 
il  portait  justement  ombrage,  et  qui  le  lui  prouvèrent  depuis 
dans  son  exil  du  Luxembourg.  Une  circonstance ,  la  mort 
de  Godefroy  Cavaignac,  lui  avait  déjà  donné  l'occasion 
de  se  venger  d'eux  en  leur  faisant  sentir  sa  supériorité. 
Quand  Marrast ,  Flocon ,  Ledru-Rollin ,  Joly ,  Martin  (  de 
Strasbourg),  Arago,  Trélat,  étaient  réunis  autour  de  la  tombe 
de  Godefi-oy,  Louis  Blanc  vint  à  son  tour.  Ce  petit  bonhomme 
composa  son  visage  :  fermant  à  moitié  les  yeux,  se  tirant 
les  deux  coins  des  lèvres  pour  que  les  saccades  de  sa  voix 
servissent  à  simuler  les  larmes  et  impressionnassent  l'au- 
ditoire devant  sou  air  contristé ,  il  s'écria  :  «  Si  Godefroy 
«  eût  été  appelé  par  les  circonstances  à  la  tète  des  affaires 
«  de  son  pays,  il  eût  été  capable  de  les  diriger  mieux  qu''au- 
«  cun  autre  de  ceux  que  nous  connaissons.  »  Les  illustres 
assistants,  piqués  d'une  telle  sortie,  tournèrent  la  tête  vers 
L.  Blanc  :  il  les  avait  écrasés  du  titre  d'incapables ,  il  avait 
sondé  leur  faiblesse ,  il  leur  avait  porté  le  plus  rude  coup 
dont  leur  orgueil  pût  se  ressentir,  il  les  avait  humiliés  les 
uns  aux  yeux  des  autres  ;  ils  ne  lui  pardonnèrent  jamais.  Se 
complaisant  lui-même  dans  l'eftet  de  sa  pantomime,  quand 
ce  petit  comédien  eut  prononcé  ces  paroles,  la  tristesse  s'éva- 
nouit de  sa  figure  ;  ses  traits  reprirent  leur  place  ;  sa  voix 
s'éclaircit ,  et  ce  petit  manège  de  son  extérieur  étudié  ne 
servit  qu'à  démasquer  la  jalousie  qui  rongeait  les  coryphées 
du  parti,  u 

En  1834,  L.  Blanc  publia  dans  la  Revue  républicaine 
divers  travaux,  entre  autres  un  article  sur  la  vertu  con- 
sidérée comme  moyen  de  gouvernement ,  et  une  appré- 
ciation de  Mirabeau.  Il  contribua  ensuite  à  la  rédaction  de 
la  Nouvelle  Minerve.  A  la  fin  de  1835  il  donna  au  National, 
à  propos  du  livre  de  M.  Claudon,  intitulé  Le  baron  d'IIol- 
bacli,  une  appréciation  du  dix-huitième  siècle,  dans  laquelle 
il  se  prononçait  pour  J.-J.  Rousseau  conlre  Yoltaire  :  ce- 
lui-ci ayant  produit  89,  qui  n'était  qu'une  révolution  po- 
litique; le  premier  ayant  amené  93  ,  qui  était  une  révolu- 
tion sociale.  Cet  article  n'était  pas  dtms  les  idées  du  journal 
qui  l'imprimait  ;  cependant  on  prétend  que  Carrel  le  dé- 
lendit.  Rodde  étant  mort,  les  propriétaires  du  Bon  Sens 
firent  choix  d'un  autre  rédacteur  en  chef  que  Louis  Blanc, 
qui  avait  succédé  à  Cauchois-Leniaire  comme  rédacteur 
en  chef  adjoint.  Tous  les  collaborateurs  se  révoltèrent  contre 
celte  décision ,  et  menacèrent  de  se  retirer.  Et  pourtant  il 
était  le  plus  jeune  de  tous.  Les  propriétaires  cédèrent, 
et  il  fut  proclamé  rédacteur  en  chef  le  r*"  janvier  1836. 
Quelque  temps  après ,  se  trouvant  en  opposition  avec 
les  actionnaires  à  propos  de  la  question  des  chemins  de 
fer,  dont  il  voulait  conserver  la  propriété  à  l'État,  il  donna 
sa  démission  le  10  août  1838;  ses  collaborateurs  le  suivirent, 
et  le  journal  tomba.  «  Sous  sa  direction ,  dit  M.  Sarrans , 
le  Bon  Sens  exerça  une  remarquable  intluence  sur  le  parti 
démocratique,  en  rapprochant  et  associant  dans  un  but 
commun  l'école  politique  et  l'école  sociale,  l'une  comme 
but,  l'autre  comme  moyen.  »  En  1838,  Louis  Blanc  fonda  la 
Revite  du  Progrès  politique,  social  et  littéraire ,  àans 
laquelle  il  rendit  compte  ôes Idées  napoléoniennes  duprince 
Louis-Napoléon.  Quelques  jours  après  la  publication  de  cet 
article,  M.  Louis  Blanc  tombait  dans  un  guet-apens.  Laissé 
pour  mort  à  la  porte  de  son  domicile ,  il  ne  se  relevait  de 
son  lit  qu'au  bout  de  vingt  jours,  sans  qu'on  ait  jamais  su 
sur  qui  rejeter  la  responsabilité  de  ce  lâche  attentat. 

Mais  l'ouvrage  de  M.  Louis  Blanc  qui  captiva  le  plus 
l'attention  publique,  cest  son  Histoire  de  Dix  Ans,  «  Plutôt 


chroniqueur  que  véritable  historien ,  Louis  Blanc ,  dit  en- 
core l'auteur  des  Profils  révolutionnaires,  sema  ce  livre  de 
tant  d'esprit ,  de  tant  de  vues  profondes,  d'aperçus  nou- 
veaux et  de  documents  intéressants ,  qu'il  eut  un  succès  de 
popularité  et  qu'il  fut  regardé  non-seulement  comme  jour- 
naliste de  mérite-,  mais  aussi  comme  publiciste  de  premier 
ordre,  comme  écrivain  économiste  plein  de  science,  a  C'é- 
tait à  la  vérité  un  livre  d'opposition  ;  et  c'est  là  ce  qui  fit 
surtout  sa  fortune  à  une  époque  où  la  presse  périodique  était 
enchaînée  par  les  lois  de  septembre.  On  aimait  à  suivre  les 
personnages  du  jour  dans  leurs  actes  antérieurs  ;  beaucoup 
aimaient  à  se  rappeler  les  luttes  des  partis  contre  l'établisse- 
ment de  Juillet,  et,  grâce  aux  ménagements  pris  par  l'auteur 
envers  les  légitimistes,  le  pouvoir  de  1830  gardait  dans  ce 
livre  tous  les  mauvais  rôles. 

Le  succès  populaire  de  V Histoire  de  Dix  Ans  détermina 
M.  Louis  Blanc  à  écrire  Y  Histoire  de  la  Révolution.  Deux 
volumes  de  cet  ouvrage  avaient  paru  avant  la  révolution  de 
1848,  le  troisième  aparu  en  1852.  Dans  une  longue  introduc- 
tion ,  M.  Louis  Blanc  a  exposé  en  tête  de  ce  livre  ses  idées 
comme  historien.  Suivant  lui,  trois  grands  principes  se  par- 
tagent le  monde  et  l'histoire  :  l'autorité,  V individualisme, 
\a fraternité.  L'autorité  a  élémaniée  par  le  catholicisme; 
l'individualisme  a  été  inauguré  par  Luther,  développé  par  les 
philosophes  du  dix-liuitième  siècle  et  introduit  dans  la  vie 
publique  par  la  révolution  de  1789;  la  fraternité,  entrevue 
par  les  penseurs  de  la  Montagne,  est  encore  dans  les  loin- 
tains de  l'idéal ,  mais  tous  les  grands  cœurs  l'appellent,  et 
elle  doit  finir  par  régner  sur  la  terre. 

Avant  d'écrire  ces  livres  d'histoire,  M.  Louis  Blanc  avait 
fait  paraître  un  petit  volume  sur  Y  Organisation  du  Tra- 
vail, livre  d'aspiration  idéale  vers  un  autre  monde  social, 
dans  lequel  la  société  actuelle  est  attaquée  avec  éloquence , 
mais  où  l'on  chercherait  en  vain  quelque  idée  applicable  à 
des  hommes  aussi  imparfaits  que  nos  contemporains  et  que 
nos  ancêtres.  M.  Louis  Blanc  a  dit  que  le  jour  où  il  s'était 
trouvé  sans  pain  et  sans  travail  malgré  sa  bomie  volonté ,  il 
avait  renouvelé  contre  la  société  actuelle  le  serment  qu'avait 
fait  Annibal  contre  Rome.  Mais ,  avant  de  tenir  un  pareil 
serment,  il  fallait  au  moins  apprendre  l'industrie,  connaître 
les  choses  et  les  hommes,  s'enquérir  des  vœux  et  des  be- 
soins de  ceux  qu'on  prétend  servir  ;  autrement ,  on  risque 
de  faire  beaucoup  de  mal  aux  hommes  qui  vous  suivent,  et 
on  ne  détruit  pas  Rome. 

Quoi  qu'il  en  soit,  disons  ce  que  demandait  ce  livre  déjà 
bien  oublié.  Partant  de  cette  donnée ,  que  la  misère  en- 
gendre la  souffrance  et  le  crime,  M.  L.  Blanc  veut  que  le 
travail  soit  organisé  de  manière  à  amener  la  suppression  de 
la  misère.  Pour  cela  il  faut  affranchir  les  travailleurs,  en 
leur  fournissant  ce  qui  leur  manque  :  les  instruments  de 
travail.  C'est  l'État  qui  doit  se  charger  de  ce  soin.  L'État, 
pour  M.  L.  Blanc,  doit  être  le  banquier  des  pauvres.  Ce-- 
pendant,  comme  il  ne  voulait  déposséder  personne ,  il  de- 
mandait seulement  l'organisation  A' ateliers  sociaux  libres, 
lesquels  devaient  amener  l'anéantissement  de  la  concurrence, 
en  absorbant  petit  à  petit  les  ateliers  particuliers.  A  ces 
ateliers  il  donnait  une  organisation  nouvelle.  Pour  stimuler 
l'homme  au  travail  il  n'admettait  plus  que  le  point  d'hon- 
neur. «  Tout  homme  qui  ne  travaille  pas  est  un  voleur,  « 
écrivait-il  sur  des  poteaux,  et  cela  devait  suffire  pour  exciter 
l'émulation  fraternelle.  D'abord  chacun  devait  toucher  une 
journée  égale,  et  laisser  une  grande  part  des  bénéfices  pour 
agrandir  l'œuvre ,  rembourser  à  l'État  ses  avances ,  secourir 
les  malheureux  ;  mais  plus  tard  il  revint  sur  l'égalité  des  sa- 
laires, qui  ne  consacrait  pas  assez  la  fraternité,  et  il  adopta 
alors  comme  idéal  la  formule  de  M.  Vidal  :  Que  chacun 
produise  selon  son  aptitude  et  ses  forces,  que  chacun 
consomme  selon  ses  besoins.  M.  L.  Blanc  ne  s'arrêtait  donc 
pas  au  droit  écrit  dans  les  institutions  depuis  1789;  mais 
il  voulait  pour  le  peuple  le  pouvoir  d'améliorer  sa  position. 


BLANC 


269 


La  société,  disait-il,  doit  à  chacun  de  ses  membres  et  l'ins- 
truction, sans  laquelle  l'esprit  humain  nepeut  se  développer, 
et  les  instruments  de  travail,  sans  lesquels  Tactivité  humaine 
ne  peut  se  donner  carrière.  Le  livre  de  M.  L.  Blanc  avait 
d'abord  été  saisi  ;  mais  la  chambre  des  mises  en  accusation 
fit  cesser  les  poursuites.  Il  était  moins  connu  cependant  que 
l'auteur  lorsque  la  révolution  de  Février  éclata. 

Quand  le  gouvernement  provisoire  nommé  à  la  chambre 
des  députés  le  24  février  arriva  à  l'hôtel  de  ville ,  il  y  trouva 
déjà  installés,  en  forme  de  pouvoir  populaire,  quatre  liom- 
mes  représentant  les  deux  nuances  opposées  de  la  presse 
radicale,  MM.  Marrast ,  Flocon ,  Louis  Blanc  et  Albert.  Le 
IS'ational,  qui  ne  désirait  qu'un  changement  politique,  avait 
tenté,  pendant  la  lutte,  de  former  un  gouvernement  ;  mais  il 
avait  fallu  compter  aussitôt  avec  la  Rd/onne ,  qui  admettait 
la  discussion  des  questions  sociales ,  et  M.  L.  Blanc  avait 
proposé  en  outre  l'adjonction  d'un  ouvrier  de  l'Atelier, 
M.  Martin,  dit  Albert.  Les  grosses  tètes  du  Palais-Bourbon 
n'admirent  d'abord  les  quatre  intrus  que  comme  secrétaires  ; 
mais  ils  furent  bientôt  débordés  ,  et  le  gouvernement  provi- 
soire compta  quatre  membres  de  plus.  L'éditeur  de  M.  L. 
Blanc  devint  en  outre  seul  secrétaire.  Dès  le  25  février  le 
gouvernement  provisoire,  pressé  par  des  démonstrations  ex- 
térieures, déclarait  que  l'État  garantissait  du  travail  à  tous, 
et  M.  Louis  Blanc,  dit-on,  obtenait  l'abolition  de  la  peine 
de  mort  en  matière  politique.  Enfm  l'établissement  d'ate- 
liers nationaux  était  décrété,  mais  tout  à  fait  en  dehors 
de  l'influence  de  M.  L.  Blanc,  et  peut-être  bien  dans  une 
pensée  hostile  à  ses  théories  :  on  espérait,  en  payant  les  ou- 
vriers désœuvrés  avec  les  fonds  de  l'État,  les  éloigner  des 
discussions  sociales. 

Cependant,  d'un  autre  côté,  M.  L.  Blanc  avait  fait  créer 
une comn)ission  permanente,  dite  coinmission  de  gouverne- 
ment pour  les  travailleurs,  dont  il  avait  la  présidence, 
et  M.  Albert  la  vice-présidence,  et  qui  devait  siéger  au 
Luxembourg.  Peu  sûr  peut-être  de  l'application  possible 
de  ses  théories ,  ou  plutôt  craignant  de  les  compromettre 
par  quelque  essai  intempestif,  il  appelait  à  la  discussion  les 
hommes  qui  s'étaient  occupés  des  questions  sociales,  se 
proclamant  souverain  pontife,  et  s'entourant  de  délégués 
nommés  par  les  ouvriers.  On  s'aperçut  du  premier  coup 
qu'un  élément  manquait  à  ces  réunions,  et  des  délégués 
des  patrons  furent  invités.  Mais  avant  aucune  discussion 
les  ouvriers  exigèrent  la  diminution  des  heures  de  travail  et 
l'abohtion  du  marchandage,  ce  qui  fut  décrété.  L'augmen- 
tation de  salaire,  demandée  aussi,  dut  rester  un  point  à 
débattre. 

L'ouverture  des  conférences  du  Luxembourg,  le  1^'  mars 
1848 ,  révéla  un  fait  dont  on  ne  se  doutait  guère  :  l'existence 
d'un  parti  sociaUste;  et  M.  L.  Blanc  l'annonça  en  disant  : 
«  Ce  n'est  pas  seulement  une  monarchie  qui  s'en  va ,  c'est 
une  société.  »  Ce  devait  être  le  dernier  coup  porté  à  l'indus- 
trie, qui  tentait  de  résister.  Les  atehers  se  fermèrent  de  toutes 
parts;  et  comme  M.  L.  Blanc  voulait  substituer  les  ouvriers 
aux  maîtres,  des  offres  ne  tardèrent  pas  à  être  faites  par  les 
patrons  :  les  théories  allaient  enfin  pouvoir  se  frotter  sur  la 
pierre  de  touche  de  la  pratique.  Quelques  essais  se  firent  : 
aucun  ne  présenta  de  résultat  satisfaisant.  Le  plus  célèbre 
est  celui  de  l'atelier  de  Clichy.  On  sait  comment  M.  Proud- 
hon  a  qualifié  depuis  cet  essai ,  où  les  frères ,  qui  reçurent 
une  grande  commande  de  l'État,  et  qui  furent  exonérés  des 
frais  de  loyer,  ne  craignirent  pas  de  faire  des  bénéfices  sur 
les  sœurs  employées  à  la  confection  des  pantalons  de  la 
garde  nationale  mobile.  L'égalité  des  salaire-s,  préconisée  par 
le  chef  des  conférences  du  Luxembourg,  blessa  les  ouvriers 
sans  profit  pour  les  maîtres.  Pressé  par  la  logique ,  on  lui 
demanda  un  jour  s'il  se  contenterait  pour  lui  des  quatre 
francs  qu'il  promettait  à  tout  le  monde.  «  Certainement, 
répondit-il,  quand  tous  ne  recevront  que  le  prix  de  la  jour- 
née égalitaire,  je  me  glorifierai  d'êtie  le  premier  ouvrier 


de  France.  »  Mais  en  pareil  cas,  il  faut  montrer  l'exemple, 
et  non  pas  accepter  le  dernier  ce  qu'on  a  tant  prêché,  pour 
se  proclamer  le  premier  encore!  Qui  donc  alors  aurait  pu 
refuser?  Les  ouvriers  ne  comprenaient  guère  non  plus  que 
l'intelligence,  l'habileté  de  main,  le  courage  au  travail,  dus- 
sent être  comptés  pour  rien  sous  le  régime  de  la  fraternité. 
Par  une  singulière  coïncidence,  les  ateliers  nationaux 
avaient  dû  adopter  les  principes  de  M.  Louis  Blanc  ;  là 
dominait  le  principe  de  l'égalité  du  salaire  sur  la  plus  large 
échelle  :  ouvriers  de  tous  états,  artistes,  gens  de  lettres, 
chacun  avait  le  même  salaire.  On  sait  ce  que  produisit 
cette  immense  agglomération  de  travailleurs  :  il  est  vrai 
qu'on  avait  oublié  de  planter  les  fameux  poteaux  de  M.  L. 
Blaac  dans  les  chantiers. 

Néanmoins  M.  L.  Blanc  posa  jusqu'à  la  fin  sa  petite  per- 
sonnalité. R'>n  ne  put  lui  dessiller  les  yeux.  Chaque  jour  le 
mal  devenait  plus  grand,  et  il  discutait  encore;  il  ne  pouvait 
trouver  aucune  application,  et  il  discutait  toujours.  Tout 
tombait  autour  de  lui ,  ses  idées  n'engendraient  que  |a  niine 
et  la  misère,  et  il  croyait  plus  que  jamais  en  lui.  D'abord 
il  avait  attaqué  la  concurrence  avec  une  éloquence  entraî- 
nante ;  mais  il  ne  pouvait  rien  mettre  à  la  place ,  et  il  n'en 
crut  pas  moins  au  principe  qu'il  avait  proclamé.  11  avait 
beau  rencontrer  tous  les  esprits  rebelles  :  il  ne  doutait  pas 
d'atteindre  son  but.  C'était  la  société  actuelle  qu'il  fallait 
accuser,  et  non  lui.  On  disait  partout  que  les  ouvriers 
avaient  trois  moisde  souffrancesau  service  delà  république  : 
c'était  trois  mois  d'agonie  pour  la  vieille  société.  M.  L.  Blanc 
espérait  sans  doute  qu'elle  n'en  reviendrait  pas,  et  qu'un 
nouveau  système  serait  plus  facile  à  implanter  sur  des 
ruines.  Cependant  le  découragement  dut  le  gagner  aussi 
dans  ces  discussions  stériles  où  il  ne  put  convertir  à  ses 
idées  aucun  chef  d'école  socialiste.  Beaucoup  même,  con- 
naissant l'infatuation  du  président  des  conférences,  refu- 
sèrent d'aller  discuter  avec  lui,  aucun  ne  l'épargnait  dans  la 
presse  ni  dans  les  clubs;  mais  s'ils  agitaient  les  clubs,  c'é- 
tait au  moins  en  leur  nom  personnel  et  sous  leur  propre 
responsabilité,  ils  n'agitaient  pas  la  société,  comme  M.  L. 
Blanc,  au  nom  d'un  gouvernement  impuissant  qui  se  disait 
chargé  de  la  défendre.  Une  réaction  se  manifesta  bientôt. 
Lameimais  attaqua  le  communisme  du  Luxembourg  dans  de 
chauds  articles ,  où  il  moijtra  le  despotisme  et  l'esclavage 
inhérents  à  ces  théories,  puisque  le  droit  au  travail  en- 
traîne pour  corollaire  le  devoir  du  travail,  c'est-à-dire  la 
servitude.  M.  Michel  Chevalier  attaquait  le  système  de 
M.  L.  Blanc  dans  des  Lettres  où  il  montrait  le  développe- 
ment du  capital  social  comme  la  source  la  plus  féconde  et  la 
plus  sûre  de  l'affranchissement  des  travailleurs;  Bastiat  écri- 
vait des  petits  traités  mordants  dans  le  Journal  des  Écono- 
mistes; enfin  M.  Wolowski  allait  combattre  les  nouvelles 
doctrines  au  Luxembourg  même,  et  ralliait  les  défenseurs 
épars  de  l'école  libérale. 

Lorsque  l'Assemblée  nationale  se  réunit ,  le  4  mai,  M.  L. 
Blauc,  élu  par  la  Seine  et  j)ar  la  Corse,  n'avait  donc  effecti- 
vement rien  fait  au  Luxembourg;  rien  fait,  sinon  que  de 
donner  un  corps  à  des  aspirations,  et  formulé  sa  haine 
contre  l'ancien  monde.  On  avait  découvert  que  l'homme 
exploitait  l'homme,  et  pour  faire  cesser  l'oppression  on 
avait  imaginé  un  système  dans  lequel  une  minorité  directrice 
saurait  bien  aussi  exiger  le  travail,  même  par  la  force, 
quand  le  ressort  moteur  du  besoin  serait  brisé.  M.  L.  Blanc , 
comme  tous  les  membres  du  gouvernement,  vint  rendre 
compte  de  ce  qu'il  avait  fait  à  l'Assemblée  nationale.  Ce  fut 
une  apologie  vaniteuse  contre  laquelle  s'élevaient  bien  des 
réclamations;  des  accusations  même  se  firent  jour;  mais  un 
membre  en  détruisit  l'effet  en  s'écriant  :  «  Est-on  coupable 
quand  on  n'a  rien  fait?  »  C'était  le  mot.  La  commission  du 
Luxembourg  avait  montré  encore  plus  d'impuissance  que 
de  vanité.  Pour  continuer  ses  recherches,  M.  L.  Blanc,  qui 
avait  préalablement  donné  sa  dénùssion  de  président  de  la 


270 

commission  du  Luxembourg ,  et  qui  accusait  ses  collègues 
de  sa  faiblesse  ,  se  déclarant  le  défenseur  du  peuple ,  pro- 
posait la  création  d'un  ministère  du  progrès  et  du  travail. 
Cette  demande  fut  bien  vite  repoussée.  Mais  pour  effacer  le 
passé,  un  décret  déclara  que  le  gouvernement  provisoire  en 
masse  avait  bien  mérité  de  la  patrie. 

Le  rôle  politique  de  M.  L.  Blanc  n'avait  pas  été  moins 
nul  dans  les  conseils  du  gouvernement  provisoire.  Ses|)ré- 
dications,  en  jetant  la  panique  dans  l'industrie,  avaient  fait 
refluer  une  foule  immense  dans  les  ateliers  nationaux.  Les 
délégués  du  Luxembourg  finirent  naturellement  par  se 
réunir  aux  délégués  de  ces  ateliers;  mais  là  des  mains  plus 
puissantes  agissaient,  et  l'influence  des  meneurs  révolution- 
naires se  faisait  plus  sentir  au  Luxembourg  que  celle  des 
théoriciens  du  Luxembourg  ne  pesait  sur  la  place  publique. 
Cependant  on  mit  M.  L.  Blanc  en  avant  plusieurs  fois  dans 
des  circonstances  difficiles ,  et  ce  fut  lui,  par  exemple,  qui  se 
chargea  de  congédier  la  démonstration  guidée  par  MM.  So- 
brier  et  Blanqui ,  le  1 7  mars  ;  il  est  vrai  que  le  gouvernement 
accorda  aussitôt  tout  ce  que  les  clubs  demandaient.  Fidèle 
au  système  d'appui  mutuel  que  se  donnaient  les  membres  du 
gouvernement  provisoire,  M.  L.  Blanc  espérait  se  maintenir 
en  équilibre;  mais  son  influence  baissait  sensiblement.  Les 
clubs  n'avaient  plus  confiance  en  lui ,  et  les  modérés  l'ac- 
cusaient d'être  la  cause  de  toutes  les  faiblesses  du  pouvoir. 

Le  15  mai  vint  jeter  du  trouble  dans  l'existence  de 
M.  L.  Blanc.  L'Assemblée  nationale  ayant  été  envahie,  il  fit 
des  efforts  pour  se  faire  entendre,  proclama  le  droit  de  pré- 
senter des  pétitions  à  la  barre,  s'offrit  à  lire  à  la  tribune 
celle  dont  les  envahisseurs  s'étaient  chargés.  Enfin  on  le  vit, 
porté  par  quelques  hommes  du  peuple,  haranguer  la  foule, 
proclamer  les  droits  du  peuple;  il  alla  même,  dit-on,  jus^ 
qu'à  l'hôtel  de  ville.  Tout  cela  paraît  avéré;  mais  il  avait  été 
sollicité  par  le  faible  président  Bûchez  lui-même  de  s'in- 
terposer vis-à-vis  de  la  foule  pour  obtenir  une  fin.  Le  soir 
M.  L.  Blanc  fut  retiré  des  mains  des  gardes  nationaux  par 
MM.  de  La  Rochejaquelein  et  Arago.  Dès  le  1*''  juin  le  pro- 
cureur général  Portalis  demanda  l'autorisation  de  poursuivre 
M.  L.  Blanc.  Celui-ci  se  défendit  avec  force,  et  la  demande 
du  parquet  (ut  lepoussée.  Mais,  après  les  événements  de  juin, 
la  fameuse  enquête  dont  M.  Bauchart  fut  le  rapporteur  signala 
de  nouveau  M.  L.  Blanc  à  la  vindicte  des  lois ,  et  dans  la 
nuit  du  25  au  26  août  les  poursuites  furent  autorisées  contre 
lui  et  contre  M.  Caussidière  pour  leur  participation  à  l'at- 
tentat du  15  mai.  Les  deux  représentants  se  sauvèrent 
aussitôt  à  Londres.  La  haute  cour  siégeant  à  Bourges  les 
condamna  par  contumace  à  la  peine  de  la  déportation,  au 
mois  d'avril  1849. 

Le  rôle  de  M.  L.  Blanc  avait  donc  été  nul  encore  à  l'As- 
semblée. Il  avait  dû  songer  bien  plus  à  se  défendre  qu'à 
obtenir  quelque  chose  ;  et  pourtant  toujours  il  posait  sa 
personnalité  comme  liée  au  bonheur  de  sa  patrie  :  c'était 
toujours  le  môme  homme,  monté  sur  un  escabeau ,  frappant 
son  cœur  de  sa  main  droite,  broyant  de  son  petit  poing  la 
tribune  ,  puis  menaçant  le  ciel  de  son  petit  index  avec  la 
régularité  d'un  balancier  ou  l;f  prestesse  d'un  chef  d'or- 
chestre qui  bat  la  mesure,  lançant  de  sa  bouche  des 
phrases  vides  mais  sonores,  et  ne  doutant  jamais  qu'il  ne 
fût  le  seul  représentant  vivant  de  la  révolution  et  qu'il  ne 
comprit  seul  les  intérêts  des  masses.  Cet  orgueil  immense 
a  suscité  à  M.  L.  Blanc  de  nouveaux  embarras  même  dans 
l'exil ,  où  les  chefs  des  réfugiés  ont  donné  au  monde  le  spec- 
tacle d'excommunications  réciproques  analogues  a  celles  que 
s'étaient  déjà  lancées  les  thels  d'écoles  socialistes  dans  les 
journaux  et  les  livres  qu'ils  rédigeaient. 

De  Londres  M.  L.  Blanc  fonda  un  journal  mensuel,  inti- 
tulé Le  Nouveau  Monde,  où  il  continua  ses  attaques  contre 
la  société  actuelle,  et  oii  l'on  trouve  quelques  détails  d'his- 
toire contemporaine  assez  curieux.  Ce  journal  mourut  sous 
la  nécessité  des  cautionnements.  Puis  l'auteur  écrivit  trois 


BL.\NC  —  BLANC  DES  CARMES 


brochures  politiques  et  sociales,  intitulées  :  Plus  de  Giron- 
dins! La  République  une  et  indivisible,  et  Un  Biner 
sur  Vherbe.  En  diverses  circonstances,  il  se  montra  encore 
dans  les  réunions  publiques;  mais  a-t  il  t'ait  faire  quelques 
progrès  à  la  science  sociale?  Le  communisme  ne  voudrait 
pas  de  lui  pour  chef,  et  les  hommes  qui  tiennent  quelque 
compte  de  la  liberté  humaine,  de  la  valeur  individuelle,  re- 
nieront toujours  ses  principes. 

CAa?/eiBLANC,  frère  aîné  du  précédent,  graveur  et  homme 
de  lettres,  né  à  Castres,  rédigea  d'abord  des  comptes  rendus  de 
Salon  et  des  articles  de  beaux  arts  dans  Le  Bon  Sens,  dirigé 
par  M.  L.  Blanc.  Il  écrivit  ensuite  dans  Le  Courrier  français 
et  dans  L'Artiste,  puis  dans  le  Journal  de  Rouen,  et  il  de- 
vint en  1841  rédacteur  en  chef  du  Propagateur  de  l'Aube. 
Les  lauriers  de  son  frère  le  ramenèrent  en  1842  à  Paris,  où 
il  publia  sous  le  titre  ô'Almanach  du  Mois,  un  pamphlet 
mensuel  peu  apprécié.  Enfin,  la  révolution  de  Février,  en 
faisant  de  son  frère  une  puissance,  fit  de  lui  un  directeur  des 
beaux-arts  au  ministère  de  l'intérieur,  place  que  M.  Ledru- 
Rollin  ôta  à  M.  Garraud ,  son  ami  intime ,  dont  il  fit  à  la  vé- 
rité im  inspecteur  des  beaux-arts.  M.  Ch.  Blanc  ou  Blanc  II, 
comme  on  le  nommait  dans  un  certain  monde,  sut  conserver 
sa  position  jusqu'à  l'an  de  grâce  1852,  malgré  les  change- 
ments de  ministres  et  même  de  gouvernements  ;  tous  tenaient 
sans  doute  à  prouver  que  les  fautes  sont  personnelles ,  aussi 
bien  que  les  talents.  Il  serait  difficile  de  reconnaître  les  ser- 
vices qu'a  pu  rendre  M.  Ch.  Blanc  aux  beaux-arts;  car  de 
bien  mauvaises  productions  de  l'art  sortirent  des  comman- 
des de  TËtat  pendant  sa  longue  administration.  M.  Ch.  Blanc 
est  auteur  d'une  histoire  des  Peintres  au  dix- neuvième 
siècle,  qui  n'eut  pas  de  succès  et  ne  fut  pas  continuée.  L'His- 
toire des  Peintres  de  lotîtes  les  écoles ,  dont  il  est  devenu 
le  directeur  et  l'un  des  auteurs,  grâce  à  de  belles  gravures 
sur  bois  a  été  plus  goûtée  du  public  et  a  mérité  des  récom- 
penses aux  expositions.  L.  Louvet. 

BLANC  AUNE,  nom  vulgaire  de  l'ai  izier. 

BLANC  BOIS.  Voyez  Bois  blanc. 

BLANC  DE  BALEL\E-  Voyez  Cétine.  ^ 

BLANC  DE  BISMUTH. Ce  blanc  métallique,  désigné 
aussi  sous  le  nom  de  blanc  de  perles,  est  quelquefois  em- 
ployé comme  fard  ;  mais  son  usage  peut  être  dangereux,  à 
cause  de  la  portion  d'arsenic  qui  se  trouve  dans  cette  com- 
position. Ce  composé  a  encore  l'inconvénient  que  la  présence 
la  plus  légère  de  gaz  hydrogène  sulfuré  dans  les  apparte- 
ments lui  fait  à  l'instant  acquérir  une  couleur  jaune,  et  en- 
suite noirâtre.  Le  blanc  de  bismuth  n'est  autre  chose  qu'un 
oxychlorure  de  ce  métal.  On  peut  l'obtenir  directement  en 
projetant  du  bismuth  en  poudre  dans  du  chlore  gazeux.  La 
combinaison  est  accompagnée  de  chaleur  et  de  lumière. 

BLANC  DE  CÉRUSE,  BLANC  DE  PLOMB,  BLANC 
D'ARGENT ,  BLANC  D'ÉCAILLÉS,  BLANC  DE  KREMS. 
Voyez  CÉRLSE. 

BLANC  DE  CHAMPICNON  ou  FRAI  DE  CHAM- 
PIGNON. C'est  une  espèce  de  terre  blanchâtre  qui  contient 
de  longues  fibres,  lesquelles  paraissent  être  autant  de 
germes,  et  qui,  placée  dans  un  fumier  humide,  acquiert 
promptement  une  végétation  d'où  naissent  successivement 
pendant  cinq  ou  six  semaines  des  champignons  que  l'on 
recueille  tous  les  trois  ou  quatre  jours. 

BLANC  DE  HOLLANDE,  variété  du  peuplier 
blanc. 

BLANC  DE  L'M:IL.  Voyez  Œil  et  Sclérotique. 

BLANC  DE  PERLES.  Voyez  ^L^^c  de  Bismuth. 

BLANC  D£S  CARMES  ou  BLANC  DE  SENLIS. 
Cette  couleur  n'est  autre  chose  que  la  chaux  fort  blanche 
réduite  en  poudre  très-fine,  qu'on  délaye  claire  comme 
du  lait,  et  que  l'on  applique  à  cinq  ou  six  couches  l'uuc  sur 
l'autre,  puis  que  l'on  frotte  ensuite,  soit  avec  une  brosse, 
soit  avec  la  main  ,  pour  lui  faire  prendre  un  luisant  qui  est 
j  son  seul  mérite.  Voyez  Déthempe. 


BLANC  D'ESPAGNE  —  BLANCHARD 


2:1 


BLANC  D'ESPAGNE  ,  BLANCS  DE  MEUDON,  DE 
TROYES,  D'ORLÉANS,  etc.  Le  blanc  le  plus  commun  est 
celui  que  l'on  désigne  dans  le  commerce  sous  le  nom  de  blanc 
d'Espagne  :  c'est  une  craie  très-soluble dans  l'eau.  Sa  fa- 
brication est  des  plus  simples  :  il  suffit,  lorsqu'elle  a  été  bien 
renmée  dans  une  grande  quantité  d'eau,  de  la  laisser  reposer 
quelques  instants  pour  que  le  gravier  et  les  matières  hété- 
rogènes tombent  au  fond  de  la  cuve  ;  après  quoi  on  tire  celte 
eau  blanche  pour  la  laisser  reposer  dans  un  autre  vaisseau. 
Lorsque  l'eau  est  d  evenue  parfaitement  claire,  on  l'enlève  avec 
soin  sans  troubler  le  sédiment  déposé  au  fond  du  vase;  puis, 
lorsque  cette  matière  est  devenue  une  pâte  assez  épaisse,  on 
la  met  en  pains ,  qu'on  laisse  sécher  à  l'air.  Il  s'en  fabrique 
beaucoup  à  Bougival,  à  Meudon(d'où  le  nom  de  blanc  de 
Meudon  ) ,  et  dans  d'autres  endroits  des  environs  de  Paris. 

Le  blanc  de  Troijes ,  blanc  de  craie  ou  craie  est  plus 
dur  et  plus  compacte  que  le  blanc  d'Espagne.  Voyez  Craie. 

On  trouve  aussi  à  Cavereau,  à  neuf  lieues  d'Orléans,  sur 
les  bords  de  la  Loire,  une  espèce  de  craie  que  l'on  vend  sous 
le  nom  de  blanc  d'Orléans.  —  On  tire  encore  de  Bourgogne 
et  de  Rouen  une  craie  qui  porte  les  noms  de  blanc  de  Bour- 
gogne et  de  blanc  de  Rouen.  Toutes  ces  espèces  de  blanc 
sont  d'un  prix  assez  modique  ;  ils  se  vendent  de  2  fr.  50  à 
4  fr.  50  les  100  kilogrammes,  mais  ils  ne  peuvent  servir 
que  pour  peindre  à  la  colle  ou  à  la  détrempe.  Cependant  on 
eu  introduit  aussi  dans  le  blanc  de  cérase,  mais  cette  fraude 
est  facile  à  apercevoir. 

BLANC  DE  ZINC.  Depuis  longtemps  on  faisait  des 
et  forts  pour  remplacer  par  une  autre  substance  la  céru  se, 
à  c;nise  des  maladies  auxquelles  elle  expose  les  ouvriers  qui 
la  fabriquent  et  qui  l'emploient.  Un  des  produits  qui  rem- 
plissent le  mieux  ce  but  est  Voxyde  de  zinc. 

lin  1780  Guylon  Morveau  présenta  à  l'Académie  de  Dijon 
un  travail  de  Courtois,  attaché  au  laboratoire  de  cette  com- 
pagnie, sur  la  substitution  de  cette  substance  au  blanc  de 
plomb.  Plus  tard  Guyton  Moneau  s'appliqua ,  à  plusieurs 
reprises,  à  l'étude  de  cette  question,  et  réclama  même  en 
faveur  de  Courtois  la  priorité  de  cette  invention  contre  un 
Anglais,  nommé  Atkinson,  qui  prit  en  1796  une  patente  pour 
le  même  objet.  Quoique  Courtois  eût  entrepris  cette  fabrica- 
tion dans  le  but  d'en  livrer  les  produits  aux  artistes  et  aux 
peintres  en  bâtiments,  le  prix  du  zinc  était  trop  élevé  à  celte 
époque,  et  l'industrie  qu'il  avait  créée  ne  put  se  soutenir. 

En  1844  M.  Leclaire,  enticpreneur  de  peinture,  appela  de 
nouveau  l'attention  sur  les  avantages  que  cet  oxyde  présente 
sur  la  céruse.  Profitant  de  l'abaissement  du  prix  du  zinc,  il 
parvint  à  fabriquer  ce  produit  par  un  procède  économique. 
Ce  procédé  consiste  à  chauffer  au  rouge  blanc  des  cylindres  en 
argile  réfractaire  :  ces  cylindres,  à  demi  fermés  par  un  obtu- 
rateur, reçoivent  des  morceaux  de  zinc  métallique  qui  se 
fond,  rougit ,  et  s'oxyde  en  brûlant  sous  l'induence  d'un 
courant  d'air  déterminé  par  un  ventilateur ,  qui  produit  une 
aspiration  à  l'extrémité  de  l'appareil  ;  la  flamme  et  le  cou- 
rant gazéiforme  entraînent  mécaniquement  l'oxyde  formé 
dans  des  chambres  où  un  repos  relatif  permet  à  l'oxyde  de 
,  zinc  de  se  déposer.  On  le  recueille  facilement,  et  un  broyage 
à  l'huile  suffit  pour  l'employer. 

Au  nombre  des  avantages  qui  résultent  de  l'introduction 
de  cette  substance  dans  la  peinture,  on  doit  placer  au  pre- 
mier rang  linnocuité  de  sa  préparation  et  de  son  emploi 
pour  la  santé  des  ouvriers.  L'oxyde  de  zinc  se  recommande 
par  une  autre  propriété,  bien  précieuse  :  il  résiste  parfai- 
tement à  l'action  de  l'air  chargé  de  gaz  sulfliydrique.  Sa 
couleur  blanche  n'est  point  altérée  dans  les  conditions  qui 
donnent  à  la  céruse  une  coloration  en  noir  plus  ou  moins 
*"oncé.  Ainsi  les  peintures  au  blanc  de  zinc  exécutées  dans 
les  cabinets  d'aisance,  dans  les  établissements  d'eau  sulfu- 
reuse, dans  les  laboratoires  de  chimie,  dans  les  locaux 
exposés  à  des  fuites  de  gaz,  souvent  mal  lavés,  etc.,  con- 
servent toute  leur  blancheur  primitive.  En  outre,  le  blanc 


de  zinc  supporte  parfaitement  le  mélange  arec  les  autres 
matières  colorantes. 

La  fabrication  du  blanc  de  zinc  pour  les  besoins  de  la  pein- 
ture est  aujourd'hui  confiée  à  une  société  anonyme ,  dont 
l'usine ,  établie  à  Clichy,  près  du  pont  d'Asnières,  livre  au 
commerce  plus  de  50,000  kilogrammes  de  blanc  de  zinc 
par  mois. 

BLANC  D'OEUF.  Voyez  Albumine  et  Œuf. 

BLANCHARD,  nom  vulgaire  de  la  h  ou  que  lai- 
neuse. —  C'est  aussi  le  nom  d'une  espèce  d'aigle-autour. 

BLANCHARD  (Jacques),  peintre  estimé  de  l'an- 
cienne école  française,  né  à  Paris,  en  1600,  mort  d'une 
fluxion  de  poitrine ,  en  1 638 ,  illustra  sa  courte  carrière  par 
un  grand  nombre  de  belles  productions,  qui  le  firent  surnom- 
mer le  Titien  français.  Pendant  son  séjour  en  Italie, 
Blanchard  s'était  en  elfet  appliqué  à  étudier  la  manière  du 
Titien,  et  il  était  ainsi  devenu  excellent  coloriste.  «  Aussi, 
dit  d'Argenvifle,  ne  peut-on  lui  disputer  d'avoir  rétabli  le 
bon  goût  de  la  couleur  en  France,  de  même  que  Vouët  y 
avait  fait  renaître  le  vrai  goût  du  dessin.  » 

Plusieurs  tableaux  de  Blanchard  sont  encore  conservés  à 
Venise.  Il  exécuta  à  Paris  deux  galeries  (  dont  l'une  était 
celle  de  l'ancien  hôtel  de  BuUion),  un  plafond  à  Versailles,  etc. 
On  lui  doit  aussi  plusieurs  Vierges  à  mi-corps.  Mais  son 
meilleur  tableau ,  celui  qu'on  regarde  comme  son  chef- 
d'œuvre,  est  une  Descente  du  Saint-Esprit ,  qu'il  peignit 
pour  la  cathédrale  de  Paris. 

Sot  frère  Jean  Blanchard,  et  son  fils  Gabriel  BLANcnAnn, 
se  livrèrent  aussi  à  la  pratique  de  la  peinture,  mais  sans 
grand  succès. 

BLANCHARD  (Jean-Pierre),  aéronaute,  né  en  1753, 
aux  Andelys,  en  Normandie,  était  fils  d'un  tourneur.  Son 
imagination  vive  et  son  application  aux  travaux  mécaniques 
lui  inspirèrent  dès  sa  jeunesse  l'idée  de  s'élever  dans  les 
airs.  11  construisit  une  machine  en  forme  d'oiseau,  et  dans 
laquelle  il  pouvait  s'enfermer ,  y  voir  à  travers  des  vitrages 
et  renouveler  l'air  par  une  soupape.  Tout  le  monde  put  voir 
cette  machine  en  1782  ;  mais  comme  il  éludait  toujours  ses 
promesses  d'en  faire  usage,  parce  qu'il  en  reconnaissait 
l'impossibilité,  il  essuya  des  épigrammes  et  de  mauvaises 
plaisanteries.  L'expérience  du  marquis  de  Causans,  qui,  à 
l'aide  d'un  appareil  de  son  invention,  s'élança  du  Pont- 
Royal  dans  la  Seine,  n'avait  donné  que  de  vaines  espérances 
à  Blanchard ,  lorsque  la  découverte  des  ballons  par  Mont- 
golfier  vint  le  tirer  de  l'oubli  où  il  était  tombé.  Le  2  mars 
17S4  il  devait  faire  une  ascension  dans  un  aérostat  auquel 
il  avait  adapté  sa  machine  et  un  parachute  ;  mais  le  jour 
fixé  un  élève  de  l'École  Militaire,  qu'on  a  faussement  dit 
être  Bonaparte,  et  qui  était  peut-être  bien  un  compère  de 
Blanchard ,  voulut  faire  le  voyage  aérien ,  et,  furieux  d'être 
refusé,  il  tira  son  épée,  et  causa  de  graves  avaries  à  la  ma- 
chine, ce  qui  n'empêcha  pas  l'aéronaute  de  s'élever, de  tra- 
verser la  Seine  et  d'aller  descendre  à  Sèvres.  Blanchard  fit 
sa  seconde  ascension  à  Rouen,  et  sa  troisième  à  Londres, 
où  il  se  servit  des  ailes  de  sa  machine. 

Enfm,  le  7  janvier  1785  il  s'enleva  à  Douvres,  avec  le  doc- 
teur anglais  Jefferies ,  traversa  la  Manche,  et  descendit ,  au 
bout  de  trois  heures,  après  avoir  couru  les  plus  grands  dan- 
gers ,  à  une  lieue  de  Calais.  Ce  voyage  valut  à  Blanchard  le 
sobriquet  de  don  Quichotte  de  la  Manche;  mais  il  en  fut 
amplement  dédommagé  par  les  honneurs ,  les  présents  et 
la  pension  qu'il  reçut  de  la  ville  de  Calais,  par  la  colonne 
en  marbre  qui  fut  érigée  sur  le  terrain  où  il  était  descendu, 
et  plus  encore  par  une  gratification  de  12,000  francs  et  une 
pension  de  1,200  francs  que  le  roi  lui  accorda. 

Nous  n'entrerons  pas  dans  le  détail  des  soixante  ascen- 
sions qu'il  fit  tant  en  France  qu'en  Angleterre,  en  Hollande, 
en  Allemagne,  en  Belgique,  aux  États-Unis ,  dont  queW 
ques-unes  furent  très-brillantes ,  et  quelques  autres  péril- 
leuses, ou  suivies  de  désappointements  plus  ou  moiAa, 


272 


BLANCHARD  —  BLANCHE  DE  BOURBON 


cruels.  Nous  mentionnerons  seulement  la  quinzième,  qui 
eut  lieu  à  Franc(ort-sur-Mein,  et  qui  lui  valut  des  hon- 
neurs extraordinaires.  L'ambassadeur  de  Russie,  deux 
flambeaux  à  la  main,  le  montra  au  peuple  sur  son  bal- 
con; sa  voiture  fut  traînée  par  des  hommes  jusqu'au  spec- 
tacle, où  on  le  porta  de  loge  en  loge;  il  y  reçut  des  boîtes 
d'or,  des  montres,  des  bourses,  des  médailles;  son  buste 
fut  couronné  sur  un  trône,  et  il  le  fut  lui-même  dans  sa  loge 
par  les  Amours  et  les  Grâces.  Malgré  ces  triomphes,  il  ne  put 
obtenir  de  l'empereur  Joseph  II  ni  du  grand  Frédérie  la 
permission  d'aller  faire  ses  expériences  en  Autriche  et  en 
Prusse.  Au  mois  de  mai  1793,  il  fut  arrêté  dans  le  Tyrol  et 
renfermé  dans  la  forteresse  de  Kufstein,  comme  soupçonné 
d'avoir  propagé  les  principes  de  la  révolution  française; 
mais  il  recouvra  bientôt  sa  liberté.  Il  employait  quelquefois 
plusieurs  petits  ballons  dans  ses  ascensions,  et  le  nombre 
de  ses  compagnons  de  voyage  fui  porté  une  lois  jusqu'à  seize. 

Blanchard  n'était  ni  physicien  ni  chimiste,  bien  qu'il  se 
vantât  d'avoir  découvert  une  sorte  de  gaz.  Il  était  absolu- 
ment illetlié,  et  ne  savait  pas  môme  l'orthographe  :  aussi 
montrait-il  souvent  son  ignorance  dans  ses  réponses  aux  dis- 
cours et  aux  compliments  qu'on  lui  adressait.  C'était  un 
Irès-pelit  homme,  dont  le  ton,  la  tournure  et  la  figure,  fort 
communes,  n'annonçaient  rien  de  plus  qu'un  simple  méca- 
nicien. Ce  fut  lui  cependant  qui  inventa  le  parachute; 
mais  il  ne  l'employa  que  pour  faire  descendre  des  animaux. 
Ayant  appris  que  Garnerin  s'était  approprié  cette  décou- 
verte, il  revint  d'Amérique  en  1798,  et,  après  avoir  souéenu 
dans  les  journaux,  contre  son  rival,  une  polémique  qui  oc- 
cupa les  Parisiens,  il  fit  à  Tivoli,  en  juillet  1799,  une  des- 
cente en  parachute.  Le  26  du  même  mois  il  y  exécuta  avec 
Lalande  ime  ascension  sans  résultats  pour  l'astronomie  ni 
pour  la  direction  des  aérostats.  Ayant  fait  sa  dernière  as- 
cension au  château  du  Bois,  près  de  La  Haye,  en  février  1808, 
Blanchard,  frappé  d'apoplexie,  tomba  de  vingt  mèlresde  haut, 
et  reçut  de  Louis  Bonaparte ,  alors  roi  de  Hollande,  des 
secours  qui  permirentde  letransporterà  Paris,  où  il  mourut, 
le  7  mars  1809.  Cet  homme,  plus  charlatan  que  savant,  et 
qui,  n'ayant  fait  de  l'aérostatique  qu'un  métier,  y  avait  gagné 
des  sommes  énormes,  ne  laissa  pourtant  que  des  dettes. 

BLANCHARD  (  Marie  -  Madeleine  -  Sophie  ARMANT , 
femme),  épouse  du  précédent,  vit  le  jour  à  Trois-Canons,  près 
deLa  Rochelle,  le  25  mars  1778.  Elle  se  familiarisa  de  bonne 
heure  avec  les  dangers  des  voyages  aériens.  Elle  avait  envi- 
ron vingt-six  ans  lorsqu'elle  (it  avec  son  mari  sa  première 
ascension;  mais  elle  accomplit  seule  la  troisième  à  Tou- 
louse, en  mars  1805.  La  mort  de  Blanchard  l'ayant  laissée 
sans  enfants,  mais  dans  le  dônument  le  plus  absolu,  elle 
multiplia  tellement  ses  ascensions,  qu'elles  dépassèrent  le 
nombre  de  celles  de  son  mari  ;  et  elle  s'y  était  si  bien  ac- 
coutiunée,  qu'elle  s'endormait  souvent  dans  sa  nacelle,  bra- 
vant tous  les  périls  avec  autant  d'intrépiiiité  que  lui.  On  la 
vit  à  Rome  et  à  Naples  en  1811.  A  Turin,  en  1812,  le  froid 
lui  causa  une  forte  lunnorrhagie,  et  les  glaçons  s'attachè- 
rent à  son  visage  ainsi  qu'à  ses  mains.  Rivale  de  M  '"  Gar- 
nerin, elle  redoublait  d'ardeur  et  d'activité.  A  Nantes, 
en  1817,  elle  serait  tombée  dans  un  marais,  si  son  ballon 
ne  se  fut  accroché  à  un  arbre.  Enfin,  leO  juillet  1819,  ayant 
fait,  à  l'ancien  Tivoli  de  Paris,  sa  soixaiitc-sej)fième  asien- 
sion  dans  une  nacelle  brillamment  illuminée,  d'où  elle  lan- 
çait des  fusées  romaines,  le  fiu  prità  son  ballon, etelletoiuha 
morte  sur  le  toit  d'une  maison ,  au  coin  des  rues  Chauchat 
et  de  Provence.  H.  Audiffret. 

Bf^Ai\CnE  (  La  reine  ).  Voyez  Blanche  de  Castille. 

BLAIXCIIE  (Mer),  en  russe  Bjeloje-More,  grand  golfe 
de  la  mer  Glaciale  du  Nord,  qui  pénètre  au  sud  entre  la 
presqu'île  Kanin  et  la  presqu'île  de  Laponie,  autrement  dite 
presqu'île  Kola,  dans  le  gouvernement  russe  d'Arkiian- 
pelsk,  jusqu'au  64°  de  latitude,  ayant  à  son  entrée,  entre  le  cap 
lUnin  et  Siviatoi-Nos,  16  myriamètres,  et  partout  ailleurs 


10  myriamètres  de  largeur,  et  62  myriamètres  dans  la  di- 
rection du  sud-ouest;  iloccupe  une  superficie  de  1565  my- 
riamètres carrés.  Il  se  partage  au  sud  en  trois  grands  goKes, 
les  golfes  Kandalaskaja,  Onega  et  Dwina,  dont  le  premier, 
qui  pénètre  profondément  en  Laponie  au  nord-ouest,  tire 
son  nom  de  la  petite  ville  de  Kandalask,  et  les  deux  autres 
des  deux  fleuves  auxquels  ils  servent  de  décharge  ,  l'Onega 
et  la  Dwina.  Il  faut  encore  y  joindre  à  l'est  la  baie  où  vient 
se  jeter  le  Mesen,  au-dessous  de  la  ville  du  même  nom. 
Les  côtes  en  sont  montagneuses  au  nord  et  à  l'est,  mais 
ailleurs  généralement  plates,  uniformes,  couvertes  de  lacs 
communiquant  pour  la  plupart  avec  la  mer,  et  traversées 
par  un  grand  nombre  de  petits  cours  d'eau.  Parmi  les 
nombreuses  îles  de  cette  mer,  la  plus  grande  est  celle  de 
Solowezk  ou  Saloivesk^  avec  un  monastère  fortifié.  Située  à 
l'entrée  du  golfe  d'Onega,  à  l'est  du  port  de  Kem,  elle  est- 
hérissée  de  rochers  nus  et  habitée  par  un  grand  nombre 
d'animaux  à  fourrure  et  d'oiseaux  aquatiques. 

Cette  mer,  qui  reste  gelée  et  couverte  de  neige  pendant  la 
plus  grande  partie  de  l'année,  circonstance  à  laquelle  elle 
doit  son  nom,  n'est  navigable  que  pendant  cent  cinquante 
à  cent  soixante-dix  jours,  de  mai  à  septembre,  et  même 
le  plus  souvent  à  partir  des  premiers  jours  de  juin  seule- 
ment; ce  qui  est  une  grande  entrave  pour  le  commerce 
considérable  de  ces  contrées.  Au  moyen  de  deux  ca- 
naux qui  relient  la  Dwina  au  Volga  et  au  Dnieper,  la  na- 
vigation a  lieu  sans  interruption  entre  la  mer  Noire, 
la  mer  Caspienne  et  la  mer  Blanche.  Les  habitants  du 
littoral  sont  des  Lapons,  des  Finnois  et  des  Samoyèdes, 
qui  s'occupent  de  pèche  et  de  commerce.  Le  principal  centre 
commercial  est  lagrandevilied'Arkhangelsk.  Les  expor- 
tations consistent  en  chanvre,  huiledebaleine,  poix,  planches, 
graines  de  hn,  seigle,  avoine,  froment  et  farine;  les  impor- 
tations, en  denrées  coloniales,  sucre,  vin,  poissons,  huile 
d'olives,  tabac.  Les  ports  de  moindre  importance  sont 
Onega,  Sumsky-Possad  et  /^em;  Kola  est  aussi  compris 
dans  la  direction  de  douanes  d'Arhhangelsk.  Les  exporta- 
tions de  ces  petits  ports  consistent  en  grains  et  en  articles 
de  l'industrie  locale,  et  surtout  en  bois.  Ils  entretiennent  en 
outre  des  relations  fort  importantes  avec  Hammerfest  et 
Tromsœ,  ports  et  places  de  commerce  de  la  Norvège.  Le 
commerce  n'a  guère  lieu  qu'avec  des  bâtiments  russes;  il 
est  favorisé  par  un  grand  nombre  d'immunités  en  matières 
de  douanes  et  d'impôts;  mais  il  a  singulièrement  souffert 
du  blocus  général  et  rigoureux  des  côtes  russes  dont  la 
guerre  d'Orient  a  été  le  résultat,  pendant  les  années  1854  et 
1855,  de  la  part  des  marines  anglaise  et  française. 

Ce  fut  l'Anglais  Richard  Chancellor,  parti  en  1553  avec 
une  expédition  envoyée  àla  recherche  d'un  passage  au  nord- 
est,  sous  les  ordres  de  Hugh  Willoughby,  qui  découvrit  la 
route  conduisant  à  celte  mer.  Un  fait  qui  prouve  bien  toute 
Timportance  que  les  Anglais  attachèrent  à  cette  découverte, 
c'est  que  tout  aussitôt  ils  entreprirent  les  recherches  les 
plus  exactes  sur  l'étendue ,  la  grandeur,  la  largeur,  la  pro- 
fondeur et  les  diverses  positions  de  la  mer  Blanche,  et  qu'ils 
construisirent  ensuite  à  l'embouchure  de  la  Dwina,  dans  le 
golfe  de  Dwina,  le  foit  d'Ar..hangelsk,  pour  en  faire  le  grand 
entrepôt  de  leur  commerce  avec  la  Russie;  et  jusqu'à  la 
fondation  de  Saint-Pétersbourg  il  continua  d'en  être  ainsi. 

BLANCHE  DE  BOURBON,  reine  de  Castille,  née 
vers  1338,  morte  en  1361,  élait  fille  de  Pierre,  duc  de 
Bourbon.  A  quinze  ans,  elle  épousa  Pierre  le  Cruel,  roi  de 
Castille.  Celui-ci  la  soupçonna  d'avoir  eu  des  relations  cou- 
pables avec  don  Frédéric,  son  frère  naturel,  qu'il  avait 
chargé  d'aller  la  recevoir  à  Narbonne.  Le  lendemain  nîôme 
de  ses  noces,  Pierre  l'aiiandonna  pour  Marie  de  Padilla,  sa 
maîtresse.  Blanche,  ainsi  délaissée  par  son  mari,  chercha  à 
s'en  venger  en  prenant  part  avec  les  frères  du  roi  à  des  in- 
trigues qui  fournirent  à  Pierre  un  prétexte  pour  la  faire 
arrêter,  et  en  1354  elle  fut  enfermée  à  l'Alcazar  de  Tolède. 


BLAiNCHE  DE  BOURBON  —  BLAKCHET 


Ce  lui  en  vain  qu'elle  réussit  à  s'échapper  de  sa  pi  ison  et 
à  se  réfugier  dans  la  eatliédrale,  que  le  peuple  se  déclaia 
en  sa  faveur,  et  que  don  Frédéric  fit  tout  pour  la  sauver. 
Tolède  fut  prise  d'assaut ,  et  Blanche,  transférée  au  château 
de  Medina-Sidonia,  y  périt  empoisonnée  par  ordre  de  Pierre. 
Suivant  quelques  chroniqueurs,  elle  ne  serait  morte  que  de 
chajjrin.  Quoi  qu'il  eu  ait  été,  sa  mort  fut  le  prétexte  de  l'ex- 
pédition de  Dusuesclin  contre  Pierre  le  Cruel,  laquelle  eut 
pour  résultat  l'élévation  de  Henri  de  Transtamareau  trône  de 
Castilie,  en  même  temps  que  pour  la  France  la  destruction 
des  bandes  militaires  qui  la  ravageaient. 

BLANCHE  DE  BOURGOGAE, fille  d'Othon  IV, 
comte  palatin  de  Bourgogne,  et  de  Mahaat,  comtesse  d'Ar- 
tois, fut  mariée  en  1307,  à  Charles,  comte  de  la  Marche, 
le  plus  jeune  des  trois  fils  de  Philippe  le  Bel,  roi  de  France. 
L'histoire  de  cette  princesse  se  lie  intimement  à  celle  de 
Marguerite  de  Bourgogne,  sa  belle-sœur,  par  la 
complicité  de  leurs  débauches  et  de  leurs  amours  adultères 
avec  les  frères  Philippe  et  Pierre  Gauthier  de  Launoy  ou 
d'Aulnay,  écuyers  de  leurs  époux.  La  jalousie  d'une  filie 
d'honneur,  séduite  et  trompée  par  Philippede  Launoy,  ayant 
amené  la  découverte  des  intrigues  galantes  dont  le  couvent 
de  Maubuisson  était  le  théâtre  mystérieux,  Blanche  fut  en- 
ferméeau  Château-Gaillard  d'Andely  s.  Kilo  en  sortit  après  que 
son  mari  l'eut  répudiée,  sous  prétexte  de  parenté,  mais 
ce  ne  fut  que  pour  prendre  le  voile  à  l'abbaye  de  Maubuis- 
son, où  elle  expia,  dans  l'austérité  de  la  pénitence,  les  dé- 
sordres scandaleux  de  sa  jeunesse.  Elle  v  mourut  en  1325. 

BLAXCHE  DE  CASTILLE,  reine  de  France,  mère 
de  saint  Louis ,  née  en  1187,  morte  en  1252,  était  fille 
d'Alphonse  IX,  roi  de  Castilie,  et  d'Éléonore  d'Angleterre. 
Le  mariage  de  cette  princesse  avec  le  prince  Louis,  fils  aine 
de  P  II  i  1  i  p  p  e-  A  u  g  u  s  t  e ,  fut  une  des  clauses  du  traité  qui 
mit  lin  aux  luîtes  séculaires  de  l'.^ngleterre  et  de  la  France, 
après  la  conquête  et  la  réunion  à  la  couronne  par  Philippe- 
Auguste  de  la  plupart  des  provinces  contestées.  Il  eut  lieu 
à  Pont-Audemer;  et  rarement  ou  vit  une  union  plus  heureuse: 
plusieurs  enfants  eu  furent  le  fruit.  Le  second  fils  de  Blanche, 
saint  Louis,  naquit  à  Poissy,  l'année  même  de  la  bataille  de 
Bouvines.  Par  sa  beauté,  par  son  esprit,  la  princesse  faisait 
l'ornement  de  la  cour;  et  elle  sut  inspirer  à  son  beau-père 
une  telle  estime,  que  ses  conseils  étaient  pour  beaucoup 
dans  les  déterminations  qu'il  prenait.  Blanche  était  déjà 
âgée  de  trente-six  ans,  lorsque  son  époux  monta  sur  le 
trône  en  1223.  On  sait  que  le  règne  de  Louis  VI II  dura  peu. 
Ce  prince  mourut  trois  ans  après  son  avènement,  sans  avoir 
eu  le  temps  de  réaUser  les  espérances  qu'il  avait  fait  con- 
cevoir à  ses  peuples.  Par  son  testament  il  instituait  la  reine 
sa  femme  régente  du  royaume  pendant  la  minorité  de  son 
fils  Louis  IX,  alors  âgé  seulementde  treize  ans.  Blanche  eut 
à  triompher  de  l'opposition  de  divers  seigneurs,  qui  re- 
fusèrent de  reconnaître  le  testament  de  Louis  VllI  et  l'au- 
torité de  la  régente.  Dans  cette  coalition  figurait,  contre  toute 
attente,  Thibaut,  comte  de  Champagne,  prince  galant  et 
poêle,  auquel  on  supposait  des  sentiments  moins  hostiles 
pour  la  reine.  Par  sa  prudence  et  son  habileté,  elle  écarta 
tous  les  périls  qui  la  menaçaient.  Son  premier  soin  fut  de 
se  iiàter  de  faire  sacrer  à  Reims  le  jeune  roi,  dont  elle  confia 
l'éducation  au  connétable  de  Montmorency.  Ensuite  elle 
marcha  résolument  contre  les  révoltés,  et  fit  cruellement 
ravager  les  terres  du  comte  de  Champagne,  qui  vint  bien- 
tôt à  résipiscence.  D'habiles  négociations  aciievèrent  de  dis- 
soudre la  ligue;  etlorsqu'en  1235  elle  remit  le  pouvoir  à  son 
lils,  qui  venait  d'atteindre  sa  majorité,  la  France  se  trouvaità 
peu  près  pacifiée.  Louis,  arrivéàlatête  des  affaires,  conserva 
toujours  pour  sa  mère  la  plus  tendre  et  la  plus  respectueuse 
déférence.  Quand  en  1244,  à  la  suite  d'une  grave  maladie, 
Louis  IX  fit  vœu  de  prendre  la  croix.  Blanche  fit  tout 
pour  l'en  dissuader,  quoique  la  conséquence  du  départ  de 
son  fils  pour  la  croisade  dût  être  de  lui  faire  encore  une 
d:ct.  de  la  coNVEiis.  —  X.  m. 


l'7  3 

I  fois  confier  la  régence,  le  roi  annonçant  hautement  l'inten- 
I  tiou  de  se  faire  suivie  en  Orient  par  la  reine  sa  femme,  par 
'  ses  trois  frères  et  par  l'élite  de  la  chevalerie  de  Fiance 
I  Elle  accompagna  le  roi  jusqu'à  Marseille,  et  perdit  couuais- 
I  sance  au  moment  où  elle  le  vit  s'embarquer.  De  retour  à 
}  Paris,  elle  prit  la  direction  des  affaires,  et  sembla  alors  re- 
trouver toute  l'activité  et  toute  la  feiineté  de  sa  jeunesse. 
De  cruelles  épreuves  lui  étaient  réservées  cette  fois  dans 
l'eïercice  du  pouvoir.  Il  lui  fallut  faire  rendre  à  l'impôt 
tout  ce  qu'il  était  susceptible  de  produire,  aliu  défaire  passer 
au  roi  les  .sommes  énormes  dont  il  avait  besoin;  et  les  exi- 
gences toujours  croissantes  du  fisc  répandirent  un  vif  mé- 
contentement parmi  les  populations.  Le  désastre  de  la  Mas- 
soure,  où  l'armée  fut  taillée  en  pièces,  le  roi  fait  prison- 
nier, et  le  comte  d'Artois,  son  frère,  massacré  par  les  in- 
lidèles,  mit  le  comble  aux  amertumes  dont  elle  était  abreu- 
vée. Blanche,  au  milieu  de  la  désolation  générale,  ne  faillit 
pas  ;  elle  redoubla  au  contraire  d'activité  et  d'énergie  pour 
recueillir  les  sommes  qu'il  fallait  envoyer  en  Egypte  pour 
la  rançon  de  Louis  IX  et  de  ses  frères.  Le  roi  s'obstinant  dans 
son  entreprise  et  réclamant  de  nouveaux  envois  d'hommes, 
la  régente  dut  menacer  de  la  confiscalion  de  leurs  biens 
ceux  des  seigneurs  qui  hé.siteraient  à  aller  rejoindre  leur  sou- 
verain dans  le  pays  des  intitièles.  Puis,  quand  les  paysans 
se  révoltèrent,  sous  prétexte  de  vouloir  venger  leur  roi,  il 
lui  fallut  armer  contre  les  bandes  d'insurgés,  qui,  sous  le 
nom  de  pastourea  u  x  etau  nombre  de  plus  de  cent  mille, 
portaient  le  fer  et  le  feu  dans  toutes  les  parties  du  royaume. 
Elle  mourut  à  Mtlun ,  à  l'âge  de  soixante-huit  ans. 
Ses  restes  mortels  furent  déposés  à  l'abbaye  de  Maubuisson, 
qu'elle  avait  fondée  dix  ans  auparavant.  Les  seigneurs  de 
la  cour  tinrent  à  honneur  de  les  y  porter  eux-mêmes.  Elle 
a  lais.sé  dans  l'histoire  le  renom  d'une  grande  et  sage  reine, 
alliant  à  toutes  les  qualités  nécessaires  sur  un  trône  les 
vertus  obscures  et  plus  douces  de  l'époui^e  et  de  la  mère 

BLAACHE  DE  NAVARRE  (Les).  Deux  reines  de 
Navarre  ont  porté  le  nom  de  Blanche.  La  première,  morte 
en  1441,  était  fille  de  Charles  III,  dit  le  A'oble,  auquel  elle 
succéda,  en  1425.  Elle  avait  épou.sé,  en  l402,  Martin  d'Ara- 
gon, roi  de  Sicile,  et  en  secondes  noces,  en  1420,  Jean 
d'Aragon,  fils  de  Ferdinand  1",  qui,  du  chef  de  sa  femme, 
devint  roi  de  Navarre,  en  1425.  Blanche,  dans  son  testament, 
léguait  bien  sa  couronne  a  don  Carlos,  son  fils  ;  mais  elle 
lui  recommandait  en  môme  temps  de  ne  monter  sur  le  trône 
qu'avec  l'assenliraent  de  Jean  d'Aragon.  La  seconde,  fille 
aînée  de  Jean  d'.\ragon  et  de  la  Blanche  de  Navarre  dont  il 
vient  d'être  question,  épousa,  en  1440,  Henri  IV,  surnommé 
rimptiissant,  roi  de  Castilie,  avec  lequel  elle  divorça  en 
1453,  en  vertu  d'une  autorisation  spéciale,  accordée  par  le 
pape  Nicolas.  Elle  se  retira  alors  à  la  cour  du  roi  son  père, 
où  elle  se  trouva  en  butte  à  la  haine  et  aux  persécutions  de 
sa  belle-mère,  Jeanne  Henriquez.  La  mort  de  son  frère 
utérin  don  Carios,  arrivée  en  1481,  la  rendit  héritière  du 
trône  de  Navarre;  mais  alors  son  père,  pour  se  débarrasser 
des  prétentions  qu'elle  pouvait  faire  valoir,  la  livra  à  la 
comtesse  de  Foix,  sa  sœur  cadette,  qui  avait  pour  elle  une 
haine  ardente  et  qui,  après  l'avoir  d'abord  incarcérée  dans 
le  château  d'Orthez,  la  fit  empoisonner. 

BLAACHET  (Pierre),  poète  français,  né  à  Poitiers, 
vers  14G0,  mort  en  1519,  commença  par  suivre  le  Palais, 
composant  des  poésies,  lais,  rondeaux,  etc.,  et  des  Farces, 
que  les  élèves  de  la  Bazoche  représentaient  et  dans  lesquelles 
l'auteur  jouait  lui-même.  Jean  Bouchet,  son  ami  et  son 
compatriote,  nous  apprend  dans  l'épitaphe  qu'il  lui  a  con- 
sacrée, qu'il  reprenait  hardiment  les  abus  et  les  scandale» 
publics,  avec  un  tel  succès, 

Que  gens  notés  de  vice 

Le  craignoient  plus  que  les  gens  de  justice. 
Ne  que  prescheurs  et  que  concinoateurs, 
Qui  n'estoient  pas  si  grands  déclaioateurs. 


274 


BLANCHET 


A  quarante  ans,  Pierre  Blancliet  entra  dans  les  ordres, 
mais  sans  pour  cela  renoncer  à  la  culture  des  lettres  et  de 
la  poésie,  et  il  mourut  à  Tâge  de  soixante  ans  environ. 
On  l'avait  jusqu'à  ce  jour  généralement  tenu  pour  l'auteur 
de  la  célèbre  farce  de  L'Avocat  Palhelin;  mais  M.  Génin 
a  démontré  par  des  faits,  par  des  dates,  que  c'était  <à  tort , 
et  (lue  le  nom  du  véritable  auteur  de  cette  farce  est  un  pro- 
blème, qui  reste  encore  tout  entier  à  résoudre. 

ULANCIIET  (Alexandhe-Paul-Louis),  chirurgien, 
est  ni-  en  1817,  à  Saint-Lô.  Reçu  docteur  en  médecine  en 
Is/iO,  il  s'est  attaché  au  traitement  des  maladies  des  yeux, 
des  oreilles  et  de  ta  surdi-mutité,  pour  lesquelles  il  a  fonrlé 
une  clmiqne  spéciale.  Pendant  [)lusieurs  années  il  adressa  au 
gouvernement  des  réclamations  sur  l'abandon  dans  lequel 
languissaient  les  malheureux  enfants  admis  à  titre  d'incu- 
rables dans  les  établissements  de  souids-muets  et  d'aveu- 
gles. Énm  de  ces  plaintes,  le  ministre  de  l'intérieur  lui  confia, 
en  1846,  la  mission  de  traiter  dans  les  institutions  (jui  leur 
sont  consiicrécs  tous  ceux  qu'il  jugerait  susceptibles  de 
guérison.  Les  succès  qu'il  obtint  lui  valurent  l'année  sui- 
vante le  titre  de  chirurgien  en  chef  de  l'Ecole  des  Sourds- 
Muets  de  Paris.  Aussitôt  il  créa  dans  cet  établissement  une 
division  d'élèves  à  qui  il  entreprend  de  rendre  l'ouïe  et  la 
parole,  et  par  la  musique,  qu'il  a  eu  le  premier  la  pensée 
d'employer  au  développement  de  l'audition  et  de  l'appareil 
vocal,  il  a  ajoutéau  traitementmédical  un  auxiliaire  puissant. 

En  1849  le  gouvernement  chargea  M.  Blancliet  d'aller 
étudier  dans  les  établissements  étrangers  de  sourds-muets, 
notanmient  dans  ceux  de  Belgique  et  d'Allemagne,  les  divers 
modes  d'enseignement  qui  y  sont  en  usage. 

On  a  de  lui  divers  ouvrages,  parmi  lesquels  nous  nous 
bornerons  à  citer  son  traité  De  la  Surdi-Muiitc. 

BLANCIIIMEIVT.  L'art  du  blanchiment  a  pour  but 
de  donner  la  couleur  blanche  aux  matières  (pu  ne  ront*pas, 
ou  qui  ne  l'ont  qu'imparfaitement.  On  peut  le  diviser  en 
deux  parties  principales  bien  distinctes,  le  blanchiment 
pouvant  s'opérer  :  1"  en  séparant  des  substances  blanches 
par  elles-mêmes  les  matières  qui  les  colorent,  but  que  l'on 
atteint  le  plus  souvent  par  des  moyens  chimiques,  comme 
lorscpi'on  blanchit  le  linge,  les  toiles,  la  soie;  1°  en  appli- 
quant des  substances  blanciiissantes  sur  des  corps  ternes  : 
par  exemple,  les  enduits  que  l'on  étend  sur  les  murs,  les 
vernis  dont  on  enduit  certaines  poteries,  etc. 

Nous  ne  parlerons  ici  que  de  la  première  sorte  de  blanchi- 
ment ;  et  encore  nous  ne  l'envisagerons  que  dans  ses  appli- 
cations aux  tissus  végétaux,  car  le  blanchiment  des  tissus 
animaux,  tels  que  la  soie  et  la  laine,  est  l'objet  d'une  opéra- 
tion particulière,  qui  a  reçu  le  nom  de  dessulntage. 

Le  célèbre  Bertho  llet  est  auteur  d'un  procédé  remar- 
quable pour  blanchir  les  toiles  au  moyen  du  chlore.  On 
commence  par  dépouiller  les  toiles  de  la  colle  ou  parement 
dont  elles  se  trouvent  imprégnées  quand  elles  sortent  de  la 
main  du  tisserand  :  on  les  met  à  cet  effet  macérer  dans 
des  cuviers  pleins  d'eau  tiède;  puis  on  achève  de  les  décras- 
ser en  les  lavant  dans  un  courant  d'eau  fraîche.  On  lessive 
ensuite  les  toiles  plusieurs  fois  avec  une  dissolution  de  po- 
tasse ou  de  soude,  et  à  chaciue  lessivage  on  les  lave  dans 
l'eau  courante;  on  les  passe  dans  vme  eau  légèrement  aci- 
dulée avec  l'acide  sulfurique,  et  ensuite  dans  une  dissolution 
de  chlore  ;  on  réitère  ces  deux  opérations  en  lavant  les  toiles 
à  chaque  fois,  et  en  les  exposant  sur  le  pré  pendant  quelques 
jours.  Enfin,  on  les  passe  au  savon  noir  et  à  un  dernier  la- 
vage, après  quoi  on  les  apprête  et  on  les  fait  sécher. 

Les  procédés  de  blanchiment  sont  à  peu  près  les  mêmes 
pour  toutes  les  sortes  de  toiles  ;  cependant  les  toiles  de  co- 
ton n'ont  pas  besoin  d'être  lessivées  autant  de  fois  que  les 
autres,  parce  que  la  matière  colorante  du  coton  est  plus  fa- 
cile à  détruire  que  celle  du  lin  et  du  chanvre.  Le  blanchi- 
ment par  le  chlore  est  aussi  employé  dans  la  papeterie,  où  il 
a  produit  les  plus  heureux  résultats. 


BLANCHISSAGE 

BLANCHISSAGE.  Il  y  a  cette  différence  entre  le 
blanchiment  et  le  blanchissage,  que  dans  la  première  de 
ces  opérations  on  se  propose  de  dépouiller  des  tissus  d'une 
matière  colorante  inhérente  à  leur  nature,  tandis  que  dans 
la  seconde  il  n'est  question  (jue  de  les  purger  d'un  corps 
gras  ou  de  toute  autre  nature  accidentellement  et  mécani- 
quement additionnel.  Ainsi,  par  le  mot  blanchiment  on 
peut  entendre  l'art  de  rendre  blanc,  et  par  celui  de  blan- 
chissage l'art  de  reblanchir  ce  qui  était  blanc.  De  cette  dé- 
finition il  résulte  qu'une  foule  d'objets,  tels  que  le  papier, 
l'albûtre,  l'ivoire,  le  marbre  blanc,  etc.,  sont  susceptibles  de 
blanchissage;  maison  ne  trouvera  dans  cet  article  que  quel- 
ques considérations  générales  sur  le  blanchissage  du  linge. 

La  sueur  et  surtout  la  transpiration  continuelle  du  corps 
produisent  les  matières  grasses  qui  forment  ordinairement 
la  presque  totalité  îles  saletés  dont  le  linge  de  corps  est  im- 
prégné. Le  linge  de  table  n'est  pas  moins  exposé  a  être  ta- 
ché par  des  corps  gras.  Un  simple  lavage  dans  de  l'eau  pure 
ne  pourrait  donc  suffire  pour  détacher  ces  matières,  attendu 
que  les  graisses,  les  huiles,  ne  se  combinent  pas  avec  l'eau. 
Mais  les  graisses  se  combinent  aisément  avec  les  a  l  c  a  1  i  s , 
et  forment  des  composés,  appelés  sfflî;o?is,solubles  dans 
l'eau.  Or,  les  cendres  de  tous  les  végétaux  contiennent  de 
la  potasse  :  voilà  l'origine  des  lessives. 

Les  meilleures  cendres  sont  celles  qui  proviennent  de.s 
plantes  et  des  bois  neufs  ;  celles  que  produisent  les  bois 
flottés  n'ont  aucune  vertu,  par  la  raison  que  le  sel  que  con- 
tenait le  bois  s'est  dissous  dans  l'eau.  On  ne  se  sert  plus 
guère  de  cendres  dans  les  blanchisseries,  mais  bien  de  sel  de 
soude,  et  la  [wtasse  d'Amérique  n'est  môme  employée  que 
pour  le  plus  gros  linge.  Une  lessive  trop  forte  altère  les  fils 
du  linge  et  les  ternit;  si  elle  est  trop  faible,  le  blanchissage 
est  imparfait.  La  lessive  réussit  encore  mal  si  elle  est  trop 
chaude  :  les  impuretés  s'altachent  alors  au  tissu  avec  pics 
de  !or<»'.  La  chaleur  convenable  est  celle  que  la  main  peut 
supporter.  En  général,  on  cssangc  le  linge  avant  de  le  lessi- 
ver, c'est-à-dire  qu'on  le  fait  passer  dans  de  l'eau  pure  :  ce 
lavage  enlève  toutes  les  impuretés  qui  sont  solubles  dans 
l'eau  sans  le  secours  des  alcalis;  la  lessive  est  moins  dispen^ 
dieuse,  et  les  effets  en  sont  plus  satisfaisants. 

Le  blanchissage  à  la  vapeur  est  bien  supérieur,  et  pour 
l'économie,  et  pour  la  perfection  d*i  résultat,  à  la  manière 
ordinaire  de  blanchir  le  linge;  il  n'est  pas  cependant  encore 
adopté  généralem.ent,  tant  s'en  faut,  il  est  vrai  qu'il  ne  peut 
être  pratiqué  qu'au  moyen  d'appareils  particuliers.  Le  blan- 
chissage à  la  vapeur  a  été  connu  de  temps  immémorial  chez 
les  Orientaux,  qui  l'emploient  au  blanchiment  du  coton. 
Chaptal  est  le  premier  qui  l'ait  pratiqué  en  Europe,  et  qui 
ait  conseillé  de  l'appliquer  au  blanchissage  du  linge.  L'ap- 
pareil qu'on  emploie  se  compose  d'une  chaudière  dans  la- 
quelle se  produit  la  vapeur  par  la  chaleur  (lui  se  développe 
dans  un  foiu-neau  placé  dessous.  Après  avoir  trempé  le  linge 
dans  la  lessive,  on  le  dispose  dans  un  cuvier  placé  sur  la 
chaudière,  avec  laquelle  il  communique  par  une  ouverture 
pratiquée  dans  son  fond  ;  puis  on  feruie  l'ouverture  supé- 
rieure du  cuvier  avec  un  couvercle  :  la  vapeur  monte  de  la 
chaudière  dans  le  cuvier,  pénètre  la  masse  de  linge,  et  au 
bout  de  huitheuresl'opération  est  terminée;  on  retire  le  linge 
pour  le  rincer  dans  l'eau  claire.  Le  blanchissage  est  aussi 
parfait  qu'il  est  possible  de  le  désirer.  ïevssèdp.e. 

On  a  fait  beaucoup  d'essiùsdans  ces  derniers  temp>  pour 
perfectionner  l'art  du  blanchissage.  Différents  appareils  mé- 
caniques ont  été  imaginés  sans  grand  succès  (économique- 
ment parlant  du  moins),  et  l'on  en  est  toujours  réduit  à  /aire 
la  lessive  au  cuvier,  puis  à  savonner  et  battre  ou  brosser  le 
linge,  en  le  passant  dans  l'eau,  puis  à  le  tordre  et  à  l'étendre 
en  plein  airou  dans  des  séchoirs  à  air  libre  ou  à  air  chaud.  Le 
linge  blanc  estauparavant  mis  au  bleu.  Ensuite  on  le  plie,  on 
lepresse,  onl'empè.sc,  onle  repasse.  Pour  enlever  certaines 
taches,  comme  le  chancis  (  moisi.ssure  ),  il  faut  recourir; 


BLANCHISSAGE  —  SLANGS  ET  NOIRS 


275 


'"eau  Je  Javcl,  de  même  qu'on  enlève  les  taches  d'encre  avec 
'e  sel  d'oseille  ;  mais  trop  souvent  les  oumères  mêlent  de 
l'eau  de  Javel  à  leur  eau  de  lessive  pour  rendre  le  linge 
l'Ius  promptement  blanc  et  ménager  le  savon.  Il  en  résulte 
une  détérioration  du  fil  qui  ne  peut  se  comparer  qu'à  l'ac- 
tion pernicieuse  du  battoir  et  du  chien.  Les  blanchisseurs 
prétendent  à  la  vérité  que  rien  de  ces  drogues  ou  de  ces  ins- 
iriunents  ne  fait  de  mal  au  linge,  quand  on  sait  les  employer 
ou  s'en  servir  ;  mais  il  faut  se  garder  de  les  croire.  Quelquefois 
aussi  les  taches  de  fruits  résistent  à  la  lessive;  des  oxydes 
mêlés  au  sel  de  soude  laissent  leur  empreinte  sur  le  linge; 
les  taches  de  sang,  et  surtout  de  sang  de  poisson,  font  dus 
taches  jircsque  indélébiles  lorsqu'on  met  le  linge  à  la  les- 
sive sans  l'avoir  cssangé;  les  cheveux ,  les  poils,  marquent 
plusieurs  piècesdu  luigeque  traverse  la  lessive  ;  enfin  certains 
métaux  font  tourner  la  lessive.  Au  lieu  de  tordre  le  linge,  on 
a  imag-né,  pour  l'essorer,  de  lui  imprimer  un  mouvement 
rapide  de  rotation  dans  un  sphéroïde  en  cuivre  percé  de 
trous,  mis  en  branle  à  la  façon  des  toupies  d'Allemagne.  La 
force  centrifuge  chasse  l'eau  qui  s'échappe  par  des  trous , 
et  après  quelques  tours  le  linge  n'est  plus  qu'humide. 

BLAJVC-MANGER,  aliment  qui  a  ordinairement  pour 
base  une  gelée  provenant  de  substances  animales  et  rendue 
blanche  et  opaque  au  moyen  d'une  addition  de  lait  d'a- 
mandes. C'est  en  général  un  composé  de  corne  de  cerf, 
de  sucre,  d'amandes  douces,  d'eau  de  Heur  d'oranger, 
d'huile  essentielle  ou  de  zeste  de  citron,  fort  agréable  au 
goût  ;  il  n'est  pas  de  facile  digestion ,  à  cause  de  la  corne  de 
cerf  et  des  amandes.  Madame  de  Maintenon  rapporte,  dans 
l'une  de  ses  lettres,  que  Fagon,  le  médecin  du  grand  roi , 
ordonnait  cette  gelée  dans  les  cas  d'affections  ou  de  dispo- 
sitions inflammatoires.  Néanmoins ,  on  ne  doit  en  manger 
qu'avec  modération,  et  seulement  après  avoir  consulté  les 
forces  dig&stives  de  son  estomac.  Le  sucre  employé  dans  sa 
confection  ne  sert  pas  seulement  à  (latter  le  goût,  il  a  aussi 
jjour  but  de  corriger  en  partie  la  tendance  du  blanc-manger 
à  l'alcalescence.  —  On  fait  aussi  un  blanc-manger  avec  de 
la  mie  de  pain.  Voije::,  Gelée. 

BL AIXC-IMEZ ,  nom  vulgaire  d'une  espèce  de  singe  du 
genre  gxienon,  qui  est  Yascagne  d'Audehe;t,  ou  le  simia 
petaiirista  de  Gmelin.  G.  Cuvier  le  caractérise  ainsi  :  brun 
olivâtre  en  dessus,  gris  en  dessous,  visage  bleu,  nez  blanc, 
touffe  blanche  devant  chaque  oreille,  moustache  noue. 

BLAXCQUE.  Voyez  Llanqle. 

BLAJVCS.  En  parlant  des  hommes ,  on  emjjloie  ce  nom 
pour  désigner  ceux  de  race  blanche,  notamment  dans  les 
colonies  transatlantiques ,  par  opposition  aux  indigènes,  aux 
nègres  et  aux  races  mêlées.  Aux  Antilles  on  nommait  j^dits 
blancs,  par  opposition  aux  grands  planteurs ,  tous  les 
blancs  qui  n'avaient  que  des  caféries.  Plus  tard  on  comprit 
sous  la  même  dénomination  les  blancs  qui  travaillaient 
comme  manœuvres,  journaliers,  ou  qui  exerçaient  quelques 
métiers,  autrement  dits  blancs  manants.  Les  petits  blancs 
étaient  ceux  qui  affectaient  le  plus  de  mépris  pour  les  classes 
de  couleur,  qui  de  leur  côté  le  leur  rendaient  avec  usure. 
Ces  hommes  ont  amené  par  leur  obstination  et  leur  despo- 
tisme la  perte  pour  la  France  de  la  colonie  de  Saint-Do- 
mingue. Voyez  Haïti. 

Sous  la  première  république  française  on  a  donné  le  nom 
de  blancs  aux  hommes  qui  pendant  les  guerres  de  la  Ven- 
dée osèrent  faire  la  guerre  à  leur  patrie  en  arborant  le 
drapeau  blanc  de  la  royauté,  et  seconder  ainsi  les  efforts 
de  l'étranger.  Les  patriotes  étaient,  par  opposition,  appelés 
bleus  :  cette  couleur  était  celle  de  l'habit  des  soldats  répu- 
l)licains.  Sous  la  nouvelle  république,  alors  que  les  assem- 
blées se  divisaient  en  tant  de  fractions,  le  peuple  qualifiait 
de  blancs  tous  les  hommes  qui  paraissaient  par  leurs  actes 
ou  leurs  discours"  tendre  vers  le  rétablissement  d'une  royauté 
quelconque. 

A  r.omc  on  a  appelé  blancs  des  espèces  de  pén'teiits  qui. 


à  l'approche  de  l'an  1400,  dans  la  crainte  de  la  fin  du 
monde,  se  mirent  à  faire  des  processions  de  ville  en  ville. 
Le  pape  condamna  ces  courses  pieuses ,  comme  contraires 
à  la  discipline  de  l'Église.  Tous  les  historiens  ne  sont  pas 
favorables  à  ces  pénitents.  Pour  quelques-uns  ce  sont  des 
sectaires  et  des  imposteurs,  qui  portaient  des  robes  blanches 
ou  qui  s'enveloppaient  dans  des  draps ,  et  montraient  des 
croix  sur  lesquels  le  Christ  suait  le  sang.  L'un  d'eux  se 
disait  le  prophète  Élie,  descendu  du  ciel  pour  annoncer 
aux  hommes  la  fin  du  monde,  qui  allait  arriver  prochai- 
nement par  un  tremblement  de  terre.  Des  gens  de  tout  sexe 
et  de  toute  condition,  prêtres,  clercs,  laïques,  et  jusqu'à  des 
cardinaux ,  se  revêtirent  de  sacs  ou  chemises  blanches ,  et 
parcoururent ,  à  la  suite  de  ces  nouveaux  prêcheurs ,  les 
villes  et  les  campagnes,  chantant  des  vers  arrangés  en  lita- 
nies. Ces  pèlerinages  duraient  treize  jours,  pendant  lesquels, 
dépouillant  et  dévastant  tout  ce  qui  se  rencontrait  sur  leur 
passage,  les  pèlerins  se  livraient  à  des  désordres  d'une  autre 
nature;  car  ils  couchaient  pêle-mêle  dans  les  églises  et 
les  monastères ,  et  comptaient  dans  leurs  rangs  un  grand 
nombre  de  femmes  et  de  jeunes  filles.  Suivant  Bruys  le 
scandale  fut  poussé  si  loin  que  la  cour  de  Rome  se  décida  à 
sévir.  Un  des  prophètes  fut  saisi  et  appliqué  à  la  torture,  où 
il  confessa  ses  fourberies.  Condamné  à  la  peine  du  feu ,  sa 
mort  effraya  ses  complices,  qui  s'éloignèrent  et  disparurent 
en  peu  de  temps. 

BLANCS  et  NOIRS,  factions  opposées,  qui,  nées  à 
Pistoia,  s'étendirent  jusqu'à  Florence,  qu'elles  remplirent 
de  troubles  au  commencement  du  quatorzième  siècle. 
L'histoire  des  républiques  anciennes,  si  fécondes  en  agita- 
tions, n'offre  rien  de  comparable  aux  orages  qui  signalèrent 
l'existence  des  républiques  italiennes  du  moyen  âge.  Quoi- 
que tranchée  par  le  traité  de  Constance  en  1188,  la  querelle 
entre  les  guelfes,  qui  soutenaient  la  cause  des  papes, 
c'est-à-dire  l'indépendance  de  la  Péninsule,  et  les  g  i  b  e  1  i  n  s, 
défendant  les  droits  des  empereurs,  ne  cessait  de  désoler 
la  Lombardie  et  la  Toscane.  Pistoia,  ville  située  au  pied  des 
Apennins,  avait  été  déchirée  durant  le  treizième  siècle  par 
deux  familles,  les  Cancellieri  et  les  Panciatichi.  Les  pre- 
miers étaient  guelfes;  ils  chassèrent  leurs  adversaires.  Quoi- 
qu'exclus  par  un  décret,  ainsi  que  tous  les  nobles,  du  gou- 
vernement de  la  ville,  ils  n'en  étaient  pas  moins  puissants 
par  leurs  richesses,  leurs  alliances,  et  le  grand  nombre  de 
forteresses  qu'ils  possédaient,  lorsqu'une  rixe  amenée  par 
le  hasard  fit  éclore  tout  à  coup  une  importante  révolution. 

Plusieurs  jeunes  gens  de  la  famille  des  Cancellieri  jouaient 
dansime  hôtellerie; comme  ils  étaient  pris  de  vin,  l'un  d'eux, 
Carlino,  fils  de  Godefroi,  insulta  et  blessa  un  autre  Cancel- 
lieri, Amadore  ou  Dore,  fils  de  Guillaume.  Dore  pensa  qu'il 
ne  devait  pas  se  borner  à  punir  l'agresseur,  mais  que  l'injure 
ayant  atteint  un  innocent,  il  fallait  que  la  punition  retombât 
sur  un  innocent.  En  conséquence ,  le  soir  du  môme  jour ,  il 
se  mit  en  embuscade ,  et,  voyant  passer  un  frère  de  celui  qui 
l'avait  attaqué,  il  se  jeta  brusquement  sur  lui,  le  frappa  au 
visage,  et  lui  abattit  la  main  d'un  coup  d'épée.  Loin  d'ap- 
prouver cette  action ,  Guillaume  livra  son  fils  au  père  du 
blessé,  qui,  peu  touché  d'un  procédé  si  loyal,  fit  saisir  Dore 
par  ses  domestiques,  et  ordonna,  en  signe  de  mépris,  de  lui 
trancher  la  main  sur  une  mangeoire ,  en  disant  :  Retourne 
vers  ton  père,  et  appreuds-lui  que  les  blessures  se  guéris- 
sent avec  le  fer  et  non  avec  les  paroles  !  »  Guillaume,  saisi 
de  rage,  assembla  ses  amis,  arma  ses  vassaux,  et  courut  as- 
saillir son  ennemi. 

Toute  la  ville  se  partagea  entre  les  deux  adversaires.  Le 
premier  ancêtre  des  Cancellieri  avait  eu  deux  femmes,  dont 
l'une  s'appelait  Blanche  ;  les  descendants  de  cet'e  dernière 
prirent  alors  le  nom  de  blancs  ;  les  autres,  par  opposition, 
se  nommèrent  les  7ioirs.  On  se  battit  avec  acharnement 
dans  les  maisons,  dans  les  rues  ;  un  juge,  môme,  fut  assas- 
siné sur  son  tribunal.  N'ayant  \n\  réussir  à  calmer  ces  aC- 

35. 


276 

freux  désordres,  le  podestat,  magistrat  chargé  de  rendre 
la  justice,  posant  à  terre  sa  baguette  en  présence  du  con- 
seil des  Anziani,  abdiqua  ses  fonctions,  et  quitta  la  ville. 
Ceux-ci,  qui  formaient  le  pouvoir  exécutif,  rendirent  un  dé- 
cret, lequel  confiait  pendant  trois  ans  la  seigneurie  de  la 
ville  aux  Florentins,  afin  qu'ils  avisassent  aux  moyens  d'y 
rétablir  kl  paix  Cet  usage,  particulier  à  presque  toutes  les 
lépubliques  d'Italie ,  de  confier  la  souveraine  puissance  à 
<les  étrangers,  n'atteignait  pas  toujours,  son  but,  et  ne  ser- 
vait souvent  qu'à  créer  une  tyrannie  pire  encort-  que  celle 
♦les  lactious.  L'Iiistoire  de  ces  temps  en  offre  de  nombreux 
exemples.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  Florentins  envoyèrent  à  Pis- 
toia  un  podestat  et  un  capitaine  du  peuple,  qui  ordonnèrent 
aux  cliefs  des  d(!ux  partis  de  s'éloigner,  en  leur  assignant 
riorence  jwur  lieu  d'exil. 

Parmi  les  familles  les  plus  riches  de  la  ville  et  les  plus  dis- 
lin"uéespar  la  naissance,  les  Donati  et  les  Cerchi  occupaient 
le  j)remier  rang.  Les  noirs  de  Pistoia ,  alliés  avec  les  Do- 
nati, furent  accueillis  avec  bienveillance  par  Corso  Donato, 
chef  de  cette  puissante  maison.  De  leur  côté,  les  blancs  se 
mirent  sous  la  protection  de  Veri  de'  Cerchi,  qui  ne  le  cé- 
dait en  rien  à  Donato  sous  le  rapport  de  l'opulence  et  de 
l'ancienneté  de  sa  race.  Cet  incident  accrut  la  haine  qui 
existait  déjà  entre  eux. 

Le  gouvernement  de  Florence,  purement  démocratique , 
divisait  les  citoyens  en  corps  de  métiers  ou  arts  majeurs  et 
mineurs,  armés  et  commandés  par  des  capitaines  de  leur 
choix.  Six  prieurs,  présidés  par  un  magistrat  suprême,  le 
gonfalonnier  de  justice ,  exerçaient  le  pouvoir  :  ils  étaient 
remplacés  tous  les  deux  mois.  Mais  les  nobles,  quoique  ex- 
clus de  ces  emplois,  n'en  conservaient  pas  moins  une  grande 
influence,  surtout  les  Donati  et  les  Cerchi,  qui  se  dispu- 
taient la  direction  des  affaires.  Prévoyant  qu'une  crise  allait 
éclater,  les  prieurs  s'adressèrent  au  pape,  pour  qu'il  mandât 
près  de  lui  Veri  de'  Cerchi.  Le  pontife  le  conjura  d'entrer 
en  accommodement  avec  son  rival  ;  mais  Veri  répondit  que 
jjuisqu'il  n'y  avait  pas  de  guerre  il  ne  voyait  pas  la  nécessité 
de  faire  la  paix.  Peu  de  temps  après  son  retour  de  Rome , 
quelques  jeunes  Donati,  se  promenant  à  cheval  dans  une  fétc 
publique ,  accompagnés  de  leurs  amis  ,  s'arrêtèrent ,  pour 
voir  danser  des  paysannes  ;  des  Cerchi  survinrent  et  pous- 
sèrent par  mégarde  les  Donati,  qui  se  trouvaient  au  premier 
rang  de  la  foule.  Une  querelle  violente  s'éleva  ;  les  épées 
furent  tirées ,  et  il  y  eut  un  grand  nombre  de  blessés  des 
deux  côtés.  Ainsi  qu'à  Pistoia,  toute  la  ville  prit  parti.  Une 
foule  de  bourgeois,  quelques  nobles  et  tous  les  gibelins  alors 
à  Florence  soutenaient  les  Cerchi ,  qui  étaient  à  la  tête  des 
blancs.  Aussi,  tenant  entre  leurs  mains  le  gouvernement , 
ils  avaient  un  avantage  marqué  sur  les  Donati ,  dont  les  par- 
tisans appartenaient  pour  la  plupart  au  corps  de  la  noblesse. 

Sur  ces  entrefaites  ,  le  pape  Ijoniface  VIU  envoya  à  Flo- 
rence en  qualité  de  légat  le  cardinal  Matthieu  d'Acquasparta, 
qui,  traversé  dans  ses  vues  par  les  blancs,  s'éloigna  bientôt 
en  frappant  la  ville  d'un  interdit.  Après  son  départ,  les  Cer- 
chi et  les  Donati  en  vinrent  aux  mains  de  noiivcriu  ;  mais 
Donato,  reconnaissant  que  son  parti  était  le  plus  faible,  tint 
v.n  conseil  avec  ses  amis,  où  il  fut  convenu  de  demander  au 
pape  un  prince  étranger,  que  l'on  chargerait  d'opérer  une 
n-forme  dans  l'État.  Informés  de  ce  projet,  les  O/aucs  le 
dénoncèrent  aux  piieurs  comme  une  conspiralion  contre  la 
liberté.  La  seigneurie,  excitée  par  le  célèbre  Dante,  qui 
(tait  un  des  prieurs ,  appela  aux  armes  le  peuple  de  la  ville 
et  de  la  campagne,  et  bannit  par  un  décret  Corso  Donato, 
ainsi  qu'un  grand  nombre  de  noirs.  Quelques  blancs  furent 
aussi  exilés,  mais  ne  tardèrent  pas  à  se  faire  amnistier. 

Corso  se  rendit  à  Rome,  et  supplia  le  pape  d'envoyer  en 
Toscane  comme  son  vicaire  Charles  de  Valois,  frère  de 
Philippe  le  Bel.  Boniface  venait  d'attirer  ce  piinceen  Italie, 
en  lui  olirant  le  royaume  de  Sicile,  alors  possédé  par  Fré- 
«iéric  d'Ar,?gon,  à  qui  le  ponlifc  voulait  l'arracher.  Autorise 


BLAJ\CS  ET  NOIRS 


par  le  saint-sit'ge ,  Valois  consentit  à  servir  les  projets  de 
Corso,  et  se  mit  en  marche,  à  la  tête  do  huit  cents  cavaliers. 
Les  noirs  restés  à  Florence  rassemblèrent  une  somme  de 
70,000  florins  pour  payer  les  troupes ,  el  introduisirent  dans 
la  ville  douze  cents  gendarmes  à  leur  solde.  A  peine  reçu  dans 
Florence,  Charles  fit  rentrer  les  exilés  en  leur  livrant  une 
des  portes;  puis  il  exigea  que  les  chefs  des  noirs  et  des 
blancs  se  remissent  à  sa  discrétion.  Dès  qu'il  les  eut  en  son 
pouvoir,  il  relâcha  les  noirs  et  jeta  les  blancs  dans  les  ca- 
chots. En  vain  les  prieurs  sonnèrent  la  cloche  du  palais  pour 
appeler  le  peuple  aux  armes ,  le  peuple  resta  immobile. 
Les  7ioirs  livrèrent  au  pillage  pendant  six  jours  les  maisons 
de  leurs  adversaires,  les  massacrant  sans  pitié,  et  mariant 
de  force  les  plus  riches  héritières  à  leurs  partisans.  Ils  élu- 
rent ensuite  pour  podestat  un  étianger,  le  comte  Gabrielli 
d'Agobbio ,  qui,  appuyé  par  Charles  de  Valois ,  avec  lequel  il 
partageait  le  fruit  de  ses  exactions ,  exila  plus  de  six  cents 
personnes ,  en  les  soumettant  à  des  amendes  de  G  à  8,000  flo- 
rins. Parmi  les  bannis ,  on  compte  plusieurs  illustres  per- 
sonnages, tels  que  Guido  Cavakanti,  et  surtout  le  Dante. 
Leurs  biens  furent  confisques  et  leurs  maisons  démolies. 
Cette  horrible  tyrannie  dura  cin(j  mois ,  jusqu'au  départ  de 
Charles  pour  la  Sicile,  dont  il  fut  chassé  par  son  rival,  qui 
trouva  le  moyen  de  s'accommoder  avec  le  pape. 

Corso  Donato ,  qui  avait  été  l'àme  de  celte  révolution , 
voulait  seul  en  recueillir  les  fruits ,  et  ne  tarda  pas  à  se 
brouiller  avec  les  chefs  de  sa  faction,  jaloux  de  la  puissance 
qu'il  s'attribuait.  Pour  les  abattre  plus  silrement ,  il  se  dé- 
clara contre  le  parti  de  la  noblesse,  et  s'associa  avec  les  Bon- 
doni  et  les  Medici.  Ces  derniers,  les  Medici,  commençaient 
à  figurer  dans  les  affaires ,  et  jouissaient  déjà  d'un  grand 
crédit  auprès  du  peuple.  Corso  s'attira  promptement  la  fa- 
veur de  la  multitude  par  ses  déclamations  contre  la  vénalité 
de  ceux  qui  administraient  la  république;  mais  ces  derniers, 
profitant  de  son  mariage  avec  la  fille  d'Ugguccione  della  Fug- 
giola,  l'accusèrent  d'aspirer  à  la  tyrannie  par  le  moyen  de 
son  beau-père,  seigneur  puissant  delà  Toscane,  et  chef  des 
gibelins  et  des  Sio^cs.  Cetteaccusation,  soutenue  avec  a.lressc, 
perdit  Donato.  Cité  devant  le  podestat  par  le  capilaine  du 
peuple,  il  refusa  de  comparaître,  et  fut  déclaré  rebelle  par 
contumace.  Deux  heures  seulement  s'écoulèieat  entre  l'ac- 
cusation et  la  sentence.  Corso  prit  le  parti,  en  attendant 
d'être  secouru  par  Ugguccione,  de  fortifier  sa  maison  et  les 
rues  qui  y  conduisaient.  Attaqué  avec  furie,  il  se  défendit 
vaillamment  :  il  fallut  s'emparer  des  maisons  voisines  pour 
pénétrer  dans  la  sienne.  Alors  il  se  fit  jour  à  la  tête  de  quel- 
ques amis,  et  parvint  à  sortir  de  la  ville  par  la  porte  della 
Croce  ;  mais ,  atteint  à  Rovezzano ,  par  des  cavaliers  cata- 
lans envoyés  à  sa  poursuite  par  la  seigneurie,  il  fut  ramené 
sur  ses  pas,  et  massacré  en  chemin  par  un  de  ses  conducteurs. 
Ainsi  périt  Corso.  Sa  mort,  arrivée  en  130S,  porta  un  coup 
mortel  au  parti  dont  il  avait  été  si  longtemps  le  chef  le  plus 
influent. 

Cependant  un  nouvel  empereur,  Henri  VII,  venait  de  des- 
cendre en  Italie,  el  menaçait  Florence  de  ses  armes,  pour 
la  punir  de  s'être  déclarée  contre  lui.  il  avait  promis  aux 
exilés  de  les  faire  rentrer  dans  leur  patrie.  Les  chefs  du  gou- 
vernement résolurent  de  le  prévenir,  et  rappelèrent  un  grand 
nombre  de  bamiis,  à  l'exception  de  quelques-uns,  parmi 
lesquels  se  trouvaient  les  fils  de  Veri  de'  Cerchi ,  et  l'auteur 
de  la  Divine  Comédie  ;  puis  ils  offrirent  à  Robert,  roi  de 
JVaples,  la  souveiaiiieté  pendant  cinq  ans  .s'iî  s'engageait  à 
les  défendre  contre  les  attaques  de  l'empereur  et  d'Ug- 
guccione. 

En  13?.3,  Castniccio  Castracani,  tyran  de  Lucques  et  chef 
des  gibelins,  envahit  la  To.scane  et  mit  le  siige  devant  Prato. 
La  seigneurie,  redoutant  un  pareil  ennemi,  non  moins 
entreprenant  qu'habile ,  fit  publier  que  les  guelfes  bannis 
qui  vienilraicnt  au  secours  de  la  patrie  .seraient  rétablis  dans 
leurs  droits    11  s'en  présenta  quatre  mille,  et  Castruccio  se 


relira.  Mais  les  exilés  ayant  refusé  de  poursuivre  l'ennemi , 
le  l'cuple,  qui  les  crut  d'intelligence  avec  lui ,  se  souleva, 
et  oblit^ea  la  seigneurie  de  retirer  la  promesse  faite  aux  ban- 
nis. Ceux-ci  essayèrent  plusieurs  fois  de  s'introduire  dans 
la  ville  par  ruse  ou  par  force,  mais  ils  furent  toujours  repous- 
sés. A  partir  de  cette  époque,  les  blancs  et  les  noirs  ces- 
sent d'occuper  l'attention  et  de  paniître  dans  Tliistoire;  ils 
se  fondirent  dans  les  rangs  des  guelfes  et  dos  gibelins  ,  qui 
continuèrent  encore  longtemps  à  ensanglanter  l'Italie  au  nom 
de  l'Église  et  de  l'Empire.  L'une  des  plus  illustres  victimes 
de  ces  funestes  dissensions,  le  Dante,  erra  loin  de  sa  patrie, 
sans  pouvoir  jamais  y  rentrer;  de  magistrat  d'une  répu- 
blique qu'il  avait  été,  il  cessa  môme  d'en  être  citoyen.  Triste 
condition,  qui  a  inspiré  à  sa  muse  ces  vers  si  touchants  :  «  Tu 
quitteras  les  objets  de  la  plus  chère  tendresse;  c'est  le  premier 
trait  qui  part  de  l'arc  de  l'exil  ;  tu  sentiras  combien  est  amer 
le  pain  de  l'étranger,  et  combien  il  est  dur  de  descendre  et  de 
monter  l'escalier  d'un  antre.  » 

BLAKCS-BATTUS.  Voyez  Flagellants. 

BL  AiVC-SElIVG.  Dans  la  pratique,  un  blanc-seing  est 
un  papier  blanc,  signé  et  remis  à  un  mandataire  dans  lequel 
on  a  confiance,  tt  qui  devra  le  remplir  des  conditions  qu'il 
jugera  convenables ,  sans  avoir  besoin  de  recourir  à  celui 
i|ui  le  lui  a  confié.  C'est  toujours  le  témoignage  d'une  haute 
conliance,  qui  ne  doit  être  que  rarement  accordé,  mais  qui 
est  indispensable  lorsqu'on  ne  peut  fixer  à  l'avauce  ni  les 
démarches  à  faire,  ni  l'étendue  des  ressources  dont  le  man- 
dataire peut  avoir  besoin. 

BLAKCS-MAiNTEAUX.  Des  religieux  mendiants, 
qu'il  ne  faut  jias  confondre  avec  les  servîtes  de  Florence, 
mais  qui,  de  même  que  ceux-ci,  suivaient  la  règle  de  saint 
Augustin ,  et  qui  avaient  pris  le  nom  de  serfs  ou  serviteurs 
delà  Vierge  ;Varie,  institués  à  Marseille  en  1223,  vinrent 
s'établir  à  Paris  en  1252  on  1238.  Comme  ils  étaient  vêtus  de 
blanc,  ou  que  leur  manteau  était  de  cette  couleur,  le  peuple 
leur  donna  le  nom  de  blancs  manteaux,  ainsi  qu'à  leur 
couvent  et  à  la  rue  oii  il  était  situé,  laquelle  avait  ju.sque-là 
porté  le  nom  de  rue  de  la  Vieille-  Parcheminerie.  Quoi- 
qu'on attribue  à  saint  Louis  la  fondation  de  c«t  ordre,  au- 
quel il  accorda  une  protection  marquée,  il  survécut  peu  à 
la  mort  de  ce  monarque  :  il  fut  compris  dans  l'abolition  de 
plusieurs  ordres  mendiants  prononcée  en  1297  parle  second 
concile  de  Lyon. 

Philippe  le  Bel,  en  1298,  donna  le  monastère  des  Blancs- 
Manteaux  aux  guillelmites  ou  ermites  de  Saint-Guil- 
laume ,  établis  à  Montrouge,  et  qui  suivaient  la  règle  de  saint 
Benoit.  La  maison  conserva  le  nom  de  Blancs-Manteaux , 
<luoique  ses  nouveaux  hôtes  fussent  entièrement  habillés  de 
noir.  En  1618  les  guiifelmites  furent  incorporés  aux  béné- 
dictins  de  Cluny ,  qui  cédèrent  depuis  cette  maison  à  la 
congrégation  du  même  ordre  dite  gallicane  et  de  Saint- 
Maur,  Ce  monastère  fut  rebâti  en  1G85  :  la  première  pierre 
fut  posée  par  le  chancelier  Le  Tellier  et  sa  femme,  qui  don- 
nèrent 3,000  francs.  L'église,  construite  à  côté  de  l'ancienne, 
est  de  mauvais  goût  et  de  mauvaise  architecture.  On  y  voit 
im  tableau  d'Audran. 

La  maison  des  Blancs-Manteaux,  possédée  jusqu'à  la  révo- 
lution de  1789,  avec  le  titre  de  prieuré,  par  les  bénédictins, 
est  une  de  celles  qui  ont  produit  le  plus  de  savants  et 
d'hommes  de  mérite,  tels  quedom  Morice,  dom  Clémencet, 
dom  Poirier,  dom  Cloment,  dom  Brial,  etc.  Il  en  est  sorti 
aussi  pluMenrs  ouvrages  fort  estimés  et  fort  utiles  :  V Art  de 
vérifier  les  Dates,  la  Nouvelle  Diplomatique,  la  Collec- 
tion des  Historiens  de  France,  etc.  Leur  bibliothèque,  qui 
contenait  des  matériaux  précieux  pour  Tiiistoire  de  France, 
et  surtout  pour  celle  de  Bretagne,  a  été  réunie  en  grande 
partie  à  la  Bibliollièqne  Impériale. 

BLAIVDIIV  (PniLippE-FRÉDÉKic),  chirurgien  d'un  grand 
mérite,  naquit  à  Âubigny  (Cher) ,  en  décembre  1798,  et 
mourut  à  Paris,  le  16  avril  1840.  Son  père,  contrôleur  des 


BLAKCS  ET  KOIRS  —  BLANDÎN  277 

contributions  directes ,  était  un  homme  d'ordre  et  de  pré- 
voyance ,  qui  donnait  à  son  fils  beaucoup  plus  que  sa  légi- 
time en  le  dotant  par  ses  épargnes  d'une  éducation  libérale. 
Au  collège  de  Bourges ,  où  il  fit  ses  études,  il  remporta  des 
couronnes  qui  le  préparèrent  à  eu  ceindre  de  plus  éclatantes 
et  de  plus  mémorables.  Ses  compagnons  d'étude  ont  gardé 
de  lui  les  plus  vifs  souvenirs,  et  sa  haute  position  n'a  pas 
dé])assé  leurs  présages. 

Se  destinant  à  la  médecine ,  si  parfaitement  assortie  aux 
dispositions  investigatrices  de  son  esprit,  Blandin  vint  à 
Paris  en  1816.  Il  y  choisit  avec  prédilection  pour  maîlres 
trois  l'.ommes  vers  qui  l'entraînait  l'aimable  ascendant  de 
leur  caractère  affectueux,  MM.  Roux,  Marjolin  et  Béclard, 
qui  lui  montrèrent  le  l'Ius  serviable  attachement,  ne  fût-ce 
qu'en  éloignant  de  lui  les  découragements  de  l'injustice. 

Doué  d'une  grande  mémoire,  mais  s'exprimant  avec  len- 
teur et  difficulté,  Blandin  figura  courageusement  dans  dix- 
sept  concours  ,  soit  pour  les  hôpitaux,  soit  pour  la  Faculté. 
Ces  luttes  nombreuses  accrurent  peu  à  peu  sa  réputation, 
mais  non  sans  préjudice  pour  sa  santé  ,  qui  ne  réfiondit  ja- 
mais pleinement  à  son  énergie  morale.  Pour  prix  envié  de 
tant  de  tentatives  persévérantes,  Blandin  obtint  dix  postes 
graduels,  depuis  l'emploi  d'élèvedes  hôpitaux  jusqu'aux  fonc- 
tions de  chef  des  travaux  analomiques  ,  puis  de  professeur 
à  la  Faculté,  sans  parler  des  récompenses  accessoires  n'in- 
téressant que  l'émulation.  Un  grand  nombre  de  ses  années  se 
comptèrent  ainsi  par  des  victoires ,  succès  progressifs  à  la 
suite  desquels  vinrent  comme  d'eux-mêmes  les  honneurs, 
des  places  élevées  et  lucratives  ,  des  litres  recherchés,  l'es- 
time publique,  et  naturellement  aussi  le  lot  ordinaire  d'une 
constance  inébranlable,  je  veux  dire  la  fortune,  laquelle  est 
bien  moins  capricieuse  et  moins  aveugle  que  ne  se  l'imagi- 
nent ceux  qui ,  s'étant  bornés  à  la  désirer  et  à  l'attendre, 
n'ont  rien  fait  de  grand  pour  la  conquérir. 

Blandin  était  depuis  plusieurs  années  professeur  de  mé- 
decine opératoire  à  la  Faculté,  où  il  avait  succédé  à  Riche- 
grand;  chirurgien  de  l'Hôtel-Dieu  après  Breschet;  membre 
de  l'Académie  de  Médecine,  où  ses  opinions  commençaient  à 
faire  autorité;  officier  de  la  Légion  d'Honneur, et  chirurgien 
consultant  du  roi  Louis-Philippe.  «  Également  chéri  de  sa 
famille  et  de  ses  élèves ,  disions-nous  sur  sa  tombe,  il  jouis- 
sait dans  ce  double  entourage  de  toute  la  félicité  compatible 
avec  sa  situation  et  son  caractère.  Jours  de  satisfaction  et  de 
sécurité,  purs  instants  de  bonheur,  pourquoi  si  tôt  finir! 
pourquoi  si  peu  durables  !  « 

Anatomiste  du  premier  ordre,  Blandin  a  publié  des  Corn,' 
mentaires  sur  VAnatomie  générale  de  Bichat,  une  ^na- 
tomie  des  Régions,  et  enfin  nm  Anatomie  descriptive  qui 
renferme  un  assez  grand  nombre  de  recherches  délicates  et 
nouvelles,  particulièrement  sur  des  glandes  etsur  des  nerfs, 
soit  sur  le  ganglion  nerveux  sublingual,  qui  portera  vraisem- 
blablement son  nom  ;  soit  sur  les  glandules  de  Pacchioli,  dont 
il  constate  l'absence  dans  les  premiers  âges  delà  vie,  etc.  ; 
travaux  qui  ne  sont  pas  de  ceux  qu'on  récuse ,  et  encore 
moms  de  ceux  qu'on  oublie.  Il  était  disposée  attribuer  les 
synergies  respiratoires  et  expressives  à  l'anastomose  mutuelle 
des  nerfs  du  diaphragme,  du  larynx  et  de  la  langue,  intime 
alliance  qu'il  reconnaissait  n'être  pas  également  expresse 
en  de  certaines  personnes  privées  d'élocution.  11  a  eu  outre 
public  plusieurs  thèses  ou  mémoires  :  1"  Sur  le  systèmeden- 
taire;  2^  Sur  Vautoplastie,  qui  lui  a  dû  ses  premiers  pro- 
grès; 3"  Sur  la  phlébite  et  la  résorption  purulente; 
4"  Sur  les  dangers  inhérents  aux  opérations  de  chi- 
rurgie. Il  a  inséré  quelques  bons  articles  dans  le  Diction- 
naire de  Médecine  et  de  Chirurgie  pratiques.  Mais  où 
Blandin  a  le  mieux  montré  les  ressources  de  son  intelli- 
gence, la  solidité  de  sa  dialectique  et  de  son  savoir,  ce  fut 
sans  contredit  à  l'Académie.  Nous  citerons,  pour  en  louer  sa 
mémoire,  les  discussions  sur  les  causes  des  difformités  con- 
géniales,  sur  l'inlroductton  de  l'air  dans  les  veines  pendanj 


278 

les  opc^'rations ,  sur  l'oithopédie ,  sur  les  (umeurs  fibreuses 
faisant  confusion  avec  le  cancer,  sur  la  litliolrilic  mise  en  ba- 
lance avec  la  taille,  sur  la  distinction  des  deux  ouvertures 
provenant  d'une  balle  qui  traverse  les  chairs ,  sur  les  acci- 
dents terribles  attribués  au  chloroforme;  mais  surtout  la 
discussion  sur  les  nerfs  rachidiens  à  double  racine ,  dont  les 
propriétés  sont  contrastantes.  Ici ,  Blandin  étayait  la  décou- 
verte de  Charles  Bell  par  des  prenves  décisives  témoignant 
<le  sa  sagacité.  Le  Bulletin  de  V Académie  de  Médecine 
compte  beaucoup  de  pages  qui  lui  font  honneur. 

Déjà  riche  de  ses  places,  de  sa  clientèle  et  de  ses  épargnes, 
la  révolution  de  1848  le  surprit  chargé  d'acquisitions  non 
libérées,  qu'une  panique  universelle  avilit  tout  à  coup  dans 
ses  mains,  empêchées  de  s'en  dessaisir.  Ces  mécomptes  eu- 
rent un  déplorable  eflet  sur  sa  santé ,  qui  en  fut  bientôt  pro- 
fondément altérée.  Cet  homme  fort,  qui  avait  su  résister  à 
vingt-cinq  années  de  veilles  et  de  travaux ,  qui  excellait  dans 
les  grandes  opérations,  qui  avait  tant  de  fois  envisagé  la 
mort  sans  frémir  et  vu  le  sang  couler  sans  môme  s'éraou  - 
voir,  se  laissa  déconcerter  par  une  révolution  inopinée  qui 
affectait  des  recettes  prévues  et  faisait  un  embarras  de  ce  qui 
avait  pu  sembler  des  richesses.  11  mourut  dans  le  marasme,  à 
Tûge  de  cinquante  ans  et  quatre  moi&,  lui  qui  aurait  pu  four- 
nir une  longue  et  brillante  carrière.      D''  Isid.  Douudon. 

BLAIXDRA.T A  (Giorgio),  fondateur  delà  secte  des 
unitaires  en  Pologne  et  en  Transylvanie,  étaitun  Italien, 
natif  de  Saluées,  et  mcdecinà  Pavie,  qui  dut,  en  1556,  se 
réfugier  à  Genève ,  à  cause  des  persécutions  que  lui  avaient 
values  ses  opinions  favorables  au  protestantisme,  et  qui 
d'abord  s'y  rattacha  à  Calvin  et  à  ses  doctrines.  Il  se  rendit 
en  1558  en  Pologne  ;  mais  y  étant  devenu  suspect  en  raison 
de  ses  opinions  unitaires,  il  passa,  en  1503,  en  Transylvanie, 
où  il  devint  le  médecin  du  prince  Jean  Sigismond,  qu'il  gagna 
à  ses  idées  religieuses ,  et  où  par  sa  prudence  et  sa  circons- 
jiection  il  fit  aussi  de  nombreux  prosélytes  parmi  le  peuple. 
Il  périt  assassiné,  en  1590,  par  son  neveu,  qui  était  resté 
lidèle  à  l'Église  catholique.  —  Henke  a  publié  (Hclmstaîdt, 
1794),  sa  profession  de  foi  anti-trinitaire,  avec  la  réfutation 
])ar  Flaccius. 

BLANGINI  (Joseph -Marc-Marie-Félix),  né  à  Turin,  le 
H  novembre  1781,  fit  ses  études  sous  la  direction  de  l'abbé 
Ottani,  maître  de  chapelle  de  la  cathédrale  de  cette  ville. 
î)ès  l'âge  de  douze  ans  il  accompagnait  sur  l'orgue  le  chœur 
de  cette  église  ;  à  quatorze  ans  il  y  lit  exécuter  une  messe 
à  grand  orchestre.  Chanteur  et  compositeur,  il  réussit  dans 
cette  double  carrière.  Il  vint  à  Paris  en  1799,  et  fut  chargé 
de  terminer  La  fausse  Duègne,  opéra  en  trois  actes,  que 
Della-Maria  avait  laissé  inachevé.  Il  écrivit  ensuite  plusieurs 
opéras,  parmi  lesquels  on  distingue  Nephtali,  en  trois  actes, 
représenté  avec  beaucoup  de  succès  à  l'Académie  Royale  de 
Musique. 

Blangini  s'est  signalé  par  ses  pièces  fugitives  :  ses  ro- 
mances, ses  nocturnes  à  deux  voix,  ont  eu  longtemps  un 
succès  de  vogue.  Appelé  en  1805  à  Munich,  il  y  fit  exécuter 
Trajano  in  Dacia;  le  roi  de  Bavière  lui  confia  la  direction 
de  sa  chapelle.  La  princesse  Pauline  Borghèse  le  nomma 
<lirecteur  de  sa  musique  et  de  ses  concerts  l'année  suivan'e. 
Kn  1809  il  passa  au  service  du  roi  de  Wesiphalie,  en  qualité 
de  maître  de  musique  de  la  chapelle,  du  théâtre  et  de  la 
chambre.  La  révolution  de  1830  enleva  à  Blangini  les  places 
(lu'il  avait  à  la  cour  de  France;  il  était  compositeur  et  ac- 
compagnateur de  la  chambre  du  roi  et  de  la  duchesse  de 
Berri. 

Blangini  a  com])osé  dix-huit  opéras.  Les  Gondoliers  fu- 
ient représentés  en  1833  sur  le  théâtre  de  l'Opéra-Comique. 
Il  a  publié  plus  de  deux  cents  romances  ou  nocturnes,  dont 
\m  grand  nombre  ont  été  adoptés  par  les  auteurs  de  vau- 
devilles. 

—  Sa  Sd'uraînée,  maîtresse  de  chant  de  la  reine  de  Bavière, 
s'est  signalée  par  un  talent  très-rcmarquablc  sur  le  violon. 


BLANDIN  ^  BLANQUE 

Elle  a  composé  pour  cet  instrument,  et  n'a  publié  qu'un  trio 
pour  deux  violons  et  violoncelle.  —  Sa  sœur  cadette  brillait 
dans  les  concerts ,  et  chantait  fort  agréablement  les  jolies 
productions  de  son  frère.  Castil-Blaze. 

BLANKEI\BURG,  nom  de  l'extrémité  sud-ouest  du 
duché  de  Brunswick,  séparant  la  partie  du  Harz  appar- 
tenant au  Hanovre  de  celle  qui  relève  de  la  Prusse,  et  bor- 
née au  sud-est  par  le  territoire  d'Anhalt-Bernburg.  A  l'ex- 
ception de  l'ancienne  abbaye  de  Walkenried ,  le  pays  de 
Blankcnburg,  qui  jusqu'au  douzième  siècle  s'appela  VHar- 
tinggau,  formait  un  comté  qui  à  la  mort  du  dernier  comte, 
Jean-Ernest,  en- 1599,  échut  au  duché  de  Brunswick,  et  qui, 
transmis,  en  1G90,  à  Louis-Rodolphe,  second  fils  d'Antoine- 
Ulrich  de  Wolfenbuttel,  fut  élevé,  en  1707,  au  rang  de  prin- 
cipauté, et  forma  jusqu'en  1731  un  litat  indépendant.  Mais  à 
cette  époque  il  fit  retour  au  duché  de  Brunswick. 

Aujourd'hui  le  cercle  de  Blankenburg  se  compose  des  trois 
bailliages  de  Blankenburg,  Hasselfeld  et  Walkenried,  dont 
la  superficie  totale  est  de  440  kilomètres  carrés  environ  et 
la  population  de  20,000  âmes.  Le  chef-lieu  est  Blanken- 
burg ,  jolie  petite  ville  de  3,500  habitants,  située  au  pied  du 
versant  septentrional  du  Harz,  et  contenait  d'importantes 
brasseries.  Elle  (ut  entourée  de  murs  dès  le  dixième  siècle, 
saccagée  à  deux  reprises,  en  1182  et  en  1386 ,  et  eut  beau- 
coup à  souffrir,  en  1625,  du  siège  que  Wallenstein  mit 
devant  elle.  Pendant  la  guerre  de  Sept  Ans,  sa  complète  neu- 
tralité offrit  un  refuge  assuré  à  la  cour  de  Brunswick  ;  et  plus 
tard,  depuis  le  24  août  1796  jusqu'au  10  février  1798, 
Louis  XVIII,  après  sa  fuite  de  Dillengen,  y  trouva  un  asile 
sous  le  nom  de  comte  de  Lille. 

Auprès  de  Blankenburg  s'élève  le  château,  d'un  style  noble 
et  simple ,  qui  sert  de  résidence  temporaire  aux  ducs  de 
Brunswick ,  et  qui  a  été  récemment  décoré  avec  beaucoup 
de  goût.  Il  renferme  de  précieuses  collections,  et  l'on  y  jouit 
d'une  vue  ravissante.  En  général,  les  environs  de  iJlanken- 
burg  sont  romantiques ,  et  rappellent  des  souvenirs  histo- 
riques fort  intéressants.  Au  sud ,  le  Luisenhaxis ,  bâti  sur 
le  sommet  du  Calvinusberg ,  domine  un  panorama  enchan- 
teur. A  l'est  s'étendent  une  série  de  rochers  escar[»és  ap- 
l)elés  dans  le  pays  la  Muraille  du  Diable,  et  au  sud-est  les 
roches  granitiques  du  Rosstrappe;  au  nord,  enfin,  l'on  voit 
le  romantique  Regenstein  ou  Rocher-Pluvieux ,  et  les  cé- 
lèbres cavernes  de  JSieiet  de  Baumann. 

BLANIf  ENBURGest  aussi  le  nom  d'une  jolie  ville  de  la  prin- 
cipauté de  Schwarzbourg-Rudolstadt,  pittoresquement  située 
dans  la  Vallée-Noire  de  la  forêt  de  Thuringe,  et  comptant 
environ  1200  habitants.  Elle  possède  des  fabriques  impor- 
tantes de  papier  et  de  cuir,  fait  un  commerce  considérable 
de  lavande,  et  voit  depuis  quelque  temps  beaucoup  d'étran- 
gers aflluer  dans  ses  murs,  attirés  par  l'établissement  by- 
dropatbique  qui  s'y  est  établi  dernièrement.  Au  nord  de  la 
ville,  sur  un  rocher  calcaire  haut  de  plus  de  cent  cinquante 
mètres ,  s'élève  le  château  de  Greifenslein  ou  de  Blanken- 
burg, l'une  des  plus  vastes  et  des  plus  admirables  ruines  de 
la  Thuringe.  Bâti  par  Henri  \" ,  détruit  dans  la  guerre  de 
Trente  Ans,  inhabité  depuis  1G71,  dépouillé  de  son  plus  bel 
ornement,  en  1800,  par  un  ouragan  qui  renversa  sa  grosse 
four,  ce  château  est  célèbre  pour  avoir  vu  naître  l'empereur 
Gunther  de  Schvvar/.bourg. 

BLANQUE  ou  BLANCQUE,  espèce  de  loterie  intro- 
duite en  France  du  temps  dePasquier,  et  dont  il  a  donné  la 
description.  Après  avoir  désigné  les  lots  qui  formaient  l'objet 
de  la  blanque,  on  émettait,  comme  dans  les  loteries  actuelles, 
m\  certain  nombre  de  billets  numérotés.  Le  jour  du  tirage, 
on  plaçait  dans  une  urne  autant  de  numéros  qu'on  avait  émis 
de  billets.  Une  seconde  urne  contenait  autant  de  bulletins 
que  la  première  :  un  certain  nombre  de  ces  bulletins  por- 
taient écrit  le  nom  d'un  des  objets  à  gagner;  les  autres 
étuieiit  en  blanc.  Les  premiers  étaient  nommés  bénéfices; 
ceux  sur  lesquels  rien  n'était  écrit  s'appelaient  blancs  ou 


BLANQUE 

blancijttes ,  et  la  rc^pétition  fréquente  de  ce  dernier  mot 
amena  le  nom  du  jeu.  Un  aveugle  ou  un  jeune  enfant,  placé 
entre  les  deux  unies,  tirait  à  la  fois  un  bulletin  de  chacune 
d'elles,  et  le  propriétaire  du  numéro  contenu  dans  l'un 
avait  droit  au  lot  désigné  par  Tautre,  si  toutefois  c'était  un 
bénéfice.  La  blanque  ne  différait  donc  de  nos  loteries  que 
par  le  mode  du  tirage,  qui  devait  être  d'une  lenteur  à  la- 
quelle on  a  suppléé  dans  les  entreprises  gigantesques  de  ce 
genre  qu'on  réalise  aujourd'hui. 

BLANQUETTE,  sorte  de  vin  blanc,  assez  renommé, 
que  l'on  fait  dans  la  Gascogne  et  dans  le  Bas-Languedoc 
avec  une  espèpe  de  raisin  qui  a  reçu  le  même  nom,  à  cause 
du  duvet  blanc  et  cotonneux  qui  recouvre  sa  feuille  par-des- 
sous; c'est  le  même  que  le  malvoisie  du  Lyonnais  et  le 
mexhiier  àe$  provinces  septentrionales;  son  grain  est  petit, 
plus  long  que  rond,  arrondi  à  ses  deux  extrémités;  lorsqu'il 
est  mùr,  sa  couleur  tire  sur  le  roux.  La  chair  de  ce  raisin 
est  cassante,  et  chaque  grain  renferme  communément  deux 
pépins,  son  suc  est  doux,  sucré,  assez  aromatisé;  mais  il 
faut  attendre  sa  complète  maturité  avant  de  le  couper  pour 
faire  la  blanquette.  Ce  vin,  du  reste,  est  doux,  assez  spiri- 
tueux, et  de  l'espèce  de  ceux  qu'on  nomme  vins  de  femme; 
il  s'éclaircit  difficilement,  et  par  conséquent  a  besoin  d'être 
collé  et  fouetté.  La  blanquette  de  Limoux  est  en  réputa- 
tion auprès  des  gourmets. 

La  blanquette  ou  le  blanqtiet  est  aussi  une  espèce  de 
poire  d'été,  musquée,  de  forme  ronde,  un  peu  courbée  et 
allongée  vers  la  queue,  dont  la  peau,  fort  lisse  et  fort  blanche, 
se  colore  faiblement  au  soleil,  et  dont  la  chair,  cassante  et 
fine,  contient  en  grande  quantité  une  eau  sucrée  et  fort 
agréable;  mais  cette  poire  a  le  défaut  de  la  plupart  des  poires 
d'été  :  elle  devient  pâteuse  quand  on  la  laisse  trop  mûrir. 
Elle  réussit  également  bien  en  buisson  et  en  tige. 

On  appelle  encore  blanquette  un  mets  ou  espèce  de  fri- 
cassée laite  ordinairement  de  veau  ou  d'agneau  découpé  par 
tranches,  et  accommodée  d'une  sauce  blanche. 

BLAKQUI  (  Jérôme-Adolphe  )  était  l'aîné  des  fils  du 
député  Jean-Dominique  Blanqui,  envoyé  par  l'ancien  dé- 
partement des  Alpes-Maritimps  (  chef-lieu,  Nice  )  à  la  Con- 
vention nationale,  l'un  des  soixante-treize  incarcérés  pour 
avoir  protesté  contre  la  révolution  jacobipe  du  31  mai  1793, 
réintégré  le  8  juillet  1795,  élu  membre  du  Conseil  des 
Cinq-Cents,  investi  d'une  sous'-préfecture  après  le  18  bru- 
maire, et  mort  à  Paris,  à  l'âge  de  soixante-quinze  ans,  en 
juin  1832. 

Né  à  Nice  le  21  novembre  1798,  Blanqui  aîné  com- 
mença dans  sa  ville  natale,  sous  les  auspices  de  son  père, 
homme  éclairé  et  instruit,  d'excellentes  études,  qu'il  vint 
terminer  à  Paris  avec  beaucoup  de  distinction.  Il  suivit  d'a- 
bord la  carrière  de  l'enseignement,  s'adonnant  aux  sciences 
médicales,  à  la  chimie,  et  remplissant  dans  un  pensionnat 
renommé  (  l'institution  Massin  )  les  fonctions  de  répétiteur 
d'humanités.  Ces  fonctions  le  mirent  en  rapport  avec  J.-B. 
Say,  qui  désira  l\ivoir  pour  disciple.  Sa  bienveillance  et  ses 
conseils  inspirèrent  à  son  jeune  ami  l'amour  des  études  éco- 
nomiques; et  le  patronage  du  professeur  français  le  plus 
renommé,  en  procurant  au  jeune  Blanqui  la  chaire  d'his- 
toire et  d'économie  industrielle  à  l'École  spéciale  du  Com- 
merce, dont  il  devint  directeur  en  1830,  lui  ouvrit  une  car- 
rière à  laquelle  il  devait  consacrer  ses  travaux  et  sa  vie. 
Cette  carrière,  Blanqui  la  parcourut  avec  un  zèle  infa- 
tigable, et,  ce  qui  est  assez  rare,  il  sut  concilier  un  mérite 
réel  avec  des  vues  saines  et  utiles. 

Un  cours  à  l'Athénée,  sur  Vhistoire  de  la  civilisation  in- 
dustrielle des  nations  européennes,  cours  qui  fut  liès- 
suivi;  d'autres  cours,  soit  à  l'École  du  Commerce,  où  il 
prononça  plusieurs  discours  remarquables,  soit  au  Conser- 
vatoire des  Arts  et  Métiers ,  où  il  succéda  comme  profes- 
seur, en  1833,  à  J.-B.  Say;  de  nombreuses  publications, 
ayant  toutes  pour  objet  les  progrès  de  l'industrie  et  du  com- 


-  BLANQUI  279 

merce;  plusieurs  voyages  entrepris  dans  les  mêmes  inten- 
tions, ont  signalé  le  zèle  de  cet  écrivain,  accru  et  mûri  son 
savoir.  Il  a  pris  rang  parmi  les  plus  habiles  économistes 
contemporains.  Peu  d'écrivains  et  de  professeurs  ont  mon- 
tré autant  d'ardeur,  d'activité,  un  travail  aussi  facile  et 
aussi  fécond.  En  outre,  il  n'a  presque  pas  cessé  de  concou- 
rir ,  par  des  articles,  fruits  de  la  verve  la  plus  abondante, 
à  des  journaux  et  à  des  recueils  où  l'économie  publique,  les 
vues  et  les  débats  politiques  trouvaient  accès,  depuis  le 
Producteur ,  où  l'on  arbora  le  drapeau  de  Saint-Simon, 
jusqu'au  Figaro ,  au  Courrier  français ,  et  au  Diction- 
naire des  Marchandises. 

Entre  les  publications  dues  à  sa  plume  on  a  distingué  : 
1°  un  Eésîimé  de  l'Histoire  du  Commerce  et  de  l'Industrie 
(1826);  1°  un  Précis  élémentaire  d'Éco7iomie  politique 
(même  année);  3"  un  Voyage  à  Madrid  (même  année); 
4"  celui-ci  avait  été  précédé,  en  1824,  d'un  Voyage  en  An- 
gleterre; 5°  une  Histoire  de  l'Exposition  des  Produits  de 
rindustrie  française  en  1827  (  in-8'',  1827),  collection 
d'articles  insérés  dans  les  journaux  pendant  cette  exposi- 
tion ;  6°  un  Rapport  sztr  l'état  économique  et  moral  de  In 
Corse,  en  1S3S,  lu  à  l'Académie  des  Sciences  morales  et 
politiques,  à  laquelle  l'auteur  avait  été  appelé  le  2  juin  de  la 
même  année  ;  1°  Algérie.  Rapport  sur  la  situation  écono- 
mique de  nos  possessions  dans  le  nord  de  V Afrique,  lu  à 
la  même  Académie  en  1839  (  in-8''  ;  Paris,  1840  ),  le  premier 
écrit  qui  ait  fait  connaître  au  vrai ,  avec  une  courageuse 
franchise,  l'état  des  choses  dans  ce  pays  ;  8°  Notices  sur  le 
minlstreanglals  Huskissonct  sur  saréformeéconomlque  ; 
sur  la  vie  et  les  travaux  de  J.-B.  Saij,  etc.,  lues  à  l'Acadé- 
mie ;  9"  Considérations  sur  l'état  social  des  populations  de 
la  Turquie  d'Europe  (  voir  le  Journal  des  Économistes, 
fondé  en  1841  par  Blanqui  et  ses  amis). 

Mais  son  ouvrage  capital,  celui  qui  fait  le  plus  d'honneur 
à  son  savoir  ainsi  qu'a  sa  plume,  celui  qui  lui  assigne  un 
rang  éminent  parmi  les  meilleurs  écrivains  qui  se  soient 
voués  à  cette  spécialité,  c'est  son  Histoire  de  l'Économie 
politique  en  Europe,  depuis  les  anciens  jtisqu'à  nos 
jours,  suivie  d'une  bibliographie  raisonnée  des  principaux 
ouvrages  sur  cette  matière  (  Paris,  1837  et  1842,  5  vol. 
in-8°).  Ce  livre,  inspiré  par  de  généreuses  pensées,  révèle 
dans  son  auteur  de  fortes  études,  un  jugement  sain,  des 
aperçus  lumineux  et  des  vues  souvent  profondes.  Ce  n'est 
point  de  la  scolastique,  ce  ne  sont  point  des  logogriphes  éco- 
nomiques, à  la  manière  de  Bicardo  et  de  son  école  ;  ce  sont 
des  idées  nettes,  exposées  avec  clarté  :  mérite  rare  quand 
il  s'agit  de  l'une  de  ces  études  où  n'être  pas  compris  passe 
pour  le  maximum  de  la  profondeur.  On  lui  doit  enfin  un 
travail  en  deux  volumes  in- 18  sur  les  Classes  ouvrières 
en  France,  publié  en  1848  par  MM.  F.  Didot,  et  faisant  partie 
de  la  Collection  des  petits  traités  mis  au  jour  par  l'Acadé- 
mie des  Sciences  morales  et  politiques. 

Blanqui  aîné  siégea  avec  distinction,  de  1846  à  1848, 
à  la  Chambre  des  Députés,  comme  représentant  de  Bordeaux. 
Il  parcourut  presque  toute  l'Europe  pour  y  étudier  les  pro- 
grès de  l'industrie  et  les  questions  économiques.  En  1851 
il  se  rendit  à  Londres ,  chargé  par  l'Académie  d'examiner 
l'exposition  universelle  et  de  lui  en  faire  un  rapport.  Il  pré- 
parait un  grand  et  important  travail  sur  les  Populations 
rurales  de  la  France,  à  la  suite  d'une  enquête  de  près  de 
trois  ans  exécutée  par  ordre  de  l'Académie,  au  moment 
où  la  mort  est  venue  le  frapper  le  28  janvier  1854. 

Blanqui  appartenait  à  i'école  économique  qui  a  inscrit 
sur  son  drapeau  la  liberté  commerciale.  En  1847  ses  dis- 
cours furent  très-remarques  au  congrès  des  libre-échan- 
gistes tenu  à  Bruxelles.  On  les  trouva  seulement  trop  anec- 
dotiques  et  trop  spirituels,  si  toutefois  c'est  là  un  défaut. 
Sous  la  monarchie  déjà,  Blanqui  s'était  fait  le  défen^^eur 
de  l'enseignement  industriel;  il  attaquait  l'enseignement 
universitaire,  qu'il  trouvait  ne  })as  répondre  aux  besoins  de 


280  BLAÎ^QUI 

siècle.  On  se  rappelle  une  séance  de  l'Académie  des  Sciences 
morales  et  politiques  où ,  argumentant  ad  hominem,  il  de- 
mandait où  l'on  trouverait  un  liomnic  capable  de  suivre  par 
la  pensée  le  long  chemin  qu'a  parcouru  le  tapis  qui  couvre  une 
table, depuis  la  laine  du  mouton  jusqu'au  palais  de  l'Insti- 
tut. On  ne  pouvait  mieux  ouater  l'épigramme.  Aussi ,  conti- 
nuant, lilanqui  reprit  :  «  Savt'Z-vous  seulement  par  quel 
procf^dé  on  prépare  les  plumes  d'oie  à  l'aide  desquelles  écri- 
vent tant  de  gens  d'esprit  ?  »  Les  académiciens  sourirent  agréa- 
blement à  cette  question,  et  prirent  le  compliment  pour  eux. 

BLAJXQUl  (Louis-Auguste),  frère  du  précédent,  est  né 
à  Nice,  en  1805.  Lors  des  élections  de  1827,  Paris  vit  les 
troubles  de  la  l'ue  Saint-Denis  dégénérer  en  combat  ;  les  fu- 
sillades de  la  garde  royale  répondirent  aux  acclamalions 
de  joie  de  la  foule.  Au  nombre  des  quelques  jeunes  honunes 
qui  prirent  les  armes  pour  riposter  aux  coups  de  feu  de  la 
troupe,  se  trouvait  Auguste  Blanqui;  il  paya  de  son  sang 
cette  première  prise  d'armes  :  une  balle  lui  traversa  le  cou, 
et  il  fut  relevé  mourant.  En  1830,  Blanqui,  étudiant  en 
droit .  prit  une  seconde  fois  les  armes  contre  la  dynastie  de 
Charles  \;  il  combattit  au  cri  de  Vive  la  liberté!  et  reçut 
plus  tard ,  comme  récompense  nationale,  la  décoration  de 
Juillet.  Blanqui  n'avait  pas  supposé  que  la  lutte  de  l'esprit 
de  liberté  contre  l'ancien  régime ,  représenté  par  la  branche 
aînée  des  Bourbons ,  dût  se  borner  à  la  substitution  d'un 
trône  à  un  autre;  il  était  de  ceux  qui  pensaient  qu'au 
triomphe  matériel  des  masses  armées  devait  succéder  la 
lutte  des  intelligences  pour  la  réalisation  des  principes  dé- 
mocratiques. Pénétré  de  tout  ce  qu'avaient  de  poignant 
les  souffrances  des  classes  laborieuses,  il  désirait  ardcnnnent 
qu'on  y  remédiât;  et,  voyant  la  résistance  passive  qu'op- 
posait la  bourgeoisie  à  l'amélioration  matérielle  du  sort  des 
masses,  pour  laquelle  d'ailleurs  on  ne  formulait  alors  aucun 
plan ,  Blanqui  se  posa  d'une  manière  exclusive ,  comme 
tous  ceux  qui  se  préoccupent  vivement  d'une  idée,  en  an- 
tagoniste de  cette  bourgeoisie.  Loin  d'appeler  les  bourgeois, 
ou  les  oisifs,  comqie  il  les  nommait,  à  travailler  en  commun 
à  l'œuvre  de  régénération  qu'il  enh'evoyait ,  il  ne  négligea 
aucune  occasion  de  les  froisser ,  les  accusant  de  n'avoir  ni 
l'intelligence  de  leur  position  ni  celle  de  l'avenir. 

Blanqui  était  entré  à  la  Société  des  Amis  dît  Peuple, 
ce  club  dont  l'existence,  assez  courte,  fit  renaître  en  France 
l'école  républicaine ,  en  groupant  les  hommes ,  peu  nom- 
breux d'abord,  qui  avaient  conservé  les  traditions  de 
89  et  de  93.  Avant  le  premier  anniversaire  de  Juillet,  il  fut 
nommé  membre  du  comité  de  rédaction  du  journal  que 
cette  société  publia  pendant  quelques  semaines  :  cet  hon- 
neur et  ses  opinions  bien  connues  lui  valurent  une  longue 
détention  préventive  et  l'amenèrent  sur  les  bancs  de  la  cour 
d'assises,  dans  le  procès  dit  des  Treize.  Blanqui  présenta 
lui-même  sa  défense  ;  il  exposa  ses  doctrines,  et  fut  acquitté 
par  le  jury.  Dans  son  discours,  Blanqui  avait  violemment 
attaqué  ceux  qu'il  appelait  les  bourgeois,  les  riches  privi- 
légiés. «  Qui  aurait  pu  penser,  s'était-il  écrié,  que  les  bour- 
geois appelleraient  les  ouvriers  la  plaie  de  la  société?  Les 
privilégiés  vivent  grassement  de  la  sueur  du  peuple. 
Qu'est-ce  que  votre  Chambre  des  Députés?  Une  machine  im- 
pitoyable ,  qui  broie  25  millions  de  paysans  et  5  millions 
d'ouvriers  pour  en  tirer  toute  la  substance,  qui  est  trans- 
vasée dans  les  veines  des  privilégiés.  »  La  cour  vit  dans 
son  discours  et  surtout  dans  ces  paroles  un  délit  d'audience, 
et  elle  le  condamna  à  un  an  de  prison  et  200  francs  d'amende, 
comme  coupable  d'avoir  cherché  à  troubler  la  paix  publi- 
que en  excitant  le  mépris  et  la  haine  des  citoyens  contre 
plusieurs  classes  de  personnes. 

L'esprit  de  Blanqui  jeune  n'était  pas  de  ceux  que  l'on 
mate  par  la  prison  :  après  avoir  passé  sous  les  verrous  le 
temps  de  sa  condamnation,  nous  le  retrouvons  pour  la 
premièt^e  fois ,  en  1835,  devant  la  cour  des  pairs  en  qualité 
de  défenseur  des  prévenus  d'avril.  11  avait  été  rendu  à  la 


liberté,  mais  non  au  repos  et  à  l'indifférence.  La  loi  sur  les 
associations  avait  brisé  dans  les  mains  du  parti  républicain 
une  arme  puissante;  cette  loi  avait  fait  naître  les  sociétés 
secrètes,  machines  non  moins  dangereuses,  maisque, grâce 
au  grand  jour  et  aux  facilités  des  réceptions,  le  pouvoir 
neutralisait  facilement  ;  la  loi  sur  les  armes  de  guerre  avait 
rendu  difficiles  les  approvisionnements  que  nécessite  la 
perspective  d'une  lutte  populaire.  Blanqui  organisa  néan- 
moins la  Société  des  Familles,  association  secrète  dont 
chaque  membre  jurait  de  prendre  les  armes  au  premier  or- 
dre et  d'obéir  à  toute  réquisition  de  ses  chefs.  Dans  la  for- 
mule de  réception  de  cette  société,  on  établissait  que  les 
droits  des  citojens  étaient  le  droit  d'existence,  le  droit 
d'instruction  pubUque,  le  droit  de  participation  au  gouver- 
nement ;  que  leurs  devoirs  étaient  le  dévouement  envers  la 
société  et  la  fraternité  envers  leurs  concitoyens.  Ces  prin- 
cipes étaient  bien  ceux  de  Blanqui.  On  peut  donc  supposer 
que  ce  formulaire  était  son  œuvre.  Pépin ,  le  complice  de 
Fieschi,  au  moment  de  monter  sur  l'échafaul,  crut  sau- 
ver sa  tête  en  dénonçant  vaguement  Blanqui  connne  l'or- 
ganisateur et  le  chef  de  la  Société  des  Familles,  et  en  di- 
sant qu'il  avait  été  prévenu  du  rôle  de  destruction  que  la 
machine  infernale  allait  jouer  le  23  juillet  1835.  Blanqui, 
arrêté  sous  la  prévention  d'association  illicite  et  de  fabri- 
cation de  poudre  (affaire  de  la  rue  de  Lourcine),  comparut 
devant  le  tribunal  correctionnel  ;  interrompu  dans  sa  dé- 
fense, il  fut  condamné  à  deux  ans  de  prison,  3,000  francs 
d'amende ,  et  placé  sous  la  surveillance  de  la  pohce.  L'am- 
nistie abrégea  la  durée  de  sa  peine,  et  il  vint  se  fixer  à 
Anneau ,  puis  près  de  Pontoise ,  la  résidence  de  Paris  iui 
étant  interdite. 

Blanqui  était  sorti  de  prison  tel  qu'il  y  était  entré, 
ennemi  implacable  de  la  monarchie,  et  jugeant  son  ren- 
versement facile  par  un  coup  de  main  mystérieusement 
combiné.  La  Société  des  Familles  était  tombée  dans  des  mains 
subalternes.  Blanqui  prit  le  parti  de  la  réoiganiser  sous  le 
nom  de  Société  des  Saisons.  Raisant,  Martin  Bernard, 
Barbés,  Lamieusseas  en  étaient  les  chefs  principaux.  Le 
calcul  de  cette  société  était  de  ne  pas  bouger  et  d'éclater 
tout  à  coup.  Vers  le  commencement  de  mai  1839,  la 
France  était  sous  le  coup  d'une  longue  crise  ministérielle  ; 
les  débats  de  la  coalition  avaient  singulièrement  afiaibli 
l'action  du  pouvoir  ;  Blanqui  comptait  alors  sur  mille  hom- 
mes bien  déterminés,  bercés  depuis  longtemps  dans  l'espoir 
d'entendre  sonner  l'heure  du  combat.  Une  société  colla- 
térale, mais  affiliée,  connue  sous  le  nom  de  Montagnards, 
menaçait  de  dissoudre  l'association  ;  la  désaffection  gagnait 
la  bourgeoisie  :  Blanqui  crut  que  le  moment  d'agir  était  venu. 
Il  fixa ,  avec  I\Iartin  Bernard  et  Barbes ,  pour  les  deux 
premiers  dhuanches  de  mai  des  revues  des  groupes  de  la 
société.  La  seconde  de  ces  revues  fut  passée  le  12  mai,  vers 
deux  heures  et  demie.  C'était  un  dimanche  :  tous  les  ouvriers 
chômaient  ;  les  courses  du  Champ-de-Mars  avaient  attiré  de 
ce  côté  une  grande  quantité  de  curieux  ;  les  membres  de 
la  famille  royale  et  les  principales  autorités  s'y  trouvaient. 
Le  pouvoir  allait  donc  être  surpris  au  moment  où  il  s'y 
attendait  le  moins. 

Entrant  dans  un  lieu  où  l'attendaient  Martin  Bernard , 
Barbés  et  plusieurs  chefs  en  sous-ordre  de  l'association, 
qui  ignoraient  encore  le  but  de  leur  réunion ,  il  s'écria  : 
«  Ils  sont  pris  en  flagrant  délit!  —  Qui  donc?  aurait  ré- 
pondu Martin  Bernard.  —  Eh ,  parbleu  !  les  hommes  du 
pouvoir.  Marchons!  »  Et  alors,  tirant  de  sa  poche  un  mou- 
choir louge  à  carreaux ,  au  bout  duquel  était  attaché  un 
pistolet  d'arçon,  il  descendit  dans  la  rue,  où  les  section- 
naires  débouchaient  de  toutes  parts,  et  monta  à  leur  tête 
dans  les  magasins  de  l'armurier  Lepage,  où  les  insurgés  se 
munirent  de  fusils  de  chasse,  i)endant  qu'au  milieu  de  la 
rue  Bourg-l'Abbé  des  caisses  de  cartouches  étaient  défon- 
cées et  le  contenu  réparti  à  raison  de  deux  ou  trois  car- 


fouclies  par  homme.  Huit  cent  cinquante  sectionnaires 
prirent  part  à  cette  levée  de  boucliers;  guidés  par  Barbes 
et  Rlanqui ,  ces  hommes,  ayant  deux  ou  trois  coups  de  feu 
à  tirer,  attaquèrent  sans  hésiter  un  gouvernement  qui  dis- 
posait de  quarante  à  cinquante  mille  hommes  de  troupes , 
et  de  soixante  à  quatre-vingt  mille  gardes  nationaux.  En 
route,  cette  poignée  de  sectionnaires  se  recrutad'un  nombre 
au  moins  égal  de  combattants  ;  mais  les  armes  manquaient. 
Les  cartouches  de  différents  calibres  se  mêlèrent  maladroi- 
tement. On  comptait  s'emparer  de  la  préfecture  de  police, 
garder  et  barricader  les  ponts,  établir  une  espèce  de  camp 
retranché ,  de  quartier  général  à  la  préfecture ,  faire  de  la 
Cité  le  centre  de  l'insurrection,  et  pousser  de  là  des  co- 
lonnes dans  diverses  directions.  Barbes  partit  de  la  rue 
Quincampoix  avec  quarante  hommes  en  avant  du  gros  de 
la  troupe.  Il  ne  fut  pas  suivi ,  et  après  son  échec  il  ne  sut 
que  laire.  On  changea  de  plan ,  et  on  résolut  une  attaque 
sur  l'Hôtel  de  Ville  ;  puis  on  se  rabattit  sur  les  mairies  des 
septième  et  huitième  arrondissements.  Repoussé  partout,  on 
se  mit  à  faire  des  barricades.  Blanqui  suivait  la  colonne; 
mais  il  avait  peu  de  confiance  dans  les  barricades;  et  après 
la  prise  de  celle  de  la  rue  Grenétat  on  perdit  sa  trace. 
Pendant  six  mois  il  échappa  à  toutes  les  recherches  ;  il  allait 
quitter  enfin  Paris  le  14  octobre,  et  était  déjà  monté  sur 
l'impériale  de  la  diligence  qui  devait  l'emmener  en  Bour- 
gogne, quand  il  fut  arrôté-par  des  agents  de  police  auxquels 
le  secret  de  son  départ  avait  été  livré. 

Traduit  devant  la  cour  des  pairs  en  janvier  1840,  il  refusa 
de  répondre,  et  protesta  seulement  contre  les  accusations 
d'assassinat  lancées  par  le  rapporteur  contre  les  insurgés , 
au  sujet  de  l'attaque  du  Palais-de-Justice.  Condamné  à  mort 
ainsi  que  Barbes,  Blanqui  vit,  comme  celui-ci,  sa  peine  com- 
muée en  celle  de  la  détention  perpétuelle.  Après  quatre  années 
de  réclusion  cellulaire  au  IMont-Saint-Jlichel ,  qui  avaient 
altéré  sa  santé,  il  en  sortit  mourant,  et  fut  transféré  au 
pénitencier  de  Tours.  Napoléon  Gallois, 

A  la  révolution  de  Février,  Blanqui ,  qui  avait  refusé  sa 
grâce ,  se  trouvait  cependant  libre.  La  république  une  fois 
proclamée,  il  vint  à  Paris,  et  bientôt  son  activité  le  rame- 
nait au  premier  lang  de  l'agitation.  Président,  on  pourrait  dire 
chef;  d'un  club  auquel  il  a  laissé  son  nom,  et  qui  ?e  réunissait 
rue  Bergère,  dans  une  des  salles  du-Conservatoirede  Musique, 
il  lança  plusieurs  fois  les  masses  contre  le  gouvernement 
provisoire.  <<  Diie  ce  que  ce  petit  être  chétif,  maigret,  plié 
en  deux ,  a  remué  d'hommes  dans  ce  Paris  si  violent ,  si 
tourmenté,  ce  serait  écrire  une  histoire  immense,  lisons-nous 
dans  les  Profils  révolutionnaires.  Il  fallait  le  voir  tous  les 
soirs  à  son  club,  animant  les  débats,  leur  donnant  des 
aperçus  hardis,  des  proportions  effrayantes...  Les  veilles, 
les  prisons,  les  souffrances,  ont  plié  son  corps;  mais  ce 
corps  de  fer  résiste  à  tout  :  il  est  trempé  pour  la  lutte.  Sa 
laise  profonde  et  son  inllexible  audace  n'ont  pas  de  bornes.  » 

Rendu  tout  entier  à  sa  haine  contre  la  bourgeoisie  par  ses 
souffrances  et  ses  échecs,  Blanqui  soufflait  le  fiel  et  l'impré- 
cation. Dans  son  extravagance,  il  allait  jusqu'à  prêcher  l'abs- 
tinence la  plus  complète  au  peuple  entier;  «  Vous  faites 
vivre  le  commerce ,  disait-il  aux  masses  :  cessez  de  con- 
sommer, vous  verrez  combien  de  temps  les  boutiquiers 
pourront  se  passer  de  vous  I  «  Mais  'cette  abstinence  n'était 
pas  dans  les  mœurs  ;  et  d'ailleurs  la  ligne  de  démarcation 
entre  le  peuple  et  la  bourgeoisie  est  impossible  à  trouver  dans 
notre  société  :  tout  ouvrier  aspire  à  être  bourgeois,  et  compte 
le  devenir  ;  tout  bourgeois  peut  être  ouvrier  demain.  Ces 
prédications  ne  firent  donc  qu'un  petit  nombre  d'adeptes, 
iauatiqucs,  il  est  vrai;  mais  elles  initèreut  la  bourgeoi- 
sie, qui  se  prépara  à  se  débarrasser  de  ces  hôtes  incom- 
modes. 

Un  beau  jour  il  parut  dans  le  premier  numéro  de  la  Revue 
Rétrospective,  recueil  fondé  par  M.  Tascliereau ,  une  pièce 
curieuse,  non  signée,  adressée  au  ministre  de  l'intérieur  du 
niCT.  DE  Lv  roNvi;i!s.  _  T.  m. 


BLANQUI  281 

roi  Louis-Philippe,  datée  du  mois  d'octobre  1839,  et  conte- 
nant des  détails  circonstanciés  sur  les  événements  de  mai 
de  cette  année.  C'était  un  coup  de  foudre  pour  Blanqui  ;  car 
on  ne  pouvait  attribuer  cette  pièce  qu'à  lui.  «  Vous  seul,  lui 
dit  plus  tard  Barbes ,  pouviez  savoir  les  détails  contenu» 
dans  ce  rapport.  »  Blanqui  promit  de  répondre,  et  ne  fit  qu'at- 
taquer les  publicateurs  de  cette  pièce,  qu'il  prétendit  fabri- 
quée dans  les  conseils  du  gouvernement  provisoire.  On  l'at- 
tendait à  son  club  ;  il  ne  fit  que  des  promesses  d'explications, 
qu'il  oublia.  Sommé  par  Barbes  de  venir  s'expliquer  dans  le 
club  que  celui-ci  présidait ,  Blanqui  refusa  de  s'y  rendre  ; 
un  jury  républicain  offrit  de  s'interposer  :  Blanqui  prétendit 
n'avoir  besoin  que  de  la  publicité  pour  se  défendre ,  et  la 
publicité  ne  vint  jamais. 

Cependant  il  organisait  les  démonstrations  du  15  mars  et 
du  16  avril;  mais  l'attitude  de  la  garde  nationale  ,  réunie  à 
l'appel  du  général  Changarnier,  montrait  à  Blanqui  la 
peine  qu'il  aurait  à  monter  au  pouvoir;  et  pourtant  M.  de 
Lamartine  avoue  avoir  eu  à  compter  avec  lui  et  lui  avoir 
fait  offrir  une  place  à  l'étranger.  Blanqui  aurait  répondu 
qu'il  n'hésiterait  pas  à  servir  son  pays  à  l'étranger  quand  il 
aurait  un  gouvernement  à  sa  convenance.  A  la  fin  d'avril 
Blanqui  avait  été  l'objet  d'un  mandat  d'amener;  mais  on 
avait  ajourné  l'exécution  de  cette  mesure. 

La  pensée  de  l'attentat  du  15  mai  se  développa  dans  le 
club  de  Blanqui.  Le  13  mai  un  membre  proposa  d'aller  en 
masse  à  l'Assemblée  proposer  une  série  de  décrets.  Blanqui 
répondit  que  le  peuple  ne  comprenant  pas  encore  le  commu- 
nisme, il  fallait  s'adresser  à  des  idées  auxquelles  il  fût  plus 
sensible.  La  Pologne  étant  un  mot  magique,  c'était  au  nom  de 
la  Pologne  qu'il  fallait  entraîner  le  peuple;  mais  il  se  réser- 
vait de  fixer  le  moment.  Le  lendemain,  à  l'ouverture  de  la 
séance,  Blanqui  fit  décider  que  la  Société  centrale  républi- 
caine (c'était  son  club)  se  joindrait  aux  corporations  qui 
devaient  porter  à  l'Assemblée  nationale  une  pétition  en  fa- 
veur de  la  Pologne.  On  ne  se  rendit  pas  néanmoins  à  la  place 
de  la  Bastille ,  mais  on  se  réunit  à  la  colonne  sur  le  boule- 
vard du  Temple.  Blanqui  prit  place  en  tête  avec  les  délégués, 
et  il  entra  un  des  preniieis  dans  l'Assemblée.  Après  l'en- 
vahissement de  la  salle,  après  la  lecture  de  la  pétition  par 
Raspail ,  Biancjui  monta  à  la  tribune,  et  demanda  un  vote 
immédiat  sur  les  conclusions  de  la  pétition;  il  réclama  jus- 
tice au  nom  du  peuple  à  l'occasion  des  événements  de 
Rouen,  et,  parlant  de  la  misère  du  peuple,  il  somma  l'Assem- 
blée de  s'occuper  sans  désemparer  des  moyens  de  donner  de 
l'ouvrage  aux  milliers  de  citoyens  qui  en  manquaient.  Enfin, 
il  se  plaignit  qu'on  écartât  pour  ainsi  diresystématiquement 
des  conseils  du  gouvernement  les  amis  du  peuple.  Ce  dis- 
cours porta  l'effervescence  au  comble.  Bientôt  H  ube  r  pro- 
nonça la  dissolution  de  l'Assemblée.  Le  nom  de  Blanqui 
figurait  en  tête  des  listes  du  nouveau  gouvernement  provi- 
soire. Cependant  on  ne  le  trouva  pas  à  rhôlcl  de  ville,  lors- 
que la  garde  nationale  y  arriva.  Il  échappa  pendant  quelques 
jours  encore  aux  recherches  de  la  police;  mais  le  26  mai  il 
fut  arrêté  rue  Montholon,  dans  une  mai -on  où  il  avait 
reçu  asile.  Traduit  devant  la  haute  cour  qui  siégea  à  Bour- 
ges, il  rompit  enfin  en  audience  publique  le  silence  qn'i'. 
avait  gardé  pendant  l'instruction  ;  il  déclina  la  compétence 
de  la  cour,  qui  n'avait  été  formée  qu'en  vertu  d'une  loi  voter; 
après  les  événements  qui  amenaient  les  accusés  devant  la 
justice ,  et  soutint  qu'il  n'y  avait  aucune  preuve  qu'il  eût  pris 
part  à  un  complot  contre  l'Assemblée.  Il  n'y  avait  eu,  suivant 
lui,  le  15  mai,  qu'une  réunion  d'hommes  poussés  par  lesévc- 
nements  à  faire  beaucoup  plus  qu'ils  n'avaient  prévu.  Dans 
la  dernière  séance,  Barbes  l'attaqua  vertement  pour  le  fameux 
rapport  publié  par  la  Revue  Rétrospective ,  et  lui  reprocha 
d'avoir  obtenu  sa  grâce ,  quand  tant  d'autres  étaient  mort'5 
en  prison.  Blanqui  répondit  encore  d'une  manière  embai- 
rassée,  et  en  appela  à  l'opinion  publique.  Le  haut  jury  ayant 
admis  en  sa  faveur  des  circonstances  atténuantes ,  la  cour 


36 


£82  lîLANQUI  - 

le  condamna  en  dix  années  de  détention,  qu'il  su!)it  encore 
aiijourd'liui. 

BLAPS  (  de  ^liàia,  action  de  nuire).  Ce  genre  d'insectes 
de  l'ordre  des  coléoptères,  est  de  couleur  noire,  niardie 
lentement,  vit  dans  les  lieux  obscurs  ,  hutr.idos  et  sales  des 
habitations,  et  répand  quand  on  le  toiiclic  une  odeur  tort 
désagréable. 

BLASEMEIMT  (  de  p).âî;£tv,  être  hébété  ).  Le  blase- 
ruenldilïïre  de  l'agacement  en  ce  que  l'ôtre  blasé  voit  sa 
sensibililé  i»  demi  éteinte  par  l'abus  épuisant  ou  les  débau- 
ches. Ainsi  l'homme  qui  (ait  excès  de  boissons  alcooliques 
sent  à  peine  la  saveur  de  l'eau-de-vic.  Nous  en  avons  vu  qui 
savouraient  l'alcool  à  40",  poivré  encore  par  du  piment.  Les 
peuples  affaissés  par  la  chaleur  sous  les  tropiques  sont 
moins  sensibles  que  nous  aux  impressions  fortes  sur  la  peau  ; 
de  là  vient  sans  doute  l'usage  des  supplices  atroces  infligés 
aux  ÎNègres,  aux  Orientaux  et  Asiatiques,  et  dont  le  seul 
récit  nous  fait  frémir.  Ainsi,  l'on  ajoute  du  vinaigre,  du 
poivre,  etc.,  aux  enlamures  de  la  peau  chez  les  criminels 
iouetlés  au  sang,  pour  aigrir  des  tourments  qu'ils  sentent 
à  peine,  dit-on.  En  effet,  la  sensibilité,  d'abord  vive  et  ex- 
citée dès  la  jeunesse  parmi  les  nations  nées  sous  des  cieux 
ardents,  finit  par  s'amortir.  Un  vieillard  à  peau  flasque,  usé 
par  l'emploi  journalier  des  impressions  les  plus  poignantes, 
lies  jouissances  les  plus  acres,  devient  bientôt  incapable  de 
les  éprouver;  il  mûclie  du  poivre  bétel  avec  la  chaux;  il 
ravive  sa  langue  avec  du  sublimé  corrosif,  dit-on  ;  il  a  be- 
soin dès  l'âge  de  trente  ans  des  stimulations  les  plus 
luxurieuses,  et  sollicite  des  aphrodisiaques  de  tous  les  mé- 
decins pratiquant  dans  l'Orient.  Sous  une  atmosphère  chaude 
et  humide  toutes  les  membranes  se  relâchent ,  tous  les  tis- 
sus se  détendent  ;  l'individu  épuisé  végète  désormais,  par  un 
bienfait  de  la  nature,  qui  prolonge  ainsi  l'existence, mais  avec 
riiïsensibilité  et  l'ennui. 

Tel  est  le  soit  qui  attend  l'homme  affaissé,  le  riche  abu- 
sant de  sa  fortune  pour  s'enivrer  de  toutes  les  délices.  11  ne 
sait  p:is  que  peu  est  assez  pour  notre  nature,  que  le  milieu 
setil  nous  garantit  de  ce  blasement  destructif  de  tout  plaisir, 
ou  de  cet  état  de  débilité  qui  rendait  Saidanapale,  rassasié 
do  voluptés  dans  son  opulence  et  entouré  de  ses  femmes,  le 
plus  infortuné  des  humains. 

Le  blasé  n'a  qu'une  voie  pour  revenir  à  l'ordre  natuiel  : 
c'est  désormais  de  s'abstenir  et  d'attendre  du  bénéfice  du 
temps  la  restauration  de  sa  force,  si  son  âge  lui  en  laisse  l'es- 
pérance. On  a  vu  même  des  vieillards  retrouver  après  tant 
d'années  de  modération  une  vigueur  inespérée.  La  femme, 
toujours  plus  près  de  la  nature  que  l'homme  et  moins 
emportée  par  ses  passions  (  si  l'on  excepte  les  races  des  mes- 
salines  et  des  mégères),  se  blase  moins  que  lui,  quoique 
ses  nerfs  soient  plus  impressionnables  et  plus  délicats";  mais 
elle  craint  davantage  les  excès,  quoiqu'elle  ne  les  haïsse  pas. 
C'est  qu'ils  sont  souvent  mortels  pour  sa  constitution.  Ainsi, 
les  abus  des  jouissances  d'amour  peuvent  déterminer  des 
cancers,  etc.,  tandis  que  l'homme  blasé  tombe  dans l'éner- 
vaîion  ou  l'impuissance. 

Le  biasenicnt  n'a  lieu  que  sur  trois  organes  de  sensation: 
1"  la  peau  pour  le  tact;  2"  le  goût;  3°  les  fonctions  sexuel- 
les. Cependant  on  peut  fatiguer  par  des  excès  aussi  la  ■v'ue, 
l'ouïe  et  l'odorat,  au  point  d'énerver  la  vigueur  de  ces  sens. 

Le  sentiment  moral  du  cœur  humain  peut-il  se  blaser  ? 
Ceci  se  rapporte  plutôt  à  la  perversion  des  sentiments  in- 
times par  suite  des  mauvais  exemples  ou  des  habitudes  cri- 
minelles. D'ailleurs,  la  vue  fréquente  des  atrocités  endurcit 
même  les  femmes  accoutumées  à  faire  cliàlier  des  esclaves 
ou  des  nègres  dans  les  colonies,  comme  ces  Romaines  qui 
voyaient  tuer  les  gladiateurs  dans  les  amphithéâtres. 

J.-J.  ViREV. 

BLASON  ou  ART  HÉRALDIQUE,  connaissance  et  ex- 
plication méthodique  des  armoiries.  C'est  à  l'amour  de 
la  gloire,  à  la  galanterie,  passions  chères  à  nos  aïeux,  et 


BLASPHÈME 

qui  tiennent  une  si  grande  place  dans  notre  histoire ,  que 
la  science  héraldique  doit  son  invention  et  ses  emblèmes  ; 
c'est  au  besoin  de  rendre  intelligibles  aux  yeux  les  gages 
de  l'amour  et  les  signes  de  la  valeur  que  se  rapporte  l'ori- 
gine du  blason..  Les  étymologistes  ne  sont  pas  d'accord  sur 
ce  mot.  Les  versions  les  plus  vraisemblables  sont  celles 
qui  le  dérivent  de  l'anglais  6/a5(«(7,  publication,  ou  de  l'alle- 
mand blason,  sonner  du  cor.  En  effet,  lorsqu'un  cheva- 
lier se  présentait  â  la  barrière  d'un  tournoi,  son  écuycr  on 
son  page  sonnait  du  cor  pour  avertir  les  hérauts  d'armes 
de  son  arrivée.  Ceux-ci  allaient  alors  reconnaître  les  armes 
du  champion  ;  ensuite,  rentrant  dans  l'enceinte,  ils  sonnaient 
de  la  trompette  jiour  obtenir  un  moment  d'attention  et  de 
silence,  et  décrivaient  à  haute  voix  ses  armoiries,  sans 
omettre  le  nom  ou  le  surnom  du  chevalier  ni  les  faits 
d'armes  à  sa  louange.  Cette  formalité  remplie  (  elle  «'appe- 
lait blasonncr),  le  chevalier  était  admis.  Celui  qui  avait  as- 
sisté deux  foisii  un  tournoi  solennel  était  suffisamment  bla- 
sonné  et  publii-,  et  l'on  assure  (  c'est  ce  que  nous  ne  garan- 
tissons j»as  )  qu'il  pouvait  alors  mettre  en  cimier  deux 
trompes  sur  son  casque. 

L'origine  du  biasou  se  confond  avec  celle  des  armoiries  j 
car  le  premier  qui,  par  de  simples  iignes  ou  hachures,  ima- 
gina d'exprimer  les  diverses  couleurs  des  emblèmes  em- 
preints sur  les  boucliers,  sur  les  cottes  d'armes  et  les  ban- 
nières des  preux,  peut  être  considéré  comme  l'inventeur  des 
armoiries  et  le  législateur  du  blason.  Les  principes  de  cette 
science  ont  eu  leur  longue  enfance,  comme  toutes  les  au-, 
très  institutions.  Consacrés  par  l'usage  et  transmis  par  la 
tradition  ,  ce  ne  fut  qu'après  un  lajis  de  temps  considérable 
que  le  désir  d'en  rendre  l'interprétation  fixe  et  plus  géné- 
rale les  fit  réunir  en  une  espèce  de  code,  qui  eut  son  voca- 
bulaire spécial,  et  devint  l'une  des  bases  de  l'éducation  de 
la  jeune  noblesse.  Depuis  lors,  il  se  fit  des  milliers  d'ar- 
moriaux,  de  registres  de  tournois  et  de  carrousels,  et  de 
méthodes  héraidi(iues;  et  aujourd'hui  encore,  quoique  dé- 
pouillé du  prestige  que  lui  donnaient  les  mœurs  et  les  pré- 
jugés du  temps,  le  blason  n'a  pas  cessé  de  captiver  cette 
sorte  d'intérêt  et  de  curiosité  qu'excitent  toujours  les  choses 
extraordinaires. 

Trois  éléments  concourent  à  constituer  le  blason  :  l'éc  u  , 
qui  repré.sentc  le  bouclier,  les  émaux  (métaux,  couleurs 
et  fourrures),  et  les  j)ièces  et  meubles. 

Les  brisures  servent  à  distinguer  les  branches  d'une 
môme  fandlle. 

Les  ornements  extérieurs  de  l'écu  sont  :  le  casque,  les 
lambre (juins,  le  cimier,  la  couronne,  les  tenants 
et  supports,  le  cri  de  guerre  ou  la  devise,  le  man- 
t  e  a  u ,  les  i  n  s  i  g  n  e  s  et  les  ordres  de  chevalerie. 

En  blasonnant,  on  observe  de  désigner  d'abord  le  champ 
de  l'écu  ,  ensuite  les  pièces  honorables  ou  meubles  princi- 
paux, et,  en  dernier  lieu,  les  autres  meubles  qui  les  char- 
gent ou  les  accompagnent.  Quoique  le  chef  soit  la  première 
des  neuf  pièces  honorables,  on  ne  le  nomme  qu'après  tout  ce 
qui  peut  indistinctement  charger  l'écu ,  excepté  dans  le  cas 
où  il  se  trouve  des  pièces  on  meubles  brochant  à  la  fois 
sur  le  champ  ou  sur  le  chef  :  dans  ce  cas  seulement,  les 
pièces  brochantes  sont  énoncées  les  dernières.       Laîné. 

BLASPÏÎÈ^IE  (en  grec  pXocTçrifiia).  Ce  mot  signifiait 
d'abord  injure,  diffamation,  atteinte  à  la  réputation.  Les 
Septante  lui  ont  donné  un  autre  sens  :  ils  appelèrent  blas- 
phème l'injure  contre  Dieu.  Les  lois  canoniques  ont  classé 
le  blasphème  au  rang  des  plus  grands  crimes,  en  s'apjtuyant 
d'un  texte  de  la  loi  des  Juifs  :  «  Tu  ne  prendras  pas  le  nom 
de  Dieu  en  vain.  »  jMais  ce  texte  ne  s'appliquait  qu'au  par- 
jure. Et  puis,  qui  donc  oserait  suppléer  à  la  justice  divine.!* 
«.La  gravité  du  péché,  dit  Beccaria,  dépend  de  l'inextri- 
cable malice  du  cceur.  Des  êtres  bornés  ne  peuvent  sonder 
la  profondeur  de  cet  abîme  sans  le  secours  de  la  révélation  ; 
ou  trouveraient-ils  une  règle  pour  punir  quand  Dieu  par- 


BLASPBEMK 

donne,  panlonner  quand  Dieu  punit?  S'ils  ne  peuvent  sans 
l'olTenser  se  mettre  en  contradiction  avec  Dieu,  s'arroger 
le  droit  de  le  venger  serait  un  sacrilège  plus  grand  en- 
coie.  » 

Les  ordonnances  des  rois,  comme  les  lois  canoniques,  ont 
qualifié  le  blasphème  crime  capital  ;  elles  en  ont  distingué 
trois  espèces  :  la  première,  appelée  énonciation,  c'est 
quand  en  affirmant  ou  niant  quelque  chose  on  fait  injure  à 
Dieu ,  soit  qu'on  lui  attribue  ce  qui  ne  lui  convient  pas ,  soit 
qu'on  s'efforce  de  lui  ôter  ce  qui  lui  convient  ;  la  seconde 
est  le  blasphème  avec  imprécation  ou  exécration  contra 
Dieu,  en  le  maudissant  :  c'est  le  péché  du  démon  et  des 
désespérés  ;  la  troisième ,  quand  on  parle  de  Dieu  et  de  ses 
attributs  avec  outrage ,  mépris  ou  moquerie.  Ces  trois  défi- 
nitions ont  été  érigées  en  principe  aux  conférences  d'Angers. 
Ainsi ,  suivant  l'esprit  et  la  lettre  des  définitions  canoniques, 
c'était  blasphémer  que  d'appeler  une  maîtresse  divine,  ado- 
rable, et  un  roi  divin  ou  tout-puissant ,  elle  pape  sa  sain- 
teté. Jeanne  d'Arc  fut  déclarée  coupable  de  blasphème  au 
premier  chef  pour  avoir  dit,  suivant  l'accusation,  que  Dieu, 
sainte  jCatherine  et  sainte  Marguerite  haïssaient  les  Anglais, 
et  que  son  étendard  avait  un  caractère  divin,  qui  assurait  la 
victoire  aux  guerriers  qui  le  suivaient. 

L'inquisition  n'a  été  en  France  qu'un  fléau  passager,  elle 
n'a  pu  y  dresser  ses  bûchers  qu'à  de  rares  intervalles  ;  mais 
ses  attributions  impies,  son  code  de  proscription  et  de  sang, 
ont  passé  dans  notre  législation  criminelle  et  dans  nos  juri- 
dictions ordinaires;  les  parlements,  les  tribunaux  subal- 
ternes, les  officialités  se  sont  substitués  aux  inquisiteurs  de 
la  foi.  C'est  sous  le  poids  d'une  accusation  de  blasphème, 
dénuée  de  preuves  et  môme  de  vraisemblance,  que  le  jeune 
de  Labarre  périt  sur  l'échafaud,  en  17G6. 

La  législation  qui  punissait  le  blasphème  fut  introduite  en 
France  par  le  successeur  de  Charicmagne;  elle  avait  été  em- 
pruntée aux  Novelles  de  Justinien.  Un  capitulaire  de  Louis 
le  Débonnaire  porte  que  les  blasphémateurs  du  saint  nom 
de  Dieu  seront  condamnés  au  dernier  supplice  par  le  prin- 
cipal magistrat  de  la  ville,  et  que  celui  qui,  connaissant  le 
coupable,  ne  l'aura  pas  dénoncé  sera  également  puni  de 
mort;  que  le  magistrat  qui  aura  négligé  de  poursuivre  et  de 
faire  punir  le  coupable  encourra  l'indignation  du  prince  et 
en  sera  responsable  au  jugement  de  Dieu.  Philippe- Auguste, 
dès  le  commencement  de  son  règne,  avait  aussi  publié  une 
ordonnance  contre  ceux  qui  auraient  prononcé  les  mots 
tête-bleu,  corbleu,  ventre  bleu,  sang  bleu.  Les  coupa- 
bles, s'ils  étaient  nobles,  devaient  être  condamnés  à  une 
amende ,  et  à  être  mis  dans  un  sac  et  jetés  à  la  rivière  s'ils 
étaient  roturiers. 

Louis  IX  n'est  donc  pas  l'auteur  de  la  première  loi  contre 
le  blasphème  ;  il  n'a  fait  que  maintenir  les  ordonnances  de 
ses  prédécesseurs.  Sa  mère ,  avant  qu'il  s'embarquât  pour  la 
Palestine,  avait  fait  écheller,  nu  en  chemise ,  un  orfèvre  de 
Saint-Césaire,  accusé  d'avoir  juré.  On  plaçait  alors  le  con- 
damné sur  une  échelle ,  c'était  la  forme  du  pilori  de  l'é- 
poque. A  son  retour  en  France ,  Louis  IX  fit  publie-  une 
ordonnance  portant  que  tous  ceux  qui  proféreraient  quelque 
blasphème  seraient  marqués  d'un  fer  chaud  au  front,  et,  en 
cas  de  récidive,  qu'ils  auraient  la  lèvre  et  la  langue  percées 
aussi  d'un  fer  chaud.  Cette  ordonnance,  peu  de  mois  après 
avoir  été  rendue,  fut  appliquée  à  un  bourgeois  de  Paris.  Il 
importe  de  remaniuerque  le  pape  Clément  IV,  par  un  bref 
du  12  juillet  1264,  en  félicitant  le  roi  de  son  ordonnance, 
l'exhorte  à  modérer  les  i)énalités  qu'elle  prescrit,  et  de 
n'imposer  aux  blasphémateurs  condamnés  que  des  peines 
corporelles,  s&m  mutilation  ou  flétrissure  des  membres. 
Le  pape  adressa  les  mêmes  conseils  au  comte  de  Champagne, 
roi  dei\avarre.  Louis  IX,  par  une  nouvelle  ordonnance,  sub- 
stitua aux  mutilations  une  amende  au  profit  du  roi,  du  sei- 
gneur, de  l'Église  et  du  dénonciateur.  Philippe  le  Hardi ,  au 
parlement  de  l'Ascension  (127'i),  accorda  aux  juges  !a  fa- 


283 


culte  de  substituer  les  peines  corporelles  aux  amendes  pres- 
crites par  la  dernière  ordonnance  de  son  père. 

Philippe  de  Valois  lut  plus  sévère  que  ses  prédécesseurs, 
et,  par  lettres  patentes  du  22  février  1347,  il  ordonna  que 
celui  ou  celle  qui  proférerait  le  vilain  serment,  ou  qui  dirait 
des  paroles  injurieuses  contre  Dieu  et  la  sainte  Vierge ,  se- 
rait, pour  la  première  fois ,  attaché  au  pilori  depuis  prime 
jusqu'à  none,  avec  permission  aux  assistants  de  lui  jeter 
aux  yeux  des  ordures ,  qui  néanmoins  ne  pussent  le  blesser; 
qu'ensuite  il  jeûnerait  un  mois  au  pain  et  à  l'eau  ;  que  pour 
la  seconde  fois  il  serait  remis  au  pilori  un  jour  de  aiarché, 
où  la  lèvre  de  dessus  lui  serait  fendue  d'un  fer  chaud  ;  la 
troisième  fois,  celle  de  dessous;  la  quatrième  fois,  que  les 
deux  lèvres  lui  seraient  coupées,  et  en  cas  de  cinquième  ré- 
cidive, la  langue  entière  lui  serait  coupée ,  ayù2  que  doré- 
navant il  ne  pilt  dire  de  Dieu  ni  d'aucun  autre.  Celui 
qui  entendrait  proférer  des  blasphèmes  sans  venir  sur-le- 
champ  le  déclarer  en  justice  serait  condamné  en  l'amende 
de  six  Uvres,  et,  au  cas  qu'il  ne  se  trouvât  pas  en  état  de 
payer  celte  amende ,  tiendrait  prison  en  jeûnant  au  pain  et 
à  l'eau  jusqu'à  ce  qu'il  eût  satisfait  par  cette  pénitence  à  la 
faute  par  lui  commise ,  au  lieu  de  ramende  qu'il  aurait  dii 
payer  s'il  eût  été  en  état  de  le  faire. 

Ces  pénalités  furent  modifiées  parCharies  VI,  ChariesVll 
et  Charles  VllI.  Ce  dernier  ne  pouvait  cependant  pas  avoir 
oubUé  que  le  roi  son  père  jurait  vingt  fois  par  jour  par  la 
Pâque  Dieu  et  Notre-Dame  de  Saint-Là.  Louis  XII ,  par 
un  édit  du  9  mars  1510,  réduisit  les  pénalités  à  l'amende  et 
à  l'emprisonnement.  Le  pilori  ne  devait  être  infligé  que  dans 
le  cas  de  récidive.  On  remarque  une  disposition  spéciale  qui 
assujettit  aux  mêmes  peines  les  ecclésiastiques  séculiers  et 
réguliers,  qui  étaient  renvoyés  devant  les  juridictions  épis- 
copales  ;  en  cas  de  récidive ,  les  coupables  devaient  être 
privés  de  leur  bénéfice. 

François  V  renouvela  ces  dispositions  par  une  ordonnance 
du  30  mars  1514.  Le  parlement  de  Paris,  par  arrêt  du 
8  août  1523,  condamna  un  ermite  clerc  à  être  conduit  au 
parvis  Notre-Dame  dans  un  tombereau  servant  à  l'enlève- 
ment des  immondices  de  la  ville,  pour  y  faire  amende  ho- 
norable, et  de  là  au  marché  aux  pourceaux,  où  il  fut  brûU 
vif.  Ce  malheureux ,  accusé  de  blasphème ,  avait  vainement 
demandé,  en  sa  qualité  d'homme  de  clergie,  à  être  renvoyé 
devant  l'autorité  ecclésiastique.  Le  même  prince,  dans  le  rè- 
glement qu'il  fit  pour  les  huit  légions  qu'il  venait  de  former, 
défendit  «  aux  soldats  et  à  tous  gens  de  ses  légions  de  blas- 
phémer le  nom  de  Dieu  et  de  la  sainte  Vierge ,  à  peine  d'être 
mis  au  carcan  pendant  six  heures  pour  la  première  fois,  et, 
en  cas  de  double  récidive,  d'avoir  la  langue  percée  d'un  fer 
chaud  et  d'être  chassé  des  légions  ». 

Henri  II  confirma  les  lois  de  ses  prédécesseurs  contre  le 
blasphème ,  par  une  déclaration  du  5  avril  1546  ;  et  en  1558 
Maurice  Plessard ,  portefaix ,  fut  dénoncé  au  Chàtelet  par  le 
commissaire  de  police  de  son  quartier.  Il  avoua  avoir  juré 
dans  un  accès  de  colère;  il  fut  condamné  à  deux  jours  de 
prison ,  au  pain  et  à  l'eau ,  et  banni  de  la  ville.  La  peine  qui 
lui  fut  infligée  était  au-dessous  du  minimum  àe  celles  que 
prescrivaient  les  ordonnances.  Les  juges  se  montrèrent  alors 
plus  huuiains  que  la  loi. L'année  suivante,  le 27  juillet  1559, 
un  cabarelier  pour  le  même  fait  fut  condamné  à  16  sols 
parisis  d'amende.  On  voit  que  les  mutilations ,  les  flétris- 
sures, la  peine  capitale,  prescrites  par  tant  d'ordonnances, 
maintenues  de  règne  en  règne,  n'étaient  plus  appliquées. 

Trois  autres  ordonnances  furent  rendues  sous  le  règne  de 
ChariesIX,  qui,  formé  à  l'école  de  Gondi  et  de  Duperron, 
«  avoit ,  dit  Brantôme ,  appris  d'eux  ce  vice,  et  s'y  accous- 
tuma  si  fort  qu'il  tenoit  que  blasphémer  et  jurer  estoit  plu- 
tôt une  forme  de  parole  et  devis  de  braveté  et  de  gentillesse 
que  de  péché  ».  Aussi  ce  roi  à  tout  propos  répétait-il  son 
juron  ordinaire  :  Par  la  mort  Dieu  !  Henri  III  et  Henri  IV, 
par  diverses  ordonnances,  modifièrent  les  pénalités;  ils 

36. 


284 


BLASPHEME  —  BLASTODERME 


ne  inainlinrfnt  les  peines  corporelles  que  pour  le  cas  de  ré- 
cidive. Mais  les  juges  ne  tenaient  aucun  compte  de  ces  or- 
donnances, et  prononçaient  arbitrairement.  Le  parlement 
de  Paris  était  plus  que  sévère  Ainsi ,  sous  l'empire  de  deu\ 
ordonnances  qui  ne  prescrivaient  qu'une  amende,  et  l'em- 
lirisonnement  en  cas  de  récidive  ,  il  condauma  ,  le  27  jan- 
vier 1.590,  N.  Lemesle,  pour  avoir  blaspliémé  le  nom  de  Dieu 
et  de  la  sainte  Vier:;e,  à  faire  amende  iionorable,  et  à  avoir 
la  langue  percée  avec  un  fer  brûlant,  les  dcu\  lèvres  fen- 
dues, et  au  bannissement.  On  cite  deux  autres  ordonnances 
de  Louis  XIII,  des  10  novembre  et  7  août  1631.  Louis  XIV 
termine  cette  longue  série  pénale  contre  les  jtireurs  et  blas- 
p/iémateurs  par  les  ordonnances  de  1666  et  1681 ,  qui  dis- 
posent que  «  ceux  qui  seront  convaincus  d'avoir  juré  et 
Maspliéuîé  le  saint  nom  de  Dieu,  de  sa  très-sainte  mère 
et  de  ses  saints,  seront  condamnés  pour  la  première  fois, 
h  une  amende;  pour  la  deuxième,  troisième  et  quatrième  fois, 
à  une  amende  double;  pour  la  cinquième  au  carcan;  pour  la 
sixième  au  pilori  et  à  avoir  la  lèvre  supérieure  coupée;  en- 
fin ,  pour  la  septième ,  la  langue  coupée  tout  juste.  »  Le 
temps  a  fait  justice  de  cette  législation ,  qui  confondait  les 
jurements  et  les  actes  d'impiété.  De  pareils  faits  ne  sont  jus- 
ticiables que  du  tribunal  de  la  pénitence;  ils  sont  en  dehors 
du  droit  commun.  Dufey  (de  l'Yonne). 

BLASTE  (de  pXaaTÔç,  germe).  Le  professeur  Richard 
appliquait  le  nom  de  blaste  à  toute  la  partie  d'un  embryon 
susceptible  de  se  développer.  Dans  ces  derniers  temps , 
M.  Dunal ,  professeur  de  botanique  à  Montpellier,  a  étendu 
la  signification  du  mot  blaste  en  l'appliquant  à  tous  les  corps 
générateurs  des  végétaux ,  et  il  réunit  sous  ce  nom  commun 
les  bourgeons,  les  anthères  et  les  ovules.  Il  admet 
ainsi  trois  sortes  de  blastes. 

BLASTÈME  (de  pXafftéç,  germe).  Leblastème,  dans 
le  langage  actuel  des  organogénistes ,  est  la  substance  orga- 
nique encore  à  l'état  amorphe  avant  de  s'individualiser  et 
d'avoir  pris  la  forme  primordiale  du  nouvel  être,  c'est-à- 
dire  celle  du  germe  d'un  nouvel  individu.  M.  de  Mirbel,  ayant 
divisé  le  corps  embryonnaire  des  végétaux  en  deux  pallies , 
s'était  déjà  servi  du  terme  blastème  pour  désigner  celle 
qui  comprend  la  radicule,  la  gemmule  et  la  tigelle,  l'autre 
étant  le  corps  cotylédonaire.  L.  Laurent. 

BLASTEUX  (Tissu).  Lorsqu'on  compare  la  substance 
organique  amorphe  demi-solide,  que  M.  Dujardin  a  nommée 
sarcode,  avec  celle  des  autres  soUdes  ou  tissus  vivants  de 
l'économie  animale  ou  végétale ,  on  est  naturellement  con- 
duit à  lui  donner  le  nom  de  solide  ou  de  tissu  primordial  du 
germe,  et  la  dénomination  de  tissu  blasteux  le  caractérise 
exactement  et  le  différencie  du  tissu  muqueux  de  Bordeu , 
avec  lequel  la  plupart  des  physiologistes  l'ont  confondu. 

L.  Laurent. 
BLASTOCYSTE  (de  pXaaTÔç,  germe,  et  de  y-Oanç, 
vessie ,  vésicule  ) ,  terme  d'embryogénie  signifiant  vésicule 
du  germe.  Ce  nom  a  été  proposé  par  le  traducteur  du  mé- 
moire de  M.  Eauer  sur  la  formation  de  l'œuf  de  l'espèce  hu- 
maine et  des  mammifères  et  du  commentaire  sur  ce  mé- 
moire, pour  remplacer  celui  de  vésicule  de  Purkinjé,  nom 
qui  rappelle  celui  de  l'anatocoiste  bohème  qui  a  fait  la  dé- 
couverte de  cette  vésicule. 

Libre  primitivement  dans  la  masse  de  la  matière  jaune  de 
i'œuf,  la  vésicule  du  germe,  ou  le  blastocyste ,  s'en  dégage 
par  l'effet  de  l'acte  fécondateur,  et  se  place  sur  un  point  de 
la  surface  du  jaune  ou  vitellus,  pour  y  devenir,  dit-on,  le 
siège  de  tous  les  phénomènes  subséquents.  La  sortie ,  ou 
plutôt  le  déplacement  de  celte  vésicule ,  détermine ,  selon 
M.  Bauer,  sur  le  disque  proligèrc  une  ouverture,  au  tra- 
vers de  laquelle  on  aperçoit  le  jaune  de  l'œuf.  «  Il  paraît , 
dit  ce  savant  physiologiste ,  que  tous  les  œufs  vrais  ont 
dans  les  prenners  temps  la  vésicule  qui  a  été  décrite  par 
Purkinjé  dans  l'œuf  de  poule.  J  usqu'icijel'ai  trouvée  dans  tous 
les  animaux,  excepté  dansrt'c/«no/-A  j/Hcws  j7/(7rts  et  l'ascaride 


lombricoïde  ;  mais  comme  dans  plusieurs  insecteset  annélides 
elle  se  dérobe  de  très-bonne  heure  à  l'observation ,  et  que  je 
n'ai  pu  examiner  ces  entozoaires  qu'une  seule  fois  à  l'état 
frais,  ce  résultat  négatif  ne  peut  pas  être  considéré  comme 
une  exception  à  la  règle  commune.  Il  est  vraisemblable  que  la 
vésicule  du  germe  est  la  première  partie  de  l'œuf.  En  ce  qui 
concerne  les  animaux  inférieurs  ,  je  crois  pouvoir  soutenir 
cela  en  toute  assurance.  Cela  est  également  vraisemblable 
pour  les  animaux  vertébrés  ;  mais  il  est  très-difficile  de 
constater  la  chose  par  l'observation.  Dans  les  premiers  temps, 
elle  est  toujours  située  vers  le  milieu  de  l'œuf,  d'où  elle  se 
porto  ensuite  à  sa  surface.  L'époque  à  laquelle  elle  se  montre 
à  la  surface  de  l'œuf  varie  considérablement  ;  cela  se  fait 
de  bonne  heure  dans  les  oiseaux,  plus  tard  dans  les  lézards 
et  les  serpents ,  et  plus  tardivement  encore  chez  les  écre- 
\isses  et  les  batraciens.  Elle  disparaît  vers  l'époque  de  la 
maturité  de  l'œuf,  sort  tout  à  fait  du  vitellus  (comme  j'en  a: 
fait  la  remarque  particulièrement  sur  les  grenouilles),  et 
crève  alors  sans  doute,  puisqu'on  n'en  trouve  plus  de  traces 
par  la  suite.  Dans  les  animaux  inférieurs,  cette  vésicule  m'a 
paru  être  simple,  formée  d'une  membrane  unique,  le  plus 
souvent  absolument  diaphane,  et  renfermant  un  liquide  trans- 
parent, qui  contient  néanmoins  de  très-potits  granules.  Chez 
les  oiseaux  eux-mêmes,  cette  vésicule  ne  m'a  offert  égale- 
ment qu'un  feuillet,  quoiqu'il  semble ,  comme  Purkinjé  en  a 
fait  aussi  la  remarque,  que  la  masse  qu'il  avoisine  soit  retenue 
par  unemembranule.  Dans  les  lézards  et  les  serpents  au  con- 
traire il  y  a  une  membrane  granuleuse,  obscure,  qui  est  située 
àl'inténeur  d'une  tunique  externe,  entièrement  transparente. 
Dans  l'eau,  ces  deux  lames  se  séparent,  et  l'interne  s'affaisse 
sur  elle-même.  La  masse  qui  entoure  la  vésicule  du  germe 
diffère  presque  toujours  du  reste  de  la  masse  du  vitellus  ; 
ordinairement  elle  est  moins  colorée  ;  quelquefois  elle  l'est 
davantage.  Je  dois  dire  que  je  n'ai  pas  pu  reconnaître  cette 
masse  environnante  dans  quelques  œufs  d'animaux  infé- 
rieurs; mais  comme  elle  est  très-grande  dans  beaucoup 
d'helminthes  (vers),  dans  des  mollusques  acéphales  et  gas- 
téropodes ainsi  que  dans  les  crustacés,  je  ne  puis  m'em- 
pêcher  de  croire  qu'elle  soit  une  partie  constituante  de 
l'œuf  vrai ,  d'autant  plus  que  pendant  la  maturation  de  ce- 
lui-ci elle  semble  subir  des  changements  qui  font  qu'on  ne 
la  reconnaît  plus  par  la  suite  d'une  manière  distincte.  Je  ne 
doute  pas  de  l'existence  générale  d'une  masse  parliculière 
qui  entoure  la  vésicule  du  germe.  Je  suis  moins  certain  des 
rapports  que  cette  masse  peut  avoir  avec  la  formation  du 
blastoderme.  » 

M.  Bauer  compare  ensuite  la  vésicule  du  germe  avec  l'o- 
vule dans  les  animaux  inférieurs  et  chez  les  vertébrés  ovipares, 
avec  les  mêmes  parties  dans  les  mammifères  ou  vertébrés 
vivipares,  et  conclut  que  dans  ces  derniers  c'est  la  vési- 
cule du  germe  qui  se  convertit  en  <.'uf  et  devient  le  berceau 
de  l'embryon  ,  tandis  que ,  dans  les  ovipares,  cette  vésicule 
disparaît  dans  WvuL  L.  Laurent. 

BLASTODERME  (de  p),a'7xô;.  germe,  et  de  ôifiia, 
peau,  membrane  :  c'e?t-à-dire  membrane  du  germe).  Ce 
nom,  introduit  dans  la  nomenclature  de  l'embryogénie  par 
Pander,  désigne  une  partie  de  lacicrt<rjc«/e.  Celle-ci  est 
dans  le  langage  ordinaire  la  tache  blanche  dans  laquelle  le 
poulet  se  forme.  Pander  y  distingue  deux  parties  :  1°  un 
disque  rond ,  dans  lequel  se  développe  le  fœtus ,  et  qu'on 
peut  par  conséquent  appeler  blastoderme ,  1°  la  petite  masse 
située  au-dessous  de  celte  membrane,  qui  subit  cirtaines 
métamorphoses  comme  toutes  les  [)arties  contenues  dans 
l'œuf,  et  que  j'appellerai  désormais  noyau  de  lacicatricule. 
D'après  les  dctcrnunations  que  cet  auteur  a  données  sur 
le  blastoderme ,  cette  membrane  est  formée  dans  l'œuf  non 
couvé  d'une  couche  de  grains  adhérents  les  uns  aux  autres; 
son  tissu  est  par  conséquent  globulineux.  Mais,  après  que 
l'œuf  a  été  exposé  à  la  chaleur  de  l'incubation ,  le  blasto- 
derme ne  reste  pas  dans  cet  état  de  simplicité.  Vers  la 


I 


BLASTODERME  —  BLAYE 


285 


douzième  lieure  de  Tincubatiou ,  il  se  compose  de  deux 
lamelles  tout  à  fait  distinctes  :  Tune  interne,  plus  épaisse, 
grenue  et  opaque;  Tautre*  externe,  plus  mince,  unie  et 
transparente.  Pour  les  distinguer,  Pander  désigne  la  pre- 
mière sous  le  nom  àe  feuillet  miiqueux,  et  la  seconde  sous 
celui  àe  feuillet  séreux.  Il  prétend  ensuite  avoir  constaté 
par  l'observation  la  plus  minutieuse  un  fait  qui  avait  écbappé 
h  Wolf  :  c'est  qu'il  se  forme  entre  les  deux  feuillets  du  blas- 
toderme une  troisième  membrane  moyenne ,  dans  laquelle 
se  développent  les  vaisseaux,  et  qu'il  nomme  membrane 
vasculaire.  Par  l'effet  des  changements. que  l'incubation 
produit  de  bonne  heure  dans  le  blastoderme ,  et  principale- 
ment dans  son  feuillet  muqueux,  on  aperçoit  deux  zones  : 
une  intérieure ,  dite  champ  transparent,  aire  transpa- 
rente, aire  du  germe;  une  extérieure,  qu'on  a  nommée 
champ  opaque.  L'aire  du  germe,  d'abord  petite,  circulaire, 
grandit  ensuite ,  devient  ovale,  puis  insensiblement  pyri- 
forme;  enfin  ses  extrémités  s'allongent  encore;  elle  prend 
au  bout  d'environ  dix-huit  heures  la  forme  d'un  biscuit. 
La  transparence  de  l'aire  du  germe  permet  d'apercevoir  au- 
dessous  de  lui  les  premiers  rudiments  de  l'embryon, que  l'o- 
pacité primordiale  de  cette  partie  du  blastoderme  cachait 
primitivement.  La  zone  obscure  ou  le  champ  opaque  du 
blastoderme  est  partagée  en  deux  autres  zones,  concentri- 
ques, par  un  cercle  blanc,  qui  forme  la  limite  de  la  mem- 
brane vasculaire,  en  sorte  que  celle-ci  n'est  pas  aussi  grande 
que  les. feuillets  séreux  et  muqueux  entre  lesquels  elle  est 
placée.  Pander  fit  remarquer  encore  que  pendant  que  le 
blastoderme  s'agrandit  la  membrane  vasculaire  s'étend  pro- 
portionnément ,  mais  qu'elle  est  toujours  dépassée  par  les 
bords  larges  des  feuillets  séreux  et  muqueux. 

Après  avoir  indiqué  la  composition  du  blastoderme  et  les 
aspects  sous  lesquels  il  se  présente,  l'auteur  de  ces  recher- 
ches a  cru  devoir  dériver  de  cette  membrane  du  germetrois 
sortes  de  plis:  les  uns  primitifs,  destinés  à  envelopper  les 
rudiments  de  la  moelle  épinière;  les  autres  secondaires, 
formant  les  parois  de  la  grande  cavité  splanchnique  ou  vis- 
cérale, et  les  troisièmes,  qui  par  leur  convergence  finis- 
sent par  envelopper  le  fœtus.  Ces  trois  sortes  de  plis ,  d'a- 
bord libres,  se  développant  progressivement,  se  réunissent 
sur  les  lignes  médianes.  Les  deux  premières  sortes  de  plis 
circonscrivent  le  corps  du  nouvel  individu.  Les  plis  de  la 
troisième  espèce  formeraient  les  enveloppes  de  l'embryon. 
Cette  détermination  très-contestable  est  bien  loin  de  pa- 
raître un  fait  positif  aux  yeux  même  de  Pander,  qui  s'ex- 
prime à  ce  sujet  dans  les  termes  suivants  :  "  On  peut  consi- 
dérer sous  deux  aspects  différents  la  manière  dont  l'animal 
vivant  et  ses  diverses  parties  naissent  du  blastoderme  :  ou 
ce  dernier  produit  les  germes  du  système  nerveux  et  du 
système  sanguiu,  qui  se  chargent  ensuite  de  continuer  l'opéra- 
tion vitale,  devenue  alors  individuelle;  ou  bien  hii-même 
forme  seul  le  corps  et  les  viscères  de  l'animal  par  le  simple 
mécanisme  du  plissement.  Un  filament  délié,  qui  représente 
la  moelle  épinière ,  s'applique  à  cette  membrane  ;  et  à  peine 
ce  phénomène  a-t-il  lieu  que  le  blastoderme,  produisant  les 
premiers  plis  destinés  à  envelopper  ce  précieux  filament  et 
à  lui  assigner  sa  place,  jette  ainsi  le  premier  fondement  du 
poulet,  il  donne  ensuite  de  nouveaux  plis,  qui,  opposés 
aux  premiers ,  produisent  les  cavités  pectorale  et  abdomi- 
nale, avec  tout  ce  qu'elles  contiennent.  Pour  la  troisième 
fois,  enfin,  il  jette  de  nouveaux  plis ,  destinés  à  envelopper 
le  fœtus  (orme  par  lui  et  tiré  de  sa  propre  substance.  » 

L.  Laurent. 

BLATIER  ou  BLADIER.  C'est  proprement  celui 
qui  va  acheter  du  blé  dans  les  campagnes,  pour  le  trans- 
porter et  le  revendre  sur  les  marchés  des  villes  et  gros 
ijourgs.  Il  y  avait  à  Paris  du  temps  de  saint  Louis  une 
conununauté  do  blatiers,  à  qui  ce  prince  donna  des  statuts. 
Ceux  qui  composaient  cette  communauté  furent  restreints 
par  la  suite  à  ne  vendre  des  grains  qu'à  la  petite  mesure, 


et  furent  nonunés  dans  les  règlements  revendeurs  de  grains, 
regrattiers  ou  grainiers,  et  ceux  qui  avaient  reçu  le  droit 
de  faire  le  conmaerce  en  grand  prirent  le  nom  de  mar- 
chands de  grains.  Ainsi  le  nom  de  blatier  est  resté  aux 
petits  marchands  forains,  qui  vont  chercher  le  blé  dans  le? 
campagnes ,  et  le  transportent  sur  les  marchés  de  proche 
en  proche  ,  jusqu'à  ce  qu'il  soit  arrivé  aux  lieux  où  il  s'en 
fait  une  grande  consommation,  ou  bien  sur  le  bord  des  ri- 
vières, où  ils  le  vendent  aux  marchands  qui  chargent  pour 
l'approvisionnement  des  grandes  villes. 

BLATTE  (de  pXdcTtTw,  je  nuis).  Genre  d'insectes  or- 
thoptères, dont  plusieurs  espèces,  établies  dans  nos  habita- 
tions, y  causent  des  dégâts  considérables,  dévorant  les  ali- 
ments ,  le  sucre ,  les  étoffes ,  les  cuirs ,  le  coton  ,  etc.  Le? 
blattes  répandent  une  odeur  fort  désagréable  ;  elles  sont  lu- 
cifuges,  c'est-à-dire  qu'elles  fuient  la  lumière,  et  font  leurs 
expéditions  dans  le  calme  de  la  nuit.  Elles  ont  le  corps 
ovale  ou  orbiculaire,  aplati ,  et  sont  d'une  très-grande  agilité. 

La  blatte  orientale  (  blatta  orientalis  ),  blatte  des  cui- 
sines ou  des  greniers,  est  de  couleur  brune,  comme  brûlée; 
ses  antennes,  longues  et  unies,  surpassent  d'un  tiers  la  lon- 
gueur du  corps,  et  sont  composées  d'une  infinité  d'anneaux 
courts.  La  tête  est  petite  et  presque  entièrement  cachée  sous 
la  platine  du  corselet,  qui  est  large  et  ovale.  Les  étuis,  qui 
ont  la  même  couleur  que  le  reste  du  corps,  sont  transpa- 
rents, membraneux,  et  plus  courts  d'un  tiers  que  le  ventre; 
du  haut  de  chacun  partent  trois  stries  piincipales,  presque 
toutes  trois  du  môme  point.  La  femelle  n'a  ni  étuis  ni 
ailes,  mais  seulement  deux  moignons  au  commencement 
des  uns  et  des  autres.  Aux  deux  côtés  du  dernier  anneau 
du  ventre  sont  deux  appendices  vésiculaires,  débordant  le 
ventre,  longs  d'une  ligne,  qui  paraissent  striés  transversa- 
lement, à  cause  des  anneaux  dont  ils  sont  composés.  Leurs 
jambes  sont  velues  ou  épineuses.  Cette  variété  de  la  blatte, 
qui  est  la  plus  commune,  se  trouve  surtout  autour  des  che- 
minées et  des  fours  de  boulangers.  Sa  larve  se  nourrit  de 
farine  et  de  pâte,  et  occasionne  un  très-grand  dégât,  ce  qui 
l'a  fait  nommer  dans  beaucoup  d'endroits  la  panetière. 
On  lui  a  donné  quelquefois  aussi  les  noms  de  cafard  et 
de  béte  noire. 

Outre  la  blatte  orientale,  M.  Guérin-Méneville  a  récem- 
ment reconnu,  parmi  les  animaux  qui  attaquent  les  cigares 
et  généralement  le  tabac,  plusieurs  autres  espèces  de  blattes, 
savoir  :  la  blatte  indienne  {blatta  indica),  la  blatte  cen- 
drée (blatta  cinerea)  et  la  blatte  américaine  (blatta 
americana).  Cette  dernière,  originaire  de  l'Amérique  mé- 
ridionale, a  suivi  l'homme  dans  tous  les  pays,  et  infeste  plu- 
sieurs de  nos  villes  et  presque  tous  nos  vaisseaux.  Elle  est 
connue  plus  particulièrement  sous  le  nom  de  kakerlac,  et  à 
la  Havane  sous  celui  de  coucaracha.  Sa  voracité  est  telle 
qu'elle  ronge  la  peau  des  pieds  des  hommes  pendant  leur 
sommeil;  ce  qui,  comme  le  remarque  M.  Guérin-Méneville, 
leur  procure  un  réveil  très-désagréable  quand  ses  dents  sont 
arrivées  au  vif. 

Les  moyens  préservatifs  employés  avec  succès  contre  ces 
insectes  destructeurs  sont  les  odeurs  fort&s  et  pénétrantes , 
telles  que  le  camphre  ;  les  huiles  acres  et  volatiles  produisent 
le  même  effet.  Mais  le  procédé  qui  paraît  le  plus  sur  pour 
détruire  les  blattes  des  cuisines  consiste  à  prendre  un  peu  de 
suie  de  poêle,  que  l'on  mêlera  avec  une  égale  quantité  de 
pain  émié,  ou  avec  une  poignée  de  pois  cuits,  dont  les 
blattes  sont  très-friandes  :  cet  appât  est  un  poison  pour  les 
blattes,  ainsi  que  pour  les  grillons,  et  tous  ceux  qui  en 
mangent  périssent  presque  instantanément. 

BLAUDE  ou  BLIAUD,  espèce  de  blouse,  surtout  de 
grosse  toile  que  les  charretiers  portent  par-dessus  leurs  au- 
tres vêtements. 

BLAVET ,  BL.\VÉOLE.  Voyez  Bixet. 

BLA\E,  l'ancienne  Blavia  ou  Blaventum  des  San- 
tons ,  dans  la  Guienne,  est  le  chef-lieu  d'un  anondisseinent 


28G 


BLAYE  —  BLAZE 


du  déparlemcut  de  la  Gironde  ,  et  est  située  à  trente  ki- 
lomètres nord-ouest  de  Bordeaux  ,  sur  la  rive  droite  du 
fleuve ,  qui  en  cet  endroit  a  4  kilomètres  de  largeur. 

Cette  ville  est  ancienne  ;  la  citadelle  renferme  un  vieux 
château,  où  mourut  le  roi  Caribertl",  qui  y  fut  enterré,  en  574. 
Elle  tomba  plus  tard  au  pouvoir  des  Anglais,  et  fut  reprise 
parles  Français  en  1^39.  Les  calvinistes  s'en  emparèrent 
en  15G8 ,  et  en  détruisirent  toutes  les  églises.  Elle  se  rangea 
ensuite  du  côté  de  la  Ligue,  et  fut  assiégée  par  le  maréchal 
de  Matignon,  qu'un  secours  envoyé  par  les  Espagnols  obligea 
à  lever  le  siège.  En  1814  les  Anglais  essayèrent  inutilement 
de  s'en  emparer;  et  après  l'avoir  assiégée  pendant  quelque 
temps,  ils  se  virent  forcés  de  renoncer  à  leur  entreprise. 

C'est  dans  le  château  de  Blaye  que  fut  détenue,  en  1832 
et  1833,  le  duchesse  de  Derry,  qui  vint  y  terminer,  en  don- 
nant le  jour  à  une  fille,  son  aventureuse  entreprise  en  Vendée. 
Blaye  est  divisée  en  deux  parties  :  la  ville  basse,  plus  spé- 
cialement habitée  par  le  commerce  et  l'industrie,  et  la  ville 
haute,  qui  occupe  la  cime  d'un  rocher  où  s'élèvent  quatre 
grands  bastions.  En  face  de  la  citadelle ,  sur  la  rive  opposée 
de  la  Gironde,  s'élève  le  fort  IMédoc.  Le  fort  du  Pâté,  situé 
"dans  une  petite  île  au  milieu  du  fleuve ,  en  combinant  ses 
feux  avec  ceux  de  la  citadefle  de  Blaye  et  du  fort  Médoc , 
commande  et  intercepte  le  passage  de  la  Gironde. 

Il  y  a  à  Blaye  un  tribunal  de  commerce ,  un  tribunal  de 
première  instance,  une  bourse,  une  société  d'agriculture, 
une  école  d'hydrographie,  une  station  de  pilotes,  et  une  po- 
pulation de  3,961  âmes.  On  y  fait  un  commerce  assez  actif 
en  vins  et  eaux-de-vie,  huile  et  bois  ;  on  y  construit  aussi 
beaucoup  de  navires  de  commerce.  . 

BLAZE  (Famille).  Elle  adonné  plusieurs  écrivains  dis- 
tingués à  la  France  contemporaine. 

BLAZE  (Henri-Sébastien),  chef  de  cette  famille,  né 
en  1763,  à  Cavaillon  (  Yaucluse  ),  fut  successivement  avocat 
au  barreau  de  cette  ville,  administrateur  du  département 
après  le  9  thermidor ,  et  notaire  à  Avignon.  Grand  amateur 
de  musique,  il  reçut  ses  premières  leçons  de  piano  de  l'or- 
ganiste de  sa  paroisse.  Conduit  à  Paris  pour  y  achever  son 
éducation ,  il  y  arriva  juste  au  fort  de  la  lutte  des  gluckistes 
et  des  piccinistes.  Aidé  des  conseils  de  plusieurs  maîtres, 
et  surtout  de  Séjan,  organiste  de  Saint-Sulpice,  il  fit  de  ra- 
pides progrès  dans  la  composition  musicale;  mais  obligé  de 
se  faire  avocat  et  plus  tard  notaire,  il  ne  put  se  livrera  son 
penchant  que  dans  ses  moments  de  loisir.  Il  écrivit  pourtant 
plusieurs  messes  à  grand  orchestre,  d'autres  avec  accompa- 
gnement d'orgue  seulement;  l'Héritage,  opéra  mis  à  l'étude 
au  théâtre  Favart;  une  Sémiramis,  qui  né  fut  pas  représentée 
à  cause  de  sa  grande  ressemblance  avec  un  opéra  de  Catei, 
déjà  reçu. 

De  retour  dans  le  midi,  Blaze  alla  s'établir  à  Avignon,  où 
il  partagea  son  temps  entre  le  notariat  et  la  musique.  La 
Terreur  vint  troubler  ses  plaisirs  et  le  forcer  momentané- 
ment à  prendre  la  fuite.  En  1799  il  fit  un  second  voyage  à 
Paris,  et  profita  de  son  séjour  dans  la  capitale  pour  y  pu- 
blier quelques-unes  de  ses  œuvres.  Il  s'y  lia  avecMéhul, 
avec  Grétry  ,  dont  il  était  enthousiaste ,  et  qui  le  fit  recevoir 
en  1800  correspondant  de  la  classe  de  l'Institut  que  remplace 
aujourd'hui  l'Académie  des  Beaux-Arts.  Outre  ses  composi- 
tions musicales,  on  lui  doit  un  roman  en  deux  volumes,  in- 
titulé Julien ,  ou  le  Prêtre,  publié  en  1803,  à  Paris.  11 
mourut  à  Cavaillon ,  le  11  mai  1833. 

BLAZE  (Fkançois-Heniu-Joseph ,  dit  CASTIL),  son  fils, 
qui  passe  pour  un  théoricien  musical  habile,  quoiqu'il  soit 
plutôt  mosaïste  et  littérate'jr,  naquit  à  Cavaillon,  le  l*""  dé- 
cembre 1784,  dans  un  noble,  antique  et  vaste  manoir , 
Palais-Cardinal  de  &oni)kve,  qu'il  a  complaisamment  décrit 
dans  la  Revue  de  Paris.  Destiné  au  barreau,  il  étudia  le 
droit  dans  sa  jeunesse;  mais  il  uiontrait  déjà  plus  de  goût 
pour  la  nuisique  que  pour  la  profession  d'avocat.  Arrivé  à 
Paris  en  1799,  il  négligea  d'abord  les  cours  de  la  FacuW, 


pour  ceux  du  Conservatoire,  recevant  de  Pernc  des  leçons 
d'harmonie  après  avoir  achevé  l'étude  du  solfège.  Mais  la 
raison  vint  le  forcer  de  sacrifier  ses  penchants  à  son  devoir, 
et  il  devint  successivement  employé ,  puis  chef  de  bureau 
h  la  préfecture  de  Vaucluse,  et  enfin  inspecteur  de  la 
librairie. 

Toutes  ces  charges  impériales  n'empêchèrent  pas  M.  Castil- 
Blaze  d'accueillir  avec  de  grands  transports  de  joie  le  retour 
de  l'antique  famille  des  Bourbons.  Ses  travaux  administra- 
tifs lui  laissaient  toutefois  peu  de  temps  pour  la  culture  de 
son  art  favori.  IL  jouait  de  plusieurs  instruments;  il  avait 
composé  bon  nombrede  romances,  publiées  depuis  ;  fl  s'était 
surtout  occupé  de  musique  dramatique.  En  1818  il  fit  re- 
présenter sur  le  théâtre  de  Nimes  les  Noces  de  Figaro, 
opéra-comique  en  (]uatre  actes  d'après  Beaumarchais,  pa- 
roles ajustées  sur  la  musi(iue  de  Mozart,  pièce  qui  depuis 
fut  jouée  au  théâtre  de  l'Odcon  ,  en  182G.  Efle  avait  paru 
dès  1793  au  Grand-Opéra,  traduite  par  M.  Notaris,  arran- 
geur bien  moins  habile  que  M.  Castil-Blaze. 

Le  succès  que  cette  pièce  obtint  tourna  la  tête  à  notre 
grand  homme  de  Cavaillon  ;  il  renonça  au  barreau ,  à  la 
carrière  administrative,  et  prit  la  route  de  Paris  avec  sa 
femme  et  ses  enfants.  En  passant  à  Lyon,  il  y  fit  recevoir  le 
Barbier  de  Séville ,  O'péTa-comique  en  quatre  actes ,  d'après 
Beaumarchais  et  le  drame  italien ,  paroles  ajustées  sur  la 
musique  de  Rossini,  qui  ne  fut  représenté  qu'en  1821  et 
repris  à  l'Odéon  en  1824.  Dès  1820  il  avait  fait  paraître  à  Pa- 
ris deux  volumes  intitulés  De  V Opéra  en  France.  Homme 
d'esprit,  écrivain  plein  de  verve,  M.  Castil-Blaze  attaquait  vi- 
goureusement dans  ce  livre  certains  préjugés  qui  s'oppo- 
saient en  France  aux  progrès  de  la  musique  dramatique. 
Cette  œuvre  remarquable  lui  ouvrit  les  portes  du  Journal 
des  Débats ,  où  il  fut  admis  comme  rédacteur  de  la  chro- 
nique musicale.  Ses  articles  signés  XXX,  tout  empreints 
d'originalité  méridionale,  fondèrent  sa  réputation.  Il  im- 
posa silence  au  bavardage  des  littérateurs  incompétents ,  et 
initia  rapidement  le  public  au  langage  technique  dont  il  se 
servait. 

En  1821  il  publia  ses  deux  volumes  du  Dic^jonnaire  cfe 
musique  moderne,  lambeaux  de  son  Opéra  en  France, 
dont  il  fit  une  seconde  édition  factice  en  1 825.  On  regrette 
dans  cette  œuvre  bizarre  trop  d'attaques  inconvenantes 
contre  les  grands  compositeurs  français  du  dix-huitième 
siècle,  contre  J.-J.  Rousseau,  entre  autres,  à  qui  l'auteur 
cependant  n'emprunte  pas  moins  de  342  articles.  Un  cri- 
tique de  mérite ,  Charles  d'Outrepont ,  dans  un  écrit  inti- 
tulé Jean-Jacques  Rousseau  à  M.  Castil-Blaze,  prit  avec 
bonheur  la  défense  du  philosophe  de  Genève.     ' 

En  1821,  Don  Juan,  ou  le  Festin  de  pierre,  opéra  en 
quatre  actes  d'après  Molière  et  le  drame  allemand,  paroles 
ajustées  sur  la  musique  de  Mozart  par  M.  Castil-Blaze,  fut  re- 
présenté à  Paris,  tandis  que  les  représentations  du  Barbier 
de  Séville  commençaient  presque  en  même  temps  à  Lyon. 
M.  Castil-Blaze  rédigea,  pendant  plus  de  dix  ans,  lachrouique 
de  musique  du  Journal  des  Débats,  adulant  Rossini  et  les 
compositeurs  italiens  et  allemands ,  auxquels  il  devait  ses 
succès,  mais  fustigeant  sans  pitié  Gluck,  Piccini,  Grétry 
surtout,  qui  pourtant  avait  fait  nommer  son  père  correspon- 
dant de  rinstitut. 

Le  succès  de  la  musique  de  Rossini  à  cette  époque  le 
détermina  à  continuer  ses  travaux  de  traduction  et  de  cou- 
pure, afin  de  faire  jouir  les  villes  de  province  des  œuvres 
principales  du  Cygne  de  Pesaro,  recueillant  de  ses  travaux 
non-seulement  de  la  gloire,  mais  surtout  de  l'argent,  et 
vendant  comme  siennes  pièces  et  partitions  dont  il  n'était 
pas  précisément  l'auteur.  Après  les  tiois  libretti  que  nous 
avons  cités  vinrent  la  Pie  voleuse,  opéra  en  trois  actes 
d'après  le  drame  de  Caignez  et  d'Aubigny  et  d'après  le  texte 
italien ,  paroles  ajustées  sur  la  musique  de  Rossini ,  joué 
sur  le  théâtre  de  Lille  en  1822 ,  puis  h  Paris  au  Gymnase  et 


BLAZE 

à  ro.léon;  Othello,  ou  le  More  de  Venise,  opéra  en  trois 
actes  d'après  les  pièces  anglaise,  française,  italienne,  ajus- 
té sur  la  mueiqiie  de  Rossini,  représenté  sur  le  grand  théâtre 
de  Lyon  en  1S23  et  à  l'Odéon  en  1825;  les  Folies  amou- 
reuses, opéra-bouffon  en  trois  actes,  d'après  Regnard,  ajusté 
sur  de  la  musique  de  Mozart,  Cimarosa,  l'aër,  Rossini,  etc., 
représenté  à  Lyon  en  1S23,  à  l'Odéon  en  1825;  la  Fausse 
Agnès ,  opéra-bouffon  en  trois  actes ,  d'après  Destouches , 
musique  de  Cimarosa,  Rossini,  ÎSIeyer-Beer ,  etc.,  représenté 
au  Gymnase  en  1S24,  puis  à  Lyon,  et  enlin  à  l'Odéon  ;  Ro- 
bin  des  Bois,  opéra-féerie  en  trois  actes,  imité  du  Freischut:^, 
traduitpar M.  Sauvage,  arrangé  parM.  Castil-Blazesurla  mu- 
sique de  Weber,  pièce  qui  tomba  le  premier  jour  à  l'Odéon, 
y  obti'nt  ensuite  un  succès  sans  exemple  ,  et  fut  reprife  en 
1S35  à  rOpéra-Comiquc;  la  Forêt  de  Sénart,ou  la  Partie 
de  Chasse  de  Henri  /l'Vpièce  de  Collé,  réduite  à  trois  actes, 
musique  de  divers  auteurs  allemands  et  italiens,  représentée 
à  l'Odéon  en  182G;  l'Italienne  à  Alger,  opéra-bouffon  en 
quatre  actes ,  imité  de  l'italien,  musique  de  Rossini  (1830)  ; 
Euryanthe,  trois  actes,  d'après  le  livret  allemand,  musi(}ue 
de  Weber,  représenté  à  lOpéra  en  1S31.  Plus  tard  la  tra- 
duction de  Don  Juan,  retouchée  par  M.  Henri  Blaze,  son 
fils,  et  M.  Emile  Descliamps,  obtint  un  grand  succès  à  l'O- 
péra. On  doit  en  outre  à  ce  fécond  arrangeur  la  Marquise 
deBrinvilUcrs,  drame  lyrique  en  trois  actes,  de  M.  Scribe, 
composé  d'une  réunion  de  morceaux  puisés  dans  les  parti- 
tions de  plusieurs  grands  maîtres. 

En  18.32,  M.  Castil-Blaze  quittale  Journal  des  Débats  pour 
le  Constitutionnel,  oii  il  séjourna  peu,  la  question  finan- 
cière ne  permettant  pas  aux.  propriétaires  de  s'entendre 
avec  le  critique.  De  là  il  passa  à  la  Revue  de  Paris,  pour 
laquelle  il  rédigea ,  pendant  plusieurs  années ,  la  pailie  mu- 
sicale, et  où  il  fit  paraître  la  Chapelle  des  rois  de  France 
et  la  Danse  et  les  Ballets  depuis  Bacchus  jusqu'à  Ta- 
glioni  (deux  œuvres  imprimées  plus  lard  séparément),  des 
notices  sur  les  compositeurs  et  chanteurs  célèbres,  une 
Histoire  de  l'Académie  Royale  de  Musique  et  une  His- 
toire du  Piano  (  18^0  ).  Déjà,  en  1834,  il  avait  commencé 
à  participer  à  la  rédaction  du  Ménestrel,  journal  de  mu- 
sique. A  la  même  époque  il  fournissait  au  Magasin  Pitto- 
resque des  articles  rentrant  dans  la  même  spécialité.  Quand, 
en  1834,  Fétis  chercha  des  collaborateurs  pour  sa  Gazette 
Musicale,  le  critique  nomade  porta  ses  pas  vers  la  nouvelle 
administration  ;  et  lorsqu'en  janvier  1838  la  France  Mu- 
sicale s'éleva  pour  lui  faire  concurrence ,  il  cessa  de  parti- 
ciper à  la  rédaction  de  la  première  pour  aller  s'établir  dans 
la  seconde,  car  nous  ne  comptons  pas  pour  une  infidélité 
réelle  sa  petite  excursion  dans  la  Galerie  des  Artistes  dra- 
matiques de  Paris,  en  1840.  Notre  Dictionnaire  de  la 
Conversation  lui  doit  une  foule  d'articles  sur  la  musique  et 
sur  les  musiciens. 

M.  Castil-Blaze  a  encore  en  portefeuille  une  Anne  de 
Boulen,  en  trois  actes ,  d'après  le  drame  de  Romani ,  mu- 
sique de  Donizetti,  et  trois  autres  ouvrages,  arrangés  d'a- 
près le  même  procédé,  la  Flûte  enchantée,  le  Mariage 
secret  et  Moïse.  11  s'est  fait  connaître  comme  compositeur 
original  par  quelques  morceaux  de  musique  religieuse,  des 
quatuors  de  violon,  et  un  recueil  de  douze  romances,  parmi 
lesquelles  on  remarque  le  Chant  des  Thermopyles  et  la 
jolie  Chanson  du  roi  René. 

BLAZE  (Henki),  ait  de  Bury,  fils  du  précédent,  littérateur 
singulièrement  vaporeux,  né  à  Cavaillon,  en  1816,  vint  à  Pa- 
ris lorsqu'on  1819  sa  famille  y  transporta  ses  pénates.  Il  n'a 
publié  que  trois  ou  quatre  volumes  ;  le  reste  de  ses  écrits  est 
éparpillé  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes,  dans  la  Revue 
de  Paris  et  dans  d'autres  recueils.  Il  avait  commencé  par 
écrire  sur  la  musique  sous  le  pseudonyme  de  Hans  Wer- 
7ier.  Admirateur  passionné  de  Gœlhe,  il  lit  plusieurs 
voyages  en  Allemagne.  En  1840  il  a  donné  au  théâtre,  avec 
M.  Emile  Deschamps ,  un  opéra  de  Don  Juan,  qui  n'est 


BLE 


287 


autre  que  celui  de  son  père  refait  de  fond  en  comble.  En 
1841,  dans  un  volume  portant  le  titre  prétentieux  de  la 
Pléiade,  on  a  imprimé  de  lui  Rosemonde ,  légende.  M.  Bu- 
loz,  directeur  de  la  Revue  des  D&uj;  Mondes,  a  épousé 
une  sœur  de  M.  Henri  Blaze. 

BLAZE  (Elzéar)  ,  frère  de  Castil-Blaze  et  oncle  du  pré- 
cédent, l'un  des  théreuticographes  les  plus  distingués  de  ce 
siècle,  ancien  capitaine  de  l'Empire  et  des  premières  an- 
nées de  la  Restauration,  né  à  Cavaillon,  vers  1786,  s'enrôla 
vers  1804,  dans  les  vélites  de  la  garde  impériale,  entra  à 
l'école  militaire  de  Fontainebleau,  et  en  sortit  en  1806 
comme  sous-lieutenant  d'infanterie.  Devenu  officier  d'état- 
major,  il  fit  les  campagnes  d'Allemagne,  de  Pologne  et  d'Es- 
pagne. Capitaine  en  1814,  il  fut  conservé  par  les  Bombons 
et  admis  dans  le  6^  de  ligne,  qui  était  en  garnison  à 
Avignon  lors  du  retour  de  l'empereur  de  l'ile  d'Elbe.  Ce 
régiment,  après  avoir  hésité  ,  s'était  rallié  aux  aigles  impé- 
riales ;  M.  Elzéar  disparut,  et  l'on  présuma  qu'il  était  allé  re- 
trouver Louis  XVIII  à  Gand.  Ce  qui  confirma  ce  bruit,  c'est 
qu'à  la  seconde  Restauration  il  fut,  dès  la  formation  de 
la  garde  royale,  nommé  capitaine  dans  le  1"  régiment. 

Ce  corps  en  novembre  1818  était  en  garnison  à  Valen- 
ciennes  lors  de  l'évacuation  du  territoire  français  par  les 
troupes  étrangères.  La  ville  donna  une  brillante  fête  à  la 
garnison,  et  iM.  Elzéar  s'y  fit  remarquer  parson  esprit,  sa  voix 
et  de  délicieux  couplets  de  circonstance ,  qui  lui  valurent 
un  duel  avec  un  noble  comte ,  capitaine  dans  son  régiment, 
mais  aussi  par  compensation  la  main  d'une  riche  veuve. 
Il  donna  alors  sa  démission,  et  alla  habiter  les  propriétés  de 
sa  femme  à  Chenevières-sur-I\Iarne ,  dont  il  a  été  longtemps 
maire.  Là  il  put  se  fivrer  à  une  passion  qu'il  a  toujours  eue, 
celle  de  la  chasse ,  et  préparer  des  ouvrages  que  le  public 
devait  plus  tard  accueillir  avec  faveur.  En  1834  il  fit  pa- 
raître la  Loterie  royale  dans  le  Livre  des  Cent-et-un,  et 
deux  ans  après,  son  premier  ouvrage  sur  la  chasse,  le 
Chasseur  au  chien  d'arrêt,  qui  a  eu  cinq  éditions.  En 
1836  il  prit  part  à  la  rédaction  à\x  Journal  des  Chasseurs, 
créé  par  Léon  Bertrand ,  et  fonda  lui-même  un  recueil  pé- 
riodique avec  Guyot  et  Debacq,  intitulé  l'Album  des  Théâ- 
tres. En  1837  parurent  ses  deux  volumes  de  la  Vie  mili- 
taire sous  l'Empire.  A  ces  publications  ont  succédé  le 
Livre  du  roi  Modus,  le  Chasseur  aux  filets,  VAlmanach 
des  Chasseurs,  le  Chasseur  conteur,  l'Histoire  du 
Chien,  etc.,  etc. 

En  1840  il  perdit  sa  première  femme,  âgée  de  soixante- 
seize  ans,  et  en  épousa  une  autre,  dont  l'âge  était  mieux 
assorti  au  sien.  Il  alla  se  fixer  alors  à  Hennebon;  mais  il  s'y 
ennuya,  et  revint  bientôt  à  Paris.  Il  est  mort  en  octobre  1 848. 
Il  y  eut  peu  de  grandes  chasses  en  France  où  il  ne  se  vît 
convier,  et  un  prince  allemand,  ravi  de  ses  ouvrages,  l'enga- 
gea en  1840  à  venir  chasser  dans  ses  États.  Il  possédait  ime 
riche  bibliothèque  sur  la  chasse. 

BLAZE  (Sébastien),  frère  du  précédent ,  ancien  phar- 
macien des  armées,  né  en  1785,  publia  en  1828  un  livre 
qui  eut  un  grand  succès  :  ce  sont  les  Mémoires  d'un  Apo- 
thicaire sur  la  guerre  d'Espagne  pendant  les  années 
1808  à  1814.  Il  est  mort  à  Apt(Vaucluse),  le  12  octobre  1844. 
BLE.  C'est  surtout  au  froment  que  le  nom  de  blé  s'ap- 
plique. Cependant  ce  nom  a  encore  été  donné  à  d'antres 
céréales,  qui  pour  les  botanistes  constituent  des  genres 
différents.  Les  économistes  confondent  le  blé  dans  ce  qu'ils 
appellent  communément  les  g  r  a i  n  s. 

L'agriculture  di%ise  les  blés  en  blés  d'hiver  et  blés  de 
printemps  ou  de  mars,  désignations  qui  rappellent  le 
temps  des  semailles  des  diverses  espèces.  Les  blés  d'hiver 
sont  le  froment, \&  seigle,  l'épeautre,  et  le  mélange 
appelé  méteil.  Les  blés  de  mars  sont  Vor ge,  Yavoine 
et  quelques  espèces  de  froment  qui  se  sèment  après  les  gelées. 
[Il  faut  être  pyrrhonien  outré  pour  douter  (\\i&  pain 
vienne  de  panis.  Mais  poui'  faire  du  pain  il  faut  du  blé» 


288 


BLE   -  BLÉMYES 


Les  Gaulois  avaient  du  blé  du  lemps  de  César,  où  avaient- 
ils  pris  ce  mot  blé  ?  On  prétend  que  c'est  de  bladum ,  mot 
employé  dans  la  latinité  barbare  du  moyen  âge  par  le  chance- 
lier Des  Vignes.  Mais  les  mots  latins  de  ces  siècles  barbares 
n'étaient  que  d'anciens  mots  celles  ou  tudesques  latinisés. 
iUadum  venait  donc  de  notre  blead,  et  non  pas  notre  blead 
de  bladum. 

On  serait  curieux  de  savoir  où  les  Gaulois  et  les  Teutons 
avaient  trouvé  du  blé  pour  le  semer.  On  vous  répond  que 
les  Tyriens  en  avaient  apporté  en  Espagne  ,  les  Espagnols 
en  Gaule  et  les  Gaulois  en  Germanie.  Et  où  les  Tyriens 
avaient-ils  pris  ce  blé?  Chez  les  Grecs  probablement,  dont 
ils  l'avaient  reçu  en  écliange  de  leur  alphabet. 

Qui  avait  fait  ce  présent  aux  Grecs  ?  C'était  autrefois  Gé- 
rés sans  doute  ;  et  quand  on  a  remonté  à  Cérès,  on  ne  peut 
guère  aller  plus  lia  ut.  Il  faut  que  Cérès  soit  descendue  ex- 
près du  ciel  pour  nous  donner  du  froment ,  du  seigle ,  de 
l'orge,  etc.  ]\Iais  comme  le  crédit  de  Cérès,  qui  donna  le  blé 
aux  Grecs,  et  celui  d'Isbeth  ou  Junon,  qui  en  gratifia  l'E- 
gypte, est  fort  déchu  aujourd'hui,  nous  restons  dans  l'in- 
certitude sur  l'origine  du  blé. 

Sanchoniaton  assure  que  Dagon  ou  Dagan,  Tua  des  pe- 
tils-fils  deThaut,  avait  en  Phénicie  l'intendance  du  blé. 
Or,  son  Thaut. est  à  peu  près  du  temps  de  noire  Jared.  11 
résulte  de  là  que  le  blé  est  fort  ancien  ,  et  qu'il  est  de  la 
môme  antiquité  que  l'herbe.  Peut-être  que  ce  Dagon  fut  le 
premier  qui  fit  du  pain,  mais  cela  n'est  pas  démontré.  Chose 
étrange!  nous  savons  positivement  que  nous  avons  l'obli- 
gation du  vin  à  Noé,  et  nous  ne  savons  pas  à  qui  nous 
devons  le  pain...! 

Un  juif  m'a  assuré  que  le  blé  venait  de  lui-même  en  Mé- 
sopotamie ,  comme  les  pommes ,  les  poires  sauvages ,  les 
chûtaigniers,  les  nèfles ,  dans  l'Occident.  Je  le  veux  croire 
jusqu'à  ce  que  je  sois  sûr  du  contraire,  car  enfin  il  faut 
bien  que  le  blé  croisse  quelque  part.  Il  est  devenu  la  nour- 
riture ordinaire  et  indispensable  dans  les  plus  beaux  cli- 
mats, et  dans  tout  le  Nord. 

On  prétend  que  les  Éthiopiens  se  moquaient  des  Égyptiens 
qui  vivaient  de  pain.  iMais  enfin,  puisque  c'est  notre  nour- 
riture principale,  le  blé  est  devenu  un  des  plus  grands  ob- 
jets du  commerce  et  de  la  politique.  On  a  tant  écrit  sur 
cette  matière  que  si  un  laboureur  semait  autant  de  blé  pe- 
sant que  nous  avons  de  volumes  sur  cette  denrée,  il  pour- 
rait espérer  la  plus  ample  récolte,  et  devenir  plus  riche 
que  ceux  qui,  dans  leurs  salons  vernis  et  dorés,  ignorent 
l'excès  de  sa  peine  et  de  sa  misère. 

On  dit  proverbialement  :  «  Manger  son  blé  en  herbe;  être 
pris  comme  dans  un  blé;  crier  famine  sur  un  tas  de  blé.  » 
Mais  de  tous  les  proverbes  que  cette  production  de  la  na- 
ture et  de  nos  soins  a  fournis,  il  n'en  est  point  qui  mérite 
plus  l'attention  des  législateurs  que  celui-ci  :  «  Ne  nous 
remets  pas  au  gland  quand  nous  avons  du  blé.  »  Cela  si- 
gnifie une  infinité  de  bonnes  choses,  comme,  par  exemple  : 
Ne  nous  gouverne  pas  comme  on  gouvernait  du  temps  d'AI- 
boin,  de  Gondebald  ,  de  Chlodewig.  Ne  parle  plus  des  lois 
de  Dagobert.  Ne  nous  cite  plus  les  miracles  de  saint  Ama- 
ble.  Distingue  toujours  les  bonnéles  gens  qui  pensent,  de  la 
populace  qui  n'est  pas  faite  pour  penser.  Affaiblis  peu  à 
peu  toutes  les  superstitions  anciennes,  et  n'en  infroduis  au- 
cune nouvelle.  Les  lois  doivent  être  pour  fout  le  monde; 
mais  laisse  chacun  suivre  ou  rejeter  à  son  gré  ce  qui  ne  peut 
être  fondé  que  sur  un  usage  indifférent.  Si  les  imbéciles 
veulent  encore  du  gland,  laisse-les  en  manger;  mais  trouve 
bon  qu'on  leur  présente  du  pain.  En  un  mot,  ce  proverbe 
est  excellent  en  mille  occasions.  VoLTArnE.  ] 

BLE  (Chambre  à  ).  Elle  doit  être  placée  dans  la  maison 
fermière,  et  plutôt  planchéyée  que  carrelée,  avec  des  fe- 
nOtres  au  nord  et  au  midi  que  l'on  puisse  ouvrir  et  fermer 
à  volonté. 

On  ne  doit  «ioiinor  au  blé  en  couche  dans  la  chambre 


que  30  à  50  centimètres  d'épaisseur,  et  l'oi  doit  le  cribler 
continuellement.  On  le  rafraîchit  ainsi  par  l'air  nouveau  qui 
dissout  et  emporte  une  partie  de  l'humidité.  Jl  ne  faut  pas 
que  la  main  introduite  dans  le  tas  éprouve  de  la  chaleur. 
Il  faut  passer  le  blé  à  la  pelle  tous  les  jours  en  été  et  le 
cribler  tous  les  deux  uiois.  Il  faut  que  l'hiver  ail  passé  sur 
le  blé  avant  de  le  consommer.  La  plupart  des  maladies  pro- 
viennent d'un  blé  trop  nouveau.  Le  blé  humide  se  comprime 
au  moulin  au  lieu  de  se  moudre,  il  reste  attaché  aux  meules 
et  rend  peu  de  farine.  Dès  que  le  blé  est  coupé  et  réuni  en 
gerbes ,  il  faut  le  laisser  plus  ou  moins  longtemps  sur  le 
champ,  afin  qu'il  perde  son  humidité  superflue.  Il  faut  at- 
tendre le  ressuiement,  et  que  le  blé  ait  jeté  son  feu.  Il  de- 
vient alors  plus  piopre  à  être  gardé  au  grenier.  Quand  on 
a  battu,  vanné  et  criblé  le  blé,  on  le  remet  dans  la  petite 
paille,  chaque  grain  se  trouve  alors  recouvert  d'une  matière 
sèche  et  lisse  qui  ne  s'humecte  pas  à  l'air. 

Pour  le  préserver  des  charançons,  il  faudrait  tenir  la 
température  de  la  chambre  à  blé  au-dessous  de  dix  degrés  ; 
ce  n'est  qu'à  cette  chaleur  que  les  charançons  se  forment. 
Quelques  agriculteurs,  qui  donnent  peut-être  dans  le  ro- 
mantisme, prétendent  que  la  bergeronnette  qui  se  nour- 
rit d'insectes  à  deux  ailes ,  comme  tipule ,  cousin ,  mou- 
che, etc.,  est  essentiellement  destructrice  des  charançons  à 
mesure  qu'ils  se  forment,  et  ils  proposent  d'entretenir  plu- 
sieurs nids  de  celle  espèce  de  fauvettes  dans  les  greniers 
à  blé.  Comte  Français  (  de  Nantes  ). 

BLÉ  D'ESPAGIVE,  DE  TURQUIE,  D'INDE.  V.  Mais 

BLÉ  MOUCHETÉ.  Voyez  Carie. 

BLE  DE  VACHE.  Voyez  Mélabipyre. 

BLÉ  JVOIR.  Voijez  Sakrazin. 

BLEGIVE,  genre  de  plantes  cryptogames ,  composé  de 
fougères  à  feuilles  allongées,  une  seule  fois  pinnatifides,  nais- 
sant d'une  tige  ordinairement  rampante  ou  à  peine  redres- 
sée. Les  diverses  espèces  de  biègnes  appartienMent  à  des 
régions  très-différentes ,  mais  plus  spécialement  a  la  zone 
équatoriale. 

BLEICUART  ou  BLEICHERT,  nom  d'une  excellente 
sorte  de  vin  du  Rhin,  l'Ahrwein  ou  vin  del'Ahr,  que  l'on 
récolte  dans  la  vallée  de  l'Abr,  entre  Andernach  et  Ronn, 
sur  la  rive  gauche  du  Rhin.  C'est  un  vin  paillct ,  dont  les 
qualités  ordinaires  ont  un  goût  de  terroir.  Les  meilleurs 
crus  sont  ceux  d'Ahrweiler  et  d'Alternaar. 

BLEIME,  meurtrissure  ou  rougeur  qui  survient  quel- 
quefois à  la  sole  ou  au  talon  du  cheval ,  et  qui  est  suivie 
d'épanchement  de  sang  ou  de  formation  de  pus.  On  en  dis- 
tingue deux  espèces,  l'une  naturelle  et  spontanée,  l'autre 
accidentelle. 

La  bleime  naturelle  et  spontanée  se  montre  sous  des  for- 
mes diverses,qui  se  rapportent  à  cinq  variétés,  dont  la  première 
prend  le  nom  de  bleime  sèche,  et  les  quatre  autres  se  réu- 
nissent sous  rapj)eIlation  commune  de  bleime  encornée. 

La  bleime  accidentelle  est  produite  par  un  défaut  de  la 
ferrure,  soit  que  les  talons  bas  portent  sur  le  fer  et  en  soient 
meurtris,  soit  qu'un  caillou  s'introduise  entre l'éponjie du 
fer  et  le  talon. 

BLEKIIVG.  C'est  une  des  provinces  les  plus  agréables 
de  laSuède,  avec  ses  îles  pittoresques  et  le  caractère  de  sa 
nature ,  moins  sévère  là  que  partout  ailleurs.  Ses  bois  s'a- 
niment sans  cesse  du  chant  du  rossignol.  Les  habitants  sont 
d'une  belle  race,  et  les  femmes  renommées  dans  toute  la 
Suède  pour  leurs  charmes.  Le  chef-lieu  de  la  province  de 
Bleking  est  Carlscrone,  station  de  la  grande  flotte,  dé- 
fendue par  deux  énormes  rochers  qui  commandent  le  pas- 
sage et  sont  garnis  de  balteiies  formidables ,  dont  les  feux 
secroisent.  Carlsliamn,  ville  commerçante,  aeuunegranda 
impo)  tance  pendant  le  système  continental  ;  Soelfvitsborg\ 
el  Ronnebij  ne  sont  que  des  villages. 

BLÉMYES  ou  BLEMMVES,  ancien  peuple  de  l'É- 
Ihioiiic,  sur  lequel  on  a  fait  plusieurs  contes,  el  dont  on  a  j 


BLÉMYES  —  BLElNNORRHAGIE 


?8y 


dit  entre  autres  qu'ils  étaient  sans  t(He  et  qu'ils  avaient  les 
yeux  et  la  bouche  placés  sur  la  poitrine.  Quelques  auteurs 
ont  trouvé  la  raison  de  cette  fable  dans  l'habitude  qu'ils 
avaient  de  s'enfoncer  la  tête  entre  les  deux  épaules,  qu'ils 
élevaient  beaucoup,  et  Cochard  prétend  que  leur  nom  vient 
dedeux  mots  hébreux,  dont  l'un  signifie  7îé(;fl^Jon,pj-ir«<20?!, 
et  l'autre  cerveau  ;  d'où  il  croit  pouvoir  tirer  la  conclusion 
rigoureuse  que  les  Blémyes  étaient  au  moral  des  gens 
sans  cervelle  et  sans  tête.  Ce  qu'il  y  a  de  certain ,  c'est  qu'ils 
habitaient  les  déserts  voisins  des  frontières  de  l'Egypte,  et 
qu'ils  commencèrent  à  se  faire  remarquer  pendant  le  troi- 
sième siècle  de  l'empire.  Ils  servaient  en  Egypte  le  tyran 
Firmus;  et  Aurélien,  après  les  avoir  vaincus,  les  fit  pa- 
raître à  son  triomi)he.  Sous  Probus  ils  se  répandirent  dans 
riigypte  méridionale,  et  prirent  Coptos  et  Ptolémaide;raais 
ils  furent  domptés  par  Florus ,  lieutenant  de  l'empereur 
Marcien,  l'an  de  J.-C.  450.  Edme  Héueau. 

BLENDE,  minerai,  autrement  appelé  sulfure  de  zinc; 
substance  de  couleur  jaune  ou  brune,  très-éclatante ,  tendre 
et  lamelleuse,  remarifiiable  par  son  clivage  sextuple,  qui 
donne  pour  noyau  un  dodécaèdre  rhornboidal  ;  elle  accom- 
pagne presque  constanmient  la  galène  dans  les  minesi 
de  plomb. 

BLEIVHEIM  ou  DLINDSHEIM ,  village  du  bailliage 
d'IIochstaedt,  dans  le  cercle  bavarois  de  Souabe  et  de  Neii- 
bourg,  qui  est  demeuré  célèbre  dans  l'histoire  par  la  victoire 
que  le  duc  de  Marlborough  y  remporta  le  13  août  I7o4 
sur  l'armée  française ,  dans  la  gnene  de  la  succession  d'Es- 
pagne. Les  drapeaux  français  pris  dans  cette  journée ,  et 
qui  étaient  demeurés  suspendus  dans  l'église  de  l'endroit, 
en  commémoration  du  triomphe  des  armées  alliées,  furent 
rapportés  à  Paris  en  1805  {voyez  l'article  HocnsT^Dx  [  Ba- 
taille d']).  La  reine  et  le  parlement,  pour  témoigner  leur  gra- 
titude au  duc  de  Jlarlborough ,  lui  firent  présent  d'un  riciie 
domaine  dans  le  comté  d'Oxford  ,  dont  on  changea  le  nom, 
ainsi  que  celui  du  bourg  voisin,  en  celui  de  Blenhcimiiouse. 
BLENKER  (Louis),  révolutionnaire  badois,  né  vers 
1815.  Après  avoir  porté  les  armes  en  Grèce,  Blenker  éta- 
blit un  commerce  de  vin  à  Worms  ;  mais  il  fit  faillite.  Élu 
colonel  de  la  garde  bourgeoise  de  Worms ,  à  la  suite  des 
événements  de  1848,  il  prit  une  part  active,  l'année  suivante, 
à  la  révolution  du  pays  de  Bade.  A  la  tète  d'un  corps  de 
volontaires  de  la  Hcsse  rhénane  et  du  Palatinat,  il  s'empara, 
le  10  mai,  de  Ludwigshalen,  fit  prisonniers  quelques  offi- 
ciers bavarois ,  et  admit  dans  sa  troupe  ceux  de  leurs  sol- 
dats qui  voulurent  s'engager  sous  ses  drapeaux.  Le  17  mai 
il  se  rendit  maître  de  Worms,  dégarnie  de  troupes  ;  mais,  me- 
nacé sur  son  flanc,  il  l'abandonna  bientôt.  Dans  la  nuit  du 
19  au  20  mai ,  il  dirigea  contre  Landau  une  attaque  fort 
mal  préparw,  et  échoua.  Après  une  seconde  expédition  contre 
Worms,  le  25  mai,  il  retourna  dans  le  Palatinat,  laissant  dans 
cette  ville  une  garnison  d'environ  trois  cents  hommes,  qui  en 
furent  chassés  le  lendemain  par  les  troupes  hessoises.  Lors- 
que les  Prussiens  entrèrent  dans  le  Palatinat,  il  leur  livra 
un  combat  d'avant-postes  près  de  Bobeuheim  ;  et  après  l'é- 
vacuation de  cette  contrée,  il  prit  part  à  la  lutte  qui  se  con- 
tinua dans  le  pays  de  Bade.  Le  Polonais  Twinski  s'étant 
retiré  à  Strasbourg  avant  le  combat  de  Waghseusel,  Blenker 
prit  le  commandement  supérieur  de  toute  la  milice  du  Pala- 
tinat destinée  à  couvrir  Carlsruhe  et  à  protéger  la  retraite 
de  Mieroslawski.  Peu  de  jours  avant  l'affaire  de  Dur- 
lach,  il  fut  chargé  de  la  défense  de  Mùhlburg  et  de  Knie- 
lingen,  par  Becker,  qui,  outre  le  commandement  de  la  cin- 
quième division,  avait  reçu  celui  des  troupes  palatines  du 
général  Sznaida.  Cepondant  il  se  retira  sans  en  venir  aux 
mains.  Au  combat  sur  la  Murg,  il  défendit  l'importante 
position  de  Gernsbach  avec  trois  faibles  bataillons  de  mi- 
lice et  deux  pièces  de  canon.  Chassé  de  ce  poste,  il  se  re- 
plia sur  Sinsheim,  sans  essayer  de  défendre  les  positions 
d'Lbcrsteinhurg,  de  Baden-Baden  ou  d'Oos,  qui  couvraient 

BICr.     Dr.    I.A    CONVEItS.    —   T.    III. 


les  derrières  des  insurgés.  Sigel  ayant  repris  le  commande- 
ment en  chef  après  l'éloignement  de  Mieroslawski,  Blenker 
suivit  à  Donaueschingen  les  débris  de  l'armée  insurgée  ; 
mais,  par  ordre  de  quelques  membres  du  gouvernement 
provisoire,  il  dut  se  retirer  aussitôt  en  Suisse  avec  sa  troupe, 
Expulsé  en  septembre  1849 ,  il  s'embarqua  avec  sa  femme 
pour  les  États-Unis.  En  plusieurs  circonstances  Blenker  a 
fait  preuve  de  courage  personnel  ;  mais  il  manquait  des  qua- 
lités nécessaires  à  un  chef  militaire. 

BLENIVIE  on  BAVEUSE,  genre  de  poissons  «le  l'ordre 
des  acanthoptérygiens  et  de  la  famille  des  gobioïdes.  On  les 
nomme  ainsi  à  cause  de  la  mucosité  qui  couvre  leur  corps. 
Il  y  en  a  un  très-grand  nombre  d'espèces,  mais  ils  sont  trop 
petits  pour  servir  d'aliment.  Ils  vivent  en  petites  troupes  le 
long  des  rivages  de  la  mer.  Les  yeux  des  blennies  sont  placés 
de  chaque  côté  de  la  tête,  et  non  à  la  face  supérieure  ;  leurs 
ventrales  ont  deux  rayons  ;  leur  corps  est  aplati  de  haut  en 
bas,  et  ils  n'ont  qu'une  seule  dorsale. 

BLEI\i\ORRÎIAGIE,  BLOXORRHÉE  (de  pXtwa, 
miicus ,  et  6-'(o ,  je  coule  ).  La  blcitnnrrhagie  a  été  ainsi  ap- 
pelée par  Swêdiaur,  qui  substitua  avec  raison  ce  nom  à  celui 
degonorrhce  (de  yovo;,  semence),  employé  jusque  alors. 
C'est  une  affection  aiguë,  caractérisée  par  un  écoulement 
nmqueux  ou  puriforme  des  parties  sexuelles,  écoulement 
qui  résulte  le  plus  souvent  d'un  contact  intime  avec  un  in- 
dividu déjà  atteint  d'une  affection  analogue.  Cependant  il  est 
des  écoulements  blennorrhagiques  qui  semblent  tout  à  fait 
spontanés,  et  qui  se  dt'clarentsans  qu'aucune  cause  irritante 
ait  manifestement  agi  sur  l'urètre.  Ces  écoulements  se  lient 
alors  à  un  état  général ,  et  sont  sympathiques  de  la  souf- 
france d'un  organe  plus  ou  moins  éloigné.  C'est  ainsi  qu'on 
a  vu  l'urètre  devenii'  tout  à  coup  le  siège  d'un  flux  muqueux 
ou  puriforme  pendant  le  travail  de  la  dentition,  et  plus 
souvent  chez  les  adultes  affectés  de  rhumatisme,  de  goutte, 
de  dyssenterie,  ou  qui  présentent  des  signes  d'inflammation 
de  quelque  autre  membrane  muqueuse.  Ces  sortes  de  blen- 
norrhagies  catarrhales  ont  régné  quelquefois  épidémique- 
ment.  D'autres  fois,  la  blennorrhagie  reconnaît  une  cau.se 
toute  mécanique  :  l'introduction  répétée  de  sondes,  de 
bougies,  la  masturbation,  etc.  L'ingestion  de  certaines  sub- 
stances peut  produire  le  même  effet  chez  des  individus  pré- 
disposés :  ainsi  il  paraît  constant  que  des  hommes  ont  eu 
des  blennorrhagies  pour  avoir  bu  en  abondance  certaines 
espèces  de  bières.  Toutefois  les  faits  de  ce  genre  sont  ex- 
cessivement rares,  et  la  presque  totalité  des  blennorrhagies 
sont  contractées  dans  des  rapports  sexuels  impurs. 

Tout  le  monde  comprendra  combien  il  serait  important 
de  pouvoir  distinguer  la  nature  des  divers  écoulements.  Mai.s 
ce  diagnostic  différentiel  est  reconnu  à  peu  près  impossible 
par  les  hommes  les  plus  expérimentés.  Les  caractères  dis- 
tinctifs  que  quelques  personnes  ont  cru  trouver  dans  la  cou- 
leur, la  consistance  et  l'abondance  de  l'écoulement ,  dans  l» 
douleur  plus  ou  moins  vive  qui  accompagne  l'émission  des 
urines,  dans  la  marche  de  la  maladie,  dans  le  temps  plus 
ou  moins  long  qui  s'écoule  entre  l'action  qui  l'a  engendrée  et 
la  manifestation  de  la  blennorrhagie,  n'ont  point  la  valeur 
qu'on  leur  attribue.  On  devra  toutefois  se  méfier  des  blen- 
norrhagies qui  ne  débutent  qu'après  plusieurs  jours  d'incu- 
bation ,  qui  .suivent  pendant  quelque  temps  une  marclic 
progressivement  ascendante  et  s'accompagnent  d'inflamma- 
tion assez  intense.  On  se  méfiera  également  de  celles  qui  se 
compliquent  d'accidents  étrangers  à  la  blennorrhagie  simple. 
Mais  il  n'y  a  dans  la  réunion  de  toutes  ces  circonstances 
rien  qui  puisse  caractériser  une  blennorrhagie  d'origine  vé- 
nérienne. 

Le  traitement  de  la  blennorrhagie  varie  suivant  le  tempé- 
rament et  l'état  du  malade.  Le  pins  efficace  des  antibien- 
nonhagiques  est  sans  contredit  le  copah  u ,  auquel  on  unit 
souvent  le  cubèbe.  Les  injections  d'acétate  de  plomb,  de 
.sulfate  do  zinc,  de  nitrate  d'argent,  etc.,  sont  égalcmeul 

37 


2;)0 

cmploy/'es  avec  sucras.  Kn  certains  cas,  les  antiplilogistiqiies 
sont  prescrits,  et  dans  tous  le  malade  doit  suivre  un  r(''gimc 
sévère.  Lorsqu'on  se  trouve  atteint  de  cette  maladie,  qui, 
(^tant  néglig(''e,  pei:t  donner  naissance  aux  accidents  les  plus 
fâcheux,  en  supposant  niômc  qu'elle  ne  puisse  pas  dégf-nérer 
en  affection  syjiliililique,  la  prudence  conseille  d'avoir  im- 
médiatemrnt  recours  aux  soins  d'un  praticien  éclairé. 

La  bleiinorr/ice  n'est  autre  cliose  que  la  blennorrliagie 
clu-oniqne;  elle  peut  être  primitive ,  mais  presque  toujours 
elle  succède  à  l'état  aigu.  Cette  affection  est  sérieuse,  et  ne 
doit  jamais  être  négligée.  Il  est  fAclieux  que  la  plupart  des 
malades  regardent  comme  à  peu  près  insignifiants  les  suinte- 
ments qui  constituent  la  blennorrliée.  Cette  sécurité  a  sou- 
vent de  déplorables  résultats;  car  ces  simples  suintements, 
ces  gouttes,  conservent  parfois  le  caractère  contagieux  pen- 
dant des  années  entières,  et  il  est  fréquent  de  voir  des  in- 
dividus qui  en  sont  atteints  perpétuer  l'infection  dans  leur 
(amille.  Il  est  impossible  de  lixer  une  époque  où  les  écoule- 
ments cessent  d'être  contagieux.  On  ne  peut  pas  toujours  se 
fier  aux  qualités  des  liquides;  car  on  voit  quelquefois  un 
suintement  muqueux,  transparent,  liquide,  fdant,  glai- 
reux, avoir  des  propriétés  contagieuses  comme  celui  qui 
est  laiteux  et  purident. 

BLÉPIIAUITE  (de  pxéçapov,  paupière),  inflammation 
des  paupières ,  qui  peut  être  occasionnée  par  l'impression 
brusque  du  froid,  la  suppression  de  la  transpiration  cutanée, 
des  piqi'ires  d'abeille  ou  d'autres  insectes,  des  contusions, 
dos  érisypèles  de  la  face  ou  du  derme  chevelu ,  etc.,  causes 
auxquelles  il  faut  encore  ajouter  les  scrofules,  les  rbuma- 
tisiiies  et  la  syphilis. 

Chez  le  sujet  atteint  de  bk"i>harite,  les  paupières  sont 
gonflées,  luisantes  ,  le  globe  de  l'aiil  est  tout  à  fait  recou- 
vert, la  paupière  supérieure  ne  peut  se  soulever;  en  écar- 
tant linférieure,  le  globe  de  l'œil  est  reconnu  sain,  mais 
larmoyant.  La  tuméfaction  œdémateuse  des  paupières  est 
d'une  coloration  variant  du  rouge  pAle  au  rouge  écarlale 
et  livide;  elle  disparaît  sous  la  pression  du  doigt,  comme 
cela  arrive  partout  où  il  y  a  un  érysipèle  simple;  le  malade 
éprouve  une  sensation  de  chaleur  gradative,  et  qui  devient 
lancinante  au  toucher.  Des  phlyctènes  se  forment,  se  crè- 
vent, laissent  écouler  un  liquide  séreux,  limpide  ou  lactes- 
cent. La  caroncule  lacrymale,  les  points  lacrymaux,  la 
conjonctive,  prennent  part  à  l'inflammation  ;  on  voit  se  dé- 
velopper au  devant  du  sac  lacrymal,  dans  le  tissu  cellulaire 
fjui  le  recouvre ,  une  tumeur  qui  ne  communique  point  avec 
ce  conduit,  et  qu'on  peut  inciser  sans  donner  lieu  à  une 
lislide  lacrymale,  en  prenant  toutefois  les  précautions  né- 
cessaires pour  éviter  de  parvenir  jusqu'au  sac. 

Les  évacuations  sanguines  génorales  et  locales,  en  rapport 
avec  la  force  du  sujet  et  l'intensité  phleginasique ,  les  pédi- 
liives  irritants,  les  boi.ssons  délayantes  et  laxatives,  la 
diète,  constituent  la  base  du  traitement  de  la  bicpharile. 
liCs  applications  de  sangsues  doivent  être  faites  aux  tempes, 
à  la  joue,  derrière  les  oreilles,  mais  jamais  aux  paupières, 
dont  le  tissu  trop  relâché  donnerait  heu  à  une  augmen- 
tation de  l'épanchcment  et  à  des  ulcérations  succédant  aux 
morsures  des  .sangsues.  Les  cataplasmes  de  fécule  de  pomme 
de  terre,  de  farine  de  graine  de  lin  ,  etc.,  ne  doivent  jamais 
être  continués  longtemps;  ils  seront  h  la  fin  rem|)lacés  par 
des  applications  astringenles,  résolutives,  à  mesure  que  les 
douleurs ,  la  tension  et  la  chaleur  diminuent. 

Une  violente  inflammation  des  paupières  amène  souvent 
des  abcAs,  surtout  à  la  paupière  supérieure.  Ces  abcès  doi- 
vent toujours  être  ouverts  de  bonne  heure ,  par  une  simple 
ponction  avec  la  lancette. 

L'existence  de  plaques  gangreneuses  ne  doit  pas  faire  re- 

jctiv  les  antiphlogisliques;  mais  cette  grave  complication 

exige  qu'on  les  combine  avec  les  préparations  de  quinquina. 

IILESITE.  On  donne  le  nom  de  blésite  à  ce  vice  de  la 

piuoli;  par  lequel  sont  radoucis  à  conlre-tomps  certains  mots 


BLE.NNORRHAGIE  —  BLESSE 


que  l'5,  le^"  et  le  g  concourent  à  former.  Cest,  an  reste,  |-i 
manière  de  parler  des  peuples  méridionaux,  Espagnols,  lt.> 
liens.  Portugais  ou  Brésiliens,  (pii  iinnrgrent  chez  nous.  L«» 
personnes  dont  nous  parlons  prononcent  z'a'nne,  Zulie,  ;d- 
ranium ,  Zalomon.  Cette  piononciation  vicieuse  est  par- 
ticulièrement familière  aux  jeunes  enfants ,  dont  les  nuis- 
cles  ont  encore  trop  peu  d'énergie  pour  faire  vibrer  l'air 
entre  la  langue  et  le  palais.  Il  n'est  pas  non  plus  très-rar»* 
de  rencontrer  des  femmes  délicates,  et  ce  qu'on  appelait  du 
temps  de  Condé  des  petites -maîtresses  (  par  analogie  aux 
pel  Us-mai  très  qui  entouraient  ce  grand  homme  à  son  glo- 
lieux  retour  de  Rocroi),  conserver  cette  prononciation  en- 
fantine, soit  dans  la  crainte  de  déformer  une  jolie  bouche , 
soit  pour  mieux  jouer  la  faiblesse  et  l'ingénuité.  C'est  un 
défaut  que  les  précieuses  de  Molière  et  les  dbbés  de  IJour- 
saiilt  et  de  Sédaine  ont  accablé  de  ridicule,  sans  le  corriger 
entièrement.  Il  était  assez  commun  dans  les  commence- 
monts  du  règne  effectif  de  Louis  XIV,  moins  cependant 
que  sous  les  ministères  de  Richelieu  et  de  Mazarin.  On 
avait  alors  la  fureur  de  la  poésie  et  des  romans  espagnols , 
tendance  littéraire  que  la  jeune  reine,  épouse  de  Louis  XIV, 
ne  lit  (pi'accroître  :  c'est  à  cette  épocpie  que  parurent  et  le 
Cul  de  Corneille  et  la  Zaïde  de  madame  de  Lafayette.  De 
l'espagnol  on  passa  bientôt  à  l'ittilien ,  que  Catlierine  de 
Médicis  avait  déjà  en  d'autres  temps  mis  à  la  mode  :  on 
citait  l'Arioste,  on  admirait  le  Ta.sse,  malgré  le  courroux 
de  Boileau  ;  et,  tout  en  enrichissant  notre  idiome,  ces  nou- 
velles études  corrompaient  le  langage  de  quelques  beaux  es- 
prits contemporains.  Alademoiselle  de  Scudéri,  ainsi  que 
Ménage  et  Pélisson,  prononçait  le  française!  l'italien  comme 
Boccace  et  Guarini  auraient  pu  faire.  Cette  petite  mademoi- 
selle Duplessis,  dont  madame  de  Sévigné ,  qu'elle  ennuyait, 
se  moquait  si  agréablement  aux  Roc/iers,  avait  aussi  cette 
manie,  qui  heureusement  a  presque  disparu  de  nos  jours. 
C'est  maintenant  vers  l'Angleterre  que  nous  inclinons,  et 
notre  prononciation  s'en  ressent  déjà.  Remarquons,  au  reste, 
que  les  n^èmes  personnes  qui  substituent  le  s  au  jr  et  au 
j  ont  souvent  le  défaut  de  mettre  des  /  où  il  faudrait  des  r, 
et  de  ne  point  prononcer  Y  h  de  certains  mots  :  elles  disent 
décire  pour  déchire,  et  Sarles  pour  Charles.  Voyez  Jota 
cisME  et  L\i.i.ATi()N.  D""  Isidore  Bourdon. 

BLÉSOIS.  Voyez  BtAtsois. 

BLESSÉ,  n^ot  qui, suivant  Voltaire,  serait  dérivéde  l'ao- 
riste du  verbe  grec  ^XânTO),  origine  au  moins  douteuse.  Au 
quinzième  siècle  ou  écrivait  blécé,  comme  le  témoigne  Bon- 
nor,  en  1431.  Dans  les  siècles  un  peu  plus  anciens  du  moyea 
âge,  on  ne  se  servait,  au  lieu  de  ces  termes ,  que  des  e\- 
press\ons7néhaig>ié, navré.  Les  bouges,  les  coutelas,  les 
mails,  les  masses,  ont  en  jadis  pour  principale  destinatioa 
le  massacre  des  blessés;  cela  s'appelait  les  achever.  Le  mot 
blessé  donne  quelquefois  l'idée  d'éclopé,  mais  il  s'applique 
plus  communément  aux  militaires  blessés  les  jours  d'action; 
il  désigne  aussi  quelquefois,  en  langage  d'hôpital,  des  mili- 
taires auxquels  un  événement,  quel  qu'il  soit,  a  occasionmi 
une  blessure,  ou  bien  qui  sont  affectés  d'une  maladie  chirur- 
gicale spontanément  survenue. 

Le  nombre  des  blessés  à  la  guerre  se  serait  autrefois,  s» 
l'on  en  croit  Chennevièies,  qui  écrivait  en  1750,  supputé,, 
après  une  campagne  vive ,  à  raison  d'un  homme  sur  dix; 
mais  une  estimation  si  positive  n'a  jamais  été  possible. 

On  a  dirigé,  dans  le  siècle  passé,  contre  un  grand  prince, 
une  accusation  bien  grave,  mais  probablement  calomnieuse  : 
on  a  prétendu  que,  par  des  procédés  occultes  et  concertés 
avec  les  chefs  de  ses  hôpitaux  ,  il  dévouait  à  une  mort  cal- 
culée ceux  de  ses  blesses  que  la  gravité  de  l'accident  ren- 
dait à  jamais  ou  pour  longtemps  impropres  au  service.  Ce 
Iirince,  qui  suivait  le  culte  pioleslaiil ,  s'imposait  du  moin» 
des  formes  et  un  mystère  qu'avait  dédaignés  un  prince  ca- 
tholique  et  mftré.  Nous  voulons  parler  de  l'évêque  Vangalen, 
qui,  forcé  de  lever  le  siège  de  Groninguc  en  1G72,  fit  éj:'^p- 


BLESSI-:  —  HLESSINGTON 


291 


per  sous  ses  yeux  tous  les  Utesi  s  nue  sa  propre  armée  aban- 
donnait sur  le  clianip  de  bataille. 

Henri  IV  a  laissé  d'autres  souvenirs  :  depuis  son  règne, 
les  soldais  estropiés  ont  trouve  secours  et  asile.  Ils  n'étaient 
|>as  réduits,  après  leur  gnérison,  à  solliciter,  comme  on 
d'autres  milices,  la  laveur  de  mendier  par  brevet.  Henri  1\' 
a  fait  faire  un  grand  pas  à  l'adminisfrafion  militaire  en 
créant  les  ambulances.  Louis  XIV  a  institué  lliôtel  des 
Invalides.  Cet  établissement  n'a  pas  été  fermé  de  nos  jours 
aux  mutilés  (pii  ont  survécu  à  Waterloo. 

A  la  guerre,  les  premiers  secours  sont  administrés  aux 
blessés  par  le  cliirurgien-major  du  corps,  par  les  officiers  de 
santé  des  ambulances  volantes,  par  les  cliiriupens  des  am- 
bulances ordinaires.  A  cet  effet,  les  uns  et  les  autres  doivent 
être  accompagnés  de  caissons  d'ambidance,  et  pourvus  des 
appareils  nécessaires.  Les  commissaires  des  guerres  étaient 
cliarg;''s  d'y  veiller  ;  cette  fonction  de  surveillance  est  main- 
tenant confiée  aux  officiers  d'intendance. 

La  disposition  où  sont  les  soldats  d'abreuver  de  liqueurs 
spiritueuses  leurs  camarades  blessés  et  laissés  sur  le  cliamp 
de  bataille  est  cliaritable  dans  ses  motifs  et  pernicieuse  par 
ses  effets,  car  leau-de-vie  allume  en  eux  une  fièvre  sou- 
vent mortelle. 

Des  règlements  et  dilfércnts  ordres  du  jour  ont  défendu 
aux  soldats  de  (piitter  la  combat  pour  transporter  les  blessés. 
Ces!  une  pensée  sage  et  surannée,  renfermée  dans  un  ordre 
ridicule  et  barbare. 

La  formalité  des  billets  d'entrée  à  l'bôpital  étant  incom- 
patible, les  jours  d'action  ,  avec  la  promptitude  des  secours 
que  réclame  l'état  des  blessés,  ils  sont  admis  aux  bôpitaux 
sur  le  vu  de  leurs  blessures;  mais,  dans  l'intérêt  de  l'état 
civil,  non  moins  que  dans  l'intérêt  de  l'administration  des 
corps,  il  doit  être  pris  par  les  administrateurs  et  les  cbi- 
rurgiens  d'hôpitaux  toutes  les  mesures  propres  à  suppléer 
les  renseignements  qu'eût  procurés  un  billet  d'entrée,  et  à 
constater  les  noms,  le  corps,  etc.,  du  malade  entrant.  Un  cas 
de  capitulation  conclue  à  l'issue  d'un  siège ,  les  soins  que 
réclame  l'état  des  blessés,  des  jambes  de  bois,  des  estropiés, 
la  quantité  d'officiers  de  santé  et  d'infirmiers  laissés  près 
d'eux ,  le  nombre  des  chariots  couverts  destinés  au  trans- 
port des  hommes  incapables  de  marcher,  doivent  être  l'objet 
de  conventions  et  d'arrangements  soigneusement  débattus. 

Une  loi  de  lan  III  (14  fructidor)  voulait  que  les  blessés 
pniisaut  devant  les  postes  ou  sentinelles  y  reçussent  le  salut 
du  peut  d'arme.  Ce  genre  d'honneurs  n'a  pas  été  maintenu 
et  ne  pouvait  l'être,  puisqu'il  oùt  fallu,  pour  «lue  la  dispo- 
sition fi'it  raisonnable,  qu'un  signe  <listinctif  annonçât  que 
les  blessures  étaient  du  fait  de.  l'ennemi. 

Dans  plus  d'une  milice,  la  manière  d'administrer  à  la 
guerre  les  premiers  soins  aux  blessés  est  restée  une  des 
parties  les  moins  avancées  de  l'art  militaire.  A  la  bataille  de 
Francfort-sur-l'Oder,  dans  la  guêtre  de  175G,  le  major  prus- 
sien Kleist,  renversé  par  deux  blessures,  et  dépouillé  par 
les  maraudeurs,  resta  nu  sur  le  champ  de  bataille  et  s'y  dé- 
battit pendant  vingt-quatre  heures ,  au  milieu  de  quehpies 
aumônes  jetées  par  des  cosaques  que  sa  position  avait  émus 
de  pitié.  Poète  célèbre,  il  justifia  le  lendemain  ce  vers  d'une 
de  ses  odes  :  Peut-être ,  un  jour,  mourral-je  pour  la 
put  rie!  Les  universités  voisines  accoururent  relever  et  ho- 
uoier  son  cadavre. 

Le  sort  des  blessés  sur  le  champ  de  bataille ,  le  dépouil- 
lement, les  mutilations  qui  les  y  attendent,  les  insultes 
qu'ils  ont  à  redouter  des  coureurs,  les  améliorations  vaine- 
ment proposées,  ont  été  exposés  par  Colombier  (1772), 
par  Saucassini ,  et  décrits  dans  la  relation  de  la  bataille 
tl'.\iisterlitz  {Journal  des  Sciences  milllaires,  tome  XXII, 
p.  227) ,  où  aprè.s  quaiante-huit  heures  les  blessés  n'étaient 
'  pas  encore  pansés;  les  amputés  de  Smolensk,  quinze  jours 
après  l'action  n'étaient  pas  encore  tous  relevés  du  cliamp 
de  bataille.  Le  général  Philippe  de  Ségur  {'l'^  octobre  1812) 


a  peint  ce  malheureux  qui ,  privé  de  deux  cuisses  à  Boro- 
dino,  et  se  traînant  sur  un  lit  de  cadavres,  avait  vécu  de- 
puis cinquante  jours  sans  secours  d'aucune  espèce.  11  s'est 
vu  de  nos  jours  mille  événements  aussi  inouïs  que  les  faits 
rapportés  par  Feuquerolles  dans  Y  Encyclopédie  Métho- 
dique ,  mais  il  ne  s'est  jamais  tracé  de  peinture  plus  atten- 
drissante que  celle  d'un  guerrier  qui  se  réveille  nuet  aveugle 
sur  un  champ  de  bataille  abandonné  et  silencieux.  On  ne 
pourrait  y  comparer  que  le  récit  des  aventures  d'un  soldat 
(  Sy'vain  Dubois)  devenu  sourd-muet  sur  le  champ  de  ba- 
ti.îlle  de  Leipxig  :  le  récit  s'en  trouve  dans  le  Spectateur 
vtiittaire,  VI'  volume,  31'  livraison.  G*  Uardin. 

BLESSEBOIS  (Pierue-Cokneille  de),  écrivain  du  dix- 
septième  siècle  dont  les  ouvrages,  très-peu  dignes  d'estime 
à  tous  égards,  ont  acquis  auprès^  des  bibliomanes  une  valeur 
extraordinaire.  Ce  que  l'on  sait  sur  le  compte  de  ce  per- 
sonnage se  borne  à  ce  qu'il  en  dit  lui-môme.  Originaire  de 
la  Normandie,  son  inconduite  l'amena  à  se  réfugier  en  Hol- 
lande. Ch.  Nodier,  dont  la  vive  imagination  aimait  les  pa- 
radoxes, a  voulu  établir  que  Blessebois  n'avait  jamais  existé, 
si  ce  n'est  sur  des  fiontispices  de  livres,  et  que  c'était  un 
pseudonyme  adopté  par  quelque  auteur  de  l'épotiue.  Un  pri- 
vilège accordé  à  M.  de  Corneille  de  Blessebois  pour  l'impres- 
sion d'une  tragédie  publiée  en  1C75  à  Chàtil Ion-su r-Seine 
atteste  cependant  la  réalité  de  l'individu.  Deux  genres 
d'ouvrages  très-différents  ont  paru  sous  ce  nom  :  des  tragé- 
dies morales,  même  dévotes,  dans  le  goût  des  anciens  mys- 
tères, ayant  pour,  sujets  :  les  Soitpirs  deSifroi,ou  l'Inno- 
cence reconnue;  la  Victoire  de  la  glorieuse  sainte  Reine 
sur  le  tiran  Olibrius  ;  ôcs  poésies  libres  réunies  sous  le 
nom  d'Œuvres  Satyriques,  et  dont  les  exemplaires,  plus  ou 
moins  incomplets,  toujours  très-rares  (  ils  ne  le  seront  ja- 
mais assez),  se  sont  parfois  élevés  dans  les  ventes  publiques 
à  Paris  jusqu'au  prix  de  quatre  à  cinq  cents  francs.  Divers 
bibliographes  ont  discuté  avec  grand  détail ,  sans  réussir  à 
se  mettre  d'accord,  les  questions  qui  se  présentent  à  l'égard 
de  ce  problématique  et  très-peu  recommandable  auteur; 
nou6-même  avons  entrepris  quelques  recherches  spéciales , 
mais  nous  les  condamnons  à  l'oubh  ;  car  il  faut  bien ,  se- 
lon la  judicieuse  remarque  de  Ch.  Nodier,  laisser  quelque 
chose  à  faire  aux  heureux  désœuvrés  qui  ont  assez  de  temps 
pour  s'occuper  de  Blessebois  et  assez  peu  de  solidité  d'esprit 
pour  s'imaginer  que,, de  toutes  les  questions  dans  l'étude 
desquelles  on  peut  user  sa  vie,  il  n'y  en  a  point  de  plus  utile 
et  de  plus  raisonnable.  Gustave  Br.u.xET. 

BLESSIXGTOIV  (Margueuite  POAVliR,  comtesse  de), 
Irlandaise  célèbre  par  la  grâce,  la  finesse  et  l'éléi^ance 
de  son  esprit,  naquit  le  1'^''  septembre  17S9,  à  Curraglieen, 
dans  le  comté  de  Waterfoi-d,  qu'habitait  son  père,  Edmond 
l-o\ver.  Elle  avait  à  peine  quinze  ans  lorsqu'elle  épousa  le 
capitaine  Léger  Farraer,  et  elle  était  déjà  veuve  en  1817. 
Unie  en  secondes  noces,  l'année  suivante,  à  Charles-John 
(iardiner,  comte  de  Blessington,  elle  fut  introduite  par  lui 
dans  le  grand  monde,  où  elle  ne  tarda  pas  à  se  faire  un  nom. 
Us  entreprirent  ensemble  plusieurs  voyages  sur  le  continent, 
et  réunirent  partout,  comme  à  Londres,  la  société  la  plus 
biillante  et  la  plus  choisie.  A  Gênes  elle  se  lia  d'une  inti- 
mité tout  intellectuelle  avec  lord  Byron,  et  séjourna  à  Pa- 
ris jusqu'en  1829,  époque  où  son  mari  y  mourut. 

Ce  dernier  lui  ayant  laissé  une  fortune  considérable,  elle 
put  se  livrer  sans  contrainte  à  ses  penchants  littéraires,  et 
fréquenta  les  cercles  aristocratiques,  qu'elle  a  surtout  peints 
dans  ses  romans.  Elle-même  tenait  sa  petite  cour  souve- 
raine dans  l'hôtel  patrimonial  de  son  dernier  époux,  à  Gore- 
Ilouse,  dans  Kensington,  bourg  du  West-Eud  de  Londres. 
Ses  célèbres  soirées  littéraires  étaient  fréquentées  (lar  tous 
les  contemporains  anglais  en  renom,  Dickens,  Bulwer,  etc., 
par  le  comte  d'Orsay  et  par  beaucoup  d'auires  étrangers  à 
la  mode.  Elle  était  liée  avec  tous  les  membres  de  la  famille 
Bonaparte.  Ou  lu  vit  arriver  en  toute  hâte  à  Paris  à  la  non- 


2^2 

velle  «le  l'nvénenicnt  à  la  présidciu-e  «lu  prince  Louis-Napo- 
léon et  louer  un  liôîcl  près  «le  l'Elysée.  C'est  là  qu'elle  est 
morte,  le  4  juin  1849. 

Durant  l'exposition  universelle  de  Londres  de  1S51 ,  le 
célèbre  cuisinier  français  Soyer  eut  l'heureuse  idée  d'éta- 
blir ses  fourneaux  et  ses  somptueux  salons  dans  l'ancien 
hôtel  de  lady  Blessington  à  Gore-House.  Il  n'en  fallut  pas 
davantage  pour  y  attirer  la  foule  des  gens  comme  il  fout  ou 
qui  voulaient  passer  pour  tels.  Bientôt  le  Symposion  lit  fu- 
reur. 

I  Parmi  les  œuvres  de  l'illustre  Irlandaise ,  on  remarque  : 
la  Lanterne  Magique,  scènes  de  la  métropole  (  1829  )  ;  des 
J'Jsqnisses  de  Voyage  en  Belgique  (1832);  des  Pensées  et 
Réflexions  insérées  dans  le  ^'ew  Monthly  Magazine,  et 
MHtout  ses  Conversations  avec  lord  Byron  (1834).  Le  pé- 
ché le  plus  grave  de  la  société  britannique  y  est  attaqué 
avec  une  spiiituelle  et  brillante  audace.  Depuis  cette  épo- 
que, plusieurs  romans  du  môme  écrivain  :  les  Confessions 
d'îine  Dame  sur  le  retour  (1837)  ;  les  Partisans  du  Rap- 
pel; les  Deux  Amis;  les  Loisirs  d'une  Femme  en  France 
et  en  Italie  (1840);  la  Gouvernante  (1840);  les  Vic- 
times de  la  Société  (1837)  ;  les  Confessions  d'un  Gentle- 
man sur  le  retour  ;  le  Flâneur  en  France  ;  le  Flâneur 
en  Italie;  la  Loterie  de  la  Vie;  Mercdilh ;  Strathern  ; 
Marmaduke-Uerbert  ;  les  Mémoires  d'une  Femme  de 
chambre  ;  Country-Quaters,  et  beaucoup  d'articles  dans  les 
magazines  et  les  revues,  témoignent  à  la  fols  de  la  fécon- 
dité de  lady  Blessington  et  de  celte  inspiration  contraire 
aux  hal)itudcs  puritaines  de  la  société  britannique  que  nous 
avons  déjà  signalée.  La  dissidence  qui  exista  toujours  entre 
elle  et  la  haute  société  britannique  «;xplique,  si  elle  ne  jus- 
tifie pas,  l'espèce  d'injustice  dont  elle  fut  la  victime;  les  cri- 
tiques anglais  pailaient  d'elle  rarement ,  et  la  place  subal- 
terne qu'ils  semblaient  lui  assigner  parmi  les  romancières 
de  troisième  ou  quatrième  ordre  était  tout  à  fait  indigne  de 
l'élégance  sans  affectation  et  de  l'ingénieuse  nouveauté  d'ob- 
servation et  de  style  qui  distinguent  ses  écrits.  Malgré  la 
position  isolée  que  s'était  faite  à  Londres  lady  Blessington  , 
et  l'opposition  constante  dont  elle  s'était  armée  contre  les 
conventions  sociales  du  pays  le  plus  rigide  sous  ce  rapport, 
ses  soirées ,  comme  on  l'a  dit ,  furent  constamment  très- 
suivies.  Comme  talent,  on  doit  reconnaître  chez  elle  plus  de 
finesse  et  de  grilce  que  chez  mistriss  Trollop,  un  goût  plus 
pur  que  celui  de  lady  Morgan,  l'absence  de  ce  pédantisnie 
subtil  et  statistique  qu'on  peut  reprocher  à  miss  Martineau  ; 
et,  en  dépit  de  la  résistance  opposée  par  la  société  anglaise 
aux  progrès  de  sa  réputation ,  le  nom  de  lady  Blessington 
nous  semble  devoir  se  placer  avec  honneur  |)armi  les  noms 
littéraires  de  l'Angleterre  au  dix-neuvième  siècle. 

PliilarèleCu\SLES.] 

BLESSURE.  Ce  mot  dans  le  langage  commun  est  sy- 
nonyme (le  plaie;  mais  envisagé  sous  le  point  de  vue  de 
la  médecine  h'gale ,  il  s'applique  à  tous  les  désordres  occa- 
sionnés dans  les  organes  par  des  agents  extérieurs  ;  ainsi,  les 
brûlures,  les  contusions,  les  fractures,  les  luxations,  .sont 
des  blessures  aussi  bien  que  les  incisions  et  les  piqûres.  Infini- 
ment variées  dans  leurs  degrés  de  gravité  comme  dans 
leurs  formes  ;  les  blessures  peuvent  être  légères,  dangereuses 
ou  mortelles  :  celles-ci  sont  distinguées  en  blessures  mortel- 
les de  nécessité,  et  en  celles  qui  ne  le  sont  que  par  acci- 
dent. On  conçoit  combien  cette  appréciation  exige  de  science 
et  de  jugement,  suilout  si  l'on  considère  que  des  décisions 
«le  l'expert  dépend  la  comlanmation  ou  l'absolution  de  l'ac- 
cusé ,  innocent  ou  coupable. 

D'après  le  Code  pénal  fiançais,  l'auteur  de  blessures  vo- 
lontaires avec  piénu'ditalion  on  guet-apens,  et  qui  entraînent 
une  inciipacitti  de  travail  de  plus  de  vingt  jours,  est  passible 
de  la  j)eine  des  travaux  forcés  à  temps  (art.  310)  ;  les  mêmes 
blessures  commis<!s  volontairement,  mais  sans  pninédita- 
tJun  ,  entraînent  seulement  la  rétlusion  (art.  300);  lorsque 


BLESSIISGTOIN  —  BLÉTIE 


les  blessures  n'entraînent  pas  une  incapacité  de  travail  de 
plus  de  vingt  jours,  elles  sont  punies  dans  le  cas  de  pré- 
méditation ou  de  guet-apens,  d'un  empiisonnement  de  deux 
à  cinq  ans,  et  d'une  amende  de  50  à  500  fr.  (art.  311  );  et 
dans  le  cas  où  la  préméditation  n'existe  pas,  d'un  empri- 
.sonnement  d'un  mois  à  deux  ans,  et  d'une  amende  de  10 
à  200  fr.  (même  article);  les  blessures  ou  les  coups  résul- 
tant de  défaut  d'adresse  ou  de  précaution  sont  punis  d'un 
emprisonnement  de  six  jours  à  deux  mois  et  d'une  amende 
de  16  à  100  fr.  (ait.  320).  Il  est  des  circonstances  acces- 
soires qui  aggravent  ou  atténuent  la  peine.  Ainsi  toutes  ces 
peines  sont  augmentées  d'un  degré ,  à  l'exception  de  celle 
des  travaux  forcés  à  perpétuité,  quand  les  blessures  ont  été 
commises  sur  la  personne  d'un  ascendant.     D""  Forget. 

Lorsqu'un  accident  fait  craindre  ou  produit  la  mort  du 
fœtus  pendant  la  grossesse,  on  dit  que  la  mère  s'est 
blessée  (  voyez  Avoî;temlnt).  Yulgairenient  aussi  on  appelle 
blessure   les  pertes  de   sang  qui  surviennent  pendant  la    Â 
grossesse.  f 

Au  moral,  les  blessures  sont  une  atteinte  profonde  poitée 
à  l'homme,  soit  dans  ses  afiections  les  plus  tendres,  soit 
dans  ses  sentiments  les  plus  délicats  :  on  en  guérit  sans 
doute  ,  mais  il  est  rare  qu'il  n'en  reste  pas  quelque  trace. 
Un  père  reçoit  une  cruelle  blessure  de  la  mauvaise  conduite 
de  ses  enfants,  surtout  lorsqu'elle  devient  publique;  le  cœur 
d'une  mère  saigne  si  sa  fille  bien  aimée  ne  récompense  tous 
ses  soins  que  par  l'ingratitude  la  plus  noire.  Après  des  sa- 
crifices sans  nombre  et  des  promesses  sacrées,  celle  «pie 
nous  aimons  nous  trompe-t-elle ,  c'est  une  blessure  qui  ne 
se  referme  plus.  On  se  console  des  perles  d'argent  au 
moyen  de  certaines  privations  qu'on  s'impose  ,  l'élude  pro- 
cure quelquefois  des  instants  délicieux  à  l'ambition  trompée 
ou  déchue  ;  mais  il  est  des  blessures  que  tout  aigrit ,  la  so- 
ciété comme  la  solitude,  parce  qu'on  man(jue  de  force  pour 
s'isoler  de  ses  souvenirs.  Aux  époques  où  tous  les  rangs 
entrent  en  rivalité ,  les  plus  terribles  blessures  sont  celles 
que  l'on  fait  à  l'amour-proprc  ;  alors  ce  n'est  pas  une  per- 
sonne, une  famille  que  l'on  d('sole,  c'est  souvent  une  classe 
entière  ;  mais  la  vengeance  voit  tôt  ou  tard  se  lever  le  jour 
de  son  triomphe ,  et  elle  est  impitoyable ,  parce  qu'elle 
mesure  ses  coups  à  la  longueur  de  ses  .souffrances.  Dans  les 
capitales,  où  l'on  ne  se  rencontre  qu'en  passant,  on  est 
froissé  dans  son  amour-propre;  c'est  une  sensation  pénible, 
sans  doute,  mais  on  l'oublie  vile  au  milieu  du  tourbillon  qui 
emporte  tout.  Dans  les  petites  villes ,  au  contraire,  comme  le 
rapprochement  est  contiimel,  les  rivalités  sont  toujours 
en  présence,  c'est  à  désespérer  l'amour-propre,  que  de  part 
et  d'autre  on  prend  sans  cesse  pour  point  de  mire ,  car 
l'on  se  connaît  trop  bien  pour  ne  pas  frapper  juste,  et  tout 
coup  occasionne  une  blessure.  Saint-I'rosi-eu. 

BLET,  BLETTE,  ces  mots  se  disent  d'un  fruit  de- 
venu mou  par  excès  de  maturité.  Quelques  fruits ,  connue 
les  nèfles,  les  alises,  ne  se  mangent  «ju'en  cet  éta!. 
D'autres,  comme  les  poires,  sont  encore  mangeables  lorsqu'ils 
sont  blets;  enfin  la  plupart,  comme  les  ponunes,  acquièrent 
alors  «Jes  propriétés  repoussantes. 

BLÈTE  (en  latin  blituni)  est  un  genre  de  la  famille 
des  atriplicées  et  delà  monandriedigynie,  qui  renferme  des 
herbes  annuelles  qui  croissent  en  Europe  et  «lans  les  régions 
fem|)érées  de  l'Asie.  On  emploie  «;n  médecine  comme  émol- 
licnt  le  blitum  capitatum ,  dont  les  fleurs,  ramas.sées  en 
pelotons  tout  le  long  de  la  plante,  deviennent  en  mûrissant 
d'une  couleur  rouge  qui  fait  ressembler  chaque  peloton  à 
une  fraise. 

BLÉTERIE  (La).  Voyez  La  Bléterie. 

BLÉTIE,  genre  de  la  famille  des  «)rcbidées,  tribu  des 
épidendrées,  dont  les  espèces  sontas.se/.  nombreuses.  Ce 
sont  des  plantes  herbacées  et  terreslies ,  à  racine  tubéri- 
fonne  et  renflée,  à  feuilles  allongées,  ensiformes  et  plissécs 
suivant  loin  longueur.  Les  fleurs,  ordinaiiemcnt  disposées 


J 


BLÉTIE  —  BLEU 


3&3 


en  grappe  simple  ou  rameuse ,  sont  quelquefois  de  couleur 
très-vive  ,  et  dans  quelques-unes  elles  sout  fort  belles. 

Une  vingtaine  d'espèces  composent  le  genre  blette  ;  pres- 
que toutes  sont  originaires  du  Pérou  ou  du  ISIexique;  un 
petit  nombre  croissent  aux  îles  australes  d'Afrique. 

BLETTE.  Voyez  Poiuée. 

BLEU.  Cette  couleur  si  douce  à  l'œil  est  une  de  celles 
dont  la  nature  aime  le  plus  à  revêtir  ses  productions.  L'at- 
mosphère lui  emprunte  ses  nuances  délicates ,  la  mer  ses 
reliefs  inconstants ,  l'arc-en-ciel  quelques-unes  de  ses  har- 
monies, lille  donne  à  plusieurs  minéraux  un  brillant  qui  les 
fait  rechercher;  nous  l'admirons  dans  un  grand  nombre  de 
(leurs,  dans  les  |)lumes  des  oiseaux,  les  écailles  des  pois- 
sons, les  ailes  et  la  tunique  des  insectes,  les  coquilles  des 
mollus(pies.  Mais  l'homme  exclusif  voudrait  l'engendrer  à 
volonté ,  et  il  cherche  avec  fureur  un  dahlia  bleu ,  une 
rose  bleue!  Elle  se  montre  souvent  dans  l'iris  de  l'œil  hu- 
main ,  et  y  caractérise  ou  une  bonté  touchante  ou  l'instmct 
des  molles  voluptés.  Dans  l'œil  de  quelques  animaux,  et  prin- 
cipalement parmi  les  espèces  du  genre /élis,  elle  prend  au 
contraire  un  éclat  menaçant.  Les  peintres  ont  peine  à  re- 
produire sa  grâce  lorsqu'elle  court  en  rameaux  déliés  sous 
une  peau  transparente.  Les  médecins  redoutent  son  appari- 
tion sur  la  face  humaine,  comme  un  symptôme  de  souf- 
france et  de  mort.  Les  sociétés  et  les  partis  en  ont  fait  un 
signe  de  ralliement.  On  en  a  fait  reml)lème  de  la  constance, 
de  la  tendresse.  H  n'est  pas  jusqu'à  la  cuisine  où  son  nom 
ne  soit  en  honneur.  Enfin ,  son  emploi  pour  l'embellissement 
de  nos  demeures  et  de  nos  vêlements  ,  son  extraciion  de  ses 
gangues  naturelles  et  sa  production  par  des  agents  chimi- 
ques ,  constituent  des  branches  intéressantes  de  la  techno- 
logie. 

Le  bleu  est  une  couleur  simple ,  un  des  sept  principaux 
rayons  du  spectre  solaire.  Quoique  parmi  toutes  les 
couleurs,  dont  la  réunion  forme  la  lumière  blanche,  les  rayons 
bleus  ne  soient  pas  les  plus  rél'rangibles ,  ils  ont  cependant 
la  propriété  particulière  d'être  rélléchis  de  préférence  à  tous 
les  autres  par  la  seule  résistance  mécanique  des  molécules 
des  corps  qui  peuvent  transmettre  la  lumière.  On  remanjue 
ce  phénomène  dans  les  grandes  masses  de  fluides  trans- 
parents comme  l'air  et  l'eau  ;  dans  les  corps  opaques  de 
petite  dimension  demi-transparents,  comme  les  opales; 
enfin  dans  les  corps  opaques,  blancs  ou  colorés,. réduits  eu 
lamelles  très-minces ,  comme  la  peau  ou  l'ivoire.  Mêlée  au 
jaune  ,  elle  engendre  le  vert  ;  alliée  au  rouge,  elle  forme  le 
violet.  Peu  de  couleurs  ont  autant  de  nuances,  depuis  l'a- 
zur le  plus  tendre  jusqu'au  bleu  presque  noir. 

C'est  au  mélange  des  vapeurs  d'eau  avec  l'air  que  le  ciel 
doit  sa  couleur  bleue.  La  teinte  varie  avec  la  nalute  et  la 
densité  des  vapeurs;  et  moins  il  y  en  a  de  suspendues  dans 
l'atmosphère,  plus  elle  se  fonce.  Aux  yeux  du  voyageur 
((ui  s'élève  dans  une  montagne ,  le  bleu  du  ciel  va  se  rem- 
brunissant, et  le  firmament  a  paru  noir  aux  observateurs  qui 
sont  i>arvenus  sur  les  plus  hautes  souiuiités  du  globe.  C'est 
aussi  par  suite  de  la  moindre  quantité  de  vapeurs  que  dans 
les  pays  méridionaux  et  dans  les  saisons  chaudes  le  ciel 
paraît  bien  plus  bleu  que  dans  les  pays  septentrionaux  et 
pendant  les  saisons  (roides  ou  humides. 

Les  eaux  limpides,  lorsqu'elles  ont  assez  de  profondeur 
po\u'  que  la  réfîexifta  du  fond  n'altère  pas  leur  couleur,  of- 
frent une  belle  teinte  bleue,  que  les  poètes  ont  célébrée  dans 
leurs  chants.  Mais  le  plus  souvent  le  miroitement  de  la  sur- 
face masque  complètement  la  couleur  intérieure.  Cette  cou- 
k'ur  est  plus  sombre  que  celle  du  ciel,  parce  qu'elle  n'est 
pas  mêlée  de  lunnère  Islanche.  Ainsi  le  l\liône,  à  sa  sortie 
du  lac  de  Genève,  ressemble  à  une  forte  teinture  d'indigo. 
On  peut  également  citer  l'eau  rassemblée  dans  les  crevasses 
des  placiers,  et  smloutla  fameuse  grotte  de  Caprée. 

I.a  couleur  bleue  dans  le  règne  minéral  a  ))0ur  base  un 
petit  nombrede  corps;  les  minéraux  la  doivent  presque lous 


au  fer,  au  cuivre  el  au  sodium.  Les  arts  rempruntent  soit  iit 
ces  métaux,  soit  au  cobalt ,  au  molybdène,  au  bismuth. 

Son  origine  est  moins  connue  dans  les  végétaux.  Elle  pa- 
rait se  former  soit  par  la  combinaison  d'une  substance  par- 
ticulière incolore  avec  l'oxygène  de  l'air,  comme  dans  l'in- 
digo et  le  pastel ,  soit  par  laction  d'un  alcali  qui  neutralise 
un  acide  libre  sous  lequel  était  masquée  la  couleur  bleue , 
comme  dans  le  tournesol.  A  ce  dernier  mode  de  formation 
on  peut  rapporter  certains  huits  qui  passent  du  rouge  au 
bleu  en  mûrissant,  c'est-à-dire  à  mesure  que  la  quantité 
d'acile  libre  diminue.  D'après  ces  faits , quelques  chimistes 
disent  que  le  bleu  des  végétaux  est  une  couleur  désoxydée. 

On  trouve  cette  couleur  principalement  dans  les  feuilles , 
les  fleurs  et  les  fruits ,  quelquefois  dans  le  bois  et  l'écorce, 
et  très-rarement  dans  les  racines.  Les  couleurs  bleues  végé- 
tales sont  plus  communes  dans  les  pays  méridionaux  que 
dans  le  Nord. 

On  ignore  quelle  opération  organique  amène  des  nuances 
bleues  plus  ou  moins  vives  à  la  surfoce  de  certaines  parties 
des  animaux.  Sur  le  corps  humain,  la  présence  du  bleu 
caractérise  presque  toujours  un  état  de  maladie.  Il  en  est 
une  qui  a  reçu  spécialement  le  nom  de  maladie  blette 
ou  ictère  bleu.  Tout  le  monde  sait  que  la  mort  causée  par 
asphyxie,  par  strangulation  ou  par  l'action  de  poisons  nar- 
cotiques ,  laisse  sur  le  corps  humain  une  teinte  bleue  hor- 
rible. On  a  pu  remarquer  aussi  que  dans  les  affections  ca- 
tarrhales  les  accès  de  toux  amènent  sur  la  face  un  bleu  pas- 
sagei'.  Enfin ,  dans  cette  maladie  dont  le  cours  torrentueux 
a  dans  ces  derniers  temps  balayé  tant  d'hommes  de  la 
surface  du  globe,  une  période,  la  plus  terrible,  est  deve- 
nue célèbre  sous  le  nom  de  choléra  bleu. 

On  a  fait  du  noir  le  signe  du  deuil,  le  signe  de  la  mort, 
mais  certes  le  bleu  aurait  plus  de  droits  à  ce  triste  privilège. 
Voyez  dans  les  végétaux  la  mort,  la  décomposition,  produire 
la  coideur  bleue  :  témoin  l'indigo,  le  pastel.  La  fleur  de  l'a- 
conit est  bleue.  De  la  décomposition  des  matières  animales 
naît  le  cyanogène,  élément  du  bleu  de  l'russe.Dans 
les  animaux,  dans  l'homme,  le  bleu  est  en  quelque  sorte  la 
condition  et  le  cachet  du  trépas.  Et  si  nous  considérons  la 
vie  sociale  des  hommes,  n'a-t-il  pas  aussi  trop  souvent 
rempli  de  fatales  fonctions?  Tantôt  il  colore  l'étendard  bleu 
qui  conduit  les  nations  au  combat,  tantôt  l'uniforme  qui 
désigne  leurs  soldats  aux  coups  de  l'ennemi.  «  Les  bleus! 
les  bleus!  »  c'était  le  cri  des  chouans  quand  ils  aperce- 
vaient les  citoyens  de  la  république  ou  les  soldats  de  Louis- 
l^hilippe.  Malheur  au  bleu  qui  s'écartait  un  instant  du  gros 
des  bataillons!  il  périssait  sous  les  coups  d'iKUiunes  qui  lui 
auraient  tendu  une  main  amie  et  hospitalière  si  la  couleur 
de  son  vêtement  eût  été  différente! 

Le  bleu,  il  taut  le  dire,  n'est  pas  toujoiirs  consacré  à 
ces  cruels  usages.  Dans  les  solennités  religieuses,  il  ras- 
semble sous  sa  bannière  de  beaux  essaims  déjeunes  filles 
ou  de  pacifiques  processions  de  pénitents.  Le  bleu  fait  par- 
tie de  notre  drapeau  tricolore.  L'écharpe  des  officiers  de 
paix  est  bleue.  La  livrée  des  Bourbons  de  la  branche  abiéo 
était  bleue.  Le  cordon  bleu  éta't  l'insigne  de  l'ordre  du 
Saint-Esprit.  Pour  récompenser  une  cuisinière  savante  en 
son  art,  on  la  nomme  encore  un  cordon  bleu  {voyez  Coii- 
don).  Une  secte  un  instant  fameuse,  aujourd'hui  presque 
oubliée,  mais  dont  les  apôtres ,  qui  regardaient  fort  bien  ce 
monde  comme  leur  royaume,  ne  manquent  pas.  Dieu  merci, 
dans  nos  administrations,  avait  arboré  le  bleu  pour  la  cou- 
leur de  ses  vêlements  symbolicpies. 

Les  femmes  savent  merveilleusement  en  accommoder 
toutes  les  nuances  aux  besoins  de  leur  teint  ou  de  leur 
âge.  Qu'une  peau  blanche  lessort  avec  avantage  dans  une 
robe  ou  sous  un  chapeau  bleu  !  Mais  qu'elles  se  gardent 
bien  de  chausser  les  bas  bleu»!  car  c'est  sous  le  nom  de 
bas  bleus  que  les  Anglais  désignent  ces  coteries  de  femmes 
qui  asuiient  à  régenter  la  liîléralure,  coteries  où  l'on  prend 


2fl4 


BLEU 


BLEU  Dl-   PBUSSE 


la  prf^tcntion  pour  dti  savoir,  la  pédanterie  pour  du  bon 
jîoùt.  Lord  Hyroii  les  a  fouettées  en  Angleterre  de  son  vers 
aicliilociuicn,  et  Molière  les  a  monétisées  en  France  sous 
li's  titres  célèbres  (le  Prccieuses  ridicules  et  de  Femmes 
sdiTintes.  Avant  eux  déjà,  Juvénal  s'était  pris  d'indignation 
contre  un  travers  cpii  dé[)lacc  les  conditions  de  la  vie  so- 
ciale ,  en  Atanl  aux  femmes  les  vrais  organes  de  leur  in- 
lluencc,  la  modestie  et  l'amabilité. 

AiMès  les  grands  noms  <pie  je  viens  d'invoquer,  le  tien, 
6  l?nllat-.Savarin,  a  tlroit  encore  h  l'attention  des  lecteurs. 
Que  n'ai-je  ton  génie  pour  clianter  la  gloire  du  bleu  culi- 
naire et  pour  dire  comment  la  truite  du  lac  d.;  Genève  et 
le  broclu't  du  lUiône  ,  après  avoir  bouilli  dans  nos  vins 
blancs  de  France,  an  milieu  des  épiées  de  l'Inde  et  des  Mo- 
Inques,  peuvent  satisfaire  les  exigences  du  palais  le  plus 
délicat  et  le  plus  aristocratique!  Ton  livre  vivra  autant  que 
la  goiM'mandisc,  autant  «pie  la  civilisation  des  liommes. 
l"aut-il  (pie  la  postérité  puisse  lui  reproclicr  d'avoir  omis, 
jKirmi  les  moyens  de  victoire  que  la  natine  et  l'art  mettent 
«ux  mains  de  nos  bommes  d'État  dans  les  luttes  parlcmen- 
1a-res,  le  poisson  au  bleu!  A.  Des  Geni;m;z. 

illLEU  (lleuve).  Voi/ez  Yanc-tsé-Ki.vng  et  Nil. 

lîLIùU  (  .Mettre  au).  Dans  le  blancliissage,  on  appelle 
ainsi  l'opération  qui  consiste  à  faire  passer  le  linge  lavé  dans 
une  ean  tenant  (lu  bleu  en  suspension  de  façon  à  lui  donner 
»uje  petite  teinte  azurt^e,  qui  le  fait  paraître  d'un  blanc  plus 
pur.  L'industrie  est  encore  à  la  recbercbe  d'une  substance 
1  lieue  économi(pie  se  rcpartissant  facilement  et  également 
<lans  une  certaine  masse  d'eau.  Souvent,  en  effet,  la  matière 
colorante  tombe  au  fond  du  bassin  ou  reste  en  quantité  dans 
certaines  parties  du  liquide,  et  le  linge  qu'on  y  plonge  en 
sort  taciié.  L'indigo,  le  bleu  de  Prusse,  dissous  au  moyen  de 
l'acide  muriatiqne,  sont  les  substances  le  plus  géntSralement 
employées  pour  la  mise  au  bleu,  soit  en  boule,  soit  à  l'état 
liquide. 

BLEU  DE  BERLIN.  Voyez  Bleu  de  Ptiusse. 

BLEU  DE  COBALT.  Le  bleu  de  cobalt  est  une  des 
ricliesses  (pie  la  cliimie  a  livrées  aux  arts  de  coloration. 
■N'au(pielin  avait  reinar(|ué  que  les  oxydes  et  les  sels  de 
cobalt  soumis  à  une  douce  cbaleur  prenaient  une  teinte 
l)leiie  très-brillante.  M.  Tbénard,  poussant  plus  loin  cette 
observation  ,  parvint  à  f.d)ri(|ucr  un  bleu  qui  pendant  iong- 
leuq)s  a  tenu  lieu  aux  peintres  du  bleu  d'outren.ier.  11 
l'obtenait  en  calcinant  légèrement  de  l'arséniate  ou  du 
jibospliate  de  cobalt  avec  do  l'alumine;  on  l'a  rendu  plus 
motîlleux  en  remplaçant  l'alumine  par  du  pbos[iliate  de 
cliaux.  Ce  bleu  a  l'avantage  de  résister  à  tous  les  agents 
<|ui  peuvent  altérer  les  couleurs.  11  est  jtlus  solide  cpie  l'in- 
«ligo  et  le  bleu  de  Prusse,  plus  facile  à  diviser  que  le  smalt. 
A\ec  l'buile  il  se  comporte  coumic  l'outremer,  mais  avec 
la  gomme  il  a  moins  d'intensité.  On  lui  reprocbe  de  prendre 
des  teintes  violettes,  surtout  aux  lumières.  A.  Di;s  Gknln  ez. 

BLEU  DE  CUIVUE,  IJLIiU  DL:  1M0NTaGM£.  Le 
riiivre  est  la  matière  colorante  de  plusieurs  minéraux  : 
tels  certains  spinelles  et  ([uelques  turciuoises,  le  bleu 
de  montagne,  l'azur  de  cuivre,  U'.s  pierres  d'Arménie. 

Le  bleu  de  montagne  est  l'objet  d'une  exploitation  légn- 
lièie  dans  un  grand  nombre  de  lieux  ;  on  le  trouve  dans  la 
plupart  des  luiiies  de  (uiivre.  Fn  France,  les  mines  de  Cliessy 
«'t  (le  IJaigori  enricbissent  les  cabinets  de  minéralogie  de 
bwiux  groupes  de  cristaux  bleus.  C'est  une  combinaison 
d'oxyde  de  cuivre  et  d'acide  carbonique,  quelquefois  unie 
i>  la  silice  et  à  la  cbaux  ,  et  presque  toujours  mélangée  de 
«piaitz  et  de  calcaire.  Pour  extraire  la  couleur  des  pierres, 
il  sulïil  de  les  broyer  à  l'eau  et  do  l(;s  soumettre  à  une 
suite  de  lavages  et  de  décantations  qui  (inissent  par  entraîner 
(outcs  les  inqiuret('s.  La  peinture  et  les aits  font  grand  usage 
<ie  ce  bleu,  h  cause  de  sa  douce  nuance  cl  de  son  bon  mar- 
rlié;  mais  il  a  rim-onvénient  d'èlre  facilement  altérable  et 
*le  passer  au  vert  et  au  noir.  \.  Des  Genevi.z. 


BLEU  D'EM.'VIL.  Vo/jez  Azrn. 

BLEU  DE  PRUSSE   ou  ULFU  DU  BERLIN.   Les 

arts  ne  tirent  du  règne  anima!  «prune  seule  couleur  bleue  : 
c'est  le  bleu  de  Prusse,  matière  doublement  intéressante, 
et  par  les  services  qu'elle  rend  aux  arts,  et  par  les  progrès 
que  son  «'tude  a  fait  faire  à  la  cliimie.  On  doit  sa  découverte 
au  basard.  Fn  1710,  un  fabricant  de  couleurs  de  I5erlin , 
nommé  Diesbacli,  ayant  jeté  dans  sa  cour  des  eaux  sales, 
vit  avec  étonnemcnt  se  développer  sur  les  pavés  une  ma- 
gnilicpic  couleur  bleue.  Il  en  recliercba  les  éléments,  et  par- 
vint à  la  re|)roiiuiic.  Mais  il  se  ri'serva  le  secret  de  cette  fa- 
brication, et  ce  ne  fut  qu'en  1724  que  l'Anglais  Woodwart, 
après  de  longues  recberclies,  publia  un  procédé  qui  réussit 
bien,  mais  qu'on  a  beaucoup  modifié  depuis  sous  le  rap- 
port de  l'économie  et  de  l'avivage  de  la  couleur.  Cependant 
c'est  toujours  en  calcinant  des  matières  animales,  telles 
que  le  sang  de  bœuf  dessécbé,  les  cornes,  les  sabots,  les 
peaux,  les  cbiffons  de  laine,  avec  un  sel  de  potasse  et  un 
sel  de  fer,  (pi'on  obtient  le  bleu  de  Pi-usse.  Le  sang  est  eui- 
jiioyé  de  préférence,  à  cause  de  la  grande  quantité  de  fer 
qu'il  contient.  Dans  cbaque  atelier,  on  le  prépare  i>ar  une 
métbode  particulière.  Et  qu'on  ne  s'étonne  jias  de  la  di- 
versité des  procédés  :  l'incertitude  dans  l'application  t«'- 
moigne  ordinairement  du  vague  de  la  tbéorie,  et  il  faut 
dire  que,  malgré  des  hypotbèses  et  des  expériences  nom- 
breuses, les  circonstances  de  la  formation  du  bleu  de  Prusse 
sont  encore  imparfaitement  conimes.  Mais  si  les  travaux 
des  cbimistes  n'ont  pas  conduit  à  connaître  la  manière  dont 
les  éléments  du  bleu  de  Prusse  se  groupent  entre  eux,  au 
moins  leur  doit-on  deux  des  plus  belles  découvertes  de  la 
cliimie  moderne,  celle  de  l'acitle  prussique  par  Scbeele,  et 
celle  du  cyanogène  par  M.  Gay-Lussac.  Aujourd'hui  il 
Cit  constant  «pie  le  bleu  de  Prusse  est  essentiellement  formé 
de  cyanogène  et  «le  fer  combinés  en  diverses  proportions. 
L'alcali,  qui  est,  ainsi  qu'une  haute  température,  nécessaire 
à  la  formation  du  cyanogène,  est  enlevé  ensuite  par  le  la- 
vage. Cependant,  les  bleus  les  mieux  lavés  retiennent  tou- 
jours une  petite  quantité  de  cyanure  de  potassiimi. 

Il  paraît  qu'en  France  nous  sommes  encore  inférieurs  à 
l'étranger  pour  les  bleus  de  belle  qualité.  Presque  tous  nos 
bleus  deviennent  verdàtres  par  la  dessiccation;  inconvé- 
nient que  n'ont  pas  les  beaux  bleus  de  Berlin.  Au.ssi  la 
l'russe  est-elle  en  possession  d'en  exporter  de  grandes 
«piantilés  en  France,  dans  le  Nord  et  en  Italie;  l'Angleterre 
parait  se  suffire  à  elle-même  et  même  alimenter  les  ateliers 
d'Amérique.  La  consommation  du  bleu  de  Prusse  est  im- 
mense. On  l'a  d'abord  appli«pié  sur  les  papiers,  la  peinture 
à  l'buile  s'en  est  également  emparée  ;  mais  il  faut  éviter  de 
le  mêler  à  des  couleurs  où  entrerait  la  chaux  ,  car  elle  le 
détruirait  promptement.  Le  beau  bleu  d'Angleterre  nommé 
platl-'tndigo  n'est  qu'un  mélange  de  bleu  de  Prusse  et  de 
mucilage  de  riz  ou  de  quelque  autre  substance  gommeuse. 
Maintenant  on  emploie  avec  succès  le  bleu  de  Prusse  à  tein- 
dre les  étoffes  de  toute  nature ,  surtout  depuis  la  belle  dé- 
couverte de  31.  Baimond,  qui  a  eu  l'heureuse  idée  défor- 
mer la  couleur  sur  l'étoffe  elle-même. 

Le  bleu  de  Pnisse  n'appartient  pas  seulement  à  la  techno- 
logie, il  fait  aussi  pailie  de  l'organisation  animale  dans  cer- 
taines circonstances.  Les  anciens  avaient  remanpié  (pie 
l'urine  a  parfois  une  couleur  bleue  ;  ils  la  désignaient  .sous 
le  nom  d'/.v/iHf'c.  Fonrcroy,  ayant  eu  occasion  d'examiner 
le  sang  d'une  femme  atteinte  d'une  affection  nerveuse, 
qu'accompagnaient  de  fréquentes  et  fortes  convul.sions,  y 
trouva  le  bleu  de  Prusse.  En  1824,  M.  Julia-Fontenelle 
constata  la  présence  du  même  corps  dans  certaines  urines. 
M.  Fîraconnot  vint  après,  qui  attribua  cette  coloration  à 
une  substance  particulière,  qu'à  cause  de  ses  propriétés  al- 
calines et  colorantes  il  appela  cijunourine.  M.  Mojon 
plaida  de  nouveau  pour  le  bleu  de  Prusse.  Enfin  la  question 
fut  résolue  en  1832  par  le  pharmacien  Cautii ,  qui  dixou- 


vril  ilatis  une  urine  la  présence  siiiiuriaïu'e  du  I)kni  de  Prusse 
».'t  d'une  substance  bleue  sucrée.  Il  reste  à  spécifier  dans 
ipieile^i  cil-constances  morbides  et  par  quelle  opération  or- 
ganique ces  substances  prennent  naissance.  A.  Des  Ce.nevez. 
BLRU  D'INDIGO.  Voi/ez  Indigo. 
BLEU  D'OUTREMER.  Cette  couleur,  célèbre  par 
son  emploi  dans  la  plupart  des  chefs-d'œuvre  de  la  peinture, 
a  reçu  son  nom  du  voyage  transméditerranéen  que  fait  pour 
venir  d'Asie  en  Europe  la  pierre  d'où  on  l'extrait.  Cette 
pierre,  les  anciens  la  connaissaient  sous  le  norn  de  sapliir, 
eties  minéralogistes  modernes  l'ont  api>clée  lapis-laznli . 
Pour  séparer  la  précieuse  couleur  de  sa  gangue,  on  broie 
le  lapis,  on  le  mêle  avec  de  la  cire  et  des  substances  rési- 
neuses en  fusion ,  et  l'on  verse  le  tout  <lans  l'eau ,  oii  se 
dépose  une  poussière  (pi'on  al'lsne  pai'  plusieurs  lavages,  et 
qin',  selon  son  degré  de  ténacité,  constitue  diverses  qualités 
d'outremer.  Les  peintres  donnent  en  général  la  préféience 
à  ce  bleu  sur  tous  les  autres  ;  ils  aiment  le  moelleux  et  la 
vigueur  de  ses  tons.  Aussi  était-ce  un  des  plus  grands  ser- 
vices ([ue  la  cliimie  pût  rendre  aux  arts  que  de  reproduire 
artilitiellement  et  à  bas  prix  une  couleur  trop  chère  [lour 
être  beaucoup  employée.  Longtemps  les  matières  nombreuses 
toujours  mêlées  à  l'outremer  dans  le  lapis-lazuli  ont  donné 
le  change  sur  sa  véritable  composition.  Vauquelin  attribuait 
.sa  coloration  à  la  présence  du  fer.  Cependant ,  comme  on 
en  avait  trouvé  plusieurs  fois  dans  des  fours  à  sonde,  on  en 
était  venu  avec  raison  à  penser  que  l'outremer  pourrait 
bien  n'être  qu'une  combinaison  du  soufre  avec  le  sodium, 
lorsque  la  Société  d'Encouragement,  toujours  prompte  à 
pourvoir  aux  besoins  des  arts,  ouvrit,  en  ls'27,  uu  con- 
cours pour  la  fabrication  de  l'outremer,  et  couronna  M.  Gui- 
n)et ,  qui  se  réserva  l'exploitation  de  sa  découverte.  Depuis, 
MM.  Gmelin,  Robiquet  et  Persoz  se  sont  occupés  de  la  môme 
(piestion,  et  en  ont  donné  des  sohrtions  qui  laissent  peu  de 
chose  à  désirer.  Essayé  dans  les  plafonds  du  Louvre,  l'ou- 
tremer factice  a  offert  sous  le  pinceau  de  M.  Ingres  des  Ions 
plus  riches  encore  que  celui  du  commerce  :  c'est  donc  un 
nouveau  gage  d'éclat  et  de  durée  donné  par  la  chimie  aux 
travaux  de  nos  artistes.  A.   Des  Ge.nevez. 

lîLEU  MARTIAL  FOSSILE,  ou  BLEU  DE  PRUSSE 
iN'ATll'.  C'étaient  les  noms  qu'on  donnait  autrefois  à  un 
minéral  qu'on  appelle  maintenant  à  meilleur  droit  phos- 
phate de  fer.  Cette  substance  est  d'un  bleu  foncé ,  quel- 
quefois cristallisée ,  plus  souvent  en  masses  compactes ,  en 
grains,  ou  terreuse  et  mêlée  d'argile  :  dans  ce  dernier  cas, 
on  la  nomme  aussi  ocre  bleue.  On  s'en  sert  conune  couleur 
d'émail.  A.  Des  Genkvez. 

RLEUES  (Cendres).  Voijez  Cendues  Ui.eues. 
lîLEUES  (Montagnes).  Ce  nom  est  commun  à  plusieurs 
importantes  élévations  du  sol,  situées,  par  exemple,  dans 
l'ile  de  Mciville,  au  milieu  de  la  mer  Polaire  d'Amérique; 
dans  l'ile  des  Indes  occidentales  dite  la  .lamuique,  dans 
les  Etals-Unis  de  l'Amérique  septentrionale,  et  sur  la  cote 
orientale  du  continent  australien. 

Les  montagnes  Bleues  de  l'Amérique  du  Nord  {Elue- 
llhhjc)  sont  la  chaîne  la  plus  orientale  des  monts  Apala- 
ches,  s'étendant  depuis  les  sources  du  grand  Catawba,  dans 
la  Caroline  du  Nord,  jusqu'à  la  moitié  du  cours  de  la  Delà- 
ware,  sur  les  limites  qui  séparent  la  Pensylvanie  du  JNew- 
Jersey.  Leur  versiint  sud-est  est  plus  abrupt,  plus  vivement 
inanpic,  que  leur  versant  nord-ouest;  et  c'i  Otterpik  leur 
sommet  le  plus  élevé  atteint  une  hauteur  de  1300  mètres. 
Voyez  Ai.iEGiiANVs  (Monts). 

Les  montagnes  Bleues  du  continent  australien ,  qui 
.s'rlè\ent  à  l'extrémité  occidentale  de  la  plaine  de  Sidney, 
entre  les  plateaux  d'IliiwUcsbury,  dans  le  district  monta- 
gneux d'Aig\le  et  du  lluntcr,  ramilicaiion  septentrionale 
des  chaînes  du  l.iverpool ,  forment  une  chaîne  élevée  d'cn- 
\iron  1000  mètres  et  très-escarpi'e ,  et  bornant  à  l'est  le 
plateau  de  Mllnirst.  Le  i)csoin  de  cemnnmications  actives 


BLEU.  DE  PRUSSE  —  BLiDAIÎ  i>i.', 

entre  Sidney  et  Bathurst ,  ce  contre  tle  fa  production  des 


troupeaux  en  Australie,  a  fait  mieux  connaître  les  mon- 
tagnes Bleues  que  tout  autre  plateau  de  ce  continent.  Deux 
routes  traversent  ces  montagnes  :  l'occidentale,  ou  le  défilé 
du  Mont-York,  découverte  en  1S13,  est  plus  praticable 
que  celle  de  Bell ,  plus  au  nord ,  ainsi  nommée  du  nom  de 
celui  qui  la  découvrit  en  1&22.  —  Ce  nom  de  montagnes 
Bleues  sert  quelquefois  à  désigner  toute  la  chaîne  qui  s'é- 
tend depuis  le  cap  Howe  jusqu'à  Loukout. 

BLEUET.  Voyez  Bluet. 

BLEUS  et  VERTS  (en  latin  Veneti  et  Prasini).  C'é- 
taient à  Byzance  les  compagnies  de  conducteurs  de  chars 
qui  avaient  succédé  aux  gladiateurs  de  Rome,  et  qui,  distin- 
guées par  ces  deux  couleurs,  se  disputaient  le  prix  de  l'a- 
dresse dans  les  jeux  du  Cirque.  La  capitale  elle-même 
s'était  divisée  entre  les  deux  factions,  et  Justinien  s'étant 
déclaré  pour  les  Bleus,  le  débat  prit  subitement  un  carac- 
tère politique.  En  532  les  Verts ,  profitant  avec  habileté  du 
mécontentement  du  peuple,  froissé  par  les  exactions  du 
préfet  du  prétoire  Jean  et  du  questeur  Tribonius,  se  révol- 
tèrent, proclamèrent  en  plein  cirque  le  prince  Hypatius 
empereur,  et  assiégèrent  Justinien  dans  son  palais.  Celui-ci 
eût  péri  sans  le  courage  de  Bélisaireet  du  gouverneur 
d'^IUyrie  Mundus,  qui  écrasèrent  les  révoltés,  dont  plus  de 
30,000  restèrent  sur  le  terrain.  Hypatius  ayant  été  pris  et 
décapité ,  son  coi-ps  fut  jeté  dans  le  Bosphore. 

BLIDAII,  ville  de  la  province  d'Alger,  située  au  pied  du 
petit  Atlas,  à  48  kilomètres  sud-ouest  d'Alger,  jtresqu'à 
l'extrémité  de  la  Métidja.  Siège  d'une  sous-préfecture, 
d'un  tribunal  de  première  instance  et  de  tout  ce  qui  com- 
pose un  arrondissement  administratif,  celte  ville  possède 
quatre  belles  mosquées,  une  église  catholique,  et  renferme 
aujourd'hui,  indépendamment  des  indigènes,  une  jtopula- 
tion  européenne  d'environ  3,071  habitants. 

Sa  position,  à  l'entrée  d'une  vallée  profonde,  à  cent  mè- 
tres au-dessus  du  Mazafran  et  à  185  mètres  au-dessus  de  la 
mer  et  de  tous  les  marais  de  la  plaine,  en  fait  une  des 
villes  les  plus  salubres  et  les  plus  saines  de  la  contrée.  Des 
eaux  abondantes  y  alimentent  de  nombreuses  fontaines  et 
arrosent  les  jardins  et  les  bosquets  d'orangers  qui  l'environ- 
nent et  la  dérobent  aux  regards.  L'ancienne  ville  n'existe 
plus.  Détruite  par  un  tremblementde  terre  qui  avait  renversé 
le  2  mars  1825  ses  édifices  les  plus  élevés,  elle  avait  rem- 
placé ses  vieilles  constructions  par  des  maisons  n'ayant  en 
général  que  des  rez-de-chaussée.  Ausitôt  que  les  Français 
en  sont  devenus  maîtres ,  tout  y  a  revêtu  une  physionomie 
nouvelle.  A  l'enceinte  en  pisé ,  liante  de  quatre  mètres,  en 
partie  formée  par  les  nnus  mêmes  des  maisons  et  percée  de 
quatre  portes  communiquant  par  une  large  me  prolongée 
le  long  des  nmrs,  a  été  substituée  une  enceinte  en  maçon- 
nerie flan(|uée  de  deux  tours  placées,  l'une  vis-à-vis  du 
Parc-aux-B(r'ufs ,  l'autre  à  la  porte  Bab-cl-Sebt.  Devenus 
acquéreurs  des  ruines  de  la  ville  arabe ,  des  spéculateurs  les 
déblayèrent  pour  élever  à  leur  place  une  ville  Irançaise.  De 
larges  rues  tirées  au  cordeau  et  des  maisons  de  deux  ou 
trois  étages  se  construisiient  alors  comme  par  enchantement  ; 
mais  l'empressement  de  la  po[)ulation  fut  loin  de  répondre 
à  cette  fièvre  de  construction,  et  des  travaux  considérables 
demeurèrent  inachevés.  Blidah  pourrait,  si  les  fondements 
semi's  il  celte  époque  sur  son  sol  avec  une  exagération  in- 
croyable étaient  terminés  ,  renfermer  plus  de  trente  mille 
âmes!  aussi  la  solitude  qui  résulte  d'un  pareil  encombren>ent 
de  murailles  désertes  et  sans  emploi  donne  àla  ville  un  as- 
pect assez  triste. 

Il  y  a  cependant  à  Blidah  des  germes  de  richesses  qui  ne 
demandent  qu'à  se  développer,  et  qui  semblent  assurer  soi* 
avenir  commercial.  La  nature  l'a  heureusement  dotée.  Les 
eaux  que  l'Atlas  laisse  échapper  dans  la  plaine  fertilisent  soo 
sol ,  et  arrosent  ses  massifs  d'orangers  et  de  citronniers.  Lî 
figuier,  le  cognassier,  l'abricotiçr,  y  produisent  des  fruilA 


290  % 

cxquLs;  la  vigne,  des  raisins  énormes.  On  peut  y  cultiver 
avec  un  égal  succès  les  produits  des  zones  les  plus  tempé- 
iiies  et  les  plus  chaudes.  Ses  montagnes  recèlent  à  quelques 
pas  les  riches  mines  de  cuivre  de  la  Jlouzaïa.  Toutes  les 
tribus  environnantes  fréquentent  son  marché  ;  les  importa- 
tions consistent  en  bestiaux,  chevaux  et  bétes  de  somme, 
céréales,  peaux,  laines,  chai'bon,  bois  à  brûler,  etc.  On  en 
exporte  des  fers  bruts,  delà  mercerie,  de  la  quincaillerie, 
et  des  tissus  de  coton. 

Blidah  est,  à  ce  qu'on  croit,  l'ancienne  Sîifasar,  qui 
figure  sur  V Itinéraire  d'Antonin.  Elle  était  au  temps  des 
Romains  ce  qu'elle  est  encore  aujourd'hui,  tm  nœud  de  com- 
munication dans  le  Petit-Atlas,  un  point  de  réunion, de  re- 
traite ou  de  passage,  d'une  certaine  valeur  stratégique.  Avant 
d'avoir  été  dévastée  par  le  tremblement  de  terre  dont  nous 
afons  parlé  plus  haut,  elle  était  la  ville  des  fêtes  et  des  plaisirs. 
Celait  aussi  le  foyer  d'une  industrie  active,  utile  et  assez 
perfectionnée.  Une  quinzaine  de  moulins  à  blé ,  de  nom- 
breuses tanneries  et  teintureries,  la  préparation  du  maroquin, 
son  horticulture,  étaient  autant  de  causes  de  richesse  et 
de  prospérité  pour  sa  population  indigène,  dont  le  chiffre  at- 
teignait 7,000  Ames.  Mais  lors  de  l'occupation  française  on 
en  comptait  à  peine  3,000,  mélange  confus  de  Maures, 
de  Juifs,  de  Turcs,  et  surtout  de  Nègres  libres.  Les  Arabes 
habitaient  de  préférence  des  cabanes  en  bois  et  en  roseaux, 
aux  alentours  de  la  ville. 

La  première  reconnaissance  dirigée  du  côté  de  Blidah 
fut  commandée  par  le  général  de  B  on  r  m  ont,  le  22  juil- 
let 1S30;  mais  le  bey  de  Titery,  avec  ses  Kabyles  embus- 
qués ,  nous  empêcha  de  rester  dans  la  ville ,  dont  les  habi- 
tants nous  avaient  cependant  accueillis  avec  cordialité.  Le  19 
novembre  1831  un  corps  de  7,000  hommes,  commandé 
par  le  général  Clauzel,  s'avança  jusqu'aux  portes  de  Bli- 
dah, que  les  Arabes  ne  livrèrent  qu'après  une  vigoureuse 
résistance.  Le  colonel  Rulhières  y  fut  laissé  avec  deux  ba- 
taillons et  deux  pièces  de  canon.  Pendant  six  mois  entiers , 
il  résista,  sans  château,  et  avec  un  mur  ouvert  snr  plusieurs 
Iioints,  à  toutes  les  forces  de  Ben-Zamoun.  Mais  le  général 
Clauzel ,  craignant  avec  raison  les  sacrifices  qu'exigerait 
cette  nouvelle  occupation,  y  renonça,  et  rappela  sa  garni- 
son. Le  20  novembre  1832  le  duc  de  Rovigo  fit  marcher 
contre  Blidah  une  colonne,  à  l'approche  de  laquelle  les  Bli« 
dicns  prirent  la  fuite,  emportant  leurs  richesses.  La  ville, 
prise  et  pillée,  fut  abandonnée  de  nouveau.*  Le  général 
Drouet  d'Erlon,  engoué  de  Ben-Omar,  avait  résolu  de 
l'établir  à  Blidah.  On  envoya  cet  équivoque  représentant  de 
la  nation  française,  avec  un  fort  détachement  de  cavalerie, 
aux  Blidiens.  Mais  ceux-ci  n'en  ayant  pas  voulu ,  son  es- 
corte ne  servit  qu'à  le  ramener  à  Alger.  Le  29  avril  1837 
le  général  de  Damrémont,  pénétrant  dans  Blidah  avec 
trois  brigades ,  châtiait  les  habitants,  qui  avaient  envoyé  os- 
tensiblement une  députation  à  Abd-el-Kader,  pendant 
que  celui-ci  cherchait  à  soulever  la  province  de  Titery.  Les 
chefs  firent  leur  soumission.  On  leur  prescrivit  d'organiser 
«ne  milice  urbaine ,  d'établir  des  postes  de  sûreté ,  et  d'in- 
terdire leur  ville  aux  maraudeurs  qui  venaient  sans  cesse 
s'y  réfugier.  On  reconnut,  dans  cette  excursion,  le  cours  de 
la  Chiffa,  Coléah,  l'embouchure  du  Mazafran,  et  toute  la 
ligne  qui  marqua  plus  tard  les  limites  du  territoire  réservé 
par  le  honteux  traité  de  la  Tafna.  Ce  fut  le  3  mai  1838 
qu'on  prit  définitivement  possession  de  Blidah,  afin  de  com- 
pléter l'occupation  depuis  l'Oued-Kadara  jusqu'à  la  Chiffa. 
Le  maréchal  'Valée  fut  reçu  aux  portes  de  la  ville  par  le 
hakem  de  Blidah,  le  kaïd  des  Béni-Salah,  et  l'ancien  kaïd 
des  Hadjoutes,  qui  l'accompagnèrent  dans  la  reconnais- 
sance qu'il  fit  autour  des  murs  d'enceinte.  Deux  camps  furent 
établis  :  l'un,  dit  camp  supérieur,  à  l'ouest,  sur  la  rive 
gauche  du  ravin ,  que  la  tradition  désigne  comme  l'ancien 
lit  de  rOued-Sidi-el-Kébir,  et  dans  l'enceinte  duquel  a  été 
créé  depuis  le  village  de  Joinville;  l'autre,  camp  inférieur, 


BLlD.\ii  —  liLIiNDAGE 


à  l'est  et  à  l'entrée  même  des  jardins  couvrant  la  route  qui 
conduit  du  blockhaus  de  Méred  au  camp  supérieur.  Le  vil- 
lage de  Montpen.sier  a  été  fondé  dans  son  enceinte.  L'oc- 
cupation de  la  ville  ne  fut  effectuée  que  petit  à  petit,  afin  de 
prévenir  les  accidents,  les  collisions  avec  les  habitants,  et 
la  dévastation  des  jardins.  L'enceinte  fut  réparée  et  crénelée. 
On  établit  un  poste  à  la  porte  Bab-el-Dzair.  On  construisit 
dans  le  lit  de  l'Oued-el-Kébir  un  barrage  en  maçonnerie,  afin 
d'assurer  à  la  garnison  la  possession  de  l'eau,  quillui  était  si 
souvent  disputée  par  l'ennemi.  Les  hauteurs  de  Mimich  et 
de  Mesroui  furent  garnies  de  blockhaus.  Enfin ,  d'immenses 
travaux  entrepris  dans  la  ville  la  mirent  à  l'abri  de  toute 
surprise,  et  les  habitants,  rassurés,  rentrèrent  peu  à  peu,  et 
reprirent  avec  confiance  leurs  travaux  si  longtemps  inter- 
rompus et  qui  n'ont  plus  été  troublés. 

BLIND  (Charles  ),  révolutionnaire  badois,  né  à  Man- 
heim,  vers  1826.  Pendant  qu'il  faisait  ses  études  à  Heidel- 
berg ,  Blind  avait  déjà  participé  à  tous  les  mouvements  po- 
litiques dans  le  sens  du  radicalisme  le  plus  absolu.  Au  mois 
d'août  1847  il  fut  arrêté  à  Neustadt-an-der-Hardt  comme 
coupable  d'avoir  répandu  un  pamphlet  intitulé  la  Famine 
allemande  et  les  Princes  allemands  ;  mais  on  lui  rendit  la 
liberté  au  mois  de  novembre.  Il  se  retira  alors  à  i"\Ianheim, 
où  il  prit  part  à  la  rédaction  des  feuilles  radicales  qui  s'y 
publiaient.  Après  la  révolution  de  février,  il  fut  mêlé  à 
tous  les  événements  de  Carlsruhe.  Au  mois  de  septembre, 
lorsque  fut  connue  la  résolution  de  l'assemblée  de  Franc- 
fort touchant  l'armistice  de  ]Malmœ,  il  se  joignit  à  l'expé- 
dition de  Struve,  et  exerça  les  fonctions  de  membre  ou 
d'agent  du  gouvernement  républicain.  A  l'alTaire  de  Stau- 
fen,  il  combattit  sur  les  barricades,  et  fut  arrêté  immé- 
diatement au  village  de  Wehr  par  la  milice  bourgeoise. 
Le  discours  qu'il  prononça  lors  du  procès  des  conspira- 
teurs, qui  se  jugea  à  Fribourg  du  20  au  30  mars  1849, 
ne  manque  pas  d'une  certaine  emphase  révolutionnaire; 
mais  c'est  moins  une  défense  qu'une  attaque  contre  ses 
adversaires  politiques.  Condamné  avec  Struve  à  huit  an- 
nées de  travaux  forcés ,  il  fut,  après  huit  mois  de  détention, 
remis  en  liberté,  à  l'explosion  de  la  révolution  badoise ,  par 
suite  d'une  délibération  de  l'assemblée  populaire  d'Offen- 
bourg.  Ennemi  de  Brentano,  Blind  fut  envoyé  à  Paris 
par  le  gouvernement  provisoire,  qui  n'avait  en  vue  que  de 
l'éloigner.  Il  s'y  mêla  aux  luttes  des  partis  ,  fut  arrêté ,  dé- 
tenu en  prison  pendant  quelque  temps,  et  expulsé  au  mois 
d'août  1849.  Il  a  fini  par  passer  en  Amérique. 

BLINDAGE,  BLINDES  (de  l'allemand  ft;i;jrf,  aveugle, 
ou  blenden j  aveugler),  travail  de  siège  ayant  pour  but 
de  mettre  à  l'abri  des  feux  de  l'ennemi  les  magasins  ou  éta- 
blissements militaires.  On  blinde  surtout  avec  soin,  crainte 
d'explosion ,  les  magasins  à  poudre.  Le  blindage  varie  sui- 
vant la  nature  des  matériaux  qu'on  a  sous  la  main.  Quand 
le  bâtiment  qu'il  s'agit  de  blinder  est  solidement  construit  et 
pourvu  de  murs  assez  épais,  les  planchers  en  sont  mis  à  l'ér 
preuve  de  la  bombe  au  moyen  de  poutres  transversales, 
supportées  par  des  pieux ,  et  en  établissant  en  travers ,  sur 
les  solives ,  d'autres  pièces  de  charpente ,  recouvertes  de 
fascines,  de  terre,  de  fumier,  d'une  épaisseur  d'un  mètre  en- 
viron. On  blinde  aussi  les  constructions  qui  renferment  des 
munitions,  des  vivrqs,  des  malades,  ou  seulement  des  hommes 
qui  ne  sont  pas  de  service.  En  campagne,  le  blindage  d'un 
corps  de  garde,  d'une  église,  d'une  ferme,  d'un  moulin, 
peut  en  faire  un  poste  susceptible  d'une  assez  longue  résis- 
tance. 

En  tenues  de  marine,  blinder  un  vaisseau  se  dit  quand 
on  l'embosse  pour  soutenir  une  batterie  ou  défendre  une 
passe.  Ce  blindage  est  fait  de  ballots  de  laine  ou  d'étoupe 
de  câbles.  On  blinde  aussi  les  ponts  des  vaisseaux,  dans  un 
port  où  l'on  craint  un  bombardement ,  en  les  couvrant  de 
câbles  et  d'étoupe  jusqu'à  une  certaine  épaisseur  pour  amor- 
tir l'effet  de  la  chute  d'une  bombe. 


BLINDAGI-:  - 

T,cs  fithidos ,  employées  é-^alemcnt  dans  la  défense  par 
terri-  cî  p;ir  mer,  sont  des  inoireaux  (!e  bois  dont  on  cou- 
vre les  trancliées,  ou  des  morceaux  de  vieux  câbles  dont  on 
couvre  les  flancs  d'un  vaisseau  pour  les  préserver  des  bou- 
lets. Les  blindes  dont  on  se  sert  sur  terre  sont  ordinairement 
laites  de  bois  ou  de  branches  entrelacées ,  qu'on  enferme 
entre  deux  rangs  de  pieux  debout  ou  de  claies.  Ces  pieux 
sont  de  la  hauteur  d'un  iiomme  et  distants  de  l'",ZO  à  l^jGO. 
On  les  emploie  principalement  à  la  tête  des  tranchées , 
quand  on  veut  les  pousser  de  front  vers  les  glacis,  ou  lors- 
qu'elles sont  enlilées,  pour  mettre  à  couvert  les  travailleurs. 

BLOC.  La  Fontaine,  dans  sa  fable  du  S^a^wairc, dit  : 

Un  bloc  de  inaibre  était  si  beau 
Qii'un  statuaire  en  fît  emplette. 
Qu'en  fera,  dit-il ,  mou  ciseau? 
Sera-t-il  diiu,  table,  ou  cuvette? 
Il  sera  dieu,  etc. 

Un  bloc  est  en  effet  un  morceau  de  pierre  ou  de  marbr.i 
dont  la  forme  et  la  dimension  sont  souvent  l'effet  du  ha- 
sard ,  lo!S(]iie  le  canicr  le  détache  du  banc  auquel  il  appar- 
tient. C'est  iiinsi  qu'on  les  emploie  maintenant  dans  les  Ion- 
dations  des  grands  monuments.  Pour  ne  rien  perdre  de  la 
matière,  on  change  très-peu  leur  forme  primitive,  ayant 
seulement  soin  de  les  réduire  à  une  hauteur  uniforme  pour 
chaque  assise,  tandis  que  dans  les  constructions  hors  de 
terre  les  pierres  sont  toujours  équarries  bien  régulièrement. 

Les  blocs  sortent  donc  ordinairement  de  la  carrière 
sans  aucim  travail;  quelquefois  cependant  ils  sont  é(iuarris 
grossièrement,  ou  bien  enfin  on  leur  donne  une  forme  de- 
inan<lée ,  et  dans  ce  cas  ils  reçoivent  la  dénomination  de 
blocs  d'Échantillon;  mais  ou  ne  fait  usage  de  pareils  blocs 
tpje  pour  procurer  plus  de  solidité  à  certaine  partie  d'un 
monument,  et  seulement  dans  des  cas  assez  rares,  à  cause 
delà  difiiculté  qu'entraîne  le  placement  de  blocs  d'un  grand 
volume,  et  aussi  pour  éviter  la  dépense  que  cela  occasionne. 
C'est  ainsi  que  à  la  Madeleine  à  Paris  les  chapiteaux  de 
la  colonnade  ont  tous  été  faits  d'un  seul  bloc  qui  en  place 
a  coûté  3,000  fr.  Au  Panthéon  les  angles  du  fronton  du  pé- 
ristyle, qui  sont  d'un  seid  bloc,  ayant  plus  de  15  mètres 
cubes,  pesant  25,000  kilogramaies ,  reviennent  chacun  à 
10,000  francs.  Le  fronton  de  la  colonnade  du  Louvre  est 
aussi  recouvert  par  deux  pierres  tirées  des  carrières  de  Meu- 
don  ;  chaque  bloc  avait  K;"',  8!)  de  long  sur  2"*,  59  de  large 
et  0'",  4s  d'épaisseur.  Enlin  on  cite  ericore  les  blocs  de  gra- 
nit destinés  au  tombeau  de  Napoléon. 

Le  plus  extraordinaire  de  tous  les  blocs  pour  son  volimie 
ol  pour  son  poids  est  celui  qui  a  été  employé  pour  la  base 
<le  la  statue  de  Pierre  V" ,  élevée  à  Saint-Pétersbourg  \)àY 
ordre  de  l'impératrice  Catherine  II ,  et  exécutée  en  bronze 
par  le  statuaire  Falconnet.  Ce  bloc  immense  était  tme  roche 
de  granit  trouvée  dans  un  marais  de  la  Finlande ,  à  cinq  lieues 
de  Saint-Pétersbourg;  il  avait  13"* ,65  de  long,  8'",75  de 
large  et  6™, 80  de  haut,  ce  qui  donnait  un  poids  d'environ 
deux  millions  de  kilogrammes.  On  le  transporta  dans  toute 
son  intégrité;  mais  lorsqu'il  fut  arrivé  à  Saint-Pétersbourg, 
on  en  retrancha  quelques  parties,  qui  diminuèrent  son  poids 
d'un  quart  environ.  Ce  travail  se  fait  ordinairement  dans  la 
carrière  uièmc,  pour  diminuer  le  volume  et  le  poids  du  bloc, 
afin  d'économiser  les  frais  de  transport. 

A  côté  de  cette  masse  immense  que  paraîtraient  notre  obé- 
lisque de  Louqsor  et  son  piédestal,  qui  ne  pèsent  chacun  que 
400  milliers?  Encore  ce  piédestal  est-il  composé  de  cmkj 
blocs,  dont  le  plus  considérable  est  le  dé,  qui  a  5  mètres 
de  haut  sur  3  de  large  et  pèse  200  milliers. 

On  donne  aussi  le  nom  de  bloc  à  vine  forte  pièce  de  bois 
qiii  dans  les  vaisseaux  sert  de  support  aux  mâts. 

La  même  dénomination  s'emploie  également  pour  dési- 
gner une  pièce  de  fer  ronde  et  creuse  dans  laquelle  les  gra- 
veurs Mir  m<'taux  fixent ,  au  moyen  de  quatre  vis ,  le  coin 

DICr.   1)L   LA    CO.NNMls     i.    u,. 


BLOCKHAUS  2î)r 

ou  le  cachet  qu'ils  veulent  graver,  ef  qui  serait  trop  petit 
pour  être  tenu  seulement  à  la  main. 

Dans  le  commerce,  on  dit  aussi  vendre  en  bloc,  lors- 
qu'une partie  de  marchandises  est  vendue  dans  son  inté- 
grité ,  sans  avoir  rien  déballé,  et  même  sans  donner  aucune 
désignation  de  poids  ou  d'aunage.         Dlchesne  aîné. 

BLOCAGE  ou  BLOCAILLE,  diminutif  de  bloc;  nom 
donné  en  maçonnerie  à  de  petites  pierres  brutes,  irrégu- 
lières, qu'on  emploie  sans  préparation  pour  la  construc- 
tion de  certaines  fondations  ou  dans  l'eau.  On  les  jette  pêle- 
mêle  avec  le  mortier.  On  les  emploie  aussi  pour  garnir  le  milieu 
des  murs  et  des  gros  massifs. 

En  termes  d'imprimerie,  blocage  se  dit  de  l'emploi  d'une 
lettre  retournée  sur  son  œil,  et  mise  à  la  place  d'une  autre 
qui  manque  dans  la  casse. 

BLOCII  (Marc-Eliézek),  ichtiiyologiste  célèbre,  né  en 
I72;{ ,  était  le  lils  de  pauvres  juifs  établis  à  Anspach ,  et  qui 
ne  lui  donnèrent  presq'.îc  aucune  éducation.  Placé  en  qualité 
d'in-^tituteur  chez  un  chirurgien  juit  établi  à  Hambourg ,  il 
acquit  quelque  connaissance  des  écrits  des  rab!)ins,  et  ap- 
prit l'aUemand  ,  ainsi  que  le  latin  et  les  premiers  éléments 
de  l'anatomie.  Le  désir  de  pousser  plus  avant  l'étude  de  cette 
science  le  conduisit  à  Berlin,  où,  grâce  au  secours  de  quel- 
ques parents,  il  put  étudier  la  médecine.  L'ardeur  avec  la- 
quelle il  se  livra  alors  au  travail  lui  eut  bientôt  fait  rega- 
gner le  temps  perdu ,  et  acquérir  des  connaissances  aussi 
variées  qu'étendues.  Reçu  docteur  en  médecine  à  Francfort- 
sur  l'Oder,  il  vint  pratiquer  son  art  à  Berlin ,  où  son  rare 
savoir  et  la  noblesse  de  son  caractère  lui  méritèrent  l'estime 
générale,  et  où  il  mourut  le  6  aoiit  1799.  La  base  de  sa  grande 
et  juste  réiuitalion  comme  naturaliste  fut  son  Histoire 
uiiicersclle  des  Poissons  (12  vol.  in-4",  Berlin,  1782-1795, 
avec  432  ]ilanches  coloriées),  qui  fut  pendant  long!enq)s  le 
seul  ouvrage  complet  sur  la  matière,  et  qui  aujourd'hui 
encore  oflre  à  la  science  des  ressources  précieuses,  à  cause 
de  ses  gravuies,  ma'gré  la  complète  révolution  opérée  dans 
l'ichtli'yologie.  Pour  la  publication  de  cet  ouvrage,  dont  les 
frais  immenses  eussent  de  beaucoup  dépassé  ses  ressources 
personnelles,  B'och  fut  aidé  par  la  libéralité  de  plusieurs 
princes  et  de  riches  personnages.  Il  a  laissé  inachevé  son 
Sijslcnui  Ichthijoiorjix  iconibus  CX  illustraium ,  publié 
par  Schneider  à  Berlin  en  1801.  Le  gouvernement  prussien 
acheta,  ;i  sa  rnoit,  sa  belle  collection  de  poissons,  qui  fait 
aujourd'hui  partie  du  Muséiun  zoologique  de  Berlin. 

BLOCÎînAUS  (de  l'allemand  AaH.$,  maison,  et  block, 
bloc,  billot,  tronc  d'arbre).  C'est  une  pièce  détachée,  ua 
pâté,  uire  redoute,  un  fort,  uîi  fortin,  ordinairement  construit 
eu  bois,  n'ayant  point  d'issue  apparente,  et  conummiquant 
sous  terre  à  un  ouvrage  principal  dont  le  blockhaus  est  un  poste 
avanc"  Sa  garnison,  pourvue,  commedans  un  poste  avancé, 
de  vivies  et  de  munilions  de  guerre,  est  cliargée  de  se  dé- 
fendre jusqu'à  la  dernière  extrémité.  Les  Allemands,  qui  s'en 
servent  beaucoup  en  campagne,  s'attribuent  l'invention  de 
ce  genre  de  forts  détachés;  cependant  ces  constructions 
sont  fort  anciennes  en  France  :  Chai  les  VI,  ayant  projeté 
une  descente  en  Angleterre,  fit  dresser  en  1385,  à  l'Ecluse, 
une  grande  ville  de  bois,  pour  mettre  l'armée  française  à 
couvert  dès  qu'elle  aurait  débarqué.  Celte  ville  se  couiposait 
de  pièces  de  cb.arpente  qu'on  chargeait  sur  les  vaisseaux  et 
qui  (levaient  être  aisément  dressées  et  assemblées  sur  les 
côtes  d'Angleterre. 

En  1778  ,  Gassendi  appelait  blocJihans  un  corps  de  garde 
palissade  et  blindé.  Le  général  ISIarion  rattache  à  cette 
môme  année  l'usage  des  blockhaus  couverts  :  le  premier 
aurait  été  construit  en  Silésie,  à  Schedelsdorlf.  Aujourd'hui 
le  bloclihdus  est  une  palanque  à  ciel  ouvert.  Les  murs  en 
sont  percés  d'un  ou  de  deux  étages  de  créneaux,  et  couverts 
d'une  plate-forme  armée  de  queUpies  pièces  de  canon.  Cette 
forme  de  conslmction  est  très-commode,  pouvant  être 
disposée  «i  l'avance,  transportée  et  ihossée  promptemciit  si  r 

3b 


29S 


BLOCKHAUS  —  BLOCUS 


lin  point  menacé.  Au  siège  de  D.tntzig  en  1807  un  block- 
haus exigea,  presque  à  lui  seul,  les  efforts  d'un  sic^ge. 
On  en  avait  construit  h  Paris  un  assez  grand  nombre  p(jur 
l'expédition  d'Alger  en  1830;  et  quand  le  débarquement  eut 
eu  lieu ,  on  fit  usage  de  ces  blockhaus  avec  le  plus  grand 
succès  pour  mettre  les  avant-postes  à  l'abri  de  toute  sur- 
prise. Aussi  continue-t-on  de  les  employer  en  Afrique  dans 
la  plupart  des  opérations  militaires.  On  en  a  construit  sur 
place  à  mâchicoulis  et  sans  fossé.  11  a  été  traité  théorique- 
ment des  blockhaus  par  Hauser,  Meciszenski,  C.-F.  Pes- 
chel ,  Louis  151esson ,  N.  Rouget.  Leurs  ouvrages  sont  en 
allemand.  Le  colonel  suisse  Dufour,  dans  son  Traité  de 
Fortification,  donne  aussi  des  détails  étendus  sur  les  block- 
haus. G"'  Bardin. 

BLOCKSBERG,  nom  donné  à  plusieurs  montagnes 
du  iMccIdeuibouig,  de  la  Prusse,  et  particulièrement  au 
J5rocken,  la  plus  haute  cime  des  montagnes  du  Hartz  et 
de  l'Allemagne  septentrionale. 

Le  IJIocksberg  est  célèbre  sous  un  autre  rapport  ;  là , 
suivant  une tia'ilion  probablement  très-ancienne,  les  sor- 
cières viennent  se  réimir  chaque  année ,  dans  la  nuit  du 
1"'  mai  ;  là  se  tient  l'assemblée  générale  de  tous  les  êtres 
qui,  dans  le  nord  de  l'Allemagne,  sont  en  rapport  avec  les 
esprits  surnaturels;  cette  fête  infernale  s'appelle  la  nuit 
de  Valpurrje.  Presque  toutes  les  montagnes  théâtres  des 
ébats  des  sorcières ,  comme  le  Schwarzwald  en  Souabe ,  le 
Kandel  ou  le  Heuberg  en  Brisgau ,  le  Horselberg  ou  Tln- 
selberg  en  Thuringe,  le  Bechteisberg  dans  la  Hesse,  étaient 
célèbres  parmi  les  Germains,  avant  leur  conversion  au  chris- 
tianisme, par  les  fêtes  qui  s'y  célébraient  le  l*"^  mai,  le  plus 
saint  (les  jours  de  l'année.  Lorsque  la  religion  nouvelle  eut 
(létri  comme  de  dangereuses  magiciennes  les  aimables  sui- 
vantes de  la  déesse  Holda,  les  anciennes  fêtes  religieuses  se 
changèrent  dans  l'imagination  du  peuple  en  abominables 
sabbats  de  sorcières.  De  cette  tradition  confuse,  Goethe 
a  fait  le  sujet  d'une  de  ses  ballades  {La  première  Nuit  de 
Valpurge);  c'est  également  sur  la  cime  du  lilocUsberg  qu'il 
a  placé  les  scènes  les  plus  faiitasticpies  de  son  Faust. 

BLOCS  ERRATIQUES.  C'est  le  nom  donné  par 
notre  célèbre  minôralogisle  Ale\.  Brongniart  à  ces  masses 
granitiques ,  à  ces  énormes  cailloux  (jui  se  trouvent  à  la 
surface  du  sol,  sur  difléreiits  points  de  notre  continent,  et 
souvent  à  des  distances  de  plus  de  so  et  môme  de  100  my- 
riamèîres  des  montagnes  aux  flancs  desquelles  une  force 
inconnue  a  dû  ,  à  une  époque  antérieure,  les  arracher  pour 
les  rouler  et  les  rejeter  ainsi  au  loin ,  sans  doute  à  la  suite 
de  quelque  cataclysme  semblable  à  celui  dont  le  souvenir 
s'est  trop  fidèlement  transmis  parmi  nous  de  génération  en 
génération,  sous  la  dénomination  de  déluge  universel, 
pour  n'y  voir  qu'une  tradition  erronée  ou  allégorique. 

On  rencontre  une  immense  quantité  de  ces  blocs  erra- 
tiques en  Hollande,  en  Danemark,  dans  le  nord  de  l'Alle- 
magne, en  Plusse,  en  Livonie,  en  Pologne,  qui  provien- 
nent évidemment  des  montagnes  du  nord  de  la  Suède  et  de 
la  Russie  ;  et  sur  le  versant  du  Jura  qui  regarde  les  Alpes, 
on  en  trouve  qui ,  évidemment  aussi ,  ont  dû  être  jadis  ar- 
rachés des  l'.ancs  de  ces  montagnes. 

La  grandeur  de  ces  blocs  erratiques  est  quelquefois  im- 
mense :  on  en  rencontre  souvent  qui  ont  jusqu'à  20  mè- 
tres de  longueur  sur  5  ou  6  d'épaisseur.  L'imagination  reste 
confondue  quand  on  rélléchit  à  la  force  qui  a  été  nécessaire 
l>our  soulever  ces  masses  gigantesques  et  les  projeter  ainsi 
a  des  distances  énoimes.  Aussi  ce  phénomène  a-t-il  ap- 
pelé de  bonne  heure  l'attention  des  physiciens  et  des  géo- 
logues. 

Pendant  longtemps  on  regarda  quelque  immense  érup- 
tion volcanique,  dont  rien  de  ce  qui  .se  passe  aujourd'hui  sur 
1-1  terre  ne  peut  donner  une  idée,  connue  pouvant  seul»  e\- 
l>li(liier  rationnellement  l'evistence  des  blocs  erratiques. 
CVpeu.lant  on   fut  porté  à  pinser   (pie  ceux  qu'on  trouve 


dans  certaines  contrées  de  l'Allemagne  avaient  bien  pu,  dan» 
([uelque  grand  cataclysme,  avoir  été  entraînés  là  sur  des 
masses  de  glaces  descendues  du  Nord.  Mais  cette  idée  était 
encore  si  peu  généralisée  que  L.  de  Buch  expliquait  les  remar- 
quables amas  qu'on  a  rencontrés  dans  la  vallée  du  Rhône 
à  l'aide  d'une  théorie  particulière  :  il  supposait  l'existence 
de  courants  d'une  force  énorme  relativement  à  IVtat  de  M 
calme  où  se  trouve  aujourd'hui  notre  globe,  courants  qui  ■ 
tout  à  coup  s'étaient  élancés  dans  toutes  les  vallées  des 
Alpes,  entraînant  avec  eux  ces  blocs  gigantesques  et  venant 
les  déposer  presque  intacts  au  pied  des  montagnes. 

L'élude  des  glaciers  de  la  Suisse  ,  devenue  nécessaire  en 
raison  de  leurs  i)rogrès,  vint  de  nouveau  signaler  ce  fait 
important,  que  ces  masses  de  glaces  entraînent  et  poussent 
constamment  devant  elles  de  grands  amas  de  ces  blocs  de 
pierre.  Venetz  et  Charpentier  signalèrent  les  premiers  la 
glande  chaîne  de  blocs  erratiques  accumulés  en  couches 
assez  semblables  à  des  remparts  jusque  dans  les  plaines  de 
la  Suisse;  et  ils  en  conclurent  pour  la  vallée  du  Rhône  l'exis- 
tence d'un  immense  glacier  local,  s'étendaiit  autrefois  jusque 
là  et  ayant  abandonné  ces  débris  en  se  retirant.  C'est  alors 
que  M.  Agassiz  transforma  ces  conjectures  en  une  théorie 
générale  qu'il  ne  limita  pas  à  la  Suisse,  mais  dont,  au  contraire, 
il  démontra  la  parfaite api)lication  à  l'Ecosse,  à  l'Angleterre 
et  à  l'Irlande. 

BLOCUS  [Art  militaire).  Dans  la  langue  gauloise,  bloc 
signifiait  à  la  fois  une  masse  de  forme  ronde,  et  une  figure 
circulaire.  Le  verbe  bloquer,  qui  en  dérive,  désignait  ainsi 
l'action  de  resserrer,  comprimer,  entourer  circulaiiement. 
C'est  dans  ce  sens  qu'il  est  employé  dans  l'art  militaire.  On 
bloque  une  place ,  un  fort ,  un  camp ,  un  port  ennemi ,  lors- 
qu'on Ta  entouré,  qu'on  en  resserre  les  déleuseurs  dans  le 
plus  petit  espace  possible,  qu'on  leur  ôte  toute  communi- 
cation avec  le  pays  environnant.  Le  mot  technique  blocus 
indique  la  situation  réciproque  des  défenseurs  d'une  place 
forte,  d'un  camp,  etc.,  et  des  ennemis  qui  les  entourent. 
Faire  le  blocus  est  synonyme  de  bloquer. 

Le  blocus  diffère  du  siège  en  ce  que  ce  dernier  est  une 
opération  active  ,  par  laquelle  on  attaque  de  vive  force  les 
letranchements  dont  lennemi  est  couvert ,  afin  de  hâter  le 
moment  de  sa  reddition;  tandis  que  le  blocus  est  une  opé- 
ration inerte  et  quasi  défensive  ,  par  laquelle  on  cherche  à 
empêcher  l'ennemi  de  recevoir  aucun  secours  d'hommes, 
de  vivres ,  de  munitions  ,  afin  de  l'obliger  à  se  rendre  lors- 
qu'il aura  consonnné  toutes  ses  ressources  de  délense  ou 
(le  subsistance.  Cette  définition  indi(iue  déjà,  d'une  manière 
générale,  quelles  sont  les  mesures  qu'on  doit  prendre  pour 
former  un  blocus.  Vouloir  donner  pour  tous  les  cas  pos- 
sibles toutes  les  règles  de  détail  relatives  an  placement  des 
troupes  destinées  au  blocus  serait  une  entreprise  puérile  : 
d'un  côté ,  il  faut  su|)poser  que  le  général  qui  en  sera  chargé 
connaît  assez  les  éléments  de  lart  de  la  guerre  pour  n'avoir 
pas  besoin  d'une  instruction  qui  prévoie  jusqu'aux  cas  les 
plus  ordinaires  ;  de  l'autre,  ceux  qui  se  présentent  étant  le 
résultat  d'éléments  variables ,  tels  que  la  configuration  du 
terrain,  la  force  et  la  position  des  troupes  qui  peuvent 
chercher  à  inquiéter  le  blocus,  etc.,  les  combinaisons  en- 
sont  tellement  multiples  (pic  l'esprit  humain  ne  saurait  les 
embrasser  toutes  à  la  fois. 

Il  est  cependant  (piehiues  règles  générales  qui  trouvent 
leur  aiiplication  dans  tous  les  cas ,  et  que  nous  croyons 
utile  (le  rapporter  aussi  brièvement  que  possible.  Kous 
prendrons  pour  exemple  une  ville  fortifiée  de  quelque 
étendue,  ayant  par  conséquent  une  garnison  assez  nom- 
breuse. 

Le  blocus  d'une  place  forte  peut  avoir  deux  objets  difi'é- 
rents  :  il  jieut  arri\er  que  le  but  de  l'armée  assaillante  soit 
de  détruire  d'abord  l'aimée  qui  lui  est  opposi-e,  et  de  C(un- 
mencer  à  ein.ihir  le  pays  contre  Icfiuel  elle  est  employée, 
on  dipassaiit  Ils  places  fortes,  afin  de  remplir  ce  but.  Alor» 


BLOCUS 


299 


i\  hii  surfit  (le  paiulyser  les  ganii'întis  «ies  |i!aces  qu'elle 
laisse  derrière  elle,  alin  <le  les  eniptUlier  de  lui  nuire.  Kl!e 
(loU  mOine  employer  à  cette  opération  le  moindre  nombre 
{M)ssible  de  troupes,  afin  d'en  conserver  assez  pour  assurer  le 
succès  de  son  opération  principale.  Le  blocus  alors  est  moins 
resserré,  et  son  objet  unique  est  d'empècber  que  les  garni- 
sons fassent  des  sorties  à  une  distance  un  peu  proiongi  e. 
Cette  manière  de  bloquer  s'appelle  masquer,  parce  que  les 
troupes  qui  en  sont  chargées  forment  par  leur  disposition  un 
ma<(iue  derrière  lequel  les  mouvements  de  l'armée  principale 
et  de  ses  accessoires  peuvent  s'effectuer  sans  être  reconnus, 
ni  par  conséquent  empêchés.  C'est  ce  qui  a  eu  lieu  pi-n- 
<lant  les  deux  invasions  de  la  France,  en  1814  et  en  1S15. 

Il  peut  également  arriver  que,  par  des  circonstances  qui 
tiennent  à  la  force  de  l'armée  assaillante ,  à  la  difficulté  de 
réunir  les  moyens  nécessaires  pour  un  siège,  à  la  situation  de 
la  place,  etc.,  l'armée  soit  obligée  de  se  contenter  de  bloquer  la 
place  dont  elle  veut  se  rendre  maîtresse.  Son  but  doit  être  alors 
d'empêcher  que  la  garnison  reçoivedu  dehors  des  moyens  de 
prolonger  sa  défense,  afin  de  la  forcer  à  se  rendre  lorsqu'elle 
aura  consommé  ceux  que  la  place  renferme  dans  son  sein, 
Dans  ce  cas,  le  blocus  doit  être  aussi  resserré  que  pos- 
sible; et  il  faut  y  employer  assez  de  troupes  pour  que  les 
efforts  que  pourrait  tenter  la  garnison  afin  de  se  procurer  des 
subsistances  puissent  constamment  être  déjoués.  C'est  ainsi 
qu'en  1796  le  mouvement  de  Wurmser  ayant  fait  perdre  à 
l'armée  française  d'Italie  toute  l'artillerie  employée  au  siège 
de  Mantoue,  le  général  en  chef  Bonaparte ,  revenu  devant 
cette  place  après  la  bataille  de  Castiglione,  se  contenta  de 
la  tenir  étroitement  bloquée,  et  la  prit  six  mois  plus  tard. 

Le  nombre  de  Irouiies  qu'on  doit  employer  au  blocus  d'une 
place  est  en  raison  combina  c  de  la  force  de  la  garnison  et 
de  la  disposition  du  terrain.  Il  faut  que  chacun  des  points 
qu'il  est  important  de  garder  afin  de  couper  toutes  les 
conunnnicalions  extérieures  de  la  place,  soit  occupé  par  un 
corps  suflisant,  par  sa  lorce  et  sa  position,  pour  résister  aux 
efforts  de  l'ennemi  pour  l'en  chasser.  11  faut  au  moins  que 
cette  résistance  soit  assez  prolongée  pour  donner  le  temps 
aux  corps  de  blocus  les  plus  voisins  de  secourir  celui  qui 
est  attaqué.  Les  grandes  sorties  que  peut  faire  la  garnison 
d'une  place  située  sur  un  terrain  où  la  communication  entre 
les  quartiers  des  troupes  employées  au  blocus  est  facile,  et 
où  la  sortie  peut  elle-même  être  attaquée  en  flanc  ou  coupée, 
ne  doivent  guère  employer  plus  d'un  quart  de  la  garnison. 
Ces  sorties  ayant  besoin  d'être  échelonnées  par  une  ou  deux 
réserves,  et  étant  exposées  à  de  grandes  pertes  d'hommes, 
un  revers  affaiblirait  trop  la  garnison  si  elles  étaient  plus 
fortes.  Il  faut  donc,  dans  ce  cas,  que  le  corps  employé  au 
blocus  soit  assez  fort  pour  avoir,  à  chacun  des  points  qu'il 
lui  importe  de  garder,  un  détachement  au  moins  égal  au 
quart  de  la  garnison ,  soit  par  le  nombre  d'hommes  qui  le 
composent,  soit  par  les  défenses  naturelles  ou  artificielles 
dont  il  peut  se  couvrir.  Dans  ce  cas,  le  corps  du  blocus  s'é- 
tablit à  une  assez  grande  distance  de  la  place  pour  que  les 
sorties  de  la  garnison  aient  à  craindre  de  se  voir  couper  la 
retraite;  et  on  détruit  ou  enlève  tous  les  moyens  de  subsis- 
tance qui  se  trouvent  entre  la  place  et  le  cordon  du  blocus. 

Si  la  (ilace  qu'on  veut  bloquer  n'a  qu'un  petit  nombre  de 
communications  extérieures  par  lesquelles  elle  puisse  rece- 
voir du  secours,  il  est  é\ident  que  la  force  relative  du  corps 
de  blocus  peut  être  diminuée  sans  danger.  Elle  peut  alors 
être  égale  et  quelquefois  môme  inférieure  à  la  garnison  de  la 
place.  La  place  de  Mantoue,  en  Italie,  ollre  sous  ce  rapport 
une  combinaison  mixte  qui  tient  des  deux  cas  que  nous  ve- 
nons d'indiquer.  Elle  n'a  que  cinq  coinnumications  exté- 
rieures par  lesquelles  elle  puisse  être  secourue  :  ce  sont  les 
portes  de  Pradella,  de  Cérèse,  de  Pietoli,  de  Saint-Georges 
et  de  la  Citadelle.  Les  trois  premières  sont  séparées  par  des 
obstacles  naturels,  par  des  marais,  par  l'inondation  qui  peut 
couvrir  les  abords  de  la  place  de  ce  côté.   11  suffit  donc 


d'occuper  par  ime  }>osili()n  retrandiée  les  lètes  des  iligues 
qui  aboutissent  à  ces  trois  points  ,  pour  en  empêcher  toutes 
les  sorties.  Le  village  de  Saint-Georges  est  situé  à  la  tète  d'un 
pont  fort  long,  qui  traverse  le  lac  inférieur.  Dès  que  le  corps 
du  blocus  en  est  maître,  il  peut,  eu  le  couvrant  de  retran- 
chements, opposer  une  petite  forteresse  à  la  gramle,  et 
rendre  toute  sortie  impossible  par  là.  11  ne  reste  donc  plus 
que  la  citadelle,  qui  rentre  dans  le  premier  cas,  et  du  côté 
de  laquelle  doit  être  la  force  principale  du  corps  de  blocus. 
C'est  ce  qu'on  a  vu  dans  la  cauq)agne  de  1796. 

Si  la  place  forte,  assez  étendue  par  elle-même ,  et  ayant 
une  garnison  nombreuse,  est  située  sur  une  grande  rivière, 
ou  au  confluent  de  deux,  le  blocus  devient  plus  difficile,  et 
exige  des  forces  bien  plus  considérables.  Telle  est  la  situation 
de  Metz ,  dont  la  périphérie  extérieure ,  agrandie  par  l'île  du 
Polygone,  le  fort  de  Belle-Croix,  l'inondation  et  les  ou- 
vrages de  la  plaine  de  Montigni ,  est  coupée  en  trois  grandes 
sections  par  la  Moselle  et  la  Seille.  Un  blocus  complet 
exigerait  un  corps  cinq  on  six  fois  aussi  fort  que  la  gar- 
nison. 

Dans  les  blocus  accidentels  et  temporaires ,  qui  n'ont  pour 
objet  que  de  s'opposer  à  ce  que  les  garnisons  d'une  ou  plu- 
sieurs places  ne  nuisent  aux  mouvements  ou  aux  communi- 
cations d'une  armée  qui  passe  entre  elles,  on  a  besoin  d'un 
moins  grand  nombre  de  troupes.  Le  but  qu'on  se  propose 
en  effet  n'étant  pas  d'affamer  la  garnison ,  ni  de  faire  obs- 
tacle à  l'entrée  des  secours,  qu'elle  ne  peut  plus  attendre  de 
l'armée  à  laquelle  elle  appartient ,  et  qui  se  trouve  trop  éloi- 
gnée, tout  doit  se  borner  à  empêcher  que  ses  sorties  ne  de- 
viennent nuisibles.  Il  suffit,  pour  cela,  qu'à  six  ou  huit  kilo- 
mètn  s  de  la  place ,  les  trou[)es  de  cordon  du  blocus  puissent 
se  réunir  en  assez  grand  nombre  pour  arrêter  les  sorties.  Il 
importe  peu  qti'elles  soient  forcées  de  quitter  leur  première 
posit  on  |iour  se  retirer  plus  en  arrière,  jusqu'à  ce  que  la 
sortie  soit  repoussée. 

Tels  sont  à  peu  près  les  préceptes  généraux  relatifs  au 
blocus  des  places  fortes ,  et  qui  s'appliquent  également  au 
blocus  des  camps  ou  des  positions  occupées  par  l'ennemi. 
Leur  application  rencontre  un  nombre  infini  de  combinai- 
sons, que  le  génie  du  général  et  son  habitude  de  la  guerre 
peuvent  seuls  modifier.  11  nous  suffisait  d'en  donner  une 
idée  générale  ;  de  plus  grands  détails  appartiennent  aux  ou- 
vrages didactiques.  G"'  G.  de  VAunoNCounr. 

BLOCUS  (Droit  international).  Le  droit  de  bloquer 
une  place,  un  port,  une  ville,  c'est-à-dire  de  les  cerner  de 
telle  sorte  qu'il  n'y  puisse  entrer  aucun  secours  d'hommes 
ni  de  vivres  et  qu'ils  soient  privés  de  toute  communication 
avec  le  dehors,  est  reconnu  par  les  publicistes  comme  con- 
forme au  droit  des  gens  ,  et  comme  dérivant  logiquement  du 
droit  de  la  guerre.  Des  adoucissements  se  sont  toutefois  in- 
troduits avec  la  civilisation  dans  les  usages  internationaux. 
«  On  admet  aujourd'hui  en  principe,  dit  M.  Garnier,  dans 
les  guerres  de  terre,  que  l'armée  qui  bloque  une  place  a 
droit  de  saisir  tout  ce  que  le  gouvernement  ennemi  cheichc 
à  y  introduire,  mais  qu'elle  doit  se  borner  à  repousser  les 
simples  particuliers  et  les  marchandises  qui  leur  appartien- 
nent. Dans  les  guerres  maritimes,  le  droit  du  blocus  est  loin 
d'être  aussi  restreint  en  ce  qui  concerne  les  ports ,  les  côtes 
et  la  mer  elle-même.  On  admet  que  les  simples  citoyens  du 
pays  mis  en  état  de  blocus  peuvent  être  faits  prisonniers,  et 
que  leurs  marchandises  et  leurs  navires  peuvent  être  saisis. 
Mais  on  est  convenu  que  les  propriétés  des  citoyens  appar- 
tenant à  des  puissances  neutres  peuvent  entrer  dans  le 
port  bloqué  :  on  ne  fait  exception  que  pour  les  objets  ré- 
putés de  contrebande ,  comme  les  ustensiles  et  les  munitions 
de  guerre,  et  généralement  tout  ce  qui  peut  servir  à  pro- 
longer la  défense,  comme  vivres,  combustibles,  etc.  On  re- 
garde comme  neutre  tout  bâtiment  dont  le  capitaine  ou  la 
I  moitié  au  moins  de  l'équipage  sont  citoyens  d'un  État  non 
j  belligérant  et  portant  un  pavillon  neutre.  Pour  constater 

38. 


300 


RLOCUS  -^  Rf.OIS 


cette  neiilialU<?,  on  a  créiî  le  droit  de  visite  par  l'Étal  qui 
établit  le  blocus,  et  qui  l'exerce  au  moyen  de  navires  croi- 
seurs, qui  ont  droit  de  saisie  lorscjue  la  visite  montre  que 
les  lois  de  blocus  sont  violées;  mais  il  faut  que  le  blocus 
soit  réel,  c'est-à-dire  qu'il  soit  fait  par  une  force  suffisante. 
La  visite  n'a  pas  lieu  lorsque  les  navires  commerçants  des 
neutres  sont  escortés  par  des  bâtiments  (!e  la  (lotte  ofiicielle 
de  la  iMi''iiie  nation ,  censés  faire  une  police  suflisante.  » 

Pour  qu'une  place  soit  réellement  bloquée,  il  faut  qu'elle 
soit  investie  par,  des  forces  suffisantes  et  assez  rapprochées 
[lour  (pi'on  ne  puisse  y  entrer  ni  en  sortir  sans  un  danger  évi- 
dent. C'est  dans  ce  cas  seulement  que  la  puissance  belligé- 
rante a  le  droit  d'interdire  tout  commerce  avec  le  lieu  blo- 
m\(',  et  de  confisquer,  en  cas  de  contiavention,  le  navire  et  la 
cargaison.  Il  fout  de  plus  pour  que  cette  confiscation  puisse 
av'oir  lieu  d'une  mauicre  légale,  que  le  blocus  ait  été  notifié, 
soit  colleclivement  à  la  nation  à  laquelle  le  navire  arrêté 
appartient,  dans  la  personne  des  agents  diplomatiques  ou 
consulaires,  soit  individuellement  au  navire  lui-même,  p;'.r 
une  déclaration  inscrite  sur  les  papiers  de  bord. 

Tels  sont  h  peu  près  les  ]>rincipes  adoptés  dans  les  traités 
d'Utreclit  en  1712  et  de  Westplialie  en  1742  entre  los 
natious  maritimes,  puis  dans  les  traités  de  neutralité  armce 
signés  par  les  puissances  neutres  sotis  l'inspiration  de  la 
lîussie  en  1780  et  en  1800 ,  et  acceptés  par  la  France,  partie 
belligérante.  Mais  ces  principes  n'ont  pas  été  toujours  ob- 
servés par  r.\ngleterre,  qui  à  la  suite  de  ses  longues  guerres 
maiiliiuesen  était  arrivée,  au  commencement  de  ce  siècle, 
a  soiilenir  que  la  iner  api)artient  au  plus  fort  ;  à  ne  plus  res- 
pecter les  droits  des  neutres;  à  prétendre  qu'un  blocus  réel 
n'élait  pas  nécessaire  pour  amener  l'interdiction  du  com- 
ïucrce,  et  qu'il  suffisait  pour  cela  d'un  blocus  déclaré,  d'un 
blocus  fictif  ou  de  cabinet,  ou,  comme  on  a  dit,  d'un  blùciis 
sur  le  papier;  et  à  décréter  en  effet  un  blocus  maritime  gé- 
néral ,  (]ui  consistait  dans  l'interdiction  de  commercer  avec 
des  places,  des  ports  et  des  côtes  tout  entières,  devant  les- 
quelles elle  n'envoyait  pas  de  forces  suffisantes  pour  y  faire 
un  blocus  effectif.  En  même  temps  cette  puissance  maritime 
se  prétendait  le  droit  de  visiter  partout  les  bùtiments  de 
commerce,  escortés  ou  non,  afin  de  s'assuier  de  leur  natio- 
nalité et  de  la  qualité  des  marchandises  qu'ils  contenaient. 

C'est  pour  répondre  à  ces  prétentions  que  Napoléon  ima- 
gina le  blocus,  dégénéré  bientôt  en  système  continental, 
à  l'aide  duquel  il  espérait  ruiner  l'Angleterre,  en  lui  inter- 
disant tout  commerce  avec  le  continent  tant  qu'elle  n'aurait 
pas  reconnu  le  droit  des  neutres.  Mais  il  imposa  ainsi  inu- 
tilement de  vives  souffrances  à  l'Europe  entière,  et  prépara, 
par  l'absence  du  commerce ,  l'explosion  qui  devait  le  ren- 
verser. 

BLOCUS  CONTINENTAL.  Voyez  Continental 
(  Syslènie). 

iiLOEMAERT(ABnAnAM),  peintre  de  l'école  flamande, 
<]ui  se  lit  aussi  quelquefois  appeler  Blom  ,  naquit  à  Gorkum, 
en  15GÔ,  et  mourut  à  Utrecht,  en  1647.  11  reçut  ses  pre- 
mières leçons  de  dessin  de  son  père,  (jui  était  à  la  fois  in- 
génieur, architecte  et  sculpteur,  et  eut  ensuite  pour  maîtres 
Floris  et  Franck ,  dont  il  abandonna  la  manière  pour  s'en 
créer  une  en  propre.  Après  être  venu  compléter  ses  études 
artistiques  à  Paris,  il  fut  nommé  architecte  de  la  ville  d'Ams- 
terdam, puis  alla  s'établir,  comme  peintre,  à  Utrecht.  On 
a  de  lui  plusieurs  grandes  toiles  historiques  :  par  exemple, 
la  Mort  des  fils  de  Aiobe;  des  animaux,  des  coquillages, 
et  surtout  des  paysages.  11  réussissait  mal  dans  le  portrait, 
cl  on  lui  reproche  des  infidélités  envers  la  nature,  tant  dans 
le  nu  que  dans  les  costumes;  toutes  ses  toiles  portent  d'ail- 
leurs des  traces  visibles  d'actes  «l'impatience.  Toutefois,  sous 
le  rapport  du  coloiis  et  du  clair-obscur,  on  peut  le  mettre  à 
côté  des  meilleurs  peintres  de  son  temps,  il  était  aussi  gra- 
veur en  taille-douce  et  en  bois. 

De  «es  quatre  fils,  Vornvhus  Bi.op.MAcr.T,  né  à  Utrecht, 


en  1003,  est  celui  qui  eut  le  plus  de  talent.  D'abord  pc'irtn», 
il  ne  s'occupa  guère,  plus  tard,  que  de  gra\ure  en  taille- 
douce.  Il  résida  quelque  temps  à  Paris,  alla  ensuite  à  Rome, 
où  il  mourut,  en  1680.  Son  burin  se  distin;;uait  tellement  pr 
la  pureté  et  la  beauté  des  traits,  par  la  douceur  des  tran- 
sitions de  la  lumière  à  l'ombre,  par  la  diversité  et  la  mol- 
lesse (les  tons,  (jifon  peut  le  considérer  comme  le  créateur 
(lune  nouvelle  école,  de  laquelle  sont  sortis  iiaudot,  Poilly, 
Cliastenu,  Speier,  Roullet,  etc. 

Des  trois  autres  frères ,  Adrien ,  qui  vécut  quelque  temps 
à  Home,  et  qui  mourut  h  Salt/.bourg,  à  la  suite  d'un  duel, 
Fc  distingua  comme  peintre  et  comme  graveur.  Henri  ne 
fit  que  le  portrait,  et  Frédéric  gra\a  sur  cuivre  avec  succès. 

BLOEHIEN  (JulksFkançois),  surnommé  Or/ ^on/e,  né 
à  Anvers,  en  1656,  mort  à  Rome,  en  1748  ou  1749.  Parmi  tous 
les  peintres  de  l'école  flamande  de  cette  épo(|ue,  liloemcn 
fut,  avec  J.  Glauber,  le  plus  heureux  émuh;  d«;s  deux 
Poussin,  si  célèbres  l'un  et  l'autre  comme  peintres  de  pay- 
sages. 11  mérita  le  surnom  qui  lui  fut  donné  par  la  beauté 
de  ses  horizons.  Ses  tableaux  qui  représentent  des  vues  de 
'l'ivoii  et  de  ses  environs ,  des  ca-cades,  etc.,  se  rencontrent 
en  très-grand  nombre  dans  les  palais  de  Rome.  On  y  admire 
la  grikce  de  l'invention  et  la  légèreté  du  pinceau,  il  a  sur- 
tout réussi  à  rendre  les  transitions  des  sentiments,  le  pas- 
sage d'une  émotion  à  une  autre.  En  1742  il  fut  nonnnc 
membre  de  l'Académie  de  Sain!-Lnc.  Il  a  aussi  gravé  à  l'eau 
forte  quelques-uns  de  ses  paysages. 

Pierre  van  Yiuiv.yi?.s,  frère  aine  du  précédent,  surnonunc 
Standaert  (1649-1719),  n'a  guère  peint  quedesbalaillfs.dcs 
marchés  aux  chevaux ,  des  caravanes ,  etc.  Les  gahrries  de 
Berlin,  de  Dresde  et  de  Munich  possèdent  de  ses  toiles.  Il 
resta  auprès  de  son  frère  à  Rome  jusqu'en  1699,  aimée  où 
il  fut  nommé  directeur  de  l'Acadéuiie  d'Anvers. 

BLOIS,  ancienne  capitale  du  Bl  ai  soi  s  et  résidence  des 
comtes  de  Blois,  aujourd'hui  chef-lieu  du  département  de 
Loir-et-Cher,  à  145  kilomètres  sud-ouest  de  Paris.  Cette 
ville  est  fort  ancienne  :  Grégoire  de  Tours  en  parle  à  pru|H)ii 
d'une  querelle  qui  s'était  élevée  entre  ses  habitants  et  ceux 
de  Chartres.  IMle  est  bûtie  en  amphithéâtre,  sur  le  penchant 
d'une  colline  baignée  par  la  rive  droite  de  la  Ivoire,  qu'on 
y  i)asse  sur  un  beau  pont  en  pierre,  commencé  dès  1711,  et 
ornéd'une  pyramide  légère  de  cent  pieds  de  haut  Ses  rues  sont 
étroites,  tortueuses  et  très-escarpées,  ce  qui  l'a  fait  appeler 
par  un  poète  contemporain  un  escalier  de  rues.  Ou  y 
remarque  ])lusieurs  monuments  curieux.  D'abord  l'ancien 
chûteau,  célèbre  par  la  naissance  de  Lou's  Xll  et  par  la  ré- 
sidence de  François  1^',  de  Charles  LV  et  de  Henri  111;  il 
est  aujourd'hui  converti  en  caserne  en  partie,  l'autre  forme 
un  musée.  Imposant  par  sa  masse  et  d'un  aspect  saisissant , 
ce  château  serait  un  monument  historique  du  premier  ordre 
s'il  n'était  déparé  par  un  mélange  de  tous  les  styles,  depuis 
le  gothitpie  pur  jusqu'au  pastiche  grec.  L'escalier  h  jour  est 
une  des  merveilles  de  l'architecture.  Citons  ensuite  léglLse 
des  jésuites,  construite  sur  les  dessins  de  Jules  Mansard; 
l'église  gothique  de  Saint-Nicolas  ;  l'hôpital  ;  un  superlns 
aqueduc,  ouvrage  des  Romains,  qui  traverse  la  ville,  dont  il 
reçoit  toutes  les  eaux  ;  enfin ,  l'hôtel  de  la  préfecture ,  jadis 
palais  épiscopal,  le  plus  bel  édifice  moderne  de  Blois,  bâti 
sous  Louis  XIV,  par  Gabriel ,  avec  des  jardins  en  terrasse. 
Parmi  les  maisons  particulières ,  nous  nommerons  l'hôti;! 
d'Alluye  et  l'hôtel  de  Poutances. 

Blois  compte  15,900  habitants.  Siège  d'un  évêclié  suf- 
fragant  de  l'ai  chevêche  de  Paris,  d'une  cour  d'assises,  d'un 
tribunal  de  commerce  ,  d'un  tribunal  de  première  instance, 
elle  est  le  chef- lieu  de  la  ;{"  subdivision  delà  1  s'' division 
militaire.  Elle  possèJe  en  outre  une  bibliothèque,  un  ca- 
binet d'histoire  naturelle  et  de  physique,  un  collège  coni 
munal,  un  séminaire,  un  dépôt  d'étalons,  une  société  d'é- 
conomie nu  aie ,  un  théAtre  et  de  belles  promenades.  I/in- 
dustrie  de  cette  ville  consiste  en  liotmeteric,  ganterie,  roi>« 


I 


BLOÎS 


301 


totlt'rio ,  faïence ,  corroierie ,  et  son  commerce  principal  en 
evre'.lcnt  vinaigre,  en  vins,  eaux-de-vie,  bois  et  merrain. 
IJlo's  faisait  autrefois  partie  du  diocèse  de  Chartres;  mais 
le  pape  Innocent  XII  l'érigca  en  t^vCcliéen  1094,  à  la  sol- 
rcilatioii  de  Louis  XIV.  Cette  ville,  qui  avait  été  nommée 
lf(  ril/e  (les  rois,  parce  que  l'air  pur  qu'on  y  respire  l'avait 
fait  choisir  plusieurs  fois  pour  y  élever  les  enfants  de 
l'rance ,  a  été  deux  fois  le  siège  des  états  généraux  sous 
Henri  III,  en  1577  et  en  1588;  ce  fut  pendant  celte  dei- 
•lière  réunion  que  le  duc  de  Guise  et  le  cardinal ,  son  frère, 
furent  massacres  par  les  ordres  du  roi.  Marie-Louise  s'y  re- 
tira momentanément  lorsque  les  alliés  menacèrent  Paris  en 
1814 ,  et  c'est  de  cette  ville  que  furent  datés  et  expédiés  les 
derniers  actes  de  la  régence  et  du  gouvornemenl  impérial. 

lîLOlS  (Comtes  de).  Le  plus  ancien  de  ces  comtes  fut 
GLiLLALMii,  tué  vers  l'an  8:54,  dans  les  guerres  de  Louis 
le  Déhonnaire  contre  ses  fils  révoltés.  Eudes,  son  succes- 
seur, gouverna  le  Blaisois  jusqu'en  865.  A  sa  mort,  ce  comté 
fut  donné  à  Rohert  le  Fort ,  comte  d'.\njou ,  bisaïeul  de 
Hugues  Capet.  Ulichilde,  fille  de  Robert,  ayant  épousé  Thi- 
baud,  comte  de  Tours,  proche  parent  de  Rollon,  premier 
duc  de  Normandie,  le  rendit  père  de  TuinAUD,  premier 
comte  héréditaire  de  Blois  et  de  Chartres,  à  qui  la  fourberie 
et  la  duplicité  de  son  caractère  ont  inérilé  le  surnom  de 
Tricheur.  Il  fut  le  premier  comte  de  Rlois  qui  fit  revivre  le 
litre  de  comte  palatin  (comte  du  palais),  tombé  deptiis 
longfen;ps  en  désuétude,  et  qui  passa  sans  interruption  à 
l'ainé  de  ses  descendants. 

liuDES  1",  son  fils  et  son  successeur  dès  978,  réunissait 
sur  .sa  télc  les  comtés  de  Blois ,  de  Chartres ,  de  Tours , 
de  lîcauvais,  de  Meaux  (  ou  Brie  )  et  de  Provins.  Aussi  se 
qualilie-t-ii  lui-même  de  très-riche  comte,  dans  une  charte 
(le  cette  année.  Eudes  fit  la  guerre  avec  succès  contre 
Adi'lhcrt,  comte  de  la  Marche,  et  Foulques  Nerra,  comte 
d'Anjou. 

TiuBAUD  11  et  Eudes  II ,  ses  fils,  gouvernèrent  les  comtés 
de  Blois,  de  Ciiartres  et  de  Tours,  le  premier  depuis  5)93 
jus(pren  1004,  le  second  jusqu'en  1037.  L'ambition  de  c«lui- 
ci  l'entretint  dans  une  guerre  continuelle  avec  ses  voisins. 
Sa  puissance  était  telle  que  Richard  II,  duc  de  Norman- 
die, n'osant  pas  se  mesurer  avec  lui ,  appela  à  son  secours 
les  Danois.  Mais  le  roi  Robert,  alarmé  pour  lui-même  de  la 
tournure  que  prenait  cette  (pierelle,  parvint  h  l'apaiser. 
En  1019,  Eudes  réunit  à  son  domaine  la  Champagne  et  la 
Brie,  comme  héritier  du  dernier  comte,  Etienne.  Cet  accrois- 
sement de  territoiie  ne  tarda  pas  à  réveiller  ses  projets  de 
conquêtes.  En  102G  il  reprend  les  armes  contre  le  comte 
d'Anjou.  Attaqué  à  l'improviste  par  Herbert,  comte  du 
Maine ,  et  mis  en  déroute  le  0  août ,  comme  il  revenait  triom- 
phant dans  ses  États,  il  ne  reste  pas  moins  possesseur  des 
places  qu'il  avait  conquises,  et  dont  le  nombre  s'accrut  par 
la  continuation  active  de  cette  guerre.  Celle  qu'il  entreprit 
contre  Henri  l*^'  eut  pour  résultat  de  lui  obtenir  la  cession 
dc^  la  moitié  de  la  ville  de  Sens.  Débarrassé  de  toute  in- 
quiétude du  côté  de  la  France ,  Eudes  hâta  les  préparatifs 
d'une  guerre  plus  juste  et  plus  importante.  Rodolfe  111,  roi 
d'Arles  ou  de  la  Bourgogne  Transjurane,  était  mort  sans 
enfants,  le  G  septembre  1032.  H  avait  eu  deux  sœurs,  Ber- 
the,  mère  du  comte  de  Blois ,  et  Gerberge,  mère  de  Conrad 
le  Salique,  roi  de  Germanie.  Celui-ci  s'était  mis  en  posses- 
sion du  royaun-e  de  Bourgogne,  non  pas  au  droit  de  sa  mère, 
puisqti'elle  était  cadette,  mais  en  vertu  d'une  donation  de 
RodoKe,  de  l'année  102'i.  Eudes,  prétendant  qu'une  dona- 
tion arrachée  ir  la  faiblesse  de  Rodolfe  ne  pouvait  éteindre 
ni  primer  le  droit  que  lui  avait  transmis  sa  môie,  leva  une 
armée,  et  se  fil  reconnaître  roi  de  Bouigogne.  Ébloui  par 
ses  prenn'ers  succès,  il  marche  aussitôt  à  la  conquête  de  la 
Lorraine,  échoue  devant  Toul,  et  répare  cet  écliec  en  prenant 
Bar-lc-Duc.  Mais  Golhelon  1*',  ducde  la  Basse-Lorraine,  réuni 
au  comte  de  Namur,  vient  à  sa  rencontre,  et  lui  livre  ba- 


taille. Mis  en  déroute  après  avoir  longtemps  di-puté  la  vic- 
toire, Eudes  fut  tué  dans  sa  fuite  par  un  chevalier  lor- 
rain, qui  lui  coupa  la  tête. 

Euiies  laissa  deux  fils,  Etienne  TI,  comte  de  Champagne 
et  de  Brie ,  et  Thicald  IH,  comte  de  Blois.  Ces  deux  comtes 
s'unirent  dans  le  but  de  détrôner  le  roi  Henri  et  de  placer  la 
couronne  sur  le  front  du  prince  Eudes,  son  frère.  Ils  débu- 
tèrent par  un  refus  de  prêter  serment  de  fidélité  à  Henri. 
Celui-ci  se  ligue  avec  le  comte  d'Anjou,  qui  bat  complète- 
ment les  deux  frères  à  Noet,  près  Saint-Martin-!e-Beau,  le  21 
août  1042.  Fait  prisonnier  et  enfermé  au  château  de  Lo- 
ches, Tbibaud  n'en  soilit  qu'après  avoir  fait  l'abandon  de 
Tours,  Chinori  et  Langea's  au  comte  d'Anjou.  Après  la  usort 
du  comte  Etienne  11  (  vers  1047  ),  Thibaud  dépouilla  Eu- 
des, fils  légitime  de  ce  prince  et  son  neveu,  des  comtés  de 
Champagne  et  de  Biie>  Dès  que  Tbibaud  III  vit  son  auto- 
rité reconnue  et  affermie  dans  toutes  ses  possessions,  il 
recommença  la  guerre  contre  Geoffroi  Martel ,  comte  d'An- 
jou. Ellene  fut  remarquable  que  par  les  ravages  et  les  cruau- 
tés qui  la  signalèrent ,  sans  autre  satisfaction  pour  les  deux 
partis.  Thibaud  vécut  jusqu'en  1089. 

Son  fils,  ETIENNE,  appelé  quelquefois  Henri,  avait  porté 
du  vivant  de  son  père  le  titre  de  comte  de  Meaux  et  de 
Biie.  11  recueillit,  avec  la  majeure  portion  de  son  héri- 
tage, le  titre  de  comte  palatin,  et  devint  si  puissant  que  les 
anciennes  chroniques,  pour  en  donner  une  idée,  disent 
qu'il  possédait  autant  de  châteaux  qu'il  y  a  de  jours  dans 
l'année.  Élieiuie  eut  aussi  quelques  démêlés  avec  le  roi  de 
France.  Fait  prisonnier  par  Philippe  V,  il  se  réconcilia 
avec  ce  monarque,  jura  de  lui  être  dévoué  et  fidèle,  et  tint 
loyalement  cette  promesse.  Ce  fut  lui  qui  dissipa  cette  con- 
juration de  plusieurs  grands  du  royaume,  formée  par  Bou- 
cliard  II,  comte  de  Corbeil,  qui  n'aspirait  à  rien  moins 
(pi'au  titre  de  roi  de  France,  et  qu'Éliennetua  de  sa  propre 
main.  Parti  pour  la  croisade  en  1096,  il  se  distingua  au 
siège  de  Nicée  (  1007  ).  Nommé  par  les  princes  croisés  chel 
du  conseil  de  guerre  chargé  de  la  direction  de  toutes  les  opé- 
rations de  l'armée,  il  fut  accablé  sous  le  fardeau  d'une  pareille 
dignité,  déserta  l'armée  chrétienne  sous  les  murs  d'An- 
tioche,  deux  jours  avant  la  prise  de  cette  ville,  et  détourna 
l'emjiereur  Alexis  de  secourir  les  croisés,  à  leur  tour  assiégés 
dans  leur  conquête.  Cette  conduite  inexplicable  excita  une 
telle  surprise  et  une  telle  indignation,  même  dans  sa  famille, 
qu'Adèle  d'Angleterre,  sa  femme,  ne  cessa  de  le  pour.suivre 
de  ses  reproches  et  de  ses  prières  jusqu'à  ce  qu'il  eût  consenti 
à  retourner  en  Orient  (1101)  pour  effacer  la  honte  attachée  à 
son  nom.  Ce  comte  et  Raymond  de  Saint-Gilles,  auquel  il 
sauva  la  vie  dans  une  bataille,  ayant  vu  décimer  par  le  fer 
et  par  le  feu  des  infidèles  une  armée  de  plus  de  cent  raille 
combattants  qu'ils  avaient  conduite  en  Asie,  s'en  revinrent 
à  Constantinople,  d'oii  Etienne  passa  à  la  Terre  Sainte.  Fait 
prisonnier  à  la  bataille  de  Ramla(27  mai  11 02)  et  conduit 
à  Ascalon,  il  y  périt,  criblé  de  flèches  par  les  Sarrasins.  Ce 
prince  était  aimé  pour  sa  libéralité  et  estimé  comme  poète. 
Il  laissa  plusieurs  fils,  dont  l'un,  Etienne ,  comte  de  Mor- 
tainet  de  Boulogne,  devint  roi  d'Angleterre  en  1133. 

Thibaud  IV,  surnommé  le  Grand,  fils  d'Etienne,  comte 
de  Blois,  lui  succéda  dans  ce  comté,  à  l'exclusion  de  Guil- 
laume, son  frère  aîné,  deshérité  de  son  droit  par  les  artifices 
de  sa  mère.  Il  partagea  pendant  près  de  vingt  ans  avec  sa 
mère  le  gouvernement  de  ses  États,  H  ne  fut  pas  heureux  dans 
la  guerre  qu'il  fit  en  1108  et  lill  au  roi  Louis  le  Gros,  qui 
le  força  à  lui  demander  la  paix.  En  1124  Thibaud  secourut 
ce  prince  contre  l'empereur  Henri  V,  qui  menaçait  d'enva- 
hir la  C  ha  m  pagne.  Cette  province  échut  l'année  suivante 
à  Thibaud  par  vente  ou  cession  du  comte  Hugues,  son  oncle. 
H  y  eut  deux  nouvelles  ruptures  entre  le  comte  de  Blois  et 
Louis  le  Gros  en  1135  et  1142.  Toujours  vaincu,  mais  in- 
domptable de  caractère,  ce  comte  reparai.s.sait  toujours  plus 
1  dangereux  à  la  tête  de  toutes  les  ligues  qui  se  foiiuaieut 


302 


BLOIS  —  HLOMFFELD 


■contre  son  souverain.  Ce  fut  durant  ces  troubles  et  dans  la 
dernière  expédition  de  Louis  le  Gros  en  Champagne,  que 
l'église  de  Vitry  fut  livrée  aux  flammes  par  les  troupes 
du  roi.  Treize  cents  habitants  y  avaient  cherché  un  asile 
pour  se  soustraire  à  la  fureur  du  soldat  ;  tous  périrent  par  le 
feu.  Les  libéralités  de  Thibaud  envers  les  moines,  l'amitié 
de  saint  Bernard  et  la  protection  qu'il  accorda  à  l'illustre  et 
malheureux  amant  d'IIéloïse  contre  ses  puissants  ennemis, 
ont  plus  contribué  que  ses  actions  politiques  et  ses  exploits 
à  faire  honorer  sa  mémoire.  Elle  est  restée  chère  a  la  ville  de 
Troyes,  dont  il  créa  en  quelque  sorte  les  manufactures 
et  le  commerce.  Ce  fut  lui  qui,  pour  la  commodité  des  ma- 
nufacturiers ,  fit  partager  la  Seine  en  mille  petits  canaux 
qui  conduisaient  les  eaux  dans  tous  les  ateliers.  Thibaud  IV 
mourut  le  8  janvier  1 153.  Il  laissait  quatre  fils  :  l'aîné,  Henri, 
continua  la  branche  des  comtes  de  Champagne  et  de  Ikie. 

TniBAUD  V,  second  fils  de  Thibaud  IV,  eut  en  partage 
les  comtés  de  Blois  et  de  Chartres,  à  la  charge  de  l'hom- 
mage envers  le  comte  de  Champagne,  son  aîné.  Cette  dis- 
position est  assez  remarquable,  car  jusqu'à  celte  époque 
(1152)  le  comté  de  Blois  avait  relevé  immédiatement  de  la 
couronne.  La  reine  Éléonore,  répudiée  par  Louis  le  Jeune  , 
passant  à  Blois  pour  se  rendre  en  Guienne,  Thibaud  V 
l'attira  à  sa  cour.  Mais  cette  princesse  ne  tarda  pas  à  devi- 
ner son  dessein,  et  sut  échapper  par  la  fuite  à  la  contrainte 
de  l'épouser.  D.  Estiennot  cite  une  charte  de  ce  comte  de 
Blois,  de  l'année  ll&C,  dans  laquelle  il  se  qualifie  régent  de 
France ,  quoique  alors  le  roi  Louis  le  Jeune  eût  trente-six 
ans.  En  1164  ,  Thibaud  épousa  Alix,  fille  de  ce  monarque 
et  de  cette  même  liléonore  dont  il  avait  convoité  la  main. 
Ce  fut  à  l'occasion  de  ce  mariage  que  le  comte  de  Blois  fut 
établi  grand  sénéchal  héréditaire  de  France,  cliarge  qui  lui 
fut  confirmée  en  1IC9,  par  le  comte  d'Anjou,  dans  la  mai- 
son duquel  elle  avait  existé  jusque  alors,  et  qui  s'éleigiiH 
à  la  mort  de  Thibaud  V,  tué  au  siège  de  Saint-Jeau-d'Acre, 
en  1191. 

Louis  I*"^,  son  fils,  comte  de  Blois,  échappa  au  ressenli- 
ment  de  Philippe-Auguste,  contre  lequel  il  s'était  révolte- 
en  1198,  en  prenant  part  à  la  croisade.  Il  se  signala  ai: 
siège  de  Constàntinople.  Le  duciié  de  Nicée  en  Bitliynie  lui 
échut  dans  le  partage  que  les  croisés  firent  des  fiefs  de  Tem- 
pire.  Au  siège  d'Andrinople ,  méprisant  les  conseils  de  la 
prudence  et  les  ordres  exprès  de  l'euipereur  Baudouin,  sa 
biavoure  impétueuse  le  fil  sortir  du  camp  pour  tomber  sur 
l'armée  de  Joannice,  roi  des  Bulgares.  Cette  témérité  ayant 
été  fatale  aux  chrétiens,  il  voulut  périr  les  armes  à  la  main, 
et  racheta  sa  faute  par  une  mort  héroïque. 

TuutAuo  VI,  comte  de  Blois  et  de  Chartres,  succéda  au 
comte  Louis,  son  père,  sous  la  tutelle  de  Constance,  com- 
tesse de  Clermont  en  Beauvaisis,  sa  mère.  Étant  décédé 
sans  enfants  en  1218,  sa  succession  échut  à  sa  tante  Mar- 
guerite, qui  régna  concurremment  avec  son  mari  Gauthier 
d'Avesnes.  Marie  d'Avesnes ,  leur  unique  enfant,  succéda  à 
sa  mère  en  1230,  avec  Hugues  de  Chastillon,  comte  de  Sainl- 
Pol,  son  époux.  Jean  de  Chastillon,  un  de  ses  fils,  eut  en 
héritage  le  comté  de  Blois,  qui  à  la  mort  de  sa  fille,  Jeanne, 
passa  au  cousin  germain  de  celle-ci ,  Hugues  de  Chastillon, 
lequel  servit  Philippe  le  Bel  dans  la  guerre  de  Flandre. 

Son  fils,  Gui  1"  de  Chastillon,  son  successeur  en  l'M3, 
beau-frère,  par  Marguerite  de  France,  sa  femme,  du  roi  Phi- 
lippe de  Valois,  rendit  des  services  importants  contre  les  An- 
glais. De  lui  naquirent  Charles  de  Blois,  duc  de  Bretagne 
en  1341,  du  chef  de  sa  femme,  et  Louis  II  de  Chastillon, 
qui  parvint  au  comté  de  Blois  en  1362,  et  qui  trouva  une 
mort  glorieuse  en  I36G,  à  la  bataille  de  Crécy.  Ses  trois 
fils,  Louis  111,  Jean  II  et  Gf  i  II  de  Chastillon,  ont  gouverné 
successivement  les  comtés  de  Blois,  de  Dunois  et  de, Sois- 
sons,  le  premier  jusqu'en  1372  (mort  célibataire),  le  second 
jusqu'en  1381.  Celui-ci,  aux  droits  de  sa  feuime,  Malhilde 
de  Gueldre,  avait  été  proclamé  duc  de  Gueldre  par  la  l'ac- 


tion desHckerains  (1371).  Celle  de  Bronckhorst  lui  opp.^a 
Guillaume  de  Juliers,  l\U  île  Marie  de  Gueldre,  cl  apivs 
bien  des  combats  elle  finit  par  l'emporter.  Le  comte  Jcitn  II 
n'eut  que  des  enfants  naturels,  «lui ,  sous  les  noms  de  Blois- 
Trelon  et  de  Hœflen,  ont  fait  souche  aux  Pays-Bas. 

Longteïnps  avant  son  avènement  au  pouvoir.  Gui  1 1  avait 
signalé  sa  valeur  contre  les  Lithuaniens  et  les  Russes  i\  la 
bataille  de  Rndau  (  1370),  ensuite  contre  les  Anglais  dans  la 
Guiiniie.'Clii  1  île  l'arrière-garde  française  àRoseb  ec,  il 
contribua  parliciiliètemeiit  h  cette  éclatante  victoire  (  1382  ',, 
puis  l'année  suivante  à  l'expulsion  des  Anglais  de  la  Flandre. 
Ce  comte  est  dé[teint  par  les  historiens  du  temps  comme  un 
modèle  de  générosité  et  de  vaillance;  sa  libéralité  poussée 
à  l'excès  porta  même  un  grand  préjudice  à  sa  famille,  car, 
ayant  perdu  son  fils  (  Louis  de  Chastillon  ,  comte  de  Dunois, 
mort  sans  enfants,  en  1391  ),  il  vendit  sous  réserve  d'usu- 
fruit, et  sans  égard  à  ses  bériliers  ,  les  comtés  de  Blois  et 
di;  Dunois  à  Louis  de  France,  duc  d'Orléans.  Gui  de  Chas- 
tillon mourut  le  22  décembre  1393.  Un  seul  trait  eût  suffi 
pour  honorer  sa  mémoire  :  il  fut  le  protecteur  de  Froissart, 
et  c'est  sous  ses  auspices  que  fut  faite  l'immense  et  précieuse 
compilation  de  cet  historien. 

Louis  de  France,  duc  d'Orléans,  comte  de  Valois,  de 
Blois  et  de  Dunois,  eut  pour  successeur  après  .<;a  moit  tia- 
gique(1407)  son  fils  aîné  Charles,  duc  d'Orléans,  père  du  , 
roi  Louis  XII.  La  réunion  du  comté  de  Blois  à  la  couronne  » 
date  de  l'avènement  de  ce  dernier  prince  (1498).  Cependant 
elle  ne  fut  délinilive  qu'eu  1515,  sous  Henri  II,  fils  de  Claude 
de  France,  à  laquelle  le  roi  Louis  Xll  avait  donné  le  comté 
de  Blois  en  dot,  en  la  mariant  au  comte  d'Angoulême  (de- 
puis François  l").  Lainé. 

BLOMFILLD  (CiiAr.Lis-JArfirs),  lord-évêqiie  de  Lon- 
dres, l'un  de?,  prélats  les  plus  savants  et  les  plus  iniluents  J 
(lu  clergé  anglican,  naquit ,  on  1785 ,  à  Bury  Saint-Ednumds,  ^ 
dans  le  comté  de  Sullolk,  où  son  père,  également  homme 
d'une  grande  et  solide  instruction ,  était  maître  d'école.  \\ 
dut  aux  excellentes  leçons  de  son  père  la  connaissance  des 
lettres  grecques  et  latines,  et  alla  terminer  ses  études  à  Cam- 
bridge, où  il  reçut  à  diverses  ie[irises  des  distinctions  lio- 
noriliqucs.  Il  avait  déjà,  depuis  1810,  administré  diverses 
paroisses,  lorscpie  l'évéïiue  de  Londres,  appréciant  son  pro- 
fond savoir  en  Ihéologie  et  en  philologie,  le  nounua,  en  1819, 
chapelain  de  sa  maison;  i)eu  de  temps  après,  il  fut  pourvu 
de  la  prébende  de  Saint-Botolph,  et  enfin,  en  1828,  pronm 
au  siège  de  Londres.  Il  jeta  les  fondements  de  sa  réputation 
d'érudit  par  son  édition  de  Callimaque  (  Londres ,  1815)  el 
de  plusieurs  pièces  d'Eschyle,  notamment  du  Promcllnc. 
(Cambridge,  1810),  des  Sept  chefs  contre  Thèbcs  (Cam- 
bridge, 1812), des  Perses  (Cambridge,  l'è\i),i\esCo('p/iorts 
(Cambridge,  1824  ),et de r/ly«»(e»i «on  (Cambridge,  182.",). 
Il  a  aussi  publié,  en  collaboration  avec  Reunel,  les  Musx 
Cantnbrtgenses  ;  avec  Monk,  en  1812,  les  Posthumous 
Tracts  of  Porson ,  et,  en  1814,  les  Adversaria  Porsom. 
Dans  ces  dernières  années,  .soupçonné  de  penchant  pour  le 
puséysmc,  Blomfield  a  eu  à  .soutenir  beaucoup  d'attaques, 
auxquelles  il  a  répondu  victorieusement  en  se  déclara:il 
hautement  contre  la  bulle  du  pape  en  1850,  et  en  desti- 
tuant le  pasteur  de  Saint- Barnabas,  Bennett,  suspect  de 
crypto-catholicisme.  Cependant,  il  a  de  nouveau  soulevé 
l'opinion  publique  contre  lui  en  détendant  à  M.  Merle  d'Au- 
bigné ,  à  l'époque  de  l'exposition  de  l'Industrie,  de  prôchei 
à  Londres  dans  une  église  du  rite  anglican. 

BLOMFIELD  (  tnouAun-VALENTiN) ,  frère  du  précédent, 
honorablement  connu  aussi  comme  philologue,  naquit  en 
1788,  fit  ses  études  à  Cambridge,  et  visita,  en  1813,  l'Al- 
lemagne, où  il  se  lia,  à  Berlin,  avec  Wolf,  et  à  Breslau 
avec  Schneider.  A  son  refour  eu  Angleterre,  il  fit  paraître 
dans  le  Muséum  crilicum,  or  Cavibridge  ctassicul  Rese.ar- 
c/ie5,  d'intéressantes  observations  sur  la  littérature  allemande. 
Nommé  prédicateur  à  l'église  de  Sainte-Marie ,  à  Cambridge, 


BLOMFIELD  —   BLOOMÉRISME 


305 


il  entreprit  la  traduction  du  Dictionnaire  grec-allemanit 
(le  Scimeider,  et  de  la  Grammaire  grecque  de  Matthia*,  et 
mourut  en  1816,  au  retour  d'un  voyage  en  Suisse. 

BLOMMAERT( Philippe),  un  des  écrivains  flamands 
les  plus  éminents,  né  vers  1809,  vit  à  Gand ,  comme  un 
riche  particulier,  des  revenus  d'une  fortune  considérable. 
Dès  1S34 ,  il  s'est  fait  connaître  par  l'insertion  dans  le  jour- 
nal hollandais  LeKeroe/eminijen  de  poésies  dont  on  peut 
louer  la  simplicité  et  la  gravité,  mais  dont  les  formes  trop 
rudes  déi)lurent  au  public.  Il  a  rendu  de  plus  utiles  services 
à  la  littérature  llainande  |)arla  publication  de  vieilles  poésies 
(lainandt's  du  douzième,  du  treizième  etdu  quatorzième  siècle, 
couune  T/icop/iilas  (Gand,  1830 )  et  Onde  viaemische  (jc- 
dicliten  (Garni,  1838-41,  2  vol.),  qu'il  a  enrichis  de  glos- 
.saires  et  de  savantes  annotations.  Les  sarjua  sont  aussi  une 
de  ses  études  de  prédilection.  L'intérêt  qu'il  prend  à  la  lit- 
tt'raliuc  allomar.de  a  été  révi'ié  ;)ar  une  traduction  des  Ni- 
bclaii'jcii  on  vers  ïambiques.  Cependant  son  ouvrage  capital 
est  VAluudc  fjesc/iieiteiii.t  der  Jitdyen  of  Scdcrduilscliers 
(Bruxelles,  isiO),  oii  il  défend  l'opinion  que  les  Pays-Bas 
allemands,  bien  que  .soparos  politiquement  de  l'Allemagne, 
sont  appelés  a  poursuivre  le  même  but  que  ce  dernier  pays 
sous  le  rapport  de  la  culture  historique.  Blommaert  a  écrit, 
en  outre,  dans  plusieurs  journaux  belges,  entre  auties 
dans  le  Messager  des  Sciences  Historiques.  Il  a  été  aussi 
avec  Willems  un  des  principaux  promoteurs  de  ces  péti- 
tions en  faveur  de  la  langue  îlamande,  qui  ont  tant  occupé 
le  i)ublic  belge  en  1840. 

BLOAÎD ,  mot  dérivé  à'abhinda ,  qui  signifie  paille ,  cou- 
leur de  paille,  ou  plus  directement  encore ,  selon  Ménage  , 
de  blodum ,  blé,  s'applique  à  une  couleur  de  cheveux  qui 
appioohe  de  celle  des  épis  de  blé  ,  et  qui  est  en  général  celle 
des  poujjles  du  >"ord. 

liLOXDE,. sorte  de  dentelle  en  soie,  le  plus  souvent 
noire  ou  blaiiolio,  mais  quelquefois  aussi  rose,  ^erte  et 
bleue.  Les  blondes  sont  ordinairement  travaillées  par  des 
femmes  et  des  enfants.  Les  grands  morceaux,  destinés  ù  faire 
des  écharpcs,  des  voiles,  des  robes,  etc.,  sont  fabrifpiés  par 
bandes,  et  ensuite  réunis  par  un  point  pareil  à  celui  duréîcau, 
et  conséqueniuient  iuqioroeplible.  Cette  opération  délicate 
constitue  un  travail  dont  la  bonne  ou  la  mauvaise  exécution 
détermine,  non  moins  que  le  fini  des  dessins  et  la  régularité 
du  réseau,  le  prix  des  grandes  pièces.  C'est  ce  que  l'on 
nomme  en  terme  de  fabrique  raccroc. 

Le  dé|)artement  du  Calvados  est  le  centre  de  la  fabrica- 
tion des  blondes.  On  porte  de  quatre-vingt  à  cent  mille  le 
nombre  des  ouvrières,  tant  au  métier  que  raboutisseuscs. 
La  iManohe  prend  aussi  part  à  cette  fabrication;  mais  ses 
métiers  produisent  beaucoup  moins  que  ceux  du  Calvados. 
Les  blondes  île  Chantilly  sont  assez  estimées;  mais  elles 
sont  généralement  moins  bien  rnbouties,  it  leur  blanc  tire 
un  peu  sur  le  verdàtre.  Viennent  ensuite  les  produits  des 
fabritjues  de  iMirecourt  (Vosges) ,  (jui  sont  inférieurs  aux 
blondes  de  Caen  et  de  Chantilly,  et  les  blondes  du  Puy 
{  Haute-Loire);  c'est  dans  cette  dernière  ville  qu'on  en  fa- 
brique le  plus  de  basse  qualité  et  a  bon  marché. 

On  fabrique  aussi  des  blondes  en  Suisse  et  dans  la  Saxe  ; 
mais  quelques  maisons  seulement  s'en  occupent,  et  les  pro- 
duits que  l'on  en  tire  ont  moins  de  blancheur  et  de  fermeté 
que  les  nôtres ,  et  ne  sont  presque  toujours  que  des  copies 
de  ni'^  dessins. 

BLO.\DEL  ou  BLONDIAUS,  surnommé  de  Neesles,  du 
lieu  de  sa  naissance,  fut  un  dos  plus  célèbres  trouvères  du  dou- 
zième siècle.  Étant  allé  en  .\ngletcrre,  il  ne  tarda  pas  à  de- 
venir le  favori  de  Richard  Cœur  de  Lion,  qu'il  accompa- 
gna en  Palestine.  Ce  prince  ayant  été  arrêté  à  son  retour 
par  le  duc  d'Autriche  Léopold,  Blondel,  s'il  faut  en  croire 
un  chroniqueur  anglais  fort  ami  du  merveilleux,  parcou- 
rut .sdus  un  déguisement  toute  r.\llemagnepour  chercher  son 
maître  clicri.  Arrive  daiu  les  enviions  du  château  de  Lœ- 


vonstein  en  Autriche ,  il  apprit  qu'un  prisonnier  de  distinc- 
tion y  était  enfermé.  Après  d'inutiles  efforts  pour  le  voir,  il 
se  plaça  en  face  d'une  tour  grillée  dans  laquelle  gémissait 
le  prisonnier,  et  se  mit  à  chanter  un  air  qu'il  avait  composé 
avec  Richard.  A  peine  eut-il  terminé  la  première  stroi)he, 
qu'une  voix  lui  répondit  du  fond  de  la  tour  et  acheva  la 
chanson.  Ce  fut  ainsi  que  Blondel  découvrit  le  roi.  11  se  hâta 
de  retourner  en  Angleterre.  Une  ambassade  envoyée  à  l'em- 
pereur  obtint  la  liberté  de  Richard  moyennant  une  rançon 
de  '250,000  marcs  d'argent.  Cette  tradition  a  servi  de  texte 
à  maint  poème,  et  fait  le  sujet  d'un  joli  opéra-comiijue  de 
Sédaine  dont  Grétry  composa  la  musique.  De  toutes  les 
poésies  de  Blondel,  il  n'en  est  venu  jusqu'à  nous  qu'un  petit 
nombre,  qui  se  conservent  manuscrites  à  la  Bibliothèque 
Impériale  et  à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal  à  Paris. 

BLOJVDEL  (François),  littérateur,  architecte  et  ingé- 
nieur, né  à  Ribemont,  en  Picardie,  en  1617,  et  mort  le 
21  janvier  1686,  était  fils  d'un  professeur  de  mathématiques 
qui,  n'ayant  pas  de  fortune  à  lui  laisser,  voulut  du  moins 
lui  donner  des  moyens  de  s'en  faire  une  par  ses  connaissances, 
et  prit  grand  soin  de  son  éducation.  Après  avoir  voyagé 
plusieurs  années  comme  gouverneur  du  jeune  comte  de 
Brienne,  fils  du  ministre  Loménie,  Blondel  fut  employé 
dans  diverses  négociations ,  visita  l'Kgypte,  et  en  1659  il 
se  rendit  à  Coustanlinople  ,  en  qualité  d'envoyé  extraordi- 
naire, au  sujet  de  la  détention  de  l'ambassadeur  français. 
Le  succès  qu'il  obtint  dans  cette  affaire  lui  valut  un  brevet 
de  conseiller  d'iiltat,  et  il  ftjt  chargé  d'enseigner  au  premier 
dau|)hin  les  lettres  et  les  mathématiques. 

Ce  n'est  que  vers  l'année  1665  que  Blondel  dirigea  son 
esprit  vers  l'architecture.  Il  rétablit  un  pont  sur  la  Charente 
à  Saintes,  et  le  décora  d'un  arc  de  triomphe.  En  1069  il 
fut  admis  à  l'Académie  des  Sciences,  et  Louis  XIV  ordonna 
que  les  travaux  publics  qui  se  feraient  à  Paris  seraient  exé- 
cutés d'après  ses  plans.  C'est  alors  que  Blondel  dirigea  la 
restauration  des  portes  Saint- Antoine  et  Saint-Bernard ,  et 
fit  élever  la  porte  Saint- Denis.  Ce  dernier  ouvrage  a  suffi 
pour  lui  faire  un  grand  nom.  C'est  un  monument  du  plus 
beau  style,  et  qui  ne  nous  laisse  rien  à  envier  dans  ce  genre 
aux  anciens  {voyez  Akc  de  triomphe,  t.  I*"",  p.  748).  Ce 
travail  valut  à  son  auteur  la  place  de  directeur  et  de  pro- 
fesseur à  l'Académie  d'Architecture,  dont  il  avait  obtenu  la 
fondation. 

Blonde!  fit  preuve  de  goût  et  de  hardiesse  dans  son  pa- 
rallèle d'Horace  et  de  Pindare,  eu  élevant  le  premier  au- 
dessus  du  second.  Pour  apprécier  le  mérite  de  cette  opinion, 
il  laut  se  rappeler  que  la  littérature  en  était  à  une  époque 
deservilisme  aveugle  pour  l'antiquité,  et  surtout  pour  l'an- 
tiquité grecque.  Chose  singulière!  tandis  que  Blondel  et  les 
Perrault  s'inspiraient  dans  leurs  monuments  des  plus  beaux 
modèles  de  l'antiquité  grecque  et  romaine ,  ils  se  consti- 
tuaient en  littérature  les  défenseurs  de  la  liberté  de  penser 
et  d'écrire. 

Blondel  était  lecteur  de  mathématiques  au  Collège  de 
France;  il  les  avait  étudiées  dans  toutes  leurs  applications,, 
et  surtout  dan&  leurs  rapports  avec  l'art  de  la  guerre.  11 
pensa  qu'il  serait  utile  à  son  pays  en  composant  deux  trai- 
tés, l'un  sur  l'art  de  tirer  les  bombes,  l'autre  sur  l'art  do 
fortifier  les  places  [Nouvelle  manière  de  fortifier  les  pla- 
ces, 1683),  et  les  présenta  à  Louis  XIV,  qui  applaudit  à 
leur  mérite,  et  récompensa  Blondel  par  le  grade  de  maréchal 
de  camp. 

Son  neveu  Jean-François  Blondel,  qui  éleva  le  palais 
archiépiscopal  de  Cambrai,  le  portail  delà  cathédrale  de 
I\letz,  etc.,  a  aussi  écrit  sur  l'architecture.  Né  en  1705,  il 
est  mort  en  1774. 

BLOOMÉI\!SME.  Il  n'y  a  pas  encore  un  an  que 
quelciues  lilles  d'Eve  s'avisèrent,  de  l'autre  côté  de  la  iMan- 
che ,  de  mettre  ce  que  la  pruderie  anglaise  appelait  autrefois 
le  vêtement  nécessaire.  Cela  fit  quelque  scandale.  Ce»- 


S04 


BLOOMERTSME  —  BLUCHER 


«Inincs  (lomandèrcnt  à  sVxpliqiior  dans  des  clubs ,  et  elles 
nous  apprirent  qu'elles  s'api)elaient  blooméristcs ,  du  nom 
de  M"'*  Aniélla  IMoomer,  laquelle  avait  inventé  et  répandu 
leur  costume.  Ce  costume  consistait  en  un  pantalon  sans 
jupon,  et  en  une  casaque  avec  tunique.  KUes  ajontaient, 
ces  dames,  que  madame  Bloomer  était  une  très-excellente 
femme,  épouse  d'un  avocat  émincnt  de  Boston  (États-Unis) 
et  colonel  de  la  milice,  fto  plus,  madame  Bloomer  était 
bien  faite,  disaient-elles;  et  loin  de  répudier  les  lois  de  la 
(judcur,  c'était  au  contraire  parce  qu'elle  croyait  le  costume 
actuel  des  femmes  trop  mondain  qu'elle  avait  imaginé  de 
rapprocher  celui  <le  son  sc\e  des  liahits  des  hommes.  Les 
Ani;lais,  peu  ^'alants,  huèrent  les  novatrices,  et  il  leur  fallut  re- 
noncer à  montrer  leurs  charmes  enfermés  dans  le  gracieux 
costume  des  hussards.  Depuis,  les  journaux,  sans  doute  pour 
mettre  lin  au  bloomcrisme,  nous  oniannoncé  que  M'"®  Bloo- 
mer avait  été  tuée  par  son  mari. 

BLOOMFIELD  (Roueut),  poète  ouvrier  anglais,  né 
le  3  décembre  ITOO  ,  i'i  Honington,  était  fds  d'un  tailleur  de 
campagne,  (pii  l'envoya,  en  1781,  à  Londres  pour  apprendre 
l'état  (le  cordonnier  chez  son  irère.  La  fréquentation  de 
quelcjues  chapelles ,  des  visites  au  théâtre  de  Covcnt-Gar- 
<icn  ,  la  lecture  de  quelques  livres  ,  l'introduisirent  bientôt 
<lans  un  monde  nouveau  ,  où  il  trouva  peu  à  peu  les  élé- 
ments de  sa  véritable  vocation.  Ainsi ,  il  devint  poète  prcs- 
(|iie  sans  le  savoir.  Un  jour,  il  récitait  devant  son  frère  une 
chanson  populaire,  qu'il  avait  composée  sous  une  forme  an- 
cienne; celui-ci  lui  proposa  de  l'offrir  à  l'éditeur  du  London 
Magazine,  qui  l'accepta.  Ce  petit  poème  était  intitulé  la 
Laitière.  Le  suivant,  le  Retour  du  Navigateur,  fut  éga- 
lement bien  accueilli  du  public.  Les  Saisons  de  Thomson , 
le  Paradis  perdu  de  Milton,  et  d'autres  bons  ouvrages, 
étaient  la  lecture  favorite  et  habituelle  de  Robert,  et  en 
tirent  le  créateur  d'un  genre  de  poésie  que  les  Anglais  met- 
tent pour  l'ensemble  à  côté  de  celle  de  Thomson,  mais  bien- 
au-dessus  pour  les  détails.  Il  conçut  à  la  campagne,  où  il 
fi'arrôta  pendant  quelque  temps  en  1780,  l'idée  de  son  poème 
ie  Valet  du  Fermier,  «pii  porte  le  cachet  de  l'humeuraimable 
et  gaie  de  l'auteur.  11  n'y  travailla  cependant  pas  dans  des 
circonstances  très-favorables,  car  il  était  encore  compagnon 
coidonnier,  et  habitait  une  petite  chambre  sous  les  toits.  Un 
docteur  en  droit,  nommé  Capel  Loflï,  qui  lut  ce  poème 
en  179!),  en  fut  tellement  satisfait  qu'il  résolut  de  le  faire 
imprimer,  en  société  avec  un  de  ses  amis  nommé  Gill.  L'im- 
pression eut  lieu  en  effet  l'année  suivante,  en  1800.  On  a 
«ncore  de  Bloomfield  un  recueil  de  poésies  pastorales ,  qui 
ont  été  traduites  en  fiançais,  sous  le  titre  de  Contes  et  c/ian- 
so)is  cliampctrcs,  par  i:.  de  Lavaisse,  et  publiées  à  Paris 
en  1802.  JNous  avons  une  traduction  du  Valet  de  Fermier 
par  li.F.  Alk'.rd  (  i'aris,  isuo  ),  et  une  autre,  par  T. -P.  Ber- 
lin, de  r Histoire  du  e.hapeau  neuf  du  petit  Davij  (Pa- 
ris, 1S18).  lîloomlield  n'abandonna  jamais  son  métier  de  cor- 
■«.îonnier.  Sur  la  (in  de  sa  vie,  il  perdit  par  trop  de  bonhomie 
tout  ce  qu'il  possédait.  Devenu  aveugle,  il  mourut  à  Slief- 
ford ,  le  19  août  182.'î.  Ses  Poems  ont  souvent  été  réimpri- 
més à  Londres,  notanmwnt  en  I8'i5. 

liLOUSE.  Ce  vêtement  est  le  saijon  des  Gaulois.  Il  a 
conservé  son  nom  originaire  dans  quehjues  contrées  de  la 
l'rance  méridionale.  Depuis  vingt  siècles,  le  sayon  ou  blouse 
lia  pas  cessé  <rètrc  l'habillement  ordinaire  des  voittiiicrsct 
lies  hommes  de  peine;  setdcmcnt  il  se  composait  do  jicaiix 
<hez  les  Gaulois  :  il  est  maintenant  d'étoile;  et  les  monta- 
î;nards  des  Pyrénées,  les  villageois  du  Médoc,  le  portent  en- 
tore  tel  que  le  [tortaient  les  Gaulois.  L'usage  de  la  blouse 
s'est  beaucoup  étendu  depuis  que!<pies  années  :  c'est  le  vê- 
tement de  travail  des  ailistes  ,  et  les  ouvriers  appellent  bor- 
çerons  des  demi-blouses  qui  ne  descendent  qu'aux  reins.  La 
blouse  est  l'uniftirme  national  des  milices  citoyennes  dans 
les  campagnes. 

Pendant  l'hiver,  U  est  dans  l'usage  ordinaire  que  les  vil- 


lageois, les  voituriers,  remplacent  la  blouse  de  toile  jtar  une 
limousine ,  espèce  de  manteau  d'étoffe  de  laine  coMuiume  , 
froncé  dans  sa  ])artie  supérieure,  et  sans  autre  liiçon.  La  li- 
mousine, moins  ample  que  le  manteau,  ne  diflëre  de  la 
blouse  que  parce  qu'elle  est  ouverte  dans  toute  sa  longueur 
par  devant. 

Le  plus  simple,  le  plus  commode  et  le  moins  coûteux  des 
vêlements,  la  blouse,  ne  semble  pas  l'apanage  de  la  fortune; 
cependant  elle  ne  dénoie  pas  toujours  la  misère.  Elle  est 
I>lutôt  le  symbole  du  travail.  Il  y  a  aussi  la  blouse  des 
touristes,  la  blouse  des  chasseurs,  la  blouse  des  enfants. 

Après  la  révolution  de  Février,  la  blouse  joua  un  très-grand 
rôle  dans  les  événements.  Chacun  voulait  être  ouvrier;  et 
pour  le  prouver  encore  mieux  ,  beancouj)  endossèrent  la 
blouse.  Vanité  des  vanités!  La  fi)rce  était  alors  avec  le 
nombre,  et  on  ne  pouvait  pas  penser  qu'elle  l'abandonnerait 
si  tôt.  Que  de  getis,  siMiihlables  à  ces  cruches  qui  ne  se  baissent 
que  pour  se  remplir,  se  faisaient  petits  dans  l'espoir  de 
grandir  plus  vite!  Partout  on  entendait  dire  aux  démocrates 
(pie  l'on  ne  voulait  pas  changer  les  habits  en  blouses,  mais 
les  blouses  en  habits;  et  cependant  c'était  tout  le  contraire 
qui  arrivait  :  les  blouses  augmentaient  en  nombre  Mais  lui 
jour  la  blouse  se  retourna  contre  la  blouse,  sous  la  conduite 
des  habits  brodés ,  et  bientôt  ce  qui  resta  de  blouses  ne  fut 
plus  regardé  que  comme  une  vile  multitude.  La  blouse 
a  repris  son  rang.  Les  événements  de  décembre  lui  ont 
rendu  ses  droits. 
BLOUSES  {Géologie).  Voyez  BEnouzKs. 
BLUC^IIER  (Gecuard  Lebeiuxut  de),  de  la  maison  de 
Gross-Reusow,  dans  le  Mecklenbourg,  prince  de  Wahl- 
staJt,  feld-maréchal  de  Prusse  et  chevalier  de  presque  tous 
les  ordres  militaires  d'Europe,  naquit  à  Rostock,  le  IG  dé- 
cembre 174'/!.  Son  père,  capitaine  de  cavalerie  au  service  de 
Hesse-Cassel ,  l'envoya  à  l'ûge  de  quatorze  ans  à  file  de 
Piugcn,  où  la  vue  des  hussards  suédois  lui  inspira  le  désir 
d'embrasser  l'état  militaire.  En  vain  ses  parents  cherchèrent 
à  l'en  détourner.  Le  jeune  Blucber,  ne  prenant  conseil  que 
de  sa  passion  naissante,  prit  du  senice  en  qualité  de  cadet 
dans  le  régiment  dont  l'aspect  avait  décidé  de  sa  vie  entière. 
11  (itsa  première  campagne  contre  la  Prusse,  et  fut  fait  pri- 
sonnier par  le  même  régiment  de  hussards  prussiens  qu'il 
commanda  dans  la  suite  avec  tant  de  distinction.  Le  colo- 
nel lîelling,  alors  chef  de  ce  régiment,  le  détermina  à  en- 
trer au  service  de  la  Prusse,  et,  par  suite  d'un  échange  de 
prisonniers,  Blucber  fut  nonuué  lieutenant  dans  ce  môme 
régiment.  Victime  d'un  passe-droit ,  le  jeune  Peutenant 
donna  sa  démission  en  177'2;  et  a!ors,  prenant,  suivant  l'u- 
sage établi  dans  les  armées  du  nord  de  l'Europe,  le  titre  du 
grade  immédiatement  supérieur  à  celui  qu'il  avait  rempli , 
il  se  retira  dans  ses  foyers  comme  capitaine  de  cavalerie  en 
retraite,  pour  se  vouer  désormais  exclusivement  à  l'écono- 
mie agricole.  Il  acheta,  avec  la  dot  de  sa  fenuue,  la  terre 
de  Gross-Raddow  en  Poméranie,  et  devint  en  17u4  conseil- 
ler provincial. 

Après  la  mort  de  Frédéric  H,  il  reprit  dn  service  comme 
capitaine  dans  son  ancien  régiment.  11  en  fut  nommé  colonel, 
et  se  distingua  en  cette  (pialité,  en  179:J  et  1794,  sur  les 
Ijordsdu  Rhin.  Orchies,  Luxembourg,  Franckenste'n ,  Op- 
penlieim  (IG  janvier  1794),  Kirrweiler,  Edesheim,  dans  le 
Palatinat,  furent  tour  à  tour  témoins  de  sa  bravoure.  Après 
l'aflaire  de  Leystadt  (  13  septembre  1794),  si  glorieuse  pour 
lui ,  il  passa  à  l'armée  d'observation  du  Bas-Rhin  en  qualité 
de  général-major.  En  1802  ,  il  prit  possession  d'Krfnrt  et  de 
Miilhausen  au  nom  ihi  roi  de  PiTJSse.  La  guerre  qui  éclata 
en  1806  le  conduisit  sur  \i  champ  de  bataille  d'Auer>lae<!l 
(  14  octobre  ).  11  accompagna,  avee  la  plus  grande  |iartie  de 
la  cavalerie,  le  prince  de  llohenlohe,  dont  il  formait  le 
flanc  gauche  ,  dans  sa  retraite  en  Poméranie.  La  distance 
qui  féparaitles  deux  corps  d'armée  étant  devenue  trop  con- 
sidéralile  pour  pouvoir  être  franchie,  même  par  des  marches 


BLUCHER  —  BLUETv 


305 


f,»rcéos  (le  jour  et  de  nuit,  le  prince  de  Hohenlohe  se  vit 
lorcé  de  mettre  bas  les  armes  à  Prenzlau.  Bluchcr,  à  qui  par 
là  la  route  de  Stettin  se  trouva  coupée ,  fut  obligé  de  se  je- 
ter dans  le  Mecklenbourg ,  où  il  opéra,  près  de  Dambeck, 
sa  jonction  avec  le  corps  d'armée  du  duc  de  Weimar,  que 
commandait  le  prince  Guillauiiic  de  Brunswick-Œls  ;  mais 
toutes  ces  différentes  troupes  étaient  trop  fatiguées  pour 
tenter  rien  de  décisif.  Ayant  sur  son  flanc  gauche  le  corps 
du  grand-duc  de  Berg,  en  face  la  division  du  prince  de 
Ponte-Corvo,  et  sur  sa  droite  celle  du  maréchal  Soult,  Blu- 
cher  ne  vit  rien  de  mieux  à  faire  que  de  se  retrancher  der- 
rière la  Trave  pour  garantir  aussi  longtemps  que  possible 
roder  de  l'approche  des  troupes  françaises.  C'est  ainsi  qu'il 
envahit  le  territoire  de  la  ville  libre  de  Lubeck  ;  mais  cette 
ville ,  fortifiée  à  la  hâte ,  fut  emportée  d'assaut  par  l'armée 
française,  et  Blucher,  contraint  de  se  retirer  promptemeut 
avec  ses  troupes ,  n'ayant  aucun  moyen  de  se  détendre  et 
de  faire  une  plus  longue  retraite ,  fut  contraint  do  capituler 
le  6  ouïe  7  novembre,  aux  environs  de  Ratkow,  village  près 
de  Lubeck.  11  n'en  vint  toutefois  à  celte  extrémih;  qu'après 
avoir  obtenu,  non  sans  peine,  que  la  capitulation  contiendrait 
la  clause  expresse  :  «  qu'il  n'avait  accepté  la  capitulation 
qui  lui  était  offerte  par  le  prince  de  Ponte-Corro  que  ré- 
duit à  la  dernière  ex  (rémité  par  le  manque  absolu  de  vivres, 
de  fourrages  et  de  munitions  ». 

Blucher  fut  donc  fait  prisonnier  de  guerre,  mais  il  fut 
bientôt  échangé  contre  le  général  Victor,  et  nommé,  aus- 
sitôt après  son  arrivée  à  Kœnigsberg,  au  commandement 
d'un  corps  d'armée  qu'on  embarqua  immédiatement  pour 
aller  défendre  Stralsund,  et  seconder  les  entreprises  de  la 
Suède.  Après  la  paix  de  ïilsitt,  Blucher  fut  employé  au 
département  de  la  guerre.  11  obtint  ensuite  le  commande- 
ment supérieur  de  la  Poméranie,  mais  fut  bientôt  mis  à  la 
retraite,  ainsi  que  d'autres  hommes  de  mérite,  sur  la  de- 
mande expresse  de  Napoléon.  Il  ne  prit  aucune  part  à  l'ex- 
pédition du  corps  d'armée  auxiliaire  prussien  envoyé  contre 
la  Russie  pendant  l'été  de  1812;  mais  lorsque  la  nation 
iirussienne  se  leva  en  masse  pour  combattre  l'oppression  de 
Napoléon,  Blucher,  déjà  âgé  de  soixante-dix  ans,  fut  l'un 
des  instigateurs  les  plus  ardents  de  cet  élan  patriotique.  11 
obtint  le  commandement  général  des  troupes  prussiennes 
et  du  corps  d'armée  russe  du  général  AVinzingerode,  corps 
qui,  dans  la  suite,  fut  détaché  de  son  commandement. 
Alexandre  récompensa  la  rare  valeur  dont  il  fit  preuve  à 
la  bataille  de  Lutzen,  le  2  mai  1813,  par  la  décoration  de 
l'ordre  de  Saint-Georges.  Les  journées  de  Bautzen  et  de 
Haynan  ne  furent  pas  moins  glorieuses  pour  lui  ;  Blucher 
battit  à  la  Katzbach  le  maréchal  Macdonald,  et  fit 
évacuer  aux  Français  la  Siiésie.  Son  corps  d'armée  prit  dès 
lors  le  nom  d'armée  de  Siiésie.  Napoléon  chercha  vaine- 
ment à  arrêter  dans  ses  succès  le  vieux  général  de  hus- 
sards, comme  il  l'appelait.  Le  3  octobre,  Blucher  passa 
l'Elbe  près  de  W'artembourg,  et  par  cette  manœuvre  har- 
die força  la  grande  armée  de  Bohême,  aux  ordres  du 
prince  de  Schwarzemberg,  et  l'armée  du  Nord,  commandée 
par  le  prince  royal  de  Suède ,  à  déployer  plus  d'activité. 

Les  journées  mémorables  de  Leipzig  approchaient.  Le 
16  octobre  1813  Blucher  remporta  des  avantages  signalés 
sur  le  maréchal  Marniout,  près  de  Mœckem,  et  s'avança 
jusqu'aux  faubourgs  de  Leipzig.  La  défaite  des  Français 
dans  la  journée  du  18  est  due  en  grande  partie  à  ses  efl'orts 
réunis  à  ceux  du  prince  royal  de  Suède ,  et  le  19  ce  furent 
les  troupes  du  général  Blucher  qui  entrèrent  les  premières 
dans  la  ville.  La  promptitude  remarquable  et  l'art  particu- 
lier avec  lesquels  il  dirigeait  ses  attaques  lui  avaient  déjà 
valu  de  la  part  des  troupes  russes,  au  commencement  de 
la  campagne,  le  surnom  de  maréchal  Vonvxrls!  (en  avant!) 
Dès  lors,  ce  fut  son  glorieux  surnom  dans  toute  l'Allemagne. 

Le  l*""  janvier  1S14  il  se  porta  sur  le  Rhin,  à  la  tête  de 
l'armée  de  Siiésie,  composée  do  deux  corps  prussiens,  deux 

LICT.    Dli    LA    r,ONYF,!;S.    —   T.    III. 


corps  russes,  un  corps  liessois,  et  d'un  corps  de  troupw  de 
différentes  nations.  Jl  occupa  Nancy  le  17  janvier;  rem- 
porta le  l"^""  février  un  avantage  marqué  à  la  Rothière,  et 
marcha  audacleusement  sur  Paris.  Cependant  les  corps 
d'armée  qu'il  commandait  furent  momentanément  repoussés 
par  Napoléon  ;  et  ce  ne  fut  pas  sans  des  perles  considé- 
rables qu'il  opéra  sa  retraite  sur  Châlons.  Il  traversa  en- 
suite l'Aisne  près  de  Soissons,  opéra  sa  jonction  avec  l'ar- 
mée du  Nord,  gagna  la  bataille  de  La  on  sur  l'empereur 
en  personne,  et  vint  prendre  position  devant  Paris  avec 
Schwarzemberg.  La  journée  de  Montmartre  (  ."50  mars  1814  ) 
couronna  cette  mémorable  campagne,  et  le  31  mars  1814 
Blucher  entra  en  triomphateur  dans  la  capitale  de  l'empire 
français. 

Le  roi  de  Prusse  lui  donna  alors  le  titre  de  prince  de 
Wahlstadt  en  mémoire  de  la  victoire  qu'il  avait  remportée 
près  de  la  Katzbach,  et  accompagna  cette  nomination  d'une 
riche  dotation.  Il  suivit  les  monarques  alliés,  au  mois  de 
juin  suivant ,  en  Angleterre ,  et  y  fut  reçu  avec  enthou- 
siasme. L'université  d'Oxfoid  le  nomma  solennellement  doc- 
teur en  droit;  ridicule  honneur,  que  le  vieux  général  accepta 
naïvement,  et  qu'il  partagea  d'ailleurs  avec  Platof,  l'hetman 
des  Cosaques. 

En  1815,  l'empereur  ayant  reparu  à  la  tête  d'une  armée, 
Blucher  conduisit  rapidement  ses  troupes  dans  les  Pays 
Bas.  Le  15  juin  Napoléon  l'attaqua  avec  vigueur,  et  le  len- 
demain Blucher  perdit  contre  le  grand  capitaine  la  célèbre 
bataille  de  Ligny.  Il  y  fut  en  grand  danger  de  perdre  la 
vie ,  ou  tout  ou  moins  la  liberté ,  par  la  chuie  de  son  che- 
val ,  sous  le  corps  duquel  il  se  trouva  comprimé  un  instant. 
Au  moment  le  plus  décisif  de  la  journée  du  18,  Blucher  se 
présenta  sur  le  champ  de  bataille  avec  ses  Prussiens,  et 
tomba  sur  les  derrières  et  le  flanc  de  l'armée  française,  que 
Grouchy  était  chargé  de  couvrir.  On  peut  dès  lors  lui  assi- 
gner la  plus  grande  part  de  la  victoire  de  Waterloo. 

Après  l'entrée  des  alliés  dans  Paris,  Blucher  montra  contre 
les  vaincus  une  animosité  qui  a  beaucoup  nui  à  la  justice 
que  tôt  ou  tard  les  Français  lui  eussent  rendue  comme  gé- 
néral. Ils  ne  virent  en  lui  qu'un  chef  de  hordes  barbares, 
l'emportant  encore  sur  ses  suhoivlonnés  par  son  ignoble  fé- 
rocité et  sa  ridicule  arrogance;  et  c'est  justice  que  de  re- 
connaître qu'il  sembla  prendre  plaisir  lui-môme  à  justifier 
ce  jugement  sévère  et  partial  en  affichant  hautement  les 
sentiments  les  moins  nobles  et  les  moins  généreux.  Afin  de 
lui  témoigner  sa  reconnaissance  ,  le  roi  de  Prusse,  Frédéric- 
Guillaume  III,  créa  uniquement  pour  Blucher,  déjà  en  pos- 
session de  tous  les  honneurs,  un  ordre  particulier,  dont 
les  insignes  consistaient  en  une  croix  de  fer  entourée  de 
rayons  d'or. 

Après  la  paix  de  Paris ,  le  prince  Blucher  se  retira  dans 
ses  terres.  Il  mourut  le  12  septembre  1819 ,  à  la  suite  d'une 
courte  maladie,  dans  son  domaine  de  Kriblowitz,  à  l'âge 
de  soixanle-dix-sept  ans.  Le  roi  de  Prusse  lui  a  fait  ériger 
à  Berlin  une  statue  de  douze  pieds  de  haut,  modelée  par 
Rauch ,  et  fondue  par  Reisinger  et  par  un  Français  nommé 
Lequine.  Le  piédestal  qui  la  supporte  a  quatorze  pieds  de 
haut,  et  est  orné  de  bas-reliefs  représentant  ses  principaux 
faits  d'armes.  Une  statue  a  été  pareillement  érigée  en  sou 
honneur  à  Breslau ,  en  1827. 

BLUE-RIDGE.  Foyes  Alleghanys  et  Bleues  (Mon- 
tagnes ). 

BLUET,  BLEUET,  BLAVET,  BLAVÉOLE  ou  BAR- 
BEAU ,  mot  fait  de  la  basse  latinité ,  blaveus  ou  blavits , 
ou  de  l'allemand  blau ,  qui  signifient  bleti  ;  genre  de  la  in- 
mille  des  cynarocéphales  et  de  la  syngénésie  polygamie 
frustanée.  Le  bluet  commun ,  auquel  Toumcfort  a  donné  le 
nom  de  cyanus  segctum,  et  Linné  celui  de  centaurea  cya~ 
nus,  est  une  plante  annuelle  à  fleurs  bleues,  qui  pous»» 
naturellement  et  se  ressème  d'elle-même  parmi  les  blé», 
qu'elle  étouffe  souvent.  Le  seul  moyen  de  la  détruire  esl  da 

33 


306  BLUET 

faire  succéder  à  la  culture  des  cér(^aies  une  récolte  de  lé- 
gumes ,  qui  permet  de  l'arracher  à  mesure  qu'elle  paraît,  ou 
d'y  semer  du  trèlle ,  qui  Tétouffe  à  son  tour. 

Le  bluet  n'est  pas  sans  agrément  dans  les  jardins ,  où 
la  culture  et  les  soins  en  augmentent  la  beauté  naturelle.  On 
en  faisait  autrefois  un  grand  usage  en  médecine;  on  en 
tirait  une  eau  distillée ,  qu'on  employait  pour  les  mahidies 
des  yeux  (d'où  le  bluet  avait  reçu  le  nom  de  casse-luneltcs), 
mais  qui  passe,  près  des  praticiens  éclairés,  pour  n'avoir 
pas  plus  de  vertu  que^  l'eau  pure. 

BLUET  D'ARBÈRES  (Bernard),  personnage  ex- 
centrique ,  dont  le  nom  est  bien  connu  des  bibliomanes , 
et  dont  Nodier  a  parlé  dans  un  travail  spécial  sur  la  bi- 
iiliographie  des  fous.  Dès  VlntHulation  et  Recueil  de 
toutes  ses  auvres ,  Bluet  vous  avertit  qu'iZ  ne  sçait  nij 
lire  ivj  écrire,  et  n'y  a  jamais  apprins.  Né  près  de  Genève, 
en  1566,  dans  une  famille  de  paysans,  Bluet,  d'après  le 
récit  qu'il  a  tracé  de  son  existence,  garda  les  moutons 
dans  son  enfance,  fut  ensuite  charron,  et  joua,  auprès  de 
quelques  gentillàtres  savoyards  très-oisifs  et  peu  délicats 
dans  leurs  amusements ,  le  rùle  d'un  fou  en  titre  d'oiïice. 
L'ambition  lui  monta  un  jour  à  la  tôte  ;  à  l'âge  de  trente- 
quatre  ans  ,  il  vint  à  Paris;  il  s'octroya  ii  lui-même  les  titres 
de  comte  de  Permission  et  de  chevalier  des  ligues  des  \\n 
Cantons  Suisses.  11  imagina  de  faire  imprimer  quelques 
feuillets  où  il  consignait  des  rêveries  amphigouriques;  il  les 
colportait  dans  les  rues;  il  montait  dans  les  maisons  ])oiir 
les  vendre.  Il  dédiait  chacun  de  ses  livres  ou  fragments  à 
quelque  personnage  de  la  cour,  obtenant ,  en  échange  de 
ses  flatteries  hyperboliques ,  un  peu  d'argent  ou  des  objets 
de  diverse  nature.  Il  nous  apprend  qu'il  reçut  du  duc  de 
Bouillon  six  écus ,  de  Jacques  le  Roy  une  rame  de  papier, 
d'une  duchesse  de  Flandres  un  double  ducat,  de  madame 
de  Puyenne  une  aune  de  toile  blanche,  du  prince  d'Orange 
nn  écu ,  du  comte  de  GroUay  une  pistole  fausse.  Henri  IV, 
quoique  assez  peu  généreux ,  se  montra  libéral  à  l'égard  de 
Bluet  d'Arbères  ;  il  lui  accorda  trois  cent  quarante  écus  en 
diverses  fois  ;  il  lui  fit  cadeau  d'une  chaîne  d'or  valant  cent 
écus  ;  il  finit  par  le  gratifier  d'une  pension  de  cent  livres 
tournois.  Ce  fou,  qui  n'était  peut-être  pas  aussi  insensé  qu'il 
voulait  le  paraître,  récolta,  de  son  propre  aveu,  plus  de 
quatre  mille  écus,  somme  fort  considérable  pour  l'époque. 

L'œuvre  de  Bluet  se  compose  de  173  ou  de  180  livres; 
mais  ils  ont  eu  le  môme  sort  que  ceux  de  Sophocle  et  d'Es- 
chyle ,  de  Tite-Live  et  de  Tacite  :  il  n'en  est  venu  jusqu'à 
nous  qu'une  partie;  on  connaît  les  livres  1  à  85,  91  à  113, 
141  à  173;  le  reste  semble  perdu  sans  retour.  Il  est  à 
propos  d'observer  que  divers  livres  ont  été  réimprimés 
avec  des  différences  notables.  On  ne  connaît  que  quatre  ou 
cinq  exemplaires  de  ce  recueil,  et  il  faudrait  les  réunir  tous 
pour  obtenir  un  exemplaire  complet  des  137  livres  connus  et 
des  livres  doubles.  Le  prix  que  les  amateurs  donnent  d'un 
volume  de  Bluet,  lorsque  se  présente  (et  elle  n'arrive  pas 
tous  les  vingt  ans)  l'occasion  d'en  faire  l'emplette,  suffirait 
pour  se  rendre  propriétaire  de  tous  les  chefs-d'anivre  de  la 
littérature  française.  A  la  vente  Mac-Carthy ,  en  1816,  un 
exemplaire  fut  adjugé  à  500  fr.,  et  passa  en  Angleterre  ; 
remis  aux  enchères  quinze  ans  plus  tard ,  il  trouva  acqué- 
reur à  20  livres  sterling. 

Ce  fut  en  1600  que  le  comte  de  Permission  commença 
rim|iression  de  ses  extravagances ,  où  le  vulgaire  cherchait 
des  prophéties  cachées.  Un  très-rare  opuscule  en  vers,  in- 
titulé :  Tombeau  et  testament  du  feu  comte  de  Per- 
mission, nous  fait  savoir  qu'en  1606,  la  peste  faisant  des 
ravages  à  Paris,  il  voulut  s'abstenir  de  toute  nourriture 
pendant  neuf  jours  et 

par  sa  prière 

Chasser  la  fureur  en  arrière 
De  Dieu,  justiincnl  irrite 
Contre  cette   grande  cité. 


-  BLUIM 

Mais  le  sixième  jour,  s'étant  rendu  dans  le  cimetière  Saint 
Etienne ,  il  tomba  en  défaillance , 

Et  la  mort  lui  silla  les  yeux, 
Son  âme  s'envolant  aux  cienx, 

Gustave  Brunet. 

BLUETTE.  Au  propre,  c'est  une  étincelle.  Au  figuré , 
on  appelle  ainsi  une  légère  et  petite  composition  dont  l'es- 
prit seul  fait  tous  les  frais;  on  doit  donc  n'y  chercher  ni 
abondance  d'idées  ni  chaleur  de  sentiment;  un  plan,  quel 
qu'il  soit ,  n'est  pas  même  indispensable  :  il  ne  s'agit  que 
d'amuser  ou  d'éblouir  un  instant.  A  la  naissance  d'une  lit- 
térature, les  blucltes  ne  sont  pas  entièrement  à  dédaigner; 
si  elles  ne  contribuent  pas  à  donner  au  goût  une  direction 
élevée,  elles  piquent,  elles  éveillent  du  moins  la  curiosité; 
elles  mettent  enfin  sur  la  route  des  plaisirs  intellectuels.  On 
cite  quelques  binettes  qui ,  venues  à  propos ,  ont  ime  place 
imperceptible  dans  les  bibliothèques  et  se  sont  conservées 
pendant  quelque  temps  dans  la  mémoire  des  amateurs.  Les 
femmes  aiment  les  bluettes;  souvent  elles  les  inspirent.  Les 
jeunes  gens  partagent  ce  penchant,  mais  ils  s'en  corrigent 
plus  tard.  A  une  époque  comme  la  nôtre,  les  bluettes  i)ro- 
prement  dites  n'ont  aucun  prix  :  le  public  ne  saurait  les 
comprendre  ;  son  attention  est  trop  vivement  préoccupée  par 
de  plus  hautes  questions.  Les  écrivains,  de  leur  côté,  qui 
sont  forcés  d'obéir  au  goût  général,  ont  perdu  l'habitude 
des  bluettes,  pour  composer  de  volumineux  romans.  La 
bluette  pétille  même  de  moins  en  moins  sur  les  scènes  de 
vaudeville  où  naguère  elle  faisait  merveille.  La  France  s'en- 
nuie et  s'endort.  Saint-Prosper. 

BLUM  (Robert),  non  moins  connu  par  le  rôle  qu'il  a 
joué  comme  agitateur  politique  que  par  sa  triste  fin ,  naquit 
à  Cologne,  le  10  novembre  1807 ,  de  parents  plongés  dans 
la  misère.  Il  apprit  le  métier  de  ceintmier,  et  entra  plus  lard 
dans  une  fabrique  de  lanternes ,  où  il  fut  employé  comme 
commis  et  où  il  commença  à  se  livrer  à  quelques  études, 
à  l'instigation  de  son  patron.  Après  un  court  service  mili- 
taire en  1830,  il  sollicita,  pour  vivre,  une  place  au  tliéA- 
tre  de  Cologne ,  et  l'obtint  du  directeur  Ringelhardt ,  qu'il 
suivit,  en  1831,  à  Leipzig  en  qualité  de  secrétaire  et  de 
caissier. 

Cette  nouvelle  position  lui  laissant  le  temps  de  s'occuper  de 
travaux  littéraires ,  il  se  mit  à  écrire  dans  divers  journaux , 
composa  une  pièce  de  théâtre  sous  le  titre  de  la  Délivrance 
de  Candie  (Leipzig,  1835),  et  rédigea  le  Dictionnaire 
Théâtral  {KM&nhomg  et  Leipzig,  1839-42,  7  vol.)en  colla- 
boration avec  Herlossohn  et  Marggraff.  En  même  temps  ses 
opinions  libérales  le  jetèrent  dans  les  sociétés  politiques,  où 
son  talent  oratoire  et  son  esprit  d'opposition  lui  acquirent 
bientôt  de  l'influence.  En  1840  il  fonda  à  Leipzig  l'Asso- 
ciation de  Schiller,  dont  les  anniversaires  prirent  sous  sa  di- 
rection une  couleur  politique  ;  il  s'occupa  également  avec 
activitéde  l'organi-ation  de  l'Association  des  Littérateurs.  Ce 
fut  à  celte  époque  qu'il  entreprit  avec  Stegcr  la  publication 
dun  Almanach  politique  sous  le  titre  de  Vorwxrts!  ce  qui 
veut  dire,  En  avant!  (Leipzig,  1843-47,  5  vol.  ) ,  et  il  fut 
un  des  principaux  rédacteurs  des  Feuilles  patriotiques 
Saxonnes. 

Lorsque  le  mouvement  catholico-allemand  éclata  en  1845, 
il  s'en  déclara  le  zélé  partisan,  et  il  fonda  la  communauté 
de  Leipzig,  qu'il  fut  appelé  à  présider.  Après  la  journée  du 
12  aoiU  qui  ensanglanta  Leipzig,  il  empêcha  le  peuple  de 
se  livrer  à  des  actes  de  violence,  et  il  s'acquit  comme  ora- 
teur une  grande  popularité;  aussi  fut-il  nommé  député  aux 
États.  En  1847  il  donna  sa  démission  de  la  place  qu'il  oc- 
cupait au  théâtre,  et  établit  une  librairie  qui  publia  son 
Arbre  de  Noël,  biographies  des  libéraux  allemands,  et  son 
Dictionnaire  politique  pour  le  peuple  allemand. 

Lors  des  événements  de  1848  ,  Bluia  déploya  une  grande 
activité  révolutionnaire,  et  il  ne  tarda  pas  à  devenir  le  chef 
de  la  démocratie  saxonne.  11  contribua  au  renvoi  du  minis- 


BLUM  —  BLUMEiXBACH 


307 


tère  Kœnneritz ,  ressuscita  les  Feuilles  patriotiques ,  qui 
avaient  été  supprimées,  et  fonda  l'Association  Patriotique, 
dans  laquelle  entrèrent  les  esprits  les  plus  exaltés.  Élu  vice- 
président  par  la  première  assemblée  de  Francfort ,  il  do- 
mina ses  turbulents  collègues  par  sa  présence  d'esprit  et  sa 
voix  de  stentor.  Il  fut  ensuite  de  la  commission  des  cin- 
quante, et  fut  envoyé  par  Leipzig  à  l'Assemblée  nationale, 
où  il  devint  ie  chef  do  la  gauche,  et  ss  fit  remarquer  par  l'a- 
dresse et  ie  patlios  de  ses  discours ,  comme  aussi  par  son 
ardeur  dans  la  lutte;  mais  son  talent  oratoire  ne  pouvait  lui 
tenir  lieu  des  connaissances  de  l'homme  d'État.  Après  les 
événements  de  septembre,  il  était  difficile  qu'il  se  fit  plus 
longtemps  illusion  sur  la  désunion,  l'indiscipline,  la  dissolu- 
lion  de  son  parti ,  et  qu'il  conservât  quelque  espérance  de 
vaincre;  cependant  les  événements  de  \ienne  le  vemplirent 
d'enthousiasme,  et  il  partit  avec  Frœbel  pour  porter  aux 
Viennois ,  au  nom  de  la  gauche ,  une  adresse  de  félicitation. 
La  députalion  fut  reçue  le  17  octobre,  et  dans  le  discours 
qu'il  prononça  à  cette  occasion  Bluni  peignit  la  révolte 
des  faubourgs  de  Vienne  comme  une  nouvelle  ère  histo- 
rique. 

Depuis  le  26,  à  la  tête  d'une  compagnie  d'élite,  il  prit 
part  à  la  lutte  ;  mais  le  29  il  se  retira  dans  son  hôtel,  où  il  fut 
arrêté  le  4  novembre  avec  ses  collègues.  Bien  qu'il  fît  va- 
loir son  inviolabilité  comme  député  de  l'Assemblco  natio- 
nale, il  fut  traduit,  le  8  novembre,  devant  un  conseil  de 
guerre  et  condamné  à  être  pendu  ,  supplice  qui  fut  commué 
en  une  exécution  militaire.  Il  fut  fusillé  le  lendemain  matin 
dans  la  Brigittenau  ,  sans  avoir  manifesté,  jusqu'à  la  fin  ,  un 
seul  instant  de  faiblesse.  C'était  un  homme  d'un  caractère 
ferme,  de  beaucoup  d'esprit  naturel,  et  d'une  éloquence 
liropre  à  émouvoir  les  esprits.  H  avait  assez  d'adresse  et 
d'ambition  pour  jouer  le  rôle  de  chef  de  parti,  mais  il  n'a- 
vait pas  assez  de  fanatisme  pour  le  soutenir  jusqu'au  bout. 
La  nouvelle  de  sa  mort  indigna  la  démocratie  allemande. 
D'autres  virent  dans  son  exécution  une  rupture  violente  de 
l'Autriche  avec  l'Assemblée  nationale,  parce  que,  d'après  la 
loi  du  30  septembre  1848,  la  sentence  ne  pouvait  s'exécuter 
sans  la  sanction  du  pouvoir  central.  De  tous  côtés  s'élcvè- 
-ent  les  propositions  les  plus  violentes,  de  tous  côtés  on  cé- 
lébra des  services  funèbres  en  son  honneur,  et  tout  se  ré- 
duisit à  assuier  par  des  souscriptions  l'avenii'  de  sa  femme 
et  de  ses  enfants. 

BLUMAUER  (Aloys),  poète  satirique,  fort  distingué 
lans  le  genre  burlesque,  naquit  à  Steier,  en  Autriclie,  le  21 
décembre  1755.  Après  avoir  terminé  ses  études  dans  sa  ville 
natale,  il  vint  à  Vienne,  où  il  entra  dans  la  compagnie  de 
Jésus.  A  la  suppression  de  l'ordre  îles  jésuites,  il  fut  obligé 
de  gagner  sa  vie  en  donnant  des  leçons;  on  lui  confia  en- 
suite les  fonctions  de  censeur,  qu'il  abandonna  plus  tard 
pour  se  mettre  à  la  tète  d'une  librairie.  —  Le  principal  ou- 
vrage de  Blumauer,  celui  qui  fonda  sa  réputation,  est  l'É- 
7mde  travestie  (3  vol..  Vienne,  1784).  C'est  une  poétique 
caricature,  pleine  de  piquants  contrastes,  étincelanlc  d'une 
verve  satirique  que  l'ex-jésuite  exerce  souvent  aux  dé- 
pens du  clergé  de  son  époque,  mais  dont  les  brillantes  qua- 
lités sont  trop  souvent  déparées  par  des  trivialités  du  plus 
mauvais  goût.  On  peut  adresser  les  mômes  reproclies  à  ses 
poésies  diverses,  qui  parurent  d'abord  pour  la  plupart  dans 
l'Almanach  des  Muses,  fondé  par  lui  et  Rasciiky.  La  ma- 
nière de  Blumauer  approche  souvent  de  celle  de  l'auteur  de 
Lénore ,  dont  il  est  cependant  loin  d'égaler  la  simplicité  et 
l'élégance.  Les  pièces  les  plus  estimées  de  ses  iioésiesdéta- 
cliées  sont  :  l'Imprimerie,  l'Éloge  de  l'Ane,  l'Adresse  au 
Diable,  etc.  Plusieurs  ouvrages  publiés  sous  son  nom  lui 
ont  été  faussement  altribui's;  ce  sont  :  les  Titans ,  épopée 
satirique; /Tercu/e  travesti,  poëme;  productions  au-des- 
sous du  médiocre,  et  le  quatrième  volume  de  l'Enéide, 
indigue  en  tout  point  de  ses  aîné-,  fac'uim  saus  esprit  ni  sel, 
vrai  péché  liticrairc  coiiunis  jiar  u;i  certain  Schaber.  — 


Aloys  Blumauer  mourut  à  Vienne,  le  1,6  mars  1798,  âgé  de 
quarante-quatre  ans.  IIoertel. 

BLUMEIMBACH  (Jean-Frédéric  ),  l'un  des  plus  cé- 
lèbres naturalistes  des  temps  modernes,  naquit  à  Gotha ,  h 
11  mai  1752,  et  mourut  à  Gœttingue  le  22  janvier  1840. 
Reçu  docteur  en  médecine  en  1775,  il  fut  nommé  l'année 
suivante  professeur  extraordinaire  à  l'université  de  Gœt- 
tingue, et  inspecteur  de  sa  collection  d'histoire  naturelle  ; 
puis ,  en  1778 ,  professeur  ordinaire.  Depuis  lors ,  jus- 
qu'en 1835,  époque  où  la  faiblesse  inséparable  de  son  grand 
âge  le  força  de  renoncer  à  l'enseignement  oral,  il  fit  cons- 
tamment chaque  année  des  cours  publics  sur  l'histoire  na- 
turelle ,  l'anatomie  comparée ,  la  physiologie  et  l'histoire  de 
la  médecine,  et  vit  successivement  réunis,  attentifs  autour 
de  sa  chaire,  les  personnages  les  plus  considérables  de  son 
siècle,  et  jusqu'à  des  rois.  Il  excellait  en  effet  à  donner  de 
l'intérêt  aux  matières  les  plus  sèches,  les  plus  ardues,  et  à 
captiver  son  auditoire  par  le  charme  tout  particulier  de  son 
débit. 

Le  premier,  en  Allemagne,  Blumenbach  éleva  l'histoire 
naturelle  au  rang  de  science  positive ,  tandis  qu'avant  lui 
une  foule  de  gens  ne  la  regardaient  encore  tout  au  plus  que 
comme  un  amusement  scientilique.  Dès  1785,  par  consé- 
quent bien  avant  Cuvier,  il  l'avait  rattachée  à  l'anatomie 
comparée,  et  avait  démontré  qu'on  ne  peut  avoir  de  claires 
perceptions  et  des  idées  arrêtées  sur  la  nature  et  les  affi- 
nités des  animaux  que  par  l'étude  approfondie  de  leur  struc- 
ture intérieure.  Son  principal  titre  de  gloire  est  d'avoir 
créé  en  Allemagne  l'étude  de  l'anatomie  comparée,  soit  par 
ses  leçons,  soit  par  des  ouvrages  qui  ont  été  traduits  dans 
toutes  les  langues  de  l'Europe,  et  notamment  par  son  Ma- 
nuel d'Anatomie  et  de  rhysiologiecompai-éesiGœU'ingae, 
1804).  L'histoire  physique  de  l'homme  fut  de  bonne  heure 
son  étude  de  prédilecirou,  connue  le  prouve  sa  thèse  inau- 
gurale intitulée  :  De  generis  humani  varietate  nativa 
(Gœttingue,  1775).  Dans  l'intérêt  de  ses  études  anthropolo- 
giques, il  commença  dès  lors  à  faire  une  collection  de 
crânes  humains  ;  entreprise  dans  laquelle  il  fut  secondé  de 
toutes  parts,  et  qui  lui  permit  de  créer  en  ce  genre  le  musée 
le  plus  nombreux  et  le  plus  riclie  qu'il  y  eût  au  monde,  à 
la  formation  duquel  contribua  jiisqu'au  roi  de  Bavière  lui- 
même,  lequel  envoya  à  notre  savant  vieillard  un  crâne  grec 
d'une  beauté  sans  pareille. 

C'est  cette  collection  qui  a  fourni  les  modèles  des  figures 
de  crânes  comprises  dans  la  Colleclio  Craniorumdiversa- 
rum  gentium  (Gœttingue,  1790-1828,  in-4°,  avec  une 
nova  p>entas  collectionis  su^x  craniorum,  clc,  Gœttingue, 
1828,  in-4"),  qui  conservera  toujours  de  la  valeur,  bien 
que  dans  celte  [)arlie  de  la  science  d'autres  idées  aussi  aient 
[)révalu.  Avant  Blumenbach  un  voyageur  français  avait 
divisé  le  genre  humain  en  quatre  races  distinctes,  système 
auquel  Leibnilz'  crut  devoir  ensuite  faire  subir  de  légères 
modifications.  Pownal  ne  reconnaissait  que  trois  races  d'hom- 
mes, la  blanche,  la  rouge  et  la  noire.  Buffon  en  admet  six, 
Hanter  sept,  Linné  quatre;  d'autres  naturalistes  enfin,  de 
onze  à  quinze,  et  même  davantage.  Blumenbach  n'eu  compte 
que  cinq  :  la  caucasienne,  la  mongole,  la  nègre,  l'améri- 
caine et  la  malaise,  fixant  d'ailleurs  avec  précision  les  dif- 
férences qui  les  séparent  et  les  similitudes  qui  les  rappro- 
chent. 

Comme  physiologiste,  il  n'attira  pas  moins  sur  lui  l'atten- 
tion de  l'Europe  savante  par  sa  dissertation  sur  l'acte  de  la 
génération  (Gœttingue,  1781),  travail  où  il  émit  des  idées 
tout  à  fait  en  contradiction  avec  celles  qui  étaient  alors  la 
plus  généraleînent  admises ,  et  aussi  par  ses  Institutiones 
Phgsiologicœ  (Gœttingue,  1787).  Son  i»/«nMe^  d'Histoire 
Naturelle  a  eu  les  honneurs  de  douze  éditions  successives 
(Gœttingue,  1780-1830),  mais  ne  convient  plus  à  l'étal  ac- 
tuel de  la  science. 

L'ardeur  de  Blumenbach  pour  l'étude  était  grande,  et  la 

:3. 


j(08 


BLUMENBACIl  —  BOA 


besoin  incessant  d'activité  scientifique  qui  le  tourmentait 
trouvait  à  se  satisfaire  dans  les  vastes  ressources  que  met- 
taient à  sa  disposition  les  collections  de  l'université  de  Gœt- 
tingue,  ainsi  que  dans  les  continuels  envois  que  ses  dis- 
ciples lui  faisaient  des  diverses  parties  du  monde ,  à  l'effet 
d'augmenter  les  richesses  de  son  cabinet.  A  la  (in  du  siècle 
dernier,  il  avait  fait  un  voyage  scientifique  en  Angleterre, 
où  il  avait  été  accueilli  avec  une  grande  distinction  par  le 
TOI  Georges  III,  et  où  il  s'était  lié  d'amitié  avec  Joseph  Banks, 
avec  Solander  et  autres  savants  éminents.  C'est  grâce  à  leur 
intervention  qu'il  obtint  alors  la  faveur  toute  particulière 
d'être  autorisé  à  disséquer  une  momie  du  British  Mu- 
séum ,  ce  qui  produisit  une  grande  sensation  dans  le  monde 
scientifique. 

BLU^TSCULI  (Jean-Gaspard),  jurisconsulte  suisse, 
né  à  Zurich,  en  1808,  lit  ses  études  préparatoires  dans  sa  ville 
natale ,  et  alla  les  continuer  dans  diverses  universités  d'Al- 
lemagne, notamment  à  Berlin.  De  retour  dans  sa  patrie,  il 
trouva  bientôt  l'occasion  d'employer  ses  talents  et  ses  connais- 
sances. Lors  de  la  création  de  l'université  de  Zurich,  en  1836, 
H  V  fut  nommé  proiesseur  de  droit.  Bluntschli ,  qui  avait 
semblé  d'abord  s'associer  au  mouvement  libéral  qui  suivit 
la  révolution  de  1830,  ne  tarda  pas  à  se  placer  dans  les  rangs 
des  ennemis  de  la  réforme,  soit  à  cause  de  ses  relations  avec 
beaucoup  de  membres  du  paili  conservateur,  soit  qu'il  se 
fût  laissé  entraîner  par  sa  prédilection  pour  le  droit  histo- 
rique ou  par  une  ambition  maladive.  Une  fois  sur  cette 
pente ,  il  la  descendit  rapidement,  en  sorte  qu'il  se  mit 
hientôtà  haïr  ses  adversaires  politiques  aussi  passionnément 
qu'il  était  prôné  par  ses  partisans.  IMembre  depuis  long- 
temps du  grand-conseil ,  où  il  brillait  par  son  éloquence ,  il 
devint,  le  6  septembre  1839,  membre  du  conseil  de  gou- 
vernement. Ce  fut  en  cette  qualité  qu'il  fit  sur  les  com- 
munistes  en  Suisse  (Zurich,  1843)  un  rapport  oflicid  qui 
contient  une  foule  de  jugements  erronés  sur  les  affaires  de 
la  Suisse.  Au  reste ,  il  ne  tarda  pas  à  s'apercevoir  qu'avec 
l'ivresse  réactionnaire  disparaissaient  la  considération  et 
l'importancç  de  son  parti. 

Cette  circonstance  explique  peut-être  son  admiration 
pour  les  frères  Rohmer,  qui  se  rendirent  dans  ce  temps  à 
Zurich.  Il  se  jeta  h  corps  perdu  dans  le  formalisme  d'une 
prétendue  nouvelle  doctrine,  et  se  considéra  comme  le  chef 
en  Suisse  d'une  école  conservatrice  et  libérale  qui  n'existait 
guère  que  dans  son  imagination.  Comme  fruit  de  ses  travaux 
il  fit  paraître  des  Études  psychologiques  sur  l'État  et 
l'Église  (Zurich,  1844),  parallèle  étrange  et  grotesque  entre 
les  fonctions  de  la  vie  publique  et  celles  du  corps  humain , 
OÙ  la  politique  et  la  psychologie  ou  plutôt  la  physiologie  sont 
également  maltraitées.  A  l'apparition  de  ce  livre,  la  stupé- 
faction des  partisans  de  Bluntschli  ne  fut  pas  moins  grande 
que  la  joie  de  ses  ennemis  politiques,  car  il  ne  prétait  pas 
moins  ^  la  critique  qu'à  la  satire. 

Lorsque  la  question  des  couvents  et  des  jésuites  fut  agitée, 
et  même  avant  la  formation  du  Sonderbund ,  le  peuple  de 
Zurich  s'était  déjà  séparé  si  ouvertement  du  pyrli  qui  domi- 
nait depuis  les  affaires  de  septembre ,  que  Bluntschli  crut 
devoir  donner  sa  démission.  Cependant  il  resta  encore  quel- 
que temps  président  du  grand-conseil  et  membre  du  con- 
seil de  rinstruction  publique.  On  sait  peu  de  chose  sur  la 
part  qu'il  prit  à  la  guerre  du  Sondorbund.  Lorsqu'elle  fut 
terminée,  il  accepta  une  chaire  dans  l'université  de  Munich. 

l'our  le  juger,  il  faut  séparer  en  lui  l'homme  politique  du 
Jurisconsulte.  Comme  professeur,  il  possède  des  qualités 
éminentes,  el  ses  ouvrages  de  droit  sont  écrits  avec  une 
science  et  une  clarté  qui  ne  rappellent  guère  l'auteur  des 
Études  psychologiques.  On  doit  reconnaître  aussi  les  ser- 
vices qu'il  a  rendus  à  sa  patrie  par  la  publication  d'un  Pro- 
jet du  Codede  Droit  privé  pour  le  canton  de  Zurich.  On 
ciJc  encore,  parmi  ses  ouvrages  :  Développement  de  la 
succession  contre  les  derniàcs  volontés  (Zurich,  1S29); 


Histoire  politique  el  juridique  de  la  ville ^^l  du  canton 
de  Zurich  (Zurich,  1838  et  suiv.  );  les  Nouvelles  Écoles 
des  Juristes  allemands  {Zurich,  1841  )  ;  Les  trois  cantons 
d'un,  de  Schwytz  et  d'Untcrwald,  et  leur  première  et 
éternelle  alliance  (Zurich,  184g);  Histoire  de  la  Repu 
blique  de  Zurich  (  2  vol.,  Zurich,  1847).  On  lui  doit  en 
outre  un  livre  intitulé  :  Bnoit  politique  universel,  dont  le 
premier  volume  a  paru  à  Munich,  en  1850. 

BLUTAGE  (  sans  doute  du  latin  volutare,  vanner). 
On  nomme  ainsi  l'opération  qui  consiste  à  séparer  le  son  de 
la  farine  au  moyen  d'instruments  appelés  bluteaux  ou  blu- 
toirs. Le  lieu  où  elle  se  fait  prend  le  nom  de  bluterie. 

On  a  d'abord  employé  simplement  au  blutage  un  sas  de 
crin  ,  d'étamine  ou  de  toile  ;  puis  on  y  a  ajouté  un  cylindre 
composé  de  feuilles  de  fer-blanc ,  trouées  comme  des  rApes, 
et  de  fils  de  fer  placés  circulairement  les  uns  à  côté  des 
autres  et  à  une  distance  assez  rapprochée  pour  ne  pas 
laisser  écouler  le  grain ,  mais  donner  seulement  passage  aux 
ordures. 

Les  blutoirs  tournants  ont  succédé  à  ces  outils  imparfaits  ; 
ce  sont  des  cylindres  inclinés,  placés  dans  des  coffres  entiè- 
rement fermés  et  divisés  en  autant  de  cases  qu'on  veut  avoir 
d'espèces  de  farine.  A  cet  effet ,  le  cylindre  est  garni  d'une 
enveloppe  d'étamine  dont  la  finesse  va  en  diminuant  par 
certains  intervalles  depuis  le  haut  jusqu'au  bas  du  cylindre. 
Ordinairement  on  le  dispose  pour  avoir  trois  qualités  de 
farine  ,  et  en  conséquence,  le  premier  tiers  de  sa  longueur 
est  couvert  d'une  étainine  fine  et  serrée  qui  ne  laisse  passer 
que  la  fleur.  Le  second  tiers  est  garni  d'une  étamine  moins 
serrée ,  qui  donne  la  seconde  qualité  de  farine  ;  et  enfin  le 
dernier  tiers  est  enveloppé  d'un  canevas  très-clair  qui 
laisse  passer  les  recoupes,  tandis  que  le  son  tombe  au 
bout  du  cylindre,  qui  fait  environ  vingt-cinq  tours  par 
minute. 

Un  premier  perfectionnement  apporté  à  ces  machines 
a  été  de  remplacer  les  ctamines  par  des  toiles  métalliques , 
dont  les  mailles,  bien  plus  régulières,  donnent  une  farine 
plus  égale.  Ensuite ,  comme  l'obstruction  des  mailles  ralen- 
tissait le  blutage  et  empêchait  le  son  de  sortir  entièrement 
dépouillé  de  farine,  on  a  rendu  le  blutoir  fixe ,  et  on  a  éta- 
bli sur  son  axe  un  système  de  brosses  tournantes,  qui  agitent 
continuellement  la  farine  en  la  rejetant  à  la  surface  de  la 
toile ,  et  qui  dégagent  les  mailles  obstruées ,  tout  en  net- 
toyant complètement  le  son  par  leur  frottement  non  inter- 
rompu. 

BOA.  Les  Romains  désignaient  ainsi  certains  grands  ser- 
pents d'Italie,  probablement  la  couleuvre  à  quatre  raies  ou 
le  serpent  d'iipidaure ,  et  ce  nom  leur  avait  été  donné,  se- 
lon Pline,  parce  qu'ils  venaient  sucer  le  pis  des  vaches  pour 
se  nourrir  de  leur  lait;  opinion  populaire,  qui,malgré  sa  faus- 
seté évidente ,  subsiste  encore  dans  plusieurs  pays.  Aujour- 
d'hui les  naturalistes  comprennent  sous  la  dénomination 
de  boas  tous  les  serpents  dépourvus  de  crochets  veni- 
meux ,  ainsi  que  d'éperon  ou  de  sonnette  au  bout  de  la 
queue ,  et  qui  se  distinguent  d'ailleurs  par  leurs  mâchoires 
très-dilatables ,  leur  tète  couverte  de  petites  écailles ,  au 
moins  à  sa  partie  postérieure ,  leur  occiput  plus  ou  moins 
rende,  leur  langue  fourchue  et  très-extensible,  le  crochet 
qu'ils  ont  de  chaque  côté  de  l'anus,  les  bandes  écailleuses, 
transversales  et  d'une  seule  pièce  qui  garnissent  le  dessous 
de  leur  corps  et  de  leur  quei:e;  leur  corps  comprimé,  plus 
gros  dans  son  milieu,  et  terminé  par  une  queue  prenante, 
c'est-à-dire  susceptible  de  s'enrouler  autour  des  objets,  de 
manière  à  soutenir  tout  l'animal. 

Quoique  déjjourvus  de  venin,  les  boas  n'en  sont  pas  moins 
redoutables,  à  cause  de  leur  force  extraordinaire,  qu'accom- 
pagne une  agilité  non  moins  remarquable.  C'est  parmi  eux 
que  1  on  trouve  les  plus  grands  de  tous  les  serpents  :  cer- 
taines espèces  atteignent  dix  et  qnin/.e  mètres  de  longueur, 
et  parviennent,  d'ai)rèsles  récils  des  voyageurs,  à  avaler  de* 


BOA  —  BOBÈCHE 


Z09 


rtiiens ,  lies  cerfe ,  et  môme  des  bunifs,  après  les  avoir  écra- 
M^s  dans  leurs  replis,  les  avoir  enduits  de  leur  salive,  et 
sY'tre  énormément  dilaté  la  gorge  et  le  gosier.  Tantôt  ils 
poursuivent  leur  proie ,  tantôt  ils  se  cachent  pour  la  guet- 
ter et  la  saisir  à  l'improviste.  Tapis  sous  l'herbe,  suspendus 
par  la  queue  aux  branches  des  arbres,  ils  attendent,  comme 
h  raftùt,  sur  le  bord  des  fontaines,  ou  dans  quelque  autre 
lieu  de  passage ,  que  l'occasion  leur  amène  quelque  animal 
jiropre  à  satisfaire  leur  appétit,  et  dès  qu'ils  en  aperçoivent 
lin  qui  passe  à  leur  portée,  ils  s'élancent  sur  lui,  lentourent, 
le  pressent  de  leurs  replis  tortueux  ,  l'écrasent  et  le  broient 
pour  ainsi  dire ,  puis  l'engloutissent  après  l'avoir  enduit  de 
leur  salive  muqueuse  et  fétide.  Conuneleur  proie  est  souvent 
très-volumineuse,  et  qu'ils  ne  la  mâchent  point,  la  déglu- 
tition d'abord,  et  ensuite  la  digestion,  sont  pour  eux  des 
oi)érations  longues  et  pénibles.  Quand  on  surprend  un  boa 
occupé  à  introduire  dans  sa  gueule,  énormément  distendue, 
un  corps  qu'elle  peut  à  peine  recevoir,  il  est  facile  alors  de 
lui  donner  la  mort ,  car  il  ne  peut  ni  fuir  dans  l'état  où  il  est, 
ni  se  débarrasser  de  cette  masse,  qui ,  retenue  par  ses  dents 
recourbées  en  arrière  et  par  la  disposition  même  des  mâ- 
choires, ne  peut  plus  cheminer  que  dans  le  sens  où  elle  est 
entrée.  Une  fois  la  déglutition  achevée,  les  boas  se  retirent 
dans  un  lieu  écarté,  où  ils  demeurent  presque  immobiles, 
jtisqu'à  ce  que  leur  estomac  soit  déchargé  ;  et  comme  leur 
digestion  dure  fort  longtemps,  la  putréfaction  qui  sempare 
de  leurs  aliments  avant  qu'elle  soit  achevée,  et  qui  concourt 
même  à  la  faciliter,  répand  autour  d'eux  une  odeur  épou- 
vantable, qui  révèle  au  loin  leur  présence. 

Parmi  les  espèces  de  boas ,  qui  sont  encore  assez  mal 
distinguées  par  les  naturalistes,  nous  nous  bornerons  à  en 
signaler  trois,  qui  atteignent  une  très-grande  taille,  et  qui  se 
trouvent  dans  les  lieux  marécageux  des  parties  chaudes  de 
l'Amérique,  savoir  :  i°  la  boa  devin  {boa  constrictor,  Lin- 
né ) ,  ainsi  nommé  par  les  voyageurs  de  ce  qu'on  lui  a  mal 
à  propos  attribué  ce  qui  est  dit  de  certaines  grandes  cou- 
leuvres, dont  les  nègres  de  Juida  font  leurs  fétiches.  Sa  tète 
est  en  forme  de  cœur  ;  sa  lève  supérieure  est  bordée  d'é- 
cailles  imitant  des  dentelures;  son  corps  est  élégamment 
varié  de  gris ,  de  blanc ,  de  noir  et  de  rouge ,  et  on  le  recon- 
naît surtout  à  une  large  chaîne  régnant  tout  le  long  de  son 
dos,  formée  alternativement  de  grandes  taches  noirâtres,  ir- 
régulièrement hexagones ,  et  de  taches  pâles,  ovales,  échan- 
crées  aux  deux  bouts;  2°  le  boa  anacondo  {boa  scytale  et 
boa  murina,  Linné),  brun,  avec  une  double  suite  de  taclies 
rondes  et  noires  le  long  du  dos ,  et  des  taches  brunes  œil- 
lées  de  blanc  sur  les  flancs;  3°  le  boa  aboma  ou  boa  à  an- 
neaux {  boa cenchrys ,  Linné),  fauve,  portant  une  suite  de 
grands  anneaux  bruns  le  long  du  dos ,  et  des  taches  variables 
sur  les  flancs.  Démezil. 

BOABDIL  ou  ABOU- ABD ALLAH ,  dernier  roi  maure 
de  Grenade,  fils  de  Muléi-Hassem,  se  révolta  contre  son 
père  en  148 1 ,  le  chassa  de  sa  capitale ,  et  prit  le  titre  de  roi  ; 
le  malheureux  père  en  mourut  de  douleur.  Boabdil,  vaincu 
et  fait  prisonnier  par  les  troupes  réunies  de  Ferdinand  d'A- 
ragon et  d'Isabelle  de  Castille,  n'obtint  la  liberté  qu'à  con- 
dition qu'il  se  reconnaîtrait  vassal  de  l'Espagne.  La  division 
s'étant  mise  entre  ses  sujets  par  suite  de  ce  traité  honteux, 
Ferdinand  et  Isabelle  en  profitèrent  pour  assiéger  Grenade, 
qui  succomba  en  1492.  Boabdil  accompagné  de  sa  famille 
et  d'une  suite  peu  nombreuse,  ayant  gravi  le  mont  Padul, 
<roù  l'on  découvre  la  ville,  se  mita  fondre  en  larmes  : 
«  Pleurez,  monfds,lui  dit  sa  mère  Ayescha,  pleurez  cor:  me 
une  femme  le  trône  que  vous  n'avez  pas  su  défendre  en 
iiomme  et  en  roi.  »  Ce  malheureux  prince,  ne  pouvant  se 
résoudre  à  vivre  en  sujet  dans  un  pays  dont  il  avait  été  roi, 
passa  en  AlVique,  et  se  (it  tuer  dans  une  bataille  en  servant 
les  intOrêls  du  roi  de  Fez,  qui  voulait  détrôner  le  roi  de  Maroc. 
La  prise  de  Grenade  mit  lin  à  la  puissance  des  R'aures  en 
t>ii;igne,  sqitccnt  quatre-vingt-deux  ans  après  leur  invasion. 


BOAÎSTUAUou  BOISTUAU  (PjEKne),  dit  Launay , 
natif  de  Nantes,  mort  à  Paris,  en  1565,  auteur  assez  super- 
ficiel ,  qui  a  pourtant  la  gloire  d'avoir  été  un  des  premiers 
écrivains  qui  aieiit  recommandé  aux  mères  d'allaiter  leurs 
enfants.  «  Boistuau,  dit  Lacroix  du  ÎNIaine,  a  été  homme 
très-docte  et  des  plus  éloquents  de  son  siècle,  lequel  avoit  une 
l'açon  de  parler  autant  douce,  coulante  et  agréable  qu'autre 
duquel  j'aye  lu  les  escrits.  »  On  a  de  lui  1"  le  Théâtre  du 
Monde  sur  les  misères  humaines  et  la  dignité  de  l'homme 
(6  vol.,  1534  et  suiv.  )  ;  on  assure  que  ce  livre,  qui  contient 
des  faits  très-singuliers  et  qui  avait  été  primitivement  composé 
en  latin,  a  eu  plus  de  vingt  éditions;  2°  les  Histoires  tragi- 
ques, extraites  des  œuvres  italiennes  de  lUindel  (voyez 
Baxdello)  et  mises  en  langue  française  (7  vol.,  15fis 
et  suiv.  )  ;  les  six  premières  nouvelles  du  1'"'  vol.  ont  été  tra- 
duites par  Boaistuau  et  le  sont  beaucoup  mieux  que  celles 
dont  s'était  chargé  Beilcforest,  quia  continué  l'ouvrage 
et  y  a  ajouté  plusieurs  histoires  de  son  invention.  L'une  de 
celles  que  Boaistuau  a  traduites  est  l'original  de  Roméo  et 
Juliette ,  et  a  pour  titre  Histoire  de  deux  Amants  morts 
l'un  de  venin,  l'autre  de  tristesse.  Tous  les  détails,  tous 
les  personnages  sont  les  mêmes  que  dans  Shakspeare.  La 
sixième  histoire,  traduite  du  latin  de  Valentino  liarruchio, 
a  servi  évidemment  à  M'""  de  Fontaine  de  canevas  pour  son 
roman  de  la  Comtesse  de  Savoie,  et  à  Voltaire  pour  sa  tra- 
gédie d'Artémise,  qui  n'eut  pas  de  succès,  mais  à  laquelle  il 
emprunta  quelques  épisodes  pour  celle  de  Tancrède;  3"  His- 
toires prodigieuses, e\trsi\{ei  dedivers  auteurs  (6  vol.,  1561 
et  suiv.  )  ;  ces  histoires  étaient  primitivement  au  nombre  de 
quarante;  Claude  de  Tesseranten  ajouta  quinze,  et  R.  Heyer, 
Jean  de  Marconvelle  et  Belleforest  complétèrent  l'ouvragi^ 
BOARD  OF  CONTROL.  On  appelle  ainsi  eu  Angle- 
terre le  62<re««  des  affaires  des  Indes.  Ce  bureau,  qui 
faisait  autrefois  partie  du  ministère  des  colonies,  forme  au- 
jourd'hui un  département  complètement  séparé.  La  cour 
des  directeurs  de  la  compagnie  des  Indes  est  obligée 
de  lui  communiquer  toutes  les  mesures  qu'elle  prend  et 
toutes  les  instructions  qu'elle  envoie  au  gouverneur  géné- 
ral en  ce  qui  concerne  l'administration  de  l'Inde  anglaise. 
Le  board  of  control  est  composé  d'un  président  ministre, 
de  huit  commissaires,  qui  sont  :  le  président  du  conseil  privé, 
le  garde  des  sceaux,  le  premier  lord  du  trésor,  les  trois  sc- 
crélaires  d'État  et  le  chancelier  de  l'Échiquier.  Enfin  deux 
secrétaires  y  sont  adjoints. 

BOBÈCHE.  Il  est  des  célébrités  de  tous  les  genres  et 
des  renommées  de  toutes  les  tailles.  Un  farceur  de  boule- 
vard, n'exerçant  même  qu'à  l'extérieur,  un  simple  pura- 
diste,  obtint  à  Paris,  sous  l'Empire  et  pendant  les  premières 
années  de  la  Restamalioa,  une  de  ces  illustrations  populaires 
dont  plus  d'un  acteur  de  nos  grands  théâtres,  et  même 
des  personnages  plus  importants ,  sans  doute,  ont  pu  être 
jaloux.  Bobèche  avait  paru  d'abord  sur  les  tréteaux  de  Ver- 
sailles et  de  quelques  fêtes  publiques  des  environs  de  Paris. 
On  le  remarqua  dès  qu'il  vint  y  débuter  en  plein  vent  de- 
vant un  spectacle  de  funambules.  Un  masque  précieux  pour 
son  emploi,  un  jeu  empreint  de  la  plus  naïve  bêtise,  l'eurent 
lait  bientôt  sortir  de  la  foule  des  bienheureux  niais  qui  en- 
combrent notre  capitale.  Aussi ,  sans  avoir  besoin  ,  comme 
plus  tard  Debureau,  d'un  conï oc  spirituel  pour  appeler  sur 
lui  l'attention.  Bobèche  vit-il  son  nom  beaucoup  plus  répan- 
du. Sa  vogue  s'augmenta  encore  par  quelques  traits  d'une 
sublime  naïveté,  sur  lesquels  la  censure  impériale  et  celle 
de  la  Restauration  avaient  grand'peine  à  passer  l'éponge. 
C'est  sous  ce  dernier  régime  qu'il  disait,  dans  une  de  ses 
improvisations  :  «On  piétend  que  le  commerce  ne  va  pas  : 
j'avais  trois  chemi.ses,  j'en  ai  déjà  vendu  deux.  »  Croyez- 
vous  que  nos  auteurs  dramatiques  ne  lui  auraient  pas  em- 
prunté ce  mot  et  plusieurs  autres,  s'ils  eussent  espéré  les 
sauvi'r  du  veto  censorial? 
Bobèche  aus.?i  ctait  auteur,  et  presque  toujours  il  coJiipo- 


310 

sait  lui-même  ses  rôles.  Je  lui  ai  vu  joiici  telle  scène  où  il  y 
avait  plus  de  comédie  que  dans  maint  ouvrage  en  cinq  actes. 
Donnons-en  un  exemple  en  passant  :  Le  maître  ou  le  com- 
père arrive  une  lettre  à  la  main  :  «  IJobèclie,  voici  «ne 
lettre  de  l'un  de  tes  amis  que  je  vais  te  lire,  attendu  que  tu 
as  oublié  de  l'apprendre.  Écoule  (il  lit)  :  «  Mon  cher  ami,  je 
'<  dois  vous  annoncer  (|ue  votre  S(«'ur  a  depuis  votre  dé- 
«  part  commis  quelques  incousécpiences  :  elle  en  est  depuis 
«  six  mois  à  son  douzième  amant.  »  —  Ali!  la  misérable! 
interrouqjt  Bobèche;  je  pars  sur-le-cliuiiip,  je  vais  la  tuer 
jiour  l'honneur  de  la  fiimillc.  —  Attendez  un  instant,  lé- 
poiid  le  mnltre,  et  il  continue  de  lire  :  «  Far  cette  conduite 
«  lo;^ère,  elle  a  gagné  une  dizaine  de  mille  francs,  et  vous 
«  en  a  destiné  la  moitié.  »  (Bobèche  soinit.)  —  Dans  le 
Coud,  c'est  une  bonne  liile,  et  qui  a  des  qualités.  —  Atten- 
dez encore,  mon  ami  (le  maître  lit)  :  «  Par  malheur,  des 
•>  voleurs  ont  pénétré  chez  elle  en  son  absence,  et  ont  cn- 
«  levé  toute  la  somme.  »  —  Ah!  la  scélérate  !  ah!  rinlùiuel 
Monsieur,  ne  me  retenez  plus!  il  faut (juc  j'aille  la  punir... 
—  Écoutez  donc  encore...  (  il  ht)  :  »  Heureusement,  les  bvi- 
«  gands  ont  été  arrêtés  le  lendemain ,  et  on  a  retrouvé  sur 
«  eux  la  soumieentièie....  »  — Au  fait,  répond  Bobèche,  on 
l'a  peut-être  calomniée,  cette  pauvre  lille. —  (Le  maître 
continue  de  lire)  :  «  11  est  vrai  que  les  dix  mille  francs  ont 
«  été  déposés  au  greffe,  et  qu'on  ne  sait  trop  quand  ils  en 
«  sortiront.  >>  —  Tenez,  monsieur,  pour  former  mon  opi- 
nion, je  vois  que  le  plus  sur  est  d'attendre.  »  Molière,  qui 
ramassa  plus  d'une  fois  quelques  traits  comiques  des  bouf- 
fons italiens,  n'eilt  peut-être  pas  laissé  échapper  une  scène 
si  vraie  dans  sa  trivialit(^.  Au  reste ,  les  parents  de  la  Fille 
d'Honneur  de  M.  Duval  le  sont  un  peu  aussi  du  person- 
nage principal  de  cette  parade.  Étonnez-vous  après  cela  de 
la  réponse  laite,  sous  l'Empire,  par  un  directeur  général , 
homme  d'esprit,  à  l'un  de  ses  employés  qui  s'excusait 
d'arriver  tard  au  bureau  ,  parce  qu'ayant  à  traverser  le 
boulevard  du  Temple,  il  s'arrêtait  souvent  à  écouter  les 
lazzis  de  Bobèche  :  «  Vous  me  trompez ,  monsieur,  je  ne 
TOUS  y  ai  jamais  vu.  » 

Parvenu  sous  Louis  XVIII  à  l'apogée  de  sa  gloire,  Bo- 
bèche fut  appelé  fréquemment  à  jouer  ses  parades  dans  les 
fêtes  de  Tivoli,  qui  réunissaient  encore  une  brillante  société, 
et  il  ne  manquait  pas  de  prendre  sur  l'afliche  le  titre  à^premier 
bouffon  du  gouvernement.  Jinivré  de  sa  renommée,  il  vou- 
lut malheureusement,  comuie  nos  comédiens  de  première 
ligne,  aller  donner  des  représentations  en  province.  Un  épou- 
vantable échec  l'y  attendait.  Dans  une  ville  du  nord,  à  Douai, 
je  crois,  il  avait  lixé  le  prix  des  places  au  taux  des  représen- 
tations extraordinaires ,  ce  qui  indigna  les  spectateurs 
contre  lui.  Les  Normands  se  seraient  peut-être  contentés 
d(!  lui  jeter  des  jv^mmes,  cuites  ou  non  ;  les  riamands  vou- 
lurent tout  simpiement  l'assommer.  Bobèche  se  .sauva;  j'i- 
guore  s'il  sauva  aussi  la  recette.  Atterré  .sans  doute  de  ce  re- 
vers, il  s'rélipsa  entièrement  depuis  cette  époque,  laissant 
le  champ  libre  à  son  rival  Galimafré,  qui  ne  put  jamais  le 
faire  oublier.  Mais  s'il  n'est  i)lus  vivant,  son  nom  l'est  en- 
core dans  le  souvenir  des  Parisiens  de  cinquante  à  soixante 
ans  et  de  beaucoup  de  provinciaux,  de  la  même  époque,  qui 
souvent  à  leur  arrivée  dans  la  capitale  couraient  voir  JJo- 
bèclie  avant  de  se  régaler  du  Palais-Royal  et  de  VOpéra. 
Je  dois  avouer  que,  malgré  toutes  mes  recherches,  je  n'ai 
pu  découvrir  le  non»  de  famille  et  le  lieu  de  naissance  de 
cet  honnue  illustre.  On  doit  s'en  consoler  en  songeant  qu'il 
n'est  pas  encore  bien  certain  que  le  chantre  de  VIliade 
s'appelât  Homère,  et  que  des  sept  villes  qui  se  le  dispu- 
tèrent, on  ne  sama  jamais  au  juste  celle  qui  lui  donna  le 
jour.  OuuRV. 

BOBINE,  sorte  de  fuseau,  petit  morceau  de  bois  tourné 
en  rond,  cylindrique,  avec  des  rebords  à  chaciue  bout, 
percé,  et  que  Ton  rend  mobile  en  le  plii(,anl  t^ur  une  verge  de 
fer;  il  sert  à  liler  au  rouet  ou  à  dévider  du  lil,  de  la  soie,  de 


BOBÈCHE  —  BOCAGE 


la  laine,  elc.  Ce  mot  est  fait,  selon  les  uns,  du  latin  bom- 
byx, ver  à  soie;  et  .selon  d'autres  du  verbe  volvere,  tourner. 

On  appelle  bobineuses ,  dans  les  manufactures  de  laine, 
les  femmes  ou  (illes  qui  dévident  sur  des  bobines  le  lil  des- 
tiné à  former  la  chaîne  des  étoffes. 

La  bobinière  est  la  partie  supérieure  du  rouet  à  filer  l'or. 

BOBOCABDI  (Uvacintue).  Foyfis  Céi.estin  1M. 

BOBOIJNA  ou  B0UI50ULINA  appartenait  à  une  riche 
famille  albanaise,  et  elle  était,  en  1812,  mariée  depuis  plu- 
sieurs années  h  un  jeune  chef  iVarmatoles  au  service  de  la 
Turquie.  lors(|ue,  à  celte  époque,  son  époux,  accusé  d'avoir 
entreteim  des  liaisons  avec  le  célèbre  Ali,  pacha  de  Janina, 
fut  massacré  par  ordre  du  sultan.  Bobolina  jura  de  le 
venger,  et,  retirée  dans  la  solitude,  à  Si)ezzia,  elle  y  éleva 
ses  deux  lils  dans  la  haine  des  Turcs.  Lorsque  l'insurrection 
fut  proclamée,  en  1S21 ,  la  riche  Bobolina  arma  à  ses  frais 
trois  navires,  dont  elle  prit  le  connnandement  en  chef,  avec 
le  titre  de  navarque,  et  dans  ce  grade  étrange  et  inoui  pour 
une  femme,  elle  déploya  une  habileté  au  moins  égale  à  son 
courage.  En  outre ,  elle  envoya  à  l'armée  de  terre  ses  deux 
lils,  dont  le  second  atteignait  à  peine  sa  quatorzième  année. 

L'héroïne  participa  au  siège  de  Tripolitza,  dont  elle  fut 
chargée  de  faire  le  blocus  jiar  mer.  Mais  de  déplorables  dis- 
sensions s'élevèrent  entre  les  chefs  de  l'armée  de  terre  et 
les  navarques ,  et  Bobolina  reçut  l'ordre  de  se  retirer  et 
d'abandonner  le  siège  de  Tripolitza.  Cependant,  les  querelles 
s'apaisèrent,  et  un  peu  plus  tard  on  retrouve  Bobolina  au 
siège  de  N  a  poli  de  Rom  a  nie.  Ayant  repris  ses  fonctions 
d'aïuiral ,  elle  bloc^ua  par  mer,  quatorze  mois  durant,  cette 
ville  importante.  Napoli  se  rendit  le  12  décembre  1822,  et 
Bobolina,  qui  avait  refusé  de  signer  aucune  capitulation, 
exigeant  impérieusement  que  les  Turcs  se  rendissent  à  dis- 
crétion, ne  se  montra  pas  sans  pitié  lorsque  les  vaincus,  à 
geuoux  devant  elle  plus  que  devant  les  autres  chefs,  bai- 
sèrent, en  l'implorant,  le  bas  de  sa  robe.  La  vie  fut  laissée 
sauve  à  mille  prisonniers  et  au  pacha,  qui  eut  la  permission 
d'emmener  son  harem  et  d'emporter  ses  richesses.  C'était 
le  premier  exemple  de  moil jiation  qui  eût  été  donné  dans 
celle  guerre  sans  merci,  où  les  Grecs,  aigris  par  les  longues 
tortures  de  l'esclavage,  se  montraient  presque  aussi  cruels, 
aussi  impitoyables  que  les  Turcs,  corrompus,  eux,  par  l'ha- 
bitude du  despotisme. 

Après  celte  importante  conquête,  Bobolina  ne  cessa  pas 
de  prendre  part  aux  opérations  militaiies  des  Grecs ,  et  elle 
se  distingua  particulièrement  dans  celles  dont  l'Argolide  fui 
le  théâtre.  On  dit  que  pendant  le  siège  de  Monembasie,  un 
de  ses  neveux  ayant  été  tué  d'un  coup  de  canon ,  elle  éten- 
dit sur  lui  son  manteau,  et,  sans  s'abandonner  à  d'inutiles 
regrets ,  ordonna  de  venger  sa  mort  en  bombardant  la  ville 
avec  ])lus  de  vigueur.  C'est  avec  la  môme  apparence  de  ré- 
signation stoique  qu'elle  parlait  de  la  perte  de  son  mari  et 
de  son  lils  aîné,  morts  les  armes  à  la  main.  Cette  femme 
extiaordinaire,  au  teint  bronzé,  aux  yeux  brillants  et  pleins 
de  feu ,  à  la  démarche  guerrière ,  objet  des  louanges  et  quel- 
quefois des  épigrammes  de  ses  compatriotes ,  excitait  vive- 
ment la  curiosité  des  étrangers.  Us  étaient  accueillis  avec 
une  cordiale  hospitalité  dans  sa  belle  maison  de  Spezzia, 
qu'en  1824  elle  était  venue  de  nouveau  habiter  avec  ses 
frères  pendant  les  dissensions  cpii  divisaient  les  Grecs. 

En  1825  celte  maison  fut  assaillie  par  les  parents  et  les 
amis  d'une  jeune  personne,  séduite,  dit-on,  par  quelqu'un  de 
sa  famille.  Des  paroles  peu  mesurées  de  Bobolina  augmen- 
tèrent l'exaspération,  et  un  coup  de  fusil  parti  des  groupes 
tumultueux  termina  la  vie  de  l'héroïne. 

BOCA<iE.  C'est  un  bouquet  de  bois  planté  dans  la 
canqiagne  et  non  cultivé,  en  quoi  il  diffère  du  bosquet. 

Le  Boc.vcE  est  le  nom  particulier  d'un  petit  pays  de  la 
basse  Normandie,  dans  le  diocèse  de  Lisieux ,  qui  avait  au- 
Iri'fois  Vire  pour  capitale,  et  qui  fait  aujourd'hui  partie  du 
département  du  Calvados.  C'est  do  ce  pays  tiue  le  linge  ou- 


BOCAGE 


SU 


vr«Ç  qui  se  fait  en  basse  Nonnamlic,  paiticulièreraent  aux 
(•m irons  de  Caen,  a  recule  nom  de  bocage. 

On  ap])elle  encore  Bocage  une  ancienne  contrée  de  la 
France,  célèbre  dans  les  malheureuses  guerres  civiles  de  la 
Vendée;  elle  est  sur  les  linntes  des  départements  de  la 
Vendée,  de  la  Loire-Inférieure  et  de  Maine-et-Loire. 

BOCAGE,  artiste  dramatique.  Avant  de  monter  sur 
la  scène,  Bocage  avait  été  obligé,  pour  obéir  aux  supplica- 
tions de  sa  famille,  de  faire  quelques  pas  dans  des  carrières 
bien  diverses.  Mais  partout  il  s'était  arrêté  avant  môme 
d'avoir  accompli  le  noviciat  que  réclament  toutes  les  pro- 
fessions, tous  les  métiers.  Ses  grands-parents  avaient  rêvé 
qu'il  pourrait  devenir  nn  des  premiers  manufacturiers  de 
Rouen,  et  il  renonça  à  la  rouennerie  alors  qu'il  n'était  qu'ou- 
vHer  cardeiir,  gagnant  cinquante  centimes  par  joiw.  On 
voulait  qu'il  fût  avoué,  et  il  rompit  avec  le  Code  dès  qu'à 
force  de  protections,  de  patience,  de  travail  et  d'intelligence, 
il  eut  obtenu  le  grade  de  quatrième  clerc  d'huissier.  Échappé 
à  la  cléricature,  il  entra  dans  les  buraux  du  ministère  de 
la  guerre,  où  il  fut  quelque  chose  comme  sous-chef,  rédac- 
teur, expéditionnaire  ou  garçon  de  bureau.  Du  ministère  de 
la  guerre  il  retomba  dans  la  maison  paternelle,  où,  vive- 
ment chapitré  à  propos  de  l'inconstance  de  ses  goûts,  ser- 
monné d'importance  à  cause  de  son  antipathie  pour  la  car- 
rière commerciale,  —  la  seule  qui  lui  convînt,  disait  sa  vieille 
grand'mère,  —  il  prit  une  énergique  résolution,  et  déclara 
qu'il  allait  se  jeter  dans  les  denrées  coloniales.  Le  lende- 
main il  élait...  —  le  croiriez-vons,  femmes  charmantes,  qui 
avez  si  ardaîin)ent  applaudi  le  bel  Antong?  —  il  était  gar- 
çon épicier!  Hàfons-nous  de  dire  que  Bocage  ne  lit  que 
passer  dans  la  cassonade,  d'où  il  s'élança  sur  les  tréteaux 
ambulants  de  je  ne  sais  quelle  troupe  nomade.  Il  réussit  peu. 
Ses  camarades  le  trouvaient  gauche,  mal  planté,  disgracieux  ; 
?I  public  était  du  même  avis  que  ses  camarades. 

Après  dix  années  de  courses  vagabondes,  il  revint  à  Pa- 
ris, et  s'en  alla  solliciter  des  débuts  à  i'Odéon.  Ils  lui  furent 
accordés.  Comme  il  n'était  pas  précisément  tombé,  comme 
rodéon  a  été  de  tout  temps  l'asile  du  malheur,  on  admit  le 
débutant,  et  il  eut  le  droit  de  végéter  dans  les  troisièmes 
rôles ,  qu'il  jouait  comme  le  premier  venu,  ni  mieux  ni  plus 
mal.  Un  jour  cependant  il  se  révéla  :  ce  fut,  si  ma  mémoire 
ne  me  trompe  pas,  dans  une  pièce  de  M.  Ancelot  intitulée 
V Homme  du  Monde.  On  trouva  que  cet  acteur,  qui  ne  sa- 
vait pas  marcher,  avait  une  physionomie  pleine  d'expres- 
sion, un  beau  regard,  de  l'élan,  du  cœur...  On  l'applaudit  ! 
Bocage  n'attendait  que  ce  premier  bravo  pour  montrer  ce 
qu'il  pouvait.  A  dater  de  cette  époque  il  ne  fit  aucune  dif- 
ficulté d'initier  le  public  aux  rares  et  précieuses  qualités 
qu'il  tenait  de  la  nature  et  de  l'étude;  il  laissa  jaillir  au  de- 
hors des  trésors,  longtemps  comprimés,  de  sensibilité,  d'é- 
nergie, de  passion.  11  prouva  qu'il  savait  pleiu-er,  frémir, 
aimer.  Alors ,  comme  pour  le  récompenser  de  l'avoir  si 
longtemps  méconnu,  le  public  s'enthousiasma  pour  cet  ac- 
teur que  jusque  là  les  sifllets  eux-mêmes  avaient  dédaigné; 
il  s'exalta  pour  ses  qualités  et  ne  voulut  plus  voir  ses  dé- 
fauts. Bocage,  sous  les  traits  A'Antonij,  fut  proclamé  non 
pas  seulement  le  plus  intelligent,  le  plus  chaleureux,  mais  le 
plus  beau,  le  plus  élégant,  le  plus  distingué  des  amoureux  de 
théâtre.  Il  y  a  mieux,  il  fut  décidé,  reconnu,  établi,  qu'on 
ne  pouvait  être  beau  qu'à  la  condit'on  de  ressemlder  à  Ho- 
cage  dans  Antony.  Les  salons  furent  tout  à  coup  inondés 
de  jeunes  hommes  pâles  et  blêmes,  aux  longs  cheveux  noir.'?, 
à  la  charpente  osseuse,  aux  sourcils  épais,  à  la  parole  ca- 
verneuse, au  lorgnon  d'écaillé,  à  la  physionomie  hagarde  et 
désolée.  Ces  jeunes  hommes  portaient  des  gants  parfaite- 
ment jaunes,  et  jouissaient  d'un  regard  prodigieusement 
mélancolique.  Ils  ressemblaient  beaucoup  à  des  malades 
sortis  d'un  hôpital  sans  ïexeat  du  médecin.  Ces  jeunes 
hommes  étaient  des  séides  de  V>ocdL^Q- Antony.  Et  comme 
à   l'époque   où   ces  choses  se  passaient  (1831)  on  faisait 


chaudement  toutes  choses,  de  maladroits  amis  entrcprirtHjt 
de  démontrer  que  Bocage  était  plus  qu'un  artiste  de  talent, 
qu'il  était  la  personnification  de  l'Art,  que  l'Art  était  en  lui 
et  non  ailleurs,  etc.,  etc. 

Ces  exagérations  assez  ridicules  eurent  le  résultat  que  re- 
doutaient les  hommes  sages.  La  partie  raisonneuse  du  pu- 
blic, celle  qui  n'accepte  pas  les  opinions  toutes  faites,  celle 
que  le  tapage  irrite,  s'insurgea  contre  la  renommée  étour- 
dissante de  Bocage.  Comme  il  lui  parut  qu'on  voulait  faire 
d'une  question  d'acteur  une  question  d'école,  une  question 
de  littérature,  elle  se  retira  dans  ses  préjugés,  et  nia  l'acteur 
comme  elle  niait  l'école,  comme  elle  niait  la  pièce.  Cette 
crise,  il  faut  le  dire,  ne  fut  pas  favorable  à  l'acteur.  On  avait 
crié  à  la  perfection,  la  critique  eut  à  cœur  de  savoir  à  quoi 
s'en  tenir  sur  cette  hâtive  glorification;  elle  examina,  et  son 
examen  fut  d'auUmt  plus  sévère  que  le  fanatisme  des  ado- 
rateurs s'était  montré  plus  ardent.  On  louait  l'originalité  de 
l'artiste ,  la  critique  proclama  que  cette  originalité  n'était 
que  bizarrerie;  on  vantait  la  distinction  aristocratique  de  sa 
personne,  la  critique  accusa racteiu' d'afféterie  etde préten- 
tion; on  s'extasiait  sur  la  vivacité  de  sa  pantomime,  la 
critique  ne  consentit  à  voir  dans  ce  luxe  de  jeux  de  phy- 
sionomie que  contorsions  et  grimaces.  A  ceux  qui  remar- 
quaient combien  la  voix  de  leur  acteur  favori  avait  de  puis- 
sance émouvante ,  la  critique  répondait  que  la  plujjart  du 
temps  cette  voix  était  toute  nasale,  et  que  toujours  elle  était 
étrangère  à  la  pratique  de  l'articulation.  Enfin,  peu  s'en  fal- 
lut que,  grâce  à  d'imprudentes  admirations,  cette  gloire 
qu'un  jour  avait  fait  éclater  ne  retombât  en  un  jour  dans 
le  néant. 

Par  bonheur,  le  mérite  de  l'acteur,  s'il  n'atteignait  pas 
précisément  les  hauteurs  hyperboliques  au  niveau  desquelles 
on  avait  prétendu  l'élever,  était  de  taille  à  ne  pas  se  laisser 
étouffer  dans  la  lutte.  11  triompha  des  attaques  de  la  critique, 
et,  ce  qui  est  plus  remarquable,  des  adulations  de  ses  amis. 
La  Tour  de  Nesle,  Thérésa ,  Shilock ,  Angèle ,  L'Incen- 
diaire, Les  Sept  Infants  de  Lara,  Riche  et  Pauvre,  Ango, 
Christophe  le  Sxiédois,  etc.,  etc.,  prouvèrent  victorieu- 
sement que  Bocage  est  un  des  acteurs  de  notre  temps  qui 
entend  le  mieux  la  composition  générale  d'un  rôle,  qui  en 
saisit  le  plus  minutieusement  toutes  les  nuances  et  les  dé- 
tails les  plus  divers,  que  personne  plus  que  lui  ne  connaît 
l'art  de  donner  du  ton  et  de  la  couleur  à  un  personnage, 
que  nul  n'exprime  avec  plus  de  force  et  de  vérité  la  rési- 
gnation, le  désespoir,  l'amour  et  le  dévouement. 

Plus  tard,  la  Main  droite  et  la  Main  gauche,  Lucrèce 
et  Antîgone  furent  pour  Bocage  des  occasions  de  triom- 
phes bruyants;  mais  pour  les  amis  de  l'artiste  —  j'entends 
les  amis  ,  et  non  les  sectaires  —  ses  deux  plus  admirables 
créations  restent  celles  de  Delaunay  dans  Thérésa,  et  du 
vieux  curé  dans  l'Incendiaire.  Edouard  Lemoine. 

D'acteur,  M.  Bocage  se  fit  un  jour  entrepreneur  de  spec- 
tacles. Au  mois  de  mai  1845,  il  obtint  la  direction  de  I'O- 
déon. Le  théâtre  rouvrit  à  l'arrière-sa^son  par  la  résurrec- 
tion du  Saint  Genest  de  Rotrou,  et  un  prologue  en  vers  do 
M.  ïh.  Gautier.  Sa  troupe  était  faible,  bien  faible;  M.  Bo- 
cage n'avait  guère  recruté  que  des  talents  naissants,  q.ii  de- 
vaient à  la  vérité  se  développer  sous  son  inspiration.  Les 
pièces  se  succédèrent  avec  la  rapidité  dévorante  qui  carac- 
térise cette  malheureuse  scène.  Cependant  on  remarqua  le 
Diogène,  de  M.  F.  Pyat,  dans  lequel  M.  Bocage  jouait  le 
principal  rôle;  Agnès  de  Méranie,  de  M.  Ponsard,  etc. 
M.  Bocage  avait  cédé  la  direction  de  son  théâtre  à  M.  A'i- 
centini,  lorsque  la  révolution  de  Février  le  ramena  à  la  tête  do 
I'Odéon.  Appelé  au  sein  de  la  commission  chargée  de  prépa- 
rer un  projet  de  loi  sur  les  théâtres,  il  se  prononçA  énergi- 
quement  contre  la  censiire,  et  développa  un  système  do 
théâtres  ambulants  qui  parcourant  les  campagnes  porte- 
raient paitont  des  idées  civilisatrices. 

Une  des  plus  brillnntos  campagnes  de  I'Odéon  fut  celle  ({«© 


Sî2 


BOCAGE  —  BOCARD 


fournit  François  le  Champi.  George  Sand ,  dans  k.»  jir(''- 
lace,  adressa  les  plus  flatteurs  remcrcîrnents  à  l'iiabile  di- 
recteur qui  par  rexccllence  de  sa  mise  en  scène  n'avait  pas 
peu  contribué  au  succès  de  l'ouvrage.  L'auteur  nous  apprend 
môme  que  c'est  sur  les  vives  instances  de  M.  Bocage  qu'il 
s'aventura  h  ressusciter  sur  la  scène  le  genre  rustique  et 
naïf.  Le  Chariot  d'enfant,  d'après  le  roi  indien  Soudraka, 
fut  une  des  dernières  pièces  jouées  à  l'Odéon  sous  la  di- 
rection de  M.  Bocage.  Les  billets  de/amille,  qui  réduisaient 
d'une  inanière  indirecte  le  prix  d'entrée,  devinrent  un  pré- 
texte de  révocation,  et  son  privilège  lui  fut  enlevé.  Vaine- 
ment il  en  appela  au  conseil  d'Klat.  Son  pourvoi  fut  rejeté. 
Cependant  George  Sand  avait  écrit  pour  lui  Claudic,  qui 
fut  représentée  à  la  Portc-Saint-Marlin ,  et  où  U  joua  avec 
succès  le  rôle  du  père  lîémy.  Depuis  cette  création  il  a 
quitté  la  scène ,  et  il  se  propose ,  dit-on ,  d'offrir  bientôt  au 
public  quelques  essais  dramatiques. 

BOCAL,  vase  en  verre,  long, cylindrique  et  sans  tube, 
à  col  court  ou  sans  col ,  et  à  bouche  large ,  qui  sert  à  mettre 
du  vin,  des  liqueurs  et  toute  espèce  de  liquide;  à  conserver 
des  fruits  dans  de  l'eau-de-vie ,  ou  des  matières  animales 
dans  l'esprit-de-vin ,  ou  enfin  des  poudres  et  des  matières 
sèches  dans  les  laboratoires  des  chimisteset  des  pharraacieas. 
On  a  donné  le  nom  de  bocal  électrique  k  la  bouteille 
de  Leyde. 

Les  bijoutiers  et  quelques  autres  ouvriers  se  servent  d'une 
grosse  bouteille  ronde  de  verre  blanc,  remplie  d'eau  et  mon- 
tée sur  un  pied  de  bois,  pour  rassembler  sur  leur  ouvrage 
la  lumière  d'une  bougie  ou  d'une  chandelle  placée  derrière , 
et  qui  s'a])pflle  aussi  bocal. 

BOCAJ\E ,  ancienne  danse  grave  et  figurée ,  ainsi  ap- 
pelée de  son  inventeur,  Bocan ,  maître  à  danser  de  la  reine 
Anne  d'Aulriclic,  qui  l'inlroduisità  la  cour  en  1645,  et  dont 
il  ne  reste  aujourd'hui  que  le  nom. 

BOCARD,  BOCAUDAGE.  Le  bocard  est  un  appareil  de 
cassage  ou  de  pilage  des  substances  trè^-dures.  Son  emploi 
principal  est  pour  le  cassage  des  minerais  et  des  scories  des 
hauts  fourneaux  ou  autres.  Le  bocardnge  se  fait  à  sec  ou 
à  l'eau.  Dans  ce  dernier  cas ,  l'opération  est  une  combinai- 
son du  cassage  et  du  lavage.  On  nomme  bocqueurs  les  ou- 
vriers qui  travaillent  au  bocardage. 

La  bonde  du  bocard  est  un  morceau  de  bois  qui  sert  à 
boucher  l'ouverture  par  laquelle  le  minerai  sort  du  bocaid. 
La  huche  du  bocard  est  une  auge  ou  cuve  demi-circulaire 
qai  reçoit  le  minerai  au  sortir  du  bocard.  Les  jumelles 
d'un  bocard  sont  deux  pièces  de  charpente  qui  s'élèvent 
perpendiculairement,  et  qui  sont  séparées  par  un  intervalle 
entre  deux  lignes  parallèles,  l^e  mentonnet  du  bocard  est 
tomposé  de  pièces  de  bois  fixées  sur  les  poteaux  des  pilons , 
et  que  soulèvent  les  cames.  Les  pilons  du  bocard  sont  de 
grands  pilons  de  bois  ferrés  et  mus  par  des  cam;s.  La  se- 
melle du  bocard  est  une  pièce  de  bois  qui  en  fait  la  base. 
Le  plus  simple  de  tous  les  bocards,  mais  celui  dont  les 
inconvénients  sont  trop  évidents  pour  qu'il  soit  nécessaire 
de  s'y  arrêter,  consiste  en  un  gros  marteau,  ordinairement 
en  fonte  de  fer ,  qui  tombe  sur  une  grande  masse  ou  las 
également  en  fonte,  entourée  de  planches, et  en  forme  de 
caisse.  Ce  marteau  est  mu  à  l'aide  d'une  roue  hydraulique 
à  laquelle,  selon  les  localités,  on  pourrait  substituer  tout 
autre  moteur  que  l'eau.  L'expérience  a  fait  connaître  qu'un 
marteau  de  cette  espèce,  fonctionnant  dans  des  circons- 
tances très-favorables ,  sous  l'action  d'un  cours  d'eau  puis- 
s;uit,  ne  peut  guère  casser  en  vingt-quatre  heures  qne 
vingt-cinq  mille  kilogranunes  de  min^-rai  médiocrement  dur. 
]1  faut  pour  la  conduite  de  l'opération  un  homme  de  jour 
et  un  autre  de  nuit. 

Le  bocard  le  plus  généralement  en  usage  est  composé  de 
plusieurs  pilous  ;  suivant  la  puissance  du  moteur  que  l'on 
a  à  sa  disposition ,  on  peut  en  varier  le,  nombre  depuis  deux 
jusqu'.'i  six,  et  plus.  Ces  pilons  consistent  ordinaii'Ciucnt en 


une  pièc^  de  bois  d'environ  3  mètres  de  long  sur  12  on  13 
centunètrcs  d'équarrissage,  ferminée  par  une  grosse  bolto 
de  fonte,  qui  reste  fixée  sur  l'extrémité  inférieure,  et  est 
taillée  en  pointe  de  diamant.  Ainsi  garnis,  ces  pilons  pèsent 
chacun  de  30  à  40  kilogrammes.  On  les  place  entre  des  li- 
teaux et  on  les  y  maintient  verticalement.  A  1"',30  de  hau- 
teur environ  ,  on  fixe  sur  ces  pilons  un  mentonnet,  sous       ■ 
lequel  passe  une  came  pour  les  enlever.  Ce  mécanisme  est       I 
très-analogue  à  celui  du  moulin  à  eftiiocher,  dit  kviaillo-        ■ 
ches ,  de  nos  ancieimes  pa])eteries.  Les  pilons  tombeut  dans 
une  auge  de  bois ,  sur  le  fond  de  laquelle ,  dans  le  sens  de 
la  longueur,  courent  de  puissantes  bandes  de  fer  forgé  de  la 
meilleure  qualité.  On  faitclioix  pour  cela  du  fer  le  plus  dur 
et  le  plus  élastique.  On  place  au-dessus  de  l'auge,  vers  le 
milieu  de  son  prolongement,  une  caisse  que  l'on  entretient 
constamment  ])leinc   du  minerai  à  bocarder.   Cette  caisse 
porte  sur  ses  côtés  des  échancrures  par  lesquelles  un  choc 
un  peu  violent  peut  faire  passer  du  minerai ,  qui  vient  tom- 
ber dans  l'auge;  et  cela  arrive  toutes  les  fois  que  l'auge 
s'élant  vidée  il  s'exerce  une  action  sur  un  levier,  qui  com- 
munique au  pilon  par  un  mentonnet;  le  choc  imprimé  agite 
la  caisse,  et  le  minerai  s'échappe.  Sur  le  devant  de  l'auge  se        a 
trouve  un  grillage  formé  de  plusieurs  barreaux  triangulaires        1 
de  fonte,  éloignés  entre  eux  d'environ  3  centimètres  pour 
donner  passage  au  minerai  bocardé. 

Voilà  la  forme  du  bocard  le  plus  généralement  usité  en 
France  ,  en  Allemagne  et  eu  Suède.  Mais  ni  en  Angleterre, 
ni  môme  dans  les  États-Unis ,  on  ne  s'en  est  tenu  à  celte 
forme  consacrée  par  la  routine.  Divers  moyens  plus  cx- 
péditifs ,  et  susceptibles  surtout  de  procurer  plus  d'égalité 
dans  la  grosseur  des  fragments  (ce  qui  est  essentiel  pour  la 
fusion),  ont  été  tentés  avec  plus  ou  moins  de  succès.  Nous 
citerons  seulement  le  bocard  que  nous  avons  vu  en  usaga 
aux  forges  de  Springfield  (État  de  Massachusetts ).  Cet  aj»- 
partil ,  mil  à  la  vérité  par  un  cours  d'eau  puissant  et  très- 
favorable,  donnait  par  heure,  terme  moyen,  cinq  mille  ki- 
logrammes de  minerai  cassé  avec  une  égalité  de  grosseur 
assez  grande. 

La  machine  consiste  en  un  gjillage  de  2'",75  de  diamètre, 
ajusté  sur  un  plan  circulaire  de  bois  placé  sur  un  arbre  ver- 
tical. Les  pilons,  au  nombre  de  dix,  sont  alternativement 
soulevés  par  des  cames  fixées  sur  un  arbre  horizontal,  et 
retombent  sur  ce  grillage,  où  ils  écrasent  le  minerai.  Le  plan 
de  bois  dont  nous  venons  de  parler  reçoit  un  mouvement  é 
circulaire,  afin  que  la  chute  des  pilons  s'effectue  successive-  " 
ment  sur  tous  les  points  de  la  surface  couverte  de  minerai. 
Les  fragments,  réduits  généralement  à  la  grosseur  d'un  petit 
Q'uf  de  poule,  passent  au  travers  des  ouvertures  pratiquées 
à  cet  eflet  entre  les  grilles.  Une  roue  à  aubes,  mue  par 
l'eau,  fait  tourner  un  arbre  sur  lequel  sont  emmanchées 
deux  lanternes  ;  la  seconde  lanterne  engrène  dans  une  roue 
horizontale  très-grande ,  portée  par  un  arbre  vertical ,  qui 
communique  le  mouvement  circulaire  au  grillage;  la  pre- 
mière lanterne  engrène  aussi  dans  une  roue  dentée  qui  fait 
mouvoir  un  autre  arbre  vertical.  Une  seconde  roue  dentée, 
liée  <i  cet  arbre ,  engrène  dans  une  autre  lanterne ,  et  com- 
munique le  mouvement  à  l'arbre  porteur  des  cames  qui 
soulèvent  les  pilons. 

Le  plus  grand  inconvénient  qu'offre  le  bocardage  à  l'aide 
de  mécaniques  quelconques  est  la  quantité  de  poussier  ou 
fragments  trop  petits  qui  se  forment  par  leur  action.  Dans 
quelques  cas  cet  inconvénient  est  peu  senti ,  tels ,  par  exem- 
ple, que  pour  les  minerais  dont  la  fusion  n'est  pas  retardée, 
et  souvent  môme  est  avancée  ou  rendue  plus  facile  par  leur 
pulvérisation;  mais  il  est  d'autres  cas,  malheureusement 
trop  fréquents ,  où  cette  pulvérisation  est  un  obstacle  consi- 
dérable à  la  fusion  ,  et  nuit  même  à  la  qualité  des  fers.  Klle 
a  presque  toujours  l'inconvénient  de  causer  des  enroche- 
ments ou  chambrîires  dans  les  fourneaux,  et  principalement 
quand  ils  ont  mio  grande  élévation. 


BOCARD  —  liOCARMÊ 


813 


Le  bocardage  peut  avoir  lieu  dans  deux  cas  différents  : 
1"  on  soumet  le  minerai  à  l'action  du  bocard  uniquement 
pour  favoriser  la  séiiaration  des  substances  étrangères,  et 
te  avant  le  grillage  ;  1°  après  le  grillage,  et  dans  la  vue  seu- 
lement de  réduire  les  fragments  à  un  volume  peu  considé- 
rable, etrapprocbé  autant  que  possible  de  l'uniformité,  con- 
ditions qui  toutes  deux  accélèrent  et  régularisent  considéra- 
blement les  fondages.  Pelouze  père , 

aucien  directeur  des  forges  et  fouderies  du  Crciizot. 

BOCARDO,  mot  barbare  par  lequel  on  désigne,  en 
logique,  une  sorte  d'argument  ou  de  syllogisme  dans  le 
genre  du  suivant  :  Quelque  animal  n'est  pas  homme;  tout 
animal  a  un  principe  de  sentiment  :  donc,  quelque  chose 
quia  un  principe  de  sentiment  n'est  pas  homme. 

Dans  un  syllogisme  en  bocardo,  la  première  proposition 
est  particulière  et  négative,  la  seconde  est  universelle  et  at- 
(irmative,  et  le  moyen  terme  est  sujet  dans  les  deux  pre- 
mières propositions. 

Que  de  bons  esprits  ont  été  faussés  par  toutes  ces  subti- 
lités de  l'école,  et  combien  il  faut  savoir  gré  à  tous  ceux 
<iui  ont  eu  le  courage  de  nous  en  débarrasser,  pour  nous  ra- 
mener à  l'observation  des  simples  lois  du  sens  commun  et  de 
la  logique  naturelle  ! 

BOCARMÉ  (Affaire).  Le  20  novembre  1850,  un  jeune 
liomme,  nommé  Gustave  Fougnies,  mourait  à  Bury,  dans  ie 
vieux  manoir  de  Bitremont,  où  il  était  arrivé  le  matin  même 
pour  rendre  visite  au  comte  et  à  la  comtesse  de  Bocarmé,  son 
beau-frère  et  sa  sœur,  et  dans  la  salle  où  il  venait  de  diner 
avec  eux.  Cette  mort  ne  pouvait  guère  paraître  naturelle. 
Une  information  judiciaire  fut  commencée,  par  suite  de  la- 
quelle le  comte  et  la  comtesse  furent  mis  en  état  d'arres- 
tation. 

Le  comte  Hippolyte  Visart  de  Bocarmé,  appartenant  par 
sa  naissance  à  l'une  des  premières  familles  du  Mainaut,  avait 
épousé,  en  1S4;J,  Lydie  Fougnies,  fille  d'un  ancien  épicier. 
Lydie  n'avait  qu'un  frère,  et  ce  frère,  amputé  de  la  jambe 
droite,  annou(,^it  une  constitution  faible  et  délicate.  M.  de 
Bocarmé  avait  donc  pu  fonder  sur  cette  santé  débile  et 
cbancelanle  des  espérances  d'iiéritage  dont  il  avait  spéculé. 
En  eflet,  quoique  issu  d'une  famille  autrefois  fastueuse  et 
riche,  quoique  possesseur  d'un  château  entoure  de  fossés, 
antique  et  féodale  demeure  de  ses  pères,  le  comte,  au  mo- 
ment de  son  mariage,  était  loin  de  se  trouver  dans  une  po- 
sition opulente.  Un  simple  revenu  personnel  de  2,400  Irancs 
joint  à  une  pension  de  2,000  francs ,  de  la  dot  de  sa  femrue , 
formaient  tout  l'avoir  du  nouveau  couple.  D'aussi  faibles 
ressources  s'accordaient  mal  avec  un  grand  train  de  maison , 
et  surtout  avec  les  mœurs  déréglées  de  i\L  de  Bocarmé.  En 
épousant  Lydie,  dont  on  avait  exagéré  lo  patrimoine,  il  avait 
d'abord  pu  caiesser  l'espoir  de  réparer  le  fâcheux  état  de 
ses  affaires  ;  mais  ce  patrimoine  insuflisant  ne  tarda  pas 
à  être  dissipé  par  le  comte,  et  il  lui  fallut  bientôt,  pour  sub- 
venir à  ses  dispendieux  désordres,  contracter  chez  son  no- 
taire des  emprunts  journaliers  :  ces  emprunts  atteignirent  en 
peu  de  temps  le  chiffre  de  43,000  francs.  Aussi  la  ruine  des 
époux  de  Bocarmé  était  imminente  lorsque  Gustave  mourut. 

Si  l'éventualité  d'une  fin  précoce  que  l'état  soulfreteux 
de  Gustave  faisait  pressentir  avait  été  pour  le  comte  un  motif 
déterminant  de  l'union  qu'il  avait  contractée  avec  Lydie 
Fougnies,  on  conçoit  combien  grande  devait  être  son  im- 
patience en  voyant  que  cette  mort  n'airivait  pas  assez  vite 
au  gré  de  ses  désirs.  On  conçoit  surtout  combien  dut  le 
contrarier  le  projet  de  Gustave  d'unir  son  sort  à  celui  d'une 
épouse.  Ce  mariage,  qui  risquait  d'anéantir  toutes  les  espé- 
rances de  M.  de  Bocarmé,  était  ;\  la  veille  de  s'accomplir 
entre  le  jeune  Fougnies  et  une  demoiselle  de  Dudzeele. 
Aussi  Gustave  n'eut-il  pas  plus  tôt  rendu  le  dernier  soupir, 
que  la  comtesse  chargeait  en  termes  inconvenants  un  de 
tes  domestiques  d'aller  dire  à  la  famille  de  la  fiancée  de 
son  frère  que  celin-ci  était  mort  d'apoplexie. 
wor.  ui:  L\  co:>Vhti5,  —  r.  m. 


Cependant  l'état  du  cadavre  indiquait  une  mort  toute  dif- 
férente; car  l'autopsie  avait  constaté,  indépendamment  de 
plusieurs  contusions,  égratignures  et  coups  d'ongles,  le  pas- 
sage sur  la  langue,  dans  la  bouche,  la  gorge  et  l'estomac, 
d'un  caustique  liquide,  et  l'analyse  chimique,  de  son  côté', 
ne  tarda  pas  à  démontrer  que  Gustave  Fougnies  était  mort 
empoisonné  par  la  n  i  c  o  t  i  n  e.  L'instruction  acquit  la  preuv« 
que  le  comte  de  Bocarmé  faisait  depuis  dix  mois  une  étude 
particulière  de  ce  poison  ;  qu'après  avoir  cultivé  des  plantes 
vénéneuses  en  1849,  il  s'était  présenté  au  mois  de  février  1850, 
sous  un  faux  nom ,  chez  un  professeur  de  chimie  à  Gand, 
afin  de  connaître  les  instruments  propres  à  extraire  les 
huiles  essentielles  des  végétaux.  Il  avait  particulièrement 
consulté  ce  chimiste  sur  la  manière  de  distiller  l'huile  essen- 
tielle du  tabac,  et  il  avait  commandé  à  un  chaudronnier  un 
appared  distillatoire  propre  à  ses  expériences.  Après  plu- 
sieurs essais  imparfiiits,  il  avait  réussi  à  obtenir  le  10  no- 
vembre deux  fioles  de  nicotine  qui  disparurent  le  20 ,  jour 
de  l'empoisonnement  de  Gustave.  D'autres  charges  acca- 
blantes demeurèrent  acquises  contre  les  deux  accusés.  Ainsi 
toutes  les  précautions  avaient  été  prises  par  les  époux  de 
Bocarmé  pour  éloigner  les  domestiques  de  la  salle  à  manger 
pendant  le  crime  ;  cependant  on  avait  entendu  des  cris  pro- 
férés par  la  victime  ;  enfin  la  femme  de  chambre  avait  presque 
assisté  à  la  perpétration  du  crime,  et  le  parquet  en  avait 
conservé  des  traces. 

Les  époux  Bocarmé  furent  donc  renvoyés  devant  la  cour 
d'assises  du  Hainaut.  Les  débats  s'ouvrirent  à  Mons,  le  27 
mai  1851.  Agé  de  trente-deux  ans,  le  comte  de  Bocarmé 
était  d'une  taille  grande  et  svelte;  ses  cheveux  étaient  blonds 
et  abondants  ;  sa  figure,  quoique  légèrement  marquée  de  pe- 
tite vérole,  ne  manquait  ni  de  noblesse  ni  de  distinction; 
ses  yeux  bleus  avaient  une  certaine  timidité  dans  le  regard. 
Sa  femme  avait  vingt-huit  ans  ;  sa  figure  régulière,  encadrée 
par  des  cheveux  noirs  comme  l'ébène,  était  plutôt  belle  que 
jolie;  ses  yeux  noirs,  surmontés  d'épais  sourcils,  n'avaient 
pas  l'expression  de  douceur  qui  caractérise  en  général  les 
femmes  du  Hainaut.  Au  banc  de  la  défense  s'asseyaient  deux 
avocats  belges  et  un  avocat  de  Paris. 

Le  système  de  défense  adopté  par  les  accusés  ne  fut  point 
solidaire.  S'accusant  récii)roquement  de  la  mort  de  Gus- 
tave, mais  l'attribuant,  l'un  à  un  accident  involontaire 
causé  par  un  déplorable  effet  du  hasard,  l'autre,  au  con- 
traire, à  une  intention  préméditée,  ils  essayèrent  de  faire 
retomber  l'un  sur  l'autre  le  poids  de  la  catastrophe.  La 
comtesse  accusa  formellement  son  mari  d'avoir  empoisonné 
son  frère  ;  de  l'avoir,  après  le  dîner  qu'ils  venaient  d'ache- 
ver ensemble,  soudainement  terrassé,  et,  tandis  qu'elle  s'é- 
tait sauvée  pleine  d'effroi ,  d'avoir  violemment  administré 
au  malheureux  Gustave  le  poison  qu'il  lui  destinait.  Llle 
n'avait  pas  vu  consommer  l'acte  lui-même;  mais  le  soir, 
après  le  crime,  le  comte  lui  en  avait  avoué  toutes  les  cir- 
constances, et  du  reste,  dès  la  veille,  lui  annonçant  pour  te 
lendemain  la  visite  du  jeune  Fougnies  au  château ,  il  lui 
avait  déclaré  qu'il  votdait  en  finir. 

De  son  côté ,  IM.  de  Bocarmé  expliquait  tout  autrement 
l'événement  fatal.  Ce  que  racontait  sa  femme  n'était,  d'après 
lui,  que  mensonge  et  pure  invention.  Après  tout,  un  pa- 
reil langage  était  dans  son  plan  de  défense,  et  elle  faisait 
très-bien,  disait-il,  d'y  persister,  si  elle  espérait  de  cette 
façon  se  sauver.  Mais,  pour  son  compte,  il  se  défendait  éner- 
giqueinent  du  crime  qu'on  rejetait  sur  lui,  et  c'était,  au 
contraire,  la  comtesse,  qui,  sans  le  savoir,  innocemment, 
avait  empoisonné  son  frère,  en  lui  versant  à  boire  comiie 
il  venait  de  demander  du  vin,  ce  qu'elle  croyait  être  du 
vin,  et  qui  n'était  autre  chose  que  de  la  nicotine  que  cette 
bouteille  contenait.  Lui-même  d'ailleurs,  ayant  porté  ce  li- 
quide à  sa  bouche,  en  même  temps  que  Gustave,  croyant 
aussi  boire  du  vin,  avait  failli  s'empoisonner,  et  n'avait 
échappé  au  triste  sort  de  son  beati-frère  que  par  la  promg" 

■ïO 


314 

titude  avec  laquelle  il  avait  rejeté  el  vomi  ce  qu'il  venait 
d'avaler. 

Ce  qui  étonna  surtout  dans  le  cours  de  ces  débats,  ce  fut 
le  caractère  singulier  de  la  comtesse,  la  froide  et  cruelle  im- 
passibilité de  celte  femme  qui  ne  se  démentit  pas  un  seul 
instant,  l'indllférence  profonde  qu'elle  ne  cessa  de  témoi- 
gner pour  le  sort  de  son  mari.  L'impression  qu'une  telle  atti- 
tude laissa  dans  les  esprits  lui  fut  en  général  peu  sympathi- 
que, et  chacun  éprouva  contre  cette  absence  complète  de 
cœur  et  de  sensibilité  un  profond  sentiment  de  répulsion. 
Qu'attendre  en  effet  d'une  femme  qui  avouait  elle-même 
savoir  que  son  mari  allait  tuer  son  frère ,  et  qui ,  au  lieu 
de  prévenir  celui-ci,  au  lieu  d'appeler  les  domestiques  et  de 
rendre  le  crime  impossible ,  déclarait  s'être  éloignée  pleine 
<reflioi,  mais  sans  bruit ,  de  la  salle  où  son  frère  expirait  ? 
Après  dix-huit  jours  de  débats,  le  jury  rendit  enfin,  le  14 
juin,  au  grand  étonnement  de  tous  ceux  qui  avaient  suivi 
cette  affaire,  un  verdict  de  culpabilité  pour  le  mari  et  de 
non-cujpabiiité  pour  la  femme.  La  comtesse  fut,  en  consé- 
quence ,  rendue  ;'i  la  liberté,  et  le  comte  condamné  à  la  peine 
de  mort. 

M.  de  Bocarmé,  dont  le  pourvoi  en  cassation  fut  rejeté, 
subit  sa  peine  à  Mons,  le  ').0  juillet.  Le  roi  n'avait  pas  cru 
pouvoir  arrêter  le  cours  de  la  justice  pour  vn  crime  d'au- 
tant plus  grand  que  l'auteur  appartenait  aux  classes  les 
plus  élevées  de  la  société.  L'énergie  que  le  comte  avait  ma- 
nifestée pendant  toute  la  durée  du  procès  ne  l'abandonna 
pas  un  seul  instant,  et  l'accompagna  jusque  sur  l'échafaud. 
La  comtesse  est  allée  s'installer  à  Kœnigswinter,où  elle  vit, 
dit-on,  dans  la  retraite,  et  le  château  de  Bury  est  resté  dé- 
sert. Puisse-t-elle  éteindre  dans  une  vie  obscure  la  triste 
célébrité  qui  s'attache  à  son  nom! 

liOCCACE  (Jean)  naquit  à  Paris,  dans  l'année  1313. 
Il  était  fils  naturel  d'un  marchand  llorentin,  originaire  de 
Certaldo,  appelé  Boccacio  dï  Ckellino,  qui  était  venu  à 
Paris,  autant  à  cause  des  affaires  de  son  commerce  que  par 
suite  de  liaisons  d'amour  qu'il  y  avait  formées.  On  condui- 
sit l'enfant  à  Florence ,  où  il  fut  confié  aux  soins  d'un  cer- 
tain Giovanni  da  Strada,  célèbre  grammairien  de  cette 
époque,  qui  commença  son  éducation.  Buccace  annonça  de 
bonne  heure  ce  qu'il  serait  un  jour.  Dès  l'âge  de  sept  ans, 
bien  qu'il  n'eût  encore  aucune  connaissance  des  règles  de 
la  versification,  il  composait  déjà  des  fables  et  des  récits  en 
vers  pour  amuser  ses  camarades ,  ce  qui  lui  valut  de  leur 
part  le  surnom  de  Poëte. 

Ces  brillantes  dispositions  auraient  dû  flatter  l'amour- 
propre  de  son  père;  mais  il  les  trouva  si  contraires  aux 
plans  qu'il  avait  formés  pour  l'avenir  de  son  fils,  qu'il  songea 
à  en  arrêter  l'essor  :  marchand ,  il  voulait  que  son  fils  le 
fût  aussi.  11  le  mit  donc,  à  l'âge  de  dix  ans,  dans  le  comp- 
toir d'un  négociant  à  Paris,  pour  y  apprendre  la  tenue  des 
livres  et  les  quatre  règles  de  l'arithmétique.  Celte  première 
contrariété,  loin  de  décourager  le  jeune  Boccace,  ne  fit  qu'ir- 
riter son  génie ,  et  lui  rendre  plus  chers  ses  livres  poétiques 
et  ses  études.  H  employa  les  six  années  qu'il  resta  chez  ce 
négociant  non  à  se  mettre  au  fait  du  commerce,  il  s'en 
souciait  fort  peu ,  mais  à  travailler  à  connaître  les  hommes. 
Ces  six  années  écoulées,  son  maître,  voyant  que  ses  efforts 
étaient  inutiles,  et  qu'il  ne  pourrait  jamais  rien  en  faire,  le 
renvoya  à  la  maison  paternelle. 

Cependant  le  père  de  Boccace  ne  se  découragea  pas  en- 
core. Croyant  que  si  on  lui  faisait  envisager  le  commerce 
d'un  point  de  vue  plus  élevé,  on  finirait  par  lui  en  inspirer 
le  goût ,  il  le  fit  voyager  dans  les  différentes  villes  de  l'Italie, 
et  surtout  dans  le  royaume  de  Naples.  Cet  expédient  eut  un 
résultat  fort  différent  de  celui  (lue  le  bon  Boccacio  di  Chellino 
en  attendait.  Envoyer  un  jeune  homme  doué,  comme  son 
fils,  d'une  imagination  ardente,  à  Naples,  sur  cette  terre 
c)assi(iue  de  la  poésie,  au  milieu  des  ruines  de  tant  de  mo- 
uuàiicnts  célèbres,  sous  un  ciel  insiuraleur,  au  pied  de  la 


BOCARMÉ  —  BOCCACE 


tombe  de  Virgile,  le  mettre  en  présence  du  Vésuve  et  de 
tout  ce  qu'une  nature  toujours  jeune  et  puissante  a  de  plus 
enivrant,  n'était-ce  pas  le  rendre  cent  fois  plus  poëte  qu'au- 
paravant, n'était-ce  pas  le  rendre  poëte  jusqu'à  la  folie?  On 
conçoit  qu'un  pareil  voyage  puisse  poétiser  jusqu'à  l'âms 
d'un  marchand;...  mais  qu'il  puisse  matérialiser  l'âme  d'un 
poëte,...  c'est  bien  difficile  à  croire.  Aussi  que  fit  Boccacef 
Il  planta  là  toute  idée  de  commerce  et  d'atlaires  ,  et  se  mit 
à  étudier  Virgile ,  Horace,  Ovide  et  le  Dante.  Il  lut  surtout 
ce  dernier  poëte  tant  de  fois ,  il  s'en  empara  si  bien,  que 
la  Divine  Comédie  devint,  pour  ainsi  dire,  la  propre  sub- 
stance de  son  âme,  qu'il  se  l'incorpora,  et  que  plus  tard 
il  emprunta  presque  toujours,  quoique  involontairement,  à 
ce  grand  maître  la  forme  et  l'expression  dont  il  habilla  ses 
pensées. 

Le  père  de  Boccace ,  convaincu  à  la  fin  de  l'inutilité  de 
ses  efforts,  lui  permit  de  continuer  ses  études,  mais  à  la 
condition  qu'il  y  joindrait  celle  du  droit  canon,  moyen 
presque  certain  à  cette  époque  d'arriver  aux  emplois  et  à 
la  fortune.  Mais  les  décrets  de  l'Église  n'avaient  guère  plus 
de  charmes  pour  Boccace  que  le  commerce.  Après  quelques 
tentatives  pour  prouver  sa  bonne  volonté  et  son  obéissance, 
il  abandonna  cette  nouvelle  tâche,  pour  reprendre  ses  oc- 
cupations littéraires.  Fixé,  depuis  huit  ans,  à  Naples,  il  y 
fut  témoin  d'un  spectacle  bien  fait  pour  exciter  son  enthou- 
siasme :  ce  fut  à  cette  époque  qu'eut  lieu  la  visite  de  Pé- 
trarque au  roi  Robert.  Boccace  assista  à  l'examen  que 
subit  le  grand  poëte  en  présence  de  toute  la  cour  du  roi 
Robert  ;  il  se  retira  émerveillé  de  la  manière  éloquente  avec 
laquelle  il  avait  fait  l'éloge  de  la  poésie,  et  exposé  les  règles 
de  cet  art  divin. 

L'amour,  qui  d'ordinaire  joue  son  rôle  dans  l'existence 
terrestre  du  génie,  devait  occuper  une  large  place  dans  le 
talent  et  la  destinée  de  Boccace.  H  vit  dans  une  église  la 
jeune  princesse  Marie,  fille  naturelle  du  roi  Robert.  Elle 
était  aussi  belle  que  spirituelle  et  instruite.  Lui ,  de  son  côté, 
était  beau,  jeune  et  séduisant.  H  aima  la  princesse,  et  en  fut 
aimé;...  ce  qui  était  fort  naturel  assurément ,  mais  fort  peu 
édifiant,  attendu  que  Marie  avait  épousé  depuis  huit  ans  un 
gentUliomme  napolitain.  C'est  elle  qu'il  a  souvent  chantée 
sous  le  nom  de  l'iammelta,  et  c'est  pour  elle  qu'il  a  composé 
le  poërae  de  ce  nom  et  celui  qui  a  pour  titre  Filicopo.  Au 
reste ,  les  amours  de  Boccace  avec  la  fille  du  roi  Robert 
aboutirent  à  un  dénoûment  trop  prosaïque  pour  qu'ils  aient 
conservé  le  parfum  céleste  qui  l'ait  le  charme  de  ceux  de 
Dante  et  de  Pétrarque.  Fiammctta  ne  pouvait  inspirer  comme 
Laure  et  Béatrix;  elle  avait  trop  accordé  aux  sens  pour 
laisser  place  à  la  rêverie  et  à  l'imagination. 

En  1342,  le  père  de  Boccace,  devenu  vieux  et  infirme,  le 
rappela  auprès  de  lui.  Florence  gémissait  alors  sous  la  ty- 
rannie du  duc  d'Athènes  ;  mais  notre  poëte  ne  prit  aucune 
part  aux  agitations  populaires  qui  en  furent  la  conséquence  ; 
pour  s'arracher  aux  préoccupations  du  présent,  il  composa 
même  un  roman  mêlé  de  prose  et  de  vers,  connu  sous  le 
titre  d'Admète.  Après  un  nouveau  voyagfe  à  Naples,  il  revint 
se  fixer  dans  sa  i)atrie ,  où  son  père  avait  tout  récemment 
exhalé  le  dernier  soupir.  Cette  année  fut  marquée  dans  sa 
vie  littéraire  par  un  grand  événement,  son  étroite  liaison 
avec  Pétrarque,  auquel  il  fut  chargé  par  ses  compatriotes 
d'aller  porter  la  nouvelle  de  sou  rappel  et  de  la  restitution 
des  biens  de  son  père.  Boccace  s'empressa  de  renoncer  à  la 
poésie  et  de  jeter  au  feu  tous  ses  sonnets  quand  il  eut  lu 
ceux  de  l'amant  de  Laure.  Si  cet  excès  de  modestie  nous  a 
fait  perdre  un  versificateur,  qui  selon  toutes  les  apparences 
n'aurait  jamais  été  que  très-médiocre,  il  nous  a  valu  un 
grand  écrivain ,  un  orateur  du  premier  ordre  ;  il  nous  a  valu 
la  découverte  de  la  langue  italienne. 

En  ellët,  la  publication  du  Décaméron,  qui  eut  lieu 
l'année  suivante,  prouva  que  Boccace  avait  eu  raison  de  re- 
noncer à  la  poésie,  et  de  s'idtacher  à  écrire  dans  l'idiome 


BOCCACE 


Sf5 


national ,  dans  la  langue  vulgaire ,  car  dès  lors  cette  langue 
ùit  Itxcc,  son  génie  et  ses  ressources  furent  connues;  la 
langue  vulgaire  fut  ennoblie.  Sous  ce  rapport  on  ne  saurait 
assez  louer  Boccace  :  le  service  qu'il  a  rendu  à  son  pays  est 
inappréciable.  Les  poésies  de  Pétrarque  ont  exercé  moins 
d'influence  sur  cette  régénération  de  la  langue  italienne  que 
la  prose  de  son  ami.  Aussi ,  tous  les  écrivains  du  seizième 
siècle  en  parlent-ils  avec  une  admiration  qui  va  jusqu'au 
fanatisme.  Un  autre  service  que  nous  a  rendu  la  publication 
des  Conter  de  Boccace,  c'est  qu'à  part  le  mérite  du  style, 
qui  est  immense,  ils  ont  celui  de  peindre  fidèlement  les 
mœurs  et  les  habitudes  du  peuple  llorentin  à  celte  époque. 
Le  Dicam&ron  fut  commencé  à  Naples ,  et  terminé  à  Flo- 
rence. Il  est  précédé  du  tableau  delà  peste,  qui  achevait  de 
«iésoler  cette  dernière  ville.  C'est  le  portique  majestueux  d'un 
édifice  immortel. 

Mais  continuons  la  biographie  de  Boccace.  La  préférence 
qu'il  avait  pour  la  langue  vulgaire  ne  l'empêchait  pas  de 
payer  à  la  science  et  à  l'érudition  le  tribut  de  son  temps  et 
de  ses  "recherches.  Il  joignit  ses  efforts  à  ceux  de  Pétrarque 
pour  exhumer  d'anciens  manuscrits,  et  en  transcrivit  de  sa 
main  un  si  grand  nombre  qu'il  est  à  peine  croyable  que  sa 
vie  tout  entière  ait  pu  y  suffire.  Son  admiration  pour  le  Dante 
l'engagea  à  faire  lui-même  une  copie  de  la  Divine  Comédie, 
qui  sous  le  rapport  de  l'art  calligraphique  et  la  perfection 
des  dessins  et  des  enluminures  nivalise  avec  les  plus  beaux 
manuscrits.  Cette  copie,  que  Boccace  avait  offerte  à  son  ami 
Pétrarque,  est  maintenant  précieusement  conservée  dans 
la  bibliothèque  publique  de  Florence.  La  langue  grecque 
était  alors  une  nouveauté  :  ceux  qui  pouvaient  la  comprendre 
étaient  regardés  comme  des  hommes  précieux ,  et  recher- 
chés par  tout  ce  qu'il  y  avait  de  riche  et  de  puissant.  C'est 
ce  qui  explique  la  vogue  qu'eut  un  moment  une  espèce  de 
pédant,  nommé  Léonce  Pilate,  fort  malpropre  et  fort  laid, 
mais  qui  pouvait  lire  Platon  et  Xénophon.  Boccace  se  servit 
de  cet  habile  interprète  pour  apprendre  le  grec.  11  sacrifia 
même  tout  son  patrimoine  à  la  science  ;  et  lorsqu'il  n'eut  plus 
lien,  ce  fut  en  vain  que  Pétrarque  lui  offrit  généreusement 
de  l'aider  de  sa  fortune. 

Cependant  la  santé  de  Boccac*  se  ressentait  des  privations 
qu'il  avait  été  obligé  de  s'imposer,  et,  il  faut  bien  le  dire 
aussi ,  des  excès  de  sa  jeunesse  ;  sa  tète  n'était  plus  aussi 
forte.  Un  religieux ,  nommé  Pétroni ,  crut  que  le  moment 
était  venu  de  convertir  notre  nouvelliste ,  tant  soit  peu  li- 
bertin. 11  y  réussit  au  delà  de  ses  espérances  :  notre  conteur 
eut  peur  de  la  damnation  étemelle  ;  il  se  confessa ,  se  con- 
vertit, et,  chose  qu'on  ne  croirait  pas  si  l'on  ne  connaissait 
jusqu'où  peut  aller  notre  faiblesse,  il  prit  l'habit  ecclésias- 
tique. Cette  conversion  fut ,  au  reste,  de  peu  de  durée,  et 
son  amour  pour  la  théologie  se  calma  aussi  vite  qu'il  était 
venu.  Profitant  <!u  conseil  de  Pétrarque,  il  reprit  le  cours 
de  ses  travaux.  Mal  reçu  à  Naples  par  le  grand  sénéchal  du 
royaume,  il  alla  à  Venise  se  consoler  de  ce  dédain  de  la  sot- 
tise dans  les  bras  de  son  ami.  De  retour  à  Florence,  il  vint 
chercher  dans  le  ^^llage  de  Certaldo,  berceau  de  sa  famille, 
un  refuge  contre  les  importuns  et  un  air  plus  pur.  C'est  là 
qu'il  composa  un  grand  nombre  d'ouvrages  latins,  qui  lui 
valurent  pendant  deux  siècles  l'admiration  des  érudits  de 
Florence  et  de  tout  le  monde  savant.  On  visite  encore  avec 
intérêt  la  petite  maison  qu'il  habita,  et  qui  est  pour  ce  coin 
de  terre  un  monument  précieux,  qu'on  montre  avec  orgueil 
aux  étrangers.  Quelques  siècles  plus  tard,  la  famille  de  Mé- 
dicis  fit  sculpter  sur  une  tour,  dernier  débris  de  cette  habi- 
tation, l'inscription  suivante  : 

lias  ollm  c\ij;iias  coluit  Boccaciiis  a?des, 
Nomioe  qui  terras  occupât,  astra,  polum. 

Une  maladie  intérieure,  qui  menaçait  depuis  longtemps 
son  existence,  lui  laissait  peu  de  forces.  Cependant  il  en  eut 
encore  assez  pour  faire  nn  dernier  effort  en  l'honneur  du 


Dante.  Une  chaire  spéciale  venait  d'être  fondée  pour  la  lec" 
ture  de  la  Divine  Comédie.  Elle  appartenait  de  droit  à  Boc- 
cace. 11  consacra  à  l'étude  de  ce  divin  maître  les  restes  d'une 
vie  qui  s'éteignait.  Les  derniers  accents  de  sa  voix  furent 
comme  un  hommage  suprême  rendu  au  poète  dont  les  écrits 
avaient  charmé  son  existence.  Sa  fin  fut  précipitée  et  at- 
tristée par  la  nouvelle  de  la  mort  de  son  émule  de  gloire , 
de  son  ami ,  du  vénérable  Pétrarque.  Il  expira  sous  cette 
fatale  impression,  le  9.1  décembre  1375, à  l'âge  de  soixante- 
deux  ans.  Son  fils  naturel,  qu'il  paraissait  avoir  oublié,  pré- 
sida à  ses  funérailles ,  et  fit  inscrire  sur  son  tombeau  une 
épitaphe  dont  le  dernier  vers  mérite  d'être  conservé  : 

Patria  CcrtalHum ,  sludium  fuit  aima  pocsis. 

Les  ouvrages  de  Boccace  qui  lui  valurent  le  plus  de  gloire 
et  de  réi)utation  sont  précisément  ceux  que  nous  estimons 
le  moins,  et  que  nous  ne  lisons  pas.  Son  Traité  de  la  Gé- 
néalogie des  dieux  obtint  de  son  vivant  un  succès  pro- 
digieux. Toutes  les  bibliothèques  en  eurent  des  copies.  Ce 
pliénomène  s'explique  facilement  lorsqu'on  se  reporte  à  l'é- 
tat des  connaissances  humaines  à  cette  époque,  et  lorsqu'on 
réfléchit  à  l'avidité  avec  laquelle  les  savants  s'emparaient 
alors  de  tous  les  débris  de  l'antiquité.  L'empressement  que 
nous  mettons  à  être  témoins  de  l'ouverture  d'un  sarcophage 
égyptien,  du  dépouillement  d'une  momie  ou  de  l'arrivée  sur 
nos  rivages  d'un  obélisque  couvert  d'hiéroglyphes,  peut 
seul  donner  une  idée  approximative ,  quoique  bien  affaiblie, 
do  l'émotion  et  de  l'avide  curiosité  avec  lesquelles  le  peuple 
florentin  accueillait,  à  cette  époque  de  renaissance  et  d'ex- 
huir.ation,  les  ouvrages  qui  traitaient  de  l'antiquité  grecque 
et  romaine. 

Boccace  composa  plusieurs  traités,  sur  le  modèle  de  ceux 
de  Plutarque,  dans  le  but  de  mettre  la  science  à  la  portée 
du  plus  grand  nombre  :  il  y  en  a  un  De  montibus,  aylvis, 
fontibus,  etc.,  etc.;  un  autre  sur  les  infortunes  des  fem- 
mes illustres,  etc.,  etc.  On  a  conservé  de  lui  encore  seize 
églogues  en  vers ,  qui  ne  méritent  guère  d'être  lues.  Son 
poème  de  la  Théscide,  composé  à  Naples,  dans  sa  jeunesse, 
pour  plaire  à  sa  chère  Fiammetta,  sera  toujours  lu  avec 
quelque  intérêt,  parce  qu'il  offre  le  premier  exemple  de 
l'application  d'un  rhythme  dont  Boccace  est  regardé  généra- 
lement comme  l'inventeur  :  nous  voulons  parler  de  Yottava 
rùHo,  forme  plus  harmonieuse  et  plus  délicate  que  celle  qui 
avait  été  employée  jusque  alors.  La  priorité  de  cette  invention 
lui  est  cependant  contestée  ;  on  l'attribue  à  un  auteur  fran- 
çais, à  Thibaut,  comte  de  Champagne.  Un  autre  mérite  de 
la  Théséide,  c'est  d'avoir  le  sens  commun ,  mérite  qui  était 
assez  rare  dans  les  poèmes  publiés  à  cette  époque.  Il  Fi- 
lostrato  est  plein  d'anachronismes  choquants,  et  de  rémi- 
niscences homériques  du  plus  mauvais  goflt.  Le  style,  qui 
seul  rappelle  parfois  celui  du  Décameron,  lui  valut  l'hon- 
neur d'être  compris  par  l'Académie  de  la  Crusca  dans  les 
li\Tes  classiques  de  ce  temps.  Deux  autres  poèmes,  Ninfalc. 
Fiesolano,  ['Amorosa  Viscone,  participent  des  mêmes  dé- 
fauts et  des  mêmes  qualité-s;  si  la  conception  en  est  mauvaise, 
le  style  en  est  assez  bon.  Son  roman  de  Filicopo,  farci  de 
citations  mythologiques  et  rempli  d'aventures  romanesques, 
obtint  un  grand  succès ,  et  fut  regardé  par  Boccace  lui- 
même  comme  le  meilleur  de  ses  ouvrages  :  on  ne  pourrait 
de  nos  jours  en  lire  dix  pages.  Dans  la  Fiam.metta,  autre 
roman,  en  sept  livres,  vous  ne  trouverez  qu'un  long  et  en- 
nuyeux récit  des  amours  de  Fiammetta  et  de  Pamphile.  C'est 
sous  ce  nom  que  l'auteur  se  désigne.  Corbaccio,  a  sia  Lobe- 
rinto  d'amore,  est  une  satire  allégorique  dirigée  contre  une 
veuve  dont  il  était  devenu  amoureux  à  l'âge  de  plus  de 
quarante  ans,  et  qui  s'était  moquée  de  sa  passion.  L'Ameto, 
l'Admète,  grossit  inutilement  la  masse  des  pastorales  mêlées 
de  prose  et  de  vers,  qui  étaient  alors  le  genre  à  la  mode.  Il 
fut  imité  depuis  par  Sannazar  dans  son  Arcadic ,  et  par 
Bombo  dans  son  Asolani.   L'Vrbano  est  un  roman   qui, 

•'lO. 


316  BOCC 

à  (l'.'faut  d'autre  m(5rila ,  a  au  moins  celui  dVtre  court. 
La  vie  du  Uante  par  IJoccace  {Origine,  vila  e  costutiii 
di  Dante  Aliyhieri),  bien  qu'entachée  do  quelque  décla- 
mation, excite  un  vif  intértH,par  le  grand  nombre  d'anec- 
dotes qu'elle  renferme  sur  la  vie  de  l'illustre  poète  et  par 
quelques  passages  empreints  d'une  haute  éloquence,  celui, 
par  exemple,  où  l'auteur  reproche  aux  Florentins  leur  in- 
gratitude envers  la  mémoire  de  leurs  grands  hommes.  C'est 
un  monument  précieux  de  la  littérature  italienne  du  qua- 
torzième siècle.  Les  lectures  de  Boccacc  sur  la  Divine  Co- 
médie ne  furent  rtCiieillics  et  publiées  qu'en  1724,  à  Naples, 
sous  le  titre  de  Commentaires  des  seize  premiers  livres 
de  l'Enfer  du  Dante.  Elles  eurent  sans  doute  alors  un 
grand  succès;  mais  ce  qui  en  faisait  le  mérite  principal 
lorsque  le  professeur  les  improvisait  devant  le  public  flo- 
rentin est  précisément  ce  qui  nous  empêcherait  de  les  lire 
aujourd'hui.  Les  observations,  les  critiques,  qui  pourraient 
nous  rendre  certains  passages  du  Dante  plus  intelligibles, 
sont  tellement  noyés  dans  un  fatras  d'érudition  pédantesque, 
que  nous  croirions  les  acheter  trop  cher  en  prenant  la 
peine  de  les  y  chercher.  Boccace,  il  faut  bien  le  dire,  s'é- 
vertuait moins  dans  ses  leçons  sur  le  Dante  à  vulgariser  les 
beautés  du  poète  qu'à  faire  parade  de  son  érudition  et  à 
flatter  le  mauvais  goût  de  son  auditoire.  Cependant  elles 
prouvent  que  le  commentateur  était  un  grammairien  pro- 
fond ,  el  qu'il  n'était  étranger  à  aucune  connaissance  de 
son  époque. 

Le  Décaméron  est  de  tous  ses  ouvrages  celui  qui  de 
son  vivant  lui  valut  le  moins  de  réputation,  et  c'est  pour- 
tant aujourd'hui  le  seul  qui  justifie  à  nos  yeux  l'admiration 
de  ses  contemporains,  le  seul  que  nous  regardions  comme 
son  véritable  titre  à  l'immortalité.  Boccace  partageait  telle- 
ment  le  goiit  de  son  siècle ,  bien  qu'il  lui  tût  supérieur, 
qu'il  attachait  lui-môme  très-peu  d'importance  à  un  livre 
en  apparence  aussi  futile  qu'un  recueil  de  contes,  et  que 
s'il  revenait  au  monde,  il  serait  probablement  fort  surpris 
de  le  voir  unanimement  préféré  à  ses  autres  ouvrages.  Le 
Décaméron  est  le  seul  en  elfet  que  nous  nous  plaisions 
encore  à  lire.  Il  a  été  pour  tous  les  conteurs  une  source 
abondante,  où  ils  ont  largement  puisé.  En  France  La  Fon- 
taine et  Voltaire,  en  Angleterre  Cliaucer,  Shakspeare  et 
Dryden ,  lui  ont  emprunté  le  sujet  de  leurs  plus  gracieuses 
compositions,  quoique  rarement  ils  aient  pu  égaler  l'élé- 
gance et  la  pureté  de  son  style.  Qu'on  ne  s'y  trompe  pas  , 
les  contes  de  Boccace,  comme  les  drôleries  de  Rabelais, 
cachent  sous  une  apparence  de  frivolité  un  sens  philoso- 
phique très-profond,  une  satire  très-incisive  des  mœurs 
du  temps,  une  connaissance  très-intime  du  cœur  humain. 

Une  observation  frappe  en  lisant  tant  de  récits  ingénieux, 
oii  le  clergé  n'est  pas  épargné.  On  se  demande  comment 
l'Église  catholique  romaine ,  alors  toute-puissante  et  armée 
du  glaive  de  l'inquisition ,  a  pu  permettre  qu'on  l'attaquât 
aussi  effrontément ,  aussi  impunément.  La  cour  de  Rome 
elle-même  n'est  pas  ménagée  dans  ces  piquantes  satires ,  et 
plus  d'un  trait  d'une  mordante  ironie,  décoché  contre  elle, 
aurait  encore  de  nos  jours  le  mérite  de  la  hardiesse.  Et  ce- 
pendant ce  livre  fut  publié  sans  obstacle.  Ce  ne  fut  qu'a- 
près une  succession  de  vingt-cinq  papes  qu'il  fut  mis  à 
V index ,  et  qu'on  se  crut  obligé  d'en  publier  des  éditions 
purgées  de  toute  impureté.  La  raison  de  cette  anomalie 
est  facile  à  trouver.  Au  temps  de  Boccace,  les  mœurs  dont 
il  fait  la  peinture ,  les  abus  qu'il  critique,  étaient  choses  si 
naturelles,  si  vulgaires,  que  personne  n'y  faisait  attention, 
et ,  d'un  autre  côté,  l'Église ,  forte  et  puissante ,  dédaignait 
ces  piqûres  d'épingle  qui  aujourd'hui  lui  font  grand'peur. 
L'occasion  qui  donna  naissance  au  Décaméron  n'était 
rien  moins  que  gaie,  et  ne  semblait  pas  devoir  fournir  matière 
à  des  contes  badins.  En  1348  une  peste  terrible  dévasta 
l'Europe,  et  exerça  particulièrement  ses  ravages  sur  Florence  ; 
,    la  ville  était  jonchée  de  cadavres.  Dans  cette  silu.ition  cr»- 


(VCE 

tique,  trois  jeunes  gens  el  sept  jeunes  dames,  sages  el  de  bonne 
maison,  se  rencontrèrent  à  l'église  de  Santa-Maria-^ovclla, 
où  ils  s'étaient  réfugiés ,  et,  après  s'être  entretenus  du  fléau 
qui  ravageait  la  ville,  ils  proposèrent  de  se  retirer  toi:s 
ensemble  dans  la  campagne  pour  y  fuir  la  contagion  et  s'y 
distraire  du  spectacle  de  tant  de  calamités.  Les  préparatifs 
furent  bientôt  faits.  Le  lendemain,  au  point  du  jour,  notre 
caravane  se  dirigeait  vers  une  charmante  villa,  située  à 
Poggio-Gherardi ,  à  quatre  kilomètres  environ  de  F-lorencc. 
Là ,  on  ne  pensa  qu'aux  moyens  de  tuer  le  temps  et  de  jouir 
en  francs  épicuriens  d'une   existence  qui  menaçait  d'être 
sans  lendemain.  Il  fut  convenu  que  la  bande  joyeuse  serait 
tenue  de  se  choisir  chaque  jour  un  roi  ou  une  reine  qui  gou- 
vernerait arbitrairement,  dresserait  le  programme  des  fêtes, 
des  repas,  des  concerts,  des  amu.sements  de  la  journée, 
et  réglerait  l'emploi  des  heures,  le  genre  et  l'ordre  des  his- 
toires à  raconter.  La  société  étant  composée  de  dix  persoimes, 
chacune  devait  payer  son  tribut  chaque  jour;  or,  comme  elles 
étaient  censées  avoir  à  rester  dix  jours  à  la  campagne,  l'ou- 
vrage se  trouve  naturellement  divisé  en  dix  journées,  dont 
chacune  contient  dix  nouvelles  :  c'est  ce  qui  a  fait  donner 
au  livre  le  titre  de  Décaméron,  formé  de  deux  mots  grecs 
qui  signifient  dix  journées,  cadre  simple  et  ingénieux 
adopté  depuis  par  presque  tous  les  conteurs  de  nouvelles. 
On  a  prétendu,  pour  disputer  à  Boccace  le  mérile  de  l'o- 
riginalité de  SCS  contes,  qu'il  les  avait  empruntés  à  nos  an- 
ciens fabliaux.  Il  est  plus  juste  de  dire  que,  comme  tous  l&s 
grands  auteurs,  il  a  pris  son  bien  oii  il  l'a  trouvé,  et  s'est 
approprié  ses  emprunts  par  la  forme  dont  il  les  a  revêtus. 
Quand  l'ami  de  Pétrarque  entreprit  d'écrire  ses  nouvelles 
pour  plaire  à  la  princesse  Marie ,  il  recueillit  toutes  les  tra- 
ditions, et  puisa  à  toutes  les  sources.  Les  mœurs  de  son 
siècle  et  la  vie  licencieuse  des  moines  lui  fournissaient  d'a- 
bondants matériaux.  Sa  description  de  la  peste,  l'un  des  plus 
beaux  morceaux  de  la  littérature  italienne,  égale,  si  elle  He 
surpasse,  celle  de  Thucydide.  Il  avait  été  lui-môme  témoin 
du  spectacle  affreux  que  présentait  alors  F'iorence.  Son  styl(!, 
dans  cette  admirable  préface ,  a  été  comparé  au  style  de 
Ciceron  :  il  nous  semble  supérieur  à  celui  du  grand  orateur 
I  romain,  et  se  rapprocher  plutôt  de  la  manière  de  Tacite.  La 
fin  du  Décaméron,  la  dernière  journée,  et  surtout  la  der- 
nière histoire  de  cette  journée,  sont  dignes  du  préambule. 
La  nouvelle  de  Titus  et  Gisippe  et  celle  de  Griselidis ,  qui 
la  suit,  passent  généralement  pour  les  chefs-d'œuvre  du 
genre  ,  et  ont  été  imitées  dans  toutes  les  langues. 

Comme  nous  l'avons  dit ,  la  publication  du  Décaméron 
n'éprouva  aucun  obstacle  à  sa  naissance;  les  copies  s'en 
répandirent  de  toutes  parts,  et  se  multiplièrent  à  l'inflni. 
Chacun  voulait  avoir  le  livre  dans  sa  bibliothèque.  L'impri- 
merie, qui  vint  bientôt  après,  s'en  empara.  Venise,  Flo- 
rence et  Mantoue  en  publièrent  différentes  éditions.  Mais 
la  colère  des  moines,  jusque  alors  endormie,  se  réveilla  et 
s'accrut  avec  le  succès  de  l'œuvre.  En  1497,  le  fanatique 
Savonarole  échauffa  si  bien  les  têtes  des  Florcjitins  qu'ils 
apportèrent  à  l'envi  sur  la  place  publique  leurs  exemplaires 
du  Décaméron,  du  Dante  ei  de  Pétrarque,  et  les  bi-ùlèrent 
avec  tout  ce  qu'ils  avaient  de  tableaux  ou  de  dessins  un 
peu  libres.  Cependant  l'ouvrage  continuait  à  s'imprimer; 
mais  d'édition  en  édition  il  était  devenu  méconnaissable, 
tant  le  texte  original  avait  élé  peu  respecté.  En  1527  quel- 
ques jeunes  lettrés  de  Florence,  ayant  rassemblé  les  moins 
incorrectes ,  publièrent ,  après  de  grandes  recherches  pour 
rétublir  les  passages  altérés,  celle  qui  est  connue  sous  l« 
titre  Addition  des  héritiers  des  Juntes.  Les  censures  el 
prohibitions  du  concile  de  Trente  et  des  papes  Paul  IV  et 
Pie  V  ne  se  firent  pas  attendre,  et  il  fallut  que  Cosme  T'  en- 
tamftt  avec  le  dernier  de  ces  pontifes  une  négociation  en 
règle  pour  faire  lever  l'interdit  qui  pesait  sur  ce  livre.  L'af- 
faire fut  traitée  avec  tonte  la  gravité  d'une  affaire  d'Etal. 
Une  commission ,  composée  d'académiciens  et  de  lettrés  flo- 


I 


BOCCACE  — 

rcnlins,  fut  diaigée  crexaniiner  l'ouvrage  et  de  lui  faire  su- 
bir les  corrections  nécessaires.  Le  maître  du  sacré  palais  et 
le  confesseur  du  pape  devaient  présider  aux  débats,  et  sou- 
tenir les  intérêts  du  clergé.  On  envoya  à  Rome  un  bel 
exemplaire  de  l'édition  d'Aide  Mamice ,  sur  lequel  devaient 
être  indiqués  les  passages  à  retrancher  ou  à  changer.  Pen- 
dant quatre  années  et  plus  on  batailla  sur  ce  sujet.  Les 
comniissaires  florentins  défendirent  pied  à  pied  les  passages 
de  leur  grand  écrivain ,  comme  s'il  se  fût  agi  des  limites  de 
leur  territoire,  La  correspondance  qui  eut  lieu  à  cette  occa- 
sion, et  qui  est  conservée  à  la  bibliothèque  Lanrentienne, 
est  un  des  monuments  les  plus  curieux  de  l'époque.  Elle 
montre  avec  quelle  passion ,  avec  quel  esprit  de  nationalité, 
le  petit  peuple  de  Florence  combattait  alors  pour  sa  gloire 
littéraire.  Le  livre  fut  enfin  imprimé  sept  années  après,  en 
1573  :  c'est  l'édition  dite  des  Députés;  elle  ne  contenta  pas 
encore  la  nation  toscane ,  qui  demanda  à  grands  cris  une 
nouvelle  révision,  que  le  pape  Sixte  V  lui  accorda  en  15S2, 
mais  qui  ne  la  satisfît  pas  davantage.  Heureusement  les 
nombreuses  éditions  imprimées  depuis  lors  librement,  et 
sans  retranchements  aucuns,  en  Hollande,  en  Angleterre 
et  en  France,  l'ont  dispensée  pour  toujours  de  solliciter  du 
bon  plaisir  papal  la  faveur  insigne  de  lire  son  divin  prosa- 
teur dans  une  édition  un  peu  moins  revue,  corrigée  et  sur- 
tout diminuée  que  les  précédentes.  F.  Ddbief. 

BOCCAGE  ( Marie-A>xe  LEPAGE,  M"""  FIQUET  DU), 
femme  poète  dont  les  œuvres  sont  bien  oubliées  aujourd'hui, 
était  née  à  Rouen,  le  22  octobre  1710,  et  mourut  à  Paris, 
le  8  aofit  1802,  âgée  de  près  de  quatre-vingt-douze  ans. 

Élevée  à  Paris,  au  couvent  de  l'Assomption,  la  jeune  Le- 
page  avait  montré  des  dispositions  précoces  pour  la  poésie. 
Toutefois ,  ce  fut  seulement  plusieurs  années  après  son  re- 
tour daus  sa  ville  natale  qu'elle  hasarda  un  premier  essai.  Son 
début  fut  un  poème  sur  les  Sciences  et  les  Lettres ,  que 
couronna  l'Académie  de  Rouen.  La  mort  de  son  mari ,  re- 
ceveur des  tailles  à  Dieppe  ,  la  laissa,  jeune  encore,  en  pos- 
session d'une  assez  belle  fortune,  et  h'bre  de  se  livrer  en- 
tièrement à  son  goût  pour  la  littérature.  Encouragée  par  sa 
première  réussite,  la  muse  neustrienne  entreprit  des  tra- 
vaux qui  avaient  plus  d'importance  et  d'étendue  :  elle  tra- 
duisit en  vers  le  poème  de  Gessner,  la  Mort  d^Abel,  et  ne 
craignit  pa»  d'aborder  une  composition  d'une  tout  autre 
portée,  le  Paradis  Perdu  de  Milton.  Mais  elle  rapetissa 
à  sa  taille  cette  haute  conception ,  et  n'en  donna  qu'une 
iuiitation  abrégée  en  six  chants.  Assez  fidèle  à  la  grâce  de 
l'original  dans  la  peinture  des  amours  de  nos  premiers  pa- 
rents, comme  elle  avait  assez  bien  rendu  dans  l'autre  tra- 
duction celle  des  mœurs  pastorales  des  premiers  temps,  son 
pinceau  reproduisit  bien  faiblement  tous  les  détails  em- 
preints de  force  et  d'énergie ,  et  surtout  cette  grande  figure 
de  Satan,  admirable  création  du  génie,  dont  plus  d'un  ou- 
vrage de  Byion  n'est  que  le  commentaire.  Le  poème  de 
madame  du  Boccage  n'en  fut  pas  moins  accueilli  avec  une 
faveur  marquée ,  et  cette  miniature  considérée  comme  un 
tableau.  Belle,  riche,  affable  et  bonne,  comment  n'aurait- 
elle  pas  exercé  sur  ses  juges  une  puissante  séduction? 

La  scène,  cependant,  lui  fut  quelque  temps  après  moins 
favorable  -.  sa  tragédie  des  Amazo7ies,  représentée  en  1749, 
fut  accueillie  avec  froideur.  Le  sujet  était  ingénieusement 
choisi  pour  être  traité  par  une  femme;  mais  l'action  et  le 
style  manquaient  de  cette  énergie  virile,  de  cette  vigueur 
cornélienne,  de  ces  qualités  enfin  qu'exige  la  tragédie.  Le 
zèle  de  ses  amis  poussa  pourtant  l'ouvrage  jusqu'à  onze  re- 
présentations,  et  cet  échec,  déguisé  sous  le  nom  de  succès 
d'estime,  ne  l'empêcha  point  d'entreprendre  plus  tard  une 
œuvre  d'une  plus  grande  importance,  un  poëme  épique. 

Certes,  il  n'en  était  guère  qui  pût  offrir  un  champ  plus 
vaste  au  génie  que  la  découverte  de  l'Amérique  restituée 
à  son  véritable  auteur,  sous  le  titre  de  la  Colombiade. 
i^iais  le  génie  ne  fut  pour  rien  dans  le  plan  et  l'exécution 


BOCCHERIM 


317 


de  cet  ouvrage.  Sorti  de  la  plume  d'une  femme ,  on  le  piôna 
comme  une  œu'STe  extraordinaire.  La  critique  eût  été  répu- 
tée malveillance  ou  jalousie  si  elle  eût  osé  prétendre  que 
\e  sexe  ne  faisait  rien  à  V affaire.  Fontenelle  appelait  l'au- 
teur sa  fille;  La  Condamine  quittait  un  travail  scientifique 
pour  liù  adresser  un  madrigal;  Voltaire,  en  la  recevant  à 
Ferney ,  la  couronnait  de  lauriers  ;  des  admirateurs  enthou- 
siastes plaçaient  au-dessous  de  son  portrait  ces  mots  flat- 
teurs :  Forma  Venus,  arte  Minerva,  que  Guichard  tradui- 
sait dans  ces  deux  vers  : 

Ce  portrait  te  séduit,  il  te  charme,  il  t'abuse  : 
Tu  crois  voir  uoe  Grâce,  et  lu  vois  une  Muse. 

mais  ce  fut  un  bien  autre  concert  d'éloges  quand  elle  visita 
l'Italie  :  un  volume  entier  put  à  peine  contenir  tous  les 
sonnets  et  les  vers  qui  furent  récités  à  sa  gloire  lors  de  sa 
réception  solennelle  à  l'Académie  des  Arcades  de  Rome.  Bo- 
logne et  Padoue  la  nommèrent  également  à  leurs  acadé- 
mies; Lyon  et  Rouen  leur  en  avaient  donné  Texeinple;  et, 
sans  la  loi  salique  littéraire,  qui  exclut  les  femmes  des 
trônes  académiques  fondés  par  Richelieu,  nul  doute  qu'elle 
n'eût  siégé  aussi  sur  un  de  ceux-là.  Dans  la  froide  Hol- 
lande ,  dans  la  dédaigneuse  Angleterre ,  où  elle  voyagea 
ensuite ,  la  Sapho  française  recueillit  également  des  hom- 
mages poétiques,  trop  complaisamment reproduits  dans  ses 
Lettres  sur  les  trois  pays  qu'elle  avait  parcourus  ;  mais 
cet  enthousiasme,  qui  n'avait  aucune  base  solide,  ne  tarda 
pas  à  décroître ,  et  finit  par  s'éteindre.  La  plupart  de  ses 
œuvres  ont  pourtant  été  traduites  en  anglais,  en  espagnol, 
en  allemand  et  en  italien.  Oukrv. 

BOCCA-TIGRIS ,  en  chinois  Humen,  ou  Fumen 
dans  le  dialecte  de  Canton,  c'est-à-dire  la  Bouche  ou  la  Porte 
du  Tigre,  nom  donné  par  les  Chinois  à  une  partie  de  l'em- 
bouchure du  Tschukiang  ou  fleuve  des  Perles,  sur  les 
bords  duquel  est  bâtie  la  ville  de  Canton  ou  Kuangton. 
La  Bocca-Tigris ,  dont  les  nombreuses  îles  sont  couvertes 
de  fortifications,  f^orme,  dans  l'opinion  des  Chinois,  un  point 
important  de  séparation  des  eaux.  Au  nord  ,  sont  les  eaux 
intérieures;  au  sud,  les  eaux  extérieures,  qui  sont  censées 
appartenir  à  la  mer  méridionale.  Le  rivage  est  hérissé  de 
falaises  nues,  et  bordé  d'îles  élevées ,  peu  fertiles,  qui  n'of- 
frent pas  un  coup  d'œil  agréable  aux  navigateurs  qxii  arri- 
vent du  sud-ouest  dans  l'empire  du  milieu. 

BOCCHERIA'I  (LuiGi),  né  à  Lucques,  le  14  jan- 
vier 1740,  reçut  les  premières  leçons  de  musique  et  de 
violoncelle  de  l'abbé  Vannucci ,  alors  maître  de  musique  de 
l'archevêché.  Dès  son  enfance,  il  montra  les  plus  heureuses 
dispositions.  Son  père,  contrebassiste,  les  cultiva  et  l'en- 
voya à  Rome  suivre  le  cours  de  ses  études.  Il  y  acquit  bien- 
tôt unegrande  réputation  ;  la  fécondité  de  son  génie,  l'origina- 
lité de  ses  productions ,  le  firent  également  remarquer.  Peu 
d'années  après  il  revint  à  Lucques,  et  voulut  donner  un 
témoignage  éclatant  de  sa  reconnaissance  à  Vannucci,  son 
maître ,  et  au  séminaire ,  où  tant  de  moyens  d'instruction 
lui  avaient  été  offerts,  bien  qu'il  n'eût  point  embrassé  l'état 
ecclésiastique.  Il  y  fit  entendre  ses  plus  belles  compositions. 

Filippino  Manfredi,  élève  de  Nardini ,  compatriote  de  Boc- 
cherini,  était  à  Lucques  en  ce  moment;  ils  jouèrent  en- 
semble les  sonates  de  violon  et  de  violoncelle  qui  forment 
l'œuvre  VII,  et  l'auditoire  fut  émerveillé  de  la  beauté  de 
l'ouvrage  et  de  la  perfection  des  exécutants.  Ces  dei;x  maî- 
tres se  lièrent  de  l'amitié  la  plus  ten(b-e  ,  et  quittèrent  l'Ita- 
lie pour  se  rendre  en  Espagne,  où  le  roi  se  plaisait  à  réu- 
nir les  premiers  talents.  Devancés  parla  renommée,  il.s 
furent  accueillis  avec  distinction.  Leur  caractère  n'était  pas 
le  même  :  Manfredi  était  venu  à  Madrid  dans  l'unique  in- 
tention de  s'enrichir ,  tandis  que  Boccherini ,  plus  occupé  de 
sa  gloire,  consentait  à  se  faire  entendre  des  grands  qui  le 
sollicitaient.  Boccherini  resta  en  Espaj;ne  .  admis  chez  le 
roi,  il  -s'en  fit  aime.".  Bientôt  apiùs,  il  fut  attaché  à  !'Ac:iilé- 


3,5î  BOCCHERINI 

mie  royale  de  ce  prince,  cl  comlilé  (riioniicins  et  de  \né- 
senfs.  La  seule  obligation  qu'on  lui  imposa  fut  de  donner 
chaque  année  neuf  morceaux  de  sa  composition  à  l'académie. 
Doccherini  accepta  les  conditions  du  traité,  et  les  remplit 
avec  exactitude.  Il  est  mort  à  iMadrid,  en  1806. 

T.es  compositions  qu'il  a  fait  graver  forment  cinquante- 
huit  œuvres:  symphonies,  sextuors,  quintettes,  trios,  duos, 
sonates,  pour  le  violon,  le  violoncelle,  le  piano  avec  ac- 
compagnement de  violon.  Il  existe  des  quintettes  de  Boc- 
cheriniet  des  morceaux  de  musique  vocale  entre  les  mains 
de  quel(iues  amateurs.  Son  Stabat  Maler  est  le  seul  œuvre 
de  n)usique  sacrée  qu'il  ait  publié.  Comme  Durante,  il  n'a 
point  travaillé  pour  le  théâtre.  lîoccberini  s'arrêta  à  Paris, 
en  I7GS,  lorsqu'il  se  rendait  en  Espagne,  et  y  reçut  l'accueil 
que  méritaient  sa  personne  et  ses  talents.  On  l'entendit  sou- 
vent aux  concerts  que  donnait  le  fermier  général  La  Po- 
plinière,  à  Passy.  Il  y  faisait  les  délices  de  la  société  brillante 
qui  s'y  réunissait. 

Boccherini  a  précédé  Haydn.  Le  premier  il  a  fait  des 
quatuors  ;  Haydn,  Mozart,  Beethoven,  ont  donné  des  formes 
plus  grandes  à  ce  genre  de  composition,  ils  ont  suivi  une 
autre  route  ;  mais  Boccherini  brille  encore  auprès  de  ces  no- 
bles rivaux.  Sa  musique  est  naïve,  mélodieuse,  simple  dans 
ses  modulations,  d'un  caractère  suave  et  religieux. 

Castil-Blaze. 

BOCCUETTA  (La),  célèbre  et  étroit  défilé  des  Apen- 
nins, conduisant  de  la  Lombardie  vers  Gênes,  et  protégé  par 
trois  redoutes.  C'est  la  limite  de  l'Apennin  septentrional,  dont 
la  cime  atteint  là  une  élévation  de  800  mètres.  Par  sa  situation, 
qui  commande  la  route  de  Novi  à  Gênes,  ce  passage,  que 
les  Français  nomment  Col  de  la  Boquelte,  est  la  clef  de  la 
ville  de  Gênes  du  côté  du  nord-est,  et  en  môme  temps  celle 
du  Milanais  du  côté  du  sud-ouest.  Aussi,  pendant  la  guerre 
de  la  succession  d'Autriche,  en  1746  et  1747,  de  même 
qu'en  179G,  dans  les  grandes  guerres  de  la  révolution,  la  pos- 
session en  fut-elle  vivement  disputée.  La  route  qui  conduit 
par  ce  défilé  de  Gênes  à  Alexandrie  est  presque  aban<lon- 
née.  La  vue  dont  on  jouit  du  haut  de  la  Bocchetia  sur  la  Mé- 
diterranée C'-t  une  des  plus  belles  de  l'Italie. 

liOCCIÎORlS  ou  BOCCHYRIS,  roi  et  législateur  d'E- 
gypte, monta  sin-  le  trône  l'an  781  avant  J.-C,  et  régna  qua- 
rante-quatre ans.  Selon  Diodore  de  Sicile,  il  imita  Salomon  par 
son  incorruptibilité,  qui  donna  même  lieu  au  proverbe:  C'est 
le  jugement  de  Bocchoris  {Bocchyridis  judicium),  dont  on 
.se  servait  quand  on  voulait  indiquer  un  jugement  intègre. 
On  conservait  encore  du  temps  de  Diodore  de  Sicile  plu- 
sieurs de  ses  décisions  et  de  ses  jugements.  Il  régla  les 
droits  et  les  devoirs  du  souverain  et  tout  ce  qui  regardait 
la  forme  des  contrats.  On  lui  attribue  plusieurs  lois  sages, 
une  entre  autres  qui  portait  que  «  lorsqu'il  n'y  aurait 
point  de  titres  par  écrit,  le  défendeur  serait  cru  sur  son  ser- 
ment ».  Ayant  voulu  réformer  les  mœurs  de  son  peuple , 
comme  il  avait  réformé  ses  lois,  il  fut  victime  de  son  zèle  : 
les  Égyptiens  a|)pelèrL'nt  Sabacus,  roi  d'Ethiopie,  qui  lui  li- 
vra bataille,  mit  ses  troupes  en  fuite,  se  saisit  de  sa  per- 
sonne, le  fit  brùlpr  vif,  et  s'empara  de  sou  royaume.  On  croit 
que  Bocchoris  est  le  même  que  le  Pharaon  qui  permit 
aux  Israélites  de  quitter  l'Egypte;  car  tout  ce  que  ïiogue- 
Porapée,  Tacite,  Diodore  et  Eutrope  nous  apprennent  de 
Bocchoris  s'accorde  avec  ce  que  la  Bible  dit  de  ce  Pharaon. 

BOCCH  US,  roi  de  Mauritanie,  vivait  dans  la  dernière  moi- 
tié du  deuxième  siècle  avant  J.-C.  Il  donna  sa  fille  en  mariage 
à  Jugurtha,  et  consentit  à  faire  la  guerre  aux  Romains 
de  concert  avec  ce  prince,  qui  lui  avait  promis  le  tiers  de  la 
Kumidie,  à  condition  de  contribuera  leur  expulsion  du  ter- 
ritoire africain.  Deux  fois  vaincu  par  Marins,  Bocchus 
finit  par  prêter  l'oreille  aux  propositions  de  transaction 
que  le  général  romain  chargea  son  questeur  Sy  1  la  de  lui 
faite;  et  feignant  de  ^ouloir  livrer  ce  dernier  à  Jugurtha, 
ce  fut  son   beau-père  Juginlha  lui-même  qu'il  fit  tomber 


—  ROCKSAI 

entre  le*  mains  de  Sylla  (an  106  av.  J.-C).  Rome  .se  mon- 
tra reconnaissante  envers  Bocchus  de  lui  avoir  livré  le  plus 
implacable  de  ses  ennemis  ;  et  elle  paya  sa  trahison  avec     Jj 
ce  môme  territoire  des  Numides  que  Jugurtha  avait  promis     f 
à  son   beau-père  pour  prix  des  secours  qu'il  sollicitait  de 
lui  dans  sa  lutte  contre  le  peuple-roi. 

BOCCOIVE,  genre  de  la  famille  des  papavéracées ,  ne 
renfermant  que  deux  espèces,  qui,  originaires  du  Pérou,  sont 
cultivées  avec  succès  dans  nos  jardins.  Par  ses  caractères 
botaniques,  le  genre  boccone  se  rapproche  beaucoup  du 
genre  chélidoine.  Son  nom  lui  vient  de  Paul  Bocconi , 
botaniste  sicilien. 

BOCHART  (Samuel),  né  à  Rouen,  en  1599,  célèbre 
pasteur  de  l'Église  réformée,  était  fils  d'un  ministre  de  ce 
culte  et  de  la  sœur  de  Pierre  Dumoulin,  si  connu  parmi  les 
pasteurs  de  la  même  communion.  Bochart  alla  acJiever  à 
Leyde  ses  études  théologiques,  commencées  a  Sedan  et  à 
Saumur  ,  et  il  fut  nommé,  à  son  retour  en  France,  en  1628. 
pasteur  de  l'Église  réformée  de  Caen.  C'est  vers  cette  é|)oque 
qu'il  eut  avec  le  jésuite  Véron  ces  célèbres  conférences  aux- 
quelles assista  le  duc  de  Longueville,  et  dans  lesquelles  les 
deux  docteurs  luttèrent  d'adresse  et  de  dialectique  pour 
faire  prévaloir  l'excellence  de  leurs  dogmes  respectifs.  La 
grande  réputation  qu'y  acquit  Bochart  attira  sur  lui  l'atten- 
tion de  Christine,  reine  de  Suède,  qui,  par  une  lettre  au- 
tographe, l'engagea  à  se  rendre  auprès  d'elle  à  Stockholm. 
L'éloquent  défenseur  de  la  foi  protestante  entreprit  ce  loin- 
tain voyage;  mais  son  absence  fut  de  courte  durée,  et  il 
revint  bientôt  à  Caen  reprendre  ses  fonctions.  Il  y  mourut 
subitement,  en  disputant  dans  l'académie  contre  Eluet,  en 
1667,  laissant  à  juste  titre  la  réputation  d'un  des  plus  grands 
érudits  et  d'un  des  plus  beaux  esprits  du  siècle.  Profondé- 
ment versé  dans  la  connaissance  des  langues  orientales , 
l'hébreu,  le  syriaque,  le  chaldéen  et  l'arabe,  il  s'était  dans 
les  dernières  années  de  sa  vie  occupé  de  l'éthiopien,  et  pré- 
tendait que  toutes  ces  langues  avaient  toutes  pour  origine  la 
langue  phénicienne.  Bochart  a  laissé  de  nombreux  ouvrages. 
On  estime  surtout  sa  Géographie  sacrée,  écrite  en  latin,  et 
son  Histoire  naturelle  des  Animaux  dont  il  est  fiiit 
mention  dans  la  Bible  (Londres,  I6G3,  in-folio).  L'ne 
édition  complète  de  ses  œuvres  a  paru  à  Leyde,  en  3  vol. 
in-folio  (1712). 

BOCHNIA,  cercle  de  Gallicie  (ancien  royaume  de  Po- 
logne), entre  celui  de  Sandre  au  .sud  et  la  Pologne  au  nord. 
Séparé  de  ce  dernier  pays  par  la  Vistule,  il  a  18  myriamè- 
très  carrés  et  237,200  habitants.  Son  chef-lieu  est  Bochnia, 
sale  petite  ville  de  6,250  habitants ,  presque  entièrement 
construite  en  bois,  située  à  28  myriamètres  à  l'ouest  de 
Lembergetà2  de  Cracovie.  Elle  estentourée  de  montagne.s 
et  de  collines,  où  l'on  exploite,  depuis  le  milieu  du  treizième 
siècle,  d'abondantes  mines  de  sel.  Elle  possède  aussi  un  gym- 
nase et  un  hôpital. 

BOCHOLT  (François de),  un  des  plus  anciens  graveur.» 
connus,  sur  la  vie  duquel  on  ne  sait  absolument  rien,  si- 
non qu'il  vécut  vers  le  milieu  du  quinzième  siècle.  Il  appar- 
tient à  ces  graveurs  originaux  à  la  manière  de  l'école  de 
Van  Eyck.  Ses  principaux  ouvrages  sont  le  Jugement  de 
Salomon,  Jcsus-Chrisl  et  les  douze  apôtres  (en  13  feuilles), 
V Annonciation,  etc. 

BOCKOLD.  Voijez  Jean  de  Leyde. 

BOCSKAÏ  (Etienne),  chef  de  l'insurrection  hongroise 
de  1604  à  IG06,  avait  été  d'abord  commandant  de  la  for- 
teresse de  Grosswardcin ,  place  dont  les  commissaires  im- 
périaux l'avaient  destitué  en  1598.  Accusé,  en  1604,  d'in- 
telligences avec  les  insurgés  de  la  Transylvanie,  il  s'était  tu 
attaqué  dans  son  propre  château  par  les  Impériaux.  Bien 
que  pris  à  l'improviste,  il  réussit  bientôt  à  gagner  une  par- 
tie des  troupes  de  l'empereur,  et  à  leur  tête  il  tomba,  le 
14  octobre  1604,  sur  le  général  J.  Pecz,  qu'il  battit  et  fit 
prisonnier.  Fortifié  par  celte  victoire,  il  forç<i  l'armée  im- 


BOCSKAl  —  BODELSCHWIiNGH-VELMEDE 


SIO 


luiriale,  sous  les  ordres  de  Barbiano,  à  battre  en  retraite 
devant  lui ,  et  fut  accueilli  comme  un  libérateur  à  Kas- 
diau,  à  Éperies,  à  Leutscliau  et  dans  d'autres  villes  de  la 
Haute-Hongrie,  non  seulement  par  le  peuple,  mais  par  la 
noblesse  protestante,  qui  le  soutenait  ouvertement.  Le  général 
Lasla  le  défit,  il  est  vrai,  le  29  novembre  1604;  mais  il  ne 
put  profiler  de  sa  victoire,  les  villes  hongroises  refusant 
de  lui  ouvrir  leurs  portes  et  une  mutinerie  ayant  éclaté 
\iarmi  ses  propres  soldats  :  en  sorte  qu'il  dut  se  retirer  à 
Tresbourg.  D'un  autre  côté,  les  comtes  de  la  Hongrie,  les 
Hongrois  de  la  Transylvanie  et  les  Szeklers  se  joignirent  à 
IJocskaï ,  qui  fut  proclamé  prince  de  la  Hongrie  à  la  diète 
de  Szerencse,  le  27  avril  1603.  Le  sultan  Achmed  1^"^  l'ap- 
pela à  Ofen,  qui  était  alors  entre  les  mains  des  Turcs,  lui 
posa  une  couronne  sur  la  tête,  et  le  salua  du  titre  de  roi  hé- 
réditaire de  Hongrie  ;  mais  Bocskaï  ne  voulut  accepter  la 
couronne  que  comme  un  présent,  et  refusa  le  titre  de  roi.  Le 
nombre  de  ses  partisans  croissant  sans  cesse  ,  l'empereur 
Rodolphe  se  vit  forcé  de  traiter  avec  lui.  Par  la  médiation  de 
son  frère  Matthias,  il  conclut,  le  23  janvier  1606,  la  paix 
de  Vienne  (sanctionnée  comme  loi  de  l'État  par  la  diète 
de  Presbourg  de  1608) ,  par  laquelle  il  fit  droit  aux  plaintes 
du  pays,  assura  aux  protestants  la  liberté  du  culte,  et  re- 
connut Bocskaï  comme  prince  héréditaire  de  Transylvanie 
et  de  plusieurs  coraitats  hongrois.  Bocskaï  ne  jouit  pas  long- 
temps de  sa  dignité;  dès  le  29  décembre  il  mourut  d'hy- 
dropisie.  On  le  regarde  comme  le  fondateur  de  la  liberté  des 
cultes  en  Hongrie. 

BODE  (  Jean-Elert  ) ,  astronome ,  né  à  Hambourg , 
le  19  janvier  1747,  montra  de  bonne  heure  du  gcùt  pour 
les  sciences  mathématiques,  qui  lui  furent  enseignées  par 
Bon  père,  puis  par  le  célèbre  Busch.  La  première  preuve 
qu'il  donna  de  ses  connaissances  au  public  fut  une  brochure 
qui  parut  en  1766,  à  Berlin,  sous  le  titre  de  Calcul  et  Élé- 
ments de  l'éclipsé  de  Soleil  du  5  août  1766.  L'accueil  que 
ce  petit  écrit  reçut  encouragea  Bode  à  entreprendre  des 
travaux  plus  considérables.  Dès  1768  il  publia  une  In- 
troduclion  à  la  connaissance  du  ciel  étoile  (9*  édit., 
Berlin,  1S22) ,  manuel  populaire  d'astronomie,  qui  a  beau- 
coup contribué  à  répandre  des  notions  astronomiques  plus 
justes.  Oltmans  y  a  ajouté  un  supplément  (Berlin,  1833). 
En  1772  Bode  fut  nommé  astronome  de  l'Académie  de 
Berlin ,  et  en  1782  il  devint  membre  de  cette  société  sa- 
vante. Depuis  un  an  il  avait  obtenu  sa  retraite,  lorsqu'il 
mourut  le  23  novembre  1826.  Il  avait  fondé,  en  1776,  les 
Annales  ou  Éphémérides  astronomiques  (Berlin,  1776- 
1829,  54  vol.),  qui  ont  été  continuées  par  Encke  sous  le 
litre  ^''Annales  astronomiques  de  Berlin.  Cet  ouvrage 
renferme  beaucoup  de  renseignements  qui  sont  encore  utiles. 
h  Explication  de  l'Astronomie  (Berlin,  1778,  2  vol.)  est 
également  un  livre  qui  a  de  la  valeur.  Son  atlas  céleste  en 
vingt  feuilles,  intitulé  Vranographia,  sive  Astrorum  Des- 
criplio  (Berlin,  1801),  oITre  17,240  étoiles,  c'est-à-dire 
près  de  12,000  de  plus  que  les  atlas  publiés  antérieuiemenl. 
Bode  est  auteur,  en  outre,  d'un  grand  nombre  d'ouvrages, 
parmi  lesquels  nous  mentionnerons  plus  spécialement  les 
Éléments  des  Sciences  astronomiques  (Berlin,  1793),  et 
lesConsidérations  générales  sur  l' Univers  (Berlin,  isoi). 

BODE  (Loi  de).  I,es  astronomes  ne  connaissaient 
encore  du  système  solaire  que  six  planètes.  Mercure,  Vénus, 
la  Terre,  Mars,  Jupiter  et  Saturne,  lorsqu'on  remarcjua 
que  leurs  distances  respectives  au  soleil  étaient  sensiblement 
proportionnelles  aux  nombres  4, 7, 10,  16,  52,  100,  nombres 
qui,  diminués  de  4,  donnent  la  série  0,  3,  6,  12,  48,  96. 
Dans  cette  série  chaque  terme  à  partir  du  troisième  serait 
double  du  précédent ,  si  on  introduisait  entre  le  quatrième 
eî  le  cinquième  le  nombre  24,  ce  qui  supposerait  l'existence 
du  terme  28  entre  les  nombres  IG  et  52  de  la  première 
série.  Cette  considération  porta  Dodo  à  supposer  entre 
Mars  et  Jupiter  l'existence  d'une  planète  dont  la  distance  au 


Soleil  serait  représentée  par  28 ,  en  prenant  pour  les  dis- 
tances des  autres  planètes  les  nombres  4,  7,  10,  etc. 

La  supposition  de  Bode  fut  vérifiée  la  première  nuit  de 
notre  siècle  par  Piazzi,  qui  découvrit  Cérès,  découverte 
bientôt  suivie  de  celles  de  Pallas  (1802  ),  de  Junon  (1803) 
et  de  Vesta  (  1807  ).  On  trouvait  donc  déjà  quatre  planètes, 
au  lieu  d'une  seule  qu'avait  annoncée  Bode.  Olbers  fut 
porté  à  penser  que  ces  quatre  petites  planètes  n'étaient  que 
des  fragments  d'une  plus  grande- brisée  par  quelque  cata- 
clysme tel  que  le  choc  d'une  comète.  Cette  hypothèse  ne 
résolvait  pas  toute  la  difficulté  ;   car,   en  représentant  la 
distance  de  Mercure  au  soleil  par  4,  les  distances  de  Vesta, 
Junon ,  Cérès  et  Pallas  n'étaient  représentées  que  par  24, 
27,  28  et  28,  dont  la  moyenne  se  trouvait  inférieure  à  ce 
nombre  28  qui  devait  combler  la  lacune.  Mais  la  découverte 
successive  d'Astrée,  d'Hébé,  d'Iris,  de  Flore,  del\Iitis, 
d'Hygie,  et  d'une  infinité  d'autres  petites   pliinètes  qu'on 
peut   faire  rentrer  aussi  dans  l'iiypotlièse  d'Olbers,  vint 
confirmer  la   loi  de  Bode;  car,  par  exemple,    la  distance 
d'Hygie  au   Soleil  se  trouve  représentée  par  32,  ce   qui 
rapproche  la  moyenne  de  28. 

La  découverte  de  Saturne  avait  aussi  vérifié  la  loi  de 
Bode,  en  donnant  une  distance  qui  peut  être  représentée 
approximativement  par  196,  nombre  qui,  diminué  de  4, 
donne  bien  le  double  de  90.  Quant  à  Neptune,  il  semble 
s'éloigner  de  la  loi ,  et  ne  donne  que  301  au  lieu  de  388. 
Hâtons-nous  donc  de  dire  que,  bien  que  l'analogie  ait  fait 
soupçonner  à  Bode  l'existence  d'une  planète  entre  INIars  et 
Jupiter,  il  ne  faut  pas  prêter  à  sa  loi  plus  d'importance 
qu'elle  n'en  a  réellement.  Nous  devons  principalement  la 
considérer  comme  un  moyen  mnémonique  très-sinqjle  de 
retenir  les  rapports  des  distances  des  planètes  au  soleil. 

La  loi  de  Bode  peut  s'énoncer  ainsi  :  En  retranchant  de 
la  distance  de  chaqtce  planète  au  soleil  la  distance  de 
Mercure  {qui  est  la  plus  rapprochée  de  cet  astre),  vn 
obtient  une  série  de  nombres  dont  chacun  est  double  du 
précédent  à  mesure  que  l'on  s'éloigne  du  soleil.  Si,  dans 
cet  énoncé ,  on  remplace  le  soleil  par  Jupiter,  les  planètes 
par  les  quatre  satellites  de  Jupiter,  et  Mercure  par  celui  de 
ces  satellites  qui  est  le  plus  rapproché  de  sa  planète,  la  loi 
se  vérifie  encore.  H  en  est  de  môme  pour  Saturne  et  ses 
sept  satellites,  sauf  une  lacune  qui  en  ferait  soupçonner  un 
nouveau  entre  le  sixième  et  le  septième.  Il  en  est  de  même 
encore  pour  Uranus.  Cette  loi  de  Bode  est  donc  au  moins 
remarquable  par  sa  généralité.  E.  Merlieux. 

BODELSCHWL\GH-VELMEDE  (Ernest  de), 
homme  d'État  pnissien ,  est  né  le  26  novembre  1794,  à 
Yelmede,  près  de  Hamm,  dans  le  comté  de  Mark,  Bo- 
delschwingh  reçut  sa  première  instruction  dans  sa  famille 
et  au  gynmase  de  Hamm.  Il  se  rendit  ensuite  à  l'awi- 
démie  de  Dillenbourg  avec  l'intention  d'étudier  l'économie 
forestière;  mais  dès  l'automne  de  1812  il  quitta  cette  aca- 
démie pour  aller  suivre  à  Berlin  les  cours  de  droit  et  de 
science  financière.  Lorsque  Frédéric-Guillaume  111  appela 
les  Prussiens  aux  armes,  au  mois  de  février  isl3,  Bodel- 
schwiniih  entra  comme  chasseur  volontaire  dans  le  8^  régi- 
ment d'infanterie.  Il  ne  tarda  pas  à  s'élever  au  grade  de 
sous-lieutenant ,  et  la  bravoure  qu'il  déploya  à  la  bataille 
de  Liiizon  lui  mérita  la  croix  de  Fer  de  secon;ie  classe.  11  ne 
combattit  pas  moins  vaillamment  à  Leipzig,  et  obtint  la  croii 
de  For  de  première  classe.  Une  grave  blessure  qu'il  reçut  au 
combat  (le  l-ribourg  surrL'nstrudt,le2l  octobre  1813, lerelint 
huit  mois  au  lit,  et  en  1814  il  prit  son  congé  avec  le  grade 
de  lieutenant.  11  se  rendit  alors  à  Gœttingue  pour  continuer 
ses  études;  cependant,  en  1813  il  reprit  les  armes,  et  la 
guerre  terminée,  il  passa  connue  lieutenant  dans  la  laud  • 
wehr.  Nommé  major  en  1832,  il  y  fut  créé  colonel  en  1842, 
Après  la  campagne  de  1813,  Bodelschwingh,  qui  avait  achevé 
ses  études  à  Beriin  ,  entra,  en  181",  dans  l'administration 
civile.  Befcrcndiiire  auprès  de  la  régence  et  du  tribiinalpra-- 


S20 

\incial  sypérieui'  sit'geaiit  à  Munster,  assesseur  de  la  ré- 
frénée à  Cièves  et  à  Arnsberg,  il  fut  employé  pendant  quelque 
temps  aussi  au  ministère  des  thiances.  En  1822  il  fut 
nonnné  conseiller  provincial  du  cercle  de  Tccklenbourg  en 
Wcstphalie;  en  1831,  conseiller  de  la  régence  supérieure  à 
Cologne;  et  la  même  année,  au  mois  de  novembre,  prési- 
dent (le  la  régence  de  Trêves;  en  1834  il  fut  appelé  au  poste 
de  président  supérieur  des  provinces  rhénanes,  poste  qu'il 
occupa  jusqu'en  1842.  Si  les  rapports  de  ces  provinces  avec 
le  reste  du  royaume  sont  aujourd'hui  plus  favorables,  et  si 
l'impopularité  de  la  bureaucratie  prussienne  a  diminué  dans 
les  provinces  rhénanes,  c'est  à  son  administration  qu'on 
!e  doit. 

Dès  l'anni'e  1840  lîodclscliwingb  avait  élé  nommé  con- 
seiller privé  par  Frédéric-Guillaume  IV;  en  1842  il  entra 
dans  le  cabinet  avec  le  portefeuille  des  finances.  Lors  des 
discussions  relatives  à  l'octroi  d'une  constitution,  il  se  rangea 
du  côté  du  roi  contre  les  exigences  du  conslitutionalismc 
moderne,  et  se  prononça  pour  le  développement  du  système 
des  états.  Au  reste,  dans  ce  cas  et  dans  tous  ceux  où  il  fut 
appelé  à  agir  comme  ministre,  il  ne  fut  que  rinstriimcnt 
d'une  volonté  supérieure.  Dans  le  cotuité  des  états,  en  1842, 
ainsi  qu'à  la  chand)re  de  1847,  il  ne  répondit  aux  violentes 
attaques  de  l'opposition  qu'en  se  mettant  à  l'abri  derrière  la 
volonté  de  son  maitre  :  aussi  les  courtisans  l'accusèrent-ils 
de  faiblesse.  Au  printemps  de  1844  il  fut  appelé  à  rem- 
placer le  comte  d'Alvensleben ,  et  quelques  mois  après,  à  la 
retraite  du  comte  Arnim-lioitzenbourg ,  il  fut  chargé  par 
intérim  du  ministère  de  l'intérieur,  dont  le  portefeuille  lui 
fut  confié  délinitivement  dans  le  courant  de  l'hiver  de  la 
même  année.  Le  18  mars  1848,  sa  démission,  qu'il  avait 
offerte  huit  jours  auparavant,  fut  acceptée;  mais  avant  de 
quitter  son  ministère,  il  signa  encore  la  fameuse  patente 
du  18  mars,  qui  contenait  de  si  belles  et  si  trompeuses  pro- 
messes. Jlse  retira  alors  dans  ses  terres,  où  il  resta  jusqu'au 
mois  de  janvier  1849,  époque  où  il  fut  élu  député  à  la  se- 
conde chambre.  Après  la  modification  arbitraire  de  la  loi 
électorale  de  1849,  il  fut  renvoyé  à  la  chambre,  et  plus  tard 
à  rassemblée  d'Krfurt ,  où  il  se  montra  un  zélé  soutien  delà 
poIiti(pie  du  ministère  prussien.  Au  mois  de  septembre  il 
fut  choisi  pour  président  du  conseil  administratif  de  l'Union. 
Dans  la  session  de  1850  à  51,  il  fut  à  la  tète  d'une  fraction 
du  centre  qui,  tout  en  désappioiivanl  la  politique  du  gou- 
vernement, lui  fournit  les  moyens  de  persister  dans  les 
mômes  voies.  —  Un  aulre,  Charles  ne  Bodelschwingii, 
entra  le  23  juillet  185l  dans  le  cahiiict  présidé  par  M.Man- 
teuffel  comme  niinistie  des  finance.s. 

BODEl\SÉEouBODMAi\SÉE.I%.CoNSTANCE(Lacde). 

BODENSTEIIX  (André).  Voyez  Karlstadt. 

BODIN  (Je\n),  publiciste  du  seizième  siècle,  naquit  à 
Angers,  en  1530,  étudia  le  droit  à  Toulouse,  puis  l'enseigna 
dans  celle  même  ville,  et  se  rendit  ensuile  h  Paris,  où  il 
exerça  la  profession  d'avocat.  Ne  pouvant  réussir  à  se  faire 
un  nom  dans  une  carrière  qu'illustraient  les  lirisson,  les 
Pasquier,  les  Pithou ,  il  se  consacra  à  des  travaux  littéraires. 
La  renommée  que  lui  avaient  acquise  son  érudition,  son  es- 
prit, sa  gaieté,  ses  bons  mots,  le  lit  appeler  à  la  cour  de 
Henri  111;  mais  des  rivaux  l'ayant  supplanté  dans  la  faveur 
du  prince,  il  s'attacha  à  François,  duc  d'Alençon  et  d'Anjou, 
frèreduroi.  Leduc  le  prit  pour  secrétaire  intime,  et  l'emmena 
dans  ses  voyages  d'Angleterre  et  de  Flandre.  Ajuès  la  mort 
du  duc,  se  voyant  déçu  dans  ses  espérances,  il  se  i-elira  à 
Laon  ,  où  il  se  maria,  et  obtint  la  place  de  procureur  du  roi. 
iin  1579  il  fut  député  aux  étuis  de  lîlois  par  le  tiers  état  du 
Vermandois.  11  y  défendit  les  droits  du  jieuple  et  la  liberté  de 
conscience,  ce «pii  lui  fit  un  grand  nombre  d'ennemis  à  In  cour. 
A  .son  instigation  la  ville  de  Laon  se  prononça  en  I5k9  pour 
la  Ligue,  car  il  soutenait  que  le  soulèvement  de  tant  de  villes 
et  de  tant  de  parlements  en  faveur  du  duc  de  Guise  ne  dtj- 
Yait  pas  s'appeler  une  rcroKc,  mais  une  rcvolulion.  fcpcn- 


BODELSCIIWINGII-VELMEDE  —  BODIN 


dant  il  finit  par  se  soumettre  lui-même  à   Henri  IV,  et 
mourut  à  Laon ,  de  la  peste,  en  1596. 

Jean  Bodin  a  publié  un  grand  nombre  de  livres,  parmi  les- 
quels on  distingue  :  .sa  Démonomanie,  ou  Histoire  des  Es- 
prits; sa  Méthode  pour  faciliter  l'étude  de  l'histoire, 
et  son  Thealrum  universx  Naturse.  Il  avait  aussi  fait 
paraître  une  Iradiiclion  des  livres  de  la  Chasse,  d'Ojtpien, 
avec  des  commentaires.  On  a  prétendu  que  dans  son  Col- 
loquium  heptaplomeron  de  abdilis  sublimiumrerum  ar- 
canis  ,  ouvrage  qui  n'a  jamais  vu  le  jour,  la  religion  catho- 
lique et  toutes  les  sectes  chrétiennes  étaient  terrassées. 

Mais  son  œuvre  pnncipale  est  sans  contredit  son  traité 
De  la  R&publique.  L'auteur  y  passe  en  revue  les  diverses 
sortes  de  gouvernements  de  la  chose  publique,  s'efforce  de 
fixer  leurs  principes  etleurs  caractères,  n'en  condanme  aucun, 
si  ce  n'est  ceux  qui  tombent  dans  l'excès,  tels  que  la  ty- 
rannie et  l'anarchie ,  et  laisse  voir  son  penchant  pour  ce  qu'il 
appelle  la  monarchie  royale.  H  ne  fut  pas  peu  fialté,  en  ar- 
rivant à  Cambridge  avec  le  duc  d'Alençon,  d'y  entendre  inter- 
préter sa  République  par  les  plus  savants  professeurs.  JMon- 
tescpiieu,  Jean  de  IMuUer  et  d'autres  ont  fait  une  étude  .sé- 
rieuse de  cet  ouvrage,  qui  a  eu  un  grand  nombre  d'éditions. 
K0Ï3IIV  (Jean-François),  né  à  Angers,  en  l77fi,  fut  pen- 
dant la  révolution  administrateur  du  district  de  Saint-Florent 
(  Maine-et-Loire  )  et  payeur  à  l'armée  del'Ouest.  Lors  des  é\  é- 
nements  de  1815  il  était  receveur  particulier  à  Saumur.  La 
Restauration  le  destitua.  11  niourutle  5  lévrier  1829.  Avant 
d'entrer  dans  l'administration,  il  avait  fait  une  étude  spéciale 
de  l'architecture.  Son  goût  pour  les  arts  et  pour  les  tra- 
vaux historiques  nous  a  valu  deux  ouvrages  consciencieux , 
pleins  de  faits  intéressants,  dans  lesquels  il  s'est  plu  à  élever 
un  monument  à  sa  province  natale.  Ce  sont  :  1"  Recher- 
ches historiques  sur  Saumur  et  le  haut  Anjou  (2  volu- 
mes in-s°,  avec  planches);  T  Recherches  historiques  sur 
Angers  et  le  bas  Anjou  (2  volumes  in-S",  avec  gravures). 
Pendant  la  Restauration,  de  1820  à  182.3,  Bodin  siégea  à  la 
Chambre  des  Députés  comme  représentant  du  département 
de  Maine-et-Loire,  et  vota  toujours  avec  les  amis  d'une  sage 
liberté.  Champacnac. 

BODIN  (Félix),  fils  du  précédent,  naquit  à  Saumur,  en 
1795.  Heureusement  doué,  passionné  pour  les  arts  et  pour 
l'étude ,  il  se  fit  d'abord  remarquer  parmi  les  élèves  com- 
positeurs de  l'école  de  musique  française ,  où  ileutLesueur 
pour  maître.  Il  remporta  le  grand  prix  de  Rome;  puis,  sui- 
vant le  torrent  des  idées  libérales,  il  quitta  la  musique  pour 
les  lettres,  et  fut  un  des  propagateurs  les  plus  ardents  du 
mouvement  politico-historiqueet  littéraire  delà  Restauration. 
La  littérature,  la  science  elle-même  était  devenue  une 
arme  politique ,  la  plus  puissante  du  temps  peut-être ,  et 
Félix  Bodin  se  montra  parmi  les  plus  ardents  des  com- 
battants. Ce  fut  lui  qui  eut  la  première  idée  des  Résumée  his- 
toriques ,  et  il  fit  paraître  successivement  dans  cette  col- 
lection une  Introduction  à  l'histoire  ziniverselle ,  un  Ré- 
sumé de  l'histoire  de  Frojicc  et  un  Résumé  de  l'his- 
toire d'Angleterre ,  œuvres  de  parti  encore  plus  que  de 
science.  Celui  de  l'Histoire  de  France  eut  plus  de  succès 
quêtons  les  autres  ensemble,  ayant  été  réimprimé  sept 
fois  à  très-peu  d'années  de  distance  ;  celui  de  l'Histoire  d'An- 
gleterre eut  quatre  éditions,  lùilin  sa  réputation  était 
telle,  que  lorsque  31.  Thiers  eut  achevé  son  Histoire  de  la 
Révolution ,  l'éditeur  ne  se  chargea  de  cette  œuvre  d'un 
jeune  homme  alors  obscur,  qu'à  la  condition  que  le  nom 
de  Folix  Bodin  figurerait  sur  le  titre.  Le  père  des  Résumes 
donna  une  préface  qu'on  peut  voir  en  tête  de  la  première 
édition  de  l'ouvrage  qui  commença  la  haute  fortune  po- 
lili(iue  de  M.  Thiers.  11  devait  y  joindre,  en  outre,  une! 
Histoire  des  États  Généraux  sous  le  roi  Jean,  dont  il  nej 
publia  que  quelques  fragments. 

Fi'lix  Bodin  fut  l'un  des  collaboiateiirs  les  plus  actifs  desj 
divers    recueils    périodiques  ipie  publiait  l'opposition   a»! 


BODIN  —  BODONI 


321 


temps  de  la  Restauration  :  le  Constitutionnel,  le  Miroir, 
les  Tablettes,  le  Diable  Boiteux,  la  Revue  Encyclopédi- 
que, le  Mercure  du  dix-neuvième  siècle,  le  Globe,  etc., 
reçurent  de  lui  tour  à  tour,  et  souvent  simultanément, 
des  articles  de  politique,  d'histoire,  de  littérature.  Romans, 
scènes  historiques  ,  à  la  manière  de  M.  Vitet  ;  dissertations 
d'art,  tombaient  de  la  plume  de  F.  Bodin  avec  ime  facilité 
prodigieuse;  et  si  une  grande  partie  de  tout  cela  pouvait 
passer  pour  médiocre ,  ce  n'était  du  moins  jamais  décidé- 
ment mauvais. 

Après  la  révolution  de  Juillet,  Félix  Bodin  fut  nommé 
membre  de  la  Cliambre  des  Députés ,  et  pendant  un  ou 
deux  ans  il  n'y  eut  sorte  d'ovations  qu'il  ne  reçût  dans 
son  département.  Jlais  les  choses  ne  tardèrent  pas  à  chan- 
ger de  face  :  trop  fuible,  ou  déjà  trop  mûr  pour  suivre  le 
mouvement  révolutionnaire,  Bodin  prit  rang  parmi  les 
hommes  du  juste-milieu;  et  bien  que  sa  transformation 
fût  sincère  et  désintéressée,  qu'il  n'acceptât  ni  places  ni  pen- 
sions, qu'il  ne  reçût  pas  même  la  croix  dans  cette  curée  gé- 
nérale qui  suivit  1830,  il  n'en  fat  pas  moins  durement  ac- 
cusé d'apostasie.  11  fut  charivarisé,  comme  on  disait  alors. 

La  dernière  publication  littéraire  de  Félix  Bodin  fut,  si 
nous  ne  nous  trompons,  un  livre  assez  étrange,  qui  parut 
vers  1825  sous  le  titre  de  Roman  de  V Avenir.  Dans  cet  ou- 
vrage l'auteur  avait  cherché  à  montrer  toutes  les  amélio- 
rations que  devaient  apporter  dans  l'ordre  social  les  décou- 
vertes matérielles,  chemins  de  fer,  ballons,  etc.  C'était  une 
nouvelle  utopie;  mais,  comme  il  arrive  pia-que  toujours, 
quand  dans  une  œuvre  d'art  on  veut  prouver  quelque  chose, 
c'était  une  lecture  ennuyeuse,  et  le  livre  tomba  dans  l'ou- 
bli. Jadis  adepte  fervent  du  magnétisme,  Félix  Bodin  avait 
fait'iui  roman  dans  lequel  il  s'était  attaché  à  prouver  la 
réalité  et  rhnportance  des  expériences  faites  sur  le  som- 
nandjulisme.  Peut-être,  au  lieu  d'éparpiller  ainsi  son  talent, 
eût-il  mieux  fait  de  se  livrer  complètement  à  la  musique, 
dont  il  avait  le  goût  et  le  sens  d'ime  manière  exquise. 

Félix  Bodin,  dont  la  santé  avait  toujours  été  débile,  mou- 
rut à  Paris,  le  7  mai  1837.  Enlevé  ainsi  prématurément,  il 
laissait  un  grand  nombre  de  travaux  littéraiies  commencés, 
et  aussi  plusieurs  œuvres  musicales  inédites,  parmi  les- 
quelles un  opéra  de  Dante  et  Béatrix.  Dans  les  dernières 
années  de  sa  vie,  son  activité  s'était  tournée  presque  en- 
tière vers  la  philanthropie,  et  la  plus  grande  partie  de  son 
temps  se  passait  dans  les  comités  et  sociétés  de  bienfaisance, 
où  il  déployait  toute  la  bienveillance  de  sa  nature,  toute  la 
bonté  de  son  âme. 

BODLÉiEIXNE  (Bibliothèque).  Voyez  BmLioxnÈQUE 

(  t.  III,  p.    157  ),  BODLEY  et  OXFOUD. 

BODLEY  (  Sir  Tuomas)  ,  homme  d'État  et  savant  an- 
glais, né  le  2  mars  1544,  à  Exeter,  dans  le  Devonshire,  mort 
à  0.xford,le  28  janvier  1612.  Bodley  n'avait  que  douze  ans 
lorsque  les  persécutions  exercées  contre  les  protestants  par 
la  reine  Marie  forcèrent  sa  famille  à  se  réfugier  en  Alle- 
magne. Il  commença  ses  études  à  Genève;  mais  Elisabeth 
étant  montée  sur  le  trône ,  il  alla  les  achever  à  Oxford,  ville 
pour  laquelle  il  conserva  toute  sa  vie  une  tendre  aifection. 
De  1576  à  15S0  il  voyagea  sur  le  continent,  et  à  son  re- 
tour il  se  présenta  à  la  cour  d'Elisabeth ,  qui  lui  confia  di- 
verses missions,  en  Danemark ,  en  France  et  en  Hollande. 
Moins  propre  à  la  vie  des  cours  qu'à  l'étude  des  sciences, 
Bodley,  sans  se  laisser  éblouir  par  les  offres  brillantes  de  la 
reine,  prit  son  congé  en  1 597,  et  se  retira  Oxford,  où  il  donna 
tous  ses  soins  à  la  bibliothèque  de  l'Université  qui  porte  son 
nom,  bien  qu'elle  doive  sa  naissance,  dans  la  première  moi- 
tié du  quinzième  siècle,  à  Humphrey,  duc  de  Glocester.  Par 
ses  ordres,  des  émissaires  parcoururent  l'Allemagne,  la 
Hollande,  la  France ,  l'Espagne,  l'Italie,  et  en  rapportèrent 
environ  24,000  ouvrages,  rares  pour  h  plupart,  dont  il  (ît 
cadeau  à  la  bibliothèque.  Outre  ce  don,  d'une  valeur  de 
^00,000  livres  sterling ,  il  laissa  par  son  testament  un  legs 
uicr.  i!i-.  i.\  co^\tlls.  —  t.   ni. 


desîiaé  à  payer  les  bibliothécaires.  Chaque  année,  le  8  no- 
vembre, l'Université  d'Oxford  célèbre  sa  mémoire  par  un 
discours  pubUc.  Dans  son  Statistical  View  of  the  princi- 
pal Libraries  of  Europa  and  America  (Londres,  1850) 
Edwards  porte  à  218,300  le  nombre  des  ouvrages  imprimés 
et  à  17,000  celui  des  manuscrits  de  cette  riche  bibliothèque. 
La  vie  de  Bodley,  écrite  par  lui-môme,  se  trouve  dans  les 
Reliquiœ  Boalejanx  (Londres,  1703)  de  Thomas  Hearne. 

BODAÎER  (Jean-Jacques),  célèbre  poète  et  littérateur 
allemand  ,  naquit  à  Greifensee ,  près  de  Zuricli,le  19  juillet 
1698.  Son  père,  qui  était  pasteur,  le  destina  d'abord  à  l'é- 
tat ecclésiastique,  puis  au  commerce;  mais  ces  deux  car- 
rières ne  purent  fixer  le  jeune  Bodmer,  qui  se  livra  tout 
entier  à  son  penchant  pour  la  poésie  et  pour  les  études  his- 
toriques. 11  avait  fait  connaissance  de  bonne  heure  non- 
seulement  avec  les  poètes  grecs  et  latms,  mais  encore  avec 
les  chefs-d'œuvre  littéraires  de  la  France ,  de  l'Angleterre  et 
de  l'Italie.  Cette  étude  lui  fit  sentir  encore  plus  vivement 
toute  la  pauvreté,  toute  la  fadeur  de  la  littérature  allemande 
de  son  époque,  et  il  pensa  que  ce  qu'il  avait  de  mieux  à 
faire,  et  pour  son  pays  et  pour  sa  gloire ,  c'était  de  se  char- 
ger du  rôle  de  réformateur.  A  cette  fin,  il  se  ligua  avec 
Breitinger  et  avec  d'autres  jeunes  savants,  et  débuta, 
en  1721,  par  un  écrit  périodique,  qui  avait  pourtitre  :  En- 
trelien des  Peintres,  et  dans  lequel  plusieurs  poètes  alle- 
mands, qui  jouissaient  alors  d'une  très-grande  considéra- 
tion ,  se  virent  cités  devant  le  tribunal  d'une  critique  toute 
nouvelle.  Tout  d'abord,  Bodmer  rejeta  complètement  la 
poétique  alors  en  vogue,  qui  n'ostimait  guère  que  la  régu- 
larité des  formes  et  leur  poli ,  n'attachant  lui-môme  de  prix 
qu'à  l'idée  poétique.  Sous  ce  rapport ,  il  se  laissa  quelque- 
fois entraîner  trop  loin ,  comme  dans  sa  grande  dispute  avec 
Gottsched,  où  il  alla  jusqu'à  proscrire  entièrement  la 
rime  et  à  vouloir  juger  la  poésie  uniquement  d'après  les  lois 
de  la  morale. 

Gottsched ,  qui  prétendait  donner  le  ton  en  littérature , 
se  prononça  d'abord  pour  les  jeunes  Suisses;  mais  bientôt 
après,  lorsqu'il  sévit  lui-même  en  butte  à  leurs  coups,  il  se 
mit  à  la  tête  de  leurs  adversaires.  De  là  ces  deux  partis , 
l'école  de  Gottsched  et  l'école  suisse,  qui  luttèrent  ensemble 
avec  une  sorte  d'acharnement  depuis  1740,  où  Bodmer  pu- 
blia son  traité  Du  Merveilleux  en  Poésie,  et  Breitinger 
deux  écrits  d'esthétique  critique.  Les  deux  camps  eurent  à 
se  reprocher  bien  des  chicanes  et  des  puérilités;  mais  pour- 
tant cette  guerre  eut  des  suites  fort  utiles ,  et  prépara  les 
voies  à  l'époque  brillante  de  la  littérature  allemande.  L'école 
suisse  surtout  exerça  une  influence  très-heureuse  et  très- 
efficace  par  son  goût  décidé  pour  la  poétique  anglaise ,  par 
ses  appels  incessants  à  la  littérature  classique,  et  par  son 
retour  aux  anciens  poètes  allemands. 

Eu  1725  Bodmer  fut  chargé  dans  sa  patrie  d'enseigner 
l'histoire  de  la  Suisse.  En  1737  il  fut  nommé  membre  du 
grand  conseil  de  Zurich.  Après  la  mort  de  sa  femme  et  de 
ses  enfants ,  il  se  retira  dans  une  de  ses  propriétés ,  et  se 
démit,  en  1775,  de  ses  fonctions  de  professeur.  11  mourut  à 
Zurich,  le  2  janvier  1783. 

Ecrivain  infatigable,  ses  travaux  furent  très-variés.  Non 
content  de  paraître  sur  la  scène  comme  critique  et  comme 
littérateur,  Bodmer  voulut  encore  y  paraître  comme  poète. 
C'est  dans  ce  dernier  genre  qu'il  s'est  le  moins  distingué, 
comme  le  prouvent  suffisammcut  sa  Noachide ,  ses  œuvres 
dramatiques  et  ses  traductions.  Il  s'est  fait  beaucoup  plus 
d'honneur  en  publiant  plusieurs  anciens  poètes  allemands , 
en  particulier  une  partie  des  Nibelungen ,  la  collection  des 
Minnesinger  de  Manesse ,  de  Boner,  d'Opitz.  Les  mœurs  de 
Bodmer  étaient  sévères  et  patriarcales  ;  mais  on  lui  repro- 
che de  n'avoir  pu  voir  sans  jalousie  le  mérite  d'autrui. 

BODOiVI  (Jean-Baptiste),  habile  et  savant  imprimeur, 
qui  revoyait  lui-même  les  épreuves  de  ses  belles  et  solides 
éditions  des  classiques  grecs  et  latins ,  si  recherchées  des 

41 


322  BODONI 

amateurs  des  clicfs-a'œuvie  do  la  typographie,  naquit  à 
Saluées,  le  16  février  1740,  d'un  père  imprimeur,  qui,  le 
destinant  à  sa  profession ,  ne  négligea  cependant  rien  pour 
son  éducation.  Il  s'était  déjà  fait  une  certaine  réputation 
comme  graveur  sur  bois,  lorsqu'à  dix-huit  ans  il  fut  en- 
voyé à  Rome,  où  il  travailla  pendant  quelque  temps  comme 
compositeur  dans  la  célèbre  imprimerie  de  Propaganda 
fuie.  Le  directeur,  qui  avait  conçu  pour  lui  de  l'affection , 
lui  conseilla  d'étudier  les  langues  orientales  et  de  s'appli- 
quer surtout  à  l'impression  des  livres  orientaux.  Bodoni  se 
disposait  à  passer  en  Angleterre ,  lorsque  le  duc  Ferdinand 
de  Parme  lui  offrit,  en  1768,  la  direction  de  l'imprimerie 
qu'il  venait  d'établir  dans  sa  capitale  sur  le  modèle  de  celles 
de  Paria ,  de  Madrid  et  de  Turin ,  et  qui  eût  mérité  quel- 
ques anni^cs  plus  tard,  ajuste  titre,  d'être  appelée  l'm- 
primerie  bodonienne  de  Parme.  C'est  delà  que  sont  sortis 
ces  magnifiques  livres ,  où  la  beauté  et  l'éclat  du  caractère, 
l'élégance  dans  la  distribution  des  pages  et  des  matières , 
la  pureté  du  papier  le  disputent  aux  meilleures  productions 
de  la  typographie  anglaise  et  française,  auxquelles  l'Italie 
n'avait  eu,  sous  ces  divers  rapports  du  moins,  rien  à  com- 
parer jusque  là.  Les  éditions  des  Aides,  en  effet,  si  belles 
et  si  nettes  avec  leurs  admirables  italiques,  et  malgré  la 
qualité  du  papier,  sont  inférieures  néanmoins  et  ne  peuvent 
soutenir  la  comparaison  quant  à  la  régularité  de  la  com- 
position. Codoni  surveillait  lui-même  la  fonte  des  caractères 
employés  dans  son  imprimerie.  Actif  et  instruit,  artiste  aussi 
à  sa  manière ,  il  souffrait  des  moindres  imperfections  de 
son  œuvre;  une  faute  d'impression  dans  un  livre  sorti  de 
ses  presses  et  qui  devait  porter  son  nom  était  pour  lui 
un  sujet  de  douleur.  Son  Iliade  (  1808  ,  3  vol.),  dédiée  à 
Napoléon,  qui  le  protégea,  est  un  véritable  chef-d'œuvre; 
amais  on  n'avait  encore  aussi  bien  réussi  à  donner  aux 
caractères  grecs  les  formes  des  lettres  manuscrites.  On  peut 
citer  aussi  parmi  ses  plus  élégantes  impressions  le  Virgile 
(1793,  2  vol.). 

Bodoni  fut  décoré  des  ordres  de  la  Réunion  et  des  Deux- 
Siciles;  il  obtint  une  médaille  d'honneur,  sur  laquelle  il  est 
fait  mention  de  l'inscription  de  son  nom  sur  la  liste  des 
gentils-hommes  de  Parme.  11  reçut  en  outre  le  titre  d'impri- 
meur du  roi  d'Espagne.  Toutes  choses  qui  ajoutent  fort 
peu  à  sa  gloire,  établie  sur  des  titres  plus  solides.  Il  mou- 
rut à  Parme,  le  29  novembre  1813,  âgé  de  soixante-quatre 
ans.  Sa  vie,  accompagnée  d'un  catalogue  des  ouvrages  qu'il  a 
imprimés,  a  été  publiée  par  J.  de  Lama  (Parme,    1816, 

2  vol.).  Ch.  ROMEY. 

BODONITZA,  appelée  par  les  chroniqueurs  du  moyen 
âge  la  Jlondenice,  est  une  ville  située  sur  un  plateau  au 
milieu  d'un  vallon  qui  clôt  le  défilé  ou  passage  de  mon- 
tagnes que  les  auteurs  grecs  nomment  Clisoura,  et  les 
chroniqueurs  français  la  Closiire,  et  à  travers  lequel  on 
se  rend,  par  le  mont  Callidrome,  de  la  Locride  dans  la  val- 
lée de  la  Doride ,  et  de  là,  en  franchissant  le  Parnasse,  dans 
la  Béotie.  Lorsqu'en  1203  Boniface  de  Montferrat  aban- 
donna à  Guillaume  de  Ciiamp-Lilteet  à  son  jeune  ami  Gcof- 
iroi  de  Ville-Ilardouin  la  souveraineté  des  terres  à  concjuérir 
au  midi  des  monts  Othrys,  Bodonitza,  qui  se  trouve  au 
débouché  des  Thcrmopyles ,  sur  le  flanc  oriental  du  Calli- 
drome, éUiit  déjà  occupée  par  un  seigneur  franc,  auquel  les 
chroniqueurs  donnent  le  surnom  de  Palvoisin,  ou  descen- 
dant de  la  famille  Pallavicini.  Ce  chef  franc  avait,  dès  sa 
première  conquête ,  fait  bâtir  sur  le  point  culminant  du 
plateau  un  château  gothique,  dont  on  voit  encore  les  ruines 
imposantes.  Le  seigneur  de  Bodonitza,  en  vertu  de  sa  pos- 
session sur  les  marches  de  la  principauté  d'Achaie,  prit  le 
titre  de  marquis,  et  devint  un  des  hauts  barons  de  la  prin- 
cipauté de  Rlorée.  Une  lettre  d'Honorius  III ,  de  l'année 
1221  ,  fait  mention  d'un  Guillaume,  marquis  de  Bodonitza, 
comme  bail  ou  régent  du  royaume  de  Tliessalonique  après 
la  mort  du  comte  de  Biandrate.  Zurila,  à  l'année  1372  ,  et 


-  BOECE 

Jauna,  à  l'année  1378,  font  mention  d'un  François-George?, 
marquis  de  Bodonitza,  qui  fut  nommé  gouverneur  du  duché 
d'Athènes  et  de  Néopatras  au  nom  du  roi  de  Sicile.  On  voit 
encore  dans  les  dénombrements  de  1391  que  le  marquis  de 
Bondenicc  est  cité  parmi  les  barons  laïcs  qui  devaient 
hommage  au  prince  de  Morée.  Bcchon. 

BODRUCHE.  Voijez  Baudruche. 

BOËCE  (  Anictus  Manlius  Torquatus  Severinu s  BOE- 
TIUS  ou  ) ,  naquit  à  Rome ,  en  470  ,  d'une  famille  noble  et 
riche.  Il  reçut  dans  cette  ville  une  éducation  Irès-soignée , 
dont  ses  dispositions  naturelles  assurèrent  le  succès,  et  alla 
ensuite  à  Athènes ,  qui  était  encore  le  centre  du  goût  et  du 
savoir.  De  retour  à  Rome,  il  fut  l'objet  de  la  bienveJUance 
et  de  la  confiance  de  T  héodori  c,  roi  des  Ostrogoths,  qui 
régnait  alors  en  Italie  ,  et  qui  l'éleva  en  peu  de  temps  aux 
premières  dignités  de  l'État.  Son  père  avait  été  trois  fois 
consul  ;  il  fut  aussi  trois  fois  revêtu  de  cet  honneur,  la  der- 
nière en  510  ,  sans  qu'on  lui  désignât  de  collègue  ,  et  il  vit 
ses  deux  fds,  jeunes  encore,  désignés  consuls  pour  l'année 
522 ,  honneur  réservé  aux  fds  des  empereurs.  Théodoric 
estimait  beaucoup  les  lumières  de  Boëce ,  et,  au  rapport  de 
Cassiodore,  il  le  loua  dans  une  lettre  de  s'être  enrichi  dans 
Athènes  des  dépouilles  des  Grecs ,  et  d'avoir  fait  connaître 
les  livres  de  Pythagore  le  musicien ,  de  Ptolémée  l'astro- 
nome, de  Nicomaque  l'arithméticien ,  d'Euclide  le  géomètre, 
de  Platon  le  théologien,  d'Aristote  le  philosophe,  et  d'Ar- 
chimède  le  mathématicien,  par  des  traductions  si  fidèles 
qu'elles  valent  les  originaux. 

Son  inlluence  sur  le  gouvernement  de  Tliéodoric  fut  telle 
qu'elle  assura  le  bonheur  des  nations  soumises  à  ce  prince. 
11  fut  longtemps  l'oracle  du  roi  et  l'idole  du  peuple.  JVIais 
lorsque  Théodoric  fut  devenu  vieux ,  les  Goths ,  à  la  faveur 
de  son  caractère  sombre  et  soupçonneux ,  firent  souffrir 
toutes  sortes  d'oppressions  au  peuple  vaincu.  En  vain  Boëce 
employa  son  crédit  pour  les  adoucir  et  mettre  un  terme  à 
leur  injustice  ;  il  ne  parvint  qu'à  augmenter  la  haine  que 
lui  portaient  des  rivaux  jaloux  de  sa  gloire ,  et  irrités  de  sa 
probité.  Théodoric,  ayant  soupçonné  le  sénat  d'intelligence 
avec  l'empereur  d'Orient  Justin ,  fit  arrêter  Boëce ,  qui 
avait  eu  le  courage  de  prendre  la  défense  de  ce  corps ,  et 
son  beau-père  Symmaque ,  comme  ses  plus  illustres  mem- 
bres. Boëce  fut  renfermé  à  Pavie,  où  l'on  montre  encore  la 
tour  qui  lui  servit  de  prison.  Après  une  captivité  de  six  mois , 
qu'il  subit  avec  une  admirable  patience,  il  périt,  le  23  oc- 
tobre 526  ,  dans  d'affreux  tourments  ,  par  ordre  du  prince 
qu'il  avait  fidèlement  servi.  Les  cathoUques  enlevèrent  son 
corps ,  et  l'enterrèrent  rehgieusement  à  Pavie.  Les  bollan- 
distes,  savants  jésuites  d'Anvers,  qui  se  sont  occupés  d'é- 
claircir  plusieurs  faits  de  l'iiistoire  ecclésiastique ,  lui  don- 
nent le  nom  de  saint.  11  est  honoré  comme  tel  dans  quel- 
ques églises  d'Italie,  le  25  octobre. 

Les  ouvrages  de  Boëce  sont  nombreux  et  savants.  Us 
se  composent  de  quelques  dialogues  et  de  plusieurs  livres 
de  commentaires  sur  divers  fragments  de  Porphyre,  tra- 
duits, soit  par  Boëce  lui-même,  soit  par  d'autres.  Il  y 
examine  tout  ce  qui  concerne  le  genre,  la  différence,  l'es- 
pèce ,  le  propre  et  l'accident ,  d'après  la  méthode  aristo- 
télique, avec  une  subtilité  souvent  minutieuse ,  mais  qui 
montre  un  esprit  profond  et  exercé.  Ces  mêmes  qualités  se 
retrouvent  dans  ses  quatre  livres  de  commentaires  sur  les 
célèbres  catégories  d'Aristote.  Quels  que  soient  les  progrès 
que  nous  ayons  pu  faire  sur  ce  sujet,  un  pareil  travail  ne 
saurait  être  sans  importance  dans  l'histoire  de  la  philoso- 
phie ,  depuis  que  les  Allemands  ont,  à  commencer  par 
Kant,  attribué  une  grande  valeur  aux  catégories ,  et  consa- 
cré beaucoup  de  travail  à  en  donner  un  système  compïet. 
Mais  la  sagacité  de  l'esprit  de  Boëce  est  moins  heureuse  dans 
ses  autres  commentaires  siu-  différentes  parties  de  la  doctrine 
d'Aristote,  et  en  particulier  sur  le  syllogisme,  où  elle  dégé- 
nère en  subtilité  pédantesque  et  sans  profondeur  véritable. 


BOECE  —  BŒHME 


323 


Ses  ouvrages  de  dialectique  et  de  rhétorique  sont  :  un 
livre  sur  la  division ,  et  un  autre  sur  la  définition  ;  la  tra- 
duction des  huit  livres  des  Topiques  d'Aristote ,  et  de  deux 
livres  Elenchorum  de  ce  philosoplie ,  de  six  livres  de  com- 
mentaires sur  les  Topiques  de  Cicéron ,  et  quatre  livres  de 
Boëce  lui-môme  sur  les  mêmes  questions.  Dans  un  frag- 
ment sur  l'unité  de  personne  et  la  dualité  de  la  nature  du 
Christ,  contre  Eutychès  et  Nestorius,  il  appuie  l'opinion 
orthodoxe  sur  une  philosophie  qui  n'est  pas  à  mépriser  ;  il 
est  beaucoup  moins  rigoureux  dans  son  fragment  sur  l'u- 
nité et  latrinité  de  Dieu  ainsi  que  dans  quelques  autres  sur 
divers  sujets  moraux  et  religieux.  Mais  le  Uvre  qui  lui  fait 
le  plus  d'honneur,  et  dont  la  forme  élégante  et  le  style  varié 
le  placent  au  rang  des  écrivains  les  plus  distingués  de  Rome 
chrétienne,  c'est  le  Traité  de  la  Consolation ,  en  cinq  livres, 
qu'il  écrivit  dans  sa  captivité  de  Pavie.  Cet  opuscule,  com- 
posé alternativement  de  vers  et  de  prose ,  est  l'expression 
d'une  âme  éclairée  par  une  saine  philosophie,  qui  supporte 
les  maux  avec  patience ,  parce  qu'elle  a  mis  son  espoir  dans 
une  providence  qui  ne  saurait  la  tromper.  «  Ce  n'est  pas  en 
vain  que  nous  espérons  en  Dieu ,  dit  Boëce  en  terminant , 
ou  que  nous  lui  adressons  nos  prières.  Quand  elles  partent 
d'un  cœur  droit ,  elles  ne  sauraient  demeurer  sans  effet. 
Fuyez  donc  le  vice,  et  cultivez  la  vertu  !  qu'une  juste  es- 
pérance soutienne  votre  cœur,  et  que  vos  humbles  prières 
s'élèvent  jusqu'à  l'Éternel!  Il  faut  marcher  dans  la  voie 
droite,  car  vous  êtes  sous  les  yeux  de  celui  aux  regards 
duquel  rien  n'échappe.  »  Ce  petit  traité  a  été  souvent  réim- 
primé. La  meilleure  édition  est  celle  de  Leyde ,  cum  notis 
variorum,  1771 ,  in-8°.  Il  a  été  souvent  traduit.  La  plus 
ancienne  version  française  est  attribuée  à  Jean  de  Meung, 
auteur  du  roman  de  la  Eose,  Lyon ,  1483.  Elle  passe  pour 
la  première  traduction  du  latin  en  français.  La  meilleure 
édition  et  la  plus  complète  des  œuvres  de  Boëce,  parmi 
lesquelles  se  trouvent,  indépendamment  de  ce  que  nous 
avons  indiqué,  des  traités  d'arithmétique,  de  musique  et 
de  géométrie,  est  celle  de  Bâle,  1570,  in-fol.,  donnée  par 
par  H.  Loritius  Glareanus.  L'abbé  Gervaise  a  publié  en  1715 
une  Histoire  de  Boëce.  H.  Bocchitté. 

BCŒCKH  (Auguste),  un  des  plus  célèbres  archéologues 
vivants ,  membre  de  l'Acadénfe  des  Sciences  de  Berlin ,  as- 
socié étranger  de  l'Institut  de  France  (Académie  des  Ins- 
criptions et  Belles-Lettres),  etc.,  est  né  à  Carlsruhe,  le  27 
novembre  1785.  Après  avoir  fait  de  brillantes  études  prépa- 
ratoires dans  le  gymnase  de  sa  ville  natale ,  il  se  rendit . 
en  1803,  à  Halle,  où  l'influence  prépondérante  de  Wolî 
l'ayant  détourné  de  la  théologie ,  il  étudia  les  langues  an- 
ciennes. Le  premier  fruit  de  ses  recherches  philologiques 
fut  Commentatio  in  Platonis  qui  vulgofertur  Minoem, 
qu'il  publia  à  Halle  en  1806,  et  la  même  année  il  partit 
pour  Berlin,  où  il  entra  au  séminaire  pédagogique. 

Les  troubles  de  la  guerre  l'ayant  déterminé  à  retourner 
dans  sa  patrie,  il  s'établit,  dans  l'été  de  1807,  à  Heidelberg, 
comme  professeur  particulier.  Peu  de  temps  après  il  fut 
nommé  professeur  extraordinaire,  et  en  1809  il  fut  appelé 
à  Kœnigsberg  en  qualité  de  professeur  ordinaire.  Ses  écrits 
sur  Platon ,  notamment  son  édition  des  Dialogi  JT  de  Si- 
mon le  Socratique  (Heidelberg,  1810),  ses  recherches  cri- 
tiques sur  les  tragiques  grecs  (  Grœcx  tragœdix  Principum, 
yÊschyli,  Sophoclis,  Euripidis ,  num  ea  qux  supersunt 
et  germina  omnia  sint,  1808),  et  son  traité  Du  Mètre  pin- 
darique  (Berlin,  1809)  lui  acquirent  une  si  grande  réputa- 
tion, qn'en  1811  il  fut  nommé  professeur  d'éloquence  et  de 
littérature  ancienne  à  l'université  de  Berlin ,  fonctions  qu'il 
cumula  plus  tard  avec  celles  de  directeur  des  séminaires 
pédagogique  et  philologique  de  la  même  ville. 

Doué  d'un  esprit  éminemment  philosophique,  M.  Bopckh 
a  dédaigné  ces  vaines  subtilités  grammaticales  qui  ne  font 
que  rapetisser  la  science  en  lui  enlevant  l'intérêt  et  la  vie. 
U  ne  s'est  point  borné,  comme  la  plupart  des  pliilologucs,  à 


entasser  de  savantes  et  laborieuses  recherches  dans  le  seul 
but  de  faire  parade  d'érudition  ;  mais  il  aborde,  dans  ses  inté- 
ressantes leçons ,  les  antiquités,  l'histoire  de  la  philosophie 
et  de  la  littérature  ;  il  sait  en  tirer  des  résultats  qui  ont  puis- 
samment contribué  à  éclaircir  quelques-uns  des  points  les 
plus  controversés  de  l'histoire  politique  et  morale  des  peu- 
ples anciens. 

Parmi  ses  nombreux  ouvrages ,  nous  nous  contenterons 
d'indiquer  les  suivants  ,  dont  la  réputation  est  européenne  : 
1°  une  édition  de  Pindare  {Leipzig,  1811-1822  ),  accompa- 
gnée de  toutes  les  scolies,  d'une  traduction  latine,  d'un 
commentaire  et  de  nombreuses  notes  :  à  la  fin  du  premier 
volume,  se  trouve  un  Traité  de  la  Métrique  grecque; 
2°  Économie  politique  des  Athéniens  (Berlin,  1817;  tra- 
duit en  français  par  M.  Laligant,  Paris,  1828);  S"  Recher- 
ches métrologiques  sitr  les  poids,  les  mesures  et  le  titre 
des  monnaies  dans  l'antiquité  (Berlin,  1838);  4"  Docu- 
ments sur  la  marine  de  la  république  d'Athènes  (Ber- 
lin, 1840);  50  Corpus  inscriptionum  grxcartim  (vol.  1-3, 
Berlin,  1824-50).  Cet  ouvrage,  commencé  en  1815  et  publié 
sous  les  auspices  et  aux  frais  de  l'Académie  des  Sciences  de 
Berlin,  est  continué  par  Franz.  Toutes  les  inscriptions,  sou- 
vent inédites,  y  sont  accompagnées  de  notes  et  de  commen- 
taires qui  révèlent  dans  M.  Bœcbh  une  érudition ,  un  zèle 
et  une  patience  dont  les  temps  modernes  n'offrent  malheu  • 
reusement  que  de  trop  rares  exemples. 

Outre  ces  ouvrages  capitaux,  on  doit  à  M.  Bœckh  plu- 
sieurs traités  d'une  étendue  moins  considérable,  mais  fort 
remarquables  néanmoins,  tels  que  le  développement  des 
doctrines  du  pythagoricien  Philolaus  {BerVm ,  1819),  une 
édition  de  VAntigone  de  Sophocle  (Berlin,  1843),  des 
recherches  sur  Manetho  et  la  période  sothiaque  (  Ber- 
lin, 1845),  sans  parler  des  savantes  dissertations  sur  la 
poésie  pindarique  (1825),  sur  Leibnitz  et  les  académies 
allemandes  (  1835  ) ,  etc.,  qu'il  a  insérées  dans  les  Mémoires 
de  l'Académie,  dont  il  est  membre  depuis  1814,  et  où  il  rem- 
plit les  fonctions  de  secrétaire  de  la  classe  de  philosophie 
et  d'histoire  depuis  la  mort  de  Schleiermacher,  non  plus 
que  des  excellents  discours  dont  ses  fonctions  de  profes- 
seur d'éloquence  lui  font  un  devoir  chaque  année.  Parmi 
ces  discours,  aussi  remarquables  par  le  fond  que  par  la 
forme,  on  ne  peut  se  dispenser  toutefois  de  mentionner 
spécialement  celui  qu'il  prononça  en  1850,  à  Berlin,  à  l'occa- 
sion de  l'ouverture  du  congrès  philologique,  parce  qu'il  y 
exposa  ses  idées  particulières  sur  la  philologie  et  l'archéologie. 

BOÉDROMIES5  fêtes  qu'on  célébrait  à  Athènes,  et 
pendant  lesquelles  on  courait  en  jetant  de  grands  cris  (  du 
grec  P01Î,  cris,  et  5ç6\i.o!;,  course  ) .  Elles  se  célébraient  vers  le 
moisd'aoiit,  dans  le  mois  nommé  par  les  Grecs  boédromion. 
Cette  fête  selon  Plutarque,  fut  établie  pour  rappeler  la 
victoire  de  Thésée  sur  les  Amazones.  Selon  d'autres,  elle 
avait  été  instituée  en  mémoire  du  secours  qu'Ion  fournit  aux 
Athéniens  contre  Eumolpe,  qui  avait  envahi  l'Attique  sous 
le  règne  d'Erechthée.  Ces  fêtes  se  nommaient  aussi  Boïdia; 
du  moins  Démosthène  les  appelle  ainsi  dans  une  des  Philip- 
piques. 

BOBHME  ou  BŒHM  (Jacob),  célèbre  Ihéosophe  et 
mystique  de  l'Allemagne,  naquit  en  1575,  dans  une  petite 
ville  de  la  haute  Lusace  nommée  le  Vieux-Seidenburg, 
près  de  Gœrlitz,  d'une  famille  de  pauvres  paysans.  Jusqu'à 
l'âge  de  dix  ans  il  resta  sans  aucune  instruction ,  occupé  à 
garder  les  bestiaux.  La  contemplation  d'une  nature  riche, 
bien  que  sans  attraits  cmprimtés ,  élevant  son  imagination, 
développa  dans  son  cœur  un  profond  sentiment  religieux ,  un 
enthousiasme  calme  et  réfléchi  pour  les  choses  mystérieuses, 
au  point  que  dans  l'influence  de  la  nature  sur  lui  il 
trouva  une  révélation  de  Dieu,  et  crut  participer  à  unti 
inspiration  particulière.  Ses  parents,  pour  cultiver  ces  dis- 
positions peu  communes,  l'envoyèrent  à  l'école,  où  il  ai^ 
prit  à  lire  et  à  écrire,  et  fut  instruit  dans  le  christ ianisiae 

41. 


324 


BŒHME 


selon  la  doctrine  Ju  la  communion  luthérienne.  Ils  lui  firent 
ensuite  apprendre  le  métier  de  cordonnier.  Son  apprentis- 
sage fini,  il  voyagea,  l'endant  son  voyage,  la  tranquille 
contemplation  à  kiquellc  il  aimait  à  s'abandonner  fut  sou- 
vent troublée  par  les  disputes  sur  le  crypto-calvinisme,  qui 
(Imninait  alors  en  Saxe;  mais  il  sut  s'élever  au-dessus  de 
rc-prit  orgueilleux  et  querelleur  des  sectaires  de  son  temps. 
11  revint  à  Gœrlitz,  où  il  était  maître  cordonnier,  tn  1594; 
il  y  épousa  la  fille  d'un  boucher,  avec  laquelle  il  vécut  trente 
ans  dans  une  union  sainte  et  heureuse. 

Sa  vocation  au  profond  mysticisme,  qui  caractérise  ses 
écrits,  avait  précédé  son  établissement.  Voici  comment  un 
de  ses  contemporains  rappoite  le  fait  :  «  Il  me  raconta  lui- 
môme  ,  dit-il ,  que  pendant  qu'il  était  en  apprentissage,  son 
maître  et  sa  maîtresse  étant  absents  pour  le  moment,  un 
étranger  vôtu  très-simplement ,  mais  ayant  une  belle  figure 
et  un  aspect  vénérable ,  entra  dans  la  boutique,  et,  prenant 
une  paire  de  souliers,  demanda  à  l'acheter;  mais  Bœhme 
n'osa  pas  les  vendre  :  l'étranger  insistant,  il  les  lui  fit  un 
prix  excessif,  espérant  par  là  se  mettre  à  l'abri  de  tout  re- 
proche de  la  part  de  son  maîtie ,  ou  dégoûter  l'acheteur.  Ce- 
lui-ci donna  le  prix  demandé,  prit  les  souliers,  et  sortit.  Il 
s'arrêta  à  quelques  pas  de  la  maison,  et  là,  d'une  voix  haute 
et  ferme ,  il  dit  :  Jacob,  Jacob,  viens  ici  !  Le  jeune  honmie  fut 
d'abord  surpris  et  effrayé  d'entendre  cet  étranger,  qui  lui  était 
tout  à  fait  inconnu ,  l'appeler  ainsi  par  son  nom  de  baptême  ; 
mais,  s'ctant  remis,  il  alla  à  lui.  L'étranger,  d'un  air  sérieux, 
mais  amical,  porta  ses  yeux  sur  les  siens,  fixa  sur  eux  un 
regard  étincelant,  le  prit  par  la  main  droite,  et  lui  dit  :  «  Ja- 
«  cob,  tu  es  peu  de  chose,  mais  tu  seras  grand,  et  tu  devien- 
«  dras  un  autre  homme,  tellement  que  tu  seras  pour  le  monde 
«  un  objet  d'étonnement.  C'est  pourquoi ,  sois  pieux ,  crains 
«  Dieu,  et  révère  sa  parole!  Surtout,  lis  soigneusement  les 
«  Écritures  saintes,  dans  lesquelles  tu  trouveras  des  consola- 
«  tions  et  des  instructions ,  car  tu  auras  beaucoup  à  souf- 
«  frir;  tu  auras  à  supporter  la  pauvreté,  la  misère  et  des 
«  persécutions  ;  mais  sois  courageux  et  persévérant ,  car 
«  Dieu  t'aime  et  t'est  propice.  »  Sur  cela,  l'étranger  lui  serra 
la  main,  le  regarda  encore  avec  des  yeux  perçants,  et  s'en 
alla  sans  qu'il  y  ait  jamais  eu  d'indices  qu'ils  se  soient  jamais 
revus.  »  {Notice  sur  Bœhme ,  T^ar  le  baron  Abraham  de 
Frankenberg.  ) 

Le  premier  de  ses  écrits  fut  rédigé  en  1610,  et  a  pour  titre  : 
L'Aurore  naissante.  Dans  cet  ouvrage,  il  essaya  de  faire 
connaître  ses  révélations  et  ses  intuitions  sur  Dieu ,  l'huma- 
nité et  la  nature.  Le  clergé  de  Gœrlitz  se  déclara  contre  lui, 
et  Georges  Richter,  pasteur  de  la  cathédrale,  sous  les  yeux 
duquel  une  copie  de  son  ouvrage  était  tombée,  le  persécuta, 
le  traîna  devant  le  juge  et  confisqua  son  livre ,  ne  pouvant 
rien  trouver  de  punissable  dans  sa  personne,  j.  Bœhme  re- 
commença à  écrire,  et  rédigea  successivement,  en  1C19  : 
les  Trois  Principes ,  avec  un  appendice  de  la  triple  vie  de 
l'homme;  en  16'20  :  De  la  Triple  Vie  de  V Homme,  Bcponse 
aux  quarante  questions  de  l'âme  ;  De  l' Incarnation  du 
Christ ,  de  sa  Passion ,  de  sa  Mort  et  de  sa  Résurrection , 
et  de  l'Arbre  de  lafoi;  Des  sixpoints;  Du  Mystère  céleste 
et  terrestre;  Des  derniers  Temps.  En  1621  :  De  l'Em- 
preinte  des  Choses  {De  Signatura  Rcrum);  Des  quatre 
Complexions  ;  Apologie  de  Balthazar  Tilken  ;  Réflexions 
.  aur  les  bottes  d'isaïe.  En  1622  :  De  la  Vraie  Repentance ; 
De  la  Vraie  Résignation  ;  De  la  Régénération  ;  De  la  Péni- 
tence. En  1623,  De  la  Providence  it  du  choix  de  la  grâce  ; 
Le  grand  Mystère,  sur  la  Genèse;  Une  Table  de  Prin- 
cipes; De  la  Vie  sursensuelle  {sur-céleste);  De  la  Con- 
templation divine  ;  Des  Deux  Testaments  du  Christ;  En- 
trelien d'une  dme  éclairée  et  d'une  dme  non  éclairée; 
Apologie  contre  Grégoire  Richter;  De  cent  petits  Livres 
de  prières;  Table  de  la  Manifestation  divine  des  trois 
Mondes  ;  De  l'Erreur  d'Ezéchiel  Meth;  Du  Jugement  der- 
nier; des  Lettres  adressées  à  plusiculs  personnes. 


Les  idées  qu'il  expose,  dans  cette  suite  de  traités,  sur 
Dieu,  la  création,  la  nature,  la  révélation,  le  péché,  sont 
fondées  sur  la  Bible  et  les  écrits  des  Apôtres.  Ce  sont  les  dif- 
férents dogmes  du  christianisme,  tels  que  la  chute  d'Adam, 
la  rédemption,  l'incarnation,  la  résurrection,  etc.,  présen- 
tés sous  une  forme  instructive ,  dont  les  diverses  parties 
sont  fortement  liées,  et  avec  la  vivacité  de  l'imagination  la 
plus  pittoresque ,  la  plus  féconde  et  la  plus  élevée.  C'est  sans 
doute  cette  dernière  quaUté  qui  l'a  fait  considérer  par  quel- 
ques littérateurs  allemands  comme  un  des  plus  grands  poètes 
de  leur  patrie.  Il  emploie  souvent  la  manière  et  les  termes 
des  écrits  mystiques  et  alchimiques,  et  l'on  reconnaît  dans 
son  style  des  traces  de  l'étude  qu'il  avait  faite  de  Paracelse, 
de  Valentin  Weigel  et  d'autres  auteurs  de  ce  genre.  L'obs- 
curité que  l'on  rencontre  fréquemment  dans  les  écrits  de 
Ba'lime,  et  qui  en  rend  la  lecture  très-laborieuse,  lient  à  la 
solitude  en  quelque  sorte  de  la  pensée  de  l'auteur ,  h  cette 
habitude  de  voir  en  lui-même  et  pour  lui-môme,  jointe  à 
l'inexpérience  du  talent  d'écrire ,  résultat  de  son  défaut  d'é- 
ducation. Ses  ouvrages  sont  en  général  assez  mal  composés; 
les  mêmes  idées  y  sont  fréquemment  reproduites,  les  mêmes 
principes  répétés  assez  longuement,  lorsque  l'auteur  veut  en 
tirer  de  nouvelles  conséquences.  Mais  ces  défauts  disparais-: 
sent  devant  la  profondeur  sublime  des  idées,  la  grandeur  et 
la  puissance  des  images. 

Les  auteurs  de  la  Biographie  Universelle  ont  répété  sur 
Bœhme  le  jugement  de  Mosheira  :  «  qu'on  ne  saurait  trou- 
ver nulle  part  plus  d'obscurité  qu'il  n'y  en  a  dans  ces  pi- 
toyables écrits  »,  En  Allemagne,  où  la  profondeur  d'un  ou- 
vrage n'empêche  pas  de  l'examiner  consciencieusement, 
l'opinion  des  savants  est  bien  différente  sur  les  écrits  de 
Bœhme.  Il  a  eu  surtout  pour  admirateurs  tous  ceux  des  par- 
tisans de  la  philosophie  dont  Schelluig  a  posé  les  bases  qui 
apportent  dans  leurs  études  plus  d'imagination  que  d'esprit 
systématique.  L'opinion  des  esprits  élevés  sur  Bœhme  eu 
Allemagne  est  unanime,  et  ceux-là  même  qui  croient  qu'il 
n'a  pas  ouvert  la  véritable  route  aux  vérités  nécessaires  à 
la  vie  de  l'humanité  reconnaissent  la  supériorité  de  son  gé- 
nie ,  et  applaudissent  à  la  poésie  religieuse  de  ses  ouvrages. 

Toutes  sortes  de  haines  troublèrent  les  dernières  années 
de  Bœhme  :  on  eut  recours  à  la  calomnie  pour  le  poursuivre 
jusqu'à  sa  mort.  La  principale  occasion  en  fut  vraisembla- 
blement un  livre  sur  la  pénitence,  que  ses  amis  firent  im- 
primer à  son  insu.  Il  éveilla  tellement  l'attention  générale 
que,  d'après  le  désir  de  quelques  personnes  de  la  cour  et 
à  la  prière  de  ses  amis ,  Bœhme  alla  à  Dresde  pour  y  faire 
examiner  ses  principes.  Ce  voyage  eut  lieu  en  1624.  Bœhme 
trouva  à  la  cour  et  même  dans  le  consistoire  beaucoup  d'ap- 
probateurs et  de  protecteurs.  11  en  sortit  à  son  honneur,  et  l'é- 
lecteur lui-même,  qui  eut  plusieurs  conférences  secrètes  avec 
lui,  le  congédia  comblé  de  bontés.  A  son  retour,  Bœhme 
mourutdans  la  foi  chrétienne,  le  13  novembre  de  cette  même 
année.  Il  avait  eu  de  son  mariage  quatre  garçons,  à  l'un 
desquels  il  enseigna  son  métier  de  cordonnier. 

Abraham  de  Frankenberg ,  son  biographe  et  son  admira» 
leur,  a  publié  et  éclairci  ses  écrits.  La  première  édition  com- 
plète a  été  imprimée  en  Hollande,  1675,  par  les  soins  de 
Henri  Betke.  La  plus  complète  est  celle  d'Amsterdam,  1682 
(10  vol.  in-s").  L'éditeur,  G.  Gichtel,  était  un  de  ses  dis- 
ciples les  plus  avancés,  et  c'est  de  lui  que  les  sectateurs  de 
Bœhme  prirent  le  nom  de  gichtéliens.  Ses  écrits  furent  ad- 
mirés en  Angleterre  aussi  bien  qu'en  Hollande  et  en  Allema- 
gne. William  Lawcn  en  donna  une  traduction  en  2  vol.  in-8". 
On  a  aussi  de  ce  traducteur  une  exposition  en  dialogues  de 
la  doctrine  de  Bœhme ,  traduite  en  français  sous  le  titre  de 
La  Voie  de  lu  Science  divine.  Il  se  forma  aussi  en  Angle- 
terre une  secte  selon  la  doctrine  de  Bœlime,  en  1697.  Jeanne 
Lead ,  admiratrice  de  Bœhme,  fonda  une  société  dans  le  but 
d'éclaircir  ses  ouvrages.  John  Pordage,  médecin  anglais,] 
s'est  fait  connaître  comme  commentateur  de  Bœhme.  Le  fa» 


BŒHME  —  BOÉMOND 


meux  thi'osoplie  français  Claude  de  Saint-Martin,  mort  au 
f  oiniuencemcnt  de  ce  siècle ,  a  publié  les  traductions  de  l'Au- 
rore naissante,  des  Trois  Principes,  de  la  Triple  Vie, 
des  Quarante  Questions.  On  a  encore  deux  traductions 
françaises  :  une  de  la  Clef  de  liœhme,  et  l'autre  des  deux 
livres  de  la  Vraie  Repentance,  et  de  quelques  autres  petits 

^,.ajtés.  H.  BoUCniTTÉ,  ancien  recteur. 

BOEHMERWALD,  c'est-à-dire  Forêt  de  Bohême. 
On  appelle  ainsi  cette  portion  des  montagnes  de  l'Allemagne 
centrale  qui  s'étend ,  dans  la  direction  du  nord-ouest  au  sud- 
est,  entre  la  rive  gauche  du  Danube,  depuis  Linz  jusqu'à 
Passau ,  et  le  pied  méridional  du  Fichlelgebirge ,  sur  la 
limite  de  la  Bohême  et  de  la  Bavière  et  des  bassins  de  la 
mer  du  Nord  et  de  la  mer  Noire.  Le  squelette  de  ces  mon- 
tagnes est  formé  de  granit  et  de  gneiss.  Les  rivières  qui  y 
prennent  leurs  sources  se  rendent  les  unes  dans  l'Elbe ,  les 
autres  dans  le  Danube.  Les  sources  de  la  Moldau  et  le 
ravin  de  470  mètres  creusé  par  le  Chambach  les  divisent  en 
trois  parties.  La  partie  méridionale  forme,  sous  divers  noms 
particuliers,  comme  Donauberg ,  Karlsberg ,  etc.,  un 
groupe  de  montagnes  non  continu  dont  les  pentes  escarpées 
s'élèvent  sur  la  rive  gauche  du  Danube.  Sa  hauteiw,  de 
600  à  800  mètres  en  moyenne,  atteint  1,200  mètres  avec  le 
Dreisesselberg,  1,310  avec  le  Plœckensteiu  ;  et  après  avoir 
paicouru  une  étendue  de  44  à  52  kilomètres,  elle  se  ter- 
mine brusquement  dans  la  plaine  de  Budweis  avec  le 
Blauskerwald ,  haut  de  1,050  mètres.  La  partie  moyenne, 
qui  est  aussi  la  plus  élevée,  porte  sur  son  dos  escarpé  les 
plus  hautes  cimes  de  toute  la  chaîne,  le  Kr.bani  1,330  mètres, 
le  Schwarzenbcrg  (1 ,070  mètres),  le  Rachelberg  (  1 ,400  mètres) 
et  le  Gross-Arber  (1,460  mètres).  Elle  forme  au  sud-ouest 
un  plateau  à  pente  roide  qui  s'incline  vers  la  rive  droite 
du  Regen  et  les  plaines  du  haut  Palatinat,  tandis  qu'à  l'est 
des  rameaux  de  22  à  30  kilomètres  de  longueur  sillonnent 
les  plaines  de  la  Bohême. 

La  Forêt  de  Bavière,  qui  offre  le  caractère  âpre  et  sau- 
vage des  montagnes ,  projette  au  sud-ouest,  entre  le  Regen 
et  le  Danube ,  une  pointe  dont  les  vallées  ne  sont  pas  moins 
escarpées  sur  les  bords  que  celles  du  reste  de  la  chaîne.  La 
troisième  partie,  la  plus  septentrionale,  présente  des  ana- 
logies avec  la  seconde  dans  ses  pentes  occidentale  et  orien- 
tale; mais  elle  ne  forme  pas  une  suite  non  interrompue  de 
montagnes ,  elle  se  compose  plutôt  de  petits  groupes  imis 
par  des  colhnes  aplaties.  Au  nord-ouest,  les  cùnes  de 
ïiischenreuth  au  pied  du  Fichlelgebirge  s'abaissent  jusqu'à 
500  et  même  375  mètres,  tandis  qu'au  nord-est ,  le  Kaiser- 
wald  et  la  Herrenhaide  atteignent  à  une  hauteur  bien  plus 
considérable.  Cette  configuration  prouve  combien  est  erronée 
l'opinion  de  ceux  qui  prétendent  que  la  forêt  de  Bohême  se 
rattache  à  la  forêt  de  Franconie  et  à  l'Erzgebirge  dans  le 
Fichlelgebirge ,  dont  elle  ne  serait  qu'une  ramification. 

Toute  la  chaîne  est  sauvage,  âpre ,  presque  inaccessible  ; 
ses  sonnnets  laissent  voir  la  roche  nue,  avec  ses  formes  ra- 
boteuses; ses  flânes,  jusqu'à  la  hauteur  de  1,160  mètres, 
sont  couverts  d'épaisses  forêts;  ses  eaux  mugissent  comme 
des  torrents  dévastateurs  au  fond  de  crevasses  sombres , 
étroites ,  creusées  dans  le  roc  ;  ou  bien  elles  tbrraent  au 
milieu  de  vastes  plaines  des  marais  croupissants.  Sur  une 
étendue  de  1 85  kilomètres  cette  chaîne  ne  présente  qu'im 
petit  nombre  de  passages  fort  difficiles ,  savoir  :  1°  plusieurs 
passages  entre  Eger  et  Tirschenreuth  ;  2°  le  défilé  de  Fraueii- 
berg,  entre  Pilsen  et  Nuremberg;  3°  celui  de  Waldmun- 
clien,  sur  la  route  de  Pilsen  à  Ratisbonne  ;  4"  le  passage  de 
Neumark,  entre  Klattau  et  Ratisbonne  ;  5°  le  défilé  d'Ei- 
senstein,  sur  la  route  de  Pilsen  et  Klattau  à  Passau  ;  6"  celui 
de  Philippsreuth,  entre  Prague  et  Passau  ,  et  T  au  sud-est 
quelques  petits  défilés  jusqu'à  la  tranchée  du  chemin  de 
fer  de  Lin/,  à  Budweis. 

La  nature  a  donné  ainsi  à  la  Forêt  de  Bohême  une  im- 
])Oîiauce  hlsloriquo  que  n'ont  jamais  eue  des  chaînes  de 


325 

montagnes  plus  élevées.  Elle  posa  une  linuîe  naturelle  aux 
conquêtes  des  Slaves  vers  l'Occident ,  et  ses  sombres  forêts 
ses  ravins  profonds,  offrirent  pendant  les  guerres  qui  déchi- 
rèrent l'Allemagne  un  siir  asile  aux  fugitifs ,  comme  ils  ser- 
virent aussi  cpielquefois  de  retraite  à  des  malfaiteurs.  Le  sol  de 
ces  montagnes  est  peu  fertile.  Elles  ne  produisent  que  de  l'a- 
voine et  du  lin  à  filer  ou  tisser  ;  quelques  fruits  mûrissent 
sur  leurs  flancs  ;  mais  leur  véritable  richesse  consiste  dans 
leurs  excellents  pâturages  et  leurs  forêts ,  dont  les  bois  sont 
mis  en  oeuvre  sur  les  lieux  mêmes,  transportés  au  loin  par  le 
moyen  du  flottage,  ou  consommés  dans  les  verreries,  les  forges 
etlesdifl'érents  établissements  industriels.  Les  habitants  sont 
robustes ,  sobres,  hardis ,  mais  grossiers ,  rusés ,  opiniâtres 
et  fort  attachés  aux  usages  de  leurs  pères.  Le  langage  de 
ces  montagnards  est  l'allemand ,  mais  un  allemand  sonore, 
riche  en  voyelles  et  fort  différent  du  dialecte  de  la  Bavière. 
Au  sud-ouest  de  l'ancien  cercle  de  Prachin ,  un  grand  dis- 
trict est  habité  par  ce  qu'on  appelle  les  paysans  libres , 
descendant  en  majeure  partie  de  prisonniers  de  guerre  ba- 
varois, et  jouissant  encore  aujourd'hui  de  plusieurs  privi- 
lèges. La  ville  la  plus  importante  de  la  Forêt  de  Bohême  est 
Cham,  à  l'embouchure  du  Chambach,  dans  le  Regen,  à 
359  mètres  au  dessus  du  niveau  de  la  mer.  La  peinture  la 
plus  exacte  de  la  vie  de  ces  montagnards  nous  a  été  donnée 
par  Rank  ,  dans  son  livre  intitulé  De  la  Forêt  de  Bohême 
(3  vol.,  Leipzig,  1851). 

BOEIITLIIXGK  (  Othon  ) ,  un  des  savants  les  plus  versés 
dans  la  coimaissance  des  langues  orientales,  notamment 
du  sanscrit,  naquit  à  Pétersbourg,le  30  mai  1815,  d'une  fa- 
mille originaire  de  Lubeck.  Il  fit  ses  premières  études  à  l'é- 
cole allemande  de  Saint-Pierre  et  Saint-Paul  et  au  gymna.se 
de  Dorpat,  puis,  en  1833,  il  entra  à  l'université  de  Péters- 
bourg,  avec  l'intention  de  se  livrer  à  l'étude  des  langues 
orientales.  Il  avait  déjà  acquis  une  certaine  connaissance  de 
l'arabe  et  du  persan,  lorsqu'il  se  lia  d'amitié  avec  Bollen- 
sen ,  qui  l'engagea  à  apprendre  le  sanscrit.  Il  partit  donc 
pour  Berlin  en  1835 ,  et  la  même  année  il  se  rendit  à  Bonn , 
où  il  resta  jusqu'en  1842.  De  retour  dans  sa  patrie,  il  fut 
nommé  conseiller  impérial  et  membre  de  l'Académie  des 
Sciences.  Dès  lors  il  n'a  pas  cessé  de  s'occuper  de  travaux 
littéraires.  Tous  ses  écrits ,  tant  sur  le  sanscrit  que  sur  le 
turc  et  les  dialectes  de  la  même  famille,  se  font  remarquer 
par  une  exactitude  et  un  soin  extraordinaires.  Parmi  ses 
nombreuses  publications  nous  citerons  plus  particulièrement 
les  huit  livres  de  Règles  Grammaticales  de  Panini  (  2  vol. , 
Bonn,  1 840) ,  la  Grammaire  de  Vopadeva  (  Pétersb.,  1846  ) , 
la  traduction  de  Sakuntala  de  Kalidasa,  publiée  avec  le 
texte  (  Bonn ,  1842  ) ,  une  Chrestomathie  sanscrite  (  Péters- 
bourg,  1845),  le  Dictionnaire  de  Hémacandra  (  Péters- 
bourg,  1847),  une  dissertation  sur  la  Langue  des  Ya- 
koutes  (texte,  grammaire  et  dictionnaire,  3  vol.,  Péters- 
bourg,  1849-51  ).  On  lui  doit  encore  plusieurs  traités  pleins 
d'érudition,  entre  autres,  stir  l'Accent  dans  le  sanscrit 
(1843),  qui  ont  été  insérés  dans  les  Mémoires  de  l'Acadé- 
mie des  Sciences,  et  quelques  articles,  moins  considérables, 
publiés  dans  le  Bulletin  de  la  même  Académie  et  dans  d'au- 
tres journaux.  Il  s'occupe  actuellement  de  l'impression  d'uu 
Dictionnaire  Sanscrit. 

BOEKEL  (  Guillaume  ) ,  appelé  aussi  Buckelings ,  et 
plus  exactement  £ei<AeZ52,  c'est-à-dire  fils  de  Beukel,  était 
un  pêcheur  de  Biervliet,  dans  la  Flandre  maritime,  qui  a 
rendu  les  plus  grands  services  à  sa  patrie  par  la  découverte 
de  la  manière  de  saler  le  liareng.  On  ne  sait  rien  de  sa  vie. 
Il  mourut  très-vraisemblablement  vers  1397,  dans  son  lieu 
natal ,  où  l'empereur  Charles-Quint  visita  son  tombeau  avec 
sa  sœur  Marie.  B.-G.  Camberlyn  a  célébré  l'invention  de 
Bœkel  dans  un  poème  latin  intitulé  De  Bukelingi  Genio 
(Gand,^  1827). 

BOEMOXD.  Sept  princes  de  ce  nom,  et  de  la  même 
famille,  ont  régné  sur  Antioche,  au  temps  des  croi- 


32G 


BOEMOND 


sades.  Le  premier  avait  élé  le  fondateur  de  cette  principauté. 

BOÉMOND  (  Marc  ) ,  prince  de  Tarente ,  fils  de  l'aventu- 
rier normand  Robert  G  uiscard,  qui  devintduc  de  Fouille 
et  de  Calabre,  vainquit ,  à  la  tête  de  l'armée  d'Illyrie,  l'em- 
pereur Alexis  à  Janina,  et  alla  mettre  le  siège  devant  Larisse  ; 
mais  Alexis  ayant  réussi  à  débaucher  une  partie  des  sol- 
<lats  de  Boémond,  celui-ci  fut  forcé  de  battre  en  retraite. 
Sur  ces  entrefaites  Robert  léguait  en  mourant  la  Fouille  et 
la  Calabre  à  Roger,  fils  de  sa  seconde  femme,  au  préjudice 
de  Boémdnd,  fils  de  la  première.  De  là  une  guerre  sanglante 
entre  les  deux  frères ,  à  la  suite  de  laquelle  la  principauté 
de  Tarente  fut  cédée  par  le  cadet  à  l'aîné.  Celui-ci  assiégeait 
Amalfi  en  1095,  lorsqu'à  la  nouvelle  de  l'approche  des  pre- 
miers croisés  il  déchire  son  manteau,  dont  U  fait  une  croix, 
qu'il  attache  à  son  épaule ,  en  distribue  des  fragments  à 
ceux  qui  veulent  l'imiter,  et  se  trouve  à  la  tête  de  dix  mille 
cavaliers,  vingt  mille  fantassins,  nobles  de  la  Sicile,  de  la 
Fouille ,  de  la  Calabre ,  seigneurs  normands ,  dont  le  plus 
brave  est  son  cousin  Tancrède.  Bientôt  ils  ont  traversé 
l'Adriatique  et  rejoint  Godefroy  de  Bouillon.  Alexis  en- 
toure alors  Boémond  de  caresses,  l'attire  à  Constantinople, 
ui  fait  accepter  un  fief,  et  reçoit  son  hommage. 

Ce  sacrifice  fait  à  la  prévoyance  plus  qu'à  la  vanité ,  Boé- 
mond ,  marchant  de  \  ictoire  en  victoire ,  prend  Nicée  et , 
après  huit  mois  de  siège,  s'empare  d'Antioche,  grâce  à 
la  trahison  de  l'Arménien  Zara,  qui,  pour  satisfaire  une  ven- 
geance personnelle,  lui  livre  la  tour  dont  la  garde  lui  est 
confiée.  C'était  lui  en  définitive  qui  avait  négocié  cette  per- 
fidie. Aussi  les  croisés  le  proclament-ils  d'une  voix  unanime 
prince  d'Antioche,  où  il  fonde  une  principauté  chrétienne, 
qui  subsiste  cent  quatre-vingt-dix  ans.  Ayant  à  lutter  contre 
l'empereur  Alexis  et  contre  Raymond  de  Toulouse ,  qui 
essayèrent  en  vain  de  lui  disputer  sa  conquête ,  il  ne  put 
accompagner  les  croisés  à  Jérusalem;  mais  il  y  alla  plus  tard 
recevoir  du  patriarche  l'investiture  de  sa  principauté.  Après 
être  resté  deux  ans  chez  un  émir  qui  l'avait  fait  prisonnier 
dans  un  combat,  il  revint  en  Occident  exciter  contre  Alexis 
tous  les  princes  d'Italie,  de  France  et  d'Espagne.  Pour 
arriver  en  Europe  il  avait  fait  courir  le  bruit  de  sa  mort,  et 
s'était  fait  embarquer  dans  un  cercueil  percé  de  trous  pour 
respirer.  C'est  ainsi  qu'il  avait  passé  à  ûavers  la  flotte  im- 
périale. En  France  il  épousa  Constance ,  fille  de  Fhilippe  l^"". 
De  retour  en  lUyrie,  il  assiégea ,  pendant  un  an ,  Durazzo, 
et  y  perdit  une  partie  de  son  armée.  Après  avoir  accepté  des 
conditions  qui  humilièrent  sa  fierté,  il  revint  en  Italie  ras- 
sembler de  nouvelles  forces.  Prêt  à  se  rembarquer  pour  la 
Grèce,  il  tomba  malade  à  Canosa ,  où  la  mort  le  frappa  en 
lut.  Il  avait  eu  de  Constance  deux  fils ,  Jean ,  mort  en 
bas  âge,  avant  son  père,  et  Boémond  II ,  qui  lui  succéda. 

BOÉMOND  II  régna  d'abord  sous  la  tutèle  de  sa  mère 
et  sous  la  régence  de  son  oncle  Tancrède ,  qui  malheureu- 
sement mourut  au  bout  d'un  an ,  léguant  ses  fonctions  à 
son  neveu  Roger,  beau-frère  de  Baudouin  II,  roi  de  Jéru- 
salem. Roger,  attaqué,  en  1119,  par  une  armée  de  Turcs 
et  d'Arabes,  appela  à  son  secours  son  beau-fière  ainsi  que 
les  comtes  d'Édesse  et  de  Tripoli ,  et  Baudouin  II  donna  sa 
fille  Alix  en  mariage  au  jeune  Boémond ,  qui  s'était  brave- 
ment comporté  ;  ce  qui  n'empêcha  pas  les  confédérés  d'être 
battus  par  les  infidèles.  Boémond  ayant  ensuite  porté  la 
guerre  en  Arménie  et  signalé  sa  valeur  dans  plusieurs  sièges, 
engagea  témérairement  une  bataille  contre  le  sultan  d'Alep, 
et  fut  tué  à  l'âge  de  vingt-quatre  ans. 

BOÉMOND  III  succéda,  en  11G3,  à  sa  mère  Constance, 
femme  de  Renaud  de  Châtillon.  Après  s'être  confé- 
déré avec  le  comte  de  Tripoli ,  le  prince  d'Arménie  et 
d'autres  seigneurs,  il  poursuivit  l'èpée  dans  les  reins  l'a- 
tabeck  Noureddin,  qui,  poussé  à  bout,  lit  volte-face,  et 
amena  prisonniers  au  ciiâteau  d'Alep  ceux  qui  avaient 
compté  sur  sa  capture.  La  prise  des  plus  fortes  places  de 
Boémond  fut  la  suite  de  ce  désastre. 


En  1187  ,  après  la  prise  de  Jérusalem,  le  prince  d'An- 
tioche et  son  peuple  se  déshonorèrent  par  un  trait  de  férocité 
inouï.  Saladin ,  pour  qu'ils  ne  mourussent  pas  de  faim  avec 
leurs  enfants,  avait  fait  conduire  sur  les  terres  de  Boémond 
un  grand  nombre  de  prisonniers ,  hommes  et  femmes ,  qu'il 
avait  faits  sur  lui.  Au  lieu  de  se  voir  accueillis  par  leurs 
compatriotes,  ils  trouvèrent  les  portes  de  la  capitale  fer- 
mées; on  les  chassa  les  armes  à  la  main ,  on  leur  enleva  jus- 
qu'à leurs  vêtements,  et,  sans  égard  ni  pour  l'âge  ni  pour 
le  sexe,  on  les  laissa  nus  dans  la  campagne.  Indigné  de  ce 
procédé ,  Saladin  ravagea ,  l'année  suivante ,  la  principauté 
d'Antioche,  et  y  prit  vingt-cinq  villes. 

Frédéric  1"  étant  mort  en  Cilicie,  Boémond  vint  avec  le 
patriarche  chercher  son  fils,  et  l'amena  solennellement  dans 
ses  États.  Plus  tard ,  il  s'embarqua ,  avec  le  roi  de  Jérusa- 
lem, pour  aller  en  Chypre  à  la  rencontre  de  Richard  d'An- 
gleterre, qui  avait  conquis  cette  île  sur  le  despote  Isaac  Corn- 
nène.  Richard ,  après  avoir  fait  lier  Isaac  avec  des  chaînes 
d'argent,  chargea  Boémond  de  le  conduire  à  Tripoli.  Des 
contestations  s'étant  élevées  entre  le  prince  d'Antioche  et  le 
roi  d'Arménie ,  ils  cherchèrent  à  se  tendie  mutuellement 
des  pièges.  Ce  fut  le  premier  qui  tomba  dans  ceux  du  se  - 
coud,  et  il  n'obtint  sa  liberté  qu'à  des  conditions  dures  et 
humiliantes.  Plus  tard,  cependant,  le  fils  aîné  de  Boémond 
épousa  la  nièce  de  l'Arménien.  Ce  fils  étant  mort,  Boé- 
mond désigna  encore  pour  son  successeur  Rupin,  né  de 
ce  mariage.  Mais  Boémond ,  fils  puîné  du  prince  d'Antioche 
et  régent  de  Tripoli ,  réussit  un  instant  à  chasser  son  père 
de  ses  États  avec  l'appui  des  chevaliers  du  Temple  et  des 
hospitaliers.  Toutefois  ce  succès  ne  fut  pas  de  longue  durée. 
Boémond  111,  rétabli  sur  son  trône,  mourut  en  1201 ,  après 
avoir  épousé  et  répudié  trois  femmes. 

BOÉMOND  IV.  Ce  fils  rebelle,  surnommé  le  Borgne, 
parce  qu'il  avait  perdu  un  œil  dans  une  affaire  près  du  mont 
Liban,  s'empara  de  la  principauté  d'Antioche  après  la  mort 
de  son  père,  au  préjudice  de  Rupin,  son  pupille  et  son  ne- 
veu. Le  roi  d'Arménie  lui  enleva  sa  capitale,  qu'Une  con- 
serva que  trois  jours.  En  1204,  Marie  de  Flandre  étant  allée 
rejoindre  Baudoin,  son  époux,  Boémond  lui  apprit  qu'il 
venait  d'être  élu  empereur  de  Constantinople,  et  lui  prêta  foi 
et  hommage  pour  sa  principauté.  Il  espérait  ainsi  détourner 
un  nouvel  orage;  il  se  trompait  :  le  roi  d'Arménie,  aidé  par 
le  patriarche  et  les  bourgeois,  se  rendit  maître  encore  une 
fois  d'Antioche,  en  1205,  et  Boémond  lY  mourut  déchu  et 
humilié. 

BOÉMOND  V,  son  fils,  lui  succéda  dans  les  États  d'An- 
tioche et  de  Tripoli;  mais  les  Kihrismiens ,  les  ayant  enva- 
his ,  en  1244 ,  l'obligèrent  à  se  rendre  leur  tributaire.  11  eut 
ensuite  une  guerre  longue  et  opiniâtre  à  soutenir  contre  l'Ar- 
ménie. Heureusement,  saint  Louis,  descendu  en  Palestine 
en  1250,  réconcilia  les  puissances  belligérantes.  Boémond  V 
mourut  l'année  suivante. 

BOÉMOND  VI ,  son  fils,  lui  succéda ,  sous  la  tutelle  de 
sa  mère,  comme  prince  d'Antioche,  comte  de  Tripoli  et  sei- 
gneur de  Tortose.  Il  n'avait  que  quatorze  ans  ,  lorsqu'on 
1253  la  mère  et  le  fils  allèrent  ensemble  trouver  saint  Louis 
à  Jaffa.  Saint  Louis  arma  le  jeune  prince  chevalier.  Boé- 
mond se  plaignit  de  ce  que  sa  mère  le  laissait  sans  argent  : 
le  monarque  lui  en  fit  donner,  et  le  prince  d'Antioche,  par 
gratitude,  écartela  ses  armes,  qui  étaient  vermeilles,  avec 
celles  de  France.  En  1257  il  reparait  à  Saint-Jcan-d'Acre 
avec  la  reine  de  Chypre,  sa  sœur,  prend  imprudemment 
parti  pour  les  Vénitiens  contre  les  Génois,  et  fomente  des  dis- 
sensions qui  entraînent  la  ruine  des  affaires  de  la  Terre 
Sainte.  En  1268  il  perd  Antioche,  qui  est  emportée  d'assaut, 
le  29  mai,  par  !e  sultan  Bibars.  On  dit  que  le  vainqueur  em- 
mena cent  mille  captifs,  et  qu'il  fit  massacrer  sur  la  grande 
place  de  la  ville  dix-sept  mille  habitants.  Boémond  était 
alors  à  Tripoli,  qu'il  venait  de  défendre  contre  ce  môme 
Bibars.  Ce  fut  par  une  lettre  pleine  de  railleries  cruelles,  que 


BOÉMOND  —  BOERHÂAVE 


327 


lui  écrivait  le  sultan  lui-même,  qu'il  apprit  cette  perte.  Il  n'y 
survécut  que  six  ans,  et  finit  ses  joiirs  à  Tripoli,  le  20  mars 
1774. 

DOÉMOND  VII,  fils  du  précédent,  lui  succéda  de  bonne 
lieure,  sous  la  tutelle  de  sa  mère  Sibylle  et  de  l'évêque  de 
Tortose.  Il  établit  sa  résidence  à  Tripoli ,  dont  il  fit  hom- 
mage à  Charles  I*"",  roi  de  Sicile  et  de  Jérusalem.  Puis  il  eut 
de  fréquents  démêlés  avec  les  chevaliers  du  Temple  et  avec 
l'évêque  de  Tripoli ,  qu'il  chassa  de  la  Terre  Sainte.  Après 
avoir  perdu  Laodicée,  qu'un  général  du  sultan  d'Egypte  prit 
et  rasa,  il  mourut  sans  postérité ,  le  19  octobre  1287.  Avec 
lui  s'éteignirent  les  princes  latins  d'Antioche. 

BOENIIVG  (Georges)  ,  un  des  chefs  de  l'insurrection 
badoise  en  1849,  naquit  en  1787  à  Wiesbaden.  Il  suivit 
quelque  temps  la  profession  de  son  père,  qui  était  horloger  ; 
puis  il  fut  nommé,  en  1813,  officier  dans  la  landwehr  du 
pays  de  Nassau,  poste  qu'il  occupa  jusqu'en  1815.  De  1820 
à  1820,  il  prit  part  à  la  guerre  de  l'indépendance  grecque. 
De  retour  dans  sa  patrie,  il  se  mêla  à  tous  les  mouvements 
politiques,  surtout  à  ceux  qui  agitèrent  Bade  au  printemps 
de  1848.  Obligé  de  fuir  en  Suisse,  il  rentra  en  Allemagne 
avec  Struve,  et  fut  nommé  colonel  de  la  légion  suisse.  Dans 
les  combats  de  Hirschhorn,  Durlach  et  Federbach,  il  se  fit 
remarquer  par  son  courage  personnel.  Pendant  le  siège  de 
Rastadt,  il  reçut  le  commandement  en  chef  de  tous  les  vo- 
lontaires, à  la  tête  desquels  il  prit  part  à  la  sortie  du  8  juil- 
let. La  place  s'étant  rendue  malgré  son  énergique  opposi- 
tion, il  fut  traduit,  le  16  août,  devant  un  conseil  de  guerre, 
qui  le  condamna  à  mort  à  l'unanimité,  bien  qu'il  représen- 
tât que ,  n'étant  pas  sujet  badois  et  n'ayant  pris  du  service 
qu'en  1849  sous  le  gouvernement  provisoire ,  il  devait  être 
regardé  comme  prisonnier  de  guerre.  Il  fut  exécuté  le  len- 
demain, à  cinq  heures  du  matin ,  et  il  reçut  la  mort  avec 
beaucoup  de  fermeté  ;  son  air  respectable,  ses  longs  cheveux 
gris,  éveillèrent  la  sympathie  même  de  ses  adversaires  poli- 
tiques. 

BOERHAAVE  (Hersianw  ) ,  l'un  des  princes  de  la  mé- 
decine ,  et  le  plus  célèbre  des  médecins  modernes ,  fut  l'es- 
prit le  plus  vaste  et  le  plus  influent  (je  ne  dis  pas  le  plus  pro- 
fond) des  savants  de  son  siècle.  Contemporain,  à  deux 
années  près ,  de  l'Académie  des  Sciences  de  Paris ,  fondée 
par  Louis  XIV ,  Boerhaave  eut  pendant  un  temps  plus  de 
renommée  qu'elle  :  le  nom  de  Fontenelle,  si  célèbre  en  France, 
n'était  pas  aussi  européen  que  le  sien.  Il  eut  l'immense  avan- 
tage de  venir  après  Galilée ,  après  Descartes  et  Bacon ,  avant 
Voltaire,  Buffon  et  d'Alembert  :  les  premiers  l'avaient  éclai- 
ré, les  autres  l'eussent  peut-être  éclipsé.  Il  vécut  dans  un 
temps  où  il  aurait  pu  profiter  de  la  découverte  de  la  circu- 
lation du  sang  sans  en  abuser ,  et  sa  mort  arriva  assez  tôt 
pour  qu'il  ne  vît  pas  sa  doctrine  chimique  renversée  par  la 
science  nouvelle  de  Lavoisier  et  de  Priestley.  On  le  comprit 
plus  promptement  que  le  grand  Newton  lui-même ,  trop 
profond  et  trop  vrai  pour  faire  école  de  son  vivant.  Ce  fut 
lui  qui  termina  l'âge  des  croyances  dociles,  et  qui  commença 
l'époque,  non  encore  finie,  de  la  philosophie  interprétative. 
Il  eut  cet  autre  avantage  d'avoir  pour  maîtres  des  hommes 
médiocres ,  comme  Drelincourt  et  Grono vins,  qu'il  lui  fut 
facile  de  surpasser,  et  pour  disciples  des  esprits  supérieurs, 
tels  que  Haller,  Van-Swiéten  et  Linné,  dont  les  premiers 
travaux  et  les  hommages  ajoutèrent  à  sa  gloire. 

Boerhaave  naquit  le  dernier  jour  de  1668,  àWoorhout, 
petite  bourgade  de  Hollande,  presque  aussi  rapprochée  de 
Leyde  queNeuiliy  l'est  de  Paris.  Son  père,  homme  érnditet 
ministre  protestant  du  lieu,  s'occupa  avec  sollicilude  de  la 
première  éducation  de  ce  fils,  qu'il  destinait  .\  lui  succéder, 
de  sorte  qu'à  dix  ans  Hermann  comprenait  le  grec  d'Hippo- 
crate  et  le  latin  de  Celse  presque  aussi  bien  que  le  français  de 
Descartes,  et  ce  succès  des  leçons  paternelles  rendait  en  lui 
l'obéissance  plus  méritoire.  Boerhaave  le  père  avait  un  autre 
fils,  nommé  Jacques  :  celui-ci  devait  être  médecin;  mais  les 


dispositions  de  ces  deux  jeunes  gens  trahirent  les  vœux  do  leur 
preinier  maître  :  le  médecin  devint  ministre ,  et  le  ministre 
médecin.  On  raconte  que  notre  Hermann  fut  atteint ,  à  l'âge 
de  dix  ans ,  d'un  ulcère  qu'aucun  remède  ne  pouvait  gué-» 
rir  :  il  garda  cette  plaie  maligne  durant  sept  ans ,  et  ce  fut 
la  puberté  qui  seule  l'en  délivra.  Cet  insuccès  de  l'art  per- 
suada Boerhaave  non  de  l'impuissance  de  la  médecine ,  mais 
de  l'inhabileté  des  médecins  de  son  temps ,  et  lui  fit  augu- 
rer pour  lui-même  un  brillant  avenir.  D'ailleurs,  une  mala- 
die de  sept  ans ,  à  un  âge  si  tendre ,  disposa  nécessairement 
Boerhaave  à  l'investigation, et renditson  esprit  plus  recueilli  ; 
elle  le  protégea  du  moins  contre  le  premier  élan  de  ces  pas- 
sions qui  énervent  souvent  les  plus  heureux  génies  avant  la 
maturité. 

Boerhaave  pouvait  d'autant  mieux  suivre  ses  goûts  qu'il 
eut  le  malheur  de  perdre  son  père  dès  l'âge  de  quinze  ans  ; 
mais  le  juste  respect  qu'il  conservait  pour  sa  mémoire  le  re- 
tint encore  longtemps  dans  la  carrière  que  ce  bon  père  lui 
avait  choisie.  Resté  alors  sans  fortune ,  Van  Alphen  le  pro- 
tégea avec  noblesse  et  pourvut  à  ses  besoins  ;  de  manière 
que  le  jeune  Hermann  put  reprendre  ses  études,  et  il  les  con- 
tinua à  l'université  de  Leyde,  vers  le  but  assigné  par  sa  fa- 
mille. Au  latin  et  au  grec,  qu'il  avait  appris  de  son  père,  il 
joignit  bientôt  beaucoup  d'hébreu,  un  peu  de  chaldéen,des 
études  historiques  diversifiées,  mais  surtout  des  mathéma- 
tiques ,  et  un  cours  complet  de  métaphysique.  Ses  thèses 
ou  discours  de  philosophie  eurent  l'orthodoxie  qu'on  pouvait 
attendre  d'un  homme  destiné  à  un  ministère  sacré.  Après  s'être 
habilement  servi  des  arguments  de  Cicéron  contre  la  doc- 
trine d'Épicure,  il  combattit  de  lui-même,  avec  sa  vive  lo- 
gique de  vingt  ans,  le  système,  alors  si  fameux,  de  Spinosa. 
Sa  réfutation  fut  assez  brillante  pour  que  la  ville  de  Leyde 
se  crût  obligée  de  récompenser  ce  solide  plaidoyer  contre  le 
panthéisme  par  une  médaille  d'or  expressément  frappée  à 
cette  occasion  ;  et  même  il  est  permis  de  penser  que  Louis 
Racine  et  de  Bernis  ne  consultèrent  pas  infructueusement 
pour  leurs  poèmes  le  discours  dont  nous  parlons.  Docteur  en 
philosophie  à  vingt  ans  (  1688),  et  livré  ensuite  à  des  études 
de  théologie ,  Boerhaave  n'échappa  à  la  misère  qu'en  don- 
nant des  leçons  de  mathématiques.  Sa  fière  intelligence  dut 
ensuite  s'abaisser  à  collationner  les  catalogues  de  la  riche 
bibliothèque  de  Vossius,  que  la  ville  de  Leyde  venait  d'ac- 
quérir. Enfin ,  ce  ne  fut  qu'à  vingt-deux  ans  qu'il  put  com- 
mencer l'étude  de  la  médecine ,  sans  renoncer  encore  à  la 
vocation  sacerdotale ,  tant  il  conservait  la  mémoire  des  pro- 
messes et  des  bienfaits. 

Sorti  à  peine  de  la  métaphysique  (par  laquelle  il  aurait 
mieux  valu  finir),  mais  de  plus  déjà  physicien  instruit,  on 
doit  croire  que  Boerhaave  ne  débuta  pas  à  la  manière  des 
étudiants  ordinaires.  Les  leçons  de  ses  maîtres ,  il  les  suivit 
peu  :  il  se  sentait  distrait  en  les  écoulant  ;  son  esprit  allait 
plus  vite  que  leurs  paroles ,  et  toujours  au  delà.  C'étaient  des 
cours  fastidieux  dont  on  aurait  pu  retrouver  la  tradition 
dans  des  cahiers  contemporains  des  préjugés ,  et  que  les 
professeurs  de  Leyde  s'opiniâtraient  à  répéter  d'après  leurs 
maîtres.  Boerhaave  eut  donc  raison  de  ne  point  perdre 
l'habitude  d'étudier  seul.  Il  aurait  dû  disséquer,  car  quoi  de 
vrai,  quoi  de  certain  en  médecine  sans  l'anatomie?  Cepen- 
dant, Û  s'abstint  de  ces  études,  d'abord  si  repoussantes,  de 
l'amphithéâtre  ;  il  lut  Vésale ,  consulta  les  admirables  in- 
jections de  Ruysch ,  assista  à  quelques  dissections  de  Nuck, 
à  peu  près  comme  Buffon ,  cinquante  ans  après ,  assista  de 
loin  aux  explorations  de  Daubenton  et  aux  expériences  de 
Needham.  Peu  soucieux  des  minces  détails,  qui  cependant 
sont  les  seuls  qui  puissent  suggérer  une  science  durable  et 
certaine,  il  ne  vit  que  le  but  final,  et  il  se  hâta  d'y  courir. 
Présageant  bien  que  son  advention  dans  l'art  de  guérir  de- 
viendrait pour  la  postérité  une  des  époques  les  plus  mémo- 
rables de  la  médecine,  il  fit  précisément  ce  qu'a  fait  par- 
mi nous  G.  Cuvier,  à  cela  près  qu'il  procéda  d'une  manière 


S28 


BOERHAAVE 


opposée  :  loin  de  négliger,  comnMî  Bicliat,  les  auteurs  an- 
ciens, il  résolut  de  les  parcourir  tous  l'un  après  l'autre. 
Commençaut  par  les  écrivains  les  plus  modernes ,  il  redes- 
cendit (car  il  faut  bien  supposer  que  la  science  est  progres- 
sive) jusqu'aux  auteurs  de  l'antiquité.  Il  ne  négligea  sur  sa 
route  ni  Sydenham,  ni  Van  Helmont,  ni  Paracelse,  ni  les 
Arabes,  ni  Galien,  les  découvertes  d'Érasistrate  non  plus 
que  les  opinions  d'Héropliile  ;  et  lorsque  enfin  il  arriva  à  Hip- 
pocrate,  il  se  sentit  moins  d'estime  pour  beaucoup  de  mé- 
decins modernes,  ou  plutôt  il  proportionna  cette  estime  au 
respect  que  chacun  d'eux  avait  montré  pour  les  préceptes  si 
sages  de  ce  grand  médecin  philosophe.  Jl  procéda  de  môme 
quant  à  la  botanique  et  à  la  chimie,  ce  qui  n'avait  plus  à 
beaucoup  près  le  même  degré  d'utilité ,  puisque  ce  sont  là 
des  sciences  nouvelles  ou  renouvelées.  Après  trois  années 
de  ces  recherches  d'érudition ,  il  se  fit  recevoir  docteur  en 
médecine ,  non  pas  à  Leyde ,  il  s'en  garda  bien  ;  il  n'aurait 
pas  voulu  tenir  son  diplôme  de  ceux-là  mômes  qu'il  se  sen- 
tait prédestiné  à  faire  oublier  :  ce  fut  à  Harderwijk  qu'il  prit 
ses  degrés.  Le  sujet  seul  de  sa  tlièse  prouvait  assez  que  la 
médecine  était  l'état  de  son  choix ,  et  qu'il  l'aimait  avec 
passion  :  cette  dissertation  avait  en  cfiet  pour  titre  :  Dis- 
jmtatio  de  utilitate  explorandorum  excrementorum  in 
xgris,  etc.  (1693). 

Médecin  à  vingt-cinq  ans,  Bocrhaave  était  encore  trop 
jeune  pour  pratiquer  son  art  avec  le  succès  et  la  distinction 
qu'il  ambitionnait;  il  reprit  en  conséquence,  durant  huit 
années ,  ses  recherches  d'érudition  et  ses  études  de  piiysique 
et  de  chimie,  et  ce  ne  fut  qu'en  1701  qu'on  le  nomma 
adjoint  ou  répétiteur  de  Drelincourt,  son  premier  maître, 
dont  plus  tard  il  édita  les  œuvres,  comme  Bichat  plus  ré- 
cemment a  publié  celles  de  Dcsault.  11  lui  fut  aussi  facile  de 
surpasser  son  chef  d'emploi ,  qu'il  le  fut  depuis  à  Cuvier 
d'effacer  l'anatomiste  Mertrud ,  qui ,  après  avoir  eu  la  sim- 
plicité de  lui  donner  accès  dans  sa  chaire ,  s'imaginait  avec 
bonhomie  que  Cuvier  n'était  que  son  remplaçant  ou  son  ad- 
joint. Remaïquons  à  ce  sujet  qu'il  est  des  hommes  auxquels 
le  destin  semble  réserver  toutes  ses  faveurs.  Si  Boerhaave 
fût  venu  du  temps  de  Bergman  et  de  Linné,  ou  du  temps 
de  Fourcroy  et  de  Bichat;  si  Cuvier  eût  trouvé  au  Jardin 
des  Plantes  Buffon  au  lieu  de  j\îertrud,  et  Vicq-d'^Vzyr  au 
lieu  de  Portai,  pense-t-on  que  ces  hommes,  quoique  d'un 
savoir  éminent,  fussent  parvenus  d'un  vol  aussi  rapide  à  la 
renommée,  à  la  fortune?  Non,  certainement;  il  est  même 
probable  qu'ils  auraient  dû  changer  de  dessein ,  et  peut-être 
même  de  carrière. 

Boerhaave  débuta  par  un  discours  remarquable,  dans  le- 
quel il  préconisait  l'étude  assidue  d'Hippocrate ,  qu'il  élevait 
judicieusement  au-dessus  de  tous  les  médecins  ;  après  quoi, 
il  professa  d'abondance,  et  ce  fut  avec  éclat.  Sa  figure  ex- 
pressive et  majestueuse,  le  ton  imposant  de  ses  manières 
et  de  sa  voix,  sa  parole  rapide  et  puissante ,  la  pureté  sou- 
tenue de  sa  diction ,  la  sûreté  comme  l'étendue  de  sa  mé- 
moire, la  précision  de  ses  opinions  et  la  fécondité  de  sa 
pensée ,  l'exact  enchaînement  des  faits ,  et  l'abondance 
autant  que  la  nouveauté  des  aperçus,  et,  plus  encore  que 
tout  le  reste,  l'immense  trésor  de  son  érudition,  joint  à 
l'universalité  des  connaissances  contemporaines  ;  ce  don  pré- 
cieux de  caractériser  cliaque  auteur  par  ses  opinions,  chaque 
idée  par  une  image  saisissante  ou  par  une  définition  nette 
et  vive,  chaque  mot  par  un  accent,  par  un  geste  assorti, 
fir.ent  de  Boeriiaave  le  professeur  le  plus  accompli  de  l'Eu- 
rope et  le  plus  brillant  médecin  du  temps. 

Les  étudiants  de  Leyde  se  rendirent  tous  aux  leçons  do 
Boerhaave,  comme  à  un  lieu  de  plaisir  autant  que  d'instruc- 
tion ;  chaque  élève  ensuite  en  renvoya  vingt  de  sa  ville  ou 
de  sa  province,  tant  l'enthousiasme  est  contagieux;  et  ces 
premiers  succès  ne  firent  qu'accroître  en  Boerhaave  ce  ta- 
lent magique  qui  les  lui  méritait.  Bientôt  il  neut  plus  de 
simples  élèves,  c'étaient  plutôt  des  prosélytes  et  des  apô- 


tres fervents  ;  sa  réputation  dès  lors  se  répandit  dans  l'Eu- 
rope entière.  Non-seulement  il  fallut  agrandir  son  amphi- 
théâtre, mais  on  se  vit  obligé  d'élargir  (et  à  plusieurs 
reprises)  l'enceinte  môme  de  Leyde,  alors  trop  étroite  pour 
l'atfluence  des  auditeurs  et  des  consultants.  Cette  ville  avait 
encouragé  les  premiers  efforts  de  Boerhaave  ;  Boerhaave  en 
retour  fut  cause  de  son  agrandissement,  et  il  lui  donna  part 
à  son  illustration  et  à  ses  richesses. 

Enfin,  titulaire  d'une  chaire  de  médecine  théorique, 
Boerhaave  y  joignit  successivement  la  botanique,  la  chimie, 
puis  la  médecine  clinique  ou  d'hôpital  ;  à  lui  seul  il  composait 
presque  une  faculté  entière.  Chaque  fois  qu'il  inaugurait 
une  chaire  ou  qu'il  quittait  le  rectorat,  qui  lui  échut  deux 
fois ,  il  prononçait  un  discours  d'apparat  ;  et  ces  brillantes 
oiaisons  se  trouvaient  souvent  en  plein  désaccord  avec  la 
substance  du  cours.  11  vantait  toujours  les  médecins  grecs 
dans  ses  prologues  éloquents ,  et  il  y  rendait  hommage  à  la 
méthode  d'observation;  mais  on  pense  bien  que  Boerhaave, 
nonobstant  son  profond  respect  pour  Ilippocrate ,  ne  put 
professersimultanémentla  médecine  spéculative  et  la  chimie 
sans  que  bientôt  l'un  de  ces  cours  n'influençât  l'autre.  Il 
était  naturel,  en  eflct,  que  les  sciences  mathématiques, 
qu'il  avait  longtemps  étudiées  dans  sa  jeunesse ,  lui  suggé- 
rassent des  hypothèses  mécaniques  et  hydrauliques.  D'ail- 
leurs ,  la  réflexion  suivante  dut  souvent  se  présenter  à  son 
esprit  :  Tout  admirables  que  soient  la  simplicité  et  la  can- 
deur d'Hippocrate ,  il  faut  convenir  que  son  naturisme 
n'apprend  pas  grand' chose,  si  ce  n'est  cette  sage  réserve 
qu'il  a  lui-même  consacrée  par  son  exemple.  Son  Enormon 
et  son  Phusis  ne  rendent  pas  mieux  raison  des  actes  de  la 
vie  que  les  faux  Éléments  de  Galien ,  V Archétype  de  Para- 
celse ou  le  Bios  de  Van  Helmont.  Dire  que  tel  phénomène 
maladif  est  dû  à  la  nature ,  qu'il  est  le  produit  de  son  gé- 
nie, un  attribut  de  sa  puissance,  c'est  comme  si  l'on  expli- 
quait sérieusement  les  événements  du  monde  par  l'aveugle 
pouvoir  du  destin  ou  par  l'intelligente  intervention  de  la 
Providence.  Cette  philosophie  de  résignation  peut  sans 
doute  conduire  au  ciel  comme  au  bonheur,  mais  non  pas  à 
la  vérité.  Harvey,  certes,  a  eu  besoin  d'une  curiosité  plus 
efficace  et  moins  soumise  pour  découvrir  le  cours  du  sang  ; 
de  telles  lumières  laisseraient  pour  toujours  à  la  médecine  sa 
profonde  obscurité.  Respectons  donc  Hippocrate,  et  suivons 
la  route  qu'indiquent  ses  traces,  mais  marchons  par  delà 
les  limites  qu'il  s'est  prescrites  !  Partageons  son  culte  pour 
l'observation ,  mais  sachons  enchaîner  les  faits  observés ,  et 
fécondons-les  par  les  sciences  accessoires. 

Malheureusement,  Boerhaave  abusa  beaucoup  de  ces 
sciences  accessoires.  Il  tenta  de  rattacher  les  actes  de  la 
vie  tantôt  à  la  science,  déjà  faite,  de  la  mécanique,  tantôt  aux 
lois,  alors  mal  établies,  de  la  cliimie  ou  de  la  physique.  Les 
premiers  chimistes  avaient  renversé  la  doctrine  de  Galien , 
en  détruisant  les  éléments  sur  lesquels  elle  était  fondée; 
Boerhaave  résolut  de  la  remplacer.  1!  avait  étudié  les  ou- 
vrages de  Bellini,  médecin-poëte  autant  que  mécanicien, 
dont  la  Dissertation  sur  les  reins  et  la  filtration  des 
urines  exerçait  à  son  insu  une  grande  influence  sur  son 
esprit;  il  connaissait  aussi  trop  bien  Sylvhis,  et  il  fit  de  mal- 
heureuses applications  de  ses  opinions  au  sujet  des  dcretés, 
des  halitus  et  des  acides. 

Boerhaave  créa  donc  des  hypothèses  hydrauliques  pour 
expliquer  le  libre  cours  ou  le  cours  entravé  des  liquides  vi- 
vants, et  des  hypolhèses  chimiques  pour  rendre  raison  de 
l'altération  des  humeurs.  Il  supposa  dans  nos  liquides  des  glo- 
bules approprii's  aux  vaisseaux  qui  les  renferment  ou  leur 
livrent  passage;  et  lorsqu'il  survenait  une  fluxion,  une  in- 
flammation ou  tumeur  quelconque,  Boerhaave  expliquait  ces 
anomalies  en  disant  qu'il  y  avait  eu  erreur  de  lieu,  voulant 
dire  par  là  qu'un  globule ,  s'étant  appareuunent  trompé  de 
vaisseau,  avait  passé  dans  un  conduit  destiné  à  des  globules 
d'une  autre  espèce.  S'agissait-il  par  exempled'unc  ophthalraic, 


I 


BOERilAAVE 


329 


Docihaave  attribuait  cette  inflammation  de  l'œil  au  passage 
malencontreux  des  globules  rouges  dans  des  vaisseaux  à 
globules  incolores.  D'ailleurs,  LeeuwenboeU  s'empressa 
de  venir  au  secours  de  ces  idées  systématiques,  si  peu  dignes 
du  grand  Boerhaave.  Comme  on  peut  voir  à  l'aide  du  mi- 
croscope tout  ce  que  rêve  l'imagination  de  l'observateur, 
Leeuwenhoek  découvrit  aisément  dans  le  sien  des  globules 
incolores  pour  les  vaisseaux  incolores,  des  globules  blancs 
pour  les  vaisseaux  blancs,  des  globules  rouges  pour  les  vais- 
seaux rouges ,  etc.  ;  il  eût  de  même  découvert  des  globules 
bicolores  s'il  eût  existé  des  vaisseaux  de  cette  sorte ,  car  le 
microscope  a  toute  la  docilité  et  la  com^toisie  des  ambitieux 
du  second  ordre  et  des  flatteurs. 

Ce  fut  aussi  Boerhaave  qui  inventa  les  acrimonies ,  les 
obstructio7is ,  les  attractifs,  \q?,  fondants,  et  tous  ces 
termes  ambigus  qu'on  ne  prononce  déjà  plus  dans  nos  éco- 
les, mais  qu'on  trouve  encore  dans  quelques  livres,  et  qui 
surtout  se  rencontrent  fréquemment  dans  le  langage  plaintif 
des  hypochondriaques .  aussi  bien  que  les  vices  d'humeurs 
de  Sydenliam,  la  tension  des  nerfs  de  Macbride ,  les  esprits 
vitaux  de  Vieussens  ou  de  Morton ,  le  fluide  neiteux 
d'Hoffmann,  les  nerfs  irritables  de  Glisson,  Ydcreté  de 
la  bile  ou  le  sang  calciné  de  Sylvius,  le  sec  et  Vhumide 
de  Galien ,  et  raille  autres  mythes  de  différents  siècles ,  tou- 
jours accolés  à  quelque  nom  célèbre,  qu'on  aurait  peut-être 
oublié  sans  ce  cortège  d'erreurs. 

Ces  systèmes  de  Boerhaave ,  aujourd'hui  si  dédaignés , 
concoururent  puissamment  à  ses  éclatants  succès.  Ses 
élèves  s'applaudissaient  de  trouver  réunis  dans  un  même 
cours  de  médecine  le  résumé  ainsi  que  l'utile  application  de 
toutes  leurs  études;  cela  soutenait  leur  ardeur  et  avivait 
leur  enthousiasme.  11  faut  remarquer  que  Boerhaave  ne  se 
pressa  ni  de  professer  ni  d'écrire.  11  avait  trente-trois  ans 
lorsqu'il  fut  nommé  répétiteur  de  Drclincourt,  et  il  en  avait 
quarante  quand  il  publia  ses  deux  principaux  ouvrages  de 
médecine ,  résumant  tous  ses  autres  travaux  :  je  veux  dire 
les  Instilulions  et  les  Aphorismes,  ouvrages  savamment 
commentés ,  le  premier  par  Haller  et  le  second  par  Van 
Svviéten ,  deux  de  ses  disciples  les  plus  célèbres.  Chacun  de 
ces  livres  eut  plus  de  douze  éditions  en  Europe  dans  l'es- 
pace de  quarante  ans. 

L'histoire  naturelle  et  la  botanique  participèrent  aussi  de 
cette  grande  activité  de  Boerhaave.  A  la  vérité ,  il  concou- 
rut peu  par  lui-même  à  leurs  progrès,  mais  son  seul  assenti- 
ment excita  une  émulation  générale,  et  servit  d'encourage- 
ment aux  savants.  Quant  à  lui ,  il  distribua  les  plantes  du 
jardin  de  Leyde,  moitié  par  caprice  ou  par  routine,  à  l'exem- 
ple de  son  prédécesseiu-  Herman,  et  moitié  d'après  les  idées, 
alors  si  répandues  et  si  applaudies,  du  célèbre  Pithon  de 
ïournefort.  11  eut  d'ailleurs  le  mérite  de  tenir  compte  des 
étamines  des  fleurs  dans  la  description  des  végétaux  et  leur 
arrangement  par  familles  ,  cinquante  ans  avant  que  Linné 
envoyât  à  l'académie  de  Pétersbourg  son  beau  Mémoire 
sur  les  sexes  et  les  mariages  des  plantes.  Il  connaissait, 
à  ce  qu'il  paraît ,  les  découvertes  antérieures  de  l'Anglais 
Millington  et  de  l'Italien  Malpighi  (1675).  ÎNon-seulement 
il  publia  plusieurs  catalogues  des  plantes  du  jardin  de  Leyde, 
qu'il  avait  agrandi  et  beaucoup  enrichi,  mais  il  décrivit  et 
tit  figurer  quelques  plantes  nouvelles ,  et  créa  de  nouveaux 
genres.  Le  botaniste  Vaillant ,  qui  lui  avait  dédié  un  genre 
nouveau ,  qu'on  nomme  encore  le  Boerhaavia,  lui  adressa 
de  son  lit  de  mort ,  comme  au  seul  légataire  méritant  con- 
liance ,  le  manuscrit  de  sa  Botanique  parisienne  ;  et  Boer- 
haave ,  noble  soutien  d'une  science  en  deuil ,  fit  religieuse- 
ment imprimer  cet  ouvrage,  auquel  il  joignit  des  planches 
magnifiques  d'Aubriet,  qu'il  confia  au  burin  de  Van  der 
Laawe.  Boerhaave  eut  aussi  le  bonheur  de  protéger  le  jeune 
Linné  et  son  ami  Artédi ,  studieux  et  pauvres  tous  les  deux, 
comme  lui-même  il  l'avait  été  trente  années  auparavant.  11 
leur  donna  pour  patrons,  Clifford  à  Linné  (qui  depuis  a 

DICT.    DE   LA    CONVEliS.    —    T,    III. 


illustré  le  nom  de  son  hôte),  et  Séba  à  Artédi,  qui  peu  de 
temps  après  se  noya  par  étourderie  dans  le  Zuyderzée.  En- 
suite, les  puissantes  recommandations  de  Boerhaave  accom- 
pagnèrent Linné  dans  ses  voyages  en  d'autres  pays.  Sa  gé- 
nérosité était  infatigable  :  il  fit  imprimer  avec  magnificence, 
à  ses  frais,  Y  Histoire  physique  de  la  mer,  par  le  comte 
de  Marsigli ,  auquel  il  succéda  à  l'Académie  des  Sciences  de 
Paris ,  aussi  bien  que  le  célèbre  ouvrage  de  Swammerdam , 
Biblia  Naturœ ,  qu'il  enrichit  d'une  éloquente  préface. 

De  toutes  les  parties  de  la  médecine ,  l'anatomie  fut  la 
seule  qu'il  négUgea  véritablement  ;  elle  ne  lui  dut  ni  dé- 
couvertes ni  accroissement  notables  ;  et  toutefois ,  tel  était 
l'ascendant  de  ses  ouvrages ,  de  ses  leçons  et  de  sa  doc- 
trine ,  qu'il  exerça  une  influence  réelle  sur  les  analomistes 
de  France  et  d'Itahe  qui  florissaient  de  son  temps.  Ses 
explicalious  mécaniques  et  hydrauliques  portèrent  Winslow, 
Valsalva ,  Morgagni  et  plusieurs  autres  à  décrire  et  à  repré- 
senter plus  précisément  qu'on  ne  l'avait  fait  la  forme  des 
organes ,  la  direction  des  muscles,  leurs  insertions,  le  ca- 
libre et  les  orifices  des  vaisseaux,  leurs  éperons  et  valvules. 
11  donna  d'ailleurs  d'exactes  éditions  des  ouvrages  d'anato- 
mie  de  Vésale ,  d'Eustachi  et  de  Bellini ,  et  il  prit  parti  dans 
une  discussion  entre  Ruysch  et  Malpighi  sur  la  structure 
des  glandes ,  donnant  tort ,  comme  de  raison ,  à  son  com- 
patriote Ruysch ,  qu'au  reste  il  dédommagea  par  une  lettre 
affectueuse. 

Quant  à  ses  travaux  en  chimie ,  ils  auraient  suffi  à  la  gloire 
comme  à  l'activité  d'un  autre  savant.  Le  premier,  il  sut 
donner  à  cette  science  une  allure  vive  et  franche ,  l'asseoii- 
sur  des  faits  évidents ,  sur  des  expériences  précises ,  en  ex- 
poser le?  principes  avec  méthode  et  clarté,  la  dégageant 
des  mystères  et  des  préventions  puériles  des  alchimistes ,  ses 
devanciers.  Bien  qu'il  ignorât  la  doctrine  du  phlogistique 
de  Stahl  et  de  Bêcher ,  ainsi  que  la  théorie  de  la  combustion, 
déjà  plus  d'à  moitié  trouvée  par  Boyle,  et  qu'il  ait  eu  l'in- 
concevable malheur  de  méconnaître  la  pesanteur  de  l'air, 
ses  Éléments  de  Chimie  n'en  eurent  pas  moins  le  succès 
le  plus  brillant  et  la  plus  grande  influence.  Cet  ouvrage, 
tout  suranné  qu'il  nous  paraisse  aujourd'hui,  n'en  fut  pas 
moins  le  plus  remarquable  du  temps  ;  il  fut  le  précurseur  et 
apparemment  aussi  le  promoteur  de  la  nouvelle  révolution 
chimique.  Les  analyses  de  Boerhaave  sont  étonnantes  pour 
le  temps,  et  ses  expériences  ont  souvent  beaucoup  d'exac- 
titude et  de  finesse.  Après  Scheele  et  Bergmann,  ses  auteurs 
favoris ,  Vauquelm  prisait  mfmùnent  Boerhaave  ;  je  lui  ai 
souvent  vu  aux  mains  l'édition  de  1732 ,  qui  est  la  meilleure. 
Plusieurs  opuscules  sur  la  chimie ,  entre  autres  trois  Mé- 
moires sïir  le  Mercure,  furent  insérés  dans  les  recueils 
de  l'Académie  des  Sciences  de  Paris  et  de  la  Société  Royale 
de  Londres  (  1734  ) ,  et  cela  même  le  porta  à  étudier  pro- 
fondément les  maladies  dont  le  mercure  est  le  spécifique 
par  excellence.  Ces  sortes  d'affections  étaient  alors  et  plus 
vives  et  moins  bien  conndes  que  de  nos  jours  ;  le  traite- 
ment en  était  non-seulement  plus  mystérieux,  mais  moins 
parfait.  Il  y  eut  donc  à  propos  de  la  part  de  Boerhaave  à 
publier  un  ouvrage  sur  les  Maladies  vénériennes  l'année 
même  qui  suivit  ses  mémoires  chimiques  sur  le  mercure.  Il 
faut  même  remarquer  que  la  première  édition  de  ce  traité 
parut  à  Londres  et  en  anglais ,  ce  qui  dut  servir  encore  à 
la  haute  fortune  du  médecin  de  Leyde. 

Sa  chaire  de  médecine  cfinique  ajouta  beaucoup  à  son 
expérience  et  à  sa  réputation  ;  il  y  fit  voir  une  grande  sa- 
gesse. Jamais  Bidioo,  son  pndécesseur,  n'avait  montre  au- 
tant d'éloignement  pour  les  idées  systématiques  que  Boer- 
haave en  montra  lui-même  au  lit  des  malailes.  11  oubliait 
alors  toutes  ses  théories  et  sa  chère  chimie ,  pour  ne  voir 
que  les  symptémes  des  maladies,  leurs  différents  caractères, 
leur  tendance  vers  la  guérison  ou  la  mort;  il  s'attachait 
aussi  à  en  découvrir  le  siège,  et  il  en  discutait  le  traite- 
ment avec  une  rare  prudence.  D'ailleurs,  Boerhaave  pos- 

42 


330 

Ft'dait  pour  robscrvation  une  lieureuse  aptitude.  Il  n'a  mal- 
lieureusement  laissi^  que  deux  histoires  pratiques  tracées 
de  sa  main  :  Tune  d'elles  est  relative  à  la  rupture  soudaine 
de  l'œsophage  sur  un  personnage  éniinent;  mais  il  serait 
difficile  de  concevoir  rien  de  plus  hippocrati(iue  ou  de  plus 
achevé.  Boerhaave  était  cj^alement  doué  d'une  grande  sa- 
gacité, à  laquelle  il  savait  joindre,  quand  il  en  était  besoin, 
une  volonté  ferme  et  un  caractère  très-décidé.  Un  jour  il 
s'aperçut,  en  traversant  une  salle  d'hôpital  remplie  de 
jeunes  tilles,  qu'un  grand  nombre  d'entre  elles  avaient  des 
convulsions,  à  l'exemple  d'^ine  malade,  leur  voisine,  qui 
était  réellement  atteinte  d'épilepsie.  Boerhaave  vit  aussitôt 
<|u'il  ne  pourrait  maîtriser  ce  déplorable  effet  de  l'imitation 
qu'en  frappant  d'une  terreur  soudaine  l'imagination  de  ces 
jeunes  filles  :  il  se  fit  donc  apporter  au  milieu  même  des 
malades  un  fourneau  rempli  de  charbon  ardent;  lui-même 
y  fit  rougir  de  ces  tiges  de  fer  dont  se  servent  les  chirurgiens 
pour  cautériser  des  caries  ou  des  plaies ,  et,  saisissant  en- 
suite la  poignée  d'un  de  ces  métaux  brûlants,  il  dit  aux 
convulsionnaires  :  «  Vous  voyez  ce  fer  rouge  ;  la  première 
d'entre  vous  qui  aura  le  malheur  d'avoir  des  convulsions, 
je  le  lui  applitpieiai  sur  la  figure.  »  L'effet  fut  subit  :  aussitôt 
les  convulsions  cessèrent  ;  on  aurait  pu  se  croire  à  l'un  de 
ces  enchantements  si  familiers  dans  les  siècles  d'ignorance 
et  de  crédulité.  Voilà  de  la  médecine  morale  ;  et  c'est  assu- 
rément la  meilleure. 

Une  attaque  de  goutte  força  Boerhaave  d'interrompre 
pour  la  première  fois  ses  travaux  en  1722.  Deux  nouvelles 
rechutes,  en  1727  et  1729,  lui  firent  abandonner  les  chaires 
de  botanique  et  de  chimie.  Enfin  en  1738  les  symptômes  de 
son  mal  s'aggravèrent ,  et  après  quelques  mois  de  souffran- 
ces il  mourut,  le  23  septembre  de  cette  année.  Un  monument 
lui  fut  élevé  dans  l'église  de  Saint-Pierre.  On  y  voit  son 
image  entourée  de  sa  devise  chérie  :  Simplex  sigillum  veri. 

Quelle  vie  que  celle  de  Boerhaave  !  quatre  chaires  diffé- 
rentes ,  glorieusement  remplies  par  le  même  homme ,  n'oc- 
cupent encore  qu'une  faible  partie  de  ses  instants.  Dans  l'es- 
pace de  vingt  années,  vous  le  verrez  composer  10  discours 
fameux  ,  plusieurs  dissertations ,  5  mémoires  originaux  ; 
attacher  son  nom  à  27  ouvrages  remarquables,  dont  quatre, 
quoiqu'en  latin,  sont  traduits  en  divers  idiomes ,  même  en 
arabe,  et  plus  de  cinquante  fois  réimpriiné.s  durant  un 
quart  de  siècle.  Cependant,  il  trouve  encore  assez  de  loisirs 
pour  publier  onze  ouvrages  antérieurement  connus,  entre 
autres  ceux  de  Prosper  Alpin  et  d'Arétée,  et  il  a  la  générosité 
de  tenir  lieu  de  Ubraire  à  trois,  auteurs  trop  peu  célèbres  pour 
en  trouver  d'accessibles  ,  ou  trop  pauvres  pour  pouvoir  s'en 
passer.  Remarquez  pourtant  que  Boerhaave  sait  six  langues, 
qu'il  est  bon  mathématicien ,  physicien  ingénieux ,  savant 
naturaliste,  métaphysicien  subtil;  il  sait  la  théologie,  il 
sait  l'histoire.  Il  passe  ses  matinées  à  l'hôpital,  et  son  labo- 
ratoire de  chimie  obtient  les  plus  belles  heures  de  chacun 
de  ses  jours  ;  il  expérimente ,  il  piofes.se  ,  il  observe  ;  en- 
suite il  compose,  ensuite  il  traduit,  il  consulte,  il  converse, 
il  herborise,  et  il  no  <lédaigne  pas  même  d'inventer  des 
recettes  nouvelles.  Il  instruit  des  milliers  d'élèves  ,  traite  ou 
conseille  des  malades  venus  vers  lui,  leur  dernier  espoir,  de 
toutes  les  contrées  de  riùirope;  correspond  avec  dix  acadé- 
mies qui  voudraient  se  le  concilier,  et  avec  autant  de  rois 
qui  songent  à  le  séduire.  Quel  est  donc  le  génie  qui  multiplie 
ainsi  le  même  homme ,  et  qui  concentre  dans  vingt  années  de 
sa  vie  l'ample  matière  à  cent  existences  communes ,  qui  le 
rend  propre  à  tout  et  supérieur  en  toutes  choses  à  chacun  de 
ses  rivaux  ?  Quel  est  ce  savant  qu'attirent  à  elles  les  plus  célè- 
bres académies,  malgré  des  jaloux  qui  voudraient  les  en  dis- 
suader ,  pour  qui  l'indifférent  Fontenelle  devient  tout  à  coup 
chaleureux,  que  l'illustre  Haller  n'hésite  point  à  commenter, 
et  à  l'occasion  duquel  on  agrandit  des  villes,  trop  resserrées 
pour  la  foule  de  ses  admirateurs?  Quel  est  cet  homme  que 
vieuueut  visiter  de  cin(i  cents  lieues  des  empereurs  puissants, 


BOERHAAVE 

à  qui  l'on  écrit  de  la  Chine  :  «  A  Boerhaave,  médecin  en  Eu- 
rope; »  pour  lt'(iuel  ses  compatriotes  illuminent  spontané- 
ment leurs  édifices  et  leurs  demeures  en  apprenant  qu'une 
attaque  de  goutte  vient  de  le  quitter ,  et  qui ,  nonobstant 
l'existence  la  plus  noble,  la  mieux  remplie  de  louables  ac- 
tions et  de  pensées  généreuses ,  laisse  encore  à  sa  famille 
plus  de  quatre  millions  de  fortune,  afin  sans  doute  d'obtenir 
son  pardon  pour  cette  vie  studieuse  et  cette  renommée  qui 
lui  inspira  tant  de  déplaisir  et  tant  de  courroux  ! 

Si  nous  recherchions  les  causes  de  cette  grande  destinée 
de  Boerhaave,  nous  en  découvririons  plusieurs  dans  les  cir- 
constances de  sa  vie  :  sa  maladie  d'entance  le  rendit  chaste , 
appliqué,  prématurément  réfléchi  ;  .son  indigence  le  préserva 
de  la  dissipation  et  des  plaisirs  :  elle  lui  enseigna  de  bonne 
heure  le  prix  du  temps  et  les  bienfaits  du  travail  et  de  la 
vigilance  ;  son  apparente  désobéissance  aux  vœux  d'un  père 
vénéré  lui  prescrivit  d'expier  son  insoumission  par  de  la  re- 
nommée; son  intelligence  pleine  d'ardeur  féconda  l'érudi- 
tion paternelle  ;  les  mathématiques  lui  suggérèrent  l'habi- 
tude de  l'ordre  et  de  la  précision ,  et  les  leçons  qu'il  en  donna 
si  jeune  lui  apprirent  à  surmonter  les  difficultés  de  l'ensei- 
gnement et  à  s'insinuer  par  degrés  dans  l'esprit  d'un  audi- 
toire. Il  n'y  a  pas  jusqu'à  l'exiguïté  de  la  ville  de  Leyde  qui 
n'ait  été  propice  à  Boerhaave  :  outre  que  cette  circonstance 
concentra  mieux  ses  devoirs  comme  ses  études ,  elle  dut  le 
rendre  plus  soigneux  de  sa  conduite ,  plus  esclave  de  l'opi- 
nion et  plus  certain  d'obtenir  en  confiance  le. prix  dû  à  son 
application  et  à  sa  ponctualité.  C'est  même  pour  des  raisons 
semblables  que  les  villes  d'une  médiocre  étendue  sont  géné- 
ralement fécondes  en  bons  médecins  :  Leyde,  Halle,  Lau- 
sanne, Pavie  ,  Genève,  l'île  de  Cos  et  Montpellier  ont  fourni 
proportionnellement  plus  de  grands  praticiens  que  Londres , 
Rorne,  Moscou,  Paris  ou  Madrid.  Voilà  pour  l'aptitude. 
Quant  aux  succès ,  Boerhaave  joignait  à  une  science  précoce 
une  mémoire  aussi  prompte  qu'intarissable,  un  discerne- 
ment judicieux ,  la  connaissance  des  hommes  et  l'habitude 
du  monde ,  une  physionomie  comme  celle  de  Desgeneltes 
ou  de  Bioussais,  des  moyens  d'expression  admirables,  et, 
comme  pour  combler  la  mesure  de  tant  de  dons  célestes, 
une  santé  à  l'abri  des  infirmités  et  plus  forte  que  les  fa- 
ligues.  D'ailleurs ,  Boerhaave  écrivit  tard  et  toujours  briève- 
ment, par  sommaires,  réservant  le  surplus  pour  des  leçons 
orales  et  pour  ses  commentateurs. 

Sa  réputation  une  fois  établie ,  sa  nation ,  alors  reine  des 
mers,  la  répandit  avec  enthousiasme  parmi  tous  les  peu- 
ples civilisés,  outre  qu'il  habitait  un  pays  que  les  étrangers 
ont  toujours  fréquenté  avec  une  sorte  de  prédilection ,  à  rai- 
son de  sa  liberté  et  de  ses  lumières.  Toutefois ,  Boerhaave , 
si  glorieux  pendant  sa  vie,  n'est  plus  admiré  de  nos  jours  que 
par  tradition  et  sur  parole  ;  personne  ne  lit  ses  écrits.  No- 
tons à  ce  sujet  une  observation  assez  importante  pour  ceux 
dont  la  vie  se  dévoue  au  culte  de  l'esprit  :  c'est  qu'il  n'y  a 
que  trois  sortes  d'ouvrages  que  le  temps  respecte ,  que  l'on 
ne  cesse  de  lire,  et  que  l'on  pri.<e  d'autant  plus  qu'on  les  a 
lus  davantage  :  ce  sont  d'abord  les  grandes  conceptions  de 
poésie  destinées  à  vivifier  des  scènes  historiques  ou  à  émou- 
voir les  passions  humaines  par  des  tableaux  créés  à  leur 
ressemblance  sous  leur  inspiration  ;  c'est ,  en  second  lieu , 
l'exacte  notion  des  choses  ainsi  que  le  récit  fidèle  des  faits 
intéressants,  joint  à  leur  sincère  et  judicieuse  interpréta- 
tion, sans  le  faux  alliage  des  suppositions  ou  du  mensonge; 
c'est  enfin  l'histoire  morale  de  l'homme,  dont. on  puise  les 
matériaux  essentiels  dans  sa  conduite  et  dans  son  coîur. 
Hors  de  là,  tout  passe ,  et  voilà  pourquoi  les  livres  de  Boer- 
haave sont ,  non  pas  oubliés,  mais  délaissés.  11  décrivit  peu, 
et  ce  fut  un  malheur;  il  expliqua  tout  arbitrairement, 
comme  par  improvisation ,  et  embrassa  trop  d'objets  pour 
les  étreindre.  11  eut  le  tort  de  négliger  l'anatomie,  sans  la- 
quelle il  faut  renoncer  à  bien  concevoir  la  nature  de  l'homme 
et  son  liistoire  ;  il  ignora  les  faits  les  plus  importanU  de  la 


BOERHAAVfi  —  COERS 


331 


cl/imfe,  Texlstence  des  gaz  et  le  principe  de  la  combustion. 
Enfin,  les  sciences  depuis  lui  sont  totalement  changées, 
et  il  serait  possible  d'en  dénombrer  consciencieusement  et 
les  fondateurs  et  les  richesses  sans  mentionner  le  nom  de 
Boerhaave  dii  fois.  Sa  réputation  comme  professeur  fut  gi- 
gantesque et  pourtant  méritée  ;  mais  ce  n'est  presque  qu'une 
gloire  traditionnelle ,  comme  celle  d'un  avocat  ou  d'un  ac- 
teur, et  dont  il  serait  même  permis  de  douter  après  plu- 
sieurs générations,  puisque  rien  alors  ne  l'atteste,  ni  témoins 
ni  monuments. 

Lavoisier  a  donc  ôté  à  Boerhaave  le  sceptre  de  la  chimie; 
Linné,  ainsi  que  Jussieu  et  Lamarck ,  celui  de  la  botanique  ; 
lîordeu ,  Barthez ,  et  surtout  Bichat ,  ont  remplacé  avec  bon- 
heur ses  théories  médicales  ;  Corvisart ,  praticien  incontes- 
tablement moins  érudit ,  fut  en  revanche  plus  exact  et  plus 
infaillible  ;  enfin ,  quant  à  l'universalité  des  connaissances , 
quant  à  l'activité ,  quant  au  travail ,  Cuvier  a  été  son  digne 
et  très-heureux  rival.  Ajoutons  toutefois  que  ce  n'est  pas 
une  gloire  médiocre  pour  Boerhaave  que  de  voir  ainsi  par- 
tagé entre  tant  d'illustrations  modernes,  dans  le  siècle  qui 
suivit  sa  mort ,  un  vaste  État  qu'il  gouverna  seul  pendant 
trente  ans  sans  contestation  ni  partage.    D"^  Isid.  Bourdon. 

BCffiRNE  (  LuDwiG  ),  le  plus  célèbre  écrivain  pohtique 
de  l'Allemagne  et  l'un  de  ses  meilleurs  écrivains  littéraires, 
naquit  à  Francfort,  le  22  mai  1786,  d'une  famille  d'Israé- 
lites. Il  étudia  à  l'université  de  Halle  les  lettres,  la  philoso- 
phie et  la  médecine,  sous  les  plus  célèbres  professeurs. 
Jin  1818  il  embrassa  la  religion  protestante,  et,  poussé  par 
une  vocation  irrésistible,  il  se  jeta  dans  la  carrière  litté- 
raire. Rédacteur  libéral  de  la  Balance,  de  l'Essor  et  du 
Journal  de  Francfort,  en  butte  aux  persécutions  du  pou- 
voir, il  céda,  et  se  retira.  On  remarque  beaucoup  dans  cette 
polémique  un  morceau  intitulé  :  Histoire  curieuse  de  la 
Censure  de  Francfort.  Ce  morceau  satirique  est  admirable 
de  verve  et  d'esprit.  Bœrne  y  fustige  la  tyrannie  absurde  de 
la  censure.  Las  de  toutes  ces  tracasseries ,  Bœrne  fit  un 
premier  voyage  à  Paris,  en  1819,  et  un  second,  en  1822.  Il  fit 
paraître  ses  Tableaux  de  Paris,  livre  original  à  l'égal  de 
celui  de  Mercier.  En  1829  Bœrne  donna  une  collection  de 
ses  œuvres  en  8  volumes.  Il  y  en  eut  trois  éditions.  Depuis, 
et  en  1830,  il  pubUa  ses  Lettres  sur  Paris,  qui  firent  en 
Allemagne  une  si  vive  impression.  A  son  retour,  il  fut  l'ob- 
jet, passager  il  est  vrai,  des  ovations  les  plus  étlatcntes  et 
d'une  espèce  d'enthousiasme.  Mais  les  doctrines  du  pou- 
voir absohi,  un  moment  ébranlées  par  le  coup  de  foudre  de 
Juillet,  ne  tardèrent  pas  à  reprendre  le  dessus  sur  les  théo- 
ries de  la  propagande  révolutionnaire;  les  écrivains  pa- 
triotes étaient  poursuivis  et  menacés.  Bœrne  s'en  vint, 
après  avoir  visité  deux  fois  la  Suisse,  chercher  un  refuge  en 
France,  qu'il  ne  devait  plus  quitter.  Là,  retiré  dans  sa  mo- 
deste habitation  d'Auteuil,  il  traduisait  les  Paroles  d'un 
Croyant,  et  il  s'occupait  d'écrire  une  Histoire  de  la  Révo- 
lution française,  qu'il  n'eut  pas  malheureusement  le  temps 
d'achever.  Ses  derniers  travaux  furent  des  articles  publiés 
dans  le  Réformateur  Gi  dans  la  Balance,  feuille  piquante 
éditée  à  ses  frais,  et  dont  quelques  numéros  seulement  paru- 
rent. Enfin,  il  mit  au  jour  Menzel  der  franzosenfresser, 
le  plus  parfait  de  ses  ouvrages,  et  que  les  Allemands  ont 
appelé  le  Testament  de  Bœrne.  Bœrne  mourut  à  Paris, 
le  12  février  1837.  David  d'Angers,  avec  le  concours  de 
ses  amis,  éleva  un  monument  à  sa  mémoire. 

Depuis  la  mort  de  Jean-Paul,  aucune  perte  n'excita  en 
Allemagne  des  regrets  plus  vifs  et  plus  universels.  A  ses 
qualités  de  grand  écrivain  et  de  démocrate  ferme  et  sincère, 
Bœrne- joignait  une  âme  ardente  et  sensible,  une  lare  pro- 
bité, un  caractère  désintéressé,  ime  modestie  charmante. 
Allemand  par  la  naissance,  mais  Français  par  l'esprit  et  par 
le  cœur,  il  rêvait  l'union  intime  des  deux  pays.  11  n'était  pas, 
lui,  pour  les  barrières  du  Rhin. 
[  Boemc  est  l'un  de  ces  rares  esprits  qui  prospèrent  en 


quelque  lieu  q>ie  leurs  pensées  poussent  et  se  répandent , 
pareils  à  ces  belles  fleurs  exotiques  qui ,  transportées  dans 
nos  doux  climats,  y  brillent  presque  du  même  éclat,  y 
exhalent  presque  le  même  parfum  que  nos  roses  naturelles. 
Le  génie  de  Bœrne,  quoique  allemand  par  sa  profondeur  et 
l'universalité  de  sa  poésie ,  ressemblait  néanmoins  par  la 
forme  à  celui  de  Voltaire  :  vif,  léger,  fin,  original,  il  ne  se 
perdait  pas  dans  ces  abstractions  métaphysiques,  dans  ces 
définitions  nébuleuses  où  les  philosophes  de  l'Allemagne  se 
jettent,  soit  par  habitude,  soit  par  une  sorte  de  courbure  de 
leur  esprit ,  soit  pour  se  dérober  eux-mêmes  la  vue  des  mi- 
sères politiques  qui  les  affligent.  Bœrne ,  impétueux ,  ar- 
dent, véridique,  intrépide,  ne  composait  pas  avec  les  pré- 
jugés. Il  abattait  sous  le  tranchant  de  sa  plume  acérée  les 
institutions  féodales,  les  courtisans,  les  flatteurs  et  les  abus. 

Il  y  a,  même  en  politique,  un  côté  poétique,  comme  en 
tout  le  reste.  C'est  ce  côté  poétique,  ce  côté  fleuri,  que  sai- 
sissent plus  volontiers  les  Allemands  ;  mais  la  fleur  des 
pommiers,  la  fleur  de  la  vigne,  la  fleur  du  blé,  tombent  au 
premier  souille  du  vent;  c'est  le  raisin  seul  qui  donne  le 
vin,  l'épi  seul  qui  donne  le  blé,  le  noyau  seul  qui  donne  le 
fruit.  De  môme,  pour  bien  connaître  les  choses,  il  faut  al- 
ler au  fond  des  choses.  C'est  là  ce  que  savent  faire  admira- 
blement les  Français.  Avec  leur  esprit  positif,  exact,  mé- 
thodique, pénétrant,  arrangeur,  ils  ont  bien  vite  réduit 
chaque  matière  à  sa  plus  simple  expression  :  il  ne  faut  pas 
croire,  parce  qu'ils  dansent  et  qu'ils  chantent  à  ravir,  que  ce 
soit  un  peuple  qui  danse  et  qui  chante  toujours.  Ce  sont, 
au  contraire,  les  Allemands  qui,  en  politique,  chantent 
toujours.  Je  ne  les  en  blâme  point.  Ils  font  comme  fit  ja- 
dis Hésiode,  comme  firent  les  bardes  écossais,  les  enfants 
d'Odin,  et  les  druides,  nos  aieux. 

Avant  d'éclairer  les  esprits ,  il  faut  toucher  les  cœurs, 
et  il  n'y  a  que  les  poètes  qui  sachent  bien  toucher  les  cœurs. 
11  faut  parler  à  l  imagination  des  peuples  par  des  figures , 
et  il  n'y  a  que  les  poètes  qui  sachent  bien  attaquer,  ébran- 
ler, séduire  l'imagination.  Bœrne  a  donc  suivi  la  marche 
naturelle  des  choses  ;  il  s'avance  par  bonds  ,  comme  les 
poètes  lyriques  ;  il  sème,  il  prodigue  toutes  les  fleurs  de 
son  biillant  esprit;  il  a  de  soudaines  aspirations  vers  un 
avenir  meilleur;  il  s'afflige,  il  se  console,  il  croit,  il  doute, 
il  espère,  et  l'on  sent  que  son  âme  déborde  et  que  ses  en- 
trailles remuent.  Il  se  berce  dans  ses  pensées,  il  cesse  d'ê- 
tre Français,  il  redevient  Allemand  ;  il  va,  revient,  flotte  et 
suit  dans  ses  calmes,  ses  agitations,  ses  progrès  et  ses  re- 
tours, le  flot  ondulé  de  Juillet.  Sa  manière  est  un  mélange 
d'ode,  d'élégie  et  de  satire  \  l'homme  de  lettres  domine,  et 
le  publiciste  est  quelquefois  absent.  Or,  ce  qu'il  faut  à  l'Al- 
lemagne, ce  sont  des  logiciens  et  des  publicistes  plutôt  que 
des  poètes  et  des  philosophes. 

Eœrne  était  aussi  grand  par  le  sentiment  que  distingué 
par  l'esprit.  Il  aimait  la  France  comme  sa  seconde  patrie, 
il  l'aimait  dans  l'intérêt  de  l'Allemagne.  Il  avait  raison. 
L'Allemagne  a  besoin  du  secours  de  la  France ,  non  pas  de 
la  France  militaire,  mais  de  la  France  intellectuelle,  pour 
secouer  le  joug  féodal  de  ses  aristocraties  et  de  ses  monar- 
chies. Depuis  longtemps,  au  milieu  de  tous  les  bruits  du 
siècle,  il  se  fait,  dans  le  sein  de  l'Allemagne,  comme  un 
travail  lent,  mais  continu,  de  décomposition,  et  la  loi  du  pro- 
grès s'y  accomplira.  La  Providence  a  ses  voies,  qu'elle  seule 
connaît,  et  nous  aurions,  avec  Bœrne,  préféré  toujours  les 
plus  douces.  Bœrne  est  mort  dans  cette  sainte  espérance,  et 
les  Allemands  régénérés  le  béniront  un  jour  comme  l'un  des 
précui'seurs  de  leur  émancipation.  Timon.  ) 

BOEUS,  c'est-à-dire  paysans,  nom  donné  dans  la  colo- 
nie du  cap  (le  Bonne-Espérance  aux  possesseurs  du  sol 
d'origine  hollandaise.  On  distingue  les  Boers  en  trois  classes, 
d'après  les  trois  principales  productions  du  pays  :  les  ^oer.s 
vignerons,  la  classe  la  plus  riciie,  qui  trouvent  beaucoup 
do  commodités  dans  le  voisinage  des  villes,  surtout  du  Cap  ; 

42. 


332 


BOERS  —  BQETTIGER 


les  Boers  agriculteurs,  qui  sont  à  leur  aise ,  quelquefois 
riches,  malgré  l'état  arriéré  de  l'agriculture,  principalement 
dans  le  voisinage  des  villes;  les  Boers  pasteurs,  qui  sont, 
il  est  vrai,  assez  riclies  pour  vivre  indépendants,  mais  que 
leur  vie  nomade  à  travers  les  déserts  de  l'intérieur  a  rendus 
sales  et  grossiers.  Le  caractère  des  Hollandais,  froid,  fleg- 
matique, tenace,  persévérant,  luttant  contre  les  difficultés 
avec  un  redoublement  d'énergie,  s'est  conservé  chez  leurs 
descendants  à  cette  extrémité  de  l'Afrique,  et  s'est  incul- 
qué petit  à  petit  chez  ceux  des  réfugiés  français  qui  allèrent 
chercher  un  asile  au  Cap ,  après  la  révocation  de  l'édit  de 
Nantes,  et  y  introduisirent  la  culture  de  la  vigne.  La  langue 
des  Boers  est  le  hollandais;  très-peu  d'entre  eux  compren- 
nent l'anglais,  môme  dans  les  environs  des  villes.  Bien  qu'en- 
nemis des  Anglais,  ils  les  accueillent  avec  hospitalité,  mais 
sans  leur  faire  d'avances.  Leur  vie,  au  reste,  est  tout  à  fait 
patriarcale,  simple,  religieuse;  la  discipline  domestique 
est  extraordinairement  sévère  dans  les  familles,  et  tous  pra- 
tiquent assez  régulièrement  leurs  devoirs  religieux.  Pres- 
que tous  savent  hre  et  écrire.  Le  Boer  se  distingue  par  une 
structure  robuste  et  une  très-haute  taille;  mais  il  est  lourd 
et  sans  grâce,  et  la  beauté  est  rare  parmi  les  femmes.  Mé- 
contents depuis  longtemps  de  l'administration  de  la  colonie, 
un  très-grand  nombre  de  Boers  ont  émigré,  à  différentes 
époques,  au  delà  du  fleuve  Orange,  et  y  ont  défriché  une 
étendue  de  terrain  considérable  quç  l'on  regaide  aujour- 
d'hui comme  une  dépendance  de  la  colonie.  D'autres  allè- 
rent fonder  la  colonie  de  Port-Natal,  qui  est  soumise  à  l'An- 
gleterre. 

JÎOÉTIE  (  Etienne  de  La).  Voyez  La  Boétie. 

BCffiTTCÏIER  (Jean-Fhédéric),  nommé  aussi  BŒTT- 
GER  ou  BQiTTlGER,  comme  il  signait  quelquefois,  inven- 
teur de  la  porcelaine  de  Saxe,  était  né  à  Sclileiz,  dans  le 
bailliage  delîeuss,  en  1681  ou  16S2.  Son  père,  qu'il  perdit  de 
bonne  heure,  avait  été  directeur  de  la  Monnaie  à  Magdebourg 
et  à  Schleiz.  A  l'âge  de  quinze  ans  Bœttcher  entra  comme 
apprenti  chez  un  pharmacien  de  Berlin,  nommé  Zorn.  Il  an- 
nonçait de  grands  talents,  unis  à  une  louable  persévérance, 
surtout  dans  l'étude  de  la  chimie;  mais  il  employait  tous 
ses  loisirs  à  essayer  de  faire  de  l'or.  Il  avait  été  poussé  à  la 
vaine  recherche  du  secret  de  la  transmutation  des  métaux  par 
l'apothicaire  Copke  d'Heymersleben,  qui  lui  avait  prêté  un 
manuscrit  sur  la  pierre  philosophale,  qu'il  tenait ,  disait-il , 
d'un  moine  de  Saint-Gall.  Bœttcher  passait  des  nuits  en- 
tières dans  le  laboratoire  de  Zorn,  travaillant  aux  dépens  de 
ce  dernier,  car  il  n'avait  aucune  fortune  par  lui-même  et 
néghgeait  les  travaux  de  son  état.  Cette  conduite  lui  attira 
de  violents  reproches  de  la  part  de  Zorn,  et  il  dut  quitter  son 
laboratoire  vers  le  mois  de  septembre  1699.  Tombé  dans  la 
misère  la  plus  profonde,  il  rentra  cependant  chez  le  même 
pharmacien  à  I>âques  1700,  en  promettant  d'être  plus  cir- 
conspect ;  mais  il  n'en  continua  pas  moins  en  secret  ses  es- 
sais d'alcliimie.  Pour  convaincre  de  la  réalité  de  son  art  ses 
camarades,  qui  se  moquaient  de  lui,  il  consentit  à  leur  don- 
ner des  preuves  de  ses  talents  en  alchimie,  et  en  effet,  en  1701, 
il  retira  de  l'or  fin  d'un  creuset. 

Quoique  Bœttcher  priât  qu'on  lui  gardât  le  secret,  son  pré- 
tendu succès  n'en  fut  pas  moins  prôné  ;  ce  qui  lui  valut  les 
encouragements  des  gens  les  plus  distinguos,  entre  autres 
du  célèbre  Haugwitz,  en  présence  de  qui  il  répéta  ses  expé- 
riences. Mais  Bœttcher,  ayant  appris  qu'en  sa  qualité  d'a- 
depte du  grand  art  on  voulait  le  faire  arrêter,  disparut  tout 
à  coup,  et  vécut  caché  dans  une  mansarde  du  marchand 
Bœbcr.  Il  s'échappa  ensuite  à  la  fin  d'octobre  1701 ,  et  se 
rendit  à  \Vittembei"g,  où  il  feignit  de  vouloir  étudier  la  mé- 
decine. Instruit  du  lieu  oii  il  s'était  retiré,  le  gouvernement 
prussien  envoya  un  commissaire,  qui  essaya  d'abord  par  de 
bonnes  paroles  de  le  décider  à  retourner  en  Prusse,  et,  ce 
moyen  n'ayant  |)as  réussi,  il  (ut  arrêté  comme  déprédateur  ; 
mais  la  cour  de  Dresde  prit  le  fugitif  sous  sa  protection. 


voulant  éclaircir  la  conduite  mystérieuse  de  cet  homme  et 
pénétrer  le  motif  des  offres  nombreuses,  publiques  ou  se- 
crètes, qui  lui  étaient  faites  de  la  part  de  l'étranger.  Bœttcher 
fut  donc  emmené  à  Dresde.  Le  gouverneur  Égon  de  Fiirs- 
temberg  le  reçut  dans  son  palais  jusqu'à  ce  qu'on  lui  ertt 
préparé  un  logement  commode  dans  le  Hofgarten.  Bœttcher 
y  était  traité  en  personnage  de  distinction,  mais  il  y  était  en 
quelque  sorte  prisonnier,  et  il  ne  lui  était  permis  de  voir 
personne.  De  temps  à  autre  on  lui  donnait  de  fortes  sonunes 
pour  ses  essais  d'alchimie. 

Bœttcher  sut  pendant  trois  ans  tenir  le  prince  de  Fiirstem- 
berg  en  haleine.  Remarquant  enfin  que  la  patience  de  son 
protecteur  était  à  bout,  et  qu'il  n'y  avait  plus  moyen  de 
pousser  la  supercherie  plus  loin ,  il  disparut  par  une  belle 
nuit  de  l'étéde  1704,  et  prit  sa  course  à  travers  la  Bohême  et 
la  Hongrie.  Mais  on  se  mit  à  sa  poursuite  :  on  l'arrêta  à 
Ems;  on  le  ramena  à  Dresde,  et  à  force  de  menaces  on  lui 
fit  promettre,  sinon  de  continuer  ses  essais,  au  moins  de 
donner  par  écrit  son  secret.  Dans  l'automne  de  1705,  Bœt- 
cher  remit  donc  au  roi  Auguste  II  un  rapport  fort  long ,  dont 
l'original  se  conserve  dans  les  archives  de  Saxe.  Ce  rapport 
est  plein  de  rêveries  mystiques  ;  mais  il  est  écrit  avec  tant 
de  bonne  foi  apparente,  qu'on  pourrait  croire  que  l'auteur 
était  sur  de  son  fait.  Le  roi  cependant,  mécontent  et  du  raj)- 
port  et  du  résultat  de  nouveaux  essais,  finit  par  déclarer  que 
l'arcane  de  Bœttcher  ne  reposait  pas  sur  une  bonne  base.  Le 
comte  de  Tschirnhausen  conseilla  alors  à  Auguste  II,  qui 
désirait  depuis  longtemps  d'établir  en  Saxe  une  manufacture 
où  l'on  pût  mettre  en  œuvre  les  matières  premières  qui  exis- 
taient dans  le  pays ,  telles  que  terres ,  pierres ,  etc. ,  de  ti- 
rer parti  dans  ce  but  des  connaissances  incontestables  de 
Bœttcher  en  chimie. 

En  effet,  à  la  fin  de  l'année  1705,  Bœttcher  parvint  à  ti- 
rer d'une  espèce  d'argile  rouge  qu'on  rencontre  aux  envi- 
rons de  Meissen ,  une  porcelaine  qui  surpassait  de  beaucoup 
en  beauté  et  en  solidité  celle  de  Tschirnhausen.  L'heureux 
inventeur  fut  comblé  de  présents  ;  il  ne  fut  cependant  pas 
mis  en  liberté ,  soit  qu'on  voulût  tenir  secrète  la  fabrication 
de  cette  porcelaine,  soit  qu'on  espérât  encore  parvenu"  à  la 
découverte  de  la  pierre  philosophale ,  ne  considérant  la  por- 
celaine que  comme  une  chose  accessoire.  Lors  de  l'invasion 
des  Suédois  en  1706,  le  laboratoire  de  Bœttcher  fut  trans- 
féré dans  la  forteresse  de  Kœnigstein ,  au  miheu  de  la  nuit , 
sous  l'escorte  d'un  détachement  de  cavalerie  et  avec  les  plus 
grandes  précautions.  Tschirnhausen  allait  seul  le  visiter  de 
temps  en  temps,  afin  de  surveiller  les  travaux.  Après  la  re- 
traite des  Suédois,  on  fit  revenir  Bœttcher  à  Dresde,  et  on 
lui  donna  un  vaste  laboratoire.  Dès  lors  la  fabrication  de  la 
porcelaine  prit  un  tel  développement  que  ses  produits,  qui 
avaient  d'abord  été  offerts  en  présents  aux  cours  étrangères, 
parurent,  en  1709,  sur  le  marché  de  Leipzig.  En  1710  le 
laboratoire  fut  transporté  dans  l'Albrechtsbourg  à  Meissen , 
et  en  1711  on  y  établit  un  atelier  particulier  pour  la  jiorce- 
laine  blanche,  qui  était  encore  fort  rare.  Après  la  mort  du 
comte  de  Tschirnhausen  ,  en  170S ,  Bœttcher  fut  nommé  di- 
recteur de  la  fabrique;  mais  sa  vie  irréguiière  le  rendait  peu 
propre  à  remplir  cette  place,  et  des  vues  d'intérêt  personnel, 
à  ce  qu'il  semble ,  le  portèrent  à  entraver,  autant  qu'il  dé- 
pendait de  lui,  les  progrès  delà  fabrication.  Dès  Tannée  1716 
il  noua  avec  des  Berlinois  une  correspondance  dans  le  but 
de  leur  vendre  son  secret;  mais  elle  fut  découverte  en  1719 
et  sa  mort,  arrivée  le  3  mars  1719,  put  seule  le  soustraire 
au  châtiment  qu'il  avait  mérité.  Quoiqu'il  eût  reçu  du  roi, 
à  plusieurs  reprises ,  plus  de  1 50,000  thalers ,  il  ne  laissa 
que  des  dettes.  On  a  dit  qu'il  avait  été  créé  baron  en  récom- 
pense de  ses  services;  mais  c'est  une  fable.  Consultez  En- 
gelhards,  J.-F.  Bœttger,  inventeur  de  la  porcelaine  de 
Saxe  (Leipzig  ,  1S37  ). 

liOETTIGER  (Ciiari.fs-Aucuste),  un  des  jdus  sav.int.s 
et  des  plus  ingénieux  arthéologues  et  littérateurs  de  l'Aile- 


BCETTIGER  -  BŒUF 


333 


magne,  naquit  le  8  juin  1760,  à  Reichenbach,  dans  le  Voigt- 
land  saxon.  Après  avoir  terminé  ses  études  à  Leipzig,  il 
entra  comme  gouverneur  dans  une  famille  de  Dresde.  Appelé 
comme  recteur  à  Guben,  en  1784,  puis  à  Bautzen,  en  1790, 
il  ne  resta  que  fort  peu  de  temps  dans  cette  dernière  ville, 
la  recommandation  de  Herder  lui  ayant  fait  obtenir,  en  1791, 
la  place  de  directeur  du  gymnase  de  Weimar.  Si,  d'un  côté, 
la  société  de  Scbiller,  Herder,  Wieland  et  Gœthe,  si  des 
études  communes  avec  le  savant  artiste  H.  Meyer  furent 
utiles  à  Bœttiger,  en  développant  en  lui  le  goût  de  l'archéo- 
logie ,  de  l'autre ,  les  travaux  littéraires  qu'il  entreprit  pour 
le  comptoir  industriel  le  détournèrent  d'études  sérieuses. 
De  1795  à  1803,  il  publia  seul  le  Journal  du  Luxe  et  de  la 
Mode,  sous  le  pseudonyme  de  Bertuch;  de  1797  à  1809,  il 
travailla  à  peu  près  seul  au  Nouveau  Mercure  Allemand, 
Wieland  n'ayant  jamais  donné  que  son  nom  ;  pendant  six  ans, 
il  rédigea  seul  le  journal  Londres  et  Paris,  et  expliqua  lui- 
même  les  gravures.  Collaborateur  de  la  Gazette  universelle 
depuis  sa  fondation  par  Posselt,  en  1798,  il  fut  exclusive- 
ment chargé  jusqu'en  1806  des  revues  httéraires,  des  né- 
crologies, des  nouvelles  anglaises,  des  annonces  des  foires. 
On  comprend  qu'au  milieu  d'occupations  si  variées,  sans 
parler  de  son  active  correspondance  et  des  devoirs  de  sa  place, 
il  n'ait  pu  écouter  les  conseils  de  Heyue ,  AVolf ,  Jean  de 
Millier,  ni  de  ses  amis  de  Weimar,  qui  le  pressaient  sans  cesse 
d'entreprendre  mi  ouvrage  sérieux  et  durable.  Les  seuls 
travaux  un  peu  importants  qu'Q  ait  publiés  pendant  son 
séjour  à  Weimar  sont  Sabine,  ou  la  Matinée  d\ine  dame 
romaine  (Leipzig,  1803;  2^  édit.,  1806),  &i  Peintures  de 
vases  grecs,  avec  des  explications  archéologiques  et  artis- 
tiques et  des  gravures  originales  (1797-1800);  encore  ce 
dernier  est-il  resté  inachevé.  Il  publia  aussi  en  collaboration 
avec  H.  Meyer  les  Cahiers  Archéologiques,  le  Musée  Ar- 
chéologique (Weimar,  1801  )  et  Ze  Masque  des  Furies  dans 
la  tragédie  et  la  statuaire  des  anciens  Grecs. 

En  1804 ,  Bœttiger  fut  appelé  à  Dresde  en  qualité  de  con- 
seiller de  cour  et  de  directeur  des  études  de  la  maison  des 
pages.  Dès  1805  il  commença  des  cours  publics  .sur  quel- 
ques branches  de  l'archéologie  et  de  l'art  antique,  cours  à 
la  suite  desquels  il  publia  :  Sur  les  Minées  et  les  collections 
d'antiques  (Leipzig,  1808);   les  Noces   Aldobrandines 
(Dresde,  1810);  Idées  sur  l'Archéologie  de  la  Peinture 
(Dresde,  1811)  et  la  Mythologie  de  l'Art  (Dresde,  181 1). 
La  maison  des  pages  ayant  été  réunie  en  1814  à  celle  des 
cadets,  Bœttiger  fut  nommé  directeur  des  études  à  l'école 
militaire  et  inspecteur  en  chef  des  musées  royaux  des  anti- 
ques et  de  la  collection  des  plâtres  de  Mengs.  C'est  à  cette 
période  de  sa  vie  qu'appartiennent  les  Leçons  sur  la  Ga- 
lerie des  Antiques  de  Dresde  (  Dresde,  1814  ),  Cours  et  J/e- 
moires d'Aixhéologie  ihe\i)iig,  1817),  et  Éclaircissements 
cosmographiques  sur  le  monde  ancien  (  Leipzig,  1818). 
Lorsqu'il  perdit  sa  place,  en  1821,  à  la  suite  de  la  réorga- 
nisation complète  de  l'école  militaire ,  il  renonça  à  l'ensei- 
gnement, pour  ne  plus  s'occuper  que  de  travaux  littéraires.  A 
partir  de  ce  temps  il  publia  successivement  un  Journal  des 
Notices  artistiques  ;  Amalthée,  ou  Musée  de  la  Mythologie 
de  FArt  et  de  l'Archéologie  plastique  (Leipzig,  1821-1825), 
qu'il  continua  depuis  sous  le  titre  :  L'Archéologie  et  l'Art 
(Breslau,  1828).  La  mort  ne  lui  permit  pas  de  terminer  la 
publication  des  Idées  sur  la  Mythologie  de  l'Art;  le  second 
volume,  resté  manuscrit,  a  été  édité  par  Sillig  (Dresde,  1836). 
Bœttiger  mourut  le  17  novembre  1835.  Depuis  1832,  l'Ins- 
titut de  France  l'avait  admis  dans  son  sein. 

BŒUF.  «  Ce  mot,  dit  Cuvier,  désigne  proprement  le 
taureau  châtré  ;  dans  un  sens  plus  étendu,  il  désigne  l'espèce 
entière,  dont  le  taureau,  la  vache,  le  veau,  la  génisse  et  le 
bœuf  ne  sont  que  différents  états;  dans  un  sens  plus  étendu 
encore,  il  s'applique  au  genre  entier,  qui  comprend  les  es- 
pèces du  bœuf,  du  buffle,  du  yak,  etc.  Dans  ce  dernier  sens 
le  genre  bœuf  est  composé  de  quadrupèdes  ruminants  à 


pieds  fourchus  et  à  cornes  creuses ,  qui  se  distinguent  des 
autres  genres  de  cette  famille ,  tels  que  les  chèvres ,  les  mou- 
tons et  les  antilopes ,  par  un  corps  trapu  ;  par  des  membres 
courts  et  robustes  ;  par  un  cou  garni  en  dessous  d'une  peau 
lâche,  qu'on  appelle /«?îo??;  par  des  cornes  qui  se  courbent 
d'abord  en  bas  et  en  deh.ors ,  dont  la  pointe  revient  en  des- 
sus, et  dont  l'axe  osseux  est  creux  intérieurement,  et  com- 
munique avec  les  sinus  frontaux.  » 

Les  bœufs  ne  vivent  que  d'herbes,  ainsi  que  tous  les  ani- 
maux de  leur  ordre  ;  mais ,  loin  d'être  timides  et  fugitifs , 
comme  les  cerfs  et  les  antilopes ,  ils  se  défendent  contre  les 
carnassiers  de  la  plus  grande  taille,  résistent  à  l'homme ,  ou 
même  l'attaquent  lorsqu'il  s'offre  à  leur  vue ,  le  percent  de 
leurs  cornes  et  le  foulent  aux  pieds.  Dans  l'état  sauvage,  ils 
vivent  par  troupes;  ils  sont  polygames,  et  ne  produisent 
qu'un  petit  à  chaque  portée.  Plusieurs  espèces  de  ce  genre, 
réduites  à  la  domesticité ,  servent  à  l'homme  pour  le  trait  et 
le  portage ,  et  lui  fournissent  leur  lait.  Il  n'est  presque  au- 
cune de  leurs  parties  qui  ne  soit  utile.  Leur  chair  est  bonne 
à  tous  les  âges  ;  leur  suif ,  leur  peau  ,  leurs  cornes ,  leurs  os, 
sont  employés  par  les  différents  arts  :  et  ce  sont  sans  con- 
tredit de  tous  les  animaux,  ceux  dont  l'homme  a  su  tirer  le 
plus  grand  parti. 

Dans  la  classification  du  genre  bœuf  la  plus  généralement 
adoptée  aujourd'hui,  on  reconnaît  huit  espèces  principales  : 
le  bœuf  ordinaire  (  dont  se  rapfprochent  le  zébti,  le 
gour,  et  quelques  autres  variétés,  moins  importantes). 
Vaurochs ,\e  bison  d'Amérique,  le  buffle,\e  gnyalou 
bœuf  des  jongles,  \e  yak  on  buffle  à  queue  de  cheval,  le 
b  uffl  eduC  ap,  et  le  bœuf  musqué  oab  uffl  e  musqué 
d'Aviérique. 

Le  bœitf  ordinaire  (bos  taurus,  Linné)  a  pour  carac- 
tères spécifiques  un  front  plat ,  plus  long  que  large ,  et  des 
cornes  rondes ,  placées  aux  deux  extrémités  de  la  ligne  sail- 
lante qui  sépare  le  front  de  l'occiput.  Il  n'est  personne  qui  ne 
connaisse  cet  animal,  sans  lequel  la  société  humaine  aurait' 
peine  à  subsister,  au  moins  dans  nos  climats.  On  le  trouve 
dans  toute  l'Europe ,  dans  la  plus  grande  partie  de  l'Asie  et 
de  l'Afrique  ,  et  il  s'est  prodigieusement  multiplié  en  Amé- 
rique depuis  que  les  Européens  l'y  ont  transporté  ;  car  il 
n'existait  pas  dans  cette  partie  du  monde  lorsque  les  Espa- 
gnols y  abordèrent.  Ses  races  ont  été  prodigieusement  mo- 
difiées ,  tant  par  l'influence  de  la  domesticité  que  par  de  si 
grandes  diversités  de  climats.  Aussi  le  bœuf  varie-t-il  con- 
sidérablement pour  la  taille  et  la  couleur  ;  les  cornes  même 
varient  en  grandeur  ou  en  direction,  et  manquent  tout  à  fait 
dans  quelques  variétés.  Il  paraît  que  la  couleur  naturelle 
à  l'espèce  est  le  fauve  ;  et  c'est,  en  effet,  la  plus  commune  ; 
mais  elle  passe  quelquefois  à  d'autres  nuances ,  tantôt  plus 
ou  tantôt  moins  vives  :  il  y  a  des  bœufs  rouges  et  bais;  il 
y  en  a  aussi  de  noirs,  de  bnms,  de  blancs,  de  gris,  de  pom- 
melés et  de  pies. 

On  distingue  sous  le  nom  particulier  de  bœufs  à  bosse  ou 
zébus  ceux  qui  portent  sur  les  épaules  une  loupe  de  graisse. 
Le  bœuf  a  douze  dents  molaires  à  chaque  mâchoire,  six 
de  chaque  côté ,  point  de  canines ,  et ,  à  la  mâchoire  infé- 
rieure seulement  huit  incisives ,  dont  celles  du  milieu  sont 
minces  et  tranchantes.  Sa  langue  est  toute  hérissée  de  petits 
crochets  plus  ou  moins  fermes,  pointus,  dirigés  en  arrière , 
et  qui  la  rendent  très-rude.  Il  mange  vite  et  prend  en  assez 
peu  de  temps  toute  la  nourriture  qu'il  lui  faut  ;  après  quoi 
il  cesse  de  manger,  et  se  couche  (ordinairement  sur  le  côté 
gauche  )  pour  ruminer  et  digérer  à  loisir. 

On  appelle  mugissement  la  voix  des  animaux  de  cette 
espèce.  Ces  mugissements  sont  plus  forts  dans  les  mâles  en- 
tiers, ou  taureaux,  que  dans  les  autres  individus.  «  Le  tau- 
reau, dit  Buffoa,  ne  mugit  que  d'amour;  la  vache  mugit 
plus  souvent  de  peur  et  d'horreur  que  d'amour;  et  le  veau 
mugit  de  douleur,  de  besoin  de  nourriture  et  de  désir  de  sa 
mère.  »  Les  mamelles  sont  an  nombre  de  ouatre.  Quelques 


334 

vaches  ont  nn  cinquième  et  mCme  un  sixième  mamelon  ;  mais 
CCS  parties  surabondantes  sont  dépourvues  d'usage ,  puis- 
qu'elles n'ont  ni  conduit  ni  ouverture. 

Dans  nos  climats,  la  chaleur  de  la  vache  commence  d'or- 
dinaire au  printemps  ;  mais  elle  n'a  point  d'cpoque  constante, 
et  l'on  voit  des  vaches  dont  la  chaleur  tardive  n'a  lieu  qu'en 
juillet.  Toutes  sont  en  état  de  produire  à  l'âge  de  dix-huit 
mois ,  au  lieu  que  le  taureau  ne  peut  guère  engendrer  qu'à 
«leux  ans.  Tous  deux,  éprouvent  avec  une  extrême  violence 
les  désirs  de  l'amour  :  le  mâle  devient  indomptable  et  sou- 
vent furieux,  toujours  prêta  disputer  à  ses  rivaux  ,  par  un 
combat  à  mort,  la  possession  d'une  femelle.  La  femelle 
mugit  très-fréquemment  et  plus  violemment  que  dans  les 
autres  temps;  elle  saute  sur  les  autres  vaches,  sur  les  bœufs, 
et  môme  sur  les  taureaux.  Il  faut  profiter  du  temps  de  cette 
forte  chaleur  pour  lui  donner  le  taureau.  «  11  doit  être  choisi , 
dit  Buffon ,  comme  le  cheval  étalon ,  parmi  les  plus  beaux 
de  son  espèce  ;  il  doit  être  gros,  bien  fait  et  en  bonne  chair; 
il  doit  avoir  l'œil  noir,  le  regard  fier,  le  front  ouvert,  la  tète 
courte,  les  cornes  grosses,  courtes  et  noires,  les  oreilles 
longues  et  velues,  le  mulle  grand ,  le  nez  court  et  droit,  le 
cou  charnu  et  gros,  les  épaules  et  la  poitrine  larges,  les 
reins  fermes  ,  le  dos  droit ,  les  Jambes  grosses  et  charnues, 
la  queue  long\ie  et  bien  couverte  de  poil,  l'allure  ferme  et 
sûre,  et  le  poil  rouge.  »  Dès  que  la  vache  est  pleine,  le 
taureau  refuse  de  la  couvrir.  Elle  porte  neuf  mois,  et  met 
bas  au  commencement  du  dixième. 

Ces  animaux  sont  dansleur  plus  grande  force  depuis  trois 
ans  jusqu'à  neuf.  La  durée  naturelle  de  leur  vie  est  de  qua- 
torze à  quinze  ans  ;  mais  ordinairement  on  les  engraisse  à 
dix ,  pour  les  livrer  au  boucher.  C'est  à  dix-huit  mois  ou 
deux  ans  qu'on  doit  couper  le  mâle.  «  La  nature  a  fait  cet 
animal  indocile  et  fier,  dit  encore  Buffon;  mais  parla  cas- 
tration l'on  détruit  la  source  de  ces  mouvements  impétueux, 
et  l'on  ne  retranche  rien  à  sa  force;  il  n'en  est  que  plus 
gros,  plus  massif,  plus  pesant,  et  plus  propre  à  l'ouvrage 
auquel  on  le  destine;  il  devient  aussi  plus  traitable,  plus  pa- 
tient, plus  docile.  » 

On  connaît  l'âge  des  bœufs  par  les  dents  et  les  cornes. 
Les  premières  dents  de  devant  tombent  à  dix  mois,  et  sont 
remplacées  par  d'autres,  qui  sont  moins  blanches  et  plus 
larges;  à  seize  mois  ,  les  dents  voisines  de  celles  du  milieu 
tombent,  et  sont  aussi  remplacées  par  d'autres,  et  à  trois 
ans  toutes  les  dents  incisives  sont  renouvelées;  elles  sont 
alors  égales,  longues  et  assez  blanches  ;  à  mesure  que  l'ani- 
mal avance  en  âge,  elles  s'usent,  noircissent  et  deviennent 
inégales.  Ses  cornes  croissent  toute  la  vie  ;  on  y  distingue 
aisément  des  bourrelets  ou  nœuds  annulaires  qui  indiquent 
les  années  de  croissance,  et  par  lesopiels  l'âge  peut  se  comp- 
ter, en  prenant  pour  trois  ans  la  pointe  de  la  corne  jusqu'au 
premier  na^ud ,  et  pour  un  an  de  plus  chacun  des  intervalles 
entre  les  autres  nœuds.  Ces  cornes  sont  des  armes  puis- 
santes et  redoutables  :  lorsque  l'animal  veut  en  faire  usage, 
il  en  présente,  en  baissant  la  tète,  la  pointe  à  son  adver- 
saire, le  perce,  le  déchire,  et,  s'il  n'est  pas  de  trop  grande 
taille,  le  rejette  au  loin  en  le  lançant  en  l'air.  Les  bœufs 
donnent  aussi  de  violents  coups  de  pieds.  Si  un  loup  vient 
à  rôder  autour  d'un  troupeau  de  vaches ,  elles  forment  une 
enceinte  au-dedans  de  laquelle  se  tiennent  les  veaux  et  les 
jeunes  taureaux  dont  la  tête  n'est  point  encore  armée  ;  l'ani- 
mal féroce  n'ose  approcher  de  ce  rempart  hérissé  de  cornes, 
et  s'il  ne  s'éloigne  pas ,  on  voit  souvent  un  taureau  sortir  des 
rangs  et  lui  donner  la  chasse.  Quoique  massifs ,  les  bœufs 
courent  assez  vite  et  nagent  assez  bien.  Ils  reconnaissent 
très-bien  l'habitation  où  on  les  nourrit  et  les  personnes  qui 
prennent  soin  d'eux. 

Vaurochs  des  Allemands,  szi&r  des  Polonais,  bison  des 
anciens  naturalistes  {bos  urus,  Gmelin),  passe  d'ordinaire , 
mais  à  tort,  pour  la  souche  de  nos  bètes  à  cornes.  Il  s'en  dis- 
tingue par  son  front  plus  bombé ,  plus  large  que  haut;  par 


BŒUF  —  BŒUF  GRAS 

l'attache  de  ses  coi  nés  au-dessous  de  la  ligne  occipitale ,  par 
la  hauteur  de  ses  jambes  ,  par  une  paire  de  côtes  de  plus, 
par  une  sorte  de  laine  crépue  qui  couvre  la  tète  et  le  cou 
du  mâle,  et  lui  forme  une  barbe  courte  sous  la  gorge;  par 
sa  voix  grognante  et  analogue  à  celle  du  porc.  L'aurochs 
est  le  plus  grand  des  quadrupèdes  propres  àl'Europe  :  le  mâle 
a  jusqu'à  3'",25  de  long  sur  2  mètres  de  hauteur  au  garrot; 
la  femelle  n'a  guère  que  2"',25  de  longueur.  Le  poil  est  d'un 
brun  plus  ou  moins  foncé.  C'est  un  animal  farouche,  qui  a  vécu 
longtemps  dans  toutes  les  forêts  de  l'I'^urope  tempérée,  où  il 
a  diminué  à  mesure  que  la  population  humaine  s'est  accrue  : 
on  le  tro^l^•ait  en  Allemagne  du  temps  de  César  ;  on  ne  le 
rencontre  plus  aujourd'hui  que  dans  la  forêt  de  Bialow  icz 
et  dans  les  marais  boisés  du  Caucase,  où  il  vit  par  trou- 
peaux de  trente  à  quarante  individus.  On  ne  peut  guère 
s'expliquer  la  disparition  de  cette  espèce,  dont  les  individus 
vivent  ordinairement  trente  ans ,  que  par  la  stérilité  assez 
fréipicnte  des  femelles  :  en  effet,  l'aurochs,  grâce  à  sa  vigueur 
extraordinaire  et  à  son  courage,  n'a  rien  à  redouter  des  at- 
taques des  loups ,  pas  même  de  celles  des  ours.  Dès  le  dix- 
septième  siècle ,  il  n'en  existait  plus  en  Allemagne  que  dans 
une  seule  forêt  voisine  de  Dantzig;  et  malgré  les  soins  tout 
particuliers  pris  pour  y  conserver  l'espèce,  ils  en  avaient 
complètement  disparu  au  dix-huitième  siècle.  Le  dernier  in- 
dividu y  fut,  dit-on,  tué  par  un  braconnier  en  1775. 

La  chair  de  l'aurochs ,  exempte  de  l'odeur  de  musc  qu'ex- 
hale sa  peau ,  tient  le  milieu  pour  le  goût  entre  celle  du 
chevreuil  et  celle  du  bœuf  ordinaire ,  et  était  servie  jadis 
comme  une  rare  délicatesse  sur  la  table  des  rois  de  Pologne. 
La  chasse  à  l'aurochs  faisait  un  des  plus  magnifiques  diver- 
tissements de  ces  monarques. 

BOEUF  GRAS.  La  religion  chrétienne  n'a  pas  si  bien 
détruit  le  paganisme  qu'il  n'en  soit  resté  des  traces  dans  nos 
mœurs  et  dans  nos  usages;  les  fêtes  populaires  surtout  n'ont 
fait  que  changer  de  nom  et  d'objet ,  car  il  faut  toujours  que 
le  peuple  s'amuse ,  et  les  plus  graves  législateurs  n'ont  pas 
dédaigné  de  tolérer  ses  plaisirs  les  plus  fous.  C'est  ainsi  que 
les  Parisiens  jouissent  encore  annuellement  de  la  procession 
du  bœuf  gras. 

Cette  coutume  singulière,  qui  mêle,  pour  ainsi  dire,  la 
mascarade  de  la  brute  avec  celle  de  l'homme ,  est  suscep- 
tible d'une  foule  d'explications  également  probables  ou  in- 
génieuses. Il  sufiit  de  passer  en  revue  les  difTérentes  opi- 
nions des  savants ,  qui  dépensent  volontiers  tant  de  lumières 
en  pure  perte ,  pour  éclaircir  ce  qui  n'a  pas  besoin  d'être 
éclairci.  Ceux  qui  voient  dans  le  bœuf  gras  une  allégorie  ne 
se  trompent  point  ;  mais  ils  ont  peine  à  en  trouver  le  véri- 
table sens.  Les  uns  ont  vu  dans  le  bœuf  gras  im  reste  du 
culte  astronomique,  parce  que  cette  fête  a  lieu  ordinaire- 
ment à  l'équinoxe  du  printemps,  et  sous  le  signe  du  Tau- 
reau ,  époque  vénérée  dans  les  religions  antiques ,  à  cause 
de  la  nature  qui  entre  en  sève.  Le  zodiaque  a  joué  en  effet 
un  grand  rôle  chez  les  anciens  peuples ,  et  les  Gaulois  ,  nos 
pères ,  adoraient ,  parmi  leurs  divinités ,  le  taureau  revêtu 
de  l'étole  sacerdotale ,  et  surmonté  de  trois  grues  prophé- 
tiques ,  comme  on  le  trouve  représenté  sur  une  des  pierres 
druidiques  découvertes  à  Notre-Dame.  On  peut  alors  remon- 
ter au  bœuf  Apis,  symbole  de  la  fécondité  de  la  terre,  et 
chercher  notre  bœuf  gras  dans  les  temples  de  l'Egypte  des 
Pharaons.  Par  malheur,  la  ressemblance  n'est  pas  complète, 
car  tuer  le  bœuf  Apis  était  un  sacrilège,  que  se  permirent 
seuls  les  soldats  de  Cambyse  à  Memphis.  Il  est  aussi  raison- 
nable de  rendre  le  bœuf  gras  aux  Chinois ,  qui  dans  la  fête 
du  printemps  promènent  un  bœuf  et  l'immolent  après  pour 
le  dépecer  en  morceaux,  que  l'empereur  envoie  à  ses  man- 
darins. Les  bœufs  n'étaient  pas  moins  estimés  dans  la  my- 
thologie grecque ,  car  Jupiter  se  métamorphosa  en  taureau 
pour  enlever  Europe;  Cybèleet  Triptolème  attelaient  leurs 
chars  avec  des  taureaux.  Les  Romains  inventèrent  même 
une  déesse  des  bouchers ,  nommée  Bovina. 


BŒUF  GRAS  —  BOGDANOWITCH 


33,' 


En  France,  les  bœufs  furent  eii  honneur  sous  les  rois  de 
la  première  rate,  qui  adoptèrent  Tattelage  de  Cybèle  et  de 
Triptolème;  ces  princes  fainéants  estimaient  la  lenteur  en- 
dormante des  bœufs  de  leurs  écuries.  Saint  Marcel,  évêque  de 
Paris,  dompta  par  ses  prières  un  taureau  furieux  ,  et  le  sou- 
venir de  ce  miracle  fut  consacré  par  un  bas-relief  en  pierre 
qu'on  plaça  dans  l'église  dédiée  sous  lïnvocalion  de  ce  saint. 
L'église  de  Saint- l'itrre  aux  Bœufs ,  dans  la  Cité ,  offrait 
pareillement  deux  bœufs  sculptés  sur  le  portail. 

Le  bœuf  gras  nie  paraît  figurer  le  carnaval,  temps  où 
l'ou  niange  de  la  chair,  et,  si  je  puis  m'exprimer  ainsi,  le 
triomphe  de  la  boucherie.  La  mort  de  ce  bœuf,  qu'on  tue  la 
veille  du  mercredi  des  Cendres,  se  rapporte  bien  à  la  fin 
des  jours  gras,  auxquels  va  succéder  le  carême ,  qui  était 
autrefois  si  rigoureux  que  les  boucheries  étaient  fermées. 
N'est-il  pas  vraisemblable  que  les  garçons  bouchers  aient 
célébré  la  fête  de  leur  confrérie ,  de  même  que  les  clercs  de 
la  basoche  plantaient  le  mai  à  la  porte  du  Palais  de  Justice? 
Ensuite,  les  bouchers  de  Paris  ayant  eu  jadis  plusieurs  que- 
relles et  procès  avec  les  bouchers  des  templiers ,  il  est  fort 
naturel  qu'ils  aient  témoigne  leur  reconnaissance  des  privi- 
lèges que  le  roi  leur  accorda  en  dédommagement,  par  des 
réjouissances  publiques  qui  se  sont  perpétuées  jusqu'à  nous. 
Cette  idée  est  d'autant  plus  admissible  que  le  bœuf  gras  par- 
tait de  l'Apport-Paris ,  ancien  emplacement  des  boucheries 
liors  des  murs  de  la  ville,  et  qu'il  était  conduit  en  pompe 
chez  les  premiers  magistrats  du  parlement. 

Toujours  est-il  certain  que  cette  fête  existe  depuis  des 
siècles  :  on  nommait  le  bœuf  gras  bœuf  ville ,  parce  qu'il 
allait  par  la  ville;  ou  bœuf  vielle,  parce  qu'il  marchait  au 
son  des  vielles;  ou  enfin  bœuf  violé ,  parce  qu'il  était  ac- 
compagné de  violes  ou  violons.  Les  enfants  avaient  imaginé 
un  jeu  de  ce  nom,  qui  consistait  à  couronner  de  fleurs  un 
d'entre  eux ,  et  à  le  conduire  en  chantant  comme  au  sacri- 
fice :  ce  jeu-là,  cité  dans  plusieurs  vieux  auteurs,  s'appe- 
lait encore  le  bœuf  mori. 

Les  premières  descriptions  qui  s'étendent  sur  les  détails 
de  cette  cérémonie  sont  à  peu  près  telles  qu'on  les  ferait 
encore.  La  procession  de  1739  est  la  plus  mémorable  dont 
les  historiens  fassent  mention  :  le  bœuf  partit  de  l'Apport- 
Paris,  la  veille  du  jeudi  gras,  par  extraordiuaire  ;  il  était 
couvert  d'une  housse  de  tapisserie ,  et  portait  une  aigrette 
de  feuillage,  à  l'instar  du  bœuf  gaulois.  Sur  son  dos  on 
avait  assis  un  enfant  nu  avec  un  ruban  en  écharpe  ;  et  cet 
enfant ,  qui  tenait  dans  une  main  un  sceptre  doré ,  et  dans 
Pautre  une  épée  nue,  était  appelé  l&.roi  des  bouchers.  Jus- 
qu'alors les  bouchers  n'avaient  eu  que  des  maîtres,  et 
sans  doute  ils  voulurent  rivaliser  avec  les  merciers ,  les  bar- 
biers et  les  arbalétriers ,  qui  avaient  des  rois.  Le  bœuf  gras 
de  1739  avait  pour  escorte  quinze  garçons  bouchers  vêtus 
de  rouge  etde  blanc,  coiffés  de  turbans  de  diverses  couleurs  ; 
deux  le  menaient  par  les  cornes,  à  la  façon  des  sacrificateurs 
païens  ou  juifs.  Les  violons ,  les  fifres  et  les  tambours  pré- 
cédaient cette  marche  triomphale ,  qui  parcourut  les  quar- 
tiers de  Paris  pourse  rendre  aux  maisons  des  prévôts,  éclie- 
vins,  présidents  et  conseillers,  à  qui  cet  honneur  appartenait. 
Le  bœuf  fut  partout  le  bienvenu,  et  ses  gardes  du  corps 
largement  payés.  Mais  le  premier  président  du  parlement 
n'étant  pas  à  son  domicile ,  on  ne  le  priva  pas  de  la  visite 
du  bœuf  gras,  qui  fut  amené  dans  la  grande  salle  du  palais 
par  l'escalier  de  la  Sainte-Chapelle,  et  qui  eut  l'avantage 
d'être  présenté  au  président  en  plein  tribunal.  Le  président, 
en  robe  rouge ,  accueillit  bien  le  pauvre  animal ,  qui  s'éton- 
nait de  cette  promenade  dans  les  salles  du  Palais,  au  mi- 
lieu des  procureurs  et  des  avocats  :  c'était  outre-passer  la 
licence  du  carnaval. 

Lo  révolution  de  1791  ne  respecta  pas  plus  le  bœuf  gras 
qu'elle  ne  respecta  le  trône  et  l'autel;  avec  le  carnaval  dis- 
l)arurent  le  bœuf,  la  musique  et  la  gaieté.  Tout  était  déguisé 
en  deuil,  et  on  égorgeait  des  victimes  humaines.  Napoléon, 


qui  avait  à  cœur  d'occuper  le  peuple,  pour  que  le  peuple 
ne  s'occupât  point  de  lui,  rétabUt  par  ordonnance  le  car- 
naval et  le  bœuf  gras  ;  mais  longtemps  la  police  seule  fit 
les  fiais  de  ces  bacchanales  de  rues  et  de  places.  Le  roi  des 
bouchers  s'était  changé  en  Amour,  et  avait  quitté  sceptre , 
épée ,  pour  un  carquois ,  pour  un  flambeau.  L'empire,  qui 
rajeunissait  la  noblesse,  ramassait  les  friperies  mythologi- 
ques. La  pohce  devint  philanthrope  :  après  la  mort  de  plu- 
sieurs enfants  qui  s'étaient  enrhumés  à  la  pluie  et  au  froid, 
on  supprima  le  roi  du  bœuf  gras,  c'est-à-dire  qu'on  le  relégua 
dans  un  char  olympique,  à  la  queue  du  cortège.  Mais  les 
Égyptiens,  les  Chinois,  les  Gaulois,  recouriaîlraient-ils 
dans  cette  parade  pitoyable  l'emblème  commémoratif  de  la 
fécondation  de  la  terre  ? 

Depuis  celte  rénovation  d'une  coutume  nationale,  le 
bœuf  gras  se  promena  tous  les  ans,  pendant  la  Restauration 
et  le  gouvernement  de  Juillet,  le  dimanche  et  le  mardi  gras, 
visitant,  dans  sa  tournée,  entouré  de  la  cour  de  Jupiter,  sale 
et  crottée,  à  cheval  et  en  voilure,  les  fonctionnaires  pu- 
blics ,  les  pairs,  les  députés  et  le  roi.  La  révolution  de  Fé- 
vrier fit  échec  au  bœuf  gras. Il  n'y  en  eut  ni  en  1848  ni  en 
1849.  En  1850  le  préfet  voulut  bien  autoriser  les  prome- 
nades de  bœuf  gras  ,  mais  il  refusa  la  subvention  que  l'ad- 
ministration municipale  était  dans  l'usage  d'accorder. 
Aucun  boucher  de  Paris  n'osa  acheter  le  bœuf  gras  dans 
ces  conditions;  un  boucher  de  la  banUeue  s'en  rendit  ac- 
quéreur, et  le  bœuf  César  fit  les  délices  des  autorités  et 
de  la  population  suburbaines. Le  cortège  n'en  fut  pas  moins 
magnifique.  Rien  n'y  manquait,  et  la  cavalcade  avait  autant 
de  fraîcheur.  Paris  rougit  de  sa  défaite,  et  dès  l'année  sui- 
vante le  bœuf  gras  se  repromena  dans  la  capitale ,  rendant 
visite  à  de  riches  particuliers  autant  qu'aux  autorités  cons- 
tituées. Sans  doute  la  société  rassise  est  destinée  à  revoir 
les  beaux  jours  du  bœuf  gras,  et  le  cortège  sera  chaque 
année  plus  riche.  P.  L.  Jacob,  bibliophile. 

BOG,  nom  de  Dieu  chez  les  Slaves. 

BOG,  BUG  ou  BOUG.  Deux  fleuves  appartenant  en 
majeure  partie  à  l'empire  russe  portent  ce  nom. 

Le  Bog  occidental  prend  sa  source  dans  de  petits  lacs 
du  cercle  de  Lemberg  (Galicie  autrichienne),  traverse  des 
marais,  où  il  forme  un  grand  nombre  d'îles,  baigne,  après 
un  cours  de  128  kilomètres,  la  frontière  russe,  entre  en 
Pologne  près  de  Nurez,  devient  navigable  dans  le  gouverne- 
ment de  Bialystock,  reçoit  la  Narew  près  de  Sierock,  et 
ei:lin,  après  un  cours  de  730  kilomètres,  se  jette  au-dessus 
de  Varsovie,  près  de  la  forteresse  deModlin,  danslaVis  tule, 
dont  il  est  le  plus  grand  affluent.  Le  Bog  occidental  n'a  pas 
un  cours  rapide;  dans  l'été ,  sa  profondeur  varie  de  0"\4G 
à  3'",  10;  ce  n'est  qu'au  printemps  et  en  automne  qu'il 
atteint  à  une  hauteur  de  3""  ,70  et  devient  navigable.  Dans 
son  tours  inférieur  cependant  il  ne  manque  pas  de  passes , 
et  le  gouvernement  ne  néglige  rien  pour  le  rendre  propre  à 
la  navigation.  Ses  autres  allluents  sont,  en  Autriche,  la 
Biala,  le  Ssoloki ,  la  Chutschawa,  la  Krschna;  en  Russie, 
le  Lug,  le  Muchawez,  le  Nurez,  la  Lssna;  eu  Pologne,  le 
Liwiec  et  le  Brock. 

Le  Bog  oriental,  \Hypanis  des  anciens ,  a  sa  source 
dans  la  Podolie,  près  de  la  frontière  du  gouvernement  de 
VoIhynie,et,  après  un  cours  de  800  kilomètres,  se  jette 
dans  le  liman  du  Dnieper.  H  est  navigable  jusqu'au-dessus 
de  Wosnessensk ,  même  pour  de  petits  navires,  chaigés 
principalement  de  sel. 

BOGARMITES.  Voyez  Bogomiles. 

BOGDANOWITCH  (Hippolyte  FÉnoRCWiTCH),  sur- 
nommé l'Anacréon  russe,  naquit  en  1743,  à  Péréwoloczno , 
dans  la  Petite-Russie.  Il  était  fils  d'un  employé,  qui  le 
destina  d'abord  au  génie  :  c'est  dans  ce  but  qu'il  vint  à 
Moscou  en  1754,  et  entra  dans  l'institut  mathématique  de 
cette  ville  ;  mais  les  poésies  de  Lomonossoff  et  une  brillante 
représentation  théâtrale  à  laquelle  il  assista  éveillèrcnl  en 


336 


BOGDANOWITCII  —  BOGOTA 


lui  la  passion  de  la  poésie.  Il  voulait  d'abord  se  faire  ac- 
teur; mais  Cheraskofi',  directeur  du  théâtre,  Ten  dissuada; 
bien  plus  ,  frappé  des  dispositions  extraordinaires  et  touclié 
de  l'amabilité  du  jeune  Bogdanowitcli ,  il  le  prit  chez  lui, 
et  l'envoya  à  l'université.  Bogdanowitcli  se  mit  à  étudier 
les  règles  de  l'art  et  plusieurs  langues  étrangères.  Son  ca- 
ractère, plein  de  candeur  et  de  bonté,  lui  attira  des  protec- 
teurs et  des  amis,  dont  le  plus  distingué  fut  le  comte  Mi- 
chel Ivanovitch  Dachkof.  En  1761  il  fut  nommé  inspec- 
teur à  l'université  de  Moscou,  puis  attaché  en  1765,  comme 
traducteur,  au  collège  des  affaires  étrangères.  En  1766  il 
accompagna  le  comte  Bjeloselski  à  Dresde ,  avec  le  titre  de 
secrétaire  de  légation,  et  s'y  consacra  tout  entier  jusqu'en  1708 
à  l'étude  des  arts  et  de  la  poosie.  Les  chefs-d'œuvre  de 
peinture  du  musée  de  celte  ville  lui  inspirèrent  le  poëme 
tic  Psyché  (Douchenka),  qui  parut  en  1775,  et  commença 
à  établir  sa  réputation  sur  de  solides  fondements.  C'est  une 
espèce  de  traduction  du  poëme  de  La  Fontaine,  Il  vécut  en- 
suite dans  la  retraite  à  Saint-Pétersbourg,  tout  entier  à  la 
littérature,  s'occupant  d'une  traduction  de  l'histoire  rfes 
Révolutions  de  la  République  Romaine  par  Vertot(Péters- 
bourg,  1771-75)  et  de  quelques  autres  ouvrages,  entre 
autres  du  poëme  adressé  par  Gianetti  à  l'impératrice  Ca- 
therine II.  11  entreprit  ensuite  la  Peintiire  historique  de 
la  Russie  {1111),  et  rédigea  pendant  dix-huit  mois  l'/?!f/î- 
catcurde  Pétersbourcj  (1778).  Déjà  en  1763  il  avait  pubhc 
un  journal  périodique  sous  le  titre  du  Passe-temps  innocent. 
Catherine,  qui  avait  appris  à  le  connaître  par  sa  traduction 
de  Gianetti,  le  tira  de  sa  solitude.  Alors  il  fut  chargé  de 
composer  divers  ouvrages  dramatiques.  On  lui  doit  aussi 
un  précieux  recueil  de  Proverbes  russes  (Pétersbourg, 
1735,  3  vol.).  En  1780  il  fut  nommé  membre  du  conseil 
des  archives  de  l'empire,  et  en  1788  président  de  ce  nit'mc 
conseil.  En  1795  il  se  démit  de  ses  fonctions,  et  vécut 
sans  emploi  dans  la  Petite-Russie.  Il  mourut  en  1803,  dans 
une  terre  qu'il  possédait  près  de  Kursk.  Sa  modestie  égalait 
son  talent ,  et  à  la  candeur  la  plus  naïve  il  alliait  toute  la 
bonté ,  toute  la  loyauté  d'une  belle  âme. 

BOGDJA.  Voye:^  Ténédos. 

BOGHAR,  ville  de  l'Algérie,  à  15  myriamètres  de  Mé- 
déah.  La  montagne  deBoghar,  que  le  Cbélif  contourne  aux 
deux  tiers  environ  de  sa  base,  forme  sur  le  Petit  Désert  une 
espèce  de  cap  avancé  d'où  l'on  aperçoit  le  Sahara ,  au  delà 
du  Djebel-Amour.  Ses  environs  sont  couverts  de  sapins, 
de  genévriers,  de  thuyas,  de  hautes  futaies.  L'eau  jaillit  de 
toutes  parts  d'un  sol  composé  de  roches  calcaires  tellement 
friables  qu'au  moindre  souille  du  simoun  l'atmosphère  est 
obscurcie  d'une  poussière  malsaine. 

Boghar  était  un  des  établissements  fondés  en  juillet  1839 
par  Abd-el-Kader,  sous  la  surveillance  de  son  kalifat 
El-Berkani.  En  1841  le  général  Baraguay-d'Hilliers ,  opérant 
sur  le  Bas-Chélif ,  détruisit  son  fort  et  l'incendia.  Mais  comme 
c'était  une  position  qu'il  importait  de  conserver,  les  ruines 
en  furent  relevées  ;  on  y  construisit  une  caserne ,  des  forti- 
iications ,  et  bientôt  une  nouvelle  ville  naquit  comme  par 
enchantement  des  cendres  de  la  ville  arabe.  Boghar  s'agrandit 
chaque  jour;  son  marché  est  un  des  plus  importants  de 
l'Algérie,  et  il  s'y  fait  des  opérations  considérables  dans  le 
commerce  des  laines.  C'est  de  Boghar,  où  il  avait  établi  un 
poste  provisoire,  qu'était  parti  le  duc  d  '  A  u  m  a  1  e  lorsqu'il 
surprit  la  smala  d'Abd-el-Kader.  Après  cet  audacieux  fiiit 
d'armes ,  le  prince  rapporta  à  Boghar  quatre  drapeaux ,  un 
canon ,  et  le  trésor  de  l'émir. 

On  remarque  à  Boghar  une  vaste  grotte  naturelle  au  fond 
de  laquelle  croît  un  énorme  figuier. 

BOGOMILES  ou  BOGARMITES  (de  deux  mots  bul- 
gares, Bog,  Dieu,  et  niilvi,  avoir  pitié),  noms  d'une  secte 
d'hérétiques  qui  parurent  à  Constantinopleau  commencement 
du  douzième  siècle,  sous  le  règne  d'Alexis  Comnène.  Us 
niaient  le  mystère  de  la  Trinité,  et  disaient  que  le  monde 


avait  été  créé  par  les  mauvais  anges  ;  que  Jésus-Christ  n'a- 
vait eu  qu'un  corps  fantastique,  et  que  l'archange  Michel 
s'était  incarné  ;  ils  rejetaient  les  livres  de  Moïse,  et  ne  recon- 
naissaient que  sept  livres  de  la  sainte  Écriture.  Ils  ms  pri- 
saient les  croix  et  les  images,  soutenaient  que- l'Oraison  do- 
minicale, qui  était  leur  seule  prière,  était  aussi  la  seule 
eucharistie;  que  le  baptême  de  l'Église  catholique  était  celui 
de  saint  Jean,  et  que  le  leur  était  celui  de  Jésus-Christ; 
que  tous  ceux  de  leur  secte  concevaient  le  Verbe  comme  la 
sainte  Vierge  ;  enfin ,  qu'il  n'y  avait  point  d'autre  résurrection 
que  la  pénitence.  Ces  gens,  qui  se  confiaient  à  la  miséri- 
corde de  Dieu,  ainsi  que  le  constate  leur  nom  même,  ne 
pouvaient  payer  trop  cher  des  erreurs  aussi  coupables,  et 
Basile,  un  de  leurs  chefs,  médecin  de  profession,  ayant  refusé 
de  les  abjurer,  fut  brûlé  publiquement  à  Constantinople. 

Cette  secte  des  bogomiles  existe  encore  aujourd'hui  en 
Russie ,  où  elle  est  une  des  nombreuses  divisions  des  rasliol- 
niks,  ou  hérétiques  grecs.  Ses  adhérents  sont  accusés  de  se 
livrer  à  tous  les  excès  de  la  sensualité  et  de  se  dispenser  du 
travail,  comme  les  messaliens,  pour  être  plus  aptes  à  re- 
cevoir le  Saint-Esprit,  qui  doit  venir  les  éclairer. 

Edme  Héreau. 

BOGOTA  ou  SANTA-FÉ-DE-BOGOTA,  chef-lieu  du 
département  de  Cundinamarca  et  de  la  république  de  la 
Nouvelle-Grenade,  est  située  sous  le  4°  36' de  latitude  sep- 
tentrionale, sur  un  vaste  plateau  de  370  kilomètres  de  long 
sur  148  de  large,  à  2,542  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la 
mer,  sur  le  versant  occidental  des  Cordillières  orientales  ou 
chaîne  de  Suma-Paz.  Elle  est  bâtie  sur  la  rive  gauche  du 
Rio  de  Bogota,  qui  se  jette  dans  le  fleuve  Magdalena  au  pied 
des  monts  Montserrat  et  Guadeloupe ,  qui  portent  à  leurs 
cimes  des  couvents  d'où  l'on  jouit  d'une  vue  magnifique,  et 
dans  le  voisinage  du  lac  Satarita.  Bogota  est  le  siège  du  gou- 
vernement, du  congrès,  de  l'administration  centrale  et  d'un 
archevêché  ;  c'est  incontestablement  la  plus  belle  ville  de  tout 
le  pays.  Exposée  à  de  fréquents  tremblements  de  terre, 
dont  l'un ,  celui  du  16  novembre  1827,  la  détruisit  en  grande 
partie ,  elle  doit  à  ces  catastrophes  de  s'embellir  sans  cesse 
en  se  reconstruisant.  Ses  maisons  étant  entourées  de  vastes 
jardins ,  elle  occupe  un  emplacement  considérable.  Ses  rues, 
larges  et  tirées  au  cordeau,  sont  pavées,  garnies  de  trot- 
toirs, ornées  d'arbres  et  éclairées  la  nuit;  mais  elles  ne 
sont  pas  très-propres ,  quoique  la  ville  soit  traversée  par  des 
cours  d'eau.  La  plus  grande  et  la  plus  belle  est  la  Cal  le  de 
la  Republica,  débouchant  sur  la  place  du  Marché,  la  plus 
magnifique  des  sept  qui  décorent  Bogota,  et  qui  toutes  sont 
très-vastes  et  ornées  de  fontaines.  C'est  sur  cette  place  que 
s'élèvent  le  palais  du  Gouvernement,  bâti  en  1825  ;  la  Douane, 
et  la  cathédrale,  reconstruite  en  1814,  où  l'on  voit  une 
statue  de  la  Vierge  célèbre  par  la  richesse  de  sa  parure. 
Bogota  renferme,  en  outre,  vingt-neuf  églises,  douze  cou- 
vents, quatre  hôpitaux ,  une  université  très-fréquentée ,  qui 
date  du  seizième  siècle ,  une  bibliothèque  publique,  un  ca- 
binet d'histoire  naturelle,  une  académie  nationale,  une  aca- 
démie de  médecine  et  une  de  droit ,  un  jardin  botanique,  un , 
observatoire,  plusieurs  collèges,  une  école  des  mines,  plu- 
sieurs écoles  élémentaires,  quelques  écoles  supérieures  poui 
les  filles  (  les  premières  qui  aient  été  établies  dans  l'Amé- 
rique espagnole  ),  un  hôtel  des  monnaies  et  un  théâtre.  On 
évalue  la  population  à  50,000  habitants,  vivant  dans  une 
grande  aisance,  due  au  commerce  considérable  qu'ils  font  et 
à  l'exploitation  des  mines.  Ils  sont  au  reste  fort  avides  de 
plaisirs,  et  ne  se  piquent  pas,  dit-on,  de  mœurs  exem- 
plaires. On  vante,  d'ailleurs,  leur  politesse  et  la  beauté  de 
leurs  femmes. 

Le  port  de  Bogota  est  la  bodega  de  Bogota,  sur  la  Magda- 
lena. La  Meta,  affluent  de  l'Orénoque,  offre  aussi  un  dé- 
bouché au  commerce  vers  l'orient.  On  projette  une  route  qui 
mettra  Bogota  en  communication  avec  Buenaventura  sui 
l'océan  Pacifique,  et  qui  sera  d'une  grande  importance  poui 


I 


BOGOTA  —  BOHÈME 


les  relations  commerciales  de  cette  ville.  L'industrie  y  est 
encore  peu  avan(;ée. 

Fondée  en  1538  par  Quesada,  Bogota  ne  tarda  pas  à  s'a- 
grandir. Elle  devint  le  chef-lieu  de  la  vice-royauté  de  la 
Nouvelle-Grenade,  et  plus  tard,  en  1811,  le  siège  du 
congrès  qui  proclama  la  république  le  12  novembre.  Re- 
prise, au  mois  de  juin  1816 ,  par  les  Espagnols  sous  les  or- 
dres de  Morillo,  elle  fut  délivrée  de  leur  joug  par  Bolivar, 
le  10  août  1819,  et  festa  la  capitale  de  la  Colombie  jus- 
qu'en 1831. 

Dans  le  voisinage,  sur  la  route  qui  conduit  à  la  Magdalena, 
on  admire  l'affreux  abîme  d'Icononzo  ou  de  Pandi ,  qui  doit 
vraisemblablement  son  origine  à  un  tremblement  de  terre. 
Il  ressemble  à  une  large  tranchée  au  fond  de  laquelle  mugit 
un  torrent  entre  des  roches  à  pic  réunies  par  deux  ponts 
naturels,  l'un  d'un  seul  bloc  de  13  mètres  65  de  long  sur 

I  mètre  86  de  large,  aune  élévation  de  93  mètres;  l'autre, 
19  mètres  plus  bas,  composé  de  trois  blocs  s'appuyant  l'un 
sur  l'autre  et  formant  une  voûte  solide  comprimée  par  les 
parois  des  rochers.  Le  Rio  de  Bogota  ou  Paijti ,  qui  prend 
sa  source  dans  le  lac  de  Guatavila  et  se  jette  dans  la  Mag- 
dalena, après  un  cours  d'environ  222  kilomètres,  forme,  à 
22  kilomètres  de  Bogota,-près  de  la  Hacienda  Tequendama , 
dans  une  contrée  sauvage,  hérissée  de  rochers,  une  des  plus 
magnifiques  cascades  du  monde.  Une  masse  d'eau  de  plus 
de  20  mètres  85  cubes  se  précipite  perpendiculairement 
d'une  hauteur  d'environ  155  mètres  avec  une  fureur  indi- 
cible dans  une  vallée  encaissée  où  le  soleil  ne  pénètre  quel- 
ques instants  qu'à  midi. 

Le  lac  où  le  Rio  de  Bogota  prend  sa  source  est  extrême- 
ment profond  et  remarquable  par  la  transparence  de  ses 
eaux.  Il  est  sihié  dans  une  vallée  tout  entourée  de  monta- 
gnes. Sur  ses  bords  s'élève  le  village  de  Guatavita,  qui 
était  avant  la  conquête  une  des  plus  riches  et  des  plus  fortes 
places  de  l'Amérique,  et  le  siège  du  cacique  des  Muiskas. 
Ces  Indiens,  qui  savaient  fondre  les  métaux  et  travailler  l'or 
et  l'argent,  avaient  un  temple  sur  les  bords  du  lac,  au  fond 
duquel  avant  l'arrivée  des  Espagnols  ils  jetaient,  dit-on, 
de  l'or,  des  pierres  précieuses  et  des  vases  en  l'honneur  de 
leur  divinité. 

Enfin  l'on  trouve  dans  les  environs  de  Bogota,  outre  des 
miues  d'or  et  d'argent,  une  mine  de  sel  gemme,  et  une  mine 
d'émeraudes,  qui  a  fourni,  avec  celle  de  la  vallée  de  Muzo, 
la  plus  grande  partie  de  ces  pierres  précieuses  qu'on  ren- 
contre aujourd'hui  en  Europe. 

BOGUSLAWSKI  (  Adalbert),  un  des  principaux  au- 
teurs dramatiques  polonais ,  de  la  fin  du  dix-huitième  siècle. 
De  cruels  revers  le  forcèrent  à  se  faire  acteur  en  1778;  et, 
bien  qu'il  n'eût  d'abord  que  peu  de  goût  pour  la  carrière 
dramatique,  il  finit  par  se  faire. à  sa  position  et  fut  comiité 
parmi  les  artistes  les  plus  distingués  du  théâtre  de  "Narsovie. 

II  traduisit  plusieurs  pièces  étrangères  en  polonais ,  et  monta 
le  premier  opéra  italien  à  Varsovie.  Après  la  dissolution  du 
théâtre  de  celte  ville,  en  1780,  Boguslawski  fut  sur  le  point 
de  renoncer  à  la  scène;  sur  les  instances  du  comte Moszynski, 
il  continua  cependant  à  s'occuper  de  travaux  dramatiques. 
Nommé,  malgré  lui,  en  1783,  directeur  du  théâtre  alle- 
mand-polonais fondé  par  le  prince  Lubomirski,  il  joua  avec 
sa  troupe  alternativement  à  Grodno ,  à  Wilna ,  à  Dubna ,  à 
Lemberg.  Il  jouait  de  nouveau  à  Grodno,  lorsqu'en  1789 
un  ordre  royal  le  rappela  à  Varsovie,  et  lui  confia  la  direction 
du  théâtre  national.  Il  contribua  puissamment  à  relever  cette 
scène  de  la  décadence  où  elle  était  tombée;  et  nul  doute 
qu'il  ne  l'eût  amenée  à  une  régénération  complète ,  si  les 
troubles  intérieurs  qui,  depuis  1794,  agitèrent  la  Pologne, 
n'eussent  anéanti  les  résultats  de  ses  glorieux  et  pénibles 
efforts.  Le  théâtre  fut  fermé ,  et  Boguslawski  se  rendit  à  Cra- 
covie,  et  de  là  à  Lemberg,  où  il  réorganisa  la  scène.  En  1799 
il  retourna  à  Varsovie ,  et  il  obtint  pour  dix  ans  le  privilège 
de  jouer  la  comédie  polonaise  à  Kalisth;  il  y  resta  jus- 

DICT.  DE   LA   CONVEPiS.   —   T.    III. 


337 

qu'en  1807 ,  puis  vint  à  Posen ,  y  donna  des  représentations  ; 
mais,  ne  pouvant  soutenir  la  concurrence  avec  une  troupô 
de  comédiens  français  fort  goûtés  du  public,  il  quitta  celle 
ville,  et  revint  à  Varsovie,  où,  après  toutes  sortes  de  vicissi- 
tudes, il  reprit  la  direction  du  théâtre  en  1810.  La  campagne 
de  1812  le  força  de  nouveau  à  cesser  ses  représentations";  il 
se  démit  de  sa  charge  de  directeur,  se  retira  de  la  scène,  et 
dès  lors  la  culture  des  lettres  l'occupa  sans  partage  jusqu'à 
sa  mort,  qui  arriva  en  1829.  Comme  écrivain,  Boguslawski 
a  le  mérite  d'avoir  conservé  à  la  langue  polonaise  toute  sa 
pureté,  et  d'avoir  lutté  vigoureusemeut ,  soit  par  de  bonnes 
traductions,  soit  par  des  compositions  originales,  contre  le 
mauvais  goût  qui  de  toutes  parts  tendait  à  envahir  la  litté- 
rature dramatique  de  son  pays.  Le  nombre  de  ses  pièces  de 
théâtre  s'élève  à  quatre-vmgts  ;  la  plupart  ont  été  publiées  sous 
le  titre  de  :  Dziela  dramatijczne  (9  vol.,  Varsovie,  1820). 

BOGUSLAWSKI  (Louis  de),  astronome  de  mérite, 
na(iuit  à  ISIagdebourg,  le  7  septembre  1789.  Élevé  à  l'école 
du  chapitre,  il  montra  de  bonne  heure  du  goût  pour  les 
sciences ,  et  particulièrement  pour  l'astronomie.  Après  avoir 
fait  la  campagne  de  1806 ,  il  se  hvra ,  à  peine  âgé  de  dix-sept 
ans,  aux  observations  astronomiques;  la  comète  de  1807  lui 
en  fournit  la  première  occasion.  En  1809  il  vint  à  Beriin, 
et,  après  y  avoir  passé  de  brillants  examens,  il  fut  nommé' 
en  1811,  lieutenant  d'artillerie.  Il  resta  dans  cette  capitale 
pour  y  suivre  les  cours  de  l'école  militaire  et  pour  perfec- 
tionner ses  études  astronomiques  sous  la  direction  de  Bode. 
Ses  relations  avec  ce  savant  lui  procurèrent,  pendant  les 
campagnes  de  1812  à  1815,  l'accès  des  principaux  observa- 
toires de  l'Europe  et  la  connaissance  des  hommes  les  plus 
distingués.  Blessé  à  la  bataille  de  Culm,  Boguslawski  fut 
conduit  prisonnier  à  Pirna;  mais  il  brisa  ses  liens,  s'enfuit 
en  Bohême,  et  rejoignit  son  corps  à  Erfurth.  Une  maladie  des 
yeux,  accompagnée  d'une  grande  faiblesse  de  vue,  le  força 
de  quitter  le  service  après  la  bataille  de  Waterloo  et  de  re- 
noncer pendant  quelque  temps  aux  observations  astrono- 
miques. 

Boguslawski  s'occupa  dès  lors  d'économie  rurale  avec 
autant  de  zèle  que  de  succès.  En  1829,  ses  yeux  ayant  repris 
leur  vigueur  première,  il  s'établit  à  Breslau,  où  il  fut  nommé 
en  1831  conservateur,  et  en  1843  directeur  de  l'observa- 
toire. Malgré  l'insuffisance  des  télescopes  dont  il  disposait, 
il  parvint  à  observer  des  phénomènes  peu  lumineux,  tels 
que  la  comète  de  Biéla  à  son  retour  en  1832,  dont  il  suivit 
la  marche  jusqu'au  mois  de  décembre  de  cette  môme  année , 
l'cclipse  du  sixième  satellite  de  Saturne  pendant  les  mois  do 
janvier,  avril  et  mai  1833,  la  comète  d'Enke  en  juillet  1835. 
Boguslawski  s'attacha  particulièrement  à  suivre  la  comète  do 
Halley,  qu'il  observa  plus  longtemps  qu'aucun  autre  astro- 
nome. Cependant,  le  plus  grand  service  qu'il  ait  rendu  est  la 
découverte,  en  1834,  de  la  comète  qui  porte  son  nom. 
En  1836  il  fut  nommé  professeur  à  l'université  de  Breslau; 
déjà ,  avant  sa  nomination ,  il  avait  su  réunir  un  nombreux 
auditoire  à  son  cours  public  d'astronomie  populaire.  11  est 
mort  le  5  juin  1851.  Comme  écrivain,  Boguslawski  s'est  fait 
connaître^par  une  édition  de  l'£/ra?3tM  (Glogau,  1846-1848). 

£OOÊ]\îE ,  royaume  auti-efois  indépendant ,  aujourd'hui 
réuni  à  l'empire  d'Autriche. 

Géographie  et  statistique. 

Située  entre  le  48°  30'  et  le  51°  de  latitude  septentrionale, 
et  du  30°  au  34°  30'  de  longitude  orientale,  la  Bohême  forme 
un  grand  quadrilatère  de  518  myriamètres  carrés  de  super* 
ficie,  borné  au  sud-ouest  par  la  Bavière,  au  nord-ouest  par 
le  royaume  de  Saxe,  au  nord-est  par  la  Silésie  prussienne 
et  au  sud-est  par  la  Moravie  et  l'archiduché  d'Autriche.  Sur 
les  trois  côtés  qui  ne  touchent  pas  aux  possessions  de  lu 
maison  d'Autriche,  ses  limites  politiques  sont  1rs  «iêm«s 
que  ses  limites  naturelles,  savoir  :  la  Forêt  de  Bohême, 
l'Erzgebirge  et  les  ramifications  des  Sudètes;  cependa^ice 

43 


338 

n'est  pas  un  pays  encaissé  de  toutes  parts,  car  il  n'est  pas 
«''•parc  de  la  Moravie  par  une  chaîne  de  montagnes  bien 
marquée:  mais  il  forme  plutôt  avec  celte  province  un  seul 
plateau  à  terrasses,  borné  d'un  côté  par  l'iiger,  l'Elbe  et  le 
DAnube ,  de  l'autre  par  la  March  et  la  Naab,  offrant  seule- 
ment, dans  la  direction  du  sud  au  nord,  un  petit  nombre 
d'enfoncements.  C'était  un  chemin  tout  tracé  par  la  nature 
aux  conquérants  slaves  et  autrichiens.  La  Bohème  n'appar- 
tient que  par  quelques  points  de  son  territoire,  au  sud-est  et 
au  nord-ouest,  aux  bassins  du  Danube  et  de  l'Oder;  elle  fait 
presque  tout  entière  partie  de  ceux  de  l'Elbe  et  de  la  Moldau, 
qui  se  jette  dans  l'Elbe,  près  de  Melnik.  L'Elbe,  qui  devient 
navigable  depuis  cette  dernière  ville,  reçoit  dans  la  Bohême, 
à  droite  la  Cydlina,  User  et  le  Pulsnitz  ou  le  Polzen,  à 
gauche  l'Aupa,  la  Métau,  l'Adler,  l'Éger  et  la  Biéla.  Les 
affluents  de  la  Moldau  sont,  à  droite  la  Luschnitz  et  la  Sa- 
zarva ,  à  gauche  la  Wottarva  et  la  Bcraunka. 

Les  principales  vallées  de  la  Bohême  sont  :  au  nord  celle 
de  Laun-Saaz  sur  l'Eger,  haute  de  155  mètres;  celle  de 
Tlieresienstadt  au  confluent  de  l'Eger,  dont  l'élévation  n'est 
pas  moins  considérable,  et  celle  de  l'Elbe,  au  sud-ouest  de 
Kaniggrletz,  plaine  coupée  de  lacs  et  d'étangs  et  haute  de 
200  mètres.  Au  centre  s'élève,  à  250  mètres,  le  vallon  encaissé 
de  Pilsen.  Au  sud  s'étend  la  plaine  de  Budweis-Wittingau , 
également  coupée  par  un  grand  nombre  de  petits  lacs,  et 
haute  de  340  mètres.  Les  terrasses  qui  bordent  ces  vallées  au 
sud,  en  inclinant  vers  l'orient,  s'échelonnent  de  telle  ma- 
nière que  les  montagnes  de  la  rive  occidentale  de  la  Moldau 
sont  toujours  plus  hautes  de  vingt-cinq  à  trente  mètres  que 
celles  de  la  rive  orientale.  Au  nord,  les  terrasses  de  la  Bohème 
présentent  des  bords  escarpés  et  quelques  éminences  très- 
saillantes  ,  comme  le  mont  Engelhaeuser  C30  mètres,  le  Pur- 
berg  600  mètres  et  le  Georgenberg  385  mètres,  la  hauteur 
moyenne  étant  de  310  à  380  mètres.  Au  centre  elles  atteignent 
de  350  à  500  mètres;  la  Badywald  arrive  même  à  560  et  le 
Trzemczinberg  à  785  mètres.  Au  sud  leur  hauteur  moyenne 
est  de  560  à  620  sur  le  versant  septentrional,  par  où  elles  se 
rattachent  au  Bœhraerwald  et  au  Greinerwald.  Dans  la 
partie  septentrionale  de  la  Bohême,  sur  la  rive  droite  de 
l'Elbe  et  de  l'Adler,  cl  sur  la  rive  gauche  de  l'Eger,  la  lorme 
du  sol  est  déterminée  par  le  voisinage  des  monts  Sudètes  et 
des  montagnes  de  la  Saxe.  A  l'est  et  au  nord-est  du  bassin 
de  l'Elbe,  dans  la  contrée  parcourue  par  les  alfluents  gauches 
de  l'Elbe  supérieur,  on  s'élève  par  degrés,  en  franchissant 
des  montagnes  assez  bien  caractérisées,  jusqu'aux  hautes 
chaînes  du  district  de  Glatz  (Crête  Bohémienne,  Crête  d'Ha- 
belschwerdt,  Roches  de  Pcelitz ,  Roches  de  grès  d'Adersbach) 
ou  aux  crêtes  escarpées  du  Riesengebirge.  Au  nord  et  dans 
la  contrée  arrosée  par  les  affluents  droits  de  l'Elbe,  de  larges 
plateaux ,  comme  ceux  de  Gitschin  et  de  Dauba ,  conduisent 
aux  chaînes  de  l'Iser  et  aux  montagnes  de  la  Lusace.  En 
avant  de  ces  dernières ,  au  sud-ouest ,  se  groupent  des  mon- 
tagnes nombreuses,  à  travers  lesquelles  l'Elbe  se  fait  un  pas- 
sage entre  Leimeritz  et  Aussig.  A  l'est  s'élèvent  les  groupes 
isolés  du  Kleisberg  et  du  Geltschberg;  à  l'ouest,  les  masses 
basaltiques  des  montagnes  de  la  Bohême  centrale ,  parmi  les- 
quelles se  distingue  la  Donnersberg  (Milleschauer),  haute  de 
«20  mètres,  et  qui  sont  séparées,  au  nord,  de l'Erzgebirge 
*axon  par  le  lit  profond  de  la  Biéla.  Les  flancs  escarpés  de 
l'Erzgebirge  bornent  au  nord  le  cercle  d'Eger;  ses  larges 
sommets  en  forme  de  plateaux  forment  les  limites  de  la 
Bohême  et  s'abaissent  graduellement  à  l'ouest  jusqu'aux 
collines  des  environs  d'Eger  et  au  plateau  du  Fichtelgebirge. 
La  conformation  géognostique  du  pays  varie  fréquemment 
avec  la  forme  extérieure  du  sol.  Les  parties  méridionales, 
plus  élevées  que  celles  du  nord,  sont  composées  de  masses 
primitives  de  granit,  de  syénite  et  de  gneiss.  La  Bohème 
centrale  présente  à  l'occident,  entre  Prague  et  Kiattau,  le 
porphyre  à  base  de  quartz,  le  quartz  mêlé  de  schiste  et  de 
mica,  l'argile  schisteuse  de  calcaire  primitif;  et  à  l'orient, 


BOHÈME 


dans  le  bassin  de  l'Elbe,  des  masses  de  craie.  Les  produits 
rninéralogiques  de  la  Bohême  septentrionale  sont  encore  plus 
variés.  Le  grès  prédomine  à  l'est  de  l'Elbe,  tandis  qu'il 
alterne,  à  l'ouest,  avec  un  sol  rouge  et  une  couche  tertiaire 
supérieure  de  molasse.  Partout  les  produits  volcaniques 
percent  au  travers  des  masses  basaltiques  et  autres  sembla- 
bles. A  l'ouest,  au  contraire,  dans  la  Fichtelgebirge,  repa- 
raissent les  formations  primaires  du  sud  mêlées  de  schiste 
micacé. 

Le  climat  de  la  Bohême  se  rapproche  de  celui  de  l'Alle- 
magne centrale;  la  température  moyenne  est  de  7°, 5  centigra- 
des. Cependant  la  configuration  du  sol  contribue  beaucoup 
à  produire  des  phénomènes  particuliers.  Le  froid  est  plus 
âpre  dans  la  partie  montagneuse  du  sud  que  dans  le  nord. 

Comparée  aux  autres  pays  qui  forment  l'empire  d'Au- 
triche, la  Bohême  se  trouve  dans  des  rapports  avantageux 
relativement  à  la  population.  On  y  compte  4,522,000  habi- 
tants, c'est-à-dire  91  habitants  par  kilomètre  carré,  pro- 
portion qui  lui  assigne  le  troisième  rang  parmi  les  provinces 
de  la  monarchie,  et  le  premier  parmi  les  États  allemands 
soumis  à  l'Autriche.  En  1780  elle  n'avait  que  2,500,000  ha- 
bitants; en  1800  elle  en  comptait  plus  de  3,000,000;  en  1824 
plus  de  3,500,000,  et  en  1834  4,000,000;  c'est  un  accrois- 
sement annuel  d'environ  1,5  pour  cent.  La  masse  de  la  po- 
pulation est  d'origine  slave;  mais  avec  le  temps  il  s'y  est 
introduit  d'autres  éléments.  Les  Czèches  ou  Tchèques,  dont 
le  nombre  s'élève  à  2,700,054 ,  d'après  le  recensement 
de  1850,  occupent  principalement  le  centre  et  l'est  du  pays  ; 
ils  ont  gardé  leur  dialecte  slave.  Les  Allemands ,  dont  on 
comptait  plus  de  1,730,000  en  1850,  habitent  sur  les  fron- 
tières, principalement  au  nord-ouest,  et  leur  langage  se 
rattaciie  aux  dialectes  des  peuples  voisins.  Plus  de  700,000 
juifs  sont  dispersés  dans  tout  le  pays.  Une  petite  colonie  d'I- 
taliens existe  encore  à  Prague ,  où  elle  s'est  établie  sous 
Chartes  IV.  La  loi  communale  de  1850  a  réparti  toute  la 
population  en  6,196  communes  indépendantes,  formées  de 
12,646  lieux  habités,  parmi  lesquels  on  compte  289  villes,  soit 
une  ville  par  187  kilomètres  carrés.  Ainsi  la  Bohême,  par  le 
nombre  de  ses  villes  et  de  ses  villages,  occupe  le  premier  rang 
parmi  les  provinces  de  l'empire.  Cette  position  avantigeuse, 
elle  la  doit  aux  rapides  progrès  de  sa  civilisation  dans  ces 
derniers  temps,  progrès  qui  ont  été  sans  doute  favorisés  par 
la  fertilité  de  son  sol. 

Les  productions  du  règne  minéral  sont  aussi  variées  qu'a- 
bondantes. Les  mines  de  Joachirasthal  donnent  annuelle- 
ment, outre  une  petite  quantité  d'or,  8,400  kilogrammes 
d'argent,  c'est-à-dire  plus  qu'aucune  autre  province  de  l'em- 
pire ,  la  Hongrie  exceptée.  Après  les  mines  de  Joachiras- 
thal, les  plus  productives  sont  celles  de  Przibam.  Le  district 
de  l'Erzgebirge  est  le  plus  riche  en  étain;  on  en  extrait  an- 
nuellement 490  quintaux  métriques.  La  Boh(!Sie  livre,  en 
outre,  à  l'industrie  13  quintaux  de  cuivre,  plus  de  8,000 
de  mmerai  de  plomb,  1,570  de  plomb  de  commerce,  991  de 
carbure  de  fer,  9,500  de  litharge,  17,500  de  fer  brut,  90,000 
de  fer  de  fonte,  17  de  cobalt,  000  d'arsenic  ,  2,375  d'alun , 
2,700  de  sulfate  de  cuivre,  16,000  de  sulfate  de  1er,  3,500 
de  soufre,  plus  de  4  millions  de  quintaux  de  houille,  et 
11,500  quintaux  de  graphite,  surtout  dans  la  seigneurie  de 
Knmiau.  On  exploite  aussi  une  certaine  quantité  de  cala- 
mine, de  cinabre,  de  manganèse,  de  la  terre  de  porcelaine, 
de  belles  pierres  de  taille ,  des  meules  de  moulin ,  des 
pierres  à  aiguiser;  plusieurs  espèces  de  pierres  précieuses, 
et  principalement  les  célèbres  grenats  de  Bohême  (pyropes), 
des  rubis,  des  saphirs  et  des  hyacinthes,  beaucoup  de  to-j 
pazes.de  chrysolites,  de  chrysoprases,  d'améthystes,  dej 
cornalines,  de  chalcédoines ,  de  jasjMîs  et  d'agates.  La  con- 
sommation toujours  croissante  du  bois  a  appris  à  tirer  meil- 
leur parti  des  mines  de  houille  et  des  couches  de  tourbe. 
La  Bohême  manque  absolument  de  sel;  mais  elle  possède,! 
I  par  contre,  un  grand  nombre  de  sources  minérales  salutaireaj 


BOHÊME 


chaudes  et  froides ,  plus  ou  moins  cliargées  de  sels  par  la 
lixiviationdes  roches.  On  compte  ces  sources  par  centaines; 
mais  quelques-unes  seulement  sont  employées  à  des  usages 
curatifs.  Les  bains  de  la  Bohême  sont  renommés  parmi  les 
plus  célèbres  de  l'Europe.  Ils  doivent  leur  réputation  non- 
seulement  à  la  nature  de  leurs  eaux  et  à  leur  température , 
mais  surtout  à  cette  circonstance  que  depuis  longtemps  leurs 
propriétés  ont  été  analysées  par  des  médecins  et  des  chi- 
mistes habiles ,  comme  aussi  aux  améliorations  qu'on  y  ap- 
porte chaque  année  pour  la  commodité  des  visiteurs.  Les  plus 
connus  sont  :  1°  Carlsbad,  source  chaude,  chargée  de  sul- 
fate de  magnésie,  alcalique,  saline;  2"  Marienbad ,  source 
froide  de  même  nature;  3°  Eger-Franzensbad ,  source 
froide  de  môme  nature  et  saturée  de  fer;  4°  Tœplitz,  source 
alcaline  (natron)  chaude  et  tiède.  On  doit  mentionner  en- 
core les  eaux  ferrugineuses  de  Stecknitz,  Sternberg ,  Tet- 
schen,  Mariaschein,  etc.,  ainsi  que  celle  de  Liebwerda 
appartenant  aux  monts  Sudètes  ,  et  les  établissements  hy- 
drothérapeutiques d'Élisenbad,  Dobrawitz,  Letmeritz, 
Kuchelbad ,  etc.  On  exporte  les  eaux  de  Giesshùbel  près 
de  Carlsbad,  qui  ressemblent  à  l'eau  de  Selter;  celles  de  ^i- 
lin,  près  de  Tœplitz,  acidulés,  ferrugineuses  et  alcalines; 
celles  de  Seidckiitz,  Sedlitz  eiPiXUna,  eaux  amères  qui  se 
préparent  artiliciellement  par  la  lixivialion  des  basaltes  ef- 
fleuries. 

L'activité  des  habitants  de  la  Bohême  sait  multiplier  les 
productions  du  règne  végétal.  Des  473  myriamètres  carrés 
qui  sont  mis  en  culture,  248  appartiennent  aux  céréales, 
55  sont  en  prairies  et  en  jardins,  33  en  pâturages,  132  en 
forêts  et  2,535  hectares  en  vignes.  La  Bohême  récolte  plus 
de  24  raillions  d'hectohtres  de  grains,  dont  plus  de  3  de  fro- 
ment, plus  de  8  de  seigle,  environ  5  d'orge  et  plus  de  7 
d'avoine;  aucune  province  de  l'empire  ne  lui  est  comparable 
sous  ce  rapport.  C'est  encore  elle,  avec  !a  Hongrie,  qui  pro- 
duit le  plus  de  plantes  légumineuses  et  potagères  ;  et  l'on  y 
cultive  beaucoup  de  colza.  Les  fruits  forment  uue  branche 
importante  du  commerce  d'exportation.  Le  lin  se  récolte 
partout  ;  le  chanvre  est  plus  rare  ;  la  production  du  tabac  est  ■' 
considérable;  cependant,  de  toutes  les  cultures  de  ce  pays, 
aucune  n'est  plus  productive  que  celle  du  houblon  ;  elle  oc- 
cupe une  superficie  de  495  kilomètres  carrés ,  et  fournit  une 
récolte  magnifique  de  150,000  quintaux.  La  vigne  ne  donne 
guère  que  29,000  hectolitres  de  vin  ;  on  ne  la  cultive  que  dans 
la  vallée  de  l'Elbe,  depuis  JMelnik  jusqu'à  Aussig  et  dans  les 
environs  de  Prague.  Le  produit  des  forêts  s'élève  annuelle- 
ment à  plus  de  18  millions  de  stères  de  bois.  Si  l'agricul- 
ture est  surtout  florissante  dans  le  district  d'Egeret  dans  la 
partie  occidentale  du  cercle  de  Leippa,  c'est  dans  la  partie 
nord-ouest  du  cercle  de  Prague  qu'elle  occupe  le  plus  grand 
nombre  de  bras;  mais  nulle  part  elle  n'est  plus  négligée  que 
dans  la  partie  montagneuse  du  nord-ouest  du  cercle  de  Bud- 
weis  (  les  anciens  cercles  de  Prachin  et  de  Tabor).  Afin  d'en 
favoriser  les  progrès,  on  a  fondé  en  1850  deux  écoles  d'a- 
griculture, l'une  à  Tetschen,  sur  l'Elbe,  pour  la  population 
allemande,  l'autre  à  Libingitz,  dans  le  cercle  de  Budweis, 
pour  les  Tchèques. 

Les  bêtes  sauvages  disparaissent  à  mesure  que  le  pays  se 
cultive,  et  font  place  aux  animaux  domestiques.  Ce  serait 
en  vain  qu'on  chercherait  l'ours  et  le  loup,  même  sur  les 
sommets  des  plus  hautes  montagnes;  mais  on  rencontre  en- 
core beaucoup  de  chats  sauvages.  Le  blaireau  est  répandu 
partout;  le  hamster  devient  de  plus  en  plus  rare  à  mesure 
qu'on  avance  vers  le  sud-est.  Les  forêts  sont  peuplées  de 
gibier;  leg  lièvres  se  sont  tellement  multipliés  qu'on  exporte 
annuellement  près  d'un  demi-million  de  leurs  peaux ,  et  les 
faisans,  que  l'on  élève  surtout  à  Krzinec,  dans  le  cercle  de 
Gitschin ,  jouissent  d'une  réputation  méritée.  Depuis  quelque 
temps,  on  s'applique  avec  plus  de  soin  à  l'éducation  des 
bestiaux.  Marie-Thérèse  et  Joseph  II  ont  favorisé,  dans  l'in- 
lérCt  de  l'armée, l'éducation  des  chevaux.  Outre  le  haras  mi- 


339 

litaire  de  ^^cmoschit7. ,  il  en  existe  plusieurs  dans  des  proprié- 
tés particulières ,  comme  à  Pardubitz  et  à  Nimburg  ;  il  j 
en  a  aussi  un  à  Kladrup,  sans  parler  du  haras  impérial  de 
Sellmitz.  On  évalue  le  nombre  des  chevaux  du  pays  à  plus 
de  156,000  ;  la  meilleure  race  est  celle  des  cercles  d'Eger  et 
de  Pardubitz  (  autrefois  Chrudim  ).  Celui  des  têtes  de  bétail 
est  porté  à  1,050,000,  chiffre  bien  élevé  pour  la  quantité 
de  fourrage  :  aussi,  à  peu  d'exceptions  près,  le  bétail,  qui  est 
chétif,  donne-t-il  fort  peu  de  lait  et  de  bonne  viande.  Grâce 
encore  aux  encouragements  de  Marie-Thérèse,  l'éducation 
des  bêtes  ovines  est  dans  l'état  le  plus  florissant.  Environ 
1,545,000  brebis,  presque  toutes  de  races  améliorées,  four- 
nissent au  commerce  d'exportation  20,000  quintaux  de 
fort  belle  laine.  La  Bohême  nourrit  400,000  porcs,  dont 
50  à  (io,000  s'exportent  chaque  année  ;  c'est  principalement 
dans  les  parties  méridionale  et  occidentale  qu'on  s'occupe 
de  ce  commerce,  tandis  que  dans  les  contrées  montagneuses 
on  élève  de  grands  troupeaux  de  chèvres,  qui  s'exportent 
aussi  au  nombre  de  50,000  environ  chaque  année.  Dans  le 
sud,  on  engraisse  des  milliers  d'oies,  dont  le  duvet  four- 
nit la  matière  d'un  commerce  considérable  :  on  en  exporte 
annuellement  1,000  quintaux.  La  ville  de  Neucrn,  dans  le 
cercle  de  Pilsen,  est  le  centre  de  cette  industrie.  La  culture 
du  mûrier ,  bien  que  fort  encouragée ,  n'a  pas  réussi  jus- 
qu'ici d'une  manière  remarquable.  L'éducation  des  abeilles 
li\Te  au  commerce  une  cire  aussi  estimée  que  celle  de  la 
Moravie.  La  pêche  est  trùs-pioductive  dans  les  nombreux 
étangs  du  pays  :  les  carpes  et  les  brochets  sont  envoyés  en 
grand  nombre  à  Vienne  et  dans  d'autres  villes.  On  trouve 
enfin  dans  la  Moldau  supérieure  et  la  Wottawades  huîtres 
dont  les  perles  rivalisent  en  beauté  avec  celles  de  l'Orient. 
Sous  le  rapport  agricole,  la  Bohême  peut  donc  soutenh-  sans 
désavantage  la  comparaison  avec  beaucoup  d'autres  contrées, 
et  sa  situation  à  cet  égard  serait  bien  plus  favorable  encore  si 
elle  savait  tirer  meilleur  parti  de  quelques-unes  de  ses  pro- 
ductions naturelles. 

Sous  le  rapport  industriel ,  elle  se  place  parmi  les  pre- 
miers États  manufacturiers  de  l'Europe.  Ses  fabriques  de 
lin  livrent  au  commerce  extérieur  plus  de  produits  que  tout 
le  reste  de  la  monarchie  autrichienne,  c'est-à-dire  pour  une 
valeur  d'environ  13  millions  de  francs,  des  toiles  de  toutes 
sortes,  des  damas,  des  batistes,  des  linons,  des  dentelles, 
des  indiennes ,  des  coutils.  Cette  industrie  a  son  siège  prin- 
cipal dans  les  districts  du  nord,  et  occupe  environ  400,000 
filaleurs,  plus  de  50,000  tisserands,  et  plusieurs  milliers 
d'ouvriers  dans  de  nombreuses  blanchisseries.  La  fabrication 
de  la  dentelle,  dans  la  contrée  du  nord-ouest,  faisait  vivre 
autrefois  plus  de  40,000  individus;  elle  en  nourrit  aujour- 
d'hui 15,000  à  peine;  cependant  ses  produits  sont  toujours 
recherchés.  Après  la  Basse-Autriche ,  c'est  la  Bohême  qui 
possède  le  plus  de  manufactures  de  coton  ;  elle  en  entrete- 
nait 227  en  1848.  Dix-huit  filatures,  avec  1944  machines  et 
plus  de  445,000  broches,  produisent  annuellement  35,000 
quintaux  de  fil.  Le  tissage  occupe  plus  de  50,000  métiers; 
l'impression  sur  étoffes  livre  au  commerce  près  d'un  mil- 
lion et  demi  de  pièces  imprimées  de  toutes  sortes,  et  de 
nombreuses  teintureries,  surtout  de  rouge  de  Turquie,  se 
rattachent  à  ces  fabriques,  qui  se  sont  élevées  principalement 
dans  les  cercles  de  Leippa  et  d'Eger.  Ce  dernier  se  dislin- 
gue aussi  par  sa  production  de  bas  de  laine.  Reichenbcrg 
et  ses  environs  forment  le  centre  des  manufactures  de 
laine,  qui  s'élèvent  en  Bohême  à  146.  Cinquante  fabriques 
de  cuir  livrent  des  produits  remarquables,  parmi  lesquels 
se  distinguent  les  gants  de  Prague,  dont  20,000  douzaines  se 
vendent  chatiue  année.  Une  des  branches  les  plus  impor- 
tantes de  l'industrie  nationale  est  la  fabrication  du  papier, 
qui  occupe  18  fabriques  et  108  moulins,  principalement 
dans  les  environs  de  Prague,  sur  le  Haut-Elbe,  à  Knunau, 
à  Le(letsch,àrrautenau  ;  cependant  elle  cède  le  promiur  ran,'? 
à  celledu  verre,  dont  les  produits  .sont  sans  rivaux  en  Europe. 

4'J. 


340 


BOHEME 


Intro'.liiifa  en  Bohème  dans  le  treizième  siècle  par  des  ou- 
vriers v(^iiiiicns,  et  favorisée  par  la  richesse  du  pays  en 
toutes  sortes  de  minéraux,  surtout  en  quartz,  par  l'ahon- 
dance  (hi  (ombiislihlc,  par  le  bas  prix  de  la  main-d'œuvre, 
cette  industrie  ne  tarda  pas  à  devenir  très-fiorissante.  On 
compte  dans  les  montagnes  frontières  IGI  verreries,  dont 
22  ne  s'occupent  que  du  raffinage  des  produits  des  autres. 
De  puissantes  maisons,  qui  se  livrent  exclusivement  à 
cette  spécialité,  principalement  dans  le  cercle  de  Leippa, 
ont  des  entrepôts  dans  les  principales  villes  de  l'Europe,  et 
font  des  affaires  importantes  avec  l'Amérique  et  le  Levant. 
Les  fabriques  les  plus  renommées  sont  celles  de  Haïda 
dans  le  cercle  de  Leippa,  de  Steinschœnau ,  de  Kreibitz  et 
de  Georgeiitlial  dans  celui  d'Eger,  de  Wintcrberg  et  de 
Silherherg  dans  celui  de  Pilsen,  de  Gratzen  et  de  Josephs- 
llial,  dans  celui  de  Cudwcis,  et  surtout  la  fabrique  deNeu- 
waiii  dans  le  cercle  de  Gitschin,  qui  livre  les  oeuvres  d'art 
les  plus  maguiliqucs.  Dans  la  fabrication  des  pierreries  arti- 
licielles ,  des  perles ,  des  pûtes ,  des  coraux ,  Turnau ,  dans 
le  cercle  de  Leippa ,  n'a  pas  d'égal  ;  viennent  ensuite  Ga- 
blouz  et  Neuvvalil ,  tandis  que  Neuhurkenthal  dans  le  cercle 
de  Pilsen ,  et  Burgstein  dans  celui  de  Leippa ,  possèdent  les 
fabriques  de  glaces  les  plus  célèbres.  Depuis  le  commence- 
ment de  ce  siècle ,  la  concurrence  de  l'Angleterre  et  de  la 
France  a  diminué  de  près  de  moitié  la  valeur  de  la  produc- 
tion, qui  s'élève  pourtant  encore  à  plus  de  15  millions  de 
francs.  La  Bohême  livre  aussi  au  commerce  extérieur  pour 
des  sonuucs  considérables  de  porcelaines ,  de  faïences ,  de 
vases  degrés,  déterre,  de  terralithe,de  sidérolitlie,  qui  se 
fabriquent  principalement  et  le  mieux  dans  les  environs  de 
Carisbad.  Le  bois ,  de  qualité  excellente ,  reçoit  les  formes 
les  plus  variées  entre  les  mains  d'ouvriers  habiles  :  les  cas- 
settes de  Carisbad  ont  une  réputation  universelle,  et  les 
jouets  d'enfants  qui  se  fabriquent  dans  les  environs  de  Fried- 
Jand  et  de  Rotlieniiaus,  disputent  la  palme  à  ceuxdu  Tyrol 
et  de  Derciitesgaden. 

La  fabrication  des  métaux,  dans  toutes  ses  branches,  est 
florissante  en  raison  de  l'abondance  des  produits  bruts  des 
mines.  La  partie  sud-ouest  des  cercles  de  Pilsen  et  de  Pra- 
gue renferme  un  grand  nombre  de  mines  de  fer,  dont  le  mi- 
nerai était  mis  en  œuvre  en  1S48  dans  131  forges,  parmi 
lesquelles  celle  de  Ilorschowitz  se  distinguait  par  l'excel- 
lence de  ses  fontes  et  de  ses  fers  forgés.  Pour  la  coutellerie , 
"Jarlsbad  et  Nixdorf,  dans  le  cercle  de  Leippa,  méritent  sur- 
lout  d'être  citées;  cette  dernière  ville  possède  la  meilleure 
fabrique  d'acier  de  toute  la  monarchie.  Nulle  part  le  fd  d'ar- 
chal  ne  se  confectionne  en  plus  grande  quantité  que  dans 
le  cercle  d'Eger  ;  la  plus  importante  manufacture  de  ce  genre 
se  trouve  à  Schœ,nbiihel.  L'étain  et  la  tôle  se  travaillent 
piiiicipalement  à  Carisbad  ;  cependant  Prague  et  les  environs 
«riîgcr  et  de  Numburg  fabriquent  aussi  des  ustensiles  d'é- 
tain  et  de  tôle  dont  la  réputation  s'étend  au  loin.  Neudeck 
mérite  d  être  mentionnée  pour  ses  instruments  de  mathé- 
matiques, comme  Biirgsteiu  pour  ses  verres  d'optique.  Aces 
différentes  branches  d'industrie  on  pourrait  en  ajouter  plu- 
sieurs autres,  qui  contribuent  à  alimenter  le  commerce, 
telles  que  la  fabrication  du  sucre  de  betteraves,  qui  en 
18'is  occupait  déjà  3C  fabriques,  et  celle  des  produits  chi- 
miques, qui  en  occupait  93. 

Le  conmierce  de  la  Bohème  exporte  pour  47,457,800 
francs  de  produits,  et  n'en  hnporte  que  pour  39,204,100.  II 
est  favorisé  non-seulement  par  la  fertilité  du  pays  et  par  sa 
position  centrale  entre  le  nord  et  le  midi  de  l'Allemagne 
orientiile ,  mais  aussi  par  un  grand  nombre  d'institutions  et 
de  sociétés  de  toutes  espèces  (chambres  de  commerce  et  d'in- 
dustrie, sociétés  d'industrie,  etc.),  ainsi  que  par  l'excellent 
état  des  chemins.  Prague  est  le  centre  d'im  réseau  déroutes 
qui  s'étendent  dans  toutes  les  directions,  sur  une  longueur 
totale  de  plus  de  450  myriamètres,  et  de  diverses  ligues  im- 
jJ^rlautes  de  chemins  de  fer.  Depuis  1845  une  voie  ferrécmet 


cette  ville  en  co.mmunication  avec  Vienne,  et  une  autre  avec 
Dresde  depuis  1851.  Le  chemin  de  fer  de  Budweis  à  Lini 
est  un  des  premiers  qui  aient  été  construits  sur  le  continent 
européen.  Celui  qui  relie  Prague  aux  montagnes  boisées  de 
Piirglitz  fut  achevé  peu  de  temps  après.  Un  embranchement 
qui  joindra  Aussig  à  Tœplitz  est  en  voie  de  construction , 
et  dernièrement  une  concession  a  été  accordée  pour  deux 
autres  embranchements  dans  les  districts  riches  en  houille 
de  Bustielirad  et  de  Weyhipka. 

L'état  de  civilisation  de  la  Bohème  est  en  grande  partie  le 
résultat  de  la  lertihté  du  pays  et  des  qualités  des  habitants; 
cependant  les  soins  de  l'administration  y  ont  également 
contribué,  ainsi  que  le  voisinage  de  l'Allemagne.  La  popu- 
lation allemande  était  naturellement  disposée  à  subir  l'in- 
fluence de  la  civilisation  allemande,  et  les  Tchèques,  la  plus 
intelligente  des  nations  slaves,  n'y  restèrent  pas  étrangers. 
Le  Tchèque  a  l'esprit  vif,  docile,  poétique,  comme  le  prouve 
son  goût  pour  la  musique;  mais  il  est  moins  laborieux  et 
moins  patient  que  l'Allemand.  La  grande  majorité  de  la  po- 
pulation bohème  appartient  à  l'Église  catholique;  le  nombre 
des  protestants  ne  dépasse  pas  88,600.  L'autorité  supé- 
rieure ecclésiastique,  qui  comprend  1800  paroisses,  est  entre 
les  mains  de  l'archevêque  de  Prague  et  des  trois  évêqucs 
de  Leitmeritz,  de  Ko^niggrœtz  et  de  Budweis.  On  compte, 
en  outre,  76  couvents  d'hommes  et  de  femmes.  L'ins- 
truction publique  aurait  besoin  de  nombreuses  réformes; 
cependant  elle  est  sur  un  meilleur  pied  que  dans  la  plupart 
des  autres  parties  de  l'empire.  Indépendamment  de  l'uni- 
versité et  de  l'Institut  polytechnique  de  Prague ,  et  sans 
parler  des  séminaires  établis  dans  les  villes  épiscopales ,  la 
Bohème  possède  22  gymnases,  réorganisés  presque  com- 
plètement depuis  1850,  et  3,500  écoles  primaires.  On  tra- 
vaille activement  à  multiplier  les  écoles  spéciales  ,  dont  on 
ne  comptait  encore  que  trois  dans  ces  derniers  temps.  La 
Bohême  est  riche  aussi  en  sociétés  savantes,  en  associa- 
tions économiques,  industrielles,  artistiques,  etc.,  la  plu- 
part fondées  et  soutenues  par  des  particuliers. 

Depuis  que  l'administration  a  été  séparée  de  la  justice, 
l'ancienne  répartition  en  seize  cercles  a  été  supprimc'e.  Le 
pays  est  aujourd'hui  divisé,  sous  le  rapport  administratil  , 
en  sept  cercles  seulement  :  ceux  de  Prague,  d'Eger,  de 
Leippa  ,  de  Gitschin,  de  Partubitz,  de  Budweis  et  de  Pil- 
sen, qui  se  subdivisent  en  79  capitaineries  de  district.  Le 
centre  de  l'administration  et  le  siège  du  gouvernement  sont 
à  Prague.  La  justice  est  rendue  par  une  cour  suprême,  avec 
la  procuraile  générale  siégeant  à  Prague;  13  tribunaux 
provinciaux  (qui  sont  en  môme  temps  cours  d'assises  )  éta- 
blis à  Prague,  Budweis,  Tabor,  Kuttenberg,  Hohenmauth, 
Ko'niggrœtz,  Gitschin,  Relchenberg,  Leippa,  Briix,  Eger, 
Pilsen  et  Pisek  ,  43  tribunaux  correctionnels  de  district  (  ou 
collégiaux),  et  210  tribunaux  de  cercle.  .\  la  tète  de  l'admi- 
nistration militaire  est  un  général,  qui  réside  à  Prague.  Sous 
le  rapport  des  fortifications,  les  places  du  premier  rang,  Tlie- 
resieustadt ,  Josephstadt  et  Kœniggrictz ,  sont  remarquables 
comme  autant  de  boulevards  de  la  ligne  de  défense  natu- 
relle tormée  par  les  montagnes  qui  entourent  la  Bohème. 
Depuis  les  journées  de  juin  1848,  on  travaille  aussi  avec 
activité  aux  fortifications  de  Prague,  qui  doivent  être  termi- 
nées en  1858. 

Histoire. 

La  Bohême  a  reçu  son  nom  des  Tîoïcns,  qui  en  furent 
expulsés  par  les  Rlarcomans  vers  l'époque  de  la  naissance 
de  Jésus-Christ.  Les  Marcomans  subirent  le  même  soit,  et 
dès  le  cinquième  siècle  de  notre  ère  on  trouve  établis  en  Bo- 
hême les  Tchèques,  peuple  slave  qui  s'y  est  maintenu  jus- 
qu'à ce  jour.  A  cette  époque  la  Bohême  était  divisée  en 
une  foule  de  petites  principautés,  que  Samo  réunit  de  627  à 
602  pour  en  former  avec  les  pays  slaves  avoisinants  une  mo- 
narchie, qui  se  rendit  redoutable  même  aux  Franks  ;  mais 


i 


BOHÊME 


ta 


après  sa  mort  son  oeuvre  Ait  détrtiite.  Les  campagnes  de 
Cliarlemagne  contre  les  Bohèmes,  en  805  et  806, n'eurent  pas  de 
résultat  durable,  et  l'armée  de  l'empereur  Louis  fut  presque 
anéantie  par  eux  en  849.  Entre  les  années  871  et  894  ,  la 
Bohême  tut  soumise  au  roi  morave  Swatopluk.  Ce  fut  vers 
ce  temps  qu'elle  embrassa  le  christianisme.  Les  ducs  de 
Prague  ,  qui  descendaient  de  Libussa,  célèbre  dans  les  tra- 
ditions du  pays,  et  de  son  époux  Przemysl,  acquirent  peu  à 
peu  la  suprématie,  et,  après  la  mort  de  Swatopluk,  que  sui- 
vit de  près  la  ruine  de  son  empire,  hâtée  par  une  invasion 
des  Maggyares,  ils  entrèrent  volontairement,  le  15  juil- 
let 895,  à  la  dièîe  de  Ratisbonne,  dans  la  Confédération 
Germanique,  dont  la  Bohême  n'a  plus  cessé  de  faire  partie. 

L'ambitieux  et  énergique  Boleslas  1"  (936-967),  que  la 
passion  de  régner  avait  poussé  au  meurtre  de  son  frère 
aîné,  saint  Wenceslas,  chercha  en  même  temps  à  sou- 
mettre à  son  autorité  tous  les  autres  princes  bohèmes  et 
à  se  rendre  lui-môme  indépendant  de  l'Allemagne.  11  ne 
réussit  que  dans  son  premier  projet.  Son  fils  Boleslas  II 
(967-999)  étendit  son  pouvoir  sur  la  Moravie  et  jusqu'à  la 
Vistule  et  au  Bog.  Ce  fut  lui  qui  fonda  en  973  l'evèché  de 
Prague.  Les  querelles  de  ses  (ils  leur  firent  perdre  toutes 
ces  conquêtes  que  le  bravo  Boleslas  Chrobry  de  Polojjne 
leur  enleva  ;  cependant  Brzeti.slas  I"  (  1037-1055  ) réussit  à 
reprendre  la  Moravie,  qui  resta  dès  lors  unie  à  la  Bohême. 
L'empereur  Henri  IV  accorda  le  titre  de  roi  au  duc  Wra- 
tislas  II  (1061-1092)  en  1086,  et  l'empereur  Frédéric  l"  le 
confirma, en  1158,  à  son  petit-fils  Wladislas II (  1140-1173), 
en  récompense  des  services  qu'ils  avaient  rendus  à  l'em- 
pire. De  1173  à  1197  on  vit  jusqu'à  dix  piintes  de  la  fa- 
mille régnante  se  disputer  un  trône  chancelant ,  et  la  Bo- 
hême était  près  de  sa  raine  lorsque,  instruit  à  l'école  du 
malheur,  Przemysl  Ottokar  I"  (1197-1230)  changea  l'an- 
cienne loi  de  succession,  rendit  la  couronne  héréditaire  et 
l'affermit  sur  sa  tète  par  sa  poltique  et  son  épée. 

Sous  son  petit-fils  Przemysl  Ottokar  II  la  Bohème  s'éleva 
à  un  haut  degré  de  puissance.  A  l'exception  du  Tyrol  et 
de  Salzbouig ,  elle  conciuit  tous  les  pays  allemands  de  la 
monarchie  autrichienne  ;  mais  Ottokar  perdit  ses  conquêtes 
et  la  vie  en  combattant  Rodolphe  de  llabsbourg.  Son  fils 
Wenzel  II  réussit,  au  contraire,  à  se  faire  élire  roi  de  Po- 
logne, et  son  petit-fils  Wenzel  111,  roi  de  Hongrie.  Ce  der- 
nier fut  assassiné  à  Olmiitz,  le  4  août  1306.  En  lui  s'éteignit 
la  maison  des  Przemysl. 

De  1310  à  1407  la  Boliôme  fut  gouvernée  par  des  princes 
de  la  maison  de  Luxembourg.  Le  roi  Jean  (1310-1346), 
s'étant  désisté  de  ses  prétentions  au  trône  de  Pologne, 
obtint  en  dédommagement  la  Silésie.  Charles  I" ,  empereur 
d'Allemagne  sous  le  nom  de  Charles  IV  (  1346-1378),  rendit 
de  plus  grands  services  à  son  royaume  en  provoquant,  en 
favorisant  la  civilisation,  et  en  réunissant  à  ses  États  la 
Lusace,  une  grande  partie  du  Haut-Palatinat  et  de  la  Marche 
de  Brandebourg ,  conquêtes  que  ses  fils,  dégénérés,  et  ses 
neveux  ne  tardèrent  pas  à  se  voir  enlever  presque  en  tota- 
lité. Sous  Wenceslas  IV  (  1378-1419),  des  idées  de  réforme 
se  propagèrent  en  Bohême  par  les  travaux  de  Jean  Huss 
et  de  ses  partisans,  et  la  mort  du  réformateur,  condamné 
au  feu  par  le  concile  de  Constance,  en  1415,  amena  une 
séparation  complète  d'avec  Rome.  Cependant  ce  fut  seule- 
ment aprè:--  la  mort  de  Wenceslas,  en  1419,  que  les  me- 
sures imprudentes  de  l'empereur  Sigismond  firent  éclater 
la  guerre  des  hussites,  qui  dura  seize  ans.  La  supériorité  des 
armes  des  hussites ,  fortifiée  par  l'esprit  national  énergique 
qui  caractérisait  ce  parti  politico-religieux  ,  fit  de  la  Bohême 
un  royaume  électif  (  1420-1547  ).  Après  la  mort  de  Ladislas 
le  Posthume  (1453-1457),  George  de  Podiebrad,  le  sage  et 
vigoureux  administrateur  du  royaume,  qui  professait  la  re- 
ligion des  hussites,  fut  élevé,  en  1458,  sur  le  trône  de 
Lohême,  et  s'y  maintint  en  dépit  des  excommunications  du 
pape  et  malgré  la  traiiison  de  son  gendre,  le  roi  Matthias 


de  Hongrie,  et  d'une  grande  partie  de  ses  principaux  vas- 
saux. Son  successeur,  Wladislas  (1471-1516),  fut  élu,  en 
1 490  ,  roi  de  Hongrie,  et  établit  sa  résidence  à  Ofen ,  que 
son  fils  et  successeur  Louis  (1516-1526)  continua  à  habi- 
ter. Louis  ayant  été  tué,  en  1526,  à  la  bataille  de  Mohacz, 
la  Bohême  avec  la  Hongrie  échut  à  l'archiduc  Ferdinand 
d'Autriche,  qui  voulut  forcer  les  Bohèmes  à  prendre  les 
armes  contre  l'électeur  de  Saxe  dans  la  guerre  de  Smal- 
kalde. 

Les  Bohèmes  s'y  étant  montrés  peu  disposés ,  et  ayant 
semblé,  au  contraire,  vouloir  favoriser  l'électeur,  l'ar- 
chiduc ,  après  que  l'empereur  Charles-Quint  eut  remporté 
la  victoire  de  Miihlberg,  les  traita  très-rudement,  et  déclara 
la  Bohème  royaume  héréditaire  à  la  diète  de  1547,  qu'on 
a  surnommée  la  diète  sanglante.  Son  fils  Maximilien  lui 
succéda  en  1564  ;  il  eut  pour  successeurs  ses  fils  Rodolphe 
en  1576,  et  Matthias  en  1611.  Sur  la  fin  du  règne  de  ce 
dernier,  de  nombreuses  atteintes  portées  à  la  liberté  des 
cultes  occasionnèrent  des  troubles  qui  faillirent  enlever  la 
Bohême  à  la  maison  d'Autriche.  Sans  tenir  compte  des 
droits  de  Ferdinand  II,  qui  avait  été  couronné  roi  du  vivant 
même  de  son  père,  les  Bohèmes  donnèrent,  en  1619,  la 
couronne  à  l'électeur  palatin  Frédéric  V.  Mais  à  la  bataille 
de  la  montagne  Blanche,  livrée  près  de  Prague,  le  8  no- 
vembre 1620 ,  la  balance  ayant  penché  du  côté  de  Ferdi- 
nand, vingt-sept  des  auteurs  de  l'insurrection  furent  exécutés, 
seize  bannis  ou  condamnés  à  une  prison  perpétuelle,  et  les 
biens  de  tous  confisqués.  La  confiscation  fut  également 
prononcée  contre  ceux  qui  étaient  morts  avant  la  défaite 
de  leur  parti ,  contre  vingt-sept  contumaces  et  contre 
sept  cent  vingt-huit  gentils-hommes.  Le  culte  protestant, 
que  professaient  plus  des  trois  quarts  des  habitants,  fut  dé- 
fendu, la  constitution  abolie  en  1627  ,  et  la  Bohême  con- 
vertie en  une  monarchie  catholique  ,  absolue  et  héréditaire. 
Ces  mesures  arrêtèrent  immédiatement  le  développement 
intellectuel  et  politique  provoqué  et  favorisé  par  la  guerre 
des  hussites.  3(i,000  familles,  dont  1,088  d'origine  noble, 
tous  les  pasteurs  et  tous  les  instituteurs  protestants,  une 
foule  d'artistes ,  de  négociants  et  d'ouvriers  ,  ne  voulant  pas 
changer  de  religion ,  émigrèrent  dans  la  Saxe ,  le  Brande- 
bourg, la  Pologne,  la  Suède,  la  Hollande,  etc.  Cette  émi- 
gration, jointe  aux  ravages  de  la  guerre  de  Trente  Ans ,  qui 
commença  et  finit  en  Bohême ,  dépeupla  ce  royaume.  Des 
colons  allemands  s'établirent  sur  différents  points  du  terri- 
toire, protégi'S  et  favorisés  par  le  gouvernement  aux  dépens 
de  la  population  bohème. 

Après  la  mort  de  Charles  VI,  en  1740,  l'électeur  de  Ba- 
vière Cliarles-Albert  éleva  des  prétentions  à  la  couronne, 
et  se  fit  proclamer  roi  par  les  états  assemblés  à  Prague; 
cependant  INlarie-Thérèse  maintint  son  autorité  sur  le  pays. 
Le  même  fait  se  reproduisit  dans  la  guerre  de  Sept  Ans , 
lorsque  les  Prussiens  s'avancèrent  jusque  sous  les  murs  de 
Prague.  Sous  Joseph  II  la  Bohême  fut  une  des  provinces 
de  son  empire  auxquelles  ce  prince  appliqua  de  préférence 
ses  plans  de  réforme.  Si  son  absolutisme  éclairé  ne  fut  pas 
favorable  à  la  résurrection  nationale  et  politique  de  la  Bohème, 
il  contribua  du  moins  aux  progrès  de  la  civilisation,  et  dé- 
posa dans  le  pays  des  germes  dont  le  règne,  moins  libéral, 
de  son  successeur  put  bien  aiTêter  le  développement,  mais 
sans  parvenir  à  les  étouffer.  La  Bohême,  qui  fournissait  des 
einployés  civils  et  ecclésiastiques  à  la  moitié  de  la  monar- 
chie, conserva  néanmoins  chez  elle  un  noyau  d'hommes 
habiles  qui  réveillèrent  graduellement  dans  son  sein  la  vie 
publique. 

La  révolution  de  Juillet,  dont  le  contrecoup  se  fit  sentir 
jusque  sur  les  frontières  de  l'Autriche,  n'émut  pas  la 
Bohême;  c'est  plus  tard  seulement  qu'il  s'y  forma  une  espèce 
d'opposition  très-modérée ,  qui  ne  s'attaqua  guère  au  sys- 
tème oppressif  de  Melternich  que  dans  des  détails  secon- 
daires. La  révolution  de  Février,  au  contraire,  y  fit  éclr-ler 


342  BOHÊME 

un  violent  mouvement  politique.  A  peine  apprit-on  la  chute 
de  Louis-Philippe,  qu'une  nombreuse  assemblée  de  bour- 
geois de  Prague  signa  une  pétition  à  l'emperenr  pour  de- 
mander la  liberté  |)olilique  et  nationale.  Dans  l'intervalle 
curent  lieu  à  Vienne  les  événements  de  mars,  et  l'Autriche 
se  proclama  État  constilulionnel.  L'oppression  sous  laquelle 
la  Uohi^uie  gémissait  depuis  des  siècles  fut  brisée;  mais 
l'élément  national,  en  se  manifestant  avec  énergie,  provoqua 
la  résistance  de  l'élémont  allemand.  La  population  allemande 
dans  son  enthousiasme  considéra  l'Assemblée  nationale  de 
Francfort  comme  le  boulevard  de  ses  libertés,  tandis  que  les 
Tchè(iues  n'y  virent  qu'un  danger  menaçant  pour  leur  na- 
tionalité. Alin  d'o[)poser  un  contrepoids  à  l'assemblée  de 
Francfort,  ils  convoquèrent  à  Prague  un  congrès  slave, 
qui  se  réunit  en  effet  le  31  mai  I8'i8,  mais  qui  ne  termina 
pas  sa  session  ;  car  un  conflit  entre  le  |)euplc  et  l'armée,  qui 
é<;lafa  le  11  juin,  amena  une  lutte  sanglante,  suivie,  le  15, 
du  bombardement  de  Piague  et  de  la  dissolution  du  con- 
grès. L'harmonie  toutefois  ne  se  rétablit  pas  entre  les  deux 
parties  de  la  population.  Dans  la  première  diète  constitution- 
nelle de  l'Autriclie,  les  députés  tchèques  soutinrent  tous  la 
politique  du  gouvernement ,  tandis  que  les  députés  alle- 
mands, à  bien  peu  d'exceptions  près,  votèrent  avec  la  gauche. 
A  la  révolution  d'octobre,  les  premiers  s'enfuirent  de  Vienne, 
et  travaillèrent  à  faire  translérer  la  diète  à  Ivremsier  en 
Moravie.  Ils  appuyèrent  aussi  le  gouvernement  dans  sa 
lutte  contre  les  Maggyares,  et  exercèrent  une  grande  in- 
lluence  sur  la  marche  des  événements.  La  dissolution  de 
la  diète  et  l'octroi  de  la  charte  de  mars  1840  brisèrent  cette 
iunuence,  et  mirent  un  terme  aux  querelles  des  nationalités 
en  Uohéme;  mais  la  pacification  n'est  (ju'apparente,  et  la 
Ijohémeest  certainement  appelée  à  jouer  un  grand  rôle  dans 
les  destinées  futures  de  cette  agrégation  d'États  qui  forme 
l'empire  d'Autriche.  Consultez  Pelzel  ,  Hisloire  des  Bo- 
hèmes (  2  parties,  Prague,  1772  )  ;  Palacky,  Histoire  des 
Jio/icmes  (vol.  1-3;  Prague,  183G-1847);  Jordan,  His- 
toire du  peuple  et  du  royawne  de  Bohême  {3\o\.,  Lei- 
pzig,  1845-1847  );  Sommer,  Tableau  statistique  et  topo- 
graphique  du  royaume  de  Bohême  (  vol.  1-15,  Prague, 
1838-47). 


Langue  et  littérature. 

De  tous  les  peuples  slaves,  ce  sont  les  Bohèmes  ou  Tchè- 
ques qui  possèdent  la  plus  ancienne  littérature;  les  monu- 
ments de  leur  activité  littéraire  remontent  au  dixième  siècle; 
mais  les  débris  les  plus  remarquables  n'en  ont  été  retrou- 
ves que  dans  ces  derniers  temps.  On  cite  dans  le  nombre  le 
fragment  découvert  par  Hanka,  en  1817,  à  Kœniginhof, 
d'un  recueil  de  chants  épiques  et  lyriques  composés  dans  le 
treizième  siècle,  recueil  qui  a  d il  être  très-considérable, 
puisque  les  titres  de  ce  (jui  s'en  est  conservé  indiquent  les 
chapitres  2G  à  28  du  3*  livre.  Ces  chants,  au  nombre  de 
quatorze,  surpassent  peut-être  en  force,  en  noblesse,  en  dé- 
licatesse, en  grûce,  tout  ce  que  nous  a  Ui^wé  le  moyen  âge. 
Outre  le  manuscrit  de  Kœniginhof,  la  littérature  bohème 
de  l'époque  antérieure  à  Jean  IIuss  nous  olfre  vingt  ou- 
vrages en  vers  et  au  delà  de  cinciuantc  en  prose  plus  ou  moins 
étendus,  parmi  lesquels  se  distinguent  la  Chronique  e?i 
vers  de  Dalinnl,  depuis  13t4;  le  Livre  d'Instruction,  com- 
posé en  137G,  par  Thomas  de  Stitny,  pour  ses  enfants,  et 
un  recueil  de  fables  anonyme  intitulé  le  Conseil  des  Ani- 
viaux,  (pii  date  du  même  temps.  L'ouvrage  du  juge  supé- 
rieur André  de  Duba  sur  l'organisation  judiciaire  de  la 
Bolième  en  1402,  et  le  poème  politico-didactique  encore 
inédit  du  baron  Smil  Flaschka  de  Richcnburg  (  moil  en 
1403),  ne  pn-sentent  pas  un  moindre  intérêt.  La  spirituelle 
satire  le  Charlatan,  comédie  du  commencement  du  qua- 
torzième siècle;  un  grand  nombre  de  chants  historiques,  tels 
{\\'.K  celui  sur  la  bataille  de  Crécy  en  1376,  où  le  roi  Jean 
tJc  Uohême  fut  tué;  des  satires,  des  fables,  etc.,  sont  au- 


tant de  preuves  de  l'état  florissant  de  la  littérature  bohCnae 
à  cette  époque  reculée.  A  côté  de  la  longue  élégie  de  Louis 
Tkadleczek  sur  la  mort  de  son  amante,  qui  remonte  à  la  se- 
conde moitié  du  quatorzième  siècle,  et  dont  de  llagen  a 
donné  une  traduction  libre  dans  le  Laboureur  de  la  Bohême, 
se  placent  un  grand  nombre  de  traductions  d'ouvrages  étran- 
gers, comme  YAlexandréide,  du  treizième  siècle;  la  Table 
ronde  du  roi  Arthur,  Tristan ,  les  Voyages  de  Marco 
Polo,  etc. 

Avec  Jean  Huss  commença  une  nouvelle  période  littéraire. 
Le  célèbre  réformateur  composa  beaucoup  de  poésies  en 
vers  hexamètres,  revit  et  améliora  la  traduction  de  la  Rible 
bohème,  et  écrivit  une  vingtaine  d'ouvrages  plus  ou  moins 
étendus  ;  toutefois  il  exerça  sur  la  littérature  de  sa  patrie 
une  influence  indirecte  plus  puissante  encore.  11  serait  dif- 
ficile de  compter  la  multitude  de  traités  dogmatiques ,  polé- 
miques, ascétiques,  publiés  par  les  diverses  sectes  de  hus- 
sitesà  partir  du  quinzième  siècle;  les  plus  mauvais  ne  sont 
pas  ceux  qui  sont  l'œuvre  d'ouvriers,  de  paysans,  de  femmes  ; 
beaucoup  néanmoins  furent  bien  vite  oubliés,  après  avoir 
joui  d'une  certaine  réputation.  La  poésie  dégénéra  rapide- 
ment en  pitoyables  bouts  rimes;  quelques  chants  religieux 
des  hussites  se  distinguent  seuls  encore  sons  le  rapport  poé- 
tique. Ceux  du  prince  Hynek  de  Podiebrad,  tils  du  roi 
George,  qui  ne  sont  pas  tous  arrivés  jusqu'à  nous,  ne  sont 
pas  sans  mérite,  bien  que  diffus.  La  prose,  au  contraire,  se 
perfectionna  considérablement  dans  le  quinzième  siècle,  la 
langue  nationale  étant  seule  emjjloyée  dans  les  actes  publics. 
Les  pièces  officielles  et  les  lettres  des  honmies  d'État  de  cette 
époque  sont  de  vrais  modèles  de  style  concis,  clair,  nerveux, 
énergique;  mais  dès  la  fin  du  quinzième  siècle  la  chancel- 
lerie bohème  sort  de  cette  voie,  en  s'appliquant  de  plus  en 
plus  à  imiter  les  formules  obséquieuses  et  prolixes  des  chan- 
celleries allemandes.  Au  reste,  l'usage  diplomatique  de  la 
langue  bohème  n'était  pas  restreint  à  la  Bohême  et  à  la 
Moravie.  L'influence  de  l'université  de  Prague  et  de  la  cour 
de  Bohême  tendait  à  en  taire  la  langue  générale  de  la  civili- 
sation slavo-catholique;  on  s'en  servait  même  fréquemment 
dans  la  chancellerie  des  grands-ducs  de  Lithuanie.  Mais  deux 
circonstances  lui  firent  perdre  ses  avantages  :  d'une  part 
l'hostilité  du  clergé  slave-catholique  contre  l'influence  dos 
doctrines  de  Huss,  et  de  l'autre  la  translation  du  siège  du 
gouvernement  à  Olen,  eu  1490.  Toutefois,  on  continua  à  la 
cultiver  avec  ardeur  dans  la  Bohême. 

Le  nombre  des  écrivains  nationaux  de  cette  période  est 
très-considérable.  Ziska  lui-même  a  écrit  non-seulement 
un  chant  de  guerre,  mais  une  instruction  militaire  pour  ses 
troupes.  Ce  dernier  ouvrage  fait  moins  Lien  connaître  la 
tactique  de  ce  temps  que  celui  du  sous-intendant  Hajek  de 
ilodetin,  lequel  est  pourtant  lui-même  moins  complet  que  le 
petit  traité  de  stratégie  de  l'expérimenté  capitaine  Wenzel 
Wlczek  de  Czenow.  Ce  dernier  livre,  qui  date  de  la  seconde 
moitié  du  quinzième  siècle,  et  qui  vient  d'être  retrouvé,  jette 
un  grand  jour  sur  l'art  militaire  des  hussites.  Cultivée  avec 
moins  de  soin,  l'histoire  ne  fournit  quun  petit  nombre  d'é- 
crits, qui  ont  été  publiés  par  Palacky  dans  les  Scriplores  Re- 
rum  Bohemicarum  (  vol.  111,  1829  ).  Les  voyages  d'Albrecht 
Kostka  de  Postupic  en  France  (  1464  ),  de  Rosznutal  (  14G5}» 
à  travers  l'Europe ,  du  frère  bohème  Martin  Babaknik  eu 
Orient  et  en  Egypte  (1491),  de  Jean  de  Lobkowitz  en  Pales- 
tine (1493),  renferment  d'intéressants  détails  sur  la  géogra- 
phie et  les  mœurs  des  habitants  de  ces  divei"s  pays.  Parmi 
les  écrits  politiques  on  doit  mentionner  principalement  ceux 
du  capitaine  de  la  Moravie  Etil)or  de  Cimburget  de  Sobits- 
chau,  mort  en  1494.  Us  élincellent  d'esprit  et  d'éloquence 
naturelle.  Ceux  de  Victorin  Cornélius  de  Wschelird ,  mort 
en  1520,  qui,  par  leur  style  élégant,  précis  et  coulant,  ne  se- 
raient pas  indignes  de  l'antiquité  classique,  ont  été  imprimés 
dans  la  Bibliothèque  Bohême  moderne  (vol.  I,  1842). 
12 Art  de  Gouverner,  du  clianoinede  Prague  PaulZidck,  cA, 


j 


au  contraire ,  un  livre  de  peu  de  valeur,  de  même  que  sa 
grande  Encyclopédie.  La  littérature  bohème  de  ce  temps 
ne  manque  pas  non  plus  d'ouvrages  d'économie ,  d'hygiène 
populaire ,  ni  d'autres  écrits  de  ce  genre. 

La  période  de  1526  à  1620  est  regardée  par  les  Bohèmes 
comme  l'âge  d'or  de  leur  littérature.  C'est  en  effet  durant 
ce  siècle,  et  principalement  sous  le  règne  de  Rodolphe  II 
(  1576-1611),  que  toutes  les  branches  delà  science  et  de  l'art 
furent  cultivées  avec  plus  de  succès  dans  tous  les  rangs  de 
la  société.  Il  serait  ditîicile,  il  est  vrai,  de  citer  un  Boliême 
qui,  par  l'essor  hardi  de  son  génie ,  eût  ouvert  de  nouvelles 
routes  à  la  science;  car  Kepler,  quoique  directeur  de  l'ob- 
servatoire de  Prague ,  n'était  pas  né  en  Bohême.  Il  serait 
également  difficile  d'en  trouver  un  qui  ait  imprimé  un  puis- 
sant élan  aux  beaux-arts  ;  cependant  le  soin  que  l'on  prit  de 
répandre  l'instruction  dans  toutes  les  classes  de  la  population 
mérita  des  éloges,  et  ne  resta  pas  sans  influence  sur  la 
prospérité  publique.  La  Bohème  possédait  alors  des  écoles 
florissantes.  Indépendamment  de  deux  universités,  Prague 
seule  comptait  seize  établissements  d'instruction ,  entre  au- 
tres, plusieurs  écoles  de  filles ,  et  dans  tout  le  royaume  il  y 
avait  un  nombre  sulliisant  de  gymnases  et  de  séminaires.  La 
langue  bohème,  employée  seule  dans  toutes  les  transac- 
tions, acquit  alors  le  plus  haut  degré  de  perfection,  et  l'a- 
bondance des  ouvrages  mis  au  jour  sur  toutes  sortes  de 
sujets  s'accrut  considérablement.  Toutefois  il  faut  avouer 
que  la  valeur  intrinsèque  de  ces  publications  ne  répondit 
pas  à  leur  nombre.  Durant  toute  cette  période  la  Bohème 
n'a  pas  un  poète  à  opposer  au  poëte  polonais  contempo- 
rain Kochanowski ,  bien  que  son  influence  sur  lui  soit  sen- 
sible. Les  poètes  les  plus  remarquables  de  ce  siècle  sont 
George  Streyc ,  le  psalmiste  bohème ,  et  Simon  Lomnicky 
de  Budecz,  le  poëte  de  la  cour  de  l'empereur  Rodolphe  H. 
Par  contre,  l'éloquence  politique  et  judiciaire  a  fait  de 
notables  progrès.  Les  Mémoires  du  capitaine  de  INIoravie 
Charles  de  Zerotin  (1594-1614)  et  ses  Lettres  bohèmes 
peuvent  passer  pour  des  modèles  de  style  épistolaire.  A  la 
tète  des  écrivains  qui  consacrèrent  leurs  veilles  à  l'histoire 
se  place  un  homme  d'une  valeur  équivoque ,  Wenzel  Hajek 
de  Liboczan,  mort  en  155.3,  dont  la  Chronique  de  Bohême 
n'est  qu'un  roman  historique.  Cinq  autres  historiens,  dont 
les  ouvrages  sont  encore  inédits,  méritent  plus  de  confiance, 
savoir  :  le  notaire  Bartosch  de  Prague  (1544  ),  qui  peignit 
^  sous  de  vives  couleurs  les  troubles  de  la  Bohême  en  1524  • 
Sixte  d'Oltersdorf ,  le  chancelier  de  la  vieille  ville  de  Pra- 
gue, mort  en  1583,  qui  raconte  en  détail  avec  beaucoup 
d'exactitude  les  événements  précurseurs  de  la  diète  sanglante 
de  1547;  Jean  Blahoslaw,  mort  en  1571,  écrivain  formé 
par  l'étude  de  l'antiquité  classique,  qu'on  regarde  comme 
l'auteur  probable  d'une  Histoire  des  Frères  Bohèmes  et 
Moraves  ;  un  anonyme,  auteur  d'une  Histoire  générale  de 
Bohême,  dont  le  premier  volume,  le  seul  qui  existe,  se 
trouve  à  Stockholm,  et  Wenzel  Brzezan  (au  commence- 
ment du  dix-septième  siècle),  excellent  généalogiste  et  bio- 
graphe, dont  les  ouvrages  se  distinguent  par  leur  clarté,  leur 
intérêt,  leur  profondeur  et  leur  concision.  Parmi  les  histo- 
riens de  cette  époque  dont  les  ouvrages  ont  été  imprimés , 
nous  nous  bornerons  à  citer  le  laborieux  et  patriote  Dan, 
Adam  de  Weleslawin,  mort  en  1599,  et  le  Polonais  Barthé- 
lémy Paprocki.  Les  voyages  et  aventures  d'Ulrich  Presat 
de  Wlkanowa  (1546),  de  Wenzel-Wratislas  de  Mitrowic 
(1599)  et  de  Christophe  Harant  de  Polzic  (  1608),  fournis- 
sent de  curieux  documents  de  géographie  et  de  statistique. 
On  peut  compter  encore  au  nombre  des  écrivains  remar- 
quables de  ce  temps  Nicolas  Konec  de  Hodiskow,  mort 
en  1546;  Tévêque  des  Frères  Bohèmes,  Jean  Augusta, 
mort  en  1572  ;  le  chanoine  Thomas  Baworowsky,  qui 
vivait  vers  1560;  le  sénateur  Paul-Christian  de  Koldin,  mort 
en  1.589;  le  philologue  Matthieu  Beneschowsky,  vers  1587; 
l'antiquaiie  Abraham  de  Ginterrod,  mort  en  1609;  le  pré- 


BOHÊME  343 

sident  de  la  cour  d'appel  Wenzel  Budowec  de  Budowa , 
mort  en  1621;  les  écrivains  religieux  Martin-Philadelpiie 
Zamrsky,  mort  en  1592,  et  Gallus  Zalansky,  vers  lovo  II 
n'est  pas  permis  non  plus  de  passer  sous  silence  les  huit 
savants  éditeurs  de  la  Bible  de  Kralic,  publiée  par  les  Frères 
Moraves  :  Jean  de  Zerotin  les  logea  dans  son  château  de 
Kralic,  où  pendant  quinze  ans  ils  travaillèrent  sans  re- 
lâche à  traduire  toute  la  Bible  sur  les  originaux  ,  à  la  com- 
menter et  à  l'imprimer  en  6  volumes  in-4°  (1579-1593).  Cette 
traduction  est  un  modèle  de  pureté,  de  correction  et  d'é- 
légance. 

La  guerre  de  Trente-Ans  et  la  bataille  de  la  Montagne- 
Blanche  portèrent  un  coup  fatal  à  la  littérature  bohème. 
Jamais  peuple  ne  tomba  plus  rapidement  d'un  haut  degré 
de  civilisation  dans  la  plus  profonde  barbarie.  Tout  ce  qu'il 
y  avait  d'hommes  distingués  périrent  sous  la  hache,  dans 
la  guerre  ou  de  la  peste  ;  d'autres,  qui  se  faisaient  remar- 
quer par  leur  esprit  et  leur  instruction,  émigrèrent,  les  ec- 
clésiastiques et  les  professeurs  d'abord,  les  bourgeois  en- 
suite, et  enfin  la  noblesse,  en  1628.  Les  biens  des  bannis 
furent  distribués  à  des  aventuriers  italiens,  flamands,  espa- 
gnols, irlandais,  qui  accoururent  en  foule  dans  la  Bohème  et 
s'emparèrent  de  toutes  les  places,  de  toutes  les  dignités.  La 
nationalité  bohème  disparut  ainsi,  sinon  politiquement,  au 
moins  moralement  ;  Bohème  et  hérétique  rebelle  devinrent 
deux  expressions  synonymes,  en  sorte  que  beaucoup  d'ha- 
bitants  du  pays,  renonçant  à  leur  nationalité,  germanisèrent 
leurs  noms.  Les  monuments  de  l'ancienne  littérature  furent 
proscrits;  des  jésuites,  accompagnés  de  soldats,  allaient  de 
porte  en  porte  saisir  les  livres  suspects  et  les  livrer  aux  flam- 
mes. Or,  on  avait  établi  en  principe  que  tous  les  ouvrages  bo- 
hèmes composés  entre  14l4  et  1635  étaient  suspects  d'héré- 
sie. En  vain  des  jésuites  instiiiits,  comme  Balbin,  élevèrent-ils 
la  voix  contre  ce  vandalisme.  La  chasse  aux  livres  continua 
jusque  dans  les  dernières  années  du  dix-huitième  siècle,  et 
en  1760  le  jésuite  Antoine  Konias  pouvait  se  vanter  d'avoir 
brûlé  60,000  volumes.  N'est-ce  pas  merveille  que  tant  de 
monuments  de  l'ancienne  littérature  bohème  soient  encore 
arrivés  jusqu'à  nous?  11  est  vrai  qu'ils  étaient  presque  tous 
enfouis  dans  les  archives  et  les  bibliothèques,  où  ils  res- 
tèrent pendant  deux  siècles  com|)létenient  ignorés. 

Le  pays  tomba  ainsi  dans  l'ignorance  la  plus  grossière, 
à  part  quelques  hommes,  qui  devaient  leur  instruction  à  1& 
période  précédente.  De  ce  nombre  furent  le  comte  Slawata, 
mort  en  1652,  et  qui  a  laissé  manuscrite  une  longue  his- 
toire de  son  temps  en  langue  bohème,  formant  15  vol.  in-r*, 
et  l'émigré  Paul  Skala  de  Zohr,  qui  s'établit  d'abord  à  Lu- 
beck,  puis  à  Freyberg  en  Saxe,  et  composa  avec  de  bons 
matériaux  ,  la  plupart  inédits ,  une  histoire  universelle  de 
l'Église  en  dix  gros  vol.  in-f°.  Cette  histoire ,  qui  n'a  pas 
été  imprimée ,  traite  plus  spécialement  de  l'Église  de  Bo» 
hême  jusqu'à  l'année  1624.  Jean-Amos  Coménius,  le  der- 
nier évêque  des  Frèjes  Bohèmes ,  fut  aussi  le  dernier  écri- 
vain qui  jeta  quelque  éclat  sur  la  littérature  de  sa  patrie. 
Son  style  latin  est  presque  barbare;  mais  rien  de  plus  pur, 
de  plus  vif,  de  plus  énergique,  de  plus  élégant  que  ses  ou- 
vrages en  langue  bohème  ;  ce  sont  des  modèles  qui  n'ont  pas 
été  surpassés.  Ses  œuvres,  imprimées  à  Lissa  en  Pologne, 
ont  paru  de  nouveau  à  Amsterdam.  Beaucoup  de  livres 
desiifiés  aux  émigrés  se  publièrent  également  à  Pirna ,  à 
Dresde,  à  Berlin,  à  Halle.  La  littérature  bohème  se  conserva 
pendant  cette  période  chez  les  Slovaques  de  la  Hongrie,  où 
Tranowsky,  Masnik,  Pilarik,  Hermann,  Hruschkowic,  Do- 
lezal,  se  firent  un  nom  par  leurs  publications  religieuses. 
Dans  la  Bohême  même  et  la  Moravie,  à  l'exception  des  Es- 
sais de  Rosa  en  vers  hexamètres,  de  la  Chronique  de  Be- 
zowsky  et  des  Chants  de  Wolney,  on  ne  trouve  pendant  un 
siècle  et  demi  aucun  ouvrage  qui  mérite  d'être  cité. 

Le  6  décembre  1774  parut  un  décret  qui  introduisit  en  Bo- 
hème le  système  d'instruction  adopté  en  Allemagne,  et  sup» 


344  BOHÊME 

prima  ou  réorganisa  les  écoles  latines  des  couvents.  Un 
nouveau  décret  de  1784  ordonna  inCnie  aux  professeurs  des 
écoles  supérieures  d'employer  la  langue  allemande  dans'leurs 
cours.  Dès  lors  un  Tchèque  put  à  peine  apprendre  à  lire,  à 
écrire,  à  compter  dans  sa  langue  maternelle.  Le  coup  était 
d'autant  plus  funeste  à  la  langue  et  à  la  littérature  boliômes, 
que  les  décrets  avaient  pour  but  d'introiiuire  dans  le 
royaume  la  civilisation  germanique,  et  de  substituer  l'usage 
de  l'allemand  à  celui  du  bohème  dans  l'administration.  Son 
effet  immédiat  fut  de  réveiller  Tesprit  de  nationalité  chez 
les  Tchèques.  Des  hommes  de  cœur  se  dévouèrent  à  sauver 
leur  langue  maternelle.  Le  premier  qui  éleva  la  voix  fut  le 
brave  général  François  Kinsky,  dans  ses  Souvenirs  relatifs 
à  un  objet  important  (1774).  L'historien  Pelzel  (1775) 
marcha  sur  ses  traces.  Le  gouvernement  se  vit  donc  forcé 
de  permettre,  en  1775,  l'enseignement  en  langue  bohème, 
au  moins  dans  les  écoles  militaires  supirieures.  La  culture 
des  sciences,  que  rien  n'entravait,  en  établissant  des  relations 
plus  fréquentes  avec  les  savants  étrangers,  contribua  aussi 
à  la  restauration  de  la  langue  nationale.  On  vit  presque  dans 
le  même  temps  se  produire  plusieurs  auteurs  d'ouvrages 
originaux  ou  de  traductions.  On  rechercha  avec  amour,  pour 
les  publier,  les  restes  de  l'ancienne  littérature.  Si  l'on  ex- 
cepte Pelzel,  dont  la  ISoioa  Kronyka  Czeska{3  vol.,  1791- 
1796)  est  encore  aujourd'hui  un  des  meilleurs  manuels  d'his- 
toire de  Bohème,  personne  ne  rendit  plus  de  services  dans 
c^tte  œuvre  de  régénération  que  le  moine  François-Faustin 
Prochazka  (  1777-1S04);  Wenzel-Malth.  Kramerius,  mort 
en  1808,  excellent  écrivain  populaire,  connu  depuis  1783; 
Alex.-Vinc.  Parizek,  auteur  ou  traducteur  de  plusieurs  ou- 
vrages d'éducation,  mort  en  1823;  Jos.  Dobrovvsky,  le  plus 
célèbre  étymologiste  des  Slaves;  François  Tomsa,  qui,  après 
avoir  publié  d'estimables  écrits  populaires  et  de  bons  dic- 
tionnaires, mourut  en  1814;  Wenzel  Stach,  J.  Rulik  et  les 
frères  Thain.  Les  travaux  de  Leska,  Rybay,  Tablic,  Palko- 
wicz,  Roznay,  etc.,  provoquèrent  aussi  chez  les  Slaves  hon- 
grois un  redoublement  d'ardeur  pour  l'étude  de  la  langue 
et  de  la  littérature  bohèmes.  Dès  1795  le  savant  curé  Ant. 
Puchmayer,  mort  en  1820,  mit  au  jour  des  vers  d'un  tour 
vraiment  poétique;  il  fut  aussi  le  premier  qui  fit  connaître 
à  ses  compatriotes  la  littérature  polonaise  et  russe.  11  eut 
pour  émules  plus  ou  moins  heureux  les  deux  frères  Adal- 
bert  et  Job.  Negedly;  Jos.  Rautenkranz,  mort  en  1818  ;  Franc. 
Stepniczka,  mort  en  1832;  Sébastien  Hnjewkowsky,  mort 
en  1847;  Franc. -Jean  Swoboda,  etc.,  qui  furent  eux-mêmes 
de  beaucoup  surpassés,  depuis  1805,  par  Jos.  Jungmann, 
né  le  16  juillet  1773,  à  Iludlitz,  en  Bohême,  mort  le  14  no- 
vembre 1847,  préfet  des  études  au  gymnase  de  Prague. 

Toutefois,  les  efforts  de  ces  écrivains  n'obtinrent  d'abord 
que  i»eu  de  succès ,  la  noblesse  et  la  classe  éclairée  de  la 
bourgeoisie  ayant  déjà  presque  entièrement  oublié  la  langue 
maternelle  et  restant  indifférentes  à  leurs  travaux.  Mais 
les  difficultés  qu'ils  avaient  à  vaincre  ne  refroidirent  pas  leur 
zèle;  et  leur  persévérance,  favorisée  par  les  événements 
politiques,  finit  par  triompher.  L'année  1818  ouvrit  donc 
une  ère  nouvelle  pour  la  littérature  bohème.  La  publi- 
cation du  manuscrit  de  Kœniginhof  réveilla  le  sentiment 
national  ;  la  création  d'un  Musée  à  Prague  par  les  soins 
du  comte  Kolowrat  lui  imprima  une  grande  énergie; 
et  plusieurs  décrets  rendus  de  1816  h  1818,  en  permettant 
l'enseignement  du  bohème  jusque  dans  les  collèges,  accélé- 
rèrent les  progrès  de  la  culture  de  la  langue  et  <ie  la  littéra- 
ture nationales.  Dès  que  la  sagacité  de  Dobrowsky  eut 
découvert  l'ensemble  de  la  construction  organique  de  celle 
langue  et  révélé  son  étonnante  aptitude  à  revêtir  toutes 
les  formes,  il  fut  possible  d'établir  une  terminologie  fixe, 
claire,  régulière,  pour  la  plui)art  des  branches  de  la  .science, 
en  s'aidant  des  monuments  trop  longtemps  négligés  de  l'an- 
cienne littérature  et  en  s'appuyant  .sur  le.s  autres  dialectes 
«laves.  C'est  à  J.  Jungmann  et  à  Jean  Swat.  Presl  qu'ap-  | 


partient  l'honneur  d'avoir  déblayé  cette  route  difficile.  T.« 
manuscrit  de  Kœniginhof  a  également  ennobli  la  langue 
poétique; et  en  recommandant  les  antiques  formes  métriques 
Schafarik  et  Palacky  ont  contribué,  dans  ces  derniers  temps, 
à  l'essor  de  la  poésie  bohème.  La  nation  entière  ne  se 
montra  pas  sans  doute  également  satisfaite  de  la  rapide 
métarmoiphose  de  la  langue  et  de  la  littérature;  les  parti- 
sans des  vieilles  traditions,  entre  autres  les  professeurs 
J.  Negedly,  de  Prague,  mort  en  1835,  et  Palkowiczde  Pres- 
bourg,  opposèrent  à  la  réforme  une  violente  résistance,  et 
engagèrent  un  combat  qui  dégénéra  bientôt,  il  est  vrai,  en 
de  puériles  discussions  orthographiques,  mais  qui  menaça 
de  devenir  dangereux  en  excitant  la  méfiance  du  gouver- 
nement. L'amour  de  la  littérature  bohème,  au  contraire, 
se  répandit  dans  toutes  les  classes,  et  l'on  se  mit  à  cultiver 
avec  plus  ou  moins  de  succès  toutes  les  parties  du  vaste 
champ  de  l'intelligence. 

Parmi  les  poètes  et  les  littérateurs  qui  se  sont  fait  le  plus 
remarquer  dans  ces  derniers  temps,  nous  citerons  J.-L. 
Czelakowsky,  Jean  Kollar,  Jean  Holly,  né,  comme  Kol- 
lar,  en  Hongrie,  dont  les  poèmes  épiques,  entre  autres  Swa- 
topluk  et  la  Cijrillo-Métiiodiade ,  sont  fort  goûtés;  Jean 
Langer,  connu  par  ses  contes  en  vers  et  ses  satires; 
K.-A.  Schneider,  dont  les  chansons  et  les  ballades  sont 
partout  dans  la  bouche  du  peuple.  A  ces  noms  se  rattachent 
une  fouie  de  jeunes  talents ,  qui  défrichent  avec  plus  ou 
moins  de  bonheur  le  domaine  de  la  poésie  lyrique  ou  élé- 
giaque,  de  la  ballade  et  de  la  nouvelle.  Le  drame  est  moins 
cultivé.  Stiepanek,  ancien  directeur  du  théâtre  de  Prague, 
les  professeurs  Klicpera  de  Prague,  Charles  Machaczek  de 
Gitschin,  et  plus  récemment  Kaj.  Tyl,  Georges  Kolar,  etc., 
ont  bien  publié  un  assez  grand  nombre  de  comédies  et 
de  tragédies;  Machaczek  et  le  professeur  Swoboda,  mort 
en  1849,  ont  même  composé  des  opéras;  mais  la  plupart 
de  leurs  travaux  n'ont  qu'une  valeur  très-relative.  Si  la  lit- 
térature dramatique  n'a  pas  fait  jusque  ici  plus  de  progrès, 
malgré  les  encouragements  qu'on  lui  accorde,  cela  tient 
uniquement  à  ce  que  la  Bohême  manque  d'un  théâtre  na- 
tional permanent  et  bien  dirigé. 

Sous  le  point  de  vue  des  sciences,  les  écrivains  qui  ont 
le  plus  contribué  à  enrichir  et  à  perfectionner  la  langue 
sont  Jos.  Jungmann,  Paul  Schafarik,  Wenzel  Hanka,  Jean- 
Swat.  Presl,  professeur  et  directeur  du  cabinet  d'histoire 
naturelle  de  Prague.  Dans  ses  nombreux  ouvrages  d'histoire 
naturelle ,  ce  dernier  a  ouvert  une  voie  toute  nouvelle  à  la 
langue  bohème  ;  car  pendant  son  sommeil  de  deux  siècles 
cette  langue  n'avait  pu  suivre  la  marche  de  la  civilisation, 
et  chaque  auteur  spécial  avait  dû  inventer  une  terminologie 
à  son  usage.  Aucune  branche  des  sciences  n'a  été  culli\ée 
avec  plus  de  bonheur  que  l'histoire.  Palacky  a  conservé 
le  premier  rang;  mais  il  a  trouvé  un  digne  rival  en  Wlad. 
Tomek ,  professeur  d'histoire  à  Prague.  L'archéologie  a  été 
cultivée  par  Schafarik  et  Wocel,  professeur  d'arcliéologie 
à  Prague;  la  géographie,  par  Schadek,  Zap,  etc.;  la  phy- 
sique, la  technologie,  etc.,  par  Sedlaczek,  Smetana,  Stauitk, 
Amerling ,  etc.  La  philosophie  n'a  pas  été  non  plus  tout 
à  fait  négligée,  sans  avoir  cependant  produit  aucun  ouvrage 
remarquable. 

Depuis  1848,  que  l'égalité  de  foutes  les  national'tés  a 
été  proclamée  dans  la  constitution  de  l'Autriche,  et  que 
l'enseignement  de  la  langue  bohème  dans  les  écoles,  comme 
son  usage  dans  l'administration,  n'éprouve  plus  d'ob.stacle , 
la  littérature  a  pris  une  nouvelle  direction.  Les  belles  lettres 
ont  cédé  le  pas  au  journalisme  ;  néanmoins  des  innombrables 
journaux  qui  s'étaient  établis  en  Bohème  et  dans  d'autres 
pays  slaves,  beaucoup  ont  disparu.  En  1851  on  n"en 
comptait  déjà  plus  que  vingt-deux  en  langue  bohème, 
«iont  onze  en  Bohême,  cinq  en  Moravie,  quatre  en  Hon- 
grie et  deux  à  Vienne.  Dans  ce  nombre  se|)t  seulement 
étaient  purement  politiques.  Depuis  1831  il  existe  auprès 


BOHÊME  —  BOHÉMIENS 


du  Musée  Bohême  de  Prague  un  institut  particulier,  qui  se 
voue  à  l'encouragement  de  la  littérature  bohème.  Le  nom- 
bre de  SCS  membres  s'élevait  en  1849  à  quatre  mille,  et  il 
disposait  d'un  fonds  de  65,000  florins.  Il  a  publié  les^H^i- 
qiiités  Slaves  de  Schafaiik,  le  grand  Dictionnaire  de  Jung- 
mann,  son  Histoire  de  la  Littérature,  et  d'autres  ouvrages 
scientifiques. 

Le  bohème  est  un  des  principaux  dialectes  du  slave  oc- 
cidenlal  ;  c'est  une  langue  sœur  du  polonais  et  du  serbe.  On 
la  parle,  non-seulement  en  Bohème,  mais  en  Moravie,  et  avec 
de  légères  altérations  parmi  les  Slovaques  de  la  Hongrie, 
r.llc  l'emporte  sur  les  autres  idiomes  slaves  par  la  richesse 
de  ses  racines  et  sa  grande  flexibilité ,  par  son  incompara- 
ble clarle  et  sa  précision,  par  la  délicatesse  de  sa  structure 
grammaticale,  par  la  liberté  de  sa  syntaxe  et  de  ses  cons- 
tructions. Ce  qui  la  distingue  encore  est  la  concision  et 
l'abondance;  elle  est  la  plus  énergique,  la  plus  mâle,  mais 
aussi  la  plus  dure  des  langues  slaves.  Elle  se  fait  remarquer 
encore  par  l'orthographe  précise  et  conséquente  que  J.  Huss 
introduisit  dans  le  quinzième  siècle,  orthographe  qui,  tout 
en  einpioyant  les  caractères  latins,  donne  à  chaque  son  un 
signe  propre.  Cependant  elle  présente  un  autre  caractère 
qui  la  distingue  plus  particulièrement  de  la  plupart  des 
langues  de  l'Europe;  elle  affecte  la  quantité  des  langues 
anciennes ,  tandis  que  l'accent  tonique  domine  toutes  les 
langues  modernes  :  aussi  est-elle  plus  propre  qu'aucune 
autre  à  rendre  le  rhythme  du  grec  et  du  latin.  Aucune 
non  plus  ne  se  prête  aussi  facilement  à  la  traduction  des 
classiques.  Ces  qualités  rendent  pourtant  sa  granmiaire 
beaucoup  plus  difficile  et  plus  compliquée  que  celle  des 
autres  langues.  On  peut  consulter  à  ce  sujet  la  Grammaire 
détaillée  de  la  Langue  Bohême  à  l'usage  des  Allemands , 
par  Burian  (  Kœniggraelz ,  1840),  et  V Introduction  à  l'É- 
tude de  la  Langue  Czecho-Slave,  par  Koneczny  (Vienne, 
1842).  Ce  dernier  écrivain  a  publié  dernièrement  un  fort 
bon  Dictionnaire  de  poche  Allemand-Bohême.  Le  Dic- 
tionnaire Allemand-  Bohême  et  Bohème- Allemand  de 
Tranta-Schumansky ,  qui  n'a  été  achevé  qu'en  1851,  est 
beaucoup  plus  complet  et  plus  volumineux.  Nous  citerons 
encore  \e  Dictionnaire  Technologique  àe  SpâXny,  spéciale- 
ment destiné  aux  agriculteurs ,  aux  ouvriers ,  etc. 

BOIIKME  (Forêt  de).  Voyez  Boeumerwald. 

BOHÊME  (Guerre des  filles  de).  Une  ancienne  tradi- 
tion ,  que  les  recherches  les  plus  récentes  ont  prouvé  être 
dénuée  de  fondement  historique,  raconte  qu'après  la  mort 
de  la  reine  Libussa ,  son  amie  Wasta  (  environ  l'an  740  de 
notre  ère)  avait  tenté  de  donner  à  son  sexe  la  donn'nation 
en  Bohême.  Pendant  plusieurs  années,  retranchée  dans  son 
château  de  Dewin,  situé  en  face  de  Wschehrd,  elle  avait  . 
régné  sur  les  environs  ;  nfiais  les  hommes  avaient  réussi  à 
se  rendre  maîtres  du  château  par  la  force  et  la  ruse,  et 
avaient  mis  fin  au  règne  de  Wlasta.  Si  celte  tradition,  qui 
a  reçu  successivement  beaucoup  d'ornements  romanesques, 
se  rattache  à  un  fait  historique,  ce  ne  peut  être  tout  au 
plus  qu'à  une  tentative  de  révolte  de  Wlasta  et  à  sa  défaite 
après  un  combat  opiniâtre.  Van  der  Velde  a  traité  ce  sujet 
dans  une^de  ses  Aouvellcs. 

BOHÈMES  (Frères)  ou  FRÈRES  MORAVES,  noms 
donnés  à  une  communauté  chrétienne  qui  se  forma  à  Prague, 
vers  le  milieu  du  quinzième  siècle,  des  débris  de  la  secte 
des  hussites  rigides.  Mécontents  des  concessions  au 
moyen  desquelles  les  calixtins  avaient  su  acquérir  la 
prépondérance  en  Bohème,  les  hussites  rigides  refusèrent 
d'accepler  les  Compactata,  c'est-à-dire  les  conditions  de 
l'union  des  calixtins  avec  le  concile  de  Bàle ,  et  se  retirè- 
rent, en  1453,  sur  les  frontières  de  la  Silésie  et  de  la 
Moravie,  où  ils  s'établirent  en  majorité  dans  les  domaines 
de  George  de  Podiebrad.  Ils  s'y  constituèrent,  dès  1457,  en 
communautés  dissidentes ,  sous  la  direction  du  pasteur  Mi- 
chel Bradacz ,  et  adoptèrent  le  nom  de  Frères  de  la  Loi  de 

DI8T.    DE   LA    CtNVEÎlS.    —   T.  111. 


34. 

Christ,  de  Frères  de  l'Unité,  pour  se  distinguer  dtra  au 
très  hussites.  Leurs  ennemis  les  ont  confondus  souvent  avec 
les  vaudois  et  les  picards,  et  leur  ont  donné  l'épithète  de 
Grubcnheimer  (habitants  des  cavernes),  parce  que  pen- 
dant les  persécutions  ils  se  cachaient  dans  les  cavernes  et 
les  solitudes.  Malgré  les  violences  de  toutes  espèces  qu'ils 
eurent  à  subir  de  la  part  des  calixtins  et  des  catholiques, 
violences  auxquelles  ils  n'opposèrent  jamais  de  résistance, 
leur  constance  dans  leur  foi  et  la  pureté  de  leurs  mœurs 
leur  gagnèrent  un  grand  nombre  de  partisans,  surtout  en 
Moravie  ;  et  ils  ne  tardèrent  pas  à  élever,  sous  la  protec- 
tion des  grands  propriétaires ,  plusieurs  maisons  de  prière. 

Leur  confession  de  foi ,  fondée  uniquement  sur  l'Écriture 
sainte ,  rejetait  la  transsubstantiation,  et  n'admettait  qu'une 
présence  spirituelle,  mystique,  du  Christ  dans  la  Cène.  Cette 
opinion ,  qui  se  rapprochait  de  celle  des  réformateurs  du 
seizième  siècle,  et  plus  encore  la  forme  presbytérienne  de 
leur  église  et  leur  discipline,  les  firent  considérer  comme 
des  frères  par  les  protestants.  Leur  constitution  ecclésias- 
tique était  calquée  sur  celle  de  l'Église  apostolique.  Ils  es- 
sayèrent, autant  que  possible,  de  restaurer  parmi  eux  le 
christianisme  dans  sa  pureté  primitive,  en  excluant  les 
pécheurs  de  la  communauté,  en  admettant  une  triple  ex- 
communication ,  en  séparant  soigneusement  les  sexes,  et  en 
classant  les  membres  de  leur  Église  en  novices ,  progres- 
sifs (progredientes) ,  et  parfaits.  Afin  de  mieux  atteindre 
le  but ,  ils  établirent  parmi  eux  une  surveillance  sévère,  qui 
s'étendait  jusque  sur  la  vie  privée,  et  qui  était  exercée  par 
une  foule  de  fonctionnaires  de  divers  degrés ,  comme  évo- 
ques ordiuants,  anciens,  co-anciens,  prêtres  ou  prédica- 
teurs, diacres,  édiles  et  acolytes,  entre  lesquels  l'admi- 
nistration des  intérêts  ecclésiastiques ,  moraux  et  civils  des 
communautés  était  répartie  d'une  manière  fort  judicieuse. 

Leur  premier  évêque  fut  sacré  par  un  évêque  des  vaudois 
de  Bohême ,  avec  lesquels  d'ailleurs  ils  évitèrent  de  se  con- 
fondre. Leurs  principes  religieux  leur  défendant  de  porter 
les  armes,  ils  refusèrent,  dans  la  guerre  de  Smalkalde ,  de 
combattre  contre  les  protestants;  et  pour  les  punir  le  roi 
Ferdinand  leur  enleva  leurs  églises.  Ils  émigrèrent  donc,  en 
1548,  au  nombre  de  mille,  dans  la  Pologne  et  la  Prusse, 
et  se  fixèrent  d'abord  à  .Marienwerder.  L'union  que  ces 
émigrés  conclurent  à  Sandomir,  le  14  avril  1570,  avec  les 
protestants  et  les  réformés  de  Pologne,  et  surtout  l'édit 
rendu  par  la  diète  de  1572  en  faveur  des  dissidents,  leur 
permirent  de  vivre  en  paix  jusqu'au  règne  de  Sigismond  III. 
Ce  prince ,  en  les  persécutant ,  les  força  à  se  rapprocher 
encore  davantage  des  réformés,  avec  lesquels  ils  sont  restés 
unis  jusqu'à  ce  jour,  en  conservant  toutefois  quelque  chos& 
de  leur  constitution  primitive.  Ceux  de  leurs  frères  qui 
étaient  restés  en  Bohème  et  en  Moravie  obtinrent  un  peu 
de  liberté  sous  l'empereur  Maximilien  II.  Leur  principale 
résidence  était  alors  Fulnek  en  Moravie.  Une  partie  de 
ceux  qui  habitaient  la  Bohême  émigrèrent  au  commencement 
du  dix-septième  siècle  en  Hongrie,  s'établirent  dans  les 
palatinats  de  Presbourg,  Trentschin,  etc.,  et  prirent  le  nom 
de  habanes;  mais  sous  le  règne  de  Marie-Thérèse  ils  du- 
rent embrasser  le  catholicisme.  La  guerre  de  Trente- Ans,  si 
fatale  aux  protestants  de  Bohême ,  amena  la  ruine  com- 
plète des  églises  des  frères  bohèmes,  qui  ne  purent  plus 
dès  lors  se  réunir  qu'en  secret.  Leur  évêque  Coménius,  qui 
a  rendu  des  services  à  l'enseignement  par  la  publication  d'un 
catéchisme,  s'enfuit  en  Pologne.  Une  nouvelle  émigration 
des  frères  bohèmes  et  moraves,  vers  1722,  donna  nais- 
sance à  de  nouvelles  communautés  qui  se  fondèrent  en 
Lusace,  et  créa  la  colonie  de  H  er  m  h  ut.  Consultez  Loch- 
ner  :  Origine  et  Histoire  de  la  Communauté  des  Frères  de 
l'Unité  en  Bohême  et  en  Moravie  (Nuremberg,  1832). 

BOIIÉMIEIVS,  peuple  nomade  dont  la  constitution 
physique,  les  mœurs  et  surtout  le  langage  révèlent  l'origine 
asiatique.  Les  Bohémiens  paraissent  pour  la  première  fois 

44. 


34  G 

dans  riiistoire  de  la  Hongrie  au  riuinzi^ir.e  siècle,  sous  le 
ïioiii  lie  Zlf/ari  ou  Zirigani ,  nom  qui  leur  est  aussi  donné 
jjur  les  Italiens,  les  Portugais,  les  Vnlaques,  les  Russes, 
cl  uu^me  i>ar  les  Turcs,  avec  une  Irgère  ditTi-rcnce d'orllio- 
j;raplie  et  de  prononciation.  Leur  nom  allemand  de  Zifjetiner 
n'est  donc  pas  dérivé  de  Zteh-Gauner,  comme  on  l'a  pré- 
tendu. L'opinion  émise  par  Hasse  {Les  Zigeuncrs  dans 
Jf&rodolc,  Kœnigsberg,  1803),  qui  veut  que  ce  nom 
vienne  des  Sigunncs,  n'est  pas  mieux  fondée.  Il  est  beau- 
coup plus  probable  que  la  peuplade  en  question  a  une 
origine  indienne;  car,  au  rapport  de  Pottinger,  on  trouve 
encore  aujourd'bui  sur  les  bords  de  llndus  une  tribu ,  ap- 
pelle Tschnigancs ,  dont  les  mœurs  offrent  beaucoup  d'a- 
nalogie avec  celles  des  Bohémiens.  Selon  Griselius  et  d'au- 
tres écrivains,  leur  patrie  est  l'Ethiopie,  l'Egypte  et  la 
Colchide.  Les  Hollandais  nomment  les  Zingari  des  païens; 
les  Suédois  et  les  Danois,  des  Tatars  ;  les  Anglais,  des  Egyp- 
tieus  (Gypsics);  en  France  on  les  appelle  J>oliémicns, 
parce  qu'on  les  regardait  comme  des  hussitcs  expulsés  de 
leur  pairie  ;  en  Espagne,  entin  ,  on  leur  a  donné  le  nom  de 
Gitauos,  pour  désigner  leur  caractère  rusé.  Ils  s'appellent 
eux-mêmes  J'hamons  ou  Sintes  (appellation  où  il  est  facile 
de  reconnaître  le  nom  indien  de  l'indus).  En  Angleterre 
ils  prennent  le  nom  de  Romeitschal ,  c'est-à-dire  hommes 
nés  de  la  femme. 

Les  Bohémiens  sont  répandus  dans  toute  l'Europe;  ils 
sont  même  très-nombreux  en  quelques  contrées;  mais  il 
y  a  cerkdnement  de  l'exagération  à  porter  le  chiffre  de  celie 
population  nomade  à  plusieurs  millions  et  mèine  à  70U,000. 
De  sévères  mesures  de  police  et  les  efforts  de  la  civilisation 
en  ont  porté  un  certain  nombre  soit  à  adopler  des  de- 
meures (ixcs,  soit  à  émigrer  ;  en  sorte  que  dans  ces  derniers 
temps  surtout  ils  ont  beaucoup  diminué  en  Europe.  C'est 
à  peine  si  l'on  y  en  compte  aujourd'hui  2S0,000,  dont  80,000 
dans  la  Moldavie  et  la  Valachie,  50,000  dans  le  reste  de  la 
Turquie  euroi)éenne,  35,000  en  Hongrie  et  en  Transylva- 
nie, 30,000  dans  le  reste  de  l'Autriche,  40,000  eu  P.ussie 
et  en  Pologne,  18,000  dans  la  Grande-Bretagne,  20,000  en 
Italie,  3,000  en  Belgique  et  en  Espagne,  1,500  en  Prusse,  2,000 
dans  le  reste  de  l'Allemagne,  500  en  Suisse,  200  en  Grèce  et 
dans  la  Scandinavie.  Les  r;ohémiens  parcourent  en  troupes 
beaucoup  plus  nombreuses  les  steppes  de  l'Asie  et  les  déserts 
de  l'Afrique.  Il  y  vivent  presque  toujours  en  grandes  hordes, 
ainsi  que  dans  la  Moldavie,  la  Bessarabie,  la  Crimée,  les 
environs  de  Constanlinople ,  la  Hongrie,  la  Transylvanie  ; 
mais  en  Allemagne  et  en  France  on  ne  les  rencontre  que 
isséniinés  en  {)etite5  familles. 

Nous  avons  dr-jà  dit  qu'ils  ne  sont  connus  en  Europe  nue 
depuis  le  quin/ième  siècle.  A  celte  époque,  chassés  de  l'Inde 
par  les  armées  de  Timour,  ils  émigrèrent  en  trois  grandes 
colonnes,  qui  se  dirigèrent  vers  l'Occiilent,  l'une  par  la  llussie, 
l'autre  par  l'Asie  Mineure,  la  troisième  p;ir  l'Egypte.  Us 
parurent  dans  la  Moldavie  en  1416,  dans  la  Hongrie  ou  la 
Bohème  en  1417  ,  dans  la  Suisse  en  1418,  en  Halie  en  1422, 
en  France  en  1427 ,  plus  tard  en  Espagne ,  puis  en  Angle- 
terre sous  le  règne  de  Henri  YHI.  il  n'est  pas  question 
d'eux  en  Allemagne  avant  l'année  1417.  La  première  émi- 
gration ,  venue  sans  aucun  doute  de  la  Moldavie,  était  forte, 
dit-on,  de  14,000  hommes,  et  était  conduite  par  un  chef  que 
les  écrivains  contemporains  appellent  le  duc  de  la  Pctite- 
l.gypte.  En  se  donnant  pour  les  descendants  de  ces  Égyp- 
tiens condamnés  par  le  Christ  à  errer  éternellement ,  parce 
qu'ils  n'avaient  pas  voulu  le  recevoir  lorsqu'il  fuyait  devant 
llérodc ,  ils  surent  émouvoir  la  compassion  d'un  peuple 
crédule;  et  en  se  présentant  comme  des  pèlerins  chassés  de 
la  Palestine,  ils  réussirent  à  obtenir  quelquefois  des  sauve- 
gardes, par  exemple,  de  l'empereur  Sigismond  en  1423. 

Les  12ohémiens  offrent  tout  à  fait  dans  leur  extérieur  les 
caractères  des  peuples  orientaux  :  une  taille  moyenne,  grèle, 
iwco  prise;  un    teint  brun-jaune,  fresque  olivâtre;  des 


BOHÉMIE^'S 


dents  d'une  blancheur  éblouissante,  des  cheveux  et  ces 
yeux  d'un  noir  de  jais.  Les  femmes  ont  le  teint  un  i)e;j 
moins  foncrt,  et  les  (illes  passent,  surtout  en  Espagne,  pour 
des  beautés,  à  cause  de  leurs  belles  proportions.  Les  hom- 
mes ,  au  contraire,  qnoicpie  bien  faits  également,  ont  un 
aspect  repoussant  et  hideux;  leur  physionomie  annonce  la 
légèreté  et  la  bienveillance.  Rarement  les  Bohémiens  ont 
des  demeures  lixcs;  ils  errent  çà  et  là  en  bandes  de  deux  à 
trois  cents,  sous  la  conduite  d'un  capitaine  et  d'une  mère; 
et  si  le  climat  le  permet,  ils  vivent  de  préférence  dans  les 
bois  et  les  solitudes,  se  couchant  sur  la  terre,  l'été  ,  autour 
d'un  feu  au-dessus  duquel  est  suspendu  un  chaudron  qui 
leur  sert  à  la  fois  pour  préj)arer  leur  nourriture,  et  pour 
rassembler  la  troupe  en  cas  de  besoin ,  en  le  frappant  avec 
une  tige  de  métal.  Rarement  ils  sont  munis  de  tentes; 
l'hiver,  ils  cherchent  un  refuge  dans  les  grottes  et  dans  les 
cavernes ,  ou  bien  ils  se  construisent  des  huttes  enfoncées 
de  quelques  pieds  dans  la  terre  et  recouvertes  de  gazon 
supporté  par  des  chevrons. 

Katurellement  paresseux  et  ennemis  de  toute  contrainte , 
ils  ont  horreur  de  toute  occupation  suivie  et  régulière;  ils 
aiment  mieux  gagner  leur  vie  par  la  tromperie  et  le  vol. 
Cependant  ils  exercent  divers  métiers  peu  fatigants  en  Es- 
pa.:ine ,  et  même  en  Hongrie  et  en  Transylvanie.  Quelques- 
uns  sont  aubergistes,  vétérinaires,  maquignons,  forgerons, 
chaudronniers ,  drouineurs  ,  etc.  ;  d'autres  font  des  cuillers 
de  bois,  des  fuseaux,  des  auges,  etc.,  ou  aident  les  la- 
boureurs dans  leurs  travau.v.  On  vante  surtout  leur  talent 
pour  la  musique  ;  mais  ce  talent  se  borne  à  la  musique  ias- 
trumentale,  qu'ils  exécutent  presque  toujours  d'ai)rès  l'ouïe. 
Leurs  instruments  sont  le  violon,  la  trompe,  le  cor  de  chasse, 
la  (lùte  et  le  hautbois.  Leurs  airs  de  danse  sont  générale- 
ment gais  et  pleins  de  sentiment  ;  ils  jouent  aussi  i)ar- 
faitement  bien  les  airs  des  danses  nationales  de  la  Hongrie 
et  de  la  Pologne.  Dans  leurs  danses  nationales,  on  admire 
surtout  la  vérité  des  poses  et  des  gestes.  Dans  leur  jeunesse, 
les  femmes  sont  danseuses,  principalement  en  Espagne. 
Dès  qu'elles  deviennent  un  peu  vieilles ,  elles  se  mettent 
diseuses  de  bonne  aventure ,  talent  qui  leur  est  pro[)re  dans 
toute  l'Europe  et  qui  constitue  leur  principale  industrie. 
Elles  jouent  aussi  très-volontiers  le  rôle  d'entremetteuses, 
et  dans  l'occasion  elles  volent  des  enfants.  Au  reste,  elles 
savent  tisser  de  grossières  étoffes  de  laine  et  tricoter  le  (ilet. 

Jusqu'à  Tûge  de  dix  ans  les  enfants  vont  nus.  Passé  cet 
âge ,  ils  sont  vêtus,  les  garçons  d'ime  chemise  et  d'une  cu- 
lotte, les  fdles  d'une  robe,  d'un  corset  et  d'une  ceinture 
rouges  ou  bleu-clair;  la  tète  et  les  pieds  ne  sont  jamais 
couverts;  cependant  les  premiers  portent  quelquefois  uu 
bonnet  hongrois  ou  un  chapeau  à  larges  bords,  et  les 
lilles  ont  le  plus  souvent  aux  pieds  des  sandales,  et  au- 
tour de  la  tète  un  mouchoir  dont  elles  laissent  pendre  le 
uout.  Chez  les  Bohémiens  qui  vivent  dans  des  demeures 
fixes  on  remarque,  au  contraire,  une  grande  passion  i)our 
la  toilette.  Leurs  ustensiles  de  ménage  se  composent  d'un  pot, 
d'un  plat,  d'un  ch.audroa,  d'une  poêle,  et  toujours  d'une 
coupe  en  argent;  un  cheval  et  un  cochon  sont  leurs  seuls 
animaux  domestiques.  Leur  nourriture  est  dégoûtante.  Hs 
.mangent  avec  plaisir  l'oignon  et  l'ail  ;  ils  aiment  toute  espèce 
de  chair,  sans  en  exccptiir  celle  des  chiens,  des  chats,  des 
rats ,  etc.  On  les  accusa  en  Hongrie ,  à  la  fin  du  dix-huilième 
siècle,  d'avoir  égorgé  des  hommes  pour  les  dévorer,  et  on 
exeiça  sur  eux  les  |)lus  sévères  chi\timents  ,  sans  que  le  l'ait 
eût  été  jamais  prouvé.  Leur  boisson  favorite  est  l'cau-de- 
vie.  Le  tabac  fait  leurs  délices;  hommes  et  femmes,  tous 
chiquent  ou  fument  avec  tant  de  passion  qu'ils  donneraient 
tout  ce  qu'ils  possèdent  pour  du  tabac. 

Les  Bohémiens  n'ont  pas  de  religion  particulière  :  en 
Turquie,  ils  sont  mahométans;  en  Espagne  et  en  Transyl- 
vanie, ils  suivent  les  rites  de  l'Église  chrétienne,  mais  sans 
s'inquiéter  de  se  faire  instruire.  Outre  leur  langue  mater- 


dohe?.îie:vS 

nrllo,  ils  pailcnt  couranin-icnt  celles  des  pays  qn'lU  Iiabi- 
teiit.  Dans  la  Transylvanie,  il  arrive  Irès-Fouvcnt  qu'ils  font 
b;!ptiser  plusieurs  fois  les  enfimts,  afin  de  recevoir  dos  pré- 
Fents  de  baptême  d'autant  plus  nombreux.  Les  mariages  se 
concluent  parmi  eux  de  la  manière  la  plus  simple.  Sans  se 
soucier  du  degré  de  parenté,  le  jeune  Boliémien  arrivé  à 
l'âge  de  quatorze  ou  quinze  ans  prend  pour  femme  qui  lui 
plaît ,  même  sa  sœur.  En  Hongrie ,  le  mariage  est  célébré 
par  un  Bohémien  qui  remplace  le  prêtre.  Jamais  ils  ne  se 
marient  qu'entre  eux.  Le  mari  esl-il  las  de  sa  femme ,  il  la 
chasse.  On  comprend  que  chez  un  pareil  peuple  il  n'est  pas 
question  d'éducation.  Un  amour  presque  brutal  pour  leurs 
enfants  empêche  les  parents  de  les  chàîier  jamais;  et  ils 
les  laissent  s'habituer  à  la  paresse,  au  vol,  au  mensonge. 
La  corruption  des  mœurs  y  est  si  grande,  qi;e  les  Bohémiens 
éprouvent  une  véritable  volupté  à  coiiunelîre  des  actes  de 
cruauté  :  aussi  choisissait-on  ancienneiî;ent  parmi  eux  les 
bourreaux  et  les  écorcbeurs.  Du  reste,  ils  sont  excessivement 
lâches,  et  ils  ne  volent  qu'autant  qu'ils  pctnent  le  faire  avec 
sûreté.  Jamais  ils  ne  pénètrent  de  nuit  par  effraction  dans 
une  maison.  On  ne  peut  d'ailleurs  leur  refuser  quelques 
talents.  Non-seulement  ils  sont  extraordinairement  adroits 
dans  leurs  entreprises,  mais  en  Transylvanie  ils  .s'emploient 
avec  beaucoup  d'habileté  au  lavage  de  l'or.  Leur  lâcheté 
naturelle  les  a  fait  dispenser  du  service  militaire ,  au  moins 
en  Espagne  ;  car  en  Hongrie  et  en  Transylvanie  on  lésa 
(luelquefois  incorporés  dans  les  armées  ;  mais  jamais  ils 
n'ont  donné  des  preuves  particulières  de  bravoure. 

Leur  irréligion  les  ayant  rendus  suspects  aux  gouverne- 
ments peu  de  temps  après  leur  innnigratiou,  autant  que 
leurs  larcins,  leurs  fraudes  les  rendaient  odieux  aux  habi- 
tants, on  chercha  de  bonne  heure  en  Erirope  à  se  débarras- 
.ser  de  ces  hôtes  incommodes  ;  et  dès  le  .seizième  siècle  on 
édicta  contre  eux  des  lois  suvères  en  E^pagne,  en  France, 
en  Allemagiie  et  en  Italie.  Le  Danemark  et  la  JN'orwége  dé- 
fendirent, sous  peine  de  confiscation  du  bàfiment,  d'en 
transporter  un  seul  dans  le  royaume.  Cependant  la  persé- 
cution cessa  bientôt,  et  ils  ne  tardèrent  pas  à  se  glisser  de 
nouveau  dans  les  contrées  méridionales,  dont  le  climat  leur 
convient  mieux.  Comme  ils  sont  très-no.mbreux  dans  les 
litats  de  la  m.aison  d'Autriche,  où  ils  ont  une  espèce  de  cons- 
titution et  des  chefs  appelés  troieuodcs ,  Warie-Théièse 
conçut  le  projet  d'en  faire  des  hommes  et  des  citoyens. 
En  l'GS  parut  une  ordonnance  qui  lei-r  prcfcrivait  de 
s'établir  dans  des  demeures  fixes,  de  se  livrer  à  des  travaux 
industriels,  d'habiller  leurs  enfants  et  de  les  envoyer  à 
l'école.  Cette  ordonnance  n'ayant  rien  produit,  on  recourut, 
en  1773,  à  des  mesures  si  sévères,  que  l'on  allait  jusqu'à 
enlever  les  enfants  à  leurs  parents  pour  les  mettre  dans 
des  écoles  chréliennes.  Cette  sévérité  fut  aussi  peu  efficace 
que  les  moyens  plus  doux  employés  par  le  gouvernement 
russe.  Les  sages  ordonnances  )endues  par  Joseph  II  de- 
puis 17S2  pour  l'amélioration  morale  et  civile  des  Bohé- 
miens conduisirent  seules  à  un  résultat.  Quelques  hordes 
se  fixèrent  en  Hongrie,  en  Transylvanie  et  dans  le  Banat, 
nommément  dans  le  village  dalmate  de  Karasitza,  où  les 
Bohémiens  reçurent  le  nom  de  Nouveaux  Paysans.  En 
Angleterre,  il  existe  depuis  1827  à  Southarapton,  une  so- 
ciété pour  la  civilisation  des  Bohémiens,  et  depuis  1845 
on  a  établi  dans  la  paroisse  de  Farnham  une  maison  d'é- 
ducation pour  les  enfants  bohémiens  qui  sont  restés  orphe- 
lins ou  qui  appartiennent  à  une  famille  tiop  nombreuse. 
]  Is  y  ont  leur  propre  roi.  Un  de  ces  princes  mourut  en  1  «3(5. 
Outre  Wal ter  Scott,  qui  a  peint  de  main  de  maître  les  mœurs 
des  Bohémiens  dans  son  Astrologue ,  on  peut  consulter 
Gil  nias  et  Prcciosa  deW'oUf;  voir  aussi  VEssai  Instori- 
que  sur  les  Jio/iémiens  de  Grcllmann  (2^  édit.,  Gœtiingue, 
1787);r/7is/oi/-e(/e5Z?o/^6';«/f'7;A-deTeÎ7.ner{\Veimar,  lh;;5); 
les  Notices  ethnographiques  et  historiques  sur  les  JId- 
liémieris  dallehler  (Kœnigsherg,  isi2),  et  l'ouvrage  caj'itul 


5KUS 


ZA' 


de  Fort,  Les  Bohémiens  en  Europe  et  en  Asie  (2  vol.. 
Halle,  1844-15). 

Dans  la  langue  des  Bohémiens ,  la  plupart  des  mots  sont 
d'origine  indienne ,  et  se  retrouvent  légèrement  modifiés 
dans  le  sanscrit ,  dans  le  malabar  et  dans  le  bengali  ; 
mais  depuis  leur  immigration  en  Eiirope  ils  ont  adopté  un 
grand  nombre  de  mots  des  peuples  parmi  lestjuols  ils 
vivent.  Leur  grammaire  aussi  est  tout  à  fait  orientale,  et 
s'accorde  principalement  avec  1rs  dialectes  indiens.  Voir  la 
Dissertation  sur  l'analogie  de  la  langue  bohémienne  avec 
rhindostani,  dans  les  Transactions  de  la  Société  Littéraire 
de  Bombaij ,  et  les  Remarques  de  Staples  Harriot  sur 
l'origine  orientale  des  Bohémiens,  dans  les  Transactions 
de  la  Société  Asiatique  (1»31  ).  La  langue  des  Bohémiens 
est  en  général  très-pauvre;  elle  manque  complètement  de 
mots  pour  exprimer  les  idées  abstraites. 

BOÎÎÉAÎOXD.  Voyez  Boémond. 

BOÎlLEîV  (PiEunE  de),  orientaliste,  naquit  5  \\Ï!p- 
pels,  en  Oldenbourg,  le  13  niars  179(5 ,  de  parents  pauvres, 
qu'il  perdit  de  bonne  heure.  Après  avoir  passé  sa  jeunesse 
dans  la  misère,  il  entra  en  181 1  au  service  d'un  général 
français,  vint  à  Hambourg  en  1814,  et  y  gagna  sa  vie  comme 
domestique,  jusqu'à  ce  que,  grâce  à  quelques  hommes  gé- 
néreux qui  avaient  été  frappés  de  ses  heureuses  dispositions 
et  de  son  zèle  pour  la  science,  il  obtint  les  moyens  de  se 
vouer  à  l'étude.  Reçu  en  1817  au  gymnase  de  Hamboiirg,  il 
y  prit  un  tel  goût  pour  la  poésie  de  l'Orient ,  qu'il  résolut  de 
s'y  consacrer  exclusivement.  Il  visita  en  1821  l'université 
de  Halle,  puis  en  1822  celle  de  Bonn,  où  il  prit  ses  degrés 
et  fut  nommé  en  1825  professeur  extraordinaire,  et  cinq 
ans  après  professeur  ordinaire  des  langues  orientales  à  l'u- 
niversité de  Kœnigsherg.  En  1831  le  gouvernement  lui  ac- 
corda une  subvention  pour  faire  un  voyage  sciaiitifique  eu 
Angleterre.  Y  étant  retourné  une  seconde  fois,  en  1S37,  le 
mauvais  état  de  sa  santé  le  força  à  séjourner  quelque  tenqis 
dans  le  midi  de  la  France.  Mais  le  mal  avait  déjà  fait  trop 
de  progrès  pour  céder  à  l'influence  d'un  ciel  plus  doux;  il 
revint  en  Allemagne  condamné  par  les  médecins,  s'établit  à 
Halle,  et  y  mourut  le  G  février  1S40.  Bohlen  était  un  de  ces 
hommes  rares  qui ,  partis  de  bien  bas ,  savent  s'élever  par 
leur  seul  mérite.  La  douceur  et  l'affabilité  de  son  caractère 
le  faisaient  aimer,  et  il  restait  fiiièle  à  ses  amis.  Doué  d'un 
heureux  talent  poétique,  il  sut,  par  le  charme  de  la  forme 
qu'il  leur  donna,  familiariser  l'Allemagne  avec  les  beautés 
des  poésies  orientales.  Son  savoir  était  vaste,  mais  il  man- 
quait de  profondeur.  Sa  vie,  écrite  par  lui-même  avec  une 
aimable  franchise,  a  été  publiée  après  sa  mort  par  Yoigt 
[Autobiographie,  Kœnigsherg,  1841).  Parmi  les  écrits  de 
Bohlen,  ceux  qui  méritent  une  mention  particulière  sont: 
Commentatiode  MotenaObio  {lionn,  iS2i)  ;  l'Inde  antique 
(2  vol.,  Kœ-nigsberg,  1830-1831);  les  Sentences  de  Bhar- 
trihari,  accompagnées  de  scolies  et  d'un  commentaire 
latin;  l'imitation  en  vers  allemands  de  ces  Sentences  (Ham- 
bourg, 1835)  ;  la  Genèse  éclaircie  sous  le  point  de  vue  de 
l'histoire  et  de  la  critique  (Kœnigsherg,  L^.îs).  Son  der- 
nier travail  fut  l'édition  des  S«(5o«5,  poème  didacti<iue  da 
Kalidasa,  sous  le  titre  de  Uitusanhûra ,  i.  e.  Tempesta- 
tum  Q/c/iï.'S  ( Leipzig ,  1840). 

ïiOîiUS  ou  BOilUS-L.îN  (appelé  aussi  Cœlaborgs-- 
Lxn,  du  uom  de  son  chef-lieu,  Gotheuburg),  province  de  la 
Gothie  occidentale ,  s'étendant  sur  les  côtes  de  la  mer  du 
Nord  (sur le  Skager-Rack)  depuis  la  Gœta-Elf  inférieure  au 
nord  jusqu'au  Swiuesuud  .sur  les  frontières  de  la  Norvège. 
Ou  évalue  la  superficie  de  cette  province  à  40  myriamètrcs 
carrés,  et  sa  population  à  environ  180,000  âme.s.  Dans  les 
temps  les  plus  reculés,  le  Bohus-Lten  formait  une  partie  de 
Vveiken  ou  \Yigen,  nommé  aussi  V«'igsidea  ou  Allheim,  et 
était  habité  par  les  Wikmans  ou  Elfinans ,  lenommés  par 
leurs  actes  de  piraterie.  Vers  la  lin  du  moyen  ûge,  i!  f;.t 
soumis  aux  r-vonégiens,  puis  aux  Danois;  mais  les  Suédoiâ 

44. 


348  BOIIUS   - 

ne  cessèrent  Je  réclamer  leur  droit  de  suzeraineté  sur  le 
poys  et  le  château.  Conquis  en  1523  par  Guslave-Wasa,  il 
fut  repris  en  1532,  par  le  roi  de  Danemark  Frédéric  l",  et 
dérmitivemcnt  cédé  à  la  Suède  en  1658 ,  par  la  paix  de 
lUfslulde. 

La  forteresse  de  Jiohus-Slot,  importante  autrefois  comme 
lieu  (le  péage ,  ne  forme  plus  aujourd'liui  qu'un  monceau 
de  ruines,  à  i:J  mjriamètres  au  nord  de  Gotlienbourg,  sur 
le  rocher  d'L Ifvvebakka,  dans  la  Gœta-Elf,  et  dans  le  voisi- 
nage de  la  ville  de  Kongelf.  Bâtie  en  bois,  en  1308,  par  le 
roi  de  Norvège  Ilakon  VII,  elle  (ut  hypothéquée,  en  1361, 
à  la  Hanse  germanique  par  le  roi  Magnus.  C'est  dans  ce 
château  que  la  reine  Marguerite  fit  appliquer  à  la  torture  le  roi 
Albert,  fait  prisonnier  près  de  Falku'ping,  le  24  février  1389. 
Les  rois  Christian  1"  et  Christian  IV  le  firent  reconstruire  en 
pierre,  en  14'i8  et  en  1605.  lin  1502  le  prince  Christian  l'en- 
leva aux  Suédois  après  la  défaite  du  roi  Knutson,  et  en  1531 
Christian  II  leur  livra  sous  ses  murs  une  bataille  décisive. 
En  1534  un  général  suédois  de  Christian  III  se  rendit  maître 
de  I5ohus-Slot.  Les  Suédois  l'assiégèrent  en  1564,  1505  et 
1566.  Charles  XII  laissa  la  forteresse  tomber  en  ruines.  Le 
9  octobre  1788  un  armistice  y  fut  signé  avec  les  Danois, 
ipii  se  retirèrent  le  13  novembre. 

BOÏAR  ou  BOJxVR.  Dans  son  acception  primitive,  ce 
mot  était  synonyme  de  cijech,  Icch  etèo^r/f/r/»,  et  signifiait 
propriétaire  libre  du  sol.  Dans  l'ancienne  Russie  les  Doïars 
formaient  après  les  Knjazes  ou  Knjèses  régnants  le  premier 
ordre  de  l'Etat;  ils  étaient  les  entours  du  prince,  avaient 
leurs  propres  partisans,  qui  leur  constituaient  une  espèce  de 
garde,  se  mettaient  au  service  du  prince  qui  leur  plaisait,  et 
le  quittaient  selon  leurs  caprices  :  aussi  les  grands-ducs  leur 
accordèrent-ils  de  grands  privilèges,  dont  ils  abusèrent  sou- 
vent. Les  plus  hautes  dignités  militaires  et  civiles  leur  étaient 
exclusivement  réservées,  et  ils  jouissaient  parmi  le  peuple 
d'une  considération  extraordinaire,  à  tel  point  que  les  grands- 
ducs,  sans  en  excepter  Ivvan  le  Cruel,  faisaient  toujours  pré- 
céder leurs  ukases  de  la  formule  :  «  L'empereur  a  ordonné, 
les  Bojars  ont  approuvé.  »  Le  rang  parmi  les  Bojars  eux- 
mêmes  était  déterminé  par  le  temps  qu'ils  avaient  passé  au 
service  de  l'État ,  et  on  l'observait  strictement.  11  passait  par 
héritage  du  père  au  fils.  On  appelait  cette  hiérarchie  micst- 
îiiczestoiv;  c'était  une  institution  particulière  aux  peuples 
slaves ,  aussi  éloignée  de  la  féodalité  que  de  l'aristocratie 
moderne,  une  constitution  purement  nationale.  Dans  leur 
intérieur,  les  Boiars  aimaient  à  l'excès  le  faste ,  et  leur  or- 
gueil à  l'égard  de  leurs  inférieurs  était  sans  bornes.  Ils 
avaient  même  fini  par  emprunter  beaucoup  de  choses  au 
cérémonial  officiel  de  la  Chine.  Leur  pouvou-  et  leur  consi- 
dération servirent  souvent  de  frein  aux  excès  des  grands- 
ducs,  qui,  voyant  en  eu\  des  ennemis,  essayèrentà  plusieurs 
reprises  de  briser  leur  autorité.  Pierre  le  Grand  y  réussit;  il 
abolit  la  dignité  de  boiar,  et  la  remplaça  par  des  titres  et 
des  honneurs  qui  ne  donnèrent  ni  puissance  ni  privilèges.  Le 
dernier  boiar,  Knjaz  Iwan  Jurjewicz  Trubeskoj,  mourut  le 
16  janvier  1750.  De  nos  jours  on  trouve  encore  des  boiars 
dans  la  Moldavie  et  la  Valachie,  où  ils  siègent  dans  le  conseil 
du  prince  et  où  ils  exercent  quelquefois,  Tliistoire  de  ces 
dernières  années  l'a  prouvé,  l'influence  la  plus  décisive  sur 
les  alfaires  de  l'ttat. 

BOÏELDIEU(ADniF.N-FRA>çois),  néàBouen.le  fO  dé- 
cembre 1775,  apprit  la  musique  et  la  composition  d'im  orga- 
niste de  cette  ville  nommé  Broche.  Boicldieu  devint  très- 
habile  sur  le  piano  ;  il  écrivit  d'abord  pour  cet  instrument  : 
ses  concertos  de  piano,  ses  duos  pour  piano  et  harpe, 
obtinrent  un  succès  de  vogue,  riusietus  lomances,  qu'il 
publia  peu  de  temps  après  son  arrivée  à  Paris,  en  f7'J5, 
le  firent  connnitre  dans  it;  monde  musical,  où  le  ciièhre 
chanteur  Garât  l'avait  produit.  Garât  aflcctionnait  beau- 
coup les  compositions  de  Boieldieu;  il  chautsit  ses  ro- 
mances; les  personnes  qui  l'ont  entendu  ont  gardé  le  sou- 


BOIELDIEU 

venir  du  Ménestrel ,  da  S'il  est  vrai  que  d'être  deux,  eft. 
Le  virtuose  avait  ciioisi  BoïcKlicu  pour  son  accomitagnateur. 
Nommé  professeur  de  piano  au  Conservatoire ,  Boieldieu  y 
forma  un  grand  nombre  d'élèves  d'un  grand  talent. 

Il  débuta  à  l'Opéra-Comique  par  La  Famille  Suisse,  opéra 
en  un  acte,  qui  fut  bientôt  suivi  de  Zoraïme  et  Zulnar, 
ouvrage  en  trois  actes  ,  qui  le  plaça  au  premier  rang  parmi 
les  compositeurs  français.  La  Dot  de  Suzette,  Le  Calife  de 
Bagdad,  Bénioiosky ,  Ma  Tante  Aurore ,  et  plusieurs  au- 
tres opéras  avaient  encore  accru  sa  renonunée.  Lors(iu'il  fit 
le  voyage  de  Saint-Pétersbourg,  en  1803,  l'empereur  de 
Russie,  Alexandre  r',  le  nomma  maître  de  sa  chapelle  , 
chargé  de  composer  pour  le  théâtre  et  les  fêtes  de  la  cour. 
Après  un  séjour  de  luiit  ans  environ ,  pendant  lesquels  il 
avaitfait  représenter  Aline,  Abder-Kan,La  Jeune  Femme 
colère,  Les  deux  Paravents,  Amour  et  Mystère,  les 
chœurs  d'^l^^rtZie,  Télémaqiie ,  Les  Voitures  versées,  plu- 
sieurs pièces  de  circonstance  et  beaucoup  de  musique  mili- 
taire, Boieldieu  revint  à  Paris  en  isil.  Les  deux  Paravents, 
La  Jeune  Femme  colère.  Les  Voitures  versées,  parurent 
bientôt  sur  le  théâtre  de  l'Opéra-Comique,  pour  lequel  il 
composa  de  nouveaux  opéras ,  tels  que  Jeco?  de  Paris,  La 
Fête  du  Village  voisin.  Le  nouveau  Seigneur  de  Village, 
Le  Chaperon  Rouge,  La  Dame  Blanche,  son  chef-d'œu- 
vre, en  1824;  Les  Deux  A'uils,  en  1829.  Depuis  lors,  at- 
teint d'une  affection  au  larynx ,  Boieldieu,  forcé  de  sus- 
pendre ses  travaux, entreprit  un  voyage  dans  le  midi  delà 
France  et  dans  l'Italie.  Rentré  à  Paris  en  juillet  1833, 
il  mourut  dans  sa  terre  de  Jarcy,  en  Brie,  le  9  octobre 
1834. 

Boieldieu  n'a  point  travaillé  pour  notre  grande  scène  ly- 
rique ;  mais  plusieurs  de  ses  ouvrages  pourraient  y  figurer 
avec  honneur.  Il  a  réussi  dans  le  genre  comique  :  Ma  Tante 
Aurore,  Jean  de  Paris,  l'attestent;  il  s'est  élevé  jusqu'à  la 
hauteur  de  la  tragédie  lyrique  dans  Béniowskij,  Télémaque, 
les  chœurs  dWlhalie.  Dans  le  demi-caractère,  ses  succès 
n'ont  pas  été  moins  éclatants  :  témoin  Zoraïme  et  Zulnar, 
Le  Chaperon  Rouge,  La  Dame  Blanche.  L'opéra-comique 
français,  traité  comme  l'a  fait  Boieldieu ,  est  une  œuvre  d'art 
et  d'imagination;  la  phrase  de  ce  compositeur  est  d'une  mé- 
lodie gracieuse  et  distinguée;  son  style  est  clair,  d'une  rare 
élégance ,  et  les  forces  de  son  orchestre  se  sont  accrues  sui- 
vant les  exigences  de  chaque  époque.  Ce  maître  a  suivi  les 
progrès  de  la  musique.  Il  s'est  montré  d'abord  rival  de 
Grétry,  et  c'est  au  moment  des  plus  beaux  triomphes  de  Ros- 
sini  que  sa  Dame  Blanche  a  fait  une  innnense  explosion. 
Musicien  spirituel ,  il  sait  donner  aux  paroles  l'expression , 
le  coloris  qu'elles  réclament,  sans  s'attacher  à  jouer  sur  les 
mots,  à  faire  des  rébus,  comme  plusieurs  de  ses  prédéces- 
seurs, rébus  que  les  hommes  de  lettres  du  temps  prenaient 
pour  des  traits  de  génie.  Il  a  déclamé  sans  dégrader  les  con- 
tours de  la  mélodie.  L'air  du  page  de  Jean  de  Paris  :  Lors- 
que mon  maître  est  en  voyage,  et  le  trio  de  La  Jeune  femme 
colère  :  La  clef!  la  clef!  sont  des  chefs-d'œuvre  de  déclama- 
tion musicale.  Celui  du  Sénéchal,  dans  le  premier  de  ce» 
opéras  :  Qu''à  mes  ordres  ici  tout  le  monde  se  rende!  est 
le  plus  bel  air  que  l'on  ait  écrit  pour  Martin.  Le  finale  de  La 
Dame  Blanche,  le  quatuor  de  Ma  Tante  Aurore,  le  chœur 
de  Béniowsky  :  Jurons  !  jurons!  et  beaucoup  d'autres,  que 
je  pourrais  citer,  sont  des  morceaux  concertés  du  premier 
mérite.  Boieldieu  est  un  des  plus  illustres  maîtres  dont  notre 
école  puisse  s'honorer.  Ses  opéras  ont  réussi  pariout  :  l'Al- 
lemagne, l'Angleterre,  l'iispngne,  les  ont  traduits  et  repré- 
sentés; l'Italie  même,  (jui  adopte  si  diflicilement  les  com- 
positions étrangères,  a  reçu  La  Donna  Bianca  de  la  manière 
la  plus  llatteuse.  Castil-Blazr. 

Un  fils  de  Boieldieu,  nommé  aussi  ADr.iic.N,  marche  .sur 
ses  traces.  On  a  déjà  joué  de  lui  quelques  opéras-comiques, 
•îota.'nmejit  Le  Bouquet  de  f Infante,  et  La  Butte  dts 
Moulins. 


BOIEiNS  -    EOILEAU 


S49 


BOIENS,  peuple  d'origine  celte,  qui  habitait  vraisembla- 
blement le  raidi  de  la  Belgique ,  d'où  il  émigra  vers  les  con- 
tréi.-?;  méridionales  de  l'Europe.  Cinq  siècles  environ  avant 
noire  ère ,  une  colonie  de  Boïcns  s'établit  dans  la  haute 
Jlaiie.  Après  avoir  lutté  longtemps  contre  les  Romains,  ils 
Unirent  par  être  soumis,  vers  l'an  193  avant  J.-C. ,  leur 
prince  Bojorix  ayant  été  tué  dans  un  combat.  Une  partie 
des  vaincus  alla  se  fixer  au  sud  du  Danube ,  une  autre  ren- 
tra dans  la  Gaule  ;  mais  ni  les  nns  ni  les  autres  ne  conser- 
vèrent longtemps  leur  indépendance.  Les  premiers  furent 
détruits  par  les  Daces  ,  les  seconds  par  Jules  César.  L'émi- 
gration la  plus  considérable  des  Boïens  et  la  plus  importante 
au  point  de  vue  historique  est  celle  qui  se  dirigea  vers  les 
pays  situés  au  nord  du  Danube,  où  ils  fondèrent  un  puissant 
empire  nommé  Bojofiemum ,  qui  ne  fut  renversé  qu'au 
conunencement  de  l'ère  chrétienne  par  les  Marcomans,  sous 
la  conduite  de  Marbod ,  mort  trente-sept  ans  après  J.-C. 
Leur  nom  resta  néanmoins  au  pays  où  il  s'étaient  établis  : 
c'est  de  Bojoheimim  qu'est  venu  plus  tard  le  nom  de  Bo- 
hême. 

liOILEAU  OÉTlE^^E),  ou  Boyleaux,  Boileaue,  Boy- 
lesve  {Step/ianus  Bibens  aquam),  chevalier  et  célèbre 
prévôt  de  Paris  au  treizième  siècle,  a  pris  ce  dernier  nom 
latin  dans  un  compte  des  baillis  de  France  de  1266.  11  était 
d'une  noble  famille  d'Angers,  dont  plusieurs  branches  se 
répandirent  dans  l'Ile-de-France,  l'Anjou,  la  Touraine,  et 
môme  en  Angleterre.  Etienne  Boileau  épousa,  en  1225,  Mar- 
guerite de  la  Guesle,  et  lit,  en  122S,  avec  Geoffroy  et  Ro- 
bert Boileau  ,  ses  frères,  un  partage  loyal  de  la  succession 
de  son  père,  qui  lui  appartenait  par  droit  d'aînesse.  «  C'é- 
tait, est-il  dit  dans  un  manuscrit  de  la  Vie  de  saint  Louis, 
un  bourgeois  de  Paris  bien  renommé  de  prudliomie,  que  le 
roy  saint  Louis  mit  en  125S  à  la  teste  de  la  cour  et  audi- 
toire du  Chastelet  de  Pjiris;  et  alloit  souvent  le  roy  au  dit 
Chastelet  se  seoir  près  le  dit  Boileaue,  pour  l'encourager  et 
donner  l'exemple  aux  autres  juges  du  royaume.  » 

«  Sachez,  dit  Joinville,  que  du  temps  passé  l'office  de 
la  prévosté  de  Paris  se  vendoit  au  plus  offrant.  Les  prcvosts 
étoient  alors  prévosts  fermiers  ;  dont  il  advenoit  que  [tlu- 
sieurs  pilleries  et  maléfices  s'en  faisoient,  etétoit  totalement 
justice  corrompue  par  faveur  d'amys  et  par  dons  ou  pro- 
messes, dont  le  commun  n'osoit  habiter  au  royaume  de 
France,  et  étoit  lors  presque  vague,  et  sou  ventes  fois  n'y 
avoit-il  aux  plaids  de  la  prévosté  de  Paris  que  dix  per- 
sonnes, pour  les  injustices  et  abusions  qui  s'y  faisoient;  et 
fist  enquérir  le  roi  par  tout  le  pays  là  où  il  trouveroit  iiue'tiuc 
grant  sage  homme  qui  fust  bon  justicier,  et  qui  piinist  étroi- 
tement les  malfaicteurs  ,  sans  avoir  égaid  au  riche  plus  que 
au  pauvre;  et  lui  fut  amené  ung  qu'on  appeloit  Estienne 
Boyleaûe ,  auquel  il  donna  l'office  de  provost  de  Paris, 
lequel  depuis  fit  merveilles  de  soy  maintenir  audit  office. 
Tellement  que  désormais  n'y  avoit  larron,  meurtrier  ni 
autre  malfaicteur  qui  osast  demeurer  à  Paris ,  que  tantost 
qu'il  en  avoit  connoissance  qui  ne  fust  pendu  ou  puni  à  ri- 
gueur de  justice,  selon  la  qualité  du  malfuict,  et  n'y  avoit 
faveur  de  parenté ,  ni  d'amys ,  ni  d'or,  ni  d'argent  qui  l'en 
eust  pu  garantir,  et  grandement  fist  bonne  justice.  » 

En  effet,  le  prévôt  Etienne  Boy  les  ve  exerça  une  justice  si 
sévère  «  qu'il  fist  pendre  un  sien  tilleul,  parce  que  la  mère 
lui  dit  qu'il  ne  se  pouvoit  tenir  de  lober.  llem  un  sien  com- 
père, qui  avoit  nié  une  somme  d'argent  que  son  hoste  lui 
avoit  baillé  à  garder.  » 

C'est  à  ce  magistrat  qu'on  doit  l'établissement  de  la  po- 
lice de  Paris.  11  se  montra  aussi  inlègie  et  actif  que  zélé 
pour  le  bien  public;  rétablit  la  discipline  dans  le  com- 
merce et  dans  les  aits  et  métiers,  dans  la  perception  des 
droits  royaux,  qui  était  alors  de  sa  compétence,  et  lixa  celle 
des  justices  seigneuriales  enclavées  dans  sa  prévôté;  il  mo- 
déra et  régla  les  impôts,  qui  se  levaient  arbitrairement ,  sous 
les  prévôts  fenniers,  sur  le  commerce  et  les  marchandises. 


11  exerça  enfin  une  grande  influence  sur  les  divers  corps, 
communautés,  confréries,  corporations  de  marchands  et  ar- 
tisans. C'est,  en  effet ,  de  son  administration  que  datent  la 
réunion  et  la  publication  des  règlements  d'arts  et  métiers  de 
la  ville  de  Paris.  On  a  représenté  Etienne  Boileau  comme 
l'auteur  de  règlements  parfaits  et  même  connue  le  fondateur 
et  l'organisateur  des  communautés  d'artisans.  Ce  n'est  pas 
là  le  mérite  qui  recommande  son  nom  à  la  postérité  :  les 
communautés  existaient  avant  Louis  IX,  et  elles  avaient 
des  règlements,  des  us  et  coutumes  auxquels  leurs  mem- 
bres se  conformaient  ;  d'ailleurs ,  la  législation  du  moyen  âge 
consistait  moins  à  prescrire  des  règles  nouvelles  qu'à  donner 
une  satisfaction  légale  aux  usages  pratiqués  depuis  longtemps 
et  éprouvés  par  l'expérience. 

«  Voici  en  réalité,  dit  M.  Depping,  ce  que  fit  Etienne 
Boileau  à  l'égard  des  comnmnautés  d'arts  et  métiers  de 
Paris  :  il  établit  au  Chàtelet  des  registres  pour  y  inscrire  les 
règles  pratiquées  habituellement  pour  les  maîtrises  des  ar- 
tisans, puis  les  tarifs  des  droits  prélevés  au  nom  du  roi  sur 
l'entrée  des  denrées  et  marchandises,  puis  les  titres  sur  les- 
quels les  abliés  et  autres  seigneurs  fondaient  les  privilèges 
dont  ils  jouissaient  dans  l'intérieur  de  Paris,  Les  corpora- 
tions d'artisans,  leprésentées  par  leurs  maîtres  jmés  ou 
prud'hommes,  comparurent,  l'une  après  l'autre,  devant  lui, 
au  Cliàtelet ,  pour  déclarer  les  us  et  coutumes  pratiqués 
depuis  un  temps  immémorial  dans  leur  communauté,  et 
pour  les  faire  enregistrer  dans  le  livre  qui  désormais  devait 
servir  de  régulateur,  de  cartulaire,  à  l'industrie  ouvrière.  Un 
clerc  tenait  la  plume  et  enregistrait,  sous  les  yeux  du  prévôt, 
les  dispositions  des  traditions  et  pratiques  du  métier.  Aussi, 
dans  la  plupart  des  règlements,  on  diclare,  au  début,  qu'on 
va  exposer  les  us  et  coutumes;  et  plusieurs  se  terminent  par 
une  adresse  au  prévôt  pour  lui  signaler  des  abus  à  redresser 
ou  des  vibux  à  exaucer.  Tous  ces  règlements  sont  brefs  et 
dégagés  du  verbiage  qui  enveloppe  et  embrouille  les  règle- 
ments des  temps  postérieurs.  A  Etienne  Boileau  est  peut-être 
due  la  forme  de  ces  règlements;  en  magistrat  habile,  il  a  pu 
veiller  à  ce  qu'ils  fussent  rédigés  d'une  manière  claire,  pré- 
cise et  à  peu  près  uniforme.  Ce  type  est  si  prononce,  qu'il 
n'est  pas  difficile  de  distinguer  un  règlement  des  registres 
d'Élienne  Boileau  de  ceux  qui  ont  été  faits  sous  la  prévôté 
de  ses  successeuis.  » 

Tel  est  le  Livre  des  Métiers  d'Etienne  Boileau.  Ces  ordon- 
nances, qui  montrent  quelle  était  la  droiture  des  intentions 
du  prévôt  de  I>aris  et  la  grande  étendue  de  son  autorité, 
avaient  été  primitivement  écrites  sur  des  peaux  entières, 
cousues  et  roulées  suivant  l'iisage  du  temps.  Un  de  ses  suc- 
cesseurs les  fit  copier  en  cahiers  et  relier  ensemble  \ers 
l'an  13U0.  L'original,  conservé  à  la  cour  des  comptes,  fut 
détruit  en'1737  lors  de  l'incendie  qui  consuma  lesaicliives 
de  cet  établissement  ;  mais  il  en  existait  encore  quelques 
copies  :  on  en  avait  à  la  Sorbonne  un  exemplaire  qui  était  du 
temps  même  de  Boileau,  et  qui  fut  transporté  à  la  Bbliollièque 
luip  riale.  C'est  d'ajjiès  ces  diverses  copies  que  le  comité  des 
chartes,  chroniques  et  inscriptions  a  pu  faire  imprimer,  pour 
la  première  fois,  en  1837,  jmr  les  soins  de  M.  Depping,  ce 
document,  l'un  des  plus  curieux ,  à  coup  sûr,  de  la  collection 
publiée  sous  les  auspices  du  ministère  de  l'instruction  pii- 
blitliie.  L'éditeur  a  fait  précéder  son  travail  d'une  curieuse 
introduction. 

Etienne  Boileau  suivit  saint  Louis  en  Egypte.  Il  tenait  un 
rang  si  énn'nent  dans  l'armée  chrétienne,  qu'ayant  été  pris 
au  siège  de  Damielte,  les  infidèles  exigèrent  pour  sa  rançon 
deux  cents  livres  d'or,  somme  considérable  pour  ce  teuips-là. 
C'est  seulement  après  lui  que  la  charge  de  prévôt  de  Paris 
devint  annuelle.  H  l'avait  exercée  dix  années  environ.  On  ne 
sait  rien  depositif  sur  l'époque  de  sa  mort.  Suivant  l'opinion 
la  ()lus  générale,  elle  arriva  de' 126!)  à  1270.  On  a  des  motifs 
de  croire  qu'il  survécut  longtemps  à  ses  fonctions  de  pré- 
vôt, et  qu'il  mourut  dans  un  âge  fort  avancé.  Sa  statue  est 


350 


eoili:au 


une  (le  celles  qui  décorent  la  façaJc  de  rilôlel  de  Ville  de 
Pari'^. 

B03LEAIJ  (Giu.Es),  frère  a!né  du  c(-\bhre  poëte  sati- 
rique de  ce  nom,  naquit  à  Patis,  en  1G3I.  Ce  fut  le  premier 
enfant  que  son  père,  {greffier  à  la  grand'  chambre  du  parle- 
ment, eut  (le  son  mariage  avec  Anne  de  Nielle.  Gilles  I]oi- 
leau,  tout  jeune  encore,  occupa  les  fondions  de  payeur  de 
renies  à  Phôtel  de  ville,  qu'il  quilla  bientcH  pour  une  cliarge 
de  contrôleur  de  l'argenterie  du  roi.  Comme  son  frère,  il 
était  né  avec  un  penchant  i)our  la  poésie,  et  même  pour  la 
poésie  satiriipie;  mais  il  n'avait  pas  comme  lui  ce  sentiment 
du  beau  langage  qui  a  fait  de  rsicolas  Boileau  l'un  des  poètes 
les  jihis  éli'ganls,  les  plus  classiques  de  notre  langue.  Gil- 
les Boileau  débuta  dans  la  carrière  par  quelques  lettres  en 
vers,  qui  sont  de  véritables  satires,  mais  dont  le  style  est 
faible  et  sans  vigueur.  Il  attaqua  plusieurs  écrivains  connus, 
Scarron ,  Costar  et  Ménage  entre  autres ,  et  soutint  contre  ce 
dernier  une  guerre  de  plume  qui  manqua  de  le  jiriver  du 
plus  grand  honneur  qu'il  ait  eu  dans  sa  vie,  celui  d'entrer 
à  l'Académie  Française.  Ménage  ayant  appris  que  Gilles  Boi- 
leau était  proposé  pour  obtenir  une  des  places  vacantes 
dans  cette  compagnie,  vint  trouver  ]M"'^de  Scudéry,  et  l'en- 
gagea à  traverser  cette  élection  par  l'entremise  de  Pelllsson. 
Chapelain,  dans  une  lettre  à  Huygens,  explique  fort  au  long 
toute  celte  trame.  Enfin,  l'intrigue  ourdie  par  Ménage  fut 
découverte,  et  Gilles  Boileau  l'emporta. 

C()lletct ,  dans  son  mémoire  sur  les  gens  de  lettres  con- 
temporains, dressé  par  ordre  de  Coibert,  s'exprime  ainsi 
au  sujet  de  Boileau  :  «  Il  a  de  l'esprit  et  du  style  en  prose 
et  en  vers,  et  sait  les  deux  langues  anciennes  aussi  bien  que 
la  sienne.  Il  pourroit  faire  quelque  chose  de  fort  bon,  si  la 
jeunesse  et  le  feu  trop  enjoué  u'empCchoient  point  qu'il  s'y 
assujettit.  » 

Gilles  Boileau  n'a  pas  écrit  beaucoup ,  puisqu'une  mort 
jirémalurée  vint  le  ravir  aux  lettres  à  l'Age  de  trente-sept 
ans.  Ses  principaux  ouvrages  sont  des  traductions,  au  sujet 
des(p:clles  l'abbé  d'Olivet  s'exprime  ainsi,  dans  son  His- 
toire de  l'Académie  :  «  Nous  en  avons  deux  considérables, 
celle  d'iipictètc,  (jui  a  été  fort  approuvée,  et  celle  de  Dio- 
gène  Laerce,  ((ui  e^t  demeurée  presque  inconnue.  Dev;nt-il 
se  (lotter  qu'une  compilation  informe  et  obscure,  car  Uio- 
gènc  Laerce  n'est  pas  autre  chose,  \)ùl  réussir  en  françois, 
à  moins  que  d'être  éclaircie  et  redressée  par  de  savantes 
notes,  qui  embrasseroicnt  toute  la  philosophie  des  anciens  et 
\aud; oient  mieux  que  l'original?  il  a  traduit  en  vers  le  qua- 
trième livre  de  L' Enéide;  quantité  d'endroits  qu'on  y  admire 
font  regretter  qu'il  n'y  ait  pas  mis  la  dernière  main ,  ou 
p!iit(il  qu'il  ne  fût  pas  capable  de  limer  assez  ce  qu'il  fai- 
.soit  [>our  en  venir  à  une  certaine  précision  ,  qui  contribue 
Litiniment  à  la  vi;;ueur  du  style...  » 

Au  moment  oii  Giiles  Boileau  mourut,  il  travaillait  à  une 
traduction  de  la  Poédque  d'Aristofe,  dont  il  laissa  le  ma- 
nuscrit prescpjc  terminé.  Boileau,  son  frère,  la  remit,  en 
1700,  à  M.  de  Tourcil,  qui  désirait  compléter  cet  ouvrage, 
et  s'engagea  à  écrire  une  préface  dans  laquelle  il  exalterait 
le  mérite  de  son  aine.  Ce  fut  la  plus  grande  marque  d'amitié 
•pi'il  lui  donna  :  soit  rivalité,  soit  toutautre  motif,  les  deux 
Boile.îu  ne  furent  jamais  d'accord  et  ne  témoignèrent  pas 
l'un  i)iiur  l'autre  beaucoup  de sympalhie;  bien  plus,  Boileau 
le  saliriiiue  décocha  contre  son  frère  plusieurs  de  ses  trails, 
et  l'on  trouve  dans  ses  œuvres  uue  épigramme  ([la  se  ter- 
mine ainsi  : 

En  lui  je  reconnais  tin  cvrcllpiit  .intciir, 

Ln  [loctc  aj;rt'.ibk',  un  Ircs-lxiii  cir.itcur, 

Mais  je  u'y  trouve  (ii)iiildc  frcrc. 

Celte  rivalité  entre  les  deux  Boileau  inspira  ce  qiiatraia  au 
poète  Linières  : 

Vciit-f)M  s.ivoir  pour  (pirllc  nfC^iire 
boileau,  le  rentier  ai!jouid'liiii, 


Fn  veut  .i  r)cs|/r('jiix,  son  frère? 
C'est  qu'il  fait  des  vers  luieiix  que  lui. 


Gilles  Boileau  mourut  en  1GG9.  Le  Roux  de  Linct. 

lîOÎLEAU  (Jaciices),  docteur  en  Sorbonne,  frère 
puîné  de  Gilles  Boileau,  et  frère  aine  de  Nicolas  Boileau- 
Despréaux,  naquit  à  Paris,  le  10  mars  1C35.  Il  fit  de  bonnes 
études  au  collège  d"Harcourt,  re(;ut  le  grade  de  docteur 
en  théologie  et  se  fit  agréger  à  la  compagnie  de  la  Sor- 
bonne. 11  avait  dès  sa  jeunesse  composé  une  bibliothèque 
nombreuse ,  riche  surtout  en  livres  rares  et  curieux.  Ule 
fut  consumée  par  un  incendie  qui  dévora  le  pavillon  de 
la  Sorbonne  où  il  était  logé.  11  ne  s'en  émut  pas,  et  se  mit 
à  en  former  une  nouvelle ,  qui  dans  la  suite  surpassa  la 
première.  Nommé  doyen,  grand-vicaire  et  officiai  du  dio- 
cèse de  Sens,  il  remplit  ces  diverses  fonctions  pendant  vingt- 
cinq  ans.  Il  fut  pourvu  en  IC'Ji  d'un  canouicat  à  la  J 
Sainte-Chapelle  de  Paris,  et  mourut  le  1"  aoiit  1710,  dans  1 
sa  quatre-vingt-deuxième  année,  doyen  d'ûge  de  la  faculté 
de  tliéologie.  C'était  un  homme  de  beaucoup  d'esprit  et  d'une 
vaste  érudition.  Il  est  auteur  d'un  grand  nombre  d'ouvrages 
latins,  la  plupart  i)eu  volumineux,  en  général  sur  des  ques- 
tions curieuses  de  théologie ,  parmi  lesquels  on  remarque 
ses  histoires  de  la  Confession  auriculaire  et  des  J'ia/jcl- 
lanls.  Ils  sont  presque  tous  anonymes  ou  pseudonymes,  et 
l'auteur  se  cache  sous  les  noms  de  Marccllus  Ancijranus , 
Claudius  Fonteiits,  Jacques  Barnabe ,  etc. 

Uespréaux  disait  de  son  frère  que  s'il  n'avait  pas  été  doc- 
teur en  Sorbonne,  il  se  serait  fait  docteur  de  la  Comédie 
Italienne.  Voltaire  représente  Jacques  Boileau  comme  v.n 
esprit  bizarre  qui  a  fait  des  livres  bizarres.  Quei(ju'un  lui 
ayant  demandé  pourquoi  il  écrivait  de  préférence  en  latin  : 
«  C'est,  répondit-il,  de  peur  que  les  évoques  ne  me  lisent  ; 
ils  me  persécuteraient.  »  Comme  son  frère,  il  n'aimait  pas  les 
jésuites  :  «  Ce  sont,  disait-il,  des  gens  qui  allongent  le 
Symbole  et  raccourcissent  le  Décalogue.  » 

BOILEAU- DESPRÉAUX  (Nicolas).  Nicolas  Boi- 
leau, que,  pour  le  distinguer  de  ses  frères,  on  surnomma 
Despréaux,  naquit  selon  quelques-uns  à  Cosne,  et  selon  la 
plupart  à  Paris,  dans  une  maison  qui  du  temps  de  Henri  fV 
faisait  le  coin  du  quai  des  Orfèvres  et  de  la  rue  du  liai  lai , 
le  1^''  novcnd)re  1036 ,  trois  ans  avant  Bacine.  Il  était  !e 
plus  jeune  des  enfimts  de  Gilles  Boileau,  greffier  de  la  grand'- 
chauibre  du  parlement  de  Paris.  Son  père,  devenu  veuf  un 
an  après  .'^a  nassance,  négligea  beaucoup  la  jiremière  édu- 
cation de  Nicolas,  qui  eut  tout  d'abord  à  loisir  sous  les  yeux 
le  spectacle  de  la  vie  bourgeoise  et  de  la  vie  du  palais,  étant 
livi'é  à  lui-même  et  logé  dans  une  guérite  au  grenier.  Sa 
santé  en  souffrit,  sentaient  d'observation  y  gagna;  il  re- 
marquait tout,  nialadif  et  taciturne  qu'il  était  ;  et  comme  il 
avait  la  tournure  d'esprit  rêveuse,  et  que  son  âge  n'était 
pas  enviroimé  de  tendresse ,  il  s'accoutuma  de  bonrte 
lieure  à  voir  les  choses  avec  du  bon  sens ,  de  la  sévérité  et 
une  brusquerie  mordante.  Son  père,  lui,  ne  s'en  apercevait 
pas  le  moins  du  monde,  et  il  avait  coutume  de  dire  de  son 
fils  :  Pour  Colin,  c'est  un  bon  garço)i,  qui  ne  dira  jamais 
de  mal  de  personne.  Il  achevait  sa  quatrième  au  collège 
d'Ilarcourt  lorsqu'il  fut  atteint  de  la  pierre  et  obligé  de  sus- 
pendre quelque  ten;ps  ses  eliules.  On  le  tailla ,  mais  l'opé 
lation  fut  mal  faite,  et  il  s'en  ressentit  toute  sa  vie.  Ce  fut 
là,  dit-on,  la  cause  de  son  humour  chagrine;  et  il  lui  dut 
sans  doute  cette  expression  remarquable  de  mélancolie  qui 
parait  sur  sou  visage  dans  les  bons  portraits  que  nous  ont 
laissés  ses  contempoiains. 

Au  collège,  Boileau  lisait,  outre  les  auteurs  classiques, 
beaucoup  de  poèmes  modernes,  de  romans;  et  bien  qu'il 
composât  lui-même,  selon  l'asage  des  rluloriciens,  d'assez 
mauvaises  tragédies ,  son  gortt  et  son  talent  pour  les  vers  i 
étaient  déjà  connus  de  ses  maîtres.  A  peine  sorti  des  bancs,  \ 
où  il  s'était  fait  remarquer  par  son  ardeur  au  travail,  noaj 


BOILEAU 


351 


moins  que  par  son  goût  pour  la  lecture,  goût  qu'il  appelait  lui- 
inôiHC  une  lureur,  il  étudia  le  droit,  montra  peu  d'inclination 
i:our  celte  élude,  si  barbare  à  cette  époque,  et  l'abandonna 
pour  se  touiner  vers  la  théologie  Le  voilà  donc  suivant  un 
cours  en  Soi  bonne.  Mais,  dégoûté  bientôt  de  cette  lourde  sco- 
lastique ,  il  abandonne  la  théologie  ,  n'en  ayant  retiré  qu'un 
bénélice  de  800  livres,  qu'il  résigne,  après  quelques  années  de 
jouissance ,  à  une  demoiselle  Marie  l'oncher  de  Eretonville, 
qu'il  a  aimée,  dit-on,  et  qui  se  fait  religieuse.  A  part  cet  at- 
tachement, qu'on  a  même  révoqué  en  doute,  il  ne  semble 
pas  que  la  jeunesse  de  Despréaux  ait  été  fort  passionnée,  et 
lui-même  convient  qu'il  était  très-peu  voluptueux. 

Dès  lors  il  ne  fit  plus  que  des  vers.  Il  avait  trouvé  sa  vo- 
cation :  Son  astre,  en  naissant,  l'avait  formé  poète. 
11  en  fallut  subir  la  loi.  Aussi  grilfonnait-il  des  vers  jusque 
sous  les  yeux  de  son  père ,  qu'il  aidait  dans  ses  trayaux  de 
greflier. 

La  famille  en  pâlit,  et  vit  en  frémissaol 
Dans  la  poudre  du  greffe  un  poète  naissant... 

Elle  en  prit  cependant  son  parti  de  bonne  grâce ,  et  souffrit 
ce  qu'elle  ne  pouvait  empocher. 

«  Les  circonstances  extérieures  étant  données  ,  l'état  poli- 
tique et  niorul  étant  connu,  on  conçoit,  dit  JL  Sainte-Ceuve, 
i|ue!!e  dut  être  sur  une  nature  comme  celle  de  Boileau  l'in- 
fluence de  celte  première  éducation ,  de  ces  habitudes  do- 
mestiques et  de  tout  cet  intérieur.  Rien  de  tendre,  rien  de 
maternel  autour  de  cette  enfance  inlirme  et  stérile;  rien 
jiour  elle  de  bien  inspirant,  de  bien  sympalliique,  dans  ces 
couvcrsalions  de  chicane  a\iprès  du  fauteuil  du  vieux  gref- 
lier....  Sans  doute,  à  une  époque  d'analyse  et  de  retour  sur 
soi -môme,  ime  àme  d'enfant  rêveur  eût  tiré  parti  de  cette 
gêne,  de  ce  refoulement;  mais  alors  il  n'y  fallait  pas  songer; 
et,  d'ailleurs,  l'ànie  de  Boileau  n'y  eût  jamais  clé  propre. 
Il  y  avait  bien,  il  est  vrai,  la  ressource  de  la  moquerie  et 
du  grotesque  :  déjà  Villon  et  Régnier  avaient  fait  jaillir 
une  abondante  poésie  de  ces  mœurs  bourgeoises,  de. cette 
vie  de  cité  et  de  bazoche;  mais  Boileau  avait  une  retenue 
dans  sa  moquerie,  une  sobriété  dans  son  sourire,  qui  lui  in- 
terdisait les  débauches  d'esprit  de  ses  devanciers.  Et  puis 
les  mœurs  avaient  perdu  en  saUlie  depuis  que  la  régularité 
de  Henri  IV  avait  passé  dessus  :  Louis  XIV  allait  imposer 
le  décorum.  Quant  à  l'effet  hautement  poétique  et  religieux 
desmonumentsd'alentoursur  unejeune  vie  commencée  entre 
>'otre-Danic  et  la  Sainle-Chapelle,  comment  y  penser  en  ce 
temps-la?  Le  sens  du  moyen  âge  était  complètement  perdu  ; 
l'ûmc  seu'.e  d'im  Miiton  pouvait  en  retrouver  quelque  chose, 
et  lîoileau  ne  voyait  guère  dans  une  cathédrale  que  de  g;as 
chanoines  et  un  lutrin.  Aussi  que  sort-il  pour  premier  essai 
de  cette  verve  de  vingt-quatre  ans,  de  c^tte  existence  de 
poète  si  longtemps  misérable  et  comprimée?  Ce  n'est  ni 
une  cliarge  vigoureuse  dans  le  ton  de  Régnier  sur  les  orgies 
nocturnes,  les  allées  obscures,  les  escaliers  en  limaçon  de 
la  Cité ,  ni  l'onctueuse  poésie  de  famille  et  de  coin  du  feu , 
comme  en  ont  su  faire  La  Fontaine  et  Ducis  ;  c'est  Damon, 
ce  grand  auteur  i)renant  congé  de  la  ville  d'après  Juvénal  ; 
c'est  une  autre  satire  sur  les  embarras  des  rues  de  Paris; 
c'est  encore  une  raillerie  fine  et  saine  des  mauvais  rtmeurs 
en  renom  qui  fourmillaient  alors.  » 

En  attendant  qu'une  ère  véritablement  modenie  com- 
mençât pour  la  société  et  pour  l'art,  la  France,  à  peine 
reposée  des  agitations  de  la  Ligue  et  de  la  Fronde  ,  se  créait 
lentement  à  cette  époque  une  littérature,  une  poésie  tardive, 
artificielle,  quoique  d'un  méluuge  assez  habilement  fondu, 
quoique  assez  originale  même  dans  son  imitation.  Le  draine 
écarté,  on  peut  regarder  Malherbe  et  Boiieau  comme  les 
représentants  officiels  de  cette  révolution  poétique.  Tous 
deux  se  distinguent  par  une  opposition  .«ans  pitié  contre 
leui"s  devanciers  immédiats.  j\îal!ierbc  est  inexorable  pour 
Ronsard,  De'^porles  et  leurs  disLiplcj,  coumie  Boile;ui  !e  sera 


(et  très-souvent  avec  raison)  pour  Colletet,  Chapelain,  Saint- 
Amand,  Scudéry.  11  est  à  regretter  seulement  que  l'un  et 
l'autre  ne  soient  que  des  médecins  empiriques,  s'attaciuant, 
il  est  vrai ,  à  des  vices  réels ,  mais  ne  sachant  pas  remonter 
au  siège  du  mal  pour  tenter  la  régénération  du  malade. 

En  1G66,  à  rage  de  trente  ans,  il  publie,  pour  la  pre- 
mière fois  ,  un  recueil  de  huit  satires  que  jusqu'à  sa  mort  il 
augmentera  successivement  de  nouvelles  œuvies.  11  est  reçu 
dans  les  meilleures  compagnies,  chez  M.  de  La  Rochefou- 
cauld, chez  mesdames  de  Lafayette  et  de  Sévigné;  il  connaît 
les  Vivonne ,  les  Pomponne ,  et  déjà  partout  en  matière  de 
goût  ses  décisions  font  loi.  Présenté  à  la  cour  en  1669,  il  est 
nommé  historiographe  du  roi  en  1677.  A  cette  époque,  par 
la  publication  de  presque  toutes  ses  Satires  et  de  ses  É pitres, 
de  son  Art  poétique  et  des  quatre  premiers  livres  du  JaI' 
trin,  il  a  atteint  à  quarante-un  ans  l'apogée  de  sa  réputation. 
Durant  les  quinze  années  qui  suivront,  jusqu'en  1693,  il  ne 
mettra  plus  au  jour  que  les  deux  derniers  chants  de  son  pnème 
héroï-comique;  et  jusqu'à  l'année  1711  ,  terme  de  sa  vie, 
c'est-à-dire  pendant  dix-huit  années,  il  ne  fera  plus  paraître 
que  sa  Satire  sur  les  Femmes ,  son  Ode  sur  la  prise  de 
Namur,  ses  Épitres  à  ses  Vers,  à  Antoine  et  sur  V Amour 
de  Dieu,  ses  Satires  sur  l'Homme  et  sur  l'Équivoque. 
Cherchons  la  cause  de  ces  irrégularités  dans  les  diverses 
moissons  de  sa  vie  littéraire. 

A  lépoque  de  sa  renommée  croissante,  Desprcaux  de- 
meurait chez  son  frère  Jérôme,  qui  avait  succédé  à  leur 
père  dans  sa  charge  de  greffier.  Cet  intérieur  devait  avoir 
pour  lui  peu  d'attrait;  car  sa  belle-sœur  était,  à  ce  qu'il 
parait,  grondeuse  et  revêche.  Mais  les  distractions  du  monde 
ne  lui  permettaient  guère  de  ressentir  le  contre-coup  des 
chicanes  domestiques  qui  troublaient  le  ménage  de  son 
frère.  En  1679,  à  la  mort  de  Jérôme,  il  logea  quelques  an- 
nées chez  son  neveu  Dongois,  qui  était  aussi  greffier  à  sou 
toiu-;  mais  après  avoir  fait  en  carrosse  les  campagnes  de 
Flandre  et  d'Alsace,  il  parvient  à  acheter  des  libéralités  du 
roi  une  petite  maison  à  Auteuil,  et  on  l'y  trouve  installé 
dès  1G87.  Sa  sauté,  si  délicate,  s'était  considérablement  dé- 
rangée ;  il  se  plaignait  d'une  extinction  (îe  voix  et  d'une  sur- 
dité qui  lui  interdisaient  le  monde  et  la  cour.  Aussi  est-ce 
en  suivant  Boileau  dans  sa  retraite  d'Auteuil  qu'on  apprend 
à  le  mieux  connaître;  est-ce  en  remarquant  ce  (ju'il  fit  ou 
ne  fit  pas  alors,  durant  près  de  trente  années,  livré  à  lui- 
même,  faible  de  corps,  mais  sain  d'esprit,  au  milieu  d'une 
campagne  riaute,  qu'on  peut  juger  avec  plus  de  certitude  ses 
productions  antérieures  et  déterminer  les  limites  refiles  de 
ses  facultés.  Qui  le  croirait?  pendant  ce  long  séjour  au 
grand  air  dans  cette  jolie  maisonnette  à  un  étage,  aux  murs 
tapissés  de  vigne,  oii  nous  avons  voulu  tous  aller  en  pèleri- 
nage, en  proie  aux  infirmités  du  corps,  qui,  laissant  l'àme 
entière,  la  disposent  à  la  tristesse  et  à  la  rêverie,  pas  un 
mot  de  conversation ,  pas  une  ligne  de  correspondance  ne 
trahit  chez  Boileau,  dit  I^I.  Sainte-Beuve,  une  émotion  tendre, 
un  sentiment  naïf  et  vrai  de  la  nature  et  des  champs. 

Que  fait-il  donc  à  Auteuil  ?  Il  y  soigne  sa  santé,  il  y  traite 
ses  amis  Racine,  Molière,  La  Fontaine,  Chapelle,  et  surtout 
les  abbés  Rapin,  Bourdaloue,  Bouhours  ;  il  y  joue  aux  quil- 
les ;  il  y  cause,  après  boire,  nouvelles  de  la  cour,  Académie, 
abbé  Cottin,  Quinault,  Scudéry,  Perrault,  comme  Kicolc 
cause  théologie  sous  les  ombrages  de  Port-Royal;  il  écrit  à 
Racine  de  vouloir  bien  le  rappeler  au  souvenir  du  roi  et  do 
madame  de  Maintenon  :  il  lui  annonce  qu'il  compose  une, 
ode  dans  laquelle  il  hasardera  des  choses  fort  neuves, 
comme  de  parler  de  la  plume  blanche  que  le  roi  porte  au 
chapeau.  Quand  il  se  sent  en  verve,  alors  il  rêve  et  récite 
aux  échos  de  ses  bois  sa  terrible  Ode  sur  la  prise  de  A'anmr. 
Ce  qu'il  a  fait  de  mieux  sans  contredit  à  Auteuil,  c'est 
son  ingénieuse iV;5îVre  à  Antoine.  Certainement  il  y  a  peu  de 
passion  dans  ces  vers,  si  l'on  entend  par  passion  un  grand 
eiau  désordonné  vers  un  but  quelconque;  mais  il  y  a  da 


Sô2 

tliarnie,  delà  grâce,  de  la  naïveté,  de  l'abandon,  autant 
qu'il  peut  y  en  avoir  dans  Doileau,  bien  que  nous  n'aimions 
pas  à  voir  son  honnùte  liorticultcur,  transformé  en  goxt- 
verneur  de  son  jardin  ,  ne  point  planter,  mais  diriger  l'if 
et  leclièvreleuiile,  et  CJ^e/xr/- sur  les  espaliers  Vart  de  La 
Quintinie.  Comme  on  le  voit,  il  y  a  encore  du  Versailles  à 
Auteuil. 

Cependant  Despréaux  vieillit,  ses  infirmités  augmentent, 
ses  amis  meurent  :  La  Fontaine  et  Racine  lui  sont  enlevés. 
A  ces  chagrins  se  joignent  un  procès  désagréable  à  soute- 
nir elle  sentinient  profond  des  maux  qui  accablent  la  France. 
Depuis  la  mort  de  Racine  il  ne  remet  plus  les  pieils  à  Ver- 
sailles ;  il  juge  trisleinent  les  hommes  et  les  clioses  de  son 
pays;  même  en  matière  de  goût,  la  décadence  lui  paraît 
si  rapide,  <iu'il  se  prend  à  regretter  le  temps  des  Honne- 
corse  et  des  Pradon.  Ce  qu'on  a  peine  à  concevoir,  c'est  qu'il 
ait  vendu  sur  ses  derniers  jours  sa  maison  d'Auteuil.et  qu'il 
soit  venu  mourir,  le  M  mars  1711,  au  cloître  Notre-Dame, 
chez  le  chanoine  Lcnoir,  son  confesseur.  La  vieillesse  du 
poëte-liisloriographe  ne  lut  pas  moins  trisle  et  moins  mo- 
rose que  celle  de  son  roi.  En  somme,  pourtant,  sa  vie  s'était 
écoulée  douce  et  unie,  sans  qu'elle  fût  marquée  ni  par  une 
profonde  misère  et  de  romanesques  aventures  comme  celle 
du  Tasse  ou  de  Camocns,  ni  par  une  foilune  éclatante 
comme  celle  <le  Voltaire  ou  d'Allieri. 

Depuis  près  d'un  siècle  et  demi  que  Doileau  est  mort,  il 
n'a  cessé  de  fournir  le  sujet  de  continuelles  discussions. 
Tandis  que  la  postérité  acceptait  avec  d'unanimes  acclama- 
tions la  gloire  de  Corneille,  de  IMolière,  de  La  Fontaine,  on 
révisait  rigoureusement  les  titres  de  Boileau  au  génie  poé- 
tique; et  il  n'a  pas  tenu  à  Fontenelle,àD'Alembert,  à  Ilel- 
vétius,  à  Condillac,  à  Marmontel  et,  par  instants,  à  Vol- 
taire lui-même,  que  cette  grande  réputation  classique  ne  fût 
sérieusement  entamée.  On  sait  le  prétexte  de  presque  toutes 
ces  hostilités,  de  presque  toutes  ces  antipathies  :  Boileau 
n'était  pas  né  sensible.  On  ne  se  rappela  pas  que  douze  vers 
d'une  de  ses  savantes  épîtres  lui  avaient  coûté  plus  de  temps 
et  de  travail  qu'à  tel  ou  tel  tout  un  poëme  épique;  on  ne  se 
rappela  pas  que  douze  vers  ainsi  faits  le  sont  pour  toujours 
et  ne  périssent  plus.  Il  se  trouva  un  critique  pour  lui  re- 
procher d'avoir  fait  de  la  campagne,  des  vers,  de  l'étude 
des  anciens ,  son  délassement ,  sa  sérieuse  occupation ,  ses 
délices  et  ses  amours...  ses  seules  amours,  et  de  n'y  avoir 
point  ajouté  le  véritable  amour,  l'amour  des  femmes,  l'a- 
inour  physique,  l'amour  sentimental,  quesais-je? 

Salirons-nous  ces  pages  de  l'anecdote  par  laquelle  on  pré- 
tendit expliquer  l'éloignement  du  poète  pour  les  femmes? 
Dirons-nous  à  quelles  basses  idées  descendirent  ses  détrac- 
teurs pour  rendre  raison  de  sa  prétendue  insensibilité?  Qui 
croirait  qu'une  haine  systématique  ait  pu  égarer  à  ce  point 
des  hommes  d'ailleurs  estimables  et  graves?  Ils  en  vinrent  à 
avancer,  sans  appuyer  leur  assertion  d'aucune  preuve,  sans 
apporler  le  moindre  témoignage  contemporain,  que  si 
Boileau  avait  fait  sa  dixième  satire  contre  les  femmes,  c'était 
paice  qu'un  coq  d'Inde  l'avait  mutilé  dans  son  enfance. 
Helvétius  s'empara  de  cette  anecdote,  dont  on  n'avait  jamais 
entendu  parler  jusque  là,  et  que,  par  parenthèse,  ÏAnnée 
Littéraire  eut  l'insigne  honneur  de  publier  la  prcmièie, 
comme  une  bonne  fortune.  Kt  comme  au  dix-huitième  siècle 
le  sentiment  se  mêlait  à  tout,  à  une  description  de  Saint- 
Lambert,  à  un  conte  de  Crebillon  (ils,  ou  à  V Histoire p/ti- 
losop/iique  des  deux  Indes,  les  belles  dames,  les  philo- 
sophes, les  géomètres  prirent  15oileau  en  i;rande  aversion.  VA 
pourtant,  rien  de  moins  prouvé  que  cette  anecdote;  nous 
la  soupçonnons  même  d'être  un  mensonge  prémédité  et  ac- 
crédité à  plaisir.  11  est  facile  d'en  juger  à  l'ardeur  avec  la- 
quelle elle  fut  propagée  depuis  Helvétius  '^usiprà  iMercier 
par  tous  ceux  qui  \oulai:'nl  l'ostracisme  du  poète. 

La  manie  de  déi.i^rer  IJoilcau  n'est  pas,  comme  on  voit, 
liicn  nouvelle,  .tlle  prit,  nous  l'avons  vu,  dans  la  première 


BOILEAU 

moitié  du  dernier  siècle  à  quelques  gens  de  lettres,  que  le 
Normand  Fontenelle,  qui  avait  été  plus  d'une  fois  en  butte 
aux  traits  malins  du  poète ,  soutenait  dans  cette  entreprise , 
par  un  vieil  esprit  de  rancune  contre  le  satirique  qui  l'avait 
cruellement  harcelé.  Ce  fut  dès  lors  comme  une  mode  que 
ne  craignirent  pas  de  suivre  quelques  esprits  d'un  ordre 
élevé.  Voltaire  lui-môme  eut  le  tort  d'y  prêter  les  mains. 
Mais,  parmi  les  hommes  de  lettres  du  temps,  celui  qui  se 
signala  le  plus  dans  cette  guerre  par  un  zèle  d'une  inconce- 
vable âcreté,  dont  ne  lui  sut  pas  toujours  très-bon  gré  son 
illustre  maître,  ce  fut  Marmontel.  Voltaire  en  fut  fàthé. 
Voltaire  en  effet,  esprit  si  éminemment  judicieux  en  ma- 
tière dégoût,  quelque  sévère  qu'il  se  montrât  envers  Boi- 
leau ,  dans  ces  vers  si  souvent  cités  : 

Boileau,  correct  aulcur  de  quelques  bons  écrits, 
Zoïle  de  Quiuault,  et  flaUeur  de   Louis; 

Voltaire  s'est  plu  mille  fois  à  rendre  au  poète  du  Ltitrin  de 
sincères  hommages  ;  et  même  dans  cette  épître,  dont  nous 
venons  de  citer  les  deux  premiers  vers,  se  hàte-t-il  d'ajouter 
ceux-ci,  qui  adoucissent  sa  pensée  : 

Mais  oracle  du  goùl  dans  cet  art  diriirilc 
Où  s'égayait  Horace,  où   travaillait  Virgile. 

On  le  voit.  Voltaire,  jusque  dans  ses  accès  de  mau- 
vaise humeur,  finit  toujours  par  être  juste  envers  Boileau. 
Quant  à  Marmontel,  ni  reproches  ni  raisonnements  ne 
purent  le  ramener.  11  persista  dans  son  système  de  déni- 
grement. En  vingt  endroits  de  ses  Éléments  de  Littérature, 
dans  son  Epitre  aux  Poètes,  partout  enlin  il  ne  cesse 
de  l'attaquer  et  d'insister  sur  son  peu  de  penchant  à  l'a- 
mour et  sur  son  défaut  de  sensibilité.  Sur  ce  grief  cepen- 
dant, il  n'a  pas  plus  raison  que  sur  les  autres.  Boileau, 
sans  doute,  se  livra  peu  aux  sentiments  tendres;  mais 
qu'en  faut-il  conclure?  S'il  ne  lut  pas  très-sensible  à  l'a- 
mour, il  le  fut  à  tout  ce  qu'il  y  a  de  bon ,  de  beau  et  de 
grand  dans  l'àme  humaine.  Son  art  lut  sa  passion ,  une 
passion  vraie  et  forte  :  cette  passion  lui  inspira  dès  quinze 
ans  la  haine  d''un  sot  livre,  et  remplit  sa  vie  entière.  Dans 
son  invincible  répugnance  pour  ce  qui  sort  de  la  nature ,  il 
souffrait  de  toute  recherche ,  de  tout  clinquant  ;  il  n'aimait 
que  le  vrai.  En  vain  Marmontel  le  traite  de  poète 

Sans  feu  ,  sans  verve,  et  saas  fécondité. 
En  vain  il  prétend  que  : 

Jamais  un  vers  n'est  parti  de  son  cœur. 

Il  est  vrai,  répondrons-nous  à  cet  éternel  reproche,  que 
Boileau  n'a  chanté  aucune  femme  en  particulier.  Mais  est-ce 
donc  une  indispensable  obligation  pour  un  poëte  de  parler 
d'amour  ? 

Pourtant,  malgré  toutes  ces  épigrammes,  malgré  tous 
ces  sarcasmes,  la  renommée  littéraire  de  Despréaux  tint 
bon  et  se  consolida.  Le  poète  du  bon  sens ,  le  législateur 
de  notre  Parnasse  garda  son  rang  suprême.  Le  mot  de 
Voltaire  :  Ae  disons  pas  de  mal  de  iMcolas!  cela  porte 
malheur,  lit  fortune  et  devint  proverbe;  les  idées  positives 
du  dix-huitième  siècle  et  la  philosophie  de  Condillac  sem- 
blèrent, en  triomphant,  marquer  d'un  sceau  plus  durable 
la  renommée  du  plus  sensé ,  du  plus  logique  et  du  plus 
correct  des  poètes.  Jlais  ce  fut  surtout  lorsqu'une  école  nou- 
velle s'éleva  en  littérature,  lorsque  certains  esprits,  bien  jieu 
nombreux  d'abord,  commencèrent  à  mettre  en  avant  des 
doctrines  inusitées  et  les  appliquèrent  à  des  œuvres  lit- 
téraires, qu'en  haine  des  innovations  on  revint  de  toutes 
parts  à  Boileau  comme  à  un  illustre  ancêtre  et  qu'on  se  rallia 
de  toutes  parts  à  son  nom. 

Au  milieu  de  ces  querelles,  un  habile  critique,  qui,  dans 
la  chaleur  d'un  zèle  d'école,  s'échappait  pourtant  parfois  en 
vives  et  pittoies(]ues  saillies  contre  quelques-unes  de  nos 
vieilles  gloires  littéraires,  rendait  néanmoins  cette  justice  à^ 
Boileau  :  <■  Boileau,  selon  nous,  écrivait  alors  M.  Sainte- 
Beuve,  est  un  esprit  sensé  et  lin,  poli  et  mordant,  peu  f^J 


BOILEAU  —  BOiNDIxX 


363 


rond,  d'une  agréable  linisqnerie,  religieux  observateur  du 
vrai  goût,  bon  écrivain  en  vers,  d'une  correction  savante, 
d'un  enjouement  ingénieux,  tel  qu'il  fallait  pour  imposer  aux 
jeunes  courtisans,  pour  agréer  aux  vieux,  et  pour  être  estimé 
de  tous  :  lionnCle  homme  et  d'un  mérite  solide.  » 

On  s'est  demandé  si  Despréaux  était  un  poëte,  à  sup- 
poser qu'on  réserve  uniquement  ce  titre  aux  «"très  forte- 
ment doués  d'âme  et  d'imagination.  Cependant  Le  Lutrin 
seul  ne  nous  révèle-t-il  pas  un  talent  capable  d'invention  et 
surtout  de  grandes  beautés  de  détail?  En  somme,  il  fut 
l'oracle  delà  cour  et  des  lettres  d'alors,  te!  qu'il  le  fallait 
pour  plaire  à  Patru  et  à  Bussy,  à  d'Aguesseau  et  à  M™^  de 
Sévigné,  à  Arnauld  et  à  M™^  de  Maintenon,  poëte  auteur, 
sachant  converser  et  vivre,  mais  véridique,  irascible  à 
l'idée  du  faux,  prenant  feu  pour  le  juste,  et  arrivant  quel- 
quefois par  sentiment  d'équité  littéraire  à  une  sorte  (l'atten- 
drissement moral  et  de  rayonnement  lumineux,  comme 
dans  son  Épitre  à  Racine.  Il  était  pourtant  injuste  aussi 
lui-même  souvent,  comme  lorsqu'il  oublie  la  fable  dans 
VArt  poétique,  parce  qu'il  aurait  fallu  rendre  hommage  au 
génie  de  La  Fontaine.  On  sait  encore  avec  quelle  facilité  il 
traînait  dans  ses  satires  des  noms  à  sa  convenance,  outre- 
passant ainsi  les  droitsd'une  critique  impartiale.  Cependant, 
il  réforma  la  poésie.  Ce  qui  le  tuait,  disait-il.  dans  sa  .Satire 
des  Femmes,  c'était  la  difficulté  des  transitions;  il  faisait 
le  vers  à  la  Vauban.  «  Les  transitions  valent  les  circonval- 
lations,  ajoute  M.  Sainte-Beuve;  la  grande  guerre  n'était 
pas  encore  inventée.  Son  Épitre  sur  le  passage  du  Rhin 
est  un  tableau  de  Van  der  Meulen.  On  a  appelé  Boileau  le 
janséniste  de  notre  poésie;  c'était  le  gallican  qu'il  fallait 
dire.  Son  style  est  sensé,  soutenu,  élégant,  grave;  mais 
cette  gravité  va  quelquefois  jusqu'à  la  fatigue,  ce  bon  sens 
jusqu'à  la  vulgarité.  L'un  des  premiers  il  introduisit  dans 
les  vers  la  manie  des  périphrases,  dont  nous  avons  vu  sous 
Delille  le  déplorable  triomphe,  et  quÉmile  Deschanips  ap- 
pelle spirituellement  des  logogriphesen  huit  alexandrins.  Ce- 
pendant ,  il  est  et  restera  un  de  nos  modèles.  En  général , 
Boileau  atlache  trop  de  prix  aux  petites  choses.  Sa  théorie 
du  style ,  celle  de  Racine  lui-même,  n'est  guère  supérieure 
aux  idées  que  professait  à  cette  époque  le  bon  Rollin.  Sa 
timidité  de  bon  sens  est  telle  que  de  son  vers  la  métaphore 
ne  jaillit  presque  jamais,  une,  entière,  indivisible,  tout  ar- 
mée; il  la  compose  ,  il  l'achève  à  plusieurs  reprises,  il  la  fa- 
brique avec  labeur,  et  l'on  aperçoit  la  trace  des  soudures. 
«  Quoi  qu'il  en  soit,  tout  le  monde  est  d'accord  à  rendre 
i)ommai;e  à  la  multitude  de  traits  fins  et  solides,  de  descrip- 
tions artisteineiit  exécutées,  à  cette  moquerie  charmante, 
mais  trop  rarement  modérée ,  à  cette  causerie  plaisante  et 
sérieuse  qui  brillent  dans  presque  toutes  les  pages  de  Boi- 
leau. M.  Cousin  le  met  à  la  suite  de  Corneille,  de  Racine, 
de  Molière  et  de  La  Fontaine.  I'  vient  après  eux ,  il  est 
vrai ,  dit-il,  mais  il  est  de  leur  compagnie  :  Boileau  manque 
d'imagination  et  d'invention;  il  n'est  grand  que  parle  senti- 
ment énergique  de  la  vérité  et  de  la  justice.  Il  porte  jusqu'à 
la  passion  le  goût  du  beau  et  de  l'honnête;  il  est  poëte  à 
force  d'âiiie  et  de  bon  sens.  Plus  d'une  fois  son  cœur  lui 
a  dicté  les  vers  les  plus  pathétiques.  » 

BOILEAU  (Jacqces),  membre  de  la  Convention  natio- 
nale, né  à  A valon,  en  1752,  mort  guillotiné,  le  3 1  octobre  1 793, 
fut  d'abord  juge  de  paix  dans  sa  ville  natale,  puis  député  de 
r"!i"onne  à  la  Convention,  où  il  prit  place  parmi  les  Giron- 
dins .  Après  avoir,  dans  le  procès  de  Louis  XVI,  opiné  pour 
la  mort,  il  fut  envoyé  en  mission  à  l'armée  du  nord.  A  son 
retour  à  Paris,  il  dénonça  la  Commune  de  Paris,  et  surtout 
Marat,  qu'il  appelait  un  monstre,  et  demanda  que  la  tribune 
nationale  lût  purifiée  toutes  les  fois  que  ce  représentant  du 
peuple  y  monterait.  C'en  était  bien  assez  assurément  pour 
être  signalé  aux  vengeances  du  parti  de  la  terreur.  Aussi 
fut-il  compris  dans  le  décret  de  proscription  rendu  contre  la 

DICT.    «E   LA  CONVERS.    — T.   III, 


Gironde.  11  n'essaya  pas  de  fuir,  se  laissa  incarcérer  et 
condamner,  et  sut  mourir  avec  courage. 

BOILLY(LOLIS-LÉOPOLD),  peintre,  néen  174S,  àLa  Bas- 
sée,  département  du  Nord,  mort  à  Paris  en  1845.11  peignait  le 
genre  et  le  portrait,  et  était  doué  d'une  remarquable  fécon- 
dité. Tresca,  Petit  et  Chaponnier  ont  gravé  d'après  lui  plus 
de  cent  feuilles.  Ses  œuvres  se  font  remarquer  par  la  verve 
et  la  légèreté  du  pinceau;  et  dans  le  nombre  on  cite  surtout 
ses  Scènes  du  Boulevard ,  sa  Lecture  des  Journaux  et 
son  Théâtre  de  Polichinelle. 

BOIX  (Astoixë)  ,  médecin  et  député  du  Cher,  naquit  à 
Bourges,  le  19  janvier  17G9.  Il  fut  pendant  les  premières 
années  de  la  révolution  de  1789  attaché  aux  armées  du  nord 
et  de  la  Hollande.  On  le  retrouve  en  1810  faisant  partie  du 
jury  médical,  du  conseil  des  hospices,  du  conseil  général 
et  du  collège  électoral  de  son  département.  Eu  1815  il  re- 
çoit la  décoration  de  la  Légion  d'Honneur  des  mains  du  duc 
d'Angoulême,  et  figure  la  même  année  à  la  chambre  introu- 
vable, où  il  vote  d'abord  avec  l'opposition  et  soutient  le 
droit  de  pétition,  mais  où,  dans  la  même  session,  il  parle 
en  faveur  du  projet  de  loi  contre  les  cris  séditieux  et  fait 
imprimer  son  opinion  sur  la  loi  dite  d'amnistie,  qu'il 
adopte  sans  restriction. 

Réélu  en  1816,  il  paraît  se  mouvoir  décidément  dans  la 
sphère  ministérielle.  En  18'>0,  lors  de  la  discussion  de  la  loi 
électorale,  il  attache  fatalement  son  nom  à  un  déporahle 
amendement  qui  accorde  le  double  vote  aux  électeurs 
des  collèges  de  département,  et  qui  enfante  ainsi  une  nou- 
velle chambre,  d'où  sortiront  les  lois  funestes  de  Vindem- 
nité,  du  sacrilège,  du  droit  d'aînesse,  etc.  Le  prix  de  ce 
dévouement  aveugle  ne  se  fit  pas  attendre  :  quelques  mois 
après  Boin  recevait  la  place  d'ins[)ecteur  général  des  eaux 
minérales  de  France,  aux  appointements  annuels  de  1 2,000  fr., 
et  en  1823  la  croix  d'olncier  de  le  Légion  d'Honneur.  Cette 
double  faveur  le  maintint  dans  la  voie  ministérielle  jus- 
qu'en 1827,  où  il  abandonna  la  carrière  politique  et  donna 
sa  démission  de  toutes  ses  places.  Depuis  ce  temps  personne 
ne  s'est  plus  guère  occupé  de  lui,  et  nous  ignorons  l'époque 
de  sa  mort. 

Médecin  médiocre,  on  lui  doit,  entre  autres  opuscules , 
une  Dissertation  sur  la  chaleur  vitale;  un  Coup  d'oeil 
sur  le  Magnétisme;  un  Mémoire  sur  la  maladie  qui  régna 
en  1807  chez  les  Espagnols  prisonniers  à  Bourges  ;  un 
autre  Mémoire  sur  le  Choléra  de  1832,  etc. 

BOIXDI>J  (Nicolas),  littérateur  estimable,  né  à  Paris,  le 
29  mai  1676,  mort  le  30  novembre  1751,  était  le  fils  d'un 
procureur  du  roi  au  bureau  des  finances.  11  était  venu  au 
monde  avec  une  constitution  si  chétive  qu'on  n'aurait  pas 
pu  croire  qu'il  fournirait  une  si  longue  carrière.  Il  en  fut 
très-probablement  redevable  à  la  sages-e  d'une  vie  qu'il 
consacra  tout  entière  à  la  culture  des  lettres.  Lorsque  après 
une  enfance  et  une  ado  escence  valétudinaires,  la  force  vi- 
tale prit  en  lui  le  dessus,  on  le  fit  entrer  dans  les  mousque- 
taires. Il  était  alors  âgé  de  vingt  ans  ;  mais  il  ne  tarda  point 
à  reconnaître  qu'avec  une  aussi  débile  santé  la  nature  ne 
l'avait  évidemment  pas  destiné  à  la  rude  carrière  des  armes. 
Il  y  renonça  donc,  et  prit  le  parti  de  se  vouer  désormais  à 
l'étude. 

Esprit  fort,  il  faisait  ouvertement  profession  d'athéisme; 
aussi  plus  tard  le  cardinal  de  Fleury  mit-il  .son  veto  absolu 
à  ce  qu'il  fût  élu  membre  de  l'Académie  Française,  où  ce- 
pendant, comme  littérateur,  il  avait  bien  autrement  de  droits 
à  être  admis  que  tels  ou  tels  de  ses  contemporains  qui  avec 
un  bagage  des  plus  légers  virent  s'ouvrir  devant  eux,  à  deux 
battants,  les  portes  du  sénat  académique.  Boindin  dut  donc 
se  contenter  d'un  fauteuil  à  l'Académie  des  Inscriptions  et 
Belles-Lettres,  où  il  avait  été  admis  dès  1706.  Quelques  di.s- 
sertations  intéressantes  imprimées  dans  les  Mémoires  de 
cette  compagnie  justifient  le  choix  dont  il  avait  été  l'objet 
de  sa  part.  Kous  citerons,  entre  autres  un  Discours  su*' 


354 


BOIINDIN  —  BOINVILLIERS 


les  tribus  romaines,  où  l'auteur  examine  leur  origine, 
l'ordre  de  leur  établissement,  leur  situation,  leur  étendue  et 
leurs  divers  usages  suivant  les  temps;  un  Discours  sur  les 
masques  et  les  habits  de  théâtre  des  anciens;  et  im 
Discours  sur  la  forme  et  la  constncction  des  théâtres 
des  anciens,  qui  témoignent  de  profondes  et  sagaces  re- 
cherclies  archéologiques.  Des  travaux  si  sérieux  n'empê- 
chaient pas  Boindin  de  cultiver  en  môme  temps  la  littéra- 
ture légère  et  même  d'écrire  pour  le  théâtre.  Lié  d'amitié 
avec  Saurin  et  Lamotte,  il  composa  en  collaboration  avec 
ce  dernier  Les  Trois  Gascons,  comédie  en  un  acte,  où  l'on 
trouve  quelques  traits  fins  et  tigréables,  et  au  sujet  de  la- 
quelle les  deux  auteurs  se  disputèrent  plus  tard  relativement 
la  mesure  des  droits  de  paternité  que  chacun  d'eux  pouvait 
revendiquer  dans  l'œuvre  commune;  et  Le  Port  de  mer 
(1704).  II donna  seul,  en  1702,  Le  BaUV Auteuil,  comMhm 
trois  actes  et  en  prose,  avec  un  prologue.  Le  roi  chargea  le 
marquis  de  Gôvres  de  réprimander  les  comédiens  d'avoir  re- 
présenté une  comédie  aussi  libre,  et  qui  fut  retirée  du  théâtre 
après  quelques  représentations.  C'est  à  l'occasion  de  cette 
pièce  que  fut  instituée  la  censure  dramatique,  dont  le  besoin 
ne  s'était  pas  fait  sentir  jusque  alors.  Très-maltraité  dans  les 
fameux  couplets  attribués  à  J.-J.  Rousseau,  Boindin  refusa 
de  croire  que  celui-ci  en  (ùt  l'auteur,  et  écrivit  un  mémoire 
pour  gratifier  de  cette  infamie  son  ancien  ami  Saurin.  Du- 
dos,  qui  dans  sa  jeunesse  l'avait  souvent  rencontré  au  café 
Procope,  le  rendez-vous  des  beaux-esprits  au  dix-huitième 
siècle,  rapporte  que  c'est  à  Boindin  que  Fontenelle  dit  un 
jour,  dans  le  cours  d'une  discussion,  ce  mot  si  célèbre  :  «J'au- 
rais la  main  pleine  de  vérités,  que  je  ne  l'ouvrirais  pas  pour 
le  peuple.  »  Il  en  coûta  à  Boindin  d'avoir  été  moins  discret 
que  Fontenelle.  A  sa  mort,  on  lui  refusa  les  honneurs  de 
la  sépulture;  et  il  fallut  l'inhumer  secrètement.  Laplace 
raconte  qu'il  disait  à  un  homme  qui  partageait  ses  opinions 
en  matière  de  religion,  et  qu'on  inquiétait  :  «On  vous  tour- 
mente parce  que  vous  êtes  un  FAXxéç.  janséniste  ;  moi,  on 
me  laisse  en  paix  parce  que  je  suis  un  athée  moliniste.  » 
Cette  piquante  distinclion  peint  bien  la  politique  des  jésuites. 

BOINVILLIERS  (Jeais-ÉtienneJcdith  FORESTIER, 
dit),  ayant  nom  aussi  Desjardins,  naquit  à  Versailles,  le 
3  juillet  1764.  Ses  études  à  peine  ébauchées,  il  ne  craignit 
pas  d'ouvrir  un  cours  public  de  belles-lettres  dans  la  capitale, 
en  concurrence  à  celui  que  La  Harpe  faisait  au  Lycée;  de 
nos  jours  il  eût  probablement  discouru  de  omni  re  scibili 
et  quibusdam  aliis  dans  le  feuilleton  de  quelque  journal  en 
crédit.  Le  peu  de  succès  de  son  enseignement  ne  lui  ins- 
pira pas,  du  reste,  la  moindre  rancune  contre  une  généra- 
tion ingrate;  on  le  vit,  au  contraire,  embrasser  avec  en- 
thousiasme, voire  avec  une  certaine  exaltation,  les  pi  incipes 
de  notre  grande  révolution,  que  des  erreurs  et  des  excès 
ne  devaient  pas  tarder  à  déshonorer;  erreurs  et  excès  que, 
pour  sa  part,  Boinvilliers  désavoua  un  peu  tardivement  dans 
une  pièce  de  vers  recueillie  en  1807  par  VAlmanach  des 
Muses.  Ce  fut  en  effet  sous  l'influence  des  idées  les  plus 
avancées  que  notre  grammairien  tenta,  à  cette  époque  de 
transformation  ,  d'aborder  la  carrière  dramatique.  En  1 792 
il  composa  une  comédie  en  deux  actes  et  en  vers  :  Mon- 
sieur le  Marquis,  et  en  1793  Condorcet  en  fuite,  fait  his- 
torique en  trois  actes.  La  scène,  moins  accessible  pour  lui 
que  ne  le  fut  plus  tard  VAbnanach  des  Muses,  ce  constant 
asile  du  malheur,  ne  s'ouvrit  point  aux  drames  d'un  rimeur 
tout  au  plus  doué  de  l'esprit  d'analyse,  et  qui  se  consola 
de  cet  échec  en  pensant  qu'il  était  appelé  à  devenir  le  Mon- 
tesquieu du  nouvel  ordre  de  choses. 

En  1794  il  publiait,  mais  avec  un  insuccès  au  moins  égal, 
le  Manuel  du  Républicain,  ou  le  Contrat  Social  mis  à 
la  portée  de  tout  le  monde.  Désappointé  et  désillusionné, 
Boinvilliers  eut  enfin  le  bon  sens  de  comprendre  qu'il  lui 
serait  plus  profitable  de  traduire  le  De  Viris  ilhistribus  du 
P.  Uiomond,  les  Fables  de  Phèdre,  d'abréger  le  Diction  - 


naire  de  Poudol ,  d'annexer  un  petit  lexicon  à  des  édi- 
tions classiques  de  Cornélius  Nepos,  de  Phèdre,  et  de  VAp' 
pendice  du  P.  Jouvency,  et  de  composer  un  double  recueil 
de  Cacographie  et  de  Cacologie,  mots  barbares,  qui  n'on* 
point  de  cordes  à  eux  sur  la  lyre.  Une  fois  engagé  dans 
cette  voie  modeste,  mais  productive,  il  ne  s'arrêta  plus,  et 
se  mit  à  entasser  volume  sur  volume.  Compilateur  infati- 
gable, il  faisait  et  refaisait  incessamment  des  ouvrages 
déjà  fafts  et  refaits  cent  fois  avant  lui.  C'est  qu'il  avait  de- 
viné tout  le  parti  qu'on  peut  tirer  d'un  nom  devenu  ^  tort 
ou  à  raison  populaire  dans  les  classes;  et  admirablement 
servi  à  cet  égard  par  l'absence  de  toute  concurrence,  il 
réussit  bientôt  à  attacher  le  sien  à  cotte  foule  d'ouvrages, 
(Wla  classiques,  qui  font  le  désespoir  et  le  tourment  des 
écoliers;  compilations  le  plus  souvent  informes,  et  cepen- 
dant mille  fois  plus  productives  pour  l'industriel  universi- 
taire que  ne  le  seraient  les  chefs-d'œuvre  de  l'esprit  humain. 

Successivement  professeur  à  Beauvais,  censeur  à  Rouen, 
inspecteur  de  l'académie  de  Douai,  il  n'y  a  pas  d'exagé- 
ration à  dire  que  Boinvilliers  fut  pendant  toule  la  durée  de 
l'empire  le  véritable  grand-maître  de  l'université,  laquelle 
n'eut  garde,  au  reste,  de  ne  pas  s'rgréger  plus  intimement 
une  si  notoire  capacité,  et  le  fit  recteur  d'académie.  Pendant 
longtemps  il  n'y  eut  pas  de  bonne  distribution  de  prix  si 
elle  n'élait  présidée  par  Boinvilliers,  pas  d'exercice  littéraire 
propre  à  servir  de  prospectus  à  un  établissement  particu- 
lier, s'il  n'était  honoré  de  la  présence  du  grand  faiseur. 
Nous  nous  rappelons  l'avoir  entendu ,  dans  une  solennité 
de  ce  genre,  interroger  un  petit  bonhomme  sur  VEpitome 
Historiœ  Sacrx.  Il  s'agissait  de  traduire  en  bon  français 
la  première  phrase  de  cet  utile  abrégé  :  Deus  creavit  cœlum 
et  terram  intra  sex  dies.  Le  pauvre  enfant,  tout  troublé 
d'avoir  à  parler  en  public,  balbutiait  la  phrase  que  son  pro- 
fesseur lui  répétait  chaque  matin  depuis  six  mois  :  Dieu 
créa  le  ciel  et  la  terre  en  six  jours...  «  Ce  n'est  pas  là 
du  bon  français,  »  interrompt  avec  emphase  l'éloquent 
président;  puis,  après  quelques  instants  de  recueillement,  il 
ajoute  d'une  voix  sonore  et  d'un  air  inspiré  :  «  Voici  comment 
il  faut  dire,  mon  petit  ami  :  DeM5,  l'Être  suprême;  creavit, 
fit  jaillir  du  néant;  cœlum,  la  voûte  éthérée,  etc.,  etc.;  » 
et  tout  l'auditoire  charmé  d'applaudir... 

Tant  de  succès  devaient  naturellement  porter  Boinvilliers 
à  croire  qu'il  était  destiné  aux  suprêmes  honneurs  litté- 
raires. En  1819  il  .se  présenta  donc  pour  remplacer  l'abbé 
Morellet  à  l'Académie  Française  ;  mais  il  n'obtint  pas  môme 
l'aumône  d'une  voix.  Frappé  au  cœur  par  cette  injustice,  il 
se  retira  à  Ourscamp,  dans  le  département  de  l'Oise,  où  il 
rendit  le  dernier  soupir,  en  1830,  oublié  depuis  longtemps 
déjà,  après  avoir  eu  le  chagrin  de  voir  une  foule  de  spécu- 
lateurs unirersitaires  se  partager  ses  dépouilles  classiques 
bien  avant  sa  mort. 

BOINVILLIERS  (  Ernest-Éloi)  ,  fils  du  précédent,  né  à 
Beauvais,  le  28  novembre  1799,  fut  reçu  avocat  au  barreau 
de  Paris  en  1827,  et  devint  même  en  1848  bâtonnier  de 
l'ordre.  Dans  les  dernières  années  de  la  Restauration  ce 
jeune  nourrisson  de  Thémis,  comme  eût  dit  son  j/ère,  s'était 
fait  remarquer  par  l'ardeur  de  ses  opinions  libérales,  etavail 
même  été  l'un  des  fondateurs  de  la  Charbonnerie  fran- 
çaise. Nommé  depuis  la  révolution  de  Juillet  avocat  de  la 
ville  de  Paris,  il  dut  faire  à  cette  lucrative  clientèle  le  dou- 
loureux sacrifice  de  ses  premières  convictions  politiques. 
Ainsi  (]ue  son  confrère  Barth  e  et  tant  d'autres,  le  farouche 
carbonaro  de  1823,  l'austère  républicain  de  1827,  dès  qu'il 
eut  .sa  part<iu  gâteau,  découvrit  et  plaida  que  nous  vivions 
sous  le  meilleur  des  régimes  possibles;  preuve  nouvelle  de 
la  vérité  de  l'axiome  de  Basile  :  Gaudeant  Bene  nanti. 

Candidat  des  libéraux  dans  le  1^"^  arrondissement  de  Paris 
lors  des  élections  générales  de  1842,  il  échoua  contre  le 
général  Jacqueminot.  Aussi  six  ans  après  ne  fut-il  pas 
«les  derniers  à  se  rallier  à  la  république;  et  patroné  par 


J 


BOINVILLIERS  —  BOIRE 


3à5 


l'Union  électorale,  qui  était,  on  se  le  rappelle ,  fort  peu  ré- 
publicaine, il  passa,  le  onzième  et  dernier,  aux  élections  com- 
plémentaires de  Paris  du  S  juillet  1849,  à  la  Législative,  avec 
un  contingent  de  110,875  Toix.  11  brilla  peu  à  cette  as- 
semblée, et  accueillit,  comme  de  raison,  avec  enthousiasme, 
l'événemeut  miraculeux  du  2  décembre  1831,  auquel  il  est 
jedevable  d'une  place  de  conseiller  d'État  (section  des 
linances).  E  semprè  benè! 

BOIRE  (en  latin  bibere).  Ce  verbe,  que  l'on  emploie 
aussi  substanlivemeut ,  en  disant  le  boitx ,  comme  on  a  fait 
de  i)lusieuis  autres  verbes  le  manger,  le  diner,  le  sou- 
per, etc.,  exprime  l'action  d'avaler  un  liquide.  La  nature, 
qui  a  voulu,  ajouter  un  plaisir  à  la  satisfaction  de  chaque 
besoin ,  a  fait  de  celui-ci  le  plus  vif  et  le  plus  universelle- 
ment répandu,  plaisir  que  ne  peut  émousser  la  jouissance, 
et  qui  se  renouvelle  fréquemment,  comme  le  besoin  auquel 
il  répond.  Mais  comme  il  n'est  rien  dont  l'homme  n'abuse, 
il  a  transformé  la  satisfaction  d'un  instinct  salutaire  en  un 
acte  de  sensualité  souvent  funeste,  et,  selon  l'expression  du 
barbier  philosophe,  boire  saiis  soif  est  un  des  caractères  qui 
nous  distinguent  des  autres  bêtes.  Si  certains  peuples  dif- 
fèrent entre  eux  sur  la  préférence  à  donner  à  telle  ou  telle 
boisson,  moins  sans  doute  par  divergence  de  goût  que  par 
l'impossibilité  ou  la  difficulté  de  se  procurer  celle  qui  eût 
fixé  leur  choix ,  ils  sont  tous  d'accord  sur  le  plaisir  qu'ils 
trouvent  à  étancher  leur  soif  et  à  la  voir  renaître  pour  l'a- 
paiser de  nouveau  ,  et  tous  l'ont  célébré  dans  leurs  chants , 
depuis  Anacréon  qui  disait:  «  La  terre  boit  l'onde,  l'arbre 
boit  la  terre ,  la  mer  boit  les  airs ,  le  soleil  boit  la  mer,  et 
la  lune  le  soleil  :  amis,  pourquoi  me  reprocher  de  boire?  », 
jusqu'à  Panard  qui  chantait  : 

Comme  les  fleurs  de  muo  jardin. 
Je  prends  racine  oii  l'on  m'arrose. 

Mais  si  cet  auteur  voulait  qu'on  gardât 

La  grande  mesure  pour  boire, 
El  la  petite  pour  l'amour, 

l'Anacréon  moderne  dit  avec  plus  de  modération  : 

...  Même  dans  un  grand  verre 
11  faut  boire  à  petits  coups. 

Cependant  l'excès  de  cette  jouissance  a  pour  résultat  iné- 
vitable d'énerver  l'homme  et  de  l'abrutir,  en  le  rendant  es- 
clave d'un  besoin  qui ,  de  naturel  qu'il  était ,  devient  fac- 
tice, et,  sans  pouvoir  jamais  être  satisfait,  finit  par  user 
toutes  les  facultés  physiques  et  par  altérer  les  facultés  mo- 
rales. Néanmoins,  il  s'est  généralement  opéré  dans  les  mœurs 
un  changement  notable  à  cet  égard  :  nos  aïeux  buvaient 
plus  que  nous.  Est-ce  à  dire  qu'ils  buvaient  mieux?  il  est 
permis  d'en  douter;  du  moins,  on  peut  affirmer  que  l'on 
exalle  beaucoup  moins  aujourd'hui  le  triste  mérite  de  tenir 
autant  de  vin  qu'une  cruche.  Sans  se  restreindre  absolu- 
ment à  ne  boire ,  à  l'exemple  des  dames ,  qu'y»  doigt  de 
vin  à  ses  repas,  sans  refuser  de  boire  tin  rouge  bord,  ou 
de  boire  rasade,  dans  l'occasion,  avec  ses  amis,  et  surtout 
A&  boire  frais,  ce  qui,  bien  certainement,  centuple  le 
plaisir  ;  si  l'on  permet  même  de  boire  à  longs  traits  ou  de 
boire  sec  à  celui  qui  n'en  est  pas  incommodé ,  personne 
n'est  plus  jaloux  de  boire  comme  un  trou,  comme  un 
chantre ,  comme  toi  sonneur,  comme  un  musicien , 
comme  un  templier,  qualifications  synonymes,  fort  con- 
testables et  fort  contestées.  Quelques  étymologistes  soutien- 
nent qu'au  lieu  de  templier,  il  faudrait  dire  temprier,  qui 
est  l'ancien  nom  des  ouvriers  employés  à  la  fabrication  du 
verre;  ce  qui  donnerait  plus  de  fondement  au  proverbe,  à 
cause  de  la  grande  chaleur  à  laquelle  ces  ouvriers  sont  ex- 
posés ,  et  qui^doit  exciter  plus  fréquemment  et  plus  violem- 
ment leur  soif;  raison  qui  a  également  enfanté  le  proverbe 
(lu  peui)Ie  de  Paris  :  boire  comme  rin  pompier  ;  et  celui 
des  Italiens,  boire  comme  un  moissonneur. 


On  dit  aussi  boire  à  tire-larigot ,  c'est-à-dire  à  longs 
traits,  comme  un  homme  qui  souflle  dans  le  larigot,  espèce 
de  flûte,  dont  les  verres  à  patte  ont  imité  depuis  la  forme; 
et  d'oii  est  venue  l'expression  Jhiter,  employée  quelquefois 
dans  le  langage  vulgaire  pour  exprimer  l'action  de  boire. 
Quelques  étymologistes  font  dériver  larigot  du  grec 
XâpuY?  dont  nous  avons  fait  larynx,  pour  désigner  la  partie 
antérieure  du  gosier,  vulgairement  le  nœud  de  la  gorge. 
Boire  à  tire-larigot  signifierait,  d'après  cette  origine ,  boire 
de  façon  à  se  distendre  le  gosier.  Encore  une  interprétation! 
En  1282  fut  fondue  une  cloche  donnée  à  la  ville  de  Rouen 
par  l'archevêque  Odo  Rigault;  et  coname  elle  était  d'un 
poids  énorme,  on  buvait  largement  toutes  les  fois  qu'il 
fallait  la  mettre  en  branle;  d'où  vint  le  proverbe  boire  à 
tire  la  Rigault.  A  l'appui  de  cette  opinion,  rappelons-nous 
un  des  vaux  de  Vire  d'Olivier  Basselln,  poète  populaire 
Normand  du  quatorzième  siècle,  dont  voici  le  second  cou- 
plet : 

Il  n'est  pas  encor  temps  de  sonner  la  retraite; 
Quand  on  s'en  Ta  sur  soif,  ce  n'est  un  bon  écot. 
En  rinçant  uos  gosiers,  avalons  nos  miettes  : 

Et  vide  le  pot! 

Tire  la  Rigault/ 

On  dit  aussi  communément  boire  comme  iin  Allemand, 
comme  un  Suisse;  et  l'on  trouve  dans  les  Proverbes  et 
Dictons  populaires  du  moyen  âge,  que /i  buveor  d'Au- 
cerre  étaient  signalés  par  la  voix  publique,  ainsi  que  H 
mieldrc  (les  meilleurs)  buveor  en  Engleterre.  Pour  les 
premiers,  on  conçoit  que  la  qualité  du  vin  que  produit 
l'Auxerrois  ait  pu  leur  valoir  dès  le  treizième  siècle  cette 
réputation  ;  quant  aux  Anglais ,  ils  apprécient  sans  doute 
nos  vins  de  France ,  mais  comme  la  cherté  de  ces  vins  ne 
peut  permettre  au  peuple  d'en  faire  sa  boisson ,  et  qu'il 
doit  s'en  tenir  à  la  bière,  au  porter  ou  à  l'aie ,  on  ne  con- 
çoit pas  trop  pourquoi  on  l'aurait  choisi  comme  type  des 
meilleurs  buveurs.  D'autres  peuples  encore  ont  eu  la  ré- 
putation de  bons  buveurs  :  les  Polonais,  par  exemple, 
chez  lesquels  plus  d'un  prétendant  au  trône  a,  dit-on, 
échoué  pour  n'avoir  pas  su  tenir  tête  aux  palatins  dans  les 
banquets  d'élection  ;  c'est  pour  eux  qu'a  été  fait  ce  ver.«  de- 
venu proverbe  : 

Quand  Auguste  avait  bu,  la  Pologne  était  ivre. 

Disons,  à  la  louange  de  nos  ouvriers  et  de  nos  hommes 
de  peine,  qui  sont  dans  l'usage  de  demander  un  pour- 
boire après  quelque  travail  achevé  ou  quelque  service 
rendu ,  que  bien  rarement  aujourd'hui  cette  gratification 
presque  obligée  reçoit  la  destination  que  semblerait  indiquer 
son  étymologie.  Cette  pratique,  du  reste,  se  retrouve  dans 
tous  les  usages  de  la  vie  :  entre  gens  de  commerce  ou  d'af- 
faiic»,  on  boit  le  vin  du  marché,  quand  on  l'a  conclu; 
entre  voyageurs ,  on  boit  le  vin  de  l'étrier,  ou  le  coup  de 
l'étrier,  quand  on  se  sépare. 

La  coutume  de  boire  à  la  santé  remonte  à  l'antiquité 
la  plus  reculée.  Les  Anglais ,  grands  amateurs  de  celte  poli- 
tesse, en  ontfiiit  le  substantif  toast. 

Boire  s'emploie  aussi ,  poétiquement  ou  dans  un  sens 
figuré,  en  une  foule  de  phrases.  On  dit  d'abord  que  la  terre 
boit  l'eau.  Le  papier  boit ,  lorsqu'il  offre  assez  peu  de  corps 
ou  qu'il  est  assez  peu  collé  pour  que  l'encre  le  pénètre.  En 
poésie,  ceiixqui  boivent  le  Gange,  l'Indus,  le  Rhin  ou  la 
Seine ,  ce  sont  les  peuples  qui  habitent  sur  les  rives  de  ces 
fleuves  ;  boire  le  Styx ,  ou  boire  le  fleuve  d'oubli ,  c'est 
dans  la  vieille  langue  classique  quitter  la  vie.  Boire  de  l'eau 
de  la  fontaine  de  Jouvence  exprime  une  idée  toute  con- 
traire :  c'est  rajeunir,  secret  que  les  femmes  aimables  trou- 
vent quelquefois  bien  plus  sûrement  que  les  coquettes  avec 
tous  leurs  cosmétiques.  Boire,  avaler  le  calice  jusqu'à  la 
lie,  boire  une  folie,  une  injure , un  affi'ont ,  une  raille- 
rie, taie  honte,  etc.,  sont  toutes  choses  foit  peu  agréables, 

45. 


35  i 

mais  auxquelles  nous  exposent  parfois  la  h'ijèieté ,  l'iné- 
(lexion  ou  le  manque  de  Cd'ur  et  de  courage  :  dans  la  pre- 
iiiièie  de  ces  acceptions,  on  fait  allusion  aux  souffrances 
«le  Josus-Christ.  Knlin,  un  proverbe  que  nous  avons  eu  be- 
r.oia  de  nous  rappeler  plus  d'une  fois  en  rédigeant  cet  ar- 
ticle, dit  que  quand  le  vin  est  versé,  il  faut  le  boire,  c'est- 
à-dire  que  quand  une  ciiose  est  commencée  il  faut  l'achever. 
Et  pourtant  ici  ce  n'était  pas  la  mer  à  boire. 

Au  sujet  de  cette  dernière  acception,  onen  trouve,  croyons- 
nous,  l'origine  dans  une  particularité  bien  connue  de  la 
Vie  d'Ésope  par  Planude.  Un  jour  que  son  maître  faisait 
débauche  avec  ses  disciples,  l'esclave  Ésope,  qui  les  servait, 
■vit  que  les  fumrcs  du  vin  leur  échauffaient  déjà  le  cerveau, 
aussi  bien  au  maître  qu'aux  écoliers.  «  L'excès  du  vin,  leur  dit 
le  fabuliste ,  a  trois  degrés  :  le  premier  de  volupté ,  le  second 
d'ivrognerie,  et  le  troisième  de  fureur.  »  On  se  moqua  de  son 
observation  ,  et  on  continua  de  vider  les  pots.  Xantus  s'en 
donna  juscpi'à  perdre  la  raison,  et  il  se  vanta  r/w'i/  boirait  la 
iner;ii  l'appui  de  ce  qu'il  avançait,  il  offrit  déparier  sa  mai- 
son ,  et  déposa  en  gage  l'anneau  qu'il  avait  au  doigt.  On  sait 
comment  l'esclave  phrygien  lira  encore  une  fois  son  maître 
d'embarras  dans  cette  diflicile  conjoncture.  Le  jour  pris  pour 
l'exécution  de  la  gageure,  tout  le  peuple  de  Samos  accourut 
au  rivage  de  la  mer,  pour  être  témoin  de  la  honte  de  Xan- 
tus. Déjà  celui  des  disciples  qui  avait  parié  contre  lui  triom- 
phait, lorsque  le  philosophe,  sur  le  conseil  d'Ésope,  dit  qu'il 
s'était  engagé  à  boire  la  mer,  mais  non  pas  les  fleuves  qui 
entrent  dedans;  qu'il  demandait  donc  qu'on  commençât 
par  les  détourner,  et  qu'il  achèverait  son  entreprise.  Voilà 
comment  se  tirer  d'un  mauvais  pas  n'est  pas  toujours  la  mer 
à  boire.  Edme  Héreau. 

Diverses  manières  de  boire.  Quand  même  nous  ne  par- 
lerions que  de  l'homme,  nous  aurions  sujet  de  remarquer 
qu'il  ne  boit  pas  toujours  de  la  même  manière,  ni  selon  le 
même  mécanisme.  L'enfant  qui  tette  exerce  sur  le  sein  ma- 
ternel une  sorte  de  succion  à  la  manière  des  sangsues  et 
des  chauves-souris  vampires  ;  le  lait  n'est  attiré  dans  sa 
l)0iiclie  qu'en  vertu  du  vide  qu'y  fait  sa  langue  en  jouant  le 
rùled'un  piston  de  pompe.  lien  est  de  même  des  animaux 
qui,  comme  le  cheval  et  la  vache ,  font  entendre  en  buvant 
une  sorte  de  claquement  sonore,  chaque  fois  que  l'air  trouve 
accès  dans  la  cavité  oii  se  fait  le  vide.  L'enfant  fait  entendre 
un  bruit  semblable  quand  le  lait  vient  à  manquer  ou  à  tarir 
Jl  est  des  adultes  qui,  par  une  vicieuse  habitude,  continuent 
de  boire  comme  le  nouveau-né.  On  s'en  aperçoit  aisément  en 
ce  qu'ils  font  entendre  en  buvant  cette  sorte  de  clapotement 
dont  j'ai  parlé  ;  on  en  juge  aussi  à  ce  qu'ils  respirent  en  bu- 
vant comme  les  enfants  mêmes,  et  ternissent  en  consé- 
<pience  la  limpidité  du  cristal  renfermant  leur  boisson.  Les 
personnes  qui  boivent  ainsi  sont  ])resque  toujours  des  gour- 
mets timides,  qui  savourent  avec  volupté  des  liqueurs  que  le 
commun  des  hommes  déguste  avec  indifférence  et  souvent 
.sans  y  penser.  Le  fait  est  que  quiconque  boit  par  succion  ne 
perd  aucune  saveur,  et  peut  plus  facilement  rester  sobre 
sans  diminuer  la  sonmie  de  ses  jouissances.  Les  liquides 
avali's  de  la  sorte  sont  pour  ainsi  dire  passés  à  la  fdière  et 
dépouillés  goutte  à  goutte  de  tout  ce  qu'ils  renferment  de  sa- 
voureux ;  ils  sont  aussi  plus  facilement  digérés.  11  est  vrai 
dédire  qu'à  volume  égal,  ce  mode  de  boire  exposerait  da- 
vantage à  l'ivresse  ;  mais  ceux  qui  le  pratiquent  sont  ordi- 
nairement très-tempérants. 

Cette  manière  de  boire  est  exceptionnelle  ;  la  plupart  des 
lioinuies  boivent  en  versant  dans  la  bouche  des  liquides  dé- 
.«alléiants  :  alors  la  respiration  est  instinctivement  suspen- 
due, de  sorte  que,  le  larynx  se  trouvant  clos,  le  liquide  n'y 
saurait  faire  fausse  route.  Cela  n'arrive  que  si  l'on  rit  en  bu- 
vant, ou  dans  ce  qu'on  nomme  veine  Nazareth,  cas  dans 
lequel  la  liqueur,  pénétrant  vers  le  larynx,  en  est  chassée 
brusquement  dans  les  fosses  nasales,  où  elle  produit  une 
impression  douloureuse.  C'est  pour  éviter  de  pareils  désa- 


BOIRE  —  BOIRE  A  LA  SANTE 

grémcnts  que  les  gens  bien  élevés  ne  regardent  personne 
en  buvant  et  ne  boivent  que  lorsqu'ils  ont  tout  leur  sang- 
froid.  Les  enfants  et  ceux  qui  boivent  comme  eux  sont  fré- 
quemrucut  exposés  à  l'accident  dont  je  parle. 

Les  hommes  qui  versent  ainsi  les  liquides  dans  la  bouche, 
et  qui  les  avalent  à  la  manière  des  aliments,  ressemblent  en 
cela  aux  oiseaux  qui,  comme  quelques  gallinacés  et  quel- 
ques palmipèdes,  remplissent  d'eau  leur  bec,  pour  ensuite 
relever  la  tête  par  un  mouvement  de  bascule  qui  fait  tom- 
ber le  liquide  dans  le  pharynx.  Mais  il  est  beaucoup  d'au- 
tres oiseaux  qui ,  à  la  manière  des  pigeons,  plongent  leur 
bec  dans  l'eau  pour  en  boire  de  longues  gorgées  par  succion. 
Je  ne  sais  môme  si  pendant  cela  la  respiration*  reste  com- 
plètement étrangère  à  l'ascension  du  liquide  ;  au  moins  est- 
il  certain  que  les  chiens,  les  renards  et  les  chats  ne  boivent 
que  par  une  sorte  d'aspiration  bruyante  et  saccadée  qui 
porte  le  nom  de  laper.  Dans  cette  dernière  manière  de 
boire,  qui  de  toutes  est  la  plus  curieuse,  l'animal  fait  une 
inspiration  chaque  fois  qu'il  plonge  sa  langue  dans  le  liquide, 
de  sprte  que  la  boisson  monte  dans  la  gorge  en  vertu  de  la 
contraction  du  diaphragme,  qui  fait  le  vide  de  proche  en 
proche,  à  peu  près  comme  la  langue  l'effectue  dans  la  bou- 
che par  la  succion.  Il  suffit  d'ouvrir  largement  la  trachée- 
artère  d'un  chat  ou  d'un  chien  pour  l'empêcher  de  boire. 

Quant  à  la  manière  de  boire  tout  à  fait  insolite  qu'on 
désigne  sous  le  nom  de  sabler,  elle  consiste  à  verser  rapi- 
dement dans  la  gorge,  en  relevant  le  voile  du  palais,  le  li- 
quide que  l'œsophage  transmet  à  l'estomac  sans  dégustation 
et  sans  apprêt.  C'est  certainement  la  manière  la  plus  dérai- 
sonnable de  consommer  en  masse  des  breuvages  délicieux 
sans  en  jouir  ni  les  savourer.  Cette  façon  de  boire  est  sur- 
tout usitée  pour  le  vin  de  Champagne  mousseux,  en  raison 
sans  doute  du  gaz  acide  carbonique  dont  la  piqtiante  saveur 
remonte  alors  jusqu'aux  narines.        Isidore  Bourdon. 

BOIRE  À  LA  SAINTE.  D'où  vient  cette  coutume  ? 
Est-ce  depuis  le  temps  qu'on  boit?  II  paraît  naturel  qu'on 
boive  du  vin  pour  sa  propre  santé ,  mais  non  pas  pour  la 
santé  d'un  autre.  Le  ;jro79iHO  des  Grecs,  adopté  par  les  Ro- 
mains, ne  signifiait  pas  :  Je  bois  afin  que  vous  vous  portiez 
bien,  mais  :  Je  bois  avant  vous,  pour  que  vous  buviez  :  je 
vous  invite  à  boire.  Dans  la  joie  d'un  festin  on  buvait  |)our 
célébrer  sa  maîtresse,  et  non  pas  pour  qu'elle  eût  une  bonne 
santé.  Voyez  dans  Martial  : 

Six  coups  pour  .Névia  !  sept  au  moins  pour  Justine  1 

On  buvait  à  Rome  pour  les  victoires  d'Auguste,  pour  le 
retour  de  sa  santé.  Dion-Cassius  rapporte  qu'après  la  ba- 
taille d'Actium  le  sénat  décréta  que  dans  les  repas  on 
lui  ferait  des  libations  au  second  service.  C'est  un  étrange 
décret.  Il  est  plus  vraisemblable  que  la  flatterie  avait  intro- 
duit volontairement  cette  bassesse.  Quoi  qu'il  en  soit,  vous 
lisez  dans  Horace  (  liv.  IV,  od.  V  )  : 

Sois  le  dieu  des  festins ,  le  dieu  de  l'allégresse  • 
Que  nos  tables  soicut  les  autels! 
Préside  à  nos  jeux  solenui-ls  , 
ComiDe  Hercule  aux  jeux  de  la  Grèce! 

Seul,  tu  fais  les  beaux  jours,  quêtes  jours  soieutsans  fiu  ! 

C'est  ce  que  nous  disons  en  revoyant  l'aurore. 

Ce  qu'en  nos  douces  nuits  nous  redisons  encore  , 
Entre  les  bras  du  dieu  du  vin. 


On  ne  peut,  ce  me  semble,  faire  entendre  plus  expressé- 
ment ce  que  nous  entendons  par  ces  mots  :  «  Nous  avons 
bu  à  la  santé  de  Votre  .Majesté.  »  C'est  de  là  probablement 
que  vint  parmi  nos  nations  barbares  l'usage  de  boire  à  la 
santé  de  ses  convives,  usage  absurde,  puisque  vous  vide- 
riez quatre  bouteilles  sans  leur  faire  le  moindre  bien. 

Tous  les  whigs  buvaient  après  la  mort  du  roi  Guillaume, 
non  pas  à  sa  santé,  mais  à  sa  mémoire.  Un  toi7 ,  nommé 
Rrown,  évoque  de  Cork,  en  Irlande,  grand  ennemi  de  Guil- 
laume, dit  qu'il  mettrait  un  bouchon  à  toutes  les  bouteilles 


I 


BOIRE  A  LA  SANTÉ  —  BOIS 


qu'on  vidait  à  la  gloire  du  monarque ,  parce  que  Cork  en 
anglais  signifie  bouchon.  Une  s'en  tint  pas  à  ce  fade  jeu  de 
mots  :  il  écrivit,  en  1702,  une  brochure  (ce  sont  les  ma)i- 
(lements d\i  pays)  pour  faire  voir  aux  Irlandais  que  c'est 
une  impiété  atroce  de  boire  à  la  santé  des  rois ,  et  surtout  à 
leur  mémoire;  que  c'est  une  profanation  de  ces  paroles  de 
Jésus-Christ  :  »  Buvez-en  tous  ;  faites  ceci  en  mémoire  de 
moi.  »  Ce  qui  étonnera,  c'est  que  cet  évêque  nétait  pas  le 
premier  qui  eût  conçu  une  telle  démence.  Avant  lui,  le  pres- 
bytérien Prynne  avait  fait  un  gros  livre  contre  l'usage  impie 
de  boire  à  la  santé  des  chrétiens. 

Enfln,  il  y  eut  un  Jean  Géré,  curé  delà  paroisse  de  Sainte- 
Foy,  qui  pubha  :  La  divine  Potion  pour  conserver  la 
santé  spirituelle  par  la  cure  de  la  maladie  invétérée  de 
boire  à  la  santé,  avec  des  arguments  clairs  et  solides 
contre  cette  coutume  criminelle,  le  tout  pour  la  satis- 
faction du  public  ;  à  la  requête  d'un  digne  membre  du 
parlement,  l'an  de  notre  salut  164S.         Voltaire. 

La  coutume  de  boire  à  la  santé  est  si  ancienne,  qu'Ho- 
mère et  d'autres  écrivains  de  l'antiquité  en  font  mention. 
Le  terme  dont  les  anciens  se  servaient  à  cet  égard  était  un 
signe  d'amitié  pour  s'exciter  à  boire  :  philotésie  en  grec  si- 
gnifie amitié  et  salut.  Les  auteurs  qui  sont  venus  après  Ho- 
mère ont  pris  ce  terme  dans  la  même  acception.  A  l'arrivée 
d'un  ami,  en  le  recevant  dans  la  maison,  on  réptindait  du 
vin  en  l'honneur  des  dieux,  et  on  lui  présentait  à  boire 
avec  une  certaine  formule  consacrée,  pour  le  féliciter  de  son 
heureuse  arrivée.  On  congédiait  les  hôtes  avec  les  mêmes 
cérémonies,  afin  que  les  immortels  les  accompagnassent 
dans  leur  voyage,  et  le  leur  rendissent  heureux.  Cette  cou- 
tume, si  Ton  en  croit  Athénée,  ne  se  pratiquait  qu'à  la  fin 
du  repas  et  quand  on  était  prêt  à  se  lever  de  table  ;  alors  ou 
sacrifiait  au  bon  génie,  à  Jupiter  conservateur,  aux  dieux 
qui  présidaient  paiiiculièrement  à  l'amitié ,  et  l'on  entonnait 
des  chansons  toutes  pleines  de  choses  aimables ,  et  surtout 
d'heureux  souhaits  pour  les  assistants.  En  buvant  les  uns 
aux  autres,  les  Grecs  et  après  eux  les  Romains  prononçaient 
ces  paroles  :  «  Je  souhaite  que  vous  et  nous,  ou  toi  ou  moi , 
nous  nous  portions  bien  !  »  Cette  formule  variait  quelquefois  : 
ainsi,  nous  voyons  dans  le  £an(yî{eMe  Lucien  qu'Alcidamus , 
après  avoir  bien  bu,  demanda  quel  était  le  nom  de  la  mariée, 
et  qu'il  but  à  sa  santé  en  disant  :  «  Je  bois  à  vous,  Cléan- 
lhis,au  nom  d'Hercule  dominant.  «  Au  reste,  il  n'était  pas 
permis  de  boire  à  la  santé  de  tous  ceux  qui  étaient  à  table; 
il  n'y  avait  que  les  étrangers  et  les  hôtes  qui  pussent  boire  à 
la  femme  d'un  autre,  et  cette  permission  s'étendait  aux  seuls 
parents  de  cette  femme.  Si  quelqu'un  sortait  d'un  repas  sans 
qu'on  eût  bu  à  sa  santé,  et  sans  avoir  été  provoqué  à  boire 
par  son  ami,  Pétrone  dit  qu'il  regardait  cet  oubli  comme  un 
affront  et  qu'il  se  croyait  dégradé  du  nom  d'ami  ;  c'était  le 
signe  d'une  amitié  singulière  que  de  présenter  la  coupe  à 
quelqu'un  après  l'avoir  approchée  de  ses  propres  lèvres. 

Des  Grecs  et  des  Romains  la  coutume  de  boire  à  la  santé 
passa  chez  presque  tous  les  peuples  de  la  terre,  à  com- 
mencer par  les  Celtes  et  les  Germains,  qui  lorsqu'ils  se  met- 
taient à  table  avaient  auprès  d'eux  une  cruche  d'hydromel, 
de  vin  ou  de  bière ,  qui  circulait  bientôt  de  main  en  main. 
Celui  qui  buvait  saluait  son  voisin  et  lui  remettait  la  cruche; 
celui-ci  en  usait  de  même.  Ainsi,  les  convies  ne  pouvaient 
boire  que  lorsque  la  cruche ,  qui  faisait  le  tour  de  la  table , 
parvenait  jusqu'à  eux  ,  et  quand  elle  leur  était  présentée , 
ils  ne  pouvaient  refuser  d'en  humer  leur  part. 

Les  premiers  chrétiens  pratiquaient  quelque  chose  desem- 
blable  en  recevant  leurs  liôtes ,  ce  qui  résulte  d'un  passage 
,  de  saint  Ambroise  sur  le  jeûne  et  sur  Élie  :  «  Que  dirai-je , 
s'écrie  ce  Père  de  l'Église,  des  protestations  que  se  font 
ceux  qui  boivent  ensemble?  Buvons,  répètent-ils,  buvons 
à  la  santé  de  l'empereur,  et  que  celui  qui  ne  boira  pas  soit 
regardé  comme  un  homme  peu  dévoué  à  son  prince!  car  ce 
n'est  pas  aimer  l'empereur  que  de  refuser  de  boire  à  sa 


3Ô7 

santé.  Buvons  aussi  à  la  santé  de  l'armée,  à  la  prospérité 
de  nos  parents  et  de  nos  amis  !  et  ils  croient  que  Dieu  est 
touché  de  ces  sortes  de  vœux.  »  On  ne  voit  pas  trop  si 
par  ces  paroles  saint  Ambroise  approuve  ou  improuve  cette 
coutume,  ou  bien  si  son  but  unique  est  d'en  constater  l'exis- 
tence. Quoi  qu'il  en  soit,  longtemps  universelle,  elle  a  insen- 
siblement disparu  de  France,  où  elle  est  aujourd'hui  presque 
exclusivement  abandonnée  au  peuple ,  avec  la  gaieté  qu'elle 
excitait  et  la  cordialité  dont  elle  était  le  gage.  A  une  cer- 
taine époque  de  l'année,  principalement  le  jour  des  Rois  , 
on  le  voit  fêter  par  de  nombreux  vivat ,  et  par  ce  cri  ré- 
pété :  Le  roi  boit!  une  royauté  éphémère  et  improvisée, 
mais  bien  réellement  de  son  choix,  la  seule,  selon  Béran- 
ger,  qui  soit  restée  populaire  {voyez  Fève  [Roi  de  la]). 
Cependant,  on  retrouve  encore  des  traces  de  la  coutume  de 
boire  à  la  santé  A^m.  certaines  provinces,  dans  certains 
pays,  où  l'exquise  politesse  n'a  pas  encore  pénétré  et  où 
la  cordialité  dégénère  souvent  en  importunité  fâcheuse, 
en  violence  tyrannique.  Là  il  n'est  pas  rare  de  voir  un 
maître  de  maison,  pour  faire  honneur  à  ses  hôtes,  boire  à 
leur  santé ,  les  exciter  à  boire  à  la  sienne  jusqu'à  ce  qu'ils 
succombent  à  l'ivresse ,  et  regarder  comme  une  marque  de 
mépris,  comme  un  outrage,  le  refus  de  boire  ainsi  à  la 
santé  de  tout  l'univers,  au  détriment  de  la  sienne  propre. 
De  pareilles  gens  devraient  bien  dire  à  la  lettre,  à  ceux  qui 
ne  peuvent  leur  tenir  tète,  ce  que  les  Anglais  ont  coutume 
de  dire  par  pure  ellipse  :  /  drink  tjour  health.  —  Je  bois 
votre  santé. 

A  propos  d'Anglais,  nous  devrions  parler  du  toast  qui  se 
pratique  chez  eux  dans  toutes  les  occasions  un  peu  solennel- 
les, et  dont  on  a  fait  le  verbe  toster,  deux  mots,  deux  choses 
populaires  aujourd'hui  sur  toute  la  surface  du  globe  ;  mais 
le  toast  aura  dans  ce  Dictionnaire  un  article  spécial,  et  ii  le 
mérite.  C'est,  en  effet,  une  santé  à  part,  verbeuse,  politique, 
parlementaire,  relative  à  telle  personne  ou  à  telle  chose, 
favorable  ou  contraire  à  tel  ou  tel  acte,  etc.,  etc. 

BOIS  {Économie  domestique  et  industrielle),  he.  mot 
bois  a  deux  significations  distinctes  :  d'abord  il  s'entend  des 
lieux  plantés  d'arbres  {stjlvse),  et  nous  en  traiterons  en  ce 
sens  dans  l'article  suivant;  puis  il  s'applique  à  la  substance 
dure,  compacte  et  ligneuse  de  l'arbre  {lignum).  C'est  sous 
ce  rapport  seulement  que  nous  en  parlerons  ici.  Nous  avons 
donc  à  envisager  les  bois  :  1°  comme  matières  de  construc- 
tion ;  2°  comme  moyens  de  chauffage  ;  3°  comme  employés 
dans  l'ébénisterie ,  la  marqueterie,  la  tabletterie ,  le  tour; 
4°  comme  sources  de  parfums  ;  et  5°  comme  ingrédients  de 
teinturerie. 

I.  Bois  de  constriiction.  Les  bois  sont  d'un  usage  aussi 
fréquent  qu'indispensable  dans  l'art  de  bâtir.  Ils  sont  em- 
ployés comme  partie  intégrante  des  constructions  dans  les 
ponts  en  charpente,  les  estacades,  les  combles  et  planchers 
des  édifices,  etc.:  ils  servent  comme  moyen  d'exécution  seu- 
lement dans  les  échafauds ,  les  cintres ,  les  ponts  de  ser- 
vice, etc.;  enfin  ils  forment  la  base  des  constructions 
navales. 

Le  chêne  est  de  tous  les  bois  celui  qui  réunit  au  plus 
haut  degré  les  qualités  nécessaires  à  la  durée  et  à  la  solidité 
des  constructions,  et  qui  par  cette  raison  y  est  le  plus  em- 
ployé. Dans  quelques  circonstances  on  fait  aussi  usage  de 
l'orme,  du  h  être  et  du  sapin.  Ce  dernier  bois  est  préfé- 
rable pour  les  constructions  légères  et  économiques. 

Deux  questions  intéressent  vivement  l'architecture  et  la 
marine  :  ce  sont  l'évaluation  de  la  résistance  et  la  conser- 
vation des  bois;  nous  allons  les  examiner  successive- 
ment. 

Les  bois  employés  dans  les  constructions  sont  soumis  à 
des  efforts  destructifs,  qui  agissent  sur  eux  transversalement 
ou  dans  le  sens  de  leur  longueur,  soit  par  traction,  soit  par 
compression;  et  leurs  dimensions  doivent  être  telles  qu'ils 
puissent  résister  à  ces  efforts  aussi  longtemps  que  doivent 


358  BOIS 

durer  les  constructions  dont  ils  font  partie.  Les  bois  ne  se 
rompent  que  quand  leur  élasticité  a  été  détruite  par  un  ef- 
fort excessif.  Mais  ils  sont  élastiques  à  divers  degrés  ;  et  les 
forces  qu'il  faut  employer  pour  déterminer  les  ruptures 
n'ont  aucune  relation  avec  celles  qui  produisent  la  flfexion. 
Ainsi,  quelques  espèces,  telles  que  le  hêtre,  l'orme,  le 
noyer,  le  sapin,  etc.,  opposent  très-peu  de  résistance  à  la 
flexion  et  beaucoup  à  la  rupture.  D'autres ,  au  contraire , 
présentent  beaucoup  de  résistance  à  la  llexion ,  et  i)ropor- 
tionnellement  beaucoup  moins  à  la  rupture  :  ce  sont  le  cy- 
près, l'acajou  ,  etc.  D'autres  ,  enfin  ,  opposent  tout  à  la  fois 
beaucoup  de  résistance  à  la  flexion  et  à  la  rupture  :  ce  sont 
le  pin  de  Corse  et  le  cliêne,  le  plus  rigide  et  le  plus  fort  des 
grands  végétaux  de  nos  contrées.  Ces  propriétés  diverses 
sont  de  la  plus  haute  importance  dans  les  arts  :  car  ce  sont 
elles  qui  déterminent  l'usage  et  l'emploi  des  différentes  es- 
pèces de  bois  suivant  les  conditions  à  remplir. 

Les  bois  les  plus  pesants  à  volume  égal  sont  toujours 
les  moins  flexibles.  Pour  une  même  espèce  de  bois,  et  dans 
les  mêmes  dimensions ,  la  flexion  est  proportionnelle  à  l'ef- 
fîirt  transversal ,  qui  peut  être  mesuré  par  la  flèche  de  l'arc 
de  courbure  imprimé  à  la  pièce.  La  résistance  à  la  flexion 
est  proportionnelle  au  cube  des  épaisseurs  et  aux  simples 
largeurs.  Quand  l'effort  est  accumulé  au  milieu  d'une  pièce 
libre  simplement  posée  sur  deux  appuis,  la  flexion  pro;luite 
est  à  ce  qu'elle  serait  si  l'effort  était  également  réparti  sur 
toute  l'étendue  de  la  pièce,  co.mmc  huit  est  à  cinq.  Ce  rap- 
port est  également  à  l'avantage  de  l'encastrement  immuable 
des  extrémités  de  la  pièce.  Enfin,  la  flexion  pour  des  pièces 
d'égal  équarrissage  est  proportionnelle  au  cube  des  dis- 
tances des  points  d'appui. 

La  résistance  à  la  rupture,  toujours  dans  le  même  cas 
d'un  effort  transversal,  est  proportionnelle  à  la  distance 
entre  les  points  d'appui,  aux  simples  largeurs  et  au  carré 
des  épaisseurs.  On  tire  parti  de  celte  dernière  propriété  en 
employant ,  au  lieu  de  poutres  et  de  chevrons  carrés ,  des 
madriers  minces  horizontalement  et  très-larges  verticale- 
ment. En  effet,  si  on  a  deux  poutres  de  même  longueur  entre 
les  appuis  et  ayant  pour  largeur  et  pour  épaisseur  l'une  3  et  3, 
l'autre  i  et  9,  bien  qu'elles  offrent  un  même  volume,  la  ré- 
sistancede  la  première  ne  sera  représentée  que  par  3  X  3^=27, 
tandis  que  celle  de  la  seconde  atteindra  1X9"=8(. 

La  résistance  des  bois  à  l'écrasement,  ou  à  la  rupture  par 
compression ,  est  proportionnelle  à  la  surface  de  la  section 
transversale  des  pièces ,  et  en  raison  inverse  de  leur  lon- 
gueur. Quand  on  les  soumet  à  un  effort  perpendiculaire  au 
sens  de  leurs  fibres,  ils  s'aplatissent  en  se  fendillant;  mais 
quand  l'effort  agit  dans  le  sens  de  leur  longueur,  les  fibres 
se  refoulent  d'abord  aux  extrémités  des  pièces ,  où  elles  s'in- 
fléchissent vers  le  dehors  en  donnant  lieu  à  un  renflement 
latéral  qui  augmente  jusqu'à  ce  qu'elles  se  séparent  en  se 
brisant  en  morceaux  ordinairement  très-courts.  Cela  a  par- 
ticulièrement lieu  quand  les  pièces  sont  courtes  relativement 
à  leur  épaisseur;  car  lorsque  leur  hauteur  surpasse  de  beau- 
coup leur  épaisseur,  de  huit  à  dix  fois  par  exemple ,  il  ar- 
rive ou  qu'elles  se  fendent  en  plusieurs  éclats  dans  le  sens 
de  leur  longueur,  ou  qu'elles  s'infléchissent  d'un  même  côté, 
vers  la  moitié  de  leur  hauteur,  comme  si  elles  étaient  posées 
contre  deux  appuis  et  soumises  à  un  effort  transversal  qui 
les  pressât  en  leur  milieu. 

La  théorie  de  la  résistance  des  bois  a  été  l'objet  d'un 
grand  nombre  d'expériences.  Nous  rapporterons  seulement 
les  résultats  suivants  consignés  par  HassenfratZi 

Les  expériences  étant  faites  sur  toutes  solives  de  cinq 
mètres  de  long  sur  un  décimètre  carré  de  base,  les  poids 
que  supportent  ces  pièces  avant  de  rompre  sont,  suivant  l'es- 
pèce du  bois  :  pour  le  prunier,  1447  kilogr. ;  orme, 
1,077  Kil.;  if,  1,037  kil.  ;  charme,  1,0.14  kil.;  hèlre,  1,032  kil.  ; 
chêne,  1,020  kil.;  noisetier,  1,008  kil.;  pommier,  976  kil.; 
chàlaignier.  957  kil.  ;  marronnier,  931  kil.  ;  sapin,  91S  kil.  ; 


noyer,  900  kil.;  poirier,  883  kil.;  bouleau,  853  kil.;  saule, 
850  kil.  ;  tilleul,  750  kU.  ;  peuplier  d'Italie,  580  kil. 

Jetons  maintenant  un  coup  d'œil  sur  les  tentatives  qui 
ont  été  faites  pour  augmenter  la  durée  des  bois  de  cons- 
truction. 

La  promptitude  avec  laquelle  les  bois  employés  se  détrui- 
sent, comparée  à  la  lenteur  de  leur  reproduction ,  avait  déjà 
au  siècle  dernier  attiré  l'attention  de  Haies,  de  Duhamel  et 
de  Buffon.  Les  observations  de  IM.  Biot,  les  recherches  de 
MM.  Knowles,  Kyan ,  Bréant,  Moll,  amenèrent  la  décou- 
verte de  divers  procédés  de  conservation  qui ,  bien  que  sa- 
tisfaisants sous  le  rapjiort  scientifique,  étaient  d'une  applica- 
tion trop  coûteuse  pour  être  employés  dans  l'industrie. 

Cependant  on  avait  reconnu  que  les  tissus  végétaux  ren- 
ferment une  grande  quantité  à" albumine  végétale,  de  nature 
azotée  et  analogue  aux  matières  animales,  et  que  c'est  cette 
albumine  qui  communique  aux  cellules  ligneuses  qui  com- 
posent le  bois  le  défaut  d'éprouver  la  putréfaction  sèche. 
11  fallait  donc  désorganiser  cette  matière  albumiueuse,  ou 
réliminer  des  cellules  ligneuses,  ou  en  faire  un  compose 
inaltérable. 

C'est  en  se  basant  sur  ces  données  que  1\I.  Boucherie  est 
arrivé  à  une  complète  solution  du  problème.  Pour  pénétrer 
de  substances  préservatrices  un  arbre  tout  entier,  l'auteur  n'a 
recours  à  aucun  moyen  mécanique  :  il  prend  toute  la  force 
dont  il  a  besoin  dans  la  force  aspiratrice  du  végétal  lui-même, 
et  elle  suffit  pour  porter  de  la  base  du  tronc  jusqu'aux  feuilles 
toutes  les  liqueurs  que  l'on  veut  y  introduire,  pourvu  qu'elles 
soient  maintenues  dans  certaines  hmites  de  concentration  : 
ainsi ,  que  l'on  coupe  un  arbre  en  pleine  sève  par  le  pied , 
et  qu'on  plonge  sa  partie  inférieure  dans  une  cuve  renfer- 
mant la  liqueur  que  l'on  veut  faire  aspirer,  celle-ci  montera 
en  quelques  jours  jusqu'aux  parties  les  plus  élevées.  Il  n'est 
pas  même  nécessaire  que  l'arbre  soit  garni  de  toutes  ses 
branches  et  de  toutes  ses  feuilles;  un  bouquet  résené  au 
sommet  suffit  pour  déterminer  l'aspiration.  Il  est  inutile  que 
l'arbre  soit  conservé  debout,  ce  qui  rendrait  l'opération  sou- 
vent impraticable  ;  on  peut  l'abattre ,  après  en  avoir  élagué 
toutes  les  branches  inutiles ,  et  alors  sa  base  étant  mi.se  en 
rapport  avec  le  liquide  destiné  à  l'absorption ,  celui-ci  pé- 
nètre comme  à  l'ordinaire  dans  toutes  les  parties.  Enfin ,  il 
n'est  pas  même  indispensable  de  couper  l'arbre  ;  car  une  ca- 
vité creusée  au  pied,  ou  un  trait  de  scie  divisant  celui-ci 
sur  une  grande  partie  de  la  surface,  suffisent  pour  qu'en 
mettant  la  partie  entamée  en  contact  -avec  un  liquide ,  il  y 
ait  une  absorption  rapide  et  complète  de  ce  dernier. 

Pour  augmenter  la  durée  et  la  dureté  des  bois ,  pour 
s'opposer  à  leur  carie  sèche  et  humide,  M.  Boucherie  fait  ar- 
river dans  leurs  tissus  du  prjroUgnite  de  fer  brut  :  cette  sub- 
stance est  parfaitement  choisie,  parce  qu'il  se  i)roduit  de  l'a- 
cide pyroligneux  brut  dans  toutes  les  forêts  par  la  fabrication 
du  charbon  ;  (ju'il  est  facile  de  le  transformer  en  pyrolignite 
de  fer,  en  le  mettant  en  contact,  même  à  froid,  avec  de  la  fer- 
raille, et  qu'enfin  le  liquide  ainsi  préparé  renferme  beaucoup 
de  créosote,  substance  qui,  indépendamment  du  sel  de  fer 
lui-même ,  a  la  propriété  de  durcir  le  bois  et  de  le  garantir 
des  pourritures  qui  l'attaquent,  ainsi  que  des  dégâts  causés 
par  les  insectes  dans  les  bois  employés  aux  constructions. 

La  découverte  de  M.  Boucherie  a  obtenu  la  sanction  de 
l'expérience,  et  en  1S^7  il  préparait  60,000  traverses  de 
hêtre  destinées  au  chemin  de  fer  de  Creil  à  Saint-Quentin. 
Depuis,  l'administration  des  télégraphes  .s'est  adressée  à 
M.  Boucherie  pour  la  préparation  des  poteaux  qui  supportent 
les  fils  des  télégraphes  électriques;  elle  a  pu  ainsi  employer 
des  pins  indigènes ,  au  lieu  de  poteaux  en  chêne ,  qui  sont 
sept  fois  plus  chers. 

II.  Bois  de  chauffage.  Comme  bois  de  chauffage  agréa- 
ble et  commode,  les  avis  se  partagent  entre  le  hêtre,  le 
charme,  l'orme,  le  noyer,  le  châtaignier.  Ces  diverses  es- 
sences se  disputent  la  i)référence.  Quant  au  chêne,  qui 


BOIS 


SSQ 


offre  (l'aille  jrs  beaucoup  Je  matière  combustible  sous  un 
égal  volume,  ceux  qui  recherchent  avant  tout  Tagrément 
le  relèsuent  assez  généralement  pour  rarrière-bùche  ou 
soutien  du  feu,  car  la  combustion  n'en  est  pas  réjouissante 
à  la  vue.  L'opulence  manque  en  France  d'un  bois  que  peut- 
Cire  on  pourrait  y  propager  avec  avantage,  et  qui  procure 
dans  les  États-Unis  d'Amérique  le  combustible  le  plus  gai 
pour  les  salons  :  c'est  le  hickory  ou  pecan  nui  {juglans 
olivxformls);  la  flamme  qu'on  eu  obtient  est  vive,  claire, 
étendue,  et  de  plus  parfumée;  il  s'allume  avec  facilité, 
bride  sans  presque  laisser  de  résidu  terreux,  n'a  qu'un  lé- 
ger pétillement,  peu  dangereux  pour  les  parquets  et  la  toi- 
lette des  dames,  et  il  développe  énormément  de  chaleur. 
Les  différentes  espèces  de  bois  se  divisent  généralement 
en  f o/n/ères  et  en  bois  (yili,  feuillus.  Les  conifères  compren- 
nent le  pin,  le  sapin  rouge,  le  sapin  blanc,  le  mélèze;  les 
bois  feuillus  nous  offrent  le  chêne,  le  hêtre,  le  charme, 
l'aune,  le  bouleau,  le  tilleul,  le  peuplier,  le  saule,  l'orme 
et  le  cliàtaignier.  D'après  leur  degré  respectif  d'inflamma- 
bilité  et  celui  des  charbons  qui  en  proviennent,  on  les 
désigne  encore  en  bois  tendres  et  eu  bois  durs. 

Chacun  connaît  l'altération  que  le  flottage  fait  éprouver 
aux  bois;  cet  effet  nuisible  se  fait  surtout  sentir  quand  le 
bois  n'a  pas  été  préalablement  d.'pouillé  de  son  écorce.  Le 
bois  auquel  on  l'a  laissée,  et  qui  plonge  longtemps  dans 
l'eau,  est  exposé  à  une  espèce  de  fermentation  du  cam- 
bium,  et  cette  fermentation  en  bâte  la  dissolution,  ce  qui 
nuit  considérablement  à  ce  qu'on  appelle  le  nerf  du  com- 
bustible. Quand  le  bois ,  au  contraire,  a  été  écorcé  avant  de 
le  faire  traîner  en  rivière,  la  superficie  de  son  aubier,  prin- 
cipalement quand  après  l'écorçagc  il  est  resté  quelques  jours 
exposé  au  grand  air,  et  mieux  encore  au  soleil,  se  raccornit, 
se  durcit,  de  manière  que  chaque  bûche  est  comme  envelop- 
pée d'un  étui  qui  la  défend  jusqu'à  un  certain  point  de  l'ac- 
tion dissolvante  de  l'eau.  Ces  bois  écorccs  avant  le  llottr.ge 
sont  en  général  connus  à  Paris  et  ailleurs  sous  le  nom  de 
pelard  des  chantiers. 

Le  bois  de  chauffage  se  distingue  à  Paris  et  dans  beau- 
coup d'autres  lieux  par  les  dénominations  de  bois  ne^iftt 
bois  flotté.  Celui-ci  se  subdivise  en  bois  lavé  et  bois  traîné. 
On  connaît  à  Paris  le  bois  dit  de  gravier,  parce  qu'il  croît 
dans  des  endroits  pierreux;  il  arrive  de  la  Bourgogne 
par  l'Yonne,  qui  se  jette  dans  la  Seine,  et  du  Nivernais;  le 
meilleur  est  celui  de  Montargis.  Ce  dernier  a  ordinairement 
toute  son  écorce,  qui  y  est  presque  aussi  adhérente  que  celle 
du  bois  neuf.  Comme  il  ne  nous  arrive  que  des  départements 
voisins ,  il  n'a  pas  encore  subi  d'altérations  bien  sensibles 
dans  sa  texture  ;  l'eau  n'a  pas  eu  le  temps  d'en  dissoudre  les 
substances  solubles.  C'est,  en  général,  un  bon  chauffage. 
L'autre  espèce  de  bois  flotté  se  tire  des  départements  éloi- 
gnés. A  cause  de  son  long  séjour  dans  l'eau ,  il  a  abandonné 
presque  toute  sa  sève  et  les  sels  qui  augmentaient  primiti- 
vement sa  pesanteur  spécifique.  Néanmoins ,  cette  sorte  de 
bois,  après  avoir  subi  une  dessiccation  plus  ou  moins  longue 
dans  les  chantiers,  donne  une  flamme  abondante  et  assez 
étendue;  ce  sont  principalement  les  boulangers,  les  rôtis- 
seurs, les  pâtissiers,  qui  en  font  usage,  et  ils  s'en  trouvent 
bien.  11  convient  en  général  pour  le  chauffage  des  fours  sans 
tirage  et  sans  cheminée. 

Tous  les  bois  quand  ils  ont  subi  une  parfaite  dessiccation 
(à  la  température  de  36°  cent.)  contiennent  à  peu  près  95 
pour  cent  de  leur  poids  en  ligneux ,  qui  est  identique  dans 
tous.  Et  cependant  (  ce  qui  est  dû  sans  doute,  du  moins  en 
majeure  partie ,  à  la  texture  particulière  et  au  degré  de  po- 
rosité) on  remarque  une  bien  grande  différence  entre  leurs 
caractères  physiques;  ce  qui  se  manifeste  surtout  à  l'égard 
de  la  pesanteur  spécifique.  En  effet,  les  uns  sont  beaucoup 
plus  lourds  que  l'eau,  et  de  ce  nombre  sont  plusieurs  va- 
riétés de  chêne,  et  les  autres  pèsent  comme  ce  liquide  ou 
Gont  môme  beaucoup  plus  légers.  Aussi ,  ces  derniers ,  h 


raison  du  plus  grand  écarteraent  de  leurs  fibres ,  qui  admet 
l'afflux  de  l'oxygène  sur  une  plus  grande  surface  de  contact, 
brûlent-ils  plus  facilement  et  avec  plus  de  rapidité  que  les 
premiers. 

Les  différentes  essences  de  bois  fournissent  des  quantités 
très-variables  de  matières  charbonneuses,  qui  sont  loin  d'être 
rigoureusement  proportionnelles  à  la  chaleur  que  ces  diffé- 
rents bois  développent  dans  leur  combustion.  En  effet,  les 
charbons  produits  par  les  divers  bois  jouissent  eux-mêmes 
de  pesanteurs  spécifiques  diverses ,  et  dont  la  variation  ne 
saurait  être  exclusivement  attribuée  aux  quantités  de  ma- 
tières solides  terreuses  qu'ils  contiennent;  car  dans  un 
grand  nombre  de  cas  on  ne  trouve  pas  que  l'effet  soit  pro- 
portionné à  la  cause.  Cela  bien  conçu ,  il  est  facile  de  dé- 
duire qu'il  ne  faut  pas  a  priori  conclure  la  valeur  vénale 
d'une  essence  par  son  poids  spécifique ,  ni  même  par  la  quan- 
tité de  charbon  qu'elle  fournit ,  encore  moins  par  les  quan- 
tités de  cendres  qui  résultent  de  l'incinération  complète, 
car  l'hydrogène  qui  fait  partie  des  bois  a  une  propriété  ca- 
lorifique fort  différente  de  celle  du  carbone.  Quoi  qu'il  en 
soit,  en  attendant  qu'on  ait  complété  une  longue  suite  d'ex- 
périences encore  nécessaires  pour  pouvoir  conclure  avec 
certitude ,  les  limites  dans  lesquelles  paraissent  se  renfermer 
les  anomalies  nous  permettent  d'établir,  comme  précepte 
pratique,  qu'il  faut  avoir  principalement  sous  les  yeux, 
dans  le  calcul  qu'on  peut  faire  de  la  valeur  vénale,  la  pe- 
santeur spécifique  des  bois  ,  pourNTi  qu'ils  soient  tous,  dans 
la  comparaison ,  ramena  à  un  égal  point  de  dessiccation; 
car  telle  essence  retient  l'eau  avec  plus  d'opiniâtreté  et  s'en 
imbibe  avec  plus  de  facilité  que  telle  autre.  C'est  ainsi  que 
sans  <;ette  précaution  on  s'exposerait  aux  plus  graves  er- 
reurs, principalement  pour  ce  qui  est  des  bois  blancs,  po- 
reux et  légers,  comparés,  par  exemple,  au  chêne,  au  frêne, 
et  surtout  à  l'orme. 

Nous  sommes  donc  forcés  de  conclure  que  l'épreuve  par 
l'ébullition  ou  la  vaporisation  de  l'eau,  faite  avec  les  pré- 
cautions et  l'identité  de  circonstances  requises,  est  jusqu'ici 
le  critérium  le  plus  sûr  qui  nous  soit  offert.  En  effet,  la 
meilleure  manière  de  se  rendre  compte  de  la  valeur  calo- 
rifique des  bois  semble  être  celle  qui  consiste  à  comparer 
la  quantité  d'eau  pure  prise  à  une  température  constante 
qu'un  poids  ou  même  un  volume  également  constant  de 
bois  peut  porter,  soit  à  l'ébullition,  soit  à  la  complète  évapo- 
ration,  en  se  servant  d'appareils  identiques,  ou  bien  de 
comparer  le  poids  ou  le  volume  de  ces  bois  qu'il  faudra 
consommer  pour  porter  à  l'ébullition  un  volume  d'eau  dé- 
terminé. 

Il  faut  bien  se  garder  aussi  de  confondre  la  facile  inflam- 
mabilité  avec  la  richesse  du  combustible  en  moyens  de  ca- 
loricité.  L'inflammation  en  est,  en  général,  une  source  puis- 
sante ,  mais  elle  n'est  pas  toujours  commode  ni  applicable 
sans  inconvénient.  Nous  ne  voyons  guère  que  l'économie 
domestique,  dans  laquelle,  au  moyen  d'appareils  appro- 
priés ,  on  puisse  dans  presque  tous  les  cas  apprécier  la  va- 
leur du  combustible  d'après  la  flamme  qu'il  produit.  Mais  il 
est  bien  loin  d'en  être  ainsi  dans  un  grand  nombre  d'industries 
et  de  manufactures. 

Nous  ne  savons  pas  encore  d'une  manière  bien  positive 
si  les  quantités  du  produit  de  l'incinération  (les  cendres) 
restent  les  mêmes ,  soit  qu'on  brûle  le  bois  immédiatement, 
ou  en  lui  faisant  subir  une  carbonisation  préalable  avec  les 
précautions  convenables.  Ce  point  serait  bien  intéressant  à 
éclaircir.  Il  paraît  résulter  des  recherches  du  comte  de 
U  u  m  f  0  r  d  que  le  carbone  se  combine  avec  l'oxygène  à  un 
degré  de  température  bien  inférieur  à  celui  où  il  brûle  d'une 
manière  visible.  Ce  point  de  vue  n'est  pas  moins  essentiel 
que  celui  qui  précède  immédiatement;  car  si  Rumford  est 
fondé  dans  son  assertion,  il  devient  évident  que  dans  beai>- 
coup  d'opérations  il  y  a  perte  de  combustible,  puisque  la 
lenteur  de  la  combustion  frustre  du  bénéfice  de  cette  con- 


360 


BOIS 


sommation.  En  général,  en  effet,  il  a  été  observé  que  pour 
produire  !e  plus  grand  effet  calorifique  possible,  il  faut  que 
les  charbons  brûlent  dans  un  temps  détermine.  On  n'a  pas 
davantage  constaté  jusqu'ici  le  rapport  qu'il  y  a  entre  l'effet 
que  les  charbons  peuvent  produire  et  leur  degré  de  com- 
bustibilité, ou  leur  pesanteur  spécifique,  supposé  que  cette 
propriété  soit  relative  à  la  première.  Il  a  été ,  à  la  vérité ,  de- 
puis longtemps  observé,  mais  sans  mesure  précise,  et  seu- 
lement comme  donnée  générale,  qu'à  volume  égal  les 
charbons  pesants  développent  plus  de  chaleur  que  les  char- 
bons légers.  Mais  à  poids  égaux  quelles  sont  les  condi- 
tions de  ce  problème,  qui  reste  encore  indécis?  On  peut 
même  déjà  assurer  que  l'effet  calorifique  n'est  pas  exacte- 
ment proportionnel  à  la  pesanteur  spécifique  ;  ce  sont  les 
charbons  légers  qui  dans  ce  cas  paraissent  dégager  le 
plus  de  chaleur.  Nouveau  sujet  d'examen  et  d'importantes 
observations.  C'est  cette  vue  aussi  qui  nous  a  fait  dire  qu'il 
nous  semblait  qu'on  s'était  trop  hâté  de  conclure  de  la  pe- 
santeur spécifique  de  ces  bois  à  leur  valeur  relative  ;  car 
pour  les  bois  non  carbonisés  il  peut  bien  se  passer  un 
effet  analogue  à  ce  qui  a  lieu  pour  certains  charbons. 

Si  la  quantité  de  chaleur  développée  par  le  bois  était  ri- 
goureusement proportionnelle  au  carbone  qu'il  contient, 
et  si,  d'ailleurs,  le  carbone  était  proportionnel  à  la  pesan- 
teur spécifique  du  bois  (ce  qui  cependant  est  assez  pro- 
bable), on  pourrait  en  conclure  qu'à  volume  égal  le  bois  le 
plus  dur  et  le  plus  pesant ,  le  plus  difficilement  inllammable 
par  conséquent,  serait  celui  dont  il'faudrait  attendre  le  plus 
d'effet  calorifique  ;  mais  jusqu'à  présent  on  n'a  pu  que  soup- 
çonner le  rapport  entre  les  effets  des  bois  d'égale  pesanteur; 
il  est  d'ailleurs  extrêmement  difficile  d'en  déterminer  la  pe- 
santeur spécifique  réelle  avec  une  certaine  précision,  à 
cause  de  la  quantité  variable  d'eau  que  les  bois  contiennent 
toujours. 

Les  bois,  comme  les  hydrates  du  règne  minéral,  con- 
tiennent toujours ,  à  l'état  de  combinaison  chimique  intime, 
une  certaine  quantité  d'eau  qui  n'en  peut  être  chassée  que 
par  un  degré  de  chaleur  bien  supérieur  à  celui  de  l'ébulli- 
tion.  Cette  eau  de  composition  est  totalement  indépendante 
de  celle  d'imbibition ,  qui  cède  à  une  température  bien 
plus  basse  et  avec  beaucoup  de  facilité.  Voilà  pourquoi  les 
observateurs  de  ces  sortes  de  phénomènes  ont  tant  varié  dans 
le  résultat  de  leurs  expériences  sur  un  sujet  aussi  délicat. 

Rumford  a  incontestablement  prouvé  que  pour  un  poids 
déterminé  le  bois  développe  d'autant  plus  de  chaleur  qu'il 
est  dans  un  état  plus  parfait  de  siccité  ;  et  en  effet  il  ne 
pouvait  guère  en  être  autrement ,  si  la  vapeur  d'eau  dégagée 
dans  l'acte  de  la  combustion  ne  se  condense  qu'à  l'extéiieur, 
et  loin  des  appareils,  comme  cela  a  lieu,  en  général,  à  l'issue 
des  cheminées.  Dans  ce  cas,  c'est  emploi  de  combustible 
perdu  que  de  se  servir  de  bois  humide.  On  voit  donc  com- 
bien est  funeste  et  coûteuse  cette  notion  qui  porte  souvent 
le  vulgaire  à  faire  usage  de  bois  encore  vert ,  parce  que  la 
combustion  en  est  moins  rapide.  L'inconvénient  de  produire 
trop  de  chaleur  dans  le  même  instant  fait  prendre  ce  parti  ; 
mais  si  l'on  avait  des  appareils  appropriés ,  dans  lesquels 
le  feu  pourraitêtre  alimenté  proportionnellement  aux  besoins, 
il  y  aurait  incontestablement  un  avantage  immense  à  n'em- 
ployer que  du  bois  complètement  privé  de  toute  humidité. 
11  est  un  fait  avéré,  au  surplus,  c'est  que  les  bois  vieux,  hu- 
mides, en  dépérissement,  ne  produisent  comparativement 
que  peu  de  charbon  et  d'une  moindre  qualité  que  les  bois 
sains,  jeunes  et  vigoureux.  D'après  les  expériences  dellielni, 
le  bois  nouvellement  abattu  donne  du  charbon  plus  léger, 
plus  friable,  et  qui  développe  moins  de  chaleur;  mais  les 
quantités  peuvent  être  égales  pour  ce  bois  et  pour  celui  qui 
a  été  préalablement  desséché. 

in.  Bois  pour  Vébénist crie ,  la  marqueterie,  la  ta- 
bletterie et  le  tour.  Ces  bois  sont  colorés  naturellement  ou 
arliliciellemcnt.  La  liste  des  bois  exotiques  naturellement 


colorés,  non-seulement  telle  que  l'ont  donnée  nos  anciens 
auteurs,  mais  telle  même  qu'on  s'étonne  de  la  trouver  dans 
des  ouvrages  modernes  et  plus  exacts ,  a  été  ridiculement 
allongée.  Cette  hste  offre  une  foule  de  doubles  emplois  et 
d'erreurs,  dus  principalement  à  des  récits  de  voyageurs  écri- 
vant en  différentes  langues,  et  à  ce  que  de  simples  accidents 
individuels  dans  les  échantillons  ont  fait  admettre  des  es- 
pèces imaginaires. 

Ces  bois,  dont  la  plupart  ont  des  articles  particuliers  dans 
cet  ouvrage,  sont  :  Y  acajou;  un  autre  bois  importé  en 
France  depuis  quelques  années,  sous  le  nom   d'acajou   m 
d'Afrique ,  quoiqu'il  ne  soit  pas  certain  qu'il  appartienne  ■ 
à  cette  famille  ;  Vacajou  femelle  (  cédrel  odorant),  dont  les   ■ 
Anglais  font  un  grand  usage,  mais  qui  a  l'inconvénient  d'être 
mou,  poreux  et  ordinairement  fort  léger;  le  bois  d'ama- 
r  an  t/ie;  le  buis  jaune  du  Levant  ;  la  cèdre;  lu  bois  de 
Chatousieux ;  le  bois  citron;  le  bois  de  corail 
dur  ;\(t  bois  de  cornefétide;\e  bois  de  Cour  baril;  J 
ï'ébéne;lc  bois  de  fer  ;  le  bois  de  Fustet;  le  bois  de  J 
Grenadille  \ia\;  \e  palissandre;  \c  faux  palissan- 
dre; le  bois  violette,  qui  se  rapproche  du  palissandre; 
le  bois  perdrix;  le  bois  de  rose;  le  bois  de  santal 
citrin;  le  bois  de  sassafras  et  le  bois  satiné. 

Quant  à  nos  bois  indigènes ,  nous  avons  tort  de  n'en  pas 
faire  un  plus  grand  usage ^  et  les  meubles  plusieurs  fois 
exposés  avec  les  autres  produits  de  l'industrie  nationale  ont  ■ 
prouvé  tout  le  parti  qu'on  peut  tirer  des  bois  produits  de  m 
notre  sol.  Peu  de  nos  bois  se  refuseraient  à  cet  emploi ,  si  ■ 
on  savait  en  tirer  tout  le  parti  convenable ,  comme  le  font 
principalement  les  Hollandais,  en  variant  les  plans  de  section 
au  sciage.  Nous  n'aurons  pas  besoin  de  nous  étendre  en  des- 
criptions. Il  suffit  de  citer  notre  acacia,  notre  buis  de 
France,  et  surtout  sa  loupe;  le  charme  aux  couches  on- 
dulées; plusieurs  variétés  de  nos  chênes  de  Picardie  et  des 
Ardennes.  Le  cormier  bien  coupé  n'est-il  pas  magnifique? 
le  cornouiller  en  vieillissant  n'acquiert-il  pas  du  lustre  et 
une  belle  couleur  brune?  l'érable,  d'un  grain  si  beau 
et  si  uni ,  blanc  d'abord ,  ne  se  moire-t-il  pas  en  jaune  avec 
le  temps?  la  loupe  du  frêne  n'est-elle  pas  très-belle? 
le  hêtre  même  n'offre-t-il  pas  d'agréables  variétés  de  cou- 
leur en  vieillissant?  Notre  olivier  égale  la  plupart  des  bois 
exotiques.  L'orme  est  admirable,  quand  on  a  su  en  tirer 
tout  le  parti  possible.  Nous  avons  vu  surtout  du  placage  en 
poirier  sauvage  qui  surpassait  peut-être  tout  ce  qu'il  y  a  de 
plus  beau  en  pa'issandre.  Le  pommier  vieux  n'est  pas  non 
plus  à  dédaigne  ;  son  grain  est  fin  et  moelleux.  Depuis  long- 
temps on  a  procn  é ,  en  exposant  chez  les  marchands  d'es- 
tampes des  cadres  exlrêmement  joUs,  que  le  sapin  bien 
choisi  est  un  véritable  bois  à  meubles,  qui  a  d'ailleurs  l'a- 
vantage d'être  de  tous  celui  qui  se  déjette  et  se  tourmente 
le  moins  :  aussi  les  géomètres  et  les  dessinateurs  le  recher-  . 
chent-ils  pour  leurs  règles.  Le  bois  de  tilleul  conserve  un 
blanc  pur  ;  son  grain  est  fin  et  uni  :  il  peut  figurer'  avec 
avantage  dans  la  marqueterie.  Il  y  a  un  giand  parti  à  tirer 
aussi  du  p'alane,  elc,  etc. 

Ici  encore  nous  retrouvons  le  nom  de  M.  Boucherie,  qui 
au  moyen  de  ses  procédés  de  pénétration  communique  au 
bois  des  cou'ears  et  des  odeurs  variées.  La  coloration  peut 
être  produite  par  des  substances  minéralesou  par  des  matières 
végeta'es.  Dans'e  premier  cas,  ce  n'est  point  une  substance 
déjà  colorée  qu'on  introduit  ;  on  présente  successivement  à 
respiration  deux  corps  dont  la  réaction  réciproque  détermine 
la  foiniPliou  d'un  troisième  corps  coloré  :  ainsi  l'on  obtient 
du  noir  en  faisant  passer  dans  le  bois  une  dissolution  de 
pyioligniie  de  plomb ,  puis  une  dissolution  de  sulfure  de 
sodium.  Quand  on  le  pénètre  successivement  de  prussiate 
de  potasse  et  de  sulfate  de  fer,  on  obtient  un  bleu  de  Prusse 
magnifique.  Le  sulfate  de  cuivre  et  l'ammoniaque  donnent 
une  teinte  bleu-céleste  des  plus  lielles.  Le  vert  est  [uoduil 
par  l'acide  arsénieux  et  l'acétate  de  cuivre ,  etc. 


I 


BOIS 


3GI 


Avant  cette  découverte,  on  coloiait  déjà  les  bois  d'ébé- 
nisterie  par  des  procédés  encore  employés  aujourd'hui,  et 
par  lesquels  on  imite  tant  bien  que  mal  les  nuances  des  bois 
exotiques.  Ainsi ,  le  sycomore  et  l'érable  soumis  à  l'action 
d'une  infusion  de  bois  de  Brésil  acquièrent  une  couleur  aca- 
jou loncé  avec  reflet  doré  ;  l'infusion  de  garance  et  <le  bois  de 
Drésil  agissant  sur  le  tilleul  d'eau  donne  le  même  résultat. 
L'acajou  rouge-clair  s'obtient  d'une  infusion  de  bois  de 
Brésil  sur  le  noyer  blanc,  ou  (5e  roucou  et  de  potasse  sur  le 
sycomore.  On  obtient  également  :  l'acajou  fauve,  par  une 
décoction  de  campêclie  sur  l'érable  et  le  sycomore  ;  l'acajou 
foncé,  par  une  décoction  de  Brésil  et  de  garance  sur  l'aca- 
cia et  le  peuplier,  ou  par  une  solution  de  gomme  gutte  sur 
le  châtaignier  vieux,  ou  encore  par  une  solution  de  safran 
sur  le  châtaignier  jeune;  le  bois  citron,  par  une  dissolu- 
tion de  gomme  gutte  dans  l'essence  de  térébenthine  siu-  le 
sycomore;  le  bois  jaune,  par  une  infusion  de  carcuma  sur 
le  hêtre,  le  tilleul  d'eau  ou  le  tremble  ;  le  bois  jaune  satiné, 
par  une  infusion  do  curcuma  sur  l'érable  ;  le  bois  orangé, 
par  une  infusion  de  curcuma  et  de  sel  d'étain  sur  le  tilleul; 
le  bois  orangé  satiné  foncé,  par  une  solution  de  gomme 
gutte  ou  une  infusion  de  safran  sur  le  poirier  ;  les  bois 
de  courbaril  et  de  corail,  par  une  infusion  de  Brésil  et 
de  campôche  sur  l'érable,  le  sycomore,  le  charme,  le  pla- 
tane ou  l'acacia,  en  altérant  la  dissolution  par  un  peu  d'a- 
cide sulfurique;  le  bois  de  gayac,  par  une  décoction  de 
garance  sur  le  platane,  ou  une  solution  de  gomme  gutte  ou 
de  safran  sur  l'orme;  le  bois  brun  veiné,  par  une  infusion 
de  garance  sur  le  platane,  le  sycomore  et  le  hêtre,  avec 
une  couche  d'acide  sulfurique;  un  bois  imitant  le  grenat, 
par  une  décoction  de  Brésil  appliquée  avec  alunage  sur  le 
sycomore,  en  altérant  ensuite  le  bois  teint  par  une  couche 
d'acétate  de  cuivre;  des  bois  bruns,  par  une  décoction  de 
campêche  sur  l'érable,  le  hôtre  ou  le  tremble,  le  bois  étant 
aluné  avant  d'être  teint;  les  bois  noirs,  par  une  forte  décoc- 
tion de  campêche  sur  le  hêtre,  le  tilleul,  le  platane,  l'érable, 
le  sycomore,  en  ayant  soin  d'altérer  le  bois  teint  par  une 
couche  d'acétate  de  cuivre;  etc.  Ceux  qui  ont  foi  en  ces 
merveilleux  procédés  recommandent  l'apprct  préalable  des 
bois,  qui  consiste  à  les  bien  dresser  d'abord  et  à  les  polir 
à  la  pierre  ponce,  afin  que,  dit-on,  ils  prennent  la  couleur 
d'une  manière  uniforme.  Avant  de  les  mettre  en  couleur,  il 
est  utile  de  tenir  les  bois  pendant  vingt-quatre  heures  dans 
une  étuve  à  la  température  de  30  degrés  environ.  Quand  le 
bois  teint  est  bien  sec,  on  polit  à  la  proie  et  on  vernit. 

Mais  l'art  de  colorer  ainsi  les  bois  est,  à  notre  avis,  l'art 
de  les  gâter.  11  n'y  a  pas  là  une  véritable  teinture  du  corps 
ligneux,  mais  un  simple  barbouillage.  Les  couleurs  qui  d'a- 
bord semblaient  avoir  le  mieux  réussi  passent  bientôt  après 
au  brun  sale,  quelle  qu'ait  été  la  nuance  primitive.  On  ne 
peut,  jusqu'à  un  certain  point,  les  conserver  qu'en  les  dé- 
fendant de  l'accès  de  l'air  par  un  épais  vernis,  et  on  sait 
quel  triste  effet  font  les  meubles  ainsi  couverts. 

IV.  Des  bois  de  senteur.  Il  ne  peut  entrer  dans  nos 
vues  de  parler  ici  des  procédés  d'extraction  des  parfums  ; 
nous  devons  nous  borner  à  rappeler  les  espèces  de  bois  qui 
les  fournissent.  Tous,  moins  un,  ont  déjà  été  nommés  ci- 
dessus,  comme  servant  également  dans  l'ébénisterie,  la  mar- 
queterie et  la  tabletterie  ou  les  ouvrages  de  tour.  Ce  sont  : 
le  bois  de  rose,  qui  répand  l'odeur  de  la  fleur  dont  il  porte 
le  nom;  le  bois  de  Santal  citrin,  fortement  aromatique 
et  suave;  le  bois  de  Sassafras;  le  bois  de  Rhodes, 
le  plus  odorant  de  tous  les  bois  exotiques  ;  le  bois  violette, 
qui,  comme  le  bois  de  rose,  tire  son  nom  de  la  douce  odeur 
<iu'il  exhale. 

Nous  avons  ^^l  qu'on  peut  rendre  odorants  les  bois  ino- 
dores. Les  substances  odorantes  doivent,  avant  l'aspiration, 
être  dissoutes  dans  l'alcool  et  dans  diverses  essences. 

V.  Des  bois  tinctoriaux.  Nous  nous  contenterons  d'en 
donner  la  liste,  en  renvoyant  pour  les  détails  aux  articles 

bICr.    Ï>E    LA    CONVEr.S.    —    T.    III. 


particuliers.  Les  principaux  bois  tinctoriaux  sont  :  le  bois 
de  Brésil,  hBrésillef,  le  Caliatotir,  le  bois  de 
Californie,  le  bois  de  Campêche,  le  bois  de  Fer- 
nambouc,  le  bois  de  Fustet,  le  bois  de  Sainte' 
M  art  h  e  (probablement  le  même  que  celui  qui  dans  le  com- 
merce porte  le  nom  de  bois  de  Nicaragua),  le  bois  de  Ja- 
pon ou  brésillet  des  Indes,  et  le  bois  de  Terre- 
Ferme. 

BOIS  (  Sylviculture  ).  L'aménagement  des  bois 
ayant  été  l'objet  d'un  article  spécial,  nous  nous  bornerons  ici 
à  donner  quelques  considérations  sur  les  diverses  essences, 
ainsi  que  sur  l'exploitation  et  les  semis  des  bois. 

A  la  tête  des  bois  durs  est  sans  contredit  le  roi  des  fo- 
rêts, le  chêne,  qui  ne  trace  ni  nedrageonne,  mais  qui, 
par  l'abondance  de  ses  fruits ,  est  très-propre  à  remplir  les 
vides  des  bois;  qui  pousse  plus  vigoureusement  peut-être 
qu'aucun  autre  arbre  sur  les  vieilles  cépées,  dont  la  vie  est  de 
près  de  deux  siècles,  qui  offre  la  première  des  charpentes 
et  le  plus  parfait  des  tans.  Quoiqu'il  pivote,  il  pousse  mieux 
les  premiers  années  en  mauvais  terrain  qu'eu  bonne  terre; 
mais  cette  fécondité  n'est  pas  de  longue  durée.  Il  offre  l'in- 
convénient d'être  sujet  à  la  gelée;  c'est  pour  cela  qu'il  a  be- 
soin de  société  pour  l'en  garantir;  et  il  lui  faut,  pour  mon- 
ter aussi  haut  qu'il  peut  s'élever,  l'aide  d'un  taillis  ou  d'un 
gaulis  de  trente  à  quarante  ans,  qui  le  fasse  filer  en  détrui- 
sant les  branches  basses ,  et  le  contraigne  à  porter  sa  tête 
fort  haut. 

Le  frêne  est  le  second  arbre  de  la  première  classe.  Il  est 
plus  difficile  que  le  chêne  sur  la  qualité  du  terrain  ;  il  lui 
faut  un  sol  profond  et  un  peu  humide;  sa  tige  s'élève  beaucoup 
plus  en  massif  qu'isolé.  Il  ne  drageonne  ni  ne  pivote  ;  mais 
il  pousse  de  grandes  racines  latérales,  avec  lesquelles  il 
détruit  plusieurs  espèces  de  bois  blancs,  et  il  ne  sympa- 
thise qu'avec  le  tremble  et  le  peuplier,  dont  la  végétation 
est  hâtive. 

Le  hêtre  ne  prospère  pas  sur  un  mauvais  terrain  comme 
le  chêne.  Il  lui  faut  un  sol  profond ,  limoneux,  ou  composé 
de  sable  mêlé  avec  de  la  terre  franche.  Son  bois  convient  à 
la  boissellerie ,  parce  qu'il  a  la  fibre  souple  et  qu'il  est  sus- 
ceptible de  prendre  un  beau  poli.  La  tête  du  hêtre  se  des- 
sèche ordinairement  à  13  mètres  de  hauteur,  mais  il  se  forme 
bientôt  une  nouvelle  tête  par-dessus  la  première.  Les  hêtres 
ne  pivotant  pas  comme  le  chêne ,  leurs  racines  s'entendent 
si  bien  entre  elles ,  qu'on  voit  quelquefois  ces  arbres  s'ac- 
coler l'un  contre  l'autre ,  et  élever  leurs  tiges  comme  si  elles 
sortaient  de  la  même  cépée. 

L'orîrtedétrait  les  bois  blancs,  et  il  finirait  par  faire  périr 
le  chêne  s'il  était  en  grand  nombre  dans  un  tailhs.  Son  ins- 
tinct est  de  pivoter  en  bon  terrain;  mais,  si  le  sol  n'est  pas 
profond ,  il  trace  à  de  grandes  distances.  Il  se  reproduit  par 
des  milliers  de  graines ,  et  finirait  par  s'emparer  de  toute  une 
forêt  si  on  le  laissait  faire.  On  doit  le  considérer  comme 
arbre  d'alignement ,  et  il  vient  à  merveille  au  milieu  des  haies 
et  des  buissons.  On  compte  beaucoup  de  variétés  dans  cette 
espèce  :  la  plus  commune  est  l'orme  auquel  la  science  a 
donné  le  nom  de  pyramidal.  Son  grand  avantage  dans  le 
charronnage  provient  de  ce  que  sa  fibre  se  resserre  lorsqu'il  a 
1"',60  de  tour.  Plus  vieux  et  plus  gros,  il  est  moins  recher- 
ché. 11  produit  beaucoup  de  graines  ;  mais  on  le  multiplie  par 
les  drageons  et  les  marcottes. 

Le  châtaignier  ne  doit  pas  être  admis  en  plein  bois  : 
il  ne  convient  qu'en  taillis,  pour  former  les  meilleurs  cercles 
que  l'on  connaisse  ;  il  est  plus  sujet  que  les  autres  essences 
à  la  gelée  ;  il  lui  faut  un  terrain  limoneux  et  sablonneux  :  il 
veut  croître  en  pleine  liberté.  Eu  [deinbois,  il  acquiert  ra- 
rement 2  mètres  de  circonférence ,  tandis  qu'abandonné  à 
lui-même  sa  circonférence  acquiert  jusqu'à  i)  mètres.  Cent 
vingt  ou  cent  cinquante  châtaigniers  d'une  belle  venue  peu- 
vent couvrir  un  hectare,  produire  chacun  quinze  francs  de 
revenu  par  année,  et  payer,  en  ime  seule  récolte  de  fruilSj, 

46 


3G2  BO 

la  valeur  du  sol.  Le  ciiâtaignier  est  meilleur  comme  bois  de 
charpente  que  le  chêne,  parce  que  les  vers  ne  l'attaquent 
point. 

Voici  quels  sont  les  inconvénients  du  charme  •  il  trace 
beaucoup  trop ,  il  pousse  une  grande  quantité  de  rejetons 
depuis  sa  racine  ;  il  fait  périr  tous  les  bois  blancs  qui  vien- 
nent au  milieu  de  ses  rejets,  et  méuie  les  bois  durs.  L'ypréau* 
et  l'orme  lui  résistent  seuls.  Ses  racines  ne  poussent  pas  de 
drageons ,  mais  ses  cépées  sembleraient  impérissables  si  les 
mulots  ne  l'attaquaient  pas.  11  n'y  a  que  les  souris  qui  soient 
avides  de  ses  graines. 

Ce  n'est  que  depuis  fort  peu  d'années  qu'on  trouve  l'y- 
prémi  en  plein  bois.  11  n'est  bien  que  là,  ou  dans  les  friches 
Planté  en  avenue ,  et  le  long  des  terres  arables ,  il  couvre  les 
terres  de  ses  drageons,  et  il  Unirait  par  les  envahir  et  détruire 
toute  culture.  11  s'empare  de  toutes  les  clairières  de  bois 
comme  les  trembles.  Coupe  à  quatre  ou  cinq  ans ,  les  rejets 
d'une  seule  cé[)ée  couvrent  un  cercle  de  8  mètres  de  dia- 
mètre. Quatre-vingt-dix  arbres  ainsi  coupes  suffisent  pour 
|)L'uiiier  un  hectare.  11  lui  fa\it  un  lerr<iin  un  peu  humide; 
son  bois  vaut  mieux  que  celui  du  tremble  et  du  tilleul;  il 
synipalhi>e  fort  bien  avec  les  bois  durs. 

Le  bouleau  ne  se  reproduit  ni  par  ses  racines  ni  par  ses 
drageons,  mais  il  rend  une  immense  quantité  de  graines 
([ue  les  vents  dispersent ,  et  qui  conservent  leur  vitalité  du- 
rant bien  des  années.  Planté  avec  le  tremble  et  l'ypréau,  il 
est  très-utile  pour  repeupler  un  bois  en  décadence.  Il  vit 
(luarante-huit  à  cinquante  ans;  mais  il  est  toujours  utile  de 
couper  le  taillis  à  vingt  ans;  il  donne  beaucoup  de  bois  à 
i'éclaircie. 

Les  saules  sont  fort  utiles  dans  le  nord  :  outre  le  chauf- 
fage qu'ils  procurent,  ils  y  donnent  du  tan,  des  écorces 
avec  lesquelles  on  fal)rique  des  filets  et  même  des  étoffes. 
La  monographie  de  cet  arbre  est  très-difficile  à  faire ,  parce 
qu'il  y  eu  a  beaucoup  d'espèces.  Le  salix  cuprea,  ou  mar- 
saule,  vient  dans  les  bois.  11  est  réputé  arbre  forestier  de 
la  troisième  grandeur;  il  s'élève  jusqu'à  10  mètres,  et  il 
vit  trente  à  quarante  ans.  Il  produit  beaucoup  de  graines  ; 
il  vient  de  boutures,  de  drageons,  de  racines,  et  en  consé- 
quence il  est  très-bon  pour  repeupler  avec  le  bouleau  des  bois 
humides;  il  repousse  très-bien  en  cépée,  mais  non  en  têtard 
comme  les  saules  des  prés;  sa  feuille  est  plus  large,  plus 
cotonneuse  en  dessous ,  plus  lisse  en  dessus  et  d'un  vert 
plus  tendre;  son  bois  est  rougeàtre,  plus  dur,  plus  plein, 
meilleur  pour  le  chauffage  et  pour  le  charbon,  et  pour  former 
des  échalas,  que  le  saule  ordinaire.  La  seconde  espèce  de 
marsaule  ne  s'élève  que  de  2  à  3  mètres;  ses  racines  pous- 
sent et  tracent  comme  les  ronces.  Cette  espèce,  appelée /wî<r- 
pre,  est  très-vivace,  et  elle  est  une  teigne  dans  les  bois. 

Le  tilleul  est  très-nuisible  dans  les  taillis.  Il  détruit  les 
bois  blancs  et  les  bois  durs,  il  graine  et  drageonne  beaucoup  ; 
on  doit  toujours  chercher  à  le  détruire ,  ainsi  que  le  charme 
et  le  coudrier  ;  il  offre  cependant  l'avantage  d'un  beau  poli 
dans  son  tissu,  et  d'un  cordage  médiocre  dans  ses  écorces. 
Le  tremble  vient  moins  grand  que  l'ypréau;  il  dépérit 
à  cinquante  ans ,  et  il  donne  beaucoup  de  chablis  durant  son 
existence  ;  l'orme  et  le  charme  le  font  périr  ;  il  vient  partout, 
excepté  sur  les  sols  brûlants. 

Vauii  e,  qui  est  très-pittoresque,  ne  vient  qu'en  aligne- 
ment le  long  des  rivières ,  des  étangs  et  des  mares. 

LepcM^/ier  indigène  ne  prospère  pas  sur  les  glaises  et 
les  marnes.  11  ne  vient  bien  qu'en  terrain  frais  et  humide;  le 
peuplier  suisse  et  le  peuplier  d'Italie  n'apii.lrtiennent  pas 
aux  forêts  :  ce  sont  des  arbres  d'alignement.  Le  peuplier 
d'Italie ,  ou  pyramidal ,  est  le  i)his  mauvais  de  tous  les  bois, 
soit  pour  le  sciage,  soit  pour  le  chaufliige  ;  il  ne  vaut  pas  le 
saule,  qui  pèse,  le  mètre  cube  sec,  392  kilogrammes,  ni  le 
peuplier  suisse,  qui  pèse  550  kilogiammes,  tandis  que  le 
poids  de  celle  preudcre  esitèce  est  de  300  kilogrammes, 
i'at  lui  les  arbres  à  fruit,  on  distingue  \Qmerisie  r  comme 


IS 

étant  de  secon<le  grandeur,  et  s'élevant  jusqu'à  10  et  mêm* 
13  mètres  de  hauteur.  Il  entrait  jadis  comme  partie  essentielle 
dans  la  menuiserie  ;  mais  depuis  (ju'on  a  trouvé  le  moyen 
de  débiter  l'acajou  en  feuilles,  et  de  l'appliquer  sur  le  chêne 
avec  une  colle  plus  adhérente  encore  que  les  libres  du  bois 
entre  elles,  le  merisier  a  beaucoup  déchu  de  sa  valeur. 

h'ali  zier  est  un  arbre  de  seconde  grandeur  :  les  oiseaux 
aiment  beaucoup  son  fruit ,  et  il  se  transporte  partout  ;  son 
bois  est  très-dur,  et  l'on  en  fait  des  vis  de  pressoir. 

Vérable,  qui  résiste  aux  plus  fortes  gelées,  et  qui  se 
défend  contre  les  arbres  les  plus  exigeants ,  deviendrait  le 
tyran  et  l'envahisseur  des  bois ,  si  la  nature  lui  avait  accordé 
plus  de  moyens  de  reproduction  qu'il  n'en  a. 

On  a  donné  le  nom  de  teigne  des  bois  au  coudrier, 
qui  détruit  toutes  les  essences,  tant  ses  racines  sont  fortes 
et  nombreuses ,  et  tant  ses  cépées  sont  abondantes  en  reje- 
tons ,  qui  étouffent  toutes  les  essences. 

On  voit  encore  dans  les  grandes  forêts  des  pruniers,  pom- 
miers, poiriers,  néfliers,  amelanchiers ,  azéroliers,  guiniers, 
griotticrs;  et  parmi  les  arbrisseaux  on  trouve  l'aubépine, 
l'épine-noire,  l'églantier,  la  bourdaine,  les  cornouillers,  fu- 
sains ,  nerpruns ,  sureaux ,  troènes ,  chèvrefeuilles ,  épine- 
vinettes,  framboisiers,  groseilliers,  houx,  viornes,  genévriers, 
bruyères  et  genêts.  Tous  les  arbres  et  arbrisseaux  désignés 
ci-dessus  doivent  être  rigoureusement  arrachés. 

On  ne  doit  jamais  couper  les  vieux  arbres  en  pivot  ni 
en  pot ,  ni  les  jeunes  taillis  en  bec  de  flûte.  La  taille  en 
pivot  consiste  à  fouiller  jusqu'à  la  racine  et  à  couper  le 
tronc  à  ra  naissance,  afin  de  gagner  quelques  pieds  ou 
quelques  pouces  sur  la  longueur  de  la  pièce.  La  taille  en 
forme  de  pot  consiste  à  pousser  la  hache  verticalement, 
au  lieu  de  la  porter  horizontalement,  et  à  former  ainsi 
dans  le  tronc  qui  demeure  en  terre  une  cavité  qui  retient 
l'eau,  pourrit  les  racines,  et  arrête  la  pousse  des  rejetons. 
L'abattage  du  taillis  en  bec  allongé,  au  lieu  de  la  coupe 
transversale,  rend  la  plaie  de  l'arbre  plus  étendue .  et  con- 
séquemment  plus  difficile  à  cicatriser,  ce  qui  nuit  considéra- 
blement à  la  reproduction  des  rejets.  La  meilleure  manière 
de  couper  les  futaies  sur  taillis ,  c'est  la  coupe  entre  deux 
terres,  immédiatement  au-dessus  du  collet ,  parce  que  celte 
enveloppe  terreuse  empêche  le  tronc  de  pourrir  trop  rapi- 
dement. Les  plaies  du  tronc,  soumises  alternativement  à 
l'action  du  soleil,  de  la  pluie ,  du  gel  et  du  dégel,  guérissent 
difficilement.  Le  tronc  se  gerce ,  se  fendille,  et  donne  lieu  à 
une  si  grande  déperdition  de  sève  qu'il  n'en  reste  plus  a.ssez 
pour  alimenter  les  rejets.  Il  serait  à  désirer  qu'il  fût  pos- 
sible de  couper  dans  le  moment  qui  précède  la  sève  du 
printemps,  parce  que  cette  sève,  qui  s'extravase,  forme 
sur  les  plaies  une  couche  qui  se  coagule,  cicatrise  la  bles- 
sure et  favorise  le  développement.  Les  bois  coupés  l'automne 
ou  l'hiver  se  gercent;  l'écorce  se  sépare  du  liber;  les  pluies 
ou  les  neiges  altèrent  le  tissu  cellulaire ,  et  font  souvent 
mourir  les  racines.  Il  faudrait,  s'il  était  possible,  imiter  les 
jardiniers ,  qui  placent  du  niastic  sur  les  tiges  qu'ils  ont 
attaquées  avec  la  serpe.  11  faudrait  les  imiter  encore 
dans  les  opérations  de  léclaircie,  et  détruire  les  dra- 
geons et  brins  inutiles.  La  beauté  des  rejetons  sur  les 
vieilles  cépées  est  toujours  en  raison  inverse  de  leur  nombre. 
Ne  laisser  sur  chaque  cépée  qu'un  ou  deux  rejetons  les 
mieux  venants  est  une  opération  utilement  pratiquée  par 
quelques  propriétaires  forestiers  qui  vivent  sur  leur  domaine. 

C'est  lorsqu'on  exploite  un  bois  qu'il  faut  purger  le  sol 
de  tous  les  bois  traînards  et  parasites ,  et  notamment  des 
coudriers  et  des  charmes;  réduire  le  nombre  des  ormes, 
qui,  en  se  multipliant  par  leurs  racines  et  leurs  graines, 
finissent  par  s'étouffer  les  uns  les  autres.  On  doit  abattre 
de  préférence  ceux  d'entre  les  anciens  qui  ont  pris  tête 
trop  tôt,  qui  sont  fourchus  ou  pommiers,  ou  bien  trop 
rapprochés  les  uns  des  autres,  o»i  percés  à  la  bifurcation 
du  tronc  par  des  pics  qui  y  pratiquent  des  ouvertures, 


I 


BOIS 


3n3 


Ie-<;quelles ,  on  se  remplissant  ireaiix  pluviales,  carient  la 
pièce  d'un  bout  à  lautre.  Parmi  les  baliveaux  de  lage, 
on  doit  choisir  les  arbres  les  plus  droits ,  les  plus  vigou- 
reuv,  ceux  qui  viennent  de  brin ,  et  non  pas  ceux  qui  pous- 
sent sur  les  vieilles  cépées ,  alors  môme  qu'ils  paraissent 
plus  vigoureux  au  moment  de  la  coupe.  11  est  évident  que 
cet  état  de  vigueur  ne  sera  pas  de  longue  durée,  et  que  le 
brin  qui  a  sa  racine  propre  aura  une  plus  grande  longévité 
que  celui  qui  se  reproduit  sur  une  souche  déjà  affaiblie  par 
plusieurs  coupes.  Les  rejets  de  cépées  ne  sont  bons  que  pour 
former  un  taillis  bien  fourré.  Les  baliveaux  de  l'âge  et  les 
anciens  sont  fort  utiles,  comme  porte-graines ,  remplissant 
les  vides,  et  propres  à  repeupler  une  forêt  déjà  vieillie.  Dans 
un  langage  moitié  forestier,  moitié  vétérinaire,  on  donne 
à  ces  arbres  le  nom  d'étalons. 

Durant  la  coupe  et  les  quatre  ou  cinq  années  qui  la  sui- 
vent on  ne  doit  jamais  souffrir  l'enlèvement  des  glands,  des 
faînes ,  des  châtaignes ,  avec  quelque  abondance  que  la 
nature  les  prodigue.  Quand  le  taillis  a  pris  de  la  hauteur, 
cet  enlèvement  n'a  pas  de  grands  inconvénients,  parce  que 
les  plants  qui  pourraient  naître  seraient  étouffés  par  les 
branches. 

Je  dois  signaler,  comme  les  plus  grands  ennemis  des 
taillis ,  les  troupeaux  de  bctes  à  laine  et  à  cornes ,  et  les 
chevaux  de  labour  et  de  charroi.  Un  bois  n'est  pas  une 
prairie  destinée  au  pâturage.  Le  propriétaire  qui  permet  le 
parcours  dans  les  allées  de  ses  bois  bordées  de  taillis , 
quelque  larges  qu'elles  puissent  être,  perd  toutes  les  parties 
les  mieux  venantes  d'un  bois,  parce  qu'elles  prennent  mieux 
l'air.  La  permission  accordée  aux  propriétaires  des  che- 
vaux ou  mules  qui  voiturent  les  bois  et  les  charbons ,  de 
faire  paître  dans  les  coupes  de  bois  est  la  source  de  grands 
dommages.  Toutes  les  bêtes  ruminantes  préfèrent  les  bour- 
geons aux  herbes ,  et  les  chevaux  particulièrement  affectes 
au  service  des  bois  ont  un  instinct  semblable  à  celui  des 
chèvres.  La  permission  de  couper  de  l'herbe  dar-.  les  bois, 
ou  de  la  faucher  dans  les  clairières  un  peu  étendues ,  en- 
traîne toujours  avec  elle  de  grands  dommages,  parce  que 
en  coupant  l'herbe  on  détruit  les  jeunes  plants  et  les  brins 
naissants  de  bois  blanc  et  de  bois  dur. 

Tant  que  l'exploitation  de  vos  bois  durera,  il  est  de  votre 
devoir  de  veiller  à  ce  que  les  bûcherons  ne  renversent  pas 
les  vieux  arbres  sur  les  baliveaux  et  sur  les  autres  arbres 
réservés;  à  ce  qu'ils  dirigent  leur  chute  sur  des  taillis 
destinés  à  être  coupés;  à  ce  que  les  voituriers  de  charbon, 
qui  fréquentent  vos  bois  durant  six  mois,  n'y  mettent  pas 
leurs  chevaux  en  pâture  ;  à  ce  que  les  charrettes  passent 
dans  les  routes  usitées  et  battues,  n'en  frayent  pas  de  nou- 
velles et  n'endommagent  pas  les  lisières  ;  à  ce  que  la  char- 
pente soit  promptement  équarrie  et  débardée  sur  la  route , 
ainsi  que  les  tas  de  fagots  et  les  bois  d'industrie  qui, 
demeurant  invendus,  ne  peuvent  être  enlevés  durant  la 
belle  saison  ;  à  ce  que  les  bois  et  bourrées  de  bûcheron 
soient ,  ainsi  que  les  copeaux  d'cquârrissage,  enlevés  avant 
la  moisson ,  ou  immédiatement  après  (  car  si  ces  charrois 
sont  renvoyés  au  printemps  prochain ,  qui  est  ordinai- 
rement pluvieux  dans  tout  le  nord  de  la  France,  ces  mar- 
chandises passeront  l'hiver  et  la  belle  saison  suivante  dans 
votre  bois,  et  vous  serez  obligé  d'attendre  les  beaux  jours 
d'été  pour  opérer  une  évacuation  complète);  à  ce  que  les 
grands  fossés  de  pourtour  et  d'écoulement ,  les  sangsues 
et  rigoles,  les  ponceaux  et  les  gargouilles,  soient  prompte- 
ment relevés  durant  l'automne  aux  frais  de  l'adjudicataire, 
et  que  les  nouveaux  moyens  d'écoulement  que  l'expérience 
vous  aura  montrés  nécessaires  soient  faits  à  vos  frais 
dans  le  même  délai;  à  ce  que  tous  les  troncs  des  jeunes 
taillis  et  les  cépées  des  vieux  arbres  soient  recouverts  d'un 
on  deux  pouces  de  terre;  à  ce  que  les  baraques  en  terre 
ou  en  torchis  élevées  par  les  charbonniers,  les  abris  desti- 
nés aux  ouvriers  qui  travaillent  les  bois  d'industrie,  les 


demeures  passagères  bâties  par  les  garde-bois  et  les  garde- 
ventes  ,  soient  démolis  et  rasés,  la  terre  disséminée  sur  les 
jeunes  taillis ,  les  ramées,  bardeaux  et  solives  enlevés  et 
portés  hors  du  bois.  Avec  ces  moyens  employés  durant 
le  printemps,  l'été  et  les  premiers  jours  d'automne,  vous 
aurez  gagné  un  an,  et  même  deux  ans. 

Le  principe  est  qu'il  faut  planter  en  lignes  régulières,  et  suf- 
fisamment espacées,  des  plants  de  deux  années,  enlever  avec 
beaucoup  de  précaution  les  parties  endommagées  des  racines, 
leur  laisser  la  totalité  de  leur  chevelu ,  faire  le  moins  de 
plaies  possible,  et  étendre  de  la  terre  sur  les  plaies  comme 
on  met  de  l'onguent  sur  une  blessure,  rejeter  les  plants  dont 
les  racines  sont  sèches  ou  chancies,  placer  la  terre  de  la 
superficie  et  la  plus  meuble  au  fond  du  trou,  et  ensuite  plom- 
ber la  terre  extérieure  à  coups  de  sabot,  afin  que  l'air  n'y  pé- 
nètre pas,  donner  un  labour  deux  fois  par  an  durant  trois 
ans,  sarcler,  biner,  buter,  etc. 

Quant  au  semis  de  graines,  on  doit  faire  stratifier  celles-ci 
durant  tout  un  hiver,  et  les  semer  durant  les  premiers  jours 
du  printemps,  parce  qu'en  terre  humide  elles  courraient  le 
risque  de  se  pourrir  ou  d'être  mangées  par  les  pies,  les  cor- 
beaux et  les  petits  quadrupèdes  granivores  ou  fructivores.  La 
grosseur  de  la  graine  est  la  juste  mesure  du  degré  de 
profondeur  auquel  on  doit  l'enterrer.  Les  glands  et  les 
châtaignes  doivent  être  couverts  de  2  à  3  centimètres  de 
terre;  les  graines  de  bouleau,  orme,  platane,  tilleul,  peu- 
plier et  saule,  de  un  centimètre  et  demi.  On  sème  quelque- 
fois à  graine  perdue  dans  les  clairières  des  bois;  mais  il  faut 
semer  sur  les  herbes  et  avant  qu'elles  tombent,  afin  que  les 
graines  ne  soient  pas  étouffées  sous  leur  poids.  On  sème 
aussi  des  glands,  des  faînes  et  des  graines  de  bouleau  au 
milieu  des  épines,  des  genêts  et  des  bruyères,  qui  garan- 
tissent les  jeunes  plants  de  la  gelée  et  du  hâle;  et  quand  le 
terrain  est  bon,  il  arrive  ordinairement  que  les  plants,  en 
grandissant,  étouffent  les  mauvaises  essences  qui  les  ont  abri- 
tés; mais  la  croissance  de  ces  bois  est  beaucoup  plus  leule 
que  celle  qui  est  opérée  sur  planches  avec  de  bons  labours. 

En  terre  légère,  on  peut  planter  dans  des  trous  de  30 
à  60  centimètres  de  diamètre ,  sans  qu'on  soit  obligé  de  dé- 
fricher la  totalité  du  terrain  ;  mais  si  le  sous-sol  est  argileux, 
le  trou  se  remplit  d'eau  et  les  racines  poumsseut.  On  peut 
former  aussi  une  forêt  de  bois  blanc  en  plantant  cent  bou- 
tures de  tremble  et  cent  racines  d'ypréau  par  hectare.  On 
les  laisse  se  développer  pendant  quatre  ans,  après  quoi  on 
les  recèpe  pour  leur  donner  une  vigueur  nouvelle. 

L'automne  est  l'époque  la  plus  favorable  pour  les  planta- 
tions en  terre  légère,  et  le  printemps  en  terre  humide. 
Comte  FRA^•çAIs  (  de  Nantes  ). 

On  ne  peut  trop  insister  sur  les  avantages  que  les  semis 
procureraient  aux  propriétaires  des  bois,  à  lagriculture  et 
aux  arts,  dans  les  pays  où  cette  méthode  serait  suivie  avec 
persévérance.  Les  forêts  se  peupleraient  peu  à  peu  d'ar- 
bres plus  utiles  que  plusieurs  de  ceux  qui  les  composent  ac- 
luellement.  La  liste  des  acquisitions  que  l'on  peut  faire 
presque  partout  est  bien  plus  longue  qu'on  ne  le  jtense  com- 
munément :  voici  l'indication  de  quelques  espèces  qui  s'ac- 
commoderaient très-bien  du  sol  et  du  climat  de  la  France. 

La  famille  des  conifères  n'a  pas  encore  fourni  tout  ce 
qu'on  peut  lui  demander.  Le  pin  de  Corse  (  pinus  loricio  ), 
dont  l'accroissement  est  si  rapide,  est  plus  répandu  dans  les 
parcs  et  les  jardins  d'agrément  que  dans  les  forêts ,  où  il 
rendrait  de  si  grands  services  à  la  marine  et  aux  constiaic- 
tions  civiles.  11  n'est  pas  moins  à  désirer  que  le  pin  sil- 
vesire,  mieux  recommandé  par  la  dénomination  de  pin 
de  Riga,  soit  semé  abondamment  partout  où  il  [leut  réussir, 
et  aucun  arbre  n'est  moins  difficile  sur  le  choix  du  terrain; 
on  en  sera  convaincu  dès  que  l'on  saura  qu'il  pousse  avec 
vigueur  dans  les  craies  de  la  Champagne  et  dans  les  sa- 
bles de  la  Sologne. 

Veut-on  réunir  l'agréable  à  l'utile,  que  l'on  sème  àe&pin$ 


S64 

du   lord   Weymoulh 


BOIS 


pinus  strobus  des  botanistes  ). 
Quoique  sa  végétation  soit  moins  rapide  que  celle  du  pin 
de  Corse,  il  fait  un  si  bel  effet  dans  les  jiaysages,  ([u'on  re- 
gretterait de  le  voir  remplacé  par  aucun  de  ses  congénères. 
Enfin ,  trouvons  une  place  pour  Valviez,  pin  cimbrot,  ou 
cembro.  On  lui  reproche  avec  raison  l'exlréme  lenteur  de 
son  accroissement  ;  mais  sa  beauté,  sa  longue  durée  et  la  sa- 
veur de  ses  fruits  le  recommandent  assez  pour  qu'on  lui 
livre  les  sols  tourbeux  et  marécageux ,  où  il  semble  se 
plaire,  et  où  très-peu  d'autres  arbres  peuvent  subsister. 

L'ancienne  renommée  du  cèdre  du  Liban  assignait  à 
cet  arbre  une  place  remarquable  dans  les  plantations  d'a- 
grément; il  est  temps  de  l'élever  à  des  fonctions  plus  im- 
portantes. Il  semble  que  les  soins  de  Iboinmc  lui  sont  né- 
cessaires pour  qu'il  puisse  quitter  le  sol  natal,  et  se  répandre 
assez  promptement  dans  les  lieux  où  l'on  veut  l'établir.  Ses 
fruits  ne  mûrissent  pas  dans  le  cours  d'une  année;  ils  res- 
tent longtemps  sur  i'atbre  après  leur  maturité,  et  lors- 
qu'enfin  ils  ont  touché  la  terre ,  des  années  s'(  coulent  en- 
core avant'que  les  cônes  puissent  s'ouvrir  et  que  les  aman- 
des réunissent  toutes  les  conditions  nécessaires  i)our  la 
germination.  Ces  délais  multiplient  les  chances  défavora- 
bles, et  donnent  à  d'autres  végétaux  plus  de  temps  qu'il  ne 
leur  en  faut  pour  s'emparer  de  tout  l'espace  autour  des  cè- 
dres, dont  les  semences  viennent  toujours  trop  tard,  et  quel- 
quefois hors  de  saison.  Il  n'est  donc  pas  étonnant  que  ces 
arbres  aient  été  confinés  dans  les  montagnes  où  la  nature 
les  avait  placés,  et  que  môme  ils  n'aient  pu  s'y  maintenir; 
€ar  on  assure  que  le  Liban  n'en  conserve  presque  plus.  L'art 
du  jardinier  viendra  très-efficacement  à  leur  secours;  les 
cônes  seront  cueillis  à  l'époque  de  leur  maturité  ;  les  aman- 
des en  seront  extraites  malgré  l'extrême  dureté  des  loges 
ligneuses  où  elles  sont  emprisonnées  ;  on  les  déposera  dans 
une  terre  préparée  pour  les  recevoir,  et  on  les  distribuera 
convenablement  pour  que  les  germes  se  développent  libre- 
ment ,  que  les  plantes  grandissent  et  se  disposent  à  dominer 
un  jour  les  arbres  inférieurs  qui  auront  protégé  leur  en- 
fance. Sans  cette  application  de  l'industrie  humaine,  le  cèdre 
du  Liban  aurait  probablement  disparu,  comme  beaucoup 
d'autres  végétaux  gigantesques  dont  le  monde  fossile  nous 
révèle  aujourd'hui  l'ancienne  existence. 

Les  sapins  ont  autant  de  droits  que  les  pins  à  être  ré- 
pandus dans  les  bois,  au  milieu  des  arbres  dont  la  verdure 
se  renouvelle.  Employés  autrefois  exclusivement  dans  la 
construction  des  édifices ,  ils  obtiennent  encore  aujourd'hui 
la  préférence,  lorsqu'on  peut  s'en  procurer  facilement.  Les 
deux  espèces  indigènes  ne  sont  pas  les  seules  qu'il  faille  faire 
descendre  des  montagnes,  et  contraindre  à  vivre  d;ins  les 
plaines,  dont  il  est  bien  prouvé  que  l'air  et  le  so!  ne  leur 
sont  pas  défavorables  :  nous  appellerons  au.^^i  les  Iiaurniers 
(nbics  bnlsamea),  tant  celui  d'Amérique,  déjà  transporté  en 
France,  que  celui  du  nord  de  l'Asie,  encore  peu  connu,  et 
sur  lequel  Pallas  lui-niême  s'est  trompé  dans  sa  Flora  ros- 
sicn.  L'arbre  que  les  Russes  nommexii  piclita ,  et  qu'ils  pré- 
fèrent à  tous  les  autres  sapins  pour  les  plantations  d'agré- 
ment, n'est  point,  comme  le  dit  ce  naturaliste,  Vabies 
excelsa,  qui  couvre  les  Vosges  et  plusieurs  autres  monta- 
gnes de  France  et  d'Allemagne,  mais  un  baumier  peu  dif- 
férent de  celui  de  Giléad,  bien  caractérisé  par  son  odeur, 
son  feuillage,  ses  fniits  très-courts,  et  dont  les  écailles 
tombent  en  automne  avec  les  semonces,  tandis  que  l'axe  du 
cône  reste  seul  sur  les  branches.  Rien  de  plus  agréable , 
au  printemps ,  que  ce  sapin  lorsqu'il  est  chargé  de  ses  jeunes 
truitsd'un  jwurpre  brillant,  répandus  avec  profusion  sur  un 
feuillage  d'un  vert  sombie. 

L'Allemagne,  toujours  attentive  à  ce  qu'une  grande  uti- 
lité recommande ,  possède  déjà  de  grandes  plantations  d'é- 
rables à  sucre,  tandis  que  chez  nous  le  même  arlwe  n'est 
pas  encore  sorti  des  jardins  des  curieux ,  ou  de  ceux  qui 
jont  consacrés  à  l'étude  de  la  botanique.  Au  reste,  com- 


mençons par  multiplier  les  sapins  indigènes  dans  toutes  !i;9 
stations  où  ils  peuvent  se  plaire  :  quand  nous  aurons  ter- 
miné ce  travail,  l'œuvre  de  la  régénération  de  nos  forêts 
sera  déjà  loit  avancée. 

On  a  presque  tout  dit  sur  le  mélèze,  et  cependant  les 
éloges  (ju'on  lui  a  prodigués  demeurent  stériles.  A  l'excep- 
tion de  quelques  forêts  dans  les  Alpes,  aucune  partie  de  la 
France  ne  pourrait  fournir  assez  de  mélèzes  pour  des  cons- 
tructions de  quelque  impoilance.  Cependant  rien  ne  serait 
I)lus  facile  que  de  les  propager  partout,  dans  les  landfs 
aussi  bien  que  dan  ;  les  forêts ,  en  se  conformant  aux  con- 
seils que  Malesherbes  a  donnés  pour  assurer  le  succès  des 
semis  de  ces  arbres. 

L'Amérique  du  îSord  est  la  pépinière  qui  a  fourni  jusqu'à 
présent  à  l'IJirope  le  plus  grand  nombre  d'arbres  forestiers, 
et  ses  envois  continueront  encore  longtemps.  Quand  lisse- 
ront terminés,  on  pouiTa  s'adresser  à  l'Australasie , où  tant 
de  nouveautés  ont  étonné  les  botanistes,  où  l'immense 
eucalyptus  surpasse  le  géant  des  arbres  d'Afrique,  l'énorme 
baobab. 

En  introduisant  les  conifères  dans  les  forêts  qui  en  sont 
dépourvues,  on  les  embellit  en  même  temps  qu'on  les 
rend  plus  utiles  et  plus  productives.  En  été,  le  vert  sombre 
des  sapins  contraste  agréablement  avec  le  feuillage  des  au- 
tres arbres  ;  l'œil  est  satisfait  d'une  plus  grande  variété  de 
formes  et  de  couleurs.  Dans  plusieurs  forêts  de  monta- 
gnes, les  chênes  et  les  hêtres,  le  châtaignier  môme,  sont 
associés  aux  sapins;  pourquoi  les  plaines  n'offriraient-elles 
pas  aussi  ce  mélange,  qui  réunit  si  bien  ce  qu'il  faut  pour 
nos  besoins  et  nos  plaisirs?  Dans  les  jardins  d'agrément , 
les  pins  et  les  sapins  forment  la  plus  grande  partie  des  bos- 
quets d'hiver;  il  ne  tient  qu'à  nous  de  multiplier  indéfini- 
ment cette  verdure  que  l'on  recherche  en  l'absence  de  touio 
autre,  qui  adoucit  l'austérité  d'un  paysage  dépouillé  de 
presque  tous  ses  charmes,  qui  fixe  dans  nos  contrées  quel- 
ques habitants  des  forêts  qui  n'y  sent  plus  privés  d'asile  et 
de  subsistance  pendant  la  saison  rigoureuse.  Mais  afin  de 
pourvoir  encore  mieux  aux  besoins  de  ces  aimables  hôtes, 
semons  avec  profusion  des  noyaux  et  des  pépins  d'arbres 
tniitiers.  Parmi  les  sauvageons  qui  naîtront  en  foule,  quel- 
ques variétés  précieuses  viendront  un  jour  enrichir  les  ver- 
gers :  on  sait  que  la  pomme  d'a])i  subsista  longtemps 
ignorée  dans  les  bois  avant  d'attirer  l'attention  et  d'obtenir 
les  soins  du  jardinier.  Plus  on  aura  semé,  plus  ces  trou- 
vailles deviendront  fréquentes ,  et  les  forêts  seront  de  vastes 
pépinières  oii  l'horticulture  viendra  faire  de  fructueuses  in- 
vestigations. 

Mais  en  ne  considérant  les  arbres  fruitiers  que  par  rapport 
aux  qualités  de  leurs  bois,  en  les  réduisant  à  n'être  que  des 
arbres  forestiers,  nos  intérêts  bien  compris  nous  engageront 
encore  à  étendre  la  propagation  de  ces  précieux  végétaux. 
Tous  sont  recherchés,  soit  pour  les  arts,  soit  pour  le  chauf- 
fage, ou  pour  l'un  et  l'autre  emploi.  L'acajou  a  trouvé  dans 
le  merisier  un  dangereux  rival;  le  noyer  commence  à  s'in- 
troduire dans  les  ameublements  somptueux  ;  le  prunier  et  le 
poirier  seront  toujours  travaillés  par  les  tourneurs ,  etc. 

Nos  arbres  fruitiers  transportés  dans  le  Nouveau-jMonde 
y  ont  été  plus  que  l'équivalent  de  tout  ce  que  la  Flore  de 
ce  continent  a  donné  à  l'Europe  et  de  ce  qu'elle  lui  promet 
encore.  Accoutumés,  comme  nous  le  sommes,  aux  jouis- 
sances que  ces  arbres  nous  procurent  annuellement,  la  con- 
tinuité du  bientait  le  dérobe ,  en  quelque  sorte ,  à  notre  re- 
connaissance. Pour  estimer  équitableinent  le  mérite  du 
produit  de  nos  vergers,  ce  sont  les  Américains  qu'il  faut 
interroger.  L'a.miral  Anson  porta  la  guerre  sur  les  côtes  du 
Chili  et  du  Pérou,  il  pilla  la  ville  de  Paita,  prit  un  galion 
espagnol  richcitient  cliargé;  mais  en  relâchant  à  l'île  de 
Juan-Fernandez  il  y  planta  quelques  noyaux  d'abricots  : 
cet  arbre  y  prospéra,  se  réi)andit  dans  les  forêts  de  l'île,  et 
les  Espagnols  estiment  eux-mêmes  que  ce  service ,  dont  ils 


BOIS  —  BOIS  COULEUVRE 


365 


so  it  redevables  à  un  ennemi ,  ne  fut  pas  payé  trop  cher, 
si  les  propriétaires  des  forêts  s'occupaient  du  soin  de  les 
améliorer  par  des  semis  ,  ils  parviendraient  bientôt  à  les  dé- 
barrasser des  arbrisseaux  épineux,  qui  y  tiennent  tant  de 
place,  au  préjudice  de  productions  plus  utiles.  Un  semis 
est  préfiaré  par  un  défrichement,  et  lorsque  les  jeunes 
plants  commencent  à  lever  leur  tige ,  il  faut  les  préserver 
de  l'invasion  d'une  foule  d'ennemis  qui  viennent  leur  dis- 
puter la  possession  du  sol  nourricier.  Ainsi ,  la  forêt  reçoit 
une  culture  dont  ses  produits  payent  bientôt  les  frais,  non- 
seulement  par  l'accroissement  de  leur  valeur,  mais  aussi 
parce  (ju'ils  deviennent  plus  abondants. 

La  méthode  des  semis  impose  aux  propriétaires  l'obliga- 
tion de  se  mettre  en  état  de  se  passer  de  coupes  trop  fré- 
quentes ;  elle  tend  à  substituer  les  futaies  aux  taillis,  et  par 
conséquent  à  les  rapprocher  du  maximum  de  produit  :  c'est 
encore  un  sei"vice  qu'elle  rendrait  aux  pays  où  elle  serait 
généralement  pratiquée ,  et  celui-ci  n'est  pas  le  moins  di- 
gne d'attention.  Ferry. 

BOIS  (Zoologie).  Le  bois  chez  les  animaux  est  une 
substance  qui  diffère  essentiellement  des  cornes,  non  par  le 
mode  de  formation,  qui  est  le  même,  en  ce  sens  que  ce 
sont  toujours  des  prolongements  de  l'os  frontal ,  dont  les 
matériaux  sont  versés  par  les  vaisseaux  sanguins,  mais  par  sa 
nature  et  par  ses  accidents.  Les  cornes,  dont  la  substance  est 
analogue  à  celle  des  ongles ,  sont  persistantes  et  ne  tom- 
bent que  par  accident  ;  le  bois  est  une  véritable  végétation 
animale,  et  il  tombe  dans  une  saison  régulière,  celle  du  rut, 
pour  repousser  chaque  année  au  printemps.  Le  cerf,  l'élan, 
le  daim,  le  renne,  etc.,  ont  la  tète  ornée  de  bois  ;  les  antilo- 
pes ,  les  chèvres ,  les  moutons  et  les  bœufs  sont  armés  de 
cornes. 

[Voici  comment  s'opère  la  formation  des  bois  en  zoo- 
logie :  Les  vaisseaux  sanguins  du  front  versent,  au  lieu 
où  l'os  doit  se  prolonger  en  bois,  des  fluides  qui ,  soulevant 
la  peau,  ne  tardent  pas  à  passer  à  l'état  cartilagineux,  et 
qui  s'ossifient  bientôt.  A  mesure  que  ce  travail  s'opère ,  la 
peau  s'élève  et  couvre  les  ramifications  du  bois,  qui,  dans 
son  état  parfait,  finit  par  se  dépouiller;  l'animal  facilite 
ce  dépouillement  en  frottant  son  front ,  désormais  armé , 
contre  les  troncs  des  arbres.  Trois  semaines  ou  un  mois  suf- 
fisent pour  que  le  bois  ait  atteint  toute  sa  hauteur  ;  celte  hau- 
leur  «t  le  nombre  des  ramifications  varient  selon  l'âge  de  l'a- 
nimal. Chaque  année  augmente  ce  nombre  de  ce  qu'en  ter- 
mes de  vénerie  on  appelle  un  andouiller.     > 

Les  organes  destinés  à  la  reproduction  de  l'espèce  dans 
les  animaux  qui  portent  des  bois  ont  une  influence  consi- 
dérable sur  ces  bois ,  qui  paraissent  même  en  dépendre  en- 
tièrement :  si  l'on  retranche  au  cerf,  par  exemple,  les 
attributs  de  son  sexe  pendant  que  son  front  est  dégarni,  ce 
fiont  ne  revêt  plus  sa  parure  ;  si  l'opération  est  faite  tandis  ijuc 
le  bois  décore  la  tête,  il  ne  tombe  plus,  et  l'animal  conserve  à 
jamais  comme  caractère  de  son  impuissance  ce  qui  aupara- 
vant prouvait  en  lui  le  développement  des  facultés  généra- 
trices.      BORY  DE  SaINT-VlnCENT,  (ic  l'Acad.  des  Scieuros.  ] 

BOIS  (Gravure  sur).  Foj/e- Gravure. 

BOISACOTON.  Nom  vulgaire dujoe m;) /«er  de  Vir- 
ginie et  de  quelques  autres  arbres  dont  les  graines  sont 
surmontées  d'une  aigrette  soyeuse  et  semblable  à  du  coton. 

BOIS  À  ENI'VREB  ou  BOIS  IVRAÎNÏ.  Dans  les  co- 
lonies françaises ,  on  donne  ces  noms  à  Yeupliorbia  fru- 
lescens,  au  phyllanthus  virosa,  au  galega  serica,  à 
d'autres  plantes  encore,  parce  que  leur  suc  laiteux  ou  leurs 
fruits  jetés  dans  l'eau  exercent  sur  le  poisson  une  action 
stupéfiante  analogue  à  celle  que  proiluisent  la  noix  vomi- 
que  et  la  coque  du  Levant. 

BOISARD  (  Jf,\s-Jacqi!es-François-^I.u;ie  ) ,  le  plus  fé- 
cond des  fabulistes,  né  à  Caen,  en  1743,  y  est  mort,  à  la 
fin  de  1831.  Il  publia  ses  quatre  premières  fables  dans  le 
Mercure  de  France  en  1709,  et  entra  en  1772  dans  la  mai- 


son du  comte  de  Provence,  dont  l'émigration  le  réduisit  à 
l'état  de  gêne.  Depuis  1773  il  publia  divers  recueils  de 
fables  ;  et  enlin  il  les  réunit  toutes  sous  le  titre  de  3Hlle  et 
une  Fables  (  Caen,  1S06,  in-12  ).  Dans  le  prologue  d'une 
de  ses  fables ,  Boisard  parle  ainsi  de  l'indifférence  du  pu- 
blic: 

J'écris  beaucoup,  et  mon  salaire  est  mince  : 

II  se  réduit  à  rien.  Les  muses  de  province 
Ne  font  pas  fortune  à  Paris. 

Dans  ces  divers  recueils,  Boisard  a  inséré  d'autres  pièces. 
Palissot ,  Marmontel ,  La  Harpe ,  n'ont  fait  aucune  men- 
tion de  Boisard;  mais  VoUairc,  dans  sa  correspondance 
avec  Diderot,  donne  des  éloges  à  ses  premières  fables. 
Quoique  Grimm  les  préfère  à  celles  de  Dorât ,  de  Lamotte, 
et  même  de  l'abbé  Auberl,  il  ne  les  trouve  pourtant  pas 
sans  défauts;  mais  il  leur  reconnaît  de  l'originalité,  et  il 
pense  que  l'auteur  est  celui  de  tous  les  fabulistes  qui  a  le 
moins  cherché  à  imiter  La  Fontaine.  Le  style  de  Boisard  est 
naturel ,  mais  négligé ,  et  beaucoup  de  ses  fables,  ne.laissant 
pas  deviner  leur  moralité ,  peuvent  passer  pour  des  contes. 
Elles  sont  presque  toutes  de  son  invention. 

On  a  quelquefois  confondu  Boisard  avec  son  neveu ,  Jac- 
ques-François Boisard,  né  aussi  à  Caen,  vers  1762,  peintre 
et  poète  médiocre,  toujours  maltraité  par  la  fortune,  et 
mort  probablement  dans  la  misère.  Celui-ci  a  publié  trois 
cent  quatre-vingt-douze  fables,  divisées  en  deux  recueils 
imprimés  à  Paris,  1817  et  1822 ,  et  toutes  au-dessous  de  la 
médiocrité.  H.  Audiffret. 

BOIS  BALAIS.  On  donne  ce  nom  aux  végétaux  dont 
les  rameaux  sont  employés  à  l'usage  qu'il  rappelle  :  en  Eu- 
rope, ce  sont  le  bouleau  et  les  bruyères;  dans  nos  colonies 
de  l'Inde,  plusieurs  érythroxijles,  \cfresnelier ;  etc. 

BOIS  BÉIXIT.  Nom  vulgaire  du  buis,  provenant  de 
son  usage  dans  certaines  cérémonies  du  culte  catholique. 

BOIS  BLA1\CS.  U  ne  faut  pas  croire  que  le  langage 
forestier  applique  ce  nom  à  tous  les  arbres  dont  le  bois  est 
de  couleur  blanche  :  on  entend  simplement  par  bois  blancs 
ceux  dont  le  tissu  ligneux  a  peu  de  consistance.  Ainsi ,  le 
hêtre  et  le  charme,  malgré  la  couleur  de  leur  bois,  ne  sont 
pas  de  la  catégorie  des  bois  blancs.  Celle-ci  renferme  le 
peuplier,  le  saule,  le  bouleau,  le  tilleul,  le  sapin,  le 
frêne,  le  châtaignier,  etc.  U  serait  donc  préférable  de 
classer  les  différentes  sortes  de  bois  en  bois  durs  et  bois 
'7nous. 

On  désignait  autrefois  sous  le  nom  de  blanc  bois,  dans 
les  ordonnances  des  eaux  et  forêts,  le  charme,  le  tremble, 
le  bouleau ,  l'érable. 

BOIS  CHANDELLE.  Nom  commun  à  Vagave  /e- 
lide,  à  Vamyris  élcmi/ère,  à  diverses  espèces  de  pins  et  à 
d'autres  végétaux ,  dont  les  rameaux,  susceptibles  de  brfiier 
aisément,  fournissent  des  moyens  déclairage  aux  habitants 
des  pays  où  ils  croissent. 

BOIS  CITiîON.  On  <lonne  ce  nom  à  différents  arbres, 
mais  plus  particulièrement  à  un  laurier  des  Indes,  qui  croit 
aussi  dans  les  Anlilles.  C'est  un  bois  pesant,  compacte,  dur, 
résineux  ,  odorant ,  susceptible  d'un  beau  poii  ;  d'une  belle 
couleur  citrine,  et  quelquefois  d'un  blanc  jaunâtre?  moiré 
de  jaune  vif;  il  s'en  trouve  d'uni,  de  veiné,  de  saline,  de  mou- 
cheté, etc.  A  une  température  un  peu  élevée,  et  par  ua 
temps  sec ,  il  est  malheureusement  sujet  à  se  fendiller.  On 
l'emploie  dans  la  marqueterie,  les  ouvrages  de  tour,  et  même 
Fébénistcric 

BOIS  COULEUVRE.  Aux  Antilles,  en  nomme  ainsi 
le  dracontium-pertusum,  le  rhamnus  colubrinus  et  le 
strychnos  colubrina;  àAmboine,  c'e^t  Vophixylum  ser- 
pentinum,  et  sur  la  côte  du  Malabar,  Vamelpo.  Ces  dif- 
férents végétaux  sont  ainsi  nommés  parce  que,  à  tort  ou 
à  raison  ,  les  naturels  des  pays  où  ils  croissent  attribuent  à 
quelques-unes  de  leurs  parties  des  i)iopriélés  spécifiques 
contre  la  njorsuit;  des  serpents. 


BOIS  D'AIGLE  —  BOIS  JAUNE 


3GG 

BOFS  D'AIGLE. Ccst  une  variétédcragalloche.  Ce 
Lois  est  caractérisé  par  sa  couleur  noire ,  due  à  une  résine 
particulière  qui  lui  donne  l'aspect  de  l'ébène  noir,  dont  il  se 
rapproche  en  môme  temps  par  la  compacité  et  la  pesan- 
teur. 

BOIS  D'ALOES.Cenomdel'agallochc  lui  vient  de 
ce  que  ce  bois  a  une  saveur  amère  analogue  à  celle  du  suc 
de  l'aloés. 

BOIS  D'AMABANTE.  Voyez  Amarante  (Bois  d'). 

BOIS  DAMIER.  Vo>jez  B,vdamier. 

BOI'S  D'ANIS.  Voijez  Badiane. 

BOIS  D'ASP ALATII.  Ce  bois,  susceptible  d'un  très- 
beau  poli,  est  pesant  et  très-compacte.  Il  est  rouge  violacé, 
avec  des  veines  d'un  rouge  plus  franc,  mais  plus  pûle.  Il  seil 
un  peu  dans  rébénisterie ,  mais  principalement  pour  la  mar- 
queterie. On  ne  connaît  pas  exactement  l'arbre  dont  provient 
ce  bois,  qui  nous  est  apporté  des  Indes  Orientales. 

BOIS  DE  BRÉSIL.  Voyez  Brésil  (Bois  de). 

BOIS  DE  BRÉS8LLET.  Voyez  Brésillet  (  Bois  de). 

BOIS  DE  CALL\TOUR.  Voyez  Caliatour  (Bois  de). 

BOISDECALÏFORNIE.  I'oî/c-Caui-ornie (Boisde). 

BOIS  DE  CAMPÈCIIE,  BOIS  d'INDE.  Voyez  Cam- 
pêche. 

BOIS  DE  CIIATOUSIEUX.  Voyez  Cuatousieux 
(Boisde). 

BOIS  DE  CORAIL  DUR  ou  BOIS  DE  CONDORI. 
Ce  bois  mérite  bien  l'épitliète  de  dur.  C'est ,  dit-on ,  le  pro- 
duit de  Vadenant fiera  (Linné),  arbre  de  la  décandrie  mo- 
nogynieet  delà  (amille  des  légumineuses  fausses,  qui  croît 
dans  l'Inde.  Ce  bois  est  pesant,  d'une  extrême  dureté,  com- 
pacte, d'un  grain  fin  et  prenant  bien  le  poli.  Les  bords  sont 
ordinairement  d'un  rouge  clair  tirant  au  jaune,  mais  l'inté- 
rieur est  d'un  rouge  plus  foncé.  Son  extrême  dureté  le  fait 
beaucoup  rechercher  pour  certains  ouvrages.  Il  en  est  fait 
usage  dans  la  tabletterie  principalement  et  pour  les  ouvrages 
de  tour.  Il  nous  arrive  en  bûches. 

BOIS  DE  CORNE  FÉTIDE  ou  BOIS  PUANT,  BOIS 
CACA.  C'est  le  produit  d'un  arbre  de  la  famille  des  cappa- 
ridées  qui  croît  à  Cayenne  ;  on  en  connaît  une  autre  espèce 
qui  provient  du  stercuUer  balanghas,  famille  des  malva- 
cées  de  la  décandrie  monogynie.  Celui-ci  croît  dans  l'Inde,  où 
il  est  connu  sous  le  nom  de  cavalam.  Il  nous  arrive  privé 
de  son  aubier.  Il  est  d'un  brun  rougeàtre  moiré  de  jaune;  il 
est  dur,  compacte,  pesant,  d'un  giain  fin  et  susceptible  de 
poli  ;  il  exhale  une  odeur  d'excréments  humains ,  d'où  lui 
vient  son  vilain  nom.  Il  est  d'usage  dans  l'ébénisterie,  la 
tabletterie,  la  marqueterie,  etc.  Celui  de  Cayenne  nous  ar- 
rive en  bûches  de  toutes  grosseurs. 

BOIS  DE  COURBARIL.  Foy.  Coi)RBARiL(Boisde). 

BOIS  DE  FER,  BOIS  DE  JUDA ,  BOIS  DE  NAGHAS. 
Voyez  Feu  (Bois  de\ 

BOIS  DE  FERNAMBOUC.  Voyez  Fernambouc 
(Bois  de). 

BOISDE  FUSTET.  Voyez  Fustet  (Boisde). 

BOIS  DE  GRENADILLE.  Voyez  Grenadille 
(Bois  de). 

BOIS  DE  NATTE.  Nom  de  i)lusieurs  grands  arbres, 
et  particulièrement  d'un  mimusops ,  dont  on  taille  des  plan- 
chettes qui ,  disposées  en  manière  d'ardoises ,  servent  à 
cou\Tir  les  maisons  dans  nos  colonies  à  l'ouest  du  cap  de 
Bonne-Espérance. 

BOIS  DE  RHODES,  BOIS  DE  CHYPRE.  Voyez 
Rhodes  (Bois  de). 

BOIS  DE  RONDE ,  D'ARONDE  ou  DE  ROIXGLE. 
C'est  un  êryt/iroxyle,  dont  les  branches  brûlent  avec  une 
grande  facilité  et  en  répandant  assez  de  lumière  pour  four- 
nir d'excellents  (lambeaux  naturels ,  dont  les  patrouilles  de 
nos  colonies  s'éclairent  pendant  leurs  marches  nocturnes. 
De  cet  usage  est  venu  le  nom  de  bois  de  ronde. 

BOIS  DE  ROSE.  Voyez  Rose  (Bois  de). 


BOIS  DE  SAINTE-LUCIE.  C'est  le  prunus  mnhn- 
Icb.  Voyez  Cerisier. 

BOIS  DE  SAINTE-MARTHE, BOIS  DE  NICARA- 
GUA. Voyez  SAiNTE-.'^lAnTiiE  (  Bois  de). 

BOIS  DE  SANG.  Nom  qu'on  donne  quelquefois  au  bois 
de  Cam pèche. 

BOIS  DE  SANTAL.  Voyez  Santal  (Boisde). 

BOIS  DE  SASSAFRAS.  Foye=  Sassafras  (Bois  de). 

BOIS  DE  TERRE-FERME.  Voyez  Terre-Ferme 
(  Bois  de). 

BOIS  DURS.  On  nomme  ainsi,  par  opposition  aux 
bois  blancs,  les  bois  d'une  contexture  serrée,  tels  que 
le  buis,  Yorme,  \e  chêne,  etc. 

BOISGELIN  (Famille  de),  l'une  des  plus  anciennes 
de  la  Bretagne,  doit  sa  moderne  illustration  au  cardinal  de 
ce  nom,  qui  occupa  le  siège  archiépiscopal  de  Tours 
de  1802  à  1804. 

Jean-de- Dieu-Raymond  de  Boisgelin  de  Cucé,  né  à  Ren- 
nes, le  27  février  1732,  mort  à  Tours,  en  1804,  avait  été  des- 
tiné dès  l'enfance  à  l'état  ecclésiastique.  Après  avoir  été 
grand  vicaire  à  Pontoise,  évèque  de  Lavaur,  dans  le  Haut- 
Languedoc,  archevêque  d'Aix,  député  à  l'Assemblée  des 
Notables,  il  émigra  en  Angleterre,  d'où  il  ne  revint  qu'a- 
près la  signature  du  concordat,  pour  être  appelé  à  l'arche- 
vôché  de  Tours,  et  recevoir  peu  de  temps  après  le  cha- 
peau de  cardinal.  Plusieurs  membres  de  sa  famille  avaient 
péri  sur  l'échafaud  révolutionnaire.  Ses  devoirs  pastoraux 
ne  l'empêchèrent  pas  de  s'occuper  des  affaires  publiques. 
Nommé  président  des  états  de  Provence ,  il  fit  décréter  par 
cette  assemblée  la  fondation  de  plusieurs  établissements 
utiles.  Député  du  clergé  d'Aix  aux  états  généraux ,  il  y 
vota  l'abolition  des  privilèges  féodaux.  Élu  président  de 
l'Assemblée  nationale  le  2.3  novembre  1790,  il  prit  une  part 
active  à  ses  travaux  aussi  longtemps  qu'il  demeura  sur  le 
territoire  de  la  France. 

Dans  ses  moments  de  loisir ,  le  cardinal  de  BoLsgclin  cnl- 
tivait  en  outre  les  lettres;  doué  d'un  goût  fin  et  délicat,  et 
d'un  esprit  brillant,  il  y  obtint  des  succès  qui  le  conduisi-      _ 
rent  à  l'Académie  Française,  où  il  succéda  à  l'abbé  de  Voi-     ■ 
senon  (  1776).  Il  reste  de  lui  différents  écrits  sur  les  ques-      m 
lions  débattues  pendant  la  période  révolutionnaire,  des  tra-  , 
ductions,  en  vers  français,  des  Psaumes  et  des  Héroïdes 
d'Ovide.  Ce  fut  lui  qui  prononça  l'orai.son  funèbre  du  Dau- 
phin, fils  de  Louis  XV,  celle  de  Stanislas,  roi  de  Pologne, 
de  madame  la  dauphine  en  17G9,  ainsi  que  le  discours  du 
sacre  de  Louis  XVI. 

— Le  chef  actuel  de  cette  famille  est  le  marquis  Édouard- 
Raymond-Marie  de  Boisgelin.  Né  à  Paris,  en  1801 ,  il  en- 
tra au  service  en  1817,  et  fit  la  campagne  d'Espagne, 
en  1823,  comme  aide  de  camp  du  marquis  de  Lauriston. 
Appelé  par  la  mort  de  son  père  à  la  dignité  de  pair  de  France, 
en  1831 ,  il  fit  son  entrée  à  la  Chambre  le  jour  même  où  l'on 
discutait  la  loi  sur  l'hérédité,  et  vota  avec  la  minorité.  Plus 
tard  il  se  prononça  contre  les  lois  de  septembre ,  et  contre 
ks  fortifications  de  Paris.  Partisan  éclairé  des  libertés  na- 
tionales, il  saisissait  avec  empressement  l'occasion  de  les  dé- 
fendre contre  les  empiétements  du  pouvoir.  La  révolution  de 
Février  l'a  rendu  à  la  vie  privée.  C'est  par  le  mariage  de  son 
père  avec  M"*  de  IMortefontaine  que  la  terre  de  Saint-Far- 
geau,  l'une  des  plus  considérables  de  France,  et  dont  le 
château,  bâti  par  Jacques  Cœur,  a  été  habité  par  la  grande 
Mademoiselle,  est  passée  dans  la  maison  de  Boisgelin. 

BOIS  JAUNE.  Ce  bois  e.st  dur ,  pesant ,  compacte, 
jaune  à  l'extérieur  quand  il  est  de  coupe  fraîche,  et  passe 
au  noirâtre  en  vieillissant.  L'intérieur  est  jaune,  parsemé  de 
filets  rougeàtre  orangé.  On  fait  peu  de  cas  de  celui  qui  est 
d'une  couleur  serin  ou  jaune  pûle. 

On  en  connaît  dans  le  commerce  de  deux  espèces,  celui 
de  Cuba  et  celui  de  Tampico.  Ce  dernier  est  de  couleur  moins 


1 


BOIS  JAUNE  —  BOISROBERT 


3G7 


vive  que  l'autre,  fournit  moins  de  naatière  colorante,  et  par 
conséquent  est  moins  estimé. 

Le  bois  jaune  de  Cuba  nous  vient  en  biicbes,  généralement 
rondes,  du  poids  de  quinze  à  cent  cinquante  kilogrammes. 
Quelquefois  ces  bûches  sont  fendues  en  deux,  et  la  plupart 
sont  coupées  à  la  scie.  Les  bûches  de  Tampico  sont  plus 
longues  et  coupées  à  la  Imche,  présentant  à  leurs  extrénutés 
une  section  cunéiforme. 

On  ne  sait  quel  est  l'arbre  qui  pro  luit  le  bois  jaune.  Les 
uns  pensent  que  c'est  le  lauriis  ochroxylon  ,  qui  porte  en- 
core le  nom  de  bois  verdoyant  ;  d'autres  l'attribuent  au  bi- 
gnonia  leucoxylon  ,  aussi  appelé  bois  vert,  ou  encore  au 
liriodendron  tulipifera ,  au  r/iits  cotimis,  etc. 

BOIS-LE-DUC  (en  hollandais  Hertogenbosch  ou  lin- 
Bosch),  capitale  de  la  province  néerlandaise  du  Brabant 
septentrional,  au  confluent  de  la  Dommel  et  de  l'Aa,  qui 
forment  par  leur  réunion  la  Dlest.  Cette  ville,  qui  compte 
une  population  de  13,000  habitants,  en  majorité  catholiques, 
est  le  siège  d'un  évêché,  et  possède  un  lycée,  plusieurs  fa- 
briques, entre  autres,  de  toile,  une  saunerie,  etc.;  elle  fait 
un  commerce  important  en  grains.  La  cathédrale ,  une  des 
plus  belles  églises  des  Pays-Bas,  a  53'°,32  de  large  sur 
llS^jTS  de  long,  et  est  soutenue  par  cent  cinquante  piliers. 
Les  fortifications,  en  forme  de  triangle,  consistent  en  sept 
bastions  qui  se  flanquent  l'un  l'autre,  et  en  fossés  qui  peu- 
vent être  complètement  inondés  par  l'Aa  et  la  Dommel.  Les 
forts  Papenbril  (aujourd'hui  Guillaume  et  Marie),  Sainte- 
Isabelle  et  Saint- André  complètent  le  système  de  défense  de 
la  place. 

Simple  rendez-vous  de  chasse  des  ducs  de  Brabant,  Bois- 
le-Duc  s'agrandit  successivement  jusqu'à  devenir  tm  bourg, 
que  le  duc  GottfiiedlII  entoura  de  murailles,  en  1184, 
et  éleva  au  rang  de  ville.  En  15S5  les  Hollandais  tentè- 
rent de  le  surprendre;  un  hasard  seul  fit  échouer  leur  en- 
treprise. Assiégé  inutilement  en  1001  et  en  1603,  il  finit 
cependant,  après  un  siège  de  cinq  mois  ,  par  tomber  au  pou- 
voir du  prince  Frédéric-Henri  de  Nassau,  en  1629. 

En  1794  une  place  forte  était  nécessaire  à  l'armée  du  Nord 
pour  poursuivre  les  Anglais  au  delà  de  la  Meuse.  Ce  fut 
Bois-le- Duc  que  l'on  choisit  ;  mais  ce  n'était  pas  chose  facile 
que  de  s'en  empar?r.  Cette  place  était  environnée  de  forts 
bien  entretenus  et  bien  armés,  et  des  inondations  qui  s'é- 
tendaient à  plus  de  600  mètres  de  ses  remparts ,  en  faisaient 
comme  une  lie  au  milieu  d'un  vaste  lleuve.  Tant  d'obstacles 
ne  rebutèrent  pas  l'armée  française.  On  n'avait  point  d'ar- 
tillerie de  siège,  mais  la  garnison  était  faible.  On  se  fia  à 
la  fortune.  On  attaqua  tout  à  la  fois  la  ville  et  les  forts  d'Orten 
et  de  Crèvecœur,  dont  la  prise  devait  priver  la  ville  de 
toute  communication  avec  la  Meuse.  Le  ville  fut  investie 
le  23  septembre.  Dès  le  lendemain  on  entra  dans  le  fort 
d'Orlen ,  évacué  par  les  Hollandais.  On  établit  quelques 
batteries  d'obusiers  et  de  canon  à  160  mètres  des  ouvrages 
extérieurs  ;  on  ouvrit  la  tranchée  devant  le  loit  de  Crève- 
cœur,  et  on  le  bombarda  avec  tant  de  persévérance,  qu'il 
se  rendit,  le  29  septembre,  au  général  Delmas.  L'occupation 
de  ce  fort,  en  affaiblissant  les  moyens  de  défense  de  Bois- 
le-Duc,  ouvrait  en  outre  le  passage  de  l'île  de  Dommel, 
position  décisive  pour  l'invasion  de  la  Hollande.  On  s'em- 
para môme  du  fort  de  Saint-André,  mais  on  ne  pensa  pas  à 
en  réparer  les  fortifications  et  à  les  mettre  en  état  de  dé- 
fense; de  sorte  que  les  Hollandais,  qui  connaissaient  l'im- 
portance de  cette  position,  purent  la  reprendre  et  la  mettre 
à  l'abri  d'un  nouveau  coup  de  main.  Cependant  le  siège  de 
Bois-le-Duc  traînait  en  longueur.  On  commençait  à  avoir 
des  inquiétudes  sur  l'issue  de  cette  entreprise.  Les  pluies 
avaient  étendu  les  inondations;  les  tranchées  près  des  ou- 
vrages extérieurs  n'étaient  plus  praticables;  l'artillerie  de 
siège  était  arrivée ,  mais  il  fallait  pour  l'établir  de  grands 
travaux,  que  le  sol,  inondé,  rendait  longs  et  difficiles.  Les 
forts  isolés  qui  environnaient  la  ville  en  empochaient  les 


approches.  Cependant,  les  batteries  de  pièces  de  campagne  et 
les  obusiers  avaient  incendié  plusieurs  parties  de  la  ville; 
et  l'opinion ,  plus  forte  dans  la  guerre  que  les  armes  elles- 
mêmes  ,  y  combattait  pour  les  Français.  Au  moment  où 
on  s'y  attendait  le  moins,  le  gouverneur,  qui  s'était  case- 
maté  et  qui  môme  avait  blende  sa  demeure  avec  des  bois  et 
du  fumier  pour  la  mettre  à  l'abri  des  bombes,  demanda  à 
capituler.  On  se  hâta  de  lui  accorder  les  honneurs  de  la 
guerre;  et  le  10  octobre  1794  il  retourna  en  Hollande  avec 
sa  garnison  prisonnière  de  guerre  sur  parole.  On  s'étonna 
de  trouver  sur  les  remparts  146  bouches  à  feu ,  et  130 
milliers  de  poudre  dans  les  magasins. 

Le  14  janvier  1S14  Bois-le-Duc  fut  pris  par  le  général 
prussien  de  Hobe,  qui  commandait  une  division  du  corps 
du  Bulovv. 

BOIS  MARBRÉ.  T'oj/e;  Bois  satiné. 

BOIS  MORT.  Voyez  Mokt-Bois. 

BOIS  IVOIR.  Par  allusion  au  vert  foncé  de  leur  feuil- 
lage, on  donne  ce  nom  à  différents  arbres ,  tels  que  la  mi- 
me use  Lebbek,  etc. 

BOIS-PERDRIX.  Ce  bols  est  Vheisteria  coccineay 
de  la  décandrie-monogynie,  famille  des  hespéridées.  H 
croit  aux  Indes  ;  on  en  trouve  aussi  à  la  Martinique  et  à 
Cayenne,  d'où  il  nous  vient  principalement.  Le  bois-perdrix 
est  nuancé  de  couleurs  diverses  ;  il  a  quelque  ressemblance 
avec  le  gaïac.  On  l'emploie  surtout  dans  la  tabletterie. 

BOIS  PUANT.  Leur  mauvaise  odeur  a  fait  donner  à 
plusieurs  bois  ce  nom,  que  portent  surtout  le  6 ois  de 
corne  fétide  et  la  mi  me  «se  de  Far  ne  se. 

BOISROBERT(FRANÇ0isLEMÉTELDE),néàCacn,en 
1592 ,  mort  le  IC  mars  1662,  membre  de  l'Académie  Fran- 
çaise, commença  par  être  avocat,  mais  renonça  bientôt  à 
une  profession  qui  n'allait  guère  à  son  humeur  enjouée  et 
bouffone.  Dans  un  voyage  qu'il  fit  en  Italie,  le  pape 
Urbain  VIII,  à  qui  il  se  fit  présenter,  le  trouva  si  amusant, 
que  pour  lui  donner  une  marque  de  sa  bienveillance  ,  il  lui 
procura  un  bon  prieuré  en  Bretagne.  Jusque  alors  Boisro- 
bert  ne  s'était  senti  aucune  vocation  pour  l'état  ecclésiastique. 
Le  don  de  ce  prieuré  le  fit  changer  d'avis.  Il  entra  dans 
les  ordres,  et  ne  tarda  point  à  être  pourvu  d'un  canonicat  à 
Rouen ,  d'un  meilleur  produit  encore  que  son  prieuré.  L'ha- 
bit ecclésiastique  ne  lui  ôta  rien  de  sa  gaieté.  Ayant  été  in- 
troduit un  jour  chez  le  cardinal  de  Richelieu  ,  il  se  surpas  sa 
lui-même  en  esprit  et  en  bons  mots.  Dès  lors  le  cardinal 
viulnt  absolument  que  Boisrobert  fût  à  lui.  Le  joyeux 
bouffon  devînt  de  plus  en  plus  nécessaire  au  ministre  pour 
lui  faire  oublier,  à  ses  instants  de  loisir  ,  les  fatigues  et  los 
soucis  àcji  affaires  politiques.  Richelieu  s'était  tellement 
habitué  à  lui,  que  l'ayant  disgracié  pour  certaines  plaisan- 
teries qui  lui  avaient  paru  aller  au  delà  des  convenances , 
il  ne  riait  plus  depuis  son  éloignement,  et  ne  put  résister 
à  la  requête  de  l'exilé,  au  bas  de  laquelle  le  médecin  du 
cardinal  avait  ajouté  en  forme  d'ordonnance  :  Recipe  Bois- 
robert, voulant  dire  par  là  que  la  gaieté  de  Boisrobert  était 
plus  utile  à  la  santé  de  son  client  que  tous  les  remèdes  qu'il 
pourrait  lui  prescrire. 

Boisrobert  contribua  beaucoup  à  la  fondation  de  l'Aca- 
démie Française ,  dont  il  fut  l'un  des  premiers  membres. 
Richelieu  ne  pouvait  faire  moins  à   l'égard  d'un  littérateur 
qu'il  admettait  à  travailler  à  quelques-unes  de  ses  pièces  de 
théâtre.    L'humeur  caustique  de  Boisrobert  ne  ménageait 
pas  plus  ses  confrères  que  d'autres ,  et  on  trouve  partout 
cette  spirituelle  boutade  qui  lui  échappa  un  jour  sur  la  len- 
teur avec  laquelle  marchaient  les  travaux  de  la  rédaction 
du  Dictionnaire  entrepris  par  la  docte  compagnie: 
Mais  tous  ensemble  ils  ne  font  rien  qoi  vaille. 
Depuis  six  mois  dessus  l'F  on  travaille  ; 
Et  le  Destin  m'aurait  fort  obligé 
S'il  m'avait  dit  :  Tu  vivras  jusqu'au  G. 

Au  reste,  lo  cardinal  le  combla  de  faveurs,  et  notamment 


868 


BOlSROBhRT  —  BOISSEUÉE 


le  fil  nommer  à  la  riche  abbaye  de  Cliâtillon-siir-Seiae.  Il 
le  pouiTul  en  outre  d'une  place  de  conseiller  d'État.  On  con- 
naît le  joli  rondeau  dans  lequel  Malleville  s'égaya  sur  la 
lortune  de  Boisrobert   : 

Coiffé  d'un  froc  bien  rafliné, 

El  rcvêlti  (l'un  dovciint', 

Qui  lui  rapporte  de  quoi  frire, 

Frère  René,  etc. 

Après  la  mort  de  Riclielieu,  Boisrobert  (ut  exilé  de  la 
cour.  Uf^tait  grand  joueur,  et  avait  le  défaut  de  jurer  sou- 
vent en  jouant.  On  trouva  qu'il  n'avait  pas  la  décence  de 
mœurs  nécessaire  à  un  ecclésiastique,  et  on  l'envoya  faire 
pénitence  à  son  abbaye  de  ChiUillon-sur-Seine.  C'est  IPi 
qu'il  mourut.  11  avait  composé  dix-huit  pièces  de  théâtre, 
tant  tragédies  que  comédies ,  des  poésies  disséminées  dans 
divers  recueils, et  un  roman:  Histoire  indienne  d'Anasandre 
et  d'Orasic  (Paris,  1629^. 

BOIS  SACRÉS.  Les  bois  ont  été  les  premiers  lieux 
destinés  au  culte  des  dieux.  Dans  les  temps  primitifs',  où  les 
liorames  ne  connaissaient  ni  villes  ni  maisons,  lorsqu'ils  ha- 
bitaient les  forêts  ou  les  cavernes  ,  ils  choisirent  dans  les  bois 
les  lieux  les  plus  écartés,  lesplusimpénétrablesauxrayonsdu  ' 
soleil,  pour  y  faire  leurs  sacrifices  religieux.  Dans  la  suite, 
on  y  bâtit  de  petites  chapelles  et  enfin  des  teniples  ;  mais  on 
continua  à  les  environner  d'épaisses  plantations  d'arbres,  et 
ces  forftts  devinrent  aussi  sacrées  que  les  tem[)les  mêmes. 
On  s'y  assemblait  aux  jours  de  fête,  et  après  la  célébration 
<les  mystères  on  y  faisait  des  repas  publics ,  accompagnés 
de  danses  et  de  toutes  les  autres  marques  de  la  plus  grande 
joie.  On  y  consacrait  particulièrement  aux  dieux  les  arbres 
les  plus  beaux  et  les  plus  grands,  qu'on  surchargeait  d'of- 
frandes, et  qu'on  ornait  de  bandelettes,  comme  les  statues 
des  dieux  mômes;  usage  qui  plus  tard  fut  sévèrement 
proscrit  par  l'empereur  Théodose,  saint  Grégoire,  et  plu- 
sieurs rois  de  France  et  de  Lombardie.  Couper  des  bois  sa- 
crés était  un  sacrilège  ;  il  n'était  permis  que  de  les  élaguer, 
de  les  éclaircir,  et  d'abattre  les  arbres  qu'on  croyait  attirer 
Je  tonnerre. 

A  Claros ,  il  y  avait  un  bois  consacré  à  Apollon  ;  Élien  dit 
qu'on  n'y  rencontrait  pas  un  seul  animal  venimeux.  Les  cerfs 
y  trouvaient  un  refuge  inviolable  quand  ils  étaient  poursui- 
vis; chiens  et  chasseurs  abandonnaient  leur  proie  sur  le 
seuil  de  la  forêt.  Esculape  avait  près  d'Épidaure  un  bois 
où  il  était  défendu  de  laisser  entrer  les  moribonds  et  les 
femmes  en  mal  d'enfant  ;  c'était  une  profanation  que  d'y  lais- 
ser naître  ou  mourir  une  créature  humaine.  Le  bois  que 
Viilcain  avait  sur  le  mont  Etna  était  gardé  par  des  chiens 
sacrés ,  qui  caressaient  de  la  queue  ceux  que  la  piété  y  con- 
duisait, et  déchiraient,  au  contraire,  ceux  qui  y  étaient  atti- 
rés par  des  pensées  impures. 

Rome  était  entourée  de  bois  sacrés  :  les  plus  célèbres 
étaient  ceux  d'Égérie  et  des  Muses  ,  sur  la  voie  Appienne; 
de  Diane ,  sur  le  chemin  d'Aricie  ;  de  Junon  Luciiie  ,  au  bas 
des  Esquilles;  de  Laverne,  près  de  la  voie  Salaria;  en£n^ 
de  Vesta ,  au  pied  du  mont  Palatin. 

BOIS  SAIX.  Co  nom  appartient  à  la  fois  Aune  espèce 
ôe  lauréoleo»  daphné,  dont  l'écorce  caustique  est  quel- 
quefois employée  comme  vésicant,  et  au  gaïac,  qu'on  ap- 
pelle aussi  boli  saint. 

BOIS  SATINÉ,  BOIS  DE  FEROÉ  ou  DE  FÉROLE, 
BOIS  DE  CAYENNE,  On  désigne  sous  ces  différents  noms 
le  bois  qui  provient  de  plusieurs  espèces  de /ero/?fl,  grands 
arbres  qui  croissent  à  Cayenne  et  dans  la  Guyane.  L'aubier 
est  blanc  et  fort  épais  ;  à  l'intérieur,  le  bois  est  dur,  pesant, 
d'un  grain  fin,  avec  des  rayons  qui  imitent  le  satm  :  d'où  iui 
vient  son  nom.  Ce  bois  prend  un  poli  magniiique  ;  il  en  est 
de  plusieurs  nuances;  on  en  trouve  même  de  rouge  écar- 
late,  qui  est  admirable;  il  yen  a  de  rouge  panaché  de 
jaune,  marron,  brun,  jaunâtre,  verdAtre.etc.  On  en  fait  des 
meubles  magnifiques  ;  il  nous  vient  de  Cayenne  sans  aubier, 


en  billes  rondes  de  douze  à  quaranle-huit  ccnlimèfres  ds 
diamètre. 

C'est  au  ferolia  d'Auhlot  que  s'applique  aussi  le  nom  de 
bois  marbré. 

Enfin,  on  ap(ielle  quelquefois  bois  satiné  le  bois  du 
prunus  domesticus. 

BOISSEAU,  ancienne  mesure  usitée  pour  les  corps 
secs  et  les  corps  solides ,  tels  que  grains ,  farine,  fruits,  char- 
bon, sel,  etc.  Le  boisseau,  qui  valait  treize  de  nos  litres  ac- 
tuels, se  divisait  à  Paris  en  quatre  (piarts  ou  seize  litrons; 
c'était  le  tiers  du  minot,  le  sixième  de  la  mine  ,  le  douzièmu 
du  setier  et  la  cent  quarante-quatrième  partie  du  muid.  il 
contenait  à  peu  près  un  tiers  de  pied  cube,  et  pesait  environ 
20  livres.  Il  devait  avoir  8  pouces  et  2  lignes  et  demie  da 
haut,  et  10  pouces  de  diamètre.  Du  reste,  le  boisseau, 
comme  la  plupart  des  autres  mesuies  anciennes,  variait  de 
contenance  et  de  valeur  selon  les  divers  pays.  Nous  avons 
donné  celle  de  Paris;  il  était  plus  petit  d'un  huitième  à 
Chàlons,  et  il  en  fallait  treize  et  demi  pour  faire  le  setier  de 
Paris ,  tandis  qu'il  n'en  fallait  que  six  de  ^'ogent  pour  égaler 
la  même  mesure. 

Les  boutonniers  appellent  boisseau  une  machine  de  bois 
de  la  forme  d'un  demi-globe,  et  longue  d'environ  50  cen- 
timètres ,  fort  légère,  qui  se  met  sur  les  genoux  pour  tra- 
vailler, et  dont  ils  se  servent  pour  faire  des  tresses ,  des 
cordonnets  ,  oii  autres  ouvrages  qu'on  dit  faits  au  bois- 
seau, pour  les  distinguer  de  ceux  qui  sont  faits  au  métier. 

Suivant  une  expression  évangélique,  on  ditqu'il  ne  faut  par. 
mettre  la  lumière  sous  le  boisseau,  pour  dire  qu'il  ne  faut 
point  cacher  la  science  ?t  la  vérité;  qu'il  ne  faut  pas  vou- 
loir les  réserver  pour  soi  seul  ;  qu'il  faut,  au  contraire,  con- 
tribuer de  toutes  ses  forces  à  réjjandre  le  plus  possible  le* 
lumières  de  l'intelligence,  sans  jamais  regretter,  comme  trop 
de  gens,  qui  ne  sont  pas  to-is  jésuites  pourtant,  qu'elles 
puissent  aller  trop  loin. 

BOISSELÉE.  C'était  une  ancienne  mesure  de  terre 
usitée  dans  quelques  provinces,  et  qui  s'entendait  de  la  quan- 
tité de  terre  que  l'on  pouvait  ensemencer  avec  la  quan- 
tité de  grain  contenue  dans  un  boisseau  :  d'où  il  suit  que 
le  boisseau  variant  souvent  de  contenance ,  selon  les  di- 
verses localités  ,  la  boisselée ,  comme  la  bicherce ,  était  une 
mesure  assez  vague  et  assez  indéterminée.  Huit  boi»selées 
de  Paris  faisaient  environ  un  arpent  de  Paris;  c'est-à-dire 
qu'il  fallait  huit  boisseaux  pour  ensemencer  un  champ  dô 
cette  contenance  ou  de  cette  étendue. 

BOïSSELlER.  Ou  appelle  de  c«  nom  l'artisan  qui  fa- 
brique ou  le  marchand  qui  vend  des  mesures  de  capacité 
en  bois,  telles  que  des  décalitres ,  des  litres,  etc.,  ains* 
que  des  cribles,  des  tamis,  des  caisses  de  tambour ,  etc. 
La  construction  de  ces  mesures  est  des  plus  simples  :  le 
fabricant  emploie  des  planches  de  chêne,  de  liêlre  ou  de 
ncyer,  débitées  à  la  scie,  et  amincies  au  rabot  au  degré 
convenable.  Ces  planches  sont  roulées  conune  le  serait  un 
ruban  qui  ferait  plusieurs  tours  sur  lui-même  aulour  d'une 
bobine.  On  roule  ainsi  ces  planches  sans  les  casser,  après  les 
avoir  fait  bouillir  dans  de  l'eau.  L'ouvrier  assujettit  ensuite 
chaque  planche  à  un  fond  de  bois  rond ,  en  ayant  soin  da- 
mincir  les  bords  de  la  jointure  afin  que  la  cavité  soit  par- 
faitement cylindrique.  Une  bande  de  bois  clouée  extérieu- 
rement donne  à  son  ouvrage  plus  de  solidité. 

La  boissellerie  se  fabrique  principalement  dans  les  forêt» 
de  Saint-Gobain ,  de  Coucy-le-Châleau  et  de  Prémontré 
(arrondissement  de  Laon),  à  Villers-Cotterets ,  à  Troyes, 
à  Laigny  (Côte-d'Or),  à  Calais,  à  Fréjus  (Var) ,  à  Gérard- 
mer  et  à  Rothan  (Vosges),  etc. 

«OISSERÉE  (SuLi'iCE),  né  à  Cologne,  en  1783,  a 
rendu  de  grands  services  à  Ihistoire  de  l'art  en  Allemagne, 
ainsi  que  son  frère  MtLCHmR,  né  en  17S6,  et  son  ami  Jean- 
Baptiste  Beutkam.  Un  voyage  que,  dans  l'automne  de  1803, 
les  trois  amis  furent  à  Paris,  où  ils  passèrent  neuf  mois,  leur 


t 


BOISSERÉE 


300 


donna  la  première  idée  de  consacier  leur  temps  cl  leur  for- 
tune à  rectierclier  et  à  tassemblcr  les  antiquités  artistiques 
<le  rAllemagne.  L'étude  des  chcfs-d'u'uvre  .le  l'art  antique 
et  de  l'art  chrétien  réunis  par  Napoléon  dans  les  salles  du 
Louvre  forma  leur  goCit,  que  perfectionnèrent  encore  les  le- 
çons de  Frédéric  Sclilegel,  leur  hôte.  Schlegel  s'étant  alta- 
clié,  dans  son  Eiiropa,  h  attirer  plus  spécialement  l'attention 
puhiiqne  sur  les  ouvrages  des  anciens  peintres  allemands 
reunis  dans  le  Musée  du  Louvre,  les  trois  amis  se  souvin- 
rent d'avoir  vu  dans  leur  ville  natale  de  vieux  tableaux  du 
même  genre,  et  ils  tirent  un  éloge  si  pompeux  des  richesses 
enfouies  dans  les  églises  des  Pays-Bas  et  des  bords  du  Rhin, 
qu'ils  déterminèrent  Schlegel  à  les  accompagner  dans  cette 
contrée  au  printemps  de  1804.  Les  nombreuses  églises  et  les 
couvents  supprimés  dans  les  départements  riverains  du  Rhin 
réunis  à  la  France  venaient  précisément  d'être  évacués,  et 
beaucoup  de  tableaux  anciens  étaient  tombés  entre  les  mains 
d'amateurs  qui  n'en  connaissaient  pas  le  prix.  Les  trois 
amis  éprouvèrent  le  désir  bien  naturel  de  les  sauver  de  la 
destruction  ;  ils  se  mirent  donc  à  leur  recherche,  firent  l'ac- 
quisition de  ceux  qu'ils  purent  découvrir,  et,  le  succès  éten- 
dant leurs  vues,  ils  résolurent,  dès  180S,  de  faire  de  l'his- 
toire de  l'art  l'unique  aflaire  de  leur  vie  et  de  donner  à  leur 
collection  une  importance  plus  qu'ordinaire. 

Cette  année  môme,  INIelchior  eut  le  bonheur  d'acquérir 
quelques-uns  des  plus  curieux  tableaux  de  leur  collection , 
et  Sulpice ,  après  avoir  préparé  son  grand  ouviage  sur  la 
cathédrale  de  Cologne ,  en  levant  le  plan  de  ce  beau  mo- 
nun>ent ,  entreprit  un  voyage  artistique  sur  les  bords  du 
lîhin  en  passant  par  Mayence,  Heidelberg',  Spiie,  Stras- 
bourg, Fribourg,  liâle  et  la  Bavière.  Ce  fut  à  cette  époque 
qu'il  conclut  avec  le  baron  Arctin  un  traité  pour  la  publi- 
cation des  planches  iithographiées  de  son  ouvrage,  et  qu'il 
engagea  le  peintre  d'architecture  A.  Quaglio  à  l'accompagner 
à  Cologne  pour  l'o  écution  des  vues  perspectives.  Ses  re- 
cherches sur  l'ancienne  architecture  le  convainquirent  que 
la  cathédrale  de  Cologne  était  un  des  édifices  les  plus  parfaits 
qu'il  yeiUen  Europe,  tant  .sous le  rapport  du  plan  que  sous 
celui  de  l'exécution,  et  qu'il  convenait  éminemment  à  servir  de 
modèle  du  style  le  plus  pur  et  le  plus  noble.  Le  désir  d>; 
reproduire  ce  chef-d'uuvre  de  l'art  allemand  tel  que  l'avait 
conçu  le  génie  du  premier  architecte ,  enflamma  le  jeune 
homme;  et  dans  son  enthousiasme,  il  fit  un  travail  qui  attira 
sur  ce  monument  l'attention  de  tous  les  gens  de  goût. 

En  ISIO  les  trois  amis  se  rendirent  à  Heidelberg,  empor- 
tant avec  eux  quelques-uns  de  leurs  tableaux.  La  môme 
année ,  le  libraire  Cotta  leur  offrit  de  faire  les  frais  des 
planches  de  l'ouvrage  sur  la  cathédrale  de  Cologne,  les  li- 
thographies n'ayant  [>as  aussi  bien  réussi  qu'ils  l'espéraient. 
Les  dessins  furent  exécutés  principalement  par  A.  Quaglio  , 
Fuchs  de  Cologne  et  le  conseiller  supérieur  des  bâtiinents 
îiîolla.  Unttenhofer  de  Stuttgard  et  Darnstedt  de  Dresde  fu- 
rent chargés  de  la  gravure.  En  1811  Sulpice  Boisserée  vi- 
sita la  Saxe  et  la  Bohème.  Dans  ce  voyage  il  eut  la  bonne 
fortune  de  nouer  avec  Goethe  des  relations  qui  durèrent 
jusqu'à  la  mort  du  grand  écrivain.  Dans  l'intervalle ,  la  ma- 
jeure partie  des  tableaux  de  leur  collection  fut  transférée  à 
Heidelberg.  Vers  le  même  temps  Melchior  Boisserée  alla 
parcourir  les  Pays-Bas,  où  il  acquit  encore  plusieurs  tableaux 
importants,  entre  autres  quelques-uns  des  chefs-d'œuvre  de 
Hemling.  Non-seulement  il  travailla  avec  Bertram  à  enrichir 
la  collection,  mais  il  s'occupa  aussi  avec  activité  à  en 
restaurer  et  classer  les  tableaux.  Sulpice,  de  son  côté,  fit 
venir  de  Paris  plusieurs  graveurs,  entre  autres  Leisnier,  et 
avec  leur  concours,  secondé  aussi  par  Geissler  de  Nuremberg 
et  Rauch  de  Darmstadt,  il  fit  paraître  en  1823  la  première 
livraison  de  son  magnifique  ouvrage  intitulé  :  Histoire  et 
Description  de  la  Cathédrale  de  Cologne.  La  4*  et  der- 
nière livraison  parut  en  1831. 
Les  événements  de  1813  à  1815  ayant  attiré  à  Heidelberg 

DICT.    UE    LA    CO.>VEUS.    —   T.    IJl. 


les  hommes  les  plus  distingués,  la  collection  des  troi.*.  amis 
acquit  une  réputation  européenne  sous  le  nom  de  Collec- 
tion de  Boisserée.  Elle  comptait  alors  '200  tableaux,  et 
bientôt  il  n'y  eut  plus  à  Heidelberg  de  maison  assez  vaste  pour 
la  contenir.  En  conséquence,  le  roi  de  Wurtemberg  offrit  aux 
propriétaires  la  jouissance  d'un  bâtiment  spacieux  à  Stutt- 
gard; et  ils  purent  enfin  exposer  dans  son  entier  leurcollectinn, 
dont  ils  classèrent  les  tableaux  d'après  leur  plus  ou  moins 
d'importance.  On  reconnut  alors  qut>  dès  le  treizième  siè'le 
l'Allemagne  possédait  une  école  de  peinture  formée,  comme 
celle  d'Italie,  sur  les  traditions  de  l'école  byzantine  ,  et  (|u';'i 
cette  époque  cette  école  avait  pris  un  développement  propre 
avec  une  supériorité  incontestable,  en  ce  (jiii  est  de  la  com- 
position et  du  coloris,  sur  l'école  italienne  coiitem|>oraine. 
Cette  collection  révéla  les  noms  d'un  grand  nombre  de 
maîtres  flamands  jusque  là  inconnus ,  et  fit  dignement  aj)- 
précier  le  mérite  de  Jean  Van  Eyck,  créateur  de  la  pein- 
ture allemande  proprement  dite. 

Les  tableaux  rassemblés  par  les  frères  Boisserée  offrent 
réunis ,  à  un  plus  haut  degré  qu'on  ne  pouvait  s'y  attendre , 
l'esprit,  le  sentiment,  le  naturel  et  la  vérité,  la  beauté  et  la 
clarté.  Comme  dans  ceux  de  Durer,  de  Holbein  et  de  U 
plupart  des  artistes  du  quinzième  siècle ,  on  y  admire  dans 
toute  leur  originalité  le  caractère  et  le  talent  des  Allemands  ; 
c'est  .seulement  avec  les  œuvres  du  seizième  siècle  que  l'in- 
fluence de  la  peinture  italienne  se  fait  sentir,  et  que  l'on  com- 
mence à  apercevoir  la  transition  graduelle  à  l'école  llamande 
moderne,  devenue  dominante  à  la  fin  de  ce  même  siècle. 

La  collection  se  divisait  en  trois  sections,  d'après  les  trois 
grandes  périodes  de  la  peinture  allemande.  La  première 
comprenait  les  ouvrages  du  quatorzième  siècle,  appartenant 
tous  à  l'ancienne  école  de  Cologne ,  alors  la  plus  célèbre  de 
l'Allemagne.  La  seconde  se  composait  des  ouvrages  de 
Jean  Van  Eyck  et  de  ses  disciples  plus  ou  moins  immédiats, 
tels  que  Hemling  ou  Rîemling,  Hugues  Van  der  Goes,  Israël 
de  Meckenen  ,  Michel  Wohlgenmth  ,  Martin  Schœn ,  etc.  La 
troisième ,  enfin ,  comprenait  les  œuvres  des  peintres  alle- 
mands qui  se  distinguèrent  à  la  fin  du  quinzième  et  au 
commencement  du  seizième  siècle,  comme  Durer,  Luc  de 
Leyde ,  Mabuse ,  Schoreel ,  Patenier,  Bernard  Van  Orley , 
Cranach,  Holbein,  et  celles  de  leurs  élèves  et  de  leurs  suc- 
cesseurs chez  lesquels  l'imitation  de  la  manière  italienne  est 
sensible,  comme  Jean  Schwarz ,  IMartin  Heemskerk,  Michel 
Coxcie,  Charles  Van  Mander,  les  peintres  de  Cologne  Jean 
de  Melem  et  Barthélémy  de  Bruyn  ,  etc. 

Désireux  de  s'assurer  que  leur  collection  ,  à  laquelle  ils 
avaient  consacré ,  pendant  plus  de  vingt  années ,  leur  temps 
et  leur  fortune,  ne  serait  pas  disséminée  après  leur  mort, 
les  trois  amis  la  cédèrent  en  1827  au  roi  Louis  de  Bavière 
au  prix  de  120,000  thalers.  Ce  prince  la  fit  transférer, 
en  1828,  à  Schleissheim,  et  de  là,  en  1836,  dans  la  Pina- 
cothèque de  Munich,  à  l'exception  d'une  quarantaine  de 
tableaux  qui  furent  donnés  à  la  chapelle  de  Saint-Maurice  à 
Nuremberg. 

La  collection  Boisserée ,  qui  occupe  presque  à  elle  seule 
les  huit  premiers  salons  de  ce  musée ,  forme  avec  les  tableaux 
de  la  salle  voi.sine  la  galerie  la  plus  complète  qui  existe  des 
œuvres  des  anciens  peintres  allemands.  Si  de  nouvelles  re- 
cherches n'ont  pas  confirmé  de  tous  points  le  système  de  clas- 
silication  de  MM.  Boisserée,  c'est  là  nn  fait  naturel  dans  le 
développement  do  la  science,  et  qui  ne  diminue  en  rien  le 
mérite  d'hommes  qui  ont  acquis  des  titres  légitimes  à  la  re- 
connaissance de  leurs  contemporains  et  de  la  postérité. 

Les  trois  amis  suivirent  leur  collection  à  Munich ,  où 
Melchior  continna  à  en  lithographier  les  tableaux,  avec 
Strixner,  et  publia  en  1834  son  œuvre,  en  38  livraisons. 
Sidpice  y  fit  aussi  paraître,  de  1831  à  1833,  ses  Momanents 
de  P Architecture  dans  le  Bas-Rhin  du  septième  au 
treizième  siècle,  avec  72  lithographies  iu-fol.  Ses  travaux, 
sur  les  antiquités  chrétiennes  ont  donné  naissance  à  deu» 


370 


ROISSERÉE—  BOISSONS 


traités  Sur  le  temple  de  Sa'mt-Granl  (  18:54) ,  et  sur  la 
Dalmatique  impériale  dans  l'Église  de  Saint-Pierre  à 
Rome  (  1842) ,  l'un  et  l'autre  ornés  de  gravures  et  insérés 
lians  les  Mémoires  de  C Académie  des  Sciences  de  Bavière, 
dont  il  est  membre.  En  1835  il  fut  nommé  conseiller  sn- 
périenr  des  bâtiments  et  conservateur  général  des  monu- 
ments plastiques  du  royaume,  jjlace  à  laquelle  sa  santé  af- 
faiblie le  força  de  renoncer  au  bout  de  dix-buit  mois  pour 
aller  habiter  un  climat  plus  doux.  Il  passa  l'hiver  de  1»36 
à  1837  dans  le  midi  de  la  France,  et  voyagea  pendant  deux 
ans  en  Italie.  A  son  retour  il  eut  la  joie  d'apprendre  que  le 
roi  de  Prusse  entreprenait  la  réédilicationdela  cathédrale  de 
Cologne  incendiée.  Son  ami  Bertram  fut  moins  heureux;  il 
mourut  au  printemps  de  1841  ;  mais  avant  sa  mort  il  avait 
eu  la  satisfaction  de  voir  réussir  les  essais  de  Melchior  Bois- 
serée  pour  parvenir  à  peindre  sur  verre  avec  le  seul  pinceau. 
Ce  nouvel  art  fut  immédiatement  appliqué  par  l'inventeur 
à  la  reproduction  sur  verre  des  meilleurs  tableaux  de  son 
ancienne  collection,  et  il  forma  ainsi,  en  y  ajoutant  quel- 
ques tableaux  de  l'école  italienne ,  une  collection  unique  en 
son  genre,  qu'il  transporta  en  1845  à  Bonn,  lorsqu'il  alla 
s'y  établir  avec  son  frère,  sur  l'invitation  du  roi  de  Prusse, 
qui  voulait  faire  profiter  leur  patrie  des  connaissances  pra- 
tiques qu'ils  avaient  ac<iuises.  Il  fut  à  cette  occasion  créé 
conseiller  privé  ;  mais  il  ne  jouit  pas  longtemps  de  sa  nou- 
velle position.  En  1846  il  éprouva  une  attaque  de  paralysie, 
des  suites  de  laquelle  il  mourut,  le  14  mai  1851. 

BOISSIEU  (Je\n-Jacques  de)  naquit  à  Lyon,  en  1736. 
Son  goût  pour  le  dessin ,  contrarié  d'abord  par  les  vues  de 
sa  famille ,  qui  voulait  faire  de  lui  un  magistrat ,  se  mani- 
festa de  bonne  heure  avec  tant  d'éclat  qu'on  dut  céder  de- 
vant une  vocation  qui  paraissait  invincible.  Son  premier 
maitre  fut  Frontier,  peintre  d'histoire,  alors  en  réputation. 
Le  jeune  de  Boissieu  fit  des  progi'ès  si  rapides ,  qu'il  fut 
bientôt  en  état  dimiter,  dans  ses  compositions  ,  le  style  des 
plus  célèbres  paysagistes  de  l'école  llamande,  tels  que  Ruys- 
daél,  Van  den  Velde,  etc.  Il  avait  vingt-quatre  ans  lorsqu'il 
vint  à  Paris ,  où  il  se  lia  avec  Vernet ,  Souftlot,  Greuze ,  et 
autres  artistes  célèbres.  De  retour  à  Lyon ,  la  préparation 
des  couleurs  ayant  altéré  sa  santé,  il  se  livra  exclusivement 
à  la  gravure  à  l'eau-forte,  pour  laquelle  il  se  sentait  une 
aptitude  particulière.  Il  joignit  par  la  suite  à  l'eau-forte, 
avec  beaucoup  de  succès,  un  mélange  de  pointe  sèche  et  de 
roulette.  Ses  productions  étaient  déjà  fort  recherchées  lorsque 
le  duc  de  La  Rochefoucauld  l'emmena  en  Italie.  11  se  lia 
pendant  son  séjour  à  Rome  avec  Winckelmann,  dont  les 
conseils  achevèrent  de  développer  son  talent.  Ce  voyage 
faillit  le  détourner  de  la  gravure;  l'étude  assidue  qu'il  fit  des 
chefs-d'œuvre  de  la  peinture  réveilla  sa  première  ardeur  pour 
les  pinceaux,  et  il  se  plut  à  reproduire  sur  la  toile  les  rui- 
nes des  monuments  antiques.  Mais  sa  santé  le  força  de  nou- 
veau à  reprendre  le  burin  ;  et  dès  lors  il  se  consacra  tout  en- 
tier à  la  gravure  à  l'eau  forte.  Il  y  acquit  un  tel  talent  qu'il 
peut  être  regardé  comme  un  des  plus  habiles  graveurs  en  ce 
genre.  Son  œuvre  gravé  se  compose  de  cent  sept  pièces, 
parmi  lesquelles  un  bon  nombre  sont  excellentes ,  et  à  la 
hauteur  du  Charlatan  de  Karl  Dujardin,  tant  cité.  Ses  es- 
tampes dans  la  manière  de  Rembrandt  ont  beaucoup  de 
couleur  et  d'effet;  la  composition  de  ses  dessins  est  abon- 
dante, sa  touche  moelleuse  et  toujours  sûre.  On  doit  encore 
remarquer  que  Boissieu,  dans  ses  moindres  fantaisies,  ne 
s'est  jamais  écarté  des  règles  sévères  du  goût.  H  mourut 
en  1810.  B.  DE  CoRCY. 

BOISSONADE  (Jean-François ),  un  des  savants  les 
plus  spirituels  et  l'un  des  érudils  les  plus  exacts  de  l'époque 
actuelle,  naquit  le  12  août  1774,  à  Paris.  C'est  un  de  ces 
esprits  fins  et  délicats  auxquels  le  travail  de  la  pensée  est 
nécessaire  comme  l'air  qu'ils  respirent,  et  qui,  dans  une 
prison,  continueraient  avec  délices  leurs  lectures  favorites, 
leurs  analyses  ingénieuses  et  leurs  investigations  |uquan'cs. 


Quelque  chose  de  la  sagacité  de  Bayle  se  joint  chez  M.  Bob^ 
sonade  à  une  sobriété  fine  de  style  et  à  une  j)rofonde  con- 
naissance de  ta  littérature  grecque.  C'est  là,  comme  on  la 
dit  aujourd'hui ,  sa  spécialité,  et  il  a  publié  beaucoup  d'édi- 
tions remarquables  des  auteurs  grecs  et  latins.  Journaliste 
et  savant,  tout  en  commentant  Lycophron,  Thucydide  ou 
Achille  Tatius,  il  trouvait  encore  moyen  d'approvisionner 
le  Mercure,  le  Magasin  Encyclopédique ,  la  Biographie 
Universelle ,  et  surtout  le  Journal  des  Débats ,  des  plus 
spirituels  articles.  Un  moment,  il  avait  passé  par  la  carrière 
administrative  en  qualité  de  secrétaire  général  de  la  préfec- 
ture de  la  Haute-Marne ,  situation  que  n'eût  pas  dédaignée 
une  ambition  d'un  autre  ordre ,  mais  qu'il  ne  tarda  pas  à 
répudier  pour  se  livrer  sans  réserve  à  ses  goûts.  Sa  renom- 
mée et  son  progrès  furent  rapides  dans  cette  carrière,  qui 
était  réellement  la  sienne.  Nommé  en  1809  professeur  ad- 
joint de  littérature  grecque  à  la  Faculté  des  Lettres,  profes- 
seur titulaire  en  1812,  membre  de  l'Académie  des  Inscrip- 
tions en  1813,  chevalier  de  la  Légion-d'Honneur  en  1814, 
professeur  de  littérature  grecque  au  Collège  de  France  en 
1828,  il  travaille,  dit-on,  depuis  longtemps,  à  un  diction- 
naire de  la  langue  française ,  spécialement  consacré  à  la  re- 
cherche et  à  l'étude  des  étymologies.  11  est  fort  à  désirer 
que  cette  promesse  se  réalise.  Aucune  intelligence  n'est  plus 
naturellement  prédisposée  à  ce  difficile  travail,  et  nous  avons 
été  si  souvent  les  dupes  de  l'hallucination  étymologique, 
que  ce  sera  une  bonne  fortune  pour  les  philologues  que 
l'apparition  d'un  tel  ouvrage.  Ménage,  Brossette,  Delillede 
Sales,  ont  embarrassé  de  mille  décombres  l'étyîiiologie 
française.  M.  Boissouade  aura  fort  à  faire  de  déblayer  tant 
de  ruines  et  de  matériaux  inutiles  ou  dangereux  ;  mais  c'est 
à  lui  spécialement  qu'appartient  une  telle  œuvre,  et  sa  con- 
naissance approfondie  des  langues  mères  de  la  langue  fran- 
çaise le  lui  rendra  plus  facile  qu'à  tout  autre. 

Philarète  Chasles. 

M.  Boissonade  a  donné  des  éditions  de  Philostrate  (Paris, 
1819),  du  rhéteur  ïibérius  (  Paris,  1815),  de  Nicétas  Eu- 
genianus  (2  vol.,  Paris,  1819),  d'un  commentaire  de  Pro- 
clus  sur  le  Cratyle  de  Platon  (Leipzig,  1820  ),  d'Eunapius 
(Amsterdam,  \'i11),A\x  Syntipas  (Paris,  1 823 ),  des  f ai'/e.s 
de  Babrius  (  Paris,  1844) ,  du Sylloge  Poelaium  Grœcorum 
(  24  vol.,  Paris,  1825-1826),  du  A'o«j;eaM  Testament  (2  vol., 
Paris,  1 824), des i4Hec(/o;aGra'ca( 5  vol.,  Paris,  1829-1840), 
des  Anecdola  JSova  (Paris,  1844),  qui  sont  d'une  grande 
importance  pour  l'histoire  byzantine  et  pour  l'élude  des 
grammairiens  grecs;  des  ^'pisfote  de  Philostrate  (Paris, 
1842),  etc.,  etc. 

A  tant  de  services  rendus  à  la  littérature  il  faut  ajouter 
les  Lettres  inédites  de  Voltaire  à  Frédéric  le  Grand 
(  1802  )  ;  le  recueil  des  Œuvres  de  Berlin  (  1824  ) ,  l'édi- 
tion du  Télémaque  qui  fait  partie  de  la  collection  Lefèvre 
(même  année);  les  Œuvres  choisies  de  Parny,  même  col- 
lection (  1827),  et  le  Goupillon  ,  poème  héroïque ,  traduit 
du  portugais  de  Diniz  da  Cruz  (1828). 

BOISSOIVS.  L'homme  a  presque  autant  besoin  de  bois- 
sons que  d'aliments  véritables  :  outre  qu'il  est  des  boissons 
qui  nourrissent,  la  plupart  sont  des  dissolvants  nécessaires 
à  la  digestion.  Absorbées  dans  le  canal  digestif,  et  portées 
de  là  dans  le  torrent  circulatoire  par  des  vaisseaux,  les 
boissons  réparent  les  pertes  continuelles  du  sang.  Puisque 
c'est  du  sang  que  proviennent  les  humeurs  et  les  transpi- 
rations des  poimions  et  de  la  peau,  il  est  indispensable  que 
d'autres  lluides  remplacent  ceux  que  la  vie  dissémine  ainsi  à 
toutes  les  surfaces  du  corps  et  par  ses  issues.  Aussi  ne  faut- 
il  pas  se  montrer  surpris  si  la  privation  de  breuvages  est 
presque  autant  ressentie  par  le  sentiment  de  la  soif  que  la 
privation  d'aliments  par  la  faim.  Il  est  même  certain  que 
le  manque  de  boisson  amaigrit  comme  l'inanition  véritable. 
On  cite  un  homme  qui  perdit  près  de  six  livres  de  son 
poids  total  pour  être  resté  cinquante  jours  sans  boire.  Ce 


BOISSONS 


371 


gcr.fe  de  privation  a  souvent  tlétciminé  la  rage  en  plusieiirs 
espèces  d'animaux.  Bien  que  la  soif  ne  soit  peut-Ctre  jamais 
aussi  vive  chez  les  herbivores  que  chez  quelques  carnassiers, 
il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  les  animaux  carnivores  se 
passent  plus  aisément  de  boisson  que  ceux  qui  se  nour- 
rissent d'herbes.  Il  existe ,  à  la  vérité ,  quelques  exceptions, 
ne  fût-ce  que  pour  le  chameau  et  pour  quelques  rongeurs; 
mais  toujours  esl-il  que  l'homme  sobre,  qui  se  nourrit  de 
viandes,  a  moins  besoin  de  boisson  que  s'il  s'alimentait 
uniquement  de  végétaux. 

Les  excès  en  lait  de  boisson  ruinent  la  santé,  en  con- 
duisant à  une  obésité  maladive  ou  à  une  extrême  maigreur. 
Ce  genre  d'abus  trouble  surtout  les  digestions,  les  liquides 
étant  ordinairement  d'une  digestion  plus  difficile  que  les 
aliments  solides.  L'absorption  vitale  est  d'ailleurs  entra- 
vée par  l'excès  de  boisson.  Le  cœur  et  les  vaisseaux, 
alors  comme  encombrés  de  liquides ,  accomplissent  péni- 
!)lemcnt  la  circulation  du  sang ,  tandis  que  les  poumons , 
dont  une  enceinte  étroite  limite  le  jeu ,  éprouvent  une  gône 
qui  peut  aller  jusqu'à  l'oppression.  L'ivrognerie  produit 
fréquemment  des  hydropisies ,  des  paralysies  et  des  suffo- 
cations nocturnes;  en  sorte  que  l'intérêt  seul  de  la  conser- 
vation et  l'amour  de  la  vie  doivent  inspirer  lasobriété  tout 
aussi  efficacement  que  ces  clubs  de  tempérance  où  les  néo- 
phytes trinquent  en  sortant  du  prêche,  quelquefois  môme 
pendant  le  sermon. 

Les  boissons  peuvent  être  distinguées  en  celles  qui  sont 
aqueuses,  celles  qui  sont  fomentées ,  les  alcooliques  pro- 
prement dites,  et  les  aromatiques.  Au  moins  la  plupart 
des  boissons  rentrent-elles  dans  ces  divisions. 

L' eau  est  la  plus  saine  des  boissons  pour  quiconque 
éprouve  peu  de  fatigue  et  vit  sous  un  ciel  tempéré.  Elle 
doit  toutefois,  pour  être  salubre,  dissoudre  le  savon,  ren- 
fermer de  l'air,  et  cuire  les  légumes  secs.  L'eau  de  pluie  et 
l'eau  de  rivière  sont  ordinairement  les  plus  saines,  comu'.e 
plus  aérées  que  celle  de  source,  et  moins  salines  que  celle 
de  puits.  L'eau  stagnante  est  malsaine;  l'eau  distillée,  trop 
privée  d'air;  l'eau  de  mer,  trop  salée  et  nauséabonde,  même 
quand  on  la  distille.  L'eau  minéralene  convient  qu'aux 
malades,  et  l'usage  n'en  peut  être  que  temporaire,  sans 
quoi  elle  déterminerait  des  dérangements  d'estomac  et  des 
bouffissures.  L'usage  même  de  l'eau  de  Seltz  ne  sauiait 
être  longtemps  continué  sans  inconvénient  ni  même  sans 
danger.  Si  l'eay  est  impure ,  on  la  filtre  ;  si  elle  parait  fade  , 
on  l'aromatise  ou  on  la  sucre;  on  peut  l'aciduler  si  la  soif 
est  vive,  l'aviver  par  de  l'alcool  si  l'on  transpire,  la  mêler 
au  vin  si  elle  est  cnie  ou  qu'on  craigne  la  faiblesse.  On  peut 
l'aérer,  la  rendre  gazeuse ,  la  paner,  la  rendre  amèie  en  y 
faisant  macérer  ou  infuser  quelques  substances  toniques. 
On  peut  aussi  la  prendre  glacée,  ou  même  à  l'état  de  glace, 
ce  qui  fait  un  devoir  de  discerner  les  conjonctures.  L'eau 
est  certainement  la  boisson  la  plus  saine  pour  l'homme 
adulte,  non  fatigué,  valide,  énergique,  bien  nourri,  surtout 
si  le  climat  n'est  ni  ardent  ni  rigoureux.  Il  est  avéré  que  la 
plupart  de  ceux  dont  la  longévité  fut  exceptionnelle  étaient 
des  buveurs  d'eau  et  des  hommes  vigilants  et  tempérants. 
Il  n'est  pas  de  boisson  qui  pénètre  mieux  les  aliments  ,  qui 
i-ende  la  digestion  plus  facile,  le  sommeil  plus  calme,  l'hu- 
meur plus  égale,  la  Iratcheur  et  la  santé  plus  durables,  et 
plus  accessibles  les  voies  du  bonheur  et  de  l'innocence , 
sinon  celles  de  la  vertu,  qui  peut-être  suppose  plus  d'énergie 
que  le  régime  aqueux  n'en  comporte. 

Quels  que  soient  les  avantages  de  l'eau,  on  lui  préfère 
presque  toujours  les  boissons  fermentées,  de  sorte  que  même 
pour  les  plus  sages  elle  n'est  en  réalité  qu'un  pis-aller 
imposé  par  la  pénurie,  par  le  médecin  ou  le  mauvais  état 
de  la  santé.  C'est  un  breuvage  bienfaisant ,  mais  qui  ne  fait 
que  des  ingrats.  Il  en  est  de  l'eau  comme  de  la  modestie  : 
on  la  vante  volontiers,  mais  personne  n'en  veut  pour  soi. 
Quant  aux  boissons  fermentées,  où  l'eau  se  retrouve  à 


l'état  de  mélange,  elles  supposent  toujours  le  concours  d'un 
principe  sucré  et  d'un  ferment.  Toute  boisson  fermentée  est 
plus  ou  moins  alcooliqtie;  et  ce  qui  prouve  qu'il  en  est 
ainsi,  c'est  que  toutes  fournissent  de  l'alcool  à  l'alambic, 
et  que  toutes  peuvent  enivrer.  Heureusement  que,  tempéré 
par  un  véhicule  abondant,  l'alcool  ainsi  combiné  se  borne 
à  exciter  modérément  le  corps  et  l'esprit.  Les  principales 
boissons  fermentées  sont  le  vin,  le  cidre,  le  poiré,  la  bière,  etc. 

Le  vin  est  la  plus  salubre  et  la  plus  recherchée  de  ces 
boissons.  On  l'obtient  du  moût  ou  suc  doux  de  raisins  qu'on 
a  préalablement  foulés.  On  fait  avec  le  raisin  noir  tout  aussi 
bien  du  vin  blanc  que  du  vin  rouge,  selon  qu'on  laisse  cuver 
la  pellicule  rouge  ou  qu'on  l'isole  du  moût  avant  toute  fer 
mentation.  Il  y  a  les  vins  rouges ,  qui  sont  ordinairement 
plus  toniques  et  plus  sains;  et  les  vins  blancs,  qui  sont 
plus  excitants,  plus  insinuants,  plus  apéritifs  ;  il  y  a  les  vins 
mousseux,  qui  égayent  et  qui  enivrent,  comme  le  Champagne 
et  beaucoup  d'autres  qu'on  peut  champaniser  artificielle- 
ment; il  y  a  les  vins  doux,  comme  leLunel  et  le  Fron- 
tignan;  les  vins  de  liqueurs,  comme  le  Madère  et  leXé- 
rès;  les  vins  cuits,  comme  le  Malaga  et  r.-Uicante,  dont 
Montpellier  tient  fabrique,  et  Celte  magasin.  Ces  vins  sucrés 
contiennent  beaucoup  d'alcool  et  conviennent  peu  à  la  santé, 
bien  que  les  femmes  les  préfèrent.  Les  vins  véritables  sont 
ceux  de  France  que  l'univers  célèbre  sous  les  noms  de 
Bourgogne  et  de  Bordeaux,  du  Dauphiné,  du  Rous- 
sillon,  du  Rhône  et  du  Rhin.  Ceux  de  l'Anjou  ont  peu  de 
distinction,  mais  beaucoup  de  force.  La  Champagne  n'a 
de  vraiment  remarquable  que  son  vin  mou-.seux,  blanc  ou 
rosé,  si  célèbre  sous  les  noms  d'Aï,  d'Avisé  et  d'Épernay,  etc. 
Quant  à  ses  vins  rouges,  ils  sont  faibles  et  pûles;  ils  vieil- 
lissent mal,  et  ont  la  saveur  courte.  Ceux  des  Riceys  et 
de  Boussy  sont  les  plus  connus  ;  mais  la  complexion  en  est 
trop  frêle  pour  qu'on  les  expose  à  de  longs  voyages.  Les 
vins  de  la  Loire  ont  peu  de  renom,  mais  beaucoup  d'ache- 
teurs. Tandis  qu'on  baptise  les  vins  du  Rhône,  on  débap- 
tise ceux  de  la  Loire. 

A  doses  pareilles,  le  vin  rouge  est  plus  fortifiant ,  le  vin 
blanc  plus  excitant,  plus  indigeste.  Le  vin  de  Bordeaux  est 
le  plus  léger  et  le  plus  froid,  le  moins  enivrant  ;  le  vin  de 
Bourgo.gne,  le  plus  généreux  :  l'essentiel  est  qu'on  en  modère 
la  dose.  Le  vin  de  Bordeaux  permet  quelques  familial  ités , 
le  Bourgogne  veut  plus  de  discrétion.  Avec  le  premier,  ou 
peut 'frayer  tête  à  tête  et  sans  défiance  ;  à  l'autre,  il  faut 
plus  de  cérémonie ,  de  plus  petits  verres  et  quelques  con- 
vives. Ou  fait  aussi  avec  des  grappes  de  rebut  et  du  marc 
de  raisin  une  boisson  faible  et  aigrelette  qui  désaltère  sans 
enivrer  :  je  parle  de  la  piquette  et  du  râpé. 

Le  cidre  gWq  poiré  sont  deux  autres  boissons  qui  rem- 
placent le  vin  dans  quelques  provinces  privées  de  vignobles. 
On  fabrique  le  cidre  avec  des  pommes  qu'on  écrase  et  qu'on 
pressure,  et  avec  des  poires  le  poiré.  Ce  sont  là  des  boissons 
lourdes  et  malsaines  tant  qu'elles  n'ont  pas  fermenté.  Si 
alors  on  met  ces  liquides  doux  en  bouteilles,  on  obtient ,  au 
bout  de  quelques  semaines,  une  liqueur  piquante,  pétillante 
et  agréable,  principalement  si  c'est  du  poiré.  Le  poiré  qui 
commence  à  fermenter  ou  à  se  parer  (à  cause  de  la  mousse), 
a  souvent  été  pris  pour  du  vin  blanc,  auquel  même  il  est 
souvent  préférable.  Mais  cette  boisson  si  agréable  et  si  pé- 
nétrante est  peu  salubre;  et  même  quand  la  fennentation  en 
est  achevée,  le  poiré  devient  lourd  et  flasque  au  point  de 
n'être  plus  propre  qu'à  la  distillation.  Le  poiré  est  une  bois- 
son incisive  et  apéritive ,  qui  convient  à  quelques  asthmar 
tiques.  Le  cidre  est  moins  agréable  au  palais,  mais  plus 
nourrissant,  plus  tonique  et  plus  sain,  moins  enivrant  sur- 
tout. S'il  est  maître,  c'est-à-dire  sans  eau  ou  de  première 
cuvée,  il  est  essentiel  de  le  baptiser  pour  l'usage  ordinaire. 
I  Les  compatriotes  du  cidre  ont  ordinairement  les  dents  mau- 
vaises et  souvent  douloureuses,  et  ils  paraissent  sujets  au 
I  bégaiement   et  au   grasseyement    beaucoup   plus   que   les 

47. 


372 


peuples  des  contr<^eR  à  vignobles.  Le  cidre  paraît  disposer 
a  reiiiiionpoiiU ,  mais  non  le  poiré.  Quiconque  n'a  pas  sé- 
journé en  Normandie  ne  connaît  pas  le  vrai  cidre  :  le  cidre 
artificiel  de  Paris  n'en  est  qu'un  indigne  simulacre.  Malheu- 
reusement celte  boisson  ne  supporte  pas  les  voyages  :  elle 
se  tue  ou  noircit,  elle  se  trouble,  se  décompose  ou  s'aigrit 
par  le  mouvement  et  par  le  temps.  Les  vases  oii  le  cidre  se 
conserve  le  mieux  sont  les  barriques  ayant  contenu  de  l'huile 
d'olive;  également,  une  couche  d'huile  répandue  à  sa  sur- 
face peut  empêcher  le  cidre  d'aigrir.  Le  petit  cidre  ou 
de  deuxième  cuvée  compose  la  boisson  presque  exclusive 
de  six  à  sept  millions  de  Français;  le  maître  cidre  est 
presque  uniquement  consommé  dans  les  cabarets  et  les  au- 
berges. Les  buveurs  de  cidre  sont  rouges  et  écoqiietés , 
comme  les  buveurs  d'ale  et  de  gin. 

Quant  à  la  bière,  on  sait  qu'elle  résulte  de  la  fermen- 
tation de  l'orge  ou  d'une  autre  céréale,  et  que  c'est  le  hou- 
blon qui  la  rend  amére,  odorante  et  tonique.  C'est  une  bo'i;- 
-son  moussante,  ralraichissante  en  tant  qu'elle  désaltère, 
mais  réellement  échauffante  an  point  de  troubler  le  som- 
meil. Elle  donne  à  la  distillation  presque  autant  d'eau-de- 
vie  que  le  cidre,  et  de  leau-de-vie  tout  aussi  désagréa!i'e. 
Elle  a  souvci\t  cnnsé  des  coliques  et  des  gondements,  sur- 
tout si  Ton  en  fait  usage  aux  repas.  Il  ne  convient  d'en  user 
que  pour  calmer  la  soif  ou  la  faim  :  elle  nuit  aux  digestions 
et  ne  convient  qu'à  des  estomacs  vides  et  nus.  Les  buveurs 
de  bière,  comn)e  les  compatriotes  du  cidre,  font  presque 
foiijours  abus  des  alcooliques,  pensant  remédier  ainsi  aux 
gonflements  qui  résulteut  de  leurs  excès. 

Nombreuses  sont  les  espèces  de  bière.  La  bière  blnncfie 
désaltère  mieux  et  est  plus  agréable  que  la  bière  ronge, 
précisément  parce  qu'elle  renferme  peu  de  houblon  et  qu'on 
la  f;\brique  avec  du  malt  peu  torriHié;  \?^  petite  bière  calme 
ia  soif  sans  ôter  l'appélil;  le  porter  est  une  grosse  bière 
([u'aromatiseiit  de  la  coriandre  et  du  genièvre  ;  Vale  est  une 
bière  blanche  moins  chargée  de  houblon  que  d'alcool;  le 
quass  des  Russes  est  une  bière  de  seigle;  et  ce  que  les 
Arabes  boivent  sous  le  nom  d'ara cA,  une  boisson  vineuse 
qu'on  fabrique  avec  du  riz  fermenté.  On  compose  aussi 
avec  le  maïs  une  sorte  de  bière  qui  porte  le  nom  de  pilo. 
Le  breuvage  que  les  Polonais  nomment  inelt  est  un  hy- 
dromel vineux  et  aromatisé,  qu'ils  fabriquent  avec  du  miel 
fermenti'.  Il  prend  le  nom  de  méthcglin  quand  les  épices  y 
domiurnt. 

On  compose  aussi  d'autres  boissons  comnie  ■vineuses,  sort 
avec  le  fruit  du  cocotier,  soit  avec  le  cassis,  des  primes  ou 
des  pèches.  Le  vin  de  Strasbourg  est  de  cette  dernière 
espèce  ;  c'est  un  suc  de  pèches  fermenté. 

Les  alcooli([ucs  proprement  dits  sont  d'un  usage  souvent 
funeste  :  outre  que  leur  vive  saveur  peut  induire  à  des  ha- 
bitudes ignobles,  ils  exposent  à  des  paralysies  et  des  trem- 
blements, à  di^s  attaques  d'apoplexie  et  aune  imbécillité  ir- 
rémédiable, qui  n'est  guère  qu'une  ivresse  chronique.  Prise 
à  jeun  ou  ii  grandes  doses.  Veau-de-vie,  mais  princi- 
palemiMit  l'eau-de-vie  de  grain  ou  la  gin,  et  l'eau- de-vie 
de  pommes  de  terre,  conduit  à  l'abrutissement,  outre 
qu'elle  expose  aux  gastrites,  aux  squirrhes  du  pylore,  etc. 
L'eau-de-vie  de  vin  ,  surtout  si  elle  vient  de  Cognac, d'Ar- 
magnac ou  d'Angoulème,  est  moins  dangereuse  que  l'eau- 
de-vie  «le  cidre,  de  lie  ou  de  jioiré.  Le  3/6  de  IMontpcllier, 
ou  rikilii,  t'eut  à  peu  près  le  milieu  entre  les  unes  et  les 
autres.  Le  kirsc h ,  ou  cau-de-vie  de  cerises  noires,  est  un 
breuvage  agréable  (pie  son  arôme  d'acide  prussique  ou  d'a- 
mandes rend  siivouieux.  C'est  un  breuvage  qui  amaigrit  et 
qui  peut  troubler  l'esprit  après  avoir  agité  le  sommeil.  L'oan- 
dc^vie  de  sucie  ou  r/nnn  est  plus  tonique  (pie  les  autres 
alcools;  il  en  est  de  même  du  tafia  ou  eau-dc-vie  de  cas- 
sonade. Quant  aux  litpieurs  sucrées,  que  lesf(Mnmes  préfè- 
rent, celles  de  curaçao,  de  marasqui'n  et  de  rosolio 
sont  les  plus  sapides  et  les  plus  saines,  l^abaintlic  ne  con- 


BOISSONS 

vient  qu'à  des  gastronomes  sans  appétil.  Le  wermon  f  h  de 


Hongrie,  qui  souvent  sert  d'escorte  au  v-n  de  Tokai,  son 
compatriote,  est  une  liqueur  d'absinthe  moins  forte  et  plus 
agréable  que  celle  de  France.  Pour  ce  qui  est  de  Xcait-de- 
vie  de  Dantzig ,  dans  laquelle  on  plonge  épar.ses  des 
paillettes  d'or,  cet  or  n'est  pas  toujours  tellement  purgé 
de  parcelles  cuivreuses  qu'il  ne  puisse  causer  des  acci- 
dents. 

L'abus  des  alcooliques  n'est  presque  jamais  le  fait  des 
femmes;  le  simple  usage  serait  un  vice  en  elles  :  elles  y 
perdraient  leurs  plus  attrayantes  qualités.  Cependant,  et 
surtout  au  bal,  on  peut  faire  exception  pour  \q  punch, 
liqueur  faiblement  alcoolique  qu'aromatise  le  citron,  et 
dont  le  thé  fait  la  base.  Il  répare  les  fatigues  et  modère  la 
transpiration. 

On  doit  convenir  qu'il  est  des  circonstances  où  l'usage  des 
alcooliques  est  non-seulement  tolérable,  mais  utile  :  je  veuK 
parler  des  circonstances  oii  la  chaleur  est  excessive,  des 
cas  oîi  une  transpiration  abondante  se  joint  à  h  fatigue 
qu'elle  accroît.  Aucun  breuvage  ne  reboit  plus  utilcwi^-nt  'a 
sueur  et  ne  rafraîchit  mieux  la  peau  qu'un  mélange  de  deux 
tiers  d'eau  et  d'un  tiers  d'eau-de-vie  (le  Cognac  ou  de  rlium. 
Il  en  résulte  une  sorte  de  révulsion  dont  l'estomac  assume 
sans  danger  toute  la  responsabilité.  Les  alcooliques  réussis- 
sent aussi  très-bien  à  ceux  qui  se  livrent  à  de  grands  exer- 
cices et  qui  éprouvent  de  vraies  fatigues  ou  une  sorte  d'é- 
puisement passager;  mais  il  est  nécessaire  qu'une  abondante 
nourriture  précède  ou  suive  de  près  l'usage  de  ces  breuvages 
excitants.  Enfin,  les  alcooliques  conviennent  quand  il  s'a- 
git de  remonter  passagèrement  les  forces,  soit  corporelles, 
soit  morales,  l'énergie  musculaire  ou  le  courage;  ils  sont 
utiles  pour  affronter  une  maligne  infiuence  ou  un  danger, 
uu  air  malsain  ou  une  contagion.  Ce  genre  de  stinmlant  sioil 
surtout  aux  manœuvres,  aux  soldats  et  aux  voyageurs. 
Mais,  comme  je  l'ai  dit  dans  mes  Notions  d'Hygiène  pra- 
tiqiie  (1844),  l'usage  même  en  est  dangereux  pour  ceux  qui, 
oisifs  et  sédentaires,  n'ont  besoin  ni  de  remonter  leurs  forces 
ni  de  remédier  à  des  fatigues.  C'est  surtout  chez  les  désœu- 
vrés que  les  alcool-ques  ont  des  effets  terribles  sur  l'esprit  et 
le  caractire,  aussi  bien  que  sur  la  santé.  On  les  a  vus,  en 
pareilles  rencontres ,  abrutir  les  plus  heureuses  natures,  ins- 
])irer  des  habitudes  de  taciturnité,  d'isolement  et  de  misan- 
thropie, et  jeter  dans  l'hypochoncirie  et  le  mépris  de  l'exis- 
tence des  sujets  nés  avec  les  plus  riches  dons...  Il  n'est  pas 
d'inclination  plus  avilissante  ni  de  vice  plus  honteux. 

Nous  ajouterons  que  l'éther,  dont  font  journellement 
usage  des  femmes  vaporeuses,  a  des  effets  non  moins  per- 
nicieux que  les  alcooliques.  C'est  un  breuvage  (jui  n'éveille 
un  moment  les  sens  que  pour  causer  bient(it  de  l'abattement, 
l'inertie  de  l'esprit,  clés  tremblements  et  une  sorte  d'ivresse. 
D""  Isidore  I5ourdo\. 
Souvent  les  boissons  comportent  elles-mêmes  des  proprié- 
tés alimentaires  :  telles  sont  le  i  ai  f,  les  bouillons, de.  La 
nK'decine  emploie  sous  forme  liquide  une  foule  de  niédi- 
caments,  particulit'rement  les  tisanes, soit  pour  tempérer 
la  chaleur  et  l'irritation  locale  ou  générale,  soit  pour  sti- 
muler certains  organes  frappes  d'atonie,  soit  enfin  i)our 
faire  pénétrer  dans  l'économie  certains  agents  spéciaux  qu'on 
veut  faire  agir  par  voie  d'absorption. 

Les  autres  boissons  aqueuses  consistent  dans  l'addition  h 
l'eau  de  certains  principes  doux ,  rafraîchissants  ou  savou- 
reux ,  tels  que  le  sucre,  les  mucilages,  les  acides  végétaux, 
les  ('-nudsions,  les  divers  sirops,  tels  que  ceux  d'orgeat,  de 
vinaigre,  etc.  Enfin,  l'eau  constitue  la  base  ou  le  véhicule 
principal  des  li(piidesque  nous  buvons. 

Les  /  J7  uett  rs  sont  de  l'eau  de- vie  à  laquelle  sont  ajou- 
tés d(!s  aromates,  des  fruits  et  du  sncre,  qui  tempèrent  «es 
(pialités  stimulantes.  Prises  comme  moyen  digeslif ,  les  e?ux- 
de-vip  sini()les  «ont  préféialiles  aux  rKpieiirs;  mais  à  jeun 
les  litpioiu's  sont  moins  nuisibles  que  l'eau-dc-vie. 


BOISSONS 


373 


r.nfin  parmi  les  boissons  aromatiques  on  distingue  le 
Cii/e  elle  thé.  Le  café, 

celle  liqueur  au  po5te  si  chère, 

Qui  mauquait  à  Virjjile,  et  qu'adorait  Voltaire, 

suivant  Delille;  le  café,  boisson  intellectuelle  par  excel- 
lence, engendre  un  sentiment  de  bien-être  accompagné  de 
plus  de  liberté  dans  les  mouvements  et  de  lucidité  dans  les 
idées.  Bien  que  son  effet  soit  fugace,  il  occasionne  chez  les 
personnes  irritables  un  malaise  qui  se  prolonge  et  peut  les 
priver  de  sommeil  pendant  toute  une  nuit  :  s'il  est  vrai  que 
ciiez  certains  individus,  au  conlraiic,  il  favorise  le  sommeil, 
cela  peut  s'expliquer  par  l'état  de  coliapsus  qui  su't  la  pé- 
rio<le  de  stimulation.  Le  lait  et  la  crème  en  modiiient  les 
propriétés  excitantes  ;  mais  chez  quelques-uns  ils  provo- 
quent lerelàcliement  du  ventre. 

Le  thé  agit  coirune  délayant  des  aliments  et  stimulant  de 
l'estomac;  c'est  la  providence  des  grands  mangeurs  et  des 
estomacs  débiles;  c'est  le  dessert  obligé  de  quelques  nations 
du  Nord,  qui  corrigent  ainsi  les  elTets  d'une  constitution  lâche 
et  fl'un  ciel  froid  et  brumeux.  D"^  Fouoet. 

BOISSONS  (Impôts  sur  les).  En  France,  les  boissons 
sont  soumises  à  divers  droits,  savoir  : 

1"  Droit  de  circulation.  C'est  celui  qui  est  perçu,  sauf 
quelques  exceptions,  à  chaque  enlèvement  ou  déplacement 
de  vins  en  cercles  et  en  bouteilles,  cidres,  poirés,  hydro- 
mels, par  quantités  de  vingt-cinq  litres  et  au-dessus,  et 
pour  une  quantité  quelconque  d'eau-dc-vie,  esprits,  et  li- 
queurs composées  d'eau-de-vie  ou  d'esprits.  Sa  quotité  se 
détermine  par  le  lieu  de  destination ,  conformément  à  un  ta- 
rif dans  lequel  les  départements  sont  partagés  en  quatre 
classes ,  et  la  perception  s'en  opère,  soit  lors  du  départ ,  soit 
au  terme  du  transport.  L'acquittement  en  est  constaté  par 
la  déclaration  préalable  faite  au  bureau  de  la  régie  par  l'ex- 
l)éditeur  ou  Tacheteur,  et  par  Vexpédilion  dont  le  conduc- 
teur est  obligé  de  se  munir.  Cette  expédition  s'appelle  co77(;c, 
lorsqu'il  s'agit  des  vins,  cidres  et  poirés,  dont  le  droit  est 
payé  au  moment  même  de  la  mise  en  circulation  ;  acquit  à 
caution,  lorsqu'il  s'agit  d'esprits,  eaux-de-vic,  ou  liqueurs, 
et  que  le  droit  ne  doit  être  acquitté  qu'au  lieu  de  destina- 
tion; passavant ,  lorsqu'il  s'agit  d'mi  simple  transport  de 
boissons  qu'un  propriétaire  opère  d'une  cave  à  une  autre.  Le 
laissez-passer  est  un  papier  imprimé ,  valable  seulement 
jusqu'au  premier  bureau  de  passage,  et  que  les  propriétaires 
récoltants  etrnarchands  en  gros  sont  autorisés  à  se  délivrer  à 
eux-mêmes,  à  défaut  de  bureau  de  régie  dans  le  lieu  de  leur 
résidence. 

Entre  autres  cas  d'exemption  de  ce  droit  dont  jouissent  les 
boissons,  nous  mentionnerons  celui  où  un  propriétaire,  co- 
lon partiaire  ou  fermier,  effectue  des  transports  dans  l'éten- 
due du  canton  où  la  récolte  a  été  faite  et  des  communes  li- 
mitrophes de  ce  canton,  que  ces  communes  soient  ou  non 
du  même  département. 

2"  Droit  d'entrée.  Ce  droit,  qu'il  ne  faut  pas  confondre 
avec  le  droit  d'octroi,  dont  nous  allons  parler  plus  bas  ,  se 
perçoit  au  profit  du  trésor  dans  les  communes  ayant  au 
moins  quatre  nu'lle  âmes  de  populat'on,  sur  les  boissons 
(pii  y  sont  fabriquées  ou  introduites ,  et  qui  doivent  y  être 
coiisonunées;  car  lorsque  les  boissons  doivent  seulement 
traverser  les  villes ,  y  séjourner  quelque  tcniîis  ,  ou  y  être 
entreposées,  elles  ne  sont  point  sujettes  au  droit.  Au  cas 
de  simple  passage  ou  de  séjour  n'atteignant  pas  vingt-quatre 
heures,  on  consigne  le  montant  du  droit  à  l'entrée,  et  on 
se  munit  d'un  passe-debout  ;  quand  leur  séjour  se  prolonge 
Hu  (ieià  de  vingt-quatre  heures,  on  dit  que  les  marchandises 
sont  en  transit ,  et  pendant  toute  la  durée  du  transit  la 
consignation  est  retenue. 

La  quotité  du  droit  d'entrée  pour  les  vins  repose  sur  une 
double  base  :  elle  croît  en  pro|)ortioii  de  l'éloignemcnt  i]^^ 
lieux  de  production,  et  de  l'importance  de  la  population  ;  ii 


cet  effet,  les  déparlomenls  sont  divisés  en  cpurtre  classes, 
et  les  villes  en  sept  classes ,  sans  compter  Paris,  l'our  les» 
autres  boissons ,  le  tarif  ne  varie  que  suivant  la  popula- 
tion. 

La  perception  s'opère,  pour  les  \io\%ioni  introduites , 
aux  barrières  des  villes ,  ou  à  un  bureau  central  ;  et  quant 
aux  hohson?,  fabriquées  à  Vintérieur,  la  régie  est  autori- 
sée à  faire  faire,  après  la  récolte,  l'inventaire  des  vins  et  ci- 
dres fabriqués  chez  les  propriétaires  récoltants,  qui,  lorsqu'ils 
ne  veulent  pas  jouir  de  l'entrepôt,  sont  admis  à  payer  chaque 
mois  leurs  droits  par  douzièmes. 

3"  Droit  d'octroi.  C'est  celui  qui  est  perçu  au  profit  des 
communes.  L'article  14  du  décret  du  17  mars  1S52  porto 
que  les  taxes  d'octroi  qui  sont  ou  demeureront,  après  l'exé- 
cution de  la  loi  du  11  juin  1842,  supérieures  aux  droits 
d'entrée  dont  le  tarif  est  annexé  audit  décret,  seiont  de 
plein  droit  réduites  au  taux  de  ce  tarif,  dans  un  délai  de  trois 
ans  à  partir  du  1^'' janvier  1853.  Une  prolongation  de  délai 
pourra  être  accordée  aux  seules  communes  qui ,  en  vertu 
de  stipulations  d'emprunts  antérieurs  au  décret,  auront  af- 
fecté le  produit  de  leurs  taxes  d'octroi  sur  les  boissons  au 
service  des  intérêts  et  de  l'amortissement  de  ces  emprunts. 
C'est  le  cas  de  presque  toutes  les  grandes  villes. 

4"  Droit  de  vente  en  détail.  Ce  droit  est  perçu  après  la 
vente  en  détail  des  boissons,  que  cette  vente  ait  été  opérée 
par  les  débitants  ou  considérés  comme  tels,  ou  par  les  mar- 
chands en  gros  ayant  vendu  des  quantités  au-dessous  de 
vingt-cinq  litres ,  ou  par  les  propriétaires  récoltants.  Ces  der- 
niers jouissaient,  sur  la  vente  eu  détail  des  vins  de  leurs 
crus,  d'une  remise  de  25  pour  100,  en  vertu  de  l'art.  85 
de  la  loi  du  28  avril  1816,  tandis  que  l'art.  66  de  la  même 
loi  n'accordait  aux  autres  débitants  que  3  pour  100  pour 
tout  di'chet  et  pour  consommation  de  famille;  mais  la  loi  du 
25  juin  1841  a  abrogé  la  disposition  de  l'art.  85  qui  accor- 
dait cette  remise. 

I-a  perception  de  ce  droit,  qui  s'élève  à  15  pour  100  du 
prix  de  vente  sur  les  vins,  cidres,  poirés  et  hydromels, 
s'opère  après  la  vente;  la  vérification  que  font  les  employés 
de  la  régie  pour  s'assurer  des  quantités  existantes  et  de  celles 
qui  ont  été  vendues,  s'appelle  exercice. 

L'exercice  peut  être  remplacé  par  un  abonnement  que 
la  régie  fixe  suivant  la  consommation  des  années  précédentes 
et  les  circonstances  présentes  qui  influent  sur  le  débit  de 
l'année.  En  payant  d'avance  l'équivalent  du  droit  de  délai! 
dont  on  est  de  cette  façon  estime  passible,  on  se  soustrait 
aux  visites  des  commis. 

A  l'aris,  le  droit  de  détail  et  celui  d'entrée  sont  réunis  et 
remplacés  par  une  taxe  unique  aux  entrées. 

Touîes  les  villes  qui  ont  une  population  agglomérée  de 
4,000  âmes  et  au-dessus  peuvent,  sur  le  vœu  émis  par  le 
conseil  municipal,  convertir  également  en  une  taxe  uni(iue 
aux  entrées  les  droits  d'entrée  et  de  détail  sur  les  vins , 
cidres,  poirés  et  hydromels.  La  loi  du  21  avril  1832  avait 
accordé  la  même  facilité  pour  les  droits  de  circulation  et 
de  licence,  mais  cet  avantage  a  été  retiré  par  la  loi  du  25 
juin  1841. 

Le  décret  récent  du  17  mars  1852  a  ordonné  la  révision 
du  tarif  de  cette  taxe  uu'que,  en  raison  combinée  des  dis- 
positions réduisant  le  droit  d'entrée  et  augmentant  le  droit 
de  détail. 

5"  Droit  de  consommation.  Un  droit  général  de  con- 
sommation, remplaçant  le  droit  de  circulation  et  celui  de 
vente  eu  détail,  est  perçu  à  raison  de  34  fr.  j)ar  hectolitie 
sur  toute  quanlité  d'eau-de-vie,  d'esprit,  ou  de  liqueur  com- 
posée d'eau-de-vic  ou  d'esprit,  reçue  par  les  consomma- 
teurs, quels  qu'ils  soient  et  quelle  que  soit  leur  résidence. 
La  i)ercei)tion  en  est  faite  à  l'arrivée,  suivant  la  décharge 
de  Tacquil à  caution;  elle  peut  néanmoins  être  acquittée  au 
lieu  de  l'enlèvement,  par  l'expéditeur,  qui  se  munit  <lans  ce 
cas-la  d'un  congé  au  lieu  d'un  acquit  à  caution.  Ce  dioil 


S74 


BOlSSOxXS 


n'rtst  {VIS  dû  pour  les  eaux-de-vie ,  esprits  el  licjueurs  expor- 
tés h  l'étranger. 

Les  eaux-de-vie  vcrsi^îs  sur  les  vins  sont  affrancliies  du 
droit  de  consoinmalion  dans  les  dt^parlenients  des  Pyré- 
nées-Orientales,  de  VAude,  du  Tarn,  de  V Hérault,  du 
Gard,  des  Rouches-du- Rhône  et  du  Var ,  à  la  condition 
que  la  quantité  ainsi  employée  ne  dépasse  pas  un  maximum 
de  cinq  litres  d'alcool  par  lieclolitrc  de  vin,  et  qu'après  la 
mixtion,  qui  ne  peut  être  faite  qu'en  présence  des  préposés 
delà  régie,  les  vins  ne  contiennent  pas  plus  de  1 S  centièmes 
d'alcool.  S'ils  en  contiennent  plus  de  18,  et  pas  au  delà 
de  21,  ils  sont  imposés  comme  vins,  et  payent  en  outre 
les  doubles  droits  de  consommation ,  d'entrée  et  d'oc- 
troi pour  la  quantité  d'alcool  comprise  entre  18  et  21 
centièmes.  Mais  les  vins  contenant  plus  de  21  centièmes 
d'alcool  ne  sont  pas  imposés  comme  vins,  et  sont  soumis 
pour  leiu-  (piantité  totale  aux  mômes  droits  que  l'alcool  pur. 
—  Les  vins  destinés  à  l'exportation  peuvent  dans  tous  les 
départements  recevoir  en  franchise  des  droits  une  addition 
il'alcool  supérieure  à  cinq  litres  par  hectolitre,  pourvu  que 
le  mélange  soit  opéré  sous  la  surveillance  de  la  régie,  et  au 
moment  même  de  l'embarquement. 

6"  Droit  de  licence.  La  licence,  valable  pour  un  seid 
établissement  et  pour  l'année  où  elle  a  été  délivrée,  est  le 
droit  imposé  à  tous  les  débitants  de  boissons  ,  brasseurs, 
bouilleurs,  distillateurs,  et  marchands  de  boissons  en  gros. 
Ce  droit  se  perçoit  par  trimestre. 

7°  Droit  de  la  fabrication  de  la  bière.  Ce  droit,  qui  est 
le  seul,  du  reste,  avec  celui  de  licence,  auquel  les  bras- 
seu  rs  sont  soumis,  est  perçu  lors  de  la  fabrication,  à  rai- 
son de  2  fr.  40  cent,  par  liectolitre  sur  la  bière  forte ,  et  de 
60  cent,  par  hectolitre  sur  la  petite  bière. 

A  Paris,  et  dans  les  villes  de  30  mille  âmes  et  au-des- 
sus, la  régie  peut  convenir  de  gré  à  gré  d'un  abonnement 
général  pour  le  droit  de  fabrication;  il  n'est  valable  que  pour 
une  année. 

Le  produit  des  trempes  données  pour  unbrassin  peut,  en 
vertu  du  décret  du  17  mirs  1852,  excéder  de  20  pour  100  la 
contenance  de  la  chaudière  déclarc'e  pour  la  fabrication  du 
brassin.  La  régie  des  contributions  indirectes  est  autorisée  à 
régler,  en  raison  des  procédés  de  fabrication  et  de  la  durée 
ou  de  la  violence  de  l'ébuUition,  le  moment  auquel  le  pro- 
duit des  trempes  devra  être  rentré  dans  la  chaudière. 

Dans  une  note  publiée  en  1849,  M.  Achille  Fould  a  mis 
en  avant  quehjucs  chiffres  d'où  il  est  parti  pour  prouver  l'é- 
quité de  rinqjôl  sur  les  boissons,  son  caractère  inoffensif  eu 
égard  au  développement  de  la  production  et  du  commerce 
des  vins,  et  l'impossibilité  d'y  renoncer,  vu  l'état  de  nos 
tinances. 

Le  vin  exporté  chaque  année,  disait  M.  Fould,  s'élève  à 
1,200,000  hectolitres,  et  le  vin  consommé  par  les  proprié- 
taires ,  à  9  millions.  Ces  deux  quantités  réunies,  qui  ue  sont 
pas  soumises  aux  droits,  formant  environ  le  quart  de  la 
production  totale  de  la  France,  il  résulte  de  cette  statistique 
que  les  trois  quarts  scnlenient,  sauf  la  partie  qui  échappe 
par  la  fraudé,  |)ayeut  rin)j)*it  indirect.  Cet  impôt  n'est  donc 
payé  que  par  le  consouunateur,  et  M.  Fould  en  conclut  qu'il 
n'est  pas  inique.  En  1788,  la  superlicie  plantée  en  vignes 
représentait  1,5G7, 700  heclares,  et  1,9C0,75.>  hectares  en 
1840;  d'où  M.  Fould  constate  l'extension  de  la  culture  de 
la  vigne  dans  lUie  proportion  régulière. 

On  évaluait,  dit-il  encore  à  l'appui  de  cette  prétendue 
prospérité  progressive,  la  quantité  de  vin  pioduite  en  tû!9 
à  42  millions  d'hectolitres,  et  en  1849  à  4G  millions;  il  ajoute 
que  1  uiij>ôt  a  altehit  en  1840  près  de  10  millions  d'hecto- 
litres, deux  millions  de  plus  qu'en  1829. 

Ainsi,  de  l'aveu  de  M.  Fould ,  sur  un  total  de  45  millions 
d'hectolitres,  10  millions  elant  exempts  des  droits  et  l(i  ies 
acquittant,  il  y  en  a  dix-neuf  qui  s'y  dérobent  par  des 
ïnoyens  frauduleux. 


De  plus ,  les  comptes  de  l'octroi  ont  été  tanl  pour  les  vins 
en  cercles  qu'en  bouteilles  : 

lin  18.-Î2,  de   6,887,9:55  francs. 
En  1841,  de  11,281,046      » 
En  1847,  de  12,205,925      » 

Ces  résultats  établissent  suffisamment,  d'après  M.  Fould, 
que  la  production  s'est  développi'c ,  et  l'activité  du  com- 
merce accrue  sous  l'empire  de  la  législation  attaquée. 

Le  nombre  des  débitants  soumis  à  la  licence  n'était  en  IS.I^ 
que  de  2" 5,000. 

En  1847,  il  a  atteint  380,000  :  nouvelle  preuve  de  l'inno- 
cuité de  l'impôt. 

]\Iais  eu  acceptant  ce  chiffre  de  235,000  débitants  soumis 
à  la  licence  en  1832  ,  nond)reque  d'autres  élèvent  à  331,000, 
on  a  fait  remarquer  que  l'année  1832,  prise  pour  terme  de 
comparaison ,  ne  peut  pas  être  plus  mal  choisie  :  année  d'é- 
pidémie et  de  guerre  civile ,  elle  a  été  exceptionnellement 
désastreuse,  et  les  octrois  y  ont  rendu  un  quart  de  moins  que 
dans  les  six  dernières  années  de  la  Restauration  :  c'est  ce 
qui  explique  la  progression  signalée  par  M.  Fould  dans  les 
recettes  de  l'octroi ,  progression  qui,  anormale  d'abord, 
pour  la  raison  que  nous  venons  de  dire,  est  de  plus  contes- 
table, vu  l'exagération  donnée  à  la  recette  de  1847,  qui  n'a 
pu  atteindre  12,205,000  fr.,  à  en  juger  par  le  contingent  du 
Trésor  pour  cet  exercice. 

Au  temps  du  bon  plaisir,  les  boissons  étaient  soumises 
comme  aujourd'hui  à  l'impôt  :  c'était  d'abord  le  curé,  qui  ré- 
clamait sa  (lime;  puis  le  roi,  qui  prélevait  le  droit  de  détail  : 
»  Et  le  samedy  3  aoust  1465,  est-il  dit  dans  V Histoire  de 
Louis  XI ,  le  roy,  ayant  singulier  désir  de  faire  des  biens  à 
sa  ville  de  Paris  et  aux  habitants  d'icelle ,  remit  le  qua- 
triesme  du  vin  vendu  à  détail  en  ladicte  ville  au  huic- 
tiesme ;  »  puis  l'octroi,  qui  exigeait  l'entrée  (en  1788,  un 
inuid  devin  payait  là  son  entrée  dans  Paris  67  livres  1 1  .sols); 
puis  le  seigneur,  qui,  en  vertu  de  la  banalité  du  tonnage,  du 
vinage,  de  l'afforage,  et  d'une  multitude  d'autres  droits  sei- 
gneuriaux ,  venaieat  puiser  à  pleins  brocs  dans  la  tonne  du 
vendangeur. 

L'Assemblée  constituante,  au  lieu  de  modérer  les  tarifs 
et  d'adoucir  les  formes  employées  pour  la  perc«plion, 
abolit  en  masse  les  droits  de  consommation,  et  alfrancliit 
ainsi  les  boissons  de  l'impôt  :  c'était  tarir  l'une  des  sources 
les  plus  importantes  des  revenus  de  l'État;  mais  la  Cons- 
tituante lit  ressource  des  biens  du  clergé,  la  Convention 
battit  monnaie  sur  les  échafauds ,  le  Directoire  vécut  de 
banqueroutes;  et  pendant  quelques  années  on  apprécia 
mal  les  résultats  de  la  suppression  des  droits  de  consomma- 
tion. 

Quand  l'ordre  se  rétablit  dans  l'administration ,  lorsque 
le  gouveruement  renonça  à  chercher  dans  la  violence  et  la 
spoliation  les  moyens  de  faire  face  aux  dépenses  de  l'État, 
il  fallut  revenir  aux  droits  de  consommation,  et  les  boissons 
furent  imposées  <ie  nouveau.  Napoléon  organisa  alors  les 
droits-réunis  ,  vaste  machine  fiscale,  fortement  constituée, 
largement  conçue,  mais  dont  les  rouages  sont  trop  nom- 
breux, dont  l'entretien  est  trop  cher.  L'Empire  donnait  à 
tout  une  impulsion  vigoureuse  :  celle  que  reçurent  les  droits- 
réunis  imprima  à  la  machine  un  mouvement  qui  froissa  tel- 
lement le  peuple,  qu'en  1814  il  demanda  avec  autant  de  cha- 
leur la  suppression  des  droits-réunis  que  l'abolition  de  la 
conscription.  Le  comte  d'Artois  répondit  aux  clameurs  du 
peuple  :  «'  Oui,  mes  amis,  plus  de  droits-réunis!  »  mais  le 
ministre  des  finances  ne  put  ratifier  cette  promesse;  les 
droits-réunis  rapi)ortaient  plus  de  150  millions,  et  occupaient 
une  armée  de  20  mille  commis;  on  ne  pouvait  se  passer  de 
l'argent,  on  ne  savait  que  faire  des  commis  :  on  sortit  d'em- 
barras en  supprimant  les  droits-numis  et  en  organisant  les 
contributions  indirectes  :  la  chose  était  à  peu  près  la  môme, 
le  nom  seul  était  changé. 

Parmi  les  diverses  dispositions  législatives  qui  niodifièrent 


BOISSONS 

la  loi  organique  des  droils-iéunis  cJti  5  ventôse  an  XII, 
mais  qui  curent  moins  pour  but  d'en  changer  les  bases  que 
d'en  mieux  approprier  les  formes  aux  temps  et  aux  mœurs, 
nous  mentionnerons  comme  la  plus  méthodique ,  la  plus 
complète,  la  plus  clairement  rédigée,  la  loi  du  28  avril  1816. 
Llle  vint  adoucir  sensiblement  les  formes  fiscales  des  lois 
de  l'Empire,  et  c'est  à  elle  que  se  réfèrent  la  plupart  des 
lois  de  finances  postérieures  qui  ont  trait  aux  boissons. 

révolution  de  1830  renouvela   les   réclamations  du 


375 


La 

peuple- contre  les  contributions  indirectes.  Le  moment  n'é- 
tait pas  opportun.  Ce  n'était  pas  en  face  de  l'Europe  en 
armes  que  la  France  pouvait  tarir  les  sources  de  son  budget. 
Cependant  les  réclamations  étaient  pressantes,  et  un  dégrè- 
vement de  40  millions,  c'est-à-dire  d'environ  deux  cin- 
quièmes, fut  accordé  en  décembre  1830.  L'administration 
financière  ne  fit  ce  sacrifice  qu'avec  regret,  et  constamment 
depuis  elle  protesta  contre  cette  mesure. 

Cette  loi  du  12  décembre  1830  supprima  le  droit  d'entrée 
dans  les  villes  au-dessous  de  4,000  âmes,  réduisit  à  10  pour 
100  du  prix  de  vente  le  droit  de  vente  en  détail,  abaissa 
conformément  à  un  tarif  nouveau  les  droits  de  circulation, 
de  consommation,  d'entrée,  de  remplacement  aux  entrées 
de  Paris ,  et  de  fabrication  des  bières,  et  consacra  la  sub- 
stitution de  l'abonnement  à  l'exercice,  qu'avait  déjà  autorisée 
la  loi  transitoire  du  1 7  octobre  de  la  même  année.  La  loi 
du  21  avril  1832  vint  permettre  de  remplacer  l'exercice  par 
une  taxe  unique  aux  entrées  dans  les  villes  de  4,000  âmes 
et  au-dessus,  lorsque  le  conseil  municipal  en  émettrait  le 
vœu  ;  autorisa  à  remplacer,  toujours  sur  le  vœu  du  conseil 
municipal,  l'inNentaire  des  vins  nouveaux  et  le  douzième 
du  droit  sur  les  vendanges  par  un  abonnement,  et  donna 
la  faculté  d'entrepôt,  moyennant  caution  solvable,  aux  dis- 
tillateurs et  aux  marchands  en  gros. 

Plus  tard,  dans  le  but  de  donner  moins  de  latitude  à  la 
fraude,  la  loi  du  25  juin  1841  restreignit  aux  cantons  limi- 
trophes de  l'arrondissement  de  la  récolte  l'exemption  du 
droit  de  circulation,  que  les  lois  de  1816  et  de  1819  éten- 
daient pour  certains  cas  spéciaux  aux  arrondissements  li- 
mitrophes. Elle  excepta  de  la  taxe  unique ,  dont  les  con- 
seils municipaux  étaient  autorisés  à  voter  l'établissement, 
le  droit  de  licence  des  débitants  et  celui  de  circulation,  et 
elle  abrogea  la  disposition  de  l'art.  85  de  la  loi  du  2S  avril 
1816,  qui  accordait  aux  propriétaires  vendant  en  détail  les 
boissons  de  leur  crû  une  renuse  de  25  pour  100  sur  les 
droits  de  détail.  Enfin,  la  loi  du  11  juin  1842  arrêta  que 
les  taxes  d'octroi  ne  pourraient  excéder  les  droits  perçus 
aux  entrées  des  villes  au  profit  du  trésor,  qu'il  ne  pourrait 
être  établi  aucune  taxe  d'octroi  supérieure  au  droit  d'entrée 
qu'en  vertu  d'une  loi;  tandis  qu'une  simple  ordonnance 
royale  avait  pu  jusque  alors  étabUr  cette  surtaxe,  et  que  les 
surtaxes  existantes  à  ce  moment,  et  dont  la  durée  était  illi- 
mitée, cesseraient  de  plein  droit  au  31  décembre  1852. 

Tel  était  l'élat  des  choses  lorsque  survint  la  révolution  de 
1848.  Le  gouvernement  provisoire ,  par  son  décret  du  31 
mars,  arrêta  que  la  perception  des  droits  de  circulation  et 
de  détail  sur  les  vins,  cidres,  poirés  et  hydromels,  ainsi 
que  celle  du  droit  de  détail  sur  les  alcools,  esprits  et  li- 
queurs, serait  supprimée  à  partir  du  15  avril  suivant  ;  qu'en 
conséquence,  les  exercices  cesseraient  d'avoir  lieu  dans  le 
débit  des  boissons ,  et  qu'un  droit  général  de  consomma- 
tion serait  perçu  en  remplacement  d'après  un  nouveau  ta- 
rif. Le  13  avril,  un  second  décret  enjoignit  au  ministre  des 
finances  et  au  maire  de  Paris  de  présenter  dans  le  plus  bref 
délai  un  règlement  modifiant  le  droit  d'octroi  sur  le  vin,  et 
détruisant  l'inégalité  choquante  des  droits  perçus  sur  les 
boissons  comnuines  et  sur  les  vins  de  luxe.  Mais  l'Assem- 
blée constituante  vint  bientôt  étouffer  ces  élans.  Déjà,  dès 
le  10  juin,  M.  Duclerc,  ni'nistre  des  finances,  avait  présenté 
un  projet  de  décret  avec  un  tarif  pour  l'application  duquel 
ladivision  desdépaitcmenls  était  portée  à  huit  classes  au  lieu 


de  quatre  ;  ce  tarif  abaissait  de  25  cent,  le  minimum  réglé  fwr 
le  décret  du  31  mars,  et  relevait  de  50  en  ."io  cent,  jusfju'à 
5  fr.  ;  mais  il  reportait  à  66  fr.  pour  Paris  le  taux  de  l'impôt 
sur  l'alcool,  et  à  50  fr.  partout  ailleurs.  Douze  jours  après, 
l'Assemblée  constituante  adoptait  un  décret  qui  abrogeait  en 
entier  celui  du  31  mars  à  partir  du  10  juillet,  et  remettait 
en  vigueur  les  lois  antérieures  à  la- révolution  de  Février.  Il 
est  vrai  que,  pour  faciliter  la  perception,  il  accordait  à  tous 
les  débitants  qui  en  feraient  la  demande  l'abonnement  basé 
sur  les  produits  de  1847  atténués  d'un  dixième.  Chose 
étrange!  un  an  plus  tard,  cette  môme  assemblée,  touchant  à 
l'expiiation  de  ses  pouvoirs,  et  tourmentée  du  besoin  de 
ressaisir  quelques  miettes  de  la  popularité  qu'elle  avait  per- 
due, décida,  par  une  proposition  additionnelle  à  la  loi  des 
finances,  que  l'impôt  des  boissons  serait  aboli  à  partir  du 
1*'  janvier  1850,  et  que  le  gouvernement  serait  tenu  de  pré- 
senter avant  celte  époque  à  la  Législative  un  projet  de  loi 
sur  le  remplacement  de  la  taxe  supprimée.  En  l'état  de  pé- 
nurie où  se  trouvait  alors  le  trésor  public,  diminuer  brus- 
quement les  recettes  de  100  millions,  alors  que  le  budget  se 
soldait  déjà  par  un  énorme  déficit,  et  que  l'Assemblée  elle- 
même  augmentait  encore  les  dépenses  prévues  d'une  cin- 
quantaine de  millions,  c'était,  déclara  M.  Passy  dans  la 
séance  du  18  mai,  »  amener  wie  perturbation  immense 
dans  les  ajjaires  du  pays ,  et  la  désorganisation  com- 
plète du  système  financier  ».  Ces  considérations  furent 
impuissantes  sur  l'esprit  des  constituants,  qui  votèrent  l'abo- 
lition le  19  mai  1849.  Le  4  août  1849,  M.  Passy,  ministre 
des  finances,  déposa  un  projet  de  loi  par  lequel  il  propo- 
sait de  maintenir  rim[)ôt  des  boissons,  et,  tout  en  reconnais- 
sant la  possibilité  de  faire  subir  quelques  modifications  au 
mode  de  perception,  aux  règles  et  aux  tarifs,  il  déclarait 
qu'aller  plus  loin,  c'était  commettre  une  imprudence  qui  pou- 
vait entrahier  pour  l'avenir  et  l'honneur  du  pays  les  plus 
graves  conséquences.  Ce  projet  fut  renvoyé  à  la  commission 
des  finances.  Sur  ces  entrefaites  survint  un  changement  de 
ministère.  M.  Fould ,  nouveau  ministre  des  finances,  en 
modifiant  le  budget  de  son  prédécesseur,  maintenait  l'impôt 
des  boissons  pour  l'année  1850,  et  demandait  à  l'Assem- 
blée de  nommer  une  commission  pour  procéder  à  une  en- 
quête sur  l'assiette  et  le  mode  de  répartition  de  cet  impôt. 
L'impôt  fut  maintenu;  une  commission  d'enquête  fut  nom- 
mée, et  rien  n'était  temiiné  quand  le  coup  d'État  du  2  dé- 
cembre mit  fin  à  l'existence  de  l'Assemblée  nationale. 

Enfin,  le  17  mars  1852,  dans  son  rapport  pour  le  budget 
général  de  l'année  courante,  M.  Bineau,  ministre  des  finan- 
ces, soumit  au  président  de  la  République  un  projet  de 
décret  destiné  à  apporter  certains  changements  dans  l'im- 
pôt des  boissons.  Après  la  diminution  de  l'impôt  de  1831, 
le  dégrèvement,  disait  M.  Bineau,  fut  de  28  millions  et  de- 
mi, et  en  ce  moment  il  coiTCspondait  pour  le  trésor  à  une 
perte  de  43  millions.  La  commission  d'enquête ,  lionuiiée 
par  l'Assemblée  Législative,  était  arrivée,  après  de  longs  et 
sérieux  travaux,  à  reconnaître  la  nécessité  de  maintenir 
cet  impôt;  mais  elle  avait  conclu  à  l'utilité  de  diverses  mo- 
difications destinées  à  en  améliorer  l'assiette  et  la  percep- 
tion. Les  propositions  soumises  par  M.  Bineau  comprenaient 
celles  que  la  commission  avait  formulées;  elles  en  compre- 
naient, en  outre,  quelques  autres,  qui  les  complétaient. 
Leur  ensemble  se  composait  de  quatre  dispositions  princi- 
pales : 

1"  Le  droit  d'entrée  réduit  de  moitié; 

2°  Le  droit  de  détail  élevé  de  moitié; 

3°  La  limite  de  la  vente  en  gros  abaissée  de  100  litres 
à  25; 

4°  La  zone  de  franchise  dont  jouissaient  les  producteur» 
restreinle  de  l'arrondissement  au  canton. 

M.  Bineau  faisait  découler  de  ces  changements  les  consé- 
quences suivantes  :  Consommation  du  cabaret  gi'evée  d'una 
augmentation  de  droit  ;  consommation  'Je  la  famille  dégre- 


370  BOISSO.NS  —  BOISSY-DAi\GLAS 

Vie.  D'aiilrc  paît,  l'impôt  devenait  plus  proportionnel  à  la 
valeur  des  objets  frappés. 

Outre  ces  dispositions  principales,  il  en  proposait  de  se- 
condaiies,  dont  la  plus  importante  avait  pour  objet  de  pré- 
venir les  fraudes  nuisibles  au  trésor  et  à  la  santé  publique 
dans  la  fabrication  des  vins  artiliciels.  M.  Bineau  cstiniail 
enlin  que,  compensation  faite  entre  les  augmentations  et  di- 
minutions devant  résulter  de  ces  changements,  il  en  résul- 
terait, tout  calcul  fait,  une  augmentation  de  produits  de 
'J,GUO,000  francs  par  an;  mais  la  suppression  d'un  dixième 
faite  en  une  autre  part  du  budget,  daus  le  prélèvement  sur 
le  produit  net  des  octrois ,  prélèvement  où  les  boissons  se 
trouvaient  comprises  pour  près  de  3  millions,  ne  devait,  en 
définitive,  surcharger  l'impôt  des  boissons  que  d'environ 
fi  millions.  Le  ministre  était  d'avis  que  cette  augmentation, 
insensible,  d'ailleurs ,  dans  un  impôt  rapportant  plus  de 
100  millions,  serait  plus  que  compensée  par  les  améliora- 
tions considérables  apportées  dans  l'assiette  et  surtout  par 
l'accroissement  de  consommation  devant  nécessairement  ré- 
sulter de  la  réduction  des  droits  d'entrée.  Ce  projet,  adopté 
dans  sa  teneur  par  le  président  de  la  République,  forme  au- 
jourd'hui la  législation  qui  régit  la  matière. 

BOISSY  (Louis  de),  né  en  1694,  à  Vie  en  Auvergne,  fut 
d'abord  destiné  à  l'état  ecclésiastique  |)ar  ses  parents  sans 
fortune,  et  en  porta  quelque  temps  l'habit;  mais,  sentant 
que  sa  véritable  vocation  était  la  littérature,  11  vint  publier 
dans  la  capitale  des  premiers  essais,  qui  ne  furent  pas  heu- 
reux. 11  débutait  par  des  satires,  et  il  s'aperçut  bientôt  que 
c'était  un  méchant  métier,  surtout  quand  on  ne  le  faisait  pas 
comme  iioileau.  Se  trompant  encore  une  fois  sur  son  genre 
de  talent,  il  fit  alors  une  pâle  tragédie,  Admète  et  Alceslc, 
qui  n'eut  aussi  qu'un  faible  succès.  Se  relournant  enfin  vers 
la  comédie,  cette  fois  il  prit  une  meilleure  route.  Ce  ne  fut 
toutefois  ni  celle  de  Molière  ni  même  celle  de  Regnard.  Le 
meilleur  ouvrage  de  Boissy,  les  Dehors  trompeurs,  le 
place  bien  au-dessous  du  grand  peintre  des  mœurs  et  des 
caractères,  de  même  que  le  Babillard  et  le  Français  à 
Londres,  bluettes  agréables  par  l'art  de  reproduire  la  verve 
et  la  franche  gaieté  de  l'auteur  du  Légataire  universel.  La 
caricature  de  Jacques  Rosbif  fit  la  réussite  de  la  seconde. 
Le  personnage  ressemblait  à  un  Anglais  à  peu  près  comme 
l)ouvaient  représenter  nos  compatriotes  les  Français  que 
l'on  montrait  alors  sur  les  théâtres  de  Londres  ,  habillés  de 
satin  rose,  et  faisant  leurs  dîners  de  pattes  de  grenouilles. 
L'avantage  sous  le  rapport  du  goût  et  du  bon  ton  était 
même  encore  de  notre  côté. 

Boissy  composa  pour  les  scènes  française  et  italienne  un 
grand  nombre  d'autres  ouvrages  souvent  inspirés  par  une 
anecdote  ou  un  travers  du  jour ,  et  auxquels  pouvait  s'appli- 
quer ce  vers  connu  : 


Ciianlez  la  circonstance,  et  mourez  avec  elle. 

Même  dans  ses  pièces  d'un  genre  moins  éphémère ,  il  ne  fit 
guère  la  comédie  qu'avec  de  l'esprit,  et  l'on  sait  qu'il  faut 
bien  autre  chose  pour  accomplir,  comme  l'a  dit  Voltaire, 
cette  œuvre  du  démon.  Les  rétributions  accordées  aux  au- 
teurs dramatiques  étaient  alors  si  faibles  que,  malgré  sa  fé- 
condité, Boissy  se  trouva  dans  un  dénùment  accru  par  un 
/nariage  d'inclination  imprudenunent  contracté.  Il  faillit  aug- 
njenter  la  liste  des  hommes  de  talent  morts  de  besoin ,  et  des 
voisins  secourables  sauvèrent  seuls  les  deux  époux  de  la  fu- 
neste détermination  qu'ils  avaient  prise  de  se  tuer.  Des 
jours  plus  heureux  vinrent  cependant  luire  pour  eux.  Ln 
1701  Boissy  fut  nommé  à  l'Académie,  moins  sévère  dans 
celte  circonstance  que  pour  l'auteur  de  la  Mélrotnanie  et 
de  certaine  ode  trop  fameuse;  car  le  nouvel  élu  avait  bien 
aussi  quelques  peccadiles  de  cette  sorte  sur  la  conscience, 
telles  que  le  roman  des  Filles-Femmes  et  deux  ou  trois 
autres  passablement  obscènes ,  mais  publiés  sous  le  voile  de 
l'anonyme. 


Bientôt 'il  fut  chargé  de  la  direction  de  la  Gazette  de 
France,  espèce  de  sinécure  lucrative  dans  un  teini)s  où  la 
politique  de  celle  feuille  consistait  à  enregistrer  les  présen- 
tations à  Versailles,  les  deuils  de  cour,  et  les  noms  des  per- 
sonnes qui  avaient  eu  l'honneur  de  monter  dans  les  car- 
rosses du  roi.  Plus  tard,  il  obtint  encore  le  pri\ilége  du 
Mercure  de  France,  qui,  à  cette  époque  lillciaire,  était 
d'un  très-bon  rapport.  Mais  il  scniblait  que  la  fortune  enviât 
ses  faveurs  à  un  homme  qu'elle  avait  longtemps  persécuté. 
Boissy  en  jouit  peu  d'années,  et  mourut  en  1758,  à  peine 
ûgé  de  soixante-quatre  ans.  —  Un  reflet  de  sa  destinée  peu 
prospère  s'étendit  sur  celle  de  son  fils,  auteur  de  quelques 
ouvrages  d'érudition ,  et  qui ,  tombé  aussi  dans  une  gène 
cruelle,  mit  fin  à  ses  jours  en  se  précipitant  par  une  fenêtre. 

Un  autre  BOISSY  (L\us  df),  qui  n'était  point  de  la  même 
famille,  eut  quelques  succès  dramatiques  dans  le  conunen- 
cement  du  règne  de  Louis  XVI.  C'était  un  de  ces  singes  de 
Dorât  qui  outraient  le  précieux  et  l'afféterie  de  leur  maître. 
La  chronique  scandaleuse  du  temps  prétendit  môme  qu'il 
lui  avait  succédé  dans  les  affections  d'une  femme  de  lettres 
alors  assez  célèbre,  et  qui,  suivant  le  satirique  Lebrun,  tie 
faisait  pas  ses  vers.  Ce  bruit,  vrai  ou  faux,  donna  lieu  à 
l'une  des  meilleures  épigrammes  d'un  malin  poète: 

Durât  mourant  dit  à  sa  belle  uiiiic,  etc. 


On  en  fit  courir  uneautre,  plus  connue  et  non  moins  maligne, 
en  remplaçant  le  nom  du  pauvre  Laus  de  Boissy  par  celui 
de  Bos  de  Poissij.  11  ne  ne  s'en  releva  pas.  Oukky. 

BOISSY-D'ANGLAS  (François -Antoine)  naquit  à 
Saint-Jean-Chambrc,  petit  village  du  cantoa  de  ^'e^nhoux  , 
département  de  l'Ardèche,  le  8  décembre  1756,  d'une  famille 
protestante.  11  fit  ses  premières  études  à  Annonay,  et  fut  en- 
suite reçu  avocat  au  parlement  de  Paris;  mais  il  n'en  exerça 
jaiuais  les  fonctions.  Il  avait  acheté  une  charge  de  maitre- 
d'hôtel  ordinaire  de  Monsieur  (depuis  Louis  XVIII  ),  dont 
il  se  démit  plus  tard,  vers  la  fin  de  la  session  de  l'Assemblée 
constituante.  D'ailleurs,  il  s'occupait  à  peu  près  uniquement 
de  littératiire.  Avant  la  révolution,  il  était  associé  de  plu- 
sieurs Acaoemies  ue  province,  et  correspondant  de  celle  des 
Inscriptions  et  Belles- Lettres  de  Paris.  Boissy  d'Anglas  fui 
élu  député  du  tiers  état  de  la  sénéchaussée  d'Annonay  aux 
éiats  généraux  de  178'J  :  il  n'avait  pas  encore  trente-trois 
ans.  Dès  les  premières  séances,  il  se  déclara  en  faveur  de 
la  cause  populaire.  Cependant  il  ne  joua  qu'un  rôle  secon- 
daire dans  cette  première  assemblée,  où  des  orateurs  nom- 
breux et  brillants  rendaient  l'accès  de  la  tribune  diflicile. 
Mais  il  publia  quelques  brochures  politiques,  qui  furent  re- 
marquées. C'est  à  tort  qu'on  lui  a  reproché,  dans  certaines 
biographies,  d'avoir  fhit  l'apologie  dos  journées  des  5  et  G 
octobre  1789:  cttte  assertion,  répétée  sans  examen,  a  été 
démentie  par  Boissy-d'Anglas  lui-même.  Il  a  parlé  une  scide 
fois  de  ces  tristes  journées,  et  il  a  ajouté  à  ce  qu'il  a  dit  pour 
les  blâmer  ces  mots  célèbres  du  chancelier  l'Ilospital  :  Fx- 
cidat  illa  dies! 

En  1790  Boissy-d'Anglas  demanda  que  des  mesures  fus- 
sent |)rises  contre  le  rassemblement  du  camp  de  J aies,  où 
s'organisait  un  plan  de  guerre  civile  pour  le  midi  ;  il  dénonça 
comme  contre-révolutionnaire  un  mandement  de  l'arche- 
vêque de  Nienne.  Élu  secrétaire  en  1791 ,  il  réclama  contre 
l'insertion  de  son  nom  dans  un  libelle  intitulé  :  Liste  des 
députés  qui  ont  volé  pour  V Angleterre  dans  la  question 
des  colonies,  et  déclara  qu'il  se  faisait  gloire  d'être  du 
nombre  de  la  minorité,  (jui  voulait  conserver  les  droits  des 
hounues  de  couleur.  Après  la  session,  Boissy-<rAnglas  fut  élu 
juucuieur  j;énéral  syndic  du  département  de  l'Ardèdie  :  il 
remplit  cette  magistlature  importante,  que  les  circonstances 
rendaient  très-diliicile,  avec  une  fermeté  et  une  impartialité 
qui  commencèrent  à  jeter  les  fondements  de  la  belle  réputa- 
tion dont  son  nom  est  environné.  On  doit  remarquer  surtout 
le  courage  avec  lequel  le  magistral  protestant  couvrit  de  son 


(Torps  peiulanl  plusieurs  heures  la  porte  de  la  prison  d'An- 
nonay,  qu'une  force  militaire,  étrangère  au  pays,  voulait 
\ioier  pour  égorger  des  prêtres  catholiques  qui  s'y  trou- 
vaient reiiforinés,  et  qui  furent  rendus  à  la  liberté  la  nuit 
suivante.  Ce  fut  à  la  réquisition  du  procureur  général  syndic 
qiio  l'adaùnistration  centrale  du  (léparlement  de  l'Ardèclie 
prit  un  arrêté  pour  demander  à  TAssemblée  législative  une 
loi  sur  les  formes  civiles  des  actes  de  naissance  et  de  décès 
<les  citoyens. 

tn  septembre  1702  Boissy-d'Anglas  fut  élu  député  de  l'Ar- 
dèclie à  la  Convention  nationale;  il  eut  dabord  une  mis- 
sion à  Lyon  ,  où  il  fut  envoyé  avec  ses  collègues  Vitet,  an- 
cien maire  de  celle  ville,  et  Legendre,  de  Paris,  pour  y 
rétablir  l'ordre,  que  la  rareté  des  subsistances  menaçait  de 
troubler.  Il  fut  envoyé  de  nouveau  dans  la  même  ville 
avec  Vitet  et  Alquior.  Ces  commissaires  étaient  chargés  do 
vérifier  les  api)ruvisionnemcnts  de  l'armée  des  Alpes;  mais 
ils  n'achevèrent  pas  celte  opération,  ayant  appris  qu'on  était 
au  moment  de  prononcer  sur  le  sort  de  Louis  XVI.  Tous 
trois  volèrent  do  manière  à  ce  que  leur  voix  fût  comptée 
pour  l'absolution.  Quant  à  Boissy-d'Anglas,  il  vota  pour  tous 
les  partis  les  plus  l'avorables  à  l'illustre  accusé ,  c'est-à-dire 
pour  la  détention  jusqu'à  ce  que  la  sûreté  publique  permit 
le  bannissement;  en  faveur  de  l'appel  au  peuple,  que  l'in- 
fortuné monarque  considérait  lui-même  comme  l'unique 
et  dernier  moyeu  de  saint  sur  lequel  il  lui  fût  encore  permis 
de  compter  ;  enfin  pour  le  sursis  à  l'exécution ,  quand  la 
peine  de  mort  eut  été  prononcée.  Boissy-d'Anglas  ne  parut 
point  à  la  tribune  durant  la  lutte  entre  les  montagnards 
et  les  girondins  ;  mais  il  vola  constamment  avec  ces  derniers. 

Après  les  fatales  journées  des  31  mai  et  2  juin  1793,  il 
écrivit  au  vice-président  du  département  de  l'Ardèclie 
(  Dumont  )  une  lettre  qui  fut  imprimée  et  distribuée  suivant 
ses  intentions ,  et  dans  laquelle ,  après  avoir  peint  sous  les 
couleurs  les  plus  énergiques  et  les  plus  vraies  l'oppression 
de  la  représentation  nationale,  il  expliquait  les  motifs  qui 
le  décidaient  à  rester  encore  à  son  poste,  et  provoquait  de 
la  manière  la  plus  formelle  ses  concitoyens  à  la  résistance 
contre  la  tyrannie  de  la  Montagne.  Il  est  vraiment  surpre- 
nant que  cette  pièce  n'ait  point  coulé  la  vie  à  son  auteur. 
Durant  plus  d'une  année,  chaque  fois  qu'un  représentant 
du  peuple  en  mission  dans  l'Ardèclie  revenait  à  Paris,  il  ne 
manquait  pas  de  déposer  des  exemplaires  de  la  lettre  de 
Boissy-d'Anglas  au  comité  de  sûreté  générale.  Le  péril  fut 
sans  cesse  écarté  par  VoullanJ ,  membre  île  ce  comilé,  qui, 
ayant  conservé  pour  son  collègue  de  bons  sentiments , 
malgré  la  dissidence  de  leurs  opinions ,  avait  toujours  soin 
de  soustraire  la  pièce  accusatrice.  Cependant  elle  n'était 
point  entièrement  inconnue,  puisque,  quelque  temps  après 
le  31  mai,  ayant  voulu  prendre  la  parole,  Chabot  l'inter- 
rompit par  ces  mots  :  «  Tais-toi,  coquin!  nous  savons  ce 
<iue  tu  as  écrit;  tu  devrais  être  déjà  guillotiné.  »  Une  autre 
fois  (pic  Boissy-d'Anglas  traversait  les  Tuileries  avec  sa 
famille,  il  fut  aperçu  par  Legendre,  qui,  venant  à  lui  avec 
fureur,  lui  dit  :  «  Eh  bien!  scélérat,  tu  as  osé  dire  que  tu 
n'élais  pas  libre,  et  cependant  te  voilà  ici  !  —  Non,  je  ne  suis 
pas  libre ,  répliqua  Boissy  ;  car  si  je  l'étais,  je  pourrais  te  ré- 
pondre. »  —  Cette  situation  périlleuse  explique  suffisamment 
le  silence  que  garda  Boissy-d'Anglas  à  une  époque  où  tout 
ce  qui  restait  d'hommes  raisonnables  et  modérés  dans  le 
sein  de  la  Convention  se  voyait  forcé  ,  sous  peine  de  la  vie, 
d'observer  la  même  conduite;  mais  après  le  ii  thermidor  il 
ne  négligea  aucune  occasion  de  réparer  les  nouibreuses  in- 
justices commises  par  le  i)ouvoirqiii  venait  de  finir. 

Klu  secrétaire  de  la  Convention  le  16  vendémiaire  an  m 
(oclohre  17'J'i),  Boissy-d'Anglas  appuya  la  demande  laile 
par  David,  arrêté  à  la  suite  des  événements  du  9thçrmidor, 
d'être  gardé  dans  son  domicile  pour  y  finir  un  tableau. 
Nommé  le  15  du  même  mois  (  5  décembre)  membre  du  co- 
mité de  .salut  public,  il  (ut  principalement  chargé  de  la  [i.irlie 

DlCr.    liK    LV  CJSVEKS.    —  T.    III. 


BOISSY-D'ANGLAS  g:: 

des  subsistances  et  de  rapprovisîonncmnnt  de  Paris,  dans  un 


temps  où  le  discrédit  des  assignats  y  apportait  les  plus  grands 
obstacles.  Le  peuple,  à  qui  le  pain  manquait,  ou  à  qui  l'on 
faisait  croire  qu'il  allait  manquer,  se  persuada  aisément  que 
l'auteur  de  rapports  si  nombreux  sur  les  blés  et  sur  les 
vivres  était  le  premier  auteur  de  la  disette.  Des  panq)hlets 
séditieux  le  lui  désignaient  sous  la  dénomination  de  £oissij- 
Famine,  et  l'aveugle  fureur  de  la  nmltitude  s'exhalait  en 
horribles  menaces  contre  lui.  Le  27  ventôse  an  m  (17 
mars  1795),  plusieurs  sections  vinrent  se  plaindre  avec  me- 
naces à  la  barre  de  la  Convention  d'un  décret  rendu  deux 
jours  auparavant,  qui  avait  restreint  les  distributions  de 
vivres.  Boissy-d'Anglas  répondit  que  sept  cent  quatorze 
mille  livres  de  pain  avaient  été  distribuées  le  jour  même  :  il 
parla  des  rassemblements  qui  se  formaient  dans  le  faubourg 
Saint- Marceau,  et  accusa  les  pétitionnaires  de  malveillance. 

Enfin,  l'orage  qui  grondait  depuis  longtemps  éclata  une 
première  fois  sur  la  Convention ,  le  12  germinal  an  m 
(  l'""  avril  1795).  Boissy-d'Anglas  était  à  la  tribune,  et  ve- 
nait de  commencer  un  rapport  sur  le  système  de  l'ancien 
gouvernement  relativement  aux  subsistances,  lorsqu'une 
foule  immense  d'individus  de  tout  sexe  et  de  tout  âge,  pré- 
cédés de  bannières  faites  avec  des  haillons,  sur  lesquelles 
étaient  écrits  ces  mots  :  Du  pain  et  la  constitution  de  1793, 
ayant  forcé  la  garde ,  pénétra  dans  la  salle ,  et  s'empara,  en 
redoublant  de  cris  et  de  menaces,  des  tribunes  et  des 
sièges  des  députés,  dont  le  plus  grand  nombre  leur  céda  la 
place.  Bientôt,  revenus  de  leur  première  terreur,  ceux-ci 
rentrèrent  dans  l'assemblée,  où  le  peuple  semblait  déli- 
bérer avec  eux.  Au  bruit  de  ces  événements,  les  sections 
de  Paris,  qui  s'étaient  réunies,  marchèrent  vers  la  Conven- 
tion, dans  le  dessein  de  la  délivrer.  Cependant  le  président, 
Pelet  (de  la  Lozère),  invitait  vainement  la  multitude  à  st- 
retirer  et  à  faire  connaître  ses  vœux  par  une  députation  , 
lors(|u'après  quatre  heures  du  plus  effroyable  tumulte,  la 
générale  battant  dans  toutes  les  rues  de  Paris,  et  le  tocsin  , 
placé  depuis  trois  jours  sur  le  princi|)al  pavillon  dos  Tui- 
leries, alors  nommé  le  pavillon  de  l'Unité,  venant  à  se  faire 
entendre,  la  terreur  s'emjiara  en  un  instant  de  la  mHltiti!<!f:, 
qui,  se  précipitant  pêle-mêle  sur  les  bancs,  cherchait  d. 
toutes  parts  des  issues  que  le  désordre  oi'i  elle  était  lui  per- 
mettait à  peine  de  tiouver.  Dans  peu  de  minutes,  il  no  rest;». 
plus  de  traces  de  cette  sédition  terrible,  qui  pouvait  bou- 
leverser la  France.  A  peine  la  salle  fut-elle  évacuée,  que 
Boissy-d'Anglas,  qui,  au  milieu  dos  dangers  que  sou  nom 
seul  rendait  si  fort  imminents  pour  lui ,  s'était  tenu  coii.-,- 
tarameut  le  dos  appuyé  contre  le  bureau  du  président,  re- 
parut à  la  tribune,  et  continua  son  rapport,  a  la  suite  du- 
quel la  Convention  reprit  la  discussion  sur  les  subsistances. 

Mais  bientôt  éclata  un  complot  plus  grave  encore.  C'était 
le  l" prairial  de  l'an  ni  (20  mai  1795  ),journée  célèbre  dans 
les  fastes  révolutionnaires.  Dès  le  matin,  l'immense  pojiula- 
tion  des  faubourgs  Saint-Antoine  et  Saint-Marceau,  soulevée 
par  ses  agitateurs  accoutumés,  se  met  en  marche  sous  les 
mêmes  bannières  qu'au  12  germinal,  et  en  poussant  les  mêmes 
cris;  elle  se  répand  dans  les  quartiers  de  Paris  qui  condui- 
sent aux  Tuileries,  où  siège  la  Convention.  Vernior  était 
président;  il  garda  quelque  temps  le  fauteuil  pendant  l'hor- 
rible scène  qui  ne  faisait  que  de  commencer;  enfin,  accablé 
do  fatigue,  et  ne  pouvant  plus  résister  à  la  violence  de  l'orage, 
il  céda  la  place  à  André  Dumont,  ancien  président.  Celui-ci, 
voyant  dans  une  tribune  des  femmes  qui  poussaient  dhor- 
libles  vociférations,  aut  devoir  sortir  de  la  salle  pour  les 
faire  chasser.  Boissy-d'Anglas,  dernier  président  après  lui, 
vint  alors  prendre  le  fauteuil.  Cet  honneur  l'exposait  à  une 
mort  qui  semblait  certaine;  car  la  fureur  pojuilaire  élait 
depuis  longtemps  dirigée  contre  lui.  Environné  d'hommes 
et  de  femmes  ivres  de  vin  et  de  colère,  armés  et  menaçants, 
Boissy-d'Anglas  resta  impassible  au  milieu  dos  périls  de  tous 
genn.s  qui  l'environnaient.  Sourd  aux  iinj^écations  de  celle 

43 


378 


BOISSY-D' 


afTreuse  populace,  dont  ([uelques  (ft'piili'S  montaf;nai(ls  di- 
rigeaient les  mouvements ,  Boissy-d'Aiij^Ias  paraissait  ne  pas 
entendre  qu'on  lui  demandait  à  grands  cris  <le  mettre  aux 
\oix  le  rétablissement  de  toutes  les  lois  rt'volutionnaircs.  Cent 
fois  couché  en  joue,  menacé  de  la  baïonnette,  du  sabre  et  des 
noinl)reii\  instruments  de  mort  dont  les  insurgés  étaient 
armés,  il  semblait  ne  rien  voir  et  ne  rien  entendre;  son 
immobilité  môme  commandait  le  respect.  Lorsque  la  tôte  du 
député  Féraud  fut  apportée  au  bout  d'une  pique  jusqu'au 
pied  de  la  tribune,  et  i)lacée  sous  les  yeux  du  président,  le 
courage  de  celui-ci  n'en  fut  point  abattu.  H  salua  religieuse- 
ment  cette  tôle  sanglante  ;  et  comme  il  voulait  en  détourner 
ses  regards,  plusieurs  canons  de  fusil  forent  de  nouveau  di- 
rigés vers  lui.  Quelques monients  auparavant,  un  adjudant- 
général  ,  nommé  Fox ,  qui  était  de  service  auprès  de  la  Con- 
vention, était  venu  annoncer  à  Boissy-d'Anglas  que  les  at- 
troupements augmentaient  d'une  manière  inquiétante  ,  et  lui 
<Iemander  ses  ordres.  15oissy-d'Anglas  les  lui  avait  donnés 
par  écrit  et  de  sa  ma/ii  :  ils  portaient  de  repousser  la  force 
parla  force.  Il  est  probable  que  si,  pendant  cet  affreux  dé- 
sordre, les  ciicfs  des  insurgés ,  au  lieu  de  perdre  du  temps  à 
discourir  dans  l'Assemblée,  se  fussent  emparés  des  comités 
d(!  saint  public  et  de  sûreté  générale,  le  règne  de  la  Terreur 
était  de  nouveau  proclamé. 

Deux  fois  Boissy-d'Anglas  voulut  se  faire  entendre  ,  mais 
des  cris  alTreuK  étouflèrent  sa  voix.  Enfin,  vers  neuf  heures 
du  soir,  plusieurs  sections  réunies  pénétrèrent  dans  la  Con- 
vention ,  sous  la  conduite  de  quelques  déi)ulés,  à  l'instant  où 
le  tocsin  du  pavillon  de  l'Unité  se  faisait  entendre.  La  nuit 
<iéjà  sombre,  le  pas  de  charge  des  sectionnaires  ,  et  surtout 
le  bruit  du  tocsin  ,  qui  semblait  annoncer  aux  factieux  que 
la  capifcile  tout  entière  était  en  armes  pour  marcher  contre 
eux,  |»ro(luisircnt  en  un  moment  sur  cette  multitude,  étonnée 
de  ses  propies  excès,  un  effet  non  moins  prompt  que  lors  de 
la  première  insmrection  du  12  germinal.  Cette  foule  naguère 
si  menaçante  s'évanouit  comme  une  fumée;  en  une  demi- 
heure  la  salie  de  la  Convention  fut  libre;  la  garde  nationale, 
qin'  venait  de  la  sauver,  en  occupait  tous  les  postes,  et  les 
délibérations  avaient  lepris  leur  cours.  Boissy-d'Anglas  a 
souvent  raconté  à  sa  famille  et  à  ses  amis  qu'au  moment  où 
il  était  le  plus  entouré  tic  ces  brigands,  qui  lui  ordonnaient 
impérieusement  de  mettre  aux  voix  toutes  les  mesures  atro- 
ces que  la  foule  réclamait ,  un  jeune  homme ,  proprement 
mis,  quoique  costumé  comme  le  reste  du  peuple,  lui  dit 
ironiquement  et  à  voix  basse ,  de  peur  d'être  entendu  de  ses 
compagnons  :  «  Eh  bien  !  monsieur  Boissy-d'Anglas ,  croyez- 
vous  que  ce  peuple  mérite  la  liberté  que  vous  vouliez  lui  don- 
ner? »  Etonné  de  ce  langage,  Boissy-d'Anglas  allait  répondre, 
lors(iue  l'inconnu  disparut  avec  la  foule  qui  évacuait  la  salle, 
et  ne  s'est  jamais  retrouvé  depuis. 

Lorsque  le  lendemain  Boissy-d'Anglas  parut  à  la  tribune , 
la  Coiivenliou  et  le  public  couvrirent  d'applaudissements 
unanimes  le  président  du  1"  prairial;  et  l'éloquent  accusa- 
teur de  r.obes[iierre,  Loiivet,  qui  venait  d'expier  sou  géné- 
reu\  dévouement  par  dix-neuf  mois  de  la  plus  horrible  pros- 
cn[ili(Mi,  se  chargea  d'exprimer  la  reconnaissance  publi(pie. 
«  Bien  ne  peut  élre  placé,  a  dit  M.  le  manpiis  de  l'astoret, 
même  dans  la  vie  d'un  tel  homme,  à  côté  d'une  si  grande 
action,  si  grande  jiar  ses  résultats  et  i)ar  tout  ce  qu'elle  sup- 
pose d'intrépidité.  » 

Boissy-d'Anglas  prononça  une  foule  de  discours  remar- 
quables durant  cette  seconile  partie  de  la  session  conven- 
tionnelle, qui  vit  l'apogée  de  sa  gloire  politique.  Sincèrement 
dévoué  à  la  constitution  républicaine,  qu'il  aurait  été  facile 
de  consolider  si  fous  les  représentants  eussent  été  aussi  purs 
et  aussi  désintéressés  que  lui,  il  combattait  quelquefois  les 
menées  intérieures  du  parti  de  l'ancien  régime,  en  môme 
temps  qu'il  poursuivait  avec  toute  son  énergie  les  complots 
des  jacobins.  Dès  le  30  ventôse  an  m  (20  mars  I7i)r>),  après 
un  éloquent  exposé  des  crimes  de  la  Terreur  et  des  mallieurs 


ANGLAS 

de  la  France  sous  le  gouveinemcnt  décemviral,  Boissy- 
d'Anglas  proi)osa  l'annulation  des  jugements  rendus  par  le^ 
tribunaux  révolutionnaires  depuis  le  22  prairial  an  ir 
(  10  juin  1794  ) ,  la  révision  de  ceux  qui  avaient  été  rendus 
antérieurement,  la  suspension  de  la  vente  des  biens  des  con- 
damnés, des  indemnités  enfin  pour  les  héritiers  des  con- 
damnés dont  les  biens  auraient  été  déjà  vendus,  u  La  justice, 
s'écriait  l'orateur,  voilà  notre  devoir,  voilà  notre  force.  Les 
siècles  passent  et  s'anéantissent  dans  l'éternelle  nuit  <le 
l'oubli  ;  la  justice  seule  demeure  et  survit  à  toutes  les  révo- 
lutions. »  Toutes  ces  propositions,  accueillies  avec  des  ap- 
plaudissements, furent  renvoyées  aux  divers  comités,  et 
reçurent  plus  tard  leur  sanction  définitive.  Son  rapport  sur 
les  fêtes  nationales  et  sur  la  liberté  des  cultes  (  3  ventôse 
an  m  —  février  1795)  offre  une  teinte  de  déisme  qui  éveilla 
le  zèle  du  clergé  constitutionnel  ;  il  fut  critiqué  dans  les 
Annales  de  la  religion. 

Le  comité  chargé  de  présenter  le  projet  d'une  constitutioi 
nouvelle  fit  son  premier  rapport  par  l'organe  de  Boissy- 
d'Anglas  dans  la  séance  du  25  prairial  an  m  (  13  juin  1795), 
Tout  ce  qu'il  y  avait  de  sage  dans  ce  premier  travail  lui  attira 
les  sarcasmes  du  parti  jacobin.  On  répandit  même  qu'il  avait 
jiroposé  dans  le  sein  de  la  commission,  ce  qui  parut  alors 
fort  audacieux,  de  contier  le  pouvoir  exécutif  à  un  président 
temporaire  plutôt  qu'à  une  commission  de  plusieurs  per- 
sonnes ;  et  l'on  paitit  de  là  pour  baptiser  la  future  constitu- 
tion des  sobriquets  de  constitution  patricienne  de  Jloisstj- 
dWnijlus,  ou  encore  de  constitution  babébibobu ,  par 
allusion  au  léger  bégayement  de  l'orateur.  Le  crédit  dont 
Boissy-d'Anglas  jouissait  dans  ce  temps-là  le  lit  |>orter  pour 
la  seconde  fois  au  comité  de  salut  public  (  15  messidor  an  m 
—  3  juillet  1795),  qui  était  le  gouvernement  de  l'époque. 
C'est  comme  membre  de  ce  comité  qu'il  couununiqua  à  l'as- 
semblée la  ratilication  donnée  par  le  roi  de  l'russe  au  traité 
de  paix  de  Bâle,  et  qu'il  lit  décréter,  à  la  suite  d'un  ra])port 
sur  les  colonies,  qu'elles  faisaient  partie  intégrante  de  la 
républi(iue  française.  Le  27  juillet  il  prononça  sur  la  situa- 
tion politi(iue  de  l'Europe,  un  discours  qui  lit  une  grande 
sensation ,  et  dont  la  Convention  ordonna  la  traduction  en 
plusieurs  langues.  Il  fit  renvoyer  au  comité  de  législation  la 
proposition  de  i  apporter  la  loi  du  10  mars  contre  les  parents 
des  émigrés;  il  seconda  vivement  Chénier  pour  faire  pronon- 
cer le  rappel  de  Talleyraml.  Enfin  il  proposa  que  l'anniver- 
saire de  la  fondation  de  la  république  fût  célébré  par  une  fêle 
qui  aurait  en  môme  temps  pour  objet  d'honorer  la  mémoire 
des  patriotes  iuuuolés  depuis  la  journée  du  31  mai. 

Aux  approches  de  la  crise  du  13  vendémiaire,  Boissy- 
d'Anglas  se  trouva  séparé  de  ceux  à  qui  cette  journée  trans- 
mit le  pouvoir;  son  nom  avait  été  prononcé  avec  faveur  par 
les  sectionnaires  insurgés;  des  explications  lui  furent  deman- 
dées en  comité  général,  ainsi  qu'à  quelques-ims  de  ses  collè- 
gues, relativement  à  cette  circonstance.  A  la  môme  époque 
il  se  trouva  aussi  compromis  dans  la  correspondance  du 
sieur  Le  Maître,  agent  de  Louis  XVIII ,  qui  s'était  amusé  à 
classer  dans  ses  papiers  les  hommes  iniluents  de  l'épotpie 
d'après  les  vagues  rumeurs  de  l'opinion,  plutôt  que  sur  des 
données  positives. 

Cepcn(lant  la  Convention  nationale  atteignait  le  terme 
de  sa  session  Elle  avait  décidé  que  les  deux  tiers  de  ses 
membres  seraient  conservés;  les  asseud)lées  électorales  de- 
vaient les  nommer  :  soixante-douze  dé|)artemcnlsclioi>irenl 
Boissy-d'Anglas,  qui,  dans  le  transport  de  l'émotion  <pi« 
lui  causa  un  pareil  triomphe,  s'écria  ;  «  Ils  ne  savent  C(» 
qu'ils  font;  ils  me  nomment  plus  que  roi.  »  Entré  au  Conseil 
des  Cinq-Cents,  qui  l'élut  aussitôt  l'un  de  ses  secrétaires, 
il  se  rangea  dans  roi>position  contre  le  Directoire,  et  vota 
avec  le  parti  clichien.  lise  prononça  ensuite  en  faveur  de  la 
liberté  la  plus  étendue  de  la  presse,  s'opposa  à  toute  limita- 
tion tempoiaire ,  se  bornant  à  réclamer  une  législation  iiS 
pressivc  des  délits  commis  par  cette  voie.  A  cette  oc(  asion, 


BOISSY-D'ANGLAS 


i:9 


il  accusa  le  Directoire  Je  donner  lui-même  l'exemple  de  la 
licence  contre  laquelle  il  paraissait  s'élever,  en  soudoyant  des 
calomnies  contre  les  députés  qui  lui  étaient  opposés.  11  dé- 
fendit encore  les  journalistes  ,  qu'on  voulait  exclure  des  tri- 
bunes, et  attaqua  vivement  Louvet,  qui  rédigeait  le  jour- 
nal intitulé  la  Sentinelle,  favorable  au  Directoire. 

Élu  président  du  Conseil  des  Cinq-Cents  le  t''"'  thermi- 
dor an  IV  (19  juillet  179C),  Boissy-d'Anglas  combattit  le 
projet  d'accorder  une  amnistie  pour  tous  les  crimes  de  la 
iîévolution ,  et  dit  qu'il  ne  consentirait  jamais  qu'ils  res- 
tassent impunis.  Il  attaqua  vivement  la  loi  du  3  brumaire, 
(|ui  excluait  des  fonctions  publiques  les  parents  d'émigrés- 
Ses  sorties  contre  le  Directoire  se  succédaient  à  mesure 
que  cette  autorité  se  précipitait  dans  de  nouvelles  fautes. 
A  propos  des  abus  des  maisons  de  jeu,  dont  il  demanda 
persévéramment  la  répression ,  il  dénonça  le  pouvoir  exécu- 
tif comme  protégeant  le  vice.  En  germinal  an  y  (avril  1795) 
le  corps  électoral  de  Paris  réélut  Boissy-d'Anglas  député  au 
conseil  des  Cinq -Cents.  Il  s'y  éleva  contre  la  barbare  injus- 
tice de  mettre  hors  la  loi  les  émigrés  rentrés,  et  proposa  sur 
celte  matière  un  projet  de  loi  qui  fut  rejeté.  Le  23  messidor 
suivant  (11  juillet)  il  prit  la  parole  en  faveur  des  prêtres 
déportés  et  de  la  liberté  des  cultes.  11  continua  de  criliqner 
les  actes  du  Directoire  dans  un  grand  nombre  de  discouis, 
rapports,  motions,  au  point  qu'il  fut  accusé  par  une  société 
populaire  de  travailler  activement  à  la  contre-révolution. 
Le  2  thermidor  an  v  (20  juillet  1797),  il  se  plaignit  de  la 
destitution  des  ministres ,  particulièrement  de  celle  de  Co- 
chon ,  ministre  de  la  police ,  qui  passait  pour  dévoué  aux 
clicliiens.  Enfin,  il  demanda  la  prompte  réorganisation  des 
gardes  nationales ,  déjà  proposée  par  Pichegru. 

Ici  finit  la  carrière  démocratique  de  Boissy-d'Anglas; 
elle  se  termine  par  une  proscription.  Le  Directoire  l'en- 
veloppa dans  celle  du  18  fructidor.  Boissy-d'Anglas 
évita  cependant  la  déportation  à  la  Guyane  en  se  tenant 
caché  dînant  deux  ans.  Au  bout  de  ce  terme,  il  vint  se 
constituer  prisonnier  à  l'île  d'Oléron ,  afin  d'éviter  la 
siwliation  qui  menaçait  sa  famille.  Il  ne  sortit  de  cet  exil 
qu'après  le  18  brumaire,  et  ce  fut  pour  entrer  au  Tribunat, 
où  l'appela  le  gouvernement  consulaire.  Boissy-d'Anglas  lut 
élu  président  de  cette  assemblée  le  24  novembre  1803;  il 
fut  nommé  sénateur  et  commandant  de  la  Légion-d'Hon- 
ncur  le  17  lévrier  1805.  Après  le  traité  de  Presbourg, 
en  1806,  il  prononça  dans  le  Sénat  un  discours  à  la  gloire  de 
Napoléon.  Comme  membre  de  la  troisième  classe  de  l'Insti- 
tut, il  lui  adressa,  le  fi  novembre  1809,  les  félicitations  de 
ce  corps ,  à  l'occasion  de  la  paix  de  Vienne.  Le  8  décembre 
il  fut  présenté  par  le  Sénat  comme  candidat  à  une  sénato- 
rerie.  L'empereur  ne  lui  accorda  point  cette  faveur,  mais  il 
lui  donna  en  1811  le  cordon  de  grand-olficier  de  la  Légion- 
d'Honneur.  Au  mois  de  février  1814,  quand  l'étranger  pé- 
nétrait à  la  fois  sur  tous  les  points  de  la  France,  le  comte 
Boissy-d'Anglas  (ut  envoyé  dans  la  douzième  division  mili- 
taire (La  Rochelle),  avec  la  qualité  de  commissaire  extraor- 
dinaire de  l'empereur  :  celte  mission  importante  et  difficile 
obtint  tout  le  succès  qu'on  en  pouvait  espérer.  Outre  l'or- 
ganisation des  moyens  locaux  de  résistance,  il  empocha  les 
îles  de  celte  division  de  tomber  entre  les  mains  des  Anglais, 
qui  occupaient  la  ville  de  Bordeaux,  et  sauva  de  l'anéantis- 
sement dont  ils  étaient  menacés  les  établissements  mari- 
times de  Bocliefort;  enfin,  il  est  permis  d'attribuer  à  son 
habileté  le  repos  où  fut  maintenue  la  Vendée  dans  un  tel 
moment  de  crise  ;  et  tout  cela,  il  le  fit  sans  qu'il  en  coûtât 
la  liberté  ou  la  vie  ci  un  seul  homme. 

La  restauration  s'étant  accomplie  dans  la  capitale,  Boissy- 
d'Anglas  envoya  son  acte  d'adhésion.  Le  4  juin  1814  le  roi 
le  créa  pair  de  France.  Quoique  Boissy-d'Anglas  eût  cons- 
staniment  voté  avec  le  parti  clichien,  il  n'en  était  pas  moins 
resté  fidèle  et  sincèrement  attaché  à  la  constitution  de  l'an  m. 
Jl  en  donna^alors  une  preuve  non  équivoque.  La  première 


fois  qu'il  se  rendit  aux  Tuileries,  en  181  i ,  pour  présenter 
ses  hommages  au  roi  en  sa  qualité  de  pair  de  France,  il 
dit  à  plusieurs  de  ses  collègues  :  «  .l'ai  été  proscrit  an 
18  fructidor  pour  avoir  conspiré  en  faveur  des  Oourbons; 
on  me  croira  maintenant  quand  je  dirai  qu'il  n'en  était  rien.  » 
Camille  Jordan  et  d'autres  encore  ont  dit  aussi  la  môme 
chose  depuis  la  Restauration  ,  et  ces  révélations  généreuses 
sont  la  condamnation  sévère  des  auteurs  du  18  fructidor. 
Boissy-d'Anglas  était  depuis  1803  membre  du  consistoire 
de  l'Église  réformée  et  l'un  des  vice-présidents  de  la  Société 
Biblique  de  Paris.  A  son  retour  de  l'île  d'Elbe ,  Napoléon 
le  nomma  itérativement  commissaire  extraordinaire  dans 
les  trois  départements  de  la  Gironde,  des  Landes  et  des 
Basses-Pyrénées,  où  il  réorganisa  l'administration  au  nom 
du  nouveau  gouvernement.  Le  2  juin  il  fut  compris  dans 
la  promotion  des  pairs  impériaux. 

Après  la  bataille  de  Waterloo,  Boissy-d'Anglas  fut  du 
nombre  de  ceux  qui  jugèrent  à  propos  de  séparer  la  cause 
nationale  de  la  personne  de  Napoléon.  En  conséquence,  il  ap- 
puya vivement  l'adoption  immédiate  du  message  de  la 
Chambre  des  représentants,  contenant  la  résolution  adoptée, 
sur  la  proposition  de  La  Fayette ,  de  déc'arer  traître  à  la 
patrie  quiconque  tenterait  de  di.ssoudre  la  Chambre.  Le  len- 
demain il  s'opposa  à  la  proposition  de  proclamer  Napo- 
léon H,  et  conclut  à  la  nomination  d'un  gouvernement  pro- 
visoire. Il  combattit  plusieurs  dispositions  d'une  loi  de  police 
concernant  la  liberté  individuelle,  que  les  circonstances  où 
l'on  se  trouvait  motivaient  peut-être  suffisamment;  obtint 
l'adoption  de  diverses  modifications  protectrices,  et  ne 
consentit  la  loi  qu'en  témoignant  hautement  ses  regrets  et 
même  l'absence  de  sa  conviction.  11  aurait  voulu  que  l'as- 
semblée lui  accordât  un  jour  pour  rédiger  une  loi  complète 
sur  la  liberté  individuelle,  afin  de  jeter,  disait-il,  au  milieu 
des  débris,  les  restes  sacrés  de  quelques  institutions  tutélaires. 
Boissy-d'Anglas  devait  être  entendu  le  lendemain;  mais, 
nommé  par  le  gouvernement  provisoire  l'un  des  commissaires 
chargés  d'aller  proposer  un  armistice  au  général  prussien 
Blùciier,  il  ne  put  exposer  lui-môme  son  projet;  il  chargea 
le  comte  de  Latour-Maubourg  de  le  présenter  en  son  absence. 
Ce  projet,  en  seize  articles,  se  composait  d'une  suite  de 
dispositions  libérales,  qui  conciliaient  le  principe  sacré  de  la 
liberté  individuelle  avec  le  principe  non  moins  essentiel  de 
l'ordre  public  :  il  est  resté  enseveli  dans  les  archives  du 
Luxembourg.  Pendant  le  peu  de  jours  que  la  Chambre  des 
Pairs  de  l'Empire  eut  encore  h  siéger,  Boi.ssy-d'Anglas  con- 
tinua à  voter  avec  le  parti  qui,  regardant  désormais  la  résis- 
tance énergique  comme  impuissante,  croyait  devoir  obéir 
à  la  nécessité,  et  ne  voyait  plus  d'ancre  de  salut  que  dans 
les  négociations. 

L'ordonnance  royale  du  24  juillet  t8t5  éliminait  Boissy- 
d'Anglas  de  la  Chambre  des  Pairs;  mais  celle  du  17  août 
suivant  l'y  rappela  à  nouveau  titre.  Cette  promotion,  unique 
dans  son  cas ,  fut  attribuée  soit  au  noble  caractère  public 
et  aux  antécédents  de  Boissy-d'Anglas,  soit  au  désir  de  con- 
server à  la  partie  protestante  de  la  nation  un  représentant 
de  plus  dans  la  Chambre  haute.  Le  noble  pair  fut  pareille- 
ment compris  dans  la  nouvelle  organisation  de  l'Institut 
(21  mars  1816),  auquel  il  appartenait  déjà,  et  fit  partie  de 
l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  Dans  sa  nou- 
velle carrière  parlementaire,  Boissy-d'Anglas  ne  déserta 
point  les  rangs  où  l'opinion  publique  l'attendait.  Il  contri- 
bua puissamment  à  pousser  le  ministère  du  5  septembre 
dans  les  voies  constitutionnelles.  Dès  la  session  de  1818,  il 
réclama  l'application  du  jury  au  jugement  des  délits  de 
la  presse.  Il  combattit  vivement  la  proposition  Barthélé- 
my, pour  le  changement  de  la  loi  des  élections,  du  5  fé- 
vrier 1817,  dont  le  but  effectif  était  le  changement  de  la  di- 
rection ministérielle.  Comme  autrefois  à  la  Convention  et  au 
Conseil  des  Cinq-Cents,  il  défendit  à  la  Chan)bre  des  Pair» 
le  jury  et  surtout  U  liberté  de  la  presse.  11  retrouva  toute 

k6. 


3S0 


BOISSY-D'ANGLAS  —  BOISSY 


rénergic  <le  sa  joimcsse  pour  alUu|iier  la  loterie  et  les  mai- 
sons (!e  jeu.  Pariiii  les  opinions  de  Coissy-d'Anglas,  on  peut 
liucore  citer  son  rapport  sur  le  droit  d'aubaine  et  de  détrac- 
tion,  à  la  suite  duquel  fut  aboli  ce  vestige  de  la  barbarie 
des  temps  anciens. 

11  usa  noblement  de  son  crédit  auprès  du  ministère  Ri- 
clielieu,  soit  pour  favoriser  les  intérêts  de  ses  co-religion- 
l'.aires,  soit  pour  faire  rappeler  de  l'exil  ceilains  de  ses  col- 
lègues de  la  Convention,  d'un  caractère  honorable  sous 
beaucoup  de  rapports ,  et  qu'une  interprétation  trop  sévère 
de  la  loi  du  6  janvier  1816  tenait  éloignés  de  la  France. 
Cette  année ,  ses  démarches  curent  plus  de  succès  sous  le 
miaisfère  Decazes.  L'amonr  de  la  justice  était  tel  dans 
son  cœur  généreux  qu'il  prit  nnême  la  défense  de  quelques- 
uns  dont  il  avait  à  se  plaindre  personnellement. 

Depuis  le  calme  de  la  Restauration,  IJoissy-d'Anglas  était 
revenu  à  la  culture  des  lettres,  qui  avait  honoré  sa  jeunesse. 
Ses  écrits,  .sans  ofirir  des  beautés  du  prciJiier  ordre,  se  dis- 
tinguent par  un  style  net  et  facile  ;  ils  attestent  une  Ame 
élevée  et  pure,  aussi  bien  qu'un  es|)rit  philosophique  et 
d'une  large  étendue  :  ils  sont  tournés  constamment  vers 
des  sujets  graves  et  utiles.  L'affaiblissement  de  sa  santé, 
qu'on  a  reconnu  depuis  avoir  ét(!  occasionné  par  une  ma- 
ladie au  ccKur,  lui  lit  conseiller  l'air  natal  du  niidi.  Il  passa 
l'hiver  de  1824  à  1825  à  Nîmes.  Annonay  le  revit  avec  or- 
i^ueil  et  avec  joie  habiter  de  nouveau  la  maison  paternelle , 
religieusement  conservée  dans  sa  rusti(pie  simplicité.  11  re- 
vint mourir  à  l'aris,  le  20  octobre  182(5,  âgé  de  près  de 
soixante-dix  ans.  Conformément  A  ses  dernières  volontés, 
son  corps  fut  transporté  à  Annonay. 

Le  nom  de  Boissy-d'Anglas  reste  attaché  à  une  époque  de 
notre  histoire,  celle  du  l*""  prairial ,  qui  l'inscrit  parmi  les 
héros  sauveurs  des  nations.  Ceci,  c'est  de  la  gloire.  Le  reste 
de  sa  carrière,  qui  formerait  seul  un  lot  assez  beau,  fut  celle 
d'un  homme  de  mérite,  d'un  homme  de  bien,  enlin  d'un 
homme  courageux  :  l'élévation  du  caractère  et  la  généro- 
sité du  cd'ury  dominent  surabondamment.  D'autres  furent 
l)!iis  véhéments  à  combattre  les  premières  irruptions  de  l'a- 
narchie; d'autres,  plus  stoïques  devant  l'éclat  enivrant  du 
di;.-5i)otisme;  d'autres  enlin,  en  ces  derniers  temps,  ont 
adopté  des  doctrines  plus  absolues  ou  des  règleà  de  con- 
duite plus  inflexibles.  Cela  explique  pourquoi  la  personne 
et  la  fortune  de  lioissy-d'Anglas  obtinrent  plus  de  faveur  ou 
déménagement  à  diverses  époques  que  n'en  ont  obtenu  des 
personnes  d'un  courage  non  moins  élevé  et  d'une  vie  non 
moins  irréprochal)le.  Mais  les  périls  du  l*^""  prairial  et  la 
proscription  du  18  fructidor  prouvent  qu'il  sut  aussi  mettre 
<lt'  l'énergie  dans  la  lutte  sacrée  du  bien  public,  et  que  plus 
dune  fois  il  dédaigna  de  mesurer  le  danger  de  la  tribune. 
La  parole  de  cet  orateur  avait  la  puissance  de  la  conviction 
cl  de  la  bonne  renommée;  elle  n'échappait  point  de  son 
cœur  par  torrents  impétueux ,  elle  en  découlait  avec  une 
chaleur  douce,  accommodée  aux  circonstances  ordinaires  : 
tel  lut  son  genre  d'éloquence.  Il  avait  conservé  quelque 
chose  des  formes  solennelles  et  parées  propres  au  premier  ùge 
de  notre  tribune  politique.  Ces  formes  ne  déplaisaient  pas 
en  lui;  car  ce  n'était  point  faux  goût  ni  stérilité  d'esprit; 
f'éînit  un  vestige  de  première  éducation,  et  le  cachet  d'une 
épt)qne.  Tel  est  aussi  le  caractère  de  ses  écrits,  qui  ont  été 
réunis,  en  182.'),  en  5  vol.  in- 12,  sous  le  titre  A'' Etudes  lit- 
téraircs  et  poétiques  d'un  vieillard;  ils  ne  se  distinguent 
ri  par  des  pensées  neuves  ou  brillantes,  ni  par  l'éclat  de 
l'imagination  ou  les  enchantements  du  style;  mais  ils  of- 
frent un  mélange  de  l'élégance  de  Florianetde  La  Harpe,  ani- 
mée par  la  philosoi>hie  quelque  peu  rhéleuse  de  Thomas,  et 
tempérée  par  un  reflet  de  la  belle  simplicité  de  Ducis. 

Loissy-fî'Anglas  avait  une  physionomie  noble,  que  la  vieil- 
le.sse  rendit  vénérable.  Sa  tête  était  modelée  dans  le  genre 
de  r^llede  Bernardin  de  Saint-Pierre,  dont  le  type  populaire 
jouit  d'une  grande  célébrité;  mais  elle  avait  un  caractère  su- 


périeur en  énergie  et  en  élévation  :  de  longs  cheveux  blancs 
flottaient  négligemment  autour  de  son  visage,  qui  fixait  iné- 
vitablement l'attention  dans  les  réunions  les  plus  nombreu- 
ses. On  a  un  beau  buste  de  Boissy-d'Ani;las  sculpté  par 
Iloudou.  Son  héroïque  conduite  dans  la  journée  du  t""  prai- 
rial an  ni  a  fourni  le  sujet  de  deux  grands  tableaux  de 
MM.  Court  et  Vinchon.  a.  Maiiui,. 

Boissy-d'Anglas  a  laissé  deux  fds  :  l'ainé,  François-An- 
toine, comte  (le  Boissv-d'Anclas,  né  à  Mmrs,  le  25  février 
1781,  ancien  conseiller  d'État,  ancien  préfet  de  la  Charente 
en  1811,  et  de  la  Charente-inférieure  en  1815,  hérita  de 
la  pairie  de  son  père,  et  prit  siège  en  1827.  Il  défendit  à  la 
Chambre  haute  les  principes  constitutionnels  avec  une  consi- 
tance  inébranlable.  Un  grand  nombre  d'associations  philan- 
thropiques le  comptèrent  parmi  leurs  membres,  et  il  ac- 
cepta la  présidence  de  plusieurs  de  ces  sociétés ,  protes- 
tantes pour  la  plupart.  La  révolution  do  Février  le  rendit 
à  la  vie  privée.  Il  est  mort  au  mois  d'octobre  1850,  dans  sa 
maison  de  campagne  de  Champ-Rosay. 

Son  frère,  Jean-Gnbriel-T/iéop/iile,  baron  de  Boissr-n'AN- 
CI.AS,  né  en  1783,  intendant  militaire  en  retraite,  a  suivi  une 
autre  ligne  politique.  Élu  député  en  1828  par  l'arrondisse- 
ment de  l\)urnon  (Ardèche),  qu'il  ne  cessa  de  représenter 
jusqu'à  la  révolution  de  Février,  on  le  vit  presque  toujours 
dans  le  camp  ministériel.  Plusieurs  fois  la  Chambre  le  prit 
pour  secrétaire.  Sous-intendant  de  deuxième  classe  en  1828, 
il  devint  successivement  sou.s-intendant  de  f*  classe,  in- 
tendant le  31  décembre  1830,  secrétaire  général  du  mini.s- 
tère  de  la  guerre ,  intendant  de  la  première  division  mili- 
taire ,  officier,  commandeur  et  grand-officier  de  la  Légion 
d'Honneur.  Et  pourtant  il  avait  proni's  aux  électeurs  de  ne 
point  accepter  d'avancement.  L'affaire  Bénier  (1846)  vint 
lui  porter  un  coup  fatal.  Cet  homme,  directeur,  pour  le 
compte  de  l'État,  de  la  manutention  générale  des  viv.-es  de 
l'année,  faisait  acheter  et  garder  en  magasin  les  blés  et  les 
farines  employés  dans  la  confection  du  pain  néces.sairc  h  la 
garnison  de  Paris  ;  mais,  profitant  de  la  confiance  qu'avaient 
en  lui  ses  supérieurs,  il  spéculait  avec  l'argent  de  l'adminis- 
tration. Lorsque,  après  sa  mort,  on  vérifia  l'état  de  sa  caisse 
et  de  ses  magasins,  on  trouva  un  déficit  de  plusde  300,000  fr. 
Ce  qui  donnait  dans  cette  affaire  à  la  responsabilité  admi- 
nistrative une  gravité  extrême,  c'est  que  Bénier  avait  été 
exempté  de  fournir  son  cautionnement.  Sur  un  vote  de  la 
Chambre  des  Députés,  une  enquête  fut  ouverte  :  elle  eut  jmur 
résultat  de  faire  mettre  à  la  réforme  l'intendant  militaire 
Joinville,  comme  coupable  d'un  défaut  de  surveillance  et 
d'une  négligence  impardonnable.  M.  Boissy-d'Anglas,  inten- 
dant militaire  de  la  première  division  militaire,  son  supérieur 
immédia!,  dut  faire  valoir  ses  <lroits  à  la  retraite. 

BOISSY  DU  COUDRAY  (Famille  nt).  Elle  forme 
la  seule  branche  existante  de  la  maison  de  Rouillé,  qui,  ori- 
ginaire de  Bretagne,  s'est  établie  au  seizième  siècle  en  l'Ile- 
de-France  et  à  Paris,  où  elle  a  toujours  exercé  depuis  des 
charges  dans  la  magistrature. 

Jlilaire  Rouillé,  marquis  rf«  Coudrai/,  né  en  1716,  au 
lieu  de  suivre  la  môme  carrière  que  ses  ancêtres,  embrassa 
le  parti  des  armes ,  et  fit  sa  première  campagne  en  qualité 
d'enseigne  de  la  compagnie  colonelle  du  régiment  de  Bour- 
gogne, au  siège  de  Kehl,  en  1733.  Il  se  distingua  dans  les 
guerres  de  la  succession  d'Autriche,  et  fut  créé  maréchal  de 
camp  en  1761. 

Hildire  Rodillfô,  fils  du  précédent,  et  ancien  officier  au 
régiment  du  Languedoc,  fut  appelé  à  la  pairie  le  17  aoiU 
1815,  à  cause  du  dévouement  qu'il  avait  montré  pendant  les 
Cent-Jours,  et  de  la  grande  fortune  qu'il  tenait  en  partie  de 
son  alliiince  avec  la  sœur  du  marquis  d'Aligre.  H  est  mort 
en  1840,  laissant  un  fils,  Hilaire-Étienite-Octavc,  warqaia 
de  ItoissY,  à  qui  nous  consacrons  un  article  particulier. 

BOISSY  (Hn.AïuK-ETiENSE-OcTAVE  ROUILLÉ,  marquis 
dk),  ancien  pair  de  France,  est  né  à  Paris,  le  4  mars  179». 


BOISSY  —  BOISTE 


381 


La  France ,  le  département  du  Cher  excepté,  ignorait  fort 
ccrfainemenl  l'existence  de  M.  le  comte  Octave  de  Boissy, 
lorsqu'un  beau  jour,  le  7  novembre  1839,  une  ordonnance 
royale  lui  donna  un  siéi^e  à  la  Chambre  des  Pairs.  Jusque 
alors  en  effet  M.  de  Boissy  n'avait  été  politiquement  que  ce 
que  tant  de  petits  bourgeois  pouvaient  tHre  comme  lui ,  un 
simple  membre  de  conseil  général.  Son  existence  officielle  en 
cette  qualité  datait  de  1828.  M.  de  Boissy  était  de  plus  un 
opulent  propriétaire,  une  notabilité  de  gros  écus  :  en  voilà 
plus  qu'il  n'en  fallait  pour  motiver  sa  nomination  à  la  pairie. 
Une  fois  assis  dans  le  fauteuil  de  législateur,  le  jeune  comte 
éprouva  une  notable  démangeaison  de  parler;  dès  la  dis- 
cussion de  l'adresse,  il  ne  put  plus  y  tenir,  et  il  se  soulagea 
enfin  en  demandant  à  ses  collègues  d'insérer  dans  celle-ci 
im  bl;\me  sur  la  conduite  tenue  jusque  alors  en  Algérie.  La 
Chambre  des  Pairs  ne  blâma  point  et  le  Moniteur  ne  lit 
point  connaître  le  premier  discours  de  M.  de  Boissy.  L'ora- 
teur ne  trouva  pas  moins  l'occasion  de  revenir  à  la  charge, 
et  le  5  juin  1840,  prenant  la  parole  au  sujet  de  nos  posses- 
sions d'Afrique,  il  déclara  que  ce  qu'il  fallait  faire,  c'était  ce 
qu'on  n'avait  point  fait  ;  et  que  ce  qu'il  ne  fallait  point  faire, 
c'était  ce  qu'on  avait  fait.  M.  de  Boissy  posait  en  principe 
qu'il  devait  y  avoir  en  Afrique  un  gouverneur  général  civil, 
auquel  serait  subordonnée  l'autorité  militaire. 

De  ce  nouveau  début  de  M.  de  Boissy  datent  ses  luttes 
quotidiennes  avec  M.  le  chancelier,  président  de  la  Chambre 
des  Paire.  M.  de  Boissy  ayant  hasardé  de  dire  que  notre  ar- 
mée d'Afrique  n'avait  pas  de  confiance  en  son  chef,  M.  Pas- 
quier  se  lâcha  tout  rouge,  et,  à  la  suite  d'un  colloque  qui 
s'établit  entre  l'octogénaire  président  et  le  jeune  pair,  celui- 
ci  reçut  son  premier  rappel  aux  convenances,  qui  devait  être 
suivi  de  tant  d'autres.  M.  de  Boissy  n'était  pas  encore  en- 
durci à  la  frrule  de  M.  Pasquier.  Il  demeura  coi,  et  se  tut; 
mais  ce  ne  fut  pas  pour  longtemps,  car  dès  le  11  juillet  il 
crut  devoir  llanquer  d'un  long  discours,  encore  sur  l'Algérie, 
son  vote  en  faveur  du  budget  de  1841. 

Le  13  avril  18U  M.  de  Boissy  appuya  la  demande  des 
fonds  secrets.  C'est  de  ce  jour-là  seulement  que  le  nouveau 
l)air  nuança  son  opinion  conservatrice  de  celle  de  ses  col- 
lègues, accordant  au  fond  tout  ce  que  les  ministres  deman- 
daient, les  chicanant  un  peu  dans  la  forme,  imitant  en  cela 
le  manège  de  ces  coquettes  dont  la  résistance  est  si  encou- 
rageante que  ce  serait  vraiment  les  aflliger  que  d'en 
tenir  compte.  Ce  jour-là ,  M.  de  Boissy  demanda  qu'il  n'y 
eût  plus  désormais  de  discussion  séparée  de  fonds  secrets  ; 
que  le  gouvernement  eut  une  presse  avouée,  payée,  dirigée 
par  lui,  et  que,  de  faible  et  patient,  il  devînt  ferme  et  sus- 
ceptible. La  politique  étrangère  conseillée  par  M.  de  Boissy 
consistait  à  s'éloigner  de  l'alliance  anglaise,  et  à  préparer  la 
restauration  de  don  Carlos  en  Espagne;  enfin,  comme  deux 
fois  déjà,  M.  le  marquis  demandait  la  suppression  du  gouver- 
neintnt  militaire  en  Algérie,  et  la  nomination  d'aumôniers 
pour  nos  régiments.  Telle  était  la  formule  du  système  po- 
litique de  M.  de  Boissy.  Il  est  à  remarquer  que  toutes  les 
fois  qu'il  est  revenu  à  la  charge,  demandant  au  gouverne- 
ment de  prendre  vis-à-vis  de  l'étranger  une  attitude  ferme 
et  susceptible,  il  n'est  parvenu  à  exciter  par  ses  discours  que 
l'impatience  de  l'assemblée  et  la  susceptibilité  du  chance- 
lier président.  Quoi  qu'il  en  soit,  M.  de  Boissy  pendant  toute 
sa  carrière  parlementaire  ne  laissa  échapper  aucune  occasion 
de  monter  à  la  tribune.  Pour  se  faire  la  main  au  geste  ora- 
toire, pour  assouplir  et  rendre  éloquente  sa  faconde  diserte, 
le  noble  pair  parla  tant  qu'il  put.  On  l'a  vu  discourir  du- 
rant une  heure  pour  obtenir  la  distraction  d'une  commune 
du  Cher  en  faveur  d'un  canton,  qu'il  représentait  sans  doute 
au  conseil  général,  distraction  que  M.  de  Montalivet  eut  la 
petitesse  de  faire  refuser,  sans  doute  parce  qu'il  représentait 
au  même  conseil  le  canton  voisin. 

M.  de  Boissy  est  un  des  hommes  qui  ont  fait  le  plus  de 
bruit  à  la  Chambre  des  Pairs;  s'il  nous  était  permis  de  rap- 


peler ici  ses  interminables  dissentiments  avec  M.  Pasqin'er 
réprimant  ce  qu'il  appelait  ses  écarts  parlementaires,  cet 
article  ne  serait  qu'une  longue  répétition  de  rappels  à  l'ordre, 
d'aigres  admonestations  infligées  à  l'orateur,  et  contre  les- 
quelles celui-ci  s'était  habitué  à  se  roidir  impitoyablement. 
Le  18  juillet  1843  M.  de  Boissy  fut  ainsi  gourmande  dix 
fois  dans  une  seule  séance. 

Un  beau  matin,  M.  le  comte  de  Boissy,  devenu  mar- 
quis ,  voyant  son  éloquence  sujette  aux  boutales  du  chan- 
celier et  aux  murmures  du  parti  conservateur,  eut  recours  à 
la  publicité  de  la  presse.  Voulant  donner  un  organe  quoti- 
dien à  sa  politique,  il  créa  la  Législature.  Les  grands  sei- 
gneurs d'autrefois  se  ruinaient  en  entretenant  des  n)aitresses, 
pourquoi  la  mode  ne  seiait-elle  pas  venue  d'entretenir  des 
journaux?  Heureusement  ce  n'était  qu'un  caprice  de  M.  le 
marquis.  La  Législature  ewi  le  sort  de  îa  fidélité  d'une  dan- 
seuse :  du  jour  où  M.  de  Boissy  lui  retira  sa  bourse,  la  pauvre 
feuille  succomba.  Napoléon  Gvi.lois. 

M.  de  Boissy  continua  tant  qu'il  put  sa  verte  opposition  ; 
et  en  vérité  la  langue  doit  bien  lui  démanger  à  l'heure  qu'il 
est.  Lui  qui  parlait  de  tout,  sur  tout,  à  propos  de  tout,  ne 
plus  rien  dire  du  tout,  ce  doit  être  pour  lui  la  plus  pénible 
des  pénitences.  Un  jour  il  s'attira  un  mot  assez  dur,  mais  il 
y  riposta  avec  beaucoup  de  présence  d'esprit.  Le  maréchal 
Soult,  qu'il  contrecarrait  sans  pitié,  laissa  échapper  le  re- 
gret d'avoir  soumis  au  roi  la  nomination  à  la  pairie  du  noble 
marquis  ;  celui-ci  reprit  avec  vivacité  que  s'il  avait  su  qu'on 
voulût  nommer  des  pairs  à  la  condition  de  ne  rien  dire,  il 
n'aurait  pas  accepté  un  siège  à  la  Chambre  haute.  Le  chance- 
lier voulut  faire  une  distinction  entre  l'usage  et  l'abus  de  la 
parole  ;  mais  le  marquis  de  Boissy  n'y  entendait  rien  ;  aussi 
peut-on  dire  qu'il  contribua  pour  sa  bonne  part  an  discrédit 
dans  Iccjuel  tomba  la  noble  Chambre.  Rien  n'était  i)lus  co- 
mique, en  effet,  que  ces  séances  où  iM.  le  marquis  de  Boissy 
se  faisait  retirer  et  rendre  la  parole  dix  fois,  parlant  de  ceci 
à  propos  de  cela,  défiant  le  ministère  de  réorganiser  la  garde 
nationale  à  propos  d'un  rappel  à  l'ordre,  sinquiétant  peu 
de  la  manière  dont  on  l'écoutait ,  se  moquant  des  contra- 
riétés qu'il  causait  en  disant  qu'il  en  avait  l'habitude,  sou- 
levant des  flots  de  bile  dans  l'âme  du  chancelier  martyr,  et 
interdisant  la  tribune  à  plus  d'un  pair  qui  aurait  craint  de  se 
rendre  solidaire  des  incohérences  du  loquace  marquis.  Mais 
M.  de  Boissy  disait  que  si  peu  de  pairs  parlaient  comme 
lui ,  il  y  en  avait  beaucoup  qui  pensaient  comme  lui. 

Cette  opposition  comico-héroiq\ie  devait  pousser  M.  de 
Boissy  dans  une  mauvaise  voie.  Il  s'avisa  d'être  un  jour 
tout  à  fait  contraire  au  ministère  ;  et  il  se  trouva  un  des  trois 
pairs  qui  avaient  accepté  une  invitation  pour  le  banquet  dit 
du  douzième  arrondissement.  Ce  banquet ,  dont  l'interdic- 
tion provoqua  la  révolution  de  février,  lui  coûta  son  fau- 
teuil au  Luxembourg  ;  mais  il  s'en  consola  en  serrant  la 
main  du  gouvernement  provisoire.  Cependant  sa  fortune , 
déjà  fortement  compromise  par  de  folles  sjiécidations  com- 
merciales ,  périt  dans  ce  cataclysme  politique.  Un  moment 
il  posa  sa  candidature  à  l'Assemblée  nationale,  mais  il  se 
sentit  à  la  gêne  dans  les  clubs.  Cette  éloquence  bâtarde , 
qui  faisait  rugir  le  vieux  chancelier,  n'allait  guère  au  tra- 
vailleur en  recherche  de  sa  république.  Le  bout  de  l'oreille 
du  marquis  sortait  sous  l'habit  musqué.  Le  peuple  ne  voulut 
pas  de  lui  pour  représentant.  M.  de  lk)issy  dut  s'estimer 
heureux  de  rester  membre  du  conseil  général  de  son  dépar- 
tement, et  là  il  a  sans  doute  pu  continuer  sa  gymnastique 
parolière.  Par  bonheur  ses  discours  ne  sont  pas  venus  jus- 
qu'à nous.  En  1853,  M.  de  Boissy  a  été  nommé  sénateur. 

BOISTE  (  PiEUKE-CLAUOE-ViCToiitE)  uaquit  à  Paris, 
en  1765.  Successivement  avocat,  imprimeur,  honune  de  let- 
tres c'est  chargé  d'une  immense  moisson  de  vastes  connais- 
sances recueillies  dans  les  livres  anciens  et  modernes,  qu'il 
prépara  les  éléments  de  son  litre  de  gloire,  de  son  Diclion- 
naire  Universel  de  la  Langue  Française,  que  tout  le  monde 


382 


BOISTE  —  BOITEUX 


connaît,  qui  parut  en  1800,  et  eut  du  vivant  de  l'auteur 
six  éditions.  Son  beau-père  Bastien,  éditeur  instruit  et  éclaiié, 
ne  fut  point  étranger  à  la  première,  mais  il  ne  coopéra  point 
aux  autres ,  et  l'on  peut  affirmer  que  le  laborieux  lexico- 
graphe n'eut  pas  d'autre  collaborateur. 

Boiste  a  publié  plusieurs  autres  ouvrages  d'une  bien 
moindre  importance,  tels  qu'un  Dictionnaire  de  Géogra- 
phie Universelle  ancienne,  du  moijen-âge  et  moderne 
comparées  (1806),  ouvrage  trôs-médiocre  ;  un  Dictionnaire 
des  Belles-Lettres  (i^ll),  et  V Univers,  poème  en  prose,  dans 
lequel  il  combat  Tattraclion  newtonienne  et  la  tiiéorie  phy- 
sique de  la  terre.  Mais  il  n'avait  ni  les  connaissances  posi- 
tives pour  traiter  convenablement  un  pareil  sujet,  ni  surtout 
rétendue  d'esprit  et  la  haute  portée  d'intelligence  indispen- 
sables pour  embrasser  un  horizon  si  vaste.  En  somme ,  c'é- 
tait un  écrivain  laborieux,  mais  de  peu  de  goût  et  de  juge- 
ment. Ses  ouvrages  supposent  une  lecture  immense;  ils 
sont  utiles,  quoique  mal  rédigés.  Son  style  est  commun  et 
inérne  trivial,  comme  il  arrive  trop  souvent  aux  grammai- 
riens. Boisle  mourut  à  Ivry-sur-Seine,  le  24  avril  1824.  11 
n'avait  pas  atteint  sa  soixantième  année;  mais  les  travaux 
immenses  auxquels  il  se  livrait  sans  relâche  avaient  depuis 
longtemps  altéré  sa  sanlé.  Un  an  s'était  à  peine  écoulé  de- 
puis qu'il  avait  perdu  sa  femme,  qu'il  adorait,  et  qui  avait  été 
l)endant  plus  de  trente  ans  son  unique  société.  Cette  perte 
douloureuse  le  conduisit  au  tombeau. 

L'ouvrage  capital  de  Boiste,  son  Dictionnaire  Universel 
de  la  Langue  Française,  ne  contenait  pas  d'abord  tout  ce 
que  nous  y  trouvons  aujourd'hui.  La  première  édition  don- 
nait bien  le  nom  latin,  mais  c'est  la  sixième  seulement  qui 
ajouta  les  étymologies.  A  ses  définitions  courtes,  représentées 
par  des  équivalents,  Boiste  joignit  dès  l'origine  ses  autorités, 
les  noms  des  hommes  qui  s'étaient  servis  des  mots  dans  un 
.sens  nouveau.  A  la  sixième  édition,  il  ajouta  des  sentences, 
des  maximes,  des  pensées  choisies,  où  le  mot  se  trouve  em- 
ployé. Aussi  ne  peut-on  songer  sans  étonnement  aux  im- 
menses recherches  qu'a  dû  lui  coûter  ce  travail.  C'est,  on  l'a 
déjà  dit,  le  Dictionnaire  des  Dictionnaires  de  notre  langue. 
Partout  les  mots  y  sont  définis  avec  toutes  les  variantes 
d'orthographe  des  divers  lexicographes  français,  avec  toutes 
celles  des  définitions  et  des  différentes  acceptions,  sous 
toutes  leurs  faces,  dans  toutes  leurs  nuances,  recueillies 
avec  un  soin  méticuleux,  analysées  même  jusqu'à  la  quintes- 
sence. A  côté  des  locutions  à  jamais  fixées  dans  la  langue 
nationale  par  les  Pascal ,  les  Bossuet ,  les  Fénelon ,  se  trou- 
vent çà  et  là  les  expressions  si  énergiques ,  si  pittoresques  de 
Rabelais,  de  Montaigne,  brillantes  encore  de  leur  verdeur. 
Le  livre  a  pour  appendices  |»lusieurs  dictionnaires  et  trai- 
tés spéciaux  qui  le  développent  et  le  complètent,  de  sorte 
qu'on  est  sur  d'avoir  sous  la  main ,  dès  qu'on  les  désire,  une 
foule  de  mots  techniques  empruntés  à  toutes  les  sciences,  à 
tous  les  arts ,  à  tous  les  métiers ,  à  côté  des  néologismes  les 
I»lus  acclimatés  ou  récemment  transplantés  des  langues 
étrangères.  Chaque  mot,  enfin,  quant  à  .son  emploi,  est 
toujours  accompagné  d'une  autoiité  respectable  empruntée 
au  monde,  à  la  chaire,  à  la  tribune,  aux  carrefours,  à  la 
.scène,  au  barreau,  etc.  11  est  fâcheux  seulement  qu'il  ne 
s'y  rencontre  pas  une  seule  autorité  en  vers.  C'était  un  parti 
pris,  im  système  arrêté  chez  Boiste,  qui  trouvait  (qui  le 
croirait  !  )  les  fables  de  La  Fontaine  immorales. 

lui  somme,  et  malgré  ces  critiques,  le  Dictionnaire 
Universel,  comme  le  Lexique  grec  de  Henri  Etienne,  mé- 
rite (pi'on  inscrive  sur  son  frontispice  :  Trésor.  Boiste  et 
Henri  Etienne  ont  eu  la  même  conscience  de  travail  :  ils 
ont  été  à  la  lois  les  architectes  et  les  constructeurs  de  doux 
beaux  et  solides  monuments  philologiques.  «  Le  Diction- 
naire de  Boiste,  disait  im  homme  qui  s'y  connaissait, 
Charles  Nodier,  est  l'encyclopédie  de  la  langue  française. 
i'\'sl  relativement  notre  meilleur  Dictionnaire;  c'est  un  ou- 
vrag(;  innncnsc,  qui  mérite  toute  notre  reconnaissance  et  tous 


nos  éloges.  )i  Ses  apiicndices  contiennent  les  homonymes, 
\cs  paronymes,  les  synonymes ,  les  noms  mytholngiqucs , 
historiques,  géographiques,  biographiques ,  un  traité  de 
versification,  un  dictionnaire  de  rimes ,  la  synopsie  de  la 
grammaire,  etc.,  etc.  Les  dernières  éditions  ont  clé  revues 
par  MM.  Barré  et  Ch.  Nodier. 

BOISTUAU.  Voyez  15oaistl'au. 

BOIS  VERDOYANT,  BOIS  VERT.  Voyez  Bois 
JAl^p.. 

BOIS  VIOLETTE,espèce  de  palissandre  provenant 
d'un  arbre  peu  connu,  qui  croit  dans  les  Indes  Orientales. 
Ce  bois  est  compacte,  pesant,  susceptible  de  poli,  d'une 
belle  couleur  tirant  sur  le  violet ,  parcouru  dans  son  inté- 
rieur par  des  veines  longitudinales  d'un  rouge  pâle ,  et  en- 
richi de  marbrures  fort  agréables;  il  exhale  une  douce 
odeur  de  violette.  Il  sert  à  l'ébénisterie,  à  la  marqueterie,  à 
la  tabletterie.  Il  nous  vient  en  bûches  de  10  à  1 5  centimètres 
de  diamètre. 

BOITE.  On  appelle  ainsi  tout  coffre  de  petite  ou  de 
moyenne  dimension ,  se  fermant  au  moyen  d'un  couvercle. 
Kien  de  plus  varié  aujourd'hui  que  les  formes  et  les  ma- 
tières des  boites,  si  ce  n'est  peut-être  l'usage  que  l'on  en 
fait  :  les  métaux,  l'ivoire,  l'écaillé,  les  bois,  le  carton, 
sont  tour  à  tour  employés  à  leur  confection.  Les  boîtes  di 
bois,  d'ivoire,  d'écaillé,  rondes,  ovales  ou  carrées,  sont 
fabriquées  par  les  tourneurs  et  les  table  ti  ers.  Les  bi- 
joutiers font  des  boites  en  métaux  précieux.  Les  éb.  nistes 
fabriquent  de  jolies  boîtes  en  bois,  quelquefois  sculptées  ou 
incrustées;  les  bottes  de  cartonnage  sont  les  plus  com- 
munes ,  et  leur  fabrication  concerne  le  carto  nn  i  er. 

On  appelle,  en  anatomie ,  boite  osseuse  le  crâne,  ou 
celle  boite  ovoïde,  formée  par  la  réunion  de  huit  os,  ayant 
pour  usage  j^rincipal  de  reiiferuier  le  cerveau,  .ses  mem- 
branes ,  et  le  cervelet. 

7;of/e  se  dit,  en  général ,  dans  les  arts  et  métiers,  de 
tout  assemblage  de  bois,  de  cuivre,  de  fer,  de  fonte,  etc., 
destiné  à  contenir,  à  revêtir  ou  à  affermir  d'autres  pièces  : 
les  serruriers  et  les  couteliers  nomment  boîte  à  foret  une 
espèce  de  bobine  dans  laquelle  ils  mettent  leur  foret  pour 
percer  une  pièce;  la  boite  de  navette  du  tisserand  est  la 
partie  de  la  navette  où  se  met  la  trame  ;  la  boîte  du  vil- 
brequin ,  la  partie  où  l'on  attache  la  mèche  de  cet  instru- 
ment ,  etc. 

La  boite  à  pierrier  est  un  corps  cylindri(iiie  et  concave, 
fait  de  bronze  et  de  fer,  rempli  de  poudre  et  de  pierres , 
avec  une  anse  et  une  lumière  qui  répond  à  cette  iioiidre. 
On  met  cette  botte  ainsi  chargée  dans  le  p  i  e  r  r  i  e  r  au-dessu-* 
de  la  chambre,  devant  le  reste  de  la  charge,  qui  la  chasse 
aussitôl  qu'elle  a  pris  feu. 

Les  boîtes  d'artifice  sont  de  petits-mortiers  de  fer,  longs 
de  15  à  20  centimètres,  qu'on  charge  de  poudre  jusqu'au 
haut  et  qu'on  bouche  avec  un  fort  tampon  de  bois  pour  le» 
tirer  dans  les  réjouissances  publiques,  pendant  lesquelles 
leur  forte  détonation  s'entend  au  loin. 

Nous  ne  parierons  point  de  quelques  autres  boites  très- 
connues,  telles  que  Va  boite  aux  lettres,  restreinte  d'a- 
bord au  service  des  postes ,  et  dont  l'emploi  s'est  étendu 
depuis  à  tant  de  services  généraux  ou  particuliers. 

On  dit  vulgairement  que  dans  les  petites  boites  sont  les 
bons  onguents,  pour  dire  que  les  choses  précieuses,  au 
physique  comme  au  moral ,  tiennent  peu  de  place.  La  boite 
de  Pandore,  d'où  tous  les  maux  se  sont  répandus  sur 
la  terre  cl  au  fond  de  laquelle  est  restée  rcspéraucc ,  est 
une  des  fictions  les  plus  ingénieuses  des  anciens. 

Ednie  IlKiiKAt. 

BOITEUX.  On  appelle  ainsi  celui  qui  est  affecté  de 
claudication,  celui  qui  boite,  soit  par  vice  de  confor- 
mation première ,  soit  par  l'effet  d'une  maladie.  Boiter  est 
l'action  d'incliner  plus  d'un  côté  que  de  l'autre  en  iiar- 
chant ,  ce  qui  arrive  aux  individus  qui  ont  un  i>ied  plus 


BOITEUX  —  BOL 


un 


court  que  i'natre,  on  bien  une  hanche  faible,  ou  bien  enfin 
à  ceux  dont  les  jambes,  les  cuisses  ou  les  pieds  sont  affectés 
de  blessures  "U  d'incommodités  qui  paralysent  plus  ou 
moins  les  fouctions  de  ces  membres. 

En  ternies  de  manège ,  on  dit  qu'un  cheval  eit  boiteux 
de  l'oreille  ou  de  la  bride  quand  par  ses  mouvements  de 
tête  il  marque  tous  les  pas  qu'il  fait  en  boitant. 

BOJADOR  (Cap),  situé  sur  la  côte  occidentale  de 
l'Afrique,  dans  l'océan  Atlantique,  au  delà  de  la  frontière 
méridionale  de  l'empire  de  Maroc ,  par  16"  48'  de  longitude 
occidentale,  et  26°  7'  de  latitude  septentrionale.  Ce  cap 
forme  la  pointe  de  la  chaîne  du  Djébel-el-Klial  (montagne 
Noire  ).  Le  /aux  cap  Bojador  est  situé  à  18'  plus  au  nord. 
A  droite  et  à  gauche  s'élèvent  les  collines  de  sable  du  Sa- 
hara, (pie  le  vent  chasse  jusque  dans  la  mer.  Pendant  long- 
temps ce  cap  fut  la  limite  des  voyages  maritimes  vers  le 
Sud  ;  le  Portugais  Gilianez  fut  le  premier  qui  osa  le  dou- 
bler, en  14:J5. 

tîOJAR.  Voyez  Boîar. 

liOJARDO  (Matteo  Maria),  comte  de  Scandiano, 
l'un  des  plus  célèbres  poètes  qu'ait  produits  l'Italie,  naquit 
en  1430,  et  suivant  d'autres  en  1434,  à  Scandiano.  Il  des- 
centlait  d'une  ancienne  famille  de  Ferrare,  et  après  avoir 
terminé  ses  éludes  à  l'université  de  Ferrare,  où  il  apprit  le 
f;rec,  le  latin  et  plusieus  langues  orientales,  il  vint  à  la  cour 
du  duc  Horso  d'Esté.  Sous  le  règne  du  successeur  »fe  ce 
prince,  il  fut  employé  dans  diverses  missions  honorables  et 
iiommé  gouverneur  de  Reggio.  Il  conserva  ces  fonctions 
jusqu'en  1481,  et  les  changea  alors  contre  celles  de  capi- 
tauo  à  Moiièiie.  Plus  lard  il  revêtit  encore  la  dignité  de  gou- 
verneur de  la  citadelle  et  de  la  ville  de  Reggio  jusqu'à  sa 
mort,  arrivée  le  21  <lecembre  1494.  Aussi  distingué  parmi 
ses  conlemporains  par  la  noblesse  de  son  origine  et  de  se» 
.sentiments  que  par  sa  bravoure  et  sa  (idélité  au  service  de 
la  maison  d'Esté,  Bojardo  s'est  immortalisé  par  ses  poésies. 
Le  grand  poërae  chevaleresque  et  romantique ,  Orlando 
innnmorato,  que  le  poète  laissa  inachevé,  et  qui  appartient 
au  cercle  des  traditions  de  Charlemagne,  est  le  plus  célèbre 
et  pourtant  le  moins  lu  de  ses  ouvrages.  Il  compte  soixante- 
dix-neuf  chants,  divisés  en  trois  livres.  Le  sujet  sur  IcqutJ 
il  roule  est  l'amour  de  Roland  pour  Angélique.  Le  siège  de 
Paris  par  les  Sarrasins  y  tient  la  place  du  siège  de  Troie. 
L'Iliade  est  le  type  d'ajirès  lequel  Dojardo  a  modelé  sa  com- 
position ;  les  caractères  des  héros  chrétiens  et  mahomélans 
ne  sont  pas  sans  analogie  avec  ceu\  des  agresseurs  d'Ilion 
et  de  ses  défense'urs;  et  le  merveilleux  homérique  est  rem- 
placé par  l'intervention  des  magiciens  et  des  fées.  Les  noms 
des  héros  qui  remplacent  ceux  de  la  fable,  Agramante, 
Sacripante,  Gradasso,  Mandricando,  etc.,  sont  pour  la 
plupart  ceux  que  portaient  des  paysans  de  ses  terres.  De 
même,  les  sites  qui  se  trouvent  décrits  dans  son  poème  sont 
ceux  des  environs  de  Scandiano  ou  d'autres  lieux  voisins. 
V Orlando  furioso  de  l'Ari(  ste  n'est  en  quelque  sorte  que  la 
continuation  de  VOrlaudo  innamorato.  Mêmes  héros  dans 
les  deux  poèmes;  leurs  aventures,  commencées  par  Bojardo, 
sont  terminées  par  l'Ariostc;  en  sorte  (jue  la  lecture  de  l'un 
est  absolument  indispensable  pour  la  parfaite  intelligence 
de  l'autre.  Tandis  (pie  les  poèmes  précédents,  qui  ont  pour 
sujet  la  légende  de  Rolaud,  ne  représentaient  leur  héros  que 
comme  l'un  des  précurseurs  du  christianisme,  Bojardo, 
initié  au  monde  romanticjue  des  autres  peuples  et  surtout  à 
la  connaissance  des  poèmes  du  cycle  de  la  Table  ronde, 
essaya  d'ennoblir  ce  sujet  en  y  introduisant  de  suaves  ligures 
de  femmes.  Non-seulement  il  doima  dans  son  poème  aux 
héros  de  la  légende  déjà  bien  connus  avant  lui  des  carac- 
tères énergiqiiement  dessinés,  mais  il  inventa  en  outre  avec 
une  remarquable  puissance  de  création  des  héros,  fruit  de 
son  imaj^ination  et  pourtant  pleins  de  vérité  et  de  dignité. 
F.n  15'»4  son  ouvrage  avait  eu  déjà  quatorze  éditions  (la 
Itreiiiièrc  édition  complète  parut  en  1495,  à  Scandiano).  Dès 


le  seizième  siècle  il  avait  été  traduit  en  français  par  Vincent 
(Lyon,  1544)  ;  en  1619  de  Rosset  en  fit  paraître  une  nouvelle 
traduction  à  Paris.  Lesage  en  donna  en  1717  une  imitation 
libre  (2  vol.,  Paris).  La  dernière  traduction  française  est 
celle  de  Tressan  (  Paris,  1822  ). 

Comme  Bojardo  en  écrivant  se  servit  de  l'italien  qu'on 
parlait  de  son  temps  à  la  cour  de  Ferrare,  son  poème  fut 
très -cri tiqué  à  Florence.  C'est  pourquoi,  après  diverses  ten- 
tatives faites  pour  en  épurer  le  style,  Lo(Jovico  Domenichi 
(mort  en  f564),  .sans  y  changer  rien  d'essentiel,  entreprit 
au  point  de  vue  de  la  langui  une  complète  Rifurtnazione 
de  VOrlando  innamorato ,  d(mt  il  existe  un  grand  nombre 
d'éditions,  toutes  différant  l'une  de  l'autre.  La  dernière 
parut  à  Venise  en  1545.  Berni  alla  plus  loin  dans  son  Rifa- 
cimento ,  car  il  changea  tout  le  ton  dii  poème  en  burlesque. 
Cependant,  son  travail  obtint  un  si  grand  succès  que  l'Or- 
lando  innamoi'ato  original  de  Bojardo  tomba  dans  l'ou- 
bli; et  Panizzi  est  le  premier  qui  s'avisa  d'en  publier  de 
nouveau  le  texte  primitif  avec  de  longues  recherches  sur 
le  poète  et  sur  son  poème  (  !)  volumes  ;  Londres,  1830  ). 

Parmi  les  autres  ouvrages  de  Bojardo ,  tant  en  italien 
qu'en  latin,  ceux  qui  ont  le  |)lus  de  valeur  sont  ses  Son- 
netti  e  Canzoni  (la  première  édition  est  celle  de  Reggio, 
1499)  en  trois  livres,  presque  tous  adressés  à  sa  maltresse, 
Antonia  Capraca.  Viennent  ensuite  II  Timone,  drame  en 
cinq  actes,  maintes  fois  réimprimé;  un  poème  latin,  Car- 
vien  BucoUcum  (Reggio,  1500);  les  Cinque  Capitoliin 
terza  rima  (Venise,  1523),  sur  la  Crainte,  la  Jalousie, 
l'Espérance,  l'Amour  et  le  Monde;  et  i'Asio  d'Oro,  d'a- 
près Apulée  (1518).  Il  traduisit  aussi  en  italien  Hérodote, 
ainsi  que  le  Chronïcon  Romanorum  Imperatonini  de 
Renobaldi.  Venturi  a  publié  un  choix  des  Poésie  de  Bojardo, 
accompagné  de  notes  exphcatives  {  Modèiw; ,  1820).  Parmi 
les  suites  données  à  VOrlando  celle  de  Niccolo  degli  Agos- 
tini  .se  trouve  imprimée  dans  diverses  anciennes  éditions 
du  jxiëme  original  et  dans  l'imitation  libre  de  Domenichi. 

BOKIIARA,   BOKIIARIE.    Voyez    Bookhakv    et 

BOLKUAKIE. 

BOKIIAKY  (  Abol-Abdallah  MOHAMED,  plus  connu 
SOUS  le  nom  de),  théologien  musulman,  né  en  810,  mort 
en  870,  commença  dès  l'âge  de  dix  ans  l'étude  de  Ihistoire 
et  de  la  jurisprudence,  et  recueillit  de  vastes  connaissances 
dans  les  voyages  qu'il  entreprit  à  diverses  époques  et  dans 
les  diverses  contrées  du  monde  mahomètan.  Ses  nombreux 
ouvrages  lui  acquirent  une  immense  réputation,  celui  surfout 
qui  est  intitulé  Al-Djami  al-Snhy  (Recueil  exact).  C'est 
un  recueil  de  seize  mille  traditions,  composées  de  sentences 
ou  de  paroles  empruntées  ou  attribuées  à  Mahomet  ou  à 
ses  compagnons.  Bokhary  l'écrivit  à  La  Mecque  même;  et 
l)our  attirer  sur  son  œuvre  la  bénédiction  du  ciel,  il  n'y  con- 
signait jamais  une  tradition  qu'après  une  ablution  au  puits 
de  Zemzem  et  uric  prière  à  l'endroit  appelé  Abraham.  On 
a  souvent  commenté  cet  ouvrage,  qui  parmi  les  musulmans 
jouit  d'une  autorité  presque  égale  à  celle  du  Coran. 

BOL.  Ce  mot  appartient  à  la  médecine  et  à  la  minéra- 
logie, sans  que  l'on  puisse  assigner  d'une  manière  satis- 
fiiisaule  ce  qui  a  déterminé  ces  deux  fonctions  sans  aucune 
analogie. 

En  médecine ,  un  bol  est  un  médicament  interne,  du  vo- 
lume d'une  bouchée  au  plus,  composé  d'une  matière  «xci- 
p'tende  (  c'est  celle  qui  doit  opérer  l'effet  que  l'on  attend  ), 
et  d'un  excipient,  ou  liquide,  ou  mou,  de  telle  sorte  que 
le  mélange  soit  un  peu  plus  consistant  que  du  miel.  L'exci- 
pient n'étant  destiné  qu'a  servir  de  véhicule  à  la  matière  ef- 
ficace, il  suffit  qu'il  ne  nuise  pas  à  l'effet;  mais  s'il  peut 
y  contribuer,  le  médecin  habile  ne  manquera  pas  de  le  pré- 
férera ceux  qui  se  borneraient  à  n'être  pas  nuisibles. 

En  minéralogie,  on  nomme  bol,  ou  terre  bolaire,  une 
argile  ocreuse,  dont  la  médecine  fit  usage  autrefois,  et  dont 
la  plus  célèbre  venait  de  l'Arménie.  A  mesure  (pie  la  chimie 


«84  BOL  — 

a  rertifié  les  noincnclalures  minéralogiques,  on  a  compris 
pariiii  les  terres  bolaires  l'argile,  siijillce  de  Lemiios,  la 
sanguine,  tirée  de  la  iirôine  île,  la  terre  de  Sienne,  etc. 
Quelques-unes  <!e  ces  nrj^iics  conlieniicnt  une  très-grande 
quantité  de  chaux  ,  et  peuvent  être  cla>sées  parmi  les 
marnes.  Ferry. 

On  donne  aussi  le  nom  de  bol  alimentaire  à  la  masse 
que  (orment  les  aliments  après  avoir  été  broyés  par  la  mas- 
tication, ils  sont  réunis  par  la  langue  et  placés  sur  la  base 
<le  cet  orRane,  pour  ensuite  être  avalés  et  soumis  à  la  c  li  y- 
mification. 

BOL  (FEiinmAND),  nn  des  peintres  de  portraits  les  plus 
habiles  de  l'école  hollandaise,  naquit  à  Dordreclit,  vers 
1610,  et  mourut  à  Amsterdam,  en  1681.  Sa  vie  est  pen 
connue  ;  on  sait  seulement  qu'il  eut  pour  maître  Rembrandt, 
dont  il  s'attacha  à  imiter  la  manière;  ce  à  quoi  il  réussit  si 
bien  que  ses  tableaux  lurent  souvent  altribiiés  à  son  maître. 
On  y  retrouve  en  clfet  «luelque  chose  de  la  vigueur  de  ton 
et  de  la  délicatesse  du  clair-obscur  de  ce  grand  peintre. 
Comme  il  n'avait  pas  l'imagination  hardie,  impétueuse  de 
Rembrandt,  il  a  su  éviter  les  écarts  dans  lesquels  sont 
touillés  souvent  les  imitateurs  de  ce  maître.  Ses  tableaux 
cliarmiMit  par  leur  naliuel  ;  ils  consistent  presipie  tons  en 
portrait^.  Il  y  en  a  quatre  au  musée  du  Louvre,  un  au  mu* 
sée  de  Lyon,  et  cinq  dans  la  galerie  de  Dresde.  Comme  Item- 
liiandt,  Bol  a  publié  une  série  de  planches  gravées  à  l'eau- 
forte,  qui  sont  fort  estimées.  Les  plus  remarquables  sont  : 
Le  Sacrifice  dWhra/iam;  Saint  Jérôme  assis  sur  une 
haut  pur  et  tenant  un  crucifix;  Un  Philosophe  tenant 
un  Hure  et  ayant  près  de  lui  unesphère  (  planche  dont  les 
exemplaires  sont  devenus  extrêmement  rares);  Agardans  le 
désert,  non  moins  rare;  Le  Sacrifice  de  Gédéon  au  mo- 
ment où  l'ange  mit  le  feu  à  l'holocauste. 

BOL  ou  BOLL  (Hans),  peintre  flamand,  né  à  Malines, 
en  1534,  mort  à  Amsterdam,  en  1583,  connnença  dès  l'âge 
de  quatorze  ans  à  étudier  son  art ,  puis  parcourut  l'Alle- 
magne pour  se  perfectionner.  Après  deux  années  de  séjour 
à  Heidelberg,  il  revint  dans  sa  ville  natale,  oii  il  peignit  des 
paysages  en  détrempe.  Ruin(^  par  les  malheurs  <le  la  guerre 
qui  ravageait  son  pays,  il  fut  réduit  à  se  réfugier  à  Anvers, 
où  il  trouva  aide  et  appui  auprès  d'un  habitant,  protecteur 
dévoué  et  généreux  de  l'art,  appelé  Antoine.  S'apercevant 
qu'on  faisait  de  ses  grandes  toiles  des  copies  réduites,  qui  se 
plaçaient  avantageusement,  il  se  borna  dès  lors  à  faire  de 
petits  tableaux  à  l'huile  et  des  ligures  à  la  gouache.  Mais  les 
calamités  qui  l'avaient  forcé  d'abandonner  Malines  le  chas- 
sèrent successivement  «l'Anvers,  de  Iierg-oi)-Znom ,  de 
Dorilrechl  et  de  Deift,  oii  il  avait  espéré  rencontrer  un  asile 
plus  tranquille  ;  et  à  la  lin  force  lui  lut  de  se  retirer  à  Ams- 
terdam. Ses  princi|)aux  ouvrages  sont  :  un  Livre  d'ani- 
maux terrestres  et  aquatiques,  peints  à  la  j^ouacbc  d'après 
iifiline;  un  l'etit  Livre  d'Heures,  qui  avait  été  exécuté 
pour  le  duc  d'Alençonet  d'Anjou  ,  cinquième  lilsde  Henri  11. 
Ce  manuscrit,  qui  lait  aujourd'hui  partie  du  fonds  de  la  Bi- 
iili(ithè(]ue  impériale,  contient  deux  grandes  miniatures  et 
quarante  et  ime  petites,  avec  des  ornements,  <ies  fleurs  et 
xfes  animaux  au  bas  de  chaque  page  et  à  la  (in  des  cliapi- 
trt's.  Il  est  du  format  in-24.  On  a  encore  de  lui  :  Vena- 
finnis,  Piscationis  et  Aucupii  tijpi.  Johannis  Bol  de- 
p\nqel)(it;  f'hil.  Gnlleus  excudebat  ;  in-8"  oblong. 

BOLAIV  ,  déhié  ctlcbre  dans  le  Béloudjistan,  qui 
conduit  du  Simi  sejilentrional  à  Kandatiaret  h  Ghasnah,  par 
Chikarpour  et  Dadour.  Son  point  culminant  s'élève  à  1795 
mètres;  il  est  situé  par  le  29"  51'  de  latitude  nord,  et 
te  (w"  h'  de  lon;;itude  orientale  :  c'est  là  que  se  trouve  la 
souice  du  Bolan,  qui  donne  son  n(mi  an  délilé.  L'armée 
anglaise  qui  envahit  l'Afghanistan  en  1839  mit  six  jours 
(du  lii  au  21  mars)  à  franchir  ce  passage. 

BOL5}r^(^,  commune  de  l-'rance,  chef-lieu  de  canton, 
Sîéi^e  dune  église  consistoriale  calviniste,  appartenant  jadis 


BOLESLAS 

au  comté  d'Eu,  aujourd'hui  au  département  de  la  ScSne- 
In  férieure,  dans  l'arrondissement  du  Havre,  à  2H  kiloiij. 
de  ce  port  ;  charmante  petite  ville,  située  dans  une  position 
admirable,  sur  le  penchant  d'un  coteau  baigné  par  la  petite 
rivière  du  même  nom ,  à  la  jonction  de  (lualre  vallées.  Peu- 
plée de  9,674  habitants  et  très  industrieuse,  elle  est  l'en- 
irepAt  des  toiles  cretonnes  qu'on  lisse  aux  environs,  et 
possède  elle-même  de  grandes   lilalures  et    fabriques   de 
calicots,  cotons  façon  d'Alsace,  mouchoirs,  draps,  flanelles, 
serges,  couvertures,  etc.,  des  imprimeri«is  d'indiennes,  des       _ 
blanchisseries,  teintureries,  papeteries  et  laimeries.  Bolhec      ■ 
fut  détruite  en  1765  par  un  incendie,  qui  y  eonsiimu  huit       1 
cent  soixante  huit  maisons. 

BOLEBO.  C'est  mi  air  de  danse  ou  de  chant  fort  usité 
en  Lspagne.  Il  esta  tiois  iemps  et  presque  toujours  eu  mi- 
neur. Il  est  ordinairement  accompagné  par  la  guitare,  au 
moyen  d'un  rasgado  redoublé  sur  la  seconde  moitié  du 
premier  temps,  ce  qui  produit  un  rhythme  d'un  effet  char- 
mant. 

BOLESLAS.  Trois  princes  de  Bohême  ont  poité  ce 
nom. 

BOLESLAS  l*^*",  de  la  maison  de  Przémysl, douzième  duc 
de  Bohême,  gouverna  cette  contrée  de  936  à  967.  Asser 
puissant  pour  réduire  les  seigneurs  qui  opprimaient  le  peu- 
ple, il  ne  put  se  soustraire  au  joùg  de  l'emiierem-  Olhon, 
qui  le  contraignit  à  lui  payer  un  tribut  et  à  lui  fournir  nn 
contingent  de  troupes.  Malgré  cet  état  de  dépendance,  lio- 
leslas,  soutenu  par  les  Allemands,  combattit  les  Magyares,  et 
contribua  largement,  en  955,  à  la  célèbre  victoire  leuqiortée 
sur  eux  à  Augsbourg.  Son  frère,  Christiartus,  passe  pour  le 
premier  historien  de  la  Bohême. 

BOLESLAS  II,  surnommé  le  /'iewr,  succes«eur  du  pré- 
cédent ,  et  treizième  duc  de  Bohêire ,  gouverna  ce  pays 
de  067  à  1000.  Sous  son  règne  les  chrétiens  et  les  païens  se 
livrèrent  une  bataille  sanglante,  qui  eut  pour  cause  l'esprit 
aveugle  de  prosélytisme  des  premiers  et  la  dénomination  in- 
jurieuse de  chiens  de  païens,  qu'ils  donnaient  aux  seconds. 
La  défaite  complète  des  idolâtres  fournil  à  lioleslas  il  l'c^;- 
casion  de  poursuivre  ses  projets  de  conversion  religieuse. 

BOLESLAS  m,  fils  naturel  de  Boleslas  II,  et  quatorzième 
duc  de  Bohême,  se  rendit  justement  odieux,  pendant  ses 
cinq  années  de  règne  (de  1000  à  1005),  par  les  cruautés  qu'il 
exerça,  assassinant  ses  amis  et  même  son  gendre,  et  se 
fit  expulser  par  ses  sujets,  qui  lui  crevèrent  les  yeux. 

BOLESL.AS.  Cinq  princes  de  ce  nom  ont  porté  la  cou- 
ronne de  Pologne,  soit  comme  ducs,  soit  connue  rois. 

BOLESLAS  I",  surnommé  Khrolrii  (le  Vaillant),  est 
le  premier  souverain  de  la  Pologne  qui  porta  le  litre  de  roi. 
Il  régna  de  992  à  1025,  et  succéda  à  Nielchislaf,  son  père, 
qui  avait  introduit  le  christianisme  dans  ces  contrées,  et 
qui  en  mourant  avait  démembré  le  duché  de  Pologne  en  le 
partageant  entre  ses  enfants;  faute  que  Boleslas  répara, 
mais  en  dépouillant  ses  frères  de  leur  héritage.  Les  secours 
que  ceux-ci  trouvèrent  à  l'étranger  fournit  à  Boleslas  un 
pn  texte  pom'  envahir  les  domaines  des  princes  ses  voisins 
et  réunir  ainsi  la  Silésie  et  la  Khrobalie  à  la  Pologne. 
Voici,  dit-on,  dans  quelles  circonstances  il  obtint  d'Olhon 
le  litre  de  roi  :  Un  tvèque  de  Pmgue,  Voicchus,  qui  était 
allé  porter  les  lumières  de  l'Évangile  en  Hongrie,  en  Russie 
et  en  Prusse,  fut  assassiné,  en  997,  par  des  Prussiens.  Bo- 
l^-slas  racheta  son  corps  il  ses  meurtriers,  et  bientôt  le  bruit 
se  répandit  partout  que  les  reliques  du  pieux  é- êque  opé- 
raient des  miracles.  i)es  fêtes  magnifiques  furent  alors  ins- 
tituées en  son  honneur,  et  attirèrent  sur  son  tombeau,  a 
Guezuia,  un  immense  contours  de  lideles  et  de  cuiieux. 
Olhon  III,  qui  revenait  de  Rome,  où  il  avait  été  visiter  ieS 
tombeaux  des  Aprtires,  voulut  visiter  aussi  celui  de  l'évêque 
de  Prague,  et  ,«e  rendit  à  cet  effet  en  Pologne.  Boleslas  «li- 
ploya  pour  h;  recevoir  une  magniliceuce  extrême.  Les  fêhs 
se  succédèreni  sans  inlerriqilion  ;  et  sur  la  lin  d'un  M-jias 


BOLESLAS 


385 


splenilide,  Ollion,  dans  un  nioniciit  d'effusion,  mit  lui-ni?nie 
sa  couionno  impériale  sur  la  liHe  de  son  liote  ;  c'était  le  faire 
roi,  c'était  venir  au-devant  du  vœu  le  plus  cher  de  Boleslas, 
à  qui  son  litre  de  simple  duc  ne  paraissait  plus  en  rapport 
avec  la  grandeur  de  sa  puissance.  En  effet,  toutes  les  tribus 
«les  Polènes  lui  obéissaient  alors  ;  il  traitait  le  duc  de  Bohême 
en  vassal,  et  Kief,  la  capitale  des  Slaves-Russes,  avait  été 
obligée  de  lui  ouvrir  ses  portes.  Plus  tard ,  il  porta  ses 
armes  jusqu'aux  bords  de  l'Elbe  et  de  la  Saale  ;  et  ce  fut  là, 
dit-on,  qu'il  érigea  une  colonne  de  fer  pour  marquer  de  ce 
cMé  la  limite  de  ses  États,  comme  la  porte  de  Kief,  qu'il 
avait  fendue  avec  son  sabre,  en  déterminait  la  limite  à 
l'est.  De  telles  conquêtes,  un  règne  si  constamment  rempli 
d'expéditions  victorieuses,  rendirent  son  nom  populaire  en 
Pologne,  mais  par  contre  odieux  aux  populations  vaincues, 
qui  avaient  à  payer  les  frais  de  cette  gloire.  Pendant  le  règne 
de  Boleslas  le  cliristianisme  ne  fit  d'ailleurs  que  des  progrès 
bien  lents  en  Pologne,  de  môme  que  dans  les  contrées  con- 
quises. 

BOLESLAS  II,  surnommé  le  Hardi,  né  en  1042,  mort 
vers  1090,  était  lils  de  Casimir  l"^,  à  qui  il  succéda  le  len- 
demain même  de  ses  funérailles,  quoiqu'il  n'eût  encore  que 
seize  ans.  Touchée  de  ses  grAces  et  de  sa  jeunesse,  la  mul- 
titude l'acclama  roi  malgré  l'opposition  que  la  noblesse  es- 
saya de  faire  à  son  élection.  Sa  cour  devint  à  quelque  temps 
de  là  l'asile  de  plusieurs  princes  voisins  dépossédés  ou 
citasses  de  leurs  États,  par  exemple  Isiaslaff,  duc  de  Kiovie 
et  frère  du  duc  de  Russie;  Jacomir,  fds  du  duc  de  Bohème; 
et  Bêla,  frère  d'André,  roi  de  Hongrie,  qui  avait  usurpé  sa 
couronne.  Le  duc  de  Bohême,  pour  se  venger  de  l'hospi- 
talité que  son  fils  avait  trouvée  en  Pologne,  envahit  ce  pays 
à  la  tête  d'une  nombreuse  armée.  Boleslas  marcha  à  la  ren- 
contre de  l'ennemi,  et  à  la  suite  d'une  défaite  qu'il  lui  fit 
essuyer,  il  conclut  avec  le  duc  de  Bohême  un  traité  avanta- 
geux à  Jacomir,  qui  d'ailleurs,  se  croyant  peu  en  silreté  en 
Bohême ,  préféra  de  continuer  à  vivre  en  Pologne.  Deux  ans 
après,  Boleslas  déclara  la  guerre  à  André,  roi  de  Hongrie, 
qu'il  fil  prisonnier,  et  dont  il  donna  la  couronne  à  Bêla. 
Tournant  ensuite  ses  armes  contre  les  Russes,  qui  avaient 
expulsé  Isiaslaff,  par  ses  victoires  il  le  rétablit  en  possession 
du  duché  de  Kiovie.  Ce  succès  n'eut  pas  été  plus  tôt  obtenu 
qu'il  lui  fallut  accourir  en  Hongrie,  où  Bêla  était  mort,  et  où 
il  fit  rendre  à  ses  enfants  l'héritage  paternel  qu'on  leur  con- 
testait. Pendant  cette  diversion,  les  Russes  avaient  de  nou- 
veau expulsé  Isiaslaff.  Boleslas  revint  alors  mettre  le  siège 
devant  Kiovie,  dont  les  habitants  après  une  longue  et  vail- 
lante résistance  durent  finir  par  lui  ouvrir  les  portes.  Le 
séjour  de  Kiovie  fut  cette  fois  pour  Boleslas  et  son  armée 
une  nouvelle  Capoue,  et  chefs  et  soldats  s'y  livrèrent  à 
toutes  sortes  de  débauches.  Apprenant  quelle  joyeuse  vie 
leurs  maris  menaient  dans  le  pays  conquis,  les  femmes 
polonaises  s'en  vengèrent  à  l'envi  en  se  prostituant  à  leurs 
serfs.  A  leur  tour  les  guerriers  polonais  apprirent  comment 
la  loi  du  talion  leur  avait  été  appliquée  au  foyer  domestique; 
et  ce  fut  alors  parmi  eux  à  qui  abandonnerait  son  souve- 
rain pour  s'en  aller  châtier  sa  trop  vindicative  moitié,  dont 
il  attribuait  l'infidélité  aux  fautes  du  souverain.  Boleslas, 
ainsi  déserté  par  ses  hommes  d'armes,  en  leva  d'autres  en 
Russie,  avec  lesquels  il  s'en  revint  écraser  tous  les  mécon- 
tents qui  avaient  profité  de  son  absence  pour  oser  lever  la 
tête.  Le  sang  conla  alors  à  flots  en  Pologne,  et  ce  fut  en 
vain  que  saint  Stanislas,  évêque  de  Cracovie,  essaya  de  faire 
entendre  la  voix  delà  modération.  Boleslas,  irrité  des  re- 
montrances du  pieux  prélat,  s'en  vengea  en  allant  le  tuer  de 
sa  propre  main  dans  la  cathédrale  de  Cracovie.  Cet  attentat, 
qui  comblait  la  mesure  des  crimes  dont  Boleslas  s'était 
rendu  coupable,  attira  sur  lui  les  foudres  du  saint-slége. 
Grégoire  111  délia  ses  sujets  de  leur  serment  de  fidélité.  Une 
insurrection  générale  éclata  alors  contre  lui.  Réduit  à  prendre 
ta  hiitc,  Boleslas  erra  longtemps  en  Hongrie  ;  piii^  en  cachant 

nier.    DE    LA   CONVERS.    —   T.      Ml. 


son  nom  il  réussit  à  trouver  un  asile  en  Cavintliie,  dans  le 
monastère  de  Villach ,  où  les  moines  l'auraient  employé 
comme  marmiton ,  et  où  il  serait  mort  en  ne  révélant  qu'.'i 
ses  derniers  moments  qui  il  était.  Suivant  une  autre  version, 
le  suicide  aurait  été  son  refuge  contre  les  poignants  remords 
que  lui  causait  le  souvenir  de  ses  crimes. 

BOLESLAS  III,  surnommé  Kî'zyu'otisty  (botiche  de  tra- 
vers), fils  d'Vladislas  Herman,  monta  sur  le  trône  en  llO.'i, 
mais  ne  prit  que  le  titre  de  duc  de  Pologne,  pour  complaire 
au  saint-siége,  qui  avait  aboli  le  titre  de  roi  en  Pologne  eu 
même  temps  qu'il  frappait  Boleslas  II  d'excommunication. 
Pour  se  conformer  aux  dernières  volontés  de  son  père,  il 
partagea  ses  États  avec  un  frère  puîné,  Sbignée,  qui  bientôt 
conspira,  puis  se  révolta  même  ouvertement  contre  lui. 
Boleslas,  vainqueur,  fit  grâce  au  coupable,  que  cet  acte  de 
mansuétude  ne  put  ramènera  de  meilleurs  sentiments.  Sbi- 
gnée leva  de  nouveau  l'étendard  de  la  révolte,  et  cette  fois 
Boleslas  se  montra  inexorable.  Cependant,  la  mort  de  ce  frère 
lui  laissa  de  longs  et  vifs  remords,  qu'il  chercha  à  étouffer, 
selon  les  idées  du  temps,  en  entreprenant  force  pèlerinages 
et  en  comblant  de  présents  divers  monastères  et  églises. 
Après  avoir  été  heureux  dans  les  luttes  qu'il  avait  eu  à  sou- 
tenir contre  l'empereur  d'Allemagne,  Henri  IV,  contre  les 
Hongrois  et  les  Poméranieus,  il  vit  la  fortune  finir  par  lui 
être  infidèle  dans  une  grande  expédition  contre  les  Russes, 
qui  attirèrent  son  armée  dans  une  embuscade  près  d'Halicéo 
et  qui  l'y  taillèrent  en  pièces.  Boleslas  mourut  du  chagrin  qut; 
lui  causa  ce  désastre. 

B0LESL.4S  IV,  surnommé  le  Frisé,  ducde  Pologne  comme 
son  père  Boleslas  III,  monta  sur  le  trône  en  1147,  lors  de 
la  déposition  de  son  aîné  Vladislas,  et  mourut  à  Cracovie , 
en  1173.  Ce  fut  en  vain  qu'il  assigna  la  Silésie  en  apanage 
à  son  aîné.  Secondé  par  l'empereur  Frédéric  Barberousse, 
Vladislas  essaya  de  reconquérir  sa  couronne.  Mais  habile  po- 
litique, Boleslas  réussit  à  dissoudre  une  ligue  à  laquelle  il 
n'aurait  pu  longtemps  résister  ;  et  un  mariage  cimenta  bientôt 
l'union  des  deux  souverains  ennemis. 

Sous  prétexte  d'en  convertir  les  habitants,  Boleslas  essaya 
de  se  dédommager  de  la  cession  de  la  Silésie  en  faisant  la 
conquête  de  la  Prusse;  mais  les  deux  expéditions  qu'il  en- 
treprit dans  cette  contrée  furent  impuissantes  à  la  soumettre 
aussi  bien  qu'à  la  convertir,  et  son  armée  y  fut  exterminée. 
Il  eut  encore  à  se  défendre  contre  ses  neveux,  les  fils  de  Vla- 
dislas, qui  voulurent  profiter  de  son  désastre  pour  revendi- 
quer la  couronne  de  leur  père.  Mais  soutenu  par  la  nation, 
il  triompha  de  leurs  prétentions,  et  mourut  paisiblement, 
en  1173. 

BOLESLAS  V,  surnommé  le  Chaste,  fut  élu  duc  de  Po- 
logne en  1220,  au  milieu  des  troubles  qui  agitèrent  la  Po- 
logne après  la  mort  de  Lezko  le  Blanc  et  de  Micislas  le 
Vieux.  Comme  il  n'avait  encore  que  sept  ans,  son  oncle 
Conrad  et  le  duc  de  Silésie  Henri  le  Barbu  se  disputèrent 
longtemps  la  régence.  Déclaré  majeur  en  1237,  il  épousa  Cu- 
négonde  fille  de  Henri.  Cette  princesse,  déterminée  par  une 
dévotion  exagérée ,  avait  fait  vœu  de  chasteté  ;  Boleslas 
imita  son  exemple ,  que  sa  froideur  et  sa  timidité  naturelles 
n«  lui  rendaient  pas  fort  pénible.  Véritable  roi  fainéant,  au 
lieu  de  songer  à  repousser  une  invasion  des  Tatares,  il  se 
réfugia  chez  son  beau^père,  dont  il  abandonna  bientôt  la  cour 
pour  aller  s'enfermer  en  Moravie,  dans  une  abbaye  de  l'ordre 
de  Cîteaux.  Les  Tatares  purent  donc  ravager  impunément 
la  Pologne,  dont  les  populations,  épouvantées,  furent  réduites 
à  se  retirer  dans  les  forêts.  Heureusement  il  s'organisa  contre 
eux  une  croisade,  à  la  tête  de  laquelle  se  plaça  Henri  de 
Breslau ,  qui  eût  anéanti  ces  hordes  dévastatrices  dans  une 
grande  bataille  livrée  sur  les  bords  de  la  Neike,  s'il  n'avait 
pas  péri  au  milieu  de  l'action.  Boleslas  ne  rentra  en  Pologne 
que  lorsque  les  Tatares  l'abandonnèrent;  et  une  autre  inva- 
sion de  ces  mêmes  peuples  lui  fournit  l'occasion  de  l'aire 
preuve  du  même  manque  de  courage.  Il  mourut  en  1 27y. 


BOLET  (ilu  grec  0(ï>).o;,  moite),  genre  de  plantes  cryp- 
togames, appartentint  à  la  famille  des  champignons,  et 
caractérisé  par  un  chapeau  sessile  on  pédoncule,  garni  (d'or- 
dinaire, à  la  surface  inférieure  seulement)  de  tubes  qui  ren- 
ferment les  corps  reproducteurs.  Ce  genre  est  très-nom- 
breux en  espèces,  et  en  France  seulement  on  en  connaît 
plus  de  cent;  mais  nous  devons  nous  borner  à  en  signaler 
quatre,  qui  présentent  des  propriétés  remarquables,  et  sont 
emidoyées,  soit  dans  l'économie  domestique,  soit  en  mé- 
decine, ou  dans  les  arts. 

Le  bolet  onguli/onne  (  boUtus  ungulalus ,  Builiard  ) 
se  trouve  partout  dans  nos  bois,  sur  les  troncs  des  chênes  et 
des  hêtres  :  on  le  connaît  vulgairement  sous  le  nom  d'agaric 
de  chêne.  Il  est  sessile,  attaché  par  le  côté,  et  présente  à 
peu  près  la  forme  d'un  sabot  de  cheval  :  d'où  lui  est  venu 
son  nom.  Sa  chair  est  d'une  couleur  tannée,  d'abord  mollasse 
et  filandreuse,  puis  dure  comme  du  bois;  ses  tubes  sont 
étroits,  réguliers,  de  môme  couleur  que  la  chair;  sa  sur- 
face supérieure  est  grisâtre  ou  ferrugineuse,  quelquefois 
marquée  de  zones  brunes;  si  on  frotte  la  première  écorcc,  on 
en  trouve  dessous  une  seconde,  lis.se  et  d'un  noir  luisant. 
Ce  champignon  continue  très-longtemps  à  s'accroître  :  cha- 
que année  il  se  développe  une  nouvelle  couche  de  tubes,  et 
l'on  retrouve  les  anciennes  au  moyen  d'une  coupe  verticale; 
chacune  des  pousses  dont  le  champignon  s'augmente  suc- 
cessivement tous  les  ans  reste  séparée  de  la  précédente  par 
un  sillon  annulaire  profond  ;  en  sorte  que  le  nombre  de  ces 
.«aillons  indique  l'âge  du  végétal.  Coupé  par  tranches  quand 
il  est  jeune,  et  battu,  ce  bolet  forme  Yagaric  des  chirur- 
giens ,  dont  on  se  sert  pour  arrêter  les  hémorragies  des 
petits  vaisseaux.  Ces  mêmes  tranches  d'agaric  trempées 
dans  une  dissolution  de  nitre ,  séchées  et  battues,  forment 
l'amadou,  dont  on  se  sert  pour  fixer  l'étincelle  qui  s'é- 
choppe du  silex  frappé  par  le  briquet. 

Le  bolet  omadouvier  {bolctus  igniarius,  Builiard;  bo- 
letus  oblusus ,  Decandolle  )  croît  sur  les  saules,  les  frênes, 
les  cerisiers,  les  pruniers ,  etc.  Il  est  sessile,  attaché  par  le 
côté,  demi-orbiculaire  et  obtus.  Sa  chair  est  d'une  couleur 
tannée,  d'abord  de  la  consistance  du  liège,  ensuite  dure 
comme  du  bois;  ses  tubes  sont  courts,  étroits,  très-régu- 
liers ,  de  la  même  couleur  que  la  chair  :  il  vit  longtemps , 
comme  le  précédent,  et  produit  de  même  chaque  année  une 
nouvelle  couche  de  tubes  :  on  retrouve,  au  moyen  d'une 
coupe  verticale,  ces  couches  superposées,  dont  le  nombre 
indique  l'âge  de  l'individu  ;  mais  les  pousses  annuelles  du 
chapeau  ne  sont  pas  séparées  par  des  sillons,  comme  dans 
le  bolet  onguliforme.  Cette  espèce  est  employée  aussi  pour 
fairede  l'amadou.  Les  teinturiers  en  tirent  une  couleur  noire. 

Le  bolet  du  mélèze  [bolctus  laricis,  Jacquin)  se  trouve 
dans  les  Alpes ,  où  il  croît  sur  le  tronc  des  mélèzes.  Il  est 
sessile,  attaché  par  le  côté,  d'une  consistance  molle  et  co- 
riace. Dans  sa  jeunesse  il  a  une  forme  ovoïde  allongée  ;  mais 
il  finit  par  prendre  celle  d'un  sabot  de  cheval.  Sa  chair 
est  d'un  blanc  jaunâtre;  sa  surface  supérieure  est  marquée 
de  quelques  zones  jaunâtres  ou  brunâtres,  peu  prononcées; 
l'inférieure  est  munie  de  tubes  jaunâtres.  Il  est  variable 
dans  sa  grandeur;  mais  le  plus  ordinairement  il  a  dix  ou 
douze  centimètres  de  diamètre.  11  est  employé  en  médecine 
sous  le  nom  d'agaric  officinal ,  et  on  le  trouve  dans  les 
pharmacies  dépouillé  de  son  épiderme  et  desséché;  il  est 
alors  blanc,  spongieux  et  friable.  C'est  un  purgatit  déjà 
mentionné  par  Dioscoride  et  Galien  sous  le  nom  il'àYaptxév, 
et  qui  entre  dans  la  composition  de  la  thériaque,  mais 
dont  les  praticiens  modernes  font  bien  peu  d'usage,  surtout 
en  France.  Les  habitants  des  Alpes  l'emploient  pour  leurs 
troupeaux. 

Le  bolet  comestible  (  boletus  edulis ,  Builiard  )  se  trouve 
pendant  tout  l'été  par  toute  la  France,  dans  les  bois  et  les 
lieux  couverts,  où  il  croît  sur  la  terre.  Il  atteint  jusqu'à 
vingt  centimètres  de  hauteur.  Il  a  un  pédicule  assez  gros, 


BOLET  —  BOLINGBROKE 


cylindrique  ou  quelquefois  ventru,  blanchâtre  ou  fauve, 
avec  des  lignes  en  réseau;  son  chapeau  est  large,  voûté, 
d'une  couleur  ferrugineuse  tirant  sur  le  brun,  quelquefois 
d'un  rouge  de  brique  rembruni,  ou  bien  d'un  rouge  cendré, 
ou  encore  blanc  ou  jaunâtre;  sa  chair  est  blanche,  épaisse, 
ferme,  quelquefois  jaunâtre ,  souvent  d'une  teinte  vineuse 
sous  la  peau  ;  les  tubes  sont  d'abord  blancs ,  ensuite  jau- 
nâtres ou  verdàtres.  Les  bneufs,  les  cerfs,  les  porcs,  le  man- 
gent avec  avidité,  et  il  est  très-recherché  comme  aliment 
et  comme  assaisonnement  dans  le  midi  de  France;  mais 
on  n'en  fait  pas  usnge  k  Paris,  quoiqu'il  se  trouve  commu- 
nément aux  environs  de  cette  ville,  principalement  dans  les 
bois  de  Ville-d'Avray  et  de  Meudon.  On  le  connaît  dans  le 
midi  sous  le  nom  de  ceps,  cèpe,  girole,  giroule,  brïcgnet. 
En  Lorraine  on  le  mange  sous  le  nom  de  champignon  po- 
lonais,  parce  que  ce  sont  des  Polonais  de  la  suite  de  Sta- 
nislas Leczinski  qui  montrèrent  qu'on  en  pouvait  manger 
sans  (langer.  Démezil. 

BOLEYN  (Anne  de).  Voyez  Boulen. 

ISOLIDE.  Voyez  AÉnouTUE. 

BOLINGBROKE  (  Henry  SATNT-JOHN,  vicomte  de), 
célèbre  homme  d'État  et  écrivain  anglais,  né  en  1678,  à  Bat- 
tersea  (comté  de  Surrey),  d'une  famille  ancienne  et  consi- 
dérée, marqua  déjà  à  l'université  d'Oxford  par  la  vivacité 
de  son  esprit  et  par  ses  progrès  dans  toutes  les  branches  des 
connaissances  humaines.  A  son  entrée  dans  le  monde,  il  y  fit 
sensation  par  son  extérieur  séduisant,  par  ses  manières  élé- 
gantes, enfin  par  un  charme  tout  particulier  de  diction  au- 
quel il  était  bien  difficile  de  résister.  Mais  n'écoutant  qua 
ses  passions  et  tout  entier  au  plaisir,  il  ne  fut  jusqu'à  l'âge 
de  vingt-trois  ans  qu'im  débauché  de  bonne  compagnie. 
Dans  l'espoir  de  mettre  un  terme  à  cette  v^  de  désordres, 
son  père  lui  fit  alors  épouser  une  jeune  personne  charmante, 
fille  d'un  baronet,  et  qui  lui  apporta  en  dot  un  million. 
Henry  Saint-John  ne  fut  point  corrigé  par  le  mariage;  ses 
nombreuses  et  éclatantes  infidélités  troublèrent  bientôt  la 
paix  du  toit  conjugal;  et  <lès  lors  les  deux  jeunes  époux 
ne  se  trouvèrent  plus  d'accord  que  pour  se  séparer  à  ja- 
mais. Son  père  essaya  encore  d'un  autre  moyen  pour  le  ra- 
mener à  des  habitudes  plus  régulières  :  ce  fut  de  le  lancer 
dans  la  politique,  et  en  conséquence  de  le  faire  entrer  à  la 
chambre  basse.  Ce  moyen  réussit.  L'éloquence  peu  con)- 
munede  Saint-John,  la  sûreté  de  son  coup  d'oeil,  la  sagacité 
de  ses  appréciations  excitèrent  l'attention  générale;  et  main- 
tenant les  intrigues  de  la  politique  devinrent  la  grande 
préoccupation  de  son  existence.  Il  y  avait  pour  lui  à  choisir 
entre  les  whigs  et  les  tories  ;  son  choix  fut  bientôt  fait,  et 
c'est  pour  les  tories  qu'il  se  décida.  Une  métamorphose 
complète  s'était  opérée  dans  toutes  ses  habitudes  ;  une  infa- 
tigable activité  avait  succédé  en  lui  à  l'horreur  qu'il  avait 
naguère  pour  tonte  espèce  do  travail;  et  Guillaume  III 
suivit  avec  un  intérct  tout  particulier  ces  débuts  parlemen- 
taires ,  qui  annonçaient  à  l'Angleterre  un  homme  d'État  de 
plus.  Dès  1704  Saint-John  était  arrivé  au  pouvoir;  la  reine 
Anne  lui  avait  confié  le  portefeuille  de  la  guerre  dans  le 
cabinet  dont  lord  Harley  avait  la  présidence.  C'est  dans 
l'exercice  de  ces  fonctions  qu'il  se  trouva  amené  à  avoir 
des  relations  directes  avec  Ma  rlboro  ugh,  qui  seconda 
du  mieux  qu'il  put  son  administration,  de  même  que  Saint- 
John  ne  négligea  rien  pour  mettre  à  la  disposition  du  vain- 
queur de  Blenheim  les  ressources  immenses  et  inces.santiw 
qui  lui  étaient  nécessaires  pour  mener  avec  vigueur  la 
guerre  contre  la  France.  Ces  deux  honunes  appartenaient 
l)Ourtant  à  deux  partis  ennemis;  mais  l'intérêt  de  leur  pays 
les  rapprochait,  et  leur  faisait  momentanément  oublier  les 
profondes  dissidences  politiques  qui  les  séparaient.  Le  mo- 
ment vint  où,  par  le  jeu  naturel  de  ces  institutions  repré- 
sentatives qui  sont  la  gloire  de  l'Angleterre,  les  whigs  par- 
vinrent à  ressaisir  le  pouvoir  et  à  renverser  les  tories  (170S). 
Saint-John  suivit  dans  sa  retraite  lord  Harley.  Mais  les  affec- 


4 


BOLIINGBROKE 


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tions  secrètes  de  la  reine  Anne  étant  tontes  pour  les  tories, 
Saint-John,  ministre  déclin,  ne  laissa  pas  que  d'entretenir 
toujours  de  mystérieuses  relations  avec  sa  souveraine,  qui 
manquait  rarement  de  prendre  son  avis  dans  les  affaires 
importantes,  et  cela  à  l'insu  de  ses  conseillers  ofliciels. 

Deux  années  s'écoulèrent  de  la  sorte  pendant  lesquelles 
les  whigs,  protégés  par  la  gloire  de  Marlborougb ,  conti- 
nuèrent de  diriger  les  affaires  du  pays  en  s'efforçant  de  don- 
ner à  la  guerre  contre  la  France  des  proportions  de  plus  en 
plus  formidables;  tandis  que  Saint-John  utilisait  les  loisirs  j 
que  lui  avait  faits  sa  défaite  parlementaire  pour  se  livrer  à  ] 
une  étude  encore  plus  approfondie  des  arcanes  de  la  poii-  j 
tique.  On  sait  que  vers  ce  temps-là  Anne  se  décida  à  secouer 
le  joug  insupportable  que  faisait  peser  sur  elle  la  duchesse 
de  Marlborough,  qui,  dans  l'enivrement  de  ses  grandeurs, 
oubliait  trop  qu'elle  n'était  que  l'une  des  premières  sujettes 
de  la  reine;  et  que  cette  pi  incesse  la  remplaça  dans  les 
fonctions  de  grande -maîtresse  de  sa  maison  par  une  nou- 
velle favorite,  lady  Marsbam,  toute  dévouée  au  parti  tory. 
Cette  petite  révolution  dans  l'intérieur  du  i»alais  ne  tarda 
point  à  en  amener  une  grande  dans  les  hautes  sphères  de 
la  politique.  On  sait  aussi  que  la  paixd'Utrecht  eu  fut  l'une 
des  conséquences;  mais  ce  serait  ime  erreur  que  de  penser 
que  la  pacification  de  l'Europe  ait  été  le  résultat  immédiat 
de  la  rentrée  des  tories  aux  affaires. 

La  guerre  était  alors  extrêmement  populaire  en  Angleterre; 
elle  avait  donné  de  la  gloire  militaire  à  la  nation  en  même 
temps  qu'im  énorme  développement  à  sa  puissance  maritime. 
Imprimer  à  l'opinion  un  courant  contraire,  faire  comprendre 
au  paysqu'endéfuiitiveon  lui  faisait  payer  sa  gloire  bien  cher, 
et  l'amener  à  souhaiter  la  lin  d'une  guerre  qui  avait  valu  à  ses 
armes  quelques-uns  des  plus  éclatants  triomphes  dont  fassent 
mention  les  annales  anglaises,  ne  pouvait  être  l'affaire  d'un 
jour.  C'est  en  1710  que  s'accomplit  la  révolution  de  palais 
qui  amena  la  création  d'un  nouveau  cabinet,  dans  lequel  Saint- 
John  eut  le  département  des  affaires  étrangères,  et  la  guerre 
dura  encore  près  de  trois  années.  Mais  le  second  ministère  de 
Harley  (créé  alors  comte  d'Oxford)  avait  dû  se  constituer 
avec  un  programme  différent  de  celui  qu'il  remplaçait;  sans 
quoi  ce  brusque  changement  dans  le  personnel  des  gouver- 
nants n'aurait  pas  eu  de  raison  d'être.  Dès  lors,  il  y  avait  pour 
lui  nécessité  de  prendre  aussi  bien  à  l'extérieur  qu'à  l'inté- 
rieur une  attitude  autre  que  les  whigs  ;  et  Saint-John  en  pro- 
fita habilement  pour  faire  prévaloir,  en  dépit  des  hésitations 
de  la  cour  et  môme  de  l'opposition  de  certains  de  ses  collè- 
gues, ses  idées  personnelles  sur  la  manière  de  mettre  fin  à  la 
crise  à  laquelle  l'Euroiie  était  en  proie  depuis  si  longtemps. 

La  presse,  qui  depuis  près  d'un  siècle  jouait  un  rôle  si 
important  dans  la  constitution  anglaise,  fut  le  levier  dont  il 
se  servit  pour  déplacer  l'axe  des  influences.  Un  journal  fut 
fondé,  TJie  Examiner,  à  la  rédaction  duquel  prirent  part 
des  hommes  tels  que  Prior,  Swift  et  Alterbury,  en  môme  temps 
<iue  Saint-JoliVi,  en  dépit  de  ses  occupations,  trouvait  encore 
le  temps  d'y  insérer  (réquemment  des  articles,  qui  atta- 
«luaient  la  question  par  son  côté  pratique  et  positif.  Avec  son 
bon  sens  ordinaire,  John  liull,  quand  on  lui  eut  démontré, 
par  exemple,  que  la  prise  de  Bouchain,  le  seul  exploit  qui 
«Ut  marqué  la  campagne  de  1711,  lui  coûtait  au  delà  de  sept 
millions  de  livres  st.,  comprit  qu'il  faisait  là  un  métier  de 
dupe,  et  qu'il  s'épuisait  d'hommes  et  d'argent  pour  faire  la 
grandeur  de  l'Autriche  et  engraisser  les  priucipicules  de  l'Al- 
lemagne, alors  encore  bien  autrement  nombreux  qu'aujour- 
d'hui. En  parlant  i\&prix  de  revient,  Saint-John  savait  qu'il 
serait  écouté  ;  et  effectivement  il  s'opéra  alors  bientôt  dans 
l'opinion  publique  un  si  complet  revirement,  que  les  con- 
férences pour  la  paix  purent  s'ouvrira  Utrecht.  A  celte  époque 
il  se  montra  homme  d'Etat  et  politique  habile;  car  [)0ur 
amener  la  conclusion  de  ce  traité  si  célèbre,  resté  pendant 
la  plus  grande  partie  du  dix-huitième  siècle  la  base  du  droit 
public  européen,   il  lui  fallut  ul'i;  ;?e;t;leaieal   triompher  de 


l'opposilion  des  whigs,  eten  particulier  de  celle  de  la  chambre 
haute,  où  ce  parti  avait  conservé  l'ascendant  que  des  élec- 
tions nouvelles  et  générales  lui  avaient  fait  perdre  en  17 10  dans 
le  scindes  communes,  mais  encore  entraîner  des  collègues 
imprudents,  irrésolus,  envieux  même,  et  enlever  de  haute 
lutte  l'assentiment  de  la  reine,  princesse  faible  et  affaiblie 
encore  par  la  maladie. 

La  paix,  d'ailleurs,  n'eut  pas  été  plus  tôt  signée ,  que  la 
discorde  éclata  au  sein  du  cabinet.  Le  comte  d'Oxford ,  qui 
cessa  de  s'entendre  avec  Saint-John ,  créé  déjà  six  mois 
avant  la  signature  du  traité  d'Utrecht  vicomte  de  Boling- 
broke,  dut  donner  sa  démission  des  fonctions  de  premier  lord 
<le  la  trésorerie;  et  la  reine  le  remplaça  à  la  direction  des  af- 
faires par  son  rival.  Mais  quatre  jours  après  ce  remaniement 
ministériel,  Anne  descendait  au  tombeau.  Il  fut  impossible 
alors  à  Bolingbroke  de  se  justifier  de  l'accusation  d'avoir 
voulu  détruire  ce  qu'on  appelait  la  succession  protestante, 
c'est-à-dire  la  succession  dans  la  ligne  de  la  maison  de  Ha- 
novre ,  et  d'avoir  travaillé  au  rétablissement  des  Stuarts, 
que  la  mort  de  Jacques  II  semblait  avoir  rendu  plus  facile  : 
aussi  l'un  des  premiers  actes  de  Georges  III,  en  touchant  le 
sol  anglais,  fut-il  de  renvoyer  des  ministres  qui  avaient  ou- 
vertement travaillé  dans  les  intérêts  du  prétendant.  Les  en- 
nemis de  Bolingbrolie  ne  s'en  tinrent  pas  là,  et  annoncèrent 
hautement  le  projet  de  lui  intenter  un  procès  de  haute  tra- 
hison ;  et  celui-ci,  ne  se  sentant  plus  en  sûreté  sur  le  sol  an- 
glais, mit  prudemment  le  détroit  entre  lui  et  ses  adversaires, 
qui,  réalisant  effectivement  leurs  menaces,  le  firent  déclarer 
par  contumace  coupable  de  haute  trahison  et  condamner 
à  la  peine  capitale  ainsi  qu'à  la  confiscation  de  ses  biens. 

N'ayant  plus  rien  à  ménager,  et  croyant  toujours  à  l'effi- 
cacité de  l'appui  de  la  France  pour  la  cause  des  Stuarts,  Bo- 
lingbroke se  rendit  alors  à  Commercy  en  Lorraine,  auprès  du 
prétendant,  qui  se  bâta  delenouimer  sonfrarde  des  sceaux 
et  de  l'envoyer  à  Paris  pour  y  soigner  ses  iidérêts.  Mais 
Louis  XIV  une  fois  mort,  Bolingbroke  comprit  qu'une 
pohtique  nouvelle  allait  guider  le  régent  dans  ses  rapports 
avec  l'Angleterre,  que  les  Stuarts  ne  devaient  plus  compter 
sur  l'appui  de  la  France,  et  que  dès  lors  leur  cause  était  ir- 
rémissihlement  perdue.  Son  parti  en  fut  bientôt  pris;  il  se 
brouilla  avec  le  prétendant,  dont  il  avait  reconnu  l'impuis- 
sance et  la  nullité,  et  qui  lui  ôta  sa  charge  de  garde  des 
sceaux  ;  puis  il  chercha,  par  l'intermédiaiie  de  lord  Stairs,  am- 
bassadeur d'Angleterre  à  Paris,  à  se  rapprocher  de  Georges  T'". 
Le  gouvernement  anglais  lui  proposa  de  lui  acheter  les  se- 
crets du  prétendant,  dont  il  av«it  dû  avoir  connaissance.  Si 
Bolingbroke  se  refusa  à  celte  trahison,  il  n'en  est  pas  moins 
avéré  qu'il  agit  désormais  tout  à  fait  dans  les  intérêts  de  la 
maison  de  Hanovre,  qui  paya  ses  bons  offices  patents  ou  se- 
crets en  faisant  casser  l'arrêt  qui  l'avait  condamné  par  con- 
tumace. Toutefois,  comme  le  premier  nrtnistre  Wal pôle  re- 
doutait toujours  l'influence  que  Bolingbroke,  avec  sou  esprit 
si  souple  et  si  délié,  pourrait  exercer  sur  les  affaires,  et  que 
d'ailleurs  on  comptait  toujours  dans  la  chambre  des  com- 
munes la  majorité  qui  lui  avait  été  si  hostile  à  l'avènement 
de  nouveau  roi ,  ce  ne  fut  qu'en  1723  qu'il  lui  fut  permis  de 
rentrer  en  Angleterre  ;  et  encore  lui  fallut-il  pour  cela  gagner 
à  i)rix  d'or  à  ses  intérêts  la  duchesse  de  Kendale,  maîtresse 
de  Georges  l".  Ses  biens  ne  lui  furent  même  rendus  quedeux 
ans  plus  tard. 

Pendant  ce  long  exil,  il  avait  épousé  une  nièce  de  M""'  de 
Maiulenon,  la  veuve  du  marquis  de  Villette.et,  comme  tant 
d'ambitieux  auxquels  la  fortune  contraire  fait  des  loisirs  dont 
ils  enragent,  il  s'était  mis  à  écrire.  Ses  Réflexions  upon 
exile  et  ses  Memoirs  on  the  affairs  of  England  ,  from 
1710  to  17 IC,  ouvrage  qui  jette  une  vive  lumière  sur  l'his- 
toire d'Angleterre  pendantle  premier  quart  du  dix-huit-éme 
siècle,  datent  de  cette  époque. 

De  retour  dans  sa  patrie,  il  vécut  d'abord  dans  une  soli- 
tude complète,  à  Dawley,  près  dUxbiidge,  entretenant  uçai 


3S8 


BOLINGBROKE  —  BOLIVAR 


correspondance  toute  littéraire  avec  ses  anciens  amis  Pope 
tt  Swift;  mais  une  opposition  ayant  commencé  enfin  à  se 
'lessiner  dans  l'une  et  {'autre  chambre  contre  les  ministres 
<lu  prince,  qui,  en  haine  du  papisme,  avait  été  aussi  bien  ac- 
cueilli en  Angleterre  que  Guillaume  Illen  1688,  Bolingbroke 
ne  put  résister  à  la  tentation  de  se  mêler  de  nouveau  aux 
affaires  de  la  politique  ;  et  comme  l'influence,  toujours  pré- 
pondérante, de  Walpole était  un  obstacle  à  ce  qu'on  lui  rendit 
son  siège  à  la  chambre  haute,  il  fit  au  ministère  pendant  dix 
ans,  de  1726  à  1736,  une  guerre  des  plus  actives  de  pam- 
jiîileiset  d'articles  de  journaux.  On  cite  surtout  comme  ayant 
exercé  une  grande  influence  ceux  qu'il  fit  paraître  dans  le 
iHcueil  intitulé  The  Craftsman.  C'est  à  cette  époque  aussi 
«^ii'il  écrivait  sa  célèbre  Dissertation  on  parties  ,  regardée 
<!omme  son  chef-d'œuvre.  Fatigué,  découragé  peut-être  de 
l'inutilité  de  ses  efforts  pour  renverser  Walpole,  il  se  retira 
encore  une  fois  en  France,  aux  environs  de  Fontainebleau  ; 
et  c'est  là  qu'il  composa  ses  Letters  on  the  Sttcdy  of  his- 
tory,  où,  triste  précurseur  des  encyclopédistes,  il  attaquait 
<!e  la  manière  la  plus  violente  les  bases  même  de  la  religion 
chrétienne,  que  précédemment  il  avait  défendue  avec  beau- 
coup de  talent.  C'est  dans  cet  ouvrage,  qui  ne  parut  qu'a- 
près sa  mort,  qu'il  assimile  le  Pentateuque  aux  aventures 
de  don  Quichotte.  Toute  religion  révélée  n'est  à  ses  yeux 
qu'absurdité.  Dans  le  Nouveau  Testament  il  distingue  l'É- 
vangile de  Jésus-Christ  de  celui  de  saint  Paul  :  l'un,  premier 
résumé  de  la  loi  naturelle  et  de  la  philosophie  de  Platon; 
l'autre,  ramas  de  doctrines  impies.  La  polygamie  lui  parait 
chose  désirable,  et  il  nie  l'immortalité  de  l'àme. 

L'inquiétude  naturelle  à  sou  esprit  et  peut-être  bien  aussi 
le  désir  de  revoir  le  sol  natal  le  ramenèrent  encore  une  fois 
en  Angleterre,  où,  en  1738,  il  écrivit  sous  les  yeux  du  prince 
de  Galles  persécuté  par  Walpole,  et  dont  il  était  devenu  l'un 
(les  familiers,  Idea  of  a  patriot  King.  Avant  de  mourir  il 
eut  la  satisfaction  d'assister  à  la  chute  de  son  ennemi  Wal- 
pole. Lorsque  la  mort  vint  le  frapper,  en  1751,  à  la  suite 
d'une  longue  maladie,  il  avait  depuis  longtemps  recouvré  tous 
ses  titres  et  dignités ,  et  il  mettait  la  dernière  main  à  des 
Considérations  sur  la  situation  de  la  nation.  Son  second  ma- 
riage avait  été  plus  heureux  que  le  premier.  Il  avait  ten- 
drement aimé  la  marquise  de  Villette;  et  devenu  veuf,  il  la 
regretta  d'autant  plus  vivement  qu'il  n'avait  pas  la  conso- 
lation d'avoir  des  enfants.  11  légua  ses  manuscrits  au  poète 
écossais  Mallet,  en  le  chargeant  de  publier  une  édition  de 
ses  œuvres.  Mallet  s'acquitta  fidèlement  de  la  mission  qui 
lui  avait  été  confiée,  et  fit  paraître  les  œuvres  complètes  de 
15olingbroke,de  175»  à  1754  (5  volumes).  11  était  difficile  que 
dans  un  pays  si  religieux  la  publication  des  Letters  on  the 
Stîtdtf  of  history  ne  produisit  pas  un  vif  scandale.  Aussi  le 
grand  jury  convoqué  à  Westminster  condamna-t-il  h  l'una- 
nimité cet  ouvrage  comme  un  livre  également  pernicieux 
pour  les  mœurs,  la  religion,  l'État  et  la  tranquillité  publique. 
Goldsmith  l'a  réimprimé  en  1809,  et  l'a  fait  précéder  d'une 
liLographie  df  l'antpur. 

liOUVAR  (  Simon)  naquit  d'une  famille  distinguée,  à 
l  aracas,  en  1785.  H  fut  du  [letit  nombre  des  créoles  aiixcpiels 
h»  gouvernement  ombrageux  de  l'Espagne  permettait  d'aller 
faire  leurs  études  à  Madrid,  et,  par  une  faveur  plus  spéciale 
tuc.ore,  il  obtint  l'autorisation  de  visiter  le  reste  de  l'F.urope. 
Durant  son  séjour  à  Paris,  il  s'occupa  surtout  d'acquérir  les 
connaissances  nécessaires  au  guerrier  et  à  l'homme  d'État  ; 
il  fréquenta  les  cours  publics,  particulièrement  ceux  des 
Écoles  Normale  et  Polytechnique,  devint  Pami  de  MM.  de 
Humholdtet  Bonpland,  et  voyagea  avec  eux  en  Angleterre, 
en  Italie,  en  Allemagne. 

De  retour  à  Madrid,  la  tête  pleine  des  institutions  qu'il 
;nhit  admirées  parmi  nous,  il  épousa  la  fille  du  marquis 
d'IJstarifz,  et  revint  en  Amérique.  Tout  y  annonçait  uneex- 
{-.l.isioii  prochaine.  De  justes  plaintes  sans  cesse  réitérées 
u obtenaient  de  la  métropole  ipic  des  réjonses  cvasivcs. 


L'Escurial  persistait  dans  son  affreux  système  colonial.  Tonl 
à  coup  on  apprend  à  Caracas  qu'une  armée  française  a  en- 
vahi l'Espagne;  bientôt  la  double  abdication  de  Charles  IV 
et  de  Ferdinand  VII  vient  mettre  le  sceptre  de  la  péninsule 
entre  les  mains  de  Joseph  Bonaparte.  Placés  entre  des  ordres 
contradictoires,  les  colons  restèrent  longtemps  fidèles  à  la 
cause  du  malheur;  se  voyant  enfin  méconnus  de  ceux  qu'ils 
voulaient  servir,  ils  secouèrent  le  joug  et  se  constituèrent  en 
congrès  national.  Bolivar  pouvait  jouer  un  grand  rôle  dans 
cette  assemblée;  mais,  ses  principaux  membres  ne  lui  ins- 
pirant pas  une  grande  confiance,  il  refusa  d'en  faire  partie. 
Ce  ne  fut  qu'en  1812,  lorsqu'il  vit  qu'un  tremblement  de 
terre  qui  avait  englouti  une  grande  partie  de  la  population 
vénézuélienne,  l'anniversaire  même  du  jour  de  l'insurrec- 
tion, devenait  entre  les  mains  des  prêtres  un  moyen  deperdre 
la  liberté  au  nom  du  ciel ,  qu'il  renonça  spontanément  à 
l'inaction  à  laquelle  il  s'était  voué.  Il  courut  offrir  ses  ser- 
vices au  général  Miranda,  qui  du  temps  deDumouriez  avait 
combattu  dans  les  rangs  de  l'armée  française,  et  qui  consa- 
crait les  restes  de  sa  vie  à  la  défense  de  sa  terre  natale. 
Leurs  premières  tentatives  ne  furent  pas  heureuses  :  Bolivar, 
nommé  colonel  et  investi  du  commandement  de  Puerto-Ca- 
bello,  laissa  surprendre  la  citadelle  par  des  prisonniers  es- 
pagnols qui  y  étaient  enfermés ,  et  fut  obligé  de  se  retirer  à 
la  Guayra. 

Sur  ces  entrefaites,  Miranda,  cerné  par  des  force»  supé- 
rieures, capitulait  à  des  conditions  honorables  pour  lui  et  se» 
concitoyens.  Cette  capitulation  devait  être  aussitôt  violée 
que  conclue.  Le  vieux  général,  chargé  de  fers,  fut  envoyé 
à  Cadix  ,  où  il  mourut,  dans  un  cachot. 

Cependant,  l'échec  éprouvé  par  Bolivar  ne  lui  avait  pas 
aliéné  le  cœur  de  ses  soldats.  Le  congrès  de  la  Nouvelle- 
Grenade  lui  confia  un  corps  de  six  mille  hommes,  avec  le- 
quel il  traversa  les  Andes,  battit  les  Espagnols,  et  s'empara 
des  provinces  de  Tunja  et  de  Pamplona.  Son  lieutenant  Dri- 
ccno,  moins  heureux,  tomba  dans  leurs  mains,  et  fut  fusillé 
avec  sept  de  ses  officiers.  Ces  froids  assassinats  indignèrent 
Bolivar,  qui  avait  toujouis  fait  la  guerre  avec  modération. 
Les  habitants,  exaspérés,  venaient  se  ranger  en  foule  sous 
ses  drapeaux;  il  se  vit  bientôt  à  la  tête  dune  armée  assez 
nombreuse  pour  pouvoir  marcher  sur  Caracas.  Le  général 
espagnol  Monteverde  accourut  à  sa  rencontre  avec  l'élile  de 
ses  troupes  :  la  victoire  fut  longtemps  disputée;  mais, 
la  cavalerie  royale  ayant  passé  du  côté  des  indépendants , 
Monteverde,  avec  ses  débris,  alla  s'enfermer  dans  Puerto- 
Cabello;  Bolivar  entra  vainqueur  à  Caracas,  et  proclama 
l'oubli  du  passé.  Tout  Venezuela,  à  l'exception  de  Puerto- 
Cabello ,  s'était  rallié  aux  indépendants.  Leur  chef,  toujours 
magnanime,  fit  proposer  un  échange  de  prisonniers;  mai» 
Monteverde  repoussa  avec  orgueil  une  transaction  qui 
devait  accroître  ses  rangs  de  deux  fois  plus  d'hommes  qu'il 
n'en  aurait  rendu.  Il  fit  plus  :  ralliant  toutes  ses  forces ,  il 
vint  chercher  les  républicains  près  d'Agua-Caliente.  Le  sort 
trahit  encore  sa  valeur;  son  armée  fut  taillée  en  pièces  ,  et 
lui-même,  grièvement  blessé,  fut  reporté  à  Puerto-Cabello. 
Bolivar  espéra  mieux  de  .<;on  successeur  Salomon;  il  lui  dé- 
pêcha Salvador  Garcia,  prêtre  vénérable,  qui  lui  semblait 
devoir  être  respecté  de  tous  les  partis  ;  mais  le  nouveau  gé- 
néral espagnol  le  fit  charger  de  fers  et  jeter  dans  un  cachot. 
Bolivar,  indigné,  cerna  la  forteresse  par  torre  et  par  mer; 
on  l'attaqua  avec  fureur ,  on  emporta  ses  principaux  ou- 
vrages, on  la  réduisit  à  une  affreuse  famine.  La  fermeté 
des  Espagnols  était  à  l'épreuve  des  privations  et  des  dangers. 
Décimés  par  le  fer,  en  proie  aux  maladies,  exténués  par  la 
faim,  .sans  espoir  de  secours ,  ils  restèrent  inébranlables. 

Tandis  que  Bolivar  remiait  de  si  grands  services  à  la  cause 
de  la  liberté ,  il  faillit  perdre  toute  l'influence  que  ses  vic- 
toires lui  avaient  acquise.  Le  congrès  de  la  Nouvelle-Gre- 
nade lui  avait  intimé  l'ordre  de  rétablir  le  gouverne.Tient  ci- 
vil dans  la  province  de  Caracas;  il  hésita  à  déposer  respôtK 


BOLIVAR 


SS9 


de  tliclatnre  qu'on  lui  avait  confiée  dans  des  circonstances 
(lirticiles.  Des  murmures  lui  apprirent  qu'il  s'était  mépris.  Il 
s'euipressa  de  réparer  ce  moment  d'erreur,  et  convoqua  une 
assemblée  jzénérale  pour  le  2  janvier  1814.  Là  ,  il  rendit  un 
compte  scrupuleux  de  ses  opérations  et  de  ses  plans,  et  of- 
frit sa  démission.  Cette  démarche  raffermit  sou  pouvoir 
chancelant  :  sa  démission  fut  refusée  d'une  voix  unanime, 
et  sa  dictature  continuée  jusqu'au  moment  où  Venezuela 
IHJurrait  être  réunie  à  la  Nouvelle-Grenade.  Les  royalistes, 
convaincus  de  l'inutilité  de  leurs  efforts ,  soulevèrent  secrè- 
tement les  esclaves,  et  les  organisèrent  en  bandes  irrégnlières. 
A  la  tête  de  ces  malfaiteurs  se  distinguait  le  féroce  Pny, 
(]ui,  s'étant  emparé  de  Varinas,  y  fit  fusiller  en  un  jour  cinq 
cents  patriotes.  Bolivar,  exaspéré  de  ce  crime,  sortit  de  son 
caractère,  et  ordonna  de  mettre  à  mort  huit  cents  prisonniers 
espagnols;  il  battit  successivement  Bovès,  le  mulâtre  Ro- 
sette et  le  chef  de  guérillas  Yanès.  Mais  ces  succès  réité- 
rés lui  inspirèrent  trop  de  confiance;  il  commit  la  double 
faute  d'éparpiller  ses  forces  et  de  s'aventurer  dans  de  vastes 
plaines,  où  la  cavalerie  espagnole  avait  toiit  l'avantage, 
liattu  à  son  tour,  il  ne  put  tenir  tête  à  l'ennemi;  il  lui 
fallut  lever  le  siège  de  Puerto -Côbello  et  s'embarquer 
pour  Cumana ,  où  il  n'amena  que  des  débris.  Les  Espa- 
gnols, vainqueurs,  rentrèrent  dans  Caracas  et  dans  La 
Guayra. 

Toutefois,  les  désastres  de  Bolivar  ne  l'avaient  point  abattu. 
Il  reparait  à  Araguita,  dans  la  province  de  Barcelone,  mais 
c'est  pour  s'y  faire  battre  de  nouveau.  Plus  heureux,  il  s'em- 
pare de  Santa-Fé  de  Bogota  ;  mais  il  échoue  devant  Sainte- 
IMarthe.  "Voyant  l'inutilité  de  ses  efforts,  il  joint  ses  troupes 
à  la  garnison  de  Carthagène,  qu'assiégeait  Morillo ,  et  s'em- 
barque seul  pour  la  Jamaïque,  d'où  il  espère  ramener  des 
f  ecours.  Le  défaut  d'argent  multiplia  les  difficultés  ;  et  quand 
il  revint  avec  des  troupes  fraîches,  Carthagène  s'était  ren- 
due, après  quatre  mois  de  combats  et  de  privations.  Cepen- 
«lant  les  Espagnols  commençaient  à  trouver  dans  leur  pros- 
périté même  le  principe  de  leur  ruine.  Les  colons,  humiliés 
par  eux,  se  détachaient  de  leurs  drapeaux ,  et  le  pays  se  cou- 
vrait de  guérillas.  Ce  fut  dans  ces  circonstances ,  vers  la 
tin  de  mars  1816 ,  que  Bolivar  débarqua,  à  la  tête  de  ses 
renforts.  Il  avait  avec  lui  Brion ,  à  qui  son  dévouement  avait 
mérité  le  litre  de  citoyen  de  Carthagène,  et  deux  bataillons 
<le  noirs,  que  le  président  Pétion  lui  avait  envoyés  de 
Saint-Domingue.  L'Écossais  Mac-Grégor  commandait  son 
avant-garde.  Le  chef  de  l'armée  libératrice  se  faisait  précé- 
der d'une  proclamation  où  il  promettait  à  tous  l'union, 
l'oubli,  la  tolérance,  l'affranchissement  des  esclaves.  Qui  le 
croirait  ?  cette  proclamation ,  si  propre  à  exciter  l'enthou- 
siasme, n'eut  d'autre  effet  que  d'alarmer  la  cupidité.  En  vain 
Bolivar  avait  donné  l'exemple  en  affranchissant  ses  nègres 
et  en  les  rangeant  comme  volontaires  sous  les  drapeaux  de 
la  liberté  ;  les  colons  de  Venezuela ,  qui  regardaient  leurs 
noirs  comme  une  propriété,  arimèrent  mieux  être  riches  que 
libres,  et  abandonnèrent  celui  qui  venait  les  délivrer.  Il 
lut  encore  obligé  de  battre  en  retraite  devant  les  Espagnols. 
Réfugié  aux  Cayes ,  il  faillit  y  périr  sous  le  poignard  des 
royalistes.  Mais  rien  ne  pouvait  altérer  son  courage  et  le 
faire  renoncer  à  ses  projets  ;  il  convoqua  un  congrès  général 
à  l'île  de  Margarita,  et  établit  un  gouvernement  provisoire  à 
Barcelone.  ÎSIorillo  vint  l'assiéger  dans  cette  place,  et  obtint 
d'abord  quelques  succès,  que  Bolivar  rendit  inutiles  en  in- 
cendiant ses  propres  vaisseaux.  On  se  battit  les  trois  jours 
suivants  ;  enfin ,  la  victoire  se  déclara  pour  les  républicains, 
qui  s'emparèrent  du  camp  espagnol,  et  reprirent  la  supério- 
rité sur  tous  les  points. 

Nommé  chef  suprême  de  Venezuela  sur  la  fin  de  cette 
même  année ,  Bolivar  établit  son  quartier  général  à  Angus- 
tura,  et  poursuivit  le  cours  de  ses  victoùes,  secondé  par 
son  lii'ulcnant  Paez  et  par  .sa  vaillante  cavalerie.  Les  Ks- 
ïwgnols,  desespérant  de  le  vaincre,  essayèrent  de  l'assas- 


siner. Un  traître,  suivi  de  douze  hommes ,  ijénétra  de  nuit 
dans  la  tente  du  général ,  qui  lui  échappa  presque  nu.  Les 
deux  armées  étaient  également  affaiblies.  L'affaire  de  Seba- 
nos  de  Coxedo,  où  la  victoire  resta  indécise,  termina  la 
campagne  de  1818.  Le  15  lévrier  1819  Bolivar  ouvrit  à 
Angustura  le  congrès  général  de  la  républiiiue;  il  lui  pré- 
senta un  plan  de  constitution,  et  se  démit  du  pouvoir  su- 
prême ;  mais  on  le  pressa  de  reprendre  une  autorité  qui 
pouvait  être  encore  utile,  et  il  y  consentit.  11  avait  réorga- 
nisé l'armée ,  il  résolut  de  tenter  le  passage  des  Cordillères; 
ses  trf^ipes  éprouvèrent  de  grandes  fatigues  dans  cette  région 
cscaiiiée,  stérile,  entrecoupée  de  torrents.  Enfin,  arrivé 
le  1"  juillet  dans  la  vallée  de  Sagaraoso,  il  rencontra  3,500 
Espagnols  sur  les  hauteurs  qui  la  dominent,  les  attaqua  avec 
des  troupes  inférieures  en  nombre  et  harassées,  les  cul- 
buta ,  et  le  soir  même  Tunja  fut  en  son  pouvoir.  La  bataille 
de  Boyaca  lui  ouvrit  les  portes  de  Santa-Fé  :  il  fit  prison- 
nier le  général  en  chef  Barreizo,  et  s'empara  d'un  millier  do 
piastres  laissées  par  le  vice-roi  Samana.  La  Nouvelle-Gre- 
nade demanda  à  s'unir  à  Venezuela,  et  choisit  Bolivar  pour 
son  président.  Après  avoir  confié  la  vice-présidence  à  San- 
tander,  il  repritla  route  d' Angustura ,  à  la  tête  de  ses  troupes. 
Son  arrivée  fut  une  marche  triomphale.  Le  congrès  général 
réunit  les  deux  provinces,  sous  le  nom  de  Colombie,  en 
l'honneur  de  Christophe  Colomb.  Bolivar,  vainqueur  à  Ca- 
rabobo,  le  5  janvier  1820,  songeait  à  poursuivre  le  cours  de 
ses  travaux ,  quand  la  nouvelle  de  la  révolution  espagnole 
parvint  en  Amérique.  Il  fit  proposer  à  Morillo  de  cesser  une 
guerre  qui  n'avait  que  trop  duré  pour  le  malheur  des  peu- 
ples; Morillo  accueillit  cette  ouverture  avec  empressement, 
et  un  armistice  fut  conclu  à  Truxillo.  L'Espagne  reconnais- 
sait Bolivar  comme  chef  suprême  de  la  Colombie  ;  mais 
Bolivar  refusa  de  reconnaître  la  souveraineté  de  l'Espagne. 
Les  prétentions  étaient  trop  opposées  pour  qu'on  juit  s'en- 
tendre. Pendant  ces  pourparlers,  les  deux  chefs,  égaux  en 
loyauté ,  reposèrent  une  nuit  entière  dans  la  même  chambre. 
Tant  que  dura  la  liberté  espagnole ,  les  hostilités  cessèrent, 
et  l'on  ne  songea  qu'aux  négociations  ;  mais  la  destruction 
du  système  constitutionnel  en  Espagne  et  le  projet  avoué  de 
reconquérir  les  républiques  américaines  changèrent  la  face 
des  choses.  Bolivar  se  prépara  de  nouveau  aux  combats.  Le 
général  espagnol  Morales,  poursuivi  par  les  forces  colom- 
biennes réunies ,  se  vit  forcé  d'aller  chercher  un  refuge  dans 
les  murs  de  Jlaracaïbo,  où  il  ne  tarda  pas  à  être  cerné  par 
les  républicains. 

Une  grande  contrée  restait  dans  l'Amérique  du  Su<l  sous 
la  domination  espagnole.  Bolivar  accepta  la  glorieuse  mis- 
sion d'aller  aider  le  P  é  ro  u  à  reconquérir  son  indépendance. 
Il  partit  de  Popayan  le  1 2  mars  1823 ,  à  la  tête  de  7,000  hom- 
mes. La  plume  essayerait  en  vain  de  peindre  tout  ce  qu'il 
eut  à  souffrir  pendant  vingt-cinq  jours  qu'il  suivit  la  crête 
des  Andes,  à  travers  des  rochers,  des  ravins ,  des  précipi- 
ces ,  dont  jamais  nul  pied  humain  n'avait  approché ,  h  tra- 
vers des  forêts ,  des  buissons ,  regardés  comme  impénétra- 
bles ,  parmi  des  herbes  épaisses  qui  dépassaient  la  tête  de 
ses  soldats.  L'eau  manquait  souvent.  Souvent  les  sauvages 
égorgeaient  les  traînards.  Enfin,  les  colonnes  commencèrent  à 
se  concentrer  le  28  mai  dans  les  environs  de  Pasto ,  et  bientôt 
cette  ville  et  Quito  avaient  arboré  l'étendard  de  l'indépen- 
dance. Bolivar  fut  accueilli  en  libérateur  par  les  autorités 
péruviennes.  Ce  fut  à  Lima  qu'il  apprit  que  Puerto-Cabello 
avait  cédé  aux  efforts  réunis  de  ses  lieutenants  Paci  et 
Bermudez ,  et  que  la  garnison  e.spagnole  avait  été  embar- 
quée pour  Cuba.  Les  mémorables  victoires  de  Junio  et 
d'Ayacucho  assurèrent  la  délivrance  du  Pérou,  qu'acheva 
la  reddition  de  la  forteresse  de  Callao.  Mais  le  poignard  du 
royalisme  poursuivait  encore  Bolivar  chez  le  peuple  qu'il 
rendait  à  l'indépendance.  Le  30  janvier  1825  Bernard  Mon- 
teagudo,  son  ami,  .son  confident,  fut  a.ssassiné  en  plein 
jour  sur  i.-nc  dc>  places  de  Lima.   L'n  poignard  pareil  d 


390 

celui  qui  avait  servi  à  consommer  le  crime  fut  trouvé  sur 

un  domestique  de  Bolivar. 

La  nouvelle  de  la  victoire  d'Ayacucho  ne  parvint  à  Bogota 
que  le  8  février.  On  y  reçut  en  môme  temps  une  dépêche 
de  Bolivar  au  président  du  sénat  de  la  Colombie,  dans  la- 
quelle il  déclarait  qu'il  avait  achevé  sa  mission,  et  que  le 
temps  était  venu  de  tenir  la  promesse  qu'il  avait  faite  de  .se 
retirer  de  la  vie  publique  aussitôt  qu'aucun  ennemi  ne  fou- 
lerait plus  le  sol  américain.  Le  congrès  tint  une  séance  ex- 
traordinaire pour  examiner  le  contenu  de  cette  dépêche.  Sa 
lecture  fut  suivie  d'un  morne  silence.  Enfin  un  député ,  se 
levant,  déclara  que  ce  serait  un  déshonneur  pour  la  nation 
et  un  crime  pour  le  congrès  d'accepter  la  démission  offerte, 
et  qu'il  votait  son  rejet.  Ce  vote  entraîna  tous  les  autres. 
Le  10  du  môme  mois,  jour  anniversaire  de  la  promotion  de 
*|îolivar  à  la  dictature  péruvienne,  le  congrès  constituant 
de  ce  pays  se  réunit  exiraordinuireuient,  et  le  général  co- 
lombien vint  aussi  déposer  dans  son  sein  la  puissance  co- 
lossale dont  il  avait  été  investi.  Le  président  du  congrès 
répondit  au  libérateur  en  le  pressant  de  conserver  la  dicta- 
ture; mais  Bolivar  persista  fermement  dans  son  refus.  A 
|HMne  se  fut-il  retiré  que  le  congrès  vola  des  remercîments 
il  l'arniée  libératrice,  et  prorogea  la  dir.taturejnsqu'au  com- 
mencement de  I8'.>.(i.  11  vuulut  élever  en  outre  une  statue 
é<iuestreau  libérateur,  qui  eut  le  bon  esprit  de  repousser  cette 
marque  de  flatterie.  Le  5  août  1825  les  provinces  du  haut  Pé- 
rou se  constituèrent  en  État  30uverain  et  indépendant  sous 
le  nom  de  Bolivïa.  L'administration  en  fut  confiée  au  brave 
général  Sucre,  qui  s'était  distingué  dans  la  guerre  du  Pérou. 

C'est  ici  qu'il  faut  placer  cette  idée  féconde  de  Bolivar 
d'ouvrir  un  congrès  à  Panama ,  dans  cet  isthme  qui  joint 
les  deux  Amériques.  Il  voulait  opposer  à  ces  congrès  de 
rois,  où  se  forge  si  souvent  dans  l'ancien  monde  l'esclavage 
ties  hommes,  un  congrès  des  peuples  du  nouveau  monde 
soustraits  à  la  tyrannie  des  rois.  Le  Mexique,  Guatemala ,  la 
Colombie,  le  Pérou,  accueillirent  celte  idée  avec  empres- 
sement ,  et  envoyèrent  des  députés.  Le  Brésil  et  les  États- 
Unis  déclarèrent  que  les  leurs  n'y  siégeraient  qu'en  spec- 
tateurs. L'assemblée  devait  ouvrir  ses  séances  en  octobre 
IS25;  elles  ne  commencèrent  qu'en  juin  1826,  et  bientôt 
l'insalubrité  du  climat  amena  la  dispersion  des  membres, 
au  grand  regret  de  tous  les  vrais  amis  de  la  liberté. 

L'absence  du  libérateur  n'empêchait  pas  ses  compatriotes 
-d'avoir  les  yeux  fixés  sur  lui  :  tous  les  membres  du  sénat 
et  de  la  chambre  des  représentants  de  la  Colombie  s'étant 
réunis  dans  l'église  de  Sanlo-Domingo ,  à  Bogota,  afin  de 
procéder  au  dépouillement  des  scrutins  pour  l'élection  du 
président  et  du  vice-président  de  la  république,  la  première  de 
ces  dignités  lut  dévolue  à  Bolivar,  qui  avait  obtenu  .^83  voix 
sur  602  ,  et  la  seconde  au  général  Santander,  qui  l'occupait 
déjà.  Cette  nouvelle  fut  annoncée  au  libérateur  par  son 
concurrent  dans  des  termes  pleins  de  déférence. 

La  Colombie  semblait  jouir  d'une  paix  profonde ,  les  sol- 
dats de  l'Espagne  ne  souillaient  plus  son  territoire,  lecom- 
uierce  commençait  à  relleurir ,  l'éducation  publique  était 
encouragée,  les  institutions  libérales  se  dévelop|)aient,  quand 
soudain  la  chambre  des  représentants,  consultant  moins 
la  politique  que  le  respect  dû  aux  lois ,  somma  le  général 
l'aez  de  venir  rendre  compte  au  sénat  de  sa  conduite.  Une 
accusation  est  instruite  contre  ce  chef.  Elle  avait  pour  motif 
<iuelques  mesures  violentes  prises  par  lui  relativement  au 
tirage  de  la  milice.  Paez  reçut  l'ordre  de  remettre  le  com- 
mandement au  général  Escalona  ;  mais  ses  troupes  s'y  op- 
posèrent, et  déclarèrent  hautement  qu'elles  n'obéiraient  qu'à 
hii.  Les  habitants  de  Venezuela  prirent  fait  et  cause  pour 
les  soldats,  et  manifestèrent  l'intention  de  former  un  État 
féparé ,  n'ayant  qu'un  lien  fédéral  avec  le  reste  de  la  répu- 
blique. Des  excès  furent  commis  à  Valence,  siège  principal 
(le  l'insurrection.  Paez  fut  élu  président  du  nouvel  État,  et 
(e  géncial  Escalona  arrclé  avec  son  étal-majo)'. 


BOLIVAR 

Cependant  les  municipalités  de  Caracas  et  de  Valence,  se 
séparant  de  la  révolte ,  avaient  écrit  au  libérateur  de  hâter 
son  retour.  Paez,  accueilli  dans  la  première  de  ces  villes  au 
cri  de  Vive  la  république  1  vive  Bolivar!  vive  Paéz!  lui 
avait  écrit  de  son  côté  pour  justifier  sa  conduite  et  expliquer 
les  raisons  qui  l'avaient  forcé  de  désobéir  au  gouvernement 
cejitral  ;  mais  déjà  le  libérateur  était  en  route  pour  la  Co- 
lombie. Tandis  qu'il  pacifiait  sur  sa  route  les  provinces  de 
l'ouest,  l'insurrection  de  Venezuela  reprenait  un  caractère 
sérieux  ;  une  assemblée  du  peuple,  fenuele  G  novembre  1826, 
dans  le  couvent  de  San-Franciscô  à  Caracas ,  considérant 
la  république  de  Colombie  comme  en  état  de  dissolution , 
déclarait  la  séparation  de  la  province.  Cependant  Bolivar 
entrait  à  Bogota  sous  des  arcs  de  triomphe,  au  milieu  des 
acclaniations  du  peuple.  Investi  dans  des  formes  régulières 
de  l'autorité  dictatoriale  ,  que  les  départements  insurgés  lui 
avaient  déférée,  il  annonça  l'intention  de  l'abdiquer  aussitôt 
que  la  patrie  cesserait  d'être  en  danger,  et  de  convoquer 
alors  une  convention  qui  déciderait  de  la  Ibrme  à  domier 
au  gouvernement  de  la  république.  11  revit  Caracas,  sa  ville 
natale,  sa  ville  chérie  ;  confirma  Paez  dans  le  commande- 
ment civil  et  militaire  de  Venezuela  ;  déclara  que ,  loin  d'être 
coupable,  il  le  considérait  comme  le  sauveur  de  la  patrie; 
proclama  enfin  un  oubli  sincère,  une  amnistie  générale,  in- 
terdisant tout  acte  d'hostilité,  comme  fait  de  haute  trahison. 
Ces  mesures,  nécessaires  peut-être  pour  laire  cesser  la 
guerre  civile,  déplurent  au  vice-président,  Santander,  qui 
ne  pardonnait  pas  à  Paez  de  lui  avoir  reprot;hé  de  détourner 
à  son  profit  les  sommes  destinées  au  payement  de  la  dette 
publique  et  de  l'armée.  Il  offrit  sa  démission  au  président 
du  s('nat,  qui  la  refusa,  ce  corps  n'étant  pas  alors  assemblé. 
Bolivar  offrit  aussi  la  sienne.  «  11  n'y  a  plus  un  Espagnol 
sur  le  continent  américain ,  disait-il;  j'ai  à  cœur  d'écarter  les 
soupçons  d'une  usurpation  tyrannique.  L'exemple  de  Wa- 
shington ne  peut  rien  contre  rex|)érience  du  monde  entier, 
toujours  opprimé  par  les  hommes  puissants.  »  Cette  démis- 
sion fut  refusée  pour  le  même  motif. 

Sur  ces  entrefaites,  le  bruit  se  répand  que  le  Pérou  a 
aboli  la  constitution  bolivienne,  et  que  les  troupes  de  la  Co- 
lombie se  sont  rembarquées  pour  Guayaquil.  Cette  nouvelle 
blessa  d'autant  plus  Bolivar,  qu'elle  fut  reçue  à  Bogota  avec 
des  transports  universels.  Les  démissions  du  président  et  du 
vice-président,  portées  au  sénat,  furent  rejetées  après  de 
violents  débats.  Il  était  facile  de  s'apercevoir  qu'il  se  formait 
au  sein  du  congrès  un  parti  qui  repoussait  Bolivar,  et  qui, 
dans  son  ingratitude,  l'accusait  de  vues  ambitieuses.  A  la 
tête  de  ce  parti  était  son  collègue  Santander,  qui  ne  cessait 
de  lui  susciter  des  embarras  funestes  à  la  marche  des  affaires. 
Bolivar  triompha  un  instant  de  son  mauvais  vouloir  :  il  eut 
la  joie  de  voir  le  congrès  convoquer  sur  sa  proposition  une 
grande  convention  nationale,  chargée  de  décider  s'il  était  ur- 
gent de  réformer  la  constitution.  Ses  séances  s'ouvrirent 
à  Ocana  le  9  avril  1828.  La  réforme  de  la  constitution  y  fut 
résolue  ;  mais  bientôt  les  semaines  se  passèrent  en  intrigues,  en 
querelles,  et  l'assemblée,  ne  se  trouvant  plus  en  nombre  suf- 
fisant pour  délibéivj,  se  sépara.  A  cette  nouvelle  l'indignation 
populaire  fut  à  son  comble  et  dans  plusieurs  villes ,  à  Bo- 
gota, à  Carthagène,  a  Caracas,  des  réunions  curent  lieu  où 
Bolivar  fut  supplié  de  reprendre  l'autorité  suprême  et  de 
sauver  la  patrie.  Il  y  conseutit,  et  Santander  fut  réduit  au 
silence. 

Tout  paraissait  se  prononcer  pour  le  libérateur,  quand 
tout  à  coup,  dans  la  nuit  du  25  au  26  septembre,  une  cons- 
piration éclata  contre  lui  au  sein  de  la  capitale ,  auprès  de 
son  palais ,  dans  les  casernes.  La  demeure  de  Bolivar,  at- 
taquée avec  une  rare  audace,  fui  au  moment  d'être  prise; 
lui-même,  seul,  lutta  corps  à  corps  contre  les  révoltés  ,  qui 
avaient  envahi  ses  appartements,  et  il  ne  dut  son  salut  qu'à 
sa  présence  d'esprit.  Les  conspirateurs  avaient  compte  siirj 
le  peuple;  !;•  peuple  se  prononça  pour  Bolivar,  et  le  com- 


plot  n.'t  déjoué;  plusieurs  des  coupables  furent  traduits  de- 
vant un  conseil  de  guerre  et  fusillés.  Le  vice-président  San- 
tander,  dont  le  nom  avait  retenti  dans  lïnsurrection ,  fut 
banni  du  territoire  de  la  république  avec  quelques  autres. 
Cependant ,  la  guerre  avait  éclaté  entre  le  Pérou  et  la  Co- 
lombie. Bolivar  partit  de  Bogota  avec  des  troupes  considé- 
rables pour  agir  du  côté  de  Guayaquil.  Il  n'en  eut  pas  le 
temps  :  un  armistice  fut  conclu  et  suivi  d'un  traité  de  paix. 
Mais  les  ennemis  du  libérateur  ne  renonçaient  pas,  dans 
l'intérieur,  à  leurs  projets  d'anarchie.  Le  général  Cordova, 
qu'il  avait  comblé  de  bienfaits,  et  qu'il  croyait  pouvoir  comp- 
ter au  nombre  de  ses  amis  les  plus  dévoués,  se  souleva  dans 
la  province  d'Antioquia.  Bolivar  fit  marcher  contre  lui  trois 
forts  détachements.  Cordova,  entouré  de  toutes  parts,  sans 
espérance  de  succtîs ,  réduit  à  cette  extrémité  de  périr  de  la 
mort  des  braves  ou  de  celle  des  traîtres,  fit  une  résistance 
liéroï(iue,  et  tomba  percé  de  coups  sur  les  coips  de  ses 
soldats. 

Un  nouveau  mouvement,  qui  devait  plus  affliger  encore 
le  Washington  de  l'Amérique  du  Sud,  éclata  le  25  novembre 
1S29  à  Caracas,  sa  ville  natale.  Plus  de  cinq  cents  habitants 
réunis,  après  n'avoir  point  épargné  dans  leurs  discours  le  ca- 
ractère du  libéiateur,  décidèrent  que  Venezuela  renonçait  h 
son  autorité  et  se  séparait  de  la  Colombie.  Une  doputation 
alla  chercher  Paez  à  Valence,  et  lui  offrit  le  commande- 
ment, qu'il  accepta.  Cependant,  le  congrès  national  se  réu- 
nissait en  janvier  1830  à  Bogota.  Là,  Bolivar  renouvela  avtc 
plus  d'instances  que  jamais  sa  démission,  tant  de  fois  offerte 
et  toujours  refusée.  Il  se  plaignit  amèrement  d'avoir  été 
soupçonné  aux  Étals-Unis,  en  Europe,  dans  son  pays  même, 
d'aspirer  à  un  trône.  Dès  ce  moment  il  abdique,  il  refuse 
pour  toujours  tout  commandement,  La  nouvelle  constitution 
était  achevée;  le  congrès,  voyant  l'inutilité  de  ses  efforts 
pour  vaincre  la  résolution  de  Bolivar,  accepta  sa  démission, 
et  choisit  pour  président  Joachim  Mosquera,  qu'il  fallut  aller 
chercher  <lans  sa  retraite  de  Popayan,  comme  un  autre  Cincin- 
Hatus.  Celte  assemlMée,  au  nom  de  la  nation  colombienne, 
offrit  au  libérateur  le  tribut  de  sa  gratitude  et  de  son  admi- 
ration, en  lui  décrétant  une  pension  annuelle  de  155,000  fr., 
payable  partout  où  il  lui  plairait  de  fixer  sa  résidence.  L'é- 
loignement  de  Bolivar  excita  dans  toutes  les  classes  de  vifs 
regrets.  En  arrivant  à  Carthagène,  il  eut  la  douleur  d'ap- 
prendre que  Para  avait  persisté  dans  sa  révolte,  et  que  la 
séparation  de  Venezuela  était  un  fait  consommé.  L'assassinat 
du  général  Sucre  vint  ajouter  à  son  affliction.  Abreuvé  de  dé- 
goûts, victime  de  l'ingratitude  des  bommes,  il  succomba  aux 
attaques  d'une  maladie  de  langueur  qui  le  retenait  dans  une 
maison  de  c;uni)agne  à  San-Pedro,  près  de  Sainte-Marthe, 
et  y  mourut  le  17  décembre  1830.  Ses  adieux  aux  Colom- 
biens, da'-'s  du  10  du  môme  mois,  peignent  à  nu  cette 
grande  âuie,  et  font  toucher  du  doigt  les  angoisses  cruelles 
sous  le  poids  desquelles  il  a  expiré.  C'est  Tm  morceau  d'élo- 
quence que  doit  conserver  l'histoire  contemporaine.  Quinze 
ans  plus  tard ,  Véué/.uéla  envoyait  chercher  ses  dépouilles 
mortelles,  et  leur  décernait  de  pooipeuses  obsèques,  à 
l'exemple  de  celles  dont  la  France  avait  honoré  la  mémoire 
de  Naj)o!éon. 

Bolivar  joignait  à  de  vastes  connaissances  militaires,  à 
mie  rare  bravoure  personnelle,  un  esprit  gouvernemental 
et  des  talents  administratifs  plus  étonnants  peut-cire.  Doué 
d'une  activité  infatigable,  il  dormait  à  i>eine  trois  ou  quatre 
lieures,  et  ne  consacrait  ordinairement  i|uc  quelques  mi- 
nutes à  ses  repas.  Son  instruction  était  vaste  :  il  possédait 
presque  toutes  les  langues  et  les  littératures  de  l'Europe,  et 
connaissait  leurs  meilleurs  écrivains.  Religieux,  mais  sans 
superstition,  sans  fanatisme,  il  lit  un  pénible  sacri.'lce  au 
sang  espagnol  de  ses  compatriotes  en  proclamant  le  catho- 
licisme religion  exclusive  de  l'État.  Bolivar  avait  toujours  eu 
deux  glands  modèles  devant  les  yeux,  Washington  et  Bo- 
napaile;  ot,  quoi  qu'on  ait  du  dire  ou  penser  de  lui,  quel 


EOLIVAR  —  BOLIVIE  391 

que  soit  le  sort  des  États  dont  il  a  jeté  les  fondements,  son 
nom  brillera  dans  l'avenir  à  côté  de  ceux  des  grands  hommes 
dont  il  enviait  la  gloire.  E.  G.  de  Monglave. 

BOLIVIE  ou  BOLIVIA,  État  de  l'Amérique  méridionale, 
formé  de  l'ancien  Haut-Pérou,  dépendant  de  l'ancienne  vice- 
royauté  espagnole  de  Buenos- Ayres  ;  situé  entre  9°  30'  et  25°  40' 
de  latitude  méridionale,  et  entre  60°  20'  et  73"  20'  de  longitude 
occidentale  ;  borné  au  nord  par  le  Pérou ,  à  l'est  par  le  Bré- 
sil et  le  Paraguay,  au  sud  par  le  Rio  de  la  Plata  et  le  Chili , 
à  l'ouest  par  l'océan  Pacifique  et  le  Pérou  ;  ayant  une  super- 
ficie de  727,000  kilomètres  carrés  et  une  population  évaluée 
à  1,200,000  âmes;  hérissé  de  hautes  montagnes  à  l'ouest, 
où  il  est  traversé  dans  le  sens  de  sa  longueur  par  la  chaîne 
des  Andes,  qui  s'y  bifurque  pour  former  la  ceinture  du  pla- 
teau ou  bassin  du  lac  de  Titicaca,  dont  la  partie  sud-est 
seulement  appartient  à  la  Bolivie.  La  bifurcation  occiden- 
tale ou  Cordillcra  de  la  Costa,  à  escarpement  abrupt  du 
côté  de  l'Océan,  en  est  séparée  par  le  désert  de  sable  d'A- 
tacama.  La  bifurcation  orientale ,  ou  Cordillcra  Real,  des- 
cend avec  rapidité  vers  les  plaines  basses  qui  la  bornent  à 
l'est,  et  n'y  envoie  que  quelques  contre-forts  peu  considé- 
rables. Le  vaste  plateau  de  Titicaca,  massif  culminant  de  la 
chaîne  des  Andes,  s'élève  à  plus  de  4,200  mètres.  Les  points 
culminants  de  la  Cordillcra  Béai,  dans  la  Bolivie,  sont  aussi 
les  points  culminants  des  Andes  et  de  toute  l'Amérique. 
Le  Nevado  de  Sorataa  7,700  mètres;  le  Nevado  d'Ulimani 
en  a  plus  de  7,300.  Dans  la  Cordillcra  de  la  Cosia  les  points 
culminants  ne  dépassent  pas  6,700  mètres. 

A  l'est  des  Andes,  le  pays  dépend,  en  grande  partie,  du 
bassin  de  l'Amazone.  Au  sud ,  il  appartient  à  celui  du  Rio 
de  la  Plata,  séparé  du  précédent  par  une  crête  peu  élevée. 
LeMamoré,  l'Ubahi,  branches  supérieures  de  la  Madeira,  et 
le  Béni  ou  Paro,  sont  les  principaux  affluents  de  l'Amazone  ; 
ceux  du  Rio  de  U  Plata  sont  le  Paraguay  et  le  Pilcomayo. 
Toutes  ces  rivières  sont  navigables.  Le  Desaguadero,  qui 
sort  du  lac  de  Titicaca  pour  se  perdre  dans  les  terres ,  est 
le  grand  déversoir  de  cette  masse  d'eau ,  dont  une  portion 
dépend  du  territoire  bolivien.  De  petits  fleuves  torrentiels  se 
jettent  dans  l'océan  Pacifique,  ou  disparaissent  dans  les 
sables  du  désert. 

Le  climat  de  la  Bolivie  ne  se  recommande  pas ,  en  gé- 
néral, par  la  salubrité.  Il  est  très-chaud  dans  les  terres 
basses,  et  surtout  dans  le  désert  d'Alacama.  Les  hivers, 
d'ordinaire  assez  froids,  sont  très-secs  sur  le  plateau  de  Ti- 
ticaca, où  la  neige  tombe  en  avril  et  en  novembre.  Les 
pluies,  très-rares  partout,  sont  à  peu  près  nulles  dans  le 
désert  d'Atacaina.  Seulement,  dans  les  plaines  de  l'est,  elles 
deviennent  continues  d'avril  à  octobre ,  et  inondent  une 
grande  partie  des  terres  basses.  On  y  est  exposé  à  de  vio- 
lents orages  et  à  de  fréquents  tremblements  de  terre ,  sur- 
tout dans  la  direction  des  côtes,  où  la  Cordillière  contient  un 
grand  nombre  de  montagnes  volcaniques. 

Le  territoire  de  la  Bolivie  est  très-riche  en  métaux,  et  cé- 
lèbre surtout  par  ses  nu'nes  d'argent  de  Potosi ,  autrefois  si 
imi)ortantes.  Elles  furent  découvertes  par  Hualpa,  Péruvien,, 
qui,  en  poursuivant  un  alpaca,  arracha  un  arbrisseau ,  et 
aperçut  sous  sa  racine  cette  étonnante  veine  d'argent  qu'on 
a  depuis  appelée  la  Rica.  La  montagne,  qui  a  20  kilomètres 
de  circuit  et  1400  mètres  d'élévation,  fut  percée  de  plus  de 
trois  cents  puits,  à  travers  un  schiste  argileirx,  jaune  et  dur, 
avec  des  veines  de  quartz  ferrugineux.  Elle  est  d'une  cou- 
lem'  rougeàtre  particulière,  et  ses  nombreux  fourneaux  ont 
longtemps  formé  pendant  la  nuit  un  spectacle  vraiment  ex- 
traordinaire ;  mais  aujourd'hui  plusieurs  sont  éteints.  La 
Bolivie  possède  encore  de  riches  mines  de  cuivre.  On  a 
évalué  il  4,000  marcs  de  Castille  ou  920  kilogrammes  d'or 
et  662,000  marcs  d'argent  la  moyenne  annuelle  du  produit 
des  mines  de  1790  à  1809,  et  à  4,970  marcs  d'or  et  290,000 
marcs  d'argent  celles  des  années  1810  a  1829.  L'cx|iloila- 
tion,  qui  avait  beaucoup   souffert   pendant  les  g'icrres  de 


392 


nOLlVIF. 


l'indépendance,  a  repris  depuis  quelque  ach"\it(^,  et  des  «s:55 
on  estimait  ses  produits  à  5,000  marcs  d'or  et  300,000  marcs 
d'argent.  En  somme,  on  évalue  la  quantité  d'or  extraite,  dans 
une  période  de  quarante  ans,  de  1809  à  1848,  à  une  valeur 
de  87,346,000  francs,  et  celle  d'argent  à  une  valeur  de 
536,138,000  francs. 

Le  soi  est  généralement  très-fertile,  et  couvert  en  grande 
partie  de  forêts  vierges ,  riches  en  bois  précieux  de  toutes 
espèces.  Parmi  les  produits  de  la  végétation  il  faut  citer  les 
grains,  le  riz,  le  maïs,  le  café,  le  coton,  la  canne  à  sucre, 
le  tabac,  le  cacao,  les  fruits  du  tropique,  l'orange,  la  figue, 
l'ananas,  la  vanille,  la  cascarille,  le  quinquina,  la  salse- 
pareille, une  espèce  de  cannelle,  la  gomme  élastique,  etc. 
Sur  le  plateau  de  Titicaca,  dépourvu  de  grands  arbres  et 
impropre  à  la  culture  des  grains  d'Europe ,  on  cultive  le 
quinoa  et  la  pomme  de  terre,  qui  y  croit  spontanément. 
Les  animaux  domestiques  sont  le  bœuf,  le  cheval,  l'âne,  le 
mulet ,  et  dans  les  montagnes  la  vigogne ,  le  lama  et  l'al- 
paca.  Parmi  les  autres  animaux ,  on  remarque  le  tapir,  le 
jaguar,  le  léopard,  et  divers  singes;  dans  les  plaines  de  l'est, 
une  multitude  de  reptiles  et  d'insectes  venimeux  ou  des- 
tructeurs. 

La  population  indienne  ou  indigène ,  qui  parle  le  quichua 
ou  l'aymara ,  forme  plus  des  trois  quarts  de  celle  de  tout  le 
pays;  le  reste  se  compose  d'Espagnols,  d'hommes  de  cou- 
leur et  de  quelques  nègres.  Parmi  les  nombreuses  tribus 
d'Indiens ,  celles  de  la  côte  et  du  bassin  de  Titicaca  ont  été 
généralement  converties  au  christianisme  ;  elles  habitent  des 
demeures  fixes  et  se  livrent  à  l'agriculture;  les  autres  ont 
plus  ou  moins  conservé  les  mœurs  et  les  habitudes  des  sau- 
vages. La  principale  branche  d'industrie  du  pays  est  la 
fabrication  des  tissus  de  coton  et  de  laine  de  lama,  d'alpaca, 
de  vigogne,  le  verre,  les  ustensiles  et  bijoux  d'argent,  les 
parures  et  ouvrages  en  plumes  fabriqués  par  les  Indiens. 
Le  commerce,  peu  considérable,  est  rendu  de  plus  en  plus 
difficile  par  l'absence  de  communications  entre  l'intérieur 
des  terres  et  la  côte  de  l'océan  Pacifique,  et  par  la  difficulté 
qu'on  éprouve  à  descendre  les  affluents  supérieurs  de  l' Ama- 
zone et  du  Rio  de  la  Plata.  Les  exportations  consistent 
presque  exclusivement  en  métaux  précieux,  cuivre,  étain, 
laine  de  brebis  et  de  vigogne,  peaux  de  chinchilla,  casca- 
rille, quinquina,  drogues  diverses,  et  guano  depuis  quel- 
ques années.  Elles  ont  lieu  presque  exclusivement  par  navires 
anglais,  français,  et  de  l'Amérique  du  Nord.  Le  fer,  la  quin- 
caillerie et  les  étoffes  de  laine,  de  soie,  de  lin,  sont  les  prin- 
cipaux articles  importés.  Le  commerce  avec  l'Europe  se  fait 
surtout  par  la  côte  de  l'océan  Pacifique,  quelquefois  par 
Cobija  ou  Puerto-de-la-Mar,  le  seul  port  que  possède  la  ré- 
publique, mais  le  plus  ordinairement  par  le  port  péruvien 
d'Arica,  de  sorte  que  le  commerce  de  la  Bolivie  ne  figure 
que  très-rarement  sur  les  tableaux  de  commerce  des  États 
de  l'Europe.  Dans  la  dernière  période  décennale  on  suppose 
pourtant  qu'il  s'est  élevé  à  environ  15  millions  de  francs. 
Les  revenus  publics  ne  dépassent  pas  10  millions  de  francs, 
les  dépenses  9  millions  à  peu  près,  et  la  dette  publique  un 
peu  plus  de  8  millions. 

L'histoire  de  l'indépendance  de  la  Bolivie  se  lie  à  celle  du 
Pérou;  elle  date  du  1*'"  avril  1825,  jour  de  la  victoire  dé- 
cisive remportée  par  les  indépendants  sur  les  Espagnols. 
buénos-Ayres  et  le  Pérou  ayant  déclaré  qu'ils  n'élevaient 
aucune  prétention  sur  ces  provinces ,  Boli  var,  par  un  dé- 
cret du  6  mai ,  les  invita  à  se  réunir  en  congrès  pour  adopter 
librement  la  forme  gouvernementale  qui  leur  conviendrait 
le  mieux.  Le  congrès ,  assemblé  dans  la  ville  de  Potosi ,  se 
prononça  le  6  août  pour  une  république  indépendante,  qu'il 
appela  Bolivie,  du  nom  de  son  libérateur.  L'exercice  des 
cultes  y  est  libre,  piais  la  religion  catholique  est  la  domi- 
nante ;  il  y  a  trois  diocèses  :  rarchcvèché  de  Chuquisaca  et 
les  «^véchés  de  La  Pa/  et  de  Santa-Cruz.  L'État  possède  une 
université  à  Chuquisaca  et  plusieurs  collèges.  L'armée  ne  se 


compose  que  do  cinq  mille  hommes  environ.  Il  j  a  six  dépar* 
tements  :  1"  Chuquisaca  (89,000  kil.  carrés,  175,000  âmes); 
2°  La  Paz  (104,000  kil.  carrés,  300,000  âmes);  3°  Oruro 
(23,000  kil.  carrés,  80,000  âmes);  4°  Potosi  (83,000  kil. 
carrés,  200,000  âmes  )  ;  5°  Cochabamba  (  143,000  kil.  carrés, 
250,000  âmes);  6°  Tarija  ou  Santa-Cruz  de  la  Sierra  (286,000  k. 
carrés,  25,000  âmes).  Excepté  Cochabamba  et  Santa-Cruz, 
dont  les  chefs-lieux  sont  Oropesa  et  San-Lorenzo,  tous  les 
départements  portent  les  noms  de  leurs  chefs-lieux.  Chacun 
est  subdivisé  en  provinces ,  et  les  provinces  en  cantons. 
Voici  les  principales  bases  de  la  constitution  :  le  gouverne- 
ment est  une  république  démocratique;  la  souveraineté  ré- 
side dans  le  peuple  et  est  exercée  par  un  corps  électoral,  un 
corps  législatif,  un  corps  exécutif  et  un  corps  judiciaire;  le 
pouvoir  exécutif  est  confié  à  un  président  à  vie,  à  un  vice-pré- 
sident et  à  trois  secrétaires  d'État.  Le  corps  législatif  émane 
directement  des  collèges  électoraux  nommés  par  le  peuple. 
Il  se  compose  de  trois  chambres ,  celle  des  tribuns,  celle  des 
sénateurs  et  celle  des  censeurs  ;  chaque  chambre  est  composée 
de  trente  membres;  chaque  législature  dure  quatre  ans  et 
chaque  session  annuelle  deux  mois.  La  constitution  garantit 
à  tous  les  citoyens  la  liberté  civile ,  l'inviolabilité  des  per- 
sonnes et  des  propriétés,  et  enfin  tout  citoyen  a  le  droit  de 
publier  ses  pensées  sans  être  astreint  à  aucune  censure  préa- 
lable; seulement  il  demeure  responsable  des  abus  de  celte  li- 
berté. 

La  Bolivie  devait  tout  au  grand  homme  dont  elle  s'était 
donné  le  nom.  Elle  ne  fut  pas  la  dernière  à  se  décharger  du 
poids  importun  de  la  reconnaissance.  A  peine  Bolivar  fut-il 
de  retour  dans  ses  foyers,  qu'elle  abjura  ce  nom  immortel, 
brisa  sa  constitution ,  éloigna  les  troupes  colombiennes  qui 
avaient  reconquis  son  indépendance,  et  déclara  la  guerre  à 
la  patrie  de  ses  libérateurs.  Cette  première  guerre  fut  bientôt 
éteinte;  mais  l'ingratitude  de  la  Bolivie  ne  contribua  |t;i.> 
peu  à  la  mort  de  son  illustre  fondateur.  Le  grand  maréchal 
d'Ayacucho  (général  Sucre),  qui  avait  rendu  de  grands  ser- 
vices dans  la  lutte  de  l'indépendance,  et  qui,  élu  président  à 
vie,  n'avait  consenti  à  accepter  cette  dignité  que  pour  deu^ 
ans,  fut  forcé,  en  avril  1828,  d'évacuer  le  pays  avec  les  trou- 
pes colombiennes.  Un  nouveau  congrès,  qui  se  tint  le 
3  août  1828,  à  Chuquisaca,  remania  de  fond  en  comble  la 
constitution,  et  choisit  pour  président  le  grand  maréchal 
Santa-Cruz,  qui  refusa  d'abord  cet  honneur.  Velasco ,  qui 
avait  dans  l'intervalle  usurpé  le  fauteuil  de  la  présidence , 
fut  déposé  par  le  congrès  assemblé  au  mois  de  décembre  de 
la  même  année.  On  mit  à  sa  place  le  général  Blanco,  qui  fut 
tué  dans  une  révolte  dans  la  nuit  du  l*' janvier  1829.  Un 
gouvernement  provisoire  (ut  établi,  qui  offrit  de  nouveau  la 
présidence  à  Santa-Cruz.  Le  général  l'accepta  enfin,  se 
rendit  à  La  Paz  en  mai  1829,  et  pacifia  la  république. 

En  1831  Santa-Cruz  promulgua  le  nouveau  code  qui 
porte  son  nom;  il  mit  de  l'ordre  dans  les  finances, et  conclut 
un  traité  de  paix  et  de  commerce  avec  le  Pérou.  Pour  dé- 
velopper l'agriculture,  l'industrie,  les  sciences,  il  chercha 
à  attirer  les  étrangers  par  toutes  sortes  de  faveurs  ;  et  en  (  830 
il  fonda  un  ordre  de  la  Légion  d'Honneur.  Depuis  plusieurs 
années,  la  Bolivie  jouissait  d'une  prospérité  croissante, 
lorsque  Santa-Cruz ,  qui  avait  nourri  longtemps  le  projet  de 
former  une  confédération  du  Pérou  et  de  la  Bolivie,  ayant 
été  pris  pour  arbitre  entre  les  prétendants  à  la  présidence  du 
Pérou ,  saisit  cette  occasion ,  et  envahit  les  provinces  sep- 
tentrionales de  ce  dernier  État.  Dans  un  combat  qu'il  livra, 
le  8  août  1835,  près  de  Cuzco,  il  battit  le  général  péruvien 
Gamarra;  et  au  mois  de  février  suivant,  ayant  achevé  la 
conquête  de  tout  le  pays,  il  se  fit  reconnaître  dictateur.  Il 
donna  au  Pérou  septentrional  et  au  Pérou  méridional  une 
constitution  qui  laissait  à  chaque  État  son  indépendance 
dans  les  affaires  intérieures ,  mais  qui  les  soumettait  l'un  cl 
l'aulre  à  un  gouvernement  central  dont  il  fut  proclamé  le 
chel'  avec  le  titre  de  Protecteur.  Cependant  les  progrès  «1» 


BOLIVIE  - 

conquérant  éveillèrent  la  jalousie  des  Étals  voisins,  surtout 
<lii  Chili.  Dès  183(;  éclatèrent  de  nouvelles  liostilités,  qui, 
longtemps  suspendues,  recommencèrent  en  1837  et  1838,  et 
qui ,  après  un  nouvel  armistice ,  se  terminèrent,  le  20  jan- 
vier 1 839 ,  par  la  sanglante  bataille  de  Yungay,  où  Santa- 
Cruz  (ut  battu  par  les  Cliiliens  unis  au  général  Gamarra,  que 
les  vainqueurs  appelèrent  à  la  présidence  du  Pérou.  Le  gé- 
néral Velasco,  commandant  de  la  Bolivie,  se  déclara  aussi 
contre  Santa-Cruz  et  la  confédération ,  et  se  fit  reconnaître 
président  provisoire  par  un  congrès  assemblé  à  Chuqui- 
saca,  le  16  juin  1839. 11  s'empressa  de  conclure  la  paix  avec 
le  Chili.  Cependant  Santa-Cruz  s'était  embarqué  pour  Guaya- 
quil  dès  le  13  mars  1839;  mais  il  avait  laissé  dans  la  Bo- 
livie un  grand  nombre  de  partisans,  qui  ne  tardèrent  pas  à 
reprendre  le  dessus,  en  sorte  que  son  administration  fut 
déclarée  irréprochable  par  un  décret  jiarticulier  du  congrès. 
Quelque  temps  après,  son  parti  arrêta  Velasco  dans  Co- 
chabamba,  et  invita  Santa-Cruz  à  reprendre  la  présidence  ; 
puis,  comme  il  tardait  à  revenir,  ses  partisans  s'unirent  à 
ceux  du  général  Ballivian,  qui  fut  élu  à  l'unanimité.  Avide 
(le  profiter  de  ces  dissensions,  Gamarra  envahit  la  Bolivie 
dans  rautoauie  de  1841,  occupa  La  Paz,  et  alla  prendre  po- 
sition à  40  kilomètres  plus  loin,  à  Viacha;  mais  le  18  no- 
vembre, son  armée ,  forte  de  5,'200  hommes,  était  taillée  en 
pièces  par  Ballivian ,  à  la  tète  de  3,800  Boliviens,  et  il  res- 
tait lui-même  sur  le  champ  de  bataille.  A  la  suite  de  cette 
victoire ,  Ballivian  envahit  le  «^érou.  Le  7  juin  1842  la  paix 
fut  signée  à  Pasco,  par  la  médiation  et  sous  la  garantie  du 
Chili ,  et  les  choses  rétablies  en  l'état  où  elles  étaient  avant 
le  commencement  des  hostilités.  Sur  ces  entrefaites,  Santa- 
Cruz,  qui  rêvait  à  Gunyaqnil  aux  moyens  de  ressaisir  le 
jKJuvoir,  après  avoir  éclioué  dans  toutes  ses  tentatives  pour 
révolutionner  le  Pérou  à  son  profit,  osa,  en  1844,  entrer 
dans  la  Bolivie;  mais  il  fut  arrêté  dans  les  Cordillières  et 
livré  au  Chili,  qui  le  soumit  à  une  surveillance  sévère.  Balli- 
vian ,  à  son  tour,  ne  put  se  maintenir,  et  se  retira  à  Valpa- 
raiso.  Velasco,  qui  le  remplaça,  n'a  pas  su  non  plus  jusqu'ici 
rétablir  la  tranquillité.  Dès  la  lin  de  1848  l'ancien  ministre 
de  la  guerre  Bel/.u  se  révoltait,  et  son  exemple  était  suivi 
par  d'autres.  Consultez  d'Orbigny,  Voyage  dans  l'Amérique 
méridionale  (2  vol.,  Paris,  1835),  et  Descripcion  géogra- 
pliica  y  csladistica  de  Bolivia  (Paris,  1845,  avec  atlas); 
r.osch-Spcncer ,  Statistique  commerciale  du  Chili,  de 
la  Bolivie,  du  Pérou,  etc.  (Bmxelles,  1848). 

BOLLANDISTES,  société  de  jésuites  qui,  de  1C43 
à  1794,  a  publié  à  Anvers,  à  Bruxelles  et  à  Tongerloo  la 
collection  connue  sous  le  nom  d'Acta  Sanctorum,  et 
contenant  des  renseignements  sur  tous  les  saints  qu'honore 
l'Église  catholique  romaine.  Cette  dénomination  lui  vient  de 
Jean  Bolland  (Bollandus),  né  en  1596,'àTirlemont,  et  mort 
eu  1G65,  le  premier  qui  mit  en  œuvre  les  matériaux  réunis 
à  cet  effet  par  Héribeit  Rosweyd,  d'Utrecht.  On  compte  parmi 
les  Bollandistes  beaucoup  d'hommes  distingués,  entre  autres 
Goltfried  Henschen  (né  en  1600,  mort  en  1681),  Daniel 
Papebrock,  d'Anvers  (né  en  1628,  mort  en  1714),  Conrad 
Janning  (mort  en  1723),  Pierre  Bosch  (mort  en  1736), 
Suyskens  (mortenl771),  Hubens  (morten  1782),Jos.  Ghes- 
quière  (mort  en  1802).  Les  deux  premiers  volumes  de  cette 
œuvre  colossale  parurent  en  1643.  Us  contiennent  les  vies 
des  saints  du  mois  de  janvier. 

La  suppression  de  l'ordre  des  jésuites,  en  1773,  eut  pour 
résultat  la  translation  du  siège  de  la  société  dans  l'abbaye 
des  Augustius  de  Candenberg  à  Bruxelles,  où  elle  continua 
à  travailler  aux  Acta Sanctorum,  jusqu'au  moment  où  les 
persécutions  de  Joseph  II  amenèrent  sa  dissolution. 

En  1789  l'abbaye  des  Préraontrés  de  Tongerloo  entreprit 
de  mener  à  sa  fin  le  colossal  ouvrage.  Mais  le  53"  volume 
(6*  du  mois  d'octobre)  n'eut  pas  plus  tôt  paru,  en  mai  1794, 
que  l'occupation  de  la  Belgique  par  une  armée  française  eut 
lK)ur  résultat  de  mettre  un  terme  à  ces  travaux.  C'est  tout 

DICr.    DE    LA   CONVERS.    —   T.    III. 


COLOGNE 


393 


récemment  seulement ,  et  sous  les  auspices  du  gouvernement 
belge,  qui  a  affecté  à  ce  but  une  subvennon  annuelle 
de  6,000  fr.,  que  s'est  constituée  une  nouvelle  société  de 
Bollandistes,  qui  en  décembre  1845  a  publié  en  deux  parties 
le  54^  volume  de  tout  l'ouvrage  (le  7^  du  mois  d'octobre, 
contenant,  entre  autres,  la  vie  de  sainte  Thérèse  en  671  pages 
in-folio).  Cette  société  a  pour  chefs  les  Pères  Boone,  Van  der 
Moere ,  Coppens  et  Vanhecke. 

La  volumineuse  collection  des  Bollandistes,  quoiqu'elle 
manque  en  général  de  critique,  surtout  dans  les  premiers 
volumes,  jouit  dans  le  monde  savant  de  l'estime  la  mieux 
méritée.  Elle  a  rendu  d'éminents  services  pour  l'éclaircisse- 
ment et  la  connaissance  d'une  foule  de  points  historiques  du 
moyen  âge.  Bossuet,  qui  en  faisait  beaucoup  de  cas,  gémis- 
sait, à  son  époque,  de  la  voir  proscrire  en  Espagne  pour 
complaire  à  la  vanité  des  Carmes. 

BOLOGNE  (Bologna),  en  Italie,  délégation  de  l'État 
de  l'Église,  bornée  au  nord  par  celledeFerrare,à  l'est  par 
celle  de  Ravenne ,  au  sud  par  la  Toscane ,  et  à  l'ouest  par  le 
duché  de  Modène.  On  évalue  sa  superficie  à  environ  37  my- 
riamètres  carrés  ,  et  sa  population  à  366,000  habitants.  On 
y  compte  deux  villes  (Bologne  et  Cento),  21  bourgs  et 
371  villages  et  hameaux.  Plusieurs  ramifications  des  Apen- 
nins s'élèvent  dans  sa  partie  septentrionale  ;  elle  est  arrosée 
par  le  Silaro ,  le  Panaro ,  le  Reno ,  la  Savena ,  et  plusieurs 
autres  petites  rivières ,  et  entrecoupée  en  outre  par  diffé- 
rents canaux  qui  y  favorisent  l'agriculture.  On  y  récolte  une 
grande  quantité  de  riz,  du  lin,  de  lliuile,  du  vin,  du  chan- 
vre ,  du  safran ,  etc. ,  et  on  y  élève  beaucoup  d'abeilles  et 
de  vers  à  soie.  On  y  trouve  aussi  quelques  carrières  de 
marbre  et  de  gypse.  L'extrême  fertilité  du  pays  répand 
l'aisance  parmi  ses  habitants ,  qui  sont  les  mieux  nourris  et 
les  mieux  vêtus  de  tout  l'État  de  l'Église.  Jusqulà  ces  der- 
niers temps,  cette  délégation  a  été  gouvernée  par  un  cardinal- 
légat  chargé  de  l'administration  civile,  par  un  archevêque 
dirigeant  les  affaires  ecclésiastiques,  par  un  gonfalonier  eln 
tous  les  deux  mois  et  assisté  de  cinquante  sénateurs  et  de 
huit  anciens  choisis  dans  la  bourgeoisie. 

BOLOGNE,  chef-lieu  de  cette  délégation ,  est  une  grande 
ville,  riche  et  bien  peuplée  (72,000  habitants),  située  au 
pied  de  l'Apennin,  sur  un  canal  auquel  elle  a  donné  son 
nom  ,  entre  le  Reno  et  la  Savena.  Elle  a  95  kilomètres  de 
circuit  et  15  de  long,  sur  7  de  large,  et  jouit  d'un  climat 
très-sain.  Cest  la  résidence  d'un  cardinal-légat ,  d'un  arche- 
vêque, et  le  siège  d'une  cour  d'appel.  Cette  ville,  qui  est 
très-ancienne,  offre  quelques  quartiers  assez  bien  bâtis,  des 
rues  larges,  garnies  de  maisons  presque  toutes  à  trois  étages, 
qui  forment  des  portiques  assez  sombres ,  mais  très-com- 
modes pour  les  piétons  pendant  les  chaleurs  de  l'été.  En 
général ,  ses  édifices  publics  se  distinguent  tout  a  la  fois  par 
leur  belle  architecture  et  par  leurs  ornements.  On  remar- 
que surtout  le  Balazzo  publico,  avec  de  belles  fresques; 
le  palais  du  prince  Eugène  de  Leuchtenberg ,  autrefois  pa- 
lais Caprara;  la  façade  et  l'escalier  du  palais  Ranuzzi;  les 
deux  tours  inclinées  des  Asinelli  et  de  la  Garisende ,  dont  la 
première  est  d'une  hauteur  prodigieuse  (  102  mètres)  et 
d'une  structure  svelte  et  élégante,  et  dont  la  deuxième,  haute 
de  40  mètres,  et  plus  remarquable  encore,  dévie  de  2",5 
à  2  "',8  de  la  perpendiculaire,  tandis  que  la  déviation  de 
l'autre  n'est  que  de  1"',55.  Viennent  ensuite  la  cathédrale 
de  San-Petronio,  de  style  gothique,  où  l'on  voit  la  méri- 
dienne tracée  par  Dominique  Cassini;  la  magnifique  église 
des  Dominicains,  avec  les  tombeaux  de  Taddeo  Popoii  et  du 
loiEnzio;  San-Stefano,  San-Sepolcro ,  San-Salvatore,  San- 
Jlailino,  San-Giovanni  in  Monte,  San-Giacomo,  qui  toutes 
possèdent  encore  des  chefs-d'œuvre  de  l'ail  ;  la  fontaine  de 
marbre,  sur  la  Piazza  Maggiore,  ou  place  du  Géant,  œuvre 
du  célèbre  sculpteur  Jean  de  Bologne,  ainsi  que  plusieurs 
autres  monuments. Bologne,  de  tout  temps  célèbre  dans 
.  les  aiuiales  des  sciences  et  des  beaux-arts,  possède  ur.ft 

50 


394 

université  fondée  ,  dit-on,  en  425,  par  l'empereur  Tliéodose 
le  jeune.  La  faculté  tle  droit,  illustrée  au  douzième  siècle 
par  Iriicrius,  jeta  longtemps  un  vif  éclat.  Aujourd'hui  encore 
cette  université,  quoique  bien  déchue  de  sa  splendeur  passée, 
est  une  des  meilleures  de  l'Italie;  c'est  à  peine  si  elle  compte 
trois  cents  étudiants  après  les  avoir  comptés  par  milliers. 
Le  collège  (Ici  Dotti  tient  aussi  ses  séances  à  Bologne.  On 
y  remarque  encore  l'édifice  de  lo  Studio;  le  musée  de  l'Ins- 
titut, plein  de  productions  rares  de  la  nature  et  des  arts,  et 
dont  la  bibliothèque,  riche  de  150,000  volumes  et  de  1,000 
manuscrits,  possède  entre  autres  les  autographes  de  Mar- 
sigli,  le  fondateur  de  l'Institut  des  Sciences.  Cet  institut, 
fondé  en  1714,  tomba  dans  une  décadence  complète  à  la  suite 
des  guerres  du  siècle  dernier;  mais  Pie  VIII,  suivant  en  cela 
les  intentions  de  son  prédécesseur  Léon  XII ,  le  rouvrit 
en  1829,  et  depuis  1834  il  a  déjà  publié  divers  ouvrages. 
Marsigli  contribua  aussi  à  l'établissement  d'un  observatoire, 
d'un  amphithéâtre  d'anatomie,  d'un  jardin  de  botanique,  et 
d'autres  collections  scientiliques.  Outre  son  université,  Bo- 
logne possède  plusieurs  acadéuues ,  une  école  d'artillerie  et 
une  école  d'ingénieurs,  un  collège  espagnol,  une  école  de 
médecine  et  de  chirurgie,  une  Société  Philharmonique,  une 
Société  d'Agriculture  ,  et  depuis  1816  une  Société  socra- 
tiqtie  pour  l'avancement  du  bonheur  social ,  société  de- 
venue suspecte  de  carbonarisme  en  1821.  L'Académie  des 
Jîeaux-Arts,  appelée  aussi  Académie  Clémentine,  du  nom 
de  son  fondateur  le  pape  Clément  XIII,  a  rassemblé  les 
chefs-d'œuvre  de  l'école  bolonaise ,  créée  au  seizième  siècle 
par  Caracci,  Guido  Reni,  Domenichino,  Albano,  etc.,  ainsi 
([ue  ceux  de  l'ancienne  école  byzantine  ;  on  y  a  joint  une  école 
»le  peinture.  Indépendamment  de  cette  précieuse  galerie ,  qui 
s'est  enrichie  en  1815  de  toutes  les  richesses  enlevées  par 
les  Français  aux  églises  et  aux  couvents  de  la  ville  pour  éti  c 
transportées  à  Paris  et  à  Milan  ,  Bologne  montre  encore  aux 
étrangers  plusieurs  collections  d'objets  d'arts,  comme  les 
galeries  Marescalchi ,  Marlinengo,  Ercolani,  Zambeccaii, 
Lambertini,  Tanari,  Caprara,  Baccioclii.  Le  vénérable 
hôtel  de  ville,  situé  sur  la  principale  place,  contient  aussi 
de  véritables  richesses ,  entre  autres  la  collection  des  manus- 
crits d'Aldrovandi.  Des  trois  théâtres  de  Bologne,  le  plus 
vaste  est  le  théùtre  Zaproni;  mais  le  plus  beau  est  le  Nou- 
veau Théâtre,  sur  la  promenade  du  Rempart. 

Le  macaroni  de  Bologne,  ses  saucissons,  ses  liqueurs, 
ses  fruits  conlits,  ses  fleurs  artificielles  et  ses  savons  par 
fumés  jouissent  d'une  grande  réputation. 

Les  Bolonais  sont  industrieux ,  d'un  caractère  franc,  gai 
et  tranquille,  courageux  dans  leurs  entreprises,  aimant  les 
spectacles,  comme  tous  les  Italiens.  Les  femmes  sont  ai- 
mables et  plus  gracieuses  que  belles.  La  campagne  aux  en- 
virons est  fertile,  bien  cultivée  et  d'un  aspect  assez  riant. 
A  une  demi-lieue  de  la  ville  s'élève  sur  une  colline  des 
Apennins  le  couvent  de  la  Madona  di  San-Luca,  lieu  de  pè- 
lerinage fameux,  auquel  on  arrive  par  une  galerie  de  six  cent 
cinquante-quatre  arcades.  Une  autre  galerie  conduit  au 
Campo-Santo,  que  ses  arcades  spacieuses  et  bien  éclai- 
rées, ses  nombreux  monuments  funéraires,  ses  vertes  pe- 
louses font  regarder  à  juste  titre  comme  le  cimetière  le  plus 
magnifique  de  l'Italie.  C'est  d'une  montagne  voisine,  du 
mont  Paterno,  que  l'on  tire  la  barytine,  ou  spath  pesant 
des  anciens  minéralogistes,  vulgairement  appelé  pierre  de 
Bologne  {voyez  Sulfate). 

Bologne  existait,  dit-on,  longtemps  avant  Rome.  Elle 
joua  un  rôle  très-important  sous  les  Romains.  Plus  tard , 
elle  fit  partie  de  l'exarchat.  Les  Lombards  la  conquirent, 
puis  la  cédèrent  aux  Francs,  et  Charleniagne  la  déclara 
ville  libre.  Au  douzième  siècle  elle  acquit  une  si  grande  puis- 
sance qu'elle  osait  alors  braver  l'empereur  lui-même.  Les  di- 
visions de  la  noblesse  amenèrent  dans  le  treizième  siècle  la 
ruine  de  la  répid)lique.  Longtemps  les  lamillles  Geremei, 
Lainbtrlaui,  l'cpoli,  Bentivoglio,  etc.,  s'y  disputèrent  le 


BOLOGNE 

pouvoir,  jusqu'à  ce  que,  en  1513,  les  papes,  qui  n'avaient 
cessé  de  réclamer  la  suzeraineté  sur  Bologne ,  les  mirent 
d'accord  en  les  soumettant.  Devenue  le  chef-lieu  d'une  dé- 
légation ,  Bologne  resta  en  possession  de  nombreux  privi- 
lèges ,  qu'elle  ne  perdit  qu'à  l'époque  de  l'occupation  fran- 
çaise. 

Le  19  juin  1796  les  Français  entrèrent  dans  Bologne ,  et  le 
pape  dut  la  leur  c«der  par  le  traité  de  Tolentino.  Elle  fut  alors 
réunie ,  ainsi  que  son  territoire,  à  la  république  Cisalpine. 
En  1799  les  Autrichiens  s'en  emparèrent;  mais  en  1800, 
après  la  bataille  de  Marengo,  elle  retomba  au  pouvoir  delà 
France ,  qui  en  fit  le  chef-lieu  du  département  du  Reno.  En 
1815  elle  rentra  sous  l'autorité  du  i)ape.  En  1821 ,  comme 
centre  de  l'Italie  confédérée ,  elle  fut  le  principal  loyer  de 
l'insurrection  républicaine  qui  éclata  le  4  février,  et  s'étendit 
rapidement  jusqu'à  Ancône.  Le  cardinal-légat  s'enfuit,  et  un 
gouvernement  provisoire  fut  installé  à  sa  place.  La  prompte 
intervention  des  Autrichiens  sous  les  ordres  du  général 
Frimont  comprima  en  peu  de  jours  cette  révolte,  et  remit  Bo- 
logne sous  l'autorité  du  pape;  mais  de  nouveaux  troubles 
eurent  lieu  le  21  décembre  1831  ,  et  renversèrent  encoi-e 
une  fois  le  gouvernement  pontifical.  Cette  fois  encore  l'in- 
tervention autrichienne  rétablit  la  tranquillité  dès  le  mois  de 
janvier  1832.  En  1843  les  vexations  des  employés  de  l'oc- 
troi ayant  excité  des  murmures  et  de  l'agitation  dans  la  Ro- 
magne,  on  envoya  à  Bologne  une  commission  militaire  ex- 
traordinaire, qui  ne  négligea  vien  pour  édifier  une  conspira- 
tion politique.  Une  foule  de  Bolonais  furent  jetés  en  prison  , 
d'autres  s'enfuirent  dans  les  montagnes.  Le  mécontentement 
était  à  son  comble  lorsque  Pie  IX  monta  sur  le  trône. 

Quoique  Rome  fût  à  la  tète  du  mouvement  politique  dans 
les  États  de  l'Eglise,  Bologne  n'en  prit  pas  moins  une  grande 
part  à  la  révolution  de  1848.  Aucune  ville  ne  fournit  plus  de 
volontaires  à  l'armée  de  l'indépendance  italienne  ;  et ,  le 
8  août,  un  corps  autrichien  ayant  essayé  de  s'en  emparer  par 
un  coup  de  main ,  il  fut  obligé  de  battre  en  retraite  avec 
perle  devant  un  soulèvement  en  masse  de  la  population.  Mais 
plus  tard,  le  8  mai  1849,  lorsque,  après  avoir  signé  la  paix 
avec  la  Sardaigne,  les  Autrichiens,  du  consentement  du  pape, 
se  présentèrent  de  nouveau  devant  la  ville,  Bologne,  qui 
avait  résisté  pendant  huit  jonrs  et  souffert  le  16  mai  un 
bombardement,  au  total  assez  peu  meurtrier,  dut  ouvrir  ses 
portes  et  recevoir  dans  ses  murs  les  troupes  du  général  Gorz- 
kowsky.  Depuis  cette  époque  elle  est  placée,  comme  toute 
la  Romagne ,  sous  le  régime  de  l'état  de  siège.  Le  comman- 
dant du  second  corps  d'armée,  qui  occupe  les  Etats  du  pape 
et  la  Toscane,  y  a  établi  son  quartier  général. 

B0L0G1\E (  Jean  de).  Ce  célèbre  sculpteur,  naquit  à 
Douai,  en  1524.  C'est  donc  une  de  nos  gloires  nationales, 
quoique  le  nom  de  la  ville  où  il  s'était  établi ,  et  qu'on  lui 
donne  ordinairement ,  ait  fait  croire  à  quelques  biographes 
qu'il  était  Italien.  Ce  qui  a  pu  contribuer  à  répandre  cette 
erreur,  c'est  que  Jean  de  Bologne  s'appliqua  à  imiter  la 
manière  de  Michel- Ange,  dont  il  sut  mettre  à  profit  les 
conseils  et  les  leçons. 

Les  ouvrages  de  Jean  de  Bologne  décèlent  généralement 
d'exactes  connaissances  anatomiques.  Parmi  les  plus  re- 
marquables par  la  chaleur  et  l'aisance  de  l'exécution ,  on 
cite  le  Soldat  romain  eiilevaut  une  Sabine,  groupe  qui 
orne  la  grande  place  de  Florence.  Dans  la  même  \i\h  deux 
statues  colossales,  un  Aeptune  et  le  Jupiter  pluvieux, 
attestent  la  hardiesse  du  ciseau  de  l'artiste.  Les  figures  et  les 
accessoires  en  bronze  de  la  fameuse  fontaine  de  la  place 
Majeure,  à  Bologne,  sont  encore  de  lui.  Gènes  et  Venise  pos- 
sèdent aussi  plusieurs  de  ses  ouvrages.  On  admire  encore  à 
Rome  lu  statue  qu'il  y  exécuta  pour  la  maison  de  plaisance 
de  Médicis  :  c'est  le  Mercure,  chef-d'œuvre  de  légèreté,  dont 
on  a  fait  de  nombreuses  copies. 

La  France  a  aussi  sa  part  des  œuvres  de  ce  statuaire  : 
Meudon  possède  un  Esculape  de  Jean  de  Bologne,  ut  Vw- 


BOLOGNE  —  BOMBARDE 


395 


«ailles  un  groupe  de  VAmottr  et  Psyché.  Enfin,  l'ancienne 
statue  équestre  de  Henri  IV,  qui  était  placée  sur  le  Pont- 
Neuf,  et  qui  fut  détruite  pendant  la  révolution,  avait  été  com- 
mencée par  Jean  de  Bologne ,  et  fut  achevée  par  son  élève 
Taffa. 

Jean  de  Bologne  avait  atteint  l'âge  de  quatre-vingt-quatre 
ans  sans  abi.ndonner  le  travail,  lorsqu'il  mourut,  en  1608. 
BOLOGIXESE  (II).  Voyez  Grimaldi. 
BOLONAISE  (  École  ).  Voyez  École  de  peinture. 
BOLTON ,  surnommé  le  Moors ,  pour  le  distinguer  de 
plusieurs  autres  localités  du  môme  nom ,  n'était  autrefois 
qu'un  bourg  sans  importance ,  situé  au  milieu  d'une  contrée 
marécageuse ,  dans  le  comté  de  Lancaster ,  au  nord-ouest  de 
Manchester.  Aujourd'hui  c'est  une  ville  de  fabrique ,  qui 
compte  environ  98,000  habitants,  La  rivière  du  Croal  la 
divise  en  deux  parties ,  le  Grand-Bolton  et  le  Petit-Bolton. 
Elle  est  bien  bâtie,  possède  des  halles,  un  théâtre,  etc. ,  et 
est  mise  en  communication  avec  le  canal  de  Liverpool  par  un 
chemin  de  fer,  et  avec  Manchester,  depuis  1791 ,  par  le  canal 
de  Bolton.  Les  riches  mines  de  houille  et  les  vastes  fonderies 
qui  se  trouvent  dans  le  voisinage  ont  contribué  pour  leur 
part  à  donner  aux  manufactures  de  coton  dont  cette  ville  est 
le  principal  centre  depuis  1756,  un  développement  tel  que 
clraque  année  il  s'y  fabrique  six  millions  de  pièces  de  mous- 
seline. C'est  à  Bolton  que  fut  inventée  par  Thomas  Highs, 
ou,  selon  d'autres ,  par  James  Hargreaves,  la  machine  à  hier 
(  the  spinning-jenny  ) ,  qui  s'est  introduite  partout  avec  les 
perfectionnements  de  sir  Richard  Arkwright;  et  c'est  là 
encore  qu'un  tisserand,  Samuel  Crompton,  a  inventé  la 
niule-jenny.  Les  manufactures  de  laine  y  furent  introduites 
en  1337  par  des  réfugiés  flamands,  et  la  population  indus- 
trielle s'y  accrut  considérablement  depuis  la  révocation  de 
l'édit  de  Nantes  par  l'arrivée  d'un  grand  nombre  de  protes- 
tants h-ançais.  Bolton  a  joué  aussi  un  rôle  dans  la  guerre 
de  la  révolution  anglaise.  Le  comte  de  Derby  y  fut  décapité 
en  1651 ,  parce  qu'il  avait  proclamé  roi  Charles  II. 
BOLZAIVO.  Voyez  Botzen. 

BOLZAJVO  (  Bernard  ) ,  philosophe  et  théologien ,  na- 
quit à  Prague,  le  5  octobre  1781.  L'étude  des  sciences  ma- 
thématiques, auxquelles  il  s'était  appUqué  de  bonne  heure, 
exerça  une  influence  notable  et  sur  le  développement  de  son 
esprit  et  sur  sa  méthode  philosophique.  A  l'âge  de  vingt- 
quatre  ans  il  était  déjà  docteur  en  philosophie ,  prêtre  et 
professeur  de  théologie  à  l'Université  de  Prague.  Il  ne  man- 
qua pas  d'ennemis  puissants,  qui  le  menacèrent  de  destitu- 
tion, sous  prétexte  qu'il  enseignait  d'après  le  catéchisme 
de  Schelling.  Toutefois,  l'archevêque  de  Salm  l'ayant  pris 
sous  sa  protection,  il  conserva  ses  fonctions  jusqu'en  1820, 
répandant  les  bienfaits  de  ses  lumières  sur  un  nombreux  et 
ardent  auditoire.  Mais  à  cette  époque  de  réaction  générale 
il  ne  fut  pas  seulement  expulsé  de  sa  chaire ,  des  mesures 
adoptées  par  la  police  à  son  égard  enchaînèrent  en  outre  son 
activité  littéraire.  On  alla  même  jusqu'à  l'inquiéter  dans  les 
relations  qu'il  entretenait  avec  ses  amis  et  ses  disciples. 

Depuis  lors  jusqu'au  mois  de  novembre  1841  Bolzano 
▼écut  retiré  dans  une  famille  amie,  occupé  de  la  révision 
de  ses  nombreux  écrits.  Il  mourut  le  18  décembre  1848.  De 
l'aveu  unanime  de  tous  ceux  qui  le  connurent,  Bolzano 
était  un  homme  aimable  et  instruit.  Maladif  dès  sa  naissance , 
il  sut  vaincre  les  obstacles  que  lui  opposait  une  santé  débile 
par  l'énergie  d'une  volonté  prête  à  tous  les  sacrifices;  per- 
sécuté par  un  clergé  tout-puissant  et  naturellement  hostile 
à  ses  idées ,  il  continua  sa  route  sans  laisser  échapper  un 
mot  d'amertume  contre  ses  ennemis,  dans  l'espoir  d'être 
utile  à  son  église  et  à  sa  patrie,  en  renversant  de  vieux  pré- 
jugés pour  y  substituer  des  idées  plus  justes.  Son  caractère 
et  son  éducation  faisaient  prédominer  en  lui  la  raison  ;  cepen- 
dant, et  notamment  dans  ses  Discours  d'édification  à  la 
jeunesse  académique  (2*  édition;  Sulzbach,  1839,  aux- 
quels on  a  ajouté  trois  livraisons  de  supplément  après  la 


mort  de  l'auteur  ) ,  il  a  prouvé  que  le  sentiment  ne  lui  était 
pas  étranger. 

Nous  mentionnerons  ici,  comme  les  principaux  de  ses 
ouvrages  :  Athanasia,  ou  Preuves  de  l'Immortalité  de 
l'Ame  (2*  édit. ,  1838  )  ;  Traité  de  Théologie  (  4  vol. ,  1834  ), 
publié  par  ses  disciples ,  ouvrage  dans  lequel  l'auteur  exa- 
mine la  rationalité  de  chaque  dogme  et  son  utilité  morale  ; 
et  surtout  sa  Logique  (  4  vol. ,  1837  ).  Dans  ce  dernier  ou- 
vrage, Bolzano  part  de  la  différence  entre  l'idée  en  soi  et 
l'idée  conçue.  Selon  lui ,  le  but  de  la  philosophie  consiste  à 
examiner  l'idée  en  soi,  comme  principe  et  comme  objet 
éventuel  de  l'idée  conçue ,  et  de  rechercher  la  filiation  des 
idées  ou  vérités  objectives.  Il  est  parti  du  même  principe 
dans  son  Traité  d' Esthétique  (1  vol.,  Prague,  1843-1849), 
ainsi  que  dans  un  petit  écrit  posthume  qui  a  été  publié  sous 
ce  titre  :  Qu'est-ce  que  la  Philosophie?  (  Vienne ,  1849  ).  A 
ces  ouvrages  nous  ajouterons  encore  le  Cçurs  abrégé  de 
Religion  chrétienne  catholique  comme  véritable  révéla- 
tion divine  (  Bautzen ,  1840  )  ;  le  Petit  Livre  d'Édification 
(Vienne,  1850  ). 

BOMBANCE,  expression  familière,  qui  ne  s'emploie 
guère  que  dans  l'acception  de  repas ,  de  festin  abondant  et 
plantureux  :  faire  bombance,  c'est  tenir  table  ouverte,  s'a- 
donner aux  plaisirs  de  la  table ,  ne  vivre  en  quelque  sorte 
que  par  eux  et  pour  eux.  «  On  peut,  disait  en  1704  le  Dic- 
tionnaire de  Trévoux ,  se  servir  encore  de  ce  mot,  pourvu 
que  ce  soit  enriant,  en  goguenardant,  ou  en  imitant  le  langage 
que  l'on  parlait  il  y  a  cent  ans.  »  Il  faut  bien  que  ce  terme 
ait  été  réhabilité  depuis,  car  il  est  encore  fort  usité  aujour- 
d'hui, cent  cinquante  ans  apiès  la  restriction  faite  par  les  en- 
fants de  Loyola.  Il  est  même  en  honneur  dans  un  certain 
monde,  dans  la  classe  de  ceux  que  l'on  a  qualifiés  ou  qui  se 
sont  qualifiés  eux-mêmes  de  viveurs. 

Gardez-vous  toutefois  de  confondre  la  bombance  et  l'or- 
gie. Celle-ci,  folâtre  et  débraillée,  pétille  de  jeunesse  et 
perd  aisément  la  tête.  Celle-là ,  d'un  âge  plus  mûr,  conscn'e 
imperturbablement  la  sienne,  sauf  à  desserrer  gravement, 
au  besoin,  la  boucle  de  son  gilet.  Ce  n'est  point  une  bac- 
chante échevelée  ;  c'est  un  sage  de  la  Grèce ,  à  barbe  grise , 
dissertant  inter  pocula;  esprit  bien  moins  gourmet  que  gas- 
tronome, professant  à  fond  la  physiologie  du  goût,  et 
n'ayant  pour  bréviaire  que  le  chef-d'œuvre  de  Brillât-Sava- 
rin sur  cette  transcendante  matière. 

BOMBARDE  (Artillerie),  ancienne  arme,  premières 
bouches  à  feu.  Voyez  Artillerie  et  Canon,  tome  IV,  p. 365. 

BOMBARDE,  BATEAU-BOMBE,  GALIOTE  A  BOM- 
BES (JJfflrJne).  Depaisles  premières  bombardes,  inventées 
par  Renau  d'Eliçagaray  pour  réduire  Alger,  cette  merveil- 
leuse conception ,  dont  le  vieux  Duquesne  n'espérait  pas 
grand'chose ,  a  subi  bien  des  modifications  et  a  cessé  d'é- 
tonner les  marins.  Aujourd'hui  avec  im  mortier  et  quelques 
planches  ils  transformeraient  aisément  la  plus  mauvaise 
barque  en  bateau-bombe ,  sans  qu'ils  s'imaginassent  pour 
cela  exécuter  un  travail  prodigieux.  Mais  le  beau  temps  des 
bombardes,  quelque  perfection  que  l'on  ait  pu  donner  à  ce 
genre  de  navires,  est  passé  sans  retour.  Le  canon  seul 
semble  être  devenu  assez  fort  pour  réduire  les  positions  et 
les  places  que  les  vaisseaux  de  ligne  peuvent  approcher  à 
demi-portée  de  boulet. 

Les  bombardes,  construites  spécialement  pour  recevoir 
un  mortier,  sont  des  bâtiments  à  fond  plat,  doublés  en  forts 
bordages,  croisés  diagonalement,  et  non  soutenus,  comme 
dans  les  autres  constructions,  par  des  varangues  ou  de  l.i 
membrure.  Cette  disposition  particulière  des  bombardes  a 
pour  but  de  ménager  à  tout  le  système  selon  lequel  elles  sont 
construites  l'élasticité  nécessaire  à  des  bâtiments  soumis  à 
l'ébranlement  terrible  de  l'artillerie.  Le  fond  plat  que  l'on 
donne  à  la  coque  a  pour  but  d'assurer  à  ces  navires  plus  de 
stabilité  et  de  leur  donner  le  moins  possible  de  tirant  d'eau. 
Le  puits  sur  lequel  doit  êtie  posé  le  mortier  s'élève  de  la 


SOrî 


BOMBARDE  ~  BOMBARDEMENT 


calle  du  navire  jusqu'au  pont ,  ou  tout  au  moins  jusqu'à 
«ne  petite  distance  an-dessous  du  pont.  On  a  soin  pour  for- 
mer la  base  de  ce  puits  de  placer  sur  la  carlingue,  et  d'un 
bord  à  l'autre  du  vaigrage ,  de  fortes  pièces  de  bois  ca- 
pables de  supporter  la  pesanteur  de  l'appareil.  Le  puits, 
qui  n'est  autre  chose  qu'un  prisme  rectangle,  se  constmit 
avec  de  fortes  planches  de  chêne;  on  le  comble  dans  le  sens 
de  sa  hauteur  et  de  sa  largeur,  en  superposant  des  couches  de 
tronçons  de  câble  et  de  feuillards  les  uns  sur  les  autres , 
afin  de  donner  à  tout  ce  système  l'élasticité  nécessaire.  Une 
fois  le  puits  disposé  de  manière  à  recevoir  la  pièce  d'artille- 
rie, on  pose  la  base  du  mortier  sur  la  plate-forme.  Dans  les 
petites  bombardes,  cette  plate-forme  est  quelquefois  mobile, 
et  celte  disposition  permet  à  la  bombarde  de  tourner,  sans 
([u'elle  ait  besoin  de  se  mouvoir  elle-même,  la  gueule  du 
mortier  vers  le  point  sur  lequel  on  se  propose  de  diriger  le 
projectile,  tandis  qu'à  bord  des  frégates  ou  des  gabares  ar- 
mées en  l)()inb;\rdes ,  le  mortier  étant  fixé  invariablement  sur 
sa  plate-forme,  il  devient  indispensable  de  manœuvrer  de 
manière  à  mettre  le  navire  en  position  de  diriger  son  feu 
dans  le  sens  de  la  position  du  mortier  placé  à  poste  fixe. 
Dans  quelques  bombardes,  la  plate-forme,  au  lieu  d'être 
sontcnne  par  un  puits  composé  ou  rempli  de  fascines,  se 
trouve  posée  tout  simplement  sur  de  très-fortes  épontilles 
croisées,  qui  n'offrent  pas,  comme  supports,  autant  d'élas- 
ticité ou  de  jeu  que  les  puits  comblés  avec  des  tronçons  de 
filain  et  des  paquets  de  feuillards. 

Dans  le  temps  des  flottilles  réunies  àFlessingue  et  à  Bou- 
logne ,  on  arma  un  grand  nombre  d'embarcations  en  bom- 
bardes, et  on  leur  donna  le  nom  de  bateaux-bombes.  Cha- 
cun de  ces  bateaux  portait  un  seul  mortier.  Quelques-uns 
étaient  pourvus  d'un  mât  de  misaine  à  bascule,  qui  s'abat- 
tait à  volonté  pour  donner  au  projectile  lancé  parle  mortier 
la  facilité  d'ôtre  dirigé  par  l'avant  dans  le  sens  de  la  lon- 
gueur du  bâtiment.  C'est  entre  le  grand  mât  et  le  mât  de 
misaine  qu'à  bord  des  forts  bâtiments  on  place  le  mortier 
ou  les  mortiers  qui  forment  l'artillerie  principale  des  bom- 
bardes. Lorsqu'une  bombarde  de  grande  dimension  est 
:  pourvue  de  deux  mortiers,  l'une  de  ces  pièces  donne  sur  le 
côté  de  tribord,  l'autre  sur  le  côté  de  bâbord;  toutes  deux 
quelquefois  donnent  sur  le  même  bord,  même  alors  que  la 
plate-forme  ne  se  trouve  pas  mobile. 

La  dénomination  àagalïotes  à  bombes,  qui  s'est  perdue, 
indique  encore  assez  quelle  fut  la  construction  des  pre- 
mières bombardes  que  l'on  employa  en  mer.  C'étaient  des 
galiotes  dites  hollandaises ,  bâtiments  très -solides  et  à  fond 
cntièi«ment  plat.  Si  depuis  on  a  conservé  aux  constructions 
nouvelles  une  partie  des  conditions  des  premières  galiotes, 
on  a  du  moins  beaucoup  modifié  ce  genre  de  construction. 
Les  dernières  bombardes  spécialement  destinées  à  porter  des 
mortiers  étaient  faites  de  manière  à  manœuvrer  et  à  marcher 
très-bien ,  et  môme  à  entreprendre  de  longs  voyages  au  mi- 
lieu des  expéditions  auxquelles  elles  devaient  coopérer.  Aux 
premiers  temps  de  l'emploi  des  mortiers  dans  la  marine , 
on  construisit  en  maçonnerie  les  puits  destinés  à  supporter 
la  plate-forme  ;  plus  tard ,  on  substitua  le  bois  de  char- 
pente à  la  maçonnerie. 

Les  mortiers  employés  dans  la  marine  militaire  pour  le 
bombardement  sont  coulés  d'un  seul  bloc  avec  leur  plate- 
forme. L'angle  fixe  formé  par  la  direction  du  mortier  et  sa 
plate-forme  est  de  45°.  L'âme  du  mortier  a  environ  deux 
fois  et  demie  la  longueur  du  calibre  de  la  pièce.  Une  plus 
grande  dimension  exposerait  la  bombe  à  se  briser  dans  l'ex- 
plosion. On  emploie  jusqu'à  14  a  15  kilogrammes  de  pondre 
à  la  charge  des  gros  mortiers.  La  détonation  de  ces  énormes 
pièces  est  si  forte  et  produit  à  bord  une  si  terrible  commo- 
I  ion ,  que  les  gens  de  l'équipage  des  bombardes ,  et  surtout 
les  hommes  qui  servent  le  mortier,  sont  obligés  de  se  bou- 
cher les  oreilles  avec  du  coton  ,  pour  prévenir  les  homoirha- 
^ics  ou  les  effets  de  surdité  qui  résultent  i^'ielquctois,  malgré 


cette  précaution ,  de  la  détonation  des  mortiers  placés  à  bord 
des  bombardes.  Edouard  Corbière. 

On  donne  aussi,  mais  par  abus  du  mot,  le  nom  de  bom- 
bardes à  quelques  bâtiments  marchands  des  ports  de  la  Mé- 
diterranée. Cette  dénomination  s'applique  dans  le  Levant 
aux  navires  que  nous  désignons  dans  le  Nord  sous  le  nom 
de  trois-mûls. 

BOMBARDEMENT ,  mot  dont  l'origine  appartient 
au  mot  bombarde,  et  dont  l'emploi  se  rapporte  au  mot 
bombe.  C'est  l'opération  par  laquelle  se  termine  le  plus  or- 
dinairement le  siège  d'une  place  qui  ne  veut  pas  se  rendre. 
Elle  consiste  à  lancer  une  multitude  de  bombes  sur  les  éta- 
blissements militaires  de  l'assiégé  pour  le  mettre  hors  d'état 
de  prolonger  sa  défense  ;  mais  dans  les  places  dont  l'inté- 
rieur est  habité  par  une  nombreuse  population ,  les  maisons 
particulières  ont  souvent  à  souffrir  du  jet  des  bombes,  qui 
les  écrasent  et  les  ruinent  :  aussi  n'en  vient-on  jamais  à  cette 
extrémité  qu'après  avoir  fait  une  sommation  au  comman- 
dant de  la  place  et  l'avoir  averti  que  tout  est  prêt  pour  le  bom- 
bardement. Le  refus  de  rendre  la  ville  est  aussitôt  suivi  d'untî 
nombreuseprojectiondebombes,  chargées  de  poudre  et  de 
matières  inflammables  qui  embrasent  les  bâtiments  écrasés. 

Les  bombardements  des  grandes  villes  sont  un  moyen 
rigoureux  et  impolitique  ,  puisqu'ils  frappent  sur  des  non- 
combattants,  font  la  guerre  aux  citoyens  plus  qu'aux  sol- 
dats, exaspèrent  les  peuples  ,  et  nationalisent  la  guerre;  il 
n'était  cependant  que  trop  commun  jadis  de  voir  des  assié- 
geants ou  des  forces  navales  se  porter  à  cette  extrémité ,  en 
vue  de  hâter  la  reddition  d'une  place,  de  désoler  un  pays., 
d'en  châtier  la  population ,  d'en  ruiner  le  commerce ,  les 
étabhssements ,  les  approvisionnements.  Les  exemples  des 
attaques  par  bombardement  sont  heureusement  devenus  plus 
rares  dans  les  guerres  modernes  :  les  Français  ne  sont  pas 
le  peuple  qui  goûte  le  plus  ce  moyen  .D'Arçon,  qui  écrivait 
en  179G,  pense  que  militairement  un  bombardement  est 
de  peu  d'effet  contre  les  places  fortes;  il  foudroie  des  h;:- 
bitalions,  mais  il  est  bravé  par  la  garnison,  si  clic  est 
aguerrie,  et  elle  en  évite  en  partie  le  danger  en  recourant 
aux  blindages ,  ou  en  se  retirant  dans  les  casemates. 

Gênes  fut  bombardée  en  1684  par  Seignelay,  fils  de  Col- 
bert.  Le  maréchal  d'Estrées,  en  1685,  bombarda  Tripoli  : 
celte  ville  éprouva  de  nouveau  le  même  sort  en  1728  et 
en  1747.  Prague  fut  bombardée  en  1759;  mais  ce  fut  sur- 
tout le  défaut  de  vivres  qui  en  amena  la  reddition.  En  1793, 
Lille,  Lyon,  Mayence;  en  1794,  Menin,  Valenciennes , 
Le  Quesnoy,  Ostende,  Nieuport,  L'Écluse,  subirent  un  bom- 
bardement :  quelques-unes  de  ces  villes  résistèrent ,  telles 
que  Lille,  Mayence,  etc.;  d'autres  succombèrent,  mais  ce 
tilt  par  suite  d'une  complication  d'événements  secondaires. 
A  des  époques  plus  modernes,  Dieppe,  le  Havre,  Honlleur, 
ont  été  bombardés. 

Les  Anglais  et  les  Autrichiens  ont  pratiqué  les  plus  ter- 
ribles et  les  plus  nombreux  bombardements.  Ils  sont  par- 
tisans de  ce  système.  Aussi  les  fusées  de  guerre,  puissant 
auxiliaire  du  bombardement,  ont-elles  été  remises  en  hon- 
neur par  l'un  de  ces  peuples,  et  perfectionnées  par  l'autie. 
Napoléon  n'était  point  pour  ce  genre  de  guerre.  Les  Français 
ne  la  pratiquèrent  point  en  Espagne  ;  il  ne  fut  jeté  de  bom- 
bes à  Smolensk  que  sur  des  points  où  les  troupes  russes 
statioimaient.  La  guerre  de  1832  n'a  consisté  pour  ainsi  dire 
qu'en  un  bombardement,  mais  ce  fut  un  bombardement  i\f 
forteresse  et  non  de  ville,  ce  qui  est  fort  différent.  Vingt-  . 
cinq  mille  bombes  furent  alors  lancées  contre  la  citadelle 
d'Anvers,  ce  qui  n'avança  pas  sensiblement  la  reddition  de 
la  citadelle.  G^'  Cardin. 

C'est  surtoutdans  les  guerres  civiles  que  le  bombardement 
est  un  acte  injustifiable ,  odieux ,  auquel  la  raison  répugne, 
et  que  riuimanité,  d'un  commun  accord,  devrait  proscrire 
de  partout  sur  la  tene,  d'autant  plus  qu'on  a  surabondam- 
ment reconnu  que  c'était  un  moyen  complètement  inutil*;, 


à 


BOMBARDEME.NT  —  BOMBE 


397 


ft  que  jamais  il  n'avait  réussi  à  faire  capituler  cinq  minutes 
plus  liM  une  ville  assiégée.  A  quoi  bon  dès  lors  cette  destruc- 
tion sauvage  de  monuments  et  de  chefs-d'œuvre?  A  quoi 
bon  ce  massacre  sans  but  de  tant  d'innocentes  victimes? 
Quel  cœur  n'a  frémi  dans  ces  derniers  temps  aux  récits 
lamentables  des  bombardements  de  Barcelone ,  de  Vienne , 
de  Venise  et  de  Palerme? 

BOMBARDIER.  Ce  mot  a  signiflé  primitivement  un 
militaire  manœuvrant  la  bombarde  (voye^  Artillerie),  et 
plus  tard  celui  qui  manœuvre  le  mortier.  Aussi  Furetière 
prétend-il  que  depuis  l'invention  de  la  bombe  on  aurait 
dû  préférablement  employer  le  terme  de  bombier  ou  bom- 
biste.  Louvois  réunit  en  t668  les  bombardiers,  jusque  là 
épars  à  la  suite  de  Tannée  française,  et  presque  tous  Italiens. 
Il  en  forma  en  1671  deux  compagnies  régimentaires ,  qui 
furent  augmentées  en  1684,  et  formèrent  en  1686  le  régi- 
ment royal  des  bombardiers,  qui  était  de  quatorze  com- 
pagnies. Ce  genre  d'arme  fut  réuni  en  1720  à  Tartillerie  ;  et 
aujourd'hui  tout  canonnicr  doit  être  au  besoin  bombardier. 
Dans  les  batteries  de  mortiers  on  distingue  les  artilleurs  en 
bombardiers  et  en  servants. 

Longtemps,  dans  les  ports  de  guerre,  on  a  désigné  par 
le  nom  de  bombardiers  les  hommes  composant  les  compa- 
gnies d'élite  de  l'artillerie  de  marine,  correspondant  à  celle 
de  grenadiers  dans  l'infanterie  de  Ugne  et  de  carabiniers  dans 
l'infanterie  légère.  Les  bombardiers  sont  des  corps  spéciaux 
plus  ou  moins  ressemblant  à  notre  artillerie  dans  les  milices 
autrichienne,  prussienne,  turque,  brésilienne  et  haïtienne. 
BOMBARDIERS  {Entomologie).  Sous  ce  nom  La- 
treille  avait  réuni  quelques  genres  d'insectes  coléoptères  de 
la  famille  des  carabiqiies,  savoir  :  les  brachines,  les 
cimydes,  les  tébies,  les  agrès  et  les  odacanthes,  parce 
que  tous  ces  animaux  ont  im  moyen  singulier  de  défense , 
qu'ils  emploient  lorsqu'ils  sont  en  danger  :  ils  font  alors 
jaillir  de  leur  anus  un  fluide  vaporeux,  caustique,  en  pro- 
duisant une  détonation. 

BOMBASIN ,  futaine  à  deux  envers ,  double  et  croisée, 
espèce  de  basin  double,  qui  est  lait  de  lil  et  de  coton 
croisés. 

On  donne  aussi  ce  nom,  dans  le  commerce,  à  une  sorte 
d'étoffe  de  soie  dont  la  manufacture  a  passé  de  Milan  dans 
quelques  villes  de  France,  telles  que  Lyon. 

BOMBAY  (en  portugais  i?oa-i?a/tJa ,  bonne  baie),  chef- 
lieu  de  la  présidence  du  même  nom  et  la  première  place  de 
commerce  des  Indes  après  Calcutta ,  est  bftlie  dans  un  pays 
ravissant,  mais  insalubre.  Fondée  par  les  Portugais,  à 
1680  kilomètres  sud-ouest  de  Calcutta,  1000  nord-ouest  de 
Madras  et  250  sud  de  Surate,  elle  compte  aujourd'hui  plus 
de  180,000  habitants,  dont  les  trois  quarts  sont  Hindous.  Le 
reste  de  la  population  se  compose  de  Parses,  de  Musulmans, 
(lui  habitent  un  faubourg  appelé  la  Ville  Noire,  d'environ 
quatre  mille  Juifs,  d'Arméniens,  de  Portugais ,  etc.  Bombay 
possède  un  bon  port,  de  beaux  docks  et  de  superbes  chan- 
tiers. Bâtie  sur  l'île  du  môme  nom ,  qu'une  chaussée  cons- 
tiuite  par  les  Anglais  unit  à  l'ile  de  Salsette ,  elle  a  en  face 
a'ellc  une  autre  île ,  du  nom  de  Colabba,  qui  n'en  est  séparée 
que  par  un  canal  étroit.  Bombay  est  défendue  du  côté  de  la 
mer  par  une  citadelle  construite  à  la  pointe  sud-est  de  l'île. 
Une  grande  partie  de  la  ville  ayant  été  détruite  par  un  in- 
cendie en  1803 ,  on  l'a  rebâtie  avec  beaucoup  de  goût.  Le 
grand  marché,  appelé  Le  Vert  (  The  Green  ) ,  est  entouré  de 
bâthnents  magnifiques ,  parmi  lesquels  se  distinguent  par 
leur  belle  architecture  l'église  anglicane  et  le  palais  du  gou- 
verneur, autrefois  collège  des  jésuites.  Le  nombre  des  mos- 
quées et  des  pagodes  est  considérable,  et  quelques-unes  peu- 
vent passer  pour  de  beaux  monuments.  Bombay  possède 
une  école  supérieure,  le  collège  d'Elphinstone,  un  riche  jar- 
din botani(|ue,  pour  l'embellissement  duquel  le  gouverne- 
ment fait  de  grandes  déi)enses,  plusieurs  écoles,  une  société 
asiatique ,  une  société  littéraire,  une  société  de  médecine  et 


de  chirurgie,  fondée  en  1835,  une  société  de  géographie  qui 
publie  des  mémoires ,  une  société  des  missions ,  qui  entre- 
tient depuis  1S14  une  imprimerie  et  des  écoles  de  garçons 
et  de  filles  ;  enfin  plusieurs  hôpitaux,  non  pour  les  hommes, 
mais  pour  les  animaux.  Le  commerce,  dont  s'occupent  prin- 
cipalement les  Parses,  est  très-étendu.  Les  principales  af- 
faires se  font  en  coton  et  en  poivre.  Les  bazars  offrent  un 
assortiment  complet  de  toutes  les  productions  de  l'Orient  et 
de  toutes  les  marchandises  de  l'Europe. 

Bombay  est  le  centre  des  communications  par  bateaux  à 
vapeur  entre  l'Europe  et  les  Indes  ,  la  station  des  paquebots 
réguliers  pour  Suez  et  l'entrepôt  le  plus  considérable  du 
commerce  de  l'Orient  après  Calcutta  et  Canton.  C'est  après 
Madras  la  plus  ancienne  possession  des  Anglais  dans  l'Inde. 
Cédée  par  les  Portugais  en  1661,  elle  fiit  donnée  en  1668  à 
la  compagnie  des  Indes  Orientales. 

BOMBAY  (Présidence  de),  une  des  quatre  présidences 
de  l'Inde  Britannique,  sur  la  côtn  occidentale  de  la  pre,s- 
qu'ile  en  deçà  du  Gange,  comprend,  avec  ces  possessions 
immédiates,  une  superficie  de  1770  myriamètres  carrés  et 
une  population  de  12  millions  d'habitants ,  hindous,  maho- 
métans,  parses,  juifs  et  européens.  Elle  embrasse  toute  la 
plaine  marécageuse  qui  entoure  de  golfe  de  Cambaye,  court 
au  sud  sur  une  étroite  lisière  de  côtes  basses ,  s'élève  au 
nord  sur  les  flancs  escarpés  des  Chattes  occidentales,  et  s'é- 
tend à  l'est  sur  les  plateaux  de  Darwar  et  d'Aurangabad. 
Elle  offre  au  nord  le  cours  inférieur  et  les  embouchures  du 
Nerbadda  et  du  Tapti ,  au  centre  les  sources  du  Godavery,  au 
sud  le  cours  supérieur  du  Krischna  ou  Kistna.  Dans  ces  con- 
trées les  principales  productions  de  la  nature  consistent  en 
poivre ,  cardamome ,  riz ,  coton ,  arak ,  bambou ,  huîtres  per- 
lières ,  perles ,  cornahnes,  bois  de  sandal ,  ivoire ,  gomme  et 
bois  de  construction.  Le  siège  du  gouvernement,  qui  avait 
été  établi  d'abord  à  Surate,  fut  transféré  à  Bombay  en  1686. 
La  politique  des  Anglais  a  pour  but  de  faire  de  Bombay  le 
centre  de  nombreux  établissements,  nommément  dans  le 
golfe  Arabique,  où  ils  puissent  mettre  à  l'abri  de  petites  es- 
cadres pour  la  protection  de  leur  commerce  contre  les  pi- 
rates. 

BOMBAY  (Ile  de).  Cette  île,  située  par  18°  56'  de  lati- 
tude septentrionale  et  90°  38'  de  longitude  orientale,  con- 
siste en  deux  couches  parallèles  de  serpentine,  et  n'e.st  sépa- 
rée du  continent  que  par  un  faible  bras  de  mer.  Elle  est 
petite  (environ 20  kilom.  de  long,  35 de  circonférence), sté- 
rile, et  peuplée  d'environ  200,000  habitants,  qui  vivent  dans 
deux  villes  et  quelques  villages.  Un  des  princes  indiens  qui 
régnaient  à  Salsette  la  céda  aux  Portugais  en  1530 ,  et  Ca- 
therine de  Portugal  la  porta  en  dot,  en  1661,  au  roi  d'Angle- 
terre Charles  II. 

BOMBE ,  ou  boulet  à  feu ,  ou  pierre  à  feu.  Le  mot 
bombe  est  d'une  création  bien  postérieure  au  substantif  boni  ■ 
barde  (i;oyei  Artillerie);  il  est  maintenant  en  rapport 
avec  le  verbe  bombarder,  qui  originairement  exprimait  le 
jeu  de  la  bombarde,  et  non  de  la  bombe  :  il  provient  du  grec 
moderne  pô[j.oo;,  qui,  à  ce  que  prétendent  quelques  savants, 
représente,  par  onomatopée,  la  double  explosion  qui  a  lien 
dans  le  tir  de  ces  projectiles.  Les  Chinois  connaissent  depui.s 
fort  longtemps  l'usage  des  globes  projectiles  creux  en  fer  ;  ils 
les  faisaient  éclater  à  une  distance  de  plus  de  deux  mille  pas, 
suivant  le  témoignage  du  père  Amiot,  qui  écrivaiten  1782  : 
peut-être  obtenaient-ils  orginairement  cet  effet  par  une  ap- 
plication ou  une  modification  du  système  qu'on  a  nommé 
feu  grégeois. 

La  bombe  de  la  milice  française,  inventée  bien  dessièck'.> 
après  celle  des  Chinois,  a  de  l'analogie  avec  les  aslioches  , 
les  fabriques,  les  malléoles  de  l'antiquité ,  et  surtout  de  Bj- 
zance,  et  avec  certains  corps  projectiles  du  moyen  âge,  qu'où 
nommait  engins  volants.  C'est  une  sphère  creuse,  en  fonte 
de  fer,  percée  d'un  trou  nommé  œil,  par  lequel  on  intro- 
duit la  charge  de  poudre,  et  qui  est  destinée  à  recevoir  ui.e 


898 


BOMBE 


fusée  remplie  d'une  composition  assez  lente  pour  donner  à 
la  bombe  le  temps  d'arriver  au  but  avant  d'éclater.  Elle  est 
garnie  de  deux  anses ,  placées  de  chaque  côté  de  l'œil ,  et 
dans  lesquelles  passe  un  anneau  de  fer  forgé  pour  en  facili- 
ter la  manœuvre  lorsqu'on  la  place  dans  le  mortier.  La  bombe 
doit  être  sans  soufflure  ni  évent;  sa  paroi  est  plus  mince  du 
côté  de  la  lumière  et  plus  renforcée  en  métal  du  côté  op- 
posé, nommé  cw/o<;  cette  différence  détermine,  au  terme 
de  la  projection ,  la  chute  sur  le  culot ,  et  non  sur  l'ampou- 
lette  ou  fusée. 

Le  bombardier  lance  sa  bombe  à  l'aide  d'un  mortier,  et 
la  dirige  à  tir  courbe ,  conformément  à  certaines  règles  de 
la  balistique.  Quelquefois  on  a  lancé  des  bombes  sans  le  se- 
cours d'un  mortier  :  ainsi  l'ont  fait  les  Polonais.  Les  bombes 
se  brisent  en  éclats  par  un  résultat  de  l'inflammation  que 
à  travers  l'œil  la  fusée  communique  à  la  charge.  On  s'est 
servi  dans  les  sièges  de  bombes  destinées  à  éclater,  et  nom- 
mées bombes  foudroyantes  ;  d'autres  étaient  destinées  seu- 
lement à  éclairer,  et  s'appelaient  bombes  flamboyantes.  On 
a  quelquefois  lancé ,  par  jet  alternatif ,  des  bombes  et  des 
carcasses.  Quelquefois  des  corps  attaqués  ont  employé  des 
bombes  à  la  défense  d'un  poste  fermé,  en  les  enterrant  sur 
le  front  des  attaques ,  et  en  les  faisant  sauter  comme  autant 
de  fourneaux,  à  mesure  que  l'attaquant  gagnait  du  terrain. 
Ces  fougasses  portatives,  et  les  autres  manières  dont  les  mi- 
neurs emploient  les  bombes,  rappellent  tout  à  fait  la  mé- 
thode des  mines  chinoises.  Des  assaillants  se  sont  aussi  ai- 
dés de  bombes  d'attrape ,  chargées  de  sable  ;  les  assiégeants 
les  tiraient  à  l'instant  de  gravir  une  brèche ,  ou  quand  ils 
allaient  entreprendre  quelque  attaque  du  même  genre ,  afin 
que  la  crainte  retînt  ventre  à  terre  les  assiégés ,  et  para- 
lysât longtemps  leur  résistance. 

Il  y  a  incertitude  touchant  le  lieu  originaire  et  l'époque 
de  la  découverte  des  bombes  modernes.  Suivant  l'opinion 
la  plus  commune,  et  selon  Strada,  ce  fut  en  1588,  au  siège 
de  Wachtendook,  duché  de  Gueidres,  que  les  Espagnols, 
conduits  par  Mansfeld,  firent  pour  la  première  lois  usage 
de  ce  genre  d'arme  à  feu,  qui  venait  d'être  inventé  par  un 
habitant  de  Vanloo.  Suivant  Bloudel,  les  Hollandais  et  les 
Espagnols  les  ont  fréquemment  employées  dans  leurs  lon- 
gues querelles.  Villaret  n'est  pas  éloigné  de  croire  que  les 
engins  volants  dont  Charles  VII  se  servait  en  1452  au  siège 
de  Bordeaux  étaient  des  projectiles  analogues  à  la  bombe. 
Valturius  (  De  Re  Militari  )  nous  autoriserait  môme  à  sup- 
poser que  les  mobiles  renfermant  de  la  poudre  remontent 
au  delà  de  1457,  et  sont  originaires  d'Italie.  «  OSigismond 
Fandolphe  (  c'était  un  Malatesta,  seigneur  de  Rimini,  mort 
en  1457),  c'est  à  toi,  dit-il ,  qu'on  doit  l'invention  de  ces 
machines  à  l'aide  desquelles  les  boulets  d'airain,  remplis 
d'une  poudre  inflammable,  sont  lancés  par  l'impulsion 
d'une  matière  brûlante.  »  Était-ce  des  grenades  jetées  à 
l'aide  de  bombardes  ?  C'est  croyable. 

Quant  aux  bombes  ou  grenades  lancées  à  l'aide  de  mor- 
tiers, leur  primitif  emploi  est  attribué  aux  ingénieurs  ita- 
liens qui  étaient  au  service  de  Mahomet  II,  en  1481.  Quel- 
ques auteurs  ne  font  remonter  l'essai  des  bombes  qu'à  l'an- 
née 1495,  époque  on  Charles  VIll  occupait  Naples.  Méze- 
rai  ne  les  suppose  pas  plus  anciennes  que  le  siège  de  Mézières, 
entrepris  en  1521,  et  le  général  Cotty  pense  que  le  premier 
usage  en  fut  fait  à  Rhodes,  en  1522.  Il  est  silr  qu'à  ce  siège, 
et  plu»  anciennement  sans  doute,  on  se  servit  de  grenades, 
puisqu'on  les  croit  plus  anciennes  de  cinquante  ans  que  les 
bombes  proprement  dites.  Celles  de  très-grand  diamètre 
n'auraient  été  employées ,  à  ce  qu'affirme  Lamartillière , 
qu'en  1558.  Bosius,  dans  son  Histoire  de  Malte,  parle  des 
bombes  que  les  Turcs  y  jetèrent  en  15G5.  Cette  diversité 
d'opinions  ne  proviendrait-elle  pas  de  ce  qu'on  aurait  con- 
fondu sous  le  nom  de  pierres  à  feu  les  bombes  avec  les 
grenades,  tandis  que  celles-ci  ne  lurent  qu'un  essai  et  que 
les  bombes  ne  constituèrent  qu'un  perfectionnement.'  On 


voit  dans  Tartaglia,  qui  écrivait  en  1537,  le  dessin  d'un 
boulet  enflammé,  lancé  par  un  mortier.  On  lit  clairement 
V histoire  de  la  Bombe  dans  Baldinucci ,  qui  a  écrit  la  vie 
de  Bontalenti,  artiste  florentin ,  et  qui  parle  dans  le  passage 
suivant  d'événements  appartenant  à  la  seconde  moitié  du 
seizième  siècle  :  «  Bontalenti  employait  des  pièces  de  divere 
cahbres  et  de  dimensions  variées  ;  il  se  servait  surtout  de 
l'énorme  chasse-diable,  dont  le  boulet  creusé  en  voûte 
portait  le  feu  avec  lui ,  et  occasionnait  par  son  choc  d'af- 
freux ravages.  » 

On  pourrait  induire  du  traité  d'Andréossy,  composé  en 
1825,  qu'il  regarde  les  projectiles  creux  comme  ayant  été 
lancés  pour  la  première  fois  par  le  canon  au  siège  d'Ostende, 
en  1602  :  un  ingénieur  français,  nommé  Renaud-Ville,  en 
aurait  inventé  le  tir,  en  aurait  proposé  l'emploi  à  l'archi- 
duc Léopold,  et  en  aurait  fait  l'essai  avec  succès.  Par  ces 
mots,  projectiles  creux,  Andréossy  comprend-il  les  bombes 
ou  seulement  les  boulets  creux?  Dans  le  premier  cas,  son 
assertion  serait  évidemment  erronée.  L'armée  française  fit 
indubitablement  usage  des  bombes  en  1634,  au  siège  de  La 
Molhe,  ville  de  Lorraine,  maintenant  rasée;  Malthus  se 
vante  de  les  y  avoir  jetées,  et  prétend  que  ce  fut  les  pre- 
mières qu'on  tira.  Le  siège  de  Candie,  en  1648,  consomma 
une  prodigieuse  quantité  de  bombes.  Le  jet  des  bombes  vé- 
nitiennes écrasa ,  en  1687,  les  Propylées  et  le  Parthénon 
d'Athènes.  Plus  on  supposera  ancienne  l'époque  de  cette  in- 
vention, plus  on  s'étonnera  que  le  tir  des  bombes  n'ait  pas 
fait  des  progrès  plus  rapides;  mais  cela  tient  à  ce  que,  sauf 
à  Candie ,  on  ne  les  employa  jamais  qu'avec  parcimonie,  à 
cause  de  leur  cherté.  L'usage  général  des  bombardements 
ne  date  que  du  temps  de  Feuquières,  comme  il  nous  l'ap- 
prend ;  or,  Feuquières  servait  dans  les  guerres  de  Louis  XIV. 
Ce  prince  fit  fabriquer  à  l'époque  de  la  guerre  de  1688  une 
énorme  comminge,  ainsi  appelée  du  nom  de  son  inventeur, 
et  que  décrit  Saint-Rémi  (  1697  ).  On  avait  employé  trente 
mille  briques  à  la  maçonner  au  fond  d'un  brûlot  ou  flûte 
destinée  à  renverser  le  port  d'Alger.  Cette  machine  infer- 
nale contenait  huit  milliers  de  poudre,  avait  coûté  quatre- 
vingt  mille  francs ,  et  fut  ramenée  en  France  sans  avoir 
servi. 

Il  y  a  eu  jusqu'en  1 832  des  bombes  depuisdix  kilogrammes 
jusqu'à  trois  cents.  Les  bombes  ordinaires  étant  de  32  cen- 
timètres, on  a  nommé  demi-bombes  celles  de  16.  On  appe- 
lait comminges  les  bombes  de  250  kilogr.  On  eût  pu  appe- 
ler double  connuinge  celle  de  500  kilogrammes  essayée  dans 
la  guerre  de  1832,  et  inventée  par  le  général  Paixhans. 
Elle  contenait  50  kilogrammes  de  poudre,  et  était  chassée,  au 
maximum,  par  16  kilogrammes.  En  général,  les  bombes  de 
moins  de  10  kilogrammes  se  sont  nommées  bombes  de  fos- 
sés, bombettes,  bombines,  grenades, doubles  grenades, 
obus,  etc.  On  les  jetait  à  la  main  ou  bien  au  moyen  de 
tubes  dirigés  à  ricochets.  On  tire,  au  contraire,  parabolique- 
ment  les  grosses  bombes,  et  elles  servent  surtout  contre  les 
cavaliers  de  forteresse,  contre  les  écluses,  contre  les  voûtes 
d'église,  etc. 

On  a  commencé  à  pratiquer  à  Strasbourg,  en  1749  et 
1763,  le  tir  de  la  bombe  au  moyen  du  canon,  remplaçant 
le  mortier.  En  1784,  Duteil  essaya,  à  Anxonne,  de  faire 
partir  des  bombes  sans  mortiers  ni  bouches  à  feu  ;  c'était 
un  procédé  d'origine  polonaise.  On  trouve  dans  le  Bulletin 
des  Sciences  Militaires  une  description  de  bombes  dont 
l'explosion  a  lieu  quand  on  y  porte  le  pied.  L'invention  de 
cet  appareil  de  détonation  appartient  au  lieutenant-colonel 
Miller  ;  cette  espèce  de  fougasse  remplace  une  sentinelle,  an- 
nonce l'approche  de  l'ennemi,  et  est  un  moyen  de  défense 
des  défilés  et  des  ponts,  etc.  Depuis  la  suppression  des  mor- 
tiers à  bombes  de  32  centimètres,  les  bombes  de  l'armée 
française  sont  de  27  à  22  centimètres  ;  les  premières  pèsent 
50  kilogrammes  et  'es  autres  20,  Il  y  a  eu  des  bomhcsen 
marmite,  il  y  en  a  eu  à  melon.  G*'  BAiini.N. 


BOMBELLES  —  BOMBYX 


399 


BOMBELLES  (Famille  de).  Cette  famille,  d'origine 
portugaise,  était  connue  déjà  du  temps  des  croisades.  Une 
branche  s'établit  en  France,  d'où  elle  passa  plus  tard  en 
Autriche. 

Henri-François,  comte  de  Bombelles  ,  lieutenant  général 
au  service  de  France  et  commandant  dans  le  comté  de  Bitche, 
naquit  en  1681.  11  servit  d'abord  dans  la  marine;  mais  en 
1701  il  entra  dans  l'armée  de  terre,  et  fit  avec  distinction 
les  campagnes  de  la  guerre  de  la  succession  d'Espagne.  Il 
alla  ensuite,  avec  le  grade  de  colonel,  combattre  les  Turcs  en 
Hongrie.  En  1718  le  régent  le  chargea  de  donner  des  leçons 
d'art  militaire  au  duc  de  Chartres,  qui  en  1734  le  choisit 
pour  gouverneur  de  ses  enfants.  Il  mourut  à  Bitche,  en  1760. 

Marc-Marie,  marquis  de  Bombelles,  fils  du  précédent, 
naquit  à  Bitche,  en  1744.  Il  entra  dans  l'armée,  et  s'éleva  au 
grade  de  maréchal  de  camp.  Plus  tard  il  embrassa  la  car- 
rière diplomatique,  et  fut  envoyé  comme  ambassadeur  de 
France  à  la  diète  de  Ratisbonne,  puis,  en  la  même  qualité, 
à  Lisbonne  et  à  Venise.  Ayant  refusé  le  serment  à  l'Assem- 
blée Nationale,  il  fut  porté  sur  la  liste  des  émigrés.  Après  la 
dissolution  du  corps  de  Coudé,  il  entra  dans  les  ordres,  et 
fut  fait  clianoine  à  Breslau.  Au  retour  des  Bourbons,  il  fut 
nommé  aumônier  de  la  duchesse  de  Berry,et  en  1819 
évêquc d'Amiens.  Il  mourut  en  1821.  Son  épouse,  née  ba- 
ronne de  Mackau ,  avait  été  l'amie  de  la  princesse  Elisa- 
beth. 

Louis- Philippe,  comte  de  Bombelles,  ambassadeur 
autrichien ,  fils  du  précédent,  était  né  le  i"  juillet  1780,  à 
Ratisbonne ,  pendant  l'ambassade  de  son  père.  Il  hérita  des 
sentiments  de  sa  famille  pour  l'ancienne  dynastie,  et  reçut 
sa  première  éducation  comme  cadet  autrichien.  Plus  tard , 
il  se  rendit  à  Naples ,  où  la  reine  Caroline ,  qui  déjà  avait 
fait  accorder  à  son  père  une  pension  de  mille  ducats ,  lui 
procura  une  place  de  lieutenant  dans  la  cavalerie.  La  révolu- 
tion de  Naples  ramena  le  jeune  Bombelles  à  Vienne;  on  l'y 
plaça  d'abord  à  la  chancellerie  secrète  ;  puis  11  fut  attaché  à 
l'ambassade  de  Berlin ,  à  la  tête  de  laquelle  se  trouvait  alors 
M.  de  Metternich ,  et  devint  successivement  conseiller  de 
légation  et  chargé  d'affaires  à  la  même  cour.  En  1813  il 
suivit  le  roi  Frédéric-Guillaume  à  Breslau  ;  et,  après  avoir 
accompagné  le  chancelier  Hardemberg  dans  les  provinces 
rhénanes ,  il  fut  envoyé  à  Copenhague  pour  inviter  le  roi  de 
Danemark  à  rompre  son  alliance  avec  Napoléon.  En  1814 
il  vint  a  Paris,  à  la  suite  des  alliés ,  reçut  une  seconde  mis- 
sion pour  le  Danemark,  afin  d'y  diriger  les  négociations 
avec  la  Suède ,  et  y  resta  en  qualité  d'ambassadeur  d'Autri- 
che. En  1 8 1 6  M.  de  Bombelles  se  maria  à  Copenhague ,  avec 
mademoiselle  Ida  Brun ,  fille  du  conseiller  Brun  et  de  ma- 
dame FrédériqueMuntcr,  connue  par  ses  travaux  littéraires, 
et  aussitôt  après  il  fut  nommé  ambassadeur  à  la  cour  de 
Dresde.  Là ,  sa  maison  devint  le  centre  des  arts  et  de  la 
bonne  société.  En  1819  M.  de  Bombelles  accompagna  l'em- 
pereur d'Autriche  en  Transylvanie  et  en  Gallicie,  et  pendant 
ce  voyage  il  remplit  les  fonctions  de  chancelier.  Envoyé  au 
congrès  de  Carlsbad,  il  exécuta  strictement  ses  instructions, 
ce  qui  ne  contribua  pas  à  rendre  son  nom  populaire.  De  la 
cour  de  Dresde,  le  comte  de  Bombelles  passa  successive- 
ment en  la  même  qualité  à  Naples ,  où  la  révolution  napo- 
litaine l'empêcha  de  se  rendre ,  à  Florence ,  à  Modène ,  à 
Lucques,  à  Lisbonne  en  1829,  à  Turin;  enfin,  en  1837, 
il  fut  accrédité  près  la  diète  helvétique.  11  moinut  à  Vienne 
le  7  juillet  1843.  M.  de  Bombelles  joignait  à  un  grand  fonds 
de  connaissances  diplomatiques  toute  l'aisance  et  le  ton 
exquis  de  la  bonne  société  française. 

Charles-René,  comte  de  Bombelles,  frère  du  précédent, 
chambellan  de  l'empereur  d'Autriche,  né  le  6  novembre 
1785,  exerça  une  grande  influence  sur  Marie-Louise ,  du- 
chesse de  Parme,  auprès  de  laquelle  il  remplissait  les 
fonctions  de  conseiller  privé  et  de  grand-maltrc  de  la  cour. 
De  son  warii'.gc  avec  une  comtesse  Cavanac  csl  né ,  le  5  août 


1817,  le  comte  Louis ,  chambellan  de  l'empereur  etlieute* 
nant-colonel. 

Henri-François ,  comte  de  Bombelles,  le  plus  jeune 
des  frères  de  l'ambassadeur  autrichien,  né  le  26  juin  1789, 
mort  le  31  mars  1850,  fut  gouverneur  de  l'empereur  Fran- 
çois-Joseph. 11  a  laissé  deux  enfants,  Marc-Henri-Guil- 
laume et  Charles- Albert-Marie. 

BOMBERG  (Daniel),  imprimeur  célèbre  par  ses  pu- 
blications en  hébreu ,  naquit  à  Anvers ,  dans  le  quinzième 
siècle,  et  alla  s'établir  à  Venise,  où  il  mourut,  en  1549.  Dès 
1511,  après  a\  oir  appris  la  langue  hébraïque ,  il  avait  com- 
mencé ses  belles  éditions  de  la  Bible  :  la  plus  estimée  est 
celle  de  1526.  Les  bibliophiles  citent  encore  avec  éloges  la 
Concordance  Hébraïque  du  rabbin  Isaac  Nathan,  que  Bora- 
berg  imprima  en  1524 ,  et  le  Thalmud,  dont  la  pubUcation, 
entreprise  en  1520,  lui  demanda  quinze  ans  de  travail,  et 
dont  il  fit  trois  éditions ,  qui  lui  coûtèrent ,  dit-on ,  chacune 
cent  mille  écus. 

On  assure  que  Bomberg  dépensa  plus  de  trois  millions  en 
impressions  hébraïques.  Ces  frais  excessifs  le  ruinèrent,  et  il 
mourut  fort  pauvre,  mais  avec  la  satisfaction  d'avoir ,  dans 
le  genre  auquel  il  s'était  consacré ,  porté  son  art  à  la  per- 
fection. 

BOMBES  FULMINANTES.  Voyez  Pois  fulminants. 

BOMBET  (L.-A.-C),  pseudonyme.  Voyez  Beyle. 

BOMBILLE.  Voyez  Bombyle. 

BOMBIQUE  (Acide),  de  bombyx,  ver  à  soie.  C'est 
ainsi  que  l'on  appelait  autrefois  la  liqueur  acide  que  l'on 
trouve  dans  une  cavité  du  ver  à  soie ,  et  qui  ne  diffère  aucu- 
nementde  l'acide  acétique. 

Par  suite,  on  avait  donné  le  nom  de  bombiates  à  des 
sels  formés  de  la  réunion  ou  de  la  combinaison  de  cet  acide 
avec  une  base  quelconque  ;  on  sait  maintenant  que  ce  sont 
des  acétates. 

BOMBYCE.  Voyez  Bombyx. 

BOMBYLE  ou  BOMBILLE  (de  ^o\Lê<iikr\,  espèce  d'a- 
beille ) ,  genre  d'insecte  appartenant  à  l'ordre  des  diptères. 
Les  bombyles  ont  le  corps  ramassé ,  large ,  couvert  de  poils 
denses  ;  la  tête  petite ,  arrondie ,  armée  d'une  longue  trompe  ; 
le  corselet  élevé  ;  les  pattes  longues  et  très-minces  ;  les  ailes 
grandes ,  écartées ,  étendues  horizontalement.  Leur  vol  est 
extrêmement  bruyant  et  rapide  ;  ils  planent  au-dessus  des 
fleurs  sans  s'y  poser ,  et  y  introduisent  leur  trompe  pour 
en  tirer  la  liqueur  mielleuse  dont  ils  se  nourrissent. 

Les  bombyles  ne  se  voient  qu'en  été ,  et  sont  plus  com- 
muns et  généralement  plus  gros  dans  le  midi  que  dans  le 
nord  de  l'Europe  On  en  trouve  aussi  quelques  espèces  dans, 
les  régions  du  nord  et  de  l'ouest  de  l'Afrique. 

BOMBYX  ou  BOMBYCE  (de  p6ix6u5,  verà  soie).  Genre 
de  lépidoptères  nocturnes,  dont  les  caractères  peuvent  être 
ainsi  formulés  :  trompe  toujours  très-courte  et  simplement 
rudimentaire;  ailes,  soit  étendues  et  horizontales,  soit  en- 
toit,  mais  dont  les  inférieures  débordent  quelquefois  latéra- 
lement les  supérieures;  antennes  des  mâles  entièrement 
pectinées(  c'est-à-dire  en  forme  de  peigne ).  Les  chenilles 
rongent  les  parties  tendres  des  végétaux,  et  se  font,  pour  la 
plupart ,  une  coque  de  pure  soie.  Les  chrysalides  n'ont  point 
de  dentelures  aux  bords  des  anneaux  de  l'abdomen. 

Le  bombyx  mori  de  Linné ,  connu  de  tous  sous  le  non» 
de  ve»*  à  soie,  est  le  type  du  genre  bombyx.  Cependant 
dans  ces  dernières  années  des  entomologistes  ont  voulu 
faire  de  cet  insecte  un  sericaria;  mais  M.  Guérin-Menevillo 
a  réclamé  contre  ce  nom  nouveau.  «  Si ,  comme  nous  eu 
sommes  convaincu,  dit-il,  il  est  nécessaire  de  subdiviser 
cette  grande  division  de  lépidoptères,  il  faut,  à  l'exemple  d» 
Latreille  et  des  entomologistes  qui  tiennent  à  l'ordre,  à  la 
dignité  de  la  science,  conserver  le  nom  de  bombyx  à  la 
subdivision, an  sous-genre  dans  lequel  se  trouvera  lever  h 
soie  ou  bombyx  des  anciens.  » 

Le  bombyx  cynlhia  est  élevé  en  granti  da»s  j>lusicin;* 


400 


BOMBYX  —  BOMILCAR 


Itarlies  des  Indes  Orientales  et  en  Chine.  Sa  ctienille  est 
connue  dans  presque  tout  l'Indostan  sous  le  nom  d'arrindy 
nrria  ou  ver  à  soie  eria.  On  la  nourrit  avec  des  feuilles 
■de  palma-chri&ti ,  comme  nous  nourrissons  nos  vers  à  soie 
avec  des  feuilles  de  mûrier. 

Le  bombyx  religiosa  de  l'Assam ,  le  bombyx  myliita 
du  Hengale ,  d'autres  encore ,  sont  employés  à  la  produc- 
tion de  la  soie  dans  les  pays  où  ils  sont  indigènes,  et  pour- 
raient sans  douteêtre  introduits  en  Europe  ;  ainsi  M.  H.  Lucas 
«st  parvenu  à  élèvera  Paris  le  bombyx  cecropia,  originaire 
des  États-Unis,  où  ses  cocons  fournissent  une  soie  très- 
«stimée  dans  le  commerce. 

Le  bomhyx  pavonia  major,  appelé  vulgairement  grand 
paon  ou  paon  de  nuit ,  est  le  plus  grand  lépidoptère  de 
France.  Il  donne  une  soie  grossière ,  qu'on  a  jusque  ici  vai- 
nement cherché  à  utiliser. 

Le  genre  bombyx  renferme  d'autres  espèces,  qui,  loin 
d'être,  comme  les  précédentes,  utiles  à  l'industrie,  sont  nui- 
sibles à  l'agriculture  :  tels  sont  le  bombyx  neustria ,  ou  la 
livrée ,  qui  est  la  chenille  la  plus  commune  et  la  plus  nui- 
sible au\  arbres  fruitiers;  le  bombyx processionea ,  ou  pro- 
cessionnaire des  chênes,  ainsi  nommé  parce  que  les  chenilles 
de  cette  espèce  vivent  en  société  et  sortent  tous  les  soirs  en 
processions  longues  et  régulières;  le  bombyx  pini,  ou 
Jileuse  du  pin ,  etc. 

BOME  (de  l'anglais  boom,  barre,  mât).  Voyez  Gui. 

BOMFIM  (JosÉ-JoAQUiM,  comte  de),  un  des  chefs  les 
plus  estimables  du  parti  libéral  modéré  en  Portugal ,  naquit 
le  5  mars  1790,  à  Péniche,  bourg  de  l'Estramadure  portu- 
gaise, d'une  famille  ancienne  et  considérée  dans  la  magis- 
trature. De  bonne  heure  il  manifesta  un  goût  décidé  pour 
les  études  sérieuses,  et  passait  en  1807  pour  un  des  meilleurs 
élèves  de  l'université  de  Coïmbre.  11  se  proposait  de  suivre 
la  carrière  de  ses  ancêtres,  et  tout  lui  présageait  de  paisibles 
succès  dans  quelque  obscur  tribunal  de  province ,  quand , 
à  la  nouvelle  de  l'envahissement  du  Portugal  par  une  armée 
française,  il  fit  partie  de  cette  vaillante  jeunesse  qui  coui-ut 
à  la  défense  de  la  patrie.  A  la  paix  générale,  en  1814 ,  il  était 
regardé,  à  vingt-quatre  ans ,  comme  un  des  meilleurs  majors 
(chefs  de  bataillon)  de  ces  vaillantes  troupes  portugaises 
qui  venaient  de  faire  la  campagne  de  France,  et  que  le  ma- 
réchal Beresford  avait  soumises  à  la  discipline  anglaise.  Co- 
lonel en  1828,  il  entre  dans  la  carrière  politique  en  com- 
battant contre  dom  Miguel.  Défenseur  des  droits  de  dona 
Maria  dans  l'île  de  Madère,  il  succombe  après  une  résis- 
tance héroïque  contre  des  forces  supérieures.  Six  ans  après, 
quand  dom  Pedro  débarque  en  Portugal,  il  est  un  des 
premiers  à  se  ranger  sous  ses  drapeaux,  et  se  signale  comme 
général  non-seulement  dans  la  lutte  contre  l'usurpateur, 
mais  aussi  dans  la  guerre  civile  qui  suit  l'avènement  au 
trône  de  dona  Maria. 

Lorsqu'on  1837  l'extrême  droite  des  Cortès  fomenta  une 
levée  de  boucliers  contre  le  projet  de  constitution  libérale 
qui  était  alors  sur  le  lapis,  les  généraux  Sa-da-Bandei  ra  et 
Bomlim  furent  envoyi^s  parla  majorité  contre  les  insurgés, 
que  commandaient  Leiria,  Saldanha  et  le  duc  de  Terceira.  Le 
combat  de  Rio-xMayor,  livré  le  28  août,  resta,  il  est  vrai, 
indécis  ;  mais  les  rebelles  durent  se  replier  sur  les  provinces 
scptentiionales  du  royaume  jusqu'à  Kuivaes,  où  ils  furent 
complètement  battus  et  dispersés  par  le  général  comte  das 
Antas.  A  la  suite  de  cette  victoire  du  parti  constitutionnel 
«u  sepiembriste,  Bandeira  fut  nommé  président  du  conseil, 
et  Bomdn  ministre  de  la  guerre  et  de  la  marine. 

Les  circonstances  étaient  on  ne  peut  plus  défavorables. 
On  touchait  à  une  crise  imminente.  Des  mesures  financières 
rigoureuses  ne  purent  prévenir  la  banqueroute  ni  fournir 
les  moyens  de  payer  l'armée.  Une  révolte,  qui  menaçait 
de  se  propager,  ayant  éclaté  au  mois  de  mars  1838  à  Lis- 
bonne parmi  les  ouvriers  de  l'arsenal ,  Bomfim  et  Bandeira 
l'éteiguirent  dans  le  sang,  malgré  l'expresse  volonté  des 


Cortès.  Le  premier,  qui  était  sorti  du  ministère,  y  rentra 
alors,  et  son  passage  aux  affaires  fut  un  bienfait  pour  sa 
patrie  :  le  calme  se  rétablit,  une  discipline  plus  sévère  régna 
dans  l'armée,  et  la  dignité  du  gouvernement  fut  sauvegardée 
en  face  des  menaces  d'Espartero.  Ne  trouvant  toutefois  qu'un 
faible  appui  dans  les  constitutionnels,  et  attaqué  violemment 
par  les  absolutistes  et  les  radicaux,  il  se  vit  forcé  de  dé- 
poser son  portefeuille,  en  1841. 

La  révolution  de  Janvier  ayant  donné  la  victoire  aux 
absolutistes,  Costa-Cabral  choisit  de  nouveaux  ministres 
parmi  ses  amis  politiques ,  abolit  la  constitution  de  18.37,  et 
rétablit  la  Charte  de  dom  Pedro.  Bomfim ,  qui  avait  d'a- 
bord appelé  les  provinces  aux  armes,  se  laissa  éblouir  par 
les  promesses  de  Cabrai ,  et  ordonna  de  cesser  toute  levée 
de  boucliers  ;  mais  il  ne  tarda  pas  à  reconnaître  qu'il  avait 
été  joué,  et  chercha  à  soulever  au  moins  dans  les  Coitès  une 
opposition  violente  au  ministère.  Cependant  Cabrai  en 
dissolvant  l'assemblée  ayant  enlevé  aux  septembristes  tout 
moyen  de  résistance  légale,  Bomfim  quitta  Lisbonne  avec 
ses  amis ,  dans  l'intention  d'appeler  aux  armes  les  partisans 
de  la  constitution  de  1837. 

Trois  villes  seulement  se  prononcèrent  en  sa  faveur  :  Al- 
méida,  Portalègre  et  Torres-Vedras.  En  vain  essaya-t-il  de 
se  maintenir  dans  la  citadelle,  mal  approvisionnée,  d'Alméida. 
Dès  le  28  avril  il  était  forcé  de  capituler  et  de  s'enfuir  en 
Espagne.  De  retour  en  1846,  il  prenait  part  au  soulève- 
ment de  mai,  et  obtenait  du  ministère  Palmella  le  comman- 
dement d'une  division;  mais,  la  reine  ayant,  le 4  octobre, 
mis  Saldanha  à  la  tête  d'un  nouveau  cabinet,  Bomfim  et 
Palmella  furent  arrêtés  dans  la  demeure  royale.  Le  premier, 
remis  en  hberté  au  bout  de  quelques  jours,  courut  dans 
les  provinces  réchauffer  le  zèle  des  insurgés,  battit,  en  no- 
vembre, l'armée  du  gouvernement  aux  environs  de  Barcellos, 
nwis  fut  à  son  tour  défait ,  le  28  décembre ,  par  Saldanha,  à 
Torres-Vedras,  fait  prisonnier,  traduit  devant  un  conseil  de 
guerre,  condamné  à  la  déportation  et  envoyé  en  Afrique. 

Trompant  la  surveillance  de  ses  gardiens,  il  était  dans  les 
premiers  jours  de  mai  1847,  cinq  mois  après,  au  moment 
de  s'enfuir  sur  un  vaisseau  anglais,  lorsqu'il  reçut  la  nouvelle 
de  l'amnistie  qui  lui  rouvrait  les  portes  de  sa  patrie.  A  la 
fin  de  1848  on  le  retrouve  prenant  part  aux  tentatives  in- 
surrectionnelles du  parti  républicain;  mais  ce  ne  fut  qu'un 
éclair  passager.  L'âge  semble  avoir  enfin  calmé  l'exaltation 
de  Bomfmi ,  homme  plein  d'audace  et  d'ambition ,  ofiicier 
d'état-major  distingué,  qui  sur  un  sol  moins  capricieusement 
agité  que  celui  du  Portugal  eût  pu  sans  peine  aspirer  à 
d'éclatantes  destinées  militaires. 

BOMILCAR,  général  carthaginois ,  à  l'aide  des  alarmes 
qu'excitaient  les  progrès  d'Agathocle  en  Afrique ,  essaya  de 
s'emparer  de  la  souveraineté  de  sa  patrie,  ciiargé  de  com- 
battre le  roi  de  Syracuse,  voyant  Hannon  son  collègue  tue 
dans  un  combat ,  il  fit  marcher  les  principaux  citoyens 
contre  les  Numides,  puis,  revenant  sur  ses  pas,  avec  cinq 
cents  complices  et  un  corps  de  mille  mercenaires ,  il  entra 
dans  Carthage  vers  308  avant  J.-C. ,  et  fit  main  basse  sur  tout 
ce  qu'il  rencontra ,  sans  distinction  d'âge  ni  de  sexe.  Ses 
séides  l'avaient  déjà  proclamé  roi ,  quand  la  population  fit 
pleuvoir  sur  eux  et  sur  lui ,  du  haut  des  maisons ,  une  grêle 
de  traits  et  de  pierres.  Abandonné  des  siens,  il  fut  saisi, 
attaché  à  une  croix,  et  mourut  avec  un  grand  courage. 

BOMILCAR,  amiral  carthaginois ,  amena  quelques 
renforts  à  Annihal  après  la  bataille  de  Cannes,  et  vogua 
ensuite  vers  la  Sicile  pour  aller  secourir  les  Syracusains. 
Mais,  ayant  trouvé  l'armée  carthaginoise  presque  détruite 
par  la  peste  qui  régnait  dans  cette  lie,  il  retourna  dans  sa 
patrie  en  informer  le  sénat.  Ses  concitoyens  lui  donnèrent 
cent  trente  galères,  avec  lesquelles  il  parvint  en  vue  de 
Syracuse  ;  toutefois,  effrayé  de  l'aspect  de  la  flotte  romaine 
roniinandée  par  Métellns,  il  reprit  le  large,  gagna  Tarente,  et 
abandonna  Sjracuscau^  Kouiaius,  vci'S  209  avant  J.-C. 


I 


BOMÎLCAR  —  EONACOSSI 


401 


BOîiîILCAR,  favori  (le  Jugiirtha,  assassina,  par  son  or- 
dre, en  pleine  Rome,  le  jeune  .Massiva,  petit-lils  de  Massi- 
nissa,  el,  de  retour  en  Afrique,  eut  une  entrevue  avec  le  pro- 
consul Métellus ,  qui  lui  promit  sa  grâce  et  les  faveurs  de 
son  gouvernement  s'il  réussissait  à  immoler  également  ou 
à  livrer  Jugurtha.  En  conséquence,  Bomilcar  conseilla  au 
roi  des  Numides  de  se  soumettre  aux  Romains,  et  essaya 
ensuite  de  séduire  son  favori  Nabdalsa.  Mais,  la  trame 
ayant  été  découverte,  Bomilcar  fut  mis  à  mort  avec  ses 
complices ,  vers  107  avant  J.-C. 

BOMMEL  (CoPvMîlius-Richard-Antoine  de),  évêque 
de  Liège,  naquit  à  Leyde,  le  5  avril  1790,  dune  famille  catho- 
lique qui  occupait  un  rang  honorable  dans  cette  ville  et  qui 
lui  fit  donner  une  bonne  éducation,  le  destinant  à  l'ÉgUse. 
Ses  connaissances  variées  lui  méritèrent  la  confiance  de  ses 
supérieurs  ecclésiastiques ,  qui  le  chargèrent  de  la  direction 
d'une  des  écoles  fondées  par  le  clergé  néerlandais.  Il  fut 
ensuite  nommé  directeur  du  séminaire  de  Haegeveld,  près 
Leyde,  et  cet  établissement  ayant  été  fermé  en  1815,  il 
rentra  dans  la  vie  privée.  On  prétend  qu'il  se  racla  d'une 
manière  active,  par  la  publication  de  plusieurs  brochures, 
aux  discussions  qui  s'élevèrent  bientôt  au  sujet  de  la  liberté 
de  l'enseignement  ;  cependant  il  ne  cessa  pas  d'être  bien  vu 
par  le  gouvernement ,  qui  en  1829 ,  à  un  moment  où  la  coa- 
lition de  l'opposition  catholique  avec  les  libéraux  faisait  pré- 
voir une  crise  décisive ,  le  nonnna  évûqiie  de  Liège.  Placé 
ainsi  entre  la  confiance  du  roi  et  les  intérêts  du  parti  ultra- 
montain ,  auquel  il  appartenait,  il  chercha  avec  habileté  à 
ménager  l'un  et  l'autre.  Le  roi  Guillaume  lui  proposa,  dit- 
on  ,  après  la  révolution  belge ,  de  transférer  son  évéché  à 
Maestricht  ;  mais  M.  de  Bommel  se  prononça  alors  pour  la 
cause  de  la  Belgique,  et  il  ne  tarda  pas  à  acquérir  une  haute 
influence  sur  le  parti  catholique.  Il  s'occupa  avec  zèle  de 
l'organisation  de  son  diocèse,  donna  des  soins  tout  parti- 
culiers au  développement  de  l'instruction  publique,  fonda 
des  écoles  élémentaires  et  secondaires ,  et  prit  une  part  ac- 
tive à  la  création  de  l'université  catholique. 

Accusé  maintes  fois  d'avoir  influencé  l'archevêque  de  Co- 
logne, Droste  de  Vischering,  il  écrivit  au  ministre  de  Theux 
une  lettre  où  il  protestait  n'avoir  jamais  eu  avec  ce  prélat 
de  relations  ni  directes  ni  indirectes;  il  fit  plus,  il  défendit 
à  son  clergé  par  une  circulaire  de  s'immiscer  dans  les  af- 
faires des  églises  voisines.  Comme  d'ailleurs  M.  de  Bommel 
était  l'ennemi  déclaré  de  la  franc-maçcnnerie ,  le  parti  libé- 
ral voyait  en  lui  son  principal  adversaire  ;  et  de  fait  sa  puis- 
sante influence  se  manifesta  dans  la  question  de  l'enseigne- 
ment. Partant  de  ce  principe  qu'il  n'y  a  pas  d'État  sans  re- 
ligion, pas  d'enseignement  sans  une  base  religieuse,  il  en 
concluait  que  le  clergé  devait  intervenir  directement  dans 
l'enseignement  donné  par  l'État.  Sa  théorie,  développée 
dans  de  spirituels  pamphlets,  prévalut  en  1842,  sous  le  mi- 
nistère Nothomb,  qui  accorda  au  clergé  une  large  part 
dans  la  direction  de  l'enseignement  ;  mais  en  1850  on  ne  laissa 
plus  aux  prêtres  dans  les  collèges  et  les  écoles  industrielles 
entretenues  en  tout  ou  en  partie  aux  frais  de  l'État  que  l'ensei- 
gnement religieux.  Après  avoir  vainement  essaye  de  soulever 
le  peuple  contre  la  nouvelle  loi ,  les  évoques  mirent  à  l'ac- 
ceptation du  clergé  des  conditions  que  le  gouvernement  n'a 
pas  encore  pu  admettre.  Le  voyage  que  ce  prélat  fit  à  Rome 
en  1851  avait  pour  objet  ce  différend.  11  est  mort  le  7  avril 
1852,  avint  de  l'avoir  vu  aplani. 

_  BOMOaiQUES  (mot  grec  formé  de  pwtxôç,  autel,  et 
vîxï] ,  victoire).  C'est  le  nom  qu'on  donnait  à  Lacédémone 
à  de  jeunes  enfants  qui  dans  les  sacrifices  de  Diane  dis- 
putaient à  Penvi  à  qui  recevrait  le  plus  de  coups  de  fouet, 
et  qui  les  souffraient  ({uelquefois  pendant  tout  un  jour  jus- 
qu'à la  mort ,  en  présence  de  leurs  mères ,  qui ,  dit  Plutar- 
que ,  les  voyaient  avec  joie  et  animaient  leur  constance. 

BOMACE  (du  latin  bonacia),  se  dit  sur  mer  de  l'in- 
tervalle de  beau  temps  qui  précède  l'orage  ou  qui  lui  suc- 

UlCr,    Dt   LA    LO.\\tUS.    —   T.    lii. 


cède  :  de  l'état  de  l'Océan  (pinnd  le  vent  est  tombé ,  que  le 
ciel  est  serein  ,  et  que  les  fiots  sont  tranquilles. 

BOIVACOSSÎ  (Maison  de).  La  famille  Bonacossi  était 
une  des  plus  puissantes  de  Mantoue,  lorsqu'au  treizième 
siècle  elle  parvint  à  la  souveraineté. 

Pinamonte  Bonacossi  et  Oitonello  Zanicalli  furent  élus 
préfets  de  la  ville  en  1272.  Quekiue  temps  après,  Bonacossi 
fit  assassiner  Zanicalli ,  avec  lequel  il  ne  s'était  réconcilié 
que  pour  arriver  au  pouvoir.  Personne  ne  soupçonna  qu'il 
fût  l'auteur  de  ce  meurtre;  il  continua  à  gouverner  la  ville; 
mais  en  1276  il  leva  entièrement  le  masque,  et  se  déclara 
le  maître  de  Jlantoue.  Le  peuple,  ayant  couru  s.\i\  armes 
pour  recouvrer  sa  liberté,  fut  dt^fait  par  les  troui)es  de 
Pinamonte,  qui ,  étant  demeuré  vainqueur,  punit  du  dernier 
supplice  les  chefs  de  la  sédition ,  exila  les  autres  et  confis- 
qua leurs  biens.  Guelfe  d'origine,  il  embrassa  ensuite  le 
parti  gibelin,  fit  alliance  avec  les  seigneurs  de  Vérone,  de  la 
maison  de  la  Scala ,  et  régna  vingt  ans  environ,  sans  avoir 
à  combattre  de  nouvelles  révoltes.  Son  règne  fut  assez 
glorieux  et  signalé  par  des  avantages  remportés  sur  les  Bres- 
sans, les  Padouans  et  les  Vicentins. 

Bardellone  Bonacossi,  (ils  du  précédent,  lui  succéda. 
Ce  prince,  d'un  naturel  méchant,  craignant  que  son  père 
ne  favorisât  son  frère  Taino  ,  s'était  emparé,  en  1292,  de 
l'un  et  de  l'autre,  et  les  avait  fait  jeter  en  prison,  où  Pi- 
namonte mourut,  vers  1293.  Use  fit  alors  nommer  seigneui 
de  Mantoue  ;  et  comme  son  père  avait  soutenu  le  parti  gi- 
belin, il  se  jeta  dans  le  parti  guelfe,  rappelant  plus  de  deux 
mille  exilés,  et  s'attirant  ainsi  l'affection  du  peuple,  mais 
par  cela  même  excitant  contre  lui  les  gibelins. 

Bottesclla  Bonacossi  ,  fils  d'un  autre  frère  de  Dardellone, 
ayant  obtenu  l'appui  d'Alboin  de  la  Scsla,  se'gneur  d« 
Vérone,  surprit  Mantoue  en  1299  ,  en  chassa  ses  deux  oncies 
Bardellone  et  Taino ,  qui  se  réfugièrent  à  Padoue,  se  fit  dé 
clarer  seigneur  de  Mantoue ,  et  associa  à  sa  puissance  ses 
deux  frère  licctirone  et  Passer ino.  11  embrassa  vivement 
le  parti  gibelin,  et  resserra  son  alliance  avec  Alboin  de  la 
Scala.  Il  mourut  eu  1310.  Quant  à  Bardellone,  son  oncie, 
qu'il  avait  chassé,  il  était  mort  en  1302,  à  Padoue,  dans 
une  grande  pauvreté. 

Passerino  Bonacossi,  associé  au  pouvoir  par  Bottesella , 
son  frère,  lui  succéda  seul  à  sa  mort.  11  dut  faire  d'abord  quel- 
ques concessions  aux  gueifes,  permettre  leur  retour,  et  re- 
cevoir de  Henri  VII  un  vicaire  impérial.  Cependant  il  ne 
tarda  pas  à  faire  soulever  le  parti  gibehn  ;  les  guelfes  furent 
chassés  ainsi  que  le  vicaire  impérial.  Henri  VJI  le  nomma 
alors  lui-même  son  vicaire,  ce  qui  lui  permit  d'affermir  da- 
vantage sa  domination  et  même  de  l'étendre.  Eu  effet ,  il  se 
fit  nommer  en  1:51'^  seigneur  de  Modène.  Mais  en  131S 
François  Pic  de  la  Mirandole  lui  enleva  cette  ville.  Néan- 
moins, l'année  suivante  il  parvint  à  la  recouvrer,  et  fit 
enfermer  dans  la  tour  de  Castellero  Mirandole  et  ses  deux 
fils,  qui  étaient  tombés  entre  ses  mains,  et  les  y  laissa 
mourir  de  faim.  Passerino  régnait  depuis  dix-huit  ans  avec 
la  réputation  d'un  habile  politique  et  d'un  grand  capitaine  ; 
il  passait  généralement  pour  le  souverain  le  mieux  affermi 
de  l'Italie ,  lorsqu'un  événement  imprévu  vint  le  renverser. 
Son  fils  François,  ayant  gravement  insulté  son  cousin,  Phi- 
lippe Gonzague,  celui-ci  fit  un  appel  à  ses  parents  et  à  ses 
amis  ;  il  fut  même  aidé  par  Cosme  de  la  Scala ,  qui  conser- 
vait quelcjuc  ressentiment  contre  Passerino,  à  cause  de  l'im- 
portance qu'il  avait  su  acquérir  dans  le  parti  gibelin.  Les 
conjurés  surprirent  Mantoue  le  14  août  1328.  Passerino  fut 
tué  comme  il  cherchait  à  calmer  la  sédition,  et  son  fils 
François ,  piis  et  traîné  à  la  tour  de  Castellero,  y  fut  égorgé 
par  un  fils  de  ce  François  Pic  de  la  Mirandole  qu'il  y  avait 
fait  mourir  de  taim.  La  mort  des  derniers  Bonacossi  et  la 
destruction  de  leur  parti  permirent  à  Louis  Gonzague  de  se 
fahe  proclamer  seigneur  de  Mantoue  et  de  Modène. 
De  Fumss-CoLONNA. 
51 


402 

BOIVALD  (L0U13- Gabriel -Ambroise,  vicomte  de), 
i'nne  ancienne  famille  du  Roucrgue  (  Aveyron  ),  né  au  Mouna, 
près  deMilhau,  dansleRouergue,  en  1753,  mort  au  même 
lieu,  en  1840,  avait  servi  d'abord  dans  les  mousquetaires 
sous  Louis  XV ,  et  n'avait  quitté  ce  corps  qu'à  sa  supjtres- 
sion,cn  1776.  Maire  de  sa  ville  natale,  il  devint  en  1790 
président  de  l'administration  de  son  département;  mais 
dès  1791  il  fit  remettre  aux  diverses  municipalités  une 
circulaire  dans  laquelle,  rompant  ouvertement  avec  le 
principe  révolutionnaire,  il  faisait  profession  du  royalisme 
le  plus  ardent.  11  émigra  la  môme  année,  et  se  rendit  à  l'ar- 
mée des  Princes,  qu'il  quitta  pour  se  retirer  à  Heidelbcrg 
et  s'y  livrer  à  des  travaux  politico-philosophiques.  Rentré 
en  France  au  moment  du  couronnement  de  Napoléon,  après 
avoir  st^journé  quelque  temps  à  Constance,  M.  de  Ronald  ne 
retrouva  dans  sa  patrie  qu'une  très-faible  partie  des  biens 
qu'il  avait  cru  devoir,  y  laisser.  Forcé  pour  soutenir  sa  nom- 
breuse famille  de  mettre  à  profit  ses  connaissances ,  il  écri- 
Tit  dans  des  recueils  périodiques;  puis,  sollicité  par  M.  de 
Fontanes,  son  ami ,  il  accepta  une  place  de  conseiller  titulaire 
de  l'université  impériale.  Louis  Bonaparte ,  roi  de  Hol- 
lande, lui  ayant  proposé  de  se  charger  de  l'éducation  de 
son  fils ,  il  crut  devoir  décliner  cette  offre  ;  et  la  place  fut 
donnée,  sur  son  refus,  à  l'abbé  Paradisi,  de  Rome.  Au  mois 
de  juin  1814,  le  roi  Louis  XVIII  le  nomma  membre  du 
conseil  de  l'instruction  publique  et  le  décora  de  la  croix  de 
Saint-Louis. 

Élu  député  de  son  département  en  1815 ,  il  fit  partie  des 
assemblées  législatives  suivantes,  sans  pour  cela  négliger 
SCS  études  favorites,  auxquelles  il  n'avait  peut-être  de- 
mandé que  des  distractions  et  de  nobles  plaisirs,   et  qui, 
d'elles-mêmes,  y  avaient  ajouté  \in  supplément  bien  mé- 
rité de  gloire.  A  la  chambre  de  1815,  il  vota  avec  la  majo- 
rité, exprima  le  désir  que  les  biens  non  vendus  de  l'ancien 
clergé  fissent  retour  au  nouveau,  s'opposa  à  tous  les  projets 
de  réforme  électorale ,  réclama  l'abolition  du  divorce,  de- 
manda la  suppression  de  beaucoup  de  places,  parla  contre 
l'aliénation  des  forêts,  soutint  les  corps  suisses  qu'on  voulait 
retrancher  de  la  garde  royale  et  de  l'armée,  réclama  un 
jury  spécial  pour  la  répression  des  abus  de  la  presse  et  l'éta- 
blissement de  la  censure  pour  les  journaux.  Ministre  d'État 
depuis  1822,  il  fut  président  de  la  commission  de  censure. 
Nommé  pair  de  France  en  1823,  il  se  démit  volontairement 
de  cette  dignité  en  1830,  en  refusant  de  prêter  serment  à 
la  royauté  de  Juillet.  Il  ne  conserva  que  le  titre  de  membre 
de  l'Académie  Française,  où  il  était  entré  le  21  mars  1816. 
[C'est  en  1796  que  M.  de  Ronald  publia  La  Théorie  du 
Pouvoir  polUiqzie  et  religieux  clans  la  société  civile, 
démontrée  par  le  raisonnement  et  par  l'histoire,  ouvrage 
plein   de  recherches  savantes ,   d'une  métapiiysique  pro- 
fonde, auquel  on  peut  reprocher  quelques  subtilités  de  rai- 
sonnement, qui  échappent  aux   meilleurs  esprits  intime- 
ment convaincus  d'une  idée  première  et  fondamentale  à 
laquelle  ils  rattachent  tout  un  système;  il  leur  faut  comme 
assouplir  leur  argumentation  aux  exigences  de  cette  idée 
première,  et  faire,  en  quelque  sorte,  concourir  h  sa  démons- 
tration tous  les  faits  physiques  et  moraux  de  la  création. 
Dans  ce  livre  d'une  haute  portée,  M.  de  Ronald  prend  place 
h  côté  des  penseurs  et  des  écrivains  les  plus  distingués. 
Définissant  le  pouvoir  polilicpie  nne  application  exacte  et 
raisonnée  des  préceptes  de  Dieu  même  à  la  société  civile,  il 
démontre  l'intime  affinité  qui  existe  entre  le  principe  reli- 
gieux et  la  bonne  administration  des  États.  A  l'appui  du 
raisonnement,  il  invoque  le  témoignage  de  tous  les  âges 
historiques  qui  ont  langui  dans  un  état  de  législation  in- 
complet et  souvent  barbare,  tant  que  le  principe  chrétien 
n'est  pas  venu  féconder  la  société  humaine  et  la  civilisation. 
Appliquant  cette  doctrine  au  nouvel  ordre  politique  qui 
rtignait  alors  en  France,  il  y  trouve  la  condamnation  des 
;lii(iii(«j  que  l'on  essayai!  de   mettre  on  pratique,  et  qui, 


BONALD 

privées  des  conditions  de  vitalité  que  la  consécration  du 
principe  religieux  pouvait  seule  leur  commimiquer,  lui 
semblent  destinées  à  prouver,  encore  une  fois,  l'impuissance 
absolue  de  l'homme,  lorsqu'il  se  sépare  de  Dieu.  Enfin, 
l)ar  une  de  ces  prévisions  qui  n'appartiennent  qu'au  génie 
et  aux  ûmes  qui  sentent  vigoureusement,  il  entrevoit  le  réta- 
blissement de  la  famille  des  Rourbons  comme  l'inévitable 
conséquence  et  l'unique  remède  de  l'anarchie  et  de  l'a- 
théisme, qui  ont  tout  envahi.  11  paraît  que  le  coup  porta  , 
puisque  le  Directoire  se  vengea  de  l'ouvrage  en  le  proscri- 
vant, faute  de  pouvoir  se  venger  de  l'auteur. 

C'est  ici  le  lieu  de  reconnaître  en  M.  de  Ronald  un  mé- 
rite tout  personnel  et  bien  grand  à  nos  yeux,  c'est  de  n'a- 
voir pas  désespéré  des  grands  principes  d'ordre  et  de  con- 
servation sociale  à  une  époque  de  scepticisme  et  d'incré- 
dulité où  tout  était  mis  en  question ,  même  l'existence  de 
Dieu  !  Ce  noble  apostolat  M.  de  Ronald  le  partagea  avec 
M.  de  Chateaubriand  ,  dont  il  devint  plus  tard  le  collabo- 
rateur dans  le  Mercure  de  France,  en  1806  ,  et  dans  le 
Journal  des  Débats  et  le  Conservateur,  sous  la  Restau- 
ration. Les  divers  articles  dont  M.  de  Ronald  enrichit  l'un 
et  l'autre  de  ces  recueils  révèlent  les  mêmes  qualités  et 
les  mêmes  taches  que  sa  Théorie  du  Pouvoir.  Avec  une 
hanliesse  de  vues  dont  personne  ne  saurait  contester  l'é- 
lévation, et  une  déduction  des  faits  presque  toujours  logique, 
il  se  laisse  parfois  aller,  par  un  entraînement  excusable  dans 
un  homme  aussi  spontané,  aussi  consciencieux,  à  une  argu- 
mentation plus  systématique  que  vraie.  Dans  l'espèce  de 
proscription  (et  ceci  s'applique  à  presque  tout  ce  qui  esl 
sorti  de  la  plume  de  M.  de  Ronald)  dont  il  frappe  les  plii- 
losophies  et  les  législations  humaines,  pour  ne  laisser  debout 
que  la  piiilosophie  chrétienne  et  la  législation  de  Dieu,  dont 
il  lui  aurait  suffi  peut-être  d'établir  la  prééminence,  il  ne 
consi  1ère  pas  toujours  les  divers  côtés  des  choses.  Trop 
absolu  dans  ses  jugements,  il  lui  arrive  souvent  de  voir  le 
tout  dans  la  partie,  et  de  condamner  sans  restriction  ce 
qui ,  imparfait  sous  quelques  rapports,  échappe  sous  d'au- 
tres à  toute  critique.  I\L  de  Ronald  l'a  dit  lui-même,  avec 
cette  force  de  raison  qui  donne  tant  d'autorité  à  tout  ce 
qu'il  a  écrit  :  «  Un  esprit  cultivé  est  juste  ou  faux,  selon 
qu'il  saisit  tous  les  rapports  principaux  d'un  objet,  ou  seu- 
lement une  partie  de  ces  rapports.   »  Et  ne  peut-on  pas 
lui  reprocher  d'avoir  négligé  quelques  rapports  essentiels, 
lorsqu'il  argimiente  contre  la  philosophie  humaine  de  l'ac- 
tion lente  et  quelquefois  inefficace  qu'elle  a  eue  sur  la  so- 
ciété? De  ce  que  cette  philosophie  n'a  pas  toujours  mora- 
lisé les  hommes,  ou  de  ce  qu'elle  n'a  pas  préexisté  à  leur 
moralisation,  elle  ne  mérite  pas  pour  cela  le  terrible  ana- 
thème  que  l'illustre  philosophe  lance  contre  elle.  Pour  n'a- 
voir pas  fait  tout  le  bien  possible,  elle  n'en  a  pas  moins 
fait  du  bien,  et  c'est  une  justice  que  M.  de  Ronald  éprou- 
vera lui-même  le  besoin  de  lui  rendre  lorsque,  cherchant 
plus  tard  le  principe  de  toute  législation,  il  invoquera  lo 
témoignage  de  la  philosophie  païenne ,  et  demandera  à  l'un 
de  ses  plus  généreux  organes  la  base  môme  du  principe 
([u'il  veut  soutenir. 

Quelques  annt'es  après  la  Théorie  du  Pouvoir,  M.  de 
lîonald  publia  "Essai  anahjtiqiie  sur  les  lois  naturcllca 
de  l'ordre  social,  qu'il  refondit  dans  son  grand  ouvrage  de 
la  Législation  j>rimitive  considérée  dans  les  derniers 
temps  par  les  seules  lumières  de  la  raison,  qui  parut  en 
1802.  Dans  ce  livre,  remarquable  par  la  force  du  raisonne- 
ment et  la  )néthode  qui  enchaîne  toutes  ses  parties,  l'au- 
teur, après  avoir  établi  successivement  :  1°  que  l'ordre  de 
la  société  est  l'ensemble  des  rapports  vrais  ou  naturels  qui 
exislent  entre  les  êtres  moraux,  c'est-à-dire  entre  les  per- 
sonnes de  la  société,  2"  que  la  science  de  ces  rapports  est 
la  vérité  morale  ou  sociale,  que  la  connaissance  de  la  vé- 
rité morale  forme  la  raison,  que  la  raison  est  la  perjection 
de  la  volonté ,  que  la  volonté  est  la  détermination  de  ta 


BONALD 


403 


pensée,  et  que  la  penstîe  n'est  connue  de  Thomme  que  par 
sou  expression,  3"  que,  par  conséquent,  riionime  privé 
d'expression  eût  été  privé  de  pensée,  de  volonté,  de  raison, 
de  la  connaissance  de  la  vérité,  et  qu'il  eût  vécu  dans  l'i- 
ijnorance  des  personnes  et  de  leurs  rapports ,  étranger  à 
toute  société,  arrive  à  traiter  cette  question  importante, 
que  tout  naquit  pour  l'homme  avec  \&  parole,  qui  est  Tu- 
nique et  la  vraie  expression  des  idées.  Et  remontant  à  son 
origine,  il  démontre  qu'elle  n'a  pu  être  d'invention  humaine, 
qu'elle  est,  par  conséquent,  venue  à  l'homme  par  révélation 
et  transmission ,  et  que  dès  lors  la  science  des  personnes 
et  de  leurs  rapports,  dont  la  parole  est  l'unique  expression, 
lui  est  arrivée  par  voie  d'autorité.  Cette  question  ardue,  que 
Condillac  avait  traitée  un  peu  légèrement,  et  qui  avait 
elïrayc  le  génie  si  entreprenant  de  J.-J.  Rousseau,  M.  de 
Donald  l'approfondit  avec  une  logique  si  serrée,  des  déduc- 
tions tellement  claires  et  précises  ,  qu'il  amène  son  lecteur 
presque  invinciblement  à  admettre  comme  faits  incontes- 
tables les  principes  sur  lesquels  il  va  construire  l'édilice  de 
sa  législation  primitive.  «  La  souveraineté  est  en  Dieu  ou 
elle  est  dans  l'homme ,  point  de  milieu ,  »  dit  M.  de  Donald. 
Il  n'a  pas  de  peine  à  établir  qu'elle  est  en  Dieu ,  en  mon- 
trant la  dépendance  absolue  où  se  trouve  l'homme  d'une 
inspiration  ou  révélation  divine  pour  avoir  la  moindre  idée 
en  morale,  dont  il  ne  sait  que  ce  qu'il  a  entendu  par  les 
oreilles  ou  vu  par  les  yeux,  c'est-à-dire  par  la  parole  orale  ou 
écrite,  transmise  d'abord  par  les  pères  à  leurs  enfants,  plus 
tard  fixée  par  l'Écriture,  lorsqu'elle  commençait  à  s'effacer 
parmi  les  hommes.  Donc  le  premier  législateur  a  été  Dieu  ; 
car  «  comment  le  genre  humain  eût-il  été  jusqu'à  la 
deuxième  génération,  si  la  première  n'eût  eu  tous  les 
moyens  nécessaires  de  conservation,  entre  lesquels  l'art 
de  la  parole,  qui  donne  la  connaissance  de  la  parole,  est  le 
premier.'  Car  l'homme,  dit  la  souveraine  raison,  ne  vit  pas 
seulement  de  pain ,  mais  de  toute  parole  venant  de  Dieu , 
ce  qui  veut  dire  que  les  lois  sont  aussi  nécessaires  que  les 
aliments  pour  perpétuer  le  genre  humain.  »  Or,  la  loi  so- 
ciale, transmise  à  l'homme  au  moyen  de  la  parole  fixée  au 
moyen  de  l'écriture,  par  l'autorité  de  Dieu,  doit  être  vraie, 
naturelle,  parfaite  comme  son  auteur,  et  nous  devons  en 
chercher  la  connaissance  entière  dans  les  sociétés  les  plus 
folles  et  les  plus  stables,  dans  la  société  judaicpie  d'abord, 
puis  dans  la  société  chrétienne,  qui  en  est  le  complément. 

Confirmant  ensuite  ces  diverses  propositions  par  des  ar- 
piments  solides  :  «  C'est  un  fait,  poursuit  JNI.  de  Bonald , 
que  le  Pentateuque  est  le  livre  le  plus  ancien  qui  nous  so't 
connu,  celui  où  l'on  trouve  le  plus  de  hautes  pensées,  expri- 
mées dans  le  style  le  plus  simple,  et  les  plus  grandes  images 
rendues  dans  le  style  le  plus  magnifique  ;  c'est  un  fait  qu'il 
n'existe  que  chez  les  juifs  et  chez  les  chrétiens;  c'est  un 
fait  qu'il  contient  dix  lois  énonciatives  des  rapports  fonda- 
mentaux de  la  société,  lois  dont  on  aperçoit  des  traces  chez 
tous  les  peuples  de  la  terre  ;  c'est  un  fait  qu'il  n'y  a  jamais 
eu  de  civilisation  au  monde,  c'est-à-dire  de  raison  dans  les 
lois  et  de  force  dans  les  lé.nslations,  que  dans  les  sociétés 
juive  et  chrétienne,  les  seules  de  toutes  qui  n'aient  pas  eu 
des  lois  fausses,  absurdes,  atroces,  contraires  à  la  nature 
des  êtres  et  de  leurs  rapports.  »  Examinant  ensuite  en  dé- 
tail le  Décalogue,  il  y  trouve  le  germe  de  toutes  les  lois  sub- 
séquentes qui  ont  été  conformes  à  la  raison,  puisque  la  rai- 
son même  avait  dû  présider  à  sa  promulgation  ;  car,  comme 
dit  lîossuet,  «  Dieu  lui-même  a  besoin  d'avoir  raison,  puis- 
qu'il ne  peut  rien  faire  contre  la  raison.  »  De  là  cette  con- 
séquence que  la  loi  est  la  volonté  de  Dieu  et  la  règle  de 
l'homme,  que  la  légitimité  des  actions  humaines  consiste 
dans  leur  conformité  à  la  loi  générale,  venue  de  Dieu, 
comme  leur  légalité  dans  la  conformité  aux  lois  locales; 
que  l'état  le  meilleur  de  la  société  est  celui  où  l'état  légal  est 
légitime,  où  tout  ce  qui  est  bon  est  loi,  et  où  toute  loi  est 
bonne,  où  enfin,  comme  le  dit  J.-J.  Rousseau,  les  lois;>o- 


liliques  deviennent  fondamentales  parce  qu'elles  sont 
sages.  Approfondissant  ces  mots  de  Bossuet,  que  la  loi 
chrétienne  renferme  les  principes  du  culte  de  Dieu  et 
de  la  société  humaine,  «  on  peut ,  continue-t-il ,  avancer 
comme  un  fait  attesté  par  l'histoire  de  tous  les  temps,  qu'à  con- 
sidérer l'univers  ancien  et  moderne  ,  il  y  a  oubli  de  Dieu  et 
oppression  de  l'homme  partout  où  il  n'y  a  pas  connaissance, 
adoration  et  culte  de  l'Homme-Dieu.  « 

M.  de  Bonald  résume  ce  vaste  système  en  posant  les 
principes  suivants,  qui  sont  comme  la  conséquence  forcée 
de  son  argumentation  :  1°  La  religion  est  la  raison  de  toute 
société,  puisque  hors  d'elle  on  ne  peut  trouver  la  raison 
d'aucun  pouvoir  ni  d'aucun  devoir.  2"  La  religion  est  donc 
la  constitution  fondamentale  de  tout  état  de  société.  3"  La 
société  civile  est  donc  composée  de  religion  et  d'État, 
conune  l'homme  raisonnable  est  composé  d'intelligence  et 
d'organes.  4"  La  société  civilisée  n'est  autre  chose  que  la 
religion,  qui  (ait  servir  la  société  pubUque  à  la  perfection 
et  au  bonheur  du  genre  humain.  5°  Ainsi,  la  société  la  phis 
parfaite  est  celle  où  la  constitution  est  la  plus  religieuse  et 
l'administration  la  plus  morale.  6°  La  refigion  doit  cons- 
tituer l'État,  et  il  est  contre  la  nature  des  choses  que  l'État 
constitue  la  religion.  7"  L'État  doit  obéir  à  la  religion,  mais 
les  ministres  de  la  religion  doivent  obéir  à  l'État  dans  tout 
ce  qu'il  ordonne  de  conforme  aux  lois  de  la  reUgion ,  et  la 
religion  elle-même  n'ordonne  rien  que  de  conforme  aux 
meilleures  lois  de  l'État. 

Par  cet  ordre  de  relations ,  en  effet ,  la  religion  et  l'État 
se  prêtent  un  mutuel  appui.  Cependant,  il  faut  en  convenir, 
dans  la  pratique  il  n'est  pas  extraordinaire  que  ces  prin- 
cipes aient  rencontré  une  vive  opposition,  surtout  à  une 
époque  où  quelques  faits  particuliers  pouvaient  sinon  al- 
térer la  confiance  que  l'on  a  dans  la  religion ,  du  moins 
celle  qu'il  est  nécessaire  que  l'on  ait  dans  ses  ministres, 
pour  qu'ils  puissent  opérer  le  bien.  Et  les  préjugés  sont  en- 
core trop  forts,  les  passions  encore  trop  actives,  les  mé- 
fiances trop  vives ,  pour  espérer  que  celte  union  intime  de 
l'État  et  de  la  religion  réalise  de  si  tôt  tout  le  bien  qu'a  rai- 
son d'en  espérer  i\L  de  Bonald.  En  attendant,  la  religion  ne 
perdra  rien  de  son  hifluence  sur  l'amélioration  des  hommes 
en  restant  dans  le  sanctuaire,  flïon  royaume  n'est  pas  de 
ce  monde,  a  dit  Jésus-Christ.  En  continuant  de  travailler 
pour  le  ciel,  le  sacerdoce  accomplira  sa  mission  céleste,  et 
tout  en  communiquant  aux  choses  de  la  terre  cette  impul- 
sion morale  qui  est  comme  le  signe  constant  de  sa  vocation 
de  civilisation,  il  n'éprouvera  pas  la  nécessité  de  s'immiscer 
dans  l'administration  civile  de  l'État,  puisqu'il  sait  par  ex- 
périence que  ce  serait  fournir  aux  passions  un  prétexte  pour 
compromettre  les  fruits  de  son  apostolat.  Plaignons  l'État 
s'il  abandonne  la  religion,  mais  espérons  encore  que,  malgré 
l'arrêt  sévère  de  1\L  de  Bonald,  la  religion  ne  le  laissera  pas 
périr.  «■  La  religion  n'abandonne  jamais  l'État,  mais  elle 
laisse  péiir  l'État  qui  l'abandonne.  »  (  Législation  primi- 
tive,lir.  II.  ) 

i\I.  de  Bonald  publia  en  1S14  diverses  brochures  sur  des 
questions  d'un  haut  intérêt,  et  il  les  traita  presque  toujours 
avec  une  grande  supériorité  de  talent.  Deux  surtout  méri- 
tent d'être  remarquées,  celles  sur  le  divorce,  où  il  s'établit 
l'énergique  défenseur  de  la  sainteté  du  mariage,  et  où  il 
démontre  que  la  loi  civile  doit,  dans  l'intérêt  des  mœurs, 
être  en  harmonie  avec  la  loi  religieuse,  et  l'autre,  intitulée  : 
Encore  un  mot  sur  la  liberté  de  la  presse,  où,  tout  en 
admettant  en  principe  la  nécessité  de  cette  liberté,  il  en 
restreint  un  peu  trop  l'usage  par  les  entraves  légales  qu'il 
croit  nécessaires  d'opposer  à  l'abus.  Mentionnons  aussi  avec 
distinction  ses  Mélanges  littéraires  et  politiques,  qui  of- 
frent d'ailleurs  le  développement  constant  des  doctrines  po- 
litiques et  religieuses  de  toute  sa  vie,  et  arrivons  enfin  à  ce- 
lui de  tous  les  ouvrages  de  M.  de  Bonald  où  U  senible  avoir 
poussé  jusqu'à  ses  dernières  limites  son  merveilleux  talent 

51. 


404  TîON 

(l'iBvesOgallon  philosophique  et  de  raisonncinent ,  ses  7?e- 
Cdcrc/ics  philosophiques  sw'  les  premiers  objets  des  con- 
iiuissunces  morales,  qui  parurent  en  I8ts. 

Unns  ce  livre,  qui  exigeait  une  critique  liabilc  de  tous  les 
systèmes  philosopiiiques,  M.  de  Bonalil  ne  reste  pas  au-des- 
sous de  la  tâche  qu'il  s'est  imposée,  et,  tout  d'aburd,  il  se  de- 
mande ce  qu'est  la  philosophie,  et  comment  jusque  alors  elle 
a  rempli  les  conditions  mômes  de  sa  dénomination,  et  jus- 
qu'à quel  point  elle  a  servi  à  l'étude  de  la  saj^esse,  ou  à  la 
connaissance  de  la  vérité.  «  L'histoire  de  la  philosophie,  dit 
M.  Ancillon,  ne  pr(''sente,  au  premier  coup  d'oeil  qu'un  vé- 
i-itable  chaos  :  les  notions,  les  principes,  les  systèmes  s'y 
succèdent,  se  combattent  et  s'effacent  les  uns  les  autres, 
sans  qu'où  sache  le  point  de  départ  et  le  but  de  tous  ces 
mouvements  et  le  véritable  objet  de  ces  constructions 
aussi  hardies  que  peu  solides.  »  Ce  jugement  un  peu  sévère, 
t'i  qui  avait  besoin  d'être  modifié  jjour  les  services  incontes- 
fables  que  la  philosophie  humaine  a  rendus  à  la  société , 
avant  que  la  loi  divine  eût  pu  éclairer  et  perfectionner  les 
anciennes  constitutions  civiles,  M.  de  Bonald  l'adopte  sans 
hésiter,  et,  dans  un  rapide  examen,  qui  ne  manque  ni  de 
justesse  ni  d'impartialité,  il  passe  en  revue  les  doctrines  de 
la  vieille  Grèce,  qui  ont  créé  presque  toutes  les  autres  sectes 
philosophique?,  et  dont  la  diversité  n'a  fait  que  s'accroître 
avec  le  nombre  des  maîtres  et  les  progrès  des  connaissances, 
si  bien  qu'aujourd'hui  môme  l'Europe,  qui  possède  des  bi- 
hliolliéqnes  entières  d'ouvrages  des  philosophes ,  et  qui 
conq)te  |)resque  autant  de  philosophes  que  d'écrivains, 
pauvre  au  nnlieu  de  tant  de  richesses,  et  incertaine  de  sa 
route  avec  tant  de  guides,  attend  encore  une  philosophie. 

11  examine  d'abord  les  principes  de  morale  enseignés  d'ins- 
piration par  les  premiers  poêles  grecs,  qui  furent  en  même 
temps  les  premiers  h'gislateurs,  et  prouve  aisément  qu'il  y 
a  autant  de  philosophie  dans  Isaïe,  David  ou  Salomon  que 
dans  Homère  ou  Hésiode.  Passant  ensuite  en  revue  les  di- 
verses écoles  qui  se  sont  partagé  l'attention  des  liommes ,  il 
ne  découvre  ni  dans  Thaïes,  dont  l'ignorance  des  véritables 
causes  premières  a  faussé  les  doctrines,  ni  dans  Pylliagore, 
dont  le  mysticisme  enveloppait  de  si  épaisses  ténèbres  les 
notions  les  plus  élémentaires  fie  la  morale  et  delà  poiilique, 
les  condilions  d'un  vrai  ■  ystème  de  philosophie.  Il  rend  jus- 
tice au  mérite  extraordinaire  deSocrale,  qin  le  premirr, 
par  la  force  de  son  génie ,  ou  peut-être  par  la  connaissance 
des  livres  des  Hébreux,  déjii  répandus  en  Orient,  trouva 
l'unilé  de  Dieu  créateur,  conservateur  et  rémunérateur,  et 
l'immortalité  de  l'âme.  «Le  premier  des  philosophes  grecs, 
dit  M.  de  Donald,  il  fit  descendre  la  moralité  du  ciel ,  et  sans 
doute  il  l'aurait  affermie  sur  la  terre,  si  le  génie  d'un  homme, 
quel  qu'il  soit,  pouvait  être  une  autorité  pour  l'honmie  et 
une  garantie  pour  la  société.  »  Platon ,  fondateur  de  la  pre- 
mière Acalémie  et  disciple  de  Socrate,  révéla  au  monde  la 
doctrine  de  son  maître;  il  proclama  les  idées  innées,  c'est- 
à-dire  les  idées  universelles,  empreintes  dans  notre  esprit 
par  l'Intelligence  suprême,  et  chercha. à  mêler  ensemble  les 
opinions  de  Socrate  et  quelques-unes  de  celles  de  Pylliagore. 
n  L'âme ,  selon  ce  philosophe ,  doit  juger,  et  non  les  sens , 
et  nos  idées  sont  des  réminiscences,  dont  le  prototype  est  en 
Dieu.  »  Doctrine,  comme  on  le  voit,  presque  chrétienne,  et 
qui  mérita  à  Platon  ce  surnom  de  divin,  que  personne  au- 
jourd'hui même  ne  songera  à  lui  contester.  Mais  les  esprits 
ne  purent  lester  longtemps  à  la  hauteur  où  Platon  les  avait 
fait  monter.  Aristoto,  chef  des  piripatéliciens ,  les  en  fit 
descendre.  Il  humilia  l'intelligence  humaine  en  rejetant  les 
idées  innées  et  en  ne  les  faisant  venir  à  l'esprit  que  par 
l'intermédiaire  des  sens.  Puis  vint  le  stoïcisme,  qui,  cher- 
chant à  léunir  des  systèmes  opposés,  admit  la  Divinité 
comme  ]iiiiicipe  eHicient ,  mais  la  soumit  au  destin,  con- 
tradiction cho(iuanle,  puisque  c'était  reconnaître  pour  cause 
ce  qui  ne  l'élait  pas.  On  voit  par  cet  exposé  rajiide  que 
sur  !e  principe  des  connaissances  humaines  les  anciens  phi- 


ALD 

losophes  llottaient  entre  l'intelligence  suprême  et  la  matière 
éternelle ,  comme  entre  l'esprit  de  l'hom.me  et  ses  sens.  Ce- 
pendant la  philosophie  platonicienne  domina  dans  la  pre- 
mière école  clu-étienne  justpi'à  l'invasion  des  barbares. 

Lors(pie  le  christianisme,  vainqueur  des  barbares,  eut 
renoué  le  fil  qui  doit  rattacher  l'avenir  au  passé  dans  l'im- 
périssable domaine  de  l'intelligence ,  le  goût  des  études  phi- 
iosopliiques  dut  nécessairement  s'emparer  de  nouveau  des 
hommes,  et  la  discussion,  devenant  à  la  mode  à  une  époque 
où  les  esprits  n'étaient  pas  encore  assez  éclairés,  dégénéra 
bientôt  en  subtilité,  et  \ivoAu\ui\dLpItilosophie scolastiqne , 
qui  perdit  beaucoup  de  temps  à  des  choses  oiseuses,  mais  qui 
néanmoins  donna  de  la  sagacité  aux  esprits,  de  la  concision 
aux  langues  ;  et  Leibnitz,  juste  appréciateur  de  tout  mérite, 
déclare  qu'il  y  a  de  l'or  caché  dans  le  fumier  de  l'école.  Après 
des  luttes  pénibles,  où  l'entendement  fit  peu  de  progrès, 
malgré  le  renfort  de  tous  les  beaux  esprits  qui ,  chassés  de 
Constantinople ,  s'étaient  répandus  en  Italie,  et  qui  avaient 
porté,  au  témoignage  de  Condillac,  plus  de  subtilité  que  de 
connaissance  dans  la  philosophie,  parut  le  dix-septième 
siècle,  fécond  en  grands  réformateurs.  Bacon  en  Angleterre, 
Descartes  en  France,  Leibnitz  en  Allemagne,  se  partagèrent 
le  monde  intelligent,  et,  se  divisant  au  point  de  départ,  s'enga- 
gèrent dans  des  routes  diverses.  «  Ces  trois  grands  réforma- 
teurs, dit  M.  de  Bonald  avec  une  douloureuse  amertume , 
ne  se  rejoindront  plus  !  »  C'est  qu'en  effet,  comme  le  prouve 
l'illustre  écrivain ,  l'esprit  humain  même  le  plus  heureuse- 
ment disposé  à  la  recherche  de  la  vérité  doit  nécessairement 
payer  tribut  à  la  faiblesse  humaine,  lorsqu'il  n'a  pour  cons- 
truire tout  l'édifice  du  monde  moral  que  des  moyens  hu- 
mains; et  qu'ensuite  les  enseignements  de  la  plus  haute 
sages? j  n'ont  pas  sur  les  hommes  une  autorité  assez  forlc, 
lorsque  le  principe  divin  ne  leur  imprime  pas  le  cachet  de 
l'unité ,  qui  est  en  même  temps  celui  de  la  vérité.  Aussi  Ba- 
con et  Locke,  son  disciple,  qui,  bien  qu'attachés  au  chris- 
tianisme, ne  furent  pas  assez  pénétrés  de  son  esprit,  finissent 
par  pencher  vers  ie  matérialisme.  Descartes,  franchement 
spirifualiste,  réforme  Bacon,  en  adoptant  les  idées  innées, 
qn1l  explique  d'ailleurs  de  manière  à  prévenir  les  fausses  in- 
teriirétations  de  ceux  qui  ont  toujours  eu  soin  de  ne  pas  les 
entendre  comme  Descartes,  pour  avoir  beau  jeu  à  les  com- 
battre. Leibnitz,  grand  gi'omètre,  riche  de  toutes  les  con- 
naissances humaines,  va  plus  loin  que  Descartes  :  il  renou- 
velle le  platonisme,  mais  un  platonisme  plus  épuré,  plus 
savant ,  plus  profond  ,  plus  méthodique  que  celui  du  disciple 
de  Socrate,  et  son  système,  qui  peut-être  incline  un  peu 
trop  à  Tilluminisme,  est  incontestablement  le  plus  juste  et 
le  plus  complet  :  c'est  assez  dire  qu'il  est  le  plus  religieux. 
Propagé  par  WoH ,  il  subit  bientôt  les  attaques  d'un  autre 
philosophe,  qui  commence  par  rejeter  comme  insuffisant  et 
erroné  tout  ce  qui  a  été  enseigné  jusqu'à  lui  depuis  trois 
mille  ans.  Mais  le  criticisme  de  Kant,  ce  nouveau  réforma- 
teur, annoncé  avec  emphase,  reçu  avec  fanatisme,  débattu 
avec  hneur,  n'a  produit,  en  dernier  résultat,  que  des  divi- 
sions ou  même  des  haines  et  un  dégoût  général  de  toute 
doctrine  ;  et,  s'il  faut  le  dire,  il  a  tué  la  philosophie,  et  peut- 
être  tout  nouveau  système  est-il  aujourd'hui  impossible.  11 
est  à  craindre  en  elfet  que  la  raison  humaine  ne  soit  con- 
damnée à  déraisonner  longtemps,  si  elle  aspire  à  trouver 
un  critérium,  tellement  prompt,  tellement  simple ,  qu'il 
puisse,  au  premier  coup  d'œil,  lui  faire  discerner  la  vérité  de 
l'erreur.  Jusque  là  elle  doutera,  mais  douter  mène  au  néant 
moral  et  croire  est  nn  principe  de  vie. 

«  Cependant,  ajoute  M.  de  Bonald,  dans  toutes  les  sciences 
physiques  il  existe  un  fait  a  priori,  extérieur,  primitif,  gé- 
néial ,  évident ,  qui  sert  de  point  de  départ  à  tontes  les  re- 
cherches humaines  :  ainsi,  la  ligne  droite  est  la  plus 
courte  entre  deux  points  donnés ,  etc.  Pour  les  sciences 
morales,  il  doit  aussi  exister  un  fait  a  priori ,  extérieur, 
pris  dans  l'ordre  des  choses  morales,  puisqu'il  doit  seivir 


DONALD 

fie  !)n';c  <'i  !a  «c'cnrc  des  être?  moraux  et  de  leurs  rapports 
avec  la  science  de  Dieu,  de  i'iiomiue  et  de  la  société.  «  Et 
ce  fait  SI.  de  Bonald  le  trouve  dans  le  don  du  langage  ac- 
cordé au  genre  humain.  Il  existe  absolument  a  priori,  puis- 
qu'on ne  saurait  remonter  plus  liaut;  il  existe  général  et  per- 
pctcel,  puisqu'on  le  retrouve  partout  où  il  y  a  deux  créatures 
humaines ,  quoi  qu'en  ait  pu  dire  Condillac,  avec  plus  d'es- 
prit que  de  vérité.  Or,  la  parole ,  étant  un  des  besoins  de 
la  société,  n'a  pu  être  laissée  aux  chances  éventuelles  de 
l'invention  humaine,  et  nul  doute  que  ce  ne  soit  un  don 
immédiat  de  Dieu ,  comme  fa  vie  physique  et  intellectuelle, 
dont  la  parole  est  l'expression.  Dieu,  l'homme,  la  société, 
voilà  les  objets  de  la  philosopliie  :  or  le  don  primitif  du  lan- 
gage donne  une  raison  suftisante  de  toutes  les  questions  éle- 
vées en  philosophie  sur  Dieu,  sur  l'homme  et  sur  la  société. 
«  Pour  vivre,  dit  M.  de  Donald,  il  a  fallu  que  l'homme,  aus- 
sitôt que  créé,  put  penser  et  p-^rler,  et  reçût  d'un  être  supé- 
rieur en  intelligence  le  don  merveilleux  qui  forme  l'inexpli- 
cable nœud  de  la  parole  et  de  la  pensée ,  de  l'esprit  et  des 
organes,  dans  cet  accord  si  intime  et  si  prompt,  qui,  rac- 
lant, sans  les  confondre,  des  facultés  si  opposées,  met  la  pa- 
role dans  l'esprit  et  l'esprit  sur  les  lèvres.  »  Comment  en 
effet  admettre  un  principe  moral  du  monde  et  reconnaître 
que  l'homme  est  né  pour  la  société ,  sans  qu'en  lui  fussent 
innés  les  dons  nécessaires  à  l'accomplissement  de  cette  vo- 
cation ?  D'ailierirs ,  comment  expliquer  l'invention  humaine 
du  langage,  si  l'on  considère  que,  selon  l'expression  de 
J.-J.  r.ouSH'au ,  la  parole  a  été  nécessaire  pour  (itabiir  l'u- 
sage de  la  parole?  Le  langage  est  donc  un  fait  a  priori  et 
comme  l'expression  native  des  idées  qui  constituent  dès  sa 
naisf.ance  rhomme  nioraj.  C'est  un  fait  général ,  j)uisqa'il  est 
fiarlout  le  même  ,  bien  que  les  idiomes  soient  dilférents;  car 
«  dans  toutes  les  langues,  dit  {'Encyclopédie ,  on  trouve  les 
nièiîics  espèces  de  mots ,  et  ils  sont  assujettis  aux  mêmes 
accidents.  »  «  Le  langage  se  modifie,  s'étend,  se  polit,  ajoute 
M.  de  Donald,  mais  le  fond,  la  constitution  du  langage,  res- 
tent les  mêmes,  aussi  invariables  que  la  société,  la  nature 
et  le  temps.  »  Puis ,  regardant  la  parole  comme  ie  premier 
mobile  de  la  civilisation  ,  il  cherche  dans  les  idiomes  qui 
ont  d'à  être  l'expression  des  premières  idées,  et  par  consé- 
quent des  premiers  [)rincipes  sociaux ,  l'origine  de  toutes  les 
connaissances  humaines  et  la  révélation  des  premières  no- 
tions morales,  et  c'est  encore  danslalangue  ht braïque qu'il 
trouve  ces  caractères  de  primordialité  et  de  perfection  ;  d'où 
il  conclut  que  la  civilisation  n'est  autre  chose  que  les  pré- 
ceptes de  l'ancienne  et  de  la  nouvelle  loi  appliqués  à  la  so- 
ciélé  civile. 

On  suivra  aussi  avec  intérêt  M.  de  Bonald  dans  le  déve- 
loppement de  son  opinion  sur  l'invention  de  l'écriture ,  qu'il 
n'hésite  pas,  après  un  sérieux  examen ,  à  ranger  de  même 
parmi  Ic^  faits  révélés  à  l'homme  de  toute  éternité,  et  il 
sera  curieux  de  la  comparer  à  celle  des  philosophes  qui 
prétendent  que  l'écriture,  n'étant  après  tout  qu'un  jnoyen  ar- 
tificiel et  de  convention  de  décomposer  les  sons ,  a  fort  bien 
pu  être  d'invention  humaine.  C'est  d'ailleurs  une  question 
controversée,  et  qui  est  loin  d'être  résolue.  Quoi  qu'il  en 
soit,  que  l'écriture  nous  vienne  de  l'Inde  ou  de  l'Éuypte, 
ou  des  Phéniciens,  ou  des  Hébreux,  qui  turent  longtemps 
confondus  avec  les  Phéniciens  ,  ou  que ,  selon  les  rabbins , 
l'ange  P>aziel  ait  enseigné  l'écriture  au  premier  homme,  c'est 
toujours  un  fait  que  le  type  des  lois  écrites  pour  la  société 
se  trouve  évidemment,  de  toute  antiquité,  dans  les  livres 
saints ,  comme  ils  renferment  tous  les  principes  sociaux 
qui  ont  civilisé  le  monde,  et  qu'en  voyant  ces  lois  écrites, 
dont  l'ancienneté  se  perd  presque  dans  l'obscurité  des  pre- 
miers âges  ,  on  peut  se  demander  quel  effort  humain  a  pu 
opérer,  comme  d'un  seul  trait  d'imagination  ,  une  invention 
si  miraculeuse,  comparativement  à  la  lenteur  ordmaire  des 
invenliiias  humaines;  et  peut-être  alors  sera-t-on  amené  à 
dire  avec  Cicéron  et  avec  M.  de  Bonald  :  £x  hac  ne  iibl 


405 


terrenn  viorlnliquo.  nntura  concretiis  is  videtiir,  qui  so- 
nos vocis,  qui  infinili  videbantur,  paucis  litterannn 
liolis  tcnninavit?  Dérivant  de  ces  premières  données  les 
règles  de  la  physiologie,  qui  est  pour  l'homme  vivant  ce 
que  l'anatomie  est  pour  le  cadavre,  il  définit  l'homme  une 
infelligence. servie  par  des  organes ,  définition  conforme  à 
celle  de  Cicéron,  et  réfute  la  (loctrine  erronée  et  désolante 
de  Saint-Lambert  et  de  Cabanis,  qui  ne  veulent  voir  dans 
l'homme  qu'une  masse  organisée  et  sensible ,  qui  reçoit 
l'esprit  de  tout  ce  qui  l'environne  et  de  ses  besoins. 
Puis,  analysant  le  plus  bel  attribut  de  l'homme,  la  pensée, 
il  démontre  comment  les  idées  sont  en  même  temps  innées 
quanta  leur  type,  et  acquises  dans  leur  expression;  que 
l'âme  n'est  pas  le  résultat  de  l'organisation  cori)orelle,  puis- 
qu'il serait  absurde  d'admettre  que  la  partie  la  plus  noble, 
et  qui  doit  commander  à  l'autre,  filt,  en  quelque  sorte,  sou- 
mise à  l'organisation  de  celle  dernière  :  or,  comme  dit  Cicé- 
ron ,  «  l'âme  commande  au  corps ,  comme  le  roi  aox  ci- 
toyens et  le  père  à  ses  enfants.  »  Résumant  enfin  ce  brillant 
système  ,  si  habilement  déduit ,  il  trouve  la  cause  première 
de  la  création  dans  Dieu,  qui,  dit-il,  ne  peut  exister  sans 
être  connu,  ni  être  connu  sans  exister,  les  causes  finales 
dans  l'harmonie  des  moyens  et  des  fins ,  c'est-à-dire  dans 
le  perfectionnement  moral  et  social  de  l'homme,  évidem- 
ment créé  pour  la  société,  et  la  cause  seconde  dans  Vhomme, 
ouvrage  de  prédilection  de  Dieu ,  qui  l'a  établi  roi  de  la 
nature  entière. 

Enfin,  pour  achever  le  résumé  de  l'œuvre  de  M.  de  Bo- 
nald ,  tout  dans  l'univers  annonce,  prouve  dessein,  inten- 
tion, intehigcnce  ;  l'univers  matériel  et  tout  ce  qu'il  ren- 
ferme appartient  à  l'espèce  humaine  et  est  fait  pour  son 
usage.  11  n'y  a  donc  dans  l'univers  pas  plus  de  hasard  qu'il 
n'y  a  de  destin.  «  Le  hasard  ,  dit  Leibnilz,  n'est  que  l'igno- 
rance des  causes  physiques,  «  et  l'on  peut  dire  aussi  que  ce 
que  l'on  appelle  destin  n'est  que  l'ignorance  des  causes  mo- 
rales. «  Avec  le  mot  Dieu  ,  dit  Cabanis,  on  ne  rend  raison 
de  rien.  »  «  Sans  le  mot  de  Dieu,  réplique  M.  de  lîonald, 
on  ne  rend  raison  de  rien  de  général,  et  ce  philoso])he,  qui 
substitue  à  ce  mot  ceux  de  nature,  de  matière,  ô'cnergic, 
de  hasard,  de  molécules  organiques,  ne  donne  de  rien  une 
raisen  satisfaisante  pour  ceux  qui  ne  se  payent  pas  de  mots.  » 

iS'ous  nous  sommes  étendu  sur  les  doctrines  de  M.  de 
Bonald,  parce  qu'il  nous  a  semblé  que,  faute  d'être  bien  con- 
nues, elles  avaient  été  attaquées  avec  trop  de  partialité,  et 
c'est  un  hommage  que  nous  sommes  heureux  d'avoir  pu 
rendre  à  la  vérité,  en  môme  temps  que  nous  avons  payé 
notre  tribut  d'éloges  à  l'un  des  plus  profonds  philosophes 
de  nos  jours  et  à  l'un  des  esprits  les  plus  sincères  et  les 
plus  consciencieusement  religieux.  Nous  dirons  peu  de 
chose  de  son  style,  dont  le  mérite  est  moins  contesté,  et 
qui  est  toujours  à  la  hauteur  des  matières  graves  qu'il  traite, 
tour  à  tour  serré,  précis,  élégant,  grave,  majestueux,  et 
presque  toujours  assorti  par  son  principal  caractère  à  la 
nature  des  questions  qui  se  succèdent  sous  sa  plume.  Quel- 
ques personnes  cependant  ont  cru  devoir  lui  reprocher  de 
l'obscurité,  d'autres  de  la  prétention  à  l'originalité  et  à 
l'effet.  Ce  dernier  reproche  pourrait  jusqu'à  un  certain 
point  être  justifié  par  quelque  surabondance  de  synonymie, 
et  par  l'abus  de  l'antithèse,  défaut  auquel  M.  de  Bonald  se 
laisse  quelquefois  aller  sans  s'en  apercevoir;  mais  il  serait 
injuste  de  faire  de  cette  légère  exception  la  règle  d'un  juge- 
ment à  appliquer  au  style  de  l'auteur,  presque  toujours  sage 
et  mesuré,  et  dont  la  gravité,  plutôt  que  l'enflure,  est  le 
principal  caractère.  Quant  au  piemier  reproche,  qui  tient, 
croyons-nous,  à  la  difficulté  de  suivre  tous  les  raisonnements 
de  l'auteur,  qui  se  lient  et  s'enchainent  avec  une  précisiop 
et  une  rapidité  extraordinaires,  nous  n'hésitons  jias  à  le 
déclarer  mal  tonde.  Mais  il  y  a  des  gens  (jui  veulent  lire  un 
ouvrage  de  philosophie  sans  qu'il  en  coûte  rien  à  leur  csiirit 
paresseux,  et,  faute  d'y  apporter  la  dose  d'attcntioa  suffi* 


406 


BONALD  —  BONAPARTE 


sai)tc,  ils  ont  peine  à  lier  les  parties  d'un  fout  dont  ils  ont 
souvent  négligé  de  suivre  et  de  méditer  les  intermédiaires; 
bientôt  ils  se  perdent  dans  un  labyrinthe  dont  ils  ont  oublia 
le  fil;  ils  trébuchent  à  des  obstacles  qu'ils  se  sont  créés 
(Mi\-nir;mes ,  et  leur  vanité  aime  mieux  imputer  leur  décon- 
venue à  l'obscurité  de  l'auteur  qu'à  l'insudisance  de  leurs 
efforts.  L'abbé  J.  Beutin.  ] 

M.  de  Donald  avait  épousé  en  1776  Elisabeth  de  Gui- 
hald  DE  CoMBEScuEE,  proche  parente  du  chevalier  d'Assas, 
morte  en  1820.  De  leur  union  sont  nés  quatre  lils  et  une  fille, 
/fenrielte,  mariée  à  M.  de  Serres,  écrivain  religieux  et  mo- 
narchique comme  son  beau-père. 

BONaLD  (Auc.uste-IIenri  de),  l'aîné  des  fds  de  M.  de 
lîonaM,  publicistede  la  même  école,  secrétaire  intime  de  son 
pore,  placé  au  collège  de  Saint-Charles  de  Heidelberg  du- 
rant le  séjour  de  celui-ci  dans  celte  ville,  rentra  avec  lui  en 
l'iance,  et  alla  continuer  ses  études  au  collège  de  Juilly,  di- 
rigé par  les  Oratoriens.  Volontaire  royal  en  1815  ,  on  le  vit 
eu  1816  et  1817  poursuivre  de  ses  sarcasmes  des  hommes 
qui,  grands  dans  le  malheur,  n'emportaient  dans  l'exil  que 
les  regrets  de  leurs  concitoyens.  Après  18?.0  il  quitta  la 
l<>ance,  pour  aller  rejoindre  à  Fribourg  les  pères  de  la  foi  et 
les  organes  du  parti  légitimiste,  et  fut  dans  celte  ville  un  des 
rédacteurs  de  V Invariable,  nouveau  Mémorial  catholique. 
En  1835  on  le  vit  déposer  ses  hommages  aux  pieds  de  Ven- 
fant  du  miracle,  puis,  de  retouren  France,  se  rallier,  |)oiir 
être  utile  à  ses  coreligionnaires  politiques  et  ne  pas  nuire  à 
son  frère  Maurice,  qui  aspirait  au  chapeau  de  cardinal.  Col- 
laborateur des  journaux  la  France  et  l'Univers,  il  est  au- 
teur d'une  notice  sur  son  père  et  de  plusieuis  brochures,  au 
nombre  desquelles  on  cite  l'apologie  la  plus  hardie  dont  les 
jésuites  aient  jamais  été  l'objet.  M.  Henri  de  Donald  est  mort 
le  5  septembre  1848. 

UOKALU  ( VicToii  DE ) ,  fière du  précédent,  étudia,  comme 
lui,  au  collège  de  Heidelberg,  fut  nommé  recteur  de  l'Aca- 
démie de  Montpellier  quand  son  père  redevint  membre  du 
conseil  royal  de  l'inslniction  publique,  et  donna  sa  démission 
eu  1830.  11  est  auteur  de  deux  ouvrages  de  l'école  de  son 
père,  dont  l'un  traite  de  la  Géologie  de  Moïse.  Une  discus- 
sion très-vive  s'éleva  dans  l'année  1852  entre  lui  et  le 
P.  Ventura.  —  Son  frère  René,  conseiller  général  du  dé- 
partement de  l'Aveyron  en  1826,  avait  été  nommé  précé- 
demment, par  intérim,  préfet  de  ce  département  en  1817  et 
1818,  durant  l'instruction  du  fameux  procès  Fualdès. 

BONALD  ( Louis-Jacqces-Maurice  de),  frère  des  précé- 
dents, né  à  Milhaud,  le  30  octobre  1787,  fut  destiné  dès  sa 
naissance  à  la  carrière  ecclésiastique,  et  lit  ses  études  au  sé- 
minaire de  Saint-Sulpice.  A  son  début,  il  s'attacha,  comme 
secrétaire  particulier,  à  M.  de  Pressigny,  ancien  évcque  de 
Saint  Malo,  archevêque  de  Besançon,  nommé  par  Louis  XVII  l 
ambassadeur  près  le  Saint-Siège.  IM.  de  Pressigny  ne  put 
achever  le  concordat,  et  l'abbé  de  Donald,  scandalisé  de  la 
conduite  des  prélats  italiens,  enchevêtré  d'ailleurs  dans  leurs 
ruses  peu  édifiantes ,  s'estima  heureux  de  s'enfuir  de  la  ca- 
pitale du  monde  chrélicn,  en  y  laissant  pour  tout  souvenir 
un  couvent  de  religieuses  fraaçaiscs  qu'il  y  avait  fondé  du- 
rant son  séjour.  Rentré  en  France,  il  fut  bientôt  le  prédi- 
cateur à  la  mode  du  faubourg  Saint-Germain  ;  la  réputation 
du  père  rejaillit  sur  le  fils  :  il  devint  vicaire  général  de 
Chartres,  aumônierordinairede  Jlonsieur  (depuis Charles X) , 
aumônier  du  roi  par  quartier,  et  enfin  évéque  ilu  Puy  eu  1 823. 

Dans  un  procès  intenté  au  Courrier  français  et  au  Cons- 
titutionnel,  la  cour  royale  de  Paris  ayant  cru  devoir  si- 
gnaler à  la  France  que  la  plus  grande  partie  de  son  clergé 
professait  des  opinions  diamétralement  opposées  aux  libertés 
de  l'Église  gallicane,  l'évèque  du  Puy  adressa  sur-le-champ 
au  roi  une  lettre  par  laquelle  il  protestait  contre  cet  arrêt , 
et  attaipia  avec  violence  la  liberté  de  la  presse ,  que  venait 
de  rétablir  Charles  X.  Plus  tard,  cependant,  par  une  étrange 
contradiclion,  il  signa  une  aulve  lettre  au  roi,  dans  laquelle 


la  plupart  des  évoques  français  protestaient  en  faveur  des 
libertés  gallicanes.  Durant  sou  séjour  au  Puy,  il  lança  plu- 
sieurs lettres  pastorales  et  mandements  qui  provoquèrent 
l'attention  publique,  et  commit,  dit-on,  dans  son  diocèse 
quelques  actes  d'intolérance  qui  firent  dire  de  lui  et  de  quel- 
ques nouveaux  prêtres  à  M.  de  Frayssinous  :  Ils  sont 
trop  jeunes  pour  être  tolérants. 

Sous  le  règne  de  Louis-Philippe,  en  1839,  M.  de  BonaM 
fit  un  nouveau  voyage  à  Rouie,  où  il  fut  accueilli  avec  la 
plus  grande  distinction  par  le. pape,  qui  lui  manifesta  les       9 
meilleures  dispositions  au  sujet  du  roi  des  Français  et  de        h 
la  Franco ,  et  lui  exprima  le  désir  de  voir  le  clergé  français 
s'abstenir  de  toute  démonstration  contraire. 

Vers  cette  époque  la  mort  du  cardinal  Fe-^ch,  oncle  de 
Napoléon,  et  resté,  malgré  son  exil ,  titulaire  de  l'archevêché 
de  Lyon ,  mit  à  la  disposition  du  gouvernement  la  collation 
de  ce  siège  important;  et  le  choix  du  pouvoir  se  fixa  sur 
le  cardinal  d'Isoard ,  que  M.  de  Donald  fut  en  même  temps 
appelé  à  remplacer  en  qualité  d'archevêque  d'Auch.  Il  n'a- 
vait [tas  encore  eu  le  temps  d'accepter  cette  insigne  faveur, 
quand  le  cardinal  d'Isoard,  qui  était  venu  attendre  à  Paris 
les  bulles  du  Saint-Père,  y  mourut  presque  en  mcMue  temps 
que  M.  de  Quélen;  et  voilà  le  siège  de  Lyon  encore  une  fois 
vacant.  On  l'offrit  alors  à  M.  de  Donald,  qui  l'accepta,  au 
risque  de  causer  de  douloureux  regrets  à  ses  ouailles  du 
Puy.  Sa  nomination  porte  la  date  du  4  décembre  1839,  et 
l'année  suivante  il  obtint  le  chapeau. 

Tant  de  faveurs  ne  rallièrent  qu'à  moitié  M.  de  Donald  ;  il 
fut  un  des  premiers  à  lancer  l'anathême  contre  l'université 
et  l'enseignement  public.  Ses  bulles,  rebelles  aux  avertisse- 
ments du  conseil  d'État,  étaient  pleines  d'intolérance  et  de 
menaces  ;  enfin  ce  fut  presque  sous  ses  yeux  que  l'abbé  Des- 
garets  publia  cet  extravagant  pamphlet  :  Le  Monopole  U7ii- 
versilaire,  qui  amena  son  auteur  en  cour  d'assises.  Jusqu'à 
la  fin  de  la  monarchie  de  Juillet,  Jî.  de  Donald  se  fit  remar- 
quer parmi  les  plus  ardents  à  combattre  l'université  et  la 
philosophie,  peut-être  bien  dans  l'espoir  de  se  faire  par- 
donner ainsi  par  les  pointus  du  parti  légitimiste  ce  que  cer- 
tains appelaient  son  apostasie  politique,  c'est-à-dire  ses 
relations  plus  qu'amicales  avec  le  Juste-Milieu. 

La  constitution  de  1852,  en  créant  les  cardinaux  membres 
nés  du  sénat,  a  appelé  M.  de  Donald  à  siéger  au  LuNembourg. 
'  BOIVAMIE.  Ce  genre  de  la  famille  des  convolvulacées 
a  été  établi  par  Dupetit-Thouars.  Il  ne  comprend  encore 
qu'un  arbrisseau  trouvé  à  Madagascar,  et  ayant  pour  carac- 
tères :  tige  dressée,  garnie  de  feuilles  alternes,  coriaces, 
très-entières,  ondulé&s;  inflorescence  en  panicule  terminale. 

BO^IiVPARTE  (Maison  des).  Ce  nom  s'écrit  indiffé- 
remment Bonaparte  ou  Buonaparte.  Le  père  de  Napoléon 
signait  Buonaparte ,  et  son  oncle  signait  à  la  même  époque, 
aux  mômes  lieux  et  sous  le  même  toit ,  Bonaparte.  Il  n'y 
a  aucune  induction  à  tirer  de  ces  variantes  sans  importance. 
L'empereur  dans  sa  jeunesse  écrivait  Buonaparte  :  c'est 
plus  conforme  à  l'orthographe  italienne;  pour  franciser  son 
nom,  il  s'appela  p'.ustard  Bonaparte.  Quoiqu'ileu  soit,  cette 
famille  joue  un  rôle  distingue  dans  les  annales  de  l'Italie 
dès  le  douzième  siècle.  A  Trévise  elle  fut  longtemps  puis- 
sante. A  Florence,  les  actes  de  plusieurs  de  ses  membres 
paraissent  l'avoir  placée  parmi  les  illustrations  princières  de 
cette  belle  cité  :  là,  de  vieux  palais  et  des  monuments  sont 
restés  chargés  de  ses  écussons  et  de  ses  noins.  A  Venise 
elle  était  inscrite  sur  le  Livre  d'Or.  Les  anciens  titres  de 
cette  famille  à  Trévise  furent  présentés  à  Bonaparte  par  les 
magistrats  de  cette  ville,  en  1796,  quand  il  y  entra  victo- 
rieux. A  Bologne ,  Marescalchi ,  Caprara  et  Aldini  lui  pré- 
sentèrent aussi  de  vieux  titres  qui  unissaient  sa  famille  à 
d'autres  maisons  historiques  :  ses  armes,  qui  consistent  en 
un  râteau,  offrent  cela  de  remarquable  qu'elles  sont  accom- 
pagnées de  fleurs  de  lis  d'or.  Bonaparte  était  premier  consul 
lorsqu'un  généalogiste  publia  qu'il  descendait  d'anciens  rois 


BONAPARTE 


407 


du  Noril.  Un  Italien ,  nommé  Césaris,  a  prouvé  à  Londres, 
en  ISOO,  par  des  arguments  héraldiques  complets,  les  al- 
liances des  Çonaparte  avec  la  maison  d'Est,  Welf  ou 
Guelf ,  désignée  comme  tige  de  la  ligne  allemande  qui  gou- 
verne aujourd'hui  la  Grande-Bretagne  ;  cette  giande  maison 
d'Est  a  donné  aussi  plusieurs  impératrices  à  l'Autriche. 

Clarke,  duc  de  Feltre,  ministre  de  Napoléon,  officier  vul- 
gaire, mais  courtisan  adroit,  rapporta  en  France,  dans  les 
jours  où  son  zèle  napoléonien  était  plein  de  feu ,  de  nou- 
velles preuves  de  ces  origines,  et  entre  autres  documents 
un  portrait  de  la  galerie  des  .Médicis  qui  représente  une  de- 
moiselle Bonaparte  mariée  à  un  illustre  personnage  de  cette 
famille.  La  mère  du  pape  Nicolas  V ,  ou  Paul  V ,  était  une 
Bonaparte.  Ce  fut  un  15onaparte  qui  rédigea  le  traité  par 
lequel  Livourne  fut  échangée  contre  Sarzane.  A  la  renaissance 
des  lettres,  un  membre  très-distingué  de  cette  famille, 
JSicolo  Bonaparte  ,  gentil-homme  et  professeur  à  San-Mi- 
niato,  publia  une  comédie  intéressante,  qui  mérite  d'être  con- 
nue, intitulée  la  Vedova  (la  Veuve).  Le  manuscrit  original , 
im  exemplaire  imprimé  de  l'édition  de  Florence  de  1592  et 
un  autre  de  celle  de  Paris  de  1S03  sont  déposés  à  la  Biblio- 
thèque Impériale.  Un  ministre  de  la  cour  de  Rome  rappela 
en  1707,  à  Tolentino,  lors  de  la  paix  de  la  république  avec 
le  pape ,  que  Bonaparte  était  le  premier  Français  qui  eût 
marché  sur  Rome  depuis  le  cardinal  de  Bourbon,  et  qu'un 
gentil-homme  toscan  de  sa  maison,  nommé  Jacopo  Blona- 
PARTE ,  qui  vivait  dans  la  première  moitié  du  £eizièn)e 
siècle ,  avait  écrit  une  histoire  remarquable  de  cette  ex- 
pédition, dont  il  avait  été  à  la  fois  témoin  et  acteur,  sous 
le  titre  de  Ragguaglio  storico  di  tutto  l'occorso,  giorno 
per  giorno,  net  sacco  di  Roma  dell'  anno  1527.  En  effet 
ce  livre  existe;  il  a  été  imprimé  pour  la  première  fois  à 
Cologne,  en  1756,  traduit  en  français,  à  Paris,  en  1S09,  réé- 
dité par  Louis  Bonaparte ,  ex-roi  de  Hollande ,  à  Florence, 
en  1830;  il  renferme  une  généalogie  complète  des  Bona- 
parte, que  l'on  fait  remonter  très-haut;  on  les  y  désigne 
aussi  comme  étant  une  des  maisons  illustres  de  l'Italie.  Le 
premier  Bonaparte  y  est  inscrit  avec  la  qualification  ÔLCJcilé 
gibelin;  Nicolas  Bonaparte,  que  l'on  a  confondu  avec 
Jacopo,  est  l'oncle  de  cet  historien,  savant  illustre,  fon- 
dateur, à  l'université  de  Pise ,  d'une  chaire  ds  jurispru- 
dence. 

Les  archives  de  Munich  renferment  un  grand  nombre 
d'autres  preuves  de  l'ancienne  splendeur  des  Bonaparte. 
Cette- famille,  comme  tant  d'autres  des  petits  États  d'Italie, 
fut  victime  des  nombreuses  révolutions  qui  désolèrent  ce 
beau  pays  ;  les  factions  exilèrent  les  Bonaparte  de  Florence. 
Un  d'eux  se  retira  à  Sarzane ,  et  de  là  passa  en  Corse,  d'où 
ses  descendants  continuèrent  toujours  d'envoyer  un  de  leurs 
enfants  en  Toscane,  à  la  branche  qui  était  demeurée  à  San- 
Miniato.  Depuis  plusieurs  générations  le  second  des  enfants 
de  la  famille  a  constamment  port^  le  nom  de  Napoléon. 
Elle  tenait  ce  nom  de  son  alliance  avec  un  Napoléon  des 
Vrsins,  célèbre  parmi  les  guerriers  de  l'Italie.  Différentes 
fois  on  essaya  de  toucher  le  cœur  de  Bonaparte  en  tirant 
ces  souvenirs  de  la  poussière  ;  mais  toujours  il  accueillit  en 
haussant  les  épaules  ou  très-légèrement  les  ouvertures  qui 
lui  furent  faites  sur  ce  point  ;  il  ferma  à  cet  égard  l'oreille  a 
tout  projet  sérieux.  Personne  ne  put  y  revenir  avec  succès, 
pas  même  Marie-Louise.  L'empereur  François  s'était  fait 
représenter  tous  les  titres  de  la  famille  Bonaparte  avant  de 
marier  l'archiduchesse  sa  fille  à  Napoléon.  Aussi,  disait-il 
à  quelqu'un  qui  mettait  en  doute  la  noblesse  de  ce  dernier  : 
•  Je  ne  lui  donnerais  pas  ma  fille,  si  je  n'étais  convaincu 
que  sa  famille  est  aussi  noble  que  la  mienne.  »  Déjà ,  dans 
les  dernières  années  du  consulat ,  Napoléon  avait  dit  à  pro- 
pos (](t  vieilles  royautés  du  Nord  auxquelles  on  rattachait 
son  nom,  que  tout  cela  était  parfaitement  ridicule,  et  i.l 
avait  fait  jicrsider  cette  dccouveile  dans  un  journal  trè.s- 
rei)and:i  ;  il  répondit  à  cette  occasion  que  sa  noblesse  ne 


datait  que  de  Montcnotte  et  du  dix-huit  brumaire.  II  était 
alors  âgé  de  trente-deux  ans,  préparait  le  Code  Civil  des 
Français,  et  avait  gagné  la  bataille  de  Marengo. 

Le  pape  lui-même,  lorsqu'il  alla  à  Paris,  en  1804,  insinua 
plusieurs  fois  à  l'empereur  qu'il  y  avait  eu  jadis  à  Bologne 
un  père  capucin  Bonavcnture  Bonaparte,  qui  avait  mé- 
rité d'être  béatifié  pour  ses  vertus,  mais  que  sa  canonisa- 
tion avait  été  ajournée  à  cause  des  frais  considérables  qu'elle 
entraînerait,  et  qu'il  était  temps ,  enfin,  que  justice  lui 
fût  rendue.  L'empereur  fit  encore  la  sourde  oreille,  et  ne 
parut  pas  tenir  à  avoir  im  saint  dans  sa  famille.  Quand 
François  II  lui  parla,  dans  les  fêtes  éblouissantes  de  1812  , 
à  Dresde ,  des  anciens  titres  que  nous  venons  d'énumérer, 
Napoléon  lui  répondit  en  souriant  «  qu'il  n'attachait  pas  le 
moindre  prix  à  ces  choses-là  ;  qu'au  contraire  il  tenait  à  être 
le  Rodolphe  de  Habsbourg  de  sa  race  ».  L'étiquette  qu'il 
faisait  observer  aux  Tuileries ,  dans  son  rôle  officiel,  tenait 
à  l'ordre  avec  lequel  il  lui  semblait  indispensable,  après  uno 
révolution  qui  avait  anéanti  tout  esprit  de  subordination, 
de  déterminer  hiérarchiquement  les  diverses  positions  so- 
ciales. Il  voulait  une  sorte  de  discipline  civile.  Son  génie 
ne  concevait  même  rien  de  facile  et  de  grand  sans  son  se- 
cours. Frédéric  Fayot. 

Les  témoignages  les  plus  récents  de  l'ancienneté  de  la 
noblesse  de  la  famille  Bonaparte  sur  lesquels  on  puisse  s'ap- 
puyer sont  ceux  de  Bourrienne,  qui ,  dans  ?■&$  Mémoires , 
cite  des  pièces  qui  prouvent  l'illustration  de  cette  famille. 
Il  affirme  même  avoir  vu  sa  généalogie  authentique ,  que  la 
famille  de  Napoléon  dut  faire  venir  de  Toscane  quand  il  lui 
fallut  fournir  ses  preuves  de  noblesse  pour  obtenir  son  ad- 
mission à  l'École  militaire  de  Brienne.  M.  de  Las  Cases  as- 
sure avoir  souvent  entendu  répéter  à  M.  de  Cetto  ,  ambas- 
sadeur de  Bavière ,  que  les  archives  de  Munich  renfermaient 
un  grand  nombre  de  pièces  italiennes  attestant  l'illustration 
de  la  famille  Bonaparte. 

Mais  si  l'on  est  bien  fixé  sur  la  noblesse  des  Bonaparte, 
on  ne  l'est  pas  autant  sur  l'origine  de  la  famille,  que  la 
complaisance  des  flatteurs ,  depuis  son  avènement  au  pou- 
voir, a  fait  remonter  jusqu'à  la  nuit  des  siècles  ,  jusqu'aux 
temps  fabuleux.  Selon  l'un  d'eux.  Napoléon  serait  un  des- 
cendant desComnène,  empereurs  grecs  de  Constantinople. 
Si  l'on  devait  en  croire  quelques  historiens,  les  Bonaparte  se- 
raient plus  anciens  qu'on  ne  le  pensait  même  à  l'époque  où 
un  des  leurs  tenait  le  sceptre  d'Occident,  car  ils  appartien- 
draient à  ces  familles  de  Maïnottes  qui ,  quittant  la  Grèce, 
vinrent  fonder  en  Corse  une  colonie.  Nicolas  Stephanopoli, 
historien  corse,  a,  vers  la  fin  du  siècle  dernier,  cherchu 
à  fixer  répo([ue  de  l'établissement  de  cette  colonie  dans  sa 
patrie  au  quatorzième  et  quinzième  siècles;  opinion  confir- 
mée, depuis  ,  par  M.  Jules  Pautet  et  par  M.  Alfred  Marey- 
Monge.  Suivant  ce  dernier,  il  y  aurait  eu  parmi  ces  énu'- 
grés  des  Koi.Iq[leç,o ,  dont  le  nom,  qui  en  langue  romaïque 
signifie  bon  lieu,  serait  devenu,  en  s'italianisant,  Buona 
parte,  de  n:ême  que  plus  tard  on  en  aurait  fait  en  France 
Bon  part  et  Bompart  ;  et  il  assure  que  c'est  de  la  famille 
des  Calomérides ,  bien  connue  duns  le  Magne,  que  descend 
Napoléon  Bonaparte,  dont  le  noble  profil  confirmerait  cetto 
origine.  Cette  tradition  problématique  rappelle  les  luîtes  des 
villes  grecques ,  se  disputant  l'honneur  d'avoir  donné  le  jour 
à  Homère. 

Plus  récemment  encore,  on  a  voulu  domier  à  Napoléon 
des  rois  de  France  pour  aïeux ,  et  il  s'est  trouvé  quelqu'un 
qui  a  sérieusement  débité  que  Napoléon  descendait  en 
ligne  directe  de  V  Homme  au  masque  de  fer,  frère  jumeau 
de  Louis  XIV.  Le  gouverneur  de  l'île  Sainte-Marguerite, 
auquel  la  garde  de  ce  prisonnier  d'État  était  confiée,  se  nom- 
mait Bonpart.  Sa  fille  se  serait  éprise  de  l'inconnu;  le  père 
en  aurait  référé  à  la  cour,  qui  aurait  décidé  qu'il  n'y  avait 
pas  d'inconvénient  à  les  unir,  et  il  serait  facile,  ajoutait-on, 
de  vérifier  ce  mariage  sur  les  registres  d'une  des  paroisses 


408 


BONAPARTE 


de  Marseille;  les  enfants  issus  de  cette  union  anraicnt  éti- 
t'iandest'nenient  conduits  en  Corse,  où  ils  auraient  pris  le 
nom  de  leur  mère ,  soit  Bonaparte  en  italien. 

D'après  un  ouvrage  de  Georges  Sand,  publié  en  1842 
(  Un  Hiver  à  Majorr/uc),  il  existerait  dans  la  bibliollièiiue 
du  comte  de  Monténégro  im  armoriai  manuscrit,  contenant 
les  principales  familles  de  Majorque,  letjuel  aurait  appartenu 
à  don  Juan  Dameto,  arctiivistc  de  celte  île,  décédé  en  1633. 
Des  documents  trouvés  dans  cet  armoriai,  qui  remonte  au 
seizième  siècle,  et  de  quelques  autres  nobiliaires  majorquins, 
il  résulterait  que  les  Bonaparte  seraient  une  famille  d'ori- 
gine provençale  ou  languedocienne ,  transplantée  en  Espa- 
gne. Les  preuves  en  seraient  aussi  consignées  à  Barcelonne, 
dans  un  nobiliaire  avec  armoiries,  appartenant  aux  archives 
de  la  couronne  d'Aragon,  et  dans  lequel  on  trouverait,  à 
la  date  du  15  juin  1549,  les  titres  de  noblesse  de  la  famille 
Fortuny,  au  nombre  desquels  ligurerait,  parmi  les  quatre 
quartiers,  une  aïeule  maternelle  issue  de  la  maison  liona- 
pnrt.  En  1411  un  Hugo  Bonapart,  natif  de  Majorque,  se- 
rait passé  dans  l'ile  de  Corse ,  en  qualité  de  régent  ou  gou- 
verneur pour  le  roi  IMartin  d'Aragon.  «  Qui  sait ,  ajoute 
(leorges  Sand  ,  l'importance  que  ces  légers  indices,  diJcou- 
vcrls  quelques  années  plus  tôt,  auraient  pu  acquérir,  s'ils 
avaient  servi  à  démontrer  à  Napoléon ,  qui  tenait  tant  à  être 
Français,  que  sa  famille  était  originaire  de  France?  » 

Cette  dernière  origine  détruirait,  au  reste,  l'établissement 
des  Bonaparte  en  Italie  en  1411 ,  tandis  qu'un  des  plus  an- 
ciens Bonaparte  connus  vivait  à  Florence  en  1140,  et  qu'il 
en  fut  exil<'  celte  année  comme  gibelin.  Pour  qu'il  n'y  eût 
pas  contradiction ,  il  faudrait  qu'une  brandie  de  l'ancienne 
famille  provençale  ou  languedocienne  eût  émigré  en  Italie  , 
tandis  que  l'autre  passait  en  Espagne,  ou  que  les  Zanparto 
italiens  ne  fussent  point  de  la  môme  source  que  les  hona- 
parl  de  Majorque. 

En  admettant  (}ue  ces  origines  puissent  être  contestées , 
au  moins  l'ancienneté  de  cette  famille  en  Italie  est  certaine. 
Elle  joue  un  rôle  éminent  dans  les  annales  de  la  péninsule 
dès  le  douzième  siècle.  Ses  membres  apparaissent  ;i  diverses 
époques  à  Trevise,à  Parme,  à  Rome,  à  Florence,  à  San- 
Miniatode  Tedesco  comme  dignitaires  de  ces  Éiats,  couune 
signataires  de  traités,  chevaliers,  fondateurs  d'ordres,  etc. 
Quant  aux  Bonaparte  de  Sarzane ,  ancêtres  de  la  branche 
de  Corse,  ils  reuiontent,  sans  interruption  pendant  [ilus  de 
trois  siècles,  au  magistrat  Bonaparte,  (ils  de  Zanparto, 
d'où  viendrait  le  nom  de  famille  Bonaiiarle.  Ce  magistrat 
Bonaparte,  qui  était  gibelin,  dut  s'éloigner  de  l'iorence,  où 
l'on  montre  sa  maison,  et  se  fixa  à  Sarzane,  où  l'on  connaît 
sans  interruption  ses  nombreux  descendants  jusqu'à  Fran- 
çois, qui  passa  en  Corse.  Ce  François  ou  Francesco  partit 
de  Sarzane  pour  la  Corse  en  1512 ,  avec  un  couunandement 
militaire  de  la  république  de  Gênes.  Au  nombre  des  brillantes 
alliances  de  cette  famille  à  Sarzane,  on  cite  celle  d'un  Bona- 
parte avec  Apollonia,  tille  du  marquis  souverain  iNicolo  Ma- 
iespina  délia  Verrucola.  La  dot  était  de  400  livres  de  Gênes, 
somme  exorbitante  pour  l'époque.  L'acte  est  du  s  août  1440. 

Parmi  les  Bonaparte  de  Florence  et  de  San-Miniato,  plu- 
sieurs se  sont  alliés  aux  premières  familles  de  l'Italie  et  se 
sont  illustrés  dans  l'Église,  dans  la  magistrature,  dans  la 
carrière  militaire.  Il  y  a  eu,  dans  le  nombre,  des  podestats,  des 
chefs  des  anciens,  des  ambassadeurs,  des  gentils-hommes, 
des  chevaliers ,  des  colonels ,  des  capitaines  colèbres  et  un 
clerc  de  la  chambre  aposlolitiue,  savant  professeur  de  droit. 
Un  d'eux,  Léonard-Antoine ,  accusé  de  haute  trahison 
en  Kiil,  eut  les  deux  tiers  de  ses  biens  conlisqués,  et  lut 
décapité  à  Florence. 

A  Trévise ,  les  Bonaparte  ont  été  très-anciennement  sei- 
gneurs de  la  ville  et  investis  du  souverain  pouvoir.  Ils  jouis- 
saient du  droit  exclusif  de  porter  les  armes  dans  la  cité  et 
au  dehors.  Il  y  a  eu  parmi  eux  des  podestats,  des  cheva- 
liers,  syndics ,  procureurs  généraux  et  pnenrs  de  l'ordre  de 


la  Vierge  glorieuse,  un  libérateur  de  sa  patrie  opprimée 
par  des  tyrans  ,  un  signataire  du  traité  conclu  en  133S  entre 
Venise  et  la  Hongrie,  etc.  D'autres  Bonaparte «e  distinguè- 
rent à  Pise,  <à  Bologne  et  à  Lucqucs. 

Le  Bonaparte  de  Sarzane  qui  en  1512  fut  envoyé  par 
les  Génois  en  Cor.se  y  eut  un  lils,  qui  se  maria  dans  l'île 
en  152!),  et  de  cette  époque  date  l'établi-ssement  de  la  famille 
dans  ce  pays.  Cette  branche ,  ruinée  par  les  guerres  civiles, 
vécut  pauvre  et  avec  moins  d'éclat  que  les  deux  autres.  Na- 
poléon disait  à  Sainte-Hélène  :  «  Mes  succès  une  fois  éta- 
blis en  Italie  firent  rechercher  partout  les  circonstances  de 
notre  famille,  depuis  longtemps  tombée  dans  l'obscurité.  » 
Jusqu'à  la  moitié  du  dix-huitième  siècle  les  Bonaparte  de 
Corse  comptèrent  pourtant  plusieurs  personnages  de  dis- 
tinction. Ils  étaient  alliés  aux  Colonna,  aux  Ornano  ,  aux 
Bozi ,  aux  Durazzo  de  Gênes  et  aux  premières  maisons  de 
l'île.  Ils  acquirent  des  propriétés  et  obtinrent  une  grande 
influence  dans  le  canton  de  ïalavo,  et  surtout  dans  le  bourg 
de  Bozognano.  La  famille  fut  encore  recoimue  noble  (juand 
M.  de  Marbeuf  devint  gouverneur  de  l'île.  Leiu' maison  pa- 
trimoniale d'Ajaccio  fut  trois  fois  saccagée  dans  les  guerres 
dont  ce  malheureux  pays  fut  le  théâtre.  Parmi  les  Bona- 
parte qui  précédèrent  Charles-Maiie,  père  de  Napoléon,  il 
en  est  qui  furent  qualiliés  de  messires,  de  magnifiques,  (;e 
chefs  des  anciens  d'Ajaccio.  Un  se  distingua  contre  les  Bar- 
baresques,  un  autre  contracta  alliance  avec  une  Gondi ,  un 
troisième  fut  député  au  sénat  de  Gênes,  un  quatrième  devint 
capitaine  de  la  ville  et  un  cinquième  maréchal. 

Au  dix-huitième  siècle  les -Bonaparte  de  Corse  n'étaient 
plus  rei)résentés  que  par  deux  descendants  mâles,  dont  nous 
allons  parler.  E.  G.  de  Mo.nclave. 

Charles-Afaric  Bonaparte,  père  de  celui  qui  fut  em- 
pereur des  Français,  naquit  à  Ajaccio,  le 20  mars  1746.  C'était 
un  beau  jeune  homsr.e,  d'une  éducation  distinguée,  niai.s 
d'une  santé  chancelante.  Sa  taille  était  élevée;  il  avait  le 
caractère  rempli  de  douceur,  bien  qu'il  fût  souvent  en 
proie  à  de  vives  souffrances.  Il  était  venu  étudier  à  Borne 
dans  sa  première  jeunes.se,  et  était  allé  ensuite  apprendre 
les  lois  à  Pise.  A  son  retour ,  il  épousa,  contre  le  gré  de 
ses  oncles,  la  belle  Lœtitia  Ramolii\;j,  d'une  famille 
patricienne,  dont  il  eut  huit  enfants  :  Joseph,  roi  de 
Naples,  et  puis  d'Espagne;  Napoléon,  enq)ereur  des 
Français;  Lucien,  prince  de  Canino;  Marie-Anne,  ap- 
pelée dans  la  suite  Elisa,  princesse  de  Lucques  et  de  Piom- 
bino,  épouse  du  prince  Bacciochi;  Louis,  roi  de  Hol- 
lande, père  de  l'empeieui  Napoléon  III;  Charlotte,  ap- 
pelée plus  tard  Marie-Pauline,  princesse  Borglièse; 
Annnnciate,  plus  tard  Caroline,  épouse  rie  .Murât,  roi 
de  Naples;  et  Jérôme,  roi  de  Weslphnlie. 

La  douceur  des  manières  de  Charles-Marie  Bonaparte 
n'excluait  pas  en  lui  la  chaleur  et  l'énergie  de  l'action.  Lor.s- 
qu'a  la  consulte  extraordinaire  de  Corse,  on  proposa  (Je 
se  soumettre  à  la  France,  il  combattit  avec  feu  cette  pro- 
l)osition.  Ses  paroles  produisirent  un  grand  effet  sur  les 
esprits.  11  ne  comptait  que  vingt  ans. 

L'île  fut  conquise.  Il  voulut  partager  le  sort  de  Paoli, 
et  s'éloigna;  mais  rarchidiacre  Lucien,  son  oncle,  person- 
nage trè.s-âgé,  qui  exerçait  sur  lui  et  sa  jeune  fennue  un 
très-grand  ascendant,  le  força  de  revenir  dans  ses  loyers, 
Charles  Bonaparte  était  juge.  En  1779  il  fut  nommé  par 
la  noblesse  de  Corse  membre  et  président  d'une  d('putation 
qui  fut  envoyi'e  à  Paris.  11  mena  avec  lui  le  jeune  Napo- 
léon, alors  âgé  de  dix  ans,  et  sa  jeune  somu",  Elisa,  depuis 
grande-(luch(!sse  de  Toscane.  En  venant,  il  avait  pa.ssc  par 
Florerice,  ou  la  notoriété  de  .son  origine  lui  valut  les  égards 
particuliers  du  grand-duc  Léopold,  et  une  lellre  de  re- 
commandation pour  sa  sœur,  Mario-Antoinctto,  leine  de 
France. 

Lors(|u'il  avait  quitté  la  Corse,  les  deux  ofliciers  géné- 
raux qui  commandaient  dans  l'ile  au  nom  du  roi  vivaieut 


BOiN  APARTE 


409 


fort  divisés  ;  leurs  querelles  donnaient  lieu  à  deux  partis. 
M.  de  Marbeuf  gouvernait  avec  justice;  il  avait  le  carac- 
tère doux  et  humain ,  et  voyait  son  nom  entouré  de  po- 
pularité. M.  de  Narbonne-Pulet ,  qui  était  alors  en  grande 
faveur  à  la  cour,  se  montrait,  au  contraire,  haut  et  violent 
dans  ses  fonctions.  Charles  Bonaparte ,  en  conduisant  à  la 
cour  la  députation  de  l'île,  fut  consulté  sur  le  fond  des  dif- 
férends qui  entravaient  le  gouvernement  de  la  colonie.  Il 
témoigna  en  faveur  de  la  loyauté  et  de  l'habileté  de  M.  de 
RIarbeuf,  et  ses  explications  rangèrent  le  ministère  à  son 
avis.  M.  de  Marbeuf  se  montra  reconnaissant  de  ce  service; 
et  quand  le  jeune  Napoléon  Bonaparte  fut  envoyé  à  l'école 
de  Brienne  pour  y  étudier  les  mathématiques,  le  gouver- 
neur le  recommanda  particulièrement  à  sa  famille,  qui  ha- 
bitait la  plus  grande  partie  de  l'année  ce  pays,  où  elle  avait 
ses  propriétés.  Le  même  intérêt  de  sa  part  environna  les 
autres  enfants  de  Charles  Bonaparte,  qui  furent  envoyés  en 
France.  M.  de  Marbeuf  était  très-âgé.  Il  y  a  eu  telles  su;i- 
positions  de  quelques  libeliistes  anglais  durant  la  puissance 
de  l'empereur  dont  quelques  simples  positio7is  de  dates 
eussent  fait  justice  complète;  mais  Napoléon  s'y  opposa; 
on  ne  doit  (ju'une  réponse  aux  infâmes  :  silence  et  mépris. 
Charles  Bonaparte  mourut  en  1785,  à  trente  ans,  d'un 
squirre  à  l'estomac.  H  avait  éprouvé  une  apparence  de  gué- 
lison  dans  un  voyage  qu'il  fît  à  cet  effet  à  Paris  ;  mais  il 
succomba  à  une  seconde  attaque,  à  Montpellier,  où  il  fut 
enterré  dans  un  couvent.  Sous  le  consulat,  les  notables  de 
la  ville  voulurent   faire  élever  un  monument  au  père  du 
premier  magistrat  de  la  république,  mais  Bonaparte  refusa 
son  appiobatioa ,  tout  en  les  remerciant  gracieusement  : 
«  Ne  troublons  pas,  leur  dit-il,  le  repos  des  morts.  J'ai  perdu 
aussi  mon  grand-père  et  mon  arrière-grand-père  ;  pourquoi 
ne  ferait-on  rien  pour  eux?  Voyez!   ce  que  vous  m'offrez 
mène  loin.  Si  c'était  hier  que  j'eusse  perdu  mon  père,  je 
serais  fort  reconnaissant  que  l'on  voulût  bien  accompagner 
mon  deuil  de  quelques  hautes  marques  d'intérêt  ;  mais  un 
événement  qui  date  de  vingt  ans  est  fini ,  et  étranger  à  la 
France.   »  Cependant,  quelques  années  plus  tard,  Louis 
Bonaparte  fit  exhumer  le  corps  de  son  père.  Il  fut  trans- 
porté à  Saint-Leu,  dans  la  vallée  de  Montmorenci,  où  un 
monument  lui  est  consacré.  Charles  Bonaparte  avait  affecté 
l'esprit  fort;  on  a  recueilli  de  lui  quelques  poésies  anti- 
religieuses ;  au  moment  de  mourir,  il  revint  aux  sentiments 
les  plus  pieux,  et  expira  entouré  des  ministres  de  la  religion. 
Lucien   Bonaparte,  archidiacre,  prêtre  excellent,  très- 
pieux,  doué  de  beaucoup  de  pénétration  sous  des  formes 
naïves,  connaissait  bien  les  affaires  de  la  vie.  Son  carac- 
tère était  aussi  sage  qu'enjoué.  Il  est  mort  très-âgé;  la  seule 
infraction  qu'il  ait  faite  à  son  catholicisme  a  été  de  s'a- 
donner à  celte  candide  et  philosophique  tolérance  que  l'on 
distingue  dans  ceux  qui  ont  longtemps  bien  vécu,  tolérance 
qui  a  sa  source  dans  la  bonté  du  cœur  unie  à  des  lumiè- 
res. Ce  vénérable  prêtre  exerça  une  grande  influence  sur 
l'esprit  de  ses  jeunes  parents.  C'est  lui  qui  dit  à  Joseph , 
un  moment  avant  de  mourir,  et  après  avoir  exhorté  tous 
ses  neveux  réunis  autour  de  son  lit  :  «  Joseph,  tu  es  l'aîné 
de  la  famille,  mais  souviens-toi  toujours  que  Napoléon  en  est 
le  chef.  »  Il  avait  entrevu  dans  son  jeune  neveu  des  germes 
de  grandeur.  Napoléon  l'aima  avec  la  tendresse  d'un  fils.  11 
avait  été  son  second  père.  Lucien  est  resté  plusieurs  an- 
nées le  chef  de  la  famille.  11  était  archidiacre  d'Ajaccio,  une 
des  premières  dignités  de  l'île.  Charles  Bonaparte  avait  dé- 
rangé les  affaires  de  sa  famille  par  de  grandes  dépenses  et 
des  habitudes  de  luxe  ;  le  bon  vieux  prêtre  les  rétablit  par 
une  administration  plus  sage.  Le  canton  d'Ajaccio  faisait  un 
grand  cas  de  sa  justice.  Les  paysans  venaient  soumettre  les 
difficultés  qui  s'élevaient  entre  eux  à  sa  probité  et  à  ses  lu- 
mières, et  il  les  réconciliait.  Frédéric  Favot. 

Le  traité  de  Paris  du  20  novembre  1815  avait  expulsé  les 
nicmbics  de  la  i'amille  Bonaparte  de  cette  belle   France, 

1)!CT.    ne    LA   CO.VVEKS.    —    r.    111. 


d'où,  giandis  à  l'ombre  de  la  puissance  impériale,  ils  aTaient 
pris  leur  vol  pour  s'asseoir  sur  les  plus  anciens  trônes  de 
l'Europe.  Exilés  de  la  patrie,  ils  trouvèrent  un  asile  les  uns 
en  Suisse,  enitahe,  les  autres  en  Allemagne,  dans  la  Grande- 
Bretagne,  et  jusqu'en  Amérique.  La  révolution  de  1848  est 
venue  abaisser  enfin  devant  eux  les  barrières  de  la  patrie, 
et  ils  ont  pu  revoir  encore  cette  France  qu'il  a  tant  aimée, 
ce  Paris  qui  lui  doit  sa  splendeur  et  où  reposent  ses  cendres. 
M™^  LœtitiaBoîiSPARTE,  mère  de  l'empereur,  dite  Ma- 
dameMère,  retirée  àRomedepuis  l814,avaiteuladouleurde 
survivre  à  nombre  de  ses  enfants.  Devenue  aveugle  sur  la 
fin  de  ses  jours,  et  forcée  de  garder  le  lit  par  suite  d'une  frac- 
ture de  la  hanche,  elle  supportait  ses  maux  avec  courage 
et  résignation.  A  l'exception  de  son  frère  le  cardinal  ï'esch, 
qui  ne  la  quittait  presque  jamais,  elle  ne  voyait  que  rare- 
ment les  autres  membres  de  sa  famille.  Elle  mounit  à 
Rome ,  le  2  février  1836. 

Le  fils  aîné  de  Charles  Bonaparte  et  de  M*"^  Lfrlitia,  Jo- 
seph Bonaparte,  comte  de  Survillicrs,  ex-roi  d'Espagne, 
est  mort  à  Florence,  au  mois  d'août  1844,  laissant  de  son 
mariage  avec  Julic-3Iarie  Clary,  sœur  de  la  reine-douai- 
rière de  Suède,  une  fille,  Zcnaide-Cliarlotte-JuUe,  née  à 
Paris,  les  juillet  1802,  mariée  à  Bruxelles,  le  29  juin  1822, 
à  son  cousin  Charles  Bonaparte,  prince  de  C'anino, 
né  en  1803.  Une  autre  fille  de  Joseph,  la  princesse  Char- 
lotte, morte  en  1839,  avait  épousé,  en  1825,  son  cousin  Na- 
poleon-Louis,  second  fils  de  l'ex-roi  de  Hollande  Louis-Bo 
nnparte,  et  frère  de  Napoléon  lll. 

Napoléon  Bonaparte,  empereur  des  Français,  n'eut,  comme 
on  sait,  aucun  enfant  de  sa  première  femme,  Joséphine 
Bkaiiharnais;  mais  celle-ci  avait  deux  enfants  de  son  pre- 
mier mariage,  Eugène  et  Hortense,  que  l'empereur 
adojHa.  De  son  mariage  avec  l'archiduchesse  Marie-Louise 
naquit  le  roi  de  Borne,  Napoléon  11,  mort  ducdeReich- 
stadt,  dans  l'exil. 

Lucien  Bonaparte,  troisième  fils  de  Charles-Marie  Bona- 
parte et  de  M"""  Laetitia,  le  héros  du  18  brumaire,  prince  de 
Canino  depuis  la  chute  de  Napoléon,  mort  à  Viterbe,  le  29 
juillet  1840,  fut  le  père  d'une  nombreuse  famille.  De  son 
premier  mariage  avec  Christine  Boyer,  fille  d'un  habitant 
de  Saint-Maximin ,  il  a  eu  :  la  princesse  Charlotte,  née  le 
13  mai  1796,  dont  Ferdinand  VII,  alors  prince  des  Asturies, 
avait  sollicité  la  main,  et  qui  épousa  en  1815  le  prince  ro- 
main Gabrielli,  dont  elle  est  veuve;  et  Christine,  mariée 
au  comte  suédois  Posse ,  et  ayant  épousé,  après  l'annulation 
de  ce  mariage,  lordDudley-Stuart,  membre  du  parlement 
britannique. 

De  son  second  mariage,  avec  Alexandrine-Laurence  de 
Bleschamp,  veuve  du  banquier  Jouberthon  et  aujourd'hui 
princesse  douairière  de  Canino,  il  a  eu  neuf  enfants,  cinq 
fils  et  quatre  filles  :  Charles-Liicien-Jules-Laurent  Bona- 
parte ,  prince  de  Ca  7iino  et  Musignano ,  dont  nous  avons 
parlé  ci-dessus  ;  le  prince  Paul,  son  frère,  mort  le  5  août 
1827,  à  Spezzia,  en  se  rendant  en  Grèce;  Lxtitia,  leur 
sœur,  née  le  1""  décembre  1804,  épouse  séparée  de  l'Irlandais 
Thomas  Wyse,  envoyé  extraordinaire  et  ministre  pléni- 
potentiaire de  la  Grande-Bretagne  en  Grèce.  Mistriss 
\Vyse,  depuis  qu'elle  a  quitté  son  mari,  a  vécu  tantôt 
à  Paris ,  tantôt  à  Bruxelles.  Elle  habite  maintenant  Rome. 
Sa  fille  a  épousé  un  Polonais.  Son  fils  Alfred,  frappé  d'alié- 
nation mentale,  avait  été  confié  précédemment  aux  soins 
d'un  médecin  dans  les  environs  de  Bonn.  Son  père  l'en 
ayant  retiré  pour  le  mettre  dans  une  maison  de  fous  près 
de  Nancy,  il  en  fut  enlevé  par  sa  mère,  à  travers  une  série 
bizarre  de  circonstances  romanesques,  qui  ont  fourni  au 
vicomte  d'Arlincourt  le  sujet  de  son  livre  le  Pèlerin, 
dont  la  meilleure  part  revient,  cependant,  à  l'imagination 
vagabonde  de  l'auteur.  Jeanne,  née  àRome,  en  1806, épousa 
le  marquis  Ilonorati ,  et  mourut  en  1 828,  à  Jesi ,  près  d'An- 
cOne,  laissant  une  fille,  C/e/ie.  C'était  une  femme  d'une  grande 

52 


•I!0 


BONAPARTE  —  BONASSE 


distinction  d'esprit.  On  a  d'elle  un  recueil  de  poésies  pos- 
ttiuiiics  publié  par  les  soins  de  sa  mère  sous  le  titre  de  : 
luspirazioïii  cVafJ'eto  di  una  giovine  musa. 

Les  trois  autres  fils  de  Lucien,  Louis- Lucien ,  Pierre- 
NnpnUon  et  Antoine,  sont  nés,  le  premier  le  4  janvier 
1813,  le  second  le  12  septembre  1815,  le  troisième  le 
31  octobre  1816.  Le  second  a  été  membre  des  Assemblées 
constituante  et  léf-islative  françaises;  les  deux  autres,  de 
l'Assemblée  législative  seulement. 

Pierre,  élevé  en  Italie ,  où  il  a  fait  sa  première  éducation 
militaire,  fut  entraîné,  à  quinze  ans,  par  ses  sympathies, 
vers  les  patriotes  romagnols  :  il  quitta  donc  la  maison  pa- 
ternelle ;  mais  Lucien ,  craignant  pour  son  fils  les  consé- 
quences de  cette  expédition  téméraire,  l'empêcha  d'arriver 
jusqu'à  eux.  Il  s'embarqua  à  Livournc  pour  New-York,  où 
son  oncle  Joseph  lui  fit  faire  la  connaissance  de  Santander, 
l'émule  de  Bolivar,  avec  lequel  il  alla  i^uerroyer  en  Colombie, 
et  gagna,  à  la  pointe  de  son  sabre,  les  épaulettes  de  chef 
d'escadron.  Mais  les  intrigues  de  la  diplomatie  européenne, 
dit-on,  le  forcèrent  d'abandonner  celte  carrière. 

De  retour  aux  États-Unis,  il  s'embarqua  pour  l'Angle- 
t<>rre,  et  passa  de  là  en  Italie,  où  il  résida  jusqu'en  1836, 
dans  les  terres  de  son  père ,  et  y  menant  avec  son  frère  An- 
toine une  vie  très-agitée.  Bientôt  des  rapports  de  police  les 
signalèrent  à  l'autorité  comme  se  permettant  de  graves  excès 
à  la  chasse.  On  les  accusa  même  de  menées  révolutionnaires 
et  de  chercher  à  organiser  des  bandes  de  partisans  dans  les 
Rlarcmmes.  Le  Pape  Grégoire  XVI  donna  en  conséquence 
l'oidre  d'arrêter  les  deux  frères ,  qui  un  beau  jour  se  virent 
cernés  à  l'improviste  par  des  carabiniers  pontificaux.  An- 
toine parvint  à  leur  échapper  Pierre  essaya  de  résister  ; 
s'armant  de  son  couteau  de  chasse,  il  étendit  roide  mort  le 
chef  des  carabiniers  et  en  blessa  deux  autres.  Atteint  d'un 
coup  de  baïonnette  et  d'une  balle  à  bout  i)orfant,  il  fut 
transféré  à  Rome  et  emprisonné  au  fort  Saint-Ange.  Con- 
damné à  mort,  il  fut  cependant  gracié  et  put  aller  rejoindre 
son  frère  Antoine,  qui  déjà  était  passé  en  Amérique. 

De  là  il  revint  en  Angleterre,  puis  à  Corfou,  dont  le  gou- 
vernement anglais  l'expulsa  pour  diverses  infractions  à 
l'ordre  public  que  lui  fit  commettre  la  violence  de  son  ca- 
ractère. Il  vécut  alors  tantôt  en  Italie,  tantôt  à  Bruxelles, 
dans  un  état  voisin  de  la  misèi'C  ;  et  le  27  février,  trois  jours 
après  le  triomphe  de  la  révolution  de  1848,  il  arrivait  enfin 
à  Paris.  La  Corse  l'envoya  à  l'Assemblée  constituante  ;  il  s'y 
signala  moins  par  son  éloquence  que  par  son  imjjétuosité  sans 
mesure,  et  montra  beaucoup  d'énergie  dans  les  journées 
du  15  mai  et  des  23 ,  24 ,  25  et  26  juin.  11  vota  pour  le  droit 
au  travail ,  contre  les  deux  chambres,  contre  la  proposition 
Râteau ,  et  contre  le  ministère  lors  des  interpellations  sur  les 
affoires  de  Rome.  Nommé  chef  de  bataillon  dans  la  légion 
étrangère,  il  quitta  sans  autorisation  son  poste  en  Algérie 
pour  venir  remplir,  dit-il,  son  devoir  de  représentant,  et 
perdit  ainsi  son  grade.  Rendu  à  la  vie  privée  par  l'événement 
du  2  décembre,  il  s'est  retiré  en  Corse. 

Les  deux  autres  filles  de  Lucien  Bonaparte  sont  :  Marie, 
née  le  12  octobre  1818,  mariée  au  comte  Vincent  Valentini 
de  Canino,  et  Constance,  née  le  30  janvier  1823,  religieuse 
du  Sacré-Cœur  à  Rome. 

Du  mariage  du  prince  Charles  de  Canino  et  Musignano, 
fils  aîné  de  Lucien  Bonaparte ,  avec  Zénaïdc-Charlotte- Julie, 
fille  de  Joseph  Bonaparte ,  sont  issus  :  Joscph-Lucien-Char- 
Ics-ÎSapoUon  Bonapartf.,  prince  de  Musignano,  né  le  13  fé- 
vrier 1824;  Lucien-Loiùs-Jospph-NapoU'on  Bonapaute,  né 
le  15  novembre  1828;  Julic-Cliarlotte-Zénaïde-Pauline- 
Lo  titm-lJesiree-Bditholenice  Bonapautf.  ,  née  le  e  juin 
1830,  mariée,  le  30  août  1847,  à  Alexandre  DelGallo, 
mar(iuis  de  Roccagioviue  ;  Charlotte- Honorine- Joséphine 
BoNAi'AKTE,  née  le  4  mars  1832,  mariée  le  4  octobre  1848 
au  comte  Pierre  Primoli;  Marie- Désirde-Eugdnlc-Josc- 
phine-Phdomène  Bonaparte,  née  le  18  mars  1835, mariée, 


le  2  mars  1851,  à  Paul,  comte  de  CampeJlo,  fils  unique  de 
Pompée  de  Campello,  ministre  de  la  guerre  delà  république 
romaine  et  de  la  princesse  Ruspoli-Esterhazy;  Auguste- 
Amolle-Maximilienne-Jacqiieline  Bonaparte,  née  le 9  no- 
vembre 1836;  Napoléon-Grégoire-Jacques- Philippe  Bo- 
naparte, né  le  5  février  1839,  et  Bathilde-Aloïse-Léonie 
Bonaparte,  née  le  26  novembre  1840. 

A  Louis  Bonaparte  ,  comte  de  Saint-Leu  ,ex-TO\  de  Hol- 
lande, quatrième  fils  de  Charles-Marie  Bonaparte  et  de 
M"'*  Laetitia,  mort  en  1840,  à  Livourne,  n'a  survécu,  des  trois 
fils  qu'il  avait  eus  de  la  reine  Hortense ,  fille  de  l'impéra- 
trice Joséphine,  que  le  plus  jeune,  Louis-Napoléon 
Bonaparte,  devenu  en  1852  l'empereur  Napoléon  HT. 
L'aîné,  Napoléon-Charles ,  né  le  11  octobre  1802,  mourut 
h  quatre  ans.  Le  second,  Napoléon-Louis ,  né  le  11  oc- 
tobre 1804,  e\-grand-duc  de  C lèves  et  de  Berg ,  épousa 
en  1825  sa  cousine  Charlotte,  fille  de  Joseph  Bonaparte 
{voyez  plus  haut),  et  mourut  à  Forli,  le  17  mars  1831,  au 
moment  où,  avec  son  frère,  il  était  allé  combattre  en  faveur 
des  patriotes  italiens. 

Jérôme  Bonaparte  ,  dernier  fils  de  Charles-Marie  Bona- 
parte et  de  31""'  Lœtitia,  ex-roi  de  'Westphalie,  ex-comte  do 
Montfort,  aujourd'hui  maréchal  de  France,  gouverneur  de 
l'Hôtel  des  Invalides,  président  du  Sénat,  a  épousé,  en 
premières  noces,  le  27  décembre  1803,  Elisabeth  Pat- 
terson,  avec  laquelle  il  divorça  en  avril  1805,  et,  en  se- 
condes noces,  la  princesse  Frédérique-Catherine-Sophie  dr 
"Wurtemberg,  morte  à  Lausanne,  le  28  novembre  1838.  Il 
se  trouvait  à  Paris  avec  son  fils  depuis  quelques  mois ,  en 
vertu  d'une  autorisation  spéciale,  et  on  annonçait  que  le 
gouvernementde  Louis-Phihppe  allait  proposeraux  chambres 
de  voter  une  dotation  de  150,000  fr.,  réversible  sur  la  têto 
de  son  fils,  au  plus  jeune  et  au  seul  survivant  des  frères  de 
l'empereur,  quand  éclata  la  révolution  de  février.  Un  fils, 
issu  du  premier  mariage  a  épousé,  en  1829,  à  Balti- 
more, une  compatriote  de  sa  mère.  Les  trois  enfants  issus 
du  second  mariage  sont  Jérôme-Napoléon ,  né  à  Trieste,  le 
24  août  1814,  officier  d'état-major  au  service  de  Wurtem- 
berg, mort  en  1847  ;  Mathilde-Lsetitia-Wilhelmine  Bona- 
parte, née  à  Trieste,  le  27  mai  1820,  mariée,  le  12  oc- 
tobre 1840,  au  prince  russe  Anatole  Demidoff,  dont  elle 
estjséparée  ;  et  Napoléon- Joseph-Charles-Paul  Bonapabte, 
né  à  Trieste,  le  9  septembre  1822. 

Napoléon  Bonaparte,  fils  de  Jérôme,  habita  Rome  jus- 
qu'en 1831,  puis  Florence,  et  fut  mis  en  pension  à  Genève 
en  1335.  En  1837  il  entra  à  l'école  militaire  de  Lonisburg 
(  Wurtemberg),  et  en  sortit  en  1840  pour  ne  pas  servir  contre 
la  France,  avec  laquelle  le  ministère  Thiers  faisait  craindre 
une  prochaine  collision.  De  1840  à  1845  il  voyagea  en  Alle- 
magne, en  Angleterre,  en  Espagne,  et  obtint  en  1845  l'au- 
torisation de  venir  résider  quatre  mois  en  France;  autori- 
sation renouvelée  en  1847,  et  dont  le  bénéfice  fut  alors  étendu 
à  son  père. 

Le  neveu  de  l'empereur  fut  nommé  représentant  du  peuple 
par  l'île  de  Corse.  A  la  Constituante  il  parla  en  faveur  de  la 
Pologne,  et  refusa  de  voter  la  proscription  de  la  famille  de 
Louis-Philippe.  Nommé,  à  la  suite  de  l'élection  du  10  dé- 
cembre, ministre  plénipotentiaire  à  Madrid,  il  fut  révoqué 
pour  avoir  quitté  son  poste  sans  autorisation.  11  reprit  alors 
ses  fonctions  législatives,  et  alla  s'asseoir  sur  les  bancs  de  la 
Montagne,  avec  laquelle  il  vota  constamment.  Depuis  l'é- 
vénement du  2  décembre ,  il  vit  retiré  près  de  son  père. 
Pour  les  familles  des  trois  sœurs  de  Napoléon  ,  L'Usa, 
Pauline,  Caroline  et  la  nombreuse  descendance  du  prince 
Eugène,  voyez  les  articles  Bacciocui,  Borciiise,  Mlrat  et 
Lelchtenberc. 

BOiXAPARTE  (  lie  ),  ou  Bolrbon.  Voye:i  RÉumoM  (  lie 
d>i  la  ). 

Blfi'VASSE.  Ce  mot  est  du  style  familier,  et  s'emploie; 
urdii'.;...'icuieut  pour  désigner  un  caractère  doux ,  simple. 


1 


BONASSE  —  BOiNBOINS 


4lt 


facile  {simplex ,  faciîis) ,  qui  se  laisse  aisément  conduire, 
parles  autres.  Il  ne  peut  jamais  être  pris  en  bonne  part, 
et  il  est  plutôt  synonyme  àe  faible  que  île  bon.  La  bonté 
ne  doit  pas  seulement  tenir  au  caractère,  elle  doit  encore 
être  le  produit  de  la  réflexion ,  elle  doit  être  raisonnée , 
enfin,  pour  être  utile  aux  autres  et  ne  pas  être  nuisible  à 
elle-même. 

BOi\ AVENTURE  (Saint) ,  cardinal,  évOque d'Albano, 
et  docteur  de  l'Église ,  naquit,  en  1221 ,  à  Bagnarea  en  Tos- 
cane. Il  se  nommait  Jean  de  Fidanza ,  du  nom  de  son  père. 
Saint  François  d'Assise  le  rencontrant  un  jour,  s'écria,  pré- 
voyant ce  qu'il  devait  ôtre  dans  la  suite  :  «  Oh  !  l'Iieureuse  ren- 
contre! »  0  biiona  ventural  Ce  nom  lui  resta.  A  l'âge  de 
vingt  et  un  ans,  il  reçut  l'habit  religieux  des  mains  d'Haymor, 
général  des  franciscains.  On  l'envoya  achever  ses  études  à 
l'université  de  Paris,  sous  le  célèbre  AlexandredeHales, 
auquel  il  succéda  deux  ans  après,  malgré  son  extrême  jeu- 
nesse. Il  occupait  encore  cette  chaire  en  1256,  lorsqu'il  fut 
élu  général  de  son  ordre,  dans  un  chapitre  qui  se  tint  à  Rome. 
Sa  douceur  et  sa  prudence  ne  contribuèrent  pas  peu  à  apai- 
ser les  divisions  intestines  que  trop  de  sévérité  d'une  part , 
trop  de  relâchement  de  l'autre,  avaient  amenées  parmi  ses 
frères  ;  en  peu  de  temps  le  calme  fut  rétabli ,  et  la  régularité 
régna  de  nouveau.  Quelques  années  après ,  le  pape  Clé- 
ment rv  lui  proposa  l'archevêché  d'York ,  qu'il  refusa  mo- 
destement. 

Clément  IV  mourut  en  12G3.  Les  cardinaux  réunis  à  Vi- 
terbe ,  ne  pouvant  s'accorder  sur  le  choix  d'un  successeur, 
convinrent,  après  trois  ans  de  vacance,  de  remettre  leurs 
pouvoirs  à  six  d'entre  eux  et  de  reconnaître  celui  qu'ils  éli- 
raient. Bonaventure ,  quoiqu'il  ne  fit  pas  partie  du  sacré 
collège,  sut  faire  tomber  les  suffrages  sur  ïhibaud,  archi- 
diacre de  Liège ,  qui  était  alors  en  Palestine.  Le  nouveau 
pontife,  qui  prit  le  nom  de  Grégoire  X,  ne  fut  pas  plus 
tôt  à  Rome  qu'il  nomma  Bonaventure  à  l'évéché  d'Albano , 
et  qu'il  le  força  d'accepter  la  dignité  de  cardinal.  Il  l'em- 
mena ensuite  au  concile  général  qu'il  avait  convoqué  à 
Lyon  pour  la  réunion  de  l'Église  grecque.  L'évêque  d'Albano 
y  prononça  le  discours  d'ouverture.  11  fut  chargé  aussi  de 
tenir  des  conférences  avec  les  députes  grecs,  pour  aplanir  les 
difficultés  de  la  réunion.  Gagnés  par  l'aménité  des  manières 
du  saint  prélat,  et  convaincus  par  la  solidité  de  ses  raison- 
nements ,  les  députés  acquiescèrent  à  tout  ce  qu'on  exigeait 
d'eux.  En  réjouissance  de  cet  heureux  succès,  le  pape  célébra 
lui-môme,  le  jour  de  Saint-Pierre  et  de  Saint-Paul ,  une  messe 
solennelle,  dans  laquelle,  pour  la  première  fois,  l'évangile 
et  le  symbole  turent  chantés  en  grec  et  en  latin.  Saint  Bona- 
venture ne  jouit  pas  longtemps  du  fruit  de  ses  travaux  : 
il  mourut  pendant  le  concile,  au  mois  de  juillet  1274. 

On  compte  parmi  les  œuvres  de  ce  saint  docteur  des  com- 
mentaires sui'  l'Écriture  Sainte,  des  sermons  et  des  pa- 
négyriques ,  des  commentaires  de  théologie  sur  le  Maître 
de^s  Sentences ,  un  grand  nombre  d'opuscules  sur  divers 
sujets  de  piété.  On  en  a  publié  plusieurs  éditions,  entre 
autres  une  à  Rome,  en  15S8,  en  8  vol.  in-fol.,  une  autre 
à  Venise,  de  1751  à  1756 ,  en  14  vol.  in-4°.  Sixte  IV  le  mit 
au  nombre  des  saints.  «  Les  ouvrages  de  saint  Bonaven- 
ture, dit  l'abbé  Trithème,  surpassent  tous  ceux  des  docteurs 
du  même  siècle  par  leur  utilité,  si  l'on  considère  l'esprit  de 
charité  et  de  dévotion  qui  y  règne.  Le  saint  docteur  est  pro- 
fond sans  être  diffus,  éloquent  sans  vanité...  Quiconque  veut 
être  savant  et  pieux  doit  s'attacher  à  la  lecture  de  ses  ou- 
vrages. »  L'abbé  C.  Bandeville. 

Les  tendances  mystiques  qu'on  remarque  dans  les  écrits 
de  saint  Bonaventure  l'ont  fait  suinommer  le  Docteur 
Séraphique.  Les  Franciscains  l'opposent,  comme  leur  plus 
grand  docteur,  au  héros  scolastique  des  Dominicains,  saint 
ï  h  o  m  a  s  d  '  A  q  u  i  n.  Une  bonne  partie  de  ses  ouvrages  est  con- 
sacrée à  la  glorification  de  son  ordre.  Comme  promoteur  du 
culte  de  la  Vierge,  comme  apologiste  du  célibat  et  des  prin- 


cipaux dogmes  du  moyen  âge,  il  rendit  d'importants  ser- 
vices à  la  cour  le  Rome,  dont  il  s'efforça  de  défendre,  même 
philosophiquement,  les  doctrines  dans  un  grand  nombre 
d'écrits.  Les  plus  remarquables,  le  Brcviloqu'nnn  et  le  Cen- 
tiloquhan,  sont  de  vrais  manuels  de  dogmatique.  Ses  ef- 
forts à  l'efl'et  de  donner  la  philosoijhie  pour  base  à  la  foi 
religieuse  et  le  pieux  mysticisme  qui  constitue  le  principal 
élément  de  ses  œuvres,  le  rendent  parfois  obscur,  même 
dans  ceux  de  ses  ouvrages  qui  s'adressent  au  peuple.  Plus 
qu'aucun  de  ses  prédécesseurs,  il  contribua  à  faire  de  la 
théologie  mystique  une  science.  Dans  sa  Biblia  Pauperum 
le  texte  si  simple  de  l'Écriture  est  défiguré  par  de^  allégories 
qu'il  y  ajoute.  Une  justice  pourtant  à  lui  rendre ,  c'est  qu'en 
général  il  évite  les  subtilités  inutiles,  et  qu'il  l'emporte  sur 
les  autres  scolastiques  par  la  chaleur  du  sentiment  rehgieux 
et  la  direction  pratique  des  idées.  Il  combat,  du  reste,  avec 
beaucoup  de  sagacité,  dans  ce  livre,  l'éternité  du  monde, 
et  prouve  par  de  nouveaux  arguments  l'immortalité  de 
l'âme. 

BOKBOIMS.  Une  notoriété  publique  dispense  de  cher- 
cher ici  à  définir  ces  préparations  de  sucre ,  si  nombreuses 
et  si  variées  qu'il  faudrait  un  second  Linné  pour  en  classer 
méthodiquement  les  genres ,  espèces  et  variétés.  L'iniluence 
favorable  que  la  rivalité  exerce  sur  les  arts  s'est  manifestée 
évidemment  chez  les  confiseurs  :  ils  ont  à  l'envi  l'un  de 
l'autre  combiné  le  sucre  à  l'infini,  pour  lui  donner  des  for- 
mes ,  des  saveurs  et  des  couleurs  diversifiées.  La  gomma 
arabique  a  été  très-utilement  associée  à  ces  combinaisons 
saccharines ,  en  beaucoup  plus  grande  quantité  qu'autrefois, 
depuis  que  les  progrès  de  la  médecine  ont  appris  que  cette 
substance ,  qui  n'était  guère  employée  que  pour  les  rhumes, 
est  au  moins  aussi  convenable  pour  les  maladies  des  oi'ga- 
nes  digestifs.  On  aime  à  reconnaître  ici  les  progrès  de  celte 
branche  de  l'industrie  française,  et  à  convenir  que  les  bon- 
bons méritent  sous  plusieurs  rapports  la  répétition  de  l'ad- 
jectif qui  les  recommande  en  même  temps  quMl  les  désigne. 

Toutefois ,  il  en  est  des  bonbons  comme  des  meilleures 
choses  :  il  ne  faut  point  en  abuser.  On  ne  prend  pas  impu- 
nément ces  sucreries  avec  excès;  elles  provoquent  dans 
la  bouche  un  goût  pâteux,  une  chaleur  incommode;  e'ieit 
excitent  la  soif,  même  quelquelois  une  sensation  pénibU 
dans  l'estomac.  Ce  sont  des  indigestions,  dont  les  enfants 
fournissent  de  nombreux  exemples  à  l'époque,  si  désirée 
d'eux  ,  0.1  Janus  ouvre  les  portes  de  l'aimée.  On  doit  ajou- 
ter que  plus  d'une  personne  en  âge  de  raison  offre  ces 
mêmes  effets  de  l'intempérance,  et  principalement,  on  le 
dit  ici  i  regret,  des  personnes  qui  appartiennent  au  beau 
sexe,  cédant  à  la  tentation  en  vrais  enfants  d'Eve.  Dans 
l'état  de  santé ,  ces  incommodités  sont  ordinairement  lé- 
gères ,  mais  répétées  elles  pourraient  devenir  fâcheuses. 
Elles  auraient  plus  de  gravité  pour  les  convalescents ,  aux- 
quels on  ne  doit  accorder  des  bonbons ,  même  ceux  à  la 
gonî'.ne  arabique  ,  qu'avec  réserve. 

Ce  n'est  pas  sans  exposer  le  public  à  des  dangers  réels 
qu'on  a  fait  emploi  de  certaines  matières  colorantes  pour 
donner  aux  bonbons  l'apparence  des  fruits ,  des  fleurs  ou 
autres  objets;  on  a  eu  recours  à  des  couleurs  qui  ont  causé 
de  véritables  empoisonnements,  et  qui  ont  appelé  à  diffé- 
rentes époques  l'intervention  du  préfet  de  police.  On  a  re- 
connu qu'une  grande  partie  de  ces  préparations  de  sucre 
étaient  coloriées  avec  le  vert  de  Scbweinfurt  et  le  rouge  de 
Sibérie  {arsénite  de  cuivre  et  chromale  de  plomb),  deux 
poisons  fort  actifs.  On  doit  à  la  surveillance  do  nos  édiles 
de  ne  plus  rencontrer  de  ces  bonbons  dans  le  commerce. 
Cependant  les  confiseurs  font  encore  trop  d'usage  de  la 
ijomme  (jiifte,  qui  n'e<t  pas  exemjite  d'inconvénients. 

On  a  imaginé  d'employer  les  bonbons,  comme  on  a  fait 
des  biscuits,  pour  médicamenter  les  enfants  à  leur  insu. 
On  en  a  préparé  de  propres  à  purger,  par  exenq>le  le  sucre 
orangé  purgatif;  c'est  encore  le  jalap  qui  en  fait  la  base 

52. 


']I2 


BONBONS  —  BOND 


mWiciiiale.  Avec  des  seh  mcrcuiiels,  on  a  aussi  composé 
des  bonbons  vermifuges  et  antisypiiilitiqiies.  Ces  prépara- 
tions ont  les  mêmes  inconvénients  que  les  biscuits  mé- 
dicamenteux :  en  raison  des  principes  irritants  qu'ils 
recèlent,  il  est  prudent  de  ne  point  les  administrer  aux 
enfants ,  dont  on  no  saurait  trop  ménager  les  organes  di- 
gestifs ,  comme  aussi  parce  qu'on  peut  suppU'er  ces  sub- 
stances par  des  moyens  efficaces  et  beaucoup  moins  dange- 
reux. Non-seulement  on  s'est  avisé  de  confectionner  des 
bonbons  pour  remédier  aux  maux  causés  par  une  déesse 
qui  ne  mérite  pas  toujours  l'épithète  de  bonne  que  les  poètes 
lui  ont  donnée,  on  en  a  composé,  sous  le  nom  d'aphro- 
disiaques ,  qui  sont  propres  à  exciter  au  culte  de  cette 
divinité  ou  à  en  donner  le  pouvoir  à  ceux  à  qui  la  bonne 
volonté  ne  suffit  pas.  Cette  dernière  préi)aration  est  la  plus 
dangereuse  de  toutes  :  sa  propriété  est  souvent  due  aux 
cantliarides ,  et  ceux  qui  en  feraient  usage  pourraient  payer 
par  leur  mort  un  sacrifice  dont  le  but  est  si  différent. 

D''  CUAnCONNIER. 

BONCIIAMP    (CHARLES-MELCHiOR-ÂRTHun,   marquis 
de),  d'une  maison  fort  ancienne  (car  en  1218  l'écuyer  Bon- 
cbamp  prétait  l'hommage  à  Philippe-Auguste  pour  la  sei- 
gneurie  de  Pierre-Fite),  naquit  en  1760,  au  château  du 
Crucifix,  dans  la  province  d'Anjou  :  il  servit  avec  distinction 
dans  la  guerre  d'Amérique.  Malade  comme  il  revenait  de  cette 
expédition  ,  il  tomba  dans  une  léthargie  si  profonde ,  qu'on 
s'apprêtait  à  lui  donner  la  mer  pour  sépulture,  quand  son 
domestique  obtint  à  force  de  larmes  et  de  prières  un  délai 
qui  lui  sauva  la  vie.  Capitaine  de  grenadiers  au  régiment 
d'Aquitaine,  il  quitta  le  service,  ne  voulant  pas  s'obliger  au 
serment  que  la  révolution  imposait  aux  militaires,  et  vécut 
sans  bruit  jusqu'au  temps  où  la  mort  de  Louis  XVI  vint 
déchirer  son  cœur.  Le  10  mars  1703  les  conscrits  de  Saint- 
Florent-le-Viel  refusent  d'ohéir  au   tirage  :  on  pointe  un 
canon  sur  eux;  mais  il  est  enlevé,  la  gendarmerie  chassée, 
et  une  dépiitafion  de  celle  jeunesse  envoyée  à  Bonchamp. 
L'étendard  était  levé,  Bonchamp  le  soutint,  sans  espérer 
même  la  gloire  en   dédoiiimageiaent  des  maux  qu'il  pré- 
voyait :  «  Car,  disait-il  à  sa  femme  (fille  du  vicomte  de  Sce- 
p{;aux  ),  les  guerres  civiles  ne  la  donnent  pas.  »  11  bat  les 
républicains  en  plusieurs  rencontres,  coulrii)ue;i  la  prite  de 
Tliouars,  force  la  Châtaigneraie,  gagne  la  bataille  de  Fonte- 
nai  par  une  manœuvre  habile,  enit've  les  postes  de  Montre- 
kiis  et  de  Varades  ;  Ancenis  et  lloudans  se  rendent  à  lui. 
Déjà  les  Vendéens,  animées  par  le  succès,  avaient  ré- 
solu d'attaquer  Nantes,   contre  l'avis  de   Bonchamp,  qui 
vouhiit  passer  la  Loire  .avec  sa  division,  parcourir  la  Bre- 
tagne, où  il  avait  des  intelligences,  insurger  cette  province, 
et,   marchant  sur  Rouen,  faire  éclater   la  révolte  en  Nor- 
mandie, pensée  qui  peut-être  eût  amené  des  résultats  im- 
menses. L'attaciue  de  Nantes  échoua;  Cathelineau  fut  tué  : 
d'Elbée  lui  succéda  au  titre  de  généralissime.  Aucun ,  ce- 
pendant ,  ne  méritait  mieux  ce  grade  que  Bonchamp  ;  nmis 
il  vit  sans  jalousie  d'Elbée  obtenir  la  préférence,  persuadé 
que  toute  satisfaction  particulière  devait  céder  à  la  cause 
commune.  Le  même  sentiment  lui  avait  inspiré  déjà  cette 
réponse,  un  jour  que  ses  Vendéens  voulaient  secourir  son 
château,  incendié  par  les  bleus  :   «  Le  sang  des  soldats  de 
mon  roi  est  si  précieux,  qu'on  ne  peut  en  répandre  une 
seule  goutte  pour  mon  intéi'êt  particulier.  » 

Encore  souillant  d'une  blessure ,  il  s'empara  de  Champ- 
tocé;  il  décida  la  victoire  à  Torfou  ;  vain(pieur  à  Monlaigu, 
il  répara  devant  Châtillon  un  échec  éprouvé  à  Sainf-Sym- 
(  horicn,  et  rangea  l'armée  en  bataille  à  la  journée  de  Cholet, 
dont  le  succès  ne  répondit  pas  h  ses  dispositions  savantes. 
Blessé  d'un  coup  mortel,  et  transporté  à  Saint-Florent, 
malgré  une  ardente  poursuite,  son  dernier  commandement 
fut  pour  empêcher  de  sanglantes  re|irésailles.  Cinq  mille 
prisonniers  républicains  étaient  renfermés  dans  l'abbaye,  et 
les  Voiuléens,  exaspérés,  allaient  venger  sur  cu\  la  mort  du 


général,  quand  tout  à  coup  un  cii  :  Grâce!  grâce!  Bon- 
champ  l'ordonne!  fait  tomber  des  mains  la  nKclie  allumé» 
et  rend  à  ces  malheureux  la  vie  avec  la  liberté.  La  clémence 
qui  avait  mis  le  sceau  à  sa  mort  aurait  dû  protéger  la 
fosse  du  Vendéen,  et  cependant  sa  tête,  exhumée,  fut  en- 
voyée à  la  Convention,  comme  un  trophée  ;  en  même  temps 
les  représentants  écrivaient  son  éloge  dans  cette  phrase  : 
La  mort  de  Bonchamp  vaut  une  victoire  pour  nous. 

11  était  en  effet  le  meilleur  des  généraux  vendéens ,  et  par 
son  habileté  et  par  la  confiance  qu'il  inspirait  à  ses  gens. 
Néanmoins,  on  lui  a  fait  un  reproche  de  s'être  exposé  en 
soldat  plutôt  qu'en  général  ;  mais  il  commandait  à  des  hom- 
mes qu'il  fallait  animer  par  l'exemple  à  braver  les  dangers. 
Au  reste,  d'un  courage  supérieur  aux  préjugés,  il  répondit 
à  un  cartel  de  Stofflct  :  «  13ieu  et  le  roi  seuls  peuvent  dis- 
poser de  ma  vie;  quant  à  la  vôtre,  elle  est  trop  utile  à  la 
cause  que  nous  servons.  »  Doux ,  modeste ,  pieux,  désinté- 
ressé ,  loyal ,  aimant  l'étude,  il  partageait  son  temps ,  avant 
qu'il  eiU  abandonné  son  existence  aux  orages,  entre  la  mu- 
sique, le  dessin,  la  lecture  et  les  mathématiques. 

11  laissa  deux  enfants  en  bas  âge  :  une  fille,  depuis  com- 
tesse Arthur  de  Douillô,  et  un  fils ,  enlevé  bientôt  par  les 
fatigues  et  les  misères  de  la  fuite.  Les  restes  de  Bonchamp, 
confiés  à  l'église  de  Saint-Florent ,  y  reposent  dans  la  cha- 
pelle de  ses  ancêtres ,  et  la  rue  de  ce  bourg  qui  porte  son  nom 
passe  sur  l'emplacement  même  où  il  accorda  la  grâce  des 
cinq  mille  prisonniers.  La  veuve  de  Bonchamp  est  morte 
à  Paris ,  le  22  novembre  1S45.  H.  Fauche. 

BON-CÏIRÉTIEIV.  Il  y  a  deux  espèces  principales  do 
poires  de  ce  nom  :  l'une  d'été,  qui  mûrit  au  mois  d'août, 
et  l'autre  d'hiver,  que  l'on  cueille  en  novembre,  et  que  l'on 
serre  pour  la  conserver  et  la  manger  cuite  en  compote. 

Le  bon-chrétien  d'été  est  une  poire  excellente,  qui  ne 
se  greffe  guère  que  sur  franc.  Elle  est  bien  faite,  d'une 
grosseur  moyenne,  blanche  d'un  côté,  colorée  de  l'autre; 
sa  chair,  tendre  et  cassante ,  contient  beaucoup  d'eau,  a 
beaucoup  de  saveur,  et  répand  un  parfum  très-agréable. 

Le  bon-chrétien  d'hiver  est  l'un  des  plus  beaux  fruits 
que  l'on  puisse  voir;  sa  figure  est  longue  et  pyramidale,  .sa 
grosseur  surprenante  :  il  atteint  huit  à  dix  centimètres  dé 
largeur,  et  douze  ou  quinze  de  hauteur  ;  on  en  voit  très- 
communément  qui  pèsent  plus  de  500  grammes.  Cette  poire 
est  d'une  couleur  jaune ,  relevée  par  un  incarnat  assez  pro- 
noncé, quand  elle  est  venue  dans  une  bonne  exposition; 
aussi  La  Quintinie  regarde-t-il  comme  préférable  de  dis- 
poser l'arbre  qui  la  porte  en  espalier  plutôt  que  de  le  laisser 
en  buisson  ou  en  quenouille.  Elle  doit  y  rester  très-longtemps, 
c'est-à-dire  du  mois  de  mai  à  la  fin  d'octobre,  et  plus  long- 
temps encore  si  on  veut  la  manger  crue  ;  mais  comme  elle  se 
conserve  très-bien,  et  que  sa  chair  d'ailleurs  n'est  pas  très- 
fine,  on  préfère  la  garder  pour  la  manger  cuite  l'hiver  :  elle 
donne  alors  en  quantité  une  eau  douce  et  sucrée,  qui  est 
légèrement  parfumée. 

BOI\D,  réflexion,  répercussion,  rejaillissement  d'un 
corps  (!oué  d'élasticité  après  qu'il  a  frappé  la  terre  on  un 
autre  corps;  chez  les  animaux,  action  de  s'élevtr  subi- 
tement par  un  saut.  Une  balle,  un  ballon,  rejaillissent  et 
font  des  bonds  quand  ils  sont  jetés,  frappés  contre  terre, 
ou  lancés  contre  un  autre  corps  qui  leur  offre  de  la  résis- 
tance; il  en  est  de  même  d'un  boulet,  d'une  pierre,  lor.sq  ne 
la  force  qui  chasse  ces  projectiles  est  en  rapport  avec  celle 
de  la  résistance  que  leur  opposent  les  corps  qui  s'offrent  à 
leur  rencontre.  Les  chevaux,  les  agneaux  et  les  chèvres 
font,  en  marchant ,  des  bonds  plus  ou  moins  fréquents,  ré- 
sultats chez  les  premiers  d'impatience,  d'emportement  ou 
d'un  vice  quelconque,  chez  les  seconds  d'une  nature  vive, 
alerte  et  graie.  Un  cheval  qui  ne  va  que  par  sauts  et  par 
bonds  est  un  mauvais  cheval,  dont  il  faut  s'attacher  à  vain- 
cre, à  réformer  Pallure.  Si  le  cavalier  saisit  assez  promp- 
temcnt  l'instant  où  le  cheval  se  dispose  à  bondir  pour  dis  • 


BOND  - 

perser  ses  forces ,  en  faisan-  cdder  l'encolure  de  droite  et  de 
gauclie  ;  s'il  le  porte  assez  vigoureusement  en  avant  avec  les 
jambes,  pour  qu'il  ne  puisse  rencontrer  un  point  d'appui 
live  sur  le  sol,  il  paralysera  l'effet  du  bond,  ou  du  moins  il 
le  neutralisera  en  partie,  et  rendra  par  là  le  mouvement 
moins  violent. 

Ce  mot  a  passé  du  langage  direct  dans  le  langage  figuré. 
On  dit  d'un  discours  inégal  et  plein  de  saillies,  qu'ii  va 
par  saxits  et  par  bonds.  Proverbialement  |3re?!rfre  la  balle 
au  bond ,  c'est  saisir  l'occasion  favorable  de  faire  on  d'ob- 
tenir quelque  chose  ;  ces  manières  de  parler  sont  empruntées, 
par  analogie,  au  jeu  de  paume.  La  balle  imifaux  bond 
lorsque  sa  répercussion  ne  s'accomplit  pas  selon  la  règle 
ordinaire  de  l'incidence  des  corps  mus  en  ligne  droite,  et 
qu'elle  rencontre  un  corps  inégal  ou  raboteux  qui  la  fait 
dévier  de  la  ligne  ;  elle  trompe  alors  le  joueur  et  lui  fait 
manquer  le  coup.  De  là,  on  dit  par  analogie,  qu'z<ra  homme 
a  fait  faux  bond ,  quand  il  a  manqué  à  ses  engagements , 
quand  il  a  trahi  les  devoirs  de  l'amitié,  quand  il  n'a  pas 
tenu  une  promesse.  Faire  faux  bond  à  l'honneur  chez  une 
fille,  cliez  une  femme,  c'est  se  laisser  séduire  ou  trahir  un 
mari.  Le  cœur  bondit  de  joie  ou  de  colère,  ou  bondit  seu- 
lement ,  lorsqu'une  de  ces  passions  l'émeut  au  point  de  le 
faire  déborder.  Au  propre,  bondir  se  dit  de  ces  danseurs 
aériens  qui  s'élèvent  jusqu'aux  frises  et  ne  descendent  sur 
terre ,  comme  disait  un  plaisant ,  que  lorsqu'ils  sont  las  de 
rester  en  l'air. 

Et  maintenant  d'où  vient  le  mot  bond?  Roquefort  y  dé- 
couvre nne  onomatopée ,  prise  du  retentissement  de  la  terre 
.sous  un  corps  dur  qui  la  frappe  et  se  relève  aussitôt.  C'est 
possible....  Edme  Héreau. 

BONDE  ,  BONDON.  Une  bonde  est,  à  proprement  par- 
ler, l'ouverture  circulaire  pratiquée  sur  le  flanc  d'un  ton- 
neau par  laquelle  on  le  remplit.  On  appelle  bondon  le  cône 
tronqué  avec  lequel  on  bouche  la  bonde.  Les  bondons  se 
fabriquent  en  bois  de  chêne ,  coupé  de  façon  que  ses  fibres 
soient  parallèles  au  diamètre  du  cône,  oti ,  pour  s'exprimer 
comme  le  vulgaire ,  les  bondons  sont  faits  en  bois  de  tra- 
vers, car  l'expérience  a  fait  connaître  que  les  liquides  fil- 
trent à  la  manière  de  la  sève  à  travers  les  bouchons  qui 
.sont  en  bois  de  fil.  On  (ait  les  bondons  avec  de  vieilles 
(louves  ou  avec  des  bfiches  de  chêne  que  l'on  plonge  dans 
l'eau  pour  les  amollir;  on  les  débite  ensuite  en  petits  carrés, 
puis  ou  les  ébauche,  et  on  termine  le  bondon  sur  ie  tour 
k  points. 

On  appelle  aussi  bonde  une  rigole  qui  traverse  la  chaussée 
d'un  étang  et  qui  sert  à  en  faire  écouler  les  eaux  quand 
on  veut  le  pêcher;  elle  se  lève  avec  une  vis  ou  des  leviers. 
La  pièce  de  bois  qui  ferme  la  bonde  s'appelle  jjale. 

BOIVDI  (Clément  ) ,  un  des  poètes  les  plus  estimés  de 
l'Italie  moderne,  naquit  en  1742,  à  Mizzano,  dans  le  duché 
de  Parme,  entra  dans  l'ordre  des  jésuites  peu  de  temps  avant 
sa  suppression,  et  devint,  fort  jeune  encore,  professeur 
d'éloquence  au  séminaire  royal  de  Parme.  Poursuivi  par  sa 
congrégation  pour  avoir  célébré  dans  une  ode  la  suppression 
des  jésuites,  il  fut  obligé  de  chercher  un  refuge  en  Tyrol , 
où  il  trouva  un  protecteur  dans  la  personne  de  l'archiduc 
Ferdinand,  qui  le  nomma,  en  1795,  son  bibliothécaire  à 
Drùnn,  et  lui  confia  l'éducation  de  ses  fils,  dont  l'un, 
François,  est  aujourd'hui  duc  régnant  de  INÎo.lène.  Ces  rap- 
ports le  conduisirent  à  Vienne,  où  il  devint,  en  1816, 
professeur  d'histoire  et  de  littérature  de  feu  l'impératrice. 
Il  y  mourut  en  1821.  Soutenu  par  ses  protecteurs.  Bondi 
se  produisit  tour  à  tour  comme  poète  lyrique,  didactique, 
satirique  et  élégiaque.  La  noblesse  et  la  simplicité  de  son 
style,  plus  encore  une  versification  facile  et  élégante,  le 
rendirent  l'auteur  favori  des  dames  italiennes,  l'armi  ses 
poèmes  de  quelque  étendue,  nous  mentionnerons  ici  comme 
les  principaux  :  La  Giornata  villereccia,  en  trois  chants 
(Parme,  1773);  La  Convcrsazione ;  La  Félicita',  Il  Go- 


BONDY  413 

vcrno  pnciffo.  Sa  traduction  en  vers  de  YÉnéide  est  re- 
gardée en  Italie  comme  un  chef-d'œuvre  ;  elle  parut  à  Parme 
en  1793  (2  vol.)-  Les  œuvres  complètes  de  Bondi  furent 
publiées  à  Vienne  en  1808,  3  volumes. 

BOIVDRÉE ,  oiseau  de  proie  de  la  famille  des  falco- 
nidées,  si  peu  différent  de  la  buse  qu'on  a  souvent  con- 
fondu l'un  avec  l'autre,  et  que  les  anciens  naturalistes  les 
désignaient  tous  les  deux  par  le  même  mot  latin  buteo,  en 
ajoutant,  pour  les  distinguer  l'un  de  l'autre,  l'épithète  api- 
vorus,  lorsqu'il  était  question  de  la  bondrée.  En  effet ,  cet 
oiseau,  qui  a  plus  de  six  décimètres  de  longueur,  et  près 
de  quatorze  décimètres  d'envergure,  subsiste  en  grande 
partie  aux  dépens  des  insectes,  et  n'épargne  pas  les  abeilles. 
Les  grenouilles  et  les  lézards  sont  des  aliments  mieux  as- 
sortis à  sa  grandeur,  et  il  en  consomme  aussi  beaucoup. 
Son  bec  est  un  peu  plus  long  que  celui  de  la  buse;  la  cire 
ou  peau  nue  qui  couvre  la  base  du  bec  est  jaune,  ainsi  que 
les  pieds  ;  le  sommet  de  la  tête  est  d'un  gris  cendré  ;  l'iris 
est  jaune,  et  le  plumage  varie  presque  autant  que  celui 
de  la  buse.  Les  habitudes  de  la  bondrée  la  placent  encore 
plus  bas,  parmi  les  grands  oiseaux  de  proie,  que  l'espèce 
avec  laquelle  on  l'a  confondue;  elle  se  laisse  prendre  aux 
pièges  amorcés  avec  une  grenouille,  et  même  aux  gluaux; 
son  vol  est  toujours  bas ,  d'arbre  en  arbre  ou  de  buisson  en 
buisson.  Son  nid  est  construit  comme  celui  de  la  buse, 
mais  elle  s'épargne  quelquefois  les  fatigues  de  la  construc- 
tion, et  s'installe  dans  un  nid  abandonné,  où  elle  dépose  des 
œufs  de  couleur  cendrée  tachetés  de  brun.  La  bondrée  passe 
pour  un  assez  bon  mets ,  ce  qu'on  n'a  jamais  dit  de  la  buse. 
On  a  donc  fait  à  la  première  une  guerre  de  destruction , 
pour  satisfaire  les  amateurs  de  cette  sorte  de  gibier,  tandis 
que  la  seconde  n'était  poursuivie  que  rarement,  comme  les 
autres  oiseaux  de  proie  :  il  en  résulte  que  la  bondrée  est  ac- 
tuellement rare  en  France,  et  que  la  buse  la  remplace  pres- 
que partout. 

Dans  quelques  parties  de  la  France  on  donne  le  nom  de 
goiran  à  la  bondrée.  Ferry. 

BOIVDUC  ou  CHICOT  DU  CANADA.  Cet  arbre,  de  vingt 
mètres  de  hauteur,  est  originaire  du  Canada.  Son  bois  est 
propre  aux  arts,  mais  non  encore  assez  multiplié  en  Europe 
pour  recevoir  en  ce  moment  cette  destination.  Le  bonduc 
se  trouve  néanmoins  déjà  dans  toutes  les  collections  d'ar- 
bres exotiques,  dans  les  jardins  elles  parcs,  où  il  se  fait  re- 
marquer par  la  beauté  de  ses  feuilles  bipinnées,  qui  ont  do 
*J  ■"  ,  70  à  un  mètre  de  longueur,  et  qui  en  font  un  très-bel 
arbre  l'été,  et  un  arbre  mort  en  apparence  l'hiver,  d'où  lui 
est  venu  le  nom  de  chicot,  parce  qu'en  effet  ses  feuilles  et 
leurs  longs  pétioles  étant  tombés  et  séparés  de  la  tige ,  il 
semble  ne  rester  qu'un  tronc  mort  ou,  comme  on  dit,  un 
chicot,  qui  contraste  d'une  manière  très-pittoresque  avec 
l'élégance  et  les  formes  très-remarquables  de  cet  arbre  dans 
la  belle  saison.  Le  bonduc  ne  craint  pas  nos  hivers.  Ce- 
pendant, sauf  de  rares  exceptions,  il  n'atteint  généralement 
pas  en  France  les  mêmes  dimensions  que  dans  le  pays 
dont  il  est  originaire. 

Placé  par  les  botanistes  dans  la  famille  des  césalpinées, 
le  bonduc,  désigné  par  Linné  sous  le  nom  de  Guilandina 
dioica,  a  reçu  de  Laniarck  celui  de  Gymnocladus  cana- 
densis.  Cet  arbre  se  multiplie  par  ses  graines,  et  plus  ordi- 
nanement  par  ses  racines ,  qu'on  coupe  par  tronçons  et 
qu'on  plante.  C.  Tollard  aîné. 

BOIVDY  (  Pierre-Marie  comte  TAILLEPIED  de  ),  était 
né  à  Paris,  le  7  octobre  1766,  d'une  famille  connue  dans 
les  finances  et  d'un  père  receveur  général.  En  1792  il  fut 
nommé  directeur  des  assignats,  et  au  10  août  il  sollicita  sa 
démission,  que  le  ministre  des  finances  eut  beaucoup  de 
peine  à  lui  accorder.  Il  se  retira  entièrement  des  affaires, 
et  vécut  loin  des  orages  de  la  révolution  jusqu'à  l'Empire, 
[  époque  où  son  aptitude  pour  l'escrime  le  mit  en  rapport  in- 
I  time  avec  le  jeune  Eugène  Beauliainais,  passiminé  lui-mératt 


414 


BONDY  —  DONE 


pour  cet  exercice,  et  lui  valut  sa  nomination  aux  fonctions 
de  cliambellan  de  Napoléon,  qu'il  suivit  dans  la  plupart  de 
ses  voyages,  et  môme  à  l'armée,  pendant  la  campagne  d'Au- 
triche, en  1809.  Au  retour,  il  fut  nommé  maître  des  requêtes, 
et  ciiargé  d'aller  présider  le  collège  électoral  de  l'Indre. 
L'empereur  le  plaça  comme  chambellan  auprès  du  roi  de 
Saxe,  puis  auprès  du  roi  de  Bavière,  lorsqu'ils  vinrent  suc- 
cessivement à  Paris.  M.  de  Bondy  avait  alors  les  formes 
d'un  grand  seigneur,  la  taille  élégante,  le  port  d'un  cour- 
tisan ;  il  convenait  parfaitement  à  tous  ces  postes  de  repré- 
sentation. Pour  toutes  ces  importantes  qualités.  Napoléon, 
qui  travaillait  à  reconstruire  une  monarchie  héréditaire,  le 
nomma  comte  de  l'empire.  Lors  de  son  mariage  avec  une 
archiduchesse,  il  le  comprit  au  nombre  des  oITiciers  de  sa 
maison  qu'il  envoya  à  Carlsruhe  recevoir  la  princesse. 

Au  retour  de  ce  voyage,  en  1810,  il  l'appela  à  la  préfec- 
ture du  Rhône.  Là  il  acquit  des  droits  incontestables  à  la 
reconnaissance  de  la  seconde  ville  de  France,  dirigea  ses  tra- 
vaux avec  une  activité  sans  égale,  obtint  du  gouvernement 
des  sommes  immenses  pour  desséclier  les  marais  de  Per- 
rache,  et  enrichit  Lyon  d'un  de  ses  plus  beaux  quartiers, 
jusque  alors  inhabitable.  Les  négociants  de  cette  ville  se 
rappelleront  toujours  la  protection  dont  jouit  le  commerce 
sous  son  administration,  et  la  prévoyance  qui  la  préserva 
en  1812  de  la  disette  qui  désolait  toutes  les  autres  parties 
de  la  France.  Son  esprit  persuasif  et  conciliant  prévint  et 
adoucit  souvent  les  effets  des  mesures  rigoureuses  qui  étaient 
dictées  par  le  gouveincment  d'alors.  En  1814,  lors  de  l'in- 
vasion des  alliés,  il  retarda  par  son  courage  la  prise  de 
Lyon,  et  ne  se  retira  avec  l'armée  française  que  quand  il 
eut  vu  qu'une  plus  longue  résistance  devenait  inutile  et 
même  dangereuse  pour  l'intérêt  de  ses  administrés.  Après 
l'abdication  de  l'empereur,  le  prince  qui  fut  depuis  Charles  X 
crut  devoir  conserver  M.  de  Bondy  dans  ses  fonctions;  mais 
ce  ne  fut  pas  pour  longtemps.  On  dissimula  sa  disgrâce 
sous  le  cordon  de  commandeur  de  la  Légion  d'Honneur. 

Au  retour  de  Napoléon  ,  en  1815,  il  fut  nommé  préfet  de 
la  Seine  et  conseiller  d'État  ;  il  avait  signé  la  fameuse  pétition 
du  20  mars  dans  laquelle  on  ne  dissimulait  point  à  Napo- 
léon ce  qu'on  attendait  désormais  de  lui ,  et,  en  sa  qualité  de 
préfet,  il  en  présenta  une  seconde,  conçue  identiqueinentdaus 
le  même  esprit.  A  la  fin  de  juin  1815,  lorsque  les  alliés  s'ap- 
prochaient de  la  capitale,  il  adressa  une  proclamation  aux 
liabitants,  et  prévint  les  désordres  qui  se  préparaient.  «  Les 
troupes  étrangères,  disait-il,  ne  sont  pas  loin  de  la  capitale  ; 
elles  pourraient  d'un  instant  à  l'autre  paraître  sous  vos 
murs  :  que  cet  événement  ne  vous  intimide  pas!  le  pouvoii 
national  écartera  les  maux  que  vous  auriez  à  redouter.  »  M.  de 
Bondy  fut  un  des  trois  commissaires  chargés  de  la  négocia- 
tion du  3  juillet.  Presque  aussitôt  la  Restauration  l'appela 
à  la  préfecture  de  la  Moselle,  celle  de  la  Seine  ayant  été  ren- 
due à  M.  de  Chabrol,  qui  en  était  titulaire  au  20  mars; 
mais  M.  de  Bondy  était  à  peine  installé  depuis  quatorze  jours, 
que  sa  nomination  fut  révoquée.  En  décembre  1815  il  parut 
à  la  cour  des  pairs  comme  témoin  à  décharge  dans  le  pro- 
cès du  maréchal  Ney,  en  sa  qualité  de  commissaire  signa- 
taire de  la  convention  de  Paris.  Aux  élections  de  1814, 
1816  et  1818,  il  fut  nommé  par  le  département  de  l'Indre 
membre  de  la  Chambre  des  Députés,  lit  partie  de  l'opposi- 
tion constitutionnelle,  et  se  montra  constamment  le  défenseur 
zélé  des  libertés  i)ubliques.  Réélu  en  1827,  il  ne  prit  pas 
la  parole  dans  les  deux  sessions  de  1828  et  1829,  mais 
en  18.30  il  vota  l'adresse  des 221 ,  ce  qui  fut  cause  de  sa 
réélection. 

Le  gouveiTiement  de  Juillet  l'appela,  le  23  février  1831,  à 
remplacer  ]M.  Odilon  Barrot  à  la  préfecture  de  la  Seine.  Il 
fit  i>artie,  le  19  novembre  suivant,  des  trente-six  pairs  créés 
par  le  ministère  Casimir  Périer.  M.  de  Bondy  avait  laissé 
<le  précieux  souvenirs  à  la  préfecture  de  la  Seine;  ils  ne  pu- 
rent l'y  maintenir  contre  les  lliictualions  ministérielles,  si  fré- 


quentes à  cette  époque  :  il  dut  se  retirer  et  céder  sa  place 
à  M.  de  Rambuleau.  Conservant  son  siège  au  Luxembourg 
jusqu'à  sa  mort,  il  remplissait,  en  outre,  auprès  de  la  reine 
des  Français  des  fonctions  analogues  à  celles  dont  Napo- 
léon l'avait  chargé  auprès  de  l'impératrice  Marie-Louise. 
De  plus,  le  roi  lui  confia  l'intendance  générale  de  la  liste 
civile  chaque  (ois  que  M.  de  M  on  t  al  iv  et  eut  un  ministère. 
Dans  sa  jeunesse  il  était  homme  à  la  mode,  renommé  par 
son  habileté  dans  tous  les  exercices  de  force  et  d'adresse. 
Brillant,  chevaleresque,  il  n'abusa  jamais  de  sa  supériorité 
à  l'escrime,  quoiqu'il  fut  resté  le  dernier,  le  seul  homme  de 
notre  temps  qui  pouvait  dire  :  J'aï  touché  Saint-Georges. 
Il  avait  avec  le  célèbre  mulâtre  un  autre  point  de  similitude, 
il  était  de  première  force  sur  le  violon.  Bon,  obligeant,  ser- 
viable,  il  ne  méritait  pas  les  ingrats  qu'il  a  faits.  Il  est  mort 
à  Paris,  le  12  janvier  1847,  à  l'âge  de  quatre-vingts  ans, 
laissant  une  veuve  digne  de  tous  les  respects,  et  un  fils, 
homme  de  mérite,  qui  fut  préfet  sous  le  règne  de  Louis- 
Philijipe. 

BÔI\E  (Bounah),  ville  d'Algérie,  chef-lieu  d'une  des 
deux  subdivisions  de  la  province  de  Constantine  ;  siège  d'nn« 
sous-préfecture,  d'un  tribunal  de  première  instance  et 
d'une  justice  de  paix ,  etc.  Les  Arabes  la  surnomment 
Beied-el-A'neb,  la  VUle-aux-Jiijiibes.  Située  par  5**  25'  de 
longitude  orientale  et  36"  25'  de  latitude  septentrionale, 
sur  le  versant  d'un  promontoire  qui  s'avance  assez  loin 
dans  la  Méditerranée,  entre  le  cap  Rosa  et  le  cap  Hamza, 
à  95  myriamètres  d'Alger,  elle  fut  construite  vers  l'an  697 
de  notre  ère,  sur  la  côte  ouest  du  golfe  de  Bône,  avec  les 
débris  de  l'ancienne  Hippone  (Ifippo-Regius),  célèbre  par 
l'épiscopat  de  saint  Augustin ,  une  des  résidences  des  rois  de 
Numidie,  et  qui  joua  un  rôle  important  dans  les  guerres  de 
César,  des  Vandales,  sous  Genséric,  et  dans  la  campagne  de 
Bélisaire. 

La  plaine  de  Bône,  qui  s'étend  devant  la  place,  est  bor- 
née à  l'est  et  au  nord  par  des  montagnes  qui  forment  des 
ramifications  du  Djébel-Édough ,  à  l'ouest  par  les  collines 
de  M'Sour,  et  au  sud  par  la  Boudjimah,  rivière  dont  l'em- 
bouchure à  la  mer  n'est  ouverte  que  pendant  cinq  mois  de 
l'année,  et  qui  pendant  le  reste  du  temps  s'écoule  à  tra- 
vers les  sables  qui  forment  sa  barre.  Un  ruisseau,  nonuné 
Ruisseau  d'Or,  qui  se  jette  dans  la  Bourljimah,  la  parcourt 
du  nord  au  sud ,  et  reçoit  dans  son  cours  plusieurs  autres 
petits  ruisseaux,  desséchés  en  été,  torrents  en  hiver,  et  qui, 
n'ayant  alors  aucun  écoulement  vers  la  mer,  inondaient 
autrefois  chaque  année  la  plaine  déjà  envahie  par  les  eaux 
de  la  Boudjimah  et  du  Ruisseau  d'Or. 

On  entre  dans  les  rues  étroites,  tortueuses  et  non  pavées 
de  Bône  par  quatre  portes  :  l'une  mène  à  la  marine,  l'autre 
à  la  porte  dite  des  Arabes ,  sur  la  route  de  Constantine;  les 
deux  dernières  regardent  le  fort.  La  ville  est  entourée  d'une 
épaisse  muraille  de  forme  rectangulaire,  d'un  développement 
de  1,600  mètres,  sans  terrassement,  et  haute  de  8  mètres 
environ.  Sa  Casbah ,  bâtie  à  400  mètres  de  l'enceinte ,  sur 
une  forte  colline,  commande  la  place,  qu'elle  couvre  en- 
tièrement du  côté  du  nord ,  et  surveille  la  rade.  De  nom- 
breuses améliorations  y  ont  été  introduites  à  la  suite  du 
malheureux  événement  dont  cette  citadelle  fut  le  théâtre  en 
janvier  1837,  l'imprudence  d'un  garde  d'artillerie  ayant 
amené  l'explosion  du  magasin  à  poudre  qu'on  y  avait  établi. 

Les  indigènes,  en  évacuant  la  ville  à  l'approche  des 
Français,  l'avaient  incendiée  et  livrée  au  pillage.  On  ne 
trouva  que  de  misérables  masures  et  un  amas  de  décombres, 
au  milieu  desquels  on  dut,  tant  bien  que  mal,  s'établir. 
L'air  vicié  i)ar  les  immondices  qui  obstruaient  les  rues  et 
encombraient  les  maisons  était  (U\jà  une  grande  cause  d'in- 
salubrité ,  à  laquelle  se  joignaient  les  miasmes  délétères  de 
la  plaine.  Il  fallut  donc  songer  à  isoler  ce  foyer  pestilentiel , 
l'entourer  de  digues  et  de  canaux  qui  le  missent  à  l'abri 
d'inondations  nouvelles.  On  y  i;arvint  en  ouvrant  un  canal 


BONE  —  BONHEUR 


415 


(le  ceinture  tracé  au  pied  de  ITÎdoiigli ,  et  destiné  à  contenir 
toutes  les  eaux  qui  en  descendent.  Ce  canal  fut  mis  en  com- 
munication avec  la  mer  au  moyen  d'un  second  canal  émis- 
saire de  750  mètres  de  longueur,  tracé  au  milieu  de  la  plaine. 
La  Boudjimah  fut  aussi  endiguée  sur  toute  sa  rive  gauche. 
Les  plaines  de  Kharésas,  du  Bou-Hamza,  de  Dréan,  l'Er- 
blya ,  à  l'entrée  de  la  plaine  des  Beni-Urdjin ,  vers  l'embou- 
chure de  la  Seybouze,  l'admirable  plaine  des  Beni-Azis,  et 
généralement  tous  les  terrains  compris  entre  la  Seybouze 
et  la  Mafrag  furent  successivement  desséchés  et  assainis. 
On  ouvrit  ainsi  un  vaste  champ  à  l'agriculture  européenne , 
qui  y  exploite  à  présent  quelques  fermes  importantes.  Les 
environs  immédiats  de  la  ville,  cultivés  avec  soin,  furent 
convertis  en  jardins  productifs.  En  même  temps  les  Français 
augmentèrent  ses  travaux  de  défense. 

Son  territoire,  qui  est  limité  à  l'est  par  la  régence  de  Tu- 
nis ,  et  à  l'ouest  par  le  pays  des  Kabyles  et  le  kalifat  du 
Sahel ,  lui  assigne  le  premier  rôle  dans  la  partie  orientale  de 
l'Algérie,  et  comme  centre  de  la  colonisation,  et  comme 
place  militaire.  Elle  accorde  en  outre  au  commerce  une  pro- 
tection eflicace  dans  sa  rade ,  l'anse  du  fort  Génois  étant 
pendant  l'hiver  un  abri  sîir  contre  les  gros  temps.  Bône 
est  de. plus  le  dépôt  de  la  Calle,  le  magasin  de  Guelma 
et  de  tous  les  camps  de  l'est ,  y  compris  Medjez-Amar. 

Nous  avons  déjà  dit  à  l'arlicle  Algérie  (t.  r%  p.  319- 
320),  comment  cette  ville  était  tombée  définitivement  en 
notre  pouvoir  ;  c'est  de  là  qu'est  partie  l'expédition  qui  s'em- 
para de  Constantine.  Depuis  ce  temps  une  garnison  de  quatre 
mille  hommes  suffit  à  sa  défense.  Elle  a,  de  plus,  un  ba- 
taillon de  miliciens  qui  servit  activement  à  l'intérieur  lors 
des  deux  expéditions  de  Constantine ,  et  accompagna  souvent 
les  convois.  Pendant  les  troubles  des  montagnes,  en  1841, 
cette  milice  fit  seule  le  service  de  la  place,  et  sortit  même 
avec  le  commandant. 

Bône  compte  une  population  européenne  de  quatre  mille 
sept  cent  soixante-dix-neuf  individus.  Cetle  ville  a  une 
grande  importance  commerciale,  et  ses  relations,  tant 
avec  l'intérieur  qu'avec  l'extérieur,  ne  tendent  qu'à  s'ac- 
croître. L'occupation  de  1832  suspendit  ses  relations  de 
commerce  avec  Constantine,  Ahmed-Bey  ayant  menacé  de 
mort  tout  individu  surpris  en  trafic  avec  les  Français.  De- 
puis 1837  ces  relations  se  sont  renouées;  mais  l'impor- 
tation des  comestibles  et  des  vins  a  remplacé  celle  des 
objets  de  luxe.  La  valeur  des  marchandises  importées  par 
les  négociants  français  et  étrangers  était  en  1839  de 
500,000  fr.  environ,  et  les  retours  effectués  sur  Bône,  en 
laines,  cuirs  et  peaux,  ont  pu  être  de  250,000  fr.  Il  y  a  à  Bône 
une  école  pour  les  Juifs  et  les  Maures ,  ainsi  qu'une  école 
primaire  supérieure,  qui  compte  une  cinquantaine  d'élèves , 
tant  filles  que  garçons. 

BOIXER  (Ulrich)  ,  un  des  plus  anciens  fabulistes  alle- 
mands, vivait  à  Berne ,  dans  l'ordre  des  frères  prêcheurs, 
vers  la  première  moitié  du  quatorzième  siècle.  Il  écrivit  à 
l'époque  même  où  les  chants  des  Mïnneslnger  et  la  poésie 
chevaleresque  cessèrent  de  se  faire  entendre,  et  nous  a  laissé 
un  recueil  de  fables  ou,  comme  on  disait  alors,  à'exemples, 
intitulé  :  La  Pierre  Précieuse,  qui  se  distingue  par  la  pu- 
reté du  L'engage  et  par  un  style  pittoresque,  gai  et  plein  de 
naïveté.  La  première  édition  de  ces  fables  parut  à  Bamberg, 
en  1461,  avec  des  gravures  sur  bois;  c'est  un  des  incunables 
les  plus  rares  qui  existent,  puisque  l'on  n'en  connaît  qu'un 
seul  exemplaire,  qui  se  trouve  à  la  Bibliothèque  de  ^Vol- 
fenbijttel  ;  c'est  en  même  temps  le  premier  livre  imprimé  en 
Allemagne.  Sclierz  publia  plus  tard,  dans  une  suite  de  dis- 
sertations, cinquante  et  une  de  ces  fables  d'après  des  manus- 
crits conservés  à  la  Bibliothèque  de  Strasbourg.  Le  recueil 
le  plus  complet  est  celui  qu'ont  publié  Codmer  et  Breitinger 

Zurich,  1757).  Esclienburg  en  a  donné  une  nouvelle 
édition,  en  remplaçant  les  mots  vieillis  par  des  expressions 
plus  modernes  (Berlin,  ISIQ),  et  Benecke  de  Gœttingue 


a  fait  paraître  un  trav^l  précieux  sur  le  texte  de  Boncr, 
accompagné  d'un  vocabulaire  (Berlin,  1816). 

BOIVET  (Théophile).  Voyez  Bonnet. 

BOJXGARE,  genre  de  reptiles  ophidiens,  dont  deux 
espèces  sont  assez  réiiandues  dans  le  Bengale ,  tandis  que 
la  troisième  appartient  à  l'île  de  Java.  Tous  ces  serpents 
sont  venimeux,  et  l'on  dit  même  que  leur  venin  est  fort  actif. 

BOIV  GOÛT.  Voyez  Goût. 

BOi\-HEi\RI.  Voyez  Ansérine. 

BOXHEUR.  Le  bonheur  est  un  de  ces  objets  qui  prou- 
vent que  l'esprit  humain ,  dans  ses  conceptions  et  ses  croyan- 
ces ,  s'étend  bien  au  delà  de  la  réalité  présente.  Car  si  nous 
voulons  attacher  à  ce  mot  l'idée  que  s'en  forme  tout  le 
monde ,  nous  le  définirons  un  plaisir  aussi  vif  que  délicieux, 
sans  mélange,  et  dont  rien  ne  saurait  enlever  ou  altérer  la 
jouissance.  Or,  au  seul  énoncé  de  cette  définition,  que  je 
crois  incontestable ,  il  est  facile  de  Toir  qu'un  pareil  objet 
ne  peut  se  rencontrer  ici-bas ,  quoique  tous  les  hommes  en 
aient  une  idée  bien  claire,  et  qu'il  soit  incessamment  le 
terme  de  leurs  vœux,  de  leurs  poursuites  et  de  leur  espoir. 
Aussi  nous  n'avons  point  à  nous  enquérir  où  le  bonheur  ha- 
bite sur  la  terre,  car  toutes  nos  recherches  seraient  vaines  : 
essayons  seulement  de  montrer  ce  qui  lui  ressemble  ou  s'en 
approche  le  plus,  ce  qui  mérite  mieux  le  nom  de  Jélicité 
htimoine,  et  commençons,  avant  de  montrer  en  quoi  con- 
siste cette  espèce  de  bonheur,  par  montrer  en  quoi  il  ne 
consiste  pas. 

La  vivacité  et  l'énergie  des  plaisirs  qui  résultent  des  mo- 
difications de  l'organisme  sont  pour  la  plupart  des  hommes 
une  source  d'erreurs  bien  funestes ,  en  ce  que  le  côté  sédui- 
sant sous  lequel  elles  présentent  ces  plaisirs  fait  oublier  ce 
qu'ils  ont  de  fugitif,  de  périssable,  de  dangereux.  Assurément 
ce  ne  sera  pas  la  volupté  sensuelle  que  nous  assimilerons 
au  bonheur,  malgré  l'intensité  des  jouissances  qu'elle  pro- 
cure. Car  en  supposant  même  qu'on  sût  régler  l'usage  de  ces 
plaisirs  de  manière  à  éviter  tous  les  maux  qu'ils  entraînent 
ordinairement  à  leur  suite ,  ils  ne  fournissent  pas  encore  une 
pâture  suffisante  aux  exigences  de  la  sensibilité.  Ces  plaisirs 
ne  durent  que  peu  de  temps  chaque  fois,  et  si  nous  laissons 
de  côté  la  préparation  et  l'attente ,  pour  ne  compter  que  la 
jouissance  proprement  dite ,  nous  serons  étonnés  de  voir 
quelle  faible  portion  de  notre  temps  ils  occupent ,  combien 
peu  d'heures  sur  vingt-quatre  ils  sont  capables  de  remplir. 
En  outre,  ils  perdent  de  la  vivacité  par  la  n'-pétition ,  et  il 
n'y  en  a  pas  de  ce  genre  qui  ne  devienne  indifférent  en  de- 
venant habituel.  Ajoutez  à  cela  que  la  passion  pour  les  jouis- 
sances vives  ôte  le  goût  de  toutes  les  autres ,  dont  le  peu 
de  vivacité  est  compensé  par  la  douceur  et  la  continuité;  et 
connue  les  jouissances  vives  ne  se  présentent  que  rarement , 
la  plus  grande  partie  de  notre  temps  devient  vide  et  en- 
nuyeuse. Enfin,  comme  notre  sensibilité  a  des  penchants 
d'une  autre  nature,  et  des  besoins  plus  nobles,  l'usage  ex- 
clusif des  plaisirs  sensuels  laisse  une  lacune  dans  notre  àme, 
et  de  plus  nous  ôte  la  plupart  du  temps  les  moyens  de  la 
combler. 

Plusieurs  philosophes  ont  pensé  que  le  bonheur  consistait 
principalement  dans  les  affections  sociales  et  dans  les  rap- 
ports de  bienveillance  avec  nos  semblables.  Mais,  indépen- 
damment des  souffrances  que  nous  pouvons  ressentir  de  la 
mort  ou  de  l'absence  des  personnes  qui  nous  sont  chères, 
indépendamment  des  maux  qui  peuvent  les  accabler,  et 
dont  nous  prenons  toujours  notre  part,  à  combien  de  cruels 
mécomptes  ne  sommes-nous  pas  exposés,  soit  par  la  trahi- 
son d'un  infidèle  ami,  soit  par  les  vices  et  les  imperfections 
que  nous  venons  à  découvrir  dans  ceux  que  nous  nous 
plaisions  à  fréquenter! 

D'autres  ont  placé  la  félicité  humaine  dans  l'exercice  de 
nos  facultés,  dirigé  vers  la  poursuite  de  quelque  but  intéres- 
sant. Il  est  bien  vrai  qu'alors  nous  sommes  soutenus  par 
l'espoir  qui  alimente  notre  cœur  et  tient  lieu  de  jouissances 


4(6 


BONHEUR  —  BONHOMIE 


réelles,  et  que  l'occupation  continue  de  l'esprit  contribue  à 
écarter  de  l'âme  mille  sujets  de  tristesse  ou  d'inquiétude , 
et  l'entretient  dans  un  état  d'excitation  favorable  à  son  bien- 
être.  Mais  est-ce  bien  là  ce  que  nous  pouvons  le  mieux 
comparer  au  bonbeur?  Le  plaisir  qu'un  tel  état  procure  n'est- 
il  point  exposé  à  être  détruit  ou  troublé  à  cliaque  instant? 
Sans  parler  des  infirmités  pbysiques  ou  des  peines  morales 
qui  peuvent  à  toute  beure  nous  enlever  notre  bien-être,  la 
poursuite  du  but  auquel  nous  aspirons  ne  peut-elle  pas  par 
elle-même  devenir  une  source  de  cbagrins?  Par  cela  môme 
que  les  cbances  de  succès  entretiennent  notre  espoir,  les 
chances  d'insuccès,  et  elles  sont  nombreuses,  n'éveillent-elles 
pas  aussi  notre  inquiétude  et  nos  craintes?  Ne  peut-il  point 
à  toute  beure  surgir  devant  nous  d'infranchissables  obsta- 
cles ?  L'étude  d'un  art  ou  d'une  science  est  assurément  l'oc- 
cupation qui  fournit  à  l'esprit  les  jouissances  les  plus  nom- 
breuses et  les  plus  variées.  Mais  d'abord  ces  jouissances  ne 
sont  réservées  qu'à  un  petit  nombre  d'indi\idus ,  et  ne  nie 
parlez  pas  d'un  bonbeur  qui  ne  pourrait  être  le  partage  que 
du  petit  nombre  et  qui  serait  un  [)rivili''ge.  IMais  ces  plaisirs 
sont-ils  donc  sans  mélange,  et  ne  portent-ils  pas  aussi  avec 
eux  ce  caractère  de  fiagile  et  de  périssable  qui  les  empêche 
de  constituer  la  véritable  félicité?  L'artiste,  le  savant  sont, 
j)lus  que  tous  les  autres,  sujets  à  tous  les  maux  et  à  tous  les 
tourments  de  la  vie ,  dont  leur  art  ni  leur  science  ne  sau- 
raient les  garantir.  Si  l'on  croit  que  le  bonheur  du  savant 
est  dans  la  science  qu'il  cultive,  on  ne  sait  pas  que  cette 
science,  qui  est  en  elfet  la  principale  source  de  ses  jouis- 
sances, est  aussi  le  principal  objet  de  son  anxiété  et  de  ses 
peines.  Que  de  problèmes  le  préoccupent  !  que  de  vérités 
qu'il  ignore  et  qu'il  sait  lui  être  à  jamais  cachées  !  Peut-il 
donc  être  appelé  heureux  celui  que  tourmente  le  besoin  de 
connaître,  et  chez  qui  ce  besoin  ne  peut  jamais  être  satisfait? 

On  ne  peut  non  plus  appeler  bonheur  ces  illusions  d'une 
vie  idéale  et  d'une  imagination  contemplative,  quoique  les 
moments  passés  au  milieu  de  ces  rêveries  soient  peut-être 
les  plus  délicieux  de  la  vie.  Si  je  refuse  le  nom  de  bonheur 
à  la  vie  idéale ,  c'est  que  les  jouissances  qu'elle  procure  ne 
peuvent  être  durables ,  c'est  que  plus  on  se  repaît  de  ses  il- 
lusions ,  plus  on  se  prépare  de  mécomptes  pour  le  temps  où 
l'on  est  obligé  de  porter  ses  regards  sur  la  réalité ,  qui  ne 
permet  point  qu'on  se  dérobe  à  sa  présence ,  qui  nous  as- 
siège, nous  presse  de  toutes  parts,  et  nous  apparaît  d'autant 
plus  triste  et  plus  désenchantée  que  nous  sommes  moins  fa- 
miliers avec  elle. 

N'existe-t-il  donc  point  de  ces  plaisirs  vrais  et  durables 
qui  soient  à  l'abri  de  toute  atteinte,  dont  l'homme  ait  tou- 
jours la  puissance  en  son  pouvoir,  qui  ne  puissent  lui  man- 
quer et  au  sein  desquels  son  âme  se  repose  avec  calme  et 
confiance  ?  car  ceux-là  seuls  sur  la  terre  peuvent  mériter  le 
nom  de  bonheur.  Non,  leCréateur  n'a  point  refusé  àl'homme 
cette  ressource  consolante ,  ce  port  assuré  contre  tous  les 
orages  ;  il  n'a  permis  à  personne  de  s'écrier  à  la  vue  des 
biens  fragiles  de  ce  monde  :  Tout  n'est  que  vanité.  Il  est  un 
genre  de  jouissances  qui  surpassent  toutes  les  autres  en  dou- 
cetir  et  en  pureté;  contre  la  puissance  desquelles  tous  les 
maux  de  la  vie  ne  sauraient  prévaloir;  qui  ne  sont  point  le 
privilège  de  quelques  hommes ,  mais  qui  sont  également  ré- 
servées à  tous ,  qui  peuvent  être  de  tous  les  instants ,  se 
retrouver  dans  toutes  les  situations  de  la  vie  :  ce  sont  les 
joies  de  la  conscience,  c'est  la  satisfaction  que  procure  la 
pratique  de  la  vertu. 

Et  en  effet  si  nous  considérons  d'abord  ces  sentiments 
en  eux-mêmes ,  ils  sont  infiniment  plus  ex(iuis  et  d'une  na- 
ture plus  relevée  que  tout  autre  ;  à  eux  seuls  il  est  donné 
d'inonder  l'âme  d'une  joie  douce  et  pénétrante,  qui  la  rem- 
plit cnlièrement  sans  laisser  de  place  au  moindre  désir.  Tel 
est  aussi  leur  charme  et  leur  force  que  non-seulement  au- 
cun sentiment  pénible  n'est  assez  puissant  pour  -les  chasser 
de  noire  cœur,  mais  qu'ils  les  dominent  même  et  scrver.t 


à  en  corriger  l'amertume.  Mais  c'est  surtout  soiR  le  rapport 
de  la  durée  et  de  la  solidité  qu'ils  ont  sur  les  autres  un  incon- 
testable avantage.  Ils  ne  manquent  jamais  à  l'homme,  dans 
quelque  situation  qu'il  se  trouve;  toutes  les  fois  qu'il  veut  en 
savourer  les  délices,  il  peut  exciter  en  lui  ces  plaisirs  tou- 
jours les  mômes,  toujours  nouveaux ,  sans  cesse  renaissants, 
et  dont  la  source  est  aussi  intarissable  qu'elle  est  pure.  Car 
le  mérite  de  la  vertu  ne  consiste  pas  dans  le  résultat  de  ses 
actes ,  mais  dans  la  force  que  l'âme  déploie  pour  accomplir 
la  loi  suprême.  Or,  cette  force  est  toujours  en  notre  puis- 
sance ;  nous  sonnnes  libres  d'en  faire  l'emploi ,  quelles  que 
soient  les  circonstances  où  le  sort  nous  ait  placés,  quels 
que  soient  les  obstacles  qui  s'opposent  à  son  développe- 
ment ;  et  du  moment  où  nous  avons  dépensé  pour  faire  le 
bien  la  sonnne  d'efforts  qui  étaient  en  notre  pouvoir,  nous 
avons  assez  fait  pour  la  vertu ,  et  notre  conscience ,  qui 
n'exige  plus  rien,  n'attend  pas  le  résultat  de  ces  efforts 
pour  nous  en  accorder  le  prix.  Une  fois  que  nous  possédons 
ce  prix  glorieux,  toutes  les  misères,  tous  les  tourments  de 
la  vie  ,  glissent  sur  notre  âme  sans  pouvoir  lui  arracher  sou 
précieux  trésor.  Elle  se  réfugie  avec  lui  dans  l'asile  de  la 
conscience,  qui  n'est  accessible  que  pour  elle,  et  qui  lui  est 
toujours  ouvert;  là,  elle  brave  tous  les  maux,  rit  de  toutes 
les  tempêtes ,  et,  de  môme  qu'elle  y  découvre  la  base  indes- 
tructible de  toute  vérité ,  elle  y  trouve  aussi  la  source  iné- 
puisable de  son  bonheur.  Je  me  demandais  un  jour  pour- 
quoi de  toutes  les  joies  qui  peuvent  gonfler  le  cœur  de 
l'homme  en  cette  vie  les  joies  de  la  conscience  étaient  les 
seules  qui  fussent  capables  de  survivre  à  l'idée  de  notre  des- 
truction. C'est  que  la  vertu,  qui  associe  l'homme  à  la  pensée 
et  à  l'œuvre  du  Créateur,  est  le  seul  lien  qui  le  rattache  sur 
la  terre  à  l'infini ,  auquel  il  aspire  ;  c'est  que  les  plaisirs 
qu'elle  procure  sont  le  commencement  d'une  récompense 
qui  doit  se  prolonger  au  delà  des  limites  de  cette  courte 
existence,  et  la  jouissance,  par  anticipation,  du  véritable 
bonheur  dont  il  lui  est  donné  de  pressentir  ici-bas  les  délices 
sans  fin. 

En  essayant  démontrer  que  c'est  dans  la  vertu  seulement 
qu'on  doit  rencontrer  le  bonheur,  ou  du  moins  ce  qu'on 
peut  avec  le  plus  de  raison  appeler  de  ce  nom  sur  la  terre, 
nous  n'avions  pas  assurément  la  prétention  d'arriver  à  une 
conclusion  neuve  et  originale.  Mais,  quelque  gothique  qu'elle 
puisse  paraître ,  nous  n'avons  pas  dû  craindre  de  la  repro- 
duire ici  ;  car  pour  quiconque  voudrait  décider  la  question 
en  observant  seulement  la  manière  dont  les  choses  se  pas- 
sent en  ce  monde,  et  la  conduite  des  hommes  de  tous  les 
temps  et  de  tous  les  pays,  nous  semblerions  moins  avoir 
répété  une  vérité  triviale  que  développé  un  étrange  para- 
doxe. C.-M.  Paffe. 

BONHEUR  ÉTERNEL.  Voyez  Béatitude,  Para- 
dis ,  etc. 

BONHOMIE.  On  ne  peut  définir  la  bonhomie  en 
deux  mots.  C'est  une  nuance  de  caractère  qui ,  toute  fine 
et  toute  délicate  qu'elle  paraisse,  se  compose  et  résulte 
d'un  certain  nombre  de  qualités  morales  dont  la  réunion 
lui  est  nécessaire.  La  bonhomie  n'est  point  de  la  bonté,  ni 
de  la  douceur,  ni  de  la  simplicité,  ni  de  la  naïveté,  ni  de 
la  bonne  foi ,  ni  de  la  franchise  :  c'est  à  la  fois  tout  cela. 
On  peut  être  bon  sans  avoir  de  bonhomie  ;  mais  la  bon- 
homie emporte  avec  elle  une  certaine  disposition  à  la  bien- 
veillance, comme  l'indique  au  reste  la  composition  même 
du  mot.  La  bonté  se  manifeste  surtout  dans  les  actions,  la 
bonhomie  dans  les  paroles;  elle  joint  de  plus  à  l'affabilité 
une  candeur  naïve  qui  lui  appartient  en  propre ,  et  qui  n'est 
nullement  essentielle  à  la  bonté.  On  peut  avoir  de  la  dou- 
ceur sans  bonhomie.  La  bonboun'e  est  toujouis  aimable  et 
douce ,  confiante ,  sans  malice  et  sans  fiel.  11  y  a  beaucoup 
de  simplicité  dans  la  bonhomie  ;  mais  c'est  plutôt  simpli- 
cité de  co'ur  que  simplicité  d'esi)rit,  et  l'on  aurait  tort  de 
croire  que  la  boiihomie  peut  être  quelquefois  synonyme  do 


BOiNHOMIE—  BO?s'IFACE 


417 


bôlise.  Souvent,  au  contraire,  nous  l'avons  vue,  dans  cer- 
tains écrivîsins,  allii'e  à  une  incroyable  finesse  d'esprit, 
à  un  l;ict  exquis,  à  une  pénétration  profonde. 

Ce  qui  fa't  qi;e  la  lioiiliomie  peut  paraître  simple,  c'est 
qu'elle  est  iiigi-nue,  c'est  qu'elle  laisse  volontiers  échapper 
son  secret,  ou  plutôt  qu'il  n'est  pas  de  secret  pour  elle; 
c'est  que  supposant  dans  les  autres  la  môine  candeur  que 
dans  elle-niônie,  elle  croit  tout  le  monde  et  se  laisse  abuser 
sans  peine  ;  c'est  qu'elle  est  sans  déguisement  et  sans  dé- 
tour, comme  sans  méliance.  Aussi ,  les  qualités  qui  brillent 
au  premier  rang  païuii  les  éléments  de  la  bonliomie,  et  qui 
semblent  ses  attributs  les  plus  essentiels  .c'est  la  naïveté  et 
la  bonne  foi.  Comme  elle  est  en  effet  le  propre  d'une  belle 
âme,  elle  n'a  point  intérêt  à  ne  pas  se  laisser  pénétrer  ;  elle  se 
livre  au  contraire  avec  abandon,  et  s'expose  tout  entière  aux 
regards,  sans  affectj'.tion  et  même  à  son  insu.  Tout  ce  qui  lui 
paraît  vrai ,  elle  leiiublie  sans  liésiter  :  parler  et  penser  sont 
pour  elle  une  mi^iue  chose.  On  ne  peut  dire  qu'elle  est  l'amie 
de  la  vérité,  elle  en  est  plutôt  l'organe;  le  cœur  humain  n'a 
pas  d'interprète  plus  sincère,  de  miroir  plus  fidèle. 

Veut-on  une  autre  définition  de  la  bonhomie  que  cette 
analyse  psychologique,  nécessairement  froide  et  incomplète? 
Veut-on  une  définition  moins  précise,  moins  générale, 
mais  infiniment  plus  complète  et  plus  vraie,  qui  jette  son 
objet  tout  entier  et  tout  \ivant,  pour  ainsi  dire,  sous  les 
yeux  du  lecteur?  La  bonhomie,  c'est  La  Fontaine,  ce 
type  d'ingénuité,  de  bonne  foi ,  de  tendresse  naïve,  de  spi- 
rituelle franchise;  c'est  La  Fontaine  prenant  parti  pour 
Fouquet  disgracié  contre  Colbert  et  Louis  XIV  ;  c'est  La 
Fontaine  rencontrant  M.  d'Hervart  qui  lui  offrait  de  ve- 
nir loger  chez  lui  après  la  mort  de  sa  bienfaitrice,  et 
lui  repondant  :  «  J'y  allais  »  ;  c'est  La  Fontaine  disant 
très-sérieusement  à  la  table  d'un  prélat;  et  quelque  temps 
après  sa  conver.>ion  :  «  Vous  trouverez  encore  une  infinité 
de  gens  qui  estiment  plus  saint  Augustin  que  Rabelais  »; 
enfin,  c'est  La  Fontaine  écrivant  ses  fables,  où  l'on  admire 
son  art  de  plaire  et  de  )i'y  penser  pas ,  comme  il  le  disait 
lui-même  de  madame  de  La  Sablière;  fables  sublimes,  qu'on 
ne  peut  lire  sans  être  charmé  et  attendri  par  ces  récits 
simples  et  délicieux,  par  ces  causeries  si  douces,  si  rêveuses 
et  quelquefois  si  éloquentes ,  d'une  éloquence  qui  s'ignore  ; 
par  ce  style  où  brille  tant  d'amabilité  sans  prétention , 
tant  de  finesse  sans  recherche  ,  tant  de  grâce  sans  afféterie , 
un  sentiment  si  tendre,  si  bienveillant  et  si  vrai;  tant  de 
candeur,  de  franchise  et  d'abandon;  en  un  mot,  tant  de 
bonliomie.  .         C.-M.  Paffe. 

BOI\"I  (Onofrio),  savant  archéologue ,  né  en  Toscane, 
vers  1750,  mort  en  1820.  D'Agincourt,  qui  avait  une  grande 
confiance  dans  les  lumières  de  Boni ,  lui  envoya  de  Rome 
les  planches  devant  servir  de  base  à  son  Histoire  de  l'art 
au  mojen  âge.  Boni  avait  commencé  à  en  rédiger  le  texte 
lorsque  la  mort  de  d'Agincourt  vint  interrompre  l'ouvrage, 
qui  resta  inachevé.  Le  travail  le  plus  estimé  de  Boni  est 
une  lettre  adressée  à  Gherardo  de  Rossi,  Sur  les  antiquités 
de  Giannuti.  il  composa  l'éloge  de  sou  ami  Lanzi  (Pise, 
1816),  et  celui  de  Battoni  (Rome,  1787),  qui  contient,  outre 
la  vie  de  ce  peintre,  une  foule  d'observations  intéressantes 
sur  l'histoire  de  l'art  romain  depuis  l'époque  de  Benoit  XlV 
jusqu'à  celle  de  Pie  VL  Les  autres  écrits  de  Boni  com- 
prennent des  dissertations  sur  plusieurs  sujets  de  l'art  an- 
tique et  moderne. 

IÎO!\'IFACE,  général  romain  àl'époqnedu  Bas-Empire, 
naquit  en  Thracc,  et  mourut  en  432.  En  l'an  4t3  il  fHt  chargé 
de  détendre MaiseillecontreAtaulf,  roidesGoths, eten422 
il  se  distingua  de  la  manière  la  plus  brillante  contre  les  Van- 
dales. Honorius,  qui  l'avait  nommé  tribun  militaire  et  créé 
comte,  lui  confia  le  commandement  de  l'Afrique.  Il  y  fit 
preuve  de  justice  et  de  modération,  et  sut  tenir  en  respect 
les  populations  barbares  voisines  du  territoire  dépendant  de 
l'Empire.  C'est  là  que  Bouifacc  eut  occasion  de  connaître 

DICT.    DE   IJi   CONVERS.   —  T.    III. 


'   saint  Augustin ,  et  de  se  lier  avec  lui  ;  liaison  qui  a  peut-ôtru 
'   plus  contribué  que   les  faits  de  sa  vie  à   le  rendre  célèbre. 
'   Après  la  mort  d'IIonorius,  arrivée   en  424,   Coniface   lut 
I    t'ictime  d'une  intrigue  de  cour,  qui  fit  un  rebelle  de  Ihonime 
;   qui  jusqu'alors  avait  rendu  de  si  bons  services  à  l'Empire. 
Placidie,  qui  avait  pris  les  rênes  du  gouvernement  pendant 
la  minorité  de  son  fils  Valenlinien  III,  avait  en  Bonif'ace 
I  une  confiance  entière  et  parfaitement  justifiée.  Aétius  et  Félix, 
qui  commandaient  en  Occident,  jaloux  du  crédit  de  leur 
I  collègue,  se  liguèrent  pour  le  perdre.  Aétius  écrivit  à  Boni- 
tace  que,  desservi  à  la  coin-,  il  y  était  tombé  dans  une  dis- 
grâce complète;  que  l'impératrice,  allait  le  rappeler;  et  que 
sa  mort  était  certaine  s'il  quittait  l'Afrique.  En  même  temps 
j  Aétius  dénonçait  Bonilace  à  Placidio.  et  l'accusait  de  n'avoir 
I  défendu  l'Afrique  contre  les  barbares  que  pour  s'y  rendre 
I  indépendant.  11  ajoutait  qu'il  n'y  avait  pas  de  temps  à  per- 
I  dre  pour  rappeler  le  traître  et  déjouer  ses  projets.  Placidie 
I  donna  dans  le  piège  et  rappela  Boniface.  Celui-ci  n'eut  garde 
j  d'obéir;  et  pour  se  venger  d'un  gouveruement  injrat,  leva 
des  troupes  et  appela  même  les  Vandales  en  Afrique.  Saint 
Augustin  lui  écrivit  d'Hippone,  à  ce  [uopos  ,  une  lettre  tou- 
chante dans  laquelle  il  s'efforçait  de  le  détourner  de  cette 
guerre  parricide.  Boniface ,  tout  entier  à  sa  vengeance ,  ne 
tint  aucun  compte  des  sages  avis  de  son  pieux  ami.  Le* 
Vandales  commandés  par  Genseric  parurent  donc  en  Afrique, 
dont  ils  dévastèrent  les  principales  citos.  Cartilage  et  Hip- 
pone  notamment.    Placidie,  mieux  instruite,  se  réconcilia 
alors  avec  Boniface;  mais  ce  fut  en  vain  que  celui-ci  essaya 
de  réparer  sa  faute  en  combattant  les  Vandales  et  en  s'el- 
torçant  de  les  expulser  de  l'Afrique.  Ce  fut  lui,  an  contraire, 
que  les  victoires  de  Genséric  forcèrent  à  aller  chercher  un 
refuge  en  Italie  avec  les  débris  de  ses  légions.  Il  s'y  rencontra 
avec  le  perfide  Aétius,  non  loin  de  Ravenne,  et  lui  livra  uu 
combat  acharné  dans  lequel  les  troupes  d'Aélius  eurent  le 
dessous.  Mais  Boniface  blessé  de  la  main  même  de  son  rival, 
mourut  trois  ans  après  des  suites  de  cette  blessure. 

BONIFACE  (Saint).  Cet  apôtre  de  l'Allemagne  naquit 
en  Angleterre,  dans  la  petite  ville  de  Kirton,  au  comté  de 
Devonshire ,  vers  l'an  G80 ,  et  y  reçut  le  baptême  sous  le 
nom  de  \Ninfrid  ou  'Winfreth.  Son  goût  pour  la  vie  ascé- 
tique se  manifesta  de  bonne  heure;  dès  Tàge  le  plus  tendrç 
son  âme,  déjà  rêveuse,  ne  voyait  pas  de  vraie  félicité  dans 
cette  vie  ;  il  aspirait  à  la  vie  céleste.  Encore  dans  l'adoles- 
cence, il  se  confina  dans  le  monastère  d'Exeier,  où  il  séjourna 
treize  années ,  si  bien  mises  à  profit  par  le  jeune  solilniie, 
qu'il  professa  ensuite  la  théologie,  l'histoire  et  la  rhéloriijue 
dans  le  monastère  de  Nutcell;  ce  fut  là  qu'à  trente  ans  il  fut 
promu  au  sacerdoce. 

L'an  716,  Winfrid  alla  prêcher  l'Évaugile  dans  la  Frise. 
Radbod,  roi  demi-idolâtre  de  ce  pays,  qui  était  alors  en  guerre 
avec  Charles  Martel,  reçut  mal  notre  pieux  missionnaire,  qui 
retourna  dans  la  Grande-Bretagne,  où  il  fut  élu  abbé  de  so» 
monastère.  En  718  il  se  rendit  à  Rome,  près  du  pape  Gré- 
goire II ,  qui  lui  donna  des  lettres  apostoliques  pour  prêcher 
la  foi  dans  la  Germanie,  dont  le  cruel  Irminsul  et  la  san- 
glante Hertha  étaient  encore  en  partie  les  divinités.  Accom- 
pagné de  pèlerins  anglais  et  lomains ,  il  quitta  l'Italie  pour 
répandre  les  eaux  du  baptême  jusque  dans  les  forêts  de» 
Druides.  A  la  mort  de  Radbod ,  Charles  Martel  étant  matti* 
de  la  Frise,  Winfrid  repassa  dans  cette  contrée,  où  il  ne 
cessa  de  prêcher  pendant  trois  années  ;  puis  il  entra  daus 
la  Hesse,  convertissant  le  peuple.  Deux  jeunes  seigneurs 
lui  donnèrent  leur  terre  d'Omenburg  :  Boniface  y  éleva  un 
monastère,  qui  dans  la  suite  devint  la  ville  de  Marburg. 

Eu  723  Grégoire  II  l'appela  à  Rome,  où  il  le  sacra 
évoque  :  c'est  à  cette  cérémonie  qu'il  changea  son  nom  saxon 
de  Winfrid  en  celui  de  Boniface,  qui  était  plus  romain. 
Grégoire  III  l'honora  du  pallium,  insigne  de  la  dignité 
archiépiscopale.  En  738,  à  son  troisième  voyage  à  Rome ,  il 
fut  uoinmé  par  ce  pape  légat  du  saint-siége  en  Allemagne. 

53 


418 


BONIFACE 


Sa  juridiction  apostoii(iue  sYteudait  sui  toute  la  Germanie  : 
prélat  sans  si('j;e  fixe ,  ou  eût  pu  l'appeler  f  archevêque 
du  Nord.  La  IJavicre  l'ut  ])aiticulièrement  le  théâtre  de  ses 
prédications  ;  il  divisa  ce  pays  en  quatre  diocèses,  Saltz- 
boiirg,  Freisingcn,  Ratisbonne  et  Passaii.  Ce  dernier  exis- 
tait déjà.  11  étal)lit  ensuite  Tévéché  d'trfurt  pour  la  Thu- 
ringe,  celui  do  Burabourg ,  transféré  depuis  à  Paderboru, 
pour  la  liesse;  celui  de  Wurtzbourg,  pour  la  Tranconie,  et 
celui  d'Eicbstaiilt ,  dans  le  palatinat  de  Bavière.  , 

Après  la  mort  de  Cliarles-Martel ,  Carloinan ,  son  fds  et 
Ron  successeur,  d'accord  avec  le  pape  Zacliarie,  confirma 
FJoniface  dans  sa  iiuissauce  épiscopale.  L'arclievcque  avait 
tant  d'empire  sur  le  roi,  que  ce  fut  d'après  ses  exhortations 
que,  dé;-'(>ùté  du  trOue,  il  alla  sur  les  cimes  solitaires  du 
Soracle  s'ensevelir  dans  un  monastère  qu'il  y  fonda.  Après 
la  réclusion  de  Thierry,  fils  du  dernier  roi  mérovingien, 
dans  un  cloitre.  Pépin  le  Bre  f  crut  ajouter  à  sa  puissance 
et  à  l'éclat  de  sa  couronne  en  se  faisant  sacrer  à  Soissons 
par  Boniface ,  qui  se  rendit  à  cet  argument  de  Zacliarie,  si 
commode  pour  les  courtisans,  les  ambitieux  elles  traîtres  : 
qu'il  valait  mieux  reconaaitre  pour  roi  celui  en  qui 
résidait  Vautorité  suprême.  Boniface  fut  élu  archevêque 
de  Mayence  par  Pépin;  le  pape  confirma  cette  élection; 
de  plus,  il  assujettit  à  la  métropole  de  lAîayoncc  les  évôchés 
deTongres,  d'Utrecht,  de  Colnj;ne,  de  Wornis,  de  Spire 
et  tous  les  évêcliés  d'Allenir.i^ne  que  le  saint  avait  érigés,  ou 
qui  relevaient  auparavant  de  la  métropole  de  Worms.  Ses 
pouvoirs  de  légat  en  Germanie  s'étendaient  aussi  dans  les 
Gaules;  dans  le  cercle  du  haut  Rhin,  il  fonda  une  abbaye 
à  Fulda;  il  en  établit  aussi  à  Fidislar,  à  Hamelbourg,  et  à 
Ordorf. 

Emporté  par  sa  vocation  d'apôtre ,  avec  le  consentement 
du  pape,  il  céda  son  évôcbé  de  Mayence  à  saint  Lulle, 
moine  de  Malmesbury,  son  disciple,  et  partit  pour  achever 
la  conversion  de  la  Frise,  toujours  attachée  au  culte  antique 
des  arbres  et  des  fontaines.  C'était  en  pleine  campagne  et 
sous  des  tentes  qu'il  baptisait  et  confirmait  la  foule  des 
néophytes ,  trop  considérable  pour  tenir  dans  les  églises. 
Un  jour,  à  Dockum,  près  de  Leeuwarden,  des  barbares 
t-e  cette  contrée ,  alors  demi-sauvage,  fondirent  tout  armés 
sur  la  tente  de  Boniface ,  et  le  massacrèrent  lui  et  ses  com- 
pagnons, ainsi  que  quarante  catéchumènes.  Tous,  sans  se 
défendre,  tendirent  la  gorge  aux  assassins.  Ces  hommes 
avides  espéraient  trouver  dans  la  tente  de  l'apôtre  de  l'or  et 
des  vêtements  magnifiques;  des  livres  de  piété  et  une  pièce 
de  toile  de  lin,  que  le  saint,  dans  le  pressentiment  de 
son  sort ,  destinait  à  être  son  linceul,  voilà  tout  le  butin 
qu'elle  cachait.  C'est  ainsi  que,  le  5  juin  755,  cet  apôtre  ter- 
mina, à  l'ûge  de  soixante-quinze  ans,  sa  sainte  carrière, 
lîoniface  avait  assisté  à  huit  conciles  ;  on  a  de  lui  trente- 
neuf  lettres,  des  canons  et  des  homélies;  il  composa 
aussi  un  livre.  De  l'unité  de  la  Foi,  qui  est  perdu.  Son 
corps  fut  transféré  successivement  à  Utrecbt,  à  Mayence, 
et  à  Fulda.  On  conserve  dans  cette  abbaye  une  copie  des 
Évangiles  écrite  de  sa  main  et  un  volume  empreint  de  son 
sang.  Nous  ne  finirons  pas  cette  notice  sans  citer  de  lui  ces 
belles  paroles  :  «  L'Église  avait  autrefois  des  prêtres  d'or, 
qui  sacrifiaient  dans  des  calices  de  bois;  de  notre  temps 
elle  a  des  prêtres  de  bois,  qui  sacrifient  dans  des  calices 
d'or.  »  Denne-Baron. 

BONIFACE.  On  compte  neuf  papes  de  ce  nom. 

BONIFACE  F""  (Saint)  naquit  à  Rome.  Son  prédécesseur, 
Zozime,  était  mort  le  26  décembre  418,  et  dès  le  lendemain 
Symmaque,  préfet  de  Rome  et  idolâtre,  avait  exhorté  le 
peuple ,  qui  jusque  alors  était  intervenu  dans  l'élection  de 
révêque  de  Rome,  à  laisser  le  clergé  choisir  seul  et  libre- 
ment le  nouveau  pape.  Mais  le  27,  avant  même  que  les  fu- 
nérailles de  Zozime  fussent  tcrndnées,  l'archidiacre  Eulalius 
ayant  r,issend)lé  dans  l'église  de  Saint-Jean  de  Lalran  tous 
le»  diacres  de  la  ville,  (pielqucs  prêtres  et  beaucoup  do 


bourgeois,  fit  fermer  les  portes  de  l'église,  et  se  fit  élire 
pape.  Il  reçut  le  dimanche  29  la  consécration  de  l'évéque 
d'Ostie,  à  qui ,  d'après  l'ancien  usage,  ce  droit  appartenait. 
Cependant ,  quelques  évêques ,  presque  tous  les  prêtres 
de  Rome,  et  une  foule  de  peuple,  reunis  dans  l'église  de 
Théodore,  déterminés  à  élire  Boniface,  ancien  prêtre  de  la 
ville ,  députèrent  à  l'assemblée  de  Saint-Jean  de  Latran  trois 
prêtres  pour  engager  cette  assemblée  à  ne  pas  procéder  à 
l'élection  d'Eulaiius  sans  s'être  concertés  avec  eux.  Ces  dé- 
putés furent  fort  mal  accueiUis.  Le  préfet  Symmaque  avait 
dès  le  28  notifié  aux  partisans  de  Boniface  de  ne  pas  con- 
sommer l'élection  projetée  ;  ils  ne  tinrent  aucun  compte  de 
cette  défense.  Symmaque  écrivit  à  l'empereur  Honorius,  qui 
confirma  d'abord  l'élection  d'Eulaiius,  puis  révoqua  son  édit, 
et  convoqua  un  concile  à  Ravenne  le  l*^''  mai;  il  chargea 
Achilles,  évoque  de  Spolette,  de  remplir  provisoirement  les 
fonctions  de  pape.  Des  émeutes ,  des  troubles ,  éclatèrent. 
L'empereur  annula  l'élection  d'Eulaiius,  et  confirma  enfin 
celle  de  Boniface.  Eulalius  se  soumit  à  ce  nouvel  édit ,  et 
fut  nommé  évêque  de  Nepi.  Le  concile  convoqué,  devenu 
inutile ,  ne  fut  pas  assemblé.  Cette  double  élection  avait  fait 
couler  beaucoup  de  sang.  Boniface,  par  son  opiniâtre  am- 
bition, doit  être  considéré  comme  le  principal  auteur  de 
tant  de  calamités.  Eulalius  aurait  conservé  le  saint-siége  s'il 
n'avait  enfreint  la  défense  que  l'empereur  avait  faite  aux 
deux  concurrents  de  rentrer  dans  Rome  avant  la  décision  du 
concile.  Honorius,  blessé  de  sa  désobéissance,  se  tourna  du 
côté  de  Boniface;  et  pourtant  Eulalius,  en  abdiquant,  se 
montra  meilleur  chrétien  et  fit  céder  l'ambition  à  l'huma- 
nité. Boniface  n'en  fut  pas  moins  canonisé.  Il  mourut 
le  20  octobre  422.  Saint  Augustin  lui  avait  dédié  ses  quatre 
livres  contre  les  erreurs  des  pélagiens;  et  saint  Jérôme  était 
mort  sous  son  pontificat. 

BONIFACE  II  (Saint),  fils  d'un  Goth  nommé  Sigisvult, 
fut  consacré  pape  par  une  partie  du  clergé  romain,  le  13  oc- 
tobre 530,  et  succéda  à  Félix  IV.  L'autre  partie  consacra 
le  même  jour  Dioscore.  Athalaric,  roi  des  Goths,  appuya 
l'élection  de  ce  dernier  ;  un  nouveau  schisme  menaça  la 
chrétienté.  Elle  en  fut  heureusement  préservée  par  la  mort 
de  Dioscore,  qui  décéda  trois  jours  après  son  élection.  Bo- 
niface le  poursuivit  jusque  dans  son  tombeau  ;  il  excom- 
munia un  cadavre.  Mais  Agapet,  successeur  de  Boniface,  ré- 
habilita par  une  absolution  la  mémoire  de  Dioscore.  Boni- 
face  II  mourut  le  17  octobre  532.  11  a  été  canonisé. 

BONIFACE  m,  prêtre  romain,  fils  de  Jean  Candiote, 
fut  consacré  le  19  février  G07.  Les  brigues  des  prétendants 
au  trône  pontifical  en  prolongèrent  la  vacance  pendant  |tlu.s 
d'un  an.  Boniface,  alors  archidiacre,   avait  été  nonce  du 
saint-siége  à  Constantinoplc.  Le  patriarche  Cyriaque  s'était 
constamnient  refusé  à  remettre  au  tyran  Phocas  la  veuve  do 
Maurice  et  ses  trois  filles,  réfugiées  dans  son  temple;  il  n'a- 
vait cédé  qu'après  avoir  reçu  de  Phocas  le  serment  de  no 
point  attenter  à  leur  vie.  Boniface,  loin  de  protéger  les 
quatre  victunes,  favorisait  de  tout  son  pouvoir  leur  oppres-      j 
seur,  et  aussitôt  après  la  mort  du  pape  Sabinianus ,  il  se      j 
prévalut  de  son  crédit  à  la  cour  de  Phocas  pour  se  faire  élire      j 
pape.  Il  y  réussit,  et  obtint  de  lui  que  les  patriarches  ne  pour-      j 
raient  plus  piendre  le  titre  d'évêque  œcuménique  ou  uni- 
versel, et  que  ce  titre  serait  exclusivement  conféré  aux 
papes.  Cédrénus,  écrivain  du  douzième  siècle,  affirme  que 
Boniface  était  ivrogne,  brutal,  inhumain  et  sanguinaire.       . 
Dans  un  concile  romain  composé  de  soixante-douze  évê-      i 
ques  et  d'un  grand  nombre  de   prêtres  et   de  diacres,  il      I 
fit   décider  que  celui   qui    réunirait  la   majorité  des  suf-      J 
frages  du  peuple  et  du  clergé  serait  reconnu  comme  pontife 
suprême,  si   l'empereur  confirmait  l'élection.   Grégoire  1q 
Grand,  moins  ambitieux  qu'éclairé,  avait  prédit  que  l'Église 
serait  mal  gouvernée  si  un  seul  homme  pouvait  se  consti- 
tuer chef  suprême  et  unique  de  tons  les  évêqucs.  Il  donnait 
par  anticipation  à  ceponlilc  uniq\ie  le  titre  d'Anlcchrisl,  elj 


BONIFACE 


419 


plusieurs  rois  ont  en  effet  qualifié  ainsi  Bonifacc  III  et  ses 
successeurs.  Ce  pape  mourut  le  10  novembre  de  l'année 
int"'me  de  sa  consécration. 

BONIFACE  IV  (Saint),  né  à  Valérie,  dans  l'Abruzzo,  fils 
d'un  médecin  appelé  Jean ,  fut  élu  pape  le  18  septembre  608. 
Le  trône  papal  était  resté  vacant  pendant  plus  de  neuf  mois, 
parce  que  les  diacres ,  administrateurs  des  revenus  de  l'É- 
{,'lisc,  exerçaient  une  influence  sur  l'élection,  et  que  l'argent 
était  à  leurs  yeux  la  meilleure  des  recommandations.  Bo- 
niface  convertit  le  Panthéon  en  église  sous  le  nom  de  Notre- 
Dame  de  la  Rotonde.  Il  vivait  fort  retiré,  et  avait  fait  de  son 
palais  un  monastère.  Il  mourut  le  7  mai  615,  et  fut  canonisé. 
BONIFACE  V,  Napolitain,  consacré  le  23  décembre  617, 
après  une  vacance  de  plus  d'une  année ,  mourut  le  22  oc- 
tobre 625.  Instruit  des  pieuses  instances  de  la  reine  de  Nor- 
lliiimberland  (Angleterre)  pour  déterminer  son  royal  époux 
à  se  faire  chrétien ,  il  avait  envoyé  à  cette  princesse,  au  nom 
et  de  la  part  de  saint  Pierre ,  une  chemise  brodée  en  or,  un 
manteau  pour  le  roi,  un  miroir  d'argent  et  un  peigne d'i- 
\  oire  garni  en  or  pour  elle.  Ce  pape  maintint  le  droit  d'asile, 
st  interdit  aux  juges  toute  voie  de  fait  contre  ceux  qui  se 
réfugiaient  dans  les  églises  et  autres  lieux  réservés. 

BONIFACE  VI,  prêtre  romain;  son  père  se  nommait 
Adrien.  Il  fut  élu  deux  Jours  après  la  mort  de  Formose, 
/e  10  décembre  896.  On  lui  a  contesté  le  titre  de  pape, 
parce  que,  déposé  déjà  du  sous-diaconat  et  de  la  prêtrise, 
son  élection  aurait  été  obtenue  par  des  moyens  honteux  ;  du 
reste,  il  mourut  quinze  jours  après.  On  attrii)ue  cette  fin 
subife  à  la  faction  qui  s'était  opposée  à  son  élection.  Le  con- 
cile de  P.avenne,  tenu  en  1049,  avait  décidé  que  son  nom 
serait  rayé  de  la  liste  des  papes  ;  mais  l'usage  contraire  a 
prévalu. 

BONIFACE  VII,  nommé  d'abord  Francon,  fils  deFer- 
rotius,  et  diacre  de  1  Église  romaine,  est  qualifié  d'antipape 
jiar  quelques  historiens.  Il  fut  consacré  par  sa  faction 
en  974.  Il  fit  mourir  son  comp<jti.teur,  Benoît  VI;  l'autre 
faction  élut  iuimédiatement  Benoît  VII.  Boniface  fut 
chassé  de  Borne;  il  emporta  le  trésor  de  l'Église,  et  se  retira 
à  Constanlinople.  Informé  de  la  mort  de  Benoît  VII,  il  re- 
vint en  985.  Il  trouva  le  trône  pontifical  occupé  par 
Jean  XIV,  élu  après  la  mort  de  Benoît  VII.  Il  se  débar- 
rassa de  ce  nouveau  concurrent,  qu'il  fit  arrêter,  dt'poser  et 
jeter  en  prison,  où  il  mourut  de  faim  et  de  misère,  et  se  main- 
tint sur  la  santa-sede  pendant  quatre  mois.  Son  orgueil  et 
sa  férocité  avaient  éloigné  de  lui  tous  ses  partisans  :  il  ne 
pouvait  avoir  d'amis ,  il  n'avait  que  <les  complices.  Il  tomba 
sous  les  coups  d'un  assassin.  Son  cadavre ,  sillonné  de  coups 
de  lance,  fut  laissé  nu  sur  la  place  publique  devant  le  cheval 
de  Constantin.  Il  y  resta  jusqu'à  ce  que  quelques  prêtres 
vinssent  l'enlever  pour  l'enterrer  dans  quelque  coin  retiré. 

BONIFACE  VIII  (Benoît  CAJÉTAN)  ,  né  à  Anngni.  Sa  fa- 
mille, d'origine  catalane,  s'était  établie  àGaète  ,  et  avait  pris 
depuis  le  nom  de  Cajétan.  Leuiroi  Cajétan,  son  père,  avait 
apporté  les  plus  grands  soins  à  son  éducation,  et  l'avait  placé 
sous  les  professeurs  les  plus  distingués  dans  la  science  du 
droit  civil  et  canonique.  Benoit  reçut  très-jeune  encore  le 
bonnet  de  docteur,  débuta  d'une  manière  brillante  au  barreau 
romain,  et  obtint  les  charges,  beaucoup  plus  honorables  que 
lucratives,  d'avocat  consistorial  et  de  protonotaire  du  saint- 
siége;  il  s'en  démit  dès  qu'il  eut  obtenu  un  canonicat  au 
chapitre  métropolitain  de  Paris,  puis  à  celui  de  Lyon.  Bap- 
pelé  à  Borne,  il  s'y  rendit  utile  au  pape  français  Martin  IV, 
qui  le  nomma  cardinal  le  23  mars  1 281.  Nicolas  IV  l'envoya 
légat  en  France.  De  retour  a  Rome,  il  prit  un  tel  ascendant 
sur  le  faible  et  pieux  Céiestin  V,  qu'il  le  détermina  à  abdi- 
quer, et  se  fit  élire  lui-même  le  24  déremhre  1294,  sous  le 
nom  de  Boniface  VIII.  Il  ne  permit  pas  à  son  prédécesseur 
de  se  retirer  dans  son  ancien  couvent,  et  le  retint  prison- 
nier dans  un  château,  où  il  mourut.  Boniface  fut  soupçonné 
d'avoir  hâlé  le  terme  de  ses  jouis  par  le  poison. 


Bonifiice,  dont  la  vanité  et  l'ambition  ne  peuvent  ètr« 
comparées  qu'à  celles  de  Grégoire  Vil ,  aspirait  à  la  souve- 
raineté universelle.  Il  exigea  d'abord  l'hommage  lige  du  roi 
de  Naples  et  des  autres  princes  qui  relevaient  du  saint-siége; 
et,  après  la  mort  de  Charles  II ,  roi  de  Naples ,  il  disposa  de 
ce  rojaume  et  de  ceux  d'Aragon  et  de  Valence  en  souverain 
absolu  :  non  content  de  placer  ces  trois  couronnes  sur  la  tête 
du  roi  Jacques,  il  lui  promit  celles  de  Sardaigne  et  de  Corse. 
Enhardi  par  ce  premier  essai,  il  se  flatta  de  soumettre  à  la 
tiare  les  rois  de  France  et  d'Angleterre.  Mais,  avant  de  parler 
en  maitre,  il  se  présenta  comme  médiateur  aux  deux  rois, 
qui  se  faisaient  une  guerre  opiniàlre.  Sa  médiation  fut  d'a- 
bord refusée,  attendu  qu'il  n'y  avait  rien  de  spirituel  dans  la 
cause  de  leur  différend.  Boniface  leur  fit  répondre  par  ses 
légats  que  ce  n'était  point  comme  pape ,  mais  comme  ami 
qu'il  offrait  son  arbitrage,  et  qu'il  importait  démettre  fin  à 
des  dissensions  dont  les  Sarrasins  seuls  profitaient.  Les  deux 
rois  consentirent  à  accepter  ses  offres.  Si  elles  eussent  été 
sincères ,  Boniface  aurait  exigé  pour  première  condition  la 
suspension  des  hostilités;  il  n'en  fit  rien.  La  guerre  continua 
avec  le  même  acharnement.  Edouard ,  roi  d'Angleterre,  qui 
avait  suscité  contre  la  France  Adolphe,  roi  des  Romains, 
intriguait  encore  pour  détacher  des  intérêts  de  Philippe  le 
Bel  Guy,  comte  de  Flandre,  et  il  y  réussit.  Philippe,  irrité 
de  ce  que  ce  comte,  son  vassal,  avait,  sans  sa  permission, 
disposé  de  la  main  de  sa  fille  en  faveur  du  fils  d'Edouard , 
manda  à  sa  cour  le  comte  et  la  comtesse,  les  retint  prison- 
niers et  ne  leur  rendit  la  liberté  qu'après  qu'ils  eurent  remis 
leur  fille  entre  ses  mains.  Cette  jeune  princesse  était  sa  fil- 
leule. Le  comte  Guy,  après  l'avoir  inutilement  supplié  de 
la  lui  rendre,  envoya  au  pape  un  homme  sûr  pour  lui  dé- 
noncer la  conduite  de  Philippe  le  Bel,  puis  il  entra  duHS  la 
ligne  formée  contre  la  France  par  les  rois  d'.\ngleterre  et 
des  Romains,  les  ducs  d'Autriche  et  de  Brabant  et  d'autres 
princes.  Philippe,  obligé  de  lever  de  nouvelles  troupes  et  de 
nouveaux  subsides  pour  résister  à  cette  formidablecoalition, 
se  trouvait  dans  une  crise  désespérée  ;  les  peuples  étaient 
épuisés  par  les  guerres  précédentes.  Edouard  se  trouvait  dans 
le  même  embarras.  Le  clergé  des  deux  royaumes  fut  im- 
posé, et  Philippe,  pour  dernière  ressource,  altéra  le  titre 
légal  des  monnaies. 

Boniface  avait  entendu  l'appel  du  comte  de  Flandre  et  de 
tout  le  haut  clergé  de  France  et  d'Angleterre.  C'était  plus 
qu'il  n'avait  espéré,  en  alimentant  les  divisions  entre  les 
deux  royaumes.  Il  préluda  par  envojer  à  Philippe  un  prélat 
chargé  de  le  sommer  de  mettre  en  liberté  la  fille  du  comte 
Guy;  en  cas  de  refus,  Philippe  devait  être  cité  devant  le 
saint-siége.  Le  légat  du  pape,  fidèle  à  ses  instructions,  ne 
mit  aucun  ménagement  dans  l'exécution  de  ses  ordres  ;  il  dé- 
clara an  roi  que  s'il  hésitait  à  déférer  à  ses  sommations ,  le 
pape  était  déterminé  à  l'y  contraindre  par  l'excommunica- 
tion. Philippe,  étonné  de  cette  audacieuse  menace,  répondit 
«  qu'il  n'avait  à  rendre  compte  de  sa  conduite  qu'à  Dieu,  en 
ce  qui  regardait  les  affaires  temporelles  de  son  royaume, 
qu'il  trouvait  étrange  que  le  pape  lui  fit  parler  d'un  ton  aussi 
haut  pour  des  choses  qui  ne  le  regardaient  pas  ;  que  c'était 
à  contre-temps  se  déclarer  pour  ses  ennemis  et  entreprendie 
au  delà  de  sa  juridiction  ;  qu'au  reste  il  avait  sa  cour  pour 
faire  justice  à  ses  sujets  et  à  ses  vassaux  ;  que  partant  il 
remerciait  Boniface,  dont  les  inquiétudes  et  les  soins  étaient 
inutiles  en  cette  rencontre.  » 

Bonniface  n'avait  offert  sa  médiation  aux  rois  de  Franco 
et  d'Angleterre  que  pour  rendre  leur  querelle  interminable  : 
l'état  de  guerre  favorisait  ses  projets  ambilieux.  Arbitre  des 
deux  rois,  il  voulut  être  leur  maître;  il  fulmina  sa  bulle 
Clericis  laicos,  et  défendit  à  tout  clerc,  prélat  et  religieux, 
de  payer  aux  puissances  laïques,  pour  quelque  raison  que  ce 
fut,  aucune  espèce  de  contribution  sans  la  permission  du 
saint-siége,  sous  peine  d'encourir  les  censures  de  l'Église, 
quels  que  fussent  leur  rang  et  leur  dignité.  Les  ffiêmes  peiaes 

à3. 


420 


BONIFACE 


<^taiciit  infligées  aux  rois  et  aux  princes  qui  les  exigeraient, 
aux  ministres  et  à  tous  ceux  qui,  directement  ou  indirecte- 
it)ent,  auraient  participé  à  ce  qu'il  appelait  des  exactions.  Il 
frappait  d'interdiction  les  universités  qui  y  auraient  con- 
senti ou  qui  y  consentiraient,  les  prélats  et  les  ecclésiastiques 
<|ui  ne  s'y  opposeraient  pas  ouvertement.  Il  qualifiait  d'at- 
tentat le  pouvoir  que  s'arrogeaient  les  princes  séculiers  de 
lever  des  impôts  sur  les  biens  de  l'Église,  lors  môme  que 
les  besoins  de  leuis  États  leur  en  imposaient  la  nécessité. 
Cette  bulle  était  spécialement  dirigée  contre  Edouard,  roi 
d'Angleterre,  qui  faisait  lever  des  impots  sur  le  clergé 
par  ses  soldats,  et  contre  le  roi  de  France,  Philippe  le 
Bel,  qui  avait  aussi  imposé  le  clergé  de  son  royaume.  Oo- 
riiface  voulait  rendre  (eudataires  du  saint-siége  tous  les 
princes  chrétiens,  comme  l'étaient  déjà  le  roi  d'Angleterre 
rt  les  princes  de  l'Italie.  Philippe  le  Bel  répondit  à  cette 
I)ulle  insolente  par  deux  édits  :  il  défendit  aux  étrangers 
tout  commerce  en  France  et  toute  exportation  d'argent,  de 
pierreries,  chevaux,  armes,  munitions,  sans  sa  permission. 

Le  saint-siége  se  trouvait  ainsi  privé  des  annales; 
Boniiiice  ne  se  dissimula  point  la  portée  des  édits.  Il  en- 
voya au  roi  Guillaume  de  Viviers  pour  lui  déclarer  «  que  ses 
prohibitions  n'étaient  pas  appliquâmes  aux  gens  d'église , 
<iue  les  rois  n'avaient  aucun  droit,  aucun  pouvoir  sur  les 
ecclésiastiques  ;  que  le  droit  que  s'arrogeait  Philippe  n'était 
qu'une  folle  prétention,  une  iunovation  injuste  et  iutolérable, 
et  qu'il  était  obligé  de  s'y  opposer.  »  Il  renouvela  la  bulle 
qui  avait  donné  lieu  aux  édits  de  prohibition,  et,  se  parant 
d'un  beau  zèle  pour  le  bien  public,  il  déclara  au  roi  de 
France  qu'il  ne  s'était  attiré  l'aversion  de  ses  peuples  que 
par  les  charges  intolérables  dont  il  les  avait  accablés.  Bo- 
nilace  terminait  ainsi  cette  allocution  paternelle  :  «  Le 
jugement  des  dilférends  élevés  entre  vous  et  les  deux  rois 
(  des  Romains  et  d'Angleterre  )  m'a[)partient,  en  tant  qu'il 
est  question  de  péché.  Il  est  honteux  de  votre  part  de  me 
récuser,  tandis  qu'Adolphe  et  Edouard  se  soumettent.  Avant 
d'en  venir  aux  dernières  extrémités,  je  veux  bien  encore  es- 
sayer la  voie  de  la  remontrance  et  de  la  douceur;  et  dans 
cette  vue  je  vous  envoie  Tévêque  de  Viviers,  u  Philippe, 
eifrayé,  céda  à  la  peur  de  l'excommunication,  et  sa  réponse 
ne  fut  qu'une  hunible  justification,  que  le  clergé  de  France 
appuya  d'une  requête  non  moins  humble.  Le  roi  suspendit 
même  aussitôt  l'exécution  de  ses  édits  de  prohibition.  Qui 
n'eût  cru  que  Boniface  était  satisfait?  Mais  ses  injustes  per- 
sécutions contre  la  famille  Colonna  avaient  indisposé  contre 
lui  toute  l'Italie.  Il  ne  fit  donc  qu'ajourner  ses  projets  d'am- 
bition et  de  vengeance  contre  le  roi  de  France,  et  modifia 
les  dispositions  menaçantes  de  sa  bulle  Clericis  laïcos  ; 
mais  lorsqu'il  rendit  sa  sentence  arbitrale  entre  les  rois  des 
Romains  et  d'Angleterre  et  le  roi  Philippe,  ce  fut  au  pré- 
judice de  ce  dernier.  Bien  que  cet  arbitrage  ne  lui  eut  été 
déféré  que  comme  simple  particulier  et  non  comme  pape, 
Boniface  avait  jui;é  en  suzerain  absolu  des  rois.  Le  protocole 
pontifical  ne  terminait  rien;  aussi,  de  guerre  lasse,  et  pour 
sauver  au  moins  l'honneur  de  leurs  couronnes,  les  rois  se 
réconcilièrent-ils  tout  seuls,  sans  l'intervention  du  pape. 

Toutes  les  circonstances  de  ce  déplorable  conflit  occupent 
une  grande  place  dans  l'histoire  du  quatorzième  siècle.  L'af- 
faire de  l'évêciue  de  Pamiers  ne  fut  qu'un  scandale  de  plus  : 
cet  évèque,  dont  le  siège  était  une  création  récente  de  Bo- 
niface, s'étant  rendu  coupable  de  propos  injurieux  contre  la 
personne  du  roi,  celui-ci  le  lit  arrêter  ci  le  commit,  jusqu'au 
jugement  du  procès ,  à  la  garde  de  l'archevêque  de  Nar- 
bonne.  Doniface  réclama  le  prisonnier  comme  n'étant  justi- 
ciable que  de  l'autorité  ecclésiastique;  et  Philippe  le  Bel  crut 
prudent  de  céder  à  cette  injonction.  11  avait  convoqué  ras- 
semblée des  états  pour  prononcer  sur  les  prétentions  de  Bo- 
niface :  les  états  sanctionnèrent  l'edit  ([ui  prohibait  la  sortie 
de  l'or  et  de  l'argent  du  royaume,  et  maintinrent  le  roi  dans 
Je  droit  de  régale,  qui  attribuait  au  trésor  les  revenus  des 


bi'nt'fices  vacants.  La  fameuse  bulle  Clerïcis  laicos  fut  brrt- 
lée  publiquement,  et  la  nouvelle  de  cette  exécution  procla- 
mée dans  tout  Paris  à  son  de  trompe.  Douze  jours  après, 
le  roi,  dans  une  assemblée  générale  de  tous  les  officiers  de 
sa  maison,  des  princes  de  sa  famille,  des  grands  et  des  pairs 
du  royaume,  déclara  «  qu'il  désavouait  pour  héritier  de  la 
couronne  son  fils  et  tous  ses  autres  enfants  qui  pourraient 
lui  succéder,  s'ils  reconnaissaient  au-dessus  d'eux  une 
autre  puissance  que  celle  de  Dieu,  de  qui  seul  ils  dépen- 
daient pour  le  temporel,  ou  s'ils  avouaient  tenir  le  royaume 
de  France  d'aucun  homme  vivant.  »  Le  roi  Philippe,  assuré 
de  l'appui  de  la  noblesse  et  de  la  majorité  du  clergé  et  du 
tiers  état,  aurait  Au  s'arrêter  à  cette  protestation  solennelle, 
mais  il  n'avait  pas  le  sentiment  de  sa  force  et  de  s-a  dignité. 
Se  laissant  entraîner  par  un  mouvement  de  vengeance  va- 
niteuse, il  parodia  dans  une  déclaration  ce  qu'on  appelait  la 
petite  bulle  de  Boniface,  qu'il  avait  fort  sagement  laissée 
sans  réponse.  Elle  était  ainsi  conçue  : 

«  Boniface,  etc.,  à  Philippe,  roi  des  Français.  —  Crains 
Dieu  et  garde  ses  commandements!  —  Apprenez  que  vous 
nous  êtes  soumis  pour  le  spirituel  et  pour  le  temporel;  la 
collation  des  bénéfices  et  des  prébendes  ne  vous  appartient 
en  aucune  manière.  Si  vous  avez  la  garde  de  quelques-uns 
de  ces  bénélices  pendant  la  vacance,  par  la  mort  des  béné- 
ficiers,  vous  êtes  obligé  d'en  réserver  les  fruits  à  leurs  suc- 
cesseurs. Si  vous  avez  conféré  quelques  bénéfices,  nous  dé- 
clarons nulle  cette  collation  pour  le  droit,  et  nous  révoquons 
tout  ce  qui  s'est  passé  dans  ce  cas  pour  le  (ait.  Ceux  qui 
croiront  autrement  seront  réputés  hérétiques.  Au  palais  de 
Latian,  le  5*  jour  de  décembre,  l'an  7  de  notre  pontificat.  » 
Cette  petite  bulle  portait  pour  unique  souscription  ces  mots 
déjà  mis  en  tête  :  «  Crains  Dieu ,  et  garde  ses  commande- 
ments. » 

Voici  la  déclaration  du  roi  :  «  Philippe,  par  la  grâce  de 
Dieu,  roi  des  Français,  à  Boniface,  se  prétendant  souverain 
pontife,  peu  ou  point  de  salut  !  —  Sache  votre  très-grande 
fatuité  que  noas  ne  sommes  sujets  de  personne  pour  le  tem- 
porel ;  que  la  collation  des  bénéfices  et  des  prébendes  nous 
appartient;  que  c'est  un  droit  de  notre  couronne,  et  que 
les  fruits  de  leurs  revenus  sont  à  nous  ;  que  les  provisions 
que  nous  avons  données  et  que  nous  donnerons  sont  valides 
et  pour  le  passé  et  pour  l'avenir,  et  que  nous  sommes  résolu 
de  maintenir  dans  leur  possession  ceux  que  nous  y  avons 
mis;  que  nous  tenons  enfin  pour  faquin  et  insensé  quiconque 
pensera  autrement.  Paris,  etc.  » 

La  publication  de  cette  parodie  royale  rendait  toute  ré- 
concihation  impossible.  De  nouvelles  bulles  furent  fulminées 
contre  le  roi  Philippe  et  contre  tous  ceux  qui  avaient  adhéré 
à  ses  protestations.  Les  lettres,  les  députations  des  trois  or- 
dres de  France  au  pape,  aux  cardinaux ,  compliquèrent  le 
conflit  et  portèrent  l'irritation  au  dernier  degré  d'exaltation. 
Les  états  accueillirent  la  proposition  du  chancelier  d'accuser 
le  pape  et  de  le  traduire  devant  un  concile  général.  De  son 
côte,  Boniface  et  son  conseil,  après  avoir  excommunié  Phi- 
lippe et  ses  adhérents,  opposèrent  procédure  à  procédure. 
Ces  récriminations,  leurs  causes,  leurs  effets,  appartiennent 
à  l'histoire  de  Philippe  le  Bel. 

Dans  cette  crise  déplorable ,  si  funeste  au  repos  de  l'Eu- 
rope, si  contraire  aux  sages  principes  du  christianisme,  le 
fougueux  et  vindicatif  Boniface  dut  se  repentir  plus  d'une 
fois  d'avoir, au  commencement  de  son  pontificat,  canonisé 
Louis  IX,  aïeul  du  roi  Philippe.  Ce  pape  avait  d'ailleurs 
élevé  les  mêmes  i)rétentions  contre  l'autorité  de  tous  les 
rois  chrétiens;  la  France  seule  lui  opposa  une  longue  et 
unanime  résistance. 

La  soumission  de  toutes  les  couronnes  à  la  tiare  était  le 
but  uni(iue,  bâillement  proclamé,  de  Boniface,  et  cependant 
ses  actes  polilii|ues  semblent  quelquefois  se  contredire.  Mais 
ces  contradictions  ne  .sont  qu'a[)pai  entes  :  il  sacrifiait  aux 
exigences  du  moment.  Dans  sa  longue  et  orageuse  polc- 


BO?iIFACE 


421 


mîque  avec  Philippe  le  Bel,  s'il  paraît  parfois  battre  en 
retraite,  c'est  sans  abandonner  l'exécution  de  son  plan;  ce 
n'est  qu'un  changement  de  front,  pour  amener  son  ennemi 
sur  un  terrain  où  il  reprendra  tous  ses  avantages.  On  l'a  \u 
protéger  de  toute  son  influence  et  fortifier  par  de  nouvelles 
combinaisons  le  parti  de  princes  que  naguère  il  avait  ana- 
tliématisés,  et  justifier  celui  qu'il  avait  accusé  des  plus 
énormes  crimes,  pour  s'en  faire  un  puissant  et  utile  auxi- 
liaire contre  des  souverains  auxquels  il  n'avait  pu  résister 
avec  ses  propres  forces.  Bientôt  les  faits  vont  prouver  que, 
loin  de  s'écarter  de  son  but,  il  y  marche  plus  directement 
et  avec  plus  de  chances  de  succès. 

Lors  de  la  vacance  du  trône  impérial  d'Allemagne,  après 
ia  mort  de  Rodolphe ,  les  suffrages  des  électeurs  se  parta- 
gèrent entre  Adolphe,  comte  de  Nassau,  et  Albert  d'Autri- 
che, fils  de  l'empereur  défunt.  La  guerre  civile  et  tous  les 
fléaux  qu'elle  entraîne  à  sa  suite  furent  l'inévitable  consé- 
quence de  cette  dissidence.  Cependant  les  princes  élec- 
teurs, également  fatigués  d'une  lutte  désastreuse  pour  tous 
les  partis ,  étaient  convenus ,  afin  de  mettre  un  terme  aux 
communes  calamités,  de  procéder  à  une  élection  nouvelle  et 
de  réunir  leurs  suffrages  sur  un  des  deux  prétendants.  Bo- 
niface  s'y  opposa ,  et  leur  défendit  de  procéder  à  aucune 
élection.  A  lui  seul ,  disait-il ,  appartenait  le  droit  de  donner 
l'Empire  à  qui  bon  lui  semblerait,  et  même  d'en  exclure 
Adolphe  et  Albert.  Il  somma  ces  deux  princes  de  compa- 
raître devant  le  saint-siége  et  d'y  exposer  leurs  droits  res- 
pectifs. Adolphe  de  Nassau  mourut  peu  de  temps  après 
cette  sommation.  Boniface  accusa  Albert  d'Autriche  de  l'a- 
voir fait  assassiner.  Les  princes  électeurs  consentaient  tous 
à  le  reconnaître  comme  roi  des  Romains;  nouvelle  opposi- 
tion de  Boniface ,  qui  l'excommunia  d'abord ,  mais  pour 
s'en  rapprocher  bientôt.  Convaincu  de  la  nécessité  d'ap- 
puyer ses  bulles  contre  le  roi  de  France  sur  des  forces 
réelles  et  imposantes ,  il  leva  l'excommunication  lancée 
contre  Albert  d'Autriche,  confirma  son  élection,  et  prit  même 
avec  ce  prince  l'engagement  de  l'élever  au  trône  impérial 
d'Occident.  Albert  accepta  toutes  les  conditions  qui  lui  furent 
imposées  ;  il  reconnut  solennellement  que  la  «  translation  de 
l'empire  grec  aux  Allemands  et  le  droit  d'élire  le  roi  des 
Romains,  pour  être  ensuite  empereur  d'Occident,  était  une 
concession  du  saint-siége  ».  Il  déclara  que  «  tous  les  rois  et 
les  empereurs  qui  avaient  été ,  qui  étaient  ou  qui  seraient 
jamais,  recevaient  du  pape  la  puissance  du  glaive  temporel; 
que  les  rois  des  Romains  et  les  empereurs  d'Allemagne 
étaient  spécialement  choisis  et  admis  par  le  saint-siége 
pour  être  les  avoués  et  les  patrices  de  l'cgUse  romaine  et  les 
défenseurs  de  la  foi  catholique  ». 

Albert  mentait  à  sa  conscience,  à  ses  souvenirs,  à  la 
notoriété  historique  la  plus  incontestable  ;  mais  une  couronne 
accordée,  une  autre  promise,  étaient  le  prix  de  ce  parjure.  Il 
rendit  donc  hommage  de  sa  couronne  à  Boniface,  confirma 
toutes  les  donations  faites,  tous  les  privilèges  accordés  au 
saint-siége  par  ses  prédécesseurs,  prêta  serment  de  fidélité 
à  saint  Pierre  et  à  ses  successeurs,  et  prit  l'engagement  d'as- 
sister Boniface  de  toutes  ses  forces  pour  mamtenir  ses  pré- 
tentions, de  défendre  les  immunités  ecclésiastiques,  de  ven- 
ger le  pape  de  tous  ses  ennemis,  et  de  rompre  enfin  ses  en- 
gagements avec  la  France  pour  se  jomdre  à  la  coalition  for- 
mée par  Boniface  contre  Philippe  le  Bel.  Pendant  ce  temps- 
là  Boniface,  secondé  par  les  partisans  qu'il  avait  dans  le  haut 
clergé  de  France,  envoyait  dans  toutes  les  parties  du 
royaume  des  bulles  et  des  émissaires  chargés  d'exciter  des 
soulèvements  contre  le  roi. 

Il  ne  restait  à  Philippe  le  Bel  qu'un  seul  moyen  d'assurer 
sa  couronne  et  d'étouffer  les  germes  d'une  guerre  civile  im- 
minente :  il  convoqua  une  assemblée  des  états  généraux  ; 
elle  se  réunit  le  13  juin  dans  le  château  du  Louvre.  Guil- 
laume Duplessis,  seigneur  de  Vèzenobre,  assisté  des  comtes 
de  Saint-Pol  et  Jean  de  Dreux ,  se  portèrent  parties  contre 


le  pape,  et  présentèrent  contre  lui  une  accusation  en  forme. 
Leur  proposition  fut  accueillie  sans  difliciilté  par  les  dé- 
putés de  la  noblesse  et  du  tiers  état;  ceux  du  clergé  de- 
mandèrent un  délai  pour  en  délibérer,  et  se  retirèrent  de 
l'assemblée.  Duplessis  et  les  comtes  de  Saint-Pol  et  Jean  de 
Dreux  revinrent  le  lendemain  à  l'assemblée,  assistés  de 
plusieurs  notaires  et  témoins,  et  articulèrent  vingt-neuf  chefs 
d'accusation  contre  Boniface;  ils  lui  reprochaient  notam- 
ment «  de  nier  l'immortalité  de  l'àme ,  et  par  conséquent 
tous  les  mystères  de  la  religion  qui  ont  trait  à  la  vérité  de  la 
vie  éternelle;  d'avoir  commis  tous  les  péchés  distendus  dans 
le  Décalogue  ;  d'avoir  corrompu  ce  qu'il  y,  avait  de  plus 
sacré  dans  le  commerce  que  l'homme  peut  avoir  avec  son 
Créateur  et  le  reste  des  créatures;  d'avoir  violé  les  lois  di- 
vines et  humaines,  soit  dans  sa  conduite  particulière,  soit 
dans  celle  qu'il  avait  tenue  avec  la  France  et  avec  ceux 
qu'il  traitait  comme  des  ennemis ,  etc.  »  Ils  terminaient  eu 
demandant  que  tous  ces  griefs  fussent  examinés  dans  un 
concile  général ,  et,  afin  de  prévenir  de  nouveaux  actes  de 
violence  et  d'arbitraire  de  la  part  de  Boniface,  ou  du  moins 
pour  en  atténuer  les  effets ,  ils  déclaraient  appeler  de  tout 
ce  que  le  pape  pourrait  faire  «  au  concile  général  que  l'on 
assemblerait,  au  saint-siége  et  au  pape  futur.  » 

Le  roi  fit  une  déclaration  conforme.  La  plainte  de  Du- 
ples.çis  et  de  ses  collègues  et  la  déclaration  du  roi ,  furent  re- 
çues et  rédigées  par  les  notaires.  Les  membres  du  clergé 
adhérèrent  à  la  convocation  du  concile  pour  faire  connaître 
Vinnocmce  de  Boni/ace.  Des  commissaires  furent  dépêchés 
dans  toute  la  France  à  tous  les  dignitaires  ecclésiastiques 
qui  n'avaient  pas  assisté  à  l'assemblée ,  et  obtinrent  beau- 
coup d'adhésions  ;  tous  ces  actes  enfin  furent  expédiés  à 
Guillaume  de  Nogaret ,  qui  était  alors  en  mission  diploma- 
tique h  Rome  pour  y  faire  valoir  la  première  requête  du  roi 
contre  Boniface,  et  qui  s'était  assuré  de  l'assentiment  d'une 
partie  de  la  noblesse  romaine  et  du  peuple,  voire  même  de 
celui  de  q\ielques  cardinaux. 

Le  moment  paraissait  bien  choisi  pour  châtier  ce  pape 
qui  s'était  aliéné  presque  tous  les  princes  de  l'Europe  par 
son  despotisme.  11  avait  excommunié  Frédéric,  frère  de 
Jacques  II ,  roi  d'Aragon ,  parce  qu'il  retenait  le  royaume  de 
Sicile  ;  il  l'avait  même  déclaré  incapable  de  posséder  aucune 
dignité ,  et  avait  frappé  la  Sicile  d'un  interdit.  Mais  les  ha- 
bitants n'en  étaient  pas  moins  restés  fidèles  à  Frédéric,  et 
avaient  refusé  de  se  soumettre  à  Charles ,  roi  de  Naples , 
que  Boniface  leur  imposait.  Celui-ci,  effrayé  enfin  des  me- 
naces de  la  France,  releva  Frédéric  de  son  excommunication, 
à  condition  qu'il  se  reconnaîtrait  tributaire  du  saint-siége 
et  l'aiderait  contre  ses  ennemis.  Il  leva  également  l'ex- 
communication fulminée  contre  Jacques  II,  aux  mêmes  con- 
ditions, le  créa  gonfalonnier  du  saint-siége,  et  lui  donna  les  îles 
de  Sardaigne  et  de  Corse.  ]Mais  il  excommunia  Éric  III ,  roi 
de  Danemark,  sous  prétexte  qu'il  avait  arrêté  l'archevêque  de 
Lund,  et  cette  nouvelle  excommunication  excita  des  troubles 
graves  dans  ce  royaume.  Soutenant  que  l'Ecosse  était  la  pro- 
priété immédiate  des  papes,  il  avait  excommunié  Edouard  l", 
roi  d'Angleteue,  qui,  en  sa  qualité  de  suzerain  d'Ecosse,  avait 
revendiqué  ce  royaume.  Vainement  ce  prince  appuyait  son 
droit  sur  des  faits  et  des  actes  irrécusables,  la  volonté  im- 
muable de  Boniface  n'admettait  pas  d'opposition.  Il  s£  jouait 
des  têtes  couronnées ,  et  une  double  excommunication  avait 
été  lancée  par  lui  contre  Wenceslas  IV,  roi  de  Bohême,  et 
contre  son  fils ,  Wenceslas  V ,  coupable  d'avoir  accepté  la 
couronne  de  Hongrie  que  lui  avaient  librement  délérée  les 
suffrages  du  pays.  De  son  autorité  privée ,  il  avait  disposé 
de  ce  royaume  en  faveur  de  Charles  Robert ,  petit-fils  de 
Charles  II ,  roi  de  Naples.  Une  guerre  civile  fut  la  con- 
séquence de  ce  conflit.  Ce  même  Wenceslas  ayant  élevé  des 
prétentions  au  trône  de  Pologne,  Boniface  le  somma,  ainsi 
que  les  autres  prétendants,  de  soumettre  l'examen  de  ses 
litres  au  saint  siège. 


4  2-i  BOMFACE 

11  avaft  déposé  les  cardinaux  Jacques  Colnnna  et  rione, 
son  neveu,  en  les  dt^pouillant  de  tous  leurs  biens  et  béné- 
lices  ,  et  en  étendant  la  proscription  et  les  confiscations  à 
tous  les  membres  de  cette  illustre  et  opulente  faîniile,  dont 
le  crime  était  d'appartenir  au  parti  des  {gibelins,  que  dttestait 
Boniface.  La  maison  Colonna  tenait  par  ses  alliances  et  ses 
relations  aux  familles  les  plus  influcnles  de  l'Italie.  C'est 
dans  cette  maison  que  Pliili(ipe  le  I5el,  par  le  conseil  de 
Guillaume  de  Nogaret,  avait  trouvé  un  redoutable  appui 
contre  le  pape.  Celui-ci  fulminait  toujours  de  nouvelles 
bulles,  et  cliercbait  à  former  une  puissante  coalition  contre 
la  France ,  en  appelant  à  son  secours  les  princes  et  les  rois 
qui  jusque  alors  s'étaient  montrés  les  dociles  instruments 
de  son  ambition;  cependant  Albert  d'Autricbe,  qui  s'était 
résigné  aux  plus  bumbles  concessions  pour  s'affermir  sur 
le  trône  qu'il  ambitionnait  et  qu'il  avait  obtenu,  éluda  le 
premier  les  nouvelles  propositions  de  Uoniface ,  et  se  borna 
à  garder  une  prudente  neutralité. 

Enfin,  Guillaume  de  Nogaret ,  convaincu  de  l'impos- 
sibilité d'une  réconciliation  par  les  voies  diplomatiques , 
ne  songea  qu'à  recourir  à  la  force  [)0ur  mettre  un  terme 
aux  menaces,  aux  violences  du  pape.  Il  envoya  ses  conseil- 
lers d'ambassade  dans  les  villes  de  la  Romagne  sonder  l'o- 
pinion publique  et  disposer  les  esprits  en  faveur  de  la 
France;  et  taudis  que  ces  émissaires  agissaient  confor- 
uiémcnt  à  ses  instructions,  il  se  retira  au  ciiàteau  de  la 
Slaggia  près  de  Sienne,  où  vint  le  rejoindre  Sciarra-Colonna, 
que  l'bilippe  le  Bel  avait  fait  racbeter  à  Marseille  des  cor- 
saires qui  l'avaient  emmené  en  esclavage.  Beaucoup  d'au- 
tres seigneurs  du  parti  des  gibelins  se  réunirent  à  lui.  Il  em- 
jirunta  des  sommes  considi'rables  au  Florentin  Petrucci  pour 
l'entretien  de  trois  cents  cbevaux  et  de  compagniesd'infan- 
terie  levées  par  Sciarra  Colonna  ,  ainsi  que  de  deux  cents 
cavaliers  tirés  des  troupes  que  Cbarles,  comte  de  Valois, 
frère  du  roi,  avait  laissées  en  Italie;  et,  pour  écarter  tout 
soupçon ,  il  affectait  de  n'être  occupé  que  d'un  traité  de  paix 
entre  le  pape  et  le  roi. 

Cependant  Boniface  avait  rendu  toutes  négociations  dé- 
.sorniais  impossibles  par  une  dernière  bulle  dans  laquelle 
il  déclarait  «  que  le  roi,  connue  excoinnumié,  était  décliu 
de  tout  droit  de  confrer  aucun  bcnéliccet  de  gouverner  ni 
par  lui  ni  par  d'autres;  qu'ainsi  ses  sujets,  n'étant  plus  obli- 
gés de  lui  garder  la  foi  selon  l'autorité  des  canons,  étaient 
absous  et  délivrés  du  serment  qu'ils  lui  avaient  prêté  ;  qu'en 
vertu  des  mêmes  canons,  et  par  l'autorité  souveraine  qu'il 
avait  reçue  de  Dieu  en  qualité  de  vicaire  de  Jésus-Cbrist, 
il  leur  défendait,  sous  peine  d'anatliènie,  d'obéir  à  l'bi- 
lippe  IV ,  dit  le  Bel  ;  et  à  toutes  autres  personnes  de  dedans 
et  de  dcbors,  de  recevoir  aucun  bénéfice  de  lui  sous  la  même 
l)eine  et  sous  celle  d'être  déclarées  pour  jamais  incapables 
d'en  tenir  aucuns  et  de  perdre  ceux  qu'elles  possédaient.  » 
Il  cassa  également  tous  les  traités  faits  avec  les  puissances 
étrangères,  ajoutant  <■  que  si  l'bilippe  le  Bel  ne  rentrait  pas 
dans  l'obéissance  qu'il  devait  au  saint  siège,  il  lui  ferait  in- 
cessamment sentir  toute  la  rigueur  des  peines  auxquelles  il 
pourrait  justement  le  soumettre  ».  Déjà  il  avait  ordonné 
que  l'acte  de  celle  monstrueuse  procédure  sciait  aflicbé  le 

5  septembre  suivant  à  la  porte  de  l'église  d'Anagni.  Il  s'était 
retiré  lui-même  dans  celle  ville,  sa  patrie;  ce  fut  de  sa  part 
une  grave  imprudence  :  il  eût  été  plus  en  silreté  à  Rome. 

Guillaume  de  JNogaret  et  Sciarra  Colonna  avaient  fait 
toutes  leurs  dispositions;  ils  s'étaient  assurés  de  la  garnison 
et  des  principaux  liabitanls,  auxquels  ils  avaient  fait  dis- 
tribuer beaucoup  d'argent,  et ,  la  veille  du  jour  fixé  par  la 
bulle  de  Boniface  pour  la  publication  du  premier  acte  de  la 
procédure  en  exconununication ,  ils  se  mirent  à  la  tête  des 
troupes,  (^t  entrèrent  à  Anagni  à  la  pointe  du  jour.  Ils  étaient 
(onveaus  d'aller  directement  au  palais  du  pape  pour  se 
rendre  maîtres  de  sa  personne  el  le  forcer  à  terminer  ces 
jungs  et  scandaleux  débats  par  un  traitt'',  ils  avaient  pensé 


que  le  seul  appareil  d'une  force  imposante  suffirait  pour 
vaincre  son  opiniâtreté,  mais,  à  peine  entré.s  dans  la  ville, 
les  soldats  se  mirent  à  crier  Vive  le  roi  de  France  !  meurt  ' 
le  pape  ! 

Bientôt  la  population  est  en  armes,  la  foule  court  au  pa- 
lais, et  se  réunit  aux  nombreux  domestiques  du  marqui.- 
Piefro  Cajétan,  neveu  du  pape.  La  troupe  de  Guillaume  de 
Nogaret  et  de  Sciarra  Colonna  est  arrêtée  dans  sa  rnarcbe 
par  une  barricade  improvisée  devant  l'bôtel  Cajélan,  qu'il 
faut  nécessairement  traverser  pour  parvenir  au  palais  du 
pape.  Cette  résistance  les  irrite;  ils  forcent  l'bôf cl  el  les  mai- 
sons voisines,  les  pillent  et  font  prisonniers  trois  cardinaux, 
amis  particuliers  de  Boniface.  Guillaume  de  Nogaret,  pré- 
voyant toutes  les  conséquences  de  ce  mouvement  tumul- 
tueux, se  bâte  de  se  rendre,  avec  une  faible  escorte,  sur  la 
place  publiiiue,  fait  sonner  le  tocsin,  assemble  les  princi- 
paux citoyens,  et  leur  déclare  qu'il  n'a  d'autre  dessein  (]ue 
de  rendre  la  paix  à  l'Église.  Un  groupe  nombreux  se  réunit  à 
lui,  et  prend  l'étendard  de  l'Église  romaine.  Le  baron  Arnulfi, 
ardent  gibelin,  et  par  conséquent  ennemi  de  Boniface,  se  joint 
à  Nogaret  avec  quelques  compagnies ,  et  vient  renforcer  la 
troupe  de  Sciarra  Colonna.  Toutes  les  avenues  de  la  ville 
sont  bientôt  occupées,  et  le  cbàteau  papal  est  envalii.  No- 
garet a  recommandé  de  respecter  la  ()ersonne  du  saint-père 
et  le  trésor  de  l'Église.  Cette  recommandation  ,  qui  .s'adresse 
surtout  aux  babitants  d'Anagni,  ne  peut  les  contenir 

Boniface,  qui  n'avait  pas  voulu  croire  au  premier  avis 
qui  lui  avait  été  donné ,  ne  tarda  pas  à  être  abandonné 
par  une  partie  des  officiers  de  sa  maison.  La  plupart  des 
cardinaux  se  sauvèrent  travestis;  et  de  tout  le  sacré  collège 
il  ne  resta  auprès  de  lui  que  Boccassini  et  Pierre  d'Espagne. 
Surpris  à  l'improviste ,  Boniface  n'avait  pu  donner  aucun 
ordre  pour  sa  sûreté;  et  ce  pontife,  naguère  si  audacieux,  si 
fier,  dut  descendre  jusqu'à  la  prière  pour  obtenir  de  Sciar- 
ra Colonna  une  trêve  de  quelques  beures.  11  tàclia  pen- 
dant ce  court  intervalle  d'intéresser  à  sa  défense  le  peuple 
d'Anagni  ;  il  lui  offrit  pour  prix  de  son  dévouen)ent  des 
récompenses  considérables.  Ses  émissaires  écbouèrent  com- 
plclement  dans  Icuis  efforts,  et  il  n'eut  plus  d'espoir  que  dans 
une  capitulation.  Il  pria  Sciarra  de  lui  donner  par  cciit  ses 
propositions.  Sciaria  lui  fit  répondre  qu'il  ne  lui  accorderait 
la  vie  qu'à  deux  conditions:  1°  qu'il  rétablirait  dans  leurs 
dignités  et  dans  leurs  droits  les  cardinaux  Jacques  et  Pierre, 
son  oncle  et  son  frère,  et  tous  ceux  de  sa  famille;  2"  qu'il 
abdiquerait  la  papauté. 

Boniface,  frappé  de  stupeur,  ne  put  articuler  que  ces 
mots:  «  Ab!  que  ces  conditions  sont  dures!  »  La  trêve 
expirée,  Sciarra  fait  avancer  sa  troupe.  Les  soldats  incen- 
dient la  catbédrale  ,  et  s'ouvrent  un  passage  dans  le  palais 
du  pape  ;  le  marquis  Cajétan ,  après  une  inutile  résistance , 
se  rend  à  Sciarra  et  au  capitaine  Arnulfi  avec  tous  ses 
gens,  auxquels  on  ne  laisse  que  la  vie.  Bientôt  les  assail- 
lants ont  brisé  les  portes  de  l'appartement  de  Bonifiice,  et 
le  pontife  fond)e  au  pouvoir  de  cette  soldatesque  brutale, 
qui  l'accable  d'injures  et  d'humiliations.  La  voix  de  leur  chef 
n'est  plus  entendue,  et,  malgré  les  efforts  et  les  menaces  de 
OuillaïuuedeiNogaret,  tout  est  mis  au  pillage  :  l'or,  l'argent, 
les  diamants ,  tous  les  meubles  et  objets  précieux  que  renfer- 
ment le  |)alais  papal  et  Phôtel  du  marquis  Cajétan,  deviennent 
la  proie  des  soldats  et  des  babitants  d'Anagni.  On  évalua  las 
objets  volés  ou  détruits  à  des  sommes  énormes.  Les  hôtels  des 
cardinaux  qui  avaient  été  faits  prisonniers  le  matin  subirent 
le  même  sort.  Boniface,  resté  seul  dans  cet  effrayant  dé- 
sordre;, crut  que  sa  dernière  heure  allait  sonner;  il  n'avait 
plus  que  le  courage  du  désespoir.  «  Puisque  je  suis  j^ris 
par  trahison  ,  s'écria-t-il ,  et  que  je  suis  indignement  livré 
a  mes  ennemis,  comme  le  Sauveur  du  monde,  il  faut  au 
moins  que  je  meure  en  pape.  »  11  se  fit  revêtir  du  manteau 
de  saint  Pierre,  mit  sur  sa  tête  la  couronne  de  Constantin , 
et ,  prenant  la  croix  et  les  clefs ,  il  alla  s'asseoir  sur  son 


BONIFACE 


42S 


trône.  Les  soldats  s'arrêtèrent  à  son  aspect;  mais  Guillaume 
deNogaret  etSciarra  s'approchèrent.  Nogaretkii  répéta  tout 
te  qui  s'était  fait  en  l'rance ,  les  décisions  des  états  géné- 
raux, les  ordres  du  roi  pour  mettre  un  terme  à  ses  usurpa- 
tions, et  le  somma  de  nouveau  de  convoquer  le  concile 
général.  Boniface  garda  le  silence.  Nogaret  le  fit  descendre 
du  trône,  et  le  menaça  de  le  faire  conduire  lié  et  garrotté ,  à 
Lyon ,  pour  y  être  jugé  par  le  concile  qui  serait  assemblé  par 
ordre  du  roi.  11  lui  donna  toutefois  une  sauve-garde ,  l'as- 
sura que  sa  personne  serait  respectée,  reconnaissant  n'avoir 
aucun  droit  sur  lui  avant  que  l'Église  eût  prononcé.  Sciarra, 
moins  modéré,  insistait  sur  une  abdication  absolue,  immé- 
diate. Ce  mot  d'abdication  rendit  à  Boniface  toute  sa  fureur. 
«  J'y  perdrai  plutôt  la  vie  »,  dit-il;  et,  s'avançant  vers  les 
chefs  du  part!  Colonna  :  «  Voici  mon  cou  ,ajoula-t-il,  voici 
ma  tête  ;  mais  j'aurai  la  satisfaction  de  mourir  pape.  »  Il 
s'exhala  ensuite  en  reproches  menaçants  contre  Nogaret  et 
le  roi  de  France,  qu'il  maudit  jusqu'à  la  quatrième  généra- 
tion. Nogaret,  qui  venait  de  lui  sauver  la  vie  et  d'empêcher 
l'entier  pillage  de  son  palais ,  indigné  de  ces  audacieuses 
imprécations,  répondit  avec  une  noble  (ierté  :  «  Chétif 
pape  que  tu  es ,  regarde  ,  et  considère  la  bonté  de  mon  sei- 
gneur le  roi  de  France,  qui,  bien  que  son  royaume  soit 
fort  éloigné  de  toi ,  te  garde  par  moi  et  te  défend  de  tes  en- 
nemis, ainsi  que  ses  prédécesseurs  ont  toujours  gardé  les 
tiens!...  «Boniface,  dans  ua  dernier  accès  de  frénésie,  s'é- 
cria :  «  Je  me  consolerai  aisément  de  me  voir  condamné 
par  des  patarins  (  albigeois)  pour  la  cause  de  l'Église  !  » 
C'était  la  plus  grave  insulte  qu'il  pût  adresser  à  Nogaret, 
dont  l'aïeul  avait  été  brûlé  par  ordre  des  inquisiteurs  lors 
de  la  guerre  des  Albigeois.  Alors  Sciarra-Colonna ,  non  con- 
tent de  rendre  au  pape  injure  pour  injure,  le  frappa  de  son 
gantelet;  il  l'aurait  tué,  si  Nogaret  ne  l'en  eût  empêché. 

Dans  une  entreprise  aussi  hardie,  le  succès  dépend  de  la 
rapidité.  Nogaret  avait  perdu  beaucoup  de  temps  et  com- 
mis une  faute  grave,  en  ne  faisant  pas  sur-le-champ  conduire 
Eoaiface  en  France.  11  se  borna  à  le  laisser  à  Anagiii,  sous  la 
garde  de  Renaud  de  Suppino,  gentil-homme  florentin,  en 
lui  recommandant  d'accorder  au  prisonnier  une  honnête  li- 
berté; il  s'oppo?a  même  à  ce  que  l'on  marchât  contre  le 
marquis  Cajétan ,  qui  s'était  retranché  dans  un  château-tort 
près  d'Anagni.  Boniface,  craignant  d'être  empoisonné,  re- 
fusa les  aliments  que  lui  envoyait  Suppino,  et  parvint  à  s'en 
procurer  d'autres.  Le  neveu  et  les  émissaires  de  Boniface 
profitèrent  de  l'imprudence  de  Nogaret,  et  bientôt  fout 
changea  de  face  :  les  habitants  d'Anagni  se  soulevèrent 
contre  les  étrangers.  Ils  ne  viient  plus  dans  leurs  com- 
plices que  des  ennemis,  dans  Boniface  qu'un  illustre  con- 
citoyen indignement  outragé  ;  ils  envahirent  le  palais  ,  et 
tuèrent  tout  ce  qui  leur  opposa  de  la  résistance.  Français 
ou  Italiens.  Nogaret  etSciarra  furent  contraints  de  s'enfuir; 
ils  eurent  tout  juste  le  temps  d'emporter  la  bannière  de 
France,  qui  avait  été  arborée  sur  le  palais  du  pape. 

Boniface,  à  peine  rendu  à  la  liberté,  manifesta  le  dc'sirde 
retourner  à  Rome.  Les  Romains  envoyèrent  à  sa  rencontre 
le  cardinal  IMatthieu  Orsini  et  quelques  compagnies  de  la 
ville  pour  lui  servir  d'escorte.  Mais  Boniface  se  survivait  à 
hii-mème ,  sa  raison  l'avait  abandonné  :  dans  ses  accès  de 
délire,  il  ne  parlait  que  d'anatlième ,  d'excommunication 
contre  le  roi  de  France,  Nogaret  et  tous  les  Français.  Ses 
transports  épuisèrent  ses  forces  :  il  lallut  le  lier  pour  l'ein- 
pécher  de  se  dévorer  les  bras  et  de  se  briser  la  tête  contre 
les  meubles.  Il  mourut  dans  un  de  ces  paroxismesde  rage, 
le  11  octobre  1303.  Ainsi  se  réalisa  la  prédiction  de  Céles- 
tin,  son  prédécesseur  :  «  Tu  es  monté  sur  le  trône  comme 
un  renard  ,tu  régneras  comme  un  lion,  tu  mourras  comme 
un  cliien.  »  Boniface  YIII  fut  enterré  dans  la  basilique  de 
Saint-Pierre.  A  la  .sollicitation  du  roi  de  France,  Clément  V 
avait  commencé  l'instruction  d'un  procès  contre  la  mémoire 
de  Boniface  VllL  De  nombreux  témoins  furent  entendus  ; 


Boniface  était  accusé  d'athéisme  et  de  simonie.  Clément  V 
comprit  ce  qu'une  pareille  procédure  aurait  de  dangereux 
pour  le  saint-siége  et  combien  elle  pouvait  compromettre  le 
dogme  de  rinfaillibilité  pontificale;  il  obtint  du  roi  de  Franco 
sa  renonciation  à  cctacte.  Mais  Boniface  VIII  n'a  pu  échap- 
per à  la  censure  de  ses  contemporains  et  de  la  postérité. 
Dante  l'a  placé  dans  son  enfer  parmi  les  simoniaques,  entre 
Nicolas  III  et  Clément  V. 

BONIFACE  IX  (Pierre  TOMACELLI),  Napolitain.  Sa 
famille  était  noble ,  mais  obscure  et  très-pauvre.  11  fut 
promu  au  cardinalat  en  1381 ,  et  élu  pape  le  2  novembre 
1389  par  une  faction  de  quatorze  cardinaux.  Le  schisme  qui 
depuis  si  longtemps  divisait  l'Église  existait  encore.  Les  car- 
dinaux qui  avaient  refusé  de  concourir  à  l'élection  de  Pierre 
ïomacelli  soutinrent  ses  concurrents,  Clé  ment  Vil  et 
Benoît  XIII,  qui  siégèrent  à  Avignon.  Pierre  Tomacelli 
prit  le  nom  de  Boniface  :  c'était  annoncer  la  conliimalion 
du  système  despotique  de  son  compatriote  Boniface  VIII, 
11  établit  les  annales  perpétuelles  ,  et  attribua  au  salnt- 
sicge  le  revenu  de  la  première  année  de  chaque  bénéfice 
dont  il  signait  la  provision.  Oubliant  qu'il  avait  été  pauvre, 
il  exigeait  les  annales  des  moindres  bénéfices  :  aussi  beau- 
coup de  prêtres  mouraient  sans  avoir  pu  s'acquitter  et 
avant  d'avoir  reçu  rattache  du  saint-siége.  Il  est  le  premier 
qui  ait  porté  la  tiare  à  trois  couronnes  ;  ses  prédécesseurs 
n'en  ava  ent  que  deux.  La  solennité  du  jubilé  du  quatorzième 
siècle  attira  dans  Rome  une  foule  d'étrangers ,  dont  le  plus 
grand  nombre  ne  reconnaissaient  pour  pape  que  celui  qui 
siégeait  à  Avignon.  Boniface  IX,  les  considérant  comme 
schismaliques ,  les  laissa  impunément  maltraiter  et  piller 
par  les  fidèles  de  Rome,  et  augmenta  ainsi  la  foule  de  ses 
ennemis.  Tout  entier  au  désir  d'enrichir  sa  famille,  il  affi- 
cha la  simonie,  et  milles  bénéfices  aux  enchères;  il  accor- 
dait, moyennant  rétribution,  des  indulgences  aux  chrétiens 
qui  voulaient  les  gagner  sans  faire  le  voyage  de  Rome. 

L'empereur  et  les  rois  de  France  et  d'Angleterre,  désirant 
mettre  un  terme  au  schisme,  lui  proposèrent  d'abdiquer  la 
tiare.  Clément  VII,  qui  siégeait  à  Avignon,  renonçant  de 
son  côté  à  ses  prétentions.  Boniface  IX  rejeta  celle  proposi- 
tion avec  la  plus  infiexible  opiniâtreté;  et  pourtant  la  paix 
de  l'Église  aurait  été  assurée  par  ce  compromis.  Les  princes 
renouvelèrent  ces  propositions  d'abdication  après  la  mort 
de  Clément  VU  ,  ils  ne  furent  pas  plus  heureux.  Le  règne 
de  Bonilace  IX  offre  de  funestes  rapprochements  avec  celui 
de  Boniface  VIII;  il  fut  moins  agité  peut-être  ,  mais  aussi 
scandaleux.  Comme  son  homonyme,  Boniface  IX  mourut 
dans  un  accès  de  frénésie ,  le  l*""  octobre  l4o4 ,  après  un  règne 
orageux  de  quinze  années.  Durev  (de  rvonne). 

DONIFACE.  La  Toscane  a  eu  trois  ducs  de  ce  nom  : 

BONIFACE  l",  Bavarois  d'origine ,  était  en  812  et  813' 
comte  de  Lucques  et  duc  de  Toscane ,  président  aux  plaids 
publics  de  Pisloia  et  Lucques.  11  mourut  vers  823. 

BONIFACE  II,  son  fils,  gouvernait  la  Toscane  en  823. 
Après  avoir  défendu,  pour  Louis  le  Débonnaire,  la  Corse 
contre  les  Sarrasins,  il  fit,  en  828,  une  descente  entre  Clique 
et  Cartilage,  contribua,  en  824,  à  faire  remettre  en  liberté 
l'impéralrice  Judith,  que  Lolhaire  retenait  prisonnière  à 
Tortone ,  et,  s'étant  attiré  pour  ce  fait  la  colère  de  cet  empe- 
reui',  fut  obligé  de  chercher  un  refuge  en  France  auprès  de 
Louis  le  Débonnaire.  Rien  ne  prouve  qu'il  ait  été  rétabli 
dans  son  gouvernement. 

BONIFACE  m,  duc  de  Toscane,  mort  en  1052,  éfrait  filsi 
duduc  Théobald.  Dès  l'an  1004  il  était  marquis  de  Mantoue, 
et  sa  domination  s'étendait  sur  Reggio ,  sur  Canossa  et  sui 
Ferrare.  Dans  la  lutte  qui  s'engagea  au  sujet  du  royaume 
d'Italie  ,  entre  Ardoin  et  Henri  11 ,  il  prit  parti  pour  ce  der- 
nier. Il  ne  réunit  la  Toscane  aux  États  qii  il  avait  possédés 
jusque  alors,  qu'après  la  mort  du  marquis  Renier.  Des  as- 
sassins, demeurés  inconnus,  le  tuèrent  à  l'aide  de  flèches 
erap'jisonuées,  dans  une  forêt  s-ituée  entre  Crémone  et  Man- 


4  24  BONIFACE 

toue.   Ses  deux  enfants  aines,  Frédéric  et   Béatrix,  étant 
venus  à  mourir  trois  ans  après  lui ,  son  vasle  liéritage  passa 
à  sa  dernière  enfant,  qui  fut  la  c<^lèljre  comtesse  M  a  t  U  i  1  d  e. 
Consultez  Si-srnondi,  Histoire  des  RépicbiK/ues  italiennes. 
BOMFACE  (Détroit  de),  le  Fretum  Gallicum  des 
Romains,  détroit  qui  sépare  la  Corse  de  la  Sardaigne.  Dans 
sa  partie  la  plus  resserrée,  entre  Cala-Fiumara ,  pointe  mé- 
ridionale de  la  Corse,  et  le  cap  Longosardo  sur  la  côte  sep- 
tentrionale de  la  Sardaigne ,  ce  détroit  n'a  que  1 1  kilomètres 
de  largeur.  Ses  nombreux  écueils  le  rendent  dangereux; 
mais,  d'un  autre  côté,  ils  favorisent  la  pèche  du  corail,  à 
laquelle  les  habitants  des  côtes  se  livrent  activement ,  ainsi 
que  celle  du  thon.  A  l'entrée  orientale  sont  situées  les  îles 
Bucinari  ou  Madelaine,  que  les  anciens  appelaient  Insulx 
caniciUarix  et  que  les  Italiens  nomment  aujourd'hui  Isole 
intennedie.  Elles  sont  principalement   habitées  par  des 
Corses.  Les  plus   grandes  appartiennent  à    la  Sardaigne, 
comme  celles  de  Cabrera,  Santa-Madalena,  Santn-Maria; 
les  autres ,  comme  Cavallo  et  Lavezzi ,  fout  partie  du  dépar- 
tement de  la  Corse.  Le  détroit  a  reçu  son  nom  de  la  ville  de 
Boni/ace,  b;\tie  au  sommet  d'un  rocher  presque  peipendicu- 
laire,  sur  une  langue  de  terre,  par  le  marquis  Boniface  de 
Toscane,  le  vainqueur  des  Sarrasins.  Elle  possède  un  bon 
port,  profond  et  spacieux,  et  compte  environ  3,300  habi- 
tants vivant  du  commerce  et  de  la  pêche  du  corail.  Elle  a 
joué  un  rôle  important  dans  les  guerres  des  Corses,  des  Pi- 
.sans,  des  Génois  et  des  Aragonais.  Eu  1553,  année  où  elle 
tomba  après  un  long  siège  au  pouvoir  des  Français  et  des 
Turcs  alliés,  elle  passait  encore  pour  la  ville  la  plus  impor- 
tante et  la  place  la  plus  forte  de  la  Corse.  Les  églises  de" 
Santa-Maria-Maggiora  et  de  San-Francésco ,  bâties  dans  le 
quatorzième  siècle,  celle  de  San-Dominico,  de  style  gothique, 
achevée  en  1343,   et  l'hôpital,  fondé  vers  1300,  sont  de 
beaux  restes  de  son  ancienne  splendeur.  On  trouve  plu- 
sieurs groltes  dans  les  rochers  des  environs. 

BOMFAZIO,  peintre  de  l'école  vénitienne,  naquit  à 
Venise,  vers  1500.  On  ne  sait  jias  exactement  quel  fut  son 
maître  ;  mais  on  trouve  dans  ses  œuvres  quelque  chose  de 
la  délicatesse  de  Palme  le  Vieux  et  du  coloris  du  Titien. 
Notre  musée  possède  trois  tableaux  de  Bonifazio  :  le  plus 
remarquable  est  la  Résurrection  de  Lazare;  la  figure 
principale  est  d'un  bel  effet ,  mais  on  regrette  que  l'artiste  se 
soit  laissé  aller  dans  cette  toile  à  quelques  détails  trop  vul- 
gaires. On  cite  aussi  comme  un  des  plus  beaux  tableaux  de 
ce  maître  la  sainte  Famille  du  même  musée;  mais  l'œuvre 
capitale  de  Bonifazio ,  c'est  sa  fameuse  composition  des 
Marchands  chasses  du  Temple,  qu'on  voit  au  palais  ducal 
de  Venise.  Ce  serait  aussi  sa  dernière  production,  si,  comme 
tout  porte  à  le  croire,  il  mourut  en  1562. 

On  a  souvent  confondu  avec  cet  artiste  un  autre  Bom- 
lAZio,  né  à  Vérone,  et  mort  en  1553.  Mais  ce  dernier,  dont 
parle  Sansovino,  n'appartenait  pas  à  l'école  vénitienne. 

BOi\llV  (Iles),  appelées  Bonln-Sima  ou  Munln-Sima, 
c'est-à-dire  Iles  Désertes,  par  les  Japonais,  qui  en  habitent 
les  principales,  forment  un  archipel  de  soixante-dix  îles  et 
de  dix-neuf  écueils.  Elles  sont  situées  dans  la  partie  occi- 
dentale de  l'océan  Pacifique,  entre  les  îles  du  Japon  et  les 
îles  des  Larrons,  depuis  16°  50' jusqu'à  27°  44'  de  latitude  sep- 
tentiionale.  Les  Espagnols  et  les  Hollandais  connurent  ces 
lies;  mais  ils  n'en  prirent  jamais  possession.  Les  Japonais, 
qui  les  découvrirent  en  1 675 ,  y  fondèrent  des  colonies  de  dé- 
portation qu'ils  abandonnèrent  en  1725.  Elles  restèrent  ainsi 
désertes  jusqu'en  1826;  à  cette  époque  un  matelot  d'un  na- 
vire baleinier  résolut  de  culti\er  la  plus  grande,  appelée 
Peel.  La  même  année  le  capitaine  Bcechey  en  prit  posses- 
sion au  nom  de  l'.^ngleterrc.  Depuis  celte  époque  il  s'y  est 
formé  une  population  composée  d'émigrés  des  îles  Sandwich 
et  du  Japon,  d'aventuriers  européens,  de  matelots  déser- 
teurs ,  dont  le  gouvernement  britannique  ne  prend  aucun  soin 
et  qui  vivent  dans  un  état  à  peu  près  sauvage.  Les  Iles  Bo- 


—  BONIN 

nin  sont  fertiles  pour  la  plupart;  quelques-unes  sont  cou- 
vertes de  volcans.  Les  dix  principales,  au  nombre  desquelles 
on  compte  Parrij ,  au  terrain  raontueux  ,  Stapleton,  Bur- 
land,  Peel,  Vllc-de-Houfre ,  Saint-Alexandre,  les  îles 
Smith,  etc.,  ont  une  superticie  d'environ  49  myriamètrcs 
carrés.  L'île  Peel,  la  seule  qui  ait  un  bon  port,  possède  aussi 
le  seul  village  de  tout  le  groupe;  il  s'appelle /îoyd.  Ces  îles 
pourraient  prendre  de  l'importance  dans  le  cas  où  l'Angle- 
terre voudt-ait  envahir  le  Japon. 

BOIXIN  (Edouard  dr ),  général  prussien,  connu  par  les 
services  qu'il  a  rendus  dans  le  Schleswig-Holstein,  est 
né  les  mars  1793,  à  Stolpe,  en  Poméranie.  Plusieurs  de  ses 
ancêtres  ont  rempli  de  hautes  fonctions  civiles  et  militaires, 
et  son  père  parvint  au  grade  de  lieutenant  général  dans 
l'armée  prussienne.   Agé  de  treize  ans,  lorsque  la  guerre 
de  1806  éclata,  il  entra  lui-même  dans  le  régiment  d'infan- 
terie du  duc  de  Brunswick-G^ls,  avec  lequel  il  lit  la  cam- 
pagne de  Saxe.  Blessé  et  fait  prisonnier  à  la  prise  de  Lubeck, 
le  3  novembre  1806,  il  quitta  le  service  pour  se  rendre  au 
gymnase  de  Prenziaw,  où  il  resta  jusqu'en  1809.  Admis,  cette 
année,  dans  le  premier  régiment  de  la  garde  avec  le  grado 
d'enseigne,  il  fut  nommé  lieutenant  en  1810,  et  bientôt  après 
adjudant  dans  la  brigade  de  la  garde.  La  bataille  de  Lutzen 
lui  valut  la  Croix-de-Fer  de  seconde  classe,  la  bataille  de 
Paris  celle  de  première  classe.  Après  avoir  passé  successive- 
ment par  tous  les  grades  inférieurs,  il  fut  promu  en  184S 
à  celui  de  commandant  de  la  16*  brigade  d'infanterie.  Il  n'en 
avait  pas  encore  pris  possession ,  lorsqu'il  fut  chargé,  le  26 
mars,  dé  rassembler  à  Havelberg  un  corps  de  troupes  pour 
protéger  le  Schleswig-Holstein  contre  les  attaques  du  Da- 
nemark. L'armée  danoise  ayant  envahi  les  duchés  quelques 
jours  après,  il  reçut  ordre  de  partir  pour  Rendsbourg  et  de 
se  mettre  à  la  disposition  du  gouvernement  provisoire.  Peu 
de  temps  après ,  le  roi  de  Prusse  le  nomma  major  général. 
En  cette  qualité ,  il  prit  le  commandement  des  troupes  prus- 
siennes à  la  tête  desquelles  il  se  distingua  aux  combats  de 
Schleswig,  de  Dùppelet  dans  presque  toutes  les  rencontres 
qui  signalèrent  cette  campagne. 

Après  la  conclusion  de  larmistice  de  Malmœ ,  Bonin  fut 
placé  par  la  Prusse  sous  les  ordres  du  pouvoir  central  alle- 
mand, qui  lui  conféra  le  titre  de  général  en  chef  des  troupes 
de  l'Empire  dans  le  Schleswig-Holstein.  Le  gouvernement 
des  duchés  le  nomma  en  inênie  temps  commandant ,  et  le 
chargea  de  l'organisation  de  l'armée.  Dans  la  campagne 
de  1849  il  commanda  les  troupes  du  Schleswig-Holstein 
sous  les  ordres  du  général  prussien  Prittwitz,  battit  les  Da- 
nois près  de  Kolding,  et  fut  défait  à  son  tour  près  de  Fridericia. 
La  conclusion  du  second  armistice  et  les  négociations  de  la 
paix  rendirent  la  position  de  Bonin  très-dilficile.  En  1850  il 
donna  sa  démission  de  général  des  troupes  des  duchés,  et 
rentra  dans  l'armée  prussienne.  Nommé  commandant  de 
Berlin,  il  fut  chargé  au  mois  d'octobre  du  commandement 
du  corps  d'armée  qu'on  réunit  à  Wetzlar,sur  les  frontières  de 
la  Hesse.  Plus  tard ,  il  prit  le  conmiandement  de  la  divi- 
sion militaire  de  Trêves,  et  fut  désigné  pour  les  fonctions  de 
général  en  chef  des  troupes  fédérales  concentrées  aux  envi- 
rons de  Francfort  au  mois  d'octobre  1851.  Le  15  janvier  1S52 
le  roi  de  Prusse  l'a  nommé  ministre  delà  guerre,  à  la  place 
du  général  Stockhausen.  Bonin  est  un  officier  d'une  grande 
instruction,  qui  pendant  son  séjour  à  Beriin  a  rendu  des 
services  dans  les  commissions  d'équipement  militaire.  On  a 
de  lui  un  traité  sur  les  combats  de  tirailleurs. 

BOXl^  (FiŒDÉiiic-CuATiLES  DE ),  frère  du  précédent, 
conseiller  piivé  au  service  de  Prusse,  est  né  en  1798.  Ses 
études  terminées,  il  entra  dans  l'administration,  et  s'éleva 
successivement  jusqu'à  la  dignité  de  président  de  la  pro- 
vince de  Saxe,  dont  il  fut  revêtu  en  1845.  A  la  révolu- 
tion de  1848  il  sut  contenir  à  la  fois  et  les  réactionnaires 
et  les  démocrates.  A  la  chute  du  ministère  Auerswald-Han- 
semann,au  mois  de  septembre  1848,  il  fut  nommé  mi- 


BONL\  —  BONITE 


nistre  des  finances.  Sa  conduite  paisible  et  parlementaire  le 
rcni'it  aussi  agréable  que  le  général  Pfuel  à  l'assemblée  na- 
tionale; mais  la  courte  durée  du  ministère  dont  il  était 
membre  ne  lui  permit  pas  de  prendre  des  mesures  impor- 
tantes. Rentré  dans  ses  fonctions  de  premier  président  de  la 
province  de  Saxe,  il  appuya  la  politique  du  ministère  Bran- 
debourg ,  et  plus  tard  il  fut  nommé  membre  de  la  pre- 
mière cbambre.  Envoyé  en  1S51  dans  le  duciié  de  Posen 
comme  premier  président  delà  province,  il  s'appliqua  à 
concilier  deux  nationalités  longtemps  ennemies;  mais  le  ré- 
tablissement des  états  de  cercle  et  des  états  provinciaux 
par  rescrits  ministériels  du  18  et  du  27  mai  1851  ne  lui 
laissa  pas  le  temps  d'opérer  tout  le  bien  qu'il  méditait. 
Ayant  refusé  de  se  prêter  à  l'exécution  de  ces  mesures ,  il 
fut  mis  en  disponibilité. 

BO\IXGTOi\  (Richard  PARKES),  jeune  peintre  an- 
glais ,  d'un  talent  très-remarquable ,  enlevé  trop  tôt  à  l'art , 
jKîut  être  revendiqué  par  nous  comme  Français,  quoique  né 
tic  l'autre  côté  du  détroit.  C'est  cbez  nous  en  effet  que  sa 
léputalion  a  connnencé  ;  c'est  cbez  nous  qu'il  a  passé  la  plus 
grande  partie  de  sa  vie  et  qu'il  est  mort,  à  peine  âgé  de 
Aingt-sept  ans.  Un  singulier  concours  de  circonstances  l'a- 
mena en  France  tout  enfant.  Son  grand-père,  gouverneur 
<]ela  prison  du  ^■otlingbamsbire,  mourut  dans  l'exercice  de 
ses  fonctions.  Son  fds  aine ,  père  de  notre  artiste ,  fut  ap- 
pelé à  lui  succéder;  mais,  boinme  d'e-prit  vil  et  d'opinions 
libérales,  il  se  déplut  à  la  garde  d'une  prison.  La  révolution 
française  éclata,  et  il  alficbapourelle  un  si  vif  entbousiasme, 
qu'il  fut  destitué.  Sans  moyens  d'existence,  il  se  fit  peintre 
de  portraits  pour  vivre ,  et  ouvrit  une  école  de  dessin  à 
Nottingham.  C'était  un  artiste  médiocre,  mais  un  bon  pro- 
fesseur. Son  école  prospéra  d'abord.  Jliss  Parkes,  qui,  née 
comme  lui  sans  fortune,  vivait  de  son  pinceau,  vint  à  le 
connaître  et  à  l'aimer  :  ils  se  marièrent  ;  elle  s'associa  tout  à 
fait  à  ses  travaux,  et  dirigea  plus  que  lui  son  atelier  dans  les 
derniers  temps  de  leur  séjour  en  Angleterre;  mais  la  vébé- 
mence  des  opinions  politi(jues  du  mari  redoublant  à  mesure 
que  la  république  française  triompbait ,  il  se  détacha  de 
plus  en  plus  de  tout  travail  pour  fréquenter  les  meetings , 
et  l'assiduité  de  la  femme  ne  put  empêcher  la  décadence  et 
l'abandon  total  de  leur  école.  Les  créanciers  survinrent,  et 
les  deux  époux  durent  aller  chercher  fortune  ailleurs.  L'en- 
thousiasme républicain  du  mari  avait  fait  de  lui  presque  un 
Français  ;  il  se  tourna  naturellement  vers  la  France.  Leur 
fils,  qu'ils  emmenaient  à  Paris,  Richard  Parkes  Bonington  , 
était  né  à  Nottingham,  le  25  octobre  1801;  mistriss  Parkes 
ouvrit,  avec  le  secours  d'un  de  ses  oncles  de  Nottingham,  uu 
petit  commerce  de  dentelles,  qui  fit  vivre  bien  modeste- 
ment la  petite  famille,  et  le  jeune  Riciiard  put  être  mis  à 
l'école.  Son  goût  pour  \n  dessin  s'était  manilésté  dès  qu'il 
avait  pu  tenir  un  crayon  ;  il  y  fit  des  progrès  rapides.  Il 
entra  dans  l'atelier  de  Gros ,  à  qui ,  à  ce  qu'on  assure ,  il  dé- 
plut par  son  peu  d'application  à  dessiner  les  académies  obli- 
gées, et  par  la  vivacité  originale  de  son  caractère.  Gros 
chassa  tout  simplement  Donington  de  son  atelier. 

Livré  à  lui-môme,  Bonington  travailla  arec  un  zèle  ex- 
traordinaire; il  étudia  au  Louvre,  seul,  de  dix-sept  à  vingt  ans, 
les  maîtres  de  toutes  les  écoles,  et  fit  en  1821  un  court  voyage 
en  Italie,  à  l'aide  de  quelques  économies  que  sa  mère  avait 
péniblement  amassées  dans  ce  but.  Il  ne  put  cependant 
aller  jusqu'à  Rome;  mais  il  vit  Venise,  cité  à  demi  orien- 
tale, et  originale  entre  toutes  les  cités.  Durant  le  séjour 
qu'il  fit  au  milieu  de  ses  lagunes,  il  étudia  dans  les  singu- 
lières et  admirables  variétés  de  son  architecture  tous  les  ac- 
c  dents  naturels,  tous  les  jeux  de  la  lumière  et  de  l'ombre, 
toutes  les  saisissantes  oppositions  du  clair-obscur,  et  com- 
l>osa  des  esquisses  et  des  aquarelles  finement  touchées, 
chaudes  et  éclatanles  comme  les  peintures  vénitiennes  des 
maîtres.  La  tendresse  de  sa  mère  en  répandit  quelques-unes 
4  Paris  Mistriss  Jîoninglon  u'épaigna  ni  pas  ni  démarches 

CiCI,   I)E   LA   CONVERS.   —  T.    111, 


42% 

pour  les  faire  connaître,  et  elles  furent  goûtées.  Le  Boning- 
ton ne  tarda  pas  à  être  coté  sur  la  place,  et  dès  lors  notre 
jeune  artiste  put  .se  livrer  à  des  compositions  à  l'huile  d'un 
ordre  supérieur.  Ses  tableaux  en  ce  genre  furent  payés  fort 
cher  par  de  riches  amateurs  français.  Voulant  se  faire 
connaître  en  Angleterre,  il  envoya  en  1824  deux  toiles  re- 
m.arquables  à  Yexh'tbition  de  Sommerset-House.  Ces  ta- 
bleaux surprirent  étrangement  par  leur  faire  large,  hardi,  na- 
turel, contrastant  avec  l'affectation  et  la  mignardise  du  faire 
des  peintres  anglais  à  la  mode ,  Lawrence  et  Collins.  Son 
succès  fut  complot.  On  ne  pouvait  se  figurer  que  ce  fut  là 
le  début  d'un  peintre  de  vingt-trois  ans;  on  crut  que  ce 
nom  de  Bonington  était  un  pseudonyme,  adopté  par  quelque 
peintre  en  renom  pour  tenter  des  voies  nouvelles  et  sonder 
sans  danger  le  public.  Lorsqu'on  vint  à  savoir  que  ce  Bo- 
nington existait  réellement,  l'empressement  fut  général. 
Chacun  voulut  avoir  de  ses  dessins  ;  sa  réputation  fut  faite 
en  Angleterre  comme  en  France. 

Au  milieu  de  ses  succès,  Bonington  fut  doublement  frappé  : 
il  perdit  sa  mère  chérie  et  vit  mourir  miss  Forster,  fille 
d'un  ministre  anglican  qui  demeurait  à  Paris,  pour  laquelle 
il  avait  conçu  un  amour  profond.  Cette  double  perte  l'acca- 
bla; il  tomba  dans  une  mélancoHe,  dans  un  état  de  lan-. 
gueur,  dont  il  essaya  vainement  de  sortir.  Il  se  remit  à  voyager. 
Avec  sa  trousse  d'artiste,  il  parcourut  le  nord  et  le  midi  de 
la  France ,  prenant  la  nature  sur  le  fait ,  reproduisant,  dans 
leurs  aspects  les  plus  pittoresques ,  les  ruines ,  les  sites ,  les 
costumes ,  les  paysages  de  la  France.  Sa  santé  cependant , 
quelque  goût  qu'il  eût  repris  au  travail,  ne  se  rétablit  pas, 
et  un  jour  que  dans  cette  tournée  il  s'était  oublié,  sous  un 
soleil  ardent ,  à  dessiner  un  paysage  qui  le  captivait ,  une 
fièvre  cérébrale  le  gagna.  Il  en  revint,  mais  mal,  et  mourut 
peu  après,  de  consomption,  le  23  septembre  1828. 

Le  plus  grossier  des  obstacles ,  le  besoin  de  vivre ,  avait 
jeté  d'abord  Bonington  dans  une  voie  qui  n'était  pas  la 
sienne,  celle  des  vulgaires  faiseurs  de  lithographies,  et  il 
avait  perdu  beaucoup  de  temps  à  travailler  ainsi  pour  les 
marchands.  Sans  cette  obligation ,  à  laquelle  le  condamnait 
son  manque  de  fortune,  son  œuvre  d'artiste  véritable  eût 
été  plus  considérable  ;  il  a  fait  plus  de  lithographies  que  d'a- 
quarelles, plus  d'aquarelles  que  de  tableaux  à  l'huile.  Ses 
ouvrages  posthumes  ont  été  vendus  en  Angleterre  jusqu'à 
30,000  fr.  Parmi  ses  œuvres  capitales,  il  faut  citer  ses  Vues 
de  Venise  et  de  Bologne ,  son  Henri  III,  son  Tombeau  de 
Saint-Omer  et  son  Tiux  au  repos.  Il  a  fait  aussi  plusieurs 
dessins  à  la  plume,  d'un  effet  charmant,  pour  le  La  Fontaine 
de  M.  Feuillet.  Nous  avons  vu  aussi  de  lui  une  Vue  du 
Pont-des-Soupirs ,  peinte  sur  la  tranche  d'un  magni- 
fique Sbakspearc ,  laquelle  ne  paraît  que  quand  on  dispose 
celte  tranche  d'une  certaine  façon;  c'est  plus  qu'un  jeu 
d'artiste,  c'est  un  petit  chef-d'œuvre.        Charles  Rouey. 

BOiVîi\I  (  G1K01.A.M0  ) ,  dit  V Anconitato ,  du  nom  d'An- 
cône,  sa  patrie,  florissait  vers  1660.  Ce  peintre  de  l'école 
bolonaise  fut  un  des  plus  fidèles  inutateurs  de  l'Albane,  son 
maître  et  son  ami.  Il  l'aida  dans  ses  peintures  de  la  salle 
Farnèse  à  Bologne  et  dans  d'autres  travaux.  Nous  avons 
au  musée  du  Louvre  un  seul  tableau  de  lui ,  représentant  le 
Christ  adoré  par  les  anges,  par  saint  Sébastien  et  par 
saint  Bonaventure.  La  galerie  Soult  possédait  de  cet  ar- 
tiste Les  Amours  endormis. 

BOXJTE.  Nom  donné  à  plusieurs  poissons  du  genre 
dcf,scombres,  dont  le  brpe  est  le  scomber  de  Linné,  c'est-à- 
dire  le  maquereau.  Celui  auquel  les  relations  de  voyages 
sur  mer  ont  donné  une  certaine  célébrité  est  le  scomber 
pelamys,  ou  thon  à  ventre  rayé.  Il  abonde  principalement 
entre  les  tropiques,  et  se  plaît,  dit-on,  à  suivre  les  vais- 
seaux. Ces  poissons  vivent  à  la  surface  de  l'eau ,  et  s'élan- 
cent même  dans  l'air  pour  y  saisii'  les  poissons  volants,  qui 
font  leur  principale  subsistance  :  ils  sont  donc  continueiic- 
ment  sous  les  yeux  des  navigateurs,  et  viennent  en  quel- 


4  26 


BONITE 


que  sorie  s'olTrir  d'eux-mêmes  au  pOcheur,  qui  en  prend 
ais<^ment  autant  qu'il  en  faut  pour  la  consommation  d'un 
nombreux  équipage.  Le  nom  qu'ils  portent  dénote  sufiîsam- 
ment  quelle  sorte  de  niorite  on  leur  a  reconnu  :  les  gourmets 
les  estiment  à  l'égal  de  leur  cong-'-nère ,  le  maciuereau.  Leur 
taille  est  ordinairement  de  plus  de  CO  centimètres;  ils  sont 
d'un  bleu  noirâtre  sur  le  dos,  et  cette  couleur  s'éclaircit 
sur  les  flancs,  jusqu'à  quatre  larges  raies  brunes,  au  delà 
desquelles  commence  la  couleur  blanche  du  ventre.  La  tête 
est  petite,  effilée,  d'un  jaune  d'or  par-dessous,  ainsi  que 
l'iris  de  l'œil  et  la  langue.  On  les  prend  facilement  avec 
une  ligne  volante,  à  laquelle  on  attache  deux  plumes  blan- 
ches, pour  simuler  un  poisson  volant,  en  agitant  cet  appât 
à  quelques  pouces  au-dessus  de  l'eau. 

Parmi  les  autres  espèces  de  scombres  qui  portent  aussi  le 
nom  de  bonite,  on  remarque  le  scomber  sarda ,  connu  dans 
quelques  lieux  sous  différentes  dénominations  vulgaires,  et 
des  pécheurs  français  sous  celle  de  germon.  Il  fré(iiicnle 
les  cotes  d'Espagne  et  de  France ,  et  s'est  répandu  dans  la 
Méditerranée,  où  Pline  l'a  observé  et  décrit  sous  le  nom  de 
sarda,  que  Linné  lui  a  conservé.  La  pêche  de  ce  poisson 
donne  lieu  à  des  spéculations  de  quelque  importance,  parce 
qu'on  le  fait  saler  comme  le  thon.  Cette  espèce  est  moins 
grande  que  celle  des  régions  équatoriales  ;  il  est  rare  qu'elle 
excède  le  poids  de  six  kilogrammes.  Ferry. 

BONJOUR  (CAsiMm),  auteur  dramatique,  né  le  15 
mars  1796,  à  Clermont  en  Argone  (  Meuse  ),  fit  ses  études 
au  lycée  de  Reims.  Il  embrassa  ensuite  la  carrière  de  l'en- 
seignement. A  seize  ans  il  était  maître  d'études  au  lycée  de 
Bruges.  A  dix-huit  il  fut  admis  à  l'École  Normale.  Enfin, 
trois  ans  après,  il  était  nommé  professeur  suppléant  de 
rhétorique  au  lycée  Louis  le  Grand.  En  1815  la  violence 
des  réactions  politiques  le  força  d'abandonner  l'instruction 
publique;  il  crut  trouver  un  asile  dans  la  carrière  de  l'ad- 
ministration ;  mais  une  seconde  destitution  l'atteignit  dans 
les  bureaux  du  ministère  des  finances. 

Ce  fut  le  4  juillet  1821  qu'il  fit  représenter  au  Théâtre- 
Français  une  comédie  en  trois  actes ,  La  Mère  rivale.  Ce 
premier  succès  fit  penser  à  M.  Casimir  Bonjour  qu'il  avait 
reçu  du  ciel  l' influence- secrète,  et  il  travailla  avec  une 
ardeur  qui  eut  sa  récompense.  Son  second  ouvrage  fui, 
en  1823,  L'Éducation,  ou  les  Deux  Cousines,  en  cinq 
actes  et  en  vers;  puis,  en  1824,  Le  Mari  à  bonnes  for- 
tunes, en  cinq  actes  et  en  vers;  en  1826,  V Argent ,  ou  les 
Mœurs  du  Siècle,  en  cinq  actes  et  en  vers,  qui  n'obtint  pas 
le  môme  succès  que  les  ouvrages  précédents.  Il  est  vrai 
que  celui-ci  avait  été  devancé  au  théâtre  par  deux  comédies 
sur  le  même  sujet.  Le  Spéculateur ,  de  M.  Ribouté,  et 
V Agiotage,  de  Picard  et  Empis. 

Le  peu  de  succès  de  L'Argent  ne  découragea  pas  M.  C. 
Bonjour,  qui  en  1829  fit  jouer,  avec  moins  de  succès 
encore ,  Le  Protecteur  et  le  Mari ,  comédie  en  cinq  actes  et 
en  vers,  dont  il  avait  trouvé  toute  l'idée  dans  Le  Mari  ambi- 
tieux, de  Picard ,  ouvrage  qui ,  longtemps  auparavant,  n'a- 
vait eu  que  quelques  représentations. 

Comme  M.  Bonjour  avait  pour  compatriote  et  pour  pa- 
tron M.  Etienne,  il  était  fort  lié  avec  tous  les  hommes  du 
Constitutionnel,  à  la  rédaction  duquel  il  coopérait  lui-même. 
11  salua  donc  avec  joie  la  révolution  de  1830  ;  non  pas  qu'il 
se  fOt  activement  mêlé  aux  actes  ou  même  aux  questions  de 
la  politique  nouvelle  :  la  douceur  de  son  esprit,  l'honnêteté 
de  ses  mœurs  et  ses  occupations  dramatiques  l'avaient  éloi- 
gné des  violences  de  l'esprit  de  parti;  mais,  dans  la  can- 
deur de  son  inexpérience,  il  s'était  laissé  prendre  à  l'appa- 
rence patriotique  du  libéralisme  niais  du  vieux  Constitution- 
nel. Pourtant,  il  faut  le  dire,  son  talent  et  ses  triomphes 
avaient  grandi  sous  la  Restauration ,  et  déjà  les  hommes  de 
goût  voyaient  avec  satislaclion  que,  malgré  la  décioissance 
«le  succès  de  ses  derniers  ouvrages,  le  mérite  dont  M.  Don- 
jour  avait  donné  des  preuves ,  la  pureté  de  ses  doctrines 


-  BONN 

littéraires,  l'honorabilité  de  son  caractère,  ne  tarderaient 
pas  à  lui  faire  ouvrir  les  portes  de  l'Académie  Française. 
Malheureusement  la  litté^ature  de  la  Restauration  commen- 
çait à  avoir  fait  son  temps  comme  celle  de  l'Empire.  11  y 
eut  recrudescence  de  ce  qu'on  appelait  romantisme  ajirés 
la  révolution  de  Juillet.  i\I.  C.  Bonjour  n'en  fit  pas  moins 
représenter ,  en  1831  Naissance,  Fortune  et  Mérite,  co- 
médie en  trois  actes  et  en  prose,  et  on  1833  Le  Presby- 
tère, comédie  en  cinq  actes  et  en  vers ,  qui  toutes  deux 
lui  prouvèrent  que  la  bonne  volonté  et  même  un  certain 
talent  ne  suffisent  pas  toujours.  Un  roman  qu'il  publia  en  1836 
(Le  malheur  du  riche  et  le  bonheur  du  pauvre)  ne  dut 
que  le  confirmer  dans  cette  opinion. 

Depuis  cette  époque  M.  Casimir  Bonjour  a  obtenu  la  croix 
de  la  Légion  d'Honneur  et  une  place  de  bibliothécaire  à 
Sainte-Geneviève  ;  mais  il  a  vainement  sollicité  jusqu'à  ce 
jour  de  l'équité  littéraire  un  siège  à  l'Académie  Française, 
où  il  s'est  plusieurs  fois  présenté.  De  guerre  lasse  il  sem- 
blait s'être  entièrement  retiré  de  la  carrière  théâtrale,  quand 
il  essaya  tout  à  coup  d'y  rentrer,  en  1844.  Jusque  là  tous 
ses  ouvrages  avaient  été  joués  au  Théâtre-Français  ;  cette 
fois  il  descendit  à  l'Odéon  avec  le  Le  Bachelier  de  Ségovie, 
ou  les  Hautes  Études,  comédie  toujours  en  cinq  actes  et 
en  vers,  laquelle  a  eu  quelque  succès,  mais  a  malheureu- 
sement encouru  le  sort  ordinaire  des  ouvrages  joués  à  ce 
théâtre,  qui'n'offre  pas  même  à  ses  auteurs  la  triste  conso- 
lation d'un  revers  honorable. 

Comme  dramatiste,  les  formes  classiques  de  M.  C.  Bon- 
jour sont  froides  et  roides;  il  n'est  ni  comique,  ni  gai;  H 
est  plutôt  raisonneur  et  philosophique;  son  observation,  il 
est  vrai,  manque  de  justesse  et  d'étendue  ;  les  traits  chez 
lui  n'ont  ni  profondeur  ni  naturel ,  quoiqu'ils  en  aient  la 
prétention  et  l'apparence;  mais,  comme  homme  de  lettres, 
comme  écrivain,  M.  C.  Bonjour  a  des  qualités  estimables. 
Bien  que  sans  couleur,  son  style  accuse  une  étude  cons- 
ciencieuse ,  un  travail  digne  d'éloges  :  il  est  pur,  châtié, 
comme  ses  œuvres  sont  en  général ,  au  moins  par  l'inten- 
tion, louables  et  honnêtes.  A.  Delaforest. 

BON  MOT.  Voyez  Mot. 

BONN,  jolie  ville  de  la  Prusse  rhénane,  dans  le  cercle 
de  Cologne ,  agréablement  située  sur  la  rive  gauche  du 
Rhin,  et  comptant,  non  compris  la  garnison,  17,300  habi- 
tants dont  les  cinq  sixièmes  au  moins  professent  la  religion 
catholique.  Des  quatre  églises  qui  appartiennent  à  cette 
confession,  la  cathédrale  est  la  plus  ancienne  et  la  plus  re- 
marquable; son  architecture  appartient  en  général  à  la  der- 
nière période  du  style  roman,  et  commence  déjà  à  marquer 
la  transition  au  style  gothique.  Les  chrétiens  évangéliqucs, 
dont  le  nombre  s'est  accni  de  60  à  2,500  sous  le  gouverne- 
ment prussien,  n'ont  pas  d'autre  église  que  la  chapelle  de 
l'ancien  château.  Bonn  est  le  siège  d'un  tribunal  et  d'un  con- 
seil supéiieur  des  mines  ;  elle  possède  une  université,  un  gym 
nase  et  cinq  écoles  élémentaires.  L'Académie  Léopoldine  des 
naturalistes,  fondée  à  Vienne  en  1G52,  y  a  été  transférée  en 
18 18,  et  il  s'y  est  créé  aussi  une  société  des  sciences  naturelles 
et  de  médecine.  Ses  fabriques  de  coton,  de  faïence,  de  vitriol 
et  de  savon  sont  importantes.  Le  commerce  est  en  grande 
partie  entre  les  mains  des  juifs ,  dont  le  nombre  s'élève  à 
cinq  cents. 

L'université  de  Bonn,  fondée  en  1786,  supprimée  pendant 
l'occupation  française  et  convertie  en  un  lycée  en  1802,  a  été 
rétablie  par  un  diplôme  donné  à  Aix-la-Chapelle  le  18  octobre 
1818.  Elle  jouit  d'un  revenu  annuel  d'environ  370,000  fr. 
sur  le  trésor  public  et  de  10,000  fr.  provenant  de  ses  pro- 
pres ressources.  Les  traitements  des  professeurs  en  absor- 
bent par  an  222,000,  et  plus  de  92,000  sont  consacrés  aux 
établissements  scientifiques  et  aux  collections.  Cette  uni- 
versité a  été  établie  dans  l'ancien  château  par  le  roi  Frédé- 
ric-Guillaume III,  et  depuis  les  réparations  et  les  embel- 
lissements qu'on  y  a  faits,  elle  peut  soutenir  la  comparaison 


J 


BONN  —  BONNECORSE 

avec  les  plus  vastes  et  les  plus  belles  de  l'Europe.  On 
trouve  rt'unis  dans  le  même  bàlimenl  les  salles  des  cours, 
une  bibliothèque,  riche  déjà  de  1^0,000  volumes,  le  musée 
académique  des  antiquités,  la  collection  archéologique,  le 
cabinet  de  physique,  la  clinique  et  le  marége.  L'université 
possède  encore  un  amphithéâtre  d'anatomie,  ainsi  que  des 
collections  zoologiques  et  minéralogiques,  un  jardin  bota- 
nique, une  école  supérieure  d'agriculture  récemment  fon- 
dée, établis  dans  l'ancien  château  de  plaisance  de  Poppels- 
dort,  à  un  quart  de  lieue  de  la  ville.  L'Observatoire,  placé 
d'abord  sur  l'Alte-  Zoll,  point  célèbre  dans  toute  l'Allemagne 
à  cause  de  son  vaste  horizon,  a  été  transporté  dans  un  en- 
droit encore  plus  convenable,  entre  la  ville  et  Poppelsdorf. 
A  l'université  fut  attachée  aussi,  bientôt  après  sa  réorgani- 
sation, une  imprimen'e  sanscrite  sous  la  direction  de  A.-W. 
Schlegcl.  La  libéralité  du  gouvernement  a  doté  cet  établis- 
sement scientifique  d'un  grand  nombre  de  bourses.  Les  deux 
confessions  ayant  chacune  sa  faculté  dethéologie,on  y  compte 
cinq  facultés  au  lieu  de  quatre,  avec  plus  de  quatre-vingts 
professeurs  et  agrégés.  En  1851  le  nombre  des  étudiants 
s'est  élevé  à  1,026.  Parmi  les  professeurs  qui  ont  illustré 
cette  université,  on  doit  citer  surtout  A.-W.  Schlegel  et 
Niebuhr,  Dahlmann  et  Arndt,  qui  fut  rétabli  dans  sa  chaire 
après  une  suspension  de  vingt  années,  Dorner,  Rothe, 
Oleek,  dans  la  faculté  de  théologie  évangéliqiie,  ^Yalter, 
Uluhme,  Bœcking,  dans  celle  de  droit;  Harless,  Naumann, 
dans  celle  de  médecine;  Welcker,  Piitschl,  Lassen,  Freytag, 
Drandis,  Lœbell,  Diez,  Treviramy,  Dischof,  Nœggerath, 
Plûcker  et  Argelander,  dans  les  différentes  sections  de  la  fa- 
culté de  philosophie,  se  sont  aussi  fait  connaître  avantageu- 
sement par  leurs  écrits.  Bonn  a  donné  le  jour  à  Deetho- 
ven,  à  qui  elle  a  élevé  en  1845  un  monument,  dû  au  ciseau 
du  professeur  Ilœhnel,  de  Dresde. 

Bonn,  appelée  Bonna  par  les  Romains,  doit  son  origine  à 
im  château  fort  bâti  par  eux  en  .\liemagne.  Détruite  dans  le 
quatrième  siècle  et  reconstruite  par  l'empereur  Julien ,  elle 
eut  beaucoup  à  souffrir  dans  les  invasions  des  Huns,  des 
Francs,  des  Saxons  et  des  Normands.  Un  grand  concile  s'y 
tint  en  942.  En  1273  elle  devint  la  résidence  des  électeurs 
de  Cologne,  qui  y  habitèrent  jusqu'en  1794.  En  1G73  les 
Français  s'y  maintinrent  contre  les  Hollandais,  les  Espagnols, 
et  les  Autrichiens.  Après  un  violent  bombardement,  elle  fut 
prise,  en  1689,  par  l'électeur  de  Brandebourg  Fré.léric  111, 
et  en  1703  elle  tomba  au  pouvoir  des  Hollandais,  comman- 
dés par  Cohorn.  L'électeur  de  Cologne  n'en  reprit  possession 
qu'en  1715.  Les  fortifications  furent  en  grande  partie  dé- 
truites en  1717,  elles  pierres  servirent  à  la  construction  du 
château.  La  paix  de  Lunévilie  céda  Bonn  à  la  France,  et  celle 
de  Vienne  à  la  Prusse.  Celte  ville  est  mise  en  communica- 
tion avec  la  rive  droite  du  Rhin  par  un  pont  volant,  et  avec 
Cologne  par  un  chemin  de  fer.  Dans  ses  environs  roman- 
tiques ,  Godesberg,  Roiandseck,  Tile  de  Konnenwerth  et  le 
Draclienfels ,  sont  des  lieux  de  promenade  très-fréquentés. 

BOXXARD  (Bernard,  chevalier  de),  né  à  Semur,  en 
1774,  officier  d'artillerie,  mestre  de  camp,  etc.  Une  conduite 
irréprochable,  des  talents  militaires  et  des  poésies  agréables 
le  firent  proposer  en  1778,  par  le  maréchal  de  Mailleboiset 
par  Buffon,  au  duc  de  Chartres,  depuis  duc  d'Orléans,  pour 
sous-gouverneur  de  ses  enfants.  Si  l'on  doit  en  croire  les 
Mémoires  de  madame  la  comtesse  de  Genlis,  déjà  gou- 
vernante des  filles  de  ce  prince,  M.  de  Bonnard  ayant  passé 
sa  vie  en  province,  n'était  pas  né  avec  le  bon  goût  qui 
peut  rectifier  promptement  les  habitudes,  et  il  avait  un 
mauvais  ton.  Ce  grave  motif  détermina  le  duc  de  Chartres 
à  choisir  un  autre  gouverneur  pour  ses  deux  fils,  dont 
l'aîné  fut  depuis  le  roi  Louis-Philippe,  et  son  choix  se  fixa 
sur  madame  de  Genlis.  Non-seulement,  M.  de  Bonnard, 
militaire  et  homme  de  lettres  distingué,  se  sentit  humilié  de 
se  trouver  placé  sous  la  direction  d'un  tel  gouverneur, 
mais  encore  il  ne  jugea  pas  que  les  principes  d'éducation 


42T 


consignés  dans  le  roman  d'Adèle  et  Théodore  dussent  être 
appliqués  par  lui  à  ses  élèves.  Il  se  retira ,  et  mourut  peu 
de  temps  après,  en  1784,  objet  des  regrets  de  toutes  les  per- 
sonnes qui  l'avaient  connu.  M.  Garât,  son  ami,  lit  im- 
primer, en  1785-1787  un  éloge  historique  de  la  vie  (!.•  M.  de 
Bonnard.  Sautreau  de  Marsy  a  publié  ses  poésies  diverses, 
écrites  avec  pureté,  avec  élégance,  et  pleines  de  vérité,  de 
délicatesse,  de  simplicité  et  de  grâce.      Viollet-Ledic 

BOXNAY  (Famille  de).  Charles-François,  marquis 
de  Bo.nnay,  né  en  1750,  était  issu  d'une  ancienne  maison 
noble  du  Berry,  où  est  située  la  terre  de  son  nom,  sur  les 
confins  du  Bourbonnais.  Sa  mère  appartenait  à  la  famille 
de  Marcellanges.  Page  de  Louis  XV  en  1765,  il  entra  en- 
suite au  service,  et  fut  breveté  colonel  de  cavalerie  en  1779. 
La  noblesse  du  Nivernais  le  nomma  son  représentant  aux 
états  généraux,  où  il  se  joignit  au  parti  modéré,  et  donna 
souvent  à  la  tribune  des  preuves  de  son  impartialité  coura- 
geuse. L'exagération  croissante  des  principes  démagogiques 
l'obligea,  après  l'arrestation  du  roi,  à  s'expatrier.  Il  s'attacha 
pendant  l'émigration  à  Louis  XVIII,  qui  lui  donna  la  direc- 
tion de  son  cabinet,  et  le  chargea  de  plusieurs  missions  diploma- 
tiques. Nommé  ministre  de  France  à  Copenhague  en  1S14,  il 
fut  appelé  l'année  suivante  à  la  pairie,  et  mourut  en  1825. 

Joseph- Amédée,  comte,  puis  marquis  de  Bonnay,  fils  du 
précédent,  lui  avait  succédé  à  la  Chambre  des  Pairs,  d'où  il 
se  retira  en  18.30. 

BOXAE-AVEXTURE.  Ce  qui  doit  arriver  de  favo- 
rable ou  de  défavorable  à  quelqu'un,  au  dire  des  prétendus 
adeptes,  qui  se  mêlent  de  prévenir  l'avenir  par  la  chiro- 
mancie, ou  partoute  autre  espèce  de  divination.  Lesdiseurs 
de  bonne-aventure  sont  en  général  de  vieux  bergers,  des 
guérisseurs  nomades,  de  vieilles  femmes,  possédant  des  re- 
mèdes secrets,  et  qui  se  font  passer  ou  qu'on  fait  passer 
pour  sorcières,  des  charlatans,  des  dentistes,  des  Bohé- 
miens et  des  Bohémiennes  dans  les  villages,  des  tireurs  de 
cartes,  des  magnétiseurs  et  des  somnambules  dans  les  villes. 
La  plupart  de  ceux  qui  exploitent  cette  branche  indirecte 
d'industrie,  dont  ils  promettent  monts  et  men-eilles  à  leurs 
dupes,  oublient  que,  pour  les  affriander,  ils  ne  feraient  pas 
mal  de  prêcher  d'exemple  et  de  s'adjuger  ne  fût-ce  qu'une 
faible  portion  des  trésors  qu'ils  ont  en  réserve  dans  un  pro- 
chain avenir.  Jadis  on  brûlait  impitoyablement  les  devins 
et  les  diseurs  de  bonne-aventure.  On  se  contente  aujour- 
d'hui de  les  traduire  en  police  correctionnelle  et  de  les  en- 
voyer réfléchir  dans  quelque  dépôt  de  mendicité  sur  les  en- 
nuis d'une  captivité  qu'ils  n'ont  pas  su  se  prédire  à  eux- 
mêmes.  Décidément  l'humanité  marche.... 

BOXiXECORSE  (Balthasar  de),  né  à  Marseille,  y 
fit  ses  études ,  et  fut  ensuite  nommé  consul  de  France  au 
CaireetàSeïde,  enPhénicie  Ce  fut  pendant  sa  résidence  dans 
ces  pays  qu'il  composa  la  Montre  d'' Amour.  C'est  une  suite 
de  madrigaux  sur  les  vingt-quatre  heures  qui  composent  la 
journée,  ou  de  fadeurs  sur  l'instant  du  lever ,  des  repas ,  des 
visites,  du  coucher,  etc.  Scudéri,  à  qui  l'auteur  envoya  son 
manuscrit,  le  lit  imprimer  à  Paris  en  1666.  Bonnecorse  pu- 
blia en  1671  la  seconde  partie  de  la  Montre,  contenant  la 
Boite  et  le  Miroir,  qu'il  dédia  au  duc  de  Vivonne.  Cet  ou- 
vrage était  alors  en  prose  et  en  vers.  Boileau  l'ayant  men- 
tionné, sans  l'avoir  lu,  dans  le  cinquième  chant  du  Lutrin, 
parmi  les  projectiles  que  les  chanoines  se  lancent  à  la  tète, 
Bonnecorse  s'en  vengea  en  publiant  le  Lutrigot,  poème  hé- 
roï-comique, qui  par  ses  soins  vit  le  jour  à  Marseille,  en 
16Hb.  C'est  une  misérable  parodie,  empreinte  à  la  fois  delà 
critique  la  plus  amère  et  la  plus  sotte.  Boileau  n'y  répondit 
que  par  cette  épigramme  : 

Venez,  Pradoii  et  Bnnnccorse, 
Graads  écrivains  dt;  même  force. 

L'auteurdeîa  Montre  d'Amour  mourut,  baffoué, à  Marseille, 
en  1706.  Ses  œuvres  ont  élé  reciicillic-s  à  Leyde,  en  1720. 

5i. 


428 


BONNE-DAME  —  BONNE-ESPERANCE 


liONIVE-DAME.  Vouez  Akrociie. 

BOÎ\II\E-DÉESSE  (Fôte  de  la  ).  Le  nom  de  la  Donne- 
Déesse,  cliez  les  anciens,  n'était  connu  que  des  femmes. 
Les  ims  i)eusent  que  c'était  Cijbèle  ou  Fauna  ,  fille  de  Fau- 
nus;  d'autres  croient  que  c'était  Hécate-Clilhonic  ou  Pro- 
serpine.  Vairon  et  Lactance  la  font  tellement  pudique,  que 
selon  eux  elle  demeura  toujours  enfermée  parmi  les  femmes, 
n'apercevant  jamais  aucun  homme,  n'étant  jamais  aperçue 
d'aucun,  de  sorte  qu'ils  doivent  ignorer  jusqu'à  son  nom. 
Les  Grecs  la  nommaient  Gijnécie,  déesse  des  femmes.  Cor- 
nélius Labéon,  cité  par  Macrobe,  pensait  que  la  lîonne- 
Wéesse  était  la  même  que  la  Terre,  ou  3faia,  et  il  préten- 
dait que  tout  le  prouvait  dans  les  cérémonies  secrètes  de  sa 
lôte.  Les  Béotiens  donnaient  à  Sémélé  le  titre  de  Bonne- 
Déesse  ;  d'autres  la  prenaient  pour  IVIédée ,  parce  qu'il  crois- 
sait dans  son  temple  toutes  sortes  d'herbes  dont  les  prCtres 
composaient  des  remèdes.  11  est  très-probable  que  c'était  Gé- 
rés ou  Proserpine ,  l'Isis  des  Égyptiens ,  et  que  les  Romains 
Touluient  imiter  dans  les  mystères  dé  la  Bonne-Déesse  ceux 
de  Cérès,  et  en  particulier  les  Thesmophories. 

Ces  mystères  se  célébraient  à  Rome  le  1'^''  mai  durant  la 
nuit,  dans  la  maison  du  grand  prêtre  :  ils  passaient  pour  très- 
licencieux.  Les  hommes  n'y  étaient  pas  admis.  On  en  ban- 
nissait même  les  animaux  mules.  Le  scrupule  allait  jusqu'à 
couvrir  les  peintures  ou  les  statues  qui  en  représentaient. 
On  sait  que  Clodius,  épris  de  Mucia  ,  femme  de  César,  s'y 
étant  introduit  déguisé  en  joueuse  de  flûte ,  en  fut  honteu- 
sement chassé.  Cependant  il  n'en  revint  pas  aveugle,  quoi- 
que la  Bonne-Déesse  menaçât  de  cécité  tout  homme  qui  au- 
rait l'indiscrétion  sacrilège  d'essayer  d'être  témoin  de  ces 
cérémonies.  L'eau  qui  devait  servir  aux  sacrifices  était  sa- 
crée et  interdite  aux  hommes.  On  dit  qu'Hercule,  revenant 
d'Espagne ,  demanda  à  boire  à  des  femmes  qui  puisaient  de 
l'eau  pour  célébrer  la  fête  de  leur  déesse,  et  qu'elles  lui  en 
refusèrent  impitoyablement.  Le  héros,  pour  s'en  venger,  dé- 
fendit à  ses  prêtres  de  laisser  entrer  aucune  femme  dans  son 
temple. 

Le  tableau  qu'offre  Juvénal  des  mystères  de  la  Bonne- 
Déesse  est  affreux  et  dégoûtant.  On  peut  croire  que  le  sati- 
rique a  chargé  ses  couleurs  ;  mais  si  ces  mystères  n'avaient 
pas  été  décriés  pour  leur  licence,  ils  n'auraient  pas  donné 
au  poète  le  droit  de  les  comparer  aux  mystères  infâmes  de 
l'impudique  Cotytto.  Du  reste,  quoique  les  hommes  dussent 
être  exclus  de  cette  fête,  ce  que  dit  Juvénal  permet  de  croire 
que  souvent  les  femmes  y  introduisaient  leurs  amants ,  et 
que  même,  dans  l'ivresse  de  la  débauche,  elles  s'y  li\Taient 
à  leurs  esclaves.  Peut-être  Clodius  ne  fut-il  chassé  que  pour 
n'avoir  fait  part  de  ses  feux  qu'à  Mucia.  Il  était  défendu  de 
porter  du  myrte  dans  cette  fête.  Ou  n'était  pas  i)lus  d'accord 
sur  l'origine  de  cet  usage  que  sur  celui  de  donner  le  nom  de 
lait  au  vin  employé  dans  les  libations,  et  d'appeler  mella- 
rium  l'amphore  qui  le  contenait ,  et  qu'on  couvrait  d'un 
voile.  Ceux  qui  croyaient  que  la  Bonne-Déesse  était  Fauna 
disaient  que  son  père,  ayant  conçu  pour  elle  de  coupables 
désirs ,  voulut  lui  faire  violence,  et  que  n'ayant  pu  y  réussir, 
après  l'avoir  enivrée  et  fouettée  avec  des  branches  de  myrte, 
il  se  métamorphosa  en  serpent ,  c'est-à-dire  qu'il  employa 
la  ruse  et  la  séduction ,  et  finit  par  réussir.  Fauna  eut  le 
myrte  et  le  vin  en  horreur.  Une  vigne  suspendue  au-dessus 
de  sa  tête  rappelait  qu'elle  avait  su  résister  aux  eflets  de  la 
liqueur  traîtresse.  Une  autre  tradition  porte  que  Fauna  ayant 
bu  du  vin,  à  Tinsu  de  son  mari  (crime  capital  chez  les 
anciens  Romains),  celui-ci,  qui  l'apprit  ensuite,  la  fouetta 
avec  des  verges  de  myrte,  jusqu'à  lui  faire  perdre  la  vie, 
mais  qu'après  il  en  fut  si  affligé,  qu'il  éleva  des  autels  à  Fauna, 
et  ^idora  comme  une  déesse  celle  qu'il  avait  traitée  couune 
une  esclave.  Toutes  ces  versions,  qu'il  est  difficile  de  con- 
cilier, ne  donnent  pas,  selon  nous,  la  véritable  origine  de  ces 
fêtes,  et  n'expliquent  guère  mieux  les  désordres  licencieux 
qui  s'y  commettaient.  Les  hommes  célébraient  aussi  les  mys- 


tères de  la  Bonne-Déesse;  ils  étaient  habillés  en  femmes, 
avaient  la  tête  couverte  de  longues  aigrettes  et  le  cou  orné 
de  colliers.  Ils  sacrifiaient  une  jeune  truie,  et  offraient  à  la 
déesse  un  grand  vase  plein  de  vin.  Les  femmes  étaient  alors 
exclues  du  temple. 

BOi\i\E-ESPÉRANCE  (  Cap  de  ) ,  TERRF.  DU  CAP, 
ou  tout  sin)plement  C.\P.  C'est  la  dénomination  sous  la- 
quelle on  désigne  l'extrémité  mnidionale  de  l'Afrique,  pos- 
sédée aujourd'hui  par  les  Anglais,  vaste  territoire  qui  s'étend 
du  35"  au  25°  de  latitude  méridionale  et  du  35°  au  4G°  de 
longitude  orientale ,  sur  une  superficie  d'environ  5,225  my- 
riamètres  carrés ,  et  borné  au  nord  par  les  pays  des  Kama- 
quas,  des  Korannas,  des  Hottentots  et  des  Boschimans; 
au  nord-ouest,  par  celui  des  Ca'res  qui  liabitent  les  rives 
du  Haut-Orange.  Au  sud ,  ses  rivages  sont  baignés  par  la 
mer  des  Indes ,  et  à  l'ouest  par  l'Atlantique.  Ces  mers  en 
pénétrant  dans  l'intérieur  des  côtes  y  forment  un  grand 
nombre  de  Laies,  dont  les  plus  importantes  sont  :  à  l'ouest 
celles  de  Sainte-Hélène ,  de  Saldanha  et  de  la  Table  ;  au  sud, 
la  baie  Fausse  avec  celles  de  Pletteuberg,  de  Saint-François 
et  d'Algoa.  Les  promontoires  les  plus  remarquables  qu'on  y  , 
rencontre  sont  les  caps  Castle,  de  Bonne-Espérance,  LaguUas,  j 
Delgado ,  Saint-François  et  Recife.  La  configuration  exté-  ■ 
rieure  du  sol  au  cap  de  Bonne-Espérance  re[)roduil  assez 
exactement  la  forme  en  terrasses  particulière  à  l'Afrique;  en 
effet,  on  y  voit  du  nord  au  sud  les  plateaux,  les  terrasses 
et  les  mouvements  onduleux  des  côtes  se  succéder,  en  cons- 
tituant comme  une  suite  de  degrés  séparés  les  uns  des  autres 
par  les  contre-forts  de  montagnes  dont  les  cîmes  altières  les 
dominent  au  loin.  Au  nord,  c'est  la  terrasse  de  l'Orange,  la- 
quelle atteint  en  moyenne  une  élévation  de  1,650  mètres  et 
relie  le  territoire  du  Cap  aux  plateaux  de  l'Afrique  intérieure. 
On  ignore  encore  jusqu'où  elle  se  prolonge  au  nord.  La 
chaîne  de  montagnes  venant  aboutir  au  sud  commence  à 
son  extrémité  occidentale,  par  30"  de  latitude  sud,  suit  alors, 
sous  la  dénomination  de  Roggeveld ,  une  direction  toute 
méridionale,  puis  se  bifurque,  dans  la  direction  de  l'est, 
sous  les  noms  de  Aieuwcveld  et  de  tinecuicberg  (Monts  de 
neige),  et  dans  la  direction  du  nord-est,  sous  le  nom  de 
3Iontagnc  d'hiver,  pour  se  rattacher,  en  Cafrerie,  aux  monts 
Amatola,  qui  s'y  prolongent  en  forme  d'arc.  C'est  dans  les 
monts  Niemveveld  que  se  trouvent  les  plateaux  les  plus 
élevés  du  système  de  l'Ali  i(îue  méridionale.  Us  y  atteignent 
une  hautein-  de  plus  de  3,300  mètres  ;  aussi  restent-ils  cou- 
verts de  neige  une  bonne  moitié  de  l'année.  La  surface 
plane  et  désolée  de  ces  plateaux  [Jlats) ,  où  l'on  n'aperçoit 
de  traces  de  végétation  et  de  verdwre  qu'à  l'époque  de  la 
saison  des  pluies,  n'est  guère  interrompue  que  par  les 
crêtes  abruptes  des  groupes  désignés  sous  les  noms  de  Mon- 
tagnes de  la  Table  et  de  Cap  des  Aiguilles,  notamment 
au  nord  par  les  monts  Karree,  ou  encore  par  des  amas  de 
rochers  dispersés  au  lom  et  rompant  seuls  l'uniformité  et  la 
monotonie  des  plaines  immenses  qui  se  développent  à  perte 
de  vue  entre  les  quelques  vallées  médiocrement  fertiles  et 
boisées  qu'y  forment  de  rares  cours  d'eau.  Dans  la  direc- 
tion du  sud-ouest,  du  sud  et  du  sud-est,  le  terrain  s'élève 
insensiblement  pour  former  les  contre-forts  d'une  zone  mon- 
tagneuse dont  les  diverses  ramifications  ont  chacune  leur 
nom  spécial ,  par  exemple  le  Roggeveld  aux  crêtes  dénu- 
dées, le  Bcrgvalley,  le  Chaud  et  le  Froid  Roggeveld.  Ce 
plateau  atteint  en  moyenne  une  élévation  de  1,000  mètres, 
et  est  désigné  sous  le  nom  générique,  de  Grands  Karroo 
(mot  qui  en  hottentot  signifie  dur);  l'aspi'ct  qu'il  présente 
au  voyageur  dépend  des  saisons.  A  une  époque  de  l'année 
ce  ne  sont  partout  que  d'épaisses  et  riches  prairies,  où  vien- 
nent paître  d'innombrables  troupeaux;  l'été  approche-t-il  on 
n'y  découvre  bientôt  plus  que  des  plaines  desséchées,  brûlées, 
dont  le  sol  désole,  composé  d'un  mélange  d'argile,  de  sable 
et  de  parties  ferrugineuses,  a  acquis  la  dureté  de  la  pierre, 
les  rares  cours  d'eau  qui  l'arrosent  restifiit  complètement 


BONNE-ESPERANCE 


429 


à  sec  pendant  six  mois.  Le  versant  occidental  de  cette  se- 
conde terrasse  porte  les  noms  de  cliaînes  de  Kaynis  et  de 
Tulbagh;\<i  versant  méridional,  sur  une  étendue  de  80  my- 
riamètres ,  celui  de  Mont  Ziuarle;  et  la  chaîne  qui  court  à 
peu  près  parallèlemeut,  ceux  de  monts  Zwellcmlum,  Ute- 
niqua  et  Zitzikamma.  Cette  zone  de  montagnes  abruptes 
et  escarpées,  dont  les  crêtes  atteignent  quelquefois  plus 
de  1,700  mètres  d'élévation,  est  caractérisi^e  par  le  nombre 
presque  infini  de  défilés  (A/ooyi)  étroits,  souvent  impratica- 
bles, qu'on  y  rencontre  et  qui  ont  pour  origine  la  violence  des 
torrents  se  frayant  ainsi  un  passage  pour  aller  chercher  un 
niveau  à  lc>;rs  eaux  tout  en  formant  les  plus  ravissantes  cas- 
cades. Les  plus  importants  de  ces  cours  d'eau  sont,  à  l'ouest, 
la  livière  des  Éléphants  et  le  grand  fleuve  de  la  Aîontagne; 
au  sud,  le  Ureede,  le  Gauritz,  le  Gamlos,  la  rivière  du  Di- 
manche, la  grande  rivière  des  Poissons,  et  sur  les  frontières 
de  la  CafrerieleKai.  Enfin  la  troisième  terrasse,  le  pays  des 
côtes,  forme  une  zone  tantôt  extrêmement  étroite,  tantôt 
de  37  à  45  kilomètres  de  largeur,  riche  eu  cours  d'eau,  d"une 
grande  fertilité ,  entrecoupée  de  collines  et  de  petites  mon- 
tagnes, avec  de  temps  <à  autre  des  soulèvements  du  sol  extrê- 
mement abruptes,  parmi  lesquels  on  distingue  les  Montagnes 
dclaTable,(\w\,  ausuddelavilledu  Cap, atteignent  1,197  mè- 
tres d'élévation,  et  le  Mont  du  Diable,  liant  de  1,103  mè- 
tres. Tout  ce  système  se  compose  de  masses  de  grès  sur  des 
assises  de  granit.  Le  climat  du  Cap  de  Bonne-Espérance  est 
très-sain  ;  aussi  les  Anglais  y  envoient-ils  un  grand  nombre 
d'invalides  de  leur  armée  des  Indes-Orientales,  dans  l'espoir 
qu'ils  y  recouvreront  la  santé.  La  température  moyenne  de 
l'année  y  varie  de  18  à  19"  R.  L'olivier,  le  bois  de  fer,  l'arbre 
à  pain  d'Afrique,  le  ricin,  l'arbre  qu'on  appelle  sûh*;  de 
dragon  ,  le  corail  en  arbre,  etc.,  etc.,  y  croissent  spontané- 
ment. On  y  a  introduit  toutes  les  céréales  d'Europe,  ainsi  que 
la  vigne,  dont  les  produits  sont  désignés  sous  le  nom  de  vins 
du  Cap.  La  faune  de  ce  pays  est  aussi  riche  en  animaux  do- 
mestiques qu'en  gibier  de  toute  espèce  et  en  hôtes  fauves , 
telles  que  antilopes,  zèbres,  éléphants,  hyènes,  etc.,  çu  en 
oiseaux,  parmi  lesquels  il  faut  surtout  faire  mention  de 
l'autruche,  qu'on  rencontre  partout  dans  les  plaines.  On  y 
\oit  aussi  des  serpents  venimeux,  des  sauterelles  et  des  scor- 
pions. Toute  cette  contrée  est  généralement  fort  pauvre  en 
minéraux  ;  cependant ,  circonstance  bien  importante ,  on  y 
a  récennnent  rencontré  de  la  houille  sur  divers  points. 

Les  habitants,  dont  le  chiffre  peut  être  évalué  à  200,000  âmes, 
sont  ou  des  indigènes  ou  des  colons,  les  premiers,  Hot- 
tcntots  et  Boschimans;  les  seconds,  pour  la  plupart. 
Hollandais  ou  Anglais,  avec  quelques  Allemands.  Les  mis- 
sionnaires envoyés  par  les  Herrnhutes  et  par  la  Société  des 
Missions  de  Londres  ont  bien  mérité  de  l'humanité  en  con- 
tribuant par  leurs  courageux  efforts  à  répandre  parmi  les 
naturels  la  connaissance  de  l'Évangile;  aussi  les  Hoiten- 
tots  fixés  sur  le  territoire  de  la  colonie  font-ils  aujour- 
d'hui presque  tous,  extérieurement  du  moins,  profession 
d'appartenir  à  la  religion  chrétienne.  Les  colons  s'occui)ent 
de  la  culture  des  vignes,  de  Tagriculture,  et  noiammeut, 
jS-ir  la  côte  occidentale,  de  lelève  du  bétail.  Leur  degré  de 
civilisation  est  d'autant  plus  inlime  qu'ils  sont  établis  à  une 
distance  plus  grande  de  la  ville  du  Cap.  lis  possèdent  ijuatre- 
vingt-six  écoles  et  cent  quinze  églises.  11  existe  en  outre  dans 
la  colonie  un  nombre  assez  considérable  de  nègres  et  de 
Malais  libres,  faisant  profession  d'islamisme.  Le  mélange  des 
aborigènes  avec  les  Hollandais  a  produit  la  classe  d'habitants 
désignée  sous  le  nom  à'Africanders.  11  faut  aussi  men- 
tionner les  Fingos,  race  proclie  parente  de  celle  des  Cafres. 
L'élève  du  bétail,  surtout  dans  les  montagnes,  et  la  cul- 
ture des  céréales,  qui  donne  d'abondants  résultats  lorsque  les 
circonstances  atmosphéri(iues  la  favorisent,  constituent  les 
principales  ressources  des  habitants  du  Cap  de  Bonne-Espé- 
rance. Dans  les  provinces  de  l'est,  et  dans  quelques-unes  de 
celles  de  l'ouest,  «ne  notable  partie  des  propriétaires  du  sol 


se  livrent  à  la  production  des  vins  dits  du  Cap.  Les  ani- 
maux domestiques  de  l'Europe,  entre  autres  une  remarquable 
espèce  de  bœufs,  dont  les  cornes  ont  jusqu'à  cinq  pieds  de  lon- 
gueur, des  chèvres  donnant  de  riches  produits  en  suif  et  se 
propageant  avec  une  extrême  rapidité,  y  lurent  introduits  par 
les  Hollandais  dès  le  milieu  du  dix-septième  siècle.  La  pro- 
pagation de  la  race  ovine  anglaise  et  espagnole,  dont  la  laine 
fournit  déjà  d'abondants  articles  d'exportation ,  ne  date  au 
contraire  que  de  nos  jours.  Les  cuirs,  les  cornes,  les  suifs, 
les  viandes  salées  et  les  vins  constituent  encore  autant 
d'importants  articles  d'échange.  L'importation  des  divers  pro- 
duits de  l'industrie  manufacturière  et  agricole  des  Anglais 
donne  lieu  à  des  transactions  tout  aussi  actives  que  l'ex- 
portation des  produits  du  sol. 

La  colonie  est  administrée  par  un  gouverneur  général  an- 
glais, et  est  divisée  en  15  districts  ou  drosttes,  présidés  cha- 
cun par  un  commissaire  civil ,  qui  remplit  en  même  temps 
les  fonctions  de  juge  de  paix.  La  puissance  législative  y  est 
exercée  par  un  conseil  législatif  existan  t  depuis  1 834 ,  et  à  côté 
duquel  fonctionne  un  conseil  exécutif  dont  les  délibérations 
sont  secrètes.  L'administration  a  été  assez  heureuse  dans  ses 
résultats  ;  du  moins  nous  voyons  qu'elle  est  parvenue  à  équi- 
poller  les  dépenses  et  les  recettes  annuedes,  lesquelles  s'é- 
lèvent à  130,000  livres  sterling. 

Dans  la  partie  occidentale  de  la  colonie  on  trouve  :  le  dis- 
trict de  la  ville  du  Cap,  au  sud-est  de  celui-ci  le  district  de 
Slcllenbosch,  au  nord  celui  de  Clanwilliam  ;  au  sud-est 
de  ce  dernier,  le  district  de  Worccster  ;  et  celui  de  Ztcel' 
lendam  a  Textrémite  méridionale  delà  colonie.  La  ville  du 
Cap,  très-favorablement  située  pour  le  commerce,  est  bâtie 
dans  le  premier  de  ces  cinq  districts;  elle  est  le  siège  de 
l'administration ,  le  grand  di'pôt  des  forces  de,  terre  et  de 
mer  que  la  métropole  entretient  dans  la  colonie.  Le  district 
de  Stellenhosch  se  distingue  par  la  culture  habile  dont  la 
vigne  y  est  l'objet;  celui  de  Worcester  par  la  richesse  de  ses 
pâturages,  et  Zwellendam  par  l'élève  du  bétail. 

Quatre  districts  occupent  le  centre  de  la  colonie;  au  nord 
DcuitJ'ovl  et  GntJJ-ReyHcU,-à\x  midi  Georges  et  Uilenhagc. 
Dans  ce  dernier  se  trouve  la  ville  du  même  nom,  peuiiioe 
de  2,000  habitants  et  siège  d'un  sous-gouverneur,  ainsi  que 
l'orl-EUzabelh,  bâtie  sur  la  baie  d'Algoa,  avec  une  popu- 
lation de  4,000  ûmes,  et  dont  le  connnerce  prend  cUiique 
jour  plus  d'importance. 

Les  six  districts  de  l'est  et  du  nord-est  sont  :  Albany ,  où 
se  trouve  Grakamstown ,  ville  d'environ  3,500  habitants , 
peuplée  surtout  d'Anglais;  Somerset,  Victoria,  Cradock, 
Albert  et  Colesberg ,  dont  les  quatre  derniers  n'ont  été  ad- 
joints à  la  colonie  et  organisés  qu'eu  1847.  On  a  en  outre 
encore  ajouté  plus  récemment  à  la  colonie  la  Cafrerie  an- 
glaise et  le  territoire  des  Hollandais  émigrés  au  deia  de  l'O- 
range. 

Le  Cap  de  Bonne-E.spérance,  ou,  par  abréviation,  le  Cap, 
fut  découvert  en  1486  par  le  Portugais  Bartolommeo  û  iaz, 
et  doublé  pour  la  première  fois  en  1497  par  un  autre  por- 
tugais, Yasco  de  Gaina.  Mais  les  Portugais  méprisèrent 
complètement  l'importante  découverte  qu'ils  venaient  de 
faire,  parce  qu'a  ce  moment  c'était  sur  l'Inde  que  se  con- 
centrait toute  leur  attention.  Dans  les  premières  années  du 
dix-.<eptieme  siècle  la  compagnie  hollandaise  des  Indes 
Orientales  conlia  au  chirurgien  de  vaisseau  Van  Kisbeck  la 
mission  de  fonder  au  Cap  un  premier  établissement.  Toute- 
fois, ce  ne  fut  qu'en  1652  qu'ils  songèrent  à  s'assurer  la 
possession  de  ce  territoire  et  celle  de  la  ville  du  Cap,  dont  la 
fondation  fut  encore  postérieure,  en  y  élevant  des  fortilica- 
tions  et  en  y  entretenant  une  garnison.  La  situation  géo- 
graphique et  le  climat  de  la  nouvelle  colonie  en  favori.sèrent 
le  rapide  développement,  et,  malgré  les  guerres  fréquentes 
qu'elle  eut  à  soutenir  contre  les  Cafres,  les  Hottentots  et 
les  Boschimans,  elle  parvint  bientôt  à  un  remarquable  degré 
de  prospérité.  Quelle  que  fut  l'importance  d'une  telle  pos- 


BONNE-ESPÉRANCE 


430 

session  Jamais  les  gouverneurs  hollandais  n'eurent  la  pensée 
de  détruire  dans  leur  source  les  abus  invétérés  et  toujours 
croissants  dont  soultVait  la  colonie,  ni  de  cUerclier  à  en  amé- 
liorer l'état  polilique. 

Dès  la  guerre  soutenue  pour  leur  indépendance  par  les 
colonies  de  l'Amérique  du  Nord ,  les  Anglais  avaient  tenté 
un  coup  de  main  contre  la  ville  du  Cap,  mais  sans  succès. 
Plus  heureux  en  1795 ,  à  l'époque  des  guerres  de  la  révo- 
lution l'rançaise,  ils  réussirent  à  se  rendre  maîtres  de  cette 
ville,  et  la  conservèrent  jusqu'à  la  paix  d'Amiens,  qui  resti- 
tua aux  Hollandais  leurs  colonies  et  entre  autres  celle  du  Cap 
de  Bonne-Espérance.  Mais  les  Anglais  la  leur  enlevèrent  de 
nouveau  dès  l'année  1S06,  et  par  les  traités  de   1815  la 
Hollande  dut  en  taire  cession  délinitive  à  l'Angleterre.  Le 
gouvernement  anglais  ne  tarda  point  à  suivre  à  l'égard  de 
sa  nouvelle  possession  des  principes  d'administration  et  de 
polithjue  diamétralement  opposés  à  ceux  du  gouvernement 
hollandais.  H  favorisa  la  création  des  petites  fermes,  res- 
treignit le  droit  de  vaine  pâture  primitivement  accordé  aux 
paysans  (Boers)  hollandais,  mais  nuisible  à  tous,  à  force 
d'être  étendu  et  sans  limites.  Puis  en  établissant  des  regis- 
tres d'héritage,  il  organisa  la  propriété  foncière  sur  les 
mêmes  bases  que  dans  les  auties  colonies  britanniques.  L'ad- 
ministration de  lord  Somerset  toutefois  fut  si  déplorable, 
qu'il  crut  devoir  donner  sa  démission  en  1827,  avant  que 
sa  conduite  eût  été  l'objet  d'une  enquête.  H  fut  remplacé 
par  lord  Cole.  Sous  l'administration  de   ce   gouverneur, 
les  Hottentots  et  les  hoimnes  de  couleur  libres  établis  sur 
le  territoire  de  la  colonie  furent  compléteiueut  assimilés  pour 
la  jouissance  des  droits  civils  et  politiques  au  reste  de  la 
population.  La  guerre  infructueuse  faite  aux  Cafres  dans  les 
années  1834  et  1835  se  termina  vers  la  lin  de  cette  dernière 
année  par  un  traité  assez  peu  favorable  à  la  sécurité  de  la  co- 
lonie, que  conclut  le  capitaine  Stockenstrom.  Ce  résultat  de 
la  lutte ,  de  même  que  la  suppression  de  la  traite ,  excita 
parmi  les  Boers  un  vif  mécontentement,  qui  alla  même 
jusqu'à  prendre  le  caractère  de  la  haine  la  plus  prononcée 
pour  la  domination  anglaise  lorsqu'on  1837  il  fut  question 
de  l'émancipation  des  Hottentots  et,  deux  ans  plus  tard, 
de  celle  des  nègres.  L'opposition  à  ces  deux  mesures  fut 
presque  universelle.  Environ  5,000  boers  vendirent  les  uns 
après  les  autres  leurs  propriétés ,  et  émigrèrent  pour  aller 
s'établir,  les  uns  sur  la  rive  droite  de  l'Orange ,  les  autres 
sur  la  côte  de  Noël ,  dans  les  États  de  Dùigaan ,  prince  de 
Zoulous;  mouvement  auquel  la  colonie  de  Natal  est  re- 
devable de  son  origine.  Bien  que  ces  émigrés  eussent  cons- 
tamment à  guerroyer  contre  les  Cafres,  ils  refusèrent  opi- 
niâtrement de  revenir  sur  le  territoire  anglais.  Un  beau  jour 
même  ils  se  déclarèrent  indépendants,  et  implorèrent  la  pro- 
tection du  roi  des  Pays-Bas.  Le  gouvernement  anglais,  sans 
en  avoir  réellement   le  droit ,  résolut  alors  de  recourir  à 
l'emploi  de  la  force  pour  faire  cesser  un  tel  état  de  choses , 
et  ne  tarda  pas  à  replacer  sous  l'obéissance  de  l'autorité 
centrale  du  Cap  de  Bonne-Espérance  les  émigrés  fixés  au 
delà  de  l'Orange,  en  même  temps  qu'il  prenait  possession  de 
Natal  pour  en  constituer  une  colonie  distincte.  Pendant  ces 
conllits ,  les  Cafres,  eux  aussi,  n'avaient  jamais  cessé  de  faire 
preuve  d'hostilité  à  l'égard  de  la  colonie  du  Cap,  qu'ils  inquié- 
taient constamment  par  leurs  incursions  et  leurs  dépréda- 
tions. En  1838  et  en  1840  le  gouverneur  G.  Napier  tenta  bien 
de  traiter  du  rétablissement  de  la  paix  dans  diverses  confé- 
rences qu'il  eut  avec  leurs  chefs;  mais  sous  l'administration 
de  Maitland,  qui  succéda  à  Napier  en  1844,  une  rupture 
ouverte  éclata.  La  lutte  recommença  de  nouveau  en  1846, 
et  fut  continuée,  non  sans  entraîner  de  pénibles  sacrifices, 
par  le  gouverneur  en  personne  et  par  le  colonel  Somerset. 
Les  résultats  définitils  n'ajoutèrent  toutefois  rien  à  la  si^reté 
des  colons.  Aussi,  au  connnencement  de  1847,  sir  Henri 
l'otlinger  vint-il  remplacer  ÎMailland,  en  même  temjis  que 
sir  Georges  Berkeley  était  chargé  du  conmiandement  en 


BONNET 

chef  des  forces  anglaises  dans  la  colonie.  Tous  deux  étaient 
fermement  déterminés  à  attaquer  les  Cafres  avec  la  plus 
grande  vigueur,  et  au  mois  de  septembre  l'armée  reprit 
enfin  l'offensive.  Cependant  tous  les  efforts  faits  pour  forcer 
l'ennemi  à  s'arrêter  et  à  se  grouper  par  masses  échouèrent 
complètement.   Aussi  la  guerre  dégénéra-t-elle   bientôt  en 
une  série  de  combats  isolés  et  pour  ainsi  dire  individuels. 
Toutefois,  elle  eut  pour  résultat  de  contraindre  au  mois  de 
novembre  1847  le  chef  cafre  Pato,  le  plus  redoutable  ennemi 
des  Anglais  dans  ces  contrées ,  à  se  rendre  prisonnier  au 
colonel  Somerset.  Après  le  départ  de  Pottinger  pour  Ma- 
dras ,  sir  Harry  Smith ,  qui  déjà  avait  fait  ses  preuves  per- 
sonnelles dans  la  première  guerre  contre  les  Cafres,  fut 
appelé  à  lui  succéder  dans  le  gouvernement  de  la  colonie. 
Par  son  audace  et  par  sa  fierté,  celui-ci  parvint  à  intimider 
les  chefs  cafres,  qui,  dans  une  grande  assemblée  tenue  le  7  jan- 
vier 1848,  firent  acte  de  soumission  et  prêtèrent  serment  de 
fidélité;  après  quoi  ils  demeurèrent  à  la  tête  de  leurs  tribus 
respectives  avec  le  caractère  de  fonctionnaires  anglais.  Smith 
assujettit  et  organisa  en  môme  temps  comme  Ca/rerie  an- 
glaise le  territoire  de?  tribus  qui  venaient  de  se  soumettre, 
et  le  réunit  à  celui  du  Cap  de  Bonne-Espérance.  La  tran- 
quilfité  de  la  colonie ,  à  laquelle  la  guerre  avait  occasionné 
les  plaies  les  plus  cruelles,  ne  tarda  point  à  être  de  nouveau 
troublée,  à  cause  du  projet  conçu  à  ce  moment  par  le  gou- 
vernement anglais  de  transporter  au  Cap  une  partie  des  in- 
dividus condamnés   pour  crimes  à  la  déportation  par  les 
tribunaux  de  la  mère  patrie.  Le  mécontentement  provoqué 
dans   la  colonie  par  ce  projet  en  vint  à  prendre  une  ex- 
pression si  naenaçante,  qu'en  février  1850  les  membres  du 
cabinet  se  virent  contraints  de  renoncer  formellement  à  le 
mettre  à  exécution.  Cette  bourrasque  politique  ne  fut  pas 
plus  tôt  apaisée  qu'on  vit  se  renouveler  au  mois  d'oc- 
tobre t850  les  révoltes  et  les  irruptions  des  Cafres;  et  malgré 
tous  les  efforts  faits  par  sir  Harry  Smith  pour  étoulfer  ce 
péril  dans  son  germe,  la  lutte  recommença  avec  plus  de  vi- 
vacité môme  que  jamais.  En  dépit  des  énormes  sacrifices  en 
hommes  et  en  matériel  qu'elle  a  déjà  coûtés  à  l'Angleterre, 
elle  dure  encore  au  moment  où  nous  écrivons  (  1852  ),  sans 
qu'on  ait  pu  jusqu'à  présent  mettre  la  colonie  complète- 
ment à  l'abri  des  irruptions  et  des  déprédations  de  ses  fé- 
roces ennemis.  Cependant  sir  Harry  Smith  avait  réussi  à  re- 
pousser les  Cafres,  et  les  tenait  en  échec  lorsqu'il  remit  le 
commandement  à  son  successeur,  le  général  Cathcart,  ar- 
rivé an  Cap  le  31  mars  1852. 

Ce  qui  rend  la  possession  du  Cap  de  Donne-Espérance  si 
précieuse  pour  l'AngleteiTC,  ce  n'est  pas  seulement  que  cette 
colonie  est  la  clé  de  l'intérieur  de  l'Afrique;  ce  n'est  pas 
non  plus  parce  que  l'île  Maurice,  ce  lieu  de  relâche  et  ce  point 
stratégique  si  importants  pour  la  marine  anglaise,  tire  de  là 
une  grande  partie  de  ses  approvisionnements;  c'est  encore 
parce  que  le  Cap  est  la  princi|)ale  station  et  le  grand  arsenal 
des  flottes  qu'elle  entretient  dans  l'.^tlantique  et  dans  la  mer 
des  Indes.  On  consultera  avec  fruit  les  ouvrages  suivants  : 
Alexander,  An  expédition  of  discovery  into  Ihe  Interior 
o/AJrica  (  Londres,  2  vol.,  1838  );  Shavv,  Westerjan  mis- 
sionary  Memoriats  of  South  A/rica  (  New-York,  1841  ); 
Arbousset,  Relation  d'un  Voyage  d'exploration  au  nord- 
est  de  la  colonie  du  Cap  de  Bonne- Espérance  (  Paris, 
18'i2);  Meyer,  licisen  in  Sud-Afriliu  (  Hambourg,  1843); 
Delegorgne,  Voyage  dans  V Afrique  Australe  (  Paris,  1847  ); 
Biinbury,  Journal  oj  a  Résidence  at  the  Cape  of  Good 
Jlope  (  Londres,  1848)  ;  Dagverhaul  van  Jan  van  Riebeck 
ecrste  gouverneur  van  de  Cap  de  Goede  Hoop  (  L'trecht, 
1848  );  ^apier,  Excursions  in  Southern  A/rica,  inclu- 
ding  a  histon/  ofthe  Cape  colom/  (  2  vol.,  Londres,  i«4i»  I. 
BOi\i\E  FOI.  Voyez  Foi  (Bonne). 
IÎ()t\l\IOT  ,  pièce  de  vêtement  qui  sert  à  couvrir  la  têfe. 
On  ignore  si  dans  les  temps  anciens  l'usage  était  chez  les 
peuples  d'Asie  que  les  hommes  se  couvrissent  la  tête  ;  on  voil 


BONNET 


431 


seulement,  dans  quelques  occasions,  les  feaimes  se  voiler. 
Les  Babyloniens  portaient  pour  bonnet  une  espèce  de  toque 
ou  turban  ;  les  Mèdes  se  couvraient  la  tête  d'une  tiare.  Les 
Grecs  et  les  Romains  allaient  ordinairement  tête  nue;  mais 
leurs  femmes  ne  paraissaient  jamais  en  public  que  couveitcs 
d'un  voile ,  ou  d'une  espèce  de  mante  qui  se  mettait  par- 
dessus la  robe  et  s'attachait  avec  une  agrafe.  Les  Atlit^niens, 
au  rapport  d'Élien,  frisaient  leurs  cheveux  et  y  entremêlaient 
des  cygales  d'or.  Quelquefois  ils  portaient  une  espèce  de  bon- 
net'appelé  pilion ,  d'où  les  Latins  ont  fait  leur  pilcus.  Les 
Romains,  quand  il  faisait  trop  chaud  ou  trop  froid,  se  cou- 
vraient la  tête  d'un  pan  de  leur  toge,  qu'ils  relevaient  par 
derrière.  Ils  ne  portaient  les  bonnets  ou  les  capuchons  que 
pour  marcher  la  nuit.  En  voyage,  ils  se  couvraient  la  tète 
d'un  bonnet  ou  chapeau ,  nommé  pétase  (petasus  ) ,  en 
usage  aussi  chez  les  Grecs,  lequel  avait  les  bords  rabattus, 
mais  plus  étroits  que  ceu\  de  nos  chapeaux.  Mercure,  comme 
grand  voyageur,  est  représenté  par  les  anciens  avec  uu  pétase 
auquel  ils  avaient  attaché  des  ailes. 

On  croit  généralement  que  l'introduction  des  bonnets  et 
des  chapeaux  ne  remonte  pas  en  France  au  delà  du  règne 
de  Charles  Vil,  et  que  l'on  s'était  jusque  alors  servi  de  cha- 
perons ou  de  capuchons.  D'autres  antiquaires  prétendent , 
au  contraire  que  dès  Charles  V  on  commença  à  rabattre 
sur  les  épaules  les  angles  des  chaperons  et  à  se  couvrir  la 
tête  de  bonnets  qu'on  appela  morbiers  lorsqu'ils  étaient 
de  velours,  et  simplement  bonnets  quand  ils  étaient  faits  de 
laine.  Le  mortier  était  galonné  ;  le  bonnet,  au  contraire,  n'a- 
vait pour  ornement  que  deux  espèces  de  cornes  peu  élevées, 
dont  l'une  servait  à  le  mettre  sur  la  tête,  l'autre  à  se  décou- 
vrir. Il  n'y  avait  que  le  roi ,  les  princes  et  les  chevaliers  qui 
portassent  le  mortier.  Le  bonnet  était  le  couvre-chef,  non- 
seulement  du  peuple,  mais  encore  du  clergé  et  des  gradués;  au 
moins  fut-il  substitué  parmi  les  docteurs ,  bacheliers ,  etc. , 
au  chaperon,  qu'on  portait  auparavant  comme  un  camail 
ou  capucfe,  et  qu'on  laissa  depuis  flotter  sur  les  épaules. 
Monstrelet,  dans  sa  description  du  costume  des  hommes  au 
commencement  du  règne  de  Louis  XI ,  dit  qu'ils  portaient 
des  bonnets  hauts  et  longs  d'un  quartier  ou  plus.  Il  ajoute 
qu'à  la  même  époque,  c'est-à-dire  vers  l'an  1467,  les  dames 
et  les  demoiselles  renoncèrent  aux  cornes  hautes  et  larges 
qui  formaient  leur  coiffure,  pour  y  substituer  des  bourrelets, 
en  manière  de  bonnets  ronds,  qui  s'amincissaient  par-dessus, 
de  la  hauteur  de  demi-aune.  Sur  le  haut  de  ces  bonnets, 
en  forme  de  pain  de  sucre,  était  attaché  un  couvre-chie} 
délié,  ou  voile,  qui,  par  derrière,  pendait  jusqu'à  terre. 
Les  hauts  bonnets  de  certaines  villageoises  du  pays  de 
Caux  sont  une  réminiscence  lointaine  de  cette  coilfure ,  en 
usage  jadis  parmi  les  plus  élégantes  dames  de  la  cour.  Les 
hommes,  en  prononçant  le  nom  du  roi,  levaient  leurs  bon- 
nets, témoignage  de  respect  qu'ils  ne  donnaient  pas  lors- 
qu'ils prononçaient  le  nom  de  Dieu  :  ce  qui  excitait  à  juste 
droit  les  reproches  des  prédicateurs. 

Dans  l'origine,  les  bonnets  eurent  la  forme  ronde;  on  la 
changea  ensuite  contre  le  bonnet  carré ,  de  l'invention  d'un 
nommé  Patrouillet.  Ces  bonnets  furent  appelés  aussi  bon- 
nets à  quatre  brayettes.  Les  bonnets,  du  reste,  d'après  le 
père  Hélyot,  étaient  en  usage  parmi  le  clergé  dès  le  neuvième 
siècle.  Ce  n'était  d'abord  qu'un  petit  bonnet ,  en  forme  de 
calotte ,  que  l'on  portait  sur  le  capuchon  de  la  chape.  On  les 
fit  ensuite  plus  larges  en  haut  qu'en  bas  ;  puis  la  coutume 
vint  de  les  faire  encore  plus  amples,  mais  ronds  et  plats, 
à  la  manière  de  ceux  que  portèrent  plus  tard  les  novices 
des  jésuites  et  qu'ils  appelaient  birettes.  Ils  prirent  enfin  la 
ligure  carrée. 

En  1527  il  s'établit  une  communauté  de  bonnetiers ,  dis- 
tincte de  celle  des  drapiers. 

Le  bonnet  sur  les  médailles  est  le  symbole  de  la  liberté  : 
les  anciens  Romains  donnaient  un  bonnet  à  leurs  esclaves 
quand  ils  les  voulaient  aflranchir,  ce  qui  s'appelait  vocare 


servos  adpileum ,  et  ceux-ci  avaient  grand  soin  de  le  garder 
sur  leur  tête  sans  se  découvrir,  jusqu'à  ce  que  leurs  cheveux 
eussent  en  repoussant  fait  disparaître  la  tonsure ,  marque 
particulière  de  l'esclavage.  C'est  sans  doute  à  l'imitation  des 
anciens  que  dans  les  universités  on  a  donné  depuis  le 
bonnet  aux  écoliers ,  pour  montrer  qu'ils  avaient  acquis 
toute  liberté  et  qu'ils  n'étaient  plus  sujets  à  la  verge  des  su- 
périeurs; ils  recevaient  en  même  temps  le  nom  de  maîtres, 
comme  les  avocats ,  et  avaient  alors  le  droit  de  parler  étant 
couverts.  C'est  sans  doute  aussi  par  allusion  à  cet  ancien 
usage  que  le  bonnet  phrygien  avait  été  adopté  par  les  ré- 
publicains français  en  1793  ,  et  qu'ils  en  avaient  décoré  le 
front  de  la  Liberté.  Voyez  Bonnet  rouge. 

Vinbonnet  fut  également  le  signal  ou  le  prétexte  de  l'établis- 
sement de  la  liberté  en  Suisse.  On  sait  que  le  gouverneur  de 
la  Suisse  pour  l'empereur  Albert,  le  farouche  Gessler,  avait 
fait  élever  sur  la  place  publique  d'Altorf  le  bonnet  ducal 
d'Autriche,  auquel  il  prétendait  que  tout  le  monde  rendit 
hommage.  Guillaume  Tell  par  son  courage  délivra  ses 
concitoyens  de  cette  humiliante  obligation ,  et  prépara  ainsi 
l'ère  de  leur  indépendance. 

Le  bonnet  des  Chinois,  que  la  civilité  leur  défend  d'ôter, 
diflère  selon  les  saisons  de  l'année.  Celui  qu'ils  portent  en 
été  a  la  forme  d'un  cône,  c'est-à-dire  qu'il  est  rond  et  large 
par  le  bas,  court  et  étroit  par  le  haut,  où  il  se  termine  tout 
à  fait  en  pointe.  Le  dedans  est  doublé  de  satin  et  le  dessus 
couvert  d'une  natte  très-fine,  ils  y  ajoutent  un  gros  flocon 
de  soie  rouge  qui  retombe  gracieusement  tout  à  l'entour, 
ou  bien  une  espèce  de  crin,  d'un  rouge  vif  et  éclatant,  que 
la  pluie  n'altère  pas ,  et  qui  est  surtout  en  usage  parmi  les 
cavaliers.  En  hiver  ils  portent  un  bonnet  de  peluche,  bordé 
de  zibeline  ou  de  peau  de  renard  ;  le  reste  est  d'un  beau  satin 
noir,  ou  violet,  couvert  d'un  gros  flocon  de  soie  rouge, 
comme  pour  le  bonnet  d'été.  Ces  bonnets  sont  si  courts 
qu'ils  laissant  toujours  les  oreilles  à  découvert ,  ce  qui  est 
très-incommode  en  voyage.  Le  haut  du  bonnet  des  manda- 
rins dans  les  grandes  cérémonies  est  terminé  par  un  dia- 
mant, ou  par  quelque  autre  pierre  de  prix,  assez  mal  taillée, 
mais  enchâssée  dans  un  bouton  d'or  très- bien  travaillé;  les 
autres  ont  un  gros  bouton  d'étoffe ,  de  cristal ,  d'agate  ou 
de  quelque  autre  matière  semblable  et  de  moins  de  valeur. 

il  serait  trop  long  de  décrire  tous  les  bonnets  en  usage  chez 
les  divers  peuples  de  là  terre.  Disons  seulement  que  la  plupart 
des  peuples  de  l'Asie  usent  de  bonnets  assez  semblables  à 
ceux  des  Chinois,  bonnets  que  quelques  européens  fashiona- 
bles  ont  adoptés  pour  l'intérieur  de  leurs  appartements,  se  ré- 
servant le  chapeau  pour  le  dehors.  Vient  plus  près  de  nous  le 
turban,  qui  a  disparu  de  Constantinople  par  suite  du  chan- 
gement de  costume  introduit  sous  Mahmoud  et  qu'on  ne  ren- 
contre presque  plus  qu'en  Egypte  et  en  Syrie.  Le  fessi  ou  f e  z 
grec,  qui  l'a  remplacé,  ressemble  assez  au  tarbouch,  calotte  de 
laine  rouge  foncé,  terminée  par  un  flot  de  soie,  et  autour 
duquel  le  turban  s'enroulait  autrefois.  Seulement  il  est  plus 
élevé  et  cylindrique.  On  fabriquait  jadis  ces  bonnets  à  Venise; 
on  en  exporte  aujourd'hui  de  France  ;  on  en  fait  aussi  à  Tunis 
et  en  Egypte  ;  les  Arabes  du  désert  ont  pour  tout  bonnet  un 
fichu  carré,  rayé  rouge  et  jaune,  ou  vert  et  rouge,  terminé 
aux  deux  extrémités  opposées  par  une  frange  de  soie  torse 
dont  chaque  bri'n  finit  en  petite  houppe  de  plusieurs  couleurs. 
On  replie  un  des  coins  de  ce  fichu  appelé  caffieh  ou  couffié 
sur  le  front  et  en  dedans ,  sans  mettre  de  tarbouch ,  et  une 
corde  en  poil  de  chameau  brune  ou  noire  l'assujettit  autour 
de  la  tête  en  guise  de  turban. 

N'oublions  pas  non  plus  de  dire  un  mot  du  bonnet  de 
coton ,  dont  l'inventeur,  semblable  à  ceux  des  découvertes 
les  plus  utiles  à  l'humanité ,  est  resté  inconnu;  de  ce  bonnet 
inoltensif,  dont  on  a  fait  l'ornement  obligé  du  bon  bourgeois, 
bonnet  délicieux,  dont  Jeanneton  décorait  ce  bon  roi  d' Y  vetot, 
plus  doux  encore  au  vieillard  que  le  tendre  oreiller,  mais  que 
l'ccolier  sans  pitié  traite  brutalement  de  casque  à  mèch^^ 


432 


BONNET 


bonnet  qu'idolâtre  Jules  Janin,  attribut  exclusif  du  sexe  le 
plus  noble,  excepté  dans  les  villages  de  Normandie,  où,  sauf 
les  dimanches,  il  enlaidit  les  plus  jolis  visages  de  paysannes. 

Ajoutons  que  le  bonnet  est  resté  la  coiffure  presque  g6- 
néraie  des  femmes  dans  toute  l'Europe,  et  que  si,  d'un 
côté ,  le  chapeau  a  fait  invasion  jusque  dans  les  classes  les 
plus  modestes,  voire  à  Paris,  dans  celle  des  faiseuses  de 
bonnets,  d'un  autre  côté,  beaucoup  de  nos  grandes  dames 
se  montrent  chez  elles  et  aux  spectacles  avec  des  bonnets 
dont  le  luxe  le  dispute  aux  plus  riches  coiffures  des  temps 
anciens  et  modernes. 

Quelle  admirable  variété  encore  dans  les  bonnets  de  toutes 
ces  délicieuses  villageoises  de  la  Pologne,  de  la  Prusse,  de 
l'Autriche,  de  la  BohCme,  de  la  Hongrie,  de  la  Suisse,  du 
Tyrol ,  de  l'Espagne,  du  Portugal ,  sans  oublier  surtout  celles 
de  notre  belle  !•  rance ,  où  le  bonnet  féminin ,  rond ,  ovale , 
pointu,  large,  pyramidal,  de  toutes  les  formes  bizarres  pos- 
sibles, a  prévalu,  à  l'exception  des  seuls  villages  de  Nor- 
mandie, que  nous  avons  cités ,  du  Béarn  et  du  pays  basque, 
où  le  mouchoir  à  la  créole,  gracieusement  drapé,  est  l'unique 
coiffure  du  beau  sexe  des  campagnes!  Un  Anglais,  M.  Walker- 
Dillwyn,  a  parcouru  pendant  dix  ans  les  provinces  de  France 
pour  en  dessiner  tous  les  bonnets  féminins  et  recueillir  des 
détails  consciencieux  sur  leur  origine.  Cette  curieuse  mono- 
graphie a  paru  enl841  ;  elle  forme  deux  magniliques  volumes 
in-(piarto. 

Disons  enfin  que  le  bonnet  a  quelquefois  été  un  ornement 
guerrier,  comme  le  bonnet  à  poil<\e  nos  gendarmes  et 
grenadiers  ;  la  marque  d'une  dignité  ou  d'un  caractère  spé- 
cial, comme  les  bonnets  de  docteurs,  cvM  de  président  à 
mortier,  etc.;  ou  celle  de  la  honte  et  de  l'infamie,  comme  le 
bonnet  vert  et  le  bonnet  des  forçats  aux  bagnes. 

Enlin,  le  mot  de  bonnet  était  usité  autrefois  dans  cer- 
taines académies  ou  maisons  de  jeu  pour  désigner  une 
somme  gagnée  par  des  moyens  illicites,  et  l'on  appelait 
bonneteurs  ceux  qui  exerçaient  leur  industrie  en  ce  genre, 
pour  les  distinguer  des  autres  (ilous. 

Au  figuré,  on  dit  donner, prendre,  on  quitter  le  bonnet, 
pour  exprimer  l'action  de  recevoir  quelqu'un  docteur,  d'en- 
trer au  barreau  ou  d'en  sortir;  de  prendre  ou  quitter  la 
profession  d'avocat.  Mettre  lu  main  au  bonnet  se  dit  pour 
saluer,  ou  se  disposer  à  mendier.  Jeter  son  bonnet  par- 
dessus les  toits  ou  par-dessus  les  moulins,  c'est  prendre 
bravement  son  parti  d'une  affaire  désagréable  ou  jeter  un 
défi  à  l'opinion  et  la  braver.  Mettre  son  bonnet  de  travers, 
avoir  latêtèprès  du  bonnet,  sont  des  expressions  analo- 
gues, applicables  à  tout  homme  qui  se  montre  chagrin, 
quiuleux,  colère,  opiniâtre,  difficile  à  vivre.  On  dit  souvent 
aussi  d'un  tel  homme  qu'il  est  triste  comme  un  bonnet  de 
nuit,  et,  dans  le  sens  contraire,  (piand  on  veut  parler  de 
personnes  qui  sont  de  facile  composition  et  qui  se  rangent 
volontiers  à  l'avis  d'autrui ,  que  ce  sont  deux  têtes,  trois 
têtes,  etc. ,  dans  un  bonnet.  Prendre  quelque  chose  sous 
son  bonnet,  c'est  se  rendre  garant  d'une  proposition  quel- 
comiue,  c'est  en  assumer  la  responsabilité,  qu'elle  vienne 
de  soi  ou  d'autrui. 

BONi\ET  (Guerre  du).  On  appela  ainsi,  par  dérision, 
une  longue  et  ridicule  lutte  entre  les  ducs  et  pairs  et  les 
parlements.  Cette  querelle  couuuonçasur  la  fin  du  règne  de 
Louis  XIV,  et  litgrandbruitsous  la  régence  du  ducd'Orïéans. 
Les  ducs  et  paiis  voulaient  que  lorsipi'ils  siégeaient  au  par- 
lement, le  premier  président  ôtât  son  bonnet  lorsqu'il  de- 
inandait  leur  avis,  et  eu  même  temps  ils  prétendaient,  d'après 
une  coutume  tombée  en  désuétude  ,  avoir  le  droit  d'opiner 
avant  les  présidents  à  mortier.  Les  deux  partis  souluuent 
leurs  prétentions  avec  beaucoup  de  vivacité  ;  le  duc  de  Saint- 
Simon  se  distingua  surtout  par  son  ardeur  à  soutenir  les  droits 
do  la  pairie  :  il  regardait  les  ducs  et  pairs  connue  les  héritier.'' 
directs,  sinon  des  conquérants  francs,  ainsi  que  le  prétendait 
le  comte  de  Boulainvillicrs,  du  moins  comme  les  successeurs 


des  pairs  de  Cbarlemagne  cf  d'Hugues  Capet  ;  et  il  s'appuyait 
sur  la  science  héraldique  des  d'Hozier  et  du  père  Anselme. 
Le  parlement  résolut  d'ojjposerdes  armes  de  mèn'e  nature, 
et  un  pamphlet  attribué  au  président  de  Novion  alla  scruter 
les  origines  de  ces  prétendues  antiques  maisons  ducales  :  il 
indiquait  que  les  Crussol  d'IJzès  descendaient  d'un  apothi- 
cain;,  les  Villeroi  d'un  marchand  de  poissons,  les  La  Ro-  , 
chefoucauld  d'uri  boucher,  et  les  Saint-Simon  d'un  hobereau,  le 
sire  de  Rouvrai,  et  non  des  comtes  de  Vermandois.  Ce  pam- 
phlet, où  l'erreur  se  mêlait  quelquefois  à  la  vérité,  irrita  les 
ducs  à  tel  point,  qu'ils  résolurent  de  se  transporter  au  palais 
et  d'y  imposer  leurs  prétentions ,  fût-ce  même  par  les  armes. 
Le  régent  intervint,  et  les  empêcha  d'accomplir  leur  projet  en 
fai.sant  droit  à  la  requête  des  ducs  par  un  arrêt  du  conseil 
du  21  mai  f71G;  mais  le  parlement,  à  son  tour,  se  déchaîna 
avec  tant  de  fureur,  que  le  régent  revint  sur  sa  décision , 
révoqua  l'arrêt,  et  renvoya  la  décision  du  procès  à  la  ma- 
jorité du  roi.  A.  Feillet. 

BONNET  (Anatomie).  C'est  le  second  estomac  des  ru- 
minants, qu'on  a  aussi  appelé  réseau.  Ces  deux  noms  pro- 
venaient sans  doute  de  la  ressemblance  de  cet  organe  avec 
les  anciens  réseaux  que  les  femmes  portaient  pour  coiffure. 

Bonnet  est  encore  le  nom  de  la  partie  supérieure  de  la 
tôle  des  oiseaux. 

BONNET  (  Ichthrjologie  ),  un  des  noms  de  la  bonite. 

BONNET(TuÉopuiLE),naquità  Genève,le  5mars  1620, 
et  suivit  les  traces  de  son  père  et  de  son  aieul ,  qui  furent 
des  médecins  distingués.  Après  de  brillantes  études  médi- 
cales ,  il  se  fixa  dans  sa  patrie,  où  bientôt  il  se  fit  une  répu- 
tation telle  que  le  duc  de  Longueville,  souverain  de  Neuf- 
chàtel ,  le  prit  pour  son  médecin ,  à  l'exemple  du  duc  de 
Savoie,  Charles-Emmanuel,  qui  avait  jadis  accordé  le  même 
titre  à  son  grand-père.  Devenu  sourd  à  l'âge  de  cinquante 
ans,  Bonnet  renonça  à  l'exercice  de  son  art,  et  passa  dans 
la  retraite  le  reste  de  sa  vie,  qu'il  consacra  à  la  composition 
de  ses  ouvrages.  11  mourut  d'hydropisie  à  l'âge  de  soixante- 
neuf  ans,  le  21)  mars   1G89. 

iîonnet  fut  en  quelque  sorte  le  créateur  de  l'analonue 
pathologique,  en  réunissant  sous  le  nom  pittoresque  de 
Sepnlchretuni  toutes  les  observations  complétées  par  l'au- 
topsie qu'il  put  rencontrer  éparses  dans  les  auteurs.  Ce  re- 
cueil ,  quelles  que  soient  ses  imperfections ,  est  encore  la 
mine  la  plus  féconde  que  nous  ait  léguée  le  dix-septièmo 
siècle ,  et  l'on  peut  dire  que  ce  vaste  ouvrage  a  donné  l'im- 
pulsion aux  travaux  de  même  genre  que  le  dix-huitième 
siècle  a  vus  naître.  Si  IMorgagni ,  comme  compilateur  judi- 
cieux ,  est  supérieur  à  Bonnet ,  il  est  douteux  que  sans  Bon- 
net Morgagni  eût  jamais  édifié  son  immortel  traité  Du  Siège 
et  des  Causes  des  Maladies,  auquel  le  Sepulchretum  a 
fourni  de  nombreux  et  précieux  matériaux.  A  Bonnet  ap- 
partient donc  la  gloire  d'avoir  jeté  les  fondements  de  la 
science  servant  de  base  à  la  pratique  rationnelle,  l'anatomie 
pathologique ,  (jui  nous  fait  \oir  de  la  maladie  tout  ce  que 
la  mort  nous  permet  d'apprécier. 

Publié  à  Genève  en  1679,  le  Sepulchretum,  siveAna- 
tomia  practica ,  ex  cadaveribus  morbo  donatis,  fut  aug- 
menté et  conmienté  par  Manget(Lyon,  1700,  3  vol.  in-fol.). 
Bonnet  a  publié  en  outre ,  sous  le  nom  de  Pharos  Medico- 
runi,  un  excellent  abrégé  des  o'uvres  de  Bâillon  (Genève, 
1C68,  1  vol.  in-t2);  Labijrinthi  medici  extricati ,  site 
methodus  vilandorum  errorum  (Genève,  1787,  in-4''); 
Prodrontus  Analomix  practicœ  (Genève,  1G75,  in-S°)  : 
c'est  la  ])reinièrc  partie  du  Sepulchretum,  sur  lequel  l'au- 
teur voulait  pressentir  le  public;  Mercurius  compilatitis, 
sive  Index medico-practicusiGenhe,  1082,  in-lol.)  :  c'est 
un  dictionnaire  de  médecine  pratique;  Medicina  septen- 
trionalis  coltatiiia  (Genève,  1G8G,  2  vol.  in-fol.),  collec- 
tion tirée  de  divers  recueils;  divers  autres  ouvrages colligés 
après  sa  mort  sous  le  nom  de  Bibliothèque  de  Médecine  el 
de  Chirurgie  (Genève,  1708,  4  vol.  in-4°).    D'  Fougrï. 


BONNET 


433 


BOIVIVET  (Charles),  naturaliste  et  philosophe,  naquit 
à  Genève,  en  1720.  La  lecture  du  Spectacle  de  la  Nature 
par  Pluche  décida  du  genre  d'études  auquel  il  se  livra  avec 
autant  d'ardeur  que  de  succès.  A  l'âge  de  vingt  ans  il  avait 
déjà  fait  d'importantes  découvertes  en  histoire  naturelle; 
mais  lorsque  sa  vue ,  affaiblie  par  l'usage  du  microscope  , 
l'empêcha  de  continuer  ses  expériences,  il  quitta  la  route 
étroite,  mais  sûre,  de  l'observation,  pour  parcourir  le  champ 
des  abstractions,  qui  s'ouvrit  devant  lui  d'autant  plus  vaste 
et  plus  intéressant,  qu'il  avait  déjà  recueilli  un  nombre  de 
faits  considérable.  Si  le  métaphysicien  ne  fut  pas  aussi 
iieurcux  que  le  naturaliste  ,  du  moins  faut-il  avouer  que  la 
grandeuret  l'éclat  de  ses  hypothèses  font  pardonneixe  qu'elles 
ont  d'aventureux,  et  commandent  au  plus  haut  point  l'ad- 
miration pour  le  génie  de  leur  auteur.  11  s'occupa  aussi  de 
psychologie  ;  car  ses  regards  curieux  voulurent  pénétrer 
les  secrets  du  monde  moral  en  même  temps  que  les 
mystères  de  la  nature  organisée.  Quoiqu'il  vécût  à  une 
époque  où  les  idées  avaient  une  tendance  prononcée  au  ma- 
térialisme, surtout  chez  les  esprits  qui  s'occupaientdesciences 
physiques ,  il  ne  professa  jamais  ces  doctnnes ,  et  tous  ses 
efforts,  au  contraire,  eurent  pour  but  d'expliquer  les  lois  qui 
président  à  la  relation  du  principe  pensant  et  de  la  matière, 
qu'il  regardait  comme  entièrement  distmcts.  Malgré  la  part 
très-large  qu'il  lit  aux  sens  dans  l'acquisition  de  nos  connais- 
sances ,  il  admit  une  autre  source  d'idées,  la  réflexion ,  qui 
réagit  sur  les  notions  acquises ,  et  s'élève  par  degrés  aux 
notions  abstraites,  avec  le  secours  de  signes,  c'est-à-dire 
des  mots  ;  mais,  plus  jaloux  de  résoudre  des  problèmes  que 
d'observer  les  faits  tels  qu'ils  se  présentent  à  la  réflexion , 
il  ne  fit  faire  aucun  pas  à  la  psychologie,  et  se  perdit  dans 
des  hypothèses  sur  la  nalure  et  le  jeu  des  fibres  du  cer- 
veau. 

Bonnet  fut  très-religieux ,  malgré  son  siècle  et  la  nature 
<Ie  ses  études.  Accordant  à  l'homme  la  liberté ,  qu'il  définit 
le  pouvoir  qu'a  l'âme  de  suivre  sans  contrainte  les  motifs 
dont  elle  reçoit  l'impulsion ,  et  remarquant  aussi  tous  les 
maux  qui  affligent  l'humanité,  ainsi  que  l'inégale  distribu- 
tion des  biens  du  Créateur,  il  en  conclut  à  la  nécessité  d'une 
autre  vie,  dans  laquelle  celle-ci  recevra  son  complément. 
Toutefois,  regardant  les  preuves  que  la  raison  toute  seule 
nous  suggère  de  l'immortalité  de  l'àme  comme  trop  faibles 
pour  être  un  motif  suffisant  à  l'homme  de  faire  le  bien,  il 
tire  de  la  faiblesse  même  de  ces  motifs  la  nécessiié  de  motifs 
plus  impérieux,  c'est-à-dire  de  preuves  plus  directes,  et 
alors  il  conclut  à  la  nécessité  d'une  révélation.  C'est  pour  ap- 
puyer ce  raisonnement  qu'il  composa  son  ouvrage  intitulé  : 
Becherches  philosophiques  sur  les  preuves  du  christia- 
nisme. Mais  il  ne  s'aperçut  pas  qu'il  était  tombé  dans  un 
cercle  vicieux  ,  où  sont  tombés  et  tomberont,  comme  lui, 
tous  ceux  qui  voudront  placer  la  révélation  au-dessus  de  la 
raison ,  et  se  servir  ensuite  de  la  raison  et  de  tous  ses  argu- 
ments pour  prouver  la  révélation. 

Le  titre  le  plus  incontestable  de  Bonnet  au  souvenir  de  la 
postérité  est  sans  contredit  son  système  palingénésique  sur  la 
nature  organisée  :  ce  système  futson  idée  favorite.  Ce  fut  celle 
qui  servit  de  but  et  de  lien  à  toutes  ses  réflexions;  ce  fut 
celle  aussi  qu'il  développa  avec  le  plus  de  talent.  11  professa 
d'abord  la  doctrine  de  l'emboîtement  et  de  la  préformalion  des 
germes,  c'est-à-dire  qu'il  admit  que  le  germe  d'une  espèce, 
une  fois  créé ,  contient  les  germes  de  tous  les  individus  qui 
forment  le  développement  successif  de  l'espèce.  Ce  n'est  pas 
tout  :  non-seulement  le  Créateur  a  placé  ainsi,  dès  le  com- 
mencement, dans  chaque  germe  tous  ceux  par  lesquels  l'es- 
pèce doit  se  multiplier  indéfiniment;  mais  chaque  espèce 
elle-même  est  perfectible,  et  renferme  aussi  en  germe  les 
éléments  et  les  conditions  de  son  perfectionnement.  Ce  per- 
fectionnement s'accomplira  par  degrés,  et  seulement  lorsque 
le  globe  sur  lequel  doivent  habiter  les  espèces  sera  appro- 
prié au  nouveau  développement  de  ses  Ivôtes.  Ainsi  notre 

DÎCT.    DE   LA   C0^VERS.    —  T.    III. 


globe  a  déjà  subi  des  révolutions  successives ,  à  mesure  que 
les  espèces  qui  y  sont  placées  ont  subi  efles-mêmes  leur 
métamorphose,  ou  plutôt  leur  développement  progressif, 
qui  consiste  dans  un  plus  grand  nombre  de  sens  et  de  fa- 
cultés ;  car  Dieu  a  préformé  originairement  les  êtres  dans 
un  rapport  déterminé  aux  diverses  révolutions  que  chaque 
monde  est  appelé  à  subir.  Il  règne  entre  tousles  êtres  vivants 
une  gradation  merveilleuse,  depuis  la  mousse  jusqu'au  cèdre, 
depuis  le  polype  jusqu'à  l'homme.  La  même  gradation  exis- 
tera sans  doute  dans  l'état  futur  de  notre  globe;  mais  elle 
n'existera  plus  entre  les  mêmes  espèces.  L'homme,  trans- 
porté dans  un  autre  séjour,  plus  approprié  à  l'émiuencc  de 
ses  facultés  ,  laissera  au  singe  et  à  l'éléphant  cette  précaira 
place  qu'il  occupait  parmi  les  animaux  de  notre  i)lanète. 
Dans  ce  progrès  universel  des  animaux ,  il  pourra  donc  se 
trouver  des  Newton  et  des  Leibnitz  chez  les  singes  et  les 
éléphants,  des  Perrault  et  des  Yauban  chez  les  castors.  Les 
espèces  les  plus  inférieures,  telles  que  les  huîtres,  les  polypes, 
seront  aux  espèces  les  plus  élevées  de  cette  nouvelle  hiérar- 
chie comme  les  oiseaux  et  les  quadrupèdes  sont  à  l'homme 
dans  la  hiérarchie  actuelle ,  etc. 

Tel  est  à  peu  près  le  sens  de  la  palingénésie  de  Bonnet, 
système  où  l'on  remarque  malheureusement  plus  d'imagina- 
tion et  de  poésie  que  de  solidité.  C'est  à  ces  lêves  brillants 
qu'il  employa  les  loisirs  d'une  vie  douce  et  tranquille,  qu'il 
passa  au  sein  de  l'aisance  et  sans  jamais  vouloir  sortir  de 
sa  patrie.  Il  mourut  à  l'âge  de  soixante-treize  ans.  Ses  prin- 
cipaux ouvrages  d'histoire  naturelle  sont  un  Traité  d'In- 
sectolocjie  ;  un  autre  Sur  V  usage  des  feuilles,  qui  renferme 
ses  découvertes  sur  la  physique  végétale.  Ses  ouvrages 
philosophiques  sont  plus  nombreux.  Il  a  laissé  :  un  Essai 
de  Psychologie,  ou  Considérations  sur  les  opérations  de 
rdme,  sur  V habitude  et  l'éducation  ;  un  Essai  analytique 
sur  les  facultés  de  Vdme;  des  Considérations  siir  les 
corps  organisés; des  Contemplations  de  la  Nature;  enfin, 
sa  Palingénésie  philosophique.  C.-M.  Paffe. 

liONNET  (Louis- Ferdinand),  avocat,  né  à  Paris,  le 
8  juin  1760,  mort  conseiller  à  la  cour  de  cassation,  le  6  dé- 
cembre 1839,  a  été  l'une  des  illustrations  du  barreau  fran- 
çais moderne.  Les  brillants  succès  de  ses  études  avaient 
été  pour  lui  le  présage  de  succès  plus  glorieux.  Élève  du 
collège  Mazarin  ,  il  remporta  au  concours  général  des  dix 
collèges  réunis  le  premier  prix  de  discours  français;  ses 
professeurs  lui  conseillèrent  d'embrasser  la  carrière  du 
barreau ,  et  leurs  prévisions  ne  furent  pas  trompées  :  le 
jeune  avocat  se  distingua  de  bonne  heure  par  de  grandes 
qualités  oratoires,  et  dès  son  début  ses  plaidoyers  fixèrent 
l'attention.  Admis  au  stage  en  1783,  il  fut  inscrit  sur  le 
tableau  en  1787. 

Paris,  la  France  entière  retentirent  avant  la  révolution 
de  la  fameuse  affaire  Kornrnann  :  on  y  avait  vu  figurer  Ber- 
gasse, Beaumarchais, le  prince  de  Nassau  et  l'élite  des 
avocats  de  la  capitale.  Bonnet  avait  été  chargé  de  défendre 
jyjme  Kornmann.  Au  milieu  de  tant  d'orateurs  déjà  célèbres, 
il  avait  soutenu  glorieusement  la  lutte,  égalant  les  uns,  éclip- 
sant les  autres  ;  et  M""^  Kornmann  ayant  gagné  son  procès, 
le  talent  du  jeune  orateur,  connu  et  apprécié  de  tous ,  lui 
avait  préparé  une  foule  de  nouveaux  triomphes.  A  trente  ans 
il  était  à  la  tête  du  barreau  de  Paris.  Après  la  révolution  il 
se  signala  dans  l'affaire  Lanefranque.  Il  s'agissait  du  su- 
borneur d'une  femme  mariée ,  venant ,  avec  effronterie , 
demander  à  la  justice  la  nullité  du  mariage  de  la  femme 
qu'il  avait  séduite,  et  produire  impudemment,  comme 
preuve  de  ses  droits,  les  fruits  de  son  adultère.  Bonnet, 
dans  une  improvisation  brillante,  l'accabla  de  toute  son  in- 
dignation, et  termina  sa  plaidoirie  par  un  mouvement  ora- 
toire des  plus  remarquables. 

Pendant  les  dernières  années  du  Directoire  et  au  com- 
mencement du  Consulat  il  était  le  conseil  judiciaire  de  la 
trésorerie  nationale,  et  il  conserva  cette  clientèle  impor- 


4  31 


BONNET  —  BONNET  A  POIL 


tante  jusqu'au  moment  où  il  s'en  dMit  en  favenr  de  son 
fils.  Pliais  après  la  révolution  de  1830  Bonnet  fit  place  à 
M.  Teste,  et  celui-ci  à  M.  Ferdinand  Barrot.  Ce  fut  dans 
l'affaire  du  mineur  Félix,  depuis  M.  le  baron  de  Saint-Félix, 
premier  aide  des  cérémonies  sous  Louis  XVIII  et  Charles  X, 
que  Bonnet  et  Delamalle  fncnt  leur  rentrée  au  palais. 

Les  codes  nouveaux,  qui  devaient  si.niplifier  les  principes 
et  les  précédents ,  n'étaient  pas  encore  aclievés.  Les  débu- 
tants ne  pouvaient  guère  plaider  qu'au  criniinel.  «  Or  tous 
les  défenseurs  of^ficieux ,  à  l'exception  de  quatre  ou  cinq, 
sont,  disait  alors  Bonnet,  des  liômmes  tellement  tarés,  que 
pour  tout  au  monde  je  ne  voudrais  me  commettre  auprès 
d'eux  ;  jamais  de  ma  vie  je  ne  plaiderai  pour  un  accusé.  » 
]':t  il  nonnnait  un  des  défenseurs  officieux  de  l'époque,  au- 
quel, ajoutait-il,  il  n'aurait  pas  permis  de  décrotter  ses  sou- 
liers... s'il  y  avait  eu  des  boucles  d'argent. 

Deux  ou  trois  fois  pourtant  Bonnet  dérogea  à  l'engage- 
ment qu'il  avait  si  énergi(\u(:ment  pris.  11  piaula  pour  le  gé- 
néral jMoreau  :  cette  défonce,  beaucoup  moins  étendue  (pie 
ne  le  serait  de  nos  jours  celle  d'un  accusé  de  la  même  im- 
juMtancc,  était  remarquable  par  la  concision  autant  que  par 
l'éloquence.  On  ne  saurait  s'imaginer  combien  étaient  bar- 
dies  alors  des  choses  qui  il  y  a  quelques  années  encore 
auraient  semblé  les  plus  simples  et  les  plus  vulgaires. 

A  la  Restauration,  comme  le  plus  grand  nombre  des  avo- 
cats ,  Bonnet  vit  avec  joie  cesser  l'œuvre  napoléonienne  ; 
cependant  il  passait  parmi  les  ardents  amis  de  la  royauté 
pour  être  fort  tiède.  S'il  fut  nommé  président  de  l'une  des 
sections  du  collège  électoral  de  la  Seine ,  c'est  parce  qu'on 
n'aurait  pas  pu  faire  une  autre  désignation  pour  obtenir, 
par  exemple,  la  nomination  de  Ternaux  à  la  place  de  Ben- 
jamin Constant.  En  1820  il  fut  nommé  d'office  défenseur  de 
Lou  vel.  Ses  raisonnements  contre  la  compétence  de  la  cour 
des  pairs  jusqu'à  la  promulgation  d'une  loi  spéciale  étaient 
tellement  concluants,  que  les  défenseurs  les  plus  énergiques 
des  accusés  d'avril,   en  1835,  n'ont  pas  employé  d'autres 
arguments.  JSommé  deux  fois  de  suite  bâtonnier  de  l'ordre 
en  1815  et  181G,  il  fut  appelé  en  1820  à  la  Chambre  des  Dé- 
putés par  la  ville  de  Paris  et  réélu  on  1824.  11  n'entrait  qu'à 
son  corps  défendant  dans  la  carrière  politique,  ce  qui  ne 
l'empêcha  pas  de  devenir  un  des  \ice-présidents  de  l'as- 
semblée en  1820,  de  prononcer  plusieurs  discours  remar- 
quables, et  d'être  chargé  de  plusieurs  travaux  importants 
durant  ces  deux  législatures.  En  1822  il  fut  nommé  rappor- 
teur de  l'une  des  deux  commissions  qui  se  réunirent  pour 
4)réparcr  une  loi  unique  sur  la  presse.  En  1824  et  1825  il 
se  prononça  contre  la  création  du  trois  pour  cent  et  la  con- 
version des  rentes  :  c'était  assez  mal  faire  la  cour  aux  puis- 
sants du  jour,  qui  couraient  à  leur  perte  par  l'impopularité. 
Pourtant,  en  1826,  il  fut  nommé  conseiller  à  la  cour  de  cas- 
sation, et  dans  ces  fonctions  il  sut  encore  se  concilier  l'at- 
tachement et  l'estime  de  ses  nouveaux  collègues.  En  1827, 
h  l'issue  des  émeutes  ou  quasi-émeutes  qui  suivirent  des 
élections  favorables  au  libéralisme,  il  fut  signalé  à  la  haine 
publique.  Les  rassemblements  formés  à  la  place  Vendôme 
devant  la  chancellerie  faisaient  retentir  l'air  de  cette  bur- 
lesque exclamation  :  «  Peyroimet  !  Peyronnet  !  tiens  bien  ton 
Bonnet!  » 

Après  les  journées  de  juillet  1830,  Bonnet,  qui  avait 
depuis  longtemps  prédit  une  révolution,  qu'il  regardait 
comme  inévitable,  prêta  serment  à  la  nouvelle  charte,  et 
s'abstint  désormais  de  toute  espèce  de  démonstration  poli- 
tique. Le  concours  immense  d'hommes  de  toutes  les  opi- 
nions qui  se  pressaient  à  ses  funérailles  prouva  qu'il  jouis- 
sait ,  comme  homme  privé ,  comme  jurisconsulte  et  comme 
magistrat ,  de  l'estime  universelle. 

M.  Jules  Bonnet,  son  fils,  avocat  à  la  cour  d'appel,  ancien 
avocat  du  trésor,  connu  par  ses  succès  au  barreau  et  par  plu- 
sieurs brochures,  a  publié  en  1826  la  traduction  des  œiivics 
complètes  de  Mackensic  en  5  volumes.  Breton. 


BOIXiVET  A  POIL,  sorte  de  mitre  dont  la  calotte  ob 
forme  est  recouverte  en  peau  d'ours;  mais  qui  diffère  du 
colback.  Son  us<age  s'est  étendu  à  diverses  armes,  puis- 
qu'en  1767  (25  avril)  il  en  fut  donné  aux  dragons  français. 
L'usage  du  bonnet  à  poil  rappelle  les  temps  et  les  pays 
barbares  :  s'accoutrer  de  peaux  de  bêtes  était  déjà  nue  mode 
chez  les  anciens  Germains.  On  lit  dans  l'Iutarque  que  les 
Cimbres  et  les  Teutons  ornaient  leurs  têtes  des  dépouilles  des 
animaux  féroces;  Végècedit  que  pour  se  donner  un  aspect 
plus  terrible,  les  porte-enseigne  avaient  un  casque  couvert 
de  peau  d'ours  garnie  de  son  poil  ;  le  même  auteur  appelle 
pileiis  pannonicus ,  des  bonnets  de  peau  comparables  à  de 
lourds  bonnets  de  police,  qu'on  donna  pendant  longtemps 
à  tous  les  soldats  en  temps  de  paix  ;  on  les  tenait  exprès 
volumineux  et  pesants,  pour  que  le  casque  repris  en  temps 
de  guerre  leur  ])ariit  plus  léger.  Les  Francs  s'encapuchon- 
naient  de  la  tête  de  l'animal  dont  la  peau  formait  leur 
sayon ,  à  peu  près  comme  on  nous  représente  Hercule. 

La  moilc  des  bonnets  à  poil ,  (pie  le  harnais  de  fer  avait 
fait  oublier,  reparut  en  Prusse  il  y  a  un  siècle  et  demi.  Le 
père  de  Frédéric  II  coiffa  d'ours  ses  géants ,  afin  de  les 
grandir  encore;  la  forme  poinliie  de  leurs  bonnets  avait 
pour  objet  de  donner  la  facilité  de  mettre  le  fusil  à  la  gre- 
nadière,  avant  de  lancer  la  grenade  et  de  le  r(itirer  facile- 
ment ensuite,  pour  s'en  servir  après  l'épuisement  des  gre- 
nades. De  1730  à  1740  les  grenadiers  des  gardes  françaises 
et  suisses  et  les  grenadiers  à  cheval  s'affublèrent  de  même, 
en  imitation  de  cette  méthotle  tudesque.  Puységur  leur  re- 
prochait en  1748  cet  inutile  surcroit  de  charge,  qu'ils 
s'iniposaient  sans  utilité  depuis  que  le  jet  de  la  grenade 
était  passé  de  mode. 

Dans  la  guerre  de  1756,  la  troupe  de  ligne  prit  générale- 
ment le  goût  des  bonnets  à  poil  :  en  cela  nous  copiâmes  nos 
alliés  les  Autrichiens,  qui  déjà  les  portaient.  Quelques  jeunes 
colonels ,  qui  étaient  de  grands  seigneurs  et  de  petits  es- 
prits ,  introduisirent  dans  les  compagnies  de  grenadiers  do 
leur  corps  les  bonnets  à  poil ,  et  les  commis  de  la  guerre 
ratifièrent  complaisamment  cette  fantaisie.  Le  règlement  de 
17G7  fut  le  premier  qui  légalisa  dans  les  troupes  de  ligne 
cette  nouveauté;  il  est  le  seul  des  documents  du  dernier 
siècle  qui  mentionne  cette  coiffure;  il  la  rendait  particulière 
aux  grenadiers  à  pied  et  à  cheval  ;  aussi,  bonnet  à  poil  et 
bonnet  de  grenadier  étaient-ils  synonymes.  Le  ministre  Saint- 
Germain,  jugeant  ces  bonnets  incommodes,  fatigants  et  peu 
militaires,  puisqu'on  temps  de  gueiTe  on  y  renonçait,  les  re- 
gardant d'ailleurs  comme  d'autant  plus  coûteux  qu'il  fallait 
en  verser  le  prix  chez  les  peuples  du  Nord ,  les  proscrivit 
par  l'ordonnance  de  1776.  Une  décision  de  1788  les  rendit 
aux  grenadiers ,  et  ils  avaient  même  continué  à  les  porter 
malgi'é  leur  suppression ,  tant  l'uniforme  était  alors  chose 
arbitraire. 

Une  instruction  de  1791  donnait  un  bonnet  à  poil  et  un 
chapeau  à  cornes  aux  grenadiers.  Ils  entrèrent  en  campagne 
en  1792  en  laissant  aux  dépôts  ces  bonnets.  Un  peu  plus 
tard ,  la  garde  consulaire  mit  à  la  mode  l'usage  de  les  porter 
à  la  guerre.  Une  décision  de  l'an  X  s'occupa  la  première , 
mais  superficiellement ,  de  quelques-uns  des  détails  de  cette 
coiffure ,  jusque  là  de  pure  fantaisie.  La  garde  impériale 
étendit  à  ses  chasseurs  d'infanterie  un  usage  jusque  là  par- 
ticulier aux  grenadiers,  et  ses  énormes  bonnets  se  dévelop- 
pèrent en  forme  de  montgolfière  à  la  manière  égyi)tienne  ou 
valaque.  Les  bonnets  de  grenadiers  à  pied  portaient  sur  le 
devant  une  plaque  en  cuivre  rouge  empreinte  de  l'aigle  im- 
périale; ceux  de  chasseurs  n'en  avaient  pas.  Ces  plaques, 
chauffées  pendant  des  journées  entières  parmi  soleil  ardent, 
occasionnaient  de  violentes  céplialalgie.s,  et  ridaientde  bonne 
heure  comme  des  fronts  de  vieillards  ceux  des  hommes  que 
la  discipline  condamnait  à  en  êlreaffublés.  Un  décret  de  1812 
retira  le  bonnet  à  poil  aux  grenadiers  de  la  ligne.  Le  duc  de 
Feltre  motivait  sur  réuormité  de  la  dépense  cette  sage  siij) 


BONNET  A  POIL  —  BONNETERIE 


435 


pression.  Ce  ministre,  n'osant  pas  touclier  aux  bonnets  delà 
giiioe,  allégua  du  moins  en  partie  les  dépenses  qu'entraînait 
te  tribut,  et  il  ne  s'y  assujettit  plus  que  pour  les  corps  d'élite 
de  la  vieille  garde,  qu'à  cette  époque  on  se  proposait  de  fournir 
bientôt  de  peaux  d'ours  prises  en  Russiemême.  L'ordonnance 
de  181 3  ne  donnait  qu'aux  seuls  grenadiers  de  la  garde  royale 
le  bonnet  à  poil  ;  mais  le  ministre ,  soit  pour  complaire  aux 
solliciteurs,  soit  de  son  plein  mouvement,  étendit  cette 
mesure  aux  voltigeurs ,  aux  fusiliers  de  cette  garde.  L'his- 
toire du  bonnet  à  poil  est  curieuse,  en  ce  que  l'usage  s'en  est 
conservé  longues  années  en  dépit  de  tous  les  règlements, 
sauf  un  seul ,  et  en  dépit  de  presque  tous  nos  ministres  :  ils 
étaient  unanimes  dans  le  texte  de  leurs  considérants  ;  ils 
proscrivaient  cette  coiffure,  comme  ridicule,  incommode, 
lourde,  sans  solidité,  de  nulle  défense,  se  refusant  à  l'em- 
ballage, hideuse  en  sa  vétusté,  et  redoutant  les  rameaux 
d'un  taillis,  le  feu  du  bivac,  l'alourdissement  que  prend 
l'oursin  quand  la  neige  s'y  attache  et  le  hérisse  de  glaçons. 
Le  pouvoir  n'a  pas  triomphé  sans  peine  de  la  mode. 

La  forme  du  bonnet  et  le  plus  ou  moins  d'abondance  de 
ses  accessoires  ont  varié  non  moins  que  tous  nos  autres 
effets  d'uniforme.  Les  bonnets  prussiens  et  ceux  de  leurs 
premiers  imitateurs ,  Autrichiens,  Anglais,  Hessois,  étaient 
en  pain  de  sucre  par-devant  et  plats  par  derrière,  à  partir 
du  haut  de  la  tête  jusqu'à  la  pointe.  Les  bonnets  avaient 
encore  dans  nos  régiments  étrangers  cette  forme  lors  de 
la  révolution;  ils  l'avaient  encore  dans  l'armée  russe  au 
commencement  de  ce  siècle.  Les  régiments  français  ont 
peu  à  peu  modifié  cette  configuration  ,  et  l'ont  amené  à  l'o- 
vale, forme  qui  n'est  pas  plus  ridicule  qu'une  autre,  puis- 
que le  bonnet  pointu  cessait  d'avoir  une  signification  dès 
que  les  grenadiers  ne  lançaient  plus  la  grenade.  Le  bonnet 
à  poil  a  été  tour  à  tour,  avec  ou  sans  plumet  ni  pompon, 
avec  ou  sans  cocarde,  avec  ou  sans  cordon,  de  telle  ou 
telle  couleur,  affectant  en  tout  sens  l'ovale  au  sommet  ou  y 
laissant  une  échancrure  en  drap  ou  en  cuir,  avec  tel  ou  tel 
ornement."  La  garde  royale  avait  imaginé  de  petits  paniers 
sans  fond,  ou  cônes  tronqués,  qui  remettaient  en  forme 
le  bonnet  quand  il  n'était  pas  sur  la  tète  de  l'homme.  La 
garde  descendante,  à  qui  l'on  apportait  au  corps  de  garde 
ces  paniers,  les  remportait  à  la  caserne,  après  les  avoir 
attachés  en  dehors  du  havresac,  à  l'aide  de  la  courroie 
longue.  Il  n'y  a  pas  de  mode  ridicule  qui  n'en  amène  de 
phis  ridicules.  G"'  Bardix. 

Quand  la  garde  royale  eut  disparu  en  1S30,  le  bonnet  à 
poil  ne  fut  plus  en  usage  dans  l'armée  française  que  pour  les 
sapeurs  porte-hache  de  l'infanterie  et  les  gendarmes  à  che- 
val de  la  Seine.  Il  a  persisté  dans  la  garde  nationale  de  Paris 
(sapeurs ,  grenadiers  et  voltigeurs)  jusqu'à  la  révolution  de 
1848.  C'était  un  contre-sens  :  il  faut  être  militaire  consommé 
pour  bien  ^jorter  cette  coiffure,  et  les  besicles  bourgeoises 
surtout  se  marient  pitoyablement  avec  elle.  L'arrêté  du  gou- 
vernement provisoire  qui  la  supprimait  désormais  dans  la 
garde  nationale  provoqua  pourtant  le  16  mais  une  ridicule 
démonstration  ayant  pour  but  de  le  lui  faire  rapporter,  et 
restée  à  jamais  fameuse  sous  le  nom  de  journée  des  bon- 
nets à  poil.  Enfin  le  bonnet  à  poil  vient  d'être  donné  comme 
coiffure  à  la  gendarmerie  mobile. 

BOXA'ET  CHLXOIS.  Espèce  de  macaque,  ainsi  appelée 
à  cause  de  la  disposition  des  poils  du  sommet  de  la  tête 
qui,  retombant  de  tous  côtés ,  forment  une  sorte  de  calotte. 

Les  marchands  et  les  amateurs  désignent  rarement  les  co- 
quilles par  des  ternies  scientifiques.  Souvent  ils  leur  don- 
nent des  noms  qui  indiquent  leur  ressemblance  avec  cer- 
tains objets.  Ainsi  plusieurs  coquilles  des  genres  patelle,  ca- 
lyptric  et  cabochon  ont  reçu  d'eux  le  nom  de  bonnet  chinois. 

liOXXETDE  PRÊTRE  [Botanique).  Voyez  Fcs4in! 

liOXXET  DE  PRÊTRE  ou  BONXET  à  PRÊTRE 
(  Fortification  ),  sorte  de  pièce  de  fortification  qui  fait  par- 


tie des  dehors  d'une  place,  et  est  nommée  bonnet  par  al- 
lusion à  la  configuration  de  son  plan.  C'est  une  double  te- 
naille, à  gorge  étroite,  construite  en  avant  du  milieu  d'une 
courtine,  et  quelquefois  d'un  ravelin  ;  c'est  un  ouvrage  isolé, 
présentant  quatre  faces  brisées  au  moyen  de  deux  angles 
rentrants  et  de  trois  angles  saillants  ;  c'est  enfin  une  forme 
de  dent  de  scie  entre  deux  demi-dents.  Le  prolongement 
des  ailes  du  bonnet  de  prêtre  formerait,  si  elles  n'étaient 
coupées,  un  angle  de  rencontre  avec  la  courtine,  et  c'est 
surtout  en  cela  que  le  bonnet  diffère  de  la  tenaille  double, 
dont  les  ailes  sont  parallèles ,  tandis  que  les  siennes  se  di- 
rigent en  queue  d'aronde.  Le  bonnet  de  prêtre,  rejeté 
par  nos  meilleurs  tacticiens ,  est  peu  praU([ué  chez  nous. 
Cependant  en  1796  les  Français  défrndirent  Kehl  en  y 
construisant  une  tête  de  pont  en  bonnet  de  prêtre. 

BOA'XET  D'HÏPPOCRATE.  Les  chirurgiens  don- 
nent ce  nom  à  une  espèce  de  bandage  [lour  la  tête  ou  de 
capeline  à  deux  chefs  pourle.>  écaitements  des  sutures. 

BOA'XETERIE.  On  comprend  sous  cette  dénomina- 
tion tous  les  ouvrages  tricotés  ou  faits  au  métier  à  bas, 
comme  bonnets,  bas,  gilets,  gants,  pantalons,  etc.,  et 
aussi  l'industrie  qui  s'occupe  de  la  confection  et  de  la  vente 
de  ces  objets.  On  peut  classer  les  innombrables  prodoits 
qui  sont  l'objet  du  commerce  de  la  bonneterie  en  quatre 
grandes  divisions  :  la  bonneterie  de  coton,  la  bonneterie  de 
laine,  la  bonneterie  défit,  et  la  bonneterie  de  soie,  qui 
peut  se  subdiviser  en  bonneterie  de  soie  proprement  dite 
et  en  bonneterie  deflosellc  ou  bourre  de  soie. 

La  bonneterie  de  coton  est  la  plus  importante,  à  cause 
de  la  masse  de  consommateurs  à  laquelle  elle  s'adresse  :  sa 
fabrication  occupe  une  multitude  d'ouvriers,  disséminés 
dans  un  grand  nombre  de  villes,  dont  la  plus  importante, 
sous  ce  rapport ,  est  Troyes.  Les  fabriques  de  Caen  et  de 
Rouen,  quoique  moins  considérables,  produisent  des  ar- 
ticles plus  recherchés  pour  la  qualité.  JN'îmes  est  renommée 
pour  ses  bas  (ins  et  à  jour,  auxquels  on  ne  peut  reprocher 
que  leur  manque  de  solidité.  Les  fabriques  de  Besançon, 
de  ^■ancy,  de  Vitry ,  de Bar-le-Duc ,  de  Lyon,  d'Héricourt, 
de  Sainte-Marie-aux-Mines ,  d'Arcis  ,  de  Méry ,  de  Romilly, 
d'Estissac,  etc.,  ne  viennent  qu'ensuite. 

Dans  cette  spécialité,  la  France  n'exporte  guère  plus  que 
les  bas  et  les  gants  en  fil  d'Ecosse  ou  coton  retors.  Cet 
article  mérite  une  mention  spéciale,  à  cause  de  l'importance 
qu'il  acquiert  tous  les  jours.  On  en  fait  une  grande  con- 
,  sommation  en  France  ;  les  pays  chauds ,  et  notamment  les 
Antilles ,  absorbent  le  reste ,  et  nous  sommes  encore  seuls 
pour  alimenter  ce  débouché.  C'est  le  département  du  Gard 
qui  se  livre  à  ce  genre  de  fabrication. 

Quant  à  la  bonneterie  de  laine,  nous  n'en  exportons 
presque  plus  à  l'étranger.  Les  produits  anglais,  qui  sont 
d'une  supériorité  bien  marquée,  nous  font  partout  une 
concurrence  victorieuse.  Cependant  notre  consommation  in- 
térieure est  assez  considérable  pour  que  cette  industrie  soit 
pratiquée  dans  un  grand  nombre  de  localités.  Ainsi  I\Iont- 
didier,  GrandviUiers ,  Roye,  Fère-en-Tardinois ,  Neuilly 
Saint-Front ,  Montolieu ,  Orléans,  Reims,  Caen  et  leurs  en- 
virons ont  des  fabriques  de  bas  de  laine  au  métier.  Poitiers, 
Chartres  et  toute  la  Beauce,  Chaumont,  Vignory  et  quelques 
autres  lieux  de  la  Champagne,  s'occupent  de  la  fabrication 
des  bas  et  des  bonnets  à  l'aiguille.  Les  principales  fabri- 
ques de  bas  de  laine  nommés  bas  d'estame  se  trouvent  dans 
les  départements  du  Pas-de-Calais  et  du  Calvados.  C'est 
surtout  à  Reims  et  dans  le  département  d'Eure-et-Loir  que 
se  fout  les  bas  drapés.  Paris  fabiique  les  calottes  et  autres 
menus  articles. 

La  bonneterie  de  fil  est  aujourd'Imi  de  bien  peu  d'im- 
portance en  France.  Le  centre  de  cette  fabrication  est  en 
Artois,  et  on  n'y  compte  guère  que  cinq  ou  six  grandes  mai- 
sons. C'est  qu'aussi  nous  ne  pouvons  lutter  avec  la  Saxe, 
ni  pour  le  prix,  ni  pour  les  qualités  du  til  que  ee  pays  sait 

55. 


43G 


BONNETERIE  —  BONNETS 


produire.  Autrefois,  nous  exportions  pour  l'Espagne  et  les 
ct)loaies  ;  maintenant  ce  sont  les  Anglais  qui  approvisionnent 
ces  débouchés,  avec  la  bonneterie  de  Saxe. 

Si  on  en  excepte  les  articles  de  Lyon  et  de  Paris,  qui 
d'ailleurs  jouissent  d'une  réputation  méritée ,  la  bonneterie 
de  soie  provient  presque  totalement  du  midi  de  la  France, 
où  ses  principaux  centres  de  fabrication  sont  :  Nîmes, 
Romans,  Saint- Jean-du-Gard,  Uzès ,  le  Vigan ,  Tours, 
Vasselonne ,  Monlpellicr  et  Ganges.  La  moitié  environ  des 
produits  fabriqués  passe  à  l'étranger,  et  nous  avons  une 
véritable  supériorité  sur  la  fabrication  anglaise.  La  France 
approvisionne  de  bas,  de  gants,  de  bonnets  de  soie,  les 
ILtats-Unis  et  toute  l'Amérique  méridionale.  L'Angleterre 
elle-même  nous  demande  beaucoup  de  gants  de  soie;  et 
le  bas  prix  de  nos  produits  la  forcerait  à  nous  demander 
aussi  ses  bas ,  sans  le  droit  d'entrée  qui  impose  nos  soieries. 

Kniin  ,  la  bonneterie  de  filoselle  se  fabrique  aussi  dans 
le  déparlemcjit  du  Gard.  La  Suisse  est  le  seul  pays  étranger 
qui  soit  redoutable  pour  notre  industrie  et  notre  com- 
merce en  ce  genre.  C'est  en  Suisse  que  l'Allemagne,  la  Hol- 
lande et  la  Belgique,  s'approvisionnent  en  grande  partie 
pour  les  bas  et  les  gants  de  filoselle.  La  consommation  in- 
térieure suffit  à  la  France  pour  ce  qu'elle  produit  elle-même. 

Depuis  quelques  années ,  on  remarque  dans  la  bonneterie 
un  progrés  bien  sensible,  et  ce  commerce  se  maintient  par 
la  multiplicité  des  genres  et  des  articles  nouveaux  dont  il 
s'occupe.  Toutefois,  les  exportations  ne  sont  pas  plus  élevées 
qu'il  y  a  quinze  ou  vingt  ans.  En  effet ,  nous  ne  pouvons 
jias  fournir  aux  étrangers  les  articles  communs ,  que  les 
Anglais  peuvent  produire  à  bicji  meilleur  marché.  Kous 
leur  sommes  supérieurs  pour  le  beau  et  le  fini  ;  mais  sans 
la  mode ,  dont  nous  possédons  mieux  qu'eux  l'art  de  sti- 
muler les  caprices ,  nos  exportations  deviendraient  nulles. 

BONi\ET  ROUGE  ou  BONNET  DE  LA  LIBERTÉ. 
Cette  coilfure  dont  les  artistes  décorent  la  Liberté,  sans 
doute  depuis  qu'il  était  la  marque  de  l'affranchissement 
des  esclaves ,  devint ,  avec  la  carmagnole,  le  signe  dis- 
tinctif  des  masses  populaires  qu'emportait  le  flot  démago- 
gi(jue  lors  des  premiers  excès  de  la  révolution  de  1789.  S'en 
coiffer  à  cette  époque,  c'était  faire  acte  de  civisme,  et  la 
populace  qui  inonda  les  Tuileries  à  la  journée  du  20  juin 
1792  en  décora  le  front  de  Louis  XVI,  rebelle  à  huis 
clos ,  selon  sa  coutume ,  à  ce  grand  mouvement  d'émanci- 
pation générale,  auquel  il  semblait  toujours  céder  de  bonne 
grâce  eu  public.  Mais  d'où  venait  cet  emblème  si  spontané- 
ment ,  si  généralement  adopté  ?  Était-ce  une  réminiscence 
du  vieux  bonnet  phrygien,  comme  quelques-uns  l'ont  pré- 
tendu? Ou  plutôt  n'y  faut-il  voir  autre  chose  que  la  coilfure 
des  premières  bandes  marseillaises  aflluant  à  Paris  après 
l'avoir  piobablement  empruntée  à  leurs  voisins  les  monta- 
gnards catalans  des  Pyrénées-Orientales ,  qui  s'en  parent 
de  temps  inunémorial ,  malgré  les  ordonnances  sévères  de 
tous  les  préfets  bien  pensants  ?  Une  troisième  version  as- 
signe à  celte  coiffure  une  autre  origine  :  A  l'en  croire,  des 
soldats  suisses ,  s'élant  révoltés  contre  leurs  officiers  aristo- 
crates ,  auraient  été  impitoyablement  envoyés  aux  galères; 
mais,  graciés  par  l'Assemblée  nationale,  ils  seraient  revenus 
à  Paris  décorés  du  bonnet  rouge  du  bagne,  et  l'auraient 
popularisé  parmi  la  multitude  qui  les  recevait  en  triomphe. 
La  dénomination  de  bonnets  rouges  s'étendit,  plus  taid, 
aux  hommes  qui  adoptèrent  cet  insigne,  et  devint  le  synonyme 
de  montagnard. 

De  France  cet  emblème  est  passé  dans  l'une  et  l'autre 
Amérique;  et  sur  les  deux  Océans,  en  Californie  comme 
aux  Étals-Unis;  au  Mexique,  à  Venezuela,  à  la  Réiiublique 
du  Centre,  à  la  Nouvelle-Grenade,  à  Monlévideo,  à  Ruénos- 
Ayres,  au  Paraguay,  comme  au  Chili,  au  Pérou,  ;\  Bolivia, 
partout  enlin  sur  les  monnaies  ou  sur  les  sceaux  des  diffé- 
rents États  on  retrouve  notre  bonnet  plirygien  de  1793  com- 
pklemcnt  dépouillé  de  cet  aspect  n'-pulsif  qu'il  a  chez  nous. 


En  Fiance,  quelques  jeunes  gens  essayèrent  en  vain  de  le 
remettre  à  la  mode  à  l'issue  de  la  révolution  de  1830  et 
dans  les  diverses  émeutes  qui  la  suivirent.  Ils  n'y  réussi- 
rent pas  mieux  après  la  révolution  de  1848,  quoique  les 
esprits  y  fussent  sans  doute  un  peu  mieux  préparés  qu'en 
1830.  Mais  cette  vieille  friperie  révolutionnaire,  renouvelée 
de  1793,  ne  pouvait  pas  revenir  à  la  mode.  On  ne  refait 
jamais  deux  fois  une  môme  époque.  Il  y  avait  danger  à  faire 
revivre  ces  insignes  désormais  inséparables,  dans  l'esprit 
des  masses,  des  erreurs  et  des  excès  d'une  autre  époque.  Aussi 
le  gouvernement  en  reprenant  de  la  force  commença-t-il  par 
éloigner  le  bonnet  rouge  du  front  des  statues  de  la  Liberté  et 
de  la  République.  On  lui  substitua  de  pâles  auréoles ,  de 
lourdes  couronnes  d'abondance.  Puis  ce  symbole  d'affran- 
chissement a  fini  par  redevenir,  comme  sous  la  monarchie, 
un  emblème  séditieux. 

BONNETS  (  Faction  des  ).  Après  Charles  XII ,  le  gou- 
vernement de  la  Suède  était  tombé  aux  mains  d'une  aris- 
tocratie factieuse  et  turbulente.  D'abord,  cependant,  tous  les 
partis  qu'on  comptait  dans  la  diète  semblaient  n'avoir  en 
vue  que  le  bien  général  et  n'aspirer  qu'à  guérir  les  plaies 
de  la  patrie  ;  mais  cette  harmonie  ne  dura  pas  longtemps. 
La  diète  de  1738  vit  se  former  dans  son  sein  deux  fac- 
tions, celle  des  chapeaux,  dévouée  à  la  France,  et  celle  des 
bonnets ,  qui  recherchait  l'appui  de  la  cour  de  Saint-Pé- 
tersbourg. Les  chapeaux,  quelques  années  après,  détermi- 
nèrent la  diète  à  rompre  avec  la  Russie  ;  et  cette  rupture 
attira  sur  la  Suède  de  grands  revers ,  parce  que  la  jalousie 
réciproque  des  deux  factions  faisait  échouer  toutes  les  opé- 
rations et  déconcertait  les  plans  de  campagne  les  mieux 
combinés.  Victime  de  l'égoisme  et  de  l'ambition  de  ses 
gouvernants,  la  Suède  éprouvait  à  la  fois  les  inconvé- 
nients de  la  démocratie  et  ceux  de  l'oligarchie.  Les  mal- 
heureux résultats  de  la  guerre  de  1741  et  de  celle  de  1756, 
qui  toutes  deux  avaient  été  entreprises  à  l'instigation  des 
chapeaux,  altérèrent  considérablement  la  popularité  de 
cette  faction.  Pourtant  elle  parvint,  pendant  la  dicte  de  1769, 
à  s'emparer  du  pouvoir  et  à  dépouiller  les  membres  du 
parti  opposé  des  principaux  emplois.  Mais  lorsque  la  guerre 
vint  à  éclater  entre  elle  et  la  Porte,  la  lîussie,  d'accord 
avec  l'Angleterre ,  fit  tous  ses  efforts  pour  relever  le  crédit 
et  l'inlluence  des  bonnets,  afin  de  rester  de  la  sorte  en  paix 
avec  la  Suède,  et  de  n'avoir  pas  de  lâcheuse  diversiou  à 
redouter  de  ce  côté. 

La  mort  du  roi  Adolphe-Frédéric,  arrivée  sur  ces 
entrefaites  (1771),  ouvrit  un  nouveau  champ  à  l'intrigue 
dans  la  diète  qui  fut  convoquée  à  l'occasion  de  l'avènement 
de  Gustave  III,  son  fils  et  son  successeur.  Ce  jeune 
jjiince  s'entremit  d'abord  entre  les  deux  partis  pour  tâcher 
de  les  concilier  ;  mais  il  y  réussit  si  peu  ,  que  les  animosi- 
ti's  ne  firent  qu'augmenter,  et  que  les  bonnets,  soutenus 
par  la  Russie  et  l'Angleterre,  parvinrent  h  faire  décréter  l'ex- 
pulsion totale  des  chapeaux ,  tant  du  sénat  que  des  autres 
places  et  dignités  du  royaume.  La  licence  devint  alors  ex- 
trême, et  la  réforme  du  gouvernement  de  plus  en  plus  néces- 
saire. Elle  fut  accomplie  en  1772. 

L'Académie  Française,  sous  le  règne  de  Louis  XV,  eut 
aussi  un  instant  ses  deux  fractions  des  bonnets  et  des  cha- 
peaux. Les  bonnets ,  c'étaient  les  évêques  et  le  parti  dévot; 
les  chapeaux,  c'étaient  les  encyclopédistes  et  les  philoso- 
phes. En  ce  temps-là ,  deux  places  étant  devenues  vacantes 
dans  le  docte  aréopage,  grande  fut  la  rumeur  entre  les  deux 
factions.  C'était  une  belle  occasion  de  recruter  son  parti, 
et  la  lutte  fut  vivement  engagée.  La  ville  tenait  pour  les 
chapeaux,  la  cour  pour  les  bonnets.  Les  chapeaux  prirent 
habilement  leur  temps,  et  en  un  seul  jour  enlevèrent  d'as- 
saut les  deux  élections.  ?uard  et  l'abbé  Delille  obtinrent 
la  majorité  des  sulfrages.  Tout  rouges  de  colère,  les  bon- 
nets jetèrent  les  hauts  cris  dans  cette  cour  étrange,  où  1^ 
dévotion  vivait  en  fort  bons  termes  avec  le  parc  aux  Cerfs. 


CO.Ni>ETS  —  BO.NNEVAL 


437 


Le  roi  destitua  de  leur  immortalité  naissante  les  deux  aca- 
démiciens,  sur  le  seul  motif  qu'ils  étaient  très-véliémenle- 
ment  soupçonnés  d'être  encyclopédistes.  Notez  que  ni  l'un 
ni  l'autre  n'avaient  écrit  une  ligne  dans  V Encyclopédie. 
Forcés  de  céder  aux  ordres  du  roi ,  les  chapeaux  n'abandon- 
nèrent pourtant  point  la  victoire  aux  bonnets  :  ils  nommè- 
rent deux  autres  académiciens,  pris  dans  la  secte  dévote,  et 
dont  l'un  ,  Beauzée ,  avait  écrit ,  depuis  la  mort  de  Dumar- 
sais ,  tous  les  articles  de  grammaire  dans  Y  Encyclopédie. 
Ce  choix  fut  agréé  par  le  roi ,  tant  on  était  conséquent  dans 
cette  cour-là  !  et  deux  ans  après  Suard  et  Delille  retrou- 
vèrent leurs  deux  fauteuils,  malgré  les  bonnets,  dont  la 
vogue  était  en  décroissance. 

BONNETTE  {Fortification),  mot  dont  on  ignore  l'é- 
tymologie,  mais  qui  pourrait  être  allemande,  puisque  Jabro 
dit  que  ce  que  les  Allemands  appelaient  bonnette  est  nommé 
SMrto«<par  les  Français.  La  bonnette  sert  à  garantir,  contre 
le  feu  d'une  éminence  trop  voisine ,  une  partie  saillante  de 
retranchement,  quand  on  n'a  pas  le  temps  d'exhausser 
suffisamment  tout  l'ouvrage.  En  ce  cas ,  on  élève  seulement 
de  quelques  mètres ,  et  en  forme  de  cavalier,  le  parapet  de 
l'angle;  et  l'on  se  garantit  ainsi  parfaitement  des  feux  à  ri- 
cochets. 

Dans  la  fortiûcalioQ  régulière,  une  bonnette  est  une  pièce 
détachée  nommée  aussi  yfôcAe.  C'est  un  petit  ravcliu  palis- 
sade et  sans  fossé,  à  parapet,  à  angle  saillant  et  à  deux 
faces  ;  il  est  construit  soit  en  avant  du  glacis ,  soit  au  pied 
de  l'avant-fossé ,  comme  corps-de-garde  d'avancée  et  est  mis 
en  communication  avec  le  chemin  couvert,  au  moyen  d'une 
tranchée.  On  fait  usage  des  bonnettes  ou  exhaussements  de 
terrain  pour  se  préserver  des  commandements  de  revers,  et 
n'être  pas  dominé  par  des  éminences.  G"'  Bakdin. 

BOIVIXETTES  (Marine).  On  appelle  de  ce  nom  des 
voiles  légères ,  en  forme  de  carré  long ,  un  peu  Irapézoïde , 
qu'on  suspend  aux  extrémités  des  vergues  qui  supportent 
les  autres  voiles,  dont  la  surface  est  à  peu  près  double.  Elles 
se  tendent  au  moyen  d'une  petite  barre  en  bois  léger,  à  la- 
quelle s'attache  le  côté  supérieur  de  la  bonnette ,  et  la  corde 
qui  sert  à  la  suspendre,  en  même  temps  que  ses  coins  in- 
férieurs, est  retenue  par  d'autres  cordes,  dont  l'une  s'appuie 
sur  l'extérieur  d'un  long  bout  de  bois  qu'on  pousse  à  vo- 
lonté et  qui  fait  saillie  à  l'extrémité  d'une  vergue  plus  basse. 
Les  bonnettes  sont  les  voiles  de  beau  temps,  livrées  d'ordi- 
naire au  souffle  d'une  faible  brise  dont  la  direction  est  pour- 
tant favorable  à  la  route  que  suit  le  navire.  Les  Espagnols 
les  appellent  alas,  et  en  effet  ce  sont  les  ailes  du  navire; 
mais  par  une  exagération,  plus  embarrassante  que  profitable, 
certains  capitaines  ajoutent  des  ailes  en  dehors  de  ces  ailes, 
ce  qui  constitue  les  bonnettes  de  bonnettes. 

C'est  un  magnifique  spectacle  qu'un  navire  cinglant  par 
un  beau  temps  avec  son  appareil  de  bonnettes,  se  balançant 
sous  cette  puissante  masse  de  voiles,  et  se  redressant  par  un 
mouvement  gracieux  sur  la  courbe  des  houles.  Si  le  vent  le 
frappe  d'un  côté,  c'est  de  ce  côté  qu'il  déploie  ses  ailes, 
qu'il  établit  ses  bonnettes  en  les  obliquant  ou  les  relevant 
suivant  les  capricieuses  variations  de  la  brise.  Enfin,  il  en 
déjjloie  de  deux  côtés  si  le  vent  souffle  directement  en  poupe  ; 
alors  il  se  dandine  fièrement,  il  roule,  et  ses  bonnettes 
basses  suspendues  tout  près  de  la  mer  en  effleurent  la  sur- 
face. Les  bonnettes  prennent  le  nom  des  voiles  près  des- 
quelles elles  sont  suspendues.  Les  bonnettes  basses  sont 
celles  qui  se  placent  à  côté  des  basses  voiles  ;  mais  généra- 
lement le  mât  de  misaine  est  le  seul  qui  en  porte.  Les  autres 
bonnettes  sont  celles  de  huniers ,  de  perroquets  et  de  caca- 
tois. Elles  diminuent  d'amplitude  à  mesure  qu'elles  s'élèvent. 
Les  bonnettes  sont,  en  outre,  dites  grandes  ou  petites, 
selon  qu'elles  appartiennent  au  grand  mût  ou  à  celui  de  mi- 
saine. 

Les  bonnettes  ne  restent  pas,  comme  les  autres  voiles, 
invariablement  attachées  aux  mâts.  Quand  elles  neservent  pas 


comme  voiles,  leur  place  est  partout  où  elles  sont  à  l'abri 
partout  où  elles  peuvent  être  utiles,  soit  pour  exposer  au 
grand  air,  sur  le  pont,  du  biscuit  ou  des  graines,  soit  pour 
improviser  une  tente  contre  les  ardeurs  du  soleil.  Une  voie 
d'eau  inquiétante  se  déclare-t-elle  sous  le  bâtiment,  vite  pour 
en  diminuer  la  gravité  une  bonnette  doublée  de  filasse  et  re- 
couverte d'une  couche  de  suif  est  appliquée  sur  la  partie  de 
la  carène  où  l'on  soupçonne  qu'elle  existe.  Sous  les  chaleurs 
de  la  zone  torride,  lorsque  par  un  temps  calme  le  navire 
dort  immobile  sur  l'Océan,  une  bonnette  plongée  dans  la 
mer  et  relevée  aux  quatre  coins  par  des  cordes  devient  une 
vaste  baignoire  pour  l'équipage  qui  s'y  ébat  sans  peur  du 
requin  qui  flaire  pourtant  sa  proie  à  travers  la  toile  protec- 
trice. Jules  LeCOMTE,  ancien  officier  de  marine. 

BONNET  VERT ,  coiffure  infamante  qu'un  arrêt  de 
règlement  rendu  le  26  juin  1582  imposa  aux  cessionnaires  et 
faillis.  Cette  peine ,  suivant  Pasquier,  signifiait  que  celui  qui 
était  forcé  de  recourir  à  la  cession  de  biens  s'était  attiré  sa 
ruine  par  sa  folie ,  et  qu'il  méritait  dès  lors  d'être  signalé  à 
la  risée  publique.  Son  véritable  but  était  de  retenir  les  dé- 
biteurs par  la  crainte  de  la  honte  et  du  ridicule.  Ce  qu'il  y 
avait  de  désagréable  dans  cette  formalité  était  du  reste 
compensé  par  un  avantage  qui  avait  bien  son  prix;  car 
l'homme  coiffé  du  bonnet  vert  était  sacré  pour  la  baguette 
de  l'huissier,  et  les  décrets  de  prise  de  corps  ne  pouvaient 
recevoir  d'exécution  contre  lui.  C'est  ce  qui  explique  l'épi- 
thète  qu'on  trouve  dans  ces  vers  de  Boileau  : 

Sans  altcodre  qu'ici  la  justice  ennemie 
L'enferme  en  un  cachot  le  reste  de  sa  vie. 
Ou  que  d'un  bonnet  vert  le  salutaire  affront 
Flétrisse  les  lauriers  qui  lui  couvrent  le  front. 

Cette  peine  est  tombée  en  désuétude  depuis  plus  d'un  siècle. 

Le  bonnet  vert  était,  dans  les  bagnes,  la  coiffure  des  con- 
damnés aux  travaux  forcés  à  perpétuité. 

BONNEVAL  (  Claude-Alexandre  ,  comte  de  ),  naquit 
le  t4  juillet  1675,  à  Coussac,  en  Limousin,  d'une  ancienne 
et  illustie  fimiille,  qui  tenait  à  la  maison  de  France  par  celle 
de  Foix  et  d'Albret.  Sa  vie  est  un  roman,  qu'il  s'est  plu  à 
retracer  dans  ses  mémoires.  L'impétuosité  et  l'inconstance 
de  son  caractère  étant  incompatibles  avec  l'étude,  il  sortit 
à  douze  ans  du  collège  des  jésuites,  pour  entrer  dans  la 
marine  royale,  où  il  fut  promu  peu  de  temps  après  au  grade 
d'enseigne  de  vaisseau.  Dieppe,  La  Hogue  et  Cadix  furent 
témoins  du  courage  de  ce  jeune  officier.  En  1698,  quelques 
mécontentements  l'engagèrent  à  passer  du  service  de  la  ma- 
rine dans  le  régiment  des  gardes  :  ce  régiment  était  alors 
une  école  de  plaisir,  ou  plutôt  de  libertinage;  car  le  comte 
de  Bonneval  avoue  franchement,  dans  ses  mémoires,  qu'il 
y  tira,  à  l'aide  de  sa  bonne  raine,  quinze  mille  francs  au  moins 
d'une  jeune  dame,  épouse  d'un  riche  fournisseur.  A  l'épo- 
que de  la  guerre  de  la  succession  d'Espagne,  en  1701,  ayant 
obtenu  le  régiment  de  Labourd,  il  se  distingua  à  la  cam- 
pagne d'Italie.  Catinat,  Vendôme,  le  maréchal  de  Luxem» 
bourg,  et  plus  tard  le  prince  Eugène,  faisaient  le  plus  grand 
cas  de  sa  valeur  et  de  ses  talents  militaires,  dont  les  plaines 
de  Fleurus,  les  remparts  de  Namur  et  Nervvinde  avaient  été 
le  théâtre.  11  contribua  au  succès  de  la  bataille  de  Luzzara. 
Le  prince  Eugène  lui  dit  depuis  que  dans  cette  affaire  il 
lui  avait  arraché  la  victoire  des  mains. 

Malheureusement  pour  le  comte  de  Bonneval,  sa  langue 
n'était  pas  moins  tranchante  que  son  épée  :  efle  avait  offensé 
mortellement  M""'  de  ]\Iaintenon  et  aussi  le  ministre  Clia- 
millard,  qui  le  fit  condamner  par  un  conseil  de  guerre  à 
la  peine  capitale,  comme  traître  et  concussionnaire.  Bon- 
neval passa  alors  d'Italie  en  Allemagne,  où  il  porta  les  ar- 
mes contre  la  France,  avec  le  giade  de  gcnéral-maior,  dont 
il  était  redevable  à  la  protection  du  prince  Eugène.  Sous  les 
drapeaux  impériaux ,  il  porta  le  fer  et  la  flamme  en  Pro- 
vence et  en  Dauphiné,  non  conlent  d'avoir,  les  années  pré- 
cédentes, versé  le  sang  français  en  Italie.  En  1703  on  lui 


438 


BONNEVAL  —  BONNIVET 


confia  un  corps  de  troupes  rliargé  de  soutenir  contre  le 
pape  Clément  XI  les  prétentions  de  l'arcliiduc  Cliarles. 
Il  fit  les  campagnes  de  1710,  17Hct  1712  sous  le  prince  Eu- 
gène. Après  la  paix  d'Utredit,  Cliarles  VI  le  nomma,  en 
récompense  de  ses  services,  lieutenant  général  et  membre  du 
conseil  aulique.  La  guerre  étant  venue  h  éclater  entre  l'Au- 
Iriche  et  la  Turquie,  le  prince  Eugène  fut  mis  à  la  tétc  de  l'ar- 
mée de  Hongrie  ;  et  c'est  en  partie  à  la  valeur  de  Bonneval 
qu'il  dut  le  gain  de  la  fameuse  bataille  de  l'étcrwaradin, 
où,  le  flanc  ouvert  d'un  coup  de  lance,  foulé  aux  jiieds  des 
cbevaux,  on  le  vit  tenir  encore  léte  à  l'ennemi  avec  dix  des 
siens,  qui  l'arrachèrent  du  milieu  des  janissaires.  J.-B. 
Rousseau ,  à  ce  sujet,  a  illustré  son  ami  par  une  belle  stro- 
phe de  son  ode  au  prince  Eugène.  Lors  de  la  paix  de  Ra- 
stadt  le  prince  Eugène  fit  annuler  en  Trance  les  procédures 
instruites  contre  Bonneval ,  et  obtint  la  restitution  de  ses 
biens,  dont  son  frère  toutefois  refusa  de  se  dessaisir.  Dès  que 
l'état  de  ses  blessures  le  lui  permit,  Bonneval  vint  à  Paris, 
où  il  fut  reçu  avec  une  grande  distinction. 

Cependant  les  mobiles  destinées  du  comte  de  Bonneval  ne 
pouvaient  jamais  se  fixer;  une  circonstance  légère  les  fit 
changer  encore  tout  à  coup  :  un  soir  de  juillet,  la  femme 
du  jeune  roi  d'Espagne  s'était,  dit-on,  promeni'e  en  déshabillé 
dans  ses  jardins  avec  deux  de  ses  femmes,  et,  grand  scan- 
dale pour  ces  temps,  s'était  baignée  dans  une  des  pièces 
d'eau  de  son  palais.  Le  marquis  de  Prie,  favori  du  prince 
Eugène  et  vice-gouverneur  des  l'ays-Bas,  sou  éiiouse  et  ses 
filles,  interprétèrent,  commentèrent  même  malicieusement 
cette  promenade  nocturne  d(!  la  jeune  reine.  En  chevalier 
français ,  Bonneval  releva  cet  outrage  fait ,  comme  il  le 
dit,  à  une  princesse  de  France  et  à  une  reine  d'Espagne.  De 
là  liaine  mortelle  entre  le  vice-gouverneur  et  le  lieutenant 
g€^néral.  Un  jour  il  envoya  à  Prie  un  défi,  et  se  déchaîna  en 
injures  de  toute  espèce  contre  la  femme  et  les  filles  de  celui 
qu'il  traitait  de  calomniateur.  Une  conduite  si  peu  mesurée 
déplut  au  prince  Eugène,  qui  voulait  qu'au  moins  on  res- 
pectât dans  le  gouverneur  la  dignité  de  sa  place.  Il  priva 
Bonneval  de  tous  ses  emplois.  Cet  homme  indomptable,  loin 
de  se  soumettre  à  cet  arrêt,  qui  eût  été  adouci,  passa  à  La 
Haye,  et  de  là  lança  un  cartel  au  prince  Eugène.  Cette  har- 
diesse, cet  oubli  des  lois  de  la  discipline  et  de  la  hiérarchie, 
encore  sans  exemple  en  Allemagne,  soulevèrent  l'indignation 
de  la  cour  de  Vienne,  et  le  perdirent  sans  retour.  Conduit  au 
Spielberg,  un  conseil  de  guerre  le  condamna  à  la  peine  de 
mort,  qui  fut  commuée  par  l'empereur  en  une  année  de  dé- 
tention dans  la  forteresse.  Sa  peine  expirée,  il  fut  conduit  à 
la  frontière,  et  on  lui  enjoignit  de  ne  jamais  reparaître  sur 
le  territoire  de  l'Empire. 

Pour  rompre  àjamais  avec  les  princes  chrétiens,  deVeuisc, 
où  il  s'était  enfui,  il  passa  en  Turquie,  où  il  embrassa  la  re- 
ligion de  Mahomet, en  1720.  La  circoncision,  qu'il  subit  des 
mains  d'un  iman,  lui  valutunefièvre  de  vingt-quatre  heures, 
et,  bien  contre  son  gré,  la  visite  et  les  compliments  des  hauts 
dignitaires  de  l'empire  ;  son  nom  dès  lors  lut  Ac/imct-Pcclu/. 
Bien  vu  dn  sultan  Mahmoud,  il  fut  investi  par  lui  de  plu- 
sieurs dignités.  ■■  Admis  aux  pieds  de  sa  llautesse,  elle  me 
dit,  écrit  Bonneval,  qu'elle  ne  doutait  pn.s  qve  je  ne  lui 
fusse  aussi  fidèle  que  je  l'avais  été  partout  ailleurs.  J'en 
fis  serment.  Quand  je  l'eus  fait,  un  des  secrétaires  d'État 
mereinitune patente  :eliemedéclaraitpachaàtroisqueues.  » 
Peu  de  temps  après,  il  fut  créé  topigi-bachi,  c'est-à-dire  gé- 
néral de  l'artillerie.  H  avait  di'-jà  formé  à  l'européenne  ce 
corps  indiscipliné  jusque  alors.  11  lui  apprit  à  pointer  les  piè- 
ces, à  se  servir  des  bombes  avec  plus  de  succès  ;  il  enseigna 
à  la  cavalerie  turque  à  se  ranger  en  escadrons;  enfin  il 
commença  ce  que  de  nos  jours  le  sultan  Mahmoud  et 
Ibrahim  ont  en  partie  achevé.  Dans  la  guerre  contre  les  Mos- 
covites, on  lui  confia  un  corps  de  vingt  mille  honunes;  dans 
celle  contre  les  Persans,  il  remporta  des  avantages  .sur  Tha- 
inaps-Kouli-Kan.  Il  eut  le  titre  de  bégicr-bey.  Enfin  ayant 


])prdu  de  sa  faveur,  il  fut  relégué  dans  un  pacbalick ,  aux 
extrémités  de  la  mer  Noire,  vers  les  confins  de  la  petite 
Tatarie.  Vieux,  les  souvenirs  de  la  France  le  tourmen- 
taient. Il  méditait  encore  une  fuite,  quand  la  mort  le  sur- 
prit, le  22  mars  1747,  à  l'ûge  de  soixante-douze  ans.  Son 
fils  naturel,  Soliman-Aga,  auparavant  comte  de  La  Tour, 
lui  succéda  dans  la  place  de  topigi-bachi. 

Bonneval  a  laissé  des  mémoires.  On  y  volt  un  homme 
bouillant,  fier,  d'un  caractère  inquiet,  inconstant,  contemp- 
teur de  l'ordre  social,  et  d'une  morale  relâchée.  Les  cir- 
constances seules  où  le  jeta  son  àme  de  feu  atténuent  sa  con- 
duite, quoique  cependant  il  y  eût  au  fond  de  son  creur  une 
moquerie  naturelledes  choses  les  plus  respectables  de  la  vie  ; 
ce  qu'on  ne  saurait  lui  refuser,  c'est  une  valeur  à  toute 
épreuve,  un  esprit  vif,  de  la  fierté,  et  un  fonds  d'honneur 
français  qu'il  ne  cessa  jamais  de  porter  au  sein  des  cours 
étrangères  qui  payaient  son  épée.  A  Péra,  dans  un  cime- 
tière de  derviches,  non  loin  du  palais  de  l'ambassade  de  Suède, 
on  lit  encore  sur  son  tombeau  cette  belle  inscription  turque  : 
Dieu  est  permanent ,  que  Dieu,  glorieîix  et  grand  au- 
près des  vrais  croyants,  donne  paix  au  déjunt  Ac/imct- 
Pac/ia ,  chef  des  bombardiers.  L'an  de  Vkéyire  llco 
(  1747  ).  DEN>-E-BAnoN. 

BONNE  VILLE  (Nicolas  de),  publiciste  français,  na- 
quit à  Évreux,  le  13  mars  1760,et  vint  à  Paris  pour  y  faire  ses 
études.  D'un  caractère  inconstant ,  il  aborda  tour  à  tour 
toutes  les  branches  du  savoir.  Quelques  poésies  qu'il  publia 
dans  sa  jeunesse  ne  sont  que  des  effusions  d'ime  imagina- 
tion mal  réglée.  Mais  bientôt  il  se  consacra  tout  entier  à 
l'étude  des  langues  et  des  littératures  étrangères,  et  cela  dans 
un  moment  où  ce  genre  de  connaissances  était  encore  fort 
peu  répandu  en  France.  Comme  fruit  de  ses  études ,  il  fit 
paraître,  en  collaboration  avec  l'Allemand  Friedel,  le  Aou- 
veau  Théâtre  Allemand  (  12  vol.,  Paris,  1782-1785).  Ce  re- 
cueil ayant  été  reçu  favorablement  du  public,  il  entreprit  de 
publier  un  choix  de  romans  allemands,  et  le  dédia  à  la  reine. 
Conjointement  avec  Letourneur,  il  pii!)lia  ensuite  une  tra- 
duction de  Shakespeare,  qui  n'est  pas  sans  mérite. 

En  1780  il  fit  un  voyage  en  Angleterre,  et  s'y  prit  d'un 
vif  intérêt  pour  la  politique.  Au  commencement  de  la  ré- 
volution ,  il  fonda,  avec  l'abbé  Fauchet,  le  Cercle  social, 
et  publia  successivement  le  Tribun  du  Peuple  et  la  Bouche 
de  Fer.  Toute  son  ambition  tendait  à  devenir  membre  de 
l'Assemblée  nationale  ;  mais,  ne  pouvant  y  arriver,  il  dut  en- 
fermer son  activité  dans  les  bornes  du  journalisme.  Il  y  dé- 
ploya une  grande  libéralité  d'opinions,  et  se  prononça  éncr- 
giquement  contre  toutes  les  mesures  violentes.  Ces  senti- 
ments de  modération  le  rendirent  suspect  aux  hommes  qui 
étaient  alors  à  la  tête  des  affaires.  Lors  de  la  chute  des  gi- 
rondins, il  fut  arrêté,  et  ne  sortit  de  prison  qu'à  la  suite 
du  9  thermidor.  11  reprit  alors  la  plume  ;  mais  ses  opinions 
s'étaient  sensiblement  modifiées,  et  le  1 8  brumaire  nele  trouva 
pas  dans  les  rangs  de  l'opposition.  Sous  TEmpiie,  il  fut  de 
nouveau  incarcéré  pour  avoir  comparé  Napoléon  à  Cromvvell, 
et  resta  jusqu'en  1814  sous  la  surveillance  de  la  police. 
Plus  tard ,  il  se  fit  bouquiniste  à  Paris,  rue  des  Grès  ,  et  y 
mourut,  pauvre  et  obscur,  le  9  novembre  1823.  Outre  ses 
traductions,  on  a  de  lui  une  Histoire  de  l'Europe  moderne 
(3  vol.,  Genève,  1789-92),  et  un  petit  écrit  portant  pour 
titre  :  De  l'Esprit  des  Religions  (Paris,  1791  ). 

BOAWIVET  (GuiLLALJiE  GOUFFIER  ,  seigneur  de), 
était  fils  de  Guillaume  Gouflierde  Boisy  et  de  Philippine  de 
Montmorency.  Frère  cadet  de  Boisy,  gouverneur  de  Iran- 
çois  1"^,  élevé  avec  ce  prince,  il  gagna  son  affection,  par  son 
caractère  ferme  et  décidé,  la  vivacité  de  son  esprit,  les  grâces 
de  sa  liguie  et  les  agréments  de  sa  conversation.  Il  se  signala 
de  bonne  heure  par  sa  bravoure,  et  se  fit  remarquer  au  siège 
de  Gênes,  sous  Louis  XII,  en  i:)07,  et  à  la  journée  des  Epe- 
rons, en  lois.  A  la  bataille  de  Marignan  (  1515)  il  déploya 
ime  im|)rudente  téméiité.  Il  n'était  encore  que  favori  du  roi 


BONNIYET  —  BONOSE 


439 


lorsqu'on  1510  la  dignité  d'amiral  devint  vacante.  Le  roi 
confiiUa  ie  chancelier  sur  le  choix  qu'il  devait  faire.  Duprat 
fut  assez  bon  courtisan  pour  proposer  Bonnivet.  Le  roi,  qui 
ne  cherchait  qu'un  suffrage  dont  il  put  autoriser  son  incli- 
nation secrète,  se  hâta  de  le  non)nier,  et  Bonnivet  sut  que 
le  chancelier  l'avait  proposé.  Ce  fut  encore  par  le  conseil 
de  Duprat  qu'en  1518  Bonnivet  fut  nommé  à  une  ambassade 
extraordinaire  en  Angleterre  pour  obtenir  du  roi  Henri  YIII 
la  restitution  de  Tournay.  Tout  dépendait  du  cardinal  Wol- 
sey  ;  on  le  gagna ,  et  la  négociation  réussit  sans  que  Bonni- 
vet eût  besoin  de  déployer  de  grands  talents  diplomatiques. 
Lorsqu'en  1519,  après  la  mort  de  Maximilien,  François  F"" 
se  mit  sur  les  rangs  pour  obtenir  la  couronne  impériale 
d'Allemagne,  il  envoya  Bonnivet  soutenir  ses  prétentions 
auprès  des  électeurs  ;  il  avait  choisi  par  inclination  ce  bril- 
lant, vif  et  présomptueux  courtisan,  et  il  croyait  l'avoir 
choisi  par  raison;  il  espérait  qu'il  réussirait  en  Allemagne 
comme  il  avait  réussi  en  Angleterre;  il  comptait  d'ailleurs 
sur  les  talents  de  d'Orval ,  qu'il  donna  pour  adjoint  à  Bon- 
nivet, et  sur  la  connaissance  que  Fleuranges,  autre  adjoint  de 
Bonnivet,  avait  des  affaires  de  l'Allemagne,  dont  les  États 
de  Robert  de  la  Marck  ,  son  père,  étaient  voisins  ;  il  comp- 
tait enfin  sur  l'argent,  et  il  donna  quatre  cent  mille  écus  à 
Bonnivet  pour  les  distribuer  aux  électeurs.  Peut-être  l'ami- 
ral eùt-il  assuré  à  son  maître  tous  les  suffrages,  s'il  avait  su 
distribuer  l'argent  avec  prudence ,  au  lieu  de  le  prodiguer 
avec  un  éclat  indiscret,  et  si  François  F"'  lui-même  n'eiU 
coumiis  plusieurs  fautes  irréparables.  Bonnivet  flatta  long- 
temps le  roi  du  succès;  mais  à  la  nouvelle  de  l'élection  de 
Charles-Quint,  il  sortit  du  château  qui  lui  servait  d'asile 
aux  environs  de  Francfort,  et  s'enfuit  plein  de  honte  à  Co- 
blentz.  Il  reprit  ensuite  la  route  de  France;  mais  il  ne  parut 
à  la  cour  que  plus  de  deux  mois  après,  étant  resté  en  Lor- 
raine à  prendre  les  eaux  de  Plombières.  Lorsqu'il  revint  au- 
près du  roi,  il  n'en  fut  pas  moins  bien  accueilli,  et  con- 
serva toute  sa  faveur.  Mais,  pour  cela,  il  lui  fallut  se  rendre 
esclave  de  la  duchesse  d'Angoulême,  mère  de  François  ^^ 
Eu  1521  il  reçut  le  conmiandement  de  l'armée  de  Guienne, 
qui  devait  réparer  les  fautes  et  les  malheurs  de  Lesparrc 
dans  la  guerre  d'Espagne.  Bonnivet  obtint  tout  d'abord  des 
succès  en  Navarre,  et  s'empara  de  Fontarabie.  Des  confé- 
rences s'ouvrirent  pour  la  paix.  Plusieurs  historiens  ont  ac- 
cusé Bonnivet  d'avoir  seul  empêché  la  lin  des  hostilités  ;  sans 
doute  par  sa  présomption  il  put  contribuer  à  la  résolution 
prise  de  continuer  la  guerre,  mais  il  ne  faut  pas  oublier  que 
les  plénipotentiaires  français  eux-mêmes  dissuadèrent  leur 
roi  d'accepter  les  conditions  qu'on  lui  offrait. 

Bonnivet  et  le  duc  de  Bourbon  se  baissaient.  Voici  à  ce 
sujet  une  anecdote  que  fournit  un  manuscrit  de  la  Biblio- 
thèque Impériale.  «  ....  L'autre  chose  qui  déplut  au  roi  et 
qui  toucha  le  favori,  c'est  qu'étant  à  Bonnivet,  dont  l'ami- 
ral portoit  le  nom ,  qui  est  une  maison  que  le  roi  faisoit  ma- 
gniliquement  bâtir,  et  le  connétable  s'y  étant  rencontré,  le 
roi  lui  demanda  ce  qu'il  lui  sembloit  de  ce  bâtiment  ;  il  lui 
répondit  qu'il  le  trouvoit  fort  superbe,  mais  que  la  cage 
éloit  trop  belle  et  trop  grande  pour  l'oiseau  ;  ce  qui  piqua  le 
roi,  qui  lui  dit  qu'il  lui  poiloit  envie;  à  quoi  il  répondit  qu'il 
n'en  pouvoit  avoir  pour  des  gens  dont  les  pères  avoient  été 
bien  heureux  d'être  écuyers  de  sa  maison  ;  ce  qui  éloit  vrai, 
car  celle  de  Gouffier  étoit  originaire  du  duché  de  Bourbon- 
nois.  i>  Blessé  dans  son  orgueil,  Bonnivet  excita  et  servit  l'a- 
nimosité  de  la  duchesse  d'Angoulême  contre  le  connétable 
de  Bourbon.  Bonnivet  eut  le  commandement  de  l'armée 
d'Italie  :  en  1523,  il  pénétra  dans  le  Milanais,  mais  il  fit 
plus  d'une  faute  dans  cette  campagne.  Bientôt  le  Milanais 
fut  entièrement  évacué.  En  1524  François  1"  reconquit  en 
personne  ce  pays.  Bonnivet  fut  cause  de  la  bataille  de  Pa- 
vie.  Quand  elle  fut  perdue  (24  février  1525),  l'amiral, 
voyant  l'inutilité  de  ses  efforts  pour  arracher  son  maître  aux 
périls  qni  l'environnaient,  leva  la  visière  de  son  casque,  et, 


jetant  un  triste  regard  sur  le  champ  de  bataille  :  «  Non , 
s'écria-t-il ,  je  ne  puis  survivre  à  un  pareil  désastre  I  »  Et  il 
courut  se  précipiter  au  milieu  des  ennemis.  Il  y  trouva  la 
mort.  Le  connétable  de  Bourbon,  alors  au  service  de  Charles- 
Quint  ,  apercevant  le  cadavre  de  son  ennemi ,  s'écria  :  «  Ah  ! 
malheureux  !  tu  es  cause  de  la  perte  de  la  France  et  de  la 
mienne!  » 

Jamais  homme ,  selon  Brantôme ,  ne  fut  plus  aildacicux 
dans  ses  galanteries  que  Bonnivet.  Si  l'on  en  croit  cet  écri- 
vain ,  la  comtesse  de  Chàteaubriant  ,  maîtresse  du  roi ,  ai- 
mait l'amiral  ;  et  le  roi  l'ayant  un  jour  surpris  chez  elle, 
Bonnivet  n'eut  que  le  temps  de  se  cacher  sous  des  feuillages 
qu'on  mettait  alors  en  été  dans  les  cheminées  des  apparte- 
ments. Le  roi  eut  ou  feignit  un  besoin,  et,  ne  voulant  pas 
sortir,  il  alla  dans  la  clieminée,  où  les  feuilles  cachèrent 
bien  Bonnivet,  mais  le  garantirent  mal.  Le  roi  paraissait 
quelquefois  jaloux  de  son  fiivori ,  et  la  comtesse ,  pour  le 
tromper,  gratifiait  Bonnivet  de  nombreux  ridicules  :  //  est 
bon ,  disait-elle,  le  sire  de  Bonnivet,  qui  pense  estre  beau  ! 
et  tant  plus  je  lui  dis  qu'il  l'est,  tant  plus  il  le  croit.  Je 
me  moque  de  lui,  et  J'en  passe  mon  temps;  car  il  est  fort 
plaisant  et  dit  de  très-bons  mots,  si  bien  qu'on  nesaicroH 
s'en  garder  de  rire  quand  on  est  près  de  lui,  tant  il  ren- 
contre bien.  Il  n'y  avait  pas  trop  là  de  quoi  rassurer  le 
roi.  Ce  Bonnivet  qui  se  croyait  si  beau  l'était  effective- 
ment; il  était  déplus  spirituel,  plaisant,  audacieux,  et  pou- 
vait être  réellement  à  craindre.  Il  avait  même  porté  ses  vues 
plus  haut  :  il  aimait  Marguerite,  reine  de  Navarre,  duchesse 
d'Alençon,  sœur  du  roi;  il  le  lui  avait  dit,  et  n'avait  pu  lui 
plaire.  Le  monarque ,  dit-on ,  savait  cette  inclination,  et  ne 
s'en  offensait  point.  Le  favori,  recevant  François  V^  et  toute 
sa  cour  dans  son  château  de  Bonnivet ,  osa  s'introduire  pen- 
dant la  nuit  par  une  trappe  dans  la  chambre  de  la  duchesse 
d'Alençon  ,  ({ui  se  défendit  avec  tant  de  courage  et  fut  défen- 
due si  à  propos  par  sa  dame  d'honneur,  que  Bonnivet  n'eut 
d'autre  ressource  que  de  s'enfuir.  La  duchesse,  indignée,  vou- 
lait dire  tout  au  roi  et  faire  punir  Bonnivet;  mais  la  dame 
d'honneur  fut  d'un  avis  contraire ,  et  la  duchesse  se  rendit  à 
ses  raisons.  Bonnivet  portait  sur  son  visage  des  témoignages 
sanglants  de  la  résistance  qu'il  avait  éprouvée;  il  n'y  avait 
pas  moyen  de  paraître  en  cet  état  devant  le  roi,  encore 
moins  devant  la  duchesse.  Il  (it  dire  au  roi  le  lendemain  qu'il 
avait  été  malade  toute  la  nuit ,  qu'il  l'était  encore,  qu'il  ne 
pouvait  même  soutenir  la  lumière  ni  entendre  parler.  Le  roi 
voulut  l'aller  voir;  on  lui  dit  que  Bonnivet  commençait  à 
reposer;  il  ne  voulut  pas  l'éveiller,  et  partit  sans  l'avoir  vu. 
Lorsque  Bonnivet  put  se  montrer ,  lorsque  le  temps  et  la 
continuation  des  bontés  du  roi  l'eurent  assuré  du  silence  in- 
dulgent de  la  duchesse,  il  reparut  à  la  cour;  mais  toute 
son  audace  ne  pouvait  l'empêcher  de  rougir  et  de  perdre 
contenance  quand  un  regard  de  la  duchesse  d'Alençon  ve- 
nait à  tomber  sur  iui.  On  conserve  à  la  Bibliothèque  Impé- 
riale un  recueil  manuscrit  •'n  deux  volumes  in-Iolio  de 
Lettres  de  l'amiral  Bonnivet ,  ambassadeur  extraordi- 
naire en  Anrjleterre  en  1519.         Auguste  Savagner. 

BOA'OSE,  lieutenant  de  Probusdans  les  Gaules,  com- 
mandait la  Uottille  romaine  du  Rhin.  Les  Germains  l'ayant 
incendiée,  Bonose,  pour  se  soustraire  aux  suites  de  sa  né- 
gligence, se  révolta,  et  se  fit  proclamer  césar.  Probus  le  bat- 
tit, et  le  força  à  se  réfugier  à  Colonia-Agrippina  (Cologne), 
où  il  se  pendit  de  désespoir,  vers  l'an  280  de  J.-C.  On  rap- 
porte que  Probus,  en  voyant  son  cadavre,  s'écria  :  «  Ce 
n'est  point  un  homme  pendu,  c'est  une  bouteille  »  ;  voulant 
faire  allusion  par  là  au  penchant  bien  connu  de  Bonose  pour 
le  vin  ,  qu'Aurélien  avait  déjà  qualifié,  en  disant  de  lui,  par 
une  espèce  de  jeu  de  mots  :  IS'on  ut  vivat  natus  est,  sed 
ut  bibat. 

BOi\OSE ,  capitaine  romain,  connu  depuis  dans  la  légende 
sous  le  nom  de  saint  Bonose ,  était  avec  Maximilien  chef  du 
coips  dit  des  Vieux  HercuUens,  et  fut  condamné  à  être  dé- 


440 


BONOSE  -~ 


capité  par  ordre  de  l'empereur  Julien,  sous  prétexte  de  rébel- 
f'on ,  mais  en  effet  pour  n'avoir  pas  voulu  ôter  du  labarum 
Va  croix  que  Constantin  y  avait  fait  peindre. 

BOIVOSE,  évêque  de  Macédoine  au  quatrième  siècle, 
qui  attaquait ,  comme  Jovinien ,  la  virginité  de  la  Vierge,  et 
qui  prétendait  qu'elle  avait  eu  d'autres  enfants  après  Jésus- 
Christ,  dont  il  niait  la  divinité  ,  à  l'instar  de  Piiotin,  fut  con- 
damné par  le  concile  de  Capoue,  assemblé,  sous  le  ponti- 
ficat du  pape  Gélasc,  pour  éteindre  le  schisme  d'Antioche. 
Il  avait  donné  son  nom  h  la  secte  des  bonosiaques ,  ou  bo- 
nosiens ,  qui  succéda  à  celle  des  photiniens. 

BONPLAND  (Aimé),  naturaliste  célèbre,  correspon- 
dant de  l'Académie  des  Sciences,  naquit  vers  1772,  à  La  Ro- 
chelle, d'une  famille  qui  a  produit  des  médecins  et  des 
magistrats  estimés.  En  179'J,en  qualité  d'élève  de  l'École 
de  Pharmacie  et  du  Jardin  des  Plantes,  il  suivit  Alexandre 
de  Humboldt  en  Amérique,  où  il  recueillit  plus  de  six  mille 
plantes  nouvelles.  A  son  retour,  en  1804,  il  fut  nommé  par 
l'impératrice  Joséphine  directeur  des  jardins  de  Navarre  et 
de  la  Malmaison,  qu'il  a  décrits  dans  son  ouvrage  sur  les 
plantes  qu'on  y  cuti ive  {Paris,  1813-1817  ).  En  môme  temps 
que  ce  magnifique  ouvrage,  il  en  publia  deux  autres,  fruits 
de  ses  voyages,  les  Plantes  équinoxiales,  recueillies  au 
Mexique, eic.  (2  vol., Paris,  i?,0S-iii6),eth Monographie 
des  iiyé/rt.v/omf'es, etc.  (2  vol.,  Paris, 1809-1816,  avec220  plan- 
ches). En  1818  il  partit  pour  Buénos-Ayres  avec  le  titre 
de  piofesseur  d'histoire  naturelle.  Le  r""  octobre  1820  il 
s'embarquait  sur  le  Parana  pour  entreprendre  un  voyage 
d'exploration  dans  l'intérieur  du  Paraguay.  Après  avoir 
étudié  à  fond  dans  ce  pays  la  culture  et  la  fabrication  du 
mathé  ou  thé  paraguésien ,  qui  forme  sa  principale  richesse, 
il  en  établit  en  face,  à  Santa-Anna,  sur  la  rive  orientale  de  Pa- 
raguay, une  plantation  considérable.  Le  dictateur  suprême 
perpétuel  Francia  crut  voir  dans  cette  conduite  une  infrac- 
tion au  monopole  qu'il  s'arrogeait  et  une  violation  de  la  re- 
connaissance due  à  l'hospitalité  qu'il  avait  accordée  à  notre 
compatriote  ;  et  un  jour,  en  1 82 1 ,  un  détachement  de  huit  cents 
soldats  envahit  le  territoire  de  Buénos-Ayres,  ruina  la  plan- 
tation de  thé  de  Bonpland,  emmena  prisonniers  les  Indiens 
qu'il  avait  attirés  dans  ce  village,  et  l'enleva  lui-môme.  Francia 
l'envoya  d'abord  dans  un  fort  comme  médecin  de  la  garnison, 
et  le  chargea  plus  tard  de  construire  une  route  de  commerce, 
en  lui  laissant  la  liberté  de  poursuivre  dans  un  cercle  borné 
ses  rechenehes  botaniques  et  d'enrichir  ses  collections. 

En  vain  Alexandre  de  Humboldt,  appuyé  par  Canning  et 
par  le  résident  anglais  à  Buénos-Ayres,  réclama-t-il  la  mise 
en  liberté  de  son  ami ,  Francia  ne  voulut  point  le  laisser 
partir.  Cependant,  au  mois  de  novembre  1829,  quelque  temps 
avant  la  mort  du  dictateur  suprême  perpétuel,  Bonpland  put 
enfin  retourner  à  Buénos-Ayres.  En  1832  il  écrivait  à  M.  de 
Humboldt  qu'il  n'attendait  plus  que  l'arrivée  de  ses  collec- 
tions pour  revenir  en  Europe;  mais  il  changea  d'avis,  et 
retourna  dans  le  Paraguay.  A  la  fin  de  1840  il  écrivait  de 
nouveau  de  Montevideo  qu'il  espérait  pouvoir  continuer  ses 
recherches  sur  une  plus  large  échelle  maintenant  que 
Francia  n'était  plus,  et  qu'il  avait  pris  toutes  ses  mesures 
pour  que,  en  cas  de  mort,  son  herbier  et  ses  manus- 
crits fussent  envoyés  en  Europe.  Vivant  à  San-Borja  de 
l'Uruguay,  à  Corrientès  ou  à  Montevideo ,  il  est  vraisem- 
blable que  le  long  séjour  qu'il  a  fait  dans  ces  contrées,  les 
intérêts  qu'il  a  su  s'y  créer,  et  peut-être  aussi  son  mariage 
avec  une  Indienne ,  lui  ont  ôlé  l'idée  de  revenir  en  Europe. 
Kunth  a  publié  dans  les  Nova  Gênera  et  Species  Plantarum 
(Paris,  1815-23)  les  remarques  de  Bonpland  sur  l'herbier 
recueilli  dans  son  premier  voyage  avec  M.  de  Humboldt. 
En  1851  Bonpland  a  été  décoré  par  le  roi  de  Prusse  de 
l'ordre  de  l'Aigle  louge  de  troisième  classe. 
BONPLANDIA.  Voyez  Ccspauia. 
BOI\S  DUTBÉSOU.  Appelés  d'abord  bons  royaux, 
ces  bons  Huent  créés  par  la  loi  des  finances  du  4  août  1824, 


BONS-HOMMES 

portant  fixation  du  budget  pour  l'année  1825.  L'article  6  de 
cette  loi  autorisa  le  ministre  des  finances  à  créer  pour  le  ser- 
vice do  la  trésorerie  et  ses  négociations  avec  la  Banque  de 
France  des  bons  portant  intérêt  et  payables  à  échéance  fixe. 
Le  but  de  cette  institution  fut  d'abord  de  venir  en  aide  aux 
opérations  de  la  trésorerie ,  soit  en  devançant  les  rentrées 
parfois  tardives  de  l'impôt,  soit  en  comblant  les  déficits  que 
les  excédants  imprévus  des  dépenses  sur  les  recettes  peu- 
vent occasionner.  Mais,  comme  il  arrive  toujours,  ce  pre- 
mier objet  a  été  dépassé ,  et  la  faculté  donnée  au  gouverne- 
ment d'émettre  des  bons  du  trésor  par  ordonnance  toutes 
les  fois  que  cela  serait  nécessaire,  fit  prendre  à  cet  expédient 
financier  de  considérables  proportions.  Fixée  à  un  maxi- 
mum de  140  millions,  par  la  loi  de  1824,  l'émission  de  ces 
bons  fut  portée  à  200  millions  en  1831,  et  à  250  millions 
l'année  suivante.  La  loi  des  financesde  l'exercice  1853  limite 
à  150  millions  la  valeur  totale  des  bons  du  trésor.  Mais  elle 
ne  comprend  dans  cette  limite  ni  certains  bons  délivrés  à 
la  caisse  d'amortissement ,  ni  les  bons  déposés  en  garantie 
à  la  Banque  de  France  et  aux  comptoirs  d'escompte,  ni  les 
bons  qu'il  serait  nécessaire  de  créer  pour  l'exécution  du  dé- 
cret du  14  mars  1852  concernant  la  conversion  des  rentes. 

Après  la  révolution  de  Février  les  bons  du  trésor  mon- 
taient à  une  somme  de  274,533,900  fr.,  lorsque,  le  16  mars 
1848,  le  gouvernement  provisoire  s'avisa  d'en  proroger 
l'échéance  à  six  mois  au  delà  de  leur  date. 

Dans  le  compte  de  l'administration  des  finances  de  1851 
le  total  des  bons  du  trésor,  en  y  comprenant  ceux  qui  avaient 
été  réunis  à  la  Banque  de  France,  s'élevait  à  127,195,993  fr. 
52  centimes. 

Ces  obligations  font  partie  de  la  dette  flottante.  L'escompte 
en  est  fait  soit  par  la  Banque,  soit  par  la  caisse  des  depuis 
et  consignations.  On  les  négocie  aussi  à  la  Bourse,  où  ils  sont 
très-recherchés.  Ces  bons  offrent,  du  reste,  de  très-grands 
rapports  avec  les  bons  anglais  de  l'Échiquier,  à  l'imita- 
tion desquels  ils  ont  été  créés. 

BON  SEINS.  Voyez  Sens  (Bon). 

BONS-FIEUX  ou  BONS-FILS,  anciens  frères  pénitents 
du  tiers  ordre  de  Saint-François,  dont  l'origine  remontait  à 
l'année  1615.  A  cette  époque,  cinq  artisans  fort  pieux  de  ia 
petite  ville  d'Armentières ,  en  Flandre ,  n'ayant  pu  être  reçus 
chez  les  capucins,  formèrent  une  petite  communauté,  qui 
subsista  ainsi  jusqu'à  1626;  ayant  pris  alors  la  règle  du 
tiers  ordre  de  Saint-François ,  ils  se  soumirent  au  provin- 
cial des  récollets  de  la  province  de  Saint- André  et  au  direc- 
teur du  tiers  ordre  du  couvent  d'Arras,  puis,  en  1670,  aux 
évoques  des  lieux  où  leurs  maisons  étaient  situées.  Elles 
étaient  gouvernées  par  un  supérieur,  un  vicaire  et  trois  con- 
seillers. Les  bons-fieux,  dit  le  père  Hélyot,  ne  portaient  point 
de  linge  et  couchaient  tout  habillés  sur  des  paillasses. 

BOIVS- HOMMES,  religieux  établis  l'an  1259  en  An- 
gleterre, par  le  prince  Edmond;  ils  professaient  la  règle  de 
Saint-Augustin ,  et  portaient  un  costume  bleu.  On  donna  en 
France  ce  nom  aux  minimes ,  à  cause  du  nom  de  bon 
homme,  que  Louis  XI  avait  coutume  de  donner  à  saint 
François  de  Paule,  leur  fondateur.  Les  six  premiers  qu'il 
envoya  à  Paris  furent  adressés  à  Jean  Quentin,  péniten- 
cier de  cette  ville ,  qui  refusa  de  les  recevoir,  et  les  traita 
durement.  Quelque  temps  après,  le  pénitencier  revint  de  ses 
préventions  contre  ces  moines ,  les  admit  dans  sa  maison,  et 
les  y  garda  jusqu'en  1493  ,  époque  oh  Jean  Morbier,  sei- 
gneur de  Villiers,  leur  fit  don  d'une  vieille  tour  près  de  Ni- 
geon.  Anne  de  Bretagne,  plus  libérale,  leur  céda  son  ma- 
noir, situé  sur  les  penchants  du  coteau  de  Nigeon  et  de 
Chaillot,  à  l'extrémité  du  village  de  ce  dernier  nom,  d'où 
ils  retinrent  celui  de  minimes  de  Chaillot  ou  Bons- 
hoiiwies.  Elle  joignit  à  cette  donation  un  hôtel  contigu , 
qu'elle  acheta  en  1400,  et  qui  était  contenu  dans  un  enclos 
de  sept  arpents ,  où  se  trouvait  une  chapelle  de  Kotre-Daïue 
de  toutes  grâces.  Cette  chapelle  servit  à  ces  nouveaux 


BONS-HOMMES  —  BONTE 


441 


moines ,  en  attendant  qu'ils  eussent  une  église  plus  grande, 
dont  la  construction  fut  commencée  du  vivant  de  cette  reine, 
qui  en  posa  la  première  pierre.  Elle  ne  fut  terminée  qu'en  1578. 
Le  couvent,  supprimé  en  1790,  a,  en  partie,  été  remplacé 
par  un  chemin  qui  adoucit  la  pente  de  la  montagne  dite  des 
Bons-hommes ,  et  par  de  nombreuses  habitations  particu- 
lières. 

BOIXSTETTEIV  (Charles-Victor  de),  écrivain  re- 
nommé, né  le  3  septembre  1745,  à  Berne,  où  son  père 
remplissait  l'emploi  de  trésorier.  Bonstetten  reçut  sa  pre- 
mière instruction  à  Yverdun  et  à  Genève,  où  il  puisa  dans 
la  société  de  Stanhope ,  Voltaire ,  Saussure  et  Bonnet ,  le 
goût  des  recherches  psychologiques.  Après  avoir  achevé  ses 
études  à  Leyde,  à  Cambridge  et  à  Paris,  il  partit  pour  l'I- 
talie, qu'il  visita  depuis  à  plusieurs  reprises.  Nommé  en  1775 
membre  du  grand  conseil  de  Berne,  puis  landvoigt  de 
Sarnen  et  en  1787  de  Nyon,  il  fut  placé  ensuite  à  Lugano 
comme  grand-juge,  bien  que  sa  vie  dissipée  le  rendît  peu 
propre  aux  affaires.  Matthisson,  Salis,  Frédérique  Brun  et 
Jean  de  IM'iller  Aivaient  avec  lui.  C'est  à  cette  période  de  sa 
vie  qu'appartiennent  ses  Lettres  sur  le  pays  des  pâtres 
suisses  (Bàle,  17S2).  Fuyant  devant  les  troubles  de  sa  pa- 
trie, il  se  relira,  en  1796,  en  Italie,  d'où,  sur  l'invitation  de 
son  amie  Frédérique  Brun  ,  il  se  rendit  à  Copenhague.  Pen- 
dant son  séjour  dans  cette  dernière  ville,  il  publia  ses  Opus- 
cules, qui  offrent  beaucoup  d'intérêt  sous  plusieurs  rapports. 
A  son  retour  en  Suisse,  en  1802,  il  se  fixa  à  Genève.  La  môme 
année  il  (it  imprimer  à  Zurich  les  résultats  de  ses  recher- 
ches sur  Tnistruction  populaire.  Un  nouveau  voyage  qu'il 
fit  en  Italie  l'engagea  dans  des  investigations  topographiques 
sur  la  stérilité  croissante  de  la  campagne  de  Rome  par  suite 
du  manque  de  culture  et  de  la  propagation  du  mauvais  air, 
investigations  dont   il  a  consigné  les  résultats  dans  son 
Voyage  sur  la  scène  des  derniers  livres  de  l'Enéide,  suivi 
de  quelques  observations  sur  le  Latium  moderne  (Ge- 
nève, 1813  ).  Ses  Recherches  sur  la  nature  et  les  lois  de 
l'imagination  (Genève,  1807)  ont  été  inspirées  en  partie 
par  les  ouvrages  de  Muratori  et  de  Bettinelli  sur  le  même 
sujet.  Dans  ses  Pensées  sur  divers  objets  du  bien  public 
(1815),  dans  ses  Études  de  l'Homme  ou  recherches  sur 
les/acuités  desentir  et  de  penser  (  1821  )  et  dans  L'homme 
du  Midi  et  l'homme  du  Nord  (  1824),  Bonstetten  a  su  mettre 
à  la  portée  du  peuple  les  enseignements  de  la  philosophie 
pratique.  Cet  aimable  vieillard  mourut  à  Genève,  le  3  fé- 
vrier 1832.  Une  imagination  vive  et  mobile  et  une  grande 
bienveillance  formaient  les  traits  distinctifs  de  son  caractère. 
Ses  Lettres  à  Matthisson  de  1795  à  1827  ont  été  publiées 
par  Fùssli  (Zurich,  1827);  ei  sts,  Lettres  à  Frédérique 
Brun ,  qui  peignent  si  bien  la  gaieté  de  son  esprit,  l'ont  été 
par  Matthisson  (Francfort,  1829). 

BOiXTÉ.  La  bonté ,  dans  le  sens  le  plus  général  du 
mot,  est  ce  noble  sentiment  de  l'âme  qui  la  dispose  à  vou- 
loir et  à  faire  le  bien  de  tous  les  êtres  sensibles  qui  sont 
en  rapport  avec  elle.  Ce  brillant  attribut  du  monde  moral 
se  révèle  à  nous  de  deux  manières.  L'homme  nous  l'offre 
d'abord  ,  et  quoique  le  cœur  humain  soit  envahi  par  une 
foule  d'autres  sentiments  qui  en  ferment  souvent  l'accès  à 
celui-là,  on  peut  l'y  contempler  néanmoins,  et  avec  une 
admiration  d'autant  plus  vive  qu'on  le  rencontre  rarement, 
et  que  c'est  par  lui  que  l'homme  semble  le  plus  s'approcher 
de  son  Créateur  et  refléter  quelque  chose  de  la  divinité. 
Nous  pouvons  aussi  l'envisager  dans  l'auteur  de  la  nature, 
et  là  il  nous  apparaît  sur  une  échelle  infiniment  plus  vaste, 
bien  que  nous  n'ayons  dans  ce  cas  que  l'induction  pour 
l'atteindre ,  et  bien  que  l'homme  lui-même,  par  l'injurieuse 
expression  de  ses  doutes  et  par  d'ingénieux  sophismes,  ait 
essayé  d'en  obscurcir  r('clat. 

La  bonté ,  considérée  dans  l'homme,  résume  toutes  les 
affections  bienveillantes,  ou,  pour  mieux  dire,  chacune  de 
ces  affections  n'est  autre  que  la  bonté  elle-même,  qui  se 

DICT.    DE   LA    COKVtKS.    —    T     111. 


déploie  dans  des  circonstances  différentes,  et  qui  prend 
alors  un  nom  particulier,  selon  la  circonstance  particulier* 
où  elle  manifeste  son  action.  Pour  faire  le  bien,  dans  la  vé- 
ritable acception  du  mot,  il  faut  deux  choses  :  vouloir  le 
faire  et  en  avoir  la  puissance.  Mais  il  est  malheureusement 
trop  vrai  que  ces  deux  conditions  se  trouvent  bien  rarement 
réunies  dans  le  même  individu ,  et ,  par  une  sorte  de  fa- 
talité ,  il  semble  au  contraire  que  dans  l'état  réel  de  la 
société  elles  sont  presque  incompatibles,  et  que  ceux  qui 
auraient  le  pouvoir  de  faire  le  bien  laissent  à  ceux  à  qui 
ce  pouvoir  manque  le  soin  dé  le  vouloir.  Quand  la  bouté 
est  bornée  à  ce  rôle,  qui  est  néanmoins  l'essentiel,  elle  prend 
le  nom  de  bienveillance.  Dans  ce  cas,  la  bonté  fait 
encore  tout  le  bien  qu'il  lui  est  possible  d'accomplir  dans 
les  limites  qui  lui  sont  assignées.  Ainsi ,  elle  témoigne  vive- 
ment tout  le  désir  qu'elle  ressent  d'être  utile,  elle  est  affec- 
tueuse, et  s'abstient  de  toute  parole  et  de  toute  action  qui 
pourrait  blesser  le  plus  légèrement  autrui. 

Les  maux  qui  affligent  l'espèce  humaine  sont  de  deux 
sortes  :  les  souffrances  physiques  et  les  peines  morales.  La 
bonté  essaye  également  de  soulager  les  unes  et  les  autres  ; 
car  c'est  faire  le  bien  que  de  combattre  le  mal.  IMais  comme 
les  peines  morales  lui  offrent  moins  de  prise,  et  qu'elle  ne 
peut  que  donner  quelques  consolations,  qui  sont  souvent 
inutiles,  c'est  surtout  aux  souffrances  physiques  qu'elle  s'a- 
dresse, parce  que  la  nature  offre  plus  de  ressources  pour  les 
vaincre  ou  les  alléger.  La  bonté  a  reçu  alors  le  beau  nom 
A' humanité.  Les  vues  de  l'humanité  peuvent  être  plus 
ou  moins  étendues,  selon  la  portée  d'esprit  de  l'individu 
que  meut  ce  noble  sentiment.  Quand  elle  ne  se  borne  pas 
à  venir  au  secours  des  maux  dont  elle  est  témoin,  et  qu'elle 
embrasse  dans  son  zèle  toute  l'espèce  humaine,  dont  le 
malheur  est  le  partage,  on  l'appelle/) /iiZan^ A ropie.  Le 
christianisme  avait  déjà  désigné  ce  sentiment  sublime  par 
le  mot  charité,  qui  dans  sa  primitive  acception  a  été 
remplacé  par  les  mots  humanité,  philanthropie,  pour  les 
motifs  que  nous  allons  indiquer.  La  religion,  œuvre  de  sen- 
timent plutôt  que  de  raison  et  de  calcul ,  avait  admirable- 
ment réussi  à  enflammer  riiomme  de  l'amour  de  ses  sem- 
blables, et  à  transformer  le  penchant  qu'il  a  à  faire  le  bien 
en  un  sentiment  brûlant  qui  le  portait  aux  actes  les  plus 
sublimes  de  dévouement  et  d'humanité.  Mais  comme  les 
intérêts  de  la  vie  future  étaient  plus  sacrés  aux  yeux  des 
clirétiens  que  ceux  de  la  vie  terrestre,  ceux-ci  furent  bienr 
tôt  sacrifiés  aux  autres,  et  la  charité  finit  par  s'occuper 
beaucoup  plus  du  soin  de  sauver  les  âmes  que  d'apporter 
du  soulagement  aux  souffrances  de  la  condition  humaine. 
Aussi  le  mot  charité  ainsi  compris  et  appliqué  dut  perdre 
de  sa  vogue  et  s'oublier,  pour  ainsi  dire,  du  jour  où 
l'on  comprit  que  les  maux  physiques  et  les  intérêts  ma- 
tériels n'étaient  nullement  à  dédaigner,  que  le  malheur 
abrutit  l'homme,  et  que  ses  intérêts  moraux  ne  sont  jamais 
mieux  garantis  et  ne  peuvent  l'être  que  lorsqu'il  est  affran- 
chi de  ses  misères  corporelles.  C'est  donc  à  leur  soulage- 
ment que  la  philosophie  dut  s'appliquer  d'abord.  C'est  pour 
cette  raison  qu'elle  a  rayé  le  mot  charité,  qui  avait  fait  son 
temps,  ou  du  moins  n'était  plus  bien  compris,  pour  le  rem- 
placer par  les  mots  humanité,  philanthropie,  qui  sont  moins 
larges  peut-être,  mais  qui  indiquent  mieux  le  but  immédiat 
que  doit  maintenant  se  proposer  l'homme  sur  la  terre. 

La  bonté,  considérée  sous  ce  rapport,  peut  jouer  deux 
rôles  différents;  elle  peut  ne  se  produire  qu'à  l'état  de 
sentiment  et  demeurer  passive  :  alors  elle  devient  com- 
passion, sympathie  bienveillante;  ou  bien  elle  se 
produit  au  dehors  et  passe  à  l'clat  actif  :  dans  ce  cas ,  on 
l'appelle  bien/aisance.  S'il  s'agit  pour  elle,  non  plus 
d'accorder  des  bienfaits  et  de  venir  directement  au  secours 
des  malheureux,  mais  seulement  de  rendre  des  services  qui 
n'exigent  point  de  sacrifices  matériels  de  la  part  de  celui 
qui  les  rend,  elle  prend  le  nom  (^'obligeance.  Le  bien 

56 


412 


BONTE 


(inVlle  fait  alors  n'est  pr.s  aiissi  méritoire  ;  il  a  néanmoins 
pon  prix  quand  il  a  sa  source  dans  un  sentiment  de  bien- 
veillance et  dans  une  intention  droite  et  désintéressée.  Mais 
((iiand  la  bienfaisance  est  libérale  dans  ses  dons  et  prodi- 
gne de  sacrifices,  elle  revêt  un  caractère  plus  élevé  encore, 
et  devient  de  la  générosité. 

Il  y  a  une  autre  espèce  de  sacrifices  qui  rend  le  rOle  de  la 
!)onté  plus  éclatant  et  plus  sublime  encore  :  c'est  lorsqu'il 
s'agit,  non  plus  de  se  priver  de  quelques  avantages  matériels 
pour  les  reporter  sur  ceux  qui  en  ont  besoin ,  mais  de  sa- 
crifier son  ressentiment  ou  sou  indignation  pour  n'écouter  que 
la  voix  de  la  pitié  ot  de  la  miséricorde  envers  ceux  dont  on  a 
reçu  quelque  offense  et  sur  lesquels  on  pourrait  exercer  de 
justes  représailles  :  la  bouté  s'appelle  alors  clémence, 
grandeur  d'âme;  on  lui  donne  aussi  dans  ce  cas  le 
nom  de  générosité. 

On  nous  reprocbera  peut-être  de  n'avoir  pas ,  dans  notre 
définition,  qualifié  la  bonté  de  vertu.  Nous  n'aurions  pu 
la  qualifier  ainsi  sans  rendre  sa  définition  inexacte.  La 
bonté  est  bien  une  veitu  dans  certains  cas,  mais  dans 
d'autres  aussi  elle  n'est  qu'un  sentiment ,  un  pencbant  de 
l'âme  que  la  nature  a  mis  en  nous,  et  qui  nous  dispose  seu- 
lement à  faire  le  bien.  Or,  un  pencbant  naturel ,  quelque 
favorable  que  soit  son  action,  ne  mérite  pas  le  nom  de 
vertu,  car  il  ne  nous  appartient  pas  en  propre,  il  n'est  point 
notre  fait,  et  ne  doit  être  rapporté  qu'à  la  nature.  Pour 
qu'il  y  ait  vertu  dans  l'bomnie ,  il  faut  qu'il  y  ait  acte  ré- 
flécbi,  lutte,  dévouement,  sacrifice  :  c'est  pourquoi  la  bonté 
ne  devient  vertu  que  du  moment  où  elle  est  active.  Ainsi 
h  bienfaisance,  la  clémence,  seront  des  vertus;  la  bien:- 
veillance,  la  compassion,  ne  seront  jamais  que  des  senti- 
ments, dont  le  mérite  appartient  uniquement  à  la  nature 
qui  nous  les  inspire,  dont  la  ])Ossession  ne  doit  point  nous 
enorgueillir,  et  dont  nous  ne  jiourrions  étouffer  la  voix 
sans  nous  rendre  coupables.  Que  l'Iiomme  ne  s'arrête  donc 
pas  à  cette  idée  de  bonté  sentimentale  qui  est  toute  passive, 
car  il  peut  être  bon  sans  être  vertueux  ,  et  s'il  n'est  ver- 
tueux il  n'est  rien.  Qu'il  se  méfie  de  cette  qualification  de 
bon  cœur,  qui  n'implique  pas  l'idée  d'acte,  d'effort,  de  sa- 
crifice, et  qu'il  croie  bien  n'avoir  rien  fait  pour  ses  sem- 
blables ni  pour  lui  tant  que  sa  bonté  ne  sera  pas  devenue 
pratique.. 

Si  nous  considérons  maintenant  la  bonté  dans  l'Être  su- 
prême ,  nous  n'aurons  plus  à  nous  occuper  de  ce  qu'elle 
est  en  elle-même,  nous  ne  la  verrons  que  dans  les  faits  que 
l'observation  nous  révélera,  car  ce  n'est  que  par  les  actes 
nu  moyen  desquels  elle  se  pioduit  que  nous  pouvons  l'at- 
teindre, et  c'est  l'induction  seule  qui  peut  nous  éclairer  en 
pareil  cas.  Si  nous  jetons  les  yeux  sur  la  création  animée  et 
.sensible,  qui  seule  peut  nous  fournir  les  preuves  de  la 
bonté  divine ,  nous  remarquons  deux  espèces  d'êtres  bien 
distincts  :  les  animaux  j)rivés  de  liberté  et  de  raison,  et 
l'homme.  Comme  la  destinée  des  premiers  ne  s'étend  pas 
au  delà  du  temps  qu'ils  passent  sur  la  terre,  la  somme  des 
jilaisirs  qui  leur  sont  accordés  devait  dépasser  de  beaucoup 
celle  des  maux  qu'ils  y  rencontrent.  C'est  en  effet  ce  que 
l'observation  nous  atteste.  En  voyant  de  combien  de  parties 
est  composé  l'animal  le  plus  petit,  combien  semblent  dé- 
licats et  compliqués  les  ressorts  d'où  dépend  sa  vie,  en 
voyant  que  cette  machine  si  frêle  résiste  pendant  de  nom- 
breuses années  aux  causes  qui  tendent  à  la  détruire,  on  ne 
peut  s'empêcher  de  reconnaître  une  souveraine  bonté  pleine 
«le  sollicitude,  sans  cesse  attentive  à  la  conservation  de 
chaque  être,  qui  a  placé  chaque  espèce  au  milieu  de  tout 
ce  qui  est  nécessaire  à  ses  besoins,  et  qui  a  attaché  à  la 
satisfaction  de  ses  besoins  des  jouissances  qui  sont  pour  la 
I)lupart  inutiles  à  leur  conservation;  car  la  nature  aurait  [ui 
conserver  les  animaux  par  la  seule  crainte  de  la  douleur  : 
file  ne  l'a  pas  fait  ;  elle  a  au  contraire  reudu  leurs  souf- 
frances très-passagères,  et  écarté  les  maladies  oui  auia'cnt 


rendu  pénible  le  cours  de  leur  existence;  de  plus,  les  souf- 
frances auxquelles  ils  sont  exposés  sont  probablement 
beaucoup  moindres  qu'elles  ne  nous  paraissent.  Ainsi ,  on 
cite  le  fait  d'une  araignée  qui  avait  le  corps  traversé  par 
une  épingle,  et  qui  n'en  savourait  pas  moins  le  plaisir  de 
sucer  le  sang  d'un  moucheron  qu'on  avait  placé  à  sa  portée. 
S'il  est  vrai  néanmoins  qu'ils  aient  à  souffrir  quelquefois, 
soit  de  la  part  des  hommes  ,  soit  de  la  part  des  espèces 
ennemies ,  ces  moments  de  douleur  sont  compensés  et  au- 
delà  par  les  noiid)reux  plaisirs  dont  ils  jouissent  pendant 
presque  toute  la  durée  de  leur  vie.  Sans  regret  du  passé , 
sans  intjuiétude  de  l'avenir,  tout  entics  à  goûter  le  présent, 
les  aliments  dont  ils  se  nourrissent,  l'air  qu'ils  respirent, 
la  Iwnière  qui  les  éclaire  ou  les  échauffe  de  sa  douce  in- 
fluence, tout  les  rend  heureux,  et  ils  attestent  à  chaque  mo- 
ment du  jour,  par  leurs  chants,  leurs  cris  ou  leurs  mou- 
vementr,,  qu'ils  sont  dans  un  continuel  état  de  bien-être, 
dont  ils  ne  doivent  le  sentiment  qu'à  la  bienveillance  de 
l'auteur  de  la  nature. 

Assurément  l'homme  ne  paraît  pas  aussi  bien  partagé,  et 
les  chances  de  souffrances  auxquelles  il  est  exposé  semblent 
infiniment  plus  multipliées.  On  pourrait  faire,  et  l'on  a  fait 
de  longues  et  tristes  énumérations  des  maux  qui  pèsent  sur 
l'humanité.  Sans  vouloir  en  nier  l'existence,  nous  essaye- 
rons pourtant  de  montrer  qu'ils  ne  sont  pas  sans  compensa- 
tion, et  nous  tâcherons  surtout  d'en  fournir  une  explication 
qui  prouvera  que,  loin  d'être  un  motif  d'accusation  envers 
le  Créateur,  ils  ne  servent  qu'à  attester  la  sublimité  et  la 
Iwenveillance  de  ses  desseins  vis-à-vis  de  l'homme.  D'abord 
il  est  certain  que  l'imagination  et  l'horreur  que  nous  ins- 
pire la  pensée  de  la  douleur  nous  ont  (ait  singulièrement  exa- 
gérer les  misères  qui  affligent  l'espèce  humaine.  Ces  fléaux 
si  terribles  dont  on  se  plaint,  ces  grands  désordres  de  la  na- 
ture, qui  deviennent  funestes  à  des  populations  entières , 
apparaissent  très-rarement,  relativement  aux  mômes  indi- 
vidus. Ils  sont  la  plupart  du  temps  l'effet  de  lois  générales , 
utiles  dans  leur  tendance  ;  enfin,  ils  aboutissent  à  la  mort  ; 
et  sans  considérer  ici  si  elle  est  un  mal,  ce  sont  des  moyens 
comme  d'autres  d'arriver  à  ce  terme  inévitable.  On  peut  en 
dire  autant  des  maux  causés  par  les  maladies,  par  les  bles- 
sures accidentelles,  qui  sont  beaucoup  plus  rares  qu'on  ne 
pense,  surtout  pour  un  même  individu,  car  on  le  regaMe 
comme  un  état  contre  nature,  c'est-à-dire  comme  un  état 
qui  n'est  point  ordinaire  ni  habituel  :  de  plus ,  la  douleur 
qui  existe  n'est  pas  aussi  cruelle  qu'elle  le  paraît.  Dans  la 
plupart  des  maladies,  surtout  dans  les  maladies  graves,  le 
patient  ne  sent  point  son  état.  On  sait  d'ailleurs,  et  plu- 
sieurs faits  me  l'ont  prouvé  à  moi-même,  que  l'inquiétude 
causée  par  l'idée  de  la  mort  n'est  jamais  plus  éloignée  de  l'i- 
dée du  malade  que  quand  la  mort  le  menace  de  plus  près. 
Il  est  des  maux  auxquels  on  s'habitue,  et  la  plupart  du  temps 
ils  inspirent  plus  de  pitié  à  ceux  qui  en  sont  témoins  qu'ils 
ne  font  éprouver  de  souffrance  à  celui  qui  les  ressent.  Les 
douleurs  trop  vives  amènent^presque  toujours  l'évanouisse- 
ment, c'est-à-dire  un  état  d'insensibilité  complète.  Enfin , 
dans  ces  moments  cruels  la  nature  ne  s'est  point  montrée 
sans  compassion  à  notre  égard  ,  et  elle  a  placé  pour  ainsi 
dire  le  remède  à  côté  du  mal,  en  nous  inspirant  cette  pitié 
secourable  qui  nous  porte  comme  malgré  nous  à  soulager 
les  maux  dont  nous  voyons  nos  semblables  atteints. 

Je  ne  parle  pas  ici  des  souffrances  qui  ne  sont  imputa- 
bles qu'à  l'homme,  c'est-à-dire  au  mauvais  usage  qu'il  fait 
de  sa  raison  et  de  sa  liberté,  et  qui  sont  peut-être  les  pins 
nombreuses.  Nous  y  reviendrons  tout  à  l'heure.  Il  n'est  ques- 
tion jusqu'à  présent  que  de  celles  qu'il  est  hors  do  son  pou- 
voir d'éviter.  Or,  d'une  part,  elles  ne  sont  pas  si  multipliées 
ni  si  longues  qu'on  se  [)laît  à  les  présenter.  D'une  autre 
part,  pour  l'homme  qui  descend  de  bonne  foi  en  lui-même, 
et  qui  observe  atteiitivement  l'état  de  sa  sensibilité  aux  dif- 
férents moments  de  son  existence,  il  est  à  peu  près  cortaia 


BONTE  - 

<Hic  CCS  maux  sont  bien  compensés  par  les  innombrables 
jouissances  dont  notre  cœur  est  susceptible,  et  qui  s'y  croi- 
sent en  tous  sens  et  pour  ainsi  dire  malgré  nous  à  chaque 
instant  du  jour.  Ce  qui  a  (ad  dire  à  l'homme  que  dans  cette 
vie  la  somme  du  bien  n'est  pas  égale  à  celle  du  mal,  c'est, 
je  crois,  parce  qu'il  perd  facilement  la  mémoire  des  moments 
lieureux  ,  et  qu'un  seul  jour  de  souffrance  lui  fait  oublier 
volontiers  des  années  entières  de  bonheur.  S'il  était  juste,  il 
avouerait  que  les  plaisirs  viennent  de  tous  côtés  au-devant 
de  lui  et  le  cherchent  en  foule.  Sans  parler  de  ceux  que  la 
nature  a  attachés  à  la  satisfaction  des  besoins  même  les 
plus  grossiers,  et  qui  par  conséquent  se  reproduisent  si  sou- 
vent pour  lui ,  combien  en  est-il  dont  l'existence  est  tout 
à  fait  inutile  à  sa  conservation,  et  qui  ne  lui  sont  évidem- 
ment accordés  par  le  Créateur  que  dans  le  seul  but  de  lui  pro- 
curer des  jouissances?  A  quoi  servent  ces  parfums  que  la 
nature  exhale  autour  de  nous?  A  quoi  sert  cette  harmonie 
délicieuse  dont  nos  oreilles  sont  charmées?  Pourquoi  ces 
couleurs  vives ,  ces  formes  suaves  qui  réjouissent  nos  re- 
gards? Pourquoi  ces  arts  qui  servent  à  multiplier  et  à  com- 
biner à  l'inflni  les  jouissances  dont  la  nature  nous  fournit 
les  élémeuts?  Il  n'est  point  de  facultés  dont  l'exercice  régu- 
lier ne  soit  accompagné  d'un  sentiment  de  plaisir  :  soit  que 
l'homme  travaille  à  dompter  les  forces  de  la  nature  exté- 
rieure et  à  les  plier  à  son  usage,  soit  qu'il  exerce  son  esprit, 
et  qu'il  l'élève  à  la  contemplation  ou  à  la  recherche  de  la 
vérité,  soit  qu'il  règle  sa  conduite,  et  la  dirige  conformé- 
ment aux  lois  du  devoir,  il  n'est  pas  un  seul  de  ces  actes 
qui  n'ait  son  retentissement  dans  le  cœur. 

La  mesure  des  biens  dont  il  nous  est  donné  de  jouir  me 
paraît  en  vérité  si  large  que,  tout  compte  fait,  et  quand  nous 
ne  serions  pas  destinés  à  franchir  les  limites  de  cette  courte 
existence,  elle  me  semble  dépasser  de  beaucoup  celle  des 
maux  auxquels  notre  position  nous  expose.  Mais  nous  ne 
devons  point  nous  arrêter  à  ce  calcul,  et  la  considération 
de  la  véritable  destinée  de  l'homme  nous  fournit  d'autres 
moyens  d'absoudre  le  Créateur.  S'il  est  vrai  que  la  raison 
et  la  liberté  soient  les  causes  les  plus  fécondes  des  souf- 
frances physiques  et  morales  dont  l'homme  soit  affligé,  s'il 
est  vrai  qu'il  faille  leur  attribuer  les  tourments,  l'inquiétude, 
les  regrets,  les  passions,  les  crimes,  les  vices  et  toutes  leurs 
tristes  conséquences,  il  est  vrai  aussi  que  l'existence  même 
de  ces  nobles  facultés  atteste  qu'elles  n'ont  point  seule- 
ment été  accordées  à  l'homme  comme  un  don  funeste,  mais 
qu'elles  ont  un  tout  autre  but,  dont  la  contemplation  nous 
révèle  la  glorieuse  destinée  à  laquelle  nous  sommes  tous 
appelés.  Si  l'on  reconnaît  la  liberté  dans  l'homme,  on  doit 
reconnaître  aussi  que  celui  qui  en  fait  un  bon  usage,  lors 
même  qu'il  en  souffrirait  ici-bas,  acquiert  des  droits  incon- 
testables à  une  récompense,  et  devient  possesseur  d'un 
mérite  dont  rien  ne  saurait  le  dépouiller.  Or,'comme  il  est 
tout  à  fait  déraisonnable  de  supposer  qu'il  y  ait  une  rému- 
nération suffisante  pour  l'homme  vertueux  dans  quelques 
moments  imperceptibles  de  satisfaction  intérieure,  et  dans 
la  perspective  finale  d'un  tombeau  et  des  vers  qui  doivent 
l'y  réduire  en  poussière,  rien  ne  me  semble  mieux  démon- 
tré que  l'insuffisance  de  cette  vie  pour  récompenser  celui 
qui  a  sacrifié  à  l'accomplissement  du  devoir  toutes  les  jouis- 
sances de  ce  monde  et  quelquefois  la  vie  elle-même. 

Où  nous  conduit  donc  la  connaissance  de  la  liberté  et  du 
mérite  dans  l'homme ,  si  ce  n'est  à  reconnaître  aussi  que 
sa  destinée  n'est  point  complète  ici-bas,  et  qu'il  faut  pour 
qu'elle  s'accomplisse  admettre  nécessairement  une  exis- 
tence ultérieure,  qui  est  le  but  définitif  pour  lequel  il  a  été 
réellement  créé.  Cela  posé,  sa  condition  présente  devient 
explicable,  et  les  maux  qu'elle  entraîne  avec  elle  ne  doivent 
plus  nous  apparaître  que  comme  une  préparation  à  des  biens 
véritables,  et  comme  des  échelons  de  sa  grandeur  future. 
Et  en  effet  pour  que  le  bonheur  fût  mérité  dans  une  autre 
vie,  il  fallait  que  la  vertu  existât  dans  celle-ci;  et  pour 


BONZES  443 

qu'il  y  eût  de  la  vertu ,  il  fallait  que  nous  dussions  nous 
soumettre  à  certaines  lois,  il  fallait  que  nous  eussions  a 
vaincre  des  obstacles  pour  nous  y  conformer;  il  fallait  pour 
que  la  justice  s'exerçât,  qu'il  y  eût  des  droits,  qu'on  pût  res- 
pecter ou  fouler  aux  pieds  ;  il  fallait  pour  la  patience  et  la 
résignation  des  maux  cruels  à  supporter  ;  il  fallait  des  dan- 
gers à  surmonter  pour  le  courage,  des  peines  à  soulager 
pour  la  bienfaisance,  pour  la  reconnaissance  des  bienfaits 
accordés,  des  injures  à  pardonner  pour  la  clémence.  Ainsi 
tous  ces  désordres  apparents  du  monde  moral  deviennent 
autant  d'occasions  de  vertus ,  et  ici  comme  ailleurs  le  but 
évident  que  s'est  proposé  l'auteur  de  notre  être  est  encore 
notre  bonheur,  mais  un  bonheur  qui  ne  pouvait  exister  à 
d'autres  conditions,  un  bonheur  au-dessus  duquel  il  ne  nous 
est  point  possible  d'en  concevoir  un  autre,  un  hnnhem  mérité. 

On  pourrait  faiie  contre  la  bonté  divine  une  dernière  ob- 
jection ,  plus  spécieuse  que  les  autres,  en  disant  que  si  la 
liberté  peut  devenir  l'occasion  pour  l'homme  d'une  félicité 
sans  bornes ,  elle  peut  par  là  même  devenir  aussi  l'occasion 
d'une  chute  terrible  et  de  malheurs  infinis,  et  que,  mal'^ré 
tout  l'orgueil  que  doit  nous  inspirer  une  semblable  préroga- 
tive ,  l'homme  y  renoncerait  volontiers ,  à  la  seule  pensée 
de  l'abîme  où  elle  pourrait  l'entraîner.  Ce  qui  fait  la  seule 
force  de  cette  objection ,  c'est  la  croyance  à  l'éternité  des 
peines.  Sans  vouloir  discuter  à  fond  une  question  de  cette 
nature,  nous  devons  cependant  nous  expliquer  à  ce  sujet 
en  peu  de  mots,  et  avouer  que  nous  ne  connaissons  aucun 
raisonnement  solide  sur  lequel  puisse  reposer  une  pareille 
croyance;  qu'elle  ne  nous  semble  que  l'effet  des  craintes 
exagérées  de  l'imagination  ,  et  que  nous  la  regardons  plutôt 
comme  un  outrage  fait  à  la  Divinité,  dont  la  bienveillance 
nous  est  démontrée  par  tant  de  preuves  qu'il  nous  paraît 
aussi  déraisonnable  qu'impie  de  supposer  un  instant  dans 
l'auteur  des  merveilles  dé  la  création  la  pensée  de  vouer  un 
seul  être  à  un  malheur  éternel.  C.-M.  Paife. 

BON  TON.  Votjez  Ton. 

BONZES.  Ce  mot  est  le  nom  générique  donné  par  les 
Portugais  aux  prêtres  du  Japon ,  nom  dont  on  ne  connaît 
pas  l'origine,  et  qui  sert  aux  Européens  à  désigner  les  mi- 
nistres de  la  Chine,  delà  Cochiuchine  et  du  Japon,  sans 
distinction  des  sectes  nombreuses  dans  lesquelles  ils  se  par- 
tagent. Cette  dénomination  commune  n'est  cependant  pas 
sans  fondement.  Les  bonzes ,  à  quelque  secte  qu'ils  appar- 
tiennent, se  rattachent  tous  à  une  religion  dont  le  fondateur 
est  unique  et  dont  les  préceptes  peuvent  tous  se  ramènera 
une  môme  source.  Ce  fondateur  est  Xaca,  qui ,  selon  plu- 
sieurs historiens ,  appoila  les  dogmes  de  l'Egypte  dans  les 
Indes ,  et  leur  donna  une  forme  nouvelle,  sous  laquelle  ils  se 
répandirent  promptement  dans  la  Chine,  puis  dans  le  Japon. 

Ce  Xaca,  dont  l'histoire  fabuleuse  a  beaucoup  de  res- 
semblance avec  celle  du  fils  de  Marie,  prêcha  deux  doctrines 
distinctes,  la  doctrine  extérieure  et  la  doctrine  intérieure. 
Dans  la  doctiine  extérieure,  celle  qu'on  prêche  publique- 
ment ,  il  reconnaît  un  Dieu  en  trois  personnes ,  qui  a  établi 
des  récompenses  pour  la  vertu  et  des  châtiments  pour  le 
vice.  Il  y  est  lui-môme  présenté  comme  le  sauveur  des 
hommes,  né  d'une  femme  vierge,  et  envoyé  pour  remettre 
les  mortels  dans  la  voie  du  salut  et  expier  leur  péché,  afin 
qu'après  leur  mort  ils  pussent  renaître  heureusement.  Pour 
les  rendre  capables  de  profiter  d'un  si  grand  bienfait ,  il  leur 
a  défendu  :  1°  de  tuer  aucune  créature  vivante;  2°  de  com- 
mettre de  vol  ;  3°  de  se  souiller  d'aucun  vice  honteux  ;  4°  de 
mentir;  5°  de  boire  du  vin.  Il  leur  a  encore  donné  d'au- 
tres préceptes,  qui  roulent  tous  sur  des  œuvres  de  miséri- 
corde, et  dont  le  principal  est  d'avoir  grand  soin  des  mi- 
nistres des  dieux,  et  de  leur  bâtir  des  monastères  et  des 
temples.  Les  bonzes  ont  ajouté  à  cela  bien  des  pratiques 
extérieures  qui  leur  sont  très-profitables,  comme  de  se  re- 
vêtir en  mourant  de  robes  de  papier  et  surtout  de  lettres  de 
change  pour  l'autre  monde,  sans  lesquelles  on  neparvicn- 

i)0. 


l 


4  1  I 

<lrait  jamais  à  l'élysée ,  mais  on  ne  ferait  que  passer  d'un 
corps  dans  un  autre.  La  doctrine  intérieure,  dont  on  ne  fait 
part  qu'à  un  petit  nombre  de  disciples ,  aux  esprits  forts , 
aux  savants  et  aux  plus  grands  seigneurs ,  et  dans  laquelle 
fous  les  bonzes  mêmes  ne  sont  pas  initiés,  a  pour  fondement 
un  matérialisme  giossier,  et  aboutit  à  un  quiétisme  absolu , 
sans  espoir  d'une  autre  vie. 

Cette  contradiction  entre  les  deux  doctrines  ne  peut  guère 
s'expliquer  que  par  des  altérations  introduites  dans  le  livre 
vrai  ou  supposé  de  Xaca ,  altérations  faciles  à  apporter,  vu 
que  ce  livre  est  composé  de  feuilles  d'arbre ,  dont  il  se 
servait ,  dit-on ,  faute  de  papier.  Quoi  qu'il  en  soit,  ces 
doctrines  différentes  ont  donné  lieu  à  différentes  sectes ,  qui 
tontes,  quoique  soumises  à  un  même  chef,  sont  irréconci- 
liabiement  ennemies  les  unes  des  autres.  Il  y  en  a  quatre 
principales  :  celle  des  Xenxiis,  qui  n'enseignent  que  la  doc- 
trine intérieure  de  Xaca.  On  appelle  Xodoxius  ceux  de  la 
seconde ,  qui  enseignent  le  dogme  de  l'immortalité  de  l'Ame, 
et  suivent  à  la  lettre  la  doctrine  extérieure.  Ceux  de  la 
troisième,  qui  sont  les  plus  zélés  partisans  de  Xaca,  ont 
pris  le  nom  de  Foquexus,  de  celui  du  Foquieho,  qui  est 
le  livre  de  leur  prophète.  On  les  dit  fort  austères  :  ils  se  lè- 
vent à  minuit  pour  chanter  les  louanges  de  leur  dieu,  et 
pour  méditer  sur  quelques  points  de  morale.  La  quatrième 
secte  est  plutôt  une  congrégation  militaire.  Les  bonzes  qui 
la  composent  s'appellent  Negores.  On  dit  que  l'Orient  n'a 
point  de  soldats  mieux  disciplinés  ni  plus  aguerris.  Ils  habi- 
tent à  eux  seuls  des  villes  dont  l'entrée  est  même  interdite 
aux  femmes.  Ces  quatre  sortes  de  bonzes  sont  les  plus  ré- 
pandues. La  plupart  des  autres  ne  fréquentent  que  les  bois, 
les  déserts  et  les  campagnes  :  les  uns  font  profession  de 
magie;  d'autres  se  livrent  à  une  vie  de  contemplation  et  de 
pénitence  ;  enfin  un  grand  nombre  forment  une  espèce  d'or- 
dre de  mendiants  qui  se  tiennent  sur  les  routes  et  rançon- 
nent les  passants  au  moyen  de  quelques  lignes  du  Foquieho, 
qu'ils  récitent  à  haute  voix ,  et  qu'on  ne  manque  pas  d'é- 
couter avec  respect  et  reconnaissance. 

Quelle  que  soit  la  conviction  intime  des  bonzes  sur  l'une 
ou  l'autre  doctrine  de  Xaca,  où  l'on  ne  doit  voir  en  défi- 
nitive que  les  deux  grands  systèmes  philosophiques  qui  se 
partagent  le  monde,  ils  ont  tous  un  extérieur  très-austère, 
et  ont  toujours  de  saintes  et  dignes  paroles  à  la  bouche.  Ils 
ont  les  cheveux  et  la  barbe  rasés,  et,  quelque  temps  qu'il 
fasse ,  ne  se  couvrent  jamais  la  tète.  Ils  donnent  la  plus 
grande  partie  du  jour  à  la  prière ,  gardent  en  public  le  plus 
profond  silence,  et  paraissent  toujours  dans  le  recueillement. 
Mais  ce  qui  les  caractérise  presque  tous,  c'est  leur  insa- 
tiable cupidité.  Ils  exploitent  la  superstition  des  croyants 
en  leur  vendant  fort  cher  une  foule  de  bagatelles,  entre 
autres  ces  robes  de  papier,  dont  il  se  fait  un  débit  prodi- 
gieux ,  et  dont  chacun  veut  mourir  revêtu.  Tous  leurs  ser- 
mons finissent  toujours  par  une  exhortation  pathétique,  qui 
a  pour  but  d'avertir  les  fidèles  que  le  moyen  le  plus  assuré 
de  se  rendre  les  dieux  propices  est  d'orner  leurs  temples  et 
de  faire  à  leurs  ministres  de  grandes  libéralités.  De  sorte 
que  les  trésors  de  ces  ministres  sont  de  véritables  gouffres 
où  va  s'engloutir  une  grande  partie  de  la  fortune  publique. 

Il  y  a  aussi  dans  cette  religion  des  filles  recluses ,  qui 
sont  chargées  de  l'éducation  des  jeunes  personnes  de  leur 
sexe.  On  les  nomme  Biconis,  et  les  Européens  les  ont  ap- 
pelées Bonzïcs.  On  voit  en  plusieurs  endroits  des  monas- 
tères des  deux  sexes  qui  se  touchent ,  et  des  temples  où  les 
bonzes  et  les  biconis  chantent  à  deux  voix,  les  hommes 
d'un  côté,  et  les  femmes  d'un  autre.  Les  bonzies  affectent 
beaucoup  de  pudeur,  et  prétendent  à  une  haute  réputation 
de  chasteté,  quoique  les  bruits  qui  courent  sur  elles  ne 
leur  soient  point  très-favorables.  C.-M.  Paffe. 

BOi\ZI  (Piktro-Paolo),  paysagiste  habile  de  l'école 
bolonaise,  naquit  à  Cortone,  vers  1580,  et  mourut  en  1G40. 
Parent  et  élève  d'Annibal  Carrache,son  infirmité  le  fit 


BONZES  —  BORA 


surnommer  il  gohho  de'  Caracci  (le  b^isu  des  Carrache). 
On  l'appelait  encore  il  gobbo  di  Cortona  ou  de'  frutti, 
tantôt  à  cause  du  lieu  de  sa  naissance ,  tantôt  parce  qu'il 
excellait  dans  la  représentation  des  fruits.  Le  musée  du 
Louvre  possède  de  lui  un  petit  tableau  de  Latone  méta- 
morphosant des  paysans  en  grenouilles. 

BOOTES.  Voyez.  Bouvier  (Astronomie), 

lU)OZ.  Voyez  Ruth. 

BOPYRE,  genre  de  crustacés  de  la  classe  des  tétradé- 
capodes  de  Blainville  ou  isopodes  de  Latreille ,  à  corps  dé- 
primé, ovale,  dépourvu  d'yeux,  d'antennes  et  de  mandi- 
bules. Les  bopyres  vivent  en  parasites  sur  d'autres  espèces 
de  crustacés,  et  donnent  souvent  lieu  à  des  tumeurs  sur  le 
corps  des  animaux  dont  ils  sucent  les  branchies.  Les  pê- 
cheurs croient  que  ces  animaux  parasites  sont  de  petites  li- 
mandes ou  soles  qui  se  nourrissent  sur  les  crevettes  et  les 
palémons,  et  qu'ils  ont  été  engendrés  par  eux.  L'espèce  la 
plus  commune  est  le  bopyre  des  crevettes.  La  femelle  pro- 
duit une  énorme  quantité  d'œufs,  qu'elle  porte  sous  son 
ventre,  et  qu'elle  dépose  dans  les  lieux  habités  par  les  ani- 
maux sur  lesquels  ils  devront  aller  se  fixer.  Le  mâle  est  très- 
petit.  On  le  trouve  souvent  près  de  la  queue  des  individus 
femelles  chargés  d'œufs.  L.  Laurent. 

BOQUETTE  (Col  de  la).  Voyez Bocciiettx. 

BORA  (Catuerine  ns),  épouse  de  Luther,  naquit  le 
29  janvier  1499,  vraisemblablement  à  Lœben  près  de 
SchweinitzenSaxe,deHansde  Mergenthalde  Deutschenbora 
et  d'Anne  de  Hugewitz  ou  Haugwitz.  Elle  sortait  à  peine  de 
l'enfance  lorsque  ses  parents  la  mirent  dans  le  couvent  de 
Nimptschen,  que  l'ordre  de  Cîteaux  possédait  près  de  Grim- 
ma.  La  lecture  des  écrits  de  Luther  lui  rendit  bientôt  son 
sort  insupportable,  et  ses  parents  refusant  de  la  retirer  du 
cloître,  elle  s'adressa  avec  huit  de  ses  compagnes  au  ré- 
formateur, qui  les  fit  évader,  dans  la  nuit  du  4  avril  1523, 
et  les  plaça  à  Torgau ,  puis  à  Wittenberg ,  en  leur  assurant 
des  moyens  d'existence.  En  même  temps  il  écrivit  à 
Léonhard  Koppe,  qui  lui  avait  servi  d'instrument  dans  toute 
cette  affaire,  une  lettre  dans  laquelle  il  s'avouait  hautement 
l'auteur  de  l'évasion,  et  engageait  les  parents  de  ces  jeunes 
filles  à  les  recevoir.  Cette  lettre  n'ayant  pas  produit  l'effet 
qu'il  en  attendait ,  il  plaça  les  plus  âgées  de  ces  nonnes 
chez  de  respectables  bourgeois  de  Wittemberg,  et  maria 
les  plus  jeunes.  Catherine  trouva  un  asile  dans  la  maison  du 
bourgmestre  Reichenbach.  Luther  lui  fit  proposer  un  époux 
par  Nicolas  d'Amsdorf ,  prédicateur  à  Wittemberg ,  et  par  le 
docteur  Gaspard  Glaz,  mort  pasteur  à  Orlamunde;  mais 
elle  le  refusa ,  en  se  déclarant  prête  à  donner  sa  main  soit 
à  Amsdorf ,  soit  à  Luther.  Ce  dernier  avait  déposé  le  froc 
depuis  1524,  et  n'avait  aucune  répugnance  pour  le  ma- 
riage; mais  il  soupçonnait  Catherine  d'être  encline  à  l'or- 
gueil. La  célébration  de  son  mariage,  le  13  juin  1525,  sur- 
prit donc  tout  le  monde,  et  ses  ennemis  profitèrent  de  cette 
occasion  pour  la  noircir  de  leiirs  calomnies.  Ces  bruits  n'a- 
vaient aucune  espèce  de  fondement;  cependant  il  faut 
avouer  qu'il  ne  fut  pas  en  tout  et  toujours  content  de  sa 
Caton;  car  il  parle  souvent  avec  sa  sincérité  habituelle  des 
soucis  aussi  bien  que  des  joies  du  ménage.  Qu'il  ait  d'ail- 
leurs été  assez  heureux  avec  elle,  c'est  ce  que  prouve  son 
testament,  par  lequel  il  la  constitua  son  unique  héritière ,  à 
condition  q\relle  ne  se  remarierait  pas,  parce  qu'elle  s'était 
toujours  montrée,  dit-il,  une  femme  pieuse,  fidèle  et  ho- 
norable. Après  la  mort  de  Luther,  sa  veuve  reçut  d'abon- 
dants secours  de  Jean-Frédéric,  qui  se  chargea  de  l'éducation 
de  ses  fils,  et  du  roi  de  Danemark  Christian  IIl.  \Vittem- 
bfrg  étant  tombée  au  pouvoir  de  l'ennemi  en  1547,  elle  se 
retira  à  Magdebourg,  d'où  elle  partit  avec  Mélanchthon  pour 
Brunswick  dans  l'intention  d'aller  trouver  le  roi  du  Dane- 
mark ;  mais  elle  renonça  à  ce  projet,  revint  à  Wittemberg, 
en  fut  chassée  de  nouveau  ,  en  1552  ,  par  la  peste,  et,  déjà 
malade,  prit  la  route  de  Torgau,  où  elle  mourut,  le  20  dé- 


BORA  —  BORD 


44r> 


cembre.  On  Toit  encore  aujourd'hui  dans  l'église  de  Torgau 
son  tombeau ,  sur  lequel  est  sculptée  sa  statue  de  grandeur 
naturelle. 
liORACIQUE  (Acide).  Voyez  Borique  (Acide). 
BORACITE.  Les  minéralogistes  appellent  ainsi  le 
sous-borate  de  magnésie,  tel  qu'on  le  rencontre  dans  la 
nature.  La  boraciteou  magnésie  boratce  est  une  substance 
vitreuse,  limpide  et  incolore  quand  elle  est  pure,  ou  gri- 
sâtre et  translucide  et  devenant  même  opaque  par  altéra- 
tion. Sa  densité  est  de  2,9.  Elle  est  fusible  au  chalumeau  et 
produit  des  globules  vitreux ,  qui  se  hérissent  de  petites  ai- 
guilles cristallisées  par  refroidissement ,  et  deviennent  blancs 
et  opaques.  Insoluble  dans  l'eau ,  la  boracite  est  soluble 
dans  l'acide  nitrique ,  et  donne  un  précipité  blanc  par  la 
soude  ou  l'ammoniaque.  La  boracite  ne  s'est  encore  offerte 
dans  la  nature  qu'en  petits  cristaux  disséminés  dans  le 
gypse  ou  l'anhydrite.  On  la  trouve  au  mont  Kalkberg  en 
Brunswick  et  au  Segeberg  dans  le  Holstein.  L'analyse  a 
donné  à  Stromeyer  pour  sa  composition  67  parties  d'acide 
borique  et  33  de  magnésie. 

BORATE ,  sel  produit  par  la  combinaison  de  Vacide 
borique  avec  les  bases.  La  composition  des  borates  est 
telle  que  l'oxygène  de  la  base  est  à  l'oxygène  de  l'acide 
comme  1  est  à  3  dans  les  sels  neutres ,  et  comme  1  est  à  4 
dans  les  sels  acides.  Les  borates  de  soude  et  de  potasse 
sont  très-solubles  dans  l'eau  ;  mais  le  borate  de  merciire, 
sel  sédatif  mercuriel ,  qu'on  a  essayé  d'employer  contre  les 
affections  vénériennes ,  et  qui  a  éie  abandonné ,  l'est  peu. 
Les  sous-borates  sont  en  général  peu  solubles  dans  l'eau  ; 
mais  tous  les  acides  forts  les  décomposent  à  la  température 
de  l'ébuUition,  s'emparent  de  la  base,  et  mettent  l'acide 
borique  à  nu.  A  la  température  rouge  les  sous-borates  ne 
sont  décomposés  que  par  les  acides  fixes,  tels  que  l'acide 
pliosphorique.  Aucun  des  sous-borates  n'est  employé ,  à 
l'exception  du  sous-borate  de  soude  ou  borax. 

BORAX  (de  l'arabe baurach  ),  substance  saline,  formée 
d'acide  borique  et  de  soude ,  et  que  l'on  désigne  encore  par 
les  noms  de  tinkal ,  chrijsocolle ,  sel  de  Perse,  sel  al- 
cali minéral ,  soude  boratée,  borate  de  soude  avec  excès 
de  base,  sous-borate  de  soude,  etc.  Ce  sel,  qui  existe  en 
dissolution  dans  les  eaux  de  certaines  sources  et  de  quel- 
ques lacs ,  et  que  l'on  rencontre  aussi  en  gros  blocs ,  soit 
dans  le  fond,  soit  sur  les  bords  de  ces  mêmes  lacs,  se  trouve 
au  Pérou ,  en  Transylvanie ,  en  Saxe ,  en  Perse ,  dans  la 
Tartarie,  en  Chine,  à  Ceylan,  et  particulièrement  dans 
l'Inde.  Le  commerce  nous  l'offre  sous  trois  états  :  1"  à  l'état 
brut  (c'est  celui  qui  nous  vient  de  l'Inde  ou  du  Thibet); 
'1°  à  l'état  de  borax  demi-rafiiné  (c'est  celui  que  les  Chinois 
nous  expédient)  ;  3°  enlin  à  l'état  de  borax  purifié  (ce der- 
nier est  fourni  par  les  manufactures  de  France,  de  Hollande, 
d'Angleterre,  d'Allemagne,  etc.). 

Le  borax  brut  est  en  cristaux  tantôt  petits  et  très-nets, 
tantôt  très-gros  et  arrondis  sur  leurs  angles  et  leurs  arêtes  : 
dans  l'un  et  l'autre  cas ,  mais  surtout  dans  le  premier,  ils 
sont  recouverts  ou  même  agglutinés  par  une  matière  de  na- 
ture savonneuse,  que  l'on  s'accorde  généralement  à  consi- 
dérer comme  le  produit  de  la  combinaison  de  la  soude  en 
excès  avec  le  beurre  ou  la  graisse  dont  on  enduit  les  cris- 
taux pour  les  empêcher  de  s'eflleurir. 

Pour  purifier  le  borax ,  pour  détruire  cette  matière  grasse 
qui  le  colore  et  le  salit ,  on  le  place  dans  un  grand  creuset 
ou  dans  un  four,  puis  on  le  soumet  pendant  quelque  temps 
à  une  clialeur  rouge  :  par  ce  traitement  on  le  transforme 
en  une  masse  vitreuse ,  que  Ion  fait  dissoudre  dans  l'eau 
bouillante.  La  solution  est  filtrée ,  évaporée  et  abandonnée  à 
elle-même  pour  que  le  sel  puisse  cristalliser  par  le  refroi- 
dissement. Toutefois,  ce  raflinagc  du  borax  brut  n'est  pas 
aujourd'iiui  le  seul  moyen  d'obtenir  le  sous-borate  de  soude 
purifié  :  en  effet,  il  existe  en  Toscane  des  lacs  dont  l'eau 
tient  en  solution  de  Yaçide  borique  en  proportion  assez 


considérable  pour  qu'on  puisse  l'en  retirer  avec  avantage, 
et  cet  acide  sert  à  fabriquer  chez  nous  le  borax  de  toutes 
pièces.  Cette  fabrication ,  qui  nous  exempte  d'un  tribut  que 
nous  payions  à  l'étranger,  est  d'une  très-grande  simplicité  . 
il  s'agit  seulement  de  saturer  l'acide  par  un  excès  de  sous- 
carbonate  de  soude,  à  l'aide  d'une  quantité  d'eau  déter- 
minée et  du  calorique ,  puis  de  faire  évaporer  et  cristalUser 
convenablement. 

Le  borax  ainsi  obtenu  est  demi-transparent  ;  sa  forme 
est  celle  d'un  prisme  hexaèdre  comprimé  et  terminé  par  des 
pyramides  trièdres  ;  il  est  inodore  et  d'une  saveur  styptique 
et  alcaline.  Chauffé,  il  fond  dans  sou  eau  de  cristalHsation  ; 
puis  il  se  boursoufle ,  et  finit  par  se  dessécher  ;  à  une  tem- 
pérature plus  élevée ,  il  éprouve  la  fusion  ignée ,  et  prend 
l'apparence  d'un  verre  blanc,  transparent,  qui,  coulé  sur 
une  table  de  marbre,  s'y  solidifie,  et  constitue  le  produit 
particulier  connu  sous  le  nom  de  borax  vitrifié.  Il  s'ef- 
fieurit  légèrement  à  l'air  ;  il  se  dissout  dans  six  cents  parties 
d'eau  froide ,  et  dans  deux  cents  seulement  d'eau  bouillante. 
Mis  en  contact  avec  le  sirop  de  violette,  il  en  fait  passer  le 
couleur  au  vert. 

Ce  sel,  qui  jouit  de  la  propriété  de  se  colorer  diversement 
lorsqu'on  le  fond  avec  certains  oxydes,  est  employé  dans 
leur  analyse  et  pour  leur  réduction  ;  il  est  surtout  mis  en 
usage  pour  souder  les  métaux ,  dont  il  facilite  beaucoup  la 
fusion  {voyez  Souduke).  On  s'en  sert  aussi  pour  fabriquer 
les  différents  borates  dans  les  laboratoires  de  chimie,  et 
pour  appUquer  l'or  et  les  couleurs  dans  la  peinture  sur  por- 
celaine. Enfin ,  en  médecine,  on  l'a  prescrit  autrefois  comme 
réfrigérant  ou  calmant  ;  et  maintenant  on  l'emploie  avec  un 
grand  succès  contre  quelques  affections  cutanées  chro- 
niques. P.-L.   COTTEUEAU. 

BORBORITESou  BORBORIENS,  secte  de  gnostiques, 
dont  le  nom  vient  du  grec  pôpgopoç,  boue,  ordure ,  a  cause 
des  sales  extravagances  de  leurs  cérémonies.  Us  niaient  la 
réalité  du  jugement  dernier.  On  trouve  des  détails  sur  cette 
secte  dans  Philastrus ,  saint  Épiphane ,  saint  Augustin  et 
Baronius. 

BORBORYGME  (du  grec  popêopuyixô- ,  bruit  sourd). 
C'est  une  espèce  d'onomatopée ,  par  laquelle  on  indique  en 
médecine  le  bruit  que  font  l'air  et  les  gaz  contenus  dans 
l'abdomen  et  les  intestins  ;  ce  qui  a  lieu  quelquefois  chez 
les  personnes  en  bon  état  de  santé,  mais  amve  plus  fréquem- 
ment néanmoins  et  plus  habituellement  chez  les  individus 
malades.  Les  borborygmes  sont  en  général  le  symptôme 
ordinaire  des  indigestions,  des  coliques,  des  affections  hy- 
pochondriaques  et  hystériques,  et  annoncent  souvent  de 
l'embaiTas  dans  le  conduit  intestinal  ;  ils  dépendent  des 
mêmes  causes  et  demandent  les  mêmes  remèdes,  paiticu- 
lièrement  les  carminatifs. 

BORCETTE.  Voyez  Burtscheed. 

BORD,  extrémité  d'une  chose,  ce  qui  la  termine.  On 
dit  le  bord  d'un  verre,  d'une  assiette,  d'un  plat,  etc.;  le 
bord  d'un  ruban  ,  d'un  galon  ,  d'une  dentelle,  etc.  ;  le  bord 
de  la  mer;  le  bord  de  l'eau;  le  bord  d'une  fontaine;  le  bord 
d'un  fossé  ;  le  bord  d'un  précipice. 

Ce  mot  se  prend  aussi  quelquefois  dans  le  sens  poétique 
et  figuré ,  comme  dans  ces  vers  de  Racine  : 

On  ne  repasse  point  le  rivage  des  morls , 

El  l'on  ne  voit  jamais  deux  fois  les  sombres  bords , 

où  cette  expression  est  prise  pour  les  rivages  du  Styx.  On 
dit  qu'un  homme  est  au  bord  de  l'abime  ou  au  bord  du 
précipice,  pour  dire  qu'il  est  dans  un  danger  imminent, 
qu'il  est  près  de  sa  ruine  ou  de  sa  perte ,  et  d'un  homme 
qu'il  est  sur  le  bord  de  sa  fosse,  pour  dire  qu'il  est  parvenu 
à  l'âge  qui  est  le  terme  ordinaire  de  la  vie  humaine.  On  ap- 
pelle un  rouge  bord  un  verre  plein  de  vin  jusqu'au  bord. 

Edme  HÉREAC. 
BORD  {Marine).  C'est  un  de  ces  mots  qui  ont  perdu 


44  G 


BORD 


leur  signification  primitive  en  faveur  de  leur  signification 
figurée.  Je  ne  crois  pas  qu'il  existe  plus  d'une  douzaine  de 
cas  en  marine  où  Ton  emploie  le  mot  bord  pour  exprimer 
le  bord  du  bâtiment,  c'est-à-dire  pour  signifier  la  partie  qui 
termine  extérieurement  à  la  surface  du  pont  la  coque  du 
navire.  On  dit  cependant  en  parlant  de  deux  bâtiments  qui 
se  longent,  qu'ils  sont  bord  à  bord;  on  dit  aussi  passer  sur 
le  bord,  pour  passer  sur  le  côté  du  navire;  mais  dans  ces 
cas-là,  et  dans  quelques  autres ,  le  mot  bord  a  conservé  à 
peine  son  acception  propre. 

La  signification  la  plus  générale  conservée  à  ce  mot  est 
celle  qui  a  rapport  au  bâtiment  considéré  comme  le  domi- 
cile des  marins.  Le  bord,  dans  le  langage  maritime,  signifie 
le  navire  :  se  rendre  à  bord,  quitter  le  bord,  rester  à  bord, 
sont  des  expressions  consacrées  par  le  long  usage  qui  a 
donné  à  ces  mots  la  seule  acception  sous  laquelle  ils  soient 
à  peu  près  employés  maintenant. 

CoKrir  un  bord,  c'est  courir  une  bordée,  c'est-à-dire 
naviguer  sous  la  môme  allure  dans  une  direction  donnée. 
Virer  de  bord,  c'est  changer  d'amarres,  quitter  la  direction 
que  l'on  a  prise,  pour  en  prendre  une  autre ,  en  recevant  le 
vent  du  côté  opposé  à  celui  d'où  il  venait.  Faire  passer 
sur  le  bord,  c'est  ordonner  à  deux  ou  à  quatre  hommes, 
selon  le  grade  de  l'officier  qui  arrive ,  de  se  placer  sur  le 
côté  du  navire  pour  recevoir  et  aider  à  monter  l'officier  à  qui 
l'on  doit  rendre  des  honneurs. 

Le  mot  plat-bord  est  réellement  celui  qui  a  remplacé  le 
mot  bord  pris  dans  sa  signification  primitive.  On  nomme 
plat-bord  le  cordon  supérieur  qui  se  place  à  plat  sur  le  bord 
du  bâtiment,  et  qui  lie  entre  elles  toutes  les  têtes  des  allonges 
de  la  membrure  venant  aboutir  au  raz  du  pont. 

Un  vaisseau  de  haut  bord  est  un  vaisseau  de  ligne.  Mais 
on  ne  dit  pas  par  opposition  un  vaisseau  de  bas-bord  pour 
désigner  un  navire  dont  le  bord  est  peu  élevé  sur  l'eau.  Quoi- 
que les  grandes  frégates  et  les  petits  vaisseaux  aient  le  bord 
haut ,  on  ne  les  comprend  pas  dans  le  nombre  des  vais- 
seaux de  haut  bord.  Cette  dernière  expression  est  du  reste 
aujourd'hui  peu  usitée.  Sous  l'Empire,  on  voulut,  en  divi- 
sant la  marine  en  deux  classes,  affecter  la  dénomination 
f^ équipages  de  haut  bord  aux  équipages  des  vaisseaux , 
frégates  et  corvettes ,  et  celui  (Téqîdpages  de  flottille  aux 
équipages  des  petits  bâtiments.  Mais  cette  désignation  n'a 
pas  prévalu.  Edouard  CoRBiÈnE. 

BORDA  (JeaN'Chakles),  physicien  illustre,  l'un  des 
auteurs  du  système  métrique,  et  à  qui  appartient  la  gloire 
d'avoir  fait  de  l'art  nautique  un  art  nouveau,  en  substi- 
tuant une  théorie  éclairée  à  l'aveugle  routine  qui  jusque  alors 
avait  seule  guidé  les  marins  français,  était  né  à  Dax,  dans 
les  Landes,  le  4  mai  1733.  Ce  qui  distingue  ses  travaux, 
c'est  l'heureuse  alliance  de  la  théorie  qui  devine  et  de  l'ex- 
périence qui  vérifie,  c'est  le  .soin  constant  d'employer  les 
sciences  à  des  applications  utiles  à  la  société.  Cette  mé- 
thode, qui  l'a  conduit  aux  plus  belles  découvertes ,  était  une 
conséquence  de  la  justesse  de  son  esprit;  aussi  ses  premiers 
essais  furent-ils  empreints  de  ce  caractère.  La  résistance  des 
fluides  avait  donné  lieu  à  divers  travaux  mathématiques; 
Borda,  ayant  consulté  l'expérience,  démontra  que  la 
théorie  admise  pour  le  choc  des  fluides  était  complètement 
fausse.  Il  porta  également  son  attention  sur  les  lois  qui  rè- 
glent l'écoulement  des  fluides  par  un  orifice,  lois  essentielles 
à  connaître  pour  la  construction  des  moteurs  hydrauliques , 
et  perfectionna  beaucoup  cette  branche  des  arts  mécaniques. 
Dans  ces  travaux,  il  s'était  appuyé  sur  l'expérience;  ce 
fut,  au  contraire,  la  connaissance  des  conditions  mathéma- 
tiques de  la  bonne  construction  des  pompes  qui  le  conduisit 
à  réformer  celle  des  vaisseaux . 

Un  voyage  entrepris  par  ordre  du  gouvernement ,  et  en 
((iiaUté  de  commissaire  de  l'Académie  des  Sciences  pour  l'exa- 
men des  montres  marines  et  des  diverses  méthodes  qui  ser- 
vent à  déterminer  la  longitude  et  la  latitude  en  mer,  lui 


BORDA 

fournit  une  nouvelle  occasion  d'être  utile.  11  apprit  aui 
marins  à  se  servir  des  instruments  à  rédexion  pour  le  relè- 
vement astronomique  des  côtes ,  et  c'est  à  cette  méthode , 
dont  il  donna  lui-même  un  magnifique  exemple  dans  la 
Carte  des  îles  Canaries  et  de  la  côte  d'Afrique,  que 
sont  dues  les  belles  cartes  hydrographiques  exécutées  depuis 
le  commencement  de  ce  siècle. 

Mais  le  plus  beau  présent  que  Borda  ait  fait  à  la  navi- 
gation est  celui  du  cercle  de  réflexion ,  qui ,  en  permettant 
aux  marins  l'observation  prédise  des  longitudes,  donnait  à 
la  direction  des  vaisseaux  une  certitude  toute  nouvelle.  Les 
observations  terrestres  ne  gagnèrent  pas  moins  à  l'invention 
de  cet  instrument  que  les  observations  nautiques,  et  le 
cercle  répétiteur ,  adopté  par  tous  les  astronomes,  a 
reçu  de  leur  reconnaissance  le  nom  de  cercle  de  Borda. 
On  doit  encore  à  Borda  et  l'invention  de  la  boussole  pro- 
pre à  mesurer  l'inclinaison  du  courant  magnétique  et  la  pre- 
mière méthode  exacte  pour  apprécier  l'intensité  magnétique 
de  la  terre,  méthode  qu'a  sui\ie  Ilumboldt  dans  tous  ses 
voyages.  On  lui  doit  également  l'ingénieuse  méthode  des 
doubles  pesées,  au  moyen  de  laquelle  on  peut  peser  juste 
avec  une  balance  fausse  (  voyez  Balance,  t.  II,  p.  404  ). 

Mais  c'est  surtout  lorsqu'il  fut ,  au  commencement  de  la 
révolution,  chargé  avecMéchainet  Delarabre, de  la  me- 
sure de  l'arc  du  méridien  terrestre  de  Dunkerque  aux  Ba- 
léares que  se  déploya  toute  la  puissance  de  son  génie,  toute 
la  richesse  de  son  imagination.  Cette  opération ,  d'où  devait 
sortir  le  nouveau  système  des  poids  et  mesures ,  exigeait  la 
plus  scrupuleuse  précision.  11  fallait  mesurer  la  longueur  du 
pendule  :  Borda  y  parvint  par  un  procédé  très-simple.  11 
fallait  pour  mesurer  les  bases  trigonométriques  des  règles 
d'une  forme  commode,  d'une  nature  inaltérable  et  dune 
dilatation  connue  :  Borda  fit  construire  des  règles  de  platine, 
dont  les  moindres  dilatations  furent  appréciées  au  moyen 
d'un  thermomètre  métallique  de  son  invention,  plus  sur, 
plus  étendu  que  les  thermomètres  ordinaires. 

On  le  voit,  toutes  les  recherches  scientifiques  de  Borda 
étaient  dirigées  vers  les  applications.  Le  savoir  à  ses  yeux 
n'avait  de  mérite  que  lorsqu'il  servait  les  besoins  de  la 
société.  Aussi  s'occupa-t-il  très-peu  de  mathématiques  pures. 
Une  seule  fois  il  le  fit,  et  en  maître ,  pour  défendre  la  gloire 
de  Lagrar^e,  dont  la  théorie  des  isopérimètres  était  l'objet 
d'injustes  attaques. 

Tant  de  travaux  avaient  marqué  sa  place  à  l'Institut,  lors 
de  sa  création.  Déjà,  en  1756,  im  mémoire  sur  la  Théorie 
des  Projectiles,  en  ayant  égard  à  la  résistance  de  l'air,  mé- 
moire accompagné  de  tables  qui  faisaient  presque  de  la 
balistique  une  science  nouvelle ,  l'avait  fait  admettre  parmi 
les  associés  de  l'Académie  des  Sciences. 

L'histoire  de  Borda  n'est  pan ,  comme  celle  de  la  plupart 
des  savants ,  toute  dans  ses  ouvrages.  Destiné  par  sa  fa- 
mille au  barreau,  il  avait  préféré  entrer  dans  le  corps  sa- 
vant du  génie  militaire,  et  il  fit  en  17.'>7  la  campagne  de 
Hanovre.  Employé  ensuite  comme  ingénieur  dans  divers 
ports  de  mer,  son  mérite  éminent  le  fit  distinguer  par  le 
ministre  de  la  marine,  qui  l'appela  dans  ce  corps  en  1767, 
malgré  l'opposition  jalouse  des  officiers.  En  1777  et  177s, 
pendant  la  campagne  du  comte  d'Estaing  en  Amérique,  il 
remplit  les  fonctions  difficiles  de  chef  d'état-major  de  l'es- 
cadre, avec  une  sagesse  et  une  habileté  qui  furent  admirées 
de  tous.  Ayant  remarqué  combien  l'inégale  construction  des 
bâtiments  nuisait  à  la  régularité  des  manœuvres,  il  fit  adopter, 
à  son  retour  de  celle  campagne,  l'idée  de  conner  à  tous  les 
bâtiments  du  même  rang  une  même  forme,  idée  que  les  An- 
glais ,  bon  juges  en  celte  matière,  s'empressèrent  d'appliquer 
à  leur  marine.  En  17S2  il  commandait  le  vaisseau  le  Soli- 
taire, de  soixante-quatre  canons.  Après  avoir  porté  des  trou- 
pes à  la  Martinique,  il  dut  établir  avec  quelques  frégates 
une  croisière  dans  les  mers  des  Antilles.  Mais  un  brouil- 
lard ayant  fait  tomber  sa  petite  escadre  au  milieu  de  huit 


BORDA  —  BORDEAUX 


447 


vaisseaux  de  guerre  anglais ,  il  se  dévoua  pour  la  sauver  à 
soutenir  un  combat  inégal ,  et  n'amena  son  pavillon  que 
lorsqu'il  vit  ses  frégates  hors  de  danger  et  son  vaisseau  com- 
plètement désemparé.  Les  Anglais  le  traitèrent  avec  toute 
la  distinction  qui  devait  s'attacher  à  tant  de  courage  uni  à 
tant  de  savoir;  mais  Borda  n'en  fut  pas  moins  sensible  à  son 
malheur,  et  sa  santé,  dès  lors  altérée,  ne  lui  permit  plus 
le  service  de  mer.  Toutefois ,  il  fut  encore  utile  à  son  arme 
comme  chef  de  division  au  ministère  de  la  marine. 

S'il  honora  les  sciences  par  ses  talents,  il  n'a  pas  moins 
honoré  l'humanité  par  ses  vertus.  Élevé  par  son  mérite  à  des 
emplois  qui  lui  donnaient  une  grande  autorité  sur  ce  qui 
l'entourait,  il  prit  toujours  autant  de  soin  à  dissimuler  la 
supériorité  de  sa  position  que  d'autres  en  auraient  pris  à  la 
faire  valoir.  Pendant  la  grande  opération  qui  servit  de  base 
au  système  métrique ,  quand  le  trésor  public ,  épuisé  par  la 
guerre  que  soutenait  alors  la  France  contre  l'Europe  coa- 
lisée, faisait  troi>  attendre  aux  artistes  le  salaire  de  leurs 
travaux ,  il  n'hésita  pas  à  leur  ouvrir  sa  bourse.  Les  grands 
services  qu'il  rendit  à  cette  époque,  non  moins  glorieuse 
pour  le  génie  scientiflque  que  pour  le  génie  militaire  de  la 
France,  auraient  sans  doute  trouvé  leur  récompense  dans  la 
générosité  de  la  nation ,  comme  ils  l'avaient  déjà  reçue  de 
l'estime  publique,  si  la  mort  ne  l'avait  enlevé  le  20  février 
1799.  A.  DcsGenevez. 

BORD  AGE  {Marine).  Ce  mot,  fait  de  bord,  indique 
les  planches  qui  couvrent  les  côtes  ou  les  membres  du  na- 
vire en  dehors  :  celles  du  dedans  s'appellent  vaigrcs;  les 
deux  planches  qui  sont  des  deux  côtés  de  la  quille  s'appellent 
particulièrement  gabords.  L'épaisseur  des  bordages  va  gra- 
duellement en  diminuant  jusqu'à  1  mètre  ou  1™,30  au-des- 
sous de  la  flottaison;  de  cet  endroit  jusqu'au  gabord,  l'épais- 
seur reste  la  môme  :  les  premiers  sont  dits  bordages  de 
diminution,  les  autres  fiorrfflr/es  de  point.  Le  bordage  qui 
se  noie  dans  la  rablure  de  la  quille  est  le  gabord,  celui  qui 
(e  touche  est  le  rihord.  Le  bordage ,  devant  se  ployer  aux 
formes  du  vaisseau,  doit  être  contourné  suivant  la  place 
qu'il  est  destiné  à  occuper  ;  on  le  dompte  au  feu  ou  à  l'étuvc, 
dans  l'eau  bouillante;  le  premier  procédé  est  le  meilleur 
pour  les  vaisseaux  de  médiocre  grosseur. 

BORDAS-DEliOULIN  (  Jeax-Baptiste  ) ,  écrivain 
philosophe,  est  né  à  Montagnac-Ia-Crempse ,  dans  la  Dor- 
dogne,  le  18  février  1798.  11  est  du  petit  nombre  de  ceux 
dont  la  biographie  est  tout  entière  dans  leurs  œuvres.  Car 
sa  vie  n'a  été  qu'un  dévouement  absolu  et  continuel  à  la  re- 
cherche de  la  vérité  ;  rien  ne  l'a  jamais  détourné  de  ses  étu- 
des, et  aucun  saciifice  ne  lui  a  coûté  pour  s'y  livrer  sans 
distraction  ni  relâche.  Orphelin  de  père  et  de  mère  presque 
à  son  berceau ,  il  se  priva  de  son  petit  patrimoine  pour  se 
consacrer,  dès  l'âge  de  seize  ans,  à  l'élude  de  plus  en  plus 
approfondie  de  la  philosophie,  des  mathématiques,  ainsi 
([ue  de  la  théologie  et  du  droit  canon,  quoiqu'il  n'ait  jamais 
appartenu  à  l'ordre  ecclésiastique.  Cette  persévérance  vrai- 
ment héroïque  dans  de  profondes  études,  qui  ne  lui  pro- 
curaient aucune  ressource  pour  les  nécessités  de  la  vie ,  l'a 
soumis  à  de  longues  privations  et  à  de  rudes  épreuves. 

Déjà  M.  Bordas-Demoulin  avait  signalé  son  savoir  et  sa 
haute  capacité  comme  philosophe,  d'abord  dans  des  exa- 
mens critiques  des  systèmes  que  l'on  voulait  faire  prévaloir 
comme  un  nouvel  éclectisme,  ensuite  dans  une  série  d'ar- 
ticles dont  s'est  enrichi  notre  Dictionnaire  de  la  Conver- 
sation et  de  la  Lecture.  Ses  qualités  ont  trouvé,  pour  se 
manifester  avec  éclat,  un  champ  plus  large  dans  l'éloge  de 
Pascal  et  dans  YHistoire  critique  du  Cartésianisme,  tous 
deux  couronnés  par  l'Institut.  A  la  simple  lecture  de  ces 
opuvres  d'élite,  on  reconnaît  les  fruits  d'immenses  études, 
l'esprit  supérieur  qui  a  pcnétié  les  sciences  dans  toute  leur 
profondeur,  et  qui,  en  signalant  les  mérites  et  les  erreurs 
des  maîtres,  se  montre  leur  émule  et  digne  de  les  juger.  Nous 
ne  citerons,   comme  conquêtes  faites  par  l'auteur  dans  le 


domaine  de  la  métaphysique,  que  son  élucidation  parfaite 
de  la  nature  et  de  l'immatérialité  de  la  pensée  humaine,  et 
ses  belles  théories  de  l'infini  et  de  la  substance,  véri- 
tables créations,  auxquelles  il  devTa  une  place  à  côté  de  ceux 
qu'il  a  célébrés.  Le  panthéisme  de  Spinosa  a  enfin  rencontré 
son  vainqueur. 

Voltaire  aussi  a  trouvé  dans  l'auteur  du  Cartésianisme 
un  digne  appréciateur.  Jamais  la  mission  de  ce  beau  génie 
contre  le  fanatisme  et  l'intolérance  persécutrice,  jamais  son 
zèle  ardent ,  ses  constants  efforts  en  faveur  de  l'humanité, 
la  grandeur  et  la  prodigieuse  variété  de  ses  talents,  n'ont 
été  caractérisés  en  traits  plus  rapides ,  plus  énergiques ,  et 
avec  un  coup  d'oeil  plus  perçant.  Aubert  de  Vitry. 

BORDEAUX,  jadis  Boxirdeaux,  ancienne  métropole 
de  la  seconde  Aquitaine ,  du  royaume  et  du  duché  du 
même  nom,  ancienne  capitale  de  laGuienne,  chef-lieu  du 
département  de  la  G  i  r  o  n  d  e,  à  quatre  cent  cinquante-sept  ki- 
lomètres sud-ouest  de  Paris,  sur  la  rive  gauche  de  la  Garonne, 
et  à  quatre-vingt-seize  kilomètres  de  son  embouchure  ou 
de  la  tour  de  Cordouan,  l'une  des  premières  et  des  plus  flo- 
rissantes villes  de  France,  port  de  commerce ,  chef-lieu  de 
sous-arrondissement  maritime,  archevêché,  ayant  pour  suf- 
fragants  les  évêchés  continentaux  d'Agen,  d'Angoulêrae,  de 
Poitiers,  de  Périgueux,  de  la  Rochelle,  de  Luçon  et  ceux 
d'outre  mer,  de  Saint-Denis  de  la  Réunion,  de  la  Basse- 
Terre  et  du  Port  de  France  ,  église  consistoriale  calviniste , 
synagogue  consistoriale ,  cour  d'appel  pour  les  départements 
de  la  Gironde,  de  la  Charente  et  de  la  Dordogue  ;  tribunal  de 
commerce  :  chef-lieu  delà  14^  division  mihtaire;  de  la  10" 
légion  de  gendarmerie ,  de  la  8^  division  des  ponts  et 
chaussées,  du  29^  arrondissement  forestier;  direction  des 
douanes  ;  académie  universitaire  ;  facultés  de  théologie,  des 
sciences  et  des  lettres  ;  séminaire  théologique  ;  école  secondaire 
de  médecine  ;  lycée  avec  cours  pour  les  écoles  spéciales  et  les 
professions  industrielles;  école  normale  primaire  ;  école  natio- 
nale de  sourds-muets  ;  école  nationale  d'hydrographie;  école 
de  dessin  et  de  peinture;  bibliothèque  publique  (  110,000 
volumes,  parmi  lesquels  plusieurs  éditions  du  quinzième 
siècle  et  quelques  manuscrits  précieux  )  ;  musée,  renfer- 
mant une  galerie  de  tableaux  et  un  cabinet  d'histoire  na- 
turelle et  d'antiquités  ;  jardin  botanique  et  de  naturalisation; 
observatoire;  dépôt  de  mendicité,  mont-de-piété,  chambre 
de  commerce,  comptoir  d'escompte.  Population  :  120,203 
habitants. 

L'industrie  de  Bordeaux  est  une  des  plus  importantes 
de  la  France.  Cette  ville  a  des  chantiers  maritimes  avec  bas- 
sins de  construction  pour  toute  espèce  de  navires  et  même 
pour  des  bâtiments  de  ligne,  quatre  hauts  fourneaux  pour 
la  fonte  du  fer,  des  aciéries,  des  fabriques  de  plomb  laminé 
et  de  plomb  de  chasse ,  des  tanneries,  des  tonnelleries,  des 
poteries,  des  tuileries ,  des  faïenceries ,  des  verreries,  une 
manufacture  nationale  de  tabac,  une  raffinerie  de  salpêtre, 
un  très-grand  nombre  de  distilleries  et  de  fabriques  de  li- 
queurs renommées,  surtout  d'anisette  qui,  pour  la  qualité  et 
le  parfum,  n'a  pas  de  rivale  ;  des  vinaigreries,  des  raffineries 
de  sucre,  des  filatures  de  coton,  des  fabriques  et  imprimeries 
d'indiennes,  des  filatures  de  laine,  des  corderies,  des  fabriques 
de  biscuit  de  mer,  de  conserves  d'aliments,  de  produits  chi- 
miques, de  bouchons  de  liège,  de  parchemin,  de  ganterie  ; 
des  fonderies  de  métaux  ;  des  forges  et  fabriques  de  machi- 
nes et  mécaniques  et  de  toiles  métalliques  ;  des  fonderies 
de  caractères,  des  salpétreries  et  treize  typographies. 

Son  port  de  commerce  est  le  troisième  de  la  France  par 
son  importance  et  le  premier  du  midi  pour  les  denrées  co- 
loniales. Son  bassin,  iormé  par  la  Garonne  sur  une  lon- 
gueur de  huit  kilomètres,  peut  contenir  12C0  navires  de 
tout  tonnage.  Il  est  accessible  même  aux  bâtiments  de  cinq 
cents  tonneaux,  à  toute  heure  de  la  marée.  Bordeaux  est  le 
grand  entrepôt  des  produits  ^lu  bassin  de  la  Garonne  et 
surtout  des  vins  dits  de  Bordeaux,  de  ceux  de  la  Dordogue. 


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tlu  Lot,  du  Gers,  de  Lot-et-Garonne,  et  des  eaux-de-vie  de 
Bordeaux,  de  Marmande,  de  Cognac,  de  Saintonge  et  de  Lan- 
guedoc. Elle  commerce  avec  toutes  les  parties  du  monde, 
exporte  surtout  des  vins,  des  eaux-de-vie  et  ensuite  des  es- 
sences de  térébenthine,  des  résines,  des  goudrons,  des  fruits, 
des  grains,  des  salaisons,  des  produits  manufacturés  ;  et  im- 
porte des  denrées  coloniales  de  toutes  espèces,  des  fers,  des 
métaux,  de  la  houille,  du  bois  de  construction,  du  merrain, 
des  huiles,  du  poisson.  Le  relevé  de  la  navigation  peut  être 
estimé  à  l'entrée ,  non  compris  le  cabotage,  à  1000  bâti- 
ments, jaugeant  ensemble  environ  200,000  tonneaux,  dont 
la  moitié  étrangers;  et  à  la  sortie,  à  900  à  peu  près  ,  jau- 
geant 150,000,  dont  10  bâtiments  pour  la  pêche  de  la  morue 
et  100  pour  les  colonies  françaises,  Guadeloupe,  Martinique, 
Sénégal,  Cayenne,  la  Réunion  et  l'Inde.  Cabotage  ;  sortie  : 
5,000  bâtiments,  jaugeant  180,000  tonneaux  ;  entrée  :  5,500, 
jaugeant  200,000.  Tonnage  du  port  :  400  bâtiments  de 
69,900  tonneaux,  dont  10  à  vapeur  de  1,350  tonneaux.  Re- 
cette de  la  douane  :  plus  de  douze  millions  de  francs.  Com- 
munications régulières  avec  le  haut  et  le  bas  de  la  Garonne 
par  20  bateaux  à  vapeur.  Lignes  de  paquebots  avec  la  Ha- 
vane et  le  Mexique.  Un  chemin  de  fer  doit  incessamment 
mettre  Bordeaux  en  rapport  avec  Paris  ;  un  autre  est  con- 
cédé pour  unir  cette  ville  à  Cette. 

Le  magnifique  port  de  Bordeaux,  œuvre  de  l'intendant 
de  Tourny,  offre,  en  entrant  par  la  route  de  Paris,  un  vaste 
et  magnifique  panorama.  La  ville  se  dessine  en  demi-lune, 
et  toutes  les  maisons  qui  bordent  les  quais  sont  bâties  sur 
un  plan  habilement  combiné.  D'une  extrémité  à  l'autre,  des 
douze  portes  au  moulin  de  Bacalan,  c'est  un  horizon  varié, 
immense,  de  belles  maisons  et  des  navires;  tout  est  animé 
dans  ce  vaste  tableau.  Les  beaux  chantiers  de  construction, 
la  corderie,  l'arc  de  triomphe  de  la  porte  Saint-Julien ,  la 
place  Royale,  l'hôtel  des  Douanes,  la  Bourse,  la  belle  cale 
Fenwick  et  les  élégants  et  riches  édifices  des  Chartrons,  se 
dessinent  successivement  sur  cette  ligne  ;  et  ces  navires,  ces 
édifices ,  ces  scènes  si  animées ,  annoncent  l'entrepôt  des 
deux  mondes. 

Bordeaux  n'était  sous  le  régime  de  la  féodalité  qu'une 
enceinte  de  murailles  crénelées,  percée  de  treize  portes  et 
défendue  par  trois  forts,  les  châteaux  du  Ha,  de  Sainte- 
Croix  ou  de  Saint-Louis,  et  Trompette.  Aumilieu  deces rem- 
parts gothiques  s'élevaient  les  vieilles  tours  du  château  du- 
cal de  rOmbrière.  Les  deux  premiers  châteaux  ont  presque 
disparu  ;  celui  du  Ha  n'estplus  qu'une  prison,  et  n'a  conservé 
qu'une  seule  de  ses  tours  ;  les  treize  portes,  la  vieille  mu- 
raille, ont  été  remplacées  par  des  maisons  et  de  vastes 
magasins,  et  les  pointes  des  tourelles  de  l'Ombrière  sont 
masquées  par  un  arc  de  triomphe  et  les  bâtiments  de  la  doua- 
ne. Le  fort  du  Ha  avait  été  construit  sous  Charles  VIL  Le 
château  Trompette  restait  seul  entier  en  1789  ;  ses  murailles 
se  baignaient  dans  le  fleuve,  et  interrompaient  la  circula- 
tion du  port  ;  cette  partie  de  bâtiments  avancée  a  été  dé- 
molie, et  la  communication  du  quartier  des  Chartrons  est 
devenue  libre.  Ce  beau  faubourg  des  Chartrons  est  mainte- 
nant réuni  à  la  ville  par  un  superbe  quinconce  qui  a  été 
planté,  en  1818,  sur  l'emplacement  du  château  Trompette.  Du 
côté  du  port,  sur  une  vaste  plate-forme ,  deux  colonnes 
lostrales  servant  de  phares  et  ayant  vingt  mètres  d'élévation, 
supportent  les  statues  du  commerce  et  de  la  navigation. 
La  rue  du  Chapeau-Rouge,  qui  conduit  du  port  à  la  place 
Dauphine,  est  très-spacieuse;  elle  était  avant  la  révolution 
de  1789  fermée  du  côté  du  port  par  une  grille  placée  entre 
la  partie  latérale  de  la  Course  et  du  château  Trompette. 
Le  Grand  Théâtre  occupe  un  côté  de  cette  rue  ;  ce  vaste  et 
magnifique  édifice,  chef-d'œuvre  de  l'architecte  Louis,  est 
isolé;  il  a  onze  issues;  l'escalier  du  péristyle  est  gran- 
diose. Les  corridors  sont  vastes,  tous  les  escaliers  larges  et 
commodes,  les  peintures  du  plafond  admirables.  Dans  le 
même  édifice  se  trouve  une  belle  salle  de  concert,  à  deux 


BORDEAUX 

rangs  de  loges.  Cest  dans  toutes  ses  parties  un  théâtre  mo- 
dèle; aucune  salle  de  la  capitale  n'en  peut  donner  une 
idée.  Bordeaux  possède  en  outre  un  joli  théâtre  des  Va- 
riétés. 

Indépendamment  des  quinconces,  cette  ville  a  de  fort  belles 
promenades  ;  entre  autres ,  le  cours  de  Tourny,  qui  est  son 
boulevard  de  Gand.  Le  beau  quartier  de  la  Font-d'Audége 
doit  son  nom  à  une  fontaine  qui  fournit  de  l'eau  à  cette  par- 
tie de  la  cité.  Non  loin  de  là  jailUt  celle  de  Figarol ,  aussi 
utile  qu'abondante. 

Les  monuments  romains  sont  ici  fort  rares  :  sauf  le  pré- 
tendu palais  de  l'empereur  Galfien,  qui  n'est  qu'un  amphi- 
théâtre bâti  au  temps  de  la  décadence,  et  dont  il  ne  reste  que 
quelques  pans  de  muraille  et  deux  arcades,  l'ancien  Burdi- 
gala  n'offre  plus  de  traces  du  peuple-roi.  Les  débris  du  vaste 
amphithéâtre  du  quartier  Saint-Seurin  ont  totalement  dis- 
paru; quelques  amateurs  y  ont  fait  des  fouilles,  qui  ir'ont 
pas  été  sans  résultat;  on  y  a  trouvé  à  peu  de  profondeur 
des  patères,  quelques  vases  antiques,  des  débris  d'orne 
ments  d'architecture.  En  somme,  Bordeaux,  dans  ses  quar- 
tiers neufs,  est  une  des  villes  les  plus  belles  de  l'Europe. 
Outre  les  édifices  et  les  constructions  modernes  que  nous 
avons  cités ,  on  y  remarque  un  magnifique  pont ,  sur  la 
Garonne;  il  a  dix-sept  arches  et  486  mètres  de  long,  et 
fut  bâti  de  1810  à  1821  :  c'est  le  plus  beau  monument  de  ce 
genre  que  possède  la  Çrance  ;  puis  la  Bourse ,  la  Douane ,  lo 
palais  royal,  autrefois  l'archevêché ,  bâti  en  1778,  et  l'arc  de 
triomphe  de  la  porte  de  Bourgogne.  Parmi  ses  anciens 
édifices ,  on  visite  l'église  de  Sainte-Croix ,  restaurée  sous 
Charlemagne;  la  cathédrale  de  Saint- André,  commencée  au 
onzième  siècle  ;  et  l'église  Saint-Michel,  qui  date  du  douzième, 
et  dont  le  caveau  du  beffroi  possède  la  propriété  de  conser- 
ver les  corps  :  aussi  y  en  voit-on  une  quantité  considérable, 
parfaitement  momifiés  et  symétriquement  rangés  autour  des 
murs  de  ce  souterrain  que  les  Bordelais  appellent  leurs 
catacombes. 

Bordeaux  n'était  dans  l'origine  qu'une  bourgade,  appe- 
lée J?i^MrJ^î<ni  Viviscorum.  Son  accroissement  fut  rapide; 
elle  dut  cet  avantage  à  son  heureuse  situation  topographique. 
Fondée  par  une  colonie  de  Bituriges,  venus  de  cette  partie 
de  la  Gaule  appelée  depuis  le  Berry,  elle  se  livrait  déjà  à  un 
commerce  très-considérable,  quand  les  Romains  s'en  empa- 
rèrent ;  ils  Im  donnèrent  lenom  deBurdigala,  quedom  Vinet 
croit  être  un  mot  celtique.  Une  ancienne  inscriptiou  du  châ- 
teau Trompette  portait  Aiigusto  sacrum  in  genio  civitatis 
Blturigum  Viviscorum.  Cette  inscription  explique  l'ori- 
gine de  cette  ville  ;  mais  quant  à  l'étymologie  de  son  nom , 
sur  laquelle  les  annafistes  ont  beaucoup  varié,  l'opinion  de 
Favin ,  qui ,  dans  son  Histoire  de  Navarre ,  la  fait  venir 
du  burgum  aquarum,  bourg  d'eau,  est  la  plus  naturelle  et 
la  plus  simple.  Devenus  maîtres  de  cette  ville,  les  Romains 
Ini  accordèrent  les  plus  larges  immunités,  et  la  constituèrent 
ville  libre  et  indépendante. 

Dès  l'établissement  du  christianisme  dans  les  Gaules,  elle 
disputa  à  Bourges  la  primatie  de  l'Aquitaine  ;  mais,  après  une 
nouvelle  division  des  Gaules  par  les  Romains,  elle  fut  pro- 
clamée capitale  de  la  Novempopulanie.  Bâtie  entre  des  marais 
et  la  rive  gauclie  de  la  Garonne,  elle  s'assainit  en  s'agrandis- 
sant.  Bientôt  elle  occupe  un  rang  distingué  dans  notre  his- 
toire ancienne  et  moderne.  L'administration  locale  y  rési- 
dait essentiellement  dans  les  mains  des  magistrats,  qui, 
sous  diverses  dénominations ,  exerçaient  le  pouvoir  muni- 
cipal. Cette  magistrature  était  à  Bordeaux ,  comme  presque 
partout,  élective,  temporaùre  et  collective.  Ces  riches  et  fer- 
tiles contrées  avaient  passé  successivement  des  Romains,aux 
Goths,  qui  signalèrent  leur  domination  par  d'affreux  ravages, 
et  des  Goths  aux  Français,  qui  en  furent  expulsés  par  les 
Sarrasins  dans  le  huitième  siècle  ;  elles  subirent  ensuite  l'oc- 
cupation non  moins  désastreuse  des  Normands.  Réunies 
sous  des  ducs  indépendants  ou  feudataires  de  la  couronne 


BORDE 

de  France,  elles  luiiibèronl  sous  la  (1o;iiiiK!tiiin  i:nj;laise  par  le 
mariage  d'LleoiiDrc  de  Guyenne  avec  Henri  roi  d'An- 
j;!elerre.  Les  An;^iais  s'y  maintinrent  depuis  le  milieu  du 
<louzièuie  siècle  jus(ju'au  règne  deCliurlcs  VU,  qui  dut  cette 
coutjuète  à  bunoi»,  auquel  était  réservie  la  gloire  d'expul- 
ser retranjier  (le;i  provinces  de  1- rauce (pi'il  occupait  depuis 
près  de  trois  siècles. 

Une  des  conditions  de  la  capitulation  de  Bordeaux  fut  la 
création  d'un  parlement,  qui  ne  fut  néanmoins  établi  que 
iieui'  ans  a|>rès  le  traité,  en  14C0.  11  sié.'eait  dans  l'ancien 
ciii'iteau  de  l'Umbrière,  qui  avait  éti^  la  résidence  des  ducs 
lie  CiKVi'nnc.  Mais  les  lîorddais  ayant,  quelque  temjjs  après, 
n.pi-cioles  Anglais,  le  p.irlenieut  fut  cassé  et  sa  juridiction 
réunie  au  parlement  de  i'oitiers,  puis  rétabli  en  1401, 
transféré  à  l'oiliers  i'rinnoe  suivante,  lorS([ue  le  roi  donna  la 
(Guyenne  en  apanage  à  son  fière,  et  enfin  reconstitué  à  lior- 
<ienu\  en  1472.  La  tlivision,  les  attributions  des  cbambres 
y  étaient  à  peu  prés  h'.i  mêmes  que  dans  les  aulies  cours 
souveraines.  lise  composait  de  neuf  présidents  à  mortier  et 
de  (juatre-vingt-dix  conseillers.  Ce  parlement  lutta  long- 
temps,  et  toujours  avec  un  égal  courage,  contre  les  g<ni- 
verneurs,  les  intendants  et  le  despotisme  ministériel.  Il  y 
avait  ea  outre  à  Bordeaux  une  cour  des  aides,  un  conseil 
d'amirauté  et  un  bureau  des  finances. 

L'autorité  municipale  bordelaiss  appartenait  à  un  maire 
et  il  quatre  jurats  ou  éiUevins,  qui  exerçaient  dans  toute  sa 
plénitude  la  police  civile  et  judiciaire  :  les  collèges,  les  aca- 
démies, tout  ce  qui  tenait  au  régime  intérieur  delà  ville,  élait 
dans  leurs  attributions.  L'Académie  des  Sciences  et  lielles- 
Leltres  date  de  1712.  Elle  avait  un  protecteur  liéréditaire  : 
c'était  un  privilège  de  la  famille  des  ducs  de  la  l'orce. 
Les  écoles  de  Bordeaux  étaient  déjà  célèbres  du  temps  des 
Uomains.  L'archevêché  fut  fondé  au  troisième  s'ècle.  Long- 
temjis  la  mendicité  y  fut  inconnue.  L'empereur  Napoléon 
s'élonnant,  en  ISOs),  de  n'y  voir  qu'un  seul  hôpital  :  «  ÎS'ous 
avons,  lui  dit  le  maire,  peu  ùc  malades  et  point  de  pauvres.  » 
Cette  réponse  naïve  était  le  plus  bel  éloge  de  la  population. 

La  révolution  de  178a  fut  accueillie  à  Bordeaux  avec  un 
enthousiasme  unanime.  On  comprit  tout  ce  qu'un  régime  de 
liberté  pouvaitajouter  aux  progrès  deson  imnicnse  commerce. 
Les  relations  d'affections  et  d'intérêts  des  négociants  bordelais 
avec  les  Anglo-Américains  avaient  préparé  celte  population 
active  et  laborieuse  aux  jirincipes  d'indépendance  et  à  des 
institutions  larges  et  libérales.  Dans  les  premières  années, 
aucune  dissidence  d'opinion  bien  tranchée  ne  se  lit  remar- 
quer; tout  annonçait  l'union  la  plus  intime  :  la  plus  légère 
manilèstation  d'opposition  au  nouveau  régime  n'eu  tété  qu'une 
exception  ,  et  qu'une  exception  sans  conséquence.  Le  parle- 
ment même  avait  i)aru  s'associer  aux  vœux  de  la  grande 
majorité  de  la  population.  Connue  tous  les  autres  parle- 
ments <;e  France,  il  s'était  d'abord  llatté  que  l'assemblée 
des  états  généraux  se  bornerait  à  la  réformation  de  quel- 
ques abus  dans  l'administration  des  linan.es,  et  qu'il  con- 
serverait toutes  ses  hautes  prérogatives.  Mais  l'assemblée 
avait  trop  bien  compris  l'étendue  des  devoirs  que  lui  imposait 
son  mandat  pour  maintenir  l'onlre  judiciaire  existant.  Le 
parlement  de  Bordeaux  se  fit  remarquer  dans  cette  lutte  de 
mourants.  Il  essaya  de  soulever  les  campagnes  par  un  fac- 
tum  contre-révolutionnaire.  La  municipalité  dénonça  les 
magistrats  à  l'Assemblée  nationale,  qui  manda  le  président  et 
le  procureur  général  à  sa  barre. 

Les  députés  de  Bordeaux  à  l'Assemblée  législative  Remon- 
trèrent les  digues  représentants  de  cette  grande  ville.  1  ous 
les  Itonmies  qui  croyaient  à  la  bonne  foi  de  Louis  XVI  et 
à  la  possibilité  d'assurer  le  bonheur  et  l'indépendance  de  la 
Franc*  par  l'exécution  sincère  et  complèie  de  la  constitution 
de  17U1  se  rallièrent  aux  députés  de  la  Gironde.  Ceux-ci 
furent  réélus  à  la  Convention;  mais  accablés  par  la  Monta- 
gne, les  G  i  ro  nd  i  ns  se  virent  proscrits  et  plusieurs  périrent 
sui  réchafau.l  à  Bordeaux  même.  L'évéuemeul  du  9  ther- 

WCT.    DE   LA    COKVEUS.   —   T.    [II. 


AUX  •  4-13 

midor  promettait  à  cette  ville  et  à  toute  la  France  un  avenir 
de  bonheur  et  de  liberté  ;  ce  ne  fut  que  l'époque  d'une  réac- 
tion désastreuse ,  habilement  exploitée  par  le  parti  contre- 
révolutionnaire.  A  Bordeaux,  comme  dans  tout  le  midi,  des 
correspondances  royalistes  s'établirent,  des  comités  centraux 
et  particuliers  s'organisèrent  sous  couleur  républicaine.  On 
vit  seformer  le  chià  des  Jeunes  gens,  dont  le  but  avouééiait, 
dans  le  principe ,  de  détraire  le  terrorisme  ;  mais,  devenus 
plus  nombreux  et  domines  par  les  partisans  secrets  de  l'an- 
cien régime,  soldés  par  l'or  de  l'étranger,  ils  formèrent  une 
ligue  puissante  et  compacte  avec  d'autres  conjurés,  dipiiis 
les  Alpes  jus(iu'aux  l'yrénées.  Bordeaux  eut  ses  Coni[)agnies 
du  Soleil ,  et  enfin  son  Institut. 

Sous  l'Fmpire,  la  population  bordelaise  tout  entière  dé- 
sirait la  cessation  des  hostilités.  Elle  appelait  de  tous  ses 
vœux  le  retour  des  relations  commerciales  avec  l'étranger 
pour  l'exportation  de  ses  vins,  dont  l'intérieur  ne  pouvait 
consommer  qu'une  trés-faible  partie.  L'armement  en  course 
avait  enrichi  quelques  maisons,  mais  en  avait  ruiné  un  plus 
grand  nombre.  Pour  une  ville  dont  le  commerce  d'exporta- 
tion et  d'importation  est  la  principale  ressource,  la  paix  était 
l>lus  qu'un  bieal'ait,  c'était  un  besoin,  une  condition  d'exis- 
tence. Cambacérès,  arrivé  à  Cordeaux  en  180S  pour  présider 
le  collège  électoral,  y  lut  parfaitement  accueilli.  L'empereur, 
à  son  tour,  vint  à  Bordeaux  dans  les  premiers  jours  d'avril 
1S08.  11  y  resta  dix  jours.  Le  commerce  et  la  ville  lui  don- 
nèient  des  fêtes  su|>erbes.  Son  mariage  avec  Marie-Louise 
et  la  naissance  du  roi  de  Home  y  turent  célébrés  avec  la  plus 
gran  'e  magnificence. 

Cependant  les  derniers  jours  de  l'Empire  approchaient,  et 
les  ()etits  conspirateurs  de  l'Institut  de  Bordeaux  ne  savaient 
former  que  de  stériles  v(eux  pour  un  changement  de  dy- 
nastie. Cette  faction,  plus  turbulente  qu'active,  ne  pouvait 
rien  jiar  elle-même,  car  elle  n'avait  point  de  racines  dans  les 
masses;  elle  n'exislait  même  que  par  la  dédaigneuse  tolé- 
rance du  gouvernement  dont  elle  rêvait  la  chute.  Une  dé- 
fection inattendue  vint  à  son  aide,  et  lui  donna  quelque 
consistance.  M.  Lynch,  inaire  de  Cordeaux,  qui  avait 
montré  jusqu'au  28  février  1814  le  plus  ardent  dévouement 
à  l'empereur,  alla  douze  jours  après  au-devant  de  l'armée 
anglaise  lui  offrir  l'entrée  de  la  ville.  Les  autorités  ,  restées 
fidèles  au  gouvernement,  s'étaient  retirées  à  Libourne;  les 
trou[ics  de  la  division  étaient  éloignées  de  Bordeaux;  les 
conjurés  de  l'Institut  avaient  seuls  accompagné  le  maire. 
Leur  sortie  de  la  ville  s'était  exécutée  avec  le  itlns  profond 
mystère,  et  toute  la  population  fut  plus  qu'étonnée  d'ajjcr- 
cevoir  le  lendemain  matin  un  drapeau  blanc  au  clocher  de 
l'égli-e  Saint-Michel.  Des  documents,  avoués  par  les  auteurs 
(le  l'événement  du  12  mars,  con.st  aient  que  dès  1813  M.  Lynch 
s'était  mis  en  rapport  avec  le  comité  royaliste  de  Paris.  Ce- 
pendant la  victoire  était  encore  incertaine,  et  l'occupation 
fie  la  ville  ne  décidait  rien.  La  pré.scnce  du  duc  et  de  la  du- 
chesse d'Angoulême  n'avait  rallié  autour  d'eux  que  des  indi- 
vidualités. L^  province  ne  montrait  aucune  synipathie  pour 
les  hommes  du  12  mai-s;  les  nouveaux  chevaliers  de  Marie- 
Thérèse  et  du  brassard  n'étaient  que  des  factieux  sans  in- 
fluence réelle.  On  rêva  le  rétablissement  du  royaume  d'Aqui- 
taine ;  et  un  ingénieur,  M.  l'iérhugue,  fut  t^iargéde  dresser 
la  carte  du  petit  empire  :  tout  cela  s'exécutait  le  plus  sérieu- 
sement du  monde.  Enfin,  le  général  Wellington  offrit  au  duc 
d'.\ngoulême,  au  nom  du  gouvernement  anglais,  de  faire  de  la 
ville  du  12  mars  un  port  franc.  Il  présentait  ce  projet  comme, 
un  témoignage  de  la  bonne  atnilié  «pai  all.iil  régner  entre  les 
deux  nations,  et  conune  un  honneur  et  un  avantage  pour  la 
ville  lie  Cordeaux.  Le  duc  d'.\ngoulème  étitit  enchante.  Mais 
la  question  fut  ensuite  éludée.  Toutefois,  il  faut  conipter  pouc 
beaucoup  dans  le  sou<lain  dévouement  des  Bordelais  aux 
Bourbons  l'espoir  d'une  jiaix  prochaine  el  d'un  prompt  pla- 
cement des  vins  qui  encombraient  leurs  chois  depuis  lanî 
d'années.  .Mais  l'occasion  de  mettre  à  l'épreuve  ces  grandes 

o7 


[irolcsialions  île  dévouement  ne  se  fit  pas  allcndrc  une  anni^e. 

La  (lijcliesse  cl'Angoulêine  se  trouvait  à  Uordeaux  lors 
du  retour  de  Pîle  d'Klbe  :  l'entrée  de  Napoléon  à  Paris,  la 
(uite  du  roi ,  la  défection  générale  de  l'armée,  u'abaltirent 
point  son  courage  :  elle  fit  prendre  les  armes  à  la  garde 
ualionale,  courut  aux  casernes  haranguer  les  soldats  et  leur 
nippeler  ce  qu'ils  devaient  à  leur  serment,  à  leur  roi.  Des 
bataillons  de  volontaires  royaux  s'organisèrent  en  un  instant, 
et  furent  chargés  par  ses  ordres  de  défendre  les  avenues  du 
port  et  de  la  ville,  d'intercepter  les  communications  et  de 
contenir  le  peuple.  iMais  le  général  Clause!  n'eut  qu'à  don- 
ner un  signal  pour  faire  reprendre  les  couleurs  nationales  à  la 
ville  du  1 2  murs.  La  duchesse  pai  tit  le  2  avril ,  à  huit  heures 
du  soir.  Quelques  volontaires  royaux  seulement  l'accompa- 
gnèrent. Le  général  Clause!  avait  dès  le  matin  môme  fait  son 
entrée  h  Cordeaux. 

Une  colonne  monumentale,  appelée  Colonne  du  12  mars, 
avait  été  élevée  à  la  porte  de  Toulouse.  Elle  tomba  avec  la 
dynastie;!  laquelle  elle  avait  été  consacrée,  et  le  l^'aoùt  1830 
ellefut  démolie.  Eordeauxavaiteualorsses  trois  jours  comme 
Paris.  Le  drapeau  tricolore  avait  remplacé  celui  de  la  légiti- 
mité avant  qu'on  piH  y  être  informé  des  événements  de  la 
capitale.  L'insurrection  avait  éclaté  à  la  première  nouvelle 
des  fameuses  ordonnances.  La  révolution  de  1S48  ne  trouva 
pas  plus  d'opposition  an  sein  de  la  ville  du  12  mars. 

Dans  l'intervalle,  un  Journaliste,  Henri  Tonfrède,  de  la 
famille  du  Girondin,  avait  donné  à  la  i)resse  parisienne  des 
leçons  de  polémique,  lorsqu'il  fut  prématurément  eidevé 
dans  la  force  de  l'âge.  Ce  fut  lui  surtout  qui ,  aidé  de  Fré- 
déric Ijastiat,  implantaà  Cordeaux  la  doctrine  anglaise  du 
libre  échange,  devenue  le  premier  article  de  foi  des  négo- 
ciants de  ce  port.  En  septembre  I84ô  le  duc  d'Aumale  avait 
commandé  le  camp  de  manœuvres  de  cette  ville,  situé  dans 
les  landesde  Saint-Médard-en-Jalle,  gros  bourg  à  six  kilomè- 
tres à  l'ouest  de  Bordeaux,  et  y  avait  été  accueilli  avec  les 
démonstrations  d,'  la  joie  la  plus  vive  par  la  population. 

BORDEAUX  (Vins  de).  Le  département  de  la  Gironde 
passe,  à  bon  droit,  pour  un  des  plus  riches  de  la  France  en 
vignobles.  La  surface  qu'ils  occupent  n'est  pas  moindre  de 
103,513  hectares,  soit  près  du  dixième  de  la  superficie  du 
département.  Le  produit  est,  année  commune,  de  deux  mil- 
lions d'hectolitres  de  vin. 

Le  vignoble  bordelais  est  divisé,  d'après  les  caractères 
particuliers  de  ses  produits  ,  en  divers  vignobles  particuliers  : 
le  Mcdoc,  sur  la  rive  gauche  de  la  Garonne,  au-dessous  de 
Bordeaux  et  jusqu'à  la  mer,  dont  la  vendange  est  évaluée 
de  31  à  33,000  tonneaux,  et  se  divise  en  Ilaut-Médoc ,  Der- 
ricre-Haut-Médoc  et  Bas-Mcdoc ;  les  Graves ,  ^etit  terri- 
toire graveleux  et  caillouteux,  situé  sur  la  rive  gauche  de 
la  Garonne  et  dont  Bordeaux  occupe  le  centre;  les  côtes, 
comprenant  tous  les  coteaux  situés  le  long  de  la  Garonne , 
sur  la  rive  droite,  au-dessus  de  l'embouchure  de  la  Dor.dogne; 
les  côtes  de  Saint-Émilion,  comprenant  les  coteaux  des  en- 
virons de  Saint-Émilion  et  de  Libourne,  sur  la  Dordogne; 
le  Bourgeois,  ou  les  côtes  de  Bourg,  pendant  longtemps  le 
vignoble  le  plus  estimé  du  Bordelais,  conqirenant  les  coteaux 
de  la  rive  droite  de  la  Gironde  et  de  la  Dordogne,  depuis 
Bourg  jusqu'à  Fronsac  ;  les  Palus ,  comprenant  les  terres 
grasses  et  alluviales  des  bords  de  la  Garonne,  de  la  Dordo- 
gne et  l'entre-deux-mers,  ou  l'intérieur  du  pays  compris 
entre  ces  deux  grands  cours  d'eau. 

Les  vignobles  de  IMédoc  et  des  Graves  renferment  les 
crus  les  plus  célèbres  du  Bordelais.  Les  premiers  vins  rouges 
sont  ceux  de  CIiàteau-Margaux ,  Chdtcau-Lafjite  et  Chd- 
teau-Latour,  connnunes  de  Margaux  et  de  Pauillac  dans  le 
Médoc ,  et  ceux  de  Château-Haat-Drion  dans  la  commune 
de  Pessac  et  dans  les  Graves.  Les  vins  blancs  les  plus  estimés 
sont  ceux  des  communes  de  Barsac,  l'rei'jnac ,  Sauternes, 
^^oîJiWY's  et ///aH(7MC/o?<l,  toutes  dans  le  vignoble  des  Graves. 

La  ville  de  Bordeaux  est  l'entrepôt  de  tons  ces  vins,  au\- 


BOÎIDEAUX  —  BORDEE 


quels  viennent  se  joindre  les  vins  de  quelques  d(=parlnncn(s 
voisins ,  et  dont  la  plus  grande  partie  est  destinée  à  l'ex- 
portation par  mer.  Au  quai  des  Cliartrons  on  voit  de  vastes 
magasins,  ou  chais,  dans  lesquels  ils  sont  préparés  et 
mêlés  suivant  le  goût  des  pays  pour  les(]uels  on  les  expédie 
et  selon  la  longueur  des  traversées;  on  niv te  ou  soufre 
plus  ou  moins  les  tonneaux,  on  colle  les  vins  en  grand, 
enfin  on  les  renforce  pour  les  peuples  qui  préfèrent  les  vins 
forts.  Ceux  de  médiocre  qualité  sont  distillés  en  eaux-de-vie 
ou  transformés  en  vinaigres. 

[Tous  les  vins  de  Cordeaux  ne  sont  pas  d'égale  qualité. 
Entre  le  petit  iMédoc  de  la  pire  espèce ,  que  Bordeaux  dis- 
tille ou  expédie  par  mi^r  aux  prix  de  trois  à  dix-sept  centi- 
mes, et  les  vins  de  Saint-Émilion,  de  Saint-Estèphe,  de 
Pauillac,  de  Ségur,  de  Château-Margaux  ,  de  Laffitle,  qui 
se  vendent  jusqu'à  dix  francs  la  bouteille ,  il  y  a  tout  autant 
de  différence  qu'entre  l'eau-de-vie  de  cidre  et  le  marasquin 
de  Zara.  Le  vin  de  Bordeaux,  quelle  qu'en  soit  la  qualité, 
a  du  moins  sur  les  autres  vins  de  France  le  très-grand  avan- 
tage d'être  transportable  en  tout  lieu  et  de  se  bonifier  par 
le  voyage,  sur  mer  principalement.  On  le  fait  quelquefois 
voyager,  comme  un  adolescent,  uniquement  pour  le  rendre 
meilleur.  Ces  grandes  traversées,  qui  avaient  jadis  le  pri- 
vilège d'anoblir  tout  Français  qui  en  affrontait  les  périls, 
n'ont  rien  perdu  de  leurs  prérogatives  quant  à  ces  vins. 

De  môme  que  les  viandes  blanches ,  le  vin  de  Bordeaux 
convient  surtout  aux  estomacs  délicats,  aux  gens  nerveux 
et  aux  convalescents ,  taudis  que  le  vin  de  Bourgogne ,  en 
cela  comparable  au  rosbif,  sied  mieux  aux  personnes  ro- 
bustes, à  celles  qui  fatiguent  beaucoup  d'ailleurs  que  de  la 
tète,  de  même  qu'aux  septuagénaires  valides.  C'est  princi- 
palement de  ce  dernier  vin  qu'on  doit  dire  qu'il  est  le 
lait  des  vieillards.  L'essentiel  est  d'en  user  avec  sagacité 
et  modération. 

Les  vins  de  Bordeaux ,  plus  légers  et  supportant  l'ean 
plus  difficilement,  sont  aussi  plus  froids,  si  Ircids  même, 
bien  que  le  bouquet  en  soit  délicat  et  pénétrant ,  que  les 
gourmets  ont  imaginé  de  les  chauffer  doucement  avant  de 
les  servir,  afin  de  les  rendre  plus  digestibles  et  plus  savou- 
reux. C'est  le  seul  vin  pour  lequel  on  suive  les  vues  hygié- 
niques de  Fr.  Bacon  à  l'égard  des  boissons.  Bacon  voulait, 
en  effet,  qu'en  toute  saison  les  breuvages  eussent  la  tem- 
pérature du  sang.  S'il  n'existait  pas  de  liqueurs  plus  eni- 
vrantes et  plus  dangereuses  que  le  vin  de  Bordeaux ,  jamais 
philanthrope  n'eût  songé  à  la  ridicule  institution  des  sociétés 
de  tempérance.  D""  Isidore  Bourdon.] 

BORDEAUX  (Henri-Dieudonné  d'ARTOIS  ,  duc  de). 
Voj/ez  CnxMBORD  (Comte  de). 

BORDÉE.  Ce  mot  a  plusieurs  acceptions  en  marine  : 
d'abord,  il  exprime  la  route  que  fait  un  vaisseau  au  plus 
près  du  vent  :  ainsi ,  l'on  est  obligé  de  courir  des  bordées 
quand  on  veut  s'avancer  vers  le  point  d'où  souffle  le  vent. 
11  signifie  encore  la  décharge  de  toute  l'artillerie  d'un  des 
côtés  dn  navire.  Pour  se  faire  une  id4e  claire  de  l'efTet  que 
doit  produire  dans  un  combat  un  vaisseau  qui  tire  à  la 
fois  sur  l'ennemi  toute  une  bordée ,  il  faut  se  représenter 
la  quantité  de  fer  lancée  tout  d'un  coup  par  ce  vaisseau. 
Nos  grandes  frégales,  par  exemple,  armées  aujourd'hui  de 
60  canons  de  15  l<ilogrammes  de  balles,  envoient  par  bordée 
à  l'ennemi  450  kilogrammes  de  fer,  en  supposant  qu'on  ne 
mette  qu'un  boulet  dans  chaque  pièce;  mais  si  l'on  combat 
de  près,  comme  alors  on  met  deux  et  quelquefois  trois  pro- 
jectiles dans  chaque  canon ,  elles  peuvent  lancel-  à  la  fois 
plus  de  1,000  kilogrammes  de  fer  :  la  bordée  d'un  vaisseau 
de  100  canons  dans  cette  dernière  circonstance  serait  de 
1,800  kilogrammes  environ.  On  conçoit  quels  affreux  ra- 
vages doit  faire  chez  l'ennemi  une  tflle  quantité  de  projec- 
tiles animés  d'une  vitesse  cons'derable  :  les  mats  et  les  ver- 
gues sont  coupés  et  tombent  sur  le  pont  avec  fracas;  la 
muraille  du  navire,  traver.-ée  de  part  en  part,  est  hachée 


jar  les  bouiels,  cl  ses  éclats,  laiicvs  daus  toutes  les  tîirec- 
lioiis  ,  sont  quelquefois  plus  dangereux  que  les  boulets  eu\- 
luèuies. 

C'est  surtout  quand  une  bordée  est  tirée  à  la  poupe  d'un 
navire  que  ses  effets  sont  terribles  :  les  boulets ,  qu'alors 
aucune  résistance  n'arrête,  parcourent  le  bâtiment  dans 
toute  sa  longueur,  balayent  tout  ce  qui  se  trouve  sur  leur 
passage,  enlèvent  les  hommes  par  files,  brisent  les  affûts 
ou  ricochent  sur  la  volée  des  canons.  Cette  bordée  se  nomme 
bordée  d'enfilade. 

Les  bordées  sont  très-dangereuses  encore  quand  les  bou- 
lets portent  à  la  flottaison  ou  un  peu  au-dessous.  En  1664, 
un  navire  hollandais,  détaché  de  la  flotte  de  Ruy  ter,  fut 
attaqué  par  quatre  bâtiments  de  guerre  anglais,  qui  le  ca- 
nonnèrent  de  tous  les  côtés  ;  plusieurs  boulets  frappèrent  à 
la  fois  dans  la  ligne  de  flottaison ,  et  l'eau  se  précipita  avec 
violence  dans  lintérieur  du  navire.  Les  Anglais,  ignorant 
l'extrémité  à  laquelle  l'ennemi  se  trouvait  réduit,  sautèrent 
à  l'abordage ,  et  l'on  combattit  avec  acharnement  sur  le 
pont ,  tandis  que  le  vaisseau  s'enfonçait  lentement.  Mais 
quand  l'eau  eut  atteint  les  sabords  de  la  première  batterie, 
elle  entra  dans  le  navire,  qui  disparut  en  peu  d'instants, 
enveloppant  dans  sa  ruine  une  grande  partie  des  Anglais 
qui  se  trouvaient  à  bord. 

Malgré  l'immense  avantage  qu'un  vaisseau  de  forte  cons- 
truction et  armé  d'une  artillerie  considérable  a  sur  un  autre 
de  moindre  dimension,  on  ne  doit  jamais  désespérer  de  la 
fortune  :  une  bordée  heureuse,  qui  tuerait  beaucoup  d'hom- 
mes à  l'ennemi ,  ou  qui  lui  ferait  des  grandes  avaries,  peut 
rétablir  tout  à  coup  l'équilibre  dans  le  combat.  D'ailleurs, 
si  l'on  compare  les  quantités  de  fer  lancées  par  des  bâti- 
ments de  forces  inégales ,  on  verra  que  la  diflërence  de  puis- 
sance des  projectiles  n'est  pas  tellement  considérable  que 
le  courage,  ou  une  supériorité  de  mamruvre,  ou  une  meil- 
leure direction  donnée  au  tir  des  boulets,  ne  puisse  sou- 
vent contre-balancer  c<t  avantage.  Enfin ,  il  est  encore  une 
dernière  ressource  que  la  bravoure  offre  aux  plus  faibles, 
c'est  l'abordage,  illa  sains  vicUs!  Dans  le  combat  du  cap 
Saint-Vincent,  Nelson,  se  voyant  écrasé  du  feu  d'un  trois- 
pouts  espagnol ,  contre  lequel  son  artillerie  trop  faible  faisait 
de  vains  efforts ,  osa  tenter  l'abordage.  Il  aborde  l'ennemi 
malgré  le  feu  redoublé  de  toutes  ses  batteries ,  saute  à  son 
Lord,  l'enlève  à  l'arme  blanche,  y  place  son  pavillon,  y 
transporte  tout  son  équipage,  et  tire  un  nouveau  triomphe 
do  la  ruine  même  de  son  vaisseau.        Théogène  P.\ge. 

iiORDELAGE,  terme  de  droit  féodal,  dérivant,  d'a- 
ji.rès  Coquille,  de  borde  ou  border le,  [letile  lérme,  était 
une  sorte  de  lenure  en  roture  particulièrement  eu  usage  dans 
la  coutume  tiu  Nivernais,  soumise  a  certaines  charges  et 
conditions  portant,  entre  autres,  que  faute  du  payement  de 
la  redevance,  le  seigneur  pouvait  rentrer  dans  riiéritage  par 
droit  de  commise;  que  le  tenancier  ne  pou \ ait  démembrer 
les  choses  tenues  eu  ùordelage,  sous  peine  vie  commise; 
qu'il  était  obligé  «l'entretenir  l'héritage  en  bon  ttat,  etc. 

BOPd)ELAIS  {Durdigalensls  ager) ,  pays  avec  titre 
de  comté  compris  dans  la  Guienne,  et  dont  Bordeaux 
était  la  capitale.  11  se  composait  <lu  Bordelais  proprement 
dit,  du  Médoc,  avec  la  Flandre  du  Medoc ,  des  landes  de 
Bordeaux,  des  pays  de  Buch  ,  de  Born  ,  de  Marensin,  du 
comté  de  Benange,  du  pays  entre  les  deux  mers,  du  pays 
de  Libourne,  du  Fronsadais,  du  Cubzaguès,  du  Bourges , 
du  Bla>ès  et  du  Vitrezai. 

BORDEREAU.  C'est  le  relevé  détaillé  des  espètes  di- 
verses qui  composent  une  somme;  on  appelle  bordereau 
de  compte  un  extrait  de  compte  dans  lequel  on  éniimère  le 
débit  et  le  crédit,  alin  de  les  balancer.  Les  banquiers  en- 
voient chaque  mois  un  extrait  du  compte  courant  aux  né- 
gociants avec  lesquels  ils  sont  en  relation  d'affaires  :  cet 
extrait  s'appelle  bordereau.  Le  ministre  des  linances  reçoit 
tous  les  mois  des  administialions  linanciercs  le  bordereau 


BORDEt:  —  COLlDi:SOULLE  4h\ 

de  leur  situation.  Les  commis,  garçons  de  caisse  et  de  le 
cette,  ont  un  petit  livret,  nommé  to?"derea«  ,  sur  leqi>„l  \U 
inscrivent  le  détail  des  sommes  qu'ils  payent  ou  quils  re- 
çoivent. En  cas  de  faillite,  chaque  créancier  doit  remetUe 
au  syndic  l'élalde  sa  créance  sur  un  bordereau  timbré. 

Le  bordereau  d'inscription  hypothécaire  est  un  acte 
fait  en  deux  doubles,  dont  l'un  reste  au  conservateur  et 
l'autre  au  créancier,  et  qui  contient ,  outre  la  désignation 
des  sonmies  dues  au  créancier  en  principal  et  accessoires, 
foutes  les  autres  indications  requises  pour  que  le  conserva- 
tour  puisse  opérer  l'inscription  d'une  hypothèque  (Cod. 
Napoléon,  articles  2148  et  2150). 

Le  bordereau  de  collocation  est  un  extrait  du  procès- 
verbal  d'ordre  contenant  le  prix  d'un  immeuble  et  déliMé 
par  le  greffier  du  tribunal  aux  créanciers  utilement  colloques 
{voyez  Ordre,  Collocation,  Mandement). 

Le  bordereau  de  vente  est  la  déclaration  signée  du  ven- 
detir,  qui  indique  la  nature  de  la  marchandise,  son  prix, 
l'époque  de  la  vente,  et  celle  de  la  livraison. 

Le  bordereau  de  courtier,  le  bordereau  d'agent  de 
change ,  est  un  écrit  que  remet  l'agent  de  change  ou  le 
courtier  à  ses  clients  après  l'avoir  signé.  Cet  acte  constate 
les  négociations  par  eux  opérées.  Il  est  soumis  au  timbre. 
BORDESOULLE  (Etienne  baron,  puis  comte,  TAR- 
DIF DE  PO>LMEROUX  de),  né  le  8  avril   1771,  à  Lizeray 
(Indre),  entra  au  service  le  27  avril  17&S),  comme  simple 
chasseur  à  cheval  dans  le  deuxième  régiment  de  cette  arme, 
j   lit  toutes  les  campagnes  de  la  rcNolutioîi,  depuis  1792,  et 
I   fut  nommé  colonel  du  22*  régiment  de  chasseurs,  par  suite 
I  de  sa  brillante  conduite  à  Auslerlitz.  Le  U  juin  i!507,  à  la 
I   fête  de  soixante  hommes  de  son   régiment,  il  traverse  le 
I   passage  de  Guttstadt,  charge  un  bataillon  insse  qui  est  en- 
I  tièrement  pris  et  taillé  en  pièces,  et  reçoit  deux  coups  de 
I   baïonuclle  a   l'avant-bras  droit  et  dans  la  [)oitrine.    Il   bc 
I  dislingue  encore  à  Heilsberg  et  à  Friedland,  et  est  créé  ge- 
I  néral  de  brigade  le  25  du  même  mois.  Le  1*''  août  il  e.-^t 
employé  dans  le  corps  d'armée  du  maréchal  Brune,  et  placé 
!   en  décembre  à  la  tête  de  la  cavalerie  légère  attachée  à  ladé- 
tense  de  Dantzig.  Chargé,  en  novembre  ISOS,  du  comman- 
dement d'une  brigade  de  la  réserve  de  cavalerie  de  l'armée 
d'ifpagne ,  il  détruit  le  mois  suivant  les  débris  de  l'armée 
de  Castaùos,  aux  environs  de  Madiiil,  et  contribue,  le  2» 
mars  liSO'J,  au  gain  de  la  bataille- de  Médelin,  en  taillant  en 
pièces,  a  la  tète  des  5*  et  10''  de  chasseurs,  60,000  hommes 
d'infanterie  espagnole,  au  moment  où  tout  le  corps  du  ma- 
réchal duc  de  Bellune  opérait  son  mouvement  de  retraite  et 
où  il  avait  lui-même  reçu  l'ordre  de  se  retirer. 

Passé  le  25  mai  ISOa  à  l'armée  d'Allemagne,  il  y  prit 
le  commandement  d'une  brigade  de  cavalerie  du  4*^  corps, 
fut  employé  au  corps  d'observaiion  de  la  Hollande,  en  mai 
1810,  et  investi  du  commandement  de  la  3^  brigade  de  ca- 
valerie légère  de  l'armée  d'Ailema:;ue,  le  2  décembie. 
En  novembre  1811  il  passa  au  corps  d'ob^enation  de  l'Elbe, 
devenu  premfer  coq)S  de  la  grande  armée  ,  et  fut  appelé  en 
Juin  1812  à  la  tête  de  la  2"  brigade  de  cavalerie  légère  du 
même  corps.  Le  30  de  ce  mois  il  battit,  à  Soleschuilvi ,  l'a- 
vant-garde  du  général  Barclay  de  Tolly,  et  le  23  juil- 
let, commandant  l'avant-garde  du  corps  du  prince  d'Eciv- 
mulil,  composée  du  3*  regimentdecluisseurs  et  d'un  régiment 
d'infanterie,-  il  s'empara  de  Mohilow,  y  lit  900  prisoumers, 
se  rendit  maître  de  magasins,  de  bagages  considérables,  et 
de  plus  de  600  bœufs  destinés  au  princeBagratiou.  il  com- 
battit encore  à  Smolensk,  à  la  MoNkowa,  ou  il  eut  ia  uia- 
choire  fracassée  d'un  coup  de  biscaien,  et  a  Krasuco,  ou  il 
s'empara  de  huit  pièces  de  canon  ,  après  avoir  cuiijuie  un 
corps  de  1,500  hommes,  enfonça  un  formidable  carre  d'in- 
fanterie, lui  fit  300  prisonniers,  et  dégagea  le  9*  de  lanciers 
polonais,  gravement  compromis. 

Ùcvé  au  grade  de  général  de  division  le  4  décembre  1812, 
il  fiU  dpjiele  *u  connuaiidcmeiil  de  la  l"^^  di\isiou  de  cui- 


««.'',2 


BOilDESOULLE  —  BOl.DFU 


rasMcrs  (^u  1"'  corps  de  cavr.lcrie  ^o  la  j^rancle  arm(^e  le  15 
h'vt'm-  isn,  et  fit,  h  sa  tr-fe,  la  caiiipa^iie  de  Saxe.  D(^jà 
rcvr'iii  du  titre  de  baron  de  IVmpire,  avec  une  dotation,  il 
lut  créé  coiiiniandant  ()e  la  I/gion  d'Honneur  le  l^  mai,  et 
se  dislinf^iiii  à  I.utzen,;»  Haut/en,  à  Dresde,  ou  il  dirigea 
avec  liabilelé  plusieurs  <liarges  vij;oureuses ,  enfonça  une 
douzaine  de  carrt^s  ennemis,  fit  C.jOOO  prisonniers,  et  con- 
tribua à  refouler  dans  les  montaj.^nes  de  la  I5oh(^me  l'armée 
nombreuse  f]ui  menaçait  de  nous  c^craser;  à  Leipzig,  où, 
les  k;,  17  et  iHodobre,  il  donna  de  nouvelles  preuves  d"in- 
tn''pidité;  à  Hanau,  où  il  soutint  une  partie  de  la  retraite, 
et  sut,  avec  peu  de  monde,  imposer  à  une  nombreuse  ca- 
valerie cbarpée  de  rnupiiéter.  Nommé  commandant  des 
deux  divisions  de  cavalerie  organisc^es  h  Versailles  le  3  jan- 
vier 1SI4,  il  coopéra  au  succès  remporté  sur  le  feld-maré- 
rlial  lîlùcber  à  Vauxcbamps  le  12  février,  culbuta  Tenne- 
vii  au  combat  de  Villeneuve  le  17,  se  trouva  à  la  reprise  de 
lîeiiiis  le  t:^  mars,  au  combat  de  Fère-Champenoise  le  25, 
et  à  la  bataille  sous  Paris  le  30. 

Après  la  première  rentrée  des  Bourbons,  il  fut  nommé,  en 
mai  1814,  insjjecteur  général  de  cavalerie,  cbcvalier  de 
Saint-Louis  le  2  juin  ,  et  grand  officier  de  la  Légion  d'Hon- 
neur le  23  août.  Lorsqiie  l'empereur  revint  de  l'ile  d'Elbe, 
d  prit,  le  12  mars  IHI.%,  le  commandement  des  neuf  régi- 
ments de  cavalerie  de  la  2"  division  militaire,  dirigés  sur 
CliAlons.  11  suivjt  Louis  XVIIlà  Gand.fut  nommé  chefd'é- 
tar-major  du  duc  de  lîerry,  le  25  juin  1S15,  pendant  l'émi- 
gration, et  rentra  en  France  avec  ce  prince  dans  le  mois 
de  juillet.  Louis  xVlll  le  nomma  grandVroix  de  la  Légion 
d'Honneur  le  15  août,  et  lui  confia  le  S  septembre  l'organi- 
sation de  celte  belle  cavalerie  de  la  garde  royale  dont  il  eut 
le  commandement.  Il  lit  partie  de  la  cbambre  introu- 
vable comme  député  de  l'Indre,  et  fut  créé,  le  12  octobre, 
membre  de  la  irop  fameuse  couunission  diargée  d'épurer  la 
conduite  des  officiers  des  Cent-.lours.  Le  3  mai  ISIG  il  fut 
fait  commandeur  de  Saint-Louis,  et  écliangea  son  titre  de 
baron,  conquis  sur  le  cliamp  de  bataille,  contre  celui  de 
comte,  que  lui  doimait  la  Restatiration.  Aide  de  camp  bono- 
raire  <h\  comte  d'Artois  le  2  juin  ls!7,  membre  du  comité 
des  inspecteurs  généraux  le  25  oclobre,  il  devint  gentil- 
liomme  dlionneur  du  duc  d'Angoidéme  le  l"  juillet  1S20, 
reçut  la  décoration  de  grand'croix  de  Saint-Louis  le  r''n1ai 
1H21,  et  fut  nonuné  gouverneur  de  l'Kcole  Tolyteclmique, 
en  conservant  sou  emploi  dans  la  garde  royale,  le  17  sep- 
tembre 1S22.  A(ipelé,  le  10  février  1S23,  au  commandement 
en  cbef  des  trou[)es  de  la  garde  employées  à  l'armée  des 
l'vréuées,  il  dirigea  le  blocus  et  le  bombardement  de  Cadix, 
et  lut  cité,  le  ."îl  août,  à  la  prise  du  Trocadéro. 

Le  général  Bordesoulle,  après  la  gueire,  fut  créé  pair  de 
France  le  !)  octobre.  Ses  opinions  étaient  francliement  pa- 
triotiques et  constitutionnelles.  Ses  conseils  au  duc  d'An- 
goulème  eu  avaient  obteiui  plusieurs  actes  qui  furent  agréa- 
bles aux  ami>  de  la  liberté,  entre  autres  la  fameuse  ordon- 
nance d'Andu  jar.  Au  mois  de  décembre  il  reprit  le  com- 
mandement de  sa  division  de  cavalerie  dans  la  garde. 
Proclamé  cbevalier  commandeur  de  l'ordre  du  Saint-Ksjirit 
dans  le  cbapilre  tenu  le  21  février  Is.TO,  il  tenta  vainement 
de  conjurer  les  funestes  résolutions  du  roi  en  juillet,  et  de- 
meura, pendant  les  trois  journi'es,  à  Sàint-Cloud,  prêta 
défendre  sa  personne.  Ce  fut  à  r>ambouillet  seideiuent  qu'il 
le  quitta,  continuant  à  exercer  son  conun;indement  dans  la 
garde  dissoute  jusqu'au  21  août,  qu'il  fut  mis  en  disponibi- 
lité. Compris  dans  le  cadre  de  réserve  d<i  t'état-major  géné- 
ral le  7  février  iK.'îl,  il  fut  admis  à  la  retraite  le  1'»  niars 
1H32.  Dciiuisla  révolution  île  .luillet,  il  vivait  à  l'écart,  bien 
ipi'il  fit  encore  partie  de  la  Cbambre  des  Pairs,  où  il  pa- 
raissait à  de  rares  intervalli's.  H  mourut  le  3  octobre  is.îS,  à 
sa  terre  de  l'oiilaine,  près  de  Senlis.    F,.  G.  nr.  IMonci.ave, 

UOÎljJEU  (  Tui.oiMMi.K  ),  naquit  à  T-este,  près  d'Eaux- 
Boiiiies,  le  22  févriet  1722.  Issu  d'imc  ancienne  famille  de 


médecins,  fon  père,  Antoine  Hordeu,  voulut  que  Ini  et  son 
frère  le  fussent  également.  II  respira  dès  l'enfance  l'air  vif 
des  Pyrénées  et  le  parfum  des  plantes  méridionales  ;  il  se 
désaltéra  souvent  aux  sources  sulfureuses  des  montagnes, 
et  apj)aremment  c'est  aux  Eaux-Bonnes  qu'il  fut  baptisé 
médecin.  On  lui  fit  faire  ses  études  à  Pau,  après  quoi  on 
s'empressa  de  l'envoyer  à  Montpellier,  tant  son  ardeur  pour 
la  médecine  donnait  lieu  de  craindre  qu'il  ne  pratiquât  la 
profession  de  ses  aïeux  avant  de  l'avoir  apprise.  L'école  de 
Montpellier,  quand  Bordeu  y  vint  étudier,  se  partageait  en 
vtfaiistc.i  et  en  mécaniciens;  il  y  trouva  deux  bannières, 
celle  de  Boerbaave  et  celle  de  Stabl.  Il  fré(iuenta  d'abord  J 
les  deux  camps,  fraternisa,  dans  les  temps  de  trêve,  avec  f 
les  deux  armées;  mais  ce  fut  dans  celle  de  Stabl  qu'il 
s'enrôla  décidément,  et  il  ne  tarda  pas  à  en  devenir  le  clief. 

Prenant  pour  devise  une  sentence  de  Sénèque,  Doceout 
discam,  il  savait  à  peine  l'osléologie  qu'il  professait  déjà 
l'anatomie,  science  essentielle  au  médecin,  beaucoup  j)lus 
désagréable  que  difficile,  et  pour  laquelle  les  condisciples 
de  Bordeu  se  sentaient  moins  de  vocation  que  pour  les 
théories  spéculatives  dont  Montpellier  fut  dans  tous  les 
temps  la  féconde  patrie.  A  vingt  ans  (  1742  ),  Bordeu  sou- 
tint sa  première  thèse  (  alors  il  en  fallait  deux  ),  De  Sens^i 
generice,  etc. ,  germe  fécond  <le  ses  ouvrages  ultérieurs.  Ce 
fut  là  sa  première  déclaration  de  guerre  contre  l'école  de 
Boerbaave,  sa  profession  de  foi  comme  vitaliste;  et  par 
vitaUstea  il  faut  entendre  ceux  qui  expliquent  la  vie  par 
la  vie  môme.  Bordeu  examine  dans  cet  opuscule  les  esprits 
vitaujc ,  qu'il  déclare,  sinon  illusoires,  du  moins  encore  hy- 
pothétiques, aussi  bien  que  lesiérje  de  l'dme,  dont  la  recher- 
che lui  parait  vaine.  Il  affirme  que  les  nerfs  participent  à  Jj 
chaque  acte  de  la  vie,  et  la  sensation  lui  semble  donner  à  I 
l'esprit  plutôt  sa  forme  que  son  essence;  car  lui  aussi, 
Bordeu,  était  spirilualiste,  comme  Barthcz,  comme  Bi- 
chat,  comme  Bo  e  r  h  a  a  v  e ,  comme  i^I  a  1 1  e  r ,  comme  vingt 
autres  médecins  supérieurs;  et  je  ne  .sais  où  l'on  a  puisé 
l'opinion  que  les  phijsiologisics  el  les  vrais  inMecins  sont 
lotis  nintcrinlislcs.  Cette  dissertation  fut  remarquée,  vi- 
vement applaudie  par  ceux  dont  elle  favorisait  l'opinion, 
et  elle  valut  à  Bordeu  la  dispense  de  plusieurs  examens , 
superllus  pour  un  homme  de  son  mérite.  Après  la  thèse  de 
licence ,  vint  celle  pour  le  doctorat.  Celle-ci  avait  pour 
sujet  le  mécanisme  de  la  digestion  (  Clujiificationis  Itis- 
toria,  1743  ).  On  trouve  dans  cet  écrit  toute  l'ingénieuse 
moquerie  qu'on  pouvait  attendre  de  l'esprit  vif  et  piquant 
de  Bordeu,  au  sujet  des  explications  chimiques  et  méca- 
niques ;  car  avant  lui  nos  maîtres  avaient  la  faiblesse  de 
croire  (pie  la  digestion  était  v.nii  fermentation  ,  une  putré- 
faction,  ou  xmc  macération ,  ou  une  trituration,  etc.  : 
quot  somnia!  Si  on  osait  de  nos  jours,  on  nous  redon-  « 
nerait  tous  ces  songes  pour  des  réalités  ;  car  si  les  hypo-  ■ 
thèses  mécaniques  sont  mortes ,  les  mécaniciens  épient  le  " 
moment  de  régner. 

Bordeu  n'avait  que  vingt  et  un  ans,  et  déjà  il  avait  jeté 
les  fondements  de  sa  réputation.  C'était  assurément  être 
bien  précoce  ;  mais  il  faut  remarquer  que  ce  médecin  était 
méridional,  homme  des  montagnes,  enfant  né  dans  le 
t(Mnp!e,  el  de  plus  homme  de  génie  :  or  le  feu  sacré,  pour 
luire,  a  moins  besoin  d'années  que  d'occasions  propices; 
reçu  docteur  en  1744,  on  fut  étonné  de  voir  prendre  ù 
Bordeu,  avec  une  sorte  d'ostentation,  le  titre  de  médecin- 
chirurgien,  qui  n'était  guère  dans  l'esprit  du  temps  et  du 
lieu.  Cela  même  lui  concilia  l'amitié diuable  (Les  chinirgiens, 
en  faveur  desquels  le  chancelier  d'Aguesseau  venait  de 
contre-signer  une  espèce  lYcdit  de  Aantcs  (  1743  ),  qui  les 
assimilait  presipie  aux  médecins,  mais  dont  ceux-ci  sou- 
haitaient ardemment  la  révocalion.  Bordeu  a  vécu  moins 
que  la  haine  qu'excita  ce  titre  éqiiivocpie  parmi  ceux  de  sa 
robe,  trop  épris  de  leur  dignité  doctorale  et  tremblant  d'y 
déroger. 


I 


BORDEU 


457S 


Kndianl»'  de  sa  i(''coi>l'on  comme  de  ses  luaîties  ,  encore 
éli'ctrisé  d'un  premier  succès ,  sou  esprit  ébauchait  mille 
desseins,  sa  charmante  liumcur  lui  donnait  accès  partout, 
et  son  imagination  l'y  faisait  applaudir  :  ignorant  encore  et 
les  soucis  de  l'ànie  et  le  fiel  de  l'envie,  les  tourments  le 
l'undiition  et  môme  ceux  de  l'amour,  le  jeune  Théophile  ,  à 
<pii  son  père  laissait  pour  récompense  beaucoup  de  liberté , 
coula  alors  les  jours  les  plus  heureux  de  sa  vie.  Son  p'.aisir 
était  d'accentner  gaiement  avec  les  paysans  des  Pyrénées  le 
charmant  patois  des  montagnes  ;  d'antres  fois ,  plus  orné  de 
corps  et  d'esprit,  il  allait  à  Eaux-Bonnes  et  à  Baréges 
étu<lier  les  eaux,  observer  les  malades,  et  toujours  il  y 
confinerait  des  suffrages  et  y  laissait  de  nouveaux  amis; 
d'autres  fois  il  allait  à  Montpellier  faire  un  cours,  éclaircir 
un  doute,  tenter  un  essai,  adresser  quehpies  arguments 
latins  à  ses  maîtres,  devenus  ses  égaux  en  attendant  pis; 
puis  il  revenait  à  ses  eaux  pour  causer,  à  sa  vallée  pour 
se  réjouir  et  chanter,  dans  sa  famille  pour  ôtre  heureux, 
pour  se  voir  aimé,  car  c'est  là  le  vrai  bonheur.  Un  jour  on 
le  vit  partir  pour  Paris  :  hélas!  qu'y  va-t-il  faire?  disaient 
le.s  Béarnais?  Bordcu  n'avait  point  le  projet  de  rester  à  Paris. 
Après  quelque  temps ,  on  l'en  vit  revenir  avec  le  titre  de 
surintendant  des  eaiix  viinéralcs  de  l'Aquitaine ,  titre 
bien  fastueux;  mais  après  tout  Bordcu  était  un  jeune 
homme,  il  aimait  les  titres  :  alors  c'était  une  monnaie  cou- 
rante qui  avait  beaucoup  de  valeur ,  et  qui,  on  a  beau  dire, 
en  a  encore  aujourd'lnii. 

Une  fois  intendant  des  eaux,  Bordcu  appliqua  tous  ses 
soins  à  étudier  et  à  faire  connaître  les  sources  des  Pyrénées. 
11  rédigea,  de  concert  avec  son  père  et  son  frère,  le  Journal 
de  liaréges ,  pour  les  médecins  ;  une  dissertation  latine  sur 
l'usage  des  eaux  thermales  des  Pyrénées  dans  les  ma- 
ladies chroniques  ,  à  l'adresse  des  savants  et  des  étrangers; 
et  enfin  des  Lettres  vives ,  diffuses,  él incelantes  d'exagé- 
ration et  d'esprit,  naïves  comme  l'ignorance,  chaleureuses 
comme  la  persuasion ,  menteuses  et  dévergondées  eomine 
le  climat;  cl  ces  lettres  étaient  adressées  à  madame  de 
Sorbério,  femme  titrée  de  ce  pays-là ,  qui  avait  de  l'inlluence 
par  sa  fortime  et  par  sa  famille,  peut-être  aussi  par  son 
esprit,  et  certainement  par  son  sexe  seul  et  ^a  beauté, 
surtout  à  cette  époque ,  où  tout  se  faisait  en  France  par 
les  femmes  ou  pour  elles.  Ces  lettres  eurent  un  grand 
succès  parmi  les  gens  du  monde  ;  et  c'est  principalement  à 
cet  ouvrage  que  les  eaux  de  nos  Pyrénées  ont  prinu'tivement 
dil  leur  vog'.ie  et  leur  célébrité,  au  reste  si  li^gitimes.  Bordeu 
est  le  poète  des  eaux  thermales;  et  c'(^t  peut-être  le  seul 
panégyriste  qu'on  ait  cru  sur  parole,  tant  son  verbe  était 
entraînant  ! 

Partageant  son  temps  entre  ses  malades  et  ses  écrits ,  tan- 
lôt  à  Pau,  où  il  résidait,  tantôt  aux  sources  thermales, 
ilont  la  réputation  l'occupait  autant  que  la  sienne  ,  Bordeu , 
arrivé  à  trente  ans,  en  17  J2 ,  après  six  années  de  doctorat , 
quatre  de  pratique  et  de  surintendance ,  s'étonna  tristement 
de  se  voir  avec  tant  «le  zèle  et  apiès  tant  de  fatigues,  presque 
aussi  inconnu  hors  du  Béarn  et  du  Languedoc  qu"il  l'était 
au  jour  de  sa  réception.  Lui,  qui  aimait  la  gloire  et  qui  se 
croyait  fait  pour  elle,  lui  qui  l'avait  rêvée  grande  et  i)rompte, 
et  sans  tenir  compte  ni  <ie  l'indinérencc  du  public  à  tresser 
des  couronnes,  ni  du  nombre  de  ceux  qui  songent  à  les 
ceindre,  son  obscurité  de  trente  ans  l'humilia,  et  pour  la 
|)remière  fois  il  pensa  à  Paris.  En  elTet ,  c'est  à  Paris  que  se 
font  les  réputations,  c'est  là  que  se  tient  la  grande  et  perpé- 
tuelle joute  de  l'esprit  avec  ses  juges,  ses  spectateurs,  leurs 
murmures,  leurs  froideurs  ou  leurs  applaudissements  ;  c'est 
la  qu'on  s'éclipse  si  l'on  échoue,  qu'on  brille  et  qu'on  règne 
si  l'on  est  vainqueur;  mais  là  aussi  est  l'envieuse  rivalité  et 
le  sénat  permanent  des  coteries.  Bordeu  n'y  songea  point ,  et 
il  vint  à  Paris.  Il  adressa  en  patois  des  Adieux  touchants  à 
la  tranquille  millée  d'Ossau.  H  aurait  dû  faire  aussi  ses 
adieux  au  bonheur. 


Arrivé  à  Taris,  il  publia  ses  licc/ierches  sur  les  Glandes, 
ouvrage  de  saine  doctrine,  dirigé  contre  les  chimistes  et 
les  mécaniciens ,  où  l'on  trouve  l'origine  d'une  théorie  des 
sécrétions ,  qui  règne  encore  de  nos  jours.  Celte  publica- 
tion remarquable  l'ayant  mis  en  rapport  avec  les  littérateurs 
et  les  savants  de  l'époque ,  il  composa  quelque  tem[is  après, 
pour V Encyclopédie  de  d'Alembert  et  de  Diderot,  dont  on 
le  nomma  collaborateur,  un  grand  article  sur  les  Crises, 
petit  ouvrage  plein  de  faits  et  de  recherches  judicieuses. 
Bordeu  envoya  presqu'en  môrne  temps  à  l'Académie  de  Chi- 
rurgie un  mémoire  sur  \c?,  écrouelles ,  qui  fut  couronné. 
Quant  à  la  pratique,  Bordeu  éprouva  mille  tracasseries.  Son 
titre  de  docteur  de  Montpellier  ne  lui  donnant  pas  droit 
d'exercice  dans  la  capitale,  des  confrères  judicieusement 
jaloux  entravèrent  ses  desseins.  Bordeu,  toujours  courageux 
et  infatigable,  prit  le  parti  de  subir  de  nouveaux  examens 
pour  obtenir  le  diplôme  indispensable.  Il  composa  à  cette 
occasion  trois  disi^ertations  latines,  l'une  sur  la  Chasse 
considérée  comme  l'exercice  le  plus  salubre;  une  autre 
sur  les  Eaux  minérales  de  l'Aquitaine,  une  autre  enfin 
pour  prouver  que  toutes  les  parties  du  corps  concourent 
à  la  digestion.  Bordeu  voulait  dire  que  toutes  y  sympa- 
thisent ou  y  compatissent.  Quelque  temps  après  il  fut 
nommé  méUecin  de  l'hôpital  de  la  Charité,  avec  le  titre 
d'inspecteur  créé  exprès  pour  lui  ;  car  il  aimait  encore  les 
titres,  ne  prenant  pas  garde  que  cette  innocente  puérilité 
doublait  le  nombre  de  ses  ennemis  et  ne  faisait  qu'aigrir 
et  envenimer  leur  jalousie  implacable. 

.Maintenant,  médecin  d'hôpital,  humilions  bien  nos  en- 
vieux, faisons  encore  quelque  découverte!  Douze  ans  au- 
paravant (1743) ,  Solano  de  Lucqucs  avait  fait  sur  le  pouls 
les  observations  les  plus  importantes  et  les  plus  nouvelles. 
Bordcu  résolut  de  vérifier  ces  observations  et  d'en  agrandir 
le  champ.  Il  ne  voulait  ni  calculer  le  pouls,  comme  Éro- 
phile,  ni  le  noter  en  musique  comme  les  Chinois;  il  n'am- 
biliouQait  laéme  pas  de  renouveler  ou  les  miracles  d'Éra- 
sistrale  sur  Antiocbus,  ou  les  merveilleux  prognostic-à  de 
Galien;  il  voulait  simplement  savoir  le  vrai ,  et  il  avait  dé- 
cidé de  le  dire.  Solano  avait  découvert  que  le  pouls  dicrote 
ou  rebondissant  indique  des  hémorrhagies  du  nez  ou  de  la 
poitrine;  que  le  pouls  intermittent  présage  on  dénonce  des 
dérangements  du  ventre,  etc.  Bordeu  poussa  ses  recherches 
beaucoup  plus  loin  :  il  prétendit  distinguer  le  pouls  des 
maladies  supérieures  d'avec  le  pouls  des  maladies  inférieures 
au  diaphragme;  il  décrivit  même  le  pouls  du  nez,  celui 
de  la  gorge,  des  poumons,  de  l'estomac,  des  intestins  ,  <le 
l'utérus,  du  foie,  le  pouls  des  hémorrhoides  ,  etc.  Et  même, 
il  faut  le  dire,  il  poussa  si  loin  ses  reciiercbes,  il  les  ren- 
dit si  subtiles,  si  métaphysiques,  que  c'est  à  .son  bel  ouvra^e 
qu'il  faut  reprocher  rindilïérenceactiieUc  des  médecins  fian- 
çais en  ce  qui  regarde  les  signes  tirés  du  pouls,  nonobstant 
la  conviction  contraire  des  malades.  Toutefois  l'ouvrage  de 
Bordeu  fil  beaucoup  de  bruit.  On  en  parla  aux  bureaux  do 
VLlicyclopédie;  \ti  Mercure  en  donna  l'analyse;  Voltaire, 
concevant  de  l'inquiétude  pour  sa  santé,  restreignit  ses  énor- 
mes doses  de  café,  et  fut  en  conséquence  quelques  années 
sans  donner  de  nouvelles  tragédies  :  la  première  <pi'il  pu- 
blia ensuite  n'était  méi7)e  qu'une  tragédie  en  ]irose  et  traduite 
iSocrate).  Mais  le  grand  effet  qu'eut  cette  production  fut 
pour  les  rivaux  de  Bordcu.  Bouvart,  le  plus  passionné 
de  tous ,  lui  dont  la  hideuse  figure  portait  une  cicatrice  af- 
freuse, «  qu'il  s'était  faite,  disait  Diderot,  en  maniant  mala- 
droitement la  faulx  de  la  mort , «Bouvart  accusa  Bordeu 
d'avoir  volé  les  bijoux  d'un  riche  malade  qu'il  conduisait 
aux  eaux  minérales,  et  qui  était  mort  dans  le  voyage. 
Thierri  (dit  Richerand)  eut  assez  de  crédit  pour  faire  rayer 
le  nom  <le  Bordeu  de  la  liste  des  médecins  de  la  faculté, 
et  il  fallut  un  arrêt  du  parlement  de  Paris  pour  le  rétablir 
dans  la  jouissance  de  ses  droits.  Telle  était  même  l'odic^sc 
i   conduite  de  ses  ennemis,  qu'il  n'aurait  pu  visiter  ses  malade* 


404 


BORDEU 


sans  iJanger  poin-  sa  vie,  si  le  prince  de  Coiiti  ne  lui  eût  [)v6h\ 
pour  courir  la  ville,  son  6quipa(;e  et  sa  livrée... 

Toutes  ces  persécutions,  loin  d'atliéilir  le  zèle  de  llonleu  , 
ne  firent  que  le  rendre  |)lus  fervent.  Il  publia  successive- 
ment des  Hecherches  sur  ta  Colique  mctuUigue  des  Pein- 
tres, ou  du  Poitou;  les  Rcc/ierc/ies  snr  VHisloire  de  In 
Médecine, -A  l'occasion  de  l'inoculation,  dont  il  était  lecliaud 
fwrtisan;  d'autres  Rcclierches  sur  le  Tissu  Muqueiix  ou 
Cellulaire,  ouvrage  qu'on  peut  rei;arder  comme  le  premier 
mais  imparfait  modèle  At  Y Anatomie  générale  ùq  Bicliat; 
«nfin,  des  nechrrches  sur  les  Maladies  chroniques ,  dont 
la  cinquième  [)artie,  aussi  éloquente  que  singulière,  est 
coïKacrée  à  Vanalijse  médicinale  du  sang. 

Les  ouvrages  de  Bonleu  sont  trè'v-remarquables  ,  non  par 
la  méthode  (il  en  avait  peu),  mais  par  les  aperçus,  par  la 
ju.'tleté  des  idées  ,  par  la  puret,é  de  la  diction ,  par  des  pen- 
sées ingénieuses.  liordeu  était  contemporain  de  Voltaire  : 
il  respirait  le  mémo  air  que  lui ,  il  voyait  la  même  société, 
assistait  aux  mêmes  al)US,  et  de  plus  il  lisait  ses  œuvres; 
aussi  peut-on  dire  qu'il  fut  Je  Voltaire  des  inéiiecins  de  son 
temps.  S'il  eilt  été  moins  étourdi,  plus  ami  de  l'ordre, 
moins  surabondant,  plus  sobre  de  faits  et  de  citations,  plus 
réservé  dans  le  choix  des  idées,  moins  confus  dans  ses 
plans,  on  pourrait  le  placer  sans  scrupule  à  la  tête  des 
<icrivains  de  la  médecine.  On  le  lit  encore  avec  plus  de 
jilaisir  et  plus  de  fruit  que  la  plupart  des  auteurs  qui  lui 
ont  survécu  ou  succédé.  Cela  tient  principalement  à  ce 
qu'il  est  par-dessus  tout  historien  et  philosophe,  qualités 
qui  vieillissent  moins  que  celles  de  systématique,  de  sa- 
vant ou  d'érudit.  Si  l'on  met  de  côté  son  antipathie  pour 
les  mécaniciens  et  les  chimistes,  Bordeu  est  de  toutes  les 
i^coles,  il  s'arrange  de  tous  les  systèmes  ,  il  trouve  à  puiser 
et  à  penser  dans  lous  :  il  est  essentiellement  écleclique, 
c'est-a-dire  choisissant. 

l'eu  d'auteurs  sont  aussi  difficiles  à  citer  que  Bordeu  ;  à 
dia(|ue  page,  c'est  un  trait  qui  frappe,  une  pensée  qui 
b'empare  de  l'attention  ,  une  expression  qui  enchante  l'esprit 
ou  qui  invite  à  réiléchir;  peu  d'écrivains  possèdent  aussi 
bien  que  lui  l'art  des  allusions.  Est-il  question  de  la  méde- 
cine? C'est,  dira-t-il,  une  coquette  qui,  à  présent  qu'elle  est 
vieille,  prend  des  ornements,  des  parures;  elle  était  simple 
<lans  sa  jeunesse,  et  voilà  comme  l'ainia  Hippocrale,  son 
premier  amant.  Veut-il  blâmer  l'abus  de  la  saignée,  trop 
préconisée  par  Chirac,  trop  autorisée  par  ses  idées  si  exclu- 
sives d'inllammalion  universelle?  J'ai  vu  un  moine,  dit 
Bordeu ,  qui  ne  mellait  point  de  tenue  aux  saignées  : 
lorsqu'il  en  avait  fait  trois  il  eu  faisait  une  quatrième,  par 
la  raison,  disait-il,  que  rannée  a  (]ualre  saisons,  qu'il  y  a 
quatre  parties  du  monde,  (juatie  âges,  quatre  pomts  cai- 
dinaux.  Après  la  (jualiième ,  il  en  fallait  une  cinquième, 
<-;tr  il  y  a  vhn\  doigts  à  la  main.  A  la  cinquième  il  en  joi- 
HUiiit  une  sixième;  car  Dieu  créa  le  monde  en  six  jours. 
Six!  il  en  faut  sept;  car  la  semaine  a  sept  jours,  comme 
la  Grèce  eut  se|)t  sages.  La  huitième  sera  même  nécessaire, 
parce  que  le  compte  cf^i {> lus  rond.  Kncore  une  neuvième, 
(jiiiii...  rwmero  Deus  impure  gaudel. 

Ce  serait  à  ne  pas  liuir  si  l'on  voulait  citer  de  Bordeu  tout 
ce  qui  mérite  le  souvenir,  non-seulement  des  médecins, 
iiiiiis  même  des  gens  de  goût.  Sou  parallèle  de  Boerhaave 
a\cc  AscU'piade,  sa  criti(iue  modérée,  mais  si  judicieuse, 
«le  LocUe  et  de  Uescartes,  ses  allusions  au  sujet  de  saint 
Alhanase,  accusé  d'avoir  bii.>e  nu  calice  de  verre;  enlin,  sa 
revue  «l'une  bibliothèque  de  ujedecin  de  campagne ,  sont  des 
morceaux  d'un  grand  mérile,  «pi'un  houuiie  du  monde  lirait 
certes  avec  autant  d'agiement  et  avec  plus  de  fruit  que  beau- 
coiq»  (le  nos  ouvrages  de  littérature  légère.  Quand  on  lit 
Bordeu  on  se  surprend  faisant  desoieilles  a  toutes  les  pages, 
connue  s'il  s'agissait  des  Lettres  persanes ,  ila^  romans  de 
Voltaire  ou  de  De  Aalura  Deoruni  de  Cicéron.  En  quelijue 
ejulroit  qu'on  ouvre  un  livre  de  Bordeu  ,  on  est  sur  de  Uou- 


BORDO^E 

ver  une  idée  et  de  la  comprendre,  si  inadmissible  «u  para- 
doxale qu'elle  soit. 

Ses  ouvrages,  sa  nombreuse  clientelie,  ses  querelles  et 
ses  combats,  ses  courses  et  ses  voyages  sans  tin,  et  peut- 
être  aussi  un  célibat  peu  fait  pour  un  houunedeson  espèce, 
tant  d'agitations  et  tant  de  labeurs,  aflaiblirenl  les  forces 
de  Bordeu,  et  sans  doute  abrégèrent  ses  jours. 

De  bonne  heure,  on  le  vit  mettre  ordre  à  ses  affaires  et 
réaliser  sa  fortune.  Elle  était  bien  humble  pour  un  médecin 
comme  lui,  qui  avait  pratiqué  dans  la  plus  haute  société, 
parmi  les  riches  malades  des  eaux ,  parmi  les  personnages 
de  la  capitale  :  cet  homme,  accusé  d'avoir  soustrait  des  bi- 
joux, des  diamants,  d'avoir  vidé  desécrins,  réunit  pour 
tout  trésor  la  modicpie  somme  de  80,000  francs,  qu'il  dé- 
posa à  la  banipie  du  célèbre  M.  de  La  Borde.  Ce  n'était  pas 
la  cinquantième  |)artie  des  somptueuses  économies  de  Boer- 
liaave,  qu'il  ne  faut  pourtant  pas  juger  supérieur  à  Bordeu 
proportionnellement  à  ses  richesses.  Peu  de  temps  après, 
Bordeu  éprouva  des  attaques  de  goutte  irrégulière,  quelques 
coups  de  sang.  11  essaya  d'un  voyage  aux  eaux  des  Pyré- 
nées, le  seul  qu'il  eût  fait  pour  sa  propre  santé.  Les  eaux 
aggravèrent  ses  maux  ,  et  cela  devait  être  :  jamais  les  eaux 
sulfureuses  ne  doivent  être  employées  contre  la  goutte  ni 
contre  l'apoplexie ,  dont  elles  réalisent  trop  souvent  les  me- 
naces, ou  dont  elles  réitèrent  et  aggravent  les  attaques.  Il  re- 
vint donc  plus  soufflant,  plus  faible,  plus  attristé  et  plus 
soucieux  de  son  isolement,  et  sentant  plus  vivement  que  ja- 
mais combien  les  douces  joies  de  la  famille  sont  préférables 
aux  débats  de  l'auioiir-propre,  au  retentissement  d'un  nom, 
aux  futiles  joies  de  la  renonnuée.  Une  dernière  attaque  d'a- 
poplexie le  surprit  i)endant  le  sommeil,  le  23  novembre  t77fi. 
Bordeu  avait  vécu  cinquante-quatre  ans.  C'est  vingt-trois 
années  de  plus  <iue  Bicliat,  dont  il  fut  l'utile  précurseur, 
mais  seize  ans  île  moins  que  Boerhaave,  dont  il  abrogea 
rein[)ire.  A  la  nouvelle  de  sa  mort,  Bouvart  couronna  ses 
calomnies  par  ce  propos  infâme  :  «  Je  n'aurais  pas  cm 
qu'il/lit  mort  horizontalement.  »     D""  Isidore  Boi:kdon. 

BOilDlEtl.  En  France,  on  désignait  ainsi  au  niojen 
âge  le  métc^ver  d'une  borde  ou  borderie ,  petite  ferme  ou 
maison  rusliciue  soumise  à  de  certaines  redevances.  Dans 
le  midi  on  emploie  encore  ce  nom  pour  désigner  les  fermiers 
et  métayers. 

En  Auglelerre,  où  Guillaume  le  Conquérant  établit  les 
usages  féodaux  qui  régnaient  dans  son  pays  natal,  il  y  avait 
<les  hommes  appelés  bordarii,  formant  une  classe  particu- 
lière et  tout  à  tait  cfistincte  des  servi ,  serfs,  et  des  villani , 
vilains.  Suivant  le  Grand-Terrier  d'Angleterre,  ces  bor- 
darii tiraient  leur  nom  de  6orf/,petite  pièce  de  terre,  qu'ils 
recevaient  à  la  charge  d'entretenir  d'œufs  et  de  volaille  la 
maison  du  maiire. 

Jiord ier  aiffVilie  encore  un  propriétaire  de  terres  qui  bor- 
dent le  grand  cliemin. 

BOilDOiXiî)  (i'Aiiis),  peintre  célèbre  de  l'École  véni- 
tiiiine,  ne  a  Trevise,  vers  1500,  mort  à  Venise,  le  II)  jan- 
Nicr  i:>70  ,  quitta  l'étude  dos  sciences  poursuivie  1  école  du 
'i  ilien  ;  mais  il  fut  surtout  hnitateurdu  Giorgione.  Son  talent 
se  développa  rapidement,  et  les  nombreux  travaux  dont  le 
cjjargèrent  Venise  et  sa  ville  natale,  en  répandant  son  nom 
au  delà  de  l'Italie,  lui  valurent  d'être  appelé  en  l'rauce, 
les  uns  disent  par  iMançois  F"",  d'autres  par  KraiK;ois  11. 
Quelques-uns  prélcn<leut  même  qu'il  resta  quelques  années 
à  la  cour  de  Charles  IX  avant  de  retourner  e:i  Italie,  el 
([u'il  y  lit  beancdiip  de  portraits ,  travaillant  pour  le  tliic  de 
Guise  et  le  cardinal  de  Lorraine. 

Les  tableaux  de  Bordone  sont  remarquables  par  la  délica- 
tesse et  l'harmonie  d'un  coloris  tirant  en  général  sur  le  rose  ; 
aussi  estime-t-on  principalement  ses  portraits  de  lémmes. 
Dans  notre  collection  du  Louvre,  nous  n'avons  de  ce  jieintre 
qu'un  portrait  et  un  petit  tableau  représentant  Verlunnie  el 
Pomone.  L'Italie,  [ilus  ritlie  que  iioas  en  pioùaclioa.s  de  cet 


aili>t(',  ponsètle  un  Sniii!  André  courbé  sous  la  croix  et 
couronne  par  un  ange  ,  tableau  peint  pour  l'église  île  Saint- 
Job,  et  VAiineau  du  Pêr/ieur.  chef-d'œuvre  liii  maitre. 

IJuitlone  eut  un  (ils  qui  suivit  la  môme  carrière  que  lui, 
mais  sans  «uccès. 

BOKDUIlE.Ce  mot,  dans  son  acception  la  plus  usitée, 
est  synonyme  de  cadre,  et  désigne  le  châssis,  ordinaire- 
ment en  liois  ,  dans  lequel  on  [)lace  un  tableau ,  un  dessin 
ou  une  estampe.  Les  tableaux  furent  faits  d'abord  pour  or- 
ner les  autels  dans  les  églises,  puis  pour  décorer  les  parois 
d'une  chambre  dans  un  palais  ou  dans  un  appartement.  La 
dimension  du  tableau  était  dans  ce  cas  donnée  par  l'archi- 
lecte  (jui  disposait  les  panneaux  de  sa  boiserie  de  manière  à 
y  introduire  le  tableau  ,  et  une  bordure  analogue  à  la  déco- 
ration de  l'autel  ou  de  l'appartement  venait  recouvrir  et  ca- 
cher la  jonction  de  la  peinture  à  la  menuiserie.  Lorsqu'en- 
suite  on  voulut  transporter  les  tableaux  dans  d'autres  en- 
droits que  ceux  pour  lesquels  ils  avaient  été  faits  primitive- 
ment, on  sentit  qu'ils  avaient  besoin  d'une  bordure,  et  sou- 
vent alors,  au  lieu  do  la  faire  chantournée,  on  lui  donna 
une  forme  plus  simple  et  plus  raisonnable.  Cependant  la 
mode ,  qui ,  pour  varier  sans  cesse ,  gâte  si  souvent  ce  qu'elle 
affecte,  la  mode  appoifa  des  changements  fréquents  dans 
les  borduies,  qui  ont  été  tantôt  surchargées  d'ornements 
sculptés  ou  entièrement  lisses,  ou  bien  offrant  de  grandes 
lignes,  comme  les  corniches,  avec  quelques  ornements  plus 
ou  moins  légers,  et  dont  la  grâce  dépendait  du  talent  de 
l'artiste  qui  l'ordonnait,  ou  plutôt  encore  du  goût  plus  ou 
moins  pur  qui  régnait  a  l'instant  où  le  tableau  était  embor- 
durc.  Presque  toujours  les  borduies  sont  dorées  :  cepen- 
dant, vers  IGSO,  en  Hollande,  elles  ont  été  faites  en  bois 
d'ébùne  ou  en  bois  noirci;  un  siècle  plus  tard,  à  Paris,  on 
eut  l'habitude  de  mettre  les  estampes  dans  des  bordures 
moitié  dorées,  moitié  noircies;  maintenant  les  aquarelles 
sont  souvent  placées  dans  des  bordures  d'ébénisterie,  en  bois 
de  couleurs  variées. 

Aucun  principe  reconnu,  aucune  règle  positive,  ne  déter- 
mine les  proportions  d'une  bordure  :  cependant  on  doit 
avoir  l'attention  de  la  faire  suivant  la  grandeur,  et  nous  di- 
rons môme  le  mérite  du  tableau.  Ainsi ,  la  bordure  d'un 
tableau  de  moins  de  30  centimètres  doit  avoir  au  plus  5  cen- 
t'mètres;  on  peut  en  donner  10  à  la  bordure  d'un  tableau 
de  1"',25  ;  et  celle  des  tableaux  de  la  plus  grande  dimension 
ne  doit  pas  passer  40  à  50  centimètres.  Ce  serait  encore  une 
faute  que  de  faire  pour  la  bordure  une  dépense  plus  forte 
que  la  valeur  du  tableau  lui-même. 

Les  anciens  avaient  aussi  des  bordures  à  leurs  tableaux; 
mais  elles  étaient  peintes  et  analogues  au  sujet  de  la  com- 
position. Ainsi,  des  pampres  entouraient  les  sujets  bachiques, 
des  fleurs  ou  des  coquillages  faisaient  la  bordure  des  com- 
positions où  se  trouvaient  des  nymphes  on  des  naïades.  Cet 
asage  s'est  conservé  parmi  nous  pour  les  tapisseries. 

Les  tapis  de  pied  ont  aussi  des  bordures ,  qui  ordinaire- 
ment sont  de  couleurs  plus  foncées  que  celles  du  tapis  lui- 
même.  Dans  les  appartements  tendus  en  soie,  ou  couverts 
en  papier,  la.  bordure  doit  rappeler  la  couleur  du  meuble, 
avoir  un  ton  assez  intense  pour  trancher  sur  le  fond  de  la 
tenture  ou  du  papier,  et  la  mode  seule  en  règle  la  dimen- 
sion. Ainsi  la  mode  a  cru  devoir  en  augmenter  la  largeur  in- 
sensiblement pendant  plusieurs  années,  puis  un  jour  on  les  a 
faites,  au  contraire,  très-étroites.  Dlcues.ne  aîné. 

B0RD\]R¥1(  Jardinage  ).  On  donne  ce  nom  aux  plantes 
qui  entourent  les  plates-bandes  d'un  jardin  :  autrefois,  on 
les  faisait  presque  toujours  en  buis;  maintenant  on  en  fait 
en  gazon,  ou  bien  avec  du  thym,  de  la  marjolaine,  de  la 
sauge ,  de  la  lavan  le ,  etc.  La  saxifrage  ombreuse  fait  aussi 
une  bordure  agréable  et  très-élégante  lorsqu'elle  est  en  (leurs. 

Dans  les  forêts,  on  donne  le  nom  de  bordure  à  la  partie 
du  bois  que  dans  les  taillis  on  a  soin  de  ne  pas  abattre,  afin 
de  liùàser  un  peu  d'ombrage  sur  les  routes. 


BOREE 


4à5 


^  BORDURE  (Blason).  C'est  la  ceinture  qui  enîoure 
l'écu  ,  laquelle  est  toujours  d'une  couleur  différente  et  ne 
doit  jamais  èlie  de  plus  d'un  sixième  de  l'écu.  La  bordure 
était,  dans  les  familles  nobles,  la  marque  distinctive  aiioplée 
par  les  puînés;  elle  variait  ensuite,  non  de  couleur,  mais  de 
forme,  et  devenait  cndentée;  engrelée,  cantonnée,  etc. 
lorsque  les  branches  se  multipliaient. 

BORE,  corps  simple  et  non  métallique,  solide,  pulvé- 
rulent et  très-friable,  insipide  et  inodore,  d'un  brun  ver- 
dàtre,  insoluble  dans  l'eau  comme  dans  l'alcool,  et  qu'on  ne 
rencontre  dans  la'nalure  qu'à  l'état  de  combinaison,  comi:':e 
radical  de  l'acide  borique,  dans  lequel  il  se  transforme 
quand  on  le  ciiauffe  avec  de  l'oxygè'ne  ou  de  l'air  atmosplie- 
rique,  et  d'où  on  l'extrait  en  décomposant  cet  aci.ie  i)ar  le 
potassium,  qui  s'empare  de  l'oxygène  et  met  le  bore  à  nu. 
Sa  découverte,  qui  date  de  1S09 ,  est  due  à  },VS\.  Gay-Lussac 
etThénard,  qui  obtinrent  cette  substance  dans  leurs  recher- 
ches pour  connaître  l'action  de  la  pile  voltaïque  sur  diffé- 
rents corps. 

BOREAL  (de  Borée).  Cet  adjectif  s'emploie  pour  tout 
ce  qui  a  rapport  au  Nord  ou  Septentrion ,  surtout  quant  à  la 
situation  uranographique.  Ainsi  on  dit  l'hémisphère  boréal; 
les  constellations  boréales,  par  opposition  à  l'hémisphère 
austral,  aux  constellations  australes.  Nous  avons  donné 
un  article  particulier  aux  auropes  boréales. 

BOREASMES,  fêtes  célébrées,  en  un  temple  au  bord 
de  rilissus,  par  les  Athéniens  en  l'honneur  de  Borée,  qui 
avait  renversé  de  son  souffle  les  machines  d'Agis ,  roi  de 
Sparte,  lorsqu'il  assiégeait  Athènes.  On  nommail  boréastes 
ceux  qui  présidaient  à  ces  fêtes;  on  y  donnait  des  repas 
somptueux,  où  régnait  la  gaieté,  et  l'on'y  priait  Borée  de  pu- 
rifier l'air  par  son  souffle. 

Les  habitants  de  Thuriura  avaient  aussi  des  boréasmes 
en  mémoire  du  senice  que  le  dieu  leur  avait  rendu  en  dis- 
persant et  en  détruisant  par  une  tempête  une  partie  de  la 
flotte  de  Denys  le  Tyran;  ils  lui  avaient  même  accordé  le 
droit  de  bourgeoisie.  Les  Athéniens  le  fêtaient  encore  pour 
lenr  avoir  rendu  un  service  semblable  en  dispersant  la  flotte 
des  Perses,  au  pied  du  mont  Athos.  Cette  divinité  avait  enfin 
un  autel  à  .Mégalopolis  d'Arcadie ,  dont  les  habitants  lui 
étaient  redevables  d'un  pareil  bienfait. 

BOREE  (du  grec  popô;,  le  dévorateur),  nom  que  les 
Grecs  et  les  Romains,  leurs  imitateurs,  donnaient  au  vent 
du  Nord.  Les  Hébreux  l'appelaient  tsaphon,  le  caché,  le 
ténébreux.  Les  Grecs  firent  ce  vent  (ils  d'Astréus  et  de 
l'Aurore,  ce  qui  eût  mieux  convenu  au  vent  d'est.  Ils  lui 
donnèrent  pour  séjour  la  Thrace,  dont  le  ciel  à  la  vérité 
est  généi-aleinent  doux  et  pur,  mais  qui  est  situé  au  nord 
par  rapporta  la  Grèce.  Ce  dieu  aux  ailes  brnyanles,  au 
souffle  violent,  n'avait  pas  des  passions  moins  impétueuses; 
il  ne  soupirait  point  comme  les  autres  dieux  après  les  belles , 
il  les  enlevait  soudain  :  il  fondit  des  extrémités  de  son 
empire  sur  Orithyie,  fille  d'Érechthée,  roi  d'Athènes,  et 
la  transporta  à  travers  les  airs  sur  la  cime  du  Pangée;  il  en 
eut  cinq  enfants,  dont  l'un  fut  une  fille  et  s'appela  Chioné, 
la  Neige.  11  enleva  Chloris,  fille  d'Arcturus  (le  fleuve 
Phasis),  et  la  déposa  sur  le  triste  sommet  du  Caucase, 
qu'on  nomma  depuis  le  lit  de  Borée,  par  allusion  à  la  cou- 
che de  frimas  qu'il  lui  avait  préparée,  pompe  nuptiale 
digne  d'un  tel  dieu.  De  son  souffle  jaloux  il  jeta  et  mit  en 
pièces  sur  des  roches  l'infortunée  Pitys,  qui  fuyait  sa  vio- 
lence. Dans  ses  caprices  bizarres,  il  féconda  les  cavales 
d'Êrichlbonius,  dont  naquirent  douze  poulains,  qui  couraient 
sur  la  tête  des  épis  sans  les  courber,  et  sur  l'écume  des  flots 
sans  se  mouiller  les  pieds. 

La  Tour  des  Vents  à  Athènes  nous  a  conservé  l'iconogra- 
phie de  ce  dieu  :  il  y  est  représenté  sous  la  forme  d'ua 
jeune  homme,  des  ailes  au  dos  ,  des  sandales  aux  [lied:» 
et  la  tête  abritée  d'une  draporio  flottante.  On  ne  doit  pa-^ 
s'étonner  que  Borée,  le  vent  du  Nord,  ail  eu  chez  les  atî- 


4.'">n 


DOUEE  —  BORGHESE 


riens  lin  riiltc  exclusif,  puisque  les  premiers  hommes  n'ont 
ji.is  tardé  à  ressentir  et  h  reconnaître  ses  bienfaits  :  en 
effet,  n'est-ce  pas  lui  (pii  met  en  fuite  les  vents  du  midi, 
dont  les  vapeurs  amènent  les  maladies  et  les  contagions  ? 
n'est-ce  pas  lui  qui  rassérénera  le  ciel  et  purifie  la  terre  ? 

Denne-Baron. 
nORELLI  (Jean-Alphonse),  savant  malliématicien  et 
[irofesseiir  de  sciences  médicales  plutôt  i|uc  médecin  pra- 
ticien, était  né  à  >'aples,lc2S  jitnvicr  1U08.  11  professa 
longtemps  les  matliémati<iues  à  Florence  et  à  l'ise.  11  se 
rendit  ensuite  à  Messine,  au  moment  où  cette  ville  essayait 
de  secouer  la  domination  de  l'Espagne,  et  il  prit  à  l'insur- 
rection une  i)art  très-active.  Cette  tentative  ayant  éclioué, 
BoreUi  courut  de  grands  dangers.  Cependant  il  parvint  à 
prendre  la  fuite  et  à  se  retirer  à  Rome,  où  il  trouva  un 
asile  dans  la  maison  dee  clercs  réguliers  de  Saint-Panlaléon. 
11  y  vécut  avec  ces  religieux,  comme  s'il  eût  appartenu  à 
leur  institut,  enseignant  les  mathématiques  aux  plu^  jeunes, 
et  secouru  dans  sa  pauvreté  par  les  largesses  de  la  célèbre 
Christine  ,  reine  de  Suède,  qui  l'affectionuait.  C'est  là  qu'il 
mourut,  le  31  décembre  1G79. 

Ce  savant  a  mérité  que  son  nom  marquât  dans  l'histoire 
du  progrès  des  sciences,  comme  l'un  des  chefs  d'école 
dont  les  elTorts  constants  tendirent  à  l'application  des  ma- 
thématiques à  la  médecine.  C'est  à  lui  qu'on  doit  la  restitu- 
tion de  trois  des  quatre  derniers  livres  d'Apollonius  de 
Perge,  qu'il  parvintà  déchiffrer  avec  l'aide  d'Abraham 
Echellerisis,  d'après  une  paraphrase  de  (}uelques  ancien- 
nes traductions  de  l'arabe.  A  peu  près  à  la  même  épo(iue , 
il  se  livrait  à  des  recherches  sur  les  travaux  d'Euclide.  11 
s'occupa  aussi  d'astronomie,  et  il  tâcha  d'établir  la  théorie 
des  mouvements  des  satellites  de  Jupiter.  On  renjarque 
dans  les  principes  sur  lesquels  il  s'appuie,  un  pressenti- 
ment des  lois  de  l'attraction.  IMais  son  (cuvre  capitale , 
celle  qui  fait  le  plus  d'honneur  à  sa  science,  et  qui  a  été 
souvent  réimprimée ,  c'est  son  livre  intitulé  :  De  Molu 
Animalium,  opusposthumu7n  (purs  prima,  Rome,  1680; 
pars  secunda,  1681).  La  renonnnée  de  Bordli  n'est  guère 
fondée  que  sur  la  première  partie  de  cet  ouvrage,  parce 
qu'il  y  a  restreint  l'application  du  calcul  à  ceux  des  mou- 
vements de  l'économie  animale  qui  en  sont,  jusqu'à  un 
certain  point,  susceptibles,  c'est-à-dire  aux  moin cmeuts 
musculaires,  qui  se  jjrôtent  aux  règles  de  la  mécanique. 
Des  savauts  ont  signalé  cette  première  partie  de  l'œuvre 
Je  Borclli  comme  ce  (jui  a  été  fait  de  mieux  sur  la  matière. 
On  a  joint  à  l'édition  deLeyde,  en  1711,  des  méditations 
mulliématiqucs  de  Jean  iJernouUi  sur  le  mouvement  des 
umscles. 

Voici  comment,  dans  ses  Entretiens  métaphysiques, 
Malebranche  s'ex[irime  sur  l'u'uvre  capitale  de  Borelli  : 
«  J'ai  lu  depuis  peu  un  livre  du  Mouvement  des  Animaux, 
(jui  mérite  qu'on  l'examine.  L'auteur  considère  avec  soin 
le  jeu  de  la  machine  nécessaire  pour  changer  de  place;  il 
explique  exactement  la  force  des  muscles  et  les  raisons  de 
leur  situation,  tout  cela  par  les  i)rincipes  de  la  géométrie 
tt  des  mécaniques.  Mais  quoiqu'il  ne  s'arrête  guère  qu'à 
ce  qui  est  le  plus  facile  à  découvrir  dans  la  machine  de 
l'animal,  il  fait  connaître  tant  d'art  et  de  sagesse  dans  celui 
qui  l'a  formée  qu'il  remplit  l'esprit  du  lecteur  d'admiration 
et  de  surprise.  » 

Notre  collaborateur,  M.  Bordas-Demoulin ,  dans  son  bel 
ouvrage  sur  le  Cartésianisme,  a  signalé  sur  un  autre  point 
essentiel  le  génie  pénétrant  de  Borelli.  11  s'agit  de  la  phy- 
sique céleste  et  de  l'application  des  sciences  du  calcul  aux 
lois  du  mouvement  des  astres.  «  Borelli,  dit-il,  prend  l'idée 
(le  Descartes,  de  soumettre  au  calcul  le  système  du  monde, 
et  le  premier  il  la  porte  dans  l'attraction  {Theoricw  Pla- 
nctarum  ex  causis  physicis  deduclœ,  IGCG)...  Borelli 
montre  que  les  planètes  |)cuveiit  se  maintenir  et  circuler 
Auis  l'espace  i)ar  le  seul  elfct  d'une  force  qui  les  entraîne 


vers  le  soleil  et  d'une  forr «  qui  les  en  écarte.  Nous  voilà 
parvenus  à  la  vraie  et  fondamentale  notion  de  la  méca- 
nique céleste.  Remarquons  comme  la  niatière  subtile  de  Des- 
cartes sert  de  transition.  Avant  lui  on  croyait  les  planètes 
portées  par  des  génies  ou  immédiatement,  ou  à  l'aide  de 
cieux  solides.  Descartes  supprime  les  âmes  et  les  cieiix 
solides,  et  met  à  la  place  sa  matière  subtile.  Borelli  su;i- 
prime  la  matière  subtile,  et  ne  veut  que  des  mouvements 
ou  des  forces....  L'idée  de  force  s'ouvre  l'intelligence  et 
le  fluide  s'élimine  de  lui-même.  i>        Aubeht  de  Vmiv. 

«OUGEIIOA'S.  Voyez  Blouses. 

UOilGllCSE  (Famille).  Cette  famille  romaine  est 
originaire  de  Sienne,  où  depuis  le  milieu  du  quinzième 
siècle  elle  occupe  les  jilaces  les  plus  importantes.  Le  pa[)e 
Paul  V,  qui  appartenait  à  celte  maison,  et  qui  régna 
de  1C05  à  1620,  combla  ses  parents  d'honneurs  et  de  ri- 
chesses, En  1007  il  chaigea  son  frère,  Franccsco  Boii- 
(uiKSE,  du  commandement  des  troupes  qu'il  envoya  contre 
Venise.  Il  donna  à  Marc-Antoine,  fils  de  Jean-haptisic, 
un  autre  de  ses  frères,  la  principauté  de  Sulmone,  lui  as- 
sura un  revenu  annuel  de  200,000  écus,  et  lui  fit  obtenir 
le  titre  de  grand  d'Lspagtie.  Il  éleva  un  autre  de  ses  neveux, 
Scipion  Cafi  AitELLi,  à  la  dignité  de  cardinal,  et  lui  permit 
de  firendre  le  nom  de  lior/j/ièse.  C'est  co  dernier  surtout 
qu'il  enrichit,  en  lui  livrant  les  biens  confisqués  de  la  mal- 
beuro'.ise  l'auiille  de  Cciici.  Ce  même  pontife  a  fait  bâtir  la 
villa  Borghèse,  iion  loin  de  la  porte  (/e^  t'opolo,  à  Rome. 

C'est  de  Marc-Antoine  BoncufesE,  mort  eu  1G58,  que 
descend  la  famille  actuelle.  Son  lils,  J can- Baptiste ,  épousa 
Olimpia  ALnoBRvNuiM,  une  des  plus  riches  héritières  «le  " 
l'Italie,  qui  le  rendit  possesseur  de  la  i)rincipaiité  de  Bns- 
sano.  —  Marc-Antoine  II,  fils  du  précédent,  mort  en  172;», 
acquit  de  giandes  richesses ,  en  prenant  sa  fenune  dans  la 
famille  de  Spinola;  son  lils,  Camitle  -  Antoine-  Frauçois- 
Balthusar,  devint  son  héritier,  s'allia,  parmi  mariage,  avec 
la  maison  Colonna,  et  mourut  en  17G3.  Le  fils  aîné  do 
celui-ci,  Marc-Antoine  III,  né  en  1730,  devint,  en  17;»s, 
sénateur  de  la  république  romaine,  et  mourut  en  1800.  Par 
lui  se  termina,  en  l7Gi),  un  procès  séculaire  existant  entre 
sa  famille  et  les  Pamfili,  au  sujet  de  la  succession  Aldubrau- 
dini. 

[BORGHfcSE(CA)i!LLE-PuiLii'PE-Louis),  né  à  Rome,  le  19 
juillet  1775,  fils  du  prince  Marc-Antoine  111,  adopta  dans  sa 
jeunesse,  avec  toute  la  fougue  italienne,  les  principes  qui 
présidèrent  à  la  première  révolution  française.  A  l'arrivée 
de  Napoléon  Bonaparte  en  Italie,  il  prit  place  sous  les  dra- 
peaux du  jeune  général,  que  cet  enthousiasme  frappa,  et 
qui  traita  dès  ce  moment  avec  la  plus  grande  distinction 
ce  rejeton  d'une  des  plus  illustres  tiges  romaines.  En  1803  . 
Napoléon  appela  Camille  auprès  de  lui ,  et  le  6  novembre  ■ 
de  la  même  année  il  lui  donna  en  mariage  sa  sœur  Pau-  « 
line,  veuve  du  général  Lcclerc.  En  1805  le  beau-frère  du 
nouvel  emiiereur  reçut  le  litre  de  prince  et  le  grand  cor- 
don de  la  Légion  d'Honneur.  11  fut  rapidement  et  successi 
veinent  promu  aux  grades  de  chef  d'escadron  dans  la  garde 
impériale,  puis  de  colonel.  Nommé  duc  de  Guastalla,  il 
se  distingua  par  son  courage  dans  la  campagne  contre  les 
Prussiens  et  les  lîusses,  et  c'est  sur  lui  qu'à  la  même  épo- 
que Napoléon  jeta  les  yeux  pour  une  mission  aussi  délicate 
que  difficile  :  il  s'agissait  de  provoquer  les  Polonais  à  l'in- 
surrection contre  l'empereur  de  Russie  :  le  succès  couronna 
les  négociations  de  Camille ,  qui  promit  l'indépendauce  à 
la  Pologne  de  la  part  de  Napoléon.  On  sait  comment  ce 
dernier  tint  parole  en  1810,  et  comment  ce  peuple  mal- 
heureux fut  sacrifié  à  l'ambition  autrichienne  ,  lors  du  ma- 
riage de  l'empereur  avec  Marie- Louise.  Vers  la  fin  de  cetl« 
année  (1810),  élevé  à  la  haute  dignité  de  gouverneur  gé- 
néral des  dépaiteuients  au  delà  des  Alpes,  il  alla  à  Turin, 
où  il  ne  larda  pas  à  conquérir  raffcction  des  poimlaliou» 
I  confiées  à  ses  soins.  Les  événements  de  1814  lui  cuicvèreut 


J 


«>n  jînnvcriienu'nl.  Aux  (enncs  (l'une  capilulalion  conclue 
a\«'i'  le  général  coniinandaiit  les  forces  aiitikhiennes,  comte 
liiibna  ,  il  dut  lui  remettre  toutes  les  places  du  Piémont; 
-liais  en  quittant  ces  contrées  il  y  laissa  des  souvenirs  qui 
riionorent. 

Après  Tabdication  de  Napoléon  ,  il  cessa  toute  relation 
avec  la  famille  Bonaparte ,  et  se  sépara  de  sa  femme ,  dont  il 
avait  à  se  plaindre.  Lorsqu'on  1815  le  roi  de  Sardaigne  re- 
vendiqua les  biens  nationaux  piémontais ,  avec  lesquels  le 
gouvernement  français  avait  payé  les  buit  millions  qui 
avaient  servi  à  l'acquisition  des  objets  d'art  de  la  villa  Bor- 
gbèse,  on  rendit  au  duc  la  plus  grande  partie  de  ce  «raretés 
précieuses,  qu'on  reprit  à  la  France.  Puis,  le  prince  vendit 
sa  terre  de  Lucedio ,  en  Savoie ,  et  alla  résider  à  Florence. 
Pendant  son  séjour  à  Rome,  en  1826,  le  pape  Léon  XII  le 
traita  avec  beaucoup  de  distinction.  Il  mourut  à  Florence 
en  1832  ,  instituant  pour  son  héritier  son  frère,  dont  Usera 
parlé  plus  loin. 

BORGUÈSE  (MAniE-PAULiNE  BONAPARTE,  princesse), 
femme  du  précédent  et  sœur  de  Napoléon ,  naquit  à  Ajaccio, 
en  1781.  A  l'âge  de  treize  ans,  en  1793,  elle  suivit  sa  famille 
h  Marseille.  Peu  de  temps  après  son  arrivée  en  France,  le 
conventionnel  Fréron  la  demanda  en  mariage,  et,  sans 
l'intervention  et  les  réclamations  formelles  d'une  première 
éjiouse,  ce  mariage  aurait  eu  lieu.  Pauline  dut  ensuite  épou- 
ser le  général  Du  pliot,  qui  mourut,  comme  on  sait,  à  Rome, 
fu  1797,  victime  d'une  émeute.  Quelque  temps  après,  elle 
eut  occasion  de  voir  à  Milan  le  général  Le  clerc,  qui,  frappé 
de  sa  rare  beauté,  devint  éperdùment  amoureux  d'elle.  Jl 
parvint,  dil-on,  à  lui  faire  partager  ses  tendres  .sentiments, 
demanda  sa  main  ,  et  l'obtint.  En  1801  ,  Leclerc,  alors  am- 
bassadeur en  Portugal,  fut  chargé  par  Napoléon  de  Tex- 
pédilion  de  Saint-Domingue,  et  Pauline  dut  s'embarquer  à 
Brest  sur  le  vaisseau  COcéan,  pour  suivre  son  époux.  A  bord, 
on  rendait  d'éclatants  hommages  à  la  belle  voyageuse  et  à 
son  charmant  enfant.  C'était,  suivant  le  langage  du  temps , 
Galathoe  ou  Vénus  Anadyomènc.  Ln  septembre  1S02  une 
insurrection  terrible  éclata  au  Cap,  résidence  de  Leclerc. 
Christophe,  Dessalines,  Clairvaux,  chef  des  insurgés,  atla- 
quèient  la  ville  à  la  tôte  de  dix  mille  hommes.  Leclerc,  ne 
craignant  rien  pour  lui-même,  mais  tremblant  pour  les  jours 
de  sou  é|)ouse  qui  habitait  en  ce  moment  un  des  quartiers  les 
plus  menaces  de  la  ville,  chargea  un  de  ses  ofliciers  de  la  con- 
duire à  bord  sur  un  vaisseau ,  pour  la  mettre  à  l'abri  de  la 
fureur  des  noirs,  s'ils  venaient  à  triompher.  C'est  alors  que 
cette  jeune  femme  prouva  qu'elle  avait  véritablement  dans  les 
veines  du  sang  de  Napoléon  :  elle  refusa  de  quitter  la  ville, 
déclarant  qu'elle  devait  partager  les  dangers  et  même  la  mort 
de  son  époux.  Comme  quelques  dames  du  Cap  se  désolaient 
autour  d'elle ,  effrayées  des  progrès  de  l'insurrection  :  «  Vous 
pouvez  pleurer,  vous,  leur  dit-elle ,  vous  n'êtes  pas,  comme 
moi,  sœurs  de  Bonaparte!  •>  Et  tant  que  le  danger  dura 
elle  ne  versa  i)as  une  larme ,  ne  laissa  pas  échapper  un  seul 
mot  qui  trahit  de  la  crainte.  Pour  la  conduire  sur  un  vais- 
seau, eu  exécution  des  ordres  du  général,  il  fallut  employer 
la  force ,  et  la  jeter  dans  un  fauteuil  qu'enlevèrent  quatre 
hommes,  qui  la  portèrent  ainsi  abord.  Cependant  Leclerc,  à 
ia  tète  de  quelques  centaines  de  soldats,  mit  en  déroute  les 
dix  mille  insurgés ,  et  l'ordre  régna  dans  la  ville.  Mais  la 
mort  de  ce  brave  général  suivit  de  près  cette  victoire ,  et 
Pauline,  profondément  aOligéc  de  sa  perte,  dut  retourner 
en  France,  où  elle  perdit,  bientôt  après  son  arrivée,  son  lils, 
unique  entant  qu'elle  ait  jamais  eu. 

Bientôt  la  politique  de  Napoléon  lui  imposa  un  nouveau 
mariage  :  elle  épousa  en  secondes  noces  le  prince  Camille 
BoufinibsE.  A  cette  époque,  la  roideur  de  son  caractère  lui 
valut  souvent  des  reproches  de  son  frère ,  qui ,  jaloux  de 
ffliie  plier  tout  le  monde  devant  ses  volontés ,  trouvait  ridi- 
cules et  malséantes  les  velléités  d"indépen<lance  que  Pau- 
line se  permettait  peut-être  trop  souvent.  Un  jour,  ayant 
UK/i.  i)t  LA  cu^vI:I'.s.  —  t.  rii. 


BORGHÈSE  4â7 

manqué  de  respect  à  Marie-Louise ,  elle  reçut  l'ordre  de 
ne  plus  paraître  à  la  cour.  Cette  disgrâce  ne  l'attrista  pas,  et 
n'altéra  nullement  l'affection  profonde  qu'elle  avait  vouée 
à  son  frère.  En  1814  elle  alla  à  l'île  d'Elbe  partager  l'exil 
de  Napoléon.  Après  le  débarquement  de  Cannes  elle  se 
rendit  à  Naples,  auprès  de  sa  sœur  Caroline,  puis  à  Borne, 
quelque  temps  avant  la  bataille  de  Waterloo.  Après  le 
grand  désastre  de  cette  journée ,  elle  s'empressa  d'envoyer 
à  son  frère  toutes  ses  parures  de  diamants ,  regrettant  de  ne 
pouvoir  faire  autre  chose  pour  un  si  grand  malheur  :  la 
voiture  qui  renfermait  ces  diamants  fut  prise  par  les  An- 
glais, transportée  et  exposée  publiquement  à  Londres.  On 
ignore  ce  qu'ils  sont  devenus.  En  1815  Pauline,  séparée 
de  son  mari ,  vécut  d'abord  à  Rome ,  où  elle  occupa  une 
partie  du  palais  Borghèse,  que  lui  avait  abandonnî^c  le 
prince.  Après  1816  elle  Ivabita  la  Villa  Sciarra.  Sa  maison, 
où  régnait  le  goût  des  arts ,  éta't  le  rendez-vons  du  cercle 
le  plus  brillant  de  Rome.  Elle  avait  autour  d'elle  ses  deux 
frères  Louis  et  Lucien,  sou  oncle  le  cardinal  Fesch,  et 
L:rlitïa  Bonaparte ,  sa  mère.  Quand  elle  eut  reçu  la  nou- 
velle de  la  maladie  de  Napoléon,  elle  sollicita  plusieuis 
fois  l'autorisation  d'aller  le  joindre  à  Sainte-Hélène.  Elle  ve- 
nait de  l'obtenir,  lorsqu'on  api)nt  la  mort  de  l'empereur. 
Pauline  mourut  à  Florence,  le  9  juin  1825.  Outre  plusieurs 
legs  et  une  fondation  dont  les  revenus  sont  affectés  à  dé- 
frayer deux  jeunes  gens  d'Ajaccio  qui  voudront  étudier  la 
médecine  et  la  chirurgie,  elle  institua  ses  frères  Louis  et  Jé- 
rôme héritiers  de  sa  fortune,  s'élevant  encore  à  deux  millions. 
Son  buste  en  marbre,  exécuté  par  Canova,  est  un  des 
chefs-d'œuvre  de  cet  artiste.  A.  Guy  d'AcDi:.] 

BOHGHÈSE  (François  ALDOBR.ANDINI),  né  à  Rome,  le 
9  juin  1776,  partagea  dans  sa  jeunesse  les  sympathies  de 
son  frère  Camille  pour  les  principes  de  la  révolution  fran- 
çaise. Entré  au  service  comme  lui ,  il  eut  aussi  sa  part  des 
faveurs  que  Napoléon  prodigua  aux  familles  de  tous  les  siens. 
Après  la  bataille  d'Austerlitz ,  il  devint  chef  d'escadron 
dans  la  garde  impériale,  assista  aux  cajupagnes  de  1806,  1807 
et  1809  contre  les  Prussiens,  les  Russes  et  les  Autrichiens, 
et  fut  enfin  mis  à  la  tête  d'un  régiment  de  carabiniers.  Na- 
poléon lui  fit  épouser,  le  II  avril  1809,  la  fille  de  la  com- 
tesse Alexanilre  de  La  Rochefoucault ,  dame  d'honneur  de 
l'impératrice  Joséphine,  et  le  nomma  général  de  brigade 
en  isil.  Il  devint  premier  écuyerde  l'empereur  en  1813, 
grand'croix  de  l'ordre  de  la  Réunion,  et  eu  1814  grand'croix 
de  l'ordre  de  Saint-Louis  :  il  est  mort  le  29  mai  1839. 

11  a  laissé  trois  fils  de  son  mariage  :  1»  Marc-Antoine , 
prince  Borghèse,  né  à  Paris,  le  23  février  1814  ;  2"  Camille, 
piince  Al.îobrandiui ,  ancien  ministre  de  la  guerre  au  ser- 
vice des  États  de  l'Église,  né  le  16  novem'ore  1816  ;  3"  Sci- 
pion,  duc  de  Salviati,  né  à  Paris,  le  23  juin  1823. 

BORGHÈSE  (Villa).  Cette  maison  de  plaisance  est  située 
à  Rome,  à  peu  de  distance  de  la  Porta  del  Popolo.  L'empla- 
cement en  fut  acquis  au  commencement  du  dix-septième  siè- 
cle par  le  cardinal  ScipioneCaffarelliBorghèsc,quiy  lit  de 
grandes  augmentations  vers  1605.  Le  palais  principal  fut  bâti 
aux  fraisde  Paul  V,  sur  les  plansde  J.  Vasanzio  ;  ses  ravissants 
jardins  furent  dessinés  par  Dominique  Savino  de  Monte  Pul- 
ciano.  Ornée  de  fresques  magnifiques ,  cette  villa  était  jadis 
célèbre  par  les  trésors  artistiques  qu'y  avaient  réunis  ses  pos- 
sesseurs. Par  un  marché  qui  ne  reçut  qu'une  moitié  d'exécu- 
tion ,  Camille  Borghèse  céda  cette  riche  collection  à  l'empe- 
reur, moyennant  ime  somme  de  huit  millions ,  dont  partie 
payable  en  domaines  nationaux  situés  en  Piémont  et  revendi- 
qués a'iirès  la  chute  de  Napoléon  par  le  roi  de  Sardaigne. 
Louis  XVlll  accéda  alors  à  une  transaction  en  vertu  de  la- 
quelle H  ne  nous  resta  que  cent  quatre-vingt-quinze  morceaux 
de  sculpture,  qui  d'ailleurs  sont  tous  de  premier  ordre.  On 
citeentie  autres  le  Gladialeur  A\i  de  Borghèse,  chef-d'œu- 
vre du  sculpteur  grec  Agasias  d'Éphèse,  découvert  à  Antiuin 
avec  l'Apollon  du  Belvcsière,  et  qui  pour  l'expression  du  mou- 

63 


4i>H 

vpmfMt  figure  au  premier  niiig  parmi  les  productions  de  la 
statuaire  antique  V Heniui phroditc ,\^,  M(irsyas,e\c.,  qu'il 
Ruftit  de  nommer  pour  eu  l'aire  Tëloge,  proviennent  égale- 
ment (le  la  villa  JSorglièse. 

Le  jinlais  Borghèse  ,  ajiparlenant  à  la  môme  famille  et  ap- 
pelé //  Cembaèo,  à  cause  <le  sa  forme,  est  l'un  des  plus  beaux 
qu'il  y  ait  à  Rome.  Le  magnilique  portique  de  sa  cour  in- 
térieure est  soutenu  par  quatre-vingt-seize  colonnes  de 
granit.  La  collection  de  tableaux  remplit  onze  salles  du  rez- 
de-chaussée,  et  se  compose  pour  la  plus  grande  partie  d'ou- 
vrages des  maîtres  les  plus  célèbres,  tels  que  Raphaël,  le 
Titien  ,  le  Uominitiuin,  Rubens,  Jules  Romain,  etc. 

BORGIA  (Famille  des).  Originaire  de  Borja,  ville 
d'Espagne,  en  Aragon,  cette  famille,  dont  le  chef,  Alfonse 
RoRGiA  ,  élu  cardinal  en  1444,  et  pape  en  1455  (  sous  le  nom 
de  C  a  I  i  X  te  111),  avait  permis  à  son  beau-frère ,  Godefroi 
liCnziolo  ou  Lenzuoli,  de  prendre  son  nom,  que  celui-ci 
transmit  à  son  fils  Alexandre  VI,  est  célèbre  en  Italie  par 
les  scandales  de  tout  genre  dont  elle  donna  l'exemple,  et  qui 
)i'ont  pas  peu  contribué  à  inspirer  aux  populations  de  cette 
contrée  des  sentiments  de  mépris  et  de  haine  pour  le  clergé, 
dont  trop  souvent  la  religion  elle-même  a  eu  à  souffrir. 

César  Bokgia,  duc  de  Valentinois ,  et  second  fils  d'A- 
lexandre VI,  ainsi  que  sa  ?,(f. m  Lucrèce,  méritent  des  articles 
particuliers ,  qu'on  trouvera  ci-après. 

Un  des  cousins  de  César ,  Jean  Rokcia  ,  fut  fait  cardinal 
en  même  temps  que  lui,  le  20  septembre  1493,  dans  une 
promotion  qui  eut  lieu  une  année  après  l'exaltation  d'Alexan- 
dre au  t:ône  pontifical. 

François  Rougia,  prince  de  Squillace,  dans  le  royaume 
de  Naples,  lils  de  Jean  Rorgia  et  de  Françoise  d'Aragon, 
arrière-petit-lils  d'un  pape  (  Alexandre  VI  ),  et  petit-fils  d'un 
général  des  jésuites  (  François  Borgia  ),  nommé  vice-roi  du 
Pérou  en  1614,  y  contribua  par  ses  talents  à  la  civilisation 
du  Nouveau-Monde,  et  y  donna  son  nom,  en  1C18,  à  la 
ville  (le  Borja  sur  le  Maranon ,  dans  la  province  de 
Maynas,  qu'il  réunit  à  la  couronne  d'Espagne.  Après  la 
mort  de  Philippe  II,  en  1G21,  il  revint  en  Espagne,  où  il 
s'adonna  à  la  culture  des  lettres,  et  mourut  dans  un  âge 
avancé,  le  2G  septembre  1658.  Il  a  laissé,  r  des  œuvres 
poéti(iues  :  Obras  en  verso  (  Madrid  ,  1639  );  2°  un  poëme 
épi(|iie,  ou  plutôt  historique,  sous  le  titre  de  :  Nopoles  re- 
cuperactn  por  el  reij  don  Alonso;  3"  la  traduction  de 
quelques  opuscules  de  Thomas  à  Kempis ,  publiés  sous  ce 
litre  :  Oraciones  y  medilacioncs  de  la  vida  de  Jesu  Chris- 
/o,  etc.  Aucun  de  ces  ouvrages  ne  le  place  parmi  les  bons 
écrivains;  mais,  à  une  époque  où  les  Espagnols  étaient  sé- 
duits par  la  boursoullure  et  l'affectation  de  quelques  auteurs, 
il  a  eu  le  mérite  de  rester  attaché  aux  anciens  modèles. 

Son  père,  Jean  Boiu;ia,  comte  de  Ficalho,  né  en  1533, 
avait  été  successivement  ambassadeur  en  Portugal  et  à  la 
cour  de  l'empereur  Maximilicn.  Il  est  auteur  d'un  livre 
d'emblèmes,  publié  sous  le  titre  lYEmpreses  morales,  dédié 
à  Philippe  II  et  imprimé  eu  1581. 

Alexandre  Bor.c.iA ,  de  la  même  famille ,  mort  archevêque 
de  Fermo,  le  14  (ovrier  1764,  était  né  à  Velletri,  en  1682. 
On  lui  doit  plusieurs  ouvrages,  entre  autres  une  Vie  du 
pape  Benoit  XII l ,  eu  latin,  jinblii-e  à  Rome  en  1741. 

Son  neveu,  le  cardinal /lYic^ne  Rokcia,  prélat  du  p'us  grand 
mérite,  est  aussi  l'objet  d'un  article  à  part  dans  notre  livre. 

BORGIA  (  CÉSAK  ),  second  (ilsdu  pape  Alexandre  VI 
et  de  l'impudique  Vanozza  (  Julie  Farnèse  ).  L'époque  et  le 
lieu  de  sa  naissance  ne  peuvent  être  précisés  :  les  uns  le 
font  naître  à  Valence  eu  Espagne,  les  autres  à  Venise.  Il 
est  probable  pourtant  (jue  ce  fut  dans  cette  dernière  ville,  où 
sa  mère  .^e  retira  quand  Alexandre  VI,  qui  n'était  encore 
que  )^)deric  Rorgia,  vint  a  Rome.  C'est  donc  à  peu  près 
en  1457  que  Vanozza  le  mit  au  jour.  Une  éducation  bril- 
lante développa  ses  dispoNÎt ous  naturelles.  Il  avait  une 
iuiaiiUiai,iou  Vive,  un  esprit  ^iLuelraut  et  délié;  il  y  ajouta 


BORGIIÉSE  —  BORGIA 


par  l'étude  une  éloquence  persuasive  et  animée,  fpii  lui 
donna  par  la  suite  des  moyens  de  séduction  irrésistibles. 
Mais  son  penchant  pour  le  crime  se  fortifia  avec  l'iige  ;  il 
l'érigea  pour  ainsi  dire  en  système,  le  calcula  froidement, 
et  le  commit  sans  scrupule  et  sans  remords 

Vanozza  et  ses  enfants  n'osèrent  paraître  à  Rome  que 
sous  le  pontificat  d'Innocent  VIH.  Ils  y  vécurent  dans  une 
obscurité  profonde  jusqu'à  l'exaltation  d'Alexandre  VI. 
César  Borgia  fut  mis  alors  au  nombre  des  princes  de 
l'Église,  promu  à  l'archevêché  de  Valence,  à  la  place  de 
son  i)ère,  en  septembre  1493,  et  connu  dès  ce  moment 
sous  le  nom  de  cardinal  Valentin.  Sa  vocation  pour 
l'Église  était  pourtant  si  peu  décidée,  que  son  père  négociait 
pour  lui  un  mariage  avec  la  fille  naturelle  d'Alfonse,  duc  de 
Caiabre,  héritier  ])résom|>tit  du  royaume  de  Naples.  Son 
ambition,  repoussée  de  ce  côté,  se  tourna  vers  les  prin- 
cipaux barons  romains,  et  ne  cessa  de  les  persécuter  pour 
s'emparer  de  leurs  dépouilles.  Aucun  attentat  ne  lui  coûtait 
pour  arriver  à  son  but,  et  la  soif  des  richesses  dont  il  était 
dévoré,  l'ascendant  qu'il  avait  pris  sur  son  père,  entraî- 
nèrent Alexandre  VI  dans  une  série  de  violences,  d'exac- 
tions, d'assassinats  et  d'empoisonnements,  qu'il  serait  dif- 
ficile d'énumérer.  Les  trésors  de  l'I^glise  ne  pouvaient  suffire 
à  la  fastueuse  prodigalité  de  César,  et  son  itnpudicité  lui 
suscitait  sans  cesse  de  nouveaux  besoins ,  que  son  père 
avait  la  faiblesse  de  satisfaire.  De  tels  hommes  ne  pouvaient 
manquer  d'accepter  les  trois  cent  mille  ducats  que  le  sultan 
Rajazet  leur  otfrait  pour  la  tétedu  prince  Zizim,  son  frère; 
et  (piand  Charles  VIII,  maître  de  Rome,  exigea  que  ce 
prince  nuisulman  lui  frtt  livré  ,  ce  fut,  dit-on,  César  Rorgia 
qui  conseilla  au  pape  de  l'em[)oisonner  avant  de  le'rendre. 
Il  poussa  même  l'audace  jusqu'à  se  livrer  lui-même  en 
otage  au  roi  de  France;  mais  (|uand  le  poison  lent  donné  à 
Zizim  vint  à  produire  son  efl'et,  le  cardinal  Valentin  eut 
l'adresse  de  s'échapper  du  camp  de  Charles,  qui  marchait 
alors  sur  Naples,  et  il  revint  à  Rome  pour  concerter  avec  sun 
père  les  moyens  de  couper  la  retraite  au  jeune  contiuérant. 

La  haute  politique  qui  occupait  son  esprit  ne  lui  faisait 
point  négliger  les  petits  profits  de  son  astucieuse  scélé- 
ratesse. Le  pape  Alexandre  avait  choisi  pour  dataire  un 
Modénais,  évêque  (ie  Patria,  nommé  Jean-Raptiste  Fcrrata. 
Ce  ministre,  faisant  argent  de  tout,  avait  amassé  de  grands 
biens.  César  Borgia  le  fit  empoisonner,  et  s'empara  des  im- 
menses produits  de  ses  simonies.  Il  poussa  la  barbarie 
jusqu'à  chercher  des  victimes  dans  sa  propre  famille.  Le 
duc  de  Gandie,  son  frère  aîné,  avait  part  comme  lui  aux 
bienfaits  de  son  pire  ;  (  ésar  Rorgia  ne  put  souffrir  ce 
partage,  et  devint  jaloux  de  la  fortune  de  son  frère,  que, 
par  l'entremise  de  son  père,  le  roi  de  Naples  avait  inxesti 
des  duchés  de  IJénévent  et  de  Pontecorvo.  César  Borgia 
vit  avec  colère  ce  riche  établissement  procuré  à  son  frère; 
et  un  motif  plus  infâme  vint  mettre  le  comble  à  sa  jalousie. 
Lucrèce,  leur  so'ur,  était  en  même  temps  leur  maîtresse. 
Le  cardinal  Valenlin  le  <lécouvnt,  et  fit  assassiner  le  duc  de 
Gaudie,dont  hî  cadavre  lut  retrouvé  dans  le  Tibre,  percé 
de  neuf  coups  de  poignard.  Le  pape  parut  inconsolable  de 
cette  perte,  et  médita  des  veng(;ances  terribles  contre  l'as- 
sassin ,  qui  lui  était  inconnu.  Mais  il  apprit  bientôt  que  c'éta'l 
son  propre  (ils;  et  comme  il  ne  pouvait  se  résoudre  a  so 
priver  de  lui,  il  le  rappela  de  Naples,  où  le  monstre  s'était 
réfugié,  lui  pardonna  ce  fratricide  et  lui  rendit  toute  sa 
faveur.  La  nécessité  de  retenir  dans  sa  maison  les  fiels  (pie 
le  roi  de  Naples  avait  accordés  au  duc  de  Gandie  engagea 
le  papeà  substituer  le  cardinal  Valentin  à  son  frère,  en  le 
relevant  des  vo'ux  ([u'il  avait  prononcés  comme  diacre  et  en 
lui  faisant  épouser  la  princesse  Cliaiiotte,  fille  du  nouveau 
roi  Frédéric.  Une  dilliculté  se  présentait  :  une  flispense  de 
la  même  natme  avait  été  accordée  par  Alexandre  VI  à  une 
religieuse,  héritière  unique  <!e  la  couronne  de  Portugal.  La 
maison  d'Aragon ,  qui  voulait  réunir  te  royaume  aux  autre,^ 


^'.ORGIA 

diadèmes  de  l'Espagne,  se  plaigiiitit  de  cette  dispense,  et 
César  Borgia  ne  tarda  pas  k  reconnaître  que  ce  difféiend 
nuisait  à  ses  projets  de  maiiage.  Il  rejeta  cet  acte  du  sou- 
verain pontife  sur  l'archevêque  Floride ,  secrétaire  des  bref«, 
l'accusa  de  l'avoir  flilsifii^,  le  fit  secrètement  engager  à 
s'avouer  coupable,  en  lui  ])roniettant  sa  liberté  et  son  avan- 
cement; et  quand  le  mallieureux  archevêque  eut  consenti 
à  prendre  sur  lui  cette  faute  du  pape  Alexandre,  César 
Dorgia  le  fit  mourir  dans  un  cachot,  et  s'empara  de  tous  ses 
biens.  Le  mariage  qu'il  attendait  pour  prix  de  ce  nouveau 
crime  fut  refusé  par  le  roi  de  Naples,  et  le  cardinal  Valentin 
garda  pour  cette  fois  sa  barrette. 

L'avènement  de  Louis  XII  à  la  couronne  de  France  lui 
fournit  l'occasion  de  réparer  cet  échec,  et  il  s'empressa  de 
la  saisir.  Ce  roi  poursuivait  en  cour  de  Rome  la  cassation 
rie  son  mariage  avec  Jeanne  la  Boiteuse,  fille  de  Louis  XI. 
Le  pape  y  consentit ,  et  chargea  son  fils  César  d'aller  porter  à 
Taris  ie  bref  qui  rendait  la  liberté  à  Louis  XI  l.  Ce  prince 
de  l'Église  étala  dans  ce  voyage  et  pendant  son  séjour  dans 
la  capitale  de  France  le  faste  le  plus  impertinent.  11  ne  ferrait 
ses  chevaux  qu'avec  des  fers  d'or  et  les  faisait  attacher  par 
un  seul  clou  pour  les  perdre.  Louis  XII  ne  (ut  pas  ingrat. 
Grâce  à  lui ,  César  Borgia  put  enfin  quitter  la  barrette  pour 
l'i  pée;  il  renonça  au  titre  de  cardinal  Valentin  pour  celui 
de  duc  de  Valentinois ,  reçut  avec  ce  duché  un  revenu  de 
vingt  mille  francs,  ime  compagnie  de  cent  lances  avec  une 
rente  pareille,  et  le  10  mai  1499  il  épousa  enfin  une  antre 
princesse  Charlotte  ,  sœur  de  .lean  d'Albret,  roi  de  Navarre. 
Uentré  en  Italie,  à  la  suite  de  Louis  XII,  qui  revendiquait 
les  droits  de  sa  grand'-mère  Valentine  de  Milan ,  le  nouveau 
duc  de  Valentinois,  enhardi  par  la  protection  du  grand 
monarque,  reprit  le  cours  de  ses  homicides  et  de  ses  usur- 
pations sur  les  grandes  familles  romaines.  Le  roi  de  France 
lui  donna  même  deux  mille  chevaux  et  six  mille  fantassins 
pour  assurer  son  triomphe  et  sa  fortune,  et  il  commença 
parla  prise  d'Imola,  de  Forli  et  de  Césène,  patrimoine  de 
la  famille  Riario,  alliée  du  pape  Sixte  IV.  Il  n'épargna  pas 
même  son  beau-frère ,  et  lui  prit  la  seigneurie  de  Pcsaro. 
Mais,  s'étant  emparé  à  la  même  époque  des  biens  de  la 
famille  Cajétan,  il  les  livra  à  sa  sœur  Lucrèce,  pour  la  con- 
soler de  cette  perte,  en  exigeant  toutefois  qu'elle  payât 
80,000  ducats  à  la  chambre  apostolique  :  c'était  les  donner 
à  César  Borgia  lui-même  ;  car  il  puisait  à  pleines  mains  dans 
le  trésor  de  l'Église,  où  la  simonie  et  l'astuce  papale  en- 
gouffraient toutes  les  richesses  de  la  chrétienté.  Le  duc  de 
Valentinois  s'empara  bientôt  de  Rimini  surMalatesta,  de  la 
principauté  de  Piombino  sur  le  seigneur  d'Appiano,  et  se 
(it  rendre  hommage  par  le  peuple  de  l'île  d'Elbe.  Arrêté 
devant  Faenza  par  Manfredi,  il  la  réduisit  par  famine,  et, 
malgré  la  capitulation  de  ce  seigneur,  il  le  fit  mourir  avec 
son  frère.  Trop  faible  encore  pour  lutter  contre  le  duc 
d'Urbin,  il  eut  recours  à  la  plus  noire  perfidie  pour  le  faire 
tomber  dans  un  piège  :  sous  prétexte  de  conquérir  la  sei- 
gneurie de  Camerino  sur  Jules  de  Verano,  il  persuada  au 
duc  d'Urbin,  feudataire  du  saint-siège,  de  lui  prêter  ses 
canons  et  ses  soldats ,  en  lui  promettant  le  partage  de  sa 
nouvelle  conquête,  se  ser\it  de  ce  renfort  pour  déposséder 
le  duc  lui-même  de  ses  États,  prit  ensuite  Camerino  pour 
lui  seul,  et  fit  étrangler  Jules  de  Verano  avec  ses  deux  fils, 
pour  être  plus  sûr  d'en  conserver  l'héritage. 

Tant  de  larcins  ne  suffisaient  pas  à  son  ambition  désor- 
donnée; il  lui  fallait  la  Romagne,  la  Toscane,  l'Ombrie,  la 
Marche  d'Ancône,  et  son  père  lui  promettait  le  titre  de  roi 
dès  que  ces  États  seraient  passés  dans  ses  mains.  Il  fomenta 
des  troubles  dans  Florence  pour  en  chasser  les  Médicis,  et  fit 
sommer  Bentivoglio  de  lui  livrer  la  ville  de  Bologne.  Mais 
Louis  XII,  qui  commençait  à  rougir  de  son  protégé,  lui 
défendit  de  passer  outre ,  et  prit  Florence  et  la  Romagne 
sous  sa  protection.  Cette  déclaration  du  roi  de  France  en- 
hardit les  ennemis  de  la  maison  pontificale  ;  ils  coururent 


4i.9 
aux  armes.  Le  duc  d'Urbin  rentra  dans  son  duché;  .f(>an  de 
Verano,  frère  de  Jules,  reprit  Camerino,  et  César  Borda 
eut  à  se  défendre  contre  une  foule  de  révoltes.  Il  enrôla  alors 
trois  mille  Suisses  sous  ses  drapeaux,  contraignit  ces  deux 
seigneurs  à  lui  céder  une  seconde  fois  sa  conquête,  inti- 
mida ou  séduisit  le  reste  des  insurgés,  enleva  Sinigaglia  à 
François-Marie  de  la  Rovère,  frère  du  cardinal  Julien,  et 
le  .31  décembre  1402,  ayant  réussi  à  s'emparer  de  quelques 
barons ,  il  les  fit  mettre  à  mort.  Le  pape ,  entré  dans  ce 
complot ,  faisait  saisir  et  tuer  en  même  temps  dans  Rome 
plusieurs  chefs  de  la  famille  Orsini.  Le  seul  cardinal  desUr- 
sins  fut  épargné ,  mais  renfermé  dans  le  château  Saint- 
Ange  ;  il  n'en  sortit  qu'après  avoir  signé  la  capitulation  de 
toutes  les  places  qui  formaient  le  patrimoine  de  sa  maison. 
César  Borgia ,  rentré  dans  la  capitale  ,  n'y  garda  plus  de  me- 
sures. Environné  de  gardes  et  de  concubines,  disent  les  histo- 
riens du  temps,  il  soumettait  tout  à  ses  caprices.  On  tuait, 
on  massacrait,  on  empoisonnait,  on  jetait  dans  le  Tibre 
tous  ceux  qui  lui  déplaisaient;  on  confisquait  les  biens  et 
les  meubles  de  ceux  qu'il  condamnait;  le  cardinal  François 
Borgia,  son  cousin,  devint  une  de  ses  victimes;  Pandolfe 
Petrucci  de  Sienne,  Paul  Baglioni  de  Pérouse,  ne  luiécluq)- 
pèreiit  que  par  la  fuite  avec  une  foule  d'autres  barons. 

Tant  d'exactions  n'avaient  assouvi  ni  son  ambition  ni  sa 
cupidité.  Il  forma  le  projet  d'empoisonner  quatre  des  plus 
riches  cardinaux  dans  un  festin  qu'il  leur  fit  préparer  dans 
la  vigne  de  Cornetto,  l'un  d'eux.  Mais  le  ciel  parut  enfin  las 
de  tolérer  les  attentats  de  cette  famille,  et  le  crime  tourna 
contre  ses  auteurs.  Soit  erreur,  soit  trahison,  le  poison  qu'il 
avait  jeté  dans  le  vin,  lui  fut  servi ,  ainsi  qu'à  son  père.  Le 
pape  en  mourut  sui-le-champ  ,  et  César  Borgia  ne  fut  sauvé 
que  par  sa  tempérance,  seule  qualité  de  ce  misérable.  Il 
n'avait  bu,  suivant  sa  coutume,  que  de  l'eau  rougie,  et  la 
dose  de  poison,  ainsi  délayée,  ne  (ut  pas  a€sez  forte  pour 
en  délivrer  le  monde.  Transporté  malade  au  Vatican,  il  ne 
démentit  dans  cette  circonstance  ni  sa  cupidité  ni  sa  pré- 
sence d'esprit.  Don  Micheletto,  son  lieutenant,  obligea  le 
cardinal  Casanova  de  lui  livrer  les  clefs  du  trésor  pontifical, 
et  il  fit  emporter  dans  ses  coffres  les  cent  mille  ducats  qui 
s'y  trouvèrent.  Ses  troupes  environnèrent  le  palais  pour  le 
défendre  contre  les  vengeances  de  ses  ennemis ,  qui  se  ré- 
veillaient de  toutes  parts.  Les  seigneurs  de  la  maison  de 
Colonne ,  protégés  par  Gonsalve  de  CordoHe ,  reprirent  leurs 
terres  de  l'Abruzze,  dont  le  duc  de  Valentinois  s'était  aussi 
emparé,  et  s'avancèrent  vers  Rome;  le  duc  d'Urbin  recon- 
quit sa  seigneurie,  ainsi  que  François  de  la  Rovère,  les  fils 
de  Vitelli,  les  seigneurs  de  Piombino,  de  Camerino  et  de 
Pesaro.  Les  Vénitiens  armèrent  en  même  temps  pour  ap- 
puyer les  barons  romains,  et,  sous  la  protection  de  leurs 
armes,  Paul  Baglioni  rentra  dans  Pérouse  avec  le  reste  des 
Ursins  et  les  comtes  Petigliano  et  Alviano. 

Mais  pendant  que  les  ennemis  de  César  Borgia  le  dé- 
pouillaient au  dehors  de  Rome ,  il  restait  maître  du  Vatican 
et  du  château-Saint-Ange,  avec  douze  mille  hommes,  et 
profitait  pour  se  maintenir  des  divisions  qui  se  manifes- 
taient dans  le  conclave.  La  faction  espagnole,  soutenue  par 
Gonsalve  de  Cordoue ,  par  les  Ursins  et  par  les  Colonne , 
avait  à  lutter  contre  la  faction  de  France,  qui  portait  le 
caidinal  d'Amboise.  Gonsalve  avançait  du  côté  de  Naples, 
et  Louis  XII  du  côté  de  la  Romagne.  César  Borgia  balança 
la  force  des  deux  factions  qui  le  sollicitaient  avec  une  ar- 
deur égale,  et  se  décida  pour  Louis  XII  et  le  cardinal 
d'Amboise,  espérant  trouver  en  eux  des  protecteurs  i)ius 
puissants.  Mais  les  Ursins  ayant  rassemblé  leurs  troupes 
dans  Rome,  et  la  guerre  civile  paraissant  imminente,  les 
cardinaux  et  le  peuple  obtinrent  des  deux  partis  qu'ils  sor- 
tiraient de  la  capitale  pour  laisser  plus  de  liberté  àl  électi(/u. 
Cet  accord  fut  fatal  à  d'Amboise  et  à  Borgia,  qui  se  \nt 
abandonne  par  une  grande  partie  de  ses  troupes,  l^-n  pa|>e 
vieux  et  infirme  fut  élu  ,  et  prit  le  nom  de  Pie  ML  Borgia 


460 


BORGIA  —  BORGNE 


ficntit  (1110  ce  vieillard  ne  pouvait  rivrc  longtemps,  et,pré- 
Aoyanl  la  nécessité  d'une  élection  nouvelle,  ayant  intérêt  à 
rassurer  à  son  parti ,  il  obtint  un  sauf-conduit  du  pontife ,  et 
rentia  dans  Rome  avec  un  millier  de  soldats.  Attaqué  dans 
son  palais  par  les  Ursins,  il  fut  assez  heureux  pour  se  ré- 
fugier dans  le  cliûtcau-Saint-Ange ,  et  s'y  rendit  encore  as- 
sez redoutable  pour  être  ménagé  par  le  plus  (ier  de  ses  en- 
nemis, lorsque,  après  un  pontificat  de  vingt-six  jours,  Pie  III 
eut  laissé  le  saint-siége  vacant,  l.'inlluence  du  duc  de  Va- 
Icntinois  sur  les  cardinaux  espagnols  de  la  création  d'A- 
lexandre VI  ayant  déj'J  repris  toute  sa  force,  !e  cardinal 
de  la  Rovère,  l'un  des  prétendants  à  la  papauté  ,  crut  de- 
voir se  réconcilier  avec  lui  pour  arriver  au  but  de  son  am- 
bition; et  il  eut  recours  aux  dissimulations  les  plus  in- 
fimes. Il  poussa  la  perfidie  jusqu'à  faire  entendre  à  César 
Borgia  qu'il  était  son  propre  père,  que,  pendant  une  absence 
d'Alexandre  VI,  alors  cardinal,  il  avait  eu  les  faveurs  de 
Vr.nezza ,  et  que  lui ,  César,  était  né  de  cet  adultère.  Borgia 
crut  on  ne  crut  pas  h  cette  fdiation;  mais  il  feignit  d'y 
croire,  pour  se  mona^er  l'amitié  du  pape  futur,  qui  lui  pro- 
ir>it  la  charge  de  goul'alouiiier  et  de  général  des  troupes  de 
ri:glise. 

La  perspicacité  du  fils  d'Alexandre  VI  se  trouva  en  défaut  : 
tl  fut  dupe  et  victime  'de  ces  artifices.  Dès  son  exaltation 
La  Rovère  ou  Jules  II  eut  encore  l'air  de  tenir  «a  parole 
en  confiant  au  duc  de  Valcntinois  le  soin  de  défendre  la  Ro- 
niagne  contre  les  Vénitiens,  qui  venaient  de  s'emparer  de 
I  aenza,  et  qui  menaçaient  les  autres  places  où  ('ésar  Bor- 
gia avait  mis  des  gouverneurs  dévoués.  Mais  à  peine  fut-il 
embarqué  àOstie,  sur  les  galères  de  l'Église,  que  deux  car- 
dinaux s'y  présentèrent  pour  exiger  de  lui  la  remise  de  ces 
mêmes  places.  Borgia,  indigné,  se  refusa  vainement  à  cette 
restitution  :  trahi  par  ses  troupes,  il  fut  forcé  d'y  consentir. 
Cependant  les  gouverneurs  deCésène,  de  Forli  et  de  Berti- 
noro  ayant  refusé  de  rendre  ces  citadelles ,  J.iles  II  parut  se 
relûcher  de  sa  sévérité.  11  négocia  avec  son  prisonnier,  le  lit 
transporter  dans  le  château  d'Ostie ,  sous  la  garde  du  car- 
dinal Carvajal ,  en  lui  promettant  la  liberté  dès  que  les  places 
Feraient  rendues.  Ce  traité  fut  exécuté,  non  parle  pape, 
mais  par  le  cardinal,  qui  ne  voulut  point  charger  Jules  II 
d'une  nouvelle  perfidie.  Borgia  se  retira  enlin  auprès  de 
Gonsalve  dcCordoiie,qui,  après  l'avoir  comblé  d'honneurs, 
le  trahit  comme  les  autres,  et  l'envoya  en  Espagne,  où  le 
roi  Ferdinand  le  fit  enfermer  dans  le  château  de  Medina-del- 
Campo.  Il  y  resta  trois  ans,  et  ayant  alors  réussi  à  s'échap- 
per, il  se  réfugia  en  1506  à  la  cour  de  Jean  d'Albret,  son 
beau-frère. 

Les  historiens  varient  sur  lépoque  de  sa  mort  :  les  uns 
la  placent  en  1507,  les  autres  en  1513  ou  151G  ;  mais  l'évé- 
nement  auquel  ils  la  rattachent,  ayant  une  date  plus  cer- 
taine, il  est  probable  que  c'est  le  il  mars  1513  qu'il  périt 
d'un  coup  de  feu  devant  le  château  de  Viane ,  pendant  la 
guerre  que  Jean  d'Albret,  roi  de  Navarre,  soutenait  contre 
Ferdinand  le  Catholique.  Cette  mort  fut  trop  glorieuse  pour 
un  pareil  monstre,  dont  l'échafaud  eût  fait  justice.  Nous 
tremblons  de  faire  injure  aux  lettres  en  ajoutant  qu'il  les 
cultivait  avec  succès ,  et  qu'il  protégeait  les  savants  et  les 
poètes.  Son  histoire  particulière  a  été  écrite  par  Tomazi ,  et 
son  portrait  existe  à  Florence.  La  peinture  n'a  jamais  con- 
servé les  traits  d'un  scélérat  plus  consommé.  Il  était  né,  di- 
sent les  moralistes  italiens ,  pour  rendre  à  son  père  le  ser- 
vice d'être  plus  criminel  que  lui ,  et  pour  épargner  au 
saint-siége  la  honte  d'être  possédé  par  l'homme  le  plus  mé- 
chant de  son  siècle.  Viennet,  «le  l'Afadémie  Française. 

BORGIA  (LtCRÈcE),  fille  d'Alexandre  VI  et  sœur 
de  César  Borgia,  passe  généralement  pour  avoir  été  la 
maîtresse  de  son  père  et  de  ses  deux  frères,  imputation  (pii 
a  été,  cependant,  reponssée  par  Roscoe.  Au  moins,  les 
journaux  apostoliques  eux-mêmes  donnent-ils  des  preuves 
iiicont£stableâ  de  l'excessif  déréglcmcut  de  ses  mœurs.  Elle 


avait  été  fiancée,  dès  son  enfance ,  à  un  gentilliomme  Ara- 
f;onais,  mais  Alexandre  MI,  monté  sur  le  Irônc  pontifical, 
rompit  cette  alliance  pour  lui  en  (aire  contracter  une  plus 
relevée  :  il  la  maria,  eu  1493,  à  Jean  Sforce,  seigneur  de 
Pesaro,  et  déclara  ce  mariage  nul  pour  cause  d'impuissance 
en  1497.  Puis,  l'année  suivante,  il  lui  en  fil  contracter  un 
autre  avec  Alphonse ,  duc  de  Biseglia ,  fils  naturel  d'Al- 
phonse 11  d'Aragon;  mais  deux  ans  a()rès  César  Borgia 
faisait  assassiner  ce  nouvel  époux  au  moment  où ,  embras- 
sant l'alliance  des  Français,  il  voulait  rompre  toute  liaisoa 
entre  sa  famille  elles  rois  de  Naples.  Enfin,  en  1501,  Lu- 
crèce épousa  Alphonse  d'Esté,  fils  d'Hercule,  ducdc  Ferrare-, 
Elle  survécut  à  toute  sa  famille,  et  attira  à  sa  cour  les  poêles, 
notamment, Pierre  Bembo  ,  qui  l'a  célébrée  dans  ses  vers, 
mais  dont  les  louanges  intéressées  n'ont  pu  contrebalancer 
le  témoignage  unanime  des  historiens,  qui  flétrissent  sans 
pitié  l'infamie  desa  conduite. 

ï^OilGLV  (Stefano,  cardinal),  directeur  de  la  Propa- 
gande, l'un  des  plus  généreux  protecteurs  des  sciences,  au 
dix-huitième  siècle,  naquit  à  Velléîri ,  le  3  décembre  1731, 
et  fut  élevé  par  .son  oncle,  Alexandre  Borgia.  Devenu  en  1750 
membre  de  l'Académie  étrusque  de  Cortone ,  il  fonda  à  Vel- 
létri  un  musée  d'antiquités,  qui  devint  peu  h  peu  l'une  des  plus 
riches  collections  particulières  de  ce  genre.  En  1759  le  pape 
Benoit  XIV  le  nomma  gouverneur  de  Bénévent,  et  Borgia 
eut  la  gloire  de  préserver,  par  de  sages  mesures ,  cette  ville 
et  ses  enviions  de  la  famine  qui  d.'solait  le  royaume  de  Naples 
en  1764.  En  1770  il  devint  secrétaire  de  la  Propagande  :  ces 
fonctions  ,  qu'il  remplit  pendant  dix-huit  ans ,  le  mirent  en 
rapport  suivi  avec  tous  les  missionnaires  répandus  sur  la 
surface  du  globe,  il  profita  de  ces  relations  pour  enrichir  sa 
collection  de  manusirits  rares  et  d'antiquités  de  tout  genre. 
Nommé  cardinal  par  le  pape  Pie  VI,  en  1789,  et  chargé 
en  même  temps  de  l'inspection  supérieure  des  enfants  trou- 
vés ,  il  attacha  son  nom  à  une  foule  d'institutions  de  bien- 
faisance, créées  par  lui  dans  l'exercice  de  ces  dernières 
fonctions. 

En  1797,  l'esprit  révolutionnaire  commençant  à  agiter 
les  États  de  l'Église ,  Pie  VI  déposa  la  dictature  de  Rome 
entre  les  mains  de  Borgia,  auquel  il  associa  deux  autres 
cardinaux.  Mais  les  Français  s'étant  présentés  devant  les 
murs  de  cette  ville ,  le  1 5  février  1798 ,  le  pape  s'enfuit,  et  le 
parti  répubhcain  ayant  pris  le  dessas ,  Borgia  fut  arrêtî  et 
plus  tard  exilé  des  États  romains.  Il  se  rendit  à  Venise,  de 
là  à  Padoue,  où,  selon  l'usage  du  pays,  il  fonda  une  petite 
académie  de  savants.  De  retour  à  Rome  avec  le  nouveau 
pape,  Pie  VII,  il  y  consacra  toute  son  activité  à  l'améliora- 
tion de  plusieurs  branches  de  l'administration.  Il  mourut  à 
Lyon,  le  23  novembre  1804 ,  en  se  rendantà  Paris,  à  la  suite 
du  pape. 

Généreux  et  bienveillant,  le  cardinal  Borgia,  en  vrai  pro- 
tecteur des  sciences,  n'estimait  aucun  sacrifice  quand  il  s'a- 
gissait de  rendre  service  aux  savants  et  d'encourager  le!;rs 
travaux.  Ses  précieuses  collections,  dont  Adlcr,  Zoega, 
Georgi  et  Paulinus,  etc.,  nous  ont  laissé  la  description, 
étaient  à  la  disposition  de  tous  ceux  qui  désiraient  s'ins- 
truire. Comme  historien  et  archéologue,  le  cardinal  Borgia 
s'est  fait  un  nom  par  son  Istoria  délia  città  di  BeneveiUo 
(3  vol. ,  1763-1769).  Les  titres  de  ses  autres  ouvrages  sont  : 
Monumento  di  papa  Giovanni  XV f  (Rome,  1750);  Brève 
istoria dell'anticacdtàTadinoncli  r»i^n«(Rome,  1751); 
et  Brève  Istoria  del  Dominio  temporale  delta  ScdeApos- 
tolica  nelle  due  Sicilie  (Rome,  1788). 

BORGITES  ou  CIRCASSIENS,  seconde  dynastie  des 
Mamelouks  qui  ont  donné  des  sultans  à  l'Egypte. 

BORGIVE,  celui  ou  celle  qui  est  privée  d'un  œil ,  qui  ne 
voit  que  d'un  œil  ;  bonjnesse  ne  se  dit  que  dans  le  style  bas 
et  familier. 

En  anatomie,  on  appelle  borgnes  certains  conduits  dis- 
posés en  sac  :  tels  sont  le  trou  borgne  de  l'os  frontal,  siluè 


BORGNE  —  BORIQUE 


▼ers  l'extiémitii  inf(5rieiiro  de  la  crête  coronalc  interne  ,  et  le 
trou  borgne  ou  aveugle  lie  la  langue  ,  petite  caviti^  creusée 
sur  le  milieu  de  la  face  supérieure  <le  la  langue,  proche  sa 
base,  et  dont  les  parois  sont  garnies  de  cryptes  muqiieux. 
On  donne,  en  chirurgie,  le  nom  de  fistules  borgnes  à  cer- 
tains conduits  ulcéreux  qui  ont  beaucoup  d'analogie  avec 
les  fistules ,  mais  qui  en  diffèrent  en  ce  qu'ils  n'ont  qu'une 
ouverture. 

Borgne  se  dit  aussi  figjirément  d'un  lieu  obscur  et  mal 
éclairé  :  un  cabaret  borgne  est  un  méchant  cabaret ,  où  vont 
d'ordinaire  des  gens  suspects  et  de  mauvaise  vie  ;  une  maison 
borgne  est  celle  dont  on  a  bouché  les  vues. 

On  dit  proverbialement  faire  des  contes  borgnes,  pour 
dire  réciter  des  fables,  des  contes  de  vieille.  On  dit  aussi 
un  compte  borgne  pour  indiquer  un  compte  où  se  trouvent 
des  fractions,  par  opposition  à  ce  qu'on  appelle  un  compte 
rond.  Changer  son  cheval  borgne  contre  un  aveugle,  se  dit 
de  ces  mauvais  trocs,  de  ces  mauvais  marchés,  qu'on  fait 
trop  souvent.  Enfin,  un  dicton  bien  connu  dit  qu'aw  royaume 
des  aveugles  les  borgnes  sont  rois,  ce  qui  signifie  que  les 
petits  esprits  et  les  gens  médiocres  trouvent  encore  à  primer 
auprès  des  sots  et  des  ignorants. 

BORGOU,  grand  royaume  nègre,  situé  dans  le  Soudan 
oriental ,  appelé  aussi  Wadai  ou  Dar-Salé  par  les  Arabes. 
Les  limites  n'en  sont  pas  déterminées  exactement  ;  en  général 
on  les  fixe  au  Sahara  au  nord ,  au  Begharmi  et  au  lac  Tchad 
au  sud-ouest,  au  Kordofan  et  au  Darfourau  sud-est.  L'éten- 
due et  la  population  de  cet  État  sont  encore  plus  incertaines. 
C'est  un  pays  plat,  sans  montagnes  considérables  ;  la  Végéta- 
tion ,  favorisée  par  de  nombreux,  cours  d'eau  et  par  des 
inondations  fréquentes ,  est  vigoureuse;  on  y  récolte  du  riz, 
du  coton ,  différentes  espèces  de  dattes ,  du  bois  d'ébène.  Le 
règne  animal  ne  diffère  pas  de  celui  de  l'Afrique  tropi- 
cale; il  est  à  peu  près  le  môme  qu'à  Do  mou,  royaume 
situé  sur  la  môme  ligne  à  l'ouest  du  lac  Tchad.  Les  habitants, 
qui  parlent  une  langue  divisée  en  beaucoup  de  dialectes  et 
offrant  de  grandes  analogies  avec  celle  des  peuplades  de 
l'occident  de  l'Afrique,  professent  l'islamisme,  et  font  la  guerre 
à  leurs  voisins  dans  le  but  surtout  d'enlever  des  prisonniers, 
qu'ils  vendent.  Au  commencement  de  ce  siècle  ils  se  rendi- 
rent redoutables  sous  leur  sultan  Abdoulkerim.  La  capitale 
(lu  royaume  est  Wara. 

BORIES(Jean-François-Loi)is  LECLERC),  était  en  182 1 
sergent  au  45*  de  ligne,  en  garnison  à  Paris.  A  cette  époque 
le  pouvoir  aflichait  hautement  l'intention  d'en  finir  avec  les 
idées  et  les  intérêts  créés  par  la  révolution.  La  presse  était 
bâillonnée.  Les  sociétés  secrètes  s'organisaient.  Bories  et 
trois  de  ses  camarades,  Raoulx,  Goubin  et  Pommier,  sous- 
oHiciers  comme  lui  au  45*  de  ligne,  tous  jeunes  et  dans  l'âge 
des  passions  généreuses,  tous  pénétrés  d'un  ardent  amour 
de  la  liberté,  s'affilièrent  à  la  vente  centrale  de  Paris,  pen- 
dant le  séjour  de  leur  régiment  dans  la  capitale. 

L'année  suivante  fut  signalée  par  diverses  conspirations 
qui  éclatèrent  successivement  à  Béfort,  à  Saumur,  à  Toulon, 
à  Nantes ,  à  Strasbourg ,  et  qui  toutes  se  rattachaient  plus 
ou  moins  directement  à  l'action  latente  de  la  charbonne- 
rie.  Le  pouvoir,  en  répandant  l'or  à  propos,  tint  bientôt 
dans  sa  main  tous  les  fils  de  cette  trame  mystérieuse,  et, 
ayant  acquis  la  preuve  que  des  individus  appartenant  à 
l'armée  faisaient  partie  de  cette  vaste  conspiration,  il  résolut 
de  frapper  un  grand  coup  et  de  faire  un  grand  exemple. 
Dénoncés  à  l'autorité  militaire,  les  quatre  sous-officiers  du 
45*  furent  arrêtés  à  La  Rochelle,  où  leur  coi-i)3  était  allé 
tenir  garnison,  et  transférés  à  Paris;  leur  procès  fut  rapide- 
ment instruit,  et  ils  se  virent  traduits  en  cour  d'assises  avec 
lin  instituteur,  un  étudiant  en  médecine,  un  avocat,  un 
ca|>itaineet  quelques  autres.  Marchangy  occupait  dans 
celte  affaire  le  siège  du  ministère  public,  lise  montra  impi-" 
toyahledans  son  réquisitoire,  insérée^arorrfre  dans  les  jour- 
naux. Il  n'hésita  pas  à  demander  la  tète  des  accusés.  «  Au- 


461 

cune  puissance  oratoire  ne  saurait,  dit-il,  arracher  Bories  à  la 
vindicte  publique,  »  phrase  qui  fut  flétrie  parla  défense  comme 
l'expression  d'une  haine  barbare  et  personnelle.  Il  représen- 
tait le  jeune  sous-officier  comme  le  chef  d'un  complot  formé 
pour  renverser  le  gouvernement,  et  se  liant,  disait-il,  à  ceux  qui 
avaient  éclaté  sur  divers  points.  D'après  la  déclaration  d'un 
témoin,  les  séances  des  ventes  se  terminaient  au  cri  de  vive 
la  constitution  de  1791  !  ce  qui  expliquait  assez  le  but  po- 
litique des  conjurés.  Une  charge  fatale  pour  eux  fut  la  dé- 
couverte de  munitions  et  d'armes  prohibées  chez  la  plupart 
et  jusque  dans  le  lit  de  ceux  qui  étaient  militaires  ;  mais 
aucune  pièce  écrite  présentée  au  procès  n'appuyait  l'accu- 
sation. Bories  et  Raoulx  prétendirent  que  la  société  dont  ils 
étaient  membres  n'avait  qu'un  but  philanthropique;  ils 
soutinrent  que  le  général  Despinois  les  avait  engagés  à  des 
révélations  par  des  menaces,  par  des  promesses  et  en  se  disant 
\\}\-mt.iQ&  carbonaro.  Us  furent  défend  us  par  MM.  Mérilhou, 
Berville,  Chaix-d'Est-Ange  et  Coffinières.  Le  jury  rendit 
un  verdict  de  culpabilité  confre  les  quatre  sergents,  qui 
furent  condamnés  à  la  peine  de  mort.  Les  autres  accusés 
furent  ou  frappés  de  peines  légères  ou  acquittés.  Avant  le 
prononcé  de  l'arrêt  Bories  eut  un  beau  mouvement  : 
«  Messieurs  les  jurés,  dit-il,  M.  l'avocat  général  n'a  cessé  de 
me  représenter  comme  le  chef  du  complot....  Eh  bien,  j'ac- 
cepte, heureux  si  ma  tête  en  roulant  sur  l'échafaud  peut 
sauver  celles  de  mes  camarades  !  » 

Le  20  septembre  1822,  à  cinq  heures  du  soir,  les  quatre 
malheureux  sous-officiers  furent  exécutés  sur  la  place  de 
Grève.  Le  môme  soir  il  y  eut  grand  bal  à  la  cour.  On  se 
ferait  difficilement  une  idée  de  l'exaspération  produite  dans 
les  esprits  par  cet  inhumain  oubli  de  toutes  les  convenances. 
Le  disticpie  suivant,  qui  circula  bientôt,  en  fit,  du  reste,  sé- 
vère justice  : 

Pour  Louis  quel  beau  jour! 
Ou  égorge  à  la  Grève,  et  l'on  danse  à  la  cour. 

Il  tint  cependant,  dit-on,  à  bien  peu  de  chose  que  celte 
exécution  ne  devint  le  signal  d'une  lutte  qui  eût  pu  avoir 
les  suites  les  plus  graves.  En  effet,  on  assure  que  tout 
ce  que  la  charbonnerie  comptait  d'hommes  ardents ,  déter- 
minés, assistait  en  armes  à  celte  scène  sanglante.  Cha- 
cun brûlait  de  sauver  ces  martyrs  de  la  cause  commune, 
chacun  était  prêt  à  tout  tenter  dans  ce  but  ;  mais  l'ordre  de 
la  vente  suprême ,  qui  au  moment  décisif  devait  faire  agir 
cette  multitude  comme  un  seul  homme,  n'arriva  point;  le 
mot  qui  devait  faire  briller  ces  épées,  ces  poignards ,  faire 
détonner  ces  armes  à  feu,  ne  fut  point  prononcé;  et  les 
têtes  des  quatre  sous-officiers  de  La  Rochelle  roulèrent  sur 
l'échafaud  !  Les  malheureux  s'étaient  embrassés  avec  effu- 
sion à  la  vue  de  la  foule  muette  et  consternée,  dans  le  sein 
de  laquelle  ils  comptaient  tant  de  sympathies;  ils  surent 
mourir  en  soldats  au  cri  de  Vive  la  liberté! 

BORIQUE  (Acide).  Cet  acide,  autrement  nommé  acide 
horacique  et  sel  sédatif  de  Homberg ,  est  un  corps  solide, 
blanc,  sans  odeur  et  d'une  saveur  légèrement  aigre,  très- 
peu  soluble  dans  l'eau.  Il  résulte  de  la  combinaison  du 
l)ore  et  de  l'oxygène,  dans  la  proportion  de  31  parties  du 
premier  contre  6!)  du  second.  Sa  densité  est  1,5. 

Cet  acide  existe  à  l'état  naturel  dans  les  eaux  de  cer- 
tains lacs  de  Toscane  et  de  l'Inde.  Il  est  probable,  dit 
M.  Payen,  qu'il  se  trouve  à  l'état  concret  dans  le  sein  de 
la  terre,  d'où  ces  sources  l'enlèvent  en  solution.  On  re- 
marque en  effet  que  celles  qui  sortent  plus  bouillonnantes 
et  semblent  avoir  été  poussées  par  quelque  action  volca- 
nique sont  aussi  chargées  d'une  plus  grande  quantité  d'a- 
cide bori(pie.  Il  suffit  d'évaporer  les  eaux  de  ces  lacs  pour 
obtenir  l'acide  qu'elles  contiennent,  et  qu'elles  déposent  en 
cristaux  blancs,  opaques,  par  le  refroidissement.  C'est  ainsi 
que  l'on  se  |)rociiie  tout  l'acide  borique  qui  est  répandu 
aujourd'hui  tlaiis  le  commerce,  et  avec  k'([uol  on  prépare. 


Ji(V2  BORIQUE 

en  France  particulièrement,  presque  tout  le  borax  em- 
ployé dans  les  arts. 

I/aciile  borique  rougit  légèrement  la  teinture  bleue  <lu 
tournesol.  L'eau  chaude  (  n  dissout  la  treizième  partie  de 
son  poids,  et  l'eau  froide  seidemciit  la  trente-cinquième  ;  aussi 
cristallise-t-il  par  le  refroidissement.  La  forme  de  ses  cris- 
taux est  celle  d'un  prisme  qui  n'a  pas  été  bien  déterminé  : 
lorsqu'on  le  fait  cristalliser  au  milieu  d'une  solution  de  sul- 
fate acide  de  soude,  il  se  présente  souvent  sous  la  forme 
de  larges  paillettes  nacrées.  C'est  ainsi  qu'on  le  prépare 
en  décomposant  le  borate  de  soude  par  l'acide  sulfurique 
pour  l'usage  des  pharmacies.  Il  retient  toujours  une  cer- 
taine quantité  de  sulfate  de  soude  et  d'acide  sulfurique  en 
excès. 

L'acide  borique  s'emploie  encore  comme  fondant ,  pour 
analyser  les  pierres  qui  contiennent  de  la  potasse  ou  de  la 
soude.  On  s'en  servait  autrefois  en  médecine  comme  d'un 
sédatif;  mais  depuis  que  l'on  a  su  que  cette  application 
dans  la  thérapeutique  était  fondée  sur  une  erreur,  on  ne 
l'emploie  plus  ainsi.  On  en  fait  encore  usage  pour  rendre 
la  crème  de  tartre  soluble. 

BORNAGE.  C'est  l'opération  au  moyen  de  laquelle  les 
propriétaires  contigus  marquent  avec  des  bornes  les  limites 
de  leurs  héritages  ruraux,  opération  à  laquelle  l'article  (î4G 
du  Code  Napoléon  leur  donne  le  droit  de  se  contraindre 
mutuellement.  Ces  bornes  sont  en  général  des  pierres  plan- 
tées en  terre  aux  confins  des  deux  héritages.  Comme  la  loi 
ne  détermine  pas  la  forme  extérieure  qu'elles  doivent  avoir, 
on  suit  à  cet  égard  l'usage  des  lieux  :  ainsi,  dans  certains 
endroits  ce  sont  deux  pierres  réunies  que  l'on  enfonce  dans 
le  sol  ;  dans  d'autres,  c'est  une  seule  pierre ,  sous  laquelle 
on  place  une  brique  cassée  en  deux  morceaux  nommés  té- 
moins  que  l'on  réunit.  Souvent,  au  lieu  de  brique,  on  fait 
usage  de  charbon  pilé. 

Indépendamment  de  ces  bornes  qui  sont  dites  artifi- 
cielles, il  y  a  les  bornes  naturelles ,  telles  que  les  rocs,  fleu- 
ves, et  rivières. 

Le  bornage  peut  s'effectuer  à  l'amiable  lorsque  les  parties 
sont  majeures  et  jouissent  de  leurs  droits;  il  est  alors  cons- 
taté soit  par  un  acte  notarié ,  soit  par  des  actes  sous  seing 
privé.  En  cas  de  dissentiment,  ou  bien  s'il  se  trouve  parmi 
les  propriétaires  voisins  un  mineur  ou  un  interdit,  la  de- 
mande est  portée  devant  le  tribunal  de  la  situation  des 
biens.  Ce  tribunal  nomme  des  experts-arpenteurs,  qui  pren- 
nent pour  base  de  leur  opération  les  titres  respectifs  ou  la 
prescription  de  trente  ans,  et  à  défaut  de  titres  ou  de  pres- 
cription, la  possession  annale.  Les  frais  sont  à  la  charge 
des  parties  par  portions  égales,  sauf  le  cas  où  la  séparation 
des  bois  de  l'État  et  des  propriétés  riveraines  est  effectuée 
par  des  fossés  de  clôture  :  les  frais  sont  pris  alors ,  ainsi 
<iue  le  terrain  des  fossés ,  au  détriment  de  la  partie  qui  a 
demandé  le  bornage. 

La  vérification  d'un  bornage  peut  aussi  être  toujours 
demandée;  alors  les  frais  restent  à  la  charge  de  celui  qui  l'a 
provoquée,  à  moins  qu'il  n'en  résulte  la  preuve  qu'il  y  a  eu 
usurpation  sur  lui. 

L'existence  d'un  mur  sur  la  ligne  séparative  de  deux  hé- 
ritages est  un  motif  pour  un  voisin  de  se  refuser  au  bor- 
nage ;  mais  il  n'en  est  plus  de  même  lorsque  la  démarca- 
tion n'est  formée  que  par  des  lisières ,  des  haies  vives  ou 
des  fossés. 

La  demande  en  bornage  peut  être  faite  par  tous  ceux  qui 
possèdent  par  eux-mêmes  ;  ainsi  l'usufruitier ,  l'usager  et 
i'emphytéote  jouissent  en  cela  d'une  faculté  que  n'a  pas , 
par  exemple ,  le  simple  fermier.  Cet  acte  n'excède  pas  la 
capacité  du  tuteur,  qui  n'est  tenu  de  consulter  le  conseil 
«le  famille  que  sur  les  incidents  qui  feraient  naître  une 
(piestion  de  propriété. 

La  <lestructiou  ou  le  déplacement  des  bornes  est  puni 
d'un  emiMisonnemciit  iVum  mois  à  un  an  et  d'ime  amende 


—  BORNÉO 

qui  ne  peut  être  au-dessous  de  50  francs  (Code  Pénal, 
art.  45(>).  La  loi  prononce  la  peine  de  la  réclusion  lorsque 
l'enlèvement  ou  le  déplacement  des  bornes  a  en  pour  objet 
de  s'approprier  le  bien  d'autrui.  Pour  obtenir  le  replace- 
ment des  bornes,  il  faut  intenter  une  action  devant  le  juge 
de  paix  si  le  délit  a  été  commis  dans  Tannée ,  ou  devant 
les  tribunaux  civils  si  ce  délai  est  expiré. 

BORNEO, appeléeparlesindigènes  J]rmtniou  Bourné, 
c'est-à-dire  Terre,  et  aussi  Dahak-Warouni ,  Sle  d'Asie, 
faisant  partie  des  Iles  de  la  Sonde.  Elle  est  bornée  au  sud 
par  la  mer  de  la  Sonde,  à  l'est  par  le  détroit  de  Macassar 
et  la  mer  des  Célèbes ,  au  nord  par  la  mer  de  Soulou ,  au 
nord-ouest  et  à  l'ouest  pour  la  mer  de  Chine,  et  présente 
une  étendue  de  côtes  de  496  myriamètres.  Elle  a  122  my- 
riamètres  de  long  sur  tOO  de  large,  et  7,000  myriamètre"* 
carrés  de  superficie.  Ij'equateur  la  coupe  en  deux  portions 
d'inégale  granileur.  C'est  la  plus  grande  île  du  monde. 

Depuis  longtemps  les  Européens  en  connaissent  les  côtes  ; 
mais  c'est  dans  ces  dernières  années  seulement  que  les  ex- 
péditions envoyées  de  Java  et  les  voyages  du  major  Henne- 
rici,  du  major  Miiller,  qui  y  perdit  la  vie,  et  d'O.  de 
Kessel,  en  1846,  ont  répandu  quelque  lumière  sur  l'inté- 
rieur de  Boinéo.  Il  est  probable  (jue  les  montagnes  cristal- 
lines du  nord-est,  qui  se  terminent  dans  le  Kini-Balou, 
traversent  l'île  entière.  Des  fleuves  qui  l'arrosent,  on  ne 
connaît  que  la  pailie  inférieure  de  leur  cours.  Parmi  les  lacs, 
on  cite  le  Danao-Malayou  dans  la  partie  occidentale,  avec 
deux  îles,  et  le  Kini-Balou  ,  près  des  montagnes  du  même 
nom.  Le  climat  est  humide  sur  les  côtes,  brûlant  et  par 
conséquent  très-malsain  pour  les  Européens;  la  dyssenterie, 
les  fièvres,  l'hydropisie,  la  jaunisse,  les  rhumatismes,  la 
petite  vérole,  la  syphilis,  le  choléra  sont  les  maladies  ré- 
gnantes. Sur  la  côte  occidentale,  les  pluies  durent  conti- 
nuellement depuis  novembre  jusqu'en  mai.  La  végétation 
est  luxuriante.  Outre  d'immenses  forêts  de  bois  de  fer, 
de  teak,  de  tambuse,  de  gutta-percha ,  de  batu  et  de  bois 
d'ébène,  les  bois  de  teinture,  le  muscadier,  le  sagou,  le  cam- 
phrier, le  cannellier,  le  citronnier,  le  bétel,  le  poivre,  le 
gingembre,  le  riz,  les  grains,  les  patates,  l'igname,  le 
coton,  le  bambou,  etc.,  sont  les  produits  les  plus  impor- 
tants du  règne  végétal.  Le  règne  animal  n'est  pas  moins 
riche.  Il  offre  l'éléphant,  le  rhinocéros,  le  léopard,  l'ours, 
le  tigre,  l'once,  le  buffle,  plusieurs  espèces  de  cerfs,  le  ba- 
biroussa,  des  singes,  entre  autres  l'orang-outang,  le 
cheval,  le  porc,  la  chèvre,  la  brebis,  le  chien,  etc.,  la  ba- 
leine, le  phoque,  le  lamantin,  le  cachalot,  l'aigle,  le  vau- 
tour, le  faucon,  le  perroquet,  le  hibou,  l'hirondelle,  la 
salangane,  l'oiseau  de  paradis,  le  flamant  et  le  paon;  plu- 
sieurs espèces  de  serpents,  de  lézards,  de  tortues,  beaucoup 
de  poissons,  de  crustacés,  même  l'huître  perlière,  des  vers  a 
soie,  etc.  On  trouve  presque  dans  toutes  les  parties  de  l'Ile 
de  l'or,  de  l'antimoine,  du  fer,  de  l'étain  et  du  zinc;  des 
cristaux  et  des  diamants  pesant  quelquefois  de  20  à  40  ca- 
rats. Les  côtes  nord  et  sud  offrent  de  riches  mines  de  houille. 

La  population  de  l'île  est  évaluée  à  environ  tiois  millions 
d'àmes;  mais  ce  chiffre  paraît  trop  élevé.  Elle  se  compose 
de  Malais,  de  Dayaks,  de  Papous,  de  Chinois  et  de  Bougis, 
sans  compter  un  certain  nombre  de  Javanais,  d'Hindous  et 
d'Arabes.  Les  ISIalais,  qui  habitent  les  côtes,  forment  la  partie 
la  plus  nombreuse  et  la  plus  civi!i.sée  de  la  population;  leur 
audace,  leur  rapacité  les  rendent  très-dangereux.  Les  ims 
sont  musulmans,  les  autres  idolâtres;  comme  leurs  compa- 
triotes de  INIalakka,  ils  sont  gouvernés  par  des  sultans  et  des 
radjas.  Les  Dayaks,  qui  habitent  plus  avant  dans  l'intérieur 
de  l'île,  sont  incontestablement  les  habitants  primitifs  de 
Bornéo.  Ils  sont  bien  faits,  ont  le  teint  jaune,  et  se  distin- 
guent par  leur  caractère  sauvage  et  cruel.  Ils  vivent  de  la 
chasse,  de  la  pèche,  et  souvent  des  produits  île  leurs  pira- 
teries. Leurs  armes  empoisonnées  les  rendent  des  ennemis 
redoutables;  mais  si  l'on  gagne  leur  amitié,  ils  y  restent 


BOR^^:o  —  bornes 


483 


fidèles.  La  plus  puissante  de  leurs  tribus  est  celle  des 
Kiijangs.  Les  Pai)oiis  ou  Negiitos  sont  vraisemlilablement 
aussi  indigènes;  ils  vivent  au  fond  des  bois  et  des  solitudes, 
<ians  des  cavernes  ou  sur  des  arbres,  sans  vêtements,  sans 
instruction  ,  sans  rapports  avec  leurs  semblables.  La  colonie 
chinoise,  au  nombre  d'environ  250,000  âmes,  s'occupe 
principalement  de  commerce  et  de  l'exploitation  des  nùnes; 
ceux  qui  se  sont  enrichis  l'etournent  ordinairement  dans 
leur  patrie,  impatients  de  se  soustraire  au  gouvernement 
despotique  des  Hollandais;  les  Bougis  enfin,  venus  presque 
tous  des  Célèbes,  sont  soumis  aux  Dayaks.  Ils  forment  une 
classe  con-idérée,  à  cause  de  ses  richesses ,  produit  du  corr- 
inerce  ou  de  la  piraterie. 

La  côte  seule  est  bien  cultivée.  Les  Ciiinois  recueillent  de 
l'or  dans  ie  territoire  de  Sambas  et  dans  la  partie  orientale 
de  l'île.  Les  Dayaks  exploitent  les  mines  de  diamants  et 
lavent  le  sable  des  rivières  pour  en  retirer  de  l'or.  Les  Bougis 
se  livrent  au  commerce  ;  les  Malais  exportent  les  productions 
de  l'île;  les  iiollandais  et  les  Anglais,  comme  les  Chinois  et 
les  Malais,  importent  de  l'opium,  du  thé  et  quelques  pro- 
duits manufacturés.  C'est  sur  la  côte  occidentale  qu'est  situé 
le  royaume  de  SamOas ,  le  plus  puissant  de  tous,  auquel 
appartiennent  les  mines  d'or  de  ]\Ionlradak  et  celles  de  dia- 
mants deMatan.  Outre  les  colonies  chinoises.  Sambas,  ré- 
.sidencedu  sultan  et  l'entrepôt  du  commerce  do  l'opium,  et 
Pontianak ,  centre  de  la  puissance  hollandaise  sur  celte  côte, 
sont  les  deux  villes  les  plus  iiiiportanles.  Sur  la  côte  sud- 
ouest  on  trouve  le  royaume  de  Succndana,  divisé  en  plu- 
sieurs États,  sur  lesquels  les  Hollandais  n'exercent  qii'imc 
souveraineté  nomitiale.  La  capitale  est  Succadana,  où  les 
Ch'uois  font  un  grand  commerce,  surtout  d'opium.  Li  cote 
méridionale  est  soumise  au  roi  de  Bendsclier-massln  ou 
Jiaujermassing ,  ville  de  4,000  habitants,  très-commer- 
çante, qui  entretient  des  manufactures  de  divers  genres. 
Près  de  là  s'élève  le  fort  hollandais  de  Talis,  et  au  sud 
s'ouvre  le  port  Tibonio.  Sur  la  côte  orientale  sont  situés  les 
royaumes  de  Passir,  de  houti-Lama  et  de  Tiroun;  sur  la 
côte  nord-est,  les  États  du  sultan  de.Soulou,  et  sur  la  côle 
nord-ouest,  le  royaume  malai  de  Bornéo  ou  /;ro«?ii,  dont 
le  sultan  tient  sous  son  autorité  un  grand  nombre  de  radjas 
et  de  pendscherans.  11  s'étend  depuis  Taudjongdatou  ,  au 
sud -ouest,  jusqu'au  lleuve  Kimanis,  à  l'est;  sa  capitale  est 
Bornéo  ou  Borni,  sur  le  fleuve  du  mi^me  nom,  place  de 
commerce  importante,  surtout  pour  Singapour;  c'est  la  ré- 
sidence du  sultan.  Llle  compte  30,000  habitants,  et  contient 
plus  de  3,000  maisons,  les  unes  bâties  sur  pilotis,  les  autres 
jiortées  sur  des  radeaux.  Les  moyens  de  communication 
entre  les  différentes  parties  de  la  ville. sont  des  canaux,  sur 
lescpicls  se  traitent  toutes  les  afiaires  de  commerce.  Les  ar- 
ticles d'exportation  sont  les  bambous,  les  nids  d'iiiroudtlle, 
le  camphre  et  ie  poivre. 

Il  est  possible  qu'autrefois  le  gouvernement  de  Bornéo 
se  soit  étendu  sur  l'ile  tout  entière,  et  même  sur  une 
pariie  des  Philippines.  Les  souverains  étaient,  à  ce  qu'on 
croit,  d'origine  chinoise.  En  fôlB  les  Portugais  abordèrent 
a  born-'o;  mais  ce  ne  fut  qu'en  ItJyO  qu'ils  purent  s'établir 
d'abord  à  Banjermassing,  dont  ils  furent  bientôt  chassés  par 
le  meurtre  et  la  trahison.  Il  n'y  eut  que  les  Hollandais  qui 
réussirent  à  conclure  un  traité  de  commerce  avec  le  sou- 
verain de  Banjermassing,  en  1043.  Ils  bâtirent  un  fort, 
établirent  une  factorerie  [uès  le  village  de  Talis,  une  autre 
en  1778,  à  l*oiUianak,  et  plusieurs  autres  depuis  en  diffé- 
rents endroits.  Ln  1S23  ils  soumirent  plusieurs Éiats malais, 
indépeudauts  jusque  alors,  «?f  par  là  devinrent  maîtres  de  tout 
le  pays  compris  entre  les  frontières  de  Banjermassing  et 
celles  de  Sambas.  Ce  teiTitoire  contient  beaucoup  de  mineS 
d'or  et  de  diamants. 

Les  Anglais,  qui  dans  les  années  1702  et  177i  avaient 
l.iif  d'irmtiles  tentatives  pour  former  des  établissements  à 
boiiiLo,  ont  réussi  dans  ces  derniers  temps  à  s'emparer  de 


toute  la  côte  sud-ouest  et  nord-ouest.  En  1846  ils  bom- 
bardèrent Bornéo,  et  tirent  un  affreux  carnage  de  la  popula- 
tion. Le  sultan  dut  se  soumettre  à  toutes  leurs  conditions 
et  signer  un  traité  avec  eux.  Les  Américains  du  Nord ,  qui 
visent  aussi  à  s'établir  dans  l'archipel  oriental,  ont  également 
conclu  un  traité  avec  Bornéo.  Des  vaisseaux  anglais  croi- 
sent sur  les  côtes,  et  ils  ont  déjà  détruit  un  grand  nombre 
de  pirates.  Ces  mouvements  des  Anglais  excitèrent  la  jalousie 
des  HoUand.iis,  qui  dès  134G  réunirent  toutes  leurs  pos- 
sessions en  un  seul  gouvernement,  envoyèrent  des  expédi- 
tions dans  l'intérieur,  et  renouvelèrent  leurs  traités  d'amitié 
avec  les  différents  souverains  de  l'île. 

BORIVES.  L'origine  des  bornes  remonte  aux  Égyptiens. 
Leur  contrée  étant  soumise  aux  crues  périodiques  du  Nil, 
les  limites  naturelles  des  propriétés  disparaissaient  souvent 
au  milieu  des  ravages  du  fleuve;  de  là  pour  eux  la  nécessité 
«l'établir  des  limites  factices.  Les  anciens  eurent  recours  à 
la  Divinité  pour  protéger  les  droits  de  propriété  de  chacun  ; 
et  les  dieux  défenseurs  de  ce  droit  jouent  un  grand  rôle 
dans  la  mythologie  {voyez  Termes).  Le  Deutéronome 
n'avait  pu  (pie  prononcer  des  malédictions  contre  ceux  qui 
<hangeaient  les  bornes  des  héritages.  Aujourd'hui  la  loi  pro- 
tège les  bornes  des  champs  et  punit  ceux  qui  oseraient  les 
déplacer  {voyez  Bounage). 

Les  bornes  ne  servent  pas  seulement  à  marquer  les  limites 
(les  propriétés  territoriales;  on  en  établit  aussi  dans  les  rues 
des  villes,  pour  proti'ger  les  édifices  contre  le  choc  des  voi- 
tures. Quelquefois  aussi  elles  servent  à  tendre  des  chaînes; 
mais  l'usage  des  trottoirs  et  des  grilles  tend  à  les  faire  dis- 
(uuaître. 

Sur  les  routes,  on  indique  les  distances  par  des  bornes  pla- 
I  ces  de  cinq  cents  en  cinq  cents  mètres  :  ellc^;  sont  en  louie 
iMi  en  pierre  taillée  cylindriqxiement  ou  rectiingulairement , 
t't  portent gravésdu  côtéde  la  route  des  chiffresqui  ilésignent 
v\\  kilomètres  et  demi -kilomètres  la  distaure  du  point  où 
on  les  tiouve  fixées  au  chel-lieu  du  département. 

Pour  laver  les  rues  l'eau  coule  de  bornes-fontaines  en 
fonte.  L'administration  des  postes  a  lait  placer  en  différents 
endroits  d'autres  bornes  en  lonte  pour  recevoir  les  lettres. 

Au  figuré,  connue  au  propre,  bornes  se  prend  dans  le 
.sens  de  limites.  C'est  ainsi  qu'on  |)arle  des  bornes  du  droit 
et  du  devoir,  des  bornes  du  respect,  de  la  sagesse,  du  pou- 
voir, de  la  raison,  de  la  bienséance.  Tout,  dit-on,  doit 
avoir  des  bornes.  L'infini  seul  n'en  a  pas.  Mais  l'Iionune 
peut-il  concevoir  l'infini?  lui  dont  l'esprit  est  si  borne. 

Depuis  soixante  ans  la  puissance  des  hommes  dans  les 
sciences  appliquées  ne  semble  plus  reconnaître  de  bornes. 
Elle  (end  les  airs,  arrache  aux  cieux  ses  secrets,  pénètre 
dans  les  entrailles  de  la  terre,  la  dépouille  de  ses  richesses  et 
la  force  encore  à  lui  révéler  le  secret  de  ses  révolutions.  Ces 
barrières,  qui  depuis  longtemps  séparaient  le  globe  en  d'in- 
nombrables régions,  disparaissent  :  grâce  à  la  vapeur,  les 
Étals  n'ont  plus  de  distances,  et  les  vents,  ces  des[)otes  des 
mers,  restent  désormais  domptés.  De  minute  en  minute 
l'honmie  décompose  i)onr  recréer,  et  il  plane  sur  l'univers 
comme  s'il  en  était  devenu  le  souverain.  Alais  il  tond)e  a  sou 
tour,  englouti  dans  le  gouffre  de  sa  prop:e  lécondité.  Le  tra- 
vail individuel  est  sapé  à  sa  base  :  où  il  fallait  naguère  la 
longue  fatigue  de  milliers  de  bras,  des  machines  que  meut 
l'inspiration  des  sciences  exactes  dépassent  en  quelques  se- 
condes le  chilfre  de  tous  les  antiques  produits.  Ce  n'est  pas 
là  l'infini,  mais  dans  un  sens  c'est  ce  qui  en  approche  da- 
vantage :  telle  est  la  dernière  n^volntion  qui  attendait  le 
globe.  Ce  qui  tempère,  du  reste,  la  tyrannie  industrielle, 
c'est  que  les  sciences  exactes  ne  s'arrêtent  jamais  dans  la 
marche  de  leurs  inventions;  il  ne  leur  faut  pas  beaucoup  de 
temps  pour  que  la  dernière  découverte  dévore  celle  qui  l'a 
précé<lce.  Aussi  reste-t-il  à  peine  de  la  gloire  pour  quatre  ou 
cin*!  graurls  noms  <pii  smiiagent;  le  surplus  n'est  «ju'iaid 
fouie  qui  passe  après  avoir  élé  utile  a  son  heure. 


404 


BORNES 


11  n'en  est  pas  de  mCme  du  génie  (lui  s'exerce  dans  la  lit- 
térature ou  dans  les  arts  :  là  tout  est  borne;  en  retour,  les 
succès  légitiniement  ac(|uis  résistent  aux  révolutions  et  se 
luainliennent  victorieux  en  face  de  tous  les  caprices  ou  de 
toutes  les  réformes.  L'espace  est  circonscrit,  mais  l'empreinte 
de  chaque  pas  habilement  tenté  s'>  conserve.  Un  seul  homme 
peut  s'élancer  au  delà  de  toutes  les  sciences  exactes ,  prises 
dans  leur  ensemble  :  il  les  liera  de  nouveau.  En  littérature 
ou  dans  les  arts,  il  n'est  pas  inôme  possible  de  réussir  dans 
tous  les  genres,  parce  qu'il  faudrait  posséder  une  réunion 
de  qualités  qui  se  rei)Oussent  et  s'excluent.  Là  non-seule- 
ineut  il  faut  se  défendre  de  l'universalité,  mais  il  est  sage 
encore  de  se  tenir  juscju'a  un  certain  point  dans  les  bornes 
imposées  à  chaque  genre  :  ce  n'est  que  bien  rarement  qu'il 
est  permis  de  les  étendre  ou  de  les  franchir.  Des  beautés 
sublimes  apportent  sans  doute  leur  excuse;  mais  enfin  ce 
sont  de  ces  hardiesses  où  le  génie  lui-même  peut  fort  bien 
se  tromper.  Dans  l'intérêt  de  sa  gloire,  certaines  bornes  lui 
sont  donc  utiles,  et  les  respecter  constitue,  en  général,  ce 
qu'on  est  convenu  d'ajipeler  l'esprit  de  conduite. 

Dans  les  dernières  aimées  du  règne  de  Louis-l'hilippe, 
par  allusion  aux  bornes  qui  se  tiennent  immobiles  le  long  des 
grands  chemins  et  regardent  impassiblement  le  mouvement 
qui  se  fait  devant  elles,  on  avait  donné,  au  iiguré,  le  nom  de 
bornes  à  ces  esjjiits  stationnaires,  cloués  à  tous  les  vieux 
préjugés  et  croyant  pouvoir  arrêter  la  marche  i\u  [irogrès  en 
lui  opposant  leur  masse  inerte.  M.  de  Lamartine,  dans  une 
de  ses  plus  belles  improvisations  parlementaires,  (it  justice, 
à  cette  même  é|)oque,  de  ces  dieux  termes  de  la  politique, 
<iui  ne  se  jouent  pas  moins  de  toutes  les  attaques  et  qu'on 
aura  grand'  peine  à  déraciner  du  sol,  dans  lequel  de  plus  en 
plus  ils  s'enloucetit. 

liOllAlIOEVED  ou  BORNHŒl'T,  petite  paroisse  du 
bailliage  de  Segeberg,  dans  le  duché  de  Holstein,  à  30  kilo- 
mètres au  sud  de  Kiel ,  à  la  source  du  lîornbach.  C'est  à  peu 
près  le  point  central  et  le  plus  élevé  du  Holstein  proprement 
dit  et  du  Storuiarn;  plusieurs  rivières  y  prennent  leurs 
sources  et  se  dispersent  dans  touîes  les  directions;  de  là  le  nom 
de  Brunnenhmtpt  ou  Quelloiluiupl,  qu'on  lui  donne  aussi. 
Autour  de  l'église  de  lîurnlKeved  ou  Zuentiveld,  cons- 
truite en  1(49,  i)ar  révoque  Yicelin  ,  se  réunissait  autn^fois 
la  fleur  de  la  chexaleiie.  C'est  là  (pie  jusqu'en  1480  la  diète 
des  prélats,  des  chevaliers  et  des  villes  du  Holstein  et  du 
Stormarn  tint  ses  séaiic(^s.  Le  22  juillet  1227,  le  comte 
Adolphe  IV  de  Holstein,  le  coude  Henri  de  Schwerin,  le 
duc  Albert  de  Saxe,  raichevêque  Gerhard  de  Brème  et 
les  Lubeckois  y  remporlèreul  une  victoire  coinplèle  .sur  le 
roi  de  Danemark  \^aMemar  11,  qui  fut  blessé  et  fait  pri- 
sonnier par  le  duc  Olhon  de  Lauenbourg.  C'est  là  encore 
que,  le  24  juin  i;ii)7,  le  duc  (Jeriiard  partagea  le  Holstein 
avec  ses  frères;  la  euiin  que,  le  G  décembre  IHia,  les  Sué- 
dois battirent  les  Danois,  qui  opéraient  leur  retraite. 

BOUIVUOLM,  île  du  Danemark  située  dans  la  Ikdtique 
et  dépendante  du  bailliage  de  Seeiande;  sa  superficie  est 
de  GiiO  kilomètres  cariés,  y  ciinijiris  les  petites  (les  voi- 
sines, et  sa  populali(jii  de  27,00(t  habitants.  Cette  ile  est 
à  140  kilomèlies  de  celle  de  Seeiande,  51  de  la  province 
suédoise  de  Sc;:iiie,  e!  à  la  m('iiie  «ii<lanc.e  de  file  de 
Rugen;  elle  a  :VJ  kilo!::élres  de  ioiig  sur  27  de  large.  Elle 
csttrès-montueiise,  surtout  au  nord,(!t  enviioiincede  rochers 
«scarpés,  de  bancs  de  sable  et  de  brisants  qui  en  rendent 
l'accès  fort  diflicile.  Le  sol  est  assez  l'erlile  au  sud;  mais  au 
nord  l'ile  n'oflie  (ju'uiie  laïuK;  déserte,  ap()elée  l.ontjmark. 
tTest  de  lîoriihohu  (|ue  l'on  tire  la  terre  eini)loy(-e  dans  la 
l'abri(pie  de  porcelaine  de  Cojienliague.  Les  habitants,  d'o- 
rigine danoise,  se  livrent  avec  .succès  à  la  iièclie,  élèvent 
beaiK^oup  de  gros  bétail,  de  chevaux  ,  de  brebis,  s'occiii)ent 
<|iiel(pie  peu  d'agriculture  et  de  l'éducation  de»s  abeilles, 
chassent  li!S  oiseaux  de  mer  et  ont  (jueUiues  •àbri(pies  de 
laine,  do  iioleric,  d'horlogerie.  Le  coaiiuerce  et  la  naviga- 


■  DOllNOU 

tion  ont  réiiaiulu  l'aisance  parmi   eux;  aussi  sont-ils  de 

hardis  marins,  sobres  et  robustes. 

Le  chef-lieu  de  l'île  est  Rœnne  ou  Rottum ,  sur  la  côte 
occidentale,  avec  4,500  habitants,  un  port  protégé  par  une 
batterie,  un  gymnase  et  un  magasin.  Neroe  et  Svanike  sont 
des  localités  moins  considérables.  Les  ruines  du  château  his- 
torique Ilammerhuus  se  trouvent  sur  la  côte  septentrio- 
nale. En  face  de  la  côte  orientale  sont  situées  les  Exteholm 
ou  îles  Christiansoe ,  avec  un  port  défendu  par  un  château 
qui  servait  autrefois  de  prison  d'État  ;  Frederiksholni,  avec  un 
jiliare  haut  de  28'", 52,  etGrœsholm,  sur  laquelle  on  recueille 
beaucoup  d'édredon. 

Dans  le  moyen  àgc,  Bornliolm,  appelée  Berongia  ou 
Burgunderholm ,  ai)partenait  à  l'archevêque  de  Lund,  sous 
la  suzeraineté  du  Danemark.  Lors  de  la  guerre  que  la  Ligue 
hanséatique,  alliée  de  Gustave  Wasa,  lit  au  roi  du  Dane- 
mark, elle  conquit  cette  lie,  qu'elle  restitua  bientôt.  Cédée 
à  la  Suède  par  la  paix  deRœskilde,  l'île  ne  resta  pas  long- 
temps sous  sa  domination.  Les  habitants  se  révoltèrent,  et  a 
la  paix  de  Copenhague  en  lOiiO,  ils  rentrèrent  sous  l'auto- 
rité du  roi  de  Danemark.  Boruholm  a  une  milice  dont  le  roi 
est  le  commandant  immédiat. 

BORl\OU,  puissant  royaume  du  Soudan,  qui  a  pour 
limites  à  l'est  le  royaume  de  Begharrai ,  au  sud  celui  de 
Mandara,  à  l'ouest  celui  de  Houssa,  au  nord  celui  de  Ka- 
nem  et  le  désert.  Les  données  qu'on  possède  sur  son  éten- 
due manquent  de  certitude.  11  est  probable  qu'elle  a  varié; 
aussi  en  est-il  qui  veulent  que  la  Nubie  forme  sa  limite 
orientale  et  que  le  grand  lac  de  Tchad  en  occupe  le  centre. 
On  admet  généralement  que  sur  une  superlicie  de  8,258 
à  8,800  myriamètres  carrés  il  renferme  une  population  de 
deux  millions  d'habitants.  A  l'exception  des  versants  de  la 
chaîne  de  montagnes  des  Fellatahs ,  qui  se  prolonge  vers  le 
sud,  atteint  une  élévation  assez  considérable  et  est  riche- 
ment boisée,  la  contrée  est  complètement  plate  et  facile- 
ment inondée  par  les  débordements  des  deux  grands  cours 
d'etiu  ([ui  l'arrosent,  le  Schary,  qui  prend  sa  soiuce  dans 
les  monts  Mandara,  et  l'Yeu,  qui  provient  del'Houssa,  sans 
compter  leurs  nombreux  petits  allluents.  Comme  caractère 
|)articulier  du  pays,  il  faut  mentionner  l'extrême  chaleur 
((u'on  y  ressent,  et  que  diminuent  pourtant,  circonstance 
bien  remarquable,  les  vents  qui  ont  traversé  le  Sahara. 
Le  sol  (le  Bornoii  possède  une  suiprenanle  lécondlte.  Ce- 
pendant la  végétation  est  loin  d'y  présenter  de  la  variété. 
Il  produit  d'ailleurs  en  abondance  les  plantes  alimentaires 
les  plus  utiles,  comme  le  maïs,  le  millet,  l'orge,  le  riz  et 
les  lèves,  ainsi  que  beaucoup  de  coton  et  d'indigo.  Indépen- 
damment d(ïsanimaux  utiles,  tels  que  les  chevaux,  les  buffles, 
les  clépliants,  les  bœuls,  les  moutons,  qui  tous  y  prospè- 
rent, le  Boniou  abonde  aussi  en  bêles  féroces  <le  l'espèce  la 
jibis  dangereuse,  comme  lions,  panthères,  etc.  Sur  les  bords 
des  rivièies,  et  dans  les  torèls  qui  ne  croissent  qu'aux  en- 
virons des  couis  d'eau,  on  trouve  beaucoup  d'oiseaux, 
mais  aussi  énormément  de  serpents  et  de  crocodiles.  Les 
abeilles  sauvages  y  sont  en  telle  (^uanlili',  qu'où  rejette  leur 
cire  comme  matière  complètement  sans  valeur. 

Le  majeure  pariie  de  la  population,  et  notamment  celle 
aux  mains  de  la(iiielle  se  trouve  la  puissance,  fait  profes- 
sion d'islamisme.  Cependant,  à  côté  des  Schououans,  des- 
cendants d'.-\rabos  émigrés,  les  Nègres  indigènes  ont  encore 
conservé  bon  nombre  de  prati(p;cs  derniers  débris  du  féti- 
chisme. Quand  on  réiléchil  qu'il  n'y  a  pas  de  fer  dans  le  pays 
de  Bornou,  qu  il  faut  le  tirer  de  jM.'.ndara,  que  le  bois  même 
y  est  assez  peu  comiuuu,  il  est  difficile  d'admettre  que  l'in- 
dustrie puisse  jamais  parvenira  y  iirendre  des  développe- 
ments bien  importants.  La  seule  fabrication  des  étoffes  «le 
coton,  que  les  habitants  excellent  a  teindre  d'une  belle  cou- 
leur bleue,  parce  que  l'indigo  croit  en  abondance  sur  leur 
sol,  donne  lieu  à  des  transactions  commerciales  considé- 
r.dilc'.;,  surtout  avec  le  l'\'z/.an.  On  y  fabriijueausvi  avec  beau- 


BORNOU  —  BORROMÉE 


coup  de  soin  les  armures  de  guerre,  tant  pour  chevaux  que 
pour  cavaliers.  En  ce  qui  touche  l'agriculture,  c'est  l'Arabe 
qui  l'y  a  introduite,  en  même  temps,  dit-on,  que  la  traite  des 
esclaves  qui  s'y  fait  sur  une  très-large  échelle  et  qui  en- 
traîne un  grand  nombre  de  guerres,  notamment  contrôles 
Abyssiniens.  Indépendamment  de  la  langue  arabe,  qui  est 
celle  delà  grande  majorité  des  habitants,  on  parle  encore 
dans  le  Bornou  neuf  dialectes  différents. 

Au  commencement  de  ce  siècle ,  le  Bornou  fut  subjugué 
p-ir  les  Fellatahs;  mais  le  chéik  El  Kanemi  parvint  à  se- 
couer le  joug  qui  pesait  sur  son  pays,  dont  il  agrandit 
d'ailleurs  le  territoire  par  des  conquêtes;  de  sorte  qu'il 
a  aujourd'hui  pour  tributaires  les  royaumes  de  Kanem, 
sur  la  rive  nord-est  du  lac  de  Tchad ,  avec  Lari,  son  antique 
capitale;  de  Loggoun,  au  sud  de  ce  lac,  avec  une  popula- 
tion très-industrieuse,  et  pour  capitale,  Koiirnouk  ou  Log- 
goun; de  Mandara,  avec  Dilo  pour  capitale  :  les  uns  et 
les  autres  govivernés  par  des  princes  vassaux.  Le  chéik 
suprême,  qui  a  nom  aujourd'hui  Kelam-el-Anûn,  tils  du 
conquérant  nnentionné  plus  haut,  réside  à  Kouka,  la  nou- 
velle capitale,  bâtie  à  peu  de  distance  du  lac  de  Tchad. 
Le  gouvernement  est  absolu,  et,  comme  chez  tous  les  peu- 
ples mahométans,  la  justice  s'y  administre  par  voie  de  com- 
position. Les  forces  militaires  considérables  que  cet  État 
entretient  constamment  sur  pied  lui  donnent  une  grande 
importance  dans  l'Afrique  centrale. 

BORIXOYER  ou  BORNEYER.  C'est  une  opération  de 
jardinage,  qui  consiste  à  aligner  et  dresser  une  allée  sur  le 
terrain  au  moyen  de  jalons  et  du  niveau. 

En  architecture ,  bornoyer  veut  dire  aussi  s'assurer  à  l'œil 
si  une  chose  est  droite.  Un  tailleur  de  pierre  bornoie  un 
parement  de  pierres  pour  examiner  s'il  est  droit  et  bien  dé- 
gauchi. 

BOROHBUDOR,  c'est-à-dire  le  vieux  Boro,  nom  d'une 
ville  en  ruines,  située  dans  la  province  de  Kadou  ou  Kedou, 
vis-à-vis  du  confluent  de  l'Ello  et  du  Progo,  sur  le  versant 
septentrional  des  monts  Minoreh ,  chaîne  peu  élevée  et  peu 
boisée  de  l'intérieur  de  l'île  de  Java.  Ces  ruines  surpas- 
sent de  beaucoup  en  intérêt  celles  de  Brambanan  et  de 
Singasari.  On  admire,  entre  autres,  un  temple  de  Bouddha, 
bâti  dans  des  proportions  gigantesques  et  assez  bien  con- 
servé; c'est  une  magnifique  pyramide  de  163  mètres  de 
large  et  de  trente-six  de  haut,  coupée,  à  la  manière  des 
pagodes ,  en  six  sections  et  décorée  de  nombreuses  statues 
assises  dans  des  niches  et  portant  chacune  une  couronne 
en  forme  de  dagop  simple.  Le  sommet  forme  une  large 
plate-forme  au  milieu  de  laquelle  s'élève  une  double  rangée 
circulaire  de  petits  dagops ,  dont  ceux  du  cercle  intérieur 
sont  plus  hauts  que  les  autres.  Au  centre  s'en  dresse  un 
seul ,  mais  le  plus  grand  de  tous ,  qui  couronne  tout  l'édifice. 
Cette  construction  semble  remonter  au  dixième  siècle  de 
notre  ère. 

BORODINO,  yillage  de  Russie,  dans  le  cercle  de  Mo- 
jaïsk,  gouvernement  de  Moscou,  à  115  kilomètres  ouest-sud- 
ouest  de  cette  ville,  sur  la  Kologa,  petit  aflluent  de  la  Mos- 
kowa.  Les  Russes  ont  donné  le  nom  de  bataille  de  Borodino 
à  la  sanglante  affaire  du  7  septembre  1812,  qui  ouvrit  les 
portes  de  Moscou  à  la  Grande  Armée  (  voyez,  Moskowa 
[Bataille  delà]). 

BOROUGH  (  en  anglo-saxon  byrig),  mot  anglais  si- 
gnifiant bourg,  et  qui  désignait  à  l'origine,  comme  le  burg 
des  Allemands ,  un  lieu  protégé  par  des  travaux  de  défense 
et  propre  à  servir  de  refuge  contre  les  attaques  de  l'ennemi. 
Quand  ils  conquirent  la  Bretagne,  les  Anglo-Saxons  accrurent 
encore  le  nombre,  déjà  si  considérable,  de  villes  grandes  ou 
petites  fondées  par  les  Romains ,  et  donnèrent  le  nom  de 
byrig  aux  localités  qui  jouissaient  des  droits  de  municipe. 
Toutes  alorsétaieutnécessaircmententourées  de  murailles,  et 
elles  avaient  à  leur  tête  un  byrig-geré/a  (le  Burggra/ des 
Allemands  ),  nommé  par  voie  d'élection,  L'invasion  nor- 

Dir.T.     DE   LA    Cn.NVERS.    —  T.    111. 


46.^ 


mande  détruisitcesinstitutionsdémocratiques,  et  les  remplaça 
par  le  système  féodal.  Des  baiUis,  généralement  d'origine 
française,  et  nommés  par  le  souverain,  remplacèrent  les 
byrig-gerêfas ,  avec  des  pouvoirs  illimités  et  dont  ils  abu- 
saient le  plus  souvent  de  la  manière  la  plus  cruelle.  Il  était 
dès  lors  naturel  que  les  habitants  cherchassent  à  s'affran- 
chir de  l'autorité  de  ces  fonctionnaires  ;  et  moyennant  certaines 
redevances  payées  à  la  couronne ,  ils  obtinrent  en  effet  la 
permission  de  s'administrer  eux-mêmes  en  vertu  de  chartes 
spéciales.  Les  localités  ainsi  affranchies  prirent  le  nom  de 
boroughs,  et  furent  pour  les  droits  politiques  assimilées 
aux  villes  (  cities  )  investies  du  privilège  de  se  faire  repré- 
senter par  des  mandataires  aux  assemblées  générales  de  la  na- 
tion, origine  du  parlement.  Mais  il  arriva  avec  la  suite 
des  temps  que  certaines  de  ces  localités  perdirent  peu  à  peu 
de  leur  ancienne  importance,  tout  en  conservant  le  droit  de 
se  faire  représenter  au  parlement,  et  que  les  élections  s'y 
trouvèrent  aux  mains  de  quelques  individus,  qui  en  vinrent 
à  trafiquer  publiquement  de  leurs  voix.  Cet  odieux  abus  fit 
désigner  les  localités  de  ce  genre  sous  le  nom  de  rotten 
boroughs,  bourgs  -  pourris. 

BORRAGINÉES,  famille  de  plantes  dicotylédones,  mo- 
nopélales ,  hypogynes ,  qui  tire  son  nom  de  la  bourrache 
(en  latin  borrago).  Elles  sont  pour  la  plupart  herbacées, 
quelquefois  ligneuses,  à  feuilles  alternes,  ordinairement 
couvertes  de  poils  rudes,  ainsi  que  les  tiges,  qui  sont  cylin- 
driques. Leurs  fleurs  forment  des  épis  roulés  en  crosse  à 
leur  sommet  ;  elles  se  partagent  en  deux  sections  distinctes, 
d'après  la  nature  de  leur  fruit ,  qui  est  une  baie  dans  quel- 
ques-unes, ou  un  assemblage  de  quatre  graines  nues  dans 
d'autres.  Les  principaux  genres  de  borraginées  sont, 
parmi  les  plantes  médicinales,  la  bourrache  aux  fleurs 
bleues  ou  violettes ,  à  corolle  rosacée  ou  étoilée  ;  la  c  y  n  o- 
glosse,  la  consolide ,  la  buglosse,  la  pulmo- 
naire; parmi  les  plantes  d'ornement,  la  vipérine,  le 
myosotis  ,eiY  héliotrope.  Les  premières  sont  en  gé- 
néral mucilagineuses,  douces  et  émollientes,  et  leur  suc 
contient  souvent  du  nitrate  de  potasse  tout  formé  ;  ce  qui  les 
rend  diurétiques.  L'écorce  de  la  racine  de  plusieurs  d'entre 
elles,  comme  Vprcanette,  donne  une  teinture  rouge. 
BORROMÉE  (  Saint  Charles  ),  naquit  le  2  octobre  1538, 
au  château  d'Arone,  sur  les  bords  du  lac  Majeur,  dans  le 
Milanais.  Fils  de  Gilbert  Borromée,  comte  d'Arone,  le  pape 
Pie  IV  était  son  oncle  maternel.  Pourvu  dès  l'âge  de  douze 
ans  d'une  abbaye  commeudataire,  puis  d'une  autre  abbaye 
et  d'un  prieuré  que  lui  résigna  ce  pontife,  il  fut  élu  car- 
dinal à  l'âge  de  vingt-trois  ans.  Pie  IV ,  vieux  et  infirme,  en 
revêtant  de  la  pourpre  son  neveu,  jeune  et  plein  de  zèle, 
avait  donné  une  colonne  à  l'Église  et  une  âme  au  Concile  do 
Trente;  car  ce  fut  à  la  sollicitation  de  Charles  Borromée 
que  cette  assemblée  fut  convoquée  de  nouveau. 

Son  étude  favorite  parmi  les  anciens  était  celle  d'Épictèle 
et  de  Cicéron.  La  nature  lui  avait  refusé  le  talent  de  la  pa- 
role ;  il  en  triompha  par  des  exercices  fréquents  au  sein  d'une 
académie  fondée  par  ses  soins  au  Vatican.  L'Église  dut  à 
cette  académie  des  cardinaux,  des  évêques,  une  foule  de 
savants ,  et  par-dessus  tout  le  pape  Grégoire  XIII.  Arche- 
vêque de  Milan ,  Borromée  entra  dans  un  diocèse  où  la  cor- 
ruption des  mœurs  était  parvenue  à  son  comble  et  autorisée 
par  les  scandales  dont  la  cour  de  Rome  donnait  l'exemple. 
Pour  couper  court  à  ces  désordres,  il  convoqua  six  con- 
ciles provinciaux  et  onze  synodes  diocésains,  où  les  rè- 
glements du  Concile  de  Trente  furent  remis  en  vigueur  et 
imposés  au  clergé  et  à  l'Église.  Il  créa  en  outre  la  congré- 
gation des  oblats ,  mot  qui  signifie  offerts ,  dévoués ,  parce 
qu'ils  s'engageaient  par  vœu  à  porter  aide  et  secours  à 
l'Église.  Quanta  son  zèle, il  n'y  avait  point  dans  les  Alpes 
de  précipices,  de  roches,  d'avalanches,  qu'il  n'affrontât 
pour  visiter  son  diocèse,  qui  s'étendait  fort  loin.  Ce  prélat 
fonda  des  écoles,  des  séminaires,  des  couvents,  des  bôpi- 

51 


46r> 


BORROMÊE  —  BORROMINI 


taux,  bâlit  ou  répara  un  grand  nombre  de  temples,  parmi 
lesquels  celui  de  Saint-Fidèle  à  Milan,  qui,  par  sa  magnifi- 
cence et  son  étendue,  peut  être  rais  au  rang  des  plus  grands 
et  des  plus  beaux  de  l'Italie.  Depuis  plus  d'un  siècle  les 
archevêques  de  Milan  ne  résidaient  plus  dans  leur  diocèse  : 
aussi  cette  église  était-elle  dans  un  état  absolu  de  dégra- 
dation ,  et  en  proie  aux  caprices  du  clergé.  Saint  Charles  la 
tira  de  cette  anarchie ,  malgré  les  efforts  de  l'ordre  des 
humiliés  et  du  chapitre  de  la  Scala.  Tout  était  bon  à  ces 
moines  odieux  pour  arriver  à  leur  but.  Un  jour,  au  mo- 
ment où  le  pieux  archevêque  était  à  genoux  au  pied  de 
l'autel,  un  frère  Farina,  que  ces  forcenés  avaient  aposté,  tira 
sur  lui,  à  six  pas,  un  coup  d'arquebuse  :  le  coup  mal  as- 
suré ne  fit  qu'endommager  la  soutane  et  le  rochet  de  ce 
sage  de  l'Église ,  qui ,  sans  détourner  les  regards ,  continua 
sa  prière.  Malgré  l'intercession  de  l'excellent  archevêque. 
Farina  et  ses  complices  furent  mis  à  mort. 

Si  l'on  veut  avoir  une  idée  de  la  naïveté  de  cœur  et  de  la 
simplicité  de  mœurs  de  ce  bon  prélat,  on  saura  que  dans 
une  maladie  grave  il  se  guérit  par  le  moyen  de  la  mu- 
sique, qu'il  aimait  beaucoup,  mais  qu'il  n'usa  qu'avec 
modération  de  ce  spécifique ,  dont  la  mollesse  et  l'attrait 
lui  eussent  semblé  dangereux;  qu'il  abandonna  ses  biens  à 
sa  famille,  et  fit  trois  parts  des  revenus  de  son  archevêché, 
une  pour  les  pauvres ,  une  seconde  pour  l'Église ,  une  troi- 
sième pour  lui  ;  qu'il  rejeta  la  soie  de  ses  vêtements ,  bannit 
du  palais  épiscopal  tous  les  objets  d'art  mondains  ou  pro- 
fanes ,  et  qu'enfin  il  soumit  son  corps  à  des  jeûnes  et  son 
esprit  à  des  méditations.  Jusque  là  son  zèle  religieux  ne 
passait  pas  les  bornes;  mais  coucher  sur  des  planches,  mais 
organiser  des  processions,  qu'il  suivait  les  pieds  nus  et  la 
corde  au  cou ,  dans  les  rues  de  Milan ,  que  ravageait  la 
peste,  et  cela  pour  apaiser  la  colère  de  Dieu,  c'était  mécon- 
naître l'essence  de  la  Divinité,  c'était  être  saintement  ho- 
micide de  soi-même  !  Sa  présence  pendant  six  mois  au 
milieu  des  pestiférés ,  ses  consolations ,  ses  dons  sans  me- 
sure ,  son  lit  qu'il  vendit  pour  les  pauvres ,  hii ,  élevé  dans 
le  faste  et  la  pompe  de  la  cour  de  Rome ,  voilà  ce  qui  éter- 
nisera son  nom,  voilà  ce  qui  l'a  rendu  à  tout  jamais  l'objet 
de  la  vénération  de  l'Italie  et  de  toute  la  chrétienté.  Ce  fut 
à  quarante-six  ans,  le  3  novembre  1584,  qu'usé  de  jeûnes, 
de  veilles  et  de  fatigues ,  il  termina  sa  carrière.  ,En  1610 
Paul  V  canonisa  ce  modèle  des  archevêques.  Parmi  ses  ou- 
vrages on  remarque  trenteet  un  volumes  de  lettres,  des  ho- 
mélies, les  Nuits  du  Vatican,  la  collection  de  ses  Conciles, 
et  les  Actes  de  l'Église  de  Milan.  Son  style  n'a  rien  de  la 
sublimité  ni  de  la  force  de  celui  des  Pères  de  l'Église,  mais 
il  a  de  l'onction  et  de  la  douceur.  La  châsse  de  ce  saint 
passe  pour  une  merveille  d'orfèvrerie.        Denne-Baron. 

En  1G07  une  statue  colossale  fut  élevée  auprès  d'Arone  , 
sur  une  éminence  dominant  le  lac  Majeur,  à  saint  Charles 
Borromée.  Cette  statue  est  en  bronze  ;  elle  a  23",5  de  hau- 
teur; le  piédestal,  en  granit,  a  15  mètres  de  haut. 

Son  cousin ,  le  comte  Frédéric  Boruomée  ,  né  en  1 563  , 
cardinal  et  archevêque  de  Milan  de  1595  à  1631 ,  fut  le  fon- 
dateur de  la  bibliothèque  Ambroisienne. 

BORROMÉES  (lies) ,  nom  de  plusieurs  petites  lies 
dans  le  lac  Majeur.  Ainsi  nommées  de  la  famille  Borro- 
mée ,  qui  depuis  des  siècles  possède  les  plus  riches  do- 
maines des  bords  du  lac  Majeur;  ces  îles  sont  aussi  appe- 
lées quelquefois  Isole  dei  ConigH,haiuse  du  grand  nombre 
de  lapins  qu'elles  nourrissent.  Ce  n'étaient  que  des  rochers 
arides,  lorsque  le  comte  Vitaliano  Borromée  entreprit, 
en  1671,  de  les  embellir  en  y  faisant  transporter  de  la  terre 
végétale  et  construire  des  terrasses.  Elles  sont  au  nombre 
de  cinq,  V Isola  Bella,  V Isola  Madré,  V Isola  di  San  Gio- 
vanni, San  Michèle  et  Ylsola  de'  Pescatori;  les  deux 
premières  surtout  sont  célèbres  par  leur  beauté.  Sur  la  côte 
occidentale  de  V Isola  Bella  s'élève  un  palais  vaste  et  magni- 
fique, qui  renferme  une  superbe  galerie  de  tableaux  des 


meilleurs 'maîtres.  Ce  palais  communique  par  les  salle 
terrcne ,  suite  de  grottes  revêtues  de  pierres  de  diverseê 
couleurs  et  décorées  de  fontaines ,  avec  des  jardins  supportés 
par  dix  terrasses  qui  vont  en  se  rétrécissant  de  manière  à 
présenter  la  forme  d'une  pyramide  tronquée  couronnée  par 
le  statue  colossale  d'une  licorne,  armes  de  la  famille  Borro- 
mée. L'Isola  Madré ,  située  au  milieu  du  lac ,  est  peuplée 
de  faisans,  et  jouit  d'un  climat  encore  plus  doux  ;  sept  ter- 
rasses conduisent  à  son  château.  Couvertes  de  plantes  du 
midi  de  toutes  espèces,  ces  îles  répandent  sur  le  lac  le 
plus  délicieux  parfum.  Comme  on  n'y  trouve  aucune  hôtel- 
lerie, les  voyageurs  qui  les  visitent  doivent  passer  la  nuit 
dans  les  petites  villes  du  voisinage,  Intra,  Pallanza  ou 
Baveno.  Les  habitants  de  l'/5oZa  rfe' Pe^ca^ori  vivent  princi- 
palement du  produit  de  leur  pêche,  qu'ils  portent  à  Milan 
ou  dans  le  Piémont,  et  des  profits  de  la  contrebande. 

BORROMIIVI  (François),  architecte  célèbre,  né  en 
1599,  à  Bissone,  dans  le  diocèse  de  Côme,  en  Italie,  était 
d'une  famille  dont  plusieurs  membres  paraissent  s'être  dis-: 
tingués  dans  la  même  profession.  Son  père,  qui  lui  avait 
donné  les  premières  leçons  de  son  art,  l'envoya  dès  l'âge  de 
neuf  ans,  étudier  la  sculpture  à  Milan,  et  de  là  il  vint  à 
Rome,  où  Charles  Maderno,  son  parent,  alors  architecte  de 
la  fabrique  de  Saint-Pierre,  acheva  son  éducation,  et  le  mit 
bientôt  en  état  de  le  seconder  dans  les  travaux  que  lui  avait 
confiés  Urbain  VIIL  Cependant  les  sept  années  qu'il  avait 
passées  à  Milan,  et  qui  avaient  été  entièrement  consacrées 
à  la  sculpture,  avaient  décidé  de  sa  vocation,  et  il  y  aurait 
sans  doute  persisté  si  le  désir  de  surpasser  le  Bernin,  qui 
avait  succédé  à  Maderno,  en  1629,  dans  la  place  d'archi- 
tecte de  Saint-Pierre ,  devenue  vacante  par  la  mort  de  ce 
dernier,  ne  l'avait  porté  à  redoubler  d'elTorts  dans  la  nou- 
velle direction  qu'il  avait  prise.  Il  parvint  bientôt,  en  effet, 
et  grâce  à  la  protection  d'Urbain  VIII ,  à  enlever  à  celui 
qu'il  regardait  comme  son  rival  une  partie  des  travaux  qui 
devaient  être  exécutés  par  lui.  Il  eut  ainsi  successivement 
à  construire  l'église  de  la  Sapienza ,  le  couvent  de  Saint- 
Philippe  de  Néri ,  son  oratoire  et  sa  façade ,  l'église  du  col- 
lège delà  Propagande,  une  partie  du  bâtiment  de  l'église 
de  Sainte-Agnès  à  la  place  Navone ,  la  nouvelle  décoration 
intérieure  de  Saint-Jean-de-Latran ,  et  fut  chargé  égale- 
ment ,  toutefois  sous  la  direction  du  Bernin ,  de  la  conti- 
nuation des  travaux  du  palais  Barberini.  Sa  réputation 
s'étendit  si  loin  que  le  roi  d'Espagne,  ayant  résolu  d'agrandir 
son  palais  à  Rome ,  lui  commanda  un  projet  qui ,  bien  qu'il 
n'ait  jamais  été  exécuté,  valut  à  son  auteur  l'ordre  de 
Saint-Jacques  et  une  gratification  de  mille  piastres.  11  re- 
çut en  même  temps  du  pape  l'ordre  du  Christ,  avec  3,000 
écus  comptant  et  une  pension. 

Son  ambition  n'avait  plus  à  redouter  de  rivalité;  cepen- 
dant ,  son  humeur  envieuse  lui  faisait  toujours  voir  des  dé- 
faites dans  les  succès  du  Bernin ,  et  un  ennemi  dans  l'homme 
qui  avait  trop  de  goût  pour  ne  pas  blâmer  ses  caprices. 
Bernin,  en  effet,  le  regardait  comme  un  novateur  téméraire, 
destiné  à  corrompre  toute  l'architecture.  Enfin,  Bernin 
ayant  obtenu  la  conduite  d'un  édifice  déjà  confié  à  Borro- 
mini,  qui  en  avait  même  donné  les  dessins,  cette  préfé- 
rence fut  pour  celui-ci  l'occasion  d'un  ressentiment  qui  ne 
connut  plus  de  terme.  Pour  se  distraire ,  il  résolut  d'aller 
en  Lombardie.  Le  voyage  ne  put  chasser  son  ennui ,  qui 
le  ramena  bientôt  à  Rome,  où  son  mal  devint  incurable. 
En  vain,  pour  y  faire  diversion,  donna-t-il  un  libre  cours 
à  tous  les  caprices  de  son  imagination ,  dont  il  projetait  de 
faire  graver  le  recueil.  Il  présidait  à  ce  travail  lorsqu'un 
accès  d'hypochondrie  fit  désespérer  de  sa  vie,  et  une 
nuit  d'été,  ne  pouvant  trouver  de  repos,  il  se  saisit  d'une 
épéc,  et  s'en  perça  d'outre  en  outre.  Ainsi  périt,  en  1667  , 
à  l'âge  de  soixante-huit  ans,  cet  artiste,  victime  de  la 
jalousie  qui  avait  empoisonné  sa  vie  et  corrompu  son 
goût. 


BORROW  —  BOSG 


467 


BORROVV  (George),  écrivain  anglais,  né  à  Norfolk, 
en  1803,  montra  dès  sa  plus  tendre  jeunesse  des  dispo- 
sitions extraordinaires  pour  les  langues  el  un  goût  prononcé 
pour  les  aventures.  Dans  son  enfance,  il  passa  quelque 
temps  au  milieu  de  Boliémiens,  et  acquit,  en  vivant  avec  eux, 
une  connaissance  exacte  de  leur  langue,  de  leurs  mœurs 
et  de  leurs  usages.  Nommé  agent  de  la  société  biblique 
d'Angleterre,  il  parcourut  presque  toute  l'Europe  ainsi 
qu'une  partie  de  l'Afrique,  et  eut  ainsi  l'occasion  d'apprendre 
la  plupart  des  langues  modernes,  dans  leurs  divers  dialectes. 
L'incomm  avait  pour  lui  un  cbarme  invincible,  et  il  le 
poursuivait  au  prix  des  plus  grandes  fatigues ,  des  plus 
grands  dangers.  Fidèle  aux  prédilections  de  sa  jeunesse , 
il  fit  des  Bohémiens  l'objet  principal  de  ses  études.  Son 
premier  ou>Tage,  Les  Zincall,  ou  Description  des  Bohé- 
miens d'Espagne  (2  vol.;  Lond.,  1841)  intéresse  par  la 
vivacité  dramatique  du  style;  mais  c'est  à  un  autre  livre, 
qu'il  publia  sous  le  titre  de  La  Bible  en  Espagne  (2  vol., 
Londres,  1843),  qu'il  dut  surtout  sa  réputation.  C'est  une 
série  d'aventures  personnelles  aussi  variées  qu'intéressantes, 
môlées  de  peintures  de  caractères  et  de  descriptions  ro- 
mantiques ,  et  rachetant  par  la  force  et  la  vivacité  des  cou- 
leurs le  désordre  de  la  composition.  Après  un  long  silence, 
J3orrow  lit  paraître  Lavengro,  écolier,  bohémien  et  prêtre 
1 3  vol.;  Londres,  1850),  espèce  d'autobiographie,  où  la  fa- 
ble se  mêle  à  la  vérité.  Annoncé  depuis  longtemps,  cet 
ouvrage  n'a  pas  répondu  à  ce  qu'on  attendait ,  bien  qu'on 
y  rencontre  des  pages  attachantes.  Le  désir  de  représenter 
son  Lavengro  comme  un  caractère  tout  à  fait  exception- 
nel ,  a  entraîné  l'auteur  dans  des  exagérations  trop  fortes, 
et  l'originalité  un  peu  bizarre  qui  faisait  le  charme  de  ses 
premiers  écrits  semble  être  devenue  chez  lui  une  espèce  de 
inonomanie. 

BORY  DE  SAINT-VIIVCEXT  (Jean-Baptiste- 
Georges-Marie),  né  à  Agen,  en  1780,  prit  au  sein  d'un 
magnifique  musée  d'histoire  naturelle  existant  depuis  des 
générations  dans  sa  famille  le  goût  des  sciences  physiques , 
qu'il  ne  cessa  de  cultiver  toute  sa  vie.  La  révolution  vint 
interrompre  ses  études ,  et  le  jeta  avant  vingt  ans  dans  l'ar- 
mée. Il  ne  tarda  pas  à  se  faire  remarquer  de  ses  chefs. 
En  1800  il  commandait  un  fortin  à  Belle-Ue-en-Mer  lors- 
que, à  la  demande  de  Lacépède,  il  fut  appelé  à  l'emploi  de 
naturaliste  en  chef  d'une  expédition  de  découvertes ,  dont 
le  commandement  était  confié  au  capitaine  de  vaisseau  Ni- 
colas Baudin. 

Bory,  demeuré  à  l'île  de  France  pour  cause  de  maladie, 
explora  les  îles  voisines  dès  qu'il  fut  rétabli.  La  Réunion 
fixa  d'abord  ses  regards.  Sa  moisson  botanique  et  géolo- 
gique fut  immense.  On  lui  doit  une  relation  curieuse  de  ce 
premier  voyage,  et  il  y  joignit  une  excellente  carte  de  l'ile.  La 
paix  ayant  replacé  nos  colonies  sous  l'autorité  de  la  métro- 
pole, Bory  dut  rentrer  en  France.  Peu  de  jours  après  son 
arrivée  à  Paris  ,  il  fut  promu  au  grade  de  capitaine  et  em- 
ployé bientôt  à  l'état-major  particulier  du  général  Davoust. 
Pendant  son  séjour  à  Paris  il  publia  son  premier  ouvrage 
important,  intitulé  :  Essai  sur  les  iles  Fortunées  et  l'an- 
tique Atlantide  (  1  vol.  in-4'',  1803).  Bientôt  parut  la  re- 
lation de  son  Voyage  dans  quatre  iles  des  viers  d'Afrique 
(3  vol.  in-8°,  avec  atlas),  ouvrage  qui  lui  valut  le  titre  de 
correspondant  de  l'Académie  des  Sciences. 

La  guerre  ayant  recommencé,  Bory  rejoignit  la  grande 
armée,  et  fit  avec  distinction  les  campagnes  d'Autriche  et 
de  Prusse.  En  1808  il  passa  à  l'armée  d'Espagne,  sous  les 
ordres  du  maréchal  Ney,  et  resta  ensuite  attaché  à  l'état- 
major  du  maréchal  Soult,  près  duquel  il  se  trouvait  encore 
à  la  bataille  de  Toulouse.  Rappelé  à  Paris  dès  que  le  ma- 
réchal Soult  fut  nommé  ministre  de  la  guerre,  il  prit  rang 
parmi  les  colonels  attaches  au  Dépôt  de  la  guerre. 

Durant  la  première  restauration,  Bory  de  Saint-Vincent 
£C  lança  diuis  la  rédaction  des  (cuillcs  périodiques,  cl  fut, 


avec  Etienne ,  Jouy  et  Harel ,  un  des  principaux  auteurs  du 
Nain  Jaune,  re\'ue  hebdomadaire  dont  le  succès  ne  fut 
peut-être  jamais  égalé  par  celui  d'aucun  écrit  de  ce  genre. 
Au  20  mars  il  continua  à  faire  partie  du  Dépôt.  Nommé 
député  par  la  ville  d' Agen,  il  siégea  avec  distinction  dans  la 
chambre  des  Cent-Jours ,  s'y  prononçant  fortement  contre 
la  déchéance  de  l'empereur,  qu'il  appelait  le  glaive  de  la 
patrie.  Aussi  son  nom  fut-il  compris  dans  l'ordonnance  du 
24  juillet,  dite  A^ amnistie,  qui  renvoyait  dix-neuf  citoyens 
devant  des  commissions  militaires  et  en  condamnait  trente- 
huit  à  l'exil.  Caché  dans  la  vallée  de  Montmorency,  il  y 
publia  celui  de  tous  ses  écrits  dont  il  s'honorait  le  plus ,  et 
qui  avait  pour  titre  :  Bory  de  Saint-Vincent ,  député  de 
Lot-et-Garonne,  proscrit  par  l'ordonnance  du  24  juil- 
let ,  à  5^5  commettants.  Puis  il  se  réfugia  en  Belgique,  où 
il  erra  de  ville  en  ville  jusqu'à  ce  que,  l'ambassadeur 
de  France,  Latour-du-Pin ,  l'ayant  dépisté,  force  lui  fut 
de  s'enfoncer  dans  l'Allemagne.  Ayant  plus  tard  obtenu 
du  gouvernement  néerlandais  la  permission  de  résider  k 
Bruxelles,  il  y  fit  paraître  avec  deux  savants  du  pays  un 
recueil  intitulé  Annales  générales  des  Sciences  Phy- 
siques. 

Enfin,  Bory  de  Saint-Vincent  reçut,  vers  la  fin  de  1819, 
l'autorisation  de  rentrer  en  France.  Rayé  des  contrôles  de 
l'armée,  sans  appointements,  privé  de  toutes  ressources, 
il  s'associa  à  la  collaboration  du  Courrier  français,  et 
subsista  du  produit  de  ses  travaux  scientifiques  jusqu'à  l'ar- 
rivée de  Martignac  au  ministère.  Amis  d'enfance ,  ces  deux 
hommes  se  rapprochèrent  aussitôt.  Une  commission  scien- 
tifique ayant  été  adjointe  à  l'expédition  de  Morée ,  Bory  de 
Saint- Vincent  en  fut  nommé  l'un  des  directeurs.  La  Grèce 
lui  fournit  les  matériaux  d'un  ouvrage  qui  lui  valut  en  1832 
le  titre  de  membre  de  l'Institut.  A  son  retour  en  France, 
au  commencement  de  1830,  il  s'empressa  de  jeter  le  plan 
d'un  grand  travail  sur  la  Morée  ;  et  à  peine  l'eut-il  arrêté 
que  Peyronnet,  alors  ministre  de  l'intérieur,  qui,  comme 
Martignac,  avait  été  son  compagnon  de  jeunesse,  ordonna 
la  publication  aux  frais  de  l'État  de  cette  œuvre  monumen- 
tale. Le  colonel  conduisit  cette  immense  entreprise  à  bonne 
fin  en  moins  de  quatre  ans,  avec  le  concours  d'habiles  colla- 
borateurs dont  on  lui  laissa  le  choix. 

Rétabli  sur  les  contrôles  de  l'armée  après  la  révolution 
de  Juillet ,  il  rentra  au  dépôt  de  la  guerre ,  et  fut  élu  député 
par  l'arrondissement  de  JMarmande  { Lot-et-Garonne)  ;  mais 
il  renonça  bientôt  au  mandat  qu'il  tenait  de  ses  concitoyens  : 
l'œuvre  de  Morée  terminée,  il  put  disposer  encore  de  son 
temps,  et  n'hésita  point  à  accepter  la  présidence  d'une  nou- 
velle commission  scientifique,  formée  pour  étudier  et  po- 
pulariser l'Algérie.  V Encyclopédie  Moderne,  le  Diction- 
naire de  la  Conversation,  les  Annales  des  Voyages,  et 
autres  recueils,  abondent  en  articles  de  lui  ;  il  a  été  en  outre 
directeur  du  Dictionnaire  classique  d'Histoire  Naturelle  ; 
enfin,  parmi  ses  différentes  productions,  on  remarque  un 
Essai  sur  la  Matière,  un  Traité  des  animaux  microsco- 
piques; un  Essai  zoologique  sur  le  genre  humain;  une 
Histoire  du  siège  de  Cadix,  en  1810,  1811  et  1812  (en 
collaboration  avec  l'auteur  de  cet  article),  et  un  Résumé  de 
la  Géographie  de  la  Péninsule  Ibérique,  qui  offre  tout  l'at- 
trait d'une  relation  de  voyage  bien  écrite.  Bory  de  Saint- 
Vincent  est  mort  à  Paris,  le  23  décembre  1846 ,  à  l'âge  de 
soixante-six  ans.  E.  G.  de  Monclave. 

BORYSTHÈNE.  Voyez  Dnieper. 

BOSC  (Louis-Auccstin-Guillalme),  naquit  en  1759.  Sa 
jeunesse  fut  médiocrement  appliquée,  et  sans  événements  ni 
succès  remarquables;  son  âge  môr  fut  rempli  de  vicissitu- 
des, l'ils  d'un  médecin  de  la  cour,  Bosc  d'Antic,  et  placé  par 
lui  au  collège  de  Dijon,  il  ne  montra  beaucoup  de  goftt  que 
pour  ia  botanique  et  l'entomologie.  L'espèce  d'aversion  que 
manifesta  pour  lui  sa  jeune  belle-mère  (car  son  père  s'était 
marié  deux  fois)  communiqua  à  son  caractère  une  teinte da 


4G8 


BOSC  —  BOSCAN-ALMOGAVER 


tristesse  el  de  sauvagerie  dont  la  fôclieuse  influence  s'éten- 
dit à  son  existence  entière.  Habiter  dans  les  forêts  ou  voyager 
seul  fut  le  genre  de  vie  le  plus  compatible  avec  ses  goûts 
raisanthropiques  :  on  dit  même  que  dans  sa  première  jeu- 
nesse il  n'était  pas  éloigné  de  s'enfermer  dans  un  couvent 
de  chartreux.  Toutefois ,  Bosc  étudia  les  sciences ,  et  fut 
successivement  employé,  administrateur  des  postes,  puis 
disgracié  et  persécuté,  puis  consul  ou  chargé  d'affaires  en 
Amérique,  puis  voyageur  errant,  collecteur  laborieux  d'ob- 
jets d'histoire  naturelle,  continuateur  de  Buffon,  auteur  de 
dictionnaires  et  de  journaux ,  administrateur  des  hôpitaux 
jusqu'au  18  brumaire,  enfin  membre  de  l'Institut,  inspecteur 
des  pépinières  de  Versailles  et  l'un  des  plus  célèbres  agrono- 
mes de  la  France.  Mais  Bosc  fut  avant  tout  une  de  ces  ûmes 
fortement  trempées  que  le  sort  ne  saurait  amollir,  qui  sen- 
tent les  malheurs  d'un  ami  plus  que  des  souffrances  person- 
uelles,  qui  méprisent  la  fortune  et  qui  défient  l'oubli  de  l'his- 
toire. 

Quand  la  révolution  française  éclata,  Bosc  était  secrétaire 
de  l'intendance  des  postes,  et  les  loisirs  que  lui  laissait  sa 
charge,  il  les  consacrait  à  l'étude  paisible  de  l'histoire  na- 
turelle. Ami  de  Rolland,  à  peine  celui-ci  fut-il  ministre 
(1792)  qu'il  s'empressa  de  le  nommer  administrateur  des 
l)ostes.  La  place  était  belle  pour  son  âge  (  trente-trois  ans  )  ; 
elle  dépassait  ses  besoins  comme  son  ambition.  Mais  il  ne  la 
devait  pas  conserver  longtemps  :  la  journée  du  31  mai  1793 
renversa  Rolland  ainsi  que  les  girondins;  et  peu  de  temps 
après  Rolland  paya  de  sa  tête  la  constance  de  ses  princi- 
pes. Sa  femme  fut  renfermée  successivement  dans  plusieurs 
prisons  de  Paris ,  en  attendant  que  l'échafaud  se  rougît  de 
son  sang  ;  et  c'est  alors,  dans  l'espace  de  deux  mois,  qu'elle 
composa  ces  admirables  mémoires ,  qu'il  est  impossible  de 
lire  sans  une  vive  émotion.  Alors  aussi  elle  connut  tout  ce 
que  valait  Bosc ,  et  combien  son  amitié  avait  de  sincérité 
et  de  dévouement. 

L'amitié  était  rare  ou  timide  dans  ces  temps  affreux  !  Le 
jour  même  de  son  arrestation,  madame  Rolland  lui  confia 
sa  fille ,  sa  chère  Eudora.  Bosc,  au  risque  de  sa  vie ,  visitait 
souvent  madame  Rolland  durant  sa  captivité;  il  lui  portait , 
au  parloir ,  non  des  consolations ,  mais  le  tribut  de  ses 
sympathies  et  l'exemple  de  son  courage ,  tant  le  moment 
fatal  était  facile  à  prévoir.  Quand  enfin  l'heure  de  la  sépa- 
ration vint  à  sonner,  lorsque  le  boiureau  manda  cette  femme 
sublime,  elle  paya  Bosc  de  tous  ses  soins  par  les  missions 
pleines  de  périls  dont  elle  le  chargea.  Elle  lui  confia  d'abord 
le  manuscrit  de  ses  Mémoires,  que  Bosc  a  publiés  quelque 
temps  après.  Elle  le  chargea  en  outre  de  la  tutèle  de  sa  fille, 
mademoiselle  Rolland ,  le  seul  enfant  à  qui  elle  léguât  des 
souhaits  de  bonheur  et  de  funestes  souvenirs.  Bosc  accepta 
tout...  Ensuite,  pour  unique  giâce,  ou  plutôt  comme  marque 
d'estime  singulière,  comme  récompense  immortelle,  elle  lui 
demanda,  à  lui,  le  seul  ami  qui  ne  l'eût  point  abandonnée, 
qu'il  voulût  l'accompagner  jusqu'.'i  l'échafaud.  Bosc,  tou- 
jours supérieur  aux  rigueurs  de  sa  situation ,  accompagna 
madame  Rolland  jusqu'au  lieu  du  supplice.  11  l'aida  même 
à  monter  les  degrés  de  la  guillotine,  si  près  des  cieux  pour 
cette  femme  héroïque.  Et  quand  il  fallut  se  quitter  pour  tou- 
jours, sans  larmes  d'aucun  côté,  sans  plaintes,  sans  visible 
émotion,  le  cœur  aimant  mieux  se  briser  dans  son  récep- 
tacle que  de  déceler  ses  déchirements,  un  regard  au  ciel, 
deux  mains  serrées,  furent  les  seuls  adieux  de  ces  deux 
amis,  dignes  d'être  immortalisés  par  Plularque. 

Ce  triomphe  remporté  sur  sa  sensibilité  devait  soumettre 
Boscàde  nouvelles  épreuves.  Sans  fortune,  il  lui  fallut  pour- 
voir dignement  à  la  subsistance  et  à  l'éducation  de  made- 
moiselle Rolland.  Il  fallait  lui  prodiguer  les  attentions  d'un 
])ère,  la  voir  souvent,  et  mêler  ses  larmes  aux  siennes  sur 
l'affreux  événement  qui  la  rendait  orpheline;  il  fallait  lui 
montrer  de  la  tendresse,  mais  point  d'amour;  obtenir  sa 
reconnaissance ,  mais  rien  au  delà  ;  et  ce  noble  dessein ,  si 


haut  placé  par  delà  toute  puissance  humaine,  Bosc  était 
digne  de  l'accomplir.  L'avenir  trahit  sa  prudence. 

Depuis  la  mort  de  madame  Rolland  jusqu'au  9  thermi- 
dor, Bosc  resta  presque  toujours  retiré  dans  une  petite  mai- 
son qu'il  possédait  dans  la  forêt  de  Montmorency.  Il  y 
cacha  même  plusieurs  proscrits ,  entre  autres  La  Revel- 
lière-Lépeaux,  qui  y  resta  plusieurs  mois  dans  un  grenier. 
Bosc  partageait  avec  ses  hôtes  sa  pitance  de  chaque  jour. 
C'étaient  des  racines  fraiches,  des  limaçons  trouvés  dans 
la  forêt,  et  aussi  l'œitf  delà  seule  poule  qu'il  eût,  et  qu'à 
quelque  temps  de  là  dévora  un  oiseau  de  proie.  Le  8  ther- 
midor passé,  son  hôte  La  Revellière-Lépeaux  devint  le  pre- 
mier des  cinq  souverains  de  la  France  d'alors  ;  mais  ce 
directeur  apparemment  tout-puissant  eut  trop  peu  de  sou- 
venir des  mauvais  jours  pour  doter  Bosc  d'une  condition 
digne  de  lui. 

Durant  près  de  trois  années  que  Bosc  passa  dans  sa  forêt, 
il  ne  négligea  point  de  venir  à  Paris  visiter  sa  pupille.  Ces 
voyages  fréquents,  suivis  d'un  isolement  absolu,  finirent 
bientôt  par  susciter  en  lui  cette  émotion  du  cœur  qu'appré- 
hendait sa  sagesse.  Bosc  crut  voir  que ,  de  son  côté ,  made- 
moiselle Rolland  l'aimait  autrement  qu'on  n'aime  un  tuteur  ; 
et  dès  ce  jour,  sans  rien  lui  dire,  sans  lui  rien  faire  espérer 
ou  craindre,  se  croyant  peu  fait  à  son  âge  et  dans  sa  position 
pour  la  rendre  heureuse,  craignant  surtout  de  ne  devoir 
son  propre  bonheur  qu'à  son  titre  vis-à-vis  d'elle ,  qu'à  la  re- 
connaissance, et  ne  perdant  point  de  vue  son  rôle  de  père, 
il  fit  ses  préparatifs  pour  un  voyage  en  Amérique  (1796)  : 
mais  il  la  confia  avant  son  départ  aux  soins  d'une  femme  res- 
pectable, à  laquelle  il  déclara  qu'on  ne  le  verrait  revenir  en 
France  qu'à  la  nouvelle  du  mariage  de  mademoiselle  Rol- 
land. Avais-jetort  de  comparer  Bosc  aux  grands  hommes  de 
Plutarque?  Ah!  sans  doute  il  y  a  quelque  chose  de  plus  diffi- 
cile que  d'agrandir  une  science  si  l'on  est  savant,  que  d'as- 
servir tout  un  pays  si  l'on  est  guerrier  :  c'est  de  se  rendre 
maître  de  l'amour. 

Nous  n'avons  pas  le  courage  d'entrer  dans  les  particula- 
rités ultérieures  de  la  vie  de  Bosc  :  ses  plantations  de  vignes , 
dont  il  réunit  plusieurs  milliers  de  variétés  près  du  Luxera- 
bourg,  son  Cours  d'Agriculture,  ses  excellents  articles  du 
Dictionnaire  de  Déterville,  tout  cela  serait  peu  intéressant 
en  comparaison  de  ses  actions. 

Le  spectacle  de  la  terreur  et  ses  propres  malheurs,  ainsi 
qu'une  longue  solitude,  avaient  empreint  le  caractère  de 
Bosc  d'une  réserve  si  voisine  de  la  défiance  qu'il  reste  encore 
sur  plusieurs  endroits  de  sa  vie  des  obscurités  telles  que  les 
biographes  se  sont  fréquemment  contredits  en  ce  qui  con- 
cerne les  circonstances  les  plus  délicates  de  son  histoire. 
Nous  devons  dire  à  cette  occasion  que  si  nous  n'avons  point 
suivi  les  versions  de  M.  Cuvier,  ce  n'a  été  ni  sans  molils 
plausibles  ni  sans  d'autres  témoignages.  Bosc  mourut  le 
10  juillet  1828.  Isidore  Bourdon. 

BOSCAN-ALMOGAVER  (Juan),  célèbre  poète  es- 
pagnol, naquit  au  commencement  du  seizième  siècle,  à 
Barcelone,  et  mourut  vers  l'an  1543.  Ses  parents,  qui  ap- 
partenaient à  la  plus  ancienne  noblesse ,  le  firent  élever  avec 
beaucoup  de  soin.  Il  suivit  durant  quelque  temps  la  cour 
de  Charles-Quint,  et  y  demeura  pendant  le  séjour  qu'elle  fit 
à  Grenade.  La  noblesse  de  son  caractère  et  de  toute  sa  con- 
duite lui  concilièrent  la  laveur  du  prince.  Il  fut  chargé  de 
l'éducation  du  duc  d'Albe.  Après  son  mariage,  Boscan  vécut 
à  Barcelone,  où  il  s'occupait  de  publier  ses  œuvres  avec 
celles  de  son  ami  Garcilaso,  auquel  il  avait  survécu,  lors- 
que la  mort  vintaussi  le  surprendre.  Andréa  Navagero,  sa- 
vant italien  et  ambassadeur  de  la  république  de  Venise  au- 
près deCliarles-Quinl,  lavait  engagé  à  essayer  en  espagnol 
divcr.'^es  sortes  de  mètres  italiens.  C'est  ainsi  qu'il  devint  le 
créateur  du  sonnet  espagnol ,  et  qu'il  fut  le  premier,  avec 
Garcilaso,  à  employer  les  tercets  dans  les  épltrea  poétiques, 
dans  les  clcgics,  etc.  bi  cet  auteur  a  lait  époque,  c'«J*'  »"»- 


BOSCAN-ALMOGAVER  —  BOSCOVICH 


4Gy 


tout  pour  avoir  introduit  les  formes  métriques  de  l'Italie 
dans  la  poésie  espagnole  ;  et  dans  son  temps  cette  innova- 
tion rencontra  autant  de  critiques  que  de  partisans.  Les 
poésies  de  Boscan  sont  encore  estimées  aujourd'luii;  mais 
ses  autres  travaux  littéraires ,  qui  consistaient  surtout  en 
traductions ,  sont  oubliés. 

BOSCH  (JÉRÔME  de),  membre  de  l'Institut  hollandais , 
naquit  à  Amsterdam,  le  23  mars  1740,  et  y  mourut,  le  1"  juin 
18tl,  11  fut  sans  contredit  le  poète  latin  le  plus  distingué 
des  temps  modernes,  et  en  môme  temps  un  savant  philo- 
logue. Sans  vouloir  jamais  accepter  de  chaire  d'enseignement, 
il  vécut  dans  de  doux  loisirs,  qu'il  charmait  par  l'étude  de 
la  littérature  classique;  cependant,  pour  être  utile,  il  con- 
sentit à  se  charger  des  fonctions  de  curateur  de  l'université 
de  Leyde,  et  les  remplit  pendant  plusieurs  années.  Ses 
J'oemata  ont  été  publics  pour  la  première  fois  à  Leyde, 
en  1803;  une  deuxième  édition  en  a  été  donnée  à  Utreclit, 
en  1808.  Son  principal  ouvrage  est  d'ailleurs  V Anthologie 
grecque,  avec  la  traduction  en  vers  jusque  là  inédite  de 
Grotius,  qui  parut  à  Utrecht  de  1795  à  1810,  en  4  vol. 
auxquels  Yan  Lennep  en  a  ajouté  un  cinquième  (Utrecht, 
1822).  On  a  aussi  de  Bosch  des  discours  et  des  traités, 
presque  tous  écrits  en  hollandais,  sur  des  objets  de  litté- 
rature, et  qui  sont  tous  autant  de  preuves  de  sa  profonde 
érudition ,  de  l'excellence  de  son  jugement  et  de  la  pureté 
de  son  goût. 

BOSCH IM ANS,  en  hollandais  Bosjesmans,  ce  qui 
veut  dire  habitants  des  buissons  (du  hollandais  bosje, 
buisson);  dans  leur  propre  langue  ils  s'appellent  Saaôs. 
C'est  une  nation  distincte  du  sud  de  l'Afrique ,  quoiqu'elle 
se  rattache  par  son  origine  à  la  nation  hottentote.  Les  Bos- 
chimans  habitent  une  contrée  sauvage,  située  au  nord  et  au 
sud  du  haut  Orange,  et,  au  sud-est  de  ce  fleuve,  les  pro- 
longements encore  inconnus  des  Monts  de  Neige,  entre  le 
territoire  de  la  colonie  du  Cap  et  l'intérieur  du  pays  des 
Cafres,  jusque  parmi  les  Betj  ou  an  s,  dispersés  à  environ 
222  kilomètres  au  nord  de  Lattakou.  Divisés  en  tribus,  ils 
errenten  formant  autant  d'essaims  différents  que  de  familles, 
sans  avoir  jamais  de  demeure  fixe,  et  ne  se  groupent  que 
lorsqu'il  s'agit  pour  eux  de  se  défendre  contre  un  ennemi 
commun  ou  bien  d'entreprendre  quelque  expédition  de  bri- 
gandage ,  faisant  preuve  en  toute  occasion  des  dispositions 
les  plus  insociables  et  d'un  penchant  inné  pour  la  rapine 
Leur  taille  est  généralement  inférieure  à  celle  des  Hottentots, 
dont  on  peut  les  considérer  comme  la  tribu  la  plus  dégé- 
nérée. Leur  nez  est  encore  plus  aplati  et  les  pommettes  de  leurs 
joues  plus  saillantes.  L'expression  de  leurs  yeux  est  aussi 
sinistre  que  féroce,  en  même  temps  que  tous  leurs  traits 
respirent  la  paresse  et  la  débauche. 

Si  chez  eux  les  hommes  sont  laids  et  maigres,  aussi 
sales  et  aussi  tatoués  que  les  Hottentots ,  les  femmes  of- 
frent l'exemple  d'une  laideur  plus  repoussante  encore. 
Les  Boschimans  sont  doués  d'une  vue  et  d'une  ouïe  très- 
fines  ;  mais  leur  intelligence  est  des  plus  obtuses,  et  leur 
grossièreté  lés  rapproche  de  la  brute.  Paresseux  à  l'excès , 
la  faim  seule  peut  les  déterminer  à  entreprendre  quelque 
travail.  Les  produits  de  leur  chasse  ne  suffisent  que  fort 
imparfaitement  à  les  nourrir.  Ils  tuent  leur  proie  à  coups 
de  flèches  ou  bien  s'en  emparent  à  l'aide  de  pièges;  et 
en  simulant  la  forme  extérieure  de  l'autruche,  ils  par- 
viennent à  approcher  de  cet  animal,  qu'ils  prennent  ainsi  et 
dont  ils  mangent  la  chaire  toute  crue.  Faute  de  mieux,  ils  se 
contentent  aussi  de  sauterelles,  de  couleuvres,  de  fourmis, 
et  de  toutes  espèces  d'insectes  ;  ils  prennent  môme  à  l'aide  de 
nasses  quelques  poissons,  genre  d'animaux  pour  lesquels  les 
habitants  du  sud  de  l'Afrique  témoignent  en  général  l'aver- 
sion la  plus  décidée.  Ils  peuvent  d'ailleurs  supporter  la  faim 
pendant  fort  longtemps ,  et  s'efforcent  d'en  rendre  les  at- 
teintes moins  sensibles  en  se  serrant  le  ventre.  Quand  leur 
chasse  est  productive ,  oti  bien  s'ils  réussisseat  à  dérober  un 


bœuf  ou  quelques  moutons ,  ils  se  dédommagent  de  leur 
longue  abstinence  par  des  repas  tellement  copieux  qu'ils 
demeurent  ensuite  plusieurs  jours  dans  un  état  d'immobi- 
lité complet,  pendant  lequel  s'opère  le  travail  de  la  diges- 
tion. Pour  boire  ils  se  couchent  à  plat  ventre  comme  les 
animaux.  Ils  aiment  beaucoup  à  fumer,  et  s'enivrent  en 
avalant  la  fumée  du  tabac  ;  ils  témoignent  aussi  une  grande 
prédilection  pour  l'eau-de-vie.  Leur  costume  consiste  en  une 
peau  de  mouton  qui  leur  sert  de  manteau,  et  qu'ils  savent 
enrouler  fort  adroitement  autour  de  leur  corps.  Pour  vê- 
tement de  dessous  ils  ont  une  peau  de  chacal ,  et  ils  portent 
des  bonnets  de  cuir,  avec  des  verroteries  et  des  sandales. 
En  fait  d'armes ,  ils  ont  de  petits  arcs,  avec  lesquels  ils  lan- 
cent à  de  grandes  distances,  et  aA'ec  beaucoup  de  justesse  et 
de  précision,  des  flèches  empoisonnées;  quelquefois  aussi, 
quand  ils  habitent  à  la  proximité  de  nations  relativement 
civilisées,  par  exemple  des  Betjouans,  ils  sont  armés  ^'î 
petits  couteaux. 

Ils  choisissent  pour  demeure  des  cavernes,  de  petits 
fossés,  ou  encore  des  buissons,  au  milieu  desquels  il  est 
rigoureusement  exact  de  dire  qu'ils  viennent  nicher.  On 
ne  trouve  parmi  eux  aucune  trace  d'agriculture,  et,  à 
l'exception  du  chien ,  ils  n'ont  pas  un  seul  animal  domes- 
tique. Leur  langue ,  qui  compte  un  grand  nombre  de  dia- 
lectes, est  d'une  extrême  pauvreté,  et  consiste  en  un  mélange 
d'intonations  gutturales,  nasales  et  palato-linguales.  Elle 
diffère  beaucoup  de  la  langue  des  Hottentots ,  dont  elle  est 
peut-être  le  dialecte  le  plus  grossier;  de  sorte  que  les  deux 
nations  ne  s'entendent  qu'avec  une  extrême  difficulté, 
en  même  temps  qu'il  est  impossible  aux  autres  peuples  de 
les  comprendre.  On  ne  trouve  chez  eux  presque  point  de 
trace  d'organisation  politique.  Leurs  villages,  quand  il  s'en 
rencontre ,  et  ils  consistent  alors  uniquemeut  en  huttes  de 
paille ,  ne  contiennent  jamais  plus  d'une  centaine  d'habi- 
tants. Toute  idée  de  hiérarchie  et  d'autorité  régulière  leur 
est  étrangère.  La  force  brutale  et  la  ruse  sont  les  seuls  liens 
sociaux  de  la  nation  comme  de  la  famille ,  si  tant  est  qu'on 
puisse  dire  de  cette  dernière  qu'elle  soit  connue  de  ce  peu- 
ple, puisque  aucun  lien  n'existe  chez  lui  entre  parents  et 
enfants ,  et  que  dans  sa  langue  il  n'y  a  même  pas  de  terme 
pour  distinguer  la  vierge  de  la  femme.  Les  Boschimans  en- 
terrent leurs  morts,  et  recouvrent  d'une  pierre  la  fosse  dans 
laquelle  ils  les  déposent.  Cependant  ils  sont  aussi  dans  l'u- 
sage de  brûler  les  cadavres ,  et  si  une  mère  meurt  en  lais- 
sant un  enfant  hors  d'état  de  pourvoir  lui-même  à  sa  sub- 
sistance, ils  le  brûlent  en  même  temps  qu'elle.  On  peut  dire, 
en  résumé ,  que  les  Boschimans  sont  la  nation  de  l'Afrique 
méridionale  la  plus  sauvage  et  la  plus  pervertie.  Ce  n'est 
que  lorsqu'il  s'agit  de  brigandage  qu'ils  savent  faire  preuve 
de  constance,  d'adresse  et  d'audace.  Toutes  les  tentatives 
faites  jusqu'à  ce  jour  pour  les  civiliser  ont  échoué.  Aussi 
les  colons  hollandais  et  anglais  leur  font-ils  maintenant  une 
véritable  guerre  d'extermination.  L'Évangile  n'a  encore  pu 
pénétrer  que  dans  un  très-petit  nombre  de  leurs  districts; 
quoique  les  efforts  tentés  dans  ce  but  par  la  Société  an- 
glaise des  missions  remontent  déjà  à  l'année  1799. 

BOSCOVICH  (Roger- Joseph),  célèbre  physicien  et 
philosophe ,  né  à  Raguse,  en  1711,  étudia  chez  les  jésuites  à 
Rome,  et  entra  de  bonne  heure  dans  cet  ordre  religieux.  Il 
fit  de  si  rapides  progrès  dans  la  philosophie  et  les  mathé- 
matiques ,  qu'il  fut  chargé  d'enseigner  ces  deux  sciences  au 
collège  romain  avant  même  d'avoir  terminé  le  cours  de  ses 
études.  Il  acquit  de  bonne  heure,  par  la  solidité  de  ses 
connaissances,  par  les  qualités  brillantes  de  son  esprit  et  la 
droiture  de  son  caractère,  une  réputation  qui  se  répandit 
bientôt  dans  toute  l'Italie,  et  il  fut  chargé  de  plusieurs  miS'' 
sions  scientifiques  et  diplomatiques,  dont  il  s'acquitta  avec 
succès.  H  fut  em|)loyé  par  différents  papes  pour  fournir  les 
moyens  de  dessécher  les  marais  Pontins,  de  soutenir  le 
dôme  de  Saint-Pierre,  qtii  menaçait  de  s'écrouler,  et  pliu» 


-    470 


BOSCO  VICH  —  DOSîO 


tard  pour  mesurer  deux  degrcl^s  du  méridien  (1750).  H  fut 
«léputé  à  Vienne  pour  défendre  les  intérêts  de  la  république 
<le  Lucques ,  dans  une  discussion  qu'elle  avait  avec  la  Tos- 
cane, au  sujet  de  ses  limites  et  de  ses  cours  d'eau.  Il  voya- 
gea ensuite  dans  les  diverses  parties  de  l'Europe,  s'instruisit 
en  Angleterre  dans  la  philosophie  de  Newton ,  qu'il  fut  un 
des  premiers  à  propager  en  Italie,  écrivit  plusieurs  ou- 
vrages ,  soit  pour  exposer  la  nouvelle  philosophie,  soit  pour 
publier  ses  propres  découvertes  en  mathématiques  et  en 
astronomie,  et  mérita  par  ses  travaux  l'honneur  d'être 
nommé  membre  de  la  Société  royale  de  Londres ,  et  cor- 
respondant de  l'Académie  des  Sciences  de  Paris.  Après  la 
suppression  de  l'ordre  des  jésuites  (  1773),  on  le  nomma 
professeur  à  l'université  de  Pavie,  et  peu  de  mois  après  il 
fut  appelé  à  Paris,  et  nommé  directeur  de  l'optique  de  la 
marine.  Pendant  qu'il  occupait  cette  place,  il  fit  de  nom- 
breuses recherches  sur  l'optique,  et  particulièrement  sur  la 
théorie  des  lunettes  achromatiques.  A  la  suite  de  quelques 
désagréments  qu'il  éprouva  dans  l'exercice  de  ses  fonctions , 
il  quitta  la  France,  et  se  retira  à  Milan ,  où  l'empereur  le 
chargea  d'inspecter  la  mesure  d'un  degré  du  méridien.  Il 
mourut  dans  cette  ville,  en  t787,.entouré  de  la  considération 
générale. 

Les  principaux  ouvrages  de  Boscovich  sont,  une  disser- 
tation De  Maculis  solaribus  (Rome,  1736);  Nova  Me- 
ihodus  adhibcndi  phasnim  observationes  in  eclipsibus 
lunaribits  {l{ome,  1744);Z)e  Lunx  Atviosphœra  (Wcrmc, 
174G);  nissertatio  p/ujsica  de  Lumine  {Rome,  1748); 
J)e  expcdltïone  ad  dimetiendos  secundi  méridiani  gra- 
dîis  (Rome,  1755),  traduit  en  français  sous  le  titre 
<le  Voyage  astronomique  dans  l'État  de  l'Église,  par  le 
licre  ilugon  (Paris,  1770);  Journal  d'un  Voyage  de 
Constanlinople  en  Pologne  (Bassano,  1772);  Opéra  ail 
vplicam  et  astronomiam ,  viaxima  ex  parte  nova  et 
omnia hucusque  inedita  (5  vol.,  Bassano,  1785).  On  lui 
doit  en  outre  plusieurs  dissertations  sur  divers  sujets. 

Doscovich  n'était  pas  seulement  un  savant  profond ,  c'était 
aussi  un  ami  des  lettres  et  un  poète  distingué.  Il  a  publié 
un  assez  grand  nombre  de  morceaux  de  poésie  latine  pleins 
de  grâce  et  de  facilité  ,  un  beau  poëme  sur  les  éclipses.  De 
Solis  ac  Lunx  Defectibus  (d'abord  en  cinq  chants,  Londres, 
1755-1760;  puis  en  six,  Rome,  1767  ).  Il  a  été  traduit  en 
français,  par  l'abbé  de  Barruel  (Paris,  1779-1784  ).  Quel- 
ques années  auparavant  Boscovich  avait  publié  un  poëme 
latin  de  Benoît  Stay,  sous  ce  titre  :  Philosophiœ  a  Bene- 
dicto  Slay  Ragusino  versibiis  traditx  libri  vi,  ouvrage 
où  l'auteur  expose  un  système  général  sur  l'univers,  et 
auquel  Boscovich  joignit  des  notes  destinées  à  en  développer 
les  principaux  points. 

Quoique  Boscovich  ait  exécuté  un  grand  nombre  de 
travaux  utiles  sur  di\ erses  parties  des  sciences  positives,  de 
l'astronomie,  de  la  mécanique,  de  la  physique  et  surtout 
de  l'optique,  ce  qui  recommande  principalement  son  nom 
à  la  postérité,  ce  sont  les  idées  ingénieuses  qu'il  conçut  sur 
ie  système  de  l'univers  et  les  efforts  qu'il  fit  pour  expliquer 
par  un  seul  principe  tous  les  phénomènes  de  la  nature. 
Après  avoir  exposé  dans  diverses  i)ublications  séparées 
quelques-unes  de  ses  principales  idées  sur  ce  sujet,  il  réunit 
toutes  les  parties  de  son  système  dans  un  seul  ouvrage,  sa 
Théorie  de  la  Philosophie  naturelle  réduite  à  une  seule 
loi.  Il  voulait  concilier  et  compléter  les  systèmes  de  Leib- 
nitz  et  de  Newton,  dont  l'un  lui  semblait  tout  réduire  à 
des  principes  purement  métaphysiques,  les  monades,  ou 
forces  simples,  et  l'autre  à  des  principes  uniquement  phy- 
siques, les  propriétés  générales  des  corps,  l'étendue,  l'im- 
pénétrabilité, l'attraction.  Pensant  que  le  triomphe  de  la 
philosophie  serait  de  diminuer  encore  le  nombre  des  pro- 
l)riétés  des  corps  admises  par  Newton  et  d'exphquer  tous 
les  phénomènes  par  une  loi  unique,  il  supposa  avec  Lcib- 
uitz  que  toute  la  matière  est  comi>osée  d'éléments  simples, 


mais  il  fit  de  cee  éléments  non  de  pures  forces  immaté- 
rielles, mais  des  points  physiques  sans  étendue,  sans  con- 
tact, placés  à  diverses  distances  les  uns  des  autres  ;  il  admit, 
en  outre,  non  pas  seulement,  comme  l'avait  dit  Newton, 
qu'un  certain  nombre  de  phénomènes,  mais  que  tous  les 
phénomènes  de  la  nature  sont  produits  par  des  forces  attrac- 
tives et  répulsives;  bien  plus,  que  ces  deux  forces,  op- 
jiosées  en  apparence ,  n'en  sont  qu'une  seule ,  qui  d'attrac- 
tive se  transforme  par  degrés  insensibles  en  répulsive,  et 
réciproquement,  selon  le  plus  ou  le  moins  de  rapprochement 
des  parties. 

Par  cette  théorie,  Boscovich  cmt  avoir  fait  faire  un  pas 
imn)cnseà  la  science  et  avoir  dépassé  de  beaucoup  même  les 
espérances  exprimées  par  Newton  dans  son  Optic.  On 
trouve  encore  dans  ses  ouvrages  des  idées  fort  originales 
sur  plusieurs  des  points  les  plus  importants  de  la  philo- 
sophie, sur  la  distinction  de  la  matière  et  de  l'esprit ,  sur 
la  nature  du  temps  et  de  l'espace.  Bouillet. 

BOSIO  (  JEAN-FuANçois-JosEpn ,  baron  ),  naquit  le  19 
mars  1768,  à  Monaco,  où  son  père  exerçait  la  profession 
de  serrurier.  Jeune  encore,  Bosio  sentit  s'éveiller  en  lui  le 
goût  des  arts  plastiques ,  et  le  peu  de  ressources  que  lui 
offrait  son  pays  pour  s'instruire  l'obligea  de  bonne  heure  à  le 
quitter.  Ce  fut  à  Paris,  qui  commençait  déjà  à  recueillir 
l'héritage  de  la  vieille  Italie  pour  l'enseignement ,  qu'il  vint 
étudier.  Son  premier  maître  fut  Pajou  ,  sculpteur  d'assez 
peu  de  mérite,  complètement  oublié  aujourd'hui,  mais  qui 
jouissait  alors  d'une  certaine  faveur.  Ses  progrès  sous  cette 
direction  médiocre  n'en  furent  pas  moins  assez  rapides  pour 
lui  permettre  de  retourner,  à  dix-neuf  ans,  en  Italie,  sans 
autre  guide  désormais  que  ses  propres  lumières ,  afin  d'y 
exercer  à  la  fois  la  sculpture  et  la  peinture,  qu'il  avait  aussi 
cultivée  pendant  son  séjour  à  Paris.  Il  parcourut  successi- 
vement Rome,  Florence,  Sienne,  Parme,  Venise,  Gênes, 
laissant  partout  des  preuves  de  son  double  talent  de  sculpteur 
et  de  peintre.  Comme  peintre,  cependant,  nous  devons 
dire  qu'il  ne  s'éleva  jamais  au-dessus  de  la  médiocrité  : 
quelques  plafonds  de  sa  main ,  qu'il  laissa  en  Italie,  en  font 
foi.  Il  le  sentait  mieux  que  personne ,  et  il  abandonna  bien- 
tôt la  palette  pour  le  ciseau.  Dans  les  dix-sept  années  qu'il 
passa  en  Italie,  il  produisit  un  nombre  d'ouvrages  consi- 
dérable; pour  le  seul  marquis  Bevilacqua,  il  modela  vingt 
statues  en  plâtre  destinées  à  être  exécutées  en  pierre  sous  la 
direction  de  l'ancien  maître  de  Canova. 

De  retour  à  Paris,  vers  1808,  son  début  au  salon  fut  un 
Amour  lançant  des  traits  et  s'envolant,  modèle  en  plâtre, 
dont  un  marbre  reparut  au  salon  de  1812,  et  lui  fit  beaucoup 
d'honneur.  Ce  premier  succès  fut  confirmé  par  une  seconde 
production  du  même  genre,  exposée  en  1810  :  l'Amour  se*- 
duisant  l'Innocence.  Dès  ce  moment,  Bosio  avait  marqué  sa 
place,  et  jusqu'à  nos  jours  il  ne  s'est  plus  fait  en  France  de 
grands  travaux  de  sculpture  auxquels  il  n'ait  attaché  son 
nom.  Ses  bustes  de  l'empereur,  de  l'impératrice  et  de  la 
reine  Hortense  lui  procurèrent  la  commande  de  tous  ceux 
des  personnages  marquants  de  l'époque;  et  dans  ce  genre 
on  ne  saurait  nier  que,  pour  la  finesse,  l'esprit  et  la  distinc- 
tion ,  il  était  à  peu  i)rès  sans  rival.  C'est  à  Bosio  qu'on  doit 
V Hercule  combattant  AchéloUs ,  en  bronze,  des  Tuileries; 
l'Aristée,  dieu  des  jardins ,  placé  dans  un  escalier  de  l'aile 
orientale  du  Louvre  ;  le  Louis  XIV àe  la  place  des  Victoires, 
le  duc  d''Enghien  de  la  chapelle  de  Vincennes;  le  Mon- 
thyon  de  l'Hôtel-Dieu  ;  le  délicieux  Henri  W,  dont  une 
fonte  en  argent  se  voit  au  Louvre  ;  la  France  et  la  Fidélité 
du  monument  de  Malesherbes,  au  Palais  de  Justice;  le 
Louis  XVI  et  l'Ange  de  la  chapelle  expiatoire;  le  Qua- 
drige qui  a  remplacé  les  chevaux  de  Venise,  sur  l'arc  de 
triomphe  du  Carrousel ,  et  vingt  bas-reliefs  de  la  colonne 
Vendôme.  Il  fit  encore  une  foule  d'autres  ouvrages,  qui  sont 
passés  en  partie  à  l'étranger  ou  qui  ont  été  acquis  pour  les 
résidences  royales  oir  pour  des  cabinets  de  parLiculiei's.  On 


BOSIO  —  BOSNIE 


471 


a  surtout  conservé  lo  souvenir  de  son  Hyacinthe  regardant 
jouer  au  palet,  œuvre  de  sa  jeunesse,  qui  contribua 
beaucoup  à  faire  apprécier  son  mérite.  En  183S  Bosio  exé- 
cuta sa  courtisane  romaine  f/ora ,  exposée  en  1840. 

Les  travaux  lui  revenaient  comme  sous  la  Restauration. 
Il  faut  entre  autres  citer  la  statue  colossale  de  Napoléon 
pour  la  colonne  de  Boulogne-sur-Mer.  Mais  de  l'avis  général 
les  dernières  productions  de  Bosio  n'ajoutèrent  rien  à  sa  ré- 
putation; ainsi  son  envoi  au  salon  de  1844,  particulièrement 
["Histoire  et  les  Arts  consacrant  les  gloires  delà  France, 
fit  regretter  aux  amis  de  l'art  que  la  fraîcbeur,  l'invention 
et  la  force  ne  fussent  pas,  comme  certaines  autres  qualités 
encore  brillantes  de  son  ciseau ,  le  partage  de  la  vieillesse 
aussi  bien  que  de  la  virilité. 

Quoi  qu'il  en  soit ,  il  n'en  demeure  pas  moins  incontes- 
table que  de  notre  temps  personne  peut-être  n'a  poussé 
aussi  loin  que  Bosio  le  soin  dans  les  détails,  le  goût  des 
ajustements,  l'esprit,  la  naïveté,  la  finesse  et  la  grâce.  Si 
à  toutes  ces  qualités  il  avait  joint  un  peu  plus  d'ampleur 
dans  le  style  et  d'originalité  dans  l'invention,  il  aurait  pu 
passer  pour  l'un  des  maîtres  de  l'art. 

Bosio  fut  du  reste  l'objet  de  la  faveur  constante  de  tous 
tes  gouvernements  :  Napoléon  récompensa  ses  travaux  en  le 
décorant  (  1815  )  et  en  confirmant  sa  nomination  à  la  classe 
des  Beaux-Arts  de  l'Institut.  Louis  XVIII  le  nomma  officier 
de  la  Légion  d'Honneur,  et  le  créa  chevalier  de  Saint-Michel. 
Charles  X  le  fit  baron,  et  le  nomma  son  premier  sculpteur, 
avec  une  pension  de  4,000  fr.  De  plus,  il  était  professeur  et 
recteur  à  l'Académie  des  Beaux-Arts ,  membre  de  plusieurs 
académies ,  etc.  Il  venait  d'être  chargé  d'un  bas-relief  im- 
mense, représentant  le  mariage  de  Louis-Philippe  à  Pa- 
ïenne, lorsqu'il  mourut,  le  29  juillet  1845.  B.  deCorcy. 

BOSJESMANS.  Voyez  Boschimans. 

BOSiXA-SERAÏ,  chef-lieu  de  la  Bosnie. 

BOSNIAQUES,  nom  donné  dans  l'armée  prussienne  à 
un  corps  de  cavalerie  légère  semblable  aux  hulans  et  armé 
de  lances,  que  Frédéric  II  organisa  en  1745,  afin  de  l'op- 
poser aut  Cosaques  et  aux  autres  lanciers  ennemis.  Ce 
corps,  qui  ne  forma  d'abord  qu'un  escadron,  fut  porté, 
eu  17(;o,  à  dix  escadrons,  dont  un  de  Tatares  à  banderoles 
noires.  Plus  tard,  on  l'augmenta  de  cinq  escadrons.  Après 
l'incorporation  de  la  Pologne,  les  Bosniaques  prirent  le 
nom  de  Towarszye ,  et  ils  ne  se  recrutèrent  que  parmi  la 
population  polonaise.  A  la  paix  de  Tilsit ,  ils  furent  remplacés 
par  les  hulans. 

BOSNIE,  province  de  la  Turquie  d'Europe,  à  l'extré- 
mité nord-ouest  de  l'empire,  formant  un  eyalel  gouverné  par 
un  pacha  à  trois  queues,  et  comprenant,  outre  l'ancienne 
Bosnie,  une  partie  de  la  Croatie  (Croatie  turque)  ou  le  Sand- 
jak  de  Bielograd  entre  l'Unna  et  le  Verbas ,  une  portion  de 
laDalmatie  (Dalmatie  turque)  elle  district  de  l'Herzégo- 
vine. La  Bosnie  est  bornée  au  nord  par  la  Sau  et  l'Unna,  qui 
la  séparent  desFrontières  militaires  à  l'est,  par  la  Drina,  les 
monts  Joublanik  et  le  rameau  nord-ouest  des  Alpes  Argen- 
tariques,  qui  la  séparent  de  la  Servie;  au  sud,  par  la  Scar- 
dagh,  qui  lui  sert  de  limite  du  côté  de  l'Albanie  ;  au  sud- 
ouest  et  à  l'ouest,  par  les  monts  Kosman,  Trimor  et  Steriza, 
qui  la  séparent  du  littoral  autrichien ,  de  la  Dalmatie  et  de 
la  Croatie.  Au  sud ,  elle  touche  par  quelques  points  à  la  mer 
Adriatique.  Sa  superficie  est  de  462  myriamètres  carrés,  sa 
population  d'environ  830,000  âmes. 

A  l'exception  de  la  rive  septentrionale  de  la  Sau ,  c'est  un 
pays  montagneux  traversé  par  des  chaînons  plus  ou  moins 
élevés  des  Alpes  Dinariques,  dont  les  points  cunuinants  at- 
teignent une  hauteur  de  1350  à  1170  mètres  et  sont  cou- 
verts de  neige  depuis  septembre  jusqu'en  juin.  Les  flancs 
des  montagnes  sont  généralement  bien  boisés  et  couverts 
çà  et  là  seulement  de  pâturages,  de  prairies  cl  d'habitations. 
Le  principal  cours  d'eau  est  la  Sau,  qui  reçoit  l'Unna ,  le 
Verbas,  l'Okrina,  la  Bosna  et  la  Drina  ;  viennent  on-;ii!lc  la 


Narenta  et  la  Bojana.  L'air  est  sain ,  le  climat  tempéré.  L'a- 
griculture n'a  quelque  importance  que  dans  les  plaines  ;  la 
blé,  le  mais,  le  chanvre,  les  légumes ,  les  fruits  et  le  vin  s'y 
récoltent  en  abondance ,  et  on  les  cultiverait  en  bien  plus 
grande  quantité  si  le  despotisme  turc  n'exerçait  sur  le  pays 
son  système  oppressif  dans  toute  sa  rigueur.  Partout  on 
trouve  des  forêts  de  châtaigniers,  dont  les  fruits  servent  de 
nourriture  aux  bestiaux.  Le  gibier  et  le  poisson  abondent. 
L'éducation  des  bestiaux  prospère;  on  élève  beaucoup  de 
brebis,  de  porcs,  de  chèvres  et  de  volaille ,  moins  de  bœufs 
et  de  chevaux.  Les  abeilles  sauvages  ou  domestiques  don- 
nent une  grande  quantité  de  miel.  Quoique  les  montagnes 
soient  riches  en  métaux ,  l'exploitation  en  est  complètement 
négligée;  des  Bohèmes  et  des  Jlorlaques  exploitent  du 
plomb,  du  mercure,  de  la  houille  et  du  fer.  La  Bosnie 
possède  plusieurs  sources  minérales ,  entre  autres  celles  de 
Novibazar  et  de  Boudimir.  L'industrie  et  le  commerce  sont 
confinés  dans  les  villes,  et  presque  exclusivement  entre  les 
mains  de  Juifs,  de  Grecs,  d'Arméniens,  d'Italiens  et  d'Al- 
lemands. La  seule  branche  d'industrie  un  peu  considérable 
est  la  fabrication  des  armes  à  feu ,  des  lames  de  sabre  et  des 
couteaux.  Le  cuir,  le  maroqnin  et  les  grosses  étoffes  de 
laine  qu'on  fabrique,  se  consomment  presque  entièrement 
dans  le  pays.  Les  bonnes  routes  sont  à  peu  près  inconnues. 

La  population,  en  majorité  d'origine  Slave,  se  compose 
de  Bosniens,  de  Croates,  de  Morlaques,  de  Monténégrins, 
de  Turcs,  de  Serbes,  de  Grecs,  de  Juifs ,  de  Bohèmes  et  de 
Valaques ,  sans  compter  un  certain  nombre  de  Hongrois , 
d'Arméniens  ,  d'Itaheus ,  d'Allemands,  d'Illyriens,  de  Dal- 
mates,  etc.  Les  Bosniens  ou  Bosniaques,  au  nombre 
de  370,000,  professent  les  uns  l'islamisme,  les  autres  la  re- 
hgion  grecque  et  le  catholicisme.  C'est  un  peuple  grossier, 
rude,  opiniâtre,  malveillant  envers  les  étrangers ,  brave, 
hardi,  voleur  et  cruel  ;  mais  pacifique  et  droit  dans  ses  rela- 
tions domestiques,  laborieux,  simple,  sobre.  Les  Bosniens 
s'occupent  un  peu  d'agriculture  ;  ils  élèvent  des  bestiaux  et 
font  quelque  commerce  de  caravane  ;  mais ,  excellents  ca- 
valiers, ils  préfèrent  à  tout  la  chasse  ou  la  poche.  Comme  les 
hommes,  les  femmes  sont  fortes  et  bien  faites;  la  plupart 
sont  jolies.  Celles  qui  professent  le  mahométisme  vivent 
beaucoup  moins  retirées  que  dans  les  autres  provinces  de  l'em- 
pire, et  depuis  longtemps  elles  y  jouissent  de  la  liberté  de  se 
montrer  en  public  plus  ou  moins  voilées.  Les  Croates,  au 
nombre  de  180,000,  appartiennent  presque  tous  à  l'Église 
grecque  ou  à  l'Église  romaine  ;  très-peu  sont  mahomélans. 
Ils  se  livrent  principalement  à  l'agriculture ,  à  l'éducation 
des  bestiaux  et  au  commerce  d'échange.  Les  Morlaqiies,  au 
nombre  de  150,000,  habitent  surtout  l'Herzégovine;  ils 
sont  polis,  habiles  commerçants,  et  extrêmement  adroits;  en 
outre,  ennemis  acharnés  des  Othomans.  Les  trois  quarts  pro- 
fessent la  religion  grecque ,  le  reste  la  religion  romaine.  Le 
nombre  des  Turcs  s'élève  à  environ  250,000,  celui  des 
Grecs  à  15,000  et  celui  des  Juifs  à  12,000. 

La  capitale  du  Sandjak  est  Bosna-Seraï  ou  Sarajewo 
(en  italien  Seruglio),  au  confluent  de  la  Migliazza  et  de  la 
Bosna.  On  y  compte  15,000  maisons  de  bois,  construites 
presque  toutes  à  la  mode  turque,  avec  des  fenêtres  grillées, 
et  50,000  habitants,  en  majorité  musulmans.  C'est  une  ^^lle 
ouverte,  entourée  de  montagnes,  défendue  par  un  château 
assez  fort,  bâti  dans  le  voisinage.  Les  minarets  et  les  tours 
de  ses  1 00  mosquées  et  de  ses  nombreuses  églises  lui  don- 
nent un  charme  tout  particulier.  Ses  fabriques  d'armes, 
d'ustensiles  de  tôle,  de  fer  et  de  cuivre,  de  bijouterie,  da 
coton,  de  laine  et  de  cuir,  en  font  une  des  villes  les  plus  im- 
portantes de  l'empire Othoman  elle  centre  non-seulement  du 
commerce  de  la  pruvmce,  mais  d'un  mouvement  très-consi- 
dérable de  caravanes  entre  Janina  et  Salonique.  Les  chefs 
héréditaires  qui  gouvernent  la  Bosnie  résident  à  Bosnar 
Serai,  tandis  que  le  pachaturc  habite  ïrawnik,  forteresse  :ii> 
])ortantc,  qui  compte  environ  10,000  hal'dants.  Zwornik,  Daiî- 


472 


BOSNIE  -   BOSPHORE 


jalou'.ia  et  Gradiska-tnrque  sont  iVautics  places  fortes  con- 
sidérables do  cette  contrée. 

Dans  le  douzième  et  le  treizième  siècle,  la  Bosnie  ap- 
partenait à  la  Hongrie.  En  1339  elle  passa  sous  le  sceptre 
du  roi  serbe  Etienne,  à  la  mort  duquel  elle  recouvra  pour 
quelque  temps  son  indépendance.  Le  ban  Twartko  prit  le 
titre  de  roi  en  1370.  En  1401  le  pays  devint  tributaire  des 
Turcs,  et  depuis  1528  il  a  été  réuni  à  leur  empire.  Depuis 
l'introduction  des  réformes  qui  ont  enlevé  aux  chefs  héré- 
ditaires leurs  privilèges  et  une  grande  partie  de  leurs  re- 
venus, la  Bosnie  n'a  pas  cessé ,  notamment  en  1S51,  d'être 
agitée  par  des  révoltes  dangereuses. 

BOSOiV,  roi  d'Arles  ou  de  l'rovence,  fondateur  de  cette 
monarchie  éphémère  nommée  par  quelques  historiens 
royaume  de  Bourgogne  cis-jurané,  était  frère  de  l'impé- 
ratrice Richilde,  femme  de  Charles  le  Chauve,  qui  le 
créa  duc  de  Milan  ,  dès  que  lui-même  eut  été  proclamé  roi 
d'Italie  et  couronné  empereur.  Mais  ce  gouvernement  ne  sa- 
tisfit pas  son  ambition.  Sûr  de  la  protection  de  son  beau- 
frère  et  de  l'amitié  de  Bérengcr,  duc  et  marquis  de  Frioul , 
il  enleva  la  princesse  Hermengarde,  fille  unique  de  l'em- 
pereur Louis  II,  la  plus  riche  héritière  de  l'Europe,  et  l'em- 
mena à  Verceil,  où  il  l'épousa  au  milieu  de  fêtes  splendides, 
dont  les  frais  furent  faits  par  l'empereur  et  l'impératrice 
Richilde,  qui  se  trouvaient  dans  celle  ville.  Charles-le-Chauve 
créa  à  cette  occasion  (en  877)  Boson  duc  de  Provence, 
gouvernement  désigné  aussi  sous  le  nom  de  Haute-Aqui- 
taine, et  qui  comprenait  en  outre  le  Vivarais,  le  Dauphiné, 
le  Lyonnais  et  la  Savoie. 

Retiré  dans  ses  États  après  la  mort  de  Charles,  et  excité 
par  Hermengarde,  qui ,  fille  de  l'empereur  et  fiancée  jadis 
au  fils  de  l'empereur  d'Orient,  voulait  au  moins  être  reine, 
il  se  concerta  avec  le  pape  Jean  VIII  pour  être  nommé 
roi  d'Italie.  Ayant  éprouvé  de  ce  côté  trop  de  résistance  de 
la  part  des  princes  de  Lombardie,  il  résolut  de  profiter  des 
embarras  où  les  jeunes  rois  de  France  Louis  et  Carloman 
86  trouvaient  par  suite  de  la  guerre  que  leur  avait  déclarée 
Louis  roi  de  Saxe,  convoqua  les  seigneurs,  archevêques  et 
évoques,  et  réussit,  en  leur  promettant  des  bénéfices  et 
des  fiefs,  à  s'en  faire  élire  et  couronner  roi.  Louis  et  Car- 
loman ne  pardonnèrent  pas  à  Boson  cette  conduite  auda- 
cieuse; mais  son  habileté  et  le  courage  d'Hermengarde  le 
maintinrent  sur  le  trône.  Les  autres  ducs,  suivant  son  exem- 
ple, se  déclarèrent  indépendants;  et  celte  insubordination 
générale,  jointe  à  l'invasion  des  barbares,  obligea  Char- 
les le  Gros  à  céder  à  Boson  les  terres  qu'il  avait  érigées  en 
royaume,  se  contentant  d'en  recevoir  l'hommage.  Il  mourut 
le  11  janvier  888,  laissant  le  trône  à  son  fils  Louis,  dit 
l'Aveugle. 

BOSPHORE  ou  DOSl'ilORE  DE  THRACE  (du  grec 
Poù;,b(i'nfou  vache,  etnépo;,  passage),  détroit  ainsi  nommé 
parce  qu'il  fut,  suivant  la  fable,  traversé  à  la  nage  par  la 
vache  lo.  On  l'appelle  plus  communément  aujourd'hui  ca- 
nal de  Constantinople.  Son  nom  en  grec  moderne  est 
Aau|ji6;,  et  en  turc  Jioghar  bogazin.  C'est  par  le  Bosphore 
que  la  mer  Noire  ou  Pont-Euxin  communique  avec  la  mer 
de  Marmara  ou  Propontide,  laquelle,  à  son  tour,  com- 
munique par  les  Dardanelles  avec  l'Archipel  grec  ou 
nier  Egée.  Plusieurs  anciens  auteurs  ont  donné  même  quel- 
quefois le  nom  de  Bosphore  à  ce  dernier  détroit,  appelé 
Hellespont  dans  l'antiquité.  Ces  trois  parties  de  mer  sé- 
parent l'Europe  de  l'Asie. 

La  longueur  du  Bosphore  est  d'environ  30  kilomètres.  Sa 
largeur  varie  d'un  à  quatre.  11  coule  dans  un  lit  sinueux,  entre 
deux  chaînes  de  rochers  qui  projettent  de  chaque  côté  plu- 
sieurs promontoires  abruptes.  Les  seules  îles  qu'on  y  ren- 
contre sont  les  deux  petits  groupes  d'îlots  situés  à  l'origine  du 
canal  sur  les  côtes  d'Europe  et  d'Asie,  et  dont  celui  de  la 
côte  d'Europe  est  le  groupe  des  Cyanécs  des  anciens.  L'un 
des  golfes  les  plus  remarquables  du  Bo'^phore  est  le  célèbre 


port  de  Constanlinople  ;  plusieurs  autres  en  forment  de  très- 
bons  sur  les  rivages  de  l'Asie  et  de  l'Europe.  La  force  des 
courants ,  qui  sur  plusieurs  points  se  dévie  en  se  brisant 
contre  les  saillies  des  deux  côtes,  peut  être  quelquefois  con- 
sidérablement augmentée  par  l'action  delà  brise  du  nord-est, 
et  former  dans  ce  cas  un  obstacle  à  la  marche  des  bâtiments 
qui  remontent  vers  la  mer  Noire.  Autrement,  la  navigation 
est  partout  facile  dans  le  détroit,  qui  n'offre  ni  bancs  ni  écueils 
dangereux.  Le  Bosphore  a  deux  fois  par  an,  au  printemps 
et  à  l'automne ,  un  passage  de  poissons  qui  descendent  de 
la  mer  Noire  dans  la  mer  de  Marmara,  en  si  grande  quantité, 
que  la  pêche  qui  se  fait  alors  suffit  pour  approvisionner 
abondamment  toute  la  Turquie. 

Ses  deux  rives  sont  célèbres  par  leurs  beautés  pittoresques. 
Constanlinople,  Bouyouk-Déreh,  Thérapia  en  Eu- 
rope et  Scutari  en  Asie,  sont  les  localités  les  plus  impor- 
tantes de  ces  côtes,  en  partie  couvertes,  surtout  du  côte 
de  l'Europe,  de  nombreuses  maisons  de  plaisance.  Les  deux 
forts  du  Roumeli-Hissar ,  ou  château  neuf  d'Europe,  et 
de  VAnadoli-Hissar,  ou  châleau-neuf  d'Asie,  construits, 
vis-à-vis  l'un  de  l'autre,  au  point  le  plus  resserré  du  canal , 
sont  les  deux  plus  redoutables  de  ceux  qui  protègent  Cons- 
tanlinople du  côté  de  la  mer  Noire.  Les  autres  sont  les  châ- 
teaux ou  batteries  du  Roumeli-Fanar,  ou  fanal  d'Europe , 
du  Roumeli-Kavak ,  ou  château  d'Europe,  de  YAnadoli- 
Fanar,  ou  fanal  d'Asie,  et  de  V Anadoli-Kavak,  ou  château 
d'Asie  ,  à  l'origine  du  Bosphore. 

Tout  ce  que  l'on  sait  des  peuplades  barbares  semées  à 
longs  intervalles  sur  ces  côtes  dès  la  plus  haute  antiquité, 
c'estqu'elles  massacraient  lesétrangers  et  immolaientdes  vic- 
times humaines.  Les  conteurs  Grecs  nous  montrent  Phryxus , 
fils  d'Athamas,  roi  de  Thèbes,  fuyant  à  travers  le  Bosphore, 
l'inimitié  d'Ino ,  sa  helle-mère,  sur  un  bélier  à  toison  d'or  ; 
puis  les  Argonautes  allant  à  la  conquête  de  cette  toison ,  et 
plus  tard,  Iphigénie,  au  moment  d'être  sacrifiée,  transportée 
par  Diane  au  delà  du  Bosphore.  On  croyait  alors  que  les 
Cyanées,  qui  semblent  lermer  l'entrée  du  détroit,  se  sépa- 
rant pour  ouvrir  un  passage  aux  vaisseaux ,  se  réunissaient 
ensuite  tout  à  coup  et  s'entre-choquaient ,  en  fracassant 
les  navires  :  aussi  les  Grecs  les  nommaient-ils  Symplegades, 
de  a\j[i.rtXriiT(jw,s'entre-choquer.  Euripide,  avec  le  chœur  des 
femmes  A' Iphigénie,  décrit  les  dangers  qu'Oreste  et  Pylade 
durent  affronter  pour  traverser  ces  îles ,  qui  trompent  l'œil 
des  voyageurs ,  et  aller  aborder  dans  la  Tauride ,  où  tout 
étranger  était  immolé  à  Diane. 

Les  Grecs  de  l'Altique,  du  Péloponnèse,  de  l'Asie  Mi- 
neure et  des  îles,  si  actifs,  si  commerçants,  arrachèrent  de 
bonne  heure  le  Bosphore  aux  Thraces  et  aux  Scythes. 
Des  colonies  s'établirent,  des  comptoirs  se  dressèrent  sur 
ses  rives  :  elles  cessèrent  d'être  un  objet  d'effroi.  Clwque 
petite  peuplade  grecque  eut  son  port  sur  le  Bosphore  ;  chaque 
dieu  y  eut  son  autel,  et  les  Athéniens  et  les  Lacédémoniens 
s'y  disputèrent  l'empire  de  la  Grèce.  Les  Romains,  maîtres 
de  presque  tout  le  i)ays  connu  en  Europe  et  en  Afrique, 
maîtres  de  la  Grèce,  et  s'avançant  vers  le  nord  de  l'Asie, 
s'emparèrent  d'abord  d'une  des  rives  du  Bosphore,  puis  de 
l'autre ,  changeant  chaque  royaume  en  province  romaine 
par  leurs  phalanges,  leurs  traités,  leur  protection.  Plus  tard, 
les  riches  cités  des  rives  asiatiques  ouvraient  leurs  portes 
aux  doctrines  du  Christ;  les  Pères  de  l'Église  faisaient  en- 
tendre leur  éloquente  voix  à  Chalcédoine,  à  Nicomédie,  à 
Nicée,  etsurtoule  la  côte  d'ionie.  Il  semblait  que  la  religion 
chrétienne,  s'établissant  sur  les  frontières  de  l'Asie  et  de 
l'Europe,  attendît  les  barbares  au  passage,  digue  insuffisante 
pour  arrêter  leur  marche ,  pour  les  adoucir  du  moins  avant 
qu'ils  inondassent  l'Europe. 

Plus  tard,  d'autres  barbares,  les  Croisé*? ,  arrivent  de 
l'Occident,  semant  de  royaumes  féodaux  les  côtes  et  les  îles 
du  Bosphore.  Génois,  Vénitiens,  Français,  Espagnols,  s'abat- 
tent sur  ces  riches  contrées  comme  une  nuée  de  corbeaux  sur 


nn  cîiaïup  de  bataille.  Depuis  Mahomet  II ,  le  Bosphore 
s'est  courbé  sous  la  dominalion  turque  ;  mais  ce  sont  tou- 
jours les  princes  et  les  évoques  grecs  qui  peuplent  ses  belles 
rives,  les  négociants  de  toute  la  Grècequi  continuent  à  cou- 
vrir le  canal  de  riches  cargaisons,  les  matelots  des  îles 
grecques  qui  fendent  ses  eaux  de  leurs  rames  agiles,  des 
ouvriers  de  la  Macédoine,  de  la  Thessalie,  de  l'Épire,  qui 
entretiennent  les  forteresses,  dont  les  batteries  tonnent  ra- 
rement sur  ses  bords,  et  construisent  les  lourds  vaisseaux  qui 
dorment  à  l'ancre  dans  le  port  d'Hassan-Pacha. 

Pendant  son  ambassade  à  Constantiiople ,  le  général  A  n- 
dréossy  fit  de  grands  travaux  pour  l'exécution  d'uue  caite 
du  Bospiiore.  Il  nous  en  est  resté  un  livre  curieux,  intitulé  : 
Voyage  à  l'embouchure  de  la  mer  Noire,  ou  Essai  sur  le 
Bosphore,  etc.  (Paris,  IS18,  in-8°,  avec  atlas), 

BOSPHORE  CIIOIÉRIEIV.  Cest  Tantique  nom 
d'un  détroit  et  d'un  royaume. 

Ledétroit  apjielédepmsdétroit de Kaffah ,  àcZabache,de 
Taman ,  et  qui  sépare  l'Europe  de  l'Asie,  tirait  son  premier 
nom  de  Bosphore  de  ce  qu'en  raison  de  son  peu  de  largeur 
un  boeuf  pouvait  le  traverser  à  la  nage.  Mais,  pour  le  distin- 
guer du  B  0  s  p  h  0  r  e  d  e  ï  h  r  a  c  e ,  qui  avait  la  même  éty- 
mologie,  on  l'appela  Cinvnérien,  du  nom  d'un  peuple  éta- 
bli dans  la  presqu'île  asiatique  à  l'est  du  détroit.  Ce  détroit  a 
52  kilomètres  de  long  sur  10  dans  sa  moindre  largeur.  11  joint 
ce  qu'on  appelait  autrefois  le  Palus-Mscotis  (aujourd'hui 
mer  de  Zahache  ou  d'Azof  ) ,  au  nord ,  avec  le  Pont-Euxin 
(la  mer  iS'oire)  au  midi.  Il  est  formé  du  côté  de  l'Europe 
par  une  longue  langue  de  terre  absolument  nue ,  qui  fait 
partie  de  la  presqu'île  nommée  Tauride,  Chersonèse 
Taurique,  et  depuis  Crimée, etk  l'extrémité  de  laquelle 
.sont  deux  forteresses  :  Kertsch  (autrefois  Bosporus  et 
Panticapce ,  qui  fut  presque  toujours  la  capitale  du  Bos- 
phore Cimmérien  ) ,  au  fond  d'une  grande  rade  où  les  vais- 
seaux venant  de  la  mer  Noire  sont  à  l'abri  des  vents  con- 
traires, et  léni-Kalé,  ou  plutôt  Yenghi-Kaleh  (nouvelle 
forteresse),  bâtie  par  les  Turcs  en  1703,  dans  l'endroit  où  !e 
détroit  qu'elle  domine  est  le  plus  resserré.  Du  côté  de  l'Asia 
est  l'île  de  Taman,  avec  la  ville  du  môme  nom,  qui  paraît 
('tre  l'ancienne  Corocondama ,  où  le  détroit  forme  une  vaste 
baie.  Ses  côtes ,  généralement  plates ,  sont  longées  par 
des  bancs  de  sable,  entre  lesquels  les  meilleures  passes 
n'ont  que  5  mètres  d'eau  ;  aussi  les  frégates  qui  viennent 
de  la  mer  d'Azof  ne  prennent  leurs  canons  qu'à  Kertsch. 
Le  froid  est  assez  rude  tous  les  ans  pour  qu'on  puisse  tra- 
verser le  détroit  en  voiture  sur  la  glace. 

Le  royaume  du  même  nom ,  séparé  en  deux  par  le 
détroit,  s'étendait  dans  la  Sarmatie  d'Europe  et  d'Asie,  et 
comprenait  les  gouvernements  russes  actuels  de  Tauride, 
Cherson,  Jékatérinoslav ,  des  Cosaques  du  Don,  et  des  Co- 
saques de  la  mer  Noire.  Ses  villes  les  plus  remarquables 
étaient  :  en  Europe,  Olbia,  colonie  milésienne,  près  de 
l'embouchure  du  Boi7sthène;  Carcina  ou  jSecro-Pilœ , 
qui  donnait  son  nom  au  golfe  Carcinite  ;  Cherson ,  bâtie 
par  les  Héracléens ,  et  conservée  par  les  empereurs  d'Orient; 
Panticapce,  ville  grecque ,  capitale  du  royaume;  Théo- 
dosie,  autre  colonie  grecque,  non  moins  célèbre  depuis  sous 
le  nom  de  Kaft'ah  ;  Taphrx ,  ville  ainsi  appelée  du  fossé  qui 
fermait  l'isthme  de  la  presqu'île,  et  à  laquelle  a  succédé 
Pérékop  ou  Or-Kapi  ;  dans  la  partie  du  Bosphore  riveraine 
de  l'Asie,  Phanagoria,  qui  en  devint  la  métropole;  Tanuïs, 
à  l'embouchure  du  fleuve  de  ce  nom;  Cimméris,  la  plus 
ancienne  ville  du  pays;  Corocondama  (Taman),  Cepï  ou 
A'e/)j  (jardin) ,  colonie  milésienne,  aujourd'hui  A'epiiSi?i- 
dica  (Sandjik). 

Depuis  le  cinquième  siècle  avant  J.-C.  ce  royaume  eut 
des  rois  particuhers.  Mithridate  s'en  empara ,  l'an  108. 
Les  Romains  le  donnèrent  à  Pharnace,  son  fils,  pour  prix 
lie  sa  trahison.  Plus  tard  César  le  lui  enleva  en  trois  jours, 
l'an  'il.  Au  troisième  siècle  de  notre  ère  les  Goths  le  dé- 
i>ii:r.  w.  i..\  (.o.N\tiis.  —  1.  m. 


BOSPHORE  —  BOSQUIER-GAVAUDÂN  473 

truisirent  de  fond  en  comble,  et  son  nom  disparut  pour  tou- 
jours. 

BOSQUET.  C'est  un  très-petit  bois  planté  pour  orner 
un  parc  ou  un  jardin  d'agrément.  Plus  petit  que  le  lîocage, 
il  en  diffère  encore  en  ce  que  celui-ci  est  plutôt  l'œuvre  de 
la  nature,  tandis  que  le  bosquet  est  un  produit  de  l'art. 

L'étendue  d'un  bosquet  ne  peut  être  que  relative  à  la 
grandeur  du  jardin  dont  il  fait  partie.  C'est  un  accessoire, 
qui  dans  l'origine  était  destiné  à  couvrir  quelque  irrégula- 
rité de  terrain  ou  à  empêcher  d'apercevoir  un  mur  de  clô- 
ture. Si  l'existence  du  bosquet  n'est  pas  due  à  la  nature  par- 
ticulière du  terrain ,  s'il  n'est  enfin  que  de  pur  agrément 
on  fera  choix  de  la  position  la  plus  pittoresque.  Nos  pères 
donnaient  jadis  aux  bosquets  certaines  formes  particuliè- 
res :  ils  leur  faisaient  représenter  des  cloîtres,  des  labyrinthes, 
des  pattes  d'oie;  cette  mode  est  passée.  Aujourd'hui  on 
trouve  un  bosquet  d'autant  plus  agréable,  que  l'art  s'y  rap- 
proche plus  de  la  nature. 

Un  bosquet  bien  dessiné  se  compose  d'un  mélange  d« 
sentiers  tantôt  droits ,  tantôt  sinueux  ;  seulement ,  les  uns 
et  les  autres  sont  rehaussés  par  des  arbustes  de  choix  et  à 
fleurs  odorantes.  Avant  de  procéder  à  la  confection  d'un 
bosquet ,  on  défonce  le  tenain  depuis  40  jusqu'à  60  et  même 
80  centimètres ,  on  se  met  à  l'œuvre  au  commencement  de 
l'autonme  ,  et ,  à  la  fin  de  l'hiver,  on  plante  les  arbres.  Tous 
ceux  qui  passent  l'iiiver  en  pleine  terre,  peuvent  être  em- 
ployés. 

Versailles  était  jadis  renommé  pour  ses  bosquets;  ils 
étaient  en  harmonie  avec  la  magnificence  de  ce  royal  sé- 
jour. Le  bosquet  de  Clarens,  où  J.-J.  Rousseau  a  placé  une 
des  scènes  de  la  Nouvelle-Hélo'ise,  est  devenu  immortel. 

BOSQUIER-GAVAUDAN  (  Jean-Sébastien-Ful- 
chran),  neveu,  par  sa  mère,  de  l'acteur  Gavaudan  et 
fils  d'un  fabricant  de  bas  de  soie  de  Nîmes,  naquit  à  Mont- 
pellier, le  20  juin  1776,  et  s'embarqua  à  quinze  ans,  comme 
mousse,  sur  un  vaisseau  marciiand  qui,  après  un  long 
voyage  au  Levant,  ne  revint  à  Marseille  qu'en  1793.  Les 
circonstances  n'étaient  pas  favorables  au  commerce  ;  Bos- 
quier  renonça  à  la  marine,  et  à  dix-neuf  ans  embrassa, 
conune  tous  ses  parents  du  côté  maternel ,  la  carrière  dra- 
matique. Après  avoir  joué  quelque  temps,  en  province,  les 
valets  dans  l'opéra-comique  et  dans  la  comédie,  il  vint  à 
Paris,  en  1798,  et  entra  au  théâtre  Molière,  où  il  créa, 
d'une  manière  originale,  le  rôle  du  normand  Valogne,  dans 
le  Diable  couleur  de  rose,  opéra  de  Gavaux.  Il  débuta 
en  1799  au  théâtre  Feydeau,  et  fut  reçu  pour  y  tenir  l'em- 
ploi des  Trial.  Atteint  par  la  loi  de  la  conscription ,  il  partit 
pour  l'armée  dans  la  musique  des  hussards  de  Chamboran, 
et  obtint  bientôt  son  congé,  comme  élève  du  Conservatoire 
de  Musique.  De  retour  à  Paris,  il  entra,  en  1800,  au  théâtre 
des  Troubadours,  qui  avait  quitté  la  salle  Molière  pour 
venir  dans  celle  de  la  rue  Louvois.  Ce  théâtre  ayant  été 
fermé  en  1801 ,  Bosquier-Gavaudan  débuta  avec  succès  au 
théâtre  Favart;  mais  comme  la  réunion  des  acteurs  de  ce 
théâtre  avec  ceux  de  la  salle  Feydeau  lui  laissait  peu  de 
chances  de  devenir  chef  d'emploi  dans  l'opéra-comique, 
parce  qu'il  y  doublait  Dozainville,  Moreau,  Lesage  et  Guillet, 
il  s'en  alla  à  Rouen,  où  il  joua  et  chanta  plusieurs  rôles  mar- 
quants des  trois  principaux  spectacles  chaulants  de  Paris. 

De  retour  dans  la  capitale,  il  s'engagea,  en  1803,  au 
théâtre  des  'Variétés,  qui  en  1807  passa  du  Palais-Royal 
sur  le  boulevard  jMontmartre.  Il  y  resta  jusqu'à  sa  retraite, 
en  1836 ,  en  étant  devenu  l'un  des  propriétaires  et  adminis- 
trateurs, comme  gendre  de  Crétu,  qui  l'avait  été  longtemps. 
Bosquier-Gavaudan  donna  quelques  pièces  à  son  théâtre  : 
Cadet-Pioussel  chez  Achmet,  comédie-folie  en  un  acte,  1804 
(  avec  Désaugiers  )  ;  le  Diable  en  vacances,  opéra-séria  en  un 
acte,  1805,  suite  du  Diable  couleur  de  rose,  dont  il  créa 
le  principal  rôle;  Cu-tudinet ,  ou  le  Premier  vemi  engrène, 
comédie  en  un  acte,  en  prose,  1803  (  avec  Dumersan  );  fei 

m 


474 

fréteurs,  comédie  en  un  acte,  mêlée  de  couplets  (1810); 
ut  avec  Aubertin,  un  autre  opéra-coraique ,  Trop  tôt.  Il 
donna  aussi  au  théâtre  de  la  Porte-Saint-Martin  (  avec  Au- 
bertin )  Monbart  l'exterminateur,  ou  les  derniers  Flibus- 
tiers, mélodrame  en  trois  actes  (  1807  ). 

Comme  acteur,  Bosquier-Gavaudan  partagea  longtemps 
la  vogue  de  Brunet  et  de  Tiercelin.  Il  avait  du  comique, 
(le  l'agilité,  de  la  rondeur,  de  la  gaîté,  de  l'aisance  sur  la 
Rcènc;  mais  la  chaleur  qui  caractérisait  son  talent  était  quel- 
«[uefois  outrée  ;  et  il  exagérait  aussi  un  peu  trop  la  niaiserie. 
Ces  qualités,  ces  défauts  mêmes,  lui  valurent  longtemps  la 
vogue  et  la  faveur  du  public.  Il  avait  d'ailleurs  la  voix 
agréable  et  sonore,  du  goût,  et  pouvait  passer  pour  un  vir- 
tuose parmi  les  chanteurs  de  vaudevilles;  mais  depuis 
quelques  années  l'âge ,  ayant  augmenté  son  embonpoint , 
avait  rendu  son  talent  un  peu  uniforme;  aussi  s'était-ii 
borné  aux  rôles  de  pères,  surtout  à  ceux  de  généraux ,  d'an- 
ciens militaires ,  qui  lui  plaisaient  d'autant  plus  que  le  ru- 
ban de  la  Légion  d'Honneur  était  toujours  partie  obligée  de 
«on  costume  :  il  avait  tellement  pris  goût  à  cette  décoration, 
prodiguée  de  nos  jours  à  tant  de  comédiens  de  toute  es- 
pèce ,  qu'il  la  portait  même,  dit-on,  chez  lui ,  sur  sa  robe  de 
chambre.  Le  dernier  rôle  qu'il  créa  est  celui  du  pape,  dans 
Carlin  à  Rome.  Bosquier-Gavaudan  est  mort  d'une  affec- 
tion au  cœur,  à  BatignoUes,  près  de  Paris,  le  5  août  1843. 

BOSSAGE  est,  en  architecture ,  le  nom  général  que 
l'on  donne  aux  saillies  qui  débordent  le  parement  propre- 
ment dit  d'un  mur  ou  d'une  pierre.  11  y  a  des  murs,  des 
bâtiments  tout  entiers ,  qui  sont  hérissés  de  bossages ,  dis- 
tribués avec  un  certain  ordre  :  les  plus  célèbres  en  ce  genre 
.sont  ceux  du  palais  Pitti  à  Florence,  et  du  Luxembourg  à 
Paris  ;  plusieurs  barrières  de  cette  dernière  ville ,  entre 
autres  celle  dite  de  VÉtoile,  offrent  un  exemple  de  l'abus  du 
i)ossage  bien  fait  pour  dépopulariser  ce  genre  d'ornement. 

11  ne  faut  pas  confondre  les  bossages  avec  les  refends  : 
ceux-ci  sont  creusés  régulièrement  en  lignes  droites,  les 
unes  horizontales,  les  autres  verticales^  de  façon  qu'ils  in- 
diquent réellement  ou  en  apparence  la  grandeur  des  pierres 
de  taille  qui  forment  la  construction  ou  en  déguisent  les 
joints.  Les  murs  de  la  Maison-Carrée  de  Nimes  sont  à  l'ex- 
térieur divisés  par  des  refends  ;  on  en  voit  plusieurs  exem- 
ples à  Paris,  au  palais  du  Temple,  à  l'église  de  la  Ma- 
deleine, etc.  Teyssèdre. 

BOSSE.  Il  serait  difficile  de  déterminer  d'une  manière 
positive  si  ce  mot  a  été  employé  primitivement  par  la  sculp- 
ture ou  par  l'orfèvrerie  :  maintenant  il  sert  également  dans 
l'un  et  l'antre  de  ces  arts.  Les  ouvrages  d'ortiWrerie  se  di- 
visent en  deux  parties,  la  vaisselle  plate  et  la  vaisselle 
en  bosse.  Les  plats  et  les  assiettes  composent  la  première  ; 
les  bassins,  les  aiguières,  les  gobelets  et  les  flacons,  les 
flambeaux ,  les  grandes  lampes  et  généralement  tous  les 
ouvrages  qui  ont  une  forte  concavité,  appartiennent  à  la 
seconde.  On  dit  aussi  des  ouvrages  en  bosse  ou  relevés 
en  bosse  pour  désigner  les  guirlandes  de  fruits  ou  autres 
ornements  qui  étaient  autrefois  si  fort  en  usage  dans  les 
grandes  pièces  d'argenterie  ,  et  qui  s'obtenaient  en  frappant 
la  pièce  avec  un  marteau  de  manière  à  y  faire  des  bosses 
que  le  talent  de  l'ouvrier  amenait  à  la  forme  dont  il  avait 
besoin ,  ou  bien  qu'il  estampait  en  frappant  la  pièce  sur 
un  moule  en  acier  trempé.  Il  n'appartient  donc  qu'à  un  bon 
ouvrier  de  savoir  bien  faire  la  bosse;  et  suivant  que  son 
travail  a  plus  ou  moins  de  saillie,  on  dit  qu'il  est  en  ronde 
bosse  ou  en  demi-bosse.  Dans  tous  les  cas ,  ce  travail  est 
en  relief,  et  lorsqu'il  est  terminé  on  dit  que  la  pièce  est 
bossue  ou  bosselée.  On  peut  aussi  faire  des  bosses  par  acci- 
dent à  une  pièce  d'argenterie  ;  alors  elle  est  détériorée ,  la 
pièce  se  trouve  bossuée. 

La  sculpture  emploie  aussi  les  expressions  de  ronde  bosse 
et  de  demi-bosse  suivant  que  le  statuaire  a  fait  un  ouvrage 
de  plein  ou  de  demi-relief.  On  <lit  «[u'im  artiste  a  de  belles 


BOSQUIER-GAVAUDAN  —  BOSSE 

bosses  dans  son  atelier,  qu'un  élève  est  assez  fort  pour  des- 
siner d'après  la  bosse.  Dans  ce  cas,  ftosse désigne  des  figures 
en  plâtre  ordinairement  coulées  dans  des  moules  pris  soil 
sur  des  statues  antiques,  soit  sur  la  nature  même. 

Du  mot  bosse  on  a  fait  en  architecture  le  mot  bossage. 
C'est  aussi  de  ce  mot  que  vient  celui  de  bosselle,  applique 
aux  ornements  en  or,  en  argent  ou  en  cuivre  qui  couvrent 
les  deux  bouts  du  mors  en  dehors  de  la  bouche  du  cheval , 
et  qui  en  effet  sont  relevés  en  bosse. 

L'expression  proverbiale  donner  dans  la  bosse,  pour  dire 
être  dupe,  vient  de  ce  qu'en  termes  de  paume  on  nomme 
bosse  la  partie  de  la  muraille  qui  renvoie  la  balle  dans  le 
dedans  du  jeu,  par  bricole  ;  c'est  donc  une  faute  au  joueur  do 
donner  dans  cette  partie;  et  c'est  un  talent  à  l'adversaire 
de  le  faire  donner  dans  la  bosse.  Duchesne  aîné. 

BOSSE  (  Marine  ).  C'est  un  morceau  de  fort  cordage  so- 
lidement arrêté  par  l'un  de  ses  bouts  à  un  point  résistant, 
et  amarré  de  l'autre  bout  sur  un  cordage  qui  fait  effort. 
Mettre  une  bosse  sur  un  cordage,  ou  le  bosser,  c'est  le 
retenir  contre  l'objet  qui  lui  fait  résistance. 

La  bosse  dormante  ou  fixe  est  celle  que  l'on  met  sur 
les  câbles  en  avant  et  en  arrière  des  bittes,  pour  soulager 
cet  ajjpareil  des  efforts  continuels  des  câbles.  La  bosse  de- 
bout sert  à  suspendre  l'ancre  au  bossoir.  Il  y  a  encore  la 
bosse  à  fouet,  la  bosse  à  aiguillettes ,  la  bosse  volante, 
la  bosse  à  croc,  la  bosse  cassante,  qui  se  frappe  sur  le  câble 
à  l'instant  du  mouillage,  par  un  temps  fixe,  et  amortit 
par  sa  rupture  la  secousse  trop  violente  que  le  câble  pour- 
rait recevoir.  La  bosse  du  canot  sert  à  amarrer  les  embar- 
cations à  la  traîne. 

BOSSE,  BOSSUS.  Nous  ne  parlerons  ici  ni  des  bosses 
provenant  d'un  accident,  d'une  contusion  externe  ou  d'une 
lésion  des  vaisseaux,  ni  de  ces  autres  bosses  du  front  ou  de 
la  tète  qui  servent  d'indices  aux  aptitudes  de  l'esprit ,  aux 
propensions  du  génie,  et  qui  révèlent  une  haute  vocation 
intellectuelle  ou  une  secrète  inclination  pour  des  vices  déplo- 
rables (t'oyesPuRÉNOLOGiE).  Nous  dirons  un  mot  seulement 
de  ces  défauts  corporels  qui  portent  le  même  nom,  et  qui 
nuisent  à  la  grâce  du  maintien ,  altèrent  la  santé,  et  qui  ne 
sont  pas  toujours  sans  influence  sur  le  caractère  moral. 

Les  bossus  ont  la  colonne  vertébrale  déviée ,  une  épaule 
grosse,  ordinairement  le  tronc  court,  les  jambes  et  les 
bras  d'une  longueur  quelquefois  démesurée,  la  tète  vo- 
lumiuQuse,  le  fi'Ont  haut  ou  incliné,  la  respiration  gênée, 
l'esprit  incisif  et  le  caractère  souvent  difficile.  Les  en- 
fants des  riches  ne  deviennent  ordinairement  bossus  que 
vers  l'âge  de  dix  à  quinze  ans,  époque  de  réclusion  et  d'é- 
tudes :  ici  l'altération  de  la  taille  dépend  surtout  des  vête- 
ments et  de  l'éducation.  On  observe  également  dans  les 
classes  aisées  que  les  filles  sont  plus  souvent  déformées 
que  les  garçons,  ce  qu'il  faut  attribuer  aux  corsets  dont 
on  emprisonne  à  contre-temps  le  buste  délicat  des  jeunes 
personnes.  L'habitude  de  se  servir  plus  communément  du 
bras  droit  que  du  bras  gauche  fait  aussi  que  l'on  trouve 
plus  souvent  l'épine  dorsale  courbée  de  droite  à  gauche ,  et 
que  l'épaule  droite  est  presque  toujours  plus  élevée  et  plus 
en 'relief  que  l'épaule  gauche.  Du  reste,  la  déviation  con- 
traire est  très-dangereuse,  à  cause  du  cœur,  qui  est  à  gau- 
che, et  dont  les  mouvements  pourraient  être  gênés  par  suite 
delà  difformité.  La  masturbation  est,  ainsi  que  les  scrofules, 
la  cause  la  plus  fréquente  des  diflormités  de  la  taille.  11 
n'est  pas  non  plus  très-rare  de  voir  des  déviations  verté- 
bralesqui  paraissent  dues  au  lait  d'unenourrice  étrangère  :  lo 
lait  est  un  second  sang.  L'habitude  où  l'on  est  de  se  coucher 
sur  le  côté  droit  et  d'appuyer  la  tête  sur  d'épais  oreillers 
ou  coussins ,  pont  aussi  occasionner  le  même  résultat. 
Quclfiuefois  utiles  à  la  conservation  de  la  vie,  ces  coussins 
sont  certainement  nuisibles  à  la  stature  :  une  crainte  exa- 
gérée des  coups  de  sang  et  des  congestions  sanguines  en- 
gendre fréquemment  dos  diflorn)ilés  dangereuses. 


Jl 


BOSSE 

T^s  dé%iations  vertébrales  commencent  quelquefois  dans 
la  premiùie  enfance,  à  Tépoqne  de  Ja  pousse  des  dents,  et 
à  l'occasion  des  maux  divers  dont  on  accuse  injustement 
la  dentition.  Les  difformités  proviennent  parfois  d'un  ra- 
mollissement des  os,  d'une  sorte  de  rachifisnie,  et  souvent 
alors  les  vertèbres  proéminent  en  arrière.  Quelquefois  aussi, 
muis  plus  rarement,  les  vertèbres  proéminent  en  avant. 
{voi/ez  DiKFouMiTÉs,  GiEBOSiTÉ).  Le  ramollissement  ma- 
ladif des  veitèbres,  aussi  bien  que  la  maladie  de  Pott,  peut 
faire  que  ces  os  se  laissent  déprimer,  et  toute  la  colonne  du 
tronc  s'indétliit  alors  par  le  simple  effet  du  poids  du  corps 
ou  des  grands  mouvements. 

Les  déviations  vertébrales  ou  bosses  sont,  quant  à  la  pre- 
mière enfance,  d'une  fréquence  égale  dans  les  deux  sexes, 
3t  c'est  tout  simple.  Filles  ou  garçons ,  les  enfants  ont  un 
tempérament  semblable ,  un  régime  pareil ,  les  mêmes  vê- 
lements, les  mêmes  habitudes  ;  mais  à  la  puberté,  la  dispro- 
portion devient  très-évidente  :  pour  dix-buit  à  vingt  jeunes 
filles  bossues ,  de  l'âge  de  douze  à  seize  ans ,  on  compte 
quelquefois  à  peine  un  garçon  ;  et  c'est  une  raison  de  croire 
à  la  mauvaise  influence  de  l'éducation  et  du  régime  des 
femmes,  de  leur  vie  trop  sédentaire,  de  la  vicieuse  structure 
de  leurs  vêtements,  etc.  Ces  bosses  qui  apparaissent  à  la 
puberté,  sont  presque  toujours  latérales,  dirigées  d'un  côté  à 
(autre,  de  droite  à  gauche  ou  de  gauclie  à  droite.  Nous  de- 
vons dire  ici  qu'on  a  plus  d'une  fois  faussement  attribué  à 
une  première  grossesse  ou  à  l'accouchement  des  diffor- 
mités qu'on  avait  jusque  là  soigneusement  dissimulées. 

Il  n'existe  presque  jamais  une  seule  déviation,  une  bosse 
insolite  :  la  première  courbure  une  fois  formée,  soit  au  cou, 
à  l'occasion  d'une  glande  engorgée,  d'un  torticolis,  d'une 
fluxion ,  soit  au  dos  par  l'influence  fâcheuse  de  vêtements 
trop  serrés,  il  se  forme  bientôt  deux  autres  courbures  qui 
alternent  avec  la  première.  Si  la  bosse  du  dos  est  convexe 
à  droite,  les  courbures  du  cou  et  des  lombes  sont  convexes  à 
gauche ,  et  de  la  sorte  l'équilibre  du  tronc  se  trouve  exacte- 
ment maintenu.  Si  l'on  ne  mentionne  et  si  l'on  ne  remarque 
ordinairement  que  la  déviation  du  dos,  cela  vient  de  ce 
que  la  présence  de  l'épaule  eu  cet  endroit  rend  cette  diffor- 
mité plus  évidente ,  nonobstant  les  secrets  raffinements 
d'une  toilette  étudiée.  La  vraie  bosse,  ou  celle  du  dos,  est 
souvent  consécutive  à  une  première  déviation  du  cou  ou  des 
lombes.  Celle-ci  se  forme  fréquemment  la  première  :  toute 
claudication  peut  la  produire.  Ses  causes  les  plus  fréquentes 
sont  la  courbure  vicieuse  d'une  jambe ,  les  gonflements  ou 
tumeurs  blanches  d'un  genou,  les  maladies  de  l'articulation 
de  la  hanche ,  une  luxation  imminente  de  la  cuisse ,  une 
entorse,  un  pied  bot,  une  plaie,  une  fistule  douloureuse, 
quelquefois  un  simple  cor.  L'extrême  faiblesse  ou  la  para- 
lysie d'une  jambe  a  souvent  déterminé  de  ces  courbures 
des  vertèbres  lombaires  ;  et  comme  c'est  le  membre  gauche 
qui  est  le  plus  exposé  à  ces  paralysies,  à  cause  de  la 
position  de  l'enfant  dans  le  sein  de  sa  mère,  à  raison  aussi 
de  la  manière  dont  il  reste  incliné  en  dormant ,  pour 
cette  raison,  les  vertèbres  des  lombes  sont  ordinairement 
bombées  à  gauche,  parce  que  l'enfant  se  porte  et  se 
penche,  en  marchant,  naturellement  du  côté  de  la  meil- 
leure jambe.  Bientôt,  et  par  contre-coup,  les  vertèbres 
du  dos  font  saillie  à  droite,  et  l'épaule  de  ce  côté  devient 
proéminente. 

Il  est  rare  que  les  déviations  vertébrales  commencent  par 
le  dos,  si  ce  n'est  chez  de  tout  jeunes  eniants  scrofuleux 
et  rachitiques;  et  alors  la  difformité  ne  survient  qu'à  cause 
du  ramollissement  des  vertèbres,  devenues  flexibles  sous  le 
poids  de  la  tête  et  du  haut  du  tronc.  Mais  on  voit  assez 
fréquemment  de  pareilles  déviations  chez  les  malades  atteints 
d*ime  phthisie  iistulcuse ,  d'une  pleurésie  chronique ,  d'un 
épanchement  d'eau  ou  de  sang  lentement  résorbé  :  nous 
avons  observé  trois  exemples  de  ce  fait.  On  voit  alors  le 
côté  malade  de  la  poitrine  s'aplatir  et  se  dé[)iimer,  et  la 


475 


colonne  vertébrale  et  les  côles,  se  bomber  proportionnelle- 
ment à  l'opposite. 

Les  déviations  de  la  colonne  vertébrale  ont  de  graves 
inconvénients  pour  la  santé  ;  elles  compromettent  en  effet 
les  organes  les  plus  essentiels.  La  poitrine  est  ordinaire- 
ment rétrécie,  et  même  des  deux  côtés  :  du  côté  bombé, 
par  les  vertèbres  déjetées  ;  de  l'autre  côté,  par  l'aplatisse- 
ment des   côtes.  Aussi   la  respiration  des  bossus  est-elle 
gênée,  courte,  haletante;  souvent  même  il  y  a  de  la  toux, 
de  l'oppression,  et  comme  des  symptômes  d'asthme.   Le 
cœur  est  souvent  comprimé  ou  moins  libre  de  battre  :  de 
là  des  palpitations  et  quelquefois  de  l'anxiété.  L'aorte,  dis- 
tendue ou  plissée  (  selon  le  sens  dans  lequel  a  lieu  la  cour- 
bure), est  disposée  à  se  laisser  dilacérer,  élargir,  condition 
très-favorable  aux  anévrismes.  Le  sang  rouge  parvient  dif- 
ficilement jusqu'aux  surfaces  du  corps,  ce  qui  détermine 
la  pâleur  de  la  peau  et  rend  chez  les  jeunes  filles  la  puberté 
incomplète;  d'autres  fois  le  retour  du  sang  veineux  est 
entravé,  et  alors  les  bossus  ont  la  figure  d'un  rouge  vineux 
comme  les  ivrognes.  Les  bronches  sont  courbées  vicieuse- 
ment, quelquefois  comprimées  par  l'aorte  distendue,  aussi 
bien  que  le  nerf  récurrent  gauche,  d'où  provient  cette  voix 
rauque  qu'ont  beaucoup  de  bossus.  Le  diaphragme  est  dis- 
tendu d'un  côté,  relâché  jusqu'à  l'impuissance  de  l'autre 
côté,  de  sorte  qu'il  ne  concourt  plus  qu'imparfaitement  à  la 
respiration ,  par  là  encore  plus  gênée.  Les  muscles  sont 
amincis  et  allongés  du  côté  convexe,  trop  rapprochés  de 
leurs  attaches  du   côté  concave,  ce  qui  les  rend  pour  ainsi 
dire  oisifs;  et  d'ailleurs,  quand  ils  agiraient,  il  existe  entre 
eux  si  peu  d'accord  qu'ils  ne  pourraient  qu'ajouter  au  mal 
qu'eux-mêmes  partagent;    ils  ne   feraient  qu'accroître  la 
difformité.  Les  nerfs  se  trouvent  également  compromis  par 
la  déviation  :  comprimés  du  côté  concave ,  ils  sont ,  du 
côté  bombé,  distendus  et  tiraillés  à  leur  issue  du  canal  ver- 
tébral ,  et  de  là  proviennent  des  douleurs,  des  élancements, 
souvent  de  la  faiblesse,  ou  même  des  symptômes  de  para- 
lysie dans  les  membres  inférieurs  et  du  côté  de  la  vessie; 
quelquefois  même  il  survient  des  convulsions  ou  passagères 
ou  permanentes  ;  et  comme  le  haut  de  la  moelle  épinière 
partage  quelquefois  ces  tiraillements ,  il  n'est  pas  très-rar« 
de  voir  des  bossus  devenir  louches  tout  à  coup ,  offrir  des 
convulsions  insolites  à  la  face ,  et  d'autres  fois  les  tics  les 
plus  singuliers.  On  a  vu  quelquefois  apparaître  soudainement 
une  fièvre  cérébrale  avec  délire,  qu'on  ne  pouvait  attribuer 
qu'à  la  cause  dont  nous  parlons....  D'ailleurs,  la  moelle 
épinière  elle-même,  cet  organe  si  déhcat  et  l'un  des  plus 
essentiels  à  la  vie,  se  trouve  souvent  comprimée  chez  les 
bossus,  soit  par  l'excessive  déviation  des  vertèbres ,  soit  par 
le  gonflement  de  ces  os  et  de  leurs  ligaments  intermédiaires  ; 
et  alors  il  peut  survenir  de  graves  symptômes ,  depuis  de 
simples  concisions  ou  la  paralysie  jusqu'à   l'oppression 
respiratoire  et  l'affaiblissement  graduel  du  pouls ,  le  cœur 
recevant  de  la  moelle  l'influence  qui  fait  mouvoir  le  sang. 
Les  difformités   diverses,  tous   les   défauts   corporels, 
pourvu  qu'ils  épargnent  les  organes  dévolus  à  l'intelligence 
ou  chargés  de  l'accroitre,  loin  de  nuire  à  l'esprit,  lui  prêtent 
secours  et  l'agrandissent.  Un  être  difforme  ou  infirme  qui 
sent  ses  imperfections  et  qui  s'en  afflige,  applique  toutes 
ses  facultés  à  faire  pardonner,  à  force  de  talents  ou  de  vertus, 
les  défauts  qu'il  tient  de  la  nature  oii  de  ses  propres  fautes. 
Aussi  voit-on  parfois  en  des  personnes  d'un  physique  dis- 
gracieux la  réunion  de  ces  dons  attrayants  qui  disposent  à 
l'indulgence,  agréments  d'humeur  ou  de  caractère  qui  feraient 
pardonner  jusqu'à  des  vices,  et  qui  dissimulent  la  laideur 
sous  un  voile  quelquefois  séduisant.  Ces  sortes  de  décou- 
vertes causent  toujoursde flatteuses  surprises;  nous  aimons  à 
nous  imaginer  qu'une  part  nous  est  due  de  ces  qualités  bril- 
lantes que  nous  découvrons  ainsi  contre  toute  attente,  et 
malgré  de  fâcheuses  ])réventions.  Une  autre  cause  vient  com- 
penser chez  ces  êtres  malheureux  les  torts  d'une  nature 

(.0. 


47G  BOSSE  - 

rigoureuse  et  partiale.  L'imperfection  même  de  leur  structure 
les  préserve  de  la  tyrannie  des  sens  et  des  dissipations  du 
jeune  ùge.  Cette  chaleureuse  adolescence ,  que  le  comnuin  des 
hommes  consume  en  jouissances  frivoles,  eux  ils  l'utilisent 
en  acquisitions  solides,  qui  dans  la  suite  de  leur  vie  feront 
leur  gloire  ou  leur  bonlieur.  l'eut-être  que  ces  premiers  sa- 
crifices leur  sont  péniiiles  ;  peut-être  sentent-ils  d'abord  avec 
amertume  cette  inégalité  qu'ils  devraient  bénir  1  Jlais  quand 
est  venue  l'époque  de  la  maturité,  cet  ûge  où  la  beauté  du 
corps,  fanée  pour  toujours,  remet  en  apparence  tous  les 
hommes  de  niveau,  c'est  alors  que  commencent  pour  eux 
d'heureuses  représailles,  où  leur  vanité  se  dédommage  avec 
sufcroSt  des  privations  et  de  l'insipidité  d'une  jeunesse  sou- 
vent humiliée. 

Ces  remarques  ne  sont  toutefois  qu'en  partie  applicables 
aux  bossus  proprement  dits.  Et  en  effet  la  riche  intelligence 
dont  il  n'est  pas  rare  de  les  voir  pourvus,  n'est  pas  seule- 
ment occasionnée  par  des  causes  morales.  Quelques  circons- 
tances physiques  servent  ici  d'auxiliaires.  D'abord  il  est  in- 
contestable que  plus  est  entravé  l'accroissement  de  la  moclie 
épinière,  et  plus  le  cerveau  a  de  volume;  attendu  que  la 
masse  totale  du  système  nerveux  est  toujours  à  peu  près  la 
même.  Or,  un  cerveau  plus  gros  comporte  une  intelligence 
plus  puissante,  plus  active  ou  plus  élevée.  D'ailleurs,  la 
torsion  et  les  courbures  maladives  des  vertèbres  nuisent  à 
l'accroissement  du  tronc ,  et  de  là  naît  une  autre  influence 
propice  à  l'esprit,  puisque  la  quantité  du  sang  et  la  force  im- 
pulsive du  cœur  restent  les  mêmes  pour  un  corps  plus 
exigu.  Toutefois ,  les  bossus  complètement  difformes,  les 
grands  bossus ,  sont  les  seuls  notoirement  spirituels.  C'est 
qu'en  effet  eux  seuls  ont  le  crâne  plus  volumineux  et  plus 
rapproclié  du  cœur,  leur  tronc  ayant  plus  d'exiguïté.  11  est 
vrai  de  dire  qu'on  trouve  souvent  des  gens  très-médiocres 
parmi  ceux  qu'on  pourrait  nommer  les  demi-bossus.  Or, 
connue  ils  ont  oui  dire  depuis  leur  enfance  qu'ils  auraient 
un  jour  immanquablement  beaucoup  d'esprit,  un  esprit 
plein  de  verve  et  de  saillies,  ils  en  simulent ,  ils  s'efforcent 
d'en  montrer;  et  cela  môme  les  rend  insupportables  aux 
espriks  bien  faits.  Mais ,  qu'ils  aient  beaucoup  ou  peu  d'es- 
prit, les  bossus  sont  presque  toujours  d'un  commerce  au 
moins  diflicile.  Cette  disposition  tient  à  leur  excessive  sus- 
ceptibilité, à  d'extrêmes  prétentions,  à  un  besoin  de  médire 
insatiable,  et  à  un  caractère  essentiellement  tourmentant. 
L'habitude  qu'ils  ont  d'être  raillés  les  tient  toujours  en  armes 
et  les  rend  hostiles.  Curieux  d'un  combat  où  leur  grande 
expérience  leur  promet  victoire,  s'ils  ne  se  défendent,  ils  at- 
taquent. Leur  vie  entière  est  uu  tissu  de  méchancetés  ingé- 
nieuses ou  peu  s'en  faut.  11  n'y  a  pas  jusqu'à  leur  physique 
<iui  ne  garde  l'empreinte  d'un  pareil  esprit  ;  sans  avoir  tout 
à  fait  la  tête  de  Thersite,  ils  participent  de  ses  défiuits. 

Passé  l'âge  de  vingt  ans,  il  est  bien  difficile  de  redresser 
les  tailles  déviées.  La  chose  est  difficile  principalement  si  la 
déviation  a  plus  de  huit  à  dix  lignes  de  courbure ,  et  si  déjà 
il  s'est  effectué  une  vraie  torsion  dans  la  colonne  courbée. 
Les  difformités  ne  sont  réellement  guérissables  que  lors- 
qu'elles sont  commençantes ,  seulement  reconnaissables  à  la 
situation  disparate  des  deux  seins,  et  pour  ainsi  dire  encore 
"ugitives,  ou  pouvant  disparaître  dans  certaines  postures. 
Et  même  nous  ne  parlons  que  des  filles;  car  les  garçons 
ont  ordinairement  trop  d'indocilité,  trop  peu  de  patience 
et  de  coquetterie  pour  s'assujettir  aux  traitements  néces- 
saires en  pareille  conjoncture.  Puisque  les  difformités  com- 
mençantes sont  seules  susceptibles  de  guérison,  on  doit 
s'appliquer  à  les  reconnaître  dès  leur  début.  Or,  les  dévia- 
tions vertébrales  s'annoncent  oïdinairement  i)ar  une  don- 
leur  sourde  et  insobte  vers  un  point  limité  de  l'échiné,  par 
des  douleurs  vagues  et  passagères  dans  les  épaules  ou  dans 
la  poitrine,  par  l'inégalité  des  hanches  et  des  lianes,  par 
une  épaule  qui  grossit  et  s'élève,  par  le  dandinement  ou 
les  oscillations  de  la  marche,  par  une  sorte  do  claudica- 


■  BOSSI 

tion,  par  delà  miblesse,  des  palpitations  et  de  l'oppression. 
Si  la  jeune  personne  dont  la  taille  commence  à  se  déformer 
se  tient  debout  sans  marcher,  d'ordinaire  elle  ne  s'appuie 
que  sur  un  pied  ,  et  saisit  d'une  main,  afin  de  se  soutenir, 
le  bras  opposé,  au-dessus  du  coude.  Presque  toujours  la 
jambe  correspondante  à  l'épaule  proéminente  paraît  plus 
longue,  parce  que  le  bassin  incline  de  ce  côté.  Souvent  aussi 
le  nez  ou  le  menton  se  déforment,  la  pureté  de  la  voix  s'al- 
tère ,  certains  doigts  perdent  de  leur  régularité  ;  il  n'y  a 
pas  jusqu'au  sourire  qui  ne  prenne  alors  une  expression 
caractéristique.  Toutefois,  s'il  s'agit  d'une  jeune  fille  de 
douze  à  seize  ans ,  c'est  ordinairement  par  les  seins  qu'une 
mère  s'aperçoit  d'abord  d'une  difformité  commençante  :  le 
sein  qui  répond  à  l'épaule  saillante  est  le  plus  élevé;  il 
dépasse  souvent  de  plusieurs  lignes  le  niveau  du  sein  opposé. 
Quant  au  traitement  des  déviations  de  la  taille,  voyez  au 
mot  OiiTuopicmE.  D""  Isidore  Boludon. 

BOSSE  (Abraham),  graveur  à  l'eau-foile,  naquit  à 
Tours,  en  1611.  Sa  famille,  qui  le  destinait  au  barreau,  lui 
fit  donner  une  brillante  éducation  ;  mais  Bosse,  étant  venu  à 
Paris,  renonça  subitement  à  la  carrière  qu'on  voulait  lui  faire 
embrasser,  et  entra  dans  l'atelier  de  Callot.  Grâce  à  l'appli- 
cation qu'il  sut  faire  de  ses  connaissances  acquises  à  l'art  du 
dessin,  ses  progrès  furent  rapides.  Nommé  en  1651  pro- 
fesseur de  perspective  à  l'Académie  royale  de  Peinture ,  il 
écrivit  plusieurs  ouvrages  remarquables  sur  cette  branche 
de  son  art. 

Bosse ,  dont  le  caractère  ne  pouvait  se  plier  aux  exigences 
de  Lebrun,  publia  plusieurs  pamphlets  contre  celui-ci, 
que  le  fit  rayer  de  la  liste  des  académiciens,  il  se  retira  alors 
à  Tours,  où  il  mourut  en  1078. 

Les  principaux  ouvrages  de  Bosse  sont  :  Moyen  univer- 
sel de  pratiquer  la  perspective  sur  les  tableaux  et  sur- 
faces irrégulières  (Paris,  1053);  Traité  de  la  manière  de 
dessiner  les  ordres  d'architecture  [Vâùs,  1664);  Traité 
des  diverses  manières  de  graver  en  taille-douce  (Paris, 
1645  et  1701  )  ;  etc.  Parmi  les  gravures  dues  au  burin  de  cet 
artiste,  il  faut  citer  le  Recueil  d'estampes  pour  servir  à 
l'Histoire  des  Plantes,  exécuté  par  ordre  de  Louis  XIV, 
d'après  les  peintures  originales  de  Bobert ,  et  ne  contenant 
pas  moins  de  3,119  planches  en  .3  volumes  in-folio. 

BOSSEMAiV.  C'était,  dans  l'ancienne  marine,  une 
sorte  de  contre-maître  chargé  ,  à  bord  des  vaisseaux,  de 
veiller  aux  ancres,  aux  bouées  et  aux  câbles.  Dans  le  Nord, 
le  nom  de  bosse7nan  (  homme  à  la  bosse)  est  encore  donné 
à  certains  officiers  mariniers  de  manœuvre. 

BOSSI  ( Joseph-Chauies-Alirèle,  baron  de),  comte 
de  Sainte- Agathe,  l'un  des  plus  grands  poètes  lyriques  mo- 
dernes de  l'Italie ,  naquit  à  Turin ,  le  15  novembre  1758 ,  et 
reçut  dans  sa  jeunesse  les  leçons  du  célèbre  abbé  Denina. 
Dès  l'âge  de  dix-huit  ans,  il  avait  composé  deux  tragédies, 
liea  Silvia  et  I  Circassi,  qui  eurent  quelques  succès.  En 
1782  il  publia  à  la  louange  de  Joseph  II  et  de  ses  réformes  un 
pocme,  dont  les  idées  généreuses  et  indépendantes  déplurent 
fort  à  la  cour  de  Turin,  qui  prescrivit  à  l'auteur  de  voyager 
quelque  temps  hors  du  pays.  Bossi  alla  résider  dans  la  répu- 
hfique  de  Gènes,  mais  six  mois  après  il  y  était  accrédité, 
en  qualité  d'abord  de  secrétaire  de  légation,  puis  de  charg(' 
d'affaires  de  la  cour  de  Sardaigne.  De  là  il  fut  rappelé  à 
Turin  ,  où  il  fut  ».ommé  sous-secrétaire  d'État  au  ministère 
des  affaires  étrangères.  Ce  fut  pendant  cette  époque  que 
Bossi  composa  son  poëme  sur  la  mort  héroïciue  du  prince 
IMaximilien  de  Brunswick,  noyé  dans  l'Oder  en  1785,  en 
voidant  sauver  de  pauvres  paysans ,  et  les  poèmes  d'Elliot 
et  de  la  Hollande  pocijii'c.  Ce  dernier  olfre  un  intéressant 
tableau  des  beaux  faits  de  l'histoire  de  Hollande,  depuis  la 
conquête  de  l'indépendance  jusqu'à  l'établissement  du  sla- 
thoudérat,  en  1787. 

Cependant  la  révolution  française  venait  d'éclater.  La 
Savoie  et  le  comté  de  Nice  ayant  été  envahis  par  les  Fran- 


d 


BOSSI  - 

c.'.h,  la  cour  de  Turin  chargea  Bossi  de  se  rendre  au  quar- 
tier général  du  roi  de  Prusse.  De  Francfort  Bossi  se  rendit 
à  Pétersbourg.  11  s'y  trouvait  encore  au  moment  où  y  par- 
vint le  nouvelle  du  traité  d'alliance  défensive  et  offensive 
contracté  entre  le  roi  de  Sardaigne  et  la  république  française, 
immédiatement  après  la  prise  de  Mantoue.  Paul  l*"^  fit  aus- 
sitôt signifier  à  Bossi,  puis  aux  ministres  d'Espagne  et  d'An- 
gleterre ,  l'ordre  de  quitter  la  Russie.  A  son  retour  à  Turin, 
Bossi  lut  envoyé  par  Charles-Emmanuel  lY,  comme  ministre 
résident,  près  de  la  république  de  Venise.  11  avait  à  peine  eu 
le  temps  de  s'y  installer,  que  le  gouvernement  aristocratique 
de  Venise  cessait  d'exister.  Bossi,  nommé  alors  par  le  roi 
son  député  près  du  général  en  chef  de  l'armée  française  en 
Italie,  resta  constamment  auprès  du  général  Bonaparte 
depuis  la  signaturedes  préliminaires  de  Léoben  (15  avril  1797) 
jusqu'au  traité  de  Campo-Formio  (  17  octobre  1797  ).  Nommé 
ensuite  ministre  résident  près  de  la  république  Batave ,  il 
se  lia  dans  ce  pays  avec  le  commandant  en  chef  de  l'armée 
franco-batave  ,  le  général  Joubert,  et  cette  liaison  ir.i  faci- 
lita plus  tard  les  moyens  d'être  utile  à  son  pays ,  lorsque 
Joubert  y  fut  envoyé. 

Le  8  décembre  1798  Joubert  entrait  à  Turin.  Le  roi  de 
Sardaigne ,  en  renonçant  à  ses  États  d'Italie  pour  se  retirer 
dans  son  île,  déclara  délier  ses  sujets  de  leur  serment  de 
fidélité.  Bossi  reçut  en  môme  temps  à  La  Haye  la  nouvelle 
de  l'éloignement  du  roi  et  celle  de  sa  nomination  par  Joubert 
aux  fonctions  de  membre  dii  gouvernement  provisoire  du 
Piémont!  En  passant  par  Paris,  il  s'assura  bien  vite  que 
l'intention  du  Directoire  était  de  garder  le  Piémont  jusqu'à 
ce  qu'il  piU  le  réunir  à  la  France.  Arrivé  à  Turin,  il  se 
prononça  pour  cetle  réunion.  Des  registres  de  voles  fu- 
rent en  el'iel  ouverts  dans  toutes  les  provinces;  plus  d'un 
•million  de  signatures  attestèrent  l'universalité  de  ce  vœu 
que  Bossi ,  Batton  de  Castellamare,  et  Sartoris,  furent  char- 
gés de  porter  au  Directoire.  Mais  une  nouvelle  coalition  se 
préparait,  et  le  Directoire,  craignant  de  fournir  à  ses  en- 
nemis de  nouveaux  prétextes  pour  chercher  dans  son  am- 
bition une  cause  à  la  guerre  qui  était  sur  le  point  d'éclater, 
refusa  d'effectuer  la  réunion  demandée.  Nommé,  dans  ces 
circonstances  critiques,  commissaire  du  Directoire  près  de 
l'administration  centrale  de  l'Éridan ,  dont  Turin  était  le 
chef-lieu ,  Bossi  avait  à  peine  commencé  à  exercer  ses  fonc- 
tions, que  la  retraite  précipitée  de  l'armée  française  vint 
rejeter  ce  pays  dans  le  chaos.  Toute  la  plaine  du  Piémont 
se  trouva  occupée  par  l'ennemi,  et  la  nouvelle  administra- 
tion piémontaise  fui  dissoute  dans  toutes  ses  parties.  Bossi 
tint  bon  dans  les  vallées  vaudoises,  retarda  l'insurrection 
qui  s'étendait  de  tous  côtés,  et  put  ainsi  faciliter  aux  dé- 
tachements etaux  convois  de  blessés  les  moyens  de  passer  le 
Rhône  et  de  regagner  le  territoire  français. 

Pendant  tout  le  temps  de  l'occupation  du  Piémont  par 
l'armée  austro-russe  ,  Bossi  se  renferma  à  Paris  dans  la  vie 
privée,  s'interdisant  d'agir  contre  le  retour  possible  du  roi 
de  Sardaigne,  qu'il  avait  servi  dans  sa  jeunesse,  mais  s'in- 
terdisant plus  encore  tonte  idée  de  retour  au  service  d'un 
gouvernement  arbitraire.  11  était  encore  h  Paris,  lorsqu'on 
y  apprit  la  victoire  de  Marengo.  11  fut  alors  nommé  pléni- 
potentiaire près  de  la  république  ligurienne,  puis  membre 
(l'une  commission  chargée  par  Bonaparte  du  pouvoir  exe- 
cutif en  Piémont.  Les  deux  collègues  de  Bossi  étaient  Botta 
et  Bavoux.  Le  sénatus-consulte  de  juillet  1803,  qui  proclama 
la  réunion  légale  du  Piémont  à  l'ancienne  France,  mit  fin  à 
la  carrière  piémontaise  de  Bossi. 

En  janvier  1805  il  lut  nommé  préfet  de  l'Ain.  Outre  la 
statistique  de  l'Ain,  qu'il  pubha  ,  et  qui  a  servi  de  modèle  à 
celles  qui  furent  exécutées  plus  tard ,  il  composa  à  Bourg  son 
poème  iVOromasia ,  dans  letiuel  il  a  resserré  en  un  seul 
cadre  les  principaux  événements  de  la  révolution  Irançaise. 
En  1810  il  lut  créié  baron  de  l'empire  et  transféié  à  la  pré- 
fecture de  la  Manche,  qu'il  conserva  jusqu'à  la  fin  dejuil- 


EOSSUET 


477 


let  1815.  Lors  de  la  première  restauration,  en  1814  ,  il  re- 
çut des  lettres  de  grande  naturalisation  ainsi  que  le  grade 
d'officier  de  la  Légion  d'Honneur,  et  refusa  môme,  à  cette 
époque ,  l'offre  du  ministère  de  l'intérieur,  qui  lui  fut  faite 
par  Louis  XVIII.  Le  second  retour  des  Bourbons  devint 
le  signal  d'une  violente  réaction.  Bossi ,  quoiqu'il  eût  été 
maintenu  en  place  par  l'ordonnance  d'épuration  générale 
des  préfets,  rendue  après  les  Cents-jours,  profita  d'une  dé- 
marche illégal?  que  venait  de  faire  à  son  égard  le  commis- 
saire extraordinaire  du  roi  dans  la  Basse-Normandio , 
pour  s'expliquer  vertement  avec  les  ministres.  Le  moment 
n'était  pas  favorable  pour  l'emporter  sur  un  homme  attaché 
au  service  personnel  du  roi.  Il  apprit  peu  de  jours  après, 
par  le  Moniteur,  qu'il  était  remplacé,  et  rentra  dans  la 
vie  privée  pour  ne  plus  s'occuper  que  de  la  littérature,  qui 
avait  toujours  fait  ses  délices.  11  mourut  à  Paris,  le  20  jan- 
vier 1823,  au  milieu  de  cruelles  souffrances,  avec  la  résigna- 
tion et  la  force  d'àme  d'un  sage.  Buchon. 

lîOSS!  (JosEpn),  un  des  artistes  les  plus  distingués  de 
la  nouvelle  école  lombarde ,  naquit  à  Buffo  ,  dans  le  Mila- 
nais, le  17  août  1777.  Après  avoir  reçu  une  excellente  édu- 
cation, il  vint  à  Rome,  en  1795,  pour  y  étudier  les  chefs- 
d'œuvre  de  la  peinture,  notamment  ceux  de  Rapiiael.  Il 
n'était  âgé  que  de  vingt-trois  ans  lorsqu'à  son  retour  à  Milan 
il  fut  nommé  secrétairede  l'Académie (^e/Ze  Belie-Arli,  i^lace 
que  venait  de  quitter  le  vieux  Carlo  Bianconi.  Chargé  par 
Eugène  Beauharnais,  vice-roi  d'Italie,  de  copier  la  Cène, 
de  Léonard  de  Vinci ,  il  consacra  à  ce  maître  les  recherches 
les  plus  approfondies,  qu'il  publia  ensuite  sous  le  titre  de  : 
Delcenacolo  di  Leonardo  (la  Vinci  (Milan,  1810, in-fol.). 
Le  grand  dessin  qu'il  fit  de  celle  fresque  célèbre  est  un  tra- 
vail des  plus  remarquables.  Plus  tard,  liossi  se  démit  de 
ses  fonctions  de  secrétaire  de  l'Académie.  Il  fut  membre 
de  l'Institut,  et  mourut  à  Milan,  le  9  décembre  1815.  Son 
buste ,  placé  à  Bréra ,  est  de  la  main  de  Canova. 

BOSSOIRS  ou  BOSSEURS.  Ce  sont,  en  termes  de 
marine,  deux  pièces  de  bois  placées  en  saillie  à  l'avant  d'un 
vaisseau,  qui  servent  à  la  manœuvre  des  ancres  ,  et  princi- 
palement à  les  soutenir  quand  celles-ci  sont  levées. 

IiOSSUET(JACQi]Es-BÉNir.NE)  naquit  à  Dijon  ,1e  27  sep- 
tembre 1G27,  d'une  famille  de  robe.  Il  fut  élevé  par  les 
jésuites,  qui  eurent  l'idée  de  s'emparer  de  lui  ;  car  ils  avaient 
le  pressentiment  de  sa  grandeur.  Il  leur  échappa,  et  vint 
faire  sa  philosophie  à  Paris.  C'était  un  moment  de  renou- 
vellement dans  cette  science  ;  on  en  faisait  encore  une  occa- 
sion de  dispute.  Bossuet  y  ajouta  d'autres  études,  celle  du 
grec  surtout,  qui  le  charma  ensuite  toute  sa  vie.  Il  soutint 
sa  première  thèse  avec  éclat;  à  l'âge  de  seize  ans  il  avait 
une  réputation  d'éloquence.  L'iiôlel  Rambouillet,  alors 
maître  des  renommées  ,  voulut  l'entendre.  Il  y  alla  prêcher 
sur  un  sujet  qu'on  lui  donna  à  l'instant,  et  qu'il  remplit  aux 
grands  applaudissements  de  madame  et  de  mademoiselle  de 
Rambouillet.  C'était  un  mauvais  début;  il  eiit  pu  être  fatal  à 
un  autre  :  sa  bonne  et  forte  nature  le  sauva  de  cette  gloire. 
Il  était  du  très-petit  nombre  d'hommes  à  qui  il  a  été  donné 
d'être  précoces  et  de  ne  pas  périr  ensuite  d'affaiblissement 
et  de  vanité.  Bossuet  soutint  sa  thèse  publique  :  c'était  alors 
une  grande  affaire.  Condé  assista  à  cette  lutte;  il  sembla 
porter  envie  au  jeune  théologien,  qui  sortit  des  épreuves 
avec  éclat.  Bossuet  fut  bachelier;  puif.  il  reçut  le  sous-dia- 
conat; puis  il  continua  ses  travaux  pour  la  licence;  puis 
enfin  il  fut  docteur.  Ces  études  durèrent  quatre  ans;  la  re- 
nommée de  Bossuet  ne  fit  que  s'accroître;  les  évoques  re- 
manjuaient  avec  plaisir  ce  sujet  brillant.  Celui  de  Metz 
chercha  le  premier  à  s'en  emparer;  il  le  nomma  archidiacre 
de  l'église  de  Met/,  et  peu  après  Bossuet  tut  fait  prêtre  (1652). 
On  continua  de  courir  à  lui  pour  le  combler  d'honneurs;  il 
se  rétugia  dans  l'élude.  Pendant  six  ans  il  se  livra  à  la  lecture 
et  à  la  méditation  des  pères  de  l'Eglise  :  c'était  une  heureuse 
préjiaratiûu  aux  grands  travaux  qui  devaient  lui  faire  donner 


4  73  BOSSU  ET 

à  )«i-mème  ce  nom  de  Père,  que  son  siècle  lui  décerna,  et 
que  la  postérité  n'a  point  contesté. 

11  commença  à  écrire  à  Metz  contre  les  protestants  :  il  fit 
une  réfutation  du  catécliisme  de  Paul  Fcrri.  En  ce  temps-là 
la  controverse  n'avait  pas  pris  le  caractère  de  généralité  phi- 
losophique que  l'incrédulité  ou  rindiflércncc  moderne  lui  a 
donné.  Des  deux  côtés  on  s'attachait  à  des  dogmes  ou  à  des 
débris  de  dogmes  :  la  dispute  devait  donc  être  purement 
religieuse. 

Bossuet  multiplia  ses  travaux  h  Metz;  il  y  établit  des  con- 
férences, ayant,  comme  tout  le  reste  de  ses  prédications,  la 
conversion  des  protestants  pour  objet.  Saint  Vincent  de  Taul 
l'encourageait  dans  ses  efforts  ;  c'était  une  belle  alliance  que 
celle  de  ces  deux  grands  hommes  :  c'était  le  génie  tempéré 
par  la  piété,  l'ardeur  du  jeune  prêtre  adoucie  par  la  sainteté 
du  vieillard.  Bossuet  porta  aussi  son  zèle  i  Paris.  Ses  écrits 
étaient  recherchés  avec  avidité;  la  religion  était  alors  une 
grande  occupation  ;  les  plaisirs  étaient  secondaires  ;  elle  do- 
minait môme  au  milieu  des  désordres  et  des  scandales.  De 
{:;randes  conversions  eurent  lieu  :  d'abord  celles  du  n)arquis 
de  Dangeau  et  de  son  frère  le  marquis  de  Courcillon ,  qui 
fut  plus  tard  abbé  de  Dangeau.  Le  beau  livre  de  VExposi- 
tion,  de  Bossuet,  prépara  cette  conquête.  Tu  renne  vint 
ensuite  :  celle-ci  eut  plus  d'éclat.  Turenne  apportait  dans  la 
recherche  de  la  vérité  une  simplicité  d'enfant,  avec  une 
admirable  supériorité  de  raison.  Le  peu  de  sincérité  des  con- 
troverses protestantes  avait  blessé  son  âme  loyale  ;  la  diver- 
sité des  sectes  l'étonna  ;  l'unité  catholique  le  domina  :  il  fut 
catholique  à  force  de  bonne  foi  et  de  candeur. 

Bossuet  commença  à  prêcher  à  Paris  ;  on  se  pressa  pour 
l'entendre.  C'était  une  manière  nouvelle,  une  liberté  d'allure 
inconnue  aux  sermonnaires ,  un  langage  sublime  et  familier, 
des  traits  d'éloquence  comme  des  coups  de  foudre,  des  éclairs, 
des  tempêtes  ;  puis ,  tout  à  coup,  du  calme  et  du  repos ,  un 
langage  sans  apprêt,  des  vérités  simplement  énoncées,  une 
instruction  jetée  à  flots,  sans  divisions  méthodiques,  péni- 
bles et  fastidieuses.  Les  sermons  de  Bossuet  sont  encore  ce 
qu'il  y  a  de  moins  connu  dans  ses  œuvres.  La  Harpe  a  dit 
qu'ils  étaient  médiocres  ;  il  ne  les  avait  pas  lus.  Les  sermons 
de  Bossuet  sont,  au  contraire,  ce  qu'il  y  a  de  plus  extraordi- 
naire en  fait  d'éloquence.  Il  y  en  a  peu  d'achevés  ;  mais  le  plus 
médiocre  ou  le  plus  incomplet  est  plein  du  génie  du  grand 
orateur.  Bossuet  est  savant  sans  le  vouloir  être,  va  libre- 
ment, saisissant  dans  sa  marche  précipitée  tout  ce  qui  peut 
éclairer,  émouvoir,  entraîner;  sa  pensée  sort  pleine,  abon- 
dante, comme  d'un  seul  jet;  lorsqu'il  veut  être  régulier,  il 
l'est  sans  doute  ,  mais  comme  un  créateur  à  qui  tout  obéit. 
Son  sujet  s'arrange  de  lui-même ,  son  esprit  ne  fait  pas  d'ef- 
fort ,  et  quand  tout  est  disposé ,  l'orateur  anime  cette  créa- 
tion, puis  il  plane  au-dessus  comme  un  dieu.  Ne  comparez 
pas  Bourdaloueà  Bossuet;  ce  sont  deux  gloires  aussi  dis- 
semblables qu'inégales  :  le  premier  est  admirable  à  force  de 
raison,  il  ne  sort  pas  de  la  nature  humaine;  le  second  est 
inspiré  ,  il  est  maître  de  la  nature  même. 

Bossuet  prêcha  devant  les  grandeurs,  devant  la  reine, 
ilcvant  les  princes,  devant  Condé,  devant  Louis  XFV;  ce 
fut  toujours  la  même  fécondité.  Cet  homme  se  multipliait 
^ivec  des  formes  d'éloquence  toujours  nouvelles  et  toujours 
inconnues.  Cependant  il  faut  dire  ici  que  ces  sermons  devant 
le§  grands  accoutumèrent  Bossuet  à  porter  dans  la  prédica- 
tion des  choses  graves  et  austères  de  la  reUgion  un  tempé- 
rament de  flatterie  qui  pouvait  ôter  à  la  vérité  son  caractère 
inflexible  ,  et  endormir  les  vices  au  bruit  des  leçons  les  plus 
admirables  de  l'éloquence.  Nous  trouvons  un  certain  cou- 
rage dans  beaucoup  de  sermons  de  Cossuct  prêches  devant 
Louis  XIV;  mais  c'est  un  courage  qui  n'expose  guère;  car 
la  louange  le  rend  inutile.  Dans  ce  mélange  de  paroles  reli- 
gieuses et  solennelles  et  de  discours  insinuants  et  flatteurs, 
le  prince  prend  ce  qu'il  veut,  et  il  ne  veut  que  ce  qui  lui 
pliait.  Ici  Bourdaloue  l'emporte.  Boiirdaloiu;  iic  loue  pas.  Il 


prêche  devant  le  roi  comme  devant  un  autre  fidèle,  si  ce 
n'est  qu'il  redouble  de  gravité,  à  cause  des  scandales  de  la 
colir.  Bossuet  est  plus  souple,  et  sans  rien  sacrifier  de  la 
religion,  il  blesse  moins  la  faiblesse  ou  la  vanité;  il  y  a  une 
certaine  parole  de  courtisan  dans  son  éloquence  superbe  et 
indépendante.  Voilà  une  singulière  alliance;  elle  est  réelle, 
et  je  comprends  qu'il  y  ait  des  gens  qui  n'aient  vu  en  Bos- 
suet que  le  flatteur  des  rois.  Ces  gens-là  étaient  passionnés , 
mais  leur  censure  n'est  pas  sans  quehpie  réalité  ;  seulement 
ils  n'ont  pas  vu  tout  Bossuet ,  ils  n'ont  pas  vu  Bossuet  chré- 
tien dans  la  flatterie ,  c'est-à-dire  gardant  toute  la  grandeur 
de  la  religion  dans  cette  adfesse  d'orateur,  et  louant  la 
gloire  humaine  pour  mieux  faire  resplendir  la  volonté  souve- 
raine de  la  Providence. 

Du  reste,  Bossuet  ne  courut  point  après  les  faveurs;  pen- 
dant qu'il  prêchait  à  Paris,  il  passait  sa  vie  dans  la  retraite 
et  l'étude.  Dix  ans  s'écoulèrent  dans  ces  travaux  ;  alors  on 
lui  donna  le  prieuré  de  Gassicourt ,  et  peu  après  il  lut  nommé 
doyen  de  Metz.  Ce  fut  vers  ce  temps  qu'il  débuta  dans  une 
carrière  où  l'attendait  beaucoup  de  gloire.  Il  prêcha  l'o- 
raison funèbre  du  père  Bourgoing,  supérieur  général  de 
l'Oratoire,  et  celle  du  docteur  Cornet,  qui  avait  contribué  à 
la  première  direction  de  sa  jeunesse. 

En  ce  temps  les  disputes  jansénistes  étaient  animées; 
les  religieuses  dePort-Boyal  jouaient  un  grand  rôle  dans 
ces  controverses.  L'archevêque  de  Paris,  M.  de  Péréfixe, 
chargea  Bossuet  de  les  amener  à  la  soumission  p£fr  la  con- 
ciliation et  la  douceur.  Nous  nous  imaginons  Bossuet  do- 
minateur, intolérant  et  emporté,  à  cause  des  mouvements 
précipités  de  sa  parole;  il  était,  au  contraire,  bienveillant  et 
modéré,  et  ce  fut  pour  cela  qu'il  fut  choisi  par  M.  de  Pé- 
réfixe, dont  l'indulgence  était  renommée.  La  bonté  et  le 
génie  échouèrent  devant  l'entêtement  de  quelques  femmes. 

D'autres  travaux  se  présentèrent.  Bossuet  prêcha  l'orai- 
son funèbre  d'Anne  d'Autriche,  reine  qui  avait  traversé 
vingt  années  pleines  de  périls  avec  courage  et  quelquefois 
avec  gloire.  11  entra  dans  les  controverses  avec  les  pro- 
testants ,  où  déjà  l'école  de  Port-Royal  l'avait  devancé  ;  le 
penchant  de  son  esprit  le  portait  vers  cette  polémique,  do 
préférence  à  toute  autre.  Il  fut  chargé  toutefois  de  corriger 
l'édition  janséniste  du  A'oicveau-Testament ;  et  ainsi,  par 
des  travaux  successifs,  il  arriva  à  l'évêché  de  Condom. 

Sa  carrière  s'agrandissait  tous  les  jours  ;  la  mort  lui  fit  des 
occasions  plus  éclatantes  de  gloire.  Il  fit  entendre  sa  grande 
voix  sur  le  tombeau  delIenriettedeFrance,  reine  d'An- 
gleterre. Rien  jusque  là  ne  s'était  vu  dans  l'histoire  de  sem- 
blable à  cette  fortune  royale  précipitée  par  le  meurtre.  Le 
souvenir  de  Charles  I^''  était  là  tout  vivant,  et  il  était  beau 
d'entendre  Bossuet  faisant  planer  la  Providence  sur  les  ré- 
volutions d'empires,  et  donnant  aux  rois  et  aux  peuples  des 
leçons  inconnues  sur  la  vanité  des  grandeurs  et  sur  les  cau- 
ses qui  emportent  les  États  et  perdent  les  trônes.  L'oraison 
funèbre  prenait  ainsi  un  caractère  nouveau ,  et  devenait  un 
genre  d'éloquence  distinct  de  tous  les  autres,  où  le  christia- 
nisme apparaissait  avec  ses  enseignements  merveilleux  et 
ses  prophétiques  inspirations.  «  Ce  n'est  pas  un  ouvrage  hu- 
main que  je  médite ,  criait  Bossuet  ;  il  faut  que  je  m'élève 
au-dessus  de  l'homme,  pour  faire  trembler  toute  créature 
sous  les  jugements  de  Dieu.  »  Telle  est  l'oraison  funèbre 
conçue  par  Bossuet.  C'est  l'éloquence  humaine  appliquée 
aux  méditations  les  plus  hautes  de  la  politique  chrétienne; 
et  avec  cette  pensée  souveraine  il  assiste  aux  événements  qui 
troublent  la  terre,  il  les  maîtrise  en  quelque  sorte,  il  les 
fait  servir  à  l'harmonie  générale  du  monde;  il  en  fait  un 
cours  de  morale  providentielle;  il  étonne,  il  confond  l'es- 
prit des  politiques  vulgaires  ;  cela  ne  l'empêclie  pas  toute 
fois  d'avoir  des  pleurs  et  de  la  pitié  pour  l'infortune.  Son 
gémissement  a  quelque  chose  de  lugubi"»;  et  de  plaintif; 
il  touche  les  âmes  d'une  douleur  profonde  et  mystérieuse; 
il  lait  verser  des  larmes  dans  le  secret  du  cœur;  il  ne  les 


BOSSU  KT 


479 


provoque  pas  par  de  vaincs  lamentations;  il  ne  les  clierche 
[las  par  un  appareil  de  deuil  ;  son  gémissement  est  grave  et 
solennel  ;  il  n'abaisse  pas  la  douleur,  il  l'élève,  au  contraire, 
puis  il  la  sanctifie  et  la  console  par  Tespérance;  il  lui  ouvre 
le  ciel,  et,  montrant  la  terre  ainsi  frappée  par  les  tempêtes, 
i!  force  l'homme  à  se  réfugier  dans  un  autre  asile.  L'oraison 
funèbre,  le  genre  le  plus  faux,  le  plus  futile  et  le  moins 
chrétien,  devient  ainsi  la  leçon  la  plus  haute,  la  plus  im- 
posante et  la  plus  vraie ,  et  c'est  ici  que  se  montre  le  génie 
créateur  de  Bossuet.  Il  a  (ait  cette  sorte  d'éloquence.  Elle  lui 
«st  propre  comme  une  œuvre  de  sa  conception.  Après  lui  il 
n'y  a  plus  d'oraison  funèbre. 

A  l'oraison  funèbre  de  la  reine  d'Angleterre  succéda  celle 
d'Henrietted'Angleterre,  sœur  de  Charles  II,  et  épouse 
de  Monsieur,  duc  d'Orléans.  La  mort  allait  vite;  et  on  l'ai- 
dait aussi  par  le  crime.  Cette  femme  infortunée  périt  d'une 
manière  tragique,  par  la  vengeance  du  chevalier  de  Lorraine, 
élionté  favori  du  duc  d'Orléans,  qui  du  fond  de  l'Italie,  où 
il  était  exilé  pour  des  intrigues ,  trouva  le  secret  de  la  faire 
empoisonner.  Il  savait  apparemment  que  ce  crime  servait 
.«;on  maître.  Mais  il  ne  lui  confia  pas  son  secret  :  Saint-Simon 
dit  que  les  empoisonneurs  eurent  peur  de  son  indiscrétion. 
Ainsi ,  on  ne  peut  pas  même  lui  faire  honneur  de  son  inno- 
cence. Quelque  temps  après,  le  chevalier  de  Lorraine  jouis- 
sait auprès  de  lui  de  son  infamie.  Tel  fut  donc  le  nouveau 
.«^ujet  d'éloquence  pour  Bossuet.  Louis  XIV  avait  frémi  d'hor- 
reur à  la  mort  d'Henriette,  qu'il  chérissait  et  qui  lui  servait 
do  hen  politique  avec  son  frère  le  roi  d'.\ngleterre.  Mais  on 
ftait  en  un  temps  où  il  n'était  pas  permis  de  soupçonner  la 
scélératesse  autour  du  trône,  et  la  grande  voix  de  Bossuet  ne 
put  se  faire  entendre  avec  toute  sa  liberté.  Jamais  on  n'eût 
oui  de  tels  éclats  de  tonnerre.  L'oraison  funèbre  d'Henriette 
est  pourtant  un  chefd'œuvre.  Bossuet  fit  trembler  son  au- 
ditoire par  celte  parole  restée  célèbre  :  Madame  se  meurt! 
Madame  est  morte!  Il  y  eut  un  long  silence.  L'orateur 
même  fut  troublé.  C'était  comme  une  voix  tonnante  qui 
révélait  une  partie  des  secrets  du  sépulcre. 

Bossuet  fut  nommé  précepteur  du  dauphin.  Le  duc  de 
Montausier  était  son  gouverneur.  C'était  trop  du  génie  de 
l'un  et  de  l'austérité  de  l'autre  pour  former  un  enfant  dont 
la  nature  molle  et  paresseuse  répondait  mal  d'ailleurs  à  de 
tels  soins.  Ces  choix  n'en  honoraient  pas  moins  Louis  XIY. 
11  voulut  entourer  son  fils  de  tout  ce  qu'il  y  avait  de  plus 
grand,  de  plus  renommé  et  de  plus  vertueux.  Le  savant 
H  uet,  évêque  d'Avranches,  fut  sous-précepteur  du  prince. 
11  ne  manquait  plus  à  de  tels  maîtres  qu'un  disciple  digne  de 
les  entendre.  L'éducation  du  dauphin  resta  sans  éclat.  Mais 
l>ersonne  ne  songea  à  en  faire  un  reproche  à  Bossuet,  d'au- 
tant que  tout  le  monde  put  voir  l'admirable  assiduité  d'é- 
tudes, de  travaux  et  de  recherches  avec  laquelle  il  remplit 
sa  grande  et  pénible  tâche  d'instituteur. 

En  cela,  le  choix  de  Bossuet  fut  heureux.  >ous  lui  devons 
des  ouvrages  admirables  sur  les  objets  principaux  des  con- 
naissances humaines.  Bossuet  se  mit  à  approfondir  toutes 
les  sciences,  la  philosopliie,  l'histoire,  la  politique,  la  phy- 
siologie même.  C'était,  encore  une  fois,  trop  de  profondeur 
pour  son  disciple,  esprit  lent  et  inappliqué.  Mais  tant  de 
travaux  ne  furent  pas  perdus ,  puisque  la  postérité  en  jouit. 
En  tête  de  ces  ouvrages,  La  Connaissance  de  Dieu  et  de 
soi-même,  et  le  Discours  sur  l'histoire  universelle ,  deux 
chefs-d'œuvre,  et  le  premier  non  moins  étonnant  peut-être 
que  le  second ,  parce  que  Bossuet  n'y  est  pas  seulement 
écrivain,  ou  seulement  philosophe;  il  y  est  anatomiste,  et 
tellement  instruit  de  la  science  d'alors  qu'il  devhie  la 
science  même  à  venir,  et  aussi  l'anatomie  moderne  ne  lui 
reiiroche  point  de  grave  erreur.  Quant  au  Discours  sur 
l'histoire  universelle ,  c'est  le  chef-d'œuvre  des  temps 
anciens  et  modernes.  Bossuet  ramasse  les  débris  du  monde 
et  les  pousse  pèle-mèle  devant  lui.  Jamais  autorité  sem- 
'olabJe  ne  s'était  vue;  il  règle  le  cours  de  la  vie  des  nations; 


il  assiste  aux  révolutions  et  les  modère.  Il  sait  la  pensée 
qui  les  fait  mouvoir;  il  sait  où  elles  aboutissent;  il  semble 
assister  aux  conseils  de  Dieu.  Bossuet  n'avait  jamais  été  si 
grand ,  et  la  seule  conception  de  son  ouvrage  passe  toutes 
les  limites  connues  du  génie  humain.  Les  écrits  proprement 
poUtiques  de  Bossuet  n'ont  pas  ce  caractère  d'élévation  et 
de  vérité  ;  même  sa  politique  sacrée  manque  d'application  ; 
la  pensée  en  est  fausse  d'un  bout  à  l'autre.  Grand  homme  '. 
pardonnez-moi  cette  parole. 

Bossuet  parle  d'une  théocratie,  et  passe  du  gouverne- 
ment des  Hébreux  au  gouvernement  des  États  modernes, 
ce  qui  n'a  pas  d'analogie.  Il  s'ensuit  qu'il  fait  des  rois  au- 
tant de  dieux.  Et  cependant  Bossuet  se  récrie  contre  l'ar- 
bitraire des  rois;  mais  il  ne  les  rend  justiciables  directement 
que  de  Dieu  même.  Il  n'y  a  pas  de  politique  possible  avec 
ce  système.  Le  moyen  âge  était  plus  conséquent.  Les  rois 
étaient  sous  la  main  de  Dieu  sans  doute ,  mais  dans  l'hy- 
pothèse d'une  constitution  catholique,  où  le  droit  des  peu- 
ples avait  sa  règle  dans  la  religion ,  et  son  recours  à  l'au- 
torité des  pontifes.  C'est  là  une  organisation  que  chacun 
peut  saisir,  soit  qu'on  l'approuve,  soit  qu'on  ne  l'approuve 
pas.  Mais  les  rois  dépendants  de  Dieu  seul,  et  absolus  par 
rapport  à  leurs  sujets,  de  telle  sorte  que  les  peuples  ne 
puissent  en  appeler  à  aucun  pouvoir  vivant  sur  la  terre,  c'est 
là ,  il  faut  le  dire ,  im  ordre  pohtique  impossible  à  réaliser, 
si  ce  n'est  par  le  despotisme  pur.  Je  sais  très-bien  que  la 
souveraineté  du  peuple  est  à  l'autre  bout,  et  Bossuet  a 
voulu  l'éviter.  Mais  rien  ne  l'obligeait  de  passer  d'une  erreur 
à  l'autre,  si  ce  n'est  peut-être  que  le  temps  n'était  pas  alors 
venu  de  bien  saisir  la  vérité,  et  peut-être  n'est-il  pas  venu 
môme  aujourd'hui.  Aussi  faut-il  dire  simplement  ce  qu'il  y  a 
de  faux  dans  les  idées  de  Bossuet.  Il  céda  au  mouvement 
universel  qui  emportait  tout  vers  la  monarchie  absolue,  et 
qui  semblait  faire  plier  la  religion  elle-même.  C'était  la  suite 
de  longues  erreurs.  La  France  avait  failli  s'abîmer  dans  l'a- 
narchie et  les  guerres  civiles.  Tous  les  hommes  d'ordre  sen- 
tirent la  nécessité  de  se  réfugier  dans  le  pouvoir.  Le  pro- 
blème politique  resta  entier,  savoir,  comment  se  conci- 
lieraient un  jour  le  pouvoir  et  la  liberté. 

Le  caractère  simule  et  boa  de  Bossuet  ne  s'altéra  pas  à  la 
cour.  Autour  de  lui  se  groupèrent  tous  les  liommes  graves 
du  temps;  il  forma  avec  eux  des  conférences  philoso- 
phiques ,  d'où  sortirent  d'utiles  travaux.  Ces  hommes  de 
méditation  se  réunissaient  dans  les  jardins  de  Versailles,  et 
c'était  un  touchant  contraste  que  ce  spectacle  d'études 
calmes  au  milieu  des  plaisirs,  d'entretiens  philosophiques  au 
milieu  des  passions  et  du  bruit.  Les  conversions  suivaient 
leur  cours,  et  Bossuet  restait  mêlé  aux  controverses  par  ses 
livres,  sans  sortir  de  sa  retraite  accoutumée.  ]Mais  une  cir- 
constance s'offrit  où  il  lui  fallut  se  mettre  en  présence  du 
protestantisme  par  sa  parole.  Mademoiselle  de  Duras,  dame 
d'atours  de  Madame,  seconde  femme  du  duc  d'Orléans, 
avait  été  élevée  dans  la  religion  protestante  par  sa  mère , 
sœur  de  Turenne.  Déjà  la  lecture  de  Y  Exposition  avait 
ébranlé  ses  croyances,  et  elle  se  sentait  portée  au  catholi- 
cisme. Pour  achever  de  dissiper  ses  incertitudes,  elle  voulut 
établir  une  sorte  de  lutte  de  raisonnement  entre  les  deux  reli- 
gions. Elle  demanda  une  conférence  où  Bossuet  discuterait 
contre  le  ministre  Claude  les  points  qui  lui  paraissaient  dou- 
teux encore.  C'était  une  méthode  de  conversion  peu  usitée, 
et  même  peu  chrétienne,  il  faut  le  dire,  puisque  mademoi- 
selle de  Duras  s'établissait  juge  comme  dans  une  dispute 
vulgaire;  et  ainsi  c'était  elle-même  qui  prononçait  en  der- 
nier ressort  sur  la  vérité  ou  l'erreur.  Il  y  avait  là,  si  je  ne 
me  trompe,  quelque  peu  de  vanité,  et  c'était  au  moins  faire 
beaucoup  de  bruit  pour  une  affaire  qui  exige  beaucoup  de 
silence.  Quoi  qu'il  en  soit,  mademoiselle  de  Duras  se  con- 
vertit, et  finit  sa  vie  par  une  mort  chrétienne. 

Le  nom  de  Bossuet  fut  mêlé  à  l'histoire  des  amours  de 
Louis  XIY,  mais  comme  pouvait  et  devait  cire  mêlé  celui 


480 

«l'un  grand  et  saint  évêque.  Il  ne  fut  point  étranger  à  la 
touchante  résolution  que  prit  madame  de  La  Vallière  de 
cacher  sa  honte  et  ses  remords  dans  la  solitude  d'un  cloître, 
et  il  prêcha  le  sermon  de  la  profession  de  ses  vœux.  Peu 
après  il  attaqua  avec  courage  la  passion  du  roi  pour  madame 
de  Montespan,et  cette  lutte,  toute  entourc'e  qu'elle  fût  de 
certaines  formes  de  délicatesse  que  Louis  XIV  imposait  au- 
tour de  lui,  n'en  est  pas  moins  un  souvenir  de  liberlé  qui 
honore  le  caractère  de  Bossuet.  Le  hardi  prélat  crut  être 
maître  un  instant.  Mais  au  retour  de  la  guerre  Louis  XIV 
donna  des  ordres  pour  meubler  l'appartement  de  sa  mal- 
tresse. I5ossuet  courut  à  huit  lieues  au-devant  du  roi.  A  sa 
vue,  Louis  XIV  s'écria  :  A'e  vie  dites  rien,  j'ai  donné  mes 
ordres.  La  parole  de  Bossuet  faisait  peur  au  scandaleux 
monarque. 

Après  l'éducation  du  dauphin,  Bossuet  fut  nommé  évo- 
que de  Meaux.  C'était  au  moment  de  l'assemblée  du  clergé 
(l(;8l).  Louis  XIV  voulut  que  le  père  LaChaiseallât  porter 
cette  nouvelle  à  rarchcvèché,  pour  qu'elle  se  répandît  aus- 
sitôt dans  tous  les  diocèses,  tant  il  y  attachait  d'importance. 
Cetleasseinbléedevint  célèbre  par  la  grandeur  des  questions 
<pii  y  furent  résolues,  questions  depuis  longtemps  débat- 
tues avec  animosité,  et  qu'une  décision  sembla  rendre  plus 
incertaines  encore.  L'histoire  de  ces  df^bats  est  longue  et  inu- 
tile dans  cet  article.  Le  siècle  présent  n'en  a  retenu  que  quel- 
ques mots  vagues,  qui  suffisent  i\  son  ignorance.  Il  sait 
qu'il  s'agissait  dans  l'a-^semblée  des  libertés  de  l'Église  r/al- 
licnne;  mais  il  ne  sait  pas  quelles  étaient  ces  libertés.  Ces 
libertés  étaient  la  faculté  donnée  au  pouvoir  de  dominer 
l'Église  :  plaisantes  libertés  !  Après  cela  vinrent  des  ques- 
tions sur  la  constitution  de  l'Église,  que  le  clergé  crut  de- 
voir résoudre  dans  le  sens  qui  paraissait  être  le  plus  favo- 
rable à  la  pensée  de  domination  du  monarque,  .■^u  fond  de 
tout  celi  il  y  avait  une  difficulté  qu'on  éludait  avec  soin, 
savoir  si  le  loi  était  catholique  au  môme  titre  que  tous  les  ca- 
tholiques du  monde.  L'union  de  l'État  et  de  l'Église  s'était 
alli^ée;  la  constitution  ancienne  était  détruite,  il  n'en  res- 
tait que  les  apparences.  Le  roi  voulait  bien  que  l'union  sub- 
sistât, mais  à  la  condition  qu'il  serait  maître.  Aussi  la  coxirti- 
snncrie  de  quelques  évêqnes  allait  loin,  et  Fénelon  nous  a 
rai)porté  les  efforts  qu'il  fallut  faiie  pour  les  arrêter.  Bossuet 
y  employa  son  génie,  mais  avec  l'embarras  d'un  évêque  qui 
veut  concilier  sa  foi  religieuse  et  sa  souinission  mondaine.  Il 
débuta  par  le  sermon  sur  l'unité  de  l'Église,  profession  de 
principes  admirable,  après  laquelle  il  se  crut  plus  permis 
de  faire  des  concessions.  Le  rôle  du  grand  homme  fut  un  rôle 
de  juste  milieu.  Je  demande  pardon  d'emprunter  cette  ex- 
j)ression  à  l'histoire  de  nos  partis  ,  mais  elle  est  vraie,  et  la 
déclaration  du  clergé  de  France  eut  le  double  inconvénient 
de  blesser  le  pape  et  d'irriter  ses  ennemis.  Ces  sortes  de 
tempéraments  n'ont  pas  d'autre  résultat.  Bossuet  était  digne 
d'appliquer  sa  forte  et  puissante  raison  à  des  disputes  plus 
chrétiennes  et  à  des  questions  plus  nettes.  Son  autorité  tou- 
tefois ne  fut  pas  inutile  pour  contenir  des  vs\mls,  déréglés, 
mais  sans  servir  la  liberté  de  l'Église;  et  il  ne  prévit  pas  cpie 
son  ouvrage  se  tournerait  plus  tard  contre  la  religion  qu'il 
voulait  détendre.  Peut-être  aussi,  car  il  ne  faut  point  pro- 
concer  contre  un  tel  homme  des  jugements  inexorables, 
peut-être  le  temps  n'était  point  venu  où  le  pouvoir  et  l'Église 
seraient  nettement  placés  dans  une  position  de  mutuelle  in- 
dépendance. Certes,  il  n'était  plus  permis  <}«  remonter  à  la 
constitution  catholique  du  moyen  Age,  et  il  n'eiU  été  donne 
à  personne,  pas  même  à  l'esprit  pénétrant  de  Fénelon,  de 
|)rcssenlir  une  liberté  telle  que  nous  pouvons  la  concevoir 
aujourd'hui,  et  qui  encore  nous  épouvante  et  nous  di  con- 
certe au  moment  même  où  nous  la  sollicitons.  Ainsi,  c'(;lait 
connue  un  état  de  transition  que  Bossuet  avait  fait  à  l'É-lise; 
et,  chose  étonnante  !  un  siècle  et  demi  a  dil  .s'écouler  avant 
qu'il  nous  iï»t  donné  de  nous  avancer  vers  des  destinées  nou- 
velles ;  tant  les  révolutions  sont  lentes  et  rav^iiir  mystérieux  '. 


BOSSUET 

Il  fallut  du  temps  pour  calmer  la  cour  de  Rome.  Louis  XIV 
finit  par  flécliir  ;  et  il  promit  au  pape  que  la  déclaration 
de  1C82  serait  non  avenue.  Alors  il  y  eut  une  réconciliation  < 
publique,  et  l'Église  de  France  reprit  sa  marche  accoutu- 
mée; mais  la  déclaration  devint  par  elle-même  un  objet  de 
dissension,  et  c'est  à  peine  si  nos  révolutions  modernes  ont 
détourné  les  idées  de  ces  controverses,  désormais  sans  ap- 
plication. Bossuet  exerça  son  zèle  à  d'autres  soins.  Il  fit  la 
guerre  à  des  casuistes  qui  déshonoraient  le  christianisme 
par  leur  morale  commode,  et  il  les  lit  condamuer  à  Rome. 
Puis,  ayant  pris  possession  de  son  évêché,  il  s'y  livra  à  des 
travaux  de  toutes  sottes.  Il  publia  des  écrits  pour  éclairer 
les  protestants  qui  se  trouvaient  dans  son  diocèse,  et  qu'il 
appelait  ses  frères  et  ses  enfants  ;  il  surveilla  et  fortifia  les 
études  de  son  séminaire,  établit  des  missions,  ranima  les 
conférences  ecclésiastiques,  multiplia  les  visites  pastorales, 
s'occupa  avec  tendresse  du  soin  des  hôpitaux ,  donna  aux 
synodes  une  régularité  nouvelle,  présidant  atout,  diri- 
geant tout,  apportant  partout  une  modération  touchante  et 
une  noble  dignité. 

On  ne  pourrait  tout  dire  d'un  évéque  si  zélé,  dont  la 
fécondité  d'esprit  était  si  prompte.  Ses  écrits  se  multi- 
pliaient. Il  fit  pour  des  religieuses  deux  de  ses  plus  beaux 
ouvrages  :  les  Élévations  sur  les  mystères,  et  les  Médi- 
tations sur  l'Évangile;  dcu\  créations  pleines  d'enthou- 
siasme et  de  poésie.  On  a  dit  Vaigle  de  Meaux  ;  on  a  eu 
raison,  mais  Bossuet  est  c.igle  surtout  dans  les  Éléva- 
tions. Il  y  a  dans  ces  ciiapitres  jetés  sans  plan,  à  ce  qu'il 
semble,  un  ton  d'inspiration  qui  ne  se  trouve  point  ailleurs. 
C'est  un  langage  libre  et  presque  désordonné,  tel  qu'il 
convient  à  des  élans  d'admiration  et  d'amour  ;  mais  avec 
une  hardiesse  et  une  nouveauté  de  parole  qui  dépasse  tous 
les  effets  de  la  poésie  humaine. 

Pour  produire  ainsi  sans  relâche  de  si  beaux  écrits,  on 
conçoit  qu'il  fallait  à  Bos.suet,  outre  sa  facihlé,  une  vie 
toujours  pleine  et  occupée.  Le  jour  ne  suffisait  pas  à  l'acti- 
vité de  ses  travaux.  Il  y  employait  aussi  les  nuits.  Et  ce- 
pendant il  ne  fuyait  pas  les  conversations  et  les  distractions 
du  monde;  il  recherchait,  au  contraire,  les  hommes  savants 
et  lettrés.  Il  avait  été  reçu  à  l'Académie  Française  ;  c'était 
alors  une  élite  des  grandes  renommées  de  la  France.  11 
aimait  à  s'entourer  d'un  choix  d'écrivains,  dont  la  gravité 
répondait  le  mieux  à  sa  pensée  toujours  haute.  Il  s'occu- 
pait avec  eux  de  leurs  études.  Il  les  encourageait  ou  les  di- 
rigeait. La  Bruyère,  Fleury,  Renaudot,  d'Herbelot,  Galland, 
Boileau ,  Santeuil,  et  beaucoup  d'autres  parmi  ceux  qui 
n'étaient  qu'académiciens ,  antiquaires ,  poètes  ou  mora- 
listes, se  disputaient  quelques  moments  de  liberté  du  grand 
évêque.  Son  commerce  était  doux  et  facile.  Il  avait  une 
gravité  modeste,  et  sa  parole  ,  si  remuante  dans  la  chaire, 
avait  dans  la  conversation  une  familiarité  douce  et  bien- 
veillante. 

Celte  parole  reprit  son  tonnerre  pour  parler  encore  des 
vanités  des  grandeurs  humaines.  Bossuet  prêcha  tour  à  tour 
les  oraisons  funèbres  de  la  reine  Marie-Thérèse,  de  la  prin- 
cesse Palatine,  du  chancelier  Letellier,  et  du  prince  de 
Condé.  Que  de  leçons  dans  la  vie  de  tels  personnages! 
Bossuet  semblait  être  le  prédicateur  de  la  mort.  On  eût  dit 
je  ne  sais  quelle  puissance  qui  animait  les  tombeaux  et  fai- 
sait parler  les  cadavres.  Dans  les  quatre  sujets  d'éloquence 
que  la  mort  lui  lit  si  précipitamment,  il  y  avait  une  telle 
variété  de  caraclôrcs  et  d'événements  qu'il  fallait  une  grande 
souplesse  de  génie  pour  les  présenter  avec  convenance  et 
vérité.  La  reine  Marie-Thérèse  avait  passé  modeste  et  peu 
aperçue  auprès  de  la  gloire  de  Louis  XIV.  L'éloquence  n'avait 
à  parler  ici  que  de  vertus  touchantes.  Bossuet  sut  mettie 
dans  son  langage  tout  ce  qu'il  fallait  d'onction  pour  rappeler 
cette  vie  aimable  et  celte  aménité  de  mœurs.  Ft  cependant 
il  sortait  (lueiquefois  de  ce  cadre  plein  d'élégance  pour  aller 
saisir  (luchpics-uns  des  grands  accidents  qui  s'étaient  môles 


I 


BOSSUET 


481 


à  la  rie  paisible  de  la  reine.  Par  là  l'oraison  funi-bie  était 
animée,  et  bien  que  la  grâce  de  la  louange  y  dominât,  la 
hardiesse  de  la  ;parole  y  reparaissait,  et  l'ouvrage,  texte 
remarquable  par  une  variété  d'images  et  par  une  flexibilité 
d'idées  <iui  dans  Bossuet  est  plus  que  de  lart ,  est  encore 
une  inspiration  naturelle  de  son  génie.  Anne  de  Gonzague, 
princesse  palatine ,  avait  été  mêlée  aux  événements  si  agités, 
si  variés ,  si  passionnés  de  la  Fronde  ;  mais  elle  était  restée, 
fidèle  à  la  reine  et  au  ministre,  et  elle  avait  apporté  dans 
les  intrigues  un  esprit  de  finesse  propre  à  déconcerter  sou- 
vent les  ruses  des  factieux  ,  qui  tour  à  tour  attaquaient  la 
cour  ou  flécliissaient  devant  elle ,  selon   leurs  pensées  de 
folle  ambition  ou  <le  petite  cupidité.  La  Fronde  est  merveil- 
leusement caractérisée  dans  cette  oraison  funèbre ,  et  l'his- 
toire d'une  femme  d'intrigue  devient  un  enseignement  de 
plus  pour  la  politique  des  rois,  outre  que  le  saint  orateur 
trouve  dans  sa  vie ,  longtemps  agitée  et  à  la  fin  rendue  à  la 
foi  et  à  la  piété ,  des  exemples  plus  touchants  et  des  leçons 
plus  consolantes.  La  vie  du  chancelier  Lete'.lier  devenait  un 
sujet  {>lus  grave  et  plus  digne  des  méditations  de  liossuet. 
C'était  encore  l'histoire  des  troubles  et  des  malheurs  de  la 
France,  mais  avec  le  triomphe  de  l'autorité  du  monarque 
et  la  suite  des  idées  politiques  qui  l'avaient  affermie.  Letel- 
lier  avait  suivi  la  fortune  de  Mazarin  ,  avec  un  tenîpérament 
d'ambition  qui  n'aspirait  qu'à  la  seconde  place  et  la  tenait 
bien.  Letellier  passa  sa  vie  dans  les  affaires    Bossuet  n'em- 
ploya pour  parler  de  la  vie  de  Letellier  (pi'un   langage 
profond  de  politique  :  c'était  la  parole  de  Tacite,  élevée 
par  la  foi  du  pontife  chrétien.  Cette  sorte  d'éloquence, 
plus  calme ,  plus  suivie ,  plus  philosophique ,  veut  avoir 
des  juges  moins  passionnés;   elle  excite  moins  d'enthou- 
siasme; mais  elle  va  plus  droit  à  la  raison ,  elle  éclaire  l'in- 
telligence; elle  satisfait  l'esprit;  elle  est  plus  grave  et  plus 
intime.  Bossuet,  tel  que  la  plupart  de  ses  admirateurs  ai- 
ment à  le  comprendre ,  Bossuet  avec  sa  parole  puissante  , 
entrecoupée,  inégaie,  se  répandant  à  Ilots  sur  un  auditoire 
subjugué,  reparut  dans  l'oraison  funèbre  de  Condé.  Je  ue 
fais  que  rappeler  cette  étonnaute  création,  chef-d'œuvre 
d'éloquence,  dont  n'approche  aucune  harangue  ancienne, 
et  qui  seul  établirait  la  prééminence  des  lettres  inspirées 
par  le  christianisme.  Bossuet  couronna  par  ce  dernier  éclat 
de  sa  voix  cette  longue  suite  de  discours  funèbres.  Ses  che- 
veux blancs  l'avertissaient  déjà,  disait-il,  de  songer    à 
rendre  sa  mort  sainte,  et  de  réserver  à  son  troupeau  ce  qu'il 
appelait  les  restes  de  sa  voix  et  de  son  ardeur.  Ainsi  il  sem- 
blait jeter  un  adieu  aux  tombeaux ,  et  il  y  eut  dans  cette 
dernière  parole  je  ne  sais  quoi  de  mélancolique  qui  ajouta 
à  la  profonde  émotion  que  la  mort  de  Condé  avait  laissée 
dans  toutes  les  âmes.  Le  siècle  de  merveilles  tirait  sur  sa 
fin.  Bientôt  il  ne  resterait  plus  guère  de  grandeurs  à  célé- 
brer, et  alors  il  suffirait  qu'un  autre  orateur  vînt  s'écrier  sur 
toutes  ces  ruines  ;  Dieu  seul  est  grand! 

Bossuet  survivait  cependant  avec  son  génie.  Il  l'appliqua 
à  des  controverses  avec  les  protestants.  Il  composa  Vlfis- 
toire  des  Variations,  et  les  Avertissements  aux  Protes- 
tants, deux  ouvrages  admirables  :  le  premier,  remarquable 
par  une  dialectique  forte  et  serrée;  le  second,  plus  animé, 
ce  semble ,  par  la  résistance  qu'il  avait  rencontrée  ;  l'un  et 
l'autre  pleins  de  faits,  nourris  d'études  savantes,  et  capables 
d'ébranler  à  la  fin  toutes  les  oppositions  du  préjugé  ou  de 
l'erreur.  Cette  sorte  de  polémique  ne  va  plus  à  nos  opinions 
légères  et  vagabondes.  Jlais  dans  le  siècle  grave  de  Bossuet 
tout  était  sérieux,  la  foi  comme  le  doute,  et  les  esprits  s'ap- 
pliquaient avec  une  attention  forte  et  soutenue  aux  objets 
de  leurs  disputes.  Jamais  l'unité  du  catholicisme  n'avait 
paru  plus  ferme  que  dans  cette  histoire  des  contradictions 
des  sectes  indépendantes;  Bos.suct  embrassait  le  passé  et 
l'avenir,  et  déjà  il  annonçait  au  monde  l'inlinie  variété  des 
opinions  qui,  i>assant  de  la  religion  dans  la  politifiue,  ébran- 
kraient  toutes  les  bases  de  la  société  humaine. 

niCï.    Dli  LA    COWERS.    —   T.    11). 


Puis  vinrent  des  débals  d'une  autre  sorte,  qui  eurent 
alors  de  l'importance,  et  qui  seraient  oubliés  aujourd'hui 
s'ils  n'avaient  mis  en  présence  les  deux  plus  beaux  génies 
de  l'Église,  je  veux  dire  les  débats  du  quiet isme.  —  Qu'est- 
ce  donc  que  le  quiétisme?  va-t-on  demander.  —  Ceci  n'est 
point  un  article  de  théologie.  11  faut  bien  dire  cependant  que 
le  quiétisme  était  une  doctrine  de  dévotion,  d'abord  imaginée 
par  madame  Guyon,  femme  un  peu  illuminée,  et  ensuite 
embellie  par  l'imag'uation  pieuse  de  Fénelon.  La  perfection 
de  l'amour  de  Dieu ,  disait  le  tendre  archevêque  de  Cam- 
bray,  était  qu'il  fiH  désintéressé,  et  qu'il  n'eût  en  vue  ni  les 
récompenses,  ni  les  promesses,  ni  les  menaces.  C'était  une 
perfection  au-dessus  de  l'humanité ,  et  en  cela  du  moins 
elle  était  dangereuse;  et  d'ailleurs  elle  semblait  conduire  à 
une  sorte  de  repos  indifférent  de  l'âme;  et  Bossuet,  qui, 
avec  sa  logitiue  pénétrante,  poussait  tous  les  principes  à 
l'extrême,  s'clTraya  des  conséquences  dont  il  pressentait  la 
réalité  possible.  11  voyait  la  religion  ruinée,  la  foi  éteinte, 
la  piété  llitrie,  à  force  d'amour,  et  il  se  mit  à  tonner  contre 
le  quictismc ,  comme  il  eût  fait  contre  une  doctrine  qui  eût 
attaqué  de  front  tout  le  christianisme.  Dans  celle  longue 
dispute  ,  l'intérêt  sembla  se  porter  sur  Fénelon  ,  à  cause  do 
la  tendresse  de  ses  affections  et  de  l'aménité  de  son  langage. 
Bossuet  parut  emporté  par  un  zèle  trop  ardent ,  soit  que  sa 
parole  fût  en  effet  passionnée,  soit  que  la  plupart  des  hom- 
mes ne  comprissent  pas,  même  alors,  l'importance  d'une 
telle  polémique.  Enfin,  Borne  prononça  entre  les  deux  grands 
hommes,  et  Fénelon  fut  condamné.  On  sait  comment  le 
vaincu  ennoblit  sa  défaite  par  sa  soumission.  Bossuet  resta 
grand  ;  mais  Fénelon  le  devint  davantage. 

Bossuet  revint  à  d'autres  travaux.  Louis  XIV  l'avait  com- 
blé d'honneurs.  Il  l'avait  fait  conseiller  d'Etat ,  et  il  l'avait 
nommé  aumônier  de  la  duchesse  de  Bourgogne.  L'assemblée 
du  clergé  île  1700  s'ouvrit.  Bossuet  y  parut  avec  sa  supé- 
riorité accoutumée.  Mais  il  sembla  quelquefois  que  l'espiit 
de  domination  perçait  dans  son  zèle.  On  s'occupa  de  la  ?«o- 
rale  relâchée  et  des  moyens  de  réprimer  la  nouveauté  des 
idées  des  nouveaux  casuistes.  Bossuet  régla  les  opinions.  11 
fit  des  discours  et  des  mémoires.  Il  dirigea  les  censures.  Et 
en  même  temps  il  arrêta  le  jansénisme,  qui  se  ravivait.  Il 
était  l'âme  du  clergé  ;  et  son  ardonte  activité  lui  fournis- 
sait des  ressources  pour  tous  les  périls,  et  des  remèdes  pour 
tous  les  maux. 

Le  nom  dp  Bossuet  n'avait  point  paru  dans  les  mesures 
politiques  de  Louis  XIV  contre  les  protestants.  Il  suffisait  à 
ce  grand  évêque  de  son  éloquence  pour  faire  des  conver- 
sions, et  son  caractère  bienveillant  n'eût  point  sollicité  des 
rigueurs.  Il  avait  été  étranger  surtout  à  la  révocation  de  l'é- 
dit  de  Nantes,  mesure  jugée  dans  tout  le  dix-huitième  siècle 
et  de  nos  jours  avec  une  implacable  sévérité ,  et  qui  n'en  fut 
pas  moins  imposée  à  Louis  XIV  par  l'opinion  publique  de 
son  temps ,  comme  l'atteste  toute  l'histoire.  Cet  acte  eut  des 
suites  désastreuses ,  que  les  conseils  de  Bossuet  essayèrent 
de  tempérer.  On  rouvrit  les  portes  de  la  France  aux  protes- 
tants qui  en  étaient  sortis ,  à  la  condition  qu'ils  consenti- 
raient à  se  laisser  instruire.  Jusque  là  les  édits  avaient  été 
impitoyables.  On  les  adoucit  par  des  instructions  nouvelles, 
dont  l'inspiration  fut  due  à  la  modération  de  Bossuet.  Le 
Languedoc  avait  été  le  théâtre  où  les  passions  s'étaient  le 
plus  agitées  ;  les  conseils  de  douceur  purent  paraître  ef- 
frayants à  ceux  qui  exerçaient  l'autorité  de  cette  province. 
Les  évêqiies,  de  concert  avec  l'intendant,  M.  de  Lamoi- 
gnon  de  Ba,sville,  qui  la  gouvernait  avec  une  sorte  de  puis- 
sance souveraine,  firent  des  observations.  Ils  ne  deman- 
daient pas  des  actes  d'intolérance  cruelle;  mais  ils  voulaient 
que  l'on  pût  contraindie  les  protestants  d'aller  à  la  messe 
pour  y  recevoir  l'instruction  catholique.  Bossuet  repoussa 
leurs  demandes.  C'était  lui  que  l'on  consultait  pour  tout  re 
qui  se  rapportait  aux  luttes  du  protestantisme.  H  répondait 
avec  autorité,  comme  un  Père  de  ri':glise.  Tonlesses réponses 


4S2 

furent  pleines  de  tlonccur.  U  faut  le  dire  à  notre  siècle,  qui 
croit  peut-être  que  Bossuet  fut  despotique  et  farouctie,  parce 
qu'il  y  a  dans  sa  controverse  une  domination  devant  qui 
tout  s'abaissse  et  fléchit.  Bossuet  traitait  les  protestants  avec 
amour,  comme  ses  enfants  égarés ,  mais  qui  enfin  étaient 
ses  enfants»,  Vous  l'êtes,  leur  disait-il,  veuillez-le,  ne  le 
veuillez  pas.  Dans  cette  circonstance,  où  l'éli^gant  Fléchier 
demandait  des  actes  sévères,  l'impétueux  Bossuet  comman- 
dait la  bienveillance;  ce  qui  montre  qu'il  ne  faut  point  se 
bâter  de  juger  un  caractère  d'homme  par  ses  écrits.  Il  y  a 
quelquefois  de  l'hypocrisie  dans  le  style,  et  rien  n'est  facile 
à  imiter  comme  la  douceur. 

Toutefois ,  l'indulgence  de  Bossuet  n'eut  point  de  fruits. 
Bientôt  éclata  dans  les  Cévennes  la  terrible  guerre  desCa- 
misards  ,  dans  laquelle  Louis  XIV  fut  obligé  d'employer 
ses  génériiux  ;  triste  épisode  d'un  règne  dont  la  grandeur  al- 
lait s'affaiblir  par  toutes  sortes  de  désastres. 

L'esprit  de  conciliation  de  Bossuet  jtarut  encore  dans  une 
affaire  qui  ne  fut  qu'entamée,  et  qui  pouvait  avoir  les  plus 
grandes  suites  pour  l'Église.  Comme  toute  sa  vie  avait  été 
remplie  par  des  controverses  avec  les  protestants ,  son  nom 
avait  retenti  dans  l'Allemagne ,  et  y  avait  remue  les  cons- 
ciences. Alors  le  protestantisme,  malgré  ses  sectes ,  gardait 
des  restes  de  foi  chrétienne ,  et  les  hommes  graves  et  pieux 
sentaient  la  nécessité  d'opposer  au  catholicisme  autre  chose 
que  de  l'indifférence  ou  de  la  haine.  La  lumière  qui  jaillissait 
des  ouvrages  de  Bossuet  avait  frappé  beaucoup  de  regards  , 
et  un  docteur  protestant ,  Molanus ,  abbé  de  Lokkum ,  avait 
été  chargé  d'examiner  s'il  n'y  aurait  pas  de  rapprochements 
possibles  avec  l'Église  romaine.  Ce  fut  à  Bossuet  que  s'a- 
dressa Molanus ,  comme  l'interprète  de  la  foi  catholique  qui 
avait  acquis  le  plus  d'autorité  sur  les  Églises  d'Allemagne. 
Cette  négociation  combla  de  joie  et  d'espérance  l'évoque  de 
Meaux.  11  y  eut  une  longue  suite  de  correspondances,  où 
la  modération  de  Bossuet  se  fit  remarquer.  Tout  pouvait 
faire  pressentir  un  rapprochement  qui  eût  changé  la  face  de 
l'Europe.  Mais  les  intrigues  vinrent  troubler  une  si  noble  et 
si  chrétienne  pensée.  Molanus,  d'un  caractère  doux  et  con- 
ciliant ,  fut  écarté  de  la  négociation  ;  Leibnitz ,  d'un  esprit 
quelque  peu  subtil  et  disputeur,  s'en  empara.  On  eut  plus  de 
peine  à  s'entendre.  Les  correspondances  furent  suspendues 
pendant  cinq  ou  six  ans  ;  elles  furent  reprises  ensuite  ;  mais  le 
monde  marchait  à  ses  destinées  ;  un  autre  siècle  s'avançait,  et 
bientôt  le  protestantisme  n'allait  plus  être  qu'une  philosopliie 
de  plus  jetée  dans  l'histoire  des  opinions  humaines,  et  con- 
damnée comme  toutes  les  autres  à  disparaître  après  avoir 
fait  son  temps,  et  avoir  produit  tontes  ses  conséquences. 

Bossuet  revint  à  ses  travaux  d'évêque,  à  ses  livres,  à  ses 
instructions ,  à  ses  luttes  publiques  avec  l'erreur.  Dans  cette 
carrière,  qu'il  avait  remplie  pendant  plus  de  trente  ans  avec 
liberté,  il  fut  tout  à  coup  arrêté  par  un  acte  ministériel, 
qui  dut  singulièrement  étonner  son  indépendance.  Il  s'agis- 
.sait  d'un  livre  de  Richard  Simon,  écrivain  hardi,  qu'il  avait 
déjà  eu  occasion  de  censurer  (1702).  Ce  livre  était  une  ver- 
sion du  Nouveau  Testament ,  remplie,  disait  Bossuet,  de 
choses  fausses  et  funestes  à  la  religion.  Le  cardinal  de 
Noailles,  archevêque  de  Paris,  l'avait  condamné;  et  lorsque 
Bossuet  voulut  le  condamner  à  son  tour,  il  apprit  que  le 
chancelier  de  Ponchartrain  avait  fait  défense  d'imprimer  la 
censure,  à  moins  qu'elle  ne  fût  approuvée  par  uu  docteur 
de  Sorbonne.  Bossuet  apprit  ainsi  ce  que  pouvait  être  la  li- 
berté de  l'Église  soumise  h  la  domination  de  l'État, cl  l'on 
vit  ce  grand  homme  réduit  à  implorer  l'assistance  de  ma- 
dame de  Maintenon ,  à  qui  wjcwe,  disait-il,  \l  n'osait  en 
écrire  :  triste  expiation  de  quehiuc  faiblesse ,  et  qui  pou- 
vait dans  ses  vieux  jours  l'éclairer  sur  la  dangereuse  inter- 
prélalion  qui  pourrait  êtie  faite  des  doctrines  de  ics^î. 
l.ouis  XIV  entendit  toutefois  les  réclamations  de  Bossuet, 
et  le  chancelier  fut  obligé  de  renoncer  à  l'élonnaute  usurpa- 
tion qu'il  avait  tentée. 


BOSSUET  —  BOSSUÏ 


Cependant  la  vie  de  Bossuet  commençait  à  s'épuiser.  Il 
eut  à  paraître  encore  dans  quelques  luttes,  soit  contre  le 
jansénisme,  soit  contre  la  morale  relâchée.  Puis  il  futatteint 
d'une  maladie  cruelle,  la  pierre,  qui  le  conduisit  lentement 
à  la  mort.  Bossuet  passa  par  cette  dernière  épreuve  de  la 
vie  avec  le  courage  que  donnent  la  piété  et  la  foi.  La  reli- 
gion ,  en  occupant  toutes  ses  pensées ,  avait  aussi  rempli  son 
cœur.  Sa  croyance  était  accompagnée  d'une  pratique  fer- 
vente. Il  y  avait  dans  son  âme  une  vive  sensibilité,  qui  s'épan- 
chait par  des  expressions  d'amour.  Il  avait  souvent  éprouvé 
aussi ,  au  milieu  de  ses  grands  travaux  de  polémique  , 
le  besoin  de  traiter  des  sujets  pieux.  On  ne  saurait  croire 
tout  ce  qu'il  a  mis  d'effusion  dans  ces  sortes  d'écrits.  Sa  dé- 
votion est  pleine  de  tendresse.  Ce  fut  cette  piété  qui  l'aida  à 
porter  les  contrariétés  et  les  misères  de  la  vie  ;  et  ce  fut  elle 
qui  le  fortifia  contre  les  longues  souffrances  qui  lui  ouvri- 
rent le  tombeau.  L'histoire  de  sa  maladie  est  touchante.  A 
son  dernier  synode  (1702),  il  avait  annoncé  sa  fin  prochaine, 
«  Ces  cheveux  blancs ,  avait-il  dit  à  ses  prêtres,  m'avertis- 
sent que  je  dois  bientôt  aller  rendre  compte  à  Dieu  de  mon 
ministère.  »  Il  se  mit  alors  à  leur  parler  avec  un  redoublement 
d'éloquence  et  d'onction ,  les  sollicitant  de  se  souvenir  des 
conseils  qu'il  leur  avait  donnés ,  afin  que  Dieu  ne  lui  fit  pas 
un  reproche  d'avoir  négligé  son  troupeau.  Toute  l'assemblée 
fondait  en  larmes  à  la  voix  du  vieillard ,  qui  seul  gardait  sa 
sérénité  :  on  le  voyait  tout  prêt  au  passage  de  la  vie  à  l'é- 
ternité, et  il  en  parlait  avec  le  calme  d'un  chrétien  qui  aspire 
à  jouir  de  Dieu.  Dans  l'intervalle  de  ses  douleurs,  il  put  néan- 
moins encore  s'occuper  d'études  et  de  travaux  de  piété.  Il  fit 
dans  cette  même  année  l'ouverture  du  jubilé  par  un  sermon 
qu'il  prêcha  dans  sa  cathédrale,  et  il  en  suivit  les  exercices 
malgré  sa  faiblesse  et  la  rigueur  extrême  de  l'hiver.  Il  eut 
aussi  la  force  de  revoir  ses  anciens  écrits,  s'attachant  de 
préférence  à  ceux  qui  le  ramenaient  à  des  pensées  de  piété. 
Il  s'exerça,  comme  pour  charmer  ses  maux,  à  traduire  les 
Psaumes  en  vers  français  ;  et  enfin  son  dernier  travail  fut  la 
paraphrase  du  psaume  XXI ,  Deus ,  Deus  meus ,  respice 
in  me.  Il  regardait  ce  psaume  comme  une  préparation  à  la 
mort  ;  aussi  son  travail  le  consolait  et  le  fortifiait ,  et  il  con- 
sentit à  ce  qu'il  fût  imprimé  ,  dans  l'espérance  qu'il  pourrait 
de  môme  affermir  quelques  dirétiens  dans  cette  horrible 
épreuve. 

Sa  maladie  était  arrivée  an  dernier  degré,  malgré  tous  les 
soins  et  tous  les  secours.  La  cour,  la  ville,  les  gens  du  monde, 
les  prêtres,  le  peuple,  tout  s'était  ému  à  la  pensée  qu'on  al- 
lait bientôt  perdre  un  si  grand  homme.  Et  quant  à  lui ,  il 
quittait  la  terre  avec  calme,  proférant  des  discours  touchants, 
et  .se  réveillant  du  sein  des  douleurs  pour  édifier  ceux  qui 
l'encourageaient  .^  la  souffrance.  Bossuet  finit  sa  vie  connue 
un  saint  ponlife,  le  12  avril  i70î,  à  l*aris,  après  l'avoir  rem- 
plie par  lescombats  d'un  apôtre  La  douleur  fut  grande  dans 
toute  la  France.  On  sentait  le  vide  immense  que  laissait 
cette  mort.  De  toutes  parts  ce  furent  des  témoignages  publics 
de  regrets  et  des  hommages  solennels  à  sa  mémoire.  On  lui  fit 
de  magnifiques  obsèques  ;  une  foule  d'évéques  y  accoururent 
Le  père  de  la  Rue  prêcha  son  oraison  funèbre.  L'Académie 
mêla  ses  (loges  à  ceux  de  la  religion.  Et  enfin  Rome  voulut 
aussi  proclamer  la  gloire  de  ce  grand  évêque,  et  son  oraison 
funèbre  fut  prononcée  devant  les  cardinaux  assemblés.  Ainsi 
disparaissait  Bossuet  au  début  d'un  sièclenouveau  ;  le  monde 
s'apprêtait  à  changer  de  face;  et  ces  longues  et  savantes 
controverses  du  dix-septième  siècle  allaient  faire  place  à  une 
philosophie  légère  et  cynique,  devant  laquelle  son  éloquence 
même  eût  été  sans  autorité.  Cependant  la  renommée  de  Bos- 
suet traversa  ces  temps  de  licence.  L'impiété  fit  grâce  au 
génie;  on  ne  laissa  point  d'admirer  ses  chefs-d'œuvre. 

Laihentie. 

KOSSUT  (  Cuari.es  ),  né  le  11  août  1730,  à  Tartaras, 
dans  le  département  du  Rhône,  et  mort  k  Paris,  le  14 
janvier  isii,  lut  uu  des  mathématiciens  distingués  de  son 


BOSSUT  —  BOSTON 


4S3 


éiioque.  Sa  longue  carrière  ne  manque  ni  d'intérêt  ni  d'en- 
seignements. Nous  le  voyons,  encore  enfant,  s'éprendre,  à 
la  lecture  des  Éloges  deFontenelle,  d'une  vive  passion 
pour  les  mathématiques ,  demander  des  conseils  à  ce  célèbre 
secrétaire  de  l'Académie  des  Sciences,  et  se  rendre  sur 
son  invitation  à  Paris.  Le  patronage  de  la  jeunesse  est 
pour  les  hommes  illustres  un  devoir,  une  sorte  de  resti- 
tution à  laquelle  ils  se  sont  engagés  envers  la  fortune,  qui 
leur  a  t«idu  la  main.  Aussi  est-on  plus  charmé  que  surpris 
des  encouragements  prodigués  à  Bossut.  C'est  le  géomètre 
Clairaut  qui  lui  indique  les  sources  de  la  science;  c'est 
D'Alcmbert  qui  le  choisit  pour  son  élève  favori  et  l'initie  à 
ses  puissantes  méditations;  c'est  Camus,  examinateur  des 
élèves  du  génie,  à  Metz,  qui  le  présente  au  comte  d'Ar- 
genson,  ministre  delà  guerre,  et  le  fait  nommer  professeur 
de  mathéjnatiques  à  l'école  du  génie.  Sous  l'inspiration  de 
si  grands  maîtres,  on  conçoit  qu'il  eût  à  vingt-deux  ans 
donné  assez  de  gages  de  son  talent  pour  être  admis  parmi 
les  correspondants  de  l'Académie  des  Sciences.  Pendant 
seize  années  de  professorat  assidu,  il  donna  la  solution  de 
plusieurs  problèmes  difficiles,  et  publia  des  ouvrages  re- 
marquables sur  les  mathématiques  pures,  la  mécanique, 
la  dynamique  et  l'hydrodynamique,  fut  couronné  dans 
plusieurs  concours  académiques,  et  eut  la  gloire  de  partager 
des  prix  avec  les  Euler  et  les  Bernoulli.  Tous  ces  travaux 
le  conduisirent  à  hériter  des  deux  places  de  son  protecteur 
Camus  à  l'Académie  des  Sciences  et  à  l'École  de  Metz. 

Un  des  principaux  mérites  de  Bossut  est  d'avoir  rendu 
populaires,  par  des  méthodes  aussi  simples  qu'élégantes, 
des  questions  d'abord  réservées  aux  seuls  savants.  Son 
Cotirs  de  Mathématiques ,  où  l'ordre,  la  clarté,  l'esprit 
philosophique,  ne  laissaient  rien  à  désirer,  partagea  la 
vogue  de  celui  de  Bezout,  et  lui  valut  une  certaine  aisance. 
Aussi,  quand  la  révolution  vint  lui  enlèvera  la  fois  son 
titre  d'académicien,  sa  place  d'examinateur  et  la  chaire 
d'hydrodynamique,  récemment  fondée  pour  lui,  il  put  se 
créer  une  retraite  à  l'abri  des  humiliations  qu'impose  la 
misère  ;  il  dut  sans  doute  à  son  isolement  d'avoir  échappé 
aux  coups  de  la  tempête,  dont  furent  frappées  tant  d'il- 
lustres victimes.  Il  reparut  quand  le  calme  se  rétablit,  fut 
nommé  membre  de  l'Institut  lors  de  sa  formation,  et  suc- 
cessivement examinateur  de  l'École  Polytechnique  et 
membre  de  la  Légion  d'Honneur. 

C'est  pendant  son  exil,  au  sein  de  la  patrie,  qu'il  com- 
posa sa  fameuse  Histoire  des  Mathématiques ,  ouvrage  qui 
retrace  avec  bonheur  les  progrès  des  connaissances  hu- 
maines sur  les  nombres,  les  grandeurs,  leurs  rapports  et 
leurs  applications,  et  signale  au  respect  des  honmies  et  à 
l'émulation  de  la  jeunesse  les  noms  des  savants  qui  ont 
agrandi  de  ce  côté  le  domaine  de  la  pensée.  Les  géomètres 
le  trouvèrent  superficiel  ;  mais  il  était  fait  pour  les  gens  du 
monde,  qui  le  lurent  avec  avidité;  le  livre  eut  deux  éditions 
en  moins  de  six  ans.  On  a  reproché  à  Bossut,  avec  une 
aigreur  qui  remplit  ses  dernières  années  d'amertume,  de 
n'avoir  pas  apprécié  avec  assez  de  soin  les  travaux  contem- 
porains. Le  reproche  n'était  pas  sans  fondement;  mais  c'était 
le  pousser  jusqu'à  l'injustice  que  de  mettre  en  doute  l'im- 
partialité d'un  homme  dont  la  probité  et  la  roideur  même, 
dans  ses  délicates  fonctions  d'examinateur ,  ont  été  prover- 
biales. Le  comte  de  Muy,  ministre  de  la  guerre,  signait 
sans  les  lire  les  tableaux  d'examen  que  lui  présentait  Bossut  : 
«  Je  signe  aveuglément ,  disait-il  ;  j'ai  éprouvé  qu'il  ne  faut 
pas  regarder  apiès  vous.  » 

Ce  fut  un  grand  service  rendu  par  Bossut  aux  sciences 
et  aux  lettres  que  la  publication  des  Œuvres  complètes  de 
Pascal.  Pour  la  première  fois  on  connut  ce  grand  homme 
tout  entier.  Bossut,  dans  un  discours  préliminaire,  remar- 
quable par  l'élévation  et  la  pureté  du  style ,  justiiie  de  son 
admiration  passionnée  pour  Pascal.  Aussi  bien  entre  ces 
deux   hommes  peut-on   saisir   plu?   d'tmc  ressemblance. 


Quand  Bossut  observe  avec  satisfaction  que  «  Pascal ,  ce 
profond  raisonneur,  était  en  même  temps  un  chrétien 
soumis  et  rigide  » ,  il  se  peint  lui-même  dans  ce  peu  de 
mots.  Il  avait  toute  la  rudesse  et  l'austérité  de  Port-Royal , 
et  son  caractère  ombrageux  et  défiant ,  non  moins  que  la 
sévérité  de  ses  goûts,  l'éloignait  du  monde;  mais  quand  il 
trouvait  à  qui  se  livrer,  il  apportait  dans  le  commerce  de 
la  vie  une  effusion  de  bienveillance ,  une  richesse  de  sen- 
timents ,  qui  lui  ont  valu  beaucoup  d'amis  dévoués. 

La  création  dé  l'Institut  lui  avait  rendu  ses  honneurs  et 
ses  places  ;  et  lorsque ,  après  quarante  ans  de  bons  services 
et  de  travaux  éminents,  il  fut  forcé  par  l'âge  et  les  infir- 
mités de  renoncer  à  ses  fonctions  d'examinateur,  le  gou- 
vernement fit  acte  de  justice  et  de  noblesse  en  lui  en  con- 
servant le  traitement.  A.  Des  Ge:hevez. 

BOSTAJVDJY,  c'est-à-dire,  gardiens  des  jardins, 
nom  d'un  corps  d'environ  six  cents  hommes  organisé  mili- 
tairement et  chargé  de  la  garde  du  sérail  du  sultan.  Son 
chef,  le  Bostayidj y-Baschi  exerce  en  même  temps  une  sur- 
veillance sur  l'extérieur ,  sur  les  jardins  du  sérail,  sur  le  canal 
et  les  maisons  de  plaisance,  et  il  accompagne  le  giand- 
seigneur  dans  toutes  ses  promenades. 

BOSTELLES  {Bostœllen).  Voyez  Suède. 

BOSTOIV,  chef-lieu  de  l'État  de  Massachusett  s, 
situé  dans  une  jolie  position  ,  au  fond  de  la  baie  de  Boston 
ou  de  Massachusetts,  sur  une  presqu'île  qui  ne  se  rattache 
au  continent  que  par  l'étroite  langue  de  terre  de  Boslon- 
Neck,  en  face  de  l'embouchure  de  la  rivière  de  Charles. 
C'est,  après  Philadelphie,  New- York  et  Baltimore,  la  plus 
belle  ville  maritime  des  États-Unis.  Elle  se  divise  en  trois 
quartiers  :  le  Boston  septentrional ,  le  Boston  méridional, 
et  le  Boston  occidental  ou  Nouveau  Boston,  et  compte 
environ  140,000  habitants.  Des  ponts  de  bois  mettent  en 
communication  les  diverses  parties  de  la  ville,  ainsi  que 
Boston  avec  Cambridge  et  Charleston.  Le  Nouveau-Boston , 
où  demeurent  les  plus  riches  négociants,  est  régulier  et 
bien  bâti.  Le  port,  défendu  par  des  fortifications,  peut  con- 
tenir plus  de  cinq  cents  navires,  et  est  assez  profond,  même 
dans  le  temps  du  reflux ,  pour  recevoir  les  plus  grands  vais- 
seaux. Les  nombreuses  îles  delà  baie  de  Boston  le  protègent 
contre  les  vents  ,  en  sorte  que  ce  serait  le  meilleur  port  des 
États-Unis  si  l'entrée  en  était  moins  étroite.  En  dehors 
s'élève  un  phare  de  vingt  mètres  de  haut.  Les  chantiers  et 
le  débarcadère  sont  commodes,  vastes  et  bien  tenus  ;  les  rues 
propres,  pavées  et  garnies  de  trottoirs  de  trass.  On  ne 
compte  pas  moins  de  quatre-vingt-dix-huit  églises  ou  ora- 
toires appartenant  aux  différentes  communions  chrétiennes, 
mais  aucun  n'est  remarquable  sous  le  rapport  de  l'archi- 
tecture. 

Parmi  les  édifices  publics  on  cite  l'Hôtel  des  États,  vaste 
bâtiment  de  bois,  d'un  mauvais  style;  l'Alhénée,  fondé 
en  1804,  avec  une  bibliothèque  de  40,000  volumes  ;  l'hôpital 
Massacliusetts  et  le  marché  {Quincy  market),  consiruHs 
tous  deux  en  granit  ;  le  nouveau  Palais  de  Justice  (Court- 
house);  l'hôtel  Trémont,  dont  la  façade  est  ornée  de  co- 
lonnes doriques  ;  la  Bourse  et  plusieurs  banques.  Boston 
possède  trois  théâtres,  une  prison  admirablement  tenue,  et 
depuis  1831  un  institut  pour  les  aveugles.  Au  nombre  des 
établissements  scientifiques,  il  convient  de  citer  principa- 
lement l'Académie  américaine  des  Arts  et  des  Sciences ,  la 
société  d'Histoire  et  celle  de  Médecine.  Plus  de  cinquante 
écoles,  destinées  à  l'instruction  du  peuple,  sont  parfai- 
tement administrées,  et  la  Bowditch-Library,  bibliothèque 
extrêmement  fréquentée,  répond  sufTisammeiit  aux  besoins 
de  la  population.  Les  imprimeries,  au  nombre  de  soixante- 
dix-sept  en  1846,  publient  de  nombreux  écrits  périodiques, 
entre  autres  la  Revue  de  VAmériqtie  du  Nord. 

Dans  le  voisinage  immédiat  de  la  ville  on  trouve  East' 
Boston,  dont  la  fondation  ne  remonte  qu'à  1836,  et  les 
bourgs  de  Roxbury   et  de  Charleston ,  ayant  ensemble 

&1. 


liOSTON  —  BOSTRICHES 


4»\ 

«ne  population  de  plus  de.  vingt-quatte  mille  liabitants; 
jiliis  loin ,  dans  une  circonférence  de  quinze  à  trente  Ui- 
ioinètres  :  la  ville  de  Salem,  qui  fait  un  commerce  considé- 
ralile;  celle  de  f.ij»)i ,  remarquable  par  ses  fabriques  de 
souliers;  celle  de  Morblelicad  et  àa  Amttuchet ,  dont  les 
habitants  se  livrent  à  la  pôclie  de  la  baleine;  et  celle  de 
Lou-cll,  la  ville  de  fabrique  la  plus  importante  de  toute 
l'Union.  Governors-island ,  petite  ile  appartenant  à  Boston, 
est  remarquable,  comme  le  lieu  natal  de  IJenjamin  Franklin, 
Les  trente-quatre  banques  de  Boston  sont  regardées 
comme  les  plus  solides  de  1  Amérique  ;  il  en  est  de  même  de 
ses  trente  et  une  compagnies  d'assurances.  Les  premières, 
dont  le  capital  s'élève  à  plus  de  195  millions  de  francs, 
n'ont  jamais  suspendu  compktcmcnt  leurs  payements.  Des 
cliemins  de  fer,  dont  les  intérêts  sont  représentés  à  Boston 
par  vingt  sociétés,  relient  cette  ville  à  Lowell,  Springlield, 
Worccster,  Quincy,  Providence,  Albany  et  New-York.  De 
toutes  les  villes  de  l'Union ,  c'est  Boston  qui  fait  le  com- 
merce de  cabotage  le  plus  important;  l'importation  des 
])roduits  étrangers  s'y  élève  à  environ  108  millions,  l'expor- 
taliDU  à  Gj  millions  de  francs. 

Boston  fut  l'ondée,  en  1G30,  par  des  émigrés  venus  en 
partie  de  Boston,  ville  du  comté  de  Lincoln  en  Angleterre 
avec  une  population  de  l'i,!)CO  habitants.  La  ville  améri- 
caine porta  d'abord  le  nom  de  Trimountain ,  à  cause  des 
trois  collines  sur  lesquelles  elle  est  bâtie.  Au  bout  de  dix 
ans,  sa  population  s'élevait  à  quatre  mille  âmes,  l'iustard, 
elle  prit  le  nom  de  Boston  en  l'honneur  de  Cotton,  ardent 
ami  de  la  liberté,  qui,  après  avoir  rempli  les  fonctions  pas- 
torales à  Boston  en  Angleterre,  fut  appelé  à  desservir  la 
première  église  du  Boston  d'Amérique.  Quoique  détruite 
en  partie  i)ar  un  tremblement  de  terre  en  1727 ,  elle 
comptait  dix-huit  mille  habitants  au  milieu  du  dix-huitième 
siècle.  C'est  à  Boston  que  le  peuple  commença  la  révo- 
lution,  au  mois  de  décembre  1773,  en  jetant  à  la  mer  le 
thé  importé  d'Angleterre.  Le  port  fut  fermé  par  un  acte 
du  parlement.  C'est  dans  le  voisinage  que  la  lutte  s'engagea 
par  le  combat  de  Bunkershill ,  le  17  juin  1774.  Cette  affaire, 
en  mémoire  de  laquelle  on  doit  élever  une  colonne  de 
granit  de  deux  cents  pieds,  fut  suivie  du  siège  de  Boston, 
«lans  les  années  177.'j-1776.  Boston  doit  sa  prospérité  éton- 
nante à  sa  situation,  qui  y  attire  de  nombreux  émigrants , 
surtout  de  l'Allemagne. 

BOSTON  (Jeu  de).  Les  idées  philosophiques  qui  fer- 
mentaiont  dans  toutes  les  tètes  vers  1770,  et  la  haine  sé- 
culniie,  et  pour  ainsi  dire  innée,  des  Français  contre  les 
Anglais,  haine  avivée  par  le  .souvenir  récent  du  honteux 
traité  de  1703,  hrcnt  accueillir  avec  laveur  la  nouvelle  de  la 
révolte  des  colons  de  l'Araérique ,  <i!ie  l'on  appelait  alors 
lusurgcnts  ou  Bostoniens,  de  Boston,  ville  d'oii  était 
parti  le  signal  de  la  résistance.  Ce  fut  par  suite  de  cette 
sympathie  que  d'un  accord  tacite  tous  les  gentilshommes 
provinciaux  renoncèrent  à  l'amusement  favori  du  jour,  le 
whist,  jeu  d'origine  anglaise,  et  lui  substituèrent  un  jeu 
nouveau,  ((ue  par  opposition  ou  nomma  Boston. 

Le  boston  se  joue  à  quatre  personnes ,  avec  un  jeu  de 
cinquante-deux  cartes,  dont  la  valeur  est  ainsi  réglie  :  as,  roi, 
dame,  valet,  etc.;  mais  le  valet  de  carreau,  qu'on  appelle 
boston  ,  fait  exception  ;  c'est  la  carte  la  plus  forte  de  toutes, 
de  sorte  qu'il  y  a  toujours  quatorze  atouts  dans  le  jeu  ,  sa- 
voir :  les  treize  cartes  de  la  couleur  de  la  retourne  et  le  boston, 
qui  domine  toutes  les  autres.  Quand  la  retourne  est  en 
carreau,  le  valet  de  carreau  n'est  qu'un  atout  prenant  rang 
après  la  dame,  et  le  valet  de  cieur  est  boston. 

Les  places  et  la  donne  se  tirent  au  sort.  Chacun  ensuite 
garde  sa  place  pendant  la  partie  entière ,  qui  est  de  dix 
tours.  Les  mises  étant  faites  et  placées  dans  une  corbeille , 
le  joueur  qui  a  la  main  donne  treize  caries  à  chacun,  trois 
par  Irois  ou  quatre  par  (pialre ,  puis  une,  et  il  retourne  la 
Jernitrc,  qui  annonce  la  couleur  de  i'alout,  et  qui  est  et 


demeure  la  belle  pendant  les  dix  tours  :  chaque  donneur 
retourne  pourtant  aussi  la  dernière  carte,  mais  celte  re- 
tourne n'est  qu'en  petit,  c'est-à-dire  inférieure  à  la  belle. 
Cette  retourne  reste  à  découvert  sur  le  tapis,  jusqu'à  ce 
que  le  premier  à  jouer  ait  jeté  une  carte  sur  la  table  ;  le 
donneur  prend  ensuite  la  retourne,  qui  complète  son  jeu. 

Alors,  et  alors  seulement,  le  premier  joueur  à  la  droite 
du  donneur  dit  :  Je  passe,  s'il  ne  trouve  pas  son  jeu  suf- 
fisant ,  ou  bien  :  Je  demande  en  cœur,  ou  en  carreau , 
trèfle  ou  pique,  selon  qu'il  a  beau  jeu  en  une  de  ces  cou- 
leurs. Si  un  des  autres  joueurs  a  un  jeu  suffisant  dans  la 
couleur  demandée,  il  dit  :  Je  soutiens,  et  dès  lors  le  de- 
mandeur et  le  souteneur  ou  accepteur,  sont  associés. 

Un  joueur  ayant  demandé  en  petite,  si  un  autre  demande 
en  belle ,  la  demande  en  petite  est  annulée.  En  général 
toute  demande  est  annulée  par  une  demande  supérieure. 
Les  demandes  sont  classées  dans  cet  ordre ,  en  allant  de 
l'inférieure  à  la  supérieure  :  la  demande  eii  petite,  la  de- 
mande en  belle,  la  demande  de  solo  en  pttite  indépen- 
dance, la  demande  en  grande  indépendance ,  la  demande 
de  faire  seul  neuf  levées  dans  la  couleur  qu'on  désignera, 
ta  demande  de  faire  neuf  levées  en  petite ,  la  demande  de 
faire  neuf  levées  en  belle  et  la  demande  de  misère. 

Le  joueur  qui  demande  et  n'est  soutenu  de  personne 
joue  seul  contre  les  trois  autres;  alors  il  lui  suffit  de  faire 
cinq  levées  pour  gagner  l'enjeu  et  pour  être  payé  en  outre 
par  les  perdants ,  d'après  un  tarif  annexé  à  tous  les  jeux  de 
Ijoston.  S'il  fait  moins  de  cinq  levées ,  la  corbeille  appar- 
tient aux  trois  autres  joueurs ,  et  le  perdant  leur  paye  en 
outre  ce  qui  lui  eût  été  payé  s'il  eût  fait  son  devoir,  c'est- 
à-dire  cinq  levées. 

La  demande  étant  acceptée,  le  demandeur  et  l'accepteur 
doivent  faire  au  moins  huit  levées  à  eux  deux  pour  gagner 
la  corbeille,  et  être  payés  selon  le  tarif.  Le  demandeur  et 
l'accepteur  qui  ne  font  pas  leur  devoir,  c'est-c»-dire  le  nom- 
bre de  levées  suffisant  pour  gagner,  payent  aux  deux  autres 
joueurs  ce  qu'ils  on  auraient  reçu  s'ils  eussent  fait  huit 
levées,  indépendamment  de  la  corbeille.  Ils  mettent  en 
outre  à  la  corbeille  autant  de  jetons  qu'elle  en  contenait,  ce 
qui  s'appelle /aire  la  bête.  Mais,  sur  le  nombre  de  lîuit 
levées,  le  demandeur  doit  en  faire  au  moins  cinq  et  le  sou- 
teneur au  moins  trois.  Celui  des  deux  qui  ne  remplit  pas  ces 
conditions ,  paye  seul  à  ses  adversaires  ce  qu'il  eilt  gagné 
en  faisant  le  nombre  voulu  et  en  plus  deux  fiches  de  con- 
solation à  chacun. 

Le  joueur  qui  demande  Vindépendance  ou  solo  doit 
faire  au  moins  huit  levées  pour  gagner  la  corbeille  et  être 
payé  eu  outre  comme  il  est  dit  au  tarif.  S'il  fait  moins  de 
huit  levées  ,  il  perd  ce  qu'il  eût  gagné  les  ayant  faites. 

La  misère  consiste  à  ne  pas  faire  une  seule  levée ,  ce 
qui  est  d'autant  plus  difficile  que  trois  joueurs  se  trouvent 
alors  ligués  contre  un  seul.  La  demande  de  misère  anéantit 
le  boston  et  les  atouts.  Si  le  joueur  qui  a  demandé  misère 
gagne,  il  prend  la  corbeille  et  reçoit  de  chaque  joueur  le 
prix  indiqué  au  tarif  pour  ce  coup.  S'il  perd ,  il  paye  autant 
qu'on  lui  eût  payé  s'il  eût  gagné.  En  cas  de  gain ,  il  ne  paye 
ni  ne  peut  se  faire  payer  boston;  mais  s'il  perd  et  qu'il  n'ait 
pas  bosfon ,  il  le  paye  à  chacun  des  trois  autres  joueurs. 

Les  levées  qu'un  joueur  qui  demande  fait  en  sus  de  son 
devoir  lui  sont  payées  d'après  le  tarif;  s'il  fait  toutes  les 
levées,  ce  qui  s'appelle  faire  la  vole  ou  chelem,  le  devoir 
et  les  autres  levées  se  jiayent  double.  Au  demandeur  qui  n'est 
pas  soutenu,  ilsullit  de  faire  huit  levées  pour  faire  chelem. 

En  jouant,  on  doit  fournir  de  la  couleur  demandée,  sans 
cependant  être  obligé  de  forcer.  Bien  plus,  quand  on  n'en  a 
pas,  on  n'est  pas  forcé  de  couper. 

BOSTRICHES,  nom  donné  par  Geoffroy  à  un  genre 
de  coléoptères  de  la  famille  des  xylopliages  ou  mangeurs 
de  bois.  Ce  genre  a  été  pris  pour  type  de  la  tribu  des  bos' 
tricJiins  ou  bostricfiiens. 


BOSTRICHES  - 

Lesbostricfies  sont  ainsi  nommés  de  pôdTpuxo; ,  boucle  de 
cheveux  ,  parce  que  le  bostrichus  capucinus ,  qui  leur  sert- 
de  type ,  a  le  corselet  couvert  d'aspérités  velues  qui,  jointes 
à  sa  couleur  noire  et  à  sa  forme  bombée,  le  font  ressem- 
bler à  la  chevelure  crépue  du  nègre. 

Ces  coléoptères  sont  généralement  très-petits.  Leur  corps 
est  cylindrique.  Les  élytres  sont  tronquées  ou  plutôt  cour- 
bées et  dentées  à  leur  extrémité.  Une  tôle  globuleuse ,  s'en- 
fonçant  dans  le  corselet  ;  des  palpes  très-petits  et  coniques; 
des  antennes  à  funicule  de  cinq  articles ,  courtes  et  termi- 
nées en  une  massue  solide  ;  des  tarses  ayant  leurs  trois 
premiers  articles  égaux  ;  tels  sont  les  principaux  caractères 
qui  distinguent  les  bostriches. 

Les  larves  de  ces  insectes  attaquent  les  arbres  résineux. 
Lorsqu'elles  sont  très-miiltipliées,  ce  qui  n'arrive  que  trop 
souvent,  elles  causent  de  grands  dégâts  dans  les  forêts  en 
vivant  aux  dépens  de  l'aiibier,  qu'elles  sillonnent  dans  tous 
les  sens ,  de  manière  (jue  l'écorce  linit  par  se  détacher  du 
tionc. 

I{0STRyCI10MAi\CIE(du  grec  pôdTpvxo; ,  boucle 
de  cheveux,  (iavTsia,  divination),  sorte  de  divination  par 
l'inspection  des  cheveux. 

BOT  (Pied-).  Voyez  Pied-bot, 

BOTA,  nom  d'une  mesure  de  liquides  en  usage  en 
Espagne  et  en  Portugal,  et  qui  équivaut  à  30  arrobas  mayo- 
rcs  {voyez  Arrobe),  ou  environ  480  litres. 

BOTAL  (Trou  de).  C'est  le  nom  que  l'on  donne,  en 
anatomie ,  à  cette  large  ouverture  par  laquelle  le  sang  cir- 
cule chez  le  fœtu  s  ;  elle  est  située  sur  la  cloison  commune 
des  oreillettes  du  cœur,  et  fait  coinnnmiquer  ces  deux  cavités 
ensemble.  Le  nom  de  cette  ouverture  lui  vient  de  Léonard 
Uota! ,  qui  écrivait  en  15G2;  on  paraît  cependant  londé  à 
croire  qu'elle  était  connue  avant  lui ,  et  que  Galien  eu  au- 
rait parlé. 

BOTANIQUE  (de  potâvri ,  herbe,  plante)  est  le  nom 
donné  à  la  science  méthodique  qui  traite  de  tout  ce  qui  a 
rapport  au  règne  végétal.  Depuis  la  plante  que  le  micros- 
cope seul  peut  offrir  aux  regards  jusqu'au  chêne  majestueux, 
tout  ce  qui  végète  est  du  ressort  de  la  botanique.  Elle  em- 
brasse non-seulement  la  connaissance  des  plantes ,  mais 
les  moyens  de  parvenir  à  cette  connaissance,  soit  par  la 
voie  d'un  système  qui  les  soumette  à  une  classification  artifi- 
cielle, soit  par  la  voie  d'une  méthode  qui  les  coordonne 
dans  leurs  rapports  naturels. 

La  botanique  est  de  tontes  les  parties  de  l'histoire  na- 
turelle celle  qui  présente  en  même  temps  et  les  objets  d'u- 
tilité les  plus  nombreux  et  les  agréments  les  plus  variés  ; 
envisagée  dans  ses  applications,  elle  occupe  un  des  pre- 
miers rangs  parmi  les  sciences  les  plus  imporlantes  à  l'exis- 
tence de  riiomnie;  et ,  par  sa  liaison  avec  les  autres  sciences 
physiques,  elle  reçoit  et  donne  tour  à  tour  des  liimières 
qui  servent  à  perfectionner  l'étude  de  l'agricuiture,  de  la 
médecine,  de  l'économie  rurale  et  domestique,  et  qui  pro- 
litent  môme  aux  arts  qui  ont  en  apparence  le  moins  de 
rapport  avec  elle.  »  Le  premier  malheur  de  la  botanique, 
a  dit  Rousseau,  est  d'avoir  été  regardée  dès  sa  naissance 
seulement  comme  une  partie  de  la  médecine.  Cela  fit  qu'on 
ne  s'attacha  qu'à  trouver  ou  à  supposer  des  vertus  aux 
plantes  ,et  qu'on  négligea  la  connaissance  des  plantes  mômes  : 
car  comment  se  livrer  aux  courses  immenses  et  continuel- 
les qu'exige  cette  recherche,  et  en  môme  temps  aux  tra- 
vaux sédentaires  du  laboratoire,  applicables  au  traitement 
des  malades,  par  lesquels  on  parvient  à  s'assurer  de  la  na- 
ture des  substances  végétales  et  de  leurs  effets  sur  le  corps 
humain.'  Cette  fausse  manière  d'envisager  la  botanique  en 
a  longtemps  rétréci  l'étude,  au  point  de  la  borner  presque 
aux  plantes  usuelles,  et  de  réduire  la  chaîne  végétale  à  un 
petit  nombre  de  chaînons  interrompus.  Encore  ces  chaînons 
mêmes  ont-ils  été  très-mal  étudiés ,  pai  ce  qu'on  y  regardait 
seulement  la  matière,  et  non  pas  l'organisation.  Comment  se 


-  BOTANIQUE  .fss 

serait-on  beaucoup  occupé  de  la  structure  organique  d'une 
substance ,  ou  plutôt  d'une  masse  ramifiée  ,  qu'on  ne  son- 
geait qu'à  piler  dans  un  mortier?  On  ne  cherchait  des  plantes 
que  pour  trouver  des  remèdes  ;  on  ne  demandait  pas  des 
plantes,  mais  des  simples...  Il  en  est  résulté  que  si  l'on 
connaissait  fort  bien  les  remèdes ,  on  ne  laissait  pas  de 
connaître  fort  mal  les  plantes.  »  Rousseau  a  beaucoup  aidé 
à  faire  sortir  la  botanique  de  cette  voie  aride ,  et  il  a  sur- 
tout contribué  par  ses  écrits  à  la  rendre  populaire.  Aujour- 
d'hui ce  n'est  plus  une  science  cultivée  par  les  savants 
seuls  ;  elle  fait  partie  de  l'éducation  générale,  et  les  gens 
du  monde  y  trouvent  un  plaisir  pur,  qui  accompagne  par- 
tout et  sans  cesse  celui  qui  se  livre  à  ses  distractions;  un 
plaisir  que  l'ennui  ne  flétrit  point,  que  le  remords  ne  fait 
jamais  regretter  ;  un  plaisir  surtout  que  l'on  peut  avouer, 
que  l'on  partage  d'autant  plus  volontiers  qu'en  augmentant 
le  nombre  de  ceux  qui  s'y  adonnent  on  multiplie  eu  môme 
temps  ses  richesses.  Il  n'est  point  d'étude  plus  satisfaisante, 
plus  intéressante,  plus  digne  enfin  de  l'homme.  Voir,  ad- 
mirer, suivre  la  nature  pas  à  pas,  être  étonné  de  sa  sagesse, 
de  sa  simplicité  et  de  sa  fécondité  ;  étudier,  apprendre  et 
savoir,  ou  du  moins  compter  sur  quelque  chose  de  certain, 
car  tout  dans  cette  étude  est  faits ,  apparence ,  réalité  . 
telle  est  la  science  de  la  botanique  et  sa  plus  exacte  défi- 
nition. 

Les  auteurs  divisent  la  botanique  de  diverses  manières. 
Cependant  ils  s'accordent  généralement  à  reconnaître  à 
cette  science  cinq  branches  principales  :  Yor g ano gra- 
phie, la  taxonomie,  \a.p//y(ogrophie,  la  géographie  bo- 
tanique et  la  botanique  appliquée. 

On  désigne  sous  le  nom  iVorganographie  la  partie  de  la 
botanique  qui  traite  de  la  description  des  organes  ou  parties 
consîitu;mtes  du  végétal  :  la  pliysiologie  végétale  s'y 
ratlaelie  naturellement.  La  taxonomie  est  l'application  des 
lois  générales  de  la  classification  an  règne  végétal.  L'ait  de 
décrire  les  caractères  particuliers  à  une  espèce,  à  un  genre, 
à  une  famille ,  constitue  la  phytographie.  La  géographie 
botanique  étudie  la  distribution  des  végétaux  à  la  surface 
du  globe.  Enfin  on  a  donné  le  nom  de  botanique  appliquée 
à  cette  branche  de  la  science  qui  s'occupe  des  rapports  utile* 
existant  entre  l'homme  et  les  végétaux  :  elle  se  subdivise  en 
botanique  agricole,  en  botanique  médicale,  en  botanique 
économique  et  industrielle. 

Les  Égyptiens  sont  regardés  comme  les  premiers  qui  .se 
soient  appliqués  à  l'étude  de  la  botanique;  on  veut  môme 
que  dès  les  premiers  temps  ils  aient  composé  des  traités 
sur  cette  science.  Dans  le  nombre  prodigieux  des  livres  at- 
trilmés  à  IMercure-Trismégiste ,  on  prétend  qu'il  y  en  avait 
plusieurs  qui  traitaient  de  la  vertu  des  plantes.  «  Nous  trou- 
vons dans  l'Écriture  Sainte,  dit  Goguet,  un  témoignage  bien 
positif  et  bien  ancien  des  progrès  que  la  botanique  avait 
faits  dans  certains  pays.  Moïse  nous  apprend  que  dès  le 
temps  de  Jacob  les  Égyptiens  étaient  dans  l'usage  d'embau- 
mer les  corps,  ce  qui  prouverait  que  ces  peuples  s'étaient 
occupés  des  propriétés  des  simples.  »  Presque  tous  les  fa- 
meux personnages  grecs  des  siècles  héroïques  se  sont  «lis- 
tingués  par  leurs  connaissances  dans  cet  art.  Dans  ce  nombre 
on  compte  Aristée,  Jason,  Télamon,  Teucer,  Pelée,  Achille, 
Patrocle,  etc.  Us  avaient  été  instruits  par  le  centaure  Chi- 
ron ,  que  ses  lumières  avaient  rendu  l'oracle  de  la  Grèce. 
Médée  n'a  dû  qu'à  la  science  profonde  de  la  botanique  et  à 
l'usage  criminel  qu'elle  fit  de  ses  découvertes  la  réputation 
de  magicienne. 

Mais,  sans  remonter  jusqu'aux  époques  fabuleuses,  il 
est  certain  que  dès  la  plus  haute  antiquité  des  philosophes 
ont  occupé  leurs  loisirs  par  l'étude  des  plantes.  Peut-être 
étaient-ils  parvenus  même  à  saisir  quelques  analogies,  quel- 
ques rapports  de  formes  sur  lesquels  ils  avaient  fondé  des 
divisions ,  et  par  conséquent  avaient-ils  créé  des  systèmes  ; 
mais  ceci  n'est  qu'une  conjecture  hasardée,  car  leurs  ou- 


48f> 

vragfs  ne  sont  pas  jiarvenus  jiis(iu'ù  nous,  et  nous  ne  sa- 
vons qu'ils  se  sont  occupés  de  l'élude  de  la  l)()tani(iue  que 
par  les  citations  d'auteurs  moins  anciens  quVux.  Les  ou- 
vrages d'Aristote  lui-môuie  ne  nous  sont  arrivés,  du 
moins  sur  cette  matière,  que  par  fragments,  et  encore 
sont-ils  tronqués  et  défigurés  par  l'auteur  arabe  qui  nous 
les  a  transmis.  11  semble  beaucoup  plus  probable,  toute- 
fois, que  les  anciens,  comme  nous  lavons  déjà  dit,  n'ont 
cultivé  la  botanique  que  dans  la  vue  d'en  tirer  des  secours 
pour  soulager  riiumanilé.  Les  seules  plantes  qui  étaient  re- 
gardées comme  foiunissant  à  la  médecine  des  remèdes  cer- 
tains fixèrent  l'attention  des  Hippocrate ,  des  Cratéras  et 
des  Tbéopbraste.  Ces  tiois  anteius  grecs  nous  ont  donné  la 
description  de  celles  qui  étaient  connues  et  en  usage  de  leur 
temps.  Hippocrate  ne  nouune  et  ne  décrit  la  ju-opriété  (jue 
de  deux  cent  trente-quatre.  Cratéras  est  entré  dans  déplus 
grands  détails.  l\Iais  c'est  à  Tliéophraste ,  qui  nous  a  laissé 
seize  livres  sur  les  phntes,  que  nous  devons  l'histoire  des 
connaissances  des  Grecs  en  botanique.  Par  malheur,  il  règne 
une  si  grande  obscurité  dans  ses  ouvrages,  soit  par  rapport 
aux  descriptions,  soit  par  rapport  aux  noms  qui  ne  sont 
plus  les  mêmes  à  présent ,  que  l'on  ne  peut  en  tirer  tout  l'a- 
vantage qu'ils  sembleraient  promettre. 

Les  Romains,  plus  occupés  à  faire  des  conquêtes  et  à 
étendre  leur  empire  qu'à  acquérir  des  connaissances,  ne 
coumiencèrent  guère  à  écrire  qu'après  les  tiiomphes  de  Lu- 
cullus  et  la  défaite  de  Mithridate.  Les  ouvrages  de  Valgius, 
Musa,  Euphorbius,  /Kmilius  Macer,  Julius  Bassus,  Sextius 
Kiger,  ne  sont  connus  que  parce  qu'ils  sont  cités  par  Pline, 
et  la  botanique  ne  fit  pas  de  grands  progrès  entre  leurs 
mains.  Caton  et  Varrou  s'occupèrent  directement  de  l'a- 
griculture. Dioscoride  donna  de  l'attrait  et  de  l'intérêt  à  la 
botanique  en  faisant  non-seulement  l'histoire  des  herbes, 
conune  on  avait  fait  jusqu'à  son  temps,  mais  encore  en 
donnant  celle  des  arbres,  des  fruits,  des  sucs  et  des  liqueurs 
que  les  végétaux  fournissent.  Dans  son  ouvrage,  il  fait 
mention  d'environ  six  cents  plantes,  sur  lesquelles  il  en  dé- 
crit quatre  cent  dix ,  nous  laissant  ignorer  les  noms  et  les 
propriétés  des  autres.  A  peu  près-dans  le  même  temps,  Co- 
lumejle,  le  père  de  l'agriculture,  composait  sur  cet  objet 
un  grand  ouvrage,  dont  il  nous  re.4e  encore  treize  livres,  et 
<pii  se  rattache  à  la  botanique  pour  les  excellents  préceptes 
qu'il  donne  aux  cultivateurs,  et  qui  conviennent  à  tous  les 
temps  et  presque  à  tous  les  pays.  Pline  vint  ensuite,  qui 
nous  a  laissé  l'état  exact  des  connaissances  des  Romains  en 
hotanicpie;  il  a  décrit  les  plantes,  comme  dit  Gesner,  en  phi- 
losophe, en  historien,  en  médecin  et  en  agriculteur.  Pline 
jiorte  le  nombre  des  plantes  conimes  de  son  temps  à  près 
de  mille.  Galien,  dont  la  médecine  se  glorilie  à  si  juste 
titre,  et  que  ses  ouvrages  font  jilacer  à  côté  d'Hippocrate, 
après  un  très-grand  nombre  de  voyages  dans  différents  pays, 
s'appliqua  à  donner  à  ses  contemporains  une  histoire  des 
l)lantes  faite  avec  le  i)lus  grand  soin.  11  faut  mettre  les  œu- 
vres de  Palladius  avec  celles  de  Caton ,  Varron  et  Colu- 
melle ,  et  dire  que  les  Romains  ont  en  générai  plutôt  écrit 
sur  l'agriculture  que  sur  la  botanique. 

Après  la  chute  de  l'empire  romain,  la  botanique,  cette 
science  si  utile,  fut  absolument  négligée,  et  elle  resta  dans 
l'oubli  jusqu'au  temps  des  Arabes.  Ce  peuple  conquérant, 
après  avoir  soumis  au  Coran  la  moitié  de  l'ancien  hémi- 
sphère, se  livra  à  l'étude  des  sciences  durant  les  beaux 
jours  qui  distinguèrent  le  règne  de  ses  principaux  califes; 
mais  se»  docteurs  embrouillèrent  plutôt  qu'ils  n'expliquè- 
rent la  botani(}ue  des  anciens  Grecs  et  Romains.  Sérapion, 
Rhazès,  Avicenne,  Averroès,  Abenbitar,  etc.,  furent 
des  commentateurs  plus  obscurs  que  les  auteurs  dont  ils 
8'érigèrent  les  interprètes.  Cependant,  on  doit  leur  savoir 
gré  de  leurs  travaux;  ils  ont  tiré  de  la  nuit  de  l'oubli  les 
ouvTages  qui  nous  restent.  Après  eux ,  l'ignorance  étendit 
sou  voile  éjiais,  et  enveloppa  l'univers  de  ses  ténèbres  jus- 


BOTANIQUE 

qu'à  la  fin  du  quinzième  siècle,  où  l'on  commença  à  s'occu- 
per avec  quelque  suite  de  l'étude  de  la  botanique.  Insensi- 
blement, c«  goût  s'accrut;  la  science  prit  une  forme,  les 
plantes  furent  examinées  et  étudiées  de  plus  près ,  et  las 
voyages,  les  veilles  et  les  travaux  de  Daléchamp,  de  Bélon, 
traducteur  de  Tliéophraste  et  de  Dioscoride ,  de  Césalpin , 
de  Clusius,  de  Lohel,  de  Prosper  Alpin,  des  deux  frères 
Rauhin,  de  Parkinson,  de  Magnol,  etc.,  nous  ont  fourni 
ce  que  la  botanique  a  de  plus  précieux  et  de  plus  exact, 
et  ont  amené  les  siècles  heureux  où  elle  est  devenue  une 
science  comjilète  et  digne  de  fixer  entièrement  l'attention 
de  l'homme  qui  cherche  à  s'instruire. 

Avec  le  dix-huitième  siècle  commence  pour  la  botanique, 
sous  le  rai)poi  t  de  la  taxonomie ,  une  ère  nouvelle ,  qui 
s'ouvre  brillamment  par  l'apparition  du  système  de  Tour- 
ne fort,  et  dès  lors  l'histoire  de  cette  science  est  toute  ou 
presque  toute  dans  l'exposition  de  cesméthodes  de  clas- 
sification auxquelles  se  rattachent  essentiellement  son 
existence  et  son  avenir. 

En  comparant  les  végétaux  les  uns  avec  les  autres ,  on 
s'est  aperçu  qu'un  certain  nombre  offraient  des  caractères 
presque  entièrement  semblables ,  et  jouissaient  de  la  pro- 
priété de  se  reproduire  avec  ces  mêu-.es  caractères.  Chacun 
de  ces  végétaux  a  formé  ce  qu'on  appelle  un  individu,  et 
la  réunion  de  tous  les  individus  semblables ,  considéréo 
comme  un  être  abstrait,  a  constitué  une  espèce.  L'espèce 
est  donc  la  collection  de  tous  les  individus  qui  se  ressem- 
blent plus  entre  eux  qu'ils  ne  ressemblent  à  tous  les  autres, 
et  qui  peuvent,  par  une  fécondation  réciproque,  repro- 
duire de  nouveaux  individus  fertiles  et  semblables  à  eux  , 
de  telle  sorte  qu'on  peut,  par  analogie,  les  supposer  tous 
sortis  originairement  d'un  seul  individu.  Les  individus  com- 
posant une  espèce  peuvent  offrir  quelques  différences  de 
grandeur ,  de  coloration ,  d'odeur,  etc.,  (  t  tous  ceux  qui 
présentent  la  même  modification  peuvent  être  compris  sous 
le  nom  de  variété.  Ces  modifications  de  l'espèce  sont  ducs 
à  l'intluence  des  circonstances  extérieures ,  telles  que  le 
changement  de  sol  et  de  climat ,  et  à  Vhybridité,  c'est-à- 
dire  au  croisement  des  races.  Elles  diffèrent  des  espèces 
proprement  dites  en  ce  que  dans  l'élat  de  nature  elles  ne 
se  reproduisent  point  de  graines  avec  tous  leurs  caractères. 
En  comparant  les  espèces  entre  elles,  on  a  vu  que  certaines 
se  ressemblaient  beaucoup  par  tout  l'ensemble  de  leur 
structure ,  sans  jamais  cependant  pouvoir  se  changer  l'une 
dans  l'autre.  On  a  fait  de  la  réunion  de  ces  espèces  sem- 
blables une  nouvelle  association,  qui  a  été  désignée  par  le 
nom  de  genre.  Le  genre  est  donc  la  collection  des  espèces 
qui  ont  entre  elles  une  ressemblance  frappante  dans  l'en- 
semble de  leurs  organes.  C'est  surtout  dans  les  organes  de 
la  fructification  que  se  trouve  marquée  au  plus  haut  point 
la  ressemblance  des  espèces  d'un  même  genre;  les  caractères 
qui  servent  à  les  distinguer  entre  elles  sont  en  général  tirés 
des  organes  de  la  végétation,  c'est-à-dire  des  feuilles,  de  la 
tige  et  des  racines. 

Les  principes  de  nomenclature  universellement  admis  en 
botanique  sont  ceux  que  le  célèbre  Linné  a  établis  le  pre- 
mier ,  et  qui  consistent  à  composer  le  nom  d'une  plante  de 
deux  mots ,  l'un  substantif  et  l'autre  adjectif.  S'il  avait  fallu 
avoir  un  nom  distinct  pour  chaque  végétal,  le  nombre  en 
eût  été  prodigieux.  Linné  eut  l'heureuse  idée  de  ne  désigner 
par  des  noms  substantifs  que  les  genres,  beaucoup  moins 
nombreux  que  les  espèces  :  ces  noms  substantifs,  communs 
à  toutes  les  espèces  d'un  genre,  et  analogues  en  quelque 
sorte  à  nos  noms  de  famille ,  furent  appelés  7ioms  gêné- 
ri'jues,  et  pour  avou*  une  dénomination  qui  fût  propre  à 
chacune  des  espèces  du  genre,  Linné  n'eut  besoin  que  d'a- 
jouter au  nom  générique  une  épithète  qui  indiquât  quelque 
particularité  de  l'espèce.  Ces  adjectifs,  qui  variaient  d'une 
es|)èce  à  l'autre  dans  le  même  genre ,  et  qui  étaient  ana- 
logues à  nos  noms  de  baptême,  il  les  appela  ?ic»;n5  spéci- 


1 


BOTANIQUE 

fiques.  Par  cette  ingénieuse  combinaison ,  le  nombre  im- 
mense des  noms  de  plantes  se  trouva  réduit  à  un  terme  peu 
considérable,  eu  égard  au  nombre  des  espèces.  Aujourd'hui 
deux  mille  noms  de  genres  et  une  quantité  de  noms  spé- 
ciliques  beaucoup  moindre  suffisent  pour  désigner  les  qua- 
rante ou  cinquante  mille  végétaux  connus.  Il  faut  remar- 
quer que  les  noms  d'espèces,  qui  sont  toujours  des  adjectifs , 
peuvent  être  employés  plusieurs  fois ,  non  dans  un  même 
genre ,  mais  dans  des  gem'es  différents ,  puisqu'ils  sont 
joints  à  des  substantifs  dont  ils  ne  font  qu'indiquer  une 
qualificalion. 

De  même  qu'en  groupant  ensembje  les  espèces  qui  ont 
entre  elles  une  analogie  marquée  on  en  a  fait  des  genres, 
de  même  en  réunissant  les  genres  qui  se  ressemblent  beau- 
coup et  qui  sont  liés  par  des  caractères  communs  on  en 
compose  des  tribus  nouvelles,  appelées  ordres  ou  familles, 
et  qui  ne  sont  autre  chose  que  de  grands  genres.  Les  ordres, 
groupés  ensuite  d'après  un  caractère  plus  général ,  forment 
les  classes,  qui  sont  lesdi\isions  les  plus  élevées  du  règne 
végétal. 

Mais,  quoique  soumises  à  celte  marche  commune,  et 
s'accotdant  même  en  général  dans  l'établissement  des  genres 
et  des  espèces ,  les  classifications  en  botanique  peuvent  dif- 
férer beaucoup,  selon  les  principes  suivis  dans  la  forma- 
tion des  divisions  supérieures.  On  peut  en  effet  établir  ces 
divisions  d'après  des  caractères  tirés  d'un  seul  organe  ou 
d'un  petit  nombre  d'organes,  en  négligeant  tous  les  autres  ; 
ou  bien  on  peut  les  établir  d'après  les  caractères  fournis 
par  l'ensemble  de  l'organisation  étudiée  dans  ses  détails. 
Aussi  l'on  connaît  aujourd'hui  en  botanique  un  assez  grand 
nombre  de  méthodes  que  l'on  peut  rapporter  aux  trois 
sortes  suivantes  :  les  méthodes  anaUjtïqiies  ou  dicho- 
tomiques, les  méthodes  ou  systèmes  artificiels,  et  les 
méthodes  naturelles. 

Les  méthodes  analytiques  ou  dichotomiques  ne  satis- 
font qu'à  l'une  des  deux  exigences  de  toute  classification, 
,  à  celle  de  faire  arriver  aisément  au  nom  d'une  plante  :  telle 
est  la  méthode  de  Lamarck. 

Les  méthodes  ou  systèmes  artificiels ,  qui  participent 
également  du  système  et  de  la  méthode,  mais  auxquelles  on 
s'accorde  assez  généralement  à  donner  le  nom  spécial  de 
systèmes,  ont  pour  but  principal  de  faire  trouver  avec  plus 
ou  moins  de  facililé  le  nom  des  êtres  qu'elles  comprennent  ; 
en  même  temps  elles  nous  font  connaître  quelques-uns 
de  leurs  rapports,  mais  seulement  lorsqu'on  envisage  ces 
êtres  sous  un  point  de  vue  particulier.  Ce  qui  distingue 
un  pareil  système,  c'est  que  les  caractères  des  classes  sont 
tirés  tous  des  modifications  d'un  seul  organe  ;  tel  est  le  sys- 
tème connu  sous  le  nom  de  méthode  de  Tournefort ,  qui 
est  basé  principalement  sur  la  considération  des  dillëreutes 
formes  de  la  corolle,  et  tel  est  encore  le  système  de  Linné, 
dont  les  classes  sont  établies  sur  des  caractères  tirés  uni- 
quement des  organes  de  la  génération. 

Les  méthodes  naturelles ,  qui  ont  pour  but  principal 
de  faire  connaître  les  vrais  rapports  des  végétaux,  retien- 
nent communément  le  nom  spécial  de  méthode  ;  mais  il 
semble  qu'on  devrait  plutôt  leur  donner  le  nom  de  système 
naturel,  celui  de  méthode  convenant  beaucoup  mieux  aux 
classifications  qui  n'ont  d'autre  objet  que  df  tracer  une  route 
pour  arriver  promptement  au  noni  d'une  piaule.  Leurs  di- 
visions ne  sont  point  établie*  d'après  la  considération  d'un 
seul  organe;  mais  les  caractères  offerts  par  toutes  les  par- 
ties des  plantes  concourent  à  les  former  ;  telle  est  la  mé- 
thode de  Jussieu. 

La  méthode  ou  plutôt  le  système  de  Tournefort  comprend 
vingt-deux  classes,  dont  les  caractères  sont  tirés  de  la  con- 
sistance et  de  la  grandeur  de  la  tige ,  de  la  présence  ou  de 
l'absence  de  la  corolle,  de  l'isolement  de  chaque  fleur  ou 
de  leur  réunion  dans  un  même  involucre,  de  l'intégrité  ou 
de  la  div'ision  de  la  corolle   de  sa  régularité  ou  de  son  irré- 


487 

gularité.  Elle  se  résume  dans  le  tableau  suivant,  qui  en  in- 
dique les  vingt-deux  classes  : 


monopétales 


régulières. . 
1  Irrégulières. 


polypétales 


I  régulières. . . 


1  Campantformes.  .  ,  j 

I  Infundibuliformes..  j 

)  Personriées « 

I  Labiées ^ 

Crucifères \  g 

7 
8 
9 


Rosacées 
Oinbellifères. 
Caryophillées 
\  Lill.ncées.  .  . 

irrégulières..  '  r^PJi'°?ff  ^" 


composées. 


Arbres.  Fleurs. 


•    --K =  .     ...    10 

î  Anomales u 

ÎFIosculeuses j| 
Semi  -  flosculeuses.  la 

apecaies î^!*!"."'.  !  i  !  '  "  '  j» 

dépourvus  de  fleurs '  '  *  ig 

dépourvus  de  fleurs  et  de  fruits '■'.'.'.'.'.'.'  ij 

aoétales  i  Apétales  proprement  dites!  '.  ig 

^•"^'■"^ ♦  Amentacees 19 

monopétalcs "  jq 

(polypétales.   •  •  {  ^Snacées.*.' /  /  /  :  J  !  !  Ii 

Tournefort,  par  l'établissement  rigoureux  des  genres  et 
des  espèces,  a  rendu  de  grands  services  à  la  sciencef;  mais 
un  grand  vice  de  sa  méthode  est  cette  division  inutile  des 
végétaux  en  herbes  et  en  arbres,  d'où  résulte  la  répétition 
de  plusieurs  genres. 

De  tous  les  moyens  inventés  pour  coordonner  les  végé- 
taux et  faciliter  la  recherche  de  leurs  noms ,  le  système  de 
Linné  est  sans  contredit  un  des  plus  simples  :  aussi  a-t-il 
été  presque  généralement  adopté.  Il  repose  entièrement  sur 
les  caractères  que  l'on  peut  tirer  des  organes  reproduc- 
teurs ,  c'est-à-dire  des  étamines  et  des  pistils.  Les  classes 
sont  établies  d'après  les  étamines;  les  ordres  ou  subdivi- 
sions des  classes  le  sont,  en  général ,  d'après  les  pistils. 

Ce  système  comprend  vingt-quatre  classes,  dont  vingt  sont 
consacrées  aux  plantes  à  fleurs  hermaphrodites,  trois  aux 
plantes  à  fleurs  unisexuelles ,  et  une  seule  aux  plantes  à 
IleiH-s  nulles  ou  invisibles.  Les  dix  premières  classes  ren- 
ferment toutes  les  plantes  à  fleurs  hermaphrodites,  dont  les 
étamines  sont  libres ,  égales  et  en  nombre  déterminé.  En 
voici  le  tableau  : 

/une Monandrie.  .  .    1 

deux Diandne.  .  .  .    î 

trois Trianiirie.  ...    3 

quatre Tetrundrie.  .  .    4 

cinq Pentandrie.  .  .    S 

I  six Hexandrie.  .  .    6 

sept Heptandrie. .  .    7 

iiuit Octandrie.    .  .    8 

neuf Enaéandrlc.  .  .    9 

dix Décandrie.   .  .  10 

douze Dodécandrie.  .  11 

I  souvent   vingt 
adhérant   au 

calice Icosandrie.  .  .  lî 

plus  de   vingt 

Jusqu'à  cent, 

n'adhérant 

pas  au  calice.     Polyandrie.  .  .  13 

rayant  deux  fi- 

I       lels   plus 

I      longs Didynamie.  .  .  li 

ayant     quatre 
filets    plus 
longs Tétradynamle.  15 


"  /MOHOCLrNES 


hermaphro- 
dites ,  uu 
étaniines  et 
pistils    silucs 

dans  la 
mèuic  fleur  ; 


Les  étamines 
n'étant  u- 
nles  par 
aucune  de 
leurs  par- 
ties, égales 
et  au  uom- 
bre  de 


Les  étamines 
étant  iné- 
gales ,  et 
deux  fou- 
Jours  plus 
courtes, 


par  les  filets 


I 


Les  étamines 
étant  réu- 
nies par 
quelques- 
unes  de 
leurs  par- 
tics  ou  avec 
le  pistil , 


Monadelphie. 
Diadelpbie.  . 


en  un  corps.  . 
en  deux  corps, 
en  plusieurs 
'     corps Polyadelphie. , 

par  les  anthè- 
res 
en    forme     de 

cylindre.   .  . 
attachées      au 

pistil Gynandrie. 


Syngénésie. .  .  19 


20 

sur  le  môme  pied Monœcie.  .  .  .  ?i 

sur  des  pieds  différents.   .  .  .  Dioecle Jl 

sur  des   pieds   différents ,  ou 

sur  le  même  pied   avec  des 

fleurs  hermaphrodites.  .  .  .  Polygamie.  .  .  23 

U 


DlCI-INES 

ou  iini- 
w  1  sexuelles ,  ou 
a:  I  ctamiQCS  et 
g  I  pislils  dans 
3  \  drs  fleurs 
—  différentes, 
Fleurs  à  orgjncs  sexuels  non  apparents Cryptogainic. 

A  l'aide  de  cet  échafaudage  de  divisions  et  de  caractères, 
on  est  conduit  pas  à  pas  à  connaître  le  nom ,  et  par  suite  len 
propriétés  de  la  plante  que  l'on  voit  pour  la  première  fois. 


483  BOTANIQUE  — 

On  clierclie  d'abord  dans  celte  plante  l'un  des  caraclères  qui 
servent  à  distinguer  les  \ingt-quatrc  classes  ;  ce  caractère 
trouvé,  on  sait  dans  quelle  classe  est  la  plante  dont  il  s'agit, 
et  on  n'a  plus  à  la  reconnaître  que  parmi  celles  qu'elle  ren- 
ferme ,  dont  le  nombre  est  seulement  de  plusieurs  centai- 
nes ,  ou  au  plus  de  quelques  mille.  Le  caractère  de  l'ordre, 
que  l'on  cherclie  ensuite,  réduit  bientôt  ce  nombre  à  une 
ou  deux  centaines  environ,  et  celui  du  genre  à  quelques 
dixaincs,  parmi  lesquelles  on  parvient  aisément  à  recon- 
naître l'espèce  à  son  caractère  particulier.  Cette  opération 
présente  h  peu  près  la  même  marche  qu'un  dictionnaire , 
où,  pour  trouver  le  mot  donné,  on  clierche  successivement 
la  première,  la  seconde,  la  troisième  et  les  autres  lettres  du 
mot. 

Mais  une  pareille  méthode,  fondée  sur  une  certaine  classe 
de  caractères  choisis  arbitrairement,  est  propre  seulement 
à  faire  découvrir  le  nom  des  plantes,  et  non  à  faire  con- 
naître leurs  véritables  rapports.  Ce  dernier  objet  est  rempli 
par  la  méthode  naturelle ,  dans  laquelle  les  caractères , 
tirés  de  toutes  les  parties  des  végétaux,  concourent  à  former 
les  divisions  successives,  dans  l'ordre  de  leur  plus  grande 
valeur  ou  de  leur  plus  graude  généralité.  La  difficulté  d'é- 
tablir une  pareille  méthode  tient  à  l'appréciation  de  la  va- 
leur relative  des  diflérents  caraclères  comparés  entre  eux  , 
car  les  différences  qui  distinguent  les  êtres  organisés  ne  sont 
pas  toutes  d'égale  valeur,  et  il  ne  suffit  pas  de  les  compter, 
il  faut  les  peser  pour  ainsi  dire.  Bernard  de  Jussieu  est  le 
premier  botaniste  qui  ait  pose  pour  principe  fondamental 
de  la  niélliocle  naturelle  la  subordination  des  caractères. 

La  mi'tiiode  de  Jussieu  a  sur  toutes  les  autres  l'avan- 
tage de  conserver  les  familles  naturelles ,  de  rassembler  les 
planles  analogues  par  leurs  vertus ,  et  de  présenter  un  ta- 
bleau gradué  de  l'organisation  végétale,  depuis  la  plante  la 
plus  simple  jusqu'à  celle  qui  est  la  plus  compliquée.  Elle 
comprend  trois  grandes  divisions  primordiales,  subdivisies 
en  quinze  classes  ;  chacune  de  ces  classes  se  compose  d'un 
nombre  plus  ou  moins  considérable  d'ordres  ou  de  familles 
naturelles  ;  chaque  famille  est  partagée  en  un  certain  nom- 
bre de  genres,  et  chaque  genre  comprend  un  nombre  plus 
ou  moins  grand  d'espèces.  Nous  en  donnons  le  tableau  gé- 
néral : 

^cotijlcdonet i 

!Hypo(.'ynes 2 

l'èrigyiies 3 

Epifiyncs 4 

'^^i^il  •                   Poriu'vncs 6 

'"'"" j  Hypokynes 7 

'  Hypogyne 8 

J£     monopétales  ,    à  I  n'TiSyhe 9 

Dicotylédones  (  »        corolle i  Episy'ne,  à  an-  f  soudées.  .  lo 

I    ,  tliéres.  .  .  .  j  distinctes.  11 

noivnétales  àéta-  (  Kplgynes 12 

"^  mines                     Hypogynes 13 

Dlclines  ,  ou  unisexuellcs  vraies 15 

Tel  est  le  système  qui  a  prévalu  sur  tous  les  autres  jusqu'à 
ce  jour.  Plusieurs  botanistes,  le  trouvant  difficile  pour  des 
commençants,  ont  voulu  le  combiner  de  différentes  ma- 
nières pour  en  rendre  l'étude  plus  aisée;  mais  leurs  efforts 
n'ont  pas  toujours  répondu  à  cette  intention.  Nous  allons 
dire  un  mot  du  travail  de  Decandolle  et  de  celui  de  Lamarck, 
qui  sont  ceux  qui  nous  semblent  avoir  obtenu  jusqu'ici  les 
meilleurs  résultats  dans  cette  tentative  épineuse. 

Voici  la  marche  que  Decandolle  a  suivie  pour  la  coordi- 
nation des  familles  dans  sa  Théorie  Élémentaire  de  Bota- 
nique, excellent  ouvrage,  que  nous  recommanderons  à  ceux 
qui  veulent  étudier  la  science  sous  ses  rapports  philoso- 
phiques. Au  lieu  de  prendre ,  comme  Jussieu ,  les  caractères 
des  grandes  classes  dans  le  nombre  des  cotjiédons ,  qui  est 
variable  et  assez  difficile  à  reconnaître,  il  les  a  tirés  de  leur 
insertion  ou  position  relative;  et  au  lieu  de  partir  des  végé- 
taux les  plus  simples  pour  s'élever  jusqu'à  ceux  qui  ont 
l'organisation  la  plus  compliquée ,  il  part  des  végétaux  les 


BOTANOMANCIE 

plus  complets,  et  par  conséquent  les  mieux  conn:;s,  de  ceux 
qui  offrent  le  plus  grand  nombre  d'organes  distincts,  pour 
descendre  graduellement  jusqu'à  ces  vi  gctaux  d'une  organi- 
sation très-simple,  qui  forment  en  quelque  sorte  le  passagi 
au  rèfine  animal.  Il  a  établi  seize  classes  de  plantes,  qu'on 
ne  doit  pas  cependant  considérer  d'une  manière  rigoureuse. 
Ce  sont  :  l"  les  plantes  maritimes  ou  salines  ;  2°  les  plantes 
marines;  z"  les  plantes  aquatiques;  4"  les  plantes  des  ma- 
rais d'eau  douce  ;  5"  les  jilantes  des  prairies  et  des  pâturages 
secs  ;  G"  les  plantes  des  terrain?  cultivi^  ;  7°  les  piaules  des 
rochers;  8°  les  plantes  des  sables;  9°  les  plantes  des  lieirx 
stériles;  10°  les  plantes  des  décombres;  11°  les  plantes  des 
forêts;  12°  les  plantes  des  buissons;  13°  les  plantes  souter- 
raines; 14°  les  plantes  des  montagnes;  15°  les  plantes  pa- 
rasites; 1G°  les  plantes  fausses  parasites. 

La  méthode  analytique  de  Lamarck  indépendante  de  tout 
système  particulier  de  classification  n'est ,  à  vrai  dire,  qu'une 
sorte  de  dictionnaire  ou  de  table  analytique,  dans  laquelle  on 
va  chercher  le  nom  générique  d'une  plante  que  l'on  a  sous 
les  yeux,  ou  son  nom  spécifique,  quand  ce  nom  de  genre 
est  connu.  Lamarck  a  senti  que  la  marche  la  plus  simple 
que  l'on  puisse  tracer  à  l'esprit,  pour  lui  faciliter  la  recherche 
du  nom  d'une  plante,  consiste  à  partager  d'al)ord  le  règne 
végétal  en  deux  grandes  divisions  tellement  tranchées  que 
l'on  voie  tout  de  suite  dans  laquelle  des  deux  se  trouve  la 
plante  en  question,  en  sorte  que  la  difliculté  du  choix  soit 
réduite  à  moitié  ;  à  partager  de  même  chacune  de  ces  divi- 
sions en  deux  parties,  puis  chacune  de  ces  parties  en  deux 
autres,  jusqu'à  ce  que,  par  une  suite  de  pareilles  bissec- 
tions,  on  arrive  à  n'avoir  plus  à  choisir  qu'entre  deux  plan- 
tes ,  dont  l'une  soit  celle  dont  on  cherche  le  nom.  Il  ne 
s'agit  alors  que  d'établir  pour  chacune  de  ces  divisions  di- 
chotomiques ou  de  ces  bifurcations,  deux  caractères  con- 
tradictoires qui  soient  présentés  en  regard  et  sous  forme  de 
question,  de  manière  à  ne  laisser  de  choix  qu'entre  deux 
propositions  opposées.  Cette  méthode  est  surtout  propre 
pour  l'étude  de  la  botanique.  En  effet,  l'ilève  le  moins 
exercé  n'éprouve  aucun  embarras  à  choisir  entre  ces  deux 
propositions  celle  qui  convient  à  la  plante  qu'il  a  sons  les 
yeux  ,  et  il  est  conduit  par  un  numéro  de  renvoi  à  d'autres 
questions,  et  ainsi  successivement  jusqu'à  ce  qu'il  parvienne 
à  celle  qui  doit  lui  faire  connaître  le  nom  cherché.  La- 
marck et  fie  CandoUe  ont  fait  une  heureuse  applicati.)n  de 
cette  méthode  aux  plantes  de  toute  la  France  dans  l'impor- 
tant ouvrage  qu'ils  ont  public  sous  le  nom  de  Flore  Fran- 
çaise. 

Après  tous  ces  noms,  nous  citerons  parmi  les  botaniste» 
distingués  de  notre  temps  Dupetit-Thouars,  Loiseleui- 
Deslongchamps  et  Marquis,  RI.M.  de  Mirbel,  Brown, 
Humboldt,  Desfontaines,  Lindley,  Endlicher,  Ad. 
de  Jussieu,  Brongniart,Gaud  i  chaud,  etc.,  qui  tous 
ont  rendu  des  services  plus  ou  moins  précieux  à  la  science. 
MM.  Richard  et  Mérat  ont  apporté  des  modifications  au 
système  de  Linné,  et  M.  Guiart  à  celui  de  Tournefort. 

Aujourd'hui  que  l'on  possède  plus  de  trente  mille  espèces 
de  végétaux  différents  connus  à  la  surface  du  glol>e  et  dé- 
crits, nombre  que  l'on  peut  hardiment  porter  à  cinquante 
mille ,  en  réunissant  tout  ce  qui  existe  de  non  décrit  dans 
les  diverses  collections  européennes ,  et  qui  s'élèverait  sans 
doute  à  plus  de  cent  mille  ,  si  toutes  les  richesses  végétales 
qui  parent  les  deux  continents  et  l'universalité  des  Iles 
étaient  connues ,  il  serait  bien  désirable  qu'une  méthode  gé- 
nérale et  unique  vînt  fondre  et  remplacer  toutes  celles  qui  se 
partagent  encore  le  domaine  de  la  science  et  pût  senir  de 
guide  au  milieu  de  ce  labyrinthe,  de  ce  dédale  effrayant  de 
nomenclatures  qui  l'encombrent  de  toutes  parts  et  qui  en 
rendent  l'étixie  quelquefois  fatigante. 

liOTAIVIQUES  (Jardins).  Voyez  .Iardins  noTANiQLES. 

liOTAXOAIAXCIE  (  du  grec  poT«vn ,  plante,  •si  (.«v- 
Tïia,  divination),  divination  par  le  moyen  des  ptanl«seld&i 


I 


BOTAKOMANCIE  —  BOTRYLLES 


489 


arbrisseaux.  Outre  les  oracles,  qui  ne  parlaient  que  dans  les 
grandes  occasions  ou  seulement  pour  les  riches ,  les  prê- 
tres du  paganisme  avaient  inventé  d'autres  moyens  de  con- 
sulter le  sort  à  meilleur  marché,  afin  que  tout  le  monde  y 
put  atteindre.  Ainsi  naquit  la  botanomancie ,  qui  consistait 
s  écrire  sur  les  feuilles  de  certains  arbrisseaux  le  nom  du 
tonsultant  et  la  question  adressée  par  lui  à  la  divinité. 
Quant  à  la  réponse ,  on  ignore  de  quelle  façon  elle  s'obte- 
nait ;  certains  doctes  pensent  qu'elle  était  faite  de  vive  voix 
par  celui  qui  présidait  à  la  cérémonie.  La  veiTeine,  le 
figuier,  le  tamarin  et  surtout  la  bruyère ,  consacrée  à  Apol- 
lon ,  père  de  la  divination ,  étaient  seuls  employés. 

BOTAI\Y-BAY,  ainsi  nommée  par  Joseph  Banks,  à 
cause  des  richesses  botaniques  qu'il  trouva  sur  ses  côtes , 
est  une  des  baies  les  plus  connues  et  les  plus  vastes  de  la 
côte  orientale  de  la  Nouvelle-Hollande,  située  sous  le  33"  33' 
de  latitude  méiidionnale,  et  le  IGS"  48'  de  longitude  orien- 
tale; elle  appartient  à  la  province  de  Cumbcrland  dans  la 
Nouvelle-Galles  du  Sud.  L'entrée,  entre  les  caps  Banks  et  So- 
lander,  en  est  commode  ;  mais  elle  a  peu  de  profondeur,  à 
l'exception  de  quelques  endroits  creusés  par  les  courants. 
Ses  côtes  sont  basses,  sablonneuses,  marécageuses;  elles 
sont  arrosées  par  le  Cook  et  le  Saint-Georges,  qui  se  jettent 
dans  la  baie.  Cook ,  qui  découvrit  ce  pays  en  1770,  en  avait 
fait  une  description  charmante;  ce  qui  le  flt  choisir  par  le 
gouvernement  anglais,  en  1787,  pour  lieu  de  déportation.  En 
conséquence,  Arthur  Philipps  partit  d'Angleterre  en  1788, 
avec  1011  hommes,  dont  756  déportés;  mais  n'ayant  trouvé 
propres  à  un  établissement  ni  la  baie  ni  les  environs ,  il  alla 
débarquer  plus  au  nord ,  dans  la  baie  du  Port-Jackson ,  où 
il  fonda  Sidney-Cove.  Depuis  cette  époque,  on  a  donné 
assez  souvent  le  nom  de  Botany-Bay  à  toute  la  côte  de  la 
Nouvelle-Galles  du  Sud. 

BOTII  (  ANDiiÉ  et  Jean),  tous  deux  peintres  célèbres, 
nés  à  Utreclit,  le  premier  en  1609,  le  second  en  1610,  re- 
çurent de  leur  père ,  peintre  sur  verre ,  les  premières  no- 
tions de  l'art  du  dessin,  et  se  perfectionnèrent  plus  tard 
dans  l'atelier  d'Abraham  Bloemart;  ils  allèrent  ensuite  voya- 
ger en  Italie.  André  s'y  adonna  à  la  peinture  de  portraits  à 
la  manière  du  Bamboccio ,  tandis  que  Jean ,  charmé  par  la 
vue  des  œuvres  de  Claude  Lorrain ,  prenait  ce  maître  pour 
modèle.  Mais  si  leurs  goûts  particuliers  leur  firent  suivre 
une  direction  différente,  l'amitié  qui  les  liait  savait  réunir 
leurs  pinceaux  pour  des  œuvres  entreprises  et  achevées  en 
commun.  Ainsi  c'était  André  qui  se  chargeait  de  faire  les 
ligures  dans  les  paysages  de  son  frère.  D'ailleurs,  ils  excel- 
laient si  parfaitement  à  se  faire  valoir  l'un  l'autre ,  que  per- 
sonne ne  pouvait  jamais  soupçonner  dans  leurs  productions 
le  travail  de  deux  mains  différentes.  Dans  leurs  paysages, 
ils  savaient  s'inspirer  des  beautés  de  cette  nature  italienne 
au  milieu  de  laquelle  ils  vivaient.  Ce  qui  les  distingue  émi- 
nemment ,  ce  sont  les  heureux  effets  d'ensemble  et  d'har- 
monie générale  de  leurs  compositions  ;  quant  à  ces  mmu- 
tieux  détails  d'exécution ,  ils  ne  s'en  préoccupèrent  jamais. 
Une  teinte  jaunâtre  et  d'automne,  parfois  peut-être  un  peu 
trop  prononcée ,  donne  à  leurs  toiles  un  charme  tout  parti- 
culier. André  se  noya  à  Venise  en  1650.  Inconsolable  de  la 
perte  de  son  frère,  Jean  revint  alors  à  Utrecht,  où  il  mourut 
la  même  année.  On  estime  beaucoup  les  planches  que  les 
deux  frères  gravaient  eux-mêmes  d'après  leurs  tableaux,  et 
plus  particulièrement  celles  de  Jean  Both ,  entre  autres  ses 
Cinq  Sens. 

BOTHNIE,  ancienne  province  de  Suède,  bornée  au 
nord  par  la  Laponie  et  située  sur  le  golfe  auquel  elle  a  donné 
son  nom,  est  comprise  maintenant,  pour  la  plus  grande  par- 
tie, dans  la  Suède,  et  poiH' le  restant  dans  la  Piussie  (Finlande). 
Elle  se  divisait,  d'après  sa  position  par  rapport  au  golfe, 
en  Bothnie  occidentale ,  ou  Wcster-Botn ,  et  en  Bothnie 
orientale,  ou  aistcr-Botv.  C'est  la  première  qui  appartient 
aujourd'hui  presque  en  totalité  à  la  Suède,  dont  elle  forme 

niCT.    lit:    LA   COiSVLKi.    —    T.    111. 


un  comté,  compris  dans  les  deux  lœn  d'Umea ,  ou  Wester- 
Botn ,  et  de  Piteâ  ou  Norr-Botn. 

BOTHiVIE  (Golfe  de),  formé  de  la  partie  septentrionale 
de  la  mer  Baltique,  au  nord  des  îles  d'Aland,  et  bornée 
par  les  provinces  septentrionales  de  la  Suède,  la  Bothnie 
orientale  et  la  Laponie,  ainsi  que  par  la  Finlande,  qui  appar- 
tient à  la  Russie.  S'étendant  du  60°  au  66°  de  latitude  sep- 
tentrionale, il  a  592  kilomètres  de  long  sur  192  de  large  et 
de  20  à  50  brasses  de  profondeur.  Les  côtes  et  l'intérieur 
de  ce  golfe  sont  semés  d'un  grand  nombre  de  petites  îles , 
de  bancs  de  sable ,  de  roches ,  d'écueils  appelés  Skaren,  qui 
en  rendent  la  navigation  très-dangereuse;  surtout  à  son 
entrée  dans  la  Baltique.  La  partie  septentrionale  est  appelée 
par  les  habitants  Botten-Viken ;  la  partie  méridionale, 
Botten-Ha/vct  :  elles  sont  unies  entre  elles  par  un  détroit 
appelé  Quarkeristrasse  (Détroit  boueux),  entre  Umea  et 
Nycarleby.  L'entrée  de  la  mer  Baltique  dans  le  golfe  de 
Bothnie,  entre  la  Suède  et  les  lies  d'Aland,  s'appelle  le  dé- 
troit d'Aland,  et  entreces  îles  et  la  Finlande,  ÏŒstersjan. 
Les  nombreuses  rivières  poissonneuses  qui  se  jettent  dans 
ce  golfe  y  rendent  l'eau  moins  salée  que  dans  la  Baltique. 
En  hiver,  il  gôle  ordinairement  à  une  telle  profondeur,  qu'on 
peut  le  traverser  en  traîneau  pour  aller  de  Suède  en  Fin- 
lande. Depuis  des  siècles ,  l'eau  se  retire  de  plus  en  plus  des 
côtes  de  la  Suède  et  de  la  Finlande ,  le  sol  de  la  Suède 
s'exhaussant  graduellement  par  l'action  de  volcans  sou- 
terrains. 

BOTIIRIOCÉPHALES  (de  poOpoî,  trou,  et  xe^iaXT], 
tête).  Ce  nom  a  été  donné  par  Rudolphi  à  un  genre  de  vers 
parenchymateux,dontle  corps,  très-long,  est  aplati  en  forme 
de  bandelette,  et  dont  l'extrémité  céphalique présente  deux 
trous  ou  fossettes  latérales  qui  servent  de  suçoirs.  Les  ar- 
ticles du  corps  sont  courts  et  très-nombreux.  Ces  vers,  qui 
ont  une  très-grande  analogie  avec  les  tsenias,  vivent  en 
général  dans  les  intestins  des  poissons.  Cependant  le  grand 
tœnia  de  Phomme ,  connu  sous  le  nom  de  txnia  lata,  est 
un  bothriocéphale.  La  longueur  de  ce  ver  est  estimée  ordi- 
nairement de  trois  à  sept  mètres.  L.  Laurent. 
BOTILIES.  Voyez  Aérolithes. 
BOTOCUDES,  sauvages  du  Brésil,  sur  lesquels  la 
prince  de  Neuwied  a  donné  le  premier  des  renseignements 
exacts.  Ils  vivent  au  milieu  des  forêts  vierges  du  Brésil , 
vont  tout  nus ,  et  ont  coutume  de  se  percer  les  oreilles  et 
les  lèvres  pour  placer  dans  les  ouvertures  de  larges  cy- 
lindres de  bois  en  guise  d'ornements.  Ils  sont  habiles  à  se 
servir  de  l'arc.  Leurs  besoins  sont  très-bornés  ;  ils  suppor- 
tent avec  patience  les  plus  grandes  fatigues ,  môme  la  faim 
et  la  soif.  Leur  nourriture  ordinaire  consiste  dans  le  gibier 
qu'ils  tuent;  pour  eux  la  chair  d'un  ennemi  est  une  frian- 
dise. Ils  n'ont  des  chefs  qu'en  temps  de  guerre.  Ils  vident 
leurs  querelles  entre  eux ,  les  hommes  en  s'assonimant  à 
coups  de  bâton,  les  femmes  en  s'arrachant  les  cheveux. 
C'est  un  peuple  sans  foi ,  mais  hardi ,  qui  s'est  montré  plus 
d'une  fois  redoutable  aux  Portugais.  Un  très-petit  nombre 
de  Botocudes  ont  consenti  jusqu'ici  à  se  soumettre  aux 
entraves  de  la  civilisation ,  malgré  les  trois  villages  que  l'em- 
pereur du  Brésil  a  fait  bâtir  pour  eux  en  1824. 

BOTRYLLES,  genre  de  mollusques  de  la  classe  des 
tuniciers  et  de  l'ordre  des  botryllaires ,  auquel  il  donne 
son  nom.  Dans  ce  genre ,  les  individus  adhèrent  entre  eux 
au  moyen  d'une  enveloppe  commune ,  gélatineuse ,  de  ma- 
nière à  simuler  un  seul  animal  complexe.  Les  botrylles 
étoiles  se  présentent  ordinairement  sous  la  forme  d'expan- 
sions membrano-gélatineuses ,  qui  recouvrent  des  corps 
marins  de  diverses  natures,  tels  que  les  roches  et  les  plantes 
marines  ;  ces  expansions  ont  une  sorte  de  base  qui  présente 
une  multitude  de  petits  plis  très-rapprochés  les  uns  des 
autres ,  et  sur  laquelle  on  voit  de  distance  en  distance  des 
étoiles  saillantes ,  formées  de  rayons,  dont  lo  nombre  varie 
de  trois  à  vingt. 

b'2 


4rio 

liOTRYOÏDE  (de  pôTfuc ,  grappe,  et  ûôo-,  forme). 
Mot  dont  on  se  sert  pour  désigner  les  substances  minérales 
disposées  en  grains  ou  en  masses  mamelonnées,  qui  ont  la, 
forme  d'une  grappe.  I.e  for  hématite,  le  quartz  et  la  chaux 
carbonatée  se  présentent  sous  cette  forme.  La  chaux  boratée 
concrétionnée  est  aussi  appelée  pour  la  même  raison  bo- 
tryolithe. 

BOTRYS  (de  pôrpu;,  grappe).  On  réunit  sous  ce  nom 
générique  et  scieiitilique  plusieurs  plantes  connues  sous  des 
noms  plus  vulgaires,  telles  que  le  tcucrium  botrys,  qui  n'est 
autre  que  la  f?e;-manf/rdc,  le  botrys  vulgaire  (cfieno- 
podiim  botrys)  et  le  botrys  du  Mexique  {chenopodium 
ambrosioides),  qui  sont  des  variétés  daVaiisérine. 

BOTRYTIS  (diminutif  de  pôtpuç,  grappe ),  genre  de 
la  cryptogamie  par  lequel  on  désigne  des  plantes  ou  espèces 
de  moisissures  qui  croissent  sur  les  matières  animales  ou 
végrtales  en  fermentation. 

BOTTA  (CiiAKLES-JosEPn-GuaLAOTiE),  poète  et  histo- 
rien, naquit,  le  Gscptcmbre  17GG,  à  San-Giorgio-del-Canavese 
(lansle  Piémont.  Botta  étudia  la  médecine  à  Turin.  Ouver- 
tement partisan  des  principes  de  la  révolution  française, 
il  fut  jeté  en  prison  en  1792.  Rendu  à  la  liberté  deux  ans 
nprès,  il  vint  en  France,  et  fut  employé  comme  chirurgien 
à  Tannée  des  Alpes.  Son  service  le  conduisit  à  Corfou.  En 
1799  il  entra  dans  le  gouvernement  provisoire  du  Piémont 
avec  £ossî.  Après  la  bataille  de  Marengo,  il  fut  nommé 
membre  de  la  consulta  piémontaise.  En  1801  il  fut  élu 
député  de  la  Doire  au  Corps  législatif,  et  il  y  manifesta  une 
indépendance  qui  déplut  à  Tempereur.  En  1814  il  vota  la 
déchéance  de  Napoléon.  Il  ne  fit  pas  partie  de  la  Chambre 
sous  la  Restauration.  Nommé  pendant  les  Cent-Jours  recteur 
(le  l'Académie  de  Nancy,  cette  place  lui  fut  ôlée  au  second 
retour  des  Bourbons ,  et  dès  lors  il  se  livra  exclusivement  à 
des  travaux  philosophiques  et  littéraires. 

Parmi  les  ouvrages  sortis  de  sa  plume,  nous  citerons 
les  suivants  :  Description  de  l'île  de  Corfou  (  Paris,  1799  )  ; 
Souvenirs  d'un  voyage  en  Dalmatie  (Turin,  1802);  Pré- 
cis historique  de  la  maison  de  Savoie  (Paris,  1803); 
Histoire  de  l'Amérique  (Paris,  1809).  Son  épopée  en 
douze  chants ,  Il  Camillo,  o  Vejo  conquistata  (Paris, 
1816),  fut  aussi  accueilli  avec  faveur;  cependant  on  re- 
garde comme  ses  chefs-d'œuvre  sa  Storia  d'Italia  dat 
1780  ai  1814  (Paris,  1824),  qui  obtint  le  prix  quinquennal 
de  l'Académie  délia  Crusca  ;  son  Histoire  des  périples  d'I- 
talie (3  vol., Paris,  1825) ,  où  il  conteste  au  christianisme 
et  à  la  philosophie  le  mérite  d'avoir  civilisé  l'Europe  pour 
l'attribuera  la  renaissance,  et  sa  Storia  d'Italia  dal  1490 
al  18)4  (20  vol.,  Paris,  1832),  qui  comprend  l'ouvrage  de 
Guicciardini  avec  la  continuation  par  Botta  et  là  Storia 
d'Italia  citée  plus  haut.  Ce  fut  seulement  en  1830  ,  à  l'avè- 
nement au  trône  de  Charles-Albert,  son  protecteur,  que 
Botta  obtint  la  permission  de  rentrer  dans  sa  patrie.  Le 
roi  lui  accorda  sur  sa  cassette  une  pension  de  3,000  francs , 
portée  plus  tard  à  4,000.  11  termina  cependant  ses  jours  en 
France,  et  mourut  à  Paris,  le  10  août  1837. 

BOTTA  (Paul-Émiue),  célèbre  archéologue  et  voyageur 
français,  est  fils  du  précédent.  Il  entreprit,  encore  jeune, 
un  voyage  autour  du  monde  ,  et  séjourna  longtemps  sur  les 
côtes  occidentales  de  l'Amérique,  s'occupant  avec  ardeur 
de  recueillir  des  curiosités  naturelles.  En  1830  il  entra 
comme  médecin  au  service  de  Méhémet-Ali ,  et  fit  en  cette 
qualité  l'expédition  du  Sennaar.  11  en  rapporta  une  riche 
collection  zoologiquc.  Nommé  consul  à  Alexandrie ,  il  fit  en 
Arabie  un  voyage  dont  il  a  i>ublié  les  résultats  dans  sa  Re- 
lalion  d'un  voyage  dans  l' Yémen ,  entrepris  en  iSZl  pour 
le  Muséuvi  d'Histoire  naturelle  de  Paris  (Paris,  1844  ). 
Le  gouvernement  l'envoya  ensuite  à  Mossoul  connne  agent 
consulaire.  Soupçonnant  que  les  collines  de  sable  qui  s'élè- 
vent le  long  du  Tigre  couvraient  des  antiquités  assyriennes, 
il  résolut  de  les  mettre  au  jour.  11  commença  ses  fouilles  au 


BOÏRYOIDE  —  BOTTELAGE 


printemps  de  1843,  d'abord  avec  peu  de  succès;  mais  de» 
le  mois  de  juillet ,  une  lettre  adressée  à  M.  Jules  Mohl ,  et 
publiée  dans  le  Journal  Asiatique,  promettait  des  décou- 
vertes plus  Importantes  principalement  sur  l'écriture  cunéi- 
forme. Le  gouvernement  français  prit  l'affaire  à  cœur.  Un 
habile  dessinateur,  M.  Eugène  Flandin,  fut  envoyé  sur  les 
lieux  pour  copier  les  sculptures  en  albâtre  faciles  à  se  dé- 
grader; et  une  commission,  composée  de  MM.  Raoul-Ro- 
chette,  Letronne,  Lenormant,  Mohl,  Burnouf,  Lajard , 
Guigniaut ,  Ingres  et  Lebas  ,  fut  chargée  de  préparer  la  pu- 
blication d'un  magnifique  ouvrage  qui  parut  sous  le  titre  de 
Momnnents  de  Ninive,  découverts  et  décrits  par  M.  Bot- 
ta, mesurés  et  dessinés  par  M.  Flandin  (Paris,  1849- 
1850)  en  cinq  vol.  in-fol. ,  dont  les  deux  premiers  contien- 
nent les  planches  d'architecture  et  de  sculpture,  le  troisième 
et  le  quatrième  les  inscriptions ,  et  le  dernier  le  texte.  Les 
Inscriptions  découvertes  à  Khorsabad  (Paris,  I84s)  ne 
sont  qu'un  abrégé  de  ce  grand  ouvrage.  Ce  qui  a  pu  se  con- 
server de  ces  monuments  fragiles  a  été  apporté  à  Paris  et 
placé  au  Louvre.  M.  Botta  ayant  vaincu  toutes  les  difficultés, 
et  le  fanatisme  mahométan  n'en  était  pas  la  moindre ,  il  a 
été  facile  à  son  successeur  de  pousser  plus  loin  les  décou- 
vertes. L'Anglais  Henri  Layard  a  donc  obtenu  des  résultats 
encore  plus  remarquables  ;  mais  à  M.  Botta  restera  la  gloire 
d'avoir  fondé  l'aicliéologie  assyrienne,  dont  on  soupçonnait 
à  peine  l'existence. 

BOTTAGE,  ancien  droit  que  l'abbaye  de  Saint-Denis 
levait  sur  tous  les  bateaux  [bot)  chargés  de  marchandises 
qui  passaient  sur  la  Seine  depuis  la  Saint-Denis  jusqu'à  la 
Saint-André  de  chaque  année,  c'est-à-dire  du  9  octobre 
au  30  novembre.  Il  était  assez  considérable  pour  que  les 
marchands,  alin  de  s'y  soustraire,  prissent  leurs  mesures 
pour  devancer  l'époque  ou  pour  attendre  la  clôture  du 
droit  de  bottage. 

BOTTE ,  faisceau  de  plusieurs  choses  semblables  ou 
de  même  nature  :  on  dit  une  botte  de  paille ,  de  foin ,  d'as- 
perges,de  soie,  d'allumettes,  etc.,  et  ce  mot  vient  du  latin 
botulus,  par  lequel  il  paraît  qu'on  exprimait,  au  contraire, 
un  assemblage  de  choses  diverses. 

Botte ,  en  termes  de  commerce,  se  dit  des  soies  non  ou- 
vrées; quinze  onces  de  soie,  par  exemple,  font  une  botte. 
On  vend  le  fil ,  la  soie ,  la  laine ,  au  poids ,  en  écheveaux  ou 
en  bottes. 

Botte,  en  termes  de  chasse,  se  dit  de  la  longe  ou  du 
collier  avec  lequel  on  mène  le  limier  au  bois. 

Enfin,  le  mot  botte  s'est  dit  autrefois  d'un  vaisseau  propre 
à  contenir  du  vin ,  dont  la  contenance  était  à  peu  près 
celle  d'un  muid.  La  botte  était  aussi  une  mesure  chez  les  Ro- 
mains. Celte  mesure  a  passé  en  Espagne  et  en  Portugal,  sous 
le  nom  de  bot  a. 

BOTTE  (Escrime).  C'est  un  coup  que  l'on  porte 
avec  la  pointe  du  fleuret  en  faisant  des  armes.  On  appelait 
jadis  estocade  la  botte  portée  avec  une  épée.  Un  mot  ana- 
logue manque  à  notre  langue ,  depuis  que  l'épée  a  cessé  de 
se  nommer  estoc.  On  est  forcé  de  recourir  à  une  périphrase 
équivoque  et  de  dire  cotip  de  pointe.  Se  mettre  en  garde , 
c'est  se  tenir  couvert  contre  les  bottes  de  l'adversaire.  Par 
analogie  on  dit  porter,  recevoir,  parer  une  botte. 

Porter  une  botte  à  quelqu'un,  c'est,  au  figuré,  l'embar- 
rasser, le  vaincre,  lui  tendre  un  piège,  par  analogie  avec  ce 
qu'on  nomme  une  botte  en  termes  d'escrime.  Lire  ou 
faire  quelque  chose  à  propos  de  bottes,  c'est  agir  ou 
parler  à  contre-temps ,  pai-  analogie  à  une  botte  mal  portée 
ou  portée  à  faux. 

BOTTELAGE,  action  de  lier  en  bottes  la  paille  et  les 
fourrages.  Cette  opération  est  nécessaire  pour  empêcher  les 
fourrages  de  s'échauffer  lorsqu'ils  sont  rentrés  un  peu  hu- 
mides. Elle  se  fait  ou  sur  le  pré  ou  dans  la  grange  ;  mais  le 
choix  de  cette  dernière  localité  paraît  préférable  pour  la 
conservation  du  fomrage ,  et  permet  d'ailleurs  de  l'culasscf 


BOTTELÀGE  —  BOTZARIS 


4î)l 


en  plus  grande  quantité.  On  botlelle  d'ordinaire  à  deux 
liens,  mais  il  faut  en  mettre  trois  quand  le  fouirage  doit 
être  soumis  au  transport ,  ou  quand  le  brin  de  l'herlie  qui 
sert  au  bottelage  est  court.  L'usage  est  de  botteler  à  cinq 
kilogrammes;  mais  il  faut  qu'ils  soient  forts  pour  se  retrou- 
ver après  la  dessiccation.  Le  bottelage  est  le  moyen  le  plus 
sûr  pour  évaluer  le  produit  d'une  prairie. 

BOTTES ,  cbaussure  de  cuir  dont  on  s'est  servi  d'abord 
pendant  longtemps  pour  monter  à  cheval,  alin  de  s'y  tenir 
plus  ferme  et  de  se  garantir  des  injures  du  temps ,  et  dont 
l'usage  s'est  étendu  depuis  un  demi-siècle  seulement.  On  en 
connaît  de  différentes  espèces  :  les  bottes  à  Vécuyère, 
que  portent  les  écuyers ,  les  généraux ,  la  gendarmerie  à 
cheval,  etc.;  les  bottes  fortes,  dont  se  servent  les  postil- 
lons, les  pêcheur»,  les  égoutiers,  etc.;  les  bottes  molles, 
avec  lesquelles  tout  le  monde  s'habille;  les  bottes  fourrées, 
pour  les  voyages;  les  bottes  à  revers,  que  portaient  les  of- 
ficiers de  la  garde  impériale  et  que  portent  aujourd'hui  les 
domestiques  de  bonnes  maisons;  les  dandys  du  Directoire 
portaient  les  bottes  à  la  Soiivarof,  plissées  et  terminées  en 
cœur  ;  aujourd'hui  les  fashionables  mettent  des  bottes  en  cuir 
verni ,  à  tiges  de  maroquin.  On  avait  imaginé  des  bottes  sans 
couture  ;  pour  cela  on  déchaussait  la  jambe  d'un  animal 
.sans  fendre  la  peau,  on  la  tannait  ainsi,  et  on  la  mettait  sur 
l'embouchoir  pour  lui  faire  prendre  la  forme.  Dans  ces  der- 
niers temps  on  a  fait  des  bottes  californiennes ,  eu  caout- 
chouc, imperméables  et  assez  légères. 

L'invention  des  bottes  parait  du  reste  remonter  fort  haut 
dans  l'antiquité.  Les  Grecs  et  après  eux  les  PiOmains  por- 
tèrent des  espèces  de  bottines  faites  de  cuir  de  bœuf ,  qui  se 
mettaient  à  cru  sur  la  jambe.  11  est  parlé  de  bottes  clans  la 
Vie  de  saint  Richard ,  évéqne  de  Cliichester,  écrite  en  latin 
par  un  Anglais  au  treizième  siècle,  et  rapportée  par  J.  Carp- 
gravius  dans  la  Légende  anglicane.  On  trouve  aussi  dans  les 
registres  de  la  chambre  des  comptes,  en  France,  un  article 
de  15  deniers  pour  prix  du  graissage  des  bottes  de  Louis  XL 
Le  mot  bottes  se  retrouve  dans  un  certain  nombre  d'ex- 
pressions proverbiales  plus  ou  moins  familières  :  c'est  ainsi 
qu'on  dit  qu'un  homme  a  laissé  ses  bottes  en  quelque  en- 
droit, pour  dire  qu'il  y  est  mort.  ;  et  trivialement  graisser  ses 
bottes,  pour  se  préparer  au  long  voyage,  à  la  mort.  Grais- 
sez les  bottes  à  un  vilain ,  dit  un  autre  proverbe,  il  dira 
qu'on  les  lui  brûle.  Se  soucier  de  quelque  chose  autant 
que  de  ses  vieilles  bottes,  c'est  s'en  soucier  bien  peu.  Un 
houmie  qui  a  fait  une  fortune  rapide  dans  les  fournitures  , 
ou  qui  fait  un  gain  illicite  dans  un  marché  dont  il  est  l'en- 
tremetteur, est  accusé  communément  d'avoir  mis  du  foin 
dans  ses  bottes. 

BOTTICELLl  (Sandro),  dont  les  noms  véritables 
étaient  Alessundro  Filipepi,  peintre  de  l'école  florentine 
du  quinzième  siècle,  vécut  de  1447  à  1515.  Il  fut  d'abord 
mis  en  apprentissage  «;liez  Botticelli,  habile  maître  orfèvre, 
dont  il  joignit  le  nom  au  sien.  Mais  ses  remarquables  dis- 
positions pour  la  peinture  ne  tardèrent  pas  à  l'emporter,  et 
il  devint  alors  l'un  des  élèves  de  Fra  Filippo  Lippi.  Il  em- 
prunta à  ce  maître  l'action  passionnée  qu'on  remarque  dans 
ses  tableaux  historiques,  et  sut  l'associer  à  une  certaine 
conception  fantastique,  qui,  si  elle  lui  inspira  aussi  de  mau- 
vaises toiles,  lui  fit  souvent  faire  des  ouvrages  charmants 
parleur  originalité.  On  peut  voir  un  exemple  de  ce  caractère 
passionné  qu'il  savait  imprimera  ses  compositions,  dans 
une  Nativité  qui  fait  aujourd'hui  partie  de  la  collection 
d'Young  Oltley  à  Londres.  Les  anges  y  dansent  de  joie  im 
l)ranle  dans  les  airs  ;  ils  couronnent  de  fleurs  les  bergers,  et 
les  embrassent  impétueusement,  pendant  que  trois  démons 
s'éloignent  pleins  d'une  impuissante  fureur.  Une  autre  toile 
qu'on  a  de  lui,  c'est  la  Madone  couronnée  qu'on  voit  dans 
la  galerie  des  Oflices  à  Florence,  et  dont  on  admire  la  char- 
mante tête.  Mais  c'est  surtout  dans  ses  tableaux  historiques 
que  lîotlicelli  donne  libre  carrière  au  caractère  fantasli(iue 


de  son  talent.  Il  fut  l'un  des  premiers  qui  introduisirent 
dans  l'art  moderne  l'aliégorie  et  les  mythes  antiques  ;  et  il  le 
lit  avec  prédilection.  C'est  ainsi  qu'une  Vénus  nue  voguont 
sur  l'onde  dans  sa  conque  en  même  temps  qu'elle  est  poussée 
vers  le  rivage  par  une  pluie  de  roses  que  font  tomber  les 
dieux  des  vents  (cette  toile  se  trouve  également  dans  la  ga- 
lerie des  Offices),  produit  un  effet  des  plus  étonnants.  Les 
fresques  qu'il  exécuta  dans  la  chapelle  Sixtine,  au  Vatican , 
sont  la  principale  de  ses  œuvres.  Chargé  de  la  surveillance 
des  travaux ,  Botticelli  y  a  peint  Moïse  exterminant  les 
Égyptiens,  la  troupe  de  Korah  et  la  Tentation  du  Christ. 
Par  la  suite  Botticelli  devint  négligent  et  maniéré  dans  ses 
travaux.  Disciple  de  Savonarole,  il  s'adonna  en  outre 
pendant  des  années  à  une  étude  passionnée  du  Dante ,  et 
laissa  là  son  pinceau  pour  prendre  la  plume  et  écrire  avec 
assez  peu  de  succès  sur  ce  grand  poète.  Il  exécuta  une  édi- 
tion de  V Enfer  (Florence,  1481)  avec  des  planches  gra- 
vées d'après  ses  dessins  ,  pour  la  plupart  par  B.  Baldini ,  et 
mêine,  suivant  Passavant ,  toutes  par  lui-même.  On  estime 
beaucoup  (ne  fût-ce  qu'à  cause  de  leur  extrême  rareté), 
certaines  planches  provenant  véritablement  de  Botticelli , 
par  exemple  les  Prophètes  et  les  Sibylles,  le  Triomphe  de 
Pétrarque,  etc. 

BOTTIIXES,  petites  bottes.  Ce  sont  aussi  des  chaus- 
sures de  femme  qui  montent  au  dessus  de  la  cheville ,  et 
se  lacent  ou  se  boutonnent. 

On  donne,  en  chirurgie,  le  nom  de  bottines  à  des  ap- 
pareils qui  ressemblent  à  de  petites  bottes,  munis  de  res- 
sorts, de  courroies  et  de  boucles,  qui  servent  à  corriger  les 
vices  de  conformation  des  membres  inférieurs  chez  les  en- 
fants, tels  que  la  déviation  des  genoux  en  dedans  ou  ei' 
dehors,  la  torsion  des  jambes,  des  pieds,  etc. 

BOTZARIS,  famille  souliote,  célèbre  dans  la  Grec» 
moderne  par  le  rôle  qu'elle  joua  à  l'époque  de  la  guerre  de 
rindi'pendance. 

BOTZARIS  (Georges)  marchait  contre  Ali -Pacha  à  la 
tètes  des  bandes  souhotes;  mais  on  le  soupçonna,  non  sans 
raison ,  de  chercher  à  se  pei pétuer  au  pouvoir,  et  dès  lors 
il  devint  une  cause  fréquente  de  dissensions  entre  ses  com- 
pagnons dévoués  et  ceux  de  ses  compatriotes  qui  prisaient 
moins  un  homme  que  la  liberté.  Tous  les  partis,  du  reste, 
s'accordaient  à  rendre  hommage  à  sa  bravoure  et  à  celle  de 
ses  deux  fils  ISotis  et  Christos. 

BOTZARIS  (Marcos),  fils  de  Christos  et  petit-fils  de 
Georges ,  né  en  1789 ,  dans  les  montagnes  de  Souli ,  grandit 
au  bruit  des  combats  terribles  qu'éteignit  en  1803  la  ruine 
sanglante  de  cette  malheureuse  ville.  A  travers  des  périls 
inouïs ,  il  réussit  à  gagner  le  territoire  ionien ,  où  se  grou- 
l)èrent  autour  de  lui  les  principaux  chefs  d'Armatoles  qui 
fuyaient  les  atrocités  d'Ali  et  rêvaient  l'indépendance  de  la 
Grèce.  Avec  eux ,  il  prit  part  en  1806  à  une  tentative  d'in- 
surrection fomentée  par  la  Russie ,  qui  était  alors  en  guerre 
avec  la  Poiie.  Cet  espoir  d'une  prochaine  délivrance  ne  se 
réalisa  pas  ;  et  la  paix  de  Tilsitt  ramena  les  Français  dans 
les  Sept-Hes.  Marcos  Botzaris  en  profita  pour  s'engager 
comme  sergent  dans  une  légion  albanaise  qui  se  formait,  et 
qui  comptait  son  père  et  son  oncle  parmi  ses  officiers  supé- 
rieurs. 

Retiré  dans  les  iles  Ioniennes  depuis  1815,  une  douce 
union  ne  pouvait  lui  faire  oublier  le  sol  natal,  quand  tout 
à  coup,  en  1820,  une  double  commotion  vint  ébranler  la  Tur- 
quie :  Ypsilanti  appelait  les  Grecs  à  l'indépendance;  Ali- 
Padia ,  renfermé  dans  Janina,  bravait  les  menaces  et  les 
armées  du  sultan.  800  Souliotes  coururent  en  l'^pire  se 
ranger  autour  de  Marcos  et  de  son  oucle.  Ali  leur  pro- 
posa de  leur  rendre  leurs  foyers  s'ils  voulaient  opérer  une 
diversion  en  sa  faveur.  IN'otis  prit  alors  position  dans  les 
défilés,  tandis  que  son  neveu  se  chargeait  de  haiceler  les 
Turcs  à  la  tèic  de  200  Palikares  :  son  coup  d'essai 
fut  l'enlèvement  d'un  convoi  de  minutions,  escorté  par  500 

62. 


49*2 


BOTZARIS  —  BOUCAGE 


hommes ,  la  prise  (l'un  poste  important  et ,  quelques  jours 
ai)rè8,  la  défaite  de  deux  pachas  et  de  5,000  hommes. 

Les  Turcs,  ne  pouvant  ni  se  garantir  de  ses  attaques  ni 
l'atteindre  dans  ses  retraites ,  mirent  sa  tête  à  prix.  Il  y 
répondit  par  de  nouveaux  succès,  qui  dès  le  printemps 
de  1821  avaient  généralisé  l'insurrection  grecque.  Il  ouvrit 
la  campagne  par  la  prise  du  port  de  Réniassa,  qui  assurait 
les  communications  de  l'Épire  avec  les  autres  provinces  in- 
surgées, obligea  un  pacha  et  1,300  hommes  à  mettre  bas  les 
armes,  dispersa  Ismael  et  2,000  janissaires,  se  rendit  maitre 
de  Plaça,  et  s'y  maintint.  Blessé,  il  prend  à  peine  quelques 
jours  de  repos,  et  déclare  qu'il  enlèvera  la  place  forte  d'Arta, 
sa  garnison  et  son  beau  parc  d'artillerie.  Il  comptait  sur 
l'appui  des  Albanais,  qui  l'abandonnèrent.  Il  avait  déjà 
franchi  le  pont  de  la  citadelle  sous  le  feu  de  ses  batteries , 
lorsqu'elle  reçut  un  renfort  inattendu  de  6,000  Turcs;  mais 
il  ne  perdit  pas  la  tète,  et  assura  par  un  stratagème  le  salut 
des  siens. 

Au  commencement  de  1822,  Ali  était  forcé  dans  son 
repaire.  Une  tentative  que  lit  Botzaris  pour  ravitailler  Souli 
fut  sans  succès ,  et  la  funeste  journée  de  Péta  vit  périr 
l'élite  des  Grecs  et  des  Philhellènes.  Avec  6000  braves  il 
arrêta  tout  un  jour  l'armée  turque  au  défilé  de  Crioneros,  et 
courut  s'enfermer  dans  Missolonghi.  Par  d'heureux  strata- 
gèmes, il  paralysa  les  efforts  de  l'ennemi  jusqu'à  la  fin  de 
la  campagne,  et,  nommé  stratarque  de  la  Grèce  occidentale, 
il  mit  à  proiit  l'hiver  pour  fortifier  la  place. 

Au  printemps  de  1823,  une  armée  turque  de  20,000  hom- 
mes descend  du  nord  de  l'Épire.  Botzaris  veut  aller  à  sa 
rencontre  et  la  terrifier  par  un  trait  d'audace.  A  la  tête  de 
240  palikares,  c'est  au  milieu  du  camp  turc  qu'il  promet  de 
donner  le  signal  de  l'attaque  aux  divers  chel's  postés  dans 
les  défilés  d'alentour.  Dans  la  nuit  du  20  août ,  les  Grecs , 
préparés  au  combat  par  la  prière ,  fondent  sur  les  avant- 
postes  ennemis.  Le  succès  couronne  leur  audace;  mais 
Marcos  tombe  atteint  mortellement  d'une  balle.  Son  frère 
Constantin  reçoit  son  dernier  soupir,  et  le  venge  en  complé- 
tant la  victoire.  Le  corps  du  héros  revint  au  milieu  des 
trophées,  et  surexcita  le  courage  des  Grecs.  Constantin  Bot- 
zaris mourut  aussi  plus  tard  les  armes  à  la  main. 

L'aîné  des  fils  de  Marcos  Botzaris ,  qui  n'a  laissé  d'autre 
héritage  qu'un  nom  chéri  des  Hellènes,  est  maintenant  aide 
de  camp  du  roi  Othon  ,  près  de  qui  il  a  été  élevé. 

BOTZEN  ou  plutôt  BOZEN  (en  italien,  BOLZANO), 
ciief-lieu  de  l'ancien  cercle  de  l'Adige ,  aujourd'hui  du  dis- 
trict de  Botzen  dans  le  Tyrol ,  lequel  compte  70,000  ha- 
bitants sur  une  superficie  de  17  myriamètres  carrés.  Botzen 
est  situé  dans  un  bassin  au  confinent  de  l'Eisack  et  de  la 
Talfer.  Sa  population  s'élève  à  7,700  habitants;  elle  est  le 
siège  du  tribunal  suprême  du  cercle  de  Brixen,  d'une  cham- 
bre de  commerce,  d'un  gymnase  et  d'une  école  supérieure. 
Protégée  contre  les  inondations  de  la  Talfer  par  une  digue  en 
pierres  qui  sert  de  promenade  publique,  la  ville,  quoique 
allemande ,  est  entièrement  bâtie  à  l'italienne.  Les  rues  en 
sont  étroites,  mais  foil  propres  ;  et  on  y  trouve  de  spacieuses 
allies  de  feuillage.  Outre  la  place  d'armes  et  la  place  aux 
Iruits,  ornées  de  belles  fontaines,  on  peut  citer  la  place 
Saint-Jean  avec  la  cathédrale,  magnifique  bâtiment  go- 
thique du  quatorzième  siècle,  divisé  en  trois  nefs  ,  dont  on 
admire  le  somptueux  maUre-autel  et  la  tour,  construite 
en  1519  par  Jean  Lutz.  Derrière  l'église  s'étend  le  cimetière, 
avec  des  arcades  décorées  de  belles  fresques  et  d'autres  or- 
nements d'architecture  par  Rainalter.  Parmi  les  autres  édi- 
(icos  on  remarque  encore  la  halle,  le  palais  de  l'archiduc 
iîénier,  qui  habite  Botzen  <lepuis  1848,  l'auberge  de  la  Cou- 
ronne Impériale  avec  un  petit  théûtre,  le  palais  Sonthein»  et 
l'hOtel  de  l'Ordre  Teutonique. 

Quoique  les  foires  »le  Botzen  aient  beaucoup  perdu  de 
h-ur  importance,  cette  ville  est  toujours  l'entrepôt  du  corn- 
Djercc  entre  l'Italie  et  l'Allomai^ne.  Les  princii>au\  articles 


d'exportation  sont  la  soie,  le  coton,  les  fruits.  L'industrie  v 
est  sans  importance.  Les  habitants  s'occupent  surtout  et 
avec  succès  de  la  culture  du  mûrier,  des  arbres  fruitiers,  tt 
de  la  vigne.  Les  arbres  du  midi  se  cultivent  en  plein  air,  le 
climat  y  étant  extraordinairement  doux  l'hiver,  et  la  chaleur 
môme  presque  intolérable  en  été. 

L'histoire  fait  mention  de  Botzen  dès  l'année  378;  elle 
fut  soumise  ensuite  aux  Lombards  (G80)  et  aux  Francs  (740). 
Plus  tard  elle  devint  la  résidence  des  margraves  bavarois 
de  la  famille  des  Guelfes.  En  1027  l'empereur  Conrad  II I» 
donna  aux  évêques  de  Trente.  Elle  fut  dès  lors  un  sujet  de 
querelle  entre  ces  derniers  et  les  comtes  du  Tyrol  jusqu'à 
ce  qu'elle  tombât  sous  la  domination  autrichienne. 

On  trouve  dans  les  environs  Sigmundskron ,  aujour- 
d'hui magasin  à  poudre,  d'où  l'on  jouit  d'une  belle  vue  sur 
la  vallée  de  l'Adige;  Maratsch,  avec  une  route  romaine; 
Neuglstein,  avec  des  fresques  exécutées  par  d'anciens  ar- 
tistes allemands  ;  l'abbaye  de  Grins,  avec  une  des  plus  befies 
églises  du  Tyrol,  ornée  de  fresques  et  de  peintures  par 
KnoUer  ;  Maultasch  elGreifenstein,  sur  des  rochers  presque 
inaccessibles.  Des  pyramides  naturelles  de  terre  hautes  de 
18  à  31  mètres  s'élèvent  sur  les  flancs  du  Kitterberg  près 
de  Langmoos. 

BOUC,  mâle  de  la  chèvre. 

La  détestable  odeur  du  bouc  de  la  race  européenne  attira 
de  tous  temps  à  cet  animal  une  malveillance  dont  il  fut 
longtemps  la  victime.  Aujourd'hui  même  le  culte  des  dif- 
férentes sectes  chrétiennes  contribue  à  propager  cette  opi- 
nion défavorable  ,  en  introduisant  dans  les  chants  sacrés  le 
bouc  comme  un  emblème  de  malédiction ,  tandis  que  la 
brebis  y  est  traitée  avec  une  prédilection  que  sa  douceur 
lui  a  méritée.  Les  Grecs  immolaient  un  bouc  sur  les  autels 
de  Bacchus,  non ,  comme  le  disent  certains  commentateurs, 
parce  que  les  ravages  commis  dans  les  vignobles  par  cet 
animal  excitaient  le  coiirroux  du  dieu  ;  car  la  chèvre  n'est 
pas  moins  dévastatrice ,  et  cependant  on  l'épargnait.  La 
vache  n'obtint  pas  cette  faveur,  et  partagea  constamment  lo 
sort  du  taureau.  La  brebis  même  était  souvent  immolée  sur 
les  autels  des  dieux ,  et  la  chèvre  laissa  toujours  cet  honneur 
au  mule  de  son  espèce.  Aux  (êtes  de  Bacchus,  célébrées 
dans  toute  la  Grèce,  c'était  par  le  sacrifice  d'un  bouc  que 
l'on  préludait  aux  chants  joyeux,  aux  mascarades  et  aux 
autres  divertissements  auxquels  on  se  livrait  aux  champs 
comme  à  la  ville ,  divertissements  qui  furent ,  comme  ou 
sait,  l'origine  très-peu  reconnaissable  de  la  tragédie.  Ce- 
pendant, la  proscription  du  bouc  ne  fut  pas  universelle;  les 
Égyptiens  s'en  abstinrent,  par  respect  pour  le  dieu  Pan ,  ses 
pieds  fourchus  et  ses  cornes.  Quelques  villes  d'Egypte  dé- 
cernèrent môme  des  hommages  à  cet  animal ,  si  universel- 
lement condamné  en  Europe,  où  on  ne  le  conservait  que 
par  nécessité. 

Dans  le  Nouveau  Testament,  Jésus-Christ  emploie  le  mot 
bouc  pour  désigner  les  réprouvés  (Matth.,  xxv,  32-33)  : 
«  Toutes  les  nations,  est-il  dit,  se  rassembleront  devant 
lui,  et  il  séparera  les  uns  d'avec  les  autres,  comme  un 
berger  sépare  les  brebis  d'avec  les  boucs  ;  il  placera  les 
brebis  à  sa  droite,  et  les  boucs  à  sa  gauche.  » 

liOUCAGE,  genre  de  la  famille  des  ombellifères ,  ainsi 
nommé  de  l'odeur  de  bouc  très-forte  qui  émane  des  racines 
et  des  semences  d'une  de  ses  espèces.  Quatre  espèces  de 
boucages  croissent  communément  en  France;  ce  sont  le 
boucage majeur  (pimpinelta  magna),  le  boucage  mineur 
(pimpinella  saxifraga),  Vanis  (pimpinetla  anisum), et 
la  pimpinella  peregrina.  Ces  espèces  coiffèrent  surtout  par 
la  grandeur  de  leurs  tiges  et  de  leurs  feuilles;  car  elles  ont 
toutes  une  racine  longue,  blanchâtre,  un  peu  fibreuse  et 
fort  piquante  au  goût.  Leurs  fouilles  radicales  sont  penna- 
tiséquées,  tandis  que  les  caidinaires  sont  très-finement  la- 
ciniées;  elles  ont  nu  goût  moins  piquant  et  moins  désagréa- 
ble que  leurs  racines.  Les  liges  sont  brancliucs,  hautes  de 


BOUCAGE  —  BOUCAN 


493 


cinquante  centimètres  dans  la  grande  espèce.  Lcnrs  fleurs, 
communément  blanchâtres  et  quelquefois  purpurines,  sonten 
ombelles;  chacune  d'elles  est  composée  de  cinq  pétales  iné- 
fiaiix ,  échancrés  et  disposés  comme  le  sont  les  fleurs  de  lis 
(les  anciennes  armes  de  France.  Leurs  semences  sont  arron- 
dies, cannelées  et  menues  comme  celles  du  persil.  Les  racines 
du  boucage  sont  fort  apéritives  et  très-diurétiques.  A  ces 
racines  sont  attachés  quelquefois  de  petits  globules  ronds 
(  dans  la  pimpinella  saxifraga  )  qui  teignent  en  rouge  comme 
le  kermès.  On  fait  avec  les  semences  du  boucage  une  huile 
essentielle,  bleue,  qui  sert  dans  quelques  contrées,  à  Franc- 
fort ,  par  exemple,  pour  teindre  l'eau-de-vie  en  cette  cou- 
leur, mais  qui  lui  communique  une  âcreté  désagréable. 

BOUCAN,  BOUCANER,  BOUCANIER.  L'histoire  de 
ces  trois  mots  présente  deux  époques.  La  première  remonte 
à  la  formation  de  notre  langue.  Dans  le  bas  latin  qui  fut  en 
usage  en  France  pendant  les  deux  premières  races  et  le  com- 
mencement de  la  troisième,  le  substantif  latin  hirctis  (  bouc) 
se  trouva  remplacé  par  le  mot  buccus,  dont  nous  avons  fait 
le  substantif  bouc.  L'antiquité,  en  donnant  la  forme  de 
demi-boucs  à  ses  satyres ,  a  consacré  ce  fait  généralement 
connu,  que  de  tous  les  animaux  les  boucs  sont  les  plus  las- 
cifs. L'odeur  qu'ils  répandent  est  forte ,  mauvaise.  Il  n'est 
donc  pas  étonnant  qu'à  l'exemple  des  Romains ,  qui  ont  fait 
de  Ivpu  lupanar,  nos  pères  aient  appelé  boiccan  un  lieu 
de  la  plus  sale  débauche.  De  là  boucaner,  c'est-à-dire 
imiter  les  boucs ,  se  livrer  à  la  lubricité ,  se  plaire  dans  la 
puanteur,  hanter  les  boucans;  et  boucanier,  homme  qui 
boucanne,  habitué  de  boucans.  En  un  mot,  depuis  la  for- 
mation de  notre  langue ,  jusques  vers  la  fin  du  quinzième 
siècle,  constamment  l'expression  boucan  signifia  un  lieu 
de  prostitution  et  de  débauche  du  plus  bas  étage,  et  bouca- 
nier un  coureur  de  mauvais  bouges  et  de  filles  de  joie.  Au 
commencement  du  seizième  siècle,  ces  mots,  remplacés  par 
d'autres  aussi  énergiques,  devinrent  beaucoup  moins  en 
usage;  bientôt  même  ils  disparurent  du  langage  habituel,  et 
ne  furent  plfTs  employés,  dans  cette  acception,  que  siu- 
quelques  points  éloignés  de  la  côte  de  Normandie  :  peut-être 
y  auraient-ils  également  cédé  la  place  aux  locutions  nou- 
velles, si,  vers  l'an  1660,  l'établissement  de  quelques  ban- 
dits dans  l'île  de  Saint-Domingue  ne  les  avait  fait  revivre 
dans  un  sens  nouveau. 

Nous  arrivons  ainsi  à  la  seconde  époque  historique  de 
ces  mots.  Il  y  avait  près  de  quarante  ans  que  les  Esi)agnols 
occupaient,  sans  être  inquiétés,  les  points  principaux  de 
l'île  de  Saint-Domingue,  quand  plusieurs  aventuriers  fran- 
çais vinrent  s'établir  sur  la  côte  septentrionale  de  celte  vaste 
possession.  D'abord  en  petit  nombre,  ils  virent  successive- 
ment accourir  vers  leurs  huttes  tous  ceux  de  leurs  compa- 
triotes de  la  Guadeloupe,  de  la  Martinique  et  de  la  Grenade, 
auxquels  la  tyrannie  de  privilèges  commerciaux  exclusifs 
enlevait  le  libre  exercice  de  leurs  bras  et  de  leur  industrie. 
Dévastes  forêts,  s'étendant  fort  loin  dans  les  terres,  cou- 
vraient tous  les  points  de  la  côte  où  ils  s'étaient  assis  ;  et 
une  grande  quantité  de  sangliers,  de  nombreux  troupeaux 
de  bœufs  sauvages,  issus  de  taureaux  et  de  vaches  domes- 
tiques portés  dans  l'île  par  les  Espagnols ,  et  que  la  négli- 
gence de  ceux-ci  avaient  laissés  échapper,  peuplaient  ces 
immenses  solitudes.  Privés  de  tout  secours  de  la  mère-patrie, 
obligés  de  pourvoir  par  eux-mêmes  aux  premiers  besoins  de 
la  vie ,  les  nouveaux  colons  cherchèrent  dans  la  chasse  leur 
nourriture  et  une  partie  de  leurs  vêtements.  Les  produits  de 
leurs  courses  devinrent  bientôt  si  abondants,  qu'ils  puient 
songer  à  faire  des  animaux  sauvages  abattus  par  eux  l'objet 
d'un  commerce  lucratif.  A  mesure  qu'un  bœuf  était  tué,  on 
l'écorchait,  on  coupait  l'animal  par  quartiers  et  l'on  trans- 
portait le  tout  à  l'habitation.  Ces  intrépides  chasseurs  occu- 
paient une  ef.pèce  de  loge  dont  l'immense  foyer  était  couvert 
par  une  claie  ou  gril  en  bois  sur  lequel  ils  rôtissaient  ou 
liimaienl  la  viande,  ou  séchaient  les  peaux.  L'épaisse  vapeur 


qui  remplissait  ces  huttes ,  l'odeur  Insupportable  qu'y  ré- 
pandait ce  mélange  de  chairs  et  de  peaux  soumis  à  l'action 
du  feu,  la  malpropreté  inhérente  à  ces  préparations  et  aux 
grossières  habitudes  de  leurs  habitants,  faisaient  de  ces  loges 
de  véritables  boucans,  dans  toute  la  vieille  acception  du 
mot  :  ce  nom  leur  resta.  On  appela  boucaner  le  modo 
qui  y  était  en  usage  pour  faire  rôtir  ou  sécher  les  viandes 
et  les  peaux  ;  et  leurs  possesseurs  prirent  ou  reçurent  le 
nom  de  boucaniers. 

L'équipage  de  chasse  des  boucaniers  consistait  :  en  une 
meute  de  vingt-cinq  à  trente  chiens ,  parmi  lesquels  se  trou- 
vaient toujours  un  ou  deux  veneurs  chargés  de  découvrir 
et  de  lancer  le  gibier  ;  en  un  fusil  excellent ,  long  de  1",  60, 
portant  des  balles  de  30  grammes  et  fabriqué  à  Dieppe  ou  à 
Nantes;  et  en  7  à  10  kilogrammes  detrès-bonne  poudre,  qu'ils 
faisaient  venir  de  Cherbourg,  et  qu'ils  plaçaient  dans  des 
calebasses  bouchées  avec  de  la  cire.  Leur  habillement  se 
composait  :  de  deux  chemises,  d'une  casaque  et  d'un  haut- 
de-chausses  de  grosse  toile,  d'un  cul  de  chapeau  en  feutre  ou 
d'une  calotte  de  drap  ayant  un  rebord  sur  le  devant,  et  de 
souliers  en  peau  de  sanglier,  de  bœuf  ou  de  vache  ;  la  jambe 
restait  nue,  et  ils  avaient  pour  ceinture  une  mauvaise  cour- 
roie où  pendait  un  sabre  très-court  et  quelques  couteaux. 
Comme  leurs  courses  duraient  souvent  plusieurs  jours,  ils 
portaient  en  outre,  roulée  autour  d'eux  en  bandoulière ,  une 
petite  tente  de  toile  très-fine ,  destinée  à  les  protéger  pen- 
dant la  nuit  contre  les  moucherons  et  les  brouillards  hu- 
mides des  forêts.  Tous  avaient  le  même  équipage  et  la  même 
manière  de  vivre.  Isolés  dans  la  nouvelle  patrie  qu'ils  s'é- 
taient créée,  sans  femmes,  sans  enfants,  ils  s'associaient 
deux  à  deux  pour  se  rendre  les  services  qu'on  reçoit  dans 
une  famille;  il  y  avait  communauté  de  biens  entre  les  as- 
sociés, et  l'un  mort,  tout  ce  qu'il  possédait  devenait  la 
propriété  de  son  compagnon.  Les  loges  restaient  ouvertes 
à  tous  venants;  et  cependant  jamais  aucun  larciu  n'était 
commis.  Ce  qu'on  n'avait  pas  chez  soi,  on  allait  le  prendre 
chez  le  voisin,  sans  autre  obligation  que  de  prévenir  ce 
dernier  lorsqu'il  était  là  ou  de  l'avertir  après  coup  quand 
il  n'y  était  pas.  Les  querelles  étaient  rares  et  facilement 
terminées  ;  lorsque  les  parties  y  mettaient  de  l'opiniâtrcfé, 
elles  vidaient  le  différend  à  coups  de  fusil.  Si  une  des  balles 
avait  frappe  par  derrière  ou  trop  de  côté,  les  témoins  pro- 
nonçaient qu'il  y  avait  perfidie,  et  cassaient  immédiatement 
la  tête  à  l'auteur  de  l'assassinat.  Ils  ne  connaissaient  pas 
le  pain  :  toute  leur  nourriture  consistait  en  viande  grillée, 
qu'ils  assaisonnaient  avec  un  peu  de  piment  et  du  jus  de 
citron;  l'eau  était  leur  seule  boisson.  L'occupation  d'un  jour 
était  celle  de  toute  l'année. 

Quand  ils  avaient  rassemblé  le  nombre  de  cuirs  ou  la 
quantité  de  viande  fumée  qu'ils  voulaient  livrer  aux  navires 
des  différentes  nations  qui  fréquentaient  ces  mers,  ils  al- 
laient les  vendre  dans  quelques-unes  des  rades  de  la  côte. 
Cette  cargaison  y  était  portée  par  des  engagés,  espèce 
d'hommes  qui ,  séduits  par  tout  ce  qu'on  leur  racontait  des 
richesses  de  l'Amérique ,  consentaient  à  échanger  trois  ans 
de  leur  liberté  contre  l'espérance  de  revenir  chargés  d'or  et 
de  diamants.  Malheur  à  ceux  qui  tombaient  entre  les  mains 
des  boucaniers!  Les  rêves  brillants  des  pauvres  diables 
étaient  bientôt  évanouis  ;  ils  s'étaient  vendus ,  convaincus 
qu'ils  allaient  saisir  la  fortune  ;  ils  ne  trouvaient  que  l'es- 
clavage le  plus  rude.  Un  de  ces  maliieureux ,  dont  le  maî- 
tre choisissait  toujours  le  dimanche  pour  principal  jour  de 
corvée,  ose  lui  représenter  que  Dieu  a  proscrit  cet  usuge 
en  disant  :  Tu  travailleras  six  jours,  et  te  reposeras  le 
septième!  Et  moi,  répond  le  boucanier,  je  dis  :  Six  jours 
tu  tueras  des  taureaux  et  les  écorcheras!  et  le  septième 
tu  en  porteras  les  peaux  au  bord  de  la  mer!  Cette  seii- 
tence  fut  accompagnée  d'un  déluge  de  coups  de  bâton. 

La  colonie  espagnole,  d'abord  considérable,  s'otait  ré- 
duite à  rien.  Le  peu  d'habitants  qui  y  étaient  restés,  p.is- 


491 

fiaient  leurs  nuits  à  jouer  et  leurs  jours  à  se  faire  bercer 
dans  des  lianiacs  par  leurs  esclaves.  LonRtemps,  l'existence 
des  boucaniers  fui  pour  eux  un  voisinage  ignoré.  Mais 
lorsque  ces  aventuriers  vinrent  pousser  leurs  courses  jus- 
que dans  les  prairies  et  dans  les  cours  des  maisons  des 
léthargiques  habitants  de  Santo-Domingo,  ceux-ci  se  ré- 
veillèrent; ils  appelèrent  du  continent  et  des  îles  voisines 
.i'assez  nombreux  corps  de  troupes,  qui  firent  aux  bou- 
caniers une  chasse  rude  et  meurtrière  :  obligés  .de  se 
séparer  pendant  le  jour,  les  boucaniers  se  rassemblaient 
chaque  soir  pour  veiller  à  la  sûreté  commune.  Si  quelqu'un 
manquait,  on  concluait  qu'il  avait  été  pris  ou  tué;  et  les 
chasses  étaient  suspendues  jusqu'à  ce  qu'on  l'eût  retrouvé 
ou  que  sa  mort  eût  été  vengée  par  le  massacre  de  plusieurs 
ennemis. 

Cette  lutte  aurait  sans  doute  fini  par  devenir  faille  aux  Es- 
pagnols, si,  désespérant  de  vaincre  des  adversaires  aussi 
aciiarnés,  il?  ne  s'étaient  avisés  de  mettre  fin  à  la  dispute  en 
détruisant  l'objet  qui  l'avait  fait  naître.  Au  lieu  de  chasser 
aux  boucaniers,  ils  chassèrent  aux  bœufs,  et,  à  force  de 
battues  générales  bien  dirigées,  ils  parvinrent  à  anéontir  ces 
animaux  jusqu'au  dernier.  Les  boucaniers  se  virent  alors 
réduits  à  former  des  habitations  et  à  les  cultiver.  La  France 
avait  jusque  alors  désavoué  ces  intrépides  chasseurs  ;  mais 
quand  elle  les  vit  élever  des  établissements  de  quelque  fixité, 
elle  leur  envoya,  en  16G5,  un  gouverneur  intègre  et  intel- 
ligent, ainsi  que  toute  une  cargaison  de  ces  (èmmes  que  la 
police  ramasse  dans  les  carrefours  et  au  coin  des  rues  :  ce 
singulier  chargement  fut  distribué  entre  les  nouveaux  colons. 
Je  ne  vous  demande  pas  compte  dupasse,  disait  chaque 
boucanier  à  celle  que  le  sort  lui  donnait;  vous  n^étiez  pas 
à  moi.  Mais  aujourd'hui  que  vous  m'appartenez,  il  me 
faut  répondre  de  l'avenir  :  je  vous  quitte  du  reste.  Puis, 
frappant  de  la  main  sur  le  canon  de  son  fusil,  il  ajoutait  : 
Si  vous  me  manquez,  il  ne  vous  manquera  pas.  Ce  mé- 
lange des  deux  sexes  mit  fin  à  l'existence  des  boucaniers; 
ils  devinrent  colons.  Cette  nouvelle  vie  trouva  toutefois  quel- 
ques opposants,  qui  allèrent  chercher  dans  la  petite  île  de  la 
Tortue  une  existence  plus  conforme  à  leur  caractère  et  à 
leurs  habitudes.  Cette  île  voyait  alors  se  rassembler  dans  ses 
nombreuses  criques  le  noyau  de  ces  autres  aventuriers  si 
fiimeux  et  si  connus  sous  Xenomde flibustiers. 

Nous  avons  vu  les  trois  vieux  mots  français  JoucaH,  bou- 
caner, boucanier  cesser  d'être  en  usage  chez  nous  vers 
la  fin  du  seizième  siècle.  Importés  en  Amérique  au  com- 
mencement du  dix-septième,  par  des  aventuriers  normands, 
ils  furent  réimportés  en  France  vers  l'an  1650  avec  le  sens 
qu'on  leur  donne  aujourd'hui.  Dans  son  acception  actuelle, 
boucan  ne  s'emploie  guère  cependant  au  figuré  ;  on  s'en 
sert  toutefois  dans  le  langage  familier  pour  exprimer  du 
bruit,  du  tapage,  du  tumulte  :  c'est  un  boucan  à  ne  pus 
s'entendre;  faire  du  boucan.  Dans  le  sens  propre,  boucan 
est  le  lieu  où  les  chasseurs  du  Nouveau-Monde  font  fumer 
leur  viande;  le  gril  de  bois  sur  lequel  ils  la  posent  pour  la 
faire  sécher;  le  bâti  en  claie,  et  rempli  de  fumée,  qui  sert 
à  préparer  la  cassave.  Boucaner,  c'est  faire  sécher  de  la 
viande  ou  du  poisson  à  la  fumée;  c'est  aller  à  la  chasse  des 
bœufs  sauvages  ;  boucaner  de  la  cassave,  c'est  la  faire  sé- 
cher à  la  fumée;  boucaner  des  cuirs ,  c'est  les  préparer 
conune  le  faisaient  les  boucaniers;  enfin  le  boucanier  est 
celui  qui  va  à  la  chasse  des  boMifs  sauvages.  Nous  ne  con- 
naissons pas  cependant  aujourd'hui  de  boucaniers  réunis 
en  corps,  en  société;  il  n'y  a  plus  que  des  boucaniers  iso- 
lés, opérant  pour  leiu-  propre  compte. 

Achille  RE  Vaui.abelle,  anc.  miiilstrc  de  l'instr.  publ. 

BOUC  ÉMISSAIRE  (en  hébreu  bazazel,  de  haz, 
bouc,  et  d'azcl,  qui  s'en  va).  A  la  fôte  de  l'Expiation  so- 
lennelle, qui  avait  lieu  le  10  du  mois  tizri,  où  commençait 
l'année civiledes  Juifs,  le  grand  prêtre,  sanséphod,  sans  ra- 
lional ,  remplaçant  par  une  simple  robe  de  lin  sa  robe  ma- 


BOUCAN  —  LOUCHARDON 

gnifique  couleur  d'hyacinthe ,  recevait  des  mains  des  princes 
du  peuple  deux  boucs  p^iir  le  péché.  L'un  de  ces  boucs 
devait  être  immolé,  l'autre  mis  en  .iherté;  c'était  le  sort 
qui  en  décidait:  Hazazel,  le  bouc  libre,  \ebouc  émissaire, 
chargé  d'imprécations  et  des  péchés  d'Israël ,  à  la  porte  du 
tabernacle,  était  traîné  dans  le  désert  par  un  homme  qui  l'a- 
bandonnait au  milieu  des  précipices ,  ou  qui ,  selon  d'autres , 
l'y  jetait  avec  violence.  A  son  retour,  comme  souillé  du 
contact  de  l'animal,  cet  homme  se  purifiait.  Les  paiensaussi, 
dans  les  calamités ,  détournaient  la  colère  de  leurs  dieux 
sur  des  animaux  et  même  sur  des  hommes.  Les  Marseillais, 
au  rapport  de  Pétrone ,  précipitaient  du  haut  des  roches 
des  créatures  humaines  ;  elles  Égyptiens,  selon  Hérodote, 
ayant  chargé  d'anathèmes  et  de  malédictions  la  tête  de  cer- 
tains animaux ,  après  l'avoir  coupée ,  la  jetaient  avec  hor- 
reur dans  la  mer. 

Chez  nos  peuples  civilisés  on  appelle,  au  figuré,  bouc 
émissaire  un  malheureux,  le  plus  souvent  homme  vertueux, 
mais  simple,  que  des  sycophanles  accusent  de  tous  leurs 
torts  et  qu'ils  sacrifient.  Denne-Baron. 

BOUCIIARDON  (Edme),  l'un  des  statuaires  de  cette 
École  française  du  dix-huitième  siècle  dont  les  œuvres  ne 
sont  ni  sans  mérite  ni  sans  grâce,  naquit  en  1C98,  à  Chau- 
mont  en  Bassigni ,  d'un  père  qui  y  exerçait  la  profession 
d'architecte,  et  avait  commencé  par  être  sculpteur.  De 
bonne  heure  le  jeune  lîouchardon  s'appliqua ,  sous  la  di- 
rection de  son  père ,  à  l'étude  du  dessin.  Il  peignit  et  modela 
tout  d'abord  d'après  nature,  ce  qui  est  une  excellente  ma- 
nière pour  s'initier  profondément  aux  secrets  de  l'art,  et 
pour  apprendre  à  en  surmonter  expérimentalement  les  diffi- 
cultés. Aussi  ne  tarda-t-il  pas  à  s'en  rendre  les  procédés  fa- 
mihers.  Ses  progrès  en  sculpture  fuient  rapides,  et  tels  que 
sa  famille  en  conçut  les  plus  grandes  espérances  et  l'envoya 
se  perfectionner  à  Paris.  Il  y  étudia  d'abord  sous  Coustou 
jeune,  qui  tenait  une  école  de  sculpture  en  grand  honneur 
à  cette  époque.  En  peu  de  temps  il  se  mit  en  état  de  rem- 
porter le  grand  prix,  qui  valait  aux  vainqueurs,  alors 
comme  aujourd'hui ,  d'être  envoyés  à  Rome  aux  frais  du 
gouvernement.  Ce  fut,  selon  toute  apparence ,  vers  1727 
qu'il  s'y  rendit.  Là,  ses  premières  études  portèrent  princi- 
palement sur  les  précieux  restes  d'art  et  sur  les  chels- 
d'œuvre  qui  abondent  dans  cette  métropole  de  la  chrétienté. 
Il  se  fortifia  de  la  sorte,  et  se  mûrit  pour  la  sculpture,  sur 
laquelle  il  fondait  avec  raison  tout  l'espoir  de  sa  gloire  et  de 
sa  fortune.  Déjà  plusieurs  œuvres  remarquables  témoignaient 
avec  éclat  de  son  talent,  notamment  les  bustes  du  pape 
Clément  XII  et  celui  de  la  femme  de  \\leughcls,  directeur 
de  l'Académie  de  France  à  Rome ,  d'une  expression  gra- 
cieuse et  franche.  Un  ouvrage  de  plus  d'importance  allait 
lui  être  confié,  lorsqu'il  fut  rappelé  à  Paris  dans  le  courant 
de  1732. 

Dès  son  arrivée  il  fut  chargé,  pour  Versailles,  Gros-Bois 
et  autres  résidences,  de  nombreux  ouvrages,  qui  tous  lui 
firent  honneur,  malgré  la  hâte  qu'il  mettait  à  les  exécuter. 
Bouchanlon  jicupla  ainsi  nos  jardins  publics  et  plusieurs 
parcs  privilégiés  d'innombrables  statues  mythologiques  ou 
allégoriques  d'un  goût  un  peu  bûtard ,  mais  fort  recom- 
mandables  parles  détails  et  le  modelé,  et  sous  ce  rapport 
di,!!;nes  encore  de  l'attention  et  de  l'étude  des  artistes.  En 
17:10,  Chaulfournier,  dessinateur  de  l'Académie  des  Belles- 
Lettres,  mourut;  Bouchardon  fut  appelé  à  lui  succéder.  Il 
était  très-versé  dans  la  connaissance  des  pierres  antiques,  et 
il  fit  en  1750  les  dessins  d'un  traité  des  pierres  gravées, 
publié  cette  même  année.  Il  avait  été  reçu  membre  de  l'A- 
cadémie de  Peinture  dès  1744. 

Bouchardon  exagérait  l'expression  et  la  grâce  dans  le 
marbre,  ve  qui  le  fraisait  souvent  tomber  dans  la  roideur  et 
l'afféterie.  En  général ,  ses  sculptures  ne  sont  pas  exemples 
de  manière.  Son  dessin  est  pur,  agréable,  correct,  mais  il 
manque  de  naïveté;  il  n'est  pas  assez  nature,  pour  nous 


BOUCHARDON  - 

seniid'une  expression  fort  usitée  dans  les  ateliers.  Ses  formes 
d'ordinaire  sont  rondes  et  grasses,  et  trahissent  un  air  de  fa- 
mille trop  prononcé  dans  tout  ce  qui  est  sorti  de  ses  mains. 

La  fontaine  de  la  rue  de  Grenelle-Saint-Germain,  due 
tout  entière  à  Bouchardon  ,  qui  en  traça  le  plan  et  en  exé- 
cuta lui-même  toutes  les  parties ,  est  son  chef-d'œuvre.  Elle 
est  d'un  goût  un  peu  lourd  peut-être  ;  mais  les  marbres 
principaux  en  sont  bons,  et  les  détails  travaillés  avec  le  plus 
grand  soin.  Ce  sculpteur  mourut  à  Paris,  le  27  juillet  1762. 

Charles  Romey. 

BOUCHE,  mot  formé  du  latin  bucca,  qui  signifie  sim- 
plement la  cavité  des  joues,  quand  on  les  enfle  pour  sonner 
la  trompetle. 

La  bouche  de  l'homme  présente  une  organisation  très- 
complexe.  Des  pièces  osseuses  forment  une  enceinte  com- 
plétée en  bas  et  sur  les  côtés  par  des  masses  charnues  ou 
muscles  destinés  à  les  mouvoir.  La  conformation  des  mâ- 
choires est  disposée  merveilleusement  :  l°pour  circons- 
crire un  espace  où  se  trouve  la  langue;  2°  pour  recevoir 
par  implantation  trois  sortes  dedents;  3"  pour  être  inscrite 
dans  les  cavités  que  forment  sur  les  côtés  les  joues,  en 
avant  les  lèvres  et  les  parties  molles  du  menton,  en  des- 
sous les  téguments  sous-mentomiiers.  La  peau  extérieure 
revêt  ainsi  les  parois  charnues  et  solides  de  la  bouche.  La 
cavité  buccale  est  en  outre  tapissée ,  tant  en  dedans  qu'en 
dehors  des  arcades  dentaires ,  par  une  peau  interne  rouge. 
Cette  membrane  cutanée  buccale  se  modifie  dans  ses  por- 
tions qui  revêtent  le  palais,  la  langue,  et  dans  celle  qui 
entoure  les  arcades  dentaires  (  voyez  Gencives  ).  Un  repli 
de  cette  peau  interne  forme  le  frein  de  la  langue.  La  salive 
est  fournie  abondamment  pendant  la  mastication  par  six 
glandes ,  trois  de  chaque  côté.  La  cavité  buccale  commu- 
nique avec  le  pharynx,  par  une  grande  ouverture,  dont 
le  contour  est  formé  en  bas  par  la  racine  de  la  langue,  et  en 
haut  par  une  partie  mobile  dite  voile  dic  palais ,  et  offrant 
sur  chaque  côté  deux  plis  nommé?, piliers  du  voile,  entre 
lesquels  sont  placées  les  amygdales.  Des  vaisseaux  san- 
guins,  artériels  et  veineux,  des  lymphatiques,  des  nerfs 
nombreux  et  considérables ,  vivifient  toutes  les  parties  de 
la  bouche. 

Dans  les  animaux  supérieurs ,  la  bouche  est  le  plus  sou- 
vent située  à  l'extrémité  antérieure  de  la  tête ,  dans  la  por- 
tion inférieure  ou  antérieure  de  la  face.  A  son  plus  liant 
degré  d'organisation,  elle  présente  six  parois,  savoir  : 
une  inférieure,  qui  en  forme  le  plancher  :  c'est  la  paroi  lin- 
guale; une  supérieure,  qui  en  est  la  voûte  ou  le  plafond: 
c'est  le  palais  ou  paroi  palatine,  dont  une  portion  est  fixe 
et  solide;  l'autre,  molle,  plus  ou  moins  mobile,  se  nomme 
voile  du  palais  ou  valvule  des  arrière-narines  ;  deux  pa- 
rois latérales,  formées  par  les  côtés  des  màclioires,  la  partie 
postérieure  des  arcades  dentaires  et  les  parties  molles  des 
joues.  Les  glandes  parotides  versent  leur  fluide  salivaire 
sur  cette  paroi,  tandis  que  les  canaux  excréteurs  des  glandes 
sublinguale  et  maxillaire  s'ouvrent  dans  la  région  inférieure. 
Ce  qu'on  nomme  la  paroi  postérieure  de  la  bouche  est  l'ou- 
verture de  cette  cavité  qui  conduit  au  pharynx  ;  on  la  dé- 
signe sous  le  nom  d'arrière-bouche  ;  elle  est  opposée  à  la 
paroi  antérieure  foi-mée  par  la  partie  antérieure  des  os 
maxillaires,  les  rangées  dentaires  incisives  et  canines,  et  les 
lèvres.  L'écartement  des  mâchoires  et  des  lèvres  forme  dans 
cette  paroi  l'ouverture  antérieure  ou  avant-bouche.  Parmi 
les  fonctions  nombreuses  qu'elle  exécute,  celles  auxquelles 
elle  est  plus  spécialement  affectée,  et  dont  le  siège  n'est 
jamais  dans  une  autre  partie  de  l'organisme,  sont  la  sensa- 
tion des  saveurs,  la  mastication,  rinsalivation,lal'ormation 
du  bol  alimentaire  et  le  commencement  de  la  déglutition.  La 
bouclie  étant  destinée  à  recevoir  l'impression  faite  sur  la 
peau  buccale  par  les  corps  sapides,  peut  même  être  consi- 
dérée comme  l'appareil  de  la  gustation.  A  ce  titre,  elle  fait 
paiîio  de  l'appareil  des  sensations  externes;  mais,  en  raison 


BOUCHE  DU  ROI 


495 


de  la  connexion  de  ses  fonctions  avec  celles  du  canal  di- 
gestif, elle  appartient  aussi  plus  intimement  à  l'appareil  de» 
voies  alimentaires. 

La  bouche,  étant  intérieurement  tapissée  d'une  muqueuse, 
est  exposée  à  des  ulcérations  qui  peuvent  être  occasionnées 
par  une  simple  inflammation  locale,  par  la  maladie  véné- 
rienne, par  l'usage  du  mercure,  et  par  le  vice  scorbutique. 
Quant  à  ces  petites  ulcérations  superficielles  se  présen- 
tant sous  la  forme  de  points  blanchâtres  arrondis ,  répandus 
çà  et  là,  elles  ont  reçu  le  nom  particulier  d''aphthes. 
Enfin  la  bouche  est  encore  sujette  à  une  inflammation  gé- 
nérale appelée  stomatite,  dont  le  millet,  blanchet  ou 
muguet,  qui  attaque  si  souvent  les  enfants,  n'est  qu'un 
cas  particulier. 

Si  les  bornes  dans  lesquelles  nous  devons  nous  renfermer 
nous  permettaient  d'examiner  l'organisation  de  la  bouche 
depuis  les  mammifères  les  plus  rapprochés  de  l'espèce  hu- 
maine jusqu'à  l'éponge,  limite  inférieure  du  règne  animal, 
nous  constaterions  facilement  la  simplification  progressive  de 
la  composition  organique  de  cette  partie.  Nous  verrions  cet 
organe ,  toujours  approprié  au  genre  de  nourriture  qui  con- 
vient à  l'animal  çt  au  milieu  dans  lequel  il  vit,  se  di'grader 
dans  la  première  classe  des  vertébrés,  tout  en  conservant  ses 
caractères  distinctifs,  excepté  dans  l'ornilhorhynque, 
qui  sous  ce  rapport  sert  de  transition  entre  les  mammifères 
et  les  oiseaux.  Du  bec  de  ces  derniers  nous  passerions  à  l'ap- 
pareil buccal  des  deux  autres  classes  de  vertébrés ,  et  enfin, 
descendant  toujours  l'échelle  animale,  nous  pourrions  cons- 
tater au  dernier  degré  l'absence  de  tout  organe  comparable 
à  une  bouche.  Mais  ce  travail  exigerait  des  descriptions  qui 
trouveront  leur  place  dans  les  articles  relatifs  aux  classes, 
aux  ordres  et  aux  familles  d'animaux.  Remarquons  seule- 
ment que  dans  la  marche  descendante  que  nous  venons 
d'indiquer  la  bouche  remplit  des  fonctions  de  moins  en  moins 
importantes.  Sous  ce  point  de  vue  les  mammifères  occupent 
toujours  le  premier  rang  ;  mais  c'est  chez  l'homme  que  la 
bouche  est  appelée  à  remplir  les  plus  hautes  fonctions ,  en 
concourant  à  l'émission  des  sons  dont  l'ensemble  constitue 
la  parole.  Chez  les  oiseaux ,  c'est  à  peine  si  elle  sert  à  la 
mastication  et  à  l'insalivation  :  les  perroquets  seuls  triturent 
et  goûtent  leurs  aliments.  Dans  une  partie  des  reptiles  le 
voile  du  palais  disparaît,  et  les  fonctions  respiratoires  of- 
frent de  grandes  modifications  {voyez  Branchie).  Chez  les 
poissons ,  la  bouche ,  complètement  dégradée  sous  le  rap- 
port du  goût,  montre  une  langue  presque  réduite  à  sa  base 
osseuse,  c'est-à-dire  à  la  pièce  linguale  de  l'os  hyoïde,  etc. ,  etc 
Arrivant  au  bas  de  l'échelle  animale,  nous  trouvons  des 
animaux  chez  qui  la  bouche  n'est  plus  que  l'orifice  du  canal 
digestif  commençant  par  l'œsophage ,  dans  lequel  sont  im- 
luediatement  introduits  les  aliments.  Enfin,  dans  les  éponges, 
d'après  les  recherches  de  Grant,  l'absence  du  canal  intestinal 
entraîne  aussi  celle  de  la  bouche ,  qui  est  remplacée  par  des 
pores  nombreux. 

Le  mot  bouche  donne  naissance  au  figuré  à  une  multi- 
tude d'acceptions  qui  n'ont  pas  besoin  d'être  expliquées.  Tout 
le  monde  sait  ce  qu'on  entend ,  dans  les  armées  de  terre  et 
de  mer,  par  les  bouches  à  nourrir,  par  les  provisions  de 
bouche,  et  chez  les  rois,  par  le  service  de  la  bouche,  ou 
simplement  par  la  bouche  de  sa  majesté,  et  par  les  officiers 
de  bouche.  Autant  on  fuit  l'homme  mal  embouché,  autant 
on  recherche  le  cheval  qui  a  la  bouche  fine.  On  ferme  la 
bouche  à  un  médisant;  on  est  à  bouche  que  veux-tu  avec 
un  gai  convive.  Mais  on  a  tort,  dans  un  fin  repas,  de  garder 
tout  ce  qu'il  y  a  de  meilleur  pour  la  bonne  bouche,  et  de 
faire  la  petite  bouche  devant  des  plats  ou  des  vins  qui  font 
venir  Yeau  à  la  bouche.  Le  proverbe  latin  Occidit  plus 
gula  qïiàm  gladius  (La  bouche  a  tué  plus  d'hommes  que 
l'epée)  est  une  vérité  qui  se  confirme  tous  les  jours. 

BOUCHE  DU  ROI.  On  appelait  ainsi  autrefois  en  Franc-e 
les  divers  offices  préposés  au  service  alimentaire  du  roi.  Ces 


496 


BOUCHE  DU  ROI 


offices  étaient  au  nombre  de  sept  :  1°  l'écliansonnerie-bou- 
clie  ou  gobelet  ;  2°  la  cuisine-bouche  ;  3"  la  paneterie-bouclie  ; 
4"  l'échansonnerie  du  commun;  5"  la  cuisine  du  commun  ; 
(;"  la  paneterie  du  commun;  7»  la  fruiterie,  puis  enfin,  sui- 
vant quelques  auteurs,  la  fourrière,  c'est-à-dire  la  fourni- 
ture du  bois.  Après  le  grand  maître,  chef  souverain,  le 
grand  échanson  ou  bouteiller,  le  grand  panetier  et  le 
grand  écuycr-tranciiantétaientà  la  tête  de  cette  milice 
domestique.  Mais  les  privilèges  attachés  à  leurs  charges 
avaient  été  successivement  abolis  par  la  politique  des  prin- 
ces, qui  les  avaient  réduites  à  n'être  plus  que  des  fonctions 
purement  nominales. 

11  serait  historiquement  impossible  d'assigner  Irpoque 
précise  de  l'érection  de  tous  ces  offices ,  qui  varièrent  d'ail- 
leurs à  chaque  règne.  Si  l'on  remonte  jusqu'à  Charlemagne, 
on  voit,  que,  malgré  sa  puissance  et  l'étendue  de  ses 
États ,  il  vivait  simplement  dans  son  intérieur.  Les  femmes 
de  sa  maison  filaient  ses  habits  ;  et  il  se  nourrissait  des  fruits 
de  son  jardin  ,  dont  il  taisait  vendre  le  superflu ,  ce  qui  per- 
met de  supposer  que  ses  repas  n'étaient  guère  plus  re- 
cherchés que  ses  vêtements.  Quand  la  féodalité  eut  détrôné 
ses  successeurs,  les  rois  de  France,  choisis  par  leurs  égaux, 
n'étaient  i)as  assez  riches  pour  soutenir  les  frais  d'une  cour; 
mais  à  mesure  que  tour  pouvoir  s'agrandit ,  ils  s'environ- 
nèrent d'un  faste  en  rapport  avec  leur  haute  dignité.  Au 
temps  de  saint  Louis,  dans  les  jours  de  solennité,  les  plus 
grands  seigneurs  du  royaume  remplissaient  les  fonctions 
d'cchanson  et  d'écuyer.  «  A  la  cour  plénièrc  tenue  à  Sau- 
mur,  dit  Joinville,  en  son  vieux  langage,  devant  la  table  li 
roy,  endroit  (vis-à-vis)  li  comte  de  Drevez  (  Dreux  ) ,  man- 
geait monseigneur  li  roy  de  Navarre,  et  jetranchoie  devant 
li.  Devant  li  roy  servoit  du  mangier  le  comte  d'Artois ,  son 
frère;  devant  li  roy  tranchoit  du  coutel  li  bon  comte  Jehan 
de  Soissons.  » 

Il  est  probable  que  dès  lors  des  officiers  inférieurs  s'ac- 
(piittaient  journellement  des  mêmes  (onctions ,  puisque 
Philippe  le  Bel,  dans  une  ordonnance  datée  de  1285,  nous 
apprend  que  le  personnel  de  sa  cuisine  se  composait  de  cinq 
queux  (cuisiniers),  quatre  iiasteurs  (rôtisseurs),  quatre 
pages,  deux  soudleurs,  quatre  enfants  (marmitons  ),  deux 
sauciers,  un  poulailler  (officier  pour  la  volaille) ,  sept  frui- 
tiers ,  et  trois  valets  pour  la  chandelle.  Les  successeurs  de 
Pliilii)pe  le  Bel  maintinrent  leur  cuisine  à  peu  près  dans  le 
môiue  état  jusqu'à  Charles  V ,  qui  étala  une  magnificence 
vraiment  royale.  Possesseur  tranquille  du  royaume,  il  s'oc- 
cupa de  régler  ce  qui  concernait  le  service  de  sa  personne  , 
acheta  pour  son  usage  une  immense  vaisselle  d'or,  d'argent, 
de  vermeil ,  et  s'entoura  d'un  grand  nombre  d'officiers  de 
bouche. 

Louis  XI,  roi  roturier,  méprisait  le  faste  par  goût  et  par 
l)olitique.  Négligeant  sa  table  comme  ses  habits,  il  allait 
manger  sans  façon  chez  les  riches  bourgeois  de  sa  capitale; 
on  vivait  chez  lui  frugalement.  Parvenu  au  trône  à  vingt  ans, 
iMançois  \"  se  livra  à  son  amour  de  l'éclat ,  de  la  magni- 
ficence ,  et  surpassa  ses  prédécesseurs  dans  le  luxe  et  la  dé- 
licatesse de  la  table;  ses  grands  officiers,  ses  gentils-hommes 
servants  et  jusqu'à  ses  valets  de  chambre  ,  avaient  chacun 
sa  table  défrayée  par  le  prince.  Mais  Charles  IX  et  Henri  111 
firent,  dit  Brantôme,  sur  leurs  maisons  et  mangeailles 
beaucoup  de  retranchements  ;  c'était  par  boutade  qu'on 
y  faisait  bonne  chère,  car  le  plus  souvent  la  marmite  se 
renversait.  Au  milieu  des  orages  de  son  règne,  Henri  IV 
n'eut  pas  le  temps  de  i)enserà  sa  cuisine,  et  vécut  trop  i)eu 
après  son  triomphe  pour  restaurer  autre  chose  que  son 
royaume.  La  régence  de  sa  veuve,  troublée  i)ar  raiid)ilion 
des  grands,  soulevés  contre  un  indigne  favori,  puis  l'Iiumeur 
triste  de  Louis  XIII,  empêchèrent  la  cour  de  reprendre  sa 
splendeur.  Anne  d'Autriche ,  établie  au  Palais  Cardinal,  ne 
put,  à  travers  les  dilapidations  de  Jlazarin,  les  exigences 
des  courtisans,  les  sédilicns  de  la  Fronde ,  songer  à  d'autre 


soin  qu'à  défendre  son  autorité.  A  cette  époque  orageuse,  le 
service  auprès  de  sa  personne  était  fait  avec  si  peu  de  lar- 
gesse et  de  cérémonie,  que  les  dames,  au  dire  de  l'une  d'elles, 
M"'*  de  Motteville,  soupaicnt  le  plus  souvent  des  reliefs 
de  Sa  Majesté,  et  s'essuyaient  la  bouche  et  les  mains  avec  sa 
serviette. 

Lorsque  enfin  le  calme  eut  succédé  à  la  tourmente,  Anne 
d'Autriche  s'occupa  de  réorganiser  l'entourage  de  la  royauté. 
Un  règlement,  en  date  de  l'année  1652,  fixa  le  nombre  et  les 
devoirs  des  officiers  attachés  au  service  immédiat  du  jeune 
roi.  Douze  maîtres  d'hôtel  ordinaires  se  succédaient  par 
quartier,  ayant  sons  leurs  ordres  les  officiers  infériems  de 
la  bouche  ;  ce  qui  n'empêchait  pas  que  l'on  ne  comptât  en- 
core jusqu'à  cent  soixante-dix  maîtres  d'hôtel  tous  gagés, 
sans  en  mentionner  un  nombre  infini  d'autres  non  gagés, 
entre  lesquels  le  grand  maître  avait  le  droit  de  choisir  (jui 
bon  lui  semblait.  C'en  était  assez  pour  autoriser  ceux  qui 
avaient  été  ainsi  désignés,  à  prendre  le  titre  de  maître  d'hô- 
tel ,  à  faire  appeler  leurs  femmes ,  madame,  et  à  se  glisser 
dans  les  rangs  de  la  noblesse. 

Dès  qu'il  régna  par  lui-même,  Louis  XIV,  qui  faisait 
entrer  dans  sa  politique  son  goiU  pour  la  représentation , 
créa  Versailles,  où  il  s'entoura  d'un  domestique  encore  plus 
nombreux ,  dont  il  régla  les  fonctions  par  une  ordonnance 
en  41  articles,  «jui  fut  dressée  par  Colbert.  On  y  prescrit 
aux  officiers  de  l'échansonnerie-bouche  d'aller  en  personne 
quérir  l'eau  pour  l'usage  de  sa  majesté  et  prendre  le  vin  à 
la  cave  des  marchands.  On  y  règle  qui  doit  en  l'absence  du 
grand  maîfre  donner  la  serviette  au  roi,  quand  il  se  met  à 
table  ;  quel  cérémonial  doit  être  obsen'é  quand  on  apporte 
le  couvert  et  la  viande,  précédés  de  l'huissier  de  service, 
des  officiers  du  gobelet  et  escortés  des  gardes  du  corps  ;  quel 
officier  a  le  droit  de  servir  sa  majesté  lorsqu'elle  demande 
à  boire  étant  au  conseil ,  lorsqu'elle  prend  son  bouillon  le 
matin ,  lorsqu'elle  rend  le  pain  bénit  à  sa  paroisse  ou  avale 
une  médecine.  Toutefois,  en  comparant  la  maison  de 
Louis  XIV  avec  celle  de  Charles  V ,  on  est  fort  surpris  de 
reconnaître  que  la  cuisine  de  ce  dernier  était  plus  complète 
que  celle  de  son  glorieux  successeur,  où  l'on  ne  trouve  point 
de  sauciers,  chargés  spécialement  de  cette  partie  si  impor- 
tante de  l'art  culinaire. 

Quand  la  première  république  eut  détrôné  la  royauté,  la 
bouche  du  prince  fut  supprimée  en  même  temps  que  sa  cou- 
ronne, mais  ce  ne  lut  pas  pour  longtemps.  Dans  les  communs 
du  Luxembourg,  vous  eussiez  trouvé,  il  y  a  cinquante-six  ans, 
entre  quatre  et  cinq  heures  de  l'après-midi,  trente  artistes  a 
la  coquette. veste  blanche,  à  l'ambitieux  bonnet  de  coton, 
fonctionnant  intrépidementdevant  d'interminables  fourneaux 
sur  lesquels  on  apercevait  quatre  cents  casseroles  en  activité 
de  service.  Ils  préparaient  le /rwr/fi/  dîner  du. . .  Directoire! 
Venu  modestement  en  fiacre  aux  Tuileries  avec  ses  deux 
collègues,  l'un  des  consuls  délogea  ses  compagnons  pour 
jouer  plus  à  l'aise  un  nouveau  rôle,  celui  d'empereur.  Il  eut 
une  cour  nombreuse ,  meubla  sa  cave  et  peupla  sa  cuisine 
d'officiers  grands  et  petits.  Des  piéfets  du  palais  furent  mis 
à  la  tête  de  la  bouche  impériale,  et  assistèrent  régulière- 
ment aux  repas  du  monarque,  qui  était  servi  par  des  pages. 
11  eu  fut  ainsi  jusqu'au  jour  où  Louis  XVIIl  reprit  la  place 
de  ses  ancêtres.  A  sa  suite  reparurent  les  noms  et  les  sou- 
venirs du  passé.  Des  maîtres  d'hôtel  remplacèrent  lès  pré- 
fets du  palais,  et  présidèrent  comme  jadis  à  tout  ce  qui  con- 
cernait la  table.  Un  peloton  de  gardes  du  corps  escorta  le 
dîner  de  samajesté,auxquels  d'autres  gardes  du  corps,  éche- 
lonnés sur  sa  route,  présentèrent  gravement  les  armes.  Char- 
les X  maintint  et  étendit  encore  l'œuvre  de  son  frère.  Sous 
Louis-Philippe  il  n'y  eut  plus  déchanson  ,  plus  de  panetier, 
plus  d'écuyer-trauchant.  Réduit  à  l'entourage  le  plus  sim- 
ple, le  roi  citoyen,  lorsqu'il  traitait  dans  son  palais,  s'impw»- 
visait  des  pages,  cl  prenait  à  lajournée  desofficiers  de  bouche, 
dits  extra.  Saint-Phosi'ER  jeune. 


BOUCHE  DU  ROI  —  BOUCHER 

La  république  de  1848  a  eu  quelques  velléités  de  revenir 
aux  us  et  coutumes  culinaires  de  la  grande  royauté  de 
Louis  XIV.  Certains  grands  hommes  de  cette  époque,  qui 
n'avaient  pas  de  souliers  la  veille,  se  sont  pavanés  dans  les 
carrosses  de  la  cour;  d'autres,  qui  s'estimaient  heureux  de 
dîner  à  vingt-deux  sous ,  ont  mangé  effrontément  dans  de  la 
vaisselle  plate.  Les  journaux  mal  pensants  ont  enregistré  le 
splendide  menu  de  cet  orgueilleux  président  de  l'Assemblée 
constituante ,  qui  avait  des  cochers  poudrés  à  blanc  et  des 
laquais  en  bas  de  soie  et  grande  livrée,  qui  se  faisait  pré- 
céder de  massiers  comme  au  bon  vieux  temps ,  et  ordon- 
nait qu'à  son  approche  on  battît  aux  champs  comme  lorsque 
Napoléon  entrait  dans  une  ville  conquise.  C'était  beaucoup 
trop  désopilant  pour  pouvoir  être  durable. 

Aujourd'hui  que  le  neveu  de  l'empereur  est  au  timon  de 
la  République,  il  semble  que  nous  ne  sommes  pas  éloignés 
de  voir  refleurir  la  bouche  impériale  dans  tout  son  éclat  et 
que  les  anciens  préfets  du  palais  ne  sont  pas  peut-être  aussi 
passés  de  mode  qu'on  se  l'imagine.  Au  fait,  il  y  a  longtemps 
qu'on  l'a  dit  :  Il  faut  que  tout  le  monde  vive. 

BOUCHER,  BOUCHERIE.  Le  boucher  est  celui  qui 
exerce  le  métier  d'abattre  les  bestiaux ,  et  d'en  vendre  la 
chair  au  détail  dans  des  boutiques  appelées  étaux  ou  bou- 
cheries. Par  le  mot  boucherie  on  désigne  également  tout 
ce  qui  concerne  le  commerce  du  boucher;  et  avant  la  créa- 
tion des  abattoirs,  il  servait  à  exprimer  le  lieu  même  où 
1  on  tuait  les  animaux  destinés  à  la  consommation. 

On  appelait  laniense,  chez  les  Romains,  les  endroits  où 
l'on  tuait,  et  macella  ceux  où  l'on  vendait.  Les  bouchers 
romains,  comme  les  nôtres,  furent  d'abord  épars  en  diffé- 
rents endroits  de  la  ville;  mais  avec  le  temps  on  parvint 
à  les  rassembler  au  quartier  de  CxUmontium,  qui  prit  la 
dénomination  de  Macellum  Magnum,  après  qu'on  y  eut 
transféré  aussi  les  marchés  où  se  vendaient  les  autres  sub- 
sistances. Le  Macellum  Magnum,  ou  la  Grande-Boucherie, 
devint,  dans  les  premières  années  du  règne  de  Néron,  un 
édifice  comparable  pour  sa  magnificence  aux  bains ,  aux 
cirques ,  aux  aqueducs  et  aux  amphithéâtres.  L'accroisse- 
ment de  Rome  nécessita  dans  la  suite  la  construction  de 
deux  autres  boucheries ,  l'une  sur  la  voie  Esquiline  et  l'autre 
sur  le  Forum. 

La  police  que  les  Romains  observaient  dans  leurs  bou- 
cheries s'établit  avec  leur  domination  dans  les  Gaules,  où 
les  villes  et  métropoles  municipales  eurent  leurs  établisse- 
ments de  ce  genre  régis  par  des  corporations  semblables  à 
celles  de  Rome.  Dès  les  premiers  temps  de  notre  histoire 
nous  trouvons  déjà  la  corporation  des  bouchers  de  Paris, 
organisée  suivant  les  coutumes  de  l'ancienne  Rome,  qu'elle 
avait  conservées  sans  altération  sensible.  Un  certain  nombre 
de  familles  composant  une  société,  qui  n'admettait  aucun 
étranger  et  transmettait  ses  droits  aux  descendants  mâles , 
était  de  temps  immémorial  chargé  du  soin  d'acheter  la 
quantité  de  bestiaux  nécessaire  à  l'approvisionnement  de 
la  ville,  et  d'en  débiter  la  chair  dans  les  étaux.  Elles  élisaient 
entre  elles  un  chef  à  vie,  qui  portait  le  titre  de  maître  des 
bouchers,  et  auquel  appartenait  le  droit  de  décider,  sauf 
appel  devant  le  prévôt  de  Paris,  sur  toutes  les  contestations 
qui  concernaient  le  métier  et  l'administration  des  biens;  la 
possession  de  ces  biens  était  commune  à  tous  les  membres, 
à  l'exclusion  des  filles,  et  les  familles  qui  ne  laissaient  pas 
d'héritiers  mâles  cessant  d'appartenir  à  la  communauté, 
celle-ci  profitait  des  héritages. 

Paris  n'eut  longtemps  qu'une  boucherie,  située  d'abord  sur 
la  place  du  parvis  Notre-Dame,  et  transportée  plus  tard 
près  du  Chàtelet ,  à  l'endroit  où  la  tour  Saint-Jacques-Ia- 
Bouchet'ie  en  rappelle  encore  le  souvenir;  quanta  la  bou- 
cherie du  parvis,  qui  avait  été  abandonnée ,  elle  fut  donnée 
en  1222  par  Philippe-Auguste  à  l'évéque  de  Paris.  Les  ac- 
croissements de  la  ville  engagèrent  bientôt  des  industriels 
étrangers  à  la  vieille  corporation  à  s'établir  dans  les  cnvi- 

DTT.   DE   LA   COIWERS,    —   T.    III. 


497 

rons  du  Châf elet  ;  mais  les  anciens,  après  avoir  vouln  les 
forcer  à  renoncer  à  une  profession  dont  ils  prétendaient  avoir 
seuls  le  monopole,  finirent  par  transiger  avec  eux,  ache- 
tèrent leurs  étaux,  et,  les  ayant  réunis  aux  leurs,  formè- 
rent de  l'ensemble  un  vaste  bâtiment,  qui  fut  appelé  la 
Grande-Boucherie.  Une  charte  de  Philippe  le  Haidi  auto- 
risa plus  tard  les  Templiers  à  établir  une  boucherie  dans  le 
voisinage  de  leur  maison  ;  mais  elle  maintint  dans  toute  leur 
vigueur  les  usages ,  privilèges  et  franchises  de  la  commu- 
nauté de  la  Grande-Boucherie,  qui  conserva  le  droit  de  déli- 
vrer des  patentes  à  ceux  qui  voulaient  ouvrir  d'autres  étaux. 
Un  autre  de  leurs  privilèges  était  de  ne  pouvoir  être  arrêtés 
pour  dettes  la  veille  ni  le  jour  des  marchés  de  Sceaux  et  de 
Poissy. 

Sous  Cliaries  YI  les  bouchers  prirent  une  part  active  à 
la  querelle  des  Armagnacs  et  des  Bourguignons.  On  sait  que 
Caboche,  un  des  leurs,  devint  le  chef  du  peuple  parisien. 
Les  Armagnacs  victorieux  firent  démolir  la  Grande-Bou- 
cherie et  celle  du  parvis,  et  abolirent  tous  les  privilèges  de 
la  corporation;  mais  leurs  adversaires  s'étant,  à  leur  tour, 
retrouvés  les  plus  forts,  les  rétablirent,  et  relevèrent  les 
ruines  des  étaux  du  Chàtelet. 

Devenus  riches,  les  bouchers  cessèrent  d'occuper  eux- 
mêmes  leurs  étaux,  et  ils  y  mirent  des  locataires;  le  parie- 
ment  fixa  le  maximum  des  loyers,  et  décida  qu'un  conseiller 
de  la  cour  présiderait  chaque  année  à  leur  adjudication. 
Enfin,  Henri  HI,  par  ses  lettres  patentes  du  mois  de  fé- 
vrier 15S7,  réunit  en  une  seule  et  unique  communauté  tous 
les  bouchers  de  la  ville,  qu'il  érigea  en  corps  de  métier  juré, 
et  leur  donna  des  statuts. 

Jusqu'en  1789  la  boucherie  de  Paris  resta  à  peu  près 
dans  cet  état.  D'après  une  statistique  antérieure  du  commis- 
saire de  police  Delamare,  le  nombre  des  étaux  devait  s'é- 
lever à  trois  cent  sept  environ  ,  lorsque  la  révolution  vint 
balayer  toute  entrave  et  proclamer  la  liberté  de  toutes  les 
industries;  mais  les  perturbations  d'alors  paralysèrent  les 
règlements  basés  sur  les  lois  des  leaoùt  iTOOet  19  juillet  1791, 
et  il  en  résulta  les  abus  les  plus  pernicieux  pour  la  santé  pu- 
blique. Une  foule  de  gens  se  mirent  à  étaler  et  à  vendre  de 
la  viande  sur  les  places  et  dans  les  rues,  dans  les  caves, 
les  chambres,  les  allées;  aucune  airveillance  n'était  exercée; 
le  désordre  et  le  gaspillage  devinrent  tels  que  l'autorité  prit 
enfin  des  mesures,  et  un  arrêté  du  9  germinal  an  VUI  porta 
que  nul  ne  pourrait  exercer  la  profession  de  bouclier  sans 
être  commissionné  parle  préfet  de  police.  Le  8  vendémiaire 
an  XI  un  décret  rétablit  en  corporation  la  boucherie  pari- 
sienne ,  institua  un  syndicat,  et  exigea  de  tout  boucher,  in- 
dépendamment de  l'autorisation  du  préfet  de  police,  le  ver 
sèment  d'un  cautionnement  qui  variait  de  1,000  à  2,000  ou 
à  3,000  francs,  selon  l'importance  des  établissements.  Le 
décret  impérial  du  8  février  1811  fut  plus  restrictif  encore; 
il  réduisit  à  trois  cents  le  nombre  des  bouchers  de  la  capi- 
tale ,  affecta  au  rachat  des  étaux  dépassant  ce  nombre  les 
intérêts  des  cautionnements  dont  le  capital  alimentait  la 
Caisse  de  P  oissy,  et  réorganisa  sur  des  bases  nouvelles 
celte  caisse,  sorte  de  banque  chargée  déjà  depuis  plusieurs 
années  de  servir  d'intermédiaire  entre  les  bouchers  et  les 
marchands  de  bestiaux  et  de  faire  à  ceux-ci  l'avance  des 
payements  jusqu'à  concurrence  du  cautionnement  des  ache- 
teurs. 

A  partir  de  cette  époque  il  ne  fut  rien  modifié  dans  l'orga- 
nisation de  la  boucherie  jusqu'en  1825.  Seulement,  pendant 
cet  intervalle,  de  magnifiques  abattoirs  avaient  été  constiuits, 
et  dès  l'année  1818  toutes  les  boucheries  ou  tueries,  ef- 
frayants foyers  d'infection,  que  l'usage  avait  jusque  là  to- 
lérés, aux  dépens  de  la  salubrité  publique,  dans  les  rue» 
étroites  du  centre  de  Paris,  et  attenant  presque  toujours  à 
l'étal  môme  du  boucher,  avaient  été  obligés  de  disparaître. 

Les  rachats  ordonnés  par  le  décret  de  1811  avaient  déj-i 
abaissé  de  cinq  cents  à  trois  cent  soixante  et  dix  le  nombre 


408 


BOUCHER 


ôestitanx,  quand  l'ordonnance  du  12  janvier  1825,  provoquée 
par  les  herbagers  de  Normandie,  vint  supprimer  la  limitation  > 
du  nombre,  limitation  que  ces  éleveurs  considéraient  avec 
raison  comme  amoindrissant  sur  les  marchés  la  concurrence 
des  acheteurs,  et  comme  lésant  cruellement  leurs  intérêts, 
en  les  mettant  pour  la  vente  à  la  merci  de  cette  poignée 
<le  privilégiés.  Cependant,  quatre  ans  s'étaient  à  peine 
écoulés ,  que  cet  état  de  choses  n'avait  produit  que  des  mé- 
contents; et  vivement  attaqué  à  cause  du  mal  incontestable 
qu'il  engendrait  sans  contre-poids  aucun,  il  était  anéanti  à 
son  tour  par  l'ordonnance  du  18  octobre  1829.  Cette  ordon- 
nance maintint  toutes  les  restrictions ,  limita  à  quatre  cents 
le  nombre  des  bouchers  de  Paris ,  autorisa ,  comme  par  le 
passé,  le  rachat  des  étaux  qui  excéderaient  la  limite,  et 
obligea  tout  aspirant  qui  voudrait  s'établir  avant  que  la  ré- 
duction fût  entièrement  opérée,  à  acheter  deux  étaux ,  pour 
n'en  exploiter  qu'un  et  supprimer  l'autre. 

La  révolution  de  1830  ne  changea  rien  à  cette  organisa- 
tion ;  mais  un  relâchement  systématique  de  la  part  de  la  pré- 
fecture de  police  annula  de  fait  les  dispositions  de  l'ordon- 
nance précitée,  et  le  commerce  de  la  boucherie,  sans  être 
pour  cela  légalement  dégagé  de  ses  liens ,  ne  souffrant  pas 
non  plus  de  leur  étreinte,  fut  depuis  livré  à  l'arbitraire.  Les 
bouchers  ne  furent  plus  contraints  à  fréquenter  tel  ou  tel 
marché  et  pas  d'autres  ;  ils  purent  acheter  en  gros  et  à  la 
cheville,  sans  être  inquiétés;  ils  n'eurent  pas  à  acquérir 
deux  étaux  pour  devenir  titulaires  de  l'un  à  condition  de 
sacrifier  l'autre.  Mais  pour  cela  les  i)laintes  et  les  murmures 
ne  cessèrent  pas  :  les  bouchers  regrettaient  l'ancien  régime, 
qui  avait  élevé  à  des  prix  exorbitants  la  valeur  de  leurs 
étaux;  les  propriétaires  fonciers,  de  leur  côté,  voulaient  de 
nouveau  la  destruction  du  monopole ,  le  droit  de  concur- 
rence pour  les  forains ,  et  la  faculté  de  faire  abattre  et  vendre 
eux-mêmes  leurs  bestiaux  dans  les  abattoirs.  Divers  projets 
furent  livrés  à  l'examen  de  commissions,  et  quand  éclata 
la  révolution  de  Février  le  provisoire  et  l'arbitraire  duraient 
encore.  Seulement  les  droits  d'octroi  perçus  par  tête  avaient 
été  transformés  en  droits  au  poids.  Certaines  modifications 
furent  alors  apportées  :  les  droits  d'octroi  et  de  caisse  de 
Poissy,  abolis  d'abord  par  le  gouvernement  provisoire ,  ré- 
tablis ensuite  par  la  Constituante,  ont  été  réglementés  d'a- 
près un  nouveau  mode  de  perception.  La  concurrence  des 
bouchers  forains  s'est  accrue.  Enfin  la  vente  à  la  criée , 
établie  en  1850  au  marché  des  Prouvaires,  a  amené  une 
concurrence  plus  sérieuse,  et  permet  aux  éleveurs  de  faire 
vendre  eux-mêmes  leur  viande ,  sans  intermédiaire.  De  nou- 
velles propositions  sont  en  ce  moment  à  l'étude,  et  un 
projet  s'élabore  sur  l'organisation  de  la  boucherie ,  projet  qui 
donnera  sans  doute  satisfaction  à  la  liberté  de  l'industrie, 
sans  oublier  les  intérêts  des  consommateurs. 

HOUCHER  (  François  ),  naquit  à  Paris,  en  1704.  Il 
devait  être  peintre.  L'école  régnante  inclinait  déjà  depuis 
longtemps  aux  manières  lestes,  et  Lemoine,  l'infortuné 
Lemoine,  qui  mourut  pour  un  désespoir,  alors  maître  de 
Boucher,  n'était  pas  un  des  moins  habiles  de  l'école. 
L'élève  suivit  volontiers  le  maître  et  la  mode ,  et  commença 
sa  réputation  d'atelier  par  des  ébauches  hardies ,  qui  lui  at- 
tirèrent, comme  il  arrive  toujours,  la  haine  des  illustres 
de  l'époque  et  leurs  intrigues.  Alors,  ce  n'était  pas  l'Aca- 
démie, mais  le  directeur  des  Beaux-Arts,  qui  avait  plein 
pouvoir,  et  on  ne  sait  pourquoi  il  mit  tout  en  œuvre  pour 
que  le  jeune  Boucher  ne  fit  pas  le  voyage  à  Rome,  auquel 
ses  premiers  succès  lui  donnaient  des  droits.  Un  ami  des 
;irts,  riche  et  peu  soucieux  des  querelles  de  l'école,  con- 
duisit avec  lui  Boucher  en  Italie. 

Boucher  ne  comprit  rien  aux  chefs-d'œuvre  que  l'Italie 
lui  odrait  à  chaque  pas  :  Raphaël  lui  semblait  fade,  Car 
radie  sombre,  et  Micliel-Ange  bossu.  Il  avait  surtout  en 
grande  dérision  les  merveilles  des  gothiques ,  alors  moins 
estimées  que  de  nos  jours.  C'était  Paris  qu'il  lui  fallait.  Il  y 


revint  bientôt,  et  de  nouvelles  peintures  révélèrent  un  émulé 
du  gracieux  Watteau.  Il  peignait  vite,  et  sa  peinture, 
quoique  enflée  et  souvent  terne,  était  d'une  finesse  exquise 
de  coloris  et  d'une  élégance  de  dessin  telle  qu'on  oubliait 
aisément  les  fautes  pour  ne  voir  que  les  beautés.  Sa  répu- 
tation alla  tous  les  jours  croissant  à  la  cour.  Les  sévères 
imitateurs  du  vieux  Poussin  étaient  alors  en  grande  dé- 
faveur ;  il  fallait  pour  prospérer  faire  danser  des  marion- 
nettes sur  la  toile ,  comme  notre  Boucher ,  ou  séduire  ga- 
lamment ,  comme  tant  d'autres. 

Carie  Vanloo,  premier  peintre  du  roi,  étant,  mort. 
Boucher  lui  succéda  dans  sa  place ,  et  ce  nouveau  titre  ne 
fit  qu'ajouter  à  sa  grande  renommée  près  des  filles  de  bon 
ton.  Un  biographe  dit  qu'il  gagnait  avec  la  peinture  50,000 
francs  par  an.  Il  s'était  aussi  essayé  dans  une  manière  plus 
grave;  mais  l'élégance  l'y  poursuivit  encore.  Là  surtout, 
imitateur  passionné  de  Rubens  et  de  Vanloo ,  il  copia  leurs 
prétentions  aux  formes  larges  et  rausculeusas;  mais  il  ne 
les  atteignit  pas.  Sa  Rachel  porte  paniers  et  jaquette,  ses 
vierges  sont  des  impudiques  qui  baissent  les  yeux  avec 
pruderie ,  ses  douze  apôtres  sont  douze  bons  viveurs.  Sou- 
vent il  s'essaye  dans  la  façon  de  Philippe  de  Champagne, 
et  il  le  surpasse  quelquefois.  Le  martyre  de  Jacques  Ghisaï, 
de  Paul  Mlchai  et  de  Jeun  Gotho,  missionnaires  dans  le 
Japon,  est  une  très-belle  chose;  mais  c'est  du  Rubens 
encore. 

Il  a  représenté  plusieurs  fois  les  quatre  éléments  sous  les 
formes  d'anges ,  ou  plutôt  d'amours  bouffis ,  enflés  et  jo- 
liets.  Il  a  fait  le  Printemps,  l'Été,  l'Automne,  l'Hiver  ; 
la  Poésie  épique,  la  Poésie  lyrique,  la  Poésie  satirique, 
et  la  Poésie  pos^ora/e,  charmantes  pochades  au  chique  le 
plus  gracieux ,  rappelant  avec  un  grand  bonheur  les  ber- 
gères de  cour  dansant  au  son  du  tambour  de  basque  et  de 
la  flûte  de  Pan.  L'Amour  vioissonneur ,  auquel  on  passe 
sur  la  lèvre  un  épi  de  blé  pendant  qu'il  dort,  est  charmant. 
L'Amour  oiseleur,  gravé  par  Lépicié,  est  une  des  gra- 
vures les  plus  gracieuses  que  j'aie  vues.  La  belle  villa- 
geoise me  plaît  plus  encore  peut-être  que  les  plus  belles 
toiles  de  Greuze.  Dans  la  collection  des  Amours,  toilettes, 
confidences ,  pastorales,  ainsi  que  dans  le  Retour  de  la 
chasse  de  Diane ,  tout  est  charmant.  Mais  ce  qui  me  plaît 
surtout ,  ce  sont  les  Cris  de  Paris ,  sa  Quêteuse  de  grand 
chemin ,  ses  paysannes ,  ses  Amours  et  ses  Chinoises  aux 
yeux  lascifs.  Une  petite  femme  enceinte,  tenant  parla  main 
un  petit  enfant  colère  et  méchant,  égale  les  plus  jolis  essais 
de  Watleau.  Elle  a  la  tête  pensive  et  baissée,  les  yeux 
mouillés  de  pleurs  de  souvenirs,  la  pose  soucieuse,  la 
démarche  lente.  Boucher,  malgré  la  prétention  aux  formes 
grosses  et  lourdes,  fait  quelquefois  les  femmes  admira- 
blement. 

Il  mourut  au  plus  beau  de  sa  gloire,  le  7  mai  1770,  et 
n'eut  bientôt  plus  d'admirateurs.  Une  réaction  dans  le  sens 
de  l'autorité  balaya  toutes  ces  renommées  de  cour,  et  le 
grave  David  réhabilita  Poussin,  \t  peintre  philosophe , 
oublié  depuis  longtemps.  Barthélémy  HAtRÉAU. 

BOUCHER  (  Alexandre-Jean  ),  né  à  Paris,  le  11  avril 
1770,  montra  dès  son  enfance  de  grandes  dispositions  pour 
la  musique  et  pour  le  violon.  Navoigille  l'aîné,  professeur 
très-habile ,  l'admit  au  nombre  de  ses  élèves.  Boucher  avait 
à  peine  quatoi-ze  ans ,  et  déjà  son  talent  était  remarqué  dans 
la  capitale  ;  le  jeune  virtuose  était  le  soutien  de  sa  famille. 
A  dix-sept  ans  il  partit  pour  l'Espagne,  et  le  roi  Charles  IV, 
très-bon  musicien,  le  choisit  pour  violon  solo  de  sa  chambre 
et  de  sa  chapelle.  Boccherini  se  plut  à  donner  des  conseils 
à  l'artiste  français,  et  lui  dédia  même  un  œuvre  de  ses  ad- 
mirables compositions. 

Un  congé  qu'il  obtint  ramena  Boucher  en  France.  Il  se 
fit  entendre  à  Paris  en  1808,  aux  concerts  de  madame  Gras- 
sini,  de  madame  Giaconielli,  avec  le  plus  grand  surxès. 
On  le  nomma  l'Alexandre  des  violons,  mais  le  parti  de 


BOUCHER  —  BOUCHES-DU-RHONE 


49G 


l'opposition  prétendit  qu'il  n'en  était  que  le  Charles  XII. 
Ce  virtuose  venait  d'obtenir  à  Mayence  une  distinction  très- 
flatteuse.  L'impératrice  Joséphine  voulut  l'entendre,  et  lui 
«lit  qu'il  l'avait  réconciliée  avec  le  violon.  La  reine  de  Hol- 
lande ajouta  que  le  violon  de  Boucher  avait  le  charme  de  la 
voix,  et  qu'elle  désirait  en  faire  la  comparaison  avec  le  chant 
délicieux  de  Crescentini.  Lorsque  le  roi  d'Espagne  fut 
enlevé  à  Dayonne  et  conduit  à  Fontainebleau ,  Boucher  se 
rendit  à  cette  maison  royale  pour  y  attendre  son  protecteur 
malheureux.  Charles  IV  le  serra  dans  ses  bras,  et  lui  dit  : 
«  Je  n'ai  pas  cru  les  méchants  qui  voulaient  me  persuader 
que  tu  m'avais  oublié.  Tu  ne  me  quitteras  plus,  ton  bon 
cicur  m'est  connu.  »  Boucher  devint  le  directeur  du  petit 
nombre  de  musiciens  que  le  roi  détrôné  réunit  pour  charmer 
les  ennuis  de  sa  captivité.  Guénin,  violoniste  de  l'Opéra, 
et  le  célèbre  violoncelliste  Duport  s'y  faisaient  remarquer. 

Alexandre  Boucher  a  fait  plusieurs  tournées  en  Europe; 
en  Allemagne,  on  lui  donna  le  nom  de  Paganini  français. 
Boucher  a  composé  beaucoup  d'ouvrages  pour  son  instru- 
ment, et  n'en  a  publié  qu'un  très-petit  nombre.  Il  a  épousé 
M^"*  Céleste  Gallyot,  harpiste  et  pianiste  du  roi  Charles  IV, 
et  qui  se  fit  entendre  avec  succès  aux  concerts  de  Feydeau 
en  1794.  11  n'a  eu  d'élèves  que  ses  fils,  Alfred  et  Charles 
Boucher,  qui  se  sont  signalés  l'un  sur  le  violon ,  l'autre  sur 
le  violoncelle.  Alexandre  Boucher  vit  aujourd'hui  dans  une 
douce  aisance,  aux  environs  d'Orléans. 

Je  ne  finirai  point  cet  article  sans  parler  de  l'étonnante 
ressemblance  d'Alexandre  Boucher  et  de  Napoléon  Bona- 
parte. M.  Boucher  revêtu  de  la  redingote  grise  et  coiffé  du 
tricorne,  imitant  Napoléon  du  geste  et  delà  voix,  produi- 
sait une  illusion  complète.  Câstil-Blaze. 

BOUCHERIE.  Voyez  Boccuer. 

BOUCHES  A  FEU.  On  nomme  ainsi ,  en  termes  d'ar- 
tillerie, toutes  les  armes  à  feu  non  portatives,  telles  que 
canons,  viortier s,  obusiers,  pierriers ,  etc., 
dont  le  sen'ice  exige  le  concours  de  plusieurs  hommes. 

Quatre  choses  principales  sont  à  considérer  dans  une 
bouche  à  feu  :  les  matières  employées  à  sa  fabrication,  sa 
forme  ou  ses  dimensions,  son  âme  et  sa  chambre,  enfin 
sa  lumière.  Les  bouches  à  feu  sont  soumises  aux  efforts 
qui  résultent  de  l'expansion  des  gaz  produits  par  la  com- 
bustion de  la  poudre  ;  ces  efforts  ont  une  si  grande  puis- 
.sance,  qu'ils  lancent  des  projectiles  d'un  poids  considérable 
à  de  grandes  distances. 

La  ténacité,  la  dureté,  l'indissolubilité  dans  les  acides 
que  produit  la  combustion  de  la  poudre,  l'infusibilité  aux 
degrés  de  chaleur  qu'elles  doivent  éprouver ,  sont  les  qua- 
lités indispensables  des  matières  employées  à  la  fabrication 
des  bouches  à  feu.  Il  faut  encore  que  ces  matières  ne  soient 
pas  oxydables  à  l'air  ou  à  l'humidité  :  autrement  les  di- 
mensions de  la  bouche  à  feu  s'altéreraient,  et  l'exactitude 
dans  le  tir  en  serait  diminuée.  Enfin,  ces  matières  doivent 
être  communes,  afin  qu'on  puisse  se  les  procurer  en  quantité 
suffisante.  Il  est  presque  impossible  de  composer  avec  des 
métaux  purs  des  bouches  à  feu  qui  soient  de  bon  service  :  le 
cuivre  et  le  fer  forgé  ont  une  grande  ténacité,  et  sont  peu 
attaquables  par  les  acides  de  la  poudre  ;  mais  ils  manquent 
de  la  dureté  nécessaire,  de  même  que  l'or  et  l'argent,  qui 
sont  d'ailleurs  d'un  prix  excessif;  le  fer  coulé  a  une  grande 
dureté,  mais  sa  ténacité  est  faible;  les  autres  métaux,  tels 
que  l'étain ,  le  plomb ,  le  zinc ,  etc. ,  ont  tout  à  la  fois  peu 
de  dureté  et  de  ténacité.  Il  a  donc  fallu  recourir  à  l'alliage 
des  métaux  purs.  Pendant  longtemps  l'alliage  de  1 1  parties 
d'étain  à  100  de  cuivre  a  été  regardé  comme  la  proportion 
la  plus  convenable  pour  obtenir  des  bouches  à  feu  très- 
résistantes;  mais  l'expérience  ayant  contredit  cette  opinion, 
on  a  dû  chercher  dans  de  nouvelles  proportions  un  remède 
au  peu  de  durée  des  boucliGS  à  feu ,  surtout  dans  les  gros 
calibres.  Des  expériences  faites  à  Turin,  en  1770  et  1771 , 
sur  des  bouches  à  feu  où  il  entrait  12  parties  d'étain 


sur  100  de  cuivre  et  6  de  laiton,  qui  est  un  alliage  de 
cuivre  et  de  zinc,  ont  prouvé  que  ces  bouches  h  feu  ré- 
sistaient à  un  tir  très-prolongé,  sans  subir  aucune  altération. 
11  est  résulté  d'autres  expériences  faites  en  France,  en  1817, 
sous  la  direction  de  M.  Dusaussoy ,  par  ordre  du  ministre 
de  la  guerre,  que  les  alliages  ternaires ,  composés  de  métal 
à  canon,  avec  un  à  un  et  demi  de  fer-blanc  pour  loo,  ou  3 
de  zinc,  donnent,  coulés  en  sable,  de  meilleurs  produits 
que  le  bronze  ordinaire ,  coulé  de  la  même  manière. 

Le  général  Allix  pensait  qu'il  serait  convenable  d'em- 
ployer, en  France,  pour  l'artillerie  de  terre  comme  pour 
celle  de  mer ,  le  fer  fondu  de  préférence  au  bronze  ;  voici 
les  principaux  motifs  sur  lesquels  il  appuyait  son  choix  : 
1"  la  fonte  de  fer,  disait-il,  est  très-commune  en  France,  où 
elle  ne  coûte  pas  le  dixième  de  ce  que  coûte  le  bronze; 
2°  la  France  tire  de  l'étranger  presque  tout  le  cuivre  et 
l'étain  qu'elle  emploie  à  la  fabrication  de  ses  bouches  à  feu 
en  bronze ,  ce  qui  contribue  à  mettre  contre  elle  la  balance 
du  commerce,  et  rend  incertains  les  approvisionnements 
de  ces  métaux  en  temps  de  guerre  ;  3°  les  bouches  h  feu 
en  fer  fondu  se  coulent  dans  des  moules  en  sable ,  ce  qui, 
jusqu'ici  au  moins ,  n'a  pu  être  pratiqué  pour  les  bouches  à 
feu  en  bronze  :  d'où  résultent  célérité,  et  en  même  temps 
économie  dans  la  fabrication  des  premières,  comparati- 
vement à  celle  des  secondes;  4°  enfin,  le  fer  fondu  pèse 
beaucoup  moins  que  le  bronze  :  on  peut  donc  donner  aux 
bouches  à  feu  en  fer  de  plus  fortes  dimensions  sans  en 
augmenter  le  poids ,  relativement  à  celui  des  bouches  à  feu 
en  bronze,  ce  qui,  concurremment  avec  une  fabrication 
soignée  ,  donne  aux  premières  toute  la  solidité  nécessaire. 
Un  autre  avantage  très-grand,  ajoutait  le  général  Allix,  qui 
résulterait  de  l'emploi  du  fer  fondu  dans  la  fabrication  de.s 
bouches  à  feu  destinées  en  même  temps  aux  deux  services 
de  terre  et  de  mer,  c'est  qu'alors  elles  auraient  dans  ces 
deux  services  les  mêmes  dimensions ,  et  que  les  mômes 
fonderies  serviraient  à  chacune  d'elles.  L'on  pourrait  ainsi 
en  diminrer  le  nombre  avec  une  grande  économie;  d'un 
autre  côté ,  les  deux  services  pourraient  se  secourir  réci- 
proquement, et  l'un  prêter  ses  bouches  à  feu  à  l'autre, 
selon  que  le  besoin  pourrait  le  requérir  :  secours  réciproque 
impossible  dans  l'état  actuel  des  choses ,  où  les  bouches  à 
feu  de  ces  deux  services  n'ont  pas  les  mêmes  dimensions. 

On  trouvera  à  l'article  Canon  ,  les  notions  qui  se  rat- 
tachent aux  autres  conditions  de  cette  fabrication ,  et  tous 
les  renseignements  explicatifs  nécessaires  sur  les  diverses 
parties  constituantes  des  bouches  à  feu. 

BOUCHES  DE  CATTARO.  Voyez  Cattaro. 

BOUCHES-DU-RHÔNE  (Département  des),  formé 
d'une  partie  de  la  Provence,  du  territoire  d'Avignon  et  du 
comtat  Venaissin.  11  est  borné  au  nord  par  le  département 
de  Vaucluse  ;  à  l'est,  par  l'extrémité  sud-ouest  de  celui  des 
Basses-Alpes  et  par  celui  du  Yar;  au  sud  par  la  Méditer- 
ranée, et  à  l'ouest  par  le  département  du  Gard.  —  Son  nom 
lui  vient  de  ce  que  le  Rhône  a  ses  embouchures  sur  son 
territoire. 

Divisé  en  trois  arrondissements,  dont  les  chefs-lieux  sont 
Marseille,  siège  de  la  préfecture,  Aix  et  Arles,  il  compte  27 
cantons,  106  communes,  et  413,918  habitants.  Il  envoie  trois 
députés  au  Corps  législatif.  Il  forme  avec  les  départements 
des  Basses-Alpes,  du  Var  et  de  Vaucluse,  le  26°  arrondisse- 
ment forestier,  constitue  la  1"  subdivision  de  la  9*  division 
militaire,  dont  le  quartier  général  est  à  Marseille,  ressortit 
à  la  cour  d'appel  d'Aix,  et  compose  les  diocèses  d'Aix  et  celui 
de  Marseille,  suffragant  de  l'archevêché  d'Aix.  Son  acadé- 
mie comprend  une  faculté  de  droit ,  une  faculté  de  théologie 
et  une  faculté  des  lettres  ;  une  école  préparatoire  de  mé- 
decine et  de  pharmacie;  un  lycée ,  2  collèges  communaux , 
3  institutions,  30  pensions  et  290  écoles  primaires. 

Sa  superficie  est  de  512,991  hectares,  dont  143,725  en 
landes,    pâtis,  bruyères;  106,415  en  cultures  diverses; 

i3. 


600  BOUCHES-DU-RHONE  -  BOUCHES  INUTILES 

99,051  en  terrée  labourables;  63,702  en  bois;  39,491  en  vi 
gnes  ;  22,271  en  rivières,  lacs  et  ruisseaux  ;  10,474  en  étangs, 


abreuvoirs,  mares,  canaux  d'irrigation;  4,995  en  prcis; 
3,987  enoseraies,  aulnaies,  saussaies;  2,139  en  vergers, 
pépinières  et  jardins;  1,701  en  propriétés  bâties;  192  en 
forêfs,  domaines  improductifs,  etc.  On  y  compte  64,044 
maisons,  718  moulins,  5  forges  et  hauts  iourneaux,  673 
fabriques,  manufactures  et  usines.  Il  paye  1,095,282  fr. 
d'imjjôt  foncier. 

Le  département  des  Boucbes-du-Rhône  est  divisé  en  deux 
parties  par  la  chaîne  des  Alpines.  L'une,  au  nord  et  à  l'ouest, 
Kiluée  dans  le  bassin  du  Rhône ,  a  sa  pente  dans  la  direction 
de  ce  fleuve  ;  l'autre  est  inclinée  de  l'est  à  l'ouest  dans  la 
direction  des  principaux  cours  d'eau  dont  cette,  région  est 
arrosée  :  de  la  Vienne,  qui  se  jette  dans  la  mer,  au  sud  et 
près  de  Marseille,  de  la  Couloubre  et  de  l'Arc,  qui  versent 
leurs  eaux  dans  l'étang  de  Berre.  La  première  partie  est 
bftignée,  au  nord,  par  la  Durance;  et  couverte,  à  l'ouest, 
par  les  diverses  branches  entre  lesquelles  se  divise  le  Rhône, 
ilepuis  Arles  jusqu'à  la  mer.  Cette  région  est  principalement 
occupée  par  les  plaines  basses  et  alluvionales  delà  Ca- 
margue et  de  laCrau.  La  Camargue  est  renfermée  dans 
le  delta  du  Rhône.  La  Crau  ,  comprise  entre  le  bras  le  plus 
oriental  de  ce  fleuve  et  les  étangs  de  Martigues,  les  Al- 
pines et  la  mer,  offre  l'aspect  d'un  golfe  (jui  serait  comblé 
par  les  alluvions.  Cette  plaine ,  dont  la  circonférence  totale 
est  d'environ  onze  inyriamètres ,  est  couverte  de  cailloux 
roulés  de  toutes  les  grosseurs ,  ce  qui  lui  a  fait  donner  par 
les  habitants  le  nom  qu'elle  porte,  qui  signifie  en  provençal 
champ  pierreux.  Elle  renferme  un  grand  nombre  d'étangs. 
Le  plus  ancien  terrain  de  cette  plaine  confmant  à  la  Du- 
rance ,  on  est  porté  à  croire  que  cette  rivière  y  coulait  au- 
trefois et  se  jetait  à  la  mer  par  ce  golfe  comblé.  Le  Rhône 
et  la  Couloubre  y  avaient  probablement  aussi  leurs  lits.  Con- 
sidéré sous  un  autre  aspect,  le  département  des  Bouches- 
du-Rliône  présente,  dans  la  région  du  nord-est,  des  collines 
et  des  plateaux  élevés  ,  nus  et  stériles  ,  et ,  dans  la  région 
du  sud-ouest,  un  pays  de  plaines  couvertes  en  grande  partie 
de  mares,  d'étangs,  de  terrains  marécageux.  Les  plus  con- 
sidérables de  ces  amas  d'eaux  sont  les  étangs  de  Valcarère 
et  de  Berre.  Le  premier  couvre  presque  la  moitié  de  la 
Camargue,  et  le  dernier,  qui  a  environ  vingt  kilomètres  de 
long  sur  huit  de  large  ,  s'citend  ,  dans  la  plaine  de  la  Crau  , 
entre  Marseille  et  la  bouche  la  plus  orientale  du  Rhône,  et 
se  décharge  dans  la  mer  par  un  passage  d'une  lieue  et  demie 
environ,  appelé  le  port  de  Bouc  ou  canal  des  Martigties. 
Les  côtes  basses ,  dans  les  environs  du  Rhône ,  offrent 
partout  ailleurs  des  escarpements  très-élevés  ;  elles  courent 
en  général  de  l'ouest-nord-ouest  à  l'cst-sud-est. 

Le  territoire  de  ce  déparlement,  fertile  et  de  bonne  qua- 
lité dans  la  partie  arrosée  par  la  Veaune,  devient  pierreux 
et  ingrat  dans  la  partie  nord-est ,  et  ne  produit  qu'à  l'aide 
d'un  travail  opiniâtre.  Les  bords  de  la  Durance  au  nord 
sont  également  stériles  ;  mais  tout  le  terrain  situé  entre 
cette  rivière,  le  Rhône  et  le  canal  de  Crapone  est  d'une 
grande  fertilité  ;  malheureusrment  il  est  cxi)Osé  aux  inon- 
dations. Le  département  est  coupé  en  divers  sens  par  plu- 
sieurs canaux  ou  tranchées.  Le  plus  considérable  est  le 
canal  d'Arles,  qui  partdu  Rhône  auprès  d'Arles  et  va  aboutir 
au  port  de  Bouc  ;  c'est  le  seul  navigable.  Le  canal  de  Cra- 
pone ,  tranchée  qui  part  aussi  du  Rhône  et  joint  ce  fleuve 
à  la  Durance. 

Cette  contrée  renferme  peu  d'animaux  sauvages  et  de 
gibier;  mais  on  trouve  sur  les  côtes  et  dans  les  étangs  une 
grande  quantité  de  poissons  de  mer  et  d'oiseaux  aqua- 
tiques :  les  rivières  sont  aussi  très-poissonneuses.  Les  mon- 
tagnes abondent  en  plantes  aroma  tiq  ucs,  telles  que  la  lavande, 
le  thym  ,  l'hysope,  le  romarin,  etc.  On  voit  sons  ce  beau 
fiel  croître  spontanément  les  lauriers,  les  myrtes,  les  gre- 
nadiers, les  citres,  les  pistachiers,  et  en  général  tous  les 


arbres  des  régions  méridionales  s'y  acclimatent  facilement. 
Le  chêne  et  le  pin  sont  les  essences  qui  dominent  dans  les 
forêts.  Le  sol  ne  renferme  aucune  mine  métallique;  mais 
on  exploite  dans  la  partie  sud-est  du  département  des  bas- 
sins de  houille  considérables,  des  carrières  de  marbre,  de 
pierre  à  bâtir,  d'ardoise,  de  plâtre,  d'argile,  de  grès  cal- 
caire ,  de  pierres  à  aiguiser,  de  pierres  à  chaux  et  de  sta- 
lactites calcaires.  Parmi  les  marais  salants  qui  s'y  trouvent, 
ceux  de  Berre  sont  les  plus  importants.  On  possède  à  Aix 
un  établissement  d'eaux  minérales  et  thermales. 

L'agriculture  de  ce  pays  consiste  presque  exclusive- 
ment dans  la  culture  des  plantes  industrielles.  Les  produits 
les  plus  importants  sont  les  vins ,  tous  de  bonne  qualité  ; 
mais  on  estime  surtout  les  vins  blancs  de  Cassis  et  de  la 
Ciotat ,  et  les  muscats  du  canton  de  Roquevaire,  qui  fait  en 
outre  un  grand  commerce  de  raisins  secs.  La  culture  de 
l'olivier  et  du  mûrier  tient  le  second  rang  dans  l'industrie 
agricole ,  et  on  s'adonne  dans  la  plupart  des  communes  à 
l'éducation  des  vers  à  soie  ,  qui  sont  pour  le  pays  la  source 
d'un  revenu  considérable. 

Le  département  des  Bouches-du-Rhône  est  plus  commer- 
çant que  manufacturier;  il  renferme  cependant  un  assez 
grand  nombre  d'usines ,  et  les  produits  de  ses  fabriques  de 
soude,  et  surtout  de  ses  savonneries,  jouissent  d'une  grande  fa- 
veur. Il  possède  en  outre  des  distilleries,  des  vinaigreries,  des 
raffineries ,  des  tanneries ,  des  mégisseries  ,  des  teintureries, 
des  manufactures  de  bonneterie  orientale ,  des  filatures  de 
coton ,  des  papeteries.  La  pèche  dans  la  Méditerranée,  con- 
sidérable surtout  en  anchois,  thon  et  corail,  occupe  toute 
la  population  des  villages  maritimes. 

Outre  le  Rhône ,  le  canal  d'Arles  et  la  Durance ,  ce  dé- 
partement possède  encore  en  fait  de  voies  de  communication, 
quatre  routes  nationales,  dix-sept  routes  départementales, 
neuf  cent  cinq  chemins  vicinaux  ,  et  le  chemin  de  fer  d'Avi- 
gnon à  Marseille  qui  passe  par  Tarascon  et  Arles. 

Les  principales  villes  du  département  des  Bouches-du- 
Rhône  sont,  indépendamment  de  Marseille,  Aix  et  Ar- 
les,Tarascon,  La  Ciotat,  L  ambe  se,  jadis  titre  duno 
principauté  appartenant  à  la  maison  de  Lorraine-Brionne  ; 
Orgou ,  bâtie  au  pied  d'une  colline  sur  laquelle  on  voit  en- 
core les  ruines  d'un  vieux  château  qui  fut  pris  par  Euric, 
roi  des  Visigoths,  lorsqu'il  allait  assiéger  Arles,  possédé  par 
tous  les  souverains  qui  régnèrent  sur  la  Provence,  et  dé- 
moli en  14S3  par  ordre  de  Louis  XL 

BOUCHES  INUTILES.  Nom  donné  à  toutes  les  per- 
sonnes qui  dans  une  ville  assiégée  ne  peuvent  être  d'au- 
cune utilité  pour  la  défense  de  la  place ,  et  qu'on  en  fait 
sortir  dans  la  crainte  qu'elles  ne  poussent  trop  activement 
à  la  consommation  des  vivres  qui  y  sont  enfermés.  Héro- 
dote raconte  que  les  Babyloniens  assiégés  dévouèrent  à  la 
mort  toutes  leurs  femmes ,  n'en  gardant  qu'une  par  maison 
pour  préparer  la  nourriture  des  défenseurs ,  et  que  les  autres 
furent  impitoyablement  étranglées.  César  condamna  àmourir 
de  faim  les  bouches  inutiles  expulsées  d'Alésia.  En  1419, 
douze  mille  bouches  inutiles  repoussces  de  Rouen  et  rete- 
nues sans  nourriture  dans  les  fossés  de  la  place  par  l'armée 
d'Henri  V ,  roi  d'Angleterre ,  y  périrent  d'inanition ,  dit 
M.  de  Baraute.  Les  assit^ges  avaient  seulement  la  pitié  de 
faire  monter,  à  l'aide  cre  cordes ,  pour  les  baptiser,  les 
enliints  qui  naissaient  au  pied  des  remparts,  et  qu'on  redes- 
cendait ensuite  à  leurs  mères.  En  1692,  Louis  XIV  assié- 
geant en  personne  Namur ,  les  dames  de  la  ville  se  recon- 
nurent bouches  inutiles,  et  envoyèrent  demander  un  sauf- 
conduit  au  roi ,  qui  leur  fit  répondre  galamment  que  les 
mettre  eu  liberté  serait  renoncer  d'avance  à  la  plus  belle 
part  du  triomphe.  Mais  elles  persistèrent  à  se  rendre  à 
merci ,  sans  condition ,  et  Louis  XIV  s'empressa  alors 
d'envoyer  à  leur  rencontre  des  valets ,  des  carrosses ,  des 
chevaliers  d'honneur.  Après  un  brillant  repas  sous  sa  tente, 
il  les  lit  conduire  dans  une  abbave  voisine. 


I 


Lorsque  le  gouverneur  ou  le  commandant  d'une  place 
juge  indispensable  de  renvoyer  les  bouches  inutiles,  il 
commence  d'abord  par  les  vieillards ,  les  femmes  et  les  en- 
fants. Si  la  1  ésistance  continue ,  sans  que  la  garnison  ait  été 
ravilailiée,  l'autre  partie  de  la  population  est ,  à  son  tour, 
impitoyablement  renvoyée.  Cette  coutume ,  qui  tient  de  la 
barbarie,  est  d'autant  pluscondamnable,  qu'il  arrive  presque 
toujours  que  les  assiégeants  refusent ,  sans  motifs  légitimes, 
de  recevoir  ces  malheureuses  victimes  de  la  guerre.  Aban- 
données alors  sur  les  glacis,  sans  pain  et  sans  abri,  elles  se 
trouvent  en  même  temps  exposées  à  l'intempérie  de  l'air,  à 
la  faim  qui  les  dévore ,  au  feu  croisé  de  l'ennemi  et  des  as- 
siégés qui  les  décime....  Hâtons-nous  d'ajouter  que  ces 
exemples  de  cruauté  sont  devenus  fort  rares ,  et  ne  sau- 
raient même  se  reproduire  dans  le  siècle  de  lumières  et  de 
progrès  où  nous  vivons. 

BOUCUOIV.  On  appelle  ainsi  toute  espèce  de  cône 
tronqué,  en  bois,  en  liège ,  en  verre ,  dont  on  ferme  Torilice 
d'une  bouteille,  d'un  llacon,  d'un  pot,  etc.  Tout  bouchon 
doit  avoir  non-seulement  la  propriété  d'empêcher  le  liquide, 
comme  le  vin,  l'eau-de-vie ,  contenu  dans  le  vase,  d'en 
sortir,  mais  encore  être  imperméable  aux  lluides  spiritueux 
qui  se  dégagent  au-dessus  de  ces  liquides.  11  n'y  a  par  con- 
séquent de  matière  propre  à  faire  des  bouchons  possédant 
cette  propriété ,  que  les  métaux ,  le  verre ,  le  cristal.  Voilà 
pourquoi  on  est  obligé  de  recouvrir  de  cire  les  bouchons  de 
liège ,  et  de  coucher  les  bouteilles  ;  car  lorsqu'elles  sont 
dans  cette  position ,  le  vide  où  se  rendent  les  lluides  spiri- 
tueux qui  se  dégagent  du  vin  se  trouve  au-dessous  d'un 
des  côtés  de  la  bouteille,  tandis  que  le  bout  du  bouchon  est 
constamment  recouvert  de  vin. 

A  l'aris ,  quand  on  veut  indiquer  qu'un  objet  grossier 
est  à  vendre ,  on  l'expose  dans  la  rue  avec  un  bouchon  de 
paille.  C'est  aussi  avec  un  bouchon  de  paille  que  l'on  essuie 
les  chevaux  et  les  bestiaux  en  rentiant  à  l'écurie. 

On  appelle  aussi  bouchon  un  mauvais  cabaret  où  l'on 
détaille  du  vin  à  bas  prix.  Teyssèdre. 

BOUCIIOXIMER,  celui  qui  fait  et  vend  des  bou- 
chons. Il  suffit  d'examiner  un  bouchon  pour  concevoir 
sur-le-champ  tous  les  procédés  de  la  fabrication.  La  ma- 
tière que  les  bouchonniers  emploient  le  plus  communément, 
c'est  le  liège.  Les  bouchonniers  débitent  les  tables  de  liège 
par  bandes,  qu'ils  coupent  ensuite  en  travers,  d'où  résul- 
tent de  petits  parallélipipèdes ,  qui  étant  arrondis  forment 
autant  de  bouchons. 

Les  outils  des  bouchonniers  consistent  en  une  table  à  re- 
bords et  des  trancliets ,  ou  lames  très-minces,  larges  comme 
la  main  et  très-bien  affilées  ;  ils  tiennent  d'une  main  ces 
couteaux  fixes,  le  dos  en  bas  contre  les  bords  de  la  table, 
et  de  l'autre  main  ils  tournent  le  bouchon  sur  lui-même,  et 
le  font  aller  et  venir  contre  le  tranchant  du  couteau ,  de  façon 
que  le  parallélipipède  se  trouve  arrondi  quand  il  a  fait  un 
tour  sur  lui-même,  ce  qui  est  facile  à  concevoir.  L'ouvrier 
tient  à  côté  de  lui  une  pierre  à  aiguiser,  sur  laquelle  il  re- 
passe à  sec  son  couteau  chaque  fois  qu'il  a  terminé  un  bou- 
chon ,  car  la  moindre  petite  brèche  que  le  fil  du  tranchet 
aurait  éprouvée,  ce  qui  peut  arriver  souvent,  produirait 
sur  le  buucnon  qu'on  taillerait  ensuite  des  imperfections 
assez  grandes  pour  le  faire  rejeter. 

Comme  les  tables  de  liège  ne  sont  pas  de  même  qualité 
dans  toute  leur  étendue ,  il  en  résulte  que  certains  bouchons 
sont  plus  ou  moins  inférieurs  à  d'autres ,  ce  qui  oblige  à 
les  trier  en  très-fins,  en  fins,  bas  fins  et  communs ,  que 
l'on  vend  ensuite  à  des  prix  proportionnés  à  leur  qualité. 

Les  marchands  bouchonniers  vendent  encore  en  liège  des 
semelles  et  des  encriers,  des  appareils  natatoires,  des  plan- 
ches pom'  boîtes  à  insectes,  des  roues  pour  les  tailleurs  de 
cristaux,  des  patenôtres  ou  chapelets  dont  les  pêcheurs 
tout  usage  pour  tenir  leurs  filets  suspendus  dans  l'eau. 

BOU€IIOTTE  (Jean-Baptiste-Noel),  naquit  à  Metz, 


BOUCHES  INUTILES  —  BOUCICAUT  ôqi 

le  25  décembre  1754.  Entré  à  l'âge  de  seize  ans  dans  la 


carrière  militaire,  il  était  lentement  arrivé  an  grade  de 
capitaine  de  cavalerie ,  quand  la  révolution  éclata.  Il  ne 
tarda  pas  à  être  élevé  aux  fonctions  de  colonel.  La  réputation 
de  probité,  d'ordre  et  de  désintéressement  qu'il  s'était  faite 
appelait  déjà  l'attention  sur  lui.  Après  la  trahison  de  Du- 
mouriez ,  il  se  signala  en  empêchant  la  ville  de  Couitrai  de 
tomber  au  pouvoir  des  Autrichiens,  avec  lesquels  des  traîtres 
négociaient  déjà.  Cet  éminent  service  fut  apprécié  par  la 
Convention,  qui  le  4  avril  1793,  à  l'unaninu'té  d'environ 
sept  cents  voix,  le  nomma  membre  du  conseil  exécutif  et 
ministre  de  la  guerre,  en  remplacement  deBeurnonville, 
que  Du  mouriez  venait  de  livrer  à  l'ennemi. 

Jamais  administrateur  de  la  guerre  ne  fut  aux  prises  avec 
des  circonstances  plus  solennelles,  plus  périlleuses  :  Bon- 
chotte,  par  son  zèle,  par  son  activité,  aida  puissamment  le 
comité  de  salut  public  à  improviser,  organiser  et  approvi- 
sionner nos  armées.  Quand  la  loi  du  28  juillet  1793  l'eut 
chargé  des  nominations,  il  sut  doter  la  république  de  géné- 
raux instruits  et  dévoués.  Bouchotte  conserva  le  ministère 
jusqu'au  1*'  avril  1794  ,  époque  où,  dans  le  but  de  concen- 
trer davantage  l'action  gouvernementale ,  les  six  ministères 
furent  supprimés  par  décret  de  la  Convention  et  remplacés 
par  des  commissions  executives. 

Il  avait  pris  une  part  trop  active  à  la  grande  lutte  de  1793 
pour  ne  pas  devenir  l'objet  de  la  haine  et  de  la  calomnie. 
Arrêté  avant  le  9  thermidor,  comme  contre-révolutionnaire, 
il  fut  poursuivi  après  la  chute  de  Robespierre  comme  terro- 
riste. On  le  traîna  de  maison  de  détention  en  château-fort,  de 
château-fort  en  tribunal.  Enfin,  il  fut  rendu  à  la  liberté,  l'ac- 
cusateur public  n'ayant  pu,  malgré  son  bon  vouloir,  trouver 
aucime  charge  contre  l'ancien  ministre. 

Rendu  à  la  vie  privée,  Bouchotte  se  retira  à  Metz,  sa  ville 
natale,  et  ses  concitoyens  purent  juger,  par  la  simplicité  de 
sa  vie  et  la  médiocrité  de  sa  fortune,  si,  durant  son  minis- 
tère, il  s'était  plus  occupé  du  soin  d'augmenter  son  patri- 
moine que  de  s'avancer  dans  la  carrière  militaire.  A  l'avéne- 
ment  du  gouvernement  consulaire ,  il  témoigna  le  désir  de 
reprendre  du  service,  et  signa  à  sa  section,  au  mois  de  fri- 
maire an  VIII,  l'acceptation  de  la  nouvelle  constitution.  Dans 
une  pétition  du  9  ventôse  an  IX,  il  sollicite  le  grade  de  gé- 
néral de  brigade  et  une  inspection  de  cavalerie,  ou,  à  dé- 
faut, un  traitement  en  rapport  avec  ses  anciennes  fonctions 
de  ministre,  «  la  république  ne  pouvant  décemment,  dit- 
il,  laisser  un  ancien  ministre  exposé  à  se  loger  au  mois  et 
à  courir  pour  avoir  à  dîner  «.  Le  gouvernement  ne  le  tira 
pas  néanmoins  de  l'oubli.  Au  mois  de  juin  1840,  Bouchotte 
s'éteignait  à  Metz ,  sans  autre  ressource  qu'an  fort  modeste 
traitement  de  réforme. 

BOUCICAUT  (Jean  LE  MAINGRE,  dit).  La  famille 
Boucicaut  n'était  pas  fort  ancienne,  et  tirait  son  origine  de 
la  Touraine.  Charles  V  se  plaisait  à  élever  des  hommes 
d'une  naissance  médiocre ,  dans  lesquels  il  remarquait  des 
talents.  En  1366  il  porta  aux  premières  charges  de  l'État 
Jean  Le  Maingre  ,  dit  Boucicaut,  négociateur  habile,  gé- 
néral expérimenté,  qu'il  fit  maréchal  de  France.  Il  mourut 
en  1370 ,  laissant  deux  fils  en  bas  âge. 

L'aîné,  Jean,  naquit  en  1364,  à  Tours,  dont  son  père  était 
gouverneur.  Florine  de  Linières,  sa  mère,  ne  négligea  rien 
pour  lui  donner  une  bonne  éducation.  A  neuf  ans  Charles  V 
le  plaça  auprès  du  dauphin,  pour  partager  ses  études  et  ses 
jeux.  Louis  de  Clermont,  voulant  s'amuser  de  son  humeur 
belliqueuse,  le  conduisit,  à  peine  âgé  de  douze  ans,  à  la  con- 
quête des  places  que  Charles  de  Navarre  occupait  en  Norman- 
die ;  mais  l'enfant  s'y  comporta  en  vrai  soldat.  QiKitre  années 
après,  armé  chevalier,  malgré  son  âge,  il  attaquait,  à  la 
journée  de  Rosebeck,  un  Flamand  d'une  taille  et  d'une  force 
remarquables  :  celui-ci,  dédaignant  sa  jeunesse,  lui  fit  lombef 
sa  hache  des  mains  :  Enfant,  lui  dit-il,  va  téter!  maia 
Boucicaut  se  glisse  sous  son  bras,  et  lui  plonge  sa  dagu»;. 


502 


BOUCICAUT 


dans  le  flanc,  en  s'écrlant  :  Les  enfants  de  ton  pays  jouent- 
ils  à  ces  jeux-là?  L'activité  de  Boucicaut  s'ennuyait  du 
loisir.  Quand  la  paix  désarmait  la  France,  il  poursuivait 
les  combats  en  Prusse ,  en  Hongrie;  il  lui  fallait  des  voyages 
aventureux,  conime  un  pèlerinage  en  Palestine  ;  il  lui  fallait 
des  joutes  contre  les  premiers  chevaliers  de  l'époque.  Il  fit 
annoncer  dans  toute  TAllemagnc,  l'Angleterre,  l'Espagne  et 
la  France,  qu'il  tiendrait  un  mois  entier  contre  tout  venant, 
avec  deux  de  ses  amis.  Au  lieu  et  an  jour  fixés,  cent  vingt 
chevaliers  anglais  se  présentèrent.  Boucicaut  et  ses  compa- 
gnons sortirent  avec  gloire  et  sans  blessures  de  ces  luttes 
périlleuses. 

Boucicaut  faisait  la  guerre  pour  la  seconde  fois  en  Prusse 
contre  les  voisins  idolâtres  des  chevaliers  teutoniques,  lors- 
qu'il apprit  la  mort  du  maréchal  de  Blainville,  dont  la  di- 
gnité vacante  lui  était  réservée  ;  il  se  hûta  de  revenir.  Il 
trouva  Charles  VI  à  Tours  ;  et,  soit  hasard,  soit  par  une 
attention  délicate,  le  roi  confirma  sa  nomination  dans  la 
chambre  où  il  était  né,  il  y  avait  vingt-cinq  ans.  Il  suivit 
le  roi,  et  passa  l'hiver  à  la  cour,  où  les  dames  louèrent  sa 
magnificence ,  sa  politesse,  sa  gaieté,  son  talent  à  compo- 
ser ballades,  rondeaux,  lais,  virelais  et  complaintes 
d'amoureux  sentiments.  Il  conduisait  en  Bretagne  un 
corps  de  mille  hommes  d'armes,  quand  la  démence  impré- 
vue du  roi  arrêta  l'expédition.  En  1396,  Sigismond,  roi 
de  Hongrie,  pressé  par  les  armes  de  Bajazet,  réclama  une 
seconde  fois  le  courage  et  la  piété  des  Français.  Une  foule 
de  nobles  répondirent  à  cet  appel,  et  notamment  les  jeunes 
princes  du  sang  royal,  le  connétable  de  France,  l'amiral  de 
Vienne  et  Boucicaut.  Le  comte  de  Nevers,  Jean,  qui  fut 
surnommé  Sans  Peur,  fut  mis  à  la  tête  de  cette  croisade. 
A  l'arrivée  de  ce  renfort ,  Sigismond  marcha  à  l'ennemi  ; 
mais  le  sort  se  déclara  contre  les  chrétiens.  Boucicaut  tra- 
versa deux  fois  les  bataillons  ennemis,  distribuant  la  mortj 
mais  il  fallut  céder  au  nombre.  Tout  ce  qui  ne  fut  pas  tué 
tomba  dans  les  fers.  Le  jour  suivant ,  Bajazet  fit  la  part 
de  la  vie  et  de  la  mort,  réserva  les  princes  du  sang  royal, 
et  le  reste  eut  la  tête  tranchée.  Quand  vint  le  tour  de  Bou- 
cicaut, ses  yeux  échangèrent  un  adieu  si  touchant  avec  le 
comte  de  Nevers,  que  celui-ci  étendit  les  bras  vers  Bajazet, 
s'efforçant  d'exprimer  que  Boucicaut  et  lui  étaient  comme 
deux  doigts  d'une  main.  Ce  mouvement  sauva  le  maréchal, 
qui  partagea  la  prison  des  princes  dans  la  forteresse  de  Eude. 

Envoyé  auprès  du  sultan  pour  négocier  leur  rançon,  il 
.s'empara  si  bien  de  l'esprit  de  Bajazet,  qu'il  le  força  à  y 
consentir  après  de  longs  refus.  L'empereur  de  Constanti- 
nople.  Manuel  Paléologue,  de  plus  en  plus  pressé  par  les 
armes  de  ce  conquérant,  ayant  demandé  du  secours  à  la 
France,  Boucicaut  lui  fut  envoyé  (1399).  Sa  bonne  fortune 
le  conduisit  au  port  de  Fera,  au  moment  où  cette  ville  allait 
tomber  aux  mains  des  Turcs,  et  entraîner  la  prise  de  Cons- 
tantinople.  Sans  presque  donner  de  temps  au  repos,  il  se 
mit  en  campagne  avec  l'empereur,  chassa  l'ennemi,  et  ren- 
dit un  service  non  moins  signalé  en  réconciliant  Manuel 
avec  un  neveu  qui  aidait  les  Turcs  à  précipiter  la  ruine  de 
sa  patrie.  Au  bout  d'un  an,  Boucicaut  repartit;  l'empereur 
Manuel ,  après  l'avoir  fait  connétable  de  son  empire,  l'ac- 
compagna. Il  allait  solliciter  les  puissances  chrétiennes,  lors- 
que la  fortune  le  servit  an  delà  de  ses  espérances  en  jetant 
Bajazet  dans  les  fers  de  Tamcrtan.  A  cette  époque,  des  bandes 
armées  désolaient  la  Frince;  les  dames  étaient  insultées 
jusque  dans  leurs  châteaux.  Ce  fut  pour  les  défendre  que 
Boucicaut,  avec  l'autorisation  du  roi,  créa  l'ordre  militaire 
de  la  Dame-Blanche  à  Vécu  vert,  qui  comptad'abord  treize 
chevaliers ,  nombre  qui  fut  porté  plus  tard  à  soixante.  Les 
Génois,  fatigués  de  leurs  dissensions  et  désespérant  de  trou- 
ver la  paix  sous  des  chefs  leurs  concitoyens,  s'étaient  don- 
nés à  la  France;  et,  après  avoir  essayé  de  i)lusieurs  gouver- 
neurs dont  la  faiblesse  avait  été  méprisée  des  partis,  avaient 
demandé  Boucicaut.  Celui-ci,  instruit  de  l'état  des  choses, 


se  présenta  bien  accompagné,  annonça  d'un  ton  ferme  la 
paix  aux  bons,  la  guerre  aux  méchants,  désarma  les  par- 
ticuliers, défendit  les  querelles  politiques,  livra  au  bourreau 
la  tête  des  meneurs,  construisit  des  forts  pour  dominer  la 
mer  et  la  ville ,  et  ramena  la  confiance  avec  la  tranquillité. 

Le  roi  de  Chypre  assiégeait  Famagouste,  qui  appartenait 
aux  Génois  :  Boucicaut,  ayant  assuré  l'ordre  intérieur,  en- 
voya sommer  le  roi  de  Chypre  d'abandonner  son  entre- 
prise, et  s'embarqua  sur  une  petite  flotte  pour  appuyer  sa 
demande.  En  môme  temps,  Venise,  jalouse  de  la  prospérité 
rendue  à  sa  rivale,  fit  partir  Zani  avec  des  galères  en  lui 
enjoignant  d'observer  Boucicaut  et  de  l'accabler  à  la  pre- 
mière occasion.  Le  roi  de  Chypre  ayant  consenti  à  lever  le 
siège,  le  maréchal  tourna  contre  les  infidèles  les  forces  de 
l'expédition.  Candéloro,  Tripoli,  Baruth  et  les  côtes  d'E- 
gypte furent  témoins  de  ses  combats,  d'autant  plus  glo- 
rieux qu'il  trouva  un  ennemi  bien  préparé  ;  car  les  Véni»- 
tiens  avaient  semé  dans  tous  les  ports  la  nouvelle  de  son 
approche.  Au  retour,  comme  il  ramenait  son  armée,  con- 
sidérablement affaiblie,  il  fut  attaqué  par  la  flotte  vénitienne  ; 
mais  il  se  défendit  avec  une  telle  vigueur,  malgré  la  surprise 
et  l'inégalité  du  nombre,  qu'il  força  l'ennemi  à  se  retirer. 
Venise  prévint  sa  vengeance  en  se  hâtant  de  négocier  sa 
paix  avec  la  cour  de  France.  Boucicaut  avait  conçu  un 
dessein  hardi  ;  mais  il  avait  besoin  que  le  roi  de  Chypre 
concourtt  à  l'exécution  :  il  s'agissait  d'enlever  Alexandrie 
aux  infidèles.  Il  envoya  donc  en  Chypre  deux  hommes 
chargés  d'instructions  secrètes  ;  mais  le  roi  ne  s'étant  pas 
senti  assez  de  courage,  l'entreprise  n'eut  pas  lieu.  Non 
moins  habile  au  conseil  qu'à  l'exécution,  il  disposa  le  comte 
de  Padoue  et  la  comtesse  de  Pavie  à  reconnaître  la  suze- 
raineté de  la  France,  et  reçut  aussi  l'hommage  de  Gabriel, 
comte  de  Pise  ;  mais  celui-ci  était  venu  en  fugitif,  exilé  par  ses 
sujets;  avant  d'employer  les  armes  pour  le  rétablir,  Boucicaut 
offrit  aux  Pisans  de  leur  ménager  une  réconciliation  avec 
leur  prince.  A  leur  refus ,  et  comme  ils  offraient  de  se  don- 
ner à  la  France ,  le  maréchal  obtint  le  consentement  de 
Gabriel,  sur  la  promesse  d'une  indemnité  égale  à  son  comté. 
Néanmoins,  avant  de  jurer  la  foi  du  vassal,  les  Pisans,  qui 
visaient  à  s'ériger  en  république,  demandent  que  la  cita- 
delle soit  évacuée  et  remise  entre  les  mains  de  Boucicaut. 
Ce  point  leur  est  accordé  ;  mais,  sans  laisser  au  maréchal  le 
temps  d'approvisionner  la  place,  et  d'y  mettre  une  garnison 
suffisante,  ils  assiègent  la  forteresse  et  l'enferment  par  un 
fossé.  Ce  fut  alors  que  Gabriel  vendit  ses  droits  aux  Flo- 
rentins. Le  maréchal  y  consentit,  sous  la  condition  accep- 
tée que  Florence  tiendrait  le  comté  de  Pise  comme  relevant 
de  la  couronne,  arrangement  qui  lui  fit  beaucoup  d'hon- 
neur au  conseil  du  roi  ;  car  il  maintenait  la  suzeraineté  de 
la  France ,  et  lui  gagnait  une  alliée.  Pise  est  donc  assié- 
gée :  réduite  aux  abois,  elle  se  donne  aux  ducs  d'Orléans  et 
de  Bourgogne.  Ceux-ci  l'acceptent,  disposent  Charles  VI 
à  leur  céder  ses  droits,  et,  sans  égard  au  traité  qu'ils  avaient 
signé  avec  Florence,  écrivent  à  Boucicaut  de  porter  se- 
cours aux  Pisans  ;  mais  celui-ci  respectait  mieux  la  foi  jurée  ; 
et  la  ville  fut  prise  après  im  siège  qui  avait  duré  deux  ans. 

Au  n)ilieu  de  ces  affaires ,  la  piété  de  Boucicaut  s'occupait 
encore  de  l'Église.  11  voyait  avec  peine  qu'elle  fût  divisée  entre 
le  pape  de  Rome  et  celui  d'.Avignon  ;  il  détacha  Gênes  du 
Romain  ;  il  assiégea  l'Avignonais  dans  son  palais  ;  et,  n'ayant 
pu  en  obtenir  une  abdication  volontaire,  il  contribua  à  la 
réunion  du  concile  où  furent  déposés  cesdeux  papas  rivaux, 
et  où  l'Église  fut  réunie  (  1409)  sous  un  seul  pontilé,  Alexan- 
dre V.  Ce  Gabriel  qui  avait  cédé  Pise  aux  Florentins  se  mit 
en  rapport  avec  un  fameux  chef  de  bandes,  F'acino-Cane, 
surnommé  la  terreur  de  la  Lombardie,  et  tenta  d'enlever 
Gènes  au  maréchal.  Facino-Cane  devait  se  montrer  devant 
la  ville  au  jour  fixé,  Gabriel  s'emparer  des  portes,  et  les  gibe- 
lins se  révolter.  Boucicaut  découvrit  la  trame,  et  Gabriel  la 
paya  de  sa  tête.  La  crainte  que  Facino  inspirait  et  le  besoin 


BOUCICACT  —  BOUCLES  D'OREILLES 

d'un  appui  contre  son  audace  augmentèrent  l'influence  de  ' 
Doucicauten  Lombardie  :  le  duc  de  Milan  offrit  l'hommage , 
le  comte  de  Pavie  imita  son  exemple.  Boucicaut,  ayant 
sourtùs  en  passant  Crémone  et  Plaisance  révoltées,  fut  reçu 
avec  pompe  dans  Milan ,  où ,  sur  la  place  magnifiquement 
décorée,  le  comte  et  le  duc  prêtèrent  l'hommage  entre  les 
mains  du  maréchal,  assis  sur  un  trône,  et  tenant  un  sceptre  ; 
mais,  en  même  temps,  Spinola  et  Doria,  chefs  de  la  faction 
gibeline,  soulevaient  le  peuple  dans  Gênes,  ouvraient  les 
portes  au  marquis  de  Montferrat  et  à  Facino-Cane,  tuaient 
les  Français  ou  les  mutilaient,  et  forçaient  la  citadelle  à  ca- 
pituler (  1409).  Boucicaut  accourut;  il  avait  demandé  un  se- 
cours que  la  France  n'était  plus  en  état  de  lui  envoyer  au  mi- 
lieu des  factions  qui  l'agitaient  ;  pour  comble  de  malheur , 
elle  fut  abandonnée  par  les  principautés  de  Lombardie ,  qui 
s'étaient  déclarées  ses  vassales.  La  seule  vengeance  que 
Boucicaut  en  put  tirer  fut  de  passer  chez  le  duc  de  Savoie 
pour  l'aider  à  battre  le  marquis  de  Montferrat  et  lui  en- 
lever des  places  fortes. 

La  France  gémissait  déchirée  par  les  Bourguignons  et  par 
les  Armagnacs.  Ceux-ci  comptaient  Boucicaut  parmi  leurs 
plus  zélés  partisans.  Henri  V,  roi  d'Angleterre,  jugeant  la 
situation  de  nos  affaires  convenable  à  ses  projets,  débarqua 
en  Normandie  ;  mais,  suivi  de  près,  il  se  hâtait  d'opérer  sa 
retraite  vers  Calais ,  quand  l'armée  l'atteignit  au  village  d'A- 
zincourt.  Si  l'on  eût  cru  Boucicaut,  on  aurait  laissé  l'en- 
nemi continuer  sa  retraite  précipitée,  sans  le  réduire  au 
désespoir  ;  mais  l'impatience  française  en  décida  autrement. 
La  journée  d'Azincourt  (1415)  doit  être  inscrite  entre  les 
défaites  de  Créci  et  de  Poitiers.  La  veille,  on  avait  armé 
beaucoup  de  chevaliers,  dont  la  plupart  avaient  voulu  rece- 
voir Vaccolée  du  maréchal.  Prisonnier  dans  cette  bataille, 
où  la  France  perdit  la  fleur  de  sa  noblesse ,  il  fut  amené  en 
Angleterre,  et  mourut  à  Londres,  en  1421,  à  l'âge  de  cin- 
quante-cinq ans  ;  son  corps  fut  transporté  en  France,  et  en- 
seveli dans  l'église  de  Saint-Martin  deTours.   H.  Faiciie. 

BOUCLE  ,  nom  donné  à  une  sorte  d'anneau  et  à  tout 
ce  qui  en  a  la  forme.  Les  anciens  employaient  comme  nous 
les  boucles  à  divers  usages  ;  il  y  en  avait  chez  eux  qui  ser- 
vaient à  l'architecture,  d'autres  à  la  chirurgie;  les  plus 
communes  servaient ,  comme  chez  nous ,  à  boucler  les  vête- 
ments, à  en  joindre  une  partie  avec  une  autre,  à  l'aide  d'une 
ceinture  ou  autrement,  et  elles  étaient  portées  également 
par  les  deux  sexes  chez  les  Grecs,  les  Romains  et  les  autres 
nations  contemporaines.  Les  femmes  portaient  principale- 
ment des  boucles  sur  la  poitrine.  Les  hommes  s'en  servaient 
pour  attacher  les  tuniques,  les  chiamydes,  les  lacernes  et 
les  pénules ,  qu'ils  bouclaient  quelques  fois  à  l'épaule  droite, 
d'autres  fois  à  la  gauche. 

La  forme  des  anciennes  boucles  approche  assez  d'un  arc 
avec  sa  corde  :  de  l'une  des  extrémités  de  l'arc  sort  une  ai- 
guille retournée  plusieurs  fois  sur  elle-même,  et  l'aiguillon 
s'avance  de  l'autre  extrémité.  A  chaque  côté  de  l'habit,  à 
l'endroit  où  la  boucle  s'attachait ,  il  y  avait  une  pièce  de  mé- 
tal de  la  même  matière ,  c'est-à-dire  d'or,  d'argent  ou  de 
cuivre.  Il  y  en  avait  qui  étaient  ornées  de  pierres  précieuses, 
et  quelquefois  même  la  boucle  était  faite  d'une  seule  de  ces 
pierres. 

Les  modernes,  imitateurs  des  anciens,  ont  adopté  l'usage 
et  la  forme  de  leurs  boucles ,  ainsi  que  le  choix  des  matières 
diverses  dont  ils  les  composaient  ou  les  ornaient  ;  de  plus,  ils 
ont  donné  aux  matières  les  plus  viles  qu'ils  employaient  les 
apparences  les  plus  séduisantes.  On  se  sert  encore  de  boucles 
pour  les  bretelles,  les  jarretières,  les  ganses  de  chapeaux , 
les  pattes  de  gilets  et  de  pantalons,  etc.  Les  boucles  de  sou- 
liers et  de  ceintures  ont  disparu  il  y  a  longtemps. 

En  architecture ,  on  nomme  boucles  de  petits  ornements 
en  forme  d'anneaux  entrelacés  sur  une  moulure  ronde,  telles 
qu'une  baguette  ou  une  astragale. 
Mais  l'acception  premiilîre  et  naturelle  du  mot  boucle,  celle 


603 

qui  a  servi  sans  nul  doute  de  type  à  toutes  les  autres ,  c'est 
la  plus  belle  parure  des  femmes  et  des  adolescents ,  c'est  la 
boucle  de  chevetix ,  si  précieuse  à  l'amour,  dentelle  devient 
souvent  le  gage  et  le  souvenir  le  plus  doux ,  et  que  Pope  a 
chantée  dans  des  vers  si  dignes  du  dieu  qui  l'inspirait. 

BOUCLES  D'OREILLES.  Ce  genre  d'ornement, 
qu'on  retrouve  chez  presque  tous  les  peuples  sauvages ,  re- 
monte à  la  plus  haute  antiquité.  Éliézer  donna  à  Rébecca  des 
boucles  d'oreilles  et  des  bracelets.  Dans  Homère,  elles  font 
partie  de  la  parure  des  femmes.  Junon  les  fixe  aux  lobes  de 
ses  oreilles  percées  avec  art.  Les  hommes,  cliez  les  Grecs , 
portaient  aussi  quelquefois  des  boucles  d'oreilles.  Pline  dit 
qu'on  se  plut  à  incruster  dans  sa  chair  des  joyaux  en  pierres 
brillantes  ou  en  perles ,  soit  en  perçant  le  lobe  des  oreilles , 
soit  en  y  attachant  ces  ornements  sans  les  percer.  A  Rome, 
Alexandre  Sévère  défendit  aux  hommes  de  porter  des  boucles 
d'oreilles.  Les  femmes  à  cette  époque  en  avaient  de  si 
lourdes  que ,  suivant  Sénèque ,  leurs  oreilles  en  étaient  plu- 
tôt chargées  qu'ornées  :  ji  y  avait  des  femmes  dont  tout  le 
métier  consistait  à  donner  leurs  soins  aux  lobes  des  oreilles 
des  élégantes  de  Rome,  souvent  blessées  par  le  poids  do 
l'or,  des  perles  et  des  pierres  que  l'on  y  suspendait;  ces 
fenmies  étaient  nommées  auriciilx  oriiatrkes.  Chez  les 
Grecs ,  les  enfants  ne  portaient  de  boucles  d'oreilles  que  du 
côté  droit. 

Les  perles  furent  d'un  grand  usage  pour  les  boucles  d'o- 
reilles. Lorsque  le  commerce  eut  fait  connaître  ces  produits 
aux  Grecs  et  aux  Romains,  le  luxe  en  tira  le  plus  grand 
parti,  et  sous  les  empereurs  les  femmes  se  piment  à  sus- 
pendre à  leurs  oreilles  la  valeur  de  deux  ou  trois  riches  pa- 
trimoines. On  trouve  dans  les  plus  anciens  tombeaux  des 
rois  d'Egypte  des  agates,  des  calcédoines,  des  onyx,  des 
cornalines ,  qui  ont  la  foi-me  de  perles  parfaitement  rondes 
et  d'un  très-beau  poli;  elles  servaient  à  faire  des  boucles 
d'oreilles. 

La  forme  et  le  nom  des  boucles  d'oreilles  étaient  très-va- 
riés. Les  boucles  d'oreilles  romaines  appelées  bulles  étaient 
semblables  à  des  bulles  d'eau  ;  peut-être  les  nommait-on 
ainsi  à  cause  de  leur  forme  et  de  leur  légèreté  :  elles  étaient 
faites  d'une  feuille  d'or  extrêmement  mince.  On  appelait  cal- 
laica  de  grandes  boucles  d'oreilles  faites  avec  une  pierre  pré- 
cieuse verte,  peut-être  VémexaMàe,  ;  caryotides ,  celles  qui 
avaient  la  forme  de  petites  noix  vertes  ;  centaurïdes ,  celles 
qui  étaient  omées  de  figures  de  centaures  en  or  ;  connos,  des 
boucles  d'oreilles  en  forme  de  quille  ;  crotalia,  des  boucles 
formées  de  plusieurs  grosses  perles  réunies  et  suspendues , 
lesquelles,  en  se  heurtant,  produisaient  un  léger  bruit,  sem- 
blable à  celui  des  crotales  ou  des  castagnettes.  On  donnait 
le  nom  d^exaliiminalx  aux  perles  les  plus  belles  et  les  plus 
blanches,  et  à  l'eau  desquelles  on  trouvait  la  couleur  de  l'a- 
lun, et  ceux  d'hippiscos  et  à' hippocampes  aux  boucles 
d'oreilles  où  pendaient  de  petites  figures  de  cheval  ou  d'hip- 
pocampe, petit  poisson  connu  sous  le  nom  de  cheval  marin, 
très-commun  dans  la  Méditerranée;  enfin  celui  àe  pinosis 
aux  bouclesen  forme  de  pin.  Les  ro^M^a?  étaient  des  boucles 
d'oreilles  dont  les  pendeloques  étaient  en  forme  de  petites 
roues  ou  de  poires.  Spathalia  et  stalagmium  indiquaient 
des  formes  en  goutte  d'eau  ou  en  poire  allongée,  telles  que 
celles  des  stalagmites.  La  trïglene  était  célèbre  dans  l'anti- 
quité; elle  fait  partie  de  la  parure  de  Junon  dans  l'Iliade; 
c'est  dans  l'Odyssée  le  riche  présent  qu'Eurydannis  en- 
voie à  Pénélope.  Mais  il  n'est  guère  possible  d'expliquer  ce 
qu'étaient  les  triglènes  :  peut-être  étaient-ce  des  onyx  on  des 
cailloux  roulés ,  à  plusieurs  couches  concentriques  de  cou- 
leurs différentes ,  et  qui  offraient  la  forme  et  les  couleurs 
de  la  prunelle  de  l'œil,  le  mot  YXrjvri  signifiant  la  pupille  de 
l'œil.  Enfin,  il  y  avait  des  boucles  d'oreilles  qui  avaient  la 
forme  de  petits  trépieds,  et  que  pour  cela  on  nommait 
tripodes. 

11  nous  reste  à  parler  du  ncsim  ou  nisme.  L»'s  Hébreux 


504 


BOUCLES  D'OREILLES  —  BOUCLIER 


donnaient  ce  nom  à  l'anneau  dont  ils  ornaient  leurs  narines, 
usage  qu'on  trouve  chez  plusieurs  peuples  sauvages  et  aux 
Indes.  Il  semble  avoir  été  pratiqué  en  Orient  dès  le  temps 
d'Abraham;  il  en  est  souvent  question  dans  la  Bible.  Les 
peintures  indiennes  et  chinoises  offrent  un  grand  nombre 
de  figures  dont  les  narines  sont  orn(''es  de  perles  et  de  pierres 
précieuses.  Ces  anneaux  servaient  chez  les  Juifs  aux  hommes 
ainsi  qu'aux  femmes,  et  on  les  suspendait  tantôt  aux  na- 
rines, tantôt  aux  oreilles.  On  appelait  aussi  autrefois  nesim, 
en  Orient,  ce  fort  anneau  qu'on  employait  et  qu'on  emploie 
encore  aujourd'hui,  en  plusieurs  pays ,  comme  frein  ou  ca- 
veçon,  et  qu'on  passe  dans  la  cloison  des  narines  des  buffles 
et  des  bœufs.  Delbare. 

BOUCLIER,  arme  défensive  dont  les  anciens  se  ser- 
vaient pour  se  couvrir  le  corps  et  se  préserver  des  coups  de 
leurs  ennemis  dans  les  combats.  Selon  plusieurs  savants,  le 
mot  bouclier  est  dérivé  de  buccularium  ou  bucctila,  parce 
qu'on  représentait  sur  les  boucliers  des  tôles  ou  gueules  de 
gorgone,  de  lion  ou  d'autres  animaux.  Les  Grecs  et  les  Ro- 
mains en  avaient  de  diverses  formes ,  tant  pour  l'infanterie 
que  pour  la  cavalerie.  Le  bouclier  rond  s'appelait  en  grec 
ianiÇf  en  latin  clypeus  ;  le  bouclier  long  et  rectangulaire  en 
grec  Bupco;  (semblable  à  une  porte),  en  latin  sctUum.  Le 
scutum  avait  souvent  la  forme  d'une  tuile  creuse;  il  était 
assez  haut  pour  couvrir  le  soldat  quand  il  se  baissait.  Les 
boucliers  étaient  ordinairement  munis  de  deux  anses;  le 
combattant  passait  le  bras  dans  la  plus  grande,  et  saisissait 
l'autre  comme  une  poignée.  On  faisait  les  boucliers  de  ma- 
tières légères  et  tenaces,  comme  osier,  bois  blancs,  cuirs,  etc., 
que  l'on  couvrait  quelquefois  d'une  feuille  métalli(iue.  Le 
milieu  du  bouclier  était  couvert  d'une  plaque  de  métal , 
et  armé  d'une  pointe.  On  l'appelait  en  grec  [jieaofAçoiXiov  (le 
nombril),  en  latin  «môo. 

Les  Égyptiens  s'attribuaient  l'invention  du  bouclier,  la 
plus  ancienne  des  armes  défensives,  et  la  seule,  du  moins, 
dont  il  soit  parlé  dans  les  livres  de  Moïse;  les  Grecs  le  re- 
çurent d'eux,  avec  le  casque,  elle  transmirent  à  leur  tour  aux 
autres  nations.  Les  premiers  boucliers  étaient  d'une  gran- 
deur démesurée  et  avaient  presque  la  hauteur  d'un  homme. 
Au  temps  de  la  guerre  de  Troie,  on  ne  les  portait  pas  en- 
core au  bras  ;  ils  étaient  attachés  au  cou  par  une  courroie  et 
pendaient  sur  la  poitrine  :  lorsqu'il  s'agissait  de  se  battre, 
on  les  tournait  sur  l'épaule  gauche  et  on  les  soutenait  avec 
le  bras;  pour  marcher,  on  les  rejetait  derrière  le  dos,  et 
alors  ils  battaient  sur  les  talons.  Les  Cariens,  peuples  très- 
belliqueux,  changèrent  cet  usage,  et  enseignèrent  aux  Grecs 
à  porter  le  bouclier  passé  dans  le  bras  par  le  moyen  de  cour- 
roies faites  en  (ormes  d'anses.  Du  reste,  la  fit;ure  du  bou- 
clier parait  avoir  souvent  varié  en  passant  d'une  nation  à 
une  autre.  Les  Grecs  se  servirent  plus  ordinairement  du  ôu- 
p£Ô;,ou  bouclier  long  et  rectangulaire;  mais  les  Lacédémo- 
niens  portaient  un  bouclier  qui  avait  la  forme  d'une  tuile 
creuse.  L'un  et  l'autre  étaient  ordinairement  de  cuivre.  On 
gravait  sur  chacun  la  lettre  initiale  du  pays  de  celui  qui  le 
portait  :  ceux  des  Lacédémoniens  avaient  unX,  ceux  des  Ar- 
giens  un  a.  Ce  dernier,  qui  était  le  clijpeus,  devint  aussi  le 
bouclier  des  Romains,  qui  adoptèrent  le  5c«^î<?n  après  leur 
réunion  avec  les  Sabins.  Tantôt  plat  et  tantôt  courbé,  et 
ayant  la  forme  d'un  carré  oblong ,  ce  bouclier  fut  chez  eux 
l'arme  défensive  de  l'infanterie,  et  la  cavalerie  eut  un  bou- 
clier rond,  plus  léger,  que  l'on  appelait  parma.  Chaque  lé- 
gion avait  des  boucliers  d'une  couleur  particulière,  et  ornés 
d'un  symbole  qui  les  distinguait  de  ceux  des  autres  légions, 
tels  que  le  foudre,  une  ancre,  un  .serpent,  etc.  On  y  joi- 
gnait encore  des  signes  distinctifs  pour  que  le  bouclier  de 
chaque  soldat  pût  être  reconnu. 

On  sait  que  dans  les  premiers  temps  de  la  monarchie  des 
Francs  les  princes  ou  chefs  choisis  par  la  nation  étaient 
élevés  sur  un  taillevas  ou  pavois,  grand  bouclier,  et  mon- 
trés de  la  sorte  au  peuple  réuni.  Derrière  ces  pavois,  teiuis 


par  d'autres  soldats  appelées  pavescheurs ,  les  archers 
s'abritaient  les  jours  de  combat  ;  ce  moyen  était  surtout  em-      ■ 
ployé  à  l'attaque  ou  à  la  défense  des  places,  et  l'on  montre     H 
un  de  ces  pavois  au  Musée  d'.\rtillerie  de  t'aris.  Les  Francs, 
à  leur  arrivée  dans  la  Gaule,  armaient  leur  infanterie  de 
larges  en  bois  léger,  garnis  de  cuir  bouilli.  Leur  cavalerie 
avait  adopté  le  bouclier  romain.  Vers  la  fin  du  onzième 
siècle,  à  l'époque  de  l'invasion  de  l'Angleterre  par  les  Nor- 
mands ,  nous  voyons  la  forme  de  ce  bouclier  changer  com- 
plètement. 11  s'allonge  en  pointe  vers  le  bas ,  tandis  que  la 
partie  supérieure  s'arrondit  sensiblement.  Vornbilic  ou  umbo 
est  très-souvent  armé  d'une  pointe  comme  les  boucliers  an- 
tiques. Au  temps  des  croisades,  cette  arme  défensive,  ra-       'Â 
menée  à  de  plus  étroites  proportions,  se  couvre  d'armoiries  ;       fl 
elle  change  alors  son  nom  contre  celui  d'^cH ,  dérivé  de 
scutum ,  et  qu'on  donne  plus  tard  aux  pièces  de  monnaie 
sur  lesquelles  il  est  représenté.  11  tient  aussi  une  place  im- 
portante parmi  les  armes  de  la  chevalerie;  et  le  blason  lui 
doit  le  champ  où  se  dessinent  ses  accessoires. 

Puis ,  cette  forme  éprouve  encore  un  nouveau  change- 
ment :  on  ne  voit  plus  aux  hommes  d'armes  du  seizième 
.siècle  que  de  très-petits  boucliers  ronds  appelés  rondelles, 
et  de  plus  grands,  également  ronds,  nommés  rondaches, 
dernière  transformation,  qui  ne  disparaîtra  qu'avec  l'usage 
de  l'arnmre  elle-même.  Les  boucliers  sont  enfin  remplacés 
par  la  cuirasse,  et  ne  se  montrent  plus  que  dans  les  trophées 
d'armes. 

C'était  un  grand  déshonneur  chez  les  Grecs  que  de  perdre 
son  bouclier  dans  les  combats.  Aussi  les  mères  des  Spar- 
tiates recommandaient-elles  à  leurs  enfants  de  revenir  avec 
leur  bouclier  ou  sur  leur  bouclier.  C'était  également  une 
grande  ignominie  chez  les  Germains  de  perdre  ou  de  se  lais- 
ser enlever  son  bouclier  dans  les  combats,  comme  par  la 
suite  chez  les  nations  modernes  de  ne  pouvoir  conserver 
son  drapeau. 

On  appelait  boucliers  votifs ,  chez  les  anciens ,  ceux  que 
l'on  consacrait  aux  dieux  après  quelque  victoire.  Cet  usage 
passa  de  la  Grèce  en  Italie.  Lorsque  Titus  Quintuseut  vaincu 
Philippe,  roi  de  Macédoine  et  père  de  Démétrius,  on  déposa 
dans  le  Capitole  dix  boucliers  d'argent  et  un  d'or  massif, 
qu'on  avait  trouvés  parmi  les  dépouilles.  La  coutume  vint 
ensuite  de  consacrer  des  boucliers  aux  grands  hommes  de  la 
république.  Le  consul  Appius  Claudius  Sabinus  fut  le  pre- 
mier (l'an  de  Rome  209)  qui  en  fit  placer  dans  le  temple  de 
Bellone  plusieurs,  sur  lesquels  il  avait  fait  représenter  les 
belles  actions  de  ses  ancêtres.  Cet  usage,  inventé  pour  flat- 
ter la  vanité,  se  soutint,  et  ces  sortes  de  monuments  de- 
vinrent si  communs,  que  les  murailles  de  tous  les  temples  en 
étaient  ch;irgées. 

A  Rome,  les  anciles  étaient,  comme  on  sait,  des  bou- 
cliers sacrés,  confiés  aux  prêtres  sa  lien  s.    Edme  Héhead. 

Les  poètes  anciens  se  sont  plu  à  décrire  les  emblèmes 
qui  ornaient  les  boucliers  de  leurs  héros.  Les  plus  fameuses 
descriptions  de  ce  genre  sontcelles  :  1°  du  bouclier  d'Achille, 
par  Homère;  2°  du  bouclier  d'Hercule ,  qui  est  le  sujet 
d'un  poème  d'Hésiode  parvenu  jusqu'à  nous;  3*^  du  bouclier 
d'Énée,  par  Virgile;  enfin  nous  savons  par  Eschyle  quel» 
emblèmes  ornaient  les  boucliers  des  sept  chefs  devant  Thèbes. 

Le  bouclier  d'Achille,  décrit  par  Homère,  était  rond 
comme  un  globe.  Vulcain  lui  donna  pour  ceinture  les  flots 
de  l'Océan,  y  traça  les  mers  intérieures ,  et  l'environna  du 
ciel  étoile,  à  l'aide  de  la  fusion  des  métaux  alors  connus, 
l'airain ,  l'étain,  l'argent  et  l'or.  Les  connaissances  astrono- 
miques de  cette  époque  y  sont  aussi  paifaitement  expli- 
quées :  «  Dans  le  milieu  du  bouclier,  dit  Homère ,  le  dieu 
figura  la  terre,  le  ciel  la  mer,  le  soleil  infatigable,  la  lune 
en  son  plein  et  tous  les  astres  dont  les  cieux  sont  couron- 
nés, les  Pléiades,  les  Hyades,  le  géant  Orion,  l'Ourse, 
qu'on  nomme  aussi  le  Chariot,  et  qui  tourne  toujours  aux 
uicnies  lieux  en  regardant  Orion.  la  seule  des  constellations 


BOUCLIER 

qiii  ne  se  baigne  pas  dans  l'Océan.  »  Si  l'on  redescend  sur 
la  terre,  là  on  voit  représentées  deux  villes  populeuses, 
des  fêtes  nuptiales  à  la  clarté  des  flambeaux ,  et  des  danses 
en  rond  qu'animent  les  flûtes  et  les  phorminx,  les  plus 
harmonieuses  des  lyres  ;  ici ,  deux  hommes  s'échauffant  à 
plaider- leur  cause  au  milieu  d'une  place  publique,  et  des 
hérauts  avec  leur  sceptre  apaisant  les  murmures  de  la  mul- 
titude ;  plus  loin ,  deux  armées  victorieuses  disputent  sur 
le  sort  d'une  ville  :  attirées  dans  une  embuscade,  elles  en 
viennent  aux  mains  avec  les  habitants  :  le  carnage  est  hor- 
rible ,  et  la  surface  du  bouclier  est  couverte  de  morts  et  de 
mourants.  Au  milieu  de  ces  scènes  de  sang,  Homère  n'au- 
rait eu  garde  d'oublier  les  riantes  saisons ,  les  semailles ,  la 
moisson  et  la  vendange  :  le  printemps ,  l'été  et  l'automne 
passent  sous  ses  admirables  pinceaux. 

En  considérant  le  bouclier  d'Achille  sous  le  rapport  des 
progrès  de  la  ciselure  et  de  l'emploi  des  métaux  dans  ces 
siècles  reculés,  nous  devons  croire  que  l'art  de  l'émailleur 
y  était  porté  à  un  haut  degré.  N'en  aurions-nous  pas  même 
jusqu'à  la  certitude  par  ce  passage  :  «  Quoique  la  terre, 
soit  d'or,  elle  se  noircit  derrière  eux  comme  une  plaine  ré- 
cemment labourée  :  c'est  un  prodige  !  »  Et  par  cet  autre  : 
«  Yulcain  y  représenta  aussi  une  belle  vigne  toute  d'or, 
chargée  de  grappes  pourprées  qu'entourait  un  fossé  d'une 
couleur  bleuâtre.  »  L'émail  seul ,  ce  nous  semble ,  devait 
opérer  ces  nuances  merveilleuses  sur  l'or. 

Le  bouclier  d'Hercule  est  dû  au  génie  d'Hésiode  d'As- 
crée.  Le  bouclier  que  Thétis  commanda  à  Vulcain  pour  son 
fils  est  forgé  avec  le  feu  du  ciel  dans  l'Olympe,  dans  le  pa- 
lais du  dieu ,  et  non  avec  les  flammes  terrestres  de  Lcmnos 
ou  des  îles  Éoliennes.  Le  bouclier  d'Hercule ,  don  de  Pal- 
las,  également  exécuté  par  Vulcain ,  eut  sans  doute  la  même 
origine,  quoique  le  poète  se  taise  sur  ce  point.  11  est  en- 
touré de  lames  bleues  d'un  éclat  éblouissant  ;  celui  d'Achille 
est  ceint  d'un  triple  cercle  d'un  radieux  métal  ;  cinq  lames 
le  couvrent,  un  baudrier  d'argent  y  est  attaché.  Celui  d'Her- 
cule ,  sans  compter  ses  douze  serpents  accessoires,  présente 
dans  son  centre  un  dragon  terrible,  aux  yeux  allumés,  à 
la  gueule  béante,  aux  dents  blanchissantes,  allusion  aux  deux 
sorpints  que  ce  liércs  étouffa  dans  son  l)erceau.  Comme 
celui  du  fils  de  Pelée ,  il  offre  une  Discorde  dont  la  tunique 
est  rouge  de  sang,  un  combat  de  lions,  deux  armées  qui 
en  sont  aux  mains ,  des  fêtes  d'Hyménée  avec  leurs  flam- 
beaux, des  chœurs  de  jeunes  hommes  avec  leurs  flûtes  et 
leurs  lyres ,  une  plaine  qu'on  ensemence ,  des  moissons  et 
une  vendange  où  l'on  voit  une  vigne  toute  d'or,  aux  pampres 
agités,  et  soutenue  par  des  palis  d'argent,  images  tout  à 
fait  pareilles  à  celles  d'Homère.  Enfin ,  ce  bouclier,  ainsi 
que  l'autre,  a  pour  ceinture  les  flots  de  l'Océan.  Ce  qu'il 
présente  d'original ,  ce  sont  le  combat  des  Lapithes  et  des 
Centaures ,  les  Gorgones  et  Persée  rasant  dans  son  vol  la 
surface  des  mers,  une  chasse  aux  lièvres,  un  combat  au  ceste, 
une  lutte,  un  vaste  port  inaccessible  aux  vents,  la  mer 
d'alentour  couverte  de  dauphins  et  un  pêcheur  observant 
leurs  ondoMions,  et,  par-dessus  tout,  un  tableau  des  Par- 
ques, admirable  par  la  terreur  qu'il  inspire.  Ce  tableau 
sombre  est  d'une  grande  vigueur;  elle  ne  se  fait  point  sentir 
à  ce  degré  dans  le  bouclier  d'Achille;  mais  Homère  a  voulu 
ménager  tous  les  jours  dans  son  admirable  poëme.  Ce  n'est 
pas  dans  les  accessoires  qu'il  a  voulu  user  son  feu  divin 
il  le  réservait  pour  de  plus  vastes  sujets  ;  d'ailleurs,  son  bou- 
clier est  de  beaucoup  supérieur  à  celui  d'Hésiode  par  l'or- 
donnance :  tout  est  pêle-mêle  dans  le  poète  d'Ascrée. 

On  voit  que  ces  boucliers  sont  presque  identiques  :  l'un 
a  servi  de  type  à  l'autre.  Certes ,  ce  n'est  pas  Homère  qui 
est  le  copiste ,  puisque  ses  tableaux  ont  tant  de  supériorité  • 
le  chantre  de  la  théogonie  serait  donc  postérieur  au  chan- 
Ije  d'Achille?  Ce  n'est  pas  ici  la  place  d'une  telle  discussion. 

Le  bouclier  d'Énée  est  un  hommage  de  Vh-gile  à  Au- 
guste :  c'est  une  longue  suite  d'adulations  entremêlées  dos 

»1CT.    DE   LA   CONVKllS.    —   T.    III. 


nos 


fastes  de  Rome.  On  y  voit  représentés  sur  le  métal  brillant 
la  postérité  d'Ascagne,  la  louve  de  aiars,  couchée  dans  un 
antre  vert,  la  ville  de  Romulus,  l'enlèvement  des  Sabines, 
le  supplice  de  Métius  écattelé  par  deux  quadriges,  Porsenna 
aux  portes  de  la  ville  éternelle  ,  l'intrépide  Codés,  Manlius 
et  le  Capitole ,  les  Gaulois  à  la  chevelure  d'or,  la  danse  des 
Saliens,  le  sombre  CatiHna,  l'austère  Caton.  La  mer  d'A- 
dria ,  couverte  des  flottes  égyptienne  et  romaine,  encadre  ce 
tableau.  On  y  voit  surgir  au-dessus  des  vagues  la  roche  de 
Leucade  et  le  promontoire  d'Actium  :  Auguste  y  paraît  de- 
bout sur  la  poupe  de  son  vaisseau  ,  regardant  fuir  Antoine 
avec  les  peuples  de  l'Aurore ,  et  la  reine  du  Nil  ,  son  épouse, 
excitant  en  vain  du  cistre  ses  matelots  barbares.  Plus  loin, 
couronné  des  triples  palmes  du  triomphe,  ce  prince  voue  à 
Apollon  Sauveur  un  temple  d'un  marbre  éblouissant;  au- 
tour du  vainqueur  sont  groupées  comme  accessoires  les 
nations  soumises,  les  Numides,  les  Africains  aux  robes 
flottantes,  les  Cariens,  les  Dahœ,  les  Gelons  aux  flèches 
aiguës.  Le  métal  offre  aussi  le  Nil  et  l'Euphrate ,  le  Rhin  et 
l'Araxe  indigné  du  pont  qui  l'emprisonne.  Il  est  aisé  d'aper- 
cevoir dans  ces  tableaux ,  d'ailleurs  meiTeilIcusement  tracés 
dans  l'original  en  vers  sonores  et  pompeux ,  l'absence  des 
scènes  de  la  nature  et  de  ses  charmes ,  qui  se  font  si  vive- 
ment sentir  dans  Homère  et  dans  Hésiode ,  tous  deux  imites 
par  Virgile. 

Il  ne  nous  reste  plus  à  parler  que  d'une  espèce  de  bouclier 
symbolique  qui  remonte  à  une  plus  haute  antiquité  ;  c'est 
Eschyle ,  qui  alimentera  notre  érudition  sur  ce  sujet  par  sa 
tragédie  des  Sept  Chefs  devant  Thèbes.  Tydée,  nous  dit-il, 
portait  sur  son  bouclier  «  un  ciel  clair  et  parsemé  d'étoiles. 
La  lune  dans  son  plein,  astre  vénérable,  œil  brillant  de  la 
nuit,  occupe  le  milieu.  «Celui  de  Capanée  offrait»  un  homme 
nu  qui  secoue  un  flambeau  avec  ces  mots  en  lettres  d'or  : 
Je  brûlerai  Thèbes.  »  Celui  d'Étéocle  «  un  soldat  qui  esca- 
lade une  tour,  avec  ces  paroles  :  Mars  lui-même  ne  me 
repousserait  pas.  »  Celui  d'Hippomédon,  <<  Typhée,  dont 
la  bouche  ardente  vomit  des  flots  d'une  noire  fumée.  «  Ce- 
lui de  Parthénopée ,  «  un  sphinx  tenant  dans  ses  griffes  un 
soldat  thébain.  »  Sur  le  bouclier  de  Polynice  sont  représen- 
tées deux  figures  :  «  un  guerrier  avec  des  armes  dorées  et 
une  femme  qui  le  précède  :  c'est  la  Justice  ;  on  y  lit  ces 
mots  :  Je  le  rétablirai  dans  sa  ville  et  dans  le  palais  de 
son  père.  »  Quant  au  bouclier  d'Amphiaraûs,  il  n'était  chargé 
d'aucun  symbole  :  ce  chef  ne  faisait  pas  le  brave ,  il  se  con- 
tentait de  l'être.  Il  est  curieux  de  rapprocher  de  cette  tradition 
l'usage  de  nos  preux  du  moyen  âge ,  qui  portaient  une  de- 
vise sur  leur  écu.  C'est  le  quinzième  siècle  qui  va  se  fondre 
dans  la  nuit  des  temps  héroïques;  c'est  la  mode,  qui,  for- 
mant le  cercle,  comme  le  serpent  de  Saturne ,  fait  le  tour  du 
monde.  Dense-Baron. 

BOUCLIER  (  Histoire  naturelle).  C'est  le  nom  donné 
aux  organes  protecteurs  résultant  de  la  condensation  et  de 
la  grande  épaisseur  de  la  peau ,  qui  est  plus  ou  moins  en- 
croûtée de  sels  calcaires.  On  voit  l'origine  de  cette  disposi- 
tion en  boucliers  dans  la  peau  rude  des  rhinocéros,  qui 
estremarquable  par  des  plis  profonds  en  arrière  et  en  travers 
des  épaules,  en  avant  et  en  travers  des  cuisses;  c'est  dans 
les  tatous ,  les  chlamyi)liores,  les  priodontes,  les  tatusies, 
qu'on  observe  ces  boucliers  (  qui  ont  été  distingués  en  cé- 
phalique,  scapulaire,  dorsal,  lombaire  et  caudal ,  selon 
qu'ils  recouvrent  la  tête,  les  épaules,  le  dos ,  la  croupe  ou 
les  lombes  et  la  queue  ) ,  en  outre  des  plaques  solides  qui 
recouvrent  la  partie  externe  des  membres.  On  donne  quel- 
quefois, peut-être  à  tort ,  le  nom  de^es^oudecarrtjoace 
à  l'ensemble  des  boucliers  de  ces  animaux.  Les  pangolins, 
dont  le  corps  est  recouvert  par  des  écailles,  ont  une  sorte 
de  bouclier  écailleux.  Dans  les  oiseaux  et  les  tortues,  il 
n'y  a  jamais  de  bouclier  proprement  dit.  Les  crocodiles,  les 
caïmans,  les  gavials ,  offrent  dans  le  derme  de  la  peau  dor- 
sale un  grand  nombre  de  pièces  osseuses  dont  l'ensemble 


50G 


BOUCLIER  —  BOUDERIE 


constitue  un  véritable  bouclier.  Parmi  les  poissons,  il  en 
est ,  tels  que  les  lépisostées ,  plusieurs  espèces  de  trigles ,  de 
lottes,  de  silures  et  ménic  de  gastérostées ,  dont  les  écailles 
deviennent  osseuses  ;  chez  d'autres ,  les  ostracions  ou  cof- 
fres, quelques  diodons,  des  syngnathes,  des  hippocampes 
et  des  esturgeons ,  la  peau  est  solidifiée  par  la  réunion  de 
pièces  complètement  osseuses  très-dures.  Daas  ces  deux 
cas ,  le  corps  de  ces  poissons  est  recouvert  par  une  sorte 
de  bouclier  général  ou  armure  cou)plèfe. 

Dans  les  animaux  articulés,  on  donne  quelquefois  le  nom 
de  bouclier  au  chaperon  ou  épistome  qui  avoisine  le  labre 
ou  lèvre  supérieure  chez  les  insectes.  Chez  certains  crusta- 
cés, la  pièce  supérieure  qui  recouvre  le  corps  entier  forme 
un  vaste  bouclier  qui  porte  le  nom  de  têt  ou  de  carapace. 

En  zoologie,  on  a  donné,  le  nom  de  boucliers  :  t°  à  des 
espèces  de  poissons  appartenant  aux  genres  cycloptère , 
spare ,  lépadogastère  et  centrisque  ;  2°  à  des  coléoptères  de 
la  famille  des  ciavicornes,  dont  le  corps  a  cette  forme. 
Ces  insectes ,  essenticUcmeat  carnassiers ,  préfèrent  les  ca- 
davres en  putréfaction  et  les  excréments  à  toute  autre 
nourriture.  Plusieurs  espèces  de  ce  genre  se  trouvent  aux 
environs  de  Paris.  11  en  est  une ,  le  bouclier-àlre  (silpha- 
atrata  ,  Fabr.  ) ,  qui  diffère  des  autres  en  ce  qu'elle  se  tient 
sur  les  chênes  et  se  nourrit  de  chenilles. 

Il  y  a  un  étrange  abus  de  mots  dans  les  noms  vulgaires 
donnés  à  une  espèce  de  patelle  {patella  testudinaria),  tels 
que  bouclier  ou  écaille  de  rocher,  bouclier  d'écaillé  de 
tortue,  bouclier  couleur  d'écaillé. 

Quelques  oursins  ont  reçu,  à  cause  de  leur  ressemblance 
avec  un  bouclier,  les  noms  de  scutelle  et  de  clypéastre.  En- 
fin ,  Paulet  a  donné  encore  ce  nom  à  Vagaric  brevipes  de 
Bulliard.  L.  Lauiœnt. 

BOUDDHA,  BOUDDHISME.  Le  mot  bouddha  en 
sanscrit  signifie  sage  ;  c'est  le  titre  d'honneur  donné  à  Gau- 
tama  on  Sakja-Mouni  (docteur  de  la  famille  Sakja),  fonda- 
teur du  bouddhisme,  religion  indienne,  qui  compte  plus 
^le  300  millions  de  sectateurs  répandus  dans  l'île  de  Ceylan , 
le  royaume  de  Siam,  l'empire  Birman,  le  Tonkin,  le  Tibet, 
la  Mongolie,  la  Chine  et  le  Japon.  Sakja-Mouni  naquit  au 
sixième  siècle  avant  notre  ère,  dans  la  province  de  Mâ- 
gadha,  aujourd'hui  Beliar.  Profondément  ému  delà  cor- 
ruption et  de  la  misère  de  l'espèce  humaine,  il  se  retira 
quelque  temps  dans  la  solitude;  mais  il  ne  tarda  pas  à  re- 
|«iraître  dans  lo  monde  comme  réformateur  de  la  religion, 
attaquant  les  Védas  et  beaucoup  d'institutions  de  la  reli- 
gion reconnue.  Il  transmit  ses  doctrines  à  son  disciple,  le 
brahmane  Mahakaja,  et  mourut  vraisemblablement  vers 
l'an  533  avant  J.-C.  A  son  tour,  Mahakaja  se  choisit  un  dis- 
ciple ,  et  la  transmission  de  la  doctrine  bouddhique  se  con- 
tinua ainsi  de  maître  à  disciple  pendant  plusieurs  siècles  ; 
cependant  elle  avait  été  de  très-bonne  heure  mise  par  écrit 
en  langue  sanscrite. 

Les  bouddhistes  se  multiplièrent  beaucoup  dans  l'Jnde. 
"Voici  quelles  étaient  leurs  principales  doctrines  :  un  Dieu 
suprême  régit  le  monde;  il  est  invisible,  immatériel,  et  ne 
peut,  par  consé(\uent,  être  représenté  par  aucune  image; 
il  est  sage,  juste,  bon,  compatissant,  tout-puissant,  et  ne 
peut  être  mieux  honoré  que  par  une  contemplation  silen- 
cieuse. L'homme  arrive  à  la  félicité  éternelle  par  la  vertu; 
il  ne  doit  ni  jurer,  ni  mentir,  ni  calomnier,  ni  tuer,  ni  voler, 
ni  se  venger;  il  doit  mener  une  vie  chaste  et  sobre,  faire 
l'aumône,  dompter  ses  appétits  sensuels,  et  apprendre  à 
connaître  par  une  contemplation  silencieuse  sa  propre  na- 
ture et  l'essence  de  la  Divinité.  En  remplissant  complète- 
ment ces  devoirs,  il  arrivera  déjà  sur  la  terre  à  la  dignité 
«l'un  bouddha  ou  d'un  sage,  et  après  sa  mort  il  sera  réuni  à 
VÈlre  suprême.  Cette  réunion  s'appelle  ni/fû'Ha,  c'est-à- 
Oirc  repos  ou  félicité.  Les  âmes  des  hommes  qui  se  sont  mal 
conduits  sur  la  terre  transmigrent  dans  des  corps  d'animaux. 

i^es  bouddhistes  ont  conservé  les  cosniogonics  indiennes, 


ainsi  que  la  plupart  des  dieux  de  l'Inde, sans  leur  accorder 
toutefois  beaucoup  de  respect;  ils  n'ont  pas  rejeté,  entre 
autres,  les  incarnations  de  Vischnou,  et  ont  adopté  beaucoup 
de  cérémonies  des  brahmanes;  mais  ils  n'ont  admis  aucune 
des  prescriptions  des  Védas.  Ils  adressent  de  préférence 
leurs  prières  au  fondateur  de  leur  religion,  le  Sramana  ou 
l'ermite  Gautama,  et  à  d'autres  illustres  docteurs  de  leur 
secte  qui  ont  obtenu  la  dignité  de  bouddhas.  Comme  les 
brahmanes,  ils  tiennent  pour  sainte  la  syllabe  mystique 
om,  et  ne  mangent  pas  de  chair.  Ils  sacrifient  des  fleurs  et 
des  fruits  à  leurs  saints  et  à  leurs  demi-dieux ,  rejettent  les 
sacrifices  sanglants  ainsi  que  le  culte  impur  du  phallus,  ne 
reconnaissent  pas  de  castes,  et  ne  regardent  pas  le  sacerdoce 
comme  indélébile.  Les  prêtres  bouddhistes  se  rasent  la  tête , 
vivant  dans  le  célibat  et  souvent  en  communautés  dans  des 
couvents ,  en  quoi  ils  se  distinguent  essentiellement  des 
Brahmanes  pour  qui  le  mariage  est  un  devoir. 

Bépandu  d'abord  dans  l'Inde,  où  il  a  des  temples  célèbres 
à  Salsette,  à  Pandj-Pandou ,  à  Adschanka,  etc.,  le  boud- 
dhisme s'introduisit ,  dès  le  troisième  siècle  avant  notre  ère, 
dans  le  Tibet,  à  Ceylan  et  à  Java.  "Vers  le  temps  de  la  nais- 
sance de  J.-C,  les  brahmanes  excitèrent  une  violente  per- 
sécution contre  les  bouddhistes,  qu'ils  chassèrent  peu  à  peu 
de  toute  l'Inde  en  deçà  du  Gange;  par  contre,  le  boud- 
dhisme devint  la  religion  dominante  dans  l'Inde  au  delà  du 
Gange,  à  Siam,  dans  le  Pégu,  l'A  va  et  le  Tonkin.  C'est  à 
cette  époque  qu'il  pénétra  dans  la  Chine,  où  Bouddha  devint 
Fo,  puis  dans  le  Japon,  chez  les  Mongols,  les  Kalmoukset 
plusieurs  tribus  de  la  Sibérie.  Les  livres  bouddhiques  furent 
alors'traduits  du  sanscrit  en  pâli,  en  tibétain,  en  chinois,  en 
mongol,  etservirentde  textes  à  d'innombrables  commentaires. 

La  littérature  sacrée  des  bouddhistes  est  extraordinaire- 
ment  riche  en  traités  cosmogoniques ,  dogmatiques,  mo- 
raux ,  ascétiques,  liturgiques.  Le  canon  des  livres  saints  qui 
existe  en  langue  tibétaine  ne  forme  pas  moins  de  108  gros 
volumes.  Le  trente-troisième  patriarche  des  bouddhistes  et 
le  dernier  mourut  en  Chine,  l'an  713.  Ses  successeurs,  qui 
séjournèrent  également  en  Chine,  prirent  le  titre  de  princes 
de  la  doctrine  ;  mais  ils  en  furent  dépouillés  par  Gengis- 
khan  et  ses  successeurs.  Dans  le  quatorzième  siècle,  le 
chef  de  la  religion  bouddhique  transporta  sa  résidence  de  la 
Chine  dans  le  Tibet,  et  au  lieu  de  gautama,  il  se  fit  ap- 
peler lama,  c'est-à-dire  en  tibétain  prêtre.  Depuis  le 
seizième  siècle  il  porte  le  titre  de  dalaï-lama,ou  prêtre 
de  la  mer.  Chez  les  Mongols ,  les  prêtres  bouddhistes  s'ap- 
pellent lama;  au  Japon,  bonzes;  chez  les  Birmans,  ra- 
hdnen,  et  à  Siam  talapoins.  Malgré  le  grand  nombre  de  li- 
vres écrits  par  des  Européens  sur  Bouddha  et  sa  religion , 
ce  point  historique  si  important  était  resté  obscur  jusqu'à 
nos  jours,  parce  que  les  sources  originales,  écrites  en  sans- 
crit, n'avaient  point  encore  été  rendues  accessibles,  et  qu'on 
se  contentait  de  puiser  à  des  sources  secondaires.  Les  ou- 
vrages qui  l'ont  le  mieux  élucidé  sont  :  V Introduction  à 
l'histoired^l  Bouddhisme  l7idien,^aiTBumou({Pms,iSi!i), 
et  les  .dn^/7«i^6^5  Indien)ics,  dehassen.  Hodgson,  Wilson, 
Colebrooke  et  Roth ,  puisant  aux  sources  sanscrites,  Turnour 
dans  les  livres  pâli ,  G.  de  Humboldt  dans  les  li-tTes  java- 
nais, San-Germano  et  Buchanan  aux  sources  birmanes, 
Ka;mpfer  dans  les  ouvrages  japonais,  Abel  de  Rémusat,  Kla- 
proth  et  Schott  dans  les  livres  chinois,  Csoma,  KœrQ\si, 
J.-J.  Schmidt,  Kowalewski  et  Foucaux  dans  les  écrits  tibé- 
tains et  mongols,  ont  fourni  aussi  beaucoup  de  renseigne- 
ments précieux  sur  Bouddha  et  sa  doctrine. 

IîOÙDEIUE,  défaut  de  caractère ,  qui,  sans  troubler 
violemment  les  rapports  quotidiens,  les  rend  désagréables 
et  pénibles.  On  est  heureux  de  vivre  ensemble  lorsqu'on 
s'aime,  parce  qu'à  chaque  minute  on  peut  épancher  ses  sen- 
timents et  ses  idées.  L'effet  de  la  bouderie,  c'est  d'arrêter 
tout  à  coup  cette  communication  si  douce;  c'est  de  sus- 
I  pendre  ce  qu'il  y  a  de  plus  délicieux  dans  lintimité;  c'est. 


BOUDERIE  —  BOUE 

en  «n  mot,  de  murer  son  cœur.  D'un  autre  côté,  comme 
le  symptôme  obligé  de  la  bouderie  est  un  silence  froid  et 
persévérant ,  il  en  résulte  que  toute  Toie  est  fermée  aux  ex- 
plications :  c'est  une  tyrannie  de  mauvaise  humeur  que 
nous  imposons  à  ceux  qui  nous  entourent.  Il  est  vrai  que 
0  bouderie  dure  peu  ;  mais  aussi ,  comme  elle  peut  se  re- 
nouveler souvent,  elle  empreint  d'une  amertume  passagère 
la  position  môme  la  plus  fortunée.  Dans  l'éducation  des 
jeunes  filles,  c'est  un  des  points  qui  méritent  le  plus  d'atten- 
tion ;  ce  n'est  pas  asseï  d'attaquer  chez  elles  le  penchant  à 
la  bouderie,  il  importe  de  l'extirper  entièrement,  et  avec 
de  l'habileté  on  en  vient  à  bout.  Il  vaut  mieux  leur  passer 
une  certaine  vivacité  de  réplique  que  de  les  habituer  à  un 
genre  de  défense  qui  est  d'autant  plus  dangereux,  qu'il  dis- 
pense de  recourir  à  toute  espèce  de  justification  ,  de  sorte 
qu'il  couvre  au  besoin  les  fautes  les  plus  répréhensibles.  On 
trouve  quelquefois  remède  à  certains  caprices  des  femmes  ; 
on  peut  a  la  rigueur  les  en  faire  rougir,  et  par  là  on  les  en 
délivre;  mais  la  bouderie  est-elle  ancrée  de  vieille  date  dans 
le  caractère,  tout  remède  est  impuissant,  puisqu'elle  ne  veut 
ni  entendre  ni  répondre.  Saint-Prosper. 

BOUDIN,  boyau  de  porc  ou  de  bœuf  rempli  de  sang 
dans  lequel  on  mêle  de  petits  morceaux  de  lard  ou  de  graisse, 
du  poivre ,  etc.  Le  boudin  est  cuit  d'abord  dans  l'eau  ;  pour 
le  manger,  on  le  fait  rôtir  sur  le  gril  ou  dans  la  poêle.  Le 
boudin  de  sang  de  porc  est  de  beaucoup  préférable  à  celui 
qui  est  rempli  en  tout  ou  en  partie  de  sang  de  bœuf,  etc.  Le 
boudin  blanc  se  remplit  avec  des  blancs  de  volaille,  de  la 
crème,  etc.  L'usage  de  manger  du  sang  en  boudins  remonte  à 
la  plus  haute  antiquité;  il  en  est  fait  mention  dans  Homère, 
Aristophane  et  autres  auteurs  anciens. 

En  architecture,  le  mot  boudin  est  synonyme  de  tore  : 
c'est  cet  ornement  de  la  base  de  la  colonne  qui  figure  un 
gros  anneau  saillant  et  arrondi.  Un  semblable  ornement  du 
canon  s'appelle  du  même  nom. 

Les  mécaniciens  appellent  ressort  en  boudin  celui  qui 
est  fait  en  forme  de  tire-bouchon.  —  Autrefois  on  appelait 
boudin  un  enroulement  de  cheveux  formé  à  l'aide  d'un  fer 
Boudin  est  encore  le  nom  d'une  pièce  d'artifice 


i07 


chaud. 

Enfin,  on  dit  au  figuré  et  dans  le  langage  familier,  qu'une 
affaire  a  tourné  en  eau  de  bouditi,  pour  signifier  qu'elle  a 
trompé  complètement  notre  attente ,  par  la  raison  peut-être 
que  l'eau  dans  laquelle  on  a  fait  cuire  du  boudin  n'est 
bonne  à  rien.  Teyssèdre. 

BOUDOIR,  petite  pièce  faisant  ordinairement  suite  à 
un  grand  appartement.  C'est  de  toutes  les  chambres  qui  le 
composent  celle  qui  doit  être  ornée  avec  le  plus  de  recherche 
et  d'élégance.  L'ameublement  d'un  boudoir  varie  selon  la 
mode;  mais  on  s'attend  à  y  trouver  un  jour  mystérieux, 
beaucoup  de  glaces,  im  divan  ou  un  sopha  et  des  sièges  de 
couleur  gaie,  des  draperies  légères,  des  peintures  gracieu- 
ses ,  des  fleurs  fraîches  et  rares  :  c'est  l'endroit  que  les  ar- 
chitectes et  les  tapissiers  décorent  avec  le  plus  de  soin ,  et 
c'est  toujours  le  dernier  que  l'on  montre  dans  un  apparte- 
ment à  buer.  Tant  de  soins  ont  fait  juger  qu'un  boudoir 
n'était  pas  une  pièce  sans  importance;  les  romanciers,  les 
poètes ,  en  ont  fait  l'asile  des  Grâces ,  des  Plaisirs ,  de  l'A- 
mour, de  sorte  qu'une  femme  ayant  quelques  notions  de  my- 
thologie doit  se  trouver  fort  embarrassée  de  faire  les  hon- 
neurs d'un  lieu  que  l'on  prétend  consacré  à  ces  divinités,  si 
elle  n'est  point  dévouée  à  leur  culte.  Parler  de  son  boudoir 
est  pour  le  plus  grand  nombre  des  femmes  une  preuve 
d'innocence;  car  un  air  fin,  un  sourire,  une  respiration 
difficile,  un  geste  affectueux ,  saisis  en  même  temps  que  ce 
mot ,  donneraient  à  l'homme  que  l'on  recevrait  dans  ce  lieu 
d'étranges  pensées.  Cependant  ce  nom  dérive  évidemment 
de  bouder,  action  peu  polie,  mais  très-pudique,  et  qui  n'a 
nul  rapport  avec  les  scènes  dont,  selon  tant  d'écrivains,  les 
boudoirs  ont  été  le  théâtre.  Peut-être  qu'observateurs  pro- 
fonds, ces  auteurs  ont  reconnu  que  les  honnêtes  femmes 


ne  boudaient  point ,  et  conséquemment  ne  se  préparaient 
pas  de  réduit  destiné  à  ce  genre  d'occupation.  11  est  sin"ulier 
que,  les  boudoirs  étant  d'invention  moderne,  on  ne  sache 
positivement  ni  leur  usage  ni  quelle  fut  la  dame  qui  la  pre- 
mière éprouva  le  besoin  de  cette  espèce  de  retraite,  et  lu! 
donna  le  nom  qu'elle  porte  aujourd'hui. 

On  lit  dans  les  vieux  livres  que  les  reines,  les  princesses 
les  simples  châtelaines,  se  retiraient  dans  letir  oratoire^- 
mais  que  voyait-on  là?  Un  prie-dieu  en  bois  d'ébène ,  et  des 
parois  où  étaient  suspendus  un  crucifix,  des  reliquaires,  du 
buis  bénit ,  voire  même  une  disciphne  :  la  racine  des  bou- 
doirs n'est  pas  là.  Plus  tard ,  le  plan  du  château  de  Versail- 
les, dessiné  minutieusement  en  1714,  indique  le  cabinet 
des  livres,  des  médailles,  des  agates,  des  chiens,  des  per- 
ruques ,  et  ne  mentionne  point  de  boudoir.  Dans  la  corres- 
pondance de  madame  de  Sévigné,  cette  incomparable 
mère-beauté ,  jeune  si  longtemps  de  visage,  d'esprit  et  de 
manières ,  et  qui  confesse  à  sa  fille  un  penchant  pour  la 
mode  que  sa  raison  combat  vainement,  il  n'est  jamais  ques- 
tion de  boudoirs  :  ce  sont  des  cabinets  que  cette  dame ,  qui 
ne  fréquente  que  la  cour  et  la  plus  haute  classe  de  la  so- 
ciété, cite  comme  des  pièces  particulières  où  l'on  reçoit  ses 
amis  intimes ,  et  que  l'on  décore  soigneusement  ;  c'est  dans 
le  cabinet  de  M.  de  Coulanges  que  le  portrait  de  madame 
de  Grignan  sera  placé  en  perfection ,  pendant  un  voyage 
de  sa  mère;  c'est  dans  un  cabinet,  tout  parfumé  des  jas- 
mins du  voisinage ,  que  l'on  cause  les  soirs  chez  madame  de 
Lafayette  :  les  cabinets  ont  succédé  aux  ruelles;  et  les 
boudoirs  semblent  avoir  remplacé  les  cabinets. 

On  peut ,  d'après  ces  observations ,  conjecturer  que  c'est 
au  temps  de  la  régence  que  les  boudoirs  furent  érigés;  et 
c'est  aux  romanciers,  ainsi  qu'aux  poètes,  que  nous  devons 
les  idées  les  plus  judicieuses  sur  leur  emploi  primitif.  De  là 
dérive  aussi  l'espèce  d'antipathie  que  manifestaient  pour 
cette  dénomination  les  femmes  qui  se  piquaient  de  n'avoir 
point  le  goût  de  la  galanterie  ;  et  madame  de  Genlis  a  sou- 
vent écrit  «  qu'une  femme  de  bonne  compagnie  n'aurait 
jamais  désigné  sous  le  nom  de  boudoir  aucune  pièce  de  son 
appartement;  que  cela  ne  datait  que  de  mesdames  de  Para- 
bère,  Pompadour,  Dubarry,  qu'imitèrent  les  Plirynés  du 
temps.  »  Cependant  on  montrait,  avant  1789,  dans  les 
petits  appartements  de  Marie-Antoinette  une  pièce  que  l'ou 
nommait  boudoir  de  la  reine;  mais  cette  princesse  dési- 
gnait-elle ainsi  ce  cabinet?  ou,  étant  étrangère,  employait- 
elle  cette  expression  sans  en  connaître  l'origine  et  sans  se 
douter  de  toutes  les  idées  qui  s'y  rattachent.?...  Marmontel 
rend  entreprenant  jusqu'à  l'insolence  un  financier  qui,  re- 
cevant une  jeune  femme,  la  voit  gaiement  prendre  place 
dans  un  boudoir  où  il  la  conduit;  il  ne  lui  dissimule  point 
que  s'établir  ainsi  dans  im  temple  dédié  à  l'Amoxir,  c'est 
s'en  déclarer  la  prêtresse.  Enfin ,  on  ne  connaît  pas  d'au- 
torité dont  il  soit  possible  de  s'appuyer  pour  faire  consi- 
dérer les  boîcdoirs  sous  un  rapport  aussi  moral,  aussi  con- 
venable que  la  mirsery  des  dames  anglaises ,  chambre  qui 
manque  à  tous  nos  appartements ,  et  qui ,  ainsi  que  l'indique 
son  nom ,  est  destinée  aux  enfants. 

Le  boudoir  de  Cliantilli  était  célèbre  par  ses  peintures, 
représentant  les  amours  de  Louis  XV  et  de  madame  de 
Pompadour,  sous  des  figures  de  singes  et  de  guenons; 
celui  de  Bagatelle ,  à  la  même  époque,  était  rempli  de  glaces 
si  ingénieusement  disposées,  que  les  femmes  dont  la  pro- 
fession ne  consistait  point  à  poser  dans  les  ateliers  de  sta- 
tuaire n'osaient  y  pénétrer.  Au  Palais-Royal,  le  boudoir 
du  prince  était  orné  de  figures  mouvantes  et  infâmes.  Ces 
circonstances  ont  contribué  au  discrédit  des  boudoirs,  dont 
le  moindre  des  inconvénients  est  un  luxe  dispendieux  et  sans 
utilité  pour  les  beaux-arts,  que  le  grandiose  seul  élève  à  la 
hauteur  qu'ils  doivent  atteindre.        Comtesse  de  Bradi. 

BOUE,  BOUEURS.  La  bouc  est  une  terre  détrempée 
avec  de  l'eau.  La  bouc  des  villes  et  surtout  celle  de  Paris 

64. 


BOUE  -  BOUFFÉ 


508 

est  grasse,  visqueuse  et  d'un  gris  noirâtre.  Elle  se  compose 
des  éléments  les  plus  hétérogènes  et  les  plus  dégoûtants, 
cambouis  des  voitures,  débris  d'animaux,  excréments,  pour- 
riture de  toute  espèce. 

Dans  tous  les  grands  centres  de  population,  l'iiygiène 
exige  que  les  boues  et  immondices  soient  enlevées  chaque 
iour  de  la  voie  publique,  où  elles  deviendraient  sans  cela  des 
causes  d'infection.  Les  hommes  chargés  de  ce  soin  ont  reçu 
le  nom  de  boueurs.  Autrefois ,  la  police  faisait  faire  elle- 
même  ce  travail.  La  boue,  amoncelée  d'abord  en  tas,  le 
long  des  murs,  était  enlevée  ensuite  par  les  boueurs;  mais 
cet  enlèvement  se  faisait  avec  négligence.  Aujourd'hui  le 
service ,  confié  à  des  compagnies  adjudicataires,  sous  la  sur- 
veillance de  l'autorité  municipale,  est  fait  avec  beaucoup 
plus  de  soin.  Disons  aussi  que  l'établissement  des  bornes- 
fontaines  et  celui  des  trottoirs  ont  contribué  pour  une  bonne 
part  à  la  propreté  et  à  l'assainissement  de  Paris.  On  ne 
Toit  plus  des  monceaux  de  boue  au  milieu  des  rues.  Ce- 
pendant les  ordonnances  de  police  qui  prescrivent  de  re- 
mettre les  ordures  aux  boueurs  quand  ils  passent  le  matin, 
sans  les  jeter  sur  la  voie  piiblique,  n'ont  pu  recevoir  encore 
leur  exécution.  On  sait  qu'en  1832,  lorsque  le  choléra  sévis- 
sait à  Paris  ,  une  émeute  éclata  parmi  les  chiffonniers 
insurgés  contre  cette  mesure,  qui  détruisait  leur  industrie. 
Par  exagération  ,  on  dit  qu'une  maison  est  faite  de  boue 
et  de  crachat,  lorsqu'elle  n'est  pas  bAtie  solidement;  le 
soleil  ne  salit  point  ses  rayons,  quoiqu'ils  tombent  dans 
la  boue,  dit-on  pour  indiquer  qu'on  peut  être  affable  et 
populaire  sans  s'avilir.  — En  parlant  d'un  objet,  d'un  être 
vil ,  on  dit  qu'on  n'en  fait  pas  plus  de  cas  que  de  la  boue 
de  ses  souliers;  on  traîne  quelqu'un  dans  la  boue,  quand 
on  le  traite  publiquement  avec  ignominie;  on  dit  d'un 
homme  qui  se  déshonore  par  ses  vices  et  sa  vie  crapuleuse, 
qu'il  se  vautre  dans  la  boue ,  qu'il  est  couvert  de  boue , 
qu'il  se  plaît  dans  la  boue ,  et  si  son  inconduite  le  fait 
rîéchoir  de  son  rang,  le  réduit  à  la  misère,  on  dit  qu'il  est 
tombé  dans  la  boue,  enfoncé  dans  la  boue.  On  se  rappelle 
l'énergique  apostrophe  du  général  Lamarque  s'écriant  à 
la  tribune  que  la  Restauration  n'avait  été  qu'Mne  halte  de 
quinze  ans  dans  la  boue. 

BOUÉE.  On  appelle  ainsi  en  mer  tout  corps  llottant  qui 
marque  sur  le  fond  un  objet  qu'on  veut  y  retrouver  ou  dont  on 
veu  t  se  garder.  On  s'en  sert  le  plus  ordinairement  pour  indiquer 
l'endroit  oii  l'ancre  est  mouillée,  ou  les  passages  difficiles  et 
dangereux;  et  on  emploie  à  cet  usage  des  morceaux  de  bols 
ou  de  liège,  et  quelquefois  des  tonnes  vides.  Les  bouées  de 
liège  sont  les  meilleures,  mais  elles  ont  l'inconvénient  de  pou- 
voir être  volées  facilement.  Celles  de  tonnelage  sont  bonnes, 
mais  les  vers  les  piquent  ;  alors  elles  font  eau,  et  coulent  ;  elles 
sont  d'ailleurs  exposées  aux  abordages  des  bateaux,  qui  les  crè- 
vent. Celles  qui  sont  faites  d'un  tronçon  de  mât  brut  sont  très- 
bonnes  ;  mais  elles  ont  le  défaut  d'être  trop  lourdes.  Les  bouées 
de  fagots  réunissent  le  plus  d'avantagesOn  fait  aussi  des  bouées 
de  tôle,  qui  réussissent  très-bien,  surtout  pour  les  amarres  de 
poste.  La  bouée  dite  perce-mer  est  une  petite  bouée  qu'on 
amarre  sur  la  grosse  quand  l'orin  est  trop  court  de  mer  haute. 
Quelques  bouées  sont  maintenant  pourvues  de  cloches,  que  l'a- 
gitation des  vagues  suffit  pour  mettre  en  branle.  On  comprend 
de  quelle  utilité  ellesdoivent  être  pai'  desL^nips  de  brouillard. 
La  bouée  de  sauvetage  est  faite  de  plusieurs  planches  de 
liégc;  elle  est  de  forme  ronde  et  surmontée  d'un  ou  de 
plusieurs  petits  pavillons  pour  fixer  l'attention  de  ceux 
qu'elle  est  destinée  à  sauver;  elle  est  environnée  de  plu- 
sieurs rabans  volants  et  à  nœuds,  pour  quelle  puisse  être 
saisie  facdement  à  la  mer.  Elle  doit  avoir  un  déplacement 
capable  de  supporter  le  poids  d'un  homme.  On  la  tient  sus- 
pendue à  l'arrière  du  vaisseau  par  un  petit  raban  qu'on 
peut  couper  d'un  coup  de  couteau  au  premier  cri  un 
Iionime  à  la  mer  !  Cet  appareil  a  sauvé  quelques  hommes;- 
mais  il  faut  pour  cela  un  concours  de  circonstances  favo- 


rables. Il  exige  de  ia  rapidité  dans  la  manœuvre ,  un  temps 
maniable,  et  il  esc  mdispen.sable  avant  tout  que  rindi\idu 
qui  est  en  danger  sache  bien  nager. 

BOUES  DES  EAUX,  ou  BOUES  MINÉRALES, 
sortes  de  limons  que  l'on  rencontre  près  de  certaines  eaux 
minérales,  et  qui  sont  imprégnés  des  matières  que  ces 
eaux  charrient  avec  elles.  On  les  prend  sous  la  forme  de 
bains  généraux  ou  partiels.  Les  plus  connues  et  les  plus 
suivies  sont  les  boues  sulfureuses  de  Saint- Amand ,  près  de 
Valencicnnes ,  et  celles  de  Bagnères-de-Luchon ,  dans  la 
Haute-Garonne;  elles  sont  toniques,  résolutives  et  propres 
à  combattre  certaines  douleurs  articulaires  chroniques , 
comme  à  opérer  la  guérison  des  anciennes  blessures. 

BOUFFARIK ,  village  important,  situé  à  35  kilomètres 
d'Alger,  au  centre  de  la  Métidja,  dans  le  bassin  du  Ma- 
zafran,  entre  la  Chiffa  et  l'Harach,  et  créé  par  arrêté 
du  27  septembre  183G,  sous  l'administration  du  maréchal 
Clauzel,  sur  l'emplacement  d'un  marché  arabe  qui  servait  de 
point  de  réunion  aux  rassemblements  hostiles.  Le  village 
forme  un  rectangle  de  750  mètres  sur  1,100;  ses  côtés  sont 
orientés  au  nord  et  au  sud ,  et  fermés  par  un  tracé  bas- 
tionné  en  terre  et  un  grand  fossé  ;  sur  la  face  ouest  existe , 
en  saillie ,  un  réduit  dit  Camp  d'Erlon ,  dans  lequel  loge  la 
garnison ,  et  où  sont  enfermés  tous  les  établissements  mi- 
litaires. Ce  camp  est  un  des  points  stratégiques  les  plus  im- 
portants. 

Aussitôt  après  la  cessation  des  hostilités ,  l'attention  des 
Européens  s'est  reportée  sur  ce  village  :  de  nombreuses 
demandes  en  concession  furent  faites;  et  comme  il  avait 
été  créé  en  vue  d'une  assez  forte  agglomération ,  il  ne  tarda 
pas  à  se  remplir  de  colons  et  à  devenir  le  centre  d'une 
vaste  exploitation  agricole.  Les  pâturages  y  sont  fort  beaux; 
c'est  là  qu'on  récolte  la  plus  grande  partie  des  foins  de  la 
plaine.  Treize  cent  soixante-dix  Européens  composent  la 
population  de  Bouffarik;  les  maisons  sont  solides,  à  plu- 
sieurs étages,  et  construites  d'après  un  alignement  régulier. 
Bouffarik  possède  plusieurs  viviers  à  sangsues.  Une  colonie 
religieuse  d'enfants  trouvés  et  d'enfants  pauvres  y  est  en 
voie  d'essai,  La  paix  a  fait  revivre  l'ancien  marché ,  qui  est 
fréquenté  notamment  par  les  tribus  de  la  province  de  Tit- 
tery.  Ce  sont  les  Ouamri,  les  Soumatha,  etc.;  la  grande 
tribu  des  Beni-Séliman ,  à  une  journée  de  marche  de  Mé- 
déah  ,  y  amène  beaucoup  de  bœufs ,  de  moutons  et  de  che- 
vaux ;  les  Beni-Othman  y  apportent  des  sangsues,  des  fruits 
verts  et  du  blé. 

Bouffarik  a  été  le  théâtre  de  plusieurs  combats  meurtriers , 
où  l'astuce  des  Arabes  et  le  courage  des  Français  se  sont 
également  montrés.  L'affaire  du  11  avril  1842  surtout 
mérite  d'être  signalée.  Vmgt-deux  hommes  du  26"  de  ligne, 
porteurs  de  la  correspondance,  furent  assaillis  en  plaine, 
entre  Bouffarik  et  Méred ,  par  trois  cents  cavaliers  de  Ben- 
Salem;  venus  de  l'est  de  la  Métidja.  Dix-sept  avaient  déjà 
succombé  après  s'être  défendus  comme  des  lions ,  lorsqu'au 
bruit  des  coups  de  fusil ,  le  lieutenant-colonel  Morris  ac- 
courut de  Bouffarik  avec  une  quinzaine  de  chasseurs 
montés  à  poil  et  à  peine  armés;  en  même  temps,  un  lieu- 
tenant du  génie  qui  exécutait  des  travaux  à  Méred,  parut 
avec  un  détachement  de  trente  sapeurs.  Les  Bédouins,  saisi? 
d'une  terreur  panique,  s'enfuirent  en  abandonnant  leurs 
morts,  et  nos  cinquante  braves  restèrent  maîtres  du  champ 
de  bataille.  Une  souscription  fut  ouverte  pour  ériger  sur 
le  lieu  du  combat  un  monument  destiné  à  consacrer  le 
souvenir  de  ce  f;iit  d'armes. 

BOUFFÉ  (Marie),  acteur,  est  né  le  4  décembre  iSOO. 
Jusqu'à  l'âge  de  vingt  et  un  ans  il  fut  ouvrier  doreur.  A  cette 
époque  un  nouveau  théâtre  s'ouvrait  au  boulevard  du 
Temple,  sous  le  titre  de  Panorama  Dramatique.  Bouffé  y 
fut  engagé ,  à  raison  de  trois  cents  francs  par  an ,  pour 
jouer  les  traîtres  de  mélodrame.  A  la  façon  grotesque  dont 
il  tint  son  emploi,  on  devina  qu'il  excellerait  dans  les 


BOUFFÉ  —  BOUFFISSURE 


A09 


comiques.  Des  rôles  de  niais,  qn'il  remplit  avec  naturel  et 
ingénuité,  le  firent  remarquer.  Bientôt  ses  appointements 
s'élevèrent  à  1200  francs,  puis  à  mille  écus.  Cependant  la 
réputation  ne  lui  était  pas  encore  venue.  Ce  fut  au  théâtre 
de  la  Gaieté,  où  il  entra  le  28  fé^Tie^  1824,  que  le  jeune 
artiste  appela  sur  lui  l'attention  du  public.  Deux  pièces.  Le 
Pauvre  Berger  et  Le  Petit  pauvre  de  l'Hôtel-Dieu,  firent 
entrevoir  qu'il  y  avait  en  lui  l'étoffe  d'un  comédien  fin, 
intelligent  et  vrai.  De  la  Gaieté,  Bouffé  passa  aux  Nou- 
veautés, où  son  talent  rencontra  plus  d'une  occasion  de 
se  développer  :  Jean  Caleb,  Pierre  le  Couvreur,  et  surtout 
Le  Marchand  de  la  rue  Saint-Denis ,  lui  assignèrent  un 
rang  élevé  dans  l'opinion  des  connaisseurs.  Le  Gjmnase 
Dramatique,  qui  déjà  possédait  la  troupe  la  plus  riche  de 
Paris,  résolut  de  s'attacher  ce  comédien,  dont  il  était  facile 
de  prévoir  les  brillantes  destinées.  Bouffé ,  qui  avait  alors 
moins  d'appointements  que  de  talent,  était  dans  la  gêne. 
M.  Poirson  lui  olfrit  une  avance  de  deux  mille  francs,  s'il 
consentait  à  signer  un  engagement  de  dix  ans ,  à  six  mille 
francs  par  année.  L'offre  fut  agréée;  mais  comme  Bouffé 
avait  encore  dix-huit  mois  à  passer  au  théâtre  des  Nou- 
veautés, le  contrat  ne  fut  signé  que  pour  le  1*''  avril  1831. 

Pendant  ces  dix-huit  mois  la  renommée  de  l'artiste 
grandit  encore  ;  elle  devint  telle,  qu'au  mois  de  mars  1831, 
le  directeur  d'un  théâtre  de  Londres  lui  proposa  trois  mille 
francs  pour  venir  donner  une  douzaine  de  représentations 
en  Angleterre.  Les  trois  mille  francs  furent  acceptés ,  et  à 
la  veille  d'entrer  au  Gymnase  pour  y  gagner  six  mille  francs 
par  année,  l'artiste  s'estima  heureux  de  récolter  en  douze 
représentations  une  somme  égale  à  la  moitié  du  revenu 
annuel  dont  il  allait  jouir.  Mais  à  son  retour  d'Angleterre 
il  trouva  que  ces  appointements  n'étaient  en  rapport  ni  avec 
son  talent  ni  avec  les  bénéfices  qu'il  venait  de  réaliser  si 
promptement.  Il  regretta  la  signature  qui  le  liait  au  Gym- 
nase. Par  malheur,  le  directeur  avait  le  droit  et  la  ferme 
volonté  de  faire  respecter  l'engagement  contracté  par  l'ar- 
tiste. De  ce  conflit  de  prétentions  surgirent  entre  l'adminis- 
tration du  Gymnase  et  son  nouveau  pensionnaire  des  hos- 
tilités, tantôt  souterraines  et  diplomatiques,  tantôt  franciies. 
et  bruyantes.  Les  choses  se  traînèrent  ainsi  pendant  plus 
dedix  ans.  Cependant,  à  la  suitede  nombreuses  transactions. 
Bouffé  avait  quand  il  quitta  le  Gymnase  des  appointements 
qu'on  peut  évaluer  à  trente  mille  francs  par  an,  et  il  jouis- 
sait en  outre  de  trois  mois  de  congé,  dont  le  produit  était 
de  plus  de  vingt  mille  francs.  Disons,  du  reste,  que  Le  Ga- 
min de  Paris  et  La  Fille  de  l'Avare  avaient  procuré  au 
Gymnase  des  recettes  d'un  chiffre  magnifique. 

C'est  le  IG  avril  1831  que  Bouffé  débuta  au  Gymnase 
dans  Les  Dîners  au  Cachet  :  le  rôle  d'Oscar,  dans  lequel  il 
se  montrait,  avait  été  primitivement  rempli  par  Gontier. 
On  fut  d'avis  que  Bouffé  ne  faisait  pas  oublier  son  devan- 
cier. De  même,  dans  La  Maison  en  Loterie  il  ne  parut  pas 
supérieur  à  Perlet,  qui  avait  créé  Rigaudin.  Bouffé  fut  pi  us  heu- 
reux dansZ-e  Bouffon  du  Prince,  représenté  le  4  mai  de  la 
même  année.  On  ne  lui  marchanda  ni  les  rires  ni  les  applau- 
dissements. Le  16  mai  il  joua  lord  Sunderland  dans  La  Fa- 
vorite. Pièce  et  acteur  n'eurent  qu'un  succès  très-froid. 
M.  de  Kergalin,  du  Délit  politique,  ne  racheta  pas  les 
malheurs  de  La  Favorite,  au  contraire!  Mac-Bory,  de 
L'Irlandais,  eut  encore  moins  de  bonheur.  Décidément 
notre  artiste  n'était  pas  en  veine.  Un  instant  néanmoins ,  il 
se  crut  désensorcelé  :  ce  fut  le  jour  où  MM.  Scribe  et  IMé- 
lesville  vinrent  lire  an  théâtre  Le  Soprano.  Cette  fois 
Bouffé  conçut  les  plus  charmantes  espérances,  et  l'on  ra- 
conte qu'il  écrivit  eu  grosses  lettres  sur  la  couverture  du  rôle 
de  Guimbardini,  que  lui  avaient  confié  les  auteurs  :  Hom- 
mage d'admiration  et  de  reconnaissance.  Cet  élan  de  gra- 
titude ne  suffit  pas  à  sauver  la  pièce,  qui,  en  ternies  de 
coulisses,  fit  un  fiasco  complet.  La  mauvaise  veine  n'était 
pas  épuisée;  elle  se  manifesta  dans  Le  Luthier  de  Lis- 


bonne, Emmeline,  Le  Sénateur,  Le  Savant,  Le  Choix 
d'une  Femme,  Le  Pays  latin.  Le  Premier  Président,  Le 
Paysan  amoureux,  La  Rente  viagère,  etc.  Toutes  ces 
pièces  réussirent  peu  ou  ne  réussirent  pas  du  tout.  L'acteur 
suivit  leur  destinée.  Il  se  releva  médiocrement  dans  La 
Grande  Aventure;  mais  il  triompha  dans  Les  Vieux  Pé- 
chés, où,  chargé  d'un  rôle  d'ex-danseur  de  l'Opéra  devenu 
maire  de  sa  commune  et  marguillier  de  sa  paroisse ,  il  dé- 
pensa des  trésors  de  verve ,  de  boniiomie  et  de  malice. 

Après  Les  Vieux  Péchés,  Bouffé  fait  encore  un  temps 
d'arrêt  dans  la  carrière  du  succès.  L'an  1833  s'écoule  sans 
qu'il  puisse  mettre  la  main  sur  un  rôle  à  sa  taille.  Cepen- 
'dant.  Dieu  sait  s'il  en  essaye!...  Pacolet,  de  La  nouvelle 
madame  Evrard;  Prudhomme,  du  Moulin  de  Javelle; 
Louis  XI,  de  Loîiis  XI  en  goguettes;  Roger,  d'Un  trait 
de  Paul  I",  et  tant  d'autres!  Enfin,  le  19  février  1834, 
il  joue  Michel  Perrin  !  Dire  ce  que  dans  ce  rôle  d'hon- 
nête curé  qui  remplit,  sans  le  savoir,  les  fonctions  d'agent  de 
police ,  Bouffé  déploya  de  candeur,  de  grâce ,  de  douce 
gaieté ,  de  philosophie ,  est  impossible.  Constatons  seulement 
que  de  ce  jour  il  fut  un  grand  comédien.  Ses  autres  créa- 
tions les  plus  brillantes  ont  pu  consolider  sa  réputation, 
elles  ne  l'ont  pas  accrue.  Le  Gamin  de  Paris,  La  Fille  de 
l'Avare,  L'oncle  Baptiste,  rôles  qui  sont  restés  comme 
les  types  les  plus  complets  des  qualités  propres  à  Bouffé, 
avaient  leur  germe  dans  Michel  Perrin. 

Nous  ne  poursuivrons  pas  une  nomenclature  qui  ferait 
ressembler  cette  esquisse  biographique  au  catalogue  d'une 
librairie  théâtrale.  Disons  seulement  qu'en  1842  M.  Poirson, 
que  de  fréquents  démêlés  avec  l'association  des  auteurs 
dramatiques  avaient  exaspéré,  entreprit  de  se  soustraire 
à  ce  qu'il  appelait  «  leurs  monstrueuses  exigences,  »  et 
résolut  de  se  passer  du  concours  de  ces  messieurs.  Cette 
guerre  eut  cela  de  désastreux  que  les  frais  en  furent  payés  par 
tout  le  monde  :  par  les  auteurs,  qui  étaient  exclus  du  Gym- 
nase; par  les  actionnaires,  qui  ne  touchaient  plus  de  divi- 
dendes ;  par  le  public,  qu'on  chassait  du  théâtre  à  coups  de 
mauvaises  pièces;  par  les  acteurs,  qui  ne  jouaient  plus  que 
de  mauvais  rôles.  Bouffé  subit  quelque  temps  sa  part  dans 
cette  calamité  commune;  mais  sa  patience  fut  bientôt  à  bout  ; 
et,  fatigué  de  défaites,  de  sifllets  et  d'ennuis,  il  vint  ap- 
porter à  M.  Poirson  la  somme  de  cent  mille  francs,  montant 
du  dédit  stipulé  dans  l'engagement  qui  l'enchaînait  encore 
au  Gymnase  pour  deux  années.  M.  Poirson  reçut  sans  se 
(aire  prier  les  cent  mille  francs,  et  Bouffé  s'en  alla  au 
théâtre  des  Variétés.  La  spéculation  fut  bonne  pour  l'acteur  et 
pour  le  théâtre  qu'il  avait  ciioisi,  quoique  sa  présence  imposât 
à  la  direction  des  charges  telles  que  la  restitution  des  cent  mille 
francs,  montant  du  dédit  dont  l'acteur  avait  fait  l'avance, 
neuf  mille  francs  d'appointements  fixes,  cent  francs  de  feux 
par  chaque  pièce,  un  minimum  de  vingt  feux  assuré  par 
mois,  un  congé  annuel  de  trois  mois.  Au  mois  de  décembre 
1849  Bouffé  dut,  par  ordre  de  la  faculté,  prendre  un  repos 
nécessaire  à  sa  santé.  L'artiste  espérait  bientôt  revenir  «  re- 
demander au  public  une  part  dans  ses  faveurs  ».  Cet  espoir 
ne  s'est  pas  encore  réalisé. 

Bouffé  a  beaucoup  de  talent;  il  compose  un  rôle  comme 
Gérard  Dow  composait  un  tableau ,  avec  une  patience,  u» 
fini,  une  préciosité  remarquables;  il  sait  l'art  d'émouvon", 
de  faire  venir  les  larmes  aux  yeux,  à  l'aide  d'un  geste,  d'un 
mot,  d'une  inflexion  ;  il  possède  mieux  que  personne  les 
finesses  les  plus  exquises  du  métier;  mais  les  difficiles  re- 
prochent à  ce  talent  d'être  complètement  dépourvu  d'élé- 
gance et  de  distinction,  et  de  n'avoir  que  deux  faces ,  celle 
de  gamin  et  celle  de  centenaire.  Edouard  Lemoine. 

BOUFFES.  Voyez  Théâtre-Italien. 
BOUFFISSURE,  sorte  d'enflure  des  chairs,  qui  leur 
donne  une  fausse  apparence  d'embonpoint. 

Prise  au  figuré,  dans  les  arts,  dans  la  littérature,  la  bouf- 
fissure est  un  effort  malencontreux  qui  s'épuise  de  fatigue 


510 


BOUFFISSURE  —  BOUFLERS 


pour  dépasser  le  but.  c'est  l'iiistoire  de  la  grenouille  qui 
veut  se  faire  aussi  grosse  que  le  bœuf.  C'est  la  fièvre  de 
la  médiocrité;  elle  ne  dénonce  son  exaltation  que  pour 
uiieu\  accuser  son  impuissance. 

BOUFFLERS.  Voyez  Bouflers. 

BOUFFON,  BOUFFONNERIE  (de  buf/o,  mot  de  la 
basse  latinité,  employé  jadis  pour  désigner  l'acteur  chargé  de 
faire  rire,  et  qui  paraissait  sur  la  scène  les  joues  enflées  pour 
recevoir  des  soufflets).  D'autres  racontent  qu'un  sacrificateur 
grec,  nommé  Buphon,  après  avoir  immolé  un  bœuf  sur 
l'autel  de  Jupiter  Polieus,  dans  l'Attique ,  s'enfuit  sans  motif 
et  si  vile  qu'on  ne  put  l'arrêter.  Les  divers  instruments  du 
sacrifice,  qu'il  avait  laissés ,  furent  mis  entre  les  mains  des 
juges,  qui  déclarèrent  la  Ixache  criminelle  et  acquittèrent  les 
autres.  Le  sacrifice  eut  lieu  de  la  môme  manière  les  années 
suivantes.  Le  sacrificateur  s'enfuyait,  et  la  hache  était  con- 
damnée. Comme  l'arrêt  n'était  pas  moins  burlesque  que  la 
cérémonie,  on  a  depuis ,  ajoutent  ces  étymologistes,  appelé 
bouffonneries  toutes  les  farces  et  momeries  ridicules. 

La  bouffonnerie  fit  de  plus  grands  progrès  en  Italie  qu'en 
France ,  tant  en  raison  des  localités  et  du  climat  que  de  l'es- 
prit et  du  caractère  national.  Naturellement  gesticulateurs 
et  grimaciers ,  les  Italiens  excellèrent  de  bonne  heure  dans 
la  bouffonnerie,  dans  le  talent  de  faire  rire;  et  c'est  de  leur 
pays  que  sont  venus  les  premiers  et  les  meifleurs  bouffons. 
La  scène  française  adopta  aussi  les  personnages  bouffons, 
en  leur  conservant  leurs  noms  et  leurs  costumes  italiens. 
Arlequin,  Scapin,  Pasquin,  Mascarille,Sgana- 
relle,  Crispin,  ont  diverti  longtemps  nos  aïeux. 

Dès  l'antiquité  la  plus  reculée  on  voit  les  grands  et  les  riches 
avoir  des  bouffons  à  leur  service.  C'étaient  pour  la  plupart 
des  nains ,  des  créatures  disgraciées ,  dont  il  eût  mieux  valu 
respecter  le  malheur.  Les  Grecs  les  appelaient  [Jiwpài;,  les 
Latins  moriones  :  de  là  le  morus  des  comédies  de  Plante ,  le 
viaccus  des  Atell  ânes.  De  nombreux  passages  de  Sénèque, 
de  Suétone  et  de  Martial  il  résulte  que  les  Grecs  et  les  Romains 
attaciiaient  un  grand  prix  à  leurs  moriones,  sanni,fatui. 
Les  femmes  en  avaient  de  leur  sexe  qu'elles  appelaient 
fatux.  Plus  tard  les  rois  remplacèrent  les  morions  par  des 
fous,  ou  plutôt  par  des  bouffons ,  et  ils  n'eurent  pas  tort. 
Aujourd'imi  encore  il  est  peu  de  cours  qui  n'aient  au  moins 
un  bouffon  en  titre.  Le  roi  citoyen  avait  son/o«  ;  le  fameux 
chantre  du  Maire  d'Eu ,  littérateur  dont  les  calembours  et 
les  calembredaines  faisaient  pâmer  de  rire  les  hôtes  si  souvent 
soucieux  de  Neuiily  et  des  Tuileries.  Le  peuple-roi,  lui 
aussi,  a  aujourd'hui  ses  bouffons  officiels  ;  publicistes  qui , 
pour  lui  plaire,  se  font  les  émules  de  Bobèche  et  de  Gali- 
mafré  et  rédigent  à  son  usage  ce  qu'on  est  convenu  d'ap- 
peler les  petits-journaux. 

Notre  littérature  ne  pouvait  donc  manquer  d'avoir  ses 
bouffons,  tant  en  prose  qu'en  vers.  Mais  les  plus  célèbres  le 
furent  d'inspiration ,  et  conservèrent  leur  indépendance.  On 
peut  citer  Rabelais,  S  car  r  on,  Cyrano  de  Bergerac, 
Piron  et  Vadé.  D'autres,  moms  heureux,  en  firent  une 
sorte  de  profession,  etla  gêne  du  travail  perce  dans  leurs  écrits. 

Les  grossières  bouffonneries  que  Tu  r  lu  pin,  Raimond 
Poisson  et  d'autres  acteurs  avaient  introduites  sur  le 
Théaire-Francais ,  en  ayant  été  bannies  lorsqu'il  se  fut 
épuré,  trouvèrent  un  champ  plus  libre  et  plus  vaste  à  l'an- 
cienne Coinédie-Ifalienne,  puis  à  l'Opéra-Comiquè ,  et  plus 
tard  aux  autres  spectacles  forains.  Nous  ne  passerons  pas 
en  revue  les  divers  auteurs  qui  ont  travaillé  pour  ces  théâtres 
parce  qu'il  en  est  plusieurs,  tels  que  Regnard  et  Du- 
frcsny,  Lesage,  Piron,  Panard,  Marivaux,  Se- 
daine,  etc.,  pour  qui  les  bouffonneries  ne  furent  que  des 
concessions  faites  au  genre  de  ces  spectacles  et  au  goût  du 
public  qui  les  fréquentait.  Il  n'en  fut  pas  de  même  de  Ta- 
conet,de  Dorvigni,  de  Guillemain,  et  souvent  de  Collé. 
Leurs  pièces  ont  dû  principalement  leur  succès  à  des  acteurs, 
qui  tous  étaient  de  véritables  bouffons. 


De  la  cour  et  du  théâtre  la  bouffonnerie  se  glissa  partout  ; 
elle  pénétra  jusque  dans  la  chaire  évangélique  :  combien  n'a- 
t-on  pas  vu  de  curés  de  village ,  de  capucins ,  de  mission- 
naires, débiter  dans  leurs  sermons  les  platitudes  les  plus 
triviales  et  quelquefois  les  plus  indécentes  I  C'étaient  de  vrais 
bouffons ,  qui  auraient  fait  rire  s'ils  n'eussent  fait  pitié. 

C'est  dans  la  société  que  les  bouffons  ont  surtout  étendu 
et  perpétué  leur  empire  :  nous  ne  parlerons  ici  de  quelques 
hommes  qui,  joignant  le  goût  à  l'esprit,  se  sont  fait  une  répu- 
tation par  leurs  reparties  et  leurs  bons  mots ,  tels  que  P  i  - 
ron ,  C  h  amfo  rt ,  R  i  var ol ,  etc.,  que  pour  déplorer  qu'ils 
aient  eu  tant  de  froids  et  ennuyeux  imitateurs  !  Entre  autres, 
ce  marquis  de  B  i  è  v  r  e,  qui  inventa  ou  ressuscita  les  c  a  1  e  m  - 
bours.  Mais  de  tous  les  bouffons,  les  plus  insupportables, 
ce  sont  les  bouffons  de  société,  soit  qu'ils  exercent  gratui- 
tement le  métier  d'amuser  une  assemblée,  soit  qu'ils  en  fas- 
sent un  objet  de  spéculation  ;  hommes  presque  toujours 
sans  opinion,  sans  caractère,  sans  dignité,  et  dont  la  pro- 
fession est  inséparable  des  rôles  honteux  de  complaisants , 
de  flatteurs  et  de  parasites. 

A  Paris ,  où  les  grands  repas ,  les  sociétés  nombreuses , 
réunissont  souvent  des  gens  qui  ne  se  sont  jamais  vus,  entre 
lesquels  il  y  a  peu  ou  point  de  contact,  et  qui,  se  com- 
muniquant réciproquement  leur  froideur  et  leur  ennui ,  les 
répandent  dans  le  salon  où  ils  se  trouvent,  l'usage  s'était 
introduit  avant  1789  chez  les  grands  seigneurs  et  les  fer- 
miers généraux ,  et  depuis  dans  les  maisons  des  parvenus  et 
des  fournisseurs,  d'avoir  des  bouffons  à  gages  pour  divertir 
la  compagnie.  C'étaient  des  mimes,  des  mystificateurs, des 
ventriloques.  L'un  imitait  le  bruit  d'une  mouche  qui  vole 
et  bourdonne,  d'un  pot  qui  se  casse,  d'une  clef  qui  tombe, 
d'une  porte  qui  se  ferme  ,  le  cliquet  d'un  moulin ,  le  claque- 
ment d'un  fouet;  l'autre,  les  cris  de  divers  animaux,  les  voix 
de  plusieurs  personnages,  filles,  femmes,  enfants  et  vieillards, 
les  accents  allemand,  anglais,  italien,  gascon,  etc.;  un  troi- 
sième savait  à  volonté  pleurer,  rire ,  sanglotter,  éternuer, 
tousser;  un  quatrième  avait  l'art  de  décomposer  ses  traits 
et  de  contrefaire  les  figures  de  tous  les  âges ,  la  maigreur, 
l'embonpoint,  l'expression  de  toutes  les  physionomies; 
d'autres  faisaient  l'ivrogne ,  le  sourd ,  l'aveugle ,  le  gout- 
teux ,  le  moribond ,  et  imitaient  les  discussions  d'une  as- 
semblée tumultueuse,  d'un  comité  révolutionnaire,  une  pro- 
cession ,  un  enterrement ,  etc. 

Dans  les  villes  de  province,  et  à  Paris  dans  la  petite  bour- 
geoisie, il  n'y  a  guère  de  société  ou  de  coterie  qui  n'ait  son 
bouffon  spécial  et  privilégié  :  c'est  ordinairement  un  neveu , 
un  petit  cousin ,  un  ami ,  un  voisin  de  la  maison.  Il  se  met 
tout  de  suite  à  l'aise;  il  se  croit  tout  permis;  il  persifle,  il 
plaisante  à  tort  et  à  travers  ;  et  Dieu  sait  de  quel  genre  sont 
ses  plaisanteries!  Plats  calembours,  contes  saugrenus, 
.  grimaces ,  travestissements ,  gestes  familiers  et  indécents , 
tout  cela  est  de  son  ressort,  et  il  va  toujours  jusqu'à  la 
bêtise  ou  à  l'impertinence. 

Servir  de  bouffon  signifie  servir  de  risée,  être  un  sujet 
de  moquerie  :  c'est  un  affront  qu'on  ne  saurait  tolérer.  Qui- 
conque se  voit  baffoué  dans  une  société  doit  se  retirer 
aussitôt.  S'il  ne  s'aperçoit  pas  qu'on  le  berne,  c'est  un  sot  ; 
s'il  s'en  aperçoit  et  qu'il  reste,  c'est  un  homme  sans  dignité. 

BOUFLERS  (  Famille  de  ).  C'est  une  des  plus  nobles 
et  des  plus  anciennes  de  Picardie.  Son  origine  se  perd  dans  la 
nuit  des  temps.  Son  premier  nom  était  Morlaix.  Celui  de 
Bouflers  lui  fut  donné,  dit-on,  à  cause  d'un  buffle  terrassé 
dans  des  temps  reculés  par  Bouflers  le  Robuste  qui  en 
reçut  son  nom  et  son  surnom.  Longtemps  après,  ses  des- 
cendants se  signalèrent  dans  les  croisades.  En  il 33  nous 
trouvons  Bernard  de  Bouflers.  En  1256  Guillaume  ne 
Bouflers  accompagnelc  comte  d'Anjou,  frère  de  saint  Louis, 
à  la  conquête  de  Naples.  Allcaume  de  Bouflers  était 
en  1:504,  avec  Philippe  le  Bel,  à  la  bataille  de  Mons  en  Puelle. 
D'autres  Bouflers  soutinrent  la  cause  du  roi  de  France  ou 


BOUFLERS 


511 


celle  du  roi  d'Angleterre,  dans  les  guerres  que  se  livraient 
ces  deux  puissances  pour  la  possession  de  notre  pays.  Des 
Bouflers  sont  faits  prisonniers  à  la  bataille  d'Azincourt,  d'au- 
tres se  font  tuer  pour  Charles  de  Bourgogne  à  la  bataille 
de  Nancy,  d'autres  assistent,  avec  François  l",  à  celle  de 
Pavie,  ou  figurent  aux  états  de  Blois. 

La  maison  de  Bouders  a  produit  un  maréchal  de  France 
qui  se  couvrit  de  gloire  à  la  défense  de  Lille.  Louis  XIV  pour 
en  consacrer  le  souvenir  lui  accorda  le  privilège  de  joindre 
à  ses  armes  des  drapeaux  fleurdelisés.  Le  chevalier  de 
Bouflers  est  demeuré  célèbre  par  l'originalité,  la  grâce  et  le 
piquant  de  son  esprit.  Nous  leur  consacrerons  des  articles 
particuliers,  ainsi  qu'à  la  célèbre  comtesse  de  Bouflers,  l'i- 
dole  du  duc  de  Conti.  Enfin  ce  fut  un  Bouflers  qui  donna 
à  La  Fontaine  l'idée  de  sa  fable  Le  Curé  et  le  Mort.  Voici 
comment  M"®  de  Sévigné  raconte  le  fait  dans  une  lettre 
du  26  février  1672  :  «  M.  de  Bouflers,  dit-elle,  a  tué  un 
homme  après  sa  mort;  il  était  dans  sa  bière  en  carrosse, 
on  le  menait  à  une  lieue  de  Bouflers  pour  l'enteirer ;  son 
curé  était  avec  le  corps.  On  verse;  la  bière  coupe  le  cou 
au  pauvre  curé.  » 

BOUFLERS  (  Loijis-François,  duc  de  ),  né  le  10  jan- 
vier 1644,  commença  sa  carrière  militaire  en  1662,  dans  le 
régiment  des  gardes,  où  il  entra  comme  cadet.  Sous-lieu- 
fenant  en  1666,  aide-major  en  1667,  colonel  en  1670,  ma- 
réchal de  camp  en  1677,  lieutenant  général  en  1681,  maré- 
chal de  France  en  1693,  il  avait  gagné  tous  ses  grades  sur 
les  champs  de  bataille.  Il  se  distingua  sousCondé,  Turenne, 
Créqui,  Luxembourg  et  Catinat,  dans  toutes  les  campagnes 
de  ces  longues  guerres  à  peine  interrompues  par  des  trêves 
de  courte  durée.  Ce  fut  après  la  campagne  du  Nord  (1695) 
que  sa  terre  de  Cagni  fut  érigée  en  duché-prairie,  sous  le 
nom  de  Bouflers.  Forcé  de  capituler,  après  avoir,  pendant 
quatre  mois,  défendu  la  ville  de  Lille,  le  prince  Eugène,  qui 
savait  honorer  le  courage  malheureux,  lui  dit  :  «  Je  suis 
fort  glorieux  d'avoir  pris  Lille ,  mais  j'aimerais  mieux  en- 
core l'avoir  défendu  comme  vous.  » 

Rien  n'aurait  manqué  à  sa  gloire  s'il  n'eût  combattu 
que  les  ennemis  de  la  France  ;  malheureusement  son  nom 
se  rattache  aux  sanglantes  expéditions  contre  les  protestants. 
Il  fut  chargé  d'entreprendre  la  conversion  des  protestants 
deMetz.  Soumis  et  timides,  ilsn'avaient  pas  donné  le  moindre 
prétexte  à  la  persécution.  Mais,  trop  fidèle  à  ses  instruc- 
tions et  aux  ordres  de  Louvois,  Bouflers  se  mit  à  la  tête  des 
dragons  ;  tous  les  habitants,  sans  nulle  exception,  furent  con- 
traints par  lui  d'aller  à  la  messe ,  où  des  places  spéciales 
étaient  assignées  aux  protestants  ,  afin  que  les  curés  pus- 
sent constater  leur  soumission  à  l'édit  royal  de  révocation. 
La  confession  et  la  communion  pascales  furent  ordon- 
nées sous  peine  d'amende,  et  le  maréchal  mit  toute  sa 
garnison  à  la  disposition  du  clergé  et  de  l'intendant  pour 
(aire  exécuter  les  récalcitrants.  Le  jour  de  Noël,  après  avoir 
traqué  tous  les  protestants  dans  les  églises,  il  fit  envahir 
leur  domicile  par  des  dragons  ;  il  avait  recommandé  la  sai- 
sie et  l'enlèvement  de  toutes  les  Bibles  françaises,  et  en  fit 
un  grand  auto-da-fé.  La  communion  romaine  fut  exigée 
comme  une  preuve  de  conversion.  Ceux  qui  refusèrent 
furent  condamnés  aux  galères,  leurs  femmes  à  la  réclusion , 
et  leurs  enfants  enlevés  et  renfermés  dans  des  couvents,  pour 
y  être  convertis.  Les  temples  furent  démolis. 

11  est  pénible  de  voir  des  hommes  distingués  par  leurs 
talents ,  leur  bravoure  et  les  services  éminents  qu'ils  avaient 
rendus  à  leur  pays,  se  faire  les  exécuteurs  d'un  édit  qui  fut 
plus  funeste  à  la  France  que  les  fléaux  les  plus  désastreux. 
Le  maréchal  de  Bouflers ,  hâtons-nous  de  le  dire,  ne  dut  agir 
dans  cette  circonstance  que  par  conviction.  Aucun  motif  d'in- 
térêt où  d'ambition  ne  pouvait  lui  inspirer  le  rôle  ignoble  et  bar- 
bare de  convertisseur.  Le  vieux  guerrier  était  dévot,  disent 
les  historiens  contemporains  :  ce  mot  explique  tout. 
M"*  de  Maintenpn  s'empressa  d'annoncer  sa  mort  an  maré- 


chal de  Noailles  :  «  Vous  avez  perdu,  lui  dit-elle,  un  bon 
ami,  mon  cher  duc,  en  perdant  M.  le  maréchal  de  Bouflers, 
qui  est  mort  hier,  ici  (le  21  août  171 1  ).  11  allait  se  reposer 
à  Bouflers,  et  j'avais  peine  à  croire  qu'il  en  revînt;  car  il 
était  bien  affaibli  ;  son  grand  courage  le  soutenait  ;  en  lui  le 
cœur  est  mort  le  dernier...  «  —  Son  fils ,  Joseph-Marie ,  né 
en  1706,  se  distingua  dans  les  guerres  du  règne  de  Louis  XV, 
devint  maréchal  de  camp ,  et  lieutenant  général ,  assista  à 
la  bataille  de  Fontenoi ,  commanda  les  troupes  envoyées  par 
Louis  XV  au  secours  de  la  république  de  Gênes ,  attaquée 
par  les  impériaux ,  et  mourut  dans  cette  expédition  le  2  juil- 
let 1747.  Ddfey  (  de  l'Yonne  ). 

BOUFLERS  (M"«  SAUJON,  comtesse  de).  Devenue 
veuve,  elle  vécut  dans  la  plus  grande  intimité  avec  le  prince 
de  Conti ,  qui ,  en  sa  qualité  de  grand  prieur  de  l'ordre  de 
Malte  en  France,  occupait  le  vaste  palais  du  Temple  : 
madame  de  Bouflers  en  faisait  les  honneurs.  Elle  conserva 
longtemps  l'espoir  d'épouser  le  prince.  Madame  du  Def- 
fand ,  qui  haïssait  tous  ceux  qui  n'étaient  pas  ennemis  de 
J.  -  J.  Rousseau ,  ne  laissait  échapper  aucune  occasion  de  verser 
le  ridicule  sur  madame  de  Bouflers  et  sur  les  familles  de 
Luxembourg  et  de  Biron.  Et  cependant  elle  se  faisait  in- 
viter à  toutes  leurs  soirées  ;  elle  était  de  toutes  leurs  fêtes. 
C'était  toujours  avec  une  dédaigneuse  fatuité  qu'elle  s'expri- 
mait sur  tout  ce  qui  tenait  par  le  sang  ou  par  les  affections 
à  la  comtesse  de  Bouflers ,  qu'elle  n'appelait  jamais  autre- 
ment que  Y  Idole  du  Temple,  et  le  plus  souvent  Y  Idole 
tout  court.  Madame  de  Bouflers  était  sa  bête  noire;  elle 
cite  Yidole  à  tout  propos  dans  sa  volumineuse  corres- 
pondance. H.  Walpole,  écrivant  sous  la  dictée  et  sous  l'in- 
fluence des  préventions  de  madame.du  Deffand,  a  fait  de 
la  comtesse  de  Bouflers ,  qu'il  ne  connaissait  point ,  un  por- 
trait hideux  de  cynisme  H  de  méchanceté. 

Deux  hommes  se  partageaient  son  cœur  :  le  prince  de 
Conti  et  Jean- Jacques  Rousseau.  Si  ses  rapports  avec  le 
prince  furent  aussi  innocents  que  ceux  qu'eUe  eut  avec 
le  philosophe ,  l'épithète  de  maîtresse  que  lui  donne  Walpole 
n'est  qu'une  calomnie  gratuite.  Rousseau,  qui  dans  ses 
Confessions  a  montré  à  nu  ses  liaisons  les  plus  intimes , 
ses  sentiments  les  plus  secrets ,  et  qui  dans  ses  révélations 
indiscrètes  a  bravé  toutes  les  convenances,  ne  s'exprime 
qu'en  termes  honorables  sur  madame  de  Bouflers.  Leur 
correspondance  a  duré  plus  de  seize  ans.  C'était  toujours 
l'expression  chaste  et  franche  d'une  sincère  et  pure  amitié. 
Cet  attachement  de  madame  de  Bouflers  était  souvent  mis  à  de 
rudes  épreuves.  Si  elle  ne  réussit  pas  à  guérir  son  ami  de  sa 
misanthropie ,  c'est  que  le  mal  était  incurable.  Elle  ne  pou- 
vait supporter  tout  ce  qui  pouvait  exciter  ses  accès.  Un  jour 
qu'elle  le  voyait  prêt  à  s'emporter  et  à  répondre  sérieuse- 
ment  à  d'absurdes  sophistes,  elle  ne  put  se  contenir,  et  lui 
cria  tout  haut  :  «  Tais-toi,  Jean-Jacques  !  ils  ne  peuvent  te 
comprendre!  » 

La  calomnie  aurait  dû  respecter  l'attachement  de  cette 
digne  femme  pour  le  prince  de  Conti,  qu'elle  n'abandonna 
jamais,  et  qui  mourut  près  d'elle.  Aucun  motif  d'intérêt  ne 
l'avait  si  longtemps  fixée  près  de  lui  :  elle  seule  lui  restait. 
Les  princes  d'Orléans  et  de  Condé ,  et  la  famille  royale  même, 
ne  témoignèrent  ni  douleur  ni  regret  à  la  mort  du  prince 
qui  n'avait  conservé  avec  la  cour  que  des  rapports  de 
convenance.  Sans  ambition  personnelle,  il  avait  préféré  à 
une  vie  toute  d'intrigues  et  d'hypocrisie  la  retraite  paisible 
qu'il  s'était  choisie  et  la  société  d'artistes ,  de  philosophes , 
d'hommes  de  lettres  et  de  femmes  aimables  et  spirituelles 
que  lui  avait  faite  madame  de  Bouflers.  Elle  eût  désiré  que 
le  prince  s'isolât  moins  de  la  cour,  pour  utiliser  son  crédit, 
non  dans  son  intérêt  personnel,  mais  en  faveur  de  ses  amis. 
La  mort  du  prince  rendit  M"*  de  Bouflers  à  elle-même  ; 
elle  se  retira  à  Auteuil,  et  se  voua  tout  entière  à  sa  belles- 
fille,  madame  de  Lauzun,  qu'un  hymen  malheureux  avai^ 
condamnée  à  tous  les  genres  d'infortunes,  et  dont  la  lin  fu^ 


512  •  BOUFLERS  —  BOUGAIN  VILLE 

déplorable.  Le  nom  de  la  comtesse  de  Bouners  se  môle  à 
tous  les  noms  célèbres  ou  fameux  de  sou  époque.  M"'=  de  Les- 
pinassc  l'a  peinte  telle  qu'elle  était.  M°"  du  Deffand  ne  l'a 
vue  qu'à  travers  le  prisme  de  la  prévention  et  de  la  haine. 
Les  lettres  de  M"'  de  Lespinasse  et  la  correspondance  de 
J.-J.  Rousseau  font  parfaitement  connaître  le  caractère  et 
les  principales  circonstances  de  la  vie  de  la  comtesse  de 
Bouliers.  A  son  retour  d'un  second  voyage  en  Angleterre, 
elle  avait  été  arrêtée,  et  resta  prisonnière  à  la  Conciergerie. 
Elle  n'obtint  sa  liberté  qu'après  l'événement  du  9  thermidor, 
et  mourut  sous  le  consulat.  Dufey  (de  l'Yonne). 

BOUPLERS  (Marie-Frainçoise-Catiierine  de  BEAU- 
VAU-CRAON ,  marquise  de  ) ,  ayant  épousé  le  marquis  de 
Bouflers-Remiencourt ,  capitaine  des  gardes  du  roi  de  Po- 
logne Stanislas  ,  joua  un  grand  rôle  à  la  cour  de  Lunéville, 
qu'elle  charma  par  les  grâces  de  son  esprit  et  de  sa  figure. 
Elle  mourut  à  Paris,  en  1787  ,  laissant  deux  fds,  dont  le 
plus  jeune  fut  l'abbé,  chovalier,  marquis  Stanislas  de  Bouliers 
(  voyez  plus  loin).  Voltaire  avait  adressé  les  vers  suivants 
à  M"*  de  Bouflers  : 

Vos  yeux  sont  beaux  ,  votre  àme  encnr  plus  belle  , 

Et,  sans  prétendre  à  rien,  vous  triomphez  de  tous. 

Si  vous  eussiez  vécu  du  temps  de  Gabrielle  , 
Je  ne  sais  pas  ce  qu'on  eût  dit  de  vous  , 
Mais  on  n'aurait  point  parlé  d'elle. 

BOUFLERS  (  Stanislas,  marquis ,  plus  connu  sous  le 

titre  de  chevalier  de),  né  à  Lunéville,  en  1737  ,  fut  un  des 

liommes  d'esprit  les  plus  goûtés  par  la  brillante  et  frivole 

société  du  dix-huitième  siècle.  Il  avait  été  élevé  à  la  petite 

cour  que  tenait  en  Lorraine  le  roi  Stanislas ,  cet  hôte  ai- 
mable des  poètes  et  des  philosophes  à  la  mode.  Sa  mère , 

femme  remarquable  par  son  esprit  et  sa  beauté ,  était  la 

reine  de  cette  résidence  princière ,  si  souvent  célébrée  par 

Voltaire.  Bouliers  fut  le  protégé  du  roi,  son  parrain,  qui  lui 

assura  un  bénéfice  de  quarante  mille  livres  en  Lorraine,  sa 

mère  destinant,  selon  l'usage,  son  fils  cadet  à  l'étal  ecclé- 
siastique. C'était  de  tous  les  états  celui  auquel  il  convenait 

le  moins  :  il  le  prouva  bien  en  composant,  dès  son  entrée  au 

séminaire  Saint-Sulpice,  son  conte  di' Aline ,  reine  de  Gol- 

conde ,  œuvre  leste ,  galante  et  voluptueuse.  Cependant  il 

n'en  eût  sans  doute  pas  moins  fait  son  chemin  dans  l'église, 

s'il  ne  s'était  dégoiité  de  l'état  ecclésiastique. 

Il  n'y  tenait  môme  déjà  qu'à  cause  de  son  bénéfice.  Pour 

le  conserver  en  jetant  le  froc  aux  orties ,  il  se  fit  chevalier 

de  Malte,  et  alla  guerroyer  dans  la  liesse,  en  1761.  Le  voilà 

donc  enfin  dans  son  élément!  Au  milieu  des  gentils-hommes 

à  la  destinée  desquels  la  sienne  est  liée,  il  se  distingue  par 
sa  belle  humeur,  ses  plaisanteries  giivoises,  ses  orgies  et  ses 
petits  vers  musqués.  IMais  bientôt  la  profession  des  armes 
l'ennuie  :  la  manie  des  voyages  le  prend ,  il  s'en  va  par 
monts  et  par  vaux  courir  la  Suisse  et  VAhemagne,  séduisant 
la  brune  et  la  blonde ,  comme  on  disait  alors,  et  empor- 
tant de  tous  les  lieux  où  il  s'arrêtait  des  lettres  d'amour 
de  toutes  les  nuances  et  des  portraits  qu'il  dessinait  lui- 
môme;  car,  pour  continuer  à  parler  le  langage  du  temps, 
il  maniait  le  crayon  aîissi  bien  que  la  lyre. 

En  Suisse ,  il  vit  le  philosophe  de  Genève ,  et  descendit 
au  retour  chez  le  vieux  Voltaire,  qui  le  salua  d'un  de  ces 
jolis  compliments  en  vers  dont  il  ne  fut  jamais  avare,  sur- 
tout vers  la  fin  de  ses  jours.  Le  chevalier,  en  échange, 
grava  le  portrait  du  grand  homme  à  l'eau  forte;  car  il  gra- 
vait encore  aussi  bien  qu'il  dessinait  et  qu'il  chantait. 

En  1771  Bouliers  s'en  revint  à  rarniée,  et  toujours  ami 
du  plaisir,  toujours  étourdi,  toujours  prodigue ,  il  eut  bientôt 
achevé  de  dissijier  .son  bien.  Au  bout  de  quelques  années , 
ses  affaires  étaient  dans  le  plus  piteux  état.  Pour  essayer 
de  sortir  d'embarras,  il  sollicita  et  obtint  la  place  de  gou- 
verneur du  Sénégal.  Là  il  s'honora  par  son  humanité  envers 
les  esclaves,  en  délivra  bon  nombre,  en  défendit  plus  en- 
core contre  la  barbarie  des  traitants ,  forma  le  projet  do 


voyages  scientifiques  dans  l'intérieur  de  l'Afrique,  et  envoya 
au  ministère  des  plans  bien  conçus ,  dont  l'exécution  eût 
été  féconde  en  heureux  résultats. 

Cependant ,  son  exil  commence  à  lui  peser  :  on  le  rap- 
pelle en  France  pour  l'admettre  à  l'Académie  ;  puis,  lorsque 
sonne  à  l'horloge  du  temps  la  grande  date  de  1789  ,  nous  ne 
savons  qui  s'avise  de  l'envoyer  aux  états  généraux ,  où  il 
se  montre  modéré,  consciencieux,  ennemi  de  toute  mesure 
oppressive,  s'opposant  à  ce  qu'on  surveille  les  correspon- 
dances et  faisant  rendre,  en  1791,  un  décret  important,  dont 
personne  ne  lui  sait  gré ,  celui  qui  assure  par  brevet  aux 
inventeurs  la  propriété  de  leurs  découvertes.  Mais  l'orage 
gronde  ;  sa  tôte  ,  comme  beaucoup  d'autres ,  est  sérieuse- 
ment menacée;  il  passe,  après  le  10  août,  en  Prusse,  où 
Frédéric  11  lui  fait  une  concession  de  terre  pour  y  établir 
une  colonie  d'émigrés ,  qui  ne  réussit  pas.  Il  épouse  M""'  de 
Sabran;  en  1800  il  rentre  en  France  pour  se  faire  réadmettre 
à  l'Institut,  qui  a  succédé  à  l'Académie.  Il  y  prononce  avec 
succès  l'éloge  du  maréchal  de  Noailles,  et  réussit  moins 
dans  le  panégyrique  de  l'abbé  Barthélémy.  L'ami  de  Vol- 
taire était  sublime  lorsqu'il  demandait  au  roi  de  Prusse  un 
cuin  de  terre  pour  ses  compagnons  d'exil.  11  est  mécon- 
naissable quand,  louangeur  sans  frein  de  Napoléon  ,  il  lui 
demande  une  préfecture,  et  la  lui  demande  en  vain ,  malgré 
ces  jolis  vers  écrits  sur  l'album  de  la  princesse  Élisa  et 
adressés  au  prince  Jérôme,  de  retour  d'une  croisière 

Sur  le  front  couronné  de  ce  jeune  vainqueur, 
J'admire  ce  qu'ont  fait  deux  ou  trois  ans  de  guerre  : 
Je  l'avais  vu  partir  ressemblant  à  sa  sœur; 
Je  le  vois  revenir  resseiublaut  à  son  frère. 


C'est  ainsi  qu'il  se  consolait  de  l'état  fort  humble  où  le 
laissait  le  pouvoir  nouveau ,  en  faisant  de  petits  vers ,  qui 
n'excitaient  plus  le  même  enthousiasme  qu'autrefois,  mais 
qu'on  écoutait  encore  avec  plaisir,  par  politesse ,  dans  quel- 
ques salons ,  dans  ceux  de  M""^  de  Staël ,  entre  autres , 
dont  il  était  un  des  plus  fidèles  habitués.  Un  jour,  sous  ses 
cheveux  blancs,  il  voulut  essayer  d'être  grave,  et  composa 
un  gros  volume  sur  le  libre  arbitre,  volume  que  personne 
ne  lut.  Il  fit  bien  vite  retour  à  ses  petits  vers.  Il  y  a  une 
foule  de  traits  charmants  dans  ses  poésies,  auxquelles  on 
reproche,  pourtant,  avec  raison  beaucoup  trop  de  jeux 
de  mots,  de  fleurs,  de  fadeurs  et  d'antithèses.  On  lui  doit 
encore  des  lettrés  à  sa  mère  durant  son  voyage  en  Suisse , 
des  contes  et  le  Cœur,  pocme  erotique,  avec  réponse  de 
Voltaire. 

Bouflers  termina  paisiblement  sa  vie,  à  soixante  dix-huit 
ans,  en  1815.  Un  mot  de  lui  fait  son  épitaphe  : 
Mes  amis ,  je  crois  que  je  dors. 

Sa  cendre  repose  à  côté  de  celle  de  Delille.  Il  y  a  du  vrai, 
malgré  un  peu  de  fiel ,  dans  ce  portrait  satirique  qu'on  a 
fait  de  lui  :  «  Il  fut  abbé  libertin,  militaire  philosophe, 
di|)lomate  chansonnier,  émigré  patriote  et  républicain  cour- 
tisan. » 

BOUG.  Votjez  Boc. 

BOUGALWILLE  (Loms- Antoine  de).  Presque  tou- 
tes les  nations  maritimes  de  l'Europe  pouvaient  se  vanter 
d'avoir  donné  naissance  à  des  navigateurs  dont  les  décou- 
vertes étaient  utiles  à  la  fois  aux  sciences ,  au  commerce 
et  à  la  civilisation  de  l'univers.  La  moitié  du  dix-huitième 
siècle  était  déjà  écoulée  que  la  France  ne  comptait  encore 
aucun  nom  célèbre  par  ses  voyages  dans  le  Nouveau-Monde  ; 
et  cependant  plusieurs  aventuriers  français  avaient  fait  le 
tour  du  globe ,  mais  aucun  d'eux  n'avait  été  guidé  par  le 
désir  de  servir  la  société  tout  entière.  Dougainville  se  pré- 
senta enfin  pour  relever  sa  patrie  de  l'état  d'infériorité  où 
elle  était  à  cet  égard,  et  en  1766  il  proposa  de  diriger  une 
expédition  scientifique  à  la  recherche  de  mondes  nouveaux. 

Il  n'était  pas  marin.  Dans  sa  jeunesse  il  avait  abandonné 
l'étude  d<i  droit  poui-  se  livrer  aux  mathématiques ,  qu'il 


I. 

I 


BOUGAINVILLE  —  BOUGIE 


Ê13 


ain.ait,  et  il  avait  embrassé  la  carrière  militaire.  11  servit 
tl'aDord  comme  secrétaire  d'ambassade  à  Londres ,  ensuite 
comme  aide  de  camp  du  maréchal  de  Montcalm.  11  passa  au 
Canada,  où  il  acquit  la  réputation  de  brave  officier;  et  à 
la  paix  de  1762  ses  services  furent  récompensés  par  le  grade 
de  colonel  et  le  don  de  deux  pièces  de  canon.  Dès  J'année 
1752  il  avait  publié  un  Traité  du  Calcul  intégral,  qui 
l'avait  fait  connaître  parmi  les  savants  ;  mais  c'est  le  voyage 
qu'il  exécuta  autour  du  globe  pendant  les  années  176C,  1767, 
1768  et  1769,  et  l'excellente  relation  qu'il  en  donna,  qui 
ont  rendu  son  nom  illustre. 

La  géographie  du  Nouveau  Monde  était  alors  un  tissu  d'er- 
reurs :  l'immense  océan  Pacifique  n'avait  encore  été  traversé 
que  par  un  petit  nombre  de  navires,  et  les  premiers  navi- 
gateurs avaient  fait  des  récits  fabuleux  sur  les  terres  qu'ils 
avaient  découvertes  ;  quelques-uns  plaçaient  des  îles,  de  gran- 
des terres,  des  continents  là  où  la  mer  spule  couvrele  globe; 
oh  devait  être  continuellement  en  sarde  contre  les  rapports 
précédents  pour  en  corrigeriez  fautes.  Certes,  il  ne  (allait  pas 
'^tre  animé  d'une  résolution  médiocre  pour  braver  les  mor- 
telles inquiétudes  d'une  navigation  dans  des  mers  inconnue-^, 
où  l'on  était  menacé  de  toutes  parts  de  la  rencontre  inopinée 
de  terres  et  d'écueils ,  surtout  pendant  les  longues  nuits  de 
la  zone  torride  :  c'était  à  tâtons  qu'il  fallait  cheminer  sans 
cesse;  on  tremblait  toute  la  nuit  si  le  soir  l'horizon  nuageux 
avait  semblé  annoncer  le  voisinage  de  quelque  terre  ;  et  la 
disette  d'eau  et  le  défaut  de  vivres  auxquels  on  était  alors 
exposé  dans  l'état  peu  avancé  de  la  marine  étaient  encore 
de  nouvelles  causes  d'alarme.  Sans  doute  on  doit  de  la  re- 
connaissance à  l'homme  qui  dans  le  but  d'être  utile  à  son 
pays  brava  tous  ces  dangers. 

La  relation  de  son  voyage  fut  accueillie  avec  une  sorte 
d'enthousiasme  ;  elle  fut  traduite  dans  presque  toutes  les  lan- 
gues :  le  mérite  transcendant  de  cet  ouvrage  et  les  circons- 
tances dans  lesquelles  il  parut  devaient  en  effet  lui  assurer 
ce  succès.  Tous  les  esprits  étaient  alors  tournés  vers  ces 
pays  inconnus  qui  jusque  là  semblaient  encore  un  peu  ima- 
ginaires. Bougainville  en  rapportait  des  détails  neufs,  précis, 
curieux ,  et  il  les  présentait  d'une  manière  claire ,  avec  l'ac- 
cent de  la  vérité ,  et  un  style  qui  charmait.  A  chaque  instant 
on  est  frappé  du  tact  particulier  qu'il  avait  pour  l'observa- 
tion. Dès  qu'il  arrive  dans  un  pays ,  il  l'envisage  sous  tous 
les  aspects  :  le  climat,  le  sol,  ses  productions,  ses  habitants, 
le  caractère  de  la  société ,  tout  est  peint  avec  tant  de  vérité, 
en  traits  si  saillants ,  qu'on  s'en  fait  sur-le-champ  une  re- 
présentation vivante.  Aujourd'hui  même  nous  lisons  avec 
autant  de  profit  que  de  plaisir  ses  descriptions  des  pays 
qu'il  a  parcourus  ;  alors  chacune  de  ses  paroles  était  un  éclair 
au  milieu  des  ténèbres. 

Il  fitla  géographie  du  détroit  de  Magellan  aussi  exactement 
que  le  lui  permirent  les  moyens  astronomiques  qu'il  avait 
à  sa  disposition  ;  il  découvrit  Otaïti  ;  et  les  détails  qu'il  donne 
sur  cette  île  sont  du  plus  haut  intérêt.  Nous  ne  ferons  pas  l'é- 
numération  de  toutes  les  terres  qu'il  découvrit  ou  visita; 
nous  dirons  seulement  qu'il  traversa  les  nombreux  archipels 
de  la  mer  du  Sud,  qu'il  jeta  une  grande  lumière  sur  cette 
partie  de  la  géographie ,  et  qu'il  rapporta  de  toutes  ces  con- 
trées des  documents  précieux  pour  les  sciences. 

En  1770  il  fut  nommé  chef  d'escadre  et  maréchal  de  camp 
des  armées  de  tene.  En  1790 ,  appelé  à  commander  l'armée 
navale  à  Brest,  il  fit  de  vains  efforts  pour  rétablir  l'ordre  au 
milieu  de  l'agitation  extrême  qui  régnait  alors  dans  tous  les 
esprits  :  le  peu  de  succès  qu'il  obtint  le  détermina  à  prendre 
sa  retraite,  après  quarante  ans  de  service.  L'empereur  le  lit 
asseoir  au  banc  des  sénateurs,  et  l'Institut  le  compta  parmi 
ses  membres.  L'année  ISll  termina  sa  longue  carrière  :  il 
était  né  à  Paris,  en  1729.  ïhéogène  Page. 

BOUGE,  que  Ducange  dérive  de  bugia,  synonyme  de 
maison  fort  petite,  et  que  d'autres  font  venir  de  l'allomand 
bogen,  signifie,  dans  son  acception  la  plus  ordinaire,  une 

1)1CT.    Dli   L\   CO.WLitS.  —  T.    III. 


petite  pièce,  ou  un  petit  cabinet,  dans  lequel  il  n'y  a  plac» 
que  pour  un  lit  ;  il  s'entend  aussi  d'un  réduit  pauvre,  obscur 
et  modeste,  ou  malpropre.  On  donne  enfin  ce  nom  à  de  pe- 
tits cabinets,  ordinairement  au  nombre  de  deux,  placés  de  cha- 
que côté  d'une  cheminée,  et  où  l'on  serre  divers  objets  usuels. 

Bouge,  en  termes  de  tonnelier,  désigne  le  milieu  d'une 
futaille,  dans  sa  partie  la  plus  bombée. 

En  termes  de  charpenterie,  la  bouge  est  une  pièce  de  bois 
qui  a  du  bombement  ;  en  termes  de  charronage,  c'est  la  partie 
la  plus  élevée  du  moyeu  d'une  roue  ;  en  termes  de  potier 
d'étain,  c'est  le  demi-cercle  qui  règne  autour  du  fond  de  l'as- 
siette, ou  la  partie  qui  sépare  celui-ci  de  l'arête;  en  termes 
de  marine,  on  appelle  ainsi  la  rondeur  des  baux  et  des  tillacs 
d'un  navire. 

Villon  s'est  servi  du  mot  bouges  dans  le  sens  de  haul- 
de-chausses,  et  Pasquier  témoigne,  dans  ses  Eecfierches, 
qu'on  l'a  employé  aussi  autrefois,  ainsi  que  celui  de  bottgette, 
dans  le  sens  de  petit  sac,  poche  ou  bourse.  On  disait  alors 
d'un  homme  qui  avait  lait  un  gros  gain,  qîiHl  avait  bien 
rempli  ses  bouaes. 

BOUGIE  {Arts  économiques).  Si  l'on  en  croît  liar- 
bazan ,  ce  mot  n'est  usité  en  France  que  depuis  le  dix-sejH 
lième  siècle.  En  1599  on  désignait  encore  la  bougie  sous  le 
nom  de  chandelle  de  cire.  Celui  de  bougie,  qui  a  été  adopté 
depuis,  est  venu  de  la  ville  de  même  nom,  située  sur  la  côte 
d'Afrique,  d'où  l'on  tirait  autrefois  beaucoup  de  cire,  et  ou 
elle  était  si  commune,  que  les  habitants  ne  connaissaient,  dit- 
on  ,  d'autre  éclairage  que  celui  des  chandelles  qu'ils  en  fa- 
briquaient. 

Il  y  a  deux  sortes  principales  de  bougies  :  la  bougie  filée, 
qui  consiste  en  une  mèche  revêtue  d'une  légère  couche  de 
cire,  et  roulée  sur  elle-même,  et  la  bougie  de  table.  Nous 
parlerons  plus  loin  des  chandelles  revêtues  de  cire. 

On  se  sert  ordinairement  de  la  bougie  filée  pour  s'éclairer 
en  rentrant  chez  soi  ou  lorsqu'on  descend  dans  les  lieux  bas 
et  obscurs  pendant  le  jour  :  d'où  est  venu  le  nom  de  rat-de- 
cave,  donné  au  rouleau  de  cette  bougie  qu'on  destine  à  cet 
usage. 

Quand  le  filage  du  coton  en  général  n'avait  lieu  qu'à  la 
main ,  la  fabrication  de  la  bougie  filée  offrait  beaucoup  de 
difficulté  et  d'irrégularité  ;  car  l'inégalité  du  fil  ne  permettait 
guère  que  la  mèche  conservât  la  même  grosseur  sur  toute 
sa  longueur.  Cette  difficulté ,  alors  insurmontable,  a  disparu 
depuis  que  les  mécaniques  ont  été  appliquées  à  la  filature. 
La  longueur  de  la  bougie  filée  est  pour  ainsi  dire  indétermi- 
née. On  prend  autant  d'écheveaux  qu'on  veut  donner  de  fils 
d'épaisseur  à  la  mèche.  Onmetcesécheveauxsur  un  dévidoir 
et  tous  se  dévident  ensemble  sur  une  bobine.  On  procède  en- 
suite au  filage  de  la  bougie.  11  se  pratique  sur  une  espèce  de 
tour,  composé  de  deux  cylindi-es  ou  tambours,  montés  sur 
un  pied  en  charpente ,  qui  est  suffisamment  lourd  pour  qu'il 
ne  bouge  pas  pendant  le  travail.  Chaque  tambour  est  traversé 
d'un  axe  portant  une  manivelle.  Entre  les  deux  tambours,  et 
à  égale  distance  de  chacun ,  on  place  une  forte  table  appelé* 
chaise,  surmontée  d'une  espèce  de  vase  eu  cuivre  étamé, 
dans  le  milieu  duquel  on  met  la  cire  dans  un  enfoncement 
qui  sert  comme  de  chaudière  ;  ce  vase  s'appelle  le  péreau. 
La  mèche  passe  sous  un  crochet  fixé  au  fond  de  ce  vase, 
afin  que  cette  mèche  trempe  constamment  dans  la  cire  fon- 
due et  qu'elle  en  reste  recouverte.  On  place  sous  le  péreau 
un  réchaud  plein  de  braise  allumée;  la  cire  entre  en  fusion,  mais 
il  faut  veiller  à  ce  que  le  feu  ne  soit  jamais  assez  grand  pour 
faire  subir  à  la  cire  un  commencement  de  décomposition 
qui  la  charbonne  et  la  roussisse.  Il  y  a  une  filière  circulaire, 
percée  de  trous ,  qui  vont  toujours  en  augmentant  graduelle- 
ment de  diamètre.  Cette  filière  doit  être  maintenue  très-fixe 
et  invariable  dans  sa  position.  Tout  étant  ainsi  disposé,  un 
ouvrier  prend  un  des  bouts  de  la  mèche,  l'imbibe  de  cire  sur 
une  longueur  de  12  à  15  centimètres,  et  la  colle,  pendantque 
cette  cire  est  encore  toute  mQlle,  sur  l'un  des  tambours  :  elle  s.'y 


514 

fige  et  s'y  altache;  alors  il  enroule  en  entier  la  nièdie  sur  ce 
tambour;  il  passe  ensuite  l'autre  extrémité  dans  le  plus  petit 
trou  (le  la  filitre,  où  étant  encore  sans  cire,  elle  peut  entrer 
très-facilement  :  l'ouvrier  pose  la  filière  entre  les  tenons  du 
péreau,  du  côté  du  second  tambour,  de  manière  que  le  trou 
rer4b  en  bas  ;  il  engage  la  mèche  sous  le  crochet,  cl  la  tire  à  la 
main  jusqu'à  ce  qu'elle  puisse  atteindre  au  moins  la  partie  su- 
périeure de  ce  tambour.  Comme  la  cire  est  encore  molle,  il  la 
colle  sur  ce  tambour,  et  l'y  maintient  jusqu'à  ce  qu'il  ait 
achevé  à  peu  près  un  tour  de  manivelle.  Ensuite  il  ne  tourne 
plus  que  lentement,  afin  de  donner  le  temps  à  la  cire  de  se 
tiger,  et  il  entretient  toujours  la  cire  dans  le  bassin  du  pé- 
reau a  une  hauteur  telle  que  le  crochet,  sous  lequel  passe  la 
mèche  ne  reste  jamais  à  découvert.  Quand  toute  la  mèche 
a  été  ainsi  transiiortée  sur  le  second  tambour,  il  change  la 
(ilière  a  l'autre  bec  du  péreau ,  passe  la  bougie  ébauchée  dans 
le  trou  qui  vient  innnediutement  après  pour  la  grandeur  du 
diamètre,  et  recommence  sur  le  premier  tambour  la  môme 
()[)éralion  qu'il  a  achevée  sur  le  second,  et  ainsi  successive- 
ment, d'un  tambour  à  l'autre,  et  en  passant  d'un  trou  moins 
grand  à  un  autre  qui  le  soit  davantage,  jusqu'à  ce  que  la 
bougie  ainsi  Jiléc  ait  atteint  la  grosseur  requise.  Cette  mé- 
thode est  la  même  absolument  pour  toute  bougie  filée,  pour 
la  jaune  connue  pour  la  blanche.  Quelquefois  pour  éco- 
nomiser sur  l'emploi  de  la  cire  blanche,  on  forme  d'abord 
la  bougie  (ilée  sur  cire  jaune,  et  ce  n'est  que  lors  du  jjassageau 
dernier  trou  de  la  lilièi  e  qu'on  substitue  dans  le  bassin  du  pé- 
reau la  cire  blanche  à  la  jaune. 

Quant  à  la  bowjie  de  table,  on  en  fait  de  deux  sortes  : 
l'une  e>t  la  bougie  coulée  ou  moulée;  l'autre  est  la  bougie 
dite  à  la  cuiller. 

I^a  bourjie  moulée  se  coule  dans  des  moules  de  verre  en 
général,  et  se  fabrique  ab^  ol umcnt  comme  la  c  h  a  n  d  e  1 1  e.  Les 
mèches  sont  en  coton,  un  peu  plus  tordu  que  celui  des  chan- 
delles. On  commence  par  les  cirer,  pour  les  égaliser  sur  toute 
leur  longueur  et  ne  laisser  dcborder  aucun  poil,  qui,  sans 
cette  précaution,  pénétrerait  dans  le  corps  de  la  bougie,  et 
nuirait  beaucoup  à  l'usage.  Le  cirier  se  sert,  pour  couper 
toutes  les  mèches  d'une  longueur  égale,  de  l'instrument 
appelé  coupoir  ou  taille-mèche.  Il  est  composé  d'une  forte 
table ,  dont  le  dessus  est  formé  de  deux  pièces  de  bois,  qui 
laissent  entreelles  une  ouverture  en  forme  de  rainure  dans 
laquelle  on  met  le  fort  tenon  d'un  plateau  de  bois,  qui  peut 
anisi  rouler  dans  toute  l'étendue  de  la  rainure,  connue  dans 
»ine  coulisse,  ainsi  que  la  poupée  d'un  tour.  Sur  la  pièce 
mobile  s'élève  une  tige  de  fer  ronde,  et  à  l'autre  bout  de  la 
rainure  est  une  pièce  fixe,  sur  laquelle  est  assujettie  une 
lame  de  couteau,  placée  verticalement.  C'est  la  distance  qui 
se  trouve  entre  la  tige  de  fer  mobile  et  la  lame  de  couteau 
fixe  qui  détermine  la  longueur  des  mèches.  On  jUacc  dans 
une  boîte  ou  sur  un  tamis,  à  cùlé  du  taille-moche,  les  pe- 
lotons de  coton,  on  rassen)ble  tous  les  bouts  des  lils  roulés 
dessus ,  on  en  entoure  la  tige  de  fer,  on  les  ramène  vers  le 
couteau  et  l'on  coupe.  On  jette  ensuite  la  mèche  coupée  sur 
le  côté  de  la  table. 

On  a  fait  depuis  peu ,  ou  plutôt  on  a  renouvelé  la  fabri- 
cation de  bougies  diaphanes,  auxquelles  les  fabricants  ont 
été  chercher  de  grands  noms,  tirés  du  grec,  tels  que  sclcra- 
phijle,  etc.,  etc.  Ce  n'est  autre  chose  qu'un  mélange  de  belle 
cire  blanche  et  de  blanc  de  baleine  {voije:,  Ci;tim:)  épuré. 
A  parties  égales  des  deux  ingrédients,  la  bougie  est  très-belle 
et  a  le  degré  de  diaphanéité  convenable  :  il  convient  de 
faire  le  mélange  à  très-petit  l'eu,  dans  une  bassine  de  cuivre 
fortement  étamée.  Ou  y  fait  d'abord  fondre  le  blanc  de  ba- 
leine ,  et  on  y  projette  ensuite  la  cire  par  petites  parties  :  il 
faut  remuer  constannuent  le  mélange  avec  une  spatule. 

On  a  beaucoup  paiié  aussi  de  l'introduction  dans  la  bougie 
de  table  d'une  certaine  quantité  de  marrons  d'Inde.  Cette 
absurdité  a  passé  avec  bien  d'autres;  on  a  conseillé  d'es- 
«ajer  un  mélange  de  deux  parties  de  marrons  d'inde,  une 


BOUGIE 

partie  d'huile  d'olives ,  trois  parties  de  blanc  de  baleine,  et 
six  parties  de  cire  :  les  marrons  figureraient  donc  dans  la 
proportion  d'un  sixième  de  la  masse.  Or,  nous  pouvons  as- 
surer qu'un  tel  mélange  serait  peu  combustible,  et  ne 
briderait  qu'en  se  boursoullant  et  en  répandant  une  épaisse 
fumée.*  Nous  avons  essayé  l'emploi  de  l'amidon  avec  la 
cire,  dans  la  proportion  d'un  quarantième  seulement,  et 
les  inconvénients  que  nous  venons  de  signaler  se  sont  ma- 
nifestés avec  beaucoup  d'intensité.  Toutefois,  nous  ne  disons 
pas  que  l'eau  dans  laquelle  on  aurait  lait  bouillir  des  mar- 
rons d'Inde  ne  put  être  utile  dans  la  fabrication  des  bou- 
gies ;  car  il  est  certain  que  ce  procédé  est  mis  en  usage  par 
quelques  fabricants  de  chandelles,  qui  parais-sent  s'en  bien 
trouver. 

La  bougie  à  la  cuillère  et  les  cierges  se  fabriquent  de 
môme,  et  notre  description  pourra  être  commune  aux  deux 
fabrications.  On  se  sert  d'un  fourneau  en  tôle,  appelé  caqtie, 
dans  lequel  on  place  une  cassolette  en  fonte  de  fer  remplie  de 
braise.  La  caque  est  surmontée  d'une  bassine  en  cuivre  so- 
lidement étamée ,  sur  laquelle  porte  un  rebord  en  fer  blanc, 
muni  d'un  goulot,  et  d'une  autre  entaille  qui  permet  l'entrée 
et  la  sortie  libre  des  bougies.  On  place  un  cerceau  suspendu 
par  une  corde  à  une  hauteur  convenable.  Ce  cerceau  peut 
recevoir  sur  son  pourtour  jusqu'à  cinquante  bougies  ou 
cierges.  Il  faut  que  la  suspension  de  ce  cerceau  soit  faite  à 
une  hauteur  telle  que  les  bougies  ou  cierges  ne  touchent 
pas  à  la  bassine  de  cuivre.  On  donne  à  ce  simple  ap- 
pareil le  nom  de  romaine.  Il  faut  aussi  une  cuiller  d'une 
forme  particulière,  dont  l'ouvrier  se  sert  pour  couler  ses 
bougies.  Enfin,  il  y  a  une  plaque  de  fer  percée  de  trous, 
qu'on  place  sur  la  cassolette  qui  est  sous  la  bassine , 
afin  de  pouvoir,  par  ce  moyen,  modérer  l'action  de  la  chauffe 
à  volonté.  Tout  étant  aiiîsi  disposé,  l'ouvrier  accroche  les 
mèches  au  cerceau ,  après  avoir  placé  au  bas  de  chacune  un 
forret  :  c'est  un  petit  tuyau  de  fer-blanc,  dans  lequel  on  in- 
troduit la  tète  d'une  mèche  de  bougie,  pour  l'enipôcher  de 
prendre  delà  cire,  ce  qui  la  rendrait  difficile  à  allumer.  Alors, 
à  l'aide  de  la  cuiller  de  fer  remplie  de  cire  fondue,  que 
l'ouvrier  puise  dans  la  bassine,  il  verse  doucement  cette  cire 
le  long  des  mèches ,  en  commençant  un  peu  au-dessous  de 
leur  extrémité  supérieure,  et  les  accroche  ainsi  l'une  après 
l'autre  au  cerceau;  de  sorte  que  la  cire  coulant  de  haut  en 
bas  sur  ces  mèches,  elles  s'en  recou vient  entièrement  ;  le 
surplus  de  la  cire  retombe  dans  la  bassine.  Il  faut  arroser 
ainsi  les  mèches  dix  et  môme  douze  fois  de  suite,  c'est-à- 
dire  jusqu'à  ce  que  les  bougies  aient  le  diamètre  requis.  Le 
premier  arrosemcnt  ne  fait  que  tremper  ou  imbiber  la 
mèche;  le  second  commence  à  la  couvrir,  et  les  autres 
achèvent  successivement  la  bougie.  Pour  les  cierges,  aux- 
quels on  veut  conserver  la  forme  un  peu  conique,  il  faut 
avoir  soin  que  les  arrosements  successifs  se  fassent  toujours 
en  commençant  de  plus  bas  en  plus  bas.  Quand  les  cierges 
sont  fort  longs,  il  faut  au  cirier  un  gradin  pour  pouvoir 
s'élever  et  avoir  du  champ  pour  son  opération.  Les  bougies 
ou  les  cierges  ayant  ainsi  atteint  la  grosseur  convenable , 
on  les  place  encore  chauds  sous  un  lit  de  plumes  ou  des 
couvertures  de  laine  épaisses,  pour  les  tenir  longtemps 
mous.  On  les  relire  l'un  après  l'autre  pour  les  rouler  sur 
une  table  longue  et  unie,  à  l'aide  d'un polissoir.  Quand  les 
objets  ont  été  ainsi  roulés  et  polis,  il  reste  à  façonner  la 
tète,  à  l'aide  d'un  couteau  de  bois,  après  quoi  on  les  suspend 
sur  le  pourtour  de  cerceaux  pour  les  laisser  sécher  et  prendre 
de  la  dureté. 

Lçs  bougies  peuvent  être  parfumées  à  volonté  par  l'ad- 
dition d'une  huile  essentielle  quelconque,  en  très-petite 
quantité,  dans  la  cire  fondue.  Elles  reçoivent  aussi  les 
couleurs  que  la  fantaisie  peut  désirer  de  leur  donner.  On  se 
sert  pour  cela  d'une  teinture  à  l'esprit  de  vin,  également 
introduite  dans  la  cire  en  fusion. 

On  a  fait  des  bougies  économiques  en  mélangeant  des 


graisses,  du  suif  et  Je  la  cire.  Nous  parlerons  plus  loin  des 
iiougies  sféariqiies.  Mais  il  est  encore  un  procédé  adopté 
pour  imiter  la  vraie  bougie,  et  dont  nous  devons  nous 
occuper  ici.  Ce  procédé  consiste  à  mouler  une  chandelle  re- 
couverte d'une  espèce  d'étui  de  cire  pure ,  qui  lui  donne 
toute  l'apparence,  la  propreté  et  l'absence  de  mauvaise 
odeur  dont  jouit  la  bougie  véritable,  mais  pas  la  durée. 
Quand  le  suif  qu'on  emploie  dans  cette  fabrication  est  bien 
épuré ,  il  brûle  dans  le  bassin  où  il  se  trouve  contenu  par  la 
croûte  de  cire  qui  le  revêt ,  sans  percer  cette  enveloppe,  et, 
à  la  durée  près  du  luminaire ,  il  serait  difficile  de  s'aper- 
cevoir de  sa  nature.  Voici  le  procédé  de  cette  fabrication  : 
on  peut  y  employer  toute  espèce  de  moule ,  comme  pour  la 
bougie  vérilaijle;  mais  ce  sont  ceux  de  verre  qui  réussissent 
le  mieux,  tout  comme  dans  le  moulage  de  celle-ci.  Les 
bougies  un  peu  fortes  sont  aussi  celles  qui  viennent  le 
mieux;  et  cela  se  conçoit,  puisqii'une  même  quantité  de 
cire  fera,  relativement  à  la  masse  de  suif,  une  croûte  d'au- 
tant plus  épaisse  qu'elle  sera  répartie  sur  un  moindre  nombre 
decylindies.  Ce  sont  donc  ordinairement  des  bougies  de  huit 
au  kilogramme  qui  se  fabriquent  de  cette  manière.  On 
ferme  d'abord  l'ouverture  inférieure  du  moule  avec  un 
bouchon  trempé  dans  de  l'huile  ;  on  y  coule  la  cire ,  qui  ne 
doit  être  que  médiocrement  chaude.  Le  refroidissement  se 
faisant  de  la  circonférence  au  centre,  il  doit,  sur  les  parois 
intérieures  du  moule,  se  former  une  croûte  en  forme  d'étui, 
dont  l'épaisseur  sera  proportionnée  au  temps  donné  pour 
ce  refroidissement.  Aussitôt  qu'il  y  a  une  croûte  d'environ 
un  millimètre ,  pins  ou  moins  suivant  la  valeur  qu'on  veut 
donner  à  cette  bougie ,  on  renverse  subitement  le  moule  ; 
toute  la  cire  restée  encore  liquide  s'écoule  et  est  reçue  dans 
un  vase ,  après  quoi  on  débouche  le  fond  du  moule  ;  on  y 
place  la  mèche  comme  à  l'ordinaire;  on  laisse  un  peu  re- 
froidir, puis  on  coule  dans  la  cavité  du  suif  bien  épuré.  Rien 
de  plus  facile  ni  d'une  réussite  plus  assurée.  L'emploi  de 
cette  espèce  de  bougie  est  toujours  avantageux ,  si  la  grosseur 
de  la  mèche  a  été  rigoureusement  proportionnée  à  la  com- 
bustion du  suif  contenu  dans  le  bassin  ;  car  si  cette  mèche 
n'était  pas  dune  grosseur  suffisante  pour  pomper  à  mesure 
le  suif  fondu ,  celui-ci  se  ferait  issue  en  s' échauffant  et  en 
pressant  contre  l'enveloppe  de  cire  ;  il  coulerait  et  on  per- 
drait tout  l'avantage  de  propreté  qu'on  attend  de  ce  mode 
de  fabrication. 

Toute  combustion  est  due  à  une  décomposition  qui,  dans 
le  plus  grand  nombre  des  cas ,  est  accompagnée  d'un  dé- 
gagement de  lumière  :  c'est  le  cas  de  la  combustion  des 
bougies.  Il  n'y  a  de  flamme  produite  qu'autant  que  la  ma- 
tière combustible  est  réduite  ù  l'état  de  gaz.  Quand  celui-ci 
est  de  l'hydrogène  pur,  la  combustion  ne  produit  qu'une 
faible  lumière,  d'un  bleu  pâle  :  c'est  à  la  dissolution  ou 
même  au  simple  mélange  d'un  autre  corps  combustible  dans 
l'hydrogène,  que  la  combustion  doit  son  éclat  et  sa  blan- 
cheur. Cest  un  fait  dont  on  peut  s'assurer  évidemment  en 
introduisant  dans  l'hydrogène  en  combustion  de  la  poussière 
de  charbon,  tout  autre  combustible,  et  môme  des  limailles 
des  métaux  qui  brûlent  facilement  ;  l'ignition  de  ces  sub- 
stances procure  dans  ce  cas  beaucoup  de  lumière  blanche  ; 
mais  le  charbon  ainsi  ajouté  à  l'hydrogène  a  besoin  pour 
brûler  d'un  plus  grand  afflux  d'oxygèno  qu'il  n'en  faut  pour 
l'hydrogène  pur.  Ces  considérations  doivent  régir  la  fabri- 
cation des  mèches  pour  les  bougies. 

La  combustion  complète  des  corps  contenus  dans  le  gaz 
hydrogène  qui  produit  la  flamme  est  absolument  nécessaire 
pour  que  cette  flamme  soit  acromique  (  sans  couleur  )  :  le 
problème  se  réduit  à  chercher  les  moyens  de  produirele  plus 
de  lumière  blanche  aux  moindres  frais  possibles.  Il  serait  à 
souhaiter,  pour  obtenir  constamment  cet  effet,  qu'on  pût 
ne  présenter  à  la  fois  à  l'air  ambiant  tout  juste  que  la  quan- 
tité de  combustible  qu'il  peut  brûler  complètement  ;  car  si 
on  souffre  que  la  vapeur  combustible  se  déploie  en  volume 


BOUGIE  515 

trop  considérable  pour  la  quantité  d'air  qui  l'enveloppe, 
une  partie  échappera  à  la  combustion  ;  et  non-seulement  ce 
sera  du  combustible  consommé  en  pure  perte,  niais  la 
flamme  sera  colorée  et  fuligineuse;  d'im  autre  côté  ,  il  ne 
faut  pas  que  cette  vapeur  combustible  soit  maintenue  à  une 
trop  basse  température  :  dans  ce  cas,  la  combustion  serait 
imparfaite  et  peu  nette.  Voilà  donc  deux  données  contra- 
dictoires qu'il  faut  tâcher  de  concilier  en  gardant  un  juste 
miheu.  Si  la  mèche  est  par  trop  grosse  ou  trop  peu  tordue, 
dernière  condition  qui  ajoutera  à  la  capillarité  des  fdaments 
dont  elle  sera  composée,  il  y  aura  une  absorption  superflue 
de  la  cire  fondue,  refroidissement  de  la  vapeur,  défaut  de 
combustion  par  conséquent ,  et  volatilisation  de  cire  sans 
effet  d'éclairage  :  aussi  peut-on  observer,  surtout  quand 
on  écrit  à  la  lumière  des  chandelles,  qu'une  petite  flamme 
est  toujours  plus  nette  et  plus  vive  qu'une  plus  grande  : 
voilà  pourquoi  il  devient  si  souvent  nécessaire  de  moucher 
les  chandelles  de  suif  pour  diminuer  l'absorption  du  com- 
bustible. Mais  ne  tombez  pas  dans  l'excès  contraire  à  l'effet 
que  vous  voulez  éviter  :  que  votre  mèche  ne  soit  pas  non 
plus  tordue  outre  mesure  ni  assez  petite  pour  que  la  quan- 
tité d'air  ambiant  soit  susceptible  de  la  refroidir  complè- 
tement; car  il  suffit  d'un  grand  abaissement  de  la  tempéra- 
ture pour  ralentir  et  finalement  pour  éteindre  la  combustion, 
puisque  aucun  corps  ne  brûle  qu'à  un  certain  degré  de  cha- 
leur. Il  y  a  d'ailleurs  un  autre  inconvénient  grave  à  ne  pas 
pioportionner  la  mèche  au  volume  de  cire.  Si  l'absorption 
capillaire  est  trop  inférieure  à  la  fusion  de  la  cire,  cette 
partie  fondue  forme  ce  qu'on  appelle  une  fontaine  trop 
considérable,  qui  pèse  sur  les  parois  solides  de  la  bougie, 
les  crève ,  et  la  bougie  coule.  Pelolze  père. 

Bougies  stéariques.  L'importance  commerciale  de  ces 
bougies  est  aujourd'hui  considérable.  Leur  fabrication  a 
commencé  à  Paris,  et  est  due  à  MM.  Gay-Lussac  et  Che- 
vreul,  qui  dès  le  mois  de  juin  1825  prirent  aussi  un  bre- 
vet en  Angleterre.  La  bougie  stéarique  a  presque  entière- 
ment détrôné  la  bougie  de  cire.  La  modicité  de  son  prix 
eu  a  répandu  l'usage  dans  toutes  les  classes  de  la  société. 

La  première  opération  qu'exige  la  fabrication  des  bougies 
stéariques  consiste  à  combiner  les  acides  gras  contenus 
dans  le  suif  avec  de  la  chaux,  afm  d'éliminer  la  glycérine. 
Cette  saponification  s'exécute  dans  une  cuve  en  bois  légè- 
rement conique ,  que  l'on  chauffe  au  moyen  d'un  tube  an- 
nulaire placé  dans  le  fond  de  la  cuve,  et  qui  lance  delà 
vapeur  par  une  multitude  d'orifices.  La  cuve  est  recouverte 
d'un  couvercle  fermant  hermétiquement  et  munie  d'un  agi- 
tateur qui  obéit  à  un  moteur  quelconque.  On  y  introduit 
d'abord  le  suif  déjà  purifié  par  une  première  fusion  ;  puis , 
l'agitateur  étant  mis  en  mouvement ,  on  ajoute ,  peu  à  peu  , 
pour  100  parties  pondérables  de  suif  fondu  un  lait  de 
chaux  formé  de  12  parties  de  chaux  vive  éteinte  dans 
100  parties  d'eau.  Au  bout  de  deux  heures,  l'eau  commence 
à  se  séparer  du  savon  calcaire ,  qui  possède  la  consistance 
d'une  pâte  molle  et  graisseuse ,  et  renferme  encore  une 
quantité  fort  notable  de  chaux  libre  et  de  suif  non  décom- 
posé. On  arrête  alors  ordinairement  l'agitateur,  mais  on 
n'en  continue  pas  moins  l'ébuUition.  Le  savon  calcaire  de- 
vient de  plus  en  plus  dur,  et  finit  par  acquérir  une  cassure 
tout  à  fait  terreuse.  C'est  à  ce  moment  qu'il  faut  arrêter  le 
courant  de  vapeur,  pour  laisser  reposer  pendant  quelques 
heures ,  la  cuve  étant  aussi  bien  fermée  que  possible.  On 
soutire  ensuite  le  liquide  surnageant  qui  entraine  en  disso- 
lution la  glycérine,  et  on  extrait  de  la  cuve  les  stéarate ,  mar- 
garate  et  oléate  de  chaux  sous  la  forme  de  savons  très-durs. 

Après  avoir  pulvérisé  entre  des  cylindres  broyeurs  ou  sous 
une  meule  veilicale ,  les  savons  calcaires  obtenus ,  on  pro- 
cède à  leur  décomposition  par  l'acide  sulfurique.  On  se  sert 
pour  cette  opération  de  cuves  doublées  en  plomb  et  ayant  les 
mêmes  dimensions  que  les  cuves  à  saponification.  On  y 
agite  les  savons  pulvérisés  avec  de  l'eau  froide,  de  manière 


516 


BOUGIE 


à  en  former  une  bouillie  claire;  puis,  pour  une  quantité  de 
savon  calcaire  provenant  de  la  saponification  de  100  kilo- 
grammes de  suif,  on  ajoute  25  kilogrammes  d'acide  sulfn- 
rique  étendu  préalalilement  de  100  litres  d'eau.  On  laisse 
ensuite  reposer  le  tout  :  l'acide  sulfnrique  s'empare  de  la 
cliaux  pour  former  du  sulfate  de  cliaux,  et  met  en  liberté 
les  acides  gras.  En  faisant  ensuite  arriver  dans  la  cuve  un 
courant  de  vapeur  d'eau ,  le  sulfate  de  chaux  se  sépare  et  se 
précipite  au  fond ,  tandis  que  les  acides  gras  se  fondent, 
et  viennent  surnager  le  liquide.  Au  moyen  d'un  robinet 
placé  au-dessus  du  dépôt,  on  soutire  ces  acides  dans  une 
cuve  de  bois  doublée  en  plomb  et  chauffée  à  la  vapeur, 
où  les  dernières  traces  de  chaux  sont  enlevées  dans  une  so- 
lution très-étendue  d'acide  suifurique.  Une  seconde  chau- 
dière ,  en  tout  semblable  à  la  première ,  est  destinée  à  opé- 
ler  un  deuxième  lavage  à  l'eau  pure.  Enfin ,  les  trois  acides 
gras ,  privés  autant  que  possible  de  chaux  et  d'acide  suifu- 
rique, sont  soutirés  dans  des  moules  en  fer  blanc,  de  la 
contenance  de  trente  litres  à  peu  près,  et  légèrement  évasés, 
a(in  que  le  pain  d'acide  solidifié  en  sorte  plus  facilement. 

Ces  pains,  dont  le  poids  est  d'environ  vingt-cinq  kilo- 
grammes,  présentent  à  l'œil  une  teinte  jaune,  quelquefois 
assez  intense,  et  ont  encore  une  apparence  désagréable  ;  cela 
tient  à  l'interposition  d'acide  oléique  liquide  entre  les  lames 
cristallines  des  acides  stéarique  etmargarique  ;  on  l'en  sépare 
au  moyen  de  la  presse  hydraulique.  L'acide  stéarique  ainsi 
obtenu  est  ensuite  fondu  au  bain-marie,  puis  filtré  dans 
une  chausse  en  laine;  il  ne  forme  plus  que  les  0,45  du  suif 
employé.  On  le  porte  dans  les  cuves  d'épuration,  chauffées  à 
la  vapeur,  où  on  le  lave  d'abord  avec  de  l'acide  suifurique 
très-étendu  pour  séparer  les  dernières  traces  de  chaux ,  puis 
à  l'eau  pure  pour  enlever  tout  l'acide  suifurique.  Il  est  alors 
propre  à  la  fabrication  des  bougies. 

Il  faut  régler  avec  soin  la  température  à  laquelle  doit  s'ef- 
fectuer le  moulage  des  bougies  stéariques  :  si  elle  est  trop 
basse,  le  refroidissement  dans  les  moules  est  trop  rapide  et 
les  bougies  se  fissurent  aisément;  si  elle  est  trop  élevée,  les 
bougies  acquièrent  une  texture  cristalline,  un  aspect  désa- 
gréable et  beaucoup  de  fragilité.  Pour  éviter  ces  inconvé- 
nients, on  échauffe  d'abord  modérément  les  moules,  un 
peu  au-dessous  du  point  de  fusion  de  l'acide  stéarique  ;  avant 
de  couler  ce  dernier,  on  le  laisse  refroidir  jusqu'à  ce  qu'il 
ait  acquis  une  consistance  pâteuse;  on  obtient  ainsi  des 
bougies  tout  à  fait  exemptes  de  défaut. 

Les  mèches  de  la  bougie  stéarique  charbonncnt  au  moins 
autant  que  celles  des  chandelles,  et  on  serait  obligé  de  les 
moucher  continuellement,  si  on  n'employait  pas  des  mè- 
ches tressées.  Par  suite  du  tressage,  la  mèche,  au  fur  et  à 
mesure  que  la  bougie  brûle,  se  détourne  et  se  recouibe  lé- 
gèrement, de  sorte  que  son  extrémité  va  se  consumer  dans 
le  blanc  de  la  flamme.  Cette  précaution  de  tresser  les  mè- 
ches ne  suffit  pas  ;  car  la  faible  quantité  de  cliaux  que  re- 
tient toujours  l'acide  gras  engorgerait  les  mèches  et  dimi- 
nuerait leur  capillarité,  si  on  oubliait  de  les  plonger  dans 
ime  dissolution  d'acide  borique  ;  cet  acide  forme  avec  la 
chaux  un  borate  qui  se  fixe  dans  la  mèche,  et  dont  provient 
cette  perle  fusible  qu'on  voit  briller  à  l'extrémité  de  celle-ci 
après  sa  complète  combustion. 

On  blanchit  ces  bougies  par  Texposition  à  la  lumière.  On 
tes  polit  en  les  frottant  vivement  avec  un  morceau  de  drap 
humecté  d'alcool  ou  d'ammoniaque,  soit  à  la  main,  soit 
au  moyen  d'une  machine  très-simple.  Enfin,  on  réunit  les 
bougies  en  paquets  d'un  demi-kilogramme,  qu'on  livre  au 
commerce. 

^  Tels  sont  les  procédés  généraux  de  fabrication  de  la  bou- 
gie stéarique.  Plusieurs  industriels  y  ont  introduit  des  mo- 
difications partielles,  dans  le  détail  desquelles  nous  ne  nous 
engagerons  pas.  Mais  nous  ne  pouvons  nous  dispenser  de 
citer  le  mode  de  fabrication  par  distillation  employé  depuis 
auflaues  années.  11  en  est  résulté  une  nouvelle  industrie  qui 


extrait  aujourd'iiui  les  acides  gras  de  matières  impures , 
telles  que  les  graisses  des  eaux  savonneuses ,  les  résidus  des 
graissages  et  dégraissages  des  laines,  les  graisses  d'os, 
l'huile  de  foie  de  morue,  l'huile  de  palme,  etc.,  qu'on  ne 
I)ouvait  traiter  avantageusement  par  les  procédés  précé- 
demment décrits. 

Les  substances  que  nous  venons  d'énuraérer  sont  d'abord 
traiti'es  à  l'acide  suifurique,  qui  produit  un  dédoublement  _ 
analogue  à  celui  obtenu  à  l'aide  de  la  saponification  à  la  ■ 
chaux.  La  d(^composition  s'effectue  dans  une  chaudière  ■ 
chauffée  par  la  vapeur,  et  dans  laquelle  les  matières  sont 
mélangées  par  une  agitation  mécanique.  L'opération  dure 
douze  à  dix-huit  heures.  Après  un  refroidissement  partiel , 
on  place  le  mélange  dans  un  récipient  rempli  d'eau  qu'on 
porte  à  l'ébullition  par  un  bain  de  vapeur.  Les  acides  gras 
viennent  surnager,  et  ce  sont  ces  acides  que  l'on  soumet 
à  la  distillation.  La  chaudière  contenant  les  acides  gras  est 
entourée  d'une  espèce  de  bain  de  sable,  ou  mieux  plongée 
dans  un  bain  de  plomb  fondu.  Quand  la  température  ap- 
proche de  300",  ou  fait  arriver  un  courant  de  vapeur  qui  en- 
traine les  acides  gras ,  et  ceux-ci  viennent  se  déposer  dans 
un  serpentin  adapté  à  la  chaudière.  Ils  sont  enfin  versés 
dans  des  cristallisoirs ,  pour  être  épurés  par  des  pressions 
successives. 

BOUGIE  [Chirurgie),  petit  cylindre  mince ,  lisse  et 
flexible,  dont  la  préparation  varie  suivant  l'usage  auquel  il 
est  destiné,  et  que  l'on  introduit  dans  le  canal  de  l'urètre, 
dans  le  rectum  ou  dans  l'œsophage,  pour  ouvrir  ou  dilater 
l'un  de  ces  organes ,  en  cas  de  rétrécissement  ou  d'autre 
maladie.  Quand  il  s'agit  seulement  d'obtenir  une  dilatation 
on  emploie  des  bougies  simples,  faites  de  cire,  de  gomme 
élastique,  ou  de  cordes  de  boyau  ;  mais  s'il  y  a  oblitération, 
et  qu'il  faille  détruire  des  obstacles  qui  s'opposent  à  la  sortie 
de  l'urine,  on  rend  les  bougies  plus  ou  moins  actives  en 
ajoutant  à  l'un  de  leurs  points,  ou  dans  toute  leur  longueur, 
des  matières  suppuratives ,  escharotiques  ou  autres. 

On  se  sert  encore  de  bowjics  emplasdques  dites  armées 
pour  détruire  les  rétrécissements  (le  l'urètre  :  ces  bougies 
sont  munies  d'un  morceau  de  nitrate  d'argent,  soit  à  l'une 
de  leurs  extrémités,  soit  dans  une  excavation  latérale;  mais 
cet  instrument,  dont  l'emploi  occasionne  quelquefois  de 
graves  accidents  par  l'impossibilité  où  se  trouve  l'opérateur 
de  limiter  l'action  du  caustique  aux  seules  parties  malades , 
peut  être  remplacé  avec  avantage  par  le  porte-caustique 
de  Lallemand. 

Les  bougies  diffèrent  des  sondes  eu  ce  qu'elles  sont  so- 
lides ,  tandis  que  ces  dernières  sont  creuses.  Cependant  on  a 
fait  des  bougies  creuses ,  mais  sans  ouverture  à  leur  petite 
extrémité. 

L'invention  des  bougies  a  été  réclamée  par  Aldereto ,  mé- 
decin portugais  ;  mais  c'est  son  élève  Amatus  qui ,  en  155.4, 
décrivit  pour  la  première  fois  la  forme  et  les  usages  de  ces 
instruments.  Quant  aux  bougies  emplastiques,  ce  fut  un  chi- 
rurgien français ,  Daran ,  qui  commença  à  s'en  servir  vers 
1743. 

BOUGIE  (  en  arabe  Boudjaiah  ),  ville  de  la  province 
de  Constantine,  bâtie  en  amphithéâtre,  dans  un  golfe  de  la 
Méditerranée  sur  le  liane  méridional  du  mont  Gouraya, 
à  45  myriamètres  d'Alger.  Une  inscription  qu'on  y  a  trouvée, 
portant  le  nom  de  l'ancienne  Saldx  des  Romains,  est  le  seul 
témoignage  épigrapliique  de  l'existence  de  cette  ville ,  limite 
orientale  de  la  Mauritanie  Césarienne,  sur  l'emplacement 
actuel  de  Bougie.  La  ville  moderne  occupe  à  peu  près  le 
terrain  enfermé  dans  l'enceinte  romaine,  dont  on  retrouve 
encore  des  débris.  Elle  descend  jusqu'à  la  mer,  qu'elle  horde 
de  très-près,  du  fort  Abd-el-Kader  à  l'est,  au  fort  de  la 
Casbah  à  l'ouest,  sépaiés d'environ  2,000  mètres  et  proté- 
geant la  plage  de  débarquement. 

Situé  à  une  égale  distance  de  Doue  et  d'Alger,  cette  ville 
offie  aux  navires  que  les  vents  du  nord  poussent  à  la  cole 


BOUGIE  — 

un  asile  sûr  et  commode  ;  sa  racle,  gracieusement  contoi-rnée 
en  forme  de  croissant,  est  abritée  par  mie  chaîne  de  hauteurs 
se  dirigeant  de  l'ouest  à  l'est,  et  dont  le  sommet  le  plus 
élevé  est  couronné  par  le  fort  du  Gouraya,  vrai  nid  d'aigle, 
situé  droit  au  nord  de  Bougie,  à  671  mètres  au-dessus  du 
niveau  de  la  mer.  Cette  position  sur  le  versant  de  la  mon- 
tagne, ces  maisons  en  brique,  d'une  teinte  brune,  ces  mas- 
sifs verts  d'orangers,  de  citronniers,  de  grenadiers  et  de 
figuiers  de  Barbarie  qui  les  entourent,  rendent  son  site 
éminemment  pittoresque.  Successivement  numide,  romaine, 
vandale,  grecxjue ,  arabe ,  espagnole ,  maure,  turque,  ka- 
byle, et  française,  Bougie  possède  éparses  sur  le  sol,  et 
entées  les  unes  sur  les  autres,  des  ruines  qui  attestent  une 
grande  importance  passée,  et  une  haute  antiquité.  Tous  les 
peuples  qui  depuis  vingt  siècles  l'ont  tour  à  tour  occupée, 
y  ont  laissé  des  traces  de  leur  domination  ;  mais  sa  véritable 
{,'randeur  date  de  la  période  musulmane.  Marmol  assure 
(lu'au  tempsdesa  splendeur  elle  contenait  plus  de  vingt  mille 
maisons;  ce  qui  suppose  une  population  de  près  de  100,000 
âmes. 

Le  territoire  qui  l'entoure  appartient  à  la  tribu  des  Mouzaïa  ; 
les  montagnes  qui  la  dominent  dans  un  rayon  de  12  à  15  my- 
riamètres  sont  boisées  ,  et  tnXs  peuplées.  On  y  compte  jus- 
qu'à trente  puissantes  tribus  kabyles  disséminées  dans  d'é- 
troites vallées.  Leur  commerce  consiste  principalement  en 
bestiaux,  peaux,  giains,  huile,  savons,  sel,  fruits  secs, 
cire,  étoffes  de  laine  et  de  coton,  fer,  acier,  et  quincaillerie. 
C'est  là  qu'ont  été  fabriquées  les  premières  chandelles  de 
cire  dites  bougies . 

Tombée  au  cinquième  siècle  au  pouvoir  de  Genséric, 
Bougie  fut  la  capitale  du  royaume  des  Vandales  jusqu'à  la 
prise  de  Carthage.  Soumise  en  70S  au  joug  de  l'i-^lamisme 
par  Moussa-ben-Noséir,  elle  passa  successivement  sous  la 
domination  des  diverses  dynasties  musulmanes  qui  possé- 
dèrent l'Afrique.  En  1500  elle  tut  prise  par  la  flotte  que 
Ferdinand  le  Catholique  envoya  pour  châtier  les  pirates 
maures.  Charles  Quint  la  fortitiaavec  soin  en  154 1  ;  mais  sa 
prospérité  décrut  sous  la  domination  espagnole.  Harcelée  par 
les  Kabyles  du  voisinage,  elle  tomba  dans  une  si  complète 
anarchie,  lorsqu'elle  fut  devenue  le  théâtre  quotidien  de 
leurs  combats  avec  les  compagnies  turques  que  le  dey  d'Alger 
y  entretenait,  que  ses  habitants  l'abandonnèrent  pour 
échapper  à  la  ruine  et  à  l'incendie  qui  ne  cessaient  de  les 
désoler. 

Telle  était  la  situation  de  Bougie  lorsque  l'occupation  en 
fut  résolue  et  exécutée.  Plusieurs  griefs  motivèrent  cette 
expédition;  en  1831,  l'équipage  d'un  de  nos  bricks  naufragé 
sur  la  côte  avait  été  égorgé.  Plus  tard ,  une  insulte  ayant  été 
faite  au  brick  anglais  le  Procris,  îe  consul  d'Angleterre  à 
Alger  demanda  satisfaction,  en  exprimant  l'espoir  que  la 
France  saurait  sans  doute  prendre  des  mesures  pour  faire 
respecter  les  pavillons  amis  sur  les  côtes  d'Afrique.  Enfin , 
l'on  n'en  pouvait  plus  douter,  Bougie  était  devenue  le  foyer 
d'intrigues  menaçantes.  Et  si  l'on  eût  pu  balancer  en  face  de 
ces  considérations,  déjà  trop  graves,  les  manifestations  non 
équivoques  du  bey  de  Constantine,  qui,  pour  se  dédommager 
de  la  perte  de  Bone ,  aspirait  à  prendre  Bougie ,  devaient 
mettre  un  terme  à  toute  hésitation.  Le  29  septembre  1834 
le  général  Trézel,  parti  de  Toulon,  entra  dans  Bougie  après 
un  débarquement  habilement  opéré  et  plusieurs  combats 
aussi  glorieux  pour  notre  marine  que  pour  nos  soldats.  Jus- 
qu'en 1835  les  agressions  incessantes  des  Kabyles  rendirent 
nécessaire  une  garnison  de  4,000  hommes  pour  défendre  la 
place.  Mais  la  contrée  peu  à  peu  pacifiée  nous  permit  de 
la  réduire  à  2,000.  Ses  habitants  qui  l'avaient  d'abord  dé- 
sertée, soit  qu'ils  redoutassent  les  vainqueurs,  soit  qu'ils  y 
fussent  contraints  par  les  Kabyles ,  y  revinrent.  Un  quar- 
tier spécial  leur  a  été  assigné  dans  la  ville  haute,  et  nos  re- 
lations avec  eux  sont  maintenant  tout  à  fait  amicales.  La 
population  de  Bougie  s'élève  aujourd'hui  à  environ  S')0  iiabi- 


BOUGUER  517 

tants,   dont  près  d'un  tiers  est  indigène  et  le  reste  euro- 
péen. 

BOUGOÎV  (Charles-Jacqi;es-Ji;lien), acquit  une  cer- 
taine réputation  comme  premier  chirurgien  ordinaire  de  Char- 
les X.  Né  dans  le  département  de  l'Orne,  vers  1772  ,  il  se  lit 
recevoir  docteur  en  chirurgie  à  l'École  de  Paris  ;  après  quoi 
il  pratiqua  son  art  à  Alençon ,  jusqu'à  la  ciiute  de  l'Empire. 
Ayant  eu  accès  près  des  Bourbons  dès  1814,  et  surtout 
auprès  du  duc  de  Berry,  il  accompagna  ce  prince  à  Gand  en 
mars  1815,  et  revint  avec  lui.  11  est  donc  tout  naturel  que 
Bougon  se  soit  trouvé  au  chevet  du  prince,  le  13  fé- 
vrier 1820,  après  l'attentat  deLouvel.Dupuytren  ensuite, 
dans"  l'appréhension  qu'un  épanchement  sanguin  ne  vînt  à 
étouffer  le  blessé,  ayant  parlé  d'appliquer  sur  la  plaie  une 
ventouse  aspirante,  pourquoi  reprocher  à  Bougon  d'avoir 
aussitôt  approché  sans  délibération  ses  lèvres  d'une  plaie 
mortelle  qui  pouvait  être  empoisonnée.'  Je  vois  là  un  mou- 
vement louable  et  un  dévouement  chevaleresque  bien  plutôt 
qu'une  action  reprochable.  La  même  année ,  le  20  décem- 
bre, le  roi  Louis  XVlll ,  instituant  l'Académie  de  Médecine, 
joint  aux  noms  célèbres  des  A.  Dubois,  des  Boyer,  des 
Larrey,  des  Dupuytren,des  Yvan;  à  ceux  de  Roux,  Ri- 
cherand ,  Marjolin  et  Béclard  le  nom  de  Bougon ,  «  pre- 
mier chiiurgien  ordinaire,  »  dit  l'ordonnance  royale,  «  de 
notre  bien  aimé  frère  Monsieur.  »  Que  trouver  là  d'extraor- 
duiaire?  L'extraordinaire  eut  été,  de  la  part  du  roi,  de  ne 
pas  nommer  de  l'Académie  nouvelle  le  premier  chirurgien 
de  son  frère.  Enfin,  par  suite  de  quelques  méchantes  épi- 
grammes  que  le  baron  Desgenettes  sème  dans  un  imprudent 
discours  de  rentrée,  l'École  est  dissoute;  neuf  professeurs , 
illustres  pour  la  plupart,  sont  révoqués,  d'autres  les  rempla- 
cent du  choix  de  M.  Frayssinous,  et  Bougon  a  le  malheur 
très-grand  d'être  nommé  en  remplacement  d'Antoine  Dubois. 

Assurément,  si  l'évêque  d'Hermopohs  eût  participé  aux 
communes  sollicitudes  des  familles,  il  se  serait  bien  gardé 
de  réduire  à  l'inaction  un  chirurgien  dont  la  savante  clini- 
que servait  de  recours  suprême  dans  les  accouchements 
difficiles.  Mais  enfin  comme  ce  n'était  pas  Bougon  qui  avait 
provoqué  cette  révocation,  pourquoi  n'aurait-il  pas  ac- 
cepté la  place  vacante  de  Dubois,  alors  que  Laënnec  ne 
mettait  aucun  scrupule  à  accepter  celle  de  Leroux  et  M.  Or- 
fila  celle  de  Vauquelin.'  N'écoutons  donc  pas  cette  philo- 
sophie fardée  qui  exige  tout  du  pauvre  et  très-peu  du  ri- 
che. Au  reste,  quand  fut  venu  1830,  Dubois  put  reprendre 
très-légitimement  sa  place ,  que  Bougon  laissa  libre  pour 
suivre  d'illustres  amis  exilés  auxquels  il  dévouait  sa  vie. 
Il  assista  le  roi  déchu  à  ses  derniers  moments,  et  plus 
tard,  lorsque  le  duc  de  Bordeaux  se  fractura  la  cuisse,  il 
apporta  à  ce  prince  son  tribut  de  soins  et  de  dévouement.  Re- 
marquons d'ailleurs  qu'on  a  beaucoup  exagéré  la  nullité  de 
Bougon,  afin  de  complaire  à  des  passions.  Ce  chirurgien  si 
détestable  a  eu  d'assez  longues  années  pour  élève  ou  pour 
aide  de  clinique  M.  le  docteur  Vclpeau ,  et  l'on  ne  voit  pas 
que  cela  ait  notablement  faussé  la  main  et  le  diagnostic 
de  ce  dernier.  Mais  voici  le  péché  irrémissible  de  Bougon  :  le 
malheureux  n'a  jamais  rien  écrit!  Voyez,  en  effet,  combien 
de  nos  jours  c'est  un  mérite  devenu  rare  en  Europe ,  que  de 
noircir  sans  idées  quelques  rames  de  mauvais  papier  ! 

Il  paraîtrait  d'ailleurs  avéré  que  Bougon  aurait  laissé  ma- 
nuscrit un  grand  traité  d'anatomie,  accompagné  çle  planches 
fort  belles.  Bougon  est  mort  dans  l'exil,  à  Venise,  au  mois 
d'avril  1851.  Isidore  Bourdon. 

BOUGRAN  (autrefois  bouqueran),  espèce  de  grosse 
toue  de  chanvre  gommée  et  calandrée,  dont  on  s'est  long- 
temps servi  pour  doubler  les  habits  et  conserver  leur  forme, 

BOUGRAIVE  ou  BOUGRAl.NE.  Voyez  Bugraine. 
'  BOUGUER   (Pierre;,    géomètre   et  astronome    dis- 
tingué, naquit  au  Croisic,  en   Basse-Bretagne,  le  16  fé- 
vrier 1698,  et  fit  ses  premières  études  dans  les  sciences» 
exactes  sous  la  direction  de  sou  père,  Jean  Boucueu  ,  pro  • 


518  BOUGUER  - 

fesseur  d'hydrographie,  dont  nous  possédons  un  Trailé  de 
Navigation. 

En  1727  Bouguer  obtint  un  premier  succès  :  son  Mémoire 
sur  la  Mâture  des  Vaisseaux  remporta  le  prix  proposé  par 
l'Académie  des  Sciences.  Ses  deux  mémoires  intitulés  :  Mé- 
thode d'observer  sur  mer  la  hauteur  des  astres  et  Ma- 
nière  d'observer  en  mer  la  déclinaison  de  la  boussole 
lui  méritèrent  encore  cette  (latteusc  distinction,  le  premier 
en  1729,  le  second  en  1731.  En  même  temps  il  dut  à  la 
publication  de  son  Traité  d'Optique  (  Paris,  1729)  le  titre 
de  pensionnaire  de  l'Académie,  et  lorsqu'en  1735  le  gou- 
vernement français ,  dans  le  but  de  déterminer  exactement 
la  figure  de  la  terre ,  ordonna  deux  expéditions  scientili- 
ques ,  l'une  au  pôle ,  l'autre  à  l'équateur,  Bouguer  fut  envoyé 
au  Pérou  avec  Godin  et  La  Condamine,  tandis  que  Rlauper- 
tuis,Clairaut,  Camus  et  Lemonnier  allèrent  en  Laponie.. 

L'expédition  du  Pérou  eut  à  lutter  contre  de  grandes  dif- 
ficultés, et  ne  revint  en  France  qu'au  bout  de  sept  ans.  De 
retour  dans  sa  patrie,  Bouguer  fit  d'abord  paraître  sa  Rela- 
tion du  Voyage  au  Pérou  dans  ks  Mémoires  de  l'Académie 
des  Sciences  de  l'année  1744  ;  puis  il  résuma  les  résultats 
de  ses  opérations  dans  une  Théorie  de  la  Figure  de  la  Terre. 
Ce  dernier  ouvrage  eut  un  immense  retentissement ,  et  son 
auteur  fut  successivement  nommé  membre  de  l'Académie 
des  Sciences  de  Paris ,  de  la  Société  Royale  de  Londres  et 
des  plus  illustres  sociétés  savantes  de  l'Europe. 

Bouguer  s'était  déjà  livré  à  d'intéressantes  recherches  sur 
l'intensité  de  la  lumière;  il  leur  donna  une  grande  extension 
dans  son  Traité  d'Optiquesur  la  gradation  de  la  lumière, 
publié  après  sa  mort  par  La  Caille,  et  il  devint  ainsi  le  fon- 
dateur de  la  photométrie,  science  jus(iue  alors  inconnue. 
En  175S  il  inventa  l'héliomètre,  instrument  précieux 
pour  l'astronomie.  Enfin,  il  enrichit  la  science  par  ses  recher- 
ches sur  la  dilatation  des  métaux ,  sur  la  densité  de  l'air  à 
différentes  hauteurs,  sur  les  réfractions  atmosphériques,  et 
par  d'excellentes  observations  sur  la  longueur  du  pendule 
simple  à  différentes  latitudes.  C'est  lui  aussi  qui  le  premier 
constata  la  déviation  que  l'attraction  des  montagnes  fait 
éprouver  au  pendule. 

Bouguer  publia  encore  plusieurs  ouvrages  relatifs  aux 
manœuvres  et  aux  constructions  navales,  ainsi  qu'un  Traité 
de  Navigation,  qui  parut  en  1753.  Il  préparait  de  nouveaux 
travaux,  quand  la  mort  vint  le  surprendre,  le  15  août  1758. 

E.  Merliecx. 
BOUHIER  (Jean),  naquit  à  Dijon,  le  17  mars  1673. 
Issu  d'une  ancienne  famille  de  robe,  il  fut  destiné  à  remplir 
dans  sa  patrie  la  charge  de  président  au  parlement ,  que  son 
père  et  son  aïeul  avaient  occupée ,  et  ses  études  furent  diri- 
gées vers  ce  but.  Doué  d'une  grande  aptitude  au  travail,  et 
capable  de  cette  application  soutenue  sans  laquelle  la  faci- 
lité n'est  souvent  qu'un  vain  mérite,  il  s'attacha  à  la  con- 
naissance des  langues,  et  il  possédait  tout  à  la  fois  le  grec , 
le  latin,  l'hébreu,  l'italien  et  l'espagnol.  En  même  temps,  il 
se  livra  à  l'étude  de  la  jurisprudence;  il  médita  profondé- 
ment sur  les  coutumes  de  sa  province,  sur  les  arrêts  du  parle- 
ment, et  ce  travail  pénible  produisit  les  vastes  recueils  qui 
furent  imprimés  par  la  suite.  On  ne  compte  pas  moins  de 
cin(juante  ouvrages  livrés  par  lui  à  l'impression  ;  et  si  tous 
ne  sont  pas  d'une  égale  importance,  il  n'en  est  aucun  qui  n'at- 
teste l'érudition,  la  sagacité  et  le  talent  de  l'auteur.  A  la  vue 
de  ces  immenses  travaux,  on  est  pénétré  d'admiration  pour 
ces  savants  magistrats  qui,  placés  dans  une  situation  élevée, 
comblés  des  dons  de  la  fortune  et  pouvant  se  livrer  à  quel- 
que repos  sans  négliger  leurs  devoirs,  ne  prenaient  de  dis- 
traction qu'en  variant  leurs  études,  et  ne  connaissaient  de  plai- 
sir que  celui  de  transmettre  à  la  jeunesse  le  produit  de  leurs 
veilles. 

A  rSge  de  trente  ans  Bouhicr  fut  reçu  conseiller  au  parle- 
ment de  Bourgogne,  et  onze  ans  plus  tard,  en  1704,  il  fut 
pourvu  de  la  charge  de  président  à  mortier.  C'est  à  In  même 


BOUHOURS 

époque  qu'il  essuya  les  premières  atteintes  de  la  goutte,  ma- 
ladie qui  depuis  ne  cessa  de  le  tourmenter,  et  qui  le  con- 
duisit au  tombeau ,  mais  qui  ne  put  cependant  l'enipêcher  de 
remplir  les  devoirs  de  sa  charge  ni  de  se  livrer  aux  délasse- 
ments qu'il  cherchait  dans  la  culture  des  lettres.  Sa  réputa- 
tion sous  ce  dernier  rapport  était  si  bien  établie  qu'en  1727 
r.\cadémie  Française  élut  le  président  Bouhier  au  nombre  de 
ses  membres  :  il  fut  reçu  par  un  autre  magistrat,  le  prési- 
dent Hénault,  et  il  eut  pour  successeur  Voltaire,  qui 
prononça  son  éloge,  et  qui  ne  manqua  pas  de  relever  le  mé- 
rite littéraire  de  son  prédécesseur  :  u  U  faisait  ressouvenir  la 
France,  dit  le  grand  écrivain,  de  ces  temps  où  les  plus  aus- 
tères magistrats,  consommés,  comme  lui,  dans  l'étude  des 
lois,  se  délassaient  des  fatigues  de  leur  état  dans  les  travaux 
de  la  littérature.  »  L'abbé  d'Olivet,  répondant  à  Voltaire, 
ajouta  encore  à  cet  éloge,  en  disant  :  «  Pendant  que  je  parle 
do  talents  universels  et  de  connaissances  sans  bornes,  il  est 
difficile  qu'on  ne  se  rappelle  pas  l'idée  de  votre  prédéces- 
seur. Ce  fut  un  savant  du  premier  ordre,  mais  un  savant 
poli,  modeste,  utile  à  ses  amis,  à  sa  patrie,  à  lui-môme.  » 
Tel  est,  en  effet,  le  portrait  que  tous  les  contemporains  nous 
ont  laissé  du  président  Bouhicr;  et  telle  est  l'impression 
(lue  l'on  reçoit  à  la  lecture  de  ses  nombreux  ouvrages.  Par- 
mi ceux-ci,  il  en  est  un  surtout  qui  jouit  chez  les  juriscon- 
sultes d'une  grande  célébrité,  c'est  le  Commentaire  sur  la 
Coutume  de  Bourgogne ,  en  deux  vol  unies  in-fol.,  commen 
taire  qui  au  mérite  du  fond  joint  celui  d'une  élégance  et 
d'une  clarté  de  style  qu'on  ne  rencontre  guère  dans  les  traités 
de  ce  genre. 

Le  président  Bouhier  avait  travaillé  toute  sa  vie  à  augmen- 
ter la  riche  bibliothèque  qu'il  avait  trouvée  dans  la  succes- 
sion de  son  père.  Aucun  soin,  aucune  dépense,  n'avaient  été 
épargnés  par  le  magistrat  pour  atteindre  ce  but;  et  telle  était 
sa  passion  pour  l'étude  et  son  désir  de  lendre  utiles  les  col- 
lections qu'il  avait  rassemblées  à  grands  frais,  qu'il  en  dressa 
lui-même  le  catalogue  dans  les  moments  qu'il  ne  consacrait 
pas  aux  affaires  :  ce  travail  dura  trois  ans.  Ce  long  espace  de 
temps  indique  limportance  de  cette  bibliothèque,  qui  était, 
en  effet,  l'une  des  plus  belles  et  des  plus  précieuses  qu'un 
particulier  put  compo-er.  Après  Bouhier ,  elle  passa  en  la  pos- 
session du  président  de  Bourbonne,  son  petit-fils;  puis,  à  la 
mort  de  celui-ci,  elle  fut  vendue  à  l'abbaye  de  Clairvaux... 
Nous  ignorons  ce  quelle  est  devenue.  Telle  était ,  au  sur- 
plus ,  la  grande  réputation  dont  jouissait  la  bibliothèque  du 
président  Bouhier,  que  le  roi,  par  ime  ordonnance  rendue  en 
1722,  avait  ordonné  que  tous  les  livres  sortant  de  l'impri- 
merie royale  du  Louvre  seraient  envoyés  au  président  pour 
être  ajoutés  à  sa  collection. 

Bouhier,  philosophe  chrétien,  mourut  en  l'année  1746. 
Api-ès  avoir  éciilié  ses  concitoyens  par  la  régularité  de  ses 
mœurs  et  la  sagerse  de  sa  conduite,  il  leur  donna  l'exemple 
d'une  mort  courageuse ,  et  termina  sa  vie  dans  les  senti- 
ments d'une  pieté  véritable,  que,  malgré  l'esprit  du  temps, 
il  n'eut  pas  honte  de  rendre  publique.  Et  telle  était  encore 
alors  la  liberté  de  son  esprit ,  qu'il  composa  lui-même  son 
épitapbe  peu  d'instants  avant  sa  deaoière  heure  : 

Qui  tristeiD  coluit  Tbcmidern  farilcsque  Camœnas 
Couditur  boc  Jaous  raarmoro  Biiiicrius. 

U  y  a  eu  deux  autres  Bouhier,  parents  du  président,  qui 
furent  successivement  évèques  de  Dijon. 

DUBAUD,  ancien  procureur  général. 
BOUHOURS  (Dominique),  naquit  à  Paris,  en  1G28,  et 
entra  chez  les  jésuites  à  l'àgc  de  seize  ans.  Après  avoir  pro- 
fessé les  humanités  dans  celte  capitale  et  la  rhétorique  à 
Tours,  il  fut  chargé  de  l'éducation  des  jeunes  princes  de 
Longueville,  puis  de  celle  du  marquis  de  Seignelai ,  fils  de 
Colbert.  Il  mourut  au  collège  Louis  le  Grand,  à  Paris,  en 
1702.  Doué  d'une  physionomie  spirituelle  et  d'une  grande 
finesse,   poli,  affable,  sachant  garder  les  convenances  de 


I 


I 


BOUHOURS  —  SOUIDES 


51& 


son  état,  et  mettre  de  son  côté  les  procédés  dans  les  que- 
relles littéraires,  il  s'attira  néanmoins  des  ennemis.  Ni- 
cole, dans  un  passage  de  ses  Essais  de  Morale,  peint  un 
religieux  bel  esprit,  qui  fait  un  recueil  de  mots  qui  se  di- 
sent dans  les  ruelles  et  dans  les  lieux  qu'il  ne  doit  pas  fré- 
quenter ,  et  qui  paraît  plein  d'estime  pour  la  galanterie. 
Bouhours  crut  s'y  reconnaître,  et  de  là  vint,  dit-on,  son 
animos.ité  contre  Port-Royal.  On  lui  reproche  une  critique 
minutieuse,  une  reciierche  excessive  dans  son  style,  un  pu- 
risme exagéré.  Voltaire,  dans  le  Temple  du  Goût,  le  place 
derrière  Pascal  et  Bourdaloue,  qui  s'entretiennent  du  gi'and 
art  de  joindre  l'éloquence  au  raisonnement  ;  et  il  le  peint 
marquant  sur  ses  tablettes  les  fautes  de  langage,  les  négli- 
gences qui  leur  échappent.  On  ne  peut,  malgré  ses  défauts, 
lui  contester  le  mérite  d'avoir  servi  utilement  la  langue  et  le 
goût. 

Les  Entretiens  d'Ariste  et  d'Eugène,  qui  eurent  en  peu 
de  temps  plusieurs  éditions,  se  font  remarquer  par  le  clin- 
quant du  style,  par  l'agrément  et  la  variété  des  matières  : 
cet  ouvrage  valut  à  l'auteur  beaucoup  d'éloges  et  des  cri- 
tiques qui  n'étaient  pas  sans  fondement;  il  lit  dire  qu'il  ne 
manquait  à  l'auteur,  pour  écrire  parfaitement ,  que  de  sa- 
voir penser.  DdasV Entretien  sur  le  Bel  Esprit ,  Bouhours 
met  en  question  si  un  Allemand  peut  avoir  de  lesprit ,  ce 
qui  lit  demander  par  un  Allemand  si  un  Français  peut  avoir 
du  jugement.  Dans  sa  Vie  de  Sui)U  Ignace ,  Bouhours  ra- 
conte sérieusement  que  lorsque  son  héros  vint  suivre  à  Pa- 
ris les  cours  de  l'université,  et  peudaut  qu'il  assistait  aux 
leçons,  son  esprit  entrait  en  communication  directe  avec  le 
ciel  et  en  recevait  les  inspirations.  La  Manière  de  bien 
penser  dans  les  ouvrages  d'esprit  et  les  Pensées  ingé- 
nieuses des  Anciens  et  des  Modernes  ont  les  mêmes  qua- 
lités et  les  mêmes  défauts  que  les  autres  écrits  de  l'auteur. 
Nous  n'avons  parlé  ni  des  ouvrages  de  piété  ni  des  ouvrages 
historiques  du  même  écrivain;  ils  sont  assez  médiocres. 
Nous  ne  citons  pas  non  plus  sa  Traduction  du  Nouveau 
Testament,  parce  qu'elle  n'est  pas  estimée. 

BOUÏDES  ou  BOWAÏDES  (c'est-à-dire  enfants  de 
Douïuh  onde  Bowaïh).  C'est  le  nom  d'une  des  premières 
et  des  plus  puissantes  dynasties  indépendantes  qui  se  soient 
élcA'ées  en  Perse,  à  l'époque  de  la  décadence  du  khalifat, 
et  c'est  celle  qui  a  le  plus  avili  et  tyrannisé  les  khalifes.  Sa 
domination  s'étendit  sur  toute  la  P  e  rse,  depuis  la  mer  Cas- 
pienne jusqu'à  l'entrée  du  golfe  Persique;  et  si  elle  ne 
posséda  pas  les  deux  provinces  orientales  de  cet  empire, 
le  Klioraçànet  le  Séistân,  elle  en  fut  amplement  dédommagée 
par  l'acquisition  de  Bagdad,  de  Bassora  et  de  l'Irak,  qui 
lui  donnait  la  plus  grande  influence  non-seulement  sur 
l'Arabie,  mais  sur  plusieurs  autres  parties  de  l'empire  nm- 
.sulman. 

L'origine  de  la  famille  Bouïah  est  obscure  et  fabuleuse. 
Mais  comme  il  est  convenu ,  en  Asie  aussi  bien  qu'en  Eu- 
rope, que  les  ruis  doivent  toujours  être  du  sang  le  plus  il- 
lustre, les  ambitieux,  soit  en  Orient,  soit  en  Occident,  sa- 
vent fort  bien  se  donner  de  nobles  ancêtres  ;  et  s'ils  n'ont 
pas,  comme  chez  nous,  la  ressource  des  généalogistes  à  ga- 
ges, ils  ont  pour  eux,  ce  qui  vaut  mieux  encore,  le  secours 
des  astrologues  et  la  crédulité  des  peuples.  Un  pauvre  pê- 
cheur, nommé  Bouïah,  habitait  un  village  sur  les  bords  de  la 
mer  Caspienne.  H  s'imagina  qu'il  descendait  du  fameux 
Kosroès,  roi  de  Perse ,  et  rêva  que  ses  trois  fils  Ali ,  Ha- 
çan  et  Ahmed  parviendraient  un  jour  au  trône.  L'imagina- 
tion enflammée  d'espérances  chimériques,  ces  jeunes  gens 
entrèrent  au  service  de  Makan,  l'un  des  ambitieux  qui 
avaient  enlevé  aux  khalifes  les  provinces  du  nord  de  la 
Pei-se.  L'an  31G  de  l'hégire  (928  de  J.-C.  ),  un  autre  ambi- 
tieux, Mardawidj,  s'étant  révolté  contre  Makan,  et  lui 
ayant  enlevé  le  Ghilàn  et  le  Mazamicràn,  les  trois  tils  s'at- 
tachèrent au  parti  de  leur  nouveau  souverain,  et  l'aidèrent 
avec  tant  de  zèle  et  de  courage  à  poursuivre  ses  conqr.ôtcs 


dans  l'intérieur  de  la  Perse,  qu'Ali,  l'alné  de  ces  braves, 
parvint  aux  premiers  emplois  militaires. 

L'exemple  des  deux  princes  pour  lesquels  il  avait  com- 
battu était  séduisant  et  contagieux.  Ali  devint  ingrat  et 
ambitieux  à  son  tour  :  secondé  par  ses  frères,  il  fit  la 
guerre  pour  son  propre  compte.  L'an  320  (932),  il  battit, 
avec  des  forces  très-inférieures,  le  gouverneur  d'Ispahan,  et 
livra  au  pillage  cette  ville,  qui  appartenait  au  khalife  Caher. 
Forcé  de  l'évacuer  à  l'approche  de  l'armée  de  Mardawidj, 
il  s'avança  dans  la  Perse  méridionale,  et  ayant  vaincu  le 
gouverneur  de  Cbiraz,  qui  venait  d'être  défait  par  Marda- 
widj, il  s'empara  de  cette  place  et  de  tout  le  Farsistàn,  que 
ce  prince  lui  abandonna,  en  322  (93i).  Rien  ne  manquait 
au  bonheur  d'Ali  :  une  armée  envoyée  contre  lui  par  le 
khalife  retourna  brusquement  à  Bagilad,  sur  la  nou\elle  de 
la  déposition  de  Caber;  etRadhy,  successeur  de  ce  dernier, 
s'empre.^sa  de  faire  la  paix  avec  le  prince  Bouïde.  Il  lui  con- 
féra le  titre  (Tlmad-Eddaitlah  (le  sou-lien  de  l'État),  et 
lui  envoya  un  vêtement  d'honneur  avec  un  diplôme  qui  lui 
accordait  tous  les  droits  de  souveraineté  dans  les  pays  qu'il 
avait  conquis.  La  mort  de  jMardawidj,  assassiné  l'année 
suivante,  et  les  troubles  auquels  elle  donna  lieu ,  fourni- 
rent à  Imad-Eddaulah  l'occasion  de  s'emparer  d'Ispahan 
sans  coup  ferir.  Mais,  renonçant  alors  à  toute  idée  d'agran- 
dissement, il  mit  son  unique  ambition  à  faire  le  bonheur 
des  peuples  dont  il  se  réserva  le  gouvernement.  Il  ne  garda 
que  le  Farsistàn ,  qui ,  avec  ses  annexes ,  avait  des  limites 
plus  étendues  qu'aujourd'hui,  cédant  à  son  frère  Haçaa 
{Rokn-Eddaulah,  la  colonne  de  l'État),  Ispahan,  Tlrak- 
Adjemi  et  le  Djebal,  et  à  son  frère  Ahmed  (  Mocr-Eddau- 
lah,  l'honneur  de  l'empire),  le  Kermàn  et  les  provinces 
les  plus  méridionales  de  la  Perse  ;  ou  plutôt  il  leur  fournit 
des  troupes  à  tous  deux  pour  les  conquérir  et  les  garder. 

Ces  princes  furent  très- puissants.  La  province  de  Farz, 
(la  Perse  proprement  dite),  celles  d'Irak ,  de  Khouzistân,  de 
Kermàn ,  d'Ahvas ,  le  Ghilàn ,  le  Mazenderân ,  le  ïaberistàu, 
le  Djordjàn  et  les  pays  qui  s'étendent  jusqu'à  la  mer  Cas- 
pienne, plus  tard  même  le  Khoraçàn,  furent  soumis  à  leur 
domination.  Cette  dynastie  se  divisait  en  trois  branches  :  la 
première,  fondée  par  Ahmed,  troisième  fils  de  Bouïah,  s'é- 
teignit en  367  (  an  de  J.-C.  977  ),  dans  la  personne  de  Isz- 
Eddaulah,  fils  d'Ahmed,  qui  fut  chassé  et  tué  par  son  cou- 
sin Adad-Eddaulali ,  prince  dont  le  règne  fut  long  et 
glorieux.  La  seconde  branche  eut  pour  chef  Haçan ,  prince 
guerrier,  qui  étendit  au  loin  ses  conquêtes.  Son  vizir  Amed- 
Aboul-Fasl-Mohammed-Ben-Husséin-Ben-Amid  perfectionna 
les  caractères  arabes.  Ses  successeurs  régnèrent  quatre- 
vingt-seize  ans, jusqu'au  moment  où  Mahmoud  leGaznévide 
s'empara  des  Éiats  de  Medjed-Eddaulah ,  petit-fils  de  Rokn- 
Eddaulah  (de  l'hrgire  420  ,  après  J.-C.  1029  ).  Enfin  la  troi- 
sième branche ,  qui  eut  Ali  pour  chef,  régna  près  d'un  siècle 
et  demi,  d'abord  à  Cbiràz,  ensuite  à  Bagdad.  L'an  de  l'hé- 
gire 447  (après  J.-C.  1055),  Thogrul-Beg,  le  Seldjoukide, 
qui  avait  déjà  conquis  la  Perse,  s'empara  de  la  ville  du  kha- 
lifat, et  fit  prisonnier  El-Malek-Errakliim,  qui  mourut  de 
faim,  de  chagrin  et  de  misère,  au  château  de  Rhéi. 

Tous  les  États  des  Bouïdes  étaient  successivement  tombés 
au  pouvoir  des  Seldjoukides ,  à  l'exception  du  Farsistàn,  dont 
Fadhlouiali  s'était  emparé.  Abou-Ali-Kaï-Kliosrou,  le  plus 
jeune  des  frères  de  Malek-Errakhim ,  ayant  rassemblé  tous 
ses  partisans,  reconquit  ce  lambeau  de  la  puissance  de  sa  fa- 
mille, et  s'étant  rendu  maître  de  l'usurpateur,  il  lui  fit 
mettre  sur  la  tête  une  couronne  de  fer  rouge,  et  le  laissa 
expirer  dans  les  toumients.  Ce  prince  régna  sept  ans  à  Cbi- 
raz ;  mais  ne  pouvant  lutter  contre  les  Seldjoukides  du  Ker- 
màn, et  dégoûté  d'une  royauté  qui  ne  lui  offrait  que  des 
épines  sans  roses,  il  se  soumit  volontairement  en  455  (10G3) 
an  sulthan  Alp-Arslan ,  neveu  et  successeur  de  Thogrul. 
Ainsi,  la  dynastie  des  Bouïdes,  qui  avait  commencé  à  Cbiraz, 
V  finit ,  au  bout  de  cent  vingt-neuf  ans.  Ce  dernier  prince 


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liOUIDES  —  BOUILLE 


vécut  encore  plus  de  trente  ans  ;  le  sulthan  lui  avait  laissé 
la  jouissance  d'une  ville  et  l'iionueur  de  se  faire  précéder  d'un 
étendard  et  de  timbales,  vain  dédommagement,  triste  si- 
mulacre d'une  royauté  déchue  ! 

liUUILLAUD  (Jean-Baptiste).  Né  en  17'.)5,  dans  l'An- 
goumois,  M.  Bouillaud  est  depuis  quelques  années  un  des 
professeurs  les  plus  distingués  de  la  Faculté  de  Jlédecine 
de  Paris.  Ses  études  furent  marquées  par  un  grand  zèle  et 
des  succès.  Un  de  ses  oncles  (Jean  Bouillaud) ,  cUirnrgien- 
major  des  armées,  qui  avait  blanchi  au  service  de  l'Empire, 
éloigna  de  sa  jeunesse,  par  la  plus  admirable  sollicitude  et 
<ie  grands  sacrifices^  les  privations  et  les  soucis.  Cet  oncle 
si  dévoué  recommença  ses  études  alin  de  provoquer  l'ému- 
lation de  son  neveu  et  d'être  l'instrument  et  le  témoin  de 
ses  progrès,  lll'accouipagnait  partout,  partageait  sa  modeste 
chambre  et  sa  vie  sobre  et  studieuse  ;  enfin,  il  le  conseillait 
et  l'encourageait  sans  cesse ,  et  lui  conciliait  des  protecteurs 
et  jusqu'à  des  amis.  Jamais  on  ne  vit  de  parent  accomplir 
plus  généreusement  les  devoirs  d'un  père  :  aussi  ne  vit-on 
jaujais  de  vieillard  plus  respecté  ([ue  ne  le  fut  durant  huit 
a  dix  ans  Jean  Bouillaud  par  tout  ce  que  l'École  de  Méde- 
cine de  ce  temps-là  renfermait  de  cœurs  nobles  et  solidaire- 
ment reconnaissan'.s. 

Les  succès  du  jeune  Bouillaud  répondirent  à  des  soins  si 
touchants  et  à  une  protection  si  sainte.  Son  noviciat  dans 
les  hôpitaux  fut  marqué  par  une  rare  apphcation;  ses  pre- 
miers efforts  lui  valurent  des  couronnes,  et  un  zèle  plus  mùr 
des  titres,  des  places,  des  récompenses  et  des  honneurs, 
lieçu  médecin  le  ?3  août  1823,  alors  que  l'École  de  Paris 
venait  d'être  regrettablement  réorganisée  par  M.  Frayssi- 
nous,  il  laissa  paraître  pour  Broussais  une  admiration  si  dé- 
monstrative, qu'elle  ressembla  souvent  à  de  l'enthousiasme. 
En  toutes  choses  son  adhésion  à  la  nouvelle  doctrine  était 
si  entière,  si  passionnée,  qu'auprès  de  lui  MM.  Boisseau  et 
Bégin  paraissaient  des  disciples  frondeurs,  des  prosélytes 
équivoques.  Cependant  ayant  déjà  fait  une  étude  approfon- 
die des  alfections  du  cœur,  M.  Bouillaud  s'associa  avec 
Bertin,  un  des  nouveaux  professeurs,  pour  composer  sur 
les  maladies  du  cœur  un  traité  plus  scientifique  que  celui 
de  Corvisart.  Bertin  apportait  à  l'ccuvre  commune  d'an- 
ciennes et  solides  observations  qu'il  avait  à  diverses  repri- 
ses présentées  à  l'Institut,  et  M.  Bouillaud,  pour  prix  de  son 
zèle ,  se  réserva  de  rajeunir  au  moyen  des  doctrines  nou- 
velles des  faits  déjà  anciens  et  des  préceptes  éprouvés. 

Cet  ouvrage  obtint  assez  de  succès  pour  qu'on  ait  pu  en  pu- 
blier une  nouvelle  édition  quinze  ans  après,  en  1841.  A  cette 
époque  Bertin  était  mort,  ce  qui  donna  à  M.  Bouillaud,  alors 
plus  expérimenté ,  la  liberté  plus  entière  de  modifier  le  plan 
de  l'ouvrage  primitif  et  surtout  les  doctrines.  11  y  ajouta  na- 
turellement beaucoup  de  faits  nouveaux,  en  sorte  que  cette 
2'  édition  eut  deux  volumes,  au  lieu  d'un  seul,  auquel  se  bor- 
nait la  première;  alors  aussi  la  part  de  M.  Bouillaud  devint 
plus  grande,  de  sorte  que  ce  médecin  honorable ,  sans  doute 
par  des  suggestions  étrangères  ,  laissa  mettre  de  côté  le  nom 
de  Bertin,  et  selon  nous  ce  fut  un  tort.  Assurément  d'autres 
ont  eu  des  torts  semblables ,  mais  c'est  à  un  homme  de  la 
loyauté  et  du  mérite  de  M.  Bouillaud  à  donner  de  bons 
exemples  à  la  postérité. 

M.  Bouillaud,  excellent  professeur,  médecin  profond  et  la- 
borieux,a  publie  seul  beaucoup  d'autres  ouvrages;  i°imTraité 
Clinique  de  V Encéphalite  cl  de  ses  suites,  etc.  (1825); 
2°  un  Traité  clinique  et  expérimental  des  Fièvres  (  1826  )  ; 
3°  un  Rapport  académique  sur  Vintroduction  de  l'air 
dans  les  veines  (in-8",  1838);  4°  une  Clinique  médicale 
de  l'hôpital  de  la  Charité  (3  vol.  in-8",  1837);  5° un  vo- 
lume Sur  la  coïncidence  du  rhumatisme  aigu  avec  l'cn- 
do-cardile  (1840);  6°  un  Essai  de  Philosophie  médi- 
cale .  etc.  (1830)  ;  7"  un  Traité  Clinique  et  Statistique  du 
Choléra  (  1832  )  :  8°  son  traité  de  Nosographie  médicale,  qui 
est  son  principal  ouvrage  (5  vol.  in-8",  18  iG);  U"  des  Recher- 


ches pour  démontrer  que  le  sens  du  langage  articulé,  de 
même  que  le  principe  de  la  parole,  réside  dans  les  lobes 
antérieurs  du  cerveau  (  1839  et  1848). 

Maître  d'une  clinique  fort  suivie,  oii  le  paradoxe  tient  au- 
jourd'hui moins  de  place  qu'autrefois,  M.  Bouillaud  occupe 
de  plus  en  plus  un  rang  distingué  parmi  les  meilleurs  prati- 
ciens de  Paris,  surtout  depuis  qu'il  discute,  écrit  et  saigne 
moins.  Nous  n'en  sommes  plus  au  temps  où  M.  Bouillaud 
saignait  un  malade  plus  de  fois  dans  un  seul  jour  qu'un  autre  M 
médecin  n'eût  osé  le  faire  dans  toute  une  semaine.  ■ 

Député  d'Angoulême  de  1842  à  1846  ,  conseiller  de  l'Uni- 
versité  sous  Louis-Philippe,  M.  Bouillaud,  homme  sûr  et 
ferme,  succéda  à  M.  Orfila  comme  doyen,  eu  février  1848. 
Il  eût  conservé  plus  longtemps  ces  graves  fonctions  de  doyen, 
et  sans  doute  il  les  aurait  encore,  s'il  avait  pu  consentir  à 
apposer  sa  signature  aux  comptes  peu  réguliers  de  son  prédé- 
cesseur. A  cette  occasion  il  publia  un  mémoire,  qui  heureu- 
sement pour  M.  Orfila  n'avait  pas  l'énergique  netteté  de  ses 
autres  écrits,  sans  quoi  l'Assemblée  nationale  aurait  peut-être 
suivi  l'exemple  de  M.  Bouillaud.  Isidore  Boludon. 

BOUILLE,  en  termes  de  pêche,  est  une  longue  perche, 
grosse  par  un  de  ses  bouts,  qui  a  la  forme  d'un  rabot ,  et     _ 
([u'on  emploie  pour  remuer  la  vase  et  troubler  l'eau,  afin  que     I 
le  poisson  entre  plus  facilement  dans  les  filets. 

Bouille  était  aussi  jadis  le  nom  de  la  marque  que  les 
commis  des  fermes  mettaient  à  chaque  pièce  de  drap  ou 
d'étoffe  de  laine  au  bureau  des  fermes  du  roi ,  et  en  même 
temps  le  nom  du  droit  auquel  cette  marque  était  soumise. 

BOUILLE  (Famille  de).  Originaire  du  Maine,  où  elle  a 
possédé  des  terres  considérables  et  contracté  de  grandes 
alliances,  elle  est  aussi  regardée  comme  une  des  premières 
de  la  province  d'Auvergne  ,  où  l'on  retrouve  ses  traces  dès 
le  dixième  siècle,  et  où  une  de  ses  branches  fut  effective- 
ment établie  depuis  le  onzième.  Elle  a  donné  des  chevaliers 
de  l'ordre  du  roi  sous  Louis  XI  et  François  l" ,  de  l'ordre 
du  Saint-Esprit  sous  Henri  III  et  Louis  XVI,  des  prélats, 
des  chanoines  comtes  de  Lyon  et  de  Brioude ,  des  comman- 
deurs de  l'ordre  de  Saint-Jean  de  Jérusalem ,  un  général  en 
chef,  des  lieutenants  généraux ,  commandants  de  pro- 
vinces ,  des  maréchaux  de  camp  et  un  pair  de  France 
sous  Charles  X.  (  Foj/es les  articles  suivants.) 

René  de  Bouille,  issu  de  la  branche  du  Maine,  com- 
mandait en  Bretagne  à  l'époque  de  la  Saint-Barthélémy ,  et , 
par  une  sage  résistance  aux  ordres  de  la  cour,  préserva  cette 
province  des  horreurs  du  massacre. 

René  de  Bouille,  comte  de  Créance,  fils  du  précédent, 
chevalier  des  ordres  du  roi  et  gouverneur  de  Périgueux , 
s'était  acquis  l'estime  de  Henri  IV ,  qui  écrivait  au  prince 
de  Conti  en  parlant  d'un  avantage  que  Bouille  avait  rem- 
porté sur  Comnène,  un  des  chefs  de  la  Ligue  :  «  Le  Man- 
ceau  a  donc  été  plus  fin  que  le  Grec;  je  l'ai  toujours  connu 
pour  aussi  advisé  que  valeureux  ;  je  suis  bien  aise  que  vous 
l'aimiez  et  que  vous  le  reteniez  avec  vous  ;  il  peut  bien 
conseiller  et  bien  ai;ir.  » 

BOUILLE  (lMtANçois-CLAUDE-.\MOUR,  Hiarquis  de),  ne- 
veu de  Nicolas  de  Bouille,  ancien  doyen  des  comtes  de  Lyon, 
évêque  d'Autunet  premier  aumônier  de  Louis  XV,  naquit  au 
château  de  Cluzel  en  Auvergne,  le  19  novembre  1739,  et 
mourut  à  Londres,  le  14  novembre  1800,  à  l'âge  de  soixante 
et  un  ans.  .4yant  perdu  fort  jeune  encore  ses  parents,  il  fut 
élevé  au  collège  de  Louis-lc-Grand,  à  Paris,  dont  la  direc- 
tion était  alors  confiée  aux  jésuites.  Après  avoir  terminé  ses 
études  à  l'âge  de  quatorze  ans,  il  entra  d'abord  dans  le 
régiment  de  Rochefort,  puis  dans  les  mousquetaires  noirs, 
et  obtint,  à  l'âge  de  seize  ans,  une  compagnie  dans  le  régi- 
ment de  dragons  de  La  Ferronais ,  avec  lequel  il  partit  en 
1758  pour  rejoindre  l'armée  en  Allemagne.  Il  se  distingua 
dans  plusieurs  affaires  de  la  guerre  de  Sept  ans,  principa- 
lement au  combat  de  Grunberg  (1761),  où,  à  la  tête  de 
ses  dragons ,  il  chargea  avec  tant  d'impétuosité  la  colonne 


ennemie  aux  ordres  du  duc  de  Brunswick,  qu'il  la  culbuta, 
lui  prit  onze  pièces  de  canon  et  dix-neuf  drapeaux  ou  éten- 
dards. Chargé  de  porter  au  roi  la  nouvelle  de  cette  victoire , 
il  fit  l'éloge  le  plus  flatteur  de  ses  camarades.  Le  prince 
alors,  l'interrompant,  et  s'adressant  aux  courtisans  qui 
l'entouraient,  leur  dit  :  «M.  de  Bouille  n'oublie  ici  qu'une 
chose,  c'est  qu'on  lui  doit,  en  grande  partie,  les  résultats 
de  cette  brillante  affaire  ;  »  et  il  le  nomma  au  grade  de  co- 
lonel, avec  promesse  du  premier  régiment  vacant.  En  1768 
Douille  fut  nommé  gouverneur  de  la  Guadeloupe ,  et  fl  ad- 
ministra cette  colonie  avec  tant  de  sagesse  et  d'habileté,  que 
le  roi ,  pour  le  récompenser ,  le  créa ,  en  1777  ,  maréchal  de 
camp,  et  lui  donna  le  gouvernement  général  de  la  IMarli- 
nique  et  de  Sainte-Lucie.  Il  reçut  en  même  temps  le  pou- 
voir de  prendre  le  commandement  de  toutes  les  autres  îles 
da  Vent ,  aussitôt  que  commenceraient  les  hostilités  entre 
la  France  et  l'Angleterre  ,  dont  on  était  alors  menacé. 

Lorsque ,  l'année  d'ensuite  (  1778  ) ,  la  guerre  d'Amérique 
éclata,  la  France  s'étant  déclarée  en  faveur  de  la  cause  des 
insurgés ,  Bouille  reçut  l'ordre  de  s'emparer  de  la  Domi- 
nique, qui,  par  sa  position  entre  la  Martinique  et  la  Guade- 
loupe ,  était  d'une  grande  importance.  Cette  expédition ,  ten- 
tée par  le  temps  le  moins  favorable,  fut  couronnée  d'un  plein 
succès.  Cinq  cents  hommes ,  qui  composaient  la  garnison , 
furent  faits  prisonniers ,  et  remirent  aux  vainqueurs  cent 
soixante-quatre  pièces  de  canon  et  vingt-quatre  mortiers. 
Bouille  s'empara  de  même  successivement  de  Saint-Eus- 
tache,  de  Tabago,  de  Saint-Cristoplie,  de  Niève  et  de 
Montserrat  ;  mais  son  plus  beau  titre  de  gloire  est  d'avoir  su 
défendre  alors  et  conserver  nos  nombreuses  possessions 
dans  les  Antilles,  menacées  tour  à  tour  par  les  Anglais,  en 
l'absence  de  l'armée  navale,  qui  était  allée  en  1781  proté- 
ger le  siège  d'York  en  Virginie,  et  malgré  les  obstacles  que 
lui  suscita  la  jalousie  du  comfe  d'Estaing. 

De  retour  en  France,  à  la  paix  de  1783  ,  ses  services  fu- 
rent récompensés  par  le  grade  de  lieutenant  général  et  par 
le  collier  des  ordres  du  roi.  Non-seulement  il  avait  toujours 
fait  preuve  du  plus  grand  désintéressement  dans  l'exercice 
de  ses  divers  commandements ,  mais  il  avait  encore  con- 
tracté au  service  de  la  France  pour  plus  de  700,000  fr.  de 
dettes.  Le  roi  voulut  les  acquitter;  mais  il  n'accepia  point 
cette  faveur,  ou  plutôt  cette  justice ,  qui  eiit  été  une  charge 
pour  le  prince  et  pour  l'État  dans  les  circonstances  où  ils 
se  trouvaient.  Dans  l'intervalle  qui  s'écoula  entre  la  paix 
et  les  premiers  mouvements  de  la  révolution,  le  roi  le  nomma 
membre  des  assemblées  des  notables,  qui  furent  convoquées 
en  1787  et  1788,  et  il  fut  un  de  ceux  qui  se  montrèrent  le 
plus  disposés  aux  sacrifices  que  le  salut  de  l'État  réclamait; 
mais  il  les  voulait  conformes  aux  lois  fondamentales  de  la 
monarchie.  Nommé  en  1790  général  en  chef  de  l'armée  de 
Meuse ,  Sarre-et-Moselle ,  l'eflérvescence  produite  par  les 
premiers  événements  de  la  révolution  avait  rendu  son  poste 
extrêmement  pénible.  Néanmoins,  par  sa  fermeté,  il  sut  main- 
tenir l'ordre  et  la  discipline,  que  ses  troupes  respectèrent 
toujours.  Chargé  par  Louis  XVI  de  faire  exécuter  les  dé- 
crets de  l'Assemblée  nationale ,  méconnus  par  la  garnison  et 
par  la  plupart  des  habitants  de  Nancy,  il  marcha  à  la  tête  de 
quatre  mille  cinq  cents  hommes  contre  les  séditieux ,  dont 
le  nombre  s'élevait  à  plus  de  dix  mille.  Il  les  défit  le  31 
août  1790,  et  étouffa  par  cette  mesure  rigoureuse  une 
insurrection  qui  menaçait  l'armée  entière ,  et  pouvait  deve- 
nir le  signal  de  la  guerre  civile.  L'Assemblée  nationale  lui 
vota  des  remercîments,  et  le  roi  lui  écrivit  qu'il  avait  sauvé 
la  France,  et  avait  acquis  des  droits  éternels  à  son  estime 
et  à  son  amitié.  Ce  prince  lui  offrit  le  bâton  de  maréchal  de 
France;  mais  Douille  crut  devoir  refuser  un  honneur  qui 
eût  été  le  prix  du  sang  de  ses  concitoyens. 

Louis  XVI,  qui  connaissait  sa  fidélité  et  son  courage,  le 
choisit  pour  seconder  son  départ  secret  de  Paris,  et  pour 
qui  assurer  une  retraite  dans  son  commandement.  Bouille  s'c- 

DICT.    DE   LA.  CONVEliS.    —    T.    III. 


BOUILLE  521 

tait  empressé  de  répondre  aux  désirs  du  monarque;  il  avait 
fait  les  dispositions  nécessaires  pour  éclairer  la  route ,  et  réu- 
nir autour  de  lui  à  ISIontmédi ,  avec  un  train  d'artillerie  de 
campagne ,  douze  bataillons  et  vingt-trois  escadrons  que  l'on 
croyait  encore  entièrement  dévoués.  Il  attendait  au  milieu 
de  ces  troupes  l'arrivée  du  roi,  lorsqu'il  fut  informé  de  son  ar- 
restation àVarennes.  Rassemblant  aussitôt  les  troupes  qu'il 
a  sous  la  main ,  il  les  dirige  sur  cette  ville ,  et  s'avance  lui- 
même  à  la  tête  de  Royal-Allemand  cavalerie.  Mais  le  mo- 
narque était  déjà  parti.  Quoique  gravement  compromis  par 
cette  démarche ,  il  s'empressa  de  concourir  à  la  fuite  de  Mon- 
sieur (  depuis  Louis  XVIII  ) ,  et  se  rendit  lui-même  à  Luxem- 
bourg, d'où  il  écrivit  à  l'Assemblée  nationale  une  lettre  dictée 
par  son  attachement  à  la  personne  du  roi ,  mais  dont  le  ton 
menaçant  produisit  un  effet  tout  différent  de  celui  qu'il  en 
attendait.  Décrété  d'accusation ,  et  ne  pouvant  plus  rentrer 
dans  sa  patrie ,  il  se  réfugia  à  Coblentz  auprès  des  princes 
français ,  qui  l'accueillirent  avec  distinction ,  l'admirent  dans 
leur  conseil ,  et  le  chargèrent  de  différentes  missions  impor- 
tantes, dont  il  s'acquitta  avec  zèle.  Il  remit  aux  princes 
070,000  fr.,  restant  d'un  million  en  assignats  qu'il  avait  reçu 
de  Louis  XVI  pour  le  voyage  de  Montmédi,  et  dont  il  est 
question  dans  le  procès  du  roi.  Il  se  rendit  ensuite  à  Pilnitz , 
où  l'avaient  appelé  l'empereur  Léopold  et  le  roi  de  Prusse, 
afin  d'y  conférer  sur  les  moyens  à  employer  pour  rendre  la 
liberté  au  roi  et  rétablir  la  monarchie  sur  ses  anciennes 
bases.  Il  était  porteur  de  pleins  pouvoirs  de  Monsieur.  H 
eut  encore  sur  ce  sujet  des  conférences  à  Aix-la-Chapelle  avec 
le.  roi  de  Suède ,  et  lui  fit  goûter  ses  projets.  L'impératrice 
de  Russie  était  aussi  entrée  dans  ses  vues,  et  avait  promis  un 
renfort  de  36,000  hommes,  qui  devaient,  sous  le  commande- 
ment du  monarque  suédois  et  du  général  français,  débarquer 
sur  les  côtes  de  Flandre;  mais  le  roi  de  Suède,  Gustave  III, 
ayant  été  assassiné  le  29  mars  1792,  Catherine  oublia  ses 
promesses ,  et  Bouille,  qui  voyait  s'évanouir  ses  projets  et 
ses  espérances,  se  réfugia  en  Angleterre,  où  bientôt,  accablé 
d'infirmités  et  voué  par  elles  à  l'inaction,  il  ne  s'occupa  plus 
que  de  la  rédaction  de  ses  Mémoires. 

Ces  Mémoires,  qui  ont  paru  à  Londres  en  1797,  d'abord 
en  anglais,  puis  en  français,  ont  été  réimprimés  plusieurs 
fois  depuis.  Ils  sont,  dit  Mallet  du  Pan ,  écrits  avec  la  si7n- 
plicité  d'un  militaire  et  la  véracité  d'un  honnête  homme. 
En  effet,  ils  peignent  la  chute  de  la  monarchie,  les  causes 
et  le  commencement  de  la  révolution ,  avec  une  franchise  et 
une  loyauté  dont  on  se  plaît  à  tenir  compte  à  l'auteur,  alors 
même  que  l'on  ne  partage  pas  toutes  ses  idées ,  ou  que  l'on 
n'approuve  pas  toutes  ses  opinions. 

BOUILLE  (  Louis-Joseph-Amour,  marquis  re  ) ,  fils  aîné 
du  précédent,  né  au  fort  Saint-Pierre  de  la  Martinique  le 
\"  mai  1769,  servait  d'aide  de  camp  à  son  père,  lors  de  la 
tentative  faite  pour  favoriser  l'évasion  de  Louis  XVI.  Com- 
promis, comme  son  père ,  dans  cette  circonstance,  il  le  sui- 
vit dans  sa  fuite,  et  entra  au  service  de  la  Suède  en  qualité 
d'aide  de  camp  de  Gustave  III.  Devenu  libre  par  la  mort  de 
ce  prince,  il  joignit  l'armée  de  Condé,  et  passa,  après  la  dé- 
route de  Valmy,  dans  celle  de  Prusse,  avec  laquelle  il  fit  le 
siège  de  Mayence ,  où  il  fut  blessé.  Dès  qu'il  se  vit  guéri,  il 
leva  un  régiment  de  hulans  britanniques,  qui  le  suivit  à 
Rouez  (Sarthe),  où  il  reçut  encore  une  blessure,  et  à  l'Ile- 
Dieu.  Réformé  l'année  suivante,  il  resta  dans  l'inaction  jus- 
qu'en  1802. 

Profitant  alors  de  l'amnistie,  il  rentra  en  France,  où  il 
prit  du  service,  fit  la  campagne  de  Naples,  se  distingua  au 
siège  de  Gaète,  et  joignit  la  grandearmée  sur  la  fin  de  1806. 
Il  assista  aux  divers  combats  qui  furent  li\Tés  en  Pologne, 
battit  le  prince  d'Anhalt,  lui  prit  son  artillerie,  et  l'empêcha, 
à  la  tête  de  quelques  chcvau-légers,  de  secourir  les  places 
qu'il  voulait  dégager.  Employé  l'année  suivante  en  Es- 
pagne, comme  chef  d'état-major  de  la  division  du  général 
'  Sébastian!,  il  contribua  au  succès  du  combat  de  Ciudad-Real. 

ti6 


522 

Élevé,  pour  les  services  qu'il  avait  rendus  en  celte  circons- 
tance, au  poste  de  clief  d'état-major  général  du  4*  corps,  il 
se  distingua  dans  diverses  rencontres,  et  ajouta  encore,  le 
jour  de  la  bataille  d'Al  m  onacid,  à  la  réputation  de  valeur 
et  de  capacité  qu'il  s'était  fiiile.  Cette  btillante  conduite  lui 
valut  le  grade  de  général  de  brigade,  qu'il  obtint  en  1810,  et 
le  comniandeiuent  d'un  corps  de  dragons,  avec  lequel  il 
battit,  le  19  avril  1812,  le  général  Freire,  qu'il  tailla  encore 
en  pièces  le  17  mai  suivant.  Forcé  par  le  mauvais  état  de 
sa  vue  de  quitter  l'année  d'Espagne  sur  la  (in  de  cette  an- 
née, il  fut  fait  lieutenant  général  à  la  rentrée  des  Bourbons 
et  mis  à  la  retraite.  Il  est  mort  en  1850.  M"'"  de  IJouillé  avait 
été  dame  du  palais  de  l'impératrice  Marie-Louise. 

Outre  une  relation  fort  curieuse  de  l'évasion  de  Louis  XVI, 
on  doit  au  général  une  Vie  privée  et  militnire  du  prince 
Henri  de  Prusse  (1809);  des  Pensées  et  Réflexions  mo- 
rales et  politiques  dédiées  à  son  fils  (l89-(i);  enfin  des 
Commentaires  sur  le  Traité  du  Prince,  de  Machiavel,  et 
i«r  l'Anti-Macliiavel ,  de  Frédéric  II  (1H27). 

Son  fds  unique,  le  comte  René  de  BounxÉ,  après  avoir 
été  officier  de  cavalerie,  quitta  le  service  en  1826,  et  s'oc- 
cupa de  travaux  littéraires.  11  fit  imprimer  un  volume  de 
fables  et  de  poésies  diverses,  puis  il  publia  une  brocbure 
politique  intitulée  Lettres  chinoises,  et  inséra  dans  la  Revue 
des  Deux  mondes  (juillet  1830)  un  article  sur  le  système 
pénitentiaire  établi  dans  la  prison  de  Genève.  Entré  ensuite 
dan»  la  carrière  diplomatique,  il  remplit  successivement  des 
missions  auprès  des  coure  de  Dresde,  de  Hanovre,  de  Wei- 
mar,  de  Casscl  et  de  Darmstadt,  et  résida  pendant  plus  de 
deux  ans  à  Carisruheen  qualité  de  ministre  plénipotentiaire, 
suivant  la  négociation  du  traité  de  délimitation  entre  la 
France  et  le  grand-duché  de  Bade.  H  est  rentré  dans  la  vie 
privée  en  l83à. 

BOUILLEURS  (  Tuyaux  ).  Dans  la  construction  des 
machines  à  feu  on  remplace  souvent  les  chaudières  dans 
lesquelles  se  produit  la  vapeur  par  un  système  de  tuyaux 
appelés  bouilleurs  ou  chaudières  tubulaïres.  Pour  s'en 
faire  une  idée,  il  faut  se  figurer  un  gril  formé  de  canons  de 
fusil  communiquant  entre  eux  par  leurs  extrémités  ;  si  on 
les  remplit  d'eau,  et  que  l'on  place  du  feu  dessous,  le  liquide 
passera  plus  tôt  à  l'état  de  vapeur  que  s'il  était  contenu  dans 
une  chaudière  unique,  attendu  que  les  surfaces  chaulfantes 
seront  plus  multipliées.  On  fait  aussi  des  bouilleurs  d'un 
seul  tuyau  contourné  en  hélice,  en  spirale,  etc.  Les  loco- 
motives qui  roulent  sur  les  chemins  de  fer  sont  ali- 
mentées par  des  systèmes  de  tuyaux  bouilleurs.  Mais 
M.  Séguin  y  a  apporté  un  changement  important,  en  di- 
sant passer  la  flamme  dans  les  tubes ,  ce  qui  a  permis  de 
rendre  les  locomotives  infiniment  plus  légères.  Voyez  Va- 
peur (  Machines  à  ). 

BOUILLIE,  farine  délayée  et  bouillie  dans  du  lait,  nour- 
riture grossière  et  indigeste ,  qu'une  routine  aveugle  per- 
siste encore  à  donner  trop  généralement  aux  enfants,  dans 
quelques  provinces ,  malgré  les  avis  des  gens  éclairés  et  les 
résultats  funestes  de  ce  mode  d'alimentation.  Le  plus  grand 
nombre  de  ceux  qui  sont  ainsi  nourris  sont  effectivement 
sujets  aux  aigreurs,  aux  vers,  aux  engorgements  et  aux  ob- 
structions des  glandes  du  ventre,  au  carreau,  aux  coliques, 
au  dévoiement  et  aux  convulsions.  La  farine  de  froment  est 
ordinairement  celle  que  l'on  choisit  pour  faire  la  bouillie, 
et  c'est  surtout  celle  dont  il  faudrait  s'abstenir  en  ce  cas; 
le  gluten  qu'elle  renferme,  et  qui  est  si  essentiel  à  la  fabri- 
cation du  pain,  donne  à  la  bouillie  un  caractère  qui  en  fait 
un  aliment  fade  et  indigeste,  que  les  sucs  tic  l'estomac  ne 
pénètrent  qu'avec  beaucoup  de  travail  et  qui  i)asse  bientôt, 
par  son  poids,  dans  les  entrailles,  sans  avoir  accompli 
l'o-iiTre  de  la  nutrition.  L'orge,  le  maïs,  l'avoine  et  surtout 
le  sarrasin,  dont  le  pain  est  infiniment  plus  grossier  que 
celui  de  froment,  fournissent  une  bouillie  plus  délicate,  mais 
qui  n'est  pas  cucorc  sans  inconvénients;  le  riz  lui-même, 


SOUILLE  —  BOUILLON 


pour  devenir  digestible ,  doit  éprouver  un  mouTement  de 
fermentation. 

11  serait  bon  de  remplacer  la  bouillie  par  des  panades 
préparées   avec  des   biscottes  de   Bruxelles,   ou    bien 
avec  du  pain  trempé  ou    bouilli  d'abord  dans  de  l'eau,      m\ 
puis  bien  essoré,  que  l'on  môle  avec  une  quantité  suffi-      ■ 
santé  de  lait  nouveau  légèrement  sucré  et  non  bouilli.  On      *' 
peut  recommanderencore  avec  Parmentier,  pour  la  première 
alimentation  de  l'enfance ,  l'usage  de  l'orge  mondé  ou  de 
l'orge  perlé ,  qui  ont  tous  deux  des  qualités  inappréciables 
sous  une  foule  de  rapports  ;  l'enfant  le  plus  faible  y  trou 
vera  un  aliment  aussi  salutaire  que  l'homme  le  plus  robuste; 
c'est  ce  qu'une  expérience  de  plusieurs  siècles  a  constaté, 
particulièrement  chez  les  habitants  des  montagnes,  qui  en 
vivent  pendant  une  grande  partie  de  l'année. 

Les  papetiers  donnent  aussi  le  nom  de  bouillie  à  la  pâto 
liquide  avec  laquelle  ils  fabriquent  le  papier. 

Proverbialement ,  faire  de  la  bouillie  pour  les  chats , 
c'est  prendre  une  peine  inutile,  se  tourmenter  I)eaucoup 
pour  faire  une  chose  dont  on  ne  tirera  aucun  profit. 

BOUILLON,  aliment  Uquide  préparé  par  l'ébuUition , 
dans  l'eau ,  de  la  chair  des  animaux  ou  de  certaines  plantes. 
Si  l'on  soumet  à  cette  ébullition  la  chair  de  bœuf,  les  sels  so- 
lubles,  la  gélatine  et  l'osmazôme  se  dissolvent,  l'albumine  s'é- 
lève  à  la  surface  du  liquide  en  se  coagulant,  la  graisse  se  fond,  ■ 
et ,  par  sa  pesanteur  s[»écifique ,  vient  également  à  la  surface.  w 
Darcet  avait  imaginé  de  faire  des  bouillons  avec  des  os  seuls; 
on  traitait  ceux-ci  par  l'acide  liydrochlorique,  afin  dedissoudre 
les  matières  terreuses  qu'ils  renferment;  la  gélatine  était 
ensuite  lavée,  et  cuite  avec  peu  de  viande  et  beaucoup  de  lé- 
gumes. Mais  on  a  constaté  que  ces  bouillons  n'avaient  rien  de 
nutritif.  100  kilogrammes  de  viande  en  ébullition  dans  l'eau 
ne  donnent  que  50  kilogrammes  de  bouilli  ;  ils  procure- 
raient C7  kilogrammes  de  rôti  ;  par  ce  dernier  moyen  on  a 
donc  un  cinquième  de  profit.  100  kilogrammes  de  viande 
donnent  50  kilogrammes  de  bouilli  et  200  litres  de  bouillon. 
100  kilogrammes  de  viande,  dont  25  mêlés  à  3  kilogrammes 
de  gélatine  d'os,  donneraient  200  litres  de  bouillon  et  12 
kilogrammes  et  demi  de  bouilli;  les  75  kilogrammes  restant 
donneraient  50  kilogrammes  de  rôti.  De  cette  manière,  on  a 
une  quantité  égale  de  bouillon,  50  kilogrammes  de  rôti  et  12 
kilogrammes  et  demi  de  bouilli.  La  gilatine  réduite  en 
tablette  constitue  le  bouillon  portatif,  qui,  uni  à  quelque 
peu  de  jus  de  viande  et  des  légumes,  improvise  un  bouillon 
passable. 

Le  veau,  le  poulet,  soumis  à  l'ébuUition  dans  l'eau, 
constituent  des  bouillons  légers,  qui,  par  cela  même  qu'ils 
contiennent  très-peu  de  molécules  nutritives ,  sont  rafraî- 
chissants et  souvent  conseillés  dans  les  affections  inflam- 
matoires. Les  bouillons  de  tortue  et  de  grenouilles  sont 
fortifiants,  analeptiques;  on  les  conseille  dans  les  maladies 
chroniques  et  surtout  dans  la  phîhisie  pulmonaire. 

Les  bouillons  pharmaceutiques  sont,  ou  des  décoctions 
de  jarret  de  veau  ,  dans  lesquelles  on  fait  infuser  des  plantes 
médicamenteuses,  ou  des  bouillons  d'herbes ,  qui  sont  laxa- 
tifs et  rafraîchissants,  et  le  plus  souvent  composés  avec  de 
l'oseille,  de  la  poirée,  du  pourpier,  du  cerfeuil,  etc.  On  les 
donne  souvent  pour  favoriser  l'action  des  purgatifs. 

Le  mot  bouillon  a  reçu  des  acceptions  assez  nombreuses 
dans  les  arts  et  dans  le  style  figuré. 

En  architecture  hydraulique  il  sert  h  désigner  de  petits 
jets  d'eau  s'élevant  k  peine  de  quelques  centimètres  au- 
dessus  du  tuyau.  Dans  la  décoration  des  jardins,  oii  le.s 
eaux  forment  un  des  accessoires  les  plus  agréables,  on 
garnit  les  cascades,  goulots  et  rigoles  avec  des  jets  ou 
bouillons,  qui  paraissent  ainsi  sortir  comme  d'une  source. 

En  médecine  vétérinaire,  on  nomme  bouillon  une  excrois- 
sance de  chair  qui  s'attache  à  la  fourchette  des  pieds  des 
chevaux.  Comme  cette  tumeur  parvient  souvent  à  la 
grosseur  d'une  cerise,  elle  fait  boiter  l'animal.  Les  chevaux 


BOUILLON 


523 


de  manège ,  moins  exposés  que  les  autres  à  se  mouiller  les 
()ieils,  sont  particulièrement  sujets  à  cette  maladie,  laquelle 
s'exprime,  en  termes  de  métier,  en  disant  que  la  chair 
soxtfjle  sur  les  fourchettes. 

En  termes  de  passementier,  le  bouillon  est  une  espèce 
de  cordon  d'or  ou  d'argent ,  tortillé  sur  un  fil  de  laiton  en 
forme  de  petits  anneaux ,  que  l'on  place  au  milieu  des  fleurs 
en  broderie.  On  s'en  sert  aussi  pour  en  composer  des 
crépines. 

Bouillon  est  aussi  le  nom  du  fil  d'or  que  les  boutonniers 
roulent  très-serré  sur  un  autre  fil ,  qui  sert  alors  comme  de 
moule.  Après  l'avoir  retiré  on  le  coupe  pour  en  faire  des 
épis ,  des  roues  et  autres  ornements. 

On  nomme  encore  bouillon  une  bulle  d'air  qui  s'introduit 
dans  le  verre  ou  les  métaux  lorsqu'ils  sont  en  état  de  fusion. 

Les  poètes  se  sont  aussi  emparés  de  ce  mot  pour  peindre 
les  grandes  agitations  de  l'àme  et  pour  exprimer  une 
chaleur  d'action  portée  jusqu'à  l'excès. 

On  dit,  par  hyperbole,  que  le  sang  coule  ou  sort  à  gros 
bouillons  : 

Le  sang  à  gros  bouillons  sort  de  sa  bouche  impure. 

Le  mot  bouillon  a  enfin  reçu  une  dernière  acception  : 
lorsque,  par  suite  d'une  spéculation,  on  fait  une  perte, 
cela  s'appelle  boire  un  bouillon.  C'est  le  commerce  de  la  li- 
brairie qui  a  le  premier  employé  cette  expression  ;  elle  est 
de  là  passée  dans  les  autres  professions  industrielles,  mais  elle 
n'en  est  pas  moins  tout  à  fait  triviale. 

BOUILLOiV  (Maison  de).  Bouillon  est  une  ville  du 
Luxembourg  belge,  peuplée  de  2,600  habitants,  où  l'on  fa- 
brique du  tulle  et  du  drap  ;  on  y  trouve  aussi  plusieurs  tan- 
neries; et  il  s'y  fait  un  commerce  de  bétail  et  de  ferronnerie. 
C'était  autrefois  la  capitale  du  duché  du  môme  nom;  elle 
est  défendue  par  un  château  fort  (  l'ancien  château  des  ducs 
de  Bouillon). 

La  seigneurie,  ensuite  duché,  de  Bouillon  se  détacha  sous 
la  seconde  race  du  comté  ou  de  la  marche  d'Ardennes  ;  au 
onzième  siècle  c'était  une  dépendance  du  duché  de  Lothiers 
ou  de  Basse-Lorraine.  Godefroyde  Bouillon,  filsd'Eus- 
tache  de  Boulogne  et  héritier  de  Godefroy  le  Bossu,  duc  de 
Bouillon,  son  oncle,  pour  se  procurer  les  moyens  de  partir 
à  la  croisade,  vendit  son  domaine  en  1095  à  l'évêque  de 
Liège ,  qui  le  transmit  à  ses  successeurs  dans  le  même  siège. 
En  1482  Guillaume  de  La  Marck,  connu  dans  l'histoire 
sous  le  nom  de  sanglier  des  Ardennes ,  s'empara  du  pays 
de  Bouillon ,  et  en  investit  son  frère  Robert. 

Le  fils  de  celui-ci ,  nommé  également  Robert,  soutint  la 
lutte  que  son  père  avait  entreprise  contre  l'évêque  de  Liège, 
pour  conserver  ce  que  la  conquête  lui  avait  donné ,  et  de- 
vint par  la  médiation  du  roi  de  France  véritablement  sei- 
gneur de  ce  pays ,  considéré  dès  lors  comme  une  souverai- 
neté, sur  laquelle  toutefois  l'Autriche  prétemht,  à  diverses 
reprises,  avoir  les  droits  régaliens.  Ce  Robert,  célèbre, 
comme  son  oncle,  par  ses  déprédations,  surnommé,  comme 
lui,  le  grand  sanglier  des  Ardennes,  servit  la  France,  et 
contribua  par  sa  valeur  indisciplinée  à  la  perte  de  la  bataille 
de  iS'ovarre.  C'est  lui  qui ,  selon  Brantôme,  faisant  peindre 
sa  patrone,  sainte  Marguerite,  sur  une  bannière,  lui  avait 
mis  aux  mains  deux  cierges ,  dont  l'un  était  voué  à  la  sainte 
et  l'autre  à  monsieur  le  diable,  avec  cette  légende  impie  : 
Si  Dieu  ne  nie  veut  aider,  Satan  ne  me  saurait  manquer. 

RoDEKT  m,  fils  du  précédent,  fut,  comme  ses  prédécesseurs, 
un  fidèle  serviteur  de  la  France.  Il  fut  pris  à  la  bataille  de 
ravie  ,  avec  François  l",  qui  récompensa  plus  tard  ses  ex- 
ploits par  le  bâton  de  maréchal.  Il  est  plus  ordinairement 
connu  dans  nos  annales'sous  le  nom  de  maréchal  de  Fleu- 
ranges ,  et  il  a  laissé  d'assez  curieux  mémoires. 

Robert  IV,  son  fils,  s'attacha  également  au  service  de  nos 
rois.  Henri  II  le  créa  maréchal  de  France,  et,  ayant  conquis 
la  seigneurie  de  Bouillon,  qui  était  retombée  au  pouvoir  de 


l'évêque  de  Liège,  il  la  lui  conféra  avec  le  titre  de  duc.  Ce 
prince  fut  par  conséquent  le  premier  duc  de  Bouillon.  Pris 
par  les  Espagnols,  en  1552,  au  siège  d'Hesdin  ,  il  mourut 
empoisonné,  dit-on,  quatre  ans  après,  alors  que,  délivré 
sur  parole,  il  s'occupait  à  se  procurer  la  somme  de  60,000 
écus  à  laquelle  avait  été  fixée  sa  rançon. 

Ses  descendants  Henri-Robert  et  Guillaume-Robert, 
conservèrent  ce  titre,  quoique  momentanément  privés  par 
diverses  vicissitudes  de  la  possession  du  duché.  Guillaume- 
Robert  en  mourant  légua  à  Charlotte  de  La  Marck,  sa  sœur, 
tous  ses  droits  sur  la  seigneurie  de  Bouillon;  et  Charlotte 
étant  morte  sans  enfants,  en  1594,  en  elle  s'éteignit  la  pre- 
mière maison  de  Bouillon. 

La  seconde  a  pour  tige  Henri  de  La  Tour  d'AuvERCNE , 
vicomte  deTurenne,  héritier  d'une  maison  déjà  célèbre,  et 
époux  de  Charlotte  de  La  Marck ,  qui  lui  laissa  par  tes- 
tament ses  possessions.  Attaché  depuis  l'année  1575  au  parti 
calviniste  et  à  la  cause  du  roi  de  Navarre ,  il  devait  ce  riche 
mariage  à  l'intervention  de  Henri  IV,  quilui  conféra,  en  1592, 
le  bâton  de  maréchal.  Sa  reconnaissance  ne  répondit  pour- 
tant pas  à  tant  de  faveurs.  Depuis  la  conversion  du  roi ,  le 
maréchal  de  Bouillon  se  regardait  comme  le  chef  des  ré- 
formés. Il  s'engagea  en  1602  dans  la  conspiration  de  Biron, 
et  se  tint  prêt  à  marcher  à  la  tête  de  ses  anciens  compa- 
gnons d'armes.  Pendant  le  procès  de  Biron  et  après  son 
supplice,  le  roi  invita  le  maréchal  de  Bouillon  à  se  rendre 
à  la  cour ,  lui  promettant  son  pardon ,  pourvu  qu'il  avouât 
ses  torts.  Le  duc  crut  qu'il  était  plus  sur  de  partir  pour  le 
Languedoc,  puis  pour  Genève,  et  enfin  il  se  retira  chez  son 
beau-frère,  l'électeur  palatin.  En  1606  Henri  IV  résolut  enfin 
de  le  punir  ou  de  le  forcer  à  s'humilier  ;  il  voulut  surtout  lui 
enlever  la  forteresse  de  Sedan.  Cette  résolution  sérieuse- 
ment manifestée  suffit  pour  déterminer  Bouillon  à  entrer  en 
composition.  Le  6  avril  il  eut  une  conférence  amicale  avec 
Henri,  et  lui  remit,  en  gage  de  soumission,  la  garde  de  Sedan 
pour  quatre  années. 

Après  la  fin  tragique  de  ce  prince,  son  ambition  et  son 
humeur  inquiète  donnèrent  tour  à  tour  de  l'ombrage  à  la  ré- 
gente et  aux  réformés;  car,  dans  l'espoir  d'être  appelé  au 
ministère,  il  flotta  longtemps  entre  les  deux  partis.  Après 
avoir  été  le  confident  du  maréchal  d'Ancre,  il  se  déclara 
contre  lui,  et  devint  l'âme  de  toutes  les  intrigues  de  Condé  et 
des  princes.  Ses  espérances  ne  s'étant  pas  réalisées  après  l'as- 
sassinat de  Coucini ,  il  se  tourna  du  côté  de  la  reine  mère , 
retirée  à  Blois,  déclarant  que  la  Cour  était  toujours  la 
même  auberge ,  qu'elle  n'avait  fait  que  changer  de  bou- 
chon. Ce  fut  d'après  ses  conseils  que  Marie  de  Médicis  se 
détermina  à  suivre  d'Épernon  à  Angoulème.  Ses  menées 
continuelles  inquiétèrent  gravement  de  Luynes,  le  nouveau 
favori;  enfin,  il  mourut  à  Sedan,  le  25  mars  1623.  D'Élisa 
beth  de  Nassau,  qu'il  avait  épousée  en  secondes  noces,  il 
eut  plusieurs  enfants,  et  dans  le  nombre  Frédéric-Maurice, 
qui  lui  succéda,  et  l'illustre  Tu  renne. 

Frédéric-Maurice  fit  avec  distinction  la  guerre  des  Pays- 
Bas,  sous  les  princes  d'Orange,  ses  oncles  maternels ,  passa 
ensuite  au  service  de  la  France,  et  fut  fait  maréchal  de 
camp  ;  puis  il  commanda  en  1637  les  troupes  hollandaises  au 
siège  de  Breda.  Quatre  ans  plus  tard ,  partageant  la  haine  du 
comte  de  Soissons  contre  le  Cardinal  de  Richelieu,  il  dé- 
termina ce  prince  à  accepter  les  secours  de  l'Espagne  et  à 
commencer  la  guerre  civile.  Il  combattit  à  ses  côtés  à  La 
Marfée.  Bientôt  abandonné  des  Espagnols,  il  courut  se  ren- 
fermer dans  Sedan,  et  eut  l'adresse  quelque  temps  après  de 
conclure  avec  le  roi  une  paix  avantageuse.  En  1642  il  partit 
pour  l'armée  d'Italie  comme  lieutenant  général  ;  mais,  accusé 
d'avoir  favorisé  la  conspiration  de  C  inq  -Mars,  il  fut  arrêté 
à  Casai  et  conduit  à  Lyon.  Trouvant  dans  le  danger  que 
courait  son  mari  une  soudaine  résolution,  la  duchesse  de 
Bouillon  se  jeta  précipitamment  dans  Sedan,  qu'elle  menaça 
de  livrer  aux  Espagnols.  Cet  acte  de  courage  et  cette  com- 


r>'2-i 


BOUILLON  —  BOUILLOTTE 


plication  imprévue  firent  taire  la  liainedu  Cardinal  et  ouvrir 
la  prison  du  duc.  Toutefois,  il  dut  céder  au  roi  sa  princi- 
pauté de  Sedan  pour  prix  de  sa  liberté.  Il  se  convertit  au 
catlioiicisme  en  1G34,  suivant  quelques  historiens ,  en  1C44 
selon  M.  Villcnave;  il  se  rendit  à  Rome  à  cette  époque,  et  y 
commanda  les  troupes  pontilicales.  Il  ne  rentra  en  France 
qu'en  1649.  Ayant  inutilement  tenté  de  recouvrer  Sedan,  le 
mécontentement  le  jeta  dans  le  parti  de  la  Fronde,  oîi  son 
frère,  le  maréchal  de  Turenne  ,  était  déjà  engagé.  C'était 
l'homme  le  plus  habile  du  parti  des  princes,  mais  il  ne  son- 
geait guère  qu'à  reconquérir  Sedan,  et  sa  femme,  qui  avait 
un  grand  empire  sur  lui ,  était  toute  dévouée  à  l'Espagne. 
Cependant ,  n'ayant  pas  à  se  louer  de  Condé ,  il  se  décida 
en  1651  à  faire  sa  soumission  à  Mazarin.  Par  un  traité  d'é- 
change, on  lui  donna  les  comtés  d'Auvergne  ,  d'Évrenx,  et 
les  duchés-pairies  de  Château-Thierry  et  d'Albret,  avec  d'au- 
tres terres  considérables  en  dédommagement  de  Sedan  et  de 
Raucourt.  Tous  ses  droits  sur  le  duché  de  Bouillon,  en  partie 
occupé  par  les  Espagnols ,  en  partie  retenu  par  l'évêque  de 
Liège,  étaient  réservés  à  Frédéric-Maurice.  Il  mourut  l'année 
suivante,  laissant  des  mémoires  intéressants. 

Son  fils,  GoDiii-Kov-AlAuiiiCL^  se  signala  dans  les  grandes 
guerres  do  son  temps ,  et  rentra  en  possession  du  duché  de 
Bouillon,  que  Louis  XIV  conquit  en  1676,  et  qui  fut  défini- 
tivement concédé  à  cette  maison  par  les  traites  de  Riswick 
et  de  Nimègue.  11  finit  ses  jours  en  1721  ;  il  avait  été  revêtu 
de  la  charge  de  grand  chambellan.  En  1662  il  avait  épousé 
Marie-Anne  M  a  ncini,  nièce  du  cardinal  Mazarin,  qui  fut 
compromise  par  les  révélations  de  l'abbé  Le  Sage  dans  l'af- 
faire de  la  Voisin,  et  traduite  devant  la  courdespoisons. 

Emmanuei^Théodose  ,  cardinal  de  Bouillon,  frère  du  pré- 
cédent, naquit  en  1644.  Revêtu  de  la  pourpre  romaine  avant 
l'âge  de  vingt-six  ans ,  puis  nommé  grand  aumônier,  il  fut 
rapidement  pourvu  de  plusieurs  riches  abbayes.  La  haute 
faveur  dont  il  jouissait,  et  qui  n'était  qu'un  hommage  rendu 
par  Louis  XIV  aux  services  de  Turenne ,  alluma  sa  vanité 
et  son  orgueil.  Convoitant  pom:  un  de  ses  neveux  le  titre  de 
prince  dauphin  d'Auvergne ,  il  fit  avec  le  duc  d'Orléans  un 
marché  pour  l'acquisition  de  la  terre  du  Dauphiné  d'Au- 
vergne, marché  que  le  roi  refusa  de  ratifier.  Dans  son  dé- 
sappointement il  écrivit  une  lettre  injurieuse  pour  le  roi,  qui 
tomba  entre  les  mains  de  Louvois  et  lui  attira  la  colère  de 
Louis  XIV.  Le  crédit  du  grand  chambellan  réussit  à  grand' 
peine  à  la  calmer.  En  1694  il  tenta  vainement  de  se  faire 
«lire  prince-évêque  de  Liège.  L'appui  des  jésuites  lui  valut 
ensuite  l'ambassade  de  Rome;  mais  lors  des  débats  qui 
s'engagèrent  sur  le  jugement  du  livre'de  Fénelon ,  les  3faxi- 
vies  des  Saints ,  il  employa  tous  les  moyens  pour  en  pré- 
venir la  condamnation,  malgré  les  instructions  qu'il  avait 
reçues  de  France.  Cette  conduite  lui  valut  son  rappel,  avec 
injonction  de  se  rendre  à  Cluny  ou  à  Tournus,  dont  il  était 
abbé.  Mais  comme  il  aspirait  à  succéder  au  doyen  du  sacré 
collège,  dont  la  mort  était  attendue  à  chaque  instant,  il  s'cbs- 
tina  à  rester  à  Rome,  et  le  roi,  irrité,  lui  fit  donner  l'onire 
d'envoyer  sa  démission  de  sa  charge  de  grand-aumônier, 
d'en  quitter  le  cordon  bleu  et  d'enlever  les  armes  de  France 
de  dessus  son  palais.  Le  cardinal ,  devenu  doyen  du  sacré 
collège,  se  crut  tellement  grandi  qu'il  n'hésita  pas  à  com- 
xaencer  asec  le  roi  une  lutte  ouverte.  Ses  biens  furent  saisis; 
il  lui  fallut  obéir  et  se  rendre  à  Cluny,  où  s'accrurent  ses 
ennuis  et  ses  ressentiments,  malgré  la  levée  de  la  saisie. 
Enfin,  après  dix  ans  d'un  exil  auquel  il  ne  voyait  point  de 
terme,  le  cardinal  prit  une  résolution  désespérée,  sortit  de 
France,  et  se  rendit  à  Tournai,  auprès  du  prince  Eugène  et  de 
Marlborough,  qui  l'accueillirent  avec  distinction.  Le  parlement 
le  décréta  alors  de  prise  de  corps ,  et  le  séquestre  fut  mis  sur 
ises  abbayes.  Enfin,  après  avoir  longtemps  erré  à  l'étranger, 
aiprès  avoir  envoyé  à  Versailles  de  nombreux  mémoires  pour 
se  justifier,  il  obtint  la  restitution  de  ses  revenus  et  la  per- 
jgoig^ion.dc  se  retirer  à  Rome,  où  il  mourut  en  17)5. 


Trois  autres  ducs  de  Bouillon ,  issus  en  ligne  directe  de 
Godefroy-Maurice,  Emmanlel-Tiiéodose,  Cuarles-Godefroy 
et  GoDEFROV-CnARLEs-M.UîiE,  se  succédèrent  jusqu'au  mo- 
ment où  éclata  la  révolution;  à  cette  époque  le  duché 
souverain  de  Bouillon  disparut.  En  1S14  le  traité  de  Paris, 
en  comprenant  ce  pays  dans  le  royaume  des  Pays-Bas,  rendit 
à  un  certain  Philippe  d'Auvergne,  capitaine  dans  la  marine 
britannique,  le  titre  et  les  biens  que  lui  avait  légués  le  der- 
nier duc  de  Bouillon;  mais  le  congrès  de  Vienne  l'en  dé- 
pouilla en  1816,  et  une  partie  du  territoire  fut  donnée,  à  titre 
d'indemnité,  à  la  maison  de  Rohan-Montbazon,  qui  la  céda 
en  1822  au  roi  des  Pays-Bas  contre  une  rente  annuelle 
de  5,000  écus. 

BOUILLON  BLAJVC,  plante  du  genre  molène,  de 
la  famille  des  solanées ,  et  dont  le  nom  latin  est  verbascum 
thapsus.  Le  bouillon  blanc  a  la  tige  simple,  droite,  haute 
de  un  mètre  à  un  mètre  et  demi ,  garnie  de  grandes  feuilles 
alternes,  molles,  ovales ,  à  peine  crénelées ,  cotonneuses  aux 
deux  faces ,  un  peu  consistantes  à  la  base.  Les  fleurs  sont 
jaunes ,  presque  sessiles ,  réunies  par  petits  paquets  en  un 
épi  cylindrique  et  touffu.  Cette  plante  croît  en  abondance 
en  Europe ,  dans  tous  les  lieux  incultes ,  et  ses  fleurs  sont 
employées ,  surtout  en  infusion ,  dans  quelques  affections 
catarrhales.  Les  feuilles  sont  aassi  regardées  comme  émoi- 
lien  tes  et  adoucissantes. 

BOUILLON  NOIR.  Cette  plante,  qui,  comme  le 
bouillon  blanc,  appartient  au  genre  mo/è«e,  présente 
les  mêmes  caractères  généraux.  Le  bouillon  noir  (  ver- 
bascum nigrum,  Linné  )  se  reconnaît  à  ses  feuilles  ovales , 
crénelées,  d'un  vert  sombre,  et  à  ses  étamines,  dont  les 
filets  sont  chargés  d'une  sorte  de  laine  pourpre. 

BOUILLONNEMENT,  fermentation  d'une  liqueur, 
mouvement  qu'éprouvent  les  liquides  à  une  température 
plus  ou  moins  élevée,  et  qui  tient  à  ce  que  leur  transfor- 
mation partielle  en  vapeurs  déplace  leur  masse.  Le  bouil- 
lonnement dépend  principalement  de  la  pression  à  laquelle 
sont  soumis  les  liquides.  L'eau ,  qui  ne  bout  à  l'air  libre 
qu'à  100°,  entre  en  ébuUition  à  10°  et  même  à  0"  dans  le 
vide  ;  l'eau  saturée  d'acide  carbonique  bout  à  0°  pour  peu 
qu'on  diminue  la  pression  de  l'atmosphère. 

Le  verbe  bouillonner  exprime  l'action  de  sortir  avec  im- 
pétuosité :  les  eaux  minérales  bouillonnent  en  sortant  de 
leur  source.  On  dit  aussi  que  le  sang  bouillonne  dans  les 
veines.  Au  figuré  on  dit  de  même  bouillonner  de  colère, 
d'impatience ,  etc. 

BOUILLON  SAUVAGE ,  nom  vulgaire  de  la  phlo- 
mide  frutescente  (  plilomis  fruticosa,  Linné  ).  Cette 
plante,  de  la  famille  des  labiées,  se  rencontre  en  Orient  et 
dans  les  parties  méridionales  de  l'Europe.  Elle  forme  un 
arbuste  d'environ  un  mètre  de  haut,  à«Tameaux  nombreux, 
longs,  revêtus  de  poils  floconneux;  les  feuilles  sont  ovales 
ou  oblongues ,  arrondies  un  peu  en  coin  à  leur  base ,  ru- 
gueuses, vertes  en  dessus,  blanches  et  cotonneuses  en 
dessous;  ses  fleurs  sont  d'un  beau  jaune,  réunies  au 
nombre  de  quinze  ou  vingt  en  faux  verticilles  serrés ,  ac- 
compagnées de  bractées  nombreuses,  presque  vertes,  ciliées 
et  velues.  Celte  plante  fleurit  pendant  tout  l'été,  et  une 
partie  de  l'automne.  On  la  cultive  dans  nos  jardins;  mais  il 
faut  la  couvrir  pendant  l'hiver. 

BOUILLOTTE.  Ce  jeu ,  qui  sous  le  Directoire  vint 
prendre  la  place  du  brelan,  doit  être  regardé  plutôt 
comme  un  jeu  de  hasard  que  comme  un  jeu  de  société.  La 
bouillotte  se  joue  à  cinq  personnes ,  avec  un  jeu  de  piquet 
dont  on  ôte  les  sept,  ce  qui  réduit  à  vingt-huit  le  nombre 
des  cartes.  Celles-ci  conservent  les  valeurs  et  l'ordre  hiérar- 
cliique  qu'elles  ont  au  piquet. 

Les  places  fit  la  donne  sont  tirées  au  sort.  Chacun  ayant 
mis  son  enjeu,  le  premier  à  jouer  peut  se  carrer,  ce  qui 
consiste  à  déclarer  qu'on  met  autant  de  jetons  qu'il  y  çn  a, 
plus  une  mise.  Ce  pf/emier  peut  être  décarré  par  le  second, 


BOUILLOTTE 

qui  double  la  carre  tlu  premier ,  et  ainsi  de  suite  ;  le  dernier 
qui  décarre  son  voisin  reste  seul  carré.  La  carre  produit  cet 
effet ,  que  celui  qui  est  définitivement  carré  emporte  les 
enjeux ,  dans  le  cas  où  tous  les  joueurs  passent. 

Celui  qui  a  la  main  donne  ensuite  une  par  une ,  trois 
cartes  à  chacun  et  à  lui-même  ,  puis  il  en  retourne  ime  qui 
est  la  seizième.  Le  premier  à  la  droite  du  donneur  a  la 
parole,  à  moins  qu'il  ne  soit  carré,  cas  où  elle  passerait  au 
second.  Le  premier  à  parler  examine  son  jeu  :  s'il  ne  le 
trouve  pas  bon,  il  passe;  s'il  le  trouve  passable,  il  dit  qu'il 
verra  le  jeu  simplement ,  c'est-à-dire  sans  augmenter 
l'enjeu  ;  si  son  jeu  est  de  nature  à  lui  faire  espérer  un  succès 
complet ,  il  dit  qu'il  verra  le  jeu  avec  tant  de  jetons  en  sus , 
ce  qui  s'appelle  ouvrir  le  jeu.  Si  personne  ne  tient,  le 
contenu  de  la  corbeille  appartient  à  celui  qui  a  ouvert  le  jeu. 
Le  jeu  étant  ouvert,  celui  qui  a  parlé  le  premier  peut 
être  relancé  par  un  des  autres  joueurs,  c'est-à-dire  par  un 
joueur  qui  offre  de  jouer  plus  que  celui  qui  a  ouvert;  le  re- 
lanceur peut  être  relancé  à  son  tour  par  un  autre  qui  offre 
un  enjeu  plus  fort,  et  ainsi  de  suite,  jusqu'à  concurrence 
do  va-tout  (  somme  dont  on  s'est  cave,  c'est-à-dire  que 
l'on  a  placée  devant  soi  en  entrant  au  jeu  ).  Ceux  qui  ont 
passé  avant  que  le  jeu  soit  ouvert  peuvent  malgré  cela  tenir 
ce  qui  est  proposé  et  même  relancer. 

Si  la  somme  proposée  par  le  dernier  relanceur  n'est  pas 
tenue ,  le  contenu  de  la  corbeille  lui  appartient ,  et  le  dernier 
relancé  lui  donne  en  outre  autant  de  jetons  qu'il  y  en  a 
eu  au  jeu. 

S'il  y  a  un  ou  plusieurs  tenants ,  tous  les  joueurs  abattent 
leur  jeu.  Le  tenant  qui  a  un  as  prend  dans  les  cartes  abattues, 
celles  qui  sont  de  la  couleur  de  son  as;  à  défaut  de  l'as, 
c'est  le  roi  qui  appelle,  et  ainsi  de  suite.  Chacun  compte 
le  point  ainsi  obtenu ,  et  celui  qui  a  le  plus  fort  gagne.  En 
cas  d'égalité ,  le  premier  en  cartes  l'emporte. 

Cependant  le  brelan  l'emporte  encore  sur  le  plus  haut 
l>oint.  On  nomme  brelan  trois  cartes  semblables,  comme 
trois  as,  trois  rois,  etc.  Le  brelan  d'as  est  le  plus  fort;  celui 
de  rois  vient  après ,  et  ainsi  de  suite.  Le  joueur  qui  a 
brelan,  ou  s'il  y  en  a  plusieurs,  celui  qui  a  le  plus  fort, 
reçoit  deux  mises  de  chaque  joueur  en  sus  du  contenu 
de  la  corbeille.  Enfin ,  lorsque  l'on  a  brelan  de  la  carte 
qui  retourne,  cela  s'appelle  avoir  brelan  carré,  et  ce 
brelan  l'emporte  sur  tous  les  autres.  Le  joueur  qui  a  brelan 
carré  reçoit  outre  le  contenu  de  la  corbeille  quatre  mises 
de  chacun  des  autres  joueurs. 

BOUILLY  (  Jean-Nicolas  ),  était  né  en  1763,  à  La 
Coudraye  (  Indre-et-Loire  ).  Élevé  au  collège  de  Tours ,  il 
vint  à  Paris,  dans  un  moment  où  les  gens  de  lettres  occu- 
paient encore  une  place  importante  dans  la  société.  Quel- 
ques-uns de  ses  jeunes  amis  tenaient  au  parti  royaliste.  Il 
manifestales  mêmes  sentiments  dans  le  premier  ouvrage  qu'il 
donna  aux  Italiens  (Opéra-Comique)  ,1e  13  septembre  1790, 
Pierre  le  Grand,  comédie  en  quatre  actes  et  en  prose,  mêlée 
d'ariettes,  musique  de  Grétry,  pièce  à  la  fin  de  laquelle  il 
mit  un  couplet  renfermant  une  allusion  en  faveur  de  la 
reine,  allusion  que  le  public  saisit  avec  enthousiasme.  Ce  fut 
le  dernier  témoignage  d'affection  publique  que  reçut  cette 
malheureuse  femme.  Touchée  de  cet  hommage  spontané, 
elle  envoya  à  son  auteur  une  tabatière  ornée  de  son  por- 
trait et  de  celui  du  roi.  Quelques  années  après,  Bouilly  crut 
devoir  en  faire  le  sacrifice  à  la  société  des  jacobins  de  Tours. 
Toute  la  vie  dramatique  de  Bouilly  fut  comme  la  suite 
de  Pierre  le  Grand.  Son  début  théâtral  avait  été  la  mise 
en  scène  d'un  personnage  illustre,  et,  à  fort  peu  d'excep- 
tions près,  son  volumineux  théâtre  a  été  consacré  à  la  re- 
présentation des  hommes  et  dos  femmes  célèbres,  à  divers 
titres,  de  toutes  les  époques.  Également,  dans  sa  vie  pu- 
blique, Bouilly,  qui  avait  été  et  avait  cessé  d'être  royaliste, 
montra  les  mêmes  (luctuations  au  milieu  de  tontes  les  cir- 
constances politiques  qu'il  eut  subséqueinment  à  traverser; 


—  BOUILLY  525 

il  adressait  ses  ouvrages,  selon  les  temps,  soit  à  l'impéra- 
trice, soit  à  la  duchesse  de  Bcrry,  soit  à  la  duchesse  d'Or- 
léans. Reçu  avocat,  il  s'était  lié  avec  Mirabeau  et  Bar- 
nave.  Malgré  le  succès  de  son  premier  ouvrage,  il  n'em- 
brassa pas  encore  exclusivement  la  carrière  des  lettres.  Il 
occupa  d'abord  dans  sa  province  diverses  places  adminis- 
tratives et  judiciaires.  Rappelé  à  Paris  après  le  9  thermidor,, 
il  fit  partie  de  la  commission  d'instruction  publique  avec: 
Arnault,  Parny,  La  Chabaussière,  et  contribua  à  la  réor- 
ganisation des  écoles  primaires. 

Lancé  pourtant  dans  la  voie  de  la  biographie  dramatique, 
il  ne  s'arrêta  plus.  En  179111  fit  représenter  au  Théâtre-Ita- 
lien, Jean-Jacqiœs  Rousseau  à  ses  derniers  moments, 
comédie  en  deux  actes  et  en  prose  ;  et  successivement,  pen- 
dant un  espace  de  vingt  années  environ ,  on  vit  jouer  d& 
lui  au  Théâtre  de  la  République  ou  Théâtre-Français  :  Ren& 
Descartes,  en  deux  actes  et  en  prose  (  1796)  ;  V abbé  de  l'É- 
pée,  en  cinq  actes  et  en  prose  (  1800)  ;  Madame  de  Sévigné, 
en  trois  actes  et  en  prose  (1805);  au  théâtre  de  l'Opéra- 
Comique,  Favart  ou  Feydeau  :  Le  Jeune  Henri,  en  deux 
actes,  musique  de  MéhuI,  et  dont  il  n'est  resté  que  l'ouver- 
ture, chef-d'œuvre  symphonique;  Les  deux  Journées,  en 
trois  actes,  musique  de  Cherubini  (1800);  Françoise  de 
Foix,  en  trois  actes,  avec  Dupaty,  musique  de  Berton  (1809)  ; 
Valentine  de  Milan,  en  trois  actes,  musique  de  Méhul;  au 
théâtre  du  Vaudeville  :  Téniers  (  1800  ) ,  Berquin  (  1801  ) , 
Florian,  Fanchon  la  Vielleuse, en  sociétéavec  Pain  (1803)  ; 
au  théâtre  de  la  Cité ,  avec  Cuvelier  :  La  Mort  de  Turenne; 
Les  Irlandais  Unis  (  1793  ). 

Outre  ce  répertoire  biographique,  probablement  incom- 
plet, Bouilly  est  auteur  de  quelques  autres  ouvrages,  qui 
n'ont  point  pour  sujet  des  personnes  célèbres,  savoir  :  au 
théâtre  de  l'Opéra-Comique  :  la  Famille  Américaine,  en 
un  acte,  musique  de  Dalayrac  (1796);  Léonore,  oîi  l'A- 
mour Conjugal,  en  doux  actes,  musique  de  Gaveaux  (1798)  ; 
Zoé,  ou  la  Pauvre  l'ctile,  en  un  acte,  musique  de  Planlade 
(1800)  ;  Une  Folie,  en  deux  actes,  musique  de  Méhul  (1802); 
au  théâtre  du  Vaude\ille  :  Haine  aux  Femmes,  en  deux 
actes  (  1 808  )  ;  Le  petit  Courrier,  ou  Comment  les  Femmes 
se  vengent,  en  deux  actes,  avec  Moreau  (  1809  ). 

Ce  bagage  littéraire,  quelque  considérable  qu'il  soit, 
n'est  pas  le  seul  dont  Bouilly  se  soit  enorgueilli  ;  il  a  com- 
posé en  outre  un  grand  nombre  d'ou\Tages,  chacun  en  plu- 
sieurs volumes,  sous  les  titres  de  :  Contes  à  ma  Fille ,  Les 
Jeunes  Femmes,  les  Encouragements  de  la  Jeunesse, 
Les  Mères  de  Famille,  Contes  offerts  aux  Enfants  de 
France,  Portefeuille  de  la  Jeunesse,  Contes  populaires. 
Conseils  à  ma  fille,  Contes  à  mes  Petits-Enfants,  les 
Adieux  du  Vieux  Conteur,  etc.,  etc.  Certes,  ce  n'est  point 
la  stérilité  qu'il  serait  possible  de  lui  reprocher;  car  il  y  a 
peu  d'existences  d'hommes  de  lettres  qui  aient  été  plus  la- 
borieuses, plus  remplies  que  la  sienne,  et  presque  tous  ses 
ouvrages  obtinrent  à  leur  apparition  un  grand  succès. 

On  a  peine  aujourd'hui  à  comprendre  ce  succès.  L'étude 
fait  découvrir,  il  est  vrai,  dans  ses  œuvres  une  certaine  ha- 
bileté de  combinaison,  un  mécanisme  de  dispositions  scé- 
niques,  par  lequel  les  effets  et  les  surprises  sont  à  propos 
ménagés;  mais  celaient  ou  ce  mérite  est  le  résultat  de  l'ha- 
bitude du  travail  ;  qu'en  reste-t-il  à  la  lecture?...  Rien.  Et 
ce  qui  résulte  de  cette  lecture,  c'est  le  vide  du  cœur  et  de 
l'esprit.  Les  actions  elle  langage  des  personnages  de  Bouilly 
ne  présentent  que  faux  caractères,  sentiments  niais,  ou  fardés,^ 
spiritualités  prétentieuses,  manières  et  expressions  de  mau- 
vaise compagnie;  en  un  mot,  tout  l'attirail,  tout  l'entourage, 
toute  l'enluminure  du  faux  bel-esprit.  Nous  n'en  voulons- 
d'autre  preuve  que  ce  quatrain  sur  Buffon  : 

Entre  le  clicnc  et  l'églantier,    , 
BulTon  ,  cac'lié  sur  la  verdure  , 
Écrivit  son  ouvrage  entier 
Sur  les  genoux  de  la  Nature, 


i20 


BOUILLY  —  BOUKAREST 


Les  contes  et  historiettes  de  Bouilly,  dédiés  à  tous  les 
pouvoirs  qui  se  sont  snccédé  en  France,  ont  moins  profité 
à  sa  réputation  qu'à  sa  fortune.  Ils  renferment  certainement 
une  morale  pure,  et  offrent  parfois  des  tableaux  touchants  ; 
mais  l'afféterie  du  style  et  la  recherche  systématique  des  ef- 
fets y  sont  poussés  plus  loin  encore  peut-être  que  dans  ses 
œuvres  dramatiques.  Très-inférieur  à  Berquin  sous  tous  les 
rapports,  Bouilly  avait  été  qualifié  par  ses  contemporains  de 
Conteur  lacrymal:  la  postérité  aurait  ratifié  ce  jugement, 
si  ses  historiettes  n'étaient  déjà  oubliées.  Bouilly,  qui  était 
membre  de  presque  toutes  les  sociétés  littéraires  et  acadé- 
mies de  province,  ne  fut  point  de  l'Institut.  Ami  intime  de 
Legouvé,  celui-ci  lui  confia  en  mourant  la  tutelle  de  son 
fils  unique. 

Bouilly  est  mort  à  Paris,  en  1840. 11  avait  publié  quelques 
années  auparavant,  en  3  vol.,  sous  le  titre  de  Mes  Récapi- 
tulations, des  mémoires  et  souvenirs  de  sa  vie  littéraire  pen- 
dant soixante  ans.  A.  Delaforest. 
BOUÏOUK-DÉREH.  Voyez  Bouvouk-Déreh. 
BOUKAREST  ou  BUCHARILST,  c'est-à-dire  la  Ville 
de  la  joie,  capitale  de  la  Valachie,  siège  de  l'hospodar  et 
d'un  archevêque  grec,  est  située  sur  la  Dumbovitzan  ,  qui  la 
divise  en  deux  parties,  à  huit  myriamètres  de  l'embouchure 
de  cette  petite  rivière  dans  le  Danube  C'est  une  ville  moderne, 
quin'ofireaucun  vestige  d'antiquités.  Une  chronique  valaque 
en  attribue  la  fondation,  vers  le  commencement  du  treizième 
siècle,  à  Rodolphe  le  Noir,  le  plus  ancien  souverain  du  pays. 
Mais  ce  ne  fut  qu'en  1698  que  le  voïvode  Constantin  Bes- 
saraha  y  transféra  sa  résidence  et  le  siège  du  gouvernement, 
abandonnant  l'ancienne  capitale,  Tergowitsch,  qui,  malgré 
l'avantage  d'une  situation  plus  centrale  et  plus  salubre, 
a  toujours  été  depuis  en  décadence,  et  n'est  plus  aujour- 
d'hui qu'un  village.  Boukarest  pourrait  aussi  passer  pour 
un  grand  village.  Elle  n'a  point  de  nmrailles. 

Bâtie  dans  un  bassin  de  plusieurs  lieues  de  tour,  et  sur 
un  sol  marécageux,  qui,  suivant  la  tradition,  était  autrefois 
un  lac,  elle  occupe  une  vaste  surface,  parce  que  ses  maisons 
sont  éparses ,  placées  sans  ordre  et  entourées  de  cours  et  de 
jardins.  On  compte  à  Boukarest  plus  de  cent  églises  grec- 
ques, en  y  comprenant  celles  d'une  trentaine  de  monastères  ; 
il  y  existe  aussi  deux  églises  catholiques,  un  temple  pour  les 
calvinistes  et  un  pour  les  luthériens.  Ce  mélange  de  maisons, 
d'arbres,  de  tours  et  de  dômes,  vu  d'une  certaine  distance, 
est  d'un  effet  pittoresque;  et  on  ne  peut  nier  qu'au  printemps 
cette  ville,  avec  son  atmosphère  embaumée  par  le  parfum 
d'une  multitude  de  (leurs ,  ne  soit  un  séjour  fort  agréable. 
Mais  on  est  bien  vite  désenchanté ,  lorsqu'on  l'habite  l'hiver 
ou  l'été.  L'humidité  du  sol  y  est  entretenue  par  les  fréquents 
débordements  de  la  rivière.  Ses  rues,  étroites  et  tortueuses, 
sont  constamment  couvertes  d'une  vase  profonde  et  liquide, 
ou  d'une  poussière  épaisse  et  noire ,  aussi  pernicieuse  pour 
les  yeux  que  pour  les  poumons.  Elles  sont  pavées  avec  de 
grosses  pièces  de  bois,  posées  en  travers  et  liées  les  unes 
aux  autres.  Ces  inadriers  ont  la  surface  unie  dans  quelques 
quartiers;  ailleurs,  ils  sont  à  peine  dégrossis.  Sous  ce  pavé, 
que  les  naturels  appellent  assez  rationnellement  des  ponts, 
on  a  pratiqué  des  canaux  qui  reçoivent  les  inunondices  des 
maisons  et  les  portent  à  la  rivière  :  mais,  comme  ils  sont 
sujets  à  s'engorger  par  l'accumulation  des  matières,  ils  pro- 
duisent des  exhalaisons  infectes,  qui  occasionnent  des  lièvres 
putrides  et  malignes,  et  rendent  plus  fimcstes  les  ravages 
des  épidémies.  Aussi  Boukarest  a-t-elle  beaucoup  souffert  de 
la  peste  en  1813  et  1814  et  du  choléra  eu  18:50. 

IJoukarest  est  la  ville  de  l'Orient  qui  pour  les  mœurs  et 
les  usages  ressemble  le  plus  à  celles  de  l'Europe,  et  diffère  le 
plus  des  autres  villes  de  la  Turquie.  On  est  frappé  de  la 
diversité  des  costumes,  et  surtout  de  la  quantité  de  voitures 
qu'on  y  rencontre;  il  est  peu  de  familles,  même  parmi  celles 
du  second  rang  |)our  la  noblesse  et  l'opulence  ,  qui  n'aient 
canosse.  Beaucoup  de  ces  équipages  ne  le  cèdent  en  rien 


pour  la  richesse  des  livrées  et  la  beauté  des  chevaux  à  ceux 
qu'on  peut  voir  dans  les  capitales  de  l'Europe.  On  trouve 
à  Boukarest  des  cafés  turcs  et  des  calés  européens,  des 
carrossiers,  des  tailleurs,  des  cordonniers,  des  magasins 
d'étoffes ,  de  quincaillerie  et  de  nouvautés  ,  tenus  à  l'euro- 
péenne. L'incendie  qui  consuma  la  plus  grande  partie  de 
cette  ville,  en  1802,  a  contribué  à  son  embellissement.  La 
plupart  des  édifices  qui  étaient  en  bois  ou  en  terre,  recré- 
pis de  plâtre  en  dedans  et  en  dehors,  et  couverts  de  bardeaux 
ou  de  chaume ,  furent  alors  reconstruits  en  briques  et  en 
pierres,  avec  des  toits  en  tuiles  ou  en  fiT.  Les  hôtels  de  plu- 
sieurs boyards  se  font  remarquer  par  l'élégante  originalité 
de  leur  arciiitecture  et  par  leur  magnificence  intérieure.  Ces 
maisons,  comme  celles  des  gens  du  peuple,  n'ontqu'un  étage, 
et  les  rez-de-chaussée  sont  ordinairement  occupés  par  des 
boutiques.  L'ancien  palais  des  hospodars  de  Valachie  n'a- 
vait rien  de  remarquable;  celui  que  le  prince  Alexandre 
Morousi  fit  bâtir,  en  1 804,  sur  une  hauteur,  à  l'une  des  extré- 
mités de  la  ville,  devint  la  proie  des  flammes  en  t8l3,  et 
n'est  plus  qu'im  monceau  de  ruines.  Les  hospodars  habitent 
depuis  lors  deux  vastes  hôtels  de  boyards  réunis  en  un  .seul. 
Boukarest,  divisée  en  soixante-dix  quartiers,  contient  qua- 
tre-vingt-dix-mille habitants. 

La  plupart  de  ses  nombreuses  églises  sont  petites,  ir- 
régulières et  si  sombres,  à  cause  de  leurs  fenêtres  étroites  et 
garnies  de  barreaux  de  fer,  qu'on  peut  à  peine  distinguer  les 
peintures  grossières  qui  les  décorent.  Plusieurs  ont  été  fon- 
dées par  des  princes  ou  de  riches  particuliers,  dont  on  y 
voit  les  tombeaux  en  marbre  et  les  portraits,  ainsi  que  ceux  de 
leurs  familles.  Toutes  les  sectes  du  christianisme  sont  tolé- 
rées à  Boukarest;  on  y  trouve  aussi  beaucoup  de  juifs;  les 
musulmans  seuls  y  sont  privés  de  l'exercice  public  de  leur 
religion.  Cette  ville,  où  existent  une  bibliothèque  publique 
et  deux  hô[)itaux ,  possédait  autrefois  un  collège ,  où  l'on 
a  compté  jusqu'à  trois  cents  élèves,  mais  fermé  aujourd'hui, 
parce  qu'en  1825  le  prince  Ghika  affecta  à  d'autres  objets  le 
revenu  des  fondations  à  l'aide  desquelles  on  l'avait  constitué. 
Dans  les  environs  on  remarque  un  château  de  plaisance  ap- 
pelé Golontina,  et  les  belles  ruines  du  couvent  de  Kotocemy. 

Le  commerce  de  Boukarest  consiste  en  vins,  grains,  suif, 
cuirs,  chanvre,  tabac,  etc.  L'Angleterre,  la  France  et  d'autres 
puissances  y  entretiennent  des  consuls. 

Cette  ville,  cédée  à  l'Autriche  en  17t8,  futrendue  aux  Turcs 
par  la  paix  de  Belgrade,  en  1739.  Souvent  prise  par  les 
Russes,  ils  l'ont  toujours  restituée  à  la  Porte-Othomane.  Le 
traité  de  paix  qui  y  fut  conclu  en  1812  (  t;oye;  l'article  sui- 
vant )  est  d  meure  célèbre  dans  les  annales  de  la  diplomatie. 

BOUKAREST  (Congrès  et  Traité  de).  Deux  congrès  ont 
eu  lieu  dans  cette  ville. 

Le  premier  s'ouvrit  en  octobre  1772,  sous  le  règne  de  Ca- 
therine II  en  Russie  et  de  Mustapha  III  à  Conslantinople.  _ 

Après  des  succès  divers,  les  deux  puissances  belligérantes  ■ 
se  virent  dans  la  nécessité  de  traiter.  La  révolution  que  le  ™ 
roi  de  Suède  Gustave  III  avait  faite  en  1772  au  profit  de  l'au- 
torité royale,  et  les  projets  que  ce  roi  manifestait  contre  la 
Norvège  annonçaient  à  Catherine  que  son  influence  sur  la 
cour  de  Stockholm  était  détruite;  et  la  crainte  d'une  guerre 
au  nord  de  ses  États  forçait  la  tsarine  de  suspendre  ses  dif- 
férends perpétuels  avec  la  Porte-Olhomane.  Le  grand  vizir 
Silikhdar  Mohammed-Pacha  allait  être  de  son  côté  aban- 
donné par  son  armée,  que  l'hiver  devait  disperser;  et  il  pro- 
fita des  nouvelles  dispositions  de  la  Russie  pour  obtenir  un 
armistice  de  son  général  Romanzof  Abdur-Rezzak-Effendi 
ouvrit  les  conférences  au  nom  de  la  Porte  avec  Obreskof, 
plénipotentiaire  de  la  tsarine.  Les  ministres  de  Prusse  et  d'Au- 
triche essayèrent  vainement  de  s'y  faire  admettre,  et  l'am- 
bassadeur (le  France  à  Conslantinople  employa  tout  son  cré- 
dit et  ses  efforts  pour  rompre  ce  congrès,  en  relevant  le  cou- 
rage des  Turcs  par  la  perspective  d'une  guerre  de  Finlande, 
et  par  l'assurance  de  la  diversion  d'une  escadre  française 


BOUKAREST 


627 


dans  le  Levant.  Par  suite  cLe  ces  intrigues ,  les  conférences 
n'eurent  aucun  résultat  ;  les  négociateurs  se  séparèrent  au  mois 
de  mars  1773,  et  les  hostilités  furent  immédiatement  re- 
prises, jusqu'à  la  paix  dite  de  Kaïnardji. 

Le  second  congrès  de  Boukarest  se  tint  en  1812,  sous  le 
règne  d'Alexandre  et  de  Mahmoud  IL 

Le  général  Sébastiani,  envoyé  de  Napoléon  à  Constan- 
tinopie,  avait  rétabli,  en  1806,  entre  la  Porte  et  le  cabinet  de 
Saint-Cloud  la  bonne  harmonie  qu'avait  troublée  depuis  neuf 
ans  l'invasion  de  l'Egypte  par  Bonaparte.  Le  sulthan ,  soumis 
à  cette  nouvelle  influence ,  ferma  le  Bosphore  aux  vaisseaux 
anglais,  et  refusa  de  renouveler  l'alliance  qu'il  avait  faite  en 
1799  avec  le  cabinet  de  Saint-James.  Il  retira  en  même  temps 
au  commerce  russe  le  droit  de  naviguer  sur  les  vaisseaux  mu- 
sulmans et  de  les  couvrir  de  son  pavillon.  Bientôt  le  divan 
destitua  les  hospodars  de  la  Moldavie  et  de  la  Valachie.  L'em- 
pereur Alexandre  protesta  contre  ces  mesures ,  qu'il  considé- 
rait comme  contraires  au  règlement  de  1802,  et  donna  l'ordre 
au  général  Michelson  d'enUer  en  Moldavie  avec  l'armée  du 
Dniester.  Sélira  voulut  arrêter  la  maiche  des  Russes  par  le  ré- 
tablissement des  hospodars  ;  mais ,  soumis  encore  à  l'ascen- 
dant du  ministre  de  France,  il  demanda  par  compensation 
que  le  tsar  renonçât  au  passage  de  ses  vaisseaux  armés  par 
les  Dardanelles.  Alexandre  ne  voulut  point  consentir  à  cette 
condition  humiliante;  mais  la  nécessité  où  il  était  de  secou- 
rir la  Pnisse  après  la  bataille  d'Iéna,  et  de  faire  face  à  l'invasion 
que  lui  faisait  craindre  la  défaite  de  son  allié ,  lui  laissait  peu 
de  moyens  de  soutenir  la  guerre  contre  les  Turcs ,  et  le  che- 
valier Italinski ,  ministre  de  Russie  à  Constantinople ,  eut 
ordre  de  négocier  le  rétablissement  des  anciennes  conven- 
tions et  de  ruiner  l'influence  du  ministre  français.  Italinski , 
pressé  par  le  divan  de  justitier  l'invasion  de  la  Valachie  par 
le  corps  de  Michelson,  protesta  qu'il  en  ignorait  les  motifs. 
Le  ministre  anglais  Arbuthnot  tint  le  même  langage.  Mais 
l'armée  de  Michelson  n'en  poursuivait  pas  moins  ses  avanta- 
ges, et,  après  avoir  mis  les  Turcs  en  déroute,  le  23  décem- 
bre, au  combat  de  Grodno,  était  entrée  le  27  à  Boukarest. 

La  marche  de  Czerni-Georges,  sur  Belgrade,  et  bien- 
tôt après  la  prise  de  cette  place ,  coïncidant  avec  la  prise  de 
Boukarest  (31  janvier  1807  )  par  le  corps  russe,  justifia  aux 
yeux  du  divan  l'assertion  de  l'ambassadeur  français,  qui  ac- 
cusait la  Russie  et  l'Angleterre  de  fomenter  les  troubles  de 
\5ervie.  En  conséquence  la  Porte  déclara  la  guerre  à  la  Rus- 
sie par  son  manifeste  du  7  janvier  1807,  où  elle  étala  tous 
les  griefs  qu'elle  avait  depuis  un  siècle  contre  le  cabinet 
de  Saint-Pétersbourg.  Italinski  fut  forcé  de  quitter  Constan- 
tinople. Arbuthnot  essaya  de  soutenir  l'allié  de  l'Angleterre 
en  rejetant  sur  Napoléon  cette  levée  de  boucliers.  Mais  le 
général  Sébastiani  triompha  de  ce  nouveau  rival ,  et  le  força 
de  quitter  à  son  tour  la  capitale  de  Sélim.  L'amiral  anglais 
Duckworth  força  bientôt  les  Dardanelles,  brûla  près  de 
Gallipoli  une  escadre  ottomane,  et  jeta  l'ancre  devant  Cons- 
tantinople, le  20  février,  menaçant  de  venger  sur  cette  ville 
l'insulte  faite  à  l'ambassadeur  d'Angleterre.  Le  général  Sébas- 
tiani s'empressa  de  calmer  les  terreurs  du  Divan.  Dix  offi- 
ciers français,  arrivés  de  la  Dalmatie,  élevèrent  sur  la  plage 
des  batteries  formidables.  Cent  mille  Turcs  prirent  les  armes, 
et  Sélim  III  opposa  des  réponses  énergiques  aux  prétentions 
de  l'amiral  Duckworth  ,  qui  avait  perdu  le  temps  en  vaines 
négociations  et  laissé  à  son  ennemi  tout  le  loisir  nécessaire  à 
cet  armement.  Il  proposa  délai  sur  délai ,  rabattit  successi- 
vement de  ses  prétentions,  toujours  repoussées,  et,  après 
avoir  dix  fois  menacé  Constantinople  d'un  bombardement, 
il  finit  par  lever  l'ancre  le  l*^*^  mars,  et  par  repasser  les  Dar- 
danelles sans  avoir  effectué  ses  menaces.  Duckworth  se  ven- 
gea surl'Égyptede  cette  humiliante  retraite.  Il  s'empara  d'A- 
lexandrie ;  mais,  repoussé  deux  fois  devant  Rosette,  et  voyant 
son  infanterie  pressée  par  le  pacha  Mohammed-Ali,  il  fut 
forcé  d'abandonner  sa  conquête. 
Les  Russes  furent  plus  lieureux.  Le  comte  Goudovitch 


battit,  le  18  juin,  le  seraskier  d'Erzeroum,  sur  la  rivière 
d'Aipatschaï,  vers  les  frontières  de  la  Perse,  et  l'amiral  Si- 
niavin  détruisit  le  1^"^  juillet  la  flotte  ottomane  dans  les  pa- 
rages de  Lemnos.  La  guerre  du  Danube  était  moins  active. 
L'empereur  Alexandre  avait  besoin  de  toutes  ses  forces  pour 
lutter  contre  Napoléon;  et  cdui-ci  n'oublia  point  son  allié  de 
Constantinople  dans  le  traité  de  Tilsitt.  L'évacuation  de  la 
Moldavie  et  de  la  Valachie  par  les  Russes  y  fut  stipulée  ; 
l'adjudant-général  Guilleminot  se  rendit  au  camp  des  Turcs 
pour  négocier  un  armistice,  qui  fut  signé  au  château  de 
Slobosia,  le  24  août  1807.  Mais  la  paix  qui  devait  en  ré- 
sulter fut  retardée  par  les  intrigues  de  l'Angleterre.  Musta- 
pha IV  ayant  succédé  à  Sélim  III ,  l'ambassadeur  anglais 
Robert  Adair  fit  entendre  au  divan  que  Napoléon  étant  de- 
venu l'allié  de  l'éternel  ennemi  de  l'empire  othoman ,  la 
Porte  devait  se  méfier  de  la  France  ;  et  l'or  de  la  Grande- 
Bretagne  acheva  cette  révolution  diplomatique.  Lés  anciens 
traités  furent  renouvelés  entre  le  divan  et  le  cabinet  de 
Saint-James;  et  l'entrevue  d'Erfurt  confirma  dans  l'esprit 
des  Turcs  toutes  les  préventions  que  le  ministre  anglais 
leur  avait  suggérées. 

Napoléon  ayant  effectivement,  par  une  faute  inconce- 
vable ,  permis  à  son  ami  Alexandre  de  s'emparer  des  pro- 
vinces du  Danube,  le  ministre  russe  à  Jassy  demanda  aux 
Turcs  la  cession  de  la  Moldavie  et  de  la  Valachie  ainsi 
que  l'expulsion  de  Robert  Adair.  C'était  déclarer  la 
guerre.  Le  divan  ne  voulut  point  accepter  ces  préliminaires 
étranges;  et  l'armée  russe  occupa  de  nouveau  ces  pro- 
vinces sous  le  commandement  du  prince  Prozorovsky. 
Le  8  août  1809  celte  armée  passa  le  Danube.  Ce  général 
étant  mort  pendant  la  campagne,  Bagration  prit  sa  place, 
s'empara  d'ismaïl  le  26  septembre,  et  livra  le  3  novembre 
la  bataille  sanglante  de  Silistrie ,  où  les  deux  partis 
s'attribuèrent  la  victoire.  Kamenskoï 11  succéda,  en  1810, 
à  Bagration ,  et  pénétra  dans  la  Bulgarie.  Charkoff  et  Ka- 
menskoï r*^  battirent  à  Basardjik,  le  15  juin,  le  seraskier 
Peliglvvan-Pacha.  Le  comte  de  Langeron  s'empara  le  23  de 
Silistrie  après  un  siège  de  sept  jours.  Sabanaïef  défit  le  25 
le  pacha  Terour-Mohammed  sur  les  hauteurs  de  Rasgard, 
prit  l'hospodar  Callimachi ,  et  s'empara  peu  de  temps  après 
de  cette  place.  Kamenskoï  II  fut  cependant  repoussé  par  le 
grand  vizir  dans  l'attaque  des  forts  retranchements  de 
Schumla,  après  une  bataille  de  deux  jours,  où  les  Russes 
firent  de  grandes  pertes,  et  la  fortune  parut  rentrer  sous 
les  drapeaux  de  Mahomet.  Mais  Kamenskoï  II  raUia  ses 
principales  forces.  Il  gagna,  le  19  septembre,  la  bataille  de 
Bat  y  ne,  et  força  Moukhtar  de  chercher  un  refuge  auprès 
du  grand  vizir,  avec  le  faible  reste  de  ses  troupes.  Les 
Russes  s'emparèrent  de  Szistowa,  de  Gladowa,  de  Rout- 
chouck ,  de  Giurgewo ,  et  restèrent  maîtres  de  toute  la  rive 
droite  du  Danube.  Les  secours  qu'ils  purent  diriger  alors 
sur  la  Servie  assurèrent  partout  le  triomphe  des  insurgés. 
Le  vieux  Joussouf-Pacha,  qui  avait  contemplé  tous  ces 
désastres  de  son  camp  retranché  de  Schumla,  ne  songea 
plus  qu'à  négocier.  Mais  les  prétentions  de  la  Rossie  ré- 
voltèrent le  divan.  Joussouf  fut  déposé;  le  nouveau  grand 
vizir,  Ahmed-Pacha,  amena  un  renfort  de  50,000  hommes, 
et  prit  le  12  avril  ISll  le  commandement  de  l'armée  turque. 

Une  diversion  puissante  s'opérait  en  sa  faveur  dans  le 
nord  de  l'Europe.  Napoléon  avait  à  peu  près  rompu  avec 
Alexandre.  Il  rassemblait  son  armée  sur  la  frontière  de  la 
Pologne  ;  et  le  tsar  avait  rappelé  à  la  hâte  une  grande  partie 
des  divisions  qui  combattaient  sur  le  Danube.  Les  effets  de 
cette  rupture  s'étaient  fait  sentir  dans  le  divan ,  où  l'influence 
du  cabinet  de  Saint-Cloud  reprenait  son  activité,  et  des 
officiers  français  dirigeaient  l'artillerie  musulmane.  Les 
Russes  avaient  i)crdu  leur  général  Kamenskoï  II,  et  Kou- 
touzof  en  avait  pris  le  commandement.  Trop  faible  dé- 
sormais pour  lutter  contre  un  ennemi  renforcé,  il  détruisit 
toutes  les  places  de  la  rive  droite  du  Danube,  à  l'exceptiou 


528 


BOUKAREST  —  BOUKHARIE 


<te  Roulchouck;  il  y  concentra  ses  forces,  et  résolut  d'y 
attendre  Almied-Paclia.  Ce  nouveau  vizir  vint  l'attaquer 
le  16  juillet,  et  il  aurait  détruit  l'armée  russe  si  Langeron 
ne  l'eût  sauvée  par  une  habile  manœuvre.  Alimcd  jeta  de 
lorts  partis  dans  la  Yalacliie,  et  passa  bientôt  lui-même  sur 
la  rive  gauche  avec  le  gros  de  ses  troupes.  Mais  le  général 
russe  Markof,  repassant  i)lus  bas  sur  la  rive  droite,  le  16 
octobre,  fondit  sur  le  cani])  et  sur  les  réserves  des  Turcs, 
les  mit  dans  une  complète  déroute  et  coupa  la  retraite 
au  grand  vizir.  Celui-ci,  forcé  de  courir  à  ce  nouveau 
danger ,  laissa  son  avant-garde  avec  Tchaban-Oglou  sur  la 
rive  gauche  ,  et  vint  au  secours  de  ses  réserves.  Koiitouzof 
l'apprit,  et  résolut  de  profiter  de  son  éloignement.  Il  cerna 
Tchaban-Oglou ,  et  le  força  de  capituler  le  20  décembre. 

Ce  fut  là  le  terme  des  succès  de  l'armée  othomane  :  une 
prompte  paix  fut  son  unique  ressource,  et  un  congrès 
s'ouvrit  à  Boukarest  dans  le  même  mois.  En  vain  Napoléon 
essaya-t-il  de  traverser  les  négociations  en  concluant  avec 
l'Autriche  une  alliance  dont  une  des  conditions  principales 
assurait  l'intégrité  de  l'empire  de  Turquie;  en  vain  s'eflorça- 
t-il  de  ranimer  le  courage  des  Turcs.  La  médiation  de  la 
Suède  et  de  l'Angleterre ,  l'insouciance  perfide  de  l'Autriclie, 
l'attitude  de  Koutouzof  et  la  modération  d'Alexandre  rem- 
portèrent sur  la  diplomatie  française  ;  le  traité  de  Boukarest 
fut  signé  le  28  mai  1812.  Par  l'article  2  de  cette  paix,  le 
Pruth  jusqu'à  son  embouchure  dans  le  Danube,  et  le  Da- 
nube jusqu'à  la  mer  Noire  furent  assignés  conmie  les  li- 
mites des  deux  empires.  Le  tiers  de  la  Moldavie  et  toute  la 
Bessarabie,  les  forteresses  de  Khoczim,  de  Bender,  d'Ls- 
maïl  et  de  Kilia  furent  ainsi  données  à  la  Russie,  et  la  navi- 
gation du  fleuve  devint  commune  aux  deux  peuples ,  ainsi 
que  la  faculté  de  couper  du  bois  dans  ses  îles.  Les  stipula- 
tions de  l'article  4  de  la  paix  de  Jassy  furent  confirmées. 
L'article  6  rétablit  en  Asie  les  frontières  qui  existaient  avant 
la  guerre.  L'article  8  rendit  à  la  Porte  la  souveraineté  de 
la  Servie  sous  la  condition  d'une  amnistie  générale  et  d'une 
administration  nationale,  telle  que  le  sulthan  l'avait  offerte 
en  1807,  moyennant  un  simple  tribut  annuel.  L'article  12 
confirma  les  précédents  traités  dans  ce  qui  regardait  le 
commerce;  et  l'article  13  promit  à  la  Russie  la  médiation 
de  la  Porte  pour  terminer  ses  différends  avec  la  Perse. 

Cette  paix  fut  fatale  à  l'armée  française  dans  sa  dé- 
sastreuse retraite.  L'armée  russe  du  Danube  put  remonter 
vers  le  nord.;  elle  vint  porter  le  dernier  coup  aux  soldats 
de  Napoléon  sur  les  rives  glacées  de  la  Bérézina;  et  la 
Porte  n'obtint  de  son  éternel  ennemi  qu'un  court  intervalle 
de  repos.  Viennet,  de  l'Acadciiiie   Fraaçaise 

BOUKIIARA  ou  BOKHARA ,  résidence  du  klian  des 
Ouzbeks,  est  une  ville  très-ancienne,  bâtie  dans  une  oasis 
entourée  de  déserts,  au  confluent  du  \N'askân  et  du  Zer-Af- 
schàn.  Elle  est  entourée  de  jardins  et  de  vergers,  et  pré- 
sente la  forme  d'un  triangle  d'un  nayriamètre  d'étendue, 
ceint  d'un  rempart  de  terre  d'environ  six  mètres  de  haut, 
muni  de  tours  et  de  fossés.  Des  canaux  et  des  fontaines  en 
grand  nombre  fournissent  l'eau  nécessaire  à  la  consommation 
des  habitants.  Les  rues  sont  étroites,  les  maisons  bâties 
la  plupart  en  briques,  les  mosquées  nombreuses,  ainsi 
que  les  medressès  et  les  bazars.  La  population  s'élève 
à  70,000  âmes. 

Le  palais  du  khan, avec  deux  hautes  tours  à  l'entrée,  est 
construit  sur  une  colline  voisine.  Parmi  les  plus  beaux 
monuments  de  la  ville  on  doit  citer  la  mosquée  Mirgharab, 
qui  forme  un  carré  de  quatre-vingt-treize  mèlies  de  lon- 
gueur avec  une  coupole  haute  de  trente  et  un  mètres.  Elle 
est  couverte  de  tuiles  enduites  d'un  vernis  bleu  de  ciel,  et 
tout  [très  se  trouve  un  haut  minaret  en  briques  représentant 
toutes  sortes  de  figures  arlistenient  exécutées.  Dans  les 
environs  s'élève  l'école  bâtie  par  le  khan  Abdullah.  La  po- 
pulation se  compose  en  majeure  [)arlie  de  Boukhares  ou 
Tadjiks,  le  reste  est  formé  par  des  Ouzbeks,  des  Afghans, 


des  Persans ,  des  Turcs ,  des  prisonniers  russes ,  des  Kal. 
mouks,  des  juifs,  etc. 

Depuis  des  siècles  Boukhara  est  le  foyer  de  la  civilisation 
dans  l'Asie  centrale ,  et  le  grand  entrepôt  du  commerce  de 
l'intérieur  de  l'Asie.  Les  marchandises  de  toute  nature  y 
affluent  de  toutes  les  parties  de  ce  vaste  continent.  Les 
principaux  articles  de  commerce  sont  les  fruits,  les  che- 
vaux, les  ânes,  les  fourrures,  surtout  les  peaux  d'agneau 
teintes, les  tissus  de  soie,  de  coton,  le  verre,  le  cuir,  la 
quincaillerie,  le  papier,  le  musc,  les  parfums,  etc.  Bou- 
khara est  le  centre  d'un  commerce  important  avec  la 
Chine,  la  Russie,  les  Indes,  l'Iran,  Khiwa,  les  Kirghiz, 
Kaboul ,  Kaschmir  et  Khokand.  C'est  aussi  un  marché  con- 
sidérable d'esclaves,  où  les  Turcomans  et  les  Ouzbeks  amènent 
les  Persans  qu'ils  ont  enlevés. 

BOUKHARIE  ou  BUKHARIE,  c'est-à-dire  Pays  de 
l'est.  On  désigne  sous  ce  nom  différentes  contrées  situées  au 
delà  de  l'Amou,  l'Oxus  des  anciens;  vaste  territoire  appelé 
autrefois  Sogdiane  et  Transoxiane ,  puis  par  les  Arabes  du 
moyen  âge  Mawar-en-Nahr ,  et  situé  entre  35°  et  41"  de 
latitude  nord,  et  61"-68''  de  longitude  est. 

La  Grande  Boukharie  forme  l'extrémité  sud-est  du 
Turkestan,  qu'habitent  des  peuplades  d'origine  turque.  On  la 
nomme  aussi  khanat  de  Boukhara.  Par  Petite-  Bou- 
kharie on  entend  quelquefois  la  province  chinoise  de  Thian- 
chan-Nanlou ,  ou  le  territoire  du  lac  de  Lop  et  du  fleuve 
Tarim;  mais  c'est  là  une  dénomination  fautive,  puisque 
elle  est  complètement  inconnue  dans  la  contrée  à  laquelle 
on  l'applique.  Les  Chinois,  qui  en  sont  les  maîtres,  nomment 
ce  pays  Sinkiang,  Nouvelles-Frontières.  Quelques  écrivains 
russes  le  désignent  sous  le  nom  de  Turkestan  oriental^ 
qui  est  parfaitement  conforme  aux  données  ethnographiques. 

Quelques  auteurs,  comprenant  le  Kharezme  ou  Khowa- 
razm  dans  la  Grande  Boukharie,  ont  donné  à  cette  étendue 
de  pays  le  nom  commun  de  Djagataï;  et  elle  figure  encore 
sur  nos  cartes  sous  celui  de  pays  des  Ouzbeks.  L'un  et 
l'autre,  à  la  vérité,  ont  fait  partie  de  l'empire  de  Djagataï, 
l'un  des  fils  de  Djengiz-Klian ,  et  plus  tard  ils  furent  re- 
coiiViés  sur  les  descendants  de  Tamerlan  par  les  Ouzbeks, 
issus  du  premier  de  ces  deux  fameux  conquérants.  Mais  ' 
depuis  près  de  trois  siècles  ils  ont  formé  des  États  dis- 
tincts, qui  ont  eu  leurs  souverains  propres,  leur  histoire 
particulière ,  et  qui  ont  été  souvent  divisés  par  la  politique , 
la  guerre  et  des  intérêts  opposés.  La  Grande  Boukharie 
elle-même  a  subi  de  fréquentes  modifications  dans  son  or- 
ganisation et  dans  ses  limites.  La  province  de  Balkh,  dé- 
membrée du  Khoraçân ,  et  incorporée  à  la  Grande  Bou- 
kharie, en  a  été  souvent  séparée,  et  en  est  encore  tribu- 
taire plutôt  que  sujette.  Elle  n'a  même  pas  été  constamment 
soumise  aux  Ouzbeks. 

La  Grande  Boukharie  est  bornée ,  au  nord  et  au  nord-est, 
par  le  fleuve  Sihoun,  ou  Sir-Daria  (  laxartes  des  anciens), 
qui  la  sépare  des  Kara  Kalpaks  et  du  Turkestan;  à  l'est, 
par  la  Petite-Boukharie  ;  au  sud,  par  le  Petit-Thibet  et  par 
les  khanats  de  Balkh  et  de  Badaklischân;  à  l'ouest,  parle 
fleuve  Amou ,  qui  la  sépare  de  la  Perse ,  et  par  la  mer 
d'Aral.  Elle  peut  avoir  110  myriamètres  du  nord  au  sud, 
et  88  de  l'est  à  l'ouest,  dans  sa  plus  grande  étendue.  Ses  prin- 
cipaux fleuves  sont  le  Djihoun  ou  Amou,  et  le  S i hou  n 
ou  Sir-Daria.  Le  Zer-Afchdn  (  l'ancienne  Sogd  )  est  la 
rivière  la  plus  considérable  qui  arrose  l'intérieur  de  la  Bou- 
kharie. Elle  prend  sa  source  dans  les  montagnes  près  de 
Eani ,  à  22  myriamètres  environ  à  l'est  de  Samarkand , 
passe  devant  cette  ville,  ainsi  qu'à  Boukharah,  et  va  se 
perdre  dans  le  lac  de  Kara-Koul,  près  de  l'Amou,  après  un 
parcours  d'environ  66  myriamètres. 

La  partie  orientale  de  cette  contrée  est  entrecoupée  pai 
plusieurs  chaînes  de  hautes  montagnes,  dont  les  sommets 
sont  souvent  couverts  de  neige.  Dans  la  partie  nord,  à  quelque 
distance  du  Sir-Daria  et  au  centre,  on  trouve  d'assez  grandes 


1 


BOUKHARTE 

étendues  de  terres  sablonneuses  et  de  déserts  ;  mais  partout 
ailleurs  les  campagnes  etles  vallées,  surtout  celles  de  la  Sogd, 
qui  donna  son  nom  à  Tancienne  Sogdianc,  sont  d'une  rare 
fertilité.  Le  climat  de  la  Boukliarie  est  généralement  salubre. 
Les  saisons  y  sont  très-régulières.  Les  pluies  commencent 
dès  les  premiers  jours  de  l'oTier,  et  durent  jusqu'à  la  fin  de 
ce  mois.  Tout  verdit  et  fleurit  presque  subitement  peu  de  jours 
après.  Bientôt  la  clialeur  devient  accablante,  et  l'atmos- 
phère n'est  que  rarement  rafraîcliie  par  des  orages.  La  belle 
saison  se  prolonge  jusqu'en  octobre,  où  les  pluies  reprennent 
pendant  quinze  à  vingt  jours.  En  novembre  et  décembre 
surviennent  de  petites  gelées  et  un  peu  de  neige;  janvier  est 
le  mois  le  plus  rigoureu\  ;  le  froid  est  alors  de  2à  8  degrés, 
et  la  neige  reste  quinze  jours  sur  la  terre. 

La  Boukbarie  produit  de  l'orge,  du  froment,  du  millet, 
des  pois,  des  fèves,  des  haricots,  diverses  variétés  de  sésame, 
dont  on  fait  de  l'huile;  le  djoîigara,  plante  de  cinq  pieds  de 
haut,  dont  la  graine  sert  à  la  nourriture  des  chevaux  et  à  la 
fabrication  du  pain  pour  les  pauvres,  et  dont  les  feuilles 
fournissent  un  excellent  fourrage  pour  les  bestiaux.  On  y 
trouve  aussi  la  plupart  des  légumineuses  de  J'Europe.  Les 
rivières  sont  peu  poissonneuses.  Les  pâturages  étant  rares, 
on  y  a  recours  aux  prairies  artificielles.  Le  coton  y  vient 
assez  bien  ;  le  riz,  cultivé  seulement  dans  le  Miankal  (  la  val- 
lée de  la  Sogd),  est  d'assez  mauvaise  qualité.  Les  jardins  de 
la  Boukbarie  abondent  en  fleurs  qui  offrent  peu  de  variétés, 
et  en  fruits,  tels  que  melons,  pèches,  abricots,  prunes,  cerises, 
pommes,  poires,  coings,  figues,  grenades  et  raisins.  Outre 
les  arbres  fruitiers,  on  trouve  dans  ses  oasis  des  saules,  des 
peupliers,  des  platanes,  des  mûriers,  des  gaîniers.  La  par- 
tie occidentale  de  ce  pays  n'a  pas  de  forêts.  On  n'y  brùle 
que  des  broussailles  apportées  des  déserts  voisins,  et  du  fumier 
sec.  Quant  au  bois  de  construction ,  il  vient  des  montagnes 
du  territoire  de  Samarkand,  et  de  celles  qui  sont  situées  plus 
au  nord  et  à  l'est.  Ces  montagnes  renferment  des  mines  de 
métaux  non  exploitées,  d'alun,  de  soufre  et  de  pierres  pré- 
cieuses ,  entre  autres  de  lapis-lazuli,  de  grenat  et  de  rubis  ba- 
lais, notamment  dans  le  Badakschàn.  Quelques  rivières  char- 
rient de  l'or  avec  leur  sable.  La  Grande-Boukharie,  entou- 
rée de  déserts  et  de  peuples  nomades,  est  riche  en  bestiaux; 
mais  les  bœufs  n'y  sont  pas  aussi  forts  que  ceux  des  Kir- 
ghiz.  On  y  préfère  le  mouton,  dont  il  existe  une  espèce  à 
grosse  queue  et  une  autre  à  laine  très-frisée  et  à  queue 
traînante.  Les  chevaux,  sont  grands,  bien  faits,  vifs,  pleins 
de  feu. 

Toute  cette  contrée  se  divise  en  trois  parties  principales  : 
deux  au  nord  de  l'Amou,  la  Boukbarie  propre  ou  khanatde 
Boukharab  ,  et  le  Miankal  ou  khanat  de  Samarkand,  réuni 
depuis  longtemps  à  celui  de  Boukharah  ;  et  au  sud  de  l'A- 
mou, le  khanat  de  Bal  k h.  Le  premier  est  partagé  en  quatre 
districts,  et  a  pour  capitale  Boukhara.  Ses  villes  prin- 
cipales sont  Sam  a  rAand,  Karchi  ovl  ISakhchab,  sur  la 
principale  route  commerciale  de  Kaboul  à  Samarkand,  et 
Kara-Koul,  ville  de  30,000  âme»,  près  du  lac  de  ce  nom. 

Le  Miankal  compte  sept  à  huit  cités  considérables,  en 
raison  de  leur  situation  dans  un  pays  plus  fertile;  on  en 
trouve  cinq  à  six  autres  au  sud  du  mont  Nour-Atag,  et  une 
den)i-douzaine  au  sud  de  Samarkand. 

L'ancienne  Sogdiane  ou  Mawar-en-Nahr  était  autrefois 
plus  riche ,  plus  fertile  et  plus  peuplée  que  la  Boukbarie 
;i(;tuelle.  Les  sables  empiètent  journellement  sur  ses  riantes 
oasis,  qui,  tôt  ou  tard,  deviendront  arides  et  inhabitables, 
et  le  pays  éprouve  sous  le  gouvernement  des  Ouzbeks  une 
décadence  politique  analogue. 

D;ms  la  partie  orientale  de  cette  contrée,  Kkokand,  ville 
grande  ,  riche  et  commerçante,  à  13  kilomètres  du  Sir-Daria, 
et  contenant  6,000  mai.sons,  est  la  capitale  d'un  khanat  qui 
comprend  aussi  K/iod-Jend,  forteresse  sur  le  même  fleuve, 
et  entourée  de  champs  et  de  jardins  ;  Marghàlan  est  une 
ancienne  ville,  aussi  grande  que  Khoknnd.  Les  Ëtats  du 
liic.T.  DE  r.\  covrr.s.  —  t.  m. 


529 

khan  s'étendent  au  delà  du  Sir-Daria ,  stir  Tasclikend  et  une 
partie  du  Turkestan.  Hissar,  ville  de  3,000  maisons,  dans 
une  vallée  abondante  en  pâturages,  au  .sud-ouest  de  Sa- 
markand, est  la  capitale  d'un  khanat.  Ramidct  Abigherm, 
situées  dans  les  montagnes,  à  110  kilomètres  nord-est  de 
Hissar,  sont  deux  villes  considérables,  chefs-lieux  de  deux 
khanats.  A  70  kilomètres  sud-ouest  de  Samarkand  est 
Chersabès  ou  Chehri-Sebz,  ville  bâtie  sur  reiiii)lacement 
du  village  de  Kecb,  où  naquit  Tamerlan,  et  sur  une  rivière 
du  même  nom ,  qui ,  par  le  moyen  de  digues ,  peut  inonder 
tout  le  pays  d'alentour  ;  cette  position  et  sa  forteresse  assu- 
rent l'indépendance  du  khan  qui  y  réside,  et  dont  dépen- 
dent six  autres  places. 

Dans  la  partie  de  la  Boukbarie  au  sud  de  l'Amou ,  nous 
citerons  :  Balkh,  la  ville  la  plus  ancienne,  la  plus  grande 
et  la  pjus  opulente  de  cette  contrée;  Badaklischdn  ou  Feyza- 
bad,  capitale  d'un  des  khanats  le  plus  importants  de  la  con- 
trée, sur  une  rivière  du  même  nom,  qui  tombe  dans  l'A- 
mou ;  Bamiân ,  ville  de  20,000  âmes ,  près  des  ruines  de 
celle  qui  fut  brûlée  et  détruite  par  Djenghiz-Khan  ;  Koulab, 
ville  de  3,000  maisons;  Khoiilm ,  l'ancienne  Tasch-Konr- 
ga.n,  Ankoi,  Talekdn,  Anderab ,  où  sont,  du  côté  de  l'e-st, 
les  limites  du  mabométisme.  Tous  ces  pays  appartenaient 
naguère  à  l'empire  afghan  de  Kaboul;  ils  forment  aujour- 
d'hui plusieurs  souverainetés  indépendantes  ou  tributaires 
du  khan  de  Boukharah,  et  dont  les  limites  varient  aussi  sou- 
vent qu'elles  sont  arbitraires.  A  l'ouest  de  la  Boukbarie  est 
situé  le  pays  de  Khi  w  a  h  ou  Kharezm ,  dont  le  khan  est  fré- 
quemment en  guerre  avec  la  Boukbarie. 

De  temps  immémorial ,  le  commerce  a  été  aussi  florissant 
qu'étendu  dans  la  Grande-Boukharie.  Les  naturels  de  ce  pays 
ont  le  génie  essentiellement  mercantile,  et  entretiennent  des 
relations  avec  l'Inde,  la  Chine,  la  Perse  et  surtout  la  Russie, 
leur  principal  et  leur  plus  ancien  débouché.  Ils  y  exportent 
de  la  rhubarbe,  du  coton  ,  soit  brut,  soit  filé  ou  fabriqué, 
des  turquoises ,  du  lapis ,  des  fourrures ,  des  fruits  secs ,  du 
tlié,  des  étoffes  de  soie,  des  tapis  et  des  châles.  Ils  pren- 
nent en  retour  des  ducats  de  Hollande ,  des  piastres  d'Es- 
pagne, des  roubles  d'argent,  de  la  cochenille,  du  girofle, 
du  drap,  des  cuirs,  du  sucre,  du  sandal,  de  l'étain,  du 
cuivre,  de  l'acier,  <!u  fer,  de  la  cire,  du  miel,  des  perles, 
du  corail,  des  toiles  russes,  des  mousselines  de  l'Inde,  du 
velours ,  de  petits  miroirs ,  etc.  Ils  portent  une  partie  de  ces 
marchandises  à  Kaschgar  et  à  Kaboul,  et  ils  en  tirent  quel- 
ques-unes de  celles  qu'ils  envoient  en  Russie.  Leur  com- 
merce extérieur  emploie  six  raille  chameaux. 

La  nation  boukhare  Cst  divisée  en  deux  classes  princi- 
pales :  les  Ouzbeks,  conquérants  et  dominateurs  du  pays,  et 
les  Tadjiks,  qu'on  regarde  comme  aborigènes  et  issus  des 
anciens  Sogdiens.  Les  premiers  se  partagent  en  un  grand 
nombre  de  tribus,  et  leur  physionomie  rappelle  celle  des 
Tartares  etdesKalmouks;ils  sont  essentiellement  guerriers. 
Les  seconds  ont  généralement  la  taille  ramassée,  les  traits 
européens ,  et  le  teint  moins  brun  que  les  Persans.  Ils  sont 
actifs ,  laborieux ,  doux ,  instruits  et  civilisés ,  mais  faux  , 
intéressés ,  pusillanimes  ,  sans  énergie  et  sans  patriotisme. 
La  population  de  la  Boukbarie  comprend  aussi  des  Turco- 
mans,  des  Arabes,  des  Kalmouks,  des  Kirghiz,  des  Kara- 
Kalpaks ,  des  Afghans ,  des  Lesghiz ,  des  Juifs ,  des  Bohé- 
miens et  quelques  milliers  d'esclaves,  la  plupart  Persans. 
Les  Turcomans  sont  nomades;  ils  campent  près  des  bords 
de  l'Amou,  pnncipalement  sur  la  rive  gauche ,  et  payent 
tribut  au  khan  de  Boukharah.  Les  Arabes ,  reconnaissables 
à  leur  teint  très-basané,  sont  issus  des  Musulmans  qui  con- 
quirent la  Boukbarie  sous  les  premiers  khalifes;  ils  habitent 
dans  des  villages ,  mais  quelques-uns  sont  nomades  ou  demi- 
nomades.  Les  Kalmouks  et  les  Kirghiz  sont  des  transfuge.s 
qui  se  sont  soustraits  à  la  domination  russe.  Les  Afghans  et 
les  Lesghiz  descendent  des  otages  pris  par  Tamerlaiu 
Quant  aux  Bohémiens  ou  Zingaris,  ils  disent  la  bonne  aveoi» 

<i7 


530 

tare,  et  exercent,  ainsi  que  leurs  femmes,  les  métiers  les 
plus  vils ,  comme  ils  font  dans  tous  les  pays  où  ils  sont  ré- 
pandus. On  peut  évaluer  à  deux  millions  et  demi  le  nombre 
des  sujets  du  khan  de  Boukliarah,  savoir  :  1,500,000  Our- 
beks,  700,000  Tadjiks,  et  300,000  de  diverses  nations.  On 
ignore  la  population  des  autres  parties  de  la  Grande-Bou- 
kharie. 

Soumise  d'abord  à  l'empire  du  Tourûn  ou  de  Turkestân , 
puis  à  celui  d'Iran  ou  de  Perse,  la  Boukharie  fut  conquise 
ensuite  par  Alexandre  le  Grand ,  enlevée  aux  Syro-Macédo- 
niens  par  les  rois  grecs  de  la  Bactriane,  puis  envahie  par 
lesTurks  occidentaux  ou  Euthalytes,  à  qui  les  Arabes  mu- 
sulmans l'enlevèrent  vers  l'an  710  de  J.-C,  sous  le  khalilat 
de  Walid  1".  Un  peu  plus  d'un  siècle  après ,  elle  fut  gou- 
vernée par  les  Samanides ,  et  lorsqu'ils  parvinrent  à  la  sou- 
veraine puissance,  elle  devint  très-florissante  et  forma  la 
pins  belle  partie  de  leurs  États ,  comme  on  le  voit  par  des 
médailles  de  cette  époque ,  conservées  dans  la  collection  du 
cabinet  impérial  de  Saint-Pétersbourg.  Depuis  l'an  999 ,  la 
Boukhariefut  possédée  successivement  par  lesTurks  Hoeikes, 
par  les  Khitans ,  et  par  les  sultlians  de  Kharezrae ,  jusqu'en 
1220,  qu'elle  fut  conquise  par  Djengiz-Khan ,  et  comprise 
quatre  ans  après  dans  l'empire  de  Djagataï-Khan,  le  second 
des  quatre  fils  entre  lesquels  il  partagea  ses  vastes  États.  Cet 
empire  ne  fut  que  le  noyau  de  celui  que  fonda  Tamerlan  en 
1370,  et  ses  descendants  y  régnèrent  jusqu'à  ce  qu'ils  en 
fussent  chassés  par  les  Ouzbeks ,  en  1498.  Ceux-ci  en  sont 
encore  les  maîtres  ;  mais  en  diverses  circonstances  leur  gou- 
vernement a  subi  des  révolutions  et  des  divisions. 

Le  Kharezme,  Samarkand,  Balkli,  Boukliarah  et  quel- 
ques autres  villes  moins  importantes  ont  eu  leurs  khans  par- 
ticuliers, souvent  en  guerre  les  uns  contre  les  autres ,  et  ne 
s'accordant  que  pour  ravager  les  frontières  de  la  Perse  : 
mais  Abdallah-Khan ,  qui  régna  de  1563  à  1&92,  ayant 
conquis  Samarkand ,  cette  cité  et  Boukharah  ont  toujours 
appartenu  depuis  à  un  môme  souverain ,  qui  réside  dans  la 
seconde  de  ces  villes.  Abouh-Feyz-Kban ,  qui  y  régnait  en 
1740,  fut  forcé  de  se  soumettre  au  fameux  Nadir,  roi  de 
Perse ,  qui  vint  le  visiter  à  la  tête  de  son  armée  victorieuse, 
et  qui  lui  accorda  le  titre  de  chah  ou  roi.  Après  la  mort  du 
tyran  de  la  Perse,  Rahim-Beig,  qui  avait  commandé  un 
corps  de  dix  mille  Ouzbeks,  attaché  à  l'armée  de  ce  prince, 
revint  à  Boukharah ,  s'y  empara  de  toute  l'autorité ,  égorgea 
Aboul-Feyz-Khan ,  et  mit  sur  le  trône  sou  fils,  encore  en- 
fant, Ab  1-el-Moumen-Kban.  Mais  peu  d'années  après  il  se 
débarrassa  de  ce  jeune  prince ,  et  éleva  au  trône  un  man- 
nequin, qui  n'était  issu  du  conquérant  tartare  que  par  les 
femmes,  et  qu'on  appelait  par  sobriquet  Khodjah-Zadeh 
(le  fils  du  Khodjah) ,  c'est-à-dire  un  descendant  du  prophète 
Mahomet. 

A  la  mort  de  Rahim ,  l'émir  Daniel ,  allié  à  la  famille 
royale,  s'empara  de  la  personne  d'un  fantôme  de  roi,  Aboul- 
Ghazy-Khan ,  le  môme  peut-être  que  le  précédent.  Daniel 
exerça  un  pouvoir  absolu  sur  toutes  les  tribus  immédiate- 
ment soumises  au  khan  de  Boukharah.  A  sa  mort,  il  dis- 
tribua ses  immenses  richesses  à  sa  famille;  mais  il  déclara 
son  fils,  l'émir  Massoum ,  héritier  de  sa  puissance.  Mas- 
soum,  plus  connu  d'abord  sous  le  nom  familier  Baghi-Djdn, 
après  une  jeunesse  très-dissolue,  donna  dans  une  réforme 
complète ,  et  par  sa  piété ,  ses  privations  volontaires,  l'aus- 
térité de  sa  morale  et  la  bizarre  simplicité  de  son  costume, 
s'acquit  une  réputation  de  sainteté  qui  lui  senit  merveil- 
leusement pour  parvenir  à  ses  fins.  Devenu  souverain  vers 
1784,  sous  le  titre  de  Chah-Mourad  (  le  roi  désiré  ),  il  conquit 
toutes  les  parties  démembrées  de  la  Transoxanc  ou  Boukha- 
rie, depuis  l'Amou  jusqu'au  Sihoun  à  l'est,  et  le  Kha- 
rezme à  l'ouest  jusqu'à  la  mer  Caspienne  et  à  la  mor  d'Aral. 
11  lit  plusieurs  invasions  en  Perse,  et  joignit  à  ses  Ktats  Mé- 
rou, avec  une  partie  du  Khoraçân.  En  178'.)  il  (it  la  guerre 
avec  bVccèsàTiraour-Chah,  roi  des  Afghans.  Chali-Mourad 


BOUKHARIE  —  BOULAINVILLIERS 

savait  trop  bien  que  son  père,  l'émir  Daniel,  s'était  renda 
odieux  par  la  dureté  de  son  administration,  pour  user  du 
pouvoir  comme  d'un  droit  héréditaire;  mais  il  manœuvra  si 
adroitement  qu'àsa  mort,  vers  1798,  il  put  être  assuré  que 
son  fils  aîné  Mir-Hader-Kban  serait  roi  de  fait  et  de  nom. 

Celui-ci  monta  donc  sur  le  trône,  et,  sauf  les  cruautés  qu'il 
exerça  d'abord  pour  s'y  affermir,  suivant  les  principes  des 
gouvernements  orientaux,  ce  fut  au  total  un  prince  des  plus 
pacifiques,  qui  préféfa  les  charmes  de  la  tranquillité  inté- 
rieure au  fracas  de  la  victoire,  et  se  contenta  de  réprimer 
et  de  punir  les  brigandages  exercés  sur  son  territoire.  Ayant 
conquis,  en  1808,  Khivah  sur  le  khan  de  Kkarçzme,  en  re- 
présailles de  ses  fréquentes  hostilités,  il  lui  rendit  cette 
place  quelque  temps  après.  Un  chef  ouzbek  lui  enleva  Balkh, 
qu'il  ne  put  recouvrer,  et  les  Khiviens  pillèrent  impunément 
la  ville  de  Tchardjou.  Son  extrême  dévotion  ne  l'empôcliait 
pas  de  se  livrer  aux  plus  déplorables  excès  de  libertinage, 
qui  hâtèrent  la  fin  de  ses  jours,  en  1826.  .Son  fils,  Mir-Hoii- 
çain,  régna  à  peine  quatre  mois,  et  eut  pour  successeur  son 
frère  Mir-Batyr  ou  Batkar,  qui  occupait  encore  le  trône  de 
Boukharah  en  1832.  Mais  on  a  appris  depuis  qu'une  révo- 
lution le  lui  avait  enlevé.  Le  khan  de  Boukharie  entre- 
tient avec  le  padichah  des  Othomans ,  qu'il  regarde  comme 
le  successeur  des  khalifes,  des  relations  diplomatiques  plus 
suivies  qu'avec  le  chah  de  Perse,  qu'il  déteste,  à  cause  du 
voisinage  et  de  la  différence  des  deux  sectes.  Les  Ouzbeks 
de  Boukharie  ne  sont  pas  des  pillards  et  des  brigands, 
comme  ceux  du  Kharezme.  Leurs  mœurs  ont  beaucoup  de 
rapport  avec  celles  des  Osmanlis.  Us  sont  très-superstitieux, 
se  livrent  au  plaisir  de  la  chasse,  ne  fument  pas  et  ne  boi- 
vent qu'en  cachette.  L'adultère  est  puni  de  mort  en  Bou- 
kharie ;  les  courtisanes  n'y  sont  pas  tolérées,  mais  on  y  est 
familiarisé  avec  le  vice  le  plus  honteux.  Le  café  n'y  est  pas 
en  usage;  on  y  vit  de  thé,  de  riz,  de  mouton  et  de  légumes. 
Le  persan  et  le  turc  sont  les  langues  les  plus  usitées,  et  les 
bibliothèques  rares  et  fort  peu  nombreuses,  300  volumes  au 
plus.  Les  femmes  boukhares  sont  jolies  et  coquettes  ;  mais 
elles  se  défigurent  par  un  anneau  qui  traverse  leurs  narines. 
BOULAC,  BOULAK  ou  BOULAQ ,  ville  d'Egypte  sur  la 
rive  droite  du  Nil,  à  deux  kilomètres  nord-ouest  du  Kaire, 
dont  elle  forme  le  faubourg  et  le  port,  vis-à-vis  de  l'île  qui 
porte  son  nom,  compte  une  population  de  dix-huit  mille 
âmes.  Elle  reçoit  tous  les  bâtiments  qui  viennent  du  Delta 
et  de  la  Basse-Egypte ,  et  sa  situation  entre  Alexandrie  et  le 
Kaire  la  rend  très-importante  pour  le  commerce.  On  y  re- 
marque la  douane,  le  bazar,  les  bains,  les  jardins  et  les  ma- 
gasins ;  elle  a  acquis  une  certaine  célébrité  depuis  le  règne 
de  Méhémet-Ali ,  qui  y  a  fondé  une  haute  école  pour  l'ensei- 
gnement des  lettres  et  des  sciences,  une  belle  imprimerie , 
une  vaste  filature,  et  une  fabrique  de  soierie  et  de  coton, 
qui  occupent  au  delà  de  huit  cents  ouvriers.  Ses  édifices 
les  plus  beaux  avaient  été  consumés  dans  l'incendie  qu'elle 
avait  essuyé  lors  de  l'attaque  des  Français  au  mois  d'a>Til 
1800   Voyez  Kmbe. 

BOULAIIVVILLIERS  (Henri,  comte  de),  d'une  noble 
et  ancienne  famille  de  Picardie,  naquit  à  Sainte-Saire  en 
Normandie,  le  1 1  octobre  1G58,  et  mourut  à  l'âge  de  soixante- 
quatre  ans,  le  23  janvier  1722.  C'est  l'historien  de  France  qui  a 
le  plus  écrit  sur  les  annales  de  son  pays,  et  celui  de  tous  qui 
les  a  comprises  et  expliquées  de  la  manière  la  plus  neuve,  la 
plus  piquante  et  la  plus  philosophique.  Nous  n'avons  pas  l'in- 
tention de  nous  appesantir  ici  sur  la  liste  de  ses  nombreux 
ouvrages,  imprimés  ou  manuscrits,  rares  pour  la  plupart,  et 
qui  se  trouvent  mentionnés  dans  toutes  les  biograpliies  ;  nous 
ne  voulons  envisager  ce  célèbre  écrivain  que  sous  le  rapport 
de  sa  critique  historique  et  de  la  théorie  qu'il  a  appliquée  à 
l'origine  et  au  mécanisme  de  notre  ancien  gouvernement. 

Parmi  les  auteurs  qui  ont  développé  quelque  lace  générale 
ou  particulière  de  l'histoire  de  France,  nul  n'a  émis  des  doc- 
trines plus  imprévues,  plus  originales,  plus  en  dehors  des  pré- 


I 


BOULAINVILLIERS 


531 


jugés  littéraires  ou  politiques  que  le  comte  de  Boulainvilliers, 
et  nul  aussi  n'a  trouvé  plus  de  contradicteurs  et  plus  d'incré- 
dules. Il  y  a  eu  déchaînement  des  historiens  et  des  publi- 
cistes  français  contre  les  théories  du  comte  de  Boulainvil- 
liers, surtout  parce  qu'il  les  émit  à  une  époque  où  bien  peu 
de  gens  pouvaient  les  comprendre.  Le  président  Ilénault 
s'écrie  qu'il  n'aura  garde  de  rien  emprunter  à  cet  auteur,  et 
l'on  voit  bien  en  effet  qu'il  a  tenu  parole.  Montesquieu, 
qui  jugeait  beaucoup  mieux  les  idées  hardies  des  autres 
qu'il  n'en  montrait  lui-même,  dit  que  le  comte  de  Boulain- 
villiers savait  les  grandes  choses  de  nos  lois  et  de  notre  his- 
toire; Voltaire  le  juge  comme  il  se  serait  jugé  lui-même, 
en  l'appelant  le  plus  spirituel  des  gentils-hommes  de  France. 
Mais  ce  qui  surprend  davantage,  c'est  de  voir  un  homme 
grand  de  sa  gloire  d'écrivain,  de  son  expérience  de  publiciste, 
de  son  habitude  de  méditation ,  jeter  en  passant  pour  toute 
appréciation  et  toute  sentence ,  l'épithète  d'absurde  à  l'his- 
torien qui  a  le  plus  remué  dans  tous  les  sens  la  théorie  de 
nos  annales.  Chateaubriand  se  devait  peut-être  de  ne 
point  souffleter  ainsi  de  son  mépris  le  comte  de  Boulainvil- 
liers ,  car  c'est  l'historien  qu'il  parait  avoir  le  moins  étudié ,  et 
celui  qui  aurait  fourni  le  plus  d'aliments  à  sa  haine  du  pré- 
sent et  le  plus  de  couleur  à  la  poésie  de  ses  regrets  politiques. 

Il  faut  dire  aussi  qu'il  y  aura  eu  peut-être  entraînement  et 
séduction  dans  la  pensée  de  Chateaubriand  ;  car  la  situation 
des  esprits  a  été  rarement  favorable  aux  études  féodales  : 
avant  la  révolution  de  1789,  c'était  une  espèce  de  travers; 
depuis  la  révolution ,  c'en  est  une  autre.  Avant ,  les  habitudes 
monarchiques  s'étaient  fortement  imprimées  dans  les  mœurs 
et  les  idées  depuis  François  I*""^,  et  les  écrivains,  môme  les 
plus  distingués  ou  les  plus  républicains ,  ne  purent  jamais 
s'en  distraire.  Voyez  Amyot,  Montaigne,  La  Boétieet  Bos- 
suet;  ils  ont  tout  monarchisé,  à  leur  insu ,  jusqu'aux  formes 
de  leur  style.  Qu'ils  s'occupent  de  l'histoire  ancienne  ou  des 
guerres  civiles  de  France,  ils. voient  et  ne  voient  partout  que 
roi,  cour,  };enlilsliommes  et  chambellans,  et  ils  ne  conçoi- 
vent de  roi  qu'un  roi  absolu,  avec  fauconnerie,  grand  queux, 
petit  lever  et  pages  :  c'est  la  forme  sous  laquelle  les  peuples 
se  manifestent  jierpétuellement  à  eux.  Avec  cette  préoccu- 
pation d'esprit ,  l'appréciation  des  origines  féodales  était  im- 
possible, car  ils  rapportaient  dans  les  âges  passés  ce  qui 
n'était  qu'aux  âges  présents;  ils  faisaient  le  roi  maître  et  sei- 
gneur souverain,  tandis  qu'il  avait  eu  seulement  l'adresse 
de  le  devenir  ;  et  quand  le  moment  venait  de  juger  l'époque 
célèbre  où  la  puissance  royale  se  débattait  péniblement  con- 
tre les  grands  vassaux,  ils  applaudissaient  à  la  chute  des 
seigneurs ,  non  point  par  sentiment  d'amélioration  sociale , 
mais  parce  qu'ils  voyaient  triompher  le  principe  monarcliique 
qu'ils  avaient  choisi,  et  qu'ils  jugeaient  le  plus  juste  parce 
qu'il  était  le  leur.  Ainsi ,  on  condamnait  le  passé  par  amour 
du  présent;  on  supposait  un  droit  monarchique  antérieur 
au  droit  féodal ,  on  affirmait  au  lieu  d'étudier  ;  on  nourrissait 
une  croyance  dogmatique  et  tranchante  sans  en  démontrer 
un  seul  élément.  Cette  croyance ,  vraie  ou  fausse ,  était  éga- 
lement funeste  à  l'histoire  :  vraie ,  elle  détournait  de  l'étude 
de  la  résistance  populaire ,  en  rendant  odieuses  les  tentatives 
des  vassaux;  fausse,  elle  donnait" le  change  sur  la  nature 
des  éléments  sociaux  au  moyen  âge,  et  prêtait  à  des  théories 
erronées  sur  la  source  des  pouvoirs  politiques  et  le  but  de  la 
civilisation. 

Après  la  révolution,  il  naquit  une  façon  nouvelle  de 
comprendre  les  origines  françaises  ;  elle  ne  partit  point  de  la 
I  royauté,  comme  la  précédente;  mais  elle  considéra  la  royauté 
et  la  noblesse  comme  deux  usurpations  emportées  de  force 
ou  obtenues  du  peuple  en  flattant  son  ignorance  ou  ses  pré- 
jugés. Cette  théorie  considéra  donc  le  peuple  comme  l'élé- 
ment unique,  primitif,  fondamental,  de  la  nation  française; 
peuple  trompé,  asservi  par  ses  maîtres,  et  qui,  mieux  avisé, 
reprenait,  après  huit  siècles  de  lutte,  ses  premiers,  sesim- 
|)éris6aWes  privilèges,  par  le  bienfait  de  la  révolution.  Cette 


doctrine  nouvelle ,  bien  postérieure  au  comte  de  Boulainvil- 
liers, était  la  contre-partie  de  la  doctrine  royale  du  dix-sep- 
tième siècle  ;  elle  était  en  germe  dans  le  travail  prétentieux 
de  Mably,  et  elle  fut  développée  par  Thouret,  de  la  Cons- 
tituante, dans  un  petit  écrit  qui  a  eu  quelque  réputation. 

On  a  donc  tenté ,  à  deux  reprises ,  de  construire  l'histoire 
de  France  sur  deux  idées  contradictoires  :  avant  le  comte 
de  Boulainvilliers,  en  lui  donnant  la  royauté  pour  base;  de- 
puis en  lui  donnant  la  démocratie.  Or,  avant  comme  après 
il  y  a  eu  erreur,  et  erreur  immense  ;  car  aucun  des  deux  sys- 
tèmes n'explique  complètement  tous  les  faits  de  nos  origines, 
parce  que  la  royauté  et  le  peuple ,  qui  leur  servent  de  base, 
sont  deux  choses  fort  modernes,  et  qui  n'existaient  ni  du- 
rant la  première  ni  durant  la  seconde  des  périodes  historiques 
qu'on  nomme  communément  races  de  nos  rois. 

D'abord ,  la  royauté  n'existait  pas  avant  le  onzième  siècle  ; 
car  chaque  propriétaire,  noble  ou  seigneur,  était  maître  ab- 
solu sur  ses  terres ,  frappait ,  vendait ,  mettait  à  mort  ses 
esclaves,  sans  qu'aucune  justice  pût  appeler  de  sa  volonté. 
La  loi  des  Allemands  définit  les  fonctions  royales  :  «  Monter 
à  cheval  et  conduire  une  armée.  »  Celte  royauté  était  donc 
précaire  et  fugitive;  elle  commençait  et  finissait  avec  la  guerre, 
et  était  sans  but  durant  la  paix.  Ce  qu'on  appelait  alors  un 
roi  n'était  qu'un  général  d'armée  ;  sa  puissance  le  quittait 
après  la  bataille,  et  il  redevenait  alors  ce  qu'il  était  avant, 
l'égal  de  tous  les  nobles  qui  suivaient  volontairement  sa 
bannière.  Il  n'y  avait  en  France  ni  unité  de  langue  ni  unité  de 
territoire,  ni  unité  de  population  ;  les  Visigolhs  ne  pouvaient 
pas  obéiraux  Francs  ni  les  Francs  aux  Bourguignons.  En  998, 
saint  Mayeul,  abbé  deCluny,  répondait  au  comte  Bouchard, 
qui  avait  fait  trente  lieues  pour  l'aller  chercher  et  le  conduire 
à  Saint-Maur-des-Fossés,  qu'il  ne  voulait  pas  entreprendre  ce 
voyage  lointain  et  s'en  aller  enterres  étrangères  et  inconnues. 
La  royauté,  c'est-à-dire  l'unité  de  puissance  appliquée  à  l'unité 
de  territoire,  est  donc  un  fait  très-moderne  de  l'histoire  de 
France ,  et  ne  peut  point  servir  à  expliquer  d'autres  faits 
qui  l'ont  de  beaucoup  précédé. 

Le  peuple,  ou  la  démocratie,  est  quelque  chose  de 
bien  plus  moderne  encore  que  la  royauté  ;  car  il  n'en  est 
guère  question  avant  le  treizième  siècle.  Il  ne  faut  pas  com- 
prendre sous  le  nom  de  peuple  les  bourgeoisies  des 
grandes  villes  ;  car  elles  ne  faisaient  point  partie  des  tribus 
franques  établies  dans  le  plat  pays  ;  elles  se  gouvernaient  par 
le  droit  municipal  romain,  et  étaient  d'origine  gauloise  ou 
romaine.  11  faut  chercher  le  peuple  français  là  où  il  y  avait 
des  Francs ,  des  Visigoths  ou  des  Bourguignons  ;  et  ces  tribus 
étaient  établies  dans  les  campagnes.  Or,  dans  le  pays  plat, 
c'est-à-dire  parmi  les  Francs,  il  n'y  a  eu  peuple  que  depuis 
l'affranchissement  des  esclaves  ;  ces  affranchis  ont  formé  le 
peuple  français,  et,  comme  on  peut  le  voir  par  les  Assises 
de  Jérusalem,  lois  exportées  de  France  en  Syrie,  l'escla- 
vage le  plus  rigoureux  existait  encore  au  treizième  siècle.  Le 
peuple  est  donc  un  fait  historique  beaucoup  plus  récent 
encore  que  la  royauté,  et  les  théories  qui  se  sont  placées  à 
ces  deux  points  de  vue  pour  expliquer  nos  origines  sont  de 
pures  abstractions,  et  n'ont  aucun  fondement  qui  les  sou- 
tienne. 

Or,  c'est  entre  l'erreur  commise  avant  lui  et  l'erreur  com 
mise  après  que  s'est  placé  le  comte  de  Boulainvilliers  :  na 
pouvant  expliquer  les  faits  des  deux  premières  races  avefl 
des  vérités  qu'il  savait  ne  dater  que  de  la  troisième,  il  apri.»» 
pour  point  de  départ  un  fait  primitif,  générateur  de  notre 
histoire,  un  fait  duquel  relèvent  tous  les  autres,  un  faitévi 
dent,  incontestable,  qui  explique  tout,  rend  raison  de  tout, 
et  sans  lequel  tout  le  reste  de  nos  annales  serait  un  effet 
sans  cause  :  ce  fait,  principe  du  comte  de  Boulainvilliers, 
c'est  la  noblesse.  La  noblesse  existait,  possédait,  com- 
mandait, avant  qu'il  y  eût  peuple  ou  royauté.  La  royauté 
naquit  parce  qu'un  noble  s'éleva  peu  à  peu  ;  le  peuple  na- 
quit, parce  que  les  esclaves  furent  émancipés.  Noblesse», 

67. 


532 


BOULAINVILLIERS  —  BOULANGER 


royauté,  peuple,  ce  sont  trois  pivots  qui  ont  porté  succes- 
sivement la  société  française  et  qui  se  sont  détruits  l'un  l'autre. 
La  royauté  brisa  la  noblesse  en  se  formant,  et  le  peuple  a 
brisé  la  royauté. 

Voilà  où  conduisent ,  quand  on  les  travaille  et  qu'on  les 
enchaîne ,  les  idées  du  comte  de  Uoulainvilliers.  11  ne  serait 
pas  exact  de  dire  que  tous  ces  points  de  vue  se  trouvent  con- 
signés dans  tous  ses  ouvrages,  mais  le  principal  y  est  clai- 
rement et  souvent  développé,  c'est-à-dire  l'antériorité  his- 
torique de  la  noblesse. 

Tout  en  brisant  le  système  historique  qui  faisait  de  la 
royauté  le  principe  et  la  source  de  tout  droit,  le  comte  de 
Boulainvilliers  ne  développa  jamais  d'une  manière  explicite 
le  système  qu'il  eût  mis  à  sa  place  :  il  fut  admirable  critique 
et  médiocre  organisateur.  Mais  il  ue  faut  pas  oublier  qu'il 
écrivait  son  principal  ouvrage' par  ordre  de  Louis  XIV  et 
à  la  sollicitation  du  duc  de  Bourgogne.  11  se  laissa  trop  domi- 
ner par  l'idée  aujourd'hui  si  simple,  mais  alors  célèbre,  de 
Klézerai ,  que  :  «  la  France ,  au  commencement  de  la  troi- 
sième race ,  était  tenue  comme  un  grand  fief.  »  Oui ,  elle 
était  alors  comme  un  grand  fief,  c'est-à-dire  pas  encore  comme 
nn  royaume;  mais,  puisque  la  royauté  était  alors  si  faible 
qu'à  peine  on  peut  l'apercevoir,  il  avait  été  une  époque  où 
elle  était  plus  faible  encore  ;  une  autre  époque  plus  reculée , 
où  elle  n'existait  pas  :  alors  les  nobles  étaient  donc  libres  , 
indépendants ,  maîtres  ;  alors  les  nobles  avaient  précédé  la 
royauté,  qui  précéda  elle-même  le  peuple. 

C'est  en  pressant  ainsi  les  idées  du  comte  de  Boulainvilliers 
qu'on  en  tire  de  grandes  et  de  fécondes  vérités,  que  lui- 
même  n'a  pas  aperçues,  comme  la  division  de  la  noblesse 
en  deux  parts  :  la  noblesse  qui  précéda  la  royauté ,  ou  la  no- 
blesse de  race ,  et  la  noblesse  qui  accompagna  la  royauté  et 
périt  avec  elle,  ou  la  noblesse  féodale  et  d'institution.  Cepen- 
dant il  y  a  dans  les  ouvrages  de  l'illustre  écrivain  la  base 
d'une  admirable  histoire  de  France.  Il  est  impossible  d'ex- 
l)liquer  les  deux  premières  races  sans  avoir  recours  à  lui.  11 
y  a  maintenant  cent  années  qu'il  écrivait,  et  nous  en  sommes 
arrivés,  en  fait  de  critique  historique,  au  point  où  il  s'était 
arrêté  lui-même.  Montesquieu,  Voltaire,  le  président  Hénault, 
disparaissent,  le  comte  de  Boulainvilliers  reste  et  grandit, 
et  son  nom  servira  de  date  à  la  naissance  de  l'iùstoire  géné- 
rale de  son  pays. 

Les  principaux  ouvrages  du  comte  de  Boulainvilliers ,  sous 
le  rapport  de  ses  théories  historiques ,  sont  :  1"  Histoire  de 
rancien  gouvernement  de  France,  avec  quatorze  lettres 
historiques  sur  les  parlements  et  les  états  généraux; 
T  État  de  la  France,  ouvrage  extrait  des  mémoires  dres- 
sés par  les  intendants  du  royaume;  3°  Recherches  sur 
l'ancienne  noblesse  de  France. 

Granier  de  CaSSACNXC,  député  ail  Corps  législatif. 

BOULANGER,  BOULANGERIE.  La  boulangerie  est 
l'art  de  fabriquer  le  pain.  C'est  aussi  le  lieu  où  il  se  vend 
et  se  confectionne.  Les  boulangeries  de  l'armée  se  nomment 
manutentions.  Dans  un  palais,  dans  une  maison  de  cam- 
pagne, dans  une  communauté,  enfin  dans.tout  établissement 
public  ou  privé,  on  désigne  sous  le  nom  de  boulangerie  un 
bâtiment  particulier  destiné  à  faire  le  pain  et  composé  de 
plusieurs  pièces,  telles  que/ournil,  lieu  où  sont  les  fours, 
/arinier,  où  l'on  conserve  les  {mnes,  pétr>ri,  où  l'on  prépare 
la  pûte,  paneterie,  où  l'on  garde  le  pain  cuit,  etc.  L'ori- 
gine du  mot  boulanger,  qui  date  du  douzième  siècle,  vient, 
.selon  Ducange,  de  ce  qu'en  pétrissant  la  farine  on  la  tourne 
en  globe  ou  en  boule,  pour  l'arrondir  en  pain. 

La  profession  de  boulanger  était  inconnue  aux  anciens.  Il 
y  avait  trop  de  simplicité  dans  les  piemiers  siècles  pour  que 
l'on  apportât  beaucoup  de  Aiçon  dans  la  préparation  des 
aliuKMils.  Le  blé  se  mangeait  alors  en  substance,  comme 
ÎC8  autres  fruits  de  la  terre,  et  même,  lorsque  les  hommes 
eurent  trouvé  le  secret  de  le  réduire  en  farine,  ils  se  con- 
tcnlèrenleiRo.'t;  pendant  lonjjftmps  d'en  faire  de  la  boiiilie. 


Enfin ,  parvenus  à  en  pétrir  du  pain ,  ils  ne  préparèrent  en- 
core cet  aliment  que  comme  tous  les  autres,  dans  la  maison 
et  au  moment  du  repas.  C'était  le  soin  principal  réservé  aux 
mèfes  de  famille,  et  dans  ces  temps,  où  un  prince  tuait 
lui-même  l'agneau  qu'il  devait  manger,  les  femmes  les  plus 
qualifiées  ne  dédaignaient  pasde7ne///e  la  main  à  la  pâte. 
L'Écriture  nous  fournit  maintes  preuves  à  l'appui  de  cette 
coutume  usitée  chez  les  Orientaux.  Nous  lisons  par  exemple 
dans  la  Genèse  (xviii,  6  et  suiv.)  qu'Abraham,  entrant 
dans  sa  fente,  dit  à  Sara  ;  «  Pétrissez  trois  mesures  de  fa- 
rine ,  et  faites  cuire  des  pains  sous  la  cendre.  « 

Cespains  des  premiers  temps,  du  reste,  n'eurent  presque 
rien  de  commun  avec  les  nôtres,  soit  pour  la  forme,  soit 
pour  la  matière.  C'était ,  à  peu  de  chose  près ,  ce  que  l'on  a 
appelé  depuis  des  galettes  ou  des  gâteaux  ;  on  y  faisait  sou- 
vent entrer,  avec  la  farine,  du  beurre,  des  œufs,  de  la 
graisse,  du  safran  et  d'autres  ingrédients.  On  ne  les  cuisait 
point  dans  un  four,  mais  sur  l'âtre  chaud ,  sur  des  pierres 
ou  sur  une  sorte  de  gril  et  dans  une  espèce  de  tourtière. 

Mais  pour  celte  sorte  de  pain  même  il  fallait  que  le  blé 
et  les  autres  grains  fussent  convertis  en  farine;  ce  fut  à 
ce  travail  pénible  que  toutes  les  nations  anciennes ,  comme 
de  concert,  employèrent  leurs  esclaves,  et  il  devint  pour 
eux  le  châtiment  des  fautes  les  plus  légères.  Cette  prépara- 
tion ou  trituration  du  blé  se  fit  d'abord  avec  des  pilons  dans 
des  mortiers,  ensuite  avec  des  moulins  à  bras.  Quant  à 
l'usage  de  cuire  le  pain  dans  des  fours,  il  commença  en 
Orient.  Les  Hébreux,  les  Grecs  et  en  général  tous  les 
peuples  de  l'Asie  le  connurent;  les  Cappadociens,  les  Ly- 
diens et  les  Phéniciens  excellèrent  même,  au  rapport  d'A- 
thénée (liv.  m,  chap.  13),  dans  la  construction  et  la  di- 
rection des  fours.  Il  ne  paraît  pas  qu'il  y  ait  eu  véritablement 
de  boidangers  avant  ces  derniers.  Plusieurs  auteurs  ont 
prétendu  cependant  qu'il  y  en  eut  en  Egypte  du  temps  de 
Joseph ,  et  que  ce  fut  le  chef  ou  le  maître  des  boulangers 
de  Pharaon  dont  il  expliqua  le  songe  dans  la  prison.  C'est 
l'interprétation  qu'ils  tirent  du  mot  ophim,  avec  les  Sep- 
tante et  la  Vulgate  ;  mais  ce  mot  désigne  moins  le  pain  spé- 
cialement que  les  espèces  de  mets  en  général  que  l'on  faisait 
alors  avec  la  farine. 

Des  Grecs,  qui  les  premiers  eurent  des  fours  à  côté  de 
leurs  moulins  à  bras,  cette  coutume  passa  chez  les  Ro- 
mains ,  vers  l'an  de  Rome  583.  Ils  conservèrent  à  ceux  qui 
en  avaient  la  direction  leur  ancien  nom  de  pi7isores  ou  pis- 
tores,  dérivé  de  leur  première  occupation ,  celle  de  piler  le 
blé  dans  des  mortiers ,  et  ils  donnèrent  celui  de  pistorix 
aux  lieux  où  ils  travaillaient.  Sous  le  règne  d'Auguste  il  y 
eut  à  Rome  jusqu'à  trois  cent  vingt-neuf  boulangeries  pu- 
bliques ,  distribuées  en  quatorze  quartiers  différents  ;  elles 
étaient  presque  toutes  tenues  par  des  Grecs  j  qui  étaient  les 
seuls  qui  sussent  faire  de  bon  pain.  Insensiblement  ce^ 
étrangers  formèrent  quelques  apprentis  qui  se  livrèrent  à 
leur  profession ,  dont  bientôt  on  s'occupa  de  régler  l'exer- 
cice. On  en  forma  un  corps  ou,  selon  l'expression  du  temps, 
un  collège,  ainsi  qu'on  l'avait  fait  pour  les  bouchers, 
corps  auquel  eux  et  leurs  enfants  lurent  attachés  à  perpé- 
tuité. On  leur  accorda  plusieurs  privilèges  :  on  les  mil  en 
possession  de  tous  les  lieux  où  l'on  s'occupait  à  moudre  au- 
paravant, ainsi  que  des  meubles,  des  esclaves,  des  animaux 
et  de  tout  ce  qui  appartenait  aux  premières  boulangeries.  On 
y  joignit  des  terres  et  des  héritages,  et  l'on  n'épargna  rien 
de  tout  ce  qui  pouvait  contribuera  soutenir  et  à  encourager 
leurs  travaux  et  leur  commerce  ;  pour  qu'ils  pussent  vaquer 
sans  relâche  à  leurs  fonctions,  ils  furent  même  déchargés 
de  tutèles,  curatelles  et  autres  charges  onéreuses;  enfin,  il 
n'y  eut  point  de  vacances  pour  eux,  et  les  tribunaux  leur 
étaient  ouverts  en  tout  temps.  Ils  furent  soumis,  pour  tous 
ces  avantages,  à  certaines  restrictions  et  obligations,  telles 
qu'à  demeurer  ensemble  et  à  s'allier  presipie  exclusivement 
entre  eux.  Us  ne  pouvaient  surtout  se  mésallier,  c'p.$t-à-dire 


BOULANGER 


533 


marier  leurs  filles,  soit  à  des  comédiens,  soit  à  des  gladia- 
teurs, sans  être  fustigés ,  bannis  et  privés  de  leur  état.  Ils 
ne  pouvaient  encore  léguer  leurs  biens  qu'à  leurs  enfants 
ou  à  leurs  neveux ,  qui  faisaient  nécessairement  paitie  de 
leur  corporation,  et  si  un  étranger  les  acquérait,  il  lui  était 
de  fait  agrégé.  La  disposition  la  plus  onéreuse  pour  eux,  et 
qui  impliiquait  même  contradiction ,  puisqu'elle  portait  avec 
elle  une  espèce  de  réprobation  pour  un  corps  qu'on  avait 
cependant  à  tâche  d'honorer,  c'est  que  l'on  continua  de  re- 
léguer dans  les  boulangeries  tous  ceux  qui  furent  accusés 
et  convaincus  de  fautes  légères.  Les  juges  furent  tenus  d'y 
envoyer  tous  les  cinq  ans  ceux  qui  avaient  mérité  ce  châti- 
ment ,  et  ils  eussent  eux-mêmes  été  soumis  à  la  même  peine 
s'ils  avaient  manqué  à  leur  obligation.  On  se  relâcha  néan- 
moins ,  par  la  suite ,  de  cette  sévérité ,  et  les  transgressions 
des  juges  et  de  leurs  officiers  à  cet  égard  furent  punies  d'une 
simple  amende.  Du  reste,  pour  que  le  corps  fût  toujours  en 
nombre  suffisant,  aucun  boulanger  ne  pouvait  entrer  dans 
un  autre  sans  être  toujours  tenu  des  charges  de  sa  première 
profession  ;  il  n'en  pouvait  être  dispensé  ni  par  aucune  di- 
gnité, même  ecclésiastique,  ni  par  la  milice,  les  décuries,  ou 
quelque  autre  fonction  ou  privilège  que  ce  fût.  Cependant, 
les  boulangers  ne  furent  pas  privés  pour  cela  de  tous  les  hon- 
neurs de  la  république.  Ceux  qui  l'avaient  bien  servie, 
Kiirtout  dans  les  temps  de  disette,  pouvaient  même  parve- 
nir à  la  dignité  de  sénateur  ;  mais  dans  ce  cas  ils  de- 
vaient renoncer  à  leurs  biens  et  à  ceux  de  la  communauté, 
qui  devenaient  la  propriété  de  leurs  successeurs.  Ils  ne 
pouvaient  du  reste  s'élever  au  delà  de  cette  dignité  ;  l'entrée 
des  magistratures  auxquelles  on  joignit  plus  tard  le  titre 
de  perfectissimatus  leur  était  défendue. 

Cette  institution  et  ces  usages  des  Romains  ne  tardèrent 
pas  à  passer  dans  les  Gaules;  mais  il  paraît  qu'ils  par- 
vinrent beaucoup  plus  tard  dans  les  pays  septentrionaux  : 
Borrichius  dit  qu'en  Suède  et  en  Norvège  les  femmes  pétris- 
saient encore  le  pain  vers  le  milieu  du  seizième  siècle. 
De  même  une  partie  des  peuples  de  l'Amérique  ne  broyaient 
pas  encore  autr'^ment  leurs  grains  qu'avec  des  pierres  avant 
l'arrivée,  des  aventuriers  qui  portèrent  la  civilisation  et  les 
lumières  dans  ces  contrées  restées  si  longtemps  vierges. 

En  France  il  y  eut  des  boulangers  dès  le  commencement 
de  la  monarchie.  Il  en  est  parlé  dans  les  ordonnances  de 
Dagobert  11,  de  l'an  630.  Leur  emploi  fut  d'abord,  comme 
à  Rome,  de  faire  moudre  le  blé  aux  moulins  qu'ils  avaient 
chez  eux,  qu'ils  tournaient  à  bras ,  ou  qu'ils  faisaient  tour- 
ner à  des  animaux ,  ou  à  quelques  moulins  bâtis  sur  de  pe- 
tites rivières.  Ils  vendaient  ensuite  la  farine  à  ceux  qui  vou- 
laient cuire  chez  eux,  et  en  faisaient  du  pain  pour  les  autres. 
C'est  pour  cela  qu'ils  sont  appelés,  jusque  sous  la  troisième 
race,  dans  quelques  titres  latins,  pisto7'es, oiif  en  français, 
pestors,  mais  pins  souvent  néanmoins  panelïers,  talme- 
iiers  et  boulangers.  Il  y  eut  bientôt  quatre  sortes  de  bou- 
langers, ceux  des  villes,  ceux  des  faubourgs  et  banlieue, 
les  privilégiés  et  les  forains.  La  maîtrise  s'achetait  du  roi; 
mais  pour  être  reçu  maître  boulanger  le  prétendant  por- 
tait au  maître  des  boulangers  ou  lieutenant  du  grand  pane- 
tier  un  pot  de  terre  neuf  rempli  de  noix  et  de  nieules,  fruit 
que  l'on  ne  connaît  plus,  et  en  présence  de  cet  officier  et 
des  autres  maîtres  et  geindres  (mitrons)  il  cassait  ce  pot 
contre  la  muraille,  et  ensuite  on  buvait  ensemble.  Le  grand 
panetier  de  France  avait  la  maîtrise  des  boulangers  et 
talmeliers  en  la  ville  et  banlieue  de  Paris ,  avec  droit  de 
justice.  Ce  fut  saint  Louis  qui  donna  cette  juridiction  sur 
eux  <^t  sur  leurs  compagnons  à  son  maître  panetier,  pour 
en  jouir  tant  qu'il  plairait  au  prince,  comme  on  l'apprend 
du  recueil  des  usages  de  la  polie*  des  boulangers,  fait  par 
Etienne  Boileau.  Elle  n'a  été  supprimée  qu'en  1711.  Les 
boulangers  privilégiés  étaient  de  deux  sortes  :  1°  les  bou- 
langers suivant  la  cour,  établis  par  Henri  IV,  an  nombre 
de  dix,  eu  ICO!,  et  auginonlésde  deux  par  Louis  XllI  :  ils 


avaient  tous  demeure  à  Paris  :  2»  ceux  qui  habitaient  en 
lieux  de  franchise.  Les  boulangers  forains  étaient  ceux  qui 
exerçaient  hors  de  la  ville  et  des  faubourgs. 

Pour  éviter  que,  sous  le  titre  de  marchands ,  les  boulan- 
gers ne  se  rendissent  les  maîtres  de  tous  les  grains ,  les  lois 
romaines  leur  avaient  défendu  de  servir  en  qualité  de  pilotes 
sur  les  vaisseaux  qui  amenaient  des  blés  à  Rome;  ils  ne 
pouvaient  être  non  plus  mesureurs  de  grain  En  France, 
un  arrêt  du  parlement,  suivi  d'autres  ordonnances,  leur 
défendit  également  d'être  mesureurs  de  grain  ou  meuniers. 

Nid  aujourd'hui  encore  ne  peut  exercer  la  profession  de 
boulanger  sans  l'autori^^alion  du  maire  de  la  ville  ;  elle  ne  doit 
lui  être  accordée  qu'autant  qu'il  est  justifié  par  lui  qu'il  est 
de  bonne  vie  et  mœurs ,  qu'il  a  fait  un  apprentissage  et  qu'il 
connaît  les  bons  procédés  de  son  art.  Chaque  boulanger 
doit  avoir  constamment  en  réserve  dans  son  magasin  un  ap- 
provisionnement suffisant  pour  pourvoir  à  la  consommation 
journalière  pendant  un  mois  au  moins,  et  sa  boutique  tou- 
jours garnie  de  pain.  Du  reste  un  syndic  et  des  adjoints 
sont  élus  tous  les  ans  dans  chaque  localité  pour  déterminer 
laquotitédes  approvisionnements  auxqnelschaqueboulanger 
doit  être  soumis  et  le  nombre  de  fournées  qu'il  doit  faire. 
11  ne  peut  quitter  sa  profession  qu'après  en  avoir  fait  la  dé- 
claration au  maire  six  mois  à  l'avance;  celui  qui  la  quitte- 
rait sans  autorisation  est  puni  par  la  vente  de  son  approvi- 
sionnement de  réserve  au  profit  des  hospices;  il  est  de  plus 
frappé  de  l'iuterdiction  de  son  état. 

Les  boulangers  ne  peuvent  vendre  le  pain  au  dessus  de 
la  taxe  légalement  faite  et  publiée,  sous  les  peines  de  police; 
ils  doivent  peser  le  pain  devant  l'acheteur  et  avoir  dans 
l'endroit  le  plus  apparent  de  leur  boutique  des  balances  et 
poids  métriques  dûment  poinçonnés.  Il  leur  est  interdit  de 
vendre  du  pain  au  regrat  et  encore  d'en  former  des  dé- 
pôts. Ils  doivent  en  outre  se  conformer  à  tous  les  arrêtés  lo- 
caux que  l'autorité  municipale  juge  convenable  de  prendre. 
Les  contraventions  par  eux  commises  dans  l'exercice  de 
leur  profession  sont  poursuivies  devant  le  tribunal  de  police 
municipale. 

A  Paris ,  tout  pain  doit  être  vendu  rigoureusement  au 
poids,  sauf  convention  particulière  sur  le  prix  entre  les 
parties  pour  ce  que  l'on  appelle  pains  de  fantaisie;  mais 
cette  prescription  est  difficile  à  faire  observer  :  on  préfère 
en  général  perdre  sur  le  poids  ce  que  l'on  croit  gagner  sur  la 
qualité,  et  ne  payer  que  le  prix  de  la  taxe.  Chaque  boulan- 
ger doit  mettre  son  numéro  sur  les  pains  qu'il  fabrique.  Au- 
trefois, lorsque  les  pains  ne  pesaient  pas  le  poids,  les  boulan- 
gers pouvaient  être  poursuivis  ;  aujourd'hui  toute  vente  doit 
être  précédée  d'une  pesée;  la  taxe  est  faite  au  kilogramme. 
Les  boulangers  ne  peuvent  se  refuser  à  détailler  le  pain,  et 
l'acheteur  paye  au  prorata  de  la  taxe.  La  taxe  est  fixée  tous 
les  quinze  jours  (le  l*^""  elle  16  de  chaque  mois)  par  le  préfet 
de  police  suivant  le  prix  des  farines  dans  les  marchés  pré- 
cédents. 

BOULANGER  ( Nicolas-Amoine ) ,  naquit  à  Paris, 
le  11  novembre  1722.  Il  fit  de  pauvres  études  au  collège  de 
Beauvais ,  où  le  marchand  de  papier  son  père  l'avait  fait  en- 
trer. Devenu  ingénieur,  il  se  montra  animé  de  l'amour  de 
ses  devoirs,  mais  médiocre  dans  ses  fonctions.  11  y  avait  dans 
cet  homme  des  dispositions  rêveuses  qui  le  rendaient  peu  apte 
à  la  vie  pratique;  aussi  de  bonne  heure  son  imagination 
fut-elle  frappée  des  grands  bouleversements  de  la  nature. 
Un  ingénieur  vulgaire  n'aurait  vu  dans  les  bouleversements 
du  globe  que  des  éléments  d'études  géologiques;  lui,  avec 
son  génie  rêveur  et  poétique,  il  y  vit  la  cause  du  boulever- 
sement du  monde  moral.  Le  déluge  et  les  peintures  qui  en 
sont  faites  dans  la  Bible  préoccupaient  sans  cesse  son  esprit. 
L'Apocalypse  etses  prédictions,  la  pensée  de  la  fin  du  monde, 
la  terreur  que  cette  grande  menace  inspira  de  tout  temps  aux 
peuples  de  la  terre,  étaient  sans  cesse  l'objet  de  ses  médita- 
tions i)rol'ondes.  Salsalor  \\o<à  de  la  philosophie,  esprit  soin- 


.531 

bre  et  mélancolique,  Eoulanger  ne  voyait  dans  l'Écriture 
Sainte  que  des  symboles  astronomiques.  L'iiisloire  elle-même 
nVcliappait  pas  à  cette  manière  de  tout  réduire  au  symbole. 
Il  avait  une  grande  puissance  de  volonté  pour  l'étude ,  si  bien 
qu'il  apprit  le  grec,  l'hébreu,  le  syriaque,  dans  le  seul  but  de 
rechercher  l'étymologie  de  certains  mots,  de  certains  noms 
qui  lui  donnaient,  i  tort  ou  à  raison  ,  l'explication  d'un  grand 
nombre  de  faits.  Mais,  chose  étrange,  Boulanger  n'avait 
pas  terminé  un  seul  de  ses  ouvrages  quand  la  mort  le  surprit, 
à  l'âge  de  trente-sept  ans,  le  16  septembre  1759.  On  peut 
dire  hardiment  que  deux  parts  doivent  être  faites  de  ses 
œuvres ,  l'une  qui  est  de  lui  en  partie,  l'autre  qui  ne  lui  ap- 
partient en  aucune  manière. 

L'Antiquité  dévoilée,  publiée  après  sa  mort  sur  ses  notes 
nombreuses,  rentre  évidemment  dans  la  première  catégorie; 
elle  est  de  lui,  sauf  quelques  points  de  rédaction  ;  on  y  re- 
trouve l'empreinte  d'une  imagination  forte  et  sombre.  Il 
trouve  dans  les  usages  de  l'anliquiUi,  dans  les  religions, 
les  traces  du  terrible  souvenir,  de  la  grandiose  teneur  du 
déluge  ;  il  recherche  les  liaisons  qui  existent  entie  ce  phéno- 
mène immense  et  les  périodes  astronomiques.  Rien  dans  cet 
ouvrage  n'accuse  la  tendance  de  l'époque  qui  visait  à  dé- 
truire la  religion  du  Christ  ;  il  est  enthousiaste ,  mais  modéré.  11 
n'en  est  pas  de  même  des  Recherches  sur  l'origine  du  des- 
potisme oriental;  là  se  montre  à  nu  l'irréligion  la  plus  en- 
cyclopédique (qu'on  nous  pardonne  le  mot).  L'auteur  veut 
y  démontrer  comme  quoi  les  gouvernements  de  l'Orient 
n'ont  dû  leur  puissance  absolue  et  despotiijue  qu'aux  terreurs 
qu'inspiraient  les  terribles  souvenirs  du  déluge.  Quant  aux  au- 
tres ouvrages  attribués  à  Boulanger,  ils  ne  sont  plus  que 
l'oiuvre  des  encyclopédistes,  et  surtout  du  baron  d'Holbach. 
Boulanger  en  avait  sans  doute  conçu  la  pensée;  mais  l'exé- 
cution est  due  à  des  metteurs  en  œuvre  imbus  du  philoso- 
phisme de  l'époque.  C'est  une  Dissertation  sur  É lie  et  sicr 
Enoch ,  une  Dissertation  sur  saint  Pierre,  une  Disserta- 
tion sur  Ésope ,  et  une  pauvre  Histoire  d'Alexandre.  Mais 
les  articles  Corvée,  Guèbres,  Déluge,  Langue  hébraïque, 
Économie  politique,  dans  Y  Encyclopédie,  sont  de  lui.  Les 
ouvrages  de  ce  génie  bizarre,  mais  honnête,  ont  été  publiés 
en  huit  vol.  in-8"  ou  dix  vol.  in-12.  Dans  le  commerce  ordi- 
naire de  la  vie.  Boulanger  était  affable  et  bon  ;  fort  tolérant 
à  l'endroit  de  ses  théories,  il  ne  les  imposait  pas  avecdes- 
poUsme  :  il  les  proposait,  et  comprenait  parfaitement  qu'on  ne 
les  adoptât  pas,  parce  que,  disait-il,  eZ/es  sont  di/jiciles  à 
prouver.  Jules  Pautkt. 

BOULANGER  (  Mariic-Julik  HALIGUER,  connue  sous 
le  nom  de  M"""),  naquit  à  Paris,  le  2"J  janvier  1786.  Elle  fut, 
dès  ses  premières  années,  emmenée  en  province  par  son 
père,  qui  y  remplissait  un  modeste  emploi.  Son  talent  pré- 
coce pour  la  musique,  le  lind)re  mélodieux  de  cette  voix 
encore  enfantine,  atliièrent  l'attention  de  quelques  amis  de 
sa  famille,  à  laquelle  ils  persuadèrent,  non  sans  peine, 
d'envoyer  la  jeune  personne  dans  la  capitale,  pour  qu'on  y 
cultivât  ses  heureuses  dispositions.  Reçue  le  20  mars  1806 
au  Conservatoire  de  Musique  connue  pensionnaire,  elle  eut 
d'abord  Plantade  pour  maître  de  chant,  devint  élève  de 
tiarat  en  1807,  et  lut  formée  à  la  déclamation  dramatique 
par  Baptiste  aîné.  Ile  prouva  en  remportant  tous  les  pre- 
miers prix  qu'elle  avait  su  profiler  des  leçons  de  ces  maî- 
tres. Ornement  des  concerts  si  justement  célèbres  dn  Con- 
.seivaloire,  elle  avait  épousé  un  artiste  qui  y  figurait  dans 
la  partie  instrumentale.  Avant  de  paraître  sur  la  scène,  elle 
brilla  au  dehors  dans  d'autres  concerts,  oii  une  belle  voix  et 
une  exécution  brillante  commencèrent  sa  réputation.  Sans 
avoir  jamais  passé  sur  aucun  IhéAtre,  sans  même  avoir  joué 
dans  aucun  spectacle  de  société,  elle  débuta,  le  16  mars  1811, 
h  rOpéra-Comiquedans  Vami  de  la  Maison  et  Le  Concert 
interrompu,  et  elle  y  obtint  un  succès  tel,  qu'après  la  repré- 
sentation elle  dut  être  ramenée  sur  la  scène  par  Elleviou. 
.   Ce  succès  ne  lit  que  s'accroître  à  chaque  nouveau  rôle 


BOULANGER  —  BOULAY 


abordé  par  elle ,  mais  surfout  dans  celui  de  Colombine  du 
Tableau  Parlant.  Grétry,  dont  elle  avait  si  bien  saisi  la  gra- 
cieuse malice  dans  cette  charmante  binette,  lui  fut  rede- 
vable des  plus  doux  plaisirs  de  ses  derniers  jours.  11  faudrait 
passer  en  revue  prescpie  tout  l'ancien  répertoire  del'Opéra- 
Comique  pour  mentionner  seulement  les  rôles  où  elle  excella. 
Son  jeu  naturel  et  animé  lui  faisait  avoir  surtout  la  jjalme 
dans  les  rôles  de  soubrette  qui  demandent  de  la  finesse  et  de 
la  gaieté.  Cette  réussite  constante  eut  principalement  pour 
cause  l'alliance,  en  général  si  rare,  et  chez  elle  pourtant  si 
étroite,  de  la  comédienne  et  de  la  cantatrice.  Elle  jouit  pen- 
dant vingt-quatre  ans  de  suite  de  la  faveur  du  public  ;  mais, 
sentant  ses  moyens  s'affaiblir,  elle  eut  le  courage  de  quitter 
le  théâtre  en  1835. 

Elle  eut  un  courage  plus  grand  encore,  celui  d'y  rentrer 
quelques  années  plus  tard  après  avoir  éprouvé  de  forte» 
pertes,  et  de  s'y  résigner  aux  rôles  de  mères.  Elle  reparut  au 
nouvel  Opéra-Comique,  sur  la  place  de  la  Bourse.  Comme 
cantatrice,  elle  avait  perdu  quelques-uns  de  ses  avantages. 
Quant  à  son  jeu  plein  de  vérité,  d'aisance  et  de  naturel; 
quant  à  Fa  gaieté  franche,  spirituelle  et  communicalive,  elle 
était  toujours  la  même,  elle  ne  laissait  rien  à  désirer.  Enfin, 
dans  le  mois  de  mai  1846  elle  prit  sa  retraite  définitive  dans 
le  rôle  de  Ma  tante  Aurore.  Sa  voix  s'était  à  peu  près 
éteinte,  il  est  vrai;  mais  c'était  encore  le  même  goitt,  la 
même  intelligence  dramatique,  la  même  aptitude  à  faire  va- 
loir les  intentions  du  poète  et  du  musicien.  M"® Boulanger 
est  morte  à  Paris,  le  23  juillet  1850. 

Son  fils  Ernest  Boulanger,  élève  distingué  du  Conserva- 
toire, qui  a  remporté  le  premier  grand  prix  de  composition, 
est  auteur  de  la  musique  de  deux  pièces  jouées  à  l'Opéra- 
Comique  :  Une  voix  ci  La  Cachette. 

BOULAY  rfe  la  Meurthe  (Antoine-Jacques-Claude- 
JosEi'H  ),  naquit  à  Chaumousey ,  village  des  Vosges ,  le  li)  fé- 
vrier 1761.  Ses  parents  étaient  cultivateurs,  et  lui  furent 
enlevés  de  bonne  heure.  Un  oncle,  curé  près  de  Nancy,  re- 
cueillit le  jeune  orphelin,  et  employa  son  modeste  héritage  à 
lui  donner  une  éducation  dont  il  sut  profiter.  Après  de  solides 
éludes  au  collège  de  Toul ,  il  se  fit  recevoir  avocat  à  Nancy, 
y  exerça  pendant  quelques  années ,  et  vint,  en  1786,  prendre 
place  au  barreau  de  Paris.  Il  commençait  à  s'y  faire  re- 
marquer quand  la  révolution  lui  parut  imposer  d'autres  de- 
voirs à  son  patriotisme.  Il  quitta  la  robe  pour  l'épée,  s'en- 
gagea comme  volontaire,  fit  la  campagne  de  1792  dans  un 
bataillon  de  la  Meurthe,  et  combattit  à  Valmy.  De  retour  à 
Nancy,  il  fut  élu  juge  au  tribunal  civil;  destitué  en  1793  par 
un  conventionnel  en  mission,  il  s'enrôla  de  nouveau,  fut  élevé 
au  grade  de  capitaine ,  et  se  trouva  aux  lignes  de  Wissem- 
bourg.  Les  mesures  prises  pour  la  réorganisation  de  l'armée 
le  rendirent  encore  une  fois  à  la  vie  civile  ;  mais  la  perse-  « 
cution  l'attendait  dans  ses  foyers.  La  Terreur  régnait;  un  ■ 
mandat  d'arrêt  le  contraignit  à  fuir  et  à  chercher  son  salut  ■ 
dans  une  obscure  retraite,  au  fond  des  Vosges.  Enfin,  grâce 
aux  événements  de  thermidor,  il  put  reparaître  au  milieu  de 
ses  concitoyens,  et  leurs  suffrages  l'attachèrent  de  nouveau 
au  tribunal  comme  président,  et  bientôt  après  lui  confé- 
rèrent les  fonctions  d'accusateur  public. 

Ces  fonctions  lui  méritèrent  un  témoignage  de  confiance 
plus  éclatant  :  en  Tan  V  il  fut  élu  député  au  Conseil  des 
Cinq-Cents.  C'est  dans  cette  assemblée  que  s'ouvrit  sa  car- 
rière politique.  Les  circonstances  étaient  délicates.  L'anar- 
chie, vaincue  au  9  thermidor,  se  tenait  toujours  prête  à 
ressaisir  sa  sanglante  dictature.  Le  parti  de  l'ancien  régime 
relevait  la  tête;  ses  intrigues,  son  influence,  grandie  parles 
excès  de  la  révolution  ,  avaient  introduit  ses  affidés  dans  les 
deux  conseils  législatifs,  dans  les  plus  hauts  emplois  de 
l'iitat.  Un  gouvernemont  faible,  incertain,  déconsidéré,  ne 
y)ouvait  contenir  les  factions.  Enfin,  la  cause  de  la  révo- 
lution n'avait  jamais  couru  de  plus  grands  périls.  Boulay 
s'en  constitua  le  défenseur  courageux  et  habile;  il  insista 


I 


BOULAY 


635 


pour  que  tous  les  ministres  Au  culte  fussent  soumis  à  une 
déclaration  particulière  de  fidélité  au  gonvernement;  il  fut 
un  des  agents  les  plus  décidés  du  coup  d'État  de  fructidor, 
et  consentit  à  être  le  rapporteur  de  la  loi  qui  frappait  de  dé- 
portation un  certain  nombre  de  députés  et  de  journalistes  , 
mesure  révolutionnaire ,  et  qui ,  si  elle  ne  relevait  pas  les 
échafauds,  n'en  était  pas  moins  violente  et  arbitraire.  Mais 
peut-être  la  révolution  était-elle  condamnée  à  ces  énormités 
pour  échapper  à  ses  adversaires.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  Direc- 
toire luttait  en  vain  contre  des  ennemis  qu'il  n'avait  point 
la  force  de  détruire.  On  n'osait  plus  verser  le  sang ,  il  est 
vrai;  mais  l'exil,  la  déportation,  la  confiscation,  étaient 
encore  des  armes  familières  aux  vainqueurs.  Les  anciens 
nobles  ne  dissimulaient  ni  leurs  haines  ni  leurs  menées  cons- 
piratrices. On  voulut  conjurer  leurs  efforts  :  leur  expulsion 
en  masse  et  sans  forme  de  procès  fut  proposée  et  appuyée 
au  nom  d'une  commission  des  Cinq-Cents  par  son  rapporteur 
Boulay.  L'opinion  publique  se  souleva;  la  commission  qui 
avait  adopté  cette  proposition  s'empressa  de  la  modifier  elle- 
même,  et  y  substitua  une  simple  exclusion  des  emplois  pu- 
blics, et  l'obligation  de  se  soumettre  à  certaines  conditions 
spéciales  pour  jouir  des  droits  du  citoyen.  Une  loi  sanc- 
tionna ces  mesures. 

Mais  ce  n'était  point  à  de  tels  expédients  qu'il  apparte- 
nait de  rétablir  l'ordre  et  la  sécurité.  Le  Directoire  luttait 
en  vain  par  l'arbitraire  contre  les  vices  de  sa  constitution  , 
et  ceux  même  qui  lui  avaient  prêté  le  concours  le  plus  ef- 
ficace se  trouvèrent  dans  la  nécessité  de  combattre  une  po- 
litique aussi  violente  que  capricieuse,  également  dépourvue 
de  consistance  et  de  dignité.  Boulay  fut  de  ce  nombre  :  il 
avait  acquis  une  grande  influence  dans  le  Conseil  des  Cinq- 
Cents.  Organe  de  l'assemblée  dans  les  circonstances  les  plus 
décisives ,  prompt  au  travail ,  énergique  et  actif,  il  avait  été 
secrétaire  des  Cinq-Cents  et  deux  fois  président.  Il  résistait  à 
la  fois  aux  hommes  de  désordre  en  s'opposant  à  ce  que  la 
patrie  fut  déclarée  en  danger ,  formule  empruntée  aux 
jours  de  la  Terreur,  et  aux  excès  du  pouvoir  on  défendant 
les  libertés  publiques  contre  les  atteintes  du  gouvernement. 
Il  ne  tarda  point,  sans  doute,  à  désespérer  des  nouvelles  formes 
constitutionnelles  qui  avaient  été  improvisées  par  la  Conven- 
tion expirante;  et  lorsqu'au  ts  brumaire.  Directoire  et 
conseils  furent  emportés  par  un  coup  de  main  du  jeune 
vainqueur  de  l'Italie,  Boulay  salua  de  son  adhésion  et  ap- 
puya de  son  influence  le  nouveau  pouvoir,  qui  promettait 
l'ordre  et  ne  menaçait  pas  encore  la  liberté. 

Nommé  président  de  la  commission  intermédiaire  qui 
avait  été  créée  dans  la  soirée  du  19  brumaire,  il  refusa, 
dit-on,  le  ministère  de  la  police;  mais  il  se  chargea  de 
développer  les  bases  de  la  constitution  consulaire,  à  la- 
quelle il  venait  de  coopérer.  Il  ne  pouvait  rester  en  dehors 
des  affaires  ;  il  était  de  ceux  qu'appelait  à  lui  le  premier 
consul,  pour  donner  à  son  gouvernement  l'appui  de  tous  les 
hommes  qui  s'étaient  fait  remarquer  dans  les  assemblées , 
dans  les  diverses  carrières  publiques.  Le  conseil  d'État  ve- 
nait d'être  organisé;  et  dans  la  pensée  de  son  fondateur 
l'administration  tout  entière  et  à  certains  égards  la  di- 
rection politique  elle-même  allaient  lui  être  remises.  Le 
comité  de  législation  devait  prendre  part  à  la  plus  grande 
œuvre  législative  qui  jamais  eût  été  entreprise.  Boulay  fut 
placé  à  la  tête  de  ce  comité,  et  en  dirigea  les  délibérations 
pendant  toute  la  discussion  du  Code  Civil.  Il  le  quitta  pour 
l'administration  du  contentieux  des  domaines  nationaux , 
poste  important,  q\ii  avait  besoin  d'être  remis  à  des  mains 
pures  ;  le  premier  consul  à  cette  occasion  dit  à  Boulay  : 
«  Je  vous  donne  une  place  où  réside  toute  la  politique  inté- 
rieure de  l'État;  j'ai  été  très-indulgent  pour  les  personnes, 
et  je  n'ai  presque  fait  que  des  ingrats;  mais  soyez  très-sé- 
vère pour  les  bleus.  »  Boulay  maintint  toutes  les  ventes 
nationales,  fit  bonne  justice  à  chacun,  et  sut  se  concilier 
l'estime  de  ceux  mîir.es  que  ses  devoirs  l'cbligeaiont  sou- 


vent à  froisser  dans  leurs  Intérêts.  Après  neuf  ans  passé» 
dans  cet  emploi,  après  avoir  instruit  plus  de  vingt  milla 
affaires,  et  presque  entièrement  épuisé  cette  tâche  laborieuse, 
il  reprit  au  conseil  d'État  la  présidence  du  comité  de  légis- 
lation. A  ce  titre  il  faisait  partie  du  conseil  de  régence 
formé  en  1814.  Il  y  siégeait  le  28  mars  lorsqu'on  délibéra 
sur  la  conduite  que  l'impératrice  devait  tenir.  Boulay  s'op- 
posa énergiquement  à  ce  qu'elle  s'éloignât  de  la  capitale.  Il 
voulait  que  la  petite-fille  de  Marie-Thérèse  suivît  l'exemple 
de  son  aïeule ,  et  qu'à  cheval ,  son  fils  dans  les  bras ,  elle  fît 
un  appel  à  la  garde  nationale  et  au  peuple  de  Paris.  La  ma- 
jorité du  conseil  se  prononça  pour  cet  avis  :  on  sait  trop 
qu'il  ne  fut  point  suivi. 

Pendant  la  première  restauration  Boulay  vécut  dans  la 
retraite.  Le  retour  de  l'empereur  lui  rendit  ses  anciennes 
fonctions,  avec  le  titre  de  ministre  d'État.  Dans  la  Chambre 
des  représentants,  où  l'avait  appelé  le  département  de  la 
Meurthe,  il  défendit  les  intérêts  de  la  dynastie  impériale; 
dans  le  conseil  d'État,  il  rédigea  en  grande  partie  les  deux 
célèbres  déclarations  par  lesquelles  ce  grand  corps  adhéra 
au  nouveau  gouvernement  et  à  ses  principes.  Enfui,  le  gou- 
vernement provisoire  lui  confia  le  ministère  de  la  justice.  La 
seconde  restauration  termina  sa  carrière  politique,  mais  non 
les  agitations  d'une  vie  si  pleine.  Proscrit  par  l'ordomiance 
royale  du  24  juillet  1815,  et  forcé  de  se  retirer  en  Allemagne, 
il  ne  (ut  autorisé  qu'à  la  fin  de  1819  à  rentrer  en  France,  où  il 
se  détermina  à  rester  désormais  dans  la  vie  privée.  Son  esprit 
lui  offrit  des  ressources  contre  l'ennui  qui  dévore  souvent 
ceux  que  les  vicissitudes  des  événements  arrachent  aux  af- 
faires publiques;  il  avait  le  goût  des  lettres.  Sous  le  Direc- 
toire ,  il  composait  un  écrit  qui  occupait  vivement  l'attenfioa 
publique  :  en  y  décrivant  les  causes  qui  avaient  amené  en 
Angleterre  V établissement  de  la  république  et  celles  qui 
V y  firent  périr,  il  offrait  au  temps  présent  de  curieux  rap- 
prochements et  des  enseignements  utiles.  Dans  l'exil ,  il 
publiait  le  Tableau  politique  des  règnes  de  Charles  1/  et 
de  Jacques  II,  derniers  rois  de  la  maison  de  Stuart, 
et  cette  composition  historique  était  encore  une  leçon  qu'il 
empruntait  au  passé.  Les  dernières  années  de  sa  vie  ont  été 
employées  à  écrire  des  mémoires  sur  la  révolution  qui  pour- 
ront expliquer  des  événements  encore  mal  connus.  Il  est 
mort  le  2  février  1840  ,  laissant  à  deux  fils,  ses  dignes  héri- 
tiers ,  un  des  noms  les  plus  honorables  parmi  ceux  que  les 
événements  accomplis  en  France  depuis  1789  ont  fait  sortir 
de  l'obscurité  pour  les  recommander  à  l'estime  et  à  la  re- 
connaissance publiques.  Vivien,  de  flnsiiiut. 

BOULAY  de  la  Meurthe  (Henri),  sénateur,  ex-vice- 
président  ^e  la  République,  fils  aîné  du  précédent ,  est  né  à 
Nancy,  le  15  juillet  1797.  Il  embrassa  la  camèredu  barreau, 
mais  s'occupa  bien  moins  de  jurisprudence  que  de  la  ges- 
tion des  propriétés  considérables  de  son  père ,  qu'il  admi- 
nistrait avec  un  dévouement  plus  que  filial.  Quoi  qu'il  en 
soit,  il  était  inscrit  au  tableau  des  avocats  à  la  cour  royale 
de  Paris  lorsque  éclata  la  révolution  de  Juillet.  Jeté  dans  le 
mouvement,  il  obtint  après  la  victoire  la  décoration  créée 
pour  les  combattants.  M.  Boulay  de  la  Meurthe  affectait  ce- 
pendant d'abord  des  opinions  napoléonistes  ;  mais  il  fut 
bientôt  rallié  au  gouvernement  de  Louis-Philippe,  et  devint 
successivement  chevalier ,  puis  officier  de  la  Légion  d'Hon- 
neur, lieutenant-colonel,  puis  colonel  delà  onzième  légion  de 
la  garde  nationale  parisienne,  membre  du  conseil  général 
de  la  Seine,  etc.  En  1834  Lunéville  l'envoya  à  la  chambra 
des  députés.  Il  y  siégea  au  centre  gauche ,  et  fit  partie  de 
l'opposition  dynastique  modifiée ,  s'occupant  spécialement 
de  la  propagation  de  l'enseignement  primaire. 

On  lui  doit  en  effet,  entre  autres  ouvrages,  plusieurs  rap- 
ports sur  les  travaux  de  la  société  pour  l'instruction  élé- 
mentaire et  sur  sa  situation  en  France  et  à  l'étranger;  d'au- 
tres rapports  au  conseil  municipal  de  Paris  sur  le  même 
sujet,  sur  les  livres  et  méthodes,  sur  l'organisation  du  cona- 


i3G 


BOULAY  —  BOULE 


mercede  la  boucherie,  cl  une  Histoire  du  Choléra-Morbus 
dans  le  quartier  du  Luxembourg.  C'est  à  ses  longues 
instances  que  les  instituteurs  primaires  durent  une  augmen- 
tation de  traitement  votée  par  la  chambre  des  députés  dans 
une  de  ses  dernières  sessions. 

Réélu  en  1837,  M.  Boulay  de  la  Meurthe  échoua  en  1839. 
Plus  heureux  en  1842  et  en  1846,  il  reparut  à  la  chambre 
avec  le  mandat  du  collège  de  Mirecourt.  Épris  d'un  vif  amour 
postliume  pour  le  grand  empereur,  il  avait  ressuscité ,  en 
dépit  des  règlements,  les  fifres  de  la  garde  impériale  dans 
sa  onzième  légion,  souvenir  qui  est  resté  gravé  en  caractères 
douloureux  dans  les  oreilles  du  quartier. 

L'avènement  de  la  république  de  1848  était  sans  doute 
peu  du  goût  de  notre  législateur-colonel.  Le  suffrage  uni- 
versel parisien  commença  par  le  dépouiller  de  ses  épaulettes. 
Les  Vosges  lui  furent  plus  fidèles,  et  l'envoyèrent  à  la  Consti- 
tuante. 11  n'y  brilla  guère  que  par  son  attachement  au  neveu 
de  l'empereur,  qui  dut  présenter  à  l'Assemblée  constituante, 
aux  termes  de  la  constitution ,  trois  candidats  pour  la  vice- 
présidence.  M.  Boulay  de  la  Meurthe  était  entête  de  la  liste. 
L'Assemblée,  accusée  d'être  peu  favorable  à  l'élu  du  peuple, 
crut  faiie  acte  de  bon  goût  en  choisissant  le  premier  nom 
présenté.  M.  Boulay  de  la  Meurthe  devint  ainsi  vice-prèsi- 
denl  de  la  république  et  président  du  conseil  d'État.  On 
avait  affecté  à  sa  demeure  le  petit  Luxembourg.  11  préféra 
rester  dans  sun  hùtel.  Outre  son  traitement,  on  finit  par  lui 
voter  50,000  fr.  de  frais  de  représentation;  il  n'en  usa  qu'en 
faveur  de  dilïérentes  institutions  de  bienfaisance. 

Le  coup  d'Etat  du  2  décembre  1851  a  dépouillé  M,  Boulay 
de  ses  fonctions  de  vice-président  de  la  république  et  de 
président  du  conseil  d'Etat;  mais  il  a  reçu  depuis  pour  fiche 
de  consolation  l'habit  brodé  de  sénateur.  11  s'était  marié 
en  1851,  à  l'âge  de  cinquante-quatre  ans. 

Son  frère  puîné,  M.  Joseph  Boulay,  ancien  secrétaire 
général  du  ministère  de  l'agriculture  et  du  commerce  sous 
Louis-Philippe ,  est  aujourd'hui  conseiller  d'État,  comme  il 
l'avait  été  sous  la  constitution  de  1848. 

liOULAY-PATY  (  Pierke-oébastien  ),  législateur  et 
jurisconsulte,  naquit  àAbbaretzprès  de  Châteaubriaut  (Loire- 
Inférieure),  le  10  août  1763.  Reçu  avocat  à  Rennes  en  1787, 
il  embrassa  la  cause  de  la  révolution  s:ins  en  partager  les 
excès  ;  et  il  s'honora  surtout  par  sa  résistance  au  proconsul 
C  a  r  r  i  e  r.  11  remplit  successivement  différentes  fonctions  pu- 
bliques ,  entre  autres  celles  de  commissaire  civil  et  criminel 
du  pouvoir  exécutif  dans  le  département  de  la  Loire-Infé- 
rieure, et  fut  élu  en  1798  au  conseil  des  Cinq-Cents.  11  prit 
une  part  active  à  la  révolution  du  18  juin  1799,  qui  contrai- 
gnit La  Revellière-Lépeaux  et  Merlin  à  quitter  le  Direc- 
toire, et  fit  également  l'opposition  la  plus  vive  à  la  journée 
du  18  brumaire  :  aussi  fut-il  placé  le  19  sur  la  liste  des 
membres  exclus.  Mais  sa  disgrâce  ne  fut  pas  de  longue 
durée  ;  car  le  gouvernement  consulaire  le  nomma  juge  à  la 
cour  d'appel  de  Rennes.  Lors  de  la  réorganisation  de  l'ordre 
judiciaire,  en  1810,  il  devint  conseiller  à  la  cour  impériale,  et 
fut  conlirmé  dans  ses  fonctions,  qu'il  n'avait  cessé  d'exercer 
pendant  la  première  et  la  seconde  restauration,  par  ordon- 
nance royale,  li  mourut  le  16  juin  1830,  à  Donges,  doyen  de 
sa  cour.  On  a  de  lui  :  Observations  sur  te  projet  du  Code 
de  Commerce  (1802);  Cours  de  Droit  Commerciat  maritime 
(4  vol.,  1821  ),  ouvrage  qui  le  place  au  premier  rang  des 
jurisconsultes;  Traité  des  Faillites  et  Banqueroutes  (1825); 
Emerirjon  annoté,  mis  en  rapport  avec  le  nouveau  Code 
de  Commerce.  11  avait  rassemblé  en  outre  dans  les  dernières 
années  de  sa  vie  une  foule  de  matériaux  restés  inédits  pour 
une  Histoire  du  Commerce  Maritime  chez  tous  les  peu- 
ples. 

Son  fils  aîné,  mort  à  vingt-cinq  ans,  fut  l'un  des  signataires 
de  !a  consultation  du  général  Travot.  —  Le  second,  Eva- 
nA7cBoiJi,AY-PATY,néà  Donges,  le  19 octobre  1804,  a  vu  cou- 
ronner par  l'Académie  Française  son  pocmc  sur  VArc  de 


Triomphe  de  V Étoile ,  et  ce  succès  eut  tant  d'éclat  que  le 
prix  fut  doublé,  ce  qui  n'avait  jamais  eu  lieu  depuis  la  fon- 
dation de  l'Académie.  Il  a  vu  couronner  encore  par  l'Aca- 
démie de  Nantes  sa  Chute  des  Empires,  et  par  l'Académie 
des  Jeux  Floraux  son  ode  intitulée  Le  Charme.  Son  poëme 
sur  le  Monument  de  Molière  a  obtenu  une  première  men- 
tion honorable  à  l'Académie  Française.  11  a  publié  en  outre 
un  volume  de  Dithyrambes  sur  les  Grecs,  Élie  Mariaker, 
deux  volumes  d'Orfe*  et  un  volume  de  Sonnets. 

BOULBEIVE)  espèce  d'argile  siliceuse,  assez  commune 
dans  le  département  du  Gers,  où  on  la  trouve  ordinairement 
dans  le  voisinage  des  rivières.  C'est  une  terre  blanchâtre , 
dont  les  parties  sont  plus  ténues  que  la  cendre  de  nos  foyers, 
et  qui,  par  le  lavage  et  la  décantation,  donne  un  sable  vitreux, 
ayant  l'apparence  du  grès  pilé.  Son  épaisseur  ordinaire  est 
de  deux  décimètres  :  elle  pose  sur  des  bancs  d'argile  colorés 
en  noir,  bleu  et  gris,  par  l'oxyde  de  fer,  et  au-dessous 
desquels  se  rencontre  ordinairement  le  tuf.  Cette  argile  con- 
serve la  forme  qu'on  lui  donne  ;  elle  se  dessèche  sans  se 
fendre,  et  acquiert  une  très-grande  dureté  par  la  chaleur  du 
soleil.  C'est  sans  contredit  la  meilleure  des  terres  pour  la 
composition  du  pisé,  et  il  est  à  regretter  que  sa  production 
soit  bornée  à  quelques  localités. 

BOULE.  On  donne  ce  nom  à  tout  objet  de  forme 
sphérique. 

il  y  a  trois  manières  de  procéder  pour  tourner  tine  boule 
méthodiquement  : 

1°  On  forme  sur  le  tour  un  cylindre  dont  la  longueur  et  le 
diamètre  égaient  le  diamètre  de  la  boule  que  l'on  se  pro- 
pose de  former.  On  trace  sur  le  milieu  de  ce  cylindre ,  en 
lui  présentant  l'angle  d'un  ciseau,  un  cercle  qui  sera  l'cqua- 
teur  de  la  future  boule.  Cela  fait,  on  met  le  cylindre  en 
travers  un  mandrin  que  porte  l'arbre  d'un  tour  en  Cuir,  et 
on  enlève  toute  la  matière  qui  excède  l'équateur  de  la  boule, 
cercle  dont  l'axe  de  rotation  du  tour  est  alors  un  des  diamè- 
tres. Quand  celte  opération  est  terminée ,  la  boule  est  à 
moitié  faite.  On  la  retourne  pour  former  l'autre  moitié,  en 
procédant  de  la  même  manière, 

2"  Le  procède  qui  vient  d'être  expose  est  parfaitement  d'ac- 
cord avec  les  principes  de  la  géométrie,  mais  il  est  bien  dif- 
ficile de  le  pratiquer  exactement  sans  erreur.  C'est  ce  qui 
a  fait  imaginer  aux  fabricants  de  globes  géographiques  le 
mécanisme  que  voici  :  le  diamètre  de  la  boule  étant  déter- 
miné, on  forme  un  demi-cercle  en  métal  d'un  rayon  égal  à 
celui  de  la  boule.  Le  bord  intérieur  de  ce  demi-cercle  est 
coupant.  La  boule  étant  formée  grossièrement  en  carton- 
nage, etc.,  on  la  recouvre  d'un  enduit  qui  se  laisse  couper 
facilement  et  avec  netteté ,  quand  il  est  sec  ;  la  boule  tour- 
nant entre  deux  pointes  comme  sur  ses  pôles,  on  lui  présente 
le  demi-cercle  :  toute  la  matière  qui  excède  est  enlevée  et 
la  boule  est  tournée. 

3°  Enfin ,  des  amateurs  de  l'art  du  tour  ont  inventé  un 
petit  appareil  à  l'aide  duquel  on  termine  une  boule  avec  la 
plus  grande  exactitude.  Au-dessous  du  mandrin  qui  porte 
la  boule  ébauchée  est  fixé  sur  le  banc  du  tour  un  pivot  ver- 
tical ,  dont  l'axe  forme  des  angles  droits  avec  l'axe  de  ro- 
tation du  tour.  Sur  ce  pivot  tourne  un  porte-outil ,  dans  le 
plan  du  cercle  qui  représente  l'horizon  de  la  boule.  Pendant 
que  celle-ci  tourne  suivant  le  mouvement  de  l'arbre  qui  la 
porte,  on  fait  mouvoir  le  porte-outil  sur  son  pivot ,  et  l'on 
avance  le  fer  jusqu'à  ce  que  la  boule  soit  régularisée 
partout,  à  l'exception  du  point  par  lequel  elle  tient  au 
mandrin.  TEYSsÈnr.r. 

BOULE  (Jeu  de).  Il  y  a  aujourd'hui  deux  sortes  de  jeux 
de  boules:  le  jeu  de  grosses  boules  elle  jeu  dit  du  co- 
chonnet. Nous  n'avons  à  parler  ici  que  du  premier. 

Le  jeu  de  grosses  boules  se  joue  dans  une  sorte  d'allée  de 
jardin  encaissée  de  manière  que  les  boules  lancées  ne  \}vis- 
sent  dévier  ni  à  droite  ni  à  gauche.  A  l'une  des  extrémités  de 
cette  allée  est  une  marque  visible  sur  le  sol,  puis,  à  soixante- 


BOULE  — 

quinze  ou  quatre-vingts  centimètres  de  cette  marque,  un  fossé 
appelé  notjon.  Ciiaque  joueur,  armé  de  deux  boules,  en  joue 
une  à  son  tour,  en  cherchant  à  placer  les  siennes  le  plus 
près  possible  du  but  et  à  en  chasser  celles  de  l'adversaire. 
11  doit  éviter  que  la  boule  qu'il  joue  tombe  dans  le  noyon, 
car  elle  ne  compterait  pas. 

Toutes  les  boules  étant  jouées,  celui  des  joueurs  dont  les 
boules  sont  le  plus  près  du  but  marque  un  point  pour 
chacune.  Le  nombre  des  points  qui  composent  la  partie  doit 
être  fixé  à  l'avance. 

Le  jeu  de  boule  est  sans  doute  fort  ancien.  11  était  autrefois 
fort  goûté  dans  toute  la  France.  Nos  ancêtres  s'étaient  même 
tellement  passionnés  pour  cet  amusement  que  Charles  V  le 
lit  défendre,  parce  qu'il  détournait  les  jeunes  Français  du 
métier  des  armes,  et  qu'il  avait  grand  besoin,  dit-il,  de  sol- 
dats et  non  de  bouleurs ,  contre  les  Anglais.  Comme  le  jeu 
de  boulesdonne  lieu  à  beaucoup  d'erreurs,  etque  les  joueurs 
sont  toujours  disi)osés  à  s'attribuer  l'avantage  eu  mesurant 
la  distance  des  boules,  on  a  fait  le  mot  bouleur  synonyme 
de  trompeur. 

BOULE  (  André-Cuai'.les),  l'ébéniste  le  plus  célèbre  des 
temps  modernes,  naquit  à  Paris,  en  1642.  Doué  par  la  nature 
des  plus  heureux  Instincts ,  il  aurait  été  à  toute  époque  un 
artisan  distingué;  sous  le  grand  roi,  dans  le  grand  siècle,  il 
devint  un  grand  artiste.  Fils  d'un  ébéniste,  il  suivit  la  car- 
rière modeste  de  sou  père,  mais  en  l'agrandissant  à  sa  taille. 
A  propos  de  meubles,  le  thème  qui  semble  pour  l'ordi- 
naire inspirer  le  moins,  il  sut  montrer  tour  à  tour  et  à  la 
fois  toutes  les  qualités  d'un  architecte  de  style  abondant  et 
sévère,  d'un  coloriste  harmonieux  et  varié,  d'un  sculpteur 
lin ,  élégant  et  correct.  Sans  imiter  personne  ,  il  contribua 
puissamment^  fixer  le  goût  grandiose  du  siècle  de  Louis  XIV, 
dont  il  est  un  des  plus  singuliers  ornements.  Aucun  autre 
avant  lui  n'avait  su  combiner  de  façons  si  diverses,  avec 
autant  de  bonheur  et  d'effet ,  les  différents  bois  des  îles,  de 
l'Inde  et  du  Brésil  ;  jamais  on  n'avait  su  employer  comme 
lui  le  cuivre,  l'or,  l'argent,  le  bronze  et  l'ivoire.  Il  figurait 
dans  ses  ouvrages  toutes  les  espèces  d'animaux ,  de  fruits,  de 
coquillages,  de  fleurs.  Toujours  avec  les  seuls  éléments  de 
Icbénisterie,  il  composait  des  tableaux  dans  lesquels  étaient 
représentés  des  sujets  d'histoire,  de  batailles,  de  chasses 
et  de  paysages.  Dans  tous  les  temps,  les  esprits  initiés  aux 
beautés  souvent  voilées  de  l'art,  sensibles  à  ses  discrètes 
émotions,  ont  rendu  justice  au  style  excellent  des  composi- 
tions de  Boule  et  au  rare  niL  rite  de  leur  exécution  ;  mais 
c'est  avec  un  véritable  plaisir  que  nous  devons  ici  recon- 
naître la  proportion  dans  laquelle,  pendant  ces  dernières 
années,  le  nombre  de  ses  admirateurs  s'est  accru.  Son  nom, 
qui  n'était  encore,  il  y  a  peu  de  temps  ,  familier  qu'aux  an- 
tiquaires et  aux  érudits,  s'est  de  nos  jours  rapidement 
popularisé;  et  la  nation  française,  au  moment  où  nous  écri- 
vons, s'enorsueillit  à  bien  juste  titre  de  son  ébéniste  comme 
de  l'un  des  moins  contestables  de  la  noble  pléiade  de  ses 
artistes.  Après  un  siècle  d'oubli,  après  avoir  été  chassés 
des  châteaux  de  nos  rois  par  les  caprices  sans  cesse  re- 
naissants de  la  mode  et  |)ar  la  tourmente  révolution- 
naire, les  meubles  de  Boule  ont  repris  aujouid'hui  toute 
faveur. 

Nous  terminerons  cet  article  en  formulant  des  vœux  pour 
que  celui  qui  fut  logé  au  Louvre  par  Louis  XIV ,  nonmié 
par  lui  graveur  ordinaire  du  sceau;  celui  ([u'ou  qualilia  , 
dans  le  brevet  qui  lui  fut  délivré,  d'archilecie,  de  peintre, 
sculpteur  en  mosaïque,  inventeur  de  chilIVes,  etc.,  reprenne 
dans  nos  collections  d'art  le  rang  qui  lui  appartient.  Son 
nom  ne  figure  pas  encore  au  catalogue  du  cabinet  des  es- 
tampes. Espérons  que,  par  les  soins  des  savants  icouophiles 
«lui  le  dirigent,  son  a-uvre  gravée  ne  tardera  pas  à  y  prendre 
la  place  éminenfe  que  l'opiuion  générale  lui  assigne. 

Après  une  existence  toul  entière  remplie  par  le  travail. 
Boule  moui-uta  Paris,  en  1732.  C.  ue  Cop.cy. 

UIGT.    LE    LX  CO.NVtlis.    _   T.    Ul. 


BOULEAU  •        537 

BOULEAU.  L'espèce  type  de  ce  genre  de  la  faiiùUe  des 
amentacées,  le  bouleau  blanc  {betula  alba),  croît  natu- 
rellement en  Europe.  Ce  bouleau  s'élève  à  15  ou  20  mètres 
et  aucun  arbre  ne  jouit  autant  que  lui  peut-être  de  la  propriété 
de  croître  partout,  excepté  (chose paradoxale,  et  néanmoins 
véritable  )  dans  les  sols  généreux  ,  où  on  le  voit  rarement  à 
l'état  de  nature ,  et  où  il  semble  ne  pas  se  comporter  mieux 
même  à  l'état  de  culture  que  dans  les  terres  arides  et  brû- 
lantes, les  sites  élevés  et  infertiles  de  toutes  espèces  :  par  un 
contraste  digne  de  remarque,  on  le  trouve  encore,  à  côté  de 
l'aune,  dans  les  marais  fangeux  où  croupissent  des  eaux 
impures.  On  voit  le  bouleau  occupant  seul  des  contrées  en- 
tières dans  les  dernières  et  les  plus  froides  régions  du  nord,  où 
il  est  d'une  grande  utilité  dans  l'économie  domestique.  Ainsi 
les  Grœnlandais ,  les  Kamtchadales ,  couvrent  leurs  cabanes 
avec  son  écorce  ;  ils  s'en  nourrissent  quand  elle  est  nouvelle 
s'en  font  des  chaussures  quand  elle  est  vieille;  les  diverses 
enveloppes  de  cette  écorce  servent  à  fabriquer  un  assez  bon 
papier;  enfin  cette  écorce  possède  encore  des  vertus  essen- 
tiellement fébrifuges.  De  plus  les  Russes,  les  Suédois ,  savent 
tirer  du  tronc  du  bouleau  une  liqueur  fermentée. 

Le  genre  bouleau  renferme  une  quarantaine  d'espèces  : 
nous  parlerons  seulement  des  plus  importantes;  la  plupart 
appartiennent  à  l'Amérique. 

Le  bouleau  pleureur  ou  bouleau  à  rameaux  pendants 
(betula  pendula)  croît  naturellement  en  Europe  avec  le 
bouleau  blanc,  dont  il  paraît  être  une  variété;  il  s'élève  à 
la  môme  liauteur  que  ce  dernier,  et  il  n'en  diffère  que  par 
la  souplesse,  l'inclinaison  et  la  disposition  tombante  de  ses 
rameaux  pareils  à  ceux  du  saule  pleureur.  Cette  disposition 
lui  donne  une  pliysionomie  pittoresque  très-reaîarquable;  et 
jointe  à  ses  feuilles ,  bien  faites  et  odoriférantes ,  à  la  cou- 
leur blanche  de  son  épiderme,  luisant  et  bnllant ,  elle  fait 
de  ce  bouleau  un  arbre  qui  convient  beaucoup,  et  qui  n'est 
jamais  oublié  dans  les  parcs  et  jardins  d'agrément. 

Le  bouleau  à  papier  du  Canada  {betula  papyracea), 
le  plus  ancien  de  ceux  qui  ont  été  apportés  en  France,  et 
qui  a  l'écorce  un  peu  moins  blanche  que  celle  du  bouleau 
blanc  d'Europe ,  reçut  à  son  arrivée  parmi  nous,  et  par  op- 
position au  bouleau  blanc  d'Europe,  le  nom  de  bouleau 
noir  d'' Amérique,  bien  que  les  Français  du  Canada  le  con- 
nussent sous  le  nom  de  bouleau  blanc.  Il  est  très-abondant 
dans  le  Bas-Canada,  le  Nouveau-Brunswick,  la  Nouvelle- 
Ecosse,  les  États  de  Vermont,  de  Connecticut  et  l'État  de 
New- York,  où  il  est  d'une  utilité  aussi  générale  que  l'est 
parmi  les  peuples  septentrionaux  de  l'Europe  le  bouleau 
d'Europe.  Il  olfre,  eu  outre,  ce  caractère  de  supériorité, 
qu'indépendamment  de  sa  stature  plus  élevée,  son  bois  est 
d'une  meilleure  qualité ,  et  sa  végétation  beaucoup  i)lus  ra- 
pide que  celle  du  bouleau  blanc  d'Europe. 

Le  bouleau  à  feuilles  de  peuplier  de  Pensylvanie 
{betula populi/olia)  s'élève  moins  que  le  précédent,  dont 
il  diffère  par  la  forme  de  ses  feuilles  :  il  croît  dans  les  par- 
ties les  plus  septentrionales  des  États-Unis,  dans  les  États 
de  New-Yorli,  de  New-Jersey  et  de  Philadelphie,  indistinc- 
tement dans  les  terres  arides,  maigres  et  sablonneuses, 
et  dans  les  lieux  humides,  où  il  parvient  à  la  hauteur  du 
bouleau  d'Eiuope. 

Le  bouleau  ruuge  de  New-Jersey  {betula  rubra)  se 
trouve  le  plus  abouJamnient  dans  le  New-Jersey  ,  la  Virgi- 
nie, aux  bords  de  la  Delaware,  dans  la  partie  haute  des 
deux  Carolines,  et  dans  la  Géorgie.  On  l'y  rencontre 
parmi  les  platanes  et  les  érables ,  dans  les  sols  graveleux 
ou  stériles  ,  où  il  atteint  jusqu'à  25  mètres  de  hauteur.  En- 
tre autres  usages,  'es  nègres  se  servent  de  son  bois  indis- 
tinctement avec  celui  du  tulipier  pour  en  faire  des  vases 
propres  à  contenir  leurs  aliments  et  leurs  boissons. 

Le  bouleaic  de  Virginie  à  feuilles  de  merisier  {betula 
lenta)  est  un  des  plus  recommandables  de  ceux  de  l'Amé- 
rique, par  la  beauté  et  la  qualité  de  son  bois,  qui  lui  a  valu 


538 


BOULEAU  —  BOULEN 


le  nom  d'acajou  de  montagne.  L'odeur  snave  et  la  forme 
«le  ses  feuilles  ,  semblables  à  celles  du  merisier,  lui  ont  mé- 
rité aussi  les  noms  de  bouleau  merisier  et  de  bouleau 
odorant.  Il  abonde  plus  particulièrement  au  sommet  des 
monts  AUegbanys,  en  Pensylvanie,  dans  les  États  de  New- 
Jersey  et  de  New- York.  Les  feuilles  du  bouleau  merisier 
exhalent  «ne  odeur  extrêmement  suave,  qu'elles  ne  perdent 
pas  par  la  dessiccation ,  et  dont  on  fait  une  infusion  théi- 
forme  d'un  arôme  délicieux.  Les  ébénistes  américains  à 
Boston  et  dans  le  Massachusets ,  le  Connecticut  et  le  New- 
York,  en  font  des  tables,  des  fauteuils,  des  canapés,  des 
bois  de  lits  qui  ressemblent  à  l'acajou;  cet  arbre  s'élève 
autant  que  le  betula  papyraçea,  et  sou  accroissement  est 
plus  rapide  encore. 

Le  bouleau  jaune  de  la  Nouvelle- Ecosse  {betula 
lutea),  qui  croit  dans  les  forêts  du  district  du  Maine  et  du 
Nouveau-Brunswick ,  où  il  est  très-abondant,  a  beaucoup 
de  rapports  avec  le  bouleau  merisier,  dont  il  possède  les 
avantages.  Il  se  fait  un  commerce  considérable  de  ses  plan- 
ches. Le  bois  du  bouleau  jaune  est  un  des  plus  estimés  dans 
la  menuiserie.  Cet  arbre  est  une  utile  importation  parmi 
nous  :  on  le  multiplie  par  couchage,  et  surtout  par  la  se- 
maison ,  ainsi  que  presque  toutes  les  espèces  que  nous  ve- 
nons de  décrire.  C.  Tollard  aîné. 

BOULE  D'AMORTISSEMEINT,  en  architecture, 
se  dit  de  tout  corps  sphérique  qui  termine  quelque  édifice 
ou  quelque  décoration,  telle  que  la  pointe  d'un  clocher,  ou 
le  haut  d'un  dôme  :  la  coupole  de  Saint-Pierre  à  Rome,  par 
exemple ,  est  surmontée  d'une  bouie  de  bronze  avec  une 
armature  de  fer  en  dedans ,  dont  le  diamètre  est  de  plus  de 
deux  mètres  et  demi ,  et  qui  peut  contenir  seize  personnes. 

BOULE  DE  MARS  ou  BOULE  DE  NANCL  On  ap- 
pelle ainsi  un  composé  que  l'on  obtient  en  faisant  une  pâte 
liquide  avec  deux  parties  de  crème  de  tartre,  une  partie  de 
limaille  de  fer  porphjrisée  et  de  l'eau-de-vie  :  l'oxygène  de 
l'air  se  porte  sur  le  fer,  et  il  se  produit  du  tartrate  de  po- 
tasse et  de  fer,  auquel  on  donne  la  forme  de  boules ,  qui 
ont  ordinairement  la  grosseur  d'une  noix  ordinaire. 

On  a  donné  aussi  aux  boules  de  mars  le  nom  de  boules  de 
Nanci,  et  celui  de  boules  de  Molsheiin,  des  deux  villes 
de  France  et  d'Alsace  qui  portent  ces  noms,  et  où  se  fabri- 
quait principalement  ce  composé. 

La  boule  de  mars  en  solution  dans  l'eau  convient  dans 
la  chlorose,  l'aménorrhée  causée  par  l'impression  d'un  corps 
Iroid,  et  accompagnée  d'une  diminution  des  forces  vitales  et 
musculaires;  dans  la  leucorrhée  accompagnée  de  faiblesse, 
principalement  lorsque  les  autres  piéparalions  ferrugineuses 
n'ont  produit  aucun  effet  sensible.  Pour  ces  espèces  de  ma- 
ladies, il  est  essentiel  de  l'associer  avec  une  infusion  de  plante 
fortifiante  amère  ou  fortifiante  aromatique.  Extérieurement, 
et  mise  en  solution  avec  de  l'eau-de-vie ,  la  boule  de  Nanci 
est  indiquée  dans  les  fortes  contusions ,  lorsqu'elles  sont  ré- 
c<>ntes,  ou  sur  les  environs  d'une  plaie  nouvelle  accompagnée 
de  violentes  contusions.  Mise  sur  les  plaies  récentes  et 
profondes,  et  sur  les  ulcères,  elle  s'oppose  à  la  consolidation 
des  premières  et  à  la  cicatrisation  des  secondes. 

Les  médecins  préfèrent  généralement  à  la  boule  de  mars 
d'autres  préparations  de  fer,  dont  les  proportions  et  le  dosage 
sont  plus  connus  et  plus  certains. 

BOULE  DE  NEIGE.  On  donne  ce  nom,  en  bota- 
nique, à  une  variété  de  la  viorne-obier  {viburnum  opulus), 
de  la  famille  des  chèvres-feuilies ,  dont  les  fleurs  blanches 
et  toutes  stériles  sont  rassemblées  en  boules.  La  boule  de 
neige  est  un  arbuste  d'ornement  pour  les  jardins  ;  il  exige 
un  terrain  frais,  et  néanmoins  l'exposition  du  midi.  On  le 
multiplie  de  rejetons  et  de  marcottes  simple.s,  et  on  le  taille 
aus-iilôt  après  la  lloraisou. 

BOULEX,  BOOLEN  ou  BOLEYN  (Anne  de),  reine 
d'Anglelerie.  «  Il  est  bien  étrange,  dit  Bayle,  qu'on  sache 
«  peu  en  quel  temps  naquil,  en  «picl  temps  sortit  d'Angle- 


terre et  y  retourna  une  personne  qui  parvint  d'une  manière 
si  éclatante  à  la  royauté.  »  Les  historiens  ne  s'accordent 
presque  pas  davantage  sur  les  circonstances  de  sa  vie, 
jusqu'au  moment  où  le  sanguinaire  et  débauché  Henri  VIII 
la  fit  mouler  sur  son  trône  par  un  crime,  et  l'en  précipita  par 
un  autre.  A  cette  époque ,  où  le  catholicisme  et  la  réforma 
partageaient  les  esprits  et  pervertissaient  aussi  les  cons- 
ciences, les  jugements  sur  Anne  de  Boulen  «levaient  porter 
le  caractère  d'une  partialité  d'autant  plus  forte  que  cette 
princesse  avait  abjuré  pour  devenir  l'épouse  du  roi.  Par 
conséquent,  les  catholiques  ne  lui  pardonnèrent  jamais  une 
apostasie  qui  couvrait  déjà  si  mal  celle  de  son  honneur.  11 
paraît,  quoi  qu'on  ne  puisse  l'itfliriner ,  qu'.\nne  naquit  en 
Angleterre,  en  1500.  Elle  était  le  dernier  enfant  issu  du 
mariage  de  sir  Thomas  de  Boulen,  avec  une  fille  du  duc  de 
Norfolk.  Cette  famille  était  devenue  l'un  des  apanages  de  la 
lubricité  d'Henri  VIII,  qui  eut  un  commerce  de  galanterie 
avec  lady  Boulen,  et  ensuite  avec  sa  fille  aînée.  Un  certain 
chevalier  Bryan,  l'une  de  ces  âmes  damnées  de  la  corruption 
des  princes,  et  que  le  roi  appelait  pour  cette  raison  son 
lieutenant  d'enfer,  s'était  servi  de  l'amitié  qui  le  liait  avec 
sir  Thomas  pour  le  déshonorer  doublement  au  profit  de 
son  maître. 

Telles  étaient  les  relations  de  ce  prince  au  moins  avec 
lady  Boulen,  lorsqu'Anne,  sa  plus  jeune  fille,  âgée  de 
quinze  ans,  accompagna  en  France  la  princesse  Marie  d'An- 
gleterre, qui  s'y  rendait  pour  épouser  Louis  XII.  Après 
deux  ans  et  demi,  Marie,  devenue  veuve,  revint  en  Angle- 
terre. H  serait  difficile  de  comprendre  pourquoi  Anne,  sa 
fille  d'honneur,  alors  âgée  de  dix-sept  à  dix- huit  ans,  n'y 
suivit  point  cette  princesse ,  et  passa  au  service  de  madame 
Claude  de  France,  fille  de  Louis  XII,  mariée  à  François  P^"^, 
si  l'on  n'admettait  comme  motifs  Irès-plausibles  de  cette 
conduite,  soit  les  bruits  répandus  sur  elle  avant  son  départ 
d'Angleterre,  que  dès  l'âge  de  quatorze  ans  Anne  avait  déjà 
passé  des  bras  du  maître  d'hôtel  de  son  père  dans  ceux  de 
son  chapelain,  soit  enfin  l'amour  qu'elle  avait  inspiré  au 
nouveau  roi  de  France.  Livrée  aux  séductions  de  cette  cour 
voluptueuse ,  une  fille  du  caractère  d'Anne  de  Boulen  ne 
pouvait  balancer  entre  leurs  jouissances  et  l'intérieur  mo- 
deste de  la  veuve  de  Louis  XII ,  bien  que  Marie,  jeune  aussi, 
ne  fût  pas  ennemie  des  plaisirs.  D'ailleurs,  le  soin  de  sa 
réputation  devait  peu  toucher  une  personne  que  la  jeunesse 
de  la  cour  de  France  nommait  grossièrement  la  haquenée 
d' Angleterre  ou  la  mule  du  roi.  Aussi,  après  la  mort  de 
la  reine  Claude,  on  vit  Anne  de  Boulen  s'attacher  encore  à 
la  duchesse  d'Alençon,  sœur  de  François  I*"^.  Sa  beauté,  son 
esprit,  sa  folle  gaieté,  ses  succès,  ses  plaisirs  en  tout  genre, 
la  liaient  chaque  jour  davantage  à  une  cour  dont  elle  faisait 
et  partageait  les  délices.  Aussi  peu  chaste,  dit-on,  dans  ses 
discours  que  dans  ses  actes,  elle  trouvait  au  sein  de  cette 
cour  licencieuse  une  satisfaction  si  complète  à  se.s  penchants, 
qu'il  est  impossible  de  concevoir  quel  fut  enfin  le  motif  de 
son  retour  en  Angleterre.  Les  historiens  gardent  le  silence 
sur  cette  circonstance  très-importante  d'une  vie  qu'elle 
semblait  avoir  consacrée  à  la  France  :  peut-être  Anne  de 
Boulen,  déjà  âgée  de  vingt-cinq  à  vingt-sept  ans  quand  elle 
quitta  la  cour.de  François  I*"",  y  fut-elle  avertie  que  son  rôle 
était  fini. 

Quoi  qu'il  en  soit,  à  son  retour  à  Londres,  après  une  aussi 
longue  absence  et  malgré  la  publicité  des  désordres  de 
sa  jeunesse,  Anne  de  Boulen  entra  au  service  de  la  malheu- 
reuse Catherine  d'Aragon,  femme  de  Henri  VIII,  tant  il 
était  de  sa  destinée  d'être  toujours  fille  d'honneur.  L'em|)irs 
que  l'ancien  ami  de  sa  famille,  le  chevalier  Bryan,  conser- 
vait sur  le  roi  ne  contribua  pas  peu  sans  doute,  en  <lépit 
des  échos  de  la  cour  de  France,  à  la  faire  attachrr  à  la 
reine.  De  plus,  cet  ardent  entremetteur  des  débauches  du 
roi  ne  voulait  pas  plus  que  son  maître  laisser  échapper  le 
plaisir  de  compléter  dans  la  personne  d'Anne  de  Boulea  la 


BOîJ 

conquête  de  toute  sa  famille.  D'après  \es  exemples  de  sa 
mère  et  de  sa  sœur,  et  sa  propre  conduite  dans  les  deux 
royaumes,  le  priuce  et  son  lieutenant  étaient  loin  de  pré- 
voir la  moindre  résistance  de  la  part  de  la  nouTelle  fille 
d'honneur  de  Cattierine.  Ce  fut  cependant  ce  qui  arriva. 
L'ambition  lui  sourit  tout  à  coup  comme  une  volupté  nou- 
velle. Elle  s'y  livra  avec  le  stoïcisme  de  l'amour,  lui  en 
sacrifiant  les  caprices,  et  lui  soumettant  l'empire  de  ses 
charmes.  Ambitieuse,  elle  se  fit  chaste,  comme  dans  une 
cour  dévote  les  incrédules  se  font  dévots  pour  parvenir. 
L'entourage  d'Henri  Mil  était  loin  d'être  dévot ,  mais  il 
était  alors  agité  par  les  intrigues  du  cardinal  Wolsey,  qui, 
pour  se  venger  de  Charles-Quint,  travaillait  au  divorce  du  roi 
avec  Catherine  d'Aragon,  sœur  de  l'empereur,  afin  de  lui  faire 
épouser  Isabelle  de  France.  Pressée  par  Henri  VIII,  Anne 
de  Boulen  osa  concevoir  le  projet  de  jouer  le  cardinal ,  de 
supplanter  Catherine  et  Isabelle,  et  de  monter  sur  le  trône 
d'Angleterre ,  bien  qu'elle  se  fût  engagée  par  un  contrat  à 
épouser  lord  Percy,  comte  de  Northumberland.  Cette  fille, 
à  la  fois  artificieuse  et  passionnée ,  parut  elle-même  aussi 
éprise  du  roi  que  ce  prince  l'était  d'elle.  La  résistance  n'avait 
fait  qu'enflammer  davantage  son  royal  amant.  Elle  lui  écrivit 
qu'elle  voudrait  être  son  humble  servante  sans  aucune 
restriction,  mais  lui  déclara  en  même  temps  qu'elle  ne  pou- 
vait lui  appartenir  que  par  les  liens  du  mariage.  Cette 
condition  fut  la  cause  immédiate  delà  répudiation  de  la  sœur 
du  plus  grand  monarque  du  monde.  Ce  fut  un  des  crimes 
les  plus  scandaleux  de  ce  règne.  11  produisit  d'autres  crimes 
sanglants,  dont  Anne  devait  être  la  victime  la  moins  inno- 
cente. 

L'impatience  d'un  homme  aussi  fatigué  de  jouissances  que 
devait  l'être  Henri  VIII,  alors  âgé  de  quarante-cinq  ans, 
fut  telle  qu'il  ne  voulut  pas  même  attendre  la  sentence  de 
dissolution  de  son  mariage ,  qu'il  avait  demandée  au  pape 
et  qui  lui  fut  refusée.  Alors  il  se  décida  à  épouser  secrète- 
ment Anne  de  Boulen,  le  14  novembre  1532.  Elle  était  dans 
sa  trente-deuxième  année.  Un  certain  C  r a  n  m  e  r,  qui  avait 
été  chassé  de  l'université  de  Cambridge  pour  avoir  aussi , 
tout  prêtre  catholique  qu'il  était,  épousé  secrètement  la 
sœur  d'un  ministre  luthérien,  qu'il  avait  séduite,  fut  le  digne 
instrument  du  mariage  de  Henri.  Ce  misérable ,  alors  cha- 
pelain de  sir  Thomas ,  avait  été  indiqué  au  roi  par  Anne  de 
Boulen  ;  et  la  promesse  de  l'archevêché  de  Cantorbéry  avait 
levé  des  scrupules  qu'il  n'avait  point.  On  ne  s'arrêta  point 
à  la  démission  courageuse  donnée  par  l'illustre  chancelier 
Thomas  Mo  ru  s,  qui  refusa  le  sceau  royal  à  cet  infâme  ma- 
riage, et  porta  depuis  sa  tête  sur  l'écbafaud.  Anne  avait  été 
créée  marquise  de  Pembroke,  et  son  père  comte  de  Wel- 
shire.  Le  nouvel  archevêque  de  Cantorbéry  prononça  la 
nullité  du  premier  mariage  et  la  validité  du  second,  malgré 
leur  coexistence.  Anne  de  Boulen  était  enceinte  de  cinq  mois 
quand  le  roi  la  fit  déclarer  son  épouse  et  reine  d'Angleterre, 
la  veille  de  Pàque  1533  :  le  1"  juin  suivant,  elle  fut  couron- 
née à  Westminster  avec  une  pompe  extraordinaire.  Il  était 
impossible  de  parjurer  avec  plus  d'impudeur  et  d'audace  les 
lois  divines  et  humaines.  Le  pape  excommunia  Anne  et  Henri, 
qui  se  déclara  chef  de  la  religion  dans  son  royaume. 

Le  7  septembre  suivant,  la  nouvelle  reine  accoucha  d'une 
fille,  qui  fut  la  fameuse  Elisabeth,  princesse  à  jamais 
digne  de  l'admiration  de  la  postérité ,  si  elle  n'avait  point 
souillé  son  règne  par  le  meurtre  de  Marie  Stuart.  Il  résul- 
tait bien  clairement  du  mariage  d'Anne  de  Boulen ,  célébré 
du  vivant  même  de  Catherine  d'Aragon,  la  bâtardise  de  sa 
fille,  qui  pourtant,  à  la  mort  de  Marie,  fille  de  Catherine, 
monta  sans  difficulté  sur  le  trône.  La  fin  de  Catherine  fut  dé- 
plorable. Henri  ordonna  pour  elle  des  obsèques  solennelles, 
et  lit  porter  le  deuil  à  toute  sa  maison  ;  mais  Anne ,  non 
contente  d'avoir  dépouillé  Catherine  du  rang  d'épouse  et  de 
reine,  défendit  à  ses  serviteurs  de  le  prendre,  et  eut  l'indignité 
de  paraître  en  public  comme  en  un  jour  de  fêle.  Cependant, 


LEN  539 

enivrée  de  son  triomphe,  et  se  croyant ,  sur  le  trône  n^ur]>é 
par  ses  artifices,  à  l'abri  de  tout  danger,  Anne  avait  repris  sans 
pudeur  et  sans  ménagement  les  égarements  de  sa  vie  passée  : 
elle  ne  prévoyait  point  qu'une  fille  d'honneur  de  la  reine  Anne 
serait  bientôt  choisie  par  son  époux  pour  punir  la  fille  d'hon- 
neur de  la  reine  Catherine.  Ce  choix  était  fait  :  la  belle  Jeanne 
Seymour  s'était  emparée  du  cœur  de  Henri.  Le  soupçon, 
le  dégoût  minaient  chaque  jour  la  coupable  union  du  roi  et 
de  la  reine.  Anne  accoucha  d'un  fœtus  informe ,  et  eut  l'im- 
prudence d'attribuer  ce  malheur  aux  infidélités  de  son  mari. 
Peu  de  temps  après  eut  lieu  un  tournoi  :  le  roi  prétendit  avoir 
vu  l'un  des  combattants  s'essuyer  le  front  sous  les  fenêtres 
de  la  reine  avec  un  mouchoir  qu'elle  lui  avait  jeté  :  Henri 
ne  cherchait  qu'un  prétexte ,  son  parti  était  pris. 

Il  sortit  furieux  du  tournoi,  et  le  lendemain,  22  mai  1535, 
après  deux  années  de  règne ,  Anne  fut  arrêtée ,  et  livrée  à 
une  commission  d'enquête,  qui  l'accusa  d'avoir  souillé  la 
couche  royale  par  d'infâmes  débauches  avec  des  seigneurs  et 
des  subalternes,  et  même  d'avoir  commis  un  inceste  avec 
son  propre  frère.  Le  roi  poussa  l'infamie  jusqu'à  reproduire 
contre  elle  des  imputations  qu'il  avait  repoussées  quand  il 
s'était  décidé  à  l'épouser.  L'enquête  depuis  le  mariage  suffi- 
sait. Malheureusement  pour  Anne,  les  preuves  ne  manquaient 
point  aux  accusations ,  et  bien  qu'à  son  entrée  dans  la  prison 
elle  eût  hautement  pris  le  ciel  à  témoin  de  sa  fidélité  conju- 
gale, un  accès  de  délire  s'empara  d'elle,  quand  elle  apprit 
que  son  frère,  deux  de  ses  gentils-hommes,  un  écuyer  du 
roi  et  un  de  ses  musiciens  venaient  d'y  être  enfermés.  Hors 
d'elle-même,  elle  passa  tour  à  tour  d'une  douleur  affreuse 
à  une  joie  plus  affreuse  encore  :  ses  sanglots,  ses  larmes  étaient 
interrompus  par  des  rires  convulsifs  :  «  O  ?fovier,  s'écriait- 
elle  (c'était  le  nom  de  l' écuyer  ) ,  ô  Novier,  tu  m'as  accu- 
sée et  nous  périrons  tous  deux  !  »  Il  n'avait  cependant  rieu 
avoué ,  non  plus  que  son  frère  et  ses  deux  gentils-hommes  : 
il  n'y  eut  que  Smclton,  le  musicien,  qui  avoua  avoir  eu  trois 
fois  les  faveurs  de  la  reine.  Anne  appela  vainement  à  son 
secours  ses  évêqties,  et  parmi  eux  Cranmer,  qui  avait  va- 
lidé son  mariage  :  le  roi  avait  juré  de  la  sacrifier ,  comme 
il  avait  sacrifié  Catherine,  à  la  brutalité  de  son  nouveau  pen- 
chant; et,  en  vertu  d'une  rigoureuse  loi  du  talion  que  son 
infidélité  voulait  inexorable,  le  1*""  mai  1536  Anne  fut  jugée 
par  vingt-six  commissaires,  tous  pairs  du  royaume,  qui  la  con- 
damnèrent à  être  ou  brûlée  ou  écartelée,  selon  le  bon  plaisir 
du  roi  ;  le  vicomte  de  Rochefort,  son  frère,  à  avoir  la  tète 
tranchée  ;  les  trois  gentils-hommes  et  le  musicien  à  être  pen- 
dus ,  leurs  corps  à  être  coupés  par  quartiers  et  exposés. 

Mais  cette  horrible  tragédie  fut  frappée  à  son  dénoûment 
d'un  incident  qui  devait  faire  ressortir  d'une  manière  plus 
éclatante  encore  le  caractère  odieux  de  l'exécrable  Henri  VIII  : 
il  avait  eu  la  barbarie  de  comprendre  parmi  les  pairs  ap- 
pelés à  juger  la  reine,  lord  Percy,  comte  de  Korthumber- 
land ,  dont  il  avait  connu  la  passion  pour  elle  quand  il 
l'avait  épousée.  Cette  passion  était  loin  d'être  éteinte  dans 
le  cœur  de  ce  seigneur.  Aussi ,  à  peine  assis  parmi  les  juges 
de  celle  qu'il  aimait  encore ,  il  était  tombé  en  défaillance , 
et  il  avait  fallu  l'emporter  hors  du  tribunal.  Anne  saisit  avec 
ardeur  cet  espoir  inattendu  de  salut  que  lui  ouvrait  la  fidé- 
lité de  son  amant,  et,  bien  que  condamnée,  elle  déclara 
qu'ayant  été  autrefois  liée  par  un  contrat  avec  le  couite  de 
is'orthumberland ,  elle  n'avait  pu  ni  épouser  le  roi  ni  se 
rendre  coupable  d'adultère  envers  lui.  D'après  cette  décla- 
ration, une  cour  ecclésiastique  fut  convoquée  sous  la  pr;'- 
sidence  de  l'archevêque  Cranmer.  Celui-ci  annula  le  mariage 
d'Anne,  comme  il  avait  annulé  celui  de  Catherine;  et  toutes 
deux  ayant  été  déclarées,  par  ce  tribunal ,  déchues  de  leur 
qualité  de  reines  et  d'épouses,  leurs  deux  filles,  Éfisabeth  et 
Marie,  se  trouvèrent  illégitimes.  Il  résultait  de  ce  jugement 
ecclésiastique  qu'Anne,  n'étant  plus  regardée  que  comme 
la  concubine  du  roi,  était  hors  de  procès,  et  en  ceL» 
Cranmer  l'avait  bien  servie  d'aj)rès  les  lois  d'une  véritabk 

lis. 


540 


BOULEN  —  BOULET 


justice.  Mais  le  tyran  voulait  le  sang  de  celle  qu'il  avait 
nirnée  si  éperdùment,  et  à  laquelle  il  avait  sacrifié  les  droits 
de  la  nature,  ceux  du  trône  et  des  lois.  Cependant  lord 
rercy,  tremblant  pour  ses  jours,  n'avait  point  rempli  l'at- 
tente de  la  reine.  Il  avait  communié  dans  une  église  en 
présence  de  plusieuis  membres  du  conseil  du  roi ,  et  devant 
eux  il  avait  juré  sur  son  salut  ou  sa  damnation  éternelle 
que  jamais  il  n'avait  existé  entre  la  reine  et  lui  aucune 
union  charnelle,  aucun  contrat  qui  eût  engagé  leur  foi. 

Ce  fut  sous  l'empire  de  cette  terreur  que  Henri  répandait 
autour  de  lui  que  le  supplice  ordonné  par  la  première  cour 
fut  fixé  au  19  mai.  Dès  ce  moment  une  juste  compassion  s'at- 
tache aux  derniers  moments  de  l'infortunée  Anne  deBoulen. 
A  peine  eut-elle  connaissance  de  cet  irrévocable  arrêt  de  la 
IVrocité  de  son  époux  que ,  se  jetant  aux  genoux  de  la 
femme  du  commandant  de  la  Tour,  où  elle  était  enfermée  : 
«  Allez,  lui  dit-elle,  et  dans  la  môme  posture  où  je  suis 
devant  vous ,  allez  de  ma  part  demander  pardon  à  la  prin- 
cesse Marie  pour  tous  les  maux  que  j'ai  attirés  sur  elle  et 
sur  sa  mère.  »  On  prétend  qu'elle  écrivit  au  roi  une  lettre 
qui  se  terminait  ainsi,  après  l'avoir  remercléde  sa  clémence 
et  de  ses  bienfaits  :  «  De  simple  particulière ,  vous  m'avez 
faite  dame,  de  dame  marquise,  de  marquise  reine,  et  ne 
pouvant  plusm'élever  ici-bas,  de  reine  dans  ce  monde  vous 
allez  me  faire  sainte  dans  l'autre.  »  Ce  bizarre  madrigal 
dans  une  semblable  extrémité  prouve  suffisamment  la  sup- 
position d'une  pareille  lettre  et  la  platitude  du  goût  de  cette 
époque.  Mais  ce  qui  est  hors  de  doute,  c'est  l'aliénation 
mentale  complète  qui  ne  cessa  dans  sa  prison  de  torturer 
son  esprit  et  son  cœur.  Elle  passait  des  prières  les  plus 
ardentes  au  rire  le  plus  insensé;  elle  parlait  de  la  terreur 
que  lui  causait  sa  moit  prochaine,  puis,  mesurant  avec  sa 
main  la  petitesse  de  son  cou,  elle  riait  en  pensant  qu'étant 
si  mince  il  serait  facilement  tranché  par  la  hache  du 
bourreau.  Cependant,  au  moment  du  fatal  départ,  Anne 
s'éleva  tout  à  coup  au-dessus  de  son  désespoir,  et,  re- 
prenant sa  qualité  de  reino,  en  traversant  la  foule,  elle 
s'irrita  de  ce  que  sur  son  passage,  au  lieu  de  recevoir  des 
marques  de  respect,  elle  ne  recevait  que  des  outrages  : 
»  Je  mourrai  votre  reine,  dit-elle  au  peuple,  dussiez-vous 
en  crever  de  dépit.  »  Sur  l'échafaud ,  elle  eut  la  dignité  de 
ne  parler  ni  de  son  innocence  ni  de  ses  fautes  :  «  Condamnée 
par  la  loi,  dit-elle,  je  viens  subir  mon  jugement.  »  Un 
sage  eût  envié  ces  paroles.  Puis  elle  souhaita  de  longues 
années  au  roi,  implora  les  prières  des  assistants,  et, 
rangeant  sa  rohe  avec  la  pudeur  de  Polyxène ,  elle  reçut 
le  coup  mortel. 

Ne  semble-t-il  point,  au  simple  récit  de  la  fin  d'une 
femme  dont  la  vie  avait  été  prostituée  dans  les  voluptés, 
et  l'incroyable  élévation  ainsi  que  la  chute  marquée  du 
sang  de  tant  de  victimes  ,  qu'aux  derniers  moments  la  vie 
entière  se  purifie  dans  le  châtiment  qui  la  termine,  et  que 
les  vertus ,  refoulées  par  les  passions ,  reparaissent  au 
moment  où  les  passions  ne  sont  plus  pour  servir  de  cortège 
à  un  être  à  (|ui  le  malheur  seul  est  resté?  Pendant  qu'Anne 
de  Boulcn  expiait  si  noblement  sa  vie,  qu'avait  fait,  que 
faisait  le  roi  son  époux?  Il  avait  froidement  réglé  la  marche 
et  le  cérémonial  du  supplice;  il  avait,  pour  l'exécution, 
appelé  le  bourreau  de  Calais ,  dont  probablement  la  dexté- 
rité lui  était  connue;  lui-même  avait  nommé  les  pairs  et  les 
officiers  publics  qui  devaient  être  témoins  du  supplice; 
enfin,  du  haut  d'un  tertre,  que  l'on  montre  encore  dans 
le  parc  de  Richmond,  il  attendait  de  la  Tour  de  Londres  le 
signal  de  la  mort  de  celle  qu'il  avait  si  tendrement  aimée. 
Ce  n'est  pas  tout  :  après  avoir  livré,  par  clémence,  à  la 
liache  du  bourreau  les  quatre  gentils-hommes ,  à  la  potence 
le  nuisicien  Smelton ,  et  épargné  à  la  reine  le  supplice  du 
feu,  le  même  monstre  couronné  ordonnait  pour  le  len- 
demain la  fête  de  son  mariage  avec  Jeanne  Seymour,  et 
4>assait  des  voluptés  de  l'ochafaud  à  celles  du  lit  nuptial.  Le 


supplice  d'Anne  Boulen  a  fourni  à  Chénier  le  sujet  d'une 
de  ses  meilleures  tragédies,  qui  est  restée  au  théâtre  sous 
le  titre  de  Henri  VIII.  J.  Norvins. 

BOULET  (  Artillerie  ),  globe  ou  projectile  sphérique, 
le  plus  ordinairement  en  fonte  de  fer,  dont  on  charge  les 
canons.  Il  y  en  a  de  diverses  formes,  de  différents  cahbres, 
et  l'on  en  varie  l'emploi  d'après  les  circonstances.  Le  poids 
d'un  boulet  détermine  d'une  manière  nominale  l'espèce  et 
la  force  de  ce  projectile.  Dans  l'armée  de  terre  on  emploie 
des  boulets  de  4,  8, 12,  16,  24;  dans  la  marine  des  boulets 
de  4,  8,  12,  18,  24,  36,  suivant  la  grandeur  des  bâtiments 
qu'on  veut  atteindre.  Quand  on  parle  d'un  boulet  de  36,  on 
entend  un  boulet  du  poids  de  36  livres  ;  il  en  est  de  même 
pour  les  boulets  de  24,  18,  12,  etc.  Le  poids  du  boulet  in- 
dique aussi  la  force  du  calibre  de  la  pièce  à  laquelle  il  con- 
vient. Un  canon  de  36  est  destiné  à  recevoir  un  boulet  de 
36  livres,  un  canon  de  24,  un  boulet  de  24  livres;  ainsi 
de  suite. 

On  se  sert  pour  la  défense  des  côtes ,  ou  pour  détruire  les 
revêtements  des  remparts ,  de  boulets  creux ,  que  l'on 
nomme  aussi  obus.  On  employait  autrefois  de  ces  boulets 
creux,  doublés  en  plomb,  qu'on  appelait  boulets  mes- 
sagers, pour  donner  des  ordres  ou  des  nouvelles  dans  une 
place  assiégée  ou  dans  un  camp. 

Outre  les  boulets  en  fonte  de  fer,  il  y  a  eu  jadis  des 
boulets  en  pierre  ou  pierres  à  canon ,  qu'on  appela  d'abord 
bedaines  ou  molièrcs.  C'étaient  des  blocs  de  pierre,  de 
grès,  de  marbre,  taillés  sphériquement;  ils  étaient  lancés 
au  moyen  d'engins  à  poudre  ou  de  machines  névrobalis- 
tiques, nommées  acquéraux ,  bombardes ,  mangonneaux , 
pierrières ,  ribodequins,  sarres,  spiroles.  Les  ouvriers 
qui  taillaient  ces  pierres  se  nommaient  artillers ,  comme 
le  témoigne  Monteil.  Les  globes  de  pierre  étaient  des  pro- 
jectiles défectueux ,  parce  qu'on  les  façonnait  sur  place  et 
à  la  hâte ,  sans  être  sûr  de  la  coïncidence  de  leur  centre  de 
gravité  avec  leur  centre  de  figure ,  et  que  par  conséquent  on 
n'en  pouvait  calculer  avec  précision  ni  la  portée  ni  le  coup  ; 
aussi  les  tirait-on  à  une  grande  élévation.  On  confectionnait 
cependant  d'avance  des  boulets  dans  les  carrières,  mais 
ils  s'endommageaient  par  le  transport. 

Ce  sont  les  Français  qui ,  suivant  Daru  ,  ont  substitué  les 
premiers  des  boulets  de  fer  aux  projectiles  de  pierre.  Cette 
innovation  eut  lieu  vers  le  commencement  du  quinzième 
siècle ,  ou  sous  le  règne  de  Louis  XI.  Des  écrivains  rap- 
portent positivement  la  date  de  l'invention  des  globes  en 
fer  à  l'année  1470.  En  1478  les  Bourguignons  se  servaient 
encore  de  boulets  de  pierre,  à  ce  que  dit  M.  de  Barante  :  ils 
les  taillaient  dans  les  carrières  de  Péronne.  En  1514  il  en 
était  encore  fait  emploi  dans  plusieurs  places  de  guerre.  On 
montrait  à  Orléans  quatre  boulets  de  pierre  qui  dataient 
du  siège  de  1428  ;  la  circonférence  de  deux  de  ces  boulets 
était  de  l",  40,  et  leur  poids  excédait  100  kilogrammes.  Les 
deux  autres  pierres  à  canon  pesaientde  75  à  90  kilogrammes, 
La  milice  turque  a  conservé  la  dernière  l'usage  des  boulets 
de  pierre;  elle  a  eu  des  pierriers  lançant  des  boulets  doiit 
le  poids  variait  depuis  250  jusqu'à  450  kilogrammes  ,  en  elle, 
même  ime  pièce,  nomiwe  ctmon  à  vis,  qui  en  lançait  de  5.'i') 
kilogrammes.  Le  baron  de  Tott  dit  avoir  vu,  en  1770,  cette 
pièce  tirer  des  boulets  de  marbre  avec  150  kilogrammes  de 
poudre.  Un  boulet  de  400  kilogrammes,  lancé  sur  le  vais- 
seau amiral  le  Standard,  quand  la  flotte  anglaise  força  le 
passage  des  Dardanelles  ,  tua  et  blessa  plus  de  cent  hommes, 
démonta  le  pont,  abattit  le  grand  mât ,  et  mit  le  bâtiment 
en  danger  d'être  submergé.  L'usage  des  boulets  en  pierre 
a  laissé  des  vestiges  en  Allemagne ,  où  l'on  ne  désigne  géné- 
ralement le  calibre  des  projectiles  creux  que  par  le  poids  qui 
serait  celui  des  projectiles  en  pierre  d'un  diamètre  égal  : 
ainsi  l'obus  dit  de  7  livres  en  pèse  réellement  13  ou  14. 

Si  l'on  veut  incendier  des  édifices  ou  des  vaisseaux  en- 
nemis, on  fait  chauffer  jusqu'au  rouge  clair,  sur  des  grils  cl 


BOULET  - 

dans  des  fourneaux  à  rcTerbère,  des  boulets  en  fonte  de 
fer,  et  ces  boulets  rouges ,  lancés  par  les  canons  qu'on  en 
charge  à  l'aide  de  carques  ou  cuillères,  pénètrent  dans  les 
charpentes  des  maisons,  ou  dans  les  flancs  des  vaisseaux, 
qu'ils  embrasent  rapidement ,  si  Ton  ne  s'empresse  d"é- 
teindre  le  feu.  Ces  projectiles  rappellent  un  usage  de  l'anti- 
quité. Les  Tyriens,  suivant  Diodore,  jetaient  sur  les  travaux 
d'Alexandre  du  fer  ardent.  On  trouve  dans  Nicétas  le  récit 
d'une  défense  pareille  de  la  part  des  Arméniens  contre  l'em- 
pereur grec.  César  (51  ans  avant  J.-C.)  parle  des  globes 
d'argile  rougis  au  feu  que  les  Gaulois  lançaient  contre  ses 
troupes  à  l'aide  de  frondes  à  culot  de  métal.  Mézerai,  dans 
la  description  qu  il  fait  du  siège  de  Mézières,  défendue  par 
Bayard,  en  1321,  dit  :  «  Ce  n'étaient  que  canonnades,  que 
boulets  enflammés.  »  S'agit-il  ici  de  boulets  rouges  ou  de 
grenades?  Les  Polonais  assiégeant  Dantzig  en  font  usage  en 
1577  ;  ils  y  ont  recours  à  Polotsk,  en  1580.  Dans  la  même 
année,  le  maréchal  de  Matignon  s'en  sert  contre  La  Fère. 
Il  parait  constant  qu'en  1611  les  canons  de  i'armée  com- 
mandée par  Mathian  incendièrent  Moscou  au  moyen  de 
boulets  rouges.  Cependant  Feuquières  et  la  plupart  des  au- 
teurs prétendent  que  l'invention  du  tir  des  boulets  rouges 
vient  de  Prusse,  que  le  premier  essai  en  fut  fait  en  Pomé- 
ranie,  et  que  le  marquis  de  Biandebourg  y  assiégea  et  y 
brûla  de  boulets  rouges,  en  1075,  la  ville  de  Straisuud. 
D'autres  écrivains  attribuent  à  l'évêque  Bernard  de  Galen 
l'affreux  moyen  de  réduire  par  l'incendie  les  places  forti- 
fiées; ainsi  fut  traité  Bonn  en  1G89. 

En  1094  douze  mille  boulets  rouges  furent  lancés  contre 
Bruxelles  par  l'ordre  de  Louis  XIV.  La  guerre  à  coups  de 
boulets  rouges,  tombée  quelque  temps  en  discrédit,  reprit 
faveur  au  siège  d'Ostende,  en  1706.  Les  Autrichiens  s'en 
servirent  contre  Lille  en  1792.  Dans  nos  premiers  sièges  du 
grand  mouvement  de  1792,  cet  exem[)le  nécessita  malheu- 
reusement plus  d'une  fois  de  funestes  représailles.  Les  na- 
tions civilisées  y  renoncent ,  grâce  au  ciel ,  de  plus  en  plus. 

G»'  BAuniN. 

On  a  longtemps  employé  dans  la  marine  des  boulets  ra- 
mes et  des  boulets  enchaînés.  Ces  projectiles  étaient  desti- 
nés à  couper  le  gréenientde  l'ennemi  quand  les  navires  com- 
battaient à  une  petite  distance.  Mais  l'expérience  a  fait 
lenoncer  totalement  à  ce  genre  de  boulets,  dont  les  résul 
fats  étaient  loin  de  répondre  aux  calculs  de  la  théorie  qui 
eu  avait  créé  l'usage. 

On  appelait  boulet  ramé  une  espèce  particulière  de  pro- 
jectile composé  de  deux  demi-boulets  renversés  joints  entre 
eux  par  une  barre  de  quelques  centimètres  de  longueur.  Ces 
b(fu!ets  se  plaçaient  lougitudiualement,  et  leur  portée,  con- 
liariée  par  l'air  que  leur  volume  trop  développé  avait  à 
rei'oiiler,  n'était  pas  assez  grande  pour  qu'on  put  les  em- 
jilayer  à  une  certaine  distance.  Les  boulets  enchaînés 
étaient  deux  boulets  liés  entre  eux  par  une  chaîne  de  50  cen- 
timètres de  longueur.  Ce  projectile  composé  s'introduisait 
dans  le  canon  pour  en  sortir  avec  un  grand  bruit  sans  pro- 
duire un  effet  qui  répondît  à  tout  l'attirail  du  système. 
L'usage  des  boulets  enciiaînés  a  été  abandonné  bien  avant 
celui  des  boulets  rames.  Quant  aux  boulets  rouges ,  depuis 
plus  de  quarante  ans,  on  ne  s'en  sert  plus  à  bord  de  nos  vais- 
seaux. Les  dangers  que  présentait  ce  genre  de  projectiles  le 
rendaient  aussi  redoutable  au  navire  qui  l'employait  qu'à  celui 
contre  lequel  on  voulait  s'en  servir.  Dans  les  dernières  an- 
nées (le  l'Empire,  les  fours  à  boulet  furent  démolis  à  bord  de 
tous  les  bâtiment?  de  l'État.  Edouard  Cokbière. 

BOULET  (Peine  du).  C'est  une  peine  infligée  aux  dé- 
serteurs à  l'intéiieur,  quand  à  leur  crmie  il  se  joint  des  cir- 
constances aggravantes.  Cette  peine  consiste  à  porter  un 
boulet  du  poids  de  8  attaché  à  une  chaîne  de  fer  qui  tient 
à  une  ceinture,  laquelle  fait  partie  obligée  du  costume.  Cette 
peine  rappelle  les  anciennes  galères  de  terre;  elle  a  été  ins- 
tituée par  l'arrêté  du  19  vendémiaire  an  \ii,  et  confirmée 


BOULEVARD  541 

par  l'ordonnance  du  21  février  ISlo.  Le  mimmum  de  la 
durée  du  boulet  est  de  dix  ans;  cette  peine  est  susceptible 
d'être  prolongée  suivant  certains  cas  ou  d'être  aggravée  par 
le  double  boulet,  châtiment  infligé  pour  punir  les  tentatives 
d'évasion,  et  qui  consiste  à  traîner  deux  bo\dcts.  La  décision 
du  18  février  1817  veut  qu'il  y  ait  dans  chaque  garnison 
où  réside  un  conseil  de  guerre  permanent  un  boulet  garni 
de  ses  accessoires  ;  il  est  conservé  au  magasin  d'artillerie 
et  confié  aux  conseils  d'administration  en  cas  de  dégrada- 
tion de  déserteur.  G"'  Cardin. 

BOULET  {Art  vétérinaire).  On  appelle  ainsi  l'articu- 
lation ou  jointure  inférieure  de  la  jambe  du  cheval,  située 
entre  le  canon  et  le  paturon.  Un  cheval  est  bien  planté 
quand  la  face  antérieure  du  boulet  se  trouve  environ  deux 
ou  trois  doigts  plus  en  arrière  que  la  couronne  ;  s'il  avance 
autant  que  cette  dernière  partie,  s'il  est  sur  une  ligne  per- 
pendiculaire au  genou  et  au  canon,  le  cheval  est  droU  sur 
ses  jambes,  et  cette  situation  défectueuse  annonce  qu'il  est 
ruiné;  dans  le  cas  enfin  où  le  boqlptest  sur  une  ligne  per- 
pendiculaire à  la  pince,  on  dit  que  que  le  cheval  est  bouté 
ou  bouleté.  Dans  ces  deux  derniers  cas,  qui  sont  des  vices 
de  conformation,  la  marche  de  l'animal  est  presque  toujours 
défectueuse  :  tantôt  les  pie<ls  de  derrière  arrivent  en  mar- 
chant sur  la  partie  postérieure  des  pieds  de  devant  et  y 
font  des  meurtrissures  qu'on  nomme  atteintes;  tantôt  ce 
sont  les  pieds  de  derrière  ou  môme  ceux  de  devant  qui  se 
touchent,  se  frottent  et  se  meurtrissent,  et  dans  ce  cas  l'on 
dit  que  l'animal  s'entre-taille  ou  se  coupe,  circonstance 
qui  peut  quelquefois  aussi  être  produite  par  d'autres  causes. 

BOULEVABD,  rempart,  forteresse,  promenade.  On 
a  fait  dériver  ce  nom,  mais  peut-être  gratuitement,  de  ce  que 
les  remparts  étant  couverts  de  gazon,  les  habitants  des 
villes  fortifiées  allaient  y  jouer  à  la  boule.  Comme  terme  de 
tactique  militaire,  ce  mot  ne  s'emploie  guère  qu'au  figuré  : 
Luxembourg  est  le  boulevard  de  la  Belgique,  Beig-op-Zoom 
de  la  Hollande,  Mayeiice  de  l'Allemagne;  la  grande  muraille 
de  la  Chine  n'a  pu  servir  de  boulevard  à  cet  empire  contre 
l'invasion  des  Tatars;  les  Alpes,  les  Pyrénées,  sont  des  bou- 
levards naturels;  à  deux  reprises,  en  1529  et  en  1683, 
Vienne  fut  le  boulevard  de  la  chrétienté ,  etc.  Mais  le  bou- 
levard ,  qu'il  ait  été  ou  qu'il  soit  encore  sur  le  rempart,  n'est 
plus  airjourd'hui  qu'une  promenade. 

De  tous  les  boulevards,  ceux  de  Paris  sont  les  plus  beaux, 
les  plus  étendus,  forment  la  promenade  la  plus  longue  et  la 
plus  variée  qu'il  y  ait  au  monde,  l'enceinte  la  plus  digne 
d'une  grande  capitale.  Les  boulevards  de  Paris  présentent 
trois  lignes  principales:  1°  l'ancien  boulevard  du  Nord,  ou 
vieux  boulevard,  qui  commence  sur  la  rive  droite  de  la 
Seine,  près  du  grenier  d'abondance  et  finit  à  l'esplanade 
de  l'église  de  la  Madeleine,  formant  un  demi-cercle  de  5,500 
mètres  de  long.  Il  fut  commencé  vers  l'an  1536,  dans  le 
dessein  de  creuser  des  fossés  pour  se  défendre  contre 
les  Anglais,  qui  ravageaient  la  Picardie  et  menaçaient  la 
capitale.  Les  premiers  arbres  y  furent  plantés  en  16G8. 
2°  L'ancien  boulevard  planté  vers  1761 ,  au  midi,  et  qui  va 
depuis  le  quai  d'Austerlitz  jusqu'à  l'esplanade  des  Inva- 
lides, dans  une  étendue  d'environ  7  kilomètres.  Ce  boule- 
vard offre  aux  promeneurs  de  larges  allées,  des  arbres  su- 
perbes, et  quelques  points  de  vues  pittoresques.  ]1  est 
néanmoins  peu  fréquenté.  3°  Le  iioulevard  neuf  ou  grand 
boulevard  qui  fait  tout  le  tour  de  Paris,  le  long  du  mur 
d'octroi.  11  est  encore  plus  désert,  excepté  les  dimanches  et 
les  lundis.  11  a  24  kilomètres  de  circonférence,  dont  15,6  au 
nord  et  8,4  au  midi.  Éclairé  au  gaz,  assez  bien  pavé,  mais 
toujours  poudreux,  il  a  vu  disparaître  ses  grands  arbres  sur 
plusieurs  points  à  la  révolution  de  Février  et  à  l'insurrection 
de  Juin.  Plus  tard  le  mur  d'enceinte  des  fortifications  de 
Paris  donnera  sans  doute  une  nouvelle  promenade  aux  ha- 
bitants de  la  capitale. 

En  ntfendanî,  revenons  au  vieux  boulevard  du  nord,  bou- 


r>42 


BOULEVARD 


levarJ  classique,  liislorique  et  monumental,  moins  champêtre, 
moins  aéré,  moins  rt'giiiier  que  les  autres  dans  sa  largeur, 
dans  ses  alignements.  Ses  arbres,  à  quelques  exceptions  près, 
ne  sont  pas  aussi  beaux,  parce  que  les  plus  vieux,  les  plus  gros, 
exposés  aux  révolutions  atmosphéricpies  et  politiques,  pé- 
rissent chaque  jour  par  la  faulx  du  temps,  par  la  hache  des 
liommcs  ou  par  les  mauvais  traitements  des  riverains  ;  et  puis 
les  nouvelles  plantations,  fatiguées  par  la  foule  des  passants, 
obstruées ,  éloutl'écs  parla  hauteur  des  maisons,  ne  peuvent 
plus  prendre  un  aussi  prompt,  un  aussi  bel  accroissement 
que  les  arbres  plantés  à  une  époque  où  ce  boulevard ,  for- 
mant la  clôture  extérieure  de  la  ville,  était  bordé  de  l'autre 
côté  par  des  marais  et  des  champs.  Mais  s'il  est  privé  de  ces 
avantages ,  par  combien  d'autres  n'est-il  pas  dédommagé  1 

Avant  1789  ce  boulevard  ne  commençait  qu'à  l'entrée  de 
la  rue  Saint-Antoine,  et  les  premiers  objets  qui  frappaient 
les  étrangers  quand  ils  arrivaient  à  Paris  par  le  faubourg  de 
ce  nom,  c'étaient  la  Bastille  et  la  belle  maison  de  Beau- 
marchais avec  son  vaste  jardin.  Depuis  la  destruction  de 
cette  lugubre  forteresse,  et  de  l'Arsenal,  qui  lui  était 
contigu,  le  boulevard  a  été  continué  jusqu'à  la  rivière.  A  l'i- 
nutile arsenal  ont  succédé  de  vastes  greniers  d'abondance, 
dont  la  construction  fut  décrétée  enl  807 .  Sur  l'immense  place 
où  était  la  Bastille,  on  a  élevé,  en  commémoration  de  la  révo 
lutiondeJuillet,uneco Ion nesurmontée du Géniede la  Liber- 
té. La  maison  et  le  jardin  de  Beaumarchais  ont  disparu,  pour 
faire  place  à  une  des  branches  du  canal  de  l'Ourcq,  et  à  un 
grenier  à  sel,  récemment  démoli  pour  faire  place,  à  son  tour,  à 
de  jolies  maisons. 

Les  boulevards  Beaumarchais  et  des  Filles  du  Calvaire 
sont  moins  tumultueux  que  les  autres,  bien  que  des  cons- 
tructions nouvelles  y  apportent  la  vie.  On  j  trouve  déjà  un 
petit  théâtre,  et  l'on  y  bâtit  en  ce  moment  un  cirque  d'hiver. 

Le  boulevard  du  Temple  est  peut-être  le  plus  bruyant, 
le  plus  joyeux  ,  le  plus  populaire  de  Paris.  On  n'y  voit  que 
cafés,  restaurants  et  spectacles.  On  y  est  ébloui  par  des  flots 
de  lumière.  Là  se  trouve  le  Café  Turc,  dont  le  gracieux  jar- 
din ,  de  plus  en  plus  resserré  par  des  constructions,  n'est  plus 
<jue  l'ombre  de  ce  qu'il  était  il  y  a  quarante  ans.  Plus  loin  le 
passage  Vendôme,  triste  et  désert  ;  puis  les  maisons  et  les  bou- 
tiques bâtiessur  l'emplacement  du  jardin  des  Princes,  qui, 
sous  son  nom  précédent  dejarrfmcfePajaAos,  avait  rivalisé 
par  ses  illun)inations,  ses  concerts  d'harmonie,  ses  bals  et  ses 
feux  d'artifice,  avec  Idalie,  Tivoli, l'Elysée,  etc.,  dans  un 
temps  où  les  jardins  publics  et  les  fêtes  champêtres  étaient 
à  la  mode.  De  l'autre  côté,  nous  trouvons  une  énorme 
accinnulation  de  spectacles.  C'est  d'abord  la  salle  Lazary, 
puis  celles  des  Délassements  Comiques,  l'ancien  théâtre 
de  madame  Saqui,  puis  le  théâtre  des  Funambules.  Vien- 
nent ensuite  le  tliéâtre  de  la  G  ai  té  et  celui  des  Folies- 
Dramatiques  ,  construit  sur  l'emplacement  de  la  salle  in- 
cendiée de  l'Ambigu.  Le  Cirque-Olympique  de  Franconi 
a  été  bâti  sur  un  terrain  où  il  y  avait  autrefois  des  fantoccini 
chinois ,  une  ménagerie  d'animaux  et  un  théâtre  de  Petits 
Comédiens  Français.  On  y  joue  encore  des  pièces  militaires  ; 
mais  il  a  perdu  son  manège.  Le  Théâtre  Historique,  bâti 
pour  l'exploitation  de  l'histoire  par  Alexandre  Dumas  et 
compagnie,  est  devenu  aujourd'hui  l'Opéra  national,  troisième 
théâtre  lyrique.  En  songeant  à  cette  foule  de  spectacles  qu'il 
y  a  eu  et  qu'il  y  a  encore  sur  le  boulevard  du  Temple ,  on 
se  rappelle  ces  vers  d'un  auteur  dont  le  nom  nous  échappe  : 

tl  ne  fallait  au  fier  RomaJD  » 

Que  des  spoclacles  et  dii  pain; 
Mais  aa  Français,  plus  que  Udmaio. 
Le  s|)cctacie  suffit  sans  p.iin. 

C'est  siir  ces  Iwulevards  que  Ficschi  fit  partir  sa  machine 
infernale  en  183."). 

Kn  entrant  sur  le  boulevard  Saint-Martin ,  on  trouve  le 
Château  d'Eati.  Au  coin  des  rues  de  Bondy  et  de  Lancry, 
il  ne  reste  |)lus'de  traces  d'un  théâtre  qui  a  eu  des  phases 


brillantes ,  lorsque,  sous  le  titre  de  Variétés  amusantes,  dix 
ans  avant  la  révolution,  Volange-/eanno^  y  faisait _/?orè* 
avec  son  ça  en  est ,  puis  en  1790,  lorsque,  devenu  Théâtre 
Français,  comique  et  lyrique,  Juliet  y  commençait  sa  ré- 
putation dans  Nicodème  dans  la  lune.  Sous  le  titre  de  A 
Théâtre  des  Jeunes  Artistes  il  eut  aussi  divers  succès,  et  y  fl 
prépara  ceux  de  Monrose  et  de  Lepeintre  aîné.  Vis-à-vis  est 
la  nouvelle  salle  de  VAmbiyu  Comique.  Celle  de  la 
Porte-Saint-Martin ,  la  plus  ancienne  de  toutes  celles 
qui  existent  aujourd'hui ,  quoiqu'elle  n'aie  pas  trois  quarts 
de  siècle,  et  qui  a  survécu  à  tant  d'autres,  brûlées  ou  détruit- 
tes ,  rappelle  une  époque  brillante  de  l'Opéra.  Une  profonde 
trouée  faite  en  1850,  pour  niveler  le  terrain  a  donné  à  cette 
salle  un  soubassement.  Les  portes  Saint-Martin  et  Saint- 
Denis  sont  plutôt  des  monmnents  d'orgueil  que  de  recon- 
naissance, et  pourtant  le  peuple  les  a  toujours  respectées. 

Hors  de  la  porte  Saint-Denis  était  le  théâtre  de  la  Tri- 
nité, où  l'on  joua,  depuis  1402  jusqu'en  1539,  les  j»///5- 
tères  qui  furent  le  début  de  l'art  dramatique  en  France.  Sur 
le  boulevard  de  Bonne- Nouvelle,  le  local  où  était  la  ména- 
gerie de  Martin  fut  un  instant  l'église  catholique  française  de 
l'abbé  Auzou.  Voici  le  bazar  Bonne-Nouvelle,  avec  ses  per- 
pétuelles loteries  de  bienfaisance  et  ses  cafés  concerts.  Le 
Gymnase  dramatique  et  son  célèbre  marchand  de 
galette  sont  plus  loin,  près  de  la  rue  Hauteville.  Au  bout  de 
cette  rue  on  aperçoit  en  perspective  l'église  Saint-Vincenl- 
de-Paul. 

Sur  le  boulevard  Poissonnière  est  la  rae  Saint-Fiacre,  où 
l'on  voyait  naguère  le  Néorama  de  M.  Alaux.  Le  boulevard 
Montmartre  avait  autrefois  deux  Panoramas,  qui  n'existent 
plus.  Le  théâtre  des  Variétés  s'y  trouve  situé  près  du  pas- 
sage des  Panoramas.  De  l'autre  côté,  le  passage  Joulïroy 
mène  au  faubourg  Montmartre.  Le  jardin  de  Frascati ,  où 
les  gens  du  bon  ton  allaient  sous  l'empire  se  promener,  s'é- 
taler, prendre  des  glaces,  entendre  des  concerts  et  voir  des 
feux  d'artifice  ,  a  disparu  entièrement.  Vis-à-vis  est  l'hôtel 
Merci,  dont  les  bals,  jusqu'à  l'époque  du  consulat,  rivalisaient 
avec  ceux  des  hôtels  de  Richelieu ,  de  la  Michaudière,  de 
Marbeuf,  etc.  Il  est  occupé  aujourd'hui  en  grande  partie 
par  \c5  gentlemen  du  Jockey-club. 

Le  boulevard  Italien  avait  pris  autrefois  son  nom  du  voisi- 
nage du  Théâtre-Italien,  qui  en  est  maintenant  un  peu  éloigné. 
En  revanche  l'Opéra  et  l'Opéra-Comique  sont  tout  près  sans 
avoir  de  façade  sur  ce  boulevard.  Le  passage  de  l'Opéra  y  con- 
duit à  notre  première  scène  lyrique.  La  partie  du  boulevard 
Italien  où  s'ouvre  le  passage  de  l'Opéra  reçut  de  l'opposi- 
tion royaliste,  pendant  la  révolution,  le  nom  de  Coblenlz,de 
la  ville  où  se  réunissaient  les  émigrés ,  qui  portaient  les  ar- 
mes contre  leur  patrie.  Immédiatement  après  est  le  boule- 
vardàqui  leslégitimistesde  1815  donnèrent  le  nom  de  Gawc/, 
qui  perpétuera  le  souvenir  de  la  fuite  des  Bourbons  devant 
l'épouvantail  de  l'ile  d'Elbe.  Sur  ce  boulevard,  au  coin  de  la 
rueLaffitie,  était  le  café  Hardy,  le  premier  lieu  de  réunion  des 
agioteurs ,  après  la  chute  des  assignats ,  le  premier  café  où 
l'on  ait  donné  des  déjeuners  à  la  fourchette.  Cette  rue  prit 
en  1791  le  nom  d'un  député  à  l'assemblée  législative,  l'ex- 
jésuite  Cerutti,  qui  venait  d'y  mourir.  A  la  Restauration  on 
lui  rendit  son  nom  de  rue  d'Artois  ;  elle  le  perdit  en  1830, 
pour  prendre  celui  de  Laffitte,  qui  y  avait  son  hôtel.  Au 
bout  on  voit  Notre-Dame-de-Lorette  ;  au  coin  est  la  maison 
qu'on  appela  Dorée,  à  cause  de  ses  dorures  extérieures  déjà 
à  moitié  effacées.  Tout  près  est  le  café  Tortoni. 

Les  bains  Chinois,  malgré  l'empire  de  la  mode,  se  maintien- 
nent dans  leur  domaine,  et  sont  peut-être  aujourd'hui  les 
plus  anciens  de  Paris  :  mais  l'emplacement  qu'ils  occupent 
représente  une  valeur  telle  qu'il  est  impossible  qu'avant 
peu  on  ne  voie  encore  disparaître  ce  dernier  vestige  des  bou- 
Jevardsquenousavaitfaitl'époquedu  Directoire.  Lejardinqui 
joignait  le  pavillon  d'Hanovre  à  l'hôtel  de  Richelieu  a  disparu 
depuis  longtemps.  Là  fut  établi  en  1797,  parle  frère  du  corné- 


BOULEVARD  —  BOULGARIE 


543 


dien  Juliet,  le  premier  jardin-café  où  l'on  donna  des  glaces  et 
des  concerts;  deux  ansaprès,  il  fut  éclipsé,  écrasé  par  Frascati. 
Nous  passerons  rapidement  sur  les  boulevards  des  Ca- 
pucines et  de  la  Madeleine,  noms  tirés  des  couvents  qu'ils 
avoisinaientau  siècle  dernier.  De  belles  maisons,  de  grands 
hôtels  les  bordent;  de  belles  rues  y  aboutissent,  comme  la 
rue  de  la  Paix  ;  mais  la  rue  Basse  du  Rempart  les  dépare. 
Enfin  l'église  de  la  Madeleine,  couronne  noblement  la 
promenade  du  boulevard,  considérablement  embellie  par  l'a- 
baissement de  son  sol,  l'extension  de  sa  largeur  sur  quelques 
points.  Klle était  devenue  plus  commode  pour  les  piétons  par 
le  bituminage  des  contre-allées  ;  l'empierrement  de  la  chaussée 
en  1 849  lui  a  rendu,  pour  peu  qu'il  pleuve,  ses  fondrières  et  sa 
fange.  Peu  de  promenades  offrent  cependant  autant  de  charme 
par  la  quantité  et  la  beauté  des  magasins,  des  cafés,  des  bazars 
qui  la  bordent  presque  d'un  bout  à  l'autre.  C'est  une  sorte 
d'exposition  permanente  des  produits  des  arts  et  de  l'industrie. 
Pour  achever  de  peindre  le  boulevard ,  il  est  bon  de  rap- 
peler que  c'est  là  que  passent  toutes  les  mascarades  du  car- 
naval ;  que  défilent  les  voitures  qui  sont  censées  faire  le 
pèlerinage  de  Long-Champ.  C'est  là  qu'on  est  sûr  de  rencon- 
trer tous  les  cortèges  dans  les  cérémonies  religieuses,  civiles 
et  militaires;  là  se  réunirent  les  vainqueurs  de  la  Bastille; 
ce  fut  par  ce  chemin  que  Louis  XVI  fut  conduit  à  l'échafeud  ; 
ce  fut  sur  ce  boulevard  qu'on  célébra  la  pompe  funèbre  de 
Michel  Lepelletier,  un  de  ses  juges  ;  là  ont  défilé  toutes  les 
troupes  nationales,  royales,  étrangères  ;  là  Charles  X,  à  son 
avènement ,  se  montra  au  peuple  ;  là  ont  eu  lieu  déjà  bien 
des  revues  de  troupes  et  de  gardes  nationales  ;  là  ont  éclaté 
bien  des  cris  d'enthousiasme  ;  là  ont  passé  toutes  les  émeutes 
populaires,  là  a  coulé  déjà  bien  du  sang  ;  là  ont  passé  les 
convois  de  Louis  XVIII ,  de  Casimir  Périer,  du  général  La- 
marque,  et  de  tant  d'autres.  Les  victimes  de  Fiesclii  y  pas- 
sèrent pour  aller  aux  Invalides  ;  les  victimes  de  Juillet  et 
les  victimes  de  Février  y  passèrent  en  sens  inverse  pour  aller 
sous  la  colonne  de  Juillet.  Que  de  choses  n'a-t-on  pas  vues 
sur  ce  boulevard  !  quelles  philosophiques  réflexions  on  peut 
faire  en  s'y  promenant  ! 

BOULGARES»  nom  d'une  secte  de  Manichéens, 
qui  se  montra  vers  le  milieu  du  neuvième  siècle,  sous  l'em- 
pire de  Basile  le  Macédonien ,  et  qui  s'appela  ainsi  du  lieu 
dont  ils  tiraient  leur  origine.  Leurs  dogmes  n'admettaient 
que  le  Nouveau-Testament  et  niaient  la  nécessité  du  bap- 
tême. Un  de  leurs  articles  de  foi  refusait  tout  espoir  de  salut 
au  mari  qui  remplissait  ses  devoirs  naturels  envers  .sa 
femme;  de  là  le  soupçon  du  vice  infâme  imputé  à  cette 
secte  et  l'épithète  de  bugari  ou  bugcri ,  traduite  tous  les 
jours  dans  la  bouche  du  peuple,  mais  qu'aucun  diction- 
naire n'a  osé  définir.  Dans  la  suite  des  temps ,  on  donna 
indistinctement  le  nom  de  Boulgares  à  beaucoup  d'autres 
sectaires,  tels  que  les  Patarins,  les  Cathares,  les  Joviniens, 
les  Vaudois,  les  Albigeois,  les  Henriciens,  etc.,  etc.,  parce 
que  ces  différentes  sectes  reconnaissaient  un  même  chef 
spirituel,  qui  tenait  son  siège  dans  la  Boulgarie,  et  se  gou- 
vernaient d'après  ses  décisions.  Lorsque  la  rigueur  des 
conciles  et  les  ordonnances  de  saint  Loin's  eurent  dispersé  ou 
anéanti  ces  hérétiques,  le  nom  de  Boulgares  fut  donné  aux 
usuriers,  qu'on  appelait  plus  communément  lombards, 
(luand  ils  étaient  de  la  religion  hébraïque.  Laîné. 

BOULGARIE,  province  de  la  Turquie  européenne, 
d'une  étendue  de  957  iiiyriamètres  carrés,  séparée,  au  nord, 
par  le  Danube,  de  la  Valachie,  de  la  Moldavie  et 
tte  la  Russie;  au  sud,  par  le  Balkan,  de  la  Roumélie 
H  de  la  Macédoine  ;  borme,  à  l'est,  par  la  mer  Noi  re ,  et  à 
l'ouest  par  la  S  e  r  vi  c.  Sa  population  s'élève  à  quatre  mil- 
lions d'àmes.  Deux  caps,  le  cap  Gulgrad  et  l'Einineh,  s'a- 
vancent dans  la  mer  Noire^  qui  reçoit  les  deux  cours  d'eau 
les  plus  considérables  de  la  Boulgarie,  la  décharge  du  lac 
Ramsin  et  le  Kamesik.  Le  pn>s  olIVe  l'aspect  d'un  plateau 
qui  des  rives  escarpées  du  Danube  s'élève  graduellement 


jusqu'aux  contre-forts  boisés  et  impraticables  du  Grand- 
Balkan  à  l'ouest  et  du  Petit-Balkan  à  l'est.  Le  Danube  re- 
çoit le  Timok ,  l'Isker,  le  Vid,  l'Osma ,  le  Lom  et  le  Taban, 
qui  coulent  dans  de  profonds  ravins  et  nuisent  plus  qu'ils  ne 
servent  aux  communications.  La  partie  orientale  diffère 
sous  plusieurs  rapports  de  la  partie  occidentale.  Au  nord- 
est  s'étend  entre  le  Danube  et  la  mer  une  espèce  de  pres- 
qu'île, la  Dobroudscha,  plaine  élevée  couverte  en  partie  de 
broussailles  et  de  steppes,  en  partie  de  vastes  champs  cul- 
tivés. On  n'y  trouve  que  quelques  forêts  peu  considérables; 
mais  elles  se  multiplient  à  mesure  qu'on  approche  du  Bal- 
kan. La  partie  occidentale  est  moins  uniforme,  et  ressemble 
moins  aux  steppes;  les  forêts  y  sont  plus  grandes,  et  plu- 
sieurs districts  fort  bien  cultivés.  Le  printemps  amène  à 
sa  suite  des  pluies  qui  rendent  presque  impossibles  les  com- 
munications, mais  qui  donnent  une  grande  vigueur  à  la 
végétation.  La  sécheresse  de  l'été  i>rête  à  tout  le  pays  un 
aspect  désolé,  et  tarit  quelquefois  jusqu'aux  sources.  Comme 
les  saisons ,  le  jour  et  la  nuit  offrent  une  température  toute 
différente  ;  ces  variations  endurcissent  les  habitants,  mais 
les  exposent  à  de  fréquentes  maladies.  L'agriculture  est 
assez  négligée;  toutefois  la  population  est  si  clair-semée 
qu'elle  a  en  abondance  les  choses  nécessaires  à  la  vie.  Les 
riches  pâturages  des  montagnes  et  des  vallées  nourrissent 
de  nombreux  troupeaux  de  moutons  et  de  bamfs,  dont  une 
partie  s'exporte.  Les  autres  articles  d'exportation  sont  les 
grains," le  vin,  le  fer,  le  minerai  exploité  dans  les  mon- 
tagnes, le  bois,  le  miel,  la  cire,  le  poisson,  le  gibier. 

La  province  est  gouvernée  par  le  beglerbeg  de  Roumélie, 
qui  a  sous  lui  les  quatre  sandjaks  de  Sophie,  Nicopoli ,  Si- 
hstrie  et  Widdin.Le  chef-lieu  est  Sophie  oa  Triaditza.  Les 
autres  villes  importantes  sous  le  point  de  vue  militaire  sont 
Silistrie,  Routschonk,  Varna,  Schoumia,  Bourgas,  AViddin, 
Nicopoli,  qui  défendent  le  petit  nombre  de  points  par  où 
l'on  peut  pénétrer  dans  ce  pays ,  théâtre  de  guerres  san- 
glantes depuis  le  temps  des  Romains  jusqu'à  nos  jours. 

La  Boulgarie  était  autrefois  habitée  par  les  Mœsiens,  qui 
lui  donnèrent  son  ancien  nom  de  Mœsie.  Longtemps  ils 
luttèrent  avec  succès  contre  les  Romains  ,  et  plus  tard,  li- 
gués avec  les  Goths  et  les  Slaves,  ils  défendirent  leur  li- 
berté contre  les  empereurs  grecs.  Pour  garantir  ses  Etats 
contre  leurs  incursions,  qu'ils  poussaient  jusqu'à  Constanti- 
nople,  l'empereur  Anastase  fit  élever  une  grande  muraille  ea 
507.  A  leur  tour,  lesMœsiensdurent  fuir devantles Boulgares, 
au  septième  siècle.  Cesderniers,  d'origine  finnoi.se,  s'avan- 
cèrent des  bords  du  Wolga,  où  ils  s'étaient  établi?, vers  l'oc- 
cident, tombèrentsous  la  domination  des  Avares,  secouèrent 
leur  j«ug  en  635 ,  et  fondèrent  le  royaume  de  Boulgarie , 
qui  s'étendait  du  Don  et  du  Dnieper  jusqu'au  Danube.  Les 
Boulgares  finnois  se  mêlèrent  peu  à  peu  aux  peuplades 
slaves  établies  dans  la  Mœsie  et  la  Dacie  depuis  la  grande 
migration  des  peuples  ;  dès  l'an  800  ils  avaient  perdu  leur 
nationalité  et  adopté  la  langue  et  les  mœurs  des  Slaves , 
ne  conservant  que  leur  nom.  Gouvernés  par  leurs  propres 
rois,  sous  la  protection  des  empereurs  grecs  depuis  lOl.S,  ils 
s'aperçurent  bientôt  que  l'Empire  avait  plus  besoin  de  pro- 
tection que  la  Boulgarie,  et  dès  1185  leur  roi,  Asan,  rompit 
toute  relation  avec  Constantinople.  Ce  fut  un  malheur  pour 
le  pays;  car  les  rois  de  Hongrie  prétendirent  alors  en  être 
les  suzerains.  Une  longue  guerre  dépeupla  la  Boulgarie,  qui 
ne  put  résister  aux  Turcs,  et  perdit  son  indépendance  en  1392. 
Quoique  des  guerres  continuelles  aient  fort  diminué  la  popula- 
tion ,  on  y  compte  encore  quatre  ou  cinq  millions  d'habitants. 

Les  Boulgares  n'habitent  pas  seulement  l'ancieime  Maisie, 
la  Thrace  et  la  Macédoine  ;  ils  occupent  encore  la  partie 
méridionale  de  la  Bessaiabie  russe.  Quelques-unes  des  co- 
lonies qu'ils  avaient  fondées  subsistent  encore  dispersées, 
dans  le  midi  de  la  Russie,  la  Moldavie,  la  Valachie,  et  même- 
la  Hongrie  méridionale.  Le  i)euple  gémit  sous  la  plus  dure- 
oppression ,  et  dans  ces  derniers  temps  ses  souffrances  ooi 


r.u  BOULGARIE  —  BOULGARINE 

réveillé  en  lui  le  sentiment  de  la  nationalité  et  de  la  liberté. 
Depuis  866  la  majorité  des  IJo.uigares  professe   les  doc- 
trines de  rÉj;lise  grecque,  dont  l'adminislration  est  entre  les 
mains  d'un  patriarche  et  de  trois  archevcciues. 


Langue  et  littérature. 

La  langue  boulgare  est  un  dialecte  de  la  langue  slave; 
elle  appartient  à  la  grande  famille  des  langues  orientales , 
et  a  de  l'analogie  avec  les  langues  russe  et  illyro-serbe. 
Des  deux  dialectes  dont  elle  se  compose ,  le  vietix  boiil- 
gare  est  la  langue  des  livres  saints  pour  l'Église  slavo-grec- 
que ,  et  à  ce  titre  elle  ne  s'est  pas  seulement  propagée  dans 
tous  les  pays  riverains  du  Danube,  jusqu'en  Servie  et  en 
Dalinalie,  mais  encore  dans  la  Grande  Moravie,  et  jusqu'en 
Koliôine  (dans  le  couvent  qui  s'élève  sur  les  bords  de  la 
Sazavva),  et  en  Pologne  (à  Cracovie). 

Sous  le  rapport  <le  la  formation  et  des  inversions,  elle  est 
la  plus  riclie  du  dialecte  slave,  et  réunit  si  bien  tous  les  avan- 
tages particuliers  aux  autres  dialectes,  que  ceux-ci  ne  sem- 
blent plus  en  être  que  des  débris.  La  littérature  du  vieux 
boulgare  (foye;  l'article  Cvuiluenne  [littérature])  est  la 
plus  antique  des  littératures  slaves,  et  a  été  autrefois  enri- 
chie par  presque  toutes  les  peuplades  slaves.  Beaucoup  de 
documents  précieux  sur  cette  liltérature  sont  enfouis  dans 
les  bihl:otliè(iues  des  couvents;  parmi  les  plus  importants 
et  les  plus  connus,  on  doit  citer  les  travaux  de  Jean,  exar- 
que de  IJouIgarie,  qui  vécut  dans  le  dixième  siècle,  com- 
posa une  grammaire  grecque  et  fit  des  extraits  de  Jean 
Chrysorlioas  de  Damas;  le  Nomocanon  ou  Kormtschaja 
Kniga,  traduction  du  grec  remontant  en  partie  au  neuvième 
siècle  et  contenant  un  recueil  de  toutes  les  règles  des  saints 
et  des  Pères  de  l'Église,  sur  lequel  le  baron  Rosenkampf 
a  publié  des  éclaircissements  critiques  (  Moscou,  1829),  etc. 
Le  nouveau  boulgare  n'apparut  qu'à  la  suite  de  la  chute 
de  l'empire  boulgare  ,  en  1392,  au  milieu  des  orages  et  des 
tempêtes  politiques  qui  désolèrent  la  Boulgarie.  Toutes  les 
langues  voisines,  mais  surtout  la  valaque  et  l'albanaise, 
exercèrent  sur  ce  dialecte  la  plus  délétère  inlluence,  et  lui 
imprimèrent  une  forme  dans  laquelle  ne  se  retrouve  pres- 
que plus  la  moindre  trace  de  l'idiome  parlé  par  saint  Cyrille. 
Connue  le  valaque  et  l'albanais,  il  a  un  article,  mais  qui  se 
place  après  le  nom  ;  des  sept  cas  slaves,  il  n'a  conservé  que  le 
nominatif  et  le  vocatif;  les  autres  sont  indiqués  par  desprépo- 
sitions. La  conjugaison  y  est  aussi  incomplète  qu'imparfaite. 

Il  n'existe  point  encore,  à  proprement  dire  ,  de  littérature 
dans  le  nouveau  boulgare,  car  on  ne  peut  considérer  comme 
telle  un  petit  nombre  de  traités  religieux  en  usage  dans  la 
seule  Russie.  Si  cette  langue  inculte  offre  quelque  intérêt, 
c'est  uniquement  par  ses  chants  populaires,  qui  ressemblent 
cependant  beaucoup,  et  pour  le  fond  et  pour  la  forme,  aux 
chants  serbes.  Czelakowsky  en  a  publié  un  recueil  dans  ses 
Chants  populaires  de  toutes  les  tribus  slaves  (3  vol., 
Prague,  1822-27).  Depuis  que  Sofroni  a  publié,  eu  1806, 
le  premier  livre  de  piété  écrit  en  langue  boulgare,  on  a  bien, 
à  la  vérité,  vu  paraître  une  trentaine  d'ouvrages  religieux  ou 
élémentaires  écrits  dans  ce  dialecte,  parmi  lesquels  nouscite- 
rons  les  Évangiles  de  Sapuroweimi  Traité  d'Éducation, 
par  Néofyt;  mais  tous  avaient  été  inq)rimés  à  l'étranger,  à 
Boukharest,  à  Belgrade,  à  Ofen,  ù  Cracovie,  à  Constanti- 
nople,  et  surtout  à  Smyrne,  oii  la  Société  Biblique  anglaise  a 
fait  imprimer,  en  1840  sa  traduction  du  Nouveau  Testament 
en  boulgare,  et  où  se  publie  depuis  1844  une  revue  men- 
suelle, hiliiuléa  Philologia.  Odessa  paraît  destiné  à  devenir 
le  grand  foyer  du  di'veloppement  intellectuel  des  Boulgares, 
et  Aprilow  y  publie  depuis  1843  un  recueil  périodique  intitulé  : 
l'Étoile  boulgare.  11  a  paru  des  grammaires  de  la  langue 
boulgare,  par  Néofyt  (1835),  Christaki  (1836)  et  Wenelin 
(  1837)  en  russe,  et  par  G.  Riggs,  missionnaire  américain  à 
Smyrne,  en  anglais.  On  annonce  aussi  la  prochaine  i)ublica- 
lion  àc  dictionnaires  par  Néolyt  et  Slojanowicx. 


BOULGARÎiVE  (  Thadd.els  ) ,  l'un  des  plus  célèbres 
écrivains  russes  contemporains  ,  est  né  en  1789,  en  Lithua- 
nie,  et  lut,  dès  l'année  1798 ,  élevé  à  l'école  des  cadets,  'a 
Saint-Pétersbourg ,  où  sa  mère  avait  été  obligée  de  se  ré- 
fugier par  suite  du  malheureux  état  auquel  l'avait  réduite 
l'issue  de  la  lutte  entreprise  en  Pologne  sous  les  ordres  de 
Kosciusko  ;  lutte  à  laquelle  son  mari  avait  pris  part.  Une  fois 
à  Saint-Pétersbourg,  Boulgarine  eut  bientôt  désappris  sa 
langue  maternelle;  mais  en  revanche  il  lit  de  rapides  pro- 
grès dans  l'étude  des  sciences  et  des  lettres.  En  I80.j  il  entra 
dans  le  régiment  des  hulans  du  grand-duc  Constantin,  et  fit 
la  campagne  contre  la  France ,  puis  celle  de  Finlande  contre 
la  Suède.  Des  circonstances  particulières  le  déterminèrent 
alors  à  quitter  le  service  russe,  et  il  se  rendit  d'abord  à  Var- 
sovie, puis  en  France,  où  il  prit  du  service.  En  IStO  il 
faisait  partie  de  l'armée  d'Espagne.  Grièvement  blessé 
au  début  de  la  campagne  de  1814,  il  fut  fait  prisonnier 
par  les  Prussiens  ;  mais  il  ne  tarda  pas  à  être  remis  en  li- 
berté, et  se  rendit  alors  au  quartier  gi'uéral  de  Napoléon, 
qui  lui  confia  le  comii)andement  d'un  détachement  de  vo- 
lontaires. 

A  la  chute  de  Napoléon  ,  il  vint  se  fixer  à  Varsovie,  et 
écrivit  en  polonais ,  langue  à  tous  les  secrets  de  laquelle  il 
s'était  bientôt  réinitié ,  plusieurs  œuvres  poétiques  et  humo- 
ristiques. Un  voyage  qu'il  fit  à  quelque  temps  de  là  à  Saint- 
Pétersbourg  le  détermina  à  se  fixer  en  Russie.  Renonçant 
alors  complètement  à  sa  nationalité  ,  il  se  livra  avec  l'ardeur 
la  plus  vive  à  l'étude  de  la  langue  russe;  travail  dans  le- 
quel il  fut  puissamment  secondé  par  son  ami  Gretsch ,  dans 
le  journal  duquel  parurent  ses  premiers  essais.  En  1823  il 
commença  la  publication  des  Archives  du  Nord,  recueil 
d'abord  exclusivement  consacré  à  des  travaux  d'histoire,  de 
géographie  et  de  statistique,  mais  qui  plus  tard  accueillit  des 
articles  de  littérature  proprement  dite. 

Ses  essais  satiriques  et  humoristiques  le  mirent  bien  vite 
en  réputation  comme  écrivain  russe.  En  1825  il  entreprit 
avec  Gretsch  la  publication  de  V Abeille  du  Nord,  et  la  même 
année  il  publia  le  premier  almanach  dramatique  qu'on  eût 
vu  en  Russie  ;  il  était  intitulé  :  Ruskaja  Talija.  Dans  une 
édition  complète  de  ses  œuvres  (  Pétersbourg ,  1827),  il  fit 
un  choix  de  ses  meilleurs  articles  et  contes.  On  y  trouve 
aussi  ses  Souvenirs  d'Espagne,  qui  parurent  pour  la  pre- 
mière fois  en  1823.  Ses  esquisses  sont  quelquefois,  il  est 
vrai ,  heureusement  empruntées  à  la  vie  réelle  ;  mais  il  y  a 
quelque  chose  de  vieilli  dans  sa  satire,  et  son  coloris  est 
plutôt  éblouissant  que  vigoureux.  De  môme  ses  descrip- 
tions pèchent  trop  souvent  par  le  maniéré  et  ses  caractères 
manquent  d'individualité.  Après  avoir  publié  les  Tableaux 
de  la  guerre  de  Turquie  en  1828,  il  fit  paraître  son  Jwan 
Wuishigin ,  ou  le  Gil-Blas  russe  (  Pétersbourg,  1829),  qui 
a  été  traduit  dans  toutes  les  langues ,  puis  la  suite  de  cet 
ouvrage,  Pierre Iwanowitch  Wuishigin  (lS30)et enfin  lîos- 
tajle/,  ou  la  Russie  en  1812.  Dans  ces  trois  ouvrages,  son 
talent  sans  doute  a  pu  prendre  un  essor  plus  élevé  et  tracer 
un  vaste  tableau  des  mœurs  et  du  caractère  du  peuple  russe; 
mais  son  impuissance  à  comprendre  ce  que  la  vie  russe 
a  d'intime  et  de  particulier  s'y  trahit  encore.  Dans  les  deux 
romans  qu'il  fit  paraître  ensuite,  Démétrlus  et  Màzcppa, 
les  caractères  sout  infiniment  mieux  saisis  et  développés,  et 
il  s'y  sert  en  même  temps  avec  habileté  de  l'élément  histo- 
rique. Cependant  ils  ne  satisfont  guère  mieux  que  leurs  de- 
vanciers les  idées  qu'on  se  fait  du  roman  dans  le  reste 
de  l'Europe;  et  ils  répondent  peu  au  goût  du  public 
russe. 

Indépendamment  de  Y  Abeille  du  Nord,  Boulgarine  pu- 
blia encore  quelques  autres  recueils  périodiques,  tels  que  le 
Daguerréotype  et  les  Moucherons.  C'est  de  tons  points  un 
écrivain  habile;  sa  critique  est  incisive  et  assez  souvent 
même  passionnée,  quand  sa  vanité  blessée  s'en  môle.  11  a 
tout  rcceinmeat  eutrepris  un  grand  ouvrage  :  La  Russie 


I 


BOULGARINE  —  BOULLANGER 


515 


fniix  les  rapports  historique,  statistique,  rji'ographiquc  et 
littéraire  (Riga,  1839-1841,  3  vol.  in-8°). 

BOULIMIE  (de  Xifiô;,  faim,  et  de  la  particule  augmen- 
tatire  §ou  ),  besoin  impérieux  de  prendre  une  grande  quan- 
tité d'aliments.  Le  mot  adéphagie  est  synonyme  de  bou- 
limie. On  dit  aussi /ai  wi  canine  :  cependant,  dans  le  langage 
familier,  cette  dernière  expression,  comme  le  mo\  fringale, 
ne  désigne  qu'une  très-grande  faim  purement  accidentelle 
et  n'ayant  que  passagèrement  l'apparence  de  l'affection  mor- 
bide qui  fait  le  sujet  de  cet  article. 

La  boulimie  reconnaît  différentes  causes  :  tantôt  elle  est 
liée  à  un  état  nerveux  particulier  de  l'estomac,  et  on  voit 
alors  le  malade  se  gorger  d'aliments  qu'il  est  bientôt  con- 
traint de  rejeter;  tantôt  elle  n'est  que  le  symptôme  d'une 
autre  maladie  (le  plus  ordinairement  l'hystérie  ou  la 
chlorose);  quelquefois  elle  caractérise  la  présence  d'un 
taenia  dans  le  tube  digestif,  ou  encore,  chez  la  femme,  le 
commencement  de  la  grossesse  ;  quelquefois  aussi  elle  sur- 
vient dans  des  maladies  qui  ne  laissent  aucun  espoir  de  gué- 
rison ,  comme  le  montrent  des  plithisiques,  qui ,  arrivés  au 
dernier  terme  de  la  consomption ,  demandent  des  aliments 
à  grands  cris  et  les  mangent  avec  avidité  la  veille  même  de 
leur  mort.  La  boulimie  peut  tenir  encore  à  un  vice  orga- 
nique :  ainsi ,  à  l'autopsie  d'un  homme  mort  en  proie  à  cette 
affection ,  on  a  constaté  l'absence  de  la  vésicule  du  fiel ,  en 
sorte  que  la  bile  devait  être  versée  continuellement  dans  le 
duodénum.  La  boulimie  est  surtout  fréquente  dans  ces  irrita- 
tions de  l'estomac  et  des  intestins  qu'on  ne  considère  générale- 
ment pas  comme  graves ,  mais  qui,  bien  que  n'excitant  pas 
de  fièvre,  entretiennent  un  état  valétudinaire.  Ces  affections 
très-communes,  seulement  accompagnées  de  malaise,  d'é- 
touffement,  de  constipation,  de  morosité,  se  compliquent 
ordinairement  d'une  sensation  pénible  analogue  à  la  faim,  et 
qu'on  appelle  vulgairement  besoin  d'estomac.  Les  personnes 
qui  éprouvent  cette  nuance  de  la  boulimie  mangent  souvent 
et  sans  ressentir  le  bien-être  qui  résulte  de  la  satisfaction 
d'un  besoin  réel  ;  les  aliments  aggravent  môme  leur  malaise. 

La  boulimie  D'est  donc  pas  cause,  mais  seulement  effet 
de  diverses  maladies.  Cependant,  c'est  encore  une  altéra- 
tion de  la  santé  à  laquelle  les  personnes  étrangères  à  la  mé- 
decine prétendent  remédier,  dirigées  par  deux  opinions 
bien  plus  dangereuses  encore  que  l'ignorance  :  l'une  qui  at- 
tribue la  boulimie  à  une  faiblesse  de  l'estomac,  l'autre  qui 
considère  cette  affection  comme  purement  nerveuse.  Ces 
deux  opinions  induisent  à  traiter  la  boulimie  à  l'aide  de 
substances  stimulantes,  telles  que  les  vins  généreux,  le  café, 
les  amers  ,  les  eaux  minérales,  les  oxydes  de  fer,  le  cachou, 
l'étlier,  etc.  On  ne  saurait  croire  combien  ces  traitements 
échauffants  font  de  victimes.  Aussi  conseillerons-nous  d'em- 
ployer seulement  les  moyens  rafraîchissants  en  attendant 
qu'on  invoque  le  secours  d'un  médecin.  Au  lieu  de  faire 
usage  de  substances  excitantes,  plus  propres  à  irriter  les 
nerfs  qu'à  les  calmer,  les  personnes  atteintes  de  boulmiie 
trouveront  un  avantage  réel  à  se  nourrir  d'aliments  légers, 
tels  que  des  viandes  blanches ,  des  légumes  doux,  des  fé- 
cules; à  se  priver  de  vin  pur;  à  refroidir  souvei'.t  l'esto- 
mac avec  de  l'eau  plus  ou  moins  froide  ,  qu'on  prendra  par 
cuillerée,  ou  mieux  avec  un  chalumeau.  Si  ces  moyens  ne 
procurent  point  la  guérison  prompte  et  complète  des  mala- 
dies qui  causent  la  boulimie ,  du  moins  ils  ne  les  aggrave- 
ront pas  ;  dans  un  grand  nombre  de  cas  ils  amenderont  un 
état  souvent  très-pénible  ;  ils  n'anéantiront  pas  les  ressources 
de  lart,  celles  de  la  nature,  comme  aussi  celles  du  temps, 
qui  peut  guérir  les  malades  qu'il  ne  tue  pas. 

BOULINE.  On  appelle  ainsi,  en  termes  de  marine,  la 
corde  qui  sert  à  tendre  et  à  effacer  la  voile  de  telle  sorte 
que  la  route  faite  par  le  navire  se  rapproche  le  plus  possible 
de  la  direction  du  vent. 

Faire  courir  la  bouline  était  un  châtiment  usité  à  bord 
des  bâtiments  de  guerre.  On  faisait  ranger  l'équipage  sur  deux 

niCT.    DE   LA   CONVEliS.    —   T.    III. 


haies,  entre  lesquelles  le  coupable,  nu  depuis  la  tête  jus- 
qu'à la  ceinture,  était  obligé  dépasser,  et  recevait  de  chaque 
homme  un  coup  de  garce tte  sur  le  dos.  Nous  ferons  en- 
visager ce  genre  de  punition,  aboli  au  reste  depuis  1848,  sous 
un  double  caractère  :  l'atrocité  de  la  peine  et  la  flétrissure 
qu'elle  imprimait  aux  hommes  qui  y  étaient  condamnés. 
C'était  un  cruel  spectacle  que  la  marche  du  malheureux  sous 
la  volée  des  cordes  qui  tonobaient  alternativement  et  en  ca- 
dence régulière  sur  son  dos  :  il  recevait  ordinairement  les 
premiers  coups  avec  une  sombre  résignation  ;  le  sentiment 
de  la  honte ,  de  l'indignation  et  de  la  rage  dominait  en  lui 
le  sentiment  de  la  douleur;  mais  quand  chaque  coup  laissait 
sur  ses  reins  une  trace  noire,  quand  la  peau  se  déchirait, 
que  le  sang  ruisselait,  la  douleur  alors  devenait  si  acca- 
blante que  souvent  la  victime  tombait  sur  les  genoux  avant 
d'avoir  parcoura  toute  la  carrière  de  son  supplice. 

Autrefois,  les  matelots  français  recevaient  la  punition 
de  la  corde  comme  les  malfaiteurs  en  Russie  celle  du  knout  : 
la  douleur  passée ,  tout  était  oubhé.  Mais  depuis  que  la  ré- 
volution de  1789  avait  commencé  à  introduire  de  nouvelles 
idées  dans  les  esprits,  on  regardait  les  coups  de  corde  comme 
une  punition  dégradante.  Les  officiers  ne  l'appliquaient 
même  que  rarement  lorsque  la  révolution  de  1848  est  venue 
la  rayer  à  jamais  du  code  maritime. 

BOULINGRIN,  terme  de  jardinage,  imité  de  l'anglais 
bowling  green,  jeu  de  boule  en  gazon.  Les  boulingrins  sont 
en  effet  des  parties  de  terrain  légèrement  baissées  et  en- 
tourées de  glacis  semblables  à  ceux  qui  terminent  les  jeux  de 
boule,  afin  d'empêcher  les  boules  de  sortir.  La  forme  de  ces 
renfoncements  et  des  glacis  qui  les  accompagnent  varie  sui- 
vant le  goût  de  l'ordonnateur  du  jardin  et  les  circonstances 
du  terrain.  Souvent  leur  superficie  est  coupée  par  de  petits 
sentiers  sablés,  ou  bien  ornée  de  plates-bandes  de  fleurs  et 
d'arbustes  formant  des  compartiments.  Cette  nature  de 
boulingrins  se  nomme  coupés,  par  opposition  aux  boulin- 
grins simples,  qui  sont  tout  en  gazon. 

Il  y  avait  autrefois  un  boulingrin  célèbre  à  Saint-Germain  ; 
il  en  existe  encore  deux  dans  le  jardin  de  Saint-Cloud,  entre 
la  grande  cascade  et  la  Seine. 

BOULLAJXGER  (  André),  plus  connu  sous  le  nom  de 
Petit  père  André,  né  à  Paris,  en  1577,  et  mort  dans  la 
même  ville  le  21  septembre  1657,  à  l'âge  de  quatre-vingts 
ans,  était  d'une  famille  honorablement  connue  dans  la  ma- 
gistrature. Entré  de  bonne  heure  dans  l'ordre  des  Augustins 
réformés ,  il  se  fit  un  nom  dans  l'art  de  la  chaire ,  que  les 
grands  prédicateurs  du  siècle  de  Louis  XIV  n'avaient  pas 
encore  portée  au  degré  de  gloire  où  il  s'est  arrêté  depuis. 
Son  style  se  ressentait  donc  un  peu  de  ces  formes,  ordinai- 
rement plus  triviales  que  naïves,  dont  les  Menot  et  les  Mail- 
lard ont  laissé  des  exemples  nombreux.  11  mêlait  quelque- 
fois des  plaisanteries  mondaines  à  la  morale  évangélique,  et 
les  comparaisons  les  plus  communes  aux  grandes  vérités  du 
christianisme.  On  a  signalé  surtout,  dans  ce  genre,  la  com- 
paraison des  quatre  docteurs  de  l'église  latine  avec  les  quatre 
rois  du  jeu  de  cartes  :  saint  Augustin ,  selon  lui ,  était  le  roi 
de  cœur  par  sa  grande  charité,  saint  Ambroise  le  roi  de 
trèlle  par  les  fleurs  de  son  éloquence,  saint  Jéiôme  le  roi 
de  pique  par  son  style  mordant,  et  saint  Grégoire  le  Grand 
le  roi  de  carreau  par  son  peu  d'élévation.  Mettant  de  côté 
le  peu  de  convenance  et  quelquefois  même  de  justesse  de 
ces  es[)èces  de  comparaisons,  surtout  dans  la  bouche  d'un 
mmistre  du  Dieu  de  vérité,  nous  devons  faire  la  part  de 
l'esprit  qui  régnait  encore  au  siècle  où  vivait  le  Petit  père 
André,  et  reconnaître  que  les  moyens  oratoires  qu'il  em- 
ployait, et  qui  seraient  regardés  aujourd'hui  comme  de  très- 
mauvais  goût,  avaient  une  espèce  d'à-propos  et  d'utilité, 
puisqu'ils  disposaient  les  esprits  à  l'entendre  ;  et  c'est  bien 
injustement,  scion  nous,  que  le  commentateur  de  Boileau 
(Brossette)  en  a  pris  l'occasion  de  prêter  à  ce  prédicateur 
populaire  tant  de  contes  ridicules.  Du  resle,  la  conduite  du 

6'J 


540 


BOULLANGER  —  BOULOGNE 


Petit  père  André  fut  irréprochable.  On  n'a  conservé  de  lui 
que  l'Oraison  funèbre  de  Marie  de  Lorraine,  abbesse  de 
Chelles.  La  reine  mère  se  plaLsait  à  ses  sermons,  et  le  grand 
Condé  goûtait  sa  manière  de  prêcher. 

BOULLIAUD(Lsmael),  et  non  Bouiîlaud,ué  le  2S  sep- 
tembre 1C05,  à  Loudun,  mort  à  Paris,  le  25  novembre  1694, 
à  l'âge  de  quatre- vingt  neuf  ans,  à  l'abbaye  de  Saint-Victor,  où 
il  s'était  retiré  depuis  1689.  Ce  savant ,  né  calviniste ,  s'était 
converti  au  catholicisme  à  vingt  et  un  ans,  et  à  vingt-cinq  avait 
reçu  l'ordre  de  prêtrise.  Il  s'appliqua  fortement  à  l'étude  de 
b  théologie,  de  l'histoire  sacrée  at  profane ,  et  principa- 
lement aux  mathématiques  et  à  l'astronomie.  Après  avoir 
été  attaché  successivement  à  Dupuy ,  garde  de  la  biblio- 
thèque du  roi ,  et  au  président  de  Tliou ,  qu'il  suivit  et  se- 
conda dans  son  ambassade  en  Hollande,  il  voyagea  en  Italie, 
en  Allemagne ,  en  Pologne  et  au  Levant.  Parfaitement  ac- 
cueilli par  la  reine  de  Pologne ,  Louise-Marie  de  Gonzague , 
il  reçut  de  celte  princesse  un  présent  considérable,  et  depuis 
entretint  avec  elle,  par  l'intermédiaire  de  son  secrétaire  Des- 
noyers, une  correspondance  retrouvée  à  Lyon  par  l'abbé 
Mercier  de  Saint-Léger,  et  que  l'on  conserve ,  en  5  volumes 
manuscrits,  à  la  Bibliothèque  Impériale. 

C'est  surtout  comme  mathématicien  et  astronome  que 
Boulliaud  s'est  distingué.  Nous  citerons  parmi  ses  ouvrages  : 
1°  De  Natura  Lxicis  Z,i&er  (Paris,  163S,iu-8°);  T Philolaus, 
seude  vero  systemate  mundi  (Amsterdam,  1639,  in-4''); 
3°  Theonis  Smyrnœi  Mathematica  :  le  textegrec  est  accom- 
pagné d'une  traduction  latine  et  de  notes  par  Boulliaud  ; 
4"  Astronomia  Philolaica,  etc.  (Paris,  1645,  in-f°):  si 
l'on  en  croit  le  père  Nicéron ,  le  mouvement  des  planètes 
est  fort  bien  expliqué  dans  cet  ou^Tage  ;  5°  Astronomice 
Philolaica;  Fundamenta  explicata  et  asserta  adversics 
Sethi  Wardi  impugnationem,  etc.,  etc. 

Delambre  reproche  à  Boulliaud  d'avoir  méconnu  l'impor- 
tance des  lois  de  Kepler  et  dénaturé  les  idées  de  ce  beau 
génie.  Il  loue  cependant  le  mathématicien  français  d'avoir 
défendu  avec  constance  le  mouvement  de  la  terre  ,  qui  avait 
encore  de  nombreux  adversaires ,  même  parmi  les  astro- 
nomes, et  d'avoir  seul  jusqu'à  présent  donné  une  explica- 
tion raisonnable  du  phénomène  du  changement  de  lumière 
observé  dans  quelques  étoiles ,  par  une  révolution  sur  leur 
axe,  qui  nous  montre  successivement  des  parties  obscures 
ou  lumineuses.  Il  signale  aussi  comme  singulière  l'idée 
émise  par  Boulliaud,  dans  son  traité  Sur  la  Nature  de  la 
Lumière,  que  celle-ci  est  une  moyenne  proportionnelle 
entre  les  substances  corporelles  et  les  substances  incor- 
porelles. Ne^vton  rendait  plus  de  justice  que  Delambre  au 
mérite  de  Boulliaud,  à  qui,  en  répondant  aux  critiques  de 
Hooke,  il  attribuait  la  loi  du  carré  des  distances,  comme  à 
Borelli  celle  du  mouvement  elliptique  produit  par  l'attraction. 

Parmi  les  ouvrages  de  Boulliaud  étrangers  aux  sciences 
exactes,  il  faut  citer  deux  dissertations  composées  en  1649 
«t  1651 ,  en  faveur  des  Églises  de  Portugal,  à  l'occasion  des 
différends  survenus  entre  la  cour  de  Rome  et  le  roi  Jean  IV. 
Elles  furent  mises  à  V index.  Nous  citerons  encore  parmi  les 
traranx  de  ce  savant  la  publication  au  Lou\Te,  in-f,  de 
V Histoire  Byzantine  de  Ducas,  en  grec,  avec  une  version 
latine  et  des  notes  de  sa  composition  ;  un  Catalogue  en  2  vol. 
in-8"rfe  la  bibliothèque  de  Thou  (1679),  et  deux  lettres 
sur  la  mort  de  Gassendi  à  Albert  Partner,  imprimées  dans 
un  recueil  intitulé  :  Lessus  mortualis,  etc.  Boulliaud  était 
un  de  ces  hommes  dont  la  grande  réputation  ne  diminue 
point  la  modestie.  Aubert  de  Vitry. 

BOULLOiXGIVE.  Plusieurs  peintres  français  ont  portéce 
nom.  Le  premier  qui  nous  soit  connu  est  Louis  Boulloncne, 
ué  en  1609,  mort  en  1674.  Peintre  du  roi  et  membre  de 
r.\cadémie,  il  exécuta  plusieurs  tableaux  pour  la  cathé- 
drale de  l'aris. 

Mais  celui  qui  jeta  le  plus  d'illustration  .sur  sa  famille  fut 
Lan  BoiixoNcsE,  son  fils.  Né  à  Paris  en  1G49,  il  mourut  Je 


16  mai  1717,  laissantungrandnombred'élèves  qui  occupèrent 
presque  tous  un  rang  distingué  dans  l'école  française.  Ayant 
commencé  l'étude  de  l'art  sous  la  direction  de  son  père,  il 
fut  envoyé  à  Rome  par  Colberl,  comme  pensionnaire  du  roi. 
Pendant  son  séjour  en  Italie ,  il  étudia  le  Corrège,  les  Car- 
raches,  et  s'inspira  principalement  du  Guide  et  du  Domini- 
quin.  De  retour  en  France,  il  exécuta  son  tableau  (^'Hercule 
combattant  les  Centaures,  auquel  il  dut  sa  réception  à  l'A- 
cadémie, en  1677.  Louis  XIV  l'employa  ensuite  à  décorer 
plusieurs  de  ses  palais.  En  1702  Bon  Boullongne  peignit  aux 
Invalides  les  fresques  des  chapelles  de  Saint-Jérôme  et  de 
Saint-Ambroise.  Dans  toutes  les  œuvres  de  ce  peintre,  qui 
excella  eu  même  temps  dans  la  peinture  historique  et  dans 
le  portrait ,  on  rencontre  un  dessin  correct  et  un  coloris 
vigoureux. 

Son  frère,  Louis  Boullongne,  né  en  1654,  mort,  premier 
peintre  du  roi,  le  21  novembre  1733,  n'atteignit  pas  à  la 
môme  hauteur,  mais  compte  cependant  parmi  les  bons  ar- 
tistes de  l'école  française.  On  regarde  comme  ses  plus  beaux 
tableaux  ceux  qu'il  a  faits  pour  la  chapelle  de  Versailles , 
surtout  V Aymonciation  et  V Assomption.  On  cite  aussi  avec 
éloges  sa  Présentation  de  Jésus-Christ  au  temple,  faite 
pour  l'église  Notre-Dame. 

Geneviève&i  Madeleine  Boullongne,  sœurs  des  deux  pré- 
cédents, se  livrèrent  aussi  à  la  peinture. 

BOULOGNE  ou  BOULOGNE-SUR-MER.Tillede  France, 
chef-lieu  d'arrondissement,  dans  le  département  du  Pas-de- 
Calais,  situéesurlaManche,à  l'embouchure  de  la  Liane,  où 
elle  a  un  port  d'un  accès  diflicile,  formé  de  deux  larges  bassins. 
Siège  d'un  tribunal  de  première  instance,  et  d'un  tribunal 
de  commerce,  Boulogne  possède  avec  une  population  de 
29,741  habitants,  un  collège  communal,  une  bibliothèque 
de  32,000  volumes,  un  musée,  un  jardin  botanique  très- 
riche,  une  société  d'agriculture,  sciences  et  arts,  unedirection 
de  douanes,  un  théâtre,  un  magnifique  établissement  de 
bains  de  mer,  un  entrepôt  réel  ;  des  fabriques  de  grès  et 
de  faïence ,  des  raffineries  de  sel  et  de  sucre ,  des  verreries, 
tuileries  ,  briqueteries,  des  métiers  à  tulle  et  des  fabriques 
de  filets  pour  la  pêche.  On  arme  à  Boulogne  pour  les  voyages 
(le  long  cours,  le  grand  et  le  i)etit  cabotage ,  et  pour  la  pêche 
de  la  morue  d'Islande  et  de  Terre-Neuve,  du  hareng  et  du 
maquereau.  Son  commerce  consiste  en  genièvre,  thé,  vins, 
eaux-de-vie,  dentelles,  toiles  fines,  bois  et  chanvre  du 
Nord,  etc. 

Boulogne  est  divisée  en  deux  parties  :  la  basse  et  la  haute 
ville.  Celle-ci,  qui  est  jolie  et  très-propre,  est  environnée 
d'une  muraille  flanquée  de  tours  rondes ,  et  renferme  un 
château-fort  La  ville  basse,  qui  comprend  le  port,  est  la  partie 
la  plus  commerçante  et  la  plus  peuplée  ;  elle  renferme  à 
elle  seule  les  trois  quarts  de  la  population  totale.  Boulogne 
est  après  Calais  le  passage  le  plus  favorable  et  le  plus  court 
de  France  en  Angleterre  ;  aussi  un  service  de  paquebots  ré- 
guliers y  est-il  organisé  pour  les  ports  anglais.  Le  port,  qui  se 
remplit  et  redevient  à  sec  deux  lois  par  jour,  est  vaste, 
Il  communique  avec  la  mer  par  deux  longues  jetées  du  haut 
desquelles  ^n  aperçoit  en  mer  les  forts  de  Crèche  et  de 
l'Heurt,  construits  sous  Napoléon  en  1803.  Par  un  temps  clair 
on  distingue  «isément  de  là  les  côtes  d'Angleterre.  A  droite 
se  dresse  une  falaise  dont  le  sommet  est  couronné  par  les 
ruines  du  phare  de  Caligula,  tour  que,  selon  la  tradition, 
Caïus  éleva  sur  cette  côte  en  commémoration  de  la  victoire 
qu'il  préfendait  avoir  remportée  sur  la  mer. 

Boidogne  est  surtout  fréquentée  par  les  Anglais  ;  toutes  les 
enseignes,  toutes  les  flatteries,  sont  à  leur  adresse  exclusive. 
On  ne  peut  méconnaître,  au  reste,  que  Boulogne  doit  le 
développement  croissant  de  sa  prospérité  à  l'invasion  des 
citoyens  de  la  Grande-Bretagne.  C'est  aujourd'hui  une  grande 
et  très-jolie  ville,  où  le  couiort,  le  bicn-ê're,  et  la  richesse 
territoriale  font  chaque  jour  d'immenses  progrès.  Plusieurs 
'  de  ses  rues  rivalisent  pour  le  mouvement,  la  beauté  des 


BOULOGNE 


54  7 


maisons,  et  la  splendeur  des  (îtalages ,•  avec  celles  des  quar- 
tiers élégants  de  Taris.  Les  hôtels  sont  remarquables  par 
leur  luxe.  Boulogne  possédait  avant  la  révolution  une 
image  miraculeuse  de  la  Vierge ,  à  qui  Louis  XI  fit  hom- 
mage du  Boulonnais;  cette  image  fut  brûlée  solennellement 
en  1793,  ce  qui  ne  l'a  pas  empochée  de  leprendre  depuis  sa 
place  dans  son  antique  chapelle. 

L'origine  de  Boulogne  est  fort  ancienne.  Caligula  ayant 
fait  construire  un  phare  dans  le  fort  Bononia  situé  sur  cette 
côte,  l'établissement  de  ce  phare  attira  les  marins  de  ce 
côté  de  VElna  (aujourd'hui  la  Liane).  La  population  de 
Gesoriacum,  bourg  qui  existait  alors  non  loin  de  là,  les  y 
suivit  insensiblement ,  et  c'est  ainsi  que  se  fonda  aux  pieds 
du  fort  Bononia  la  ville  de  Boulogne. 

Cette  cité,  devenue  plus  tard  la  capitale  du  Boulonnais 
ou  comté  de  Boulogne ,  fut  assiégée  et  détruite  à  diverses 
reprises. 

Constance  Chlore  la  prit  en  292  sur  Carausius ,  dont  les 
troupes  s'en  étaient  emparées.  Les  Normands  l'ayant  em- 
portée d'assaut,  en  88S ,  passèrent  tous  les  habitants  au  fil 
de  l'épée,  et  démolirent  les  édifices  et  les  murailles.  Cette 
œuvre  de  destruction  ne  fut  réparée  qu'en  912,  époque  à 
laquelle  la  ville  fut  rebâtie.  Henri  VIII,  roi  d'Angleterre,  s'en 
empara  en  1544,  après  un  siège  de  six  semaines;  mais 
Henri  II,  fils  de  François  I^"";  la  racheta  moyennant  quatre 
cent  raille  écus  d'or.  Charles-Quint  la  réduisit  aussi  en  I5â3, 
après  un  siège  assez  long. 

On  trouve  encore  là  beaucoup  d'autres  souvenirs ,  comme 
une  aiguille  indiquant  l'endroit  où  périrent  les  aéronautes 
Pilastre  th  Rosier  et  Romain.  Ville  très-ancienne,  César, 
Charlemague,  Godefroi  de  Bouillon,  et  Philippe-Auguste  ont 
habité  Boulogne.  Notre  Lesage,  l'auteur  de  Gil-Blas,  y  a 
terminé  sa  carrière.  C'est  à  Boulogne  que  César  prépara  son 
embarquement  pour  la  Grande-Bretagne,  et  que  Napoléon 
avait  |)rojcté  le  sien. 

C'est  à  une  petite  lieue  de  Boulogne,  à  Vimereux,  que 
Napoléon  avait  formé ,  au  commencement  de  ce  siècle ,  le 
fameux  camp  de  Boulogne  {voyez  plus  loin),  où  eut  lieu  la 
distribution  des  premières  décorations  de  la  Légion  d'Honneu  r, 
que  rappelle  encore  aujourd'hui  une  magnifique  colonne. 

Trente-six  ans  plus  tard,  en  1840,  débarquait  sur  ce 
même  rivage  le  neveu  de  l'empereur,  le  prince  Louis- 
Napoléon  Bonaparte,  suivi  seulement  de  quelques 
hommes  dévoués.  Le  prince  expia,  comme  on  sait,  sous 
les  verrous  du  fort  de  Ham  cette  tentative  aventureuse, 
qui  avait  échoué  là  précisément  où  l'empereur  avait  pré- 
médité d'une  façon  si  gigantesque  la  ruine  de  l'Angle- 
lerre.  Louis-Napoléon  avait  compté  sans  doute  sur  les 
souvenirs  impériaux  et  sur  le  prestige  de  la  colonne 
élevée  en  ces  lieux  au  souvenir  de  la  Grande-Armée;  mais 
l'événement  lui  prouva  qu'il  n'avait  pas  fallu  quarante 
ans  pour  éteindre  dans  le  cœur  des  Boulonnais  ces  sou- 
venirs de  gloire,  à  la  place  desquels,  par  un  revirement 
étrange,  était  venue  s'implanter  l'anglomanie  la  plus 
outrée. 

BOULOGNE  (Bains  de  mer  de).  M.  Versial,  négociant 
riche  et  distingué,  a  créé  à  ses  frais  l'établissement  actuel 
des  baips  de  Boulogne.  Cet  édifice  borde  la  mer  du  côté 
du  port;  il  a  50  mètres  de  façade  sur  14  de  profondeur  : 
il  est  d'ordre  dorique.  Divisé  en  deux  parties,  pour  les 
deux  sexes,  l'économie  intérieure  en  est  parfaite,  et  la  dis- 
tribution commode  autant  qu'élégante.  On  y  trouve  diffé- 
rents petits  salons,  salon  de  danse,  salon  de  musique,  de 
repos,  de  bilierd,  de  rafraîchissements;  un  beau  salon 
d'assemblée,  décoré  de  colonnes  et  de  pilastres  d'ordre 
ionique  :  à  droite  et  à  gauche  des  couloirs  spacieux ,  des 
galeries.  Des  deux  côtés,  des  escaliers  conduisent  à  de  belles 
terrasses,  et  d'autres  escaliers  sur  la  plage  et  aux  bains. 
L'édifice  est  surmonté  d'une  plate-forme  gracieuse,  qu'a- 
britent <le  jolies  tentes.  De  là  vous  découvrez  outre  le 


port,  les  sites  d'Outreau  et  de  Capéeure,  les  falaises  soute- 
nant les  plateaux  où  campa  la  grande  armée,  les  ruines  du 
phare  de  Caligula,  la  partie  basse  ou  neuve  de  la  ville ,  une 
grande  étendue  de  mer,  et  même,  quand  le  temps  est  beau, 
les  côtes  d'Angleterre,  distantes  de  Boulogne  d'environ  neuf 
lieues. 

La  situation  de  Boulogne  est  on  ne  peut  plus  convenable 
pour  les  bains  de  mer  :  la  côte  est  plate,  la  plage  unie,  sa- 
blonneuse, et  la  mer,  par  conséquent,  peu  protonde.  Il  n'y  a 
là  aucune  embouchure  de  fleuve  ou  de  rivière,  de  sorte  que 
l'eau  reste  pleinement  saturée  de  tout  son  sel.  Les  sables  de 
la  plage,  échauffés  par  le  soleil,  donnent  à  l'eau,  quand  elle 
revient  les  couvrir,  une  température  assez  douce  pour  qu'elle 
ne  cause  aucun  frisson.  L'air  est  pur,  l'eau  de  la  ville  est  de 
bonne  qualité,  les  environs  sont  agréables  à  voir,  faciles  à 
fréquenter;  les  remparts  assez  beaux. 

Outre  son  grand  établissement  pour  les  bains  de  mer, 
Boulogne  possède  deux  sources  ferrugineuses  froides  : 
l'une  est  à  quelques  pas  de  la  ville,  sur  la  route  de  Calais  ; 
l'autre  jaillit  à  Wières-aux-Bois.       D""  Isid.   Bourdon. 

BOULOGIXE  (Camp  de).  A  peine  parvenu  au  consulat, 
Bonaparte,  convaincu  que  les  plus  grands  obstacles  à  la  pros- 
périté de  la  France  lui  venaient  de  la  jalousie  du  gouver- 
nement anglais,  reprit  le  projet  de  descente  dans  les  îles 
Britanniques  que  le  Directoire  avait  déjà  eu  après  la  paix 
de  Campo-Formio.  Cette  idée  devint  le  but  constant  de  ses 
efforts  jusqu'au  jour  où  il  en  fut  détourné  par  la  guerre  que 
lui  suscita  l'Autriche  vers  la  fin  de  1805. 

A  cette  époque,  les  baïonnettes  françaises  paraissaient  suffi- 
santes pour  faire  justice  des  ennemis  de  l'État.  Malheureu- 
sement, notre  marine,  dont  les  restes  avaient  péri  à  Qui- 
beron,  était  moins  que  jamais  en  état  de  soutenir  une 
lutte  avec  celle  de  la  Grande-Bretagne.  Et  pourtant  Bona- 
parte ne  demandait  à  notre  marine  que  les  moyens  de 
toucher  le  sol  ennemi.  Dès  lors  toutes  ses  pensées  se  tour- 
nèrent vers  la  construction  d'un  nombre  considérable  d'em- 
barcations assez  légères ,  et  s'élevant  assez  peu  sur  la  mer 
pour  ne  pas  donner  prise  à  l'artillerie  des  gros  vaisseaux  ; 
elles  devaient  être  appropriées  enfin  à  leur  principale  des- 
tination, c'est-à-dire  au  transport  des  troupes,  et,  avec  un 
vent  favorable  et  pendant  les  grandes  marées,  trois  heures, 
espérait-il,  suffiraient  pour  conduire  celte  (lotte  de  Boulogne 
à  Douvres.  Mille  chaloupes  canonnières,  bricks,  goélettes, 
chasse-marées,  bateaux  plats,  —dons  patriotiques,  en  grande 
partie  des  villes  et  des  corps  de  l'État ,  —  sortirent  ainsi,  à 
sa  voix,  des  chantiers  et  de  toutes  les  rivières  affluentes  des 
côtes  septentrionales  de  la  France,  de  la  Belgique  et  de  la 
Hollande,  et  leur  réunion  se  fit  dans  la  rade  de  Boulogne. 
Une  grande  partie  des  troupes  nombreuses  qui  revenaient 
victorieuses  d'Allemagne  et  d'Italie  formèrent  bientôt  un 
camp  retranché  sur  les  côtes  de  France  en  vue  des  rivages  de 
l'Angleterre.  Elles  s'élevaient  à  un  cfîectif  de  plus  de  150,000 
hommes,  distribués  par  corps  et  logés  dans  des  baraques 
disposées  par  rangées,  entre  lesquelles  s'étendaient  des  rues 
appelées  des  noms  de  nos  guerriers  les  plus  célèbres.  Dans 
cette  cité  militaire  on  voyait  des  places  embellies  de  statues, 
d'obélisques,  de  pyramides;  il  y  avait  aussi  des  jardins,  des 
allées  d'arbres  et  des  fontaines. 

L'Angleterre  ne  pouvait  rester  spectatrice  indifférente  de 
tous  ces  préparatifs ,  qu'elle  feignait  de  tourner  en  dérision ,  et 
qu'elle  vouait  au  crayon  satirique  de  ses  caricaturistes,  mais 
dans  lesquels  le  génie  opiniâtre  de  Bonaparte  lui  faisait  entre- 
voir des  suites  sérieuses  pour  elle.  Elle  ne  tarda  pas  en  effet 
à  montrer  à  quel  point  ces  tentatives  l'alarmaient  :  le  9  sep- 
tembre 1801  l'amiral  Nelsonse  présenta  devant  Boulogne 
avec  une  flotte  composée  de  trente  vaisseaux  de  toutes  gran- 
deurs. Une  division  de  la  flottille  légère  française  était 
mouillée  à  un  kilomètre  de  l'entrée  du  port;  elle  fit  si  bonne 
contenance,  qu'au  bout  de  quelques  heures  l'ennemi ,  n'ayant 
pu  forcer  cette  avant-garde  à  rcH'^er  dans  le  pori ,  pi  ;t  le  paili 

69. 


548  ^  BOULOGNE 

<le  se  retirer ,  après  avoir  jeté  inutilement  huit  à  neuf  cents 
bombes ,  qui  tombèrent  toutes  dans  l'eau  sans  atteindre  per- 
sonne. Mais  elle  ne  fit  que  s'éloigner  pour  chercher  du  ren- 
fort et  des  munitions,  et  cinq  jours  après  (le  14  septembre) 
on  la  vit  reparaître  plus  nombreuse  et  accompagnée  d'une 
quantité  de  frégates,  de  péniches,  de  bricks  et  de  chaloupes 
canonnières.  Elle  vint  mouiller  à  six  kilomètres  de  l'avant- 
garde  de  la  llottille  française.  L'attaque  commença  après  mi- 
nuit; une  chaloupe  française  d'observation  l'annonça.  Le 
combat  s'engagea  par  un  feu  d'artillerie  et  de  mousqueferie 
bien  nourri  des  deux  parts;  les  batteries  françaises  de  terre 
ne  purent  jouer,  crainte  de  frapper  leurs  propres  chaloupes, 
qui  se  trouvaient  dans  la  direction  de  leur  volée.  VEtna, 
chaloupe  canonnière  française,  fut  attaqué  par  six  péniches 
anglaises,  et  presqu'au  même  instant  les  antres  bâtiments 
des  deux  pavillons  se  trouvèrent  aux  prises.  Dans  ce  combat 
à  outrance  les  Anglais  eurent  partout  le  dessous,  et  .se  virent 
contraints  à  reprendre  le  large,  après  avoir  vu  couler  bas 
quatre  de  leurs  péniclics  sous  le  feu  de  la  chaloupe  française 
la  Surprise. 

Lors  de  la  rupture  de  la  paix  d'Amiens,  en  1804,  Bona- 
parte reprit  avec  une  nouvelle  ardeur  les  projets  dont  il  avait 
été  détourné  une  première  fois.  Bientôt  les  hostilités  recom- 
mencèrent. Les  Anglais,  tenus  en  observation  par  les  chaloupes 
françaises ,  s'indignaient  de  voir  arriver  chaque  jour  à  leur 
destination  des  embarcations  venant  des  côtes  de  la  Belgique, 
de  la  Hollande,  de  Dieppe  et  du  Havre.  Le  13  août,  l'amiral 
V  e r  lui  e  1 ,  commandant  une  division  partie  d'Ostende,  ayant 
rencontré  une  escadre  anglaise  composée  de  vaisseaux  de 
ligne,  de  frégates  et  corvettes,  reçut  un  feu  terrible,  qui  n'ar- 
rêta point  sa  marche,  et  qui  ne  l'empêcha  point,  en  louvoyant 
le  long  des  côtes,  de  gagner  le  port,  sans  avoir  éprouvé 
aucune  perte.  On  devait  donc  s'attendre  à  de  nouvelles 
et  sérieuses  tentatives  de  la  part  des  Anglais.  Le  3  octobre, 
en  effet,  l'amiral  Kcith  se  montra  en  vue  de  Boulogne,  à  la 
tête  d'une  flotte  de  cinquante-deux  bâtiments,  dont  vingt-cinq 
bricks;  mais,  au  faible  échantillon  de  ces  bricks,  l'aniiral 
français  B ru  i  x  jugea  que  ce  devaient  être  des  brûlots.  Les 
Anglais,  en  effet,  avaient  bien  choisi  leur  temps,  et  toutes 
les  circonstances  tendaient  à  les  favoriser  :  il  leur  était  facile 
de  diriger  leurs  machines  incendiaires  vers  la  côte,  où  la 
marée  et  les  vents  les  poussaient  à  la  fois.  Mais ,  par  une 
nianiruvre  habile,  qui  consistait  à  ouvrir  passage  à  ces  brû- 
lots aussitôt  qu'ils  étaient  reconnus ,  l'amiral  français  sut 
éviter  le  danger;  presque  tous  allèrent  aborder  la  terre,  au- 
près de  laquelle  ils  firent  explosion ,  tout  à  fait  dans  l'inté- 
rieur de  la  ligne  des  Français  :  on  en  compta  onze  qui  sautè- 
rent ainsi  de  dix  heures  et  demie  du  soir  à  quatre  heures  du 
matin.  Le  canon  et  la  mitraillade,  qui  ne  cessèrent  de  se  faire 
entendre  durant  cette  nuit  terrible,  du  4  au  5  octobre,  enlevè- 
rent beaucoup  de  monde  aux  Anglais,  qui  perdirent  ainsi  tout 
l'effet  d'une  machination  infernale,  méditée  de  longue  main. 

Napoléon  se  rendit  trots  fois  au  camp  de  Boulogne  :  deux 
fois  en  1803  pour  hâter  les  préparatifs  de  l'expédition,  une 
fois  en  1804  pour  distribuer  en  grande  solennité,  en  pré- 
sence des  dignitaires  de  l'Empire  récemment  nommés ,  les 
aigles  aux  régiments  et  les  croix  de  la  Légion  d'Honneur 
aux  officiers,  sous-officiers  et  soldats  à  la  place  des  armes 
d'honneur  qu'ils  avaient  reçues  sous  le  gouvernement  ré- 
l)ublicain.  On  crut  alors  que  le  moment  de  l'embarquement 
était  venu  et  que  le  projet  de  Napoléon,  si  longtemps  mé- 
dité et  pour  lequel  on  avait  fait  de  si  vastes  préparatifs,  al- 
lait recevoir  son  exécution.  IMais  les  tempêtes  qui  s'élevè- 
rent convain()uirent  l'empereur  de  la  dilficulté  de  faire 
réu.ssir  une  expédition  maritime  avec  une  armée  aussi  nom- 
breuse; et  dès  isoâ,  soit  que  l'Angleterre,  pour  détourner 
le  péril ,  lui  eût  suscité  des  ennemis  an  delà  du  Rhin  ,  soit 
qne  Naiioléon  n'eût  pas  été  fâché  do  trouver  un  prétexte 
pour  lever  le  cami» ,  les  troupes  .se  mirent  en  route  pour 
lAilcuiagnc. 


A  peu  de  distance  de  Boulogne,  et  près  du  rivage  de  la 
mer,  une  colonne  en  pierre,  construite  de  1803  à  1823,  sur 
le  modèle  de  la  colonne  trajane,  et  couronnée,  en  1841,  de 
la  statue  impériale  en  bronze,  par  Bosio,  rappelle  seule 
aujourd'hni  le  souvenir  de  ce  camp  célèbre. 

BOULOGNE  (Comté  de).  Voyez  Boulonnais. 

BOULOGNE  (Village  et  Bois  de  ).  Situé  à  quelques  kilo- 
mètres à  l'ouest  de  Paris,  et  séparé  de  Saint-Cloud  par  la 
Seine,  le  village  de  Boulogne,  sous  les  premiers  rois  capétiens, 
s'appelait  encore  Menus-lès-Saint-Cloud.  Quelques  habi- 
tants de  ce  bourg,  revenant  d'un  pèlerinage  à  Notre-Dame 
de  Boulogne-sur-Mer,  obtinrent  de IMiilippeV,  en  1310, 
la  permission  de  bâtir  dans  leur  village  une  église  sur  le 
modèle  de  celle  qu'ils  venaient  de  visiter,  et  d'y  instituer 
une  confrérie.  L'église  reçut  le  nom  de  Notre-Dame  de 
Boulogne-sur-Seine,  puis  de  Boulogne  la  Petite,  et  ce- 
lui de  Boulogne  resta  au  village.  Cet  édifice  gothique,  ter- 
miné en  1343,  fut  béni  par  l'évêque  de  Paris,  et  agrandi 
dans  le  siècle  suivant.  Les  indulgences  accordées  à  cette 
église  par  les  papes  en  firent  pour  les  dévots  parisiens  un 
lieu  de  pèlerinage,  qu'en  raison  du  voisinage  et  de  la  com- 
modité, ilirpréférèrent  à  celui  de  Boulogne-sur-Mer. 

Le  village  de  Boulogne  est  un  des  plus  remarquables  des 
environs  de  Paris.  Il  est  grand,  bien  bûti,  très-peuplé,  et 
formé  principalement  de  belles  maisons  de  campagne ,  dont 
la  valeur  est  doublée  par  les  charmantes  promenades  de 
Saint-Cloud  et  du  bois  de  Boulogne. 

Qui  ne  connaît  le  bois  de  Boulogne ,  rendez-vous  de  fes- 
tins et  de  danses,  rendez-vous  d'amour  et  surtout  d'affaires 
d'honneur,  rendez-vous  enfin  de  promenades  à  pied,  à 
cheval ,  à  âne,  en  voiture  à  deux  et  à  quatre  roues,  depuis 
le  modeste  cabriolet  de  place  jusqu'au  rapide  tilbury  et  à 
l'excentrique  dog-cart,  depuis  l'humble  fiacre  et  la  modeste 
demi-fortune  jusqu'à  l'américaine  et  à  la  calèche  décou- 
verte; depuis  le  coupé  français  jusqu'au  cab  britannique? 
Est-il  quelqu'un  de  nos  lecteurs,  même  parmi  ceux  qui  ha- 
bitent la  province  et  les  pays  étrangers ,  qui  n'ait  été ,  du 
moins  une  fois  en  sa  vie,  au  bois  de  Boulogne,  comme 
gastronome,  danseur  ou  promeneur?  qui  n'y  soit  allé  avec 
sa  belle  ou  pour  rêver  à  sa  belle?  comme  champion  ou 
comme  témoin  d'un  duel?  En  est-il  enfin  qui  n'ait  pas  été 
y  méditer  la  charpente  d'un  mélodrame ,  y  composer  quel- 
ques scènes  de  tragédie,  quelques  couplets  de  vaudeville? 

Ce  bois,  dont  la  longueur  est  de  5  kilomètres  sur  deux 
de  large,  s'appelait  jadis  bois  de  Rouverai,  nom  sous  le- 
quel il  est  désigné  pour  la  dernière  fois  dans  une  ordonnance 
de  1577.  Les  Parisiens,  obligés  de  le  traverser  pour  aller  à 
Boulogne ,  s'habituèrent  à  lui  donner  ce  dernier  nom,  qui 
lui  est  resté.  Aujourd'hui  le  monde  élégant  l'appelle  tout 
simplement  le  bois  ;  et  s'il  vous  arrivait  de  demander  <>  le- 
quel ?  »  on  ne  manquerait  pas  de  vous  prendre  pour  un 
Huron  ou  un  Topinambou.  Qu'y-a-t-il  d'étonnant?  Les 
Romains ,  en  parlant  de  la  ville  éternelle,  ne  l'appelaient  ja- 
mais que  Urbs.  11  est  enclos  de  murailles  et  fermé  de  onze 
portes  ou  grilles ,  dont  deux  au  nord ,  la  porte  Maillot , 
qui  donne  sur  la  belle  avenue  de  Neuilly,  et  la  porte  de 
Neuilly,  qui  conduit  à  ce  village.  Du  côté  de  l'ouest ,  il  yen 
a  quatre  :  la  porte  Saint-James ,  près  du  parc  de  ce  nom 
(voyez  Smnt-James);  celle  de  Madrid,  ainsi  nommée  du 
château  de  M  ad  ri  d ,  qu'y  fit  bâtir  François  T"^  à  son  retour 
d'Espagne;  celle  de  Bagatelle,  qui  tire  également  son  nom  du 
château  de  Bagatelle  qui  en  est  voisin;  enfin  celle  de 
Longcharnp,  qui  le  doit  à  la  célèbre  abbaye  de  Long- 
champ.  Les  deux  portes  situées  à  l'extrémité  méridionale 
du  bois,  sont  celles  de  Boulogne,  qui  prend  son  nom  du 
village,  et  celle  dite  des  Princes,  qui  conduit  au  village  de 
Billancouil;  les  trois  portes  du  côté  de  l'est,  donnent  sur 
les  villaces  (ÏAutcuil,  de  Passy  et  sur  le  faubourg  de 
Chaillot.  La  seconde  a  pris  le  nom  de  la  Muette  du  châ- 
teau de  la  Muette,  qui  en  est  proche.  Le  Ranelagh  est 


BOULOG.^E  —  BOULONNAIS 


549 


sitné  tout  à  côté.  Percé  par  une  infinité  de  routes  et  de  ronds- 
points,  ce  bois  n'est  planté  qu'en  taillis ,  sauf  les  arbres  qui 
bordent  les  allées,  et  qui  remplacent  ceux  qu'on  avait  abat- 
tus sous  le  régime  de  la  terreur  pour  suppléer  aux  arrivages 
de  combustible  dont  Paris  manqua  alors  pendant  quelque 
temps.  D'ailleurs,  avant  la  révolution,  il  ne  présentait  guère 
que  de  vieux  arbres  décrépits.  Lorsque  Napoléon  eut  choisi 
Saint-Cloud  pour  résidence  d'été,  il  fit  faire  de  nombreuses 
plantations  dans  le  bois  de  Boulogne.  Les  armées  alliées 
qui  y  campèrent  en  1815  lui  firent  subir  des  dévastations 
dont  les  traces  commencent  à  peine  à  s'effacer. 

Les  fortifications  de  Paris  ont  diminué  le  bois  de  Boulo- 
gne de  plusieurs  hectares;  l'enceinte  continue  emporta  tous 
les  arbres  de  l'est  au  nord ,  du  Point  du  Jour  à  l'avenue  de 
Neuilly,  et  isola  complètement  le  château  de  la  Muette. 

Dans  sa  séance  du  24  juin  1S52,  le  Corps  Législatif  a 
adopté  un  projet  de  loi  en  vertu  duquel  le  bois  de  Boulogne 
est  distrait  du  régime  forestier  et  concédé  à  titre  de  pro- 
priété à  la  ville  de  Paris.  Cette  concession  est  faite  à  la  con- 
dilion  de  conserver  aux  terrains  acquis  leur  destination  ac- 
tuelle et  à  la  charge  par  la  ville  de  subvenir  à  toutes  les 
dépenses  de  surveillance  et  d'entretien,  et  de  faire  dans  un 
délai  de  quatre  ans  des  travaux  jusqu'à  concurrence  de 
deux  millions  pour  l'embellissement  du  bois  et  de  ses  abords, 
sauf  soumission  préalable  des  projets  de  travaux  au  gou- 
vernement. C'est  aux  mêmes  conditions  qu'elle  avait  ac- 
quis autrefois  les  Champs-Elysées.  Du  reste,  le  bois  de 
Boulogne  ne  rapportait  presque  rien  à  l'État. 

BOULOGÂE  (Ëtienne-Antoi.ne)  ,  évêque  de  Troyes, 
archevêque  élu  devienne,  pair  de  France,  était  néà  Avi- 
gnon, le  26  décembre  1747.  Fils  d'un  tailleur,  il  reçut  son 
éducation  élémentaire  chez  les  Frères ,  qui  lui  procurèrent 
les  moyens  de  com[iléter  ses  études.  En  1773  il  remporta 
le  prix  d'éloquence  proposé  par  l'académie  de  Montauban 
sur  ce  sujet  :  H  n'y  a  pas  de  meilleur  garant  de  la  pro- 
bité que  la  religion.  Venu  à  Paris  en  1774,  il  ne  tarda  pas 
à  se  faire  remarquer  par  son  talent  pour  la  prédication  ;  mais 
des  rapports  obscurs  sur  ses  mœurs  le  tirent  interdire  par 
l'archevêque,  M.  de  Beaumont,  en  1778.  L'année  suivante,  il 
remporta  un  prix  pour  l'e/ojre  dw  Z)nwj9/un,  pèrede  Louis  XVL 
Malgré  ce  succès,  avant  de  lever  l'interdit,  l'archevêque 
exigea  que  l'abbé  fit  une  retraite  à  Saint-Lazare,  d'où  il  ne 
sortit  qu'a  la  mort  du  prélat. 

Grand- vicaire  de  Chàlons-sur-Marne,  puis  chanoine  et 
archidiacre,  Boulogne  prononça  en  1782  le  Panégyrique 
de  saint  Zoiiis  devant  les  Académies,  puis  il  prêcha  devant 
la  cour  et  devant  l'assemblée  du  clergé.  Caché  dans  une 
maison  de  santé  deGentilly  après  le  10  août  1792,  et  pendant 
les  massacres  de  septembre,  l'abbé  Boulogne  fut  ensuite  ar- 
rêté trois  fois;  il  obtint  enfin  sa  liberté  le  7  novembre  1794. 
11  se  mit  alors  à  continuer  les  Annales  Religieuses,  qui  s'ap- 
pelèrent successivement  Annales  Catholiques ,  Annales 
Philosophiques,  Annales  Littéraires  et  Morales,  etc.  Ce 
jimrnal  fut  supprimé  après  le  18  fructidor,  et  le  rédacteur 
n'échappa  à  la  déportation  qu'en  se  cachant.  Les  Annales 
reparureutaprès  le  18  brumaire,  et  cessèrent  à  la  fin  de  ISOl. 
Boulogne  travailla  alors  à  la  Gazette  de  France,  à  V Europe 
Littéraire,  au  Journal  des  Débats.  Après  le  concordat,  il 
fut  nommé  grand-vicaire  de  Versailles,  et  recommença  ses 
prédications  à  Paris.  En  1803  il  reprit  son  journal,  auquel 
il.cessa  de  travailler  en  1807.  Il  y  avait  traité  peu  favora- 
blement le  Génie  du  Christianisme  de  Chateaubriand. 

Déjà  chapelain  de  l'empereur,  il  fut  nommé,  en  1807, 
évêque  d'Acqui  en  Piémont  ;  mais  il  refusa  d'aller  dans  un 
pays  dont  il  ignorait  la  langue.  Appelé  l'année  suivante  à  l'é- 
vêché  de  Troyes,  il  prononça  bon  nombre  de  discours  flat- 
teurs pour  Napoléon  ;  mais  la  harangue  qu'il  fit  à  l'ouverture 
du  concile  convoqué  à  Paris  en  1811 ,  et  dont  le  sujet  était 
Vinjluence  de  la  religion  sur  la  destinée  des  empires,  dé- 
plut au  grand  homme.  Le  concile  fut  dissous,  et  en  1812 


l'évêque  de  Troyes  se  vit  arrêté  arec  les  évoques  de  Gand  et 
de  Tournay.  On  les  enferma  au  donjon  de  Vinceunes,  où  ils 
furent  mis  au  secret.  Us  n'obtinrent  leur  liberté  qu'en  don- 
nant leur  démission.  L'évêque  de  Troyes  eut  ordre  d'aller 
résider  à  Falaise.  Un  décret  impérial  lui  donna  un  successeur 
en  1813,  ce  qui  causa  un  schisme  parmi  le  clergé  du  dio- 
cèse ;  ayant  refusé  de  souscrire  une  déclaration  portant  qu'il 
n'était  plus  évêque  de  Troyes,  il  fut  ramené  à  Vincennes,  puis 
conduit  à  la  prison  de  la  Force.  L'entrée  des  alliés  à  Paris 
lui  rendit  son  siège  épiscopal.  Il  prêcha  aussitôt  devant 
Louis  XVIII ,  et  s'en  retourna  à  Troyes.  Pendant  les  Cent- 
Jours  il  se  tint  caché  à  Vaugirard ,  et  parmi  les  discours  qu'il 
prononça  l'hiver  suivant  on  distingua  celui  qui  roulait  sur 
ce  sujet  :  La  France  veut  son  Dieu;  la  France  veut  son 
roi  !  D'après  l'invitation  qui  en  fut  faite  à  tous  les  évêques,  il 
se  démit  de  son  siège  ;  mais  le  pape  désapprouva  cette  dé- 
marche, et  Boulogne  demeura  à  Troyes,  quoiqu'il  eût  été 
nommé  archevêque  de  Vienne  en  1817  ,  par  suite  du  con- 
cordat conclu  cette  année-là,  mais  qui  ne  fut  pas  exécuté. 

Appelé  à  la  chambre  des  pairs  en  1823,  il  y  défendit  la 
cause  de  la  religion  et  surtout  les  intérêts  du  clergé.  En  1825 
il  reçut  du  pape  l'autorisation  de  porter  le  pallitim  et  le  titre 
d'archevêque-cvêque;  mais  il  mourut  le  13  mai  de  la  même 
année.  Ses  œuvres  complètes  ont  été  imprimées  après  sa 
mort  (  1820  et  suiv.  ). 

BOULOiVi\AIS.  Ce  pays,  qui  a  aussi  porté  le  nom  de 
comté  de  Boulogne,  et  qui  se  trouve  aujourd'hui  compris 
dans  le  département  du  Pas-de-Calais,  faisait  autrefois 
partie  de  la  province  de  Picardie.  Boulogne  en  était 
la  capitale.  A  l'époque  de  la  conquête  des  Gaules  par  César, 
il  était  habité  par  les  Morini.  Incorporé  à  la  fin  du  qua- 
trième siècle  daus  la  deuxième  Belgique,  dont  il  formait  le 
douzième  diocèse ,  il  devint  après  l'invasion  des  Francs  une 
petite  royauté,  qui  passa  avec  beaucoup  d'autres  de  ce  genre 
sous  la  domination  de  Clovis.  Le  Boulonnais  suivit  alors  les 
destinées  delaNeustrie,  puis  il  fit  partie  du  Pont  h  i  eu 
jusque  vers  le  milieu  du  neuvième  siècle.  A  cette  époque, 
Helgaud  T'' ,  titulaire  du  comté  de  Ponlliieu ,  en  détacha  le 
Boulonnais,  et  le  donna  comme  dot  de  Berthe  sa  fille  à  Her- 
nequin,  neveu  du  comte  de  Flandre.  Hernequiu  fut  donc  le 
premier  comte  de  Boulogne  ;  il  mourut  en  882 ,  et  eut  plu- 
sieurs successeurs,  parmi  lesquels  Eustache  III,  frère  aîné  de 
Godefroi  deBouillon.  Alamort  d'EustachellI,  en  1125, 
ce  comté  passa  à  Élienne  de  Blois,  depuis  roi  d'Angle- 
terre, et  à  ses  descendants.  Puis,  après  avoir  été  transporté 
successivement  par  quatre  héritières  dans  autant  de  mai- 
sons diiférentes ,  il  devint  la  propriété  du  comte  d'Auvergne 
Piobert  V  (  1267  ) ,  dont  l'arrière-pelite-fille  Jeanne,  mariée 
en  secondes  noces  à  Jcau  le  Bon,  roi  de  France,  le  laissa  à 
Philippe  de  Rouvres.  Une  autre  Jeanne,  petite-fille  de  oe 
dernier,  légua  les  deux  comtés  d'Auvergne  et  de  Boulogne 
à  sa  cousine  IMarit*  de  Mongascon  ;  mais  à  sa  mort  (  1422  ) 
Philippe  le  Bon ,  duc  de  Bourgogne ,  s'empara  du  comté  de 
Boidogne,  et  le  garda  en  vertu  du  traité  d'Arras  (  1435). 
Charles  le  Téméraire ,  son  fils ,  le  posséda  après  lui.  A  la 
mort  de  ce  prince,  en  1477,  Louis  XI  le  reprit,  et  le  rendit 
au  petit-fils  de  Marie  de  Mongascon ,  Bertrand  II ,  comte 
d'Auvergne,  qui  le  lui  céda  l'année  suivante,  en  échange  du 
duché  de  Lauraguais.  Louis  XI  imagina  alors  un  expédient 
digne  de  lui  pour  l'affranchir  de  la  suzeraineté  du  comté 
d'Artois,  dont  il  relevait.  Ce  fut  de  transporter,  en  veriu  de 
son  autorité  royale ,  l'hommage  de  ce  comté  à  la  Vierge  de 
Boulogne.  Il  déclara  par  lettres  patentes  la  sainte  Vierge 
seule  souveraine  du  Boulonnais,  et  se  reconnut  son  vassal  par 
le  relief  d'un  cœur  d'or  du  poids  de  treize  marcs,  que  lui  et 
ses  successeurs  lui  payeraient  à  leur  avènement  au  trône. 
Et  effectivement,  tous  les  rois  de  France,  jusques  et  y  com- 
pris Louis  XV,  ont  depuis  fait  acte  de  vasselage  envers  l'i- 
mage de  l'église  de  Boulogne,  en  se  conformant  aux  pres- 
criptions des  lettres  patentes  de  Louis  XI. 


6&0 


BOULONNAIS  —  BOU-MAZA 


La  partie  geptenfrionale  de  ce  pays,  avec  les  tOIcs  de 
Calais,  Giiines  el  Ardies ,  portait  particulièrement  le  nom  de 
Cal  ai  sis  ou  Pays  Reconquis. 

BOULTOIV  (Matthew),  célèbre  constructeur  de  ma- 
chines, naquit  en  1728,  à  Birmingliam,  où  son  père,  proprié- 
taire d'une  fabrique  d'acier,  avait  acquis  une  grande  fortune. 
Une  excellente  éducation  l'avait  admirablement  préparé 
à  la  carrière  qu'il  devait  suivre.  Il  était  encore  très-jeune 
lorsque,  à  la  mort  de  son  père,  il  dut  prendre  la  direction  de 
sa  fabrique,  aux  travaux  de  laquelle  il  donna  un  vigoureux 
élan  et  qu'il  accrut  considérablement  en  1762,  en  la  transfé- 
rant sur  des  terrains  qu'il  acheta  alors  à  Soho.  En  1769  il 
8'associa  avec  James  Watt  pour  fonder  une  manufacture  de 
machines  à  vapeur,  qui  fut  pendant  longtemps  en  posses- 
sion presque  exclusive  de  fournir  l'Europe  de  ses  produits. 
Tous  deux,  par  l'invention  d'un  nouveau  balancier,  contri- 
bnèrent  singulièrement  à  améliorer  la  fabrication  des  mon- 
naies. Plus  tard  ils  fondèrent  encore  à  Smetwick,  et  en 
Bociété  avec  leurs  fils ,  une  fabrique  dans  laquelle  ils  appor- 
tèrent, au  moyen  de  nouveaux  procédés,  de  notables  perfec- 
tionnements à  la  construction  des  machines  à  vapeur. 

Entre  autres  inventions  ingénieuses  dont  on  est  redevable 
à  Boulton ,  nous  devons  mentionner  ici  un  piocédé  méca- 
nique qu'il  indiqua  dès  l'année  1773  pour  imiter  à  s'y  mé- 
prendre les  tableaux  à  l'huile.  Il  mourut  à  Soho ,  le  1 7 
août  1809.  Sa  longue  vie  avait  été  consacrée  tout  entière 
aux  progrès  des  arts  utiles  et  au  développement  des  intérêts 
commerciaux  de  sa  patrie.  C'était  un  homme  du  caractère 
le  [)lus  noble  et  du  commerce  le  plus  agréable. 

BOU-MAZA  (Si -Mohammed -BEN -Abdallah,  dit), 
c'est-à-dire  le  Père  à  la  chèvre,  surnom  qui  lui  vient  d'une 
chè\Te  qu'il  emmenait  avec  lui  dans  ses  expéditions,  et 
dont  le  lait  devait ,  selon  lui,  nourrir  tous  les  croyants  qui  le 
suivraient.  Né  vers  1820,  au  milieu  des  tribus  qui  habitent 
entre  Tlemcen  et  Mascara,  il  s'était  de  bonne  heure  affilié  à 
la  secte  religieuse  des  J/w/ey  Taïeb,  secte  très-répandue  dans 
l'ouest  de  l'Algérie ,  et  qui  reconnaît  pour  chef  le  chérif  de 
ce  nom  membre  de  la  famille  impériale  de  Maroc. 

Depuis  la  bataille  d'Isly,  Abd-el-Kader,  réfugié  dans  le 
Maroc,  perdait  de  son  influence;  et  cependant  les  tribus  ne 
supportaient  qu'impatiemment  le  joug  français.  De  grandes 
thaîncs  de  montagnes  avaient  même  encore  à  peine  entrevu 
notre  drapeau  ;  des  tribus  entières  se  groupaient  toujours 
près  de  l'émir,  à  qui  l'empereur  de  Maroc ,  en  dépit  du  traité 
conclu  avec  la  France,  laissait  toute  liberté.  Un  soulèvement 
se  préparait.  Bou-Maza  en  donna  le  signal  dans  le  Dahra ,  où 
ii  vivait  depuis  trois  ans  de  la  vie  austère  des  derviches. 
Convoquant  un  jour  les  Cheurfas,  il  leur  déclare  qu'il  a  en- 
tendu la  voix  d'en  haut ,  qu'il  est  le  Mulcij  Saa  (  maître 
de  l'heure)  annoncé  par  les  prédictions  et  envoyé  pour 
exterminer  les  chrétiens.  La  foule  le  suit.  11  se  déclare  in- 
vulnérable, garantit  le  même  privilège  aux  croyants  irrépro- 
chables, le  ciel  à  ceux  qui,  moins  purs,  succomberont  dans 
la  lutte ,  des  richesses  à  tous  ceux  qui  auront  combattu  ou 
contribué  au  succès. 

En  peu  de  temps  il  a  réuni  trois  ou  quatre  cents  fantassins 
et  autant  de  cavaliers.  Tout  le  Dahra  se  soulève,  et  le  20 
avril  1845  Bou-Maza  attaque  un  camp  de  tiavailleurs  sur 
la  route  de  Tenez  à  Orléansville.  Cette  ville  était  menacée 
l)ar  l'insurrection  de  toute  la  vallée  :  une  colonne  sort  de 
Mostaganem.  Le  chérif  ne  pouvant  pas  dès  lors  rester 
dans  rirapasse  formée  par  le  bas  Chélif  et  la  mer,  soulève 
l'Ouarensenis.  Orléansville  est  attaquée  par  une  foule  de  fa- 
natiques, convaincus  que  son  enceinte  va  s'écrouler  à  la 
voix  du  chérif.  Cette  attaque,  repoussée  sans  peine,  nécessite 
cependant  le  retour  de  la  colonne  lancée  à  .sa  poursuite. 

Après  cet  échec  la  guerre  fut  roporiéc  dans  le  Dahra. 
Le  31  mai  la  petite  armée  du  sultan  subit  piès  de  Tenez 
une  nouvelle  et  sanglante  défaite.  Rebuté  par  le  mauvais 
succès  de  ses  rencontres  avec  nos  troupes ,  Dou-Maza  les 


évita  dès  lors,  et  porta  ses  coups  sur  les  tribus  soumises  ; 
mais  le  1 1  juin  le  kalifa  Sidi-Darribi  l'atteignit  chez  les  Beni- 
Zeroual,  et  extermina  près  de  300  de  ses  fantassins.  Les  co- 
lonnes de  Mostaganem,  d'OrléansvilIe  et  de  Tenez,  imitant 
sa  propre  tactique,  négligent  un  ennemi  insaisissable,  et  font 
une  guerre  sans  relâche  aux  tribus  qui  le  soutiennent.  Le 
chéril  abandonne  alors  le  champ  de  bataille,  traverse  le 
Chélif,  et  remonte  rapidement  la  vallée  de  l'Oued-Riou,  vi- 
vement pressé  par  notre  agha  Hadj-Ahnied,  qui  lui  enlève 
son  trésor,  ses  bagages  et  lui  tue  plusieurs  cavaliers.  Le 
bruit  de  sa  mort  se  répand,  et  le  pays  recouvre  une  appa- 
rente tranquillité. 

On  élaitau  17  juillet  1845  ;  l'agha  Hadj-Ahmed,  escorté  par 
un  goum  nombreux  et  brillant,  revenait  de  Mazouna,  où 
il  était  allé  chercher  la  fiancée  de  son  fils ,  lorsqu'on  face  de 
lui  se  présente  un  goum  semblable.  L'agha  croit  recon- 
naître son  collègue  des  Sbeha,  qui  vient  lui  faire  honneur;  il 
s'avance  sans  défiance  en  disposant  sa  troupe  pour  recevoir 
et  rendre  une  fantasia,  lorsque  tout  à  coup  la  troupe  opposée 
s'élance  et  décharge  à  bout  portant  ses  armes  sur  le  cortège. 
Tout  se  disperse ,  l'agha  succombe  après  une  résistance  dé- 
sespérée. 

Bou-Maza  révélait  sa  résurrection  par  cette  audacieuse 
surprise.  Le  même  jour  il  essayait  de  faire  enlever  l'agha  des 
Sbeha,  qui  ne  lui  échappait,  pour  périr  assassiné  deux  mois 
plus  tard,  qu'à  force  de  courage  et  de  vigueur.  Toutefois  cette 
nouvelle  levée  de  boucliers  présenta  peu  d'incidents  remar- 
quables. Les  tribus  étaient  fatiguées,  les  colonnes  de  Mosta- 
ganem et  d'OrléansvilIe  faisaient  au  chérif  une  poursuite  con- 
tinuelle. Bou-Maza,  après  s'être  caché  quelque  temps  dans 
le  Dahra ,  finit  par  aller  chercher  une  retraite  plus  sûre  chez 
les  Cheurfas  des  Flittas,  et  ne  fit  plus  sur  la  rive  droite  du 
Chélif  que  de  rares  apparitions.  On  vit  alors  paraître  dans 
diverses  parties  de  l'Algérie  différents  agitateurs  dont  les 
tentatives  furent  assez  facilement  réprimées ,  mais  auxquels 
la  rumeur  publique  chez  les  Arabes,  par  calcul  peut-être  et 
pour  nous  induire  en  erreur,  se  plut  à  assigner  le  surnom 
uniforme  de  Boa-Maza.  Plusieurs  furent  pris  ou  livrés,  et 
payèrent  de  leur  vie  leurs  folles  entreprises. 

Cependant  une  tempête  plus  sérieuse  se  préparait  :  des 
frontières  du  Maroc  l'émir  Abd-el-Kader  avait  préparé  une 
insurrection  qui  devait  éclater  simultanément  dans  tout 
l'ouest  de  l'Algérie.  Le  pays  était  inondé  de  ses  lettres.  Bou- 
INIaza ,  sans  accepter  la  suprématie  de  l'émir,  était  d'accord 
avec  lui  pour  engager  la  lutte  contre  nous ,  sauf  à  lui  dis- 
puter plus  tard  le  prix  de  la  victoire.  Le  21  septembre,  au 
moment  où  Abd-el-Kader  franchissait  la  frontière  pour  as- 
saillir à  Sidi-Brahim  le  téméraire  lieutenant-colonel  de 
Montagnac,  le  général  de  Bourjolly  essuyait  dans  les  défilés 
des  Flittas  une  attaque  furieuse,  renouvelée  encore  avec  plus 
d'ardeur  le  lendemain  ,  et  dans  laquelle  succombaient  deux 
de  nos  plus  braves  officiers  supérieurs,  le  lieutenant-colonel 
Berthier  et  le  chef  de  bataillon  Clère.  Bou-Maza  accomplis- 
sait une  seconde  résurrection.  A  la  suite  de  ces  deux  con*- 
bats ,  la  colonne  de  Jlostaganem  fut  réduite  à  la  défensive 
derrière  la  basse  Mina.  Bou-Maza  put  un  jour  se  porter 
jusque  dans  les  jardins  de  Mostaganem ,  qui  ne  fut  préservé 
de  malheurs  sérieux  que  par  l'audace  de  son  commandant 
supérieur. 

Il  domina  pendant  quelque  temps  presque  sans  opposition 
dans  tout  le  pays  des  Flittas  et  dans  le  Dahra,  non  sans 
expier  toutefois  de  temps  à  autre  par  d'assez  rudes  échecs  la 
témérité  de  ses  entreprises.  On  recommença  patiemment  à 
poursuivre  et  à  réduire  une  à  une  les  tribus  révoltées.  De 
bons  résultats  ne  tardèrent  pas  à  récompenser  la  persévé- 
rance denos  généraux  et  de  nos  troupes.  Le  chérif,  battu  dans 
toutes  les  rencontres,  fut  abandonné  successivement  par 
tous  ses  partisans,  et  réduit  à  un  petit  nombre  de  cavaliers. 
Atteint  le  29  janvier  1S46,  près  deTadjena,  par  le  lieutenant- 
colonel  Caurobert,  il  vit  périr  son  principal  appui ,  Lea- 


I 


HinI,  caïd  des  Beni-Uldjas,  et  le  lendemain  «ne  bonne  pari  ie 
de  ses  fantassins  fut  sabicc  par  nos  chasseurs.  Le  15  mars 
cependant  il  avait  réussi  à  relever  le  courage  des  Beni-Ze- 
roual  et  autres  tribus  du  bas  Dahra,  et  tenait  de  nouveau  la 
campagne  avec  trois  ou  quatre  cents  cavaliers  et  autant  de 
fantassins.  Atteint  sur  l'Oued-Ksa  par  le  colonel  Saint- 
Arnaud,  ses  troupes  furent  d  Ispersées,  et  lui-même  fut  blessé 
dans  ce  combat  d'une  balle  qui  lui  lit  perdre  presque  en- 
tièrement l'usage  d'un  bras,  et  qui  le  mit  pour  longtemps 
hors  de  combat.  Le  24  avril  il  vit  périr  son  lieutenant  Ben- 
Naka,  qui  le  suppléait  depuis  sa  blessure.  Il  fallut  se  résigner 
à  la  fuite.  Couché  sur  un  mulet,  dont  les  mouvements  oc- 
casionnaient de  cruelles  douleurs  à  son  bras  brisé,  Bou-Maza 
traversa  furtivement  le  Chélif,  et  rejoignit  dans  l'Ouarensenis 
le  kaiifa  El-Hadj-Segluir ;  puis  tous  deux,  trompant  par 
une  Causse  nouvelle  notre  agha  des  Flittas,  gagnèrent  la  vallée 
de  rOued-el-Tliat,  sortirent  du  Tell  aux  environs  de  Fren- 
dah,  et  rejoignirent  enfin  l'émir  à  Stittema  pour  le  suivre  à  la 
déira. 

La  mésintelligence  éclata  bientôt  entre  les  deux  sultans  dé- 
chus ;  sauvé  des  embûches  que  lui  tendait  son  rival,  et  rejoint 
à  grand'  peine  par  quinze  de  ses  plus  fidèles  cavaliers ,  Bou- 
Maza  à  partir  des  premiers  jours  de  novembre  parcourut 
toutes  les  tribus  du  petit  désert;  il  soutint  chez  les  Ouled 
Djellal ,  le  10  janvier  1847,  un  combat  meurtrier  contre  la 
colonne  du  général  Herbillon;  enfin,  déçu  dans  toutes  ses 
espérances ,  échappé  avec  peine  à  l'attaque  inopinée  du  lieu- 
tenant Marguerie  près  de  Teniet-el-Had,  il  vint  se  remettre, 
le  13  avril,  aux  mains  de  son  plus  constant  adversaire,  le 
colonel  Saint-Arnaud. 

Amené  bientôt  en  France ,  il  fut  interné  à  Paris.  Le  mi- 
nistre de  la  guerre  lui  fit  une  pension  de  15,000  francs,  et 
loua  pour  lui  un  appartement  aux  Champs-Elysées.  C'est  là 
que  Bou-IMazase  lia  avec  la  princesse  Belgiojoso,  une  très- 
grande  dame  ma  foi!  qui  se  chargea  de  son  éducation,  en 
môme  temps  qu'un  officier  était  placé  auprès  de  lui  pour  le 
former  à  nos  idées  de  civilisation  ;  et  il  fut  décidément  alors 
le  lion  du  jour. 

Après  avoir  subi  quelques  opérations  douloureuses ,  car  son 
bras  le  faisait  toujours  souffrir,  Bou-Maza  fut  bientôt  initié 
à  nos  mœurs  et  à  notre  langue.  On  pensa  même  un  moment 
à  lui  donner  le  coftimandement  d'un  corps  indigène  en  Afri- 
que; mais  l'opinion  se  révolta  contre  l'idée  de  faire  obéir  un 
seul  de  nos  officiers  à  cet  aventurier,  qui  n'avait  déployé 
dans  sa  carrière  militaire  que  l'astuce  d'un  jongleur  et  la 
perfidie  d'un  chef  de  brigands,  qui  avait  fait  couper  par  mor- 
ceaux une  petite  fille  de  sept  ans  trouvée  dans  une  tente 
par  les  Arabes  à  l'attaque  du  camp  des  Gouges,  brûler  vifs 
onze  malheureux  soldats  tombés  entre  les  mains  des  Kabyles 
à  l'affaire  des  Ouled-Jounès ,  et  dépecer  le  corps  mutilé  du 
chef  du  bureau  arabe  de  Tenez,  afin  que  ces  tristes  débris 
promenés  de  montagne  en  montagne  excitassent  l'ardeur  des 
révoltés. 

Dans  la  nuit  du  23  février  184S,  Bou-Maza,  profitant  des 
événements ,  s'enfuit  mystérieusement  de  Paris  ;  mais  il  fut 
reconnu  et  arrêté  à  Brest.  Alors  il  écrivit  au  ministre  de  la 
guerre  pour  le  prier  de  faire  venir  auprès  de  lui  sa  femme , 
qui  se  trouvait  à  Orléansville.  Le  gouvernement  provisoire, 
inquiet  de  la  situation  de  notre  colonie,  et  craignant  avec 
raison  que  la  présence  de  Bou-Maza  en  Algérie  n'y  devint 
une  cause  de  trouble,  crut  devoir  s'assurer  de  sa  per- 
sonne, et  le  fit  renfermer  au  fort  de  Ham.  De  nouveaux  Bou- 
Maza  parurent  encore  en  effet  en  Afrique.  L'un  d'eux  pré- 
tendait même  s'être  échappé  de  France  dans  nnecaisse.  Tous 
payèrent  de  leur  vie  leurs  tentatives  d'insurrection. 

Lorsque  le  président  de  la  république  alla  visiter  le  châ- 
teau de  Hara  ,  le  22  juillet  1849,  il  ordonna  la  mise  en  liberté 
de  Bou-Maza,  qui  dut  continuer  cependant  à  habiter  celte 
ville,  avec  une  (orte  pension  du  gouvernement.  Un  petit 
voyage  d'agiément,  qu'il  fit  dernièrement  à  Compiègne,  avec 


BOU-MAZA  —  BOUQUET  sâi 

la  permission  du  maire  de  Ham,  donna  à  penser  qu'il  s'était 
encore  une  fois  évadé;  mais  Bou-Maza  nVlama  en  très-bons 
termes,  et  certifia  qu'il  n'avait  point  l'intention  de  quitter 
la  France  en  fugitif.  En  1852,  il  a  été  rendu  à  la  liberté. 

BOUIVDELKOUIVD.  Voyez  Bundelkund. 

BOUPHONIES.  Voyez  Euphonies. 

BOUQUER,  vieux  mot ,  dérivé  du  latin  bucca,  bouche, 
ne  se  dit  au  propre  que  de  l'action  d'un  singe  qu'on  force 
à  baiser  quelque  chose  qu'on  lui  présente. 

En  termes  de  chasseur,  faire  bouquer  un  renard,  c'est  le 
faire  sortir  de  son  terrier,  en  lançant  des  chiens  à  sa  pom-suite. 

Les  marins  emploient  aussi  le  mot  bouquer  pour  dire 
se  rebuter  d'un  travail  long  et  fatigant ,  ou  se  rebuter  de  la 
monotonie  des  vivres ,  voir  passer  son  appétit. 

BOUQUET.  L'acception  de  ce  mot  s'est  rétrécie  gra- 
duellement ;  il  désigna  d'abord  un  petit  bois,  puis  tout  sim- 
plement un  groupe  d'arbres,  puis  enfin,  plus  coquet,  plus 
mignon,  le  mot  bouquet,  tout  frais,  tout  parfumé,  servit  à 
indiquer  un  assemblage  de  fleurs.  Maintenant  encore  nous 
appelons  bouquet  d'arbres  quelques  arbres  réunis,  et  les 
Italiens  nomment  un  bouquet  boschetto  (petit  bois). 

Le  bouquet,  se  mêlant  aux  différents  usages  des  peuples, 
s'est  associé  à  presque  toutes  les  époques  de  la  vie ,  comme 
pour  la  rendre  plus  riante.  Nous  devons  placer  au  premier 
rang  le  bouquet  de  mariée.  Une  demi-couronne  de  fleurs 
d'oranger,  appelée  chapeau,  et  un  bouquet  semblable,  for- 
ment la  parure  distinctive  des  mariées.  Mais  souvent  la 
pauvre  couronne  est  reléguée  dans  un  petit  coin  de  la  coif- 
fure, et  s'aperçoit  à  peine  au  milieu  du  voile  et  de  la  guir- 
lande. Elles  ne  savent  donc  pas,  nos  jeunes  mariées,  que 
le  chapeau  de  fleurs  d'oranger  sur  la  tête  d'une  jeune  fille, 
c'est  comme  l'auréole  sur  le  front  de  la  Vierge  ;  c'est  quelque 
chose  de  pur  et  de  saint.  Dans  les  noces  de  campagne,  ces 
belles  fleurs  ne  perdent  pas  ainsi  leurs  droits;  elles  ornent 
seules  le  bonnet  de  la  paysanne.  Comme  il  bondit,  ce  bou- 
quet, sur  le  cœur  de  la  jeune  fille,  lorsqu'elle  traverse  le 
village  pour  se  rendre  à  l'église,  entourée  de  compagnes  qui 
se  font  de  son  bonheur  une  image  de  celui  qu'elles  attendent 
pour  elles-mêmes  !  et  le  soir,  au  son  du  violon  criard,  comme 
ses  boutons  se  mêlent  et  se  croisent!  comme  il  saute,  comme 
il  fait  des  entrechats,  ce  joyeux  bouquet,  large  comme  la 
figure  de  la  mariée  !  Ces  bouquets  de  fleurs  d'oranger  sont 
les  seuls  qu'on  ne  porte  qu'une  fois  :  ils  veulent  du  bon- 
heur, un  front  qui  rayonne  :  une  inquiétude,  une  pensée 
amère,  une  illusion  fanée,  feraient  tache  sur  ces  boutons 
blancs;  il  faut  les  serrer  dans  le  tiroir  encore  tout  imprégnés 
de  joie.  Ne  serait-il  pas  téméraire  de  les  porter  plus  d'un 
jour  dans  la  vie? 

Le  chapeau  de  fleurs  d'oranger  se  place  encore  sur  les 
cercueils  des  jeunes  filles.  Cet  usage  nous  vient  sans  doute 
des  Grecs,  qui  posaient  des  couronnes  sur  les  têtes  des 
cadavres  ;  car  chez  eux  la  Mort  était  coquette,  et  mettait  des 
fleurs  pour  cacher  ses  ossements.  Les  bouquets  servent  en- 
core à  parer  les  tombes;  nos  cimetières  ressemblent  à  de 
larges  corbeilles  de  fleurs  :  il  semble  que  tous  les  jours  ce 
soit  fêle  chez  les  morts.  Ce  sont  presque  toujours  des  cou- 
ronnes d'immortelles  jaunes  qu'on  pose  sur  ces  mai  hres  :  ' 
pourquoi  des  immortelles?  Quelques  parents  prétendent 
qu'ils  les  choisissent  comme  symbole  de  l'éternité  de  leur 
douleur  :  ne  serait-ce  pas  plutôt  parce  qu'on  les  renouvelle 
moins  souvent?  Les  autres  fleurs  sont  si  tôt  flétries!  le  che- 
min du  cimetière  s'oublie  si  vite  !  le  front  s'éclaircit  avant 
les  vêtements  de  deuil ,  et  sur  bien  des  tombes  les  couronnes 
d'immortelles  elles-mêmes  restent  longtemps  fanées. 

Les  bouquets  ornent  aussi  les  vases  de  l'église;  il  semblait 
naturel  de  choisir  les  fleurs  pour  fêter  Dieu  :  c'est  le  luxe  de 
sa  création,  et  leurs  parfums  semblent  monter  à  lui  avec 
la  prière  et  l'encens.  Mais  les  églises  n'ont  maintenant  que 
des  fleurs  artificielles.  Les  autels  n'ont  plus  de  parfums,  et 
des  morceaux  de  batiste  taillés  par  quelques  pauvres  ou- 


552  BOUQUET 

vrières  remplacent  les  bouquets  naturels  que  Dieu  lui-même 
a  nuancés. 

Toutes  les  femmes  connaissent  ces  bouquets  ronds  et  plats, 
ornés  de  beaux  camélias ,  de  cercles  de  violettes  et  de  roses 
du  Bengale,  qu'on  nomme  bouquets  à  la  duchesse.  Ne 
serait-ce  pas  à  la  duchesse  de  Borrv  qu'ils  devraient  leur 
nom?  L'habitude  qu'elle  avait  d'en  tenir  un  à  la  main  cha- 
que fois  qu'elle  paraissait  en  public,  et  son  goût  pour  les 
camélias  n'autoriseraient-ils  pas  à  le  présumer? 

Après  tous  ces  bouquets,  viennent  encore  ceux  des  mar- 
raines ,  ceux  des  fêtes  dans  leurs  cornets  de  papier  blanc. 
On  en  retrouve  itartout  où  il  y  a  du  plaisir.  Ce  n'est  pas 
leur  destination  d'orner  des  cercueils  et  des  tombes.  Vivent 
les  joyeux  bouquets  de  noce,  de  bal  et  de  fôte!  Les  (leurs 
sont  faites  essentiellement  pour  le  bonheur;  elles  sont 
fraîches  et  riantes  comme  lui,  et  se  fanent  aussi  vite. 

Anais  Ségalas. 
Les  bouquets  servent  souvent  aussi  de  messages  d'amour, 
messages  d'autant  plus  discrets  que  c'est  le  cadeau  qui  tire 
le  moins  à  conséquence.  On  peut  toujours  accepter  un  bou- 
quet. On  en  donne  aux  fêles,  aux  bals;  les  femmes  en  por- 
tent même  aux  soirées,  en  voiture,  à  la  promenade.  Ils  ornent 
la  table  d'un  grand  lepas,  l'appartement  d'une  femme  comme 
il  faut  aussi  bien  que  la  mansarde  d'une  grisette.  Les  poètes 
en  décorent  leurs  héroïnes. 

Pour  loi  sa  main  d'albàtrc  et  choisit  et  moissonne 

La  [)àle  violette  et  la  riclie  aiiciuone. 

Joint  la  fleur  du  narcisse  aux,  iiarlurns  du  muguet 

Et  d'heureuses  couleurs  uuauçant  ton  bouquet. 

Entrelace  avec  art  et  mollement  oppose 

L'hyacinte  au  pavot,  les  soucis  a  lu  rose.      (TissOT.) 

On  fait  aussi,  tant  pour  l'ornement  que  pour  la  parure, 
des  bouquets  en  Heurs  artificielles,  bouquets  qu'un  poêle 
appelle  : 

Des  bouquets  sans  parfums,  enfauts  de  l'iiuposture. 

En  littérature  on  nomme  encore  bouquets  de  petites  pièces 
de  vers  adressées  à  une  personne  le  jour  de  sa  fôte. 

De  là  sans  doute  aussi  les  noms  de  bouquet  à  Iris,  bou- 
quet à  Chloris,  bouquet  à  Philis,  donnés  à  tout  rondeau, 
chanson  ou  madrigal  adressé  à  quelque  beauté  imaginaire. 
De  tous  les  peuples  modernes,  ce  sont  les  Français  qui  ont 
dépensé  le  plus  d'esprit  dans  ce  genre  ;  mais  il  s'en  faut 
qu'ils  aient  toujours  été  heureux.  Les  chansons  des  trou- 
badours et  des  trouvères ,  pleines  de  recherche  et  d'affecta- 
tion, ne  célèbrent  que  l'amour,  mais  ne  sont  guère  propres  à 
l'inspirer.  On  devine  trop  en  les  lisant  que  leurs  auteurs 
chantent  pour  chanter  et  n'aiment  que  pour  rimer.  Même 
chose  advint  plus  tard ,  lors  de  la  renaissance  des  lettres , 
sous  François  ^'^  A  l'exception  de  quelques  traits  plus  na- 
turels que  passionnés,  Marot  cl  ses  successeurs  semblent 
toujours  plaisanter  de  ce  qu'ils  éprouvent.  Plus  tard  le  génie 
espagnol,  introduit  en  France  par  Anne  d'Autriche,  nous 
apprit  à  rafliner  stu'  tous  les  sentiments,  fil  école  à  la  ville 
et  à  la  cour,  et  provoqua  des  avalanches  de  bouquets  qu'on 
recueillait  avec  amour  dans  cet  hôtel  de  Rambouillet  où 
régnait  Voiture ,  bel  esprit  souple  et  brillant,  qui,  admis,  mal- 
gré sa  naissance,  auprès  des  grandes  dames ,  ne  s'occupait 
qu'à  anmser  leur  esprit,  n'osant  viser  plus  haut. 

Froidement  ingénieux,  ce  langage,  adopté  par  la  mode,  de- 
vint celui  de  tout  le  monde.  Chacun  dut  soupirer  par  air, 
et  les  femmes  accueillirent  d'autant  plus  volontiers  ce  genre 
d'hommages  que ,  en  flattant  leur  vanité,  il  pouvait  servir  à 
cacher  sous  des  sentiments  feints  un  sentiment  réel.  On  ferait 
une  bibliothèque  de  tout  le  fatras  portique  qui  encombra 
'tlors  les  ruelles  et  le  Parnasse  sous  le  nom  de  bouquets. 
/qtrès  avoir  longtemps  fleuri,  les  bouqîtcts  à  Iris  passèrent 
à  leur  tour,  remplacés  par  l'épltrc  badine  et  les  petits  vers 
des  Dorât  et  des  Pezay 


société  frivole ,  mais  sensible  par  dessus  tout  à  la  finesse  des 
idées  et  aux  grâces  du  langage,  nous  citerons  celle-ci,  de 
Chaulicu,  dans  le  goût  marolique  : 

Ces  fleurs  s'en  vont  trouver  l'objet  charmant 
Sur  qui  d'amour  tout  le  bonheur  je  fonde  : 
Si  ce  bouquet  donné  d'amour  profonde 
C'est  te  donner  toute  la  terre  ronde. 
Comme  l'a  dit  très-bien  raaitre  Clément, 
Jouis,  Iris,  de  l'empire  du  monde 
Dont  tu  faisais  déjà  tout  l'ornement; 
Car  bouquet  onc  plus  amoureusement 
Ne  fut  donné  depuis  ce  doux  moment 
Qu'on  vit  sortir  l'autre  Vénus  de  l'onde. 


Voici  un  bouquet  à  Philis  de  Montreuil  : 

Pourquoi  me  demandez-vous  tant 
Si  mes  feux  dureront,  si  je  serai  coustaut, 
Jusques  à  quand  mon  cœur  vivra  sous  votre  empire? 

Ahl  Philis,  vous  avM  graud  tor«( 

Comment  pourraii-je  vous  le  dire? 
Rien  n'est  plus  incertain  que  l'heure  de  la  mort. 

Le  mot  bouquet  a  encore  différentes  acceptions. 

En  terme  d'artificier,  on  appelle  bouquet  d'artifice,  bou- 
quet de  fusées ,  un  paquet  de  différentes  pièces  d'artilice 
qui  partent  ensemble.  La  gerbe  de  fusées  ou  de  girandoles, 
la  réunion  de  toutes  les  pièces ,  disposées  à  cet  effet,  que 
l'on  garde  pour  la  fin  d'un  feu  d'artifice,  s'appelle  par  ex- 
cellence le  bouqtiet.  Cette  expression  est  passée  de  là  dans 
le  langage  figuré. 

Le  botaniste  Richard  a  appliqué  le  nom  de  bouquet  à 
une  assemblage  de  fleurs  (de  même  nature  et  placées  sur 
la  même  tige),  dont  les  pédoncules  uniflores  partent  tous 
d'un  même  point,  telles  que  la  primevère  oflicinale.  Dans 
l'application  générale,  il  est  presque  synonyme  de  thyrse, 
et  indique  la  disposition  de  certaines  fleurs ,  telles  que  le 
lilas ,  qui  sont  un  composé  de  grappes  pyramidales. 

Par  extension,  on  a  dit  d'abord  un  bouquet  de  cerises, 
de  poires  ou  d'autres  fruits  analogues;  puis  un  bouquet  do 
plumes,  de  cheveux ,  de  diamants,  de  pierreries,  de  perles, 
d'émail,  etc.,  de  tous  les  objets  et  de  toutes  les  matières  que 
l'art  a  employés  pour  imiter  les  fleurs  naturelles  et  leur  as- 
semblage. 

Enfin  on  qualifie  de  bouquet  l'agréable  parfum  d'un  vin 
de  bonne  qualité. 

BOUQUET  (Dom  Martin),  né  à  Amiens,  en  1685, 
entra  fort  jeune  dans  l'ordre  de  Saint-Benoît.  Il  se  démit  de 
la  charge  de  bibliothécaire  de  l'abbaye  de  Saint-Germain- 
des-Prés  pour  se  livrer  entièrement  au  travail,  concourut  à 
l'impression  de  plusieurs  ouvrages  de  son  collègue  Mont- 
faucon ,  et  s'occupa  d'une  nouvelle  édition  de  Flavius  Jo- 
sèphe.  Déjà  son  ouvrage  était  fort  avancé,  lorsque  ayant 
appris  que  Havcrcamp  s'occupait  du  même  travail ,  il  lui 
envoya  tous  ses  matériaux.  En  1676  Colhert  avait  projeté 
une  nouvelle  collection  des  historiens  des  Gaules  et  de  la 
France.  Lorsque  ce  ministre  fut  mort.  Le  Tellier,  archevê- 
que de  Reims,  pria  M  a  bi  11  on  de  se  charger  de  l'exécution 
de  ce  plan  ,  mais  celui-ci  refusa  ce  fardeau  ,  qu'il  croyait 
trop  lourd  pour  lui.  Plus  tard,  d'Aguesseau  confia  cette 
entreprise  à  l'oratoricn  Lelong,  dont  la  mort,  arrivée  en 
179.1 ,  suspendit  encore  une  fois  ce  projet.  Alors  Dora 
Denis  de  Sainte-Marthe,  supérieur  général  de  la  congréga- 
tion de  Saint-Mail r,  demanda  que  ses  religieux  fussent  char- 
gés d'une  entreprise  qu'il  regardait,  comme  abandonnée,  et 
proposa  Doin  Bouquet  pour  l'accomplir.  Bouquet  fit  pa- 
raître en  17.38  les  deux  premiers  volumes,  de  cette  belle  col- 
lection sous  le  titre  de  Rerum  Gallicarum  et  Francicartun 
Scriptores  (  Recueil  des  Historiens  des  Gaules  et  de  la 
France).  Il  avait  déjà  publié  huit  volumes,  lorsqu'il  mourut 
à  Paris,  en  1704.  Dom  Maur  d'Antine,  J.-B.  Haudiquier  et 
son  frère  Charles  Haudiquier,  Dom  Poirier,  Dom  Précieux, 


Parmi  ces  pièces  de  vers  qui  faisaient  les  délices  d'une  l  Etienne  Houssoau ,  Dom  Clément  et  Dom  Brial  continué- 


I 


BOUQUET 

rent  ce  travail,  que  poursuit  l'Académie  des  Inscriptions  et 
Delles-Lettres.  Auguste  Satagner. 

BOUQUETIN,  BOUCTAIN,  ou  BOUC-ESTAIN.  Ce 
nom  appartie-at  à  trois  espèces  du  genre  bouc  :  la  plus  con- 
nue est  le  bouquetin  des  Alpes  [Vïbex  de  Pline),  qui  se 
distingue  de  ses  congénères  principalement  par  la  disposition 
de  ses  cornes. 

Chez  les'niàles,  les  cornes  sont  comprimées  latéralement, 
et  prescpie  deux  fois  moins  épaisses  de  dedans  en  dehors 
que  d'avant  en  arrière.  Leurs  deux  faces  latérales ,  à  peu 
près  planes  et  parallèles  entre  elles,  sont,  ainsi  que  la  face 
postérieure  qui  est  arrondie,  marquées  de  stries  ondulées; 
la  face  antérieure,  plane  transversalement,  est  séparée  de 
la  face  externe  par  une  vive  arête ,  et  de  l'interne  par  un 
filet  saillant  •.  elle  présente  d'espace  en  espace  des  bourre- 
lets très-épais ,  qui  se  terminent  en  dehors  d'une  manière 
abrupte ,  et  en  dedans  par  un  gros  nœud  lié  au  filet  longi- 
tudinal. Ces  bourrelets ,  au  nombre  de  vingt  à  trente  chez 
les  individus  un  peu  âgés ,  sont  mieux  marqués  et  plus 
gros  à  la  partie  moyenne  que  vers  la  base.  Les  cornes  d'un 
vieux  mâle,  mesurées  en  suivant  leur  courbure,  ont  quel- 
quefois plus  d'un  mètre  de  longueur,  tandis  que  les  cornes 
de  Vdlcifjne  (c'est  ainsi  qu'on  nomme  la  femelle)  atteignent 
à  peine  quatorze  à  quinze  centimètres. 

Sous  le  rapport  de  la  taille ,  il  y  a  aussi  entre  le  mâle  et 
la  femelle  une  différence  très-notable,  et  beaucoup  plus 
grande  que  celle  qui  existe  entre  nos  boucs  et  nos  chèvres 
domestiques.  Une  autre  différence  entre  les  sexes  consiste 
dans  l'absence  de  barbe  chez  les  femelles. 

Cette  espèce,  qui  semble  aujourd'hui  confinée  dans  un 
petit  canton  des  Alpes  piémontaises ,  se  trouvait  autrefois 
dans  toutes  les  parties  élevées  de  la  chaîne  comprise  entre 
le  mont  Blanc  et  le  mont  Eisenhut,  en  Styrie;  quelques 
naturalistes  pensent  môme  qu'à  une  époque  plus  ancienne 
elle  habitait  aussi  une  partie  de  la  chaîne  des  Apennins. 

Les  deux  autres  espèces  sont  le  bouquetin  de  Sibérie 
et  le  bouquetin  du  Caucase. 

Les  anciens  regardaient  le  sang  des  bouquetins  comme 
astringent  et  diurétique.  Le  peuple  croyait  encore  naguère 
qu'il  favorisait  l'expectoration,  aidait  à  la  résolution  de  la 
pleurésie,  etc. 

BOUQUIIV,  BOUQUINEUR,  BOUQUINISTE  (de  l'al- 
lemand Jiucfi,  livre).  Il  y  a  d'abord  les  vrais  bouquins , 
(|ni  sont  de  vieux  livres  poussiéreux  à  la  vieille  couverture, 
aux  ornements  rococos,  au  papier  jauni,  aux  vieux  ca- 
ractères ;  mais  il  y  a  aussi  des  livres  neufs  qui  passent  à 
l'état  de  bouquins  en  voyant  le  jour,  et  cela  malgré  leur 
riche  encolure.  Il  en  est  des  livres  comme  des  hommes,  il 
ne  faut  point  les  juger  sur  l'apparence.  Malgré  les  belles 
gravures  dont  elles  sont  ornées,  les  œuvres  de  Dorât  se 
vendent  depuis  longtemps  comme  des  bouquins.  Malgré 
leurs  élégantes  reliures  en  veau,  en  maroquin,  en  cuir  de 
Russie,  malgré  les  fers  dorés  et  à  froid  qui  les  décorent, 
les  œuvres  de  MM.  tel  et  tel  sont  mises  prématurément  et 
avec  juste  raison  au  rang  des  bouquins.  Tout  au  contraire, 
sous  leurs  modestes  couvertures  de  veau  fauve  ou  de  par- 
chemin jaunâtre  et  enfumé,  les  éditions  de  Virgile,  d'Ho- 
race ,  de  Plutarque,  de  Cicéron,  publiées  il  y  a  deux,  trois 
et  quatre  siècles  par  les  Étiennes,  les  Elzevirs  et  les  Aides, 
loin  d'être  regardées  comme  des  bouquins,  sont  toujours 
recherchées  et  chèrement  payées  par  les  bibliophiles, 
par  les  véritables  connaisseurs.  En  revanche,  beaucoup  de 
grands  seigneurs,  de  belles  dames  et  d'épiciers  enrichis, 
n'ayant  une  bibliothèque  que  par  ton ,  regardent  les  livres 
uniquement  comme  des  meubles,  et  ne  s'attaclient  point  au 
contenu, mais  à  la  couverture.  Les  leurs,  en  rayons  bien  ali- 
gnés (les  gros  livres  en  bas,  les  petits  en  haut),  magnifi- 
<|uenient  reliés  en  maroquin  bleu ,  rouge ,  jaune  ou  vert , 
armoriés,  dorés  sur  tranche,  etc.,  ne  tentent  pas  le  moins 
du  monde  les  libraires,  ni  mêuieles  bouquinistes;  ils  passent 

DICT.    DE  LA   CONVERS.    —   T     Ul. 


-  BOUQUIN  Si  3 

chez  les  fripiers,  chez  les  marchands  de  chiffons,  voire 
même  chez  la  beurrière  et  l'épicier,  qui  en  font  des  cornets 
de  papier  :  habent  suafata  libelli. 

De  bouquin  est  venu  le  verbe  bouquiner,  qui  signifie 
chercher  et  acheter  des  bouquins.  Aimer  à  bouquiner,  s'a- 
muser à  bouquiner,  c'est  passer  son  temps  à  chercher 
dans  les  vieux  hvres  pour  en  trouver  de  bons ,  à  les  par- 
courir, à  les  lire  sur  les  étalages  ou  dans  les  échoppes  des 
marchands.  Il  y  a  des  curieux  qui  ne  font  toute  leur  vie 
que  bouquiner.  Puis  de  bouquiner  sont  venus  bouquineur 
et  bouquiniste.  Le  bouquiniste  est  le  vendeur  de  bouquins, 
le  marchand  de  vieux  livres  ;  le  bouquineur  est  celui  qui 
en  cherche ,  qui  en  achète.  Le  bouquineur  arpente  tous  les 
jours ,  du  matin  au  soir,  les  quatre  coins  de  Paris  pour  dé- 
terrer les  vieux  hvres;  il  visite  les  quais,  les  ponts,  les 
boulevards ,  et  de  préférence  les  rues  les  plus  sales  et  les 
plus  étroites  du  centre  de  la  capitale;  il  s'arrête  partout, 
il  entre  partout  où  il  aperçoit  des  hvres  noirs  ou  poudreux; 
il  bouleverse,  il  ramasse  ceux  qui  sont  étalés  pêle-mêle 
dans  la  poussière  ou  dans  V»  boue  ;  il  pénètre  jusqu'au  fond 
des  plus  sombres  boutiques.  C'est  là  qu'à  force  de  peines  et 
de  recherches ,  il  trouve  des  livres  rares  ou  des  volumes 
dépareillés  qui  lui  complètent  quelques  ouvrages  précieux. 
En  tout  cas,  il  n'y  a  pas  loin  du  bouquineur  au  b  i  b  I  i  o  m  a  n  e. 
On  le  voit  rentrer  chez  lui  les  poches  pleines  de  ses  ac- 
quisitions, qu'il  entasse  souvent  pêle-mêle,  et  qu'il  n'est  pas 
toujours  en  état  de  retrouver. 

11  y  a  aussi  une  autre  classe  de  bouquineurs,  qui  achète  ra- 
rement, et  qui  fait  des  quais  et  des  ponts  son  cabinet  de  lec- 
ture ;  fouillant  dans  tous  les  étalages ,  ces  gens-là  passent 
leurs  journées  à  lire  gratis  les  volumes  du  pauvre  bouquiniste. 

Si  les  bouquineurs  font  vivre  les  bouquinistes ,  on  peut 
dire  aussi  que  sans  les  bouquinistes  il  existerait  peu  de  bou- 
quins. C'est  à  leur  zèle  opiniâtre  et  assidu  que  les  biblio- 
thèques les  plus  précieuses  doivent  leur  origine;  c'est  aux 
soins  vigilants  des  bouquinistes  et  des  bouquineurs  que  les 
sciences ,  les  lettres  et  même  la  religion  doivent  la  conserva- 
tion d'une  foule  de  livres  rares  et  précieux  qne  sans  eux 
l'eau  ,  le  feu  et  les  vers  auraient  détruits  dès  longtemps.  On 
ne  connaît  pas  assez  les  obligations  que  l'on  a  envers  ces 
hommes  dont  la  manie  et  le  fanatisme  pour  les  vieux  livres 
sont  pour  les  gens  du  beau  monde  un  objet  de  ridicule ,  de 
mépris  et  de  dégoût. 

Malheureusement,  la  race  des  mis  et  des  autres  commence 
à  s'éteindre.  Les  plus  fameux  bouquineurs  des  temps  moder- 
nes n'existent  plus.  Il  est  mort  depuis  plus  de  soixante  ans 
ce  marquis  de  Méjanes  qui ,  après  avoir  bouquiné  dans  toute 
la  France,  après  avoir  formé  d'immenses  dépôts  de  bouquins 
à  Aix,  à  Arles,  à  Avignon  et  à  Paris,  en  avait  tellement  en- 
combré l'appartement  qu'il  occupait  près  de  la  place  Vendôme, 
que  sa  femme  était  obligée  de  passer  avec  peine  à  travers 
deux  longues  palissades  de  livres ,  pour  aller  se  coucher  dans 
une  alcôve  de  bouquins.  Ces  livres  et  ces  bouquins  précieux 
forment  aujourd'hui  la  bibliothèque  pubUque  d'Aix,  l'une 
des  tiois  plus  considérables  de  France  après  celles  de  Paris. 
Il  est  mort,  ce  bon  et  savant  Boulard,  qui  avait  renoncé  à  son 
étude  de  notaire ,  à  toutes  fonctions  civiles ,  législatives  et 
administratives,  afin  de  se  livrer  à  sa  passion  pour  les  bou- 
quins ;  qu'on  ne  rencontrait  jamais  sans  qu'il  en  eut  les 
poches  pleines;  qui  les  achetait  en  bloc,  à  tant  la  hotte,  à 
tant  la  charretée,  sans  choix,  sans  examen  et  sans  compter, 
mais  souvent  aussi  dans  une  intention  bienfaisante.  Forcé 
de  donner  congé  à  tous  ses  locataires,  au  fur  et  à  mesure 
qu'il  avait  besoin  de  leurs  boutiques  et  de  leurs  apparte- 
ments pour  y  loger  ses  livres ,  il  avait  fini  par  en  encombrer 
toute  sa  maison,  depuis  le  rez-de-chaussée  jusqu'au  grenier. 
Il  est  mort  aussi,  C.-M.  Pillet,  qu'on  voyait  chaque  soir  dans 
les  ventes  de  livres  aciieter  des  lots  de  bouquins  et  de  bro- 
chures, poussant  les  enchères,  sans  lever  les  yeux  des 
épreuves  de  làBiographie  «wJfc'crseWe, qu'il  corrigeait.  Pour 


551  BOUQUIN 

fatisfaire  90  manie  de  bouquins,  il  se  privait  de  vêtements  et 
de  nouirilure.  Courbé  sous  le  faix,  il  revenait  journellement, 
sans  chapeau,  ajouter  son  butin  à  celui  qu'il  avait  entassé 
dans  son  galetas,  et  sous  lequel  son  grabat  était  enseveli. 
Suivant  ses  dernièies  volontés,  deux  chargements  complets 
de  voitures  de  roulage  ont  porté  ses  livres  et  ses  bouquins 
aux  jésuites  de  Chainbéri ,  sa  patrie.  Tous  ces  bouquineurs 
sont  morts.  M.  Corbière,  qui  durant  son  ministère  entrava 
et  vexa  la  presse  moderne ,  comme  l'ont  fait  au  reste  tous 
ses  successeurs  ,  n'encourageait  que  le  coaimerce  des  bou- 
<]uins,  et  donnait  ses  audiences  du  haut  de  l'échelle  d'où 
il  arrangeait  sur  les  rayons  de  sa  bibliothèque  ses  Elzévirs 
et  ses  Variorum. 

Quant  aux  bouquinistes,  il  n'y  en  a  plus,  à  proprement 
parler,  à  Paris  depuis  que  des  libraires  instruits  leur  ont 
coupé  les  vivres  en  se  mêlant  de  ce  métier,  en  accaparant 
tous  les  vieux  livres  qu'ils  rencontrent  sur  leur  route ,  qui  sur- 
gissent dans  les  ventes  publiques,  et  que  les  amateurs  n'ont 
pas  osé  surenchérir.  Les  étalagistes  qu'on  veut  bien  encore 
appeler  bouquinistes,  et  qui  tapissent  les  boulevards,  les 
quais  et  les  carrefours ,  ne  sont  que  des  marchands  de  livres, 
achetant  et  revendant  indistinctement  le  vieux  et  le  neuf, 
sans  connaître  leurs  marchandises ,  et  presque  sans  savoir 
lire,  à  peu  près  comme  s'ils  vendaient  des  gâteaux  de  Nan- 
terre ,  des  allumettes  ,  de  l'amadou.  Ils  en  savent  tout  juste 
assez  pour  faire  la  séparation  de  leurs  brochures  et  de  leurs 
bouquins ,  et  pour  les  crier  et  afficher  depuis  deux  ou  quatre 
sous  la  pièce  jusqu'à  un  franc.  Il  n'existe  plus  à  Paris ,  que 
nous  sachions,  qu'un  véritable  bouquiniste,  c'est  le  vieux 
Corhet,  lequel,  depuis  cinquante  ans  ,  achète  ou  vend  tous 
les  livres  dépareillés  qu'il  rencontre.  Corbet  a  plus  de  cent 
mille  bouquins  ,  parmi  lesquels  il  y  a  de  fort  bons  livres. 

liOUQUI]\  (Cornet  à).  Toye;  Cornet  a  Bouquin. 

liOUllACAN,  étoffe  non  croisée,  espèce  de  camelot 
tissu  de  poil  de  chèvre, mais  d''un  grain  beaucoup  plus  gros 
que  celui  du  camelot  ordinaire,  qui  sert  principalement  à 
faire  des  manteaux  pour  se  préserver  de  la  pluie  en 
voyage. 

BOURBE,  BOURBEUX,  BOURBIER.  On  appelle 
bourbe,  une  terre  molle  détrempée  d'eau ,  où  la  boue  pro- 
venant des  terres  grasses ,  des  eaux  croupies  et  des  lieux 
marécageux.  Les  tanches  et  les  anguilles  sentent  ordinaire- 
ment la  bourbe  quand  elles  ne  sont  point  dégorgées.  Le  mot 
bourbe,  comme  celui  de  bouc,  vient  du  grec  pôêopo;,  qui 
a  la  même  signification.  11  a  donné  naissance  aux  mots 
bourbeux  et  bourbier,  qualification  des  lieux  ou  des  choses 
où  il  y  a  un  amas  de  bourbe;  on  dit  un  ruisseau  bourbeux, 
un  gué  bourbeux  :  les  mares  sont  toujours  bourbeuses. 

Ce  mot  et  ses  dérivés  reçoivent  aussi  des  applications  fré- 
quentesdans  le  sens  figuré.  On  dit,  par  exemple,  d'un  homme 
malheureux,  qu'il  croupit  dans  la  6oî<r6e.  Enfin,  le  mot 
bourbier  s'entend,  en  style  familier,  des  embarras  où  un 
homme  se  trouve  par  sa  f;uite ,  ou  d'une  affaire  fâcheuse 
dont  on  a  de  la  peine  à  sortir  :  il  aura  bien  de  la  peine,  dit- 
on  souvent ,  à  se  tirer  de  ce  bourbier. 

On  qualifie  aussi  du  nom  de  bourbes  ou  de  boues  certaines 
eaux  minérales  qui  conviennent  à  la  guérison  des  douleurs 
rhui'natismales.  Voyez  Boues  des  eaux. 

Enfin,  le  peuple  à  Paris  donne  le  nom  de  la  Bourbe  à 
r hospice  d'accouchement,  dit  de  la  Maternité,  lequel  oc- 
cupe l'ancienne  abbaye  de  Port-Royal. 

BOURBILLON.  Voyez  Furoncle. 

BOUllBOIV  (Maisons  de).  Plusieurs  familles  ont  porté 
ce  titre  emprunté  au  Bourbonnais,  (lu'elles  possédèrent 
en  lief.  On  sait  que  la  dernière  arriva  au  trône  de  l'rance, 
«lonl  clic  fut  précipitée  par  trois  révolutions  successives. 

Première  maison  de  Bourbon.  Childebrand  T'",  frère 
puîné  de  Charles  Martel,  aunil  de  Chaiieinagne,  et  tous 
dfiix  lils  de  Pépin  d'IIéristal,  fut  père  de  Nibclong  1*^"',  qui 
vi\ait  en  80 j.  Celui-ci  laissa  deux  fils,  Théothert,  père  de 


—  BOURBON 

Robert  le  Fort,  bisaïeul  de  Hugues  Capet,  et  Childebrand  II, 
souche  de  la  première  maison  de  Bourbon ,  dont  l'origine  se 
confondait  ainsi  avec  celle  des  rois  de  France  de  la  seconde 
et  de  la  troisième  race.  En  814  le  môme  Childebrand  II 
donna  aux  religieuses  d'Yseure,  près  Moulins,  un  fonds 
de  terre  qui  lui  était  échu ,  dit-il  dans  la  charte,  de  l'héri- 
tage de  Nibelong,  son  père.  Ce  passage  prouve  que  sa  fa- 
mille possédait  déjà  patrimonialement  une  partie  du  Bour- 
bonnais. 

Aymar  l",  un  de  ses  fils,  fut  père  de  Nibelong  II,  dont  le 
fils  Aymar  II  est  qualifié  comte  dans  une  charte  de  l'année 
913 ,  par  laquelle  le  roi  Charles  le  Simple  lui  fait  don  de  plu- 
sieurs terres  situées  en  Berry,  en  Auvergne  et  dans  l'Autu- 
nois.  Dans  cette  donation  se  trouvait  compris  le  territoire  de 
Souvigny ,  sur  lequel  Aymar  fonda  un  prieuré  de  bénédictins 
en  917.  Dans  son  testament,  daté  du  château  de  Moulins,  le 
4  des  calendes  de  mai  923,  son  fils  aîné ,  Aymon  1"^,  est  ins- 
titué son  héritier  universel,  et  c'est  le  seul  qui  paraisse 
avoir  eu  postérité.  Néanmoins  il  ne  succéda  pas  immédia- 
tement à  Aymar  II,  car  la  charte  de  fondation  du  prieuré  de 
Saint-Vincent  de  Chantelle,  du  26  mars  936,  fut  souscrite 
par  un  Guy,  comte  de  Bourbon ,  administrateur  du  pays 
pendant  la  minorité  d'Aymon  1".  Dès  que  celui-ci  fut 
parvenu  au  gouvernement,  il  révoqua  la  cession  que  son 
père  avait  faite  à  l'abbaye  de  Souvigny.  On  le  vit  même  re- 
courir à  la  force  pour  recouvrer  des  biens  que  non-seulement 
il  restitua  bientôt  après  par  repentir  ou  par  faiblesse ,  mais 
qu'il  accrut  encore  par  la  cession  de  la  terre  de  Longvé. 
Aymon  l*""  fit  son  testament  en  953.  Il  en  confia  l'exécution 
à  son  cousin  le  duc  Hugues  le  Grand ,  père  de  Hugues 
Capet.  D'Alsente,  sa  femme,  il  laissa,  entre  autres  enfants , 
Archambault,  dont  nous  allons  parler,  et  Anseric,  qui  fut 
apanage  du  château  des  Thermes,  connu  depuis  sous  le  nom 
deBourbon-Lanci  (  sa  postérité  existait  encore  en  1331, 
dans  la  personne  de  Jean  de  Bourbon,  seigneur  de  Mont- 
péroux  ). 

Arciiaubault  r",  sire  de  Bourbon,  vivait  en  959,  et 
mourut  en  985.  C'est  de  lui  probablement  et  de  quelqu'un 
de  ses  successeurs  que  le  château  de  Bourbon  prit  le  nom 
de  Bourbon-l'Archambault,  pour  le  distinguer  des 
autres  lieux  nommés  Bourbon.  Rotliilde ,  sa  femme,  l'avait 
rendu  père  du  comte  Archambault  II,  qualifié  prince  dans 
la  clirgnique  de  Vezelai ,  qui  fait  mention  de  la  guerre  que 
ce  seigneur  soutenait  en  999  contre  Landri,  comte  de 
Nevers. 

Archambault  II  mounit  après  l'année  1025,  ayant  eu 
d'Ermengarde  de  Sully  Akciiambault  III  et  Aymon,  arche- 
vêque de  Bourges ,  mort  en  1071.  Archambault  III,  sur- 
nommé du  Montet,  sire  de  Bourbon,  lit  de  grandes  libéra- 
lités aux  églises  de  Souvigny,  de  Colombières,  de  Saint- 
Ursin,  de  Bourges  et  du  Montet.  Mais  son  fils,  Archam- 
bault IV,  surnommé  leFort,qai  lui  succéda  peu  après  l'an- 
née 10G6,  n'imita  point  l'exemple  de  ces  pieuses  prodigalités. 
Il  entreprit  de  restreindre  les  envahissements  des  moines 
de  Souvigny  sur  la  juridiction  de  ce  lieu  ,  et  y  établit  à  son 
profit  de  nouvelles  coutumes.  Cet  acte  d'autorité  était  sur  le 
point  de  lui  attirer  les  foudres  de  l'excommunication  ,  lors- 
que saint  Hugues,  abbé  de  Cluny,  parvint  à  conjurer  l'o- 
rage, dans  l'espoir  de  rendre  ce  seigneur  plus  traitable.  Ar- 
chambault ne  se  démentit  pas  jusqu'au  lit  de  la  mort;  mais 
alors  (1078),  effrayé  par  les  terreurs  d'une  autre  vie ,  il  con- 
sentit à  renoncer  aux  droits  de  sa  maison  sur  les  biens  liti- 
gieux. Marié  avec  Philippe  d'Auvergne,  il  en  avait  eu  plu- 
sieurs enfants ,  dont  les  principaux  furent  Archambault  V, 
Aymon  II,  et  Guillaume,  seigneur  de  Montiuçon.  Cette 
branche  a  fini  dans  Béatrix,  dame  de  Montiuçon,  qui,  par 
son  mariage  avec  Archambault  IX,  son  p;u"cnt ,  fit  rentrer 
celle  terre  dans  la  maison  de  Bourbon. 

Arciiambault  V,  sire  de  Bourbon ,  fut  un  prince  entre- 
prenant, querelleur  et  violent.  Il  emprisonna  le  lérgat  du 


pape,  Hugues  de  Die,  archevêque  de  Lyon ,  tint  longtemps 
taplif  Hugues ,  seigneur  de  Monligny ,  et  donna  de  vives 
inquiétudes  aux  moines  de  Souviguy,  qui ,  comme  tous  les 
autres  moines,  sous  le  prétexte  de  défendre  les  droits  du 
peuple,  ne  cessaient  de  s'arrondir  aux  dépens  des  seigneurs. 
n  fallut  que  le  concile  de  Clermont  s'interposât  pour  qu'il  les 
laissât  en  repos,  car  la  présence  du  pape  Urbain  II  à  Sou- 
vigny  n'avait  fait  que  suspendre  son  activité  à  ressaisir  tous 
les  droits  que  sa  maison  avait  perdus.  Archainbault  V  finit 
ses  jours  en  1096,  laissant  un  fils  en  bas  âge,  nommé  Ar- 
CHAMBAULT  VI,  sur  lequel  Aymoii  II,  son  oncle,  surnommé 
Vairevache ,  usurpa  le  Bourbonnais.  Le  roi  Louis  le  Gros 
ayant  inutilement  ajourné  Aymon  à  sa  cour,  pour  rendre 
compte  de  sa  conduite  envers  son  neveu ,  lève  une  armée , 
assiège  Aymon  dans  le  château  de  Germigny  (1115),  l'oblige 
à  lui  venir  demander  pardon  à  genoux  ;  et,  Tayant  emmené 
à  Paris,  il  le  traduit  devant  le  conseil  des  pairs,  qui  con- 
damne Aymon  à  restituer  à  Archambault  VI  son  héritage. 
Celui-ci  étant  mort  en  ltl6  sans  avoir  été  marié,  Aymon  II 
se  remit  en  possession  du  Bourbonnais  par  droit  héré- 
ditaire. 

Son  fils  et  son  successeur,  ARcnAMBADLT  VIT,  avait  été 
marié  à  Agnès  de  Savoie ,  sœur  d'Adélaïde ,  femme  du  roi 
Louis  le  Gros.  En  1137  il  fonda  Villefranche ,  à  trois  lieues 
de  Montluçon,  et  lui  accorda  des  coutumes.  Dix  ans  après 
il  accompagna  le  roi  Louis  le  Jeune,  son  neveu,  à  la  Terre 
Sainte,  d'où  il  était  de  retour  en  1149.  Il  mourut  en  1171. 
Arciiaubault  VIII,  son  fils  et  son  successeur,  fut  nommé, 
parle  roi  Philippe-Auguste  (1200),  gardien  de  toutes  les 
terres  et  forteresses  que  ce  monarque  avait  conquises  l'an- 
née précédente  dans  le  comté  et  le  dauphiné  d'Auvergne. 
Archambault  VIII  mourut  la  môme  année,  et  ne  laissa 
qu'une  fille,  Mathilde,  ou  Mahaut  de  Bourbon,  qui  fut  re- 
mariée en  secondes  noces  (1197)  avec  Gui  II  de  Dampicrrc, 
seigneur  de  Saint-Just  et  de  Saint-Di/.ier  en  Champagne, 
avec  lequel  elle  succéda  dans  la  baronnie  de  Bourbon. 

Seconde  maison  de  Bourbon.  Gui  de  Dampierre,  reçu 
vassal-lige  du  roi  Philippe-Auguste  en  1202,  fut  mis  à  la  tête 
de  l'armée  que  ce  monarque  fit  marcher  contre  le  comte 
d'Auvergne.  Cette  guerre,  qui  dura  trois  ans,  valut  au  sire 
de  Bourbon  un  accroissement  de  domaine ,  ainsi  que  la  garde 
pour  le  roi  de  toutes  les  conquêtes  qu'il  avait  faites  dans 
cette  expédition.  Guy  mourut  en  1215,  laissant  plusieurs 
enfants  de  Mahaut  de  Bourbon  ,  décédée  le  20  juin  1218, 
entre  autres  Archambault  IX  ;  ce  prince,  à  qui  sa  valeur  et 
sa  générosité  ont  mérité  le  surnom  de  Grand,  quitta  le  nom 
et  les  armes  de  sa  famille  pour  ])rendre  ceux  de  Bourbon. 
La  comtesse  Blanche  de  Champagne ,  voulant  donner  un 
ferme  appui  au  jeune  comte  ïhibaud,  son  fils  mineur, 
nomma  le  baron  de  Bourbon  connétable  de  ses  États  (1217). 
D'un  autre  côté ,  le  roi  Philippe- Auguste  lui  transmit  le  gou- 
vernement général  des  places  que  son  père  avait  conquises 
en  Auvergne.  11  paraît  qu'Archambault  continua  la  guerre 
dans  ce  pays ,  car  son  maréchal  conclut  une  trêve,  en  1226, 
avec  le  comte  Guillaume.  Le  baron  de  Bourbon ,  ayant  ac- 
compagné Alfonse ,  comte  de  Poitiers  ,  dans  une  expédition 
contre  la  Guienne,  futtuéàlabatailledeTaillebourg,  le  21 
juillet  1242.  Ce  seigneur  a  laissé  en  Bourbonnais  de  nom- 
breuses traces  de  sa  libéralité  et  de  sa  bienfaisance ,  et  ce 
fut  à  lui  que  la  ville  de  Gannat  fut  redevable  de  son  affran- 
chissement (1236).  De  son  mariage  avec  Béatrix ,  héritière 
de  Montluçon,  sa  parente,  il  laissa  AKcnAMCAULT  X,  qui 
éleva  au  plus  haut  degré,  par  tme  graridc  alliance  ,  la  fortune 
de  sa  maison ,  déjà  considérablemcint  accrue  par  la  valeur 
de  ses  pères.  Il  épousa  Yolande  de  Chastillon,  qui  laissa  à 
ses  enfants  les  comtés  de  Nevers,  d'Auxerre  et  de  Ton- 
nerre, les  seigneuries  de  Montjay,de  Thorigny,  la  baronnie 
de  Donzy,  et  les  terres  de  Broigny  et  de  Saint-Aignan. 
Ayant  accompagné  saint  Louis  à  son  premier  voyage  d'outre- 
mer, il  mourut  dans  l'ilc  de  Chypre ,  le  15  janvier  1249,  ne 


BOURBON  555 

laissant  d'Yolande  de  Chastillon ,  qui  l'avait  suivi  dans  ce 
voyage ,  que  deux  filles,  Mahaut,  dame  de  Bourbon ,  morte 
en  1262,  n'ayant  eu  d'Eudes  de  Bourgogne,  son  mari,  que 
des  filles;  et  Agnès,  femme  de  Jean  de  Bourgogne,  seigneur 
de  Charolais,  frère  d'Eudes.  Il  ne  provint  de  ce  mariage 
qu'une  fille  nommée  Béatrix. 

Troisième  ?naison  de  Bourbon.  Béatrix  de  Bourgogne , 
héritière  du  Bourbonnais  en  1283,  par  la  mort  de  sa  mère', 
était  mariée  depuis  l'année  1272  à  son  parent,  Robert  de 
France ,  comte  de  Clermont  en  Beauvaisis ,  sixième  fils  du 
roi  saint  Louis.  Quoique  ce  prince,  devenu  possesseur  du 
Boifrbonnais,  n'ait  jamais  porté  d'autre  titre  que  celui  de 
comte  de  Clermont ,  qu'il  avait  eu  en  apanage,  cependant, 
son  fils  aîné  et  sa  nombreuse  postérité  adoptèrent  exclusive- 
ment le  nom  de  Bourbon.  Robert  de  France  n'a  laissé  d'autre 
souvenir  mémorable  que  celui  d'avoir  été  la  souche  d'une 
des  plus  grandes  et  des  plus  illustres  maisons  qui  aient  paru 
sur  la  scène  du  monde.  Il  mourut  le  7  février  1317. 

Louis  l*"^,  surnommé  le  Grand,  duc  de  Bourbon ,  appelé 
Louis  Monsieur  du  vivant  de  Robert  son  père ,  et  le  seul 
de  ses  fils  qui  eut  des  enfants  mâles,  héritier  de  sa  mère 
en  1310,  s'était  signalé,  dès  l'âge  de  vingt-trois  ans,  en  sau- 
vant d'une  destruction  totale  l'armée  française ,  baltue  par 
les  Flamands  à  Courtrai  en  1302.  Deux  ans  après  il  avait 
contribué  avec  neuf  compagnies  d'hommes  d'armes  à  la  vic- 
toire de  Mons-en-Puelle.  On  vit  ce  jeune  prince  ,  secondé 
par  Jean,  sire  de  Charolais,  son  frère,  remporterions  les 
prix  du  magnifique  tournoi  célébré  à  Boulogne-sur-Mer  lors 
des  noces  d'Isabelle  de  France  avec  Edouard  II,  roi  d'An- 
gleterre (1308).  A  l'issue  de  ces  fêtes,  le  prince  Louis  fut 
choisi,  avec  le  comte  de  Valois,  pour  accompagner  la  jeune 
reine  en  Angleterre,  et  assister  à  son  couronnement.  Au  re- 
tour de  cette  mission,  le  roi  l'investit  de  la  charge  de  cham- 
brier  de  France,  l'une  des  cinq  premières  de  la  couronne, 
et  qui  fut  comme  héréditaire  dans  sa  maison  jusqu'à  la  dé- 
fection du  fameux  connétable  de  Bourbon.  A  la  mort  de 
Jean  T""  le  sire  de  Bourbon  sut  faire  respecter  la  loi  salique 
et  affermir  la  couronne  sur  la  tête  de  Philippe  le  Long , 
malgré  les  efforts  que  firent  le  duc  de  Bourgogne  et  les 
comtes  de  Valois  et  de  la  Marche  pour  élever  sur  le  trône 
Jeanne  de  France ,  fille  mineure  de  Louis  Hutin.  Le  sire  de 
Bourbon,  (jui  avait  succédé  à  son  père  dans  le  titre  de 
comte  de  Clermont ,  fut  nommé  généralissime  de  la  croisade 
projetée  en  13l8,  expédition  qui  n'eut  pas  lieu.  Ce  fut  à  cette 
occasion  qu'Eudes  de  Bourgogne  lui  transporta  le  vain  titre 
de  roi  de  Thessalonique.  11  en  reçut  un  plus  positif,  et  l'on 
peut  dire  plus  éclatant,  de  Charles  IV,  surnommé  le  Bel, 
contre  lequel  il  avait  défendu  la  loi  salique  lorsqu'il  n'était 
que  comte  de  la  Marche,  par  l'érection  du  Bourbonnais  en 
duché-pairie  du  royaume  (27  décembre  1327).  Dans  le 
cours  de  la  môme  année  le  roi  lui  donna  le  comté-pairie  de 
la  Marche ,  naguère  son  apanage ,  en  échange  du  comté  de 
Clermont,  mais  ce  dernier  comté  fut  rendu  en  pur  don  au 
duc  de  Bourbon  ,  par  le  roi  Philippe  de  Valois,  après  les 
services  qu'il  lui  rendit  dans  la  guerre  de  Flandre,  où  on  le 
vit,  à  la  tête  de  ses  neuf  compagnies  d'hommes  d'armes, 
contribuer  vaillamment  au  gain  de  la  bataille  de  Casse  1 
(1328).  Ce  fut  ce  prince  qui,  comme  ambassadeur  de  France 
en  Angleterre,  parvint  à  faire  désister  Edouard  III  de  la 
prétention  qu'il  élevait  de  n'être  que  vassal  simple  de  la 
couronne,  à  raison  de  ses  possessions  françaises,  et  à  lui 
faire  reconnaître  qu'il  était  lié  envers  le  roi  Philippe  de 
Valois  et  ses  successeurs  par  l'hommage-lige.  L'ambition 
d'Edouard  ayant  amené  une  éclatante  rupture,  le  dnc  de 
Bourbon  accompagna  Philippe  de  Valois  dans  ses  campa- 
gnes ,  et  le  servit  utilement  de  ses  conseils  et  de  son  épée. 
Plénipotentiaire  au  congrès  d'Anas  (1340),  il  fit  tous  ses 
efforts  pour  rendre  la  paix  à  la  France;  mais  il  ne  put  ob- 
tenir qu'une  trêve  de  deux  ans,  dont  il  ne  vit  pas  le  terme  , 
étant  décédé  en  1342.  Du  mariage  qu'il  avait  contracté,  ea 

iii. 


656 


BOURBON 


1310,  avec  Marie  de  Hainaut,  il  laissa  deux  fils,  Pierre  1", 
et  Jacques  1"  de  Bourbon,  comte  de  la  Marche  et  de  Pon- 
thicu,  connétable  de  France,  que  sa  bravoure  fit  surnommer 
la  fleur  des  chevaliers.  C'est  de  lui  et  de  Jeanne  de  Chas- 
tillon  Saint-Paul,  dame  de  Condé  et  de  Carenci,  qu'il  épousa 
en  1335,  que  sont  sorties  les  branches  de  la  maison  de  Bour- 
bon qui  régnèrent  en  France ,  et  qui  rt-gnent  en  Espagne  et 
à  Naplcs ,  la  branche  de  Parme  et  celles  d'Orléans,  de  Conde 
et  de  Conti,  celles-ci  récenunent  éteintes; 

Pierre  1",  duc  de  Bourbon,  comte  de  Clermont,  né 
en  1301,  accompagna  le  duc  de  Normandie,  héritier  de  la 
couronne,  dans  la  guerre  contre  Jean,  comte  de  Montfoit, 
compétiteur  de  Charles  de  Blois  au  duché  de  Bretagne 
(1341).  Les  rapides  succès  du  jeune  prince  furent  en  partie 
le  fruit  des  sages  conseils  du  duc  de  Bourbon.  Celui-ci , 
nommé  capitaine-souverain  dans  la  Guyenne,  et  parti  seul 
saas  troupes  et  sans  argent,  eut  bientôt  créé  une  armée  res- 
pectable et  reconquis  toutes  les  places  de  la  Guyenne  fran- 
çaise que  les  Anglais  avaient  envahies.  Rappelé  en  Beauvaisis 
l'année  suivante,  pour  tenir  tête  au  roi  d'Angleterre,  qui, 
chargé  des  dépouilles  de  la  Normandie,  dirigeait  sa  retraite 
vers  la  Flandre,  le  duc  de  Bourbon  le  harcela  et  le  tint  en 
échec  jusqu'au  moment  où  le  roi  Philippe  de  Valois  put 
venir  le  joindre  avec  une  armée  de  cent  inille  hommes.  Il 
fut  témoin,  le  26  août  134C,  du  désastre  et  de  la  perte  de 
cette  belle  armée  dans  les  plaines  de  Crée  y.  Étranger  à 
des  dispositions  prises  contre  son  avis,  il  voulut  du  moins 
réparer  par  des  prodiges  de  valeur  la  honte  d'une  aussi 
éclatante  défaite.  11  combattit  vaillamment  à  côté  du  roi,  et 
fut  grièvement  blessé.  A  celle  de  Poitiers  (  19  septembre 
1356),  plus  funeste  encore  pour  la  France,  il  périt  d'une 
mort  glorieuse,  en  faisant  de  son  corps  un  rempart  contre 
les  coups  dont  le  roi  Jean  était  assaiUi.  La  duciiesse  Isabelle, 
sœur  du  roi  Philippe  de  Valois ,  survécut  au  duc  Pierre  jus- 
qu'en 13S3.  Elle  en  avait  eu  Louis  II  et  cinq  filles.  Les  prin- 
cipales étaient  Jeanne,  femme  du  roi  Charies  V,  et  Blan- 
che de  Bourbon,  mariée  à  Pierre  le  Cruel. 

LoLis  II,  surnommé  le  Bon,  duc  de  Bourbon,  comte  de 
Clermont  et  de  Forez,  succéda  à  son  père.  11  était  né  le  4 
août  1337.  Choisi  pour  l'un  des  otages  que  le  roi  Jean  four- 
nit à  Edouard  pour  recouvrer  sa  liberté,  l'inexécution  du 
traité  de  Bretigny  le  retint  pendant  huit  ans  en  Angle- 
terre. Pendant  cette  longue  absence,  ses  barons  et  ses  che- 
valiers eurent  continuellement  les  armes  à  la  main  pour 
réprimer  les  brigandages  des  grandes  compagnies,  et 
non  contents  de  payer  de  leurs  vies ,  ils  prélevèrent  en- 
core sur  leurs  fortunes  les  sommes  énormes  exigées  pour 
le  cautionnement  du  duc  et  pour  les  engagements  qu'il  avait 
contractés  pendant  son  séjour  en  Angleterre.  A  son  retour 
il  institua  pour  la  noblesse  de  ses  États  l'ordre  de  cheva- 
loiie  de  i'Écu-d'Or.  Lors  delà  cérémonie  où  il  leur  conféra 
celle  décoration,  Hiifinenin  Cliauveau  ,  son  procureur  géné- 
ral, s'agenouillant  à  ses  pieds,  lui  remit  un  registre  énorme 
de  tous  les  délits  commis  par  ses  nobles  et  ses  chevaliers 
pendant  son  absence.  L'inflexible  magistral  n'avait  pas  fermé 
les  yeux  sur  une  seule  infraction,  et  chacune  entraînait  la 
confiscation  des  fiefs.  «  Chauveau,  lui  dit  alors  le  duc,  avez- 
vous  aussi  tenu  registre  des  services  qu'ils  m'ont  rendus?  » 
et ,  saisissant  ie  registre  sans  l'ouvrir,  il  le  jeta  dans  un 
grand  brasier. 

Jean  de  IMontfort,  duc  de  Bretagne,  s'était  ligué  avec  les 
Anglais,  qu'il  avait  appelés  dans  ses  États.  L'armée  française, 
commandée  par  Du  Guesclin,  marcha  contre  ces  alliés,  et  fit 
de  rapides  conquêtes.  Appelé  par  le  roi  en  Guyenne  au  secours 
du  duc  d'Anjou,  Louis  II  emporta  d'assaut  lîrive-la-Gaillarde 
sur  sou  passage,  et  ayant  rejoint  le  duc  d'Anjou,  il  contribua 
par  ses  conseils  et  son  épée  à  la  conquête  de  l'Agénais,  du 
Condomois,  du  comté  de  Bigorre  et  d'une  partie  de  la  Ga-^- 
cogne.  La  vie  entière  de  ce  prince  n'offre  qu'une  longue  con- 
liiuiité  de  services  rendus  à  sa  (latrie.   Lié  d'une  étroite 


amitié  avec  Du  Guesclin,  ce  fut  lui  qui  déjoua,  par  son 
crédit  sur  l'esprit  du  roi  Charles  V,  les  trames  ourdies  pour 
éloigner  et  perdre  ce  grand  capitaine.  Chargé,  avec  les  ducs 
d'Anjou ,  de  Bourgogne  et  de  Berry ,  de  la  tutèle  du  roi 
Charles  VI  (13S0)  et  de  l'achninistration  du  royaume,  le 
duc  de  Bourbon  fut  le  seul  de  ces  quatre  princes  du  sang  qui 
s'acquitta  de  cette  grave  mission  d'une  manière  louable  et 
désintéressée.  En  1382  il  accompagna  le  jeune  roi  dans  la 
guerre  de  Flandre,  et  fit  des  prodiges  de  valeur  à  la  bataille 
de  Rosebecque,  où  800  hommes  d'armes  et  200  arbalé- 
triers, levés  à  ses  frais,  combattaient  sous  sa  bannière.  L'an- 
née suivante,  il  contribua  à  la  prise  de  Bourbourg. 

Cette  guerre  terminée ,  une  foule  de  guerriers  de  toutes 
les  nations  se  réunirent  pour  aller  combattre  les  Sarrasins 
d'Afrique.  Tous  d'une  seule  voix  choisirent  le  duc  de 
Bourbon  pour  leur  chef.  A  son  retour,  le  duc  de  Bourbon 
parcourut  les  armes  à  la  main  le  Poitou  et  la  Saintonge, 
chassant  les  Anglais  de  toutes  les  places  dont  ils  s'étaient 
emparés  après  avoir  rompu  la  trêve.  Au  siège  de  Vertouil , 
où  il  éprouvait  une  résistance  opiniâtre ,  il  voulut  ranimer 
le  courage  de  ses  soldats  par  un  fait  d'armes  personnel.  Il 
change  de  vêtement  et  d'armure ,  impose  le  silence  sur 
son  nom  à  quelques  chevaliers  qui  l'accompagnent,  et, 
s'avançant  par  une  mine  qui  conduisait  à  la  place,  il  va 
défier  le  plus  brave  de  la  garnison  de  venir  se  mesurer  avec 
lui  à  la  hache  et  à  l'épée.  Le  gouverneur,  Renauil  de  Mont- 
ferrand ,  vint  aussitôt  s'offrir  pour  le  combat.  Déjà  les  deux 
champions  sont  aux  prises  et  se  portent  les  plus  rudes 
coups,  lorsqu'au  mépris  des  ordres  du  duc,  un  Frani;ais, 
effrayé  du  péril  auquel  s'exposait  le  chef  de  l'armée,  s'écria  : 
Bourbon  !  Bourbon  Notre-Dame  /  A  ce  cri  de  guerre  des 
Bourbons,  Montferrand  recule,  baisse  son  épée,  et,  trans- 
porté de  l'honneur  que  lui  fait  le  prince,  il  promet  de  lui 
remettre  la  place  s'il  consent  à  l'armer  de  sa  main  che- 
valier. Ce  trait,  qui  peint  les  mœurs  et  les  préjugés  de  œtte 
époque,  donne  une  haute  idée  de  la  réputation  guerrièreduduc 
de  Bourbon.  Lorsqu'en  1390  la  république  de  Gênes  implora 
le  secours  de  ia  France  pour  mettre  Uii  frein  à  la  piraterie 
des  Maures  d'Afrique ,  le  duc  Louis  II  fut  nommé  au  com- 
mandement en  chef  de  l'armée  expéditionnaue,  sur  sa 
demande  et  celle  des  ambassadeurs  génois.  Cette  armée, 
conduite  au  rivage  africain  par  quatre-vingts  vaisseaux, 
débarqua  devant  Carthage  le  21  juillet  1390,  et  commença 
aussitôt  l'attaque  de  cette  place.  Quatre  furieux  assauts 
repoussés  avec  une  perte  considérable ,  et  la  mortalité  causée 
par  l'excessive  chaleur  de  ce  climat  ne  permettaient  plus 
de  prolonger  un  siège  qui  durait  avec  des  combats  presque 
journaliers  depuis  neuf  semaines.  Le  duc  de  Bourbon ,  sur 
l'avis  de  son  conseil,  en  ordonne  la  levée;  mais,  pour  ne 
pas  perdre  entièrement  le  fruit  de  cette  expédition,  il 
marche  droit  à  l'armée  que  les  rois  de  Bougie  et  de  Maroc 
avaient  envoyée  au  secours  des  assiégés ,  force  son  camp 
retranché ,  et  la  bat  complètement  deux  fois  dans  la  même 
journée.  Intimidé  par  cette  double  victoire,  le  roi  de  Tunis 
consent  à  mettre  en  liberté  tous  les  esclaves  chrétiens  qui 
sont  dans  son  royaume;  il  s'oblige  à  payer  (fix  mille  besants 
d'or  pour  les  frais  de  la  guerre,  et  promet  de  ne  plus  troubler 
la  navigation  des  Francs  dans  la  IMéditerranée. 

L'état  de  démence  où  tomba  peu  de  temps  après  le  roi 
Charles  VI  allait  livrer  le  gouvernement  de  la  France  aux 
maisons  d'Orléans  et  de  Bourgogne.  Leur  funeste  rivalité  mit 
le  royaume  à  deux  doigts  de  sa  perte  :  elle  eût  été  en- 
tièrement consonance  sans  la  médiation  du  duc  de  Bourbon. 
L'assassinat  du  duc  d'Orléans  (1407)  et  plus  encoro  peut- 
être  la  lâche  impunité  de  ce  crime  déterminèrent  le  duc  de 
Bourbon  à  .se  retirer  dans  ses  États.  ]1  y  réprima  les  entre- 
prises de  (luelques  aventuriers  soudoyés  par  le  duc  de 
iîourgognc  et  le  comte  de  Savoie,  et  mourut  à  Montinçon, 
le  11)  août  1410,  avec  la  réputation  d'un  grand  capitaine  el 
du  plus  honnête  homme  de  son  siècle. 


BOURBON 


»57 


D'Anne,  dauphine  d'Auvergne,  qu'il  avait  épousée  en 
1371,  il  laissa  un  (ils,  Jean  V,  duc  de  Bourbon  etd'Auver- 
f;iie,  né  en  13SI,  qui  lui  succéda  au  milieu  des  complica- 
tions les  plus  malheureuses.  Le  meurtre  du  duc  d'Orléans 
n'avait  point  abattu  son  parti  :  il  reparut  bientôt  plus  re- 
«ioutable  sous  Bernard,  comte  d'Armagnac,  qui  eut  la  triste 
gloire  de  lui  donner  son  nom.  Au  défaut  des  grandes  qua- 
lités de  son  père ,  le  duc  Jean  offrit  à  ce  parti  l'appui  de 
son  nom ,  de  son  courage ,  souvent  trop  téméraire ,  et  un 
dévouement  que  les  plus  dures  épreuves  ne  purent  jamais 
ébranler.  Mais  il  fut  l'un  des  signataires  du  honteux  traité  de 
1412 ,  qui  devait  consommer  au  profit  de  l'Angleterre  les  im- 
menses cessions  territoriales  imposéesparceluide  Breligny, 
et  sa  fatale  présomption  lui  fit  payer  par  dix-huit  ans  de 
captivité  à  Londres  le  malheur  d'avoir  contribué  par  ses 
conseils  et  son  exemple  à  la  désastreuse  défaite  d'Azin- 
c  0  u  r  t  (  1 4 1 5  ) .  Trompé  trois  fois  dans  l'attente  de  recouvrer 
sa  liberté,  après  avoir  payé  successivement  trois  rançons  de 
cent  mille  écus ,  le  désespoir  d'une  si  longue  captivité  lui  fit 
promettre,  pour  voir  briser  ses  fers,  jusqu'à  l'infamie  :  il 
s'engagea  à  livrer  aux  Anglais  les  principales  places  de  ses 
domaines  et  à  reconnaître  Henri  VI  pour  son  souverain 
légitime.  U  mourut  à  Londres,  en  1434,  couvert  de  mépris  et 
renié  par  sa  propre  famille ,  qui  ne  voulut  jamais  entendre 
parler  de  ce  traité  ignominieux. 

Son  fils,  Charles  l^"',  né  en  1401,  demeura  attaché  au 
parti  des  Armagnacs,  et  fut  fait  prisonnier  avec  son  frère 
Louis  lors  de  la  surprise  de  Paris  par  le  duc  de  Bourgogne, 
le  29  mai  1418.  Jean  sans  Peur,  après  avoir  tenu  quelque 
temps  les  deux  frères  captifs  dans  la  tour  du  Louvre,  fit 
rompre  à  Charles  ses  fiançailles  avec  Catherine  de  France , 
et  lui  fit  épouser  sa  fille,  Agnès  de  Bourgogne,  qui  n'était 
point  encore  nubile.  Se  croyant  délié  par  la  mort  tragique 
de  Jean  sans  Peur,  de  tous  les  engagements  qu'il  avait  con- 
tractés par  force,  le  duc  de  Bourbon  renvoya  la  jeune 
Agnès  au  nouveau  duc  Philippe  le  Bon,  son  frèie,  et  em- 
brassa avec  chaleur  la  cause  du  daupiiin  ,  qui  était  celle  de 
la  France.  Kommé  capitaine  général  en  Languedoc  et  en 
Guyenne,  la  terreur  qu'inspirait  sa  valeur  impétueuse  et 
son  inflexible  rigueur  envers  les  places  occupées  par  les 
ennemis  de  l'État ,  Anglais  ou  Bourguignons ,  lui  en  firent 
soumettre  un  grand  nombre.  Après  avoir  affermi  l'autorité 
du  dauphin,  devenu  Charles  VII,  dans  les  provinces  du 
midi,  il  passa,  en  1423,  au  gouvernement  de  celles  du 
Nivernais,  Bourbonnais,  Forez,  Maçonnais,  Beaujolais  et 
Lyonnais.  Le  mariage  de  Bonne  d'Artois,  sa  sœur  utéiine, 
avec  le  duc  de  Bourgogne,  rapprocha  les  deux  familles, 
et  le  17  septembre  1425  Charles  l"  épousa  la  même 
Agnès  de  Bourgogne  qu'il  avait  renvoyée  sept  ans  aupa- 
ravant. Mais  cette  alliance  n'ébranla  point  son  dévouement 
envers  sa  patrie.  Il  leva  dans  ses  terres  un  corps  de  trois 
mille  hommes,  qu'il  amena  au  roi  au  moment  où  les  An- 
glais commençaient  le  siège  d'Orléans  (1428).  La  môme 
année  il  fut  battu  avec  Dunois,  dans  la  fameuse  journée 
dite  des  Harengs.  Plus  tard,  il  s'empara  de  Coibeil,  de 
Saint-Denis  et  du  bois  de  Vincennes,  donnant  les  plus  vives 
inquiétudes  aux  Anglais  et  aux  Bourguignons,  qui  occupaient 
la  capitale.  En  1434  il  se  brouille  avec  le  duc  de  Bour- 
gogne, son  beau-frère,  entre  à  main  armée  dans  ses  États, 
et  pénètre  jusqu'en  Franche-Comté,  soumettant  tout  sur 
son  passage.  De  son  côté,  Philippe  le  Bon  envoya  des 
troupes  ravager  le  Bourbonnais ,  ce  qui  obUgea  le  duc 
Charles  à  revenir  sur  ses  pas  pour  défendre  son  propre  ter- 
ritoire. La  paix  se  fit,  et  ce  fut  au  milieu  des  réjouissances 
auxquelles  cet  événement  donna  lieu  que  la  réconciliation 
du  duc  de  Bourgogne  et  du  roi  Charles  Vil  fut  heureusement 
cntiiinée.  Ce  service  était  incontestablement  le  plus  grand 
que  le  duc  de  Bourbon  pût  rendre  à  sa  patrie.  Mais  il  le  fit 
payer  cher,  par  son  ambition  remuante  et  ses  coupables 
intrigues.  On  le  vit  avec  le  sire  de  La  Trcmouille,  le  duc. 


d'Alençon,  les  comtes  de  Vendôme,  de  Dunois,  et  une 
foule  de  seigneurs  puissants,  ennemis  du  connétable  de 
Richement  et  du  comte  du  IMaine ,  ourdir  cette  dangereuse 
conjuration  de  la  P  ragu  erie  (  1439),  qui,  sous  prétexte  de 
renverser  le  ministère ,  devait  assurer  le  gouvernement  de 
l'État  aux  conjurés  et  réduire  Charles  VII  à  une  espèce  de 
tutelle.  La  célérité  du  roi  déjoua  ce  complot;  le  duc  de 
Bourbon  n'en  recueillit  que  la  honte  d'un  humiliant  pardon 
et  la  douleur  de  voir  périr  du  dernier  supplice  Alexandre, 
bâtard  de  Bourbon ,  son  frère  naturel ,  qui  avait  enlevé  le 
dauphin  Louis  du  château  de  Loches  ,  pour  le  mettre  à  la 
tète  des  conjurés.  Le  bâtard  de  Bourbon,  arrêté  à  Bar- 
sur- Aube,  fut  enfermé  vivant  dans  un  sac  de  cuir,  et  pré- 
cipité dans  la  rivière.  Le  duc  de  Bourbon  oublia  bientôt 
la  grâce  que  le  roi  lui  avait  faite  pour  se  jeter  dans  une 
nouvelle  ligue  (  1442  ),  formée  par  le  duc  d'Orléans.  La 
sagesse  de  Charles  VII  ayant  dissipé  cet  orage  sans  tirer 
l'épée,  le  duc  de  Bourbon  rentra  promptement  dans  le 
devoir,  pour  ne  plus  s'en  départir.  Le  roi  ne  conserva  que 
le  souvenir  des  services  importants  qu'il  lui  avait  rendus , 
et  lui  accorda  pour  son  fils  Jeanne  de  France,  sa  fille,  prin- 
cesse d'un  rare  mérite.  Charles  1"^  mourut  à  Moulins, 
le  4  décembre  1456. 

Il  avait  eu  d'Agnès  de  Bourgogne,  qui  lui  survécut  vingt 
ans,  six  garçons  et  cinq  filles.  Marie,  l'aînée  de  celles-ci, 
épousa  Jean  d'Anjou,  duc  de  Lorraine  et  de  Calabre;  Isa- 
belle ,  la  seconde ,  fut  mariée  à  Charles  le  Téméraire ,  dernier 
duc  de  Bourgogne;  Catherine  épousa  Adolphe  d'Egmont, 
duc  de  Gueldre;  Jeanne,  le  prince  d'Orange  (Jean  de  Châ- 
lons),  et  Marguerite,  Phihppe  II,  duc  de  Savoie.  Parmi  les 
fils,  Jean  II  et  Pierre  II  gouvernèrent  successivement  le 
Bourbonnais.  Charles,  qui  était  l'aîné  de  Pierre,  fut  pourvu 
de  l'archevêché  de  Lyon  en  1446,  à  l'âge  de  douze  ans.  Il 
fut  fait  légat  d'Avignon  en  14G5,  cardinal  en  1476,  évêque 
de  Clermont  l'année  suivante,  et  mourut  en  1488.  C'était 
un  prélat  guerrier,  magnifique  et  voluptueux;  et  sa  devise, 
ni  peur  ni  espoir,  peint  d'un  seul  trait  son  caractère  et  sa 
règle  de  conduite.  Louis  de  Bourbon,  cinquième  fils  de 
Charles  I" ,  nommé  évêque  et  prince  de  Liège  en  1456,  fut 
égorgé  par  Guillaume  de  La  Marck  (!e  sanglier  des  Ardennes), 
lors  de  l'irruption  qu'il  fit  dans  l'évêché  de  Liège,  en  1482. 
Louis  de  Bourbon  n'avait  reçu  les  ordres  de  la  prêtrise 
qu'en  1466.  Avant  cette  époque  il  avait  eu  trois  fils  naturels 
d'une  princesse  de  la  maison  de  Gueldre ,  Pierre  de  Bourbon, 
Louis,  mort  sans  postérité,  et  Jacques,  grand  prieur  de 
France,  auteur  d'une  Relation  du  Siège  de  Rhodes  par 
Mahomet  II.  Pierre  de  Bourbon,  l'aîné  des  trois  frères,  a 
été  la  souche  de  la  branche  des  comtes  de  B  o  u  r  b  o  n-B  u  s  s  e  t 
en  Auvergne.  Jean  II,  surnommé  le  Bon,  duc  de  Bourbon 
et  d'Auvergne,  né  en  1426,  était  déjà  renommé  par  de 
beaux  faits  d'armes  et  par  le  gain  de  la  bataille  de  Formi- 
gny  (1450),  lorsqu'il  succéda  à  son  père.  Beau-frère  de 
Louis  XI ,  il  se  flattait ,  à  l'avènement  de  ce  prince ,  d'obtenir 
la  charge  de  connétable,  alors  vacante,  et  que  lui  avait  mé- 
ritée la  conquête  de  la  Guyenne ,  qui  lui  était  due  en  majeure 
partie.  Non-seulement  son  espoir  fut  trompé ,  mais  il  se  vit 
dépossédé  du  gouvernement  de  la  Guyenne,  sans  qu'aucun 
motif  apparent  pût  justifier  cette  mesure.  Louis  XI  put  ap- 
précier l'étendue  de  cette  faute  lorsqu'il  vit  le  duc  de  Bour- 
bon devenir  l'âme  de  la  ligue  du  Bien  public,  contribuer 
au  gain  delà  bataillede  Mont-l'Héry  (  1465),  et  s'emparer 
de  la  Normandie  pour  IMousieur,  duc  de  Berry.  Le  traité  de 
CouMau  s,  sans  saiislaire  entièrement  son  ambition,  ayant 
fait  droit  à  une  partie  de  ses  griefs,  il  s'attacha  sincèrement 
à  Louis  XI,  et  reconquit  la  Normandie  sur  Monsieur,  pour 
la  lui  rendre.  Établi  lieutenant  général  dans  les  provinces 
méridionales,  depuis  le  Lyonnais  jusqu'au  Poitou  (1475), 
lors  de  la  dernière  ligue,  si  fatale  au  connétable  de  Saint- 
Paul  et  aux  d'Armagnacs,  ses  troupes,  sons  le  commande- 
ment du  dauphin  d'Auvergne,  battirent  l'armée  du  duc  de 


658 

Bourgogne  à  Gy,  près  Cliâteau-Chinon ,  et  firent  prkonnier 
«le  guerre  le  comte  de  Rouci ,  leur  général.  Les  sanglantes 
exécutions  dont  Louis  XI  assouvit  sa  vengeance  dégoûtèrent 
le  duc  de  Bourbon  de  la  cour.  Il  s'éloigna,  et  ne  reparut  sur 
la  scène  qu'à  la  minorité  de  Charles  VIIL  On  le  vit  alors  se 
joindre  au  duc  d'Orléans  pour  disputer  à  la  dame  de  Beau- 
jeu,  sa  belle-sœur,  le  gouvernement  du  royaume.  Le  bâton 
de  connétable  et  le  titre  de  lieutenant  général  du  royaume 
qu'elle  lui  lit  obtenir  (  1483  )  ne  purent  rassasier  son  ambition  ; 
mais  frustré  dans  son  attente  par  la  décision  des  états  géné- 
raux de  Tours,  dont  il  avait  provoqué  la  tenue,  il  reprit  les 
armes  avec  le  duc  d'Orléans.  Menacé  par  l'armée  du  duc  de 
Lorraine,  il  ouvrit  l'oreille  aux  propositions  de  paix  qu'on 
lui  fit  de  la  part  de  sa  belle-sœur,  et  alla  dans  ses  terres  con- 
tinuer de  murmurer  contre  I«  gouvernement.  Néanmoins  ses 
intrigues  n'ont  point  fait  perdre  le  souvenir  des  immenses  ser- 
vices qu'il  avait  rendus  à  sa  patrie ,  et  que  rappelle  le  surnom 
glorieux  de  Fléau  des  Anglais,  que  l'histoire  lui  a  conservé. 
11  mourut  à  Moulins,  le  1"  avril  1488,  sans  postérité  légitime. 
Mais  il  laissa  plusieurs  enfants  naturels,  dont  les  principaux 
furent  Mathieu  et  Charles.  Le  premier,  appelé  le  grand  bu- 
turd  de  Bourbon,  fut  maréchal  du  Bourbonnais  et  amiral 
<'-eGuienne.  11  accompagna  Charles  VIII  en  Italie,  et  mourut 
en  1505.  De  Charles,  bâtard  de  Bourbon,  sont  provenues 
la  branche  des  marquis  de  Malause,  éteinte  en  1741,  et 
celle  des  barons  de  Basian,  qui  existait  encore  en  1725. 

Pierre  II ,  duc  de  Bourbon  et  d'Auvergne ,  succéda  au  duc 
Jean  11,  son  frère  aîné,  en  vertu  de  la  renonciation  forcée  que 
la  dame  de  Beaujeu,  sa  femme,  imposa  au  cardinal  de 
Bourbon,  dont  il  n'était  que  le  puîné.  Le  duc  Pierre  II  ne 
manquait  d'aucune  des  qualités  qu'exigeait  l'élévation  de  son 
rang;  mais,  éclipsé  par  l'ombre  gigantesque  de  sa  femme, 
sa  vie  politique  n'a  laissé  aucune  trace  saillante  dans  l'his- 
toire. Il  mourut  à  Moulins,  le  8  octobre  1503.  Anne  de  France, 
qui  lui  survécut  vingt  ans,  avait  obtenu  du  roi  Louis  XII 
(1490)  l'annulation  de  la  clause  de  réversion  à  la  couronne 
des  riches  domaines  de  son  mari  dans  le  cas  où  il  mourrait 
sans  enfants.  Louis  XI  avait  imposé  cette  clause  dans  leur 
contrat  de  mariage.  Par  l'acte  d'abrogation,  Susanne  de 
Bourbon ,  leur  fille  unique ,  put  succéder  à  tous  leurs  biens , 
avec  faculté  de  les  transmettre  à  l'époux  qu'on  lui  aurait 
choisi.  Charles ,  duc  d'Alençon ,  était  celui  auquel  on  l'avait 
destinée.  Déjà  leurs  fiançailles  avaient  été  célébrées  à  Mou- 
lins (1501),  lorsque  Louis  II,  de  Bourbon,  comte  de  IMont- 
pensier,  cousin  issu  de  germain  de  Susanne,  mit  opposition 
à  l'enregistrement  des  lettres  patentes.  Charles  II  de  Bourbon, 
frère  et  successeur  de  Louis,  renouvela  cette  opposition,  et 
rompit  l'alliance  qu'on  avait  projetée  au  préjudice  des  droits 
de  sa  branche,  devenue  Paînée  de  toute  la  maison  de  Bour- 
bon. Neveu  de  la  duchesse  Anne,  qui  l'avait  formé  elle- 
même,  et  qui  peut-ôtre  était  secrètement  charmée  de  le 
voir,  à  quatorze  ans ,  déployer  tant  d'énergie  au  soutien  des 
intérêts  de  sa  famille,  il  ne  trouva  pas  un  juge  sévère  dans 
un  mentor  qui  l'aimait  comme  son  fils.  Aussi  ce  différend 
fut-il  terminé  en  1505  par  le  mariage  de  Susanne  avec  le 
jeune  comte  de  Monlpensier.  Elle  lui  apporta ,  soit  en  dot , 
soit  par  donation  de  sa  mère,  les-duchés  de  Bourbon,  d'Au- 
vergne et  de  Chàtellerault,  les  comtés  de  Clermont  en  Beaii- 
vaisis  ,  de  Forez,  de  la  Marche  et  de  Gicn,  les  vicomtes  de 
Cariât  et  de  Murât,  le  pays  de  Beaujolais,  la  seigneurie  de 
Bourbon-Lanci,  etc.  De  son  chef,  Charles  possédait,  outre 
le  comté  de  Montpensier,  celui  de  Clermont  en  Auvergne, 
le  pays  de  Combrailles,  la  terre  de  Mercœur  et  quelques  au- 
tres seigneuries,  de  manière  qu'après  les  tètes  couronnées 
il  n'y  avait  en  Europe  aucun  prince  dont  l'opulence  put 
égaler  la  sienne.  Cet  homme,  que  la  fortune  semblait  ac- 
cabler de  ses  dons,  et  qu'elle  précipita  dans  un  abîme  de 
malheurs,  creusé  par  l'injustice  et  comblé  par  la  trahison, 
est  le  fameux  connétable  de  Bourbon,  à  qui  nous  consa- 
crons un  article  particulier.  Ses  domaines  furent  confisqués. 


BOURBON 

I,a  branche  aînée  de  Bourbon  finit  avec  le  connétable  en 
môme  temps  que  l'histoire  particuhère  de  la  princi|)auté  de 
Bourbon ,  qui  fut  réunie  à  la  couronne.  L\it<L. 

Maison  royale  de  Bourbon.  La  famille  qui  a  régné  en 
France,  et  qui  règne  encore  aujourd'hui  en  Espagne,  à 
Parme  et  à  Naples,  tire  son  nom,  conformément  à  la  coutume 
des  fiefs  et  apanages,  de  Bourbon-l'Archainbaut,  dans  l'an- 
cienne province  du  Bourbonnais.  Le  chef  de  cette  race  il- 
lustre fut  Louis  !"■,  fils  de  Robert,  duc  de  Bourbon,  comte 
de  Clermont,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut. 

Elle  descend  de  lui  par  Jacquks,  comte  de  la  Marche,  son 
troisième  fils,  connétable,  né  vers  I3l4,  pris  à  la  bataille 
de  Poitiers,  et  tué  en  13GI  par  les  Grandes  Compagnies. 
Pierre,  fils,  du  précédent,  fut  tué ,  à  la  même  occasion, 
Je.\n  I",  fils  de  Jacques,  né  vers  1337,  mort  en  1393,  devint 
comte  de  Vendôme,  par  son  mariage  avec  Catherine  de  Ven- 
dôme; Jacques  II,  fils  de  Pierre,  mort  en  1438,  épousa  en 
1406  Béatrix  de  Navarre,  et  en  1415  Jeanne  II,  reine  de 
Naples.  Louis  II,  son  frère,  fut  la  tige  des  ducs  de  Vendôme. 
Né  vers  1376,  il  fut  pris  à  la  bataille  d'Azincourt,  en  14 1 5,  et 
mourut  en  1446. 

Jean,  son  fils,  né  en  1429,  mort  en  1478,  devint  seigneur 
de  La  Roche-sur-Yon,  par  mariage;  François,  fiJs  de  Jean, 
né  en  1470,  mourut  en  1495;  Charles,  fils  du  précédent, 
né  en  1489,  mort  en  1537,  pour  qui  le  comté  de  A'endôme 
fut  érigé  en  duché  par  François  l^'',  en  récompense  de  ses 
services,  devint  le  chef  de  toute  la  maison  de  Bourbon,  par 
la  mort  du  connétable,  en  1527.  Il  fut  le  père  d'Antoine  de 
Bourbon,  à  qui  nous  consacrerons  un  article  particulier. 
Devenu  roi  de  Navarre  par  son  mariage  avec  Jeanne  d' Al- 
bret,  il  donna  le  jour  à  Henri  de  Bourbon,  devenu  roi  de 
France  sous  le  titre  de  Henri  IV,  lequel  fut  la  tige  des 
Bourbons  de  France,  d'Espagne,  de  Parme  et  de  Naples. 

Bourbons  de  i^rowce.  Henri  IV  eut  pour  fils  Louis  Xlll 
marié  à  Anne  d'Autriche,  et  Gaston,  duc  d'Orléans.  Le 
premier  laissa  deux  enfants,  Louis  XIV  et  Philippe  d'Or- 
léans. Le  premier  continua  la  branche  aînée,  par  Louis  XV, 
son  arrière-petit-fils,  Louis  XVI,  petit-fils  de  Louis  XV,  et 
ses  frères  Louis  XVIII  et  Charles  X,  ce  dernier  père  du  duc 
de  Berry,  qui  fut  assassiné  par  Louvel  et  laissa  un  fils 
posthume,  le  duc  de  Bordeaux,  comte  de  Cliambord,  main- 
tenant en  exil.  La  branche  cadette  de  la  maison  royale  de 
France,  fut  fondée  par  Philippe  1*",  second  fils  de  Louis  X  II  I, 
qui  reçut  de  son  fière  aîné,  Louis  XIV,  le  titre  et  l'apanage 
de  duc  d'Orléans. 

Bourbons  d'Espagne.  Cette  branche  est  issue  de  Pliilippe 
duc  d'Anjou ,  deuxième  fils  du  grand  dauphin  et  petit-fils  de 
Louis  XIV,  qui  fut  plar^  en  1701  sur  le  trône  d'Espagne, 
sous  le  nom  de  Philippe  V .  Elle  se  continue  par  F  e  r  d  i  - 
nand  VI,CharlesIII,  Charles  IV,  Ferdinand  VII, 
la  jeune  reine  Isabelle,  fille  de  ce  dernier  et  de  Marie- 
Christine  de  Naples,  ex-régente  d'Espagne,  et  sa  sœur 
l'infante  Marie-Ferdinande-Louise,  mariée  au  duc  de  Mont- 
pensier, le  plus  jeune  des  fils  de  l'ex-roi  des  Français  Louis- 
Philippe. 

Bourbons  de  Parme.  Cette  maison  ducale  fut  formée 
en  1748,  par  Phihppe,  fils  de  Philippe  V,  roi  d'Espagne,  et 
se  compose  de  Philippe,  Ferdinand  et  Louis,  dépo.sé  en 
'lS02.  Sa  veuve  Marie-Louise,  fille  de  Charles  IV  d'Espagne, 
est  remplacée  en  1824  dans  le  gouvernement  du  duché  de 
Lucques  par  son  fils  le  duc  Charles  II,  Louis  de  Bourbon, 
infant  d'Espagne,  né  en  1799,  lequel  er.  1847  cède  Lucques 
à  la  Toscane,  succède,  un  mois  après,  dans  le  gouvernement 
de  Parme,  Plaisance  et  États  annexés,  à  l'ex-impératrice  des 
Français  Marie-Louise  d'Autriche,  alors  récemment  décédée, 
et  renonce  en  1849  à  ce  nouveau  trône  ducal  en  faveur  de 
son  fils  le  duc  Ferdinand-Charles  III  José-Maria-Victorio- 
Bulthasar  de  liourbon,  infant  d'Espagne,  né  en  1823.  Ce- 
lui-ci a  épousé  en  1845  la  duchesse  Louise  Marie-Thérèse  de 
Bourbon,  née  en  1819,  fille  du  fou  duc  de  Berry. 


BOURBON 

Bourbons  de  Naples  ou  des  Dcux-Siciles.  Charles  III, 
roi  d'tspagne,  issu  de  Philippe  V,  petit-fils  de  Louis  XIV, 
plaça  en  1759  sur  le  trône  de  Naples  Ferdinand  son  fils, 
dont  les  descendants  régnent  encore.  Le  roi  actuel  Charles 
Ferdinand  II,  roi  des  Deux-Siciles  et  de  Jérusalem,  etc.,  né 
en  1810,  a  succédé,  en  1830,  à  son  père  le  roi  Janvicr-Jo- 
seph-François  \".  Sa  famille,  outre  douze  frères  et  sœurs, 
tant  consanguins  qu'utérins,  se  compose  de  neuf  princes  et 
princesses  issus  de  ses  deux  mariages  avec  une  priacesse  de 
Sardaigne  et  une  archiduchesse  d'Autriche. 

A  la  famille  de  Bourbon  se  rattachent  encore  les  deux 
branches  de  Condé  et  de  Conti.  La  tige  des  Condé  est 
Louis  de  Bourbon,  prince  de  Condé,  Irère  puîné  d'Antoine 
de  Bourbon,  roi  de  Navarre,  et  oncle  de  Henri  FV,  né  en  1530, 
tué  en  1569.  Plusieurs  princes  de  cette  branche  sont  plus 
connus  sous  le  nom  de  ducs  de  Bourbon.  Elle  s'est  éteinte 
en  la  personne  de  Louis-Henri- Joseph ,  duc  de  Bourbon, 
mort  suicidé  selon  les  uns,  assassiné  suivant  les  autres,  en 
1830.  Il  était  fils  du  duc  Louis-Joseph  de  Bourbon,  prince 
de  Cond(>,  mort  en  1818.  La  maison  de  Bourbon-Conti, 
branche  collatérale  de  la  maison  de  Condé,  qui  avait  eu  pour 
tige  un  frère  puîné  du  grand  Condé,  Armand  de  Bourbon, 
prince  de  Conti,  né  en  1G29,  mort  en  1666,  s'est  éteinte  en 
1814  en  la  personne  de  Louis-François-Joseph  de  Bourbon, 
prince  de  Conli.  En  novembre  1815  Louis  XVIII  accorda  aux 
lils  naturels  de  ce  prince,  MM.  d'Hattonviile  et  de  Remon- 
ville,  la  permission  de  porter  le  nom  et  les  armes  de  Bour- 
bon-Conti. On  prétend  que  le  prince  avait  encore  eu  une 
fille  naturelle,  la  comtesse  Gabrielie-Louise  de  Mont-Cair- 
Zaïm,  née  en  1762,  morte  à  Paris  en  1825,  chevalière  de 
la  Légion  d'Honneur,  après  avoir  longtemps  servi  avec 
distinction  dans  un  régiment  de  dragons.  C'est  dans  les  mé- 
moires qu'elle  a  elle-même  publiés,  en  1798,  que  Gœlhe  a 
puisé  le  sujet  de  son  drame  :  Eugénie  ou  la  Fille  na- 
turelle. 

BOURBOIV  (Charles,  duc  de  Bourbonnais,  dit  le  con- 
nétable de).  Le  nom  de  ce  prince  infortuné,  l'un  des  plus 
fiers  génies  qu'ait  enfantés  ce  seizième  siècle ,  si  fécond  eri 
hommes  extraordinaires,  ne  se  présente  à  notre  mémoire 
qu'environné  d'une  majesté  sombre  et  fatale,  d'une  sorte 
d'auréole  orageuse  qui  attriste  la  pensée  :  l'élévation,  la  ma- 
gnanimité de  son  caractère,  sa  supériorité  politique  et  mi- 
litaire sur  tous  les  princes  français  ses  contemporains,  ses 
habitudes  austères  et  taciturnes  au  milieu  d'une  cour  bruyante 
et  dissolue,  sa  constance  et  son  incroyable  fertilité  de  res- 
sources dans  le  malheur,  tout,  jusqu'au  grand  problème 
historique  dont  sa  mort  emporta  le  secret,  frappe  vivement 
l'imagination.  Si  le  hasard  de  la  naissance  lui  eût  fait  faire 
un  pa-;  de  plus,  s'il  leilt  fait  roi  de  France  à  la  place  de 
l'inhabile  François  1'"',  Charles  de  Bourbon  eût  brisé 
dans  son  premier  essor  les  ailes  de  l'aigle  autrichienne,  et 
mis  l'Europe  à  ses  pieds  :  né  sur  le  trône,  il  eût  été  la  gloire 
et  l'idole  de  la  France  ;  premier  prince  du  sang,  il  se  vit 
réduit  à  en  être  le  fléau. 

Charles  Monsieur,  second  fils  du  comte  de  Montpensier,  ne 
semblait  point  d'abord  appelé  à  un  avenir  de  puissance  et  de 
splenileur  ;  mais  la  mort  de  son  père  et  de  son  frère,  et  bientôt 
après,  celle  de  Pierre  II,  duc  de  Bourbonnais  ei  d'Auvergne, 
comte  de  Forez,  de  la  Marche,  etc.,  dernier  prince  de  la 
branche  aînée,  ouvrirent  devant  le  jeune  Charles  une  tout 
autre  carrière.  La  duchesse  douairière  de  Bourbonnais,  la 
célèbre  Anne  de  Beau  jeu,  fille  de  Louis  XI,  rompant  les 
engagements  de  son  époux  avec  le  duc  d'Alençon,  accorda 
au  comte  de  Montpensier  la  main  de  sa  fille  unique  Susanne; 
et  les  vastes  possessions  des  deux  branches  se  trouvèrent 
réunies  entre  les  mains  de  l'homme  le  plus  remarquable 
qu'eût  jamais  produit  la  tige  des  Bourbons.  Étranger  à  cette 
lièvre  de  plaisir  et  de  galanterie  qui  enflammait  autour  de 
lui  la  haute  noblesse,  rigoureux  observateur  de  ses  serments 
envers  une  jeimc  épouse  dont  il  estimait  la  douceur  et  les 


559 

vertus,  mais  dont  l'extérieur  repoussait  des  sentiments  plus 
tendres,  rien  n'arrachait  cet  enfant  de  dix-sept  ans  à  ses 
méditations  sur  l'art  de  la  guerre,  qui  venait  de  sortir  de  sa 
longue  enfance.  La  révolte  de  Gênes  contre  Louis  XII  (1507) 
lui  fournit  l'occasion  de  faire  ses  premières  armes  à  côté 
des  Bayard ,  des  La  Trémouille ,  des  La  Palice ,  dont  il  se 
montra  le  digne  élève,  et  bientôt  l'égal  :  dès  sa  seconde 
campagne,  dans  la  guerre  de  la  ligue  de  Cambrai  contre 
Venise  (1509),  on  le  voit,  à  peine  âgé  de  vingt  ans,  décider 
par  son  intrépidité  froide  et  réfléchie  le  succès  de  la  fameuse 
journée  d'Agnadel.  Sa  conduite  dans  cette  bataille  et  dans 
toute  l'expédition  l'avait  mis  en  si  haut  renom  près  des  gens 
de  guerre,  qu'on  s'attendit  généralement  à  le  voir  appelé  au 
commandement  général  des  armées  françaises  en  Italie,  après 
la  mort  glorieuse  de  Gaston  de  Foix  (1512);  une  sorte  de 
crainte  vague  et  de  prévention,  fondée  sur  le  peu  de  sym- 
pathie de  leurs  caractères,  arrêta  Louis  XII  :  Rien  7i'estpire 
que  l'eau  gui  dort,  disait  le  bon  roi  du  grave  et  silencieux 
Bourbon. 

La  malheureuse  campagne  de  Navarre,  où  le  roi  Jean 
d'Albret,  allié  de  France,  se  vit  enlever  ses  Etats  par  les 
Espagnols,  ne  fit  qu'ajouter  à  la  réputation  du  duc  Charles, 
qui  avait  seul  évité  les  fautes  désastreuses  des  autres  géné- 
raux, et  Louis  XII  se  décida  enfin  à  lui  confier  l'armée  d'I- 
talie ;  mais  les  forces  qu'il  lui  mit  entre  les  mains  étaient 
tellement  insuffisantes,  que  Charles  crut  devoir  refuser  le 
généralat.  Les  revers  de  la  Trémouille,  qui  avait  accepté  à 
son  relus,  témoignèrent  assez  de  la  sagacité  du  jeune  prince, 
et  bientôt  après  son  énergique  activité  sauva  la  Bour- 
gogne, ouverte  par  la  défaite  de  Novare  aux  inva.sions 
des  Suisses.  De  tels  services  effacèrent  tous  les  nuages  qui 
avaient  pu  s'élever  contre  lui  dans  l'esprit  de  Louis  XII  : 
les  plus  hautes  faveurs  attendaient  le  jeune  duc,  lorsque  la 
mort  enleva  le  Père  du  peuple. 

Le  nouveau  règne  s'ouvrit  sous  de  brillants  auspices  : 
ami  et  compagnon  d'armes  de  Charles,  François  F""  accom- 
plit à  son  égard  les  intentions  de  Louis  XII,  en  lui  décer- 
nant l'épée  de  connétable.  L'ne  discipline  presque  inconnue 
jusque  alors  s'établit  rapidement  dans  l'armée  :  tous  les 
moyens  d'agir  furent  préparés  en  silence,  et  lorsque  l'ran- 
çois  r''  se  précipita  vers  les  Alpes  avec  60,000  combattants 
la  politique  du  duc  Charles  avait  déjà  regagné  Gênes  à  la 
France  sans  coup  férir.  40,000  Suisses,  les  premiers  soldats 
de  l'Europe,  attendaient  les  Français  au  débouché  des  seules 
routes  réputées  praticables;  mais  François  l*""  effectue  son 
passage  au  travers  des  rochers  impénétrables  de  l'Argen- 
tière,  et  descend  dans  les  vallées  du  Piémont  ;  des  négocia- 
tions s'ouvrent  ;  la  paix  se  conclut  avec  les  Suisses  ;  mais 
la  perfide  éloquence  du  cardinal  de  Sion ,  légat  du  pape 
entraîne  les  montagnards  à  oublier  la  vieille  foi  helvétique- 
ils  se  précipitent  à  l'improviste  sur  l'aimée  française.  Tout 
était  perdu  sans  la  vigilance  du  connétable,  qui  fut  aveiti  à 
temps  de  l'approche  de  l'ennemi  ;  au  lieu  du  désordre  d'un 
bivouac,  les  Suisses  trouvèrent  une  armée  qui  les  attendait 
en  ligne  de  bataille. 

Nous  ne  décrirons  pas  ici  ce  combat  qui  dura  deux  jours 
entiers,  le  plus  terrible  que  nous  racontent  les  annales  de 
nos  pères.  Le  connétable,  qui  en  dirigea  tous  les  mouve- 
ments, s'y  montra  aussi  intrépide  homme  d'armes  que 
grand  capitaine  :  enveloppé  i)ar  un  des  bataillons  Suisses  aux- 
([uels  il  venait  d'arracher  l'artillerie  française,  il  y  eût  trouvé 
la  moil  sans  le  dévouement  de  quelques  chevaliers  du  Bour- 
bonnais ;  le  duc  de  Chàlelleraut,  son  frère,  fut  tué  à  ses 
côtés.  La  victoire  resta  indécise  jusqu'à  la  fin  du  second 
jour;  l'arrivée  d'un  corps  de  Vénitiens  au  secours  des  Fran- 
çais détermina  les  Helvéticns  à  la  retraite,  et  vingt  jours 
après  lu  bataille  de  Marignan  le  connétable  remit  aux 
mains  â-i  François  I*'',  avec-  les  clefs  de  la  citadelle  de  Milan, 
la  domination  de  toute  la  Louibanlie. 

Bourbon  voulait  profiler  de  ses  éclatants  succès  pour 


560 


BOURBON 


marcher  snr-le-champ  à  la  conquête  du  royaume  dcNaples; 
mais  l'adresse  du  pape  Léon  X  détourna  l'orage  :  Fran- 
çois l"  se  laissa  déterminer  àr  retourner  en  France,  laissant 
au  connétable  le  gouvernement  du  Milanez.  Charles  eut 
bientôt  à  dél'endre  contre  des  forces  bien  supérieures  ce 
fruit  de  ses  exploits.  Excité  par  les  intrigues  du  pape  et  du 
vieux  roi  d'Aragon ,  Ferdinand  le  Catholique ,  l'empereur 
Maxirailien  fondit  sur  la  Lombardie,  à  la  tôte  d'une  nom- 
breuse armée  allemande  et  suisse.  Trop  faible  pour  livrer 
bataille,  le  connétable  ne  déploya  pas  moins  d'habileté  dans 
la  guerre  défensive  que  d'audace  dans  l'agression  :  il  se 
maintint,  tantôt  dans  les  murs  de  Milan  ,  dont  il  écarta  les 
Impériaux,  tantôt  sur  les  bords  de  l'Adda,  vit  se  fondre  peu 
à  peu  (levant  lui  cette  masse  formidable  qui  devait  l'écraser, 
et  finit  par  en  rejeter  les  débris  hors  du  Milanez  (  1516  ). 

Ici  s'arrête  la  prospi'rité  de  cette  carrière  si  brillante  et  si 
pure;  Charles  de  Bourbon  entre  dans  la  seconde  période  de 
sa  vie!  Au  moment  où,  débarrassé  des  armées  de  l'empereur, 
il  se  dispose  à  exécuter  ses  projets  sur  Naples,  il  est  tout 
à  coup  privé  de  son  gouvernement  et  rappelé  en  France  :  on 
lui  refuse  non-seulement  le  payement  de  ses  appointements  et 
de  ses  pensions,  mais  le  remboursement  même  des  emprunts 
qu'il  a  contractés  pour  solder  les  défenseurs  du  Milanez;  et 
lorsque  la  guerre  vient  à  se  rallumer,  lorsque  François  l""^ 
marchedans  lesPays-Bas  contre  le  nouvel  empereur  Charles- 
Quint,  le  roi  ne  craint  pas  d'enlever  au  connétable  le  com- 
mandement de  l'avant-garde ,  essentiellement  attaché  à  sa 
charge ,  pour  le  donner  à  son  beau-frère,  le  duc  d'Alençon 
(1521  ).  Ces  affronts ,  qui  ont  déjà  ulcéré  profondément  l'âme 
altière  du  duc  Charles,  ne  sont  que  le  prélude  des  coups 
qu'on  se  prépare  à  lui  porter.  Il  avait  perdu  en  peu  de  temps 
son  épouse  et  trois  enfants  qu'elle  lui  avait  donnés  :  tout 
à  coup ,  en  dépit  de  ses  droits ,  fondés  à  la  fois  sur  la  loi 
salique  (elle  était  en  vigneur  pour  les  domaines  des  Bourbons 
comme  pour  la  couronne  de  France),  sur  le  testament  de  la 
duchesse  Susanne,  et,  disons  plus,  sur  l'affection  de  ses 
vassaux ,  une  action  en  revendication  est  intentée  en  parle- 
ment contre  le  connétable,  au  nom  de  madame  Louise  de 
Savoie,  duchesse  d'Angoulême,  mère  du  roi ,  comme  la  plus 
proche  parente  et  l'héritière  légitime  de  Susanne  de  Bourbon. 
Cette  prétention  insoutenable  ne  fut  abandonnée  qu'en  faveur 
d'une  autre  plus  inique  encore,  celle  de  la  réversion  à  la  cou- 
ronne des  domaines  des  Bourbons,  par  l'extinction  de  la 
branche  aînée.  Après  un  an  de  délibération  (août  1523),  le 
parlement  appointa  les  parties  au  conseil,  et  ordonna  le 
séquestre  des  biens  en  litige. 

Ces  inUkmes  persécutions  partaient  d'une  cause  plus  active 
et  moins  générale  que  l'ingratitude  et  la  mLliance  ordinaire 
des  cours.  Quelque  odieuse  qu'ait  été  dans  ces  circonstances  la 
conduite  de  François  T"",  il  n'était  pas  le  princi[)al  coupable. 
La  mâle  beauté  du  connétable ,  la  noblesse  de  ses  maniè- 
res, son  austérité  même  peut-être,  avaient  produit  depuis 
longtemps  une  impression  profonde  sur  la  mère  du  roi  : 
Louise  de  Savoie,  toute  puissante  sur  l'esprit  de  son  fils, 
spirituelle,  intrigante,  belle  encore,  s'était  llattée  d'enchaîner 
à  son  char  le  sévèie  Bourbon;  ce  (ut  en  grande  partie  à  ses 
bons  oflices  qu'il  dut  l'épée  de  connétable ,  mais  elle  se  lassa 
promptement  de  le  voir  guerroyer  loin  d'elle  en  Italie,  et 
contribua  grandement  à  son  rappel  :  le  fier  connétable  ré- 
pondit mal  à  ce  qu'elle  attendait  de  lui,  et  dissimula  peu  son 
dégoût  pour  une  fcnnne  aussi  perverse  qu'immorale.  L'a- 
mour méprisé  se  tourna  en  haine  furieuse,  et  Louise  n'as- 
pira plus  qu'à  la  perte  du  ducCharles  ;  elle  se  livra  sans  réserve 
aux  avis  du  chancelier  Duprat,  le  pire  des  bipèdes,  comme 
l'appelle  un  contemporain.  De  là  le  fatal  procès,  de  là  les 
résolutions  désespérées  où  ne  tarda  pas  à  se  précipiter  le 
malheureux  prince.  Les  outiages  dont  il  s'était  vu  l'objet 
avaient  exercé  sur  son  caiactèrc  une  influence  funeste  :  aigri , 
poussé  à  bout,  il  s'était  familiarisé  peu  à  peu  avec  des  idées 
qui  l'eussent  frappe  d'horreur  quelques  annéivs  auparavant. 


et  les  propositions  de  l'astucieux  Charles-Quint  le  trouvèrent 
prêt  à  tout  oser  pour  se  venger. 

Il  conclut  un  traité  secret  avec  l'empereur  et  le  roi  d'An- 
gleterre pour  la  ruine  de  François  1"  et  celle  de  la  France. 
Il  devait  recevoir,  avec  la  main  d'Éléonore  d'Autriche,  sœur 
de  l'empereur,  l'investiture  d'un  royaume  composé  de  ses 
domaines  et  des  provinces  de  l'ancien  royaume  de  Bour- 
gogne :  le  reste  de  la  France  devait  se  partager  entre  les  al- 
liés. Une  lettre  qui  ordonnait  au  connétable  de  rejoindre  le 
roi  à  l'armée  d'Italie,  sans  doute  en  qualité  d'otage,  ap- 
prit à  Bourbon  qu'il  était  au  moins  fortement  soupçonné  ; 
cependant  François  l'"^  tenta  un  effort  pour  regagner  ce 
dangereux  sujet  :  il  l'alla  trouver  à  Moulins ,  où  il  était  ma- 
lade, et  lui  promit  satisfaction  sur  tous  ses  griefs;  mais  il 
était  trop  tard  ;  Bourbon  ne  répondit  que  par  la  dissimula- 
tion à  des  offres  qu'il  croyait  peu  sincères  ;  les  délais  réitérés 
qu'il  opposa  aux  ordres  du  roi,  et  les  révélations  de  deux  de 
ses  complices  décidèrent  enfin  François  1"^  à  commander  au 
maréchal  de  Chabannes  de  le  lui  amener  mort  ou  vif.  Hors 
d'('tat  de  résister,  le  connétable  ne  jugea  point  à  propos  de 
soutenir  un  siège  dans  Chantelle,  oîi  il  s'était  retiré,  et,  licen- 
ciant sa  maison,  il  se  jeta  dans  les  montagnes,  suivi  d'un 
seul  gentil-homme.  Après  avoir  erré  longtemps  en  Auvergne, 
dans  le  Gévaudan ,  dans  les  Cévennes ,  il  gagna  la  Franche- 
Comté,  province  impériale,  où  il  fut  rejoint  par  un  grand 
nombre  de  ses  serviteurs,  échappés,  comme  lui,  aux  fers  de 
François  l".  Celui-ci,  effrayé  des  conséquences  d'une  telle 
défection  ,  envoie  offrir  par  deux  fois  au  duc  Charles  la  res- 
titution de  tous  ses  biens,  son  pardon  et  celui  de  ses  amis  : 
le  duc  hésita  sans  doute;  mais  il  n'osa  se  fier  aux  promesses 
d'un  prince  soumis  à  l'influence  de  Louise  et  de  Duprat,  et 
il  refusa.  Peu  de  temps  après,  il  était  lieutenant  général  des 
armées  impériales  en  Italie! 

Lautrec,  successeur  de  Bourbon  dans  le  gouvernement  du 
aiilanez,  n'avait  pas  tardé  à  reperdre  cette  belle  province, 
et  François  1"  venait  de  charger  son  favori  Bonnivetde 
reconquérir  de  Lombardie ,  Bonnivet,  le  plus  vain  et  le  plus 
arrogant  des  ennemis  du  duc  Charles.  Ce  fut  avec  une  joie 
farouche  que  Bourbon  se  vit  opposer  un  pareil  adversaire. 
Bonnivet,  forcé  à  la  retraite  par  ses  fautes  et  par  la  déser- 
tion des  mercenaires  suisses,  qui  faisaient  l'élite  de  son 
infanterie ,  fut  atteint  par  son  rival  au  passage  de  la  Sechia. 
Blessé  gravement ,  le  général  français  fut  obligé  de  quitter 
le  champ  de  bataille,  et  bientôt  après  le  brave  Bayard 
tomba  frappé  d'un  coup  mortel  en  soutenant  le  choc  à  la 
tête  de  l'arrière-garde.  Le  connétable  arriva  comme  il  allait 
rendre  le  dernier  soupir.  «  Ah  !  s'écria-t-il ,  Bayard ,  que  je 
vous  plains!  —  Non,  monseigneur,  c'est  vous  qu'il  faut 
plaindre  !  »  murmura  en  expirant  le  dernier  des  chevaliers. 
Bourbon  passa  outre ,  la  tête  baissée  et  sans  répondre. 

Le  procès  criminel  qu'on  faisait  instruire  contre  lui  à  Pa- 
ris lui  rendit  toute  sa  fureur,  et  il  répondit  aux  sommations 
juridiques  en  se  présentant  sur  la  frontière  à  la  tête  d'une 
armée  victorieuse.  Son  projet  était  de  marcher  sur  Lyon 
pour  pénétrei  dans  le  centre  de  la  France  et  y  exciter  une 
révolution  :  l'empereur  Charles-Quint  l'obligea  d'entre- 
prendre à  contre-tnur  le  siège  de  Marseille,  où  il  perdit  un 
temps  précieux;  la  disette,  les  maladies  et  surtout  la  résis- 
tance héroïque  des  habitants  le  contraignirent  enfin  de  lever 
un  siège  pendant  lequel  il  s'était  vu  abreuvé  de  dégoûts  par 
les  généraux  de  rem|>creur,  ses  collègues.  La  mort  dans 
le  cœur,  il  repassa  enfin  les  Alpes,  poursuivi  par  40,000 
hommes,  que  commandait  François  V  en  personne  (1524). 
Sa  situation  semblait  désespérée.  Tout  à  coup  il  quitte  se- 
crètement son  camp,  vole  à  Turin  chez  le  duc  de  Savoie, 
en  obtient  des  valeurs  considérables  en  or  et  en  pierreries, 
passe  en  Allemagne ,  cette  pépinière  inépuisable  de  hardis 
aventuriers,  et  reparaît  soudain  en  Lombardie  à  la  tête  de 
13,000  soldats  d'élite.  Réunissant  aux  troupes  espagnoles  et 
italiennes  ce  redoutable  renfort,  il  marche  droit  à  Pavie. 


BOURBON 


561 


qtrassit'seait  François  I"  arec  le  gros  de  son  année.  On 
sait  ce  qui  en  advinJ  et  quel  fut  le  résultat  de  la  bataille 
de  Pavie. 

Si  Chailes-Quint,  pour  lequel  le  connétable  venait  de 
vaincre ,  eut  eu  le  génie  et  l'audace  de  son  lieutenant ,  s'il 
l'eût  mis  à  môme  de  réaliser  ses  vastes  projets ,  il  est  im- 
possible de  calculer  quelles  eussent  été  les  suites  de  la  jour- 
née de  Pavie  ;  mais  l'empereur  perdit  le  temps  à  négocier 
avec  son  prisonnier  :  peu  confiant  dans  les  intentions  de 
Bourbon  ,  il  songea  moins  à  profiter  immédiatement  de  la 
victoire  qu'à  soustraire  au  coiuiétable  l'illustre  vaincu,  dont 
la  possession  rendait  le  duc  Charles  l'arbitre  des  événe- 
ments. François  T''  fut  embarqué  pour  l'Espagne  à  l'insu 
de  Bourbon;  celui-ci,  dévorant  son  dépit,  suivit  son  captif 
en  Castille,  où  la  réception  magnifique  de  Cbarles-Quint  ne 
dut  pas  le  dédommager  de  l'animads  ersion  des  Espagnols , 
dont  la  loyauté  repoussait  en  lui  un  transfuge.  Charles  de 
Bourbon  semblait  destiné  à  être  toute  sa  vie  la  victime  de 
l'ingratitude  des  rois  ;  Cbarlcs-Quint  abandonna  presque  en- 
tièrement les  intérêts  de  son  allié  dans  le  traité  qu'il  accorda 
enfin  à  François  F"",  et  lui  enleva  la  main  de  sa  sœur,  si 
solennellement  promise,  pour  la  donner  au  roi  de  France; 
on  assure  même  qu'il  empêcha  le  monarque  vaincu  d'offrir 
à  Bourbon  Marguerite  de  Valois  en  gage  de  réconciliation. 
L'empereur  s'efforça  cependant  d'apaiser  le  juste  ressenti- 
ment du  connétable  par  la  promesse  de  la  souveraineté  du 
Milanez.  Bourbon  n'avait  d'autre  parti  à  prendre  que  l'ac- 
ceptation ;  le  traité  de  Madrid,  qui  du  moins  lui  assurait  la 
restitution  de  ses  biens ,  venait  d'être  mis  à  néant  par  Fran- 
çois l",  de  retour  dans  son  royaume.  Il  se  rembarqua,  mais 
sa  situation  devenait  de  plus  en  plus  difficile  :  9  h  10,000 
soldats  épuisés  par  la  débauche  et  les  maladies,  voilà  tout 
ce  qu'il  pouvait  opposer  à  .35,000  ennemis  qui  le  pressaient 
de  toutes  parts  :  il  eut  recours  une  seconde  fois  à  l'expédient 
qui  l'avait  déjà  sauvé.  A  son  appel  se  levèrent  les  plus  braves 
aventuriers  de  l'Allemagne,  et  il  se  vit  de  nouveau  à  la  tète 
de  25,000  hommes,  déterminés  à  le  suivre  partout,  fiit-ce  en 
enfer,  disaient-ils  eux-mêmes.  Bourbon  commença  alors  à 
se  relâcher  de  sa  circonspection ,  et  à  se  montrer  en  maître 
dans  le  Milanez,  sans  attendre  l'investiture  impériale  :  les 
places  les  plus  importantes  du  duché  de  Parme  furent  don- 
nées à  des  Français,  compagnons  d'exil  du  connétable,  et  il 
revêtit  ostensiblement  de  sa  confiance  le  Milanez  JMoroni, 
l'ennemi  le  plus  implacable  de  l'Espagne. 

11  quitta  enfin  Milan  vers  la  fin  de  152G,  et,  rassemblant 
tous  les  corps  de  son  armée  ,  il  se  porta  rapidement  hors  de 
la  Lombardie,  menaçant  également  Plaisance,  Modène  et 
Bologne.  Toute  l'Italie  était  dans  l'attente  :  personne  ne 
connaissait  le  but  de  l'expédition,  pas  même  les  comi)agnons 
d'armes  de  l]ourbon,  auxquels  il  avait  promis  seulement 
avec  mystère  de  les  mener  en  un  lieu  où  ils  se  pourraient 
enrichir  à  jamais.  Après  plusieurs  mois  de  marches  et  de 
contre-marches  à  travers  les  armées  papale,  vénitienne  et 
française,  beaucoup  plus  fortes  que  la  sienne,  après  des  sé- 
ditions où  il  courut  risque  delà  vie,  et  où  il  n'apaisa  ses 
soldats,  irrités  et  fatigués,  que  par  l'abandon  de  tous  les 
débris  de  sa  fortune,  saisissant  l'instant  qu'il  jugea  favo- 
rable, il  ai)piit  enfin  à  son  armée  où  il  la  conduisait.  Le 
nom  de  l'opulente  et  gigantesque  capitale  du  monde  chrétien 
fut  accueilli  avec  des  acclamations  frénétiques;  on  aban- 
donna les  bagages,  l'artillerie  même,  et  une  course  d'une 
incroyable  célérité  transporta  les  aventuriers  sous  les  murs 
de  Rome.  C'était  le  soir  du  5  mai  1527  ;  il  fallait  agir 
promjjtement  :  les  armées  italiennes  n'étaient  pas  loin  ;  se 
trouver  entre  elles  et  Rome,  c'était  s'exposera  une  perte 
certaine.  L'attaque  fut  donc  fixée  au  lendemain,  à  la  pointe 
du  jour.  Les  Romains,  excités  par  le  clergé  à  une  vigou- 
reuse résistance  contre  un  ramassis  de  brigands,  pour  la 
plupart  hérétiques,  couvraient  au  loin  les  reniparts  de  l'im- 
uiensc  cité.  Bourbon  opéra  ses  approches  à  la  faveur  d'un 

DICT     DE    LA    CONVEKS.    —   T.    Ul. 


épais  brouillard  ;  puis,  an  leVerdu  soleil,  il  fait  sonner  la 
cliarge ,  et,  s'avançant  vers  une  brèche  que  le  hasard  lui  a 
fait  découvrir,  il  plante  le  premier  l'échelle  contre  l'escar- 
pement intérieur,  et  s'élance  à  l'assaut;  au  même  instant 
un  coup  d'arquebuse ,  parti ,  dit-on ,  de  la  main  du  fameux 
Benvenuto  Cellini ,  le  renverse  mortellement  blessé  dans  le 
fossé.  Ses  dernières  paroles  furent  un  ordre  de  cacher  sa 
mort  à  l'armée  ;  mais  cette  fatale  nouvelle  ne  tarda  pas  à  être 
connue,  et,  loin  de  produire  l'effet  décourageant  qu'il  redou- 
tait ,  elle  ne  fit  que  redoubler  la  rage  du  soldat ,  dont  l'im- 
pétuosité devint  irrésistible,  et  Rome,  emportée  d'assaut, 
put  se  croire  de  nouveau  au  temps  d'Alaric  et  des  Van- 
dales. 

Ainsi  finit  Charles  de  Bourbon,  au  moment  où  il  allait 
peut  être  poser  sur  son  front  la  couronne  d'Italie,  et  tour- 
ner contre  l'Empire  et  l'Espagne  cette  épée  invincible  qui 
avait  brisé  la  fortune  de  François  T"".  La  haine  de  Fran- 
çois 1^""  et  de  Madame  survécut  à  leur  ennemi;  ils  firent 
reprendre  son  procès  au  parlement,  et  lancer  contre  celui 
qu'ils  ne  craignaient  plus  désormais  un  arrêt  d'infamie  et 
de  confiscation  ;  mais  Charles-Quint ,  affectant  envers  la 
mémoire  de  son  dangereux  allié  une  fidélité  magnanime , 
exigea  de  François  F"",  par  un  article  du  traité  de  Cam  brai, 
l'annulation  de  cette  procédure  et  la  restitution  des  biens  du 
connétable  à  ses  héritiers  légitimes.  Henri  Martin. 

BOURBOIV  (Antoine  de),  roi  de  Navarre ,  père  de 
Henri  IV  et  fils  de  Charles  de  Boijrbon ,  duc  de  Vendrtme, 
naquit  en  1518.  Il  fut  d'abord  nommé  duc  de  Vendôme,  de- 
vint, de  son  chef,  premier  prince  du  sang  de  France,  et 
épousa,  en  154S,  Jeanne  d'Albret,  héritière  de  Navarre, 
qui  lui  apporta  en  dot  la  vicomte  de  Béarn ,  la  Basse-Na- 
varre française  et  le  titre  de  roi.  Ce  prince,  intrépide  mais 
irrésolu,  flotta  presque  constamment  entre  les  deux  reli- 
gions et  les  deux  partis  qui  divisaient  la  France.  Après  ta 
mort  de  Henri  II,  le  connétable  de  Montmorency,  pour 
balancer  le  crédit  des  Guises ,  le  pressa  de  venir  prendre  sa 
place  an  conseil  du  nouveau  roi  de  France  ;  mais  Antoine 
n'osa  se  fier  d'abord  à  Montmorency,  qui  avait  conseillé  au- 
trefois à  Henri  II  de  s'emparer  du  dernier  lambeau  de  son 
royaume  de  Navarre  envahi  aux  trois-quarts  par  Ferdinand 
le  Catholique  ;  et  lorsqu'il  se  fut  décidé  à  faire  le  voyage  de 
Paris,  il  n'y  arriva  que  pour  entendre  François  II  lui  dé- 
clarer qu'il  avait  confié  les  rênes  du  gouvernement  à  ses 
oncles  les  Guises.  Pour  l'éloigner  au  plus  vite,  on  le  chargea 
de  conduire  à  la  frontière  la  princesse  Elisabeth  de  France, 
qui  allait  épouser  le  roi  d'Espagne  Philippe  IL 

Rebuté,  il  se  réfugie  en  Béarn,  où,  par  son  irrésolution, 
il  se  perd  dans  l'esprit  des  Huguenots,  qui  n'attendaient 
qu'un  chef  pour  prendre  les  armes.  Le  prince  de  Condé, 
son  frère ,  plus  entreprenant,  met  tout  en  œuvre  pour  l'en- 
traîner dans  sa  révolte.  Les  deux  frères  sont  mandés  à  Paris. 
Antoine  refuse  tout  secours  de  la  noblesse,  et  veut  se  pré- 
senter armé  de  sa  seule  innocence.  Apprenant  que  les 
Guises  ont  arraché  à  François  II  l'autorisation  de  l'assas- 
siner :  «  S'ils  me  tuent,  dit-il  à  son  genti!hon>me  Reinsy, 
portez  à  ma  femme  et  à  mon  fils  mes  habits  sanglants;  ils 
sauront  ce  qui  leur  reste  à  faire.  »  11  entre  calme  et  intré- 
pide dans  la  salle  du  conseil ,  et  impose  à  ses  ennemis,  qui 
n'osent  attenter  à  ses  jours.  Mais  les  dangers  qui  le  me- 
nacent après  la  condamnation  de  Condé  le  décident  à 
abandonner  la  régence  à  Catherine  de  Médicis  pendant  la 
minorité  de  Charles  IX,  à  servir  la  reine-mère,  dont  il  est 
haï,  et  à  se  réconcilier  même  avec  les  Guises,  qui  lui  pro- 
mettent sans  cesse  la  lestitulion  de  son  royaume  de  Navarre, 
ou  la  Sardaigne  en  échange. 

Détaché  dès  lors  des  Huguenots,  il  ombrasse  la  religion 
catholique,  renvoie  en  Béarn  Jeanne  d'.^lbret,  après  lui 
avoir  enlevé  l'éducation  du  jeune  Henri,  et  forme  avec  le 
duc  de  Guise  et  Montmorency  ce  que  les  protestants  ap- 
pelleut  le  triumvirat.  La  guerre  civile  allumée,  Condé, 

71 


£62 


BOURBON 


<  lief  des  IIii£;ii<>nols,  s'approcTie  en  armes  de  Fontainebli^au , 
ou  se  trouvent  la  cour,  son  frère  Antoine  et  Catherine, qui, 
alors  d'intelligence  avec  Coudé,  voulait  se  remettre  entre 
ses  mains.  Antoine,  gagné  (lar  les  Guises,  force  la  reine 
hésitante  à  ramener  le  roi  à  Paris.  Au  milieu  des  hostilités, 
les  deux  frères  eurent,  en  présence  de  Catherine,  à  Thourie 
(lile-et-Viiaine)  une  entrevue  dans  laquelle  ils  échangèrent 
It^s  plus  sanglants  reproches.  On  rompit  la  conférence  pour 
leprendre  les  armes. 

L'amour  d'Antoine  pour  la  belle  du  Rouet ,  demoiselle 
d'honneur  de  Catherine,  le  retenait  dans  le  parti  catholique. 
S'étant  mis  à  la  têle  de  l'armée  royale,  il  fil  échouer,  à 
l'ouverture  de  la  campagne  de  15C2,  là  première  attaque  de 
Coudé,  et  soumit  les  villes  de  Bourges,  Blois  et  Tours.  Blessé 
dans  la  tranchée  d'un  coup  de  mousqueton  au  siège  de 
Rouen,  il  s'y  fit  porter  sur  son  lit  par  ses  suisses,  et  entra 
[)ar  la  bréclie  dans  la  |)lacc.  Sa  blessure,  qui  n'était  pas 
rriorlelle,  le  devint  par  son  incontinence.  Pressé  de  revenir 
à  Paris,  et  remontant  la  Seine  en  bateau,  une  fièvre  ar- 
dente et  des  douleurs  aiguës  l'obligèrent  à  se  faire  débar- 
quer aux  Andclys,  où  il  expira,  le  17  novembre  I&62,  peu 
regretté  des  catholiques  et  en  horreur  aux  protestants,  qu'il 
avait.abandonnés.  Les  Parisiens  prétendirent  ironiquement 
qu'en  ouvrant  son  corps  on  n'y  avait  trouvé  ni  cœur  ni  fiel. 
Il  avait  dû  épouser  Marie  Stuait,  mariage  qui,  au  lieu  des 
restes,  toujours  contestés,  du  royaume  de  Navarre,  lui  eût 
apporté  l'Ecosse  et  peut-être  la  Grande-Bretagne. 

BOURBOIV  (Charles  de),  fils  du  duc  de  Vendôme, 
cardinal,  archevêque  de  Bouen  et  légat  d'Avignon,  oncle 
paternel  d'Henri  IV,  né  le  22  décembre  1523,  n'appartient 
à  l'histoire  que  par  le  rôle  du  roi  que  lui  firent  jouer  les 
Guises.  Il  fut  reconnu  roi  sous  le  nom  de  Charles  X  par  la 
ligue  et  par  toutes  les  villes  et  les  provinces  qui  suivaientce 
parti,  c'est-àdire  par  la  majorité  de  la  France;  et  pendant 
plusieurs  années  les  actes  du  gouvernement  et  les  arrêts 
«les  parlenienis,  notamment  de  celui  de  Dijon,  furent 
rendus  au  nom  de  Charles  X.  A  ce  titre  il  joignit  celui  de 
protecteur  de  la  religion  en  France,  qui  après  lui  lut  con- 
féré à  Philippe  II,  roi  d'Espagne. 

Le  cardinal  de  Bourbon  devait  tout  aux  Valois,  et  il  ne 
fut  qu'ingrat  à  l'égard  d'Henri  III  ;  mais  c'était  pour  lui  un 
devoir  de  ne  pas  compromettre  les  droits  éventuels  de  son 
neveu  le  roi  de  Navarre.  Le  premier  acte  de  son  prétendu 
règne  fut  un  manifeste  qui  invitait  tous  ses  sujets  à  main- 
tenir la  couronne  dans  la  hr.iudie  calholique;  et  alin  que 
rien  ne  manquât  à  cette  parodie,  les  Guises  l'avaient  déter- 
minée épouser  la  duchesse  douairière  leur  mère.  Jusque  alors 
le  cardinal  n'avait  manifesté  son  dévouement  à  la  ligue  que 
par  des  processions  et  des  prières  de  quarante  heures  ;  il 
n'avait  même  signé  l'umo7i  qu'à  la  sollicitation  du  duc  de 
Nevers. 

Il  fallait,  pour  associer  les  masses  à  cette  singulière  ré- 
volution dynastique,  parler  à  leurs  passions,  à  leurs  inté- 
rêts. Les  Guises  se  gardèrent  de  joindre  au  nom  du  vieux 
Bourbon  sa  qualité  de  cardinal.  Une  proclamation  solennelle 
fut  adressée  à  tous  les  Français  par  la  confédération  ca- 
tholique; elle  promettait  le  maintien  des  privilèges  de  la 
noblesse,  l'abolition  des  impôts  introduits  depuis  Charles  IX, 
le  maintien  des  droits  des  parlements  et  de  l'autorité  des 
étals. 

Ce  manifeste  fut  le  prélude  d'une  commotion  générale, 
le  duc  de  Guise,  régnant  sous  le  nom  de  Charles  de  Bour- 
bon, comme  il  avait  régné  sous  celui  du  dernier  des  Valois, 
s'empara,  au  nom  de  la  sainte  ligue,  de  Verdun,  de  Châ- 
lons  et  d'autres  villes.  Henri  III  flottait  incertain  entre  la 
ligue  elles  Huguenots,  dont  le  roi  de  Navarre  était  le  chef. 
Enfin  il  signa  le  traité  de  Nemours,  que  lui  imposèrent  les 
Guises, et  pcndantqu'il  acceptait  d'eux  ces  conditions  hon- 
teuses, le  cardinal  de  Bourbon  était  reconnu  roi  à  Paris  et 
dans  toutes  les  cours  souveraines  de  France.  En  fait-  ils  ne 


régnaient  ni  l'un  ni  l'autre.  Le  cardinal  avait  quitté  la 
pourpre  et  pris  la  cuirasse,  et  se  couvrait  de  Tune  ou  de 
l'autre  suivant  la  circonstance;  il  ne  s'occupait  nullement 
des  affaires  de  l'État,  mais  beaucoup  de  processions.  Henri  III 
en  faisait  autant,  et  les  deux  rois  se  trouvèrent  souvent  en- 
semble aux  mêmes  processions.  La  royauté  de  Charles  de 
Bourbon  datait  de  1585. 

Cependant  le  cardinal  lui-même  ne  se  regardait  que 
comme  l'héritier  présomptif  de  la  couronne,  ainsi  qu'il  le 
déclarait  à  Henri  III  dans  un  entretien  qu'il  eut  avec  ce 
prince  au  château  deGaillon.  Le  vieux  cardinal  n'avait  que 
par  moment  la  velliété  de  régner,  et  il  s'exprimait  tout  dif- 
féremment dès  qu'il  se  trouvait  avec  le  président  de  Harlai 
et  avec  ses  confidents  intimes.  «  Ne  crois  pas,  disait-il  à 
l'un  deux,  que  je  me  sois  accommodé  sans  raison  avec  ces 
gens-ci  (les  ligueurs)  ;  penses-tu  que  je  ne  sache  pas  bien 
qu'ils  en  veulent  à  la  maison  de  Bourbon,  et  qu'ils  n'eussent 
pas  laissé  de  faire  la  guerre  quand  je  ne  me  fusse  pas  joint 
à  eux  .'Pour  le  moins,  tandis  que  je  suis  avec  eux,  c'est 
toujours  Bourbon  qu'ils  reconnaissent.  Le  roi  de  Navarre, 
mon  neveu,  cependant,  fera  sa  fortune.  Ce  que  je  fais  n'est 
que  pour  la  conservation  du  droit  de  mes  neveux  ;  le  roi  el 
la  reine  en  savent  bien  mon  inlention.  «  Il  est  juste  de 
faire  remarquer  que  le  cardinal  écrivait  dans  le  même  sens 
à  Henri  IV;  mais  il  était  alors  prisonnier,  et  sa  monomanie 
de  royauté  ne  put  tenir  contre  le  besoin  d'obtenir  sa  liberté. 

Les  Guises  persistaient  à  faire  reconnaître  le  cardinal  de 
Bourbon  pour  roi  par  tous  leurs  adhérents;  ils  ne  purent 
y  parvenir  qu'en  partie.  Les  Français,  quelle  que  fût  leur 
croyance  religieuse ,  pouvaient  difficilement  s'habituer  à 
avoir  pour  roi  im  prêtre,  lût-il  cardinal.  L'incapacité  légale  de 
Charles  de  Bourbon  était  encore  une  chance  de  succès  pour  les 
Guises.  Henri  III  lui-même  se  prêtait  merveilleusement  à  la 
réussite  de  leurs  desseins;  ce  pnnce  sajis  caractère  venait 
d'exclure  Henri  de  Navarre  de  la  succession  éventuelle  au 
trône,  en  désignant  le  cardinal  de  Bourbon  pourson  .successeur. 
Il  lui  donna,  par  son  édit  du  16  août  1588,  droit,  en  qualité 
de  son  plus  proche  parent,  d'accorder  des  maîtrises  dans 
toutes  les  villes  du  royaume  ;  et  les  officiers  et  domestiques 
de  la  maison  du  cardinal  furent,  comme  ceux  de  la  maison 
du  roi,  exemptés  d'impôts.  Ce  droit  d'accorder  des  maîtrises 
était  une  prérogative  toute  royale.  Les  ligueurs  se  préva- 
lurent de  cet  édit  pour  faire  reconnaître  le  cardinal  sinon 
comme  prince  régnant,  du  moins  comme  imique  et  légitime 
héritier  de  la  couronne;  et  lorsque  l'édil  fut  présentée  l'en- 
registrement du  parlement  de  Paris,  François  Holuan  in- 
terpréta l'édit  dans  ce  sens. 

Henri  III,  ayant  fait  assassiner  Henri  de  Guise,  avait 
par  le  même  motif  fait  arrêteret  conduire  au  château  de  Fou- 
tenai-le-Comte  le  cardinal  de  Bourbon.  Les  ligueurs  ne  con- 
tinuèrent pas  moins  à  l'appeler  lecardina/-roj.Mendoze,  am- 
bassadeur du  roi  d'Espagne,  fil  déférer  an  roi  son  maître  le 
titre  de  protecteur  de  la  France  avec  tous  les  droits  attribués  a 
la  régence  pendant  la  captivité  du  cardinal-roi,  vi  le  conseil 
des  Sei-ze  donna  la  plus  grande  publicité  au  projet  de  trailé 
qu'il  était  prêt  à  souscrire  avec  le  roi  d'Espagne.  On  distri- 
buait en  même  temps  dans  Paris  et  les  principales  villes  de 
province  des  médailles  à  l'effijiie  du  cardinal  avec  le  nom 
de  Charles  X.  Le  21  novembre  1589  un  arrêt,  rendu  sur  les 
conclusions  conformes  du  procureur  général,  avait  ordonné 
à  tous  les  Français  de  reconnaître  pour  roi  Charles  X,  héri- 
tier de  la  couronne  de  Henri  III,  récemment  assassiné  par 
le  moine  Jacques  C  16  ment,  et  de  consacrer  leurs  biens 
et  leurs  vies  à  le  tirer  de  prison.  Le  même  arrêt  maintenait 
le  duc  de  Mayenne  dans  la  charge  de  lieutenant  général  du 
royaume,  jusqu'à  ce  que  le  roi  (  Charles  X  )  jouit  d'une  en- 
tière et  pleine  liberté.  Le  cardinal,  toujours  prisonnier  dans 
le  château  de  Fontenai-le-Comte,  y  mourut  de  la  pierre,  en 
1599,  âgé  de  soixanle-dix  ans.  «  Il  fut,  dit  de  Thou,  dévot 
jusqu'à  ia  superstition;  du   reste,  libéral,  voluptueux,  cré- 


I 


BOURBON 


>63 


diilc  à  l'excès;  il  ajoutait  foi  aux  astrologues,  qui  en  lui 
faitant  espérer  de  monter  un  jour  sur  le  trône  devinrent  la 
cause  de  sa  perte.  «  Dlfey  (  de  l'YonDe). 

Un  autre  Charles  de  Bourbon,  dit  le  jeune,  ou  encore 
le  cardinal  de  Vendôme ,  neveu  du  précédent ,  se  fit  chef 
du  tiers  parti  après  la  mort  de  Henri  III.  Voyant  que 
Henri  IV ,  malgré  tous  les  avis  de  ses  partisans ,  hésitait  à 
embrasser  le  catholicisme,  il  se  crut  appelé  à  hériter  des 
droits  de  son  cousin  ,  incapable  de  monter  sur  le  trône 
comme  hérétique  obstiné.  Pierre  de  L'Étoile  ra[)porte  dans 
son  journal  que  le  tiers  parti,  dont  le  cardinal  s'était  fait  le 
chef,  entendait  non-seulement  se  débarrasser  de  Henri  IV  et 
des  princes  deConti  et  deMonfpensier,  mais  encore  faire  des 
conditions  à  Charles  de  Bourbon  en  le  proclamant  roi  ;  et  que 
sur  le  trône  ce  prince  aurait  joui  de  revenus  bien  moins  con- 
sidérables que  ceux  qu'il  tirait  de  ses  bénéfices.  L'intrigue 
montée  par  ce  parti,  qu'Henri  IV  appelait  en  riant  les  tier- 
celets,  échoua;  et  le  cardinal  de  Bourbon,  qui  en  fut  pour 
la  couronne,  dont  un  instant  U  s'était  cru  sûr,  en  tomba 
.malade  de  chagrin.  Le  roi  l'alla  voir  ;  et  toute  la  vengeance 
qu'il  tira  de  lui ,  ce  fut  de  lui  adresser  en  se  retirant  cette 
plaisanterie.  «  Mon  cousin  ,  prenez  bon  courage  ;  il  est  vrai 
que  vous  n'êtes  pas  encore  roi,  mais  le  serez  possible  après 
moi.  »  Le  cardinal  mourut  le  30  juillet  1594. 

BOURBON  (Nicolas),  l'ancien,  né  à  Vandeuvre,  près 
de  Bar-sur- Aube,  en  1503,  d'un  maître  de  forges,  excella 
tellement  dans  les  belles-lettres  ,  et  surtout  dans  la  langue 
grecque ,  que  Marguerite  de  Navarre  lui  confia  l'éducation 
delà  célèbre  Je  an  ne  d'Albret,  sa  fille,  mère  de  Henri  IV. 
Dégoûté  de  la  cour,  après  y  avoir  vécu  quelques  années,  il 
se  retira  à  Candé,  petite  ville  sur  les  confins  de  l'Anjou  et 
de  la  Touraine,  où  il  avait  un  bénéfice,  et  y  mourut  en  1550. 
Il  avait  cultivé  avec  succès  la  poésie  latine,  et  Érasme,  Paul 
Jove,  Joachim  de  Bellay  et  Sainte-Marthe  prisaient  ses 
Nvgie  (  bagatelles  ).  Scaliger,  au  contraire,  le  traite  de  poète 
qui  ne  mérite  aucune  considération. 

BOURBON  (Nicolas),  le  jetine ,  petit-neveu  du  précé- 
dent, naquitaussià  Vandeuvre,  en  1574,  fit  ses  études  à  Paris, 
sous  Passerai ,  et  devint  successivement  professeur  de  rhé- 
torique dans  les  collèges  de  Caivi  ,  des  Grassins  et  d'Har- 
court.  Le  parlement  ayant  supprimé  le  droit  du  landij,  que 
les  régents  levaient  sur  leurs  écoliers ,  il  s'en  vengea  par 
une  satire  (Indignatio),  qui  lui  valut  quelques  mois  de  pri- 
son. Le  cardinal  du  Perron  ,  pour  le  récompenser  de  sabelle 
imprécation  contre  les  assassins  de  Henri  IV,  le  nomma 
professeur  de  grec  au  Collège  de  France ,  fonctions  qu'il 
remplit  avec  distinction  de  ICll  à  1620  ;  il  entra  alors  dans 
la  congrégation  de  l'Oratoire.  Trois  ans  après,  il  fut  nommé 
chanoine  de  Langres,  et  en  1C37  membre  de  l'Académie 
Française,  où  il  alla  rejoindre  Balzac,  avec  qui  il  avait  «u  de 
violentes  disputes  littéraires.  Des  amis  communs  les  ré- 
concilièrent. En  le  faisant  admettre  pamii  ses  quarante,  le 
cardinal  de  Richelieu  avait  voulu  le  payer  de  quelques  ins- 
criptions qu'il  avait  faites  pour  sa  galerie.  L'auteur,  qui  écri- 
vait  aussi  bien  en  prose  et  poésie  latine  qu'il  écrivait  mal  en 
français,  convenait  de  bonne  foi  que  jamais  il  n'avait  élevé 
ses  prétentions  à  l'Académie  ,  et  Balzac  ne  le  croyait  guère 
propre  à  coopérer  au  grand  défrichement  de  notre  langue. 
Bourbon  mourutdans  la  maison  de  l'Oratoire,  en  1644. 
BOCRBOi\(Ile).  Voyez  Réunion  (lie  delà). 
BOURBON  (Théàtredu  PETIT-).  Tout  près  du  Louvre, 
du  côté  de  Saint-Germain  l'Auxerrois ,  aux  environs  de  la 
Seine ,  s'élevait  jadis  un  hôtel  qui  avait  appartenu  au  fa- 
meux connétable  Charles  de  Bourbon.  Lorsque,  par 
suite  de  sa  révolte,  il  eut  été  déclaré  traître  et  criminel  de 
lèse-majesté,  on  y  brisa  ses  armoiries,  on  y  sema  du  sel, 
on  en  fit  barbouiller  de  jaune  les  portes  et  les  fenêtres  par 
la  main  du  bourreau.  Cette  maison  prit  alors  le  nom  de 
Garde-Meuble  du  roi.  Elle  ne  fut  détruite  que  vers  l'an- 
oée  17G0.  Vis-à-vis  ou  à  côté,  sur  le  quai,  s'éleva  le  théâtre 


auquel,  en  raison  rte  ce  voisinage,  on  donna  le  nom  de 
Théâtre  du  Petit-Bourbon.  Nous  n'avons  pu  découvrir  l'é- 
poque précise  de  sa  fondation,  mais  il  existait  du  temps  ds 
C  ha  ri  es  IX,  et  c'est  d'une  de  ses  fenêtres  que  ce  prince 
pendant  le  massacre  de  la  Saint-Barthélémy,  tirait  avec 
une  arquebuse  sur  les  Parisiens  huguenots  qui  passaient 
l'eau  pour  se  sauver  au  faubourg  Saint-Germain.  Saint- 
Foix  dit  que  ce  fut  d'une  des  fenêtres  de  l'ancienne  maison 
du  connétable;  mais  il  aurait  fallu  que  le  roi  eût  traversé 
la  rue  pour  se  rendre  dans  cette  maison  ,  qui  ne  touchait 
pas  au  Louvre.  Le  liu^âtre,  au  contraire  ,  était  contigu  à  ce 
palais.  Lorsqu'à  la  fin  de  1792  la  Convention  nationale  fit 
placer  la  fameuse  inscription  qui  rappelait  le  sanguinaire  fa- 
natisme de  Charles  IX,  on  l'attacha  à  une  fenêtre  de  la  ga- 
lerie d'Apollon,    parce  que  le  reste  n'existait  plus. 

Ce  fut  sur  le  théâtre  du  Petit-Bourbon  que  lit  son  appa- 
rition, le  19  mai  1577,  une  troupe  de  comédiens  italiens, 
nommés  Gli  Gelosi,  qu'Henri  III  avait  appelés  de  Venise, 
et  qui  venaient  de  jouer  aux  états  de  Blois.  Comme  ils  ne 
prenaient  que  quatre  sols  par  personne,  ils  attirèrent  plus  de 
monde  qu'il  n'y  en  avait  pour  entendre  les  quatre  prédica- 
teurs les  plus  renommés  de  la  capitale.  Contrariés  par  di- 
vers arrêts  du  pariement ,  malgré  la  volonté  du  roi ,  qui  les 
soutenait,  ils  jouèrent  encore  au  mois  de  septembre;  maïu 
les  troubles  qui  agitèrent  le  royaume  les  forcèrent  do  pariir. 

Ce  fut  au  théâtre  du  Petit-Bourbon,  pour  la  noce  du  duc 
de  Joyeuse,  son  favori,  avec  mademoiselle  de  Vaudemont, 
sœur  de  la  reine  Louise  de  Lorraine,  qu'Henri  III  (it  e.xé- 
cuter,le  15  octobre  1581,  le  ballet  comique  de  la  reine, 
composé  et  dirigé  par  Baltazar  de  Beaojoyeulx ,  valet  de 
chambre  du  roi  et  de  la  reine  mère.  Dans  la  préface  de  la 
description  de  ce  ballet,  imprimée  en  1582,  in-4°,  avec 
ligures,  on  dit  que  la  salle  contenait  ce  jour-là  9 à  10,000 
spectateurs ,  nombre  exagéré  sans  doute  ,  car  dans  la  gra- 
vure qui  représente  cette  salle  on  n'aperçoit  que  deux  ga- 
leries ,  au-dessus  l'une  de  l'autre  ,  et  derrière  l'estrade  où 
étaient  placés  le  roi,  les  reines  et  les  personnes  de  la  cour 
un  amphithéâtre  de  quarante  banquettes.  D'ailleurs,  il  n'y 
avait  ni  scène  ni  parteiTe;  l'enceinte  était  comme  un  cirque 
ou  un  manège.  Un  orateur  s'avançait  devant  le  roi  pour  le 
haranguer,  et  les  autres  acteurs  venaient  y  jouer  leur  rôle 
et  se  retiraient  ensuite  dans  le  fond.  La  représentation  de  ce 
ballet  où  figuraient  presque  toutes  les  divinités  du  paga- 
nisme, dura  depuis  dix  heures  du  soir  jusqu'à  trois  heures 
a[irès  miniiit,.chose  extraordinaire  à  une  époque  où  tout  le 
monde  soupait  et  se  couchait  de  très-bonne  heure. 

Le  théâtre  du  Petit-Bourbon  était  probablement  fermé  de- 
puis longtemps,  lorsque  le  cardinal  Mazarin  y  fit  repré- 
senter, le  14  décembre  1645,  devant  Louis  XIV  et  la  reine 
Anne  d'Autriche,  le  premier  opéra  chanté,  La  Festa  tea- 
trale  delta  finta  Pazza,  de  Jules  Strozzi.  On  en  joua 
d'autres  les  années  suivantes.  Mazarin  avait  fait  venir  d'Jtalie 
les  musiciens,  les  chanteurs,  les  architectes  et  les  ouvriers 
nécessaires.  Le  machiniste  et  décorateur  Jacques  Torelli 
métamorphosa  la  salle  en  un  vaste  théâtre,  d'une  grande 
élévation  et  d'une  belle  profondeur.  Ses  décorations  et  ses 
machines  furent  tellement  goûtées,  qu'on  les  grava  en  taille- 
douce.  Ce  spectacle  de  1645  finit  par  des  ballets  de  J.-B. 
Baibi,  dans  lesquels  on  vit  danser  des  ours  ,  des  singes  et 
des  autruches.  En  janvier  1650  on  y  représenta  VAndro- 
mède  de  P.  Corneille.  Torelli  fut  encore  chargé  par  la  reine 
de  l'agrandissement  et  de  la  décoration  de  la  salle.  Après  la 
guerre  de  la  Fronde,  Mazarin  fit  venir  une  autre  troupe  ita- 
lienne, qui  débuta  le  10  août  1652  au  thrâtre  du  Petit- 
Bourbon,  et  continua  d'y  jouer  les  années  suivantes. 

Ce  théâtre  avait  été,  comme  l'on  voit ,  le  berceau  de  l'o- 
péra, des  ballets  et  de  la  comédie  italienne  en  France.  S'il 
ne  fut  pas  aussi  le  berceau  du  théâtre  français,  honneur 
qu'il  dut  céder  autlicâtre  de  l'hôtel  de  Bourgogne,  il  eut 
du  moinii  la  gloire  de  posséder  le  coryphée  des  auteurs  co- 

7.1. 


564 


BOURIîON  —  BOURBON-LANCl 


miques  anciens  et  modernes ,  et  d'être  le  champ  de  ses  pre- 
miers triomphes.  En  1658  Louis  XIV,  ayant  vu  à  Rouen  la 
troupe  de  Molière ,  en  fut  si  satisfait  qu'il  la  (it  venir  à  Paris, 
lui  donna  le  nom  de  troupe  de  Monsieur,  et  l'établit  au 
théâtre  du  Petit-Bourbon,  pour  y  jouer  alternativement  avec 
les  Italiens.  Là  furent  représentés,  de  1658  à  1060,  L'Étourdi, 
Le  Dépit  amoureux,  Les  Précieuses  ridicules,  et  Le  Cocu 
imaginaire. 

Le  théâtre  du  Petit-Bourbon  ,  dont  la  condamnation  avait 
été  prononcée  dès  le  mois  de  juillet  IG59  ,  offrit  encore  aux 
Parisiens  un  spectacle  nouveau.  Des  comédiens  espagnols 
vinrent  avec  l'infante  Marie-Thérèse,  nouvelle  épouse  de 
Louis  Xrv.  Ils  jouaient,  chantaient  et  dansaient.  Ils  donnè- 
rent trois  représentations  au  mois  de  juillet,  la  première  à 
5  fr.,  la  seconde  à  3  fr.  ;  mais  à  la  troisième,  il  n'y  eut  per- 
sonne, sans  doule  parce  que  la  langue  espagnole  n'était  pas 
assez  connue  en  France ,  quoiqu'elle  le  fût  alors  infmiment 
plus  qu'aujourd'hui.  Le  II  octobre  suivant  on  commença 
la  démolition  du  théâtre  ;  elle  fut  achevée  à  la  fin  du  mois. 
Sur  son  emplacement  on  bâtit,  du  côté  du  quai,  la  partie  de 
la  colonnade  du  Louvre  dont  Louis  XJV  posa  la  première 
pierre  le  17  octobre  1665.  Le  roi  donna  aux  Italiens  et  à  la 
troupe  de  Molière  le  théâtre  que  le  cardinal  de  Richelieu 
avait  fait  bâtir  au  Palais-Royal.  Quant  aux  comédiens  espa- 
gnols, ils  furent  entretenus  par  la  reine  Marie-Thérèse  jus- 
qu'au printemps  de  1672,  qu'ils  repassèrent  les  Pyrénées. 
Mais  ils  ne  jouaient,  sans  doule,  sur  aucun  théâtre  de  Paris, 

H.   AUDIFFRET. 

BOURBO:V-BUSSET( Famille  de).  Pierre deBovvi- 
Borc,  l'aîné  des  trois  fils  naturels  que  Louis  de  Bourbon, 
mort  évoque  et  prince  de  Liège  (  voyez  plus  haut,  p.  557  ) 
avait  eu  d'une  princesse  de  la  maison  de  Gueldre  avant  de 
recevoir  les  ordres,  est  la  souche  de  cette  maison,  qui  s'est 
continuée  jusqu'à  nos  jours  avec  le  titre  de  comte.  Le  té- 
moignage des  historiens  est  unanime  sur  la  bâtardise  de  cette 
branche;  mais,  comme  on  n'en  a  pas  encore  produit  de 
preuves  positives,  on  s'est  prévalu  de  cette  absence  de  titres 
pour  prétendre  que  l'évoque  de  Liège  avait  été  légitime- 
ment marié  avec  la  princesse  de  Gueldre  avant  qu'il  eût  été 
promu  aux  ordres  sacrés.  Si  cette  prétention  était  fondée, 
Henri  IV  et  sa  postérité  auraient  usurpé  le  trône  de  France, 
car  si  la  branche  de  Busset  était  légitime,  c'était  elle  que 
l'ancienne  constitution  salique  devait  appeler  au  trône,  puis- 
qu'elle est  incontestablement  l'aînée  de  toutes  les  branches 
actuelles  de  la  maison  de  Bourbon  ;  mais  cette  prétention 
ne  nous  paraît  pas  mériter  une  réfutation  sérieuse.  On  l'a 
risquée  dans  l'espoir  qu'aucun  titre  ne  viendrait  la  démentir. 
Or  nous  avons  eu  en  communication  un  acte  dans  lequel 
rierre  de  Bourbon,  fils  de  l'évéque  de  Liège ,  paraît  comme 
témoin,  et  se  donne  lui-même  les  noms  et  qualités  de  Pierre, 
bâtard  de  Bourbon ,  seigneur  et  baron  de  Busset.  C'est  le 
contrat  de  mariage  de  Jean  d'Albon,  seigneur  de  Saint-An- 
dré, avec  Charlotte  de  La  Roche-Tornoelle,  passé  le  22  jan- 
vier 1509,  devant  Pestre,  Bordon  et  Olyvat,  notaires,  le 
premier  à  Montlèrrand,  les  deux  autres  à  Cusset.  Cet  acte 
existe  en  original  dans  les  arcliives  du  château  d'Avanges 
près  de  Tarare.  Laîné, 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  Pierre  de  Bourbon  épousa  Margue- 
rite d'Alègre ,  dame  de  Busset,  en  Bourbonnais,  fief  dont  sa 
postérité  a  conservé  le  nom.  Bien  que  qualifiés  cousins 
par  nos  rois  et  admis  au  rang  et  aux  honneurs  des  re- 
jetons naturels  de  la  maison  de  France,  les  descendants  du 
bâtard  de  Liège  restèrent  longtemps  éloignés  de  la  cour. 

François-Louis-Antoine,  (.omie  de  Boukron-Blsset,  gen- 
til-homme ordinaire  du  comte  d'Artois  et  lieutenant  général 
des  armées  du  roi,  mourut  en  1795. 

François- Louis- Joseph,  comte  de  Bourbon-Busset,  petit- 
fils  du  précédent,  né  en  1782,  fut  nommé,  à  la  Restauration, 
aide-major  des  gendarmes  de  la  garde  du  roi ,  gentil-homme 
d'honneur  de  Monsieur  et  commandeur  do  l'ordre  de  Saint- 


Louis.  Promu  maréchal  de  camp  le  18  mars  1815,  il  accom- 
pagna le  roi  à  Gand  pendant  les  Cent-Jours,  et  fut  ensuite 
élevé  aux  fonctions  de  chef  d'état-major  de  la  première  di- 
vision de  cavalerie  de  la  garde  royale.  Au  retour  de  la  guerre 
d'Espagne,  où  il  avait  escorté  Ferdinand  VII  dans  son 
voyage  de  Cadix  à  Madrid,  il  fut  créé  pair  de  France.  De- 
puis les  événements  de  1830,  il  a  vécu  dans  la  retraite 

BOURBOi\-COx\DÉ.  Voyez  Coxdé. 

BOURBOi\-COi\TI.  Voyez  Conti. 

BOURBOA'-LANCI  ou  BELLEVUE- LES -BAINS, 
petite  ville  située  à  trente  kilomètres  de  Moulins ,  dans  le 
département  de  Saône-et-Loire.  Le  chmat  en  est  bon, 
les  environs  sont  agréables,  les  eaux  fort  renommées.  Salines 
comme  celles  de  Plombières  et  de  Bourbonne,  les 
eaux  de  Bourbon-Lanci  renferment  une  assez  grande  quan- 
tité de  muriate  de  soude,  différents  sulfates,  du  gaz  acide 
carbonique  et  un  peu  de  fer;  la  température  diffère  pour 
chacune  des  sources,  au  nombre  de  sept,  depuis  4l°  cent, 
jusqu'à  57°,  et  même  la  température  de  chaque  fontaine 
minérale  éprouve  parfois  des  variations  de  5  et  de  6°,  ce 
qui  dépend  sans  doute  de  ce  que  quelque  fissure  de  leurs 
conduits  donne  accès  à  de  l'eau  commune  de  fontaine  ou  de 
rivière,  ou  peut-être  de  ce  que  leur  source  originelle  la  plus 
chaude  diminue  ou  tarit  par  l'effet  des  saisons ,  ou  se  trouve 
glacée  par  la  fonte  des  neiges. 

C'est  dans  le  faubourg  Saint-Léger  que  jailHssent  les  sour- 
ces  thermales  ;  près  de  là  est  un  hôpital  où  se  réfugient  les 
malades  et  baigneurs  nécessiteux,  et  c'est  à  cet  établisse- 
ment qu'appartiennent  les  eaux.  On  les  conseille  quelquefois 
comme  celles  de  Bourbonne,  dans  les  rhumatismes  chro- 
niques, les  fausses  paralysies,  les  catarrhes  anciens  sans  fièvre, 
et  aussi  dans  les  engorgements  d'entrailles,  dans  les  fièvres 
intermittentes  rebelles  au  quina,  ainsi  que  dans  un  grand 
nombre  de  maladies  topiques. 

Henri  III,  affaibli  par  toutes  sortes  d'abus,  et  de  plus 
affecté  de  ce  qu'on  nomme  dans  ce  siècle-ci  une  gastrite, 
se  trouva  bien  des  eaux  de  Bourbon-Lanci ,  près  desquelles 
il  se  rendit  en  1580.  Auquel  temps,  dit  J.  Auberi  (Aubry  ou 
Alhencui),  commission  fut  octi-oyée  à  7nonseigneur  Miron, 
conseiller  d' Estât  et  premier  médecin  de  sa  majesté,  et 
seigneur  de  l'hermitage...,  et  au  sieur  Baptiste  du  Cer- 
ceau, premier  architecte  de  sa  dite  majesté,  pour  eux 
acheminer  à  Bourbon-Lanci ,  et  remettre  axicunement 
l'ancienne  commodité  des  bains ,  lesquels  n'étaient  que 
ruines.  Ces  eaux  ont  toujours  été  très-préconisées  contre 
la  stérilité  :  Fernel ,  l'un  des  plus  célèbres  médecins  qu'ait 
produits  la  France,  les  avait  conseillées  précédemment  à  C  a- 
therinede  Médicis,  encore  sans  enfants  après  dix  années 
de  mariage.  Aussitôt  après,  cette  princesse  donna  des  mar- 
ques de  fécondité  ;  elle  devint  mère  de  François  II  (1544  ), 
neuf  mois  après  le  voyage  aux  eaux,  et  plusieurs  fois  ensuite, 
comme  on  le  voit  dans  l'histoire. 

Nous  n'avons  pas  à  expliquer  comment  nous  concevons 
que  les  eaux  favorisent  la  fécondité.  Il  suffit  de  remarquer 
qu'elles  rétablissent  des  conditions  indispensables  à  la  mater- 
nité (les  menstrues),  que  plusieurs  guérissent  des  maladies  ou 
des  infirmités  nuisibles  à  la  conception  (  la  leucorrhée,  etc.), 
outre  qu'elles  redonnent  des  forces,  de  l'alacrité,  sans 
compter  ce  bien-être  et  cette  douce  quiétude  si  propices  aux 
passions  tendres.  Toutefois,  il  serait  curieux  de  savoir  de 
quelle  cause  provenait  la  stérilité  de  Catheiine  de  Médicis, 
confidence  qu'il  ne  faut  point  espérer  de  l'indiscrétion  des 
livres  d'un  homme  comme  Fernel...  ;  peut-être  même  Bour- 
bon-Lanci ne  fut-il  qu'un  lieu  de  représailles  contre  Henri  II 
infidèle,  vengeance  plus  efficace  dans  ces  conjonctures  que 
le  simple  usage  des  eaux.  D'ailleurs ,  on  ne  doit  point  ou- 
blier que  Catherine  fut  mariée  dès  l'âge  de  quatorze  ans  à  un 
prince  de  quinze,  et  qu'elle  n'en  avait  que  vingt  cinq  lors^ 
qu'elle  donna  le  jour  à  François  II,  l'aîné  de  ses  enfants. 

Les  eaux  de  Bourbon-Lanci  sont  désignées  scus  le  nom 


BOURBON-LANCI  —  BOURBON-LARCHAMBAUT 


5G5 


de  Aqux  Nisinaii,  sur  la  carte  de  Pcutinger.  L'abbé  Huet, 
parfois  fort  distrait  en  sa  qualité  d'Iiomme  d'esprit ,  disait 
qu'il  se  pourrait  bien  qu'on  eût  écrit  Bourbon- Lanci  pour 
exprimer  Bourbon-lMncieM.  Cependant  Huet  n'ignorait  pas 
que  ce  surnom  de  Lanci,  qui  s'écrivait  autrefois  VAnsi,  tire 
son  origine  du  plus  jeune  des  fils  d'un  Geufroy  de  Bourbon, 
lequel  se  nommait  Anseau  ou  Anselme,  et  dont  le  frère 
aîné  portait  le  nom  à''ArchamhaitU.  C'est  avec  raison,  ce 
nous  semble,  que  M.  Berger  de  Xivrey  applique  à  Bourbon- 
Lanci  plutôt  qu'à  la  ville  d'Autun  ce  passage  d'un  discours 
adressé  par  le  rhi^teur  Eumcnius  à  l'empereur  Constantin, 
qu'il  engageait  avec  courtoisie  à  venir  visiter  le  pays  des 
^Editi  :  Jam  omnia  te  vocare  ad  se  templa  videntur,prx- 
cipueque  Apollo  nosfer,  ctijus  ferventibns  aquis  perjii- 
ria  pnnhtntur,  qnx  te  maxime  oportet  odisse.  M™*  de 
Genlis  était  de  Bourbon-Lanci.  Elle  n'aurait  même  pas  été 
éloignée  de  croire  que  c'était  elle  que  semblait  prédire  l'i- 
polïo  noster  des  flatteurs  de  Constantin.  A  ce  propos,  quel- 
qu'un répondit  un  jour  à  cette  femme  célèbre,  qu'apparem- 
ment cet  Apollon  avait  changé  de  sexe.  «  Comment  cela? 
dit-elle.  —  Olim  Venus,  à\i  un  des  interlocuteurs.  —  N^inc 
Minerra,  repartit  un  autre.  »  Les  eaux  de  Bourbon- 
Lanci  ne  sont  guère  fréquentées  que  par  des  rhumatisants 
du  pays.  D""  Isidore  Bourdon. 

BOURBON-LARCHAMBAUT  (Eaux  de).  Cette  pe- 
tite ville,  appelée  aussi  Burgcs,  a  environ  3,000  habitants; 
elle  est  à  66  kilomètres  de  Bourges ,  et  à  2S6  de  Paris.  Si- 
tuée dans  un  joli  vallon,  assez  bien  bâtie,  les  quatre  collines 
qui  l'entourent  lui  forment  comme  une  sorte  de  paravent , 
circonstance  propice  à  l'égalité  de  la  température  et  à  l'effet 
salutaire  des  eaux.  Le  ciel  est  beau  comme  le  pays,  l'air 
est  d'une  douce  chaleur,  les  zéphirs  seuls  l'agitent,  à  cause 
du  rideau  circulaire  formé  par  ces  montagnes  ;  les  produc- 
tions sont  variées,  pas  très-hâtives,  mais  abondantes;  la 
vie  dans  ce  lieu  est  peu  coûteuse.  Des  promenades  embellis- 
sent la  ville  ;  on  distingue,  par-dessus  tout,  celle  que  fit  plan- 
ter Gaston  d'Orléans ,  frère  de  Louis  XIIL  Le  sol  est  assez 
convenablement  mitigé  ;  l'argile,  le  silex  et  la  terre  calcaire 
s'y  allient  dans  de  bonnes  proportions  ;  on  trouve  dans  les 
environs  des  mines  de  fer ,  et  peut-être  est-ce  là  l'origine 
d'une  source  ferragineuse  froide  nommée  Jonas  ,  qu'on  voit 
sourdre  à  Bourbon-Larchambaut ,  en  dehors  des  sources 
principales  du  lieu. 

L'origine  de  la  grande  source  thermale  est  tout  à  fait  in- 
connue ;  elle  jaillit  bouillonnante  et  huileuse ,  au  midi  de  la 
ville ,  sur  la  place  des  Capucins  ;  des  tubes  conducteurs  la 
portent  ensuite  à  l'établissement  thermal ,  où  se  trouvent 
seize  cabinets  de  bains  pourvus  de  douches.  Ces  eaux  sont 
claires,  parfaitement  incolores  :  réunies  en  grandes  masses, 
elles  paraissent  néanmoins  comme  verdâtres ,  de  même  que 
l'air  amoncelé  paraît  bleu.  La  saveur  en  est  un  peu  acre , 
analogue  à  celle  d'une  lessive  légère  ;  refroidies ,  elles  don- 
nent au  goût  et  à  l'odorat  une  impression  d'œuf  couvé.  La 
température  en  est  élevée  (  -{-  50°  cent.  ).  L'analyse  chi- 
mique y  a  démontré  :  1°  de  l'acide  carbonique  libre ,  T  du 
bicarbonate  de  soude  (mais  en  moindre  quantité  que  dans 
l'eau  de  Vichy  ) ,  3°  du  rauriate  de  soude ,  4"  du  sulfate  de 
soude,  5°  du  carbonate  de  chaux  en  petite  quanlité,  6''  un 
peu  de  fer  et  de  silice  ,  et  7° ,  comme  singularité  rare  et  di- 
gne d'être  notée ,  une  petite  quantité  de  sel  à  base  de  potasse 
(qu'on  retrouve  aussi  dans  l'eau  sulfureuse  d'Enghien  ).  Les 
bulles  gazeuses  qui  se  voient  à  la  surface  de  l'eau,  et  dont  le 
dégagement  la  rend  bouillonnante,  sont  formées  d'un  mélange 
de  gaz  acide  carbonique  et  d'azote.  Ces  eaux  thermales  ont 
la  même  densité,  la  même  pesanteur  que  l'eau  distillée.  Elles 
sont  ordinairement  couvertes  d'une  pellicule  blanchâtre  et 
onctueuse ,  qui  provient  probablement  de  la  chaux  que  l'a- 
cide carbonique  rend  insoluble ,  ainsi  que  d'un  peu  de  fer, 
qui  s'oxyde  de  plus  en  plus,  à  mesure  que  l'acide  carbo- 
nique abandonne  t'eau  qui  le  dissolvait.  Un  autre  effet  pro- 


venant de  la  même  cause ,  c'est  ce  dépôt  calcaire  et  ocracé 
qu'on  trouve  au  fond  du  bassin  ,  ainsi  que  les  incrustation.^ 
épaisses  des  conduits.  On  trouve  aussi  dans  les  égoûts  du 
l'établissement  une  bo^ie  noire  et  presque  aussi  hydrogénée 
quecelledeSaint-Amand;onla  fait  servir  aux  mêmes  usages. 
C'està  tort  qu'on  a  regardé  comme  merveilleuses  et  à''outre 
physique  plusieurs  des  propriétés  de  ces  eaux.  Les  œufs  fé- 
condés qu'on  y  plonge  y  éclosent  en  cinq  cent  une  heures  , 
a-t-on  dit  avec  étonnement!  Je  crois  bien  ;  cela  est  fort  na- 
turel :  la  poule  qui  aurait  couvé  ces  œufs,  a  6  ou  8°  de  cha- 
leur de  moins  que  ces  eaux  thermales;  et  l'on  sait  quels 
moyens  les  Égyptiens  et  Réanmur  nous  ont  enseignés  pour 
obtenir  des  éclosions  artificielles.  On  les  boit ,  dit-on  aussi, 
sans  se  cuire  la  bouche ,  sans  que  les  entrailles  en  soient  en- 
flammées !...  Celaest  encore  tout  simple  :  nos  potagesles  plus 
familiers  sont  fréquemment  à  une  température  plus  élevée 
que  celle  des  eaux  de  Bourbon-Larchambaut.  D'ailleurs, 
ces  eaux  salines  et  gazeuses  incitent  les  glandes  et  les  folli- 
cules à  une  telle  sécrétion  de  salive  ,  de  mucus  et  de  diverses 
humeurs ,  que  les  membranes  intérieures  en  sont  comme 
lubrifiées,  et  par  là  garanties  de  toute  brûlure  ou  souffrance. 
Mais ,  ajoute-t-on  ,  elles  n'altèrent  ni  les  fleurs  ni  les  végé- 
taux qu'on  y  plonge!..  D'abord  ,  il  faudrait  savoir  quelles 
plantes  et  quelles  fleurs  on  veut  dire  :  beaucoup  de  fleurs  déjà 
fanées  rajeunissent  soudain  quand  on  les  plonge  dans  de  l'eau 
un  peu  chaude.  Après  cela,  quant  aux  végétaux  verts,  les 
sels  alcalins  que  renferment  les  eaux  de  Bourbon-Larcham- 
baut aviveraient  d'eux-mêmes  la  couleur  verte,  loin  de 
l'effacer.  On  dit  enfin  qu'elles  sont  plus  lentes  à  bouillir  que 
de  l'eau  échauffi-e  au  même  degré  qu'elles  :...  oui,  si  on  le» 
porte  au  feu  dans  un  vase  froid,  tandis  que  l'eau  chauffie 
artificiellement  demeure  dans  le  vaisseau  brûlant  qui  l'a  déjà 
soumise  au  feu. 

Nul  miracle  dans  la  nature,  rien  donc  de  surnaturel  dans 
les  eaux  de  Bourbon-Larchambaut.  Mais  elles  ont  de  vraies 
vertus  :  elles  soulagent  les  douleurs  externes,  les  rhumatis- 
mes chroniques;  elles  sont  souveraines  contre  les  paraly- 
sies et  contre  plusieurs  maladies  locales  des  genoux,  des  join- 
tures. Elles  excitent  beaucoup,  elles  échauffent  et  constipent. 
Elles  produisent  quelquefois  tout  d'abord  un  effet  opposé, 
mais  c'est  à  la  manière  du  café,  du  quina  et  des  autres  toni- 
ques, parsuifedela  viveimpression  qu'elles  déterminent,  soit 
sur  l'estomac,  soit  sur  les  intestins.  On  en  boit  (  un  ou  deux 
litres  par  jour  ),  on  les  prend  en  bains,  on  les  reçoit  en  dou- 
ches. Les  bains  remédient  aux  scrofules,  guérissent  quel- 
quefois la  paralysie  ;  bues,  elles  rappellent  les  menstrues 
de  môme  que  les  hémorroïdes.  C'est  pendant  la  durée  du 
bain  que  l'on  a  coutume  de  boire  une  partie  de  la  dose  pres- 
crite pour  la  journée. 

Quand  on  visite  la  source,  on  est  frappé  du  bruit  qui  ré- 
sulte du  dégagement  continuel  des  gaz.  On  observe  égale- 
ment qu'aussitôt  que  l'atmosphère  devient  plus  froide,  sur- 
tout le  matin  et  le  soir,  il  se  forme  comme  un  nuage,  une 
sorte  do  brouillard  épais  au-dessus  du  réservoir  des  eaux. 
Les  médecins  de  Bourbon-Larchambaut  ont  eu  tort  d'at- 
tribuer ce  phénomène  à  l'émission  des  gaz  :  les  gaz  sont 
invisibles  par  eux-mêmes  :  personne  n'a  vu  jamais  ni  de  l'a- 
zote ni  du  gaz  carbonique.  Mais,  outre  ces  gaz,  il  se  dégage 
perpétuellement  de  l'eau  minérale  des  vapeurs  aqueuses  beau- 
coup plus  chaudes  que  l'atmosphère  :  ce  brouillard  est  donc 
tout  simplement  une  conséquence  de  la  tendance  à  un  équi- 
libre parf:iit,  propriété  essentielle  du  calorique. 

Bourbon-Larchambaut  a  été  le  berceau  de  l'ancienne  et 
si  illustre  famille  de  Bourbon  ;  on  y  voit  encore  les  dé- 
bris du  château  primitif,  et  le  nom  môme  de  Bourbon,  qui 
a  commencé  par  la  ville,  lui  est  venu  de  ses  eaux  minérales. 
On  a  remarqué  à  la  louange  de  cette  source  célèbre  que  les 
médecins  chargés  de  l'administrer  parvenaient  presque  tous 
à  un  âge  avancé.  11  ne  faut  donc  pas  nier  absolument  l'in- 
fluence salutaire  des  eaux.  D''  Isidore  Courw)î(. 


•GG 


BOURBO^JNÂIS  —  BOURBONNE-LES-BAINS 


BOURBOIVIVAÏS  {Burhonensis  ager  ou  tractus),  an- 
cienne province  de  France,  avec  litie  de  siicrie  ou  de  ba- 
ronnie,  qu'elle  a  porté  jusqu'en  Vi'll,  épo(|ue  de  son  érection 
en  duché-pairie.  Elle  était  bornée  au  nord  i)ar  le  Nivernais, 
an  sud  par  l'Auvergne,  à  l'est  par  la  Bonrgofçne  et  le  Fo- 
rez, et  à  l'ouest  par  le  lîerry.  On  évaluait  sa  superficie  à 
790,000  hectares.  IJordé  au  levant  par  la  Loire  et  au  couchant 
par  le  Cher,  qui  s'y  enclave  dans  quelques  cnilroits ,  ce  pays 
est  coupé  par  l'Allier  en  deux  parties  inégales,  appelées  le 
//a«^  et  le/îaA-i^o;nV;r;,vnr?i5.  Il  est  arrosé  parla  Sioulequi  des- 
cend des  montagnes  d'Auvergne,  et  vient  se  jeter  dans  l'Al- 
lier à  17  kilomètres  au-despus  de  ÎSloi'.Uns  ;  par  la  Besbre,  qui 
se  jette  dans  la  Loire,  jin's  de  Dampierre;  et  par  plusieurs 
autres  plus  petites.  Le  sol,  plus  coujjô  et  plus  varié  qu'en 
aucune  autre  partie  de  la  France ,  est  fertile  en  grains, 
vins,  chanvres,  fruits  et  pâlurages.  11  y  a  plusieurs  mines  de 
fer,  de  cuivre  et  de  charbon  de  terre,  celles-ci  très-con- 
sidérables, et  quelques  carrières  de  marbre.  Les  eaux  miné- 
rales abondent  lians  le  Bourbonnais.  La  plupart  jouissent 
d'une  grande  réputation,  entre  autres  celles  de  Bourbon- 
l'Archambaut ,  de  Néris,  très-fréquentées  par  les  Ro- 
mains;  de  Vieil  y,  de  Saint-i'ardoux  et  de  la  Traulière. 

Bourbon-Larchambaut,  d'abord clief-lieu  de  la  province, 
est  désigné  sur  Irs  tables  romaines  par  le  nom  û''Aqux 
Bormonis  ou  Dorvonis.  Au  luiilièmc  siècle,  cette  place 
passait  pour  une  des  plus  fortes  de  l'Aquitaine.  Son  château, 
baii  sur  des  rochers  et  environné  de  i)récipices,  fut  assiégé 
et  pris  par  Pépin,  après  une  longue  résistance,  durant  ses 
guerres  contre  Waifre,  duc  d'Aquitaine  (759).  Sur  les  fon- 
dements de  ce  château,  les  Archambauts,  sires  deBourbon, 
en  élevèrent  un  plus  magnifique ,  qui  avant  l'usage  du  ca- 
non était  réputé  imprenable.  Quelques  anciennes  descrip- 
tions portent  à  vingt-quatre  le  nombre  de  ses  tours  ;  deux 
surtout  se  distinguaient  par  leur  grosseur  prodigieuse ,  l'une 
appelée  l'Admirale  et  l'autre  Quicanrjrofjnc ,  dénomina- 
tion significative.  Sur  les  ruines  de  celle  dernière  tour  on 
en  a  bdti  une  ronde,  qui  existe  encore,  et  où  l'on  a  placé 
une  horloge.  Cechùteau  abritait  une  ville  peu  considérable, 
et  qui  ne  serait  rien  aujourd'hui  malgré  tout  l'éclat  histo- 
rique qu'une  illustre  et  royale  maison  a  atîaclié  à  son  nom, 
si  elle  n'eût  été  soutenue  par  la  renommée  de  ses  eaux  mi- 
nérales. Déjà  même  les  anciens  sires  de  Bourbon  avaient 
abandonné  cette  ville  pour  fixer  leur  séjour  à  Souvigny, 
devenu  dès  lors  chef-lieu  de  la  province.  Ce  ne  fut  qu'à 
partir  du  milieu  du  quatorzième  siècle  que  Moulins,  de- 
venu le  séjour  des  ducs  de  Bourbon ,  s'(',leva  au  rang  de  ca- 
pitale du  pays,  et  s'y  est  maintenu  jusqu'aujourd'hui.  De 
cette  ville,  autrefois  le  siège  d'un  bailliage,  d'un  siège  pré- 
sidial  et  d'une  sénéchaussée,  dépendaient  les  dix-huit  ciià- 
tellenies  royales  de  Souvigny,  Bessai,  Cannât,  Billi,  Vichy, 
Verneuil,  Belleperche,  Bourg-le-Comtc,  Hérisson,  IMontluçon, 
Murât,  Chantelle,  Charroux,  Boiubon-Larcbambaut,  Rioux, 
Ussel  et  Chaveroche. 

Lorsque  César  pénétra  dans  les  Gaules,  le  territoire  qui 
forma  depuis  le  Bourbonnais  était  partagé  ont  re  les  lui  u  e  n  s , 
les  Arvernes  et  les  Bituriges.  A  ces  trois  jieuiiles  se  joi- 
gnit une  colonie  de  Boïens,  qui,  vaincus  par  les  années 
romaines  lorsqu'ils  allaient  porter  des  secours  aux  Melvé- 
tiens,  leurs  alliés,  étaient  venus  chertlier  un  asile  chez  les 
l'^duens,  qui  les  établirent  entre  l'Allier  et  la  Loire.  Dans  la 
division  que  César  et  ses  successeurs  firent  des  Gaules,  la 
portion  du  Bourbonnais  occupée  par  les  lîoiensfut  comprise 
dans  la  première  Lyonnaise;  les  autres  parties  furent  incor- 
jmrées  à  l'Aquitaine,  connue  dépendantes  du  Berry  et  de 
l'Auvergne.  Lors  de  la  décadence  de  l'empire,  les  Visigotlis 
s'emparèrent  du  Bourbonnais,  du  lîerry  et  de  l'Auver- 
gne ('174).  La  grande  victoire  remportée  par  Clovis  sur 
Alaric  fit  passer  ces  provinces  sous  la  domination  des 
J'rancs  (507).  Le  Bourbonnais  fit  successivement  partie  des 
royaumes  d'Orléans.  d'AusIrasiect  d"Aquitainc.  A  partir  cIo 


la  mort  tragique  du  fameux  duc  Waifre  (7CS),  ce  pays,  qui 
jusque  alors  n'avait  été  qu'une  annexe  partagée  entre  diffé- 
rents États,  devint  une  division  politique  spéciale,  qui  dès 
ce  moment  eut  ses  chefs  distincts  et  son  histoire   parti- 
culière. On  prétend  que  ce  fut  Cliarlemagne  qui  érigea 
le  Bourbonnais  en  baronnie  dès  l'année  770.  Des  Ormeaux 
assure  qu'elle  était  la  première  baronnie  de  France,  et  que  ce        ■ 
ne  fut  qu'après  son  érection  en  duché  (1327)  que  les  Mont-       1 
morency  ont  pris  le  titre  de  premiers  barons  chrétiens        ' 
(c'est-à-dire  du  roi  très-chrétien). 

Ce  duché  fut  séquestré  en  1523,  lors  de  la  disgrâce  du 
connétable  de  Bourbon,  et  réuni  à  la  couronne  en  1527. 
Enfin,  en  1G51,  il  fut  donné  par  Louis  XIV,  au  prince  de 
C  on  dé  en  échange  du  duché  d'Albret  et  de  quelques  au- 
tres domaines,  et  depuis  lors  le  titre  de  duc.de  Bourbon 
s'est  continué  dans  celte  brandie  jusqu'au  dernier  prince  de 
Coudé.  Lainé. 

BOURBONNAISE  ,  nom  vulgaire  de  la  lychnis  vis- 
caria.  Voyez  Lychnidk. 

BOURBONNE-LES-BAINS  (oç-Maîiîorvonfs),  ville 
célèbre  pour  ses  eaux  salines  et  thermales;  elle  est  située 
dans  le  département  de  la  Haute-Marne,  à  308  kilomètres 
de  Pans.  Bourbonne  est  une  cité  de  3,400  habitants ,  d'envi- 
ron 820  maisons,  et  pouvant  recevoir  1,000  à  1,200  étran- 
gers, sans  compter  les  militaires.  Bâtie  à  la  fois  sur  le  plateau 
d'une  colline  et  dans  les  deux  vallons  adjacents ,  elle  occupe 
la  partie  sud -est  du  Bassigny,  pays  beaucoup  plus  exhaussé 
que  son  nom  ne  le  ferait  penser.  Le  vallon  du  sud  contient 
les  sources  thermales.  On  trouve  à  Bourbonne  un  hôtel  de 
ville,  une  vieille  église,  qui  menace  ruine  depuis  les  ravages 
de  l'incendie  de  1717  ;  un  hospice  civil,  un  hôpital  militaire 
contenant  cinq  cent  cinquante  lits,  et  quatre  promenades 
publiques  assez  belles  ,  surtout  les  promenades  de  Montmo- 
rency, d'Orfeuille  et  de  la  Place.  Le  territoire  de  Bourbonne 
n'a  pas  moins  de  22  kilomètres  de  circonférence ,  dont  en- 
viron les  deux  tiers  sont  en  bois  communaux  et  autres,  le 
quart  en  terres  à  labour,  le  reste  en  vignes  et  prairies. 
Bourbonne,  avec  ses  dépendances  et  ses  alentours,  forme 
comme  un  vaste  bassin  borné  circulairement  par  un  amphi- 
théâtre de  monts  et  de  plateaux ,  donnant  à  son  enceinte 
un  aspect  pittoresque,  qui  ne  guérit  point  l'ennui ,  mais  qui 
le  dissipe.  Le  pays  n'est  ni  beau  ni  riche;  les  productions 
cependant  en  sont  diversifiées  et  assez  abondantes. 

On  remarque  que  la  température  de  Bourbonne  est  très- 
variable.  Toutefois,  elle  est  ordinairement  de  14°  R.,  terme 
moyen,  pendant  la  saison  des  eaux,  c'est-à-dire  depuis  le 
!"■  juin  jusqu'au  1*'  octobre.  L'atmosphère  de  Bourbonne 
est  donc  moins  chaude  que  celle  de  Paris.  Cette  particula- 
rité dépend  de  l'élévation  de  Bourbonne  au-dessus  du  niveau 
de  la  mer,  exhaussement  tel  que  le  mercure  y  descend 
quelquefois,  dans  le  tube  d'un  baromètre,  jusqu'à  27  pouces 
et  même  au-dessous.  Cette  situation  de  Bourbonne  y  rend  les 
jiluies  fréquentes,  les  orages  et  les  ouragans  redoutables ,  et 
cependant  les  montagnes  environnantes ,  très-élevées ,  le  pré- 
si'r\entde  beaucoup  d'orages,  qu'elles  lui  soutirent.  Quand 
je  dis  que  Bourbonne  est  un  lieu  élevé,  je  parle  dans  le  sens 
absolu  ;  car,  relativement  aux  montagnes  qui  l'entourent  de 
toutes  parts,  celte  ville  est  dans  un  fond;  elle  forme  connue 
le  centre  d'un  entonnoir  dont  les  bords,  très-proéminents, 
seraient  représentés  par  des  monts  et  des  plateaux.  Lorsqu'on 
arrive  de  Paris,  on  n'aperçoit  de  Bourbonne  que  son  clocher, 
qui  passe  au-dessus  des  montagnes ,  et  qui  trompe  le  voya- 
geur sur  la  dislance  qu'il  lui  reste  à  franchir. 

U  existe  à  Bourbonne  trois  .sources  thermales  distinctes  :. 
1"  \a  fontaine  Chaude,  ou  de  la  Place,  ou  Malrelle,  dont 
la  temi)érature  est  de  67°  cent. ,  et  la  source  abondante. 
C'est  à  cette  fontaine  que  se  rendent  les  buveurs.  On  boit 
de  cette  eau  sans   la  laisser  refroidir,  et  cependant  elle 


ne  cause  pas  ordinairement  de  vive  cuisson  à  l'intérieur. 
U  faut  remarciucr  néanmoins  que  l'on  ne  se  plongerait  pas 


I 


BOURBONNE-LES-BAINS 


507 


impunément  dans  cette  fontaine,  non  plus  que  dans  la  sui- 
vante :  la  peau  serait  rapidement  rubéfiée,  puis  brûlée  :  on 
cite  même  de  funestes  effets  de  pareilles  immersions.  L'eau 
de  cette  source  durcit  un  œuf  en  vingt-quatre  heures.  2°  le 
Puisart  ou  la  source  des  bciins  civils ,  dont  la  tempéra- 
ture est  de 56°  cent.;  3°  \à  fontaine  des  bains  militaires, 
50°  cent.  On  la  nomme  encore  dans  les  vieux  livres  le  bain 
Patrice,  et  nous  laissons  au\  archéolofiues  et  aux  curieux 
le  soin  de  rechercher  l'origine  de  cette  dénomination. 

Les  eaux  de  Bourbonne  sont  claires,  incolores,  d'une 
odeur  un  peu  sulfureuse,  d'un  goût  très-analogue  à  celui  du 
bouillon  de  veau  salé,  et  rudes  à  la  peau;  un  peu  plus  pe- 
santes que  l'eau  distillée,  elles  marquent  deux  degrés  sept 
dixièmes  à  l'aréomètre  de  Baume.  La  température,  si  l'on 
en  juge  par  le  témoignage  des  auteurs ,  en  varie  notable- 
ment. Les  trois  sources  réunies  fournissent  environ  102  mè- 
tres cubes  d'eau  dans  l'espace  de  vingt-quatre  heures.  Il  se 
dégage  des  sources  une  grande  quantité  de  gaz  azote,  ce  qui 
les  rend  toujours  bouillonnantes,  dans  les  temps  d'orage  sur- 
tout. Cela  peut  aller  en  de  pareilles  conjonctures  jusqu'à  faire 
rejaillir  l'eauà  d'assez  grandes  distances.  Peu  d'eaux  sont  plus 
salines  que  celles-ci  :  un  kilogramme  donne  à  l'analyse  chi- 
mique 7  grammes  93  centigrammes  de  sels,  savoir  :  55"^, '32 
de  muriate de  soude,  0S'",85  de  muriate  de  chaux ,  OS"",!  1  de 
carbonate  de  chaux,  05'', 85  de  sulfate  de  chaux ,  os'',85  de 
sulfate  de  magnésie. 

En  outre,  M.  A.  Chevalier  a  trouvé  dans  cette  eau  une 
petite  quantité  d'arsenic,  ce  qui  d'ailleurs  lui  est  commun 
avec  d'autres  eaux  contenant  comme  elle  plus  ou  moins  de 
sels  carbonates.  On  y  a  de  même  signalé  une  petite  quantité 
de  brome ,  un  peu  de  fer,  que  l'aimant  peut  manifester  et 
soustraire  aux  boues  desséchées.  Quant  au  gaz  qui  s'en  dé- 
gage, il  paraît  que  c'est  de  l'azote  pur  ou  à  peu  près  pur.  Sa 
présence  provient  probablement  des  résidus  de  l'air  que  l'eau 
entraîne  avec  elle  dans  les  gouffres  ou  souterrains  oii  elle  se 
minéralisé  on  ne  sait  comment  ;  et  si  l'oxygène  en  a  été  sé- 
paré, cela  paraît  tenir  aux  combinaisons  qu'il  aura  con- 
tractées avec  les  substances  minérales ,  qui ,  comme  on  sait , 
ont  pour  ce  gaz  une  grande  affinité. 

On  pourrait  appliquer  aux  eaux  de  Bourbonne,  ainsi  qu'à 
beaucoup  d'autres ,  cette  légende  d'une  ancienne  famille  de 
la  Normandie  :  Fotis  ignotus,  vir tûtes  cognitœ.  Les  eaux 
de  Bourbonne  sont  employées  avec  succès  dans  les  maladies 
scrofuleuses,  dans  les  rhumatismes,  soit  articulaires,  soit 
musculaires  chroniques ,  à  la  suite  des  fractures  mal  conso- 
lidées et  des  entorses,  pour  les  douleurs  qui  survivent  à 
d'anciennes  blessures  ;  mais  leur  efficacité  est  surloi*t  ma- 
nifeste dans  les  plaies  d'armes  à  feu  et  dans  les  paralysies 
que  l'apoplexie  n'a  point  causées.  Elles  ne  conviennent  ni 
dans  la  syphilis,  ni  dans  la  goutte,  ni  contre  les  maladies  de 
la  vessie  ou  de  la  peau ,  qu'elles  aggraveraient  au  lieu  de  les 
calmer  ou  de  les.guérir.  Il  est  quelques  écoulements  chro- 
niques que  ces  eaux  ont  la  vertu  de  tarir  ou  de  modérer,  à 
cause  de  l'irritation  qu'elles  déterminent  à  la  peau.  Elles  pro- 
duisent en  quelque  sorte  l'effet  d'un  sinapisme  imiversel  et 
inoffensif  Les  eaux  dont  nous  parlons  conviennent  princi- 
palement aux  tempéraments  lymphatiques,  aux  hommes 
difficiles  à  exciter,  durs  ou  peu  sensibles.  On  a  coutume  d'en 
défendre  l'usage  aux  personnes  nerveuses,  susceptibles  , 
maigres,  délicates,  ou  très-sanguines,  mais  surtout  aux 
jeunes  personnes  :  ces  eaux  si  rudes  ternissent  la  beauté.  On 
prend  ordinairement  dans  une  saison  de  vingt  à  vingt-sept 
bains,  à  la  température  de  30  à  37"  tout  au  plus.  On  est  obligé 
par  conséquent  de  laisser  refroidir  l'eau  des  sources,  et  à 
cet  effet  on  élève,  la  veille,  dans  des  réservoirs  en  plomb, 
toute  l'eau  dont  il  sera  besoin  le  lendemain  pour  mitiger  et 
tempérer  l'eau  trop  chaude  des  sources.  Chaque  bain  dure 
trente  à  quarante  minutes;  il  serait  souvent  dangereux  d'y 
séjourner  beaucoup  plus  longtemps. 
Les  douches  soulagent  les  douleurs  locales.  On  a  coutume 


de  les  prendre  à  la  température  de  47  à  50°  cent.,  et  on  le» 
reçoit  de  préférence  sur  la  colonne  vertébrale,  sur  le  sacrum, 
au-dessus  de  la  clavicule,  et  en  général  .suivant  la  direction 
des  nerfs ,  évitant  toutefois  de  les  faire  tomber  ou  sur  la  tête, 
ou  trop  immédiatement  sur  les  parties  douloureuses.  La 
durée  des  douches  ne  doit  guère  excéder  dix  minutes,  après 
quoi  il  faut  prendre  un  bain ,  puis  se  remettre  au  lit  et  se 
rendormir.  Ces  eaux  déterminent  ordinairement  de  grandes 
transpirations.  Quelques  personnes  se  contentent  de  boire  à 
la  fontaine.  Une  pinte  ou  deux  tout  au  plus,  telle  doit 
être  la  dose  de  chaque  jour;  car  à  doses  plus  élevées  on 
s'expose  à  des  coliques,  à  des  gonQements,  à  des  assoupis- 
sements ,  à  des  dérangements  d'intestins  et  à  la  perte  de 
l'appétit.  L'essentiel  n'est  pas  de  boire  des  cruches  d'eau 
chaude,  il  faut  que  ce  liquide  passe  sans  causer  de  souf- 
france; il  faut  qu'on  puisse,  sinon  le  digérer,  au  moins  se 
l'assimiler,  l'absorber.  Il  est  vrai  qu'un  ancien  médecin , 
nommé  Juy,  cite  des  malades  qui  de  son  temps  buvaient  jus- 
qu'à quatre-vingts  verres  d'eau  dans  une  seule  matinée  : 
c'est  à  peu  près  vingt  livres  ou  dix  litres  ;  mais  ce  sont  là 
des  excès  périlleux.  On  a  quelquefois  fait  usage  des  boues 
de  Bourbonne  dans  quelques  maladies  locales,  à  peu  près 
comme  de  celles  de  Saint- Amand  ou  de  Bourbon-Larcham- 
baut,  mais  cela  n'est  plus  de  mode  aujourd'hui. 

Bourbonne  est  maintenant  une  propriété  de  l'État,  depuis 
que  le  gouvernement  de  Napoléon  s'en  empara  en  1812.  An- 
née commune ,  il  ne  vient  pas  à  Bourbonne  beaucoup  moins 
de  huit  cents  malades  civils,  sans  compter  quatre  à  cinq 
cents  amis  des  malades  ou  simples  amateurs.  Quant  à  l'hô- 
pital militaire,  Louis  XV  le  ft-nda  en  1732,  et  Louis  XVI  l'a- 
grandit en  17S5.  Six  à  huit  cents  militaires  y  sont  traités 
cliaque  année  aux  frais  de  l'État,  ce  qui  accroît  d'autant  la 
richesse  du  pays. 

On  trouve  à  9  kilomètres  de  Bourbonne,  au  village  de  La 
Rivière,  une  e:iu  feri'ugineuse  froide,  dont  on  prescrit  l'u- 
sage aux  estomacs  faibles ,  ainsi  qu'aux  jeunes  personnes  af- 
fectées de  pâles  couleurs  et  aux  malades  qui  souffrent  de 
la  vessie.  On  s'en  procure  aisément  à  Bourbonne  même, 
sans  se  déplacer. 

On  a  découvert  à  Bourbonne  un  grand  nombre  d'antiqui- 
tés, qui  toutes  attestent  et  la  date  toute  romaine  de  la  célé- 
brité de  ces  eaux,  et  le  dieu  qu'y  révéraient  nos  pères, 
comme  aussi  le  nom  qu'ils  lui  donnaient.  On  y  a  trouvé  des 
pierres  gravées,  des  médailles  romaines,  des  inscriptions, 
des  ex-voto,  un  bouc  en  bronze  et  le  tombeau  d'un  comé- 
dien romain  nommé,  croit  M.  de  Xivrey,  Rocabajiis,  avec 
une  épitaphe  distincte  et  une  tôte  de  singe. 

On  s'est  souvent  plaint  de  la  vie  ennuyeuse  de  Bourbonne 
et  de  la  difficulté  de  s'y  distraire,  d'y  prendre  quelques  plai- 
sirs. Certains  habitants  de  la  ville  avaient  proposé  d'aug- 
menter le  nombre  des  promenades ,  d'acheter  le  vieux  châ- 
teau pour  y  centraliser  les  amusements  ;  ils  voulaient  em- 
bellir ce  lieu  thermal ,  afin  d'en  rendre  le  séjour  agréable. 
Quelques  personnes  avaient  môme  proposé  de  consacrer  à 
ces  piojets  d'un  luxe  nécessaire  le  prix  d'une  belle  forêt  de 
réserve  que  possède  la  ville ,  et  dont  la  valeur  peut  s'élever 
à  200,000  fr.  ;  mais ,  quelque  dépense  qu'on  fasse ,  les  plai- 
sirs ne  seront  jamais  bien  vifs  à  Bourbonne.  Je  conçois  qu'on 
joue  à  Bourbonne,  qu'on  y  médise,  qu'on  s'y  promène; 
mais  qu'on  y  danse!  impossible.  Il  faut  de  jeunes  femmes 
pour  former  des  redoutes ,  pour  omer  des  concerts  ;  or,  les 
jeunes  femmes  ne  vont  guère  à  Bourbonne  :  les  eaux  de  ce 
lieu  seraient  funestes  à  leur  fraîcheur.  Si  de  jeunes  per- 
sonnes avaient  le  mallieur  de  se  plonger  dans  les  eaux  d« 
Bourbonne,  leur  peau  souple  et  délicate  serait  pour  long- 
temps rude  et  fanée. 

Un  des  médecins  de  Bour'oonne ,  le  docteur  Juvet ,  moil 
en  1789,  avait  composé  pour  \a  fontaine  chaude  ce  distique: 

Auriferas  clives  jactet  Pactolus  areiias  ; 
Dilior  hicc  offert  mortalibus  unda  salutem. 


568 

Voici  à  peu  prè»  l'équivalent  : 

Route  les  sables  d'or.  Pactole  ti  ranté  ! 

Plus  riclie,  aux  louliieiireux  j'apporte  la  santé. 

L'intendant  delà  Champagne,  M.  Rouillé  d'Oi feuille,  fut 
l'un  des  bienfaiteurs  de  Uourbonne;  on  lui  doit,  entre  au- 
tres embellissements,  une  des  plus  belles  promenades  de  la 
ville.  D'Holbach, (lui  plusieurs  fois  vint  dans  ce  pays,  moins 
pour  y  recouvrer  la  sanlé  que  pour  la  perdre,  y  a  aussi 
laissé  quelques  traces  de  sa  }i;énérosité.  Diderot,  ami  de 
d'Holbach,  visita  plusieurs  fois  Uourbonne,  ijarticuiière- 
ment  en  août  1770;  il  était  accompaj^né  de  Grimm  :  il  dé- 
posa même,  à  sa  mort,  entre  les  mains  de  ce  dernier,  un 
petit  écrit  qu'on  a  depuis  imprimé ,  et  qui  était  intitulé  : 
Voyage  à  Bourbonne. 

C'est  aux  cochons  de  Novelle-Coiffi  qu'on  attribue  la  dé- 
couverte des  sources  de  Bourbonne;  et  voilà  apparemment 
pourquoi  les  habitants  du  village  de  Novelle  avant  la  révo- 
lution avaient  seuls  le  droit  d'user  de  l'eau  des  sources 
thermales  sans  rien  payer  à  l'établissement  d'alors. 

J'ai  dit  que  les  eaux  de  Bourbonne  étaient  particulière- 
ment efficaces  contre  la  paralysie.  On  cite  à  ce  sujet  un  cer- 
tain nombre  d'exemples  de  guérisons  remarquables.  C'est  à 
Bourbonne  que  l'abbé  Mangenot ,  merveilleusement  guéri 
d'une  paralysie  au  bras  droit,  écrivit  ces  vers,  pas  trop 
mauvais  pour  un  paralytique ,  mais  fort  dépaysés  sous  une 
main  tremblante  : 

Revenez  sous  mes  doigts  ,  instrument  que  j'aJore, 
Plume  que  je  tirai  de  l'aile  de  l'Amour! 
Trop  heureux  si  co  dieu  dai-^'nail  sourire  encore 
Comme  il  sourit  au  premier  jour. 

Cet  amour  avait  bfen  des  raisons  pour  ne  plus  battre  que 
d'une  aile,  et  sans  doute  il  resta  fort  sérieux.  L'Amour  au- 
rait trop  à  faire  s'il  lui  fallait  sourire  à  tous  ceux  qu'il  a  pa- 
ralysés !  D"^  Isidore  Bourdon. 

BOUllBOiV-VErMDÉE.  Voyez  Napoléon-Vendée. 

BOURDAINE.  Voyez  Boijkgène. 

BOURDAIS  (Famille).  Foye::  Baptiste  aîné  et  Douval. 

BOURDAISIÈRE  (Édit  de  la).  Voyez  Édit. 

BOURDALOUE  (Louis),  né  à  Bourges, le  20  août  lf.32, 
entra  dans  la  société  de  Jésus  à  l'âge  de  seize  ans.  Les  dix- 
huit  premières  années  qu'il  y  passa  furent  employées  à 
achever  ses  études  et  à  occuper  successivement  des  chaires 
de  rhétorique ,  de  philosophie  et  de  tliéologie  morale.  Ses 
supérieurs ,  reconnaissant  en  lui  un  grand  talent  pour  la 
prédication ,  l'envoyèrent  prêcher  à  Eu,  à  Amiens,  à  Rennes, 
à  Rouen,  où  il  obtint  un  succès  tel,  qu'ils  le  rappelèrent  à 
Paris.  Sur  ce  grand  théâtre,  il  lutta  avec  avantage  contre 
le  mauvais  goût ,  les  manières  ridicules  et  le  style  ampoulé 
des  prédicateurs  de  son  temps  :  aussi  à  Paris,  comme  en 
I)rovince,  ses  succès  furent-ils  prodigieux,  et,  plus  qu'en 
|)rovince,  ratifiés  par  tout  ce  que  la  cour  et  la  ville  comp- 
taient de  juges  éclairés.  «  Je  n'ai  jamais  rien  entendu  de  plus 
étonnant  que  le  père  Bourdaloue ,  »  écrivait  à  sa  lille  Ma- 
dame de  Sévigné.  Auparavant  elle  lui  avait  écrit  :  «  J'avais 
grande  envie  de  me  jeter  dans  le  Bourdaloue  ,  mais  l'impos- 
sibilité m'en  a  ôlé  le  goût.  Les  laquais  y  étaient  dès  le  mer- 
credi ,  et  la  presse  était  à  mourir.  » 

Quelque  temps  après ,  Bourdaloue  lut  mandé  à  la  cour  par 
LouisXlV.  Il  y  prêcha  l'A  vent  de  1C70  et  le  Carême  de  167'2,  et 
fut  redemandé  pour  les  Carêmes  de  1674,  1G75,  iGSOet  1082, 
])our  les  Avents  de  1G84,  IGSG,  16S9  et  1693.  Ainsi,  il  parut 
dix  lois  à  la  cour,  ce  qui  est  d'autant  plus  remarquable  que 
le  môme  prédicateur  y  était  rarement  ai)pelé  jusqu'à  trois 
fois;  mais  Louis  XIV  disait  de  lui  :  «  J'aime  mieux  les  re- 
«liles  du  père  Bourdaloue  que  les  choses  nouvelles  d'un 
autre.  «  Aussi  le  qualiliait-on  à  la  fois  de  prédicateur  des 
rois  et  de  roi  des  prédicateurs.  Le  maréchal  de  Gramont, 
assistant  à  un  de  ses  sermons  avec  toute  la  cour,  s'était  levé 


BOURBONNE-LES-BAlx\S  —  BOURDALOUE 


un  jour  en  s'écriant  :  »  Mordieu  !  il  a  raison.  »  El  ce  cri 
parti  du  cœur  avait  produit  une  sensation  immense. 

Après  la  révocation  de  Tédit  de  Nantes,  Louis  XIV  l'en- 
voya en  Languedoc  pour  faire  goûter  aux  nouveaux  con- 
vertis la  religion  catholique.  «  Les  courtisans ,  avait  dit  le 
roi  à  cette  occasion ,  entendront  peut-être  pendant  son  ali- 
sence  des  sermons  médiocres,  mais  les  Languedociens  ap- 
prendront une  bonne  doctrine  et  une  belle  morale.  »  Dan» 
cette  mission  si  délicate ,  qui  mettait  en  présence  les  inté- 
rêts de  son  ministère  et  les  droits  de  l'Immanité,  son  carac- 
tère d'homme  et  son  caractère  de  prêtre,  Bourdaloue  sut 
concilier  tout  ce  qu'il  devait  aux  uns  et  aux  autres,  tout  ce 
qu'il  devait  à  ses  devoirs,  tout  ce  qu'il  se  devait  à  lui- 
même.  Sa  douceur,  sa  tolérance,  lui  acquirent  l'estime  des 
deux  partis.  En  1700  il  abandonna  la  chaire,  et  se  voua 
tout  entier  aux  assemblées  de  charité,  aux  hôpitaux  et  aux 
prisons,  et,  passant  de  la  chaire  au  lit  des  mourants,  il  sut 
les  consoler  sans  les  etîrayer,  et  masquer,  par  tout  le  pres- 
tige de  l'espérance ,  toute  l'horreur  de  cette  transition  si 
redoutée  de  la  vie  à  la  mort.  Il  mourut  le  13  mai  1704,  à 
l'âge  de  soixante-douze  ans,  après  avoir  dit  la  messe  la  veille. 

Dans  ses  prédications,  Bourdaloue,  simple  et  érudit  tout 
à  la  fois,  insinuant,  concis,  nerveux,  serré  sans  séche- 
resse ,  et  profond  sans  obscurité ,  savait  se  mettre  à  la  por- 
tée de  ses  auditeurs.  Il  développait  ses  idées  avec  rapidité  et 
netteté,  tendant  prmcipalement  à  subjuguer  l'esprit;  il  eût 
été  le  premier  des  prédicateurs  si  à  sa  force  et  à  ses  moyens 
de  raisonnement  il  avait  joint  ces  mouvements  oratoires  qui 
étonnent,  entraînent  et  subjuguent.  Nourri  de  la  lecture  des 
Pères  de  l'Église,  il  avait  l'àme,  le  génie  et  l'abondance  de 
saint  Jean  Chrysostome  ou  de  saint  Augustin.  Son  style, 
quoique  sévère,  n'avait  rien  de  recherché;  mais,  plein  de  J 
force  et  d'énergie ,  il  était  fleuri,  gracieux  ou  orné  sans  affec-  fl 
tation.  Bourdaloue  excellait  particulièrement  à  traiter  les 
mystères  de  la  religion.  Boileau,  qui  n'aimait  pas  les  jé- 
suites, aimait  beaucoup  et  voyait  souvent  le  père  Bourda- 
loue. 

On  l'a  souvent  mis  en  parallèle  avec  Massillon  ;  éloquents 
tous  les  deux,  ils  le  sont  pourtant  d'une  manière  différente  : 
on  pourrait  dire  avec  raison  que  ce  que  Massillon  dut  au 
sentiment,  Bourdaloue  le  dut  à  la  profondeur  de  la  pensée. 
Les  contemporains  de  Massillon  n'ont  assigné  à  Bourdaloue 
que  le  second  rang,  en  disant  que  Bourdaloue  avait  prêché 
pour  les  hommes  d'un  siècle  vigoureux,  et  Massillon  pour 
les  hommes  d'un  siècle  efféminé.  Ce  qu'il  y  a  de  certain, 
c'est  qu'aujourd'hui  on  lira  peut-être  avec  plus  d'intérêt 
JMassillon,  parce  qu'il  joint  aux  charmes  du  style  l'enthou- 
siasme du  sentiment;  mais  ceux  qui  comptent  pour  quel- 
que chose  la  force,  l'empire  de  la  raison  et  le  talent  de  don- 
ner aux  discours  de  la  majesté,  de  la  noblesse  et  de  l'éner- 
gie, préféreront  lire  Bourdaloue.  Quelques  autres  l'ont  placé 
après  Fléchier  et  Dossuet  ;  cependant  la  première  parlied'une 
de  i,t%  Passions,  dans  laquelle  il  s'attache  à  prouver  que  la 
mort  du  fils  de  Dieu  est  le  triomphe  de  sa  puissance,  est  re- 
gardée avec  raison  comme  le  chef-d'u-uvre  de  l'éloquence 
chrétienne.  Du  reste,  Bossuet  disait  de  lui  :  Cet  homme 
sera  éternellement  mon  maître  en  tout.  C'était  infiniment 
trop  de  modestie  pour  qu'on  y  pût  croire. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Bourdaloue  eut  le  talent  de  se  faire 
goûter  également  des  grands  et  du  peuple,  des  gens  du 
monde  et  des  hommes  pieux. 

«  Bourdaloue,  dit  La  Harpe,  est  concluant  dans  ses  rai- 
sonnements, sûr  dans  sa  marche,  clair  et  instructif  dans  ses 
résultats;  mais  il  a  peu  de  ce  qu'on  peut  ai)ppeler  les  grandes 
parties  de  l'orateur,  qui  sont  le  mouvement,  l'élociition,  le 
sentiment.  C'est  un  excellent  théologien,  un  savant  caté- 
chiste, plutôt  qu'un  savant  prédicateur.  En  portant  toujours 
avec  lui  la  conviction ,  il  laisse  trop  désirer  cette  onctiou 
précieuse  qui  rend  la  conviction  efficace.  »  Il  y  a  du  vrai 
dans  ce  jugement,  qui  est  néanmoins  d'une  sévérité  excès- 


BOURDALOUE  —  BOURDON 


&69 


sive.  Qu'on  relise,  en  effet,  ses  sermons  sur  la  Conception, 
sur  la  Passion,  sur  le  Jugement  dernier,  sur  le  Pardon 
des  Injures  !  Quelle  austérité  de  style  !  et  pourtant  comme 
on  est  entraîné  par  cette  méthode  si  calme,  si  régulière,  si 
mesurée!  Sans  avoir  la  sublimité  de  Démostliènc  ni  de  Bos- 
suet,  Bourdaloue  est  parfois  aussi  éloquent.  11  semble  qu'il 
ait  sans  cesse  devant  les  yeux  c^s  pensées  sur  l'art  de  per- 
suader où  Pascal,  dans  ses  Provinciales,  trace  la  route  à  l'o- 
rateur avec  une  précision  si  simple.  Aussi  Voltaire  a-t-il  placé 
IJourdaloue  et  Pascal  à  côté  l'un  de  l'autre  dans  le  Temple  du 
Goût.  A  ce  concert  unanime  de  louanges  un  seul  homme 
ue  s'était  pas  associé  avant  La  Harpe  :  C'était  Fénelon,  génie 
pourtant  facile,  nature  douce  et  passionnée,  mais  qui  répu- 
gnait aux.  formes  exactes  et  rigoureuses  du  raisonnement  et 
n'en  comprenait  pas  la  puissance. 

«  Ce  qui  me  plaît,  ce  que  j'admire  principalement  en 
Bourdaloue,  dit  l'abbé  Maury  dans  son  Essai  sur  l'Élo- 
quence, c'est  qu'il  se  fait  oublier  lui-môme;  c'est  que,  dans 
un  genre  trop  souvent  livré  à  la  déclamation,  il  n'exagère  ja- 
mais les  devoirs  du  christianisme,  ne  change  point  en  pré- 
cejites  les  simples  conseils,  et  que  sa  morale  peut  être  tou- 
jours réduite  en  pratique.  Ce  que  j'admire  surtout  en  lui, 
c'est  l'art  avec  lequel  il  fonde  nos  devoirs  sur  nos  intérêts, 
et  ce  secret  précieux,  que  je  ne  vois  guère  que  dans  ses  ser- 
mons, de  convertir  les  détails  de  mœurs  en  preuves  de  son 
sujet  :  c'est  la  simplicité  d'un  style  nerveux  et  touchant, 
naturel  et  noble,  la  connaissance  la  plus  profonde  de  la  re- 
ligion, l'usage  admirable  qu'il  fait  de  l'Ecriture  et  des  Pères. 
Enfin  je  ne  pense  jamais  à  ce  grand  homme  sans  me  dire 
à  moi-même  :  Voilà  donc  où  le  génie  de  la  chaire  peut  s'é- 
lever quand  il  est  fécondé  et  soutenu  par  un  travail  im- 
mense. » 

Le  père  Brefonneau,  son  confrère,  a  donné  deux  éditions 
de  ses  œuvres  imprimées  à  Paris,  en  l'année  1707  et  suiv. 
La  vie  de  Bourdaloue  a  été  écrite  par  madame  de  Priugi 
(Paris,  1705,  in-4"'  ). 

BOURDALOUE.  On  a  donné  le  nom  du  prédicateur 
fameux  dont  on  vient  de  lire  la  vie,  d'abord  à  une  étoffe 
8imi)le  et  modeste,  que  les  femmes  portèrent  quelque  temps 
après  une  réforme  dans  le  luxe  opérée  par  ses  sermons  ; 
puis  à  une  sorte  de  tresse  d'or,  d'argent  ou  de  soie,  large 
d'environ  un  doigt ,  qui  se  mettait  autour  des  chapeaux 
d'homme ,  et  qui  s'attachait  à  l'aide  d'une  petite  boucle  de 
métal,  comme  il  est  d'usage  encore  aujourd'hui  d'y  attacher 
un  simple  ruban. 

BOURDE,  fausseté,  mensonge,  plaisanterie,  raillerie, 
sornette,  etc.  On  a  dit  bailler  des  bourdes,  pour  débiter  des 
mensonges,  des  contes  à  bel  argent  comptant.  Régnier  parle 
dans  une  de  ses  satires  de  gens 

Qui  baillent  pour  raison  des  chansons  et  des  bourdes. 

En  termes  de  marine ,  on  appelait  jadis  bourde  un  mât 
qu'on  employait  pour  soutenir  un  bâtiment  échoué  et  em- 
pêcher qu'il  ne  chavirât,  et  une  voile  dont  on  se  servait  à 
bord  des  galères  quand  le  temps  était  calme. 

Enfin,  on  appelait  bourde  des  espèces  de  béquilles,  de 
potences,  et  le  bâton  du  pèlerin  plus  connu  sous  le  nom  de 
bourdon . 

BOURDE  AU  (  Pierre-Alpinien-Bertrand  ) ,  pair  de 
France,  ministre  de  la  justice,  naquit  à  Rochcchouart, 
(  Haute-Vienne),  le  18  mars  1770.  Il  était  sous  l'Empire  une 
des  gloires  du  barreau  limousin.  Ses  opinions  f.ranchement 
royalistes  le  firent  nommer  adjoint  au  maire  do  Limoges , 
lors  de  la  première  restauration.  Le  gouvernement  des  Ceiit- 
Jours  crut  devoir  le  destituer.  Aussi  les  Bourbons ,  à  leur 
rentrée ,  se  firent-ils  une  obligation  de  le  réintégrer.  Ils  le 
nommèrent  de  plus  procureur  général  de  son  département , 
et  le  jour  de  son  installation  les  royalistes  de  Limoges 
vinrent  danser  des  farandoles  sous  ses  fenêtres.  Les  élec- 
teurs de  la  Haute-Vienne  allèrent  plus  loin  :  ils  le  nom- 
mer.   DE    LA   C0NVER3.    —   T.    111. 


mèrent  député,  et  Bourdeau  siégea  en  cette  qualité  dans  la 
Chambre  introuvable.  Du  siège  de  Limoges  il  passa  en  qualité 
de  procureur  général  à  celui  de  Rennes. 

Bourdeau  fut  pendant  longtemps  compté  parmi  les  ultra- 
royalistes; cependant  son  exaltation  bourbonienne  finit  par 
se  calmer  un  peu  ;  et  un  beau  jour  il  se  trouva  dans  le 
camp  de  l'opposition  royaliste  constitutionnelle,  ce  qui  lui 
valut  en  1824  les  honneurs  d'une  destitution.  Dès  lors  Bour- 
deau vota  opiniâtrement  contre  l'administration  Villèle  et 
Peyronnet  :  aussi  sa  place  se  trouvait-elle  naturellement 
marquée  parmi  les  hommes  auxquels  le  ministère  Martignac 
offrit  une  part  du  pouvoir.  L'ex-procureur  général  fut  donc 
nommé  directeur  général  de  l'enregistrement  et  des  domaines 
et  conseiller  d'État  en  service  extraordinaire,  en  1828. 
En  1829  Bourdeau  devint  tour  à  tour  sous-secrétaire  d'État 
au  ministère  de  la  justice  et  garde  des  sceaux.  Ses  circulaires 
ministérielles  attestaient  alors  un  amour  fort  médiocre  pour 
la  liberté  de  la  presse.  Il  ne  fit  pourtant  que  passer,  ainsi 
que  tant  d'autres;  mais,  comme. fiche  de  consolation,  on 
le  nomma  premier  président  à  Limoges ,  et  grand  -  officier 
de  la  Légion  d'Honneur.  Il  était  réservé  à  la  révolution  de 
Juillet  de  fiùre  de  Bourdeau  un  pair  de  France.  Après  tout, 
député  jusqu'en  1835,  époque  à  laquelle  il  donna  sa  démis- 
sion ,  il  avait  bien  mérité  de  la  dynastie  nouvelle. 

Bourdeau  serait  à  peu  près  oublié  aujourd'hui ,  sans  la 
jurisprudence  à  laquelle  on  a  donné  assez  improprement 
son  nom  ;  nous  voulons  parler  de  la  traduction  des  jour- 
naux devant  la  police  correctionnelle ,  pour  diffamation  en- 
vers des  fonctionnaires.  M.  Bourdeau ,  se  croyant  diffamé 
par  le  Progressif,  journal  radical  de  Limoges,  obtint  contre 
lui  une  condamnation  correctionnelle  en  10,000  fr.  de  dom- 
mages-intérêts. Le  cautionnement  du  Progressif  fut  insuf- 
fisant à  solder  cette  somme.  Bourdeau  émit  alors  la  pré- 
tention monstrueuse  de  faire  compléter  les  10,000  francs  par 
les  rédacteurs  en  chef  qui  avaient  précédé  le  gérant  con- 
damné dans  la  gérance  du  journal.  En  première  instance , 
il  eut  la  douleur  de  voir  repousser  cette  doctrine  de  com- 
plicité rétrospective  ;  il  ne  se  découragea  pas,  et  en  appela 
bravement  à  la  cour  qu'il  présidait  autrefois. 
Boi.rdeau  est  mort  le  12  juillet  1845.  N.  Gajxois. 
BOURDIN  (Maukice).  Foye:;  Grégoire  viii ,  antipape 
BOURDON.  On  donne  ce  nom  à  une  espèce  de  bâton 
long  fait  au  tour,  orné  d'une  pomme ,  ou  plus  haljituelle- 
ment  d'une  gourde ,  à  sa  partie  supérieure,  muni  d'un  fer 
pointu  par  en  bas ,  et  que  portent  les  pèlerins.  Planter  le 
bourdon  en  quelque  lieu  est  une  façon  de  parier  prover- 
biale et  figurée,  qui  veut  dire  :  élire  domicile  en  quelque 
lieu  ,  s'y  établir. 

En  termes  d'imprimerie,  l'omission  que  le  compositeur  a 
faite  dans  sa  feuille  d'un  ou  plusieurs  mots,  quelquefois 
même  de  plusieurs  lignes  de  la  cojjie  ou  du  manuscrit,  s'ap- 
pelle aussi  bourdon. 

On  a  encore  donné  le  nom  de  Bourdon  à  une  grosse  clo- 
che ,  telle  que  celle  de  l'église  de  Notre-Dame  à  Paris.  Celle- 
ci  est  placée  dans  la  tour  du  sud ,  et  pèse  près  de  32  mil- 
liers. Fondue  en  1682,  et  refondue  trois  ans  après,  l'année 
même  de  la  révocation  de  l'Édit  de  Nantes  (1085),  elle 
fut  solennellement  baptisée ,  ou  plutôt  bénite ,  et  eut  pour 
parrain  et  marraine  Louis  XIV  et  madame  de  Maintenon, 
qui  lui  donnèrent  le  nom  d'Emmanuel-Louise-Thérèse.  Le 
battant,  qui  fait  retentir  des  sons  graves  et  lugubres, 
pèse  480  kilogrammes.  Le  bourdon  de  Notre-Dame,  que  seize 
hommes  mettaient  en  branle  avec  peine  autrefois ,  a  été 
descendu  lors  des  travaux  de  restauration  entrepris  à  la  ca- 
thédrale de  Paris.  Après  quelques  années  de  silence,  il  a 
annoncé  sa  résurrection  le  jour  de  Pâques  1851.  Quatre 
hommes  seulement  le  faisaient  sonner.  Le  bourdon  ne  se  fait 
entendre  qu'aux  grandes  fêtes  et  dans  les  grandes  solennités. 
BOURDON  {Entomologie).  On  désigne  sous  ce  nom 
commun  plusieurs  insectes  hyménoptères,  qui  forment, 

72. 


570 


BOURDON 


dans  la  famille  des  mellifères,  (rlbu  des  apiaires,  un  genre 
nombreux,  dont  les  espèces  sont  répandues  dans  toutes  les 
parties  du  monde.  On  les  a  ainsi  nommés  à  cause  du  bruit 
sourd  qu'ils  font  en  volant.  Mais  beaucoup  d'autres  insectes, 
tels  que  guôpes,  oxées,  abeilles  proprement  dites,  et  un  grand 
nombre  de  diptères  ,  sont  aussi  des  animaux  bourdonnants. 
C'est  sans  doute  parce  que  le  bruit  du  vol  des  bourdons  se 
fait  le  plus  remarquer  parmi  les  mômes  sons  produits  par 
les  insectes  pendant  leur  mouvement  dans  l'air  qu'on  les 
a  plus  spécialement  distingués  sous  ce  nom.  Quoique  les  in- 
sectes de  ce  genre  aient  été  considérés  comme  le  type  des 
animaux  bourdonnants,  on  n'a  point  encore  étudié  d'une  ma- 
nière complète  sur  eux  les  organes  du  bourdonnement. 

On  appelle  aussi  bourdons  ou  faux-bourdons  les  mâles 
de  l'abeille  proprement  dite;  mais  les  insectes  qui  font 
e  sujet  de  cet  article  ont  le  corps  beaucoup  plus  gros,  plus 
arrondi ,  chargé  de  poils,  souvent  distribués  par  bandes  co- 
lorées. Les  enfants  les  connaissent  très-bien,  et  les  recher- 
chent pour  avoir  le  miel  renfermé  dans  leurs  corps  et  le 
sucer.  On  sait  que  les  individus  des  diverses  espèces  de 
bourdons  sont  les  uns  mâles  et  les  autres  femelles,  et  les 
troisièmes  neutres  ou  mulets.  Les  femelles  sont  plus  grandes 
(lue  les  autres  individus.  Les  mulets  ou  ouvrières  sont  d'une 
faille  intermédiaire.  Réaumur  et  Huber  fils  en  distinguent 
deux  variétés  :  suivant  ce  deraier,  plusieurs  des  ouvrières 
sont  des  femelles  plus  petites,  qui  s'accouplent  et  pondent 
des  œufs  d'où  proviennent  des  mâles  seulement,  tandis  que 
les  autres  femelles  mettent  au  jour  des  individus  des  trois 
sortes  indiqués  ci-dessus.  Les  bourdons  vivent  en  société 
de  50 ,  60  ,  et  quelquefois  de  200  à  300  individus ,  dans  des 
habitations  souterraines.  Leurs  mœurs ,  leur  industrie  ,  res- 
semblent à  celles  des  abeilles.  Cependant  les  femelles  des 
premiers  sont  moins  fécondes  que  celles  des  secondes.  Plu- 
sieurs bourdons  femelles  vivent  en  bonne  intelligence  sous 
le  môme  toit,  n'ont  pas  d'aversion  et  ne  se  livrent  pas  de 
combat.  Enfin,  suivant  Huber,  les  ouvrières  détruisent  quel- 
quefois les  œufs  que  la  femelle  pond,  pour  en  sucer  la  ma- 
tière laiteuse.  Ce  fait  extraordinaire  semblerait  démentir 
l'attachement  connu  des  ouvrières  pour  les  germes  dont 
elles  sont  les  gardiennes  et  les  tutrices.      L.  LiURENT. 

BOURDOiV  (Musique),  jeu  d'orgue  composé  de 
tuyaux  bouchés  à  leur  extrémité  supérieure,  disposition  qui, 
en  vertu  des  lois  de  l'acoustique ,  leur  fait  produire  l'octave 
grave  du  son  qui  en  sortirait  s'ils  étaient  ouverts  par  les 
deux  bouts.  L'exiguité  de  la  place  qu'occupent  les  bourdons 
est  un  grand  avantage  pour  les  petites  orgues;  mais  l'emploi 
de  tels  tuyaux  présente  l'inconvénient  de  donner  des  sons 
plus  sourds  et  plus  faibles  que  ceux  d'une  lliîte  ouverte 
sonnant  à  l'unisson. 

On  appelle  bourdon  de  32  pieds  celui  dont  le  son  le  plus 
grave  est  à  l'unisson  d'un  tuyau  ouvert  de  32  pieds;  d'où 
il  suit  que  le  plus  grand  tuyau  d'un  tel  bourdon  n'a  que  16 
pieds.  Les  fabricants  d'orgues  emploient  encore  des  bour- 
dons de  16,  de  8  et  de  4  pieds. 

Excepté  ce  dernier,  qui  est  en  étain  on  en  étojfe  (  alliage 
d'étain  et  de  plomb  ou  de  zinc),  les  bourdons  sont  ordi- 
nairement en  cliène,  quelquefois  doublé  d'étain  ou  de  plomb. 

Le  plus  long  tuyau  des  musettes  et  des  corneînuses  a 
aussi  reçu  le  nom  de  bourdon,  qui  s'applique  encore  à  la 
grosse  corde  à  vide  de  la  vielle. 

Nous  consacrerons  un  article  particulier  à  la  musique  en 
usage  pour  le  chant  des  psaumes  qu'on  appelle  fatix- 
b 0  H rdon. 

BOURDON  (  SÉBASTIEN  ) ,  peintre  distingué  de  l'école 
française,  naquit  à  Montpellier,  en  1C16,  de  Pierre  Bour- 
don, peintre  sur  verre,  qui  fut  son  premier  maître,  et  qui 
lui  donna  tout  d'abord  la  leçon  la  plus  profitable,  en  lui  re- 
commandant de  prendre  avant  tout  la  terre  et  le  ciel  pour 
modèles.  Encore  enfant,  il  fut  envoyé  chez  un  parent  qui  ha- 
bitait à  quelque  cent  lieues  de  sa  famille,  Toulouse,  je  crois. 


ou  Bordeaux  ;  on  ignorequel  genre  dévie  il  mena  près  de  ce 
parent,  et  par  ({uel  motif  il  s'engagea  tout  jeune  en  qualité 
de  soldat.  On  n'ignore  pas  moins  comment  il  obtint  peu 
après  de  quitter  le  service  ;  ce  qui  est  certain ,  c'est  qu'il 
n'y  fut  que  très-peu  de  temps.  On  n'a  au  reste  presque 
point  de  détails  précis  sur  cette  première  période  de  sa  vie. 
Au  sortir  du  service,  Bourdon  passa  en  Italie  pour  s'y  oc- 
cuper exclusivement  de  l'art  qui  était  sa  vocation  ,  et  dans 
lequel  il  devait  tenir  un  rang  inférieur  sans  doute  à  celui  des 
Michel- Ange  et  dés  Piaphael,  mais  cependant  encore  éminent. 

En  Italie  il  se  livra  avec  une  grande  assiduité ,  et  on 
peut  dire  avec  passion,  à  l'étude  des  maîtres  ;  il  s'initia  dans 
leurs  procédés,  se  pénétra  profondément  de  leur  génie,  et 
réussit  en  peu  de  temps  à  saisir,  avec  ime  merveilleuse  ha- 
bileté de  main,  la  manière  et,  pour  ainsi  parler,  le  faire 
principal  de  cliacim.  Claude  Lorrain,  Caravage  et  Bam- 
boccio  furent  cependant  ses  trois  modèles  de  prédilection , 
et  il  acquit  infiniment  dans  leur  commerce. 

A  l'âge  de  vingt-sept  ans ,  il  revint  en  France  et  se  rendit 
à  Paris.  Plein  d'imagination,  de  fougue  et  de  verve ,  s'é- 
tant  d'ailleurs  beaucoup  (orme  par  la  prati(]ue  durant  son 
séjour  en  Italie,  avec  un  travail  facile,  il  ne  tarda  pas  à  de- 
venir célèbre  dans  cette  capitale.  Le  premier  ouvrage  par 
lequel  il  se  fit  connaître  avantageusement,  et  qui  fut  comme 
la  base  de  sa  réputation,  fut  le  Martyr  de  saint  Pierre, 
qu'il  composa  pour  Notre-Dame  de  Paris.  Ce  tableau,  trans- 
porté depuis  la  révolution  au  musée  du  Louvre,  n'est  pas 
un  des  moins  remarquables  de  Bourdon  :  il  y  a  queUpies 
irrégularités  dans  la  distribution  des  figures  ;  le  dessin  par 
endroits  y  manque  peut-être  de  fermeté  et  même  de  correc- 
tion ;  mais  la  couleur  en  est  bonne ,  et  le  style  assez  gran- 
diose; les  tôtes  et  les  poses  surtout  sont  d'une  expression 
simple  et  vraie,  sinon  très-forte,  et,  à  tout  prendre,  c'est  une 
des  bonnes  toiles  de  l'école  française  du  dix-septième  siècle. 

Bourdon ,  qui  avait  le  gortt  des  voyages  et  aussi  un  peu 
d'inconstance  dans  le  caractère ,  après  avoir  exécuté  plu- 
sieurs œuvres  de  mérite  à  Paris,  partit,  en  1652,  pour 
la  Suède,  où  Christine  l'accueillit  avec  empressement 
et  le  nomma  son  premier  peintre  d'histoire.  On  rapporte 
que  la  reine  ayant  offert  à  Sébastien  une  fort  belle  partie 
des  tableaux  conquis  à  Dresde  par  son  père  Gustave-Adol- 
phe ,  notre  peintre  les  refusa  ,  «  voulant ,  dit-il ,  que  la  reine 
ne  se  privât  pas  de  cette  précieuse  collection ,  qui  était  du 
plus  grand  prix.  »  Christine  garda  les  tableaux,  et  de- 
puis ,  dans  un  besoin  d'argent ,  les  vendit  à  Rome. 

Le  séjour  de  Bourdon  à  Stockholm  ne  fut  pas  de  longue 
durée  ,  malgré  la  faveur  dont  il  jouissait.  De  retour  à  Paris, 
il  se  mit  de  nouveau  à  l'ouvrage.  Porté  dès  1648,  lors  de  la 
fondation  de  l'Académie  de  Peinture,  au  nombre  des  douze 
premiers  membres  nommés  pour  la  composer,  il  en  fut  suc- 
cessivement recteur  et  directeur;  et  il  remplit  ces  diverses 
fonctions  avec  un  vrai  zèle  d'artiste.  Il  peignait  aux  Tuile- 
ries l'appartement  du  rez-de-chaussée  du  côté  du  pavillon 
de  Flore,  lorsqu'il  fut  atteint  de  la  maladie  dont  il  mourut,  à 
Paris,  en  167}. 

Bourdon  peignait  avec  une  facilité  prodigieuse  ;  il  paria 
ime  fois  qu'/7  peindrait  dans  un  seul  jour  douze  têtes 
d'aprh  nature ,  de  grandeur  naturelle;  et  il  gagna  le 
pari.  On  remarque  dans  ces  douze  têtes,  si  rapidement 
achevées ,  ime  touche  vive  et  énergique ,  en  môme  temps 
que  des  tons  chauds  et  des  chairs  du  meilleur  effet.  Quand 
il  voulait  trop  finir,  il  énervait  en  quelque  sorte  ses  chairs, 
affadissait  son  coloris,  et  tombait  dans  les  tons  mous,  ce  qui 
ne  lui  arrivait  jamais  quand  il  laissait  courir  son  pinceau  en 
toute  liberté.  Bourdon  est  surtout  louable  pour  la  couleur  et 
l'expression  vraie  des  figures.  On  peut  le  louer  aussi  pres- 
que sans  réserve  pour  le  mouvement  général  de  la  compo- 
sition, qui  est  du  reste  d'un  excellent  goût  jusque  dans  ses 
moindies  œuvres,  un  peu  bizarre  parfois,  quant  au  sujet, 
mais  jamais  sans  quelques  parties  bien  rendues.  Comme 


BOURDON 


s:i 


tous  les  grands  peintres,  il  était  plein  de  la  nature  qu'il  vou- 
lait reproduire ,  et  il  s'attachait  à  la  rendre  dans  sa  force  et 
sa  vérité  propres.  Mais,  bien  qu'il  voulût  que  ses  toiles  res- 
pirassent la  réalité,  toute  réalité  ne  lui  était  pas  bonne ,  et  il 
se  plaisait  particulièrement  à  la  reproduction  d'êtres  et  d'ob- 
jets ,  de  paysages  et  de  scènes  d'un  ordre  peu  commun , 
ayant  quelque  attrait  par  eux-mêmes  ou  d'une  nature  choisie. 

Nous  possédons  au  musée  du  Louvre  neuf  tableaux  de 
Bourdon ,  parmi  lesquels  ceux  qui  nous  semblent  satisfaire 
le  plus  complètement  aux  conditions  de  l'art  sont  la  Des- 
cente de  Croix  et  une  Halte  de  Bohémiens.  Ses  paysages 
sont  dans  la  manière  de  Claude  Lorrain.  On  voit  aussi  au 
Louvre  un  fort  bon  portrait  de  Bourdon,  peint  par  lui-même  : 
il  est  représenté  assis ,  tenant  sur  ses  genoux  la  tête  de  Ca- 
racal la,  moulée  sur  l'antique. 

Bourdon  peut  être  pareillement  compté  parmi  les  gra- 
veurs :  on  a  de  lui  un  certain  nombre  d'eaux-fortes  très- 
estiinées ,  d'une  touche  nette  et  ferme ,  et  pleines  de  détails 
heureux  :  le  jet  en  est  franc  et  hardi.  On  les  place  dans  les 
collections  entre  les  plus  recherchées  des  maîtres  en  ce  genre, 
avec  celles  de  Callot  et  de  Rembrandt.      Charles  Romey. 

BOURDOlVrfe  l'Oise  (François-Louis),  fils  d'un  culti- 
vateur des  environs  de  Compiègne,  était  né  vers  le  milieu 
du  siècle  dernier.  Ayant  fait  ses  études  à  Paris,  il  embrassa  la 
carrière  du  barreau ,  et  il  était  procureur  au  parlement  de 
Paris  lorsque  la  révolution  le  jeta  dans  l'arène  politique. 
Patriote  exalté,  il  se  fit  remarquer  à  la  journée  du  10  août 
1792  dans  l'attaque  des  Tuileries,  et  fut  envoyé  peu  de  temps 
après  à  la  Convention  nationale  par  le  département  de  l'Oise, 
dont  il  prit  le  nom.  U  siégea  sur  les  bancs  les  plus  élevés  de 
la  Montagne ,  et  ne  laissa  échapper  aucune  occasion  de  ma- 
nifester la  violence  de  son  caractère  et  l'exagération  de  ses 
idées.  Dans  le  procès  de  Louis  XVI  il  deinanda  que  les 
blessés  du  10  août  appartenant  au  parti  populaire  tussent 
confrontés  avec  l'infortuné  monarque  ,  à  la  barre  même  de 
la  Convention ,  pour  le  rendre  solennellement  responsable 
de  la  mutilation  de  leurs  membres.  Après  l'omission  de  ce 
vœu,  dont  l'assemblée  ne  tint  aucun  compte ,  Bourdon  vota 
!a  mort  sans  appel  au  peuple  ni  sursis.  Tout  ce  qui  se  rap- 
prochait de  la  prudence  et  de  la  modération  l'irritait  :  aussi 
devint-il  l'un  des  principaux  organes  des  fureurs  de  la  i'Mon- 
tagne  contre  la  Gironde.  Il  dénonça  nominativement  Ver- 
gniaud  ,  Gensonné,  Guadet  et  Brissot,  prit  une  part  active 
à  l'insurrection  du  31  mai  et  à  la  proscription  du  2  juin, 
qui  décimèrent  la  Convention  et  privèrent  la  tribune  fran- 
çaise de  ses  plus  brillants  orateurs.  Partisan  des  Apôtres  de 
la  raison ,  il  se  déchaîna  aussi  contre  le  pieux  évoque  Gré- 
goire, lui  reprochant  de  vouloir  christianiser  la  révo- 
lution. Mais,  au  milieu  de  cette  fièvre  démagodque,  de  ce 
dévergondage  républicain ,  Bourdon  de  l'Oise  passait  pour 
ne  pas  négliger  sa  fortune.  Robespierre  le  considéra  conune 
l'un  de  ces  hommes  d'argent ,  de  ces  tribuns  immoraux  que 
Sauit-Just  appelait  les  révolutionnaires  dans  le  sens  du 
crime  :  aussi  le  fit-il  expulser  des  Jacobins. 

Bourdon  se  vengea  de  cet  affront  au  9  thermidor.  Il  se 
réunit  à  Tallien,  à  Billaud-Varennes  et  à  tous  ceux  qui  pou- 
vaient craindre  comme  lui  l'application  du  mot  de  Saint- 
Just.  U  devint  aussi  violent  réacteur  qu'il  avait  été  furieux 
révolutionnaire ,  et  demanda  la  déportation  même  de  ses 
alliés  du  9  thermidor,  tels  que  Billaud-Varennes,  Collot- 
d'Herbois  et  Barrère.  Aux  journées  de  germinal  et  de  prai- 
rial ,  il  figura  parmi  les  adversaires  les  plus  implacables  du 
jacobinisme  expirant,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  d'aller  exercer 
des  rigueurs  nouvelles  à  Chartres,  dans  le  sens  de  la  ré- 
volution, après  l'événement  du  13  vendémiaire.  Nous  ne 
devons  pas  omettre  que  ce  démagogue  furibond  ,  qui  s'était 
acharné  successivement  et  s'était  moutié  impitoyable  contre 
Yergniaud  et  Guadet,  contre  Robespierre  et  Saint-Just, 
contre  Romme  et  Goujon,  se  fit  l'avocat  de  Carrier  et  de 
Joseph  Lebon,  c'est-à-dire  des  deux  proconsuls  qui  avaient 


fait  couler  le  plus  de  san^  dans  leurs  missions  départemen- 
tales. Lefort  le  fit  entrer  au  Conseil  des  Cinq-Cents,  ou, 
malgré  ses  antécédents  révolutionnaires ,  il  se  jeta  dans  le 
parti  de  Clichy ,  qui  avait  alors  la  majorité.  Il  était  devenu 
fort  riche,  assure-t-on,  en  se  faisant  spéculateur  sur  les 
assignats  et  les  biens  nationaux,  et  ce  changement  de  for- 
tune pouvait  avoir  contribué  à  le  pousser  vers  la  bour- 
geoisie royaliste.  Mais  ce  rapprochement  ne  lui  fut  pas 
profitable;  il  ne  servit  qu'à  le  faire  comprendre  parmi  les 
proscrits  du  18  fructidor,  et  à  l'envoyer  périr  sur  cette 
terre  insalubre  de  Cayenne ,  oii  il  avait  fait  déporter  lui- 
même  ses  anciens  amis  et  collègues  de  la  Convention,  Coilot- 
d'IIerbois  et  Billaud-Varennes.  L'exil  abrégea  rapidement 
ses  jours.  Laurent  (de  l'Ardèche). 

BOURDON  de  la  Crosnière  (Léonard-Jean-Joseph) 
naquit  à  Orléans,  vers  l'année  1760,  d'nn  commis  des  finances 
qui  avait  été  mis  à  la  Bastille,  sous  l'abbé  Terray ,  pour  la 
publication  clandestine  d'un  plan  de  réforme.  Léonard 
Bourdon  se  voua  à  l'enseignement,  et  fonda  une  maison  d'é- 
ducation à  Paris  ,  quelque  temps  avant  la  révolution ,  dont 
il  embrassa  vivement  la  cause.  Soit  amour  de  la  liberté, 
soit  ressentiment  de  famille ,  il  fut  des  premiers  à  courir  au 
siège  de  la  Bastille,  et  figura  dès  lors  parmi  les  plus  chauds 
patriotes  de  la  capitale.  Après  le  10  août,  la  commune  de 
Paris  le  chargea  d'aller  surveillera  Orléans  la  translation 
des  prisonniers  qui  devaient  être  jugés  par  la  haute  cour  na- 
tionale et  qui  furent  massacrés  à  Versailles.  Ses  ennemis 
l'ont  accusé  de  ne  s'être  point  opposé  et  d'avoir  même  prêté 
son  assistance  aux  assassinats  de  cette  époque,  et  ils  ont 
cité  en  preuve  ses  intimes  relations  avec  le  fameux  Fournier 
l'Américain.  L'histoire  ne  nous  fournit  pas  de  documents 
assez  certains  pour  accueillir  une  aussi  terrible  accusation. 

Nommé  à  la  Convention  nationale  par  le  département  du 
Loiret,  Léonard  Bourdon  s'y  fit  connaître  dès  les  premières 
séances  par  l'exaltation  de  ses  opinions  et  par  la  violence  de 
ses  discours.  11  demanda  le  renouvellement  en  masse  des 
employés  de  toutes  les  administrations ,  déclarant  que  les 
lois  révolutionnaires  seraient  illusoires  aussi  longtemps  que 
les  agents  du  pouvoir  exécutif  ne  s'élèveraient  pas  à  la  hau- 
teur des  périls  et  des  exigences  de  la  révolution.  Pendant  le 
procès  du  roi ,  il  fit  la  motion  d'interdire  au  monarque  captif 
toute  sorte  de  communication  avec  sa  famille.  Il  vota  en- 
suite contre  l'appel  au  peuple  et  pour  la  peine  de  mort  avec 
exécution  dans  les  vingt-quatre  heures.  Envoyé  en  mission 
et  passant  par  Orléans ,  il  insulta  un  factionnaire ,  à  la  suite 
d'une  orgie ,  et  le  fit  ensuite  traduire  devant  le  tribunal  ré- 
volutionnaire, ainsi  que  ses  paients  et  tous  les  hommes  de 
garde  au  moment  et  sur  le  lieu  de  la  rixe.  Léonard  Bour- 
don voulait  faire  croire  à  un  projet  d'attentat  sur  la  repré- 
sentation nationale,  violée  dans  sa  personne,  et,  malgré 
le  témoignage  d'Albitte,  son  collègue,  pré'sent  à  la  scène, 
et  qui  attestait  qu'il  avait  été  l'agresseur,  la  sentinelle  et  ses 
prétendus  complices  furent  condamnés.  Présidentdes^'flCoôJTts 
et  secrétaire  de  la  Convention,  il  provoqua  la  formation 
d'une  armée  révolutionnaire  dans  chaque  département  et  le 
décret  qui  adjugea  les  biens  des  condamnés  et  des  prison- 
niers suicidés  à  la  nation.  Comme  Bourdon  de  l'Oise ,  Léo- 
nard appartenait  à  cette  faction  ochlocratique  dont  la  com- 
mune de  Paris  était  le  siège  principal  ;  comme  lui ,  il  se 
fit  le  défenseur  des  ultra-révolutionnaires ,  et  lutta  contre 
Robespierre  lui-même  pour  arracher  au  supplice  Vincent  et 
Roussin.  Cette  démonstration  indiquait  ses  affinités  et  ses 
tendances.  Robespierre  l'accusa  d'être  le  complice  d'Hébert, 
et  Léonard  Bourdon  s'en  vengea  au  9  thermidor.  Ce  fut  lui 
qui  assiégea  rhôtel  de  ville  en  cette  journée,  comme  lieu-, 
tenant  de  Barras ,  et  qui  vint  ensuite  rendre  compte  de  sa. 
victoire  à  la  Convention. 

Mais  la  réaction  le  trouva  moins  ardent  que  Bourdon  de 
l'Oise  à  abjurer  ses  précédents.  Dans  les  complots  ou  les  in- 
surrections de  germinal  et  de  prairial,  il  suivit  les  destinée» 

72. 


572 

des  débris  de  la  Montagne,  et  fut  enfin  enfermé ,  en  1795,  à 
la  citadelle  de  Ilara,  d'où  le  tira  une  prochaine  amnistie.  Il 
fit  aussi  partie  du  Conseil  des  Cinq-Cents,  où  Boissy  d'An- 
gias  le  traita  d'assassin ,  épilliète  dont  Legendre  l'avait  déjà 
qualifié  à  la  Convention.  Le  Directoire  l'envoya  en  mission  à 
Hambourg,  d'où  il  fit  expulser  les  émigrés.  Il  mourut  à  Paris, 
sous  l'Empire,  clief  d'un  établissement  d'instruction  pri- 
maire. Pendant  les  orages  de  la  terreur,  ses  agitations 
d'homme  de  parli  n'avaient  pu  lui  faire  oublier  sa  vocation 
première ,  et  il  avait  fondé  une  école  des  élèves  de  la  pa- 
trie. 11  a  laissé  :  1°  un  Mémoire  sur  r instruction  et  l'édu- 
cation nationales;  2"  Recueil  des  actions  civiques  des 
républicains  français;  3°  Le  Tableau  des  Imposteurs, 
sans-culottide  en  cinq  actes.      Lalkent  (de  l'Ardèche). 

BOURDON  (  Isidore  ) ,  médecin  en  chef  des  épidémies 
du  département  de  la  Seine,  membre  titulaire  de  l'Académie 
de  Médecine,  où  il  siège  dans  la  section  d'anatomie  et  physio- 
logie, est  né  le  2Gaoùt  1796,  àMerry  (  Orne).  Ce  fut  en  1823 
que  M.  Bourdon  revêtit  la  robe  doctorale  ;  mais  il  n'avait  pas 
attendu  la  consécration  du  dipliime  pour  devenir  médecin 
distingué,  et  déjà  la  science  lui  était  redevable  de  Considé- 
rations générales  sur  les  Animaux  et  de  trois  mémoires  qui 
dénotaient  une  intelligence  élevée,  une  observation  exacte 
et  ingénieuse,  un  travail  consciencieux.  Le  premier  de  ces 
mémoires  :  Sur  le  vomissement ,  fut  publié  en  181S.  L'au- 
teur y  démontrait ,  contre  M.  Magendie,  que  l'estomac  est 
un  agent  direct  du  vomissement,  et  que  l'on  peut  évaluer  à 
un  tiers  sa  part  d'influence  dans  cet  acte.  Le  deuxième 
mémoire  avait  pour  titre  :  De  V Influence  de  la  pesanteur 
sur  quelques  phénomènes  de  la  vie.  Le  troisième,  dont 
G.  Cuvier  accepta  la  dédicace,  et  qui  fut  loué  |)ar  l'Aca- 
démie des  Sciences,  était  intitulé  :  Recherches  sur  le  Mé- 
canisme de  la  Respiration  et  sur  la  Circulation  du  Sang. 
Ces  deux  derniers  mémoires  contiennent  des  aperçus  neufs 
et  ingénieux;  mais  ce  n'était  assez  ni  pour  l'auteur  ni  pour 
sa  science  favorite;  et  en  1828  il  publia,  en  2  volumes  in-8", 
.ses  Principes  de  l'hysioloijie  médicale,  suivis  en  18.30  d'un 
volume  de  Physiologie  comparée,  le  premier  ouvrage  im- 
portant qui  eût  été  publié  sur  cette  science ,  resté  malheu- 
reusement inachevé,  mais  qui  sera  terminé. 

Son  stage  fini  dans  les  hôpitaux,  M.  Bourdon  publia  pour 
sa  thèse  des  Considérations  sur  la  Vie  et  la  Mort.  Nommé 
presque  aussitôt  médecin  des  dispensaires  de  la  Société 
Pliilanthropique,  il  consacra  près  de  quatre  années  ù  ce 
service  pénible  et  gratuit.  Il  trouva  pourtant  encore  le 
loisir  de  publier  un  Ménwu'e  sur  les  affections  chroniques 
de  l'estomac,  auquel  participa  M.  Fouquier,  et  des  re- 
marques neuves  sur  l'anévrisme  de  Vaorte.  Quelques  an- 
nées plus  tard  il  fut  nommé  inspecteur  d'un  établissement 
tiiermal  ;  et  les  études  nouvelles  dont  cette  charge  lui  im- 
posait le  devoir  lui  suggérèrent  l'idée  de  publier  un  Guide 
aux  Eaux  Minérales,  dont  le  succès  a  pu  concourir  à  rendre 
plus  général  l'usage  des  eaux  thermales  de  la  France. 

On  doit  à  M.  Bourdon  diverses  autres  publications,  parmi 
lesquelles  il  faut  d'abord  citer  les  Lettres  à  Camille  sur  la 
Physiologie,  ou\ng^  où  l'auteur  sait  mettre  cette  science  à 
la  portée  de  tous.  Évitant  avec  talent  ce  qui  pourrait  blesser 
le  goût  le  plus  délicat ,  il  s'adresse  au  public  sous  la  forme 
abstraite  d'une  jeune  femme,  qu'il  initie  savamment  au 
jeu  de  nos  organes,  sous  la  magie  d'un  style  agréable  et  pi- 
tpiant.  Citons  en  outre  un  Essai  de  Physiognoiuonie  ;  \ei 
Illustres  Médecins  et  IS'aturalistes  des  temps  modernes; 
un  petit  Traité  d'Hygiène;  un  Mémoire  sur  la  non-con- 
tagion de  la  Peste  et  sur  tes  Quarantaines  (l'auteur,  d'ac- 
cord en  cela  avec  les  Anglais,  y  combat  le  système  des  qua- 
rantaines comme  puéril  et  d'une  inutilité  absolue);  un 
Mémoire  sur  le  chloroforme  et  V Éthérisme  ;  un  autre  sur 
la  non-contagion  du  choléra;  enfin  un  rapport  fait  à  l'Aca- 
démie de  Médecine  sur  les  Eaux  minérales  de  la  France, 
avec  des  instructions  pour  les  médecins  inspecteurs. 


BOURDON  —  BOURDONNEMENT 

M.  Bourdon  n'est  pas  seulement  un  médecin  distingué  ;  il 
occupe  une  place  incontestée  parmi  les  écrivains  les  plus 
brillants  de  ce  temps-ci,  et  il  a  pris  longtemps  une  part 
importante  à  la  rédaction  de  divers  recueils ,  journaux  et 
revues.  Le  Dictionnaire  de  la  Conversation,  entre  autres, 
lui. doit  une  foule  d'articles,  que  nos  lecteurs  n'ont  pas  man- 
qué de  remarquer.  Pendant  le  choléra  de  1832 ,  M.  Bourdon 
se  dévoua  tout  entier  au  soin  des  malades.  Lorsque  l'épidémie 
se  fut  calmée  à  Paris ,  il  accepta  la  mission  d'aller  en  province 
porter  le  secours  de  son  courage.  En  1849 ,  l'épidémie  ayant 
reparu  dans  la  capitale,  le  docteur  Bourdon  reçut  la  mis- 
sion d'inspecter  les  postes  de  secours  établis  dans  le  huitième 
arrondissement.  Ce  dévouement  avait  été  déjà  récompensé 
par  deux  médailles,  lorsque  la  ville  de  Paris  choisit  en  1851 
le  docteur  Bourdon  pour  médecin  en  chef  du  service  des 
épidémies. 

BOURDO\A'x\IS  (  Mahé  nE  la  ).  Voyez  La  BocRDOxxArs. 

BOURDOi\XEMEi\T,  bruit  sourd  et  confus  produit 
ordinairement  pendant  le  vol  de  certains  insectes.  Ce  bruit, 
qui  a  beaucoup  occupé  les  observateurs,  n'est  point  suf- 
fisamment expliqué.  On  a  cru  qu'il  était  dû  tantôt  à  la 
vibration  des  stigmates,  produit  dans  la  sortie  subite  de  l'air, 
tantôt  à  l'agilalion  et  à  la  vibration  de  l'air  par  les  ailes , 
tantôt  à  celle  des  ailerons  ou  des  cueillerons  par  les  balan- 
ciers dans  les  diptères.  Car,  bien  qu'un  seul  genre  de  l'or- 
dre des  hyménoptères  ait  été  appelé  botirdon,  beaucoup 
d'autres  insectes  pourraient  être  désignés  sous  ce  nom.  Sans 
être  naturaliste,  tout  le  monde  connaît  le  bourdonnement 
des  cousins,  des  mouches ,  des  hannetons,  des  abeilles,  des 
guêpes,  des  sphinx  ou  papillons-bourdons.  Les  entomo- 
logistes en  signalent  un  nombre  bien  plus  grand  encore. 

M.  L.  Dufour  a  constaté  que  les  trachées  de  tous  les  hy- 
ménoptères soumis  à  ses  dissections  forment  un  appareil 
plus  développé  que  dans  les  autres  ordres  d'insectes ,  et 
qu'au  lieu  d'être  constituées  par  des  tubes  cylindroïdes  et 
élastiques,  elles  offrent  des  dilatations  ou  vésicules  favo- 
rables au  séjour  de  l'air.  11  a  décrit  avec  soin  la  dispo- 
sition de  cet  appareil,  et  a  remarqué  de  plus  que  dans  les 
xylocopes  et  les  bourdons  deux  grandes  vésicules  tra- 
chéennes, qui  sont  dans  l'abdomen,  ont  chacune  à  leur 
surface  supérieure  et  antérieure  un  corps  cylindrique  gri- 
sâtre, élastique,  adhérent  dans  toute  sa  longueur  dans  les 
premières ,  et  libre  dans  les  bourdons.  Il  pense  que  ce  corps 
n'est  pas  étranger  à  la  production  du  bourdonnement, 
puisque  celui-ci  peut  avoir  lieu  même  après  la  soustraction 
complète  des  ailes.  M.  Duméril  dit  en  parlant  des  ailes  des 
abeilles  qu'il  présume  que  ce  bruit  est  le  produit  de  la  sortie 
ou  de  l'expulsion  subite  de  l'air  par  les  stigmates.  M.  Clia- 
brier,  dans  son  Essai  sur  le  Vol  des  Insectes  explique  aussi 
le  bourdonnement  par  l'air  qui  s'échappe  des  stigmate3 
durant  le  vol  ;  mais  il  en  place  le  siège  dans  les  stigmates 
du  thorax,  qu'il  nomme  stigmates  vocaux  eu  bouches  vo- 
cales. C'est  à  l'existence  de  lamelles  situées  à  l'orifice  de  ces 
stigmates  qu'est  dû,  d'après  cet  auteur,  le  bruit  bour- 
donnant. Il  a  pensé  aussi  que  la  diminution  de  ce  bruit 
produite  par  la  résection  des  ailes  tient  à  ce  qu'il  s'échappe 
un  peu  d'air  par  les  trachées  ouvertes  des  ailes  qui  ont  été 
coupées. 

M.  Bumieister,  dans  un  ouvrage  sur  les  sons  que  pro- 
duisent certains  insectes,  a  aussi  expérimenté  qu'en  coupant 
sur  un  diptère  {eristalis  tenax,  Meig)  les  ailes,  les  écailles 
ou  cueillerons  et  les  balanciers ,  le  bourdonnement  continue 
aussi  longtemps  que  le  mouvement  des  tronçons  des  ailes 
coupées.  Pour  s'assurer  si  ce  sont  les  deux  stigmates  pos- 
térieurs du  thorax  qui  en  sont  les  organes,  il  les  a  bouchés 
avec  de  la  gomme ,  il  a  excité  l'insecte  à  faire  des  mou- 
vements ,  et  pendant  qu'il  les  exécutait  il  n'a  entendu 
aucun  son.  Le  bourdonnement  eut  lieu  de  nouveau  quand 
des  battements  d'ailes  très-lbrts  eurent  rendu  libres  les 
orifices  des  stigmates.  Ces  expériences  lui  ayant    émontié 


BOURDONA'EMEN 

qu'à  ces  parties  devait  se  rattacher  un  corps  que  le  courant 
d'air  faisait  vibrer ,  il  fit  l'extraction  de  l'un  de  ces  organes, 
et  il  trouva  par  la  dissection  que  la  lèvre  postérieure  de  ce 
stigmate  s'allonge  en  dedans  en  forme  de  disque  semi-lunaire 
sur  lequel  s'élèvent  parallèlement  neuf  lamelles  d'une  sub- 
stance cornée  très-tendre ,  dont  il  a  décrit  très-exactement  la 
'«lisposition.  Il  pense  que  ces  lamelles  sont  mises  en  vibration 
par  le  choc  de  l'air  sortant  des  trachées ,  et  regarde  les 
stigmates  comme  présentant  une  analogie  frappante  avec  le 
larynx,  surtout  avec  celui  des  oiseaux.  Ayant  aussi  anato- 
misé  les  stigmates  antérieurs  du  thorax  du  même  insecte, 
Il  n'y  a  observé  aucun  vestige  des  lamelles  indiquées  ci- 
dessus.  M.  Burmeister  ne  les  a  point  trouvées  chez  les 
coléoptères  qui  bourdonnent,  comme,  par  exemple,  le 
hanneton.  Il  admet  alors  que  le  passage  de  l'air  à  travers 
le  stigmate  peut  être  la  seule  cause  du  son.  Le  bourdon- 
nement  des  coléoptères  est  proportionnellement  beaucoup 
plus  faible  que  celui  des  diptères. 

11  faut  distinguer  le  bourdonnement  produit  pendant  le 
vol  des  insectes ,  des  sons  ou  bruits  résultant  du  frottement 
mécanique  des  différentes  parties  du  corps  dans  un  grand 
nombre  d'insectes  (  cérambycius,  reduves,  etc.  ),  et  de  ceux 
exécutés  par  des  organes  spéciaux  chez  les  orthoptères  (  gril- 
lon domestique,  grande  sauterelle),  chez  les  hémiptères  (ciga- 
les chanteuses  ),  et  chez  un  papillon  dit  tête  de  mort,  qui 
pousse  un  cri  plaintif  lorsqu'on  le  touche  ou  qu'on  l'irrite. 

Le  bourdonnement  des  insectes  les  plus  communs,  tels 
que  la  mouche  domestique,  la  mouche  à  viande,  le  cou- 
sin, etc.,  est  hnportun,  incommode,  surtout  lorsiiu'il  excite 
l'idée  d'un  contact  qui  répugne  et  produit  des  sensations  dé- 
sagréables, pénibles,  ou  celle  d'une  piqûre  accompagnée  de 
douleurs  plus  ou  moins  vives,  de  gonflement  et  d'inflamma- 
tion ;  les  bœufs,  les  chevaux,  les  chameaux,  le  lion  même, 
s'agitent  dès  qu'ils  entendent  bouidonner  les  taons,  dont 
ils  redoutent  avec  raison  les  blessures.        L.  Lauiîent. 

BOURDOi\IVEMEi\T  D'OREILLES.  Les  organes 
de  l'ouïe  sont  souvent  frappés  chez  l'homme  par  des  sons 
(jui  n'émanent  d'aucune  des  causes  connues  pour  produire 
les  phénomènes  acoustiques  :  tels  sont  les  bruits  compa- 
rables au  bourdonnement  des  insectes,  au  tintement  des 
cloches,  au  bruissement,  aux  sifflements,  aux  murmures  des 
vents,  etc.,  qu'on  entend  dans  le  silence  le  plus  absolu. 
Ces  sensations  sont  ordinairement  passagères;  elles  ne  cau- 
sent aucune  incommodité  notable,  mais  quand  elles  se  ré- 
pètent fréquemment,  elles  deviennent  fatigantes,  et  si  elles 
persistent  avec  constance ,  elles  condamnent  à  un  tourment 
très-pénible.  Ceux  qui  sont  ainsi  affligés  par  des  illusions 
acoustiques  ne  peuvent  goûter  aucun  repos,  ni  se  livrer  à 
quelque  application  mentale;  ils  ne  trouvent  de  soulagement 
et  de  distraction  qu'en  entendant  des  sons  plus  intenses  : 
aussi  recherchent-ils  avecavidilé  le  bruit  des  rues  populeuses, 
des  orchestres,  des  ateliers  bruyants,  ou  bien  ils  produisent 
eux-mêmes  des  sons,  afin  de  s'étourdir.  Mais  cette  ressource 
manque  à  ceux  qui  sont  complètement  sourds,  et  qui  cepen- 
dant peuvent  avoir  aussi  constamment  les  mêmes  halluci- 
nations. 

Ces  bruits  imaginaires,  et  pourtant  réels,  sont  des  effets 
de  différentes  causes  :  ils  résultent  quelquefois  d'une  lésion 
mécanique  de  l'appareil  auditif,  par  exemple,  d'un  obstacle 
à  l'introduction  de  l'air  dans  les  cavités  auriculaires  ;  l'irri- 
tabilité de  cet  organe  peut  être  aussi  pervertie,  diminuée, 
ou  excessive.  D'autres  fois  ils  dépendent  des  affections  de 
différents  viscères ,  qui  sont  tous  solidaires  les  uns  des  au- 
tres, et  par  conséquent  on  retrouve  ces  hallucinations  dans 
rénumération  des  symptômes  de  la  plupart  des  maladies , 
l'hystérie,  l'hypochondrie,  les  fièvres ,  les  affections  vermi- 
neiises,  dans  les  douleurs  de  tête,  les  névralgies  faciales  et 
dentaires;  elles  sont  encore  perçues  quand  les  appareils 
sanguins  et  nerveux,  intimement  unis  entre  eux,  éprouvent 
une  forte  perturbation  :  ainsi,  les  hémorragies  considé- 


T  —  BOURÈTES  573 

râbles  sont  ordinairement  accompagnées  de  bourdonnements, 
de  tintements  d'oreilles.  Quelquefois  ces  bruits  ne  sont  que 
des  souvenirs,  la  mémoire  pouvant  conserver  longtemps 
l'impression  des  sons  qui  nous  ont  vivement  émus,  tels  que 
des  cris  arrachés  par  une  passion  violente ,  les  accents  de  la 
musique,  le  bruit  d'une  tempête,  etc.  L'observation  a  fait 
connaître  les  nombreuses  maladies  dans  lesquelles  on  ren- 
contre le  bourdonnement  ou  le  tintement  d'oreilles;  mais 
dans  le  plus  grand  nombre  des  cas  on  n'a  pu  découvrir 
comment  ces  fausses  perceptions  sont  produites.  D'ailleurs, 
nous  devons  avouer  que  quelques-unes  des  explications 
qu'on  en  a  données  ne  sont  pas  beaucoup  plus  satisfaisantes 
que  le  dicton  populaire  :  «  Les  oreilles  nous  tintent  parce 
qu'on  parle  de  nous.  « 

Les  moyens  de  remédier  à  ces  illusions  acoustiques  sont 
variés  comme  les  causes  dont  elles  dérivent  :  ainsi ,  dans  tel 
cas  il  convient  d'agir  directement  sur  l'appareil  auditif; 
dans  tel  autre,  il  faut  s'adresser  à  des  organes  éloignés,  qui 
affectent  l'oreille  par  sympathie,  comme  l'estomac,  les  in- 
testins, etc.,  employant  à  cet  effet  des  injections  d'air  ou 
d'eau  dans  les  cavités  de  l'oreille,  des  saignées  générales, 
des  applications  de  sangsues,  des  purgatifs,  etc. 

Le  bourdonnement  et  le  tintement  d'oreilles  qui  se  font 
entendre  dans  un  grand  nombre  de  maladies  sont  souvent 
les  signes  avant-coureurs  d'une  crise.  Chez  les  personnes  me- 
nacées d'apoplexie  par  une  constitution  sanguine,  par  leur 
âge,  etc.,  ces  bruits  précèdent  souvent  l'attaque,  et  ils  sont 
au  nombre  des  signes  qui  en  décèlent  l'imminence  :  à  ce  mo- 
ment une  saignée  ou  d'autres  moyens  rationnels  peuvent 
quelquefois  suffire  pour  détourner  un  danger  très-redou- 
table. C'est  là  un  motif  qui  doit  engager  ces  personnnes 
à  consulter  leur  médecin  quand  ces  illusions  de  l'ouïe  se 
manifestent  à  des  retours  fréquents,  surtout  si  on  remarque 
en  même  temps  des  hallucinations  d'autres  sens,  une  alté- 
ration notable  de  la  mémoire,  de  l'hésitation  dans  l'acte  de  la 
parole,  le  balbutiement,  etc.  Tout  en  signalant  l'importance 
que  les  illusions  acoustiipies  peuvent  présenter  en  certains 
cas,  nous  ajouteronsqu'ellesnedoiventéveiller aucunecrainte 
quand  elles  sont  passagères  et  quand  elles  ne  se  rencontrent 
pas  avec  des  états  maladifs.  D""  Charbonnier. 

BOURES.   Voijez  Paysans  (Guerre  des). 

BOURLTES  ou  BOURIATES,  peuplade  mongole  no- 
made d'environ  100,000  têtes,  qui  se  subdivise  en  diverses 
tribus  et  habite  lis  rives  du  Jénisséi,  delà  Leria,  de  l'An- 
gara et  du  lac  Baïkal,  dans  la  partie  méridionale  du  gou- 
vernement russe  d'Irkoiitsk,  en  Sibérie.  Ils  ressemblent, 
en  ce  qui  est  de  leur  conformation  physique,  aux  Kalmouks. 
Leur  visage  est  lisse  et  charnu,  leur  taille  est  trapue,  un  peu 
ramassée;  leurs  membres  sont  bien  découplés,  leurs  yeux 
très-rapprochés  du  nez,  leurs  sourcils  étroits,  noirs  et  forte- 
ment arqués.  Ils  ont  le  nez  camus,  aplati  du  haut,  les  pom- 
mettes des  joues  saillantes,  de  grandes  oreilles,  des  dents 
très-blanches  et  peu  de  barbe.  Ils  sont  paresseux  d'esprit,  dé- 
fiants, peu  serviables,  d'ailleurs  probes,  loyaux,  habiles  dans 
les  exercices  du  corps,  bons  cavaliers  et  excellents  archers. 
En  1644  ils  se  soumirent  au  sceptre  russe.  Ils  peuvent  mettre 
en  campagne  plus  de  vingt  mille  guerriers  armés  d'arcs,  et 
choisissent  eux-mêmes  leurs  princes  et  leurs  anciens,  sauf 
la  confirmation  du  gouverneur  d'Irkoutsk,  qui  remet  à  ceux-ci 
un  poignard,  insigne  de  leur  dignité.  Leur  vêtement  est 
en  cuir  garni  de  fourrures.  L'été,  ils  vivent  dans  des  huttes, 
dites  iourtes,  qu'ils  recouvrent  de  cuir;  et  l'hiver,  dans  des 
huttes  de  feutre.  Ils  vivent  des  produits  de  leurs  bestiaux, 
de  leur  chasse,  de  leur  industrie,  et  sont  notamment  d'ex- 
cellents forgerons.  Us  professent  une  forme  particolièro 
du  bouddhisme ,  et  nomment  leur  dieu  suprême  Octorgon 
Burkhan  ou  Tingiri  £2«r/i,7i«rt,  c'est-à-dire  Dieu  du  ciel. 
Ils  regardent  les  planètes  comme  des  dieux  inférieurs,  et 
appellent  le  chef  des  mauvais  esprits  Ockodœl.  Leurs  idoles, 
tantôt  peintes,  tantôt  composées  de  bois,  de  plomb,  de 


574 


BOUPvÈTES  —  EOURGÉNE 


feutre  et  de  peaux  d'ngneau,  sont  tiè-;-origiiiales  et  colorées 
en  noir  avec  de  la  suie.  Indépendamment  de  quelques  fai- 
bles essais  de  littérature,  ils  possèilent  des  notions  assez 
remarquables  en  médecine.  La  femme  est  à  leurs  yeux  un 
être  impur,  auquel  Papprdche  de  l'antel  des  dieux  domes- 
tiques est  interdit  dans  la  iourte.  Pour  qu'un  homme  s'as- 
soie là  où  une  femme  était  assise  avant  lui ,  il  faut  que  la 
place  ait  d'abord  été  purifiée  au  moyen  de  parfums, 

BOUREÏTE  (CiiAKLOTTe  RENlliR,  dame),  plus  con- 
nue sous  le  nom  de  Muse- Limonadière.  Bourette  était  le 
l'.om  de  son  second  mari  ;  son  premier  époux  s'appelait  Curé. 
INéfc  à  Paris,  en  1714,  elle  y  tenait  un  calé,  rendez-vous  des 
Français  et  des  étrangers  curieux  de  contempler  de  près  une 
simple  bourgeoise  qui  se  mêlait  de  faire  des  vers  aussi  bien, 
mieux  môme  que  beaucoup  de  marquises,  et  cela  à  une 
époque  où  jamais  la  l'rance  n'avait  encore  compté  autant  de 
femmes  d'esprit.  I^ourquoi  le  café  de  la  spirituelle  et  gra- 
cieuse limonadière  n'aurait-il  pas  été  aussi  fréquenté  que 
le  salon  de  l'anglomane  et  acariâtre  du  Dcffandi"  L'une,  il  est 
vrai,  était  une  modeste  industrielle,  et  l'autre  une  grande  dame, 
en  relation  intime  avec  un  ministre  de  S.  M.  Britanniciue. 
Mais  la  grande  dame  était  vieille,  infirme,  méchante,  fron- 
dant toutes  les  réputations ,  s'enlhousiasmanl  à  froid  pour 
un  étranger,  qui  avait  converti  la  corruption  ministérielle  en 
système.  M""  Bourette  avait  tout  au  moins  le  mérite  de  ne 
pas  rougir  de  sa  position  ;  elle  avait  consacré  ses  talents  à 
célébrer  les  événements  qui  intéressaient  sa  patrie.  Elle  n'é- 
tait pas  titrée,  mais  elle  était  aimable,  et  cela  vaut  mieux.  Il 
n'eùttenu  qu'à  elle  de  se  faire  marquise  ou  comtesse,  car  rien 
alors  n'était  plus  facile  ;  elle  n'ambitionna  que  le  titre  de  7t/«5e- 
Limonadicre.  Elle  mérita  l'estime  des  notabilités  contem- 
poraines; elle  aurait  pu  grossir  son  bagage  littéraire  des 
épitres  en  prose  et  en  vers  qu'on  lui  adressait  de  toutes  parts. 
Le  ministre  du  roi  de  Prusse  lui  envoya  un  étui  d'or,  le 
duc  de  Gesvres  une  écuelle  d'argent ,  et  Voltaire  une  tasse 
de  porcelaine.  Dorât  paya  largement  eu  monnaie  de  poète 
son  tribut  d'admiration  a  la  M  use- Limonadière. 

C'est  sous  ce  titre  qu'elle  publia  ses  poésies,  dédiées  au  roi 
Stanislas,  2  vol.,  1755.  La  Coquette  punie ,  comédie  en  un 
acte  et  en  vers,  ne  tut  représentée  que  sur  un  petit  théâtre 
qu'elle  avait  dressé  dans  son  café,  qu'elle  transformait  par- 
fois en  salle  de  spectacle  et  en  cercle  littéraire.  C'était  en 
1779,  l'auteur  avait  alors  soixanle-cinq  ans.  Sa  mort  eut 
lieu  en  1784.  Les  poésies  de  la  Muse-Limonadière  ont  eu 
un  succès  de  vogue,  et  le  méritaient  par  l'élégance  et  la  puieté 
du  style,  le  choix  des  sujets  et  la  finesse  des  pensées.  Cepen- 
dant elles  ne  se  trouvent  guère  plus  que  dans  les  biblio- 
thèques des  collectionneurs.  DuFiiv  (de  l'Yonne). 

BOURG,  en  Min  pa(/us,  ou  vicus,  endroit  habité,  qui 
tient  le  milieu  entre  une  ville  et  un  village.  On  entend  en 
général  par  ce  mot  un  gros  village,  avec  ou  sans  murs,  mais 
possédant  un  marché.  Il  parait  cependant  que  dans  l'ori- 
gine les  bourgs  étaient  entourés  de  nmraillcs  et  même  for- 
tifiés; et  c'est  ce  qu'indiquerait  en  elïet  l'étymologie  de  ce 
mot,  d'après  Cujas,  Nicot  et  Campden,  qui  le  font  dériver 
du  latin  pijrgus,  venu  du  grecnûpyo;,  signifiant  chez  les 
anciens  un  endroit  fortifié  défendu  par  des  tours.  Végèce 
emploie  le  mot  burgus  comme  signification  de  tom'  ou  de 
petit  château.  De  son  côté,  Luilprand,  en  pailant  des  Bour- 
guignons, dit  que  chez  eux  burgiim  signifie  un  ainiis  ou 
assemblage  de  maisons  qui  n'est  point  fermé  de  miuailles. 
Quelques  auteurs  pensent  que  notre  mot  bourg  vient  tout 
bonnement  de  l'allemaml  burg. 

Bourgade  est  l'intermédiaire  entre  le  bourg  et  le  village. 
En  Angleterre  6  or  oit  {//*,  (jue  nous  traduisons  par  6o«;-j;,  a 
un  sens  pailiculier;  c"<-,st  un  lieu  moins  im[iortant  qu'une 
ville,  plus  important  qu'un  village,  mais  jouissant  de  cer- 
taines immunités  qui  le  rendent  indé|)endant  des  autorités 
du  comté.  11  serait  plus  exact  de  traduire  ce  mot  par  celui 
de  commune. 


BOURG,  ou  «OURG-EN-BRESSE ,  ville  de  France, 
ancienne  capitale  de  la  Bresse,  aujourd'hui  chef-lieu  du 
département  de  l'Ain,  située  sur  la  rive  gauche  de  la  Reys- 
souse,  à  370  kilomètres sud-estde  Paris.  Peupléede  10,308  ha- 
bitants, elle  possède  un  tribunal  de  première  instance,  un 
collège  communal,  une  société  d'agriculture,  sciences,  let- 
tres et  arts,  un  jardin  botanique,  une  salle  de  spectacle, 
une  bibliothèque  contenant  23,000  volumes,  un  cabinet  de 
physique  et  de  chimie,  et  un  musée  départemental.  Son 
évôché  fut  supprimé  en  1536,  par  le  pape  Paul  IH.  Elle  est 
le  chef-lieu  de  la  quatrième  subdivision  de  la  huitième  di- 
vision militaire. 

Bâtie  dans  une  position  charmante ,  près  de  la  Veyle,  elle 
est  arrosée  par  des  fontaines,  et  embellie  par  de  nombreuses 
promenades.  Il  s'y  fait  un  assez  grand  commerce  de  grains, 
bestiaux,  peaux  blanches,  volailles  connues  sous  le  nom 
de  poutardcs  de  Bresse;  quant  à  son  industrie  manufac- 
turière, elle  est  à  peu  près  nulle  :  on  n'y  trouve  qu'une  seule 
typographie  et  une  filature.  Bourg  renferme  des  monuments 
assez  remarquables,  entre  autres  celui  qui  a  été  élevé  au 
général  Joiibert,  l'église  de  Notre-Dame,  la  halle  au  blé,  les 
boucheries  et  un  magnifique  hôpital  ;  mais  l'édifice  le  plus 
curieux  de  tout  l'arrondissement  est  l'église  gothique  de 
Brou,  situ('e  près  de  la  ville,  et  construite  en  151 1,  par  Mar- 
guerite d'Autriche,  tante  de  Charles-Quint.  On  y  admire  de 
riches  vitraux  et  les  mausolées  de  la  maison  de  Savoie. 

La  fondation  de  Bourg,  qui  ne  remonte  pas  au  delà  du 
treizième  siècle,  est  attribuée  aux  seigneurs  de  Baugé.  Selon 
de  Thou,  e!le  occuperait  l'emplacement  de  l'ancien  Forum 
Sebusionorum.  Elle  passa  des  Romains  aux  Bourguignons, 
auxquelsellefutenlevéepar  les  Francs.  Après  avoir  fait  partie, 
au  milieu  du  neuvième  siècle,  du  royaume  d'Arles  et  de  la 
Bourgogne  Transjurane,  elle  obéit  aux  empeieurs  d'Alle- 
magne jusqu'au  onzième  siècle,  et  fut  comprise  de  cette 
époque  au  seizième  siècle  dans  les  États  des  ducs  de  Savoie, 
qui  y  construisirent  une  citadelle.  Prise  par  les  Français 
en  1536  et  en  1600,  elle  fut  en  1001  cédée  définitivement 
à  la  France  par  le  traité  de  Lyon. 

BOURG  (Antoine  et  Annk  du).  Foyec Dubourc. 

BOURGELi\.T(CLACDE),  né  en  1712,  mort  en  1779, 
fut  le  fondateur  des  écoles  vétérinaires  en  Europe.  Le  pre- 
mier établissement  de  ce  genre  fut  créé  par  lui  à  Lyon ,  sa 
ville  natale,  en  1702.  Sa  famille  l'avait  d'abord  destiné  à 
l'étude  des  lois  :  reçu  docteur  à  l'université  de  Toulouse, 
il  suivait  môme  avec  distinctign  le  barreau  du  parlement  de 
Grenoble  ;  mais  ayant  un  jour  gagné  une  cause  qu'il  reconnut 
ensuite  être  injuste,  il  eut  honte  de  son  triomphe,  et  re- 
nonça aux  brillants  succès  que  lui  réservait  la  carrière  qu'il 
avait  embrassée ,  pour  entrer  dans  les  mousquetaires.  Le 
goût  qu'il  avait  eu  dans  sa  jeunesse  pour  les  chevaux  se 
réveilla  avec  force,  et  dès  ce  moment  il  se  livra  exclusive- 
ment à  son  étude  favorite. 

C'est  Bourgelat  qui  a  fourni  à  l'Encyclopédie  de  Diderot  et 
de  d'.\lembert  les  articles  de  ce  recueil  relatifs  à  l'art  vété- 
riuiiire  et  à  Vhippiatrique,  ou  médecine  des  animaux  do- 
mestiques, dont  il  est  considéré  conune  le  créateur.  On  a 
encore  de  lui  plusieurs  ouvrages  d'une  haute  utilité,  entre 
autres  :  un  Traité  de  Cavalerie  (Lausanne,  1747  );  Aozt- 
veaux  Prin&ipes  sur  la  Connaissance  et  la  Médecine  des 
chevaux  (Lyon,  1750-1752);  Anatomie  comparée  du 
cheval,  du  Inruf  et  du  mouton,  etc. 

BOURGÈAt:,  ou  BOURDAINE,  grand  arbrisseau  du 
genre  des  n  erpruns  ,  qui  croît  dans  les  terrains  humides, 
et  dont  le  bois  fournit  un  charbon  très-léger,  le  plus  estimé 
pour  la  fabrication  de  la  poudre  à  canon.  C'est  le  rhamnus 
frangula  de  Linné.  Bauhin  lavait  nommé  alnus  nigra  bac- 
ci/era  (aune  noir),  sans  doute  à  cause  d'une  espèce  de  res- 
seud)lance  entre  ses  feuilles  et  celles  de  l'aune;  mais  il  y  a 
une  différence  notable  dans  la  lleuraison  et  la  fructification  de 
ces  deuv  arbres.  Les  tiges  de  la  bourgène  sont  unies;  son 


i 


BOURG  ENE  —  BOUFxGEOTS 


575 


écorce  extérieure  est  brune,  l'intérieure  jaunâtre,  et  son  t)ois 
blanc  et  tendre;  ses  feuilles,  simples,  entières,  ovales,, allon- 
pcs  et  terminées  en  pointe,  veinées  et  portées  par  des  pé- 
tioles courts,  naissent  des  aisselles  et  sont  alternativement 
placées  sur  les  tiges.  Les  fleurs  sont  petites ,  verdàtres ,  à 
cinq  divisions,  réunies  en  petits  bouquets  axillaires.  Les  baies 
qui  leur  succèdent ,  globuleuses  et  noirâtres ,  renferment 
deux  ou  quatre  semences  ;  ce  fruit  possède  des  propriétés 
purgatives.  Enfin  l'écorce  intérieure  des  tiges  passe  aussi 
pour  un  violent  purgatif,  et  donne  une  couleur  rougeâtre 
assez  semblable  à  celle  de  la  garance. 

BOURGEOIS,  BOURGEOISIE.  Ces  mots,  dérivés  de 
hourg,  n'apparaissent  dans  notre  langue  française  que  vers 
le  onzième  siècle,  pour  désigner  une  c.liose  nouvelle.  C'est  à 
tort,  en  effet,  que  Ton  a  prétendu  retrouver  la  bourgeoisie 
sous  la  domination  romaine  et  même  dans  l'organisation  des 
villes  gauloises  avant  la  conquête  de  Jules  César.  La  bour- 
geoisie naquit  sous  la  féodalité  :  partout  où  un  cer- 
tain nombre  de  travailleurs  purent  se  grouper,  s'armer,  s'a- 
briter derrière  une  muraille,  on  vit  s'élever  une  bourgeoisie, 
disputant  avec  le  seigneur,  s'affrancbissant  de  certaines  ser- 
vitudes, se  donnant  des  lois  particulières,  souvent  avec  l'aide 
de  l'Église ,  parfois  sous  l'influence  de  l'autorité  royale. 
Avant  cette  époque  l'bistoire  ne  nous  montre  rien  qui  res- 
semble à  la  bourgeoisie  telle  «lu'elle  exista  au  moyen  âge. 
Au  temps  de  Grégoire  de  Tours,  les  babiiants  des  villes  gau- 
loises se  partageaient  en  six  classes  ou  décurics  :  le  clergé , 
les  familles  sénatoriales,  les  fonctionnaires  publics ,  les 
citoyens  vivant  de  leurs  revenus  nommés  stationnaires , 
les  artisans  et  agents  subalternes  de  l'administration,  les 
gens  de  main-morte  ou  demi-serfs,  sans  compter  les  serfs 
purs.  Quand  la  race  de  Cbarlemagne  se  fut  substituée  à  la 
liremière  dynastie  franque,  la  nation  ne  présentait  plus  que 
quatre  classes  :  la  noblesse,  le  clergé,  le  peuple  et  les  serfs. 
Le  peuple  [populus,  ingeimi)  se  réunissait  en  assemblées 
pour  élire  les  magistrats  et  les  évoques.  Cet  état  de  cboses 
antérieur  à  la  bourgeoisie  dura  jusqu'au  dixième  siècle. 
Quand  l'asservissement  féodal  devint  universel ,  le  premier 
secours  qui  vint  aux  populations  opprimées  ,  elles  le  durent 
au  clergé.  Les  catbédrales  et  les  autres  grands  établisse- 
ments ecclésiastiques  avaient  le  privilège  de  s'attacber  des 
liommes  de  la  cité  qui,  sous  le  nom  d'avoués  de  l'Égl'se, 
purent  se  soustraire  à  la  juridiction  du  seigneur  séculier, 
et  éviter  les  charges  les  plus  pénibles. 

Quoique  la  bourgeoisie  se  fût  ainsi  constituée  peu  à  peu 
à  l'aide  du  clergé  et  par  la  puissance  de  l'association,  ce  n'est 
réellement  qu'à  dater  de  l'affranchissement  des  communes 
qu'elle  coumiença  à  compter  dans  l'État.  Il  faut  bien  se 
garder,  du  reste,  de  confondre  les  chartes  de  bourgeoisie 
avec  celles  des  communes,  qui  organisaient  de  véritables  ré- 
publiques et  portèrent  bientôt  ombrage  à  la  puissance  royale. 
Au  contraire,  les  bourgeoisies  furent  constamment  favorisées 
par  nos  rois,  qui  finirent  même  par  s'attribuer  uniquement 
le  droit  d'en  créer.  Mais  ce  principe  ne  fut  pas  admis  sur-le- 
champ;  la  tactique  delà  royauté  fut  d'opposer  à  l'ancienne 
bourgeoisie  reconnue  ou  concédée  par  les  seigneurs  d'autres 
bourgeoisies  privilégiées,  \a.  franchise  de  bourgeoisie  par 
exemple,  qui  non-seulement  conférait  la  libre  disposition  de 
la  personne,  mais  encore  des  privilèges  et  des  prérogatives 
spéciales.  En  1215  elle  fut  accordée  à  tous  les  bourgeois 
de  Paris  et  à  trente  et  une  autres  villes  du  royaume.  Les 
francs-bourgeois  renonçaient  au  commerce  et  aux  arts 
industriels,  et  jouissaient  du  droit  de  franc-fief;  ils  devaient 
prêter  serment  au  prince.  Tous  ceux  qui  n'obtinrent  pas 
ce  titre  furent  réputés  manants,  et  de  cette  manière  la  bour- 
geoisie simple  se  trouva  discréditée. 

Une  nouvelle  institution  de  la  royauté,  la  bourgeoisie 
personnelle,  vint  couronner  son  œuvre.  Ce  fut,  entre  ses 
mains,  une  arme  terrible  contre  la  féodalité.  Voici  en  quoi 
elle  consistait  :  l'habitant  d'une  cité  put  sans  la  quitter,  et 


sans  faire  partie  d'un  corps  de  bourgeoisie ,  se  soustraire  à 
l'autorité  immédiate  et  à  la  juridiction  de  son  seigneur,  en 
acquérant  le  titre  de  bourgeois  du  roi  ou  du  royaume,  qui  le 
faisait  relever  directement  du  roi.  Une  faible  redevance  en 
nature  et  la  possession  d'une  maison  d'une  valeur  de 
soixante  sous  de  rente  suffisaient  ordinairement  pour  obtenir 
ce  précieux  titre.  Les  bourgeois  du  roi  étaient  encore  ap- 
pelés bourgeois  du  dehors,  ou  bourgeois  forains  par  oppo- 
sition aux  bourgeois  des  corps  de  bouigeoisie ,  appelés 
bourgeois  du  dedans,  parce  qu'ils  n'étaient  pas  astieints, 
comme  ceux-ci,  à  l'obligation  d'un  domicile  réel.  Les  corps 
de  bourgeoisie  eux-mêmes  furent  souvent  l'objet  de  la  faveur 
royale,  et  purent  aussi  relever  directement  du  roi.  Quant 
aux  seigneurs  dépossédés,  jamais  ils  n'étaient  indemnisés; 
on  se  contentait  de  leur  notifier  l'affranchissement  de  leurs 
vassaux  par  le  ministère  d'un  sergent. 

[Après  avoir  exposé  les  origines  et  la  formation  de  la  classe 
bourgeoise  au  moyen  âge,  il  nous  reste  à  la  suivre  dans  ses 
développements  successifs.  Outre  l'appui  qu'elle  trouva 
dans  la  royauté,  diverses  circonstances  lui  vinrent  en  aide  : 
d'abord  les  croisades,  qui  éloignent  les  seigneurs  les  plus 
turbulents,  les  forcent  à  vendre  une  partie  de  leurs  privi- 
It'ges,  et  quelquefois  l'affranchissement  complet  de  leurs 
vassaux  ;  en  même  temps  les  rapports  avec  l'Orient  aug- 
mentent le  dépôt  des  ronnaissances,  ouvrent  des  débouchés 
à  l'industrie  naissante,  créent  la  marine,  et  amènent  des  rela- 
tions commerciaiesentre  les  diverses  nations  chrétiennes  qui, 
rangées  sous  le  même  étendard,  apprennent  à  se  connaître. 

L'émancipation  des  communes  est  consolidée  par  l'éta- 
blissement des  corporations  sous  saint  Louis.  La  bour- 
geoisie dut  à  ses  corporations  des  moyens  de  ralliement,  de 
résistance  à  l'oppression;  armée  disciplinée  du  travail ,  le 
tiers  état  forma  dans  la  société  générale  comme  une  so- 
ciété distincte ,  ayant  ses  mœurs ,  ses  lois,  ses  magistrats , 
presque  un  gouvernement.  La  commune  était  surtout  une 
association  guerrière  ,  née  de  la  révolte  légalisée  des  bour- 
geois contre  les  seigneurs  :  ce  fut  dans  les  mains  des  rois 
une  arme  terrible  et  toujours  prête  /qu'ils  pouvaient  tourner 
ou  contre  leurs  barons  révoltés  ou  contre  l'ennemi  public. 
Suivi  de  ses  fidèles  bourgeois,  tenant  en  main  l'oriflamme,  ce 
premier  drapeau  national,  Louis  VI  repousse  sans  combat  l'Al- 
lemand et  l'Anglais  coalisés;  c'est  par  la  valeur  des  bour- 
geois qu'à  Bouvines,  à  Saintes,  à  Taillebourg,  Phi- 
lippe-.\uguste  et  saint  Louis  sont  vainqueurs  de  l'étranger 
ligué  avec  de  grands  vassaux  mécontents.  Sous  Philippe  le  Bel 
l'affront  de  la  chevalerie  française,  défaite  par  les  ribauds 
flamands  à  Couitray,  est  vengé  par  la  glorieuse  victoire  de 
Mons-en-Puelle,  remportée  par  les  troupes  des  communes. 

Ce  n'est  pas  seulement  sur  les  champs  de  bataille  que  la 
bourgeoisie  vient  en  aide  à  la  royauté;  elle  lui  donne  son 
or  pour  fournir  aux  frais  del'ad  mini  stration,  institution 
nouvelle  de  saint  Louis  et  surtout  de  Philippe  le  Bel.  Dans 
une  circonstance  importante ,  elle  ira  jusqu'à  lutter  en  fa- 
veur de  la  royauté ,  corps  à  corps ,  avec  la  puissa-nce  la  plus 
redoutée  de  l'époque ,  la  papauté.  Lors  de  la  querelle  entre 
Boniface  VIII  et  Philippe  le  Bel,  celui-ci  pour  ré- 
sister plus  sûrement  convoqua  les  états  généraux, c'est- 
à-dire  le  clergé,  la  noblesse  et  le  tiers  état  ou  bourgeoisie. 
Les  deux  premiers  ordres,  hésitant  devant  une  rupture  com- 
plète avec  la  cour  de  Rome,  se  contentèrent  d'envoyer  au 
pape  une  lettre  de  blâme,  que  tous  ne  signèrent  pas;  la 
bourgeoisie,  plus  dévouée  et  |tlus  indépendante,  fit  une  re- 
quête expresse  au  roi  dans  laquelle  elle  déclarait  «  la  sou- 
veraine franchise  du  loyaume,  qui  ne  reconnaît  sur  la  terre 
d'autre  souverain  fors  que  Dieu  «.  La  participation  de  la 
bourgeoi>ie  aux  affaires  était  un  premier  pas;  la  politique 
royale  alla  encore  plus  loin  dans  une  autre  institution ,  l'ano- 
blissement :  c'était  en  effet  l'anéantissement  de  la  puissance 
morale  de  la  noblesse,  puisque  désormais  le  mérite  ou  la  fa- 
veur pouvait  conférer  un  privilège  (^ue  la  naissance  seule  avait 


7G 


BOURGEOIS 


pu  donner  jusque  là.  C'était  l'abaissement  de  la  barrière  fa- 
tale entre  la  noblesse  et  la  roture  ;  du  reste,  les  rois  n'u- 
sèrent dans  l'origine  qu'avec  une  extrême  réserve  de  ce 
pouvoir,  et  presque  toujours  dans  des  vues  fiscales ,  comme 
jors  du  fameux  affranchissement  des  serfs  sous  Louis  X.  La 
fiscalité  et  l'intérêt  de  leur  puissance,  on  l'a  dit  avec  raison, 
ont  été  la  principale  règle  de  conduite  de  nos  rois. 

Les  Capétiens  direcls  avaient  grandi  avec  la  bourgeoisie. 
Durant  cette  périodeclleproduitSuger,  ministre  de  LouisVI 
et  régent  sous  Louis  VU,  Etienne  Boileau,  conseiller  de 
saint  Louis  pour  les  Établissements  de  ce  prince,  Guillaume 
de  Nogaret,  et  tous  les  membres  des  parlements  sous  Phi- 
lippe le  Hel.  Les  Valois  suivirent  une  marche  complète- 
ment différente  :  leur  rt^gne  est  Tapogée  de  la  chevalerie. 
Mais  pour  subvenir  aux  dépenses  occasionnées  par  un  faste 
tout  nouveau  ,  il  faut  accabler  le  peuple  d'impôts;  et  tandis 
que  cette  brillante  chevalerie  se  fait  décimer  à  Crécy  ,  à 
Poitiers,  à  Azincourt,  et  ouvre  ainsi  la  France  aux 
Anglais,  le  peuple,  au  contraire,  les  bourgeois,  comme  ceux 
de  Tournay  et  de  Calais  (  1347  ),  de  Rouen  (  1418  ),  en  dé- 
fendant le  royaume,  ville  à  ville,  pied  à  pied,  empêchent 
seuls  la  ruine  complète  de  la  France. 

Cependant  la  fiscalité  continuait  à  s'implanter,  malgré  les 
réclamations  les  plus  énergiques  des  peuples  et  les  ser- 
ments, toujours  violés,  des  rois;  le  mécontentement,  augmen- 
tant, se  changea  bientôt  en  rébellion  ouverte.  C'est  l'époque 
des  émeutes  de  Paris,  de  la  Jacquerie,  des  révoltes  du 
Languedoc,  de  la  Flandre ,  de  la  Bretagne,  sous  Jean  le  Bon 
et  Charles  V,  des  Mai  Ilot  in  s,  du  marchand  drapier  roi  de 
Rouen  sous  Charles  VI;  ainsi  que  des  assemblées  orageuses 
de  1355,  1356,  1357,  où  se  distingue  cette  grande  figure  d'É- 
tienne  Marcel.  Les  innovations  de  ce  prévôt  des  marchands 
ne  tendaient  à  rien  moins  qu'à  déplacer  l'autorité  ;  c'était 
presque  l'établissement  du  pouvoir  constitutionnel.  «  On  ne 
sait,  dit  Chateaubriand,  où  des  bourgeois  émancipés  depuis 
cinquante  ans  seulement  avaient  pu  puiser  des  notions 
aussi  claires  du  gouvernement  représentatif,  au  milieu  des 
préjugés  du  temps,  de  l'obscurité  et  du  chaos  des  lois.  » 
Soutenu  cnergiqueraent  par  la  municipalité  de  Paris, 
Jilarcel  fut  un  instant  le  vrai  roi  :  mais  les  temps  n'étaient 
pas  mûrs;  l'intèhigence  politique  du  reste  de  la  France  n'é- 
tait pas  éveillée;  quelques  hommes  seuls,  Marcel,  Robert 
Lecoq,  Jean  de  Pecquigny  comprenaient  la  situation.  La 
mort  ou  la  fuite  de  Marcel  et  de  ses  principaux  adhérents 
mit  fin  à  cet  informe  essai  de  révolution  populaire,  qui 
n'eut  pas  de  résultat  sérieux,  mais  qui  laissa  dans  le  peuple 
de  Paris  une  profonde  impression  de  sa  puissance  et  de  fé- 
conds souvenirs  de  liberté. 

Au  milieu  de  toutes  ces  vicissitudes,  la  bourgeoisie  gran- 
dissait en  puissance  et  en  influence  ;  le  conuiierce,  l'indus- 
trie, véritables  bases  de  sa  grandeur  future,  prenaient  chaque 
jour  de  plus  grands  développements.  Déjà  on  comptait  dans 
la  bourgeoisie  des  fortunes  princières  :  c'était  un  bourgeois 
enrichi  par  le  commerce,  ce  Jacques  Cœur  qui  prêtait  à 
Charles  Vil  200,000  écus  d'or,  et  entretenait  pendant  quatre 
ans  à  ses  frais  une  armée  pour  expulser  les  Anglais  ;  on 
peut  encore  citer  les  An  go  de  Dieppe  et  les  Anffredy  de  La 
Rochelle.  La  considération  et  rinlluence  de  la  bourgeoisie 
s'accrurent  encore  sous  Louis  XI ,  compère  des  bourgeois 
de  sa  bonne  ville  de  Paris,  qui  se  plaisait  à  s'entourer  de 
petites  gens;  mais  cette  inll\ience  n'empêchait  pas  qu'il  n'y 
eût  une  ligne  de  démarcation  bien  profonde  entre  la  bour- 
geoisie et  les  deux  autres  ordres.  On  peut  s'en  convaincre 
par  un  document  emprunte  à  l'histoire  des  états  de  14S4. 
Un  d('piilé  tlu  tiers,  avocat  de  ïroycs,  ayant  demandé  que 
cha(pie  ordre  payât  ses  députés,  en  disant  que  «  ce  serait 
une  grande  injustice,  indigne  du  clergé  et  de  la  noblesse,  de 
contraindre  ainsi  les  plus  |)auvres  à  faire  l'aumône  aux  plus 
riches,  »  Philippe  de  Poitiers,  député  de  la  noblesse,  ré- 
pondit, en  traitant  cette  prétention  d'insolente,  que  le  privi- 


lège le  plus  beau  et  le  plus  Incontesté  des  deux  ordres  était  ce- 
lui qui  leur  permettait  de  défendre  le  peuple  avec  ses  deniers 
et  non  avec  les  leurs  ;  que  d'ailleurs  les  devoirs  du  clergé  ' 
étaient  de  prier  pour  les  autres,  de  conseiller  et  de  prêcher; 
ceux  de  la  noblesse,  de  protéger  le  pays  avec  ses  armes; 
ceux  du  tiers  de  nourrir  et  d'entretenir  les  nobles  et  les  gens 
d'église  au  moyen  des  impôts  et  de  l'agriculture  ! 

Le  seizième  siècle  ouvre  une  nouvelle  ère  pour  la  bour- 
geoisie ;  elle  brille  du  plus  vif  éclat  dans  la  personne  de 
Michel  rilospital  et  de  son  noble  et  savant  cortège,  Oli- 
vier, Dumoulin,  Cuj  as,  Coquille,  Amyot,  Mal- 
herbe, Agrippa  d '  A  u  b  i  g  n  é ,  puissantes  individualités  qui, 
malgré  leur  obscure  naissance,  s'élèvent  aux  premiers  rangs. 
«  Trois  causes,  a  dit  M.  Augustin  Thierry,  dans  son  Intro- 
duction aux  monuments  inédits  du  Tiers  État,  concou- 
rent à  diminuer  pour  la  haute  bourgeoisie  l'intervalle  qui  la 
séparait  de  la  noblesse  :  l'exercice  des  emplois  publics,  et 
surtout  des  fonctions  judiciaires ,  continué  dans  les  mêmes 
familles  et  devenu  pour  elles  comme  un  patrimoine  par  le 
droit  de  résignation  ;  l'industrie  des  grandes  manufactures, 
qui  créait  d'immenses  fortunes,  et  ce  pouvoir  de  la  pensée 
que  la  renaissance  des-lettres  avait  fondé  au  profit  des  es- 
prits actifs.  En  outre,  la  masse  entière  de  la  population  ur- 
baine avait  été  remuée  profondément  par  les  idées  et  les 
troubles  du  siècle,  les  hommes  de  tout  rang  et  de  toute 
profession  s'étant  rapprochés  les  uns  des  autres  dans  la 
fraternité  d'une  même  croyance  sous  le  drapeau  d'un  même 
parti.  La  Ligue,  surtout,  avait  associé  étroitement  et  jeté 
pêle-mêle  dans  ses  conseils  l'artisan  et  le  magistrat ,  le  pe- 
tit marchand  et  le  grand  seigneur  ;  l'union  dissoute ,  les 
conciliabules  fermés,  il  en  resta  quelque  chose  dans  l'àme 
de  ceux  qui  retournaient  alors  à  la  vie  de  la  boutique  ou  de 
l'atelier,  un  sentiment  de  force  et  de  dignité  personnelle 
qu'ils  transmirent  à  leurs  enfants.  »  ' 

L'année  1014  vit  la  dernière  assemblée  des  états;  la  bour- 
geoisie s'y  distingua  encore,  par  l'ardeur  avec  laquelle  elle 
défendit  contre  les  deux  ordres  privilégiés  les  prérogatives 
de  la  royauté,  et  par  le  désintéressement  dont  elle  fit  preuve 
dans  l'affaire  de  la  Paul  et  te,  et  en  offrant  d'abolir  toute 
vénalité  dans  les  charges.  C'était  dignement  terminer  sa  car- 
rière politique.  A  partir  de  1615  la  bourgeoisie  n'eut  plus 
pour  la  représenter  que  les  Parlements,  qui,  malheureu- 
sement ,  ne  surent  attacher  leur  nom  à  aucune  réforme  so- 
ciale sérieuse  ;  leur  courageuse  défense  des  libertés  galli- 
canes a  seule  des  droits  à  notre  reconnaissance;  encore  ne 
faisaient-ils  que  continuer  la  glorieuse  tradition  de  quelques 
rois  et  des  états  généraux. 

L'abaissement  de  la  féodalité  sous  Richelieu  contribua  à 
l'élévation  de  la  bourgeoisie  ;  on  peut  toutefois  reprocher 
à  ce  grand  ministre  d'avoir,  en  vue  de  l'unité  politique, 
trop  étouffé  les  libertés  mimicipales ,  puissance  réelle  de  la 
bourgeoisie;  mais  il  lui  rendit  un  service  immense  en  or- 
donnant à  l'intérieur  du  royaume  la  destruction  de  tous  les 
châteaux  fortifies,  véritables  nids  de  la  tyrannie  seigneu- 
riale. Les  troubles  de  la  régence  d'Anne  d'Autriche  enhardi- 
rent l'audace  des  parlements  et  de  la  bourgeoisie ,  et  plus 
d'une  fois  la  cour  dut  fuir  ou  accepter  les  conditions 
des  Parisiens  mutinés.  Par  sa  politique  systématique  en- 
vers la  noblesse ,  Louis  XIV,  tout  en  amenant  le  triomphe 
de  la  royauté,  préparait  à  son  insu  celui  de  la  bourgeoi- 
sie; Colbert,  n'est-ce  pas  l'avènement  de  la  bourgeoisie  au 
pouvoir?  A  cette  époque,  en  effet,  sous  le  rapport  de  l'éner- 
gie morale  et  intellectuelle,  la  bourgeoisie  est  parvenue  au 
plus  haut  degré  de  son  développement  :  quelle  bourgeoisie 
que  celle  qui  produit  en  un  demi-siècle  Colbert,  Fouquet, 
Louvois,  Le  Tellier,  Corneille ,  Molière,  Pascal,  Racine, 
La  Fontaine,  Boileau,  Rossuet,  Bourdaloue,  Arnauld,  Ni- 
cole, Domat,  Fabert,  Le  Poussin,  Lesueur,  Le  Lorrain  ,  Le 
Brun,  Perrault,  Puget,  etc. ,  c'est-à-dire  tous  les  adminis- 
trateurs, les  écrivains  et  les  artistes!  Aussi  Saint-Simon,  U 


I 


BOURGEOIS  —  BOURGEON 


flernier  des  grands  seigneurs,  croit-il  flétrir  dans  ses  nK^moires 
le  règne  de  Louis  XIV  en  l'appelant  «  le  règne  de  la  vile 
bourgeoisie  » .  C'était  encore  en  faveur  de  la  bourgeoisie  que 
Louis  XIV  créait  l'ordre  de  Saint-Louis,  et  Louis  XV  ce- 
lui du  Mérite  Militaire ,  institutions  presque  démocratiques , 
puisque  la  naissance  n'était  pour  lien  dans  les  conditions 
d'admission.  Ce  beau  tableau  a  malheureusement  des  om- 
bres :  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes  et  les  odieuses 
persécutions  qui  la  suivirent  privèrent  la  France  de  plu- 
sieurs millions  de  citoyens  qui ,  grâce  à  la  protection  éclai- 
rée de  Colbert ,  commençaient  à  donner  un  rapide  essor  à 
l'industrie,  et  qui  allèrent  porter  à  l'étranger  leurs  richesses 
et  leur  habileté  déjà  proverbiales. 

La  banqueroute  de  Law,  en  bouleversant  toutes  les  for- 
tunes et  tous  les  rangs,  servit  encore  la  cause  de  la  bour- 
geoisie :  sous  Louis  XV  la  marche  ascensionnelle  continue  ; 
c'est  dans  la  bourgeoisie  que  Louis  XV  va  chercher  les  objets 
de  ses  passions;  aux  sœurs  de  Nesle  succède  M"*^  Poisson, 
plus  tard  marquise  de  Pompa d  ou r,  protectrice  des  gens 
de  lettres  et  des  économistes,  et  artiste  elle-même  ;  grâce  à 
sa  protection,  les  pliilosophes  du  dix-huiiième  siècle  mettent  à 
la  cour  le  ton  libéral  à  la  mode,  et  achèvent  l'éducation  po- 
litique du  tiers  état.  Après  la  fille  du  boucher  des  Invalides 
vint  la  (ilîe  du  commis  aux  barrières,  M"""  Dubarry.  Mais 
la  bourgeoisie  est  elle-même  un  corps  privilégié  :  1789,  en 
abolissant  les  jurandes,  les  maîtrises,  et  les  autres  barrières 
qui  arrêtaient  l'élan  de  la  bourgeoisie,  lui  ouvre  une  voie 
large  et  nouvelle  vers  la  considération,  la  fortune,  la  puis- 
sance publique.  La  république  et  l'Empire  voient  de  simples 
paysans  s'élever  par  leur  courage  aux  grades  les  plus  élevés  : 
les  Kléber,  les  Hoche,  les  Moreau,  les  Augereau,  les  Ber- 
nadette, et  tant  d'autres,  sont  des  bourgeois  ou  des  plé- 
béiens illustrés  par  la  victoire. 

Un  instant  comprimée  sous  la  Restauration,  la  bourgeoisie 
reprend  son  expansion  puissante  après  les  journées  de  Juil- 
let 1830.  Des  écrivains  éraincnts,  de  grands  publicistessont 
chargés  des  rênes  de  l'rtat  :  la  plupart  sortent  des  rangs  de 
la  bourgeoisie.  L'histoire  a  déjà  nommé  le  règne  du  dernier 
roi,  le  règne  de  la  bourgeoisie.  Mais  le  pays  était  encore 
privé  de  ses  droits  politiques.  La  bourgeoisie  elle-même 
sentait  ses  rangs  trop  serrés;  le  gouvernement  tentait  de 
recréer  une  aristocratie  bourgeoise;  sourd  à  de  légitimes 
et  pressantes  réclamations,  Louis-Philippe  voit  une  révolu- 
tion éclater  aux  cris  de  Vive  la  Réforme  !  et  bientôt  la  ré- 
publique est  proclamée  de  nouveau.  Son  premier  décret,  le 
suffrage  universel,  est  le  résultat  naturel  et  inévitable  de  la 
progression  continuelle  de  la  bourgeoisie;  l'égalité  politique 
venait  s'ajouter  à  l'égalité  civile,  1848  complétait  1789.  Ce 
devait  être  là  l'ère  d'un  nouvel  avenir.  Dès  lors  la  bour- 
geoisie se  confond  dans  la  nation.  Parce  qu'elle  en  est  la 
l)artie  éclairée,  elle  pense  un  moment  ressaisir  la  puissance. 
Les  discussions  du  capital  et  du  travail  divisent  la  bour- 
geoisie et  le  peuple  ;  diverses  circonstances  amènent  son 
triomphe.  Elle  cherche  alors  à  se  reconstituer  en  créant  des 
catégories  d'électeurs;  mais  le  coup  d'État  du  2  décembre 
1851  vient  de  nouveau  porter  une  grave  atteinte  à  son 
influence  en  rétablissant  le  suffrage  universel .  Pour  être  forte, 
qu'elle  se  souvienne  que  sa  place  est  à  la  tête,  à  l'avant- 
garde  du  peuple,  de  la  nation,  et  non  à  la  remorque  des 
vieux  partis!  A.  Feillet.  J 

BOURGEOISIE  (Droit  de).  On  entend  par  ce  mot 
la  possession  de  tous  les  avantages  et  privilèges  attachés  au 
fait  du  domicile  et  de  la  résidence.  Dans  les  cantons  suisses 
et  les  villes  libres  d'Allemagne  le  droit  de  bourgeoisie  équi- 
vaut au  droit  de  nationalité;  quant  aux  pays  où  le  droit  de 
Lourgeoisiene  comprend  que  des  avantages  municipaux,  qui, 
par  la  nature  même  des  choses,  varient  à  l'infini  suivant  les 
localités,  c'est  plutôt  l'usage  qu'une  loi  écrite  qui  le  règle. 
Cependant  l'on  accorde  généralement  sur  ce  point  que  ce 
droit  n'appartient  qu'aux  nationaux  domiciliés  d'origine 

I»ir,T.    DE    LA    CONVEKS.    —   T.     III. 


Ô77 


dans  la  cité;  les  auti-es  nationaux  dotvent  subir  un  temps 
d'épreuve,  qui  habituellement  est  fixé  à  une  année  de  rési- 
dence lorsqu'il  s'agit  des  droits  de  petite  bourgeoisie,  et  à 
dix  années  lorsqu'il  s'agit  des  droits  de  gra7ide  bourgeoisie, 
lesquels  appellent  à  l'administration  même  de  la  ville. 

Le  droit  de  bourgeoisie  a  été  conféré  quelquefois  à  des 
princes  sous  la  protection  desquels  les  villes  voulaient  se 
placer.  C'est  ainsi  que  Louis  XI  reçut  le  droit  de  bourj^ieoisie 
des  Suisses. 

BOURGEON.  On  nomme  bourgeons  ces  petits  corps 
ovoïdes,  arrondis  ou  coniques,  germes  ou  rudiments  vi- 
sibles, mais  non  développés,  des  branches,  des  feuilles  et  des 
fleurs,  qui  naissent  sur  la  tige  proprement  dite,  à  l'aisselle 
des  feuilles,  au  sommet  des  rameaux  ou  bien  au  collet  des 
racines  d'un  végétal.  Ils  commencent  à  poindre  en  été  à  l'é- 
poque delà  grande  végétation,  et  portent  alors  le  nom  d'yeux. 
Ils  grossissent  un  peu  en  automne,  puis  ils  restent  station- 
naircs  j)endant  l'iiiver ,  et  ne  reprennent  leur  végétation  qu'au 
printemps,  oii  ils  se  gonflent  et  reçoivent  proprement  le 
nom  û&bourgeons.  Ces  organes  sont  protégés  par  des  écailles 
ou  des  stipules  souvent  avortés  ;  dans  les  climats  septentrio- 
naux, ces  écailles  sont  en  plus  grand  nombre,  et  d'autant 
plus  serrées  qu'il  s'agit  de  résister  à  un  froid  plus  long  et 
plus  intense  ;  mais  dans  les  contrées  méridionales ,  dans  toutes 
les  circonstances  où  les  végétaux  sont  soustraits  aux  intem 
péries  de  l'air,  ces  stipules  ou  folioles  n'avortent  point;  ils 
se  transforment  en  feuilles,  et  le  bourgeon,  complètement  nu 
s'allonge  ainsi  et  se  développe  dans  toutes  ses  parties.  Par 
son  allongement ,  un  bourgeon  débranche  devient  une  ^ewne 
pousse  :  on  nomme  ainsi  tout  jet  ou  toute  production  végé- 
tale de  l'année,  qui  n'a  point  encore  acquis  toute  sa  longueur. 

On  distingue  trois  sortes  de  bourgeons ,  selon  les  pousses 
diverses  auxquelles  ils  doivent  donner  naissance  :  r  les 
bourgeons  à  feuilles  ou  à  bois,  qui  ne  donnent  que  des 
branches  chargées  de  feuilles,  et  qui  sont  allongés  et  pointus  ; 
2°  les  bourgeons  à  fleurs  ou  à  fruits ,  courts  et  arrondis, 
qui  ne  produisent  que  des  fleurs ,  et  que  l'on  désigne  com- 
munément par  le  nom  à&  boutons  ;Z''  les  bourgeons  mix- 
tes, qui  donnent  à  la  fois  des  feuilles  et  des  fleurs,  et  dont 
la  forme  tient  le  milieu  entre  celles  des  deux  classes  précé- 
dentes. Un  jardinier  tant  soit  peu  exercé  distingue  sur  un  ar- 
bre fruitier  le  bourgeon  qui  doit  produire  des  fleurs  de  celui 
qui  ne  produira  que  des  feuilles ,  ou  de  celui  qui  produira 
tout  à  la  fois  des  fleurs  et  des  feuilles. 

Les  bourgeons  radicaux  ,  ou  qui  naissent  du  collet  de  la 
plante,  ont  reçu  des  dénominations  particulières  :  ceux  des 
plantes  vivaces,  qui  sont  placés  ii  fleur  de  terre ,  comme  dans 
l'asperge,  dont  on  mange  les  jeunes  pousses,  s'appellent 
turions,  et  ceux  qui  sont  soutenains  et  formés  d'écaillés 
imbriquées,  tels  que  les  oignons  des  liliacées,  portent  le  nom 
de  bulbes.  Il  se  développe  enfin  quelquefois  sur  les  tiges 
de  certains  végétaux  de  très-petits  tubercules  et  des  germes 
qui  se  détachent  d'eux-mêmes  de  la  plante  qui  leur  a  donne 
naissance,  et  qui  sont  susceptibles  de  produire  de  nouveaux 
individus  quand  on  les  sème  ;  cette  espèce  particulière  de 
bourgeon  porte  le  nom  de  bulbille.  On  divise  aussi  les 
bourgeons  &n  foliacés,  pétiolacés,  stipulacés  eXfulcracés , 
suivant  que  les  écailles  qui  entrent  dans  leur  composition 
sont  des  feuilles,  des  pétioles,  des  stipules  avortés,  ou  des 
pétioles  et  des  stipules  à  la  fois. 

Dans  la  taille  des  arbres  fruitiers  il  faut  distinguer  un  se- 
cond ordre  de  bourgeons,  et  appeler /«îta:  bourgeon  celui  qui 
perce  de  l'écorce  ;  ces  sortes  de  bourgeons  sont  toujours  mai- 
gres, poreux,  ne  sont  point  assez,  élaborés,  et  il  convient 
de  les  supprimer  à  la  taille,  à  moins  que  la  nécessité  n'o 
blige  de  les  conserver  pour  garnir  des  vides.  Le  mot  bourgeon 
est  ordinairement  accompagné  aussi  d'une  épithètequi  dé- 
signe la  manière  dont  il  est  placé  sur  la  branche  :  ainsi  on 
l'appelle  bourgeon  vertical,  lorsqu'il  est  perpendiculaire  à 
la  branche;  c'est  cette  espèce  de  bourgeon  qui  fait  ce  qn'oQ 

73 


578 


BOURGEON  —  BOURGES 


nomme  bois  gourmand,  qui  emporte  l'arbre,  et  qui  absorbe 
une  si  grande  quantité  de  sève  que  les  autres  branches  en 
sont  appauvries  et  exténuées.  Il  est  absolument  nécessaire 
lia  ne  pas  les  conserver,  non  plus  que  les  bourgeoyis  anté- 
rieurs et  les  bourgeons  postérieurs,  qui  doivent  être  égale- 
ment abattus  ;  on  ne  conserve  ordinairement  que  les  bour- 
geons latéraux ,  c'est-à-dire  ceux  qui  croissent  de  droite 
et  de  gauche  de  la  branche. 

Bourgeons  est  aussi  le  nom  d'une  espèce  de  boutons  qui 
viennent  principalement  au  visage,  et  dont  sont  affectées 
plus  particulièrement  les  personnes  qui  font  abus  du  vin  et 
(les  liqueurs  fortes ,  comme  si  l'on  voulait  faire  entendre 
par  cette  expression  qu'elles  éprouvent  les  mêmes  influences 
que  la  vigne,  et  que  les  sucs  dont  elles  s'abreuvent,  sem- 
blables à  la  sévc ,  ont  le  pouvoir  de  pousser  des  bourgeons. 
C'est  ainsi  que  Boileau  nous  représente  la  Discorde  : 

Elle  prend  d'un  \ieux  chantre  et  la  taille  et  la  forme, 
Elle  peint  de  bourgeons  son  visage  guerrier. 

De  là  aussi  l'expression  de  visage  bourgeonné ,  qui  répond 
à  une  autre,  beaucoup  plus  familière,  celle  de  rouge-trogne, 
et  que  l'on  applique  aux  personnes  que  l'on  suppose,  d'après 
(les  indices  souvent  très-incertains ,  être  livrées  à  la  boisson , 
tandis  qu'il  est,  au  contraire,  des  cas  où  les  personnes  les 
plus  sobres,  et  qui  ne  font  même  nul  usage  du  vin  et  des 
liqueurs,  sont  soumises  à  ces  affections  cutanées,  pro- 
duites souvent  par  une  irritation  chronique,  dont  la  cause 
peut  varier  à  l'infini  (  voyez  Bouton  ). 

BOURGEONNEMENT.  Ce  nom  usuel  désigne  le 
mode  de  reproduction  par  bourgeons,  que  présentent  un 
ceitain  nombre  d'animaux  inférieurs  et  la  très-grande  ma- 
jorité des  végitaux  connus.  On  sait  qu'on  le  désigne  encore 
sous  les  nomsde  génération  gemmipare  ou  degenumparité 
et  de  gemmation.  Ce  mode,  bien  étudié  chez  les  plantes, 
l'a  été  beaucoup  moins  sur  les  animaux.  Les  considérations 
qui  se  rattachent  à  l'étude  comparative  des  bourgeons 
animaux  et  V('gétaux  sont  devenues  pour  les  physiologistes 
modernes  un  sujet  de  recherches  nouvelles,  dont  nous  par- 
lerons à  l'article  Emehyogéme.  L.  Laurent. 

BOERGERY  (Marc-Jean),  docteur  en  médecine, 
auteur  d'un  magnifique  ouvrage  d'anatomie  ,  naquit  à  Or- 
léans, ea  1796.  De  médiocres  ressources  lui  donnant  hâte 
d'exercer  son  art,  il  se  fit  recevoir  précipitamment  officier 
de  santé,  et  fut  pendant  près  de  dix  années  médecin  ré- 
sident aux  célèbres  fonderies  de  cuivre  de  Roniilly  (  Eure  ). 
Le  docteur  Héclard  l'ayant  rencontré  dans  les  courses  an- 
nuelles de  président  des  jurys  médicaux,  reconnut  en  lui 
un  homme  distingué,  auquel  élaient  familières  les  finesses 
môme  de  l'anatomie.  Il  chercha  en  conséquence  à  l'attirer 
vers  Paris,  et  d'abord  vers  le  doctorat,  afin  qu'il  devînt 
libre  d'aller  plus  loin  et  plus  haut  sans  intrusion.  11  était 
à  peine  reçu,  qu'il  s'occupait  avec  zèle  de  la  publication  de 
l'ouvrage  d'analomie  qui  a  fondé  sa  réputation.  Après  avoir 
choisi  M.  H.  Jacob  pour  dessinateur  lithographe,  il  obtint 
l'utile  appui  de  Benjamin  Delessert,  philanthrope  curieux 
d'encourager  des  œuvres  remarquables  et  d'un  placement  dif- 
ficile. Le  ministère  de  l'Instruction  publique  suivit  l'exemple 
du  baron  Delessert,  mais  avec  une  efficacité  croissante,  dès 
que  M.  de  Sal  vandy  fut  chargé  de  la  gestion  des  affaires 
scientifiqueset  littéraires  et  rendu  maîtrcdes encouragements. 

L'ouvrage  d'anatomie  dont  nous  parlons  réunit  le  double 
et  rare  avantage  d'avoir  pour  auteur  un  médecin  ami  des 
arts,  qui  aurait  pu  diriger  un  artiste  inexpérimenté ,  et  pour 
dessinateur  un  artiste  initié  dès  longtemps  à  la  science  ana- 
tomi(iue.  Pouvant  ainsi  s'entrc-éclairer  et  sachant  se  com- 
prendre, les  deux  auteurs  pensèrent  en  commun  et  se 
prêtèrent  un  mutuel  appui.  Voilà  ce  qui  empreint  leur 
ouvrage  d'une  perfection  relative  à  laquelle  avant  eux  per- 
sonne encore  n'avait  atteint,  "-^i  c;  n'est  Scarpa  pour  quelques 
rcjjions  du  corps  humain. 


Non-seulement  Bourgery  retrace  dans  son  livre  des 
muscles  etdes  ligaments  récemment  découveils  ou  retrouvés, 
mais  il  montre  avec  talent  comment  les  organes  s'unissent 
et  s'isolent  par  des  gaines;  ce  que  les  opérateurs  doivent 
craindre  et  éviter  ;  et  enfin ,  les  formes  vraies  que  les  peintres 
ont  à  représenter  quand  ils  restent  fidèles  à  la  nature.  L'au- 
teur expose  en  outre  la  texture  intime  des  membranes, 
les  rapports  des  vaisseaux  sanguins  et  des  nerfs,  et  il 
insiste  beaucoup  sur  la  structure  des  poumons ,  qui  selon 
lui  ne  renferment  aucune  cellule,  mais  sont  composés  de 
canaux  partout  continus,  dont  les  fines  ramifications  s'anas- 
tomosent en  formant  d'inextricables  labyrinthes. 

Cet  ouvrage,  qui  a  para  par  hvraisons  depuis  1830  jus- 
qu'en 1849,  époque  où  l'auteur  mourut  du  choléra,  se  com- 
posait alors  de  80  livraisons  in-folio.  Il  devait  en  avoir  90. 
Le  même  auteur  avait  interrompu  son  grand  tiavail  pour 
en  publier  un  abrégé  en  20  livraisons  et  de  demi-grandeur, 
sous  le  titre  d'Anatomie  élémentaire  (  Paris,  1834-1842  ). 

Bourgery  était  chevalier  de  la  Légion  d'Honneur  et  on 
l'avait  inscrit  candidat  à  l'Institut  pour  le  remplacement  du 
Baron  Larrey.  Il  avait,  quelque  temps  avant  de  mourir, 
épousé  la  veuve  du  docteur  Félix  Thibert,  dont  il  dirigeait 
le  remarquable  musée  d'anatomie  imitative.     Isid.  Bourdon. 

BOURGES,  ville  de  France,  chef-lieu  du  département 
du  C  her ,  située  sur  le  penchant  d'un  coteau  entouré  d'une 
vaste  plaine,  au  confluent  de  l'Auron  et  de  l'Yèvre,  à  232 
kilomètres  de  Paris.  Le  chemin  de  fer  du  centre  la  met  en 
relation  avec  la  capitale.  Siège  d'un  archevêché  qui  a  pour 
sufTragants  les  diocèses  de  Clermont,  Limoges,  le  Puy, 
Tulle  et  Saint-Flour,  d'une  cour  d'appel,  d'un  tribunal  de 
première  instance,  d'un  tribunal  de  commerce,  de  la  19*  divi- 
sion militaire,  d'une  direction  d'artillerie,  d'un  arrondissement 
forestier ,  Bourges  possède ,  en  outre  ,  un  lycée ,  un  musée 
de  peinture  et  d'antiquités,  une  bibliothèque  de  20,000 
volumes,  un  théâtre,  une  société  d'antiquités ,  d'histoire 
et  de  statistique,  et  un  séminaire  diocésain.  Aujourd'hui 
siège  d'une  Académie,  Bourges  avait  autrefois  une  université 
fondée  par  Louis  XI  en  1463,  laquelle  dut  longtemps  sa 
grande  célébrité  au  mérite  de  ses  professeurs ,  et  surtout  à 
celui  de  l'illustre  Cuj  as.  Sa  population  s'élève  à  21,670  ha- 
bitants. 

La  stagnation  de  son  industrie  manufacturière  est  prin- 
cipalement attribuée  à  plusieurs  incendies  qui  l'ont  ravagée 
à  diverses  époques,  à  celui  de  1487,  entre  autres,  qui  dé- 
truisit plus  de  trois  mille  maisons  et  porta  à  son  commerce, 
alors  très-florissant,  un  coup  dont  il  ne  s'est  pas  relevé. 
Les  fabricants  de  drap  qui  y  étaient  établis  en  grand  nombre 
émigrèrcnt  ailleurs,  particulièrement  à  Lyon.  On  y  trouve 
cependantencore  quelques  fabriques  de  drap,  de  couvertures 
de  laine,  et  de  coutellerie  estimée.  Il  s'y  tient,  en  outre,  des 
foires  importantes,  où  les  moutons,  les  laines,  les  peaux, 
les  vins  et  les  chanvres  deviennent  l'objet  de  transactions 
considérables. 

Bourges ,  qui  se  divise  en  vieille  et  nouvelle  ville ,  était 
autrefois  entourée  d'une  épaisse  muraille,  flanquée  de  quatre- 
vingts  tours.  Parmi  ses  édifices,  trois  seulement  offrent  de 
l'intérêt:  l'archevêché ,  la  cathédrale  et  rh()tel  de  ville.  L'ar- 
chevêché renferme  dans  ses  jardins  un  monument  élevé  à 
la  mémoire  de  Béthune-Charost.  La  cathédrale,  commencée 
au  neuvième  siècle,  peut  être  citée  parmi  les  plus  beaux 
monuments  gothiques  de  l'Europe  ;  elle  est  parfaitement 
conservée ,  et  l'on  admire  surtout  la  richesse  de  sculptures 
qui  ornent  son  portail  ;  l'iKJtel  de  ville  enfin  est  l'ancienne 
maison  de  Jacques  Cœur,  argentier  de  Charles  VII j  que 
Colbertcéda,  en  1079,  an  maire  et  aux  échevins  de  Bourges. 
Les  cheminées  représentent  des  tours  et  des  portes  de  villes, 
gardées  par  des  guerriers,  et  les  murs  sont  couverts  de 
coquilles  et  de  cœurs  sculptés  avec  une  délicatesse  mer- 
veilleuse. On  conserve  dans  l'intérieur  un  portrait  de 
Bourdaloue,  né  dans  celte  ville,  que  l'on  assure  avoir  été     « 


i 


BOURGES  —  BOURGOGNE 


peint  par  lui-même.  C'est  le  siège  du  Palais  de  Justice.  Une 
liante  cour  de  justice  y  tint  ses  séances  en  1849  pour  juger 
les  prévenus  de  l'attentat  du  15  mai  1848. 

Si  Ton  en  croit  Ïile-Live ,  cent  trente-neuf  ans  avant  la 
fondation  de  Rome  et  six  cent  quinze  ans  avant  notre  ère , 
cette  ville,  une  des  plus  anciennes  des  Gaules,  aurait  joué 
un  rôle  important  sous  le  nom  iVAvaricum.  C'est  de 
Courges  que  partirent,  pendant  qu'y  régnait  Ambigat,  les 
deux  grandes  émigrations  gauloises,  conduites  par  les  chefs 
Bellovèse  et  Sigovèse.  Lors  de  la  conquête  de  la  Gaule 
par  les  Romains,  elle  était  la  capitale  des  Bituriges  Cubi. 
Battu  parles  légions  romaines,  Vercingétorix  ayant 
pris  le  parti  de  biiiler  les  cités  et  les  moissons  pour  ne  lais- 
ser aux  vainqueurs  que  des  déserts,  céda  aux  prières  des 
habitants  à^Avaricum,  et  en  confia  la  défense  à  des  hommes 
d'élite  ;  mais  leur  résistance  désespérée  ne  put  empêcher 
César  de  s'en  emparer  ;  les  vainqueurs  en  massacrèrent  tous 
les  habitants.  Subjuguéedepuis  cetteépoquepar  les  Romains, 
Bourges  prit  sous  Auguste  le  titre  de  métropole  d'Aquitaine, 
et  devint  la  résidence  du  préfet  de  cette  province.  Les  Vi- 
sigoths  s'en  emparèrent,  en  475;  mais  après  la  bataille  de 
Vouillé  elle  se  soumit  volontairement  à  Clovis.  Devenue 
alors  la  capitale  de  la  province  désignée  depuis  sous  le  nom 
de  Berry,  elle  en  suivit  les  destinées,  et  eut  à  soutenir 
plusieurs  sièges  remarquables.  En  762  Pépin  le  Bref  s'en 
rendit  maître  après  une  longue  résistance.  Les  Normands  à 
leur  tour  la  prirent  en  878,  et  la  pillèrent.  Elle  eut  sous  les 
rois  francs  ses  comtes  et  vicomtes  particuliers,  qui  finirent 
par  la  convertir  en  fief  héréditaire ,  sous  la  mouvance  des 
ducs  d'Aquitaine. 

C'est  dans  cette  ville  que  Charles  Vil,  au  commencement 
de  son  règne,  pendant  que  les  Anglais  étaient  maîtres  de 
Paris,  transporta  sa  résidence  et  le  siège  du  gouvernement. 
En  1562,  les  protestants,  sous  les  ordres  du  duc  de  Mont- 
gommery,  s'emparèrent  de  Bourges,  et  s'y  livrèrent  aux  plus 
grands  excès  ;  survint  ensuite  une  armée  royale,  qui  exerça 
d'atroces  réactions.  La  Châtre,  qui  y  commandait  pour  laligue, 
se  soumit,  en  1594,  à  Henri  IV,  et  lui  rendit  la  ville  et  la 
Grosse  Tour.  Les  protestants  s'en  emparèrent  de  nouveau,  en 
1615  ;  et  le  maréchal  de  Montigny  la  reprit  l'année  suivante. 
Lorsque  Louis  XIV  y  entra  solennellement,  il  fit,  sur  la  de- 
mande des  habitants ,  raser  la  forteresse  de  la  Grosse  Tour. 

Cette  ville  a  vu  se  réunir  dans  ses  murs  sept  conciles, 
sans  compter  l'assemblée  du  clergé  oii  fut  décrétée,  en  1438, 
la  Pragmatique  sanction.  Ellefutaussi  le  siège  deplusieurs 
assemblées  d'états  généraux ,  en  1316,  sous  Philippe  le 
Long,  en  1422,  sons  Charles  VII,  roi  sans  royaume ,  en  1435, 
sous  le  même  ;  et  le  dauphin,  les  princes  du  sang,  les  grands 
du  royaume  assistèrent  à  celle-ci.  Sous  Louis-Philippe, 
Bourges  servit  de  résidence  au  prétendant  d'Espagne  don 
Carlos,  retenu  en  France  par  raison  d'État.  Dès  l'époque 
gauloise ,  Bourges  était  en  possession  d'un  ateUer  moné- 
taire, qui  a  été  supprimé  en  1838. 

BOURGES  (Armes  de).  On  dit  d'un  ignorant  assis 
dans  un  fauteuil  :  Il  représente  les  armes  de  Bourges.  L'o- 
rigine de  ce  proverbe  se  trouve  dans  un  manuscrit  latin  de 
la  Bibliothèque  du  Vatican.  On  y  lit  que ,  pendant  le  siège 
de  Bourges,  Vercingétorix  commanda  à  un  capitaine, 
nommé  Asinius  Pollio,  de  faire  une  sortie  sur  les  troupes 
de  César;  celui-ci,  ne  pouvant  conduire  lui-même  ses  sol- 
dats au  combat ,  parce  qu'il  était  incommodé  de  la  goutte , 
y  envoya  son  lieutenant;  mais  une  heure  après,  comme 
on  vint  lui  dire  que  cet  officier  lâchait  pied ,  il  se  fit  porter 
dans  une  chaise  aux  portes  de  la  ville,  et  anima  tellement 
les  troupes  par  ses  discours  et  par  sa  présence,  qu'elles  re- 
prirent courage ,  se  retournèrent  contre  les  Romains,  et  en 
tuèient  un  grand  nombre.  Une  si  belle  action  fit  dire  qu'A- 
siniiis  dans  sa  chaise  avait  autant  contribué  à  la  défaite 
de  l'ennemi  que  les  armes  de  ses  soldats.  Quoique  le  mot 
armes  ne  signifie  point  armoiries,  et  qu'il  y  ait  de  la  «liffé- 


579 

rence  entre  les  mots  asinius  et  asimts,  on  n'en  a  pas  moins 
dit  asinus  in  cathedra  (  un  âne  dans  un  fauteuil  ),  et  l'on 
a  pris ,  par  dérision ,  cet  âne  pour  les  armes  de  Bourges. 
Mais  les  véritables  armes  de  cette  ville  sont  d'azur,  à  trois 
moutons  d'argent,  accomés  de  sable,  colletés  de  gueules 
et  clarines  (  ayant  des  clochettes  )  d'or,  passant  sur  une 
terrasse  de  sinopie,  à  la  bordure  engrêlée  de  gueules,  ayant 
de  plus,  enfin,  un  chef  d'azur,  chargé  d'abeilles  sous  l'Em- 
pire, et  de  Heurs  de  lis  sous  la  Restauration. 

BOURGMESTRE ,  mot  composé  de  deux  termes  al- 
lemands ,  bûrger,  bourgeois ,  et  meister,  maître  ou  protec- 
teur. En  Belgique ,  en  Hollande,  en  Allemagne ,  le  bourg- 
mestre est  un  magistrat  qui  remplit  des  fonctions  analogues 
à  celles  de  nos  maires  ;  il  est  chargé  de  la  police ,  de  l'ad- 
ministration des  deniers  de  la  commune  ,  quelquefois  même 
de  la  justice.  En  temps  de  guerre  il  distribue  les  logements, 
organise  et  surveille  les  hôpitaux  militaires.  Au  reste,  les  at- 
tributions de  cette  magistrature  ne  sauraient  être  précises , 
car  elles  varient  presqu'à  chaque  pas,  surtout  en  Allemagne, 
sillonnée  d'une  foule  d'États  grands  et  petits  :  ici  des 
royaumes  avec  ou  sans  constitution  ;  là  des  villes  indépen- 
dantes ,  dont  les  unes  sont  régies  par  des  lois  imprégnées 
des  idées  modernes ,  les  autres  par  des  coutumes  nées  de  la 
féodalité  :  d'où  il  suit  que  les  attributions  des  bourgmestres 
sont  modifiées  sans  cesse,  soit  par  la  forme  du  gouverne- 
ment, 'soit  par  l'esprit  des  locaUtés. 

La  morgue,  l'ignorance,  la  sottise  des  bourgmestres, 
comme  celle  des  baillis,  ont  souvent  défrayé  les  auteurs  co- 
miques de  tous  les  pays  ;  et  le  bourgmestre  deSaardam,  sous 
les  traits  de  Potier,  a  fait  rire  autrefois  le  public  parisien. 

BOURGOGNE,  ancien  pays  de  France,  qui,  s'appelant, 
suivant  les  époques,  royaume  ou  duché,  a  également  varié  de 
limites  et  d'étendue.  Dans  sa  plus  grande  extension  il  compre- 
nait tout  le-bassin  du  Rhône  ;  resserré  dans  ses  bornes  les  plus 
étroites,  en  1789,  il  avait  pour  limites  au  nord  la  Champagne 
à  l'est  la  Bresse  et  la  Franche-Comté ,  au  sud  le  Beaujolais, 
et  à  l'ouest  le  Bourbonnais  et  le  Nivernais.  Ainsi  circons- 
crite, la  Bourgogne  correspond  aujourd'hui  à  la  plus  grande 
partie  des  départements  de  la  Côte-d'Or,  de  Saône-et- 
Loire,  et  à  de  petites  fractions  de  ceux  de  l'Yonne,  de 
l'A  u  b  e ,  de  l'A  i  n ,  et  de  la  N  i  è  v  r  e.  Les  pays  qu'efie  com- 
prenait sur  un  territoire  de  2,597,698  hectares ,  étaient  le 
Dijonnais,  l'Autunais ,  le  Châlonais,  le  pays  de  la  Montagne, 
l'Auxois,  l'Auxerrois,  leCharolais,  le  Maçonnais,  le  Bugey, 
la  principauté  de  Dombes  et  le  pays  de  Gex.  La  capitale  de 
cette  province  était  D  ij on,  et  les  villes  principales  Auxerre, 
Autun  ,  Auxonne,  Châlons-sur-Saône ,  Màcon  et  Bourg. 

Le  sol  de  cette  contrée  est  fertile,  et  produit  en  abondance 
des  grains,  des  fruits,  et  surtout  des  vins  renommés  (  voyez 
plus  loin  ).  Ce  fut,  du  reste,  toujours  la  principale  branche  du 
commerce  de  la  Bourgogne  ;  mais  la  consommation  générale 
n'en  a  profité  que  depuis  la  vente  des  biens  ecclésiastiques  : 
jusque  là  ces  vins  avaient  appartenu  à  de  riches  commu- 
nautés religieuses ,  qui  ne  les  livraient  point  au  commerce. 
Les  laines  lurent  longtemps  aussi  une  autre  branche  con- 
sidérable de  l'industrie  bourguignonne  ;  depuis  plus  de  cin- 
quante ans,  ce  sol  si  fertile  s'est  couvert  de  récoltes  de 
toute  nature,  et  l'industrie  y  a  fait  d'immenses  progrès.  On 
y  compte  de  nombreuses  et  grandes  usines,  beaucoup  de 
forges  et  de  fabriques. 

Les  anciens  Bourguignons,  Burgundi  ou  Burgundiones, 
race  d'origine  germanique,  habitaient  jadis  les  rives  de  la 
Vistule  et  de  l'Oder  et  occupaient  le  territoire  qu'on  désigne 
de  nos  jours  sous  le  nom  de  Nouvelle-Marche,  ainsi  que  la 
partie  méridionale  de  la  Prusse  occidentale.  Plus  avancés 
dans  la  civilisation  que  les  autres  tribus  de  la  même  race, 
ils  s'étaient  réunis  dans  des  bourgades  (  et  c'est  de  là  que 
leur  est  venu  leur  nom);  ils  y  cultivaient  les  arts  méca- 
niques; presque  tous  les  instruments  de  bois,  de  fer  et  de 
cuivre  dont  les  Germains  faisaient  usage,  soit  dans  leurs 

73. 


580 


BOURGOGNE 


maisons,  soit  à  la  guerre,  avaient  été  fabriqués  par  les  Bour- 
guignons. Aussi  les  autres  nations  teutoniques  les  méprisaient, 
et  protendaient  que  des  gens  qui  consentaient  à  passer  leur 
\ie  dans  des  souterrains,  le  marteau  ou  la  pioche  à  la  main, 
ne  pouvaient  pas  être  aussi  libres  ni  aussi  vaillants  qu'eux. 
Malgré  cela,  les  Bourguignons  se  faisaient  respecter  de  leurs 
voisins  ;  d'après  le  portrait  que  nous  a  fait  d'eux  Sidoine- 
Apollinaire,  les  Bourguignons  étaient  des  hommes  de  six  à 
sept  pieds  de  haut ,  vêtus  de  peaux  de  bétcs  et  considérant 
la  liberté  comme  le  bien  su[)réine;  leurs  rois,  dès  longtemps 
électifs,  étaient  destitués  dès  qu'ils  avaient  éprouvé  des  re- 
vers à  la  guerre. 

La  grande  invasion  des  peuples  scythiques  contraignit  les 
Bourguignons  à  émigrer  à  l'ouest,  sous  le  règne  de  Va- 
lentinien  (  36'i-:$75).  Ils  anivèrent  sur  les  bords  do  la 
tjaaie,  où  ils  rencontrèrent  les  Alemans ,  avec  lesquels  ils 
se  trouvèrent  bientôt  en  état  d'hostilité  et  en  lutte  ouverte 
pour  la  possession  des  mines  de  sel.  Plus  tard,  ils  se  répan- 
dirent sur  les  rives  du  Rhin,  du  Neckar  et  du  Kocher,  et, 
entraînés  dans  le  grand  courant  créé  par  les  migrations  des 
Alains,  des  Suèves  et' des  Vandales,  ils  pénétrèrent,  vers 
l'an  407  de  noire  ère,  sous  les  ordres  de  leur  roi  Guudi- 
caire,  au  nombre  d'environ  80,000  hommes,  dans  la  Gaule 
romaine,  où  ils  se  fixèrent  entre  l'Aar  et  le  Rhône.  Un  fait 
bien  remarquable,  c'est  la  rapidité  avec  laquelle  ils  se  con- 
vertirent au  christianisme.  Après  s'être  fait  instruire  pen- 
dant sept  jours  consécutifs  dans  les  dogmes  de  cette  reli- 
gion nouvelle,  peu  de  temps  après  leur  entrée  en  Gaule,  ils 
furent  baptisés  chrétiens  le  huilième,  et  conformément  aux 
dogmes  do  l'arianisme.  Lors  de  leur  établissement  en  Gaule, 
qui  eut  lieu  du  consentement  des  Romains,  chaque  Bour- 
guignon, homme  libre,  reçut  la  moitié  de  la  ferme  romaine 
qui  lui  fut  assignée  pour  demeure ,  les  deux  tiers  de  la  terre 
mise  en  culture  et  un  tiers  des  esclaves  qui  s'y  trouvaient. 
Quant  aux  forêts,  elles  restèrent  indivises.  Les  Romains,  loin 
de  se  plaindre  de  cette  spoliation,  surent  gré  aux  Bourgui- 
gnons de  les  avoir  traités  en  frères  et  d'avoir  garanti  leurs 
l)ersonnes  et  leurs  propriétés.  De  tous  les  barbares  c'étaient 
assurément  ceux  dont  le  joug  était  le  plus  doux,  et,  en  rai- 
son de  la  douceur  de  leurs  mœurs ,  ils  se  coufondirent 
pronq)tement  avec  le  peu[)le  vaincu. 

Le  premier  royaume  de  Bourgogne  subsista  de  l'an  407  h 
l'an  534,  au  milieu  de  guerres  extérieures  et  de  luttes  inté- 
rieures continuelles,  tantôt  sous  l'autorité  d'un  seul  chef, 
tantôt  en  reconnaissant  jusqu'à  quatre,  qui  résidaient  dans  les 
villesdeLyon,  de  Genève,  de  Besançon  etde Vienne,  centres 
de  leur  puissance.  Leur  roi  Gundicaire  fut  le  premier,  qui,  à 
la  tête  d'une  armée  de  10,000  hommes,  essaya  d'arrêter 
Atlila  dans  sa  marche  victorieuse,  lorsqu'en  451  il  descendit 
d'Allemagne  dans  les  Gaules  en  portant  par  tout  le  fer  et 
le  feu.  Le  Bourguignon  fut  vaincu,  et  périt  glorieusement 
avec  tous  les  siens.  La  merveilleuse  légende  des  Nibe- 
lungen  nous  fait  une  magnifique  description  de  ce  grand 
désastre.  Chilpcric  succéda  à  Gundicaire,  son  père  (4G3- 
491).  Il  fut  tué  avec  ses  fils  par  son  frère  Gondebaud; 
mais  sa  fille  C 1  o  t  i  1  d  e  épousa  Clovis,  roi  des  Francs.  Gonde- 
baud lit  rédigeretpublierdans  sesÉtatsuncodcdeloisqui  prit 
son  nom,  lex  Gimdebdlda,  loi  Gombette.  Il  embrassa 
l'arianisme  à  psui  près  dans  le  temps  oii  les  iM'ancs  se  con- 
vertissaient à  la  foi  catholique,  tandis  que  ses  deux  fils,  qui 
régnèrent  successivement  après  lui,  Sigismoud  (51c-52;5)  et 
Gondemar  (5?,3-532),  acceptèrent  la  foi  catholique.  La 
guerre  qui  éclata  bientôt  après  entre  les  Bourguignons  et  les 
rois  fiancs  Childebert  et  Clotaire  mit  fin  au  royaume  de 
Bourgogne. 

Il  convient  de  regarder  comme  une  seconde  dynastie  de 
rois  Bourguignons  les  princes  de  la  dynastie  mérovingienne 
qui  obtinient  en  partage  le  royaume  de  Bourgogne.  Le  |)re- 
mier  I  u t  G  0  n  t  r  a  n ,  petit-lils  de  Clovis,  qui  établit  sa  résidence 
à  Chàlons-sur-Saône,  vers  l'an.ôG  l .  Il  cessa  de  régner  en  593. 


Deux  autres  princes  de  la  race  franque  Childebert  II  et 
Thierry  U  portèrent  encore ,  de  593  à  613  ,  le  titre  de  rois 
des  Bourguignons.  Pendant  toute  cette  période  la  nation 
n'obéit  réellement  que  de  nom  aux  I^rancs;  elle  conserva  ses 
lois,  ses  usages,  ses  magistrats  et  son  aristocratie  puissante, 
(jui  contrebalançait  le  pouvoir  du  souverain  et  qui  finit  par 
se  substituer  à  lui  quand  arriva  la  domination  des  maires  du 
palais  et  le  règne  des  rois  fainéants. 

Quand  la  dynastie  des  Carlovingiens  alla  s'affaiblissant 
toujours  davantage ,  la  Bourgogne  reconquit  son  indépen- 
dance. Un  comte  du  pays,  Boson  de  Vienne,  beau-frère 
de  Charles  le  Chauve,  excité  par  l'ambition  de  sa  femme, 
réussit  à  se  faire  élire  par  les  seigneurs  réunis  en  diète  à 
.Montaille,  et  devint  ainsi  roi  du  royaume  bourguignon, 
qu'on  désigna  sous  le  nom  de  royaume  rf'i4r/e5,  parce  que 
cette  ville  était  la  résidence  habituelle  de  Bo.son,  ou  encore 
Bourgogne  Cisjurane,  à  cause  de  sa  situation  près  du  Jura. 
En  882,  Boson,  pour  régner  en  paix,  reconnut  tenir  son 
royaume  à  titre  de  fief  de  Charles  le  Gros;  mais  il  ne  fut 
pas  aimé  de  ses  peuples,  parce  qu'il  ne  sut  pas  s'opposer 
aux  incessantes  usurpations  de  pouvoir  des  seigneurs.  A  la 
mort  de  Boson,  arrivée  en  887,  la  faible  reine  Irmengarde  se 
trouva  l'unique  appui  de  son  fils  mineur,  Louis,  lorsque 
l'empire  franc  fut  partagé  après  la  déposition  de  Charles 
le  Gros,  et  que  le  seul  droit  reconnu  était  celui  du  plus  fort. 
C'est  ainsi  que  le  duc  Rodolphe,,  de  la  maison  des  Guelfes, 
fils  du  comte  Conrad  et  neveu  du  roi  de  France  Hugues 
Capet,  jusque  alors  gouverneur  de  la  Lorraine  etde  l'Hel- 
vétie  jparvint  à  prendre  rang  parmi  les  nouveaux  souverains 
qui  surgirent  à  cette  époque  en  France,  en  Allemagne  et  ea 
Italie,  et  à  devenir  roi  de  la  Haute-Bourgogne  ou  de  la 
Bourgogne  Transjurane.  Situé  à  l'est  du  Jura,  ce  royaume 
comprenait  la  Franciie-Comté,  la  Suisse  en  àeqà  de  la  ileuss, 
le  Valais  et  une  partie  de  la  Savoie.  Rodolphe ,  lui  aussi , 
chercha  à  se  consolider  dans  la  possession  de  ce  nouvel  État 
en  se  reconnaissant  le  vassal  de  l'empereur  Arnoul.  Il  eut 
pour  successeur,  en  912,  son  fils  Rodolphe  II. 

A  la  même  époque  se  constitua  sur  les  frontières  de  la 
Fi  anche-Comté  un  troisième  État  bourguignon,  le  dtiché 
de  Bourgogne. 

En  933,  Rodolphe  II  réunit  à  la  Bourgogne  Transjurane 
le  royaume  d'Arles ,  que  le  comte  Hugues  lui  abandonna 
en  échange  de  la  souveraineté  de  l'Italie.  Jamais  encore  le 
nom  bourguignon  n'avait  été  environné  de  tant  d'éclat; 
mais  sous  le  monarque  suivant,  Conrad  le  Pacifique,  le 
royaume  souffrit  beaucoup  des  irruptions  des  Hongrois, 
sortis  de  Rhétie,  et  de  celles  des  Arabes,  venus  des  côtes  méri- 
dionales de  la  France,  non  moins  que  des  usurpations  des 
seigneurs,  qui  mettaient  à  profit  les  troubles  du  temps  pour 
commettre  toutes  espèces  de  brigandage  et  pour  dévaster  le 
pays  dans  leurs  guerres  privées.  La  crainte  et  la  haine 
que  lui  inspirait  la  noblesse  portèrent  Rodolphe  III,  suc- 
cesseur de  Conrad,  à  désigner  pour  son  héritier  Henri  II, 
fils  de  sa  sœur  Gisèle,  dans  l'espoir  de  trouver  en  ce  prince 
un  défenseur  dévoué.  Henri  II  étant  mort  sans  enfants,  en 
l'an  1024,  le  Franc  Conrad  II,  quand  il  fut  devenu  empe- 
reur, chercha  à  faire  valoir  ce  droit  d'héritage,  en  invoquant 
les  rapports  de  suzeraineté  qui  avaient  constamment 
existé  entre  l'Allemagne  et  la  Bourgogne.  Après  de  nom- 
breux combats,  livrés  auv  piu'ssants  comtes  du  pays  qui  s'é- 
taient déclarés  en  faveur  des  proches  parents  de  Rodolphe, 
le  duc  Ernest  H,  mort  en  1030,  et  Odon  11,  mort  en  1037,  il 
finit  parfaire  triompher  ses  prétentions  ;  et  quand  la  branche 
niAlc  de  la  maison  de  Bourgogne  s'éteignit  eu  la  personne  de 
Rodolphe  111,  en  1032,  il  les  transmit  à  son  fils  Henri  III, 
qui,  eu  1()3S,  fut  élu  et  couronné  roi  de  Bourgogne  à  la 
diète  de  Soleure  et  du  consentement  des  seigneurs.  C'est 
vers  celte  époque  que  les  archevêques  et  les  évêques  de 
Bourgogne,  pour  pacifier  le  pays,  ravagé  et  désolé  par  de 
continuelles  guerres  privées,  inslituèient  solennellement  à 


BOURGOGNE 


581 


Romont,  dans  le  pays  de  Yaud,  la  trêve  de  Dieu,  treuga 
Dei,  qui  fixait  certains  jours  où  il  était  absolument  délendu 
à  un  chrétien  de  se  servir  d'armes  quelconques  contre  «n  autre 
chrétien ,  loi  dont  plus  tard  Conrad  appliqua  toutes  les  dis- 
positions à  l'Allemagne. 

A  partir  de  ce  temps  la  Bourgogne  fit  toujours  partie  in- 
tégrante de  l'Empire,  et  eut  ses  propres  gouverneurs  hé- 
réditaires. Les  états  de  Bourgogne  reconnurent  l'empereur 
pour  leur  suzerain,  et  prirent  part  aux  assemblées  des  princes 
et  des  seigneurs  allemands.  Mais  en  même  temps  ils  mi- 
rent à  profit  toutes  les  occasioiis  favorables  pour  affaiblir 
les  liens  qui  les  rattachaient  à  TEmpire,  et  aussi  pour  ac- 
croître leurs  droits  et  leurs  privilèges.  L'énergique  Fré- 
déric 1"'  parvint  bien  à  rétablir  encore  une  fois  la  souverai- 
neté impériale  sur  la  Bourgogne,  et  en  1178  il  se  lit  même 
couronner  à  Arles;  mais  après  la  chute  des  Hohenstaufen 
l'influence  de  l'Allemagne  sur  la  Bourgogne  alla  toujours  en 
s'affaiblissant  davantage,  de  même  que  les  liens  qui  ratta- 
chaient les  unes  aux.  autres  les  diverses  parties  du  royaume 
devenaient  de  plus  en  plus  relâchés.  Aussi  après  la  mort 
de  Charles  IV,  le  dernier  empereur  qui,  en  1304,  se  fit 
couronner  à  Arles ,  la  Bourgogne  se  divisa-t-elle  en  un 
certain  nombre  de  petits  États  indépendants;  et,  à  l'excep- 
tion de  la  Savoie  et  de  Montbéliard,  qui  conservèrent  encore 
leurs  anciens  rapports  avec  l'Empire  d'Allemagne,  ces  divers 
Etats  ne  tardèrent-ils  point  à  être  successivement  absorbés 
par  la  France. 

Le  duclié  de  Bourgogne,  fondé  par  Richard,  comte  d'Autun, 
l'un  des  frères  de  Boson,  eut  les  mêmes  destinées.  Ce  beau 
pays  fut  d'abord  appe\é  Basse-Bourgogne,  fuis  Bourgogne. 
A  la  mort  de  Richard,  son  duché  passa  à  sou  fils,  Rodolplie, 
couronné  plus  tard  roi  de  France  a  Soissons ,  et  qui  mourut 
en  030,  sans  laisser  de  descendance,  l'ar  suite  du  mariage  de 
la  petite-fille  de  Richard,  Ludegarde,  avec  le  frère  du  roi 
de  France,  Hugues  Capet,  Henri,  qui  déjà  possédait  une  partie 
de  la  Bourgogne ,  toute  la  Basse-Bourgogne  se  trouva  de 
nouveau  réunie  sous  les  lois  du  même  souverain.  Après  ce 
dernier  le  duché  de  Bourgogne  fut  pendant  trente  ans  réuni 
à  la  couronne  de  France  (1002-1032). 

La  seconde  dynastie  des  ducs  de  Bourgogne  commença 
en  la  personne  de  Robert,  dit  le  Vieux,  fils  du  roi  Robert  et 
(rère  de  Henri  l",  le  troisième  des  Capétiens,  qui  le  lui  donna, 
non  en  simple  apanage,  mais  pour  en  jouir  en  toute  pro- 
priété et  passer  àses  successeurs,  héritiers  et  aijant-cause. 
Celte  seconde  dynastie  gouverna  le  duché  de  Bourgogne 
trois  cent  trente  ans  avec  une  autorité  presque  indépendante 
de  la  couronne.  «  C'était,  dit  Sismondi,  le  temps  de  la  plus 
grande  puissance  de  l'autorité  féodale  ,  et  les  rois,  mal  obéis 
dans  leurs  propres  domaines,  ne  l'étaient  point  du  tout  par 
leurs  grands  vassaux.  H  est  «ai  que  ceux-ci,  à  leur  tour, 
ne  l'étaient  point  du  tout  par  leur  noblesse.  Dijon  de- 
vint la  capitale  de  la  Bourgogne,  et  c'était  dans  cette  ville 
que  se  réunissaient  les  états,  composés  de  trois  ordres.  Dans 
celui  du  clergé  siégeaient  les  quatre  évèques  d'Autun,  Cliâ- 
lons ,  Màcon  et  Auxerre ,  plusieurs  abbés ,  dont  le  premier 
était  celui  de  Cîteaux ,  les  doyens  et  les  députés  des  chapi- 
tres ;  tous  les  gentils-hommes  possédant  fief  ou  arrière-fief  en 
Bourgogne  entraient  dans  la  chambre  de  la  noblesse;  des 
députés  nommés  par  les  villes,  au  nombre  de  cinquante- 
huit,  formaient  celle  du  tiers  état.  »  Cette  dynastie  fit  jouir 
la  Boui'gogne  d'une  grande  prospérité,  et  produisit  douze 
ducs  :  Robert  l"'!  1032-1075),  prince  violent  et  farouche,  qui 
assassina  son  beau-père,  et  fut  obligé  pour  ce  crime  de  faire 
un  pèlerinage  à  Rome;  Kr.gues  r'  (1075-1078),  qui  se  fit 
moine  à  l'abbaye  deCluny;  Eudes  l*-"'',  surnommé  Borel(  1075- 
IIOS  ),  qui  alla  guerroyer  en  Espagne  et  en  i'alestine;  Hu- 
gues il,  dit  le  Pacifique  (  1 108-1142  ) ,  fidèle  aUié  de  Louis  le 
Gros  contre  les  Anglais  et  les  Allemands  ;Eudesll  (1142-1 162), 
à  qui  l'on  attribue  une  expédition  en  Portugal,  très-contes- 
table; Hugues  Ul  (111*2-1 102)  :  ce  prince  s'embarqua  pour 


la  Terre  Sainte  ;  mais  une  tempête  le  força  de  renoncer  à  son 
expédition  ;  il  seconda  Louis  le  Jeune  contre  le  comte  de  Châ- 
lons,  et  reçut  en  récompense  une  partie  de  ses  domaines;  il 
fit  ensuite  la  guerre  aux  comtes  de  Nevers  et  de  Vergy , 
prêta  secours  au  jeune  Henri  Court-Mantel  contre  le  roi 
d'Angleterre  Henri  II,  son  père,  et  accorda  une  charte  de 
commune  à  la  ville  de  Dijon  en  1187  ;  il  prit  part  à  la  troi- 
sième croisade  en  Asie  ;  Eudes  III  (1192-1218),  instrument 
dévoué  de  la  poUtique  de  Philippe- Auguste,  et  qui  se  croisa 
contre  les  Albigeois  ;  Hugues  IV  (  1218-1272  ),  roi  titulaire  de 
Tliessalonique ,  qui  se  croisa  deux  fois;  Robert  II  (1272- 
1309);  Hugues  V  (1309-1315);  Eudes  IV  (1315-1349),  qui 
hérita  des  comtés  d'Artois  et  de  Bourgogne  à  la  mort  de  la 
reine  Jeanne,  sa  belle-mère,  et  fit  la  guerre  de  Flandre  ;  et, 
enfin,  Philippe  de  Rouvre,  douzième  et  dernier  duc  de  la  pre- 
mière race  capétienne  (  1349-1361  ).  Celui-ci  étant  mort  sani» 
postérité,  le  roi  de  France  Jean  se  mit  en  possession  du 
duché,  en  qualité  de  plus  proche  héritier  dans  la  ligne  mas 
culine;  mais  le  comté,  reconnu  fief  féminin,  passa  de 
nouveau  à  une  femme.  Ce  prince  ne  tarda  point  à  rétablir 
lui-même  la  dignité  de  duc  de  Bourgogne;  en  1303  il  en 
investit  son  fils  cadet  ,PhilippeleHardi,en  même  temps 
qu'il  lui  concédait  cette  province  à  titre  de  fief. 

Philippe  devint  le  fondateur  de  la  nouvelle  ligne  des  ducs 
de  Bourgogne,  et  c'est  avec  son  règne  que  commence  la 
plus  brillante  époque  de  la  Bourgogne  au  moyen  âge.  Le 
commerce,  l'industrie  et  les  beaux-arts  atteignirent  en  Bour- 
gogne pendant  cette  période  un  degré  de  prospérité  auquel  il 
n'y  avait  rien  à  comparer  dans  les  autres  pays,  et  la  richesse 
ainsi  que  le  bien-être  des  populations  en  furent  le  résultat. 
En  1369,  Phihppe  épousa  Marguerite,  qui  avait  été  fiancée 
au  duc  Philippe,  de  l'ancienne  maison  de  Bourgogne,  la  fille 
unique  et  l'héritière  de  Louis  111,  comte  de  Flandre,  et  par 
ce  mariage  il  accrut  encore  ses  États  de  la  Flandre,  de  Ma- 
lines,  d'Anvers  et  de  la  Franche-Comté.  Lorsque  éclata  la  dé- 
mence du  roi  de  France  Cliarles  VI,  Philippe  fut  nommé 
administrateur  du  royaume,  de  préférence  au  propre  frère 
du  roi,  Louis,  duc  d'Orléans,  qui  conçut  dès  lors  contre 
lui  une  haine  implacable.  C'est  sous  ce  prince  que  s'éleva  la 
faction  des  Bourguignons,  dont  le  nom  signale  l'époque 
des  premières  guerres  civiles  de  la  France. 

Quand  Philippe  mourut  en  1404,  laissant  des  dettes  im- 
menses, Jean  sans  Peur,  son  fds,  lui  succéda  comme  duc 
de  Bourgogne  ;  mais  la  régence  du  royaume  fut  alors  confiée 
au  duc  d'Orléans.  Dès  ce  moment  les  deux  cousins  restèrent 
ennemis  implacables  jusqu'au  moment  où  ils  se  réconci- 
lièrent et  s'embrassèrent  sous  les  murs  de  Montfaucon ,  à  la 
vue  de  leurs  armées  respectives,  prêtes  à  en  venir  aux  mains. 
La  nuit  suivante,  les  deux  princes ,  en  gage  de  la  sincérité  de 
cette  démonstration ,  couclièrent  dans  le  même  lit.  Cepen- 
dant en  1407  le  duc  «d'Orléans  périt  assassiné  près  de  la 
rue  Barbette  à  Paris  ;  et  le  duc  Jean  de  Bourgogne  avoua 
avoir  été  l'instigateur  de  ce  crime,  qui  provoqua  en  France  les 
plus  déplorables  déchirements.  En  effet,  le  parti  du  duc 
d'Orléans  ne  finit  point  avec  lui  :  Bernard,  comted'Arma- 
g  n  ac ,  beau-père  du  nouveau  duc  d'Orléans,  se  mit  à  sa  tète  ; 
et  la  France  se  trouva  partagée  entre  les  Bourguignons  et 
les  Armagnacs.  Le  duc  Jean  obtint  bien  du  roi  des  lettres  de 
pardon  ;  mais  il  expia  le  meurtre  dont  il  s'était  rendu  cou- 
pable, en  périssant  lui-même  traîtreusement  frappé  sur  le 
pont  de  Montereau  (  1419),  au  moment  où  il  s'apprêtait  à 
donner  une  nouvelle  représentation  de  la  scène  d'une  récon- 
ciliation pubUque  avec  le  dauphin.  Philippe,  comte  deCha- 
rolais,  surnommé  le  i?0H ,  son  fils  et  successeur,  réussit  à 
venger  l'assassinat  de  son  père  en  faisant  exclure  le  dauphin 
du  traité  de  paix  conclu  à  Troyes  avec  l'Angleterre  par 
la  France  et  la  Bourgogne.  Nous  ne  suivrons  pas  ici  les 
phases  de  la  conquête  anglaise  et  de  la  guerre  civile;  nous 
rappellerons  seulement  que,  le  21  septembre  1435,  le  duc 
Philippe  se  détacha  des  Anglais.  Parle  traitéd'Arras  il  lU 


582 

une  paix  particulière  avec  Charles  VII,  dont  il  accepta  les 
réparations  pour  le  meurtre  de  Jean  sans  Peur.  Il  obtint  en 
même  temps  des  districts  importants  du  territoire  français, 
notamment  Màcon,  Saint-Gengoult,  Auxcrre  et  Bar-sur- 
Seine,  Péronne,  Montdidier,  Royes,  Saint-Quenlin,  Corbie, 
Amiens,  Abbeviile.  l'onlliicii.  noiillt-ns,  Siiiiit-Riauier  Ar- 
leuxet  Mortagne,  ainsi  que  le  comté  de  Boulogne,  pour 
lui  et  ses  héritiers.  Jl  avait  eu  précédemment  avec  Jacobée 
de  Brabant  et  son  second  mari ,  le  duc  de  Gloucester,  une 
querelle  qu'avait  terminée  un  traité  en  vertu  duquel  Philippe 
était  déclaré  héritier  de  Jacobée,  si  elle  ne  laissait  point  d'en- 
fants, et  qui  enlevait  à  cette  princesse  le  droit  de  se  rema- 
rier sans  son  consentement.  Toutefois  Jacobée  avait  enfreint 
en  1430  cette  dernière  clause,  et  Philippe  s'en  était  auto- 
risé pour  s'emparer  de  ses  États,  le  Hainaut,  la  Hollande  et 
la  Zélande,  en  lui  faisant  une  modique  pension.  Après  avoir 
acheté Namur,  en  1429,  il  devint  encore  maître  du  Brabanl  et 
du  Limbourg,  à  l'extinction  de  la  descendance  d'Antoine  de 
Bourgogne ,  second  fils  du  duc  Philippe  le  Hardi. 

Sonfds,  Charles  le  Téméraire,  ainsi  que  Ta  surnommé 
l'histoire,  lui  succéda  (1467-1477).  11  fut  l'un  des  princes 
les  plus  puissants  de  l'Europe.  En  1473,  il  ajouta  encore  à  ses 
États  les  Gueldres  et  Zutphen;  mais  il  périt,  en  1477,  dans 
«ne  bataille  qu'il  livra  aux  Suisses  sous  lesmursdeNancy. 
Son  héritage ,  que  les  historiens  ne  désignent  que  sous  le 
nom  de  duché  de  Bourgogne,  passa  à  sa  fille  unique, 
Marie,  qui,  entre  les  sept  rivaux  qui  s'étaient  disputé  sa 
main,  avait  donné  la  préférence  à  Max imi lien  d'Au- 
triche, prince  aussi  beau  que  chevaleresque.  Le  roi  de 
France  Louis XI  n'obtint  de  l'héritage  de  Bourgogne  que 
les  villes  situées  en  Picardie ,  ainsi  que  le  duché  de  Bour- 
gogne, à  titre  de  fief  tombé  en  quenouille.  Marie  mourut  dès 
l'année  1 482 ,  âgée  de  vingt-cinq  ans  à  peine ,  des  suites  d'une 
chute,  après  avoir  donné  à  son  époux  trois  enfants,  Phi- 
lippe ,  Marguerite  et  François.  Ce  dernier  survécut  peu  à  sa 
mère. 

Après  la  mort  de  Marie ,  Maximilien  prétendit  aussitôt  se 
saisir  des  rênes  du  gouvernement,  comme  tuteur  de  ses  en- 
fants ;  mais  une  partie  des  provinces  dont  se  composait  le 
cercle  de  Bourgogne,  nouvellement  formé,  s'opposèrent  à 
ce  projet.  C'est  en  Flandre  surtout  que  la  résistance  se 
montra  vive  et  opiniâtre  ;  et  Maximilien  se  trouva  même 
pendant  trois  mois  prisonnier  des  Flamands,  à  Bruges.  Ils 
finirent  cependant  par  le  reconnaître  en  qualité  de  tuteur  de 
son  fils  Philippe  et  de  régent  (1489).  Ce  fils  étant  mort 
adolescent ,  la  possession  de  ces  provinces  passa  plus  tard 
à  Charles-Quint.  Ce  prince  organisa  le  cercle  de  Bourgogne , 
réserva  les  droits,  privilèges  et  libertés  des  villes  et  des  états, 
et  en  confirma  la  réunion  à  l'Empire.  Il  embrassait  alors  le 
Brabant,  le  Limbourg,le  Luxembourg,  laGueldre,  lal"landre, 
'Artois,  la  Bourgogne  (  celle-ci  seulement  nominalement),  le 
llainaiit ,  la  Hollande,  la  Seelande,  Namur,  la  Frise,  Utrecht, 
Overyssel,  Grœningue,  Maestricht,  etc.  Mais  la  France  s'em- 
para successivement  de  différentes  portions  de  ce  cercle,  en 
même  temps  que  les  Pays-Bas  du  nord  se  rendaient  indépen- 
dants et  agrandissaient  leur  territoire  ;  d'où  résulta  une  so- 
lution de  continuité  pour  le  cercle  de  Bourgogne,  qui  forma 
dès  lors  deux  parties  séparées.  Elles  échurent  à  la  mort  de 
Charles  II,  roi  d'Espagne,  à  la  branche  allemande  de  la 
maison  d'Autriche,  et  lui  demeurèrent  jusqu'à  la  Révolution. 
Le  cercle  de  Bourgogne  se  composait  alors  du  Brabant, 
du  Limbourg,  du  Luxembourg  et  d'une  partie  de  la  Flandre, 
du  Hainaut,  de  Namur  et  de  la  Gueldre  ;  il  forme  aujour- 
d'hui, avec  une  portion  du  territoire  hollandais,  le  royaume 
de  Belgique. 

Quant  au  duché  de  Bourgogne,  son  histoire  se  confond 
avec  celle  de  la  France  depuis  la  mort  de  Marie.  Aux  termes 
<lu  traité  de  Madrid,  François  1*"^,  pour  recouvrer  sa  h- 
herté,  céda  de  nouveau,  il  est  vrai,  tout  le  duché  de  Bour- 
gogne à  l'empereur  Charlos-Qumt  ;  mais  les  états  de  Bour- 


BOURGOG^E 

gogne  décidèrent  que  le  roi  n'avait  pas  eu  le  droit  de 
disposer  de  leur  pays  ;  et  François  \"  lui-même  déclara  à 
son  tour  que  son  engagement  était  nul,  parce  qu'il  était  le 
résultat  de  la  contrainte.  L'empereur  Charles-Quint  dut  en 
conséquence  renoncer,  par  le  traité  de  paix  signéàCambrai 
en  1529,  à  faire  valoir  ses  prétentions  sur  le  duché  de  Bour- 
gogne. En  1493,  notre  roi  Charles  VIII  avait  cédé  à  Maxi- 
milien une  partie  importante  de  la  Bourgogne,  la  Franche- 
Comté  ,  que  Louis  XIV,  aux  termes  de  la  paix  de  Nimègue, 
fit  restituer  à  la  France.  Depuis  lors  ces  deux  parties  de 
la  Bourgogne  n'ont  plus  été  séparées  de  la  France. 

Deux  princes  de  la  maison  de  Bourbon  (  voyez  ci-après)  ont 
porté  depuis  le  titre  purement  honorifique  de  duc  de  Bour- 
gogne. Consultez  Barante,  Histoire  des  Ducs  de  Bourgogne 
de  la  maison  de  Valois  (  lO  vol.,  Paris,  1824). 

BOURGOGIVE  (Duc  et  duchesse  de).  Louis,  duc  de 
Bourgogne,  petit-fils  de  Louis  XIV ,  né  à  Versailles ,  le  6 
août  1682,  marié  en  1697  à  la  princesse  Adélaïde  de  Savoie, 
devenu  dauphin  de  France  à  la  mort  de  son  père,  Louis, 
connu  sous  le  nom  de  grand  dauphin,  mourut  la  même 
année,  en  1 7 12.  Voltaire  a  dit  peu  poétiquement  de  ce  prince  : 
Ilélas!  que  n''eût  pas  fait  cette  âme  vertueuse  : 
La  France  sous  son  règne  eût  clé  trop  heureuse; 
Il  eut  cDtrctenu  l'aboodance  et  la  paix, 
Il  eût  compté  ses  jours  par  ses  bienfaits. 

C'est  ce  qu'on  a  dit  de  Titus,  mort  jeune  comme  le  duc  de 
Bouigogne,  avant  que  l'enivrement  de  la  puissance  l'eût 
porté  à  démentir  les  beaux  commencements  de  son  règne , 
lui  dont  la  première  jeunesse  avait  été  si  terrible.  Ce  juge- 
ment paraîtra  peut-être  choquant  à  beaucoup  de  personnes  ; 
car  toutes  les  fois  qu'on  nomme  le  duc  de  Bourgogne ,  c'est 
à  qui  entonnera  le  tu  Marcellus  eris ,  et  le  proclamera  le 
plus  bel  ouvrage  de  Fénelon.  Malheureusement  une  lecture 
attentive  de  tout  ce  qui  a  été  écrit  sur  ce  prince  ne  tarde 
pas  à  prouver  le  contraire.  Bossuet  n'avait  fait  du  fils  de 
Louis  XIV  qu'un  ignare,  ennemi  des  livres,  ami  du  repos, 
concentré  dans  les  plaisirs  de  la  matière,  en  un  mot  une 
médiocrité  inerte.  Avec  une  inconcevable  vivacité  d'esprit, 
avec  beaucoup  de  science  et  de  mots  dans  la  tête,  l'élève  de 
Fénelon  eût  été,  de  plus  que  son  père,  une  de  ces  médiocrités 
actives,  qui  font  d'autant  plus  de  mal  qu'elles  visent  à  la 
capacité.  Au  surplus ,  ce  n'est  ni  par  les  libelles  ni  par  les 
panégyriques  contemporains  qu'il  faut  le  juger.  Pour  l'ap- 
précier convenablement,  il  n'est  pas  de  meilleure  autorité 
que  Fénelon,  son  précepteur,  et  le  duc  de  Saint-Simon,  le 
premier  dans  ses  écrits  et  sa  correspondance ,  le  second  dans 
ses  mémoires.  «  Ce  prince,  dit  Saint-Simon,  naquit  terrible, 
et  sa  première  jeunesse  fit  trembler  :  dur  et  colère  jusqu'aux 
derniers  emportements,  et  jusque  contre  les  choses  inani- 
mées; impétueux  avec  fureur,  incapable  de  souffrir  la 
moindre  résistance,  môme  des  heures  et  des  éléments ,  sans 
entrer  dans  des  fougues  à  faire  craindre  que  tout  ne  se 
rompît  dans  son  corps  ;  opiniâtre  à  l'excès,  passionné  pour 
toute  espèce  de  volupté,  et  des  femmes ,  et ,  ce  qui  est  rare 
à  la  fois,  avec  un  autre  penchant  tout  aussi  fort.  Il  n'aimait 
pas  moins  le  vin,  la  bonne  chère,  la  chasse  avec  fureur,  la 
musique  avec  une  sorte  de  ravissement,  et  le  jeu  encore,  où 
il  ne  pouvait  supporter  d'être  vaincu,  et  où  le  danger  avec 
lui  était  extrême;  enfin,  livré  à  toutes  les  passions  et  trans- 
porté de  tous  les  plaisirs,  il  était  souvent  farouche,  natur&!- 
iement  porté  à  la  cruauté ,  barbare  en  railleries  et  à  produire 
les  ridicules  avec  une  justesse  qui  assommait.  De  la  hau- 
teur des  cieux,  il  ne  regardait  les  hommes  que  comme  des 
atomes,  avec  qui  il  n'avait  aucune  ressemblance,  quels  qu'ils 
fussent.  A  peine  messieurs  ses  frères  lui  paraissaient-ils  in- 
termédiaires entre  lui  et  le  genre  humain.  >< 

L'éducation  d'un  pareil  prince  n'était  pas  facile  ;  mais  le 
duc  de  Beauvilliers ,  secondé  par  Fénelon,  par  l'abbé  de 
Fleury,  et  même  par  Moreau,  premier  valet  de  chambre, 
<^/ort  au-dessus  de  son  état,  sans  se  méconnaître,  ob- 


BOURGOGNE 


583 


serve  Saint-Simon,  travaillèrent  sans  relâche  à  corriger  cet 
etTra^ant  naturel  ;  puis,  Dieu  aidant,  quand  le  prince  eut  at- 
teint sa  dix-huitième  année,  l'œuvre  fut  accomplie,  et  de  cet 
abîme  sortit  un  prince  affable,  doux,  humain,  modéré,  patient, 
modeste,  pénitent,  et  autant  et  quelquefois  au  delà  de  ce  que 
son  état  pouvait  comporter,  humble  et  austère  pour  soi.  » 
Le  cardinal  de  Bausset,  dans  la  Vie  de  Fénelon,  entre  dans 
de  grands  détails  sur  l'éducation  du  duc  de  Bourgogne;  il 
nous  montre  combien  de  patience  et  d'habileté  il  fallut  à 
l'archevêque  de  Cambrai.  Il  nous  apprend  que  l'éducation 
littéraire  du  jeune  prince  fut  facile  et  profitable,  trop  profi- 
table peut-être,  puisque  Saint-Simon  va  nous  révéler  que 
son  amour  pour  la  science  et  pour  en  causer  axait  fait  un 
lourd  et  ennuyeux  pédant  de  l'héritier  du  brillant  et  majes- 
tueux Louis  XIV.  Quand  à  l'éducation  morale,  ce  fut  pour 
faire  la  guerre  à  chacun  des  défauts  de  son  élève  que  Féne- 
lon composa  ses  Fables  et  ses  Dialogues,  qui  offrent  une 
frappante  moralité.  «  Presque  toutes,  dit  le  biographe,  se 
rapportaient  à  un  fait  qui  venait  de  se  passer,  et  dont  l'im- 
pression encore  récente  ne  lui  permettait  pas  d'éluder  l'ap- 
plication :  c'était  un  miroir  dans  lequel  il  était  forcé  de  se 
reconnaître,  et  qui  lui  offrait  souvent  des  traits  peu  flatteurs 
uour  son  jeune  amour-propre.  »  Si  l'ingénieux  Mentor  cher- 
che à  lui  inspirer  plus  de  douceur,  il  suppose  «  que  le  soleil 
veut  respecter  le  sommeil  d'un  jeune  prince  pour  que  son 
sang  puisse  se  rafraîchir,  sa  bile  s'apaiser  ;  pour  qu'il  puisse 
obtenir  la  force  et  la  santé  dont  il  aura  besoin,  et  je  ne  sais 
quelle  douceur  tendre  qui  pourrait  lui  manquer.  »  S'il 
veut  l'excfiter  à  mettre  plus  de  soin  dans  ses  compositions 
et  dans  son  langage,  il  le  peint  lui-même  sous  la  figure  du 
jeune  Bacchus,  dont  un  Faune  moqueur  relève  toutes  les 
fautes.  «  Comment  oses-tu  te  moquer  du  fils  de  Jupiter? 
dit  le  dieu  enfant.  —  Et  comment  le  fils  de  Jupiter  ose-t-il 
faire  quelque  faute?  répond  le  Faune.  »  Enfin,  dans  la  fable 
du  Fantasque,  si  connue ,  car  c'est  un  des  beaux  morceaux 
de  notre  langue,  le  duc  de  Bourgogne  était  obligé  de  lire  la 
fidèle  histoire  de  toutes  ses  inégalités  et  de  tous  ses  empor- 
tements. Fénelon,  dans  cette  partie  de  sa  tâche,  appela  par- 
fois La  Fontaine  à  le  seconder.  Quelques-unes  des  dernières 
fables  du  Bonhomme  oni  été  composées  pour  l'instruction  et 
l'amusement  du  royal  enfant.  Bien  plus,  la  fable  du  Chat 
et  de  la  Souris  fut  mise  en  vers  par  La  Fontaine,  après  que 
le  fabuliste  de  huit  ans  lui  en  eut  donné  le  titre.  Le  duc  de 
Bourgogne ,  dans  la  dernière  maladie  du  vieux  poète  qui 
a-vàit  mangé  son  fonds  avec  le  revenu,  lui  envoya  cin- 
quante louis. 

Sans  doute  il  est  facile  de-croire  que  Fénelon,  en  ornant 
si  bien  l'esprit  de  son  disciple,  parvint,  de  temps  à  autre, 
à  lui  inspirer  une  bonne  action,  un  heureux  mouvement; 
mais  quant  à  modifier,  à  améliorer  du  tout  au  tout  ce  cœur 
sorti  si  mal  fait  des  mains  de  la  nature ,  c'est  ce  qui  est 
plus  difficile  à  croire.  Il  faut  se  méfier  de  ces  conversions  si 
promptes,  si  complètes;  elles  ne  sont  plus  de  mise,  même  au 
théâtre.  Si  Néron,  pour  le  bonheur  du  monde  et  pour  son 
propre  honneur,  fût  mort  au  bout  de  quelques  mois  de  rè- 
gne, que  de  belles  choses  n'aurait-on  pas  débitées  sur  les 
prodigieux  effets  de  l'éducation  à  lui  donnée  par  Sénèque 
et  Burrhus  !  Mais  laissons  le  duc  de  Saint-Simon  lui-même 
apporter  aux  déclamations  que  plus  que  personne  il  a  con- 
tribué à  répandre  sur  le  duc  de  Bourgogne,  un  correctif  ir- 
récusable :  c'est  un  document  publié  pour  la  première  fois 
dans  l'édition  complète  et  authentique  de  ses  Mémoires,  due 
à  son  descendant  le  marquis  de  Saint-Simon.  11  a  pour  titre  : 
Discours  sur  monseigneur  le  duc  de  Bourgogne,  du  25 
mai  1710,  adressé  à  M.  le  duc  de  Beauvilliers ,  qui 
me  l'avait  demandé.  Dans  ce  discours,  Saint-Simon,  en 
relevant  tout  ce  qu'on  disait  à  la  cour  et  dans  le  public,  tant 
en  i)ien  qu'en  mal,  sur  le  duc  de  Bourgogne,  fait  la  part  du 
vrai  et  du  faux,  et  montre  le  fort  et  le  faible  de  son  caractère. 
Cette  pièce  est  d'autant  plus  précieuse,  que  le  prince  avait  alors 


vingt-neuf  ans,  et  qu'il  était  ce  qu'il  devaîtêtre  toute  sa  vie. 
C'est  là  qu'on  entrevoit  le  germe  d'un  monarque  bien  appris, 
sans  doute,  de  religion,  de  science  et  de  morale,  mais  à  l'es- 
prit rétréci  par  cette  même  dévotion  qui  a  neutralisé  ses 
passions  vicieuses  et  ses  affreux  penchants.  Joignez  à  cela 
que,  bossu  et  contrefait  sans  le  croire,  le  duc  de  Bourgogne 
n'a  aucune  dignité  dans  son  maintien  ni  dans  ses  habitudes, 
qu'il  répète  sans  cesse  des  refrains  d'enfant ,  qu'il  aime  à 
étouffer  des  mouches  dans  l'huile,  à  faire  fondre  de  la  cire, 
à  remplir  de  poudre  des  crapauds  vivants ,  pour  jouir  de 
l'explosion  du  malheureux  animal  ;  en  un  mot,  dit  Saint- 
Simon  ,  que  nous  ne  faisons  qu'extraire ,  «  il  lui  échappe  au 
dehors  trop  de  mouvements  peu  dignes  de  l'âge  et  du  rang,  » 
et  cela  même  quand  il  alla  à  l'armée.  Violemment  épris 
de  la  duchesse  de  Bourgogne,  il  lui  prodiguait  en  public  ses 
caresses,  soit  qu'il  ne  put  maîtriser  sa  passion,  soit  que,  dans 
son  orgueil  royal,  il  regardât  les  gens  qui  l'entouraient  comme 
d'une  espèce  trop  inférieure  pour  se  gêner  devant  eux.  Il 
ne  se  plaisait  que  dans  la  société  de  la  duchesse  et  de  ses 
femmes  ,  jeunes,  vives,  folâtres  comme  leur  maîtresse ,  et 
qui,  dans  leurs  ébats  entre  elles,  prenaient  le  prince  pour 
plastron  et  pour  sujet  de  leurs  plaisanteries  irrespectueuses, 
ce  qui  scandalise  foit  Saint-Simon. 

«  L'arrangement  des  journées  est  tel  dans  monseigneur, 
ajoute  le  confident  du  duc  de  Beauvilliers,  qu'on  ne  peut 
pas  contester  que  sa  vie  ne  s'écoule  dans  son  cabinet  ou 
parmi  une  troupe  de  femmes,  chose  d'autant  plus  surpre- 
nante ,  qu'il  n'y  était  pas  porté  par  ses  plaisirs ,  assiduité 
parmi  les  femmes  qui  n'apprend  rien  et  use  .cependant  un 
temps  précieux,  et  sert  de  barrière  à  cette  connaissance  des 
hommes  si  essentielle  à  un  prince.  «  Plus  loin,  Saint-Shnon 
blâme  sa  trop  grande  complaisance  pour  l'étude  des  scien- 
ces et  pour  le  plaisir  d'en  parler,  ce  qui,  dans  le  langage 
d'un  courtisan  respectueux,  équivaut  au  reproche  de  pédan- 
tisrae.  Il  voudrait  que,  moins  assidu  dans  son  cabinet,  il 
n'occupât  sa  solitude  qu'à  la  lecture  de  l'histoire  et  des  li- 
vres qui  se  rapportent  à  l'art  de  gouverner  les  hommes;  il 
voudrait  qu'il  mît  plus  de  grâce  et  d'abandon  avec  ses  en- 
tours;  que  sous  ce  rapport  il  imitât  la  ducliesse  de  Bourgo- 
gne ;  qu'il  sût  garder  un  milieu  entre  la  gravité  et  la  bonté, 
entre  la  roideur  et  la  liberté  des  privautés  et  des  familia- 
rités trop  usurpées.  Mais  c'est  surtout  la  futilité  des  conver- 
sations du  jeune  duc  qui  inspire  à  Saint-Simon  des  craintes 
pour  son  avenir  de  roi  ;  «  une  trop  scrupuleuse  piété  est  chez 
le  prince,  dit-il,  la  source  de  ce  défaut  :  elle  met  sa  langue 
et  ses  oreilles  dans  de  continuelles  entraves,  et  son  es- 
prit dans  une  pénible  contrainte.  Sa  frayeur  de  blesser  son 
prochain  en  quoi  que  ce  soit,  ou  d'y  donner  occasion,  va  jus- 
qu'à une  terreur  que  les  supérieurs  des  plus  saintes  mai- 
sons regarderaient  comme  dangereuse  en  eux  pour  le  simple 
et  petit  gouvernement  dont  ils  se  trouvent  chargés.  » 

A  côté  de  toutes  ces  citations,  relaterai-jelc  jugement  que 
porte  du  même  prince  l'auteur  inconnu  des  Caractères  de 
la  Famille  royale  et  des  Ministres  d'État  (1706).  «  Le 
prince,  dit-il,  paraît  d'un  air  grave,  sombre,  atrabilaire,  d'un 
tempérament  violent  et  d'un  vif  à  n'être  jamais  content  de 
ceux  qui  l'approciient.  Sa  fierté  l'emporte  souvent  mal  à  pro- 
pos. Le  temps  nous  le  dévoilera,  ce  qui  nous  fait  suspen- 
dre notre  pinceau.  »  L'histoire  nous  montre  ce  jeune  prince 
dans  les  camps  -.  il  fut  gi'-néralissnne  de  l'armée  d'Allemagne 
en  1701,  et  de  celle  de  Flandre  en  1702.  Avec  ce  titre  pom- 
peux donné  à  son  rang  auguste,  il  recevait  les  ordres  du 
général  véritablement  investi  de  la  confiance  du  roi.  Il  prit 
part  à  un  combat  de  cavalerie,  près  de  Nimègue,  et  n'y  fit 
pas  trop  mauvaise  contenance  :  en  1703  on  lui  fit  honneur 
de  la  prise  de  Brisach  par  capitulation.  En  somme,  il  don- 
nait beaucoup  plus  matière  à  vanter  ses  vertus  chrétiennes 
que  ses  vertus  guerrières  :  quand  il  s'agissait  de  combattre 
et  d'avancer,  on  le  trouvait  à  l'église.  Il  se  désola  d'être 
ol)ligé  d'établir  son  quartier  général  dans  un  couventde  filles. 


!,S4 


BOURGOGr^E 


Cette  dévotion  déplacée  nuisait  au  respect  qu'il  eût  dft  ins- 
pirer aux  officiers  et  aux  soldats  :  aussi  un  de  ses  menins 
eut-il  la  franchise  de  lui  dire  :  «  ÏSlonseigneur,  je  ne  sais  si 
vous  aurez  le  royaume  du  ciel  ;  mais  pour  celui  de  la  terre, 
le  prince  Eugène  et  jMarlborougli  s'y  prennent  mieux  que 
vous.  »  C'est  encore  dans  Saint-Simon  qu'il  faut  lire  les  dé- 
tails des  différents  séjours  du  duc  de  Bourgogne  à  l'armée. 
Au  travers  de  mille  réticences,  on  y  entrevoit  la  vérité,  et 
sur  le  courage  équivoque,  et  sur  les  habitudes  inconvenantes 
du  jeune  prince,  et  sur  la  cabale  puissante  que  du  vivant  du 
dauphin,  son  père,  il  avait  soulevée  contre  lui.  Profondément 
jaloux  de  son  fils,  le  grand  dauphin  était  secrètement  l'âme 
de  cette  cabale;  mais  aussi  pourquoi  Louis  XIV  ,  qu'on  pré- 
tend s'être  si  bien  connu  en  hommes,  donnait-il  pour  mentor 
militaire  au  légitime,  prudent,  cliaste  et  dévotieux  dur.  de 
Bourgogne  le  caustique,  Timlévot  duc  de  Vendôme,  petit-liis 
piir  bâtardise  de  Henri  IV  PC'était  de  la  part  du  grand  roi  ex- 
poser le  sien  aux  mortiJicalions  humiliantes  dont  il  fut  si 
complètement  la  victime  pendant  les  campagnes  de  1703,  et 
que  sa  manière  d'être,  niaise,  décousue ,  inconvenante,  ex- 
plique en  quelque  sorte,  si  elle  ne  les  justifie  pas.  Depuis  lors 
Louis  XIV  n'envoya  plus  son  petit-fils  à  l'armée. 

De  retour  à  Versailles ,  le  duc  de  Bourgogne  parut  plus 
gauche ,  plus  bizarre,  plus  renfermé  en  lui-raôrae  que  ja- 
mais. C'est  durant  cet  intervalle  que  Saint-Simon  l'ha- 
billa si  bien  dans  le  discours  que  nous  avons  cité.  A  la  mort 
«lu  dauphin,  le  duc  de  Bourgogne  devint,  après  le  roi,  la 
première  personne  de  l'État  :  Louis  XIV,  qui  avait  toujours 
l«nu  son  fils  à  une  distance  respectueuse,  donna  à  son  petit- 
liis  part  au  gouvernement  ;  les  ministres  eurent  ordre  de 
travailler  avec  lui  :  ce  fut  à  la  cour  une  véritable  révolution. 
On  trouve  dans  la  nouvelle  édition  des  Mémoires  de  Saint- 
Simon  les  détails  les  plus  minutieux  et  en  même  temps  les 
plus  curieux  sur  cette  époque  du  règne  de  Louis  XIV.  Dès 
ce  moment  les  défauts  du  duc  de  Bourgogne  disparaissent 
aux  yeux  de  ce  parti  de  ducs,  dévots,  presque  jansénistes, 
surtout  fort  entichés  des  prérogatives  nobiliaires  :  tous  ces 
intrigants  avec  prud'hommie  entourent  le  jeune  prince  ,  et 
s'emparent  de  sa  confiance.  Sous  les  auspices  de  Beauvil- 
liers,  Saint-Simon  a  des  conférences  fréquentes  et  secrètes 
avec  le  nouveau  dauphin  :  Saint-Simon  devient  à  son  tour 
son  mentor  politique;  et  il  faut  voir  dans  les  Mémoires  de 
ce  duc,  discrètement  ambitieux,  combien  auraient  été  inap- 
plicables les  théories  gouvernementales  qu'on  lui  mettait  dans 
la  têtet  Au  milieu  de  ces  captations,  le  pauvre  prince  paraît 
plus  effrayé  du  fardeau  qui  est  retombé  sur  lui,  que  capable 
de  le  porter  avec  énergie. 

Toutefois,  on  ne  peut  nier  qu'il  ne  se  fût  occupé  de  pro- 
jets estimables  :  on  cite  de  lui  quelques  mots  populaires  : 
le  pauvre  peuple  devait ,  selon  lui,  être  quelquefois  con- 
sulté. Peut-être,  s'il  eût  régné,  eût-il  songé  à  convoquer  les 
états  généraux  :  il  voulait  même  y  joindre  des  états  particu- 
liers pour  asseoir  l'impôt  ;  des  élections  libres  dans  les  trois 
ordres  auraient  renouvelé  ces  différents  corps,  et  des  con- 
vocations périodiques  auraient  assuré  leur  vitalité.  Telle  est 
la  substance  des  projets  qu'il  méditait,  dit-on,  que  Louis  XIV 
trouva  dans  la  cassette  de  son  petit-fils,  et  que,  d'une  main 
chagrine ,  il  livra  aux  flammes.  Sans  doute  il  faut  louer  ces 
vues  nobles  et  pures;  mais  leur  utilité,  leur  efficacité,  eût 
dépendu  de  leur  mode  d'exécution ,  et  à  cet  égard  une  lec- 
ture attentive  (\(t?,  Mémoires  de  Saint-Simon  peut  donner  à 
penser  que  le  duc  de  Bourgogne  eût  tout  perdu  en  voulant 
concilier  avec  ces  mesures  jiopulaires  le  dessein  bien  arrêté 
<le  rendre  à  la  noblesse  toutes  ses  prérogatives.  La  Provi- 
dence ,  qui  devait  si  cruellement  châtier  dans  l'inoffensif 
Louis  XVI  l'exécution  maladroite  de  projets  populaires,  la 
Providence,  qui  depuis  la  révocation  sacrilège  de  l'édit  de 
Nantes  semblait  avoir  abandonné  la  France,  en  laissant 
Louis  XIV  atteindre  les  dernières  limites  de  la  vie,  cette 
Providence  prit  du  moins  en  pitié  le  duc  de  Bourgogne  de- 


venu dauphin  :  il  mourut  à  trente  ans,  laissant  à  la  France, 
qui  le  jugeait  d'après  Fénelon ,  son  instituteur,  des  regrets 
qui  se  sont  perpétués  depuis  cihq  générations.  Quelques 
jours  auparavant  la  duchesse  de  Bourgogne  et  le  duc  de 
Bretagne  avaient  expiré  :  le  même  char  funèbre  traîna  vers 
Saint-Denis  le  père,  la  mère  et  leur  fils  aîné.  Le  duc  d'Or- 
h'ans,  depuis  régent  de  France,  et  la  duchesse  de  Berri,  sa 
fille,  furent  accusés  d'avoir  réuni  ces  trois  personnes  royales 
dans  un  même  empoisonnement.  L'histoire  a  fait  justice  de 
ces  soupçons;  mais  on  conçoit  facilement  qu'épouvantés  de 
tant  de  morts  prématurées,  rapprochées,  les  contemporains 
aient  pu  admettre  un  moment  ces  sinistres  rumeurs.  Saint- 
Simon  lui-même  attribue  la  mort  de  la  duchesse  de  Bour- 
gogne à  une  tabatière  empoisonnée  donnée  par  un  certain 
duc,  qu'il  ne  nomme  point. 

Un  mot  sur  cette  aimable  princesse,  qui  a  été  aussi  peinte 
à  ravir  par  Saint-Simon.  C'est  elle  qui  amusait  par  ses  sail- 
lies la  vieillesse  de  Louis  XIV,  qui  déridait  la  dévotion  sé- 
rieuse de  madame  de  .Maintenon ,  et  qui  s'ébattait  avec  le 
jeune  duc  de  Richelieu,  de  telle  façon  que  cet  adolescent, 
prédestiné  aux  faveurs  des  altesses  royales,  fut  trouvé  sous 
le  lit  conjugal  delà  princesse.  Elle  fut  aussi  regrettée,  celle  qui 
Eut  le  don  d'agréer  infus  avec  la  vie, 

selon  l'heureuse  expression  de  La  Fontaine  ;  et  s'il  était  pos- 
sible d'admettre  que  la  bonification  du  naturel  farouche  de 
son  époux  eût  été  aussi  réelle  que  le  prétend  Saint-Simon  , 
on  pourrait  croire  que  les  charmes  de  cette  adorable  femme 
auraient  eu  autant  de  part  à  ce  miracle  que  la  grâce  d'en 
haut  et  les  efforts  de  l'archevêque  de  Cambrai.  Le  duc  de 
Bourgogne  l'avait  tendrement  aijnée.  Il  lui  confiait  tout,  di- 
sent ses  biographes,  hors  les  secrets  de  l'État.  Dans  une  oc- 
casion où  elle  redoubla  ses  instances  pour  le  pénétrer,  il  lui 
répondit  par  ces  vers  d'une  chanson  en  vogue  : 

Jamais  mon  cœur  n'est  qu'à  ma  femme. 

Parce  qu'il  est  toujours  à  moi. 

Elle  a  le  secret  de  mon  âme, 

Quand  il  n'est  pas  secret  du  roi. 

Les  princes  sont  trop  heureux  qu'on  admire  dans  leur 
bouche  de  semblables  fadaises,  ou  bien  malheureux  qu'on 
les  leur  prête!  Voltaire,  qui  ne  loue  jamais  que  par  esprit 
d'opposition ,  ne  pouvait  sous  Louis  XV  manquer  de  faire 
l'éloge  du  duc  de  Bourgogne,  père  de  ce  monarque  :  il  a  dit 
quelque  part  :  «  JNous  avons,  à  la  honte  de  l'esprit  humain, 
cent  volumes  contre  Louis  XIV,  son  fils,  monseigneur  le 
duc  d'Orléans,  son  neveu,  et  pas  un  qui  fasse  connaître  les 
vertus  de  ce  prince  qui  aurait  mérité  d'être  célébré  s'il 
n'eût  été  que  particulier.  »  Ce  regret  était  peu  flatteur  pour 
le  père  Martineau,  confesseur,  et  pour  l'abbé  Fleury,  sous- 
précepteur  du  jeune  duc,  qui  s'étaient  chargés,  dès  1712 
et  1714,  de  ce  soin,  dans  deux  ouvTages,  complètement 
oubliés  aujourd'hui ,  ayant  pour  titre  l'un  les  Vertus,  l'autre 
Portrait  de  Louis  de  France,  duc  de  Bourgogne.  Si  tout 
ce  qui  se  trouve  dans  ces  deux  panégyriques  est  vrai ,  Vol- 
taire avait  raison  sous  un  rapport  :  car  le  duc  de  Bourgogne 
y  est  dépeint  comme  un  béat  plus  digne  de  la  couronne  de 
moine  que  de  celle  de  roi.  Mallieureusement  rien  n'autorise 
s  croire  que  ces  ecclésiastiques  aient  pu  faire  un  portrait  peu 
ressemblant  d'un  prince  qu'ils  avaient  approché  de  si  près. 
Après  eux,  l'abbé  Proyart  a  composé  dans  le  même  style 
une  vie  très-volumineuse  de  ce  même  duc  de  Bourgogne. 
C'est  là  qu'il  (aut  voir  quelle  singulière  figure  aurait  faite  ce 
prince  à  côté  de  souverains  tels  que  Frédéric  de  Prusse , 
Georges  I",  I\larie-Théièse,  Ganganelli,  et  au  milieu  du 
siècle  littéraire  des  Voltaire,  des  Duclos,  des  Montesquieu , 
des  Diderot,  des  d'Alembert,  des  Jean-Jacques!  Oui,  Proyart 
et  ses  devanciers  ont  fait  de  ce  prince  une  espèce  de  roi  Ro- 
bert. Avec  ses  passions  ardentes  et  farouches,  il  eût  été 
pire  encore;  car  après  tout  le  roi  Robert  était  im  bon 
homme,  et  même  un  fort  savant  homme  ;  l'usurpateur  Ca- 


BOURGOGJNE 


5s: 


pet,  son  père,  lui  avait  dcnué  pour  précepteur  uu  homme  qui, 
eu  égard  au  siècle,  valait  bien  Feuelon  :  c'était  le  fameux 
Gerbert,  pape  depuis  sous  le  nom  de  Sylvestre,  et  si  docte 
que  ses  contemporains  le  réputaient  sorcier  et  fils  du  diable, 
à  peu  près  comme  Bossuel  et  son  intolérante  cabale  répu- 
taient Fénelon  hérétique  et  impie. 

Pour  terminer  cet  article,  qui  choquera,  il  faut  s'y  at- 
tendre, plus  d'une  opinion  reçue ,  mais  qui  ne  craindra  pas 
sous  le  rapport  de  la  vérité  une  critique  consciencieuse, 
faut-il  résumer  toute  notre  pensée  sur  le  duc  de  Bourgogne, 
qui  a  trouvé  grâce  même  devant  la  plume  philosophique  de 
Lemontey?  .\nimé  dune  dévotion  sombre,  bien  diflérente  de 
celle  de  son  précepteur,  sévère  à  lui  comme  aux  autres,  il 
n'eût  pas  sans  doute  laissé  tout  aller  sous  son  sceptre,  comme 
son  lils,  ce  bon  Louis  XV,  qui,  doucement  enivré  de  chasse, 
de  bonne  chère  et  de  femmes,  disait  :  Apres  moi  le  déluge! 
mais  son  ngne  eut  été  l'ère  des  intrigues  et  des  persécutions 
de  sacristie,  des  prétenfons  nobiliaires,  des  sacrifices  sans 
utilité,  des  économies  sans  discernement,  de  la  paix  à  tout 
prix.  Entendait-il  en  eflét  i'tconomieen  prince,  celui  qui  se 
refusait  un  bureau  neuf  et  une  tenture  propre  dans  son  ca- 
binet? Était-ce  un  homme  capable  de  soutenir  avec  dignité 
le  caractère  de  la  France  en  Europe ,  celui  qui  à  l'armée 
avait  souffert  que  Vendôme  lui  manquât  personnellement.' 
Enfm,  dans  tout  ce  que  nous  avons  lu  sur  le  duc  de  Bour- 
gogne, et  plus  encore  ciiez  ses  panégyristes  que  chez  ses  dé- 
tracteurs, nous  avons  vu  l'étoffe  d'un  monarque  à  renver- 
ser, tout  vilement  et  tout  à  plat,  l'ouvrage  imposant,  mais 
fragile,  de  la  monarchie  de  Louis  XIV.  Quand  nous  nous 
figurons  sur  le  trône  le  duc  de  Bourgogne,  si  pénitent,  si 
bien  rempli  de  moralités  placides  et  de  rêveries  poUtiques , 
nous  nous  rappelons  involontairement  Voltaire,  qui,  se  riant 
des  utopies  feneloniennes ,  renvoie  à  sa  ^e/iYe  i^^a^'we  cet 
excellent  citoyen,  qu'il  appelle  monsieur  du  Télémaque. 
Nous  nous  sommes  quelquefois  demandé  pourquoi,  dans  un 
de  ses  contes  leî  plus  amusants,  le  naïf  Perrault  avait  choisi 
pour  héros  ce  Riquet  à  la  Houpe,  qui,  malgré  sa  bosse, 
avait  je  ne  sais  quel  air  noble  et  giacieux  qui  sentait  son 
prince  d'une  lieue  à  la  ronde?  C'était  encore  une  flatterie 
adressée  au  duc  de  Bourgogne. 

Le  dauphin  fils  de  Louis  XV  eut  également  pour  fils  un 
duc  de  Bourgogne,  frère  aine  de  Louis  XVI,  de  Louis  XVUI 
et  de  Charles  X.  11  mourut  à  onze  ans  :  c'était  un  enfant 
prodigieux,  si  l'on  en  croit  les  écrits  officiels  du  temps  et 
son  élégant  panégyriste  Lefranc  de  Pompignan. 

Charles  Du  Rozom. 

BOURGOGNE  (Canal  de).  La  pensée  première  de 
cette  grande  voie  de  navigation,  qui  devait  faire  d'une  de 
nos  plus  belles  provinces  le  centre  du  commerce  de  la  France 
avec  Fetranger,  remonte  au  seizième  siècle.  Déjà  à  cette 
époque  on  avait  compris  le  parti  qu'il  était  possible  de 
tirer,  dans  les  intérêts  du  commerce  et  de  l'industrie ,  des 
grands  cours  d'eau  de  la  Bourgogne  qui  se  déversent  dans 
le  Rhône,  la  Loire,  la  Seine  et  la  Meuse.  La  jonction  des 
deux  mers  par  la  Bourgogne  fut  arrêtée  dans  le  conseil  de 
François  V ,  mais  lesta  à  l'état  de  simple  projet  jus- 
qu'en lOOG.  Un  arrêt  du  conseil  fixa  alors  la  hgne  de  navi- 
gation :  1°  de  Dijon  à  Saint-Jean  de  Losne  pr.r  l'Ouche; 
2"  de  Piougemont  a  FYonne.  Ce  plan  laissait  une  lacune 
entre  Rougemont  et  Dijon.  On  l'abandonna,  et  d'autres  furent 
présentes  en  1612 ,  1632  et  1G42,  ayant  pour  objet  la  réu- 
nion de  la  Loire  à  la  Saône  par  l'étang  de  Long-Pendu. 
Tout  semblait  promettre  une  prochaine  et  rapide  exécution  ; 
des  marches  même  avaient  été  passés.  Le  comte  de  ^ilaillé 
on  1G4S,  M.  de  Choiseul  en  1665,  munis  l'un  et  l'autre  d'une 
autorisation  du  conseil  pour  la  construction  d'un  nouveau 
plan  absolument  différent,  furent  tous  deux  écartés  par  de 
nouvelles  lettres  patentes  de  Louis  XIV,  datées  de  la  même 
année  1665.  Le  projet  de  jonction  par  l'iHang  de  Long-Pendu 
fut  repris.  De  nouvelles   lettres  patentes  de  1G99  pour  le 

DICT.    DE    L\   COSVERS.    —    T.    IIJ. 


même  objet ,  mais  sur  un  autre  plan ,  avaient  été  accordées 
au  comte  de  Roussy.  Il  eut  le  sort  de  ses  prédécesseurs, 
MM.  de  .Maillé  et  Choiseul.  L'achèvement  du  canal  du  Midi, 
opéré  sur  une  ligne  plus  étendue  en  moins  de  seize  années 
et  d'une  exécution  beaucoup  plus  difficile,  était  pourtant 
déjà  en  pleine  activité.  Le  projet  du  canal  de  Bourgogne 
paraissait  donc  abandonné,  quand  un  mémoire  de  M.  de 
La  Jonchère  le  signala  de  nouveau  à  l'attention  du  public  et 
du  gouvernement. 

Jamais  jusque  alors  projet  d'établissement  public  n'avait 
donné  lieu  à  ime  polémique  aussi  passionnée.  Les  auteurs  de 
certains  mémoires  publiés  à  celte  occasion  avaient  fait  leurs 
preuves,  quelques-uns  avaient  même  dirigé  les  travaux  da 
canal  du  Midi.  L'intervention  de  Vauban  semblait  devoir 
mettre  un  terme  à  ces  débats  stériles  ;  il  avait  appuyé  de 
toute  l'autorité  de  son  talent  et  de  son  nom  le  projet  par 
l'étang  de  Long-Pendu.  Le  grand  ingénieur  mourut  trop 
tôt ,  et  le  régent  chargea  Thomassin ,  ingénieur  du  roi ,  re- 
commandé par  Vauban  lui-même,  des  opérations  de  détail. 
Enfin ,  l'un  des  plus  habiles  ingénieurs  du  canal  de  Lan- 
guedoc, Abeille,  et  d'autres  non  moins  distingués,  furent 
appelés,  ceux-ci  par  l'intendant,  ceux-là  par  le  prince  de 
Bourbon ,  gouverneur  de  la  province  ,  d'autres  enfin  par  les 
ministres.  L'.\cadémie  de  Dijon  mit,  en  1762,  la  question 
au  concours  en  ces  termes  :  «  Déterminer  relativement  à  la 
province  de  Bourgogne  les  avantages  et  les  désavantages 
du  canal  projeté  pour  la  communication  des  deux  mers  par 
la  jonction  de  la  Saône  et  de  la  Seine.  »  Le  prix  fut  dé- 
cerné à  Dumorey,  ingénieur  de  la  province.  Tous  ces  mé- 
moires ,  tous  ces  plans ,  furent  demandés  par  le  ministre 
Bertin.  Il  sont  restés  dans  les  cartons  ;  à  peine  quelques  tra- 
vaux étaient-ils  en  voie  d'exécution  lorsque  la  révolution 
éclata.  Cette  période  orageuse,  ces  longs  débats  entre  les 
ministres ,  les  parlements  et  les  états  provinciaux,  la  guerre 
d'Amérique,  expliquent,  sans  la  justifier,  l'excessive  lenteur 
des  premiers  travaux.  Un  dernier  plan  de  M.  Antoine  avait 
réuni  tous  les  suffrages  ;  une  pétition  de  ce  même  ingénieur 
à  r.Assemblée  nationale,  en  1791,  itour  \e  parachèvement 
du  canal  de  Bourgogne,  nous  apprend  que  cet  habile  ingé- 
nieur n'avait  pas  été  plus  heureux. 

Trois  siècles  se  sont  écoulés  depuis  la  conception  pre- 
mière de  ce  projet,  et  le  canal  destiné  à  joindre  la  Médi- 
terranée et  l'Océan  au  moyen  de  la  Saône,  du  Rhône,  de 
rVoune  et  de  la  Seine ,  a  vu  vers  la  fin  de  1 S32  reprendre 
avec  activité  ses  travaux,  qui  ont  été  achevés  en  1S34.  La 
dépense  faite  peut  être  évaluée  à  40  millions.  La  longueur 
du  canal  de  Saint-Jean  de  Losne  à  La  Roche  est  de  242,572 
mètres.  Il  y  a  189  écluses,  dont  douze  à  deux  sas.  Le  bief 
de  partage,  situé  à  Pouilly ,  est  de  199  mètres  au-dessus  du 
niveau  des  basses  eaux  de  la  Saône  et  à  299  mètres  54  cen- 
timètres au-dessous  de  l'Yonne.  Ce  bief,  œuvre  d'art  re- 
marquable, a  6,100  mètres  de  développement,  dont  3,300 
en  galerie  souterraine  traversant  une  montagne.  Le  canal 
de  Bourgogne  offre  maintenant  au  commerce  une  Tgne  de 
navigation  intérieure  de  plus  de  1300  Lilomètres,  du  Havre  à 
Marseille.  Dcfev  (de  l'Yonne). 

BOURGOGNE  (Vins  de).  Les  vins  de  la  Bourgogne 
sont,  si  cela  peut  se  dire,  d'un  tissu  moins  fin,  moins 
soyeux  et  moins  transparent  que  les  vins  de  Bordeaux;^ 
mais  ce  tissu  a  plus  de  solidité ,  plus  de  richesse.  Le  Bor- 
deaux est ,  si  l'on  veut ,  un  velours  précieux  et  magnifique  ; 
l'autre  est  du  pur  cachemire.  Quant  aux  espèces,  elles  sont 
peut-être  encore  plus  nombreuses  pour  la  Bourgogne  que 
pour  la  Guyenne  ;  mais  toutes  soutiennent  mieux  ,  par  l'in- 
contestable'distinction  des  crûs,  la  noblesse  de  leur  com- 
mune origine.  La  Bourgogne  ne  connaît  point  la  médio- 
crité ;  cependant ,  là  encore  on  trouve  des  degrés  du  bon 
au  meilleur.  Quant  au  pire,  aucun  vin  de  cette  contrée  ne 
peut  être  ainsi  désigné ,  pas  rnème  celui  de  Joigny ,  d'A- 
vallon  ou  de  Tonnerre.  Il  existe  toutefois  de  grandes  diffé' 

74 


586 

rentes  entre  les  vins  de  l'AuxeiTois ,  ceux  du  Maçonnais  et 
ceux  du  Dijonnais  ou  de  la  liaute  Bourgogne.  Quoiqu'on  dise 
et  que  la  chimie  semble  proiiver  que  les  vins  de  Cordeaux 
fiont  plus  alcooliques  que  ceux  de  la  Bourgogne,  cepen- 
dant «es  derniers  sont  plus  généreux ,  plus  corpulents  et 
plus  toniques.  Ils  ont  des  effets  plus  sensibles  sous  un 
même  volume ,  et  ils  supportCiit  beaucoup  mieux  l'eau  du 
baptême.  Un  verre  de  simple  vin  de  Màcon ,  s'il  est  vieux  et 
d'une  heureuse  année  ,  s'il  provient  des  crûs  de  Torrins  ou 
de  Moulin-à-Vent ,  a  certes  plus  d'action  sur  les  forces  vi- 
tales, plus  d'influence  effective  sur  l'estomac  et  sur  le  cœur 
qu'une  bouteille  entière  d'un  Médoc  sans  nom  patrony- 
mique et  sans  noblesse. 

Tout  le  monde  connaît  les  grands  crûs  de  la  Bourgogne. 
Les  plus  célèbres ,  sans  nous  assujettir  ici  à  une  nomencla- 
ture complète  et  méthodique ,  sont  ceux  de  Volney ,  de 
Pomard,  de  Nuits  ,  de  Mercurey  ,  de  Beaune,  de  Ri- 
chebourg,  de  la  Romanée,  de  Corton  ,  du  Clos-Vou- 
geot,  de  Chambertin,  de  Vosne,  etc.  Le  Romanée  est 
en  Bourgogne  à  peu  près  l'équivalent  de  ce  qu'est  le  Laf- 
litte  à  Bordeaux ,  de  même  que  le  Clos-Voiigeot  d'une  con- 
trée représente  à  peu  près  le  Çhâteau-Margaux  de  l'autre. 
Mais  il  faut  remarquer  que  les  qualités  du  Clos-Vougeot 
déclinent  depuis  qu'on  a  tenté  d'en  fertiliser  la  vigne  par 
des  engrais  artificiels.  Pour  les  bons  vignobles,  une  heu- 
reuse exposition ,  un  beau  soleil  et  de  francs  cailloux  va- 
lent mieux  que  tous  les  engrais  du  monde,  vinssent-ils  d'une 
riche  abbaye.  Indépendamment  du  crû  et  du  climat,  ces 
excellents  vins  peuvent  encore  différer  selon  la  culture  et 
selon  l'exposition ,  selon  la  beauté  du  ciel  et  de  la  saison, 
selon  la  chaleur  et  la  précocité  :  la  saveur  et  la  sève  en 
sont  tout  autres,  selon  qu'ils  sont  de  première  ou  de 
deuxième  cuvée.  La  prompte  et  parfaite  maturité  du  raisin 
a  surtout  la  plus  grande  influence  sur  la  qualité  des  vins. 
Il  est  reconnu  que  les  vins  gagnent  à  vieillir,  pourvu  que 
la  vieillesse  n'aille  point  jusqu'à  la  décrépitude  ,  qui  anéantit 
toute  force  et  toute  vertu.  Un  vin  vert  ou  jeune  est  peu 
salubre.  Mais  si  à  une  première  année  de  futaille  le  vin  de 
Bourgogne  joint  une  ou  deux  années  de  bouteille,  alors  il 
devient  sain  et  bienfaisant.  Puis ,  si  l'on  veut  que  la  cave 
lui  confère  toutes  les  qualités  que  comportent  son  origine, 
son  espèce  et  sa  nature,  il  faut  que  cette  cave  soit  vraiment 
souterraine,  qu'elle  soit  à  l'abri  des  intempéries,  loin  des 
commotions  et  du  bruit;  il  faut  qu'elle  soit  pleinement 
voûtée  et  à  parois  inébranlables ,  afin  que  le  vin ,  stratifié 
dans  des  cases  bien  circonscrites  et  irmaobiles,  puisse  y  re- 
poser dans  une  paix  profonde.  On  doit  s'appliquer  à  em- 
piler les  vins,  principalement  ceux  de  la  Bourgogne,  plus 
amis  d'un  repos  parfait,  loin  de  la  rue,  loin  des  portes  co- 
chères  et  des  remises ,  si  l'on  veut  donner  carrière  à  ses 
facultés  si  cordiales. 

A  l'égard  des  vins  blancs ,  le  Bordelais  ne  possède  guère 
que  ceux  de  Grave ,  de  Barsac  et  de  Sauterne,  tandis  que  la 
Bourgogne  compte  parmi  les  siens  celui  de  Meursault  (qui 
ne  doit  pas  trop  vieillir),  celui  de  Montrachet,  celui  de 
Chablis,  dont  la  limpidité  est  irréprochable  et  la  saveur 
pénétrante;  celui  de  Pouilly ,  dont  le  bouquet  est  moins 
pur  et  plus  complexe.  11  est  d'autres  vins  blancs,  moins  re- 
nommés, qui,  comme  celui  de  Tonnerre,  sont  malheuren- 
gement  employés  à  faire  concurrence  au  vin  de  Champagne 
mousseux,  grûce  à  l'intervention  du  gaz  acide  carbonique,  ce 
grand  complice  de  fraudes  innombrables.  D"^  Isid.  Bourdon. 
BOURGOGNE  (Bibliothèque  de).  On  appelle  encore 
ainsi  un  dépôt  de  manuscrits  conservés  à  Bruxelles.  Celte 
bibliothèque  est  formée  d'un  grand  nombre  de  manuscrits 
précieux  et  magnifiquement  excutés  qui  ont  appartenu  aux 
princes  des  maisons  de  Bourgogne  et  d'Autriche,  et  de 
beaucoup  d'autres,  moins  somptueux,  mais  peut-être  d'un 
usage  plus  utile,  lesquels  i)rovieiinent  de  diverses  maisons 
religieuses,  ou  ont  été  achelés  autrefois  par  l'Académie,  et 


BOURG  OGINE 

depuis  par  le  gouvernement,  sous  le  règne  de  Guillaume  1". 
Philippe  le  Bon  avait  beaucoup  augmenté  la  librairie  de 
ses  prédécesseurs.  Voici  ce  qu'on  lit  dans  le  prologue  de  la 
Chronique  inédite  de  ISaples ,  écrite  en  1443  par  David 
Aubert ,  natif  de  Hesdin  :  «  A  cestr.i  présent  volume  este 
grosse  et  ordonne  pour  le  mettre  en  sa  librairie  ou  autre- 
ment et  nonobstant  que  ce  soit  le  prince  sur  tous  autres , 
garny  de  la  plus  riche  et  noble  librairie  du  monde,  si  est 
il  moult  enclin  et  désirant  de  chascun  jour  l'accroistre 
comme  il  fait;  pourquoi  il  a  journellement  et  en  diverses 
contrées  giands  clercs  ,  orateurs ,  translateurs  et  escripvains 

à  ses  propres  gages  occupez »  Raphaël  de  Marcatel,  son 

fils  naturel ,  hérita  de  ce  goût  si  digne  d'un  prince ,  et  la 
bibliothèque  de  Gand  en  fournit  encore  aujourd'hui  la 
preuve.  Maximilien ,  surnommé  sans  argent,  engagea  pour 
se  procurer  des  fonds  ses  livres  les  plus  rares  et  d'autres 
joyaux ,  car  alors  les  livres  étaient  désignés  aussi  sous  ce 
nom.  Sa  fille  Marguerite  d'Autriche ,  la  gente  damoiselle , 
tâcha  de  réparer  ces  pertes.  Malgré  ses  efforts,  la  librairie  de 
Bourgogne  sous  Charles-Quint  fut  presque  réduite  à  rien. 
Ce  fut ,  on  le  croira  peut-être  difficilement ,  le  terrible  Phi- 
lippe II  qui ,  vers  l'époque  des  troubles  du  seizième  siècle, 
en  ordonna  le  rétablissement.  Après  la  mort  des  archiducs 
Albert  et  Isabelle,  elle  fut  de  nouveau  négligée ,  et  les  vic- 
toires des  Français  sous  Louis  XV  et  la  république  ache- 
vèrent de  l'anéantir.  Néanmoins,  dans  l'intervalle,  et  sous 
l'administration  éclairée  du  comte  de  Cobentzel ,  elle  était 
en  quelque  sorte  sortie  de  ses  ruines.  L'année  1815  com- 
mença pour  l'histoire  des  lettres  en  Belgique  une  ère  nou- 
velle ;  depuis  lors  cette  bibliothèque  n'a  fait  que  s'accroître. 
Les  curieux  y  admirent  un  magnifique  missel  qui  a  ap- 
partenu à  Mathias  Corvin ,  roi  de  Hongrie,  et  dont  l'abbé 
Chevalier  a  donné  la  description;  une  traduction  en  français 
de  Jacques  de  Guy-se,  La  Fleur  des  Histoires,  La  Toison- 
d'Or  de  Guillaume  Fillastre,  ainsi  qu'une  foule  d'autres 
manuscrits,  enrichis  de  miniatures  superbes,  et  qui  révèlent, 
sinon  le  pinceau,  du  moins  l'école  de  Van  Eyck  et  de 
Memling.  Plusieurs  hommes  célèbres  ont  rempli  les  fonc- 
tions de  gardes  de  la  librairie  ou  de  gardes-joyaux  de 
Bourgogne  :  tels  furent  Jean  Molinet,  Jean  Le  Maire, 
Agrippa,  Viglius,  Aubert  Le  Mire.  Cette  collection  célèbre 
n'a  fait  que  s'augmenter  sous  le  nouveau  gouvernement 
belge,  et  bien  des  savants  l'ont  mise  à  contribution.  La  reine 
Louise  a  donné  à  la  bibliothèque  de  Bourgogne  un  ma- 
nuscrit précieux  ,  qui  avait  été  transcrit  pour  cette  biblio- 
thèque, et  qu'elle  avait  perdu  depuis  plus  de  trois  siècles. 
Ce  manuscrit  est  une  copie  de  la  traduction  française  de  la 
Cyropédie  deXénophon,  qui  était,  ù  ce  qu'on  croit,  dans 
les  bagages  du  duc  Charles  le  Téméraire,  lorsqu'il  fut  tué 
devant  Nanci,  le  5  janvier  1477,  et  dont  on  avait  ignoré 
le  sort  depuis  ce  moment.  De  Reiffenbrrc. 

BOURGOGNE  (Théâtre  de  rHotel  de).  Qui  se  dou- 
terait en  passant  dans  la  rue  Française  et  dans  la  rue  Mau- 
conseil,  devant  la  halle  aux  cuirs,  que  cet  édifice,  qui 
n'offre  absolument  rien  de  remarquable,  ne  laisse  pas  que 
de  rappeler  les  plus  grands  souvenirs  historiques  et  fit- 
téraires?  C'est  pourtant  là,  dans  une  maison  qui  sans 
doute  était  encore  moins  belle  que  celle  qui  existe  aujour- 
d'hui, qu'habitaient  ces  ducs  de  Bourgogne,  princes  du 
sang  royal ,  qui  firent  tant  de  mal  a  la  France  par  leur  am- 
bition et  leur  alliance  avec  l'Angleterre.  La  famille  des  ducs 
de  Bourgogne  s'otant  éteinte,  François  1*"^  ordonna  en  1543 
la  démolition  de  cet  hôtel  et  de  quelques  autres. 

Les  Confrères  de  /a  ;;(«5/oh,  qui  depuis  1402  avaient  le 
piiviiege  de  jouer  des  mystères,  ctqui.élablishriiôpiîalde  la 
Trinité,  près  du  lieu  où  s'ilève  la  porte  .Saint-Denis,  s'é- 
taient associés  les  L'u/anls  Sa-ns-Souci,  jeunes  gens  de  fa- 
mille formant  une  société  dont  le  but  était  de  peindre  les 
sottises  des  hommes  dans  des  représentations  (pi'ils  don- 
naient à  la  halle  sur  dos  trélo'uix,  avaient  été  obligés  en  1539 


( 


BOURGOGNE  —  BOURGOIN 


«le  quitter  la  Trinité.  Ils  avaient  loué  alors  l'hôtel  de  Flandre  ; 
mais  cet  tlôtel  ayant  été  compris  dans  les  démolitions  or- 
données par  François  l",  ils  aclietèrent,  pour  225  livres  de 
rente  perpétuelle ,  une  grande  partie  du  terrain  de  l'hôtel  de 
Bourgogne,  consistant  en  dix-sept  toises  de  long  sur  seize 
de  large,  et  ils  y  Qrent  bâtir  un  théâtre,  pour  lequel  ils 
obtinrent  privilège,  par  arrêt  du  17  novembre  1548,  niais 
avec  injonction  de  ne  plus  offrir  au  public  des  mystères  sa- 
crés, et  de  se  borner  aux  sujets  profanes.  Telle  est  pourtant 
l'origine  du  Théâtre-Français. 

On  représenta  alors  des  pièces  tirées  de  l'histoire  et  des  ro- 
mans ,  et  composées  par  Jodelle,Baif,  Grevin,  etc.,  sur 
le  modèle  des  ouvrages  grecs  et  latins ,  et  plus  tard  des 
tragédies  de  Robert  Garnier.  jMais  les  confrères,  ne  jouant 
qu'avec  répugnance  des  pièces  dont  le  genre  s'éloignait  de 
celui  de  leur  fondation ,  cédèrent  leur  privilège ,  et  louè- 
rent leur  salle,  en  I5SS,  à  ime  troupe  de  comédiens  qui 
s'était  formée  depuis  peu.  Malgré  la  concurrence  que 
leur  suscitèrent  quelque  temps  deux  autres  troupes  qui 
s'établirent  cette  année,  malgré  les  interruptions  que  leur 
occasionnèrent  les  guerres  civiles  et  étrangères ,  les  comé- 
diens de  l'hôtel  de  Boui^ogne  finirent  par  jouir  paisiblement 
de  leur  privilège  en  1593;  mais  ce  ne  fut  pas  pour  long- 
temps. Ils  ne  purent  s'opposer  à  l'établissement  d'un  théàtie 
de  comédiens  de  province  au  faubourg  Saint-Germain  pen- 
dant la  durée  de  la  foire ,  ni  à  celui  d'un  second  théâtre 
français  au  Marais,  en  1600.  Ils  demandèrent  en  1612  l'af- 
franchissement du  droit  qu''ds  payaient  aux  confrères  de  la 
Passion,  et  l'abolition  de  cette  confrérie.  Un  arrêt  du  con- 
seil, en  1629,  fit  droit  à  leur  requête,  et  les  rendit  seuls 
propriétaires  de  l'hôtel  de  Bourgogne.  Les  principaux  acteurs 
de  ce  théâtre  étaient  alors  Robert  Guérin ,  dit  Lafleur  ou 
Gros  Guillaume;  Hugues  Guérin,  dit  Flechelle  ou  Gau- 
tier Garguille;  Boniface;  Henri  Legrand,  dit  Belleville  ou 
Turlupin;  Deslauriers,  dit  Bruscambillc  :  tous  acteurs 
comiques  et  bas  comiques;  Pierre  Lemessier,  dit  Bellerose, 
qui  créa  les  principaux  rôles  des  premières  pièces  du  grand 
Corneille,  depuis  1626  jusqu'en  1643,  et  qui  fut  orateur  et 
directeur  de  la  troupe  ;  Alison ,  qui  jouait  les  servantes  et 
les  nourrices ,  les  femmes  n'osant  pas  encore  paraître  sur  la 
.scène  ;  Jodelet,  qui  joua  le  rôle  du  valet  dans  le  Menteur; 
la  Beaupré,  la  première  femme  qui  se  soit  montrée  sur  le 
théâtre,  où  elle  créa  la  soubrette  dans  la  Galerie  du  Palais, 
de  Corneille ,  en  1634. 

Trois  autres  théâtres  s'élevèrent  à  cette  époque,  et  n'eu- 
rent qu'une  durée  éphémère,  même  celui  où  débuta  Mo- 
lière, et  qu'on  appelait  V Illustre-Théâtre.  Ce  grand  acteur, 
ayant  parcouru  depuis  la  province ,  revint  jouer  à  Paris 
en  1658.  Mais  après  la  démolition  du  théâtre  du  Petit- 
Bourbon  Louis  XIV  lui  concéda  celui  du  Palais-Royal, 
pour  y  donner  des  représentations  couru rreininent  avec 
les  comédiens  italiens.  Ce  théâtre  rivalisa  avec  l'hôtel  de 
Bourgogne,  mais  seulement  pour  la  comédie;  quant  à  la 
tragédie,  c'est  à  ce  dernier  théâtre  qu'étaient  les  meilleurs 
acteurs  et  qu'on  donnait  les  meilleurs  ouvrages.  Il  suffit 
de  citer  Floridor,  Mondory,  Baron  père,  la  Béjart, 
mère  de  la  femme  de  Molière,  la  Desœillets,  Hauteroche, 
Poisson,  Brécourt  et  sa  femme,  la  Thuilerie,  et  sur- 
tout la  fameuse  Champmê lé  et  son  mari.  Là  furent  repré- 
sentés les  premiers  chefs-d'œuvre  du  grand  Corneille, 
depuis  le  Cid  jusqu'à  la  Mort  de  Pompée.  Là  furent  ap- 
plaudis tous  cfeux  de  Racine ,  depuis  Andromaque  jusqu'à 
Phèdre,  dans  l'intervalle  de  1C67  à  1677.  Les  deux  théâtres 
se  lançaient  des  épigrammes,  que  l'on  retrouve  dans  quel- 
ques pièces  de  l'époque. 

Après  la  mort  de  Molière,  en  1673,  les  comédiens  du 
Palais-Royal ,  qui  formaient  la  troupe  de  Monsieur,  cédèrent 
ce  théâtre  à  LuUy,  qui  avait  le  privilège  de  l'Opéra,  et 
allèrent ,  ainsi  que  les  Italiens ,  au  théâtre  de  la  rue  Maza- 
rine  ou  Guénégaud,  bâti  depuis  deux  ans,  et  abandonné  par 


l'Opéra.  La  troupe  de  l'hôtel  de  Bourgogne  avait  recruté 
dans  cette  circonstance  Baron  (ils,  la  Thorillière,  Beau  val 
et  sa  femme];  mais  elle  refusa  les  autres.  Le  théâtre  du  Ma- 
rais ayant  été  supprimé  et  détruit  la  même  année ,  ses  ac- 
teurs se  réunirent  aux  débris  de  la  troupe  de  Molière  dans 
la  salle  Guénégaud.  L'anarchie  régnait  à  l'hôtel  de  Bour- 
gogne.'jChampmêlé  et  sa  femme  quittèrent  ce  théâtre  en  1679, 
pour  passer  à  la  salle  Guénégaud,  et  ce  fut  là  que  s'opéra,  en 
1680,  la  réunion  complète  de  tous  les  comédiens  français. 

Les  comédiens  italiens  ,  qui  avaient  joué  successivement 
aux  théâtres  du  Petit-Bourbon,  du  Palais-Royal  et  de  la 
rue  Guénégaud ,  abandonnèrent  cette  salle  en  16S0 ,  après  la 
réunion  de  toutes  les  troupes  françaises ,  et  exploitèrent 
seuls  celle  de  l'hôtel  de  Bourgogne  ;  leurs  représentations 
eurent  lieu  jusqu'en  1697 ,  époque  où  le  roi  fit  fermer  leur 
théâtre  pour  avoir  joué  la  Fausse  Prude,  pièce  dans  la- 
quelle on  prétendit  reconnaître  madame  de  Maîntenon. 
Dominique, leur  fameux  arlequin,  était  mort  avant  cette 
catastrophe.  L'hôtel  de  Bourgogne  fut  ensuite  fermé  pen- 
dant dix-neuf  ans.  Il  rouvrit  le  1*""  juin  1716,  et  l'on  vit  une 
nouvelle  troupe ,  qui  prit  le  titre  de  comédiens  italiens  de 
S.  A.  R.  Zerf2<cd'Or^é«?i5,  parce  qu'il  les  avait  fait  venir  d'au- 
delà  les  Alpes.  Mais  après  sa  mort,  en  vertu  d'une  nouvelle 
autorisation,  ils  firent  graver  sur  l'hôtel  de  Bourgogne  les  ar- 
mes de  France ,  avec  cette  inscription  en  lettres  d'or  sur  un 
marbre  noir  :  Hôtel  des  comédiens  italiens  ordinaires  du 
roi,entretemispar  S.  M.,  rétablis  à  Paris  en  l'année  1716. 

Outie  les  anciens  canevas  italiens,  on  y  joua  des  comédies 
françaises  d'Autreau,  Delisle,  Marivaux,  Boissy, 
Saint-Foix,  etc.  En  1762  un  y  réunit  l'Opéra-Comique , 
elle  répertoire  s'enrichit  des  ouvrages  d'A  useaume,  F"a- 
vart,  Sedaine,  Monvel,  etc.,  embellis  par  la  musique 
de  Duni,  Philidor,  Monsigny,  Grétry,  Dezaïdes, 
Dalayrac.  En  1779  on  supprima  les  comédies  ilahennes, 
et  l'on  renvoya  tous  les  comédiens  italiens,  à  l'exception  du 
célèbre  Carlin  et  de  Camerani ,  qui  abandonna  l'emploi  de 
Scapinpour  les  fonctions  de  régisseur.  Les  derniers  ouvrages 
représentés  à  l'hôtel  de  Bourgogne  furent  les  drames  de 
Mercier,  des  vaudevilles  de  Piis  et  Barré,  de  petites 
comédies  de  Florian,  des  comédies  et  des  opéras-comi- 
ques de  Lachabeaussière  et  Marsollier,  La  Femme  ja- 
louse de  Desforges,  etc.  A  la  clôture  de  1783  les  comédiens, 
alors  nommés  fort  improprement  italiens ,  quittèrent  l'hôtel 
de  Bourgogne ,  qu'ils  avaient  occupé  soixante-sept  ans ,  et 
portèrent  leur  nom  et  leurs  talents  à  la  salle  nouvellement 
bâtie,  qui  prit  le  nom  de  Favart.  La  salle  de  l'hôtel  de 
Bourgogne  fut  détruite ,  et  sur  son  emplacement  fut  érigée, 
en  1784,  la  halle  aux  cuirs,  qui  offre  encore^des  traces  de 
loges  et  d'escaliers.  H.  Audiffket. 

BOURGOIiV  (Tuérèse),  artiste  dramatique,  née  le  5 
juillet  1781,  à  Paris,  fut  élève  de  la  célèbre  M"^  Dumesnil , 
qui  la  fit  paraître  pour  la  première  fois  au  Théâtre-Fran- 
çais en  1799.  Malgré  les  dispositions  qu'elle  montra  à  ce 
début,  on  jugea  qu'elle  avait  encore  besoin  de  quelques 
études.  Après  deux  années  d'un  travail  nouveau,  elle  repa- 
rut le  28  novembre  1801,  et  obtint  dès  ce  moment  un  succès 
qui  s'accrut  sans  cesse  et  l'accompagna  pendant  tout  le 
cours  de  sa  carrière.  Selon  les  règlements  du  théâtre ,  elle 
débuta,  comme  jeune  première,  dans  les  deux  emplois  de 
la  tragédie  et  de  la  comédie.  Douée  de  la  plus  jolie  figure , 
d'une  fraîcheur,  d'une  grâce  juvénile ,  d'une  mémoire  ex- 
traordinaire et  des  charmes  les  plus  attrayants ,  elle  con- 
serva toujours  ces  avantages  précieux  dans  les  rôles  qu'elle 
eut  à  remplir.  Avec  Iplugénie,  Junie,  Zaïre,  Palniire, 
Aricie,  elle  jouait  Roxelane  des  Trois  Sultanes,  Fanchette 
de  la  Belle  Fermière,  Lucile  des  Dehors  trompeurs ,  et 
tous  les  personnages  de  la  même  catégorie ,  répandant  sur 
chacun  d'eux  un  attrait  indéfinissable  qui  lui  était  propre,  et 
qui  balançait  à  quelques  égards  l'incontestable  supériorité 
de  M"^  Mars  dans  les  ingémtes. 


588  BOURGOIN  —  BOURGS-POURRIS 

Ses  triomphes  comme  femme  ne  furent  pas  moins  cé- 
lèbres que  ses  succès  comme  comédienne.  Quoique,  dit-on, 
elle  eût  été  distinguée  par  l'empereur,  M""  Bourgoin,  qui 
avait  fait  partie  du  voyage  d'Erfurlli,  quand  le  chef  de 
l'État  y  appela  la  comédie  française,  était  de  l'opposition,  et 
ne  ménageait  pas  les  épigrammes  à  S.  RI.  I.,  à  son  gouver- 
nement et  à  ses  créatures.  Elle  avait  de  l'esprit  et  une 
ccrlaine  liberté,  pour  ne  pas  dire  plus,  d'imagination,  de 
traits  et  de  langage,  qui  la  rendait  redoutable  à  ceux  qui 
avaient  le  malheur  ou  la  sottise  de  ne  pas  accorder  à  son 
talent  et  à  sa  beauté  toute  la  justice  qui  leur  était  due. 
Un  auteur  de  ce  temps  là,  devenu  pair  de  France  sous 
Lonis-l'liilippe,  après  avoir  été  propriétaire  et  rédacteur  du 
Constilulionncl,  passait  sous  la  Restauration  pour  un  des 
chefs  du  libéralisme,  quoique  sous  l'Empire  il  eût  été  cen- 
seur, chef  de  la  division  de  Yesprit  public  au  ministère  de 
la  police  et  parfaitement  dévoué  au  duc  de  Rovigo,  âme 
damnée  de  Napoléon.  Cet  auteur,  qui  alors  remplissait 
tontes  les  conditions  faites  pour  le  rendre  antipathique  à 
m""-"  Bourgoin,  et  qui  en  diverses  occasions  avait  eu  à  son 
égard  d'assez  mauvais  procédés  de  fait  et  de  parole,  reçut 
de  la  bouche  et  de  la  main  de  cette  spirituelle  actrice 
quelques  algarades  qui  réjouirent  fort  toute  la  société,  qui 
se  préoccupait  beaucoup  alors  des  choses  de  théâtre. 

Les  bons  mots  de  M"^  Bourgoin,  dont  plusieurs  étaient 
qualiliés  de  gros,  étaient  spontanés,  fréquents,  incisifs;  elle 
ne  les  épargnait  pas  plus  à  la  cour  impériale  et  à  ses  cour- 
tisans qu'aux  acteurs  et  aux  auteurs;  et  comme  elle  avait 
en  môme  temps  la  réputation  méritée  d'être  aussi  bonne, 
aussi  charitable,  aussi  dévouée  qu'elle  était  jolie,  aimable, 
gracieuse,  tous  ces  titres  réunis  l'avaient  en  quelque  sorte 
rendue  la  favorite  du  public. 

Cette  faveur  ainsi  que  ses  grâces,  son  talent,  et  l'on  peut 
dire  sa  jeunesse,  car  au  théâtre  elle  avait  conservé  tout  le 
bénéhce,  toute  l'apparence  d'une  complète  juvénilité,  l'ac- 
compagnèrent jusqu'à  sa  retraite,  arrivée  en  1829.  Elle 
mourut  le  11  août  1833  ;  et  cette  femme  que  tout  Paris  avait 
vue  pendant  longtemps  si  légère,  si  brillante  dans  les 
enivrements  de  tous  les  genres  de  succès  que  le  théâtre 
peut  offrir  à  une  comédienne  charmante,  cette  femme  mou- 
rut, à  la  suite  d'une  maladie  longue  et  douloureuse,  dans 
les  sentiments  et  au  milieu  de  tous  les  actes  de  la  résigna- 
tion ,  de  la  douceur,  de  la  piété,  de  la  réparation  chrétienne 
la  plus  parfaite.  A.  Delafoiiest. 

liOURGOIiVG  (Jean-François,  baron  de),  agent  di- 
plomatique au  service  de  France,  sous  l'ancienne  monarchie, 
sous  la  République  et  l'Empire,  naquit  à  Nevers  le  20  no- 
vembre 1748,  d'une  famille  noble,  qui  l'envoya  à  l'école  Mi- 
litaire de  Paris,  en  1760,  dans  le  but  de  lui  faire  embrasser 
la  profession  des  armes.  Pâris-Duverney,  fondateur  et  gou- 
verneur de  cet  établissement,  songeait  à  former  une  école 
de  diplomates,  dont  l'éducation  répondit  mieux  que  cela 
n'avait  eu  lieu  jusque  alors  aux  besoins  des  affaires,  et  parmi 
les  jeunes  gens  qu'il  envoya  dans  les  universités  d'Alle- 
magne pour  ces  études  spéciales,  il  choisit  Bourgoing,  dont 
il  avait  particulièrcmcut  apprécié  l'intelligence  et  l'aptitude. 
Ce  dernier  entra  néanmoins  quelque  temps  après  au  ré- 
giment d'Auvergne,  en  qualité  d'officier,  et  fut  vers  la  même 
époque  attaché  à  la  légation  française  près  la  diète  de  l'Em- 
pire. A  dix-neuf  ans  il  correspondait  directement  avec  le 
ministre;  toutefois,  s'étant  permis  des  observations  à  propos 
d'un  acte  qu'il  désapprouvait,  M.  de  Choiseul,  qui  ne  faisait 
pas  volonliers  abnégation  d'amour-propre,  fit  droit  à  ses 
raisons,  mais  le  remplaça. 

En  1777  M.  de  IMontmorin,  ambassadeur  en  Espagne,  le 
demanda  à  M.  de  Yergennes,  pour  son  premier  secrétaire. 
11  remplit  l'intérim  en  l'absence  de  l'ambassadeur,  sous  le 
titre  de  chargé  d'affaires,  avec  autant  de  fermeté  que  de  ta- 
lent, jusqu'en  17S5.  A  cette  époque  il  revint  en  Fiance,  et 
se  maria.  Il  fut  promu  au  poste  de  ministre  plénipotentiaire 


de  la  Basse-Saxe  en  17S7,  et  passa  en  Espagne  en  1792, 
pour  y  exercer  les  mêmes  fonctions.  La  connaissance  qu'il 
avait  des  affaires  du  pays  retarda  pendant  un  an  la  guerre 
qui  était  imminente  entre  cet  État  et  la  république.  Revenu 
à  Nevers,  par  suite  de  la  loi  qui  bannissait  tous  les  nobles 
delà  capitale,  ses  concitoyens  le  nommèrent  membre  du 
conseil  nuinicipal.  La  réaction  de  thermidor  eut  pour  effet 
de  le  tirer  de  sa  retraite;  il  fut  chargé  de  négocier  à  Figuiè- 
res  le  traité  de  paix  avec  l'Esjjagne.  La  nurcbe  des  choses 
ayant  enfin  été  régularisée  par  l'événement  du  18  brumaire, 
il  recouvra  ses  fonctions  de  ministre  plénipotentiaire. 

Du  Danemark ,  où  il  fut  envoyé  d'abord ,  il  passa  l'annexe 
suivante  à  Stocliholm  (1801);  toutefois,  de  retour  à  Paris, 
en  1803,  il  reçut  des  reproches  très-vifs  du  premier  consul 
pour  avoir  prononcé  à  Stockholm,  à  son  audience  de  ré- 
ception ,  un  discours  qui  semblait  annoncer  la  restauration 
du  régime  monarchique  en  France.  Bonaparte,  qui  ne  voulait 
pas  encore  heurter  les  idées  républicaines ,  le  priva  de  ses 
fonctions;  mais  il  fit  cesser  plus  tard  cette  disgrâce  pour  ré- 
compenser la  bravoure  du  jeune  de  Bourgoing  fils,  alors  à 
l'armée.  Envoyé  comme  ministre  plénipotentiaire  en  Saxe, 
Bourgoing  éprouva  de  nouvelles  contrariétés  de  la  part  de 
l'empereur  et  en  conçut  un  chagrin  qui  le  conduisit  au 
tombeau,  en  1811.  Il  laissait  un  grand  nombre  d'écrits  et  do 
traductions,  parmi  lesquels  il  faut  surtout  distinguer  son 
Tableau  de  l'Espagne  moderne. 

Ses  trois  fils,  Armand,  Paul  et  Honoré  de  Bourgoing, 
ont  suivi  la  carrière  militaire,  et  se  sont  distingués  dans  les 
guerres  de  l'Empire.  Le  second  entra  dans  la  diplomatie 
en  1816  ;  et  depuis  il  a  servi  avec  un  égal  dévouement ,  soit 
comme  secrétaire  de  légation  ou  d'ambassade,  soit  comme 
chargé  d'affaires,  ministre  plénipotentiaire  ou  ambassa- 
deur, Louis  XVIII,  Charles  X,  Louis-Philippe  et  laRépu- 
bhque. 

BOURGS-POURRIS  (en  anglais  rotten  boroiighs), 
expression  énergique  par  laquelle,  avant  la  grande  révolu- 
tion législative  accomplie  en  1832  dans  la  Grande-Bretagne, 
le  peuple  anglais  flétrissait  l'odieuse  fiction  légale  qui  mettait 
à  la  disposition  de  l'aristocratie  et  du  ministère  une  grande 
partie  des  voix  dans  la  chambre  basse. 

On  appelait  borough  (bourg)  toute  localité  ayant  le  droit 
d'envoyer  des  représentants  à  la  chambre  des  conimuncs, 
qui  fut  séparée  de  celle  des  barons  vers  le  milieu  du  qua- 
torzième siècle  ;  et  les  circonscriptions  électorales  fixées  à 
cette  époque  si  reculée  ne  furent  changées  qu'à  l'époque  où 
l'administration  libérale  de  lord  Grey  réussit  à  faire  adopter 
par  le  parlement  un  bill  qui  faisait  enfin  droit  aux  si  justes 
réclamations  de  la  nation  et  réalisait  la  réforme  électorale 
vainement  attendue  t'epuis  si  longtemps.  Avec  les  progrès 
de  la  civilisation  et  de  l'industrie,  avec  les  changements  suc- 
cessifs qu'ils  opèrent  dans  l'ordre  social,  on  avait  vu  un 
grand  nombre  de  localités,  importantes  au  quatorzième 
siècle  par  leur  population  et  leurs  richesses,  dégénérer  in- 
sensiblement, et  finir  par  ne  plus  former  que  de  misérables 
hameaux  comptant  à  peine  quelques  familles ,  et  souvent 
même  n'appartenant  qu'à  un  seul  individu.  Par  contre,  à 
quelque  distance  de  ces  mêmes  localités ,  s'étaient  insensi- 
blement formés,  dans  des  lieux  auparavant  déserts,  de 
vastes  rassemblements  d'hommes  attirés  là  par  les  avantages 
d'un  sol  plus  fertile  ou  d'une  situation  plus  favorable  au 
commerce.  Ainsi  s'élevèrent  Manchester,  Leeds ,  Dirming- 
ham,  Shcffield,  Salisbury,  etc.,  etc.,  où  aujourd'hui  la  po- 
pulation se  compte  par  centaines  de  milliers  d'âmes,  et  où 
au  quatorzième  siècle  on  ne  trouvait  que  des  champs  ou 
des  grèves  incultes.  Ces  cités  populeuses,  théâtre  le  plus 
actif  des  prodiges  de  l'industrie  moderne,  étaient  jusqu'en 
1832  restées  comme  étrangères  à  la  vie  politique  du  pays, 
et  voyaient  leurs  intérêts  les  plus  chers  commis  aux  mains 
d'individus  élus  par  un  petit  nombre  de  privilégiés,  souvent 
même  ayant  fait  à  beaux  deniers  comptants  l'acquisition  de 


I 


BOURGS-POURRIS  —  BOURGUIGNONS 


leur  siège  au  parlement,  grâce  au  trafic  scandaleux  qui  s'en 
faisait  (le  la  manière  la  plus  patente  dans  les  bourgs-pourris, 
et  qu'on  appelait  borougli-jobbing.  Tant  que  subsistera  la 
mémoire  de  ce  révoltant  abus,  on  ne  manquera  jamais  de 
citer  à  ce  propos  OUI  Sartim,  localité  de  ce  genre,  où  à 
l'époque  des  élections  sept  propriétaires  de  misérables 
bicoques  se  réunissaient ,  et  mettaient  littéralement  à  l'encan 
deux  places  au  parlement. 

Comme  les  sophistes  et  les  amis  du  privilège  ne  manquent 
jamais  de  bonnes  raisons  apparentes  pour  soutenir  les  thèses 
les  plus  absurdes,  les  abus  les  plus  déplorables,  on  ne  s'é- 
tonnera sans  doute  pas  d'api)rendre  que  Vinstitution  des 
bourgs-pourris  a  eu  de  nombreux  avocats.  On  a  dit  que 
dans  un  pays  où  l'aristocratie  était  l'État,  et  où  on  arrivait 
avec  de  l'argent  à  faire  partie  de  l'aristocratie,  il  était  bon 
que  l'homme  de  talent ,  obscur  et  sans  fortune ,  trouvât 
moyen  de  se  produire  tout  d'un  coup  au  grand  jour,  et  put 
ainsi  jclei'  dans  la  balance  des  destinées  publiques  son  zèle, 
ses  connaissances  acquises  et  sa  capacité.  On  a  cité  à  l'ap- 
pui de  ce  paradoxe ,  entre  autres  exemples  célèbres ,  celui 
de  Horne-Took,  de  ce  fougueux  adversaire  du  fameux  Pitt, 
dont  la  voix  n'eût  jamais  tonné  à  Westminster  pour  pro- 
clamer les  grands  principes  sociaux  au  nom  desquels  s'opé- 
rait alors  en  France  une  immense  et  glorieuse  révolution, 
si  par  un  bizarre  caprice  du  hasard  un  parent  de  Pitt  lui- 
même,  aussi  zélé  pour  la  liberté  que  celui-ci  l'était  pour  les 
intérêts  du  despotisme,  n'eût  fait  entrer  le  tribun  du  peuple 
au  parlement  par  la  porte  immonde  d'un  bourg-pourri  dont 
il  était  propriétaire.  Le  bon  sens  des  masses  a  constamment 
repoussé  les  sophismes  avec  lesquels  on  justifiait  l'abus  par 
le  bien  accidentel  qui  en  pouvait  résulter.  Il  a  compris  que 
lorsqu'il  n'y  aurait  plus  de  privilège  électoral ,  un  Horne- 
Took  qui  se  sentirait  la  poitrine  assez  forte,  le  caur  assez 
haut  pour  défendre  au  sem  de  la  représentation  nationale 
les  imprescriptibles  droits  des  peuples  et  des  individus, 
arriverait  bien  plus  facilement  à  son  but  en  confiant  le 
succès  de  sa  noble  ambition  aux  suffrages  populaires ,  qu'en 
se  mettant  sous  le  pationage,  toujours  suspect,  de  quelque 
renégat  de  l'oligarchie. 

Parmi  les  bourgs-pourris,  on  distinguait  ceux  qui  appar- 
tenaient à  l'aristocratie,  et  ceux  dont  les  élections,  en  rai- 
son de  telle  ou  telle  circonstance,  étaient  à  la  disposition 
des  ministres.  Les  membres  du  parlement  arrivés  à  la  légis- 
lature par  la  volonté  de  quelque  grand  seigneur  votaient 
selon  le  bon  plaisir  de  leurs  patrons ,  qui  de  leur  côté  ti- 
raient auprès  des  ministres  bon  parti  de  leur  influence  dans 
les  communes.  Les  membres  du  parlement  nommés  par 
les  bourgs  de  la  trésorerie  (treasunj  boroughs),  comme 
on  les  désignait,  étaient  en  général  des  hommes  beaucoup 
plus  honorables  que  les  premiers.  Il  n'étaient  pas  rare  qu'il 
se  manifestât  cfe  temps  à  autre  de  l'insubordination  dans 
leurs  rangs,  et  le  ministre  dont  ils  étaient  les  créatures  ne 
les  trouvait  pas  toujours  disposés  à  transiger  avec  leur 
conscience.  Mais  ces  hommes,  se  regardant  comme  liés 
d'honneur  vis-à-vis  de  leurs  patrons ,  se  seraient  fait  un 
véritable  scrupule  de  faillir  à  la  foi  qu'ils  avaient  jurée  au 
ministère;  et  quand  la  conscience  venait  à  parler  chez  eux 
plus  haut  que  l'intérêt ,  on  les  voyait  se  dévouer  stoïque- 
ment aux  chiltern  hundreds,  c'est-à-dire  accepter  une  des 
quelques  places  à  la  disposition  du  gouvernement ,  dont 
les  émoluments  étaient  si  exigus,  que  jamais  on  ne  s'avisa 
d'accuser  le  titulaire  d'en  recevoir  le  montant.  Les  démis- 
sions n'étant  pas  d'usage  dans  le  parlement ,  se  soumettre 
ainsi  à  une  réélection,  et  par  conséquent  fournir  au  mi- 
nistère l'occasion  de  disposer  de  son  treasury  borougli  en 
.faveur  de  quelque  homme  à  conscience  moins  timorée,  était 
pour  eux  le  seul  moyen  d'accorder  les  devoirs  de  la  probité 
politique  avec  ceux  de  l'honneur. 

BOUUGUÉPIIXE,  nom  vulgairedu  nerprun  purgatif, 
\rhamnus  catharticus ,  Linné).  C'est  un  arbrisseau  cpi- 


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neux,  d'environ  trois  mètres  de  haut,  à  feuilles  ovales  ou 
arrondies,  lisses  et  finement  dentées,  ayant  une  odeur  et  une 
saveur  désagréables  ;  cependant ,  si  on  en  excepte  les  vaches, 
tous  les  bestiaux  les  mangent.  Les  fleurs  du  nerpnm  pur- 
gatif sont  petites,  à  quatre  divisions,  réunies  par  bouquets 
le  long  des  rameaux ,  souvent  dioïques  ;  les  baies  assez  pe- 
tites ,  deviennent  noires  à  leur  maturité.  Ces  baies  sont  un 
violent  purgatif  qui  ne  saurait  convenir  qu'à  de  robustes 
constitutions.  Elles  servent  avec  l'alun  à  préparer  la  couleur 
dite  vert  de  vessie. 

BOURGUIGKOX  (Le).  Voyez  CoimTOTS (Jacques). 

BOUUGUIGl\Oi\S.  Voyez  Bodrgocne. 

BOURGUIGNONS  (  Loi  des  ).  Voyez  Gombettb 
(Loi). 

BOURGUIGNONS  (  Faction  des  ),  opposée  à  celle  des 
Armagnacs.  On  ne  peut  guère  expliquer  l'acharnement 
qui  caractérisa  les  longues'  guerres  civiles  des  règnes  de 
Charles  VI  et  Charles  VII  seulement  par  l'attache- 
ment qu'inspiraient  des  princes  peu  faits  pour  inspirer  un 
tel  sentiment.  Investis  du  pouvoir  par  un  fou  ou  par  une  reine 
indolente,  Isabeau  de  Bavière,  qui  n'avait  d'autres  pen- 
sées que  la  toilette  et  la  bonne  chère,  les  princes  rivaux 
n'avaient  point  de  droits  par  eux-mêmes;  peut-être  donc 
faudrait-il  chercher  la  cause  des  événements  qui  ensanglau- 
tèrent  cette  époque  moins  dans  leurs  prétentions  rivales  que 
dans  une  ancienne  animosité  de  races  qui  se  réveilla  alors 
dans  l'ile  de  France. 

Tous  les  pays  au  nord  de  la  Loire,  colonisés  par  les 
Francs,  n'avaient  jamais  été  parfaitement  unis  avec  les 
pays  situés  au  midi  de  ce  fleuve,  patrie  des  Aquitains ,  et 
dont  les  Visigotiis  avaient  renouvelé  la  population.  Sous 
la  domination  des  rois  d'Angleterre  l'Aquitaine  était  de 
nouveau  devenue  hostile  à  la  France.  Le  comte  d'Ar- 
magnac tirait  toute  sa  force  de  l'appui  de  cette  noblesse 
pauvre  et  belliqueuse  de  Gascogne  qui  sous  les  drapeaux 
anglais  avait  vaincu  les  Français  aux  batailles  de  Crée  y  et  de 
Poitiers.  Lorsque  les  Armagnacs  furent  les  maîtres  à  Paris 
et  dans  l'île  de  France,  ils  s'y  firent  détester  par  leur  in- 
solence et  leurs  voleries.  Le  peuple  parisien  se  sentait  beau- 
coup plus  d'affinité  de  mœurs  et  de  langage  avec  les  Bour- 
guignons qu'avec  les  Gascons  ;  des  intérêts  de  commerce 
pour  l'approvisionnement  de  Paris  les  avaient  aussi  rap- 
prochés; la  corporation  des  bouchers,  qui  était  riche, 
puissante  et  courageuse ,  embrassa  le  parti  de  Bourgogne 
avec  enthousiasme,  et  souilla  son  nom  par  d'horribles  mas- 
sacres dans  les  prisons.  En  même  temps  la  bourgeoisie  de 
Paris  avait,  par  des  vues  plus  élevées,  fait  une  aUiance 
intime  avec  les  bourgeois  des  villes  de  Flandre,  sujets 
bourguignons ,  'qui  les  premiers  avaient  défendu  les  droits 
du  peuple,  et  les  blancs  chaperons,  signe  de  ralliement  du 
parti  populaire,  avaient  passé  de  Gand  à  Paris. 

L'assassinat  deJeansansPeur  changea  la  position  des 
Bourguignons.  Le  duc  de  Bourgogne  devint  l'allié  du  roi 
d'Angleterre,  et  son  parti  se  trouva  engagé  à  favoriser  une 
domination  étrangère.  Cependant  lorsque  les  Français  furent 
obligés  de  reconnaître  à  Paris  des  Anglais  pour  leurs 
maîtres ,  ils  commencèrent  à  les  haïr  plus  encore  qu'ils 
n'avaient  haï  les  Armagnacs.  La  décadence  de  la  capitale 
était  rapide,  la  population  disparaissait,  les  factions  s'é- 
teignaient dans  la  misère  universelle;  le  duc  de  Bourgogne, 
dégoûté  et  honteux  de  ses  alliés,  se  retirait  dans  les  Pays-Bas, 
et  devenait  presque  étranger  à  la  France.  Un  mouvement 
national  d'indépendance  commençait  à  se  manifester  dans 
les  provinces  même  où  les  Bourguignons  dominaient  :  ce 
fut  celui  auquelJeanne  d'Arc  communiqua  son  enthou- 
siasme. Le  parti  bourguignon  acheva  de  se  dépopulariser 
par  le  supplice  de  cette  héroïne.  Enfin  le  traité  d' Arras  mil 
fin  à  la  faction  de  Bourgogne,  qui ,  bien  qu'elle  couvât  long- 
temps encore  sa  haine  pour  le  roi ,  s'éteignit  en  silence. 

J.-C.-L.-S.    SiSMOND!. 


VÔO 


BOURGUIGNON  SALÉ  —  BOURIGNON 


BOURG UÏGIXOiV  SALÉ,  vieux  sobriquet  qui  s'en 
va,  mais  qui  survit  encore  à  sa  gloire  dans  la  Bourgogne  et 
plus  encore  dans  les  provinces  limitrophes  de  cet  ancien 
duché.  C'est  la  préface ,  l'avant-propos  du  dicton  suivant, 
autrefois  généralement  répandu  dans  la  France  : 

Bourguignon  salé , 
L'épée  au  côté, 
La  barbe  au  lucoton. 
Saute,  Bourguignon  I 

Les  querelles  continuelles  que  les  Bourguignons  avaient 
eu  à  soutenir  tant  contre  les  Armagnacs  que  contre  d'autres 
ennemis  motivaient  suffisamment  les  expressions  ^é-pée  au 
côté  et  de  barbe  au  menton,  qui  conviennent  parfaitement 
à  des  gens  de  guerre.  Quant  à  celle  de  Bourguignon  salé, 
il  paraît  moins  facile  d'en  déterminer  l'origine.  Le  Duchat 
pense  que  ce  sobriquet  était  dû  à  la  salade  ou  bourgui- 
gnotte ,  espèce  de  casque  particulier  à  la  milice  bourgui- 
gnonne. Voici  une  autre  interprétation ,  qui  s'appuie  sur  un 
fait  historique  arrivé  en  1422,  et  que  de  doctes  person- 
nages ont  considéré  comme  ayant  acquis  force  de  preuve  : 
Jean  de  Châlons ,  prince  d'Orange ,  s'étant  emparé  d'Aigues- 
Mortes,  au  nom  de  son  souverain  Pliilippe,  duc  de  Bour- 
gogne ,  pendant  les  troubles  du  règne  de  Cliarles  VII ,  y 
mit  en  garnison  quelques  compagnies  bourguignonnes.  Les 
bourgeois ,  qui  supportaient  ce  joug  avec  impatience,  firent 
un  jour  main  basse  sur  la  garnison ,  tuèrent  bon  nombre 
de  Bourguignons,  et  jetèrent  les  cadavres  des  chefs  dans 
une  cuve ,  avec  une  grande  quantité  de  sel ,  afin  de  les  con- 
server plus  longtemps ,  comme  un  trophée  de  leur  fidélité  à 
leur  roi  légitime. 

A  ce  récit,  que  l'on  peut  regarder  comme  apocryphe ,  nous 
opposerons  une  autre  interprétation,  que  l'on  trouve  dans 
le  glossaire  alphabétique  placé  à  la  suite  des  Noëls  bour- 
guignons, imprimés  à  Dijon  en  1720.  Suivant  le  dévot  lexi- 
cographe, l'expression  Bourguignon  salé  viendrait  de 
ce  que  ce  peuple  aurait  été  le  premier  de  tous  ceux  de  la 
Germanie  à  embrasser  le  christianisme,  d'où  ses  voisins, 
qui  étaient  restés  païens ,  leur  auraient  donné  par  dérision 
cette  qualification  de  salés,  à  cause  du  sel  qu'on  mettait 
dès  ce  temps-là  dans  la  bouche  de  ceux  qu'on  baptisait. 

BOURGUIGIMOTTE.  Vogez  Casque. 

BOURIATES.  Voyez.  BouRiiTEs. 

BOURIGNON  (Antoinette)  ,  naquit  à  Lille,  le  13  jan- 
vier 1616,  tellement  disgraciée  de  la  nature  qu'on  examina 
dans  sa  famille  si  cette  enfant,  qui  ressemblait  à  un  monstre, 
ne  devait  pas  être  étouffée  :  quelle  que  fût  la  supériorité  de 
son  esprit,  il  ne  pouvait  faire  oublier  sa  laideur.  Ce  défaut, 
qui  l'éloignait  de  la  société ,  détermina  sans  doute  sa  sin- 
gulière vocation  au  mysticisme  le  plus  exalté  ;  la  lecture 
d'ouvrages  mystiques  et  d'histoires  des  premiers  chrétiens 
échauffa  tellement  son  imaginalion ,  qu'elle  eut  des  visions, 
et  se  crut  appelée  à  rétablir  l'esprit  de  l'Évangile  dans  sa 
pureté  prunitive.  La  vue  du  malheur  de  sa  mère  ,  qui  souf- 
frait beaucoup  de  l'humeur  de  son  mari ,  et  le  désir  de  se 
consacrer  tout  entière  à  Dieu ,  lui  avaient  inspiré  l'horreur 
du  mariage.  Aussi,  à  l'instant  où,  d'après  la  volonté  de  ses 
parents ,  on  allait  solenniser  le  sien ,  elle  s'enfuit  sous  les 
habits  d'un  ermite.  Par  l'entremise  de  l'archevêque  de  Cam- 
brai ,  elle  entra  dans  le  couvent  de  saint  SjTiiphorien.  Là 
elle  répandit  ses  opinions ,  attira  à  elle  quelques  reli- 
gieuses ,  et  se  vit  à  la  tête  d'un  parti.  Ayant  formé  le  projet 
de  fuir  avec  ses  prosélytes ,  le  complot  fut  découvert  par  le 
directeur  du  couvent ,  et  elle  fut  chassée  de  la  ville  ;  alors 
elle  se  mit  à  parcourir  le  pays ,  et,  après  avoir  recueilli  l'hé- 
ritage de  son  père ,  elle  fut  nommée  supérieure  de  l'hospice 
de  Notre-Dame  des  Sept  Plaies ,  à  Lille. 

Là  ses  visions  recommencèrent ,  et  elle  crut  ne  voir  au- 
tour d'elle  que  des  sorciers  et  de  mauvais  esprits.  Elle  n'é- 
chappa pas  elle-même  à  l'accusation  de  sorcellerie,  et 
mandée  devant  les  magistrats  de  Lille,  elle  leur  répondit  con- 


venablement. Ne  voulant  cependant  pas  demeurer  plus  Ion  •• 
temps  exposée  à  leurs  poursuites  ,  elle  s'enfuit  à  Gand,  e  i 
1662.  Elle  parcourut  la  Flandre,  le  Brahant,  la  Hollande. 
Ce  fut  dans  ces  courses  qu'elle  fit  à  Matines  connaissance 
avec  le  supérieur  des  prêtres  de  l'oratoire,  M.  de  Cort,  qu'elle 
enfanta  spirituellement  :  ce  sont  ses  termes.  Bayle  s'est 
beaucoup  égayé  aux  dépens  de  M"^  Bourignon,  en  rappor- 
tant qu'elle  prétendait  que  cet  enfantement  spirituel  avait 
été  accompagné  de  tranchées  entièrement  semblables  à  celles 
qu'éprouvent  les  femmes  qui  accouchent.  Elle  s'arrêta  enfin 
à  Amsterdam,  où  se  trouvaient  alors  un  grand  nombre  de  no- 
vateurs religieux.  Le  séjour  qu'elle  fit  dans  cette  ville  fut 
plus  long  qu'elle  ne  se  l'était  d'abord  proposé.  Elle  y  fut 
visitée  par  toutes  sortes  de  personnes.  Cela  lui  fit  espérer 
que  la  réforme  qu'elle  prêchait  pourrait  porter  quelque  fruit  ; 
mais  il  se  trouva  peu  de  gens  qui  prissent  une  ferme  réso- 
lution de  s'y  conformer.  Elle  rejeta  la  proposition  de  quel- 
ques personnes  qui  auraient  souhaité  s'établir  avec  elle  dans 
le  Noordstrant.  Elle  eut  des  conférences  avec  quelques  car- 
tésiens ,  qu'elle  accusa  d'athéisme.  Si  l'on  veut  l'en  croire , 
ses  entretiens  avec  Dieu  furent  fréquents  dans  cette  ville. 
M.  de  Cort,  qui  mourut  en  1609,  le  12  de  novembre,  l'institua 
son  héritière,  ce  qui  l'exposa  pendant  quelque  temps  à  plus 
de  persécutions  que  ses  dogmes.  La  politique  s'étant  enfin 
mêlée  aux  matières  religieuses  dans  les  réunions  qui  avaient 
lieu  chez  elle,  l'ordre  fut  donné  de  l'arrêter  ;  mais  elle  par- 
vint à  s'échapper,  et  s'enfuit  dans  le  Holslein. 

Cette  vie  errante,  qui  eût  présenté  de  graves  dangers  pour 
toute  autre  personne  de  son  sexe,  n'en  avait  aucun  pour  elle. 
Non  -  seulement  elle  prétendait  qu'elle  était  parfaitement 
chaste,  mais  qu'elle  avait  la  vertu  d'inspirer  la  chasteté  à  tous 
ceux  qui  l'approchaient.  Il  ne  parait  pas  cependant  qu'elle  ait 
toujours  joui  de  ce  pouvoir  ;  car,  sans  parler  du  danger  qu'elle 
courut  dans  sa  première  fuite  de  la  part  d'un  officier  qui 
l'avait  devinée  sous  son  habit  d'ermite,  un  certain  Jean  de 
Saint-Saulieu,  qui  s'était  mtroduit  auprès  d'elle  sous  des  dehors 
de  piété ,  finit  par  lui  parler  mariage ,  et ,  ne  l'ayant  pas 
trouvée  disposée  à  l'écouter,  eut  recours  à  la  violence.  Elle 
fut  obligée  d'invoquer  contre  ses  poursuites  le  secours  de  la 
justice.  Dans  sa  soixantième  année,  elle  n'avait  encore  rien 
perdu  de  la  force  et  de  l'activité  de  son  esprit.  Voulant,  quoi 
qu'il  lui  en  dût  coûter,  propager  au  loin  sa  doctrine  ,  elle 
se  pourvut  d'une  imprimerie ,  et  fit  imprimer  ses  ouvrages 
en  français,  en  flamand  et  en  allemand.  Elle  fut  diffamée  par 
quelques  'ivres  qu'on  publia  contre  ses  dogmes  et  contre  ses 
mœurs  ,  et  se  défendit  par  un  ouvrage  intitulé  Témoignage 
de  vérité,  où  elle  attaqua  les  ecclésiastiques.  La  fureur  con- 
tre elle  ne  fut  que  plus  vive.  On  lui  défendit  de  faire  usage 
de  son  imprimerie.  Elle  refusa  d'obéir,  et  s'en  alla,  emportant 
sa  presse.  Dans  son  voyage,  retirée  à  Flensbourg,  au  mois  de 
décembre  1673  ,  elle  n'échappa  qu'avec  peine  à  la  fureur  du 
peuple,  qui  voulait  la  massacrer,  comme  sorcière.  Elle  se  ré- 
fugia ensuite  à  Hambourg,  où  elle  ne  resta  que  peu  de  temps, 
ayant  été  forcée  de  se  soustraire  aux  poursuites  de  l'autorité. 
Tranquille  d'abord,  sous  la  protection  du  baronde  Lutzbourg, 
en  Oost-Frise,  elle  y  dirigea  un  hôpital  ;  mais  son  esprit  inquiet 
l'ayant  encore  fait  renvoyer  de  ce  pays ,  elle  mourut,  en  re- 
venant en  Hollande,  à  Franeker,  dans  la  Frise  ,  le  30  octo- 
bre 1680. 

Les  ouvrages  d'.\ntoiaette  Bourignon,  qui  composent 
vingt-deux  gi'os  volumes,  sont  d'une  insupportable  diffusion. 
Cependant  on  a  tort  de  n'y  voir  que  des  rêveries  sans  im- 
portance. Il  y  en  a  beaucoup,  il  est  vrai,  mais  on  ne  sau- 
rait se  dissimuler  que  l'esprit  religieux  qui  les  anime  est  très- 
pur,  et  que  les  reproches  qu'elle  adresse  au  clergé  des  diverses 
communions  sont  pour  la  plupart  fondés.  La  persévérance 
qu'elle  mit  dans  une  voie  qui  ne  pouvait  lui  attirer  que  des 
persécutions  fait  l'éloge  de  son  dévoûment  à  la  vérité.  Sans 
doute  il  s'y  mêlait  un  giand  amour  du  pouvoir,  et  la  préoc- 
cupation orgueilleuse  d'une  mission  imagin;iire;  mais  cela 


I 


BOURIGNON 

ne  peut  qu'affaiblir  et  non  annuler  les  louanges  qui  lui  sont 
dues. 

Quoiqu'il  soit  difficile  de  trouver  une  doctrine  dans  la 
prolixité  de  ses  discours  et  de  ses  traités,  on  peut  la  classer, 
par  son  point  de  vue ,  parmi  les  mystiques  quiétistes ,  tels  que 
Moiinos  et,  plus  tard,  iM™*  Guyon,  qui  eurent  pour  doctrine 
première  d'anéantir  toute  volonté,  toute  activité  de  l'esprit, 
pour  devenir  un  instrument  simplement  passif  de  l'inspira- 
tion divine.  C'est  une  tentative  assez  extraordinaire,  de  la 
part  d'un  cartésien  comme  Poiret,  d'avoir  voulu  réduire  en 
doctrine  les  ouvrages  d'Antoinette  Bourignon,  qui  regardait 
le  cartésianisme  comme  la  pire  de  toutes  les  hérésies  qui  eus- 
sent jamais  été  dans  le  monde.  Il  a  fait  précéder  ce  livre, 
intitulé  de  V Économie  de  la  Nature  (Amsterdam,  16S6), 
d'une  vie  d'Antoinette  Bourignon.  Ceu\  des  sectateurs  de  cette 
femme  singulière  qui  lui  ont  survécu  n'ont  jeté  ni  un  grand 
éclat  ni  de  profondes  racines  dans  les  diverses  contrées  où  ils  se 
sont  répandus.  H.   Boicwitté,  ancien  recteur. 

liOURKUAIVS,  dieux  des  Kalmouks  et  des  Bou- 
rètes;  sont  en  très-grand  nombre ,  et  se  divisent  en  deux 
classes ,  les  bons  et  les  méchants.  On  représente  les  premiers 
avec  la  figure  gracieuse  et  riante;  on  donne  aux  autres  une 
iiouclie  horrible ,  des  yeux  menaçants  et  hideux.  Ils  sont  ordi- 
nairement assis  sur  des  nattes,  surtout  les  bourkhans  bien- 
faisants, et  portent  d'une  main  un  sceptre,  de  l'autre  une 
tloclie.  La  plupart  des  idoles  sont  de  cuivre  creux  fondu  et 
doré.  Elles  sont  posées  sur  des  piédestaux  creux ,  qui  con- 
tiennent chacun  un  petit  cylindre,  fait  avec  les  cendres  du 
hourkhan  que  l'on  adore ,  ou  du  moins  une  petite  inscrip- 
tion thibétaine  ou  tongute;  mais  jamais  on  ne  doit  porter  les 
mains  sur  cette  inscription  ou  sur  cecylindre.  D'auties  images 
des  bourkhans  sont  peintes  ou  dessinées  sur  du  papier  de 
Chine  ou  des  étoffes. 

BOURLIER  (Jean-Baptiste,  comte),  évoque  d'Évreux 
en  ISOl,  nommé  candidat  au  corps  législatif  en  1806,  par 
ie  collège  électoral  de  la  Seine-Inférieure ,  créé  pair  de  France 
par  l'ordonnance  royale  du  7  juin  1814,  mort  àÉvreux, 
ii!  30  octobre  1821,  était  né  à  Dijon,  en  1731.  Je  remarque 
cptte  époque,  parce  que  c'est  celle  i  laquelle  M.  de  Voltaire 
commençait  à  s'emi)arcr  du  siècle  dernier,  et  rendait  plus 
difficile,  et  par  conséquent  plus  brillante,  la  carrière  que 
Bouriier  était  destiné  à  parcourir.  Ses  parents  étaient  peu 
riches  :  ils  firent  de  grands  efforts  pour  que  sa  première 
éducation  fût  bonne.  Ils  trouvèrent  aussi  dans  quelques 
institutions  publiques  de  leur  province  des  secours  dont  leur 
(ils,  doué  de  dispositions  heureuses,  sut  profiter.  Après 
quelques  années  passées  d'une  manière  brillante  dans  les 
collèges,  la  disposition  du  jeune  Bouriier  le  conduisit  à  ter- 
miner son  éducation  dans  les  maisons  où  l'on  se  prépare  à 
l'élat  ecclésiastique.  Il  entra  aux  robertins,  établissement 
presque  gratuit,  (jui  dépendait  du  séminaire  de  Saint-Sulpice, 
et  où  les  maîtres  étaient  les  mêmes  ;  il  y  retrouva  encore  cette 
espèce  d'enseignement  que  Fénelon ,  qui  y  avait  été  élevé, 
fit  tant  aimer  en  France.  Presque  toutes  les  congrégations 
religieuses  ont  fui  le  monde  et  s'en  sont  tenues  à  l'écart; 
las  Sulpiciens,  au  contraire,  habitaient  les  villes,  et  y  vivaient 
d'une  manière  assez  retirée  etassez  occupée  pour  n'en  craindre 
aucune  des  séductions;  ceux  même  dont  les  talents  malgré 
eux  jetaient  quelque  éclat  se  couvraient  tellement  de  leur 
modestie ,  qu'il  est  arrivé  à  plusieurs  d'entre  eux  de  se  dé- 
rober au  gouvernement,  qui  aurait  voulu  les  appeler  à  des 
places  plus  élevées.  Napoléon,  si  habile  à  trouver  ce  qu'il 
chercliait,  n'aurait  jamais  découvert  M.  Emery,  ancien  su- 
périeur de  Saint-Sulpice,  sans  la  clairvoyance  de  M.  de  Fon- 
tanes,  à  qui  rien  ne  pouvait  échapper  de  ce  qui  intéressait 
les  lettres  et  l'enseignement. 

Ce  n'est  point  parce  que  j'y  ai  un  plaisir  particulier,  mais 
c'est  pour  mieux  faire  connaître  l'évèque  d'Évreux,  que  j'ai 
di'i  parier  de  Saint-Sulpice,  qui  avait  gravé  profondément  en 
lui  les  principes  de  conduite  oui  l'or.I  guidé  pendaiilsa  longue 


BOURLIER 


69! 


j  carrière.  Il  tenait  de  ses  maîtres  de  ne  pas  séparer  par  de 
trop  fortes  distances  la  vie  ecclésiastique  de  la  vie  sociale  ; 
et  cette  façon  d'être  exigeait  une  manière  de  parler  et  même 
de  se  taire  qui  faisait  qu'avec  des  diversités  d'opinions  et 
de  mœurs  on  pouvait  d'abord  se  trouver  ensemble,  et 
quelquefois  arriver  à  des  rapprochements  utiles  ;  et  lorsque 
l'on  y  joignait,  comme  l'évèque  d'Évreux,  un  maintien 
simple,  tranquille  et  ouvert,  ce  langage,  car  le  maintien 
aussi  est  un  langage ,  et  c'est  le  plus  imposant ,  ce  langage , 
dis-je,  n'était  jamais  employé  sans  succès  pour  contenir 
dans  les  limïtes  de  la  circonspection  les  conversations  les 
plus  disposées  à  devenir  trop  légères.  Aussi  pourrait-on  dire 
que  l'abbé  Bouriier  n'entendit  jamais  un  mauvais  propos 
tout  entier  car  dès  qu'on  levait  les  yeux  sur  lui ,  les  plus 
indiscrets  étaient  forcés  de  s'arrêter,  tant  l'ensemble  de  sa 
personne  inspirait  de  crainte  de  lui  faire  de  la  peine. 

Tout  était  en  harmonie,  ou  plutôt  tout  était  harmonie  dans 
l'abbé  Bouriier,  sa  figure  et  sa  physionomie,  les  mouve- 
ments du  corps  et  les  affections  de  l'àme,  l'esprit  et  le  talent  : 
soit  qu'on  eût  retranché ,  soit  qu'on  eût  ajouté  quelque  chose 
à  quelqu'une  de  ses  facultés ,  l'harmonie  chez  lui  eût  été 
détruite,  et  le  tout  moins  parfait.  Il  était  facile  à  un  naturel 
aussi  heureux  d'être  toujours  dans  les  convenances ,  et  cette 
précieuse  manière  d'être  lui  donnait  un  charme  particuHer, 
auquel  tout  le  monde  était  obligé  d'être  sensible.  Je  l'ai  vu  à 
des  réunions  où  se  trouvaient  des  hommes  de  lettres ,  des 
hommes  d'affaires  et  des  hommes  du  monde  se  plaisant 
ensemble ,  parce  que  leurs  esprits  étaient  plutôt  divers 
quïnégaux  :  Bulhièrcs,  peintre  également  piquant  des 
mœurs  du  monde  et  des  grands  événements  de  nos  jours  ; 
Marraontel,  dont  les  formes  contrastaient  si  bien  avec 
ime  conversation  légère  ;  Panchaud,  dont  le  nom  se  présente 
toujours  le  premier  dans  toutes  les  traditions  financières  ; 
l'abbé  Ba  rtliélemy ,  qui  avait  le  bon  goût  d'avoir  l'air  de 
vous  rappeler  ce  qu'il  vous  apprenait;  le  duc  de  Lauzun , 
qui  avait  tous  les  genres  d'éclat,  beau ,  brave,  généreux  et 
spirituel  ;  le  chevalier  de  Narhonne,étincelantde  gaieté  et  d'es- 
prit ;  le  comte  de  C  h  o  i  s  e  u  1  -  G  o  u  f  fi  e  r ,  qui  avait  voyagé  et 
résidé  dans  le  Levant  comme  ambassadeur  à  la  (ois  en  quelque 
sorte  et  de  nos  rois  et  de  nos  arts  ;  des  hommes  aussi  dis- 
tingués, tous  dans  leurs  avantages,  animés  chacun  par  l'es- 
prit des  autres ,  devaient  nécessairement  laisser  et  à  l'esprit 
et  à  la  mémoire  des  impressions  de  tout  genre;  et  cependant, 
tant  est  entraînante  cette  espèce  de  bienveillance  vraie,  et 
aussi  cette  gaieté  douce  que  donnent  la  simplicité  de  l'esprit 
et  la  sérénité  de  l'âme,  c'était  toujours  de  l'évoque  d'Évi-eux 
qu'on  disait  en  se  séparant  :  qu'il  est  aimable  l'abbé  Bour- 
iier !  et  c'est  probablement  à  cette  simplicité  et  à  cette  sé- 
rénité, si  propres  à  écarter  les  regards  des  méchants,  que 
Bouriier  dut  le  bonheur  et  la  longueur  de  sa  vie  :  car  s'il 
échappa  aux  fureurs  révolutionnaires,  on  peut  dire  que  la 
révolution ,  qu'il  traversa  tout  entière  en  France ,  ne  le  vit 
point. 

Ce  ne  fut  que  lorsque  l'édifice  de  la  république  eut  croulé 
sur  ses  fondements  et  sur  ses  architectes ,  et  que  Napoléon 
se  fut  emparé  de  la  révolution  et  eut  commencé  à  donner  à 
la  France  quelques  attributs  et  quelques  caractères  de  la 
monarchie,  que  l'abbé  Bouriier  se  retrouva.  Napoléon,  qui 
n'était  encore  que  sur  une  marche  du  trône,  était  trop  ha- 
bile pour  ne  pas  sentir  qu'il  n'établirait  l'autorité  dont  il 
avait  besoin  pour  dompter  tous  les  désordres  et  dissoudre 
toutes  les  deiui-ambitions  qu'en  appelant  à  son  aide  le  grand 
appui  social  :  il  entreprit  la  réconcihation  du  ciel  avec  la 
terre;  il  s'occupa  du  Concordat.  Malgré  l'opposition  des  pe- 
tits publicistes  de  cette  époque  et  malgré  des  dangers  per- 
sonnels qu'il  n'ignorait  pas ,  il  voulut  donner  la  plus  grande 
solennité  à  l'exécution  de  cet  acte  habile  et  hardi ,  qui  l'ho- 
norera à  jamais  dans  la  mémoire  des  hommes.  L'ancien 
clergé  de  France  était  encore  dispersé.  On  était  bien  heu- 
reux quand  on  pouvait  retrouver  quelques  personnes  faites 


592 


BOURLIER  —  BOURMOx>T 


pour  occuper  les  sièges  épiscopaux  devenus  si  difficiles  à 
bien  remplir.  J'eus  la  satisfaction  de  faire  connaître  au  clief 
âa  gouvernement  M.  Bourlier,  M.  Maunai,  et  M.  Duvoisin  : 
il  les  nomma  aux  évôcliés  d'Évrenx,  de  Trêves  et  de  Nantes. 
L'influence  du  Concordat  se  fit  bientôt  sentir  ;  le  succès  que 
ce  grand  acte  obtint  dans  toute  la  Trance  contribua  essentiel- 
lement à  simplifier  la  position  de  Napoléon.  A  cette  (époque 
tout  voulait  encore  lui  réussir  ;  mais  il  n'eut  pas  longtemps 
la  force  de  maîtriser  tant  de  bonheur;  il  se  laissa  mener 
par  sa  fortune-ct  par  la  gloire  de  ses  armres.  Dès  lors  il  ac- 
crut en  exigence;  et  il  ne  lui  fallut  que  trois  ans  pour  que 
la  résistance  d'un  pouvoir  spirituel  lui  parût  une  rébellion. 
Aussitôt  des  gendarmes  vont  enlever  au  Vatican  le  ponlife- 
roi,  et  le  traînent  à  Savone,  et  plus  tard  à  Fontainebleau  , 
comme  s'il  eût  été  possible  à  des  moyens  de  la  terre  de  bri- 
ser une  âme  si  forte,  ni  de  ployer  seulement  une  ûme  si 
haute.  Napoléon,  étonné  de  son  impuissance,  ordonna  à 
quelques  évêques,  et  particulièrement  à  l'évêquc  d'Évreux, 
de  se  rendre  auprès  du  pape,  comme  porteurs  de  proposi- 
tions; l'évoque  d'Ëvrcux  y  fit  deux  voyages,  et  se  vantait 
à  chaque  retour  de  n'avoir  pas  réussi  dans  la  mission  qui 
lui  avait  été  donnée.  * 

L'évèque  d'Évreux  depuis  qu'il  eut  été  appelé  par 
Louis  XYIII  à  la  chambre  des  pairs ,  partagea  sa  vie  entre 
fion  diocèse  et  les  séances  de  cette  assemblée  ;  il  se  trouvait 
toujours  où  il  croyait  qu'il  remplissait  plus  de  devoirs.  Sa 
maison  était  ouverte  à  toutes  les  opinions.  Élevé  dans  les 
idées  anciennes,  il  comprenait  les  idées  nouvelles,  et  il  se 
servait  habilement  de  l'influence  que  donnent  toujours  la 
douceur,  un  bon  esprit,  l'indulgence  et  un  grand  âge ,  pour 
ramener  à  de  la  bienveillance  les  unes  pour  les  autres  des 
personnes  entre  lesquelles  les  passions  politiques  avaient 
rompu  tous  les  liefls  :  lorsque,  dans  la  môme  chambre,  on 
n'était  séparé  que  par  l'évèque  d'Évreux ,  on  était  bien  près 
de  s'entendre.  Prince-duc  de  Talleyrand-Péricord, 

de  l'Acad.  des  Sciences  morales  et  politiques. 

BOURMOIVT  (  LoLis-AucusTE- Victor,  comte  de 
GAISNE  de),  né  au  château  de  IJourmont,  en  Anjou,  le  2  sep- 
tembre 1773,  créé  maréchal  de  France  par  Charles X  en  1830. 
La  célébrité  de  Bourraont  est  dc^à  bien  vieille.  La  révo- 
lution le  trouva  à  dix-sept  ans  officier  des  gardes  françaises  ; 
il  suivit  le  prince  de  Condé  dès  le  commencement  de  l'émi- 
gration ,  et  devint  son  aide  de  camp.  On  sait  que  cette  pe- 
tite armée  de  gentils-hommes  montra,  bien  que  combattant 
contre  la  patrie  ,  une  valeur  tout  aussi  française  que  ces  in- 
nombrables levées  de  roturiers  qui  surent  d'abord ,  sans 
matériel  et  sans  généraux,  refouler  par  delà  le  Rhin  les 
vieilles  armées  et  les  vieux  tacticiens  de  l'empire  germa- 
nique. Dans  les  différentes  affaires  d'avant-garde  auxquelles 
prirent  part  les  condéens ,  le  jeune  Bourmont  déploya  au- 
tant de  valeur  que  d'intelligence  (1793).  De  bonne  heure  il 
parut  propre  aux  affaires,  car  dès  1790  il  avait  été  chargé 
par  le  prince  d'une  mission  secrète  à  Nantes.  11  s'agissait  de 
la  première  organisation  de  celte  guerre  vendéenne  que, 
quarante-deux  ans  plus  tard,  Bourmont  devait  réveiller 
sous  les  auspices  de  la  duchesse  de  Bcrry,  et  au  nom  du 
petit-neveu  de  Louis  XVI.  Après  avoir  fait  encore  la  moi- 
tié de  la  campagne  de  1704  sur  les  rives  du  Khin,  il  quitta 
l'armée  de  Condé  pour  aller  se  joindre  aux  royalistes  des 
provinces  de  l'Ouest.  Le  vicomte  de  Scépeaux  le  nomma 
major  général  de  son  armée.  11  était  aussi  membre  d'un 
conseil  supérieur  créé  par  les  cliouans  du  Maine;  les  rela- 
tions de  sa  famille  lui  donnaient  une  grande  iniluence  dans 
ces  provinces.  Aussi  joua-t-il  un  rôle  tiôs-actif  dans  toutes 
les  affaires  du  parti.  Plus  d'une  fois  de  son  château  de  Bour- 
mont émanèrent  des  pièces  et  déclarations  oflicielles  pour 
l'armée  catholique  et  royale. 

A  la  fin  de  l'année  1795  il  fut  envoyé  par  le  vicomte  de 
Scépeaux  auprès  du  gouvernement  anglais ,  pour  presser 
l'envoi  des  secours  [jromis;  mais,   quckpie  sagacité  qu'il 


mît  à  remplir  cette  mission,  elle  eut  des  résultats  peu  fa- 
vorables. 11  alla  jusqu'à  Edimbourg  trouver  le  comte  d'Ar- 
tois. Ce  prince  accueillit  le  jeune  chef  vendéen  avec  cette 
affabilité  cordiale  qu'il  devait  déployer  depuis  sur  un  plus 
haut  théâtre  :  il  lui  conféra,  avec  dispense  d'âge,  l'ordre 
de  Saint-Louis,  et  l'arma  lui-môme  chevalier.  Bourmont  fut 
chargé  de  porter  à  l'armée  de  Scépeaux  les  brevets  et  déco- 
rations qui  avaient  été  accordés.  Ce  fut  lui  qui  reçut  cheva- 
lier le  vicomte.  Ces  vains  honneurs entiefenaient  jusqu'à  un 
certain  point  l'enthousiasme  et  suppléaient,  au  moins  pour 
le  moment ,  aux  secours  réels  que  Bourmont  n'avait  pu  ob- 
tenir. En  1796,  lors  de  la  soumission  des  chefs  royalistes  au 
général  Hoche,  il  obtint  la  liberté  de  retourner  en  An- 
gleterre, où  il  fut  créé  par  le  comte  d'Artois  maréchal  de 
camp.  Loin  d'avoir  renoncé  à  la  guerre  civile ,  il  fit  auprès 
du  cabinet  de  Saint-James  tous  ses  efforts  pour  obtenir  les 
moyens  de  recommencer  la  lutte  avec  avantage.  Nommé 
par  le  comte  d'Artois  commandant  des  provinces  du  Perche, 
du  Maine  et  de  l'Anjou,  il  débarqua  en  1799  sur  les  côles 
du  nord,  et,  après  avoir  traversé  heureusement  la  Breiagne 
sous  la  protection  de  dix  soldats  du  général  Georges,  il 
passa  dans  le  Maine,  et  se  mit  à  la  tôte  des  royalistes ,  qui 
n'attendaient  qu'un  chef  habile  et  résolu.  Dans  cette  cam- 
pagne Bourmont  acquit  en  effet  un  grand  renom  mili- 
taire; avec  des  bandes  indisciplinées  il  sut  vaincre  ces 
troupes  républicaines  qui  culbutaient  alors  toutes  les  armées 
de  l'Europe.  Si  l'on  considère  encore  combien  les  chouans 
du  Maine  étaient  loin  de  valoir  ces  Vendéens  dont  le  cou- 
rage avait  excité  l'admiration  des  républicains  eux-mêmes, 
on  n'en  aura  qu'une  plus  haute  idée  du  talent  de  leur  gé- 
néral. 

Avec  de  pareilles  troupes,  montant  tout  au  plus  à  deux 
mille  hommes,  et  sans  artillerie,  il  battit  les  républicains 
à  Louverné,  et  osa  marcher  sur  le  Mans.  Il  s'en  empara, 
malgré  une  vive  résistance  :  heureux  s'il  eût  pu  empêcher 
les  excès  que  ses  troupes  commirent  après  la  victoire  !  Trop 
prudent  pour  séjourner  dans  le  sein  de  la  ville,  de  peur  de 
surprise ,  il  se  fortifia  dans  le  faubourg  de  Saint-Jean ,  au- 
delà  de  la  Sarthe  ;  l'artillerie  et  les  munitions  des  républi- 
cains étaient  en  son  pouvoir.  Un  corps  de  huit  cents  Bretons 
vint  le  joindre,  amené  par  un  chef  audacieux,  La  Nouga- 
rèdc,  dit  Achille  Le  Bnin.  Tandis  que,  par  l'ordre  du  géné- 
ral, ces  nouveaux  auxiliaires  s'emparent  de  Morlaix,  lui- 
même,  devant  le  gros  bourg  de  Balai,  échoue  contre  l'hé- 
roïque résistance  des  habitants  :  après  avoir  perdu  beaucoup 
de  monde,  il  se  voit  forcé  d'évacuer  le  Blans.  Ce  revers  /ut 
la  ruine  du  parti;  la  division  se  mit  de  plus  en  plus  parmi 
les  royalistes;  quelques-uns  d'entre  eux  parlèrent  de  négo- 
cier. A  la  faveur  d'un  armistice  conclu  avec  les  républi- 
cains, des  conférences  entre  les  chefs  du  parti  s'ouvrirent  à 
Montfaucon.  Bourmont  s'y  fit  remarquer  parmi  ceux  qui 
voulaient  continuer  la  guerre.  Rien  n'ayant  été  décidé,  il 
retourna  à  son  quartier  général ,  d'où  il  envoya  des  ordres 
à  tous  les  chefs  de  division  de  se  tenir  prêts  à  combattre. 
Arriva  le  21  janvier  ISOO;  son  quartier  général  était  au  vil- 
lage de  Grez ,  il  y  lit  célébrer  en  l'honneur  de  Louis  XVI  un 
service  funèbre  avec  toute  la  pompe  religieuse  et  militaire 
que  comportait  la  situation.  L'armistice  expiré,  il  rassembla 
toutes  ses  divisions,  marcha  sur  Morlaix  ;  déjà  il  en  occu- 
pait un  faubourg,  lorsque  la  capitulation  inattendue  du 
marquis  de  la  Prévalais  vint  lui  couper  toute  communica- 
tion avec  l'armée  de  Georges.  Enfin  la  soumission  du  comte 
de  Chàtillon ,  battu  à  Balai  par  les  républicains ,  acheva  de 
renverser  tous  ses  plans. 

Abandonné  successivement  de  presque  tous  ses  chefs  de 
division,  il  capitula,  ayant  surtout  pour  but  de  se  soustraire 
aux  effets  de  l'indiscipline  de  ses  propres  soldats.  11  ne  si- 
gna point  cette  pacification  sans  envoyer  un  courrier  à 
Georges  pour  l'engager  à  ne  plus  soutenir  une  cause  déses- 
pérée, du  moins  pour  le  moment.  Si  l'on  en  croit  la  biogra- 


BOURMONT 


503 


phie  de  Leipzig,  il  indiqua  au  goiiYcrnoment  les  rivières  où 
étaient  radiés  les  canons  fournis  par  l'Angleterre.  De  là 
Coiirmont  se  rendit  à  Paris,  où  il  épousa  mademoiselle  i]ec- 
ile-Lièvre,  d'une  ancienne  famille  de  Bretagne.  Il  se  fixa 
dans  cette  capitale,  et  se  \it  fort  bien  accueilli  de  Bona- 
parte, qui,  comme  on  sait,  avait  un  faible  très-prononcé 
pour  les  hommes  de  l'émigration.  Bourmont,  de  son  côté, 
se  montra  très-empressé  de  plaire  au  premier  consul  ;  il 
réussit  à  lui  inspirer  de  la  confiance,  et  acquit  du  crédit 
auprès  de  lui.  On  le  voyait  trè^.-assidu  dans  les  bureaux  de 
la  police,  où  se  décidait  fout  ce  qui  intéressait  le  sort  des 
♦unigrés.  Le  jour  de  l'explosion  de  la  machine  infernale, 
Jkitwmont  sc  rendit  dans  la  loge  de  Bonaparte,  et  demanda 
la  punition  des  jacobins,  qu'il  accusa  hautement  d'être  les 
auteurs  de  cet  attentat.  Comme  les  événements  furent  loin 
(le  confirmer  cette  assertion,  il  fat  lui-même  soupçonné.  11 
continua  néanmoins  à  jouir  en  apparence  de  quelque  crédit; 
mais  bientôt  il  donna  lieu  à  de  nouveaux  soupçons ,  par  la 
facilité  avec  laquelle  il  fit  retrouver  à  la  police,  qui  s'était 
adressée  à  lui,  le  sénateur  Clément  de  Ris,  qu'une  bande  de 
chouans  avait  enlevé  :  on  en  conclut  avec  assez  de  vraisem- 
blance que  leur  ancien  chef  n'avait  pas  été  étranger  à  l'en- 
lèvement. Sur  le  rapport  de  Fouché,  qui  suivait  toutes  ses 
démarches,  Bourmont  fut  enlevé  à  la  liberté  et  au  rôle  équi- 
vofiue  qu'il  avait  joué.  Il  fut  d'abord  enfermé  au  Temple  et 
mis  au  secret;  puis,  en  1803,  transféré  à  la  citadelle  de 
Dijon; enfin,  à  Besançon,  d'où  51  s'évada  en  juillet  1805,  et 
se  réfugia  en  Portugal,  avec  sa  famille.  Par  suite  des  égards 
<|ue  Bonaparte  avait  toujours  eus  pour  lui,  ses  biens  ne  fu- 
rent point  séquestrés. 

H  se  trouvait  à  Lisbonne  avec  sa  famille,  lorsque  Junot 
s'empara  de  cette  ville,  en  1810  ;  Bourmont,  compris  par  lui 
dans  la  capitulation,  rentra  en  France.  Napoléon,  qui  avait 
apprécié  les  talents  militaires  de  l'ancien  chef  vendéen,  lui 
olTrit  le  grade  de  colonel.  Bourmont  accepta,  et  vit  s'ouvrir 
devant  lui  une  glorieuse  et  rapide  carrière  d'avancement.  H 
senit  comnae  colonel  adjudant  commandant  à  l'armée  de 
Naples,  d'où  il  passa  à  l'état-major  du  prince  Eugène,  avec 
lequel  il  fit  la  campagne  de  Russie.  Nommé  général  de  bri- 
gade eu  1813,  il  mérita  d'être  mentionné  honorablement 
dans  les  bulletins  des  batailles  de  Dresde.  En  1814,  durant 
la  glorieuse  campagne  de  France,  il  eut  le  commandement 
d'une  brigade  de  réserve  (de  12,000  hommes),  à  la  tète  de 
laquelle  il  se  signala  par  sa  belle  défense  de  Nogent,  où  il 
fut  blessé.  Sa  conduite  héroïque  dans  cette  circonstance  lui 
valut  les  éloges  de  la  France  et  le  grade  de  général  de  divi- 
sion. Après  les  adieux  de  Fontainebleau,  Bourmont  ne  fut 
pas  des  derniers  à  se  soumettre  aux  Bourbons.  11  fut  nommé 
par  Louis  XVIII,  le  20  mai  1814,  commandant  de  la 
sixième  division  militaire.  11  se  trouvait  en  cette  qualité  à 
Besançon  au  moment  où  Napoléon  débarqua  sur  la  côte  de 
Provence.  Il  reçut  l'ordre  de  se  réunir  à  Ney ,  auprès  du- 
quel il  se  trouvait  lors  de  la  défection  des  troupes.  Le  débat 
qui  s'établit  entre  Bourmont  et  le  maréchal  lors  du  procès 
de  celui-ci ,  montre  sans  doute  quelque  chose  d'équivoque 
et  de  peu  loyal  ;  mais  le  sort  a  voulu  que,  tandis  que  le  gé- 
néral déposait  comme  témoin  à  charge ,  son  chef  siégeât 
comme  accusé.  On  sait  que  Ney  était  condamné  d'avance , 
et  que  le  procès  n'était  qu'une  douloureuse  comédie;  la  dé- 
position attendue  de  Bourmont  contribua  puissamment  à  la 
condamnation.  Les  témoins  de  cette  mémorable  séance  se 
rappellent  encore  combien  la  figure  pâle,  indécise,  renversée, 
du  général  contrastait  visiblement  avec  le  visage  calme  et 
dédaigneux  du  maréchal. 

Lorsque  Napoléon  eut  si  rapidement  ressaisi  le  sceptre 
qu'il  devait  garder  si  peu,  Bourmont  sollicita  et  obtint  le 
commandement  de  la  sixième  division  du  corps  d'armée  aux 
ordres  du  général  Gérard.  0"n  a  prétendu  (jue  l'empereur 
hésita  beaucoup  avant  de  lui  donner  de  l'emploi,  et 
qu'il  ne  se  i-endit  que  lorsque  le  général  lui  eut  répondu  de 
Kir.T.  \)r.  i.\  r.oNVF.i'.s.  —  t.  m. 


la  fidélité  de  cet  officier.  Si  cette  anecdote  est  vraie,  le» 
pressentiments  de  Napoléon  ne  furent  pas  tromiiés.  Le 
14  juin,  veille  de  la  seconde  bataille  de  Fleuris,  Bourmont 
abandonna  ses  troupes  pour  se  rendre  auprès  de  Louis  Wlll. 
Ceux  qui  veulent  faire  l'aiiolo^ie  de  celte  démarche  préten- 
dent qu'il  n'était  lié  par  aucun  serment ,  puisqu'il  avait  re- 
fusé de  signer  l'acte  additionnel.  En  supposant  vraie  cette 
allégation,  fournit-elle  un  argument  bien  puissant?  Et  Bour- 
mont ayant  quitté  sa  division  à  la  veille  des  combats  pour 
se  retirer  dans  une  de  ses  terres,  et  non  point  en  pays  en- 
nemi, serait-il  encore  à  l'abri  du  blâme?  Quoi  qu'il  en  soit, 
ce  qui  lui  a  valu  de  si  cruels  reproches  ne  pouvait  être  ac- 
cueilli que  comme  un  acte  de  dévouement  par  Louis  XVII]  : 
ce  prince  le  nomma  conunandant  de  la  frontière  du  nord. 
Bourmont  pénétra  en  France,  le  24  juin,  pr  Armentières, 
et  établit  son  quartier  général  à  Estaus  le  25.  Sa  présence 
détermina  un  soulèvement  royaliste  dans  les  cantons  d'Haze- 
brouck,  Bailleul,  Armentières,  Saint-Pol,  Lillers,  etc.  On 
doit  à  Bourmont  la  justice  de  dire  qu'il  s'opposa  constam- 
ment à  toute  réaction ,  et  qu'il  parut  partout  occupé  d'arrêter 
le  zèle  réactionnaire.  Il  marcha  sur  Lille,  dont  le  général 
Lapoypc  ne  se  pressa  pas  de  rendre  la  citadelle ,  mais  qu'il 
remit  enfin,  après  avoir  fait  sa  soumissiau  au  roi.  De  retour 
à  Paris ,  Bourmont  fut  nonmié  commandant  de  l'une  des  di- 
visions d'infanterie  de  la  garde  royale. 

Lorsqu'on  1823  l'armée  française  entra  en  Espagne,  il  fut, 
avec  cette  division,  attaché  au  corps  de  réserve.  Dans  cette 
guerre,  qui  n'en  fut  pas  une,  mais  qui  avait  pour  principal 
objet  de  donner  une  armée  aux  Bourbons ,  il  eut  sans 
doute  peu  d'occasions  de  se  signaier  comme  militaire  ;  mais 
sa  conduite  y  fut  honorable  et  utile  :  il  sut  faire  respecter  la 
discipline,  et  montra  dans  ses  fonctions  les  plus  grands  mé- 
nagements pour  riiabitaut.  Vint  enfin  pour  Bourmont  le 
8  ^oùt  1829  ,  qui  le  porta  au  ministère  de  la  guerre.  Tous 
les  journaux  de  l'opposition  ,  qui  alors  s'e.vprimaient  avec, 
une  singulière  liberté,  élevèrent  coirtre  lui  un  toile  généra!. 
Poursuivi  par  l'opinion ,  le  nouveau  ministre  de  la  guerre  se 
trouva  sans  crédit;  d'ailleurs,  l'influence  directe  du  dau- 
phin sur  toutes  les  nominations  de  l'armée  diminuait  l'im- 
portance du  titulaire  ministériel.  Le  vieux  roi  avait,  eu 
outre,  vu  et  employé  Bourmont  trop  jeune  pour  que  celui- 
ci  eût  à  ses  yeux  encore  assez  de  maturité.  Cependant,  il 
ne  se  laissa  pas  plus  décourager  par  ces  obstacles  ignorés 
du  public  que  par  les  plus  poignantes  clameurs;  au  rappoit 
de  tous  ceux  qui  alors  connaissaient  le  mieux  et  l'homme  et 
sa  position,  il  apporta  au  ministère  une  grande  activité, 
qui  contrastait  avec  ses  inclinations,  portées  à  l'amour  du 
repos  et  des  plaisirs.  Il  voulut  se  concilier  l'armée  par  sa 
justice ,  par  son  extrême  politesse  et  surtout  par  le  bien 
qu'il  avait  commencé  de  faire.  Des  officiers  de  la  vieille 
armée,  dont  quatorze  ans  de  restauration  avaient  méconnu 
les  droits,  virent,  grâce  à  Bourmont,  arriver  pour  eux  le 
jour  d'une  justice  tardive.  Il  mettait  une  sorte  de  coquetteiie 
h  rappeler  qu'il  avait  été  leur  compagnon  d'armes.  RIo'ns 
contrarié  par  les  vues  mesquines  de  quelques  autres  membres 
du  cabinet,  il  eût  fait  davantage. 

Cependant  l'expédition  d'Afrique  avait  été  résolue;  le  mi- 
nistre de  la  marine  (M.  d'Haussez)  en  avait,  pour  sa  part, 
improvisé  les  préparatifs  avec  une  merveilleuse  activité.  Ja- 
loux de  trouver  une  occasion  d'obtenir  par  de  grands  ser- 
vices l'influence  qui  lui  manquait  auprès  du  monarque,  et 
sans  doute  aussi  de  se  faire  absoudre  par  la  nation,  Bor.r- 
mont  avait  sollicité  et  obtenu  le  commandement  en  chef  de 
l'expédition.  11  jtartit  de  Paris  le  22  avril  1830,  accomiiagixi 
de  ses  quatre  fils.  A  Marseille ,  à  Toulon ,  il  précéda  le 
dauphin,  qui  passa  la  revue  des  troupes.  Ce  fut  pendant  le 
voyage  de  IVIarscille  à  Toulon  qu'il  s'entretint  confidçntieh 
lement  de  son  plan  de  campagne  avec  le  général  du  génic- 
Valazé.  Tout  ce  que  la  prévoyance  en  tous  genres  peut  dis- 
poser pour  le  succès  avait  été  réuni  ;  et  l'emploi  de  ces  gramls 

76 


591 

moyens  devait  Clro  diiigé  par  une  prudence  et  une  circons- 
[)cction  dont  on  ne  s'est  pas  (Scarté.  Bourmont  n'avait  pas 
seulement  médité  une  expédition  militaire,  il  avait  conçu  le 
dessein  de  coloniser  Alger  conquis  :  son  esprit  fin  et  délié , 
son  caractère  doux  et  conciliant,  lui  présentaient  déjà  les 
moyens  de  négocier  utilement  avec  les  chefs  de  tribus.  Il 
entrevoyait  la  possibilité  d'établir  des  colonies  militaires  à 
l'instar  de  celles  des  Russes  dans  le  Caucase. 

Le  18  avril  toute  l'armée  était  embarquée;  le  général  en 
chef  se  rendit  à  bord  de  la  Provence,  dans  la  rade  de  Tou- 
lon. Une  suite  de  vents  contraires  s'opposa  jusqu'au  25  au 
soir  à  ce  que  la  flotte  mît  en  mer.  Le  '25  au  matin  on  ap- 
prit la  dissolution  des  chambres  ;  Bourmont  en  parut  sur- 
pris et  affligé.  Il  dit  à  ses  intimes  que  M.  de  Polignac  lui 
avait  donné  sa  parole  avant  son  départ  de  ne  rien  changer 
pendant  son  absence.  Le  13  mai  la  flotte  était  à  l'ancre  non 
loin  d'Alger,  dans  la  baie  de  Sidi-Ferruch.  Pendant  les 
brillantes  actions  qui  livrèrent  aux  Français  cette  position , 
Bourmont ,  qui  à  pied  suivait  tous  les  mouvements  de 
ses  troupes,  vit  un  boulet  passer  entre  lui  et  son  fils  aîné  ;  un 
second,  qui  vint  mourir  à  ses  pieds ,  le  couvrit  de  terre ,  et 
l'enveloppa  d'un  nuage  de  sable  :  ses  officiers,  le  croyant  tué, 
accoururent  :  il  secouait  tranquillement  la  poussière  de  son 
habit.  Les  boulets  se  multipliaient  autour  du  général;  il  éloi- 
gna de  quelques  pas  son  état-major,  fit  ôter  les  plumets  pour 
moins  attirer  l'attention  de  l'ennemi,  et  resta  en  avant  avec 
un  seul  officier,  qu'il  renouvelait  à  mesure  qu'il  l'envoyait  en 
ordonnance.  Il  était  à  pied  avec  tout  son  état-major  :  aucun 
cheval  n'ayant  encore  été  débarqué,  ce  qui  augmentait 
l'extrême  fatigue  des  courses  dans  un  sable  brûlant  et  épais 
et  sous  le  soleil  du  pays.  Mais  l'enthousiasme  faisait  oublier 
la  fatigue.  Le  soir  même  du  débarquement  Bourmont  fut 
maitre  de  la  position  de  Sidi-Ferruch.  Charles  de  Bourmont, 
l'un  des  fils  du  général ,  entra  des  premiers  dans  la  batterie 
ennemie.  Il  y  eut  ensuite,  pendant  plusieurs  jours,  une 
série  de  combats  pour  la  prise  du  fort  l'Empereur,  qui  était 
la  ciel  d'Alger.  Si  les  troupes  françaises  de  toutes  les  armes 
se  couvrirent  de  gloire ,  le  général  en  chef  se  montra  digne 
d'elles.  Il  passait  les  journées  à  l'ombre  des  boulets ,  dont, 
par  miracle ,  aucun  ne  l'atteignit;  mais  un  de  ses  fils  ne  fut 
pas  si  heureux  :  Araédée  de  Bourmont ,  après  avoir  reçu, 
dans  un  combat  contre  les  Arabes ,  trois  balles  dans  son 
shako  et  dans  ses  armes,  eut  la  poitrine  traversée  d'un 
quatrième  coup  de  feu ,  et  succomba  au  bout  de  quelques 
jours.  Le  général  en  chef  ne  craignit  pas  de  donner  des 
larmes  à  son  fils,  lui  qui  montrait  tant  de  sang-froid  et  de 
liberté  d'esprit  au  milieu  du  péril.  Tandis  que  la  sollicitude 
la  plus  éclairée,  la  plus  active,  avait  pouivu  à  tous  les 
besoins  des  troupes  débarquées,  Bourmont  et  ses  entours, 
tout  occupés  de  leur  haute  mission,  négligeaient  leurbien-ôtre. 
Durant  trois  semaines  il  ne  se  déshabilla  point  pour  se  cou- 
cher. Et  tout  cela  au  milieu  d'une  poussière  étouffante  et 
par  le  soleil  d'Afrique. 

Enfin,  le  4  juillet  le  fort  de  l'Empereur  était  en  notre  pou- 
voir, et  le  5  juillet  le  dey  Hussein  avait  capitulé.  Celte  ca- 
pitulation, dont  les  articles  furent  dictés  par  l'humanilé, 
lut  scrupuleusement  observée.  L'occupation  d'Alger  se  fit 
avec  calme  ;  le  dey  put  emmener  ses  femmes ,  et  emporter 
ses  richesses  personnelles.  LesclefsdelaCasauba,trésorde  la 
régence,  contenant  50  millions ,  passèrent  dans  les  mains  de 
la  commission  chargée  de  l'inventorier.  Tant  que  dura  l'in- 
ventaire, le  général  en  chef  ne  put  disposer  que  d'une  partie 
très-resserrée  du  palais  du  dey  ;  et  pour  sa  personne  il  ne  se 
réserva  qu'une  seule  pièce,  détails  peu  importants  par  eux- 
inènies  sans  doute ,  mais  dont  la  vérité  reconnue  iéi)ond 
victorieusement  aux  diUamations  de  pamphlétaires.  Il  y  eut 
un  moment  de  confusion  et  de  tumulte  à  la  Casauba  ,  des 
bijoux  de  peu  de  prix  furent  enlevés  dans  la  bagarre;  mais  ce 
dé.sordre,  promplement  réprimé  par  les  chefs,  n'eut  aucune 
«mporlance.  A  peine   maître  d'Alger,  Bourmont  reçut  la 


BOURMONT  —  BOURRACHE 


soumission  du  bey  de  Titleri,  tandis  que  l'un  des  trois  fils 
([ui  lui  restaient,  Aimé  de  Bourmont,  allait  recevoir  celle  du 
bey  d'Oran,  et  lui  conférer  le  caftan  d'honneur,  signe  d'in- 
vestiture, au  nom  de  la  France.  A  son  retour,  avec  quelques 
dizaines  d'hommes  il  s'empara  du  fort  de  Mers  el-Kébir, 
entra  le  premier  dans  cette  petite  place,  et  arracha  le  pavil- 
lon mahométan ,  qui  fut  remplacé  par  le  drapeau  français. 
Cette  petite  conquête  assurait  la  communication  de  l'armée 
avec  Oran.  Bourmont  avait  reçu  le  22  juillet  une  lettre  du 
dauphin ,  qui  lui  annonçait  qu'il  était  élevé  à  la  dignité  de 
nîaréchal.  Cette  récompense  excita  de  vives  réclamations 
de  la  part  de  la  presse  libérale  ;  la  marine  d'ailleurs  voyait 
avec  mécontentement  que  l'amiral  Duperré  n'avait  été 
nommé  que  pair  de  France.  La  joie  du  général  en  chef  fut,  du 
reste,  contrariée  par  la  lenteur  que  l'on  mettait  à  accorder 
les  récompenses  demandées  pour  l'armée  placée  sous  ses 
ordres. 

Le  nouveau  maréchal  poursuivait  avec  ardeur  le  cours  de 
ses  succès  contre  les  Arabes  ;  déjà  il  avait  poussé  ses  recon- 
naissances dans  les  gorges  du  petit  Atlas ,  lorsqu'à  Paris 
trois  jours  d'émeute  renversèrent  le  gouvernement  qui  avait 
compté  sur  l'expédition  d'Alger  pour  acquérir  une  force  inat- 
taquable. Quelques  vagues  rumeurs  s'étaient  répandues  dans 
l'armée;  mais  on  ne  savait  rien  encore  de  positif.  Bour- 
mont crut  devoir  publier,  le  1 1  août,  l'ordre  du  jour  suivant  : 
«  Des  bruits  étranges  circulent  dans  l'armée.  Le  maréchal 
commandant  en  chef  n'a  reçu  aucun  avis  officiel  qui  puisse 
les  accréditer.  Dans  tous  les  cas,  la  ligne  des  devoirs  de 
l'armée  sera  tracée  par  ses  serments  et  par  la  loi  fondamen- 
tale de  l'Etat.  »  Le  16  août,  d;,ms  un  autre  ordre  du  jour,  en 
conséquence  de  la  nomination  par  Charles  X  du  duc  d'Or- 
léans à  la  lieutenance  général  du  royaume  ,  il  ordonna  que 
la  cocarde  et  le  drapeau  tricolore  fussent  arborés.  Enfin , 
le  2  septembre,  ordre  du  jour  pour  informer  l'armée  que  le 
lieutenant  général  Cl  au  s  cl  venait  prendre  le  comman- 
dement de  l'armée  d'Afrique.  Si  pendant  ses  succès  les 
bulletins  de  Bourmont  avaient  été  fort  modestes,  le  ton 
simple  et  digne  de  ses  dernières  publications  ofticielles  en 
font  des  pièces  véritablement  historiques. 

Il  quitta  l'Afrique  après  avoir  doté  son  pays  d'une  belle 
conquête.  Que  lui  restait-il  après  tant  d'efforts?  Un  titre 
de  maréchal  dont  le  parti  vainqueur  devait  le  dépouiller  : 
il  laissait  sur  la  plage  algérienne  les  ossements  de  son  fils! 
Après  cela,  je  ne  me  sens  pas  le  courage  de  suivre  Bourmont 
en  Vendée,  où  le  chouan,  soufflant  une  guerre  civile  in- 
soutenable, ressemblait  si  peu  au  vainqueur  de  l'Afrique. 
Le  suivrai-je  encore  en  Portugal ,  où ,  avec  des  titres  bien 
sonores ,  mais  de  fort  mauvais  soldats ,  il  s'est,  au  nom  de  la 
légitimité,  fait  le  champion  de  dom  Aliguel?  Là  Bourmont 
n'avait  aucun  élément  de  succès.  Aussi,  malgré  sa  haute  ca- 
pacité, ne  fit-il  que  compromettre  sa  réputation  militaire.  Trop 
éclairé  pour  ne  pas  sentir  toute  la  fausseté  de  sa  position,  il  s'en 
démit  et  quitta  le  Portugal,  où,  toujours  malheureux  père,  il 
laissait  encore  le  cercueil  d'un  fils  !         Ch.  du  Ko/.oui. 

En  prenant  parti  dans  les  bandes  de  dom  Miguel ,  Bour- 
mont avait  autorisé  le  gouvernement  de  Louis-Philippe  à  lui 
appliquer  les  dispositions  du  Code  concernant  les  Français 
qui  servent  à  l'étranger  sans  permission.  Il  cessa  d'être 
F'rançais,  et  telle  devait  être  la  fin  de  l'homme  qui  avait  aban- 
donné la  Vendée  pour  la  république,  Napoléon  pour  les  Bour- 
bons, les  Bourbons  pour  iNapoiéon,  et  qui  enfin,  n'avait  pas 
craint  de  déserter  les  rangs  de  ses  compatriote^  à  l'heure 
d'une  sanglante  bataille.  Aussi  Napoléon  disait-il  à  Sainte- 
Hélène  :  Bourmont  est  une  de  mes  erreurs. 

Autorisé  plus  tard  à  rentrer  en  France,  Bourmont  vint  ha-j 
biter  le  château  qui  l'avait  vu  naître  en  Anjou  :  il  y  mourut»! 
le  2!)  octobre  184G,  à  l'âge  de  soixante-treize  ans.  Quelquesj 
jours  après,  l'amiral  Du  perré  le  suivait  dans  la  tombe. 

BOURRACHE.  Genre  de  plantes  appartenant  à  lai 
pentanilrie  moMoi;\nie  *'*'  Linné,  à  la  famille  des  borragi-l 


BOURRACiiE 

n(^('s  (ic  Jussieu ,  et  caraclérisc  do  la  nianic^re  suivanfe  : 
Calice  étalé,  à  cinq  divisions  profondes  et  aiguës;  corolle 
inonopétale  régulière,  en  roue,  à  cinq  lobes  aigus,  et  offrant 
à  l'orKice  de  son  tube  une  petite  couronne  composée  de 
cinq  éininences,  qui  en  ferme  l'entrée;  cinq  étamines  conni- 
ventes;  fruit  formé  de  quatre  petites  coques  indéhiscentes, 
qui  se  séparent  les  unes  des  autres  à  l'époque  de  la  maturité. 

Ce  genre  ne  se  compose  que  d'un  petit  nombre  d'espèces  , 
dont  une  seule  doit  nous  occuper  ici  :  c'est  la  bourrache 
officinale  (  borrago  officinalis,  Linné  ),  plante  annuelle,  qui 
croît  abondamment  dans  nos  champs  et  nos  jardins.  Sa 
racine,  qui  est  longue,  grosse  comme  le  doigt,  blanche, 
fendre  et  garnie  de  fibies,  pousse  une  tige  haute  de  50  cen- 
timètres, cylindrique,  rameuse,  épaisse,  creuse,  succulente, 
et  hérissée  de  poils  courts  et  piquants.  Ses  feuilles  sont  al- 
ternes ,  larges,  ovales-lancéolées,  obtuses,  ridées,  d'un  vert 
foncé ,  et  hérissées  de  poils  durs ,  qui  les  rendent  fort  ru- 
des au  toucher  ;  les  inférieures  sontpétiolées  et  couchées  sur 
la  terre;  les  supérieures  sont  sessiles  et  plus  étroites.  Les 
(leurs  naissent  au  sommet  de  la  tige  et  des  branches,  portées 
sur  des  pédoncules  rameux;  elles  ont  la  forme  d'une  étoile, 
et  sont  ordinairement  d'un  beau  bleu,  mais  quelquefois  cou- 
leur de  chair,  ou  môme  tout  à  fait  blanches. 

11  parait  que  cette  plante  est  originaire  du  Levant,  et  pir- 
liculièrement  des  environs  d'Alep.  Ce  qu'il  y  a  de  certain, 
c'est  qu'elle  est  maintenant  répandue  dans  toute  la  France 
et  dans  d'autres  parties  de  l'Europe,  où  elle  se  reproduit 
.spontanément.  Il  n'est  pas  de  plante  qui  soit  plus  fréquem- 
ment employée  en  médecine.  Son  suc,  exprimé  et  clarifié, 
est  un  des  sucs  d'herbes  les  plus  usités.  On  fait  avec  les 
(eiiilles  et  les  tleurs  de  la  bourrache  une  décoction  que  l'on 
édulcore  avec  une  quantité  convenable  de  miel,  de  sucre  ou 
de  sirop  ,  et  qui  s'administre  surtout  dans  les  catarrhes  pul- 
monaires légers.  Elle  est  adoucissante,  diaphorétique  et 
diurétique ,  à  cause  du  nitrate  de  potasse  que  contiennent 
ses  organes.  On  fait  aussi  avec  les  fleurs  séparées  une  inlu- 
sion  simplement  émollieate,  indiquée  notamment  dans  la 
rougeole,  la  scarlatine,  etc.  Dans  quelques  i)ays  on  cultive 
la  bourrache  comme  plante  potagère,  et  l'on  mange  ses 
feuilles  comme  les  épinards.  On  se  sert  aussi  de  ses  fleurs 
pour  orner  les  salades  Démezil. 

BOURRASQUE,  de  l'italien  iw/'osca,  tempête  vio- 
lente et  soudaine ,  qui  se  manifeste  soit  sur  mer,  soit  sur 
terre.  C'est  une  crise  de  l'atmosphère,  une  augmentation 
dans  la  force  du  vent,  ou  \\\\  tourbillon  qui  se  lève  tout  à 
cou;)  dans  le  calme  ;  la  bourrasque,  qui  est  en  quelque  sorte 
un  synon\iiie  de  grain,  est,  comme  lui,  de  peu  de  durée. 

Celte  expression  s'applique  aussi,  au  figuré,  à  ces  émo- 
tions populairesou  à  ces  mouvements  bruscpies  et  momenta- 
nés de  la  colère  chez  un  individu  qui  font  d'ordinaire  plus 
<le  bruit  que  de  mai ,  et  passent  avec  le  motif  qui  les  a  fait 
naître.  En  politique,  comtne  en  morale,  la  boun'asquc  est 
une  explosion  de  maujaise  humeur,  qu'on  ne  peut  éviter, 
p.ace  qu'elle  éclate  à  l'improviste. 

liOURRE.  On  donne  ce  nom  au  poil  de  certains  ani- 
maux, tels  que  le  cheval,  le  bœuf,  etc.  11  y  a  une  très-grande 
similitude  entre  la  bourre  et  le  duvet;  mais  ce  dernier  ne 
se  trouve  jamais  seul  sur  l'animal  qui  en  est  couvert,  il  est 
toujours  accompagné  de  plume  ou  de  poils  longs  et  rudes. 

On  appelle  encore  ainsi  les  déchets  de  la  .soie  et  les  ma- 
tières qui  proviennent  des  diaps  tondus  ou  grattés  avec  des 
chardons. 

On  appelle  aussi  bourre  de  l'herbe  grossière,  à  demi 
morte,  et  qui  ne  se  renouvelle  qu'imparfaitement  au  retour 
de  la  belle  saison. 

C'est  encore  le  nom  que  les  jardiniers  donnent  aux  bour- 
geons florifères  des  arbres  fruitiers. 

Enfin  le  mot  town-e  désigne  le  petit  tampon  de  papier  qui 
nt  ent  la  charge  d'un  fusil  dans  le  canon,  et  que  l'on  foule 
a '.cela  bat'ict'.e.  Xt^ssiinRK 


—  BOURREAU  405 

BOURREAU.  On  appelait  ainsi  autrefois  et  encore  au- 
jourd'hui on  désigne  vulgairement  parce  nom  l'exécuteur 
des  arrêts  criminels.  Ce  mot  vient  des  verbes  bourrer, 
bourreler,  maltraiter,  tourmenter. 

L'office  du  bourreau  parait  avoir  été  inconnu  aux  nations 
anciennes,  chez  lesquelles  les  exécutions  à  mort  étaient  faites 
le  plus  ordinairement  par  la  foule  du  peuple,  qui  lapidait  le 
coupable,  ou  par  le  poison,  qui  était  l'emis  au  condamné.  En 
Grèce  c'était  une  charge  judiciaire  :  Aristote  range  même  le 
bourreau  parmi  les  principaux  magistrats  de  la  république,  A 
Rome  c'était  une  des  attributions  des  l  i  c  t  e  u  r  s  :  à  peine  trouve- 
t-on  dans  le  cours  entier  de  son  histoire  quelques  rares  exé- 
cutions faites  par  un  seul  homme,  les  coupables  étant  d'or- 
dhiaire  précipités  du  haut  delà  roche  ïarpéienne.  C'est  dans 
l'histoire  du  Bas-Empire  ou  du  moyen  âge  que  doit  se  pla- 
cer l'origine  de  cette  institution,  qui  naturellement  appar- 
tenait aux  temps  de  la  barbarie  ;  aussi  est-ce  chose  tristement 
surprenante  que  l'importance  qu'avaient  alors  ces  odieuses 
fonctions,  et  que  la  diversité  des  moyens  employés  pour  les 
exécutions.  Il  fallait  que  le  bourreau  fût  un  liomme  uni- 
versel, savant  dans  l'art  de  tourmenter  et  de  détruire.  «  On 
considère  ici,  dit  Bouchcl,  diverses  manières  d'exécution, 
selon  les  diverses  sentences  par  le  juge  prononcées;  car 
communément  le  bourreau  fait  son  office  par  le  feu,  l'es- 
pée,  la  fosse,  l'écartelage,  la  roue,  la  fourche,  le  gibet, 
pour  traîner,  poindre  ou  piquer,  couper  oreilles,  démem- 
brer, flageller  ou  fustiger  par  le  pillory  ou  eschafaud,  par 
le  carcan  et  par  telles  autres  semblables  peines,  selon  la 
coutume,  mœurs  et  usages  du  pays,  lesquelles  la  loy  ordonne 
pour  la  crainte  et  punition  des  malfaicteurs.  »  C'est  aussi 
à  la  môme  éiioque  que  l'infamie  .s'est  attachée  aux  fonctions 
du  bourreau.  Jl  était  pour  ainsi  dire  frappé  d'ostracisma 
ou  comme  si  on  lui  avait  interdit  le  feu  et  l'eau.  Ainsi ,  le 
bourreau  ne  pouvait  avoir  logement  dans  la  ville  de  Paris. 
En  conséquence,  un  arrêt  du  paricment,  du  31  août  1709, 
défendit  au  bourreau  d'établir  sa  demeure  dans  Paris,  à 
moins  que  ce  ne  fût  dans  la  maison  du  pilori,  à  cause  de 
l'indignité  de  son  office.  Ce  fut  par  le  même  motif  que, 
pour  subvenir  à  ses  besoins  personnels,  on  lui  avait  donné 
un  droit  de  dîme,  dit  de  havagc,  et  de  rijlerie  sur  toutes  les 
denrées  apportées  à  Paris  parles  forains,  tout  le  monde  re- 
fusant l'argent  du  bourreau.  Au  reste,  ses  droits,  comm« 
ceux  des  hauts  et  puissants  seigneurs,  étaient  constatés  par 
des  lettres  patentes,  qui  nous  apprennent  que  de  chacune  per- 
sonne qu'il  mettait  au  pilori,  il  avait  à  prendre  cinq  sous. 
«  Item,  ajoutent  ces  lettres  des  droits  du  bourrel,  est  à  noter 
que  quand  un  homme  est  juslicié  pour  ses  démérites,  ce  qui 
est  au-dessous  de  la  ceinture  est  au  bourrel,  de  quelque 
prix  (jue  ce  soit.  »  Plus  tard  la  dépouille  entière  du  pa- 
tient fut  dévolue  au  bourreau. 

De  tels  avantages  eurent  on  général  pour  effet  d'assurer 
la  succession  non  interrompue  des  bourreaux,  et  l'on  a  ra- 
rement manqué  de  gens  de  bonne  volonté  pour  remplir 
cet  oflice ,  qui  de  nos  jours  encore  est  l'objet  de  vives  sol- 
licitations. Cependant  quelquefois  des  villes  sont  demeurées 
assez  longtemps  sans  bourreau ,  parce  que  personne  ne  si 
présentait  pour  en  remplir  l'office.  C'est  ce  qui  arriva  à 
Rouen  en  1312  :  à  cette  occasion  ou  éleva  la  prétention, 
assez  bizarre,  que  l'exécution  devait  être  faite  par  la  corpo- 
ration des  huissiers;  sur  leur  refus,  l'on  en  vint  à  discuter  si 
ce  n'étdit  pas  là  une  des  obligations  légales  de  leur  charge; 
et  après  un  mûr  examen,  un  arrêt  solennel  les  condamna, 
non  pas  à  exécuter  eux-mêmes ,  mais  à  trouver  un  exécu- 
teur, en  allant,  aux  frais  du  roi,  de  vJIe  en  ville  chycher 
un  bourreau  qui  voulût  bien  les  suivre.  La  ville  de  Londres 
s'est  également  trouvée  dans  le  même  embarras,  non  qu'ell» 
manquât  d'un  bourreau,  mais  parce  qu'un  jour  l'on  s'avisa 
de  le  faire  arrêter  pour  dettes  au  moment  même  où  il  con- 
duisait trois  condamnés  à  la  potence;  force  fut  de  suspendra 
l'iïxéc'uiion  et  de  réintégrer  les  prisonniers., 

"5. 


506 

De  ce  que  d'anciunnes  ordonnances  t'ont  mention  d'exécu- 
tions à  faire  par  des  femmes ,  on  en  a  voulu  conclure  que 
la  charge  de  bourreau  avait  été  érigée  en  titre  d'office 
même  pour  des  femmes;  mais  c'est  là  une  erreur  :  les  exé- 
cutions dont  parient  ces  ordonnances  se  réduisaient  au  sup- 
plice de  la  fustigation,  qui  ne  devait  être  infligé  aux  fem- 
mes que  par  des  femmes;  celles-ci  ne  prenaient  point  pour 
cela  le  titre  de  bourreau ,  et  n'en  avaient  ni  les  droits  ni 
les  privilèges. 

Suivant  une  erreur  populaire  généralement  accréditée,  des 
Iionunes  ont  pu  être  forcés  autrefois,  soit  par  le  hasard  de 
leur  naissance,  soit  par  la  nature  de  leur  profession,  à  sup- 
pléer ou  remplacer  le  bourreau  :  est-il  besoin  de  dire  que 
jamais  aucune  loi  n'a  poussé  à  ce  point  la  barbarie? 

Joseph  deMaislre,  avec  son  sanglant  mysticisme,  voit  dans 
le  bourreau  un  être  extraordinaire,  et  il  en  fait  la  clef  de  voûte 
de  1  édifice  soc  al.  «  Qu'esl-cc  donc,  dit-il,  que  cet  être  inex- 
plicable qui  a  préféré  à  tous  les  métiers  agréables,  lucratifs, 
honnêtes  et  même  honorables  qui  se  présentent  en  fouie  à 
la  force  ou  à  la  dexli  rilé  humaine,  celui  de  tourmenter  et 
de  mettre  à  mort  son  semblable  ?  Cette  tête,  ce  cœur  sont-ils 
faits  coMuneles  nôtres?  ne  contiennent-ils  rien  de  particulier 
et  d'étranger  à  notre  nature?  i'our  moi,  je  n'en  sais  pas 
douter.  Uest  faitcomuie  nous  extérieurement,  il  naîlcomme 
nous;  mais  pour  qu'il  existe  dans  la  famille  humaine,  il  faut 
un  décret  particulier,  un  fiat  de  la  puissance  créatrice.  11 
est  crté  comme  un  mondo. 

«  Voyez  ce  qu'il  est  dans  l'opinion  des  hommes,  et  compre- 
nez, si  vous  le  pouvez,  comment  il  peut  ignorer  cette  opinion 
ou  l'affronter!  A  peine  l'autorité  a-t-elle  désigné  sa  demeure, 
à  peine  en  a-t-il  pris  possession,  que  les  autres  habitations 
reculent  jusqu'à  ce  ([u'elies  ne  voient  plus  la  sienne.  C'est 
au  milieu  de  cette  solitude  et  de  cette  espèce  de  vide  formé 
autour  de  lui,  qu'il  vit  seul  avec  sa  femelle  et  ses  petits,  qui 
lui  font  connaître  la  voix  de  l'homme;  sans  eux  il  n'en  con- 
naîtrait quelesgiuiissemenls...  Unsignal  lugubre  est  donné; 
un  ministre  abject  de  la  justice  vient  frapper  à  sa  porte 
et  l'avertir  qu'on  a  besoin  de  lui.  Il  part,  il  arrive  sur  une 
place  publique  couverte  d'une  foule  pressée  et  palpitante. 
On  lui  jette  un  empoisonneur,  un  parricide,  un  sacrilège  : 
il  le  saisit,  il  l'étend,  il  le  lie  sur  une  croix  horizontale,  il  levé 
le  bras:  alors  ilse  fait  un  silence  horrible,  et  l'on  n'entend  plus 
que  le  cri  des  os  qui  éclatent  sous  la  barre  et  les  hurlements 
delà  victime.  111a  détache,  il  la  porte  sur  une  roue  :  les  mem- 
bres fracassés  s'enlacent  dans  les  rayons  ,  la  tête  pend  ;  les 
cheveux  se  hérissent,  et  la  bouche,  ouverte  comme  une  four- 
naise, n'envoie  plus  par  intervalle  qu'un  petit  nombre  de 
paroles  sanglantes,  qui  appellent  la  mort.  Il  a  iini  ;  le  cœur  lui 
bat,  mais  c'est  de  joie;  il  s'applaudit;  il  dit  dans  son  cœur  : 
i\ul_  ne  roue  mieux  que  moi.  Il  descend,  il  tend  sa  main 
.souillée  de  sang,  et  la  justice  y  jette  de  loin  quelques  pièces 
4'or,  qu'il  emporte  à  travers  une  double  haie  d'hommes  écar- 
tés par  l'horreur.  Il  se  met  à  table,  et  il  mange,  au  lit  en- 
suite, et  il  dort.  Et  le  lendemain  en  s'éveillant  il  songe  à 
tout  autre  chose  qu'à  ce  qu'il  a  fait  la  veille... 

«  Et  cependant  toute  grandeur,  toute  puissance,  toute 
subordination  repose  sur  l'exécuteur;  il  est  l'horreur  et  le 
lien  de  l'ass^jcialion  humaine.  Otez  du  monde  cet  agent  in- 
compréhensible; dans  l'instant  même  l'ordre  fait  place  au 
chaos,  les  trônes  s','.bîment  et  la  société  disparaît.  » 

UOUimKAU  DES  ARIiRES,  nom  vulgaire  du  cd- 
l  astre  griwpant. 

BOCKREE.  Ce  pas  de  danse,  originaire  de  l'Auvergne, 
est  composé  de  deux  mouvements,  savoir  :  un  demi-coupé, 
ou  pas  marché  sur  la  pointe  du  pied  ,  et  un  demi-jeté,  ainsi 
nommé  parce  qu'il  n'est  sauté  qu'à  demi.  A  rencontre  des 
basses-dun.ses  (qui  étaient  celles  où  l'on  marchait  au  lieu  de 
sauter),  les  gigues  et  les  bourn'es  ne  peuvent  être  dan.sées 
<5u'avfcdes  jupestrcs-comtes.  Aussi  est-ce  Marguerite  de  Va- 
iois  qui,  ayant  les  jamk-s  fort  Lelies,  introduisit  ces  danse»  a 


BOURREAU  —  BOURRELET 


la  cour.  Elles  commencèrent  à  prendre  faveur  lors  des  fêtei» 
qui  curent  lieu  à  Havonne,  en  1565,  à  l'occasion  de  l'entrevue 
de  Catherine  de  Médicis  avec  sa  fille  aînée  Marguerite  de 
France.  La  bourrée  ,  restée  à  la  mode  depuis  le  règne  da 
Charles  IX  jusqu'à  celui  de  Louis  XIII,  était  encore  en 
grande  faveur  sous  la  régence.  Cependant  son  allure  un  peu 
vive  ne  lui  permit  pas  de  s'acclimater  à  l'Opéra ,  oii  le  genre 
noble  garda  toujours  droit  de  préséance.  Maintenant  la 
bourrée  ne  se  danse  plus  que  dans  les  villages  de  certaines 
provinces ,  et  si  on  la  rencontre  à  Paris,  ce  n'est  guère  que 
le  dimanche  et  le  lundi ,  dans  les  cabarets  où  se  réunissent 
les  porteurs  d'eau ,  charbonniers  et  autres  industriels  venus 
du  pays  natal  de  cet  exercice  chorégraphique. 

L'air  sur  lequel  se  danse  la  bourrée  port,e  le  même  nom. 
Il  est  à  deux  temps  gais,  et  commence  par  une  noire  avant 
le  frappé.  Dans  ce  caractère  d'air,  on  lie  assez  fréquemment 
la  seconde  moitié  du  premier  temps  et  la  première  du  se- 
cond par  une  blanche  syncopée. 

BOURRELET.  Ce  mot  désignait  autrefois  une  partie 
de  l'habillement  ou  du  vêtement  de  tête,  qui  servait  com- 
munément à  la  coiffure  des  deux  sexes.  Plus  tard ,  les  ma- 
gistrats et  les  docteurs  des  universités  consersèrent  à  leur 
chaperon  un  petit  tour  rond  qui  représentait  l'ancien  bour- 
relet, et  les  femmes  se  servirent  également  de  bourrelets 
pour  soutenir  et  arranger  leurs  cheveux.  Longtemps  après 
que  le  bourrelet  avait  totalement  disparu  de  la  coiffure  des 
hommes  et  des  femmes  en  Europe,  il  était  encore  resté  ex- 
clusivement celle  du  jeune  âge.  Ces  bandeaux  rembourrés  et 
épais  dont  on  ceignait  la  tête  et  le  front  des  enfants  avaient 
le  désavantage  de  provoquer  dans  ces  parties  une  transpi- 
ration abondante,  qui,  ne  pouvant  s'échapper,  se  concré- 
lait  et  donnait  naissance  à  ces  croûtes  appelées  improprement 
croûtes  de  lait ,  ou  à  d'autres  éruptions  du  cuir  chevelu 
difliciies  à  guérir.  On  a  enlin  compris  le  vice  de  cette  coif- 
fure ,  et  on  l'a  généralement  remplacée  par  des  bourrelets 
fort  légers,  composés  de  baleines,  de  branches  d'osier  ou  de 
pailles  réunies  simplement  par  des  rubans,  et  dégagés  de  tout 
l'attirail  dont  on  les  chargeait  autrefois  pour  préserver, 
disait-on,  du  froid,  ou  prévenir  les  coups  résultant  des 
chutes  de  l'enfant.  On  sait  d'ailleurs  aujourd'hui  que  la  tète 
des  enfants  est  douée  d'une  sorte  d'élasticité  qui  rend  ces 
chutes  b'en  moins  dangereuses  qu'on  ne  le  croyait. 

Bourrelet,  en  termes  de  botanique  et  de  jardinage,  est 
cette  excroissance  que  l'on  remarque  sur  certaines  parties 
des  arlres,  surtout  aux  greffes  et  aux  boutures,  et  sur  le 
bord  des  plaies  faites  aux  arbres,  qui  après  .s'être  refermées 
s'en  recouvrent  insensiblement.  Dans  l'arbre  ,  comme  dans 
riiomme ,  il  n'y  a  point  de  régénération  autre  que  celle  de 
l'écorce  et  de  la  peau  :  le  muscle  emporté ,  détruit,  etc.,  ne 
se  régénère  pas,  la  peau  seule  .s'ttend ,  ses  bords  se  rap- 
prochent, et  la  cicatrice  se  forme;  le  bois  entailki,  coupé, 
mutilé,  ne  végète  plus,  l'écorce  seule  recouvre  la  plaie. 
C'est  pourquoi  on  trouve  souvent  dans  le  tronc  d'arbres 
très-sains  d'ailleurs  des  parties  de  bois  desséchées  et  en- 
sevelies sous  le  bourrelet. 

En  anatomie,  on  donne  le  nom  de  bourrelets  à  certains 
cartilages  fibreux  qui  entourent  les  cavités  articulaires, 
dont  ils  augmentent  la  profondeur.  Quelques  anatomistes 
ont  aussi  appelé  bourrelet  la  corne  d'.\nnuon. 

Bourrelet,  en  termes  de  blason,  est  un  tour  de  livrée, 
rempli  de  bourre  et  tourné  comme  une  corde,  qiic  les  an- 
ciens chevaliers  portaient  dans  les  tournois  ;  il  était  de  la 
couleur  des  émaux  de  l'écu  ou  des  couleurs  ordinaires  des 
chevaliers;  ceux  que  les  simples  gentilshommes  mettaient  sur 
leurs  casques  portaient  le  nom  de  tresque,  torque  et  toride. 

En  termes  de  marine,  on  appelle  bourrelets  de  grosses 
cordes  que  l'on  entreUu-e  autour  du  mût  de  misaine,  du 
mât  d'artimon  et  du  grand  n\iU  pour  tenir  la  vergue  dans 
un  combat  et  suppi'  er  aux  m:i!;œ;;\rcs  ti  elles  venaient  à 


("Ire  I oiip-es. 


d 


En  termes  d'artillerie,  rextréniilt!  d'une  pièce  de  canon, 
vers  la  bouche ,  qui  est  renforcée  de  métal  pour  soutenir  la 
charge,  prend  le  nom  de  bourrelet,  dont  elle  a  la  forme. 
Les  personnes  qui  portent  des  fardeaux  sur  la  tête  donnent 
aussi  ce  nom  à  un  cercle  ou  rond  ,  espèce  de  couronne  d'é- 
toffe ou  de  linge,  qu'elles  mettent  sur  leur  tête,  et  sur 
lequel  elles  appuient  leur  charge;  enfin  on  appelle  du  même 
nom  tous  coussins  de  même  forme ,  remplis  de  bourre  ou 
de  crin,  qu'on  emploie  à  divers  usages. 

BOURRELIER.  On  appelle  ainsi  l'artisan  qui  fabrique 
et  Tend  toutes  sortes  de  harnais  pour  chevaux,  ânes,  mu- 
lets, etc.  :  comme  brides,  licous,  colliers,  bâts,  etc.  Il  est 
très-vraisemblable  que  le  nom  de  cette  profession  vient  de 
l'emploi  que  l'ouvrier  fait  sans  cesse  de  la  bourre  de  veau, 
de  bœuf,  de  cheval,  de  inulet ,  d'âne ,  etc. 

Les  bourreliers ,  comme  on  peut  en  juger  par  les  ouvrages 
qui  sortent  de  leurs  mains,  emploient  encore  le  bois  et  le 
fer  pour  faire  les  carcasses  des  bâts  et  des  colliers,  le  cuir,  la 
l)eau  ,  la  toile.  Leur  état  a  beaucoup  de  rapports  avec  celui 
(!e  cordonnier,  puisqu'ils  taillent  et  assemblent  continuelle- 
ment des  pièces  de  cuir;  mais  ils  se  servent  habituellement 
ti'une  aiguille  pour  passer  le  fil,  tandis  que  le  cordonnier 
l'ait  usage  d'une  soie  de  sanglier  pour  la  même  opération. 

Comme  chacun  sait,  un  harnais  complet  se  compose 
d'un  grand  nombre  de  pièces  de  matières  et  de  formes  très- 
difTéientes.  Aussi  le  bourrelier  tire-t-il  du  fondeur  les  son- 
nettes et  les  grelots,  du  serrurier  les  boucles,  du  passemen- 
tier les  houppes  et  autres  ornements  de  même  genre  ;  enfin, 
il  emprunte  le  secours  du  peintre  pour  décorer  les  panneaux 
qui  renforcent  les  colliers.  Les  bourreliers  joignent  souvent  à 
leur  industrie  celle  desellier.  Dans  quelques  pays  du  nord, 
ils  la  cuiiiulent  même  avec  celle  de  tapissier.  Teyssèdhe. 

COURRI£N1XE(Louis-Antoine  FAUVELET  de),  na- 
quit à  Sens,  le  9  juillet  1769.  Il  entra  fort  jeune  à  l'école  de 
JJriennc,  où  il  se  lia  intimement  avec  Napoléon  Bonaparte. 
«  Il  y  avait  entre  nous,  dit-il  dans  ses  Mémoires,  une  de 
ces  sympathies  de  cœur  qui  s'établissent  bien  vite.  »  En 
17S3  les  deux  amis  partagèrent  le  prix  de  mathématiques, 
dans  une  distribution  solennelle  que  présidèrent  le  duc  d'Or- 
léans et  M"'®  de  Montcsson.  Us  se  séparèrent  en  1784, 
époque  de  l'entrée  de  Napoléon  à  l'école  Militaire  de  Paris, 
^lais  une  correspondance  active  s'établit  entre  eux.  Bour- 
rienne  ne  prévoyait  pas  le  rôle  que  devait  jouer  son  jeune 
camaïade  sur  la  scène  du  momie;  il  l'a  déclaré  lui-même, 
en  avouant  qu'il  n'avait  pas  gardé  une  seule  de  ses  lettres 
d'enfance.  Dans  l'une  d'elles  ,  Napoléon  lui  rappelait  la  pro- 
messe qu'il  lui  avait  faite  à  Dricnne  de  suivre  la  même 
carrière  que  lui  et  d'entrer  dans  l'artillerie.  «  Mais  une 
étrange  ordonnance,  dit  Hourrienne  lui-même,  exigeait 
quatre  quartiers  de  noblesse  pour  avoir  des  connaissances 
et  pour  pouvoir  servir  son  roi  et  sa  patrie  dans  l'art  mili- 
taire. "  M"'*  de  Bounienne  eut  beau  présenter  des  lettres 
patentes  de  Louis  Xill,  on  lui  objecta  qu'elles  n'avaient 
pas  été  enregistrées  au  parlement,  et  on  lui  demanda,  pour 
suppléer  cette  formalité,  une  somme  de  12,000  l'r.,  qu'elle 
refusa  de  donner.  Son  (ils  fut  ainsi  empêché  de  tenir  parole 
à  Bonaparte,  et  obligé  de  renoncer  a  l'artillerie. 

Soiii  de  iirienne  en  178S,  il  fut  recommandé  par  le  mar- 
quis d'Argcnteuil  il  M.  de  Montmorin,  qui  le  fit  partir  pour 
Vienne  avec  une  lettre  pour  l'ambassadeur  français,  auprès 
duquel  il  (levait  être  employé.  Bourrienne  ne  séjourna  que 
deux  mois  dans  cette  capitale.  En  quittant  Vienne,  il  se 
rendit  à  Leipzig ,  pour  y  étudier  le  droit  public  et  les  langues 
étrangères ,  suivant  le  conseil  même  de  l'ambassadeur  qu'on 
lui  avait  donné  pour  patron.  Ses  éludes  terminées  ,  Bour- 
rienne visita  la  Prusse  et  la  Pologae,  et  passa  une  partie  de 
l'hiver  de  1791  à  1792 à  Varsovie,  comblé,  selon  ses  expres- 
sions ,  des  bontés  de  la  princesse  Tysziewicz ,  sœur  de  Po- 
niatowsiii.  Il  était  admis  aux  soirées  intimes  de  la  cour,  oîi 
il  lisait  le  MoiiUcur  au  roi ,  qui  prenait  un  vif  pliii^ir  à  eu  ■ 


BOURRELET  —  BOURRIENNE  497 

j  tendre  les  discours  prononcés  à  la  tribuna  ft-ançaise,  et  sur- 
tout ceux  des  Girondins.  Bourrienne  avait  traduit  une  pièce 
de  Kotzebue,  Misanthropie  et  Repentir;  la  princesse  po- 
lonaise dont  il  avait  obtenu  la  confiance  et  la  haute  protec- 
tion fit  imprimer  cette  traduction  à  ses  frais ,  à  Varsovie. 
De  la  cour  de  Pologne  Bourrienne  revint  dans  la  capitale 
de  l'Autriche. 

Il  était  rendu  à  Paris  vers  le  milieu  d'avril  1792,  et  i!  y 
rencontra  son  ancien  camarade  de  Brienne ,  Bonaparte,  qui 
était ,  comme  lui ,  assez  incertain  et  assez  inquiet  sur  son 
avenir.  Ils  assistèrent  ensemble  à  l'orgie  démagogique  du  20 
juin,  et  c'est  à  Bourrienne  que  Bonaparte  dit  avec  indigna- 
tion en  voyant  Louis  XVI  coiffé  d'un  bonnet  rouge  par  un 
homme  du  peuple  :  «  Comment  a-t-on  pu  laisser  entrer 
cette  canaille?  Il  fallait  en  balayer  quatre  ou  cinq  cents  avec 
du  canon,  et  le  reste  courrait  encore.  »  Peu  de  jours  après 
Bourrienne  fut  nommé  secrétaire  d'ambassade  à  Stuttgard , 
et  il  partit  de  Paris  le  2  août  pour  se  rendre  à  son  poste.  lî 
laissa  son  ami  sans  emploi  et  presque  décidé  à  retourner  en 
Corse.  Au  mois  de  mars  suivant ,  il  fut  enjoint  aux  agents 
français  à  l'étranger  de  rentrer  en  France  dans  le  délai  de 
trois  mois,  sous  peine  d'être  considérés  comme  émigrés. 
Bourrienne,  qui  n'aimait  pas  la  révolution,  et  qui  la  crai- 
gnait, se  tint  à  l'écart,  et  resta  en  Allemagne.  Il  ne  rentra  en 
France  qu'en  1795,  et  rencontra  Bonaparte  à  Paris  avec  le 
grade  de  général  et  en  disponibilité.  Il  se  relira  quelque 
temps  après  à  Sens ,  où  il  se  trouvait  lors  des  événements 
du  13  vendémiaire. 

Revenu  à  Paris,  il  y  fut  arrêté,  comme  émigré,  en  fé- 
vrier 1790,  Bonaparte  était  alors  commandant  en  chef  de 
l'armée  de  l'intérieur.  Malgré  toutes  les  insinuations  de 
Bourrienne  dans  ses  Mémoires,  l'appui  que  lui  prêta  bientôt 
après  son  condisciple  de  Brienne  prouve  qu'il  ne  l'abandonna 
pas,  en  cette  circonstance,  à  la  persécution  directoriale,  et 
que  la  lettre  qu'il  écrivit  pour  lui  au  ministre  Merlin  ne  fut 
pas  tout  à  fait  infructueuse.  11  est  probable,  au  contraire, 
que  cette  lettre  exerça  une  grande  inlluence  sur  la  con- 
duite du  juge  de  paix  qui  mit  Bourrienne  en  liberté  sans 
caution,  et  qui  seul,  suivant  ce  dernier,  aurait  mérité  toute 
sa  gratitude.  Quoi  qu'il  en  soit,  au  mois  de  juin  suivant, 
Bourrienne  reçut  une  lettre  de  IMarmont,  datée  du  quartier 
général  de  Milan,  dans  laquelle  il  était  pressé,  au  nom 
du  général  en  chef,  de  se  rendre  auprès  de  son  ancien  ca- 
marade. Lorsqu'on  songe  que  Bonaparte  était  alors  au  faite 
de  la  gloire ,  et  qu'il  était  possible  de  prévoir  qu'il  arrive- 
rait un  jour  au  faite  du  pouvoir,  on  s'étonne  qiie  Bour- 
rienne ne  se  soit  pas  rendu  avec  empressement  à  cette 
invitation.  Mais  il  était  alors  retenu  à  Sens  pour  une  accu- 
sation de  faux,  relative  à  un  certificat  de  résidence,  et  il 
s'occupait  activement  de  repousser  ce  soupçon  et  d'obtenir 
sa  radiation  de  la  liste  des  émigrés.  D'ailleurs,  les  triomphes 
du  général  en  chef  de  l'armée  d'Italie,  quelque  prodigieux 
qu'ils  fussent,  ne  paraissaient  pas  encore  décisifs;  aussi 
Bourrienne,  qui  était  toujours  sous  l'induence  d'une  arrière- 
pensée  royaliste,  jugea-t-il  prudent  peut-être  d'attendre 
eiicore  pour  attacher  sa  destinée  à  celle  de  Bonaparte. 
L'année  suivante  (22  mars  1797),  Marmont  réitéra  ses 
sollicitations,  et  il  y  joignit  un  ordre  du  g:'néral  en  chef 
ainsi  conçu  :  «  Le  citoyen  Bourrienne  se  rendra  auprès  du 
moi  au  reçu  du  présent  ordre.  »  Bonaparte  fut  oliéi  celle 
fois  ;  Bourrienne  vint  le  trouver  à  Léoben,  et  prit  aussitôt 
auprès  de  lui  les  fonctions  de  secrétaire  intime.  Toutefois, 
leurs  relations  cessèrent  d'avoir  le  caractère  de  familiarité 
qu'elles  avaient  eu  jusque  là. 

iîourricnne  conserva  ce  poste  pendant  plusieurs  années, 
et  l'ut  nommé  conseiller  d'Etat.  Mais  des  rapports  d'intérêt 
avec  une  maison  de  banque  dont  la  faillite  eut  de  l'éclat  le 
lireut  tomber  en  disgrâce.  Ce  fut  du  moins  là  le  motif  que 
le  bruit  pu'olic  donna  à  son  éloigncment  du  cabinet  de  Na- 
poléon. Bourrienne in-inuc,  au  contraire  qu'il  ne  lut  exclu  du 


â98 


BOURRIENNE  —  ROURSAULT 


l'intimité  de  l'einpcrcjir  et  envoyé  à  Hambourg,  comme  plé- 
nipotentiaire, que  pour  des  conlidenccs  faites  par  lui  ù  José- 
phine sur  quelques  circonstances  de  la  mort  du  duc  d'En- 
gtiien.  Quoi  qu'il  en  soit,  Courrienne  conserva  son  nouveau 
l)oslc  jusqu'en  1813.  Rentré  en  France  au  moment  de  l'in- 
vasion ,  il  se  vengea  de  son  ancien  camarade  en  s'abandon- 
nant  à  ses  vieilles  tendances  royalistes,  et  il  figura  parmi 
les  quelques  mécontents  de  liant  parage  qui  se  firent  les  or- 
ganes du  peuple  français  et  invoquèrent  le  retour  des  Bour- 
bons sons  les  fenêtres  ou  dans  l'entourage  de  l'empereur 
Alexandre.  Bourrienne  fut  récompensé  de  sa  participation 
au  mouvement  royaliste  (lar  la  direction  générale  des  postes, 
qu'il  céda  bientôt  à  l'un  des  chefs  de  la  r.'action,M.  Ferrand.  11 
reçuten  échange  une  place  de  conseiller  d'État,  et  fut  nommé 
préfet  de  police  à  l'approche  de  Na[)oléon,  en  mars  1815. 
il  suivit  le  roi  à  Gand,  lit  ensuite  partie  de  la  chambre 
introuvable  et  de  toutes  celles  qui  suivirent  jusqu'en  1827, 
et  se  (it  remarquer  dans  toutes  ces  assemblées  par  son  zèle 
ultra-monaichique.  Rendu  à  la  vie  privée  sous  le  ministère 
Wartignac ,  il  en  profita  pour  écrire  des  Mémoires  volu- 
mineux, dans  lesquels  il  essaye  trop  souvent  de  rapetisser  on 
d'incriminer  Napoléon  pour  se  justifier  ou  se  relever  lui- 
même.  11  est  mort  fou,  à  Caen,  le  7  février  1834. 

LaUUENT  (de  l'Ardèche). 

BOURRU  (Caractère),  humeur  brusque  et  chagrine, 
dit  l'Académie  française.  Le  mot  bourru,  qui  correspond 
au  Huppé;  des  Grecs  et  au  burrhus  des  Latins ,  s'appliquait 
dans  l'origine  aux  hoinmcs  roux  hérissés ,  car  cette  couleur 
de  feu  est  le  Ttùp  des  Grecs,  et  l'on  attribuait  aux  personnes 
rousses  une  disposition  colérique ,  léonine,  ardente  de  tem- 
pérament (  voyez  Roux).  D'un  autre  côté,  les  individus 
velus  à  la  façon  des  bêtes  fauves  passent  pour  brutaux  et 
féroces.  Et  en  effet  lorsque  régnent  des  passions ,  telles  que 
le  courage ,  l'audace  guerrière ,  la  magnanimité ,  un  ca- 
ractère mâle,  bourru  se  fait  mieux  respecter.  Tel  fut  celui 
de  nos  vaillants  ancêtres,  qui  s'alliait  si  bien  avec  la  géné- 
rosité et  la  grandeur.  Personne  n'ignore  que  la  franchise,  la 
libéralité  sont  les  attributs  ordinaires  de  ce  tempérament 
tout  en  expansion;  tel  est  le  bourru  bienfaisant  de  la 
comédie  de  Goldoni.  Les  marins  passent  pour  bourrus, 
mais  généreux.  En  général,  pourtant,  nos  habitudes  ac- 
tuelles, si  polies,  si  obséquieuses,  n'offrent  plus  rien  de 
bourru;  et  la  crinière  de  nos  lions  bipèdes  est  une  bien 
vaine  apparence  du  noble  caractère  du  Burrhus  peint 
jiar  Racine.  Mais  en  perdant  cette  raideur  nous  n'avons  pas 
su  conserver  du  moins  la  fermeté  et  la  vertu  du  bourru 
Alceste ,  le  misanthrope. 

On  appelle  via  bourru  un  vin  âpre  et  dur ,  quoique  ca- 
piteux. J.-J.  VlREÏ. 

BOURSAIÎ.  Voyez  Brousse. 

BOURSAULT  (  Enac  ),  poète  et  financier,  naquit  à 
Mussi-l'Evéque,  en  Bourgogne,  en  1G38.  Homme  de  for- 
tune et  de  plaisir,  il  est  du  nombre  de  ces  auteurs  créés 
par  la  nature  que  ne  peuvent  réclamer  ces  tristes  serres- 
chaudes  connues  sous  le  nom  de  colh^ges;  et  ses  ouvrages, 
pour  ce  motif  même,  ont,  malgré  leur  fonds  léger,  un 
cachet  d'originalité  qui  les  a  sauves  de  l'oubli.  A  treize  ans 
il  ne  parlait  que  le  patois  de  sa  province.  Son  père ,  ancien 
militaire,  attaché  à  la  maison  de  Coiidé,  et  qui  sans  études 
avait  assez  bien  fait  son  chemin,  ne  voulut  pas  que  son  (ils 
en  sill  plus  quelui.  Arrivé  à  Paris,  Boursault,  jeune  ho;iimc 
fort  précoce,  sans  négliger  ses  plaisirs,  apprit  à  parler  et  à 
écrire  le  français,  il  y  réussit  assez  pour  devenir  ce  qu'on 
appelait  alors  un  lionimede  bonne  compagnie  :  sesagrémcnts 
le  firent  rechercher  à  la  cour,  et  les  solides  qualités  de  son 
c(eur  l'y  firent  estimer.  .Ses  protecteurs  le  chargèrent  de 
conqioscr  un  livre  pour  l'éducation  du  dauphin.  Cet  ou- 
vrage, intitulé  La  véritable  eslude  des  souverains 
{  Paris  Ki/l  ),  plut  tellement  à  Loins  XIV,  qu'il  nomma 
Jioursaull  !>ous-précci»leur  de  son  fils.  Boiutaul  refusa,  par 


1 


la  raison  qu'il  ne  savait  pas  le  latin.  Ce  fut  avec  la  même 
modestie  que  Boursault  s'abstint  de  briguer  une  place  à  l'A- 
cadémie. Thomas  Corneille,  qui  était  fort  de  ses  amis,  l'en 
pressait  :  les  succès  dramatiques  de  Boursault ,  sa  position 
dans  le  monde,  lui  garantissaient  la  réussite  de  ses  dé- 
marches. «  Que  ferait  l'Académie,  dit-il,  d'un  sujet  ignare 
et  non  lettré,  qui  ne  sait  ni  latin  ni  grec?  —  H  n'est  pas 
question  ,  dit  Tlioniss Corneille,  d'une  Académie  grecque  ou 
latine,  mais  d'une  Acailéaiie  française.  Eh!  qui  sait  mieux 
le  français  que  vous?  »  —  Celte  raison,  toute  bonne  qu'elle 
était,  ne  put  convaincre  Boursault. 

Son  esprit,  son  talent  naturel,  avaient  brillé  dans  une  a 
Gazette  en  vers,  qui  eut  un  grand  succès  et  lui  valut  une  " 
pension  de  2000  francs  de  la  part  du  roi,  qu'elle  amusait  beau- 
coup. A  la  fin,  il  lui  arriva  malencontre  :  une  œuvre  périodique 
dont  la  liberté  fait  le  succès  devait  finir  par  indisposer  l'au- 
torité. Il  s'avisa  de  rimer  une  aventure  galante  arrivée  à  un 
révérend  père  capucin.  Le  confesseur  de  la  reine  jeta  feu  et 
flamme  :  la  gazette  fut  supprimée ,  et  sans  la  protection 
du  prince  de  Condé,  Boursault  aurait  été  à  la  Bastille.  Quel- 
ques années  après  ,  il  lui  fut  permis  de  reprendre  sa  gazette; 
mais  deux  vers  assez  mordants  contre  le  roi  Guillaume, 
avec  qui  l'on  voulait  alors  faire  la  paix,  engagèrent  le  poli- 
tique Lou'is  XIV  à  supprimer  encore  une  fois  ce  journal  sa- 
tirique. 

Boursault  fui  plus  heureux  au  théâtre  :  plusieurs  de  ses 
pièces  y  obtinrent  un  succès  qui  s'est  soutenu  jusqu'à  nos 
jours,  entre  autres  Le  Mercure  galant  et  Ésope  à  la  cour, 
cadres  épisodiques,  sans  plan,  sans  régularité,  mais  tracés  avec 
une  verve,  une  vérité  d'observation,  qui  à  chaque  reprise, 
depuis  plus  d'un  siècle  et  demi,  font  toujours  découvrir  des 
grâces  nouvelles  dans  ces  immortelles  bluettes.  Le  Mercure 
galant  fut  à  sa  naissance  représenté  quatre-vingts  fois.  La 
plupart  des  plaisanteries  qui  étincellent  dans  les  pièces  de 
Boursault  ont  passé  dans  la  conversation,  et  bien  des  gens 
les  répètent  sans  savoir  à  qui  ils  doivent  leur  esprit  d'em- 
prunt. 11  n'a  été  surpassé  dans  ce  genre  par  personne. 
Lorsqu'on  annonça  son  Mercure  galant,  Visé,  auteur  du 
journal  qui  portait  ce  titre,  réclama  auprès  de  l'autorité;  et 
Boursault  ne  vit  rien  de  mieux  que  d'appeler  sa  pièce  La 
Comédie  sans  titre,  ce  qui  doubla  le  succès  de  l'oeuvre. 

Le  sort  d'Ésope  à  la  ville,  qui  eut  quarante-trois  re|)ré- 
sentations  de  suite,  fut  aussi  très-brillant;  mais  cette  pièce 
ne  s'est  pas, comme  les  deux  autres,  maintenue  au  réper-  ■ 
toire  ,  et  il  faut  l'attribuer  à  la  médiocrité  des  fables  que  1 
débite  Ésope,  médiocrité  d'autant  plus  sensible,  que  la 
plupart  de  ses  sujets  avaient  déjà  été  traités  par  La  Fon- 
taine. Ce  n'est  pas  que  Boursault  ait  eu  la  prétention  de 
rivaliser  avec  ce  grand  poète;  loin  de  là!  «Ce  qui  m'a  paru 
le  plus  dangereux ,  dit-il  dans  sa  préface ,  c'a  été  d'oser 
mettre  des  fables  en  vers  après  l'illustre  La  l'ontaine.  H 
ne  faut  que  comparer  les  siennes  avec  celles  que  j'ai  faites  pour 
voir  que  c'est  lui  qd  est  le  maître.  Les  soins  que  j'ai  pris 
de  l'imiier  m'ont  appris  qu'il  était  inimitable.  »  C'est  tou- 
jours avec  cette  franchise  modeste  et  noble  que  Boursault 
s'exprime  dans  ses  préfaces,  qui  toutes  méritent  d'être 
lues;  elles  font  estimer  leur  auteur,  et  prouvent  qu'il  écri- 
vait en  prose  dune  manière  beaucoup  plus  nette  et  plus 
agréable  que  P.  Corneille  et  Boileau. 

On  voudi  ait  qu'après  avoir  été  l'ami  de  Molière,  Boursault 
ne  fiU  pas  devenu  son  ennemi.  H  se  persuada  que  c'était 
lui  que  l'auteur  de  VÉcole  des  Femmes  avait  eu  en  vue 
dans  le  rôle  de  Lisidor,  et  il  lit  contre  lui  Le  Portrait  du 
Peintre ,  comédie  satirique,  qui ,  sans  être  dénuée  d'esprit, 
ne  fit  pas  fortune.  Dans  L'Impromptu  de  Versailles, 
Molière,  emporté  par  son  ressenliment,  eut  le  tort  inexcu- 
sable de  nommer  Boursault,  et,  bien  qu'il  ne  ratta((ue  que 
du  côté  de  l'esprit,  ce  n'en  était  pas  moins  mie  violation 
des  bienséances  sociales  et  dramatitiues.  Dans  celte  que- 
relle, Boilea-,!  pr'it  parti  pour  .Molière  contre  Boursault, 


BOURSAULT  —  BOURSAULT-MALHERBE 


599 


qu'il  avait  nommé  dans  ses  incinières  satires.  Celui-ci  s'en 
vengea  noblement.  Ayant  appris  à  Moiitluçon,  où  il  était 
receveur  des  tailles ,  que  Boileau ,  qui  prenait  les  eaux  de 
Bourbonne,  s'y  trouvait  sans  argent,  il  se  rendit  sur-le- 
champ  auprès  de  l'illustre  malade,  et  lui  oiïrit  sa  bourse  de 
si  bonne  grâce ,  que  Boileau  accepta  un  prêt  de  deux  cents 
louis.  Ce  fut  l'époque  d'une  réconciliation  sincère  et  d'une 
amitié  qui  ne  linit  qu'avec  leur  vie.  Boileau,  au  risque 
d'immoler  à  sa  place  un  malheureux  poète  dont  le  nom 
put  remplir  le  vide  de  l'hexamètre,  effaça  de  ses  satires  le 
nom  de  Boursault  ;  mais  il  est  toujours  resté  dans  1'/?»- 
promptu  de  Versailles. 

É^sopeà  la  cour,  qui  ne  fut  représenté  qu'en  1701,  à  la 
mort  de  son  auteur,  offrait  quelques  tirades  alors  bien 
hardies ,  telles,  par  exemple,  que  la  comparaison  que  fait  le 
poète  entre  le  peuple  et  la  cour ,  et  ces  vers  oîi  Crésus  dit, 
à  propos  des  hommages  dont  il  est  l'objet,  qu'il  soupçonne 

Qu'on  encense  la   place  autant  que  la  couronne. 

Que  c'est  au  diadème  uu  tribut  que  l'on  rend. 

Et  que  le  roi  qui  règne  est  toujours  le  plus  grand. 

Les  comédiens,  craignant  l'allusion  à  Louis  XIV ,  substi- 
tuèrent ce  plat  galimatias  : 

Et  que  le  trône  enfin  l'emporte  sur  le  roi. 

Outre  ces  pièces  connues ,  notre  linancier-poëte  composa 
une  petite  comédie  assez  gaie,  sous  le  titre  de  Mots  à  la 
mode.  De  ces  mots  la  plupart  ont  disparu  du  dictionnaire, 
mais  quelques  autres  ont  acquis,  par  l'usage,  le  droit  d'y 
figurer.  Comme  beaucoup  d'auteurs  comiques,  il  s'essaya 
dans  la  tragédie  :  il  en  fit  deux,  Germanicus,  représentée 
en  1G71,  et  Marie  Sluart,  jouée  en  1684.  Gennanicns 
eut  un  si  grand  succès,  que  le  grand  Corneille  dit  en  pleine 
Académie  g'tf'i/  n'y  manquait  que  le  nom  de  Racine  pour 
que  ce  fût  un  ouvrage  achevé..  Ce  jugement  parait  au 
premier  abord  plus  étrange  encore  que  le  succès  ;  mais  il 
cesse  de  surprendre  lorsque,  à  la  lecture  de  cette  tragédie, 
on  y  reconnaît  une  imitation  de  Corneille ,  à  peu  près  aussi 
médiocre  que  les  imitations  de  Campistron  et  de  Danchet  à 
l'égard  de  Racine.  11  était  alors  naturel  que  Corneille  eût 
du  faible  pour  son  imitateur.  Dans  sa  Marie  Stuart ,  Bour- 
sault ,  qui  apparemment  connaissait  un  peu  mieux  l'histoire 
moderne  que  l'antiquité,  a  semé  quelques  sentences  poli- 
tiques heureusement  tournées,  qui  prouvent  qu'il  eût  pu 
réussir  dans  le  genre  tragique  s'il  n'eiit  pas  travaillé 
trop  vite;  mais,  doué  d'une  grande  facilité,  riche,  consi- 
déré comme  particulier,  aimé,  gâté  du  public  comme  au- 
teur ,  avait-il  besoin  de  travailler?  On  a  encore  de  lui  deux 
ou  trois  nouvelles  ou  romans  historiques  et  les  Lettres  à 
Bahct,  productions  galantes,  qui  eurent  de  sou  temps  un 
succès  prodigieux,  mais  qui  déjà  du  temps  de  Voltaire  n'é- 
taient plus  lues  que  des  provinciaux.  On  y  trouve  pourtant 
encore  des  sentiments  délicats,  des  pages  bien  tournées, 
avec  un  intérêt  et  un  fonds  assez  légers.  Boursault  mourut  à 

ontluçon,  le  15  septembre  1701.      Charles  Du  Rozoni. 

BOURSAULT  -  MALHERBE  (  Jt-an-François  ), 
connu  surtout  comme  directeur  des  jeux  et  entrepreneur  des 
boues  de  Paris,  mérita  cependant  la  célé!:rité  à  d'autres 
litres.  Des  deux  noms  illustres  et  historiques  sous  lesquels 
il  vécut,  un  seul  lui  appartenait  en  propre.  Il  descendait 
non  de  Malherbe  le  poète,  mais  de  Boursault  l'auteur 
dramatique.  Malherbe  est  un  nom  d'emprunt,  sous  lequel  il 
exerça  pendant  de  longues  années  la  profession  d'acteur. 
Fils  d'un  marchand  de  draps,  fort  aisé,  du  quartier  des  In- 
nocents, il  quitta  Paris  poursuivre  ime  troupe  de  comé- 
diens ambulants.  Plein  d'intelligence,  do  hardiesse,  de  vi- 
vacité, d'esprit,  et  doué  d'un  pliysique  très-avantageux  ,  il 
se  (it  bien  vite  une  réputation  dans  les  premiers  rôles.  Con- 
liant  déjà  dans  son  étoile,  il  osa  prétendre  à  i'hérilage  de 
Lekain,  et  il  eût  succédé  peul-Otre  à  ce  grand  acicur,  si- 
Larive  ne  se  fût  trouvé  là  et  n'efit  déhidé  avant  lui  sur  la 


scène  française.  Mais  Malherbe  no  voulut  pas  avoir  fait 
inutilement  le  voyage  de  Paris  ;  l'emploi  tragique  lui  étant 
interdit,  il  offrit  de  débuter  dans  la  comédie,  et  le  r> 
décembre  1778  il  se  fit  applaudir  dans  le  Philosophe  viarié 
et  dans  la  Gageure  imprévue.  L'important  pour  lui  était 
de  planter  un  jalon  pour  l'avenir,  de  laisser  un  souvenir 
qu'il  pîlt  invoquer  un  jour.  Content  de  son  triomphe,  il 
retourna  en  province,  et  s'associa  dans  l'exploitation  du 
théâtre  de  Marseille.  Rien  d'extraordinaire  ne  signala  sou 
séjour  dans  cette  ville.  L'entreprise  à  laquelle  il  s'intéressa 
fut-elle  heureuse?  On  l'ignore.  Suivons-le  à  Palerme,  où  il 
va  diriger  un  théâtre. 

Nul  n'est  prophète  en  son  pays ,  dit  le  proverbe  ;  soit  ! 
cependant ,  hélas  !  le  contre-pied  de  la  sagesse  des  nations 
n'est  pas  toujours  une  vérité.  Quoique  étranger,  l'imprésario 
IMalherbe  ne  fut  pas  heureux  en  Sicile  :  voyez  plutôt  cet 
homme  qui  se  jette  à  la  mer!....  c'est  le  directeur  du  théâtre 
de  la  ville.  Mais  il  prend  bien  son  temps  :  la  voiture  du  roi 
Ferdinand  passe;  le  tumulte,  la  foule,  intriguent  le  souve- 
rain ;  il  fait  anôter  les  chevaux  ;  il  s'informe ,  il  apprend 
que  c'est  un  homme  qui  voulait  se  noyer,  et  que  les  flots 
ont  refusé  d'engloutir.  Ferdinand  ordonne  que  le  malheu- 
reux soit  amené  de  gré  ou  de  force  au  palais.  Malherbe  fait 
des  façons;  néanmoins  il  cède.  Une  fois  en  présence  du  roi, 
il  gémit  sur  la  malheureuse  vie  à  laquelle  on  a  la  cruauté  de 
le  rendre  ;  Ferdinand  le  console,  l'interroge,  l'encourage; 
enfin  Malherbe  consent  à  avouer  que  son  acte  de  désespoir 
est  la  conséquence  de  la  mauvaise  fortune  de  sa  direction 
théâtrale ,  et  il  finit  son  pathétique  récit  par  ce  mouvement 
dramatique  :  «  Oh  !  que  la  Sicile  me  sera  cruelle  !  »  Le  roi 
fut  ému  jusqu'aux  larmes,  et  comme,  après  tout ,  le  peuphî 
était  là  pour  payer  les  libéralités  du  souverain ,  les  dettes  du 
malheureux  imprésario  français  furent  acquittées;  on  lui 
donna  même  de  l'argent  pour  retourner  dans  sa  patrie. 
Voilà  comme  un  plongeon  exécuté  à  propos  peut  faire  sur- 
nager un  homme  habile  1  Vraie  ou  fausse ,  l'anecdote  s'est 
accréditée. 

L'enfant  de  Paris  rentra  dans  sa  ville  natale  quand  la  ré- 
volution commençait  à  gronder.  Malherbe  se  lance  à  corps 
perdu  dans  le  parti  révolutionnaire  ;  il  reprend  son  nom , 
fonde  un  théâtre  dans  une  vaste  cour  du  passage  des  Nour- 
rices, entre  les  rues  Saint-Martin  et  Quincampoix.  Ou- 
blieux de  la  guerre  que  son  bisaïeul  a  si  malencontreuse- 
ment faite  à  l'auteur  de  l'École  des  Femmes ,  et,  que  sait- 
on?  pour  obtenir  peut-être,  pour  lui  et  pour  sa  race,  l'in- 
dulgence du  grand  poète  comique ,  il  donne  à  son  théâtre 
le  nom  de  Théâtre  Molière  :  les  œuvres  qui  s'y  jouent  no 
rappellent  pas  cependant  celles  du  dieu  sous  l'invocation  du- 
quel il  a  été  placé.  Le  général  Ronsin  y  fait  représenter  sea 
pièces  révolutionnaires  ;  tout  le  répertoire  est  choisi  jtour 
propager  les  idées  du  jour.  Ce  théâtre  exerça  une  influence 
directe  sur  la  population,  et  Boursault  recueillit  bientôt  le 
prix  de  son  intelligente  activité.  Nommé  d'abord  électeur 
de  Paris,  il  devint,  en  1793,  membre  suppléant  à  la  Con- 
vention nationale.  Quoiqu'il  n'ei'it  siégé  dans  cette  assenddée 
qti'après  la  mort  de  Louis  XVI,  il  fut  sous  la  Restauralioa 
rangé,  par  certains  écrivains  royalistes,  parmi  les  votants. 
Boursault  fit  redresser  par  les  ti'ibunaux  celle  erreur  volon- 
taire ou  involontaire,  qu'il  eût  acceptée  à  l'époque  où  il  fai- 
sait jouer  sur  son  théâtre  la  Ligue  des  Fanatiques  et  des 
Tyrans. 

Membre  de  la  Convention ,  Boursault  eut  à  remplir  plu- 
sieurs missions  politiques  dans  divers  départements,  et  il 
fut  souvent  accusé  de  concussion.  Des  rapports  sur  sa  con- 
duite furent  à  la  vérité  demandés  par  lui-même  j  l'assemblée 
les  ordonna ,  mais  les  événements  allèrent  plus  vite  que  les 
rapporteurs,  et  il  ne  fut  jamais  absolument  avéré  que  l'eu- 
tre|)reneur  des  charrois  militaires  eût  marché  à  la  fortune 
l>ai'  des  roules  tortueuses.  La  scène  politique  était  bien  dan- 
gereuse |)our  un  Iionnne  d'une  imagination  aussi  active  el 


600 


B0URSAULT-?iîALl5Eaiifi  —  HOURSE 


aussi  variiible;  il  en  descendit ,  et  songoa  à  reprendre  les 
lèncs  du  Théâtre  Molière,  qu'il  avait  cédées  à  son  camarade 
J.achapelle,  auteur-comédien  et  directeur,  qui  avait  porté  sa 
tête  sur  l'écliafaud  le  24  mars  1794.  Ce  théâtre  avait  pris 
le  nom  de  Théâtre  des  Variclés  nalïonales  et  étrangères; 
Boursault  entrevit  un  succès  dans  l'exploitation  des  auteurs 
dramatiques  étrangers,  que  rentre[)rise  de  Letourneur  avait 
mis  à  la  mode.  Son  esprit  révolutionnaire  se  reporta  de  la 
politique  vers  la  littérature;  il  effaça  le  mot  nationales  du 
frontispice  de  son  théâtre,  et  n'y  lit  jouer  que  Lope  de  Vega, 
Caldéron  ,  Schiller,  Antonio  José,  etc.  La  spéculation  ne  fut 
pas  heureuse;  mais  d'autres  jeux  que  ceux  de  la  scène  l'en- 
richirent; il  trouva  des  millions  dans  un  autre  fumier  que 
celui  d'iinnius.  Le  balayage  des  rues  de  l'aris  et  l'exploi- 
tation des  maisons  de  roulette  et  de  trente  et  quarante ,  qu'il 
sollicita  et  obtint  successivement,  telles  furent  les  sources 
de  son  immense  fortune.  Il  en  est  encore  de  moins  pures; 
il  en  est  aussi  de  moins  bien  employées.  Boursault  était 
grand  amateur  de  tableaux;  sa  galerie  a  été  longtemps  re- 
nommée; l'horticulture  lui  doit  aussi  beaucoup  :  ses  plantes 
exotiques,  ses  magnifiques  serres,  ses  jardins,  les  mieux 
entretenus  de  l'Europe  peut-être ,  amenaient  chez  lui  tous 
les  étrangers  qui  visitaient  Paris.  Chefs  d'œuvre  de  la  pein- 
ture, lleurs  embaumées,  noble  et  douce  purification  de  tré- 
sors venus  de  la  roulette  perfide  et  de  l'impôt  de  Vespasien  ! 

L'activité  de  cet  homme  singulier  n'abandonna  pas  plus 
son  esprit  que  son  corps.  En  1 830  il  eut  un  retour  de  jeu- 
nesse :  il  acheta  trois  millions  la  salle  Yentadour  ;  et  par 
un  coup  de  commerce  il  gagna  quinze  cents  mille  francs  à 
cette  opération  ;  mais  il  eut  un  moment  de  vertige  quand, 
(pielques  mois  après,  il  ne  recula  pas,  à  son  âge,  devant  la 
(lirection  de  l'Opéra-Comique.  C'en  était  fait  de  ses  jardins, 
de  sa  galerie,  de  sa  fortune.  Par  bonheur  pour  lui ,  cette  hal- 
lucination se  dissipa;  alors,  appréciant  d'un  coup  d'œil  sa  po- 
sition désespérée,  il  rassemble  les  artistes  et  les  employés  du 
théâtre ,  les  harangue,  leur  montre  le  précipice  que  sa  fortune 
ne  pourra  combler,  puis,  soulevant  une  draperie  placée  sur 
une  table,  il  leur  découvre  des  piles  d'or  et  des  billets  de 
banque  :  «  Vous  avez  le  droit ,  dit-il ,  de  me  forcer  à  con- 
tinuer l'exploitation  de  mon  privilège;  mais  ma  faillite  est 
au  bout  de  mes  efforts,  et  vous  perdrez  alors  une  partie  du 
temps  que  nous  passerons  ensemble.  Si ,  au  contraire ,  vous 
voulez  rompre  immédiatement  avec  moi ,  je  vous  paye  à 
l'instant  même  une  année  de  vos  appointements.  »  Long- 
temps malheureux  sous  de  précédentes  directions,  éblouis 
d'ailleurs  par  cet  appât  inusité  d'or  et  de  billets,  hommes 
et  femmes,  chanteurs,  instrumentistes,  contrôleurs,  allu- 
meurs, garçons  de  peine,  toute  la  troupe  enfin  accepte  la 
proposition,  et  touche  douze  mois  de  solde  anticipée. 
L'homme  du  tapis  vert  avait  bien  calculé  son  effet;  cette 
part  donnée  au  feu  sauva  une  fortune  entière,  qui  eût  été 
dévorée. 

Un  nouveau  caprice  s'empara  bientôt  du  vieillard ,  tou- 
jours vigoureux  ,  toujours  inconstant  dans  ses  goûts  ou  ses 
fantaisies.  Sa  galerie  est  mise  en  vente,  ses  fleurs  si  rares 
sont  dispersées  par  la  folle-enchère,  son  parc  est  abattu ,  et 
sur  l'emplacement  s'élèvent  deux  rangées  de  maisons  paral- 
lèles qui  prennent  le  nom  de  me  Doursault.  Ce  lut  sa  der- 
nière entreprise.  Il  mourut  peu  de  temps  après.  Du  comé- 
dien, du  directeur  de  théâtre,  rien  ne  serait  resté  dans  la 
mémoire  des  hommes;  du  représentant  du  peuple,  un  fait 
controuvé  et  des  accusations  vagues;  du  directeur  des  jeux 
et  de  l'entrepreneur  du  balayage  public,  une  renommée  de 
iiasard  et  un  peu  bourbeuse;  de  l'amateur  de  tableaux  et  de 
riiorlicultctir,  un  renom  peu  coloré  et  effeuillé  bien  vite;  en 
se  faisant  constructeur  de  maisons,  Boursault,  l'enfant  de 
Paris,  a  inscrit  son  nom  dans  les  fastes  de  la  grande  ville. 

Etienne  Ai;,\co. 

BOURSE,  BOUBSIKR.  La  première,  c.'esf-à-diie  la  plus 
aiHiennc  (.oiumic  la  plus  communoacccpliondii  mot  [{nurse, 


venu  du  grec  pupaa,  qui  signi.'ie  cuir,  est  celle  qui  s'ap- 
plique à  ces  petits  sacs  dans  lesquels  on  met  l'argent  dont  on 
a  besoin  pour  ses  emplettes  journalières.  On  en  fait  en  peau, 
en  toile,  en  tricot,  en  crochet,  en  soie,  en  cheveux  ou  eii 
matières  d'or,  d'argent,  etc.  On  les  ferme  d'ordinaire  soit 
avec  des  cordons,  soit  avec  un  fermoir  en  acier  poli ,  qui 
s'ouvre  en  poussant  un  bouton  ;  quand  la  bourse  est  double, 
c'est-à-dire  en  forme  de  bissac,  on  la  ferme  avec  des  an- 
neaux. 

Par  analogie,  on  a  donné  aussi  autrefois  le  nom  de  bourse 
à  cheveux  à  un  petit  sac  de  taffetas ,  dans  lequel  les  hommes 
portaient  leurs  cheveux. 

Le  mot  Bourse ,  dans  un  sens  plus  étendu ,  se  prend  pour 
tout  l'argent  dont  un  bomnie  peut  disposer.  On  dit,  au 
figuré,  qu'un  homme  a  une  bonne  bourse,  pour  dire  qu'il 
est  fort  riche.  Avoir  la  bourse,  tenir  la  bourse,  c'est  être 
chargé  de  la  dépense  commune  dans  un  ménage  ou  dans  _— 
une  association.  On  dit  que  les  voleurs  de  grands  chemins  ■ 
demandent  la  bourse  ou  la  vie  à  ceux  qu'ils  attaquent.  ■ 
C'est  ainsi  du  moins  qu'on  les  fait  parier  au  théâtre.  On  ap- 
pelle coupeurs  de  bourse  ceux  qui  l'attrapent  subtilement, 
sans  user  de  violence.  On  dit  aussi  se  procurer  quelque 
chose  sans  bourse  délier,  c'est-à-dire  sans  être  obligé  de 
débourser  de  l'argent.  Vivre  selon  sa  bourse ,  c'est  ne  pas 
dépenser  plus  que  son  revenu;  vivre  sur  la  botirse  d^iu- 
trui,  c'est  vivre  aux  dépens  d'autrui  ;  avoir  la  bourse  bien 
ferrée,  c'est  l'avoir  bien  garnie  ;  avoir  la  bourse  plate,  c'est, 
au  contraire,  n'avoir  point  ou  n'avoir  que  fort  peu  d'argent  ; 
avoir  le  diable  dans  sa  bourse,  ou  ,  selon  La  Fontaine,  lo- 
ger le  diable  en  sa  bourse, c'est  être  absolument  dipour\ u 
d'argent.  On  dit  encore  qu'un  homme  fait  bon  marché  de 
sa  bourse ,  lorsqu'il  dit  qu'une  chose  lui  coûte  moins  qu'il 
ne  l'a  payée  réellement. 

Bourse  est  aussi  une  manière  de  compter  dans  le  Le- 
vant. Elle  -vaut  aujourd'hui  500  piastres ,  en  Turquie. 

Bourse,  en  termes  de  collège ,  est  une  somme  annuelle 
assignée  par  le  gouvernement,  ou  par  quelque  fondateur, 
pour  l'entretien  gratuit  d'un  étudiant.  Il  y  a  aussi  des  demi- 
bourses,  dont  les  titulaires  ne  payent  que  la  moitié  du  prix 
exigible  pour  la  pension.  Ceux  qui  obtiennent  et  (jui  pos- 
sèdent ces  bourses  ou  demi-bourses  sont  appelés  boursiers. 

C'est  aussi  le  nom  de  l'artisan  qui  fabrique  les  bourses, 
et  c'était  encore  autrefois  le  nom  de  ceux  qui  les  vendaient. 
Les  boursiers,  avant  la  révolution,  vendaient,  en  outre,  des 
parapluies  ,  des  ombrelles ,  des  fallots ,  des  gants ,  des  cu- 
lottes de  peau ,  etc.  Aujourd'hui ,  ce  sont  les  gantiers,  les 
merciers  et  les  marchands  de  nouveautés  qui  vendent  les 
bourses. 

Les  agents  de  change,  les  avoués,  les  commissaires  pri- 
seurs,  les  huissiers  et  les  notaires  ont  des  botirses  comnmncs, 
c'est-à-dire  une  mise  en  commun  d'une  partie  de  leurs  droits 
ou  vacations,  pour  subvenir  à  des  dépenses  communes,  ou  à 
leur  existence  en  cas  d'infirmité. 

BOURSE  (  Histoire  naturelle).  Dans  les  sciences  qui 
ont  pour  objet  l'étude  des  corps  naturels ,  on  a  donné  ce 
nom  tantôt  à  des  parties  de  ces  corps,  tantôt  à  des  indi- 
vidus de  diverses  espèces  qui  ressemblent  à  un  sac  ,  à  ou- 
verture unique. 

En  botanique,  on  nomme  bourse  une  espèce  de  poche 
adliérente  à  la  base  du  pédicule  des  champignons  et  entou- 
rant toutes  les  autres  parties  avant  leur  développement. 
Cette  bourse  se  déchire  par  le  haut  et  laisse  passer  le  pé- 
dicule et  le  chapeau  du  champignon,  qui  en  emporte  quel- 
quefois des  débris  à  sa  surface. 

Dans  les  mammifères,  le  sac  cutané  qui  enreloppe  l'or- 
gane sécréteur  du  sperme,  est  appelé  bourse  scrotale  ou 
scrotitm.  Le  repli  de  la  peau  du  ventre  destiné  à  recueillir 
le  produit  de  la  génération  dans  les  didclphcs  est  encore 
une  bourse  abdominale ,  d'où  le  nom  de  nianinn'/ères  à 
bouis(?  ou  m  a  r  s  u  p  i  a  u  X  . 


BOURSE 


601 


On  appelle  vulgairement  bourse  ou  gibecière  une  espèce 
d'huître  [ostrea  7-«rf(</a)et  un  peigne  {pecten  radida).CeT- 
tains  poissons  (diodons,  tétrodons ,  quelques  espèces  de 
balistes),  qui  sont  remarquables  par  la  faculté  de  se  gonfler 
comme  des  ballons,  en  introduisant  une  grande  quantité  d'air 
dans  leur  estomac  ou  plutôt  dans  l'espèce  de  jabot  exten- 
sible silué  dans  l'abdomen,  ont  été  nommés  boursoujliis  ou 
bourses.  Ainsi  gonflés,  ils  flottent  à  la  surface  de  l'eau,  le 
ventre  en  l'air;  les  piquants  de  leur  peau  sont  alors  hérissés 
et  les  défendent  contre  leurs  ennemis.      L.  Lacuent. 

BOURSE  (  Commerce  ).  Cest  la  réunion  qui  a  lieu,  sous 
l'autorité  du  gouvernement ,  des  commerçants ,  capitaines 
de  navire,  agents  de  change  et  courtiers;  cette  réunion  a 
pour  objet  la  vente  de  toutes  marchandises  et  des  matières 
métalliques,  l'affrètement  des  navires,  les  assurances  contre 
certains  risques,  les  transports  par  terre  et  par  eau,  la  vente 
des  rentes  sur  l'État ,  la  négociation  des  effets  publics  et  de 
tous  ceux  dont  le  cours  est  susceptible  d'être  coté ,  celle 
des  billets  et  papiers  commer(,'ables. 

Les  bourses  de  commerce  ont  été  instituées  pour  faciliter 
des  opérations  importantes,  qui  ne  pourraient  s'effectuer 
que  par  la  voie  lente  des  annonces,  des  journaux  et  autres 
moyens  semblables  ;  elles  mettent  en  présence  et  en  rapport 
direct,  immédiat,  les  acheteurs  et  les  vendeurs,  placent 
sous  la  surveillance  de  l'autorité  des  opérations  qui  se  rat- 
tachent à  l'intérêt  général ,  servent  à  constater  réguliè- 
rement le  cours  des  marchandises  et  des  etïels  publics  ,  et 
permettent  enfin  aux  négociants  de  connaître  la  mesure  de 
crédit  que  méritent  la  plupart  des  maisons  de  commerce  par 
la  nature  môme  des  opérations  auxquelles  elles  se  livrent. 

Dans  tous  les  pays  civilisés  on  a  senti  le  besoin  de  con- 
sacrer un  lieu  à  la  réunion  des  commerçants ,  pour  rendre 
plus  faciles  leurs  transactions. 

Les  négociants  d'Athènes  se  réunissaient  au  port  du 
Pirée.  Tite-Live  nous  apprend  que  la  première  assemblée 
régulière  de  commerçants  eut  lieu  à  Rome  sous  le  consultai 
d'Appius  Claudius  et  de  Publius  Servilius,  259  ans  après  la 
fondation  de  cette  vilie,  et  493  ans  avant  l'ère  chrétienne  ;  elle 
se  nommait  le  collège  des  marchands. 

Si  l'on  en  croit  une  vieille  tradition,  c'est  à  Bruges,  en 
Flandre,  qu'au  seizième  siècle  on  s'est  sei  vi  pour  la  première 
fois  du  moibourse  pour  désigner  le  lieu  où  les  marchands  te- 
jiaient  leurs  assemblées ,  lequel  n'était  autre  que  la  maison 
d'une  famille  de  gentils-hommes  appelée  Van  der  Beurse. 
Suivant  d'autres ,  il  proviendrait  de  ce  que  la  première 
réunion  de  ce  genre  tenue  à  Amsterdam  avait  lieu  dans 
une  maison  au-dessus  de  la  porte  d'entrée  de  laquelle  étaient 
gravées  dans  la  pierre  trois  bourses,  en  manièie  d'enseigne. 

Une  ordonnance  de  la  reine  Elisabeth  donne  à  la  Bourse  de 
Londres  la  dénomination  de  Royal-Exchange  ;  et  les  bourses 
qui  existent  aujourd'hui  dans  les  différentes  villes  d'Angle- 
terre n'y  sont  encore  désignées  que  sous  le  nom  d'ej;- 
changes.  En  France,  une  bourse  fut  instituée  à  Toulouse, 
en  1549;  une  autre  à  Rouen,  eu  1559;  cette  dernière  était 
désignée  sous  le  nom  de  Convention  de  Rouen.  A  Paris 
et  à  Lyon  on  donna  le  nom  de  jjlace  du  change  aux  as- 
semblées de  négociants. 

C'est  dans  la  grande  cour  du  palais  de  Justice,  au-dessous 
de  la  galerie  Dauphine ,  près  de  la  Conciergerie,  (jne  se  ras- 
semblaient les  commerçants  de  Paris;  ce  n'est  que  le 
24  septembre  1724  qu'un  arrêt  du  conseil  créa  la  première 
bourse  que  la  capitale  ait  possédée;  le  siège  en  fut  aussitôt 
transféré  à  l'hôtel  de  Nevers,  rae  Vivienne.  La  révolution 
de  1789  brisa  les  entraves  qui  avaient  enchaîné  jusque  alors 
le  commerce  et  l'industrie.  Les  bourses  ,  et  surtout  celle  de 
Paiis ,  eurent  dès  ce  moment  une  grande  influence  sur  les 
affaires  publiques;  on  peut  même  dire  que  la  situation  de 
la  bourse  de  l'aris  est  aujourd'hui  le  thermomètre  du  cré- 
«lit  ])ui)lic.  A  la  suite  des  grand.'S  agi;alious  et  des  événe- 
ments désastreux  de  I7'j;5,  les  dilféi  entes  bourses  de  France 

UICT.    M    I.A    CC'.NiCl.S.    —    T.    UI- 


furent  momentanément  fermées.  Un  décret  du  G  floréal 
an  m  ordonna  qu'elles  seraient  partout  rouvertes.  Le  con- 
sulat, qui  s'appliquait  à  tout  reconstruire  ,  ne  négligea  pas 
l'institution  des  bourses  de  commerce;  une  réorganisation 
générale  eut  lieu.  Des  arrêtés  spéciaux  ordonnèrent  en  outre 
qu'un  grand  nombre  de  bourses  seraient  établies  là  où  il  n'en 
existait  pas  encore.  Un  décret  du  16  avril  1852  en  a  établi 
une  à  Alger. 

Sous  l'Empire  la  bourse  ne  put  que  souffrir  du  système 
militaire  qui  se  développait  avec  tant  d'énergie;  aussi"fit-ello 
sourdement  obstacle  à  la  mission  régénératrice  dont  l'empe- 
reur se  regardait  comme  l'instrument  providentiel.  Elle  ne 
manqua  pas  de  se  dédommager  sous  la  Restauration  d'em- 
barras et  d'entraves  que  les  revers  de  1813  étaient  venus  ac- 
croître. Sous  le  gouvernement  qui  succéda  à  la  Restauration , 
l'agiotage,  objet  des  plus  scandaleuses  faveurs  de  la  part  d'un 
pouvoir  corrompu  et  corrupteur,  eut  la  Bourse  pour  temple. 

Les  bourses  ont  toujours  été  placées  sous  la  dépen- 
dance du  gouvernement;  c'est  lui  qui  les  ouvre,  lui  qui 
veille  à  leur  police  intérieure,  lui  en.ln  qui  les  ferme  :  c'est 
donc  au  gouvernement  que  pourraient  remonter  les  re- 
proches que  l'on  a  adressés  à  ces  institutions,  si  les  abus  que 
l'opinion  publique  ne  cesse  de  signaler  n'étaient  pas  ré- 
primés. Comme  à  l'origine,  toutes  les  précautions  nécessaires 
pour  préserver  les  bourses  des  excès  de  l'agiotage  ont  été 
prises  par  la  loi,  c'est  sur  le  pouvoir  chargé  de  l'applitjuer 
que  retombe  en  définitive  la  responsabilité  des  infractions 
à  la  loi  qui  y  sont  commises. 

Le  préfet  de  police  à  Paris,  les  maires  et  officiers  de  police 
des  villes  de  département  sont  chargés  de  l'exécution  des 
règlements  qui  concernent  la  bourse. 

L'entrée  de  la  Bourse  est  interdite  aux  faillis  qui  n'au- 
raient pas  obtenu  leur  réhabilitation,  à  ceux  qui  se  seraient 
immiscés  dans  les  fonctions  d'agents  de  change  et  de  cour- 
tiers, à  ceux,  enfin,  qui  auraient  été  condamnés  à  des  peines 
affiictives  ou  infamantes.  Ces  individus  exceptés,  les  bourses 
sont  ouvertes  à  tout  le  monde ,  aux  étrangers  comme  aux 
nationaux. 

Par  unemesure  de  prudence  etde  sagesse,  qu'on  ne  saurait 
trop  approuver,  la  loi  n'a  pas  permis  aux  femmes  de  se  mon- 
trer dans  les  bourses. 

En  résumé,  les  bourses  sont  des  étaf.lissements  fort  utiles, 
lorsqu'elles  sont  maintenues  dans  les  limites  que  la  loi  leur  a 
sagement  fixées.  Lorsqu'elles  en  sont  sorties,  des  catastro- 
phes terribles,  suites  inévitables  du  trafic  effréné  qui  s'y  fai- 
sait sur  des  valeurs  fictives,  ont  prouvé  jusqu'à  quel  point 
les  désordres  qui  peuvent  résulter  de  ces  réunions  de  com- 
merçants et  de  spéculateurs  sont  de  nature  à  atteindre  et 
compromettre  le  crédit  général. 

11  nous  reste  à  dire  un  mot  des  monuments  remarquables 
qui  servent  de  bourse  en  différents  pays. 

La  Bourse  de  Londres ,  o\\  Rogai-Exchange ,  recons- 
truite après  le  terrible  incendie  qui  ravagea  cette  capitale 
en  16GG,  passe  pour  avoir  été  élevée  sur  les  dessins  d']- 
nigo  Jones.  Elle  a  C7  mètres  de  long ,  sur  58  de  large.  L'é- 
difice est  divisé  eu  deux  parties  distinctes  :  l'une,  plus  par- 
ticulièrement désignée  sous  le  nom  de  Royal-Exchange, 
est  consacrée  à  la  vente  des  marchandises  et  des  lettres  de 
change;  l'autre,  appelée  Stock-Exchange,  est  le  marché de-i 
fonds  publics  et  des  actions.  11  existe  en  outre  à  Londres 
des  exchanges  pour  la  vente  de  différentes  matières,  par 
exemple  le  Corn-Exchange,  bourse  aux  grains,  le  Coal- 
Exchange,  bourse  aux  charbons,  etc. 

La  Bourse  d'Amsterdam,  bâtie  par  Dankers ,  commen- 
cée en  1608  et  finie  en  1613,  est  également  remarquable. 
Cet  édifice  a  81  mètres  de  long  sur  45  de  large.  U  est  sou- 
tenu par  trois  grandes  arcades  sous  lesquelles  passent  des 
canaux.  On  trouve  au  rez-de-chaussée  un  portique  qui  en- 
vironne la  grande  cour  et  au-dessus  duquel  sont  des  salles 
soutenues  par  quarante-six  piliers  tous  numérotés,  et  assi- 

76 


602 


BOURSE 


giiés  chacun  soit  tt  une  nation,  soit  à  des  marcliaodises  de 
niôine  genre. 

La  Bourse  de  Saint-Pétersbourg,  terminée  en  1811, 
d'après  les  plans  donnes  par  un  architecte  français,  M.  To- 
mon,  et  qui  ne  fut  ouverte  au  commerce  que  Iel5  juin  1816, 
a  la  formed'un  parallélogramme.  Sa  longueur  est  de  107  mètres 
fiur  80  de  largeur  et  29  de  hauteur;  un  rang  de  44  colonnes 
d'ordre  dorique,  dont  10  à  chaque  face  et  12  sur  chaque  partie 
latérale,  forme  une  galerie  ouverte  autour  du  bâtiment.  La 
grande  salle  intérieure  a  41  mètres  de  long  sur  21  de  large  ; 
elle  est  ornée  de  sculptures  emblématiques,  et  reçoit  la  lu- 
mière d'en  haut;  on  y  entre  par  quatre  côtés,  où  sont  dispo- 
sées hait  chambres  couvertes  d'écriteaux,  d'avis,  d'annonces 
et  de  règlements.  Les  marchands  russes  et  les  étrangers 
s'y  réunissent  chaque  jour,  à  trois  heures  après  mic.i.  La 
bourse  de  Saint-Pétersbourg  est  isolée  de  toutes  parts  ;  au 
devant  de  la  façade  principale,  du  côté  de  la  Neva,  s'étend  une 
belle  place  en  forme  de  demi-lune,  dont  les  revêtements,  les 
trottoirs  et  les  parapets  sont  en  gianit.  Les  vaisseaux  qui  ne 
tirent  pas  plus  de  5™, 50  d'eau  arrivent  des  pays  les  plus 
lointains  devant  la  bourse  mèjiie  ;  et,  pour  faciliter  le  débar- 
quement des  marchandises ,  deux  rampes  circulaires  con- 
duisent au  niveau  de  la  rivière.  Sur  cette  place,  aux 
deux  extrémités  du  port,  s'élèvent  deux  colonnes  rostrales, 
ornées  de  statues,  d'ancres  et  de  proues  de  vaisseaux,  et 
FuiTOontées  de  demi-sphères  concaves  supportées  par  un 
groupe  composé  de  trois  Atlas,  et  destinées  à  recevoir  des 
feux  aux  jours  d'illuminations. 

Le  plan  de  la  Bourse  de  Paris,  le  plus  grand,  et  certes  le 
plus  magnifique  édifice  de  ce  genre,  est  celui  d'un  temple 
antique  périptère,  d'ordre  corinthien,  ayant  20  colonnes  à 
rhacun  de  ses  flancs  et  14  colonnes  à  chaque  face,  en  comp- 
tant deux  fois  celles  des  angles  (  elles  sont  élevées  sur  un 
.soubassement  de  2",60  environ,  et  ont  1  mètre  de  dia- 
mètre et  10  de  hauteur).  La  largeur  de  l'édifice  est  do 
50  mètres  et  sa  longueur  de  72.  Ces  colonnades  procurent 
un  promenoir  (  ou  péridrome  )  autour  des  murs,  qui  sont 
percés  d'arcades,  ce  qui,  avec  l'absence  de  frontons,  dis- 
lingue cet  édifice  des  temples  anciens  périptères.  Son  éléva- 
tion se  termine  en  avant  et  en  arrière  par  un  simple  enta- 
blwnent,  et  présente  un  péristyle  parfait,  auquel  on  arrive 
par  un  perron  qui  occupe  toute  la  largeur  de  la  face  occi- 
dentale, et  qui  est  composé  de  16  marches.  Un  autre  escalier 
décore  le  perron  de  la  face  orientale.  Deux  statues  colossales 
ornent  maintenant  chacun -de  ccsescahers.  Un  grand  vesti- 
bule communique  à  droite  aux  salles  particulières  des  agents 
de  change  et  des  courtiers  de  commerce,  et  à  gauche  au 
tribunal  de  commerce,  dont  les  bureaux  sont  à  l'étage  su- 
périeur, auquel  on  arrive  par  un  escalier  intérieur. 

La  salle  de  la  Bourse  est  au  rez-de-chaussée  et  au  centre 
de  l'édifice.  Sa  longueur  est  de  32  mètres  et  sa  largeur  de  18. 
Elle  reçoit  la  lumière  d'en  haut,  et  peut  contenir  2,000  per- 
sonnes. A  l'entonr  règne  une  galerie  de  3  mètres  «le  large, 
sur  laquelle  s'ouvrent  d'autres  salles,  consacrées  à  différents 
services.  Cette  vaste  salle  se  fait,  en  outre,  remarquer  i)ar 
une  décoration  du  meilleur  goût,  et  sa  voûte  est  ornée  de 
peintures  en  grisailles,  de  Meynier  et  d'Abel  de  Pujol,  qui  re- 
présentent à  l'œil,  avec  une  illusion  parfaite,  des  bas-reliefs 
réels  d'une  grande  saillie. 

On  ne  peut  pas  dire  que  cet  édifice  ait  le  caract^ic  précis 
d'une  bourse;  il  faut  l'avouer,  ce  n'est  pas  là  le  type  d'un 
liareil  monument,  tel  qu'on  peut  le  concevoir  dans  un  port 
«le  mer  ou  dans  une  grande  ville  commerçante;  mais  aussi 
ce  n'est  pas  la  bourse  de  lîonlcaux,  du  Havre  ou  de  Lyon 
«lue  l'on  a  voulu  faire,  c'est  celle  de  la  France,  et  en  quelque 
sorte  de  l'Europe.  La  première  pensée  de  ce  monument 
nacjuit  à  une  époque  où  l'on  voulait  justifier  par  des  résul- 
tats surprenants  un  grand  mouvement  imprimé  à  l'univers 
entier.  Tout  ce  qui  appartenait  à  la  capitale  du  momie  devait 
porlei  l'empreinte  du  la  uuissance,  du  savoir  et  du  goût. 


afin  de  recueillir,  au  profit  du  peuple  conquérant,  l'obéis- 
sance, le  re<!pect  et  l'admiration.  Tel  était  le  but  qu'il  fallait 
atteindre  avant  tout ,  et  Crongniart,  bien  pénétré  de  cette 
idée,  s'attacha  d'abord  à  donner  un  grand  caractère  à  l'é- 
difice qui  lui  était  confié.  Personne  n'osera  nier  qu'il  ait 
parfaitement  réussi. 

La  Bourse  de  Paris  avait  d'abord  été  établie  dans  une 
partie  de  l'ancien  palais  Mazarin,  puis  dans  l'édifice  qui  fut 
ensuite  occupé  par  le  Trésor;  pendant  la  révolution,  elle 
fut  transférée  dans  celui  des  Petits-Pères,  et  de  là  au  Palais- 
]{oyal,  dans  la  galerie  de  Virginie.  C'est  le  24  mars  1808  que 
la  première  pierre  de  l'édifice  actuel  fut  posée  sur  l'em- 
placementde  l'ancien  couvent  des  Filles-Saint-Thomas,  situé 
rue  Yi vienne,  entre  les  rues  des  Filles-Saint-Thomas  et 
Feydeau.  Les  travaux,  qui  commencèrent  dès  cette  époque, 
avaient  été  suspendus  en  1314,  par  suite  des  événements 
politiques;  ils  ont  été  repris  depuis,  la  Bourse  se  tenant 
j)rovisoirement  sous  un  hangar  voisin,  rue  Feydeau,  et  l'in- 
auguration du  monument  eut  lieu  en  septembre  1824. 
Brongniart  étant  mort  le  8  juin  1813,  M.  Labare  avait  été 
chargé  de  lachèvement  des  constructions  et  des  détails  de 
l'intéi  leur,  dans  l'exécution  desquels  il  a  fait  preuve  de  beau- 
coup d'iiabiielé. 

BOURSE  (  Opérations  de  ).  Outre  les  opérations  de 
conmiei  ce  qui  s'y  font ,  la  Bourse  représente  un  véritable 
marché  où  chaque  rentier  peut  chaque  jour  vendre  son 
titre  de  rente  ou  en  acheter  un  nouveau.  Les  opérations  de 
la  Bourse  s'effectuent  par  l'intermédiaire  d'agents  de 
change,  au  nombre  de  soixante,  de  soixante  courtiers 
de  commerce  et  de  huit  courtiers  d'assurance.  Un  grand  nom- 
bre d'opérations  sont  faites  aussi  par  des  courtiers  qui  n'ont 
aucun  caractère  légal,  elque  l'on  appelle coMr^^ers  marrons. 
Beaucoup  d'entre  eux  jouissent  d'un  crédit  qu'ils  ne  doivent 
qu'à  leur  moralité.  Les  agents  de  change  et  les  courtiers 
reconnus  par  la  loi  fournissent  un  cautionnement  pour  la 
garantie  des  condamnations  qui  pourraient  être  prononcées 
contre  eux,  dans  le  cas  où  ils  transgresseraient  les  règle- 
ments en  exerçant  leurs  fonctions. 

Les  agents  de  change  furent  institués  primitivement  pour 
négocier  des  lettres  de  change  que  les  négociants  tirent  les 
uns  sur  les  autres;  dans  toutes  les  bourses  de  France,  hor- 
mis celle  de  Paris,  ils  ont  conservé  cette  fonction  d'intermé- 
diaires entre  les  négociants  pour  le  commerce  des  lettres  de 
change.  A  Paris  seulement,  depuis  que  le  crédit  public  a  pris  un 
grand  développement,  les  agents  de  change  ont  obtenu  d'a- 
jouter à  leur  privilège  celui  d'être  les  seuls  intermédiaires 
pour  la  vente  ou  l'achat  des  effets  publics  :  leur  signature 
est  indispensable  dans  ces  transactions-là  pour  valider  les 
opérations.  Elles  sont  si  considérables  aujourd'hui,  que  les 
agents  de  change  de  Paris  ont  totalement  renoncé  à  la  né- 
gociation des  effets  de  commerce;  ils  l'ont  abandonnée  aux 
courtiers  marrons. 

Tous  les  jours,  à  une  heure,  la  Bourse  de  Paris  est  ouverte. 
Aune  heure  et  demie  précise  une  cloche  annonce  l'arrivée  des 
agents  de  change,  qui  entrent  au  parquet  de  la  Bourse  ;  ils  s'y 
placent  autour  d'une  espèce  de  balustrade  circulaire  :  aus- 
sitôt les  affaires  commencent,  et  un  crieur  annonce  le  prix 
de  chaque  vente  faite  au  comptant.  Ces  prix  forment  les 
cours  de  la  Bourse.  Les  opérations  au  comptant  ou  réelles 
ne  peuvent  se  faircqu'au  parquet  des  agents  de  change,  d'une 
heure  à  trois  heures.  Les  opérations  de  vente  à  terme  se 
font  partout  et  à  toute  heure  :  elles  sont  fictives  pour  la  plu- 
part; ce  sont  des  paris  sur  la  hausse  ou  sur  la  baisse  des 
fonds  publics  jusqu'à  une  époque  déterminée.  Ces  opéra- 
tions sont  très-nombreuses  :  nous  allons  les  parcourir  suc- 
cinctement, en  commençant  par  les  marchés  au  comptant. 

Un  particulier  fait  un  achat  au  comptant  lorsqu'il  jilace 
ses  capitaux  sur  l'État,  moyennant  une  rente  que  ce  dernier 
lui  pa^e  par  semestre,  d'une  nianii're  li\e.  L'achat  des  renies 
ne  peut  se  faire  que  par  l'intcrmédiaiie  d'un  agent  de  change. 


J 


BOURS!-: 


fi03 


anqnel  on  mmet  son  capital  contre  les  inscriptions  ou  cer- 
tjlicats  de  rentes  qu'il  donne  à  la  place  ;  le  droit  de  courtage 
est  d'un  huitième  de  franc  pour  cent,  ce  qui  fait  12  centimes 
et  demi  par  100  francs.  Losqu'une  vente  est  terminée,  il 
faut  opérer  le  transfert  des  inscriptions  des  rentes  au  bureau 
des  transferts  dans  le  palais  même  de  la  Bourse  ;  l'agent  de 
change  vient  faire  une  déclaration  à  cet  effet  ;  elle  est  trans- 
crite sur  des  registres  où  le  propriétaire  vendeur  appose  sa 
signature. 

Supposons  maintenant  qu'un  particulier,  voyant  les  fonds 
4  i  pour  100  à  97,  pense  qu'à  la  fin  du  mois  il  y  aura 
baisse,  par  suite  de  circonstances  politiques  qu'il  croit  pré- 
voir; dans  l'espérance  que  sa  prévision  sera  réalisée,  il  vend 
4,500  francs  de  rente  ^n  courant,  c'est-à-dire  pour  la  fin 
du  mois,  au  taux  de  97  pour  100.  Il  est  clair  que  si  le 
cours  de  la  rente  tombe  à  95,  par  exemple,  il  aura  un 
grand  profit ,  puisqu'il  vendra  97  ce  qu'il  pourra  acheter  95 
au  moment  où  il  devra  livTer.  11  est  donc  intéressé  à  ce  que 
la  rente  baisse.  La  plupart  de  ces  marchés  à  terme  sont 
fictifs,  c'est-à-dire  que  les  spéculateurs  qui  s'y  livrent  ne  pos- 
sèdent 4)as  les  sommes  qu'ite  vendent  ou  qu'ils  achètent^?» 
courant  :  ils  opèrent  alors  à  découvert,  et  ne  s'occupent 
que  des  différences.  C'est  ainsi  que  dans  le  cas  où  la  rente 
que  ce  particulier  a  vendue  97  tombe  à  95,  il  réalise  une  dif- 
férence de  2,000  francs,  qui  lui  est  livrée  par  le  spécula- 
teur qui  avait  compté  sur  la  hausse  à  la  fin  du  mois;  et,  au 
contraire,  il  fait  la  perte  de  2,000  francs  si  le  spéculateur  à 
la  hausse  a  eu  l'avantage  sur  lui  par  une  hausse  de  2  fr. 

Les  spéculateurs  qui  jouent  à  la  baisse  s'appellent  les 
baissiers  ;  ceux  qui  jouent  à  la  hausse  s'appellent  les  haus- 
siers. Quand  arrive  le  terme  fixé  par  les  uns  et  par  les  au- 
tres (et  c'est  ordinairement  la  fin  du  mois),  toutes  les 
manœuvres  possibles  sont  employées  par  les  baissiers 
pour  effrayer  les  rentiers,  et  faire  ainsi  baisser  la  rente  : 
tantôt  ce  sont  de  fausses  nouvelles  politiques  extérieuies 
tendant  à  faire  croire  à  la  guerre  ;  tantôt  ils  supposent  et 
répandent  un  changement  de  ministère  en  qui  les  capita- 
listes ont  peu  de  confiance;  ou  bien  c'est  une  émeute  qui  a 
éclaté,  et  qui  peut  entraîner  une  guerre  civile;  ce  sont  des 
bruits  de  banqueroute  de  la  part  de  l'Etat,  etc.  Les  haussiers, 
au  contraire,  cherchent  à  mettre  à  profit  tout  ce  qu'ils  savent 
ou  peuvent  inventer  de  probable  qui  consolide  le  crédit  de 
l'État,  anime  la  confiance  des  rentiers  et  fasse  monter  la 
rente  par  de  nombreux  achats  effectués.  Tantôt  ce  sont  les 
manœuvres  des  baissiers  qui  réussissent  :  la  rente  baisse,  et 
plusieurs  d'entre  eux  réalisent  des  bénéfices  immenses, 
tandis  que  les  haussiers  font  des  perles  considérables ,  et 
même  se  voient  ruinés  dans  l'espace  de  deux  heures.  Tantôt 
le  contraire  arrive,  et  ce  sont  les  haussiers  qui  s'enrichis- 
sent aux  dépens  des  baissiers. 

Le  marché  fin  prochain  ne  diffère  du  marché  Jïn  cou- 
rant qu'en  ce  que  ce  dernier  a  pour  terme  la  fin  du  mois 
courant,  et  le  premier  la  fin  du  mois  prochain.  Le  droit  de 
courtage  que  l'on  paye  à  l'agent  de  change  dans  les  mar- 
chés à  terme  n'est  que  de  1  seizième  de  franc  pour  100, 
ce  qui  fait  fi  centimes  un  quart  par  100  francs. 

Toutes  les  négociations  pour  j?n  courant  se  règlent  gé- 
néralement à  la  quatrième  bourse  du  mois  suivant;  c'est  ce 
qu'en  appelle  la  liquidation ,  et,  pour  en  faciliter  la  marche, 
on  est  convenu  de  n'opérer  que  sur  des  multiples  de  cer- 
taines sommes  rondes. 

En  parlant  des  marchés  à  terme ,  nous  n'avons  indiqué 
que  ceux  où  le  vendeur  et  l'acheteur  sont  irrévocablement 
tenus  de  faire  face  à  leurs  engagements  réciproques.  Ces 
marchés-là  s'appellent  marchés /ennes,  par  opposition  à 
d'autres  appelés  marchés  libres  ou  à  prime,  faits  aussi  pour 
fin  courant  ou  fin  prochain,  et  qui  sont  obligatoires  pour  le 
vendeur  seulement.  Voici  en  quoi  ils  consistent  :  un  agent 
de  change  vous  offre  2,250  fr.  de  rente  fin  courant  à  raison 
de  97  portant  i  -,  d'intérêt  :  l'intérêt  de  l'agent  de  change  est 


que  le  cours  97  baisse,  tandis  que  votre  intérêt,  à  vous,  e*! 
que  le  cours  s'élève  ;  vous  ne  voulez  pas  perdre  plus  de  1  fr. 
par  97  fr.,  c'est-à-dire  plus  de  500  fr.  sur  l'opération  totale. 
Vous  donnez  alors  500  fr.  de  prime  à  l'agent  de  change, 
qui  s'engage  à  livrer  fin  courant  ou  fin  prochain  2,250  fr. 
de  rente  au  cours  de  97.  Si  à  la  fin  du  terme  le  cours  bais«e 
à  95 ,  vous  abandonnez  votre  prime,  et  vous  ne  perdez 
que  500  fr.,  tandis  que  vous  en  auriez  perdu  1,000  à  marché 
ferme;  si,  au  contraire,  le  cours  s'élève  à  100,  par  exemple, 
c'est-à-dire  au  pair,  vous  faites  un  bénéfice  de  1,500  fr.,que 
vous  paye  l'agent  de  change. 

Le  cours  de  la  rente  à  prime  est  toujours  plus  élevé  que 
celui  de  la  rente  ferme;  en  effet,  l'acheteur  court  moins  de 
dangers  dans  les  opérations  à  prime  que  dans  les  opérations 
fermes.  Le  vendeur  n'a  d'avantage  qu'autant  qu'il  est  pos- 
sesseur d'effets  publics  et  qu'il  n'opère  point  à  découvert. 
Dans  ce  dernier  cas ,  il  est  clair  qu'il  a  une  forte  chance 
contre  lui. 

Le  premier  marché  à  prime  fut  fait  par  L  a  w  -.  quelque 
temps  après  la  création  de  la  Compagnie  des  Indes  oc- 
cidentales ,  les  actions  en  étaient  à  300  livres  ;  pour  élever 
ce  prix,  Law  engagea  les  nombreux  seigneurs  qu'il  avait 
pour  amis  à  acheter  des  actions,  leur  affirmant  que  c'était 
pour  eux  une  bonne  affaire  ;  car ,  suivant  lui ,  elles  ne  de- 
vaient pas  tarder  à  atteindre  le  pair,  qui  était  de  500  livres. 
Afin  de  donner  plus  de  poids  à  ses  paroles,  il  en  acheta  lui- 
même,  pour  un  terme  rapproché,  deux  cents  au  pair,  ru 
promettant  de  payer  la  différence  entre  le  pair  et  le  tau  •; 
actuel  s'il  ne  tenait  pas  son  marché  au  terme  convenu.  Celte 
différence,  montant  à  40,000  livres,  fut  livrée  d'avance 
comme  prime.  Elle  éveilla  l'attention  des  spéculateurs,  qui 
achetèrent  des  actions  et  déterminèrent  une  hausse  rapide. 

Les  marchés  à  iJri??ie,  aussi  bien  que  les  marchés/er»iR.î, 
se  font  par  engagements  réciproques  entre  les  agents  de 
change  et  leurs  clients ,  et  sous  seing  privé.  Les  agents  de 
change  gardent  toujours  le  plus  inviolable  secret  à  ceux  de 
leurs  clients  qui  ne  veulent  pas  être  connus.  La  chambre 
syndicale  des  agents  de  change  ,  composée  d'un  syndic  et 
de  six  adjoints,  surveille  avec  la  plus  sévère  attention  la 
manière  dont  chacun  d'eux  «xerce  ses  fonctions. 

A  la  dernière  bourse  de  chaque  mois,  les  acheteurs  don- 
nent aux  agents  de  change  la  réponse  des  primes  :  si  les 
marchés  sont  réalisés,  ils  rentrent  dans  la  classe  des  négo- 
ciations fermes.  Le  premier  du  mois  suivant,  on  règle  les 
opérations  faites  sur  les  quatre  et  demi  et  les  trois  pour 
cent  ;  le  2  on  règle  toutes  les  opérations  faites  sur  les  ac- 
tions de  la  Banque  et  sur  d'autres  papiers  publics.  Le  3  les 
agents  de  change  s'accordent  sur  les  différences  qu'ils  ont  h 
se  payer  et  sur  les  effets  qu'ils  doivent  se  livrer,  et  le  ■'» 
toute  liquidation  se  termine.  Les  opérations  sur  actions  de 
chemins  de  fer  se  liquident  deux  fois  par  mois. 

Après  chaque  bourse,  les  agents  de  change  et  les  courtiers 
se  réunissent  pour  arrêter  les  différents  cours  des  négocia- 
tions relatives  aux  actions  des  diverses  sociétés,  aux  lettres 
de  change ,  en  un  mot ,  à  tout  ce  qui  concerne  leur  minis- 
tère. Ces  différents  cours  sont  portés  sur  un  registre  par  un 
commissaire  de  police.  Les  agents  de  change  et  les  courtiers 
doivent  consigner  sur  des  carnets  les  ventes  et  les  achats 
qu'ils  ont  consommés;  ils  sont  tenus,  en  outre,  d'en  trans- 
crire les  conditions  sur  un  livre  coté  et  paraphé  comme  ceux 
des  commerçants,  et  de  livrer  à  tout  intéressé,  au  plus  tard 
le  lendemain  de  l'opération ,  un  extrait  de  leur  journal,  re- 
lativement à  leurs  négociations.  Ils  font,  en  même  temps, 
signer  aux  parties  des  actes  constatant  le  marché  conclu  par 
leur  entremise. 

Les  opérations  de  la  Bourse  reviennent,  en  définilive,  à  co 
que  nous  venons  de  dire  sur  les  marchés  au  comptant  et  les 
marchés  à  terme  fermes  et  libres  ;  mais  on  conçoit  qu'elles 
doivent  offrir  une  complication  plus  grande  que  les  inarchéi 
dont  nous  avons  parle.  En  effet,  si  un  spéculateur  fait  une 
'  70. 


604 


BOURSE 


vente  ou  un  achat  fin  courant,  les  fluctuations  continuelles 
(le  hausse  et  de  baisse  qui  ont  lieu  chaque  jour  à  la  Bourse 
le  tiennent  continuellement  tantôt  dans  l'espérance  de  voir 
des  bénéfices  se  réaliser  pour  lui,  tantôt  dans  la  crainte  de 
faire  des  pertes  qui  amèneraient  sa  ruine.  Aussi ,  lorsqu'un 
marché  est  conclu  fin  courant  par  un  spéculateur,  il  ne  se 
borne  pas  à  attendre  avec  anxiété  le  dernier  jour  du  mois 
pour  savoir  le  résultat  de  cette  espèce  de  loterie ,  il  foit 
durant  tout  le  mois  des  achats  ou  des  ventes  au  moyen  des- 
quelles il  cherche  à  contrebalancer  les  pertes  qui  peuvent 
lui  survenir,  ou  à  grossir  ses  bénéfices.  Ainsi,  après  avoir 
vendu  une  preaiiièrefois4,500  f'r.  de  rente,  supposons  à  95  fr., 
si  le  cours  vient  à  hausser,  il  vendra  4,500  autres  fr.  de 
rente  à  90,  pour  améliorer  sa  position,  qui  en  effet  est  celle 
d'un  vendeur  de  9,000  fr.  de  rente  à  95  fr.  50  cent.  Le 
mouvement  de  hausse  continuant,  il  vendra  encore  9,000  fr. 
de  rente  à  97,  et  se  trouvera  alors  en  définitive  vendeur  de 
18,000  fr.  de  rente  aux  prix  moyens  de  96  fr.  25  cent.  Il 
n'aura  plus  besoin  que  d'une  réaction  de  75  centimes  sur  le 
prix  imprévu  de  97  fr.  pour  être  indemne,  ou  d'une  réac- 
tion d'un  franc  pour  être  en  bénéfice. 

Le  joueur  à  la  hausse  qui  s'est  d'abord  trompé  agit  de 
la  môme  manière  pour  échapper  aux  suites  de  son  erreur;  il 
fait  des  aciiats  successifs  afin  de  réduire  le  prix  de  ses  mar- 
chés. Ce  mode  tout  naturel  d'agir  s'appelle  faire  une  com- 
mune,  et  on  doit  dire  que  c'est  le  plus  rationnel  et  le  plus 
certain  de  tous. 

Souvent  les  spéculateurs  désirent  prolonger  leurs  opéra- 
tions au  delà  du  terme  indiqué;  alors  les  agents  de  change 
ouïes  courtiers-marrons,  qui  s'occupent  spécialement  de  ces 
affaires,  les  renouvellent  moyennant  une  différence  qu'on 
appelle  report.  i 

Le  rejm-t  du  comptant  à  la  fin  du  mois  est  la  diffé- 
rence entre  le  taux  actuel  de  la  rente  au  comptant  et  le  taux 
de  la  rente  fin  courant  ;  le  report  d'un  mois  à  l'autre  est  la 
différence  de  prix  entre  la  rente  fin  courant  et  la  rente 
fin  prochain. 

Supposons  que  je  spécule  à  la  hausse,  j'achète  des 
rentes  à  9G  fr.  fin  courant;  le  cours  baisse,  et  se  maintient  en 
baisse,  au  cours  de  95,  par  exemple;  mais  j'ai  de  fortes 
raisons  de  croire  à  la  hausse  prochaine;  je  revends  à  95  en 
payant  la  différence ,  et  je  rachète  sur-le-champ  à  95  fr. 
25  cent.,  eu  supposant  que  le  report  d'un  mois  à  l'autre 
soit  25  cent. 

Le  report  est  encore  une  manière  d'emprunter  sur  ses 
rentes.  Un  particulier  a  4,500  francs  de  rente;  il  a  besoin 
d'argent  tout  de  suite  :  il  vend  ses  rentes  au  comptant,  au 
cours  de  9G,  par  exemple,  mais  il  les  rachète  fin  courant 
à  96  f.  40  c.  Au  moyen  d'un  report  de  40  c,  il  peut  garder 
ses  rentes ,  sauf  à  restituer  le  prix  convenu  à  la  fin  du  mois , 
ou  fin  prochain,  s'il  reporte  fin  prochain.  Enfin,  le  report 
présente  au  capitaliste  un  moyen  de  faire  d'utiles  place- 
ments de  son  argent.  Ainsi ,  je  suppose  que  le  cours  de  la 
rente  3  pour  100  soit  à  69  fr.  :  un  ca[)italiste  achète  au 
comptant  .'5,000  fr.de  rente  pour  69,000  fr.,  et  il  les  revend 
tout  de  suite  à  69  f.  45  c.  fin  courant;  il  touchera  donc  à 
la  fin  du  mois  une  différence  de  450  fr.  à  son  avantage.  Il 
est  facile  de  comprendre  que  le  report  est  la  représentation 
de  la  portion  de  coupon  ou  d'intérêt  dont  la  rente  s'accroît 
chaque  mois  et  que  le  trésor  paye  chaque  semestre.  Sur 
le  3  pour  100  il  cst"de  25  cent.,  et  de  37  c.  Vi  sur  le  4  'A 
pour  100.  Mais  par  l'effet  du  jeu  le  report  s'élève  ou  s'a- 
bai-se  à  la  Bourse  en  raison  de  l'abondance  ou  de  la  rareté 
de  l'argent. 

La  plus  grande  partie  des  opérations  qui  se  font  à  la 
Bourse  de  Paris  reposent  sur  des  marchés  à  terme.  La 
moindre  somme  de  rentes  sur  laquelle  on  puisse  spéculer 
est  de  1,500  fr.,  encore  lors(iu'il  s'agit  du  3  p.  100.  Mais  si 
les  opérations  à  terme  se  bornaient  k  des  sonmies  sem- 
blables, il  serait  difficile  (jue  le  jeu  de  la  Bourse  put  ren- 


verser dans  quelques  jours,  dans  quelques  heures,  des  for- 
tunes h  millions.  On  joue  plus  souvent  sur  des  60,000  ou 
100,000  fr.  de  rente.  Les  opérations  ordinaires,  celles  qui 
peuvent  arrêter  un  regard  des  grands  habitués,  s'effectuent 
sur  600,000  fr.  ou  1  million  de  rente.  Alors  les  petites  varia- 
tions du  cours  peuvent  entraîner  des  différences  de  quelque 
valeur,  puisque  les  variations  de  5  centimes  entraînent 
des  différences  de  10,000  fr.,  et  les  variations  de  1  franc, 
des  différences  de  200,000  fr.  Enfin  les  opérations  qui 
excitent  l'attention  générale  ne  portent  que  sur  des  millions 
de  rente  ou  sur  des  millions  d'actions  de  toutes  sortes.  Nous 
avons  vu  de  nos  jours  se  renouveler  presque  la  fièvre  du 
jeu  qui  s'empara  des  esprits  lors  de  la  création  de  la  banque 
de  Law. 

Pour  donner  une  idée  plus  complète  des  transactions  jour- 
nalières de  la  Bourse ,  transactions  qui  valent  moyennement 
à  chacun  d^s  soixante  agents  de  change  un  revenu  annuel 
de  120,000  francs,  citons  un  passage  d'une  brochure  de 
M.  Emile  Péreire,  intitulée  :  Examen  du  budget  de  1832. 
«  La  chambre  syndicale  des  agents  de  change ,  dit-il,  per- 
çoit un  droit  de  cinq  francs  sur  chaque  vente  ou  achat  dont 
le  capital  nominal  est  de  cent  mille  francs  :  ce  droit  pré- 
levé seulement  sur  les  opérations  qui  s'effectuent  d'agent 
de  change  à  agent  de  change,  c'est-à-dire  dans  le  parquet 
de  la  Bourse ,  produit  année  moyenne  environ  douze  cent 
mille  francs ,  ce  qui  porte  la  totalité  des  négociations  ainsi 
faites  à  un  capital  nominal  de  vingt-quatre  milliards. 
Mais ,  la  même  opération  donnant  lieu  à  une  vente  et  à  un 
achat,  pour  obtenir  le  chiffre  de  l'opération  réelle,  il  faut 
prendre  la  moitié  de  cette  somme ,  et  dès  lors  on  trouve  que 
l'ensemble  des  opérations  de  l'année  s'élève  en  capital  à 
douze  milliards.  Ces  sommes  réparties  sur  les  trois  cents 
jours  pendant  lesquels  la  Bourse  est  annuellement  ouverte, 
on  trouve  que  le  chiffre  moyen  des  opérations  à  terme 
s'élève  chaque  jour  eti  capital  à  quarante  initiions.  Si 
l'on  ajoute  maintenant  à  cette  somme  les  opérations  que 
chaque  agent  de  change  traite  directement  de  client  à 
client  sans  l'intermédiaire  de  ses  collègues,  opérations  qui, 
quoique  très-nombreuses ,  ne  sont  point  soumises  au  droit 
prélevé  par  la  chambre  syndicale ,  et  qui  dès  lors  ne  peu- 
vent être  évaluées;  si  l'on  ajoute  également  les  rentes  ven- 
dues au  comptant ,  iia&i  que  celles  qui  sont  vendues  en  de- 
hors du  parquet,  on  aura  au  moins  une  somme  égale  à  celle 
que  nous  venons  d'indiquer.  » 

Toutes  les  affaires  de  fonds,  ainsi  que  la  vente  des  lettres 
de  change ,  se  traitent  généralement  à  la  Bourse  entre  une 
heure  et  trois  heures.  La  vente  des  lettres  de  change  se  fait 
par  les  courtiers  marrons;  ils  sont  les  seuls  qui  fassent  des 
affaires  réelles  ;  aussi  servent-ils  d'intermédiaires  très-utiles 
au  commerce,  tandis  que  les  agents  de  change  ne  sont  plus 
en  quelque  sorte  que  des  croupiers  de  jeu  :  mais  il  faut  dire 
qu'ils  y  sont  forcés ,  quelque  honorable  que  soit  leur  carac- 
tère privé ,  par  le  prix  énorme  de  leurs  charges ,  et  par  les 
frais  considérables  que  nécessite  leur  clientelle. 

D'après  la  loi ,  un  agent  de  change  ne  peut  faire  pour  lui 
aucune  opération  à  la  Bourse;  il  doit  même  rester  purement 
et  simplement  intermédiaire  entre  les  particuliers  ;  mais  les 
agents  de  change  ont  été  forcés  de  ne  pas  se  borner  à  ce 
rôle  passif  dans  les  marchés  à  terme,  et  il  y  a  ainsi  contra- 
diction entre  la  loi  et  ce  qui  se  passe  chaque  jour  à  la  Bourse. 
Ils  sont  obligés  de  répondre  vis-à-vis  de  leurs  clients  des 
opérations  dont  ils  se  chargent;  les  clients  ne  connaissent 
que  les  agents  de  change,  c'est  avec  eux  seulement  qu'ils 
traitent  :  aussi ,  lorsqu'il  y  a  eu  de  grandes  variations  dans 
la  iiausse  et  dans  la  baisse ,  il  n'est  pas  sans  exemple  de 
voir  un  agent  de  change  ruiné  prendre  la  fuite  pour  échap- 
per à  ses  créanciers  et  à  la  loi,  qui,  refusant  de  lui  recon 
naître  aucun  caractère  actif,  déclare  par  cela  seul  qu'il  est 
en  dehors  de  toute  chance  personnelle,  qu'il  ne  peut  faillir. 
Nous  ajouterons,  à  propos  des  ventes  à  terme,  que  la  loi  ne  ^ 


les  reconnaissant  pas,  le»  tribunaux  ne  peuvent  s'interposer 
dans  les  contestations  auxquelles  elles  donnent  lieu  ;  par 
suite,  le  créancier  d'un  agent  de  change,  ou  de  tout  autre, 
pour  ce  genre  d'opération ,  n'a  aucun  moyen  légal  de  se 
iaire  payer. 

Les  agents  de  change  ne  s'occupent  pas  seuls  des  opéra- 
lions  à  terme.  Il  y  a  des  courtiers  marrons  qui  s'en  char- 
gent aussi;  ou  les  appelle  coîilissiers ,  à  raison  de  la  place 
qu'ils  occupent  à  la  Bourse  près  de  l'entrée  du  parquet.  Ils 
traitent  les  mêmes  opérations  que  les  agents  de  change 
moyennant  un  courtage  moins  élevé  ;  mais  ils  ne  présentent 
pas  une  garantie  aussi  solide  que  les  agents  de  change; 
néanmoins,  il  font  des  négociations  très-nombreuses,  et 
qui  influent  beaucoup  sur  le  cours  des  effets  publics;  plu- 
sieurs d'entre  eux  jouissent  d'un  grand  crédit.  Si  un  cou- 
lissier  manque,  on  n'a  aucune  prise  contre  lui  :  en  effet,  il 
ne  se  charge  que  d'opérations  à  terme ,  et  la  loi ,  comme  je 
l'ai  déjà  dit ,  ne  les  reconnaît  pas. 

A  trois  heures  la  cloche  sonne  à  la  Bourse;  les  agents  de 
change  quittent  le  parquet;  alors  commence  une  nouvelle 
série  d'affaires,  ce  sont  les  affaires  de  marchandises.  Les  né- 
gociants arrivent,  et  remplacent  les  capitalistes  et  les  ban- 
tpiiers  qui  jouaient  à  la  rente  ;  les  courtiers  de  commerce 
proposent  les  afi'aires  de  leurs  clients,  et  servent  ainsi  d'in- 
termédiaires utiles  aux  transactions  de  commerce.  Le  droit 
exclusif  d'exercer  leurs  fonctions  leur  est  accordé  par  la  loi  ; 
ils  forment  une  corporation  comme  les  agents  de  change. 
Cette  nouvelle  bourse  dure  jusque  vers  cinq  heures. 

Les  opérations  de  marchandises  sont  à  peu  près  les  seules 
dont  on  s'occupe  dans  les  autres  bourses  de  France  ;  cepen- 
dant, depuis  1819  le  baron  Louis  a  créé  dans  cha(iue  dé- 
partement un  livre  auxiliaire  du  grand-livre  de  la  dette  pu- 
blique. Là  où  il  se  trouve  de  ces  petits  graiids-livres ,  les 
agents  de  change  ont  aussi  le  droit  exclusif  d'opérer  les 
ventes  ou  achats  des  rentes.  Les  inscriptions  sont  contrôlées 
et  visées  par  les  préfets ,  et  signées  par  les  receveurs  géné- 
raux ;  ceux-ci  sont  chargés  de  payer  les  intérêts.  Générale- 
ment les  opérations  de  ce  genre  sont  assez  minimes  dans 
chaque  département,  parce  que  le  grand  marché  est  à  Pa- 
ris ;  c'est  là  que  se  font  presque  tous  les  achats  ou  ventes 
pour  toute  la  France. 

Après  ce  qu'on  vient  de  lire  sur  la  Bourse  de  Paris ,  il  est 
facile  de  comprendre  ce  qui  se  passe  à  la  Bourse  de  Londres, 
car  les  opérations  sont  à  peu  près  les  mômes  dans  toutes  les 
Bourses  du  monde.  Elles  diffèrent  seulement  par  quelques 
traits  originaux  tenant  au  caractère  propre  de  la  nation. 

Les  affaires  qui  se  traitent  à  la  Bourse  de  Londres  sont 
immenses  ;  elles  surpassent  de  beaucoup  toutes  celles  qui 
se  traitent  ailleurs  ,  soit  en  Europe,  soit  en  .\mérique.  On 
cote  journellement  à  cette  Bourse  non-seulement  le  cours 
des  fonds  pubHcs  anglais,  des  actions  des  différents  canaux, 
docks ,  travaux  hydrauliques ,  comi)agnies  des  mines ,  du 
gaz ,  d'assurances ,  et  autres  entreprises  particulières ,  mais 
encore  tous  les  effets  publics  étrangers,  car  la  plupart 
des  États  de  l'Europe  et  de  l'Amérique  contractent  leurs 
emprunts  à  Londres. 

Lesfonds  publics  del'Angleterre  consistent  principalement 
en  inscriptions  de  rentes  transférables  sur  les  livres  de  la 
Banque.  Les  rentes  à  termes  ou  annuités  temporaires,  qui 
font  partie  de  la  dette  fondée  de  la  Grande-Bretagne,  se  di- 
visent en  longues  annuités  et  annuités  courtes.  Les  pre- 
mières ont  été  créées  à  des  époques  diverses  pour  finir  toutes 
ensem.ble;  les  secondes  sont  créées  pour  dix,  quinze,  ou 
trente  ans,  et  n'ont  pas  de  terme  commun.  Ces  diverses  an- 
nuités se  cotent  journellement  à  la  Bourse  de  Londres. 

Lorsque  le  gouvernement  fait  un  emprunt,  il  traite  pour 
la  totalité  avec  un  petit  nombre  de  banquiers,  lesquels  s'en- 
gagent à  verser  le  montant  à  la  Banque,  par  portions,  dans 
l'espace  de  huit  ou  neuf  mois,  contre  une  certaine  quantité 
d'elfets  publics,  de  différentes  natures,  évalués  à  des  prix  dé- 


BOURSE  605 

terminés  par  la  souscription.  Le  tout  ensemble  des  trois  ou 
quatre  espèces  de  fonds  qui  entrent  dans  la  composition  de 
l'emprunt  s'appelle  omnium ,  étant  négocié  sur  place  indi- 
visément; mais  s'il  ne  s'agit  que  du  placement  de  tel  article 
de  la  souscription,  alors  on  se  sert  du  mot  scrip,  avec  la 
désignation  de  l'espèce  particulière  de  fonds  à  prendre  sur 
la  souscription.  V omnium  et  le  scrip  ont  un  prix  courant 
à  la  Bourse  de  Londres.  L'acheteur  de  ces  effets  acquiert  le 
droit  de  se  faire  mettre,  par  la  Banque,  à  la  place  du  sous- 
cripteur primitif,  lequel  reçoit  de  son  acheteur  le  rembour- 
sement des  payements  déjà  effectués  au  compte  de  sa  sous- 
cription ,  et  de  plus  un  boni  ou  bénéfice  convenu. 

Les  divers  fonds  dont  il  a  été  parlé  constituent  la  dette 
fondée,  parce  que  les  intérêts  en  sont  garantis  et  payés  sur 
des  impositions  votées  par  le  parlement.  La  dette  flottante 
se  compose  d'effets  à  terme,  émis  par  le  gouvernement;  ils 
portent  intérêt  et  sont  payables  au  porteur  :  ce  sont  des 
navy-bills  (billets  de  la  marine),  portant  intérêt  après  six 
mois  de  leur  date,  et  les  billets  de  l'échiquier,  portant 
intérêt  depuis  le  jour  de  leur  création  jusqu'au  jour  du  paye- 
ment par  l'État.  Ces  effets  se  vendent  et  s'achètent  chaque 
jour  à  la  Bourse  de  Londres. 

Le  jeu  est  incomparablement  i)lus  effréné  à  la  Botnse  de 
Londres  que  dans  les  autres  Bourses  du  continent.  La  vente 
et  rachat  réel  des  fonds  ne  sont  relativement  que  peu  de 
chose.  Le  local  de  la  Bourse  est  un  vaste  édifice,  consistant 
en  trois  grandes  salles  et  autres  pièces  accessoires;  là  se  ras- 
semblent chaque  jour  de  mille  à  douze  cents  individus  cher- 
chant à  faire  fortune,  les  uns  au  moyen  de  la  hausse,  les  autres 
au  moyen  delà  baisse.  Le  haussier  reçoit  le  nom  de  taureau 
{bail),  et  le  baissier  celui  d'ours  (bear);  tout  spéculateur 
qui  veut  entrer  au  jeu  ne  peut  le  faire  que  par  l'intermédiaire 
des  agents  de  change  (brokers),  en  leur  payant  une  com- 
mission. La  vue  intérieure  de  la  Bourse  offre  un  caractère 
d'originalité  tout  particulier  :  c'est  à  dix  heures  du  matin 
que  les  portes  eu  sont  ouvertes;  le  signal  est  donné  par  le 
plus  ancien  concierge,  qui  à  dix  heures  précises  agite  une 
grosse  crécelle  de  xoatclimann.  Aussitôt  la  foule  se  préci- 
pite dans  l'immense  maison  de  jeu  ;  c'est  à  qui  ai  rivera  le 
plus  vite  pour  proposer  le  cours  le  plus  favorable  à  ses  spécu- 
lations ;  les  uns  offrent  à  vendre ,  les  autres  à  acheter  ;  rien 
n'égale  le  tunndte ,  l'agitation  que  produisent  les  partis  op- 
posés ;  les  émotions  les  plus  violentes  de  joie  ou  de  désespoir 
se  lisent  sur  les  visages  altérés  des  joueurs  lorsqu'une  nouvelle 
importante  circule  dans  la  Bourse  et  cause  la  hausse  ou  la 
baisse  d'une  manière  rapide  :  ceux-ci  voient  en  quelques  mi- 
nutes toute  leur  fortune  disparaître  comme  dans  un  gouffre; 
ceux-là  dans  le  même  temps  voient  des  richesses  considé- 
rables entrer  en  leur  possession. 

Les  acteurs  du  drame  quotidien  de  la  Bourse  ne  pourraient 
le  continuer  toute  la  journée  sans  reprendre  haleine  ;  aussi 
de  temps  à  autre  le  jeu  s'arrête  comme  si  tous  ceux  qui  y  pren- 
nent paît  s'entendaient ,  et  alors  c'est  le  délire,  c'est  la  gaieté 
la  plus  extravagante  qu'ils  offrent  au  spectateur.  Chacun  fait 
sauter  en  l'air  le  chapeau  de  son  voisin ,  relève  les  basques  de 
son  habit  sur  sa  tête  et  ses  épaules ,  ou  lui  jette  des  bombes 
de  papier;  c'est  une  cohue  où  tous  se  poussent  et  se  boxent 
les  uns  les  autres  ;  enfin  ce  sabbat  diabolique  se  termine  or- 
dinairement par  une  chanson  populaire  entonnée  en  chœur 
par  la  foule  entière  des  joueurs.  Tous  y  prennent  part,  même 
ceux  dont  la  ruine  vient  d'être  consommée  ;  ils  dissimu- 
lent ainsi  leur  malheur,  afin  de  pouvoir  courir  une  dernière 
chance  désespérée.  Bientôt  après  le  jeu  recommence  avec 
plus  de  fureur  :  les  uns  veulent  réparer  leur  perte,  les  autres 
augmenter  leui"  gain  ;  ils  y  emploient  toutes  les  lessources 
de  la  ruse  et  du  mensonge,  et  toute  la  vigueur  de  leurs 
poumons. 

Le  chant  qui  sert  à  la  récréation  des  joueurs  leur  .sert  aussi 
pour  pimir  les  infractions  à  l'étiquette  du  lieu.  Le  coupable 
est  environné  par  ime  multitude  dccliantcurs  qui  l'assour- 


(106 


BOUKSE  —  BOUSAGE 


«lissent  du  God  save  tJie  hing ,  ou  de  fout  autre  refrain. 

Les  jours  où  l'agitation  est  la  plus  grande  sont  les  jours 
de  liquidation ,  c'est-à-dire  ceux  où  les  marchés  à  terme  se 
rrglent;  alors  le  cours  des  rentes  est  modifié  presque  exclu- 
sivement par  le  combat  à  outrance  que  se  livrent  les  ours 
et  les  taureaux.  Les  premiers  ont  vendu  à  terme  au  taux 
de  82,  par  exemple  :  ils  sont  donc  intéressés  à  la  baisse, 
car  si  les  fonds  descendent  à  81,  ils  auront  le  gain  de  1  pour 
loo  du  capital  nominal;  au  contraire,  les  taureaux  ont 
acheté  à  83  :  ils  sont  donc  intéressés  à  la  hausse ,  car  si  les 
fonds  remontent  à  84,  ils  gagneront,  en  revendant,  1  pour 
100  du  capital  nominal.  Aussi  les  ours  n'épargnent-ils  rien 
pour  amener  la  baisse,  tandis  que,  de  leur  côté,  les  taureaux 
ont  recours  à  toutes  les  ressources  de  l'éloquence  persuasive 
pour  amener  la  hausse;  si  l'ours  semble  fléchir  et  paraît  dis- 
posé à  arrêter  le  cours  en  proposant  l'achat  des  rentes  qu'il 
a  vendues  et  qu'il  doit  livrer,  le  taureau  devient  plus  diffi- 
cile encore  :  il  élève  son  prix;  si,  au  contraire,  le  taureau 
faiblit  le  premier,  l'ours  en  profite  pour  lui  offrir  un  prix 
plus  bas  ;  et  lorsque  après  une  série  de  manœuvres  extrême- 
ment multipliées  de  part  et  d'autre,  manicuvres  qui  durent 
quelquefois  jusqu'au  lendemain,  il  est  prouvé,  je  suppose, 
que  les  ours  ont  à  livrer  plus  de  rentes  que  les  taureaux 
n'en  ont  à  recevoir,  ou,  en  d'autres  termes,  que  les  ours 
ont  vendu  dans  le  courant  du  mois  plus  de  rentes  à  terme 
que  les  taureaux  n'en  ont  acheté,  ceux-ci  font  la  loi ,  et,  sans 
pitié  pour  les  malheureux  ours,  ils  les  ruinent  autant  qu'ils 
peuvent;  dans  la  supposition  contraire,  les  taureaux  ne  se- 
raient pas  traités  avec  plus  de  ménagement.  Lorsque  le  tau- 
reau ou  l'ours,  après  avoir  été  vaincu,  ne  peut  pas  ou  ne  veut 
pas  payer  la  différence  qu'il  doit ,  il  est  déclaré  lame  duck, 
canard  boiteux,  et  exclu  delà  Bourse. 

Les  hommes  qui  jouent  un  rôle  actif  à  la  Bourse  de  Lon- 
dres se  divisent  en  trois  grandes  classes  :  les  agents  de 
change  (brokers),  les  agioteurs  (jobbers)  et  les  spécula- 
teurs (speculators).  Les  agents  de  change  de  la  Bourse  de 
Londres  opèrent  comme  ceux  de  la  Course  de  Paris,  pour 
les  particuliers ,  moyennant  un  huitième  pour  cent  sur  les 
transactions  d'argent. 

Les  agioteurs  (jobbers)  portent  un  nom  pris  en  mauvaise 
part,  et  qui  est  quelquefois  synonyme  de  voleur  :  ils  sont 
censés  acheter  ou  vendre  des  rentes;  mais,  par  le  fait,  ils 
ne  font  que  parier  qu'elles  seront  à  tel  ou  tel  prix  le  jour 
où  il  leur  faudra  les  livrer,  n'ayant  ni  la  rente  qu'ils  vendent, 
ni  les  fonds  pour  retirer  celles  qu'ils  achètent;  leur  gain 
ou  leur  perte  réside  dans  la  différence  de  prix  entre  le  taux 
de  la  rente  pariée  et  son  cours  au  terme,  différence  qu'ils 
recevront  ou  qu'ils  payeront.  Beaucoup  d'entre  eux  sont 
riches  et  honnêtes.  Les  jobbers  ont  la  plus  grande  analogie 
avec  les  courtiers  marrons  de  la  Bourse  de  Paris;  comme 
eux,  ils  sont  d'une  grande  utilité,  et  facilitent  beaucoup  les 
opérations.  Par  exemple,  je  suppose  qu'un  agent  de  cliange 
soit  chargé  par  un  de  ses  clients  d'acheter  des  rentes  pour 
une  somme  déterminée  :  sans  le  jobbcr  l'agent  de  change 
serait  forcé  d'attendre  qu'un  de  ses  collègues  lui  offrît  de 
vendre  la  même  somme;  mais  \e  jobbcr  lève  toute  difficulté  : 
il  est  toujours  disposé  à  acheter  et  à  vendre  :  pour  l'achat 
il  offre,  je  suppose  83  l/s,  et  pour  la  vente  il  demande  un 
prix  de  1/8  en  sus,  c'est-à-dire  83  2/8;  il  accepte  la  somme 
de  l'agent  de  change  à  83  1/3 ,  et  la  vend  le  plus  tôt  pos- 
sible à  8.3  2/8.  Le  1/8  de  différence  forme  son  bén('fice;ceci 
explique  pourquoi  dans  les  cotes  d'une  même  bourse  on 
aperçoit  toujours  une  différence  entre  les  cours  d'achat  et 
les  cours  de  vente. 

Les  spéculateurs  (speculn/ors)  sont  ceux  qui  cherchent 
à  profiter  des  (luctuations  de  la  bourse  pour  leur  propre 
compte.  Les  tiois  rôles  de  broker,  de  jobbcr  et  de  spccu- 
lator  sont  quelquefois  remplis  par  le  même  individu  ;  d'au- 
tres fois,  il  n'en  remplit  que  (]ei\\  ou  même  un  seul. 

Auguste   CUIA'AI.IF.IÎ. 


KOURSE  A  BERCER,  BOURSE  A  PASTEUR  I^Bo- 

io)iir/i(p.).  Votjez  Tiilsspi. 

BOURSE  A  BERGER  ou  BOURSETTE  ( ZocZo^Jr- ). 
C'est  le  nom  vulgaire  du  ccllaria  bursaria,  polypier  marin 
bryozoaire  ou  à  deux  orifices.  Les  mers  d'Europe  en  renfer- 
ment plusieurs  espèces,  qui  sont  communes.  Comme  toutes 
les  cellariées,  dont  ils  sont  le  genre  principal,  ces  polypiers 
sont  membraneux,  divisés  en  loges  articulées  ou  jointes 
entre  elles.  Il  en  existe  à  l'état  fossile. 

BOURSE  DE  ]\IER,  nom  vulgaire  d'un  corps  que 
Pallas  a  rangé  parmi  les  alcyons  dans  la  classe  des  zoophyle^ 
ou  animaux  plantes ,  sous  le  nom  do  alcyonium  bursa ,  < 
qui  est  considéré  par  Lamouroux  comme  une  plante  cryp- 
togame aquatique,  qu'il  a  nommée  spongodlum  bursa. 

BOURSETTE  (  Botanique),  nom  vulgaire  de  la  bourse 
à  berger  ou  t  h  1  a  s  p  i  et  de  la  mâche  commune. 

BOURSETTE  ^Zoologie  ).  Voyez  Bourse  a  berger. 

BOURSOUFLE.  Composé  du  substantif  bourse  et  du 
verbe  sou/Jîer,  le  mot  boursoufler,  qui  exprime  l'action  de 
faire  enfler,  comme  lorsqu'on  souffle  dans  une  bourse  ou 
dans  une  vessie,  s'emploie  au  propre,  pour  indiquer  le  gon- 
flement des  pallies  molles  du  corps  par  suite  de  quekjue 
cause  morbilique.  En  général,  on  entend  par  boursouflé 
tout  ce  qui  est  enflé  de  vent  ou  d'humidité. 

En  littérature,  toutes  les  fois  qu'on  manque  d'énergie ,  de 
talent  ou  d'inspiration ,  et  qu'on  veut  frapper  fort,  on  de- 
vient boursouflé  :  c'est  une  détresse  de  nature  que  gonfle  le 
vent  des  mots.  En  général ,  il  ne  faut  que  du  bruit  pour  at- 
tirer l'attention  ;  en  retour,  tout  ce  qui  est  boursouflé  ne 
supporte  pas  l'examen.  Revenu  d'une  première  surprise,  oa 
siffle  le  lendemain  ce  qu'on  a  admiré  la  veille.  Les  poètes  dé- 
pourvus de  sensibilité  pour  peindre  les  passions,  ou  d'imagi» 
nation  pour  inventer  des  événements ,  sont  boursouflés.  Il 
en  est  de  même  de  certains  orateurs  qui,  impuissants  à  ren- 
contra de  véritables  effets ,  tombent  dans  l'exagération 
(xy  n'est  plus  le  génie  de  la  parole,  c'est  l'exploitation  du 
mi'tier. 

Les  classes  qui  n'ont  reçu  aucune  espèce  d'instruction , 
comme  celles  qui  n'en  possèdent  qu'une  demie,  se  laissent 
séduire  par  tout  ce  qui  est  boursouflé  :  elles  n'ont  pas  assea 
de  discernement  pour  choisir  entre  la  vérité  et  la  charge; 
elles  penchent  d'instinct  vers  cette  dernière,  parce  que 
dans  l'ampleur  de  ses  formes  éclate  une  sorte  de  fausse  gran- 
deur, qui  saisit  et  étonne.  Les  fenmies ,  lorsqu'efles  vivent 
dans  la  solitude,  se  passionnent  pour  ce  qui  est  boursouflé, 
soit  dans  les  productions  de  l'esprit,  soit  dans  les  senti- 
ments du  cflpur  :  alors  elles  sentent ,  mais  ne  réfléchissent 
pas.  Plus  tard,  si  elles  rentrent  dans  la  société,  elles  re- 
viennent à  ce  qui  est  naturel  et  vrai,  surtout  dans  les  rap 
ports  ordinaires  de  la  vie;  elles  acquièrent  à  cet  égard  une 
expérience  de  tous  les  jours,  qu'éclaire  encore  le  tact  dont 
elles  sont  douées.  Relativement  au  goût  dans  la  littérature 
et  les  arts ,  il  leur  faut  des  efforts ,  des  conseils ,  et  jusqu'à 
des  études  ;  c'est  qu'il  y  a  dans  le  goût ,  cet  ennemi  déclaré 
de  tout  ce  qui  est  boursouflé,  un  fonds  de  connaissances  à 
acquérir.  Dans  ce  genre,  sentir  est  peu;  c'est  sentir  juste 
qui  est  tout. 

BOURSOUFLU  ou  BOURSOUFLÉ.  Voyez  Diodons  et 
Bourse  (  Histoire  naturelle  ). 

BOUSAGE.  Cette  importante  opération  de  la  fabrica- 
tion des  indiennes  succède  au  mordançage.  Elle  a  pour 
but  de  fixer  com|>létement  le  mordant,  d'enlever  une  partie 
des  matières  employées  pour  l'épaissir,  et  de  dissoudre  le 
'bordant  non  combiné,  qui  n'étant  que  mécaniquement  a{)- 
pliqué  sur  les  libres  du  tissu ,  coulerait  lors  de  la  teinture, 
et  donnerait  lieu  à  des  taches. 

Le  bousofje  est  ainsi  nommé,  parce  qu'il  s'opère  par  l'em- 
ploi de  la  bouse  de  vache,  dont  la  matière  albumincuse 
fixe  le  mordant  en  formant  avec  lui  une  combinaison  inso- 
luble. 11  s'effectue  ordinairement  dans  une  caisse  de  2  à  ;îm^ 


BOUSAGE  —  BOUSINGOT 


607 


tros  de  profondeur,  l'",50  de  large  et  4  mètres  de  lon- 
gueur, dans  laquelle  on  verse  un  bain  composé  de  30  kilo- 
grammes de  bouse  de  vache  et  de  1,200  à  1,500  litres  d'eau, 
iiain  pouvant  servir  pour  le  bousage  de  20  à  60  pièces  d'in- 
diennes. On  place  près  du  fond  de  la  caisse  une  suite  de 
rouleaux  autour  desquels  le  calicot  serpente  en  passant  d'a- 
bord sur  l'un,  puis  sous  le  suivant,  et  ainsi  de  suite,  pour 
arriver  enfin  entre  deux  rouleaux  de  pression,  placés  à 
l'une  des  extrémités  et  qui  lui  communiquent  le  mouvement. 

Penot  et  M.  Camille  Kœchlin  ont  publié  des  notices  inté- 
ressantes sur  le  bousage.  Depuis ,  MM.  Mercer  et  Blyte,  de 
Manchester,  ont  trouvé  le  moyen  de  fabriquer  économique- 
ment un  sel  propre  au  bousage.  Enfin,  pour  des  nuances 
très-délicates ,  on  emploie  du  son  au  lieu  de  bouse  de  vache, 
qui  leur  conununiquerait  une  teinte  verdâtre. 

BOUSE,  mot  dérivé  du  grec  poO;,  bœuf,  et  par  lequel 
on  désigne  les  excréments  du  bœuf  et  de  la  vache.  Les  gens 
de  la  campagne  emploient  quelquefois  la  bouse  pour  guérir 
les  piqûres  de  mouches  à  miel,  ou  pour  résoudre  les  apos- 
tèmes,  et  avec  plus  de  succès,  pour  cicatriser  les  plaies 
des  végétaux.  On  s'en  sert  dans  l'Inde,  comme  dans  une 
foule  d'endroits  et  môme  dans  plusieui-s  de  nos  départe- 
ments, pour  faire  du  feu  ,  et  cette  coutume  parait  fort  an- 
cienne en  Asie ,  puisque  Tite-Live  en  fait  mention.  Mais  le 
plus  grand  emploi  de  la  bouse  est  comme  engrais.  C'est 
à  tort  que  l'on  dit  communément  que  c'est  un  engrais  froid, 
il  faut  dire  que  c'est  un  engrais /ra/s ,  très-utile  dans  les 
terrains  secs  et  sablonneux ,  parce  qu'il  s'y  décompose  plus 
lentement  que  le  fumier  de  cheval ,  et  qu'il  contient  plus 
d'eau.  L'un  et  l'autre ,  du  reste ,  sortis  du  monceau  et  je- 
tés sur  le  sol  ou  enterrés,  donnent  une  chaleur  égale,  ce 
dont  il  est  facile  de  s'assurer  au  moyen  du  thermomètre. 
Nous  disons  sortis  du  monceau,  parce  que  les  excréments 
que  les  animaux  répandent  sur  les  prés  sont  en  partie 
perdus  ;  ils  sont  bientôt  desséchés  par  l'action  du  soleil ,  qui 
volatilise,  dissipe  les  sels  et  le  principe  huileux  qu'ils  con- 
tiennent, et  ne  laisse  plus  que  la  partie  terreuse  ;  tandis  que 
la  bouse,  rassemblée  en  masse,  ne  perd  aucun  de  ses  prin- 
cipes. Si  l'on  veut  lui  donner  plus  d'activité ,  il  faut  y  mêler 
de  petites  couches  de  chaux  réduite  en  poudre  lorsqu'on  la 
met  en  monceau  pour  fermenter. 

On  emploie  aussi  la  bouse  de  vache  dans  la  teinture  des 
toiles  peintes  {voyez  Bousage).  Pour  pouvoir  expliquer  l'ac- 
tion qu'exerce  la  bouse  de  vache  dans  cette  opération ,  Pe- 
not en  a  fait  une  analyse  qui  lui  a  donné ,  pour  100  parties  : 
eau,  G9,58;  matières  biliaires,  0,74;  matières  sucrées, 
0,93  ;  chlorophylle,  0,28  ;  matière  albumineuse,  0,63  ;  fibres 
végétales,  0,39;  chlorure  de  sodium,  0,08;  sulfate  dépo- 
tasse ,  0,05  ;  sulfate  de  chaux ,  0,25  ;  phosphate  de  chaux , 
0,46;  carbonate  de  chaux,  0,24;  carbonate  de  fer,  0,09; 
silice,  0,14  ;   perte,  0,14. 

BOUSIIIR.  Voyez  Abouschehr. 

BOUSIER.  Dans  le  langage  ordinaire ,  on  désigne  sous 
ce  nom  des  insectes  qui  vivent  dans  les  bouses  de  vache.  En 
entomologie ,  on  s'est  d'abord  servi  de  ce  terme  vulgaire 
pour  rappliquer  à  quelques  espèces  de  coléoptères  de  la 
tribu  des  scarabéides  ,  famille  des  lamellicornes.  Mais  le 
très-grand  nombre  d'espèces  bien  distinctes  de  ces  habitants 
des  bouses,  qu'on  a  déterminées  au  furet  à  mesure  des 
progrès  de  la  science ,  a  forcé  les  entomologistes  à  constituer 
plusieurs  genres,  et  à  les  grouper  sous  des  noms  parti- 
culiers. 

Les  bousiers,  qui  formaient  d'abord  un  seul  genre,  ont 
été  subdivisés  par  Fabricius  en  trois,  savoir  :  le  genre 
bousier  proprement  dit ,  le  genic  cteuchus,  et  le  genre 
onite.  M.  Duméril  a  conservé  le  genre  bousier,  et  le  sub- 
divise en  trois  sous-genres ,  savoir  :  les  copridcs,  les 
ateuches ,  et  les  onitcs.  Ces  trois  genres  ou  sous-genres 
renferment  un  très-grand  nond)re  d'espèces,  qui  ont  né- 
cessité de  nuu\ elles  divisions  et  subdivisions. 


Lorsque  les  excréments  ont  été  déposés,  soit  par  des 
bœufs  ou  par  des  chevaux,  ces  insectes,  attirés  par  l'odeur, 
môme  de  fort  loin ,  arrivent  de  toutes  parts  en  bourdonnant. 
Ils  s'y  cachent  et  y  trouvent  à  la  fois  leur  nourriture  et  une 
habitation.  Quelques  espèces  roulent  en  boule  des  portions 
d'excrément  après  y  avoir  déposé  un  œuf.  Ils  traînent  en 
marchant  à  reculons  cette  boule  ou  pilule  (  d'où  le  nom  de 
pilulaires,  qu'on  leur  a  aussi  donné  )  jusqu'à  ce  qu'elle  soit 
arrondie  et  assez  consistante  pour  être  déposée  dans  des 
trous  propres  à  la  recevoir. 

Les  espèces  de  bousiers  les  plus  grosses  étaient  autrefois 
employées  en  médecine.  Elles  entraient  dans  la  composition 
de  l'huile  de  scarabée ,  de  la  pharmacopée  de  Paris. 

Deux  espèces  de  bousiers  étaient  adorés  par  les  Égyptiens. 
L'une  est  le  scarabée  sacré  de  Linné  ou  Vatcuchus  d'Oli- 
vier. On  la  trouve  dans  toute  l'Egypte,  dans  les  contrées  mé- 
ridionales de  France ,  en  Espagne ,  en  Italie ,  et  en  général 
dans  tout  le  sud  de  l'Europe.  L'autre  (  Vateuchus  des  Égyp- 
tiens, Latreille  )  est  de  couleur  verte,  avec  une  teinte  dorée, 
tandis  que  la  première  est  noire.  Ces  bousiers ,  ou  scara- 
bées sacrés,  ont  été  considérés  par  les  Égyptiens  comme 
des  symboles  du  monde,  à  cause  de  leur  habitude  de  rouler 
une  boule.  Ils  faisaient  partie  de  leur  culte  religieux  et  de 
leur  écriture  hiéroglyphique.  Ils  sont  représentés  sur  tous 
leurs  monuments  sous  diverses  positions,  dans  des  dimen- 
sions variables,  souvent  gigantesques.  On  formait  avec 
diverses  matières  portant  leur  effigie,  des  cachets,  des 
bagues  et  des  amulettes  que  l'on  suspendait  au  cou ,  et  que 
l'on  ensevelissait  avec  les  momies.  L'insecte  lui-même  a  été 
trouvé  quelquefois  renfermé  dans  les  cercueils  égyptiens. 

L.  Laurent. 

BOUSIIV  ou  BOUZIN,  matière  première  et  limoneuse 
des  pierres  en  carrière.  Le  bousin  est ,  pour  ainsi  dire ,  aux 
pierres  dures  ce  que  l'aubier  est  au  bois.  C'est ,  en  un  mot  „ 
une  pierre  imparfaite;  mais  on  entend  plus  ordinairement 
par  ce  mot  le  dessus  des  pierres  qui  sortent  de  la  carrière , 
espèce  d'enveloppe  ou  de  croûte  de  terre  non  pétrifiée,  que 
l'on  enlève  en  équarissant  les  pierres,  opération  que  l'on 
nomme  ébousiner. 

Ce  mot  s'emploie  encore  trivialement  dans  le  sens  de 
bouge,  et  se  dit  des  mauvais  lieux  que  hante  le  rebut  de 
la  société. 

BOUSINGOT.  Nous  avons  cherché  des  bousingots,  et 
nous  n'en  avons  point  rencontré  ;  nous  avons  demandé  à  droite, 
à  gauche,  à  tous  les  partis,  ce  qu'ils  étaient  devenus?  Les 
bousingots  ont  complètement  disparu  de  l'horizon  politique; 
il  ne  reste  plus  d'eux  qu'un  beau  caractère  tracé  dans  le 
roman  A' Horace,  par  M™*  Sand;  leur  Journal  de  la  li- 
berté dans  les  arts  est  introuvable,  et  le  Figaro  de  1832, 
leur  plus  mortel  ennemi,  manque  au  national  cabinet  de 
lecture  de  la  rue  Richelieu.  A  ces  divers  symptômes,,  à, 
cette  absence  à  peu  près  absolue  de  documents ,  nous  avons, 
reconnu  que  le  temps  était  arrivé  d'esquisser  leur  histoire. 

Nous  ouvrirons  pour  eux  le  chapitre  des  chapeaux, 
chapitre  beaucoup  plus  important  et  plus  sérieux  qu'on  ne 
pourrait  le  croire.  Tout  bonune  qui  de  notre  temps, 
imprime  à  son  chapeau  un  cachet  historique  est  un  grand 
homme,  témoin  Frédéric,  Napoléon  et  Bolivar.  Louis  XVIH 
a  failli  toucher  ce  but;  mais  ce  n'était  qu'un  homme  d'es- 
prit, et  il  l'a  manqué.  Les  bousingots  ont  essayé  trois  fois, 
d'atteindre  au  sublime  par  leur  coiffure.  Ils  ont  d'abord 
mauguré  sur  la  terre  ferme  le  chapeau  marin  de  cuir  verni, 
que  l'on  appelle  vulgairement  un  bousingot,  et  le  nom 
leur  en  est  resté.  On  prétend  que  ce  nom  servait  à  lui  seul 
de  texte  à  leurs  hymnes  patriotiques,  et  qu'ils  le  psalmo- 
diaient en  parties,  avec  le  plus  grand  charme,  sur  l'air  de 
Frère  Jacques.  A  leur  premier  couvre-chef  se  rattachaient 
de  grands  principes  d'égalité,  de  frugalité  et  de  loi  agraire. 
Quand  ils  abandonnèrent  le  bousingot,  ils  e,ssn\èrent  d'un 
cliapcau  Cil  ^ijramiilc»  (jui   lit  sensation  au  quartier  latiu^ 


608 


BOUSINGOT  —  BOUSSOLE 


où  le  moyen  âge  était  encore  en  vii^aeur  et  Notre-Dame 
de  Paris  dans  toute  sa  gloire.  Les  Migolâtres  donnèrent  la 
main  aux  bousingots.  Ce  fut  leur  beau  temps ,  le  temps  du 
long  espoir  et  des  vastes  pensées ,  de  la  barbe  de  cbèvre , 
des  clieveax  plats ,  de  la  cravate  rouge,  du  gilet  à  la  Marat, 

du  Journal  de  la  liberté  dans  les  arts.  Ils  charmèrent 
lout  le  Paris  des  estaminets  et  des  bals  publics ,  par  l'ex- 
centricité de  leur  costume,  leur  crânerie  vis-à-vis  de  l'au- 
torité ,  et  leur  aplomb  de  personnages  politiques.  La  carica- 
ture alors  les  aperçut,  les  poursuivit,  et,  pour  s'esquiver, 
ils  se  réfugièrent  sous  un  troisième  chapeau,  d'assez  noble 
origine ,  sous  le  chapeau  gris  que  Louis-i'liilippe  avait  arboré 
en  juillet  1830.  Malheureusement,  le  jour  où  ils  choisis- 
saient ce  feutre  auguste  pour  aiiri ,  la  royauté  le  quittait,  et 
les  coups  de  bâton  pleuvaient  dessus.  Cette  averse  dispersa 
les  bousingots. 

lisse  fondirent  presque  aussitôt,  suivant  leurs  convic- 
tions, leurs  passions ,  leurs  rancunes,  dans  diverses  sociétés 
populaires  qui  livrèrent  à  la  monarchie  bourgeoise  de  rudes 
assauts;  alors  on  les  vit  combattre  avec  une  valeur  dont 
l'héroïsme  ne  lé  cédait  en  rien  à  celui  des  républicains  les 
plus  sérieux  et  le  plus  profondément  convaincus  de  la  bonté 
de  leur  cause,  se  taire  massacrer  sur  plusieurs  points  et  ex- 
pier h  la  française  leur  frivolité  par  leur  sang.  On  ne  leur  en 
tint  aucun  compte ,  on  n'alla  pas  chercher  si  loin  ;  et  ils  res- 
tèrent dans  la  mémoire  publique  comme  des  types  d'émeu- 
tiers  de  première  année  et  de  casse-lanternes.  Quand  est  ve- 
nue la  République ,  les  anciens  bousingots  ont  fait  à  la  queue 
des  partis  républicains  et  socialistes  exactement  la  même 
figure  que  les  chauvins  au  dernier  rang  du  bonapartisme  et 
les  voltigeurs  de  Louis  XY  à  la  suite  des  émigrés,  répétant  : 
vive  la  république  !  à  tout  bout  de  champ,  comme  les  autres  : 
vive  l'empereur!  vive  le  roi!  et  comme  ce  marquis  de  la 
Critique  de  V École  des  Femmes,  qui  avait  trouvé  réponse  à 
tout  en  criant  à  tue-tête  :  Tarte  à  la  crème!  tarte  à  la 
crème!  Jules  Païon. 

BOUSSINGAULT  (  Jean  -  Baptiste  -  Joseph  -  Dieu- 
donné).  11  y  a  des  hommes  pour  qui  le  mouvement  est  un 
besoin ,  le  travail  un  bonlieur,  et  qui  croient  n'avoir  jamais 
lien  fait  tant  qu'ils  n'ont  point  parcouru  jusqu'au  bout  la 
route  du  progrès.  M.  lioussingault  est  une  de  ces  natures 
carrées  par  la  base,  au  cœur  plus  liant  que  la  tête,  à  l'i»- 
telligence  toujours  active,  que  les  otirai^ans  n'ont  pu  ébran- 
ler, dont  les  menaces  des  cléments  n'ont  jamais  arrêté  la 
marche.  A  l'exemple  d'Alexandre  de  Ilumboldt,  aujour- 
d'hui son  ami ,  autrefois  son  protecteur,  vous  le  voyez , 
fort  jeune  encore,  et  à  peine  sorti  de  l'école  des  mineurs 
de  Saint-Étienne ,  accepter  les  offres  qui  lui  furent  faites 
par  une  compagnie  anglaise  pour  diriger  l'exploitation  de 
quelques  mines  d'Amérique.  On  venait  de  lui  préparer  une 
carrière  lucrative  :  son  incessant  besoin  d'apprendre  la  lui 
fit  adopter  avec  amour,  avec  enthousiasme.  Aussi  se  livra- 
t-il  à  d'infatigables  observations  de  température  et  de  baro- 
métrie  dans  un  pays  où  tout  était  encore  à  étudier  pour 
l'Europe  savante.  Analyses  chimiques,  mesure  des  hauteurs 
des  montagnes,  géologie,  botanique,  magnétisme  teiTCstre, 
M.  Boussingault  a  tout  étudié,  tout  embrassé  avec  la  plus 
haute  distinction.  Vous  savez  tous  les  dangers  des  climats 
équatoriaux  pour  les  natures  européennes  ;  vous  connaissez 
les  saisons  pluviales  de  ces  régions  si  bizaires ,  les  phéno- 
mènes météorologiques  qui  viennent  périodiquement  se  ruer 
sur  une  végétation  trop  puissante,  et  qui  écrasent  les  tem- 
péraments les  plus  robustes th  bien!  M.  Boussingault 

brave  les  maladies  contagieuses,  escalade  les  cimes  les  plus 
élevées,  traverse  les  courants  d'eau  les  plus  rapides,  al- 
tronte  la  soif,  la  faim,  les  attaques  des  peuples  incivilisés 
de  cette  partie  du  Nouveau  Monde,  et  tout  cela  au  protit 
de  la  science,  qui  a  si  bien  fait  de  compter  sur  lui.  Son 
herbier  s'enricliit,  ses  calepins  deviennent  les  contidenfs  des 
iiolcs  les  plus  précieuses,  et  dans  ses  letils  le  fa\aiil  n'ou- 


bliera qu'une  chose ,  le  détail  oes  dangers  qu'il  aura  bravé». 

Pendant  la  guerre  de  l'indépendance,  il  fut  attaché  comme 
colonel  à  l'état-major  du  général  Bolivar,  auprès  duquel 
il  jouissait  d'un  grand  crédit  et  d'une  grande  considération. 
En  sa  double  qualité  de  militaire  et  de  savant ,  il  parcourut 
non-seulement  la  province  de  Venezuela  et  celles  placées 
entre  Carthagène  et  l'embouchure  de  l'Orénoque ,  mais  en- 
core le  Pérou  et  la  république  de  l'Equateur.  Ici  se  déroule 
une  immense  série  de  travaux  de  tous  genres,  accomplis  au 
milieu  des  plus  rudes  fatigues  et  des  périls  les  plus  immi- 
nents :  vous  diriez  un  Institut  en  masse  voyageant  au  proflt 
de  la  science  et  de  l'humanité. 

A  son  retour  en  France,  M.  Boussingault  remplit  les  fonc- 
tions de  doyen  de  la  Faculté  des  Sciences  de  Lyon  et  de  pro- 
fesseur de  chimie,  fonctions  qu'il  abandonna  ensuite,  afin 
d'avoir  plus  de  loisir  pour  s'occuper  de  ses  études  spéciales. 
La  récompense  ne  devait  pas  se  faire  longtemps  attendre, 
car  en  1839  il  fut  nommé  membre  de  l'Institut,  en  rempla- 
cement de  M.  Huzard,  dans  le  section  d'agriculture.  Il  était 
déjà  professeur  d'agriculture  au  Conservatoire  des  Arts  et 
Métiers. 

Avant  son  entrée  à  l'Académie  et  depuis ,  M.  Boussin- 
gault a  publié  un  grand  nombre  de  mémoires  remarquables 
sur  la  chimie  agricole.  Un  magnifique  ouvrage  en  2  volumes, 
dont  la  science  lui  est  redevable,  semble  destiné  à  donner  à 
l'agriculture  une  direction  nouvelle  :  c'est  un  de  ces  monu- 
ments de  l'intelligence  et  de  l'étude  que  les  pays  les  plus 
avancés  peuvent  citer  avec  orgueil.         Jacques  Arago. 

Ajoutons  que  c'est  à  M.  Boussingault  qu'on  doit  en  partie 
l'appréciation  comparative  des  engrais  par  le  dosage  de  l'a- 
zote. Il  a  fixé,  avec  M.  Dumas,  les  proportions  exactes 
des  principes  constituants  de  l'air  atmosphérique,  et  s'est 
livré  à  d'excellentes  recherches  sur  le  rôle  des  différents  vé- 
gétaux dans  l'alimentation  des  herbivores,  et  sur  l'engrais- 
sement des  bestiaux.  On  lui  doit  aussi  une  méthode  très- 
simple  de  préparation  de  l'oxygène  au  moyen  de  la 
baryte. 

En  1848,  M.  Boussingault,  directeur  co-propriétaire  de 
l'usine  de  Béchelbronn,  située  dans  le  Bas-Rhin,  fut  en- 
voyé par  ce  département  à  la  Constituante,  où  il  volait 
avec  les  républicains  modérés.  Il  fut  ensuite  élu  par  la 
même  assemblée  membre  du  conseil  d'État ,  et  y  fit  partie 
de  la  section  de  législation  jusqu'au  2  décembre  1851. 

M.  Boussingault  est  né  à  Paris,  le  2  février  1802. 

BOUSSOLE.  La  pièce  principale  de  cet  instrument  est 
une  lame  d'acier  ordinairement  en  forme  de  losange,  et  qui, 
ayant  été  aimantée,  jouit  de  la  propriété  remarquable  de  se 
tourner  constamment  vers  un  même  point  de  l'horizon , 
dans  un  môme  temps  et  dans  un  même  lieu;  c'est-à-dire 
que  cette  aiguille ,  étant  librement  suspendue ,  si  on  l'écarté 
à  droite  ou  à  gauche  de  la  position  dans  laquelle  elle  était 
en  repos,  elle  y  reviendra,  et  s'y  arrêtera  après  quelques  os- 
cillations. Voyez  Aimant. 

Dans  les  boussoles  dont  on  fait  usage  à  la  mer,  on  place' 
l'aiguille  dans  une  boite  de  cuivre  appelée  cuvette;  cette 
boîte,  de  forme  cylindrique,  est  recouverte  d'une  glace. 
L'aiguille,  posée  sur  un  pivot  pointu  et  poli,  est  chargée  d'un 
cercle  de  talc  ou  de  carton  que,  dans  son  mouvement, elle 
est  obligée  d'entraîner,  ce  qui  modère  la  trop  grande  faci- 
lité qu'elle  aurait  à  vaciller.  Une  rose  des  vents  est  tracée 
sur  ce  cercle,  dont  le  centre  coïncide  avec  le  point  de  sus- 
pension de  l'aiguille ,  et  celle-ci  est  dirigée  suivant  la  ligne 
Nord  et  Sud  de  la  rose.  Un  cercle  gradué  est  fixé  à  la  boîte, 
concentriquement  à  celui  de  la  rose  ;  il  sert  à  faire  connaître 
les  angles  formés  par  la  direction  de  l'aiguille  et  celle  du 
vaisseau  ,  et  permet  en  même  temps  de  tenir  exactement 
compte  de  la  déclinaison.  La  boîte  qui  renferme  l'aiguille 
est  supportée  par  deux  cercles  à  pivot  dans  lesquels  elle  se 
balance  de  manière  à  rester  horizontale,  malgré  le  tangage 
et  h-  roulis  (lu  navire. 


à 


BOUSSOLE  —  BOUT 


G09 


T,a  bonssolo  prcnil  le  nom  de  cotyipns  de  route  quand 
elle  sert  à  diriger  le  cap  du  vaisseau  suivant  telle  ou  telle  aire 
de  vent.  On  la  place  alors  dans  une  espèce  d'armoire,  que 
l'on  nomme  A«6i^ac/e,  et  qui  est  située  sur  le  tillac,  en 
a\ant  de  la  roue  du  gouvernail.  Cette  armoire,  est  ordi- 
nairement divisée  en  trois  compartiments  :  celui  du  milieu 
contient  une  verrine  et  dans  chacun  des  deux  autres  se 
trouve  un  compas  de  route  ;  on  met  ces  deux  instruments  à 
une  distance  suflisanle  pour  qu'ils  n'exercent  aucune  action 
l'un  sur  l'autre. 

La  boussole  prend  le  nom  de  compas  de  variation  quand 
elle  sert  à  relever  les  objets,  c'est-à-dire  à  déterminer  à 
quels  rumbs  de  vent  ils  répondent;  dans  ce  cas  on  la  gar- 
nit de  deux  pinnules,  qu'on  place  en  dehors  de  la  cuvelle. 
Pendant  qu'un  observ..teur  aligne  les  pinnules  avec  l'objet 
qu'on  veut  relever,  un  autre  examine  quel  est  l'angle  que 
forme  la  ligne  Nord  et  Sud  delà  boussole  avec  un  fil  tendu 
sur  les  bords  de  la  boite  perpendiculaiiement  a  la  ligne  qui  passe 
par  les  fentes  des  deux  pinnules.  Cet  angle  est  eviiieniaient 
égal  à  celui  que  forme  la  ligne  Est  et  Ouest  du  compas  avec 
la  direction  de  l'objet.  Mais  celte  méthode  de  relèvement 
n'est  suffisamment  exacte  qu'autant  que  l'objet  qu'il  s'agit 
de  relever  esta  l'horizon  ou  peu  au-dessus.  Dans  tout  aulre 
cas,  on  doit  employer  le  compas  azimuth  al. 

Le  pivot  sur  lequel  porte  l'aiguille  et  eu  géuéial  toutes  les 
pièces  qui  l'entourent  sont  en  cuivre  ou  en  bois;  car  si  on 
employait  du  fer  ou  de  l'acier,  la  position  de  l'aiguille  se 
trouverait  altérée.  On  sait  même  que  les  lerrures  du  navire 
exercent  sur  l'instrument  une  action  qu'on  s'est  proposé  de 
détruire.  M.  Barlowa  trouvé  qu'eu  plaçant  couTenablement 
un  disque  de  fer  dans  le  voisinage  de  l'aiguille,  on  arrive  au 
résultat  cherché.  Quant  à  la  |)osition  de  ce  disque,  il  faut 
pour  chaque  nav're  la  déterminer  par  tâtonnements. 

En  tenant  comptede  la  d  éclinaison,  l'aiguille  aimantée 
donne  la  direction  du  méridien  du  lieu.  Si  donc  on  sait 
l'angle  que  fait  la  route  qu'on  doit  suivre  avec  ce  méridien, 
on  peut  parfaitement  se  conduire  au  moyeu  de  la  boussole 
(  voyez  LoxoDROMiE  ).  C'est  elle  en  effet  qui  dirige  les  vais- 
seaux. On  détermine  d'abord  sur  une  carte  marine  par  quel 
rumb  le  bâtiment  doit  aller  à  sa  destination.  Le  timonier 
n'a  plus  qu'à  gouverner  ;  en  sorte  que  la  pointe  de  la  rose 
correspondante  à  ce  rumb  soit  dirigée  parallèlement  à  la 
quille  du  navire;  ce  que  la  position  de  la  boîte  de  la  bous- 
sole, parallèlement  aux  parois  de  l'habitacle,  indique  suffi- 
samment; 

On  conçoit  que  l'aiguille  aimantée,  en  vertu  de  sa  pro- 
priété de  conserver  dans  un  espace  et  dans  un  temps  li- 
mités une  direction  constante,  puisse  servir  à  mesurer  des 
angles  sur  le  terrain.  On  voit  donc  que  la  boussole  joue 
encore  un  rôle  important  dans  le  lever  des  plans. 

Si  nous  cherchons  maintenant  quel  est  l'inventeur  d'un 
instrument  si  fécond  en  applications  utiles ,  nous  voyons 
que  quelques  auteurs  l'attribuent  à  un  Napolitain,  Flavio 
Gioja,  qui  vivait  à  la  fin  du  treizième  siècle.  Mais  deux 
textes,  l'un  de  Guyot  de  Provins  (douzième  siècle  )  l'autre 
de  Jacques  de  Vitiy  (1225),  nous  apprennent  que  la  inari- 
nière  ou  marinette  (  ancien  nom  de  la  boussole  )  était 
connue  précédemment.  En  1242  Bailak  parle  de  la  bous- 
sole aquatique  (  simplement  composée  d'une  aiguille  aiman- 
tée soutenue  au-dessus  de  l'eau  par  un  petit  morceau  de 
liège  ),  non  pas  comme  d'une  chose  nouvellement  inventée 
ou  reçue,  mais  comme  d'un  appareil  généralement  connu 
des  navigateurs  de  la  mer  de  Syrie.  Enfin  nos  sinologues 
ont  trouvé  dans  le  célèbre  dictionnaire  Clioue-Wen,  à 
l'article  qui  concerne  l'aimant  :  j\om  d'une  pierre  avec  la- 
quelle on  peut  donner  la  direction  à  Vaiguille.  Ce  pas- 
sage démontre  clairement  qu'on  connaissait  en  Chine  l'ai- 
guille aimantée  au  deuxième  siècle  de  noire  ère;  car  le  dic- 
tionnaire auquel  il  est  emprunté  lut  terminé  l'an  121  de  J.-C. 
Tout  porte  donc  h  croire  que  pendant  les  croisades  les  Euro- 

DICT.    m:    l,A    CONVKRS.   —   T.    Ml. 


péens  empruntèrent  la  marinette  aux  Arabes,  (jui  sans  .!o;ite 
l'avaient  eux-mêmes  reçue  des  Chinois.       E.  MEhi.it.Lx. 

BOIJST.  Voyez  Goust. 

liOUSTROPïlÉDO.X  (de  l'adverbe  grec  poy(iTpo?r,Sov, 
comme  tournent  les  bo'ufs).  On  donne  ce  nom  à  une  écri- 
ture particulière  aux  Grecs,  et  môme,  dit-on,  aux  Étrus(|ues, 
laquelle  consistait  à  tracer  les  lignes  alternativement  de  droite 
à  gauche  et  de  gauche  à  droite,  imitant  ainsi  la  manière  dont 
les  sillons  d'un  champ  sont  tracés  par  les  bceufs  qui  le  la- 
bourent. On  la  considère  connue  marquant  la  seconde  épo- 
que de  l'histoire  de  l'art  graphique  chez  les  Grecs  :  si  eu  ef- 
fet les  Grecs  reçurent  l'usage  de  l'écriture  alphabétique  des 
Phéniciens,  qui  traçaient  leurs  lettres  de  droite  à  gauche, 
selon  la  pratique  des  peuples  orientaux,  les  Grecs  durent 
d'abord  écrire  aussi  de  droite  à  gauciie;  malheureuscuicnt  il 
ne  reste  pas  de  monument  original  de  cette  époque,  si  ce 
n'est  un  petit  bas-relief  du  musie  du  Louvre  où  le  nom  A'k- 
gamemnon  et  ceux  de  deux  autres  personnages  sont  écrits 
de  droite  à  gauche.  Les  lois  de  Solou  furent,  dit-on,  écrites 
en  boustrophédon,  ce  qui  ferait  descendre  l'usage  de  cette 
écriture  à  plusieurs  siècles  après  Agamemnou  et  le  siège 
de  Troie. 

Il  y  a  deux  époques  dans  le  boustropliédon  même  :  la  plus 
ancienne  procéilait  de  droite  à  ganclie  pour  la  première  li- 
gne; la  deuxième  éiait  donc  dirigée  de  gauche  à  droite. 
Dans  la  seconde  époque,  la  première  ligne  était  tracée  de 
gauche  à  droite,  la  deuxième  dans  le  sens  contraire.  On 
[lense  que  l'usage  de  ces  deux  manières  de  boustrophédon 
cessa  d'être  général  en  Grèce  dès  le  septième  siècle  avant 
l'ère  chrétienne  ;  on  a  des  inscriptions  de  l'an  457  qui 
sont  tracées  selon  la  manière  actuelle  ,  et  Fourmont  en  a 
recueilli  d'autres ,  écrites  de  même ,  qu'on  croit  plus  an- 
ciennes encore  de  deux  ou  trois  siècles.  La  célèbre  inscrip- 
tion d'Amvclee,  eu  Laconie,  qu'il  a  découverte  dans  les  ruines 
du  temple  d'Apollon  Amycléen ,  est  regardée  comme  le  plus 
ancien  exemple  de  la  première  écriture  en  boustrophédon. 
On  donne  à  cette  inscription  dix  siècles  avant  l'ère  chrétienne. 
Les  quatre  dernières  lettres  ajoutées  à  l'alphabet  grec  au 
cinquièu.e  siècle  avant  l'ère  chrétienne,  ne  se  rencontrant 
pas  dans  les  inscriptions  en  boustrophédon  ,  on  peut  con- 
clure qu'elles  sont  antérieures  à  celte  date.  Peut-être  aussi 
les  inscriptions  que  nous  possédons  sont-elles  des  copies  de 
monuments  plus  anciens.         J.-J.  Cuampoi-liom-Figeac. 

BOUT,  fin,  extrémité,  dernier  point  de  l'étendue.  Le 
plus  ou  le  moins  d'étendue  d'une  chose  ne  change  rien  à 
l'application  du  mot  bout;  on  dit  le  bout  de  la  ville,  le 
bout  du  monde,  comme  le  bout  d'un  bâton.  Rigoureuse- 
ment néanmoins  ce  mot  ne  devrait  s'employer  qu'à  l'égard 
des  choses  qui  ont  deux  oouts  opposés;  car  le  bout  répond 
au  bout  comme  l'extrémité  au  centre  et  la  fin  au  conunen- 
cement;  il  faudrait  donc  tlire  le  bout  de  l'allée,  l'extrémité 
de  la  France  et  la./în  de  la  vie. 

Bout  s'emploie  aussi  quelquefois,  non  comme  partie  ex- 
trême et  intégrante  d'une  chose,  mais  dans  le  sens  de  frac- 
tion; un  bout  de  bougie,  de  fil,  etc.,  et,  par  dérision,  \m 
bout  d'homme,  pour  dire  un  homme  extrêmement  petit 

Bout  se  dit  encore  dans  le  sens  contraire,  c'est-à-dire 
non  plus  d'une  chose  détachée,  mais  d'une  chose  ajoutée  : 
mettre  un  bout  de  cuivre  à  une  canne. 

Ce  mot  fait  partie  de  plusieurs  expressions  maritim'».''  : 
avoir  vent  de  bout,  c'est  avoir  vent  contraire  ou  le  vent 
par  la  proue,  au  lieu  de  l'avoir  en  ponpe  ;  aller  de  bout 
au  vent,  c'est  aller  contre  le  vent  ;  donner  le  bout  à  terre 
à  wn  vaisseau ,  c'est  gouverner  droit  dessus  ;  aborder  un 
vaisseau  de  bout  au  corps,  c'est  l'aborder  carrément  et  par 
son  travers;  liler  le  câble  bout  pour  bout ,  c'est  le  lâcher 
entièrement  et  l'abandoimer  avec  son  ancre.  Le  bout  de 
vergue  est  la  partie  de  la  vergue  qui  excède  la  longueur  de 
la  voile  et  qui  sert  pour  prendre  des  ri. s.  Le  bout  de  loj, 
ou  bout-lof  est  une  pièce  de  bois  ronde,  ou  à  pans,  q>ii 

,7 


nto 


BOUT  —  BOUTARGUE 


«i!it  à  tenir  les  amures  de  mHialne,  et  qu'on  raet  ordinaire- 
ment au-devant  des  vaisseaux  de  charge  qui  n'ont  point 
iVéperons. 

Le  bout  de  l'an  est  un  service  qu'on  fait  faire  solennel- 
lement pour  un  df^fnnt  au  bout  de  l'année  de  sa  mort,  et 
que  la  piété  des  parents  renouvelle  quelquefois  tous  les  ans 
à  la  môme  époque  (  voyez  Anniversaire,  Obit). 

Goûter  à  quelque  chose  du  bout  des  lèvres,  c'est  faire  le 
délicat,  le  dédaigneux.  Les  expressions  adverbiales  au  bout 
du  compte,  pour  en  résumé,  ou  à  la  fin,  à  tout  bout  de 
champ,  pour  à  tout  propos,  à  tout  moment,  sont  aussi  d'un 
emploi  fort  commun.  On  dit  encore  venir  à  bout  d'une  af- 
faire, pour  la  terminer  heureusement,  ou  d'une  personne , 
pour  dire  la  dompter.  Avec  de  la  patience  on  vient  à  bout 
de  tout.  Pousser  quelqu'un  à  bout,  c'est  mettre  sa  patience 
à  bout ,  c'est  l'obligera  sortir  des  bornes  de  la  modération. 

On  dit,  en  termes  de  manège,  qu'un  cheval  est  à  bout , 
quand  il  est  usé  parle  travail;  un  homme  est  à  bout  quand 
il  ne  sait  plus  que  devenir,  qu'entreprendre,  pour  sortir 
d'une  méchante  affaire,  ou  pour  subsister;  on  dit  encore, 
dans  le  même  sens,  quand  cet  homme  est  un  fripon,  qu'il 
est  au  bout  de  ses  ruses,  de  ses  finesses,  au  bout  de  son 
rouleau.  Avoir  une  chose  sur  le  bout  de  la  langue,  c'est 
bien  savoir  cette  chose,  mais  ne  plus  s'en  souvenir  à  point 
nommé.  Un  écolier  sait  sa  leçon  sur  le  bout  des  doigts  quand 
il  la  sait  assez  bien  pour  la  réciter  sans  trébucher.  Tandis 
que  les  dissipateurs  brûlent  la  chandelle  par  les  deux 
bouts,  c'est-à-dire  jettent  leur  bien  par  les  fenêtres,  des  mal- 
heureux s'exténiient  pour  procurer  un  morceau  de  pain  à. 
leur  famille  et  ont  grand'-peine  à  joindre  les  deux  bouts. 
Kufin,  en  retournant  ce  mot  par  tous  les  bouts,  peut-être 
avons-nous  encore  laissé  bien  des  acceptions  au  bout  de 
notre  plume. 

BOUTADE,  impression  vive,  étourdie,  instantanée,  qui 
nous  fait  agir  sans  but  et  sans  raison.  C'est  une  sorte  de  ca- 
price d'esprit,  auquel  certains  hommes  sont  d'autant  plus 
sujets,  qu'ils  sont  doués  de  plus  d'imagination.  Aussi  les  écri- 
vains, les  artistes,  les  amants,  en  un  mot  tous  ceux  qu'ob- 
sède une  pensée  forte  parce  qu'elle  est  unique,  ont  des 
boutades.  Ils  passent  subitement  de  la  joie  à  la  tristesse,  de 
l'espérance  à  la  crainte,  du  délire  à  la  stupeur.  «  Lorsque 
je  vois  ce  qui  se  passe  ici-bas,  disait  un  jour  Ducis,  l'envie 
me  prend  de  me  sauver  dans  la  lune  et  là  d'ouvrir  la  fenêtre 
et  de  cracher  sur  le  genre  humain.  » 

Boileau ,  tourmenté  par  les  sonneurs  de  cloche,  s'écrie  un 
jour  : 

Persécuteurs  du  genre  biiinain. 
Oui  sonnez  sans  luiséricurHe  , 
Que  n'avez-vous  an  cou  la  corde 
Que  vous  tenez  entre  vos  mains! 

On  se  rappelle  l'aventure  de  ce  député  qui ,  sortant  de  la 
Chambre  avec  un  budget,  frais  éclos,  contre  lequel  il  avait 
inutilement  voté,  voulait  traverser  le  jardin  des  Tuileries. 
«  On  ne  passe  pas ,  lui  dit  le  factionnaire.  —  Eh  !  répondit-il 
avec  humeur,  c'est  le  budget,  mon  pauvre  ami  !  Ça  passe 
toujours.  » 

Il  y  a  cette  différence  entre  la  boutade  et  le  caprice,  que 
l'une,  dans  sa  fougue,  traverse  l'humeur  sans  l'altérer,  tandis 
que  l'autre  la  subjugue  despotiquement.  De  là  vient  que  le 
caorice  finit  par  blesser  et  lasser  quelquefois  jusqu'à  la 
complaisance  de  l'amour,  tandis  que  la  boutade  vive,  mais 
partagée,  extiavague  sans  déplaire,  et  n'offense  presque  ja- 
mais ,  même  en  désobligeant. 

lioutade  était  encore  un  usage  féodal  établi  dans  le  Berry, 
par  lequel  certains  seigneurs  avaient  droit  de  percevoir  cinq 
pintes  de  vin  par  poinçon  ou  tonneau ,  ou  l'équivalent  eu 
argent. 

150UTÂIV,  état  situé  au  nord  de  l'Hindouslan  ,  entre 
le  2G"  et  le  3S"  de  latitude  septentrionale,  et  le  86°  et 
le  92"  de  longitude  orientale;  il  est  bomé  au  nord  par  le 


Tibet,  dont  le  sépare  le  faite  de  l'Himalaya,  au  i«Bd  par 
la  présidence  du  Bengale,  à  l'est  par  le  Sikkim.  Sa  plu* 
grande  longueur  de  l'est  à  l'ouest  est  d'environ  560  kilo- 
mètres ,  sa  plus  grande  largeur  de  150.  C'est  un  pays  très- 
élevé  et  fermé  dans  presque  toute  son  étendue  par  les  ter- 
rasses de  l'Himalaya ,  dont  il  renferme  quelques-uns  des 
points  culminants ,  entre  autres  le  Chamalari ,  qui  dépasse 
8,600  mètres;  la  seule  plaine  du  Boutàn  située  à  l'extrémité 
méridionale  du  pays  n'a  pas  plus  de  40  kilomètres  de  lar- 
geur ;  ce  ne  sont  même,  à  proprement  parler,  que  des  maré- 
cages couverts  de  jungles.  Les  principales  rivières  de  cette 
province,  tributaires  du  grand  fleuve  Brahmapoutra, 
sont  le  Tchintchien ,  qui  se  précipite  en  cataractes  majes- 
tueuses vers  les  plaines  du  Bengale,  où  il  prend  le  nom  de 
Gadawar,  le  Jerdeher  et  le  Banaach. 

Les  glaciers  et  les  neiges  perpétuelles  qui  couvrent  les 
régions  du  nord  n'influent  pas,  du  reste,  d'une  manière  sen- 
sible sur  le  climat  du  Boutàn,  qui  est  celui  du  midi  de 
l'Europe.  On  y  exploite  des  mines  de  fer,  des  carrières  àa 
granit  et  de  marbre  ;  les  productions  végétales  dans  les 
hautes  vallées  sont  à  peu  près  celles  de  nos  contrées  méri- 
dionales ;  dans  les  basses  terres ,  ce  sont  celles  des  tropi- 
ques ;  le  riz ,  le  froment ,  l'orge  et  quelques  autres  céréales 
sont  les  principaux  produits  de  l'agriculture.  Dans  les  vastes 
forêts  du  Boutân,  on  remarque  le  frêne,  le  bouleau,  l'é- 
rable, le  pin;  les  animaux  qui  les  peuplent  sont  princi- 
palement l'éléphant  et  le  rhinocéros,  et  une  espèce  de 
singe,  qui  est  regardée  comme  sacrée.  On  y  trouve  aussi 
le  tangoun ,  cheval  indigène  très-estimé  ;  et  les  moutons , 
que  l'on  y  laisse  errer  une  partie  de  l'année,  donnent 
une  laine  très-fine.  L'exportation  consiste  surtout  en  tissus 
grossiers  de  laine,  soieries,  papier,  thé,  queues  de  buflle, 
cire,  ivoire,  noix  de  galle,  musc,  poudre  d'or,  chevaux, 
et  argent  en  lingots,  qui  forment  le  chargement  de  la  ca- 
ravane que  le  gouvernement  expédie  annuellement  dans 
le  Bengale ,  car  le  commerce  étranger  est  monopolisé  à  son 
profit.  Les  retours  se  font  en  étoffes  de  laine  anglaises ,  in- 
digo, poisson  sec,  noix  muscades ,  clous  de  girofle,  encens, 
cuivre,  bois  de  sandal,  étain,  poudre  à  tirer,  peaux  de 
loutre  et  corail. 

Le  gouvernement  est  une  monarchie,  dont  le  chef  nominal 
est  le  Dharma-Rajah ,  personnage  sacré ,  espèce  de  souve- 
rain spirituel  du  pays,  mais  qui  reste  entièrement  étranger 
à  l'administration;  le  chef  réel  de  l'État  est  le  Deb-Rajah, 
gouverneur  séculier  du  pays,  que  l'on  considère  comme  le  mi- 
nistre du  Dharma-Rajali  ;  il  réside  à  Tassisudon,  capitale  du 
Boutàn.  La  seule  Aille  importante  qu'on  puisse  citer  ensuite 
est  Ouandipour  ;  les  autres  ne  sont  que  des  villages ,  parmi 
lesquels  Paroest  remarquable  comme  entrepôt  de  commerce. 
Il  existe  une  manufacture  d'armes  à  Perrogung,  près  de  la 
capitale  ;  les  principales  forteresses  sont  Buxadeouar  ou  Pas- 
sara  et  Dellamcotta. 

D'après  Samuel  Davis,  la  religion  des  Boutyas  est  le  boud- 
dhisme, légèrement  modifié  :  les  prêtres  doivent  garder  le 
célibat;  il  existe  des  ordres  monastiques  pour  les  deux 
sexes  ;  les  prières  sont  chantées.  Es  n'ont  point  de  temples 
proprement  dits;  mais  leurs  routes  sont  bordées  de  petits 
édifices  carrés  offrant  des  peintures  ou  des  sculptures  de 
leurs  divinités,  et  qui  sont  surmontés  d'une  sorte  de  gi- 
rouette portant  le  mot  Omanipccmehong  (sorte  d'invo- 
cation), laquelle  est  disposée  de  façon  que  chaque  passant 
peut  lui  faire  faire  un  tour.  La  classe  des  prêtres  est  la  pre- 
mière au  Boutân  ;  après  elle  viennent  les  Zeencaabs,  ou  ser- 
viteurs du  gouvernement.  La  troisième  classe,  composée  des 
cultivateurs,  parait  jouir  de  plus  de  liberté  et  d'une  con- 
dition plus  tolérable  que  les  deux  précédentes. 

BOUT  ARGUE  ou  BOTARGUE.  Par  ces  noms  les  Pro- 
vençaux désignent  ime  préparation  faite  avec  les  œufs  et  le 
sang  du  viuge  (  poisson  très-abondant  dans  presque  tontes 
les  mers)  confits  avec  de  l'huile  et  du  vinaigre,  ou  desceuls 


BOUTARGUE  —  liOU 

t\v  pdissons  salis  cl  sécliés  qui  tiennent  d'Egypte.  Comme 
un  leur  a  fait  siib  r  un  commencement  de  décomposition 
aNanl  de  les  saler,  ils  ont  une  saveur  et  une  odeur  d'ammo- 
niaque prononcées.  Cette  préparation ,  très-excitante ,  est 
f  mployée  comme  assaisonnement  eu  Italie  et  dans  le  midi  de 
la  France. 

BOUTADE  HORS,  B0U1"E-DEH0RS  ou  BOUTE- 
HORS.  Les  marins  appellent  ainsi  les  pièces  de  bois  qui 
servent  à  porter  les  bonnettes. 

Boutc-liors  était  aussi  le  nom  d'un  ancien  jeu,  qui  ressem- 
blait à  celui  que  les  enfants  pratiquent  encore  aujourd'hui 
et  qu'ils  nomment  le  roi  dctrôné.  On  en  a  transporté  le 
sens,  au  figuré,  à  l'action  de  deux  hommes  qui  luttent  en- 
semble pour  une  place,  une  dignité  ou  des  faveurs  quel- 
conques, el  on  dit  lamilièrement  d'eux  :  Ils  jouent  au 
botite-hors. 

BOUTE-EX-TRAIN,  qui  éveille  la  joie,  l'excite  et  la 
rend  coimnunicative.  C'est  une  disposition  du  tempérament 
qui  perce  dans  la  physionomie  et  s'annonce  jusque  dans  les 
manières;  on  n'ose  se  montrer  grave  ou  réservé  à  qui 
semble  se  livrer  avec  tant  d'abandon.  Aussi  le  boute-en- 
train, par  son  seul  aspect,  fait  fuir  la  tristesse  et  déride  la 
mélancolie  ;  il  partage  avec  le  vin  et  la  bonne  chère  le  privi- 
lège de  réjouir  ;  il  est  l'àme  des  bons  repas  et  de  toutes  les 
réunions  consacrées  au  plaisir.  Bien  plus,  il  dit  môme  à  la 
mort  : 

Je  ne  veux  pas  qu'on  nie  pleure  , 
Moi  le  boule-en-train  des  fous. 

Mais  s'il  brille  dans  un  banquet,  il  s'éclipse  au  salon,  où  le 
rire  franc  n'apparaît  que  par  exception  et  comme  par  sur- 
prise. De  là  vient  que  le  boute-en-train  ne  se  rencontre 
guère  dans  les  hautes  classes,  car  le  bon  ton  repousse  toute 
démonstration  un  peu  vive.  Accueilli  dans  les  cercles  de  la 
bourgeoisie,  il  n'est  choyé  que  chez  le  peuple  ;  c'est  là  qu'il 
faut  l'observer,  parce  qu'il  ne  s'observe  pas  ;  c'est  là  qu'il 
éclate,  qu'il  délire,  et  qu'il  s'amuse  en  amusant.  S'il  des- 
cend jusqu'à  la  bouffonnerie,  il  diffère  cependant  du  bouf- 
fon,  en  ce  que  celui-ci  a,  pour  ainsi  dire,  une  gaieté  méca- 
nique, qui  sent  le  métier  et  expire  comme  elle  naît,  à  heure 
lixe,  tandis  que  le  boxUe-en-train  porte  la  joie  avec  lui  dans 
tous  les  instants  et  vous  en  pénètre,  parce  qu'il  en  est  pénétré. 

Boute-cn-train  est  encore  le  surnom  d'un  petit  oiseau, 
nommé  autrement  tarin,  facile  à  ap[>rivoiser,  et  dont  on  se 
sert,  ainsi  que  d'une  serinette,  pour  faire  chanter  les  autres. 

BOUTE-FEU.  C'est,  dans  le  sens  direct  du  mot,  celni 
qui  met  volontairement  le  feu  à  un  édifice,  à  une  grange,  à 
une  forêt.  Dans  l'antiquité,  Éro strate  brûla  le  temple  de 
Diane  pour  faire  parler  de  lui  ;  chez  les  modernes,  on  in- 
civndie  la  maison  d'autrui  par  vengeance,  et  souvent  la  sienne 
par  cupidité. 

Dans  le  style  figuré,  boute-feu  se  dit  de  ces  hommes  at- 
tisant les  passions  de  la  multitude  pour  la  pousser  à  tous  les 
excès.  Servilius  RuUus,  à  Rome,  Danton,  à  Paris,  étaient 
des  boute-feu  :  l'un  soulevait  au  Forum  le  peuple  contre  les 
grands;  l'autre,  aux  Jacobins,  insurgeait  la  populace  contre 
la  bourgeoisie.  Séditieux  par  nature,  tous  deux  semaient  le 
désordre  comme  s'ils  l'eussent  aimé  d'instinct ,  et  le  culti- 
vaient par  ambition.  Au  reste,  c'est  le  propre  des  révolutions 
d'enfanter  des  boute-feu;  mais, on  l'a  dit  bien  des  fois, 
comme  Saturne, elles  dévorent  leurs  enfants. 

Dans  les  rapports  ordinaires  de  la  vie,  on  appelle  boule- 
feu  certains  hommes  qui  s'empressent  de  rapporter  à  un 
tiers  une  plaisanterie  souvent  innocente  lâchée  contre  lui,  la 
dénaturent,  l'envcninient,  et  parvieimentdelasorte  à  brouil- 
ler les  meilleurs  ajnis.  Le  tracassier  cède  à  l'intempérance 
de  sa  langue  sans  dessein  de  nuire;  \c  boute-feu,  au  con- 
traire, procède  avec  rcllexion  et  dans  le  but  de  mal  faire. 
En  politique,  le  boule-feu  détruit  l'Étal;  dans  !a  vie  privée, 
il  rotnpt  l'amitié  el  désunit  la  famille. 


TEILLE  DE  LEYDE  61 1 

BOUTEILLE,  vase  de  verre,  de  terre cuile,  de  cuir,  etc., 
à  ouverture  étroite,  destiné  à  contenir  des  liquides.  C« 
mot  vient  probablement  du  verbe  bouter,  usilé  encore  dans 
les  patois  du  midi,  où  l'on  appelle  bout  tes  les  sacs  de  cuir 
dans  lesquels  ou  7net  le  vin,  que  l'on  transpoi  le  à  dos  d« 
mulet. 

Les  bouteilles  de  verre  sont  foit  anciennes  ;  on  en  trouva 
dans  les  ruines  d'Herculanum  et  de  Pompéi.  La  manière  de 
les  fabriquer  est  Irès-expéditive  et  fort  simple  :  l'ouviier 
plonge  l'extrémité  d'un  tube  de  fer,  appelé  canne,  dans  lepot, 
sorte  de  creuset  où  est  contenu  du  verre  en  état  de  fusion  ;  eu 
retirant  le  tube,  il  en  enlève  environ  gros  comme  le  poing; 
il  porte  cette  masse  dans  un  moule  cylindrique  d'un  dia- 
mètre égal  à  celui  que  doit  avoir  la  bouteille;  il  souffle  dans 
le  tube;  le  verre  se  gonfle  en  vessie ,  qui  prend  la  forme  du 
moule  ;  cela  fait,  il  retire  la  bouteille,  ainsi  ébauchée,  de  la 
cavité,  et,  l'ayant  renversée,  il  forme,  avec  une  mollet  te,  la 
creux  dont  la  convexité  s'élève  plus  ou  moins  dans  l'intérieur 
de  la  bouteille,  ce  qui  est  facile,  attendu  que  le  verre  est  encore 
en  consistance  pilleuse;  un  filet  de  verre  roulé  autour  du  gou- 
lot forme  la  cordetine,  qui  empoche  la  bouteille  de  glisser 
quand  on  la  tient  dans  la  main.  Enfin,  on  touche  circulaire- 
mentle  goulot  au-dessus  du  cordon  avecun  instrument  froid  : 
la  bouteille  se  détache,  el  un  enfant  la  porte,  au  bout  d'une 
verge  de  fer,  dans  un  four  chaud,  où  elle  se  refroidit  lente- 
ment, car  l'expérience  a  appris  que  le  verre  qui  passe  brus- 
quement d'une  température  élevée  à  une  température  froide, 
et  réciproquement,  est  beaucoup  plus  cassant  que  lorsque 
ce  changement  de  température  se  fait  avec  lenteur  (  voyc:, 
Verrekie).  Teyssî:ure. 

Pris  dans  l'acception  figurée,  bouteille  s'entend  du  con- 
tenu au  lieu  du  contenant.  On  dit,  par  exemple,  qu'un 
homme  aime  la  bouteille,  pour  dire  qu'il  aime  le  vin,  qu'il 
est  adonné  au  vin. 

A  bord  des  vaisseaux,  on  nomme  bouteilles  des  saillies 
ou  compartiments,  placées  en  dehors,  sur  l'arrière  du  bâti- 
ment, des  deux  côtés  de  la  poupe,  qu'elles  allleurent,  et 
servant  de  vespasiennes  à  l'équipage.  Elles  se  terminent  en 
cul-de-lampe,  et  supportent  autant  d'étages  qu'il  y  a  de  bal- 
te.ies  au  vaisseau  ;  celles  des  frégates  n'ont  qu'un  étage.  On 
nomme  fausse-bouteille  un  placard  sculpté  dans  la  même 
forme,  et  dont  on  décore  l'arrière  des  vaisseaux  trop  petits 
ou  trop  ras  pour  avoir  de  véritables  bouteilles. 

BOUTEILLE  DE  LEYDE.  La  découverte  de  la  bou- 
teille de  Leyde  est ,  comme  tant  d'autres  découvertes ,  née 
pour  ainsi  dire  du  hasard.  Elle  fut  faite  à  Leyde  en  174(i 
par  Cuneiis  et  Muschenbroeck.  Cette  découverte  fit  beaucoup 
de  bruit  en  Europe  ;  elle  donna  un  nouvel  éclat  à  Té  1  e  c  t  r  i  - 
cité;  chacun  voulut  éprouver  la  commotion,  malgré  le  récit 
effrayant  qu'on  en  faisait.  Tous  les  physiciens  répétèrent  la 
fameuse  expérience  de  Leyde ,  et  en  étudièrent  les  diverses 
circonstances.  Ce  fut  surtout  parmi  les  Français ,  toujours 
avides  de  nouvelles  découvertes ,  que  cette  expérience  ex- 
cita une  vive  sensation.  L'abbé  Nollet  donna  en  présence  de 
Louis  XV  la  commotion  à  un  régiment  entier. 

La  forme  commune  de  la  bouteille  de  Leyde  est  celle  d'un 
flacon  ordinaire.  La  surface  extérieure  est  recouverte  jus- 
qu'à une  certaine  hauteur  d'une  feuille  d'étain.  L'intérieur 
est  rempli  de  feuilles  de  cuivre  très-minces.  La  bouteille  est 
fermée  par  un  bouchon  de  liège ,  traversé  par  une  lige  de 
métal ,  dont  la  partie  supérieure  est  terminée  par  une  boule 
et  dont  la  partie  inférieure  communique  avec  les  feuilles  de 
cuivre.  La  feuille  métallique  extérieure  porte  le  nom  d'ar- 
mure extérieure,  les  feuilles  de  cuivre  intérieures  s'appellent 
armure  intérieure.  Pour  charger  la  bouteille  de  Leyde , 
on  la  lient  ordinairement  dans  la  main  ,  en  même  temps 
qu'on  fait  toucher  la  boule  de  la  tige  au  conducteur  <rune 
machine  électrique  en  action.  On  la  retire  quand  l'élec- 
tromèlre  à  cadran  posé  sur  le  conducteur  marque  que  l'iri- 
tensitc  de  i'eleciricité  dans  l'intérieur  de  la  bouteille,  ainsi 


CI2 


BOUTE[LLE  DE  LKYDE  —  BOUTER 


que  sur  le  conducteur  de  la  inucltiiic ,  est  ariivte  à  son 
Miaximuni, 

Quand  la  bouteille  est  ainsi  cliarg(^e,  si  l'on  touche  la  boule 
avec  l'autre  main,  on  se  sent  aussitôt  (Vappé  avec  violence 
dans  les  deux  bras,  surtout  auxarticnialions;  plusieurs  per- 
sonnes peuvent  recevoir  à  la  fois  la  cominotion  ;  il  suffit  pour 
cela  rprelles  se  tiennent  par  la  main  pour  former  une  chaîne  : 
la  personne  qui  se  trouve  à  une  extrémité  de  la  ciialne  prend 
la  bouteille  dans  une  main  ,  tandis  que  celle  qui  est  placée 
à  l'extrémité  opposée  touciie  la  boule.  La  transmission  de 
l'électricité  se  f;tit  avec  une  telle  rapidité  que  toutes  les  per- 
sonnes se  sentent  frappées  au  même  instant.  L'exjilication  de 
celte  expérience,  (|ui  a  dil  paraître  bien  extraordinaire  aux 
personnes  qui  l'ont  vue  à  l'origine  ,  est  très-simple  ;  elle  est 
enliéremeut  fondée  sur  l'attraction  mutuelle  des  deux  électri- 
cités. 

Supposons,  pour  fixer  les  idées  ,  que  le  conducteur  de  la 
machine  électrique  soit  chargé  d'électricité  positive  (vitrée), 
ce  qui  fA  le  cas  dos  machines  ordinaires.  Cette  électricité 
se.  répand  également  sur  le  conducteur  et  dans  l'intérieur  de 
la  bouteille.  l£lle  décompose  par  influence  l'électricité  natu- 
relle de  l'armure  extérieure  ,  attire  l'électricité  négative  (  ré- 
sineuse), et  repousse  l'électricité  posHive,  qui  se  dissipe  dans 
le  sol  parle  moyen  des  organes  de  la  personne  qui  tient  la 
bouteille.  L'électricité  négative  de  l'armure  extérieure  attire 
à  son  tour  l'électricité  positive  de  l'intérieur,  en  sorte  qu'une 
nouvelle  partie  de  l'électricité  du  conducteur  peut  pénétrer 
dans  l'intérieur  de  la  bouteille,  laquelle  électricité  décompose 
une  nouvelle  portion  de  l'électricité  de  l'armure  extérieure, 
et  ainsi  de  suite  ,  jusqu'à  ce  que  la  bouteille  soit  chargée  à 
la  limite,  c'est-à-dire  autant  que  possible  :  pour  comprendre 
qu'il  y  a  nécessairement  une  limite  à  la  charge  de  la  bou- 
teille de  Leyde  ,  on  doit  se  rappeler  que  l'action  de  l'élec- 
tricité décroît  avec  la  distance  ;  il  faut  donc  que  la  quantité 
d'électricité  positive  accumul^^e  dans  l'armure  intérieure  l'em- 
porte sur  la  quantité  d'électricité  négative  chassée  de  l'ar- 
mure extérieure  dans  le  sol ,  et  conséquemment  sur  la  quan- 
tité d'électricité  négative  retenue  sur  cette  armure.  Il  y  a  donc 
dans  l'arnmre  intérieure  une  certaine  quantité  d'électricité 
qui  n'est  retenue  que  par  la  pression  de  l'air.  Cette  quantité 
augmente  avec  la  charge  de  la  bouteille  ,  et  lorsqu'elle  est 
capable  de  vaincre  cette  pression ,  la  charge  est  arrivée  à 
sa  limite,  puisque  foute  l'électricité  qu'on  fournit  dès  lors  à 
l'arujure  intérieure  s'échappe  à  travers  l'air. 

Toutes  les  circonstances  que  présente  la  bouteille  de 
Leyde  se  conçoivent  aisément  d'après  ce  qui  précède  ;  la 
décharge  consiste  dans  la  réunion  de  l'électricité  i)Ositive 
de  l'intérieur  à  l'électricité  négative  de  l'extérieur.  Cette 
réunion  s'opère  quand  on  établit  une  communication  entre 
les  deux  armures  par  un  corps  conducteur.  Si  l'on  éta- 
blit celte  communication  avec  les  organes  ,  on  éprouve 
la  comnot'on.  Nous  venons  de  parler  de  l'attraction  mu- 
tuelle iles  deux  électricités  contraires;  cette  attraction  est 
si  forte  qu'une  partie  de  l'électricité  pénètre  dans  l'intérieur 
du  verre.  Voilà  pourquoi  ime  bouteille  peut  donner  plusieurs 
décharges  successives  :  à  la  vérité ,  la  première  est  beau- 
coup plus  forte  que  les  autres.  VoiJà  encore  pourquoi  sou- 
vent la  décharge  s'opère  à  travers  le  verre,  ce  qui  détermine 
la  rupture  de  la  bouteille.  Il  estencoie  évident  qu'il  faut  que 
l'armure  extérieure  communique  avec  le  sol ,  afin  que  l'é- 
lectricité ])ositive,  repoussée  par  l'électricité  pareille  du  con- 
ducteur, piii-^se  se  dissiper,  parce  que  si  l'électricité  positive 
et  l'électiicité  négative  de  l'armure  extérieure  restaient  sur 
cette  armiue,  elles  se  ne<itraliscraient  ;  et  il  ne  serait  pas 
|>ossil)le  d'accumider  de  l'électr'cité  positive  dans  l'intérieur, 
et  conséquemment  de  charger  la  bouteille. 

Piiisquf;  les  deux  électricités  s'attirent  si  fortement,  elles 
doivent  .se  trouver  sur  les  faces  du  verre,  et  non  dans  les  ar- 
irures  ;  c'est  encore  ce  qu'on  vérilic  par  l'expérience.  Si  l'on 
djargf  une  bouteille  "a  arnuues   mobiles,  et  qu'on  enlevé 


ensuite  chaque  armure  séparément,  on  verra,  en  les  refila- 
çant,  que  la  bouleUle  n'a  pas  perdu  sensiblement  de  sa  force. 

S'il  y  a  dans  l'armure  intérieure  un  excès  d'électricité, 
qui  n'est  maintenu  que  par  la  pression  atmosphérique;  on 
devra  tirer  de  cette  armure  une  étincelle  électrique,  quand 
on  la  touchera  sans  toucher  en  même  temps,  bien  entendu  , 
l'armure  extérieure.  L'électricité  qu'on  n'enlèvera  point  ne 
restera  qu'en  vertu  de  l'attraction  de  l'électricité  o|)posée  de 
l'armure  extérieure.  Il  faut  qu'il  y  ait  sur  celle-ci  un  excès 
d'électricité  négative;  on  pourra  donc  en  tirer  une  étincelle, 
puis  une  nouvelle  étincelle  de  l'armure  intérieure,  et  ainsi  de 
suite ,  en  sorte  qu'on  déchargera  de  cette  manière  la  bou- 
teille par  une  série  d'étincelles,  et  sans  éprouver  de  com- 
motion. 

Le  carreau  fulminant  et  \e  condensateur  ne  sont 
que  la  bouteille  de  Leyde  sous  une  autre  forme. 

Une  batterie  est  une  réunion  de  plusieurs  grandes  bou- 
teilles, dont  les  armures  intérieures  communiquent  ensemble, 
ainsi  que  les  armures  extérieures.  Chaque  bouteille  preiul 
alors  le  nom  de  jarre.  Les  effets  des  batteries  sont  ceux  de  la 
bouteille  de  Leyde  plus  ou  moins  agrandis  :  c'est  par  la  dé- 
charge d'une  batterie  puissante  qu'on  fond  et  volatilise  les 
métaux,  qu'on  enflamme  la  poudre,  qu'on  tue  des  animaux  ; 
c'est  en  un  mot  avec  cet  instrument  qu'on  donne  une  idée  des 
effets  de  la  foudre.       C.  Despketz,  de  t'Acad.  des  Sciences. 

BOUTEILLER  (  Grand  ).  C'était  autrefois  la  charge 
d'un  des  cinq  grands  officiers  de  la  couronne,  remplacé 
depuis  par  le  grand  éc ban  son  ,  qui  hérita  d'une  partie  de 
ses  fondions,  mais  non  de  ses  privilèges.  En  effet ,  le  grand 
bouteitler  signait  les  chartes  des  rois,  siégeait  à  la  CJ)ur 
des  pairs  et  exerçait,  en  vertu  de  son  oflice ,  l'une  des  deux 
présidences  de  la  chambre  des  comptes.  Il  prélevait  aussi 
cent  sols  de  France  sur  tous  les  sièges  et  bénéfices  ecclé- 
siastiques de  fondation  royale,  quand  les  nouveaux  titulaires 
prêtaient  leur  serment  de  fidélité.  En  l'hôtel  du  roi ,  il  en- 
voyait ses  gens  traire  au  tonnel  où  l'on  trayait  pour  le  prince, 
<iui  défrayait  aussi  sa  table  et  son  luminaire.  Aux  festins 
d'apparat,  la  coupe  ou  le  hanap  du  monarque  lui  revenait 
de  droit,  ainsi  que  les  pièces  de  vin  entamées  pour  le 
banquet.  Il  prenait  encore  chaque  année  vingt  livres  en  la 
chambre  des  deniers  pour  payer  ses  manteaux.  Le  premier 
grand  bouleiller  de  France  fut  Herbert  de  Serans,  qui  vivait 
au  commencement  du  onzième  siècle.  Parmi  ses  successeurs 
figurent  un  Hervé  de  Montmorency,  quatre  Guy  de  Senlis, 
un  Robert  de  Courtenay ,  un  Etienne  de  Sancerre,  un  Guy 
deChâtillon,  un  Jacques  de  Bourbon,  un  Yaleran  de  Luxem- 
bourg, des  sires  de  Coucy,  de  Tancarville ,  de  Saint-Pol, 
de  Croi,  de  Soissons,de  lîcaumanoir,  etc.  Un  différend  qui 
s'éleva  en  1:517  entre  le  sire  de  Sully,  grand  bouteiller ,  et 
le  sieur  la  Covyne  de  Soiecourt,  échanson  de  France,  nous 
apprend  que  ce  dernier  oflice  existait  alors,  mais  ne  tenait 
sans  doute  que  le  second  rang.  Un  grand  bouteiller,  Pierre 
des  Essarts,  fut  décapité  en  1413.  .Antoine  de  Cliàteauneuf, 
sieur  du  Lau ,  occupait  cette  charge  sous  Louis  XI  ;  elle  a  dû 
être  alKjlie  après  lui,  car  il  n'en  est  plus  question  dans  nos 
annales.  Depuis  cette  époque,  le  grand  échanson  fut  investi 
des  fonctions  attribuées  piécédemmen't  au  grand  bouteiller, 
sans  autres  prérogatives  que  de  vains  honneurs  attachés  à 
un  vain  t'tre. 

BOUTER.  Ce  verbe,  synonyme  de  mettre,  (\}i%W.  Dic- 
tionnaire de  Trévoux  qualifie  déjà  de  vieux  et  très  mauvais, 
a  donné  naissance  à  plusieurs  mots  qui  sont  restés  en  usage 
depuis  qu'on  l'a  lur-méme  abandonné.  On  dit,  en  fermes 
de  marine,  bouter  de  lof,  pour  dire  bouliner,  venir  au 
vent,  prendre  l'avantage  du  vent,  et  bouter  à  Veau,  quand 
on  fait  sortir  un  bateau  du  port.  En  termes  de  vénerie, 
bouter  la  l>éfc,  c'est  la  lancer.  Bouter,  en  termes  d'é- 
l)inglier,  c'est  mettre,  attacher  des  éjungles  sur  un  papier 
pour  les  exposer  en  vente;  on  appelle  bouleuses  les  ou- 
vrières cha'2'es  de  ce  soin. 


I 


BOUTEROLLK 

BOUTEROLLE.  Les  praveurs  en  pierres  fines  ap- 
pellent ainsi  un  instrument  en  cuivre,  dont  ils  enduisent 
lu  t^te  de  poiitire  d'éineii  ou  de  diamant,  et  qui,  monté 
sur  l'arbre  d'un  tonret ,  use  par  le  frottement  la  p-erre 
qu'on  lui  présente.  Les  metteurs  en  œuvre  nomment  bou- 
terolle  un  morreau  de  fer  arrondi  par  un  bout ,  qu'on  ap- 
plique sur  les  pièces  qu'on  veut  restreindre  dans  le  de  à 
pmhoiilir.  Lc"^  orOvres  donnent  le  même  nom  a  un  outil  de 
fer  terminé  par  une  léte  convexe,  et  qui  a  la  forme  que  l'on 
veut  donner  à  rouvras»»  sur  lequel  on  frappe  cet  outil;  les 
serruriers,  à  une  sorte  de  rouet  [losésnr  le  palalre  (la  boite) 
de  la  serrure,  à  l'endroit  on  porte  l'exlrémitp  H»-  !n  clef  qui 
le  reçoit,  et  sur  lequel  celle-ci  tourne.  BouteroUe  est  enfin 
uiic  pièce  d'armoirie  qui  représente  la  garniture  qu'on  met 
au  bout  du  fourreau  d'une  epée. 

HOUTERWEK  {  Fkédéric  ),  ré  le  15  avril  17f.6,  à 
Oker,  près  Goslar,  dans  le  royaume  de  Hanovre,  est  connu 
nar  plusieurs  ouvrages  philosophiques  et  littéraires.  La  phi- 
wsophie  n'avait  pas  été  sa  première  étude;  la  lecture  des 
ro;:ians  et  des  œuvres  de  quelques  beaux  esprits  de  l'époque 
avait  d'abord  égaré  quelque  peu  ses  idées;  puis,  voulant  re- 
venir à  des  travaux  plus  sérieux,  il  entreprit  l'étude  du  droit; 
loais  au  bout  de  deux  années  de  travail,  il  y  renonça, 
convaincu  que  la  poésie  était  sa  véritable  vocation.  A  cette 
première  période  de  sa  vie,  que  plus  tard  il  reconnut  lu'- 
méme  avoir  été  un  temps  d'erreurs  et  d'illusions,  se  rat- 
tache la  publication  d'un  assez  grand  nombre  de  poèmes 
et  d'un  roman  intitulé  :  Le  comte  Donamar  (3  vol.,  Gœt- 
tingue,  1/91-93).  Dans  ce  roman  Bonterwek  avait  décidé- 
ment pris  parti  pour  la  litteralure  sensuelle,  et  quelquelois 
pi  obscène,  de  Voltaire,  ravivée  par  Wieland,  et  semblait 
avoir  déserté  les  traces  du  mAle  génie  de  Klopstock. 

Quoiqu'il  ait  déploré  le  premier  ce  qu'il  appelait  les  égare- 
ments de  son  jeune  âge,  il  faut  reconnaître  que  cette  aber- 
ration passagère  d'un  esprit  supérieur  reagit  fortement  sur 
la  composition  de  son  célèbre  ouvrage  intitulé  :  Histoire 
de  la  Poésie  et  de  l'Eloquence  modernes  (  12  volumes, 
1801-1825).  Il  est,  à  la  vérité,  facile  de  s'apercevoir  qu'a- 
près les  premiers  volumes  l'esprit  de  l'auteur,  devenu  plus 
ferme  et  plus  philosoph-que,  imprime  aux  jugements  qu'il 
émet  plus  de  justesse  et  de  profondeur  ;  mais  on  ne  peut  nier 
non  plus  que  ses  appréciations  des  grands  monuments  de  la 
littérature  ne  soient  très-superlicielles ,  tandis  que  d'autres 
parties  de  la  littérature  ont  trouvé  en  lui  un  appréciateur 
habile  et  ju<liricu\.  La  littérature  qu'il  a  jugée  avec  le  plus 
de  bonheur  est  sans  contredit  la  littérature  espagnole. 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  comme  littérateur  que  Bou- 
te.'wek  s'est  rendu  célèbre  :  Tliistoire  de  la  pliilosopin'e 
moderne  en  Allemagne  doit  le  compter  parmi  les  écrivains 
qui  déployèrent  le  plus  d'ardeur  à  combattre  la  philosophie 
dont  les  bases  avaient  été  jetées  par  Schelling,  et  qui, 
après  plusieurs  transformations,  est  victorieusement  sortie 
de  la  lutle  qu'elle  avait  à  soutenir.  Lorsque  Bouterwek  eut 
obteiui ,  en  17'JG,  une  chaire  de  ph'losophie  à  l'université  de 
Gœtlingue,  le  premier  système  qu'il  y  enseigna  fut  celui  de 
Kant  ;  pins  lard  il  l'inbrassa  lesidces  de  Jacobi ,  penseurqui 
voulait  baser  tout  sur  un  sentiment  immédiat ,  et  qui  atta- 
quait tous  les  systèmes  par  lesquels  on  protendait  fonder  la 
philosophie  sur  le  savoir  et  la  science,  et  même  sur  une 
science  absolue.  L'idéalisme  de  Fichte  avait  déjà  été  l'ob- 
jet de  quelques  attaques  de  la  part  de  Bonterwek  ;  ces  at- 
taques devinrent  plus  violentes,  et  sortirent  même  des  con- 
venances d'une  lutte  philosophique,  lorsque  Schelling  essaya 
de  pousser  l'idéalisme  de  Fichte  encore  plus  loin,  ou  plutôt 
de  lui  donner  pour  base  son  systèn)e  de  Videntifé  abso- 
lue. Sans  doute  Schelling  alla  un  peu  trop  loin  dans  l'expo- 
sition de  ce  système  de  l'identité  et  de  Videntification; 
jamais  pourtant  il  ne  confondit  Dieu  avec  le  monde,  l'es- 
prit avec  la  matière  ;  il  prétendait  seulement  que  l'esprit  et 
la  nature  sont  deux  faces  analogues  de  l'absolu ,  et  que, 


-  BOUTIQUE  613 

comme  rien  n'est  en  dehors  de  Dieu,  toute  véritable  exis- 
tence (  le  mal  n'existe  pas  en  soi  ),  par  conséquent  la  na- 
ture, doit  être  regards  e  comme  quelque  chose  de  saint  et  de 
divin.  11  établissait  ensuite  une  analogie  et  un  parallélisme 
ingénieux  entre  la  nature  et  l'esprit;  et  tous  les  rapports  de 
l'homme  avec  la  nature ,  avec  le  corps ,  prenaient  ainsi  un 
aspect  supérieur.  Or,  c'est  précisément  ce  point  de  vue,  celui 
qui  sanctiliait  jusqu'aux  rajiports  naturels  dtr  Tliomme,  et 
même  ceux  des  sexes,  qui  porta  Bonterwek  et  d'autres  à  ac- 
cuser le  système  de  Schelling  iVimmoralité ,  de  matéria- 
lisme et  d\it/ieisme.  Après  élre  longtemps  demeuré  im- 
|)assible  en  présence  de  ces  graves  inculpations,  Schelling 
rompit  enfin  le  silence,  en  1812,  à  l'apparition  de  l'ouvrage 
de  Jacobi  Sur  les  choses  divines,  dans  lequel  les  accusa- 
tions élevées  contre  sa  philosophie  se  trouvaient  formulées 
avec  plus  de  vivacité  que  jamais.  Le  livre  qu'il  publia,  in- 
titulé :  Monument  de  Cccrit  de  Jacobi  sur  les  choses  di- 
vines,reMerd  toujours  pour  réfuter  les  sophismes  des  penseurs 
qui  croient  servir  Dieu  en  l'excluant  de  son  œuvre  éter- 
nelle, et  qui  n'arrivent  ainsi  qu'à  perpétuer  l'athéisme  dans 
la  société  et  le  monde,  en  mettant  Dieu  en  dehors  des 
choses  de  ce  monde.  Le  coup  avait  frappé  fort  et  juste  : 
aussi  depuis  lors  le  combat  alla-t-il  en  s'alTaiblissant  de 
plus  en  plus;  il  cessa  même  dans  le  champ-clos  de  la  pu- 
blicité, et  ne  se  continua  que  dans  les  auditoires  des  dif- 
férents adversaires.  Bouterwek  n'en  continua  pas  moins  à 
afta(]uer  la  nouvelle  philosophie  dans  ses  cours,  très-assi- 
dùment  suivis  par  la  jeunesse  des  écoles;  la  vérité  est  ce- 
pendant que  ses  attaques,  quoique  toujours  vives,  ne  dé- 
passèrent plus  jamais  les  bornes  d'une  exacte  politesse. 

Dans  son  Apodiclique ,  dans  son  Manuel  des  Sciences 
philosophiques,  et  dans  sa  Religion  de  la  Raison,  Bouter- 
wek rejette  l'idée  de  la  foi  absolue  pour  défendre  la  croyance 
de  la  I  aison  en  elle-même.  On  a  aussi  de  lui  une  Esthétique 
(  2  vol.,  3°  édit.,  1824  ) ,  dans  laquelle  on  trouve  beaucoup 
de  remarquer  judicieuses  sur  les  dilférenles  parties  de  l'art, 
quoique  la  première  partie  du  livre  qui  traite  des  principes 
du  beau  et  de  l'art  soit  restée  vague  et  superlioielle.  Bouter- 
wek mourut  le  '.)  aoilt  1828.  H.  Aurens. 

liOUÏE-SELLE,  vieux  terme  de  guerre  que  nous  a 
légué  le  moyen  âge,  avec  l'éclatante  sonnerie  qui  le  traduit  : 
c'est  le  signal  que  la  trompette  donne  pour  avertir  les  cavaliers 
de  seller  leurs  coursiers  de  bajaille  et  de  se  tenir  prêts  à 
chevaucher  pour  voler  de  rechef  à  la  gloire. 

Il  y  a  quelque  chose  de  niagnitique  dans  l'excitation  fé- 
brile que  ce  signal  inattendu  jette  dans  une  caserne  et  surtout 
dans  un  bivouac,  une  grand'-garde,  un  avant -poste  d'ar- 
mée, quand  tous  ces  soldats,  tous  ces  chevaux  ,  endormis 
au  pied  de  leurs  piquets,  «e  réveillent  en  sursaut  aux  pre- 
miers (eux  du  jour,  les  chevaux  implorant  déjà  une  toilette 
qui  doit  faire  ressortir  leur  valeur,  les  hommes  bouchon- 
nant leurs  camarades,  leur  passant  le  mors  aux  dents, 
ramassant  brides  et  bridons,  disposant  fontes,  selles,  scha- 
braques,  étriers,  sangles  et  croupières.  Mais  à  cette  agita- 
tion ,  qui  n'est  pas  bruyante,  succèdent  bientôt  w\  calme, 
un  ordre,  un  silence  complets  dans  ces  rangs  belliiiueux 
de  carabiniers ,  de  dragons,  de  cuirassiers,  de  hussards,  de 

chasseurs,  de  lanciers Tous  ces  naseaux  brûlants  de  qua- 

dni])cdes  interrogent  l'espace;  toutes  ces  figures  martiales 
d'hommes  aspirent  la  poudre.  Hommes  et  quadrupèdes, 
pour  s'élancer  à  de  nouveaux  exploits,  n'attendent  plus 
que  le  mot  magique  :  En  avant! 

BOUTIQUE,  liOLTlQUlER.  On  appelle  boutique  un 
lieu  où  les  marchands  étalent  leurs  marchandises  en  vente. 
Varrièrc-boutique  est  une  pièce  qu'on  trouve  inmiédiate- 
ment  après  la  boutique.  Aujourd'hui  Paris  n'a  plus  une  seule 
boutique,  et  cependant,  excepté  dans  quelques  quartiers 
recules,  tous  les  rex  de-chaussée ,  et  même  bon  nombre  de 
premiers,  sont  ce  qu'on  appelait  autrefois  des  boutiques;  lo 
mot  seul  a  été  change.  Le  terme  g'^acrique  maintenant  est 


614  BOUTIQUE 

tiuKjasln ,  et  chaque  boutique  a  un  nom  particulier,  selon 
la  luarcliaMilise  qu'on  y  débite.  Si  une  boutique  en  renferme 
un  grand  nombre  d'autres,  on  l'appelle  ^a:;ar;  si  le  bazar 
s'ouvre  à  ses  deux  extiémités ,  et  si  on  y  circule  librement, 
il  prend  le  nom  de  passage. 

Le  mot  boutique  a  pris  en  France  une  acception  nou- 
velle; on  dit  la  boutique  pour  dire  les  boutiquiers.  La 
bouticïue ,  c'était  sous  le  dernier  règne  la  puissance  du  jour, 
c'était  cette  partie  de  l'industrie,  souvent  bonifie  d'orgueil 
et  d'ignorance,  qui  ne  voyait  que  soi  et  le  présent. 

Le  boutiquier,  garde  national  fanatique  et  ami  à  tout  prix 
de  ce  qu'il  appelle  Yordre  public  ,  voulait  autrefois  élever 
lui  et  sa  famille  au  rang  des  autres  classes  de  la  société  plus 
instruites  ,  mieux  édtiquées,  comme  il  lui  échappait  souvent 
de  dire.  Un  écrivain  spirituel  s'était  moqué  de  cet  amour 
mesquin  du  confortable,  de  cette  manie  d'artiste  qui  le  domi- 
naient alors,  par  un  vers  devenu  proverbe  : 

Et  l'on  trouve  un  piano  daos  l'arrière-boutique. 

Maintenant ,  au  contraire ,  il  voudrait  voir  tout  le  monde  des- 
cendre jusqu'à  lui.  Il  est  vrai  que  de  nos  jours  il  a  une  cer- 
taine instruction ,  et  qu'il  parle  un  j)eu  de  tout  ;  mais  c'est 
justement  le  moyen  quelquefois  de  déraisonner  sur  tout. 

Le  boutiquier  est  avare,  peureux,  souple,  partisan  de  tous 
les  gouvernements  présents  et  futurs  qui  auront  Tair  de  le 
compter  pour  quelque  chose;  il  a  tenu  ou  a  cru  tenir  le 
pouvoir,  et  il  se  complaît  dans  cette  idée;  aussi  tous  les  gou- 
vernements nouveaux  attachent-ils  un  grand  prix  à  se  con- 
cilier ses  bonnes  grâces.  En  1848  le  Provisoire  lui-même  ne 
tiédaigna  pas  ses  suffrages,  et  réussit  un  instant  à  lui  faire  ac- 
croire que  la  république  n'était  qu'une  boutique  bien  menée. 

BOUTO  ou  CUTO  ,  dans  le  système  mythologique  des 
I-;gyptiens,  l'une  des  huit  divinités  du  premier  ordre,  fut 
Jdentiliée  par  les  Grecs  avec  leur  Léto,  et  par  les  Romains 
avec  leur  Latone;  et  il  est  fort  probable  que  dans  la  suite 
des  temps  les  traditions  grecques  de  Lèto  se  confondirent 
souvent  avec  celles  de  la  déesse  égyptienne.  Bouto  repré- 
sente l'éternité,  la  nuit  primordiale,  (lui  précéda  le  débrouil- 
lemcntdu  chaos, et  encore  l'eau  ou  Tluunidité  primitive,  le 
limon  du  Nil,  la  matière  fécondée  ou  propre  à  être  fécon- 
dée, la  mère  de  toutes  choses.  Elle  passe  généralement  pour 
la  nourricri  d'Horus  (Apollon)  et  de  Bubastis  (Artémise), 
les  deux  enfants  d'Osiris.  Tandis  que  Typhon  multiplie  les 
pièges  autour  du  bienfaisant  Osiris,  le  tue,  le  mutile,  pro- 
fane sa  tombe  et  iiersécute  sa  famille ,  Isis  confie  son  jeune 
lils  à  Bouto;  celle-ci  le  cache  et  le  nourrit  dans  une  île 
llollante  appelée  Chemmis,  dans  le  lac  et  au  voisinage  de 
la  ville  d'Egypte  cpii  porte  son  nom.  Comme  déesse  de  la 
nuit,  Bouto  avait  près  d'elle,  dans  ses  temples,  la  mygale 
ou  musaraigne,  qui,  comme  la  taupe,  était  censée  aveugle, 
parce  que  ses  yeux  ,  très-petits  ,  sont  prescjuc  entièrement 
cachés  par  les  replis  de  la  peau.  L'ichneumon  aussi  lui  était 
consacré,  ainsi  qu'à  Hercule.  Chaque  année,  on  venait  dé- 
votement en  pèlerinage  à  l'oracle  et  au  temple  de  Bouto  ou 
Boutas,  située  sur  la  rive  méridionale  du  lac  du  même 
nom,  à  l'embouchure  du  Nil  Sébennytique.  Hérodote,  qui 
donne  une  description  très-délaillée  de  cette  ville  popu- 
leuse, capitale  d'un  nome  de  la  Basse-Egypte,  vanle  surtout 
le  tem|ile  magnilique  qu'on  y  avait  élevé  a  Bouto  ,  et  outre 
lequel  il  existait  encore  îles  temples  consacrés  à  Horus  et  à 
Artémise,  nolauunent  le  Portique  et  une  cliapelle  d'uuc  seule 
pierre  qui  avait  quarante  coudres  de  hauteur. 

BOUTOIR.  Lorsque, connue  dans  le  cochon,  le  san- 
içlier,  le  phacochoère,  le  bahiroussa,  ies  pécaris,  la 
j)artie  antérieure  de  la  cloison  des  narines  est  prolongée  par 
*m  os  élargi  ;  lorsipic  la  peau  qui  recouvre  ce  ne/,  est  plus  ou 
jnoins  nue  et  reçoit  une  grande  quantité  de  nerfs;  lors- 
«lu'enlin  cette  peau,  soutenue  |>ar  l'os  élargi  de  la  cloison  et 
par  les  pièces  solides  des  ouvertures  nasales ,  l'est  encore 
|)ar  une  couche  do  tissu  cellulaire  doii^e  et  eia.>fiqiio,  toutes 


-  BOUTON 

ces  particularités  d'organisation  ont  fait  donner  à  ce  ne/  le 
nom  de  boutoir  (  vulgairement  groin  ). 

Ces  sortes  de  nez  sont  propres  à  ouvrir  la  terre ,  à  fouil- 
ler dans  le  sol  pour  y  chercher  la  nOi.rriture.  Dans  toutes  les 
espèces  de  la  famille  des  cochons  que  nous  avons  déjà  citées, 
le  boutoir  est  terminé  par  une  surface  plane,  verticale,  où 
l'on  voit  les  ouvertures  des  narines.  La  peau  de  cette  sur* 
face  et  d'une  partie  de  la  circonférence  est  toujours  enduite 
d'une  humeur  visqueuse,  qui  lui  donne  un  aspect  luisant  et 
contribue  sans  doute  à  en  augmenter  la  sensibilité  tactile. 
Lorsque  ces  animaux  barbottent  dans  la  vase,  dans  des 
amas  de  fumier,  ou  remuent  un  terrain  marécageux  ou  tout 
autre  sol  humide  et  meuble,  leur  boutoir  agit  comme  l'ex- 
trémité d'un  levier  représenté  par  la  tèle,  qu'ils  enfoncent 
obliquement.  Pendant  que  l'arête  mousse  de  la  partie  su- 
périeure et  de  toute  la  circonférence  du  boutoir  pénètre 
dans  le  sol,  la  peau  nue  et  visqueuse  de  la  surface  plane 
sert  comme  un  organe  d'un  toucher  délicat,  en  môme  temps 
que  l'appareil  de  l'oKactiou,  qui  est  très-développé ,  flaire 
et  recueille  toutes  les  émanations  odorantes  des  corps  re- 
cherchés pour  la  nourriture,  qui  sont  situés  plus  ou  moins 
profondément  dans  le  sol.  C'est  en  utilisant  ces  fouilles  exé- 
cutées par  le  boutoir  du  cochon  domestique  que  l'homme  sait 
s'approprier  la  truffe,  si  recherchée  par  les  gourmets. 

L.  Laubent. 

BOUTON  (  Technologie  ),  petite  pièce,  de  forme  len- 
ticulaire ou  hémisphérique  ,  qu'on  emploie  pour  joindre  à 
volonté  les  pièces  d'un  vêtement,  ou  encore  comme  orne- 
ment. On  peut  distribuer  les  boutons  en  deux  classes  prin- 
cipales :  1"  les  boutons  simples;!."  les  boutons  composés. 

Les  boutons  simples  se  font  en  bois,  ivoire,  os,  nacre  de 
pcile,  corne,  etc.  Leur  forme  est  celle  d'un  petit  disque 
percé  d'un  trou  au  centre  et  de  quatre  autres  tout  autour. 
Ces  boutons  se  fabriquent  de  la  manière  suivante  ;  on  pré- 
pare des  planchettes  de  bois,  d'ivoire,  etc.,  d'une  épaisseur 
égale  à  celle  que  doivent  avoir  les  boutons,  puis  on  découpe 
ces  planchettes  au  moyen  d'un  instrument  monté  sur  un 
tour.  On  se  formera  une  idée  de  cet  instrument  en  se  figu- 
rant un  compas  dont  ime  des  pointes  serait  coupante  et  l'autre 
perçante  :  en  faisant  tourner  l'instrument  sur  cette  dernière 
pointe,  en  l'appuyant  sur  une  planchette  de  peu  d'épaisseur, 
il  est  évident  (pie  la  pointe  coupante  détacherait  une  rondelle 
percée  au  centre  par  l'autre  pointe  du  compas.  C'est  de  cette 
manière  qu'on  découpe  les  moules  des  boutons.  Les  quatre 
trous  qui  entourent  celui  qui  occupe  le  centre  des  boutons 
simples  se  percent  d'un  seul  coup  au  moyen  de  quatre  forets 
montes  sur  le  même  appareil,  et  qu'une  seule  roue  fait  tour- 
ner. Une  pointe  fixe,  et  qui  entre  dans  le  trou  central  du 
bouton  détermine  la  position  qu'il  doit  occuper  pour  que 
les  quatre  trous  soient  percés  à  des  distances  convenables  du 
centre.  Les  boutons  simples  reçoivent  quelques  ornement.*» 
ciiculaires  dont  le  profil  dépend  de  l'outil  qui  sert  à  les 
découper. 

Les  boutons  composés  se  font  en  métaux,  corne  fon- 
due, etc.  Les  plus  communs  consistent  en  un  moule  de  bois, 
d'os,  de  métal,  recouvert  d'un  le.orceau  d'élofl'e  de  drap,  de 
toile,  de  soie,  etc.  ;  quand  le  moule  est  en  bois  et  qu'il  doit 
être  recouvert  d'une  feuille  de  métal,  il  est  percé,  comme 
un  bouton  simple,  de  cinq  trous,  dans  lesquels  est  passé  un 
petit  cordon  qui  sert  a  fixer  le  bouton  sur  le  vêtement  en  le 
cousant  à  l'ordinaire.  Quant  à  l'enveloppe  de  ces  sortes  de 
boutons,  on  la  découpe  d'abord  au  moyen  d'un  emporte-pièce 
dans  une  plaque  de  métal,  et  l'on  emboutit  ensuite  celte  ron- 
delle à  l'aide  d'un  mouton  ou  d'un  balancier  :  celle  opéra- 
tion lui  fait  prendre  la  forme  d'un  petit  vase  circulaire.  Si 
le  bouton  doit  porter  des  légendes,  des  ornements,  le  ba- 
lancier est  numi  de  deux  pouiçons  gravés  l'un  eu  creux  et 
l'autre  en  relief,  qui  s'appliquent  exactement  l'un  sur  l'autre; 
la  rondelle  de  métal,  étxmt  pressée  entre  ces  deux  poinçons, 
y  reçoit  la  copie  exacte  de  leurs  reliefs.  On  fixe  les  eure- 


BOUTON 


r>ii 


loppes  ainsi  préparées  sur  les  moules  en  bois,  en  métal,  etc., 
au  moyen  du  tour;  cette  opération  s'appelle  sertir;  elle 
consiste  à  fixer  le  moule  sur  le  mandrin  d'un  tour  en  l'air, 
à  ajipliquer  l'enveloppe  métallique  dessus  et  à  en  rabattre 
les  bords  en  frottant  contre  avec  un  brunissoir. 

Les  boutons  coulés  en  métal  portent  un  anneau  de  (il  de 
fer  ou  de  laiton  ;  on  place  cet  anneau  dans  le  moule  de  fa- 
çon que  son  ouverture  ne  puisse  être  enveloppée  par  le  mé- 
tal qui  ne  doit  saisir  que  ses  deux  crampons.  Les  boutons 
en  corne  fondue  portent  aussi  un  anneau  de  til  de  laiton. 

Les  boutons  de  métal  se  polissent  ordinairement  au  tour 
en  l'air  ou  sur  des  meules  en  pierres  ou  en  bois  :  ces  der- 
nières sont  recouvertes  de  cuir  imbibé  d'huile  dans  laquelle 
on  a  délayé  de  l'émeri  en  poudre  plus  ou  moins  fine.  Les 
boutons  métalliques  unis  reçoivent  le  dernier  lustre  sur  un 
tour  en  Tair  dont  l'arbre  tourne  avec  une  grande  rapidité. 
C'est  avec  le  brunissoir  qu'on  exécute  cette  opération.  Les 
boutons  festonnés  se  terminent  au  tour  à  guillocber. 

On  fiibrique  aussi  des  boutons  en  serrant  fortement  une 
rondelle  de  tissu  entre  deux  rondelles  métalliques,  dont  la 
supérieure  d'un  diamètre  un  peu  plus  grand  que  celui  de 
l'inférieure,  est  sertie  sur  celle-ci  de  telle  sorte  que  le  tissu 
reste  fortement  pressé.  La  rondelle  métallique  inférieure  est 
percée  à  son  centrede  façon  à  laisser  passer  le  tissu  du  bouton, 
que  le  tailleur  peut  ainsi  coudre  avec  la  plus  grande  facilité. 

On  fait  encore  des  boutons  en  pdte  céramique,  dont  la 
matière  est  analogue  à  la  i)àte  de  porcelaine.  La  base  de 
cette  pâte  est  le  feldspath.  Une  presse  puissante  moule  ces 
boutons,  qui  sont  ensuite  soumis  à  la  cuisson.  On  leur  donne 
la  couleur  que  l'on  veut  en  introduisant  dans  la  pâte  divers 
oxydes  métalliques.  Grâce  à  la  rapidité  de  leur  fabrication  et 
au  bon  marché  des  matières  premières ,  le  prix  de  ces  bou- 
tons est  devenu  très-modique. 

BOUTON  (Botanique).  On  appelle  ainsi  la  jeune  fleur 
avant  son  épanouissement.  Le  bouton  renferme  donc  le  germe 
de  toutes  les  parties  que  la  Heur  présentera  plus  tard. 

Quelquefois  le  nom  de  bouton  est  donné  à  un  bour- 
geon liorifère.  C'est  dans  ce  sens  qu'on  dit  que  le  bouton 
des  arbres  à  pépins  donne  plusieurs  (leurs,  et  que  celui  des 
arbres  à  noyau  n'en  donne  qu'une.  H  y  a  des  jardiniers  qui 
appellent  ces  boutons  des  bonnes  ou  des  bourses  a.  (mit. 

BOUTOIX  (Médecine).  On  nomme  ainsi  de  petites  tu- 
meurs arrondies,  plus  ou  moins  pointues,  qui  s'élèvent  sur 
diflérentes  parties  de  la  peau  ,  et  dont  la  forme  a  quelciue 
analogie  avec  des  productions  homonymes  du  règne  végé- 
tal. On  appelle  aussi  ces  tumeurs  papules  dans  le  langage 
médical,  vraisemblablement  parce  qu'elles  ont  été  attribuées 
à  un  développement  des  corps  papillaires  qui  entrent  dans 
la  composition  du  tissu  de  la  peau.  Les  boulons  vaiifiit 
sous  un  grand  nombre  de  rapports  :  tantôt  ils  sont  de 
simples  excroissances,  qui  ne  contiennent  aucun  fluide, 
tantôt  ils  renferment  une  sérosité  transparente,  ou  bien  un 
liquide  purulent;  cependant  on  ne  les  considère  jamais 
comme  des  foyers  de  pus,  et  ils  se  dessèchent  ordinairement 
tous  sous  la  forme  qu'on  appelle  croûte.  D'après  ces  diffé- 
rences, on  les  distingue  en  boutons  secs,  en  boutons  vési- 
culeux  et  en  boutons  pustuleux.  Quelquefois  les  boutons 
sont  très-petits,  et  sans  alfération  notable  du  coloris  de  la 
peau  ;  d'autres  fois  leur  base  est  enflammée  et  plus  ou 
inoin«  rouge.  Souvent  ils  nesont  accompagnés  d'aucune  sen- 
sation insolite  ;  mais  on  les  rencontre  assez  communément 
avec  une  démangeaison  plus  ou  moins  forte,  et  en  ce  cas  on 
les  appelle  boutons  prurigineux.  On  les  voit  naître  isolé- 
ment ou  bien  par  groupes  appelés  plaques,  et  dont  les 
tonnes  sont  très-diversi(iées. 

Ces  affections  sont  les  plus  communes  et  les  plus  légères 
de  celles  qui  composent  la  liste,  aussi  longue  que  variée, 
des  maladies  de  la  peau;  toutefois,  elles  sont  souvent  fâ- 
cheuses. Parfois  les  boutons  causent  des  démangeaisons 
très-pénibles.  Les  éruptions  papuleiises  s'aggiavent  surtout 


par  le  grand  nombre  de  médications  qu'on  tente  pour  s'en 
guérir,  et  qui  sont  trop  souvent  des  moyens  dangereux. 

Les  boutons  apparaissent  dans  diverses  conditions  dépen- 
dantes de  l'âge,  du  sexe,  de  l'alimentation,  etc....  Les  pre- 
mières périodes  de  la  vie  humaine  sont  communément  atlli- 
gées  par  des  éruptions  papuleuses  :  chez  la  majeure  partie 
des  enfants ,  à  l'époque  de  la  dentition ,  on  voit  apparaître 
sur  les  joues,  le  front,  les  épaules,  les  bras,  les  avant-bras, 
le  dessus  des  mains,  les  fesses,  les  cuisses,  les  alentours 
du  nombril,  etc.,  des  groupes  de  boutons  qui  forment  des 
plaques  très-rouges,  et  diversement  figurées,  auxquelles  on 
donne  vulgairement  le  nom  de  feux  de  dents.  A  l'époque 
du  sevrage  des  enfants ,  on  voit  aussi  poindre  sur  les  mem- 
bres supérieurs,  sur  les  joues,  etc.,  de  petits  boutons  d'un 
rouge  vif ,  tantôt  séparés ,  tantôt  mêlés  avec  des  points  rouges 
ou  avec  des  plaques  de  la  même  couleur,  quelquefois  encore 
avec  des  taches  blanches,  entourées  d'un  cercle  rougeâtre. 
Dans  d'autres  phases  de  l'enfance,  on  voit  encore  naître  des 
boutons  avant  et  après  des  maladies  aiguës.  A  l'époque  de 
la  puberté ,  les  jeunes  gens  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  ont  sou- 
vent des  boutons,  surtout  au  visage.  Dans  l'âge  adulte,  il  n'est 
pas  rare  de  voir  des  boutons  isolés,  et  d'un  rouge  vif,  appa- 
raître sur  le  visage,  les  bras,  les  mains,  le  cuir  chevelu, 
après  une  (ièvTe  légère  ou  des  maux  de  tête  :  ceux-ci  op* 
quelquefois  l'apparence  des  boutons  de  la  gale,  et  sont  ac- 
compagnés d'un  prurit  très-incommode  ;  ils  se  sèchent  or- 
dinairement après  une  durée  d'une  à  trois  semaines.  C'est 
dans  la  vieillesse  que  l'homme  est  ordinairement  sujet  aux 
éruptions  des  boutons  prurigineux,  qui  excitent  des  déman- 
geaisons intolérables,  et  qui  condamnent  à  un  cruel  supplice 
ceux  qui  en  sont  affectés.  Le  tribut  mensuel  auquel  les  femmes 
sont  assujetties  est  une  autre  cause  de  boutons;  ils  nais- 
sent encore  sur  le  visage,  et  ils  contribuent  à  alTliger  leur 
existence  à  l'âge  appelé  critique. 

Une  trop  grande  continence  ainsi  que  l'usage  de  certaines 
substances  alimentaires,  telles  que  les  plantes  crucifères,  les 
moules,  les  huîtres  ,  etc.,  concourent  également  à  produire 
des  boutons.  Les  crevettes ,  les  poissons  que  les  marchands 
de  comestibles  de  luxe  exposent  à  nos  regards,  ont  surtout 
cet  inconvénient ,  parce  qu'ils  contractent  une  qualité  irri- 
tante quand  ils  ont  été  conservés  longtemps  dans  de  la  glace, 
moyen  qui  les  préserve  d'une  décomposition  putride,  mais 
qui  ne  les  empêche  pasdedeveniralcalescents.  Les  vins  blancs, 
quand  on  n'est  point  accoutumé  à  leur  usage,  produisent  en- 
core cet  effet.  Enfin,  l'exposition  à  la  chaleur  du  soleil  peut 
aussi  faire  naître  des  éruptions  papuleuses  :  il  en  est  une  à 
laipielle  il  est  difficile  de  se  soustraire  sous  les  tropiques. 

Toutes  les  causes  productrices  des  boutons,  quoique  bien 
(liflérontes  au  premier  coup  d'œil,  peuvent  cependant  être 
réduites  en  majeure  partie  à  une  principale,  qui  est  l'irritation 
do  la  membrane  muqueuse  du  tube  digestif,  laquelle  réagit 
au  dehors.  11  convient  donc  de  lui  opposer  des  adoucissants, 
et  non  des  excitants ,  comme  on  le  fait  trop  souvent  dans  la 
pratique  vulgaire. 

L'éruption  de  boutons  qui  accompagne  le  travail  de  la  den- 
tition, par  exemple,  n'exige  qu'un  traitement  très-simple: 
il  faut  chercher  à  modérer,  autant  que  possible,  l'irritation 
gastro-intestinale  qui  résulte  de  celle  des  gencives ,  et  qui  en- 
tretient un  état  fébrile.  A  cet  effet,  on  rendra  l'alimentation 
très-légère,  on  donnera  aux  enlânts  de  l'eau  fraîche  et  sucrée, 
qu'ils  appètent  ordinairement  beaucoup  :  leur  affaiblissement 
est  un  symptôme  de  la  (lèvre,  qui  ne  doit  point  induire  à  em- 
ployer des  préparations  de  fer  ou  de  quinquina,  comme  ou 
le  fait  trop  souvent  ;  la  constipation,  qui  est  un  autre  symp- 
tômede  l'irritation  de  l'estomac,  ne  doit  pas  non  plusengager 
à  employer  le  caîomel  ou  d'autiespurgatils  :  le  régime  et  «le 
petits  lavements  suffisent  communément;  des  bains  d'eau 
tiède  conviennent  en  même  ten)])s,  et  il  faut  se  garder  de  te- 
nir les  enfants  trop  couverts,  ainsi  qu'on  le  lait  quelquefois. 

Ces  moyens  sont  encore  applicables  aux  boulons  qui  sur» 


«16 


BOUTON  —  BOUTOURLINE 


Tiennent.'»  l'époque  ilu  sevrage  et  des  maladies  fébriles.  Il  est 
également  inulile  de  recourir  aux  ressources  pharmaceu- 
tiques dans  le  plus  grand  nombre  de  cas  où  les  boutons  se 
manifestent  à  l'époque  de  la  puberté,  et  le  plus  communément 
chez  les  jeunes  gens  très-sanguins.  11  sullit  de  rendre  alors 
l'alimentation  peu  stimulante,  de  prescrire  un  exercice  mo- 
déré, des  bains  d'une  température  peu  élevée,  quelquefois 
«ne  saignée.  Les  jus  d'herbes,  dont  on  fait  usage  pour  rafraî- 
chir le  sang,  produisent  très-souvent  un  effet  opposé  à  ce  but; 
les  sirops  antiscorbutiques  et  les  purgatifs  ont  beaucoup  plus 
d'inconvénients  encore  :  sous  l'influence  de  ces  moyens,  qui 
excitent  la  muqueuse  digestive ,  les  éruptions  papuleuses  aug- 
mentent fréquenunent. 

Les  boutons  causés  par  l'insolation  ou  par  d'autres  causes 
extérieures  se  guérissent  par  des  topiques  émollients.  Les  érup- 
tions qui  affectent  les  femmes  vers  l'âge  critique  sont  rebelles 
et  difticiles  à  traiter  convenablement.  Le  vulgaire  a  recours 
pour  les  attaquer  aux  purgatifs,  et  trop  souvent  aux  jjotions 
meurtrières  cLe  Leroi.  Les  résultats  de  ces  purgations  réité- 
rées sont  communément  des  maux  d'estomac  ou  des  intes- 
tins, qui  empoisonnent  le  reste  de  la  vie,  et  dont  il  n'est 
pas  rare  qu'une  mort  prématurée  soit  le  terme.  En  outre, 
comme  on  néglige  de  diriger  des  médications  convenables 
sur  l'organe  où  est  le  foyer  principal  de  l'affection ,  il  ac- 
quiert souvent  un  état  morbide  qu'on  ne  reconnaît  que  quand 
il  est  à  peu  près  irrémédiable  :  les  cancers  utérins  n'ont  fré- 
quemment pas  d'autres  causes.  Les  boutons  prurigineux  qui 
attaquent  les  deux  sexes  parvenus  à  l'âge  de  retour ,  et  fré- 
quemment les  gens  de  lettres ,  sont  souvent  rebelles  à  toute 
médication. 

En  résumé,  nous  ne  saurions  trop  répéter  que  les  boutons 
étant,  dans  la  majorité  des  cas,  le  reflet  d'une  irritation  in- 
térieure, la  sagesse  exige  qu'on  cherche  à  l'éteindre  au  lieu 
de  chercher  à  guérir  le  dehors  au  détriment  du  dedans. 

D'   CUAItBO.'^MKH. 

BOUTON  (Cn,vRLES-MARiE),  peintre  et  directeur  du 
Diorama,  inventé  par  lui  et  Daguerre,  naquit  à  Paris, 
lelCmai  1781.  On  ne  lui  connaît  pas  de  maître.  Ses  premiers 
essais  n'en  furent  pas  moins  heureux,  et  en  1819  son 
Saint  Louis  au  tombeau  de  sa  mère  lui  valut  la  médaille 
d'or.  Déjà,  en  1810,  il  avait  obtenu  cette  distinction.  A  cette 
épocjue,  M.  Bouton  était  tenu  pour  un  peintre  d'intérieur  qui 
n'avait  plus  aucun  secret  à  demander  à  la  science.  11  avait 
donné  dans  son  tableau  des  Souterrains  de  Saint-Denys, 
et  dans  celui  d'une  Vue  de  la  porte  Saint-Jacques  à 
Troyes,  toute  la  mesure  du  talent  qu'il  devait  avoir.  Comme 
peintre,  M.  Bouton  n'a  pas  depuis  sensiblement  amélioré 
son  faire,  bien  qu'il  ait  continué  assez  assidûment  la  pra- 
tique de  son  art.  Ceci  tient  à  ce  que  M.  Bouton,  qui  depuis 
longtemps  sans  doute  méditait  les  projets  de  peinture  à 
grand  spectacle  qu'il  a  réalisés  au  Diorama,  avait  pour 
l)réoccupation  presque  exclusive  les  procédés  matériels  de 
la  peinture,  la  machine  selon  l'expression  pittoresque  de 
l'Encyclopédie.  Le  peintre  s'est  oblitéré  dans  le  décorateur.  Il 
est  du  reste  fort  honorable  de  s'appeler  Bibiène,  quand  on 
ne  peut  s'appeler  Carrache,  et  personne  ne  contestera  que  les 
découvertes  de  MM.  Bouton  et  Daguerre  n'aient  laissé  bien 
loin  derrière  elles  les  Fompeo  Aldovrandini,  les  Orlandi,  les 
'l'esj,  les  Bibiène,  dans  l'art  de  la  perspective  et  la  distribution 
de  la  lumière.  Outre  ses  dioramas,  faits  avec  ou  sans  la  colla- 
boration de  M.  Daguerre,  M.  Bouton  a  peint  un  assez  grand 
nombre  de  tableaux ,  parmi  lesquels  on  cite  la  Salle  du 
treizième  siècle  au  musée  des  Petits- Augustins,  les  bains 
de  Julien,  des  ruines,  etc.,  qui  ont  figuré  dans  les  galeries 
de  l'impératrice  Joséphine,  de  J.  Lallilfe,  etc.  M.  Bouton  a 
encore  envoyé  deux  toiles  à  l'exposition  de  1842,  dont 
une,  la  VueintérieuredeSaint-Étienne-dn-Mont, avait  été 
commandée  par  Louis- Philippe.  Cet  artiste  estimable  obtint 
la  croix  d'Honneur  en  1824,  et  mourut  en  juin  1853. 

M.  Bouton  â'titait  élevé  aux  dernières  limites  de  son  art 


dans  ses  deux  tableaux  de  la  Vue  d'un  canal  en  Chintt 
et  de  l'Église  Saint-Paul ,  qu'on  voyait  en  1849  au  Din- 
rama.  Ces  deux  chefs-d'œuvre  furent  détruits  lors  de  l'in- 
cendie de  cet  établissement.  B.  de  Corcy. 

BOUTON  D'ARGENT,  nom  vulgaire  de  la  re;j on- 
cule  à  feuilles  d'aconit  (  ranuncuhis  aconitifolius  ). 
Celte  renoncule  est  originaire  du  midi  de  la  France.  Ses 
Heurs  nombreuses,  très-doubles ,  d'un  blanc  pur  et  dispo- 
sées en  forme  de  bouton,  sont  charmantes  et  plaisent  tou- 
jours, autant  par  elles-mêmes  que  par  l'élégance  des  rameaux 
et  pédoncules  divergents  qui  les  portent.  Comme  les  racines 
du  boulon  d'argent  sont  charnues,  il  est  prudent  de  placer 
cette  plante  dans  une  terre  très-.saine ,  ou  delà  lèvera 
l'entrée  de  l'hiver  pour  la  mettre  dans  le  conservatoire,  alin 
de  la  replanter  au  premier  printemps.  Cette  Jolie  plante  se 
multiplie  par  ses  graines  et  par  I?  séparation  de  ses  racines, 
qui  ont  im  peu  de  ressemblance  avec  celles  de  l'asperge, 
mais  qui  sont  plus  courtes. 

On  appelle  encore  bouton  d'argent  une  variété  cultivée 
de  Vachillée  sternutatoire  (  achillea  ptarmica).  C'est 
une  plante  vivace,  haute  de  60  centimètres  à  un  mètre,  dont 
les  fleurs  blanches  en  corymbes  paraissent  en  juillet,  sep- 
tembre et  octobre ,  et  conviennent  extrêmement  dans  les 
grands  massifs  de  fleurs,  où  on  doit  toujours  voir  cette  plante, 
qui  une  fois  en  place  reste  toujours,  tant  elle  est  rustique. 
Elle  se  multiplie  par  la  séparation  de  ses  racines  et  par  la 
semaison  de  ses  graines;  elle  est  originaire  de  la  France. 

BOUTON  D'OR.  Trois  espèces  du  genre  renoncule 
sont  connues  sous  ce  nom  vulgaire,  ainsi  que  sous  celui  de 
pied  de  coq.  La  plus  généralement  cultivée  est  la  renonctile 
rampante  {ranunculus  repens  ),  plante  vivace,  à  fleurs 
d'un  beau  jaune  et  en  extrême  abondance,  qui  se  voit  dans  les 
jardins  d'ornement,  au  milieu  des  massifs,  ou  au  second 
rang  des  plaies-bandes,  où  elle  figure  toujours  bien  ;  elle  se 
plaît  surtout  dans  les  parties  ombragées  des  jardins,  où  d'au- 
tres plantes  refusent  de  fleurir,  et  où  elle  présente  la  parti- 
cularité de  donner  des  fleurs  aussi  belles  et  d'un  éclat  aussi 
vif  que  si  elles  étaient  exposées  à  l'action  bienfaisante  de  la 
lumière  et  des  rayons  solaires.  Elle  existe  dans  les  jardin» 
à  l'état  de  fleur  simple  et  à  l'état  de  fleur  double;  l'une  et 
l'autre  se  multiplient  par  la  séparation  de  leurs  pieds  ou  par 
la  semaison  de  leurs  graines.  Cette  plahte  est  indigène  à 
la  France,  et  fleurit  en  juillet. 

La  renoncule  dcre  {ranunculus  acris)  ou  bouton  d'or 
de  France  est  une  plante  vivace,  dont  la  fleur  bombée  est 
très-belle,  .surtout  dans  la  variété  à  fleurs  doubles;  elle  oc- 
cupe très-agréablement  une  place  dans  les  massifs,  où  elle 
donne  au  mois  de  juin,  sans  efforts  et  en  abondance,  .ses 
belles  fleurs  doubles  d'un  jaune  d'or.  Ce  bouton  d'or,  lors- 
qu'il est  à  fleurs  doubles,  se  multiplie  par  éclats  et  par  la 
séparation  de  ses  racines,  et  lorsqu'il  est  à  fleurs  simples, 
par  la  semaison  de  ses  graines. 

La  troisième  espèce  de  bouton  d'or  est  la  renoncule  bul- 
beuse (  ranunculus  bîilbosus  ),  qui,  comme  la  précédente, 
est  commune  dans  les  prés  et  les  lieux  humides. 

BOUTOU,  espèce  d'arme  dont  se  servent  les  Ca- 
raïbes. C'est  une  massue  d'environ  l™,!»  de  long,  plate, 
épaisse  de  0"',05  dans  toute  sa  longueur,  excepté  à  la  poi-  . 
gnée,  où  son  épaisseur  est  un  peu  moindre.  Elle  est  faite 
d'un  bois  très-dur,  très-pesant  et  coupée  à  arêtes  vives.  Les 
Caraïbes  se  servent  de  cette  arme  avec  beaucoup  d'adressej 
et  de  force  ;  ils  ont  l'habitude  dy  graver  plusieurs  hachure*] 
ou  compartiments,  qu'il  teignent  de  couleurs  diflcrenles. 

BOUTOURLINE   (Dimitri  Pétoowicz),  le  meilleur  j 
écrivain  militaire  de  la  Russie,  né  à  Saint-Pélersbourg,  enj 
1790,  entra  au  service  dès  1808.   L'année  suivanti;  il  fit  .sa 
première  campagne  dans  les  hussards  contre  l'Autriche,  et] 
s'y  distingua.  En  1810  il  entra  dans  la  cavalerie  de  la  garde, 
et  fut  attaché  en  1812  à  l'état-major  général.  Il  y  servit  d'a- 
bord sous  les  ordres  du  prince  Bagralion,  puis  sous  ceux  duj 


BOUTOURLIINE  —  BOUTURE 


«17 


g<<n6ral  Wasilczikoff,  à  qui  fl  rendit  d'importants  services  à 
i'avant-garde.  ta  1819  il  fut  nommé  colonel,  et  passa  plus 
tard  général. 

Jl  a  écrit  la  plupart  de  ses  ouvrages  en  français,  par 
exemple,  sa  Relation  de  la  Campagne  en  Italie,  1799 
(  Saint-l'ctersbourg,  1810);  &on  Tableau  de  la  Campagne 
de  1813  en  Allemagne  (  Paris,  JS15) ,  qui  parut  sans  nom 
d'auteur,  et  qu'on  attribua  longtemps  à  »m  tout  autre 
écrivain;  enfm,  son  Précis  des  Événements  militaires  de 
la  dernière  guerre  en  Espagne  (Saint-Pétersbourg,  t8l7; 
ouvrage  public  également  en  français).  Ce  ne  fut  qu'après 
s'être  entendu  maintes  fois  reprocher  d'écrire  en  français , 
qu'il  se  décida  à  employer  désormais  la  langue  russe  pour 
ses  ouvrages.  C'est  en  cette  langue  qu'il  publia  son  Histoire 
de  la  Campagne  de  Napoléon  en  Russie  (Pétersbourg, 
1820  ),  VUisloire  des  Campagnes  des  Russes  au  dix-hui- 
tième siècle  (4  vol.,  Saint-Pétersbourg,  1820,  avec  une 
foule  de  cartes  et  de  plans  )  et  Y  Histoire  des  Temps  né- 
fastes de  la  Russie  aii  commencement  du  dix-septième 
siècle  (  2  vol.,  Saint-Pétersbourg,  1839  ),  où  il  expose  avec 
beaucoup  de  circonspection  les  faits  qui  ont  amené  l'état 
actuel  des  basses  classes  de  la  population  en  Russie. 

Boutourline  est  mort  le  21  octobre  1850,  dans  un  domaine 
qu'il  possédait  aux  environs  de  Saint-Pétersbourg.  11  était 
sénateur  et  directeur  de  la  Bibliothèque  Lnpéiiale. 

BOUTS-RIMÉS.  C'est  ainsi  qu'on  appelle  tout  à  la  fois 
des  riifies  souvent  bizarres,  excentriques,  choisies  et  dis- 
posées par  ordre,  que  l'on  donne  à  remplir,  et  la  pièce  de 
vers  composée  de  ces  bouts-rimés  remplis.  Le  nec  plus  ul- 
tra du  succès  consiste  à  ne  pas  laisser  apercevoir  dans 
l'exéculion  la  contrainte  qu'on  a  été  forcé  de  subir.  Les 
àouts-riinés  doivent  leur  origine  à  un  poète  du  dix-sep- 
tième siècle ,  les  uns  disent  Duclos ,  les  autres  Dulot,  lequel 
y  donna  lieu  sans  y  penser  par  les  plaintes  qu'il  fit  au  sujet 
<le  plusieurs  centaines  de  sonnets  qui  lui  avaient,  disait-il, 
été  dérobés ,  et  qu'il  regrettait  fort ,  quoiqu'il  n'en  eût  en- 
core composé  jusque  là  que  les  rimes ,  ayant  pour  habitude 
de  les  commeucer  toujours  ainsi;  ce  qui  pamt  si  singulier 
aux  auditeurs  de  ses  lamentations  qu'ils  résolurent  de 
s'exercer  à  choisir  des  rimes  bizarres,  qu'ils  s'amusaient  à 
remplir  ensuite  de  différentes  manières  ,  et  sur  divers  sujets. 
On  doit  a  J.-F.  Sarrasin,  qui  vivait  dans  le  même  siècle ,  un 
poème  intitulé  :  La  défaite  des  bouts-ri?ncs.  Le  marquis 
de  .Moulesquiou  s'était  fait  dans  ce  genre  une  réputation  à 
la  cour  de  Monsieur,  frère  de  Louis  XM.  On  citait  surtout 
de  lui  comme  trait  de  force  un  sixain  qui  commençait  par 
ces  deux  vers  : 

Un  accord synalla^matique 

Liait  Mars  a  Véaus.  Vulcaio  au  ^\ciï  fourcha. ..  elc. 

De  même  que  la  charade  et  le  logogriphe,  les  bouts-rimés 
étaient  alors  en  honneur  dans  le  Mercure  de  France.  Ce 
genre  de  poésie,  ou  plutôt  cet  exercice,  ce  jeu  littéraire, 
dont  tout  le  mépte  consiste,  comme  celui  de  tous  les  amu- 
sements de  l'esprit  dans  la  difficulté  vaincue,  a  été 
abandonné  depuis  longtemps  aux  versificateurs  de  sous- 
prétectures,  tomme  indigne  d'occuper  l'attention  du  petit 
nombre  d'iionnnes  priviUgiés  qui  sont  réellement  doués  du 
feu  créateur,  et  ne  mérite  point,  par  conséquent,  d'occuper 
une  place  dans  nos  poétiques. 

BOUTURE.  Ce  mot,  dérivé  probablement  de  l'ancien 
verbe  français  bouter,  désigne,  en  eflet,  une  branche  sé- 
parée d'un  arbre  ou  d'une  plante  et  mise  en  terre  pour  y 
prendre  racine  et  (ormer  lui  nouveau  sujet.  La  bouture  <lif- 
fère»le  la  marcotte,  eu  ce  que  celle-ci  tient  à  l'arbre  jus- 
qu'à ce  qu'elle  ait  poussé  assez  de  racines  jiour  qu'elle  en 
puisse  étrtt  séparée  sans  danger,  tandis  que  la  bouture  en 
est  coni()lélement  et  instantanément  séparée  pour  être  mise 
en  terre  connue  un  être  isolé.  Dans  les  circonstances  urdi- 
naireii ,  les  boutures  se  fond  a  l'aide  d'un  rameau  muni  d'un 

lllUi.    DL    LA    CO.>li.i.:>.    1.     m. 


ou  plusieurs  bourgeons,  qui  se  développent  plus  tard 
en  lige  et  en  branches ,  tandis  que  la  partie  enterrée  du  ra- 
meau produit  des  racines. 

La  bouture  en  plançon  (ou  simplement  p/onçon )  seit 
à  la  multiplication  des  arbres  aquatiques  ou  qui  reprennent 
très-facilement,  connne  les  saules  et  plusieurs  peupliers  :  ou 
prend  une  branche  longue  de  trois  à  quatre  mètres,  on  l'e- 
monde  en  ménageant  la  tète ,  on  l'aiguise  du  bas  afin  de 
l'enfoncer  avec  facilité  et  sans  rebrousser  l'écorce;  cette  bou- 
ture est  ensuite  fichée  en  terre  dans  un  trou  fait  avec  un  pieu . 
La  bouture  simple  est  plus  généralement  usitée  :  en  fé- 
vrier, on  coupe  des  branches  de  la  pousse  pn'cédenle  bien 
aoùtées,  on  les  divise  par  tronçons  longs  de  o™,12  à  0'",22, 
selon  les  espèces,  de  manière  à  ce  que  la  coupe  inférieure 
soit  immédiatement  située  au-dessous  d'un  lïa'ud  et  qu'il  y 
ait  de  quatre  à  six  de  ces  nœuds  sur  chaque  tronçon;  on  en 
fait  de  petites  bottes  que  l'on  enterre  verticalement  au  quart 
dans  du  sable  frais  placé  dans  un  lieu  abrité  du  vent  et  do 
la  gelée  ;  au  commencement  d'avril ,  chaque  tronçon  se 
bouture  au  plantoir,  en  laissant  deux  ou  trois  yeux  au-dessu> 
du  sol  ;  il  laut  avoir  soin  de  tenir  le  terrain  à  un  degré  suf- 
fisant d'humidité. 

Quand  le  moyen  que  nous  venons  d'indiquer  ne  réussit 
pas,  comme  cela  arrive  pour  certaines  plantes,  on  a  recours 
à  quelque  artifice;  on  emploie,  par  exemple,  la  bouture 
avec  bourrelet.  Pour  cela ,  on  pratique  en  juin  une  plaie  an- 
nulaire immédiatement  au-dessous  d'un  nœud,  sur  la  branche 
qu'on  veut  bouturer  l'année  suivante,  ou  bien  on  la  serre 
assez  fortement  avec  un  fil  de  fer  pour  déterminer  la  forma- 
tion d'un  bourrelet  mamelonné  ;  avant  l'hiver,  on  coupe  la 
branche  ainsi  préparée  à  un  ou  deux  centimètres  au-dessus 
de  l'incision  ou  de  la  ligature;  on  la  place  en  terre;  puis, 
au  printemps,  on  supprime  tout  ce  qui  est  au-dessous  du 
bourrelet,  on  raccourcit  la  branche  à  quatre  ou  s^ix  yeux,  et 
on  la  plante  comme  une  bouture  simple. 

La  bouture  à  talon  se  pratique  avec  une  branche  qu'o;i 
éclate  en  la  tirant  de  haut  en  bas,  de  manière  à  ce  qu'elle 
emporte  avec  elle  l'empalement  qui  lui  servait  de  base  ;  cet 
empâtement,  formé  en  grande  partie  par  le  parenchymo 
cortical ,  renferme  beaucoup  de  tissu  cellulaire  qui  tient  lieu 
de  bourrelet  et  favorise  le  développement  des  racines,  Cett-j 
manière  d'arracher  les  boutures  nuit  aux  mères ,  conmie  il 
est  facile  de  le  comprendre,  et  ne  doit  être  pratiquée  qu'a- 
vec circonspection. 

La  bouture  à  bois  de  deux  ans  s'appelle  aussi  bouture 
à  crossette,  à  cause  de  la  forme  qu'on  lui  donne  ordinai- 
rement. On  la  fait  avec  du  bois  de  la  dernière  et  de  l'avant- 
demière  sève,  le  bois  le  plus  ancien  ne  devant  former  que 
le  quart  de  la  longueur  totale  de  la  bouture.  On  couche  ces 
boutures  dans  des  rigoles,  ainsi  qu'on  le  voit  laire  tous  les 
jours  pour  la  vigne. 

Les  boutures  d'arbres  verts  et  de  végétaux  d'orangerie 
ou  de  serre  chaude  ne  réussissent  pas  toujours  si  l'on  ne 
prend  certaines  précautions  ;  la  plus  importante  est  de  placer 
la  bouture  sous  cloche  ou  sous  châssis,  de  manière  à  régler 
à  volonté  la  température  et  l'état  hygrométrique  du  milieu 
dans  lequel  elle  se  trouve  plongée. 

De  tout  ce  qui  précède ,  il  ne  faut  pas  conclure  que  la 
présence  d'un  bourgeon  soit  rigoureusement  nécessaire;  on 
sait  aujourd'hui  que  les  boutures  peuvent  se  pratiquer  à 
l'aide  d'organes  qui  en  sont  dépourvus  :  les  fragments  de 
racines  et  de  feuilles  nous  en  fournissent  des  exemples. 
Ainsi,  on  multiplie  avec  des  feuilles,  non-seulement  les  plante* 
grasses,  mais  les  dahlias,  les  gesnérias ,  etc.  On  connaît 
encore  le  mode  de  multiplication  des  lis  à  l'aide  des  écailles 
qui  forment  leui-s  bulbes.  On  voit  donc  que,  considérc« 
dans  toute  sa  généralité  ,  une  bouture  doit  être  définie  :  umi 
partie  quelconque  détachée  d'un  végétal  et  placée  dans  des 
conditions  telles  qu'elle  constitue  un  nouvel  individu  sem- 
blable au  piewici-. 

7S 


018 


BOUTURES  ANIMALKS  —  BOUVART 


BOUTURES  ANIMALES.  On  désigne  sous  ce  nom 
les  fragments  ou  parcelles  du  tissu  des  animaux  qui  sont 
Husccptibies  de  reproduire  un  nouvel  individu  entier.  L'étude 
des  boutures  animales  est  un  sujet  nouveau  de  leclierches 
très-intéressantes  ,  dont  les  principaux  résultats  seront  pré- 
sentés au  nii)t  KMniiYocF.ME. 

BOUVARD  (Alkxis  ),  membre  du  Bureau  des  Longi- 
tudes et  de  l'Académie  des  Sciences ,  section  d'astronomie, 
naquit  le  11  juin  17(i7,  dans  une  vallée  des  Alpes,  de  parents 
sans  fortune,  qui  vivaient  du  labourage,  dans  un  village  à 
peu  près  inconnu,  non  loin  de  Saint-Gervais  et  de  Chamouny. 
Que  sera  le  pauvre  enfant?  pâtre,  laboureur,  ou  soldat  du 
roi  de  Sardaigne?  Rien  de  tout  cela  :  il  a  appris  à  lire,  à 
écrire,  à  calculer;  il  se  persuade,  en  se  comparant  à  tous 
les  êtres  qui  l'entourent,  qu'il  est  savant ,  et  que  Paris  le 
réclame  ;  il  part,  non  pas  avec  la  marmotte  sur  le  dos  comme 
ses  jeunes  compatriotes,  comme  plusieurs  de  ses  camarades 
d'enfance  peut-être,  mais  avec  quelques  livres  dans  un  petit 
liavre-sac,  une  très-modeste  somme  dans  le  gousset  et  la  bé- 
nédiction de  ses  parents ,  plus  inquiets  sur  le  sort  de  leur 
enfant  que  ne  le  sont  le  père  et  la  mère  des  petits  ramoneurs  : 
ceux-ci,  du  moins,  ont  un  état  au  bout  de  leurs  doigts,  leur 
râcloirc  et  la  chanson  de  /a  Catarina.  Bouvart,  hélas  !  n'avait 
que  l'espérance,  basée  sur  des  calculs  enfantins.  Le  voilà  dans 
Paris  la  grande  ville,  et  il  ne  tarde  pas  à  y  marcher  de  mé- 
compte en  mécompte,  de  déception  en  désenchantement. 
Pas  un  protecteur  d'abord,  pas  un  ami,  pas  un  guide!  Jugez 
de  ses  inquiétudes,  de  ses  secrètes  terreurs  quand  il  voyait 
sa  petite  bourse  se  creuser  tous  les  jours  et  dès  qu'il  recon- 
nut, en  écoutant  les  leçons  publiques  et  gratuites  des  IMau- 
duit,  des  Cousin,  au  Collège  de  P'rance,  qu'il  y  avait  l'immen- 
sité entre  ce  qu'il  avait  appris  dans  son  village  alpestre  et 
la  science  véritable.  11  ne  se  découragea  pas  cependant; 
mais  il  fut  ébloui,  et  il  hésita  alors  entre  deux  carrières  : 
celle  de  la  chirurgie  et  celle  des  mathématiques.  Ce  fut  le 
besoin  de  gagner  vite  de  l'argent,  beaucoup  plus  qu'une  vo- 
cation véritable,  qui  le  décida':  ayant  trouvé  à  donner  des 
leçons  particulières  de  calcul,  son  choix  fut  arrêté,  et  il  s'as- 
sura, en  courant  le  cachet,  ce  qu'il  n'avait  pas  trouvé  encore, 
un  dîner  quotidien. 

Une  circonstance  fortuiie  amena  un  jour  Bouvard  à  l'Ob- 
servatoire de  Paris,  et  le  fit  assister  à  quelques  observations. 
Dès  ce  moment  il  n'y  eut  plus  d'incertitude  dans  son  es[)rit 
et  dans  ses  goûts  ;  pour  surcroît  de  bonheur,  le  hasard  le  fit 
connaître  bientôt  de  Laplace.  L'illustre  géomètre  avait  be- 
soin d'être  aidé  dans  les  calculs  infinis  qu'exigeait  son  oa- 
Mvng&A&la  Mécanique  céleste  ;  il  jeta  les  yeux  sur  Bouvard, 
et  paya  plus  tard  de  sa  haute  protection  l'infatigable  zèle, 
et  on  peut  ajouter  le  dévouement  sans  bornes  de  son  mo- 
deste collaborateur.  Grâce  aux  sollicitations,  à  l'appui  de 
l'homme  de  génie,  Bouvard  arriva  au  Bureau  des  Longitudes, 
à  l'Académie  des  Sciences  et  à  la  direction  de  l'Observatoire 
de  Paris. 

Il  nous  est  permis,  plus  qu'à  personne,  d'emprunter  à  nn 
discours  prononcé  sur  la  tombe  de  Bouvard  quelques  lignes 
qui  feront  apprécier  à  la  fois  l'homme  et  le  savant.  «  Les 
distractions  de  notre  société,  Bouvard  les  connaissait  à  peine. 
Observateur  exercé  et  habile,  il  passa  pendant  de  longues 
années,  toutes  les  nuits  sans  nuages  à  côté  des  grands 
instruments  de  l'Observatoire.  La  table  générale  des  comètes 
présente  plusieurs  de  ces  astres  dont  la  découverte  lui  appar- 
tient. Sa  spécialité,  toutefois,  nous  la  trouverions  dans  les 
calculs  nunïériquos,  dans  les  calculs  fastidieux  qu'un  écri- 
vain illustre  a  si  bien  caractérisés  par  ces  mots  :  Ils  fati- 
guent l'attention  sans  la  captiver.  Bouvard  en  exécuta 
des  masses  effrayantes,  soit  quand  il  s'occupa  de  la  théorie 
de  la  lime,  k  l'occasion  d'un  prix  proposé  par  la  prcnn'ère 
classe  de  l'Institut,  prix  qu'il  partagea  avec  te  célèbre  Burg, 
de  Nienne;soit  en  construisant  des  tables  nouvelles  de  Ju- 
pilei,  de  Saturne,  d'Urauus;  soit  enfin,  cl  principalement, 


lors(iu'il  fallut  fournir  à  Laplace  le  moyen  d'insérer  dans  s» 
Mécaniqr(e  Céleste  antre  chose  que  des  formules  purement 
algébriques.  » 

Bouvard  avait  une  passion  véritable  pour  l'astronomie. 
Tout  le  bonheur  qu'éprouve  un  amant  à  guetter  le  passage 
de  l'objet  aimé,  Bouvard  le  ressent  au  passage  d'une  étoile 
au  méridien;  il  a  sa  Vénus  aussi;  il  correspond  avec  elle, 
mystérieusement  et  par  chiffres.  Sa  vie  amoureuse  est 
pleine  d'alternatives  :  elle  a  ses  nuages,  ses  orages,  ses  tem- 
pêtes ;  mais  les  nuits  étoilées  font  ses  délices,  et  le  dédom- 
magent... Nous  nous  jetons  dans  la  poésie,  et  ceux  qui  ont 
connu  l'honnête  Bouvard  pourront  s'en  étonner.  Rien  en 
effet  n'était  moins  poétique  que  sa  personne,  ses  idées,  ses 
discours  :  empruntons  encore  cependant,  pour  notre  justifi- 
cation, quelques  lignes  à  son  savant  panégyriste.  «  Aux  ap- 
proches d'un  phénomène  céleste  important,  M.  Bouvard  était 
dans  un  état  fébrile  manifeste.  Le  nuage  qui ,  dans  le  mo- 
ment d'une  éclipse  d'étoile  ou  de  satellite,  menaçait  de  lui 
dérober  la  vue  de  la  lune  ou  de  Jupiter,  le  plongeait  dans  le 
désespoir;  à  la  fin  de  sa  vie,  il  rapportait  encore  avec  une 
douleur  naïve  les  circonstances  qui ,  quarante  années  au- 
paravant, l'avaient  empêché  de  faire  certaines  observations. 
Otez  la  passion,  et  dans  ^L  Bouvard  passant,  la  table  des 
logarithmes  à  la  main,  des  journées,  des  semaines,  des  mois 
entiers ,  pour  découvrir  la  faute  de  calcul  que  tel  ou  tel 
élève  astronome  avait  commise  en  s'exerçant,  vous  ne  trou- 
verez plus  qu'un  fait  sans  cause,  qu'une  anomalie  inex- 
plicable. » 

Bouvard  cessa  de  calculer  et  de  vivre  le  7  juin  1843. 

Etienne  Araco. 

BOUVART  (  MicurL-PuiLippE),  médecin  célèbre  du 
siècle  dernier,  ne  à  Chartres,  en  17f  1,  mort  à  Paris,  en  1787. 
Son  mérite  ne  nous  est  guère  connu  que  par  tradition. 
Nous  savons  qu'il  étonnait  ses  confrères  par  la  justesse  de 
ses  pronostics,  par  cette  heureuse  alliance  d'une  ^ive  péné- 
trat'on  avec  une  sagacité  profonde,  qui  constitue  ce  qu'on 
a  appelé  le  tact  médical.  Quant  à  ses  titres  scientifiques,  ils 
sont  forts  légers,  quoiqu'il  ait  occupé  des  emplois  fort  im- 
portants, et  que  l'Académie  des  Sciences  l'ait  compté  au 
nombre  de  ses  associés.  Absorbé  par  une  innnense  pratique, 
Bouvart  ne  pouvait  avoir  assez  de  temps  à  lui  pour  écrire, 
et  il  a  eu  cela  de  commun  avec  des  praticiens  fort  renommés 
de  notre  époque.  11  ne  nous  reste  de  celui  auquel  nous  con- 
sacrons cette  notice  que  des  mémoires ,  des  discours ,  des 
lettres,  monuments  d'une  polémique  ardente,  dans  laquelle 
notre  confrère  montre  plus  d'habileté  à  manier  le  sarcasme,, 
et  de  dogmatisme  tranchant,  que  d'indulgence  pour  les  opi- 
nions opposées  aux  siennes.  Après  ce  jugement  sur  le  sa^ 
tant,  disons  que  l'homme  fit  constamment  preuve  d'une  aus- 
térité de  principes  et  d'un  désintéressement  peu  communs 
à  toutes  les  époques.  Fils  d'un  médecin  de  Chartres,  il  >int 
se  fixer  en  1736  à  Paris,  où  il  paraît  n'avoir  dû  qu'à  son 
mérite ,  comme  praticien ,  la  vogue  dont  il  jouit  jusqu'à  la 
fin  de  sa  carrière.  Toujours  est-il  qu'il  n'employa  pour  y 
arriver  aucun  de  ces  moyens  qui  déshonorent  trop  souvent 
une  profession  dont  il  savait  comprendre  la  dignité,  ainsi 
que  le  témoigne  un  de  ses  discours,  où  il  avait  pris  pour 
texte  :  Medicinam  homine  dignissimam,  dignissimam  bono 
cive.  Il  poussa  même  l'indépendance  de  caractère  jusqu'à 
refuser,  à  la  mort  de  Sénac,  la  place  de  n^decin  du  roi 
Louis  XV.  Enfin,  si  ses  confrères  eurent  souvent  à  souffrir 
de  son  humeur  altière  et  de  ses  procédés  francs  jusqu'à  la 
rudesse,  ses  malades  eurent,  par  contre,  à  se  louer  de  son 
dévouement.  Nous  ne  saurions  omettre  ici,  bien  qu'il  .soit 
devenu  vulgairement  historique,  un  trait  de  Bouvait,  qui  ^ 
vaut  à  lui  seul  tout  un  éloge.  Appelé  chez  un  banquier,  il ^ 
s'aperçoit  que  la  maladie  de  cet  homme  n'est  causée  que 
par  la  crainte  de  ne  pouvoir  remplir  ses  engagements.  Aus- 
sitôt, et  poiu- toute  ordonnance,  lîouvait  apporta  la  somme 
de  vingt  mille  francs,  nécessaire  iwur  rétablir  les  affaires 


1 


BOtJVART  ^ 

de  son  malheureux  client,  dont  la  prompte  guérison  ne  té- 
moigna pas  moins  de  la  perspicacité  que  de  la  générosité  de 
l'Esculape.  D""  SAUCEnorrE. 

BOUVERIE ,  étable  à  bœufs.  Voyez  Étable. 

BOUVET ,  outil  de  menuisier,  dont  on  se  sert  pour  for- 
mer des  rainures  et  des  languettes.  Le  bouvet  se  compose 
d'un  fût  de  2  à  3  décimètres  de  long ,  plus  ou  moins ,  et  d'un 
fer.  11  y  a  trois  sortes  principales  de  bouvets  :  le  bouvet  à 
fer  simple ,  et  qui  sert  à  creuser  les  rainures  ;  le  bouvet  à 
fer  fourchu,  propre  à  former  les  languettes,  et  le  bouvet  dit 
de  deux  pièces ,  destiné  à  creuser  des  rainures  de  plusieurs 
largeurs  et  à  des  distances  plus  ou  moins  grandes  du  bord 
de  la  planche.  Chacun  peut  se  convaincre  de  l'utilité  des  bou- 
vets, en  examinant  le  très-grand  nombre  des  joints  des  ou- 
vrages de  menuiserie.  Teyssèdre. 

BOUVET  (Joachim),  savant  jésuite,  né  au  Mans,  en- 
voyé en  Chine  par  Louis  XIV  avec  mission  d'étudier  ce  pays, 
s'embarqua  à  Brest,  en  1685,  en  même  temps  que  cinq  autres 
missionnaires,  et  atteignit  en  1687  le  but  de  son  voyage. 
Appelés  bientôt  après  à  Pékmg,  les  zélés  soldats  du  Christ 
obtinrent,  à  l'exception  du  P.  Bouvet  et  du  P.  Gerbillon,  qui 
durent  rester  à  la  cour  de  l'empereur ,  l'autorisation  de  par- 
courir tout  l'empire  chinois.  Les  deux  missionnaires  demeu- 
rés à  Péking  ne  tardèrent  pas  à  mériter  la  confiance  de  l'em- 
pereur, l'illustre  Kan-Hi,  qui  les  chargea  de  la  direction 
d'importants  travaux  de  construction,  et  leur  permit  d'élever 
dans  l'intérieur  même  de  son  palais  une  église  et  un  presbytère, 
qui  furent  tous  deux  achevés  en  1702.  L'empereur  se  trouva 
tellement  satisfait  de  leurs  services ,  qu'il  renvoya  IJouvet  en 
France  avec  ordre  de  lui  ramener  autant  de  missionnaires  qu'il 
pourrait  en  décider  à  entreprendre  ce  périlleux  voyage.  Le 
P.  Bouvet  revint  à  Paris  en  1697,  et  présenta  à  Louis  XIV 
environ  cinquante  ouvrages  en  langue  chinoise ,  qui  furent 
déposés  à  la  Bibliothèquedu  Roi.  11  repartit  alors  pour  la  Chine 
avec  dix  autres  missionnaires,  au  nombre  desquels  se  trou- 
vait le  savant  Parennin,  et  y  arriva  en  1699.  Il  mourut  à 
Péking  en  1732,  après  avoir,  pendant  cinquante  ans,  travaillé 
avec  une  infatigable  ardeur  au  progrès  des  sciences  dans  ces 
lointaines  contrées.  On  a  de  lui  quatre  différentes  Relations 
de  Voyage  et  un  ouvrage  intitulé  :  État  présent  de  la  Chine, 
avec  figures  gravées  par  Greffart  (  Paris,  1697,  in-folio).  On 
dit  que  la  bibliothèque  publique  du  Mans  possède  de  nom- 
breux manuscrits  inédits  du  P.  Bouvet ,  dont  un  précieux 
dictionnaire  de  la  langue  chinoise. 

BOUVIER  ,  celui  qui  conduit  ou  qui  garde  les  bœufs  et 
en  prend  soin  dans  l'étable.  Cet  honune  doit  être  fort,  vi- 
goureux même,  adroit,  patient  et  doux.  S'il  brusque  ses  boeufs, 
s'il  les  maltraite,  s'il  les  bat,  il  aigrit  leur  caractère,  les  rend 
méchants,  intraitables  et  souvent  dangereux  pour  ceux  qui 
les  approclient.  Les  devoirs  du  bouvier  sont  à  peu  près  ceux 
que  le  comte  Français  de  Nantes  exige  du  berger;  voici 
cependant,  d'après  Rozier,  les  soins  auxquels  il  convient 
d'astreindre  plus  spécialement  les  bouviers. 

Chaque  matin  le  bouvier  doit  étriller  ses  bœufs ,  les 
bouchonner  et  leur  laver  les  yeux.  Il  doit  également  se 
lever  de  grand  matin  pour  leur  donner  à  manger,  cribler 
l'avoine  avant  de  la  leur  présenter,  les  conduire  à  l'abreu- 
voir avant  de  les  mener  aux  champs,  examiner  au  moins 
une  fois  par  semaine  si  les  jougs ,  les  courroies,  les  pail- 
lassons sur  lesquels  portent  les  jougs  contre  la  tête  de  l'a- 
nimal sont  suffisamment  rembourrés.  Au  retour  des  champs, 
après  le  travail  du  matin  ,  il  leur  donnera  une  nourriîiire 
suffisante  pour  un  repas ,  et  les  mènera  boire.  Ce  n'est  point 
assez  de  les  faire  boire  une  fois  par  jour,  même  en  hiver, 
quoique  le  temps  ne  leur  permette  pas  de  sortir  de  l'élable, 
et  à  plus  forte  raison  pendant  l'été.  A  l'approche  des  cha- 
leurs, et  pendant  leur  durée,  il  leur  donnera  de  temps  à  autre 
des  seaux  remplis  d'eau  rendue  légèrement  acidulé  par  l'ad- 
dition de  vinaigre,  et  qiichjucfois  d'eau  nif rée.  C'est  le  moyen 
'le  plus  sûr  de  prévenir  les  maladies  putrides  et  inilamma- 


BOUVIER  619 

toires  auxquelles  les  bœufs  sont  sujets  plus  que  les  autres 
animaux.  L'eau  rendue  blanche  par  l'addition  du  son  leur 
est  encore  très-utile.  S'ils  reviennent  des  champs  le  matin  ou 
le  soir  couverts  de  poussière  ou  de  sueur,  il  doit  les  bou- 
chonner jusqu'à  ce  que  la  poussière  ait  disparu  ou  que  la 
sueur  soit  dissipée ,  en  ayant  soin  de  ne  point  les  tenir  ex- 
posés à  un  courant  d'air  frais  pendant  ce  temps-là.  Chaque 
soir,  il  doit  remplir  les  râteliers,  afin  que  l'animal  ait  suf- 
fisamment de  quoi  se  nourrir  pendant  la  nuit,  et  lui  faire 
une  litière  avec  de  la  paille  fraîche  et  propre.  Deux  fois 
par  semaine ,  le  bouvier  doit  faire  enlever  toute  la  vieille  li- 
tière >  et  la  porter  au  tas  de  fumier  :  il  serait  mieux  encore 
delà  sortir  chaque  jour  de  l'écurie  pour  lui  en  substituer  une 
toute  fraîche.  Laisser  accumuler  la  litière  ou  plutôt  le  fu- 
mier sous  l'animal  est  le  plus  grand  des  abus  que  l'on  puisse 
tolérer.  Il  s'élève  de  ce  fumier  une  chaleur  humide  qui  est 
très-nuisible  à  l'animal ,  dont  la  corne  se  ramollit  aussi  par 
son  contact  prolongé.  C'est  enfin  à  cette  pratique  perni- 
cieuse que  sont  dues  la  plupart  des  maladies  qui  se  jettent  sur 
les  jambes  du  gros  bétail. 

Tous  les  bouviers  en  général  s'imaginent  que  les  bêtes 
confiées  à  leurs  soins  doivent  pendant  l'hiver  être  renfermées 
dans  une  espèce  d'étuve.  Presque  toujours  les  étables  ne 
prennent  de  jour  que  par  des  larmiers  (  ouvertures  ou 
fentes  )  si  étroits  et  en  si  petit  nombre  qu'il  est  impossible 
qu'ils  laissent  l'air  y  pénétrer.  On  en  voit  souvent  où  le 
thermomètre  monte  à  24°  de  chaleur,  quand  il  fait  à  l'ex- 
térieur un  froid  de  8  à  10°.  Si  l'animal  sort  de  son  étable, 
il  éprouve  ainsi  un  changement  de  température  de  32  à  34"; 
comment  n'éprouverait-il  pas  alors  des  suppressions  de 
transpiration?  Ces  remarques  s'adressent  encore  plus  aux 
maîtres  et  aux  architectes  qu'aux  bouviers  (  voyez  Étable  ). 

Dès  que  les  bœufs  sortent  pour  aller  aux  champs  ou  pour 
travailler,  le  bouvier  doit  ouvrir  les  portes  et  les  fenêtres,  afin 
de  renouveler  l'air,  et  lorsque  l'animal  est  rentré,  laisser 
encore  une  fenêtre  ou  deux  ouvertes,  suivant  leur  gran- 
deur, à  moins  que  la  rigueur  du  froid  ne  soit  excessive. 
En  été,  suivant  la  chaleur  du  pays,  il  convient  de  laisser 
entrer  le  moins  de  clarté  qu'il  sera  possible;  l'étable  en 
sera  plus  fraîche,  et  les  animaux  ne  seront  pas  persécutés 
par  les  mouches.  Il  convient  aussi  dans  cette  saison, 
surtout  dans  les  provinces  méridionales ,  que  les  animaux 
passent  la  nuit  dans  les  pâturages ,  et  que  le  bouvier,  logé 
dans  sa  cabane  près  d'eux,  ne  les  quitte  pas  un  instant.  La 
chaleur  et  les  mouches  sont  les  deux  plus  grands  fléaux  de 
ces  animaux  :  les  mouches  les  fatiguent  souvent  au  point  de 
leur  ôter  l'envie  de  manger;  la  chaleur  les  accable,  et 
l'une  et  l'autre  causes  réunies  produisent  leur  maigreur  dans 
cette  saison. 

Quoique  les  araignées  ne  soient  point  venimeuses,  un 
bouvier  qui  aime  la  propreté  aura  soin ,  au  moins  une  fois 
par  mois ,  de  passer  le  balai  sur  tous  les  murs  de  l'étable  et 
sous  tous  les  planchers.  C'est  encore  au  bouvier  à  veiller 
sur  le  fouiTage  distribué  chaque  jour.  Il  examinera  sa  qua- 
lité ,  fixera  sa  quantité ,  et  verra  s'il  n'est  pas  mêlé  avec  des 
chardons  et  autres  plantes  épineuses  qui  puissent  piquer  la 
bouche  et  le  palais  de  l'animal.  Si  l'on  est  dans  la  louable 
coutume  de  donner  du  sel ,  c'est  à  lui  à  en  régler  la  quantité, 
suivant  la  nature  de  l'animal,  et  surtout  suivant  la  saison. 
Dans  les  temps  humides  et  pluvieux,  lorsque  l'herbe  des 
pâturages  est  trop  imbibée  d'eau,  le  sel  diminue  ou  détruit 
sa  qualité  trop  relâchante.  Dans  les  chaleurs,  au  contraire, 
il  faut  en  user  avec  modération. 

Un  bouvier  doit  savoir  saigner  et  donner  an  besoin  ua 
lavement  à  ses  animaux.  Cependant ,  méfiez-vous  de  ces 
hommes  qui  ont  toujours  mille  recettes  toutes  prêles  pour 
tous  les  cas,  et  qu'ils  administrent  le  plus  souvent  sans 
connaissance  de  cause.  Une  It'gère  indisposition  peut  souvent 
devenir  une  maladie  grave  par  suite  d'un  remède  donné  à 
contre-temps.  Il  serait  fort  à  désirer  que  tout  bouvier  eût 

78. 


620  BOUVIER  — 

vmo  eouHaissance  cNacle  (Ips  symptômes  des  maladies,  do 
leur  marche,  de  leur  teriuinaison ,  etc.  :  un  pareil  bouvier 
Rerait  un  trésor  pour  une  grande  métairie  ;  mais  où  pourrait- 
il  acquérir  toutes  ces  lumières,  dans  l'état  d'imperfection 
où  est  encore  l'éducation  en  général?  Aucune  classe  de  la 
société  ne  devrait  être  privée  d'instruction,  et  chacune 
d'elles  devrait  en  trouver,  dans  des  établissements  parti- 
culiers ,  une  qui  fût  appropriée  à  ses  devoirs  et  à  sa  des- 
tination dans  le  monde. 

BOUVIER  ou  BOOTÈS  (  Astronomie).  C'est  une  cons- 
tellation boréale,  qui  dans  le  firmament  simule  à  peu  près 
un  pentagone  au  nord-est  de  la  queue  de  la  Grande  Ourse  ; 
elle  vient  après  cette  dernière  constellation  en  descendant  du 
pôle.  Le  catalogue  de  IHolémée  fixait  à  23  le  nombre  des  étoiles 
qui  la  composaient,  Flamsteed  le  porta  à  55,  et  depuis  on 
le  fit  monter  à  70.  Celte  constellation  est  remarquable  par 
une  étoile  magnifique,  A  rc  fwr  «s,  c'est-à-dire,  la  queue  de 
l'Ourse.  On  y  admire  encore  une  des  étoiles  appelées  doubles 
en  astronomie ,  parce  qu'en  apparence  elles  sont  si  rap- 
prochées qu'elles  semblent  jumelles  :  la  plus  grande  des 
deux  est  d'un  rouge  écarlate,  et  la  plus  petite  d'un  bleu 
mourant  ravivé  par  une  teinte  lilas.  Anacréon  se  montre 
excellent  observateur  lorsqu'il  s'exprime  ainsi  dans  son 
Amour  mouillé  :  «  C'était  l'heure  de  minuit ,  lorsque  l'Ourse 
tourne  déjà  autour  de  la  main  du  Bootès.  »  N'est-ce  pas  là 
montrer  aux  yeux  avec  la  plus  grande  précision ,  en  des 
vers  harmonieux  ,  la  main  supérieure  du  Bouvier  formée  de 
trois  étoiles  de  quatrième  grandeur,  touchant  presque  à  la 
queue  de  l'Ourse?  Le  poète  ici  ne  peint-il  pas  admirablement 
bien  les  petits  parallèles  que  ces  constellations  voisines 
dérrivent  ensemble  autour  du  pôle? 

Quoique  fort  septentrional ,  le  Bouvier  descend  sous  notre 
horizon  et  se  couche  pour  nous.  Son  coucher  cosmique , 
c'est-à-dire  le  temps  où  il  se  couche  au  soleil  levant,  est, 
selon  Ovide ,  que  Lalande  ne  contredit  pas ,  au  quatrième 
jour  lie  mars.  La  belle  étoile  d'Arclurus  nous  menace  de 
passer  dans  l'hémisphère  australe,  car  elle  a  un  mouvement 
propre  de  quatre  minutes  par  siècle  vers  le  midi  ;  il  n'y 
a  aucune  étoile  dans  le  firmament  dont  le  déplacement 
soit  plus  sensible;  Arcturus  est  au  nombre  des  étoiles, 
telles  qu'Aldébaran  et  Sirius,  qui  ont  changé  de  lati- 
tude en  un  sens  contraire  au  changement  de  toutes  les  au- 
tres. 

Aussi  connue  que  redoutée  des  anciens  ,  cette  constel- 
lation fut  une  de  celles  qui  guidèrent  les  premiers  nochers 
sur  les  mers.  Job  et  Amos ,  dans  la  Bible,  en  font  mention 
sous  le  nom  de  Ifascfi,  qui  veut  dire  assemblage  en  hébreu, 
nom  parfaitement  adapté  aux  astérismes.  Homère,  Pline, 
Horace,  Properce,  lui  donnent  de  concert  l'épithète  de 
sinistre,  parce  que  son  lever  et  son  coucher  soulèvent  les 
tempêtes.  Les  Arabes  appellent  le  Bootès  41a''  oua  et  Arc- 
turus Al-rameh.  Il  a  beaucoup  de  noms  dans  les  mythes 
grecs  :  nous  ne  citerons  ici  que  le  plus  connu  parmi  leurs 
poètes,  celui  à'Arctophylux  (gardien  de  l'Ourse,) 

Dans  l'iconographie  égyptienne,  le  Bouvier  tient  une 
(aucille  de  moissonneur,  parce  qu'il  se  levait  au  temps  où 
les  peuples  du  Nil  faisaient  la  moisson ,  époque  qu'a  changée 
la  précession  des  équinoxes.  Les  Grecs,  qui  formulaient  la 
physique  et  l'astrononrie  dans  les  moules  si  variés  de  leur 
imagination ,  disaient  tantôt  que  le  Bouvier  était  Arcas ,  fils 
de  Calisto  et  de  Jupiter ,  et  placé  dans  le  ciel  par  la  faveur 
de  ce  dieu  ;  tantôt  que  c'était  Icare ,  le  père  d'Érigone  et 
l'inventeur  de  la  vigne;  tantôt  que  c'était  Allas,  géant 
dont  la  tête  touchait  au  pôle.  Volney  pense  que  le  Bootès 
n'est  autre  qu'Osiris.  Den.ne-Baron. 

BOUVIER  ou  BOUVIÈRE  (  Ichlinjologie  ).  C'est  un 
nom  vulgaire  du  cyprinus  amarus,  petit  poisson  de  rivière 
du  genre  cyprin,  plat  et  de  la  longueur  de  trois  centimè- 
tres à  p«u  près.  11  est  couvert  de  grandes  écailles  de  coii- 
imr  argeuline ,  et  se  tient  toujours  dans  la  boue. 


BOUVINES 

BOUVINES  ou  BOVINES ,  village  de  500  Ames  entr» 
Lille  et  Tournai ,  où  s'est  donnée,  le  27  juillet  1214,  la  ba- 
taille de  ce  nom ,  qui  a  sauvé  la  France ,  la  dynastie  des 
Capétiens  et  le  trône  de  Philippe- Auguste.  Une  ligue 
formidable  s'était  formée  entre  Jean  sans  Terre  et  Othon  IV,  . 
empereur  d'Allemagne.  Le  roi   de  Bohême  Przemislas,  le 
marquis  de  Misnie,  les  ducs  de   Saxe,   de  Lorraine,  de 
Brabant,  de  Louvain,  de  Limbourg,  tous  les  princes  de 
l'Empire  qui  avaient  soutenu  le  parti  d'Othon  contre  la  maison 
de  Souabe  étaient  entrés  dans  cette  confédération.  Ferrand 
de  Portugal,  comte  de  Flandre,  Renaud  de  Dampmarlin, 
comte  de  Boulogne,  et  autres  grands  vassaux  de  la  couronne 
de  France,  s'étaient  rangés  parmi  ses  ennemis.  Des  sis 
pairs  laïques  du  royaume,  le  duc  de  Bourgogne  et  le  comte 
de  Champagne  étaient  les  seuls  qui  lui  restassent  fidèles.  Lb 
Languedoc,  la  Provence  et  les  provinces  limitrophes  étaient 
en  proie  à  la  guerre  civile;  et  cette  guerre,  dite  des  al- 
bigeois, non-seulement  absorbait  leur  population,  mais  un 
grand  nombre  de  seigneurs  français  oubliaient  les  intérêts 
de  l'État  pour  se  croiser  contre  le  comte  de  Toulouse  et  se» 
sujets.    L'Aquitaine,  l'Auvergne,  le  Limousin,  le  Poitou, 
étaient  occupés  par  les  Anglais  et  la  maison  de  Lusignan. 
La  Bretagne,  sous  l'autorité  de  Gui  de  Thouars,  était 
l'alliée  de  Jean  sans  Terre.  Le  Maine,  l'Anjou ,  la  Touraine 
et  la  Normandie,  à  peine  conquis  par  Philippe-Auguste, 
se  soulevaient  à  chaque  instant  contre  sa  puissance  mal 
affermie,   et  la  plupart  de  ses  chevaliers  fidèles  étaient 
obligés  d'y  séjourner    pour  les  défendre  contre   les  An- 
glais. Le  royaume  de  France  n'était  réellement  composé 
que  des  provinces  de  Picardie,  de  Bourgogne,  de  Cham- 
pagne, de  Berry,  de  l'Ile  de  France,  de  l'Orléanais;  et,  dans 
toutes  ces  provinces,  un  grand   nombre  de  vassaux   mé- 
contents avaient  embrassé  le  parti  de  l'empereur.  Parmi 
ceux  qui  restaient  sous  la  bannière  de  Philippe- Auguste,  le 
duc  de  Nevers  et  autres  n'attendaient  qu'un  échec  pour 
passer  dans  les  rangs  de  l'étranger.  Les  entreprises  de 
Louis  le  Gros,  de  Louis  le  Jeune,  de  Philippe  lui-même, 
sur  la  féodalité  et  l'autorité  usurpée  des  barons  de  France, 
excitaient  toutes  ces  rébellions  et  ces  perfidies  ;  et,  en  comp- 
tant les  guerriers  fournis  par  les  communes  picardes,  le 
roi  de  France  pouvait  réunir  à  peine  50  mille  hommes 
pour  lutter  contre  tant  d'ennemis. 

Othon  IV  arrivait  de  l'Allemagne  avec  une  armée 
de  150  mille  combattants,  parmi  lesquels  le  comte  de  Sa- 
lisbury ,  frère  naturel  de  Jean  sans  Terre ,  figurait  avec  ses 
bataillons  anglais.  Ferrand  et  Renaud  leur  avaient  donné 
rendez- vous  à  Valenciennes ,  et  ces  deux  instigateurs  de  la 
guerre  étaient  d'autant  plus  coupables,  qu'ils  devaient  à 
Philippe-Auguste  les  mariages  qui  les  avaient  mis  en  pos- 
session des  comtés  de  Flandre  et  de  Boulogne.  Le  partage 
de  la  France  était  réglé  d'avance.  L'Ile  de  France  et  Paris 
devaient  appartenir  à  Ferrand ,  le  Vermandois  à  Renaud  ;  le 
roi  d'Angleterre  reprenait  tout  l'héritage  de  sa  mère  Éléonore 
d'Aquitaine  et  toutes  les  provinces  d'outre  Loire;  Hugues 
de  Boves  s'appropriait  le  pays  de  Beauvais;  Conrad  de 
Westplialie  prenait  le^  deux  Vexins;  le  Gâtitiais  était  adjugé 
à  Gérard  d'Hostman  ;  le  comté  de  Dreux  à  l'Anglais  Salis- 
bnry  ;  une  foule  d'autres  chevaliers  avaient  enfin  leur  part 
dans  cette  distribution  des  provinces  de  France.  Ce  n'était 
pas  assez  de  l'intérêt  et  de  l'ambition  pour  exciter  le  courage 
des  principaux  confédérés,  on  avait  fait  parler  les  devins  : 
la  vieille  Mahaud  de  Portugal,  tante  de  Ferrand,  comtesse 
douairière  de  Flandre,  en  avait  obtenu  cette  réponse  am- 
biguë :  «  En  combattant ,  le  roi  sera  renversé  à  terre ,  foulé 
aux  pieds  des  chevaux,  et  il  sera  privé  de  sépulture.  Fer- 
rand ,  après  la  victoire ,  sera  reçu  on  grande  pompe  par  les 
Parisiens.  »  Cette  prophétie  fut  répandue  dans  l'armée;  elle 
donnait  l'assurance  du  triomphe.  La  jactance  de  cette  puis- 
sante ligue  était  à  son  comble,  et  le  fier  Othon,  qui  s'était 
avancé  la  veille  de  Valenciennes  à  Mortagne,  repartit  au 


BOUVINES 


i;2i 


point  ilii  jour  pour  se  rapprocher  de  la  ville  de  Tournai , 
dans  l'espoir  d'y  joindre  le  rival  qu'il  était  impatient  de 
combattre. 

Pliilippe-Auguste  se  trouvait  ainsi  séparé  des  frontières  de 
son  royaume  par  l&s  confédérés.  11  achevait  la  conquête  de 
la  Flandre  sur  le  comte  Ferrand ,  et  n'avait  ce  jour-là  d'autre 
but  que  de  gagner  le  château  de  Lille  pour  y  passer  la  nuit. 
Mais  le  vicomte  de  Melun  et  son  chancelier  Guérin,  cheva- 
lier de  Saint-Jean,  récemment  nommé  à  l'évéché  de  Senhs, 
s'étant  avancés  jusqu'à  la  vue  de  Tournai ,  aperçurent  l'ar- 
mée d'Othon  qui  marchait  en  ordre  de  bataille  vers  cette 
ville.  Frère  Guérin  courut  en  porter  la  nouvelle  au  roi,  au 
moment  on  la  moitié  de  l'armée  de  France  avait  déjà  passé 
la  rivière  de  la  Marck  sur  le  pont  de  Bouvines.  Pliilippe-Au- 
Ruste  la  regardait  déliler  devant  lui ,  assis  au  pied  d'un  frône, 
quand  les  rapports  de  Guérin  et  les  cris  de  son  arrière- 
garde,  que  sabraient  les  éclaireurs  ennemis,  vinrent  l'ar- 
racher à  son  repos.  Il  donna  l'ordre  de  repasser  le  pont  à 
la  hâte  poiu-  se  disposer  à  accepter  la  bataille ,  et  entra  dans 
une  rhapelie  dédiée  à  saint  Pierre  pour  implorer  le  secours 
du  ciel.  C'est  là,  dit-on,  qu'après  avoir  déposé  sur  l'autel  son 
glaive  et  sa  couronne,  il  se  tourna  vers  ses  chevaliers  en 
leur  disant  :  «  Rarons,  et  vous,  braves  soldats,  si  vous 
croyez  qu'il  y  a  parmi  vous  quelqu'un  qui  soit  plus  digne 
que  moi  de  porter  et  de  soutenir  la  couronne  de  France,  je 
lui  cède  cet  honneur,  et  je  suis  prêt  à  combattre  sous  ses 
o  dres.  »  Des  acclamations  unanimes  répondirent  à  ce  trait 
de  magnanimité  :  «  Vive  Philippe!  s'écriaient  les  assistants, 
qu'il  garde  sa  couronne!  qu'il  règne  à  jamais!  Mourons 
pour  la  lui  conserver  !  » 

Son  chapelain  Guillaume  Le  Breton,  qui  nous  a  transmis 
tous  les  détails  de  celte  bataille,  à  laquelle  il  assistait,  ne 
fait  aucune  mention  de  cet  incident.  Des  annalistes  posté- 
rieurs en  ont  seuls  parlé.  Plusieurs  critiques  l'ont  même  ré- 
voqué en  doute;  mais,  vrai  ou  faux,  il  n'est  plus  permis  à 
l'historien  de  le  négliger.  Le  chapelain  dit  seulement  que 
Phil'ppe  pria  dans  la  chapelle,  qu'il  en  sortit  pour  s'élancer 
sur  son  cheval,  aussi  gai  que  s'il  était  allé  à  une  noce,  et 
que  toute  l'armée  (it  entendre  alors  le  cri  de  guerre.  L'al- 
locution qu'il  met  dans  la  bouche  de  Philippe-Auguste  sur 
lechamp  de  bataille  est  moins  un  trait  de  modestie  héroïque 
qu'une  affectation  d'humilité  chrétienne.  Le  roi  se  vante  de 
)ouir  de  la  communion  et  de  la  paiK  de  la  sainte  Église,  de 
défendre  les  libertés,  les  biens  du  clergé,  et  de  mériter  ainsi 
que  la  Providence  lui  accorde  la  victoire  sur  des  excommu- 
niés, qui  n'ont  d'autre  solde  que  le  pillage  des  temples  du 
Seigneur.  La  plupart  des  chevaliers  français  devaient  sou- 
rire à  ce  reproche,  qui  leur  était  aussi  applicable  qu'aux 
barons  allemands.  Philippe  lui-même  était  alors  excommunié, 
et  celui  qu'il  appelait  le  seigneur  pape  n'était  naguère  qu'un 
fourbe,  usurpateur  des  privilèges  de  la  royauté.  C'est  au 
milieu  de  la  plaine,  suivant  le  chapelain,  que  les  cheva- 
liers demandèrent  à  genoux  la  bénédiction  du  roi ,  pendant 
que  l'évêque  Guérin  faisait  prendre  aux  cavaliers  et  fantas- 
sins leur  rang  de  bataille  à  mesure  qu'ils  repassaient  le  pont 
de  Bouvines  ;  le  danger  était  si  pressant  qu'on  n'attendit  pas 
même  que  l'orillamme  fût  revenue  aux  premiers  rangs  pour 
man  lier  à  l'ennemi. 

Cependant  la  présence  de  Philippe-Auguste,  qui  s'avan- 
çait dans  la  plaine  avec  Guillaume  Desbarres,  Barthélemi 
de  Roye  et  autres  chevaliers  plus  spécialement  chargés  de 
sa  garde,  ralentit  la  pétulance  d'Othon.  L'empereur  fit 
prendre  à  son  armée  une  attitude  plus  réservée,  et,  dans  le 
mouvement  des  deux  camps,  leurs  positions  respectives  se 
troiivèrent  entièrement  renversées.  L'armée  de  France  fit 
faceaunord,  et  regagna  ainsi  l'avantage  d'une  retraite  libre  et 
assurée  vers  ses  frontières,  tandis  que  les  confédérés  se  mi- 
rent dans  l'obligation  do  combattre  avec  un  soleil  ardent 
sur  les  yeux ,  inconvénient  faiblement  compensé  par  l'a- 
vantage d'occuper  la  partie  la  plus  élevée  du  champ  de  ba- 


taille. La  ligne  des  Anglais  et  des  Allemands  n'avait  pas  un 
front  plus  étendu  que  celle  des  Français  ,  mais  die  présen- 
tait des  masses  plus  profondes.  Au  milieu  d'elles,  sur  un 
magnifique  chariot ,  traîné  par  seize  chevaux  richement  ca- 
paraçonnés,  s'élevait  au  haut  d'une  longue  perche  le  symbole 
de  l'Empire,  l'aigle  des  Césars,  tenant  un  dragon  dans  ses 
serres,  et  cet  emblème  était  pour  les  confédérés  une  sorte 
de  palladium,  comme  l'oriflamme  pour  leurs  adversaires. 

Pendant  tous  CCS  mouvements,  le  comte  Ferrand,  dont 
les  troupes  légères  avaient  repoussé  le  vicomte  de  Mclun , 
attaquait  l'aile  droite  des  Français ,  où  combattaient  le  duc 
Eudes  de  Bourgogne ,  Matthieu  de  Montmorenci  et  Gaucher 
de  Saint-Paul,  qui  était  soupçonné  de  favoriser  en  secret  les 
ennemis  de  la  France.  Là  se  trouvaient  aussi  180  chevaliers 
de  Champagne  et  le  sage  Guérin.  Sa  qualité  d'évèque  l'em- 
pêchant de  tirer  l'épée ,  il  les  encourageait  par  ces  paroles  : 
«  Étendez- vous  !  qu'aurun  chevalier  ne  se  fasse  un  bouclier 
d'un  autre  !  et  tenez-vous  de  manière  à  combattre  tous  d'un 
seul  front!  »  1.50  hommes  d'armes  du  Soissonnais  s'avan- 
cèrent les  premiers,  et  l'orgueil  des  chevaliers  llamands  fut 
indigné  qu'on  les  fit  attaquer  ainsi  par  des  vilains.  Gautier 
deGhistelle,  Buridan  de  Fumes  et  Kustache  de  Maquilin, 
se  jetèrent  avec  leurs  lances  à  travers  ces  combattants,  et 
pénétrèrent  jusqu'aux  chevaliers  de  Champagne.  «  Mort  aux 
Français!  criait  Eustache,  mort  aux  Français!  »  Mais  les 
Champenois,  commandés  par  Pierre  de  Reims,  enveloppè- 
rent ces  trois  Flamands  :  Maquilin  fut  abatlu,  mutilé,  mis 
à  mort,  et  les  deux  autres  furent  charges  de  fers.  Gaucher 
de  Saint-Paul  s'i'lança  sur  le  corps  de  batail'e  de  Ferrand, 
et  y  sema  le  carnage  et  l'effroi.  Beaumont  et  Montmorenci 
soutenaient  le  môme  combat.  Eudes  de  Bourgogne  y  fut  ren- 
versé de  cheval;  Michel  des  Harmes  tomba  comme  un  Cen- 
taure, avec  le  sien,  sous  le  coup  terrible  d'une  lance  qui  tra- 
versa son  bouclier,  sa  cuisse  et  les  tlancs  du  coursier.  Hu- 
gues de  Malaunai  et  une  foule  d'autres  furent  également 
démontés  et  forcés  de  combattre  à  pied.  11  fallut  faire  de 
grands  efforts  pour  sauver  et  remettre  en  selle  le  duc  de 
Bourgogne,  dont  la  corpulence  était  énorme;  mais  il  se 
vengea  de  ce  léger  échec  par  des  prodiges  de  valeur. 

Cependant  les  communes  de  Picardie  et  de  l'Ile  de  France 
s'avançaient  sous  l'oriflamme  vers  l'endroit  qu'avait  choisi 
Philippe-Auguste  pour  combattre  avec  sa  garde,  et  que  dé- 
signait la  bannière  royale  parsemée  de  fleurs  de  lis,  portée 
par  Galonde  Montigni.Les  contingents  de  Corbie,  d'Amiens, 
d'.\rras,  de  Beauvais  et  de  Compiègne  se  placèrent  en 
avant  de  Philippe-Auguste  pour  souten-r  les  ellorls  d'Othon 
lui-même,  qui  venait  à  la  rencontre  du  roi  de  France.  Le 
choc  des  deux  infanteries  fut  terrible  :  les  Français  lurent 
contraints  de  céder  au  nombre;  les  chevaliers  de  la  garde 
purent  seuls  arrêter  l'impétuosité  des  Allemands.  Dans  ce 
désordre,  Philippe,  entouré  par  une  nuée  de  fantassins  et 
de  cavaliers,  fut  désarçonné,  renversé  sur  la  terre  sanglante 
par  des  crochets  de  fer,  qui  le  tiraillaient  de  tous  les  côtés. 
Son  armure  opposa  seule  un  rempart  impénétrable  aux  ar- 
mes de  toutes  espèces  qui  s'efforçaient  de  le  déchirer.  Galon 
de  Monligni  agitait  avec  violence  la  bannière  royale  pour 
appeler  du  secours,  et  les  mouvements  de  ce  goofalon 
d'axur,  aperçus  enfin  par  les  fidèles  chevaliers  du  roi,  en 
attirèrent  plusieurs  vers  le  lieu  de  ce  combat  terrible ,  où  un 
seul  liomme  luttait  à  terre  contre  une  foule  innombrable. 
Pierre  deMauvoisin,  Gérard  Scropha  et  quelques  autres  se 
jetèrent  en  désespérés  sur  cette  mêlée;  ils  firent  un  ef- 
froyable carnage  des  assaillants,  et  dégagèrent  Philippe- 
Auguste,  qui  se  releva  avec  une  légèreté  surprenante. 
Etienne  de  Longchamps ,  chevalier  normand  d'une  haute 
valeur,  fut  le  seul  qui  perdit  la  vie  dans  cette  mêlée;  Pierre 
Tristan  eut  l'honneur  de  parvenir  le  premier  jusqu'au  roi ,  et 
de  le  remettre  à  cheval. 

L'infanterie  d'Othon ,  .Iccablée  par  tant  de  biavas  et  par 
Philippe  lui-même,  ne  put  plus  résister  à  leur  attaque;  les 


623 


BOUVINES  —  BOUVREUIL 


communes  ralliées  la  pressèrent  avec  une  vigueur  nouvelle. 
L'empereur,  forcé  de  reculer,  fut  au  moment  de  tomber 
ilans  les  fers  de  son  rival.  Pierre  de  Mauvoisin  saisit  son 
•cheval  par  la  bride,  et  Gérard  Scroplia  lui  porta  un  coup 
de  couteau  qui  ne  rencontra  que  l'œil  du  cheval ,  où  il  s'en- 
fonça de  toute  sa  longueur.  L'animal,  blessé  à  mort,  se 
■cabre,  se  retourne,  et,  emportant  Ollion  dans  sa  fuite,  va 
tomber  sans  vie  à  quelque  pas  de  la  mêlée.  Un  écuyer  lui 
l'n  amène  un  antre,  qu'il  enfourche  à  la  hâte  pour  éviter  la 
poursuite  de  Guillaume  de  Garlande,  de  Darthéiemi  de  Roye 
et  de  tant  d'autres,  que  rappelle  enfin  la  prudence  de  Phi- 
lippe-Auguste, à  l'aspect  des  masses  qui  viennent  secourir 
l'empereur.  L'intrépide  Desbarres  s'acharne  seul  à  le  pour- 
suivre; il  le  saisit  deux  fois  par  la  crinière  de  son  casque, 
deux  fois  Othon  lui  échappe  ;  et  Desbarres ,  enveloppé  lui- 
même  par  une  foule  de  chevaliers  germains ,  luttant  contre 
cent  ennemis  avec  un  courage  qui  lui  avait  valu  depuis 
longtemps  le  surnom  d'Achille,  eût  fini  par  succomber  sous 
le  nombre ,  si  Thomas  de  Saint-Valeri  avec  ses  Picards  ne 
fût  accouru  pour  le  délivrer. 

Le  combat  reprit  alors  sa  première  violence.  Bernard  de 
Hostemale,  Othon  de  Tecklembourg ,  Conrad  de  Fortmund, 
Gérard  de  Randeradt  et  autres  barons  d'Allemagne  défen- 
dirent avec  intrépidité  le  char  impérial,  qu'assaillirent  les 
communes  de  France.  Mais  ils  furent  forcés  de  céder  à  la 
valeur  de  nos  troupes.  Le  char  fut  mis  en  pièces ,  le  dragon 
brisé;  et  l'aigle  apportée  aux  pieds  de  Philippe- Auguste.  Les 
quatre  barons  déjà  nommés  furent  aussi  pris,  et,  comme  le 
roi  l'avait  dit,  on  ne  revit  plus  la  figure  d'Othon  pendant  le 
reste  de  la  journée.  Cependant  Renaud  de  Boulogne  tenait 
encore  contre  l'aile  gauche  des  Français,  que  commandait 
le  comte  de  Dreux.  Renaud,  instigateur  de  cette  gueire, 
avait  senti  faiblir  son  courage  dès  le  commencement  de  la 
bataille.  L'attitude  de  l'armée  de  France  l'avait  déconc(!rlé. 
Il  avait  conseillé  de  remettre  la  partie,  et  ce  conseil  lavait 
fait  accuser  de  trahison  par  l'empereur.  Mais,  dès  que  le 
combat  fut  décidé,  il  se  conduisit  en  héros.  «  Le  voilà,  ce 
combat  que  tu  as  provoqué,  dit-il  à  son  ami  Hugues  de 
Boves.  Eh  bien  ,  tu  fuiras  comme  un  lâche ,  et  moi  je  serai 
pris  ou  tué.  »  Hugues  justifia  cette  prédiction,  ainsi  que  les 
ducs  de  Louvain  et  de  Limbourg,  qui  s'abandonnèrent  à  une 
honteuse  déroute,  tandis  que  Renaud  combattit  jusqu'à  la 
fin  avec  une  rare  intrépidité.  11  avait  même  pénétré  avant 
Othon  jusqu'au  roi  qu'il  trahissait;  mais  il  avait  rougi  de 
son  ingratitude ,  et  s'était  tourné  vivement  vers  Robert  de 
Dreux  pour  cherclier  un  ennemi  qui  n'eût  pas  à  lui  repro- 
cher Poubli  des  plus  grands  bienfaits. 

Renaud  avait  formé  un  bataillon  carré  d'une  troupe  d'é- 
lite. H  était  là  comme  dans  un  fort;  il  en  sortait  comme  un 
lion  pour  se  ruer  sur  les  Français,  et  y  rentrait  pour  re- 
prendre haleine ,  pendant  que  ce  bataillon  impénétrable 
faisait  tête  aux  assauts  des  chevaliers  qui  le  poursuivaient. 
Il  ne  restait  plus  enfin  que  six  chevaliers  au  comte  de  Bou- 
logne, et  il  continuait  encore  ses  sorties  meurtrières,  quand 
Pierre  de  TourrcUe,  chevalier  français,  qui  combattait  à 
pied,  enfonça  son  épéedans  le  ventre  du  cheval  de  Renaud. 
Les  deux  frères  Jean  etQuenon  de  Condune  l'assaillirent  en 
même  temps,  le  renversèrent  avec  son  coursier,  qui  pesa 
sur  lui  de  tout  son  poids.  Jean  de  Rouvrai ,  Hugues  et  Gau- 
tier Desfontaines ,  Jean  de  Nivelle,  accoururent  pour  dis- 
puter une  aussi  belle  proie.  Mais  l'évêque  Guérin  ayant  paru, 
licMiaud  se  nnilit  a  lui  iiu  uiouieul  ou  iinjL-uiie  laiilassiii  du 
nom  de  Cornot  le  blessait  à  la  tête  d'un  coup  d'épée.Arnoul 
d'Oudenarde  et  ses  amis  arrivèrent  trop  tard  pour  le  sauver 
Ils  lurent  i)ris  eu  même  temps  et  conduits  à  Pliili|)pe-Au- 
guste.  l-'errand,  comte  de  Flandre,  avait  succombé  comme 
lui  sous  l'effort  des  chevaliers  de  Champagne,  qui  l'avaient 
chargé  de  fers.  Salisbury,  frère  naturel  du  roi  Jean  sans 
Ten-e,  et  chef  de  l'armée  anglaise,  avait  été  abattu  par  l'é- 
voque de  Beau  vais,  frère  de  Robert  de  Dreux.  Cet  évéque. 


moins  scrupuleux  que  rtinspilaHer  Gii  '•rin ,  n'avait  cessé  da 
combattre  pendant  toute  la  journée.  Mais,  pour  obéir  aux 
commandements  de  l'Église,  qui  abhorre  le  sang,  il  s'était 
servi  d'une  énorme  massue  <lont  il  avait  abattu  le  comte  de 
Salisbury.  Il  ne  restait  à  la  fin  sur  le  champ  de  bataille 
que  700  fantassins  brabançons,  qui  se  défendaient  avec 
une  valeur  admirable -.50  cavaliers  picards  et  2,000  hommes 
de  pied ,  que  commandait  Thomas  de  Saint-Valeri ,  ayant 
été  envoyés  contre  eux  parle  roi,  les  massacrèrent  impi- 
toyablenient  jusqu'au  dernier. 

Philippe-Auguste,  vainqueur  de  cette  ligue  formidable, 
se  vit  entouré  d'illustres  captifs,  qui ,  six  heures  auparavant, 
se  flattaient  de  partager  son  royaume.  Othon  seul,  de  tant 
de  chefs  ennemis ,  manquait  à  son  triomphe.  Il  reçut  Ferrand 
et  Renaud  avec  un  front  sévère,  leur  rappela  les  bienfaits 
dont  il  les  avait  comblés,  et  leur  reprocha  leur  infâme  trahi- 
son; mais  il  leur  fit  grâce  de  la  vie.  Le  comte  de  Boulogne 
fut  enfermé  dans  la  citadelle  de  Péronne.  Ferrand  fut  con^ 
duit  à  Paris,  dans  la  tour  du  Louvre;  et  c'est  ainsi  que  se 
vérifia  à  sa  honte  la  prédiction  de  sa  tante  Mahaud  de  Por* 
tugal.  Les  Parisiens  le  reçurent  avec  des  cris  de  joie,  en 
chantant  un  couplet  qui  finissait  par  ces  vers  : 

Quatre  ferrants  bien  ferrés 
Traînent  Feirand  bien  enferré. 

Les  autres  prisonniers  furent  répartis  dans  diverses  for* 
teresses  du  royaume  ;  plusieurs,  entassés  dans  le  grand  et  le 
petit  Châtelet,  furent  livrés  au  prévôt  de  Paris.  Guillaume 
Le  Breton,  qui  pendant  toute  la  bataille  avait  chanté  VExurr 
gat  Beus  et  autres  psaumes,  nous  a  donné  la  liste  des  pri- 
sonniers de  marque  faits  par  les  communes ,  et  cette  hono- 
rable nomenclature  atteste  à  la  fois  l'existence  de  ces  éta- 
blissements politiques  et  les  services  qu'ils  ont  rendus  dans 
cette  occasion  mémorable.  Là  figurent  les  communes  de 
Noyon,  de  Montdidier,  de  Montreuil,  de  Soissons,  de  Crespi, 
de  Bruyères ,  de  Cerni,  de  Craone,  de  Vesli,  de  Corbie,  de 
Compiègne,  de  Roye,  d'Amiens  et  de  Beauvais.  Philippe 
récompensa  ses  plus  braves  chevaliers  en  leur  livrant  les 
captifs  les  plus  illustres  pour  leur  rançon.  Salisbury  fut 
donné  au  comte  de  Dreux,  le  comte  de  Boulogne  à  Jean  de 
Nivelle,  qui,  d'après  l'historien  chapelain,  ne  l'avait  guère 
mérité  ;  Ferrand,  à  Barthélémy  de  Roye  ;  Gautier  de  Boves, 
à  Enguerrand  de  Couci;  Arnoul  d'Oudenarde,  au  comte  de 
Soissons,  qui  en  retira  mille  marcs  d'argent.  Le  roi  des  ri- 
bauds  eut  aussi  sa  récompense  :  il  reçut  Roger  de  Waffale. 
Tous  ces  captifs  n'avaient  pas,  du  reste,  été  pris  le  jour  de 
la  bataille.  Un  grand  nombre  avaient  été  poursuivis  et  re- 
cueillis dans  les  villes  flamandes,  où  ils  avaient  cherché  un 
refuge.  La  joie  des  Français  se  manifesta  de  toutes  parts  par 
des  jeux,  des  fêtes  et  des  solennités  religieuses.  Les  Poite- 
vins, les  Angevins  et  les  Normands,  désabusés  de  leurs  il- 
lusions ,  envoyèrent  des  députés  à  Philippe-Auguste  pour 
protester  de  leur  fidélité.  Le  roi  Jean  sans  Terre,  qui  atten- 
dait à  Parthenai  le  résultat  de  la  ligue,  se  hâta  de  solliciter 
une  trêve,  par  l'entremise  du  comte  de  Chester  et  de  maître 
Robert,  légat  du  pape,  et  Philippe  eut  la  gér«trosilé  de  la 
signer  deux  mois  après  sa  victoire.  Il  céda  même  aux  ins- 
tances de  Jeanne  de  Flandre,  et  lui  rendit  le  comte  Ferrand, 
son  époux,  dans  le  mois  d'octobre,  à  condition  que  les  for- 
teresses de  Valencicimes,  d'Oudenarde,  d'Ypres  et  de  Cassel 
seraient  démolies.  Dix-neuf  chevaliers  flamands  se  rendirent 
garants  de  cette  convention.  Une  (ouïe  de  barons  français 
se  portèrent  cautions  pour  d'autres  prisonniers,  et  jouissante 
enfin  des  conquêtes  et  de  la  paix  qu'il  avait  données  à  la  ^ 
France,  Philippe-Augnsle  fonda  près  de  .Seidis  Vabbaye  de 
la  Victoire,  en  commémoration  de  la  bataille  qui  avait  af- 
fermi la  couronne  Siusa  télé.    Vif.NNET,  de  l'Acad.  française. 

BOUVREUIL,  genre  d'oiseau  appartenant  à  l'ordre  de» 
passereaux  , et  qtii  se  reconnaît  aux  caractères  suivants  : 
bec  court,  arrondi,  renflé  et  bombé  en  tous  sens;  luaudi- 


BOUVREUIL  —  BOWLES 


623 


l)iile  snpérieure  courbée ,  narines  i)lacees  sur  les  côtés  de  la 
ba.^e  du  bec,  arrondies,  souvent  cachées  par  les  plumes  du 
front;  quatre  doigts,  trois  devant,  dont  l'intermédiaire  est 
plus  long  que  le  tarse,  et  un  derrière  ;  ailes  courte-,  dont  les 
trois  premières  pennes  sont  étagées  et  la  quatrième  est  la 
plus  longue  de  toutes.  Ces  oiseaux  sont  très-agréables,  non- 
seulement  par  la  beauté  de  leur  plumage,  mais  surtout  par 
une  sorte  de  sociabilité  avec,  l'homme.  Pendant  Tiiiver,  on 
les  voit,  dans  les  campagnes,  répandus  sur  les  routes  et  au- 
tour des  habitations,  où  ils  cherchent  des  graines  pour  leur 
nourriture.  Au  retour  de  la  belle  saison,  ils  se  retirent  dans 
les  iKjis  pour  s'y  livrer  à  l'amour.  Us  construisent  sur  les 
arbres  ou  dans  les  buissons  un  nid  formé  de  duvet  qu'en- 
toure un  tissu  de  mousse  et  de  lichen ,  et  dans  lequel  ils 
déposent  quatre  à  six  œufs.  Leur  chant  naturel  n'a  rien  de 
remarquable;  mais,  au  moyen  d'une  éducation  facile,  on 
kur  apprend  à  imiter  le  ramage  de  divers  oiseaux  ,  et  même 
à  rendre  les  inflexions  de  la  voix  humaine. 

Les  espèces  de  ce  genre  sont  assez  nombreuses  ;  mais  nous 
n'en  possédons  qu'une  en  France.  C'est  le  bouvreuil  com- 
mun (pyrrhula  vulgaris,  Drisson),  long  de  quinze  centi- 
mètres (  quelquefois  plus  petit  d'un  tiers  :  c'est  alors  h  pe- 
tit bouvreuil),  cendré  dessus,  rouge  dessous,  à  calotte 
noire.  La  femelle  a  du  gris  roussâtre  au  lieu  de  rouge.  Cet 
oiseau  se  trouve  dans  toute  l'Europe  ;  il  niche  dans  les  bois, 
et  se  nourrit  de  baies  et  de  graines.  Parmi  ceux  de  nos  cli- 
mats ,  les  uns  nous  restent  l'hiver,  les  autres  partent  vers  la 
fin  d'octobre  pour  des  contrées  plus  chaudes,  et  rexiennent 
en  avril.  La  durée  de  leur  vie  est  de  cimi  ou  six  ans.  On 
peut  obtenir  des  mulets  du  petit  bouvreuil  et  de  la  serine. 

DÉMEZIL. 

BOUYOUK-DÉRÈH  ou  BUYUK-DÉRÈH,  c'est-à-dire 
la  grande  vallée,  charmante  ville  située  sur  la  côte  occi- 
dentale du  Bosphore,  à  22  kilomètres  de  Constantinoplc 
et  a  13  kilomètres  de  la  mer  Noire,  à  l'endroit  où  le  canal, 
dans  sa  plus  grande  largeur,  forme  un  coude  et  une  espèce 
de  golfe  arrondi  en  demi-cercle.  Elle  tire  son  nom  de  la 
vallée  où  elle  est  située.  On  lui  donne  aussi  celui  de  Liba- 
dia  (la  prairie),  parce  qu'il  y  a  dans  la  partie  la  plus  basse 
une  charmante  prairie,  au  milieu  de  laquelle  s'élève  un  ma- 
gnifique bouquet  de  platanes  d'une  grosseur  extraordinaire, 
qu'on  appelle  yedi-kardasch  (  les  sept  frères  ),  en  raison  de 
leur  nombre.  C'est  là  que  le  sultan  Selinilll  allait,  pen- 
dant l'été,  se  promener  et  se  divertir.  C'est  aussi  dans  cette 
prairie  que,  selon  les  traditions ,  campa  l'armée  des  croisés, 
sous  les  ordres  de  Godefroy  de  Bouillon,  en  1096,  quand 
l'empereur  Alexis  Comnène  leur  interdit  l'approche  de  Cons- 
tantinople.  C'est  la  promenade  ordinaire  des  Francs  qui  ha- 
bitent Bouyouk-Dérèh.  Les  Grecs  riches,  les  ministres  et  les 
négociants  étrangers  viennent  y  étaler  leur  luxe  et  leur 
importance.  Rien  de  plus  enchanteur  que  la  position  de 
Bouyouk-Dérèh  et  ses  environs  vus  du  Bosphore;  rien  de 
plus  délicieux  que  ce  séjour. 

La  ville  se  divise  en  haute  et  basse.  Dans  la  première 
.se  trouvent  les  résidences  d'été  et  les  jardins  des  ambassa- 
deurs européens ,  qui,  à  la  suite  dn  grand  incendie  arrivé  à 
Fera  en  1832,  vinrent  s'établir  en  ce  lieu.  Le  quai  où  sont 
situés  ces  palais  et  la  prairie  voisine  forment  la  promenade 
la  plus  agréable  et  la  plus  variée.  L'été ,  au  clair  de  la  lune, 
c'est  un  spectacle  ravissant.  La  variété  des  costumes  de  di- 
verses nations,  des  groupes  nombreux  de  jolies  femmes, 
leur  air  voluptueux  et  romantique,  leurs  vêtements  pitto- 
resques, la  fraîcheur  du  soir,  le  calme  de  la  mer  couverte 
de  bateaux ,  les  sérénades  que  les  amants  donnent  à  leurs 
maîtresses,  tout  exalte  l'imagination  et  procure  à  l'âme  une 
ivresse  délicieuse.  Dans  la  basse  ville  sont  les  maisons  ha- 
bitées par  les  Grecs,  les  Arméniens  et  quelques  Turcs,  et 
construites  presque  toutes  dans  le  goilt  européen.  Elles  for- 
mont  une  rue  assez  longue  qui  traverse  la  vallée. 

Bouyouk-Dércli  n'est  pas  seulement  le  séjour  des  étran- 


gers de  distinction  et  des  familles  opulentes;  c'est  encore 
lioureux  un  lieu  de  refuge,  lorscju'une épidémie  ou  une  sé- 
dition viennent  bouleverser  Constantinoplc,  Pera  ou  Galata. 

DOWAÏDES.  Voyez  Bolidks. 

BOWDICH  (Thomas-Edouard),  célèbre  par  ses  voyages 
en  Afrique,  était  né  en  1793,  à  Bristol,  où  son  père  dirigeait 
une  manufacture  importante.  Après  avoir  terminé  ses  études 
à  Oxford,  il  entra  commecommisdans  la  maison  paternelle; 
mais  il  ne  tarda  pas  à  éprouver  un  si  vif  dégoût  pour  ce 
genre  d'occupations  qu'il  résolut  d'embrasser  une  autre  car- 
rière. La  protection  d'un  de  ses  parents,  employé  dans  l'un 
des  établissements  anglais  de  la  COte-d'Or,  lui  fit  obtenir  la 
place  de  commis  aux  écritures  au  service  de  la  Compagnie 
Africaine,  laquelle,  en  1816, l'envoya  à  Coast-Castle,  où  sa 
jeune  femme ,  dessinatrice  habile,  ne  tarda  pas  à  venir  le  re- 
joindre. Quand  il  fut  question  d'envoyer  un  ambassadeur 
au  roi  des  Aschantis,  Bowdich  s'offrit  pour  cette  périlleuse 
entreprise,  qu'il  exécuta  avec  autant  de  courage  que  de 
succès. 

Après  deux  années  de  séjour  en  AIrique ,  il  revint  en  An- 
gleterre pour  rendre  compte  à  la  Compagnie  de  sa  mission 
et  pour  se  procurer  les  moyens  d'entreprendre  dans  l'inté- 
rieur de  l'Afrique  un  grand  voyage  de  découvertes.  Les  inci- 
dents qui  signalèrent  cette  intéressante  exploration  ont 
été  consignés  jiar  lui  dans  sa  précieuse  relation  intitulée  : 
Mission  J'rom  cape  Coast-Castle  (Londres,  1819,  in-4°). 
Habitué  à  exprimer  ses  pensées  librement  et  sans  réticen- 
ces, Bowdich  s'aliéna  la  Compaj;nie  Africaine  par  la  révéla- 
tion des  abus  qui  s'étaient  glissés  dans  son  sein,  et  qui  ne  tar- 
dèrent pas  à  entraîner  sa  dissolution  ;  il  s'attira  ainsi  la  haine 
d'un  personnage  influent,  membre  du  comité  d'administra- 
tion. On  lui  refusa  la  juste  rémunération  des  services  qu'il 
avait  rendus,  ainsi  que  les  moyens  de  retourner  en  Afrique 
continuer  ses  explorations.  Résolu  de  se  procurer  par  lui- 
niénie  l'appui  qu'il  ne  pouvait  plus  trouver  dans  sa  patrie,  il 
se  rendit  à  Paris,  ou  il  reçut  beaucoup  d'encouragements  et 
où  le  produit  de  quelques  travaux  littéraires  lui  permit  de 
s'embarquer  au  Havre  en  1822,  avec  sa  femme  et  deux  en- 
fants ,  pour  gagner  le  continent  africain  ,  but  de  toute  son 
ambition.  Peu  après  son  arrivée  sur  les  rives  de  la  Gambie, 
il  succomba,  en  janvier  1824,  à  une  maladie  résultat  de  ses 
fatigues  et  de  ses  soucis. 

BOWDITCll  (  Natuaniei.),  le  seul  astronome  de  quel- 
que célébrité  qu'ait  encore  produit  l'Amérique,  naquit  le  26 
novembre  1773,  à  Salem,  dans  l'État  de  Massachusetts,  mon- 
tra de  bonne  heure  les  dispositions  les  plus  heureuses  pour 
les  niathcmatiques,  qu'il  apprit  tovit  seul,  rien  qu'avec  le  se- 
cours deslivTes,  et  sans  jamais  suivre  les  cours  d'une  univer- 
sité. H  utilisa  d'abord  les  connaissances  scientifiques  qu'il  avait 
aiquises  au  profit  d'une  société  commerciale,  et  fit  ensuite, 
eu  qualité  de  facteur,  le  voyage  des  Grandes  Indes.  A  son  re- 
tour, il  devint  président  d'une  compagnie  d'assurances.  Son 
ouvrage  sur  la  science  de  la  navigation,  intitulé  :  The  Ame- 
rican practical  Navigator,  et  qui  obtint  un  succès  géné- 
ral, ai^isi  que  sa  remarquable  traduction  de  la  Mécanique 
Céleste,  de  Laplace  (2  vol.  in-4°,  Boston,  1829),  qu'il  ac- 
compagna de  notes  précieuses,  lui  valurent  sa  nomination 
de  membre  des  sociétés  savantes  de  Londres,  d'Edimbourg 
et  de  Dublin,  et  de  professeur  de  mathématiques  et  d'astro- 
nomie à  l'université  de  Cambridge  ,  dans  l'Etat  de  Massa- 
chusetts; mais  il  refusa  ces  fonctions  pour  entrer  dans  le 
conseil  exécutif  de  cet  État.  Plus  tard,  il  accepta  la  direc- 
tion de  la  compagnie  d'assurances  sur  la  vie  de  l'Etat  de  Mas- 
sachusetts, devint  président  de  l'Athénée,  de  l'Institut  mé- 
canique et  de  l'Académie  des  Sciences  et  des  Arts  de  Boston. 
Il  mourut  dans  cette  ville,  le  1(5  mars  1837. 

BOWLES  (William  LKSLIE),  poète  anglais,  né  le  24 
septembre  1762,  à  Kings-Sulton,dans  IcNorlhamptonshire» 
où  son  père  était  vica're,  étudia  à  Winchester,  et  de- 
puis 1782  au  collège  de  la  Trinité  d'O.xford.  Après  avoir  pris 


G'24 


BOWLES  —  BOXER 


le  grade  de  docteur  en  1792,  Il  entrn  dans  les  ordres,  (!t 
obtint  une  cure  d'abord  dans  le  Wiltsliire,  puis  dans  if, 
Gloucestersliire.  En  18o:}  il  fut  iioiinné  chanoine  do  la 
cathédrale  de  Salishury,  et  plus  tard  recteur  de  Brondjill , 
dans  le  Wiltsliire.  Il  remplit  cette  dernière  place  jusqu'à 
sa  mort,  arrivée  à  Salisbury,  le  7  avril  1850. 

Bowles  s'est  fait  connaître  non-seulement  comme  infati- 
gable champion  des  droits  et  des  privilèges  de  l'Église 
épiscopale ,  mais  aussi  et  surtout  comme  poète  lyrique.  Il 
était  encore  à  Oxford  lorscpi'il  se  fit  remarquer  par  un 
poëme  latin  sur  le  siège  de  Gibraltar.  Cette  publication  fut 
suivie  des  sonnets  (Londres,  17S'J  );  des  Elegiac  Stauzas 
(17i)C)  ;  de  Hope,  un  uUeijorical  sketch  (  1796);  de  Song 
ofthe  battle  ofthe  Aile  (179!));  de  Coombe  Ellen  (1798); 
de  Saint-Mic/uiers  Mount  (1798).  Vinrent  ensuite  Tlic 
Picture  (1803);  The  Sorrows  o/ SwUzerland  (1801);  T/ie 
Missïonary  (1824),  etc.  On  regardecomme  sou  ciief-d'œuvre 
The  Spirit  of  Discuvery  by  sea  (  lb05).  Un  recueil  de  ses 
poèmes  a  été  publié  par  lui-même  (2  vol.,  1798-1801). 
Toutes  ses  poésies,  dans  lesquelles  il  se  montre  le  disciple 
de  Coleridge,  sont  les  créations  d'un  esprit  noble  et  ver- 
tueux, d'un  écrivain  sage,  mais  qui  semble  ignorer  Texis- 
lence  des  passions,  dont  la  douce  gaieté  est  parfois  attristée 
par  l'attitude  roide,  compassée  du  savant,  et  qui  malgré 
tout  cela  réussit  à  émouvoir  son  lecteur,  parce  qu'il  sait 
admirablement  faire  vibrer  certaines  cordes  mystérieuses 
aboutissant  directement  au  cœur. 

Bowles  a  attaqué  Pope  conmie  poète  dans  l'édition  qu'il  a 
donnée  de  ses  œuvres  (10  vol.,  Lond.,  180C),  entreprise  alors 
un  peu  hardie  ;  et  il  a  inutilement  cherché  à  défendre  contre 
Brougham  et  la  Revue  d' Edimbourg  les  abus  du  vieux 
système  anglais  d'enseignement.  Parmi  ses  écrits  en  prose, 
on  ne  peut  guère  citer,  outre  un  recueil  de  sermons  (182G), 
que  sa  Vie  de  Thomas  Ken,  évêr/ue  de  Bath  et  de  Wells 
(Londres,  1830-31),  ouvrage  d'ailleurs  un  peu  sec. 

BOWUIA'G  (  John  ),  célèbre  publiciste  et  savant  an- 
glais, est  né  le  17  octobre  1792,  à  Exeter,  dans  le  Devon- 
shire.  Il  utilisa  dans  de  nombreux  voyages  son  heureuse 
facilité  à  s'assimiler  les  langues  étrangôies,  pour  con- 
tracter partout  d'honorables  amitids  et  acquérir  les  notions 
les  plus  approfondies  sur  tout  ce  qui  se  rattache  au  caractère 
particulier  de  chaque  peuple.  Les  poésies  nationales  ont  sur- 
tout excité  son  attention  et  servi  de  but  à  ses  travaux  ;  aussi 
a-t-il  rendu  à  la  littérature  d'importants  services  par 
ses  traductions  et  ses  publications  de  cliauts  populaires  an- 
ciens et  modernes  recueillis  dans  presque  tous  les  pays  de 
l'Eiu'ope.  C'est  ainsi  qu'il  a  successivement  publié  :  Sjieci- 
mens  of  tke  Rassian  Pocts  (  Londres,  18'21-2:i  );  JUilii- 
vian  Anthology  {l>^2'i)  ;  Spccimcns  qf  the  Pulish  l'oels 
(1827);  Servian  poputar  Poclry  (1827);  Cheskian  Aiitho- 
logy  (1832)  ;  Poelry  of  the  Magyars  (1830)  ;  et  Ancient 
Foetry  and  liomances  of  Spam  (1824). 

Lié  d'une  étroite  amitié  avec  Jérémie  Bentliam,  celui-ci, 
après  ta  mort  de  Dumont,  lui  conlia  l'exécution  de  ses  der- 
nières volontés  ainsi  que  le  soin  de  publier  ses  œuvres  com- 
plètes. Issu  d'une  famille  de  vieux  puritains,  et  partageant  la 
foi  religieuse  des  unitaires,  M.  Bowringse  prononça  de  bonne 
heure,  dans  la  presse  et  dans  les  assemblées  publicpies, 
contre  les  lois  qui  avaient  frappé  les  dissidents  d'incapacité 
politique.  Soupçonné,  à  cause  de  l'énergie  de  ses  opinions 
radicales,  d'étie  un  émissaire  des  révolutionnaires,  il  fut  ar- 
rêté le  7  octobre  1822  à  Calais,  au  moment  où  il  se  dispo- 
sait à  entreprendre  un  voyage  en  France,  et  transféré  à  Bou- 
logne dans  une  étroite  prison  ,  d'où  l'intervention  de  Can- 
ning  le  lit  enlin  sortir.  M.  Bowring,  qui  renonça  en  1825 
aux  allaiiescoinmerciales,  prouva  son  dévouement  aux  idées 
de  réforme,  dans  une  série  d'articles  remarquables,  jiubliés 
dans  la  Herae  de  Westminster,  recueil  fondé  en  1824  et 
ré<iigé  dans  l'esprit  de  l'école  de  J.  Denlham,  dont,  à  partir 
dfc  lt>25,  il  prit  la  rédaclion  en  chef;  foncliuai  auxquelles 


il  ne  renonça  qu'après  la  révolution  de  Juillet.  En  1S28  il 
visita  la  Hollande,  et  fit  une  série  d'articles  curieux  relaiils 
à  ce  pa>s,  qui  parurent  dans  le  Morning-IIerald. 

L'année  suivante,  il  se  rendit  à  Co|)enhaguepour  y  recueil- 
lir les  matériaux  d'une  anthologie  Scandinave.  Des  voya"es 
qu'il  entreprit  ensuite  par  ordre  du  gouvernement  dans 
plusieurs  États  continentaux,  pour  s'y  livrer  àdes  recherches 
utiles  au  commerce,  eurent  une  importance  toute  politique. 
Nommé  membre  d'une  commission  mixte  qui  fut  chargée  de 
concilier  les  intérêts  commerciaux  de  l'Angleterre  et  de  la 
France,  les  deux  rapiiorts  qu'il  présenta  en  1834  et  1835  au 
parlement,  et  qu'il  rédigea  avec  M.  Villiers,  passent  pour 
des  chefs-d'œuvre  dans  leur  genre,  en  raison  de  l'énorme 
quantité  de  faits  utiles  et  exacts  qu'ils  contiennent.  F.e 
même  esprit  présida  à  son  Rapport  sur  le  commerce,  l'in- 
dustrie et  les  fabriques  de  la  Suisse ,  beau  et  grand  tra- 
vail, dans  lequel  il  s'est  efforcé  de  défendre  contre  le  sys- 
tème prohibitif  les  avantages  de  la  liberté  commerciale.  Les 
voyages  qu'il  fit  ensuite  en  Italie,  particulièrement  en  Tos- 
cane, dans  le  courant  de  1836,  et  plus  tard  en  Syrie  et  en 
Egypte,  lui  fournirent  l'occasion  de  recueillir  d'importants 
documents  pour  ses  communications  au  parlement.  Son 
dernier  voyage  politique  a  été  exécuté  dans  la  partie  de 
r.Allemagne  soumise  au  Zollverein. 

On  trouve  dans  son  Rapport  stir  l'union  douanière  al- 
lemande une  foule  d'aperçus  précieux  ;  mais  il  est  facile  de 
remarquer  que,  dans  l'intérêt  des  manufactures  de  son  pays, 
il  s'efforce  de  démontrer  que  l'union  douanière  ne  protège 
les  fabriques  de  l'Allemagne  qu'au  détriment  de  son  agricul- 
ture. Élu  membre  du  parlement,  il  a  donné,  malgré  ses 
relations  avouées  avec  le  ministère,  de  nombreuses  preuves 
d'inili'pendance,  notamment  dans  la  fameuse  question  d'O- 
rient, en  1840,  où  il  n'hésita  pas  à  so  prononcer  contre 
la  politique  adoptée  par  le  cabinet  whig.  Le  triomphe  du 
principe  de  la  liberté  de  commerce,  sous  le  ministère  de 
IWbert  Peel ,  et  la  rentrée  des  vvliigs  dans  le  cabinet,  peut- 
être  aussi  le  mauvais  état  de  ses  alTaires,  le  décidèrent  à 
renoncer  à  son  siige  dans  le  parlement,  pour  accepter  la 
place  lucrative  de  consul  à  Canton. 

BOXER  (  Art  de),  espèce  de  pugilat,  qui  fait,  pour  ainsi 
dire,  partie  intégrante  du  caractère  national  des  .\nglais,  et 
qui  a  des  règles  et  des  usages  dont  l'observation  est  regar- 
dée comme  sacrée  parles  individus  que  leurs  mœ.urs  ou  leur 
position  sociale  intime  portent  plus  particulièrement  à  se 
faire  justice  eux-mêmes  des  injures  ou  des  sévices  dont  ils 
croient  avoir  à  se  plaindre.  Considéré  sous  ce  point  de  vue, 
Vart  de  bojcer  peut  être  mis  sur  la  même  ligne  que  Vart  de 
tirer  la  savate,  autre  genre  de  pugilat  fort  en  honneur 
parmi  la  populace  de  la  plupart  des  grandes  villes  de 
France. 

La  dissemblance  immense  des  deux  arts  apparaît  toute- 
fois dès  qu'on  compare  dans  les  deux  pays  la  position  so- 
ciale des  individus  qui  les  protègent,  et  la  considération  dont 
sont  environnés  ceux  qui  les  pratiquent.  Depuis  quelques 
années  m)?:  dandys  parisiens  ont  essayé  d'établir  en  principe 
que  des  leçons  de  savate  ne  sont  pas  moins  nécessaires 
au  complément  d'une  éducation  à  la  mode  que  des  leçons 
de  danse  ou  d'escrime.  Mais  quoiqu'il  y  ait  en  ce  nio- 
luent  à  Paris  tel  professeur  de  savate  (\u\  ne  donne  pas  de 
leçons  à  moins  de  cinq  francs  le  cachet,  et  (lui,  avec  son 
brillant  cabriolet ,  éclabousse  et  quelquefois  même  écrasie 
le  modeste  professeur  de  pliilosoi)liie  s'en  allant  à  pied  en- 
seigner pour  <|uin7.e  sous  l'art,  si  dillicile  ,  de  mépriser  les 
richesses,  nous  doutons  (jiie  jamais  maître  en  fait  de  savate 
réussisse  à  devenir  parmi  nous  un  iiersonnage  tellement 
important  que  nos  grands  seigneurs  en  fassent  leur  commen- 
sal, et  que  nos  journaux  de  toutes  couleurs  (.si  enclins  ce- 
pendant à  la  louange,  moyennant  2  fr.  la  ligne)  entretien- 
ncnt  la  cour  et  la  ville  de  ses  faits  et  gestes  et  annoncent  à 
l'avance,  et  avec  fiacas,  chacune  de  se?  séauccs  académiques. 


BOXER  —  BOYAUDERIE 


De  l'autre  cflté  de  la  Manche,  au  contiaire,  un  boxetir 
de  quelque  talent ,  s'il  est  adroit ,  s'il  se  porte  bien ,  et  s'il 
est  heureux,  ne  tarde  pas  à  avoir  des  admirateurs  aussi  fa- 
natiques ,  aussi  dévoués  que  peut  en  compter  en  Italie  tel 
maestro  ou  tel  chanteur.  Dans  le  Journal  de  sa  vie,  lord  By- 
ron  a  grand  soin  de  mentionner  les  leçons  de  boxe  que  lui 
donna  le  célèbre  Jackson.  En  un  mot,  en  Angleterre  le  grand 
boxeur  est  considéré  au  moins  autant  que  le  grand  artiste. 
11  y  a  plus  même  :  c'est  que,  la  passion  du  jeu  étant  un  autre 
trait  distinctif  du  caractère  anglais ,  il  arrive  toujours  que 
le  jeu  s'engage  de  part  et  d'autre  sur  les  chances  de  succès 
plus  ou  moins  grandes  du  boxeur  préféré ,  et  que  des  som- 
mes considérables  sont  quelquefois  perdues  ou  gagnées  par 
ses  admirateurs  ,  selon  qu'il  a  été  heureux  ou  malheureux, 
selon  qu'il  est  sorti  de  la  lutte  respirant  encore  ou  qu'il  y  a 
perdu  la  vie.  Trop  souvent  en  effet  cest  là  le  triste  résultat 
d'une  stupide  coutume  que  la  raison  et  la  philosophie  ne 
sauraient  trop  flétrir,  car  son  moindre  inconvénient  est  d'en- 
tretenir dans  les  masses  une  froide  insensibilité  en  présence 
des  souffrances  les  plus  aiguës,  et  d'habituer  le  peuple  à  voir 
couler  le  sang  sans  émotion. 

En  vain  les  lois  anglaises  défendent  expressément  lés 
combats  de  boxeurs  ;  tous  les  jours  elles  sont  éludées,  parce 
que  l'esprit  national ,  plus  fort  qu'elles  en  ce  point,  ne  peut 
s'habituer  à  leur  obéir.  Le  ministère  public  ne  pouvant  pas 
en  Angleterre  poursuivre  d'office,  ni  connaître  légalement 
d'un  délit,  lorsqu'il  n'y  a  pas  eu  dénonciation  expresse,  signée 
par  un  certain  nombre  de  citoyens  recommandables ,  les 
feuilles  publiques  annoncent  journellement  qu'à  tel  endroit, 
à  tel  jour,  à  telle  heure,  il  y  aura  assaut  entre  deux  boxeurs 
célèbres,  et  jamais  la  police  n'intervient  pour  enjpécher  ce 
scandale ,  parce  que ,  de  mémoire  d'Iiomme ,  le  cas  de  dé- 
nonciation ne  s'est  présenté.  Preuve  nouvelle  que  partout 
les  mœurs  sont  plus  puissantes  que  les  lois. 

«On  parle  de  la  barbarie  des  temps  reculés,  disait  unautcur 
de  Lettres  sur  l'Angleterre,  on  la  cite  avec  effroi,  en  dési- 
rant ne  pas  y  revenir.  Les  lois  anglaises ,  qui  font  l'admira- 
tion de  toute  l'Europe,  imparfaites  cependant,  n'atteignent 
pas  tous  les  crimes  et  ne  répriment  pas  tous  les  abus  :  je 
veux  parler  d'une  coutume  atroce ,  d'un  plaisir  fait  pour 
des  sauvages ,  qui  ne  sont  satisfaits  qu'en  voyant  des  laïu- 
heaux  de  chair  et  des  ruisseaux  de  sang.  Des  seigneurs,  l'é- 
lite de  la  nation ,  élèvent  chez  eux  des  hommes  qu'ils  desti- 
nent à  des  combats  à  coups  de  poing.  Des  viandes  succulentes 
et  choisies ,  un  régime  ordonné ,  rendent  ces  hommes  gras, 
forts,  et  en  état  de  soutenir  ce  pugilat.  Calcul  iniiu- 
main!  horrible  sang-froid!  Quand  ils  ont  acquis  le  degré  de 
force  convenable,  on  en  met  deux  dans  une  enceinte,  et 
on  les  excite  à  se  battre  presque  jusqu'à  ce  que  la  mort 
s'ensuive.  Tout  ce  que  Londres  a  de  brillant  en  bommes 
assiste  à  ces  boucheries  réglées.  Il  y  a  des  paris  considé- 
rables. Le  petit  maître  et  l'homme  sérieux  poussent  des  cris 
de  joie  lorsqu'un  coup  bien  asséné  fait  jaillir  du  sang  (en 
argot  de  boxeurs,  du  claret ,  vin  de  Bonleaux  ).  On  com- 
plète une  somme  pour  le  malheureux  qui  peut  succomber 
dans  cette  lutte ,  ou  pour  sa  veuve.  Des  hommes  font  quel- 
quefois quinze  à  vingt  lieues  pour  être  témoins  de  ce  spec- 
tacle; il  va  de  pair  avec  les  courses  de  chevaux.  L'art  de 
boxer  s'apprend  en  Angleterre  comme  chez  nous  on  apprend 
l'escrime  :  ce  combat  a  ses  règles,  que  l'on  ne  peut  en- 
freindre. » 

Le  grand  art  du  boxeur  consiste  à  se  tenir  constamment 
couvert,  et  à  porter  d'estoc  à  son  adversaire  des  coups  de 
poing  à  la  figure,  et  surtout  à  la  poitrine.  Ordinairement 
les  boxeurs  combattent  nus  jusqu'aux  hanches.  Une  règle, 
dont  l'inobservation  est  presque  sans  exemple ,  c'est  de  ne 
point  frapper  l'adversaire  qu'un  coup  aura  jeté  à  terre ,  et 
d'attendre,  pour  lui  asséner  de  nouveaux  coups,  qu'il  se 
soit  relevé.  Celui  des  deux  combattants  qui  exprime  le  pre- 
mier le  d(^sir  de  cesser  la  lutte  s'avoue  par  cela  même  vaincu, 

DICT.    DE   LA   CO>VERS.    —  T.    lil. 


j;2A 

S'il  était  possible  que  les  traditions  de  l'art  de  boxer  s'ef- 
façassent un  jour  de  la  mémoire  du  peuple  anglais,  les 
règles  savantes  n'en  seraient  pourtant  pas  perdues  pour  la 
postérité.  Un  certain  Pierce  Egan  les  a  soigneusement  colli- 
gées  et  consignées  dans  son  ouvrage  intitulé  Doxiana ,  ou 
Esquisse  du  pugilat  ancien  et  moderne  (4  vol.  ornés  de 
gravures,  Londres,  1824). 

BOYAC A ,  département  le  plus  oriental  et  le  plus  con- 
sidérable delà  république  de  la  Nouvelle-Grenade,  tou- 
chant à  l'est  au  département  de  Cundinamarca,  apparte- 
nant, dans  sa  partie  nord-ouest,  aux  Cordillères  orientales 
et  au  territoire  du  fleuve  Magdalena,  dans  tout  le  reste,  à 
la  grande  plaine ,  et  arrosé  par  la  Meta,  le  Guaviare  et  d'an- 
tres affluents  de  l'Orénoque,  qui  le  borne  à  l'est.  Sa  super- 
ficie est  évaluée  à  environ  3,190  myriamètres  carrés,  sa 
population  à  500,000  âmes.  Tunja,  chef-lieu  de  ce  dépar- 
tement, est  située  à  51  kilomètres  au  nord-est  de  Bogota, 
sur  un  plateau  du  versant  occidental  des  Cordillères  orien- 
tales. C'est  une  ville  bien  bâtie,  qui  compte  12,000  habitants 
et  possède  une  magnifique  église  ornée  de  beaux  tableaux , 
quelques  couvents,  un  collège  et  d'autres  écoles.  Bolivar,  ap- 
pelé au  commandement  de  l'armée  par  le  congrès  assemblé 
à  Tunja,  le  22  novembre  1814,  défit  les  Espagnols, 
le  1"  juillet  1819,  sous  les  murs  de  la  ville,  puis  auprès  de 
Sogamoso,  à  44  kilomètres  au  nord-est,  et  enfin,  le  7  août, 
près  du  village  de  Boyaca,  situé  au  sud  de  Tunja,  sur  la 
route  de  Bogota.  Cette  dernière  victoire  délivra  la  Nouvelle- 
Grenade  de  la  domination  espagnole.  C'est  en  mémoire  de 
cette  bataille  décisive  que  le  département  a  reçu  le  nom  de 
Boyaca. 

BOYARD.  Voyez  Boï\r. 

BOYAU.  Voyez  Intestin. 

BOYAUDERIE,  BOYAUDIERS.  L'industrie  a  su  tirer 
parti  des  intestins  des  animaux,  qui  sont  préparés,  soit 
pour  la  fabrication  descordes  dites  à  boyau  et  des  co.fdes 
d'instruments,  soit  pour  la  confection  de  la  baudruche» 
que  les  batteurs  d'or  emploient  pour  réduire  les  métaux 
en  feuilles  d'une  ténuité  extrême.  Tels  qu'ils  sont  habituelle- 
ment tenus,  les  ateliers  des  boyaudiers  sont  certainement  ce 
que  l'on  peut  jamais  imaginer  de  plus  horrible  :  des  intestins 
d'animaux  en  putréfaction  complète  jetés  çà  et  là  dans  des 
baquets  autour  desquels  travaillent  des  hommes,  des  femmes 
et  des  enfants,  qui  passent  et  repassent  à  plusieurs  fois  dans 
leurs  mains  les  boyaux  pour  les  vider,  enlever  unemembrane 
qui  lesrendrait  impropres  aux  usages  auxquels  on  les  destine, 
et  les  souffler;  les  déchets  de  ces  diverses  opérations  et  les  ma- 
tières fécales  séjournant  avec  des  eaux  infectes  sur  le  sol  de  l'a- 
telier présentent  le  spectacle  le  plus  dégoûtant  que  l'on  puisse 
supposer.  Ces  ouvriers  mangent  au  milieu  de  ce  cloaque;  de 
jeunes  enfants  jouent  aux  pieds  de  leurs  parents;  et  le  nour- 
risson est  souvent  déposé  auprès  de  sa  mère,  occupée  à  ce 
travail  rebutant ,  et  les  uns  et  les  autres  jouissent  générale- 
ment d'une  bonne  santé.  Les  personnes  qui  entrent  pour 
la  première  fois  dans  une  boyauderie  ne  peuvent  qu'avec 
peine  résister  à  l'odeur  infecte  qui  en  émane. 

Les  petits  intestins  d'animaux  apportés  dans  l'atelier  sont 
jetés  dans  des  baquets  avec  de  l'eau ,  et  un  ouvrier  les  dé- 
graisse avec  un  couteau  ;  il  les  remet  dans  l'eau,  où  ils  restent 
quelque  temps ,  et  les  retourne  en  les  passant  entre  les  doigts 
dans  toute  leur  longueur.  Il  les  abandonne  ensuite  à  la  pu- 
tréfaction dans  des  baquets  pendant  six  à  huit  jours  l'hiver, 
et  deux  à  trois  l'été  ;  une  odeur  infecte  se  dégage  dans  cette 
opération ,  et  de  grosses  bulles  viennent  crever  à  la  surface  ; 
cependant  si  la  putréfaction  avance  trop,  on  l'arrête  en  je- 
tant dans  le  baquet  un  verre  de  vinaigre  :  dans  tous  les  cas, 
des  femmes  prennent  l'un  après  l'autre  chaque  boyau,  et  le 
ratissent  avec  l'ongle  sur  les  deux  surfaces  ;  on  les  lave  tous 
ensuite  avec  soin ,  et  après  les  avoir  attachés  par  l'une  de 
leurs  extrémités,  on  les  souffle,  et  on  les  fait  sécher  à  l'air. 
Pour  les  transporter  facilement ,  on  y  fait  un  petit  trou  qui. 


G28 


BOYAUDERIE  —  BOYER 


permet  à  l'air  d'en  eortlr,  et  on  les  expose  à  la  Tapeur  du 
Fonfre  qui  brûle,  pour  les  blanchir,  leur  ôter  leur  odeur  et 
les  rendre  moins  attaquables  aux  insccles. 

Une  très-simple  modification  dans  la  manière  d'opérer 
permet  au  boyaudier  de  faire  disparailie  l'infection  du  tra- 
vail dont  nous  n'avons  donné  qu'une  bien  faible  idée  ;  il  lui 
suffit  de  jeter  dans  ses  baquets  une  petite  quantité  d'une 
substance  éminemment  désinfectante,  le  chlorure  de  chaux, 
qui  détruit  si  complètement  l'odeur  rcpoassante  des  boyaux 
que  l'on  peut  entrer  dans  un  atelier  où  ce  procédé  parti- 
culier est  suivi  sans  s'apercevoir  du  genre  d'opérations  au- 
quel on  s'y  livre.  Cette  heureuse  application  est  due  à  La- 
barraque,  qui  a  rendu  un  grand  service  en  s'occupantde 
porter  dans  cette  industrie  de  notables  ann  liorations  ;  mais 
on  sera  sans  doute  étonné  d'apprendre  que  l'introduction 
d'un  moyen  si  simple,  si  facile,  et  en  même  temps  si  peu 
dispendieux ,  éprouve  les  plus  grands  obstacles  de  la  part 
des  boyaudiers,  et  que  l'administration  parvient  avec  peine 
à  le  leur  faire  adopter. 

Les  boyaux  de  mouton ,  qui  servent  plus  particulièrement 
à  fabriquer  les  cordes  à  boyau  et  les  cordes  d'instruments, 
sont  préparés  à  peu  près  de  la  môme  manière,  seulement  on 
en  sépare  avec  soin  une  membrane  qui  adhère  à  leur  surface 
extérieure,  et  qui  sert  à  faire  du  fd  et  des  cordes  pour  ra- 
quettes. On  les  fait  tremper  dans  une  faible  dissolution  de 
potasse,  et  on  les  ratisse  dans  toute  leur  longueur.  Pour  les 
conserver,  on  les  sale.  On  les  file  ensuite  sur  un  métier  con- 
venable, et  la  seule  différence  que  présente  le  travail  des 
diverses  espèces  de  cordes  consiste  dans  les  précautions 
particulières  que  l'on  prend  pour  celles  qui  sont  destinées 
aux  instruments.  Les  cordes  de  Naples  conservent  tou- 
jours une  réputation  de  supériorité ,  qui  n'est  plus  vraie  que 
pour  les  chanterelles;  on  peut  obtenir  celles-ci  aussi"  bonnes 
que  celles  de  Naples  en  se  servant  d'intestins  de  très-petits 
moutons.  ,  ïL  Gaultier  de  Claubry. 

BOYAU  DE  SIEGE.  Ce  mot  a  été  employé,  depuis 
moins  de  deux  siècles,  par  analogie  avec  les  boyaux  des  ani- 
maux ,  et  pour  dqnner  une  idée  d'une  tranchée  étroite , 
longue,  tortueuse,  dirigée  vers  une  place  assiégée.  Jusqu'au 
siège  de  Maëstricht ,  en  1673,  les  attaques  des  sièges  offensifs 
ne  cheminaient  qu'à  l'aide  de  venelles  presque  impraticables 
par  leur  défaut  de  largeur.  Les  tranchées  se  sont  élargies  ; 
les  parallèles  et  demi-parallèles  ont  été  inventées;  et  les 
boyaux  sont  devenus  des  branches  en  zig-zags,  qu'on  a 
surtout  perfectionnées  de  171C  à  1774.  En  somme,  les  boyaux 
sont  des  brisures  qui  établissent  une  communication  entre 
la  première  et  la  troisième  parallèle;  ils  .servent  à  lier  les 
attaques  du  front  de  la  place  et  se  dirigent  sur  la  capitale 
d'un  bastion  par  la  ligne  la  plus  droite  possible,  mais  de 
manière  à  éviter,  par  des  crochets  de  retour,  les  lignes  du 
feu  de  l'ennemi,  et  à  rester  libres ,  conformément  aux  règles 
générales  du  défilement  des  ouvrages ,  c'est-à-dire  à  être  à 
l'abri  des  commandements  d'enfilade.  Si  les  boyaux  sont 
voisins  de  l'enceinte  attaquée,  si  elle  les  domine  surtout,  on 
les  blinde  afin  de  les  garantir  de  l'effet  des  pierriers  et  des 
projectiles  à  tir  courbe.  Us  doivent  n'être  ob.strués  par  rien 
durant  la  nuit,  pour  le  service  des  travailleurs  et  pour  la 
facilité  du  transport  des  matériaux;  en  conséquence,  les 
gardes ,  à  la  réserve  des  détachements  qui  i)rotègent  les  tra- 
vailleurs, s'établissent  jusqu'au  jour  sur  le  revers  de  la 
tranchée.  G"'  Bardin. 

BOYAUX  DU  DIABLE,  nom  vulgaire  aux  Antilles 
de  la  salsepareille. 

BOYDELL  (John),  célèbre  marchand  de  gravures  et 
d'objets  d'art,  né  en  1719,  à  Dorrington,  commença  par 
exercer  l'ait  du  graveur,  puis  se  fit  collectionneur  et  mar- 
chand d'estampes.  Le  muséum  artistique  qu'il  avait  établi 
dans  Chcapsidc  était  l'une  des  merveilles  de  Londres.  Il 
mourut  le  11  décembre  1804,  remplissant  les  fonctions  de 
lord  maire  de  celte  capitale.  La  plus  importante  de  ses  en- 


treprises fut  la  Shahcspeare-Gallery,  à  laquelle  travaillèrent 
les  dessinateurs  et  les  graveurs  les  plus  célèbres,  et  qui  fit 
en  même  temps  de  lui  l'un  des  plus  riches  marchands  d'ob* 
jets  d'art  de  l'Europe.  Parmi  ses  autres  collections  de  gra- 
vures on  distingue  surtout  sa  Houghton-Gallery,  dont  tous 
les  originaux  furent  achetés  par  l'impératrice  Catherine.  On 
lui  est  aussi  redevable  du  Liber  veritatis  (2  vol.,  Londres, 
1777  ),  fac-similé  du  précieux  ouvrage  dans  lequel  Claude 
Lorrain  déposait  les  dessins  de  tous  ses  tableaux.  Les  deux 
premiers  volumes  de  saCollection  of  Prmts  engraved  a/ter 
the  most  capital  paintings  in  England  (  19  vol.,  Londres, 
1772  et  années  suivantes),  sont  les  plus  remarquables  de 
tous.  En  1779  il  fit  paraître  le  catalogue  de  son  riche  magasin. 
BOYER  de  Nice  (Guilhf.lm),  troubadour,  né  à  Nice  et 
mort  vers  l'an  1355  dans  une  grande  vieillesse ,  ne  nous  est 
connu  que  par  ce  que  nous  en  dit  Nostradamus ,  le  moins  vé- 
ridique  de  nos  historiens.  Il  nous  apprend  que  Boyer  de  Nice, 
amoureux  d'une  jeune  demoiselle  de  la  maison  de  Berr, 
composa  en  son  honneur  plusieurs  chansons  galantes;  qu'il 
fut  attaché  au  service  de  Charles  II ,  roi  de  Sicile  et  comte  de 
Provence ,  et  à  celui  de  son  fils  Robert  ;  enfin  ,  qu'il  dédia  à 
te  dernier,  qui  l'avait  nommé  podestat  de  Nice,  un  Recueil 
de  poésies,  ainsi  qu'un  Traité  d'Histoire  naturelle. 

BOYER  (Abel),  auteur  d'un  Dictionnaire  anglais- 
français,  dont  on  ne  compte  plus  les  éditions,  était  né,  en 
1664,  à  Castres.  Il  sortit  de  France  à  la  révocation  de  l'Édit 
de  Nantes ,  et  se  retira  d'abord  à  Genève ,  puis  en  Angle- 
terre, où  il  mourut,  en  1729,  après  un  séjourde  quarante  ans. 
BOYER  (Claude),  abbé ,  né  à  Alby,  en  1618,  vint  de 
bonne  heure  à  Paris,  et  y  prêcha  avec  peu  de  succès,  à  ce 
qu'il  paraît.  Furetière  assure  que  personne  ne  pouvait  dire 
avoir  dormi  à  ses  sermons,  parce  qu'il  n'avait  point  trouvé 
de  lieu  pour  prêcher.  Après  avoir  donné  au  théâtre  plus  de 
douze  tragédies  ou  tragi-comédies,  il  fut  reçu  à  l'Académie 
Française  en  1666,  et  continua  à  travailler  pour  le  théâtre. 
Il  mourut  le  2  juillet  1698.  Une  de  ses  pièces ,  Judith,  qui 
a  été  immortalisée  par  l'épigramme  de  Racine ,  fut  représen- 
tée pour  la  première  fois  pendant  le  carême,  et  eut  assez 
de  vogue.  Quand  on  la  reprit  après  pâques,  elle  fut  sifllée; 
la  Champmeslé  s'étonnant  de  l'inconstance  du  public.  Racine 
répondit  :  «  Les  sifflets  étaient  à  Versailles  aux  sermons  de 
l'abbé  Boileau  ;  ils  sont  revenus.  »  Cependant  Boyer  a  été 
loué  par  Boursault  et  par  Chapelain,  oui  voit  en  lui  «  un  poète 
de  théâtre  qui  ne  le  cède  qu'au  sejf  Corneille  en  cette  pro- 
fession. »  Despréaux  semble  plutôt  dans  le  vrai  lorsqu'il  dit: 

Boyer  est  à  Piochène  égal  pour  le  lecteur. 
Content  de  lui-même,  rarement  du  public,  Boyer  avait  tou- 
jours une  ingénieuse  raison  à  donner  du  peu  de  succès 
qu'obtenaient  ses  ouvrages.  Ce  travers  lui  valut  l'épigramme 
suivante  de  Furetière  : 

Quand  les  pièces  représentées 

De  Boyer  sont  peu  fréquentées, 
Chagrin  qu'il  est  d'y  voir  peu  d'assistants, 

Voici  comme  il  tourne  la  chose  • 

Vendredi  la  pluie  en  est  cause 

Et  dimanche  c'est  le  beau  temps. 

Parmi  ses  pièces  de  théâtre  on  cite  :  la  Porcie  romaine, 
tragédie,  1646;  la  Générosité  dWlexandre,  1647;  Aris- 
todème,  1647;  Ulysse  dansTilede  Circé,  1648;  Clotilde, 
1659;  La  Mort  de  Démétrius,  1660;  Jupiter  et  Sémétée, 
1666;  La  Fête  devenus,  \f>m;  Potier  aie,  1670;  Démarate, 
1673;  Oreste,  1681  ;  Jephté,  1692;  Méduse,  opéra,  1697. 

BOYER  (Jean-François),  évêque  de  Mirepoix,  place 
qu'il  obtint  en  1730  par  le  crédit  du  cardinal  deFleury,  était 
né -à  Paris,  le  12  mars  1076,  et  y  niouru!,  le  20  août  1755. 
Reçu  membre  de  l'Aradémiedes  Sciences  en  1736,  et  admis 
cinq  ans  après  à  remplacer  le  cardinal  de  Polignac  à  celle 
des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  ce  fut  lui  surtout  qui  em- 
pêcha l'élection  de  Piron  ;  ce  qui  lui  valut  les  sarcasmes  et 
la  haine  de  plusieurs  gens  de  lettres,  entre  autres  de  Collé, 


I 


BOYER 


627 


qui  l'appclatt  la  chouette  des  honnêtes  gens  ecclésiastiques. 
Il  est  juste  de  dire,  pour  tempérer  un  peu  l'effet  de  cette 
épigramme,  que,  chargé  de  l'éducation  du  dauphin,  père 
de  Louis  XVI,  qui  conserva  toujours  pour  lui  le  plus  tendre 
attachement,  et  pourvu  de  la  feuille  des  bénéfices  après  la 
mort  de  son  protecteur,  le  cardinal  de  Fleury,  il  vécut  sans 
faste  à  la  cour,  passant  sa  vie  dans  la  pratique  d'œuvres 
de  bienfaisance  et  de  charité. 

BOYER  (Jean-Baptiste-Nicolas),  né  à  Marseille,  en 
1693  et  reçu  docteur  à  la  faculté  de  Montpellier  en  1717,  se 
fit  une  très- grande  réputation,  particulièrement  dans  le  trai- 
tement des  maladies  épidémiques  et  contagieuses.  ]1  en  avait 
fait  le  sujet  de  sa  première  thèse,  consacrée  à  l'exposition 
du  système  de  l'inoculation,  qu'il  avait  vu  pratiquer  à 
Constantinople,  où  sa  famille  l'avait  d'abord  envoyé  étudier 
le  commerce.  En  1720,  à  l'occasion  de  l'horrible  épidémie 
qui  désola  Marseille,  où  il  avait  été  envoyé  ,  lui  sixième, 
f;ar  le  régent,  pour  s'opposer  au  progrès  du  mal  et  en  étu- 
dier la  nature,  il  publia  sa  Rdfutation  des  anciennes  opi- 
nions to7ichant  la  peste.  Le  zèle  de  Boyer  ne  trouva 
malheureusement  que  trop  de  sujets  de  s'exercer  encore, 
principalement  dans  les  années  1734,  1742,  1745,  1750, 
1755  et  1757,  où  diverses  pallies  du  royaume  de\1nrent 
tour  à  tour  la  proie  des  plus  cniclles  épidémies  ;  et  toute  sa 
vie  se  passa,  pour  ainsi  dire,  à  vérifier  la  théorie  parla 
pratique,  et  vice  versa.  Grandement  récompensé  par  le 
gouvernement  du  roi ,  qui  l'anoblit  et  le  combla  de  places 
et  de  pensions,  il  mourut  en  17G8,  doyen  de  la  Faculté  de 
Paris  et  associé  de  la  Société  royale  de  Londres ,  laissant 
après  lui  une  renommée  que  l'on  a  cherché  depuis  à  lui 
contester  en  partie,  mais  qui,  cependant,  ne  fut  pas  entiè- 
rement le  fruit  des  circonstances. 

BOYER  (Alexis,  baron),  naquit  en  1756,  à  Uzerche,  et 
mourut  à  Paris,  en  1833.  Premier  chirurgien  de  l'empereur 
Napoléon,  chirurgien  en  chef  de  l'hôpital  de  la  Charité,  pro- 
fesseur à  la  Faculté  de  Médecine,  membre  de  l'Académie 
de  Médecine  et  de  l'institut  de  France,  il  fut  célèbre  comme 
l>rofesseur,  comme  chirurgien  ,  comme  écrivain  ;  et  sa  car- 
rière, longue  et  brillante,  fut  marquée  par  des  travaux  assidus 
et  une  probité  irréprochable.  Né  d'une  famille  pauvre,  il 
vint  dans  la  capitale  sans  éducation,  sans  ressource ,  et  en- 
dura, dans  le  principe,  les  privations  les  plus  cruelles;  mais 
son  zèle  le  signala  à  Desault;  il  obtint  les  premiers  prix 
de  l'école  pratique,  et  se  mit  à  enseigner  lui-même,  rempor- 
tant au  concours  la  place  de  chirurgien  à  la  Charité,  occu- 
pant successivement  à  l'École  de  Santé  les  chaires  de  méde- 
cine opératoire  et  de  clinique  chirurgicale ,  qu'il  ne  devait 
quitter  qu'à  sa  mort.  C'est  à  ses  leçons  que  s'étaient  formés 
la  plupart  des  bons  chirurgiens  de  notre  époque. 

Chirurgien  de  l'Empereur  en  1804,  le  baron  Boyer  fit  la 
campagne  de  Pologne  en  1 806,  et  reçut  en  1807  la  décoration 
de  la  Légion  d'Honneur;  puis  il  rentra  dans  sa  vie  de  pro- 
fesseur et  de  savant.  Les  changements  survenus  à  la  Farojlté 
en  1823  et  en  1830  respectèrent  sa  position,  et  ne  firent 
même  que  la  consolider.  Parmi  les  œuvres  qu'il  a  laissées , 
on  cite  son  Traité  complet  d' Anatomie  (^  vol.,  1797-1799), 
et  celui  des  Maladies  chirurgicales,  et  des  opérations  qui 
leur  conviennent  (  10  vol.,  1814-1822  ),  véritable  encyclo- 
pédie chirurgicale ,  fruit  d'une  vaste  et  judicieuse  expérience. 
Renommé  comme  praticien ,  il  a  laissé  une  fortune  considé- 
rable. Il  joignait  à  une  grande  bienveillance  une  rare  mo- 
destie et  beaucoup  de  goût  pour  la  retraite.  Sa  conversation 
intéressante  pétillait  de  bonhomie.  Il  avait  épousé  la  fille 
d'honnêtes  artisans ,  qui  l'avaient  aidé ,  lorsque ,  pauvre  et 
inconnu,  il  était  arrivé  à  Paris,  et  il  se  plaisait  à  dire  : 
«  Ma  femme  m'avait  fait  chirurgien ,  je  l'ai  faite  baronne.  » 
BOYER  (Pierre-Dems),  abbé,  théologien  et  directeur  du 
séminaire  Saint-Sulpice,  né  le  19  octobre  1766,à  Sévérac-I'É- 
glise  (Aveyron),  mort  à  Paris,  le  24  avril  1842.  Il  embrassa 
de  bonne  heure  l'état  ecclésiastique ,  vécut  dans  la  retraite 


pendant  la  révolution,  et  s'unit  à  l'abbé  Émery  en  1801  pour 
relever  le  séminaire  Saint-Sulpice,  d'où  il  fut  éloigné  en  1811, 
ainsi  que  ses  collègues,  par  ordre  de  l'Empereur.  La  Res- 
tauration le  rendit  à  la  chaire  de  théologie  morale,  qu'il  oc- 
cupa jusqu'en  1818.  Son  parent  et  ami  l'abbé  Frayssinous 
se  l'associa  ensuite  dans  ses  conférences.  Boyer  se  distingua 
parmi  les  plus  violents  adversaires  de  M.  de  Lamennais  ;  il 
a  publié  un  assez  grand  nombre  d'ouvrages.  Boyer  était  gal- 
lican et  chef  de  l'école  théologique  dite  des  Sulpiciens. 

BOYER  (  Jean-Pierre  ),  ancien  président  de  la  répu- 
blique d'Haïti,  né  le  2  février  1776,  à  Port-au-Prince,  d'un 
mulâtre  de  cette  colonie,  alors  française,  reçut  à  Paris  une 
éducation  soignée,  revint  dans  sa  patrie,  y  embrassa  le  parti 
des  armes  et  était  déjà  chef  de  bataillon  dans  la  Légion 
de  l'Égalité,  lorsque  les  Anglais  s'emparèrent  de  sa  ville 
natale.  Fidèle  au  drapeau  de  la  république  française ,  il  se 
retira  à  Jacmel ,  dans  le  sud  de  l'île ,  avec  les  commissaires 
Polverel  et  Santhonax ,  et  le  général  mulâtre  Beauvau,  qui 
prit  le  commandement  de  la  place.  A  sa  mort,  Boyer  le 
remplaça,  et  fit  souvent  preuve  de  talent  et  de  bravoure  en 
combattant  les  Anglais  au  fort  Biroton,à  la  Grande- Anse, 
à  Léogane.  Deux  partis  ensanglantaient  alors  la  colonie  :  les 
noirs,  sous  la  conduite  du  fameux  Toussaint  Louver- 
ture,  faisaiejit  une  guerre  d'extermination  aux  mulâtres, 
commandés  par  le  général  Rigaud.  Boyer  suivit  la  destinée 
de  ce  dernier  chef,  et  gagna  sur  le  champ  de  bataille  les 
épaulettes  de  général  de  brigade.  Rigaud,  appréciant  sa  ca- 
pacité, lui  confia  le  commandement  de  Jacmel.  Toussaint 
fut  vainqueur  dans  cette  lutte  terrible,  et  le  chef  des  mu- 
lâtres se  vit  contraint  de  se  réfugier  en  France,  où  Boyer  le 
suivit. 

Ils  reparurent  ensemble  dans  la  colonie  à  la  suite  de  l'ex- 
pédition de  Leclerc,  dont  on  connaît  la  funeste  issue.  Ri- 
gaud ayant  été  renvoyé  en  Europe  par  ce  g'énéral ,  Boyer 
s'aperçut  bientôt  qne  la  France  n'avait  d'aiRre  but  que  de 
faire  rentrer  les  esclaves  affranchis  sous  la  domination  de 
leurs  maîtres,  et  il  conçut  le  grand  projet  de  délivrer  sa 
patrie  en  réconciliant  les  noirs  et  les  hommes  de  couleur. 
Honorable  déserteur  d'une  cause  qui  n'était  plus  celle  de  ses 
concitoyens ,  il  fut  un  de  ceux  qui  parvini'ent  à  les  soustraire 
au  joug  de  la  métropole. 

A  l'avènement  au  trône  du  nègre  Dessalines,  Boyer  se 
mit  avec  Péthion  à  la  tête  des  gens  de  couleur,  et  ils 
contribuèrent  ensemble  à  renverser  ce  tyran  sanguinaire. 
Christophe  visant  à  son  tour  à  la  même  domination  ,  ils 
l'abandonnèrent,  et  fondèrent  une  république  indépendante 
dans  la  partie  occidentale  de  l'île.  Boyer,  que  ses  talents 
militaires  et  ses  connaissances  administratives  rendaient  in- 
dispensable à  Péthion,  fut  nommé  commandant  de  Port-au- 
Prince  et  créé  major  général.  11  essaya  de  discipliner  ses 
bataillons  à  l'européenne ,  battit  en  plusieurs  rencontres  les 
troupes  de  Christophe,  et  sauva  Port-au-Prince  d'une  ruine 
complète.  Pétliion,  sur  son  lit  de  mort  usant  du  pouvoir  que 
lui  conférait  la  constitution,  désigna  pour  son  successeur  le 
général  Borgelo ,  honnête  homme ,  mais  d'une  faiblesse  pro- 
verbiale. Le  peuple  ne  ratifia  pas  ce  choix,  et  les  pouvoirs  de 
l'État  assemblés  décernèrent  la  présidence  à  Boyer.  Celui-ci 
mit  aussitôt  de  l'ordre  dans  les  finances,  améliora  l'admi- 
nistration ,  remplit  les  caisses  publiques ,  protégea  les  arts  et 
les  sciences.  Après  la  mort  violente  de  Christophe,  en  1820, 
il  réunit  ses  États  à  la  république.  En  1825  il  obtint  de  la 
France  la  reconnaissance  de  l'indépendance  de  Haïti  moyen- 
nant une  indemnité  de  150  millions  de  francs.  Sous  son 
gouvernement,  la  république  jouit  pendant  plus  de  quinze  ans 
de  la  paix  la  plus  profonde;  mais  sa  politique,  qui  tendait 
à  l'asservissement  des  noirs  au  profit  de  sa  race,  lui  suscita 
beaucoup  d'ennemis. 

Cette  sourde  hostilité  se  fit  jour  en  1843,  dans  la  seconde 
chambre,  par  l'organe  de  Dumeille,  représentant  des  Cayes. 
Boyer  eut  recours  aux  moyens  les  plus  violents  pour  faire 

79. 


fi28 


BOYER  —  BOYER-PEYRELEAU 


taire  celte  opposition,  et  réduisit  presque  à  néant  l'autorité 
«les  cliainbres.  Rivière- Hérard,  commandant  en  chef  de  l'ar- 
tillerie et  partisan  de  Dumeille ,  gagna  enfin  la  troupe,  s'em- 
para de  la  ville  des  Cayes,  et  marcha,  au  mois  de  mars  1843, 
contre  le  Port-au-Prince,  dont  les  habitants  ne  bougèrent 
pas.  Comprenant  qu'il  était  perdu,  Boyer,  accompagné  d'une 
trentaine  de  ses  adhirents,  s'embarqua,  le  13  mars,  sur  la 
frégate  anglaise  le  Sylla,  qui  le  transporta  à  la  Jamaïque.  De 
là  il  envoya  à  la  section  permanente  du  sénat  une  adresse 
où ,  après  avoir  rappelé  ses  services,  il  donnait  sa  démission 
et  se  condamnait  à  un  exil  volontaire.  La  proclamation  du 
gouvernement  provisoire  prouva  qu'il  était  tombé  victime  de 
sa  politique  aristocratique,  bien  qu'après  son  triomphe  il 
eût  exercé  son  autorité  avec  beaucoup  de  modération.  Après 
un  long  séjour  à  la  Jamaïque,  Boyer  vint  en  1849  à  Paris, 
où  il  mourut,  le  10  juillet  1850.  Il  était  le  vrai  représentant 
de  la  race  de  couleur,  patient,  persévérant,  aux  manières 
engageantes,  mais  rusé,  et  souvent  dur  et  cruel  envers  ses 
ennemis. 

BOYER  (  Pierre-François-Xavieh  ,  baron  ),  général  de 
division ,  naquit  à  Belfort  (  Haut-lUiin  ),  le  7  septembre  1772. 
Parti,  comme  volontaire,  à  l'ùge  de  vingt  ans,  dans  un  des 
bataillons  de  la  Côte-d'Or,  il  commandait,  peu  de  temps 
après,  comme  capitaine,  une  compagnie  du  l*'  bataillon 
du  Mont-Terrible,  et  devenait  aide  de  camp  de  Kellermann. 
En  1796  il  faisait  la  campagne  d'Italie  en  qualité  d'adjudant 
général;  plus  tard,  il  suivait  Bonaparte  sur  les  bords  du 
Nil  et  en  Syrie.  Il  se  distingua  à  la  bataille  d'Alexandrie, 
où  il  fut  grièvement  blessé.  Le  8  germinal  an  IX  il  était 
général  de  brigade,  et  allait  prendre  part  à  l'expédiliou  de 
Sainl-Uorainguecommechefd'état-major  général  de  l'armée. 
Chargé  d'apporter  au  premier  consul  la  nouvelle  de  la  mort 
du  général  en  chef  Leclerc,  il  fut  pris  dans  la  traversée, 
conduit  à  Londî'es,  et  échangé  bientôt  après.  Il  se  comporta 
brillamment  en  Allemagne,  aux  batailles  d'léna,de  Pultusk, 
de  Friedlaud  et  de  Wagram.  Il  devint,  en  Espagne,  la 
terreur  des  guérillas;  sa  division  de  dragons  inspirait  par- 
tout un  elïroi  indicible.  Le  grade  de  général  de  division 
lui  fut  conféré  en  1814.  Placé  à  la  tète  du  département  du 
Mont-Blanc,  il  en  fut  chassé  par  la  première  restauration, 
leva  un  corps  franc  au  retour  de  l'empereur  de  l'île  d'Elbe, 
combattit  l'étranger  pendant  tout  le  temps  de  l'invasion,  et 
fut  porté  sur  la  liste  des  proscrits  après  Waterloo.  Ce- 
pendant il  ne  tarda  pas  à  obtenir  l'autorisation  de  rentrer 
en  France,  où  il  vécut  pauvre  pendant  plusieurs  années,  se 
livrant  aux  arts  et  à  la  peinture.  Réformé  sans  traitement 
en  ISIG,  il  fut  admis  à  la  retraite  à  la  fin  de  1824,  et  au- 
torisé vers  la  même  époque  à  passer  au  service  du  pacha 
d'Egypte.  Il  s'occupait  des  moyens  de  discipliner  les  troupes 
de  ce  prince,  lorsque,  deux  ou  trois  ans  après,  une  mé- 
sintelligence survenue  entre  lui  et  Mohammed-Laz ,  mi- 
nistre de  la  guerre,  le  força  à  quitter  l'Egypte. 

Rétabli  sur  le  cadre  d'activité  après  la  révolution  de 
juillet,  il  partit  pour  l'Afrique,  où  il  commanda  une  di- 
vision lors  de  l'expédition  du  général  Clauzel  dans  la  pro- 
vince de  Tittery.  Le  gouvernement  s'étant  décidé  à  occuper 
Cran,  le  coumiandement  de  celte  place  lui  l'ut  confié.  Il  y 
arriva  précédé  dune  grande  réputation  de  sévérité,  qui  lui 
avait  valu  en  Espagne  le  surnom  de  ZJoyer  le  Cruel.  On  eut 
quelque  peine  à  croire  que  cet  homme  si  doux  ,  si  affable 
dans  son  intérieur,  instruit, capable,  spirituel,  ami  des  arts, 
eût  jamais  mérité  une  telle  épithète.  Mais  la  dureté  impi- 
toyable avec  laquelle  il  sévit  bientôt  contre  les  Maures  soup- 
çonnés d'avoir  des  intelligences  avec  le  Maroc,  les  confis- 
cations, les  arrestations  sans  nombre,  les  exécutions  qui 
vinrent  frapper  les  habitants  d'Oran,  ne  tardèrent  point  à 
prouver  qu'on  n'avait  nullement  calomnié  le  général  Boyer. 
Hàtons-nous  dédire,  toutefois,  que  noire  situation  exigeait 
peut-être  ces  manifestations  énergiques,  implacables.  La 
main  de  fer  du  général  Boyer,  en  i>esant  sur  la  vilie,  en  y 


comprimant  la  révolte  et  la  trahison,  faisait  respecter  notre 
drapeau  aux  ennemis  extérieurs.  Dans  maints  combats,  les 
Arabes  furent  terriblement  battus,  et  certes,  tout  en  dé- 
plorant la  sévérité  par  trop  systématique  du  commandant 
supérieur  d'Oran  ,  il  n'en  est  pas  moins  prouvé  que  la  pro- 
vince eût  peu  à  peu  regagné  toute  sa  tranquillité  s'il  avait  été 
maintenu  à  son  poste.  Le  général  D  e  s  m  i  c  h  e  1  s,  qui  remplaça 
le  général  Boyer,  rappelé  en  France  par  suite  de  sa  mésin- 
telligence avec  le  duc  de  Rovigo,  détruisit  en  quelques 
jours  les  eflorts  de  la  vigoureuse  administration  de  son 
prédécesseur.  Sa  bénignité,  sa  mansuétude envei-s  les  Arabes 
donna  naissance  à  ce  déplorable  traité  du  26  février  1834, 
auquel  le  traité  de  la  Tafna  devait  servir  de  pendant. 
Admis  en  1839  sur  le  cadre  de  réserve ,  le  général  Boyer  est 
mort  en  1851. 

Il  ne  faut  pas  le  confondre  avec  le  général  de  division 
Pierre-Paul  Boyer,  né  le  1*"^  septembre  1787,  ancien 
aide  de  camp  du  duc  de  Nemours ,  ancien  membre  du  comité 
de  la  cavalerie ,  grand  officier  de  la  Légion  d'Honneur,  mis  à 
la  retraite  par  le  gouvernement  provisoire  le  17  avril  1848, 
et  rappelé  à  l'activité  par  le  décret  de  l'Assemblée  législative 
du  11  août  1849. 

BOYER  D'ARGENS.  Voyez  Argehs. 

BOYER  FOAFRÈDE.  Voyez  Fonfrède. 

BOYER-PEYRELEAU  (  Ecgè:<e-Édooard  ,  baron  ), 
né  à  Alais  (  Gard  ),  en  1776  ,  a  fait  toutes  les  campagnes  de 
la. révolution.  Entré  au  service  comme  simple  soldat  en  1793, 
il  conquit  tous  ses  grades,  le  titre  de  baron  et  la  décoration 
de  la  Légion  d'Honneur  sur  les  champs  de  bataille.  Aide 
de  camp ,  puis  chef  d'état-major  de  l'amiral  Villaret-Joyeuse, 
il  te  suivit  à  la  Martinique,  qui  fut  attaquée,  peu  de  temps 
après,  par  les  Anglais  avec  des  forces  bien  supérieures. 
Chargé  de  leur  enlever  le  rocher  du  diamant  qui  ferme 
l'entrée  de  la  baie  du  fort  Royal ,  et  auquel  ils  avaient 
donné  le  nom  de  Gibraltar  des  Antilles,  le  chef  d'escadron 
Boyer,  à  la  tête  d'une  petite  colonne  de  deux  cents  braves, 
se  rendit  maître  de  la  place  en  moins  de  cinquante-six  heures. 
Mais  la  garnison  française  de  la  Martinique  fut  obligée  de 
céder  au  nombre  et  de  capituler.  Villaret-Joyeuse,  malgré 
la  vigueur  de  sa  résistance ,  fut  accusé  de  n'avoir  pas  fait 
tout  ce  qu'il  aurait  dû.  Boyer  ne  balança  pas.  Après  avoir 
partagé  la  fortune  de  son  général ,  il  voulut  partager  sa 
disgrâce  ;  il  le  suivit  en  France ,  et  l'accompagna  ensuite  à 
Venise. 

Cependant  en  1812  Boyer-Peyreleau  reçut  l'ortlre  de 
rejoindre  l'armée  en  Russie,  et  devint  adjudant  com- 
mandant ,  puis  chef  d'état-major  de  la  garde  impériale.  Il 
entra  ensuite  dans  le  corps  de  cavalerie  du  général  La- 
tour-Maubourg,  protégea  la  retraite  des  troupes  françaises 
de  Leipzig  à  Mayence,  et  fut  un  des  officiers  qui  déployèrent 
le  plus  de  bravoure  dans  les  sanglantes  affaires  des  plaines 
de  Champagne.  Nommé  par  l'empereur  général  de  brigade 
après  le  combat  de  Saint-Dizier  (  26  mars  1814  ),  il  ne  put 
recevoir  son  brevet  par  suite  du  changement  de  gouver- 
nement. 11  fût  néanmoins  employé  à  la  fin  de  la  même 
année  à  la  Guadeloupe,  comme  commandant  en  second,  et  y 
arbora  le  drapeau  tricolore  à  la  nouvelle  du  retour  de  Tlle 
d'Elbe.  Impliqué  pour  ce  fait  dans  le  procès  intenté  à  l'a- 
miral Lin  ois,  il  fut  ramené  en  France  et  traduit  devant  un 
conseil  de  guerre  à  Paris.  Il  se  défendit  lui-même,  montra 
durant  les  débats  le  plus  noble  caractère,  et  n'usa  pas  même 
du  droit  d'opposer  à  ses  délateurs  les  plus  justes  récri-' 
minattons.  Il  fut  condamné  à  mort. 

Il  s'attendait  à  subir  sa  peine  dans  les  vingt-quatre 
heures;  huit  jours  s'écoulèrent  dans  cette  incertitude.  On 
lui  appiit  enfin  la  commutation  de  sa  peine  en  un  empri- 
sonnement de  vingt  années.  Il  fut  peu  de  temps  après  remis 
en  liberté ,  mais  laissé  sans  emploi  et  à  la  demi-.solde.  Ce  ne 
lut  qu'après  la  révolution  de  1830  qu'il  reprit  dans  l'année 
le  grade  que  lui  avait  conféré  l'empereur  Napoléon  sur  !•, 


BOYER-PEYRELEAU  —  BOYNE 


629 


champ  de  bataille  de  Saint-Dizier  en  1814,  et  ses  conci- 
toyens l'élurent  leur  représentant  à  la  chambre  des  députés 
sous  le  règne  de  Louis-Philippe.  Le  général  Boyer  a  publié 
en  1823  trois  vol.  in-8°,  ayant  pour  titre  :  Des  Antilles 
françaises ,  et  particulièrement  de  la  Guadeloupe  jus- 
qu'au i"  novembre  1816. 

BOYLE  (Robert).  Le  grand  Bacon  venait  de  mourir. 
Son  génie  indépendant  avait  brisé  le  sceptre  d'Aristote ,  in- 
voqué l'expérience  où  l'autorité  faisait  loi,  et  placé  le  point 
d'appui  des  sciences  dans  l'étude,  trop  longtemps  négligée, 
de  la  nature.  La  philosophie  des  sciences ,  qu'il  avait  mise 
en  marche,  ne  devait  plus  s'arrêter.  Boyle,  né  en  1626, 
l'année  même  où  l'Angleterre  perdit  le  chevalier  de  Vérulam, 
hérita  de  sa  mission  et  de  ses  talents.  Fils  d'un  pair  d'Irlande, 
il  avait  voyagé  pendant  plusieurs  années  de  sa  jeunesse  en 
France,  en  Suisse  et  en  Italie.  Rappelé  dans  son  pays  par 
la  mort  de  son  père  et  le  désir  d'employer  sa  fortune  à  l'é- 
tude de  la  physique  et  de  la  cliimie  ,  il  se  réunit  à  quel- 
ques amis  des  sciences  et  de  la  paix  pour  former  la  société 
des  Invisibles,  noyau  de  la  Société  royale,  constituée  sous 
CharlesII.  Lavilled'Oxford  leur  offrit  un  asile  respecté  contre 
les  orages  politiques  qui  grondaient  alors  sur  l'Angleterre, 
et  c'est  là  que  Boyle  soumit  à  un  sévère  examen  les  doctrines 
systématiques  des  piiysiciens.  Là  il  perfectionna  la  raaciiine 
pneumatique,  inventée  par  Otto  de  Guericke ,  et,  par  de 
nombreuses  expériences ,  renversa  la  théorie  des  chimistes , 
qui  ne  reconnaissaient  comme  principes  essentiels  des  corps 
que  trois  éléments  :  le  sel,  le  soufre  et  le  mercure.  Pour  lui, 
Ja  matière  n'avait  que  des  propriétés  mécaniques ,  et  il 
pensait  qu'il  existe  une  matière  indifférente  à  tout ,  uniforme 
et  capable  de  toutes  les  formes ,  dont  les  diftérentes  combi- 
naisons constituent  tous  les  corps.  Cette  opinion,  qu'a  par- 
tagée Newton  ,  reposait  sur  une  expérience  mal  comprise. 
Boyle  ayant  fait  tenir  longtemps  de  l'eau  dans  une  cornue  à 
un  feu  égal,  et  n'ayant  trouvé  qu'un  résidu  terreux,  en  con- 
clut à  tort  que  l'eau  s'était  changée  en  terre  ;  elle  s'était  sim- 
plement évaporée. 

Il  avait  remarqué  l'augmentation  de  poids  des  métaux  par 
lacalcination,  et  dit  lui-même  que  l'air  extérieur  entrait  avec 
violence  dans  la  cornue  lorsqu'il  l'ouvrait,  ce  qui  lui  indiquait 
l'absorption  de  l'air  intérieur  ;  cependant  il  attribua  l'aug- 
mentation de  poids  à  la  fixation  du  feu  ,  et  admit,  par  une 
conséqucice  forcée  de  cette  erreur,  que  le  feu  est  pesant. 
Il  étabht,  avec  plus  de  raison,  que  l'air  calciné  est  impro- 
pre à  la  respiration  ;  et  l'on  trouve  dans  l'immense  recueil 
de  ses  œuvres,  imprimé  en  1680,  à  Genève,  la  notion  certaine, 
quoique  imparfaite,  du  gaz  produit  par  la  fermentation,  que 
nous  nommons  acide  carbonique,  et  des  propriétés  de  l'air 
inQammable  dans  les  mines  (hydrogène  carboné). 

Au  total ,  si  Boyle  a  droit  au  souvenir  des  hommes ,  ce  n'est 
pas  qu'il  ait  doté  les  sciences  d'importantes  découvertes  ;  l'his- 
toire de  ses  travaux  est  même  bien  souvent  celle  de  ses  er- 
reurs :  mais  te4  est  le  privilège  du  génie,  lorsqu'il  s'allie  à  l'es- 
prit philosophique,  que  ses  erreurs  sont  encore  un  progrès 
pour  la  science.  En  efîèt,  Boyle  se  trompait  dans  ses  déduc- 
tions, parce  que  la  science  était  sans  antécédents  qui  pus- 
sent le  guider  dans  l'interprétation  de  ses  expériences  ;  mais 
en  faisant  adopter  par  l'ascendant  de  son  génie  une  opinion 
nouvelle,  il  détruisait  d'absurdes  préjugés;  mais  en  disci- 
plinant son  siècle  à  su  ivre  avec  rigueur  la  voie  expérimentale, 
il  assurait  le  triomphe  de  la  vérité  dans  l'avenir.  Sa  véritable 
gloire  est  d'avoir  été  le  plus  illustre  continuateur  de  Bacon. 

On  ne  connaîtrait  pas  Robert  Boyle  tout  entier  si  l'on  ne 
savait  qu'il  mit  autant  d'ardeur  à  rechercher  la  vérité  en  ma- 
tière de  religion  qu'en  fait  de  science.  Cette  double  tendance 
tenait  à  la  rare  alliance  d'un  esprit  juste  et  méthodique  avec 
une  imagination  vive  et  inquiète.  Tourmenté  de  doutes  cruels 
sur  les  dogmes  de  la  religion,  et  trop  philosophe  pour  les 
admettre  sans  examen ,  il  résolut  de  remonter  aux  sources, 
étudia  les  langues  orientales ,  et  se  tit  aider  dans  ses  investi- 


gations par  les  plus  savants  théologiens  de  son  temps.  S'il  ne 
parvint  pas  à  une  conviction  complète,  du  moins  est-il  cer- 
tain qu'il  voulut  épargner  à  d'autres  les  tourments  qu'il  avait 
subis ,  en  aidant  de  tous  ses  moyens  à  leur  donner  la  raison 
pour  base  de  leur  croyance.  11  publia  plusieurs  ouvrages  de 
morale  religieuse,  fit  servir  ses  connaissances  en  histoire  na- 
turelle à  démontrer  la  toute-puissance  de  Dieu,  fonda,  pour 
le  développement  des  preuves  de  la  religion  chrétienne,  des 
leçons  publiques ,  où  C 1  a  r  k  e  prononça  ses  célèbres  discours 
sur  l'existence  de  Dieu ,  fit  traduire  et  imprimer  à  grands  frais, 
en  plusieurs  langues ,  la  Bible  et  les  Évangiles ,  contribua 
de  ses  deniers  à  l'établissement  des  missions  destinées  à  prê- 
cher l'Évangile  aux  Indiens,  et  par  la  pureté  de  ses  mœurs, 
sa  rare  modestie ,  son  désintéressement  et  sa  bienfaisance , 
donna  toute  sa  vie  l'exemple  des  vertus  chrétiennes  qu'en- 
seignaient ses  écrits.  Trois  rois ,  Charles  II ,  Jacques  II  et 
Guillaume,  voulurent  s'honorer  en  l'appelant  près  d'eux  et 
le  comblant  de  faveurs.  Mais  il  se  crut  assez  récompensé  par 
leurseule intention,  et  refusa  les  plus brillantesdignités  qu'un 
citoyen  put  réunir  dans  sa  personne  :  la  pairie  et  la  prési- 
dence de  la  Société  royale  de  Londres.  Génie  et  vertu ,  voilà 
Boyle.  Il  mourut  à  Londres,  le  30  décembre  1691,  et  fut  en- 
terré à  Westminster.  A.  DesGenevez. 

BOY'LE  (Liqueur  fumante  de),  nom  donné  au  sulfhy- 
drate  d'à  m  mo  n  i  a  q  u  e  sulfuré  à  l'état  de  dissolution  aqueuse. 
Boyle  l'obtenait  par  la  distillation  de  100  parties  de  sel 
ammoniac,  de  100  parties  de  chaux,  avec  50  parties  de  fleur 
de  soufre.  Il  mélangeait  le  tout,  puis  distillait  en  chauffant 
fortement,  et  recueillait  le  produit  dans  un  récipient  refroidi 
convenablement.  C'est  la  vapeur  de  cette  composition  que  cer- 
tains diseurs  de  bonne  aventure  emploient  pour  faire  paraître 
une  écriture  noirâtre  sur  du  papier  blanc  où  l'on  a  tracé  d'a- 
vancedes  caractères  avec  une  dissolution  d'acétate  de  plomb, 

BOYXEAU  (ETIENNE).  Voyez  Boileau. 

BOY'A'E  (Bataille  de  la).  Quoiqu'à  proprement  parler 
l'action  qui  eut  lieu  sur  les  rives  de  la  Boyne  ne  fût  qu'un 
combat  où  la  totalité  des  armées  opposées  ne  fut  pas  en- 
gagée, l'importance  de  ses  résultats,  qui  firent  définiti- 
vement perdre  la  couronne  d'Angleterre  à  Jacques  II, 
l'a  toujours  fait  désigner  sous  le  nom  de  bataille. 

En  1689,  le  roi  Jacques,  qui  s'était  réfugié  en  France, 
après  avoir  été  détrôné  par  son  gendre  Guillaume,  prince 
d'Orange,  ayant  reçu  de  Louis  XIV  l'assurance  d'un  secours 
de  la  France  dans  la  tentative  qu'il  voulait  faire  pour  re- 
conquérir son  royaume,  s'embarqua  à  Brest  sur  une  flotte 
française,  et  débarqua  le  17  mars  à  Kinsale,  dans  le  sud-ouest 
de  l'Irlande ,  d'où  il  se  rendit  à  Dublin,  afin  de  tâcher  d'y 
faire  réunir  un  parlement  qui  pût  donner  de  la  consistancî 
à  son  gouvernement.  Quoiqu'il  résultât  des  espérances  qu'on 
avait  conçues  qu'un  soulèvement  général  suivrait  de  près 
son  arrivée ,  ces  espérances  furent  en  grande  partie  déçues , 
et  il  s'écoula  un  laps  de  temps  considérable  avant  qu'on 
put  réunir  des  troupes  assez  nombreuses  pour  former  une 
arm'ée.  Une  tentative  que  fit  le  roi  Jacques  pour  se  rendre 
maître  de  la  ville  de  Londonderry ,  dont  il  se  vit  obligé  de 
lever  le  siège  le  28  juillet ,  ayant  échoué,  il  fut  contraint, 
à  l'arrivée  d'une  armée  anglaise  commandée  par  le  général 
Schomberg,  de  se  retirer  à  Dublin,  où  il  resta  tout  l'hiver, 
n'ayant  pu  réunir  qu'environ  20,000  recrues,  assez  mal  ar- 
mées. Schomberg  l'y  suivit,  et  s'établit  vers  Dundalk  ,  au 
nord  de  la  Boyne. 

Au  printemps  de  1690 ,  le  roi  Guillaume,  ayant  débarqué 
dans  le  nord  de  l'Irlande ,  s'avança  vers  Dublin.  A  cette 
nouvelle  le  roi  Jacques  marcha  en  avant  jusqu'à  Dundalk,  où, 
ne  se  jugeant  pas  bien  placé  pour  combattre  avec  des  forces 
inférieures,  il  se  retira  derrière  la  Boyne.  Le  29  juin  les 
deux  armées  se  trouvèrent  en  présence,  séparées  par  la 
Boyne  :  celle  de  Jacques ,  à  la  rive  droite  et  à  gauche  de 
Drogheda ,  était  forte  de  23,000  hommes  ;  celle  de  Guil- 
laume, en  face,  en  comptait  43,000.  Le  l"^""  juillet  le  roi 


630 


BOYNE  —  BRABANT 


Guillaume,  décidé  à  forcer  le  passage  de  la  Boyne,  s'é- 
tendit en  portant  sa  gauche  à  Slbine,  où  il  comptait  passer 
cette  rivière,  tandis  que  sa  droite  attaquerait  le  gué  qui  se 
trouve  à  Old-Bridge,  et  qui  était  défendu  par  la  gauche  de 
l'armée  franco-irlandaise.  Jacques,  voyant  le  mouvement  de 
son  adversaire,  le  suivit  avec  son  aile  gauche,  afin  de  s'op- 
poser au  passage  de  l'ennemi  à  Sloine  ;  mais  lorsqu'il  arriva, 
ce  passage  avait  déjà  été  forcé ,  après  un  combat  assez  vif, 
et  Guillaume  se  déployait  en  potence,  couvert  par  une  ligne 
de  marais,  sur  le  flanc  gauche  de  son  antagoniste,  menaçant 
de  lui  couper  la  retraite  sur  Dublin.  Jacques,  qui  avait  éga- 
lement déployé  ses  troupes ,  marcha  alors  h  l'ennemi  pour 
l'attaquer  et  le  rejeter  au  delà  de  la  Boyne  ;  mais  les  marais 
<lont  le  roi  Guillaume  s'était  couvert  ne  permirent  pas  aux 
Franco-Irlandais  d'aborder  l'ennemi ,  et  les  efforts  pour  y 
parvenir  furent  inutiles.  Cependant  Guillaume,  profitant  de 
la  supériorité  de  sa  cavalerie ,  s'étendait  toujours  par  sa 
droite  vers  Duleck;  en  même  temps,  le  gué  d'Old-Bridge 
était  forcé  par  le  général  Schomberg,  qui  y  trouvait  la  mort. 
Jacques,  se  voyant  au  moment  d'être  enveloppé  par  ses  deux 
ailes  et  par  un  ennemi  supérieur  en  forces,  crut  devoir  or- 
donner sans  retard  la  retraite ,  qui  se  fit  sur  Dublin.  De  là 
les  troupes  irlandaises  marchèrent  sur  Limerick,  sous  les 
ordres  du  duc  de  Tirconnel  ;  les  Français,  commandés  par  le 
brigadier  de  Zurlauben  ,  se  dirigèrent  vers  Cork  et  Kinsale, 
afin  de  se  rembarquer  pour  la  France.  Jacques,  ayant  éga- 
lement quitté  Dublin  ,  s'embarqua  d'abord  près  de  Dun- 
cannon  pour  gagner  Kinsale,  et  de  là  revint  à  Brest,  d'où  il 
était  parti.  L'affaire  de  la  Boyne  ne  coûta  qu'un  millier  de 
morts  à  chaque  armée.  G"'  G.  de  Vaudoncocrt. 

BOYRON  (  Michel).  Voyez  B,\r.ON, 

BOZ,  pseudonyme  sous  lequel  Dickens  a  publié  une 
grande  partie  de  ses  ouvrages. 

BRA  (Théophile),  statuaire,  est  né  à  Douai,  le  24 
juin  1797.  Élève  de  Story  et  de  Bridan,  un  bas-relief  re- 
I)iésentant  l'exil  de  Cléombrote ,  qu'il  présenta  au  concours 
de  181S,  lui  valut  le  2*  grand  prix.  Ce  morceau,  comme 
tous  ceux  qu'a  produits  depuis  le  ciseau  de  cet  artiste,  se 
faisait  remarquer  par  la  composition  sévère  et  correcte  du 
dessin,  par  la  large  et  habile  disposition  des  groupes,  par 
l'irréprochable  pureté  des  lignes.  En  1819  il  exposa  Aris- 
todème  au  tombeau  de  sa  fille,  donné  par  le  roi  à  la  ville 
de  Douai ,  et  qui  lui  valut  une  médaille  d'or.  Depuis  il  a  suc- 
cessivement exposé  Saint  Pierre  et  Saint  Paul,  qu'on 
voit  à  l'église  Saint-Louis  en  l'Ile;  Ulysse  dans  l'île  de  Ca- 
lypso;  Jean  de  Bologne;  Pierre  de  Francquevïlle ; 
Philippe  de  Comines;  le  sire  de  Joinville;  le  baron  Du- 
bois; le  duc  d'Angoulême;  le  duc  de  Berry  ;  Saint  Marc, 
à  Saint-Philippe  du  Roule;  Sainte  Amélie;  le  maréchal 
Mortier,  à  Cateau-Cambrésis ;  le  général  Négrier,  à 
Lille,  etc.  Outre  ces  statues,  on  doit  à  M.  Bra  un  grand 
nombre  de  bas-reliefs  et  de  bustes ,  entre  autres  les  bustes 
du  général  Foy ,  des  docteurs  PincI  et  Broussais  ,  de  Jouy , 
de  M.  (iuizot,  etc.  Décoré  de  la  Légion  d'Honneur  en  1825 , 
M.  Bra  est  retiré  à  Douai;  dont  il  dirige  l'école  de  dessin. 

BRABANÇONNE  (La),  nom  que  les  Belges  ont  donné 
à  une  chanson  patriotique  qui  fut  faite  au  mois  de  sep- 
tembre 1830,  à  l'occasion  de  la  révolution  qui  relégua  sur  le 
trône  de  Hollande  la  maison  d'Orange.  L'auteur  des  paroles 
était  un  jeune  comédien  français,  nommé  Jenneval,  qui  faisait 
partie  du  tliéAtie  de  Bruxelles  au  moment  de  l'insurrection, 
et  qui  fut  emporté  par  un  boulet  à  Bcrchem  en  combattant 
les  Hollandais.  Chaque  couplet  de  la  Brabançonne,  dont  la 
musique  avait  été  composée  par  1\L  Campenhout,  que  nous 
avons  vu  jouer  à  l'Odéon  dans  Robin  des  Bois,  se  terminait 
par  un  jeu  de  mot  que  nous  traiterions  de  calembour  sans  le 
respect  dû  à  une  œuvre  consacrée  par  l'enthousiasme  d'une 
nation  : 

La  mitraille  a  brisé  l'oraujjc 
.Sur  l'arbre  de  la  liberté. 


Le  23  septembre ,  pendant  qu'on  se  battait  encore  à  Bruxel- 
les, M.  Campenhout  électrisait  par  ses  accents  les  patriotes 
qui  se  pressaient  autour  de  lui  à  l'estaminet  de  l'Aigle. 
Après  la  victoire,  la  nation  décerna  une  pension  de  2,400  fr. 
à  la  mère  de  Jenneval.  M.  Campenhout  reçut  du  roi  Léopold 
une  tabatière  d'or  et  la  place  de  maître  de  chapelle. 

BRABANÇONS.  On  donnait  ce  nom  dans  le  moyen 
âge  à  des  aventuriers  appelés  aussi  cotlereaux,  rou- 
tiers, cantatours ,  écorcheurs ,  etc. ,  qui  parcouraient  la 
France,  tuant,  pillant,  et  vendant  leurs  services  au  plus  of- 
frant. Le  nom  de  Brabançons  leur  était  donné  sans  doute 
parce  que  les  plus  redoutables  étaient  du  Brabant ,  ou  que 
le  plus  grand  nombre  en  provenait.  C'est  le  sentiment  du 
père  Daniel ,  historien  de  la  milice  française,  et  tout  se  réu- 
nit pour  le  confirmer.  M.  Monea  publié  en  183.3  en  Belgique 
un  texte  latin  et  original  du  Roman  du  Renard,  lequel  ap- 
partient évidemment  au  neuvième  siècle,  et  où  le  mot  bra- 
bas  est  déjà  pris  dans  cette  acception  défavorable  ;  et  l'abhé 
de  Cluni  écrivait  à  Louis  VII  qu'il  était  difficile  de  décider 
si  c'était  le  Brabant  qui  dévorait  ses  habitants,  ou  les  ha- 
bitants qui  dévoraient  le  pays.  «  11  en  est  soiti,  dit-il,  des 
hommes  plus  cruels  que  des  bètes  sauvages,  qui  se  sont 
rués  sur  nos  terres,  n'épargnant  ni  âge,  ni  sexe ,  ni  condi- 
tions, ni  églises,  ni  villes,  ni  châteaux.  »  L'histoire  nous  a 
conservé  les  noms  de  quelques  chefs  de  Brabançons.  C'é- 
taient d'abord,  au  service  de  Jean  sans  Terre,  Lupicaire  et 
Martin  Areas,  et, au  service  de  Philippe-Auguste,  Cadoc, 
qui  en  recevait  pour  lui  et  sa  bande  mille  livres  par  jour, 
somme  exorbitante  pour  l'époque. 

BRABANT,  le  Pagus  Bracbatensis  des  anciens  (  de 
bruch  ou  brac ,  boisé,  et  bant  ou  band,  terre  limitée.;  con- 
trée couverte  de  bois  ) ,  pays  formant  le  centre  du  bassin 
hollando -belge  et  occupant  une  superficie  de  204  myria- 
mètres  carrés ,  depuis  la  rive  gauche  de  la  Waal  jusqu'aux 
sources  de  la  Dyle ,  et  depuis  la  iMeuse  et  les  plaines  du 
Limbourg  jusqu'à  l'Escaut  inférieur.  Il  formait  au  moyen 
âge  un  duché  particulier,  relevant  de  la  basse  Lorraine,  et 
auquel  fut  incorporé  en  1107  le  marquisat  d'Anvers,  et  i)en- 
dant  quelque  temps,  à  partir  de  1347,  la  seigneurie  de  Ma- 
lines  avec  celle  de  Liège,  son  annexe.  Partagé  aujourd'hui 
entre  la  Hollande  et  la  Belgique ,  il  forme  trois  provinces  : 
1"  le  Brabant  septentrional  ou  hollandais,  avec  une 
superficie  de  92  myriamètres  1/2  carrés  et  une  poi>ulation 
de  400,000  habitants;  2°  h  province  d'Anvers,  appartenant 
à  la  Belgique,  avec  une  superficie  de  41  myriamètres  1/2 
carrés  et  430,000  habitants;  et  3"  le  Brabant  méridional 
ou  belge,  dans  une  superficie  de  61  myriamètres  1/2  car- 
rés, sur  laquelle  se  presse  une  population  compacte  de 
730,000  âmes.  Cette  contrée  forme  une  plaine  s'inclinant 
doucement  dans  la  direction  du  nord-ouest,  remplie  au 
nord  de  landes  et  de  marais ,  s'élevant  au  sud  avec  les  pe- 
tites collines  qui  servent  de  transition  à  la  forêt  des  Ardeimes, 
et  où  la  forùt  de  Soigne,  située  au  sud  de  Bnixelles,  est  la 
plus  vaste  étendue  de  terrain  boisé  qu'on  y  rencontre.  Elle 
comprend  8,000  bonniers  (arpents  du  pays).  Le  sol  en  est 
abondamment  arrosé  par  la  Meuse  au  nord  et  par  l'Escaut 
au  sud.  Des  canaux ,  notamment  le  canal  de  Guillaume  et 
celui  de  Bréda,  contribuent  à  activer  au  nord  le  commerce 
intérieur,  dont  les  transactions  sont  puissamment  secondées 
au  sud  par  un  réseau  de  chemins  de  ter  ayant  Malines 
pour  centre.  Sous  l'influence  d'un  climat  humide  .'^ans 
doute  au  nord  ,  mais  en  général  sain  et  tempéré ,  une  ex- 
trême fertilité  du  sol  y  favorise  admirablement  l'agriculture 
et  l'éducation  des  bestiaux  ,  qui  forment  la  principale  oecii- 
pation  delà  population.  A  ces  causes  premières  de  richesse 
et  de  bicn-ètre ,  il  faut  ajouter  une  industrie  exercée  par- 
tout avec  le  plus  grand  soin,  et  dont  la  prospérité  ,  parti- 
culièrement dans  le  sud,  date  déjà  de  fort  loin;  industrie 
source  d'un  commerce  des  plus  actifs  et  des  plus  étendus, 
et  fournissant  à  la  consommation  de  remarquables  produits 


BRABANT  —  BRABEUTES 


63t 


en  toiles ,  dentelles ,  cotonnades,  draperies  et  cuirs.  Au  nord 
la  population  est  de  race  hollandaise,  au  centre  de  race 
flamande,  et  au  sud  de  race  wallone.  C'est  à  quelques 
lieues  au  sud  de  Bruxelles,  aux  villages  de  Braine,  l'Allend, 
Waterloo ,  Wavre  et  Jodoigne ,  que  s'effectue  la  séparation 
des  langues,  et  que  l'idiome  d'origine  germaine  remplace  l'i- 
diome français  (wallon). 

C'est  au  temps  de  César  que  les  Romains  entendirent  pour 
la  première  fois  parler  du  Brabant ,  pays  dont  la  population 
provenait  du  mélange  d'éléments  germains  et  celtes.  Parmi 
les  différentes  peuplades  dont  elle  se  composait,  celle  des 
Ménapiens ,  fixée  entre  le  Rhin ,  la  Meuse  et  l'Escaut ,  la 
plus  puissante  et  la  plus  belliqueuse  de  toutes ,  opposa  une 
résistance  aussi  opiniâtre  qu'inutile  aux  projets  de  conquête 
des  Romains,  qui  unirent  par  incorporer  à  la  province  de  la 
Gaule  Belgique  cette  partie  de  la  basse  Germanie.  Au  cin- 
quième siècle  les  Franks  s'emparèrent  du  Brabant.  Au 
sixième  siècle ,  lors  du  partage  de  l'empire  Frank ,  il  fut 
adjugé  au  royaume  d'Austrasie.  Au  neuvième  siècle ,  il  fut 
réuni  à  la  Lorraine ,  et  après  que  celle-ci  eut  été  partagée, 
en  870,  la  possession  en  fut  attribuée  à  la  France.  Mais  au 
commencement  du  dixième  siècle  il  en  fut  encore  une  fois 
détaché,  et  réuni  alors  de  nouveau  à  la  Lorraine  par  Henri  l"  ; 
en  959  il  fut  adjugé  à  la  basse  Lorraine,  et  fit  ainsi  partie 
de  l'Allemagne.  Au  commencement  du  cinquième  siècle  il 
se  sépara  de  la  Lorraine,  quand  le  duc  Othon,  fils  de  Charles 
le  Gros,  à  qui  l'empereur  Othon  avait  donné  en  fief  la  basse 
Lorraine,  mourut  sans  laisser  d'enfants.  Après  avoir  été 
possédé  par  plusieurs  comtes  des  Ardennes  jusqu'à  l'année 
1076  et  par  Godefroi  de  Bouillon,  l'empereur  Henri  V  le 
concéda  à  titre  de  fief  à  Godefroi  le  Barbu  de  la  famille  des 
comtes  de  Louvain  et  de  Bruxelles ,  dont  la  dynastie  s'y 
maintint  jusqu'au  milieu  du  quatorzième  siècle.  Le  titre  de 
duc  de  Brabant  apparaît  dans  les  chartes  et  les  documents 
dès  l'année  1190,  et  finitpar  remplacer  complètement  celui 
de  duc  de  basse  Lorraine  (Lothier).  Sous  l'autorité  de  ses 
ducs  particuliers ,  le  Brabant  fit  de  rapides  progrès  en  puis- 
sance et  en  indépendance  ;  cependant  il  eut  à  soutenir  une 
foule  de  querelles  avec  les  États  ses  voisins ,  ballotté  et  hé- 
sitant toujours  entre  les  intérêts  de  la  France  et  ceux  de 
L'Allemagne. 

Parmi  les  six  ducs  qu'a  eus  le  Brabant,  Henri  I^"^,  Il  et  III, 
et  Jean  I^"'  II  et  III,  les  plus  remarquables  furent  Jean  I'"'', 
qui,  par  la  mémorable  victoire  de  Wœringen  (1288),  réunit  le 
Limbourg  au  Brabant,  et  célèbre  aussi  en  Allemagne  comme 
Minnesœnger  ;\lpa\i\iàen  1290  les  lois  pénales  connues  sous 
le  nom  de  Land-Karten  ou  Land-Keuren.  Jean  II,  qui  donna 
en  1312  la  fameuse  charte  de  Cortemberg ,  fondement  de 
la  constitution  brabançonne;  enfin  Jean  III,  qui,  en  1349, 
obtint  de  l'empereur  Charles  IV,  sous  le  nom  de  Bulle  d'Or 
iîraôan^iwe,  l'important  privilège  par  lequel  ce  prince  ac- 
cordait au  Brabant,  en  forme  d'édit  perpétuel,  une  organisa- 
tion judiciaire  complètement  indépendante  de  toute  juridic- 
tion étrangère.  La  descendance  mâle  des  comtes  de  Lou- 
vain s'éteignit  en  1335,  en  la  personne  de  Jean  III  ;  et  en 
veitu  du  testament  de  sa  tille  Jeanne ,  qui  régna  jusqu'en 
1406  et  épousa  Wenceslas  de  Luxembourg,  la  souveraineté 
du  Brabant  passa  à  la  maison  de  Bourgogne ,  et  en  premier 
lieu  au  petit-neveu  de  cette  princesse,  Antoine  de  Bour- 
gogne, fils  cadet  de  Philippe  le  Hardi.  L'acte  inaugural  de 
Jeanne  et  de  Wenceslas,  du  3  janvier  1356,  est  la  première 
inauguration  proprement  connue  sous  le  nom  de  Joyeuse 
entrée,  charte  constitutive  du  Brabant,  qui  se  renouvelait  à 
peu  près  dans  les  mêmes  termes  par  tous  les  souverains  de 
ce  pays.  Antoine  ayant  été  tué  à  la  bataille  d'Azincourt 
(1413),  et  ses  deux  successeurs,  Jean  IV  et  son  frère  Phi- 
lippe ,  comte  de  Saint-Pol ,  étant  venus  à  mourir  sans  lais- 
ser de  postérité,  l'un  en  1427  et  l'autre  vers  1430,  le  Bra- 
bant fut  formellement  reconnu  appartenir  à  la  maison  de 
Bourgogne,  à  titre  d'héritage  de  Philippe  le  Bon.  Mais  cette 


maison  ne  le  conserva  pas  longtemps ,  attendu  que  par  le 
mariage  de  Marie  de  Bourgogne  avec  l'eraperem-  Maximi- 
lien  il  passa  à  la  maison  d'Autriche,  par  conséquent  à 
Charles-Quint ,  et  de  celui-ci  à  son  fils  Philippe  II  roi  d'Es- 
pagne. Le  Brabant  ne  tarda  point  à  se  révolter  contre  l'édit  de 
Religion  de  ce  prince  et  contre  les  cruautés  du  duc  d'Albe  • 
toutefois,  il  n'y  eut  que  la  partie  septentrionale  de  la  contrée 
(  Bois-le-Duc  )  qui  réussit  à  conquérir  son  indépendance  et  qui 
fut  incorporée  à  l'union  des  Pays-Bas  sous  la  dénomination 
de  Pays  de  généralité, A&néi&qneXQ  Brabant  méridional 
resta  jusqu'en  1714  à  la  ligne  austro-espagnole.  A  l'extinc- 
tion de  cette  ligne ,  il  fit  retour  avec  les  autres  provinces 
méridionales  des  Pays-Bas  à  la  maison  impériale  d'Autriche. 

Le  Brabant  autrichien  était  divisé  en  trois  quartiers ,  qui 
prenaient  leurs  noms  de  leurs  principales  villes ,  Bruxelles 
Louvain  et  Anvers. 

Le  quartier  de  Bruxelles  était  partagé  en  pays  Flamîn' 
gant  et  en  pays  Wallon ,  selon  la  langue  qu'on  y  parle.  Le 
Brabant  flamingant  comprenait  Bruxelles,  capitale  de 
tout  le  pays ,  Vilvorde  et  Malines ,  seigneurie  enclavée  dans 
le  Brabant,  et  qui ,  avec  son  territoire ,  formait  une  province 
particuhère.  Dans  la  partie  wallonne  se  trouvaient  Nivelle. 
Genape,  Gembloux,  Jodoigne,  Wavre  etHannat,  le  mar- 
quisat de  Trazégnies,  le  comté  de  Tilly,  les  baronnies  de 
Rêves  et  de  Sombreffe. 

Le  quartier  de  Louvain  renfermait  les  villes  de  Lou- 
vain, Tirlemont,  Arschot,  Diest,Sichem,  Leeuwe  et  Landen. 

Le  quartier  d'Anvers  se  composait  du  marquisat  du 
Saint-Empire ,  qui ,  comme  Malines ,  formait  aussi  une  pro- 
vince particulière.  Il  comptait  pour  villes  principales  An- 
vers et  Lierre.  La  Campine  brabançonne,  qu'il  faut  dis- 
tinguer des  Campines  hollandaise  et  liégeoise ,  était  comprise 
dans  le  quartier  d'Anvers,  et  avait  pour  villes  principales 
Hoogstraten,  Herenthals  et  Turnhout. 

La  maison  d'Autriche  ne  conserva  pas  longtemps  la  tran- 
quille possession  du  Brabant.  Sous  le  règne  de  l'empereur  Jo- 
seph II,  de  vives  discussions  s'élevèrent  à  propos  de  l'inter- 
prétation à  donner  aux  droits  provinciaux  que  le  pays 
possédait  dans  sa  Joyeuse  entrée.  Les  états  du  Bra- 
bant et  du  Limbourg  ayant  été  supprimés  à  la  suite  de  ce 
conflit,  les  Brabançons  se  réunirent  sans  l'autorisation  du 
pouvoir,  et  dans  cette  assemblée  on  ne  craignit  pas  d'agiter 
hautement  la  question  de  se  soustraire  à  la  souveraineté  de 
la  maison  d'Autriche.  A  la  mort  de  Joseph  II  Léopold  II 
termina  ce  différend  en  rendant  aux  Brabançons  leurs  an- 
ciens privilèges. 

En  1746  les  Français  avaient  conquis  le  Brabant  autri- 
chien, mais  ils  avaient  dû  le  rendre,  aux  termes  du  traité 
d'Aix-la-Chapelle  de  1748.  Ils  s'en  emparèrent  de  nouveau 
en  1794,  et  le  traité  de  Campo-Formio  le  réunit  à  la  France. 
Le  Brabant  septentrional  autrichien  devint  alors  le  départe- 
ment des  Deux-Nèthes,  chef-lieu  Anvers;  et  le  Brabant 
méridional ,  le  département  de  la  Dyle ,  chef-lieu  Bruxelles. 
Quand  en  1810  Napoléon  réunit  aussi  le  Brabant  hollandais 
à  l'empire  français ,  on  y  adjoignit  une  partie  des  Gueldres 
pour  former  le  département  des  Bouches-du-Rhin.  En  vertu 
des  stipulations  du  traité  de  paix  conclu  à  Paris  en  1814  et 
des  résolutions  du  congrès  de  Vienne,  le  Brabant  devint  la 
principale  partie  du  royaume  des  Pays-Bas,  et  forma  les 
trois  provinces  :  le  Brabant  septentrional ,  Anvers,  et  le  Bra- 
bant méridional.  Cette  dernière  province,  ainsi  que  Bruxelles, 
capitale  de  tout  le  Brabant,  devint  en  1830  le  foyer  de  l'in- 
surrection belge,  et  par  suite  le  théâtre  d'événements  mé- 
morables et  de  luttes  sanglantes ,  en  môme  temps  que  le 
berceau  du  nouveau  royaume  de  Belgique,  tandis  que  le 
Brabant  septentrional  restait  sous  les  lois  de  la  Hollande. 

BRABEUTES,  mot  grec  formé  de  Ppaêeû; ,  arbitre ,  et 
qui  désignait  les  officiers  présidant  aux  jeux  solennels ,  et 
surtout  aux  jeux  sacrés.  Cette  charge  ou  magistrature  était 
tellement  en  honneur,  que  les  rois  ne  dédaignaient  pas  dia 


632 


BRABEUTES  —  BRACELET 


l'exercer  eux-mêmes.  Philippe,  roi  de  Macédoine,  après 
s'en  être  fait  attribuer  la  qualité ,  ayant  commis  ses  fonc- 
tions à  un  officier  un  jour  qu'il  ne  pouvait  siéger  lui-même, 
Démosthène  en  fit  contre  lui  l'objet  d'une  accusation,  re- 
gardant cette  circonstance  comme  un  attentat  à  la  liberté 
des  Grecs.  Le  nombre  des  brabeutes  n'était  point  fixé  :  il 
s'est  trouvé  telle  circonstance  où  cette  magistrature  était 
dévolue  à  une  seule  personne  ;  mais  elle  était  ordinairement  le 
partage  de  sept  ou  neuf  membres,  choisis  parmi  les  familles 
les  plus  considérables,  et  nommés  athlothètes-époptes , 
juges  des  athlètes.  Les  prix  qu'ils  distribuaient  étaient  ap- 
pelés brabéia,  et  les  couronnes  thémiplechtès ,  pour  mar- 
quer que  c'était  'f  lierais  elle-même  qui  les  avait  tressés  de 
ses  mains. 

BRACC ATA  et  BRACCATI ,  surnoms  qui  avaient  été 
donnés  à  la  Gaule  Narbonnaise  et  à  ses  habitants,  et  qui  leur 
venaientde  l'espèce  devêtementou  traie  qui  était  en  usage 
chez  eux. 

BRACCIO  DE  MONTONE  (André),  l'un  des  plus 
grands  généraux  de  l'Italie,  né  le  1*'  juillet  1368,  dans  la 
république  orageuse  de  Pérouse,  issu  de  la  famille  patricienne 
et  puissante  des  Fortebracci,  fit  ses  premières  armes  sous 
le  comte  de  Montefeltro ,  puis  dans  la  compagnie  de  Saint- 
Georges  ,  sous  le  fameux  Albéric  de  Carbiano.  Une  révolu- 
tion démocratique  ayant  privé  sa  famille  de  sa  patrie,  de 
ses  biens  et  de  ses  titres,  Braccio,  forcé  par  la  jalousie  d'AI- 
bé  rie  de  s'évader  de  son  camp,  fit  la  guerre  avec  peu  de  gloii  e 
pour  le  compte  de  plusieurs  souverains,  et  dans  la  vie  aven- 
tureuse de  condottiere  apprit  à  connaître  tous  les  défilés  et 
tous  les  vallons  de  l'Italie  ;  mais  il  lui  fallait  pour  rentrer 
dans  sa  patrie  un  champ  de  bataille  plus  vaste,  une  guerre 
contre  le  pape,  allié  des  démocrates  de  Pérouse.  Aussi  ser- 
vit-il avec  ardeur  contre  le  souverain  pontife  et  les  Floren- 
tins, Ladislas,  roi  de  Naples,  qui  le  trahit  et  menaça  ses  jours  : 
entré  dans  Pérouse  par  les  victoires  de  Braccio ,  il  promit 
aux  habitants  de  n'y  laisser  entier  ni  Braccio  ni  son  parti. 
Le  condottiere  passa  alors  au  service  des  Florentins  et  de 
Jean  XXIU  ,  et  profita  de  la  mort  de  Ladislas  et  de  la  dé- 
position du  pape  au  concile  de  Constance  pour  fondre  avec 
son  armée  sur  Pérouse,  dont  une  victoire  lui  ouvrit  les  por- 
tes, le  7  juillet  1416.  Maître  et  sage  réformateur  de  son 
pays,  Braccio,  auquel  les  travaux  de  la  paix  ne  pouvaient 
.suffire,  s'empara  de  Rome ,  en  fut  chassé  par  Sforza ,  son 
rival  en  gloire  et  en  talents  militaires;  eut  à  lutter  contre 
Martin  V  ,  élu  par  le  concile  de  Constance  ;  vainquit  Sforza 
près  de  Viterbe  (  1420  ),  et  força  le  pape  à  demander  la  paix 
par  l'entremise  des  Florentins,  liraccio  vainquit  encore  Sforza 
dans  une  guerre  nouvelle,  où  il  combattait  pour  Jeanne  II 
de  Naples,  et  son  fils  adoptif,  Alfonse  d'Aragon,  contre  le 
pape  et  Louis  d'Anjou ,  qui  renoncèrent  à  toute  prétention 
sur  Naples. 

Mais  la  paix  semblait  impossible  en  Italie  comme  entre  les 
deux  rivaux  :  en  vain  Sforza  vint  dans  le  camp  de  Braccio 
lui  demander  son  amitié,  en  vain  Braccio  le  réconcilia  avec 
Jeanne,  qui  lui  donna  le  commandement  de  ses  troupes  ;  à 
peine  Braccio ,  devenu  prince  de  Capoue  ,  comte  de  Foggia, 
et  grand  connétable  du  royaume  de  Naples ,  était-il  parti 
pour  son  gouvernement  d'Aquila  et  des  Abruzzes,  que  Jeanne, 
brouillée  avec  Alfonse  d'Aragon  ,  et  soutenue  par  Sforza,  re- 
mettait les  deux  rivaux  aux  prises.  Braccio  assiège  Aquila, 
dont  les  habitants,  excités  par  Martin  V,  avaient  refusé  de 
lui  ouvrirles  portes;  Sforza  vient  délivrer  cette  ville,  et  meurt 
au  passage  du  fleuve  Pescara,  regretté  de  son  rival.  Jacques 
Caldora  succède  à  Sforza ,  avec  une  armée  quatre  fois  plus 
nombreuse  que  celle  des  assiégeants ,  et,  secondé  par  une 
sortie  des  habitants  ,  met  en  déroute  Braccio  ,  qui ,  vaincu 
pour  là  première  fois  et  blesse,  se  laisse  mourir,  en  1424. 
Sa  perte  fut  pleurée  dans  toutes  les  armées  d'Italie.  Ses 
soldats,  les  fcraccesc/ii ,  qu'il  avait  eu  l'art  d'attacher  à  sa 
fortune,  laissèrent  croître  leur  barbe  et  leurs  cheveux,  décou- 


pèrent leurs  habits  en  signe  de  deuil ,  et  longtemps  après 
sa  mort  conservèrent  une  haine  implacable  aux  sforzeschi , 
leurs  rivaux. 

Après  sa  mort,  son  comté  de  Montone  fut  possédé  par  son 
fils  Oddo,  qui  lui  survécut  quelques  mois  seulement ,  et  qui 
périt  au  service  des  Florentins;  son  armée  fut  commandée 
par  ses  deux  élèves,  Nicolas  Fortebraccio  et  Nicolas  Picci- 
nino.  Ce  dernier,  qui  devait  un  jour  être  si  célèbre ,  avait 
contribué  à  la  défaite  et  à  la  mort  de  son  maître  par  une 
fausse  manoeuvre  qui  permit  aux  habitants  d'Aquila  de  faire 
une  sortie.  La  vie  de  Braccio  de  Montone  a  été  écrite,  en 
latin  du  quinzième  siècle,  par  Jean  Antoine  Campani , 
évêque  de  Teramo.  T.  Toussenf.l. 

BRACCIOLIJVI  (François),  célèbre  poète  italien,  né  à 
Pistoja,  le  26  novembre  1566 ,  mort  le  31  août  1645.  Le  pape 
Urbain  VIII  le  combla  de  bienfaits.  Il  a  laissé  entre  autres 
œuvres  :  la  Croce  racquistata ,  poème  héroïque ,  que  Tira- 
boschi  consent  à  voir  placer  le  premier  après  celui  du  Tasse, 
pourvu  que  ce  soit  à  une  longue  distance;  le  Scherno  degli 
Dei ,  poëme  dans  le  genre  plaisant ,  qui  fut  regardé  comme 
le  meilleur  après  la  Secchia  rapita  de  Tassoni. 

BRACELET,  sorte  d'ornement,  fort  ancien,  que  l'on 
portait  au  bras ,  comme  l'indicpe  l'étymologie  de  son  nom , 
et  dont  l'usage  s'est  conservé  jusqu'à  nous. 

Les  biacelets  furent  en  usage  en  Egypte  à  une  époque 
très-reculée.  Ils  étaient  de  différentes  couleurs;  il  y  en  avait 
beaucoup  en  or  bien  travaillé,  et  où  l'on  enchâssait  des  pierres 
précieuses  de  diverses  espèces,  et  des  émaux  de  couleurs  très- 
fines  et  très-vives.  Plusieurs  de  ces  bracelets  remontent  à  une 
époque  qui  précède  de  plusieurs  siècles  les  plus  anciens  mo- 
numents grecs.  Les  bracelets  furent  plus  tard  que  les  bagues 
en  usage  chez  les  Grecs.  Ce  lui  sûrement  le  costume  do- 
rien  qui  donna  l'idée  de  cette  élégante  parure.  Les  brillante? 
solennités  d'Olympie  purent  inspirer  aux  belles  Éléennes 
l'envie  de  se  distinguer  par  ce  nouveau  genre  d'ornement , 
que  les  autres  femmes  grecques  ne  tardèrent  pas  sans  doute 
à  imiter.  L'invention  et  l'usage  des  bracelets  n'ont  dû  avoir 
lieu  que  chez  les  peuples  qui  avaient  les  bras  nus.  Les  Grecs 
tenant  en  grande  partie  leurs  costumes  de  l'ionie  et  de  l'O- 
rient, et  portant  des  tuniques  à  manches  longues ,  n'eurent 
probablement  l'idée  de  se  parer  de  bracelets  que  quand  ils 
abandonnèrent  leur  ancienne  manière  de  se  vêtir. 

Les  hommes  les  adoptèrent  aussi  bien  que  les  femmes. 
On  voit  dans  la  Vie  de  Maximin,  successeur  d'Alexandre- 
Sévère,  écrite  par  Capitolinus,  que  cet  empereur,  dont  la 
taille  était,  dit-il ,  de  huit  pieds  un  pouce,  avait  les  doigts 
si  gros,  qu'il  se  seiTait  du  bracelet  de  sa  femme  en  guise 
d'anneau.  Les  filles  n'en  portaient  jamais,  du  moins  avant 
d'avoir  été  fiancées.  Il  y  en  avait  d'or,  d'argent  et  d'ivoire 
pour  les  personnes  d'un  rang  distingué ,  de  cuivre  et  de  fer 
pour  la  populace  et  les  esclaves  :  car  c'était  tout  à  la  fois  un 
signe  d'honneur  ou  une  marque  d'esclavage.  On  en  donnait 
aux  gens  de  gueiTe  en  récompense  de  leur  valeur.  Une  ins- 
cription ancienne,  rapportée  par  Gruter,  représente  la  figure 
de  deux  bracelets,  avec  ces  mots  :  L.  Antonius  L.  F.  Fabius 

QUADRATUS    DONATUS    TORQUIBUS  ARMII.LIS    AB    TlBERlO    C.E- 
SARE   RIS. 

Le  bracelet  ancien  a  eu  difîérentes  formes.  Les  femmes  en 
portaient  qui  avaient  la  figure  d'un  serpent ,  ou  bien  la  forme 
d'un  cordon  ou  d'une  tresse  ronde  terminée  par  deux  têtes 
de  serpent.  Tantôt  ces  bracelets  entouraient  la  partie  supé- 
rieure du  bras,  et  tantôt  ils  étaient  placés  sur  le  poignet  : 
ces  derniers  étaient  appelés  par  les  Grecs  pericarpia.  On  . 
en  voit  un  à  trois  tours  sur  une  statue  de  Lucile>  femme 
de  l'empereur  Lucius  Verus.  Les  Sabins,  au  rapport  de 
Tite-Live,  en  avaient  de  fort  pesants,  qu'ils  portaient  au  bras 
gauche.  On  trouve  le  bracelet  appelé  deux  fois  dextroche- 
rium  dans  Capitolinus;  dans  la  grande  inscription  d'Isis ,  il 
est  nommé  lucialium. 

Le  bracelet  a  été  la  parure  des  deux  sexes,  non-seulemcntj 


\ 


BRACELET  —  BRACONNAGE 


dans  plusieurs  régions  de  l'Orient,  mais  chez  diverses  peu- 
plades sauvages  de  l'Océanie,  qui  emploient  à  la  fabrication 
des  leurs  l'écorce  de  certains  arbres,  les  plumes,  les  co- 
quilles ,  la  verroterie.  Les  femmes  turques  et  africaines  en 
portent  souvent  aux  jambes.  Enfin  Tusage  de  cet  ornement 
ost  indique  dans  plusieurs  endroits  de  la  Bible. 

En  France ,  ce  n'est  que  sous  le  règne  de  Charles  YII 
que  les  femmes  adoptèrent  la  mode  des  bracelets,  avec  celle 
des  pendants  d'oreilles  et  des  colliers.  Cet  ornement, 
qu'on  ne  porte  plus  guère  aujourd'hui  qu'à  l'extrémité  infé- 
rieure du  bras ,  a  reçu  des  formes  aussi  variées  que  la  ma- 
tière dont  on  le  compose.  Tantôt  on  y  voit  briller  l'or,  les 
diamants,  les  perles,  ou  d'autres  pierres  précieuses,  tantôt 
ce  sont  des  camées  non  moins  précieux  ;  souvent  ils  sont 
ornés  d'un  portrait  ou  de  gracieuses  peintures  ;  quelquefois 
ils  se  composent  d'un  simple  velours,  d'un  ruban  ou  d'une 
tresse  de  cheveux.  Enfin  il  y  en  a  de/awa;,  c'est-à-dire  qui 
»ont  faits  avec  des  matières  simples  et  communes  ;  l'art  mo- 
derne est  parvenu  en  effet  à  l'imilation  la  plus  parfaite  des 
riches  inctaux  et  des  pierres  les  plus  fines. 

DRACîllAL  (du  grec  ppaytwv,  bras) ,  ce  qui  appartient 
au  bras  ou  ce  ([ui  en  dépend.  Plusieurs  parties  du  corps 
humain  ont  reçu  ce  nom  en  anaiomie;  tels  sont  :  Yaponé- 
vrosc  brachiale,  l'artère  brachiale,  \&?,  muscles  brachiaux, 
\t  plexus  brachial  et  les  veines  brachiales. 

Vaponévrose  brachiale  forme  une  sorte  de  gaine  fibreuse, 
fine,  transparente ,  celluleuse  dans  quelques  endroits ,  qui 
provient  des  tendons  des  muscles  grand  dorsal ,  grand  pec- 
toral et  deltoïde,  et  descend  le  long  du  bras  ,  qu'elle  enve- 
loppe exactement. 

Varlère  brachiale  est  placée  à  la  partie  interne  et  anté- 
rieure du  bras ,  où  elle  occupe  l'espace  compris  entre  le  bas 
du  creux  de  l'aisselle  et  la  partie  moyenne  du  pli  du  bras. 

Les  muscles  brachiaux  sont  au  nombre  de  cinq,  savoir  : 
deux  antérieurs  (biceps  et  brachial  antérieur) ,  qui  flé- 
chissent l'avant-bras ;  im  interne  (coraco-brachial) ,  qui 
rapproche  le  bras  de  la  poitrine  ;  un  externe  (  deltoïde  ) , 
qui  élève  et  porte  le  bras  en  dehors  ;  et  un  postérieur  (  tri- 
ceps brachial  ) ,  qui  étend  l'avant-bras  sur  le  bras. 

Le  plexus  brachial  est  formé  par  la  réunion  et  l'entrela- 
cement des  branches  antérieures  des  quatre  derniers  nerfs 
cervicaux  et  du  premier  dorsal;  large  en  haut  et  en  bas, 
mais  rétréci  dans  son  milieu  ,  il  s'étend  depuis  la  partie  la- 
térale et  inférieure  du  cou  jusque  sous  le  creux  de  l'aisselle, 
où  il  se  partage  en  plusieurs  branches  qui  vont  se  distribuer 
au  bras. 

Les  v(dnes  brachiales,  au  nombre  de  deux,  accompa- 
gnent l'artère  du  même  nom  ;  elles  reçoivent  un  assezgrand 
nombre  d^  l>r«nc,lies,  et  se  termineiit  à  la  veine  axillaire. 

BRACHINE ,  genre  d'insectes  de  l'ordre  des  coléoptères 
pentamères,  de  la  tribu  des  carabiques.  Toutes  les  espèces 
de  ce  genre  (dont  une  seule,  le  brachinus  crepitans,  est 
commune  aux  environs  de  Paris)  se  trouvent  ordinairement 
sous  les  pierres.  Elles  ont  la  propriété  singulière  de  lancer 
par  l'anus,  lorsqu'elles  sont  inquiétées,  une  vapeur  blan- 
châtre ou  jaunâtre,  qui  laisse  après  elle  une  odeur  pénétrante 
analogue  à  celle  de  l'acide  nitrique.  On  a  reconnu,  en  effet, 
que  cette  vapeur  est  très -caustique,  rougit  le  bleu  de  tour- 
nesol, et  pioduit  sur  la  peau  la  sensation  d'une  brûlure.  Les 
taches  rouges  qu'elle  y  forme  passent  promptement.au  brun 
et  durent  plusieurs  jours,  malgré  de  fré(iuentes  lotions. 

BRACmON,  genre  d'animaux  infusoires ,  qu'on  ne  voit 
qu'à  l'aide  du  microscope,  et  qui  vivent  dans  les  eaux  sta- 
gnantes. 

BRACHIOPODES  (de  ppaxîwv,  bras,  et  ttoû,-,  pied  ), 
classe  de  mollusques  qui  comprend  des  animaux  sans  tête, 
munis  d'une  coquille  à  deux  valves,  fixée,  qui  par  consé- 
quent ne  leur  i)ermet  pas  de  se  mouvoir,  et  dont  les  ])ieds, 
,  en  forme  de  bras  ou  de  tentacules,  sont  ciliés  et  rentrent 
dans  l'intérieur  de  la  coquille. 

MCI.    1)1.    l,A    COiWMiS.    —    T.    III. 


633 

BRACHISTOCHROi\E(de  ppaxiaro;,  le  plus  court, 
et  xpôvoç,  tem|)s).  Ce  nom  fut  donné  par  Jean  BernouUi  à 
la  cycloïde,  parce  que  cette  courbe  jouit  de  la  propriété 
d'être  la  route  que  doit  suivre  dans  le  vide  un  corps  soumis 
à  la  seule  action  delà  pesanteur,  pour  arriver  dans  le  temps 
le  plus  court  d'un  point  à  un  autre  (pourvu  que  ces  deux 
points  ne  soient  pas  sur  une  même  verticale  ). 
BRACHMANES.  Voyez  Brahmanes. 
BRACHYCATALEPTIQUE  (  de  ppaxûc,  court,  (  t 
xaraXenTixo? ,  laissant),  terme  des  poésies  grecque  et  la- 
tine, désignant  proprement  un  vers  trop  court  ou  auquel  il 
manque  quelque  partie,  tel,  par  exemple,  que  ce  vers  latin 
de  trois  pieds  au  lieu  de  quatre  : 

Musse  Jovis  gnatac, 

cité  par  Lacroix,  dans  son  Art  de  la  Poésie  latine.  Les  La- 
tins appelaient  encore  ce  vers  mulihis. 

BRACIIA'CERE  (de  ppax"î>  court,  et  xe'pa;,  corne), 
terme  d'entomologie,  par  lequel  on  désigne  un  genre  d'in- 
sectes coléoptères  tétramères ,  dont  les  antennes  sont  fort 
courtes.  Les  brachycères  ne  fréquentent  pas  les  fleurs  :  on 
les  rencontre  toujours  à  terre,  ou  grimpant  avec  peine  contre 
les  murs  et  les  rochers. 

BRACHYCOME  ou  BRACHYSCOME  (de  ppaxû;, 
court,  et  y.6(iyi,  chevelure,  aigrette),  genre  formé  par  Cas- 
sini  pour  plusieurs  plantes  delà  Nouvelle-Hollande,  qui  ont 
le  port  des  pâquerettes.  Il  fait  partie  des  composées-asléroi- 
dées.  Les  brachycomes  sont  des  herbes  vivaces,  portant  des 
feuilles  pinnatilobées,  et  des  capitules  à  disque  Jaune  et  or- 
nés de  rayons  blancs. 

BRACHYGRAPHIE  (de  ppaxuç,  court,  elypâ^jw, 
j'écris),  art  d'écrire  par  abréviation.  Voyez  Sténoguapiiie, 
Abréviation  ,  Tironiennes  (  Notes  ),  etc. 

BRACHYME.  Voyez  Brachine. 

BRACIIYPTÈRES  (deppaxuc,  court,  et  TtTspèv,  aile). 
Dans  la  classification  de  Cuvier,  c'est  une  tribu  d'oiseaux 
plongeurs,  à  pieds  palmés,  ou  palmipèdes,  qui  ont  les  ailes 
fort  courtes  :  tels  sont  les  plongeons  ou  grèbes,  les  pin- 
goîiins  ctlcsmanchots.  Dans  celle  de  M.  Duméril,  les 
brachyptères  forment  une  famille  qui  répond  à  celle  des 
brévipennes,  de  Cuvier. 

BRACIIYSÈME  (de  ppaxû;,  court,  et  arnia,  sîgiie, 
étendard  ),  genre  de  la  famille  des  légumineuses,  qui  ren- 
ferme quelques  arbrisseaux  de  la  Nouvelle-Hollande.  Oiî  en 
cultive  dans  les  jardins  deux  espèces,  dont  l'une  (brachy- 
sema  lati/olimn,  Brown)  atteint  l'",30  à  1"',60  de  hau- 
teur. Ses  rameaux  grêles  et  sarmenteux,  dont  les  feuilles 
sont  larges,  alternes,  ovales  et  entières,  donnent  en  avril 
et  en  mai  des  fleurs  latérales  d'un  beau  rouge,  groupées  au 
nombre  de  deux  ou  trois. 

BRACHYURES  (  de  ppaxûç ,  court ,  et  oùpâ ,  queue  ) , 
nom  spécial  d'une  famille  de  crustacés  à  dix  pattes,  dont 
la  queue  est  très-coiute. 

BRACONNAGE,  BRACONNIER.  Le  braconnier  est 
celui  qui  chasse  sans  droits  et  furtivement  sur  le  terrain 
d'autrui.  Ce  mot  qui  a  entièrement  perdu  sa  signification 
originaire,  désignait  dans  le  principe  celui  qui  s'appliquait 
à  dresser  pour  la  chasse  les  chiens  braques,  lovlow?,  en 
guerre  avec  les  grands  pio{)riétaircs  voisins ,  le  braconnier, 
pour  un  intérêt  minime ,  mène  la  vie  aventureuse  du  contre- 
bandier, qu'il  surpasse  en  ruse,  en  adresse  et  en  audace.  11 
n'agit,  comme  lui,  que  dans  les  ombres  de  la  nuit,  et  trop 
souvent  aussi  il  arrive  qu'une  rencontre  avec  le  garde  dé- 
testé est  suivie  d'un  assassinat.  Les  moyens  que  le  bracon- 
nier emploie  pour  exercer  sa  coupable  industrie  sont  innom- 
brables :  au  fusil,  dont  il  se  sert  rarement,  parce  qu'il  n'est 
point  assez  destructeur,  il  joint  les  lacs,  les  lacets,  les  ti- 
rasses, les  tonnelles,  les  traîneaux,  les  bricolles,  les  rets, 
les  collets,  les  ailiers,  les  filets,  les  bourses,  les  jwnnoauv, 
et  tous  autres  engins  propres  à  prendre  le  gibier. 

au 


63.1  BRACOINNAGE 

La  loi  ancienne  condamnait  au  fouet,  à  l'amende,  à  la  M- 
liissure,au  bannissement  et  môme  aux  galères  pour  six  ans, 
non-seulement  les  braconniers  d'habitude,  mais  ceux  qui  leur 
aclietaient  du  gibier,  et  que  l'on  considérait  comme  leurs 
complices.  A  la  révolution  de  i7S9,  on  passa  de  cet  excès  de 
rigueur  à  un  excès  de  mansuétude.  Le  braconnage  ne  fut 
plus  considéré  que  commeunsiuiple  délit  dcchasse;  mais, 
à  cause  de  cette  impunité  même  ,  il  était  arrivé  i\  un  point 
d'audace  extraordinaire,  lorsque  fut  promulguée  la  loi  du 
3  mai  1844.  Abrogeant  toutes  les  lois  et  ordonnances  anté- 
rieures, même  en  ce  qui  concerne  les  domaines  de  l'État, 
cette  loi  prononce  une  amende  de  cinquante  francs  h  deux 
cents  francs  contre  ceux  qui  auront  chassé  pendant  la  nuit  ou 
à  l'aide  d'engins  et  instnmients  prohibés ,  d'appeaux ,  d'ap- 
pelants, de  chanterelles,  etc.  ;  ils  peuvent,  en  outre,  être  punis 
d'un  emprisonnement  de  six  jours  à  deux  mois.  Si  à  ces 
circonstances  vient  s'ajouter  encore  celle  que  le  terrain  sur 
lequel  le  délit  a  été  commis,  est  attenant  à  une  maison  lia- 
l)itée  ou  entouré  d'ime  clôture,  l'amende  est  de  cent  francs 
à  mille  francs  et  l'emprisonnement,  toujours  facultatif,  de 
trois  mois  à  deux  ans.  S'il  y  a  récidive,  c'est-à-dire  condam- 
nation déjà  prononcée  pour  le  môme  délit  dans  les  douze 
mois  précédents,  les  peines  édictées  peuvent  être  portées  au 
double. 

BRACONMERE,  BRAGONMÈRE  ou  TONNELET, 
arme  oflènsive  du  moyen  âge.  On  nommait  ainsi  la  partie 
de  l'armure  attachée  au  bas  de  la  cuirasse  des  chevaliers ,  et 
qui  servait  en  môme  temps,  comme  les  bandelettes  des 
Romains,  de  défense  et' d'ornement.  La  braconnière  formait 
une  espèce  de  jupon  ou  de  panier  évasé ,  ayant  beaucoup 
de  ressemblance  avec  les  tassettes;  elle  était  à  plusieurs 
lames  ,  couvrait  toute  la  partie  du  corps  depuis  le  défaut  de 
la  cuirasse  jusqu'à  mi-cuisses  :  quelques-unes  descendaient 
môme  jusqu'aux  genoux.  Les  braconnières  séparaient  la 
cuirasse  des  cuissards.  La  bordiue  en  drap  écarlale ,  qui 
garnit  le  bas  de  la  cuirasse  des  carabiniers  et  des  cuirassiers, 
paraît  être  une  réminiscence  des  braconnières. 

BRACTÉ^VTES  (du  latin  braclca,  feuille  de  métal), 
nom  moderne  d'une  espèce  de  monnaie  consistant  en  «ne 
feuille  d'argent  généralement  très-mince,  et  ayant  eu  cours 
en  Allemagne  depuis  la  fin  du  onzième  siècle  jusqu'à  la  fin 
du  quatoi7.ième.  Cette  monnaie  s'appelait  alors  denier  ou 
pfennig.  Il  est  difficile  d'admettre  qu'elle  ait  été  frappée 
sur  le  modèle  des  monnaies  byzantines,  qui  dans  les  derniers 
temps  étaient  excessivement  minces;  il  est  plus  simple  de 
croire  qu'on  a  successivement  diminué  le  poids  des  deniers. 
Au  onzième  et  au  commencement  du  douzième  siècle ,  les 
bractéates  portaient  une  double  empreinte  assez  peu  dis- 
tincte, à  cause  du  peu  d'épaisseur  du  métal;  plus  tard,  les 
pièces  devinrent  si  minces  qu'on  ne  put  les  frapper  que 
d'un  côté.  On  accorde  en  général  une  très-faible  valeur  ar- 
tistique à  cette  monnaie;  mais  c'est  une  injustice,  car 
beaucoup  de  bractéates  du  douzième  et  du  treizième  siècle 
indiquent  une  grande  habileté  et  beaucoup  de  délicatesse  de 
burin.  Depuis  longtemps  on  a  rejeté  l'opinion  que  les  brac- 
téates avaient  été  frappics  avec  des  coins  de  bois.  A  partir 
du  milieu  du  treizième  siècle,  l'empreinte  devient  si  gros- 
sière qu'on  se  figure  à  peine  avoir  sous  les  yeux  une  mon- 
naie informe. 

La  grandeur  du  module  varie  beaucoup  depuis  celle  d'une 
j.ièce  de  un  franc  jusqu'à  celle  d'une  pièce  de  cinq  francs, 
selon  les  pays.  Cette  monnaie  était  toujours  d'argent,  plus 
ou  moins  fin ,  jamais  de  cuivre,  et  l'on  n'en  a  trouvé 
quelques  pièces  d'or  (jne  dans  le  Danemark.  L'opinion  la 
plus  vraisemblable  est  que  les  bractéates  ont  été  fiappées 
d'abord  dans  le  Thuringc.  On  n'en  fit  guère  usage  que  dans 
l'Allemagne  moyenne ,  dans  l'Allemagne  du  nord-est  et  en 
Pologne.  On  en  rencontre  moins  fiéquemment  dans  l'Allc- 
niague  méridionale,  rarement  en  Danemark,  en  Suède,  etc.  ; 
un  ne  les  connut  ni  en  Italie,  ni  en  franco,  ni  en  Espagne. 


—  BRADLEY 

Les  grandes  bractéates  ces.sèrent  d'être  une  monnaie  cou- 
rante en  Saxe  au  commencement  du  quatorzième  siècle,  et 
y  furent  supplantées,  ainsi  que  dans  les. pays  voisins,  par 
les  gros  frappés  à  Freiberg  ;  mais  les  petites  ne  disparurent 
en  Saxe  qu'au  commencement  du  seizième  siècle,  et  dans  le 
Brunswick  qu'au  milieu  du  dix-septième. 

Selon  toute  probabilité ,  le  nombre  des  bractéates  a  été 
très-considérable;  chaque  année  on  devait  retirer  de  la  cir- 
culation les  vieilles ,  qui  s'usaient  et  se  rompaient  si  facile- 
ment, pour  en  frapper  de  nouvelles.  Ce  n'est  que  dans  ces 
derniers  temps  que  l'attention  s'est  fixée  sur  cette  espèce  de 
monnaie  et  qu'on  a  commencé  à  faire  des  collections  de 
bractéates.  Les  anciens  ouvrages  d'Oléarius ,  Schlegel , 
Leuckfeld,  Schmid,  Seelander,  etc.,  contiennent  quelques 
vérités  parmi  beaucoup  d'erreurs  ;  mais  on  peut  consulter  le 
livre  de  Bccker  :  Deux  cents  monnaies  rares  du  motjen 
âge  (Leipzig,  1813),  et  surtout  celui  de  Mader,  Essai  sur 
les  liractdates  (Prague,  1308). 

BRACTÉE,  nom  donné  en  botanique  à  de  petites 
feuilles  situées  dans  le  voisinage  des  fleurs,  qui  les  accom- 
pagnent ou  s'entremêlent  avec  elles.  On  les  distingue  des 
feuilles  florales  (qui  accompagnent  les  fleurs),  en  ce  que 
celles-ci  ne  diffèrent  pas  sensiblement  des  autres  feuilles  de 
la  plante,  tandis  que  les  bractées  offrent  une  grandeur,  une 
forme,  une  consistance,  souvent  môme  une  couleur  parti- 
culière. Les  bractées  naissent  d'ordinaire  au-dessous  du 
point  d'insertion  des  fleurs,  et  les  recouvrent  avant  leur 
développement.  Certaines  sont  tachées  ou  nuancées  d'une 
autre  couleur  que  la  couleur  verte  ,  commune  aux  feuilles 
de  presque  toutes  les  plantes ,  comme  dans  un  grand  nombre 
d'espèces  du  genre  sauge  et  dans  le  mélampyre  des  champs, 
dont  les  bractées  sont  purpurines.  Elles  restent  adhérentes 
plus  ou  moins  longtemps,  mais  très-peu  survivent  à  la  chute 
des  fleurs  et  des  fruits.  Quelquefois  elles  forment  au-dessus 
des  premières  une  touffe  de  feuilles  en  manière  de  couroime 
ou  de  chevelure ,  comme  dans  la  fritillaire  connue  sous  le 
nom  de  couronne  impériale.  Quelquefois  aussi  elles  se 
trouvent  placées  entre  les  fleurs,  avec  lesquelles  elles  forment, 
par  leur  rapprochement ,  une  espèce  d'épi  serré  :  on  dit  alors 
qu'elles  sont  imbriqiices ,  comme  dans  la  brunelle  et  l'o- 
rigan. 

On  appelle  bractcifères  les  individus  qui  portent  une  ou 
plusieurs  bractées,  ou  qui  en  sont  accompagnés,  et  brac- 
téoles  les  petites  bractées  qui  viennent  sur  les  pédicelles 
dans  un  assemblage  de  fleurs  où  il  y  a  plusieurs  rangs  de 
bractées. 

BRADLEY  (James),  astronome  anglais,  un  des  sa- 
vants les  plus  illustres  du  dix-huitième  siècle,  naquit  en  IfiO'.?, 
à  Shireborn ,  dans  le  comté  de  Glocester.  Destiné  d'abord  à 
l'état  ecclésiastique,  il  fit  et  acheva  ses  études  à  l'université 
d'Oxford.  Bientôt  après  il  fut  nommé  ministre  de  Brisdtow 
et  ensuite  de  Welfrie,  dans  le  comté  de  Pembroke.  Ces  fonc- 
tions ne  l'empêchèrent  point  de  se  livrer  avec  ardeur  à  l'é- 
tude des  mathématiques  et  de  l'astronomie.  Cette  dernière 
science  avait  toute  sa  ])rédilection,  et  pour  aller  l'enseigner 
au  collège  de  Saville  à  Oxford,  où  il  fut  nommé  professeur, 
il  résigna  ses  deux  cures  à   l'Age  de  vingt-neuf  ans. 

Six  ans  après,  en  1727,  il  découvrit  rflfterra^ionf/e /« 
lumière,  dont  la  divulgation  commença  sa  haute  renommée. 
Ce  phénomène,  une  l'ois  cxpli(iué,  permit  d'introduire  une 
exactitude  jusque  alors  inconnue  dans  les  obsenations  as- 
tronomiques :  la  position  apparente  d'une  étoile  étant  prise 
à  l'aide  d'un  instrument  convenable,  on  put  la  rétablir  dan.* 
.sa  position  véritable,  ou  corriger  sadé\iation  au  moyen  des 
vitesses  connues  de  la  terre  et  de  la  lumière. 

Cependant  la  connaissance  de  l'abenation  ne  permettait 
pas  encore  d'accorder  sans  quelques  différences  les  obser^a- 
tions  faites  sur  les  étoiles.  Ces  différences ,  quoique  très-lé- 
gères, n'échappèrent  point  à  l'esprit  scrutateur  et  profond 
de  Hrudley  ;  il  les  étudia  sans  relûche  pendant  plus  de  dix- 


BRADLEY  —  BRADYPE 


huit  ans ,  et  parvint  en  1747  à  fixer  leur  durée  et  la  loi  qui  les 
régissait  ;  il  découvrit  ainsi  \!imitatio7i  de  l'axe  terrestre. 

Ces  deux  découvertes  de  Bradiey  ne  sont  pas  les  seules 
dont  il  ait  enrichi  la  science,  mais  ce  sont  les  plus  impor- 
tantes; elles  ont  fourni  le  moyen  d'iutroduire  une  grande 
exactitude  dans  les  tables  des  mouvements  célestes,  si  utiles 
à  l'astronomie. 

Les  travaux  de  Bradiey  lui  avaient  (iiit  proraptement  une 
réputation  des  plus  brillantes  .  en  1730,  trois  ans  après  la 
découverte  de  l'aberralion  de  la  lumière,  il  avait  été  nommé 
professeur  d'astronomie  et  de  philosophie  naturelle  an  mu- 
séum d'Oxford.  En  1741,  on  lui  décerna  la  place  éminente 
d'astronome  royal,  vacante  par  la  mort  de  H  al  le  y,  et  il 
vint  établir  sa  résidence  dans  le  riche  observatoire  de 
Greenwich.  Ce  lieu  fut  pour  lui  une  retraite  profonde,  où  il 
consacra  tout  son  temps  atix  progrès  de  la  science  qui  fai- 
sait ses  délices.  Plusieurs  volumes  in-folio  furent  remplis 
en  entier  de  ses  propres  observations.  A  ce  zèle  ardent  pour 
l'étude  Bradiey  joignait  une  modestie  et  un  désintéressement 
des  plus  honorables  :  U  refusa  la  riche  cure  de  Greenwich, 
que  le  roi  lui  fit  offrir;  plus  tard  ,  lorsque  la  reine,  étant  ve- 
nue à  l'Observatoire  royal ,  voulut  augmenter  le  modique 
revenu  annuel  de  Bradiey,  il  la  supplia  de  n'en  rien  faire, 
en  ajoutant  :  «  Que  si  la  place  d'astronome  royal  valait  quel- 
que chose,  on  ne  la  donnerait  plus  à  un  astronome.  » 

Bradiey  fut  membre  de  la  Société  royale  de  Londres ,  de 
l'Académie  des  Sciences  de  Paris,  de  celle  de  Pétersbourg  et 
de  l'Institut  de  Bologne.  Après  deux  années  de  souffrances  , 
il  mourut  le  13  juillet  1762,  à  l'âge  de  soixante-dix  ans. 

Auguste  Chevalier. 

BRADSHA"VV  (  Joira),  né  dans  le  comté  de  Derby,  en 
15SC,  était  avocat  et  jurisconsulte,  lorsque  éclata  la  révolution 
d'Angleterre.  La  fermeté  de  ses  principes  républicains  le  (it 
choisir  pour  présider  la  haute  cour  de  justice  chargée  du 
fMocès  de  Charles  l",  roi  d'Angleterre;  dans  l'accusation 
il  déclara  le  roi  électif  et  non  héréditaire ,  et  à  ce  titre,  jus- 
ticiable de  la  cour  souveraine,  déléguée  parle  peuple  anglais. 
Le  roi  refusant  à  plusieurs  reprises  de  reconnaître  la  com- 
pétence de  ce  tiibunal ,  Bradshaw  déclara  que  l'accusé  ne 
comparaîtrait  plus  que  pour  entendre  son  arrêt ,  et  passa 
outre  aux  débats  :  l'émotion  causée  dans  Londres  par  cette 
grande  cause  fit  hâter  les  formalités;  après  une  deuxième 
lecture  de  l'acte  d'accusation  et  une  délibération  d'une 
heure ,  Brads'iaw  prononça  la  sentence  en  ces  termes  : 

«  La  cour,  convaincue  que  Charles  Sluart  est  coupable  des 
crimes  dont  il  est  accusé,  le  déclare  tyran,  traître,  meur- 
trier et  ennemi  du  bon  peuple  d'Angleterre  ;  ordonne  qu'il 
sera  mis  à  mort ,  en  séparant  sa  tète  de  son  corps.  »  Cette 
sentence  était  signée  de  soixante  membres ,  sur  soixante 
neuf  présents.  Bradshaw,  nommé  ensuite  président  du  par- 
lement, eut  une  garde  pour  la  sûreté  de  sa  personne ,  un  lo- 
gement à  Westminster,  un  traitement  de  5,000  livres  ster- 
ling, avec  des  domaines  considérables;  mais,  mécontent  de 
la  tournure  que  prenaient  les  affaires ,  il  se  retira  bientôt 
du  parlement,  et  mourut  dans  l'obscurité,  en  1659. 

Lors  de  la  restauration  de  Charles  II,  le  30  janvier  1631, 
anniversaire  de  l'exécution  de  Charles  l'^'',  on  paya  uu  maçon 
pour  déterrer  les  cadavres  de  Cromwell,  d'Ireton,  songendie, 
et  de  Bradshaw,  dont  les  «  odieuses  carcasses,  traînées 
t,\n  des  claies  jusqu'à  Tyburu,  furent  pendues ,  puis  décapi- 
tées, leurs  troncs  infects  jetés  daus  un  trou  profond,  au- 
dessous  de  la  potence ,  leurs  têtes  exposées  sur  des  pieux  , 
au  sommet  de  Westminster-Hall.  »  Quelques  historiens  pré- 
tendent que,  prévoyant  la  réaction  qui  allait  arriver,  Brad- 
shaw répandit  le  bruit  de  sa  mort,  et  se  retira  aux  Barbades 
ou  à  la  Jamaïque,  et  que  ce  fut  à  un  cadavre  étranger  que 
l'on  lit  subir  ces  supplices  posthumes.  A.  Feim.ut. 

iîR  ADYPE  (  de  PpaôO;,  lent  ),  nom  spécifique  d'un  genre 
de  mammifères  de  l'ordre  des  édcntés  et  de  la  famille  des 
tanligrades ,  vulgairement  connus  sous  celui  de  parcsscitx. 


635 

On  distingue  deux  espèces  principales  de  bradypes.  La 
première  est  \'aï,  ou  paresseux  à  trois  doigts  {hradypus 
tridactylus),  qui  doit  le  premier  nom  à  son  cri ,  et  le  second 
à  la  particularité  organique  que  ce  nom  signale.  Cet  animal 
est  de  la  grosseur  d'un  chat.  Les  lon;4s  poils  qui  recouvrent 
son  corps  sont  raides,  et  ressemblent  à  de  l'herbe  fanée. 
Leur  grande  quantité  donne  à  l'aï  une  apparence  d'embon- 
point qui  n'est  que  factice  ;  car  il  est  généralement  très- 
maigre.  Ses  membres ,  qui  sont  presque  aussi  longs  que  son 
corps,  sont  eux-mêmes  très-grcles ,  et  se  terminent  par  des 
ongles  d'une  extrême  longueur,  arqués,  et  dans  lesquels 
semblent  résider  toute  la  vigueur  et  toute  la  puissance  de 
l'animal.  11  n'a  que  deux  sortes  de  dents  :  des  canines  e 
des  molaires  ;  les  incisives  n'existent  pas.  La  tête  est  à  peu 
près  arrondie,  le  museau  court,  les  yeux  assez  éloignés  l'ua 
de  l'autre  et  dirigés  en  avant ,  les  narines  un  peu  écartées  et 
placées  à  l'extrémité  du  museau.  Les  doigts  de  l'aï  sont 
soudés  entre  eux  par  une  membrane  qui  les  recouvre  jus- 
qu'à la  racine  des  ongles.  C'est  à  la  longueur  de  ses  membres 
antérieurs,  à  l'union  des  doigts  qui  les  terminent  et  aux  on- 
gles longs  et  crochus  dont  ils  sont  armés,  que  cet  animal  doit 
l'extrême  difficulté  qu'il  éprouve  à  se  mouvoir.  A  ces  causes 
vient  se  joindre  une  conformation  intérieure  encore  plus 
bizarre  :  le  bassin  est  tellement  large  et  les  cavités  cotyloides 
placées  si  en  arrière  qu'il  ne  peut  rapprocher  les  cuisses  ;  en 
outre,  ses  intestins  sont  fort  courts,  et  il  n'a  point  de  cœ- 
cum  ;  il  est  muni  d'une  sorte  de  cloaque  pour  la  sortie  com- 
mune des  urines  et  des  excréments. 

La  femelle  du  bralypc  a  deux  mamelles  pectorales.  Elle 
ne  met  bas  communément  qu'un  seul  petit,  qui  reste  cram- 
ponné sur  son  dos  pendant  toute  la  durée  de  l'allaitement. 
Quand  il  peut  se  passer  de  sa  mère ,  celle-ci  s'en  débarrasse, 
et  l'inforluué  est  alors  obligé  de  ramper  pour  trouver  une 
nourriture  que  la  nature  semble  ne  lui  donner  qu'à  regret. 
U  est  encore  fort  heureux  pour  lui  qu'il  ne  soit  pas  Carni- 
vore; comment  ferait-il  en  effet  pour  atteindre  les  animaux 
nécessaires  à  sa  subsistance ,  lui  qui  met  une  heure  à  par- 
courir la  longueur  de  deux  ou  trois  mètres? 

L'aï  ne  peut  rester  à  terre ,  la  conformation  de  ses  mem- 
bres ne  le  lui  permet  pas  ;  aussi  cherche-t-il  constamment 
à  grimper  sur  les  arbres.  Ici  encore  surgissent  de  nouvelles 
difficultés  :  il  ne  peut  faire  avancer  son  corps,  il  est  obligé 
d'y  employer  toute  la  force  de  ses  ongles ,  et  souvent  il  lui 
faut  trois  jours  pour  arriver  jusqu'aux  premières  branches; 
une  fois  là,  il  semble  renaître,  on  le  dirait  animé  d'une 
nouvelle  vie  ;  cramponné  par  les  pieds  de  devant ,  il  laisse 
pendre  son  corps,  qui  décrit  alors  un  arc  de  cercle,  et 
reste  ainsi  suspendu  pendant  plusieurs  semaines  à  un  même 
arbre,  jusqu'à  ce  qu'il  l'ait  entièrement  dépouillé  de  ses 
feuilles,  sa  seule  nourriture.  Les  orages ,  le  bruit,  les  vents, 
la  pluie,  rien  ne  lui  fait  lâcher  prise;  son  épaisse  fourrure  le 
met  à  l'abri  de  toules  les  intempéries  des  saisons  ;  et  comme 
il  habite  les  contrées  les  plus  chaudes  du  nouveau  confi- 
nent ,  il  ne  redoute  point  les  rigueurs  de  l'hiver,  qui  le  fe- 
raient InfailliLlement  périr;  car  l'extrême  lenteur  de  ses  mou- 
vements doit  le  rendre  très-sensible  au  froid.  Quand  l'aï  est 
ainsi  accroché ,  la  force  musculaire  qui  réside  dans  ses  mem- 
bres fait  qu'il  est  impossible  de  lui  faire  lâcher  la  branche 
qu'il  a  saisie  ;  il  faut  nécessairement  couper  cette  branche 
pour  faire  tomber  l'animal  et  l'emporter  ainsi;  la  chute  elle- 
même  ne  le  fait  point  céder  ;  les  coups  ne  réussissent  pas 
davantage  :  on  pourrait  le  tuer  que  la  contraction  musculaire 
persisterait  encore  quelque  temps. 

Lorsque  l'arbre  sur  lequel  l'aï  se  trouve  ne  peut  plus  lui 
donner  de  nourriture,  il  est  bien  contraint  d'en  chercher  un 
autre  ;  mais  il  éprouve  trop  do  peine  à  descendre  pour  le  faire 
sur-le-champ;  et  ce  n'est  qu'après  avoir  enduré  la  faim 
pendant  plusieurs  jours  qu'il  se  décide,  non  pointa  des- 
cendre, mais  à  .se  lai.sser  tomber  au  risque  de  se  briser  sur  le 
sol.  Heureusement  que  la  nature  l'a  pourvu  de  côtes  extrê- 

8y. 


G3G 


CRADVPE 


inriueiit  solides  et  Je  poils  très-serrés  et  très-nules,  qui  diiiii- 
nuent  le  choc.  Il  se  roule  donc  en  boule,  et  se  laisse  choir, 
puis  il  s'avance  lentement  vers  un  autre  arbre.  C'est  dans  ce 
trajet  qu'il  rencontre  le  plus  d'ennemis  :  si  l'homme  n'est 
pas  friand  de  sa  chair,  il  n'eu  est  pas  de  même  des  animaux 
carnassiers  qui  habitent  les  forêts  de  l'Amérique;  et  comme 
il  n'a  pour  se  défendre  que  ses  grands  bras ,  qu'il  ne  peut 
lever  que  l'un  après  l'autre ,  et  encore  si  lentemerit  que  l'on 
a  toujours  le  tenqis  d'éviter  le  coup ,  il  ne  tarde  pas  à  de- 
venir leur  proie. 

L'unau  ou  paresseux  à  deux  doigts  (  bradypus  didac- 
tylus)  est  de  moitié  moins  grand  que  l'aï;  ses  bras  sont 
moins  longs,  son  museau  plus  allongé;  il  est,  en  général, 
moins  dis[iroportionné.  Uu  reste,  ses  mœurs  ne  semblent 
pas  différer  beaucoup  de  celles  de  son  congénère. 

L'aï  et  l'unau  se  rencontrent  dans  l'Amérique  méridionale, 
depuis  le  Brésil  jusqu'au  Mexique.  C.  Favkot. 

BRADYPEPSIE  (de  PpaSÛ;,  lent,  et  7T£7itw,  je  digère), 
digestion  lente ,  faible,  imparfaite,  qui  constitue  une  maladie, 
ou  plutôt  qui  est  le  symptôme  de  plusieurs  désordres  ou  af- 
fections plus  ou  moins  graves. 

BRAGA,  chef-lieu  de  la  province  du  Minho  (Por- 
tugal),est  une  très-ancienne  ville,  située  sur  une  hauteur,  que 
baigne  le  Cavado,  à  300  kilomètres  de  Lisbonne.  Siège  d'un 
archevêque  primat  du  royaume  et  d'un  chapitre,  elle  compte 
une  population  de  15,000  âmes.  Les  environs  en  sont  ra- 
vissants, notamment  les  rives  du  Cavado.  Dominée  par  un 
château  fort,  elle  contient  plusieurs  vastes  places ,  une  église 
cathédrale  riche  en  monuments  historiques,  un  grand  pa- 
lais archiépiscopal ,  un  séminaire  et  un  collège.  Ses  habi- 
tants sont  très-industrieux;  ils  s'occupent  principalement 
de  l'épuration  de  la  cire,  de  la  fabrication  de  chandelles  de 
suif  et  de  cire,  conlectionnent  des  couteaux ,  des  aiguilles , 
de  la  toile ,  des  chapeaux,  des  armes  à  feu ,  et  font,  en  outre, 
un  important  commerce  de  bestiaux.  Parmi  les  ruines  nom- 
breuses qui  y  rappellent  l'époque  de  la  domination  romaine, 
on  remarque  surtout  celles  d'un  temple,  d'un  amphithéâtre 
et  d'un  a(pieduc.  Non  loin  de  Braga  est  situé,  sur  une 
hauteur,  le  célèbre  monastère  dit  Sanctuario  do  boni  Jésus 
do  Monte. 

Sons  la  domination  romaine,  Braga  portait  le  nom  de 
Bracara  Augtista.  Lorsque  les  Suèves  eurent  enlevé  la  Lu- 
sitanie  aux  Romains,  les  conquérants  en  firent  la  capitale  de 
leur  nouvel  empire.  Au  concile  tenu  l'an  5C:$,  à  Bracara,  les 
Suèves  et  leur  roi  abjurèrent  solennellement  l'hérésie  d'A- 
rius,  qu'ils  avaientjusque  alors  partagée,  pour  embrasser  les 
doctrines  de  l'Église  catholique.  Quand  l'empire  fondé  par 
les  Suèves  et  les  Visigolhs  s'écroula,  Braga  tomba  au  pou- 
voir des  Arabes,  puis,  en  1040,  aux  mains  des  Castillans; 
plus  tard ,  après  l'établissement  de  la  monarchie  portugaise, 
elle  passa  à  la  maison  de  Bourgogne,  et  conséquemment  à 
la  couronne  de  Portugal. 

BRAGAIVCE  (Maison  de).  Elle  est  ainsi  nommée  de 
la  ville  de  ce  nom  ,  chef-lieu  de  la  province  portugaise  de 
Tras-os-Montes,  et  qui  fut  érigée  en  duché  l'an  1442.  Cette 
ville ,  siège  d'un  évêque,  sulfragant  de  Braga,  située  à  440  ki- 
lomètres nord-est  de  Lisbonne  ,  et  peuplée  de  4,000  âmes , 
pourrait  passer  pour  une  des  plus  anciennes  de  l'Europe 
s'il  était  prouvé,  comme  les  chroniques  l'assurent,  qu'elle 
eût  été  primitivement  bâtie  sur  une  montagne,  l'an  du  monde 
2015,  par  Brigo,  roi  d'Espagne,  qui  lui  aurait  donné  son  nom. 

La  maison  de  Bragance  eut  pour  premier  auteur  Alphonse  , 
fils  naturel  d'Agnès  Ferez,  et  du  roi  Jean  l",  qui  lui-même 
était  bâtard  de  Pierre  1",  dit  le  Cruel  ou  le  Justicier.  Al- 
phonse fut  créé  duc  de  Bragance  en  1442,  pendant  la  régence 
de  sou  frère  Pierre,  duc  de  Counbre.  11  survécut  aux  six 
enfants  k^gitimes  de  son  père,  et  momut  en  I4GI ,  alors  qu'Al- 
phonse V,  son  neveu  et  roi,  était  complètement  allenni  sur 
le  trône. 

D'un  premier  mariage  avec  Béalrix  de  Barcelos,  Alphonse 


—  BRAGl 

laissa  trois  enfants,  dont  i'atné,  Alphonse  II,  fut  comte 
d'Ourem  et  deuxième  duc  tic  Bragance.  Le  troisième,  l'i;iiai- 
NAND  II,  fut  décapité  en  148:5 ,  sous  le  règne  de  Jean  11 ,  .sou 
beau-lrère  ;  et  sa  veuve  se  retira  en  Caslille ,  avec  ses  enfants, 
après  cette  terrible  exécution,  qui  n'avait  eu  d'autre  but  que 
de  couper  court  aux  complots  ambitieux  de  la  noblesse, 
dont  il  était  le  chef. 

Jacques,  fils  aîné  du  précédent  et  quatrième  duc  de  Bra- 
gance, fut  rétabli  dans  ce  titre  par  le  roi  Emmanuel,  dont 
il  posséda  les  bonnes  grâces,  et  qui  n'omit  rien  pour  lui  faire 
oublier  la  fin  tragique  de  son  père.  Ce  monarque ,  n'ayant 
pas  d'enfants ,  le  désigna  môme,  en  149S,  pour  son  succes- 
seur éventuel. 

La  série  des  ducs  de  Bragance  n'offre  aucune  particula- 
rité intéressante  jusqu'à  Jean  l""",  mort  en  1582.  Ce  prince, 
époux  de  Catherine,  petite-fille  et  héritière  du  roi  Emma- 
nuel, du  chef  de  son  père,  vit,  par  suite  de  ce  mariage, 
changer  en  droit  positif  les  anciennes  prétentions  éventuelles 
de  sa  famille  à  la  succession  de  la  couronne.  Ce  droit  s'ouvrit 
en  1578,  par  la  mort  du  roi  Sébastien,  tué  en  Afiiquc,  et 
par  l'accession  au  trône  du  cardinal  Henri,  mort  en  1580. 
Catherine  à  celte  époque  revendiqua  ses  dioils  au  diadème; 
mais  ce  ne  fut  que  soixante  ans  plus  tard  qu'ils  prévalu- 
rent, quand  l'ordre  légitime  fut  rétabfi  par  la  révolution 
de  1640,  qui  enleva  le  Portugal  aux  Espagnols. 

Tandis  que  Jean  IV,  jusque  là  duc  de  Bragance,  cei- 
gnait la  couronne,  Edouard,  son  frère,  lieutenant  général 
au  service  de  l'Empire  d'Allemagne,  était  livré  par  Ferdi- 
nand III  à  la  cour  de  Madrid  ,  qui  l'envoyait  captif  au  châ- 
teau de  Milan,  où  huit  ans  après  il  expirait,  dans  sa  qua- 
rante-quatrième année,  de  chagrin  ou  de  poison. 

Depuis  Jean  IV  jusqu'à  nos  jours,  la  maison  de  Biagance  a 
donné  au  Portugal  sept  autres  souverains,  sans  compter  dom 
Miguel,  roi  de  fait  de  1827  à  1832.  Aujourd'hui  elle  se 
divise  en  deux  branches  régnantes,  la  ligne  masculine  au 
Brésil,  la  ligne  féminine  en  Portugal.  Dom  Miguel,  frère 
de  dom  Pedro  l",  expulsé  de  ce  dernier  pays,  a  fout  ré- 
cemment encore ,  du  fond  de  la  Hesse ,  protesté  de  ses 
droits  au  trône  à  propos  du  prochain  accouchement  de  la 
princesse  qu'il  a  épousée. 

En  dehors  des  têtes  couronnées ,  la  maison  de  Bragance, 
avant  et  depuis  son  avènement,  a  produit  d'illustres  person- 
nages. Nous  n'en  citerons  que  deux  :  Conslanlin  de  Bra- 
gance, prince  du  sang  royal ,  vice-roi  des  Indes  sous  dom 
Sébastien  (de  1557  à  1561),  vainqueur  de  Deacou,de  Cam- 
baye,  de  Surate,  de  Bobyar,  de  Ceyian,  de  Manar,  guerrier 
plein  de  modération,  de  bonté,  de  justice,  mort  en  Por- 
tugal, sans  postérité;  Jean  de  Buacance,  duc  de  Lafoëns, 
né  à  Lisbonne  en  1719,  yo  dom  Miguel,  frère  du  roi 
Jean  V,  longtemps  écarté  de  la  cour  par  suite  de  son  refus 
d'embrasser  l'état  ecclésiastique,  excellant  dans  les  belles- 
lettres  ,  dans  les  langues  étrangères ,  dans  les  exercices  du 
Cflrps,  dans  la  poésie  et  l'improvisation  nationale,  volontaire 
intrépide  durant  toute  la  guerre  de  Sept  Ans ,  honoré  de 
l'estime  de  Marie-Thérèse  et  de  l'amitié  de  Joseph  II ,  ayant 
visité,  pendant  vingt  ans,  à  diverses  reprises,  l'Angleterre, 
l'Allemagne,  la  France,  l'Italie,  la  Suisse  ,  la  Grèce,  l'Asie 
Mineure,  l'Egypte,  la  Pologne,  la  Russie,  la  Laponie,  la 
Suède,  le  Danemark,  membre  de  la  Société  royale  de  Lon- 
dres, prem/f/'  honneur  qu'il  eût  dû ,  disait-il,  à  lui  seul, 
et  président  de  l'Académie  des  Sciences  de  Lisbonne,  dont  il 
était  le  fondateur,  mort  dans  cette  capitale  en  ISOC. 

BRAGES  ou  BRAGUES.  Voye;  Braies. 

BRAGI ,  lils  d'Odi  n  et  de  F  r  i  gga,  est,  dans  la  mytho- 
logie Scandinave,  le  dieu  de  l'éloquence  et  de  la  [loésie.  Sur 
sa  langue  sont  gravées  les  runes,  de  soiteque  rien  d'inepte 
ne  peut  sortir  de  ses  lèvres.  Selon  l'ancienne  Edda,  il  est  le 
meilleur  de  tons  les  skaldes  ou  poètes,  ou  le  créateur  de 
la  poésie,  appelée  d'après  lui  bracjr.  11  n'est  point  repré- 
senté, tel   qu'Apollon,    sous  les  traits   d'un  beau  jeune 


BRAGI  —  BRAHMA 


G37 


liomme ,  nigis  sous  ceux  d'un  homme  fait  et  portant  une 
longue  barbe  comme  Odin  ;  seulement  son  front,  toujours 
serein,  ne  porte  aucune  ride.  Ce  cleraier  attribut  le  caracté- 
rise mieux  que  la  harpe  (telyn)  que  Klopstocket  son  école 
lui  mettent  en  main.  Son  épouse  estlilunna.  C'est  lui  qui, 
iMCc  Hermode,  est  chargé  de  recevoir  les  héros  qui  arrivent 
au  W a  I  h  a  II  a.  Dans  les  circonstances  solennelles  ,  comme 
à  l'enterrement  d'un  roi,  on  apportait  la  coupe  consacrée  à 
Uragi ,  et  appelée  d'après  lui  Braga/ull;  cliacun  se  levait 
devant  elle ,  taisait  un  vœu  solennel  et  la  vidait. 

On  a  donné  récemment  le  nom  de  Bragi ,  Braya,  et 
Bragur  à  plusieurs  journaux  et  autres  écrits  destinés  à 
réveiller  chez  les  Allemands  le  sentiment  de  la  nationalité. 

BRAGUETTE.  Suivant  Roquefort,  la  brague ,  bra- 
guette ou  brayette,  était  ou  le  devant  de  la  culotte,  ou 
la  fente  de  devant  des  hauts-de-chausses,  ou  un  lange  dont  on 
se  servait  pour  envelopper  les  enfants  au  berceau.  On  portait, 
dit  Voltaire ,  de  longues  braguettes  détachées  du  liaut-de- 
cliausses ,  et  souvent  au  fond  de  ces  braguettes  on  mettait 
en  réserve  une  orange,  qu'on  présentait  aux  dames.  Rabelais 
narle  d'un  beau  Uvre  intitulé  :  De  ta  Dignité  des  braguet- 
tes. C'était  la  prérogative  distinctive  du  sexe  le  plus  noble; 
aussi  la  Sorbonne  présenta-t-elle  requête  pour  faire  brûler 
Jeanne  d'Arc  ,  convaincue  d'avoir  porté  culotte  avec  bra- 
guette. C'est  dans  ce  sens  que  le  chantre  de  la  Pucelle  em- 
ploie ce  mot  dans  les  vers  suivants  : 

A  son  réveil,  Jcanae  ,  cherchant  en  vain 
L'affublcmeut  du  harnois  masculin. 
Son  bel  annet  ombrage  de  l'aigrclle, 
Et  son  haubert ,  et  sa  large  braguette  , 
Sans  raisonner  saisit  soudainement 
D'un  ëcuver  le  dur  accoutrement ,  etc. 

On  disait  autrefois  braguer  pour  mener  une  vie  joyeuse. 

BRAIIAM  (  Maurice  ),  célèbre  ténor  anglais ,  né  a  Lon- 
dres, vers  1770,  perdit  tout  jeune  ses  parents,  qui  professaient 
la  religion  juive.  Le  chanteur  italien  Leoni  se  chargea  de 
l'orphelin ,  et  lui  enseigna  le  chant  avec  tant  de  succès, 
qu'à  l'âge  de  dix  ans  Braham  se  lit  entendre  avec  applau- 
dissements au  théùtre  royal.  Il  contiima  à  jouir  de  la  faveur 
(lu  public,  jusqu'à  ce  qu'une  affection  d.'î  la  voix  le  força  à 
renoncer,  pour  quelques  années,  à  la  scène.  Lorsqu'il  fut 
heureusement  guéri ,  il  donna  avec  le  llùtiste  Ashe  des  con- 
certs àUath,  puis  il  entra,  en  179G,  au  théâtre  de  Diury-Laiie, 
et  l'année  suivante  au  Théâtre-Italien  de  Londres,  où  il  ob- 
tint beaucoup  de  succès.  Le  préjugé  qui  veut  en  Angle- 
terre qu'un  grand  artiste  ne  puisse  se  former  que  sur  le  conti- 
nent le  força  de  faire  un  voyage  en  Italie.  A  son  passage  à 
Paris,  il  donna  quelques  concerts  très-brillants,  et  dans 
toutes  les  villes  d'Italie  qu'il  visita  il  se  ht  entendre.  Sa  ré- 
putation grandit  rapidement;  en  sorte  qu'à  la  fin  du  siècle 
I)assé  pas  un  chanteur  ne  jouissait  d'une  renonnnée  plus 
étendue  ni  mieux  méritée.  Ses  voyages ,  les  leçons  des  meil- 
leurs maîtres ,  la  société  des  musiciens  les  plus  célèbres 
exercèrent  la  plus  heureuse  influence  sur  son  talent.  Les 
offres  les  plus  honorables  allèrent  le  chercher  à  Hambourg, 
où  il  se  trouvait  en  1801 .  ]l  retourna  aussitôt  à  Londres,  et 
débuta  au  théâtre  de  Covent-Garden.  De  1806  à  1816  il  fut 
attaché  au  Théâtre-Royal,  où  il  rentra  encore  plus  tard.  11 
consacra  une  partie  de  la  grande  fortune  qu'il  avait  gagnée 
par  son  talent,  à  élever  un  théâtre  à  Londres.  Quoique 
arrivé  à  un  âge  avancé ,  il  voulut  accompagner  ses  deux 
(ils  Hamilton  et  Georges,  qu'il  avait  formés  lui-même,  dans 
un  voyage  qui  leur  rapporta  beaucoup  d'honneur  et  d'ar- 
gent. Plus  tard,  il  les  envoya  sur  le  continent,  l'aîné  à 
Leipzig ,  le  cadet  à  Milan ,  pour  y  achever  leur  éducation 
Muisicale.  Georges  retourna  en  1851  àLondres,oùilfutcouvert 
d'applaudissements.  Maurice  Draham  s'est  fait  aussi  con- 
naître comme  compositeur  :  ses  chansons  surtout  sont  po- 
liulaires  en  Angleterre. 

BHAHE.  Yoye:.  Tycho-Buaue. 


BRAHE  (Magnus,  comte  de),  lieutenant  général  sué- 
dois, maréchal  du  royaume,  chancelier  et  grand  écuyer  du 
roi  Charles- Jean  XIV,  dont  il  fut  l'ami  particulier,  était 
né  en  1790,  et  descendait  d'une  très-ancienne  famille,  qui  a 
doimé  plusieurs  souverains  à  la  Suède,  compte  sainte  Bri- 
gitte parmi  ses  ancêtres,  et  occupe  le  premier  rang  dans  la 
noblesse  suédoise.  Au  nombre  des  personnages  historiques 
ayant  appartenu  à  cette  maison ,  nous  devons  surtout  men- 
tionner Pehr  Brahe,  né  en  1602,  gouverneur  de  la  Fin- 
lande au  temps  de  Christine ,  et  dont  l'administration  sage 
et  éclatée  a  laissé  de  durables  souvenirs  dans  cette  province, 
qui  lui  dut  une  remarquable  prospérité;  il  mourut  en  1680, 
entouré  de  l'estime  et  de  la  vénération  générales. 

Erick ,  comte  de  Br-^he  ,  grand-père  du  comte  Magnus , 
né  en  1722 ,  fut  décapité  par  ordre  de  la  diète,  comme  prin- 
cipal fauteur  d'un  complot  royaliste.  Le  fils  de  celui-ci, 
père  du  comte  Magnus,  jouit  pendant  longtemps  de  la  plus 
haute  faveur  auprès  deBernadoUe,  faveur  dont  Magnus 
hérita  tout  entière  et  qui  s'accrut  encore  ;  car  Charles- 
Jean  XIV  le  promut  rapidement  aux  plus  importantes  digni- 
tés du  royaume,  aux  plus  hautes  charges  de  la  couronne. 

Le  comte  Magnus  de  Brahe,  qui  vécut  constamment  dans 
l'intimité  de  l'homme  que  la  révolution  de  1809  avait  donné 
pour  souverain  à  la  Suède,  qui  ne  le  quitla,  pour  ainsi  dire,  pas 
un  seul  instant  pendant  tout  son  long  règne,  l'accompagnant 
partout,  même  dans  ses  moindres  voyages,  ne  fut  jamais 
accusé  d'avoir  abusé  de  son  crédit  ou  profité  de  son  influence 
personnelle.  Presque  exclusivement  occupé  de  ce  qui  était  re- 
latif à  rarmée,,dontle  nouveau  roi  lui  avait  confié  la  direction 
supérieure,  il  évita  pendant  longtemps,  avec  soin,  d'inter- 
venir dans  des  questions  étrangères  à  son  département;  et  ce 
ne  fut  guère  qu'à  partir  de  iS'iG  qu'il  exerça  secrètement  une 
influence  réelle  et  décisive  sur  la  marche  des  affaires  publi- 
ques. Alors  seulement  quelques  voix,  dt^Jà  jalouses ,  sans 
doute,  de  la  faveur  intime  dont  le  comte  Magnus  de  Eralie 
jouissait  auprès  de  Charles-Jean ,  s'élevèrent  pour  blâmer 
amèrement  l'omniprésence  et  l'omnipotence  du  royal  fa- 
vori. Mais  ces  clameurs  injustes  ne  tardèrent  pas  à  cesser, 
chacun  ayant  acquis  la  preuve  que  (  chose  bien  rare  assu- 
rément, il  faut  l'avouer)  l'ami  du  prince  était  cette  fois  un 
galant  homme  dans  toute  la  force  de  l'expression ,  dévoué 
de  cœur  à  son  pays  et  à  ses  intérêts;  que  sa  bienveillance  et 
son  affabilité  envers  tous  n'avaient  rien  que  de  naturel ,  et 
provenaient  d'un  noble  cœur,  d'un  généreux  esprit,  enfin 
que  ce  n'était  pas  tant  le  roi  qu'il  aimait  dans  Charles-Jean, 
que  l'homme  qu'il  considérait,  à  tort  ou  à  raison,  comme  le 
bienfaiteur  el  comme  le  sauveur  de  la  Suède. 

Quand  la  maladie  vint  avertir  Bernadotte  que  sa  fin  appro- 
chait, le  comte  Magnus  de  Brahe  donna  tous  les  signes  de 
la  douleur  la  plus  vraie  et  la  plus  profonde;  il  ne  quitta  pas, 
pendant  quarante  jours  de  suite,  le  chevet  du  vieu.v  maré- 
chal de  l'empire  passé  roi ,  et  reçut  pieusement  son  dernier 
soupir.  Moins  de  huit  mois  après ,  lui-même  descendait  au 
tombeau  (  16  septembre  1844  ) ,  quoique  encore  dans  la  force 
de  l'âge,  mais  succombant,  on  peut  le  dire,  au  chagrin 
d'avoir  perdu  son  royal  ami.  Il  faut  le  reconnaître ,  il  y  a 
dans  ce  fait,  peut-être  sans  exemple,  quelque  chose  d'aussi 
honorable  pour  le  prince  qui  put  inspirer  de  tels  regrets,  que 
pour  le  courtisan  qui  fut  capable  de  les  éprouver. 

BRAHILOW.  Voyez  Brailow. 

BRAHMA,  mot  sanscrit  servant  dans  cette  langue 
à  désigner   l'Être- Suprême. 

Au  nom  de  Brahma  se  rattache  le  développement  re- 
ligieux de  l'Inde  pendant  trois  mille  ans.  A  chaque  nouveau 
progrès  de  la  conscience  en  recherche  de  l'essence  divine, 
ce  mot  représente  une  nouvelle  idée;  aussi  emploie-t-on 
quel((uefois  le  mot  Brahmanisme  pour  désigner  l'ensemble 
du  monde  intellectuel  de  l'Inde.  Le  sens  primitif  du  mot 
brahma  est  prière,  et  en  général  tout  acte  saint  par  le(iuel 
riiommc  cherche  à  se  rendre  la  Divinité  favorable.  Comme 


638 


BRAHMA 


personnification,  Brahma  (  dans  la  forme  masculine  de  ce 
mot)  est  l'un  des  dieux  particuliers  des  Hindous,  formant 
avec  Vishnou  et  Siro  la  triade  des  divinités  supérieures. 
Il  est  le  créateur  du  monde,  qui  appela  le  genre  liumain  à 
l'existence  et  qui  fit  connaître  les  saintes  écritures  des  Véd  a  s 
et  le  code  de  Manou,  pour  servir  de  guides  à  l'homme 
dans  la  vie  On  le  représente  reposant  sur  un  cygne  et  ayant 
quatre  visages;  ce  qui  lui  permet  de  voir  en  même  temps 
tous  les  endroits  du  monde.  lîrahma  n'étant  l'objet  d'aucun 
culte  public,  il  n'y  eut  jamais  de  temples  consacrés  à  son 
culte.  Le  cidte  pjiblic  a  pour  objet  Siva,  "Vislinou  et  autres 
dieux.  Quand  les  écoles  philosophiques  se  développèrent 
dans  l'Inde,  Brahma  (dans  la  forme  neutre  de  ce  mot)  devint 
un  terme  employé  pour  désigner  la  substance  divine  sans 
aucun  mélange  de  personnification  ;  voilà  pourquoi  il  n'est 
que  l'objet  d'une  pieuse  et  religieuse  contemplation.  Cet  être 
<livin  est  la  dernière  cause  de  toutes  choses ,  la  base  fonda- 
n)entale  de  l'existence,  à  laquelle  revient  la  seule  vérité. 
On  essayerait  vainement  de  le  définir  au  moyen  d'idées 
terrestres;  mais  tout  ce  qui  est  n'existe  que  par  cet  être 
divin,  qui  lui-même  est  infini. 

■  [  Ces  données  autorisent  à  penser  que  le  monotliéisme  est 
la  doctrine  antique  de  l'Inde,  quoiqu'il  soit  également  avéré 
que  ce  monothéisme  ne  tarda  pas  à  être  transformé  et 
défiguré  par  le  polythéisme,  qui  prit  les  divers  attributs 
donnés  à  la  Divinité  pour  autant  de  manifestations  diverses 
do  Dieu  ,  et  même  pour  autant  de  dieux.  Ce  n'est  point  là , 
au  reste,  une  supposition  gratuite  :  les  savants  qui  ont  le 
plus  avant  pénétré  dans  l'étude  de  la  philosophie  et  de  la 
religion  des  Hindous  ont  reconnu  que  l'antique  doctrine  est 
le  monothéisme.  Le  docte  Colebrooke ,  vieilli  dans  l'étude 
de  l'Inde,  dit  que  le  monothéisme  est  formulé  dans  les  doc- 
trines des  Védas ,  quoiqu'il  n'y  soit  pas  peut-être  assez  exac- 
tement distingué  du  polythéisme;  mais  qu'il  se  manifeste  de 
plus  en  plus  dans  les  écrits  postérieurs  de  la  nation  ,  qui, 
par  conséquent,  peut  prétendre  avec  raison  que  l'unilé  de 
Dieu  est  sa  doctrine  religieuse.  L'ancien  code  de  Manou  dit 
expressément  que  les  Védas  n'enseignent  qu'un  seul  Dieu, 
comme  maître  suprême  de  tous  les  dieux  et  des  hommes , 
et  qui  devrait  être  reconnu  et  adoré  dans  chaque  être.  Les 
fragments  des  Védas  publiés  jusqu'à  présent  définissent 
Dieu  un  être  immatériel ,  invisible ,  au-dessus  de  toute  re- 
présentation,  dont  l'éternité,  l'omnipotence,  l'omniscience 
et  l'onuiiprésence  éclatent  dans  ses  ouvrages;  qui  est  la 
lumière  divine  et  incomparable ,  dont  tout  provient  et  à  qui 
tout  retourne. 

Un  catholique  éclairé,  qui  a  longtemps  habité  l'Inde 
(  Papi ,  dans  ses  Lettres  sur  l'Inde  ),  porte  un  jugement 
très-juste  en  disant  :  -<  Les  Indiens  ne  reconnaissent  qu'un 
seul  Être-Suprême ,  et  ne  sont  donc  rien  moins  qu'idolâtres, 
comme  on  a  voulu  nous  le  faire  croire  sérieusement.  Ils 
adorent  les  images  de  leurs  divinités  exactement  comme  les 
catholiques  celles  de  la  sainte  Vierge,  des  anges  et  des  saints, 
et  pas  autrement ,  quoique  la  sotte  et  ignorante  populace  dé 
rinde,  ainsi  qu'en  d'autres  pays,  ne  sache  ni  ce  qu'elle 
pense  ,  ni  ce  qu'elle  fait,  ni  ce  qu'elle  croit.  » 

Les  spéculations  sur  Dieu,  l'univers  et  les  rapports  de 
l'homme  et  de  l'univers  avec  Dieu,  sont  portées  cliez  les  In- 
diens à  m\  très-haut  degré  de  perfection  ;  mais  la  méthode 
philosophique  y  est  partout  mêlée  à  la  poésie ,  de  sorte 
(pi'il  devient  souvent  très-difficile  de  distinguer  le  fond  spé- 
culatif de  son  enveloppe  poétique. 

Les  anciens  livres  et  la  doctrine  philosophique  des  In- 
diens n'admettent  pas  en  général  une  création  tirée  du 
néant,  quoique  les  diverses  sectes  diffèrent  dans  leurs 
opinions  sur  la  matière  primitive  :  les  sivaïstes  enseignent 
que  le  feu  est  la  matière  originaire,  et  que  le  monde  périra 
dans  une  conllagration  générale;  les  vishnouistes  admettent 
l'eau ,  d'autres  encore  l'air ,  ou  l'éther,  comme  matière  pre- 
mière. Selon  les  Védas ,  la  force  créatrice  de  l'univers  est  la 


pensée  de  Brahma,  à  qui  il  a  suffi  de  penser  qu'il  voulait 
créer  des  mondes,  pour  qu'ils  existassent  aussitôt,  en  vertu 
de  son  Verbe  créateur.  Or,  comme  dans  la  mythologie 
hindoue  tDus  les  attributs  de  l'Étre-Suprême  sont  person- 
nifiés ,  la  vdch,  ou  parole  articulée  (  loyos  ),  sort  de  Brahma, 
espèce  de  déesse,  comme  la  sagesse  et  la  science  suprêmes; 
alors,  pénétrant  tous  les  êtres,  elle  créa  d'abord  le  brnhman, 
comme  démiurge ,  nom  identique  avec  Brahma ,  l'Être-Su- 
prême. 

On  ne  saurait  douter  que  ces  idées  du  logos  des  Indiens 
n'aient  pénétré  de  bonne  heure  dans  l'Occident.  Elles  se 
retrouvent  dans  la  doctrine  platonique  du  logos  et  dans 
les  ouvrages  hermétiques  des  Égyptiens,  où  on  lit  (pie  Dieu 
a  créé  le  monde  par  le  logos,  qui  avait  été  le  fils  unique, 
étemel  et  le  plus  parfait  de  Dieu.  D'après  les  Védas,  la 
mâija  ou  l'imagination  formatrice  est  un  autre  élément 
nécessaire  pour  la  création.  Brahma ,  en  jouant  avec  la 
maya,  a  produit  tout,  et  tient  dans  l'univers  la  même  place 
qu'une  araignée  dans  sa  toile  ;  il  est  le  centre  unique,  exclu- 
sif, d'où  tout  part  et  où  tout  vient  aboutir. 

Dans  un  autre  endroit  des  Védas,  où  l'on  traite  de  la 
création,  il  est  dit  qu'il  n'y  avait  d'abord  ni  être  ni  non- 
être  (  at  et  asat  ),  c'est-à-dire  qu'il  n'y  avait  pas  encore 
d'existence  déterminée  ,  mais  que  l'être  général  (  Tad  )  ou 
Brahma  se  manifesta  lui-même  pour  l'être,  tandis  que  la 
maya  flottait  autour  de  lui  dans  un  brouillard  sans  formes. 
L'Ètre-Suprême  ayant  commencé  à  se  contempler  lui-même 
dans  l'éclat  de  la  maya ,  cette  contemplation  dissipa  les 
ténèbres;  et  l'amour  devint  dans  son  âme  une  force  pro- 
ductrice de  la  création.  Cette  doctrine  sur  la  maya,  comme 
force  productrice,  est  devenue,  par  méprise,  la  base 
d'un  idéalisme  qui  nie  toute  existence  matérielle.  L'école 
philosophique  de  Vedanti  ,  confondant  cette  maya  divine 
avec  l'imagination ,  qui  est  souvent  trompeuse,  regarde  le 
monde  comme  le  produit  de  la  raâya ,  toute  réalité  comme 
une  simple  apparence  et  une  illusion.  Dans  le  code  de 
Manou ,  on  trouve  aussi  l'idée  cosmogonique  de  l'œuf  du 
monde,  idée  qui  se  reproduit  également  chez  les  Chinois,  les 
Japonais,  les  Assyriens,  les  Égyptiens  et  autres  peuples. 
H  y  est  dit  :  Lorsque  Tiiternel,  l'Invisible,  qui  ne  peut 
être  approfondi  que  par  la  raison,  voulut  créer  des  êtres  de 
sa  propre  substance  divine, il  créa  d'abord  par  une  pensée 
l'eau,  et  il  y  mit  la  semence.  Celle-ci  devint  un  œuf  brillant 
comme  le  soleil ,  et  ce  fut  en  cet  œuf  que  se  <iéveloppa 
Brahma,  la  force  créatrice  de  l'Éternel,  qui  brisa  par  la 
pensée,  après  une  année  d'incubation,  l'œuf  qui  le  contenait, 
et  dont  les  deux  moitiés  se  transformèrent  ensuite  en  ciel 
ou  éther,  et  en  terre. 

Un  point  fondamental  de  la  doctrine  de  Brahma,  c'est  que 
Dieu  a  créé  tout  bien,  et  que  l'homme,  comme  créature 
libre,  est  seul  coupable  du  mal  moral  qui  existe.  Quand 
l'Éternel,  selon  la  cosmogonie  des  Védas,  eut  prononcé  le 
verbe  créateur,  aussitôt  naquirent  les  prototypes  spirituels 
de  toute  vie,  qui  résident  continuellement  dans  l'éther.  C'est 
ainsi  que  dans  la  doctrine  du  Zend  des  Parses  les  pensées 
du  Créateur  devinrent  les  esprits  purs  et  immortels  {pei- 
■wers)  des  futurs  êtres  organiques.  Ces  divâs  oasuvds, 
comparables  aux  anges  chez  les  Juifs ,  qui  en  développèrent 
la  doctrine ,  surtout  après  leur  retour  de  captivité  ,  jouirent 
longtemps  de  leur  liberté  dans  le  sein  de  la  béatitude, 
jusqu'à  ce  que  l'un  d'eux,  par  orgueil  et  envie,  se  détourna 
de  l'Éternel,  séduisit  d'autres  esprits,  et  causa  ainsi  la  perte 
de  la  béatitude.  C'est  alors  que  l'Étre-Suprême  résolut  de 
créer  le  monde  matériel,  et  d'y  bannir  les  esprits  déchus,  pour  ■ 
les  soumettre  à  un  état  d'épreuve  et  de  renouvellement,  j 
L'âme  humaine  resta  une  image  (  type,  murti  )  de  la  Di- 
vinité; car  un  souffle  divm  nous  anime  tous,  et  nous 
sommes  tous  de  la  même  substance. 

Une  conséquence  de  cette  chute  et  de  la  création  du  monde 
matériel  fut  la  n)élempsyobse  ou  plutôt  metensomaibsis , 


BRAHMA  —  BRAHMAPOUTRA 


G39 


c'est-à-dire  la  migration  de  l'àme  dans  des  corps  différents, 
môme  dans  des  animaux  et  des  plantes ,  selon  la  valeur  des 
actions  de  l'homme.  Mais  comme  la  Divinité,  dans  sa  mi- 
séricorde pour  les  hommes,  est  descendue  plusieurs  fois 
sur  la  terre  pour  leur  donner  une  révélation  et  une  loi  ca- 
pable de  servir  de  règle  à  leurs  actions ,  elle  a  fixé  la  durée 
de  ce  monde  matériel  à  12,000,  et  selon  d'autres  à  432,000 
années.  Quand  ce  terme  sera  expiré ,  la  Divinité  apparaîtra 
de  nouveau,  détruira  le  monde  matériel,  et  établira  un 
royaume  divin ,  spirituel.  La  chute  des  esprits  a  eu  aussi  des 
conséquences  fatales  pour  la  t«rre  :  les  pôles  ont  cliangé 
lie  position,  les  étoiles  se  sont  égarées  de  leur  route,  et  toute 
la  terre  a  été  punie  par  un  déluge.  Aussi  toute  vie  sur  cette 
terre  est-elle  une  vie  de  punition,  de  combat  contre  le tnal 
et  la  matière,  sans  repos,  sans  stabilité. 

La  religion  et  la  philosophie  indiennes  se  bornant  à  in- 
diquer les  causes  et  les  conséquences  de  la  chute  de  l'homme 
et  de  tout  l'univers,  sans  insister  sur  l'indispensable  nécessité 
de  notre  spontanéité  active  pour  parvenir  à  un  meilleur 
état  futur,  j'indienaltendinactif  le  salutdu  genre  humain, 
qui  doit  venir  de  l'écoulement  paisible  des  trois  âges  mal- 
heureux du  monde.  Alors  commencera  la  quatrième  ère  du 
royaume  divin,  où  le  monde  se  renouvellera,  où  les  dieux 
inférieurs  eux-mêmes  disparaîtront ,  et  où  Dieu  sera  tout  en 
tout.  Comme  aux  yeux  de  l'Indien  la  Divinité  est  répandue 
dans  toute  la  nature,  chaque  être,  l'animal,  la  plante 
même ,  peuvent  prétendre  à  un  saint  ménagement  et  à  une 
vive  sympathie  de  la  part  de  l'iiomme;  et  cependant,  par 
une  de  ces  contradictions  dont  abonde  l'esprit  liumaiu ,  ce 
même  Indien,  qui  se  ferait  scrupule  de  tuer  le  moindre 
insecte,  se  montrera  barbare  non-seulement  envers  le  paria, 
mais  encore  envers  lui-même.  Il  détestera  et  persécutera  le 
paria,  parce  qu'il  le  regardera  comme  un  être  impur,  qu'il 
faut  fuir,  si  on  veut  éviter  sa  contagion;  il  le  traitera  avec 
dureté,  pour  l'empêcher  de  transgresser  les  limites  de  l'état 
d'infériorité  auquel  il  est  condamné;  enfin,  il  deviendra 
son  propre  bourreau ,  dans  la  conviction  où  il  est  que  les 
soufl'rances  physiques  de  l'homme  sont  agréables  à  Brahma. 

L'lilre-Suprême,ou  Parabrahma,  est  emblématiquement 
représenté  par  un  cercle  dans  un  triangle,  et  dans  le  langage, 
par  la  syllabe  mystérieuse  Om,  résultant  des  lettres  A ,  U 
et  M,  par  laquelle  commence  et  finit  la  lecture  de  chaque 
Écriture  sainte.  Le  nombre  des  sectateurs  de  Brahma  s'é- 
lève de  quatre- vingt   à  cent  millions. 

H.  AuKENs  (de  Gœttingue )  ]. 

BRAHMANES,  BRAHMES  ou  BRA.MINES,  en  hindou 
Bnihmana ,  c'est-à-dire ,  fils  de  Brahma,  di\ins.  C'est  amsl 
que  les  Hindous  désignent  leurs  théologiens.  Ils  forment  la 
première  des  quatre  castes  héréditaires  de  l'Inde.  Leur  mis- 
sion est  de  conserver  dans  tonte  sa  pureté  la  religion  de 
Brahma.  Dès  lors  leur  devoir  est  d'étudier  les  Védas ,  de 
veiller  aux  sacrifices  et  au  culte  des  temples.  Ils  doivent 
aussi  servir  de  conseillers  aux  princes  et  d'assesseurs  à  la 
justice,  enfin  consoler  comme  médecins  l'humanité  souf- 
frante. Les  lois  anciennes  des  Hindous  exaltent  avec  les  ex- 
pressions les  plus  enthousiastes  leur  sainteté  et  leur  invio- 
labilité; et  la  tradition  indienne  explique  leur  dignité  en 
disant  que  cette  caste  est  sortie  de  la  tête  de  Brahma,  tandis 
que  les  trois  autres,  celles  des  guerriers,  des  bourgeois  et 
des  serviteurs ,  sont  issues  des  parties  inférieures  de  son 
corps.  A[)rès  avoir  été  reçu  membre  de  sa  caste  par  Fim- 
position  solennelle  d'une  bandelette,  le  jeune  Brahmane 
commence  l'étude  des  livres  saints  et  itas&e  brafnnatsc/iâri. 
Dès  qu'il  atteint  l'âge  de  puberté,  il  est  tenu  de  se  marier  et 
de  fonder  un  ménage  en  qualité  de  grihastà.  Lorsqu'il  lui 
est  né  un  fils  et  qu'il  l'a  élevé  sous  ses  propres  yeux  jusqu'à 
l'âge  (le  l'adolescence  pour  le  préparer  à  sa  sainte  vocation, 
son  devoir  est  de  fuir  désormais  le  monde  et  de  se  retirer 
en  qualité  de  Vanapraslhâ  dans  la  solitude  de  quelque 
forêt  pour  s'y  livrer  à  des  méditations  sur  la  Divinité,  jusqu'à 


ce  que,  purifié  de  tout  élément  terrestre,  il  parvienne  à  la 
contemplation  de  Dieu  et  s'en  retourne  être  pur,  comme 
Sannyasi,  à  la  source  primitive  de  toute  existence. 

Aujourd'hui  encore  les  Braminesjouissent  dans  l'Inde  d'une 
extrême  considération,  et  remplissent  des  emplois  importants 
à  la  cour  des  différents  princes.  Cependant  il  en  est  aussi 
beaucoup  parmi  eux  qui  vivent  dans  l'indigence  et  sont 
obligés  d'embrasser  des  industries  qui  ne  répondent  guère 
à  leur  vocation  originelle. 

BRAHMANISME,  religion  de  Brahma. 

BRAHMAPOUTRA,  grand  fieuve  d'Asie,  rival  et 
affluent  du  Gange,  avec  les  eaux  sacrées  duquel  il  vient 
confondre  les  siennes ,  au  sud  de  Dakka ,  dans  un  de  ses 
principaux  embranchements,  un  peu  avant  qu'il  aille  par 
mille  embouchures  diverses  se  jeter  dans  le  golfe  du  Ben- 
gale.  On  ne  connaît  pas  encore,  à  la  vérité,  le  point  précis 
où  son  cours  supérieur  se  rattache  à  son  cours  inférieur  ;  mais 
ce  qu'il  y  a  de  plus  vraisemblable,  c'est  qu'il  se  confond  avec 
le  Dsang-bo-Tsiou  du  Thibet,  dont  les  sources  sont  situées 
au  nord  de  l'Himalaya,  à  l'est  du  lac  Manasa,  non  loin  de 
celles  de  l'Indus.  On  peut  en  inférer  que  dans  son  par- 
cours le  Brahmapoutra  se  divise  en  trois  grands  embran- 
chements :  1°  le  Brahmapoutra  supérieur,  sous  le  nom 
de  Dsang-bo-ïsiou,  qui  arrose  le  plateau  du  Thibet,  et  côtoie 
les  contre-forts  septentrionaux  de  l'Himalaya  dans  la  direc- 
tion de  l'ouest  à  l'est  pendant  l'espace  de  200  myriamèlrcs  ; 
2°  son  cours  central ,  à  travers  l'Assam ,  de  l'est  à  l'ouest , 
pendant  un  espace  de  75  myriamètres,  sous  le  nom  tantôt 
de  Brahmapoutra,  tantôt  de  Lohitiya,  c'est-à-dire  fieuve 
rouge,  ^orj-Zo/ri^,  c'est-à-dire  vieux  fleuve,  ou  âejleicve 
supérieur  de  l'Assam;3''le  Brahmapoutrain/érieur, àoiit 
le  cours  se  prolonge  sur  un  espace  de  50  myriamètres  en 
tiaversant  la  vallée  du  Bengale  dans  la  direction  du  nord  au 
sud,  sous  la  dénomination  de  Meyna.  Ce  n'est  que  par  les 
renseignements  recueillis  après  la  guerre  des  Birmans,  dans 
les  années  1825  et  1826,  qu'on  a  acquis  des  notions  un  peu 
précises  sur  son  cours  central. 

Trois  grandes  rivières,  le  Dihong,  le  Dibong  et  le  Lohit 
confondent  leurs  eaux  au-dessous  de  Sodiya,  par  27"  50'  de 
latitude  septentrionale  et  90°  30'  de  longitude  orientale,  avec 
celles  du  Brahmapoutra,  qui  traverse  alors  l'Assam  jusqu'à 
Goalpara.  De  ces  trois  rivières,  le  Lohit  est  la  mieux  connue 
et  celle  qui  remonte  le  plus  au  nord-est.  11  s'appelle  dans 
son  cours  supérieur  ra/owAa,  prend  sa  source  dans  les 
montagnes  couvertes  de  neige  dites  Doung-Djou-Gangri , 
dernier  prolongement  de  l'Himalaya  à  l'est,  et  ne  tarde  pas 
à  se  réunir  au  Talouding,  qui  vient  de  l'est.  Après  avoir  re- 
cueilli dans  le  pays  des  Mismis,  à  gauche,  \eGouloum-Ti 
elle  Lat-Ti,  et  s'être  frayé  plus  loin  un  passage  à  travers 
les  chaînes  élevées  de  Langtân,  où  il  forme  une  profonde  et 
sauvage  vallée,  il  reçoit  pour  la  première  fois  le  nom  sacré 
de  Brahmapoutra,  c'est-à-dire ^Zst/e  Brahma.  C'est  à  ce 
point  que  s'élèvent  au-dessus  du  bassin  sacré,  désigné  sous  le 
nom  de  Brahma-Kand,  les  infranchissables  crêtes  du  Deo- 
Bori ,  c'est-à-dire  demeure  de  la  Divinité,  et,  au  sud,  le  pic 
Dupha-Boum  des  monts  Langtân ,  qui  atteint  une  élévation 
de  4548  mètres.  A  l'ouest  s'ouvre  la  vallée. 

Le  fieuve  se  divise  encore,  en  avant  de  Sodiya  et  en  en- 
tourant les  plaines  de  Soukato,  en  Bar i- Lohit  du  nord  et  en 
So2fkato-méridional,  rivière  dont  des  cataractes  et  des 
rapides  rendent  la  navigation  extrêmement  difficile.  Le 
Brahmapoutra  entre  alors  dans  le  pays  d'Assam  et  reçoit 
encore,  au-dessus  de  Sodiya,  le  Tenga-Pani  elle  Noh-Di- 
hing  venant  du  pays  de  Sinhphos,  et  sur  sa  rive  droite  la 
Kundil-Pani ,  sur  les  bords  duquel  est  construite  Sodiyn, 
résidence  du  gouverneur  de  l'Assam  supérieur.  Au-dessous 
de  cette  ville  il  se  réunit  à  l'embranchement  le  plus  occi- 
dental du  Diliong,  l'embranchement  central  du  Dibong  pré- 
sentant une  masse  d'eau  deux  fois  plus  considérable  que  Iq 
Lohit.  Le  cours  inférieur  du   Brahmapoutra  dans  la  valléa 


CIO 


BRAHMAPOUTRE  —  BRAMANTE 


du  Bengale  commence  au-dessous  de  Goalpara,  et,  après  avoir 
contourné  les  monts  Garrows,  il  forme  déjà  au-dessus  de 
Siiirpour  une  multitude  d'embranchements  qui  se  dévelop- 
pent de  la  manière  la  plus  capricieuse  dans  une  contrée  af- 
fectant la  forme  d'un  delta ,  sujette  dès  lors  aux  inondations 
et  ayant  de  nombreuses  communications  avec  le  Gange.  La 
Megna ,  qui  avait  toujours  été  jadis  le  plus  grand  des  cou- 
rants [lar  lesquels  s'éciiapnait  cette  prodigieuse  quantité 
d'eau,  se  rétrécit  et  dinunue  maintenant  visiblement  de 
profondeur,  de  sorte  que  du  mois  de  décembre  au  mois  de 
juin  la  navigation  y  devient  toujours  plus  difficile  au-dessus 
deDakka;  tandis  qu'à  partir  de  Shirpour,  le  Icnèyc,  l'un 
des  déversoirs  du  Gange ,  arrive  à  prendre  chaque  année 
plus  d'ampleur  et  ne  tardera  pas  à  constituer  l'embranche- 
ment le  plus  considérable  du  Brahmapoutra. 

De  même  que  le  Gange  est  adoré  par  les  Hindous  sous  la 
forme  féminine,  le  Brahmapoutra  l'est  sous  la  forme  mascu- 
line, en  sa  qualité  de  fils  de  Brahma,  de  la  bouche  duquel 
il  soit,  dit-on.  L'Hindou  va  en  pèlerinage  à  ses  sources,  le  Tlii- 
liélain  à  ses  cmboucluKes;  et  là  où  les  deux  fleuves  confon- 
dent leurs  eaux,  s'dève  dans  l'île  de  Ganga-Sagar,  l'une 
des  pagodes  les  plus  vénérrîes  qu'il  y  ait  dans  toute  l'Inde. 

BRAIIMES.  Votjez  Brahmanes. 

BRAIIOUIS  ou  CRAHOUÉS,  Voyez  Béloudjistan. 

BRAl.  Le  braï  proprement  dit,  ou  brai  sec,  qu'on  ap- 
lielle  encore  fl/"c«?!.>;o?!,  est  le  résidu  que  laisse  la  térében- 
thine traitée  par  la  distillation  pour  en  extraire  l'huile 
volatile  dite  essence  de  térébenthine  dans  le  commerce.  La 
colophane,  avant  sa  purification  ,  n'est  elle-même  autre 
chose  que  le  brai  sec.  100  parties  pondérables  de  térében- 
thine de  France  donnent  assez  communément  de  12  à  15  par- 
ties d'essence  volatile,  et  de  85  à  88  parties  de  brai  sec  ou  co- 
lopiiane  brute ,  plus  ou  moins  charbonnée. 

On  a  assez  improprement  imposé  le  nom  de  brai  gras  à 
un  mélange  artiliciel,  composé  de  parties  égales  en  poids, 
de  goudron ,  de  brai  sec  et  de  poix  grasse.  Ce  mélange 
s'obtient  de  la  manière  suivante  :  on  fait  préalablement 
chaufler  le  goudron  dans  un  vase  en  fonte  de  fer  ;  on  y  ajoute 
la  poix  grasse  par  portions ,  et,  lorsque  ces  deux  premières 
.substances  sont  bien  incorporées  et  Ikiuéfiées,  on  finit  par  la 
])rojection  du  brai  sec  réduit  en  poudre  grossière  ou  en  pe- 
tits fragments.  Le  tout  fond  ensemble,  s'incorpore,  et  qiiaiid 
la  masse  paraît  bien  homogène,  on  la  coule  dans  des  ton- 
neaux ou  autres  moules ,  pour  la  livrer  au  commerce.  Une 
plus  grande  proportion  de  brai  sec  dans  ce  mélange  consti- 
tue ce  qu'on  appelle  poix  bâtarde.  Pelouze  père. 

BRAIE,  FAUSSE-BRAIE  (forii/îca^jon).  Voy.  Fausse- 

BRAIE. 

BRAIES,  BRAGES  ou  BRAGUES,  vieux  mots  qui  si- 
gnifiaient également  autrefois  ce  que  l'on  a  depuis  nommé 
haut-de-chausses,  puis  culotte,  c'est-à-dire  un 
^vêtement  propre  à  couvrir  le  corps  depuis  la  ceinture  jus- 
qu'aux genoux,  et  d'où  la  Gaule  narbonnaise  avait  été  ap- 
pelée jadis  Braccata  et  ses  habitants  Braccati.  De 
bragues  ou  brages  est  venu  le  mot  grègves,  pris  dans  la 
môme  acception,  et  l'on  a  donné  le  nom  de  braguette 
ou  brayette  à  l'ouverture  pratiquée  sur  le  devant  de  ce  vê- 
tement. 

Quoique  l'usage  des  braies  fût  établi  à  Rome  dès  le  temps 
d'Auguste ,  Tacite  l'appelle  une  sorte  de  vêtement  barbare , 
parce  qu'il  venait  des  Gètes,  des  Sarmates,  des  Germains  et 
des  Gaulois,  d'où  il  a  passé  chez  nous,  ainsi  que  chez  les  au- 
tres peuples  modernes.  Les  habitants  de  THelvétie  et  de  la 
Bretagne ,  moins  sujets  que  les  autres  Gaulois  aux  invasions 
des  peuples  étrangers  et,  par  conséquent,  aux  bouleversements 
qui  les  suivent,  n'ont  pas  encore  quitté  l'usage  des  braies. 
Le  gros  de  la  nation  gauloise  les  conserva  même  après  la  con- 
(piête  des  Francs.  Charlemagne,  fidèle  au  vêlement  de  ses  an- 
cêtres, disait  avec  humeur  à  ses  Francs  :  «  Voilà  nos  hommes 
libres  qui  prennent  les  habits  du  peuple  qu'ils  ont  vaincu.  >. 


Braie  se  dit  encore,  sur  mer,  d'une  enveloppe  de  cuir  ou 
de  toile  cirée,  dont  on  entoure  le  pied  du  mât,  ou  l'ouver- 
ture par  où  passe  la  barre  du  gouvernail ,  afin  d'empêcher 
que  l'ean  ne  pénètre  à  fond  de  cale  par  ce  passage. 

BRAÏLOW,  BRAILA  ou  encore  IBRAIL,  après  Giur- 
gewo,  la  forteresse  la  plus  importante  delà  Valachie,  sur 
la  rive  septentrionale  du  Danube,  est  bâtie  à  l'embouchure 
du  Sireth  dans  le  Danube,  lequel  se  partage  là  en  six  bras 
qui  entourent  un  territoire  resté  neutre  entre  les  Russes  et 
les  Turcs.  L'un  de  ces  bras  forme  le  port  de  la  ville,  dont  la 
population  selève  à  18,000  habitants.  On  exporte  de  Braïlow 
de  grandes  quantités  de  blé  de  la  Valachie  pour  Constanti- 
nople  ;  et  la  pêche  des  esturgeons  dans  la  mer  Noire  y  est 
aussi  un  élément  très-actif  de  prospérité.  Pendant  les  guerres 
du  siècle  dernier  contre  la  Turquie,  Drailow  fut  assiégée  et 
prise  plusieurs  fois  par  les  Russes ,  qui  la  livrèrent  aux 
flammes  en  1770.  Restituée  aux  Turcs  en  1774  par  le  traité 
de  paix  de  Kaïnardji,  elle  fut  alors  fortifiée  à  l'européenne. 
Dans  la  dernière  guerre  entre  la  Russie  et  la  Turquie, 
Braïlow  succomba  encore,  en  l.?28,  après  une  vigoureuse 
résistance  ;  mais  la  paix  d'AndrinopIe  la  rendit  de  nouveau 
aux  Turcs. 

BRAIRE  ou  BRAI!\IENT  se  dit,  par  onomatopée,  du 
son  que  fait  entendre  l'âne  lorsqu'il  crie,  et  cette  action  est 
indiquée  elle-même  par  le  verbe  braire,  qui,  par  extension, 
s'applique  aux  accents  humains  lorsqu'ils  proviennent  d'une 
voix  rauque,  dure  et  désagréable;  d'où  sont  venus  également 
les  mots  brailler,  braillard  et  braiUeur,  pris  dans  la 
même  acception ,  et  toujours  en  mauvaise  pai-t. 

BRAKENBURG  (Régnier)  ,  peintre  hollandais,  né  à 
Harlem,  en  1G50,  fut  l'élève  d'Adrien  van  Ostude.  L'exemple 
de  son  maître  et  son  propre  goût  pour  le  plaisir  le  portèrent  à 
peindre  des  scènes  de  genre,  pleines  de  gaieté  et  empruntées 
généralement  aux  mœurs  du  peuple.  Ses  tableaux  se  dis- 
tinguent par  une  exécution  soignée  comme  par  la  fraîcheur 
et  la  vigueur  du  coloris.  Il  a  été  moins  heureux  dans  le  des- 
sin. Il  travailla  longtemps  dans  la  Frise,  et  mourut  à  Har- 
lem, en  1702. 

BRAMANTE,  dont  le  véritable  nom  était  Donato  La- 
zARRi,  né  en  1444,  à  Monte-Asdroaldo ,  dans  le  duché  d'Ur- 
bino ,  fut  l'un  des  architectes  les  plus  célèbres  qu'ait  produits 
l'Italie,  et  en  même  temps  peintre  distingué.  Destiné  par 
son  pèreà  la  peinture,  mais  passionné  pour  l'art  de  Brunel- 
I  e s  c  bi,  il  alla  d'abord  en  Lombardie  admirer  le  fameux  dôme 
de  Milan ,  étudia  les  règles  de  la  perspective  et  les  mesures 
de  l'antiquité  sur  les  dessins  des  plus  habiles  architectes. do 
son  siècle,  et  partit  enfin  pour  Rome  et  pour  Naples,  qui  lui 
promettaient  de  plus  grands  modèles.  L'architecture  privée, 
dont  le  luxe  est  si  facile  et  si  naturel  aux  Italiens,  commença 
cette  réputation  que  devait  achever  la  basilique  de  Saint- 
Pierre,  et  le  génie  de  Bramante  rencontra  celui  du  pape 
Jules  I  T.  L'ingénieux  architecte,  chargé  d'abord  de  joindre 
le  Belvédère  au  Vatican,  dont  il  était  séparé  par  un  petit  val- 
lon, entoura  ce  vallon  de  galeries  magnifiques,  et  l'on  admira 
surfout  dans  cet  édifice  un  escalier  en  spirale,  décoré  des 
trois  ordres  grecs,  par  lequel  un  cavalier  eût  pu  facilement 
monter.  Ces  travaux,  exécutés  avec  tant  de  promptitude, 
compromirent  la  solidité  du  Vatican,  qui  bientôt  menaça 
ruine;  aussi  plus  tard,  par  un  excès  de  prudence.  Sixte  V 
fit-il  détruire  les  ouvrages  encore  imparfaits  de  Jules  II. 

Devenu  scelleur  de  la  chancellerie  pour  prix  de  ses  ser- 
vices, inventeur  d'ime  machine  pour  sceller  les  bulle?,  ingé- 
nieur dans  la  guerre  de  laMir^ndole,  Bramante  entreprit  enfin 
la  basilique  de  Saint-Pierre,  cette  grande  épopée  architecto- 
nique,  comme  ditGœthe,  finie  par  Raphaël  et  Julien  de  San- 
Galio,  Péruzzi  et  Michel-Ange.  Dès  que  Jules  II  eut  résolu 
d'abattre  l'ancienne  égli.se  et  d'en  élever  une  qui  fût  dignu 
de  la  cni)itale  du  monde  chrétien,  Bramante  lui  soumit  plu- 
sieurs plans,  et  se  mit  en  devoir  d'exécuter  avec  sa  prompti- 
tude ordinaire  le  plan  de  l'église  aux  deux  clochers,  qui  fut 


BRAMANTE  ~  BRANCHE 


641 


adopté  tel  qui  fut  représenté  par  Corodasso  sur  l'une  des 
inéilailles  frappées  en  son  honneur  sous  les  pontificats  de 
Jules  II  et  de  Léon  X.  Il  parait  que  Timpaticnce  du  pape 
égala  celle  de  l'architecte,  car  la  notivelle  église,  dont  les 
premiers  travaux  de  fondation  datent  de  1506 ,  fut  élevée  jus- 
qu'à l'entablement  avant  la  mort  de  Jules  II  et  de  Bramante 
(1514).  Riais  pour  un  pareil  ouvrage  ce  n'était  pas  trop  d'un 
siècle  et  de  Mie  bel -Ange;  d'ailleurs,  les  plans  primitifs  en 
furent  singulièrement  modifiés.  On  a  justement  reproché  au 
Bramojite  d'avoir,  dans  sa  précipitation  à  renverser  l'an- 
cienne basilique ,  anéanti  de  curieux  monuments,  des  colon- 
nes, des  tombeaux  de  papes,  des  mosaïques  ,  des  peintures. 

On  a  conservé  de  lui  quelques  tableaux,  finit  de  ses  pre- 
mières études  en  peinture  ;  on  lui  attribue  quelques  fresques 
dans  le  Milanais,  et  l'on  cite,  parmi  ses  nombreux  travaux 
avant  la  construction  de  la  basilique,  le  cloître  des  pères  de 
la  Paix,  la  fontaine  de  Transtevère,  celle  de  la  place  Saint- 
Pierre,  le  palais  de  la  chancellerie  et  le  palais  Giraud  (au- 
jourd'hui Torlonia).  Il  (it  élever  après  la  basilique  le  palais 
qui  appartint  à  Raphaël  d'Urbin,  dont  les  colonnes  sont  d'un 
seul  jet  et  de  briques  mêlées.  En  1756  on  a  retrouvé  dans  la 
bibliothèque  de  Milan,  et  imprimé  la  môme  année,  ses  ou- 
Trages  sur  l'architecture,  sur  la  pei*spective  et  sur  la  struc- 
ture du  corps  humain. 

Bramante  mourut  en  1514,  âgé  de  soixante-dix  ans,  pleuré 
dé  tous  les  artistes  qui  avaient  connu  son  obligeance,  sa  gaieté, 
et  sa  bienveillance  pour  le  mérite.  Il  n'avait  jamais  éprouvé 
cettt;  sombre  jalousie  des  artistes  italiens,  si  fougueuse  dans 
Michel-Ange;  il  fit  venir  à  Rome,  il  entretint  pendant 
quelque  temps  et  il  fit  connaître  à  Jules  II  le  fameux  Raphaël 
d'Urbin,  son  élève  en  architecture,  qui  plaça  le  portrait 
de  son  maître  au  Vatican,  dans  l'École  d'Athènes.  Son  élève 
favori  fut  Barthélemi  Suardi,  dit  iZ  liramantino,  qui  lit  à 
fresque  des  portraits  si  beaux  ,  que  Grovio  demanda  la  per- 
mission de  les  copier  avant  ([u'ils  fissent  place  dans  le  Vatican 
aux  fresques  de  Raphaël.  Bramantino  est  l'auteur  du  Saint- 
Michel  qu'on  admire  à  Milan  dans  la  galerie  IMelzi,  et  il  a  bâti 
l'église  Saint-Safyre  dans  la  même  ville.    T.  Tocssenel. 

BRAMANTIIXO  (11).  Voyez  Bramante. 

BRAMER,  se  dit,  par  onomatopée,  du  cri  de  plusieurs 
animaux,  plus  particulièrement  de  celui  du  cerf,  et  a  pour 
origine  le  verbe  grec  PpsjjLetv,  frémir,  rugir,  dont  les  Italiens 
ont  fait  leur  verbe  bramare,  par  lequel  ils  expriment  aussi 
l'action  de  braire.  JîrajJter  a  été  employé  autrefois  dans 
l'acception  du  cri  humain. 

BRA5IL\ES,  BRAMLXS  ou  BRAMES.  Voy.  Brahmanes. 

BRANCARD,  espèce  de  civière  à  bras  et  à  pieds,  sur 
laquelle  on  transporte  un  malade  couché ,  ou  des  nicubles , 
des  objets  fragiles,  etc. 

Le  brancard  était  autrefois  une  marque  d'honneur  et  de 
distinction  qui  n'appartenait  qu'à  la  noblesse,  dont  les  mem- 
bres avaient  seuls  le  droit  de  se  faire  porter  à  l'église  le 
jour  de  leurs  noces,  sur  un  brancard,  avec  un  fagot  d'épines 
et  de  genièvre. 

Les  brancards  d'une  voiture  à  timon  et  à  quatre  roues 
sont  les  deux  pièces  de  bois,  droites  et  courbées,  qui  joi- 
gnent le  train  de  derrière  à  celui  de  devant.  Dans  les  voi- 
tures à  deux  roues  et  charrettes,  on  nomme  brancards  les 
deux  pièces  de  bois  qui  se  prolongent  en  avant  et  entre  les- 
quelles est  placé  le  cheval. 

BRAIVCAS  (Famille  de).  La  maison  de  Brancas  est 
originaire  du  royaume  de  Kaples,  oii  elle  figurait  parmi  les 
plus  illustres  dès  le  douzième  siècle,  sous  le  nom  de  Bran- 
caccio.  Les  fables  qui  entourent  le  berceau  de  toutes  les  an- 
ciennes races  n'ont  pas  manqué  à  celle-ci.  Plusieurs  légendes 
et  chroniques  pieuses  racontent  naïvement  que  les  saintes 
Candide  si  révérées  à  Napleset  martyrisées  l'an  73  de  notre 
ère  étaient  des  rejetons  de  la  maison  de  Brancaccio.  Cette 
tradition  a  valu  aux  aînés  de  la  famille  le  nom  de  premier 
gentilhomme   chrétien. 

DICT.    DE   I.A   CONVEIIS.   —  T.    III. 


Basile  de  Brancas  fut  le  premier  qui  vint  s'éfnWir  en 
France  sous  Charles  VII,  par  attachement  pour  la  seconde 
maison  d'Anjou.  Lorsque  cette  maison  fut  obligée  de  quitter 
l'Italie,  Branc;as  la  suivit  en  Provence,  où  ses  services  furent 
récompensés  par  plusieurs  grands  fiefs,  tels  que  la  ba- 
ronnie  d'Oyse ,  le  marquisat  de  Villars  et  le  comté  de  Lau- 
raguais. 

Son  petit-fils,  Barthélémy,  épousa  une  fille  du  comte  de 
Forcalquier,  dont  les  Brancas  prirent  quelquefois  le  titre. 
La  posSérité  de  Barthélémy  se  divisa  en  deux  branches  piin- 
cijiales.  L'aince  prenait  alternativement  le  nom  de  Forcat- 
quier-Brancas  et  de  Céresle,  avec  le  titre  de  duc  et  de 
grand  d'Espagne;  à  la  cadette  appartenaient  les  noms  de  Lau- 
raguais  et  de  Villars. 

Louis,  marquis  deCéreste,  de  la  branche  aînée,  servit 
honorablement  sur  terre  et  sur  mer,  sons  Louis  XIV  et 
Louis  XV.  Il  était  entré  au  service  en  1690,  et  ne  le  quitta 
que  pour  exercer  à  deux  reprises  les  fonctions  d'ambassa- 
deur à  la  cour  de  Madrid.  Il  fut  créé  chevalier  des  Ordres  du 
roi  en  1724,  grand  d'Espagne  en  1730,  et  maréchal  de  France 
en  1741. 

Louis-Paul  DE  Brancas,  fils  du  précédent,  titré  duc  de 
Céreste  en  1785,  mourut  pendant  la  révolution  française. 
C'était  le  dernier  rejeton  de  la  branche  aînée. 

André  de  Brancas,  dit  Vamiral  de  Villars,  issu  de  la 
branche  cadette ,  se  jeta  dans  le  parti  de  la  Ligue  et  des 
Espagnols,  et  songea,  si  l'on  en  croit  le  président  llénault, 
à  se  faire  de  la  Normandie  une  seigneurie  indépendante.  Il 
se  maintint  dans  Rouen  longtemps  après  l'abjuration  de 
Henri  IV,  et  ne  se  soumit,  comme  tous  les  grands  chefs  ca- 
tholiques, qu'en  faisant  ses  conditions.  Les  négociations  de 
Sully  le  rattachèrent  à  la  cause  de  la  France  ;  mais  il  tomba, 
au  siège  de  Poullens,  dans  les  mains  des  Espagnols,  qui  le 
massacrèrent  de  sang-froid  pour  se  venger  de  sa  défection. 

Georges  de  Brancas,  frère  puîné  de  l'amiral  et  gouver- 
neur du  Havre,  obtint,  en  récompense  de  ses  senices,  l'é- 
rection du  marquisat  de  Villars  en  duché-pairie  par  Uttres 
de  1 626,  qui  ne  furent  définitivement  enregistrées  au  parle- 
ment de  Paris  qu'en  1712.  Il  ne  faut  pas  confondre  ce  du- 
ché avec  celui  qui  fut  érigé  en  faveur  du  maréchal  de  Vil- 
lars, issu  d'une  famille  d'échevinage  de  Lyon. 

Louis-Léon,  duc  de  BK.\i\CAS-LAnRACUAis,  pair  de  France, 
auteur  de  plusieurs  ouvrages  en  vers  et  en  prose,  mourut 
en  1824;  il  eut  pour  successeur  à  la  pairie  son  neveu,  le 
comte,  depuis  duc  de  Brancas,  qui  n'a  eu  que  deux  filles. 
En  lui  s'éteint  la  branche  cadette;  la  grandesse  passera 
à  la  ligne  italienne. 

BRANCHE,  division  du  tronc  d'un  arbre,  subdivi,<;ée 
ordinairement  elle-même  en  rameaux.  Ce  mot  vient  <lu 
latin  branca,  formé  de  bracliium,  parce  que  les  branches 
sont  comme  les  bras  des  arbres. 

Toutes  les  parties  qui  concourent  à  former  le  tronc,  dit 
l'abbé  Rozier,  se  retrouvent  dans  la  branche.  Ainsi,  on  y 
remarque,  au  centre ,  un  filet  de  moelle  proportionné  à  la 
grosseur  et  à  l'âge  de  la  branche,  le  bois  proprement  dit, 
composé  de  fibres  et  de  vaisseaux  ;  une  espèce  d'aubier,  sur- 
tout dans  les  grosses  branches;  des  couches  corticales,  en- 
fin un  épiderme.  Comme  le  tronc,  la  branche  a  ses  yeux, 
ses  boutons,  ses  bourgeons,  ses  feuilles,  et,  de  plus  que  le 
tronc  proprement  dit,  les  fleurs  et  les  fruits,  que  les 
branches  paraissent  directement  destinées  à  produire. 
Quelques  arbres  seuls  font  exception  à  cette  loi  générale  , 
le  .'^aînier,  par  exemple,  sur  le  tronc  duquel  naissent, 
ainsi  que  sur  les  branches,  des  bou<iuets  de  lleurs  auxquels 
succèdent  les  fruits  ou  graines.  La  branche  est  donc 
un  petit  arbre  dont  toutes  les  parties  sont  développ-^es, 
enté  sur  un  plus  gros,  qui  lui  founiit  une  partie  de  sa 
nourriture ,  la  sève  ascendante  ou  terrestre.  Ajoutons  en- 
core, pour  compléter  l'analogie,  que  les  branches  sont  sus- 
ceptibles de  pousser  des  racines  quand  on  les  plante  «a 

81 


643 


BRANCHE  —  BRANCHIE 


terre  («oycs  Bouture).  Mais,  en  raison  de  la  place  qu'elles 
occiipeut ,  elles  n'en  ont  pas  besoin;  et  les  fibres,  tant  li- 
gneuses que  corticales,  par  lesquelles  elles  sont  implantées 
dans  la  tige  leur  en  tiennent  lieu  et  leur  rendent  le  même 
service. 

De  même  que  les  b  o u  r  g e  o  n  s ,  dont  elles  proviennent,  les 
brancbes  ont  élé  divisées  par  les  jardiniers  en  branches  à 
bois  (qui  ne  portent  que  des  feuilles)  et  en  branches  à 
fruits. 

Le  mot  branche  s'emploie  aussi ,  par  analogie ,  dans  une 
foule  d'acceptions  :  on  dit  une  bronche  de  corail,  les  bran- 
ches d'un  chandelier,  d'une  balance,  etc.;  on  appelle  éga- 
lement ainsi,  en  analomie,  les  rameaux  qui  sortent  d'une 
grosse  veine,  et  particulièrement  de  la  veine-cave  ;  en  termes 
de  chasseur,  les  branches  sont  les  deux  parties  du  bois  d'un 
cerf;  en  termes  d'équitalion ,  ce  sont  les  deux  pièces  de  fer 
qui  tiennent  au  mors  d'un  cheval,  et  où  la  bride  est  attachée; 
en  termes  d'architecture,  les  arcs  des  voûtes,  des  ogives,  etc.  ; 
en  termes  de  géométrie,  les  branches  infinies  des  courbes 
sont  les  parties  qui  s'étendent  à  l'infini  :  telles  sont  les  bran- 
ches infinies  de  l'hyperbole  et  de  la  parabole. 

Enfin,  on  applique  la  même  expression  aux  familles  diffé- 
rentes qui  sortent  d'une  source  commune ,  et  que  l'on  dis- 
tingue en  branche  ainée  ou  branche  cadette,  branche 
masculine  ou  branche  féminine. 

Chez  les  anciens,  la  branche  des  suppliants  était  un 
rameau  d'olivier  sacré,  environné  de  bandelettes  de  laine 
blanciie.  Thésée,  avant  de  partir  pour  l'île  de  Crète,  où  il 
allait  conduire  les  enfants  des  Athéniens  que  le  sort  avait 
destinés  à  être  dévorés  par  le  Minotaure,  se  rendit  au  temple 
de  Delphes,  et  y  offrit  pour  eux  à  Apollon  cette  branche  des 
suppliants. 

Au  figuré,  être  comme  l'oiseau  sur  la  branche,  c'est  être 
dans  une  position  incertaine  et  précaire. 

BRAA'CïlELLIOiV,  nom  donné  par  M.  Savigni  à  un 
genre  d'annélidcs,  ou  vers  à  sang  rouge,  rangés  parmi  les 
animaux  parasites  et  pourvus  d'appendices  saillants  qu'on  a 
pris  pour  des  branchies.  De  Biainville,  de  son  coté, 
leur  applique  celui  de  branchiobdelle  (de  ^çiyyj.a,  bran- 
chies, et  p5£X),a,  sangf^ue),  parce  que  ces  animaux  sucent 
le  sang  de  certains  poissons;  et  ce  dernier  nom  a  été  donné 
aussi  par  M.  Auguste  Odier  à  une  annélide  qu'il  a  observée 
sur  les  branchies  de  l'écrevisse. 

BRAi\CllE-URSL\E  ou  BRANC-URSINE,  nom  vul- 
gaire de  l'acanthe  sans  épines  {acanthus  mollis). 

On  donne  le  nom  défausse  branche-ursine  à  une  espèce 
de  berce. 

BRANCIIIAL.  Ce  terme  d'anatomie  et  de  zoologie  si- 
gnifieçMJ  a  trait  aux  branchies.  Toutes  les  parties  qui 
entrent  dans  la  composition  d'une  branchie  sont  suscep- 
tibles d'être  spécifiées  par  cette  épithète  :  tels  sont  les 
vaisseaux  et  les  nerfs  branchiaux,  les  arcs  osseux  ou 
cartilagineux  branchiaux.  Les  parties  qui  meuvent  les 
pièces  solides  en  forme  d'arcs  sur  lesquelles  se  ramifient  ces 
vaisseaux  et  ces  neris  sont  aussi  désignées  sous  le  nom 
de  muscles  branchiaux.  Lorsqu'on  groupe  naturellement 
toutes  les  parties  qui  concourent  au  fonctionnement  de  la 
respiration  aquatique  effectuée  par  les  branchies,  on  forme 
Y  appareil  branchial.  Cet  appareil  comprend,  l°les  parties 
qui  attirent  et  servent  à  l'intioduction  de  l'eau  aérée  pour 
ce  genre  de  respiration  ;  2°  celles  où  se  fait  l'absorption  de 
l'oxygène  de  l'air  contenu  dans  l'eau  ,  et  3"  celles  par  le  mé- 
canisme desquelles  l'eau  qui  a  servi  à  la  respiration  est  ex- 
pulsée. En  outre  de  ce  mécanisme  pour  admettre  et  rejeter 
l'eau  nécessaire  à  la  respiration  branciiiale,  les  parties  qui 
l'exécutent  agissent  encore  comme  organes  protecteurs  de 
la  partie  essentielle  de  l'appareil ,  qui  est  la  branchie  pro- 
|>rementdite.  Ces  parties  protectrices  prennent  alors  les  noms 
d'operc«/es,  Aq  pièces  branchiostéges.  Les  ouver- 
tures par  lesquelles  sort  l'eau  qui  a  été  en  contact  avec  les 


branchies  prennent  les  noms  de  trous  branchiaux  ou  de 
fentes  branchiales. 

Les  pièces  osseuses  ou  cartilagineuses  qui  forment  lai 
charpente  branchiale  des  poissons  étant  très-nombreuses,] 
on  les  a  distinguées  en  médianes,  dont  la  série  constitue 
une  sorte  de  sternum  branchial,  et  en  latérales,  qui  sont] 
les  rayons,  arcs  ou  cerceaux  branchiaux,  qu'il  ne  (^aut  pas] 
confondre  avec  les  côtes  branchiales.         L.  Lauhent. 

BRAIVCIIIALE.  Parmi  les  poissons  du  sous-genre] 
ammocète,  de  la  famille  des  suceurs  de  Cuvier,  se  trouve  une 
espèce  qui  porte  les  noms  de  pétromyzon  branchialis 
(voyez  LxHrnoiE)  et  de  branchiale,  parce  qu'elle  suce,! 
dit-on,  le  sang  des  branchies  des  autres  poissons.  C'est  cette! 
espèce  qu'on  appelle  communément  5pp/  œils.  Elle  s'enfonce 
dans  le  sable,  et  y  respire  en  attirant  l'eau  par  un  mécanisme 
particulier.  Elle  est  verte  sur  le  dos,  et  blanche  sous  le  ven- 
tre. Sa  longueur  est  d'environ  quinze  centimètres.  Elle  est 
d'un  goût  agréable  ;  mais  sa  foime,  ressemblant  à  celle  d'un 
ver,  en  dégoûte  les  personnes  délicates.  On  la  nomme  encore 
lamprillon ,  lamproyon ,  chatouille,  et  quelquefois  aussi 
civelle,  dénomination  qui  est  |ilus  souvent  employée  sur  les 
bords  de  la  Loire  pour  désigner  les  jeunes  anguilles. 

BRANCIIIDES,  famille  sacerdotale,  originaire  de 
Milet,  ville  d'ionie,  où  elle  desservait  un  temple  dédié  à 
Apollon.  Ce  temple,  appelé  Didyméon  ,  était  célèbre  dans  le 
monde  païen  par  son  oracle.  Le  dieu  y  était  adoré  comme 
auteur  de  la  lumière  du  jour  et  de  celle  de  la  lune.  Quand 
Xerxès  revint  de  sa  honteuse  expédition  contre  la  Grèce,  les 
Branchides  lui  livrèrent  leur  temple,  dont  les  riches  dé- 
pouilles l'indemnisèrent  des  dépenses  de  son  entreprise.  En 
butte ,  pour  cette  action  ,  aux  ressentiments  de  leurs  com- 
patriotes ,  les  Branchides  abandonnèrent  l'Ionie  pour  se  re- 
tirer dans  la  Sogdiane,  au  delà  de  la  mer  Caspienne,  où  ils 
fondèrent  une  ville  à  laquelle  ils  imposèrent  leur  nom.  Mais 
le  souvenir  de  la  perfidie  sacrilège  dont  ils  s'étaient  souillés 
n'était  pas  encore  éteint  lorsque  Alexandre  aniva  devant 
la  ville  des  Branchides,  poursuivant  Dessus,  qui  venait  d'as- 
sassiner Darius  et  de  se  mettre  à  sa  place  sur  le  trône.  En- 
tourés de  peuples  barbares,  les  Branchides ,  Grecs  d'origine, 
avaient  conservé  les  mœurs  et  le  langage  de  leur  patrie.  Ils 
reçurent  le  conquérant  macédonien  avec  joie,  et  se  livrè- 
rent à  lui  sans  condition.  Celui-ci  avait  dans  son  armée  un 
corps  de  Milésiens  portant  une  haine  héréditaire  aux  Bran- 
chides ;  il  convoqua  les  principaux  chefs,  et  leur  laissa  le 
choix  de  sauver  ou  de  punir  leurs  ennemis.  Mais  ces  der- 
niers n'ayant  pu  s'accorder,  le  monarque  les  renvoya,  en 
disant  qu'il  se  chargeait  lui-môme  de  trancher  la  question. 
En  effet,  il  entra  dans  la  ville  le  lendemain  à  la  tête  de  sa 
phalange ,  suivi  des  Milésiens  et  d'un  corps  de  cavalerie.  Une 
fois  maître  des  points  les  plus  importants,  il  donna  le  signal, 
et  ses  soldats  fondirent  sur  les  habitants,  qu'ils  égorgèrent 
sans  distinction  de  sexe  ni  d'âge.  Le  massacre  accompli,  les 
maisons  furent  détruites,  les  murs  de  la  ville  rasés  dans 
leurs  fondements ,  les  bois  sacrés  abattus  ;  on  arracha  même 
les  racines  des  arbres ,  afin  d'effacer  jusqu'aux  moindres 
traces  sur  cette  terre  vouée  désormais  à  la  stérilité. 

BRANCHIE  (mot  formé  du  grec  ppô^x'»»  dérivé  de 
ppÔYXo; ,  qui  signifie  gosier,  gorge,  parce  que  les  ouïes  des 
poissons  sont  placées  le  plus  souvent  dans  la  région  dési- 
gnée sous  ce  nom  vulgaire  ).  Les  branchies  sont  des  organes 
respiratoires  aquatiques  et  correspondant  aux  poumons,  qui 
sont  les  instruments  de  la  respiration  aérienne.  Leur 
forme  générale  est  celle  d'une  saillie  résultant  d'un  repli  ou 
pincement  de  l'enveloppe  générale  du  corps  ou  peau ,  soit 
inteiTie,  soit  externe.  Quant  aux  formes  spéciales  de  ces  or- 
ganes, elles  sont  si  variées,  si  multipliées,  que  nous  nej 
pourrions  les  énumérer  toutes  ici.  Les  plus  communes  sont! 
celles  de  lames  rayonnées,  ramifiées  ou  non,  celle.'?  de  pa-J 
naclies  et  de  pinceaux.  Leurs  dimensions  varient  aussi  beau-J 
coup,  et  les  rapports  de  ces  dimensions  avec  celles  du  corpsj 


BRANCHIE  —  BRANCHIOPODES 


e4s 


n'ont  point  encore  été  déterminés.  Leur  situation  est  fixe 
dans  les  reptiles  amphibiens  et  dans  les  poissons  ;  elle  est 
variable  dans  les  crustacés ,  dans  les  annélides-  et  les  mol- 
lusques. 

Étudions  les  branchies  dans  la  classe  des  poissons,  où  la 
présence  île  ces  organes  est  un  caractère  constant.  Nous  les 
y  rencontrons  sous  deux  formes,  savoir  :  l"  celle  de  lames  en 
peigne;  2°  celle  de  houppes.  Les  lames  appuient  parleur 
base  sur  la  convexité  des  arcs  branciiiaux,  dont  le  nombre 
est  ordinairement  de  quatre,  quelquefois  cinq,  six  et  même 
sept  de  chaque  côté.  Elles  sont  parcourues  par  les  vaisseaux 
artériels  qui  viennt^t  du  cœur  et  par  les  veines  qui  se  ren- 
dent dans  l'aorte,  et  recouvertes  par  un  prolongement  de 
la  membrane  qui  revêt  l'intérieur  de  la  bouche.  Les  bran- 
chies des  poissons  sont  garanties  du  contact  des  corps  ex- 
térieurs ,  1°  en  dedans  par  des  dentelures  et  des  papules  qui 
hérissent  la  concavité  des  arcs  branchiaux;  2°  en  dehors, 
tantôt  par  un  opercule  et  par  une  membrane  et  un  appareil 
de  pièces  osseuses  branchiostèges,  tantôt  par  la  peau 
externe  seule.  C'est  à  l'aide  des  mouvements  combinés  de 
ses  uiàclioii  es,  de  l'appareil  hyoïdien  (yoyes  Couj ,  des 
arcs  branchiaux  ,  de  l'opercule  et  de  l'appareil  branchio- 
stége,  que  le  poisson  ouvre  et  ferme  alternativement  la 
bouche  et  les  ouïes  pour  renouveler  sans  ces.se  le  liquide 
qui  est  en  contact  avec  ses  branchies,  et  qu'il  établit  un 
courant  d'eau  qui  arrive  par  la  bouche  et  sort  par  les  deux 
grandes  ouvertures  latérales  qu'on  remarque  entre  l'oper- 
cule et  l'épaule.  Ce  sont  ces  ouvertures  que  l'on  connaît 
sous  le  nom  vulgaire  d'ouïes. 

Tel  est  le  mécanisme  général  de  la  respiration  branchiale 
des  poissons.  Nous  devons  nous  borner  à  l'indiquer  ici ,  et 
faire  remarquer  que  l'appareil  qui  l'exécute  présente  des 
modifications  très-nombreuses  et  très-remarquables,  qui 
sont  relatives  à  l'organisation  de  la  bouche,  des  narines  et 
de  l'évent.  Dans  quelques  espèces  de  poissons  (l'anguille, 
l'anabas  et  les  ophicéphales) ,  l'ouverture  postérieure  delà 
cavité  branchiale  est  étroite,  ou  bien  il  existe  quelque  ré- 
ceptacle pour  contenir  une  certaine  quantité  d'eau  :  ces  ani- 
maux peuvent  alors  sortir  du  milieu  aqueux  où  ils  vivent, 
ramper  sur  le  rivage,  et  môme,  a-t-cn  dit  pour  l'anabas, 
grimper  sur  les  arbres.  Tous  les  poissons  dont  les  ouïes 
sont  très-fendues,  tels  que  les  harengs,  les  maquereaux, 
meurent  à  l'instant  même  où  on  les  tire  de  l'eau,  parce  que 
leurs  branchies  sont  promptement  privées  d'humidité  et 
môme  desséchées. 

On  avait  cru  que  les  poissons  décomposaient  l'eau  pour 
en  absorber  l'oxygène,  mais  on  sait  maintenant  par  les  ex- 
périences de  M.  Silvestre ,  et  par  celles  de  M.  de  HiimboUlf, 
que  ces  animaux  respirent  l'air  contenu  dans  ce  liquide,  et 
que  cet  air  est  plus  riche  en  oxygène  que  celui  de  l'atmos- 
phère. Les  résultats  de  ces  expériences  sont  applicables  à 
tous  les  animaux  qui  respirent  par  des  branchies.  Ces  or- 
ganes sont  composés  de  lamelles  dans  les  crabes  et  de  tubes 
dans  les  homards  et  les  écrevisses.  Ils  sont  situés  sur  les 
bases  des  pieds  et  recouverts  par  les  rebords  du  corselet  ou 
de  la  carapace;  dans  d'autres  crustacés,  les  branchies  sont 
situées  extérieurement  (  squilles  )  ;  elles  sont  formées  d'un 
grand  nombre  de  filaments  qui  leur  donnent  l'aspect  d'un 
pinceau.  Chez  les  crevettes,  elles  sont  placées  en  dedans  des 
pieds,  et  composées  d'une  lamelle  simple.  Ces  lamelles 
branchiales  existent  à  la  partie  postérieure  de  l'abdomen 
dans  les  cloportes ,  et  sont  distinctes  des  lames  entre  les- 
quelles ces  animaux  portent  leurs  œufs  et  leurs  petits. 
UM.  Edwards  et  Audouin  ont  reconnu  que  les  crabes  ter- 
restres ,  qui  font  de  longs  voyages  dans  les  pays  chauds , 
sont  pourvus  d'organes  particuliers  qui  maintiennent  l'hu- 
midité autour  des  branchies,  et  les  empêchent  de  se  dessé- 
cher. 

Les  vers  à  sang  rouge  ou  a n  n  é  1  i d  e  s  sont  les  uns  pourvus 
et  les  autres  prives  d'organes  branchiaux.  Dans  les  pre- 


miers ,  c'est  tantôt  à  la  tête ,  tantôt  au  dos ,  et  tantôt  enfla 
au  milieu  du  corps  que  sont  placées  ces  branchies ,  d'où  les 
noms  de  céphalobranches,  dorsibranches  et  mésobran- 
ches. On  a  cru  que  dans  les  premiers  ces  organes  exis- 
taient en  dedans,  et  on  les  a  nommés  pour  cette  raison 
endobranches  (Duméril)  ou  entérobranches  (Latreille); 
mais  Blainville  pense  que  ces  branchies  n'existent  point,  et 
qne  la  peau  très-molle  de  ces  animaux  les  remplace  dans  la 
fonction  respiratoire. 

Tous  les  mollusques ,  excepté  les  lymnées,  les  auricnlcs 
et  les  limaces ,  respirant  l'air  contenu  dans  l'eau  et  vivant 
dans  ce  milieu ,  sont  pourvus  de  ces  organes  respiratoires 
aquatiques.  Les  différences  très-nombreuses  tirées  de  la 
forme  et  de  la  situation  des  branchies  ont  fourni  aux  zoolo- 
gistes de  très-bons  caractères  pour  établir,  soit  des  ordres, 
soit  des  familles  dans  cette  classe  d'animaux.  Dans  certains 
coquillages  bivalves  (anodontes,  unio  ) ,  les  œufs  séjour- 
nent plus  ou  moins  longtemps  entre  les  lames  branchiales , 
dans  un  lieu  disposé  à  cet  efl'et ,  qui  constitue  une  sorte  de 
poche  ou  bourse  marsupiale,  et  c'est  là  qu'ils  éclosent. 
D'autres  animaux  intermédiaires  aux  mollusques  et  aux  ar- 
ticulés respirent  aussi  par  des  branchies  :  ce  sont  les  ba- 
lanes,  les  anatifes  et  lés  oscabrions. 

Enfin ,  les  larves  de  quelques  insectes  (  éphémères ,  etc.  ), 
ont  des  espèces  de  fausses  branchies.  A  travers  les  lames 
qui  les  constituent,  on  voit  des  trachées  ou  tubes  aérifères. 
Ces  lames  ont  pour  fonction  d'extraire  de  l'eau  une  certaine 
quantité  d'air,  qui  est  portée  dans  les  trachées.  L'organisa- 
tion est  ainsi  préparée  pour  le  passage  de  la  respiration 
aquatique  à  la  respiration  aérienne.  L.  Laurent. 

BRA\CI1IFÈRES  (du  grec  ppâyxia,  branchies,  et 
çépw,  je  porte),  se  dit  des  animaux  pourvus deôrancAies. 
De  môme  on  em[>loie  le  mot  abranches  (  composé  de  ppay- 
/ta  et  d'à  privatif)  pour  désigner  ceux  qui  sont  dénués  de 
ces  sortes  d'organes  respiratoires.  De  Blainville  avait  pro- 
posé de  substituer  le  nom  de  branchifcrcs  à  celui  depois- 
sons. 

BRAA'CIlIOBnELLE.  Voyez  Brancuellion. 

BRAiXCniODÈLES  (  de  ppay/ia ,  branchies,  et  Sïi),0(;, 
apparent).  On  appelle  ainsi  les  animaux  dont  les  branchies 
sont  apparentes,  et,  par  opposition,  on  donne  le  nom 
i'endobranches  (d'£vûov,en  dedans)  à  ceux  dont  les  bran- 
chies sont  cachées. 

BRANCIÏIOG ASTRES  (de  ppaYX'a.  branchies, et  de 
Y(xaTr,p,  ventre),  nom  par  lequel  on  désigne  lesanimaux  dont 
les  branchies  sont  situées  à  l'abdomen,  tels  que  les  cre- 
vettes ,  les  crustacés,  les  squilles,  etc. 

BRAA'Cl.llOPE  et  BRANCHIPE  (de  Ppàvxta,  bran- 
chies, et  de  TtoO;,  pied),  termes  employés  pour  dési- 
gner des  animaux  crustacés  dont  les  pieds  sont  munis  de 
branchies.  Le  caractère  général  de  ces  animaux  microsco- 
piques consiste  dans  la  possession  de  pieds  qui  servent  à  la 
fois  à  la  natation  et  à  la  respiration  ;  ces  pieds  sont  en 
nombre  variable ,  depuis  six  jusqu'à  plus  de  cent;  en  re- 
vanche, plusieurs  n'ont  qu'un  œil,  d'où  ils  ont  été  appelés 
aussi  monocles.  Schœffer  et  B.  Prévôt  ont  donné  sur  l'orga- 
nisation et  les  mœurs  de  ces  animaux  des  détails  qui  sont 
pleins  d'intérôt.  On  les  trouve  habituellement  et  en  grande 
abondance  dans  les  petites  mares  d'eau  douce  et  trouble; 
ils  nagent  sur  le  dos  avec  beaucoup  de  facilité ,  et  le  mou- 
vement ondulatoire  de  leurs  pattes,  qui  est  très-curieux  à 
observer,  établit  un  courant  d'eau  qui  suit  un  canal  situé 
sur  leur  poitrine)  et  porte  à  leur  bouche  les  petits  corpus- 
cules dont  l'animal  se  nourrit.  Du  reste,  leurs  pieds  ou 
pattes  sont  impropres  à  la  marche,  et  pour  progresser  ils 
frappent  vivement  l'eau  de  droite  et  de  gauche  avec  leur 
queue,  et  se  meuvent  ainsi  comme  par  bonds  et  par  sauts. 

BRANCHIOPODES  (de  ppây/.ca ,  branchies ,  et  ttoù;, 
TiôSo; ,  pied).  C'est  un  grand  groupe  de  crustacés,  dont 
Latreille  a  fait  un  ordre ,  dans  lequel  se  placent  une  grande 


6*1  BRANCHIOPODES  —  BRANDAM 

parlic  Je  nos  crustau^s  d'eau  douce  :  les  limnadies ,  les 
branchiopes,  les  daphnies,  les  pohjphbnes ,  etc.  Ils 
doivent  ce  nom  de  branchinpodes  à  la  disposition  tonte 
sfjf'xiale  de  leurs  membres,  qui  sont  à  la  fois  respiratoires  et 
locomoteurs. 

Les  brancln'opodes  ont  un  nombre  d'anneaux  variable  ; 
leurtôte,  ordinairement  distincte,  porte  un  œil  ou  bien 
doux  ou  trois  de  ces  organes;  leur  bouche  a  un  labre,  une 
paire  de  mandibules,  une  lèvre  inférieure,  et  une  seule 
paire  de  pattcs-mâclioires,  peu  développées  ;  enfin  leur  abdo- 
men ,  géniValement  assez  grand ,  est  terminé  par  une  sorte 
de  queue  biriir(]M<'e. 

BRAIVCÏISOSTÉGE  (de  ppârx^a.  branchies,  et  de 
«TTÉYT] ,  toit,  couverture).  On  appelle  branchiostéges,  en 
anatomie,  les  parties  membraneuses  ou  osseuses  dont  l'u- 
sage est  de  couvrir  et  de  protéger  les  branchies  des  pois- 
sons. La  membrane  branchiostége  est  cette  partie  de  la 
peau  qui  est  située  entre  les  raûchoires  et  l'épaule  de  ces 
animaux.  Elle  renferme  dans  son  épaisseur  des  pièces  carti- 
lagineuses ou  osseuses  servant  les  unes  de  support,  les  au- 
tres de  rayons.  Ces  pièces  -olides ,  la  membrane  qui  les  unit 
et  les  muscles  qui  les  meuvent  forment  Vappareil  bran- 
chiostége. Les  mâchoires  et  les  pièces  operculaires  (  voijez 
Opercule  ),les  côtes  branchiales  (  raies,  squales,  lamproies  ), 
concourent  aussi  à  recouvrir  et  protéger  les  branchies.  Les 
différences  des  organes  branchiostéges  proprement  dits  ont 
servi  aux  ichthyologistes  pour  distinguer  les  espèces. 

Artédi ,  Linné ,  Gouan ,  ont  donné  le  nom  de  branchio- 
stéges h  un  groupe  de  poissons  à  branchies  libres,  dont  le 
squelette  cartilagineux  est  dépourvu  de  côtes  et  d'arôtes. 
Ce  groupe  comprend  les  genres  batiste,  lophie,  ostra- 
cion,  ajcloptère,  diodon,  tétrodon,  pégase,  viormyre, 
syngnathe  et  centrisque.  L.  Laurent. 

IÎÎ\A.\CIÎIURES  (de  Ppayx'a,  branchies,  et  oùpà, 
queue).  C'est  ainsi  que  l'on  nomme  les  annélides,  qui  ont 
leurs  branchies  à  la  queue.  Yiviani  en  a  décrit  une  espèce 
dont  les  individus,  selon  Cuvier,  ne  sont  pas  assez  carac- 
térisés, et  qui  pourraient  bien  n'être  que  des  larves. 

BRAIX'CIIIJ  (Alexandrine-Caroline  CHEVALIER  DE 
LAVIT,  femme),  artiste  de  l'Académie  royale  de  Musique 
née  au  cap  Français,  dans  l'île  de  Saint-Domingue,  le  2  no- 
veml)re  1780,  était  fille  d'un  officier  de  cavalerie,  homme 
de  couleur  (quarteron),  que  l'insun-ection  des  noirs  priva 
soudain  de  toutes  ressources,  nièce  d'un  gouverneur  du  cap 
de  Bonne-Espérance  et  filleule  du  maréchal  de  Brissac. 
Elève  distinguée  du  Conservatoire,  et  particulièrement  de 
Carat,  elle  débuta  en  1799  à  l'Opéra,  qui  s'appelait  alors 
Théâtre  de  la  République  et  des  Arts,  et  qui,  en  quittant 
la  l'orte-Saint-Martin,  en  1794,  était  venu  s'installer  au 
Théâtre  des  Arts,  rue  de  la  Loi  (Richelieu  ),  sur  l'emplace- 
ment actuel  de  la  place  Louvois.  Ce  fut  dans  le  rôle  d'An- 
titîone,  de  l'opéra  i]'Œdipe  à  Colonne,  de  Sacchini,  que 
M*"*  Chevalier  débuta.  De  taille  médiocre,  d'un  embonpoint 
assez  marqué,  de  peau,  de  nez,  de  lèvres  et  de  visaue  réllé- 
tant  la  race  noire,  quoiqu'au  troisième  de:^ré,  elle  avait  à  la 
scène  une  apparence  qui  n'était  dépourvue  ni  d'éclat  ni  d'at- 
trait. Ceux-là  même  qui  ne  l'ont  point  vue  peuvent  s'en 
faire  une  idée  en  consultant  la  liste  des  rôles  qu'elle  a  joués  : 
Julia,de  la  Fe5<rt/e;Hypermnestre,  des  Danaides;  Amazili 
de  Fcrnnnd  Cortez  ;  Lamea,  des  Baijadércs  ;  Bidon,  Olym- 
pia ;}>\;w[on,  dans  les  Prétendus,  rôles  (jui  n'auraient  pas 
pu  étnî  abordés  par  une  actrice  dont  l'extérieur  aurait  eu 
<iuelquc  chose  de  trop  opposé  au  caractère  de  gri\ce  de  ces 
jK-rsonnages.  D'ailleurs,  sa  longue  liaison  avec  Kreutzer 
aine,  compositeur  célèbre,  premier  violon  à  l'Opéi-a,  et  les 
hommages  prolongés  qu'elle  reçut  de  Bonaparte,  consul  et 
empereur,  sont  encore  un  témoignage  de  ce  que  devait  être 
Ron  genre  de  beauté.  En  ISO'i,  elle  avait  épousé  Branchu , 
médiocre  d.uiseur  de  l'Opéra,  mort  imbécile,  i'iusicurs  cn- 
ftiiiis  naquirent  pendant  ce  mariage. 


Au  moment  où  M'"'  Branchu  débuta ,  un  grand  opéra  n'é- 
tait presque  encore  qu'une  tragédie  lyrique,  que  les  ama-- 
leurs  délicats  appelaient  même  la  tragédie  hurlée.  Quelques 
ouvrages,  bien  rares,  tendaient  à  faire  exception  et  à  en- 
traîner la  composition  et  la  vocalisation  sur  le  véritable  ter- 
rain de  l'art  musical;  Œdipe  à  Colonne  était  de  ce  nombre, 
et  M"'"  Branchu  contribua  ,  plus  qu'aucune  cantatrice  de 
son  temps,  à  préparer  la  transition  qui,  par  la  Vestale 
principalement,  amena  sur  la  scène  française  la  révolution 
lyrique  que  Rossini,  Ad.  Nourrit,  Levasseur  et  M"""  Da- 
moreau-Cinti  et  Falcon  devaient  y  consommer  plus  fard. 
C'est  qu'en  effet  M""  Branchu  ne  fut  pas  seulement  une 
tragédienne  lyrique,  c'est-à-dire  une  actrice  de  déclama- 
tion psalmodiée,  violente  et  braillarde,  comme  ses  ca- 
marades, hommes  ettemmes.  Laine,  Adrien,  M"'  Mail- 
lard, etc. ,  elle  fut  aussi  une  cantatrice,  dans  le  sens 
actuel,  possédant  la  méthode,  le  goôt,  l'art  d'nne  voca- 
lisation étudiée  et  fort  avancée  relativement  à  l'époque  où 
elle  occupait  la  scène.  Sans  doute  ce  n'étaient  point  la  lé- 
gèreté, la  vocalise,  Xa.  fioriture ,  qui  dominaient  dans  son 
talent;  c'étaient  la  force,  l'éclat,  l'expression  portés  souvent 
jusqu'au  sublime.  Chez  elle,  outre  la  plus  grande,  la  plus 
juste  expression,  il  y  avait  la  connaissance  et  l'application 
de  tous  ces  principes  et  de  toutes  ces  règles  de  l'art  qui 
embellissent,  perfectionnent  la  nature  et  lui  sont  même  pré- 
férables ;  c'est  avec  cette  méthodeet  ce  goût  qu'elle  parvenait 
à  varier  le  style  des  partitions  déclamatoires  auxquelles  elle 
était  enchainée,  ou  qu'elle  rendait  plus  sensibles  et  plus 
agréables  les  chants  que  les  compositeurs  modernes  s'ef- 
forçaient ou  s'essayaient  à  introduire  dans  leurs  rnuvres. 

Relativement  aux  ouvrages  antérieurs,  /(/  Vestale  était 
un  progrès  ;  et  ce  fut  M""*  Branchu  qui,  par  son  admirable 
talent  dramatique  et  sa  méthode  musicale,  amena  et  réalisa 
cette  révolution.  Que  l'on  juge  alors  des  transports  de  la  gé- 
nération de  ce  temps  et  de  la  célébrité  méritée  de  M""*  Bran- 
chu !  Voilà  tout  le  secret,  toute  l'explication  de  ses  succès  et 
delà  réputation  de  la  Vestale.  Dans  les  arts,  chaque  chose, 
chaque  artiste  a  son  temps  ;  et  il  ne  faut  les  apprécier  qu'en 
considération  des  progrès  ou  de  la  décadence  qui  ont  signalé 
leur  marche. 

Virginie,  tragédie  lyrique  en  trois  actes,  poëme  de  Dé- 
saugiers  aîné,  musique  de  Berton ,  jouée  en  1823,  est  l'un 
des  derniers  ouvrages  qu'elle  ait  montés  à  l'Académie  royale 
de  Musique;  elle  y  remplissait  le  rôle  de  Valérie,  mère  de  la 
jeune  vierge  romaine,  et  elle  assura  le  succès  de  cet  opéra 
dans  lequel,  disions-nous  alors,  elle  a  merveilleusement 
exprimé  les  douleurs  maternelles ,  chanté ,  et  joué  surtout 
supérieurement ,  la  scène  où  elle  vient  redemander  sa  fille 
au  décemvir.  Le  l*""  juillet  1825  elle  reparut  dans  VAlccste 
de  Gluck,  et  y  excita  les  plus  vives  émotions.  Enfin  elle  prit 
sa  retraite  le  27  février  1826,  dans  une  de  ses  plus  belles 
créations,  dans  le  rôle  de  Statira  de  la  tragédfe  lyrique  d'O- 
hjmpie.  Peu  de  temps  après.  M"*  Branchu  ,  dont  les  excel- 
lentes qualités  privées  étaient  appréciées  de  ses  camarades 
et  de  ses  amis,  quitta  tout  à  fait  le  monde  pour  se  livrer 
à  toute  la  pieuse  et  chrétienne  simplicité  d'une  retraite  ab- 
solue. Elle  est  morte  à  Passy,  le  15  octobre  1850. 

A.  Delaforest. 

BRANC-URSIi\E.  Voyez  Branche-Ursine. 

BRAî^IDAM  (  Antoine),  moine  portugais,  de  l'ordre  de 
Cîteaux  et  abbé  du  monastère  d'Alcobaça,  né  en  1584,  et 
mort  en  fG37  ,  fut  chargé  de  continuer  le  grand  ouvrage  in- 
titulé :  Monorquia  Lusitana ,  qui  avait  été  interrompu  par 
la  mort  de  Bernard  de  Biitto,  moine  cistercien,  arrivée 
en  1G17.  Ce  fut  lui  qui  publia  en  2  vol.  in- fol.  (1C32)  les 
troisième  et  quatrième  parties  de  ce  grand  ouvrage ,  le  plus 
considérable  et  le  plus  rare  que  l'on  possède  sur  l'histoire  de 
Portugal.  Il  embrasse  les  temps  com|)ris  entre  1137  et  1279. 
Son  neveu  François  Bra.ndam,  comme  lui  religieux  de 
l'ordre   de   Cîteaux,  dans  le  même  monastère,  continua 


BRANDAM  — 

TiKUTre  jusqu'en  1325.  Un  troisième  Ukandam  (Alexandre), 
fit  imprimer  en  1G89,  à  Venise,  en  2  vol.  in-4°,  l'iiistoire, 
en  italien ,  de  la  révolution  qui  avait  porté  en  1640  la 
maison  de  Bragance  au  trône  de  Portugal. 

BR.\NDE BOURG  ou  BRANDENBURG,  autrefois 
Brennaborch  ou  Brcnnabor,  ville  qui  a  donné  son  nom  à  la 
marclie  de  Brandebourg,  et  qui  dépend  aujourd'hui  de 
farrondissement  de  Potsdam  ;  elle  est  située  sur  le  chemin 
de  fer  de  Berlin  à  Magdebourg,  sur  les  deux  rives  de  l'Havel, 
qui  la  partage  en  vieille  et  nouvelle  ville ,  chacune  entourée 
de  murailles.  Un  troisième  quartier  est  formé ,  dans  une  île 
située  au  milieu  de  la  rivière,  par  ce  qu'on  appelle  la  cathé- 
drale ou  le  château  de  Brandebourg.  La  population  est  de 
17,000  âmes,  et  19,000  en  y  comprenant  la  garnison  et  les 
détenus  du  pénitencier  établi  dans  la  ville.  Parmi  ses  édi- 
fices publics  on  remarque  surtout  l'hôtel  de  ville,  et  parmi 
ses  nombreuses  églises  la  cathédrale  et  l'église  Sainte-Cathe- 
rine. Siégé  d'une  division  militaire,  d'un  tribunal  de  cercle, 
d'une  recette  générale  et  autres  autorités  supérieures,  Bran- 
debourg est  le  centre  d'une  fabrication  assez  active  en  étoffes 
de  laine,  en  soieries,  en  huiles  et  en  cuirs. 

BiV  AA^DEBOUllG ,  la  iiroviiice  la  plus  importante  et  en 
iTièmt  temps  le  berceau  de  la  monarchie  prussienne ,  compre- 
nant une  superficie  de  403  myriamètrcs  carrés  avec  une  po- 
pulation de  2,553,000  habitants,  répartie  entre  138  villes, 
27  bourgs,  3,073  villages  et  3,220  hameaux,  est  située  entre 
le  51"  22' et  le  53°  35'  delat.  nord,  et  le  2S°  50' et  le  33°  52' de 
long,  est,  et  confine  au  nord ,  au  Mecklenbourg ,  à  la  Pomé- 
ranie  et  à  la  Prusse;  à  l'est ,  au  grand-duché  de  Posen  et  à 
la  Silésie;  au  sud,  à  la  Silésie  et  à  la  Saxe  pnissiennes;  à 
l'ouest,  à  cette  dernière  province,  au  pays  d'Anhalt  et  au 
Hanovre.  C'est  l'extrême  contre-fort  de  la  grande  plaine  de 
l'Allemagne  septentrionale ,  qui  va  toujours  en  s'abaissant  da- 
vantage vers  la  Baltique  ;  et  le  sol  y  est  si  bas ,  que  le  Ha- 
velspiegel  près  de  Berlin  ne  s'élève  qu'à  4"',34°  au-dessus  de 
la  Baltique.  Cette  contrée  est  généralement  plate,  et  ce  n'est 
que  du  côté  de  la  Silésie  qu'on  y  rencontre  de  légères  ondu- 
lations de  terrain.  Elle  est  presque  partout  sablonneuse 
et  stérile,  notamment  aux  environs  de  Berlin  et  dans  la 
Basse-Lusace,  surnommée  la  sablonnière  du  Saint-Em- 
pire Romain.  Les  seules  exceptions  sont  le  pays  des  IMar- 
ches  et  les  contrées  marécageuses  et  basses,  par  exemple  sur 
les  rives  de  l'Oder,  de  la  Warthe,  de  la  Sprée  et  de  l'Elbe; 
ces  différentes  rivières  et  de  nombreux  lacs  atténuent  l'infé- 
condité  naturelle  du  sol. 

Le  plus  important  de  tous  les  cours  d'eau  qu'on  y  ren- 
contre est  roder,  qui  y  reçoit  la  Warthe  et  la  Netze  à  sa 
droite,  le  Stoberow,  la  Welse,  le  Finow,  la  Neisse  de  Gœr- 
litz  et  le  Bober  de  Silésie  à  sa  gauche.  Elle  forme  entre 
Wrietzen  et  Oderberg  un  grand  arc  qu'on  a  coupé  en  1755 
par  le  canal  de  l'Oder,  dont  la  longueur  est  de  22  kilomètres. 
Un  bon  système  de  canaux  ajoute  encore  aux  facilités  de  la  cir- 
culation. Le  sol  produit  de  la  tourbe,  de  la  houille,  de  l'alun,  de 
la  chaux,  du  plâtre  et  de  l'argile.  Dévastes  forêts  fournissent 
du  bois  en  abondance  ;  ce  qui  forme  un  important  objet  de 
commerce.  L'agriculture  donne  comme  produits  des  cé- 
réales de  toutes  espèces,  du  froment,  du  tabac,  du  chanvre, 
du  Im,  du  houblon,  des  légumes,  de  la  garance  et  des 
fruits.  On  a  récemment  découvert  de  vastes  truffières  aux 
environs  de  Stolpe  et  d'Oranienburg ,  et  l'une  des  trois  es- 
pèces de  truffes  qu'on  y  a  rencontrées  peut  soutenir  le  pa- 
rallèle avec  les  meilleures  truffes  de  France.  La  culture  des 
vignes  aux  environs  de  Berlin  et  de  Potsdam  ne  donne  que 
de  mauvais  vins  ;  celui  qu'on  récolle  aux  environs  de  Guhen 
est  d'un  peu  meilleure  qualité.  Les  bêtes  à  corne ,  les  che- 
vaux, les  porcs  et  les  moutons  figurent  parmi  les  principaux 
produits  de  la  province  en  ce  qui  est  du  règne  animal.  L'a- 
griculture y  est  pratiquée  sur  une  vaste  échelle  ;  et  les  rivières 
aînsi  que  les  lacs  contiennent  un  grand  nombre  de  poissons 
délicats  et  d'espèces  particulières. 


BRANDEBOURG  645 

Les  habitants  sont  généralement  Allemands  d'origine.  On 
ne  rencontre  de  Wendes  qu'au  sud  de  la  province ,  et  les 
colons  français  ou  hollandais  deviennent  de  plus  en  plus  al- 
lemands. A  l'exception  de  32,514  catholiques,  de  19,761 
juifs,  de  23  mennonites,  de  115  catholiques  grecs,  toute  la 
population  professe  la  religion  protestante.  11  existe  de  re- 
marquables haras  à  Neustadt  sur  la  Dosse ,  à  Finsterwald  et 
à  Senftenberg.  La  culture  des  pommes  de  terre  et  des  bet- 
teraves s'y  fait  sur  une  très-large  échelle ,  à  l'effet  d'alimenter 
de  matières  premières  une  infinité  de  distilleries  et  raffme- 
ries  de  sucre.  De  nombreuses  fabriques  de  soieries  ,  de  co- 
tonnades et  d'étoffes  occupent  en  même  temps  une  foule  de 
bras  ;  la  fabrication  des  draps  surtout  empteie  beaucoup  de 
métiers  à  Luckenwalde,  Beeskow,  Guben,  Spremberg, 
Krossen,Zullichau,Iuterbock,Kotbus,  Schwiebus,Peitz,etc. 
La  fabrication  des  toiles,  qui  occupe  aussi  un  grand  nombre 
de  bras,  a  son  centre  à  Reppen,  Forste ,  Vetschau,  Sol- 
din,  etc.  La  teinturerie  de  Kaput ,  fondée  en  17G4 ,  par  Fré- 
déric le  Grand,  est  renommée  par  son  beau  rouge  garance. 
Les  manufactures  de  cotonnades  les  plus  importantes  après 
celles  de  Berlin  sont  à  Potsdam,  Straussberg,  Zinna,  etc. 
Luckenwalde,  Zinna,  Strasburg,  Forste  sont  les  grands 
centres  de  la  fabrication  des  cuirs  et  de  la  mégisserie;  et 
Kalau  est  en  possession  de  fournir  à  la  ville  de  Berlin  une 
grande  partie  de  sa  consommation  en  chaussures.  L'indastrie 
métallurgique  a  ses  usines  à  Neustadt -Eberswalde,  à 
Hohenfinow,  à  Baruth,  à  Hegermuhle.  Des  fonderies  et 
hauts  fourneaux  existent  à  Niederfinow,  à  Peitz,  à  Neubruck, 
à  Vietz;  des  fabriques  d'armes,  à  Potsdam  et  à  Spandau; 
des  fabriques  de  faulx  à  Luckenvsalde.  La  plus  importante 
des  papeteries  esta  Spechthausen ,  près  Neustadt;  viennent 
ensuite  celles  de  Berlinchen,  Neudamm,  Kœnigswalde,  etc.  Il 
y  a  des  véneries  a  Zechlin,  Rheinsberg,  Friedrichshain,  etc.  ; 
une  importante  manufacture  de  glaces  à  Neustadt  sur  la 
Dosse.  On  fabrique  de  la  faïence  et  de  la  poterie  à  Franc- 
fort, à  Rheinsberg ,  et  de  la  porcelaine  à  Berlin.  Les  pro- 
duits de  cette  manufacture  sont  justement  renommés. 

Le  Brandebourg  est  le  centre  d'un  commerce  très-actif, 
dont  les  relations  sont  facilitées  par  un  grand  nombre  de 
rivières,  de  canaux  et  de  routes,  ainsi  que  parles  chemins 
de  fer  conduisant  de  Berlin  à  Kœthen  et  Leipzig,  à  Francfort 
sur  l'Oder,  à  Breslau,  à  Vienne,  à  Prague,  à  Dresde,  à 
Stettin,  à  Hambourg,  dans  les  provinces  orientales  et  occi- 
dentales de  la  monarchie.  Des  foires  importantes  se  tiennent 
à  Francfort  sur  l'Oder.  L'immigration  de  colons  étrangers, 
notamment  de  colons  français ,  ne  contribua  pas  peu  à  fa- 
voriser le  développement  de  l'industrie  de  cette  province,  qui, 
par  contre,  commence  à  ressentir  de  nos  jours  les  désastreux 
effets  de  la  manie  d'émigration  qui  entraîne  de  l'autre  côté 
de  l'Atlantique  tant  de  populations  allemandes. 

Au  commencement  de  l'ère  chrétienne  la  province  actuelle 
de  Brandebourg  était  habitée  par  les  Suèves. 

Parmi  ceux-ci  les  Semnones  occupaient  la  Marche  Cen- 
trale, et  les  Lombards  la  Vieille-lNIarche  ;  et  il  y  a  quelque 
vraisemblance  dans  l'étymologie  qui  fait  dériver  l'ancienne 
dénomination  de  cette  contrée,  Brennaborg,  de  Brennus, 
nom  commun  à  plusieurs  chefs  des  Semnones.  Quand  ils 
abandonnèrent  leurs  foyers  pour  se  joindre  à  la  grande  mi- 
gration des  peuples ,  les  Suèves  y  furent  remplacés  par  des 
populations  slaves,  entre  autres  par  les  Hévelles,  les  Wilzes, 
les  Vkers ,  les  Rhétariens  et  les  Obotrites.  Entraînés  dans 
de  fréquentes  guerres  avec  les  Francs  et  les  Saxons  de 
l'ancienne  Marche  actuelle  (qui  faisait  autrefois  partie  de  la 
Saxe  orientale),  ils  furent,  avec  ces  derniers,  soumis  à  la 
puissance  de  Charlemagne  (789);  toutefois,  ils  se  rendirent 
indépendants  sous  les  successeurs  de  ce  monarque,  et  in- 
quiétèient  la  Saxe  et  la  Thuringc  par  de  fi'équentes  invasions 
(902).  Enfin,  Henri  l",  roi  d'Allemagne,  réduisit  en  928 
Brennaborch,  principale  forteresse  des  Hévelles,  et  deux 
,  ans  plus  tard  Lebits^  forteresse  des  Wendes.  Après  quoi  les 


646 


BRANDEBOURG 


llévelles,  aussi  bien  que  les  Rliétariens  de  l'Uker-Marche 
durent  se  soumettre  à  son  autorité.  Pour  les  tenir  en  bride 
et  pour  protéger  les  frontières  de  la  Saxe,  Henri  institua,  en 
030,  les  Margraves  de  la  Saxe  du  Nord  ou  de  la  ftlarclie  du 
Nord,  contrée  désignée  aujourd'hui  sous  le  nom  de  Vieille- 
Marche;  et  Otiion  1",  pour  y  consolider  le  christianisme, 
fonda,  en  939  et  946,  les  évêchés  de  Brandebourg  et  de  Ha- 
velberg. 

Quand  le  christianisme  eut  pénétré  encore  plus  avant ,  le 
margrave  Gero,  mort  en  963,  constitua  la  Marche  Orientale, 
appelée  aujourd'hui  Basse  Lusace.  Vers  le  milieu  du  on- 
zième siècle,  Gotschalk,  prince  des  Obotrites,  réunit  plu- 
sieurs districts  pour  en  composer  un  plus  grand  royaume 
des  Wendes;  mais  il  fut  assassiné  en  lOGG,  parce  qu'il  avait 
abandonné  le  culte  des  idoles  pour  embrasser  le  christia- 
nisme. En  1056  le  margraviat  de  la  Saxe  Septentrionale 
passa  sous  l'autorité  des  comtes  de  Stade;  et  en  1133  l'em- 
pereur Lothaire  le  donna  à  titre  de  fief  à  Albert  l'Ours. 
C'est  ce  prince,  aussi  brave  qu'habile,  qui  le  premier  réussit  à 
mettre  fin  dans  ces  contrées  à  la  domination  des  Wendes.  En 
1138  il  obtint  le  duché  de  Saxe  à  litre  de  fief;  et  quand  en 
1 142  il  lui  fallut  le  rétrocéder  à  Henri,  il  en  fut  dédommagé 
l'année  suivante  par  la  MarcIie  Orientale,  en  môme  temps 
que  pour  la  Saxe  Septentrionale  il  était  lendu  complètement 
indépendant  de  la  Saxe; après  quoi,  ayant  réussi  à  expulser, 
en  1157,  du  Brandebourç  Jazko ,  prince  des  Wendes,  qui 
s'en  était  emparé,  il  prit  le  titre  de  margrave  de  Brandebourg. 
Il  s'empara  de  la  Marche  Centrale,  de  Priegnitz,  de  l'U- 
ker-Marche, où  il  attira  un  grand  nombre  de  familles  nobles 
de  l'Allemagne,  et  de  colons  venus  des  Pays-Bas  et  des 
bords  du  Rhin  pour  y  remplacer  les  Wendes  turbulents  qu'il 
en  expulsa. 

Comme  margrave  de  Brandebourg,  il  eut  pour  successeur 
son  fils  Othon  /",  devenu  en  1180  duc  de  Saxe,  et  dont  il 
est  pour  la  première  fois  fait  mention  en  1182  avec  la  qua- 
lification d'archi-chambellan  de  l'Empire,  qu'Albert  avait  déjà 
prise.  Othon  mourut  en  1 184,  et  eut  pour  successeur  son  fils, 
Othon  II,  prince  faible  et  complètement  placé  sous  l'in- 
fluence cléricale,  qui  régna  de  1184  à  1205.  C'est  lui  qui  fit 
don  à  l'archevêché  de  Magdebourg  de  toute  la  Vieille-Marche, 
ou  du  moins  d'une  grande  partie  de  cette  province,  ainsi  que 
de  quelques  parties  de  la  Marche  Centrale,  mais  sous  la  ré- 
serve de  pouvoir  être  récupérées  par  le  Brandebourg  à  lex- 
piration  d'une  année  comme  fiefs  relevant  de  Magdebourg , 
et,  en  cas  d'extinction  de  la  branche  mâle  de  la  maison  de 
Brandebourg ,  faisant  retour  à  la  branche  féminine.  Il  eut  à 
soutenir  de  nombreuses  mais  inutiles  luttes  centrales  Danois; 
et  il  est  assez  vraisemblable  qu'il  obtint  dojà  de  l'empereur 
que  celui-ci  le  reconnût  comme  prince  souverain.  Son  frère 
Albert  II,  qui  régna  de  1206  à  1220,  fit  preuve  de  plus 
d'énergie.  11  prit  une  part  impoilante  aux  guerres  que  se 
firent  les  deux  anti-rois  Othon  IV  et  Frédéric  II ,  et  en  fut 
récompensé  en  obtenant  pour  sa  maison  l'expectative  de  la 
Poméranie  citérieure. 

Albert  II,  qu'on  peut  regarder  avec  une  grande  vraisem- 
blance comme  le  fondateur  de  Berlin,  laissa  à  sa  mort  deux 
fils,  encore  mineurs,  Jean  I"  et  Othon  III,  au  nom  des- 
quels leur  mère  Mathilde  exerça  la  régence  jusqu'en  1226. 
J.esdeux  frères  régnèrent  collectivement  de  1226  à  1258. 
C'étaient  des  princes  braves  et  querelleurs,  comme  il  en 
fallait  à  une  époque  aussi  orageuse  que  celle  des  derniers 
Hohenstaufen.  L'empereur  Frédéric  11  leur  accorda  l'invcs- 
llture  de  la  Marche  de  Brandebourg  et  de  la  Poméranie,  en 
1231  ;  en  1236  ils  forcèrent  le  duc  de  Demmin,  et  en  1250 
le  duc  de  Stetlin,  à  reconnaîlie  leur  suzeraineté.  Ils  enle- 
vèrent au  piemier  le  pays  de  Stargard ,  au  second  l'I'ker- 
Marclic;  de  sorte  que  le  duc  Mesiwin  de  la  Poméranie  Orien- 
tale fut  obligé  de  reeonnaître  tenir  son  pays  à  titre  de  fief 
du  Brandebourg.  Pendant  leur  lutte  contre  le  margrave 
Henri  l'Illustre,  les  deux  frères  se  maintinrent,  en  1244,  en 


possession  des  villes  de  Kœpnick  et  de  Mittenwald.  Tena- 
pelliof  ouTernpIow  près  Berlin  fut  fondé  en  1241 ,  par  les 
Templiers ,  qui  quarante-sept  ans  plus  tard  acquirent  éga- 
lement Zielenzig.  Par  son  second  mariage,  avec  Hedwige  de 
Poméranie,  Jean  fit  revenir  formellement  à  sa  maison  l'U- 
ker-Marche, déjà  gagnée  par  la  force  des  armes,  en  môme 
temps  que  son  frère  Othon  recevait  en  dot  de  sa  femme  Béa- 
trice, princesse  de  Bohême ,  les  villes  de  Bautzen ,  Gœrlitz , 
Lauban  et  Lœbau. 

Les  deux  Irères  se  firent  en  outre  donner,  en  1248 ,  par 
l'anti-roi  Guillaume  de  Hollande  l'expectative  du  duché  de 
Saxe,  et  en  1250  ils  acquirent,  moyennant  argent,  du  duc 
Boleslas  de  Liegnitz  les  droits  de  souveraineté  sur  Lcbus. 
Jean  enleva  aux  Polonais  le  pays  riverain  de  la  Warthe,  où 
il  fonda,  en  1257,  la  ville  de  Landsberg.  En  1258  les  deux 
frères  opérèrent  le  partage  de  leurs  possessions ,  et  Stendal 
et  Salzwedel  devinrent  les  sièges  de  gouvernements  distincts 
constitués  par  les  deux  lignes.  Brandebourg,  la  capitale,  do 
môme  que  la  suzeraineté  des  évêchés  de  Brandebourg  et  de 
Havelberg ,  restèrent  communes.  Le  gouvernement  des  deux 
frères  fut  des  plus  prospères.  Ils  fondèrent  un  grand  nombre 
de  villes  nouvelles,  telles  que  Francfort  sur  l'Oder,  Neu- 
brandenburg,  Ba;rwalde,  Friediand,  Kœnigsberg  dans  la 
Nouvelle  Marche,  etc.  Sous  leur  règne,  Beriin  prit  aussi  de 
grands  développements;  et  dès  1238  il  est  mention  de  Co- 
logne sur  la  Sprée,  qui  en  forme  la  partie  principale. 

Jean  1",  mort  en  1266,  fut  le  fondateur  de  l'ancienua 
maison  Ascanienne  de  Brandebourg-Stendal ;  Othon  III, 
mort  en  1267,  celui  de  la  ligne  de  Brandebourg-Salzwe- 
del.  Mais  ces  deux  lignes  ne  tardèrent  pas  à  s'éteindre  ;  la 
cadette  en  1317,  l'aînée  en  1320.  Jean  T"^  avait  commencé 
déjà  à  prendre  insensiblement  le  titre  d'électeur.  Les  sou- 
verains les  plus  remarquables  de  cette  dynastie,  sous  laquelle 
la  souveraineté  de  la  Pomérélie  lut  acquise  en  1269,  et  la 
Rlarche  de  Landsberg  achetée  en  12'Jl  au  landgrave  de  Thu- 
ringc  Albert  le  Dégénéré ,  furent  Herynann  et  Othon  IV,  à 
la  flèche,  célèbre  aussi  comme  minnessenger  (troubadour), 
qui  en  1303  acheta  la  Basse-Lusace  au  margrave  Diez- 
mann  de  Misnie,  et,  après  la  mort  d'Othon,le  belliqueux 
Waldemar,  qui  régna  de  1308  à  1319.  Ce  dernier  agrandit 
le  Brandebourg  du  côté  delà  Saxe;  mais  de  son  règne  date 
un  point  d'arrêt  dans  la  prospérité  du  Brandebourg.  Le  der- 
nier prince  de  cette  dynastie  fut  Henri  le  jeune,  qui  mourut 
sans  s'être  marié,  en  1320,  peu  après  la  déclaration  de  la 
majorité  de  l'empereur. 

Pendant  les  troubles  sanglants  qui  éclatèrent  alors, 
l'ordre  civil,  à  peine  fondé  dans  le  pays,  périt  complètement. 
Le  brave  Waldemar  ne  fut  pas  plus  tôt  descendu  dans  la 
tombe  que,  dès  1319,  Jean  de  Bohême  s'empara  de  la  Haute 
Lusace,  et  les  ducs  de  Poméranie  de  diverses  parties  de  l'U- 
ker-Marche. La  confusion  générale  augmenta  encore  quand, 
en  1322,  l'empereur  Louis  IV,  dit  aussi  le  Bavarois,  donna  le 
margraviat  de  Brandebourg  en  fief  à  son  fils,  encore  mineur, 
Louis,  qui  ne  put  s'en  mettre  en  possession  qu'après  de 
longues  luttes  avec  les  princes  voisins  et  d'orgueilleux  vas- 
saux. Fn  1331  il  fut  battu  par  les  Poméraniens,  de  sorte 
qu'en  1338  force  lui  fut  de  renoncer  à  exercer  tous  droits  do 
suzeraineté  sur  ce  pays,  jusqu'à  la  mort  des  princes  indigènes. 
Dès  1324  les  chroniques  lui  donnent  le  titre  d'électeur  et 
d'aichi-cliambellan  de  l'Empire;  mais  son  mariage  avec  Mar- 
guerite de  Maultasch,  qui  lui  apporta  en  dolleTyrol,le  rendit 
tellement  indilïércnt  aux  intérêts  du  Brandebourg,  qu'en  1352 
il  céda  complètement  les  Marches  à  son  frère  Louis  le  Rn- 
main,  que  dès  l'année  1349  il  s'était  donné  pour  co-régent. 
Ce  qui  l'y  détermina  surtout,  ce  furent  les  troubles  provo- 
qués par  ]ejaux  Waldemar,  qui  se  fit  passer  pour  le  défunt 
margrave  Waldemar,  et  qui  vraisemblablement  serait  de- 
meuré tranquille  possesseur  delà  Marche  Électorale,  si  l'em- 
pereur Charles  IV,  après  l'avoir  d'abord  soutenu ,  ne  l'avait 
ensuite  abandonné.  Il  mourut  en  1355,  à  Dcssau. 


li 


BRANDEBOURG  —  BRANDEIS 


647 


Louis  le  Romain  ,  à  son  tour,  prit  pour  co-régent  son 
frère  Ot/ton  Vif,  ditle  Fainéant,  qui  plus  tard  devint  seul 
olecteur,  et  qui  en  1363  conclut  avec  l'empereur  Charles  IV 
et  avec  la  maison  de  Luxembourg  une  convention  d'Iiérédité 
réciproque,  en  vertu  de  laquelle  l'empereur  obtint  le  droit 
de  succession  dans  la  Marche  Électorale,  et  plus  tard  parti- 
cipa directement  au  gouvernement  en  mettant  à  profit  la 
paresse  d'Othon  et  ses  goûts  de  dissipation.  En  1368  Othon 
vendit  la  Basse  Lusace  à  l'empereur,  qui  la  réunit  à  la 
lîohême;  et  dès  l'année  1373,  époque  à  laquelle  Cliarles  IV 
résidait  souvent  dans  la  Marche,  par  exemple  à  Mitlenwald 
sur  la  Notte,  ville  à  Inquelle  il  avait  accordé  d'importants 
[iriviléges,  il  était  forcé  de  céder  entièrement  à  ce  prince  la 
Marche  Électorale,  que  l'empereur  promit  de  lui  payer  200,000 
florins  d'or,  outre  une  pension  annuelle  et  la  jouissance  de 
divers  châteaux  dans  le  Haut  Palatinat. 

Par  suite  de  cette  convention,  Charles  IV  donna  en  fief, 
d'abord  à  son  fds  Wenceslas,  roi  de  Bohême ,  puis,  quand 
celui-ci  fut  devenu  roi  des  Romains,  à  son  second  fûiS'igiS' 
inond,  la  Marche  Électorale  de  Brandebourg,  qui  sous  le 
règne  de  ce  prince,  âgé  de  onze  ans  seulement,  lut  en  proie 
aux  plus  affreux  désordres.  La  noblesse,  qui  le  méprisait, 
se  livrait  à  des  guerres  continuelles  de  seigneur  à  seigneur  ; 
et  entre  toutes  les  familles  qui  commirent  alors  les  plus 
grands  excès ,  on  remarqua  surtout  celle  de  Quitzow.  Les 
princes  voisins  se  permettaient  d'incessantes  incursions,  ja- 
mais réprimées,  et  toute  sécurité  publique  disparut.  Sigis- 
mond  finit  par  se  trouver  tellement  accablé  de  dettes  qu'en 
1388  il  dut  engager  la  Marche  Électorale  à  son  cousin  le 
margrave  Jodocus  ou  Jobst  de  Moravie.  Mais  Jobst,  pas 
plus  que  son  lieutenant ,  ne  put  remédier  aux  désordres 
intérieurs  du  pays.  A  sa  mort,  arrivée  en  1411  ,  la  Marche 
Électorale  fit  retour  à  l'empereur  Sigismond ,  qui  à  la  même 
époque  obtint  la  couronne  impériale. 

Dès  1402  Sigismond  avait  vendu  la  Nouvelle  Marche  à 
l'ordre  Teutonique;  et  il  établit  alors  le  buigrave  de  Nu- 
remberg, Frédéric  VI,  de  la  maison  de  Hohenzollern  , 
en  qualité  de  gouverneur  dans  la  Marche  Électorale.  Celui-ci, 
en  récompense  des  senices  qu'il  avait  rendus  à  l'empereur, 
notamment  d'un  prêt  de  400,000  florins  d'or  qu'il  lui  avait 
fait,  reçut  de  lui,  en  1415,  la  Marche  de  Brandebourg,  la 
dignité  d'électeur  et  la  charge  d'archichambellan  de  l'Em- 
pire, et  obtint  en  1417,  au  concile  de  Constance,  la  con- 
firmation de  cette  inféodation  ;  ensuite  de  quoi  il  prit  dès 
lors,  comme  électeur  de  Brandebourg,  le  nom  de  Frédéric  Z*^"". 
C'est  à  proprement  parler  du  règne  de  ce  Frédéric  V 
«l'Holienzollern  que  commence  l'histoire  du  développementde 
la  Prusse,  dont  la  Marciie  Électorale  et  plus  tard  ce  qu'on 
appela  la  province  de  Brandebourg  a  toujours  déterminé 
depuis  les  destinées,  non  pas  qu'elle  exerçât  une  suprématie 
extérieure  quelconque  sur  les  autres  parties  de  la  monar- 
chie, avec  une  organisation  particulière  et  indépendante, 
mais  parce  qu'elle  se  trouvait  dans  le  voisinage  immédiat 
des  souverains,  constituant  ainsi  le  véritable  point  décen- 
tralisation de  la  Prusse. 

En  1 838  une  société  s'est  formée  pour  l'étude  de  l'histoire 
du  Brandebourg,  et  les  quatre  volumes  de  Mémoires  qu'elle 
a  publiés  de  1841  à  1849  témoignent  de  l'activité  qu'elle  a 
apportée  dans  ses  investigations. 

BRANDEBOURG  (Frédcric-Guh-lvcme,  comte  de), 
général  et  ministre  prussien,  né  à  Berlin,  le  24  janvier  1792, 
éla't  fils  du  roi  Frédéric-Guillaume  II,  et  issu  de  son  ma- 
riage morganatique  avec  la  comtesse  de  Dœnhoff.  Le  28 
avril  1794  il  fut  créé  comte  en  même  temps  que  sa  scrur 
Julie,  morte,  le  28  janvier  1848,  duchesse  d'Anhalt-Kœthen, 
était  élevée  au  rang  de  comtesse.  Entn;  de  bonne  heure 
dans  l'amiée,  le  comte  de  Brandebourg,  quoiqu'il  se  fut 
distingiié  dans  les  campagnes  de  1813  à  1815,  n'obtint  qu'un 
avancement  assez  lent;  et  ce  ne  fut  qu'en  1848,  époque  où 
il  commandait  le  premier  corps  d'armée  en  Silésie  avec  le 


grade  de  lieutenant  général,  qu'une  importance  politique  s'at- 
tacha tout  à  coup  à  son  nom.  Dès  l'été  de  1848,  quand  tout 
annonçait  en  Prusse  un  conflit  prochain  entre  l'assemblée 
nationale  et  la  cour,  ce  fut  sur  le  comte  de  Brandebourg  que 
celle-ci  jeta  les  yeux  pour  servir  d'exécuteur  à  ses  volontés; 
et  c'était  bien  moins  sa  capacité  comme  homme  politique  qui 
le  désignait  pour  jouer  un  tel  rôle,  que  les  liens  étroits  de 
parenté  qui  l'unissaient  à  la  famille  royale.  Le  3  novembre, 
après  la  retraite  du  ministère  Pfuel,  il  fut  nommé  chef  du 
nouveau  cabinet,  que  l'on  désigna  sous  le  nom  de  ministère 
Brandebourg-Manteuffel.  Il  suivit  dès  lors  avec  une  loyauté 
et  une  fidélité  inébranlables  les  directions  diverses  prises  par 
la  politique  prussienne,  de  sorte  que  son  nom  se  rattache  à 
toutes  les  mesures  importantes  adoptées  par  ce  cabinet 
(voyez  Prusse),  Étranger  aux  exigences  du  gouvernement 
constitutionnel,  son  apparition  dans  la  chambre  trahissait 
toujours  un  certain  embaiTas.  Au  mois  de  novembre  1849, 
quand  le  conflit  survenu  entre  la  Prusse  et  l'Autriche  fut 
soumis  à  l'arbitrage  de  la  Russie,  le  comte  de  Brandebourg 
fut  envoyé  à  Varsovie  comme  négociateur.  Si,  outrepassant 
ses  instructions,  il  fit  alors  des  concessions  à  l'Autriche  au 
sujet  de  la  renonciation  à  l'Union  et  à  l'entrée  de  tous  les 
États  de  cet  empire  dans  la  Confédération  germanique ,  il 
n'agit  ainsi  que  parce  qu'il  supposait  qu'à  l'avenir  la  Prusse 
et  l'Autriche  auraient  chacune  alternativement  la  présidence 
de  la  diète,  et  que  le  droit  d'Union  resterait  garanti.  Aussi 
lit-il  de  nouveau  mention  de  ces  conditions  à  Vienne  alors 
que,  après  la  sortie  de  M.  de  Radowitz  du  cabinet,  M.  de 
Manteiiflél  [larlait  de  faire  ces  concessions  sans  équivalents. 
Dans  la  séance  du  conseil  des  ministres  tenue  le  2  novembre 
le  comte  de  Brandebourg  avait  voté  à  la  vérité  contre  la  pro- 
position faite  par  M.  de  Radowitz  de  mobiliser  l'armée;  mais 
son  cœur  de  vieux  soldat  prussien  se  sentit  profondément 
blessé  quand  il  vit  la  Prusse  entrer  toujours  davantage  dans 
la  voie  des  concessions  vis-à-vis  de  l'Autriche.  On  assure  éga- 
lement que  les  impressions  personnelles  qu'il  avait  rapportées 
de  Varsovie  et  les  vives  discussions  qui  en  résultèrent  au  sein 
du  cabinet  exercèrent  une  puissante  influence  sur  le  déve- 
loppement de  la  maladie  dont  le  comte  de  Brandebourg  ne 
tarda  point  à  être  atteint.  Dans  les  paroxismes  de  son  état 
fii'vreux,  il  se  croyait  au  milieu  du  tumulte  et  de  la  confusion 
des  batailles,  combattant  pour  sauver  l'honneur  île  la  Prusse. 
Le  comte  de  Brandebourg  mourut  le  6  novembre  1850,  d'une 
fièvre  cérébrale,  après  quatre  jours  de  maladie.  Il  a  laissé 
cinq  filles  et  trois  fils,  dont  les  deux  aînés,  frères  jumeaux , 
sont  officiers  dans  l'armée  prussienne. 

BRANDEBOURG  (recAHo%je).  Lorsque  l'électeur 
de  Brandebourg  Frédéric-Guiflaume,  dit  le  Grand  Élec- 
teur, entra  en  Alsace,  en  1674,  les  gens  de  sa  suite  portaient 
une  espèce  de  casaque  qui  allait  jusqu'à  mi-jambes  et  qui 
avait  des  manches  plus  longues  que  les  bras.  Cette  mode 
passa  en  France  sous  son  nom,  qui  fut  conservé  à  tous  les 
vêtements  qui  avaient  plus  ou  moins  d'analogie  avec  le  pre- 
mier modèle,  et  devint  plus  tard  celui  d'une  sorte  de 
boutons  faits  en  olive  et  ornés  d'une  espèce  de  galon  ou  de 
frange,  dont  la  mode  existe  encore. 

BRANDEIS  (en  langue  bohème,  BRANXY  HRAD), 
ville  du  cercle  de  Kaurzim,  en  Bohême,  située  sur  la  rive 
gauche  de  l'Elbe,  dans  une  plaine  fertile,  compte  2,800  ha- 
bitants, qui  s'occupent  principalement  d'agriculture.  Cette 
ville,  siège  d'un  doyenné,  possède  un  gymnase  et  un  vieux 
château  fort,  construit,  en  941,  parle  duc  Bole.slas  le  Furieux. 
Pendant  la  guerre  de  trente  ans  la  ville  eut  beaucoup  à 
souffrir.  Elle  fut  occupée  en  le.'JI  par  les  Saxons,  et  en  I639 
par  les  troupes  suédoises ,  qui  le  30  mai  mirent  sous  ses 
murs  les  Impériaux  en  complète  déroute.  En  1775  un  in- 
cendie la  détruisit  presque  entièrement.  Sa  position  sur  la 
route  de  la  Silésie  et  de  la  Lusace  en  fait  le  centre  d'un  com- 
merce assez  actif,  qui  est  cependant  déchu  depuis  l'établis- 
sement du  chemin  de  ter. 


648 


BRAKDEIS  —  BRANDON 


Il  y  a  encore  en  Bohême  un  autre  Brandeis ,  bourg  de 
2,500  habitants  environ ,  appartenant  au  cercle  de  Kœnigs- 
graetz,  et  dépendant  de  la  seigneurie  de  Trautmansdorf.  Il 
s'y  tisse  beaucoup  de  toiles  de  lin.  Ce  bourg  était  autrefois 
un  des  principaux  établissements  des  frères  moraves  ou 
bohèmes. 

BRAIVDES  (  JEAN-CnnÉTiEN),  comédien  et  poète  dra- 
matique allemand,  célèbre  par  ses  aventures,  naquit  à 
Stettin,  le  15  novembre  1735.  11  y  apprenait  le  commerce, 
lorsqu'une  action  contraire  à  la  probité  l'obligea  de  s'en- 
/uir  et  de  traverser  la  Prusse  en  mendiant  son  pain.  Arrivé 
"  en  Pologne,  il  entra  d'abord  comme  apprenti  chez  un  me- 
nuisier; puis  la  faim  et  la  misère  le  contraignirent  à  se 
faire  successivement  gardeur  de  pourceaux,  bateleur  au 
service  d'un  dentiste  ambulant,  marchand  de  tabac  et 
enfin  domestique  d'un  gentil-homme  du  Holstein,  qui  lui  fit 
donner  quelques  leçons,  et  par  qui  il  eut  occasion  d'assister 
à  quelques  représentations  théâtrales.  Elles  produisirent  sur 
lui  une  si  vive  impression  qu'il  résolut  dès  lors  de  se  con- 
sacrer à  la  profession  de  comédien  et  de  s'y  jiréparer  de  son 
mieux  par  des  travaux  assidus.  En  1757  il  fut  admis  dans 
la  fameuse  troupe  de  Schœnemann  à  Lubeck ,  où  ses  débuts 
furent  peu  heureux.  Il  entra  alors  dans  la  troupe  de  Koch. 
Après  avoir  été  ensuite  employé  pendant  quelque  temps 
dans  les  bureaux  de  la  Gazette  d'Altona,  puis  domestique 
liu  général  Schenk  en  Danemark,  il  remonta  sur  les  planches 
en  1760,  à  Stettin,  dans  la  troupe  de  Scliuch;  et  le  public 
l'accueillit  cette  fois  avec  plus  de  bienveillance.  Plus  tard 
il  joua  alternativement  à  Munich,  à  Leipzig,  à  Hambourg, 
à  Hanovre,  à  Dresde  et  dans  d'autres  villes.  La  mort  pré- 
maturée de  sa  femme  (1786  )  et  de  sa  fille  (  178S)  le  rendit 
inconsolable. 

Sa  femme,  née  en  1746,  en  Lilhiianie,  était  une  actrice 
consommée  et  l'idole  du  public.  Excellente  épouse  et  mère, 
c'est  pour  elle  qu'il  composa  son  Ariadne  à  Naxos ,  pièce 
dans  laquelle  elle  obtint  un  succès  encore  sans  analogue.  Sa 
fille,  née  à  Berlin  en  1763,  était  une  cantatrice  de  pre- 
mier ordre. 

Brandes  vécut  dès  lors  dans  la  retraite  à  Stettin ,  puis 
à  Berlin,  où  il  se  lia  avec  Lessing,  et  où  il  mourut,  le  10 
novembre  1799,  dans  un  complet  état  de  misère  et  d'a- 
bandon. Comme  acteur  il  ne  s'éleva  guère  au-dessus  de  la 
médiocrité;  mais  comme  écrivain  dramatique  il  fit  preuve 
d'une  grande  fécondité.  Ses  pièces  sérieuses,  telles  que  son 
drame  Miss  Fanny ,  sont  dépourvues  de  mérite;  en  re- 
vanche, dans  ses  comédies  il  fait  preuve  d'une  grande 
entente  de  la  scène.  L'action  en  est  toujours  vive,  les  ca- 
ractères vrais  et  bien  tracés,  le  dialogue  facile  et  naturel; 
toutes  qualités  qui  le  distinguent  de  la  plupart  des  au- 
teurs comi(iues  ses  contemporains.  Sous  ce  rapport  nous 
devons  surtout  mentionner  sa  comédie  intitulée  Trau , 
sc/iau,  wem,  qui  obtint  à  Vienne  un  prix  offert  au  meilleur 
ouvrage  nouveau  en  ce  ^tnre;  L'Enlèvement,  Le  Marchand 
anobli;  et  Le  comte  Olsbach.  Son  mélodrame  Ariadne  à 
Aaxos,  unitation  de  V Ariadne  de  Gernstenberg ,  dont  la 
musiciue  fut  faite  une  première  fois  par  Benda  (1778)  et 
une  seconde  fois  par  Reichardt  (  1780),  obtint  le  plus  écla- 
tant succès  sur  toutes  les  scènes  de  r.\llemagne. 

Brandes  publia  lui-même  une  édition  complète  de  ses  œu- 
vres dramati(iues  (8  vol.;  Hambourg,  1790).  Peu  de  temps 
avant  sa  mort  il  écrivit  avec  autant  de  naïveté  que  de  sin- 
cérité son  autobiographie,  ouvrage  aussi  amusant  qu'ins- 
tructif (3  vol.,  Berlin,  1800)  qui  a  élé  traduit  en  français 
par  M.  Ph.  Le  Bas  et  compris  dans  la  collection  des  Mémoires 
dramatiques. 

BII.\Â'D1S  (JoAcniM-DiETRicn),  médecin  du  roi  de  Da- 
nemark, né  à  Hildesheim,  le  18  mars  1762,  mort  à  Copen- 
hague, le  28  avril  184C,  lit  ses  études  à  l'université  de  Gœt- 
tiugue.  Reçu  docteur  en  1785,  il  fut  bientôt  après  appelé 
à  y  occuper  une  chaire;  mais  dès  la  fin  de  l'année  suivante 


il  prit  la  résolution  de  retourner  dans  ea  ville  natale  pour 
y  pratiquer  la  médecine.  Nommé  en  1790  médecin  des 
eaux  de  Driburg,  il  vints'étabhr  à  Brunswick,  puis  à  Ilolze- 
minden.  Sa  clientèle  très-nombreuse  ne  l'empêcha  pas  de 
se  livrer  h  des  travaux  scientifiques.  Outre  quelques  tra- 
ductions d'ouvrages  de  médecine  pratique  et  quelques  traités 
scientifiques,  il  publia  un  Essai  sur  la  Force  vitale  (Ha- 
novre, 1795).  En  1803  il  fut  appelé  à  Kiel  en  qualité  de 
professeur,  et  chargé  en  môme  temps  de  la  direction  de 
la  clinique.  Médecin  du  roi  Frédéric  VI  et  de  la  reine  pen- 
dant les  trois  années  qu'ils  passèrent  à  Kicl ,  il  gagna  à  tel 
point  leur  confiance  que  ce  prince  le  manda  auprès  de  lui, 
en  1809,  à  Copenhague,  et  lui  conféra  le  titre  de  conseiller 
d'État. 

Sans  parler  de  plusieurs  opuscules ,  Brandis,  pendant  son 
séjour  à  Kiel,  avait  publié  sa  Pathologie;  à  Copenhague, 
il  fit  imprimer  son  traité  Sur  les  moyens  physiques  de 
gucrison  (  1818),  son  Essai  sur  la  Vie  humaine  (  Schles- 
vvig,  1823  )  ;  Sur  les  différences  qui  existent  entre  les 
maladies  épidémiques  et  les  maladies  contagieuses  (Co- 
I)enhague,  1833  )  ;  Expériences  stir  l'emploi  du  froid  dans 
les  maladies  (Berlin,  1833);  Nosologie  et  Thérapie  des 
cachexies  (2  vol.,  Berlin,  1834-1839);  Sur  la  vie  et  la 
polarité  (Copenhague,  1836). 

Son  fils,  Christian-Auguste  Brandis,  conseiller  privé 
de  gouvernement,  et  professeur  de  philosophie  à  Bonn, 
naquit  à  Hildesheim ,  le  13  février  1790.  Il  fit  ses  études  à 
Kiel  et  à  Gœttingue,  prit  ses  degrés  à  Copenhague  en  1812, 
après  avoir  soutenu  une  thèse  publiée  sous  le  titre  Com- 
mentationes  Eleaticœ,  et  fut  chargé  du  cours  de  philo- 
sophie dans  l'université  de  cette  ville;  mais  il  quitta  bientôt 
Copenhague  pour  Berlin,  où  il  avait  à  peine  commencé  ses 
leçons,  que  Niebuhr  l'emmena  avec  lui  à  Rome,  comme 
secrétaire  d'ambassade,  en  1816.  Quelque  précieuse  que  lui 
fût  l'amitié  de  ce  savant,  il  ne  put  refuser  l'invitation  qu'il 
reçut  de  retourner  à  Berlin  pour  travailler  aux  longues  et 
pénibles  recherches  exigées  par  la  réimpression  des  œuvres 
d'Aristote  que  l'Académie  royale  des  sciences  de  Berlin  se 
proposait  d'entreprendre.  11  se  consacra  exclusivement,  pen- 
dant plusieurs  années,  à  cette  publication,  dans  l'uitérèt  de 
laquelle  il  visita  avec  Emmanuel  Bekker  les  principales  bi- 
bliothèques de  l'Europe.  C'est  en  1821  seulement  qu'il  entra 
dans  la  carrière  de  l'enseignement,  comme  professeur  à 
Bonn.  11  publia  dans  cette  ville  la  Métaphysique  d'Aristote 
(1823),  les  Scholia  in  Arislotelem  (1836)  et  les  Scholia 
grœcain  Aristotelis  metaphysicam  (1837).  De  1827  à  1830, 
il  publia  avec  Niebuhr  le  Musée  rhénan  pour  la  Philologie, 
l'Histoire  et  la  Philosophie  grecques.  En  1837,  sur  l'invi- 
tation du  roi  Olhon,  il  partit  pour  la  Grèce,  où  il  séjourna 
plusieurs  années  comme  secrétaire  du  cabinet  du  roi.  Il  a 
rassemblé  ses  souvenirs  sur  ce  pays,  et  les  a  fait  imprimer 
sous  le  titre  de  Communications  sur  la  Grèce  (3  vol., 
Leipzig,  1842  ).  Dans  son  Manuel  de  l'histoire  de  la  phi- 
losophie grecque  et  ro»iaJ«e  (Berlin,  1S35-1844  ),  il  a  établi 
sur  une  base  historique  solide  la  connaissance  des  systèmes 
philosophiques  de  la  Grèce;  aussi  ses  services  sous  ce  rap- 
port sont-ils  généralement  appréciés. 

BRANDON.  Ce  mot  vient  du  verbe  brandir,  et  dési- 
gnait dans  l'origine  ces  bouchons  de  paille  indicateurs  que 
les  cabaretiers  attachent  au-dessus  de  leur  porte,  depuis  un 
temps  immémorial.  C'était  également  par  des  brandons  liés 
à  une  perche  et  fixés  en  terre  que  Ton  faisait  savoir  à  tous 
que  le  propriétaire  du  champ  oi'i  ils  se  trouvaient  n'en  avaient 
plus  la  libre  disposition ,  et  qu'il  en  avait  affecté  la  valeur  au 
payement  d'un  créancier.  Souvent  le  brandon  était  placé  par 
celui-ci,  malgré  le  débiteur,  en  exécution  d'un  arrêt  de  jus- 
tice. On  disait  alors  de  l'hénlage  qu'il  était  soî<5  le  brandon  : 
or,  comme  le  plus  souvent  cette  saisie  n'avait  pour  objet 
que  la  récolte  et  non  le  fonds,  c'est  la  signification  qu'en 
droit  le  mot  brandon  a  conservée  {voyfs,  Saisie-Biiandon). 


BRANDON  —  BRANICKI 


fi49 


Le  mot  brandon  se  prenait  encore  pour  signifier  une 
torche;  ce  dernier  sens  lui  est  resté.  On  dit  au  figuré  :  Un 
brandon  de  discorde,  un  brandon  de  guerre  civile. 

Le  premier  dimanche  du  carême  était  autrefois  appelé  le 
dimanche  des  brandons,  parce  qu'on  allumait  sur  les  places 
puhliques  des  feux  autour  desquels  le  peuple  dansait.  Les  or- 
donnances de  plusieurs  de  nos  rois  interdisaient  cette  fite,  qui 
entraînait  souvent  de  singuliers  désordres,  ainsi  que  les  ba- 
ladoires,  les  nocturnes,  et  plusieurs  autres  danses  auxquelles 
on  se  livrait  dans  les  églises  lors  de  certaines  solennités. 
Mais  en  beaucoup  d'endroits  les  évêques  et  les  magistrats 
firent  de  vains  efforts  pour  arrêter  cet  usage,  trop  fortement 
enraciné  pour  qu'il  fût  possible  de  l'abolir  d'un  seul  coup. 
Jusqu'au  milieu  du  dix-septième  siècle,  on  s'opiniàtra  à  le 
conserver  dans  quelques  localités.  Ainsi,  à  cette  époque ,  le 
jour  de  la  fête  de  saint  Martial,  apôtre  du  Limousin,  le  peuple 
dansait  encore  dans  le  chœur  de  l'église  dont  ce  saint  est  le 
patron.  A  la  fin  de  chaque  psaume,  au  lieu  de  chanter  le 
Gloria  Patri,  tout  le  peuple  chantait  en  langage  du  pays  : 
San  Marceau  prdgats  per  nous,  è  nous  epingaren  per 
ÔOMS;  c'est-à-dire  :  «  Saint  Martial,  priez  pour  nous,  et  nous 
danserons  pour  vous.  «  Avant  1789  celte  coutume  avait  été 
abolie, 

■  BRAJVDT  (  SÉBASTIEN  ) ,  jurisconsulte  et  poète  satirique, 
né  à  Strasbourg,  en  1448  ,  docteur  et  professeur  de  droit  à 
l'université  de  Bâle,  conseiller  de  l'empereur  Maximilien  l", 
syndic  et  chancelier  de  sa  ville  natale,  où  il  mourut  en  1520, 
est  l'auteur  du  premier  livre  que  l'imprimerie  rendit  vrai- 
ment populaire  :  le  Vaisseau  des  Fous,  ou  le  nouveau  Vais- 
seau de  Aarragonie,  imprimé  à  Bàle,  en  1494.  Sous  un  titre 
fort  trompeur,  c'est  un  recueil  de  maximes  qui  servaient  de 
texte  aux  sermons  d'un  prédicateur  de  Strasbourg,  non 
moins  fameuxdans  son  temps  que  Sébastien  Brandtlui-même, 
Geiler  de  Keisersberg.  Le  Vaisseau  des  Fousful  tra- 
duit dans  toutes  les  langues.  Brandt  n'a  point  la  gaieté  spiri- 
tuelle et  indulgente  d'Érasme  dans  son  Éloge  de  la  Folie; 
il  censure  tous  les  vices  de  son  temps,  comme  chrétien  et 
comme  philosophe.  11  soumet  son  siècle  au  jugement  sévère 
de  la  sagesse  antique ,  et  cite  les  Anciens  plus  souvent  que 
la  Bible.  Il  est  poète,  d'ailleurs,  à  la  façon  d'un  jurisconsulte, 
écrivain  très-fécond,  éditeur  de  Virgile,  traducteur  des  dis- 
tiques de  Caton  en  vers  allemands.  Ses  autres  ouvrages, 
moins  célèbres  et  connus  seulement  des  érudits  ,  Carmina 
varia,  De  Moribus  etfacetùs  mensx,  etc.,  le  rangent  parmi 
les  humanistes  du  quinzième  siècle.  Le  Vaisseau  des  Fous , 
le  seul  ouvrage  original  qu'il  ait  écrit  en  allemand,  est  le  seul 
aussi  qui  marque  sa  place  dans  l'histoire  politique  et  littéraire 
de  l'Allemagne  parmi  les  précurseurs  de  la  Réforme  et  parmi 
les  écrivains  qui  contribuèrent  aux  progrès  de  la  langue 
nationale.  T.  Tocssenel. 

BRANDT.  A  ce  nom  se  rattache  la  découverte  du 
phosphore  au  dix-septième  siècle.  L'Allemand  Brandt, 
mort  vers  1692,  était  un  de  ces  alchimistes  qui  cherchaient 
dans  de  bizarres  mélanges  l'introuvable  secret  de  la  pierre 
philosophale,  usant  leur  fortune  et  leur  sauté  à  la  poursuite 
des  moyens  de  transformer  en  or  les  plus  viles  matières. 
En  distillant  avec  du  charbon  le  résidu  de  l'urine  éva- 
porée, Brandt  produisit  vers  1609  le  phosphore,  qu'il  ne 
cherchait  pas,  et  ne  sut  môme  point  tirer  parti  pour  sa  gloire 
de  cette  trouvaille.  A.  Des  Geneyez. 

BRAIXDT  (  Georges  ) ,  un  des  chimistes  les  plus  labo- 
rieux et  les  plus  instruits  de  son  temps,  naquit  en  1694 
dans  la  province  de  Westmannie  (Suède).  Après  avoir  fait 
des  voyages  en  divers  j)ays  pour  s'assimiler  toutes  les  cou- 
naissances  de  l'époque  en  docimasie,  il  revint  dans  son  pays, 
et  lut  attaché  au  département  des  mines  et  nommé  directeur 
du  laboratoire  de  chimie  de  Stockholm.  Jusque  alors  on 
n'avait  compté  que  sept  métaux ,  qui  portaient  le  nom  des 
planètes,  et  le  rapport  de  ces  nombres  avec  celui  des  tons 
de  la  gamme  donnait  lieu  à  des  absurdités  mctaphysi(iiies 

OlCl.    UE    L.V    CO.NM.IIS.    —   T.    111. 


sans  cesse  renaissantes.  Brandt  démontra,  en  1732  ,  que  le 
cobalt  n'est  pas  un  mélange  de  divers  métaux,  mais  un 
métal  particulier.  En  1733  il  eut  encore  le  mérite  de  prouver 
que  l'arsenic  est  aussi  un  métal;  on  ne  le  connaissait  qu'à 
l'état  d'oxyde  blanc.  Il  a  consigné  d'autres  travaux  intéres- 
sants dans  les  Mémoires  de  V Académie  de  Stockholm,  dont 
il  était  membre.  Brandt  doit  être  considéré  comme  un  des 
créateurs  de  la  chimie  positive;  un  des  premiers,  il  la  tira 
de  l'ornière  des  systèmes  pour  la  jeter  dans  la  voie  de  l'ex- 
périence. Il  mourut  en  1763 ,  regretté  de  tous  les  amis  de  la 
science.  A.  Des  Genevez. 

BRANDT  (ÉNEVOLD  de),  ami  de  Struensée,  dont  il 
partagea  le  sort,  appartenait  à  une  ancienne  famille  noble  du 
Danemark,  et  avait  rempli  à  la  cour  'ie  Chrétien  VII  les 
fonctionside  gentil-homme  de  la  chambre.  Ayant  écrit  au  roi 
une  lettre  dans  laquelle  il  lui  dévoilait  les  iniquités  de  son 
favori  Holk,  il  fut  exilé  à  Altona,  où  Struensée  fit  sa  con- 
naissance. Une  liaison  intime  se  forma  bientôt  entre  ces 
deux  jeunes  hommes,  amis  du  plaisir.  En  1770  Struensée 
le  rappela  à  la  cour,  pour  remplir  auprès  du  roi  les  fonctions 
qte  Holk  occupait  auparavant.  A  ce  moment.  Chrétien  VU 
se  livrait  aux  amusements  les  plus  puérils  ;  et  il  lui  arrivait  - 
souvent  de  contraindre  les  gens  de  son  entourage  à  lutter 
avec  lui.  Dans  un  de  ces  jeux  de  vilains,  il  arriva  aussi 
à  Brandt  d'être  maltraité  par  Chrétien  et  en  conséquence 
de  le  mordre  à  la  main  pour  lui  faire  lâcher  prise;  il  en 
était  résulté  entre  eux  un  échange  de  dures  paroles.  Toute- 
fois, le  roi  ne  tarda  pas  à  lui  pardonner  celte  incartade ,  et 
en  signe  de  complète  réconciliation  il  le  nomma  directeur 
des  fêtes  de  sa  cour.  Malgré  cela,  lorsque  après  la  chute  de 
Struensée,  Brandt  fut  traduit  avec  lui  devant  la  même  cour 
de  justice,  les  juges  ne  le  condamnèrent  pas  seulement 
comme  complice  de  son  ami,  mais  encore  comme  coupable 
d'une  voie  de  fait  sur  la  personne  sacrée  de  son  souverain. 
Le  roi  ayant  confirmé  la  sentence ,  Brandt  périt  le  premier 
de  la  main  du  bourreau,  le  28  avril  1772. 

BRANICKI  (Je\n-Clément)  ,  grand  hetman  delà  cou- 
ronne de  Pologne,  né  en  1088,  était,  par  .sa  mère,  petit-(ils 
du  célèbre  Czarniecki,  et  le  dernier  rejeton  de  la  noble  et 
puissante  famille  des  Branicki.  Au  début  de  sa  vie,  il  servit 
dans  l'armée  française.  Revenu  en  1715  dans  son  pays,  il 
fit  partie  de  la  confédération  qui  se  forma  contre  Aiifiuste  11. 
Il  vit  avec  une  profonde  douleur  les  désastres  toHJours 
croissants  de  sa  patrie  ;  cependant  jamais  il  ne  put  prendre 
sur  lui  de  consentir  à  l'abolition  du  moindre  des  privilèges 
qui  étaient  la  cause  première  des  malheurs  de  la  Pologne.  A 
la  mort  d'Auguste  III,  Branicki,  alors  premier  sénateur  et 
conmiandant  en  chef  de  l'armée,  se  mit  avec  Charles  R  ad- 
ziwill  à  la  tête  du  parti  républicain,  qui  en  vint  même 
jusqu'à  lui  offrir  la  couronne.  Le  parti  monarchique  des 
Czarloryiski  ayant  eu  le  dessus  dans  la  diète  de  17G4, 
Branicki ,  accusé  de  haute  trahison,  fut  banni  et  dépouillé 
de  toutes  ses  charges  et  dignités.  Son  intention  était  d'abord 
de  résister  à  cette  sentence;  mais,  poursuivi  par  les  troupes 
russes ,  il  chercha  et  trouva  un  asile  en  Hongrie.  Lors  de 
l'accession  au  trône  de  Poniatowski ,  dont  Branicki  avait 
épousé  la  sœur,  celui-ci  rentra  en  Pologne,  et  vécut  depuis 
lors  tranquille  dans  ses  biens ,  ne  s  occupant  plus  que  du 
soin  de  faire  de  sa  magnifique  terre  de  Biallystock  le  Ver- 
sailles de  la  Pologne.  Il  y  construisit  un  château  dans  le 
style  italien,  et  y  fit  planter  et  dessiner  un  parc  immense. 
Hors  d'état  de  jouer  un  rôle  actif  dans  la  confédération  de 
Bar,  il  la  servit  du  moins  de  ses  conseils  et  de  sa  bourse,  et 
mourut  le  9  octobre  1771. 

BRANICKI  ou  BRANECKI  (François-Xavier  ),  d'une 
autre  famille  que  le  précédent,  fut  aussi  grand  hetnian  de 
la  couronne.  Il  marcha  contre  les  confédérés  de  Bar  à  la  têto 
des  troupes  royales  ,  puis ,  vingt  ans  plus  tard ,  fut  un  des 
chefs  de  la  confédération  de  Targowicz,  qui  s'opposa  à 
l'établissement  de  la  constitution  du  3  mai  1791,  et  qui. 

Si 


650 


BRAMCKI  —  BRAINTOME 


protégée  par  Catherine  II ,  impératrice  de  Russie ,  s'efforça 
de  maintenir  les  privilèges  de  la  noblesse.  Quand  Ponia- 
towski  se  fut  rattaché  à  cette  confédération,  et  que  toutes 
les  décisions  de  la  diète  constitutionnelle  eurent  été  annu- 
lées, X.  Branicki  se  rendit  à  Pétershour;^,  à  la  této  de  la  dé- 
pLitalion  qui  vint  remercier  l'impératrice  d'avoir  contribué 
au  rétablissement  des  privilèges  de  la  noblesse.  Après  le 
partage  de  la  Pologne,  devenu  sujet  russe,  il  passa  le  reste 
de  ses  jouis  dans  sa  (erre  de  liialocerkiew.  Il  Miouri;t  eu 
1 8 1 9 .  La  trahison  dont  il  s'était  rendu  coupable  à  l'égard  doses 
concitoyens  lui  avait  valu  toutes  sortes  de  faveurs  en  lîussie. 

îiRANLE  ,  sorte  de  danse ,  composée  de  plusieurs  per- 
sonnes qui  sautent  en  rond ,  se  tenant  par  la  main  et  se 
donnant  une  agitation  continuelle.  Le  bal  chez  nos  pères 
s'ouvrait  toujours  par  le  branle  simple,  suivi  du  branle  gai, 
qui  consistait  à  tenir  le  pied  en  l'air  ;  puis  le  bal  se  termi- 
nait |)ar  le  branle  de  sortie.  11  en  fut  ainsi  jusqu'au  milieu 
du  siècle  dernier,  où  le  menuet  détrôna  le  branle.  Peu  de 
danses  ont  joui  d'une  vogue  plus  universelle,  car  on  comp- 
tait des  branles  de  Boulogne,  du  Barrois,  de  Bretagne,  du 
Poitou,  du  IJainaut,  d'Avignon,  d'Ecosse.  On  inventa  aussi 
le  branle  des  lavandières,  où  les  danseurs  frappaient 
dans  leurs  mains;  celui  des  sabots,  autrement  dit  des  che- 
vaux, où  l'on  battait  du  pied  le  parquet;  le  branle  de  la 
torche,  parce  que  le  danseur  tenait  à  la  main  une  torche 
ou  un  (lambeau  allumé.  Il  y  avait  aussi  des  branles  morgues 
et  gesticules ,  appelés  aussi  de  la  moutarde;  mais  enfin 
tous  ces  branles  se  fondirent  dans  le  branle  à  mener,  où 
chacun  conduit  la  danse  à  son  tour  et  se  met  ensuite  à  la 
<|ueue;  d'où  il  résulte  que  cette  danse  semble  avoir  une 
étroite  parenté  avec  la  boulangère  et  le  carillon  de  Dun- 
herque,  qui  se  partagent  môme  aujourd'hui  l'honneur  de 
teruiiner  jilus  d'une  bal  de  noce. 

BRANLE-BAS.  C'est  un  mot  terrible  en  temps  de  guerre 
à  bord  d'un  navire  que  celui  de  branle-bas  de  combat!... 
Dès  que  du  haut  de  la  dunette,  ou  de  son  banc  de  quart,  le 
cominamiaiit  a  fait  retentir  ce  signal  sur  le  pont,  que  cent 
et  c«nt  échos  l'ont  répété  dans  les  batteries ,  dans  l'entrepont 
et  jusqu'au  fond  de  la  cale,  et  que  le  tambour  a  fait  un  rap- 
pel particulier,  comme  le  son  du  tocsin  dans  une  ville  po- 
puleuse, tous  les  matelots  se  précipitent  pour  se  rendre  à 
leur  poste  de  combat  ;  les  canons  sont  disposés  à  lancer  la 
foudre  ;  autour  de  chaque  pièce  se  rangent  en  file  tous  les 
servants  ;  les  soutes  à  poudre  sont  ouvertes  ;  tous  les  hamacs, 
décrochés  et  montés  sur  le  pont ,  sont  placés  de  manière  à 
offrir  un  nouvel  obstacle  aux  boulets  de  l'ennemi  ;  les  cloi- 
sonsdes  chambres  etdes  batteries  disparaissent,  et  le  navire , 
naguère  brillant  des  commodités  du  lu\e,  change  tout  à 
coup  d'aspect,  et  se  présente  comme  une  sévère  arène  de  com- 
bat ;  les  chirurgiens  déploient  tous  leurs  instruments  ;  les  lits 
et  les  tables  qui  doivent  lecevoir  les  blessés ,  les  linges  qui 
serviront  à  bander  leurs  plaies,  funèbre  appareil  des  suites 
du  carnage  ,  etqui  fait  sur  l'âme  une  impression  plusprofonde 
que  le  carnage  même. 

Au  mouvement  bruyant  qui  vient  d'agiter  le  vaisseau  suc- 
cède tout  à  coup  un  silence  de  mort  :  chacun  reste  immo- 
bile à  son  poste;  tous  les  yeux  se  tournent  avec  anxiété  vers 
le  chef,  qui  va  donner  le  signal  du  comliat  :  on  échange  quel- 
ques regards  significatifs;  c'est  \m  a-lieu  d'amis,  c'est  un 
soupir  de  tendresse,  c'est  une  derrière  (u-nsée  à  sa  patrie,  à 
tout  ce  qu'on  aime;  on  n'entend  plus  (jue  le  sillage  du  bâ- 
timent ou  le  bruit  de  la  mer  qui  se  brise  contre  ses  lianes; 
c'est  connue  le  roulement  du  tonnerie  cpii  prélude  aux  éclats 
d'un  orage.  Ceux  qui  sont  placés  de  manière  à  distinguer  les 
objets  en  dehors  du  navire,  examinent  attentivement  le  vais- 
seau que  l'on  va  combattre;  ils  cherchent  à  deviner  le  mo- 
ntent où  les  bouches  noires  {\tis,  canons  qui  sont  dirigés  con- 
tre eux,  vomiront  le  fer  et  la  mort.  Quelle  poésie  sombre  et 
imposante  poiu-r;:it  représenter  toutes  les  passions  qui  s'agi- 
teul  en  ce  monieid  au  tond   dos  cœurs,  alors  qu'enlermés 


dans  leurs  murailles,  tous  les  matelots,  debout  et  immo- 
biles, menacés  de  la  mort,  mais  incertains  du  moment  précis 
où  elle  viendra  les  atteindre,  attendent  dans  une  apparente' 

impassibilité  le  signal  qui  leur  permettra  de  renvoyerle  trépas' 
à  l'ennemi. 

Dans  cet  instant  de  silence,  le  commandant  fait  ordinaire- 
ment une  allocution  courte,  et  qui  manque  rarement  depro- 
duire  un  grand  effet.  Gloire,  honneur  et  patrie!  voilà  les 
mots  qui  réveillent  au  cœur  des  matelots  des  sentiments  hé- 
roïques. Qu'il  est  sublime  ce  signal  de  Neison  à  Trafalgar 
au  moment  où  toute  Parmée  était  préparée  au  combat  : 
«  L'Angleterre  compte  qu'aujourd'hui  chacun  de  ses  défen- 
seurs fera  son  devoir!  »  Et  ces  paroles  furent  écoutées  avec 
un  religieux  recueillement. 

Les  ténèbres  rendent  encore  le  branle-bas  plus  imposant  : 
au  milieu  d'une  nuit  sombre,  deux  bâtiments  se  rencon- 
trent ;  l'un  d'eux  ignore  la  présence  de  l'ennemi  dans  les  pa- 
rages oii  il  croise;  il  s'approche,  et  le  bêle  dans  la  langue 
de  son  pays  ;  soudain  l'autre  navire  laisse  tomber  ses  man- 
telets  de  sabords  :  il  est  prêt  à  combattre;  tous  les  canon- 
niers  sont  à  leurs  pièces;  deux  longues  lignes  de  fanaux 
éclairent  les  batteries,  et  jettent  sur  l'eau  un  lugubre  reflet , 
et  une  horrible  décharge  de  quarante  pièces  de  canon  réveille 
cruellement  le  premier  navire  de  son  erreur.  C'est  dans  la 
Manche  que  s'est  passée  cette  scène. 

Le  mot  branle-bas  vient  de  ce  qu'à  ce  commandement,  tous 
les  hamacs,  autrefois  nommés  branles ,  sont  décrochés  et 
mis  dans  les  filets  de  bastingage.  Théogène  Page. 

BRAJVIVOVICES,  BP.a:Ni\0 VIENS  ou  AULERQUES, 
peuples  des  Gaules  qui,  selon  César,  habitaient  la  première 
Lyonnaise ,  vers  l'ouest ,  le  long  de  la  Loire.  Il  les  cite 
parmi  les  clients  des  Éduens.  Davies,  qui  a  donné  une  belle 
édition  de  César,  remarque  dans  une  note  qu'il  n'est  fait  ail- 
leurs aucune  mention  des  Aulerques-Brannovices.  Il  ajoute 
que  tous  les  manuscrits  distinguent  ces  mots  par  des  virgu- 
les, Aulercis,  Brannovicibus  et  Brannoviis ;  le  grec  les  dis- 
tingue de  même,  en  sorte  qu'il  paraîtrait  que  ce  sont  trois 
peuples  différents. 

BRANTÔME  (  Pierre  de  BORDEILLE  ou  de  BOUR- 
DEILLES,  seigneur  de  l'abbaye  de),  naquit  en  Périgord,  vers 
1527.  Il  obtint  très-jeune  l'abbaye  de  Brantôme,  un  des 
plus  riches  bénéfices  du  Périgord.  Rien  de  plus  ordinaire 
alors  que  de  voir  des  abbayes  données  à  des  hommes 
d'épée,  et  même  à  des  dames.  Les  grands  bénéfices  ecclé- 
siastiques étaient  considérés  comme  des  seigneuries  amo- 
vibles à  la  disposition  du  roi ,  plutôt  que  comme  des  char- 
ges et  des  dignités  essentiellement  religieuses.  Homme  d'é-  ' 
pée  et  courtisan  par  état  et  par  goût,  Brantôme  ne  cessa 
point  de  suivre  les  armées  et  la  cour;  il  fut  souvent  em|)loyiî 
dans  des  missions  diplomatiques,  et  fut  gontil-honnne  de  la 
chambre  des  rois  Charles  IX  et  Henri  111,  décoré  de  leurs 
ordres  et  de  plusieurs  ordres  d'Ecosse  et  d'Italie.  «  Il  avoit 
beaucoup  d'esprit  et  de  bonnes  lettres,  dit  Le  Laboureur;  il 
e-toit  fort  gentil  dans  sa  jeunesse;  mais  j'ai  appris  de  ceux" 
qui  l'ont  connu  que  le  chagrin  de  ses  vieux  jours  luy  fiist 
plus  pesant  que  ses  armes  et  plus  déplaisant  que  tous  les 
travaux  de  la  guerre  et  les  fatigues,  tant  de  mer  que  de  terre, 
en  Ions  .ses  voyages.  Il  regrettoit  le  temps  passé,  la  perte 
de  sesaniis  ,  et  ne  voyoit  rien  qui  approchast  de  la  cour  des 
Valois,  oii  il  avoit  esté  nourry.  )> 

Braidome  a  hii-même  esquissé  sa  biographie  en  f'rrivant 
celle  de  Duguat  :  «  Dès  lors  que  je  commençai,  dit-il,  de 
sortir  de  sujcition  de  père  et  de  mère  et  de  l'école,  je  me 
mis  à  voyager  ft».r  voyages  quej'ay  faits  aux  guerres  cl  aux 
cours,  dans  la  France,  lorsque  la  paix  y  esloit,  pour  cher- 
cher advcnture,  fust  pour  guerre  ,  fust  pourvoir  le  monde  ; 
en  Italie,  en  Ecosse,  en  Espagne  ou  en  Portugal,  dont 
jcuii-oitai  ïhabi/o  (décoration)  do  Chrislo,  (hupiel  le  roi 
de  Portugal  m'honora,  qui  est  l'ordre  de  là.  Estant  tourné  du 
M>yago  du  Pignon  de  Wlezen  Harbarie,  puis  eu  Italie,  même 


BRANTOME 

à  Malle  pour  le  siège,  à  la  gouIcUe  d'Afrique,  en  Grèce,  et 
autres  lieux  estrangers,  quej'ay  cent  fois  mieux  aimés  pour 
séjour  queceluy  de  ma  patrie,  etc.  "  De  Tliou  nomme  Bran- 
tôme parmi  les  gentils-hommes  français  qui  passèrent  à  Malte 
en  1505.  Brantôme  avait  pris  la  résolution  de  s'y  faire  re- 
cevoir chevalier.  Strozzi ,  son  ami ,  l'en  empêcha.  «  Je  m'y 
laissai  aller  ainsi,  ajoute-t-il,  aux  persuasions  de  mon  ami, 
et  m'en  retournay  eu  France,  où,  pipé  d'espérance,  je  n'ay 
reçu  d'autre  fortune,  sinon  que  je  suis  esté.  Dieu  merci, 
assez  toujours  aimé,  connu  et  bien  venu  des  rois  mes 
maistres ,  des  grands  seigneurs  et  princes,  de  mes  reines,  de 
mes  princesses,  bref,  d'un  cliascuu  et  chascune,  qui  m'ont 
en  telle  estime,  que,  sans  me  vanter,  le  nom  de  Brantosme  y  a 
esté  très-bien  en  grande  renommée  ;  mais  toutes  telles  fa- 
veurs, telles  grandeurs,  telles  vanités  et  telles  vanteries, 
telles  gentillesses,  tel  bon  temps,  s'en  sont  allés  dans  le  vent, 
et  ne  m'est  rien  resté  que  d'avoir  este  tout  cela,  et  un 
soubvenir  encore  qui  quelquefois  me  plaist,  queKiuefois  me 
déplaist,  m'advançant  sur  la  maudite  chenue  vieillesse,  le 
pire  de  tous  les  maux  du  monde,  en  sus  la  pauvreté, 
qui  ne  se  peult  réparer  comme  dans  un  bel  âge  llorissant, 
à  qui  rien  n'est  impossible,  me  re|)entant  cent  mille  fois  des 
braves  extraordinaires  dépenses  que  j'ay  faites  autrefois.  » 

L'abbé  de  Brantôme,  comme  tous  les  vieux  pécheurs,  ne 
se  repentait  pas  mille  fois  de  la  joyeuse  vie  qu'il  avait 
menée  dans  sa  florissante  jeunesse,  mais  il  regrettait  les 
folles  dépenses  qu'il  avait  faites,  et  ne  voyait  que  sa  pau- 
vreté actuelle  et  l'impuissance  de  se  livrer  encore  aux  folies 
du  jeune  âge.  Marguerite  de  Valois  lui  adressa  ses  œuvres. 
11  eut  aussi,  sans  doute,  part  aux  libéralités  que  cette  prin- 
cesse prodiguait  aux  gens  de  lettres,  qui  la  payaient  en 
éloges  et  en  encens,  et  par  les  beaux  noms  de  déesse  et  de 
Vénus-Vranie.  Dans  la  position  élevée  où  il  se  trouvait 
placé  à  la  cour,  Brantôme  ne  pouvait  rester  neutre,  et  il 
s'était  prononcé  en  faveur  des  Guises;  il  dissimulait  avec 
plus  d'adresse  que  de  succès  son  antipathie  pour  la  maison 
de  Bourbon  ;  il  ne  voyait  rien  au-dessus  delà  cour  des  Va- 
lois ,  et  les  Guise  seuls  lui  paraissaient  capables  d'en  con- 
tinuer l'éclat  et  la  magnificence  :  c'était  l'opinion  de  tous  les 
courtisans,  dont  il  partageait  les  plaisirs  et  les  vices,  et  dont 
il  a  tracé  les  poitraits  avec  une  naive  et  cynique  fidélité. 

Initié  à  toutes  les  intrigues  galantes  et  politiques  de  cette 
cour  si  dévote  et  si  corrompue ,  il  se  fit  le  peintre  et  l'his- 
torien de  toutes  les  individualités  conteujporaines  célèbres 
ou  fameuses  :  toutes  posèrent  devant  lui;  ses  nombreux 
portraits  sont  frappants  de  ressemblance  ;  sa  manière  n'est 
qu'à  lui.  11  n'eut  point  de  modèle,  et  n'a  point  de  rivaux  : 
il  peint  d'après  nature.  Le  lecteur  avide  d'émotions  vives  et 
variées  le  suit  dans  les  camps ,  à  la  cour,  dans  les  cabinets 
des  ministres ,  sous  la  tente  des  généraux  ,  dans  les  solen- 
nités publiques,  et  dans  les  orgies  des  petits  appartements. 
Des  guerriers  habiles  et  valeureux,  des  hommes  d'État 
distingués,  de  grands  magistrats,  des  hommes  de  cour  et  de 
plaisir,  des  reines,  des  princesses,  de  grandes  dames,  par- 
tageaient alors  leur  temps  entre  les  pratiques  de  la  dévotion 
la  plus  minutieuse  et  celles  de  la  plus  stupide  superstition. 
Les  Mémoires  des  illustres  capitaines Jfançais  et  étran- 
gers ont  presque  toujours  la  gravité  et  l'intérêt  de  l'his- 
toire; mais  ceux  des  Daines  galantes  n'appartiennent  qu'au 
tableau  des  mœurs  privées,  et  sont,  sous  ce  rapport,  très- 
intéressants  ,  quoique  trop  souvent  hideux  de  scandale  et 
de  vérité.  Dans  ce  vaste  panorama,  si  animé,  si  brillant, 
l'auteur  nous  montre  à  nu  les  faits  et  les  personnages  les  plus 
influents  de  cette  époque  si  féconde  en  événements  extra- 
ordinaires. Si  pour  quelques-uns  de  ces  personnages  c'est 
un  monument  de  gloire ,  le  plus  grand  nombre  n'en  retire 
que  le  stigmate  indélébile  de  l'infamie.  Mais  à  ces  der- 
niers l'auteur  courtisan  réserve  une  fiche  de  consolation  : 
le  dernier  trait  n'est  qu'un  compliment;  l'éloge  fait  passer 
'  l'épigramme,  mais  sans  en  émousser  la  pointe. 


BRAS 


651 


Brantôme  mounit  dans  un  âge  très-avancé,  le  5juillet  l«i4. 
Il  avait  assisté  aux  grands  et  déplorables  événements  des 
règnes  de  Charles  IX,  Henri  III,  Henri  IV,  et  avait  vu  com- 
mencer celui  de  Louis  XIII.  Ses  mémoires,  publiés  en  iciô 
à  Leyde,  en  12  petits  volumes,  obtinrent  un  succès  prodi- 
gieux; ils  ont  eu  de  nombreuses  éditions  en  France  et  à 
l'étranger. 

On  doit  considérer  comme  une  suite  nécessaire  des  Mé- 
moires de  Brantôme  ceux  de  Bordeille  de  Montrésor,  son 
petit-neveu,  publiés  aussi  à  Leyde,  et  dans  le  même  format, 
en  ICOô,  2  vol.  in-ls.  Les  œuvres  de  Brantôme  compren- 
nent :  1"  Vies  des  hommes  illustres  et  grands  capitaines 
français;  2°  la  Vie  des  grands  capitaines  étrangers; 
3°  la  Vie  des  dames  galantes;  4"  Zes  Rodomontades  et  ju- 
rements des  Espagnols.  On  a  donné  à  Brantôme  le  nom 
de  valet  de  chambre  de  l'histoire,  à  cause  des  détails  minu- 
tieux et  intimes  qu'il  prodigue  dans  ses  confidences.  On  l'a 
appelé  aussi  le  Plutarque français.  Cette  qualification  est 
moins  juste  :  il  y  a  entre  l'historien  philosophe  grec  et  le 
biographe  courtisan  français  du  seizième  siècle  toute  la  dis- 
tance des  héros  de  Salamine  et  des  Thermopyles  aux  dames 
de  la  petite  bande  de  Catherine  de  Médicis  et  aux  mignons 
de  Henri  III.  Dufey  (de  l'Yonne). 

BRAQUE  (de  Ppa^û;,  bref,  court).  Les  anciens,  en 
général  bons  observateurs,  avaient  fait  la  remarque  que  les 
individus  courtsde  taille  agissent  d'ordinaire  par  mouvements 
brusques,  précipités,  et  sont  cassants  dans  leurs  actes  ou 
leurs  décisions.  Tels  sont  la  plupart  des  petits  hommes,  si 
prompts,  si  volontaires  :  tel  on  nous  dépeint,  dans  l'his- 
toire de  France,  Pépin  le  Bref.  Us  ont,  dit-on,  la  tête  prè.% 
du  bonnet,  et  prennent  des  déterminations  trop  rapides 
pour  être  toujours  prudentes.  C'est  qu'en  eux  la  circulation 
est  vive;  elle  accomplit  son  cycle  en  bien  moins  de  temps 
que  chez  les  géants,  longs  corps  flasques  et  indolents  pour 
la  plupart.  Rarement  on  rencontre  des  braques  parmi  ceux 
ci,  tant  s'accordent  le  physique  et  le  morall  Aussi  une  sou- 
ris est  bien  plus  mobile  qu'un  éléphant. 

Le  tempérament  bilieux  et  le  sanguin  sont  plus  souvent 
braques,  dans  la  jeunesse  principalement,  que  le  moi: 
lymphatique  ou  le  méticuleux  mélancolique,  ceux-ci  dans 
leur  vieillesse  surtout.  Les  individus  à  complexion  sensible, 
à  fibres  grêles,  sont  exposés  à  des  impressions  rapides,  pou- 
vant les  rendre  violents ,  sans  leur  donner  le  temps  de  ré- 
fléchir. Aussi  se  repentent-ils  d'avoir  fait  ou  ordonné  des 
actes  très-dangereux  ou  répréhensibles ,  comme  il  arrive  à 
des  princes  absolus ,  dans  des  moments  d'ivresse ,  par 
exemple. 

L'homme  distrait  est  souvent  braque.  C'est  un  vice  orga- 
nique qu'on  peut  corriger,  avec  beaucoup  d'attention,  à  la 
longue.  Ce  défaut  empêche  de  bien  comprendre  et  de  bien 
agir.  J.-J.  ViREY. 

BRAQUE,  espèce  de  chien  qui  diffère  du  cliien  cou- 
rant par  un  museau  moins  long  et  moins  large,  par  des 
oreilles  plus  courtes,  à  demi  pendantes,  des  jambes  plus 
longues,  le  corps  plus  épais,  la  queue  plus  charnue  et  plus 
courte.  Il  est  blanc  ou  tacheté  de  noir  et  de  fauve.  On  l'em- 
ploie principalement  comme  chien  d'arrêt  dans  la  chasse 
aux  lièvres,  aux  faisans ,  etc.  Il  est  admirable  pour  décou- 
vrir à  l'odorat  la  trace  des  cailles  et  des  perdrix. 

Le  braque  du  Bengale  est  moucheté  :  cette  race  a  moins 
de  nez  que  la  précédente ,  mais  elle  chasse  bien  aussi. 

BRAQUEMAR  ou  BRAQUEMART  (de  ppaxeïa, 
courte,  et  [Aâyaipa,  épee),  épée  courte  et  large,  qu'on  por- 
tait le  long  de  la  cuisse ,  à  l'époque  des  premières  croisades. 
Elle  reparut  momentanément  en  France,  sous  Henri  IV. 
sans  que  l'espadon  cessât  pour  cela  d'être  en  usage. 

BRAS.  Ce  mot ,  qui  désigne  dans  le  langage  vulgaire  la 
îotalité  de  chacun  des  membres  supérieurs  ou  thoraciques  de 
l'homme,  a  un  sens  plus  restreint  pour  l'anatomiste  :  le  bras 
pour  lui  est  la  partie  comprise  entre  l'épaule  et  le  coude, 

S2. 


652 


BRAS 


où  commence  Vavant-bras,  qui  se  termine  à  la  main.  Ainsi 
envisagé,  le  bras  est  à  peu  près  cylindrique;  sa  longueur, 
((ui  chez  le  fœtus  est  moindre  (jue  celle  de  l'avant-bras ,  dé- 
passe plus  tard  celle-ci  d'un  cinquième  environ.  Un  seul  os 
en  constitue  la  partie  centrale  :  c'est  Yhumérus,  dont 
l'extréinilé  supérieure  s'articule  avec  l'omoplate  et  contribue 
à  former  l'épaule  ,  tandis  que  l'extrémité  inférieure  forme  le 
coude  en  s'articulant  avec  le  radius  et  le  cm6 î^ms,  qui 
sont  les  deux  os  de  l'avant-bras. 

Divers  muscles  entourent  Tbumérus  et  s'insèrent  sur  lui , 
mais  quatre  seulement  appartiennent  en  propre  au  bras  :  ce 
sont  les  muscles  triceps  brachial  en  arrière,  caraco-bra- 
chial en  dedans,  brachial  antérieur  et  biceps  en  avant. 
Parmi  les  autres  muscles  qui  appartiennent  à  l'épaule  et  qui 
recouvrent  la  partie  supérieure  de  l'bumérus,  le  plus  im- 
portant cstle  deltoïde. 

Les  muscles  de  l'avant-bras  sont  beaucoup  plus  nom- 
breux. Les  uns  (  muscles  rond  pronateur,  carré  prona- 
tcur,  fjrand  et  petit  supinateur  )  servent  aux  mouvements 
de  pronation  et  de  supination.  Les  autres  {\&  grand  palmaire, 
\q  petit  palmaire,  le  cubital  antérieur,  \c fléchisseur  su- 
perficiel et  le  fléchisseur  pro/ond  des  doigts,  le  grand 
fléchisseur  du  pouce,  l'extenseur  commun  des  doigts, 
V extenseur  du  petit  doigt,  le  cubital  postérieur,  le  grand 
adducteur  du  pouce,  \e  petit  extenseur  du  pouce,  le  grand 
extenseur  du  pouce,  Vextenseur  propre  de  l'index,  le 
premier  et  le  second  radial  )  sont  destinés  à  la  flexion  et  à 
l'extension  de  la  main  et  des  doigts.  Enfin  un  seul  muscle, 
Vanconé ,  sert  à  l'extension  de  l'avant-bras  sur  le  bras. 

L'artère  principale  du  bras  fait  suite  à  l'artère  axillaire 
(  voyez  Artères  ) ,  et  porte  le  nom  (Tartèré  humérale  ou 
brachiale.  Située  d'abord  tout  à  fait  en  dedans  du  bras,  au- 
dessous  du  creux  de  l'aisselle, elle  descend  vers  l'avant-bras, 
en  se  dirigeant  un  peu  en  avant  et  en  suivant  le  trajet  d'une 
ligne  qui  s'étendrait  obliquement  du  milieu  du  creux  de  l'ais- 
selle à  la  partie  moyenne  du  pli  du  coude;  elle  est  ainsi  ap- 
pliquée le  long  du  bord  interne  du  biceps.  Après  avoir  donné 
naissance  aux  artères  collatérales ,  et  à  peu  près  au  ni- 
veau du  pli  du  coude,  elle  se  divise  en  deux  branches  situées 
à  la  partie  antérieure  de  l'avant-bras,  et  descendant  jus- 
qu'à la  main ,  entre  les  couches  formées  par  les  muscles 
nommés  i)lus  haut.  La  branche  interne  qui  suit  assez  exac- 
tement la  direction  du  cubitus,  porte  le  nom  d'artère  cubi- 
tale. L'autre  branche,  nommée  artère  radiale,  côtoie  le 
côté  interne  de  l'avant-bras;  en  bas,  elle  n'est  recouverte 
que  par  la  peau ,  et  c'est  sur  elle  que  les  médecins  tatent  Je 
pouls. 

Parmi  les  veines  du  bras,  on  en  voit  deux  qui  accom- 
pagnent l'artère  brachiale  et  sont  placées  au-devant  d'elle; 
les  autres  (la  basilique  et  la  cépliuUque),  sont  isolées,  et 
se  continuent  dans  l'avant-bras,  où  on  trouve  aussi  deux 
veines  radiales  et  deux  veines  cubitales,  qui  suivent 
exactement  le  trajet  des  artères  de  même  nom.  A  l'avant- 
bras  appartient  encore  la  médiane,  qui  se  divise  à  trois 
centimètres  environ  au-dessous  du  pli  du  bras  en  deux  ra- 
meaux, qui  vont  joindre  en  remonlant;  l'un  sous  le  nom  de 
médiane  basilique,  la  veine  basilique,  l'autre  sous  le  nom 
de  médiane  céphalique ,  la  veine  céphalicjue.  Il  est  utile  de 
connaître  ces  veines  pour  pratiquer  la  saignée  du  bras;  il 
faut  surtout  se  rappeler  que  l'artère  brachiale  est  souvent 
très-rajiprochée  de  la  veine  basilique,  et  qu'en  piquant  celle- 
ci  on  a  quelquefois  blessé  l'ailère ,  accident  assez  grave. 

Les  nerfs  du  bras  et  de  l'avant-bras  sont  au  nombre  de 
cinq,  savoir  :  le  radial,  le  musculo-cutané,  le  cutané  in- 
Icrnc,  qui  suit  le  trajet  de  la  veine  basilique  et  peut  être  lésé 
loi  s(]ir()ii  saigne  celle-ci  ;  le  médian,  qui  accompagne  l'artère 
l)rachiale  ;  et  le  cubital,  qui  descend  le  long  de  la  partie  in- 
terne du  bras  et  passe  au  coude,  entre  deux  éminences  os- 
seuses nommées  Vépitrochlée  et  Volécrâne.  Aussi  laçons 
jircssion  exercée  entre  ces  deux  saillies  est-elle  très-dou- 


loureuse; de  là  encore  la  douleur  et  l'engourdisseraent  que 
l'on  éprouve  souvent  après  un  léger  choc  au  coude. 

Le  bras  et  l'avant-bras  ne  sont  pas  sujets  à  des  maladies 
spéciales  :  ils  peuvent  être ,  comme  d'autres  parties  du 
corps  ,  le  siège  d'éruptions  cutanées,  d'ulcères,  d'alTcès,  etc. 
Les  membres  thoraciques ,  par  la  longueur  des  os  qui  les 
composent ,  sont,  ainsi  que  les  membres  abdominanx,  plus 
fréquemment  exposés  aux  fractures  et  aux  luxations 
que  les  autres  pièces  de  notre  charpente  osseuse.  Mais, 
dans  les  cas  qui  peuvent  nécessiter  l'amputation ,  l'avant- 
bras  offre  l'avantage  que  cette  opération  se  fait  le  plus  bas 
possible,  tandis  que  pour  la  jambe  on  est  obligé  de  sacrifier 
le  membre  entier.  C'est  sur  les  bras  que  se  font  communé- 
ment les  piqûres  du  vaccin.  Ces  membres  sont  aussi  le 
siège  ordinaire  des  vésicatoires  dérivatifs  et  des  cautères. 

Quelque  nombreux  et  vaiiés  que  soient  les  phénomènes 
physiologiques  du  bras  et  de  l'avant-bras,  nous  pouvons  les 
réduire  à  quatre  principaux,  savoir  :  la  sensation,  la  pro- 
tection, les  mouvements  et  la  nutrition.  En  effet,  la  peau, 
plus  dense  et  pourvue  de  poils  plus  ou  moins  nombreux  en 
arrière  et  en  dehors,  plus  fine,  plus  délicate  et  nue  en  de- 
dans et  en  avant,  protège  les  parties  soujacentes.  La  déli- 
catesse de  son  tissu,  qui  la  rend  plus  sensible  sur  les  faces 
de  flexion,  est  en  harmonie  avec  la  direction  des  mouvements 
dans  le  phénomène  de  l'embrassement,  et  réciproquement 
la  densité  du  tissu  et  les  poils  plus  nombreux  des  faces  d'ex- 
tension la  rendent  plus  propre  à  la  protection  contre  l'action 
des  corps  extérieurs.  La  couche  fibreuse  {  aponévrose  du 
bras  et  de  l'avant-bras  ),  subjacente  à  la  peau,  enveloppe  im- 
médiatement les  chairs  ou  mascles,  les  protège  et  les  bride 
dans  leurs  mouvements,  tant  au  dehors  qu'au  dedans,  au 
moyen  des  cloisons  nombreuses  qui  vont  s'insérer  jusqu'aux 
os.  Les  chairs  (  corps  charnus  des  muscles  et  leurs  tendons  ) 
forment  aussi  des  couches  qui  enveloppent  les  os ,  et  les 
garantissent  des  chocs  des  corps  étrangers.  Les  os,  qui  sont 
les  organes  les  plus  solides  et  qui  fournissent  à  un  très-grand 
nombre  de  muscles  leurs  points  d'insertion,  concourent  à  pro- 
duire les  mouvements  dont  ils  sont  les  organes  passifs,  tandis 
que  les  muscles  en  sont  les  agents  ou  organes  actifs.  Les  join- 
tures ou  articulations  du  bras  avec  l'épaule,  du  bras  avec  l'a- 
vant-bras, et  des  os  de  l'avant-bras  entre  eux,  réunissent  toute» 
les  conditions  pour  l'étendue  et  la  variété  de  ses  mouvements. 
Ladiversité,  lamultiplicitédeces  mouvements,  l»  d'élévation, 
d'abaissement,  d'abduction,  d'adduction,  de  rotation  et  de 
circumduction,  exécutés  par  le  bras  ;  2°  de  flexion ,  d'extension, 
de  supination,  de  pronation  de  l'avant-bras;  leur  combinai- 
son, leur  succession,  leur  alternative  et  leur  simultanéité, 
enfin  leur  rapidité  et  leur  énergie  plus  ou  moins  grandes, 
toujours  appropriées  aux  besoins  de  l'intelligence,  sont  les 
vrais  éléments  de  la  force,  de  la  vigueur  et  de  l'adresse  du 
bras  et  de  l'avant-bras,  en  faisant  ici  abstraction  de  la  main. 
Si  l'on  y  joint  la  sensibilité  de  la  peau  des  bras,  dont  l'ha- 
bitude perfectionne  l'exercice,  on  ne  sera  nullement  étonné 
des  travaux  exécutés  par  des  m  a  n  c  h  o  t  s ,  soit  de  naissance, 
soit  après  l'amputation  de  la  main  ou  de  l'avant-bras,  ou  même 
de  la  partie  inférieure  du  bras.  Le  balancement  des  membres 
supérieurs  pendant  la  marche,  leurs  mouvements  combinés 
avec  ceux  de  tout  le  corps  dans  les  gestes,  leur  situation  fixe 
dans  diverses  attitudes  pendant  qu'on  fait  des  eflorts,  soit 
pour  sauter,  soit  pour  repousser,  pour  retenir  ou  résister, 
leur  participation  au  phénomène  de  la  préhension  dc<s  cori)S, 
enfin  la  combinaison  de  tous  ces  actes  ou  résultats  de  la 
locomotion  et  de  la  sensibilité  du  bras  et  de  l'avant-bras,! 
secondes  par  l'action  de  la  main,  et  diriges  par  le  génie  des! 
arts,  sont  les  phénomènes  physiologiques  par  lesquels  se] 
manilesie  la  puissance  industrielle  de  l'espèce  humaine. 

Les  mouvements  que  nous  venons  d'énumérer  exercent] 
une  influence  remarquable  sur  la  nutrition  des  deux  partie.^] 
que  nous  étudions.  L'observation  nous  apjirend  qu'en  géné- 
ral les  maîtres  d'escrime,  les  boulangers,  les  gabiers  (  ma» 


rins  chargés  des  plus  rudes  travaux  de  la  navigation  ),  ont 
habituellement  les  bras  bien  nourris  et  très-forts. 

Si,  procédant  depuis  les  singes  jusqu'aux  derniers  poissons, 
on  jette  un  coup  d'oeil  rapide  sur  les  parties  qui  correspondent 
au  bras  et  à  l'avant-bras  de  l'homme  dans  toute  la  série  des 
animaux  vertébrés  qui  ont  quatre  membres  ou  au  moins 
deux,  on  reconnaît  tout  de  suite  les  modifications  nom- 
breuses qu'elles  ont  dû  subir  pour  la  variété  infinie  des 
fonctions  qu'elles  exécutent  ou  auxquelles  elles  concourent 
(  voyez  Aile,  Nageoire).  Les  divers  genres  de  station ,  de 
locomotion  des  vertèbres  sur  et  dans  le  sol,  sur  les  arbres, 
dans  l'nir  et  dans  un  milieu  aqueux,  ont  nécessité  toutes 
ces  modifications,  qui  consistent  dans  des  formes  très- variées, 
dans  divers  degrés  d'organisation  et  dans  des  proportions 
différentes  du  bras  et  de  l'avant-bras,  soit  entre  eux,  soit 
avec  l'épaule  et  la  main  ou  pied  antérieur.  En  général,  plus 
le  vertébré  devient  nageur,  et  plus  le  bras  et  l'avant-bras 
se  raccourcissent,  au  point  que  dans  les  poissons  on  n'en 
trouve  même  plus  de  vestiges.  A  l'égard  des  parties  qu'on 
pourrait  regarder  dans  les  membres  des  insectes,  des  arach- 
nides et  des  crustacés ,  comme  des  analogues  du  bras  et 
de  l'avant-bras  des  vertébrés,  nous  n'en  parlerons  pas,  et 
nous  motiverons  notre  silence  sur  ce  que  les  anatomistes 
les  désignent  sous  d'autres  noms. 

Bras  est  souvent  synonyme  de  force,  puissance,  cou- 
rage et  protection.  C'est  dans  ce  sens  qu'on  dit  le  bras  de 
Dieu  et  le  bras  séculier.  Se  jeter  dans  les  bras  de  quel- 
qu'un,  c'est  implorer  son  appui.  Malheureusement  le  pro- 
tecteur généreux  s'expose  parfois  à  garder  longtemps  le 
protégé  sur  les  bras.  Être  le  bras  droit  de  quelqu'un, 
c'est  être  en  tout  son  principal  agent,  son  confident,  son 
aide  de  camp,  son  acolyte,  selon  la  circonstance  et  la  posi- 
tion. Avoir  le  bras  long,  c'est  avoir  du  crédit, du  pouvoir. 
Frapper  à  bras  raccourci,  c'est  frapper  sans  mesure  et 
de  toutes  ses  forces.  Saisir  (pielqu'un  à  bras-le-corps ,  c'est 
l'emporter  dans  ses  bras.  Les  bons  bras  font  les  bonnes 
lames  est  un  vieux  proverbe  qui  signifie  que  toute  arme  est 
bonne  dans  la  main  d'un  homme  de  cœur.  Aux  bras  !  aux 
bras  !  était  un  cri  de  guerre  des  anciens  Francs  ;  et  Vordre 
du  bras  armé,  un  ordre  militaire  du  Danemark,  réuni 
plus  tard  à  celui  de  VÉlcphant. 

Les  bras  jouent  un  grand  rôle  dans  notre  civilisation  mo- 
derne. Vivre  de  ses  bras,  c'est  s'entretenir  de  ce  que  leur 
travail  rapporte ,  comme  rester  les  bras  croisés ,  c'est  ne 
rien  faire ,  se  tenir  dans  l'attitude  de  Napoléon ,  qui  pourtant 
ne  se  servait  pas  mal  des  siens.  Faire  les  beaux  bras  est 
le  propre  des  bipèdes  qui  se  donnent  de  grands  airs.  Mais 
oubliez-vous  de  les  traiter  de  messeigneurs  gros  comme 
le  bras,  les  bras  leur  tombent,  vous  leur  avez  coupé  bras 
et  jambes,  par  votre  indifférence.  Us  se  jettent  accablés 
dans  le  premier  fauteuil  qui  leur  tend  les  bras. 

Voiis  retrouvez  encore  le  bras  dans  le  Dictionnaire  des 
Étiquettes.  Voulez-vous  accompagner  une  dame  à  la  pro- 
menade, dans  ses  courses,  dans  ses  visites,  votre  premier 
soin  est  de  lui  présenter  un  de  vos  bras,  replié  à  la  jointure 
du  coude,  en  le  soutenant  à  une  certaine  hauteur,  afin 
qu'elle  pose  le  sien  dessus  et  s'appuie  sur  le  vôtre  en  mar- 
ciiant.  Cela  s'appelle  donner  le  bras.  La  manière  dont  on 
l'accepte  est  pleine  de  mystères.  La  légèreté,  la  pesanteur, 
la  pression  du  bras  qui  s'appuie,  signifie,  dans  la  langue  des 
amoureux,  mille  petits  riens  que  le  vulgaire  ne  comprend 
pas.  Se  donner  le  bras  se  dit  d'une  paire  d'amis  cheminant 
bras  dessus  bras  rfe.ssoM.î ,  c'est-à-dire  le  bras  de  l'un  passé 
dans  le  bras  de  l'autre,  à  la  façon  de  Castor  et  Pollux ,  ou 
de  Pylade  et  Oreste.  C'est  vieux  comme  le  monde. 

BRAS  {Ichthyologie),  nom  vulgaire  delà  raie  bou- 
clée. 

BRAS  (Marine),  nom  donné  aux  manœuvres  appliquées 
à  l'extrémitédes  vergues  pour  les  faire  mouvoir  horizonlale- 
♦l'.ent  sur  leur  point  de  contact  avec  les  mâts. 


BRAS  —  BRASCASSAT  653 

BRASCASSAT  (Jacques-Raymo?»)),  membre  del'Acadé- 


mie  des  Beaux- Arts,  peintre  de  paysage  et  d'animaux,  élève 
de  Richard,  né  à  Bordeaux  le  30  août  1S05,  remporta  en  1825 
le  grand  prix  de  paysage  historique,  dont  le  sujet  était  la 
Chasse  de  Méléagre;  et  de  Rome,  où  il  était  allé  compléter 
ses  études,  il  envoya  à  l'exposition  de  1827  Mercure  et  Argus, 
paysage  historique,  et  trois  vues  d'Italie.  Il  e^  posa  également 
en  1831  quatre  autres  paysages  ;  enfin ,  sept  nouvelles  pro- 
ductions vinrent,  en  183.3,  consolider  sa  réputation  naissante. 
Dès  1831  il  avait  exposé  un  tableau  avec  des  brebis;  mais 
en  1834  son  Taureau  se  frottant  contre  un  arbre  et  son 
Repos  d'animaux  semblèrent  décider  sa  vocation.  Depuis, 
il  s'est  consacré  presque  exclusivement  au  genre  de  peinture 
que  certains  maîtres  flamands  ont  si  heureusement  cultivé. 
On  admira  encore  au  salon  de  1837  sà  Lutte  de  taureaux. 
Enfin  un  grand  nombre  d'autres  tableaux  représentant  des 
repos ,  des  pâturages  avec  animaux ,  des  parcs  et  des 
études,  exposés  depuis  quatorze  ans,  ont  prouvé  que  le  ta- 
lent de  Brascassat  n'a  fait  que  croître  dans  le  genre  qu'il  a 
choisi. 

Mais  pourquoi  Brascassat  a-t-il  entièrement  abandonné  le 
paysage  historique?  Pourquoi  semble-t-il  avoir  quitté  pour 
toujours  une  route  où  il  pouvait  devenir  l'émule  du  Poussin, 
pour  se  faire  exclusivement  dans  une  autre  le  rival  de  Paul 
Potter?  Nous  ne  saurions  le  dire;  ce  qu'il  y  a  de  cer- 
tain ,  c'est  que  dans  ses  tableaux  vous  croiriez  entendre 
le  mouton  qui  bêle,  le  chien  qui  aboie,  le  taureau  qui 
mugit  ;  ses  troupeaux  marchent  avec  le  berger ,  courent 
avec  l'orage,  et  si  deux  de  ces  animaux  s'attaquent,  vous 
devinez  leur  colère ,  leur  délire ,  leur  violent  désir  de 
vaincre  ;  vous  les  croiriez  appauvris  de  toutes  les  passions 
des  hommes.  Quand  Brascassat  jette  dans  un  de  ses  cadres, 
autour  desquels  la  foule  se  presse  attentive,  émerveillée,  le 
lièvre ,  la  perdrix ,  le  lapin ,  la  caille ,  le  faisan  ,  abattus  par 
le  plomb  du  chasseur,  vous  vous  demandez  où  est  le  Lu- 
cullus  moderne  dont  le  palais  va  savourer  ces  richesses 
culinaires;  cela  est  en  refipf,  cela  vient  de  mourir,  cela 
conserve  son  parfum ,  son  duvet  ;  vous  admirez  par  tous  vos 
sens.  Il  est  impossible  de  colorer  plus  chaudement,  c'est 
le  coup  de  pinceau  large  sans  tâtonnement,  c'est  une  pâte 
ferme,  une  transparence  dans  les  ombres  que  vous  cherche- 
riez vainement  autre  part  à  un  aussi  haut  degré.  La  plume 
de  ses  volatiles  a  son  duvet,  son  moelleux,  son  luisant;  elle 
se  soulève  à  la  brise  ;  les  poils  de  ses  vaches ,  de  ses  brebis 
de  ses  taureaux  se  hérissent,  se  combattent,  en  suivant  avec 
une  admirable  harmonie  l'anatomie  del'animal,  et  vous  vous 
avancez  involontairement  pour  les  flatter  de  la  main  ou  en 
chasser  les  taches  que  la  terre  boueuse  vient  de  leur  im- 
primer.... 

Ce  qui  surprend  tout  d'abord  dans  ce  poète  d'animaux, 
c'est  la  science,  mais  une  science  sans  recherche,  sans 
calcul ,  et  pourtant  il  y  a  là  de  l'ordre  dans  le  désordre,  de 
l'harmonie  dans  le  chaos.  Voyez  cette  masse  compacte  de 
moutons  qui  bêlent,  broutent,  folâtrent,  se  taquinent, 
vous  diriez  une  nuée  de  bambins  venant  de  conquérir  leur 
liberté  menacée.  Comme  ces  derniers ,  ils  cheminent ,  ils 
s'emboîtent,  si  je  peux  m'exprimer  ainsi;  ils  vivent,  ils 
sont  heureux ,  et  cependant  vous  remarquez  là-bas ,  là-bas, 
le  redoutable  abattoir  qui  s'ouvre  et  réclame  sa  pâture.  J'ai 
appelé  poète  l'auteur  de  ces  admirables  pages,  je  n'ai  point 
commis  d'erreur.  La  poésie  s'adresse  à  l'âme,  elle  la  ré- 
chauffe au  feu  de  toutes  les  passions,  elle  la  rend  craintive, 
elle  l'endolorit,  elle  la  brise,  elle  la  torture.  Je  vous  défie 
de  ne  point  vous  attendrir  aux  regards  inquiets  de  cette 
pauvre  petite  brebis  qui  cherche  une  mère  et  l'appelle  avec 
un  cri  tout  imprégné  de  tendresse. 

Est-ce  que  le  berger  ne  s'arme  pas  de  la  fourche  et  de 
son  fusil  à  ras[)ectdc  ce  loup  gtiettezn;  qui  certes  n'a  pas 
déjeuné ,  tant  son  œil  fauve  cherche  la  porte  de  la  berge- 
rie ,  tant  sa  gueule  rouge  est  avide  de  sang  !  On  dirait  que 


654 


BRASCASSAT  —  BRASSE 


Krascassat  a  une  cabane  bien  dose  sur  quelque  cime  py- 
rénéenne ,  et  qu'il  est  venu  là  étudier  les  mœurs  des  liôtes 
farouches  qui  peuplent  ces  lieux  solitaires.  Qu'il  est  beau  le 
parc  de  brebis!  qu'il  est  amusant!  qu'il  est  vrai  !  C'est  en 
présence  de  ces  pauvres  petits  êtres  chétifs  que  madame  de 
Sévigné  pourrait  bien  s'écrier  :  <•  Qui  sait?  parmi  tous  ces 
drôles,  il  n'y  en  a  peut-être  pas  un  seul  qui  soit  tendre!  » 
Le  berger  n'est  pas  là ,  n'importe  ;  les  prisonniers  n'ont  pas 
envie  d'aller  chercher  pûture  ailleurs.  Us  sont  fatigués  de 
leurs  courses  de  la  journée,  ils  viennent  de  rentrer,  ils 
vont  se  reposer  et  dormir.  Tout  à  l'heure  ce  sera  le  calme 
et  le  silence maintenant  c'est  encore  du  bruit,  c'est  l'ins- 
tant qui  précède  le  sommeil.  Oh  !  que  je  porte  envie  à 
l'acquéreur  de  ce  cadre!  Comment  ne  voulez-vous  pas  que 
le  bétail  s'engraisse  dans  ce  magnifique  pâturage ,  où  vous 
croyez  voir  la  rosée  pendue  en  diamants  sur  chaque  brin 
d'herbe  ?  Brascassat  a  fait  ici  un  vol  à  la  nature.  Taureaux 
ou  lapins,  dogues  ou  lévriers  ,  brebis  ou  vaches ,  tous  nos 
animaux  domestiques  ont  été  traduits  sur  la  toile  par  notre 
célèbre  peintre  avec  une  variété ,  avec  une  poésie ,  qui  nous 
faitdire:PaulPottervitencore,Brascassatne  mourra  point... 

Déjà  chevalier  de  la  Légion  d'Honneur,  Brascassat  a  été 
élu  en  1846  membre  de  l'Académie  des  Beaux-Arts,  en 
remplacement  du  vieux  Bidault.  Jacques  Aiiago. 

BRASIDAS,  l'un  des  plus  célèbres  généraux  des  La- 
cédémoniens ,  et  que  ce  peuple ,  chez  qui  il  ne  naissait  point 
un  lâche,  ne  craignit  pas  d'appeler  «  le  plus  brave  des  Spar- 
tiates w,  était  fils  de  Tabès.  L'an  431  avant  J.-C,  dans  la 
première  année  de  la  guerre  du  Péloponnèse,  il  sauva  Mé- 
thone  (aujourd'hui  Modon  ),  près  de  tomber  aux  mains  des 
Athéniens.  Bientôt ,  donné  pour  conseil  à  Alcidas ,  il  l'ac- 
compagna dans  une  expédition  contre  Corcyre,  qui  n'eut 
aucun  résultat  avantageux ,  malgré  une  si  redoutable  asso- 
ciation :  la  bravoure  et  l'expérience.  Elles  ne  purent  triom- 
pher de  la  marine  formidable  des  Corcyréens.  Quelque 
temps  après,  Brasidas  fut  dangereusement  blessé  dans  un 
combat  livré  aux  environs  de  Pylos,  entre  l'Élide  et  la 
Messénie.  Sitôt  sa  blessure  fermée ,  il  se  jeta ,  à  la  tète 
d'une  armée,  dans  la  Chalcidique,  portion  de  la  Macédoine 
que  domine  le  mont  Athos ,  et  où  les  rivages  de  la  mer 
traient  peuplés  de  colonies  grecques,  toutes  sous  la  puissance 
d'Athènes  ou  dans  son  alliance.  Ce  général  prit  en  courant 
la  plupart  de  ces  villes  maritimes ,  dont  plusieurs  ouvrirent 
leurs  ports  et  d'autres  demandèrent  l'alliance  de  Lacédé- 
inone.  Il  ne  lui  restait  plus  à  soumettre  que  Potidée,  la  ville 
la  plus  importante  de  cette  contrée,  sur  l'isthme  de  Pallène. 
Les  Athéniens  y  envoyaient,  en  toute  hâte,  une  armée  d'élite, 
commandée  par  Cléon.  Brasidas  marcha  contre  lui,  le 
rencontra  près  d'Amphipolis ,  dans  la  Thrace ,  sur  le  fleuve 
Strymon.  Là  fut  livré  un  combat  acharné  ;  les  Athéniens  ne 
purent  résister  à  l'impétuosité  des  Spartiates,  que  poussaient 
et  animaient  leurs  nombreuses  et  récentes  victoires;  ils  fu- 
rent taillés  en  pièces.  Athènes  perdit  dans  les  plaines  d'Am- 
phipolis la  fleur  de  ses  combattants;  Cléon  resta  sur  le 
<:hamp  de  bataille ,  et  Brasidas ,  mortellement  blessé ,  fut 
porté  à  Amphipolis,  où  il  expira.  Ce  combat  eut  lieu  l'an  422 
avant  J.-C. 

Ainsi  périrent  aux  mômes  lieux,  le  même  jour,  au  même 
moment,  de  la  môme  mort,  ces  deux  hommes  si  différents, 
qui  seuls  prolongèrent  la  malheureuse  guerre  du  Pélopon- 
nèse. «  L'un  y  trouvait,  ditriuturque,  des  occasions  de 
faire  de  grandes  injustices,  laiitie  celle  de  s'illustrer  par  de 
grands  exploits.  »  La  nouvelle  de  la  victoire  arriva  à  Sparte 
avant  le  corps  de  Brasidas.  Les  envoyés  qui  apprirent  à  sa 
mcre  la  mort  de  ce  brave  des  braves  cherchaient  à  prévenir 
ses  larmes  en  exaltant  la  valeur  et  la  gloire  de  son  fils  ;  la 
Spartiate,  indignée  qu'on  lui  lit  la  honte  de  la  consoler,  leur 
répondit  :  «  Lst-ce  que  Sparte  n'est  pas  pleine  de  héros?  » 
Sparte  éleva  à  la  mère  et  au  fils  un  monument  public,  ne 
sachant  qui  des  deux  avait  eu  l'ànie  la  plus  héroïque. 


BRASIDEES,  fêtes  qui  se  célébraient  à  Amphipolw, 
et  qui  avaient  été  instituées  en  l'honneur  de  Brasidas, 
général  lacédémonien ,  tué  devant  cette  ville,  en  combat- 
tant les  Athéniens.  Ces  fêtes  consistaient  en  sacrifices  et  en 
jeux  auprès  de  sa  tombe.  Il  fallait  être  citoyen  de  Lacédé- 
raone  pour  avoir  le  droit  d'y  paraître,  et  l'on  punissait  d'une 
amende  quiconque  négligeait  d'y  assister  sans  avoir  pré- 
venu les  magistrats. 

BRASIER.  On  entend  à  la  fois  par  ce  mot  un  feu  de 
bois  ou  de  charbon  bien  allumé  et  à  demi  consumé,  et  une 
espèce  de  vase  portatif,  de  vaisseau  large  et  plat,  où  l'on 
met  de  la  braise  allumée  pour  chauffer  une  chambre.  Chez 
les  anciens ,  qui  n'avaient  point  d'autre  cheminée  que  cdle 
de  la  cuisine,  les  appartements  intérieurs  ne  se  chauffaient 
pas  autrement  qu'avec  des  brasiers ,  dans  lesquels  on  met- 
tait des  charbons  allumés  ;  et  comme  ils  avaient  la  même 
forme  que  ceux  sur  lesquels  on  allumait  le  feu  sacré  dans 
les  temples ,  et  qu'ils  reposaient  de  même  sur  trois  pieds 
placés  en  triangle,  on  donnait  indistmctement  le  nom  de 
trépieds  aux  uns  et  aux  autres.  On  en  fabriquait  avec  toutes 
espèces  de  métaux;  mais  on  y  employait  le  bronze  de  préfé- 
rence, et  les  artistes  s'appliquaient  à  en  orner  les  contours. 
Quant  aux  brasiers  modernes,  usités  encore  aujourd'hui  en 
Italie  et  en  Espagne ,  ils  sont  de  diverses  formes  ,  mais  ha- 
bituellement carrés  et  d'une  grandeur  proportionnée  à  celle 
des  appartements  que  l'on  veut  chauffer;  les  matières  qu'on 
y  emploie,  leur  travail  et  leurs  ornements  annoncent  tou- 
jours le  degré  de  richesse  et  d'aisance  des  propriétaires. 
Dans  la  plupart  des  palais  ils  sont  en  argent ,  mais  le  cuivre 
entre  dans  la  composition  du  plus  grand  nombre;  les  plus 
communs  sont  formés  d'un  bassin  en  tôle,  porté  par  ua 
cadre  de  bois,  revêtu  également  de  plaques  de  cuivre. 

BRASSAGE,  opération  qui  consiste  à  agiter  avec  un 
brassoir  des  métaux  en  fusion  dont  on  veut  fonner  un 
alliage.  Sans  elle,  il  est  clair  que  les  métaux  les  plus  denses 
tendraient  continuellement  à  se  précipiter  au  fond  du  creuset. 

Il  y  avait  autrefois  un  droit  de  brassage,  qui  consistait 
dans  le  pouvoir  accordé  par  le  roi  au  maître  des  monnaies 
de  prendre  sur  chaque  marc  d"or ,  d'argent  ou  de  billon , 
ouvré  en  espèces,  une  certaine  somme  modique  (3  livres 
par  marc  d'or  et  18  sous  par  marc  d'argent),  dont  il  rete- 
nait la  moitié  pour  le  déchet  de  la  fonte,  pour  le  charbon 
et  pour  les  autres  frais  ordinaires  ;  l'autre  moitié  était  ré- 
partie entre  les  officiers  des  monnaies  et  les  ouvriers  qui 
avaient  contribué  à  la  fabrication  des  espèces. 

BRASSARDS  D\\R.A1URE,  manches  qui  .s'ajou- 
taient aux  armes  défensives  si  elles  étaient  en  fer,  ou  qui  y 
tenaient  à  demeure  si  elles  étaient  de  mailles.  L'usage  en 
était  déjà  connu  des  anciens  l'erses  ;  les  chevaliers  du  moyen 
âge  le  firent  revivre;  les  français  y  renoncèrent  depuis 
Henri  III.  Les  Turcs  n'ont  abandonné  que  fort  récemment 
les  brassards  d'armure,  qu'ils  appelaient  colgiac ,  colgiat , 
ou  kollchak.  G""'  Bardîn. 

BRASSE ,  employé  substantivement  dans  la  marine,  in- 
dique, comme  mesure  de  longueur,  l'étendue  comprise  entre 
les  deux  extrémités  des  bras  qu'un  homme  tiendrait  ouverts. 
La  moyenne  de  cette  mesure  est  de  i"',C2  (5  pieds)  dans 
l'usage  ordinaire  qu'on  en  fait  à  bord  des  navires.  C'est  à 
la  brasse  que  l'on  détermine  la  longueur  des  manœuvres , 
du  filain ,  des  câbles ,  des  lignes  de  lock.  .\insi,  un  câble  qui 
a  195  mètres  de  long,  est,  pour  la  marine,  un  câble  de  120 
brasses.  Une  ligne  de  sonde  qui  rapporte  102"*, iO  de  fond 
indique,  dans  le  langage  maritime,  une  hauteur  d'eau  de 
100  brasses.  La  brasse,  enfin,  est  l'unité  usuelle  de  la  plu- 
part des  longueurs  que  les  marins  veulent  déterminer  dans 
les  usages  pratiques  du  bord. 

Les  marins  des  autres  nations  mesurent  aussi  à  la  brasse 
les  longueurs  qu'ils  veulent  indiquer  au  moyen  d'une  unité 
qu'il  est  toujours  facile  de  déterminer;  mais  chez  la  plu- 
part des  marins  étrangers  la  brasse  n'est  qu'une  mesure  de 


BRASSE  — 

convention  ,  moins  aisée  à  fixer  que  dans  notre  marine.  La 
brasse  danoise  a  près  de  l'^jQô ,  tandis  que  la  petite  brasse 
hollandaise  a  à  peine  1",60. 

Le  mot  brasse ,  impératif  du  verbe  brasser,  est  un  com- 
mandement que  l'on  emploie  pour  ordonner  de  haler  sur  le 
bras  d'une  vergue  que  l'on  veut  orienter.  Brasse  tribord 
ou  brasse  bâbord  signifie  haler  sur-  le  bras  de  tribord  ou 
sur  le  bras  de  bâbord.  Edouard  Corbière. 

La  brasse  a  été  employée  aussi  comme  mesure  dans  le 
commerce,  où  sa  valeur  commune  était  en  France  de  six 
pieds  de  roi ,  mais  c'est  surtout  en  Italie  qu'elle  était  d'usage, 
et  sa  valeur  variait  selon  les  différentes  localités. 

BRAS  SÉCULIER.  C'était  une  maxime  d'ordre  public 
en  France  (lue  nulle  exécution  sur  la  personne  ou  sur  les 
biens  ne  pouvait  se  taire  en  vertu  d'une  décision  ecclésias- 
tique :  il  lallail  fintervention  du  juge  séculier.  Le  juge  d'église 
n'avait  pas  le  pouvoir-  de  mettre  à  exécution  ses  sentences 
sur  les  biens  temporels  de  ceux  qu'il  condamnait,  ni  d'im- 
poser des  peines  (jrièves  et  allant  jusqu'à  l'effusion  du  sang. 
Aussi  l'Église  se  contentait-elle  par  ses  condamnations  de  livrer 
au  bras  .vccif/Jer  ceux  qu'elle  déclarait  coupables.  Après  la  ré- 
vocation de  l'édit  de  Nantes  Louis  XIV  prononça  par  édit 
que  les  hérétiques  ne  pourraient  pas  implorer  le  recours  du 
bras  séculier. 

BRASSERIE  ,  BRASSEUR.  Une  brasserie  est  le  lieu 
où  se  fabrique  la  bière;  le  brasseur  est  celui  qui  se  li\Te  à 
cette  fabrication. 

L'origine  de  l'art  du  brasseur  paraît  très-ancienne ,  et 
remonte  peut-être  au  delà  des  temps  historirjues.  La  Fable  y 
fait  intervenir  Cérès  elle-même,  enseignant  aux  hommes  les 
divers  usages  qu'ils  peuvent  faire  de  ses  dons  et  la  prépara- 
tion d'une  liqueur  qui  remplacerait  le  vin  dans  les  lieux  où 
la  culture  de  la  vigne  leur  serait  interdite.  La  bière  de  Péluse 
acquit  une  haute  renommée  chez  les  Égyptiens;  et  lorsque 
des  relations  de  commerce  furent  établies  entre  la  Grèce  et 
l'Egypte,  l'art  des  Pélusiens  traversa  la  Méditerranée,  et  vint 
défier  Racchus  en  présence  de  ses  coteaux  couverts  de  vi- 
gnes. Bientôt  les  Grecs  surent  préparer  plusieurs  sortes  de 
bières,  et  à  leur  tour  ils  transmirent  aux  peuples  voisins 
l'instruction  qu'ils  avaient  reçue  d'Egypte,  et  celle  qu'ils 
tenaient  de  leur  propre  expérience.  Peu  à  peu  cette  instruc- 
tion lit  des  progrès,  et  s'étendit  jusque  dans  les  Gaules;  on 
ne  l'a  pas  suivie  au  delà  de  la  Baltique,  où  cependant  elle 
Jut  être  aussi  bien  accueillie  que  chez  nos  ancêtres. 

Quoique  cette  histoire  de  l'art  du  brasseur  en  Europe  soit 
appuyée  de  témoignages  imposants,  elle  n'est  peut-être 
qu'une  hypothèse  ingénieuse.  Plusieurs  arts  ont  pu  naître 
spontanément ,  et  à  peu  près  dans  le  même  temps ,  parmi 
des  peuplades  qui  n'avaient  entre  elles  aucune  commimi- 
cation.  La  préparation  du  hwasse  des  Russes  n'est  certaine- 
ment pas  une  importation,  et  cette  boisson  acidulé,  tiiée 
de  la  farine  du  seigle ,  paraît  être  un  produit  de  l'art  impar- 
fait, tel  qu'il  put  naître  chez  un  peuple  encore  ignorant  et  peu 
civilisé.  Avec  quelques  manipulations  et  quelques  soins  de 
plus,  le  kwasse  serait  une  bière  aussi  bonne  que  plusieurs  de 
celles  qui  sortent  des  brasseries  belges  ou  allemandes. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  communauté  des  brasseurs  est  une 
des  plus  anciennes  qui  aient  été  érigées  à  Paris  en  corps  de 
jurande,  car  ses  statuts  datent  de  1268.  Mais  cette  commu- 
nauté était  obscure  et  peu  nombreuse ,  et  tandis  que  les 
brasseurs  jouaient  un  rôle  important  dans  les  insurrections 
de  Flandre  (voyez  Arteveld),  Paris  réservait  aux  bouchers 
le  privilège  de  fournir  des  chefs  aux  émotions  populaires 
{voyez  Caboche). 

Les  brasseurs  étaient  nommés  autrefois  cervoisiers,  du 
mot  cervoise,  qui  est  le  nom  qu'on  donnait  alors  à  la  bière. 
Leurs  statuts  leur  défendaient  de  mettre  dans  la  bière  des 
baies  de  laurier  franc,  du  poivre  long  et  de  la  poix-résine, 
soi.s  peine  de  vingt  sous  parisis  d'amende  au  profit  du  roi, 
et  de  u>nliscation  de  leurs  bassins  au  profit  des  pauvres. 


BRAUNFELS  Cuyb 

Ces  statuts,  renouvelés  en  14S9,  en  1515  et  en  IG.-ÎO,  furent 
confirmés  en  1686,  et  l'on  y  ajouta  en  1714  quelques  nou- 
velles prescriptions.  Au  moment  où  la  corporation  fut  abolie, 
on  comptait  à  Paris  soixante-dix-huit  maîtres  brasseurs, 
dont  le  plus  grand  nombre  habitaient  le  faubourg  Saint- 
Marceau. 

Aujourd'hui  les  brasseries  sont  régies  par  le  décret  du 
15  octobre  1810,  qui  résume  les  lois  antérieures.  Ce  décret 
les  place,  sous  le  rapport  de  la  police  et  des  précautions  à 
prendre,  dans  la  troisième  classe  des  établissements  dange- 
reux et  insalubres.  Son  article  8  porte  qu'aucune  brasserie 
ue  peut  être  établie  que  sur  la  permission  du  préfet  de  police 
à  Paris ,  et  sur  celle  du  maire  dans  les  autres  villes  ;  les  dif- 
ficultés qui  peuvent  s'élever  contre  la  décision  du  préfet  de 
police  ou  des  maires  sont  jugées  en  conseil  de  préfecture.  De 
plus,  le  transfèrement  d'une  brasserie ,  comme  l'interrup- 
tion de  ses  travaux  pendant  six  mois,  nécessite  une  nouvelle 
autorisation.  Enfin,  les  lois  des  28  avril  1816  et  12  décem- 
bre 1830  réglementent  la  perception  du  droit  de  fabrication 
des  bières  (  voyez  Boissons).  La  première  de  ces  lois ,  par  une 
de  ses  dispositions,  soumet  le  brasseur  à  un  droit  de  licence 
qui  n'est  valable  que  pour  un  an  et  pour  un  seul  établisse- 
ment; ce  droit  varie  de  20  à  50  francs. 

BRASSIERE,  petite  camisole  ou  chemise  d'enfant, 
destinée  à  couvrir  seulement  les  bras  et  le  haut  du  corps ,  et 
surtout  à  maintenir  celui-ci.  Les  brassières  s'attachent  par 
denière  avec  des  cordons. 

BRASSOIR ,  instrument  de  fer  ou  de  terre  cuite  de 
creuset,  dont  on  se  sert  pour  brasser  le  métal  lorsqu'il  est 
en  bain  (voyez  Brassage).  Pour  l'argent  et  le  billon,  les 
brassoirs  sont  des  cuillers  de  fer  ;  mais  pour  l'or,  si  l'on  se 
.«eivait  de  brassoirs  de  fer,  l'hétérogénéité  qui  règne  entre 
ces  deux  métaux ,  ferait  pétiller  l'or  et  s'écarter;  d'où  il  s'en- 
suivrait des  déchets  et  un  embarras  dans  le  travail.  On  a  soio 
de  bien  chauffer  le  brassoir,  même  de  terre,  avant  de  s'en 
servir. 

BRASURE.  C'est  la  réunion  de  deux  pièces  de  fer 
opérée  au  moyen  de  la  soudure  de  cuivre  jaune,  c'est-à-dire 
en  faisant  fondre  un  alliage  de  cuivre  sur  le  point  où  les 
parties  à  souder  doivent  se  joindre.  On  peut  aussi  braser  le 
fer  sans  métal  intermédiaire  :  pour  cela,  on  donne  une 
chaude  suante  aux  parties  à  réunir,  puis  on  les  recouvre 
d'un  peu  de  sable,  qui  fond  et  donne  naissance  à  un  silicate 
ayant  pour  base  l'oxyde  de  fer  formé  ;  forgeant  ensuite  les 
deux  pièces  réunies ,  le  silicate  de  fer  est  expulsé  sous  forme 
de  scories ,  et  la  brasure  est  effectuée. 

BRAULIOIV  ou  BRAULE  (Saint)  est  sans  contredit  le 
plus  obscur  de  tous  les  bienheureux,  quoique,  par  son  mé- 
rite et  ses  talents,  il  soit  digne  d'être  rangé  parmi  les  plus 
illustres.  Par  suite  de  cet  injuste  oubli ,  nous  ignorons  l'é- 
poque de  sa  naissance  et  les  diverses  particularités  de  sa  vie. 
Ce  qui  paraît  certain  pourtant,  c'est  qu'il  vécut  sous  les  rois 
visigoths  Sisenand,  Chinlila,  TuUja  et  Cinthasuind.  «  11 
releva,  dit  saint  Isidore ,  son  contemporain  et  son  ami,  l'Es- 
pagne tombée  en  décadence,  rétablit  les  monuments  des 
anciens,  et  préserva  sa  patrie  de  la  rusticité  et  de  la  bar- 
barie. »  Il  fut  un  des  plus  savants  hommes  de  son  siècle  et 
un  des  prélats  les  plus  distingués  de  l'Église  d'Espagne.  Ayant 
glorieusement  occupé  le  siège  de  Saragosse ,  et  assisté  aux 
quatrième,  cinquième  et  sixième  conciles  de  Tolède,  il  mou- 
rut en  646,  dans  la  vingtième  année  de  son  épiscopat.  Son 
corps,  découvert  en  1270,  est  conservé  à  Rome  dans  la  ba- 
silique de  Sainte-Marie-Majeure.  Braulion  a  composé  un 
assez  grand  nombre  d'oinTages  estimés  des  théologiens  ;  mais 
son  premier  titre  est  d'avoir  mis  en  ordre  le  fameux  traité 
de  saint  Isidore,  les  Origines  ,  répertoire  de  toute  l'érudi- 
tion du  septième  siècle.  E.  Lavione. 

BRAUiXFELS,  petite  ville  de  t,567  Ames,  située  sur 
risar,  dans  le  cercle  de  Coblentz ,  arrondissement  de  Welzlar 
(Prusse),  est  la  résidence  des  princes  de  Solms-Braunlels. 


€»6 


BRAUNFELS  —  BRAVADE 


On  y  volt  un  château  fort,  bâti  sur  nn  roc,  dans  lequel  on  a 
|)lacé  une  belle  bibliothèque  et  une  collection  d'antiquités. 
Brauniels  est  le  siège  du  gouvernement  ;  elle  possède  deux 
églises  évangéliques  et  une  synagogue.  Un  aqueduc  y  amène 
l'eau  nécessaire  à  la  consommation  des  habitants ,  qui  se 
livrent  presque  tous  à  l'agriculture.  La  seule  usine  impor- 
.tante  est  une  fabrique  de  pompes  à  feu.  Lors  de  la  guerre  de 
trente  ans,  le  château  fut  plusieurs  fois  pris  et  repris  par 
•les  troupes  de  Mansfeld  et  par  celles  de  Tilly,  et,  plus  tard, 
par  les  Impériaux,  puis  par  les  Français  commandés  par 
Turenne. 

BRAUROIVIES,  fôtes  en  l'honneur  de  Diane,  ainsi 
nommées  de  la  ville  de  Brauron,  en  Atliqne,  où  elles  avaient 
■été  instituées ,  et  où  elles  se  célébraient  de  cinq  ans  en  cinq 
.ans.  Toutes  les  cérémonies  y  étaient  présidées  par  dix  per- 
sonnes appelées  hieropœi,  c'est-à-dire  faiseurs  de  sacri- 
fices. On  offrait  en  sacrifice  un  bouc  ou  une  chèvre, 
■tandis  qu'un  chœur  d'hommes  diantait  un  livre  des  poèmes 
■d'Homère,  et  que  de  jeunes  filles,  vêtues  de  robes  jaunes, 
Agées  de  cinq  à  dix  ans,  et  toutes  désignées  sous  le  nom 
'd'arctoi  (ourses),  venaient  s'y  consacrer  à  Diane.  Les  an- 
•ciens  auteurs  se  partagent  sur  l'origine  de  cette  solennité  : 
les  uns  disent  que  les  Phlavides ,  habitants  d'uu  bourg  d'A- 
thènes, étant  parvenus  à  apprivoiser  un  ours,  les  enfants 
jouaient  et  mangeaient  famihèrement  avec  lui,  mais  qu'une 
jeune  fille  en  ayant  été  dévorée,  ses  frères  vengèrent  sa  mort 
par  celle  de  l'ours.  Aussitôt  le  pays  fut  désolé  par  la  peste. 
L'oracle  consulté  répondit  qu'il  fallait  consacrer  de  jeunes 
"vierges  au  service  de  Diane ,  et  de  là  la  loi  athénienne  qui  dé- 
fendait à  toute  jeune  fille  de  se  marier  sans  s'être  auparavant 
'Consacrée  à  Diane,  à  la  fôte  des  braiironies.  Suivant  d'au- 
tres, cette  fête  ne  se  célébrait  qu'en  mémoire  de  la  délivrance 
miraculeuse  d'Oreste  et  d'Iphigénie  ;  aussi  ajoute-t-on  qu'une 
■des  cérémonies  essentielles  était  d'appliquer  légèrement  une 
épée  sur  la  tête  d'une  victime  humaine,  et  d'en  faire  couler 
quelques  gouttes  de  sang,  par  alhision  au  danger  qu'Oreste 
avait  couru  en  Tauride  d'être  sacrifié  par  sa  sœur. 

BRAUVVER  ou  BROUWER  (Aduien),  peintre  de 
l'école  hollandaise,  né  en  1608,  à  Oudenarde,  et  suivant 
■d'autres  à  Harlem,  où  son  père  était  peintre  en  tapisseries, 
fut  de  bonne  heure  contraint  par  la  pauvreté  de  ses  parents 
de  gagner  sa  vie  lui-même.  11  l'essaya  d'abord  en  peignant 
des  fleurs  et  des  oiseaux  pour  les  brodeurs.  Le  célèbre  pein- 
tre Hais  le  prit  ensuite  dans  son  atelier,  et  sut  exploiter 
à  son  grand  profit  le  talent  du  jeune  artiste.  Tenu  en  quel- 
quesorte  enchartre  privée  dans  un  galetas,  et  très-misérable- 
ment nourri ,  Adrien  Brauwer  était  obligé  de  peindre  sans 
relâche  de  petits  tableaux,  que  son  maître  vendait  ensuite 
fort  cher.  D'après  les  conseils  de  son  camarade  d'atelier, 
Adrien  Van  Os  ta  de,  il  prit  le  parti  de  s'enfuir  à  Ams- 
terdam ,  où  sa  surprise  fut  grande  en  apprenant  que  ses 
toiles  étaient  estimées  par  les  connaisseuis.  Il  gagna  alors 
beaucoup  d'argent;  mais,  au  lieu  de  s'appliquer  avec  zèle 
à  son  art ,  il  sembla  ne  plus  avoir  d'autre  domicile  que  le 
cabaret,  n'en  sortant  jamais  que  lorsque  le  cabaretier  insis- 
tait trop  vivement  pour  être  payé.  Il  poussait,  d'ailleurs, 
l'amour-propre  si  loin ,  qu'il  jetait  au  feu  les  toiles  dont  on 
ne  lui  donnait  pas  le  prix  qu'il  avait  demandé. 

Étant  venu  à  Anvers  pendant  la  guerre  des  Pays-Bas,  on 
l'y  prit  pour  un  espion  et  on  l'enferma  dans  la  citadelle.  Il 
déclara  qu'il  était  peintre,  se  recommanda  au  duc  d'Arem- 
berg ,  prisonnier  comme  lui ,  et  qui  lui  fit  donner  tout  ce 
dont  il  pouvait  avoir  besoin  pour  travailler;  et  alors  il  se 
mit  à  peindre  les  soldats  chargés  de  le  garder.  Il  les  repré- 
senta jouant  aux  cartes  dans  leur  corps-de-garde,  et  fit 
preuve  de  tant  de  vigueur  et  de  vérité  dans  la  composition 
de  ce  tableau,  qu'en  le  voyant  Rubens  s'écria  aussitôt  :  «  Ce 
doit  être  l'ouvrage  de  Brauwer;  il  n'y  a  que  lui  pour  traiter 
de  i)areils  sujets  avec  tant  de  bonheur  !  »  Rubens  s'offrit 
pour  lui  servir  de  caution  et  le  rendre  à  la  liberté.  Ensuite 


il  rhabilla  des  pieds  à  la  tête ,  et  le  recueillit  chez  lui  en  lui 
faisant  partager  sa  table.  Au  lieu  de  se  montrer  reconnais- 
sant de  ce  généreux  procédé,  Brauwer  s'enfuit  secrètement 
de  chez  son  bienfaiteur  pour  pouvoir  se  livrer  sans  con- 
trainte à  la  vie  crapuleuse.  Il  ne  tarda  pas  à  faire  connais- 
sance d'un  boulanger  appelé  Craesbeck,  qui  partageait  tous 
ses  goûts,  devint  son  commensal,  et  fit  de  lui  un  peintre 
habile.  Mais  il  noua  avec  la  femme,  jeune ,  jolie  et  coquette, 
de  son  hôte,  des  relations  adultères  qui  eurent  pour  tous  les 
trois  les  suites  les  plus  désagréables.  Forcé  de  fuir,  Brauwer 
se  rendit  à  Paris;  mais,  n'y  trouvant  pas  de  besogne,  il 
s'en  revint  encore  à  Anvers,  où  il  mourut  à  l'hôpital 
en  1649.  Rubens,  qui  respectait  le  talent  dans  Brauwer,  le 
fit  honorablement  enterrer  dans  l'église  des  Carmélites  de 
cette  ville. 

Toutes  les  toiles  de  cet  artiste  sont  remarquables  par  la 
vigueur  et  l'harmonie  des  couleurs,  ainsi  que  par  la  légèreté 
du  clair-obscur;  elles  font  d'ailleurs  tout  de  suite  connaître 
quels  lieux  et  quelles  sociétés  il  devait  hanter  le  plus  vo- 
lontiers. En  revanche,  elles  respirent  une  gaieté  franche,  dont 
les  peintres  de  genre  de  l'école  hollandaise  offrent  peu 
d'exemples. 

BRAVACHE.  On  a  coutume  d'expliquer  le  mot  bro' 
vache  par  ceux  de  faux  brave,  fanfaron .  Peut-être  en 
pourrait-on  conclure  que  le  bravache  est  celui-là  seul  qui 
fait  le  vaillant  en  société  de  poltrons,  et  pourtant  il  y  en  a 
encore  un  autre  ;  c'est  celui  qui ,  sur  de  son  œil  et  de  sa 
main,  pousse  les  choses  à  l'extrême ,  tue  son  homme ,  es- 
suie son  arme ,  salue  avec  élégance ,  et  se  rettre.  Ces  deux 
caractères  sont  bien  distincts.  Le  premier  parle  haut,  ra- 
conte avec  fracas  les  soufflets  et  les  coups  d'épée  qu'il  a 
donnés,  les  excuses  qu'on  lui  a  faites;  il  a  sur  la  poitrine, 
ou  ailleurs,  maintes  blessures  que  nul  n'a  jamais  vue  :  si  d'a- 
venture ,  dans  son  enfance ,  l'angle  d'une  cheminée  ou  les 
degrés  d'un  escalier  lui  ont  balafré  le  visage,  il  faudrait  que 
ces  accidents  eussent  laissé  des  traces  bien  peu  équivoques 
pour  ne  point  se  convertir  avec  l'âge  en  coups  de  taillant  et 
de  pointe;  en  un  mot,  c'est  un  homme  formidable  J2is- 
qiCau  dégainer.  Le  second  a  une  politesse  affectée,  qui 
laisse  poindre  une  susceptibilité  de  parade,  toujours  prête  à 
s'offusquer  du  moindre  mot.  Rarement  son  sang-froid  le 
quitte ,  même  dans  les  cas  les  plus  graves.  S'il  lui  a  plu  de 
prendre  pour  insulte  une  parole  en  l'air,  un  mouvement 
de  coude,  un  sourire,  il  s'approche  de  votre  oreille,  et  en 
moins  de  dix  secondes,  sans  bruit,  sans  éclat,  sans  colère,  il 
vous  met  sur  les  bras  Yaffalre  d  honneur  la  plus  sotte,  la 
plus  ridicule,  et,  qui  pis  est,  de  toutes  la  plus  inévitable.  Du 
reste,  ce  n'est  point  le  courage  qui  fait  la  différence  des 
deux  espèces  de  braves  qu'on  vient  de  signaler  :  l'un  a  peur 
de  la  mort,  l'autre  est  sûr  de  la  donner.  Voilà  tout. 

BRAVADE ,  acte  par  lequel  on  défie,  soit  les  hommes, 
soit  les  choses,  et  qui  se  manifeste,  sous  diverses  formes, 
par  l'insolence  des  gestes  ou  par  l'exagération  des  paroles.  A 
l'usage  des  fanfarons,  la  bravade  sert  à  cacher  leur  frayeur  sou» 
un  faux  air  de  hardiesse  :  c'est  pour  eux  que  Corneille  a  dit  ; 

Les  bravades  enfin  sont  des  discours  frivoles , 
Et  qui  songe  aux  effets  néglige  les  paroles. 

A  l'égard  des  choses ,  elle  consiste  à  se  livrer  à  des  excès 
au-dessus  de  ses  forces,  en  présence  des  autres,  pour  se 
grandir  dans  leur  opinion  :  elle  monte  alors  jusqu'à  la 
folie  ,  ou  descend  jusqu'à  l'enfantillage.  Chez  les  anciens , 
qui  combattaient  corps  à  corps  et  d'homme  à  homme ,  les 
guerriers  aimaient  à  se  braver  :  s'exaitanl  ainsi  jusqu'à  la 
fureur,  ils  doublaient  leurs  forces.  Les  héros  d'Homère  nel 
manquent  jamais  de  se  lancer  des  railleries ,  de  se  piquer^ 
par  des  reproches  et  de  vanter  leurs  propres  exi>Ioits  avant 
d'en  venir  aux  mains.  Aujourd'hui  que  l'on  se  tue  de  loin 
sur  les  champs  de  bataille,  les  guerriers  sont  braves  sans, 
bravade. 


BRAVADE 

La  bravade  est  un  propos  de  Gascon,  une  hyperbole,  à 
laquelle  on  n'ajoute  pas  foi. 

C'est  encore  le  nom  d'une  fôte  instituée  en  Provence, 
en  l'année  1256,  par  Charles  d'Anjou,  à  son  retour  de  la 
Terre  Sainte.  Elle  consistait  en  un  tir  à  l'oiseau,  suivi  d'une 
procession  où  tiguraient  l'élite  de  la  bourgeoisie  et  le  par- 
lement. La  cérémonie  se  terminait  par  un  feu  de  joie  allumé 
par  le  vainqueur  sur  la  place  publique. 

BRAVE  (du  grec  ppaêîîov,  prix  du  combat).  C'est 
celui  qui  affronte  le  danger,  court  à  sa  rencontre,  ou  l'at- 
tend sans  crainte,  celui  qui  s'expose  à  la  mort  par  devoir, 
par  générosité.  Parmi  les  braves,  les  uns  le  sont  par  fermeté 
d'esprit ,  les  autres ,  et  c'est  le  grand  nombre ,  par  tempé- 
rament. Ces  derniers  ne  se  montrent  pas  braves  tous  les 
jours  :  subjugués  par  l'imagination,  qui  exalte  ou  énerve 
leurs  facultés  ,  ils  paraissent  fermes  ou  timides  sans  mesure. 
Que  de  guemers  ,  intrépides  sur  le  cbaïup  de  bataille ,  ont 
tremblé  devant  Véchafaud  !  C'est  qu'alors  le  péril  est  immi- 
nent, inévitable,  tandis  qu'au  milieu  du  (eu,  le  plus  brave 
ne  désespère  pas  de  son  salut ,  même  en  voyant  tomber  tous 
ses  compagnons.  «  Montrez-moi  un  danger  que  je  ne  puisse 
éviter,  disait  l'intrépide  comte  de  Peterborougli ,  et  vous 
verrez  que  j'aurai  peur  comme  un  autre.  »  Toutefois  ,  dans 
les  crises  les  plus  terribles  de  la  guerre ,  on  a  vu  de  grands 
capitaines  s'isoler  si  complètement,  qu'ils  ne  songeaient  plus 
au  péril ,  mais  au  résultat  qu'ils  poursuivaient.  On  deman- 
dait au  maréchal  Ney  si  dans  le  cours  de  sa  carrière  mili- 
taire il  avait  connu  la  crainte  :  «  Non,  répondit-il,  je  n'en  ai 
jamais  eu  le  temps.  » 

Brave  comme  un  César,  ou  comme  son  épée,  expres- 
sions proverbiales,  qui  signifient  un  homme  éminemment 
brave,  par  opposition  au  substantif  dépréciateur/aî<x6rfli'e. 
Un  brave  à  trois  poils  est  un  brave  déterminé,  qualifi- 
cation qui  vient  de  ce  que  les  hommes  qui  aspiraient  à  la 
mériter  avaient  l'habitude  de  porter  la  moustache  à  la 
royale ,  à  trois  pointes ,  bouquetée ,  comme  on  la  portait  du 
temps  de  Louis  XIIL 

Brave  veut  dire  aussi  par  extension  vêtu  avec  recherche , 
paré  de  ses  plus  beaux  habits.  Brave  comme  un  bourreau 
qui  a  fait  ses  Pâques  est  un  dicton  proverbial ,  sans  ap- 
plication anjourd'hai,  mais  qui  signifiait  jadis  qu'on  n'avait 
pas  coutume  d'être  si  bien  velu,  par  allusion  sans  doute 
a  l'obligation  imposée  aux  bourreaux  de  porter  toujours  sur 
leurs  habits  quelque  marque  de  leur  profession ,  comme  une 
échelle,  une  potence,  hors  le  jour  de  Pâques,  où  il  leur  était 
hcite  d'endosser  le  costume  i&?, âxAxa?,  manants  owvilains. 

Ce  mot  a  vieilli  dans  ces  diverses  acceptions ,  mars  il  a 
conservé  toute  sa  fraîcheur  dans  la  signification  familière 
d'honnête  ou  de  probe  :  C'est  un  brave  homme,  dit-on; 
C'est  ime  brave  et  digne  femme. 

BRAVO,  nom  qu'on  donnait  jadis  en  Italie,  à  Venise 
surtout,  à  un  spadassin ,  à  un  bandit,  à  un  estafier  à  loyer, 
à  un  soldurier  domestique,  qui  faisait  métier  de  tuer  pour 
de  l'argent,  et  qui  ne  reculait  pas,  esclave  de  sa  parole, 
devant  les  entreprises  les  plus  périlleuses  pour  satisfaire 
celui  qui  l'avait  pris  à  sa  solde.  «  A  la  fin  du  quinzième 
siècle ,  dit  un  auteur  italien  (  Pier-Angelo  Fiorcnlino  ),  les 
bravi,  armés  jusqu'aux  dents,  une  arquebuse  en  main, 
un  coutelas  en  poche,  coiffés  d'une  résille  espagnole, 
masqués  par  une  barbe  épaisse  et  d'énormes  moustaches  à 
crochets,  n'avaient,  quand  il  leur  fallait  redoubler  de  pré- 
caution ,  qu'à  rabattre  yne  longue  tresse  de  cheveux  qu'ils 
portaient  d'habitude  sur  le  devant  de  la  figure.  »  Le  bravo 
est  une  des  meilleures  productions  du  romancier  Amé- 
ricain Feniraore  Cooper. 

Ce  mot  avait  la  même  signification  en  espagnol  ;  il  n'ex- 
primait même  pas  autre  chose  en  France  du  temps  de 
Louis  XIII  et  sous  la  minorité  de  Louis  XIV.  Bon  nombre 
de  grands  seigneurs  entretenaient  alois  chez  nous  des 
éir«î;i , toujours  prêts  à  maltraiter,  à  tuer  même  quiconque 

DICT.    DE   lA   CONVF.r.S.    —  T.    IN. 


-  BRAVO  657 

on  désignait  à  leurs  coups.  Le  maréchal  d'Ancre  en  avait 
une  troupe  qni  lui  servait  de  gardes  du  corps,  et  qu'il  ap- 
pelait ses  co(7^ioHi  de  mille  livres,  parce  que  chacun  d'eux 
recevait  cette  somme  pour  veiller  sur  ses  jours;  ce  qui  ne 
l'empêcha  pas  de  tomber  sous  les  coups  de  Vitry.  Le  mot 
bravo,  passant  par  l'acception  de  duelliste,  s'épura  plus 
tard,  en  France,  grâce  à  la  puissance  du  préjugé.  Dans  les 
armées  turques ,  les  bravi  étaient  jadis  des  cavaliers  fana- 
tiques, qui,  ivres  d'opium,  le  cimeterre  au  poing,  se  pré- 
cipitaient tête  baissi'e  dans  les  rangs  ennemis ,  où  ils 
trouvaient  souvent  la  mort.  En  Amérique  il  y  en  avait  de 
<leux  sortes ,  les  uns  qui ,  fuyant  la  civilisation ,  s'enfonçaient 
de  plus  en  plus  dans  l'intorieur  des  terres,  au  risque  de  se 
trouver  face  à  face  avec  les  indigènes;  les  autres,  variété 
de  l'espèce  italienne,  et  dont  l'île  de  Cuba  fut  le  dernier 
asile,  étaient  en  général  des  nègres;  mais  quantité  de 
blancs  de  la  meilleure  compagnie  exerçaient  aussi  ce  métier 
en  amateurs ,  pour  leur  propre  compte.  11  fallut  que  le 
général  Tacon,  rentré  en  Espagne  sur  la  fin  de  1838,  mît 
un  terme  à  cette  frénésie  ,  qui  menaçait  de  ne  plus  avoir 
de  bornes. 

C'est  une  espèce  perdue  en  France  depuis  que  les  lois  y 
ont  fait  plier  toutes  les  conditions  sous  le  même  niveau. 
A  peine  en  rencontre-t-on  encore,  sous  un  nouveau  nom, 
mais  dégénérés  et  aussi  lâches  que  leurs  prédécesseurs 
étaient  intrépides,  aux  abords  des  repaires  des  Phrynés  de 
bas-étage.  Quant  aux  bandits  et  aux  voleurs  de  grands 
chemins ,  ils  ne  pillent  et  n'assassinent  plus  qu'à  leur  profit  ; 
le  partage  seul  du  butin  les  divise  ,  de  temps  à  autre. 

BRAVO!  BRAVA!  au  féminin,  BRAVI!  au  pluriel, 
exclamations  par  lesquelles  les  amateurs  enthousiastes  té- 
moignent, dans  les  théâtres  d'Italie,  et  dans  les  théâtres 
italiens  des  autres  contrées ,  leur  satisfaction  ou  leur  ad- 
miration aux  chanteurs  et  cantatrices.  Bravo  Lablache! 
brava  laGrisi,  la  Garcia!  Bravi  tutti!  Des  théâtres  ilaiiens 
ce  terme  d'approbation  est  passé  dans  tous  les  autres  théâtres 
et  même  en  de  plus  petites  salles;  dans  les  concerts,  dans 
les  salons,  dans  les  séances  académiques,  hsbravo,  les  bra- 
vissimo ,  éclatent  quelquefois  ;  c'est  une  manière  de  dire 
trùs-bicn!  dans  une  langue  qui  n'est  pas  la  sienne. 

BRAVO  (  Don  Nicolas  ),  général  mexicain.  Ce  nom 
de  Bravo  est  demeuré  célèbre  dans  l'histoire  des  guerres 
que  le  Mexique  a  dû  sontcnir  pour  assurer  son  indé- 
pendance politique.  Lorsqu'on  1811,  après  l'avortement 
d'une  première  tentative  faite  par  le  courageux  Hidalgo, 
pour  secouer  le  joug  de  la  métropole,  le  curé  Morelos,  de 
Nocupetejo,  leva  de  nouveau  l'étendard  de  l'insurrection,  et 
s'empara,  par  un  coup  de  main  aussi  hardi  qu'habile,  de 
l'important  port  d'Acapulco,  sur  l'océan  Pacifique,  le  gé- 
néral de  brigade  Leonardo  Bravo,  homme  qui  jouissait 
de  l'estime  générale.  Manuel,  son  frère,  et  Nicolas, 
son  fils,  devenu  plus  tard  général  et  vice- président 
de  la  république,  furent  des  premiers  à  répondre  à  son  gé- 
néreux appel.  Leonaido  se  trouva  au  nombre  des  dix- 
sept  prisonniers  qui  tombèrent  au  pouvoir  des  Espagnols, 
lorsque  le  brave  Morelos  se  fraya  un  chemin  avec  sa  petite 
troupe  à  travers  la  nombreuse  armée  des  assiégeants.  Leo- 
nardo fut  condamné  à  mort  par  ordre  du  vice-roi  Calléja;. 
en  vain  son  fils  offrit  pour  sa  rançon  300  prisonniers  es- 
pagnols, il  fut  fusillé.  Nicolas  Bravo  consentit  cepen- 
dant à  rendre  la  liberté  à  ces  pnsonniers ,  en  ne  leur  im- 
j)osant d'autre  condition  que  l'engagement,  de  leur  part ,  de 
se  montrer  humains  à  l'égard  des  champions  de  l'indépen- 
dance que  le  sort  des  armes  ferait  tomber  en  leur  pouvoir; 
générosité  qu'on  ne  saurait  assez  louer,  quand  on  se  r;rp- 
pelle  l'animosité  des  parties  belligérantes ,  la  haine  pro- 
fonde des  colons  pour  les  Espagnols,  et  la  soif  de  ven- 
geance, si  commune  alors  parmi  les  populations  du  Mexique. 
Son  oncle.  Manuel,  lui  aussi,  mourut  delà  main  dubour-^ 
reau,  en  1814,  après  avoir  été  fait  prisonnier. 

sa 


568 


BRAVO  -  BKAVO-MURILLO 


Quand  Morelos  eut  été  [iris  et  fusillé,  lorsque  le  congrès 
qu'il  avait  convoqué,  eut  été  dispersé,  et  que  la  plupart 
des  chefs  de  Pinsiirrectiou, battus  par  les  espagnols,  eurent 
accepté  une  amnistie,  le  général  lîravo  ,  à  son  tour,  déposa 
les  armes.  Mais  lorsqu'il)  1821  la  révolution  éclata  pour 
la  seconde  fois  à  Mexico,  Bravo,  qui  vint  rejoindre  tout 
aussitôt  Iturbide  et  Guerrero  à  Iguala,  se  montra  l'un  de 
leurs  pjus  déterminés  partisans.  Iturbide  ayant  été  pro- 
clamé empereur  par  l'armée,  le  congrès ,  dans  le  but  d'éviter 
une  guerre  civile,  lui  confirma  cette  dignité;  mais  Bravo 
et  vingt-trois  autres  membres  du  congrès  ,  qui  avaient  ex- 
primé librement  leur  désapprobation  de  ce  qu'ils  regardaient 
comme  une  usurpation,  furent  arrilés  et  jetés  en  prison 
le  11  août  1822  ;  et  le  même  jour  le  congrès  fut  violemment 
dis.sous.  Quatre  mois  plus  tard,  la  révolte  de  Sa nt a-Anna 
mettait  un  terme  à  la  durée  de  l'empire  d'I  turbide.  Le  iMexique 
se  reconstitua  en  une  république  fédérative ,  composée  de 
dix-neuf  États,  avec  un  directoire  exécutif,  formé  do  Vittoria, 
Bravo  et  Negrette;  et  le  24  octobre  1824  fut  promulguée 
la  constitution  nouvelle. 

Vittoria  ayant  été  élu  président  unique  au  mois  de  sep- 
tembre de  l'année  suivante.  Bravo  fut  placé  à  la  tète  de 
l'armée.  Il  appartenait  au  parti  des  Escoseces  (  Écossais  ), 
opposé  à  celui  des  Yorkinos,  et,  comme  chef  de  ce  parti 
autant  que  comme  l'un  des  hommes  les  plus  considérés  du 
pays,  il  était  généralement  désigné  comme  devant  succéder 
à  Vittoria  dans  la  présidence.  Les  Yorkinos,  dont  les  chefs 
étaient  Vittoria  et  Guerrero ,  ayant  réussi  à  arracher  à  la 
législature  un  décret  qui  expulsait  en  masse  tous  les  Es- 
pagnols du  territoire  de  la  république,  Bravo  partit  de 
Mexico,  à  la  tête  d'un  corps  de  troupes  qui  lui  était  dé- 
voué, pour  s'opposer  à  l'exécution  de  ce  décret  sauvage, 
et  attendit  dans  la  plaine  d'Apan  l'arrivée  du  général  Guer- 
rero ,  que  le  congrès  avait  fait  marcher  contre  lui.  Complè- 
tement défait  dans  cette  rencontre,  tels  étaient  le  respect 
et  l'estime  qu'inspiraient  généralement  sa  gloire  et  sa  pro- 
bité, que,  malgré  l'accusation  qu'on  élevait  contre  lui 
d'avoir  voulu  établir  une  république  centrale  comme  achemi- 
nement à  une  monarchie ,  on  ne  le  condamna  pas  à  mort,  et 
qu'on  se  borna  à  l'exiler  du  territoire  de  la  république.  Bravo 
se  rendit  alors  sur  la  côte  orientale  de  l'État  d'Honduras, 
dans  l'Amérique  centrale,  où  il  s'embarqua  pour  New- York. 

Mais  lorsqu'au  milieu  de  l'été  de  1829,  les  espagnols 
firent  une  nouvelle  tentative  pour  replacer  le  Mexique  sous 
le  joug  de  l'ancienne  métropole ,  Bravo  ,  abandonnant  son 
asile,  courut  avec  ses  compagnons  d'infortune  offrir  ses 
services  à  son  pays,  menacé  dans  son  indépendance.  11  des- 
cendit à  la  Vera-Cruz,  où  il  fut  accueilli  avec  de  grandes 
démonstrations  de  joie.  Le  débarquement  opéré  par  les 
Espagnols  avait  eu  pour  résultat  de  faire  cesser  pour  quelque 
temps  toutes  les  luttes  intestines;  dès  qu'ils  eurent  été  re- 
poussés, la  discorde  reparut.  Le  vice-président  Bustamente 
se  déclara  contre  Guerrero ,  qui  l'année  précédente  avait 
usurpé  la  magistrature  suprême,  et  fut  proclamé  président 
par  les  États  confédérés  quand  il  eut  triomphé  de  son  ad- 
versaire. Le  général  Bravo  fut  nommé  vice-président.  C'est 
lui  qui  avait  complètement  défait  les  forces  dont  disposait 
Guerrero,  lequel  fut  fait  prisonnier,  puis  fusillé.  En  1831  , 
sous  l'administration  de  ces  deux  hommes  démérite,  le 
ftlexique  jouit  quelque  temps  d'un  repos  dont  il  avait  tant 
de  besoin  pour  réparer  les  maux  de  la  guerre  civile.  Mais 
ce  calme  ne  fut  pas  de  longue  durée,  et  à  la  lin  de  1833  nous 
retrouvons  Bravo  à  la  tôte  d'une  petite  arnu'e  insurgée 
contre  le  gouvernement ,  entretenant  la  guerre  civile  dans 
sa  malheureuse  patrie.  Vers  les  premiers  mois  de  1834 
il  fut  battu  par  le  général  Vittoria.  Depuis  lors  il  a  disparu 
de  la  scène  politique,  et  ni  l'attaque  des  Français  sur  Vera- 
Cruz,  en  1830,  ni  la  conquête  du  Me\i(pie  par  les  États- 
Unis,  en  184  7 ,  ni  les  révoltes  continuelles  dont  son  pays  n'a 
cessé  d'être  le  tliéàlrc,  ni  la  révolution  française  de  1848, 


qui  a  ébranlé  le  globe,  n'ont  pu  le  fane  sortir  de  la  retraite 
qu'il  s'est,  dit-on  ,  choisie  dans  une  petite  ville  centrale  de 
l'Union-Aniéricaine. 

BRAVO-MURILLO  (  Don  JcA^  ),  homme  d'État 
espagnol,  né  en  juin  1803,  à  Frejenal  de  la  Sierra,  dans  la 
province  de  Badajoz.  Ses  parents,  qui  n'avaient  qu'une  for- 
tune très-médiocre,  le  destinèrent  à  l'état  ecclésiastique,  et 
l'envoyèrent  étudier  la  théologie  à  srville  et  à  Salamanque. 
N'ayant  pas  de  vocation  pour  cet  état ,  Bravo-Murillo 
abandonna  la  tliéologie  pour  la  jurisprudence.  En  1825  il 
se  lit  recevoir  avocat  à  Séville,  dont  le  barreau  complaît 
alors  parmi  ses  membres  les  avocats  les  plus  célèbres  d'Es- 
pagne ;  aussi  eut-il  beaucoup  de  peine  à  se  faire  remarquer. 
Renonçant  à  cette  ingrate  carrière,  il  obtint  une  chaire  dans 
l'université,  et  fut  en  même  temps  chargé  des  cours  de 
philosophie;  cependant  il  ne  tarda  pas  à  reparaître  au 
barreau,  vers  lequel  son  goût  l'entraînait.  Ses  talents  lui 
acquirent  bientôt  une  réputation,  qu'accrut  considérablement 
son  habile  défense  dn  colonel  Bernardo  Marquez,  en  1831. 
Après  la  mort  du  roi  Fi-rdinand  YII,  le  ministre  di;  la 
justice  Garelly  lui  olIVil  la  place  de  (iscal  près  de  Vau- 
diencia  de  l'Estramadure  à  Cacères.  Bravo-Murillo  l'ac- 
cepta; c'était  un  premier  pas  dans  l'administration  publique. 
Dans  ses  nouvelles  fonctions ,  il  se  montra  ami  d'un  progrès 
sage  et  modéré;  aussi,  lorsque  les  progressistes  arrivèrent 
aux  affaires,  en  1833,  le  ministre  de  la  justice  Gomez 
Becerra  voulut-il  l'envoyer  à  Oviedo  ;  mais  il  donna  sa 
démission,  et  redevint  avocat. 

Comme  il  avait  l'intention  de  fonder  un  journal  de  droit, 
il  se  rendit  à  Madrid,  et,  en  collaboration  avec  son  ami 
Pacheco,  il  entreprit,  en  1836,1a  publication  du  Bul- 
letin de  Jurisprudence.  Son  ancien  professeur  Barrio 
Ayuso  étant  entré  comme  ministre  de  la  justice  dans  le  mi- 
nistère Isturitz,  Bravo-Murillo  accepta  la  place  de  .secré- 
taire de  ce  département;  puis,  la  révolution  de  La  Granja 
ayant  renversé  ce  ministère  au  bout  de  trois  mois,  il  donna 
sa  démission,  avec  l'intention  de  ne  plus  s'aventurer  sur  le 
.  terrain  de  la  politique;  mais  son  état  d'avocat,  qu'il  exerçait 
avec  le  plus  brillant  succès  à  Madrid,  l'y  ramena  forciuienl. 
De  concert  avec  Donoso  Cortès,  Gonzalez  Llanos  et  Dionisio 
Galiano,  il  fonda  le  journal  d'opposition  El  Parvenir,  dont 
il  fut  un  des  plus  actifs  collaborateurs.  En  1837  la  province 
de  Séville  l'envoya  aux  Cortès.  Ofalia  lui  offrit  la  place  de 
ministre  de  la  justice;  mais  il  la  refusa.  Dans  l'assemblée 
il  ne  prit  guère  la  parole  que  quand  on  débattait  des  ques- 
tions de  droit  ;  cependant  l'occasion  ne  lui  manqua  pas  de 
faire  admirer  son  talent  et  de  mettre  au  jour  ses  principes 
modérés.  En  1838  Ofalia  l'engagea  de  nouveau  à  entrer 
dans  le  ministère;  et  lorsque  le  duc  de  Frias  fut  chargé 
d'en  former  un  nouveau  ,  le  portefeuille  de  la  justice  lui  fut 
offert;  mais  il  refusa  d'entrer  dans  un  cabinet  qui  était  sous 
l'influence  d' Esp  artero. 

Les  Cortès  ayant  été  dissoutes  bientôt  après,  Bravo-Mu- 
rillo, en  sa  qualité  de  modéré,  ne  fut  pas  réélu.  Adversaire 
du  parti  dominant ,  il  l'attaqua  vigoureusement  dans  le  Pi- 
loto,  qu'il  publiait  avec  Donoso  Cortès  et  .\lcala  Galiano  le 
père;  mais  il  se  sépara  de  ses  deux  collaborateurs  à  l'avéne- 
mentdu  ministère  Arrazola,  dont  il  n'attendait  rien  de  bon 
et  qu'il  ne  voulut  pas  soutenir.  Sur  ces  entrefaites,  le.s 
Cortès  furent  dissoutes  de  nouveau  et  remplacées  i)ar 
une  assemblée  plus  modérée,  où  Bravo-Murillo  entra 
comme  député  de  la  province  tKAvila.  Dès  lors  il  ne  se 
contenta  plus  de  discuter  les  questions  de  droit;  il  prit  une 
partactive  aux  débats  politiques.  Le  discours  qu'il  prononça 
an  sujet  de  l'abolition  des  dîmes,  mesure  qu'il  traita  d'i(i- 
juste  et  d'impolitique,  lui  lit  beaucoup  d'ennemis.  D'uh 
autre  côté,  le  courage  avec  lequel  il  défendit  les  principes 
d'une  réforme  modérée,  lui  gagnèrent  la  confiance  du  parti 
conservateur,  qui  le  lit  entrej-  dans  toutes  les  commissions,  i 
même  dans  celles  des  linances. 


BRAVO-RIURILLO  —  BRAY 


659 


Lorsque  la  révolution  du  i"  septembre  1841  éclata, 
Bravo-Murillo ,  menacé  dans  sa  liberté  comme  chef  des 
modérés,  s'enfuit  dans  les  provinces  basques,  et  se  réfugia  à 
Dayonne,  où  il  apprit  presque  en  même  temps  et  son  ban- 
nissement et  son  rappel  par  le  gouvernement  provisoire. 
Après  un  court  séjour  à  Paris,  il  retourna  à  Madrid  pour  se 
livrer  exclusivement  à  la  plaidoirie.  En  1847  il  accepta  le 
portefeuille  de  la  justice  dans  le  ministère  transitoire  du 
«!uc  de  Sotomayor  ;  mais  il  donna  sa  démission  quand  Pa- 
cIjcco  arriva  à  la  tôte  des  affaires.  Un  nouveau  ministère 
s'étant  formé  au  mois  de  novembre,  il  y  entra  comme  mi- 
nistre du  commerce,  de  l'instruction  publique  et  des  travaux 
publics.  En  1849  et  1830  il  fut  ministre  des  finances.  En 
1851,  après  la  retraite  de  Narvaez,  il  fut  cbargé  de  composer 
un  cabinet.  Ses  premières  mesures  eurent  pour  but  des  éco- 
nomies dans  l'administration  des  finances ,  le  payement  des 
créanciers  de  l'État  et  des  réformes  dans  l'administration. 

BRAVOURE.  Le  courage  présente  une  fermeté  de 
i-aractère  immuable  dans  les  périls  :  la  constance ,  le  sang- 
froid  ,  en  sont  les  véritables  éléments.  La  bravoure  s'avance 
RU  delà  ;  elle  affronte  les  dangers  ,  elle  signale  l'ardeur  de  la 
jeunes-se  et  les  élans  de  l'héroïsme.  Peut-être  le  tranquille 
courage  qui  supporte  sans  sourciller  les  approches  de  la 
mort  est-il  une  vertu  plus  difficile  que  ces  transports  de 
iiravoure  qui  précipitent  dans  le  feu  de  la  mêlée  des  soldats 
bouillants  de  valeur.  Cependant  la  bravoure  sollicite  les 
postes  périlleux;  avide  de  gloire,  elle  devient  parfois  témé- 
raire ;  c'est  la  furia  francese  qui  distingue  surtout  notre 
nation  ;  d'autres  montrent  autant  de  courage,  aucune  ne  s'a- 
nime d'une  plus  brillante  audace  :  témoignage  que  César 
rendait  déjà  aux  Gaulois  de  son  temps. 

Cette  impétuosité  du  sang  qui  s'exalte  de  promptitude  et 
de  colère  est  comparée  à  un  feu  qui  éclate  avec  furie,  mais 
s'éteint  bientôt.  Dans  les  fonctions  de  l'organisme,  c'est 
mie  sorte  de  décharge  du  système  nerveux,  analogue  à  un 
accès  de  violence.  AusSi  n'est-on  pas  brave  à  toute  heure, 
ni  tous  les  jours,  tandis  qu'un  courage  plus  flegmatique  est 
toujours  préparé.  La  bravoure  convient  surtout  pour  l'at- 
taque; le  courage  sait  résister  dans  la  défense.  La  première 
peut  vaincre,  le  second  poursuit  la  victoire  et  sait  en  profiter. 
Dans  les  affaires  civiles,  le  courage  ou  la  fermeté  persévé- 
rante devient  une  qualité  très-essentielle.  La  bravoure  n'est 
de  mise  que  dans  les  actions  militaires,  ou  celles  de  la  vie 
sociale  qui  leur  ressemblent.  Les  hommes  d'élan  sont  braves, 
les  constants  ont  du  courage,  quoique  le  genre  de  valeur  qui 
est  propre  à  chacun  d'eux  diffère.  On  peut  dire  que  la  bra- 
voure projette  avec  explosion  sa  vaillance,  et  que  le  cou- 
rage ne  la  dépense  qu'avec  mesure  et  égalité. 

Ces  dispositions  paraissent  résulter  des  tempéraments  ou 
des  constitutions  physiques;  car  la  jeunesse,  chaude,  san- 
guine, est  plus  fougueuse  ou  plus  disposée  à  la  bravoure, 
tandis  que  l'àge  viril,  la  maturité,  présente  une  valeur  plus 
calme,  plus  solide,  comme  celle  des  complexions  mélanco- 
liques et  des  caractères  flegmatiques.  Les  peuples  des  pays 
froids  et  humides  passent  pour  constants  dans  leur  courage; 
il  y  a  plus  de  nerf  et  de  feu  chez  les  méridionaux  :  ainsi, 
les  Arabes ,  les  Sarrasins ,  les  Maures,  déployèrent  une  bra- 
voure furibonde  qui  leur  valut  de  vastes  et  rapides  con- 
quêtes; mais  leur  empire  s'écroula  bientôt,  tandis  que  la 
domination  romaine,  due  au  courage  réfléchi,  aux  calculs  de 
l'art  stratégique  et  d'une  sévère  discipline ,  survécut  par  ses 
lois  et  ses  mœurs  à  l'invasion  des  barbares.  De  même ,  la 
science  guerrière  des  Grecs  dompta  la  rage  brutale  des  peu- 
ples moins  civilisés,  et  la  férocité  musulmane  a  succombé 
sous  la  tactique  régulière  et  disciplinée  des  Européens. 

Les  liqueurs  fortes,  l'ivresse,  l'opium,  ont  paru  des 
auxiliaires  de  la  bravoure,  en  étourdissant  sur  les  périls,  en 
ar.gmentantia  circulation  du  sang.  On  punissait,  au  contraire, 
le  .soldat  romain  en  le  faisant  saigner;  car  on  a  bien  moins 
d'ardeur  belliqueuse  lorsqvi'on  a  moins  de  sang;  et  c'était 


une  honte  pour  lui  de  paraître  làclie.  Tout  le  mérite  de  la 
bravoure  n'émane  donc  point  de  la  volonté  ;  il  y  faut  encore 
des  disoositions  physiques.  La  chaleur  humide  de  certains 
climats  amoUit,  rclàclie  et  su|)pnme  toute  bravoure;  on  ne 
la  connaît  guère,  en  elTet,  j  armi  les  doux  peuples  de  l'Inde 
méridionale,  quoiqu'ils  montrent  tout  le  courage  de  la  rési- 
gnation et  de  la  patience  contre  les  douleurs  et  la  mort,  à 
laquelle  plusieurs  s'exposent  volontairement. 

Les  animaux  manifestent  plus  ou  moins  de  force,  de  cou- 
raçLe  ou  d'audace  pour  se  défendre;  on  ne  peut  dire  d'aucun 
qu'il  a  de  la  bravoure ,  puisque  cette  qualité  suppose  le 
désir  de  se  distinguer  par  sa  valeur.  11  y  a  bien  une  sorte 
d'émulation  entre  les  chevaux,  comme  entre  les  chiens,  à 
la  course,  à  la  chasse,  etc.;  les  uns  sont  plus  vifs  et  plus 
courageux  que  d'autres;  les  femelles  préfèrent  aussi  les 
mâles  vigoureux  aux  lâches  pour  l'anoblissement  de  la 
race  :  tel  est  l'instinct  de  la  nature  ;  mais  la  bravoure  est 
une  qualité  propre  à  l'espèce  humaine ,  car  il  y  entre  aussi 
de  la  vanité  et  l'orgueil  de  la  supériorité.      J.-J.  Vire\. 

BRAVOURE  (  Air  de  ).  Destiné  à  faire  briller  l'habileté 
et  l'organe  de  quelque  grand  chanteur,  l'aria  di  braiura 
que  les  anciens  maîtres  italiens  plaçaient  dans  presque  tous 
leurs  opéras,  n'était  à  proprement  parler  qu'un  exercice  de 
vocalisation  ,  dont  on  s'explique  la  dénomination  en  se  ra{>- 
pelant  que  les  Italiens  appellent  bravura  le  talent,  la  har- 
diesse de  l'artiste.  Cette  sorte  d'air  fut  introduite  en  France 
par  Gluck  et  Piccini,  et  avec  elle  se  naturalisa  l'expression 
qui  servait  à  la  désigner.  Grétry  sacrifia  à  ce  goût ,  et  l'on 
cite  même  un  air  de  ce  genre  de  .Méhul.  Mais  si  la  musique 
italienne  a  conservé  quelques  traces  des  airs  de  bravoure, 
ainsi  que  le  témoignent  plusieurs  productions  de  Rossini,  la 
scène  française  se  montre  aujourd'hui  plus  sévère  à  leur 
égard ,  et  l'on  peut  dire  qu'ils  sont  actuellement  bannis  de 
notre  premier  théâtre  lyrique.  Le  compositeur  doit,  avant 
toute  chose ,  chercher  à  rendre  les  passions  qui  animent  ses 
personnages  ;  quant  au  chanteur,  s'il  veut  montrer  la  sou- 
plesse de  son  organe,  il  a  la  ressource  des  fioritures, 
dont  il  doit  du  reste  n'user  qu'avec  réserve. 

BRAWER.  Voyez  Brauwer. 

BRAY,  vieux  mot  français  dérivé  du  celtique,  dont  on 
a  fait  braium  dans  la  basse  latinité,  et  qui  signifiait  houe, 
fange,  d'où  l'on  a  tiré  le  nom  de  plusieurs  lieux,  tels  que 
nray  sur  Somme,  bourg  du  département  de  la  Somme  ;  Bray 
sur  Seine,  petite  ville  du  département  de  Seine-et-Marne; 
Vibiaye,  Follenbraye,  Savigny  sur  Brave,  etc.  C'était  aussi 
le  nom  d'un  petit  pays  de  Normandie,  très-mauvais  et  très- 
fangeux  dans  les  temps  de  pluie,  situé  autrefois  e^itre  le 
pays  de  Caux ,  le  comté  d'Eu,  le  Yexin  normand ,  le  Yexin 
français ,  les  diocèses  d'Amiens,  de  Beauvais ,  et  formant  au- 
jourd'hui l'arrondissement  deNeufchâtel  (Seine-Inférieure). 

BRAY  ( Fraxçois-Gabriel,  comte  de),  homme  d'État 
bavarois,  était  né  à  Rouen,  en  1763.  Secrétaire  de  la  léga- 
tion française  à  Ratisbonne,  il  entra  au  service  de  la  Bavière, 
et  fut  nommé  conseiller  de  la  légation  bavaroise  auprès  de 
la  diète.  Plus  tard,  il  fut  envoyé  à  Berlin,  puis,  en  1808,  à 
Saint-Pétersbourg.  La  faveur  dont  les  Français  jouissaient 
alors  en  Bavière  le  fit  élever  rapidement  à  la  dignité  de  con- 
seiller privé.  C'est  à  cette  époque  qu'il  se  fit  naturaliser  Ba- 
varois. En  1817  il  entra  dans  le  conseil  d'État,  et  à  l'occa- 
sion de  l'octroi  de  la  constitution,  il  fut  créé  pair  de  Bavière. 
Ambassadeur  à  Paris  en  1820  et  à  Vienne  en  18'27,  il  se  retira 
de  la  vie  publique  en  1831,  et  mourut  le  2  septembre  1832, 
dans  sa  terre  d'irlbach  près  de  Straubing.  Outre  une  Expo- 
sition  de  la  constitution  hollandaise  jusqu'en  1795,  il  a 
publié  un  Voyage  aux  salines  de  Salzbourg  et  de  Rei- 
chenhall  (Berlin,  1807),  et  un  Essai  critique  sur  Vhis- 
toire  de  la  iii;oHie(Dorpat,  1817). 

BRAY  (Otuon-Camille-Hlgues  de),  fils  du  précédent, 
conseiller  d'État  bavarois,  ministre  plénipotentiaire  à  la  cour 
de  Russie,  est  né  à  Berlin,  le  17  mai  1807.  Élevé  à  la  cour 

SJ. 


660 


BRAY  —  BRAZIER 


auprès  de  laquelle  son  père  était  accrédité,  il  fut  initié  de 
bonne  heure  aux  secrets  de  la  diplomatie,  et  il  en  profita 
d'autiuit  mieux  que  la  nature  Pavait  créé  diplomate.  Attaché 
à  l'ambassade  de  Bavière  à  Vienne,  il  fut  accrédité  ensuite 
au|)rès  de  plusieurs  petites  cours  et  envoyé  à  Paris  comme 
conseiller  de  lé;j;alion ,  poste  qu'il  ne  quitta  que  pour  aller 
remplir  celui  d'envoyé  extraordinaire  à  Saint-Pétersbourg. 
Rappelé  en  18 40,  il  fut  nommé  ministre  des  affaires  étran- 
gères ;  mais  il  ne  tarda  pas  à  déposer  son  poilefeuille , 
qu'il  reprit  cependant  au  mois  d'avril  1848,  pour  le  déposer 
de  nouveau  le  5  mars  1S49.  Quelques  mois  après,  il  re- 
tourna à  son  poste  à  Saint-Pétersbourg.  Élève  de  la  vieille 
école  diplomatique  (iont  Talleyrand,  MetternichetNesselrode 
sont  les  docteurs,  M.  de  lîray  comprend  peu  les  nécessités 
des  temps  modernes;  mais  il  possède  cette  habileté  qui  sait 
éviter  les  conllits  trop  violents.  C'est  de  son  premier  mi- 
nistère que  date  le  scandaleux  épisode  où  la  fameuse  Lo- 
la-Montez  a  joué  un  des  principaux  rôles.  Appréciant 
Vort  bien  la  situation ,  il  déposa  son  portefeuille ,  et  se  sé- 
para de  ses  collègues,  qui  nuisirent  aux  intérêts  de  leur 
parti  en  tardant  trop  à  suivre  son  exemple.  Il  parut  ainsi 
le  vrai  représentant  du  principe  aristocratique,  il  est  vrai, 
mais  fidèle  à  ses  convictions  ;  et  son  opposition  le  rendit  as- 
sez populaire  pour  qu'on  le  vît  avec  plaisir  rappelé  aux  af- 
faires en  1848.  L'influence  qu'en  sa  qualité  de  ministre  des 
affaires  étrangères  il  a  exercée  sur  la  question  allemande  est 
digne  d'attention.  Il  appuya  d'abord  la  politique  de  la 
Prusse,  et  se  montra  l'adversaire  de  toute  concession  à  l'Au- 
triche, puis,  lorsque  surgit  la  question  de  l'Empire  en  1848, 
il  fut  le  premier  à  provoquer  l'intervention  de  l'étranger 
dans  les  aflaires  d'.\lleinagne.  On  attribua  sa  démission  au 
peu  de  succès  de  son  apologie  devajit  la  chambre  des  pairs. 
BRAYANTS,  hérétiques  qui  parurent  en  Allemagne 
vers  1544.  C'était  un  démembrement  de  la  secte  des  ana- 
baptistes; et  ces  imbéciles  gagnèrent  leur  nom  en  soute- 
nant que  la  chose  la  plus  agréable  à  Dieu  était  de  pleurer 
et  de  brailler  dans  leurs  temples. 
BRAYE  ou  Brayoire.  Vo?jez  Broyé. 
BRAYER,  sorte  de  bandage,  qui  sert  à  contenir  les  her- 
ïiîes  et  ainsi  nommé,  parce  qu'il  se  mettait  sous  les.  braies. 
Brayer  se  dit  aussi,  1°  de  la  partie  postérieure  (anus) 
des  oiseaux  de  proie;  2"  du  morceau  de  cuir  qui  sert  à  sou- 
tenir le  battant  d'une  cloche;  3°  de  l'espèce  de  sachet  de 
cuir  où  l'on  fait  reposer  le  bi\ton  de  la  bannière,  quand  on 
la  porte;  4"  du  petit  morceau  de  fcr<pii  pusse  dans  les  trous 
qui  sont  au  bas  de  la  chasse  du  trébuchet  et  des  balances, 
et  qui  sert  à  la  tenir  en  état  ;  5"  des  cordages  qui  servent  à 
élever  le  bourjiquet  ou  petit  bât  avec  lequel  on  porte  le 
mortier. 

BRAYER  (A.),  médecin  qui  a  rendu  de  grands  ser- 
vices à  la  science  par  ses  observations  j)ersonnelles  sur  la 
peste,  était  né  dans  le  dépaitement  de  l'Aisne  vers  1775, 
d'une  famille  connue  dans  la  magistrature,  l'administration 
et  la  médecine.  Reçu  docteur  dans  les  premières  années  du 
siècle,  il  entreprit  quelques  voyages  en  Italie  et  en  Orient, 
nommément  à  Constantinople,  où  il  pratiqua  son  art,  et  où 
il  retourna  plusieurs  fois.  Il  revint  en  France  à  l'époque  où 
finissait  la  guérie  des  Grecs ,  rapportant  une  fortune  suffi- 
sante et  l'opinion  h'wn  assise  que  la  peste  n'est  pas  con- 
tagieuse, non  plus  que  lalièvre  jaune.  Complétant  ses  travaux 
par  de  nouvelles  lectures,  il  (il  paraître  en  Is.'jG  un  ouvrage 
inWivXé  r<cuf  nn né r.s  à  Constantinople  {•}.  volumes  in-8°). 
Quand  l'Académie  de  Mi'decine  ht  une  enquête  sur  la  peete 
et  les  quarantaines,  en  184G,  elle  appela  prés  d'elle  le 
docteur  Brayer,  qui  la  renvoya  à  son  livre,  mais  en  insistant 
fortement  sur  ce  point  qu'il  ne  croyait  pas  à  la  contagion 
delà  peste.  Dès  1S7.2,  actionnaire  et  propriétaire  pour  une 
part  de  r.\thénée  des  Arts,  il  y  passait  presque  tout  son 
lemps.  Jl  (init  par  tomber  en  enfance,  et  alla  mourir  à 
îàouen,  en  1848.  Brayer  avait  aussi  rapporté  de  ses  voyages 


une  plante  de  l'Abyssinic,  vermifuge  qui,  jusque  alors  in- 
connu, tue  immanquablement  le  taenia.  Kunth  l'a  dédiée  au 
savant  qui  nous  l'a  fait  connaître  (voyez  BKAYi:uE). 

BRAYERE,  arbre  d'Abyssinie,  appartenant  à  la  famille 
des  rosacées,  ainsi  appelé  du  médecin  Brayer,  qui  !e 
premier  l'a  fait  connaître  en  France,  avec  ses  propriété.s 
antliclmintiques  particulièrement  applicables  à  la  destruction 
du  tœnia.  Cet  arbre,  qui  atteint  jusqu'à  vingt  mètres  de 
hauteur,  a  pour  caractères  botaniques  :  fleurs  pédicellées, 
entourées  de  bractées  membraneuses  ;  calice  tubuleux  per- 
sistant, rétréci  à  son  orifice;  limbe  à  dix  lobes,  dont  les 
cinq  extérieurs  plus  grands;  cinq  pétales  très-petits,  li- 
néaires, insérés  au  limbe  du  calice,  de  douze  à  vingt  éta- 
mines  insérées  au  môme  endroit,  à  filets  libres;  anthères 
biloculaires,  deux  ovaires  cachés  au  fond  du  calice  parfai- 
tement libres,  uniloculaires,  monospermes;  ovules  pendants, 
deux  styles  terminaux,  stigmates  élargis ,  légèrement  lobés.  ■ 

BRAYETTE.  Voyez  Braguette  et  Braies. 

BRAZIER  (Nicolas),  auteur  dramatique  et  chansonnier, , 
naquit  à  Paris,  le  17  février  1783.  Son  père  tenait  une  école 
d'enfants;  Brazier  ne  s'y  montra  pas  assidu  :  aussi  fut-il 
placé  dans  une  fabrique  de  bijouterie.  C'était,  disait-il,  une 
chaîne,  et,  quoique  dorée,  il  ne  la  supporta  pas  longtemps. 
Plus  libre  de  ses  mouvements  dans  l'administration  dos 
droits  réunis,  où  il  obtint  un  modeste  emploi,  il  fit  comme 
l'oiseau  auquel  on  ouvre  la  cage ,  il  déploya  ses  ailes,  sa 
poitrine  se  dilata,  et  il  se  prit  à  fredonner  de  joyeux  re- 
frains. Armand  Gouffé  ,  fayant  entendu  dans  une  réunion 
bachique,  applaudit  à  sa  verve;  mais  il  eut  la  franchise  de 
lui  dire  que,  même  en  chansons,  il  faut  non-seulement  du 
bon  sens  et  de  l'art,  mais  un  peu  d'orthographe  et  de  gram- 
maire. Combien  Brazier  ne  regretta-t-il  pas  alors  de  n'avoir 
pas  môme  ouvert  une  seule  fois  le  Traité  analytique  de  la 
Langrie  Française  de  son  père?  Mais  aussi  te  voilà  s'ar- 
mant  d'une  grande  résolution ,  achetant  des  livres  élémen- 
taires; et  ayant  le  courage,  lui  homme  dt^à ,  lui  chanson- 
nier applaudi ,  lui  auteur  joué,  d'aller  tous  les  jours  en 
classe  dans  une  pension  de  la  rue  Saint-Antoine. 

Nous  venons  de  dire  que  Brazier  était  auteur  joué  ;  en 
effet  en  1803,  à  peine  âgé  de  vingt  ans,  il  avait  fait  repré- 
senter sur  le  petit  théâtre  des  Délassements  une  espèce  de 
monologue  dramatique,  comme  on  en  faisait  dans  ce  temps-là. 
Le  Caveau  moderne  l'ayant  accueilli,  il  se  trouva  en  rap- 
port avec  des  auteurs  déjà  connus,  qui  ne  dédaignèrent  pas 
de  s'associer  sa  gaieté  bouillante,  son  imagination  fraîche, 
sa  facilité  à  tourner  le  couplet;  et  plus  d'un  ranima  de  la 
sorte  sa  verve  épuisée.  Il  faut  le  dire  à  sa  louange,  ses 
succès  ne  lui  firent  pas  d'envieux,  et  ses  collaborateurs  de- 
vinrent et  restèrent  ses  amis.  Deux  cents  pièces  pleines  de 
gaieté ,  trois  cents  chansons  remarquables  par  un  naturel 
charmant,  par  une  mahce  pleine  de  bonhomie,  des  applau- 
dissements sur  tous  les  théâtres  de  vaudevilles  pendant 
trente  ans,  et  dans  les  sociétés  chantantes  les  plus  renom- 
mées, rendirent  assez  populaires  son  nom,  son  talent  et 
ses  ouvrages. 

Auteur  dramatique,  Brazier  avait  besoin  de  collabora- 
teurs; il  n'avait  pour  travailler  seul  ni  assez  de  patience 
ni  assez  de  goût.  Certes,  il  ne  manquait  pas  d'idées,  mais  il 
ignorait  l'art  de  les  coordonner.  En  ce  sens ,  Merle  lui  fut 
extrêmement  utile.  Il  n'avait  pas,  non  plus,  l'observation  po- 
pulaire au  même  degré  que  Dumersan ,  avec  lequel  il  tra- 
vailla longues  années; -mais  il  égaya  toujours  le  dialogue  de 
ses  collaborateurs  par  des  mots  francs,  par  des  saillies 
bouffonnes  ;  et  ses  couplets,  bien  tournés  et  chaleureux,  arra- 
chèrent souventdes  applaudissements  au  public.  Les  refrains 
de  Brazier  chansonnier  ont  trouvé  des  échos  dans  toutes  les 
réunions  bachiques ,  aux  veillées  du  bivouac ,  dans  les  ate- 
liers, chez  les  grisettes  ;  mais  rarement  ils  ont  pénétré  dans 
les  salons.  La  gaudriole  le  provoque,  le  vin  l'inspire  et  la 
gaieté  le  soutient. 


BRAZIER  —  BREBIS 


6ÔS 


Tout  bon  compagnon  que  fût  Brazier,  l'ambition  littéraire 
lui  vint  un  jour;  il  eut  la  prétention  des  œuvres  sérieuses  : 
c'est  ainsi  qu'il  qualiliait  les  volumes.  Aussi  en  composa-t-i! 
deux  à  la  fin  de  sa  carrière;  mais  ces  volumes,  plus  lourds 
de  forme  que  ses  gais  vaudevilles,  étaient  aussi  légers  de 
fond.  Avant  que  l'idée  des  livres  lui  arrivât,  il  avait  nourri 
une  autre  marotte,  qui  ne  l'abandonna  jamais;  l'apôtre  fer- 
vent du  vin  et  de  la  gaieté  voulut  se  faire  poète  politique 
comme  Déranger,  et,  prenant  sa  démangeaison  déchanter 
pour  une  mission,  il  se  crut  royaliste,  et  se  jugea  digne  de 
ligurer  dans  ce  parti  pour  avoir  fait  quelques  pièces  de  cir- 
constance et  rimé  quelques  chansons  pour  les  réjouissances 
des  Chami)S-Élysées.  Il  publia  un  recueil  de  refrains  bour- 
bonniens,  intitulé  :  Souvenirs  de  Dix  Ans  ;  mais  les  mé- 
chantes langues  remontèrent  plus  haut,  et  trouvèrent  dans 
le  bagage  politico-poétique  de  l'auteur  une  chanson  datée 
de  la  naissance  du  roi  de  Rome,  avec  absolument  le  même 
lefrain.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  Bourbons  ne  s'en  formalisè- 
rent pas,  et,  par  le  crédit  de  M.  de  Lauriston,  Brazier  obtint 
une  place  à  la  bibliothèque  particulière  de  Louis  XVIlf.  A 
cette  nouvelle  il  se  rend  chez  Barbier,  alors  chef  de  cette 
bibliothènue,  et  il  l'ahorde  en  ces  termes  :  «  Monsieur, 
vous  savez  que  je  suis  votre  subordonné;  mais  vous  pensez 
bien  que  la  place  qui  m'est  accordi.'c  est  une  récompense  de 
mes  services,  et  non  une  obligation  de  travail  :  aussi  vous 
trouverez  bon  que  je  ne  vienne  ;i  jieu  près  ici  que  pour 
émarger.  »  BarbieraccueiMit  fort  mal  ce  discours  d'ouverture; 
mais  M.  de  Lauriston  airangea  l'affaire  :  on  nomma  un  autre 
employé,  qui  remplit  les  fonctions  attachées  à  la  place,  et 
Brazier  obtint  une  pension  que  déguisait  une  sinécure.  En 
fiomme,  il  n'était  pas  instruit,  et  il  l'avouait  do  bonne 
grâce;  mais  il  était  plus  distrait  encore  qu'illettré,  et  parfois 
on  a  mis  sur  le  compte  de  son  ignorance  ce  «jui  n'était  que 
de  l'étourderie.  Brazier  mourut  à  Tassy,  le  22  août  1838,  à 
l'âge  de  cinquante-cinq  ans,  laissant  une  modique  fortune  à 
sa  veuve. 

On  a  de  Biazier  deux  cent  quinze  pièces  de  théâtre,  dont 
près  de  cent  cinquante  imprimi'es.  Les  plus  connues  sont  : 
Préi-ïlle  et  Taconnet,  Le  ci-devnnt  Jeune  Homme,  La 
Carte  à  payer,  Je  fais  mes  farces.  Le  Coin  de  Rue,  Le 
Soldat  laboureur,  Les  lionnes  d'Enfants,  Les  Cuisi- 
nières, etc.  Il  a  publié,  outre  \e^  Souvenirs  de  Dix  Ans, 
deux  autres  volumes  de  chansons,  où  la  polititpie  et  l'esprit 
de  parti  n'entrent  ()our  rien.  Enfin,  il  mit  au  jour  deux  volu- 
mes in-8°,  intitulés  :  Les  Petits  Théâtres  de  Paris;  travail 
auquel  l'auteur  attachait  une  importance  exagérée;  qui  ren- 
ferme, il  est  vrai,  quelques  anecdotes,  quelques  détails  cu- 
rieux ,  mais  qiii  pèche  du  côté  de  la  critique  et  môme  de 
l'exactitude.  Etienne  Arago. 

BRÉBEUF  (Guillaume  de),  naquit  en  161S,  à  Thori- 
gny,  d'une  bonne  famille  de  la  basse  Normandie,  et  mourut 
à  Venoix,  prèsdeCaen,en  1661,  à  i'à:.;e  de  quarante-trois  ans. 
Ce  poète  gentilhomme  mérita  par  ses  traductions  en  verset 
par  son  érudition  variée  d'être  rangé  au  nombre  des  écri- 
vains en  vogue  pendant  la  minorité  de  Louis  XIV.  Il  débuta 
par  une  traduction  du  VIF  livre  de  L'Éncide,  en  vers  bur- 
lesques, et  publia  ensuite  une  traduction  dans  le  môme  genre 
de  La  Pharsale  de  Lucain.  Puis  il  entreprit  de  traduire 
sérieusement  ce  poëme,  et  sa  traduction  obtint  le  plus 
giand  succès.  On  en  admira  les  hyperboles  excessives, 
l'enflure,  les  antithèses  incessantes,  le  faux  brillant,  les 
pensées  gigantesques,  les  descriptions  pompeuses  mais 
peu  naturelles  ;  et  ébloui  comme  la  cour  et  la  ville  par  le 
clinquant  de  cet  ouvrage,  et  par  quelques  étincelles  de  ta- 
lent qu'on  y  rencontre  de  loin  on  loin,  Mazarin  fit  au  tra- 
ducteur de  belles  promesses,  qu'il  oublia  d'ailleurs  de  lui 
tenir.  Toutefois,  La  Pharsale  de  Brébeuf  tomba  peu  à  peu 
dans  l'oubli,  à  mesure  que  le  goût  public,  ens'épurant,  de- 
vint plus_  sévère.  Boileau,  par  ses  critiques  et  ses  plaisan- 
teries, né  contribua  pas  (leu  à  faire  revenir  l'opinion  pu- 


blique sur  un  poète  qu'elle  avait  d'abord  porté  aux  nues; 
il  fit  comprendre  tout  ce  qu'il  y  avait  d'inégal,  de  bour- 
souflé et  d'emphatique  dans  son  style,  et  dans  son  Art  poé- 
tique il  fit  de  Brébeuf  le  type  de  l'enflure  et  de  l'hyperbole. 
Nous  ne  serions  pas  surpris  que  quelque  bel  esprit  s'avisât 
de  nos  jours  de  vouloir  en  appeler  de  l'arrêt  souverain  porté 
l)ar  notre  grand  critique,  et  essayât  de  réhabiliter  sa  vic- 
time :  car,  après  tout,  on  ne  saurait  disconvenir,  quand  on 
a  eu  le  courage  de  lire  Brébeuf  malgré  l'anathème  de  Boi- 
leau, qu'il  s'en  faut  qu'il  soit  dépouiTU  du  sens  poétique; 
qu'il  y  a  chez  lui  des  alliances  de  mots  hardies  et  faites  pour 
frapper  l'imagination;  que  quelquefois,  dans  les  morceaux 
descriptifs  surtout,  il  ades  traits  heureux, et  qu'alors  il  repro- 
duit assez  fidèlement  la  vigueur  fière  et  le  coloris  grandiose 
de  Lucain.  Dans  quelques  morceaux  son  style  est  aussi  ferme 
que  correct,  et  il  trouve  des  images  brillantes.  C'est  ce  que 
Boileau  reconnaît  lui-même,  quand  il  nous  dit  quelque  part: 

Maljçré  son  fatras   obscur 
Souvent  Brébeuf  étincelle... 

Enlevé  aux  lettres  par  une  mort  prématurée,  Brébeuf  ne 
laisse  pas  que  d'avoir  comparativement  beaucoup  produit. 
C'est  ainsi  qu'indépendamment  des  ouvrages  mentionnés 
ci-dessus,  on  a  de  lui  des  Entretiens  solitaires ,  poésies 
religieuses,  fort  inférieures,  du  reste,  à  ses  productions  pro- 
fanes ;  un  recueil  d'œuvres diverses,  où  l'on  trouve  quelques 
jolis  vers  et  150  épigrammes  contre  une  femme  fardée, 
fruit  <rime  gageure;  des  Éloges  poétiques,  une  Défense  de 
V Église  romaine,  enfin  des  Lettres. 

BBEBIS,  femelle  du  bélier.  Voyez  Mouton,  Bétail,  etc. 

La  brebis  chez  les  anciens  servait  d'holocauste,  et  on  la 
.sacrifiait  principalement  sur  les  autels  des  Furies.  Les  Égyp- 
tiens, i)Ius  justes  et  plus  conséquents  dans  leur  idolâtrie, 
l'avaient,  au  contraire,  en  grande  vénération,  h  cause  de  son 
utilité,  et  ils  lui  avaient  même  érigé  un  culte  dans  les  villes 
de  Sais  et  de  Thèbes.  Dans  nos  livres  saints,  le  terme  de 
brebis  est  souvent  cimployé  pour  désigner  le  peuple,  dont 
il  peint  en  effet  la  douceur  et  la  patience.  David  dit,  dans 
ses  Psaumes  :  «  Nous  sommes  votre  peuple  et  les  brebis  de 
votre  pâturage.  »  Le  Sauveu'-  dit  lui-même  «  qu'il  n'a  été 
envoyé  qu'aux  brebis  de  la  maison  d'Israël  qui  sont  per- 
dues. "  Les  justes  sont  souvent  comparés  aussi  à  des  brebis 
exposées  aux  violences  des  méchants  et  à  la  rage  des  loups. 
«  C'est  pour  vous,  dit  David,  qu'on  nous  égorge  chaque  jour 
et  qu'on  nous  considère  comme  des  brebis  destinées  à  la 
boucherie.  »  Les  séducteurs,  dans  l'Évangile,  sont  comparés 
à  dos  loups  qui  se  couvrent  de  la  peau  de  brebis  ;  Jésus- 
Christ  a  dit  :  «  Gardez-vous  des  faux  prophètes,  qui  vien- 
nent 4  vous  couverts  de  peau\  de  brebis,  car  ce  ne  sont  au 
dedans  que  des  loups  ravisseurs.  »  Enfin,  il  est  écrit  qu'au 
jugement  dernier  les  brebis  (c'est-à-dire  les  justes  ),  placées 
à  la  droite  du  souverain  Juge,  seront  mises  en  possession  du 
royaume  des  cieiix. 

Le  mot  brebis,  pris  au  figuré,  est  refeté  dans  notre  langue 
comme  qualification  du  chrétien  lidèie.  «  11  y  a  plus  de  ré- 
jouissance dans  le  ciel,  dit  l'Évangile,  pour  une  brebis  égarée 
qui  revientau  bercail,  que  pour  les  nonante-neuf qui  ne  l'ont 
pas  quitté.  »  Les  chefs  temporels  des  États  sont,  eux  aussi, 
dans  l'habitude  de  regarder  les  pauvres  peuples  comme  leurs 
brebis  et  de  les  tondre  d'aussi  près  que  faire  se  peut,  en 
ayant  soin  de  les  faire  crier  le  moins  possible.  Les  patientes 
se  hasardent-elles  à  élever  un  tant  soit  peu  le  ton,  vite  on 
les  déclare  brebis  galeuses,  qu'il  convient  de  sacrifier  le 
plus  tôt  possible,  dans  l'intérêt  bien  entendu  du  troupeau. 

Jamais  mot  ne  fut  plus  fécond  en  proverbes  que  celui-là  : 
La  brebis  du  bon  Dieu  est  l'être  inoffensif,  patient ,  ne  se 
défendant  pas,  ne  se  plaignant  pas  même,  quaml  on  l'at- 
taque. Brebis  q%ii  bêle  perd  sa  goulée,  signifie  qu'en  ba- 
vardant trop  on  perd  l'occasion  d'agir  ;  Qui  se  fait  bre- 
bis, le  loup  la  mange,  qu'avoir  trop  de  bonté,  de  douceur, 


6G2 


BREBIS  —  BBECHES- OSSEUSES 


jî'est  encoiiiager  les  tnécliauts  à  vous  nuire;  Brebis  comp- 
tées, le  loup  les  mange,  que  l'excès  de  précaution  ne  ga- 
rantit pas  toujours  du  danger;  A  brebis  tondue  Dieu  vie- 
sure  le  vent,  qu'il  ne  nous  envoie  pas  plus  de  mal  que 
nous  n'en  pouvons  supporter;  Quand  brebis  enragent, 
elles  sont  pires  que  loups,  qu'il  est  dangereux  de  pousser 
à  bout  les  peuples  les  plus  pacifiques ,  car  Dieu  combat  tou- 
jours i)our  les  faibles. 

BRÈCHE  (  Art  militaire),  ouverture  faite  par  une  armée 
assiégeante  dans  l'enceinte  d'une  place,  pour  offrir  une  voie 
aux  colonnes  d'infanterie  de  siège,  et  leur  faciliter  le  moyen 
de  donner  l'assaut.  La  manière  dont  les  anciens  entamaient 
la  brèche  et  se  portaient  à  l'escalade,  la  manière  dont  ils 
disputaient  et  défendaient  la  brèche,  ont  été  traitées  par 
"Vitruve,  Beausobre,  Borgsdorf,  Folard,  Guischardt ,  Hum- 
bert.  Juste  Lipse,  Maubert,  Montargues,  Montgommeri.  Les 
assiégeants  faisaient  brèciie  à  l'aide  du  bélier,  par  lesecours 
des  sapes,  par  la  puissance  des  leviers  et  des  tarières ,  et  en 
|)erçant  des  galeries,  où  ils  poussaient  des  élançons  ou  des 
soutiens  de  charpente  qu'ils  embrasaient  pour  faire  crouler 
les  massifs.  Maintenant  une  brèche  est  le  déchirement  d'une 
pièce  de  fortification  battue  par  des  salves  d'artillerie  et  par 
les  feux  convergents  des  batteries  de  brèche.  Une  brèche  ne 
saurait  avoir  moins  de  12  mètres  de  largeur;  ce  qu'on  ap- 
pelle l'élargir,  c'est  lui  donner  un  front  de  50  à  60  mètres. 

L'action  de  battre  en  brèche  se  répète  plusieurs  fois  dans 
certains  sièges,  et  elle  commence  dès  l'attaque  des  ouvra- 
ges extérieurs.  Autrefois  on  s'y  aidait  davantage  de  l'effet 
des  mines  et  des  ressources  de  la  guerre  souterraine.  Voici 
maintenant  la  marche  de  cette  opération  :  Le  jeu  soutenu 
de  certaines  batteries  de  siège  et  les  cliocs  réitérés  qu'exer- 
cent d'abord  des  boulets  pleins ,  ensuite  des  boulets  creux , 
sapent  le  pied  d'un  revêtement  dans  une  largeur  de  12 
à  15  mètres;  sa  sommité  s'écrête;  ses  débris  s'amoncellent, 
encombrent  le  fossé ,  font  rampe.  A  cet  instant ,  les  efforts 
de  l'assiégé  et  les  ressources  de  la  défense  du  corps  de  la 
l'iiice  consistent  ou  ont  consisté  à  réparer  la  brèche  à  pro- 
poition  qu'elle  s'élargit,  à  l'escarper  à  mesure  qu'elle  se  talute, 
i'  la  combler,  s'il  se  peut ,  avant  qu'elle  s'aplanisse,  à  allu- 
mer des  bûchers  au  pied  de  la  brèche ,  ou  bien  à  y  enterrer 
des  caissons  d'artifice,  des  coffres  fulminants;  à  rassembler 
sur  la  sommité  des  amas  de  pierres ,  de  la  chaux,  des  ba- 
rils pleins  d'eau,  des  barriques  et  barils  ardents  ou  foudroyants, 
des  bombes,  des  chemises  à  feu,  des  fascines  goudron- 
nées ,  des  grenades  à  main ,  des  orgues  à  feu  ;  à  embar- 
rasser le  talus  au  moyen  de  chausses-trapes,  de  cbevaux  de 
frise,  de  hérissons,  de  herses  d'attrape,  de  hersillons,  à  pra- 
tiquer, ou  à  charger,  si  c'est  un  bastion  plein,  des  four- 
neaux et  des  fougasses  sous  la  brèche;  à  creuser  des  cou- 
pures dans  le  bastion  ,  à  y  construire  des  retirades ,  et  enfin 
à  la  nettoyer  vigoureusement  si  des  assaillants  tentent  de 
l'emporter. 

Voici  l'opération  contraire,  telle  qu'elle  s'accomplirait,  ou 
s'est  exécutée.  Les  assiégeants ,  ayant  exécuté  la  descente 
du  fossé  pour  se  porter  à  l'assaut,  reconnaissent  le  débou- 
ché, s'assurent  que  l'ennemi  peut,  ou  non,  voir  en  brèche, 
détournent  les  obstacles  dont  la  rampe  est  semée,  y  font 
jouer  les  batteries  de  pierriers,  la  couvrent  de  fascines  et 
de  sacs  à  terre,  surmontent  les  chicanes  de  ceux  qui  la  dé- 
fendent, éventent  les  fourneaux,  rendent  le  taUis  praticable 
au  canon,  le  gravissent  de  front ,  en  se  remparant,  si  faire 
se  peut,  de  sacs  à  terre  ou  de  gabions  ,  et  établissent  un  lo- 
gement sur  la  crête  de  la  brèche. 

Les  assiégeants  font  brèche  ordinairement  à  deux  bastions 
d'imc  forteresse  en  dirigeant  à  la  fois,  les  coups  de  leur  ar- 
tillerie contre  les  faces  qui  se  regardent ,  et  en  entamant  le 
l)i!'(l  de  chacune  vers  son  milieu  ,  ou  vers  !e  tiers  de  sa  lon- 
gueur, à  compter  de  l'angle  flanqué  ;  la  continuité  des  salves 
foifensuite  crouler  la  partie  supérieure  du  revêtement ,  de 
manière  à  former  une  rampe  de  25  h  30  mètres  de  largeur. 


On  a  quelquefois  fait  brèche  à  l'angle  saillant  des  laces  d'un 
bastion  ;  mais  c'est  un  usage  abandonné  ,  de  même  que  les 
assiégés  ont  renoncé  à  l'usage  de  battre  lachamade  sur  le 
haut  de  la  brèche  ,  même  pour  demander  viercl. 

On  a  vu  des  assiégeants  avoir  recours  à  une  brèche  de 
courtine  dans  des  cas  où  les  bastions  correspondants  étaient 
eux-mêmes  entamés;  car,  autrement,  la  rampe  d'une  telle 
brèche  serait  impraticable.  Mais  si  l'assiégé  réussit  à  élever 
des  ouvrages  à  la  gorge  des  bastions  ruinés,  l'assiégeant  frappe 
alors  une  brèche  au  milieu  de  la  courtine  :  ainsi  fit  le  princxi 
Eugène  au  siège  de  Lille  en  1707,  ce  qui  contraignit 
Bouflers  à  se  rendre.  Lorsqu'une  capitulation  interrompt 
ou  prévient  l'assaut,  l'assiégeant,  s'il  est  déjà  logé  sur  la  brè- 
che, y  pose,  jusqu'à  ce  que  la  reddition  s'effectue,  un  poste 
pour  garantir  la  place  de  tout  désordre. 

Tel  est  le  résumé  des  règles  et  des  usages  des  deux  der- 
niers siècles.  Ajoutons  quelques  mots  sur  les  coutumes  ac- 
tuelles. On  n'avait  jamais  fait  les  brèches  aussi  considé- 
rables que  dans  les  dernières  guerres  de  la  Péninsule.  L'ar- 
tillerie anglaise,  tirant  à  grande  distance,  pratiqua  à  Ciudad 
Rodrigo,  à  Badajoz,  à  Saint-Sébastien,  en  1S1;5,  des  brè- 
ches à  grande  ouverture  :  elles  avaient  à  l'extérieur  30,  45 
et  jn.squ'à  100  mètres,  et  à  l'intérieur,  9,  12  et  jusqu'à  30 
mètres. 

On  a  appelé  brèche  praticable  celle  qui  entame  le  corps 
d'une  place,  produit  une  rampe  de  30  à  40  mètres  de  large,  et 
est  d'un  accès  assez  facile  non-seulement  pour  être  gravie  par 
les  assiégeants,  mais  même  pour  donner  passage  aux  assiégés 
se  rendant  prisonniers  et  réduits  à  évacuer  la  forteresse  qu'ils 
défendaient;  la  possibilité  d'en  sortir  en  descendant,  mèche 
allumée,  par  une  telle  route,  fut  longtemps  la  seule  excuse 
que  le  commandant  de  la  place  assiégée  put  donner  pour 
justifier  sa  reddition.  Un  gouverneur  se  fût  déshonoré  en  sor- 
tant par  les  portes.  Cette  vieille  coutume  en  avait  produit 
une  autre;  celle  d'abattre  im  pan  de  muraille  pour  recevoir 
au  sein  d'une  ville  un  vainqueur  revenant  de  l'expédition  où 
il  avait  triomphé;  on  ne  croyait  pas  pouvoir  lui  rendre  un 
plus  insigne  lionneur. 

La  langue  de  la  justice  militaire  a  .consacré  le  mot  brèche 
praticable  dans  un  décret  du  26  juillet  1792,  et  dans  un 
arrêté  du  lemessidoran  vi,  pour  indiquer  la  criminalité  d'un 
gouverneur  qui  capitulerait  avant  l'extrémité  où  le  réduisent 
le  perfectionnement  de  la  brèche  et  l'impossibilité  d'y  sou- 
tenir l'assaut  en  élevant  un  arrière-retrancbement.  La  loi 
a  consacré  aussi  l'expression  abandon  de  la  brèche,  pour 
définir  le  crime  du  militaire  qui,  mené  à  l'assaut,  y  trahirait 
ses  devoirs,  et  s'éloignerait  de  ce  poste  pour  piller  ;  c'est 
un  cas  punissable  de  mort.  Dix-huit  heures  du  feu  roulant 
d'une  batterie  de  six  pièces  de  vingt-quatre  avaient  rendu 
praticable  la  brèclie  de  la  citadelle  d'Anvers,  en  1832. 

G^''  Bardin. 

Vingt-quatre  heures  suffirent  au  siège  de  Rome,  durant 
le  mois  de  juin  1849,  pour  obtenir  un  pareil  résultat  dans  le 
flanc  du  bastion ,  véritable  forteresse,  qui  communiquait 
par  des  tranchées  avec  San-Pietro  in  Montorio.  La  brèche, 
commencée  le  28,  était  praticable  le  29.  L'assaut  fut  donné 
le  30  dans  la  nuit.  Quand  nous  filmes  maîtres  du  terre-plain 
du  bastion,  notre  mousqueterie  balaya  de  là  les  abords  infé- 
rieurs de  la  porte  San-Pancrazio.  A  six  heures  du  malin  le 
Janicule  était  évacué  par  l'ennemi  et  toute  résistance  ces- 
sait. Le  3  juillet  Boma  entière  était  en  notre  pouvoir. 

BRECHE  (  Géologie),  espèce  de  marbre,  compo.séde 
fragments  anguleux  de  diverses  couleurs  ,  réunis  par  une 
pâte  calcaire  d'une  teinte  différente.  Quand  les  fragments 
sont  très-petits,  ce  marbre  prend  le  nom  de  brocalelle.  Les 
fausses  brèches  sont  des  marbres  veinés,  qui  ont  l'appa- 
rence de  brèches,  ou  qui  semblentêtre  composés  de  fragments, 
à  cause  de  la  manière  dont  les  veines  s'entrelacent. 

BRJÈCHES  OSSEUSES.  Ce  sont  des  cavités  que 
l'on  rencontre  principalement  dans  les  roches  calcaires 


BRECHES  OSSEUSES  —  BREDOW 


gypseuscs,  et  qui  sont  remplies  de  dépôts  fragmentaires 
provenant  en  grande  partie  de  débris  non  roulés  de  la 
roche  elle-même,  entremêlés  d'ossements  plus  ou  moins 
brisés  de  mammifères  et  souvent  de  coquilles  terrestres.  Ces 
débris,  cimentés  par  des  concrétions  calcaires,  sont  envelop- 
pés dans  un  limon  le  plus  habituellement  coloré  en  rouge 
par  de  l'oxyde  de  fer.  On  trouve  ces  brèches  osseuses  sur 
les  côtes  de  Gibraltar,  de  Cette,  de  Nice,  d'Antibes,  de  la 
Corse,  de  la  Sardaigne ,  de  la  Dalmatie ,  dans  les  falaises 
de  l'Algérie;  on  les  rencontre  même  à  de  grandes  dis- 
tances dans  l'intérieur  des  terres  (dans  le  Jura,  la  Bourgo- 
gne, etc.),  et  M.  Desnoyers  en  a  observé  jusque  dans  le 
gypse  des  environs  de  Paris,  où  elles  offrent  la  même  phy- 
sionomie que  sur  le  littoral  de  la  Méditerranée.  Pour  l'o- 
rigine des  Ijrèches  osseuses,  voyez  Cavernes. 

BRECHET,  terme  du  langage  usuel ,  dont  le  vulgaire 
se  sert  pour  dénommer  tantôt  l'os  de  la  partie  antérieure 
de  la  poitrine,  ou  les ^erwwm,  tantôt  la  partie  de  ce  même 
os  dite  cartilage  xiphoide,  ou  bien  encore  la  petite  excava- 
tion qui  correspond  à  ce  cartilage.  Emisagé  sous  le  rapport 
de  ces  trois  significations ,  ce  mot  n'est  point  usité  dans  le 
langage  scientifique  de  l'anatomie  ;  mais  en  ostéologie  com- 
parée on  donne  le  nom  de  bréchet  à  la  crête  médiane  et 
plus  ou  moins  saillante  du  sternum  de  tous  les  oiseaux 
qui  volent  et  de  plusieurs  mammifères  (  chauves-souris, 
taupes,  etc.,  etc.  )  qui  exécutent  des  mouvements  très-forts 
avec  leurs  membres  antérieurs.  Le  bréchet  a  donc  pour 
usage  de  fournir  des  surfaces  étendues  et  une  base  très-so- 
lide pour  l'insertion  des  muscles  qui  sont  les  agents  de  ces 
grands  efforts ,  soit  pour  la  locomotion  aérienne  ou  le  vol, 
soit  pour  fouir  et  creuser  très-rapidement  la  terre. 

Le  bréchet  manque  dans  l'autruche,  le  casoar  et  dans  le 
plus  grand  nombre  des  mammifères,  ainsi  que  dans  tous  les 
reptiles  et  les  amphibiens,  pourvus  ou  non  d'un  véritable 
sternurn.  '  L.  Laurent. 

BRÉDA,  place  forte  et  chef-lieu  du  district  du  même 
nom  dans  le  Brabant  septentrional,  au  confluent  de  la  Mark 
et  de  l'Aa.  Cette  ville,  bien  bâtie,  compte  15,000  habitants. 
Elle  a  de  nos  jours  beaucoup  perdu  de  son  importance  stra- 
tégique ;  mais  elle  est  encore  remarquable  par  ses  belles 
places  et  ses  nombreuses  églises,  parmi  lesquelles  on  dis- 
tingue la  cathédrale  gothique,  avec  sa  tour  de  93  mitres  de 
haut,  ses  deux  orgues  et  ses  tombeaux,  dont  l'un,  celui  du 
comte  Engelbert  II  de  Nassau  et  de  sa  femme,  est  magni- 
fique. Le  château,  vieux  bâtiment  construit,  en  1350,  par 
Jan  van  Polanen ,  seigneur  de  Bréda,  et  restauré,  en  1536, 
par  Henri,  comte  de  Nassau,  a  reçu  de  Guillaume  III, 
en  169G,  sa  forme  actuelle.  Il  a  longtemps  servi  de  séjour 
àChades  II  d'Angleterre,  et  fut  converti,  en  1828,  en  une 
école  militaire  à  laquelle  on  a  réuni,  en  1850,  l'école  de 
marine  de  Medemblik.  Le  principal  commerce  des  habitants 
consiste  en  chapeaux,  tapis,  savon,  huile  et  sel.  La  ville 
passe  pour  salubre,  quoique  les  environs  soient  extraordinai- 
rement  marécageux.  Cette  qualité  de  terrain  fait  sa  principale 
force.  Entourée  de  murs,  en  1534,  par  Henri  de  Nassau, 
Brédà  a  été  fréquemment  assiégée  par  les  Hollandais,  les 
Espagnols  et  les  Français.  Prise  par  les  Espagnols  en  1581, 
elle  fut  reconquise  par  Maurice  d'Orange,  en  1590,  au  moyen 
d'un  bateau  de  tourbe  dans  lequel  il  avait  fait  cacher  soixante- 
dix  soldats.  Spinola  s'en  rendit  maître,  en  1625,  après  dix 
mois  de  siège.  Henri  d'Orange  la  reprit  en  1637,  en  aug- 
menta les  fortifications  et  y  bâtit  une  citadelle.  Dans  les 
guerres  de  la  Révolution,  Dumouriez  s'en  empara,  le  25  fé- 
vrier 1793;  mais  la  défaite  de  Neerwinden  le  força  à  l'éva- 
cuer le  4  avril.  Dans  le  mois  de  septembre  1794  l'armée  de 
Pichegru  investit  Bréda,  qui  ne  succomba  qu'après  la  con- 
<iuête  de  la  Hollande  dans  l'hiver  de  1795.  Au  mois  de 
décembre  1813,  la  garnison  française  ayant  fait  une  sortie 
contre  l'avant-garde  russe  commandée  par  Benkendorff ,  la 
bourgeoisie,  dans  son  enthousiasme  patriotique,  se  sou-  ' 


6r.3 

leva  en  masse,  et  empêcha  les  Français  de  rentrer  dans  la 
ville. 

Deux  congrès  ont  été  tenus  à  Bréda  :  le  premier,  en  1575, 
entre  l'Espagne  et  les  Provinces-Unies ,  n'eut  ancvm  résul- 
tat, l'Espagne  s'obstinant  à  ne  pas  permettie  l'exercice  de  la 
religion  réformée  dans  les  Pays-Bas;  le  second,  en  1746  et 
1747,  entre  la  France,  l'Angleterre  et  la  Hollande,  se  sé- 
para à  la  suite  de  la  révolution  qui  plaça  le  prince  d'O- 
range à  la  tête  du  gouvernement  hollandais.  La  paix  signée 
à  Bréda,  le  31  juillet  1667,  entre  l'Angleterre,  la  France, 
la  Hollande  et  le  Danemark ,  mit  un  terme  à  une  guerre 
occasionnée  par  des  rivalités  commerciales ,  et  assura  ses 
conquêtes  à  chacune  de  ces  puissances. 

BRÉDA-SÏREET.  Voijez  Lorette. 

BREDE,  espèce  de  mo relie  non  malfaisante,  connue 
sous  ce  nom  aux  îles  de  France  et  de  Bourbon,"  et  aux 
Antilles  sous  celui  de  laman ,  mais  beaucoup  plus  vigou- 
reuse, et  à  feuilles  beaucoup  plus  larges  que  celles  de  la 
morelle  sauvage,  comme  il  arrive  toujours  dans  les  espèces 
cultivées.  Ces  feuilles  se  mangent  en  guise  d'épinards ,  et  les 
habitants  des  îles  susnommées  désignent  sous  l'appellation 
collective  de  brèdes  plusieurs  espèces  de  plantes  dont  ils 
font  le  même  usage. 

BRÉDISSURE ,  nom  que  l'on  donne,  en  pathologie,  à 
l'impossibilité  d'écarter  les  mâchoires,  vice  produit  par 
l'adhérence  de  la  membrane  des  gencives  avec  celle  qui 
revêt  la  face  interne  des  joues  dans  rinliammation  des  mem- 
branes contiguës ,  et  auquel  il  faut  remédier  par  une  opé- 
ration chirurgicale,  quand  on  n'a  pas  su  le  prévenir  à  temps 
par  l'interposition  de  corps  étrangers. 

BREDOUILLE,  terme  du  jeu  de  trictrac,  par  lequel 
on  désigne  qu'un  joueur  a  pris  douze  points  coup  sur  coup  et 
sans  interruption ,  c'est-à-dire  sans  en  laisser  prendre  à  son 
adversaire. 

BREDOUILLEMENT ,  vice  de  prononciation ,  qui  a 
de  l'analogie  avec  le  bégaye  ment,  et  qui  l'accompagne 
quelquefois.  Dans  le  bredouillement ,  il  y  a  précipitation ,  con- 
fusion dans  l'articulation  des  mots,  qui  sont  alors  souvent 
inintelligibles.  C'est  donc  une  manière  de  parler  précipitée  et 
peu  distincte,  dans  laquelle  on  ne  prononce  qu'une  partie 
des  mots,  dont  on  altère  plusieurs  syllabes.  Le  bredouillement 
a  aussi  quelques  rapports  avec  le  balbutiement. 

Quoique  les  mots  bredouiller,  balbutier,  bégayer,  soient 
tirés  de  racines  qui  sont  à  peu  près  les  mêmes  onomatopées, 
ils  expriment  cependant  trois  défauts  différents ,  qu'il  con- 
vient de  caractériser.  Balbutier,  c'est  parler  du  bout  des 
lèvres ,  laisser  tomber  en  quelque  sorte  ses  paroles ,  affaiblir 
diverses  articulations ,  prononcer  avec  peine  les  lettres  b 
et  /,  et  faire  entendre  un  sifflement  exprimé  par  lier,  cier. 
C'est  une  esoèce  de  bégayement  qui  peut  être  habituel  ou 
accidentel.  Le  bégayement  consiste  dans  l'hésitation,  dans 
les  suspensions  qui  divisent  par  des  intervalles  plus  ou  moins 
prolongés  les  syllabes  d'un  mot  ou  les  mots  d'une  phrase. 
La  volubilité  et  la  confusion  caractérisent  le  bredouillement, 
dans  lequel  les  articulations  des  sons  semblent  rouler  préci- 
pitamment les  unes  sur  les  autres,  et  sont  confondues  en  un 
bruit  sourd,  exprimé  par  bre  et  ouil,  d'où  le  nom  donné 
à  ce  vice  de  prononciation ,  qui  est  accidentel  et  involon- 
taire dans  l'ivresse,  et  peut  devenir  habituel  par  la  répétition 
fréquente  des  excès  de  spiritueux. 

«  La  vieillesse,  en  émoussant  les  organes,  dit  Roubaud,  fait 
balbutier  ;  la  sutfocation,  en  coupant  la  voix  ,  fait  bégayer-, 
l'ivresse,  en  brouillant  et  les  idées  et  le  jeu  des  organes ,  fait 
bredouiller  ;  celui  qui  se  méfie  de  ce  qu'il  dit  bégaye;  celui 
qui  ne  veut  pas  qu'on  entende  ce  qu'il  dit  bredouille.  La  ti- 
midité balbutie ,  l'ignorance  bégaye ,  la  précipitation  bre- 
douille. '-  L.  Laurent. 

BREDOW  (  GABuiEL-GonEFROY  ),  célèbre  historien  al- 
lemand ,  né  à  Berlin ,  le  14  décembre  1773  ,  de  parents  peu 
fortunés ,  (ut  envoyé  au  gymnase  de  Joacliimsthal.  Il  alla 


CG4  BREDOW 

ensuite  <i  l'univcisilé  de  Halle ,  dans  le  dessein  d'y  étudier 
la  théologie  ;  mais  il  ne  tarda  pas  à  changer  d'idée  et  à  aban- 
donner cette  science  pour  l'archéologie.  Devenu,  en  1794, 
membre  du  séminaire  pédagogique,  il  accepta,  en  1796,  une 
place  de  professeur  au  colli-ge  d'Iiutin.  11  s'y  livra  avec  ar- 
deur à  l'étude  de  la  géograi)hic  et  de  rastronomie  des  anciens, 
et,  comme  résultat  de  ses  travaux,  publia  son  Manuel  d'His- 
toire, de  Géographie  et  de  Chronologie  anciennes  (Al- 
loua, 1803;  6'=  édition,  revue  et  augmentée  par  Ku- 
nisch ,  1837  ) ,  que  ne  tardèrent  |)as  à  suivre  ses  Recherches 
sur  quelques  questions  d' Histoire,  de  Géographie  et  de 
Chronologie  anciennes  (Alloua,  1800-1802). 

En  1802  Bredow  fut  élu  recteur  du  collège  d'Eutin  ;  puis, 
en  1804,  il  fut  nommé  professeur  d'histoire  à  l'université 
d'IIelinstaîdt.  Il  y  publia  la  Chronique  du  dix-neuvième  siè- 
cle (5  volumes,  Alloua,  1808-1811  ),  qu'il  fut  plus  tard 
obligé  d'abandouDcr  à  Venturini,  par  suite  des  tracasseries 
et  des  difficultés  que  lui  suscita  son  respect  pour  la  vérité  et 
son  attachement  à  la  cause  de  la  liberté  et  du  progrès.  Re- 
prenant alors  ses  études  favorites  sur  l'antiquité ,  il  forma 
le  projet  de  présenter  une  exposition  historique  de  tous  les 
systèmes  géographiques,  depuis  Homère  j  usqu'au  moyen  ilge. 
Comme,  pour  l'exécuter,  il  lui  fallait  d'abord  entreprendre 
la  révision  critique  des  petits  géographes  grecs ,  il  vint  à 
Paris  en  février  1807,  et  y  recueillit  de  précieux  matériaux 
pour  ce  travail  préparatoire.  A  sou  retour  à  llelmstaedt,  le  li- 
béralisme de  son  enseignement  et  son  patriotisme  lui  ayant 
attiré  quelques  désagréments,  il  accepta  en  1809  à  l'univer- 
sité de  Francfort  sur  l'Oder  une  chaire,  qui  plus  tard  fut 
transférée  àBreslau,  où  il  mourut,  le  5  septembre  1814, 
regretté  de  tous  ses  collègues  et  de  tous  ses  disciples.  Ses 
ouvrages  classiques  les  plus  répandus  sont  :  Evénements 
mémorables  de  l'Histoire  universelle  (Alloua,  1810; 
•il'  édition,  1838),  Récit  détaillé  des  Événements  les  plus 
mémorables  de  l'Histoire  universelle  (Alloua,  IslO; 
12=  édition,  1840). 

BUÉE  (Mattuieu-Ignace  van),  directeur  de  l'Académie 
des  Beaux-Arts  d'Anvers,  naquit  dans  cette  ville,  le  22  fé- 
vrier 1773,  y  fit  une  partie  de  ses  études ,  et  alla  les  achever 
à  Paris,  sous  Vincent.  En  1798,  il  débuta  par  lu  Mort  de 
Caton,  toile  qui  excita  à  un  haut  degré  l'attention.  Vinrent 
en?,\x\i&  le  Tirage  au  sort  des  jeunes  Athénien}ies  consa- 
crées au  Minotaure ,  les  Adieux  de  Régulusretour)uint 
à  Cartilage ,  le  Baptême  de  saint  Augustin,  la  J'éche  mi- 
raculeuse, le  Duc  de  Brunswick  sur  son  lit  de  mort, 
l'Entrée  àc  Bonaparte,  premier  consul,  el  de  Joséphine 
à  Anvers.  Habitué  à  esquisser  rapidement  ses  idies.  Van 
Brée,  au  bout  de  quelques  heun  s  seulement,  put  offrir  à 
Napoléon  un  tableau  représentant  les  manœuvres  de  la  flotte 
d'Anvers  sur  l'Escaut,  et  un  autre,  exécuté  tout  aussi  vite, 
qui  représentait  l'entrée  de  Napoléon  à  Amsterdam  au  mo- 
ment où  les  magistrats  viennent  lui  offrir  les  clefs  de  la  ville. 

En  1816  il  exécuta  une  toile  représentant  Van  der  Werf, 
ce  bourgmestre  de  Leydequi,  eu  1570,  jeta  à  la  foule,  ameu- 
tée autour  de  lui  et  criant  famine,  cette  exclamation  su- 
blime :  «  Eh  bien!  prenez  mon  cadavre,  et  p;u1a2,ez-vous- 
^e  !  »  Cette  vaste  page ,  qui  orne  aujourd'hui  rime  des  salles 
le  l'hôtel  de  ville  de  I-,eyde ,  est  remarquahlo  par  l'habile 
disposition  des  groupes,  par  la  hardiesse  du  trait,  par  la 
vivacité  du  coloris,  qui  rappelle  celui  de  Rubens,  et  fit  le 
plus  grand  honneur  à  son  auteur.  On  cite  encore  de  Van  Brée 
sa  Jeanne  Sebus  se  précipitant  dans  le  Rhin ,  son  Comte 
d'' Egmont ,  (ju'uu  évoque  console  avant  de  marcher  au 
supplice;  Rubens  mourant  et  dictant  son  testament, lo'ûc 
peut-être  moins  remarquable  qu'un  autre  tableau  de  cet  ar- 
tiste, représentant  Rubens  au  moment  eu  la  femme  de  Mo- 
ret  le  présente  à  Juste  Lipsc  (propriété  du  grantl-duc  de 
Saxe-Weimar) ,  et  enfin  son  Tombeau  de  Acron,  près  de 
Rome,  avec  un  groupe  de  Musiciens  ambulants  et  de  la- 
zaroni. 


—  BREGE.^Z 

Van  Brée  a  donné  aussi  des  preuves  de  son  talent  en  li- 
thographie et  en  sculpture.  Il  est  mort  le  15  décembre  1839. 

BRÉE  ( Puilippe-Jacoles  van),  frère  et  élève  du  précé- 
dent, célèbre  aussi  comme  peintre  d'iiistoire,  et  né  en  1786, 
à  Anvers,  vint  de  bonne  heure  à  Paris,  puis  alla  se  perfec- 
tionner à  Rome,  mais  pour  revenir  se  fixer  à  Paris,  en  1818. 
Ses  principales  toiles  sont  les  Voijageurs  en  Orient  (1811); 
la  Religieuse  espagnole  (qui  ne  put  pas  être  admise  à  l'ex- 
position )  ;  Atala  trouvée  par  le  P.  A  ubry,  d'après  Chàteau- 
îiriand  (1812)  ;  In  Reine  Blanche  et  son  fils,  le  roi  de  France 
saint  Louis;  Marie  Leczinska,  fille  du  roi  de  Pologne,  à 
l'ûge  d'un  an  ;  Marie  de  Médicis  avec  son  fils;  Louis  XIII, 
devant  Rubens  {\9,\.l)  ;  Marie  Stuart  à  l'heure  de  la  mort  ; 
Pétrarque  surpris  par  Laxire  à  la  fontaine  de  Vaucluse; 
l'Abjuration  de  Charles-Quint;  l'Albane  et  sa  famille  ; 
Deux  rois  Francs  jetés  aux  bétes  dans  le  théâtre  de  Trê- 
ves par  ordre  de  l'empereur  Constantin  ;  le  Lever  du 
soleil  à  la  Nouvelle-Zemble  (1828).  Van  Brée  alla  s'établir 
plus  tard  à  Bruxelles,  où  il  fut  nommé  conservateur  du  Musée 
royal.  Depuis  ce  temps,  il  n'a  plus  rien  produit. 

BREF  ,  rescrit  adressé  par  le  pape  à  des  souverains,  des 
prélats,  des  communautés  et  même  (\es  particuliers  pour 
leur  accorder  des  indulgences,  des  dispenses  ou  simplcîneut 
pour  leur  donner  des  témoignages  d'affection  ou  d'approba- 
tion. Le  bref  est  d'ordinaire  sur  papier,  écrit  en  italique, 
sans  préambule;  il  n'est  scellé  qu'avec  de  la  cire  rouge  et 
sous  l'anneau  du  pécheur.  Il  porte  en  tête  le  nom  du  pape, 
et  commence  par  ces  mots  :  Dilecto  filio  salutem,  et  apos- 
tolicam  benedictionem ,  etc.  Le  collège  des  secrétaires  pour 
les  brefs  a  été  établi  par  le  pape  Alexandre  VI. 

Il  y  a  deux  espèces  de  brefs ,  les  brefs  apostoliques,  c'est- 
à-dire  ceux  qui  émanent  directement  des  papes,  et  les  brefs 
de  /a  j»(^  ni ^encerie.  Avant  la  révolution  de  1789  on  pou- 
vait a|)peler  comme  d'abus  des  brefs  du  pape,  s'ils  étaient 
contraires  aux  libertés  de  l'Église  gallicane  et  à  la  constitu- 
tion de  l'État.  Aujourd'hui,d'après  les  articles  organiques  du 
Concordat,  pour  avoir  autorité  en  France,  les  brefs  aposto- 
liques doivent  être  soumis  à  l'examen  du  conseil  d'Etat,  ins- 
crits sur  des  registres  et  promulgués  par  ordonnance  du  chef 
de  l'État. 

Le  mot  bref  avait  autrefois  d'autres  acceptions.  On  appe- 
lait ainsi  les  lettres  qui  s'obtenaient  en  chancellerie  à  l'elfet 
d'intenter  une  action  contre  queltju'un.  Ainsi  l'on  disait  dans 
nos  anciennes  coutumes  un  bref  de  restitution ,  de  resci- 
sion; on  appelait  en  Normandie  bref  de  mariage  encombré 
une  action  que  la  femme  avait  le  droit  d'exercer  à  l'eflet 
d'être  réintégrée  dans  ses  biens  dotaux  ou  matrimoniaux,  q;ii 
avaient  été  aliénés  par  le  mari.  —  En  Bretagne  ce  mot  avait 
un  sens  tout  différent  ;  il  signifiait  un  congé  ou  permission 
de  naviguer.  Il  y  en  avait  de  trois  sortes,  bref  de  sauveté, 
bref  de  conduite ,  et  bref  de  victuailles.  Le  premier  se 
donnait  pour  être  exempt  du  droit  de  bris  et  naufrage; 
le  second  pour  être  conduit  hors  des  dangers  de  la  côte;  le 
troisième  pour  avoir  la  liberté  d'acheter  des  vivres.  On  disait 
également  brieux. 

BREGENZ, chef-lieu  du  cercle  du  Vorarlberg,  dans  le 
Ty  roi  autrichien  (  cercle  qu'on  désigne  aussi  quelquefois  sous 
le  nom  de  cercle  de  Bregenz) ,  est  situé  sur  les  bords  do 
lac  de  Constance,  à  l'embouchure  d'une  petite  rivière  appelée 
aussi  Bregenz,  au  pied  du  mont  Gebhard,  haut  de  300  mètres 
et  que  dominent  les  ruines  d'un  vieux  château  fort  d'où  l'on 
jouit  de  la  vue  la  plus  délicieuse  sur  le  lac  et  les  vignobles 
qui  l'entourent.  Ou  y  compte  32,000  habitants.  Cette  ville 
est  le  siège  des  diverses  autorités  civiles  et  militaires  du 
cercle,  et  le  centre  d'un  commerce  assez  actif.  C'est  aussi  l'une 
des  plus  anciennes  cités  de  l'Allemagne,  el  elle  comptait  au- 
trefois au  nombre  des  places  fortes  destini'cs  à  protéj,cr  ses 
frontières  au  midi.  Au  temps  des  empereurs  de  la  maison  de 
Hohenstaufen ,  Bregenz  était  le  chef-lieu  de  l'important  comlo  ^ 
du  même  nom,  dont  les  titulaires  figuraient  parmi  les  sei- ' 


BREGEPJZ  -  BREISLAK 


665 


gneurs  les  plus  influents  de  la  Suisse  et  de  la  Souabe.  Après 
l'extinction  de  cette  famille  de  petits  dynastes,  et  à  la  suite 
d'une  foule  de  changements  et  de  bouleversements,  le  comté 
ainsi  que  la  ville  furent  achetés  au  quinzième  siècle  par  la 
maison  de  Habsbourg. 

BREGUET  (Abraham-Louis)  ,  horloger  célèbre,  naquit 
le  10  janvier  1747,  à  Neufchùtel,  en  Suisse,  d'une  famille 
française  et  protestante,  (lui  avait  été  forcée  de  s'expatrier 
lors  de  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes.  Cet  homme,  destiné 
à  introduire  de  si  grands  perfectionnements  dans  l'un  des 
arts  les  plus  difficiles,  n'annonça  pas  d'abord  ce  qu'il  devait 
être  un  jour.  Mis  au  collège  par  ses  parents ,  il  ne  réussit 
point  dans  les  études  classiques ,  et  ses  instituteurs  prirent 
une  assez  mauvaise  opinion  de  son  intelligence.  Pendant  qu'il 
perdait  son  temps  sur  du  latin  et  du  grec,  son  père  mourut, 
et  sa  mère  contracta  un  nouveau  mariage  avec  un  horloger. 
Breguet  fut  retiré  du  collège,  et  commença  l'apprentissage 
du  métier  de  son  beau-père.  Il  ne  s'y  livrait  qu'avec  une 
extrême  répugnance,  et  les  progrès  de  l'apprenti  n'étaient 
pas  plus  rapides  que  n'avaient  été  ceux  de  l'écolier.  Enfin ,  sa 
famille  ayant  fait  un  voyage  à  Paris,  le  jeune  homme  fut 
mis  en  apprentissage  régulier  chez  un  horloger  de  Versailles, 
et  ce  fut  alors  seulement  que  ses  talents  et  son  habileté  com- 
mencèrent à  se  manifester.  Ce  changement  tenait  sans  con- 
tredit à  ce  que  l'élève  avait  enfin  rencontré  un  instituteur  tel 
qu'il  le  lui  fallait. 

Lorsque  le  temps  de  l'apprentissage  fut  expiré ,  le  maître 
exprimait  à  son  apprenti  combien  il  était  satisfait  de  sa 
conduite  et  de  son  travail  ;  mais  le  jeune  homme  se  jugeait 
lui-même  avec  plus  de  sévérité  que  son  bienveillant  institu- 
teur :  il  se  reprochait  de  n'avoir  pas  toujours  assez  bien  em- 
ployé le  temps  dont  le  produit  devait  payer  l'instruclion  qu'il 
recevait,  et  demanda,  comme  une  faveur,  de  continuer  à 
travailler  encore  trois  mois  sans  salaire.  Cette  délicatesse 
ajouta  de  nouvelles  douceurs  à  l'affection  mutuelle  du  maître 
et  de  l'élève. 

A  peine  sorti  d'apprentissage,  Breguet  perdit  sa  mère  et 
son  beau-père ,  et  se  trouva  seul  avec  une  sœur  aînée,  chargé 
de  pourvoir  par  son  travail  à  la  subsistance  de  deux  per- 
sonnes. Cependant,  il  sentait  que  son  instruction  n'était 
pas  complète ,  et  surtout  il  éprouvait  fortement  le  besoin 
d'apprendre  les  mathématiques.  Son  courage  et  son  assiduité 
suffirent  à  tout;  il  trouva  le  moyen  de  suivre  régulièrement 
le  cours  public  que  l'abbé  Marie  faisait  alors  au  collège  Ma- 
zarin.  Le  professeur  remarqua  bientôt  le  jeune  horloger 
parmi  les  centaines  d'auditeurs  que  ses  leçons  attiraient; 
ces  deux  hommes  étaient  dignes  l'un  de  l'autre,  ils  se  re- 
connurent et  furent  inséparables  :  Breguet  acquit  un  bien- 
faiteur et  un  ami ,  et  Marie  trouva  dans  son  disciple  la  plus 
affectueuse  reconnaissance.  Il  ne  fallait  rien  moins  que  la 
violence  des  orages  de  la  révolution  pour  arracher  l'un  à 
l'autre  deux  hommes  aussi  étroitement  unis  :  l'abbé  .Marie 
fut  contraint  de  sortir  de  France ,  et  ne  vécut  pas  longtemps 
sur  la  terre  d'exil. 

Plusieurs  années  avant  nos  troubles  politiques,  Breguet 
avait  formé  l'établissement  qui  a  produit  tant  de  chefs- 
d'œuvre  d'horlogerie  et  de  mécanique ,  et  la  renommée  com- 
mençait à  publier  son  nom.  Une  montre  qu'il  avait  faite  fut 
mise  entre  les  mains  d'Arnold ,  célèbre  horloger  anglais , 
qui,  frappé  de  la  simplicité  du  mécanisme  et  de  la  parfaite 
exécution  de  ce  produit  d'une  industrie  qui  n'était  pas  an- 
glaise, se  mit  sur-le-champ  en  route  pour  la  France,  sans 
autre  but  que  de  faire  connaissance  avec  l'artiste  français. 
Le  cœur  expansif  de  Breguet  allait  au-devant  de  toutes  les 
nobles  amitiés;  l'horloger  anglais  y  occupa  bientôt  une 
place,  et  lorsqu'il  retourna  dans  .sa  patrie,  il  reçut  de  son 
nouvel  ami  de  Paris  le  témoignage  le  plus  touchant  d'estime 
et  d'alfection  :  Breguet  lui  confia  son  fils,  afin  qu'il  l'initiât 
aux  secrets  de  l'art  qu'il  exerçait  avec  tant  de  distinc- 
tion. 

DICT.   DE  LA   CONVERS.    —    T.    lU. 


Arnold  avait  rendr  son  élève  à  son  père  après  avoir  satis- 
fait complètement  aux  devoirs  de  l'amitié.  Breguet  trouvait 
dans  son  fils  un  collaborateur  en  état  de  le  seconder.  Mais 
les  temps  nébuleux  de  la  France  approchaient  :  au  milieu  de 
la  crise  révolutionnaire ,  le  père  et  le  fils  durent  pourvoir  à 
leur  sûreté,  et  des  hommes  de  l'un  et  de  l'autre  parti ,  qui 
se  faisaient  alors  une  guerre  si  acharnée ,  s'empressèrent 
également  de  fournir  aux  deux  artistes  les  moyens  de  sortir 
de  France.  D'autres  secours  les  attendaient  au  dehors  :  un 
ami  riche  et  généreux  (  M.  Disnay  Fytche  )  les  força  d'accep- 
ter un  portefeuille  qui  les  mit  en  état  de  consacrer  leur  loisir 
à  des  recherches  sur  leur  art.  Enfin  ,  après  deux  années  d'ab 
sence ,  Breguet  revint  à  Paris  ;  il  s'agissait  de  former  un  nou- 
vel établissement,  ce  qui  ne  fut  pas  difficile,  en  mettant  en 
œuvre  les  trésors  de  connaissances  que  le  père  et  le  fils 
n'avaient  pas  cessé  d'accroître  de  jour  en  jour.  Depuis  cette 
époque  la  vie  de  Breguet  fut  une  continuité  de  succès ,  de 
jouissances  ,  de  bonheur.  Il  fut  nommé  successivement  hor- 
loger de  la  Marine  ,  membre  du  Bureau  des  Longitudes,  et 
enfin  membre  de  l'Institut. 

Le  17  septembre  1823  la  France  perdit  cet  homme,  qui 
avait  illustré  son  industrie.  Il  nous  serait  impossible  d'énu- 
mérer  ici  tous  les  services  que  Breguet  a  rendus  à  la  navi- 
gation, à  la  physique  et  à  l'astronomie.  Ses  chronomètres 
de  poche,  ses  horloges  marines,  ses  montres  perpétuelles , 
ses  pendules  sympathiques,  son  compteur  astronomique, 
son  thermomètre  métallique,  ses  timbres  pour  les 
montres  à  répétition,  son  parachute,  ses  échappe- 
ments, le  mécanisme  des  télégraphes  établis  par 
Chappe ,  etc.,  sont  des  monuments  impérissables  du  génie 
inventif  de  cet  artiste  distingué.  Ferry. 

Le  fils  de  Breguet  a  continué  les  travaux  de  son  père ,  et 
le  chef  actuel  de  cette  maison  est  devenu  à  son  tour  artiste 
du  Bureau  des  Longitudes. 

BHEHAIGÎVE,  ancien  mot  qu'on  applique  aux  fe- 
melles des  animaux  qui  ne  conçoivent  point,  par  opposi- 
tion à  celles  qui  sont  fécondes,  dites  portières.  Une  carpe 
brclw'iono.  n'a  ni  œufs  ni  laite.  Voijez  aussi  CfiocnET. 
lîUKHAT  (  Ile).  Voyez  Côtes  nu  Nord  (  D.'p'.  des). 
BREISLAK  (  ScipiaN  ) ,  l'un  des  plus  ingénieux  géo- 
logues des  temps  modernes ,  né  à  Rome,  en  17GS,  et  fils  d'un 
Allemand,  avait  d'abord  été  destiné  à  l'état  ecclésiastique; 
aussi  dans  les  œuvres  de  Spallanzani  est-il  désigné  sous  le 
titre  à''abbé.  Professeur  de  physique  et  de  mathématiques  à 
Raguse ,  l'abbé  Fortis  le  détermina  à  se  vouer  exclusive- 
ment à  l'histoire  naturelle.  Il  fut  ensuite  professeur  au  col- 
legium  Nazarenum;  puis  il  alla  visiter  Naples,  et  vint  à 
Paris,  où  il  se  lia  avec  Fourcroy,  Chaptal,  Cuvier,  etc. 
Plus  tard ,  Napoléon  le  nomma  inspecteur  des  poudres  et 
salpêtres  du  royaume  d'Italie.  Il  fut  aussi  membre  de  l'Ins- 
titut et  de  beaucoup  d'autres  sociétés  savantes.  Les  premiers 
écrits  par  lesquels  il  se  fit  connaître  comme  naturaliste,  par 
exemple ,  sa  dissertation  sur  la  Solfatare  de  Naples ,  qu'en 
sa  qualité  de  directeur  des  alunières  et  de  professeur  à  l'é- 
cole royale  d'artillerie  de  Naples,  il  eut  pendant  longtemps 
de  fréquentes  occasions  d'examiner,  donnent  déjà  des  aper- 
çus des  principes  sur  lesquels  il  devait  plus  tard  fonder  son 
système  de  géologie.  Il  combattit  les  idées  des  Neptunistes, 
sans  toutefois  adopter  sans  réserve  celles  des  Yulca- 
nistes. 

Le  premier  ouvrage  important  qu'il  fit  paraître  fiit  sa  Tn- 
pografia  fisica  delta  Campania  (Florence,  1798).  Après 
avoir  encore  continué  quelque  temps  ses  recherches  sur  les 
lieux  décrits  dans  cet  ouvrage  et  avoir  découvert  la  com- 
munication existant  entre  les  volcans  du  Latium  et  ceux  de 
la  Campanie,  il  revint  ensuite  à  Rome,  dont  il  étudia  non 
moins  soigneusement  les  environs;  et  le  résultat  de  ses  ob- 
servations le  confirma  dans  l'opinion  que  la  plus  grande 
partie  des  sept  célèbres  collines  sont  les  restes  d'un  volcan 
éteiot.  Pour  fuir  les  troubles  politiques  qui  survinrent  alors 


6HC  BREISLAK 

dans  sa  patrie,  il  se  rendit  en  France,  où  il  fit  paraître  une 
nouvelle  édition  de  l'ouvrage  mentionné  ci-dessus,  augmentée 
d'une  fouie  d'additions  et  de  rectifications ,  sous  le  titre  de 
Voyages  physiques  et  lilhologiques  dans  la  Campanic 
(  0.  vol.,  Paiis,  1801  ).  Breislak  utilisa  son  séjour  ai  France  en 
faisant  des  recherches  sur  les  volcans  éteints  de  l'Auvergne  : 
\  son  retour  en  Italie,  il  fit  paraître  son  Introduzione  alla 
geolofjia  (2  vol.,  Milan,  1811),  dont  il  donna  une  seconde 
édition,  complètement  refondue,  et  en  français,  sous  le  titre 
iV Institutions  géologiques  (3  vol.,  Milan,  1818),  ainsi  que 
sa  Descrizione  délia  Lombardia  (Milan,  1822).  Il  fut  un 
des  collaborateurs  de  la  JJihlioteca  italiana  depuis  la  fon- 
dation de  ce  recueil.  Breislak  mourut  à  Turin,  le  15  février 
1826.  Après  sa  mort,  on  publia  encore  de  lui,  dans  la  Me- 
inoria  Lombardo-Veneta  (1838),  une  longue  dissertation 
Hopra  i  tcrreni  tra  il  lago  Maggiore  e  quello  dï  Lugano. 
Il  avait  légué  son  célèbre  cabinet  mincralogique  à  la  famille 
ISorromée. 

lîUEITEIXFELD,  village  et  terre  seigneuriale,  situés  à 
environ  2  myriamètres  de  Leipzig,  et  célèbres  dans  l'histoire 
par  trois  batailles. 

La  première,  livrée  le  7  septembre  1631,  entre  les  Suédois 
et  les  Impériaux,  ne  futqu'un  combat  ;  mais  elle  eut  les  suites 
les  plus  importantes,  car  elle  assura  l'existence  du  protes- 
tantisn)e  et  de  la  liberté  en  Allemagne.  La  prise  de  Magde- 
bourg  avait  porté  à  son  comble  l'orgueil  de  Til  ly ,  lorsque, 
dans  les  premiers  jours  de  septembre  1031,  il  entra  en  Saxe 
à  la  tète  de  40,000  hommes  environ  ,  pour  contraindre  par 
la  force  des  armes  l'électeur  Jean-Georges  \",  qui  refusait 
de  se  soumettre  à  l'édit  de  restitution  et  négociait  avec  Gus- 
tave-Adolphe, à  faire  cause  commune  avec  l'empereur. 
Jl  ne  restait  plus  d'autre  ressource  à  l'électeur  que  de  se 
jeter  dans  les  bras  du  roi  de  Suède ,  et  c'est  aussi  ce  qu'il  fit. 
Schiller  raconte  qu'avant  de  livrer  bataille  Tilly  tint  un  con- 
seil de  guerre  à  Leipzig,  dans  la  maison  du  fossoyeur.  Les 
Impériaux  furent  complètement  battus;  leurs  trois  premiers 
généraux,  Tilly,  Pappenheim  etFurstenberg,  furent  blessés, 
et  Tilly  faillit  même  être  tué  par  un  capitaine  suédois.  Sur  le 
point  le  plus  élevé  du  champ  de  bataille  s'élève  aujourd'hui, 
entouré  de  huit  pins,  un  monument  consacré  le  7  septembre 
1831  par  le  propriétaire  du  terrain  à  la  mémoire  de  Gustave- 
Adolphe. 

La  seconde  bataiHe,  livrée  le  23  octobre  1642,  bien  que 
moins  importante  par  ses  résultats,  fut  tout  aussi  sanglante. 
Cette  fois  les  chefs  étaient ,  du  côté  des  Suédois,  Torstenson, 
qui  avait  effectué  le  passage  de  l'Elbe  à  Torgau  et  assiégeait 
Leipzig;  du  côté  des  Impériaux,  l'archiduc  Léopold  d'Au- 
triche et  Piccolomini,  accourus  de  Dresde  au  secours  de  la 
ville.  Les  Impériaux ,  complètement  battus,  perdirent  toute 
leur  artillerie,  composée  de  46  pièces  de  canon,  121  dra- 
peaux, 69  étendards,  et  tous  leurs  bagages.  La  cavalerie, 
poursuivie  l'espace  de  22  kilomètres  environ  par  les  Suédois, 
î'épée  dans  les  reins ,  se  réfugia,  dans  le  plus  grand  désordre, 
en  Bohême.  Aussi  l'archiduc,  indigné  de  la  conduite  de  ce 
corps,  le  fit-il  juger  en  masse  par  un  conseil  de  guerre.  Le 
régiment  de  Madlo,  qui  le  premier  avait  lâché  pied,  fut 
cassé,  ses  étendards  brisés ,  tous  les  officiers  et  soldats  dé- 
clarés indignes,  puis  décimés. 

La  troisième  bataille  dont  Breitenfeld  fut  le  théâtre  est 
un  des  épisodes  de  la  grande  bataille  des  Peuples  livrée 
sous  les  murs  de  Leipzig,  le  16  octobre  1813. 

BREITilXGER  (Jean-Jacob),  connu  surtout  par  les 
efforts  que,  de  concert  avec  J.-J.  Bod  mer,  il  fit  pour  propa- 
i^er  les  notions  d'un  goût  plus  pur  dans  les  productions  de 
la  littérature  allemande,  naquit  le  l*^''  mars  1701,  à  Zurich, 
d'une  des  plus  anciennes  familles  de  cette  ville,  et  y  reçut 
sou  éducation.  Inférieur  à  Bodiner  sous  le  rapport  de  la 
rapidité  de  conception  et  aussi  sous  celui  de  l'étendue  et  de 
la  diversité  des  facultés  de  l'esprit ,  il  l'emportait  sur  lui  par 
vne  érudition  plus  profonde  et  plus  universelle  toujours  em- 


—  BRELAN 

ployée  sans  aucune  ambition  personnelle  à  la  seule  recherche 
de  la  vérité.  Après  sa  Diatribe  in  versus  obscurrissimos 
a  P.  Statio  citatos  (Zurich,  1723) ,  il  fit  paraître  son  édition 
des  Septante  (4  vol.,  1730).  En  1731  il  fut  nommé  professeur 
des  Lingues  grecque  et  hébraïque  au  collège  de  Zurich  et 
chanoine.  Secondé  par  les  magistrats,  il  put  opérer  de  nom- 
bi  euses  et  importantes  améliorations  dans  les  divers  établis- 
sements d'instruction  publique  de  sa  ville  natale.  Protecteur 
du  talent  naissant ,  ce  fut  lui  qui  lança,  entre  autres,  le  grand 
llalleret  le  fit  connaître. 

On  a  de  Breitinger  un  grand  nombre  de  dissertations  sur 
des  sujets  divers,  entre  autres  sur  les  antiquités  de  la  Suisse. 
11  prit  une  part  active  à  la  rédaction  des  journaux  de  cri- 
tifpic  publiés  par  Bodmer  et  à  ses  éditions  de  vieux  poètes  al- 
lemands. Sa  Poésie  critique  (2  vol.,  Zurich,  1740)  fut  l'o- 
rigine de  la  profonde  scission  qui  survint  plus  tard  entre  les 
écrivains  suisses  et  les  partisans  de  Gottsched.  Il  contribua 
aussi  très-activement  à  la  publication  du  Thésaurus  scrip- 
torum  historix  Helvetix.  Breitinger  mourut  le  15  dé- 
cembre 1776. 

BREÏTKOPF  (  JeanGottlob-Emmanuel),  l'un  des  plus 
savants  typographes  dont  s'honore  l'Allemagne,  naquit  le  23 
novembre  1719,  à  Leipzig,  où  son  père,  Bernard-Chris- 
tophe BuF.iTKOi'F  établit  la  même  année,  avec  un  capital 
minime,  une  fonderie  de  caractères,  une  imprimerie  et  une 
librairie.  Celui-ci  ne  céda  qu'à  contre-cœur  à  l'inclination 
de  son  fils,  qui  voulait  se  livrera  la  culture  des  lettres.  Après 
plusieurs  années  d'études  académiques  ,  pendant  lesquelles 
il  n'en  avait  pas  moins  dû  seconder  son  père  dans  la  direc- 
tion de  son  établissement  industriel,  il  résolut  de  faire  du 
perfectionnement  de  l'imprimerie  l'occupation  principale  de 
sa  vie.  Il  entieprit  alors  une  réforme  générale  des  carac- 
tères, et  fut  pour  l'Allemagne  le  restaurateur  du  bon  goût 
en  matière  de  typographie.  Ces  travaux  l'occupèrent  jusqu'à 
sa  mort,  sans  que  les  résultats  obtenus  par  lui  le  satisfissent 
entièrement. 

On  sait  qu'il  imagina,  en  1755,  d'imprimer  la  musique 
avec  des  caractères  mobiles.  Il  y  a  peu  d'utilité  à  retirer, 
dans  la  pratique ,  du  procédé  qu'il  inventa  pour  imprimer  à 
l'aide  de  types  mobiles  des  cartes  de  géographie ,  des  por- 
traits, et  jusqu'à  des  caractères  chinois.  Quoiqu'à  l'égard  de 
cette  dernière  invention  le  pape  l'ait  fait  complimenter  et 
que  l'Académie  des  Sciences  de  Paris  lui  ait  fait  témoigner 
son  approbation ,  ces  caractères  ont  si  mal  réussi ,  qu'il  est 
impossible  à  un  Chinois  de  les  reconnaître  ;  aussi  n'a-t-on  ja- 
mais pu  en  faire  usage.  Il  chercha  en  outre  à  améliorer  l'al- 
li;igedont  on  se  sert  pour  la  fonte  des  caractères,  à  lui  donner 
la  dureté  convenable,  enfin  à  alléger  le  travail  du  fondeur  ; 
son  infatigable  activité  s'étendit  également  jusqu'à  la  fabrica- 
tion des  presses.  Il  consigna  le  résultat  de  ses  laborieuses 
investigations  sur  l'histoire  des  origines  et  des  progrès  de 
l'art  typographique  dans  son  Essai  sur  l'histoire  de  l'in- 
vention de  Vimprimerie  (Leipzig,  1774),  et  annonça  en 
môme  temps  une  Histoire  complète  de  Vimprimerie,  qui 
l'occupa  sans  relâche,  mais  qu'il  ne  put  achever,  ainsi 
qu'une  Histoire  des  Imprimeurs,  qui  eut  le  même  sort.  En 
1784  parut  la  première  partie  de  son  Essai  sur  l'origine  des 
cartes  à  jouer,  l'introduction  du  papier  de  chiffon  et  les 
commencements  de  la  gravtire  sur  bois  :  elle  ne  traite  que 
des  deux  premiers  objets,  et  est  rédigée  avec  beaucoup 
d'exactitude.  La  seconde  partie,  publiée  en  1801  par  Boche 
sur  les  papiers  précieux,  mais  sans  ordre,  de  l'auteur,  n'offre 
qu'un  recueil  de  matériaux  et  de  fragments.  Breilkopf  mou- 
rut le  28  janvier  1784,  laissant  une  des  plus  importantes  im- 
pi  imcries  et  fonderies  de  caractères  de  l'Allemagne ,  ainsi 
qu'une  librairie  et  un  magasin  de  musique  montés  sur  l'c- 
chelle  la  plus  grandiose. 

BHELAN,jeu  de  caries  qui  se  joue  à  trois,  quatre  ou 
cinq ,  avec  des  cartes  de  piquet,  en  donnant  trois  caries  à 
chaque  joueur.  Nous  ignorons  l'époque  où  ce  jeu  s'est  intro- 


BRELAN  —  BRÈME 


diiit  en  France,  mais  il  y  était  très-répandu  sous  le  règne 
«le  Louis  XIV,  comme  on  le  voit  par  ces  vers  de  Coileau  ; 

D'écoliers  indiscrets  une  troupe  indocile 
Va  tenir  quelquefois  un  brelan  dcfeuiJu. 

Ces  vers  prouvent  que  le  brelan  devait  êire  connu  depuis 
longtemps  à  la  cour  et  dans  la  haute  société ,  puisqu'il  était 
déjà  prohibé  sous  les  peines  les  plus  sévères  par  la  police, 
qui  en  connaissait  les  suites  funestes.  Mais,  malgré  les  dé- 
fenses, ce  jeu  se  maintint  jusqu'à  ce  que  les  spéculateurs, 
trouvant  qu'il  ne  leur  olfrait  pas  assez  d'avantages,  soit  parce 
que  chaque  coup  était  trop  long,  soit  parce  que  les  chances 
en  étaient  trop  égales ,  imaginèrent  des  jeux  de  hasard  plus 
prompts,  et  où  à  point  égal  le  bénéfice  est  pour  le  ban- 
quier. Tels  furent  leMacao,  le  Pharaon,  et  surtout  le  Trente 
et  Quarante ,  qui  va  plus  vite  que  tous  les  autres,  et  qui  ex- 
pédie plus  promptetnent  les  joueurs. 

Le  brelan  est  un  jeu  commode  en  apparence ,  parce  qu'on 
ne  joue  (jne  quand  on  veut ,  mais  on  n'y  est  guère  libre  de 
ne  jouer  que  ce  qu'on  veut;  caries  joueurs  y  taisant  des  en- 
chères à  l'envi  les  uns  des  autres,  celui  qui  s'est  engagé 
pour  la  première  est  obligé  de  la  payer  ou  de  risquer  à 
[lerdreles  enchères  supérieures  qu'il  aura  acceptées.  Ce  jeu 
est  d'ailleurs  assez  é^al,  lorsque  la  plus  forte  enchère  est 
acceptée  de  part  et  d'autre.  Le  point  le  plus  fort,  ou  le  bre- 
lan le  plus  élevé,  l'emporte.  On  sait  que  le  coup  appelé 
brelan ,  et  qui  a  donné  son  nom  au  jeu ,  consiste  à  avoir 
trois  cartes  de  même  figure  ou  de  même  point  ;  le  brelan 
favori  ou  brelan  de  valets  l'emporte  sur  tous,  même  sur 
te  brelan  quatrième  ou  carré  (formé  par  la  carte  qui  re- 
tourne, ajoutée  aux  trois  autres).  Du  reste,  ce  jeu  offre  une 
grande  ressemblance  avec  la  bouillotte,  qui  le  remplace 
aujourd'tiui. 

Brelan  se  dit  aussi  d'une  maison  où  l'on  donne,  soit  clan- 
destinement, soit  publiquement,  à  jouer  aux  dés  ou  aux 
cartes.  H.  AtniFntKT. 

BRELINGUE  ou  BRELINDE.  Voyez  Berline. 

BRELOQUE,  au  propre  et  au  figuré,  hochets  de  peu 
de  valeur  :  Cet  homme  vend  bien  cher  ses  breloques,  c'est- 
à-dire  ses  fadaises,  ses  niaiseries,  ses  billevesées,  ses  coli- 
ticliets.  Il  se  dit  plus  particulièrement  des  petites  clefs, 
petits  cachets,  menus  bijoux,  futiles  curiosités,  qu'on 
porte  à  l'extrémité  d'une  chaîne  de  montre.  La  révolution 
de  89  trouva  les  gentils-hommes  français  étalant  fort  bas , 
le  long  de  leurs  deux  cuisses ,  deux  larges  chaînes  d'or, 
que,  à  leur  tour,  les  bourgeois,  singes  des  nobles,  qu'ils 
n'aimaient  pas,  portèrent  bientôt  en  acier.  La  jeunesse  dorée 
de  Thermidor  essaya  de  faire  revivre  cette  mode,  qui  ne  prit 
pas.  Les  breloques,  importées  de  Londres,  eurent  le  dessus. 
Les  deux  chaînes  se  réunirent  en  une  seule,  très-courte, 
qu'on  porta,  tour  à  tour,  à  droite  et  à  gauche,  et  à  laquelle 
il  fut  de  bon  goût  d'appendre  une  touffe  épaisse  de  colifi- 
chets, les  plus  variés,  les  plus  bizarres,  les  plus  originaux  ; 
on  y  voyait  jusqu'à  des  triangles ,  des  sabres ,  des  bonnets 
phrygiens,  des  guillotines  microscopiques.  Les  breloques 
persistèrent  sous  le  Consulatet  sous  riïmpire.  On  leur  fit  subir 
seulement  une  épuration  indispensable  dans  les  pièces  qui 
les  composaient,  et  on  ne  les  suspendit  plus  à  une  chaîne, 
mais  à  un  beau  ruban  moiré ,  rouge ,  noir,  bleu ,  vert  ou 
violet,  selon  le  goût  et  l'opinion  du  propriétaire. 

Les  malheurs  publics  des  premières  années  de  la  Restaura- 
tion exécutèrent  une  épouvantable  razzia  sur  les  breloques. 
On  cherchait  à  faire  argent  de  tout.  Plus  tard ,  quand  revint 
la  confiance,  on  ne  porta  plus  qu'une  chaîne  à  gros  anneaux, 
avec  une  clef  unique,  calquée  sur  les  grandes  clefs  des  ser- 
ruriers, puis  une  véritable  clef  de  montre,  ornée  d'une 
monstrueuse  cornaline,  et  enfin,  depuis  le  règne  de  Louis- 
Philippe,  une  imperceptible  chaîne  et  une  imperceptible  clet 
à  la  mode  anglaise.  Nos  voisins  d'outre-Manciie  nous  de- 
vaient bien  ce  dédommagement  de  leurs  affreuses  breloques 


667 

thermidoriennes.  En  tout  cas ,  en  dépit  des  révolutions  de  la 
mode,  le  vieux  roi  conserva  toujours  le  goût  des  breloques. 

Cet  assemblage,  d'un  goût  détestable,  n'apparaît  plus,  de 
nos  jours,  dans  nos  grandes  villes  que  de  loin  en  loin 
comme  complément  obligé  de  la  toilette  de  quelques  gros 
épiciers  ou  marchands  de  bois  enrichis,  administrateurs  de 
douanes  du  Jura  ou  des  Ardennes,  juges  de  paix  du  Cantal 
ou  des  Landes,  sous-préfets  en  retraite,  ourégents  de  quelque 
lointain  collège  conununal.  Là  on  ne  renonce  pas  si  vite  au 
culte  des  souvenirs  et  aux  héritages  de  famille.  Quelques 
femmes  excentriques  ,  d'im  âge  raisonnable,  anciennes  maî- 
tresses d'hôtel  garni ,  anciennes  marchandes  de  mode ,  ou 
bas  bleus  incompris,  s'honorent  encore  aussi  d'un  bouquet 
d'imperceptibles  breloques  à  la  ceinture.  C'est  fort  bien 
porté,  disent-elles.  Nous  le  croyons  bien.  Nous  aimons  les 
caricatures  complètes. 

L'on  appelait  autrefois  breloques  les  boutiques  portatives 
des  petits  merciers  étalagistes  ;  et  l'on  traitait  au  figuré  de 
hreliques-breloques  les  travaux  qui  s'accomplissaient  sans 
ordre ,  logique ,  ni  méthode. 

Le  breloque  ou  plutôt  la  berloque,  eu  style  de  caserne , 
est  une  batterie  de  caisse ,  brisée ,  saccadée ,  appelant  les 
soldats  à  la  distribution  des  vivres  ou  aux  repas.  Par  ana- 
logie, au  figuré,  battre  la  breloque  ou  la  berloque  se  dit 
d'un  pauvre  diable  qui  dans  ses  discours  commence  à 
donner  des  signes  évidents  d'aliénation  mentale. 

BREME,  genre  de  poisson,  appartenant  à  la  famille  des 
gymnopomes.  La  brème  commune  (abramis  d'Athénée) 
est  un  poisson  de  nos  eaux  douces,  dont  la  chair  est  blanche 
et  agréable  au  goût.  Sa  forme  est  à  peu  près  celle  de  la  carpe, 
mais  plus  plate,  et  ses  écailles  sont  beaucoup  plus  grandes. 
Sa  tête  est  petite,  et  elle  a  deux  nageoires  auprès  des  ouïes 
et  deux  autres  au  milieu  du  ventre.  Il  vit  ime  partie  de 
l'année  enfoncé  dans  la  vase  et  caché  sous  l'herbe  des  étangs, 
et  ne  s'élève  à  la  surface  qu'au  temps  de  la  ponte,  vers  le 
printemps,  qui  est  aussi  le  moment  favorable  pour  le  pê- 
cher. Ce  poisson,  qui  est  très-abondatit  dans  les  rivières  et 
les  étangs  du  nord  de  l'Europe ,  surtout  en  Suède ,  où  sa 
pêche  est  un  objet  de  commerce  important ,  est  beaucoup 
moins  commun  en  France,  où  cependant  il  serait  très-facile 
de  le  multiplier.  Sa  croissance  n'est  pas  moins  prompte  que 
celle  de  la  carpe. 

BREME,  sur  le  Weser,  l'une  des  quatre  villes  libres 
que  l'on  compte  encore  aujourd'hui  en  Allemagne,  avec  un 
territoire  de  275  kilomètres  carrés,  dont  la  principale  partie, 
divisée  en  seigneurie  de  la  rive  droite  et  seigneurie  de  la  rive 
gauche  du  Weser,  renferme  la  ville,  tandis  que  les  bailliages 
de  Vegesack  et  de  Brenjerhaven,  avec  les  bourgs  du 
même  nom,  et  situés,  l'un  à  15  kilomètres  et  l'autre  à  52  ki- 
lomètres plus  loin  au-dessous  de  la  ville,  forment  des  ports 
séparés  et  distincts.  D'après  le  recensement  le  plus  récent, 
la  population  totale  est  de  72,820  habitants  professant  la  re- 
ligion protestante,  à  l'exception  de  1600  catholiques.  Sur 
ce  chiffre,  49,700  habitants  appartiennent  à  la  ville  pro- 
prement dite;  le  reste  est  disséminé  dans  les  deux  bourgs 
de  Vegesack  et  de  Bremerhaven  et  dans  cinquante-huit  vil- 
lages et  hameaux. 

La  villese  divise  en  vieille  ville,  ville  neuve  et  faubourg. 
Ce  dernier  quartier,  séparé  de  la  vieille  ville  par  les  fossés 
des  anciennes  fortifications ,  décrit ,  avec  celle-ci  pour  cen- 
tre, un  vaste  demi-cercle  sur  la  rive  droite  du  Weser.  En 
face  de  la  vieille  ville,  sur  la  rive  gauche  du  fleuve  ,  est 
située  la  ville  neuve,  à  laquelle  on  arrive  par  deux  ponts , 
jetés  l'un  sur  le  fleuve,  l'autre  sur  un  de  ses  embranche- 
ments qui  a  là  son  embouchure,  et  ffu'on  appelle  le  petit 
Weser.  Les  anciennes  fortifications  ont  été  depuis  le  com- 
mencement de  ce  siècle  transformées  en  de  délicieuses  pro- 
menades publiques,  qui  s'étendent  entre  la  vieille  ville  et  le 
faubourg,  sur  les  remparts  et  les  contrescarpes  d'un  point 
à  un  autre  du  Weser;  rien  de  plus  ingénieux  ni  de  m^ii- 


663 

leur  goût  que  leur  disposition.  Les  édifices  anciens  les  plus 
remarquables  de  Brème  sont  :  la  cathédrale,  bâtie  vers 
l'an  1050  par  l'archevêque  Adalbert  et  le  sénat,  constraction 
gothique  commencée  en  1405,avecses  fameuses  cares,  dont 
l'entrée  est  décorée  de  la  statue,  en  pierre,  de  Roland;  la 
Bourse,  la  Marine,  les  deux  hospices  d'orphelins;  et,  parmi 
les  édifices  de  construction  moderne ,  l'hôtel  de  ville,  la 
maison  de  travail,  le  muséum  avec  sa  collection  d'histoire 
naturelle,  la  nouvelle  salle  de  spectacle,  la  nouvelle  caserne, 
le  nouvel  hôpital,  l'embarcadère  du  chemin  de  fer  et  le 
grand  pont  sur  le  Weser.  Brème  abonde  en  instituts  cha- 
ritables de  toutes  espèces,  en  établissements  d'instruction  pu- 
blique de  tous  les  degrés,  et  en  institutions  dans  l'intérôt 
du  commerce  et  de  la  navigation ,  qui  de  tout  temps  ont 
été  l'objet  d'une  sollicitude  particulière  de  la  part  des  au- 
torités municipales,  attendu  que  l'existence  même  de  la  ville 
ainsi  que  sa  prospérité  reposent  avant  tout  sur  le  génie  ma- 
ritime et  mercantile  de  sa  population. 

Brème  est  située  au  point  où  commence  le  Weser  infé- 
rieur, là  où  l'on  ressent  encore  faiblement  les  effets  du  flux 
et  du  reflux,  à  74  kilomètres  des  côtes  et  à  111  de  la  pleine 
mer.  Aujourd'hui  encore  elle  est  accessible  pour  les  bâti- 
ments employés  au  cabotage  ou  encore  pour  les  bâtiments 
larges  et  plats ,  par  conséquent  tirant  peu  d'eau ,  com.me  il 
était  d'usage  d'en  construire  autrefois  ;  mais  la  plus  grande 
partie  des  navires  sont  obligés  de  s'arrêter  et  de  jeter  l'ancre 
à  une  grande  distance  au-dessous  de  la  ville.  On  créa  à  cet 
effet,  au  commencement  du  dix-septième  siècle,  le  port  de 
Vegesack,  et  les  proportions  toujours  plus  grandes  données 
à  la  construction  des  navires  firent  reconnaître  la  nécessité 
d'ouvrir  un  nouveau  port  à  Bremerhaven,  dont  la  fondation 
date  de  l'année  1827.  Cette  création  a  rendu  à  Brème  sa 
physionomie  de  ville  de  mer,  déjà  à  moitié  effacée,  et  a  con- 
sidérablement favorisé  le  développement  de  sa  grande 
activité  maritime,  qui  depuis  lors  s'y  trouve  presque  toute 
concentrée.  Cette  séparation  que  la  force  des  choses  a  établie 
entre  Brème  et  ses  ports  a  eu  ce  résultat  naturel  que  la 
ville,  quoique  lame  communiquant  l'impulsion  au  tout,  a 
plutôt  la  physionomie  d'un  entrepôt,  et  que  pour  se  faire 
une  juste  idée  de  l'importance  de  Brème  comme  place  de 
mer  et  comme  marché  cosmopolite,  on  doit  passer  en  revue 
toute  l'étendue  de  côtes  s'étendant  depuis  la  ville  jusqu'à 
Ijremerhaven. 

11  faut  d'ailleurs  attribuer  en  grande  partie  le  nouvel  et 
puissant  essor  qu'a  pris  le  connnerce  maritime  de  Brème 
aux  nombreux  comptoirs  et  établissements  que  ses  citoyens 
ont  fondés  dans  la  plupart  des  ports  del'Amérique  etdumonde 
accessibles  au  pavillon  allemand ,  de  même  qu'aux  vastes 
proportions  et  à  la  notoire  habileté  de  sa  marine,  qui  en  1850 
comptait  déjà  deux  cent  dix-neuf  gros  bâtiments,  jaugeant 
«nsemble  132,918  tonneaux  de  1,000  kilogrammes,  sans 
compter  les  navires  qui  ne  faisaient  que  le  cabotage  non 
plus  que  «eux  uniquement  employés  au  service  du  Weser. 
Le  commerce  direct  de  Bj'ème  l'emporte  sur  ses  affaires 
de  commission  et  d'expédition,  et  de  même  ses  relations 
transatlantiques  sont  bien  plus  importantes  que  celles  qu'elle 
-entretient  avec  l'Europe.  En  tète  viennent  ses  relations  avec 
les  États-Unis  de  l'Amérique  septentrionale ,  puis  celles  avec 
les  Indes  occidentales  et  les  anciennes  colonies  espagnoles 
et  portugaises  du  continent  américain.  Dans  ces  derniers 
temps  elle  en  a  aussi  établi  de  multiples  et  très-profitables 
avec  l'Afrique, les  Indes  orientales,  la  Chine,  l'.Vustralie,  etc. 
Et  indépendamment  des  pêches  dans  les  mers  du  Nord, elle  a 
également  pris  une  part  des  plus  actives  aux  pècli€s  de  la 
baleine  dans  les  mers  du  Sud  ;  industiie que  Brème  a  intro- 
duite la  première  et  qu'elle  exerce  encore  aujourd'hui  presque 
seule  parmi  les  Allemands.  Ses  principaux  objets  d'importa- 
tion sont  le  tabac,  l'huile  de  baleine,  le  sucre,  le  café,  le  vin^ 
le  riz,  le  coton,  les  cuirs,  les  bois  de  teinture  et  les  grains, 
^s  exportations  consistent  en  pioduits  des  manufactures 


BRÈME 

et  des  mines  de  l'Allemagne ,  verroteries ,  objets  de  quin- 
caillerie, grains,  comestibles,  spiritueux,  etc.  En  1850  l'im- 
portation maritime  s'est  élevée  à  1,508,011  quintaux  mé- 
triques, représentant  une  valeur  de  62,087,372  francs,  et 
l'exportation  maritime  à  975,878  quintaux,  représentant  une 
valeur  de  63,134,405  francs.  L'ensemble  des  importation» 
et  exportations  par  terre  et  par  mer  avait  formé  cette  même 
année  un  total  de  5,264,690  quintaux  de  marchandises  re- 
présentant une  valeur  de  264,069,835  francs.  Le  nombre  des 
navires  arrivant  à  Brèm€  avec  une  cargaison  varie,  année 
commune,  entre  1500  et  1900.  Mentionnons  en  outre  que 
depuis  1827  c'est  Brème  qui  est  devenue  le  grand  point 
d'embarquement  pour  l'émigration  allemande.  Dans  ces  der- 
nières années  le  chiffre  des  émigrés  qui  se  sont  embarqués 
à  Brème  pour  l'Amérique  a  varié  entre  28,000  et  32,000. 
L'activité  industrielle  de  la  ville  a  pour  cause  et  pour  li- 
mites son  commerce  maritime  ;  elle  a  pour  objet  principal  l.i 
fabrication  des  accessoires  de  la  navigation ,  tels  que  cor- 
dages, voilures,  agrès,  poulies,  etc.,  ou  encore  la  construc- 
tion même  des  navires,  à  laquelle  sont  consacrés  de  nombreux 
chantiers.  Elle  consiste  aussi  en  préparations  de  matières 
premières  exotiques,  ou  en  fabrication  d'objets  destinés  à 
l'exportation  maritime ,  comme  machines  et  moulins  à 
vapeur,  etc.,  en  distillation  de  genièvre,  fabrication  de  dif- 
férentes sortes  de  bière,  etc.,  deux  industries  qui  y  sont 
exercées  dans  dévastes  proportions.  Mais  de  tous  les  genres 
de  fabrication ,  c'est  celle  des  cigares  qui  s'y  fait  aujour- 
d'hui sur  la  plus  large  échelle,  car  elle  n'occupe  pas  moins 
de  4,000  ouvriers. 

Aux  termes  de  l'acte  constitutif  de  la  confédération  ger- 
manique, la  ville  de  Brème  possède  avec  les  autres  villes 
libres  la  dix-sei)tième  voix  dans  la  diète  fédérale.  Elle  a 
à  Lubeck,  en  commun  avec  cette  autre  ville  libre,  un  tribunal 
supérieur  d'appel  ;  et  jusqu'à  présent  elle  a  constitué,  au 
point  de  vue  militaire ,  une  association  encore  plus  étroite 
avec  les  villes  de  Hambourg  et  de  Lubeck,  en  tant  que  faisant 
partie  intégrante  de  la  2' brigade  de  la  2*  division  du  10*  corps 
de  l'armée  fédérale.  Outre  cette  union  créée  par  la  confédéra- 
tion germanique,  il  existe  toujours  entre  les  trois  villes  de 
Brème  ,  Hambourg  et  Lubeck ,  surtout  en  ce  qui  touche  le 
commerce  extérieur,  l'unité  d'intérêts  formée  autrefois  par  la 
Hanse.  C'est  ainsi  qu'elles  possèdent  en  commun  le  Stalilhof 
(  maison  d'échantillon)  à  Londres  et  la  maison  delà  Hanse 
à  Anvers ,  qu'elles  passent  des  traités  de  navigation  en  com- 
mun, qu'elles  entretiennent  des  consuls  communs ,  etc.  Aux 
termes  de  la  constitution  de  1849,  un  sénat  de  seize  mem- 
bres ,  dont  font  partie  deux  bourgmestres  alternant  tous  les 
ans  pour  la  présidence,  y  est  à  la  tête  des  affaires  publiques. 
Ce  sénat  partage  l'autorité  législative  et  administrative  avec 
la  bourgeoisie  et  des  comités,  appelés  dcpulations ,  sortis 
du  sein  de  celle-ci.  Les  revenus  annuels  de  la  ville  s'élèvent 
à  900,000  thalers. 

L'histoire  primitive  de  la  ville  de  Brème  remonte  à 
l'année  788,  époque  où  Charlemagne  y  fonda  un  évêché  qui 
plus  tard  fut  réuni  à  l'archevêché  de  Hambourg,  institué  seu- 
lement en  834.  Les  titulaires  de  cet  archevêché  ayant  ensuite 
transféré  leur  résidence  à  Brème,  son  évèché  fut  à  son  tour 
érigé  en  siège  archiépiscopal.  Les  immunités  accordées  à 
ce  siège  favorisèrent  de  bonne  heure  parmi  les  habitants  le 
développement  de  l'esprit  de  commune  et  de  cité  qui,  avec 
l'appui  de  l'Église,  put  même  aller  jusqu'à  les  faire  se  dé- 
clarer indépendants;  et  en  dépit  des  luttes  continuelles  que 
la  ville  eut  à  soutenir  depuis  le  commencement  du  treizième 
siècle  contre  ses  archevêques,  elle  parvint  toujours  avec  pli!s 
de  succès  à  conserver  son  indépendance;  de  sorte  que  dès 
la  fin  du  quatorzième  siècle  elle  était  reconnue  sans  conteste 
en  qualité  de  ville  hbre  impériale.  Pendant  ce  temps-là,  après 
avoir  déjà  obtenu  par  elle-même  des  privilèges  particuliers 
dcms  toute  l'étendue  de  ce  qui  composait  alors  le  domaine 
de  sa  p.avi"alion,  c'est-à-dire  depuis  les  côtes  de  la  l'Iandre 


BRÈME  —  BîlEMERHAVEN 


jusqu'à  celles  de  la  Norvège ,  et  depuis  l'Angleterre  jusqu'à 
la  Llvonie,  de  même  qu'en  1158  elle  avait  fondé  Riga  et 
contribué  également  à  la  Ibndation  de  l'Ordre  Teutonique,  elle 
était  devenue  membre  de  la  Hanse,  et  avait  pris  part ,  un 
peu  mollement  d'abord,  mais  ensuite  très-activement,  à  tous 
ses  plans  et  à  toutes  ses  entreprises. 

Sortie  de  plus  en  plus  puissante  des  luttes  civiles  du  moyen 
âge  et  de  guerres  continuelles  qu'elle  eut  à  soutenir  contre 
les  princes  et  les  seigneurs  ses  voisins,  mais  surtout  contre 
les  Frisons,  peuple  adonné  au  brigandage  et  à  la  piraterie, 
maîtresse  du  Weser  inférieur  et  pendant  plus  ou  moins 
longtemps  de  vastes  étendues  de  territoire  sur  les  deux  rives 
de  ce  fleuve,  Brème  embrassa  de  bonne  heure  et  chaleureu- 
sement la  cause  de  la  réformation.  De  toutes  les  villes  mari- 
times saxonnes  qui  prirent  fait  et  cause  pour  la  ligue  de 
Smalkade,  c'est  elle  qui  déploya  le  plus  de  zèle  et  d'ar- 
deur; et  par  la  courageuse  constance  dont  elle  fit  preuve 
après  la  bataille  de  AI  u  hlberg  elle  ne  contribua  pas  peu  à 
sauver  le  protestantisme  d'une  ruine  complète.  Mais  c'est 
de  cette  époque  aussi  que  date  sa  décadence  politique,  qui  eut 
pour  résultat  d'empèdier  son  commerce  de  prendre  de 
nouveaux  développements.  De  fréquents  troubles  ayant  la 
religion  pour  cause,  et -par  suite  desquels  cette  ville ,  qui 
sympathisait  avec  les  idées  et  les  principes  de  Mélanchlliou , 
fut  obligée  d'embrasser  le  calvinisme,  ruinèrent  sa  prospérité 
et  lui  aliénèrent  ses  voisins  et  ses  alliés  parmi  les  princes  et 
les  villes,  tous  fermement  attachés  aux  doctrines  de  Luther. 
Ajoutez  à  cela  qu'à  l'époque  où  elle  jouissait  en  fait  de  sa 
complète  indépendance,  elle  avait  négligé  de  se  faire  repré- 
senter aux  diètes  impériales,  et  que  si  elle  s'était  soustraite 
ainsi  à  la  nécessité  de  contribuer  pour  sa  part  aux  charges 
de  l'Empire,  elle  avait  en  revanche  perdu  le  droit  d'invoquer 
formellement  les  privilèges  et  la  protection  assurés  aux  mem- 
bres de  l'Empire.  Aussi,  quand  au  commencement  du  div- 
septième  siècle  l'archevêché  de  Brème  passa  en  des  mains  plus 
puissantes,  et  lorsque,  aux  termes  de  la  paix  de  ^Yestphalie, 
elle  finit  par  être  érigée  en  duché  temporel  sous  la  souverai- 
neté de  la  Suède,  les  Suédois  menacèrent  ses  libertés  et  les 
comtes  d'Oldembourg  entravèrent  son  commerce,  notam- 
ment en  établissant  une  douane  à  Elsfleth.  Le  Hanovre  hé- 
rita des  prétentions  de  la  Suède,  et  ne  consentit  enfin  à  la  re- 
connaître en  qualité  de  ville  libre  impériale  qu'en  1731.  Ce 
ne  fut  même  qu'en  1803  qu'il  cessa  de  lui  contester  le  droit 
de  complète  souveraineté  sur  sou  propre  territoire,  déjà  sin- 
gulièrement restreint  par  diverses  cessions  antérieures. 

Après  avoir  vu ,  grâce  à  la  paix  de  'N'ersailles  de  1783,  son 
commerce  et  sa  prospérité  reprendre  un  nouvel  essor,  elle  eut 
bientôt  à  supporter  les  misères  de  la  domination  et  de  l'oc- 
cupation françaises ,  puis  finit  par  être  complètement  incor- 
porée (  1810-1813)  à  l'empire  français.  Redevenue  libre  au 
mois  de  novembre  1813  ,  elle  se  hâta  alors  de  prendre  part 
à  la  grande  lutte  nationale  contre  l'étranger;  et  par  les  ser- 
vices qu'elle  rendit  à  la  cause  commune,  elle  obtint  d'être 
rétablie  dès  le  mois  de  décembre  en  possession  de  son  ancien 
titre  de  ville  libre,  en  même  temps  que  la  reconnaissance 
formelle  de  son  antique  indépendance. 

BREMER  (Frédéricra  ),  Suédoise,  qui  s'est  fait  un 
nom  par  la  publication  d'un  certain  nombre  de  romans  re- 
marquables,  est  née  en  1802,  près  d'Abo ,  en  Finlande, 
d'autres  disent  dans  cette  ville  même.  Elle  avait  à  peine 
trois  ans,  que  son  père  était  réduit,  par  de  mauvaises  affaires, 
à  vendre  ses  propriétés  et  à  aller  se  fixer  en  Scanie.  Plus 
tard,  elle  passa  plusieui"s  années  en  Norvège,  chez  la  com- 
tesse de  Sonnerhjelm,  et  elle  est  aujourd'hui  attachée  comme 
institutrice  à  un  établissement  d'instruction  publique  pour 
les  jeunes  personnes,  à  Stockholm.  Ses  occupations  ne  l'ont 
pas  empêchée  de  faire  des  voyages  en  Allemagne,  eu  An- 
gleterre et  dans  l'Amérique  du  Nord.  L'ctude  de  la  littérature 
de  l'Allemagne,  la  constante  lecture  de  ses  poètes  et  surtout 
du  Don  Carlos  de  Schiller,  développèrent  en  elle  un  talent 


669 

dont  les  productions  manquent  peut-être  de  maturité ,  mais 
qui  témoignent  d'un  talent  remarquable  sous  plusieurs 
rapports.  Depuis  quelque  temps  elle  a  beaucoup  écrit ,  et 
c'est  peut-être  à  cette  fécondité  qu'il  faut  attribuer  le  peu 
de  succès  de  ses  dernières  productions,  quoiqu'on  y  remarque 
encore  les  qualités  qui  distinguent  ses  autres  ouvrages. 
Tout  ce  qui  jusqu'à  ce  jour  est  sorti  de  sa  plume  brille 
par  une  sagesse  et  une  pureté  vraiment  féminines  de  pensées, 
par  une  rectitude  de  jugement  qui  souvent  n'exclut  poiut 
une  douce  ironie,  par  une  connaissance  approfondie  du 
cœur  humain ,  par  des  idées  justes  et  vraies  sur  le  monde, 
par  un  rare  talent  d'exposition,  qui  souvent  devient  drama- 
tique, et  qui  reste  toujours  merveilleusement  simple  et  lu- 
cide. FréJéricka  Bremer  excelle  surtout  dans  la  peinture 
des  scènes  de  la  vie  de  famille  ;  et  ses  tableaux ,  quelquefois 
un  peu  minutieux,  sont  extrêmement  attrayants. 

Le  premier  roinan  qu'ait  publié  Frédéricka  Bremer  pro- 
duisit tout  aussitôt  à  Stockholm  une  vive  sensation  ;  il  était 
intitulé  la  Fille  du  Président  ;  les  Voisins,  qui  parurent 
après ,  mirent  le  comble  à  sa  réputation.  Vinrent  ensuite  la 
Famille  H.  et  Nina,  dont  le  succès  ne  fut  pas  moindre.  On 
reproche  à  ses  romans  les  Voisins  et  la  Maison  de  manquer 
d'originalité  et  d'invention  ;  on  adresse  la  même  critique  à 
Combat  et  Paix,  œuvre  dans  laquelle  cependant  on  ne 
laisse  pas  que  de  rendre  justice  à  quelques  fort  belles  par- 
ties, et  oii  le  lecteur  trouve  les  descriptions  les  plus  saisis- 
santes et  les  plus  vraies  d'une  nature  et  d'un  sol  générale- 
ment assez  peu  connus.  La  scène  de  ce  roman  se  passe  en 
Norvège,  et  Frédéricka  Bremer,  par  la  magie  de  son  style, 
retrace  avec  un  bonheur  infini  les  scènes,  tantôt  sublimes, 
tantôt  touchantes ,  qu'y  rencontre  l'observateur. 

Une  collection  complète  de  ses  romans  a  paru  à  Stockholm 
en  sept  volumes  (  1835-1 S43),  sous  le  titre  de  Teckningar 
itr  Hvardafjslifcet  (Esquisses  de  la  vie  de  tous  les  jours). 
Ace  recueil  se  rattache  iVya  Tecliningarnr  HvardacjsUfvet 
(Stockholm,  1844-1848),  qui  comprend  Un  journal.  En 
Dalécarlie,  Vie  de  frères  et  sœurs.  Dans  son  Morgan- 
Vxkter  (1842),  l'auteur  a  déposé  sa  profession  de  foi  reli- 
gieuse. Elle  a  publié  de  charmantes  impressions  de  voyages 
dans  Lif  i  JSorden  (lS4y)  et  Midsommar-Resan  (1849). 
Ajoutons  que  les  romans  de  Frédtricka  Bremer  ont  obtenu, 
non-seulement  en  Allemagne,  mais  en  France ,  ea  Angle- 
terre, en  Hollande,  les  honneurs  de  la  traduction. 

BREMERU A VE.\,  port  construit  en  1827  à  l'endroit 
où  la  Geeste  se  jette  dans  l'embouchure  du  \Yeser,  à 
52  kilomètres  au-dessous  de  Brème ,  sur  un  territoire  cédé  à 
cette  ville  par  le  Hanovre,  et  qui,  n'étant  pas  encore  protégé 
par  des  digues  était  alors  sujet  à  toutes  les  inondations  cau- 
sées par  les  tempêtes.  En  1830  on  y  creasa  un  bassin  de  G20 
jnètres de  long  sur  62  de  large,  muni  d'une  écluse  de  ll'",47, 
et  susceptible  de  recevoir  et  de  mettre  à  l'abri  des  navires 
jaugeant  jusqu'à  1500  tonneaux.  Dès  que  ce  port  fut  ouvert 
au  commerce ,  il  s'établit  sur  ses  bords  une  population  qui 
comptait  déjà  en  1850  3,500  âmes;  et  Breinerhaven  reçut 
une  organisation  ainsi  que  des  institutions  mimicipales.  De- 
puis cette  époque,  la  progression  toujours  croissante  du 
commerce  maritime  de  Brème  a  nécessité  la  construction 
d'un  second  bassin  long  de  496  mètres  avec  une  largeur  de 
124  mètres,  pourvu  d'une  écluse  de  23^,56  de  large  et7'",75 
de  profondeur,  capable  dès  lors  de  recevoir  les  plus  grands 
navires.  Indi^pendamment  de  ces  deux  bassins ,  on  trouve 
encore  à  Breinerhaven  un  grand  nombre  de  chantiers  de 
construction  établis  le  long  des  rives  de  la  Geeste,  ainsi 
que  deux  vastes  docks,  où  les  navires  peuvent  entrer  a  la  ma- 
rée montante.  Dans  la. 1/«/.soh  desEmigrants,tonàiQen\^bQ, 
trois  mille  individus  trouvent  le  gîte  et  la  nourriture.  De- 
puis 1847  un  service  régulier  de  bateaux  à  vapeur  créé  entre 
New-York  et  Bremerhaven  a  établi  de  rapides  et  faciles 
communications  entre  l'Amérique  du  Nord  et  l'Allemagne. 
C'est  aussi  à  Bremerhaven  que,  pendant  sa  courte  existence. 


670 


BREMERHAVE?^  -  BRENTANO 


(^tait  venue  stationner  la  fameuse  flotte  allemande,  créée  à 
la  suite  des  événements  de  184S.  Un  télégraphe  aérien  et  un 
télégraphe  électrique  mettent  Bremerhaven  en  communi- 
cation avec  Brome. 

BRENNER  (  Mons  Brennius),  nom  donné  à  la  pointe 
des  Alpes  Rhétiennes  dans  le  comté  du  Tyrol ,  entre  Ins- 
pruck  et  Sterling,  et  entre  l'Inn,  l'Aiclia  et  l'Adige.  Élevé 
de  plus  de  1,984  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  le 
Brenner  sépare  le  bassin  de  l'Adige  de  celui  de  l'Inn.  11  est 
traversé  à  une  hauteur  de  1,348  mètres  par  une  route  de 
17  kilomètres  ,  qui  relie  Vienne  à  Inspruck  et  à  Venise.  La 
montagne  porte  un  village  du  même  nom ,  connu  par  ses 
sources  minérales.  Comme  tous  les  passages  qui  conduisent 
à  travers  le  Tyrol  et  les  Alpes  Rhétiennes,  le  Brenner  était 
aussi  désigné  par  les  anciens  écrivains  sous  le  nom  de  Mons 
Pyrenxïis.  Dans  la  guerre  de  1809,  le  Brenner  a  été  la 
principale  position  pour  la  défense  du  Tyrol. 

BREIVIVUS,  nom  ou  plutôt  titre  de  plusieurs  chefs  gau- 
lois, et  qui  s'est  conservé  encore  jusqu'à  nos  jours  dans  le 
mot  gallois  brennin,  qui  veut  dire  roi.  Le  plus  célèbre  de 
tous  ceux  qui  le  portèrent  est  Brennus,  chef  des  Sennones, 
peuplade  gauloise  de  la  Haule-ltahe,  qui,  vers  l'an  390, 
envahit  le  territoire  romain.  Les  Romains  furent  complè- 
tement battus  sur  les  bords  de  l'Allia,  et  Brennus  arriva 
lentement  sous  les  nmrs  de  la  ville  éternelle.  Pendant  ce 
temps  là  les  trésors  et  les  objets  sacrés  avaient  été  déposés 
au  Capitole,  où  la  population  jeune  et  en  état  de  porter  les 
armes  s'était  retirée,  tandis  que  les  autres  habitants  avaient 
pris  la  fuite.  Brennus  ne  rencontra  dans  la  ville  déserte  que 
les  femmes,  les  enfants  et  les  vieillards.  Ceux-ci  avaient 
mieux  aimé  mourir  que  d'abandonner  leur  patrie.  Brennus 
les  trouva  assis  sur  leurs  chaises  curules  ,  quelques-uns  re- 
vêtus de  leurs  ornements  sacerdotaux  en  signe  de  leur  di- 
gnité, et  d'autres  avec  le  costume  de  consuls.  Ils  fuient 
égorgés,  en  môme  temps  que  la  ville  était  livrée  aux  flam- 
mes et  au  pillage.  Cependant  une  formidable  armée  ro- 
maine se  réunissait  sur  les  deirières  des  Gaulois,  tandis 
que  le  Capitole  assiégé  continuait  à  opposer,  sous  les  or- 
dres du  tribun  Sulpicius ,  une  vigoureuse  résistance.  Bren- 
nus tenta  de  le  prendre  d'assaut.  Une  nuit  il  en  fit  esca- 
lader les  rochers  par  ses  soldats;  et  déjà  quelques  Gaulois 
étaient  parvenus  au  sommet  sans  que  les  sentinelles  eus- 
sent rien  aperçu.  Mais  alors  les  oies  sacrées  qu'on  nour- 
rissait dans  le  temple  de  Junon,  poussèrent  de  grands  cris 
et  réveillèrent  ainsi  la  garnison  qui  repoussa  les  assaillants. 
Toutefois  les  Romains,  privés  de  toutes  communications 
avec  les  leurs,  désespéraient  d'en  être  secourus,  tandis  que 
de  son  côté  Brennus,  dont  la  peste  décimait  l'armée,  se  fa- 
tiguait d'un  siège  long  et  inutile.  Les  deux  parties  résolurent 
en  conséquence  d'en  venir  à  un  accoiumodement.  Brennus 
promit  de  se  retirer  si  on  lui  donnait  mille  livres  pesant 
d'or.  Déjà  on  pesait  l'or,  Brennus  venait  de  jeter  encore  son 
épee  dans  la  balance,  en  s'écriant  :  Vx  vïctisl  (Malheur 
aux  vaincus!),  mot  qui  a  passé  en  proverbe,  quand  Ca- 
mille, rappelé  d'exil  et  créé  dictateur,  survint  à  la  tête  de 
l'armée  romaine ,  chassa  les  Gaulois  de  la  ville  et  les  tailla 
en  pièces  dans  la  plaine  voisine.  11  est  vraisemblable  que 
Brennus  périt  dans  cette  déroute  ;  du  moins  les  historiens 
romains  ue  font-ils  plus  dès  lois  uiention  de  lui.  11  est 
évident  d'ailleurs  que  toute  cette  histoire  de  Brennus  ne  nous 
est  parvenue  que  fort  embellie  par  la  poésie.  Nous  avons 
donné  le  récit  de  Tite-Live;  mais  la  critique  moderne  ne 
l'admet  pas  sans  restriction.  T'o^e:;  notre  article  Allia, 
t.  1",  p.  388. 

Un  autre  Brennus  envahit  avec  Psychorius,  l'an  280  av. 
J.-C,  la  Macédoine  à  la  tète  d'une  immense  armée  gauloise, 
évaluée  à  150,000  fantassins  et  30  ou  40,000  cavaliers.  11 
ba:tit  et  tua  le  roi  l'iolémi'e  Ccrauuus,  puis  Sostliènes; 
traversa  la  Tlicssalie,  pénétra  en  Grèce  par  lesThermopylos, 
et  marcha  sur  Delphes  pour  piller  le  temple  de  la  ville. 


Mais  une  armée  grecque  accourue  en  toute  hâte,  et  la  terreur 
que  répandit  dans  leurs  rangs  un  tremblement  de  terre  ac- 
compagné d'un  orage  formidable,  contraignirent  les  Gaulois, 
après  que  Brennus  lui-même  eut  péri  dans  la  mêlée,  à  re- 
gagner la  Thrace,  où  ils  fondèrent  un  royaume  qui  demeura 
longtemps  puissant,  mais  que  les  Thraces  finirent  pan 
subjuguer.  ■ 

BREIVTAJVO  (Clément),  connu  comme  romancier  et  ' 
comme  poète  dramatique,  frère  de  la  célèbre  Bettina  d'A  r- 
nim,  né  à  Francfort  sur  le  Mein  en  1777 ,  fit  ses  études  à 
léna,  et  résida  ensuite  alternativement  à  léna,  à  Francfort, 
à  Heidelberg,à  Vienne  et  à  Berlin.  En  1818,  mécontent  à 
la  fois  et  de  lui-môme  et  des  hommes ,  il  renonça  complè- 
tement au  monde,  et  choisit  pour  séjour  l'abbaye  de  Dulmen, 
dans  le  pays  de  Munster.  Dans  les  derniers  temps  de  sa  vie, 
il  vécut  à  moitié  comme  un  anachorète ,  résidant  tantôt  à 
Ratisbonne,  à  Munich  et  à  Francfort,  où  la  nature  iro- 
nique de  son  esprit  le  fit  toujours  beaucoup  remarquer,  il 
mourut  à  Aschaffenbourg ,  le  28  juin  1842.  Brentano  publia 
ses  premières  poésies  sous  le  pseudonyme  de  Maria,  du- 
quel il  signa  ses  Satireset  Délassements  poétiques  (Leipzig, 
1800)  et  son  Godvci ,  ou  V Image  de  pierre  de  la  mère 
(2  vol.,  Francfort,  1801  ),  livre  qu'il  désigna  lui-môme  en 
sous-titre  par  la  qualification  de  Roman  sauvage.  Le  fait  est 
que  ce  roman  est  passablement  échevelé  et  pousse  un  peu 
loin  les  bizarreries  que  se  permettait  à  cette  époque  la  nou- 
velle école  romantique.  On  y  remarque  cependant  quelques 
belles  pages  et  de  ces  passages  auxquels  on  reconnaît  aisé- 
ment le  poétique  contemplateur.  Ses  productions  drama- 
tiques, tantôt  originales,  tantôt  bizarres,  brillent  quel- 
quefois par  un  genre  d'esprit  éminemment  disposé  au  sar- 
casme, et  quelquefois  aussi  par  de  nobles  accents  lyriques. 
Ce  sont  Les  Musiciens  joyeux,  opéra  (Francfort,  1803); 
Ponce  de  Léon  (Gœttingue,  1804),  comédie  qui  offre  les 
plus  heureux  incidents;  Victoria  et  ses  frères  et  sœurs 
aux  étendards  flottants  et  aux  mèches  allumées  (^^vïm, 
1804),  où  une  ironie  parfois  un  peu  recherchée  s'unit  à  une 
gaieté  merveilleusement  baroque.  Sa  Fondation  de  l'rayue 
(Pesth,  1816)  est  un  ouvrage  dans  lequel  la  profondeur 
de  la  pensée  et  la  force  du  style  répondent  à  l'esprit  poé- 
tique de  l'inspiration  première,  quoique  la  bizarrerie  des 
pensées  et  l'irrégularité  de  l'ensemble  nuisent  à  l'effet  gé- 
néral. Brentano  écrivit  aussi  quelques  ou^Tages  de  cir- 
constance, parmi  lesquels  nous  mentionnerons  la  cantate 
Universitatis  litterarios  (Berhn,  1810),  et  son  Pa^sape 
du  Rhin,  ronde  populaire  (Vienne,  1814).  Le  genre  dans 
lequel  il  semble  avoir  le  plus  complètement  réussi  est  celui 
des  petites  nouvelles ,  et  on  regarde  généralement  comme 
son  chef-d'œuvre  Y  Histoire  dzi  brave  Gaspard  et  du  bel 
Anncrl  (2^  édit.,  Berlin,  1851  ).  Son  dernier  ouvrage,  in- 
titulé Go^e/,  Hinkelxmd  Gakeleia  (Francfort,  1838),  est 
une  amusante  et  spirituelle  satire,  dans  laquelle  il  a  flagellé 
avec  une  impitoyable  ironie  les  ridicules  de  son  siècle.  On 
doit  aussi  citer  avec  éloge  la  nouvelle  édition  qu'il  a  donni'o 
de  l'ancienne  histoire  de  George  Wickram  de  Colmar,  sous 
le  titre  -.Le  Fil  d'Or  (lleidclberg,  1809),  ouvrage  dont 
Lessing  désirait  la  réimpression ,  bien  qu'il  se  soit  permis 
dos  changements  arbitraires  dans  le  texte.  Ses  Contes  ont 
été  publiés  par  Guido  Gœrres  (2  vol.,  Stuttgard,  1848). 

Sa  lemme,  Sophie  Schlbvrt,  née  le  27  mars  1761,  à  Al- 
tenbourg,  avait  épousé  en  premières  noces  le  professeur 
Mereau  de  léna.  Un  divorce  lui  ayant  rendu  sa  liberté,  en 
ISO'i,  elle  se  remaria  avec  Clément  Brentano,  qu'elle  suivit  à 
Francfort  et  à  Heidelberg,  où  elle  mourut  le31  octobre  1806. 
Outre  ses  traductions  et  beaucoup  d'articles  insérés  dans  des 
almanachc  et  des  journaux,  elle  a  laissé  des  Poésies  (2  vol., 
Beriin ,  1800-1802),  ainsi  (pie  plusieurs  romans,  tels  que 
Calathiscos  (2  vol.,  Beriin,  1801-1802),  et  Amande  et 
/j'f/oî/arrf  (Francfort,  1803  ),  en  forme  de  lettres.  On  a  aussi 
d'elle  une  Sifj/e  ra7Vfcrf'0/)?«n//cs  (Francfort,  iso.5).  Tout 


à 


BREiNTANO  —  BllERA 


671 


rc  qu'ella  a  icrit  se  distingue  par  la  pureté  et  la  délicatesse 
du  style ,  par  une  gran.le  ricliesse  d'imagination,  mais  aussi 
{)ar  les  défauts  qui  caractérisent  l'école  romantique. 

BRE!\TAiXO  (  Lorenz  ) ,  connu  par  la  part  qu'il  a 
prise  à  la  révolution  dont  le  grand  duclié  de  Bade  fut  le 
théâtre  en  184S  et  1849,  est  né  en  lS10,àManlieim.  Bren- 
tano  Ht  ses  études  en  droit  à  Heidelberg,  et  depuis  1837  il 
fut  attaché  successivement  au  barreau  de  Rastadt ,  de  Bruch- 
sal  et  de  Manheim.  Mêlé  de  bonne  heure  aux  luttes  des 
jiartis  politiques,  il  fut  enûn,  grâce  à  l'appui  d'Itzstein,  élu 
député  par  sa  ville  natale,  en  1846,  après  avoir  vu  sa  can- 
didature échouer  auparavant  à  mamtes  reprises  ;  toutefois  il 
ne  commença  à  jouer  un  rôle  important  qu'à  l'époque  des 
troubles  de  1848.  Sans  posséder  des  talents  éminents , 
Brentano  a  tout  au  moins  l'habileté  à  l'aide  de  laquelle 
on  parvient  à  dominer  les  masses  en  temps  de  révolution. 
Comme  membre  de  l'Assemblée  nationale  allemande,  il 
ne  se  fît  remarquer  qu'une  seule  fois ,  dans  une  séance  du 
mois  d'août  1848,  où  ses  paroles  imprudentes  soulevèrent  le 
plus  furieux  tumuLle.  La  révolte  de  H  e  c  k  e  r  ayant  échoué, 
Brentano  devint  le  chef  du  parti  révolutionnaire  à  Bade  ;  il 
se  montra  l'orateur  le  plus  fougueux  de  la  chambre,  orga- 
nisa les  clubs,  et  répandit  partout  ime  agitation  qui  donna 
fort  à  faire  au  gouvernement  badois  en  1 848  et  au  commen- 
cement de  1849.  11  resta  cependant  étranger  aux  émeutes 
de  1848;  mais  il  se  fit  le  défenseur  des  émeutiers  devant  les 
tribunaux ,  à  la  chambre  et  dans  la  presse. 

Lorsque,  au  mois  de  février  et  de  mars  1849  ,  la  majorité 
du  parti  radical  quitta  la  chambre ,  il  en  sortit  aussi ,  et  il  se 
constitua  le  défenseur  de  Struve  devant  les  assises  de  Fri- 
bourg.  Sur  ces  entrefaites,  l'agitation  qu'il  avait  semée  porta 
ses  fruits.  L'assemblée  d'Offenbourg  amena  une  catastrophe 
plus  terrible  que  Brentano  ne  l'eût  désiré.  Un  ministère 
Brentano  était  dans  les  vomix  d'un  grand  nombre  de  radi- 
caux; une  régence  ou  une  dictature  Brentano  les  consterna. 
Ce  fut,  au  reste,  avec  un  médiocre  sentiment  de  satisfaction 
que  Brentano  prit,  le  14  mai,  le  gouvernement  du  pays  de 
Bade,  car  dès  cet  instant  il  fut  en  butte  aux  attaques  les  plus 
furibondes.  11  se  déclara  contre  ceux  qui  appelaient  le  règne 
sanglant  de  la  terreur,  condamna  les  actes  de  brigandage 
commis  par  des  aventuriers  étrangers ,  et  entra  ainsi  en 
lutte  ouverte  avec  Stmve  et  son  parti ,  lutte  qui  dégénéra 
presque  en  un  conflit  sanglant,  le  5  et  le  6  juin. 

La  révolution  ayant  succombé ,  il  fut ,  en  conséquence 
de  l'attitude  qu'il  avait  eue  au  pouvoir,  accusé  par  les  exal- 
tés de  l'avoir  trahie.  Il  est  certain  qu'il  gouverna  plutôt 
avec  des  éléments  du  parti  contraire  qu'avec  ses  anciens 
amis  politiques.  Il  conserva,  il  est  vrai,  jusqu'à  la  lin  du 
régime  révolutionnaire  la  direction  suprême  dans  la  con)- 
mission  executive,  dans  le  gouvernement  provisoire,  dans 
la  dictature;  mais  à  mesure  que  les  défaites  se  succédèrent, 
le  mécontentement  s'accrut,  et,  après  la  déroute  de  Friboiirg, 
Struve  lança  le  28  juin,  au  milieu  de  l'assemblée  consti- 
tuante une  proposition  que  Crentano  considéra  comme  un 
vote  de  méfiance.  Au  milieu  de  la  nuit,  il  s'enfuit  à  Schaff- 
house,  et  l'assemblée  l'ayant  proclamé  traître,  il  fit  pa- 
raître un  manifeste  qui  contenait  la  critique  la  plus  amère  de 
.son  propre  paili.  En  se  défendant  d'avoir  pillé  le  trésor 
public,  en  se  vantant  d'avoir  empêché  le  sang  de  couler,  il 
accusait  la  plupart  de  ses  anciens  amis  d'incapacité,  et  leur 
reprochait  de  n'être  conduits  que  par  des  motifs  d'intérêt 
personnel.  Ce  manifeste  écrasa  son  parti  ;  mais  il  lui  ferma 
en  même  temps  la  carrière  politique,  en  lui  attirant  la  haine 
des  révolutionnaires ,  sans  lui  gagner  la  sympathie  de  leurs 
adversaires.  De  la  Suisse  Brentano  s'enfuit  en  France,  d'où 
il  passa  en  Amérique.  11  y  publiait  une  feuille  allemande  et 
s'occupait  d'affaires  contentieuses,  lorsqu'il  mourut  en  1853. 

liUÉQUIGiM  (Louis-Georges-Oudard  FEUDRIX  de), 
néàGranville,  en  1716,  mort  à  Paris,  en  1793,  chez  son  amie 
M'"*  du  Boccage,  fut  reçu  en  1759  à  l'Académie  des  Ins- 


criptions et  Belles-Lettres,  et  enrichit  les  Mémoires  de  cette 
savante  société  d'un  grand  nombre  de  dissertations  curieuses 
et  importantes.  Toute  sa  vie  fut  consacrée  à  l'étude  de  l'his- 
toire et  de  l'antiquité.  Après  la  paix  de  1763,  Bréquigni  fut 
envoyé  par  le  gonvernemeut  en  Angleterre,  pour  y  faire  le 
dépouillement  des  titres  relatifs  à  la  France,  dont  le  catalogue 
avait  été  donné  par  Thomas  Carthe,  et  que  l'on  conservait 
à  la  Tour  de  Londres.  Bréquigni  partit  en  1764.  11  devait  re- 
chercher et  examiner  les  pièces  originales  qui  ne  se  trouvent 
point  dans  les  recueils  de  Cambden,  de  Rymer,  ifuane  et  de 
Morthon,  et  transcrire  celles  qji  avaient  rapport  à  la  France. 
A  son  arrivée  à  Londres ,  il  fut  conduit  dans  un  vaste  gre- 
nier, où  il  trouva  une  immense  quantité  de  papiers  entassés 
sans  ordre  ;  on  le  mena  ensuite  dans  un  cabinet  obscur,  où  il 
en  trouva  une  égale  quantité,  couverts  d'une  couche  épaisse 
de  poussière  infecte  et  humide.  Il  travailla  trois  mois  à  les 
classer ,  puis  il  examina  les  titres  renfermés  dans  les  coffres 
de  Tt  chi(iuier,  et  y  recueillit  beaucoup  de  pièces  authentiques 
relatives  à  nos  anciens  rapports  avec  l'Angleterre.  Il  revint 
en  France  au  bout  de  trois  ans. 

Nous  ne  parlerons  i)as  de  son  Histoire  de  l'établissement 
de  l'empire  et  de  la  religion  de  Mahomet,  de  son  Essai 
sur  l'Uisloire  de  V  Yémen ,  de  sa  Table  chronologique  de 
rois  et  chefs  arabes ,  de  son  Histoire  des  Révolutions  de 
Gènes,  de  ses  Vies  des  anciens  Orateurs  grecs,  ni  du  premier 
volume  d'une  édition  de  Strabon-  mais  nous  devons  insister 
sur  ses  travaux  relatifs  à  l'histoire  de  France.  Depuis  1754 
il  continua,  d'abord  avec  de  Villevaut ,  puis  seul,  la  Collec- 
tion des  Lois  et  ordonnances  des  rois  de  la  troisième  race, 
immense  recueil,  dont  il  publia  successivement  cinq  volumes 
à  pailir  du  neuvième,  où  Secousse  s'était  arrêté.  Bréquigni 
y  joignit  des  préfaces  qui  donnent  une  histoire  exacte  de 
notre  législation.  Secousse,  Foncemagne  et  Sainte-Palaye 
avaient  projeté  un  recueil  de  tous  les  titres ,  chartes  et  di- 
plômes qui  n'avaient  point  été  imprimés  :ils  mourarent  avant 
d'avoir  accompli  cette  cruvre.  Bréquigni  fut  chargé  d'exécuter 
ce  plan,  et  s'associa  M.  lAIouchet.  Ils  publièrent  trois  volumes 
de  la  Table  chronologique  (  1769-1783).  Une  partie  du  qua- 
trième volume  a  été  im|)rimée,  mais  n'a  pas  été  mise  en  vente. 

En  1791  Bréquigni  publia  avec  Laporte  du  Theil,en  3  vol. 
h)-{o\.,Diplomata,  charte,  epistoLx,  et  alia  monumenta 
ad  res  francicns  spectantia.  11  avait  encore  été  chargé 
par  le  ministre  d'État  Berlin  d'achever  la  collection  commen- 
cée par  Batteux,  sous  le  titie  de  Mémoires  sur  les  Chinois, 
des  pères  Amiot,  Bourgeois,  etc.  A  la  mort  de  Sainte-Pa- 
laye, en  1781,  ce  savant  académicien,  encore  de  concert 
avec  IM.  INIouchet,  s'occupa  de  la  continuation  du  Glossaire 
des  vieux  mots  français  ;  mais  leur  travail  est  resté  ma- 
nuscrit. Bréquigni  avait  été  reçu  à  l'Académie  Française 
en  1772.  A.  Savagner. 

BRERA  (  Valérien-Louis),  né  le  15  décembre  1772,  à 
Pavie ,  professeur  de  thérapeutique  et  de  clinique  médicale  à 
l'université  de  cette  ville,  a  laissé  une  longue  suite  d'ou- 
vrages et  de  mémoires  originaux  sur  les  différentes  parties 
de  l'art  de  guérir.  Il  s'est  en  outre  attaché  à  enrichir  la  lit- 
térature médicale  de  son  pays  d'une  foule  de  monographies 
et  de  traités  spéciaux ,  choisis  parmi  ce  que  les  littératures 
étrangères  offraient  de  plus  généralement  estimé.  INlais  ce 
qui  contribua  surtout  à  populariser  son  nom  parmi  les  mé- 
decins français ,  ce  sont  ses  beaux  et  importants  travaux 
sur  les  V  e  r  s  i  n  t  e  s  t  i  n  a  u  X.  Les  savantes  recherches  aux- 
quelles il  se  livra  à  ce  sujet,  les  précieuses  observations 
qu'elles  lui  donnèrent  lieu  de  recueillir,  sont  consignées  dans 
un  volume  m-4'',  publié  en  1803,  et  intitulé  :  Lezioni  me- 
dico-pratiche  sopra  i  principali  vermi  del  corpo  umano 
vivente,  e  le  cause  dette  matattie  verminuse.  Ce  précieux 
ouvrage  a  été  traduit  en  français,  en  anglais,  en  allemand 
et  en  russe.  Bartoli  et  Calvet  en  avaient  enrichi  dès  1804 
notre  littérature  médicale  par  une  traduction  qui  a  eu  le* 
honneurs  de  plusieurs  éditions. 


g. 2  BRERA    - 

A  l'âge  de  vingt  et  un  ans,  Brera,  qui  avait  été  reçu  doc- 
teur en  philosophie ,  en  médecine  et  en  chirurgie ,  était  drjà 
au  nombre  des  médecins  du  grand  hôpital  de  Milan.  11  alla 
ensuite  à  Vienne  (1794)  avec  le  titre  de  chirurgien  raihtaire  ; 
puis  ayant  quitté  le  service,  il  voyagea  en  Allemagne,  en 
Hollande ,  en  Belgique,  en  Ecosse  et  en  Suisse,  visitant  par- 
tout les  hôpitaux,  suivant  la  pratique  des  plus  habiles  mé- 
decins, et  se  liant  d'amitié  avec  les  hommes  les  plus  cé- 
lèbres De  retour  en  Italie  (1796),  nous  le  trouvons  méde- 
cin et  ch^urgien  des  hôpitaux  militaires  de  IMdan.  Nomme 
en  1798  professeur  de  clinique  à  Pavie,  des  dissidences 
scientifiques  avec  Rasori  le  forcèrent  de  renoncer  à  sa  chaire 
et  de  se  contenter  de  la  place  de  médecin  de  l'hôpital  de  la 
ville  En  1806  il  fut  appelé  à  occuper  la  chaire  de  patho- 
logie à  Cologne,  et  en  180S  il  obtint  celle  que  la  mort  de 
Boidioli  rendait  vacante  à  Padoue.  Après  les  événements  de 
1814  il  avait  été  nommé  premier  médecin  des  Ltats  véni- 
tiens, puis  conseiller  d'État  de  l'empereur  d'Autriche.  En 
1830  le  grand-duc  de  Toscane  l'appela  à  sa  cour  pour  y 
donner  des  soins  à  la  grande-duchesse.  En  1832,  Brera  reçut 
le  titre  de  professeur  honoraire  à  l'universilé  de  Padoue.  Re- 
tiré à  Venise,  il  fonda  un  journal  scientifique,  intitulé  An- 
tolorjia  mcdica,  qui  ne  i)arut  qu'un  an.  Sa  santé  était  déjà 
affaiblie  depuis  (pielqucs  années,  quand  il  mourut,  le  4  oc- 
tobre 1840. 

BRESCÏIET  (Gilbert),  naquit  à  Clermont-Ferrand,  le 
7  juillet  1784.  S'étant  livré  de  bonne  heure  et  avec  zèle  à 
l'étude  de  i'anatomie ,  c'est  à  ses  travaux  multipliés  plutôt 
qu'originaux  dans  cette  science  qu'il  a  dû  d'être  tour  à 
tour  chef  des  travaux  anatomiques  de  la  Faculté,  chirurgien 
en  second  de  l'Hôtcl-Dieu  de  Paris,  membre  de  l'Institut  et 
professeur  à  l'École  de  Médecine.  Cette  dernière  et  fructueuse 
place  ne  lui  fut  octroyée  qu'après  concours ,  et  Breschet  put 
éprouver  à  cette  occasion  combien  peu  sont  compatibles 
avec  la  maturité  de  l'âge  et  de  l'esprit  les  concours  univer- 
sitaires, qui  n'ont  été  institués  que  pour  la  jeunesse,  tou- 
jours sûre  d'y  briller.  Un  de  ses  compétiteurs,  M.  Broc, 
professeur  aimé  du  public  enthousiaste ,  éclipsa  tous  ses  ri- 
vaux par  son  élocution  chaleureuse,  par  la  sûreté  de  sa  mé- 
moire et  la  vivacité  de  ses  ripostes  et  de  ses  allures.  Il  en 
résulta  que  les  applaudissements  et  la  place  n'échurent  point 
a  la  même  personne ,  et  que  l'enthousiasme  des  opposants 
alla  jusqu'à  l'émeute,  dont  l'esprit  factieux  d'alors  saisis- 
sait avidement  fous  les  prétextes.  Breschet  n'en  fut  pas 
moins  professeur,  malgré  les  clameurs,  ni  professeur  moins 
utile  pour  manquer  d'éloquence.  Il  y  a  plus ,  l'embarras  de 
sa  diction  et  la  répulsion  de  quelques  élèves  le  rapprochè- 
rent de  plus  en  plus  de  Dupuytren,  qui  lui  montra  en  toute 
occasion  un  bon  vouloir  dont  le  grand  chirurgien  n'était  pas 
prodigue,  qui  l'agréa  comme  adjoint  et  quelquefois  même 
comme  conseiller. 

Excellent  anatomiste  et  travailleur  plein  de  zèle,  en  cor- 
respondance assidue  avec  l'Allemagne  universitaire  et  in- 
formé des  premiers  des  progrès  des  sciences  naturelles, 
Breschet  a  mis  au  jour,  pendant  vingt  ans,  beaucoup  de  bons 
travaux.  Ses  recherches  sur  les  veines  du  rachis ,  sur  l'or- 
gane de  l'ouïe  des  oiseaux  et  des  poissons  ,  sur  les  vaisseaux 
lymphatiques,  sur  les  anévrismes,  sur  l'ovologie  comparée 
des  mammifères  ,  et  plusieurs  autres  travaux,  méritent  et 
ont  obtenu  beaucoup  d'estime.  Personne  no  connaissait 
mieux  que  Breschet  les  productions  de  l'Allemagne,  et  il 
est  de  ceux  qui  ont  tiré  un  utile  parti  de  ce  commerce  in- 
tellectuel entre  les  deux  peuples.  Peut-être  même  l'a-t-on 
trouvé  quelquefois  trop  allemand,  soit  par  une  érudition  inop- 
portune ou  excessive ,  soit  pour  l'édilication  de  ses  propres 
ouvrages,  où  l'originalité  ne  tient  pas  toujours  assez,  de  place, 
soit  même  pour  l'ordonnance  de  son  plan  où  se  fait  pénible- 
ment remarquer  une  certaine  confusion  d'arguments. 

Breschet  a  concouru  à  de  nombreuses  publications  ;  lui- 
même  avait  fondé  un  recueil  estimé  qui  portait  le  litre  de 


BRESCIA 

Répertoire  d'Anatomie,  etc.  Celui  de  ses  ouvrages  qui  nous 
paraît  le  plus  viable  est ,  s'il  faut  le  dire,  son  Mémoire  sur 
les  veines  du  rachis.  Sa  présence  à  l'Académie  des  Sciences 
aura  été  peu  remarquée ,  et  laissera  des  traces  peu  durables. 
Sa  pensée  manquait  de  cette  énergie  lumineuse  et  concise 
sans  laquelle  ne  peuvent  être  suilisamment  formulés  ce.s 
principes  abstraits  que  toute  l'Europe  savante  adopte  et 
promulgue  comme  lois.  ^M 

L'existence  du  docteur  Breschet  fut  douloureusement abr^ijp 
gée  par  l'émotion  que  lui  causèrent,  dans  un  voyage  en  Italie, 
des  voleurs  qui  le  dévalisèrent  en  menaçant  ses  jours.  Son 
corps,  à  peu  de  temps  de  là,  prit  un  volume  monstrueux,  et 
sa  raison  même  en  fut  affectée.  Il  mourut  à  Paris,  le  10  mai 
1845.  Il  avait  à  l'Institut  succédé  à  Dupuytren,  et  eut  lui- 
même  pour  successeur  U.  Lallemand,  de  Montpellier.  Il  n'a 
laissé  qu'une  fille,  M""^  Amédée  Thierry.     Isid.  Bourdon. 

BRESCÏA,  chef-lieu  de  la  délégation  du  même  nom 
(superficie,  32  myriamctres  carrés;  population,  340,000 
âmes  )  dans  le  gouvernement  de  Milan,  du  royaume  Lom- 
bardo-Yénitien,  sur  les  rives  du  Mella  et  de  la  Gaiza,  qui 
traversent  la  ville,  est  située  d'une  manière  très-pittoresque, 
dans  une  va'-te  et  fertile  plaine,  au  pied  de  quelques  collines 
longeant  les  rives  de  ces  deux  rivières ,  et  est  généralement 
bàtre  avec  assez  de  régularité.  On  a  transformé  eu  prome- 
nades les  remparts  de  ses  anciennes  fortifications.  Cependant 
elle  est  toujours  dominée  par  un  château  fort,  construit  du 
côté  du  nord  sur  des  rochers  élevés  et  escarpés.  Cette  ville 
est  le  siège  des  autorités  supérieures  de  la  délégation  et  d'un 
évêque;  elle  possède  un  tribunal  de  commerce,  deux  jus- 
tices de  paix  et  un  tribunal  de  première  instance.  Elle  est 
ornée  d'un  grand  nombre  de  beaux  édifices  publics  et  de 
palais  appartenant  à  des  particuliers.  Nous  mentionnerons 
plus  particulièrement  la  vieille  cathédrale ,  monument  ma- 
gnifique et  orné  d'une  foule  de  statues  ;  la  nouvelle  cathé- 
drale, encore  inachevée,  dont  on  admire  la  superbe  coupole, 
et  qui  contient  <!e  précieuses  reliques;  le  palais  épiscopal, 
avec  une  importante  bibliothèque,  dont  la  ville  est  redevable 
au  cardinal  Quirini;  la  maison  des  jésuites,  située  sur  la 
place  du  marché  et  célèbre  par  ses  vastes  proportions  de 
même  que  par  son  architecture,  ses  fresques  et  ses  tableaux  ; 
enfin  les  palais  des  familles  Martenigo  (  construit  par  Palla- 
dio ) ,  Gambara ,  Uggeri ,  Salini ,  Fenaroli ,  Barbisoni ,  Sigola 
et  Serardi ,  remarquables  également  par  leurs  collections  de 
tableaux.  Outre  ses  deux  cathédrales,  Brescia  compte  en- 
core dix  autres  églises,  dont  les  plus  célèbres  sont  celles  de 
Santu-.Varia  di  Miracoli ,  San-Lazaro  oii  l'on  voit  des 
toiles  d'Alessandro  Buonvicino,  et  de  Santa-Afra,  plu- 
sieurs établissements  de  bienfaisance ,  un  théâtre  construit 
avec  beaucoup  de  goût,  un  Athénée,  plusieurs  gymnases, 
un  cabinet  d'histoire  naturelle,  un  cabinet  de  médailles  et 
un  jardin  botanique.  U  y  existe  aussi  plusieurs  académies, 
entre  autres  ÏAcademia  de  Filarmonici ,  l'une  des  plus 
anciennes  de  l'Italie ,  et  une  société  d'agriculture. 

La  population  de  Brescia,  qui  en  1847  s'était  élevée  au 
chiffre  de  36,000  âmes,  a  beaucoup  diminué  à  la  suite  des 
événements  qui  vinrent  l'année  suivante  bouleverser  la  pé- 
ninsule. Les  habitants  sont  aussi  actifs  qu'industrieux.  On 
y  trouve  des  manufactures  de  soieries ,  de  rubans ,  de  fil ,  de 
fufaine,  de  bas,  de  bonnets,  de  toiles,  de  couvertures  de 
laine,  de  chapeaux  ,  et  d'autres  objets  en  soie,  hn ,  laine 
et  coton,  des  fabriques  d'huile,  de  papier,  etc.  Mais  les 
produits  les  pins  en  renom  de  son  industrie  sont  la  quin- 
cailleiie,  et  surtout  les  armes  de  tous  genres  ;  aussi  cette  ville 
était-elle  déjà  surnommée  à  une  époque  très-reculée  l  ar- 
ma la  On  y  fait  en  outre  un  commerce  considérable  en  soie 
crè"e  et  ouvrée ,  en  vins  ( notamment  le  fameux  vino  santo), 
en  chanvre,  draps,  étoffes  de  soie  et  laine,  et  en  affaires  de 
commission  et  d'expédition.  Il  y  existe  de  remarquables 
monuments  de  l'époque  romaine,  qu'on  a  reunis,  a\ec  le 
produit  de  fouilles  faites  aux  environs,  dans  un  musée  spe- 


J 


BRESCIA 


6?3 


cial   élevé  sur  l'emplacement  mt-me  où  on  découvrit  le 
temple  d'Hercule  enfoui  au  centre  de  la  ville. 

[Brescia  s'appelait  autrefois  Brixia  ,  et  était  le  clief-iien 
de  la  peuplade  des  Gaulois  Cénomans,  passés  en  Italie  en- 
viron 600  ans  avant  l'ère  chrétienne,  et  qui  s'étaient  éta- 
blis entre  les  Alpes  et  le  Pô,  l'Oglio  etl'Adige.  On  attribue 
communément  aux  Cénomans  la  fondation  de  Brescia ,  qui 
serait  ainsi  postérieure  d'environ  deux  siècles  à  celle  de 
Rome,  attribuée  à  Romulus.  Le  nom  de  Brixia  est  effecti- 
vement gaulois,  et  on  peut,  sans  être  obligé  à  des  suppres- 
sions ou  permutations  de  lettres,  le  dériver  de  brighscach, 
qni  signifie,  en  erse  ougallique,  au-dessus  ou  dominant 
la  plaine.  Telle  est  en  etfet,  comme  on  l'a  vu  plus  haut, 
la  situation  de  Brescia  ;  mais  les  Gaulois  qui  s'y  établirent 
peu  après  Bellovèse  en  chassèrent  les  Étrusques ,  autre  na- 
tion gauloise  taurisque  ou  cisalpine.  Les  Étrusques,  qui  eux- 
mêmes  avaient  expulsé  des  plaines  du  Pô  les  Ombriens, 
aulre  peuple  d'origine  gauloise,  avaient  fondé  un  empire 
puissant,  et  qui  comptait  plusieurs  villes  considérables  sur 
les  deux  rives  du  Pô.  Il  est  donc  assez  probable  que  non- 
seulement  Brescia,  mais  Vérone,  Bergame,  Vicence,  etc., 
existaient  déjà  sous  la  domination  étrusque,  et  peut-être, 
avant  elle,  sous  les  Ombriens. 

Pendant  les  longues  guerres  entre  les  Romains  et  les  Gau- 
lois cisalpins ,  et  jilus  tard  sous  la  domination  romaine , 
Brescia  ne  fut  le  théâtre  d'aucun  événement  historique  qui 
mérite  d'être  rapporté.  Ravagée  par  les  barbares  qui  vinrent 
successivement  piller  l'Italie ,  elle  fit  ensuite  partie  du 
royaume  des  Lombards,  dont  elle  partagea  les  vicissitudes. 
Elle  s'était  rattachée  à  la  ligue  des  villes  lombardes  confé- 
dérées contre  l'empereur  Frédéric  Barberousse,  et  en- 
tra dans  toutes  les  guerres  fomentées  par  l'ambition  et  la 
rivalité  des  empereurs  et  des  papes.  Agitée  elle-même  par 
les  factions  qui  se  divisaient  l'Italie,  elle  arbora  tour  à  tour 
l'élendard  des  guelfes  et  des  gibelins.  L'empereur 
H  e  nri  V I  la  détruisit  presque  entièrement,  et  la  démantela 
vers  le  commencement  du  treizième  siècle.  Elle  passa  en- 
suite sous  la  domination  des  princes  de  la  Scale ,  seigneurs 
de  Vérone ,  auxquels  elle  fut  arrachée  par  le  duc  de  Milan  , 
Galeas  Visconti,  dans  la  guerre  allumée  en  1378  contre 
les  Vénitiens,  dont  Galéas  fut  l'allié.  En  1402,  Adolphe  Ma- 
latesta  s'en  était  emparé  pendant  la  minorité  du  fils  de  Ga- 
léas. Enfin  en  1421  Philippe-Marie  Visconti  l'avait  recouvrée. 

En  1426,  les  Vénitiens  s'étant  alliés  aux  Florentins  contre 
le  duc  de  Milan ,  leur  généralissime,  connu  sous  le  nom  de 
Carmacjnola,  songea  à  ouvrir  la  campagne  par  la  prise 
de  Brescia,  où  il  avait  pratiqué  des  intelligences,  et  s'ap- 
procha de  cette  >ilie  avec  son  armée.  En  effet,  le  17  mars, 
les  conjurés,  au  nombre  desquels  étaient  àe.%  Avogadores , 
lui  livrèrent  les  portes  de  la  ville  basse.  Mais  le  gouverneur 
de  la  ville  conserva  la  Aille  haute ,  les  quatre  forts  qui  l'en- 
touraient et  la  citadelle.  Carmagnola  se  fortifia  dans  la  partie 
de  la  ville  qui  lui  était  soumise ,  et  lorsque  le  général  mila- 
nais, Ange  de  la  Pergola ,  parut  devant  Brescia  avec  une  ar- 
mée au  moins  aussi  forte  que  celle  des  Vénitiens,  il  n'osa 
les  attaquer,  et  se  retira  quelques  jours  après  son  arrivée. 
Une  seconde  tentative  pour  jeter  du  secours  dans  Brescia 
fut  également  inutile;  les  quatre  forts  et  la  citadelle  se  ren- 
dirent enfin  du  13  octobre  au  20  novembre,  et  la  paix  con- 
clue peu  après  assura  la  possession  de  Brescia  aux  Vénitiens. 

La  guerre  s'étant  rallumée  pour  la  quatrième  fois ,  en  1437, 
entre  la  république  de  Venise  et  le  duc  de  Milan,  la  ville  de 
Brescia  souffrit  un  nouveau  siège,  qui  fut  l'occasion  de 
quelques  faits  d'armes  qui  mériteraient  d'occuper  une  place 
qu'on  ne  leur  a  pas  encore  accordée  dans  les  ouvrages 
destinés  à  développer  les  prmci])es  de  la  stratégie,  car  ils 
prouvent  que  la  guerre  de  position  était  déjà  connue  en 
Italie  dès  le  quinzième  siècle ,  et  que  ce  pays  possédait 
des  généraux  capables  de  la  bien  faire ,  ressemblant  assez 
peu  au  portrait  ridicule  que  les  écrivains  étrangers  se  sont 

UICT.    DE    L4    CONVEUS.   —  T.    UI. 


plu  à  faire  ces  condollieri  italiens.  On  retrouve  en  effet 
dans  leurs  opérations  quelque  chose  du  génie  qui  a  dirig<*  les 
immortelles  campagnes  de  1796  en  Italie;  et  le  théâtre  est 
à  peu  près  le  même. 

Après  la  bataille  d'Agn ad el  (14  mai  1509) ,  les  habi- 
tants de  Brescia  s'emparèrent  des  portes  de  leur  ville  ,  et  la 
livrèrent  aux  Français.  Le  4  février  1512,  pendant  que 
Gaston  de  Foix,  qui  commandait  l'armée  française  en  Italie, 
faisait  lever  le  siège  de  Bologne,  le  général  vénitien  André 
Gritti  se  porta  à  l'improviste  sur  Brescia ,  et ,  ayant  fait 
brusquer  un  assaut  sur  trois  points  différents,  enleva  lu 
place.  Dès  le  lendemain  il  commença  le  siège  de  la  cida- 
delle  et  la  battit  si  vivement  qu'il  y  eut  bientôt  une  brèche 
ouverte.  Mais  Gaston  avait  deviné  les  projets  du  Vénitien 
sur  Brescia,  et  s'était  préparé  les  moyens  d'arriver  promp- 
tement  au  secours  de  la  garnison ,  en  faisant  jeter  un  pont 
sur  le  Pô.  Dès  le  5  février,  assuré  que  les  confédérés,  qu'il 
avait  repoussés  de  Bologne,  se  retiraient  en  Romagne,  il  se 
mit  en  marche,  et  le  14  février,  il  aniva  devant  Brescia. 
Ayant  laissé  une  partie  de  son  armée  en  dehors  de  la  ville, 
devant  la  porte  Saint-Jean ,  qui  seule  n'était  pas  murée ,  il 
entra  avec  le  reste  dans  la  citadelle.  Il  en  ressortit  presque 
aussitôt,  rangea  ses  troupes  en  bataille  sur  l'esplanade  du 
château,  et  attaqua  l'armée  vénitienne,  qui  s'était  également 
déployée  devant  lui.  L'attaque  fut  vive  et  la  défense  assez 
molle  ;  les  Vénitiens  se  mirent  bientôt  en  retraite  de  rue  en 
rue,  protégés  par  les  habitants,  qui  faisaient  feu  des  maisons. 
Pendant  ce  temps,  la  partie  de  l'armée  française  qui  était  hors 
de  la  ville,  ayant  enfoncé  la  porte  Saint-Jean ,  y  entra  et  at- 
taqua les  Vénitiens  è  dos.  Leur  défaite  fut  entière  et  le  car 
nage  affreux.  13,000  soldats  ou  habitants  périrent  les  armes 
à  la  main  ;  le  provéditeur  Gritti,  le  podestat  Giustiniani  et  les 
principaux  chefs  furent  faits  prisonniers  ;  la  ville  fut  livrée 
à  toutes  les  horreurs  de  la  guerre  et  pillée  pendant  sept 
jours  avec  toute  l'avidité  et  la  férocité  qui  caractérisaient 
encore  les  guerriers  de  ce  siècle.  Le  seul  Bayard,  griè- 
vement blessé,  sauva  non-seulement  les  habitants  de  la 
maison  où  on  l'avait  transporté ,  mais  refusa  même  le  ca- 
deau qu'on  voulut  lui  faire  à  titre  de  rançon  ou  de  rachat  du 
pillage.  Cette  action  fut  beaucoup  louée  et  méritait  de  l'être 
eu  égard  au  siècle  où  elle  s'est  passée. 

Dans  cette  journée,  un  enfant  de  dix  à  douze  ans,  fils 
d'une  pauvre  femme  du  peuple ,  reçut  cinq  blessures,  dont 
une  lui  fendit  les  deux  lèvres.  11  devint  bègue,  et  on  l'ap- 
pela du  nom  de  Tartaglia,  qui  exprimait  ce  défaut.  Cet 
enfant  fut  le  célèbre  restaurateur  des  mathématiques,  qu'on 
ne  connaît  pas  sous  un  autre  nom. 

Après  la  mort  de  Gaston  de  Foix ,  malheureusement  tué 
à  la  bataille  de  Ravenne ,  l'armé*  française  fut  obligée  d'é- 
vacuer l'Italie  par  la  mauvaise  conduite  de  ses  généraux. 
Brescia  fut  assiégée  ,  au  commencement  de  1513,  par  les 
Vénitiens  et  les  Espagnols.  Le  gouverneur  français  capitula 
avec  ces  derniers ,  qui  gardèrent  la  place  pour  leur  compte. 
Lorsque  les  Vénitiens  furent  abattus  par  les  efforts  réunis 
des  princes  signataires  de  la  ligue  de  Cambrai,  coali- 
tion dans  laquelle  notre  Louis  XII  s'était  laissé  entraîner  par 
les  intrigues  du  cardinal  d'Amboise,  les  alliés  de  Louis 
le  quittèrent  et  se  réunirent  aux  Vénitiens  contre  lui.  Puis , 
quand  l'armée  française,  victorieuse  à  Ravenne,  eut  été 
obligée,  par  l'ineptie  de  ses  généraux ,  la  lâcheté  d'une  no- 
blesse incapable  de  soutenir  de  longues  fatigues,  et  la  tra- 
hison des  Suisses,  de  quitter  l'Italie,  les  coalisés  reprirent  le 
projet  de  dépouiller  à  leur  tour  les  Vénitiens.  Le  plus  ardent 
dans  cette  nouvelle  perfidie,  Jules  II,  plus  fait  pour  être 
flibustier  que  pape,  poussa  les  choses  au  point  que  les  Vé- 
nitiens se  trouvèrent  obligés  de  se  jeter  dans  les  bras  de  la 
France  :  cette  puissanr*  ouvrit  les  yeux  à  ses  vrais  in- 
térêts, et  le  traité  de  Blois,  signé  le  14  mars  1513,  sanc- 
tionna l'alliance  entre  la  France  et  Venise. 

Peu  après  leur  alliante  avec  la  France  ,  le  roi  d'EspajjMe 

.85 


G74 


BRESCIA  —  BRËSIL 


ryant  retiré  ses  îroiipes  dans  le  royaume  de  Naples,  les  Vé- 
nitiens rentrèrent  à  Crescia.  La  môme  annde,  après  le  dé- 
sastre de  notre  armée  à  Novare ,  ils  la  perdirent  de  nou- 
veau. En  1315,  après  la  bataille  de  Marignan  (13  sep- 
tembre), les  Vénitiens,  appuyés  par  une  division  française  , 
assiégèrent  Crescia;  mais  ils  furent  bientôt  obligés  de  lever 
ce  siège.  Enfin,  en  151G,  Tliéo<lorc  Trivulzi ,  général  des 
Vénitiens,  soutenu  par  une  division  française  sous  les 
ordres  de  Lautrcc,  reprit  le  siège  de  Brescia.  La  place, 
battue  par  fiuarante-liuit  pièces  de  grosse  artillerie,  capitula 
en  peu  de  jours  (24  mai  ) ,  et  rentra  sous  la  domination  vé- 
niliejiue. 

Elle  y  resta  jusqu'à  la  dissolution  de  la  république  de  Ve- 
nise. Clief-licu  du  département  du  IMellasous  les  républiques 
cisalpineet  italienne  et  le  royaume  d'Italie,  elle  tomba  en  1814 
sous  la  domination  autrichienne.    G"'  G.  de  Vaudo.ncourt.  ] 

Les  Drescians  prirent  la  part  la  plus  vive  au  soulève- 
ment de  IS-'iS.  Dès  le  mois  de  mars ,  à  la  première  nouvelle 
des  événements  dont  Milan  venait  d'être  le  théâtre ,  ils  cou- 
rurent aux  armes,  et  contraignirent  la  garnison  autrichienne 
à  capituler.  Mais  complètement  antipathiques  aux  républi- 
cains de  Milan,  ils  appelaient  de  tous  leurs  vœux  une  réu- 
nion avec  le  Piémont.  Après  la  bataille  de  Custozza  et  la 
capitulation  de  Milan,  Brescia  partagea  le  sort  des  autres 
villes  lombardes.  Quand,  dans  les  premiers  joursde  mars  1849, 
la  guerre  éclata  de  nouveau  avec  la  Sardaigne ,  elle  fut  la 
seule  des  grandes  villes  de  la  Lombardie  qui  osa  se  soulever 
contre  la  domination  autrichienne.  Rlalgré  la  défaite  essuyée 
par  l'armée  sarde  sous  les  murs  de  Novare,  les  Brescians 
refusèrent  de  capituler.  Le  général  Ilaynau  vint  attaquer 
leur  ville  le  30  mars  à  la  tête  d'un  corps  de  3,800  hommes , 
et  la  citadelle,  qui  était  toujours  demeurée  au  pouvoir  des 
Autrichiens,  commença  en  même  temps  un  bombardement 
terrible  sur  Brescia.  Les  habitants  se  défendirent  héroï- 
quement jusqu'au  2  avril  à  midi ,  au  milieu  des  ruines  fu- 
mantes de  leur  cité  à  moitié  détruite.  De  toutes  les  condi- 
tions moyennant  lesquelles  Haynau  consentit  à  accorder  aux 
Brescians  la  vie  sauve  et  à  garantir  leurs  propriétés  de  tout 
pillage,  la  plus  dure  ne  fut  pas  une  contribution  de  plus  de 
six  millions  de  francs.  Il  s'écoulera  bien  du  temps  avant  que 
Brescia  puisse  se  relever  de  ce  désastre;  et,  comme  pour  ag- 
graver ses  malheurs,  une  trombe  vint  encore  dans  l'automne 
de  1850  exercer  les  plus  effrayants  ravages  sur  la  ville  et  sur 
ses  environs. 

BRESCOU,  îlot  situé  vis-à-vis  d'Agde,  dont  il  n'est 
éloigné  que  de  4  kilomètres ,  près  de  l'embouchure  de  l'Hé- 
rault. Un  château  fort,  assez  considérable,  domine  ce  rocher  ; 
Festus  Avienus  en  fait  mention  dans  son  poëme  intitulé 
Ora  marUima.  En  1632,  le  roi  Louis  XIII  en  avait  décidé  et 
ordonné  la  démolition;  mais,  grdce  à  la  sage  intervention 
de  Richelieu,  on  revint  sur  une  décision  prise  à  la  légère, 
et  une  forteresse  complétant  l'ensemble  du  système  de  dé- 
fense de  cette  partie  si  importante  de  nos  côtes,  fut  conservée. 
Le  grand  ministre  avait  même  entrepris  la  jonction  de  l'îlot 
de  Brescou  à  la  terre  par  une  chaussée,  dont  les  préoccu- 
pations de  l'époque  ne  permirent  pas  d'achever  la  construc- 
tion ,  mais  dont  les  débris  sont  encore  visibles  aujourd'hui. 

BRESIL.  Cet  empire,  composé  des  anciennes  colonies 
portugaises  transatlantiques,  est  le  plus  vaste  du  globe 
après  la  Russie,  la  Chine  et  l'empire  Britannique.  C'est  la 
contrée  la  plus  favorisée  de  la  nalui'e  parmi  toutes  celles 
du  Nonveau-Moude,  Elle  coinj)rend  les  deux  cinquièmes  de 
l'Amérique  du  Sud ,  avec  quelques  petites  îles  de  l'Océan 
Atlantique,  et  s'étend  depuis  l'embouchure  de  l'Oyapoco,  par 
4"  17'  de  latitude  nord,  jusqu'au  lacMirim,  sous  le  33"  degré 
de  latitude  sud,  et  depuis  l'Océan,  sous  le  37* jusqu'au  74*=  de 
longitude  occidentale ,  non  compris  les  Iles.  Elle  est  bornée 
au  nord  par  les  Guyanes  française,  hollandaise,  anglaise ,  et 
par  la  république  de  Venezuela  ;  à  l'ouest  par  celles  de  la 
Nûuvelle-G.-enade,  de  l'Equateur,  du  Pérou,  de  Bolivie, 


(lu  Paraguay  et  de  la  Plata  ;  au  sud  par  la  Banda  Oriental 
ou  rciHibliquc  de  l'Uruguay  ;  à  l'est  par  l'océan  Atlantique,  qui 
baigne  ses  côtes  sur  un  développement  de  plus  de  6,500  ki- 
lomètres. Les  limites  politiques  du  Brésil  ont  été  déter- 
minées par  des  traités  conclus  en  1777,  1778  et  ISOl  avec 
l'Espagne;  mais  comme  elles  n'ont  été  fixées  par  l'arpen- 
tage que  sur  un  très-petit  nombre  de  points,  la  plus  grande 
incertitude  règne  sur  son  étendue  réelle,  qu'on  n'évalue  pas 
toutefois  généralement  à  moins  de  7,516,840  kilomètres 
carrés  :  longueur  du  nord  au  sud  4,000  kilomètres;  lar- 
geur 3,500. 

L'aspect  du  Brésil,  vu  de  la  pleine  mer,  est  âpre  et 
inégal;  mais  à  mesure  qu'on  approche  des  côtes,  les  sites 
les  plus  pittoresques  se  dessinent  à  l'envi  comme  pour  sur- 
prendre et  éblouir  les  yeux.  Ces  côtes,  par  la  direction 
qu'elles  affectent,  se  divisent  en  orientale,  qui  est  la  plus 
longue,  et  c>»jrt  du  sud-ouest  au  nord-est,  depuis  l'extré- 
mité méridionale  du  territoire  jusqu'au  cap  S5o-Roque,  et  en 
septentrionale,  commençant  au  cap  Sâo-Roque  pour  se  di- 
riger vers  le  nord-ouest.  Ces  côtes,  sans  sinuosités  con- 
sidérables, n'offrent,  à  l'exception  de  l'estuaire  de  l'Ama- 
zone ,  que  des  golfes  peu  profonds.  Des  baies  très-nom- 
breuses forment,  principalement  sur  la  côte  orientale,  qui 
est  la  plus  élevée,  les  plus  beaux  ports  du  globe  :  Bahia, 
Rio-de-Janeiro,  Porto-de-Seguro,  Espiritu-Santo,  Pernambu- 
co,  Angra-dos-Reys,  Santos  etMaranhâo.  En  pénétrant  dans 
le  pays,  le  sol  s'élève  graduellement  à  une  hauteur  de  1,600 
à  2,000  mètres.  Çà  et  là  s'offrent  des  vallées  remarqnables 
par  la  pente  abrupte  de  leurs  berges;  celle  du  Sâo-Francisco 
est  la  plus  belle.  Au  loin  s'étend  l'immense  plaine  de  l'A- 
mazone, qui  a  plus  de  800,000  kilomètres  carrés  de  super- 
ficie ;  elle  comprend  toute  la  partie  centrale  de  l'Amérique 
du  Sud,  la  moitié  du  Brésil,  une  portion  des  républiques 
de  Venezuela,  du  Pérou  et  de  la  Bolivie.  La  plaine  du  Rio 
de  la  Plata,  qui  a  près  de  600,000  kilomètres  carrés  de  sur- 
face, embrasse  une  paitie  du  Brésil,  du  Paraguay,  de  l'État 
de  Buenos-Ayres ,  de  la  Banda  Oriental  et  de  la  Patagonie. 
Ce  sont  ces  fameuses  pampas,  dénuées  d'arbres  et  cou- 
vertes d'innombrables  graminées,  qui  rappellent  les  savanes 
du  Mississipi,  tandis  que  la  plaine  de  l'Amazone,  placée 
dans  un  climat  plus  chaud  et  plus  humide,  présente  dans 
ses  immenses  forêts  ime  force  de  végétation  à  laquelle 
lien  ne  peut  être  comparé  dans  les  autres  continents.  Elle 
est  traversée  dans  le  nord  par  le  vaste  désert  de  Pernam- 
buco,  digne  d'entrer  en  comparaison  avec  ceux  de  l'Afrique 
et  de  l'Asie  pour  l'étendue,  l'aridité  du  sol,  l'abondance  et 
la  mobilité  du  sable;  il  est  borné  par  Pernambuco,  le  Sâo- 
Francisco,  Crato,  Ceara  et  Natal.  On  y  trouve  quelques 
oasis  d'une  belle  végétation ,  mais  elles  sont  rares. 

D'après  la  nature  de  son  territoire,  le  Brésil  se  divise  en 
trois  régions  distinctes;  la  côte  ,  bande  de  terre  de  peu  d'é- 
tendue ,  le  plateau  intérieur,  coupé  de  nombreuses  chaînes 
de  montagnes,  et  la  vaste  plaine  d'alluvion,  peu  accidentée, 
qu'arrosent  l'Amazone  et  ses  affluents.  Le  plateau  intérieur  se 
subdivise  en  trois  fragments  remarquables  par  leur  élévation 
et  leur  étendue  :  ce  sont  le  plateau  de  la  Guyane,  le  plateau 
brésilien  et  le  plateau  central.  Le  premier  embrasse  lile  im- 
mense formée  par  l'Orénoque,  lé  Rio-Negro,  l'Amazone  et 
l'Atlantique  ;  sa  surface  est  partagée  entre  le  Brésil ,  la 
Guyane  et  la  république  de  Venezuela.  Sa  hauteur  est 
de  400  à  800  mètres.  Le  second  comprend  la  partie  basse  des 
bassins  du  Sâo-Francisco  et  du  Parana,  dans  Minas-Geraes 
et  Sâo-Pâolo,  et  les  plus  hautes  terres  de  Rio-de-Janeiro, 
Espiritu-Sanfo,  Bahia,  Pernambuco  et  Piauliy;  élévation 
moyenne  :  300  à  500  mètres.  Le  troisième  enlin  se  déroule 
à  travers  Matlo-Grosso ,  Goyaz  et  Sâo-Pâolo,  ontre  une 
partie  du  Rio  de  la  Plata  et  de  la  Bolivie.  Sa  hauteur  a  été 
fort  exagérée  par  les  géographes  ;  elle  ne  dépasse  pas  400 
mètres. 

Le  caractère  particulier  de  l'orographie  du  Brésil  y  dé- 


BRÉSIL 


teniiine  de  grandes  variétés  dans  le  système  organique, 
aussi  bien  dans  le  règne  animal  que  dans  le  règne  végétai. 
L'aspect  des  forêts  vierges ,  si  bien  décrites  par  Spix  et 
Martiiis,  a  de  tout  temps  excité  l'admiration  des  voyageurs. 
La  plus  grande  partie  de  l'intérieur  du  pays,  depuis  l'em- 
bouchure de  l'Amazone  jusqu'aux  premiers  contre-forts  des 
Andes,  surfout  dans  les  latitudes  septentrionales,  forme  une 
vaste  et  impénétrable  forêt,  dont  les  arbres  sont  enlacés  jus- 
qu'à leur  sommet  par  de  fortes  lianes,  des  arbustes  et  des 
plantes  parasites.  Rien  de  plus  majestueux  que  ces  masses 
de  végétation  colossale  qui  semblent  s'élancer  du  chaos  et 
nous  la  voûte  desquelles  l'iiomme  errant  et  craintif  n'ap- 
paraît que  comme  un  insecte ,  comme  un  atome.  Aussi  n'y 
séjoume-t-il  presque  pas.  On  y  trouve  fort  peu  d'habi- 
talions  ,  de  même  que  sur  les  bords  du  Sâo-Francisco ;  et  la 
côte  elle-même  est  couverte  de  forêts  vierges  à  une  grande 
distance  dans  le  sud. 

En  prenant  pour  point  de  départ  au  sud  la  pointe  d'un 
grand  triangle  dont  la  base  septentrionale  serait  formée  par  la 
chaîne  de  montagnes  qui  court  du  cap  Oriental  de  Sâo-Roque 
à  l'extrémité  occidentale  de  Cordùlera  gcrnl ,  sur  la  Ma- 
deira,  afilucnt  de  l'Amazone,  on  rencontre  d'abord,  le  long 
de  la  côte,  la  serra  do  3 far,  d'une  hauteur  moyenne 
de  1,000  à  l,tOO  mètres  au  plus,  de  laquelle  se  détachent 
quelques  rameaux  isolés  et  qui  sépare  du  plateau  intérieur  le 
littoral,  étroite  bande  de  terre,  d'ordinaire  extrêmement 
fertile,  couverte,  dans  ses  parties  incultes,  de  forêts  vierges, 
comme  nous  l'avons  dit,  et  descendant  par  une  pente  rapide 
vers  l'Océan.  Cette  chaîne,  depuis  le  cap  Frio,  au-dessous 
de  Rio-de-Janeiro ,  court  au  sud-ouest  dans  une  direction 
pr^que  parallèle  à  la  côte ,  jusqu'au  26"  .30'  de  latitude  sud. 
Là  elle  se  divise  en  deux  branches  qui  embrassent  le  bassin 
de  l'Uruguay.  Derrière,  et  presque  parallèlement,  se  dessine 
au  sud-ouest  la  Serra  de  Mantiqncira,  dont  elle  est  séparée 
par  le  bassin  du  Sâo-Joâo-da-Parahyba.  Cette  dernière,  (ju'on 
pourrait  considérer  comme  la  chaîne  centrale  du  Brésil,  et 
dont  les  masses  principales  sillonnent  les  provinces  deMi- 
nas-Geraès  et  de  Goyaz,  présente  les  sommets  les  plus  éle- 
vés de  tout  le  système  brésilien  :  le  Cuquira,  de  3,440  mètres, 
et  le  pic  dos  Orgaos,  de  2,370.  A  partir  de  Villa-Rica,  cette 
chaîne  continue  à  courir  presque  directement  au  nord,  pa- 
rallèlement à  la  côte.  .Jusqu'aux  sources  du  Rio  das  Contas 
et  à  la  ville  de  Caytete  dans  la  province  de  Minas-Geraès , 
c'est-à-dire  depuis  le  20"  30'  jusqu'au  14°  de  latitude  sud, 
elle  porte  le  nom  de  serra  do  Espinhaço.  C'est  une  suite 
de  montagnes  escarpées  et  déchirées.  Dans  sa  partie  mé- 
ridionale, elle  prend  le  nom  de  serra  da  Lapa.  Deux  ra- 
meaux s'en  détachent,  la  serra  de  Sân-Gerahlo,  dont  le  point 
culminant,  l'Itacolumi,  atteint  une  hauteur  de  1,680  mè- 
tres ;  et  vers  le  nord ,  dans  la  direction  du  nord-est  au 
nord  du  Rio-Doce,  entre  ce  fleuve  et  le  Belmonte,  la  serra 
das  Esmeraldas ,  fière  de  son  Itambe,  qui  a  1820  mètres 
de  hauteur. 

Parmi  les  sommets  les  plus  élevés  de  la  serra  do  Es- 
pinhaço, on  doit  citer  encore  la  Piedade  (1770  mètres)  et 
an  sud-ouest  le  pic  de  Itabira  (1590  mètres).  La  partie 
septentrionale  de  cette  chaîne  porte  le  nom  spécial  de  serra 
Branca.  Du  14°  au  10°  30'  de  latitude  sud ,  la  cordillère  prin- 
cipale continue  à  se  diriger  vers  le  nord,  sous  le  nom  de  serra 
Tïuba,  n'inclinant  un  peu  à  l'est  qu'à  son  extrémité ,  lors- 
qu'elle approche  du  SSo-Francisco.  Parallèlement  à  cette 
chaîne,  et  formant  avec  elle  le  bassin  de  ce  dernier  cours 
d'eau ,  s'élance,  vers  l'ouest,  la  serra  da  Tabatïnga,  depuis 
le  20°  jusqu'au  11°  20'  de  latitude  sud,  où  elle  se  bifurque. 
La  branche  orientale,  dite  sota  de  Piauhy,  puis  .se?Ta 
Ibiapaba,  forme  un  large  croissant,  qui  se  déroule  presque 
jusqu'à  la  mer  au  3°  de  latitude  sud.  La  branche  occiden- 
tale, suivant  une  ligne  plus  droite  vers  le  nord-nord-ouest, 
cesse  sur  la  rive  orientale  du  Tocantin ,  au  4°  40'  de  latitude 
sud.  Elles  embrassent  toutes  deux  le  bassin  de  la  Parana- 


G75 

hyba  et  les  provinces  de  Piauhy  et  do  MaranliSo.  De  la 
branche  orientale  se  détachent ,  au  nord  du  Sâo-Francisco , 
à  la  pointe  la  plus  orientale  de  l'Amérique  du  Sud,  dans  les 
provinces  de  Pernambuco ,  Rio-Grande-do-Norte  et  Para- 
hyba,  plusieurs  chaînons,  tels  que  la  serra  Cayriri  et  la 
Borborema,  qui  s'étendent  jusqu'à  la  côte.  Les  chaînes  iso- 
lées de  la  serra  Guamane  et  de  la  serra  de  Botarite  appar- 
tiennent à  la  province  de  Céara.  Les  chaînes  parallèles  de  la 
serra  do  Espinhaço  et  de  la  serra  de  Tabatïnga  sont  soudées 
au  sud,  près  de  Villa  Rica,  par  la  serra  Negra,  chaînon 
qui  court  de  l'est  à  l'ouest  et  ferme  la  vallée  du  Sâo-Fran- 
cisco. La  serra  da  Tabatïnga  est  également  unie  à  la  Cor- 
dillera-Grande  par  un  chaînon  qui  en  jaillit,  à  angle  droit, 
sous  le  16°  40'  de  latitude  sud,  et  qui  porte  le  nom  do 
Ptjreneos. 

La  serra  de  Santa-Marta,  qui  se  détache  du  nœud  de  la 
Cordiilera-Grande  et  des  Pyreneos,  court  au  sud-ouest,  de- 
puis le  16°  30'  de  latitude  sud  jusqu'au  20",  où  elle  prend  le 
nom  àe  serra  dos  Vertentes.  C'est  le  chaînon  le  plus  méri- 
dional de  la  serra  do  Espinhaço.  Du  milieu  des  affluents  de 
l'Amazone,  de  l'Uruguay,  du  Xingu,  du  Topajos  et  de  la 
Madeira,  s'échappent  dans  la  direction  du  nord,  plusieurs 
chaînons,  peu  élevés,  tous  liés  à  leur  extrémité  méridionale 
par  des  chaînes  transversales.  Aucun  d'eux  ne  mérite  une 
attention  particulière,  si  ce  n'est  la  Cordillera  gérai,  qui  s'é- 
tend au  sud-ouest  depuis  le  14"  10'  de  latitude  sud  jusqu'à 
la  Madeira,  dans  la  province  de  Matto-Grosso,  limitrophe 
de  la  Bolivie.  Parmi  ces  chaînes  de  montagnes  principales  et 
secondaires  on  trouve  dans  les  moins  élevées  du  calcaire, 
dans  les  moyennes  du  granit ,  diins  les  plus  hautes  du  cal- 
caire et  de  l'argile  schisteuse.  Nulle  part  elles  n'atteignent  la 
limite  des  neiges  ;  mais  elles  sont  extrêmement  importantes, 
à  cause  des  pierres  précieuses  et  de  l'or  qu'elles  renferment 
dans  leurs  vallées  et  leurs  ravins.  On  les  considérait  jadis 
comme  faisant  partie  du  système  des  Andes,  comme  en  for- 
mant, pour  ainsi  dire,  les  premiers  échelons;  mais  cette 
opinion  a  élé  abandonnée  depuis  qu'on  sait  que  le  plateau 
brésilien  a  une  pente  très-roide  à  l'ouest  et  qu'il  est  séparé 
des  Andes  par  de  vastes  plaines,  surtout  dans  la  partie  oc- 
cidentale de  la  province  de  Matto-Grosso.  Les  chaînes  do 
montagnes  du  Brésil  sont  presque  toutes  liées  entre  elles 
par  des  branches  transversales  et  enserrent  de  nombreux 
vallons ,  de  nombreuses  vallées ,  de  toutes  formes. 

Le  résultat  naturel  de  la  configuration  du  sol  brésilien  est 
subordonné  au  cours  très-étendu  de  la  plupart  de  ses  fleu- 
ves, qui,  bien  que  prenant  leur  source  à  de  faibles  distances 
de  la  côte,  sont  forcés  de  couler  au  nord  ou  au  sud,  paral- 
lèlement aux  chaînes  de  montagnes  sur  un  espace  de  plu- 
sieurs degrés ,  avant  d'atteindre  l'une  de  ses  deux  grande* 
artères,  l'Amazone  ou  la  Plata,  dans  lesquelles  se  déchar- 
gent presque  tous  les  cours  d'eau  qui  sourdent  entre  la 
serra  do  Mar  et  les  Andes.  La  majeure  partie  se  jette  dans 
l'Amazone,  qui,  lui  aussi,  coule  d'abord  du  sud  au  nord  et  ne 
prend  sa  direction  vers  l'est  qu'à  son  entrée  dans  le  Brésil. 
Le  premier  de  ses  affluents  de  droite  est  la  magnifique  Ma- 
deira, qui  descend  de  la  Bolivie.  Viennent  ensuite  le  "Topajos 
et  le  Xingu ,  dont  les  sources  sont  voisines.  Parmi  les  af- 
fluents de  gauche,  on  cite  le  Rio-Negro  ou  Japura,  qui  des- 
cend de  la  Nouvelle-Grenade.  Non  loin  de  l'Amazone,  en 
deçà  de  l'île  Marajo,  se  dessine  l'embouchure  du  Tocantin 
ou  Para,  formé  de  la  réunion  du  Tocantin  proprement  difc 
et  de  l'Araguay  ou  Rio-Grande.Le  Tocantin  proprement  dit 
reçoit  le  Parana ,  et  l'Araguay  reçoit  le  Rio  dos  Mortes.  Le 
Maranhâo ,  qui  traverse  la  province  du  même  nom,  se  jette 
dans  la  baie  de  Sâo-Luiz ,  ainsi  nommée  de  cette  ville  ma- 
ritime. Plus  à  l'est,  le  Parnahybaou  Parahyba  arrose  la  pro-' 
vincc  du  même  nom,  et  se  rend  dans  la  mer  après  un  cours 
de  150  Kilomètres.  Sur  la  côte  orientale,  formant  la  limite 
des  provinces  de  Sergipc  et  de  Pernambuco,  le  Rio  Sâo- 
Francisco  tourne  à  l'est,  aux  deux  tiers  de  son  cours,  après 

85. 


C76 


BRESIL 


avoir  longé  la  serra  do  Espinhaço,  qui  le  sépare  de  la  côte, 
et  ne  se  jette  dans  l'Océan  qu'après  un  cours  de  290  kilo- 
mètres :  c'est  le  plus  grand  fleuve  du  Brésil;  il  descend  de 
la  serra  da  Canastra  dans  la  province  de  Minas-Geraès. 

Un  grand  nombre  de  rivières,  plus  ou  moins  considérables, 
s'épanclient  aussi  des  montagnes  parallèles  à  la  côte,  et 
suivent  une  direction  opposée  à  celle  des  lleuves  de  l'inté- 
rieur. Les  plus  remarquables  sont  :  1°  le  Rio  Grande  de 
Belmonteou  Jiquitinlionha,  qui  prend  sa  source  dans  la  serra 
do  Espinliaço,  arrose  la  province  de  Baliia,  et  a  son  embou- 
chure près  du  Belmonte;  1°  le  Rio  Doce,  principal  cours 
d'eau  des  provinces  de  Minas-Geraès  et  d'Espiritu-Santo, 
qui  vient  de  la  même  chaîne  de  montagnes  ;  3°  le  Sâo-Joâo 
de  Parahyba,  ou  du  Snd,  qui  marqueta  hmite  entre  la  pro- 
vince de  Espiritu-Santo  et  celle  de  Rio-de-Janeiro ,  et  dont 
la  source  est  dans  la  serra  Mantiqneira;  4°  enfin,  à  l'extré- 
mité méridionale  de  l'empire,  le  Jacuhi  ou  Rio-Grande  du 
sud,  qui  unit,  comme  un  canal  naturel,  le  lac  dos  Patos  et 
le  lac  Mirim.  Parmi  les  afiluents  que  nous  avons  cités,  il  en 
est  qui  ont  un  cours  égal  à  celui  des  plus  grands  fleuves  de 
l'Europe,  le  Volga  seul  excepté. 

C'oet  encore  dans  les  montagnes  du  Brjésil  qu'ont  leurs 
sources  plusieurs  fleuves  considérables  qui  ne  lui  appar- 
tiennent pas,  tels  que  les  deux  bras  principaux  de  la  Plata, 
le  Parana,  qui  descend  delà  serra  Mantiqueira dans  la  pro- 
vince de  Minas-Geraès,  le  Tiète,  qui  vient  de  la  province 
de  Sâo-Pâolo  ,  le  Paraguay ,  qui  descend  des  Campos  Pa- 
reris  dans  la  province  de  Matto-Grosso,  et  l'Uruguay,  qui 
prend  naissance  dans  la  province  de  Rio-Grande  du  Sud.  Les 
lacs  sont  nombreux  dans  les  plaines ,  surtout  dans  le  bassin 
de  l'Amazone  et  lorsque  vient  la  saison  des  pluies  ;  mais 
aucun  n'a  ni  la  surface  ni  la  profondeur  de  ceux  de  l'Amé- 
rique du  Nord.  Le  lac  de  Xarayu  est  même  complètement  à 
sec  en  été.  Dans  les  provinces  méridionales  la  Laguna  dos 
Patos  et  le  Mirim  sont  les  plus  considérables. 

Le  Brésil,  dans  sa  configuration,  présente  peu  de  caps  : 
on  ne  cite  guère  que  celui  deSâo-Roque  ou  Punta  Petetinga, 
marquant  l'angle  formé  par  la  réunion  des  côtes  orientale  et 
septentrionale ,  le  cap  Nord  au-dessus  de  l'estuaire  de  l'A- 
mazone, le  cap  Sâo-Augustin  dans  la  province  de  Per- 
nambuco  et  le  cap  Frio  dans  celle  de  Rio-de-Janeiro  ;  mais 
il  possède  plusieurs  îles,  dont  les  principales  sont  :  Fernando 
de  Noronlia ,  îlot  stérile,  lieu  d'exil  pour  les  criminels ,  et  la 
Trinidade,  toutes  deux  en  pleine  mer;  Sainte-Catherine, 
dans  la  province  de  ce  nom,  Marajo  ou  Sâo-Joâo,  grande  île 
alluviale  aux  embouchures  de  l'Amazone  et  du  Para,  for- 
mant à  elle  seule  une  comarca  (un  arrondissement);  Ma- 
ranhâo,  à  l'embonchure  du  fleuve  de  ce  nom;  Itaparica,  à 
l'entrée  de  la  baie  de  Bahia  ;  et  Ilha  Grande,  dans  la  pro- 
vince de  Rio-de-Janeiro. 

Ce  pays  s'étendant,  du  nord  au  sud,  dans  un  développe- 
ment de  près  de  40  degrés,  on  conçoit  que  le  climat  doit  y 
offrir  des  variations  notables.  Néanmoins,  elles  le  sont  moins 
que  sur  une  étendue  égale,  sous  une  latitude  plus  élevée,  le 
Brésil  se  trouvant  prcsqu'en  entier  dans  la  zone  torridc  et 
ses  montagnes  n'étant  jamais  couvertes  de  neige.  Les 
nuances  de  son  climat  sont  donc  celles  de  la  zone  torride  et 
des  zones  tempérées.  On  n'y  connaît  que  la  saison  sèche 
{tempo  de  frio)  et  celle  des  pluies  {tempo  de  c/iuva),  bien 
caractérisées  surtout  dans  le  bassin  de  l'Amazone  et  sur  les 
côtes,  mais  qui  ne  commencent  pas  partout  en  même  temps. 
Le  nord ,  situé  dans  le  voisinage  de  l'équalcur,  est  sujet  à 
des  chaleurs  excessives,  que  les  pluies,  la  rosée,  l'humidité 
du  sol  ne  combattent  pas  toujours  efficacement;  souvent  le 
soleil  y  embrase  l'atnjosphère  à  un  degré  funeste  pour  tout 
être  exposé  à  son  action;  le  vent  du  septentrion  bnile  le  sol, 
la  végétation  s'éteint,  les  sources  tarissent.  C'est  alors  qu'au 
travers  des  plaines  sablonneuses ,  dont  les  limites  fuient  le 
voyageur,  commencent  ces  émigrations  de  familles  entières , 
dont  les  membres,  hâves, exténués,  semblables  à  des  pro- 


ces.i!()us  de  spectres ,  vont  cliercliant  avec  angoisse  dans  l'im- 
mensité du  désert  un  coin  de  terre  qui  leur  fournisse  un  peu 
d'eau  et  quelques  fruits.  Vers  le  nord  ,  au-dessus  de  Baliia , 
on  a  vu  des  années  s'écouler  sans  qu'il  tombât  une  goutte  de 
pluie;  et  les  moissons  se  perdre,  les  troupeaux  périr  faute 
d'eau.  La  température  de  la  partie  méridionale  est  beaucoup 
moins  brûlante,  le  froid  même  s'y  fait  quelquefois  assez 
durement  sentir,  surtout  dans  les  montagnes,  et  il  n'est  pas 
rare  d'y  voir  le  thermomètre  descendre  jusqu'à  4°  au-des- 
sous de  zéro.  Sur  les  plateaux ,  dans  les  plaines ,  sur  les 
montagnes,  la  nature  est,  en  général,  d'une  prodigieuse 
activité;  il  y  règne  un  printemps  étemel,  et  les  arbres  y  sont 
couverts  en  môme  temps  de  fleurs,  de  fruits  verts  et  de 
fruits  mûrs.  La  brise  de  mer  se  lève  vers  le  soir  et  rafraîchit 
le  corps  abattu  par  la  chaleur  du  jour  ;  les  nuits  sont  froides, 
et  la  rosée  tombe  en  abondance ,  mais  jamais  la  neige.  Dans 
les  campos  le  climat  est  assez  rude,  quoique  le  froid  se  ma- 
nifeste plutôt  par  la  sensation  qu'il  produit  sur  l'étranger 
venant  des  côtes ,  que  par  l'abaissement  notable  du  ther- 
momètre. Les  provinces  du  littoral ,  celles  principalement 
qui  longent  les  serras,  sont  assez  chaudes;  nulle  part  ce- 
pendant la  chaleur  n'y  est  aussi  insupportable  que  sur  les 
rivages  du  golfe  du  Mexique,  à  Panama  ou  à  Acapulco. 

En  général ,  c'est  un  pays  fort  sain  ;  on  n'y  connaît  pas  ces 
brusques  contrastes  de  température  si  fréquents  sous  la 
zone  torride.  A  peine  si  parfois  lèvent  d'ouest,  passant 
au-dessus  des  vastes  forêts  et  des  grands  marécages ,  vient 
apporter  sa  pernicieuse  influence  dans  l'intérieur  et  y  en- 
gendrer, surtout  dans  la  saison  des  pluies ,  de  dangereuses 
fièvres  putrides,  des  catarrhes,  des  dyssenteries,  des  ophtal- 
mies et  des  maladies  de  peau.  La  plupart  des  fléaux 
morbides  de  notre  vieille  Europe  y  sont  inconnus  ;  le  choléra 
n'y  a  jamais  pénétré.  Région  privilégiée  entre  la  plupart  de 
celles  des  deux  Amériques,  elle  n'avait  jusqu'à  ces  dernières 
années  connu  que  de  nom  la  fièvre  jaune,  cette  peste  des 
Indes  occidentales.  Malheureusement  voilà  qu'elle  s'habitue 
à  lui  faire  de  périodiques  visites.  Ce  qu'il  y  a  de  certain 
pourtant,  c'est  qu'elle  y  a  jusqu'à  ce  jour  exercé  beaucoup 
moins  de  ravages  qu'aux  Antilles,  à  Panama,  à  la  Vera-Cruz 
et  à  la  Nouvelle-Orléans. 

Si  le  Brésil  ne  possède  pas  cette  variété  de  climats  qui 
distinguent  les  pays  montagneux  du  Nouveau-Monde ,  le 
Pérou,  Quito,  Cundinamarca,  il  n'en  est  pas  moins  riche 
en  productions  de  la  nature.  La  végétation  y  est  même  si 
puissante,  que  souvent  elle  oppose  de  sérieux  obstacles  au 
colon;  mais  en  même  temps  elle  lui  offre  d'inépuisables 
ressources  de  bien-être.  Mailius,  le  savant  botaniste,  qui 
s'est  occupé  avec  le  plus  de  soin  de  la  Flore  brésilienne , 
assure  avoir  observé  dans  ce  pays  plus  de  quinze  mille 
plantes  nouvelles,  jusque  alors  complètement  inconnues.  Cest 
dans  ses  forêts  vierges  que  vient  le  meilleur  bois  de  cons- 
truction dont  la  durée  égale  la  force;  et  de  précieux  bois 
d'ébénisterie,  parmi  lesquels  on  compte  cinquante  espèces  de 
cèdres  et  plus  de  cent  espèces  de  noyers.  C'est  là  qu'on 
creuse  dans  d'immenses  troncs  d'arbres  des  pirogues  qui 
portent  jusqu'à  .soixante  rameurs.  On  y  recueille  enfin  di- 
vers bois  de  teinture  qui  sont  l'aliment  d'un  grand  com- 
merce avec  l'Europe,  et  en  tête  desquels  il  faut  citer  Vïbira- 
pitanga  ou  bois  du  Brésil,  quia  donné  son  nom  au  pays, 
et  le  bois  de  Pernambuco  ou  de  Fernambouc. 

Les  palmiers,  ces  princes  du  règne  végétal,  abondent  aussi  J| 
au  Bréfil;  ils  y  offrent  une  grande  variété  d'espèces.  Les  J 
cocotiers,  importés  d'Afrique,  comme  l'élaïs  de  Guinée, 
y  ont  réussi  parfaitement.  Les  dattiers  poussent  d'eux-mêmes, 
A  côté  de  ces  arbres  précieux  ,  fleurissent  le  bananier,  qui 
croit  encore  sans  culture  et  dont  on  cultive  une  variété  ve- 
nue des  Indes  orientales;  l'arbre  à  pain  ,  l'oranger,  le  limo- 
nier, une  multitude  d'arbres  résineux  et  beaucoup  de  fleurs 
qui  le  disputent  aux  nôtres  pour  l'éclat  de  leurs  nuances  et 
le  charme  de  leurs  parfums.  L'expérience  a  appris  à  tirer 


BRESIL 


677 


du  règne  végétal  des  baumes ,  des  médicaments ,  surtout 
l'ipécacuanha ,  la  salsepareille,  le  ricin;  il  fournit,  en  outre, 
des  épices  :  la  cannelle,  dont  Tarbuste  croît  à  l'état  sauvage , 
le  poivre,  la  vanille ,  le  gingembre,  le  coton,  le  tabac.  Les 
foagères ,  ces  plantes  si  modestes  dans  nos  climats ,  se  pré- 
sentent dans  ce  pays  avec  toute  la  majesté  des  pins.  A  côté 
s'élèvent  des  forêts  ^'araucaria  et  des  milliers  de  végétaux 
devenus  nécessaires  à  l'Europe  pour  ses  arts  et  ses  manu- 
factures. Sur  les  vastes  plateaux  de  Minas-Novas,  on  trouve 
les  carascos,  ou  forêts  naines,  explorées  par  M.  Auguste 
de  Saint-Hilaire,  immenses  agglomérations  d'arbustes  d'un 
mètre  à  peu  près  de  haut  ,-où  domine  la  mimosa  dumeto- 
rum ,  mimeuse  épineuse ,  dont  le  feuillage  est  d'une  déli- 
cieuse élégance.  Quand  le  terrain  s'abaisse,  on  rencontre 
les  cattingas ,  qui  tiennent  le  milieu  entre  les  forêts  vierges 
et  les  carascos,  et  qui  présentent  un  épais  fourré  de  brous- 
sailles, de  plantes  grimpantes  et  d'arbrisseaux,  au  milieu 
desquels  s'élèvent,  comme  des  baliveaux,  les  arbres  de 
moyenne  grandeur.  La  sécheresse  dépouille  les  cattingas 
de  leur  feuillage,  et  les  oiseaux ,  les  insectes,  cessent  d'y  sé- 
journer dans  la  saison  des  pluies.  Le  riche  sol  du  Brésil 
s'est,  en  outre,  montré  favorable  à  un  grand  nombre  de  plantes 
exotiques  :  le  café  n'y  a  pas  moins  bien  réussi  que  la  canne 
à  sucre;  le  froment ,  l'orge  y  prospèreut,  au  moins  dans  les 
hautes  régions ,  le  riï  partout ,  ainsi  que  les  légumes  d'Eu- 
rope ,  les  pommiers ,  les  poiriers ,  les  figuiers  ;  mais  le  climat 
y  paraît  moios  propice  à  la  vigne.  Une  abondance  extraor- 
dinaire de  fourrage  permet  d'y  élever  de  nombreux  trou- 
peaux. 

Dans  les  vallées  règne  une  éternelle  verdure  ;  le  sol  y  est 
partout  d'une  étonnante  feitilité.  Sans  charrue,  sans  herse, 
sans  piociie,  sans  bêche,  sans  même  gratter  la  terre,  en  y 
laissant  séjourner  seulement  la  cendre  des  bois  qu'on  in- 
cendie, on  y  récolte  du  mais,  des  pommes  de  terre,  du 
manioc,  poison  subtil,  qui  passé  au  four,  râpé,  réduit  en 
poudre,  ou  délayé,  remplace  le  pain  dans  l'intérieur  du 
pays,  des  patates  douces,  des  melons  ordinaires,  des  melons 
d'eau,  des  citrouilles,  du  thé  de  toutes  qualités,  du  cacao,  de 
l'indigo,  du  safran, du  piment,  etc.  Les  fruits  du  pays  sont 
abondants  et  savoureux.  On  cite,  entre  beaucoup  d'autres,  la 
goyave ,  qu'on  rencontre  partout  sur  les  côtes ,  la  figue  de 
Surinam,  qui  vient  sur  les  ronces  et  les  terrains  abandonnés; 
l'ibipitanga ,  qui  ressemble  à  la  cerise  ;  la  mangabe ,  dont  on 
extrait  une  espèce  de  vin ,  le  cajou ,  l'araça ,  au  goût  acidulé, 
le  sapoti ,  l'abbio ,  le  cambuca ,  la  jabaticaba ,  le  fruit  du 
comte ,  la  mangue ,  le  coco ,  l'ananas ,  la  banane ,  beaucoup 
de  limons ,  enlin,  d'oranges ,  de  citrons,  etc. 

Le  règne  animal  n'y  est  pas  moins  riche.  Si  les  animaux 
du  Brésil  et  de  l'Amérique  méridionale,  en  général,  n'offrent 
pas  les  proportions  colossales  de  ceux  de  l'Afrique,  ils  se 
distinguent  au  moins  par  la  variété  de  leurs  formes  et  la 
beauté  de  leurs  couleurs.  Toutes  ces  forêts ,  quand  le  temps 
est  beau  et  la  température  douce ,  sont  peuplées  d'oiseaux 
d'une  rare  beauté;  la  famille  des  perroquets  s'y  diversifie  à 
l'infini  :  ce  sont  les  aras  au  cri  rauque,  les  araras  aux  joues 
nues,  les  amazones  au  plumage  vert,  les  tavouas,  les  criks, 
les  caïcas,  lesguaroubas;  puis  viennent  les  jacamars  éme- 
raudes,  les  pics,  les  martins-pêcheurs ,  les  todiers,  les 
motmots,  les  manakins  rouges,  jaunes,  noirs,  à  tèfe  de 
feu ,  les  rupicoles ,  les  colibris ,  appelés  eu  portugais  béija- 
fiors  (boise-flems),  les  oiseaux-mouches,  vrais  bijoux  de  la 
nature,  les  guitguit's  azurs,  les  spatules  roses,  les  fourniers 
sombres,  les  picucules  ,  les  sittines,  les  synallaxes,  les  ti- 
jucas  noirs,  les  bataras,  les  somptueux  cotingas,  les  ave- 
ranos,  les  grallaries,  les  caciques,  les  caronges,  les  chi- 
piùs ,  les  jacarinis ,  des  milliers  de  colombes  au  plumage 
nuancé,  des  poules,  des  pigeons,  des  canards,  des  oies  sau- 
vages, les  couroucous  dorés  et  massifs,  le  sasa,  mangeur 
d'arum,  les  anis,  les  coucouas,  les  guiras,  les  basbacous, 
lestamatias,  les  aracaris''à  la  langue  barbelée,  le  sanamp, 


qui  rappelle  le  messager  du  Cap ,  l'ema  ou  nandu ,  qui  est 
l'autruche  de  l'Amérique ,  le  chimango ,  terrible  oiseau  de 
proie ,  le  héron  et  beaucoup  d'autres  échassiers ,  tels  que  le 
kamichi,  le  courliri,  et  le  savacou  au  bec  bizarre;  enfin 
sur  l'Atlantique ,  le  pélican  au  large  gosier  et  la  frégate  au 
vol  rapide. 

La  famille  des  singes  n'est  ni  moins  nombreuse  ni  moins 
variée  :  ici  l'atèle  aux  longs  bras  et  la  gotriche  à  la  queue 
prenante  se  balancent  sur  les  lianes  des  fleuves  ;  plus  loin  l'a- 
louate  fait  entendre  sa  voix  de  stentor,  le  sapajou  maraude, 
le  saki  s'endort  dans  sa  barbe ,  le  tamarin ,  le  rosalia  et  le 
ouistiti  jouent  avec  grâce ,  tandis  que  l'unau  et  l'aï  se  traî- 
nent lents  et  paresseux.  On  trouve  encore  au  Brésil  le  coati 
au  nez  mobile ,  le  kinkagou  ,  diverses  espèces  de  tigres , 
l'onça,  le  jaguar,  la  jaguarète,  le  couguar,  des  loups, 
des  renards,  des  cerfs,  le  margay ,  le  collocola,  le  pagero, 
la  paca,  l'agouti,  lecabiai,  le  ciiien  sauvage,  le  cobaye,  le 
moco ,  le  tatou ,  la  capivara,  le  tamandua,  le  fourmilier  à  la 
langue  extensible,  la  loutre  d'une  très-grande  espèce,  fort 
recherchée  pour  sa  fourrure,  le  tapir  ou  anta,  le  pécari, 
espèce  de  porc  à  glande  fétide  ;  un  grand  nombre  de  ser- 
pents, dont  qnelqnes-uns  sont  d'une  dimension  prodigieuse, 
comme  lesucuri,  serpent  amphibie  le  plus  gros  du  Brésil,  le 
serpent  à  sonnettes,  le  boa,  le  surucoucou,  l'iliboca  ;  des  lé- 
zards et  des  vipères  de  très-grande  espèce.  Mille  papillons 
aux  plus  brillantes  couleurs  se  jouent  sur  les  fleurs  et  les  ar- 
bustes ;  des  myriades  d'insectes  phosphorescents  éclairent  la 
nuit  la  plus  sombre  ;  mais  à  côté  volent  lourdement  des 
chauves-souris  dangereuses  pour  les  chevaux;  les  mille- 
pieds  ,  les  scorpions  vous  menacent  ;  les  chenilles,  les  fourmis, 
les  barates  corrompent  vos  mets  comme  de  nouvelles  har- 
pies ;  les  moustiques  troublent  votre  sommeil ,  et  couvrent 
votre  visage  d'enflures  et  de  plaies;  enfin,  les  chiques  ou 
bichos ,  s'introduisant  dans  la  plante  des  pieds  à  travers  la 
chaussure  la  plus  épaisse,  vous  occasionnent  presque  sans 
relâche  de  cuisantes  douleurs.  Il  faut  être  habitué  à  ces 
hôtes  incommodes  pour  reconnaître  qu'au  Brésil  la  somme 
du  bien  l'emporte  de  beaucoup  sur  celle  du  mal;  quelques 
semaines  de  séjour  ne  suffisent  pas  pour  cela. 

Les  chevaux,  les  bœufs,  les  moutons,  les  chats,  les  chiens, 
presque  tous  les  quadrupèdes  domestiques  d'Europe  s'y  sont 
abondamment  propagés.  Le  cheval ,  de  race  andalouse,  a 
perdu  de  son  feu  et  de  sa  fierté,  mais  il  est  intelligent  et 
robuste  ;  on  ne  l'attèle  jamais.  Les  mulets  sont  nombreux 
dans  les  provinces  méridionales.  Le  gros  bétail  donne 
moins  de  lait,  mais  sa  peau ,  sa  chair,  sa  graisse ,  ses  cornes 
sont  d'un  bon  produit.  Le  porc  se  multiplie  extraordinaire- 
ment  et  s'engraisse  avec  une  étonnante  rapidité.  Les  chè- 
vres forment  de  grandes  troupes,  et  sont  recherchées  pour 
l'abondance  de  leur  lait.  On  élève  moins  de  brebis.  De 
nombreux  essaims  d'abeilles  donnent  de  la  cire  et  du 
miel.  La  cochenille,  production  naturelle  du  pays, est  peu 
cultivée ,  de  même  que  le  ver  à  soie ,  qui  donne  cepen- 
dant un  fil  plus  fin  et  plus  solide  en  même  temps  que  celui 
des  Indes.  Les  rivières,  les  lacs,  les  côtes  abondent  en 
excellents  poissons  ;  la  baleine  s'ébat  sur  les  côtes;  on  ren- 
contre de  nombreuses  tortues  dans  les  parages  du  Nord. 
Les  fleuves  peu  rapides  et  quelques  lacs  sont  infectés  de 
caïmans  et  de  crocodiles. 

Quelques  provinces  du  Brésil  sont  renommées  pour  leurs  ri- 
chesses minéralogiques  ;  mais  généralement  on  a  évalué  beau- 
coup trop  haut  la  production  en  or  de  ce  pays.  La  première 
mine  qu'on  en  découvrit  dans  Sâo-Pâolo,  dès  1577,  était  si 
abondante,  que  longtemps  cette  province  fût  regardée  comme 
un  nouveau  Pérou.  Elle  n'était  cependant  rien,  comparée  aux 
riches  veines  de  Minas-Geraès  découvertes  en  1698,  et  dont 
le  produit  a  été  pendant  quelques  années  si  considérable, 
qu'il  fut  question  d'entourer  la  province  d'une  enceinte  de 
murs  pour  en  défendre  l'accès.  En  1718  on  trouva  celle  de 
Yilla-Bella  dans  Matto-Grosso.   Elle  est  moins  riche  que 


678 


LUESIL 


celles  de  Villa-Rica,  Campanha,  Tejuco  et  Paracalu,  dans 
Minas-Geraès ,  lesquelles  ne  furent  découvertes  que  posté- 
rieurement. Les  meilleurs  lavages  sont  ceux  qui  s'étendent 
dans  un  vaste  rayon  autour  d'Ouro-Preto ,  autrefois  Villa- 
Rica,  dans  cette  province.  Là  est  établie  la  fonderie  impé- 
riale pour  tout  ce  minerai ,  là  se  perçoit  le  qtiint  ou  la 
cinquième  partie  pour  le  gouvernement.  On  porte  aujourd'hui 
à  cinq  millions  la  valeur  déclarée  du  produit  de  ces  mines.  La 
quantité  d'or  exploitée  en  fraude  est  évaluée  au  tiers  du 
produitdéclaré.  Plusieurs  rivières,  particulièrement  celles  qui 
ont  leurs  sources  dans  la  serra  dos  Vertentes,  roulent  de  l'or. 
IVon-seuiement  ce  précieux  métal  se  trouve  dans  Minas- 
Geraès  ,  Goyaz  et  Matto-Grosso ,  mais  encore  le  fer  et  le 
cuivre  sont  répandus  à  profusion  dans  les  montagnes  et  le 
sel  dans  les  plaines  (pii  les  avoisinent.  Avec  pn  peu  plus 
d'activité  les  colons  tireraient  des  prolits  plus  considérables 
de  leurs  mines  de  fer  de  Sâo-Pâolo  et  de  Minas-Geraès  ;  le 
sel  marin  s'exploite  en  grand  dans  les  provinces  de  Rio-de- 
Janeiro,  Para,  et  Rio-Grande  du  >'ord.  il  existe  dans  celle 
de  Sâo-Pâolo  une  espèce  particulière  d'aimant  (le  martile). 
On  montre  dans  le  cabinet  d'Ajuda ,  à  Lisbonne,  un  frag- 
ment de  mine  de  cuivre  vierge,  extrait  d'un  vallon  du  Brésil  : 
il  pèse  1,280  kilogrammes,  et  a  un  mètre  environ  de  long 
sur  soixante-dix  centimètres  de  large  et  trente  centimètres 
d'épaisseur;  il  existe,  en  outre,  dans  le  pays  des  mines 
d'argent,  de  platine,  de  plomb  (Abante  et  Cuyabara),  de 
soufre,  de  mercure,  de  houille,  d'ardoises,  de  pierres  meu- 
lières et  à  aiguiser  (  surtout  dans  la  province  Sainte-Cathe- 
rine), etc.  Ce  fut  vers  le  commencement  du  dernier  siècle 
que  les  premiers  diamants  furent  découverts  dans  le  dis- 
trict de  la  serra  do  Frio  ;  beaucoup  se  cachent  sous  la  croûte 
des  montagnes,  mais  il  faudrait  quelque  travail  pour  les  en 
extraire;  ils  sont  généralement  enveloppés  de  terre  ferrugi- 
neuse et  de  petits  cailloux  roulés.  On  en  rencontre  à  Matto- 
Grosso,  Sâo-Pâolo,  Goyaz,  Minas-Geraès,  surtout  dans  la 
sauvage  serra  do  Frio,  à  Fajaès,  dans  la  serra  Sincura, 
dans  l'arrayal  Diamantino,  dans  les  bassins  du  Sâo-Fran- 
cisco  et  du  Jiqaitinhonha.  Le  produit,  qui  s'en  élevait  à  plus 
de  50,000  carats  par  an  en  1770,  n'est  plus  aujourd'hui  que 
de  moitié.  Une  quantité  presque  égale  est  exploitée  et 
vendue  en  fraude.  Les  mines  du  Brésil  ont  donné  le  plus 
gros  diamant  connu,  celui  de  l'empereur,  qui  pèse  IGSO  ca- 
rats et  ne  vaudrait  pas  moins  de  140  millions  de  francs 
d'après  la  manière  ordinaire  de  calculer  la  valeur  de  ces 
gemmes.  Ces  mines  s'exploitent  pour  le  compte  du  gouver- 
nement, sous  la  surveillance  d'une  juuta  impériale.  Les  to- 
pazes, qui  abondent  à  Capas,  sont  plus  grosses  que  celles  de 
Saxe  et  de  Sibérie;  leur  coideur  est  jaune  paille  ou  jaune 
roux;  il  y  en  a  aussi  d'un  bleu  verdàtie.  Souvent  elles  de- 
viennent électriques  à  racliou  du  l'eu.  Les  toaimalines  pren- 
nent le  nom  d'émeraudes  quand  elles  sont  vertes,  et  de  sa- 
piiirs  quand  elles  sont  bleues.  H  y  a  enlindes  amétliystes, 
des  rubis ,  des  cymopliaiies  et  divers  cristaux  de  roche  et 
aigues-marines. 

Pour  l'or,  comme  pour  les  diamants  et  les  pierres,  on 
n'exploite  en  g(  ncral  que  le  lit  des  torrents  ;  tout  le  travail 
se  borne  au  simple  lavage.  Là  encore,  comme  dans  Pa^ii- 
culture,  l'homme  blanc  descend  à  peine  à  une  légère  sur- 
veillance, et  les  nègres  sont  les  seuls  ouvriers.  INulle  part, 
malgré  leur  richesse,  l'exploitation  des  mines  n'est  aussi  lu- 
crative que  l'agriculture  et  l'éducation  des  bestiaux;  elle  a 
été  longtemps  si  inintelligente,  qu'une  partie  du  produit  se 
perdait,  et  (pi'on  abandonnait  la  m'iie  avant  de  l'cpui-ser.  il 
n'en  est  |)lus  de  même  aujourd'hui  :  il  y  a  dans  la  proviiue 
de  Minas-Geraès  plusieui's  mines  exploitées  par  des  compa- 
gnies anglaises,  où  l'on  emploie  des  colons,  et  où  Ton  .se  sert 
d'instruments  perfectionnés.  Celle  de  Gongo  Socco  mérite 
détre  visitée.  C'est  un  village  des  plus  beaux,  des  plus  in- 
dustrieux, habité  par  plus  de  huit  mille  Anglais  et  Brési- 
lien.?, (eus  blancs  et  libres. 


Il  est  impossible  d'évaluer  d'une  manière  précise  la  po- 
pulation  de  l'empire.  Le.?  chiffres  officiels  manquent.  On 
la  porte  d'ordinaire  à  5,120,000  blancs  et  à  2,312,000  noirs 
libres,  sang-mèlé  libres,  esclaves,  nègres  et  mulâtres.  In- 
diens etc.  Ces  derniers  se  composent  d'indigènes,  vivant  à 
l'état  sauvage  ou  habitant  des  demeures  fixes,  et  qu'on 
désigne  sous  le  nom  de  Cabocles.  La  majeure  partie  de  la 
population  occupe  les  villes  bâties  le  long  des  côtes  ;  les 
immenses  provinces  de  Matto-Grosso ,  de  Goyaz  et  de  Para 
sont  en  grande  partie  désertes.  Les  indigènes  ont  disparu 
de  presque  toutes  les  provinces  du  littoral.  Un  nombre  assez 
considérable  habite,  dans  un  état  de  demi-civilisation,  des 
villages  de  l'inférieur,  s'occupant  de  l'exploitation  des  pro- 
duits brufsde  la  nature  ou  bien  d'agriculture,  mais  seulement 
pour  leur  subsistance.  Dans  les  provinces  septentrionales, 
sur  les  bords  de  l'.^mazone,  la  population  consiste  presque 
uniquement  en  Indiens,  dont  rexistencc  est  paisible,  sans 
grands  besoins ,  mais  aussi  sans  grande  utilité  pour  l'État. 
Des  tribus  indépendantes  parcourent  les  vastes  contrées  du 
nord  et  de  l'ouest,  où  les  lîuropéens  n'ont  pas  encore  formé 
d'établissements.  Les  unes  font  avec  les  blancs  un  commerce 
d'échange,  les  autres  vivent  en  état  d'hostilité  constante  avec 
eux  et  leur  ferment  autant  que  possible  l'accès  de  leurs 
dé.serts. 

On  sait  que  la  population  indigène  de  l'Amérique  du  Sud 
est  divisée  en  une  multitude  infinie  de  tribus.  On  en  compte 
dans  le  Brésil  seul  plus  de  cent  qui  se  regardent  mutuelle- 
ment comme  des  races  diflérentes  ;  mais  ces  petites  peu- 
plades s'éteignent  peu  à  peu ,  et  l'on  ne  retrouve  plus  au- 
jourd'hui beaucoup  de  tribus  mentionnées  par  les  anciens 
voyageurs.  A  en  juger  par  leurs  langues  et  leur  manière  de 
vivre,  toutes  appartiennent  à  une  souche  commune,  dont  l'i- 
diome s'est  successivement  divisé  en  une  foule  de  dialectes, 
parmi  lesquels  on  distingue  celui  des  Tupi.  De  toutes  les 
nations  indigènes,  c'est  celle  qui  s'est  le  plus  ressenti  du 
voisinage  des  Européens.  Sa  ,'angue  est  la  plus  répandue} 
c'est  le  brésilien  proprement  dit  :  aussi  l'appelle-t-on  lingoa 
gérai,  langue  générale.  Après  les  Tupi,  on  remarque  les  Tu- 
pininguinset  les  Tupinambas,  répandus  dansla  province  de 
Bahia,  et  dont  le  nombre  décroît  sensiblement,  et,  à  l'autre 
extrémité  de  l'empire,  les  Guaranis  des  sept  missions,  dans 
la  province  de  Sâo-Pedro ,  lesquels,  joints  à  ceux  du  Pa- 
raguay ,  forment  tout  ce  qui  reste  du  grand  empire  des  jé- 
suites; les  Oinagoas ,  aujourd'hui  peu  nombreux  et  vivant 
le  long  de  l'Amazone  ;  c'était  jadis  le  peuple  navigateur  de 
l'Amérique  méridionale;  ]es  Aijmoi'es ,  Jlolocudos,  et  Co- 
roados,  terribles  anthropophages,  qui  occupent  l'espace  pa- 
rallèle à  la  côte,  entre  le  Rio  l^ardo  et  le  Rio  Doce,  et  dont 
les  principales  habitations  sont  le  long  de  ce  dernier 
fleuve  et  du  Belmonte,  dans  les  provinces  de  Minas-Geraès, 
de  Porto-Seguro,  d'Espiritu-Santo  et  de  Eahia,  races  au 
corps  horriblement  tatoué,  aux  lèvres,  aux  oreilles,  dé- 
mesurément agrandies  par  descjlindres  de  bois,  peuples 
effroi  des  planteurs,  dont  ils  dévastent  les  champs  et  brûleiit 
les  habitations,  heureux  encore  ceux-ci  <iuand  les  barbares 
ne  teignent  pas  leurs  bras  dans  le  sang  humain;  les  J'uris 
d'Espiritu-Santo  sur  la  rive  droite  du  Rio  Doce:  les  J/«h- 
drucHS,  nation  bellicpieuse  et  féroce,  la  plus  puissante  du 
Para,  entre  le  Xingu  et  le  Tapajos,  en  ce  moment  alliée  <les 
blancs;  les  Tanwijos ,  de  la  province  de  Rio-tle-Janeiro, 
nation  jadis  puissante  ,  qui  s'éteint  et  disparaît;  les  Tcpe- 
rivas,  qui  errent  dans  le  nord;  les  Carijos,  de  la  province 
de  Sâo-Pâ';lo;  les  Giiaycurus,  dont  la  taille  dépasse  soti-^ 
vent  six  pieds,  fixés  entre  les  rives  supérieures  du  ParanSB 
et  du  Paraguay,  vivant  de  chasse,  de  pCclie  et  de  leurs 
nombieux  troupeaux,  se  divisant  en  trois  classes,  les  no- 
bles ,  les  guerriers  et  les  esclaves,  formant  une  grande  ron- 
fédéralion  aristocratique,  en  paix  depuis  1791  avec  les  Bré- 
siliens, et  appelés  aussi  Caval/ieiros,  parce  qu'il  font  toiitei| 
leurs  expéditions  ii  cheval  ;  les  Gnants,  de  la  partie  méridio 


BRESIL 

rnle  de  Matto-Grosso,  dont  le  plus  grand  nombre  est  devenu 
agricole;  les  liororos ,  autre  luilion  nombreuse  de  la  même 
famille-;  les  Manitivr'Uanos ,  Chamacocos ,  et  Ajuacas, 
peuples  belliqueux  et  féroces ,  alliés  des  blancs,  antliropo- 
phages  autrefois  et  faisant  la  cbasse  aux  bommes  pour 
fournir  des  esclaves  à  leurs  nouveaux  amis  :  ils  babitent 
les  limites  de  Venezuela,  ainsi  que  les  Marépizanos  et  les 
Guaipunahis,  avec  lesquels  ils  sont  souvent  en  guerre; 
enfin  les  Manaos,  nation  nombreuse  et  guerrière  du  Para , 
dont  une  grande  partie  a  embrassé  le  christianisme  et  vit 
mêlée  à  d'autres  peuples  le  long  du  Rio  Negro,  à  ïamalonga 
et  à  Thomar.  Ils  ont  joué  un  grand  rôle  dans  le  mythe  de  l'El 
Dorado  des  Omaguas,  et  leurs  anciennes  doctrines  reli- 
gieuses rappelaient  dans  leur  Manary,  on  auteur  du  bien, 
et  leur  Saranha,  ou  auteur  du  mal,  le  dualisme  des  vieux 
Scandinaves. 

Les  nègres  libres  forment  la  portion  la  plus  considérable 
de  la  population,  après  les  esclaves.  La  multitude  de  ceux-ci 
est,  comme  dans  toute  l'Amérique,  un  fléau  pour  le  pays. 
Bien  qu'on  eût  appris  depuis  longtemps  à  connaître  dans 
certaines  provinces ,  comme  dans  celles  de  Babia  et  de 
Pernambuco ,  le  danger  de  leur  supériorité  numérique ,  on 
ne  laissait  pas,  avant  la  suppression  définitive  de  la  traite, 
d'importer  sans  cesse  d'Afrique  de  nouveaux  nègres  en  si 
grande  quantité,  qu'en  1S41  Pernambuco  seul  en  reçut  plus 
de  5,000.  Heureusement  la  piujiart  vivent  dans  le  célibat  et 
ne  se  multiplient  pas  considérablement.  On  rencontre  sur- 
tout les  mulâtres  dans  les  provinces  du  Httoral,  et  les  métis 
dans  celles  de  l'intérieur;  les  uns  et  les  autres  tendent  de 
plus  en  plus  vers  la  civilisation,  et  beaucoup  envoient  leurs 
enfants  étudier  dans  les  écoles  d'Europe,  surtout  dans  celles 
de  France. 

A  peu  d'exception  près ,  les  blancs  descendent  des  colons 
portugais.  Quoiqu'ils  portent  à  différents  égards  les  traces 
de  leur  origine,  l'influence  d'un  autre  genre  de  vie,  d'autres 
occupations ,  d'un  autre  gouvernement,  a  développé  en  eux 
des  traits  de  caractère  qu'on  ne  rencontre  pas  chez  le  Por- 
tugais et  qui  lui  sont  même  antipathiques.  En  outre,  l'édu- 
cation se  répand  de  plus  en  plus  dans  les  différentes  parties 
de  l'empire.  On  rencontre  dans  les  hautes  régions  et  dans  la 
classe  moyenne  de  véritables  lumières ,  un  bon  ton  et  des 
formes  vraiment  polies.  Les  mœurs  s'épurent  de  plus  en 
plus.  Le  fanatisme  et  l'intolérance  ne  régnent  depuis  long- 
temps nulle  part;  l'impiété  et  le  mépris  de  la  religion,  qui 
leur  avaient  succédé,  sont  aussi  passés  de  mode.  L'éducation 
n'est  plus  négligée ,  et  l'on  a  eu  à  se  féliciter  de  l'habitude 
prise  par  certaines  familles  de  faire  élever  leurs  enfants  en 
France.  Il  en  est  résulté  une  pépinière  de  jeunes  talents  qui 
peuplent  aujourd'hui  les  administrations,  la  magistrature, 
les  chambres,  et  se  distinguent  dans  les  lettres,  les  sciences 
et  les  arts.  Le  caractère  du  peuple  varie,  au  reste,  selon  les 
provinces.  A  l'extrémité  méridionale  de  l'empire,  dans  le 
Rio-Grande  du  Sud ,  se  perpétue  une  race  énergique  et  rude, 
qui ,  comme  les  Gauchos  des  Pampas ,  s'occupe  de  l'édu- 
cation des  bestiaux  et  couve  aussi  de  fréquentes  velléités 
d'indépendance. 

Depuis  quelques  années  le  gouvernement  central  s'est 
particulièrement  occupé  du  soin  de  faire  disparaître  les  dif- 
férences qui  existaient,  sous  le  triple  rapport  intellectuel, 
moral  et  religieux ,  entre  les  diverses  masses  disséminées 
sur  un  aussi  vaste  espace,  et  il  songe  sérieusement  à  com- 
battre par  la  diffusion  des  lumières  les  caprices  révolution- 
naires qui  de  temps  en  temps  se  sont  (ait  jour  sur  tel  ou  tel 
point  de  l'empire.  Le  salut  lui  viendra  de  la  liberté  de  la 
presse,  qui  existe  au  Brésil  plus  que  partout  ailleurs  sans 
entraves  ni  lisières.  Plus  de  journaux  politiques,  littéraires, 
historiques,  scientifiques  môme  se  publient  à  Rio-de-Janeiro 
que  dans  beaucoup  de  nos  capitales  d'Europe  ;  et  des  villes 
de  moindre  importance  n'en  sont  pas  même  dépourvues , 
tant  le  pouvoir  a  à  cœur  de  favoriser  le  développement  com- 


679 

plet  de  toutes  les  connaissances  humaines.  Rio-de-Janein-, 
qui  eu  1S20  ne  possédait  qu'une  imprimerie,  en  compte 
aujourd'hui  plus  de  trente.  On  n'y  publiait  alors  qu'un  seul 
écrit  périodique;  elle  en  voit  paraître  en  ce  moment  plis 
de  vingt,  dont  un  français  et  un  anglais.  Dom  Jean  Vf 
avait  créé  l'école  des  Beaux-Arts  en  appelant  au  Brésil  plu  • 
sieurs  artistes  français  de  mérite. 

La  littérature  de  ce  pays  peut  non-seulement  s'enorgueillir 
d'un  glorieux  passé  dans  lequel  brillent  les  noms  de  Gon- 
zaga,  Caldas,  Claudio,  Durâo,.Basilio  da  Gama,  GusniSo, 
Alvarenga,  Francisco  de  Lemos,  San-Carlos,  Gregorio  de 
Mattos  ;  mais  on  y  publie  encore  des  ouvrages  littéraires 
et  scientifiques,  qui  prouvent  que  le  goût  s'y  perfectionne; 
les  poésies  de  Gonsalves  Dias,  Magalhaèns,  Texeira-Sousa , 
Norberto  ,  Porto-Alegro ,  Januario ,  Paramagua  ,  Pedra 
Branca  et  José  Bonifacio  d'Andrada ,  les  romans  populaires 
de  Macedo ,  les  œuvres  littéraires  et  historiques  de  Pereira 
da  Silva,  Sâo-Leopoldo,  Acioli,  Pizarro,  Varenhagen  et  de 
beaucoup  d'autres  encore ,  en  sont  la  meilleure  preuve. 
Longtemps  la  litlérature  nationale ,  par  lassitude  des  Grecs 
et  des  Romains  reproduits  sans  cesse  par  les  Portugais,  est 
allée  chercher  ses  modèles  chez  les  Français ,  chez  les  An- 
glais ,  chez  les  Allemands  eux-mêmes.  Le  peintre  poëte 
Araujo  Porto-Alegre  la  guide  maintenant  de  plus  en  plus 
dans  une  voie  complètement  indépendante. 

Les  écoles  supérieures  existent  principalement  dans  la 
capitale,  qui  possède  une  université,  une  école  de  médecine, 
une  école  des  ponts  et  chaussées ,  une  école  d'artillerie , 
uneécole  decommerce,  un  observatoire,  etc., etc.,  et  qui  par- 
tage avec  Bahia  les  écoles  de  chirurgie,  avec  Sâo-Pâolo  les 
écoles  de  droit ,  avec  Bahia  les  Académies  des  Beaux -Arts, 
avec  Para  (  Belem  )  les  jardins  botaniques.  Outre  la  biblio- 
thèque impériale,  venue  de  Portugal,  le  siège  de  l'empire 
en  a  deux  autres ,  celle  des  Bénédictins  et  la  bibliothèque 
nationale,  qui  compte  déjà  62,000  volumes,  non  compris 
quelques  précieux  manuscrits.  On  doit  citer  encore  les  bi- 
bliothèques de  Bahia  et  de  Sâo-Pâolo.  On  trouve,  en  outre, 
dans  la  capitale  le  cercle  de  lecture  brésilien  avec  une  bi- 
bliothèque de  12,000  volumes ,  le  cercle  de  lecture  portugais 
avec  une  bibliothèque  de  18,000  volumes,  un  institut  anglais 
et  un  institut  allemand  (  Germania  ).  N'oublions  pas  l'Institut 
historique  et  géographique  du  Brésil,  fondé  depuis  1839  et 
qui  publie  des  mémokes  et  une  intéressante  revue  trimes- 
trielle. 

Bahia ,  Para ,  Porto-Alcgre  (  dans  le  Rio-Grande  du  Sud). 
Nossa  Senhora  da  Vittoria  (  dans  l'Espiritu-Santo  ) ,  Sâo- 
Pâolo  ,  Yilla-Réal  de  Cuyaba ,  Villa  do  Rio  Pardo  (  dans  le 
Rio-Grande  ),  Caxoeira  (  dans  le  Bahia  ),  Parahyba,etc.,  etc., 
possèdent  aussi  d'estimables  écoles ,  des  cours  très-suivis 
dephilosoplde,des  chaires  d'études  classiques,  etc.,  etc.  Mais 
c'est  surtout  pour  les  sciences  naturelles  que  les  Brésiliens 
montrent  le  plus  de  goût,  ce  qui  s'explique,  du  reste,  par  les 
magnificences  de  la  nature  dont  s'enorgueillit  à  juste  titre 
leur  pays. 

L'Église  catholique,  qui  est  celle  de  l'État,  mais  qui  n'en 
exclut  aucune  et  laisse  à  toutes  le  libre  exercice  de  leur 
culte ,  s'occupe,  depuis  quelques  années,  avec  une  ardeur 
digne  d'éloges  de  la  civilisation  et  de  la  moralisation  du 
peuple.  Elle  possède  plusieurs  temples,  digpes  d'admiration 
à  l'extérieur  et  à  l'intérieur,  dans  lesquels  le  service  divin 
est  célébré  avec  un  éclat  et  une  pompe  qu'on  chercherait 
en  vain  dans  beaucoup  de  nos  cathédrales  d'Europe;  et 
pourtant  le  peuple  brésilien,  bien  différent  en  cela  des  ha- 
bitants des  républiques  de  l'Amérique  du  Sud,  n'a  aucun 
penchant  à  la  superstition  et  moins  encore  au  fanatisme.  A 
la  tête  des  affaires  ecclésiastiques  est  l'archevêque  de  Bahia, 
qui  a  sous  lui  huit  évêques  et  un  évêque  in  purtibiis.  Les 
protestants  allemands,  anglais  et  français  ont  leurs  temples 
et  leurs  cnnelières. 

i-'agricuUure  et  le  commerce  n'ont  fait  des  progrès  récJs 


C80  BRi^: 

iLins  le  Brésil  que  depuis  les  grands  changements  politiques 
qui  ont  attiré  l'attention  du  gouvernement  sur  ces  deux 
sources  fécondes  de  la  richesse  nationale  et  amené  l'abolition 
complète  de  beaucoup  de  lois  oppressives.  Cependant  i'im- 
luense  étendue  du  territoire  de  l'empire,  sa  minime  popu- 
lation relative ,  l'habitude  du  travail  des  esclaves ,  le  pen- 
chant inné  et  presque  traditionnel  d'un  trop  grand  nombre 
de  blancs  à  la  paresse,  apportent  encore  de  sérieux  obstacles 
à  la  culture  du  sol  ;  et  il  n'est  pas  rare  de  trouver,  dans  les 
environs  même  des  grandes  villes  ,  de  vastes  étendues  de 
terrain  fertile  laissées  en  friche.  A  peine  la  sixième  partie  du 
sol  est-elle  concédée  et  à  peine  la  cinquantième  partie  est- 
elle  livrée  à  l'exploitation  ou  h  la  culture.  Le  commerce, 
au  contraire,  est  assez  considérable,  favorisé  par  le  grand 
nombre  d'excellents  ports  qui  s'ouvrent  sur  la  côte  orien- 
tale en  face  de  l'ancien  continent.  Le  commerce  en  gros  se 
concentre  eji  majeure  partie  dans  les  mains  des  Portugais , 
des  Anglais,  des  Français,  des  Américains  du  Nord,  des 
Hollandais,  des  Allemainds;  celui  de  détail  entre  celles  des 
Français  ,  des  Portugais  et  des  Brésiliens.  La  dissémination 
de  la  population  et  le  manque  de  voies  de  communication 
entravent  le  commerce  intérieur.  On  n'a  pas  de  chiffres 
officiels  exacts  sur  son  importance. 

Malgré  la  contrebande ,  qui ,  quoiqu'elle  ait  beaucoup 
diminué,  se  pratique  cependant  encore  sur  une  trop  grande 
échelle ,  les  revenus  des  douanes  du  Brésil  sont  considé- 
rables. Les  principaux  articles  d'importation  sont  l'eau-de- 
vie,  l'huile  d'olive  (de  Portugal  et  d'Italie  ),  le  savon,  le 
goudron,  les  cordages,  les  cuirs  ouvrés ,  la  morue  sèche,  les 
chaussures,  la  houille,  la  bière  anglaise,  le  thé,  les  cha- 
peaux ,  les  peaux  tannées ,  la  farine ,  les  étoffes  de  coton , 
de  laine ,  de  soie ,  la  quincaillerie ,  les  ustensiles  de  fer,  les 
vases^  de  grés,  le  beurre  (  d'Irlande  et  de  France  ),  les 
meubles  ,  le  papier,  la  poudre,  le  jambon ,  le  fromage  (  de 
Hollande),  les  vins  (de  Portugal  et  de  France  ).  Ces  divers 
articles  sont  débarqués  dans  les  ports  de  Rio-de-Janeiro, 
Bahia,  Pemambuco,  Maranhâo,  Para,  Parahyba,  Rio-Grande 
du  Sud,Santos,Macayo  et  Ceara,  proportionnellement  à  la 
consommation  de  ces  localités  et  de  celles  qu'elles  approvi- 
sionnent. L'exportation  prend  surtout  la  route  delà  Grande- 
Bretagne,  des  États-Unis,  de  la  France  et  du  Portugal.  Elle 
consiste  en  café,  sucre,  or,  diamant;  peaux  et  cornes  de 
bœufs  ;  rhum ,  cacao,  tabac ,  bois  de  teinture  et  de  droguerie, 
coton,  vanille,  quinquina,  plus  une  petite  quantité  de  thé, 
dont  la  culture  a  été  récemment  introduite  à  Sâo-Pâolo. 
La  valeur  annuelle  des  importations  est  d'environ  150  mil- 
lions de  francs;  celle  des  exportations  monte  à  près  de  200 
millions.  Malgré  la  fraude,  on  a  exporté  en  Europe ,  durant 
ces  dix  dernières  années,  pour  plus  de  70  millions  de  francs 
de  diamants  et  d'or.  En  somme,  depuis  trente  ans ,  le  com- 
merce du  pays  a  triplé  d'importance. 

L'industrie  y  est  longtemps  restée  plus  stagnante  encore 
que  dans  l'ancienne  Amérique  espagnole  ;  elle  ne  consistait 
qu'en  sucreries,  distilleries  de  rhum ,  tanneries  et  quelques 
fabriques  de  cotons  grossiers.  Aujourd'hui  elle  prend  de 
tous  côtés  l'essor ,  et  laisse  bien  loin  en  arrière  celle  des 
républiques  environnantes ,  que  le  Brésil  surpasse  aussi  de 
beaucoup  en  popuUition,  en  richesse ,  en  commerce,  en  civi- 
lisation. A  la  suite  des  maisons  anglaises ,  françaises,  alle- 
mandes et  suisses,  dont  nous  avons  parlé,  des  artisans  de 
ces  différentes  nations  sont  venus  s'établir  dans  le  pays.  On 
y  a  déjà  fondé  quelques  fabriques  importantes  ;  il  s'y  en 
établira  beaucoup  d'autres ,  car  le  peuple  brésilien  est  en 
marche,  et  rien  ne  l'arrêtera  désormais  dans  la  voie  du 
progrès. 

La  douane  prélève  sur  la  plupart  des  marchandises  im- 
portées 20  pour  100  de  la  valeur.  En  vertu  d'un  traité 
conclu  en  1827,  et  qui  a  expiré  en  1844,  l'Angleterre  jouissait 
de  l'avantage  de  ne  payer  que  15  pour  lOO.  Les  villes  an- 
séatiqucs,  la  Prusse,  l'Autriche,  etc.,  ont  aussi  conclu  des 


SIL 

traités  de  commerce.  Ce  n'est,  du  reste,  que  depuis  le  18 
février  1808  que  les  ports  du  Brésil  sont  ouverts  indistinc- 
tement à  toutes  les  nations.  La  traite  des  noirs  est  aujour- 
d'hui proliibée.  Cependant  en  1841  quarante-sept  navires 
de  divers  tonnages  faisaient  encore  voile  des  côtes  du  Brésil 
pour  celles  d'Afrique,  où  ils  prenaient  des  chargements  d'es- 
claves ,  qu'ils  débarquaient  secrètement  sur  le  littoral.  On  a 
calculé  que  depuis  la  signature  du  traité  avec  l'Angleterre 
pour  la  suppression  de  la  traite,  eu  1831,  il  n'avait  pas  été 
introduit  au  Brésil,  dans  un  espace  de  dix  ans,  moins  de 
300,000  nègres.  Enûn  en  1850  les  chambres  ont  assimilé  le 
trafic  de  chair  humaine  à  la  piraterie.  Afin  d'attirer  dans  le 
pays  des  colons  libres,  dans  l'intérêt  de  l'industrie,  le  gou- 
vernement a,  par  un  décret  du  t8  avril  1818,  établi  un  fonds 
de  secours  destiné  à  encourager  la  colonisation ,  et  a  pris 
lui-môme  la  direction  des  anciennes  colonies  de  la  couronne. 

Les  provinces  du  Brésil  sont  au  nombre  de  19  :  Rio-de- 
Janeiro,  Sâo-Pâolo,  Sainte-Catherine,  Sâo-Pedro  du  Sud, 
Matto-Grosso ,  Goyaz,  Minas-Geraès ,  Espiritu-Santo ,  Ba- 
hia ,  Sergipe ,  Alagoas ,  Pernambuco ,  Parahyba ,  Rio-Grande 
du  Nord,  Ceara,  Piauhy ,  Maranhâo,  Para  et  les  Amazones, 
dont  les  capitales  et  villes  principales  sont:  Rio-de-Janei- 
r  0,  Sâo-Pâolo,  Nossa  Senhora  do  Dcstero,  Porto-Alegre,  Villa- 
Bella  ou  Matto-Grosso,  Goyaz,  Villa  Impérial  do  Oiro  Preto, 
Victoria,  Bahia,  Sergipe,  Alagoas,  Pernambuco  on 
le  Récif,  Parahyba,  Natal ,  Ceara  ou  la  Fortaleza,  Oyeras, 
Sâo-Luiz  ou  Maranhâo  ,  Para  ou  Belem ,  etc. 

Chacune  de  ces  provinces  est  administrée  par  un  chef  supé- 
rieur civil  délégué  du  pouvoir  exécutif  et  décoré  du  titre  de 
Président,  nommé  par  le  gouvernement  central,  qu'il  repré- 
sente et-ayant  la  surveillancedes  autorités  inférieures.  Chaque 
province  possède,  en  outre,  une  assemblée  provinciale  élec- 
tivede  vingt-quatre  à  trente-six  membres,  qui  vote  les  impôts 
et  les  dépenses  de  la  circonscription  et  les  lois  destinées  à  la 
régir.  Outre  les  attributions  de  représentant  et  délégué  du 
pouvoir  central ,  le  Président  est  le  chef  du  gouvernement 
provincial  et  l'exécuteur  des  lois  provinciales  votées  par  cette 
assemblée.  Les  provinces  sont  subdivisées  en  commarcas  ou 
arrondissements,  ayant  leurs  tribunaux  administratifs,  judi- 
ciaires et  de  pohce.  Toutes  ces  provinces  et  commarcas  se  re- 
lient à  la  capitale  de  l'empire,  qui  est  Rio-Janeiro,  municipe 
libre,  qui  n'appartient  à  aucune  province.  H  résulte  de  l'en- 
semble de  ces  rouages  une  grande  centralisation  politique 
unie  à  une  immense  décentralisation  administrative,  chaque 
province  ayant  sa  recette  particulière,  qu'elle  administre  elle- 
même,  et  une  recette  générale  qui  fait  retour  au  trésor  cen- 
tral de  la  capitale  de  l'empire.  C'est  la  fédéralisation  de 
l'Amérique  du  Nord  perfectionnée,  s'alliant  à  une  royauté 
constitutionnelle  héréditaire  de  mâle  en  mâle. 

Les  divers  pouvoirs  de  l'Étatsont  :  le  législatif,  lejudiciairc, 
le  modérateur  et  l'exécutif.  Le  législatif  est  confié  à  un  sénat, 
dont  les  membres  sont  nommés  à  vie,  et  à  une  chambre  des 
députés,  dont  les  membres  élus  temporairement  reçoivent  une 
indemnité  durant  les  sessions.  Ces  deux  chambres,  élues  dans 
chaque  province  par  le  peuple,  concourent  à  la  confection 
des  lois,  mais  la  chambre  des  députés  a  l'initiative  de  la 
proposition  des  impôts,  de  la  fixation  du  chiffre  de  larraée 
et  de  la  marine,  du  recrutement ,  de  la  mise  en  accusation 
des  ministres  et  du  choix  de  la  dynastie,  en  cas  d'extinction 
de  la  famille  impériale.  Aucun  acte  des  deux  <-.hambres  n'a 
force  de  loi  sans  la  sanction  de  l'empereur.  Les  chambres  sont 
convoquées  chaque  année;  chaque  session  dure  quatre  moi.>>. 
Le  pouvoir  judiciaire ,  aussi  libre  que  les  autres,  est  chargé 
de  l'application  des  lois.  Le  pouvoir  modérateur  consiste  dans 
le  droit  qu'a  l'empereur  de  faire  grâce,  de  convoquer  \es. 
chambres  dans  l'mtervalle  des  sessions  et  de  sanctionner  les 
lois.  Le  pouvoir  exécutif  est  entre  les  mains  de  l'empereur. 
Les  ministres  sont  responsables.  La  constitution  garantit  aux 
citoyens  la  liberté  indi^^duelle ,  la  liberté  religieuse,  1  in- 
violabilité des  propriétés ,  le  libre  exercice  de  l'industrie  cl 


BRÉSIL 
la  liberté  coraplèto  de  la  presse.  La  noblesse  n^cst  pas  hé- 
réditaire. Les  revenus  de  l'empire,  qui  n'étaient  en  1820  que 
de  33  raillions  de  francs,  se  sont  élevés  en  1S50  ù  plus  de 
140  millions,  non  compris  les  revenus  provinciaux,  qui  ne 
doivent  pas  atteindre  moins  de  12  à  15  millions  de  francs. 
L'armée  de  terre,  qui  n'était  en  1820  que  de  quinze  mille 
liommes,  en  compte  aujourd'hui  vingt-six  mille,  et  la  garde 
nationale,  près  de  quatre-vingt  mille  hommes,  parfaitement 
armés  et  équipés.  Dans  cette  garde  nationale  est  enrôlé  tout 
habitant  libre  de  quinze  à  seize  ans.  Elle  se  divise  en  mo- 
bile et  sédentaire.  Jean  VI  avait  laissé  au  Brésil  quatre  bricks, 
deux  frégates  et  un  vaisseau  délabré  ;  l'empire  possède  au- 
jourd'hui deux  vaisseaux  de  ligne,  8  frégates  et 92  bûtiments 
de  moindre  grandeur. 

L'histoire  du  Brésil  remonte  peut-être  plus  haut  que  celle 
du  Pérou  et  du  Mexique.  La  découverte  faite  en  1845,  dans 
l'intérieur  de  ce  pays,  des  ruines  d'une  ville  magnifique, 
fort  ancienne,  avec  de  superbes  édifices  et  des  inscriptions 
d'une  écriture  inconnue,  semblerait  confirmer  cette  opinion, 
généralement  admise.  Pour  nous.  Européens,  cette  histoire  ne 
commence  cependant  qu'au  seizième  siècle.  Ce  fut  le  ha- 
sard seul  qui,  en  1500,  y  conduisit  Pedro  Alvarès  Cabrai, 
navigateur  portugais  ;  mais  on  a  tout  lieu  de  croire  que  dès 
l'année  précédente  l'espagnol  Vincent  Yanez  Pinson  avait 
visité  les  environs  de  l'embouchure  de  l'Amazone,  ou  du 
moins  les  côtes  de  l'île  Maranjo.  Toutefois ,  le  Portugal  se 
borna  d'abord  à  envoyer  au  Brésil  des  malfaiteurs,  des  juifs, 
des  femmes  de  mauvaise  vie,  et  d'en  rapporter  du  bois  de 
teinture  et  des  perroquets.  On  y  déporta  plus  tard  des  in- 
dividus condamnés  par  l'inquisition,  et  ces  malheureux 
finirent  par  y  cultiver  avec  tant  de  succès  la  canne  à  sucre , 
transplantée  de  l'île  de  Madère,  que  les  produits  de  cette 
culture  devinrent  bientôt  un  important  objet  d'exportation. 
Ce  ne  fut  qu'en  1531  que,  convaincu  enfin  des  avantages  de 
la  conquête,  le  Portugal  y  dépécha  connne  gouverneur  Thonié 
de  Sousa,  qui  fonda,  en  1549,  la  ville  de  Bahia  ou  Sûo-Sal- 
vador.  Les  jésuites  s'efforcèrent  de  civiliser  les  naturels,  et 
le  roi  dom  Jean  III  autorisa  en  outre  la  noblesse  de  son 
royaume  à  y  fonder  des  fiefs,  mesure  qui  hâta  singulière- 
ment le  défrichement  du  pays. 

Au  commencement  du  dix-septième  siècle ,  la  prospérité 
de  ce  pays  excita  la  convoitise  de  la  France,  de  l'Espagne 
et  de  la  Hollande.  Cette  dernière  puissance  enleva  une  grande 
partie  de  la  colonie  aux  Portugais ,  malgré  les  efforts  d'AI- 
buquerque  et  d'autres  chefs.  Une  révolution  ayant  renversé 
Philippe  IV  du  trône  de  Portugal  pour  y  placer  la  famille  de 
Bragance,  un  arrangement  eut  lieu,  d'après  lequel  les 
Hollandais  consentirent  à  céder  aux  Portugais  les  provinces 
du  Brésil  qui  n'étaient  pas  encore  tombées  en  leur  pouvoir. 
Cependant,  le  gouvernement  batave  ayant,  à  force  d'oppres- 
sion, poussé  à  bout  les  colons  portugais,  ils  coururent  aux 
armes,  etachevèrent,  en  1G54,  la  délivrancede  leur  patrieamé- 
ricaine.  L'importance  du  Brésil  pour  le  Portugal  allait  tou- 
jours en  augmentant;  en  1698  on  y  découvrait  des  mines 
d'or  et  en  1730  des  mines  de  diamants,  et  de  celte  époque 
jusqu'en  ISIO  lacolonie  ne  rapporta  pasà  la  métropole  moins 
de  14,280  quintaux  d'or  et  de  2,000  livres  pesant  de  dia- 
mants. 

Jusqu'en  1808  le  Brésil  avait  été  administré  comme  une 
colonie  portugaise.  Jean  VI,  chassé  par  les  Français  de  ses 
États  d'Europe ,  y  ayant  transporté  sa  résidence ,  un  décret 
du  16  décembre  1815  éleva  ce  pays  au  rang  de  royaume 
allié  du  Portugal.  Mais  ce  prince  avait  en  le  tort  grave  d'aug- 
menter les  impôts,  de  réclamer,  comme  droit  régalien,  la  pro- 
priété des  mines  d'or  et  de  pierres  précieuses  découvertes 
même  dans  des  domaines  parliculicrs,  et  de  se  montrer  sans 
cesse  partial  pour  les  Portugais,  ses  compatriotes,  dans  l'ad- 
ministration de  la  justice.  Les  avantages  que  le  séjour  de  la 
cour  avait  procurés  au  Brésil,  tels  que  la  réforme  de  nom- 
breux abus,  l'établissement  de  la  liberté  du  commerce,  les 

l-JCT.    1)F.    LA   CONVERS.    —   T.    111. 


6S1 

progrès  de  la  colonisation  et  delà  civilisation,  n'avaie.<t'pu 
apaiser  un  mécontentement  qui  jetait  dans  le  pays  des  ra- 
cines de  plus  en  plus  profondes.  L'exemple  des  colonies 
espagnoles  ne  fut  pas  perdu,  et  les  idées  d'émancipation  se 
répandirent  avec  la  rapidité  de  l'éclair.  Les  troupes  brésilien- 
nes se  trouvèrent  en  contact  avec  les  insurgés  de  la  Plata 
quand  Jean  VI  prit  possession  de  Montevideo.  Un  soulève- 
ment républicain  qui  éclata  à  Pernambuco,  en  avril  1817,  fut 
le  prélude  de  la  révolution.  Les  troupes  révoltées  deman- 
dèrent qu'on  appliquât  au  Brésil  la  constitution  proclamée  à 
Lisbonne,  en  août  1820,  et  le  prince  royal  dom  Pedro,  fils  de 
Jean  VI ,  la  jura  en  son  nom  et  au  nom  de  son  père  le  26 
février  1821.  La  pénurie  du  trésor  força  le  roi  à  suspendre 
son  embarquement  pour  Lisbonne  qu'il  avait  ordonné.  Le 
sang  coula  dans  plusieurs  émeutes,  et  les  21  et  22  avril 
Jean  VI  fit  disperser  par  ses  troupes  les  électeurs  qui  deman 
daienî  la  Constitution  espagnole. 

Las  d'un  pays  qu'il  n'avait  jamais  aimé,  le  roi  s'embarqua 
le  26  avril  pour  le  Portugal,  en  déclarant  son  fils  dom  Pedro 
prince  régent.  Sourdes  à  leur  intérêt,  les  cortès  portugaises 
repoussèrent  de  leur  sein  les  députés  du  Brésil,  et  décidèrent 
que  ce  pays  continuerait  à  être  administré  comme  une  colo- 
nie. Dom  Pedro,  qui  préférait  le  Brésil  au  Portugal,  et  qui 
avait  la  ferme  volonté  de  préserver  de  l'anarchie  la  patrie 
de  son  choix,  refusa,  le  9  janvier  1822,  de  retourner  à  Lis- 
bonne, et  força  les  troupes  portugaises  à  s'embarquer  pour 
celte  destination.  Au  mois  de  juin  il  convoqua  une  assem- 
blée constituante,  et  le  18  décembre  il  prit  le  litre  d'em- 
pereur, qui  lui  avait  été  décerné  le  12  octobre  par  la  chambre 
des  députés.  Dès  le  l"""  aoCit  l'indépendance  du  Brésil 
avait  été  proclamée.  Cependant  les  idées  démocratiques  se 
propageaient  de  plus  en  plus  sous  l'influence  des  loges  maçon- 
niques. Les  frères  d' A  n  d  ra  d  a ,  ministres  de  l'empereur,  es- 
sayèrent de  jeter  les  bases  d'un  gouvernement  stable  en 
fondant  le  parti  républicain  et  le  parti  portugais  en  un  seul. 
Mais  cette  tâche  était  au-dessus  de  leurs  forces ,  et  l'em- 
pereur se  vit  forcé  de  renoncer  à  leurs  services  le  1 1  juillet 
1823.  Cependant  les  troupes  brésiliennes  avaient  occupé 
Montevideo  en  décembre  1822,  et  Bahia  en  juillet  1823. 
Tandis  (jne  dom  Pedro  travaillait  à  faire  reconnaître  le  nou- 
vel empire  par  les  puissances  étrangères,  la  restauration  du 
pouvoir  absolu  en  Portugal  par  la  révolution  de  mai  1823  , 
roinplissait  les  Brésiliens  de  méfiance  pour  les  Portugais 
établis  parmi  eux  et  qui  occupaient  des  postes  plus  ou  moins 
importants  dans  l'administration  et  dans  l'armée.  Il  en  ré- 
sulta des  chocs  violents  entre  les  individus  d'abord,  puis 
entre  les  partis,  et  enfin  des  luttes  dans  le  congrès. 

Le  10  novembre,  des  troubles  sérieux  éclatèrent  à  Rio-de- 
Janeiro  ;  les  nouveaux  ministres  durent  donner  leur  démis- 
sion, et  l'empereur  entoura  de  troupes  son  château  de  Saint- 
Christophe,  situé  à  peu  de  distance  de  la  ville.  Le  12  il  lit 
entrer  ces  troupes  dans  la  capitale,  cerna  l'assemblée  légis- 
lative, et  en  força  les  membres  à  obéir  au  décret  de  dissolu- 
tion qu'il  venait  de  rendre.  Au  bout  de  quinze  jours  il  con- 
voquait un  nouveau  congrès,  auquel  il'soumettait,  le  11  dé- 
cembre, un  projet  de  constitution  très-démocratique,  qui  fut 
voté  et  auquel  on  prêta  serment  le  9  janvier  1824.  Cette 
loi  fondamentale  conférait  un  pouvoir  extraordinaire  aux 
députés ,  enlevait  à  l'empereur  le  veto  absolu  et  abolissait 
tous  les  privilèges.  Cependant  le  parti  républicain  se  souleva 
à  Pernambuco,  qui  fut  soumis  après  un  long  siège,  le  17  sep- 
tembre 1824,  par  l'armée  du  général  Lima  et  par  la  flotte 
de  lord  Cochrane. 

Après  de  longues  conférences  qui  s'ouvrirent  à  Londres 
et  se  continuèrent  à  Lisbonne,  puis  à  Rio-de-Janeiro,  un 
accommodement  fut  enlin  conclu,  le  15  novembre  1825,  entre 
le  Portugal  et  le  Brésil.  Jean  VI  reconnut  l'indépendance  du 
nouvel  empire  et  la  souveraineté  de  dom  Pedro.  Une  seule 
question  n'avait  pas  été  résolue ,  celle  de  la  succession  au 
trône  de  Poitug;'.!  :  elle  se  présenta  à  lu  mort  de  Jean  Yl, 


GB2 


BUESIL  —  BRESILLET 


le  10  mars  182u.  La  constiliilion  dcfoîidant  à  Tcmpereiir  de 
sortir  du  lîrésil  sans  la  permission  du  congrès,  dom  Pedro, 
par  acte  du  2  mai  1826,  alidiqua  la  couronne  de  Portugal 
en  laveur  de  sa  fille,  dona  Maria  da  Gloria,  après  avoir  donné 
à  ce  royaume  une  constitution  libérale.  Cependant  l'intro- 
nisation de  la  nouvelle  reine  éprouvant  en  Europe  des 
obstacles  graves  par  suite  de  l'usurpation  de  dom  Miguel ,  la 
déclaration  que  fit  l'empereur  qu'il  soutiendrait  au  besoin 
par  les  armes  les  droits  de  sa  lillc  mécontenta  les  Brési- 
liens, qui  craignirent  de  Toir  les  ressources  de  leur  pays 
s'épuiser  dans  un  intérêt  dynastique.  On  se  plaignait  aussi 
du  nombre  toujours  croissant  d'officiers  étrangers.  Le  Brésil 
venait  de  soutenir  deux  ans  de  guerre  contre  Buénos-Ayres; 
le  résultat  de  cette  lutte  fut  rindépendancc  de  la  Banda- 
Oriental.  Dom  Pedro  avait  épousé  en  premières  noces  l'arclii- 
ducliesse  Léopoldine  ,  belle-sœur  de  Napoléon  ;  devenu  veuf, 
il  sollicita  et  obtint  la  main  de  la  princesse  Amélie  de  Leucli- 
tenberg,  fille  de  notre  prince  Eugène.  La  nouvelle  impéra- 
trice débarqua,  avec  son  frère,  à  Rio-de-Janeiro  le  17  oc- 
tobre 1S29.  Cette  nouvelle  union  semblait  promettre  à  dom 
Pedro  un  règne  long  et  fortuné  ;  il  n'en  fut  pas  ainsi. 

Déjà  le  congrès  de  1829  avait,  à  plusieurs  reprises, 
nianilcsté  une  si  vive  opposition,  que  l'emiiereur  s'était  vu 
obligé  de  le  dissoudre  ie  3  septendire.  A  la  tin  de  cette  an- 
née, il  fit  une  concession  à  l'opinion  i)ulj!ique  en  composant 
son  ministère  presque  exclusivement  de  Brésiliens;  mais  il 
ne  put  regagner  la  confiance  publique ,  et  les  attaques  des 
journaux  continuèrent  avec  un  redoublement  de  violence 
jusqu'à  l'ouverture  de  la  session  ,  le  3  mai  1830,  où  il  pré- 
senta, de  guerre  lasse,  «ne  loi  restrictive  de  la  liberté  de  la 
presse.  Un  voyage  qu'il  fit  à  iMinas  pour  essayer  de  le- 
conquérir  l'opinion  n'ayant  pas  répondu  à  son  attente,  il 
rentra,  le  15  mars  1831 ,  à  Rio-de-Janeiro,  au  milieu  d'une 
indiflérence  générale,  (pii  affligea  profondément  son  cœur. 
Le  6  avril  éclata  un  soulèvement,  à  la  suite  duquel  ce  prince 
si  bienveillant  et  si  énergique  abdiqua,  le  7,  en  faveurde  son 
fils;  et  le  13  il  s'embarqua  pour  l'Europe  avec  l'impératrice  et 
le  frère  de  cette  princesse.  Son  rôle  était  fini  en  Amérique  ; 
un  autre  non  moins  brillant  commençait  jiour  lui  en  Por- 
tugal, où,  après  de  brillants  succès,  après  avoir  foudroyé 
l'usurpation  et  replacé  sa  fille,  dona  Maria,  sur  le  trône  de  ses 
ancêtres,  il  mourut  enseveli  dans  sa  gloire,  ainsi  que  son  beau- 
frère,  son  compagnon  d'armes,  le  duc  de  Leucbtenberg. 

Quant  au  Brésil,  il  a  continué,  non  sans  quelques  rudes 
secousses,  à  marclier  dans  les  voies  de  progrès  et  de  liberté 
que  lui  avait  ouvertes  le  fondateur  do  son  indépendance. 
La  minorité  du  jeune  eiiipercur,  dom  Pedro  II,  a  été  une 
époque  difficile  à  traverser,  heureusement  le  Brésil  est 
arrivé  au  but.  Le  congrès  de  ISS*!  a,  de  sa  propre  autorité, 
apporté  une  modification  importante  à  la  constitution  en 
accordant  à  chaque  province  un  corps  législatif  à  l'instar 
des  États-Unis  et  en  lui  abandonnant  le  maniement  de  ses 
affaires  inténeures, administratives,  judiciaires,  financières 
et  municipales.  Cette  modification  liardie  a  sauvé  l'unité  de 
l'empire  et  l'hérédité  du  trône.  Elle  a  été  généralement  ac- 
ceptée avec  joie,  quoiqu'elle  soit  devenue  encore  un  prétexte 
de  troubles  dans  quelques  provinces.  En  1S3.">  la  chambre 
des  députés  élut  à  une  grande  «najorité  Diego  Antonio  Eeijo 
régent  de  l'empire  fédéralif,  excluant  la  reine  de  Portugal 
de  la  succession  au  trône ,  et ,  '  en  cas  de  mort  de  dom 
Pedro  II ,  encore  mineur,  appelant  à  lui  succéder  sa  sœur 
dona  Januaria.  Sous  la  nouvelle  régence  les  partis  con- 
tinuèrent à  se  montrer  si  violents ,  que  l'eijo  dut  donner  sa 
démission  en  septembre  1837.  Les  députés  élurent  à  sa 
place  l'ancien  ministre  de  la  guerre  Pedro  Araujo  de  Lima. 
Celui-ci  se  maintint  jusqu'au  mois  de  juillet  ls4o,  où  il 
voulut  dissoudre  la  chambre,  (|uî  s'en  vengea  en  proclamant 
dom  Pedro  II  majeur  à  l'âge  d(!  quinze  ans. 

Depuis  que  ce  jeune  prince  jouit  de  la  plénitude  de  son 
pouvoir  coaslilutiounel ,  le  p^ys  a  repris  sans  obstacles  sa 


marche  ascendante  et  progressive  ;  et  foui  porte  à  penser  t[uc 
rien  désormais  ne  poilrra  l'en  faire  dévier.  Le  nouvel  em- 
pereur, bien  que  d'un  naturel  doux  et  bon,  ne  manque  pas 
d'une  certaine  énergie,  et  a  déjà  donné  des  preuves  d'ime 
intelligence  supérieure.  11  faut  reconnaître  d'ailleurs  que  le 
Brésil  confond  dans  un  môme  amour  ses  institutions  monar- 
chiques libérales  et  son  jeune  souverain.  Dom  Pedro  II  a 
épousé  une  princesse  napolitaine,  dona  Theresa,  dont  il  a 
deux  filles.  Les  voyages  qu'il  a  laits  en  1849  et  1830  dans 
les  provinces  de  l'enqiire  ont  été  pour  lui  une  suite  d'ova- 
tions. L'union  de  la  princesse  dona  Francisca,  sa  sœur, 
avec  le  prince  de  Join  ville,  fils  de  Louis-Philippe,  a  éga- 
lement été  vue  de  bon  œil  par  la  nation,  malgré  la  belle  dot 
territoriale  qu'on  lui  a  libéralement  donnée  dans  la  province 
de  .Sainte-Catherine. 

Depuis  longues  années  une  guerre  opiniâtre  entre  Buenos 
Ayres  et  Montevideo  ensanglantait  les  rives  <le  la  Plata  ;  et 
tous  les  efforts  de  l'Angleterre  et  de  la  l'rauf  e  pour  ar- 
river à  une  pacification  de  ces  contrées  avaient  échoué  contre 
des  complications  et  des  obstacles  incroyables,  lorstju'en- 
fin,  en  1851,  un  des  généraux  des  Républiques-Unies  eut 
le  coinage  d'appeler  les  riverains  à  la  délivrance.  Toutefois, 
cette  initiative  généreuse  commençait  à  retomber  languis- 
sante, sans  avoir  produit  de  grands  fruits,  lorsque  le  Brésil, 
qui  dans  ces  guerres  continuelles  voyait  souvent  son  ter- 
ritoire violé  par  les  parties  belligérantes,  prit  en  main  la 
c^use  des  opprimés,  et,  grâce  à  l'intelligence  supérieure  de 
son  général  le  baron  de  Caxias ,  grâce  à  l'intrépidité  de  ses 
troupes,  obtint  par  un  vigoureux  coup  de  collier  ce  qu'on 
attendait  vainement  de  longues  années  de  négociations  et 
d'hostilités.  Buénos-Ayres  céda  aux  armes  brésiliennes  vic- 
torieuses. Rosas,  renversé  du  pouvoir,  dut  prendre  la 
route  de  l'Europe. 

Les  institutions  libérales  conservatrices  semblent  enfin 
décidément  enracinées  au  Brésil.  Sa  constitution  est  aujour- 
d'hui l'une  des  plus  anciennes  parmi  celles  qui  régissent 
des  nations  libres.  Les  chambres  se  sont  mises  résolument  à 
l'œuvre,  et  leurs  efforts  commencent  à  être  couronni's  de 
succès.  Le  jeune  empire  peut  citer  déjà  avec  orgueil  des 
hommes  d'État  distingués  et  des  orateurs  du  premier  ordre, 
tels  que  MM.  Carneiro-Leâo ,  Paulino ,  Olinda  ,  Abranles , 
Limpo  d'Abreu,  Eusebio  de  Queiroz,  Rodrigues  Torres, 
Paula  Sousa,  Alves  Branco ,  "Vasconcellos ,  Pereira  da  Silva, 
Ferraz,  Pedro  Chaves,  Moura  Magalhâens,  Maciel  Mon- 
teiro,  Kamiro,  Victor  d'Oliveira,  Zaccarias  et  Marinho; 
d'excellents  administrateurs,  tels  que  MM.  Felisardo,  Pe- 
dreira,  Jcronimo  Coelho,  Tosta,  Boa-Vista,  Gonsalves 
Martins,  Sousa-Ramos  et  Penna;  enfin  de  remarquables 
écrivains  politiqiies,  tels  que  MM.  Josino,  Aprigio,  Firmino, 
ïorres-HomemetRocha.  Deux  partis  politiques  sérieux  sont 
en  présence  :  le  parti  conservateur  et  le  parti  libéral,  tous 
deux  constitutionnels  et  ressemblant  un  peu  aux  partis 
anglais  tory  et  whig  ;  il  existe,  en  outre,  une  minime  fraction 
républicaine,  qui,  au  lieu  de  s'accroître,  perd  chaque  jour 
du  terrain,  et  s'use  surtout  dans  les  émeutes  qu'elle  suscite 
de  temps  à  autre.  En  somme,  le  Brésil  est  au  moment  où 
nous  écrivons  un  pays  d'un  immense  avenir,  et  qui  par  sa 
politique  et  sa  position  exerce  déjà  une  influence  puissante 
sur  tous  les  autres  États  de  l'Amérique  méridionale. 
Eug.  Gakay  de  Monglavk. 

lîRÉSIL  (  Bois  de  ).  Ce  bois  de  teinture  provient  du 
avsalpinia  brasHiensis,  grand  arbre  de  la  famille  des  pa- 
pilionacées ,  qui  croît  dans  l'Amérique  méridionale.  Ce  bois 
est  dur,  pesant,  compacte,  d'un  rouge  de  brique  sur  une 
franche  récente  de  la  scie,  mais  brunissant  par  le  contact 
de  l'air ,  comme  il  en  arrive  à  presque  tous  les  bois  colorés. 
Il  est  susceptible  d'un  assez  beau  poli.  Il  nous  arrive  en 
bûches  taillées  à  la  hache  et  dépouillées  de  leur  aubier. 

BUÉSILLET  (  Bois  de  ).  Ce  bois  de  teinture  provient  de 
même  que  le  bois  de  Brésil  d'une  espèce  du  genre  crsal- 


BRESILLET  —  BRESLAU 


pinia,  qui  croît  principalement  à  la  Guiane,  et  qu'on  trouve 
aussi, quoique  en  moindre  abondance,  dans  les  Antilles.  Le 
brésillet  nous  arrive  recouvert  d'un  aubier  blanchâtre;  l'in- 
térieur est  rouge-brun ,  parsemé  de  veines  trausversales 
plus  foncées.  11  fournit  moins  de  couleur  rouge  à  la  teinture, 
et  d'une  qualité  moins  belle  que  le  bois  de  Brésil.  Il  nous 
est  apporté  en  bâtons  de  cinq  centimètres  environ  de  dia- 
mètre, dépouillés  de  leur  ecorce. 

On  donne  le  nom  de  brésillet  (les  Indes  au  bois  de 
sapan,  qui  provient  du  cœsalpiuin  sapan.  Cet  arbre  croît 
aux  Moluques ,  au  Japon,  au  Urésil  et  dans  les  Antilles.  Le 
bois  de  sapan  est  dur,  pesant,  compacte,  d'un  grain  fin, 
prenant  un  beau  poli.  11  est  d'une  couleur  rouge  beaucoup 
plus  pâle  que  celle  du  bois  de  Fernambouc.  Il  donne  un 
beau  rouge  sur  laine  et  coton.  11  nous  arrive  en  bûches  dé- 
pouillées de  leur  aubier. 

BRESLAU  (en  langue  slave  Wratislmra),  chef-Iicude 
la  Silésie  prussienne  ainsi  que  de  la  régence  du  mCme  nom, 
située  au  centre  de  celte  province  et  com()rcnant  la  partie 
septentrionale  de  la  basse  Silésie  et  le  comté  de  Glatz ,  avec 
une  superficie  de  13G  niyriamètrcs  carrés  et  une  population 
de  1,750,000  âmes.  Seconde  ville  de  la  monarchie  prussienne 
eu  égard  au  nombre  des  habitants ,  et  considérée  comme  la 
troisième  capitale  de  la  Prusse,  Breslau  est  bâtie  dans  une 
vaste  et  fertile  plaine,  à  l'embouchure  de  l'Ohlau  dans  l'Oder, 
qui  la  traverse  en  y  formant  plusieurs  bras,  et  se  comi)ose 
de  la  Vieille  et  de  la  Nouvelle  ville ,  et  de  cinq  faubourgs  eu 
partie  détruits  lors  du  siège  qu'elle  soutint  en  180G,  mais 
qui  depuis  ont  été  presque  entièrement  reconstruits  d'après 
un  plan  régulier.  De  nombreux  ponts  unissent  entre  elles  les 
différentes  parties  delà  ville,  qui  compte  aussi  beaucoup  de 
places  publiques,  entre  autres  le  Grand-Marché  ou  le  Ring, 
au  milieu  du(iuel  s'élève  l'hôtel  de  ville  et  où  ou  voit  une 
statue  équestre  en  bronze  de  Frédéric  le  Grand  ;  le  Salzriiig, 
ou  place  Bluchcr,  où  se  trouve  la  statue  en  bron/e  que  la 
province  de  Silésie  a  fait  élever  au  général  r.luchcr;  le 
Marché-Neuf,  où  existe  une  fontaine  jaillissante  dite  de 
Neptune;  la  ji lace  ïauenzien,  ornce  d'un  monument  en 
marbre  à  la  mémoire  de  Ïauenzien,  qui  défendit  héroïque- 
ment Breslau  à  l'époque  de  la  guerre  de  Sept  ans. 

Parmi  ses  nombreuses  églises,  toutes  surmontées  de  tours 
fort  élevées,  onze  appartiennent  aux  protestants  et  le  reste 
aux  catlioli(pics.  La  plus  remarquable  parmi  les  premières 
est  celle  de  Sainte-Elisabeth,  construite  par  la  bourgeoisie 
de  1253  à  1257,  avec  un  clocher  de  121  mètres  d'élévation, 
renfermant  une  cloche  du  poids  de  220  quintaux  et  plusieurs 
autres  de  moindre  volume.  On  y  admire  aussi  un  orgue  de 
toute  beauté  ;  et  elle  renfenne  beaucoup  de  tombeaux,  ainsi 
qu'une  bibliothèque  riche  en  m^nuscriLs.  Les  plus  belles 
églises  catholiques  sont  :  la  cathédrale ,  placée  sous  l'invo- 
cation de  saint  Jean,  monument  dont  on  attribue  la  cons- 
truction à  l'évéque  Wallher  1*''  (1148-1170),  mais  qui  date 
plus  vraisemblablement  du  treizième  siècle.  Elle  est  ornée  de 
deux  tours,  que  des  incendies  ont  successivement  dépouillées 
deleur  llèche,  en  lô-iO  et  en  1759,  et  d'un  grand  nombre 
de  chapelles,  avec  un  maître  autel  en  argent  massif  d'iui 
travail  remarciuablc  et  beaucoup  d'autres  productions  de 
l'art;  l'église  de  la  Croix,  bâtie  de  1288  à  1295;  l'église 
Notre-Dame  (1330-1369);  l'ancienne  église  des  Jésuites  et 
l'église  Sainte-Dorothée,  l'édifice  le  plus  élevé  de  toute  la 
ville.  Il  y  a,  en  outre,  à  Breslau  une  grande  synagogue  et 
seize  autres  de  dimensions  moindres. 

La  ville  de  Breslau  contient  encore  d'autres  édifices  re- 
marquables; nous  citerons  :  l'hôtel  de  ville,  monument  du 
quatorzième  siècle,  orné  de  belles  sculptures,  et  surmonté 
d'une  haute  tour  dentelée ,  avec  une  belle  horloge  ;  la  bourse  ; 
le  château  royal;  le  collège  des  Jésuites,  construit  sous  le 
règne  de  l'empereur  Léoi)old  1",  et  affecté  aujourd'hui  au 
service  de  l'université  ;  l'hôlel  de  la  régence  ;  le  palais  de 
justice;  le  palais  épiscopal  ;  l'hôpital  de  Tous  les  Saints;  le 


6S3 


théâtre  de  la  ville,  terminé  seulement  en  1841 ,  et  apparte- 
nant à  une  société  d'amis  de  l'art  dramatique;  le  palais  des 
États  provinciaux;  l'Intendance  et  la  Bibliothèque,  etc.,  etc. 
Toute  la  ville  est  éclairée  au  gaz,  à  l'exception  des  faubourgs 
situés  sur  la  rive  gauche  de  l'Oder.  Elle  est  le  siège  des 
autorités  supérieures,  tant  civiles  que  militaires,  de  la  pro- 
vince, d'un  gouverneur  général,  d'un  consistoire  évangé- 
lique,  d'un  prince-évèque  et  d'un  chapitre  catholique  rele- 
vant immédiatement  du  pape,  d'un  comptoir  de  la  Banque 
royale,  etc.  En  y  comprenant  la  garnison,  sa  popidalion  est 
de  100,800  habitants  environ  ;  65,000  professent  la  religion 
protestante,  29,000  la  religion  catholique,  et  près  de  6,000  ap- 
partiennent à  la  religion  juive. 

On  y  trouve  un  grand  nombre  de  fabriques,  dont  les  plus 
importantes  sont  celles  de  sucre,  de  tabac,  d'huile,  de 
quincaillerie,  d'orfèvrerie,  de  toiles  peintes,  de  garance,  de 
draps,  de  cuirs,  d'épingles,  d'aiguilles,  d'eau-de-vie,  de 
poteries,  de  chapeaux  de  paille,  de  cramons  de  mine  de 
plomb,  de  cire  à  cacheter  et  de  toile.  Il  y  existe  également 
de  grandes  brasseries  et  de  grandes  fabricpies  de  vinaigre,  et 
pendant  longtemps  la  ville  a  possédé  une  fonderie  de  canons. 
Le  commerce  des  toiles,  des  draps,  des  liqueurs,  et  en  gé- 
néral des  produits  du  sol,  des  mines  et  des  forges,  mais 
surtout  des  laines,  favorisé  par  de  grands  marchés  et  des 
foires  importantes,  y  est  des  plus  actifs  ;  et  la  navigation  sur 
l'Oder ,  exploitée  en  grand  par  deux  puissantes  compagnies, 
met  la  ville  en  conununication  presque  quotidienne  avec 
Hambourg.  Trois  chemins  de  fer  contribuent  à  donner  en- 
core plus  d'activité  au  mouvement  commercial.  L'un,  celui 
de  la  haute  Silésie,  conduit  d'une  part,  par  Oppein  etKosel, 
à  Cracovie  et  à  Varsovie,  et  de  l'autre  à  Vienne.  Le  second, 
celui  de  Breslau-Schweidnitz-Freybourg,  conduit  à  Schweid- 
nitz  et  à  Freybourg;  le  troisième  enlin,  celui  de  la  basse  Si- 
lésie et  de  la  Marche ,  conduit  d'une  part ,  par  Liegnitz  et 
Butizlau,  à  Berlin  (avec  embranchement  sur  Glogau),  et  de 
l'autre  à  Dresde. 

Eu  fait  d'établissements  scientifiques  existant  à  Breslau,  il 
faut  mentionner  en  première  ligne  son  université,  fondée 
en  1702,  à  rinstigation  des  Jésuites,  par  l'empereur  Léo- 
pold  F'',  comme  faculté  de  théologie  et  de  philosophie  ca- 
tholiques, et  nommée  d'abord  Leopoldina,  en  l'honneur  de 
ce  prince.  Ce  ne  fut  qu'en  1811 ,  et  lorsqu'on  lui  eut  adjoint 
l'université  de  Francfort  sur  l'Oder,  qu'elle  devint  une  uni- 
versité complète  comptant  quatre  facultés,  dont  l'une,  celle 
de  théologie,  est  divisée  en  faculté  de  théologie  protestante 
et  en  faculté  de  tl.éologie  catholique.  La  dotation  annuelle 
de  l'université  fut  alors  portée  à  320,000  francs ,  en  même 
temps  qu'on  en  augmentait  le  personnel  enseignant  ;  et  bientôt 
elle  put  rivaliser  avec  la  nouvelle  université  de  Berlin.  A 
l'université  sont  adjoints  une  bibliothèque  de  300,000  vo- 
lumes, un  jardin  botanique,  des  collections  d'instruments  de 
physique  et  de  chimie,  de  minéralogie,  de  zoologie  et  d'as- 
tronomie ,  un  observatoire,  un  amphithéâtre  et  un  muséum 
d'analomie,  deux  instituts  cliniques  et  un  musée  archéolo- 
gique. Dans  ces  dernières  années,  le  nombre  des  étudiants  a 
varié  entre  six  et  sept  cents.  Breslau  possède  en  outre  quatre 
bibliothèques  publiques,  diverses  sociétés  savantes,  une  so- 
ciété biblique  et  une  société  des  missions,  une  société  philo- 
matique,  l'Académie  Léopoldinedes  naturalistes,  une  société 
des  Arts  et  Métiers,  diverses  collections  d'archéologie  et 
d'objets  d'arts,  un  cabinet  de  médailles,  et  les  archives  de  la 
Silésie. 

]l  est  déjà  fait  mention  vers  l'an  1000  de  Breslau ,  sous  les 
noms  de  Wracislawa  ou  Wortizlawa,  comme  d'une  ville 
importante.  Après  que  le  duc  Wladislas  eut  été  expulsé  de 
la  Pologne  par  ses  frères  (  1 148),  la  Silésie  fut  séparée  de  ce 
royaume  par  l'intervention  de  l'empereur  Frédéric  1*"^  (l  160), 
et  Breslau  devint  alors  la  capitale  d'un  duché  indépendant. 
En  1241,  lors  de  l'invasiondes  Mongols,  elle  fut  brûlée  par  sa 
propre  garnison.  A  la  mort  du  dernier  duc,  Henri  VI  (1335), 

86. 


684 


BRESLAU  —  BRESSE 


qui  ne  laissa  point  de  postérité,  la  ville  et  la  principauté  échu- 
rent comme  licf  immédiat  au  roi  Jean  de  Bohême,  et  par 
conséquent  à  la  maison  de  Luxembourg.  Deux  grands  in- 
cendies, arrivés  en  1342  et  1344,  détruisirent  presque  com- 
plètement la  ville,  que  l'empereur  Charles  IV  fit  ensuite  re- 
l)lltir  d'après  ses  plans  et  qu'il  agrandit  considérablement  du 
côté  de  rohlau.  Lui  et  ses  successeurs  lui  accordèrent  aussi 
d'importants  privilèges,  do  sorte  que  sa  prospérité  et  son 
importance  s'accrurent  rapidement.  En  1418,  sous  le  règne 
de  Wenceslas ,  la  bourgeoisie  se  révolta  contre  le  sénat , 
qui  affectait  des  tendances  aristocratiques,  et  beaucoup  de 
sang  fut  répandu  à  cette  occasion.  Plusieurs  séJiatcurs,  entre 
autres,  furent  égorgés.  En  1420  l'empereur  Sigismond  tira, 
il  est  vrai ,  vengeance  de  ces  excès  en  envoyant  au  supplice 
vingt-trois  des  meneurs  de  l'insurrection;  mais  il  décida  en 
même  temps  qu'à  l'avenir  quatre  membres  désignés  par  les 
différentes  corporations  de  la  bourgeoisie  feraient  partie  du 
sénat. 

Dans  la  guerre  des  Hussites ,  Breslau  se  déclara  contre  ces 
sectaires,  puis  contre  Georges  Podiebrad,  lorsque  celui-ci 
fut  proclamé  roi  de  Bohême  ;  cependant  il  réussit  à  se  rendre 
maitre  de  la  ville.  Plus  tard ,  elle  embrassa  le  parti  de  Ma- 
Ihias  Corvin  de  Hongrie,  à  l'effet  d'obtenir  de  lui  aide  et 
protection  contre  Georges.' Son  ministre  Stein  entra  en  Silésie 
et  en  Lusace  avec  le  titre  formel  de  gouverneur;  et  il  établit 
en  qualité  de  capitaine  de  la  principauté  de  Breslau  et  de 
président  du  sénat  un  homme  entièrement  à  sa  dévotion , 
Henri  Dompnig,  qui  détruisit  les  institutions  municipales  et 
éduisit  presque  à  néant  l'autorité  du  sénat.  Mais  celui-ci, 
jjuand  le  roi  Mathias  vint  à  mourir,  réussit  à  ressaisir  son 
ancien  pouvoir,  et  résolutalors  de  se  venger  des  gouverneurs 
qui  lui  avaient  été  imposés.  Stein  fut  assez  heureux  pour 
6'échapper;  mais  Dompnig  fut  pendu. 

Lorsque  le  roi  Louis  H  de  Hongrie  eut  péri  à  la  bataille  de 
Mohacs,  Breslau  et  la  Hongrie  passèrent,  en  1527,  sous  l'au- 
torité de  Ferdinand  d'Autriche,  beau-frère  du  roi  défunt. 
iQuelques  années  auparavant,  la  grande  majorité  des  habi- 
iHfltsavaient  embrassé  le  protestantisme;  mais  l'évêque,  le 
chapitre,  les  couvents  et  les  monastères  demeurèrent  fidèles 
à  la  foi  catholique. 

Pendant  la  guerre  de  la  succession  d'Autriche,  Breslau,  à 
la  suite  d'une  surprise,  tomba,  le  10  août  1741,  au  pouvoir 
du  roi  de  Prusse,  Fiédéric  II,  qui  lui  accorda  divers  droits  et 
privilèges.  C'est  aussi  dans  cette  ville  que  lut  signée,  le  4 
juin  1742,  entre  la  Prusse  et  l'Autriche,  la  paix  qui  assura  à 
la  Prusse  la  possession  définitive  de  la  Silésie.  A  l'époque 
de  la  guerre  de  sept  ans,  les  Autrichiens  commandés  par  le 
prince  Charles  de  Lorraine  y  battirent,  le  22  novembre  1757, 
les  Prussiens,  inférieurs  en  nombre,  coDamandés  par  le  duc 
Brnnsvsick-Bevern,  qui  fut  fait  prisonnier.  Mais  à  la  suite  de 
la  victoire  qu'il  remporta  à  Leuthen,  le  5  décembre  1757,  Fré- 
déric Il  reprit  bientôt  possession  de  Breslau,  où  21,000  Au- 
trichiens durent  mettre  bas  les  armes  devant  lui.  En  17C0 
Laudon  tenta  de  s'emparer  de  Breslau  par  un  coup  de  main 
et  un  bombardement  ;  mais  Tauenzien  s'y  défeodit  si  brave- 
ment, que  l'ennemi  dut  lever  le  siège. 

A  l'époque  de  la  guerre  soutenue  contre  la  France  par  la 
Prusse  et  la  Russie,  Breslau  fut  assiégée,  du  7  décembre  1806 
au  7  janvier  1807,  par  un  corps  d'armée  aux  ordres  du  gé- 
néral Vandaname  et  composé  en  grande  partie  de  Bavarois  et 
de  Wurtembergeois.  Le  commandant  de  la  place,  Thiele,  fit 
alors  incendier  les  faubourgs;  mais  après  avoir  soutenu  le 
feu  de  l'ennemi  pendant  plusieurs  semaines,  força  lui  fut  de 
rendre  la  ville  aux  Français ,  qui  en  rasèrent  les  fortificalions 
et  comblèient  les  fossés.  Plus  tard  on  les  a  transiormés  en 
promenades  magnifiques. 

C'est  de  Breslau  que,  le  17  mars  1813,  le  roi  Frédéric-Guil- 
laume III  lança  sa  fameuse  proclamation  A  mon  peuple, 
qui  avait  pour  but  de  soule>'er  les  populations  prussiennes 
i»ntre  la  lyjanniqiie  dominat'on  de  Napoléon.  Au  mois  de 


juin  suivant  les  Français  occupèrent  bien  encore  une  lois 
Breslau  ;  mais  aux  termes  de  l'armistice  qui  ne  tarda  pas  à 
être  conclu  alors  ils  durent  l'évacuer.  Le  rétablissement  de 
la  paix  générale  eut  pour  résultat  le  rapide  développement 
de  la  prospérité  de  la  ville  de  Breslau ,  devenue  aujourd'hui 
la  cité  commerciale  la  plus  riche  et  la  plus  importante  de  la 
monarchie  prussienne  après  Berlin. 

il  serait  assez  difficile  d'indiquer  l'époque  précise  de  la  fon- 
dation de  rèvéclié  de  Breslau;  ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est 
qu'il  existait  déjà  en  l'an  1000.  Jaroslas,  fils  du  duc  Bo- 
leslas  r*",  qui  en  fut  titulaire  de  1198  h  1201,  y  adjoignit  la 
principauté  de  Ncisse,  et  l'empereur  Charles  IV  divers  villes 
et  châteaux,  tels  que  Grottkau  ;  en  vertu  de  quoi,  les  évoques 
de  Breslau  prenaient  le  titre  de  Princes  de  Aeisse  et  de  ducs 
de  Grottkau.  L'évêché  était  aussi  surnommé  proverbialement 
VévCchc  d'or,  à  cause  de  l'importance  de  ses  revenus.  Les 
troubles  provoqués  par  les  Hussites  le  firent  singulièrement 
décheoir.  En  174?  l'évêque  de  Breslau  devint  sujet  du  roi 
de  Prusse,  attendu  qu'une  très-petite  partie  de  son  diocèse 
demeura  alors  sous  la  domination  autrichienne.  En  1811, 
sous  l'administration  épiscopale  du  prince  Joseph  de  Hohen- 
lohe  Bartenstein ,  on  enleva  à  l'évêché  toute  espèce  de  droits 
temporels  et  de  juridiction  seigneuriale. 

A  peu  de  distance  de  Breslau  on  trouve  le  village  de  Krie- 
belowitz,  où  Blucher  mourut,  le  12  septembre  1819,et  où 
il  est  enterré  sous  trois  tilleuls.  Un  magnifique  monument  en 
granit  s'élève  aujourd'hui  sur  sa  tombe. 

BRESSE.  Cette  province  tire  son  nom  d'une  grande 
forêt  qui  s'étendait  au  neuvième  siècle  depuis  le  Rhône  jus- 
qu'à Châlons,  et  qu'on  nommait  Brixius  saltus.  Au  mo- 
ment de  la  conquête  des  Gaules  par  les  Romains ,  ce  pays 
était  habité  par  les  Ségusiens  ou  Sébusiens,  originaires  du 
Forez,  que  les  Éduens  avaient  subjugués.  L'étendue  de  la 
Bresse  était  de  soixante-quatre  kilomètres  en  tout  sens,  et 
ses  limites  :  au  nord  ,  le  duché  de  Bourgogne  et  la  Franche- 
Comté;  au  sud,  le  Rhône,  qui  la  séparait  du  Dauphiné;  à 
l'est,  le  Bugey;  à  l'ouest,  le  Lyonnais  et  la  Saône,  qui  la 
séparait  du  Lyonnais.  On  divisait  la  Bresse  en  haute  ou 
pays  de  Revcrinont,  et  en  basse,  située  à  l'ouest  de  la 
haute.  Au  cinquième  siècle  elle  fut  conquise  par  les  Bour- 
guignons, et  passa,  avec  leur  royaume,  sous  la  domination 
des  fds  de  Clovis.  Elle  fit  partie  du  second  royaume  de 
Bourgogne,  qui  se  forma  vers  la  fin  du  neuvième  siècle. 
Lorsque  les  souverains  de  ce  dernier  État  furent  parvenus  à 
l'empire,  plusieurs  seigneurs  de  la  Bresse,  profitant  de  leur 
éloignement ,  se  partagèrent  cette  province  sous  le  règne  de 
l'empereur  d'Allemagne  Henri  111.  Les  principaux  furent  les 
sires  de  Baugé  ,  de  Coligni,  de  ïhoire  ,  et  de  Villars. 

Les  sires  de  Baugé  ou  de  Bagé  furent  les  véritables  sei- 
gneurs de  la  Bresse ,  et  y  exercèrent  des  droits  de  souve- 
raineté. Leur  État  tirait  son  nom  de  la  capitale,  et  renfer- 
mait, outre  cette  ville,  celles  de  Bourg,  de  Châtillon,  de 
Saint-Trivier,  de  Pont-de-VesIe,  de  Cuiseri,  de  Mirbel,  et 
tout  le  pays  qu'on  appela  depuis  la  basse  Bresse,  ainsi  que 
le  pays  de  Dombes,  depuis  Cuiseri  et  Baugé  jusqu'à  Lyon. 
Les  premiers  sires  de  Bresse  sont  inconnus  jusqu'à  Rodolphe 
ou  Raoul,  dont  on  ignore  l'origine.  Viennent  ensuite  Re- 
KALD,  JoscEKAND  OU  GAUSCEnAKD,  SOU  Ijls  aîné ,  ct  Ulkic 
ou  Odalbic,  fils  de  Joscerand,  qui  régnait  en  1 107.  Des  actes 
qui  nous  restent  de  lui  prouvent  que  la  Bresse  reconnaissait 
alors  le  roi  de  France  pour  suzerain.  En  1120  Ulric  partit 
pour  la  Terre  Sainte,  et  avant  son  départ  répandit  des  lar- 
gesses parmi  les  moines.  A  son  retour,  il  alla  se  faire  ermite 
dans  la  forèl  de  Brou,  près  de  Bourg,  où  il  finit  ses  jours 
dans  les  exercices  de  la  pénitence  et  la  pratique  de  la  règle 
de  saint  Benoit. 

RtcNAUO  11 ,  son  fils,  qui  lui  succéda,  eut,  comme  ses  an-i 
cotres,  de.s  querelles  avec  l'évêque  de  Màcon;  son  fils,  Re- 
naud m,  ne  jouit  pas  plus  paisiblement  de  l'héritage  de  son 
père  ;  Girard,  comte  de  Miîco»,  et  son  frère  Etienne  se  ' 


BRESSE  —  BREST 


685 


guèrent  contre  lui  avec  Humbert,  sire  Je  Beaiijeii,  et  l'ar- 
clievêque  de  Lyon ,  ramassèrent  plusieurs  bandes  de  Bra- 
bançons et  dévastèrent  la  Bresse.  Ulric,  fils  de  Renaud,  fut 
fait  prisonnier  par  eux.  Alors  le  sire  de  Baugé  eut  recours 
au  roi  de  France,  Louis  le  Jeune,  qui  écrivit  au  sire  de 
Beaujeu  pour  lui  enjoindre  de  mettre  Ulric  en  liberté.  Uliiic  11 
n'est  connu  que  par  ses  libéralités  envers  les  églises;  Re- 
naud IV  fut  un  des  bienfaiteurs  de  la  Chartreuse  de  Mont- 
merle.  En  1239  il  alla  combattre  en  Palestine,  d'où  il  était 
de  retour  en  1247.  Après  une  guerre  avec  l'abbaye  de  Tour 
nus,  à  laquelle  il  accorda  de  lui-môme  des  indemnités,  il  (it 
un  second  voyage  à  la  Terre  Sainte  (1249),  où  il  mourut. 
Gui,  fils  aîné  de  Renaud  IV,  n'était  pas  encore  majeur 
lorsqu'il  lui  succéda.  Philippe  de  Savoie ,  archevêque  de 
Lyon ,  son  parent,  lui  donna  un  curateur,  qui  autorisa ,  en 
1251  ,  la  charte  d'affranchissement  qu'il  accorda  aux  habi- 
tants de  Baugé,  de  Bourg  et  de  Pont-de-Vesle.  En  1255,  se 
voyant  infirme,  il  fit  son  testament,  par  lequel  il  institua 
pour  son  héritier  l'enfant  qui  naîtrait  de  sa  femme  alors  en- 
ceinte. Elle  accoucha  d'une  fille,  nommée  Sybille,  qui  re- 
cueillit la  succession  de  son  père,  mort  en  1268. 

Sybille  porta  ces  biens  dans  la  maison  de  Savoie  par  son 
mariage  avec  Araédée,  prince  de  Piémont,  qui  devint 
comte  de  Savoie  en  12S5.  C'est  ainsi  que  la  basse  Bresse  fut 
réunie  au  comté  de  Savoie.  Des  acquisitions  successives 
furent  faites  par  les  comtes  de  Savoie,  qui  en  1402  se 
virent  maîtres  de  toute  la  Bresse.  Ce  fut  seulement  en  IfiOt 
que,  par  uni  trait»''  conclu  à  Lyon  entre  Henri  IV  et  Charles 
Emmanuel,  duc  de  Savoie ,  la  Bresse  fut  rendue  à  la  France, 
avec  le  B  u  g  e  y  et  la  baronnie  de  G  e x ,  en  échange  du  mar- 
quisat de  Saluce.  Depuis ,  elle  fut  enclavée  dans  le  gouver- 
nement militaire  de  Bourgogne,  et  fait  maintenant  partie  du 
département  de  l'Ain.  Foye;  Cualonnais. 

BRESSOIV  (Charles  comte),  diplomate  français,  né 
à  Paris  en  1798,  fut  dès  son  enfance  destiné  à  la  carrière 
diplomatique  par  son  père,  chef  de  division  au  ministère 
des  affaires  étrangères  sous  Napoléon.  Sous  la  Restauration, 
riyde  de  Neuville  le  chargea  d'une  mission  auprès  de  la 
république  de  la  Colombie.  Après  la  révolution  de  Juillet, 
il  fut  envoyé  en  Suisse  en  qualité  d'ambassadeur  extraor- 
dinaire pour  notifier  à  la  diète  l'avènement  au  trône  de 
Louis-Philippe,  et,  à  son  retour,  il  fut  nommé  premier  se- 
crétaire de  légation  à  Londres.  A  la  fin  de  1830,  il  fut 
chargé,  avec  le  secrétaire  de  légation  Cartwright,  de  commu- 
niquer au  gouvernement  provisoire  de  la  Belgique  les  ré- 
solutions de  la  Conférence  de  Londres ,  et  dans  cette  cir- 
constance il  déploya  beaucoup  d'habileté  pour  faire  accepter 
aux  différents  partis  les  décisions  de  la  diplomatie  euro- 
péenne. Le  gouvernement  français  eut  recours  encore  à  ses 
talents  en  diverses  circonstances,  notamment  lorsque  le 
trône  de  Belgique  fut  offert  au  duc  de  Nemours  et  à  l'époque 
du  mariage  de  la  princesse  Louise  d'Orléans  avec  Léopold. 
Au  commencement  de  1833  il  fut  élevé  au  rang  d'envoyé 
de  première  classe  et  nommé  chargé  d'affaires  à  Berlin ,  où 
en  véritable  élève  de  Talleyrand ,  il  mit  beaucoup  d'adresse, 
dans  des  circonstances  fort  difficiles,  à  rétablir  les  relations 
amicales  qui  avaient  existé  entre  les  deux  puissances ,  et 
surtout  à  empêcher  une  alliance  trop  étroite  entre  la  Prusse 
et  la  Russie.  Louis-Philippe  lui  en  témoigna  sa  reconnaissance 
en  l'appelant,  le  12  novembre  1834,  au  ministère  des  affaires 
«'■trangères  ;  mais  Bresson  ne  voulut  point  accepter  le  pot  te- 
feuille  qui  lui  était  offert.  Le  voyage  des  princes  français  à 
Berlin,  dans  l'année  1836,  doit  être  regardé  comme  le  pre- 
uiier  résultat  du  rétablissement  de  la  bonne  harmonie  entre 
la  Prusse  et  la  France.  L'année  suivante  eut  lieu  le  mariage 
du  duc  d'Orléans  avec  une  princesse  alliée  à  la  maison  de 
Brandebourg.  A  cette  occasion  Bresson  fut  créé  comte  et 
pair  de  France.  Défenseur  zélé  de  la  politique  du  gouverne- 
ment ,  il  appuya  avec  chaleur,  en  1841,  le  projet  des  forti- 
fications de  Paris.  Quelques  années  apiès ,  il  fut  envoyé  en 


ambassade  à  Madrid,  et  il  eut  une  grande  part  à  la  conclu- 
sion des  fameux  mariages  espagnols,  le  28  août  1846.  Rap- 
pelé la  même  année,  il  obtint,  dans  l'été  de  1847,  après  un 
court  séjour  à  Londres,  l'ambassade  de  Naples;  mais  à  peine 
arrivé  il  se  coupa  la  gorge  avec  un  rasoir,  le  2  novembre 
1847.  Son  fils  avait  été  créé  par  la  reine  d'Espagne  grand  de 
première  classe,  avec  le  titre  de  duc  de  Sainte-Isabelle ,  à 
l'occasion  des  mariages  espagnols. 

liRESSUIRE,  autrefois  Bersuria  ,  depuis  Bersiiire, 
et  enfin  Bressuire,  ville  de  l'ancien  bas  Poitou ,  aujourd'hui 
chef-lieu  d'arrondissement  dans  le  département  des  Deux- 
Sèvres,  serait ,  d'après  quelques  écrivains ,  l'antique  Segora, 
mentionnée  dans  l'Itinéraire  d'Antonin.  Elle  est  située  à 
55  kilomètres  nord  de  Niort,  sur  le  Dolo,  et  sa  population 
est  de  2,440  âmes.  On  y  fabrique  des  lainages,  des  coton- 
nades ,  des  mouchoirs  façon  ClioUet ,  et  il  s'y  fait  un  grand 
commerce  de  bestiaux  et  de  grains. 

En  1371,  époque  où  les  Anglais  en  étaient  maîtres,  cette 
ville  était  considérable ,  par  le  nombre  et  la  richesse  de  ses 
habitants ,  par  la  bonté  de  ses  fortifications  et  surtout  par 
son  château.  Elle  avait  un  gouverneur,  une  garnison,  et 
Du  Guesclin  fut  obligé  d'en  faire  le  siège.  U  la  prit  d'assaut, 
et  en  passa  la  garnison  au  fil  de  l'épée  ;  le  château  capitula , 
la  ville  fut  pillée  par  la  soldatesque  victorieuse,  qui  y  fit 
un  riche  butin.  Avant  la  révolution  de  1789,  les  guerres  de 
religion  et  plusieurs  autres  causes  avaient  déjà  réduit  Bres- 
suire à  un  état  complet  de  décadence.  Son  enceinte  ne  servait 
plus  qu'à  assurer  la  perception  de  l'octroi. 

Tel  était  l'état  de  cette  ville,  lorsqu'elle  se  vit  assiégée,  en 
août  1792,  par  plus  de  dix  mille  Vendéens.  Elle  n'avait  pour 
la  défendre  que  quelques  compagnies  de  grenadiers  et  do 
chasseurs;  mais  Chollet,  Parlhenay,  Angers,  Nantes,  Tours, 
La  Rochelle,  Rochefort,  Saumur,  Poitiers,  etc.,  envoyèrent  à 
son  secours  de  nombreux  détachements  de  gardes  natio- 
naux. Les  deux  partis  en  vinrent  aux  mains  au  pied  de 
l'enceinte.  Le  combat  ne  fut  pas  long  :  les  Vendéens,  mal 
armés ,  pressés  de  toutes  parts ,  furent  entamés ,  mis  en  dé- 
route, et  se  sauvèrent  dans  le  plus  grand  désordre,  laissant  six 
cents  hommes  sur  le  carreau.  Chaque  armée  prit  plus  tard 
sa  revanche;  mais  la  guerre  civile  n'en  consomma  pas 
moins  la  ruine  de  Bressuire,  qui  fut  un  jour  entièrement 
réduite  en  cendres,  à  l'exception  de  l'Église  et  d'une  seule 
maison.  Le  temps  a  complètement  effacé  les  traces  de  ces 
calamités,  mais  il  n'a  pas  rendu  à  la  ville  son  ancienne  im- 
portance. 

BREST,  place  forte  de  l"  classe,  port  militaire  le  plus 
important  de  la  France,  à  545  kilomètres  ouest  de  Paris,  à 
l'extrémité  occidentale  de  la  Bretagne,  dans  une  position  ([ui 
semble  l'appeler  à  la  domination  de  l'Océan,  est  située 
presque  au  fond  d'une  rade  immense,  qui  s'étend  à  plus 
de  16  kilomètres  de  profondeur  dans  les  terres,  et  dont 
la  plus  grande  largeur  est  d'environ  l  o  kilomètres.  L'entrée, 
qui  en  est  assez  étroite,  est  défendue  sur  les  deux  rives  par 
de  nombreuses  batteries.  Le  port  proprement  dit  peut  con- 
tenir seize  vaisseaux  de  ligne  et  plus  de  cinquante  autres  bâ- 
timents de  guerre  toujours  à  Ilot.  La  rade  pourrait  abriter 
toutes  les  flottes  de  l'Europe. 

Brest ,  situé  à  l'embouchure  de  la  rivière  de  Penfel  qui  le 
traverse,  est  une  des  plus  grandes  préfectures  maritimes  de 
la  France  ;  il  y  a  un  très-bel  arsenal  et  de  vastes  magasins 
de  tous  les  objets  nécessaires  au  service  de  la  marine.  Sa 
population  est  de  35,163  âmes.  Malgré  son  importance  et 
sa  population ,  Brest  n'est  pas  cependant  le  chef-lieu  du 
département  du  Finistère.  Il  n'a  qu'une  sous-préfecture  et 
un  tribunal  de  première  instance  ;  mais  les  autorités  de 
terre  et  de  mer  y  résident.  Les  établissements  de  la  marine 
militaire  envahissant  la  presque  totalité  du  port,  le  com- 
merce de  Brest  est  loin  d'être  aussi  important  qu'il  pourrait 
le  devenir. 

Brest  est  le  chef-lieu  du  il'  arrondissement  marilime , 


686- 


BREST  —  BRET 


(le  la  3"  subdivision  de  la  IG*  division  militaire,  d'une 
direction  d'artillerie  de  marine,  d'une  direction  d'artillerie 
de  ligne,  d'une  direction  de  douanes.  Klle  possède  un  tri- 
bunal maritime,  un  tribunal  de  commerce,  ime  bourse, 
une  école  de  médecine ,  chirurgie  et  i)liarmacie  de  la  ma- 
rine,  une  école  navale  à  bord  d'un  bitiment  en  rade,  un 
collège  communal,  une  école  nationale  dhjdrograpiiie,  une 
école  de  maistrance  pour  les  ouvriers  du  port,  deux  biblio- 
thèques, dont  une  contient  20,000  volumes,  un  jardin  bota- 
nique, un  observatoire  de  la  marine,  un  entrepôt  réel ,  un 
mont  de-piété ,  un  bagne  sur  le  point  d'être  fermé,  d'im- 
portants chantiers  et  arsenaux  de  construction  pour  la  ma- 
rine militaire  et  marchande ,  quelques  fabriques  de  toiles 
vernies ,  chapeaux ,  chapeaux  cirés ,  toiles ,  bonneterie,  et 
plusieurs  tanneries.  Le  commerce  y  a  presque  exclusi- 
vement pour  but  les  a^iprovisionncments  de  la  ville  et  du 
port,  et  consiste  en  vins,  eaux-de-vie,  sardines,  denrées  co- 
loniales, bois  du  Nord,  houille,  chanvre,  fers,  huiles  ,  arme- 
ments pour  la  pêche  de  la  morue.  On  y  remarque  l'église 
Saint-Louis,  l'hôtel  de  ville,  la  salle  de  spectacle,  le  quar- 
tier neuf,  la  courd'Ajot,  les  places  d'Armes,  de  Rome,  de 
Bourbon.  Mais  il  y  a  aussi ,  surtout  dans  le  quartier  de 
Recouvrance ,  des  rues  tortueuses,  sombres  et  escarpées. 

La  situation  de  Brest  et  la  beauté  de  la  rade  indiquent  que 
ce  lieu  a  dû  être  habité  depuis  longtemps.  En  effet ,  Pto- 
Jémée  place  chez  les  Osismiens  un  lieu  appelé  Brivates  ou 
Drivâtes  portus.  Or  les  Osismiens  habitaient  l'extrémité  de 
la  Bretagne ,  le  Finistère  ;  aussi  les  géographes  et  les  com- 
mentateurs s'accordent-ils  à  reconnaître  Brest  dans  le  Bri- 
vates portus  des  anciens.  Ce  seul  témoignage  ne  suffirait  sans 
doute  pas,  attendu  que  Ptolémée  place  le  Brivates  portus 
entre  Vannes  et  l'embouchure  de  la  Loire,  ce  qui,  au  reste, 
ne  doit  pas  étonner,  car  il  est  facile  de  voir  que  les  posi- 
tions géographiques  qu'il  indique  dans  son  ouvrage  n'ont 
aucune  exactitude.  Mais  un  autre  témoignage  vient  se 
joindre  au  sien  :  on  trouve  dans  la  table  théodosienne  ou 
carte  de  Peutinger  l'indication  d'une  voie  romaine  qui , 
partant  de  Poitiers  (Lemunum),  et  passant  par  \e  portus 
IS'amnctum  (Nantes),  par  Vannes  (Dariorigum)  et  par 
Vorganium,  aboutit  à  un  lieu  maritime  appelé  Gesocribates, 
qui  est  situé  au-dessous  d'im  long  promontoire  qui  repré- 
sente le  Finistère.  Il  est  évident  qu'il  faut  lire  ici  Gesobri- 
vates,  ainsi  que  l'ont  fait  les  commentateurs,  et  que  ce  nom 
est  un  de  ceux  (en  grand  nombre  dans  cette  carte)  que  les 
copistes  ont  mutilés.  Le  nom  de  Gcso-Brivaies  est  parfai- 
tement approprié  à  la  rade  de  Brest.  En  gallique  ou  gaulois, 
on  pourrait  le  lire  Gcis-Briogach  ou  Briovach,  qui  signifie 
la  grande  rade. 

Avant  et  pendant  la  domination  des  Romains  dans  les 
Gaules ,  il  ne  paraît  pas  que  Brest  ait  été  au  nombre  des 
villes  de  quelque  importance.  Aucun  des  anciens  monu- 
ments historiques  ou  géographiques  qui  nous  restent,  ex- 
cepté les  deux  que  nous  avons  cités,  n'en  fait  mention.  Il 
y  a  même  lieu  de  croire  qu'elle  n'a  point  participé  au  com- 
merce que  les  Phéniciens  faisaient  dans  le  Nord.  Leur  en- 
trepôt pour  la  Gaule  septentrionale  nous  est  indiqué  par 
Pythéas  sous  le  nom  de  Corbilo,  et  placé  à  l'embouchure  de 
la  Loire,  c'est-à-dire  dans  les  environs  de  Nantes.  C'était,  en 
effet,  le  point  le  plus  favorable  pourcommuniquer  avec  l'inté- 
rieur des  Gaules.  Peut-être  les  îles  Cassitéridcs ,  que  les 
anciens  plaçaient  au  nord  de  l'Espagne,  étaient-elles  les  lies 
d'Ouessant,  Molène,  Frielen,  Quemenec,  etc.,  situées  sur 
la  côte  du  Finistère,  et  dont  les  habitants  allaient  chercher 
l'étain  chez  les  Bretons  pour  le  porter  à  Corbilo;  mais  ce 
conmiercc  n'a  pu  avoir  aucime  influence  sur  le  port  de  Brest, 
privé  alors  de  communications  faciles  avec  l'intérieur. 

Brest  n'était  encore  qu'un  bourg  au  dixième  siècle.  For- 
tifié en  10G5  par  le  duc  de  Bretagne  Conan  Mériadec,  qui 
y  fit  construire  un  château  très-fort ,  il  devint  une  place  de 
guerre  cousidérahle  dans  les  siècles  suivants.  Ce  n'est  ce- 


pendant qu'au  quatorzième  siècle  que  l'histoire  commence 
ci  en  faire  sérieusement  mention.  En  1341  Jean  de  Mont- 
fort,  qui  disputait  cà  Charles  de  Blois  l'héritage  du  duc  de 
Bretagne  Jean  111,  i)révint  son  rival  en  s'eraparant  de  Ren- 
nes, de  Vatmes  et  du  château  de  Brest.  Dans  la  guerre  que 
fit  le  roi  de  France  Charles  V,  au  duc  Jean  IV ,  Dugues- 
clin  assiégea,  en  1373,  la  ville  de  Brest,  défendue  par  l'An- 
glais Robert  Knolle.  La  vigoureuse  résistance  des  habitants 
et  de  la  garnison  obligea  Dugiiesclin  à  convertir  le  siège  en 
blocus  ;  bientôt  les  chances  de  la  guerre  l'obligèrent  à  se 
retirer  pour  se  porter  ^r  d'autres  points  oii  les  armes  de  la 
France  éprouvaient  des  désavantages.  Les  Anglais,  que  le 
duc  Jean  de  Montfort  avait  appelés  à  son  secours,  et  qu'il 
avait  été  obligé  de  faire  entrer  dans  Brest  pour  défendre  la 
place,  convoitaient  déjà-alors  la  possession  de  ce  point  im- 
portant, et  cherchaient  à  en  rester  les  maîtres.  En  1378  le 
duc  Jean  IV  ne  put  acheter  la  protection  des  Anglais  qu'en 
consentant  à  ce  qu'ils  gardassent  la  ville  de  Brest  jusqu'à  la 
paix,  et  leur  en  assurant  le  domaine  absolu  s'il  mourait 
sans  postérité.  Les  Anglais  se  refusèrent ,  en  effet ,  à  la  res- 
tituer après  la  paix  conclue  dans  l'année  1381  entre  la 
France  et  la  Bretagne ,  et  ne  consentirent  à  s'en  dessaisir 
qu'en  1393  ,  pour  la  somme  de  120,000  francs  d'or. 

Dans  la  guerre  maritime  qui  s'alluma,  en  1512,  entre  la 
France  et  l'Angleterre ,  la  duchesse  Anne  de  Bretagne  fit 
équiper  dans  le  port  de  Brest  une  flotte  dont  le  principal 
vaisseau,  appelé  La  Cordelière,  portait,  dit-on  ,  cent  ca- 
nons et  douze  cents  hommes.  L'amiral  Primauqûet,  Breton, 
qui  le  montait ,  battit  avec  une  vingtaine  de  vaisseaux  la 
flotte  anglaise,  qui  comptait  cependant  plus  de  quarante 
voiles.  Pendant  le  combat  le  feu  prit  à  La  Cordelière;  Pri- 
mauqûet, désespérant  de  la  sauver,  accrocha  l'amiral  ennemi 
et  les  deux  vaisseaux  sautèrent  ensemble. 

Pendant  la  guerre  de  la  Ligue ,  Brest  resta  fidèle  au  parti 
royaliste,  et  résista  aux  elïorts  du  duc  de  Mercœur,  dont  le 
projet  était  de  conquérir  la  Bretagne  pour  son  propre  compte. 
Après  la  mort  de  Henri  111 ,  les  ligueurs  de  la  Bretagne 
appelèrent  les  Espafnols  à  leurs  secours ,  et  leur  livrèrent 
Hennebond.  Henri  IV  se  vit  obligé,  de  son  côté ,  de  recourir 
à  l'alliance  des  Anglais.  Ces  derniers  envoyèrent  cinq  à  six 
mille  hommes  en  Bretagne;  mais,  fidèles  à  leur  système 
d'envahissement,  ils  demandèrent  la  place  de  Brest  en 
nantissement.  Henri  IV  eut  le  bonheur  d'échapper  à  cette 
exigeance  en  gagnant  du  temps.  En  1597  ,  à  la  sollicitation 
du  duc  de  Mercœur,  les  Espagnols  dirigèrent  une  Hotte  de 
cent  vingt  voiles  sur  Brest  pour  y  faire  im  débarquement. 
Le  gouverneur,  averti  de  l'approche  de  cet  armement, 
réunit  ce  qu'il  put  de  troupes  et  d'habitants  sur  la  plage 
du  Conquêt  pour  s'opposer  au  débarquement.  Le  1*^'  no- 
vembre la  flotte  était  en  vue,  et  on  s'attendait  le  lendemain 
à  la  voir  arriver  à  la  côte  ;  mais  la  imit  suivante  une  tem- 
pête affreuse  la  dispersa,  et  détiaiisit  un  grand  nombre  de  ses 
bâtiments. 

En  1094  la  flotte  combinée  d'Angleterre  et  de  Hollande 
débarqua  dans  le  voisinage  de  Brest  une  troupe  qui  espé- 
rait enlever  cette  place  d'un  coup  de  main.  Les  habitants, 
accourus  sur  le  rivage ,  l'empêchèrent  de  s'avancer  et  l'envi- 
ronnèrent. Alors,  une  tempête  ayant  forcé  les  vaisseaux  à 
s'éloigner,  les  troupes  débarquées,  privées  de  leur  pro- 
tection ,  furent  attaquées  et  presque  toutes  passées  au  fil  de 
l'épée.  Les  armateurs  de  Brest  et  de  Saint-Malo  se  ven- 
gèrent des  Anglais  en  détruisant  les  établissements  de  la 
Gambie  et  de  Terre-Neuve. 

L'importance  du  port  militaire  de  Brestnedateque  de  1631, 
époqueoù  le  cardinal  de  Richelieu  fit  commencer  les  fortifi- 
cations et  les  travaux  qui  ont  été  achevés  sous  Louis  XJV 
et  sous  Napoléon.  G^'  G.  ne  Vaiponcourt. 

liRET  (  Antoine  ),  auteur  dramatique  et  fils  d'un  célèbre 
avocat,  naquit  à  Dijon,  en  1717,  quitta  le  barreau  pour  les 
lettres,  et  vint  se  fixer  à  Paris,  oii  il  moiiiut  le  23  février  1792. 


à 


BRET  —  BRETAGNE 


687 


C'était  lin  homme  d'esprit,  qui  s'était  fait  beaucoup  d'amis 
par  son  humeur  agréable  et  par  son  caractère  doux  et  bien- 
veillant. On  a  de  lui  :  1°  des  romans  qui  se  perdent  dans  la 
foule  de  ceux. qu'on  a  publiés  depuis;  2°  des  Mémoires  sur 
la  vie  de  Aino7i  de  Lenclos{{'bl);  3°  des  Essais  de  Contes 
Moraux  et  dramatiques  (17C5);  4°  des  Poésies  diverses 
(1772,  3  volumes);  5"  son  Thmtrc  (  Paris,  1778,  2  vol.  ), 
contenant  plusieurs  comédies,  dont  neuf  ont  été  jouées  au 
Théâtre-Français,  où  les  deux  premières  surtout  eurent  beau- 
coup de  succès  :  V École  Amoureuse ,  en  1  acte  et  en  veis 
(1745);  la  Double  Extravagance,  en  3  actes,  en  vers 
(1750);  le  Jaloux,  idem  (1735);  l'Humeur  à  Pcpreuve, 
en  1  acte,  en  prose,  jouée  en  17G7,  et  en  2  actes,  sous 
le  titre  les  Deux  Sœurs,  et  remise  sous  son  premier  litre, 
en  1790,  au  tliéAtre  du  Palais-Royal;  l'Orpheline,  ou  le 
faux  généreux,  en  3  actes,  en  vers  (1753);  la  Maison,  ou 
l'Épreuve  Indiscrète,  en  2  actes,  en  vers  (1764)  ;  le  Pro- 
tecteur bourgeois,  ou  la  Confiance  trahie,  en  5  actes,  en 
vers  (1763);  les  Lettres  anonymes,  en  4  actes,  en  vers; 
les  Deux  Julies,  ou  le  Père  crédule ,  comédie-farce  en 
3  actes,  en  vers  ;  6°  sept  pièces  que  l'auteur  n'a  point  fait 
entrer  dans  cette  édition,  et  dont  deux  opéras  comiques  : 
le  Déguisement  pastoral  (1744)  ;  le  Parnasse  moderne 
(1754);  une  comédie,  le  Quartier  d'Hiver,  jouée  à  Lyon 
en  1744;  deux,  tombées,  au  Théâtre -Français  en  1747  et 
17C5  :  le  Concert ,  qui,  suivant  Sainte-Foix,  n'était  pas  le 
Concert  spirituel;  et  le  Mariage  par  dépit;  enfin,  deux 
représentées  au  Théâtre-Italien  en  1758  et  17G1  :  rÈntcte- 
vient,  pièce  relative  à  la  guerre  musicale  deslullistes  et  des 
ramisles  ;  les  Deux  Amis,  ou  le  Vieux  Coquet  ;  1°  l'Hôtel- 
lerie, drame  en  5  actes,  en  vers  (1785),  plusieurs  fables, 
contes  et  autres  poésies  dans  YAlmanach  des  Muses,  etc. 
Quoique  les  ou\Tages  dramatiques  de  Dret  soient  écrits 
avec  facilité ,  avec  beaucoup  d'entente  de  la  scène ,  le  style 
en  est  parfois  trop  naturel,  et  l'esprit  y  supplée  trop  souvent 
à  la  verve.  Depuis  1774,  l'ouvrage  qui  contribua  le  plus  à 
sa  réputation,  par  sa  critique  modérée,  pleine  de  justesse  et 
de  goût,  fut  le  Commentaire  qu'il  joignit  à  deux  éditions 
qu'il  publia  du  Théâtre  de  Molière,  en  1773  et  17SS, 
C  volumes,  et  qui  a  été  reproduit  avec  des  suppléments  dans 
celles  qu'ont  données  Auger  en  Isis,  et  M.  Taschereau 

en    1823.  H.  AODIFFltET. 

BRETAGXE,  Britannia,  étaitle  nom  que  portait  dans 
la  géographie  ancienne  l'île  iormée  par  l'Angleterre  et  l'E- 
cosse réunies.  Ce  nom,  qui  aurait  dû  plutôt  être  écrit  Brit- 
tania,  vient  des  deux  mots  gaulois  brith  et  tain,  et  signi- 
fie pays  des  Drilles  ou  Bretons.  L'île  de  Bretagne  et  sa 
voisine,  l'Irlande,  ont  été  visitées  par  les  Phéniciens,  qui  al- 
laient y  chercher  l'étain,  et  qui  péchaient  sur  leurs  côtes 
ime  espèce  de  thon,  qu'ils  salaient  et  apportaient  en  Grèce. 
Leur  entrepôt  pour  le  commerce  de  l'ambre  et  pour  celui 
qu'ils  faisaient  à  Thulé  était  la  pointe  orientale  de  l'Angle- 
terre ou  la  province  de  Kent,  appelée  déjà  Kantium.  Il  est 
fait  mention  de  la  Bretagne  dans  les  fragments  qui  nous 
restent  du  voyageur  Pythéas,  antérieur  au  siècle  d'A- 
lexandre. 

Dans  l'ancienne  géographie,  non-seulement  l'Angleterre 
et  l'Irlande,  mais  encore  toutes  les  petites  îles  qui  les  en- 
tourent, portaient  le  nom  à'iles  britanniques.  Elles  étaient 
originairement  habitées  par  des  Gaulois,  qui  furent  succes- 
sivement refoulés  vers  TÉcosse  et  l'Irlande.  D'abord  les 
Cimbres  ou  Kymres,  connus  sous  le  nom  de  Belges,  après 
avoir  envahi  la  partie  septentrionale  de  la  Gaule,  passeront 
également  en  Bretagne,  où  ils  occupèrent  la  partie  méridio- 
nale de  l'île.  Plus  tard,  les  Saxons  et  les  Danois  refoulèrent 
les  Belges  ou  Kymres  dans  le  pays  de  Galles  et  la  province 
de  Cornouailles,  et  les  Bretons  Gaulois  au  delà  du  retran- 
chement d'Adrien. 

La  quatrième  année  de  la  guerre  des  Gaules  César  fit 
une  expédition  en  Bretagne;  il  y  retourna  l'annre  suivante, 


mais  ce  ne  furent  que  des  reconnaissances  sans  résultat. 
Les  Bretons  achetèrent  la  paix ,  et  restèrent  indépendants. 
Deux  fois  l'empereur  Auguste  voulut  faire  la-  guerre  aux 
Bretons.  Il  en  fut  détourné  la  première  fois  par  les  supph- 
cations  des  ambassadeurs  que  ces  peuples  lui  envoyèrent- 
la  seconde  fois,  par  les  hostilités  des  Salasses  et  des  Can- 
tabres.  Lorsque  Caligula  se  rendit  dans  les  Gaules  pour 
rançonner  ce  pays,  il  s'avança  jusqu'à  Boulogne,  menaçant 
d'envahir  la  Bretagne  ;  mais  cette  bravade  n'eut  aucune  suite. 
Enfin,  l'an  43  de  l'ère  chrétienne,  l'empereur  Claude  passa 
lui-même,  à  la  lète  d'une  armée,  dans  l'île,  qui  se  soumit 
presque  sans  défense.  Toutefois  cette  soumission  ne  fut  pas 
de  longue  durée  :  à  peine  Claude  eut-il  quitté  la  Bretagne, 
que  Plaulius,  qu'il  avait  laissé  pour  la  gouverner,  eut  à  lutter 
contre  des  révoltes  partielles.  Yespasien,  qui  lui  succéda, 
acquit  dans  ce  pays  une  grande  réputation  militaire ,  mais 
sans  pouvoir  en  dompter  les  habitants.  La  guerre  continua 
sous  ses  successeurs.  Enfin  C.  Julius  Agricola  fut  nommé  par 
Vespasien  gouvernenr  de  la  Bretiigne ,  et  ce  guerrier,  dont 
Tacite,  son  gendre,  a  immortalisé  la  mémoire,  après  avoir 
soumis  les  Silures,  les  Ordovices  et  les  Brigantes,  porta  la 
guerre  chez  les  Pietés  et  les  Calédoniens,  habitants  de  l'E- 
cosse, et  les  força  à  reconnaître  la  domination  des  Romains. 
Agricola  profita  de  sa  victoire  pour  faire  faire  le  tour  de  la 
Bretagne  à  sa  flotte,  qui  soumit  en  passant  les  Orcades.  Son 
départ,  déterminé  par  la  jalousie  de  Domitien ,  fit  perdre  à 
Rome  le  fruit  de  ses  victoires  sur  les  Pietés  et  les  Calédoniens. 

Environ  trente  ans  plus  tard  (en  120  ),  l'empereur  Adrien 
vint  visiter  la  Bretagne,  où  il  s'appliqua  à  corriger  les  abus 
qui  s'étaient  introduits  dans  le  gouvernement  du  pays,  et  se 
préoccupa  surtout  de  s'assurer  la  possession  tranquille  de  la 
partie  méridionale.  A  cet  effet,  il  y  construisit  une  muraille 
qui  s'étendait,  dans  un  développement  de  80  milles  romains 
(  104  kilomètres),  depuis  l'embouchure  de  la  Tyne,  près  de 
Newcastle,  jusqu'à  Vltium  œstuarium  (  Galway-Firlh  ),  en 
face  d'Annan.  Ses  ruines  sont  encore  appelées  le  rempart 
des  Picif5  (  Picts-Wall).  LoUius  Urbicus,  gouverneur  de 
la  Bretagne  sous  le  règne  d'Antonin  le  Pieux ,  ayant  rem- 
porté de  grands  avantages  sur  les  Calédoniens,  étendit  les 
f.-ontières  de  l'empire  de  ce  côté,  et  fit  construire  un  nou- 
veau retranchement  entre  la  rivière  d'Esk  et  l'embouchure 
de  laïweede  (1G2).  La  province  romaine  de  Bretagne  resta 
tranquille  pendant  les  dernières  années  du  règne  d'Antonin 
et  sous  celui  de  iMarc-Aurèle.  Mais  dès  le  commencement 
de  celui  de  Commode  les  Calédoniens  franchirent  le  re- 
tranchement, battirent  les  troupes,  et  ravagèrent  la  Bretagne 
méridionale.  Ulpius  Marcellus  les  contint,  et  la  Bretagne 
eut  près  de  dix  ans  de  repos  sous  son  commandement  ;  mais 
après  que  Claudius  Albinus,  qui  lui  avait  succédé,  se  fut  fait 
reconnaître  empereur  et  eut  retiré  de  l'île  la  majeure  i)artie 
des  troupes  pour  renforcer  son  armée,  les  ravages  des  Ca- 
lédoniens recommencèrent.  Le  nouveau  gouverneurLupus  se 
vit  contraint  d'acheter  la  paix.  Enfin  l'empereur  Sévère,  s'é- 
tant  débarrassé  de  ses  deux  rivaux  Albin  et  Niger,  se  décida 
à  passer  lui-même  en  Bretagne  pour  y  rétablir  la  tranquillité. 
Il  fit  aux  Calédoniens  (  de  208  à  210  )  une  guerre  sanglante 
dans  les  bois  et  les  marais.  L'armée  romaine  y  éprouva  de 
grandes  pertes;  mais  les  Calédoniens,  acculés  au  nord  de 
ritcosse,  se  soumirent,  et  Sévère  porta  les  limites  de  l'em- 
pire un  peu  au  delà  d'Edimbourg,  et  un  nouveau  retranche- 
ment s'éleva  de  Linsitligow  à  Glasgow,  entre  les  baies  de 
Clyde  et  de  Forth. 

Peu  après.  Sévère  mourut  à  York.  Son  fils  Caracalla  se 
fit  ba'.tre  par  les  Calédoniens,  et  reperdit  les  conquêtes  de 
son  père.  Les  limites  de  la  Bretagne  romaine  reculèieiit  de 
nouveau  jusqu'au  mur  d'Adrien.  L'usurpateur  Carausius  es- 
saya de  les  franchir,  mais  il  fut  également  vaincu.  Depuis 
ce  temps,  l'aflaissement  rapide  de  la  pui.s.sance  romaine 
ne  permit  plus  aux  emfiercurs  «le  protéger  efficacement  la 
Bretagne  romaine  contre  les  Bretons  calédoniens,  ou  pietés. 


688 

ou  scotes.  En  421  la  nécessité  de  défendre  l'empire  contre 
les  invasions  des  barbares  fit  mênrae  retirer  les  légions  qui 
occupaient  la  Bretagne.  En  446  les  Bretons,  ne  pouvant 
'  plus  résister  aux  incursions  des  Scotes  et  des  Pietés,  solli- 
citèrent un  appui  que  l'empire  n'était  plus  en  état  de  leur 
accorder.  En  447  ils  appelèrent  à  leur  secours  les  Angles 
et  les  Saxons.  Mais  leur  chef  Hengist  s'empara  du  pays 
qu'il  devait  défendre,  et  contraignit  Vortigeme  (  Fortighear- 
na  ),  qui  régnait  depuis  le  départ  des  Romains,  à  lui  donner 
sa  fiîle,  et  à  lui  céder  le  Kantium.  Peu  à  peu,  les  Bretons- 
Kymre's  ou  Belges  furent  forcés  ou  de  se  soumettre  ou  de 
se  réfugier  dans  les  provinces  de  Galles  ou  de  Cornounilles  ; 
les  Bretons  gails  ou  gaulois  s'éloignèrent  vers  le  nord ,  et 
s'unirent  aux  Calédoniens,  et  la  monarchie  Anglo-saxonne 
s'établit  dans  la  Bretagne  romaine. 

Un  nombre  assez  considérable  de  Bretons-Kymres ,  qui, 
sous  les  ordres  d'un  chef  nommé  Conan,  avaient  suivi  l'u- 
surpateur Maxime  dans  les  Gaules,  s'étaient  établis  dans  la 
partie  de  l'A  r  m  o  r  i  q  u  e ,  qu  i  est  au  nord-ouest  de  la  Gaule. 
Après  l'invasion  des  Anglo-Saxons,  et  pendant  leurs  guerres 
avec  ces  nouveaux  dominateurs,  plusieurs  colonies  de  Dre- 
tons-Kymres  passèrent  la  mer,  et  s'établirent  également  dans 
l'Armorique,  où  il  s'était  formé  un  État  qui  prit  le  nom  de 
Petite-Brctagne.Ce\\nà&  Grande- Bretagne  resta  à 
l'ancienne  île  Britannique,  dont  la  partie  méridionale  prit  le 
nom  à' Angleterre. 

Dès  l'an  284  quelques  familles  babitant  les  côtes  de  la 
Bretagne  proprement  dite,  pour  échapper  aux  ravages 
des  pirates  saxons  ,  passèrent  dans  la  Gaule.  Dioclétien  leur 
permit  de  s'y  établir,  et  leur  assigna  des  terres  dans  le  pays 
des  Curiosolites  et  dans  celui  des  Vénètes.  En  364  eut  lieu 
une  seconde  émigration.  Ces  deux  établissements  partiels 
furent  suivis,  vingt  ans  après,  d'une  émigration  plus  consi- 
dérable, qui  fonda  un  nouvel  État.  Maxime,  gouverneur 
(le  la  Grande-Bretagne,  s'étant  révolté  contre  l'empereur 
Gratien ,  et  ayant  usurpé  la  pourpre  impériale,  passa  dans 
les  Gaules  avec  toutes  les  troupes  qu'il  put  réunir.  Dans  ce 
nombre  se  trouvait  un  corps  assez  considérable  de  Bretons , 
sous  les  ordres  de  Conan-Mériadec,  neveu  d'un  prince  ou 
régent  indigène.  Maxime  débarqua  vers  le  lieu  où  s'élève 
aujourd'hui  Saint-Malo.  L'empereur  Gratien,  battu  au  dé- 
baiquen>ent,et  ensuite  près  de  Paris,  sévit  obligé  de  se  ren- 
fermer dans  Lyon,  où  il  fut  assiégé,  piis  et  mis  à  mort. 
Après  la  bataille  de  Paris,  Maxime  avait  confié  à  Conan  le 
gouvernement  de  l'Armorique.  Ce  chef  vint  s'établir  dans  le 


centre  de  son  commandement,  non  loin  du  lieu  où  il  avait 
débarqué.  Valent!  ni  en  ayant  vaincu  et  tué  Maxime  près 
d'Aquilée,  traita  ses  soldats  avec  douceur,  et  permit  aux 
Bretons  qui  étaient  parmi  eux  d'aller  en  Armorique  re- 
joindre Conan.  Celui-ci  continua  de  reconnaître  Tautorité 
«le  l'empire,  mais  plutôt  comme  allié  que  comme  sujet. 
Les  Bretons  insulaires  ne  pouvaient  plus  résister  aux  ra- 
vages réunis  des  Calédoniens  et  des  Saxons;  beaucoup 
d'entre  eux  passèrent  encore  en  Gaule  et  se  réunirent  à  Co- 
nan. En  410  ce  dernier  profita  de  la  faiblesse  de  l'empire 
romain,  ravagé  en  tous  sens  par  les  barbares,  pour  se  dé- 
clarer indépendant  et  se  faire  proclamer  roi  des  Bretons  ar- 
moricains. 

Le  nouvel  État,  qui  formait  à  peu  près  la  moitié  de  la  3* 
Lyonnaise,  se  composait  alors  de  six  peuplades  :  les  Redous, 
les  CuriosoUtes,  les  O.sismiens,  les  Corisopites,  les  Vdnètes 
et  les  Namnètes,  dont  le  territoire  embrassait  les  départe- 
ments actuels  d'iUe-et-Vilaine ,  des  Côtes-du-Nord ,  du  Fi- 
nistère, du  Morbihan,  delà  Loire-Inférieure,  et  qui  avaient 
pour  villes  principales,  les  Redons  :  Condate  (  Rennes  )  et 
Aletum  (Quidallet,  près  de  Saint  Malo)  ;  les  Curiosolites  :  Cm- 
riosolitum  (Corseuil  près  de  D'mim) ,  et  Ambiliat es  (Lam- 
balle);  les  Osismiens  :  Vorganium  (Carliaix)et  Brïvates 
(Brest);  les  Corisopites  :  Corisopitiim  (Quimper-Corenlin)  ; 
les  Vénèlos;  Dariorigum  (Vannes);  cl  ksNamnètes  :  Con- 


BRETAGNE 

divicnum  (  Nantes).  Ces  peuples  étaient  des  Gaulois  propre- 
ment dits ,  distincts  des  Belges  ou  Kymres,  et  que  César  dit 
s'appeler  dans  leur  langue  Keltes  ou  Gails.  Mais  il  se  fit  chez 
eux  une  révolution  importante ,  sous  le  rapport  du  langage  et 
des  mœurs.  Les  Bretons  arrivés  en  284  et  en  364 ,  à  qui  les 
empereurs  romains  avaient  fait  distribuer  des  terres,  avaient 
bien  pu  les  recevoir  comme  letes  ou  leudes ,  c'est-à-dire  co- 
lons ou  vassaux  ;  mais  ceux  de  Conan-Mériadec  n'avaient 
pas  été  établis  au  même  titre.  Ils  étaient,  sous  quelques  rap- 
ports, les  conquérants  du  pays,  les  compagnons  du  chef  qui 
aspirait  à  la  possession  absolue  des  provinces  qu'il  gouver- 
nait. Leur  établissement  fut,  relativement  aux  Gaulois  in- 
digènes, à  peu  près  pareil  à  celui  des  Francs,  des  Boui^ui- 
gnons  et  des  Gotlis.  La  langue  kymre ,  qui  était  celle  des 
envahisseurs,  devint  la  langue  dominante  ;  mais  elle  éprouva 
elle-même  une  modification,  résultant  de  l'infériorité  numé- 
rique des  Bretons  ;  elle  se  mélangea  de  gaulois,  et  s'écarta  de 
sa  pureté  primitive.  C'est  ce  qu'on  observe  en  comparant  le 
kymre  armoricain  ou  langue  bretonne  avec  le  kymre  de  Cor- 
nouailles  et  du  pays  de  Galles.  Les  règles  grammaticales 
sont  les  mômes  dans  les  trois  dialectes,  mais  le  premier  est 
mélangé  d'un  bien  plus  grand  nombre  de  mots  gaulois,  ou 
galliques.  C'est  donc  à  tort  que  l'on  a  voulu  voir  dans  le 
breton  armoricain  le  véritable  gallois.  Ce  breton  armoricain 
se  rapproche  davantage  du  kymre  dans  les  départements  des 
Côtes-du-Nord  ,  du  Finistère  et  du  IMorbiban  ,  sans  doute 
parce  que  cette  extrémité  de  la  Gaule  étant  plus  agreste  et 
moins  peuplée  que  les  départements  d'iUe-et-Vilaine  et  de 
la  Loire-Inférieure,  les  Bretons  s'y  établirent  en  plus  grand 
nombre. 

Le  troisième  successeurde  Conan,  qui  prenait  également  le 
titre  de  roi,  et  qui  s'appelait  Audren,  se  trouva  déjà  assez 
affermi  pour  pouvoir  envoyer  des  .secours  aux  Bretons  de 
Cornouailles,  dont  les  Alains  ravageaient  les  côtes,  et  yéla- 
blir  son  frère,  qui  prit  aussi  le  titre  de  roi.  Audren  resta  l'allie 
des  Romains ,  et  leur  fournit  un  corps  de  troupes  qui  prit 
part  aux  victoires  d'Orléans  et  de  Cliàlons,  dont  le  résultat 
fut  la  défaite  d'Attila.  Les  princes  ou  chefs  de  la  Bretagne 
continuèrent  à  porterie  titre  de  roi  jusqu'à  Hoël  1",  qui 
monta  sur  le  trône  en  509.  Après  cette  époque,  l'usage  géné- 
ral des  princes  de  ce  temps  de  partager  leurs  domaines  entre 
leurs  enfants  morcela  la  Bretagne  entre  plusieurs  comtes , 
indépendants  les  uns  des  autres,  quoique  celui  qui  était 
maître  de  Rennes  s'attribuât  la  suzeraineté  et  prit  le  titre  de 
roi.  Cet  état  de  choses  dura  jusqu'en  799,  époque  où  Charlc- 
magne  fit  la  conquête  de  la  Bretagne,  qui  resta  soumise 
pendant  son  règne;  mais  sous  celui  de  Louis  le  Débonnaire 
elle  essaya  de  reconquérir  son  indépendance.  Deux  comtes 
de  Cornouailles,  Morvanet  Viomarch,  se  révoltèrent  succes- 
sivement, mais  sans  pouvoir  se  maintenir.  La  Bretagne  fut 
réduite  de  nouveau,  et  Louis-le-Débonnaire  y  établit, 
en  824 ,  pour  gouverneur  ou  lieutenant  général  un  Breton 
de  naissance  obscure,  nommé  Nomenoé,  homme  doué  de 
rares  qualités,  qui  profita  des  troubles  intérieurs  de  la  France 
pour  consolider  son  autorité  et  préparer  les  moyens  de 
conquérir  son  indépendance.  Lorsque  la  bataille  de  FontCr 
nai  eut  assez  affaibli  l'empire  des  Francs  pour  qu'aucun  des 
fils  de  l'empereur  Louis  ne  se  trouvât  en  état  d'entrepren- 
dre une  guerre  sérieuse ,  Nomenoé  se  déclara  indépendant , 
et  gagna,  en  845,  une  grande  bataille  contre  remporeur 
Charles  le  Chauve.  Deux  ans  plus  tard  il  prenait  le  titre 

de  roi. 

La  dynastie  de  Nomenoé  régna  sur  la  Bretagne  jus- 
qu'en 1169.  Deux  de  ses  descendants  seuls,  Erispoé  et  .Sa- 
lomonlll,  eurent  le  titre  de  roi;  les  autres  prirent  indiffé- 
remment celui  de  comtes  ou  de  ducs.  La  Bretagne,  morcelée 
par  les  partages  qui  recommencèrent  à  la  mort  de  Salo- 
mon  111,  ravagée  par  les  Normands  jusqu'à  leur  élabhs- 
soment  en  Normandie  (  912  ) ,  ne  jouissait  que  d'une  indé- 
pendance précaire,  lorsque'le  traité  par  lc(iud  Charles  le 


I 


simple  c<^da  la  Normandie  à  Kolion  \iut  encore  compliquer 
sa  position.  Le  roi  de  France  transmit  au  nouveau  duc  de 
Normandie  son  prétendu  doit  de  suzeraineté  sur  la  Breta- 
gne, et  cet  acte,  qu'on  ne  peut  expliquer  que  par  les  préju- 
gés féodaux ,  alluma  entre  les  Bretons  et  les  Normands  une 
collision  dont  le  résultai  final  fut  un  changement  de  dynastie. 
Conan  IV  ne  put  prendre  possession  du  duché  de  Breta- 
gne qu'avec  le  secours  de  Henri  II,  roi  d'Angleterre,  de  cette 
même  maison  de  Normandie  à  laquelle  on  avait  attribué  la 
suzeriiineté  de  la  Bretagne,  et  moyennant  la  cession  du 
comté  de  iXantes.  La  guerre  civile  n'en  continaa  pas  moins, 
et  Conan  se  trouNTi  à  peu  près  réduit  à  la  possession  du 
comté  de  Rennes.  Enfin ,  après  avoir  tu  pendant  dix  ans 
son  pays  ravagé  par  les  seigneurs  bretons  et  par  les  An- 
glais ses  adversaires,  il  eut  la  lâcheté  de  se  mettre  à  la  dis- 
crétion de  ces  derniers,  en  mariant  sa  fille  unique  Constance 
à  Geoffroi,  troisième  fils  de  Henri  IL  A  peine  ce  mariage 
était-il  conclu,  que  Henri  H  se  hâtait  de  dépouiller  Conan , 
et  faisait  reconnaître  duc  de  Bretagne  son  fils  Geoffroi  (11 66). 
Mais  il  éprouva  une  vive  résistance  de  la  part  d'Eudes  de 
Bretagne ,  son  cousin ,  second  mari  de  Berthe  ;  et  ce  ne  fut 
qu'en  1 169  que  son  fils  put  être  couronné  à  Rennes. 

Après  la  mort  de  Geoffroi  (1186),  sa  veuve  Constance  fut 
reconnue  duchesse  de  Bretagne ,  et  dans  le  neuvième  mois 
de  son  veuvage  elle  accoucha  d'un  fils ,  qui  reçut  le  nom 
d'Arthur.  La  naissance  du  jeune  prince  dérangeait  les 
combinaisons  de  Henri  II  ;  il  se  hâta  de  passer  en  Bretagne, 
et  força  Constance  d'épouser  Raoul ,  comte  de  Chester.  Son 
successeur,  Ricliard  Cœur  de  Lion ,  ne  se  comporta  p;is 
mieux  à  l'égard  de  Constance.  D'un  autre  côté ,  le  roi  de 
France ,  Philippe-Auguste ,  semblait  avoir  déjà  conçu  le 
projet  de  réunir  la  Normandie  et  peut-être  ensuite  la  Bre- 
tagne à  la  couronne.  Richard  prétendait  disposer  de  son 
neveu  et  de  la  princesse  Éléonore.  Philippe-Auguste  offrait 
de  son  côté  une  protection  qui  n'était  pas  plus  désintéressée. 
Enfin  ,  Constance  ayant  été  débarrassée  de  son  second  mari, 
chassé  par  les  Bretons,  fit  reconnaître  son  fils  duc  de  Bretagne 
à  l'âge  de  sept  ans,  en  1196.  Ricliard,  irrité,  se  saisit  de  Cons- 
tance par  une  perfidie;  et  les  Bretons  remirent  Arthur  au 
roi  de  France.  Après  deux  ans  d'une  guerre  cruelle,  Richard 
ayant  été  tué  en  1199  ,  son  héritage  fut  disputé  entre  son 
frère  Jean  Sans  Terre ,  qui  se  fit  reconnaître  en  Angleterre, 
et  Arthur,  qui,  à  l'aide  de  Philippe-Auguste,  s'empara  du 
l\Iaine ,  de  la  Touraine  et  de  l'Anjou.  Mais  ce  dernier  aban- 
donna bientôt  son  protégé ,  fit  la  paix  avec  le  nouveau  roi 
d'Angleterre,  et  Arthur,  réduit  à  la  Bretagne,  resta  vassal  de 
Jean  (1200).  L'année  suivante  la  duchesse  Constance 
mourut.  Ayant  fait  rompre  son  second  mariage,  elle  avait 
épousé  en  troisièmes  noces  Gui ,  vicomte  de  ïhouars,  dont 
elle  eut  trois  filles.  La  guerre  s'étant  rallumée  entre  l'Angle- 
terre et  la  France,  Arthur  prit  le  parti  de  cette  dernière 
puissance  ;  mais  il  tomba  bientôt  au  pouvoir  de  Jean  Sans 
Terre,  qui  l'égorgeade  ses  propres  mains,  et  jeta  son  cadavre 
dans  la  Seine. 

Le  parlement,  ayant  déclaré  le  meurtrier  coupable  de 
félonie  et  de  trahison,  confisqua  toutes  les  terres  qu'il  pos- 
sédait en  France.  Elles  furent  conquises  par  Philippe-Au- 
guste, et  réunies  à  la  couronne.  Cette  réunion  fut  le  terme  de 
la  rivalité  des  Capétiens  et  des  Plantagenets  ou  princes  de 
la  maison  d'Anjou.  Il  ne  restait  plus  à  décider  que  la  suc- 
cession de  la  Bretagne.  L'héritière  naturelle  du  duché  était 
Éléonore,  sœur  aînée  d'Arthur.  Mais  Eléonore,  fille  de 
Constance  et  de  Geoffroi  d'Anjou  ,  était  une  Plantiigenct. 
Philippe  fit  reconnaître  duchesse  de  Bretagne  Alix ,  fille  aînée 
de  Constance  et  de  Gui  de  Thouars.  Ce  dernier  fut  nommé 
régent,  mais  sous  l'autorité  du  roi  de  France,  qui  resta  ad- 
ministrateur du  duché.  Quelques  années  plus  tard ,  Philippe 
maria  Alii  à  Pierre  de  Dreux,  arrière-petit-fils  de  Robert 
de  Dreux,  second  fils  de  Louis  le  Gros,  qui  fut  reconnu  en 
1213  duc  de  Bretagne,  vassal  de  la  France. 
Dicr.  VE  LA  coNvcr.s.  —  t.  ni. 


BRETAGINE  C89 

Les  règnes  successifs  des  ducs  de  la  maison  de  Dreux, 
Pierre l*"",  Jean  1",  Jean  II,  Arthur  II  et  Jean  III,  n'offrent 
aucun  événement  bien  important.  Ils  restèrent  dans  les  in- 
térêts de  la  maison  de  France,  à  laquelle  ils  appartenaient. 
L'alliance  de  Jean  II  avec  le  roi  d'Angleterre  Edouard  1"  fut 
elle-même  de  peu  de  durée.  Les  fiottcs  et  les  troupes  auxi- 
liaires anglaises  se  rendirent  odieuses  aux  Bretons,  et  le  duc 
Jean  eut  le  bon  esprit  de  céder  au  vœu  public.  Il  fut  en  ré- 
compense créé  pair  de  France  par  lettres-patentes  de  1297  ; 
mais  les  Anglais  ne  perdaient  pas  de  vue  la  Bretagne  :  en 
1309,  à  l'occasion  du  mariage  d'Isabelle,  fille  de  Philipp«i 
le  Bel ,  avec  le  roi  Edouard ,  ce  dernier  eut  l'adresse  de 
faire  insérer  dans  le  contrat  une  clause  qui  lui  transportait 
la  suzeraineté  de  la  Bretagne.  Mais  les  états  de  ce  duché , 
consultés  par  Arthur  II,  refusèrent  d'y  consentir. 

La  mort  de  Jean  III,  arrivée  en  13il ,  fut  le  signal  d'une 
guerre  civile  qui  ravagea  la  Bretagne  pendant  vingt-cinq  ans, 
et  la  cause  des  guerres  qui  suivirent  pendant  soixante-dix. 
Le  duc  Jean,  qui  ne  laissait  point  d'enfants,  était  l'aîné  des 
trois  fils  d'Arthur  II.  Son  frère  puîné,  Gui ,  comte  de  Pen- 
thièvre,  était  également  mort,  laissant  une  fille,  nommée 
Jeanne,  mariée  à  Charles  de  Blois,  neveu  de  Philippe 
de  Valois.  Le  frère  cadet,  Jean,  comte  de  M  ont  fort,  était 
encore  vivant.  L'héritage  fut  disputé  entre  Jean  de  Montfoi't 
et  Charles  de  Blois ,  stipulant  pour  Jeanne  sa  femme.  Le 
premier  réclamait  l'exécution  de  la  loi  salique  ,  et  l'exclu- 
sion des  femmes,  qui  avait  eu  heu,  disait-il,  en  Bretagne, 
lorsqu'il  se  trouvait  des  héritiers  mâles;  Charles  de  Blois  ré- 
pondait que  les  femmes  ayant  élé  plusieurs  fois  admises  au 
gouvernement,  le  droit  de  représentation  devait  exister  en 
leur  faveur;  qu'ainsi,  Jeanne,  représentant  Gui,  second 
fils  d'Arthur,  devait  être  préférée  au  troisième  fils.  Il  n'y  avait 
point  alors  de  droit  public  qui  fixât  l'ordre  de  successibililé 
en  Bretagne.  Il  était  donc  facile  de  prévoir  que  la  discus- 
sion ne  pourrait  être  vidée  que  par  la  force  des  armes,  et  il 
était  inévitable  que  la  rivalité  de  la  France  et  de  l'Angle- 
terre ne  vînt  prolonger  la  lutte  en  la  compliquant.  C'est  c»» 
qui  arriva.  Jean  de  MonUort,  dès  qu'il  apprit  la  mort  de  son 
frère,  se  hâta  d'accourir  à  Nantes,  oii  il  se  fit  reconnaîtra 
duc  de  Bretagne.  Il  se  saisit  avec  la  même  rapidité  de  Rennes, 
de  Brest,  de  Vannes  et  des  trésors  de  son  prédécesseur. 
Charles  de  Blois,  beaucoup  moins  actif,  en  appela  au  juge- 
ment du  roi  de  France,  son  oncle.  Il  était  assuré  du  résultat 
favorable  de  cet  appel.  En  effet,  un  arrêt  du  7  septem- 
bre 1341 ,  rendu  par  Philippe  de  Valois,  en  son  parlement, 
adjugea  le  duché  de  Bretagne  à  Jeanne ,  à  l'exclusion  de  Jean 
de  Montfort.  Ce  dernier  appela  les  Anglais  à  son  secours,  et 
la  noblesse  du  pays  se  divisa  entre  les  compétiteurs.  Chailes 
de  Blois ,  entré  en  Bretagne  avec  une  armée  française,  avant 
l'arrivée  des  Anglais ,  eut ,  dès  la  première  campagne,  le 
bonheur  de  faire  prisonnier  Jean  de  ISIontfort  dans  Nantes. 
La  guerre  aurait  été  ainsi  terminée,  sans  l'intervention  d'une 
héroïne  qui  releva  le  parti  vaincu.  Jeanne  de  Flandre,  épouse 
de  Montfort,  se  trouvait  à  Rennes  avec  son  jeune  fils,  âgé 
de  trois  ans.  Sans  se  laisser  effrayer  par  la  captivité  de  son 
époux,  elle  se  mit  à  la  tète  de  ses  partisans,  et  se  retira  avec 
l'élite  de  ses  troupes  à  Henncbon,  afin  de  conserver  ce  point 
de  débarquement  aux  secours  qu'elle  attendait  d'Angleterre. 
Assiégée  dans  cette  place  par  Charles  de  Blois,  son  couragtî 
héroïque  et  la  constance  qu'elle  sut  inspirer  à  la  garnison,  en 
prolongèrent  la  défense  jusqu'à  l'arrivée  des  secours  qu'elle 
attendait.  Pendant  le  siège,  et  au  moment  d'un  assaut  furieux, 
elle  sortit  à  la  tête  de  trois  cents  cavaliers,  et  chargea  si  bien 
les  assaillants,  qu'elle  les  força  à  renoncer  à  l'assaut.  Coupée 
de  la  place,  elle  gagna  Aurai,  réunit  ce  qu'elle  put  de  ses  pai  - 
tisans,  et  rentra  le  sixième  jour  par  surprise  dans  Hennebon. 
A  l'arrivée  des  Anglais,  Charles  de  Blois  fut  obligé  de  lever 
le  sié^e  :  il  perdit  successivement  Guerande,  Vannes,  Car- 
haix,°et  éprouva  un  échec  à  Quimperlé.  En  1342,  une  se- 
conde tentative  sur  Henncbon  n'eut  pas  un  meilleur  succ^b, 

87 


690 


BRETAGNE 


et,  malgré  un  assez  grave  échec  que  Jeanne  de  Montfort  es- 
suya sur  mer  près  de  Guemescy,  elle  n'en  continua  pas  moins 
la  guerre  en  Bretagne.  Cette  môme  année  le  roi  d'Angleterre 
vint  en  personne  à  son  secours ,  et  s'avança  jusque  devant 
Rennes.  Le  roi  de  France  accouiiit  de  sou  côté,  et  pénétra 
jusqu'à  Ploërmel.  Mais  au  mois  de  janvier,  par  la  médiation 
du  pape,  une  trêve  de  trois  ans  fut  conclue  entre  les  deux 
souverains,  et  le  champ  de  bataille  resta  abandonné  aux 
partisans  de  Blois  et  de  Montfort. 

Deux  incidents  vinrent  renouveler  bientôt  toute  l'activité 
de  la  lutte.  Le  premier  fut  la  mort  d'Olivier  de  Cl  i  s  son, 
seigneur  breton,  du  parti  de  Charles  de  Bloisct  delà  France: 
accusé  et,  dit-on,  convaincu  d'intelligences  avec  l'ennemi,  il  fut 
arrêté  et  décapité  àParis  (  1344  ),  sans  autre  forme  de  procès, 
avec  plusieurs  autres  seigneurs  normands  et  bretons.  A  celte 
nouvelle  Jeanne  de  Belleville,  sa  veuve,  ayant  réuni  quel- 
ques troupes ,  s'empara  par  surprise  de  plusieurs  places  te- 
nues par  les  troupes  de  Charles  de  Blois,  et  les  remit  avec  sa 
petite  armée  à  Jeanne  de  Montfort.  Le  second  incident  fut  la 
délivrance  du  comte  de  Montfort,  qui ,  ayant  pu  s'évader  de 
Paris,  vint  se  mettre  à  la  tôte de  ses  partisans  (1345);  mais  il 
mourut  peu  après,  à  Hennebon,  laissant  à  sa  veuve  le  soin 
des  intérêts  de  leur  fils.  Après  la  mort  de  Jean  de  Montfort, 
quelques  succès  partiels  et  la  prise  deQuimper  (1346)  semblè- 
rent donner  la  supériorité  à  son  compétiteur.  Mais  la  bataille 
de  Crécy  l'ayant  privé  de  l'appui  de  la  France,  Charles  de 
Blois  reperdit  bientôt  ces  avantages,  et  fut  complètement  baltu 
et  fait  prisonnier  à  la  bataille  de  la  Roche-Derrien  (  1347  ). 
Son  épouse,  Jeanne  de  Bretagne,  imita  le  courageux  exemple 
de  Jeanne  de  Montfort  :  s'étant  mise  à  la  tête  de  ses  partisans, 
elle  profita  de  la  haine  qu'inspiraient  les  Anglais  pour  soulever 
les  peuples  pendant  la  captivité  de  son  époux.  Ces  hostilités 
durèrent  neuf  ans,  et  Charles  de  Blois  n'obtint  la  liberté,  en 
1356,  que  moyennant  une  rançon  d'environ  un  million.  Pen- 
dant ce  temps ,  la  guerre ,  qui  n'était  presque  qu'un  brigan- 
dage réciproque,  n'offrit  d'autre  événement  mémorable  que 
le  célèbre  combat  des  Trente;  mais  cette  bravade  de  cou- 
rage mutuel  n'eut  aucune  inducnce  sur  les  événements. 

Deux  nouveaux  champions,  devenus  l'un  et  l'autre  cdèbres, 
Olivier  de  Clisson ,  dans  le  parti  de  Montfort ,  et  Bertrand 
Duguesclin,  dans  celui  de  Blois,  avaient  déjà  paru  sur  la 
scène.  Le  honteux  traité  de  Londres,  stipulé  par  le  roi  Jean, 
fait  prisonnierà  Poitiers  (  1359),  en  abandonnant  la  Bretagne 
aux  Anglais,  aurait  dès  lors  décidé  la  question  en  faveur  de 
Montfort ,  si  les  états  généraux  de  France  ne  se  fussent  ré- 
servé le  droit  (le  prononcer  sur  sa  validité.  Le  traité  de  Bré- 
tigny  (  1300)  remit  la  décision  à  l'arbitrage  des  deux  rois 
de  France  et  d'Angleterre  ;  mais  les  conférences  ouvertes  à 
cet  effet  n'amenèrent  aucun  résultat.  En  13C3  les  deux  ri- 
vaux, se  trouvant  en  présence  sur  la  lande  d'Evran,  entre 
Dinan  et  Béchercl ,  conclurent  un  traité  qui  partageait  la 
Bretagne  entre  eux.  Jeanne  de  Bretagne,  mécontente  de  ce 
partage,  força  son  époux  à  rompre  le  traité,  et  la  guerre 
recommença.  Enfin,  en  1364,  les  armées  se  rencontrèrent 
une  dernière  fois  à  Auray.  Charles  de  Blois,  ayant  attaqué 
l'ennemi  contre  l'avis  de  Duguesclin,  perdit  la  bataille  et  la 
vie.  Ses  fils  étant  retenus  à  Londres  en  otage  pour  sa  ran- 
çon, la  couronne  de  Bretagne  passa  définitivement  sur  la 
tête  de  Jean  deMontfort  par  le  traité  de  Guérande  (1305).  Sa 
Teuve  conserva  le  comté  de  Penthièvre.  La  Bretagne  avait 
été  ravagée  vingt-trois  ans,  et  200,000  hommes  avaient  péri 
pour  décider  si  elle  aurait  pour  duc  un  imbécile  bigot  et 
superstitieux  (Charles  de  Blois),  ou  un  fou  furieux  ,  dont 
les  caprices  troublèrent  et  compromirent  le  pays  pendant 
trente  ans. 

Le  règne  de  Jean  IV  de  Montfort  ne  fut  remarquable 
que  par  la  querelle  que  son  ingratitude  et  sa  perfidie  lui 
suscitèrent  avec  Olivier  de  Clisson ,  et  ses  démêlés  avec 
Ja  France,  causés  par  son  affection  pour  les  Anglais.  Son 
lils  Jean  V  lui  succé<la  en   1390,  et  n'eut  pas  une  con- 


duite plus  sage.  Le  duc  Philippe  de  Bourgogne,  régent  de 
France  pendant  la  démence  de  Charles  VI,  s"empara  éga- 
lement de  la  régence  de  la  Bretagne ,  qu'il  exerça  pendant 
cinq  ans.  Le  duc  Jean,  devenu  majeur  pendant  les  trou- 
bles qu'allumaient  en  France  les  rivalités  des  deux  princes 
du  sang  et  l'inconduite  d'Isabeau  de  Bavière,  ne  se  fit 
remarquer  que  par  la  versatilité  avec  laquelle  il  passa  d'un 
parti  à  l'autre.  Les  vingt  dernières  années  de  son  règne 
furent,  en  outre,  troublées  par  les  querelles  que  lui  suscita 
la  maison  de  Penthièvre,  héritière  des  prétentions  de 
Charles  de  Blois.  Son  fils  ,  François  1" ,  qui  lui  succéda 
en  1442,  n'occupe  de  place  dans  lliistoire  que  par  ses  dé- 
mêlés avec  son  frère  Gilles ,  qu'il  fit  empoisonner  et  étouf- 
fer, et  par  les  remords  qui  le  firent  descendre  au  tombeau 
quarante  jours  après  (juillet  1450).  Il  eut  cependant  soin 
de  régler  d'avance  la  succession  de  Bretagne ,  en  y  appe- 
lant les  mâles,  tant  qu'il  s'en  trouverait,  à  l'exclusion  des 
filles.  Son  frère  Pierre  II ,  prince  bigot  et  dur ,  régna  obs- 
curément jusqu'en  1457.11  eut  pour  successeur  son  oncle 
Arthur  III,  comte  de  Richement,  connétable  de  France  de- 
puis trente  ans.  Ce  guerrier,  affaibli  par  l'âge  et  de  nom-r 
breuses  campagnes,  mourut  à  la  fin  de  1453  ;  et  la  couronne 
de  Bretagne  passa,  d'après  les  dispositions  de  François  1*',  à 
son  neveu  François  II  de  Bretagne ,  fils  de  Richard ,  comte 
d'Étampes. 

Le  règne  du  duc  François  II  commença  par  quelques  actes 
d'une  administration  sage  ;  il  reconnut  l'autorité  suprême  des 
états  en  matière  d'impôts  ;  il  favorisa  l'industrie  par  des  traité*» 
de  commerce  et  par  l'établissement  de  quelques  manufac- 
tures. Mais  bientôt  la  faiblesse  de  son  caractère  le  livra  à 
l'influence  dCvS  favoris.  Dès  1465  il  entra  dans  la  ligue  du 
bicnpublic.  Quelque  temps  après  qu'elle  eut  été  dissoute, 
le  duc  François  conclut  une  paix  séparée  avec  la  France. 
Mais  bientôt  il  rompit  de  nouveau  avec  Louis  XI ,  et  s'al- 
lia avec  les  ducs  de  Berri ,  d'Alençon  et  de  Bourgogne, 
et  avec  l'Angleterre,  la  Savoie  et  le  Danemark.  Repoussé 
de  la  Normandie,  qu'il  s'était  proposé  d'envahir,  et  menacé 
dans  la  Bretagne  même ,  il  se  vit  obligé  de  se  soumettre  de 
nouveau  et  de  conclure  une  paix  désavantageuse  en  1468. 
Cependant  il  continua  à  négocier  avec  les  princes  fran- 
çais et  le  roi  d'Angleterre.  Ces  menées  amenèrent  une  non- 
velle  guerre  ,  qui  se  termina  en  1473  par  une  trêve  conver- 
tie en  traité  définitif  en  1475.  La  paix  dura  jusqu'à  la  mort 
de  Louis  XI  (1483),  malgré  la  méfiance  continuelle  qui  ré- 
gnait entre  les  deux  princes.  Le  roi  de  France,  poursuivant 
toujours  ses  projets  sur  la  Bretagne ,  avait  acheté  (  1479)  les 
droits  des  maisons  de  Blois  et  de  Penthièvre.  Le  duc,  de 
son  côté  ,  avait  resserré  son  alliance  avec  l'Angleterre,  en 
promettant  sa  fille  Anne  au  fils  du  roi  Edouard  IV  (  1481). 
Mais  la  mort  du  jeune  prince  (1482  )  rompit  ce  mariage  mena- 
çant pour  la  France.  Pendant  la  minorité  du  roi  Charles  VHI, 
sous  la  régence  d'Anne  de  Beaujeu,  la  politique  du  duc 
François  continua  à  le  porter  à  chercher  dans  l'alliance 
de  l'Angleterre  un  appui  contre  les  dangers  dont  le  mena- 
çait la  France.  Il  était  alors  entièrement  gouverné  par  son 
premier  ministre  Pierre  Landais.  Après  ie  supplice  de  cet 
ambitieux,  le  duc  se  réconcilia  avec  la  France,  et  se  liAta 
de  convoquer  les  états,  pour  y  assurer  la  succession  ducale 
à  ses  deux  filles  ,  Anne  et  Isabelle ,  à  l'exclusion  du  prince 
d'Orange,  du  sire  d'Albret  et  du  vicomte  de  Rohan  ,  descen- 
dants mâles  de  la  maison  de  Montfort ,  mais  par  les  femmes. 
Peu  après  (1486)  il  tomba  dangereusement  malade.  La  ré- 
gente de  France  se  hâta  de  faire  avancer  des  troupes  vers 
Angers  pour  prendre  possession,  au  nom  des  droits  delà 
maison  de  Blois,  de  l'héritage  qu'elle  croyait  prêt  à  échoir; 
mais  le  duc  guérit,  et,  piqué  de  ces  démonstrations,  il  se  liâla 
de  former  contre  la  régente  une  ligue,  dans  laquelle  entrèrent 
IMaximilien  ,  roi  des  Romains ,  le  roi  de  Navarre  ,  les  ducs 
d'Orléans,  de  Lorraine  et  de  Foix ,  les  comtes  d'Angoulôme, 
de  Nevers,  de  Dunois,  cl  beaucoup  de  seigneurs  français  el 


BRETAGNE  —  BRETELLES 


691 


iMctons.  Le  duc  d'Orléans  s'évada  de  France,  et  se  rendit 
cil  Bretagne. 

Anne  de  Beaujeu  n'en  fut  que  plus  ardente  à  suivre  ses 
projets.  Dès  le  mois  de  mai  suivant  (1487),  elle  fit  entrer  en 
Bretagne  une  armée  française,  qui  prit  Ploërmel  et  Vannes, 
et  assiégea  Nantes  ;  elle  eut  l'adresse  d'écarter  l'intervention 
de  l'Angleterre.  Le  duc  François,  ayant  renforcé  son  ar- 
mée de  coq)s  allemands ,  espagnols,  gascons,  et  de  quel- 
ques volontaires  anglais,  soutint  la  guerre  et  obligea  les 
Français  à  lever  le  siège  de  iXantes.  En  môme  temps,  il  né- 
gociait le  mariage  d'Anne,  sa  fille  aînée,  avec  le  roi  des  Ro- 
mains. Mais  en  1438  une  nouvelle  année  française  entra 
en  Bretagne,  et  cette  campagne  fut  décisive.  Les  deux  ar- 
mées se  rencontrèrent  le  28  juillet  à  Saint-Aubin  du  Cor- 
mier :  le  maréclial  de  Rieux  commandait  les  Bretons,  et 
Louis  de  La  T  ré  m  oui  lie  les  Français.  Ce  dernier  rem- 
porta une  victoire  complète;  Louis  d'Orléans  lut  fait  prison- 
nier et  envoyé  à  la  tour  de  Bourges.  Abattu  par  ce  dé- 
sastre, le  duc  de  Bretagne  fut  obligé  de  recevoir  la  paix 
que  lui  dicta  la  France.  La  condition  la  plus  importante 
fut  la  défense  de  marier  sa  fille  sans  le  consentement  du  roi. 
François  II  mourut  peu  après,  du  chagrin  que  lui  causa  cette 
clause  humiliante  (7  septembre  1488). 

Anne  de  Bretagne  épousa  le  roi  de  France  Char- 
les VIII,  qui  l'assiégeait  dans  Kenjies,  et  à  qui  elle  fit  ces- 
sion de  tous  ses  droits  et  même  de  l'exercice  de  la  sonve- 
laineté.  Réciproquement,  si  le  roi  décédait  sans  enfants 
avant  la  duchesse,  il  renonçait  en  sa  faveur  à  tous  ses  droits 
sur  la  Bretagne,  mais  sous  condition  expresse  que  la  du- 
chesse épouserait  ou  le  nouveau  roi  ou  au  moins  son  héritier 
présomptif,  qui  même  ne  pourrait  aliéner  le  duché  et  ses 
appartenances  qu'entre  les  mains  du  roi.  11  est  facile  de  voir 
qu'un  contrat  de  mariage  pareil  consommait  la  réunion  de 
la  Bretagne  à  la  France. 

Charles  VllI,  pendant  les  sept  ans  qu'il  vécut  encore,  gou- 
verna la  Bretagne  en  son  propre  nom  et  sans  aucune  inter- 
vention de  son  épouse.  11  laissa  en  mourant  (1498)  la  cou- 
ronne de  France  et  le  soin  de  consommer  la  réunion  de  la 
Bretagne  au  duc  d'Orléans,  qui  fut  Louis  XII.  Celui-ci, 
quoique  marié  depuis  vingt-quatre  ans ,  se  hâta  d'épouser 
sa  veuve  ;  la  dispense  du  pape  ne  se  fit  pas  attendre. 

Après  la  mort  d'Anne  et  celle  de  Louis  XII,  celui-ci  ne 
laissant  pas  d'enfants  mâles ,  la  couronne  de  France  revint 
au  comte  d'Angoulème,  qui  prit  le  nom  de  François  1".  11 
avait  épousé  la  princesse  Claude ,  fille  d'Anne  de  Bretagne. 
Le  22  avril  1515  la  jeune  reine  cédait  à  son  époux  l'usufruit 
de  la  Bretagne ,  et,  par  un  second  acte,  du  28  juin ,  elle  lui 
faisait  une  cession  et  donation  complète  de  ses  droits  et  pro- 
priétés. A  sa  mort,  en  1524,  elle  transporta  par  testament 
cette  donation  au  dauphin  son  fils  aîné ,  en  n'en  laissant  au 
roi  que  l'usufruit.  Cette  donation  fut  ratifiée  en  1532  par 
les  états  de  Bretagne.  Le  dauphin  étant  mort  en  153C,  le 
titre  de  duc  de  Bretagne  passa  à  son  frère  puîné  Henri.  En- 
fin, ce  dernier  étant  monté  sur  le  trône  de  France,  en  1547, 
il  n'y  eut  plus  d'autres  ducs  de  Bretagne  que  le  roi  de  France. 
'  Sous  le  règne  de  Henri  III,  et  dans  la  piévision  de  l'ex- 
tinction de  sa  race,  il  s'éleva  des  prétentions  au  duché  de 
Bretagne  contre  Henri  IV.  Ce  dernier,  ne  descendant  pas 
d'Anne  de  Bretagne ,  les  descendants  des  filles  de  Henri  II 
voulurent  faire  valoir  leurs  droits  contre  l'acte  de  réunion. 
Philippe,  roi  d'Espagne,  veuf  d'Isabelle,  fille  aînée  de 
Henri  II,  réclamait  le  duché  de  Bretagne  au  nom  de  sa  fille 
aînée,  qui  avait  épousé  le  duc  de  Savoie.  Le  duc  de  Lor- 
raine, époux  de  la  princesse  Claude,  seconds  fille  de 
Henri  II ,  élevait  également  des  prétentions.  Enfin ,  le  duc 
de  Mcrcœur,  qui  avait  épousé  Marie  de  Luxembourg, 
descendant  par  les  femmes  du  comte  de  Penlhièvre,  espé- 
rait également  raviver  les  droits  de  cette  maison.  Ce  der- 
nier concurrent  s'était  trouvé  le  premier  en  mesure  de  faire 
valoir  ses  orctentions.  Aussitôt  anrès  l'assassinat  du  duc  de 


Guise ,  il  fît  signer  la  ligue  en  Bretagne.  La  province  se 
partagea  entre  la  ligue  et  le  roi ,  et  la  guerre  civile  éclata. 
Après  la  mort  de  Henri  III,  la  ligue  reparut  en  Bretagne 
contre  Henri  IV,  qui  fut  cependant  reconnu  par  la  ville  de 
Rennes  et  par  la  plus  grande  partie  des  royalistes.  L'année 
suivante  (1590),  un  corps  espagnol  arriva  au  secours  des  li- 
gueurs ;  mais  bientôt  après  la  reine  d'Angleterre  y  fit  passer 
un  renfort  au  parti  royaliste.  L'abjuration  de  Henri  IV  et 
la  soumission  de  Paris  (1594)  ne  mirent  point  encore  fin  à 
la  guerre ,  que  le  duc  de  Mercœur  chercha,  avec  l'appui  des 
Espagnols ,  à  soutenir  pour  son  propre  compte.  Cependant 
une  tentative  de  débarquement  des  Espagnols  ayant  échoué 
par  la  destruction  de  leur  Hotte  près  de  Brest  (1597),  et  le 
royaume  étant  pacifié ,  le  duc  de  Mercœur  sentit  la  néces- 
sité de  se  soumettre.  Ayant  obtenu  des  conditions  avanta- 
geuses ,  par  l'entremise  de  Gabrielle  d'Estrées  ,  maltresse  de 
Henri  IV,  la  Bretagne  fut  pacifiée.  Ici  finit  l'iiistoire  de  ce 
pays,  que  rien  ne  tendit  plus  à  séparer  de  la  France^ 

Les  Bretons,  comme  les  dépeint  admirablement  leur  his- 
torien Da ru,  sont  francs,  braves ,  laborieux  et  économes; 
mais,  entêtés  dans  leurs  opinions  et  leurs  préjugés,  mé- 
fiants par  un  effet  de  leur  opiniâtreté  même ,  ils  ont  résisté 
aux  innovations  qui  pouvaient  améliorer  leur  état  moral,  et 
sont  restés  en  partie  étrangers  aux  frottements  qui  polissent 
les  peuples.  La  principale  cause  en  est  dans  le  défaut  de 
déveloi)pement  des  facultés  intellectuelles  chez  les  classes 
inférieures.  L'instruction  ne  s'y  répandra  que  lentement, 
mais  elle  y  arrivera  :  les  Bretons  sont  aussi  susceptibles  que 
les  autres  Français  de  profiter  de  ses  bienfaits.  L'agriculture 
est  imparfaite  dans  la  Bretagne,  à  moitié  couverte  de 
bruyères  ou  de  landes  incultes.  Les  mines  sont  négligées. 
Les  habitants  des  campagnes,  couverts,  sur  plusieurs  points, 
de  sayons  de  peaux  de  chèvre  ou  de  brebis ,  habitent  en- 
core trop  souvent  des  cabanes  obscures ,  malsaines  et  mal 
soignées  ;  leur  nourriture  est  grossière  et  parcimonieuse. 

Ce  pays  se  divisait  en  deux  parties,  la  haute  Bretagneet  la 
basse  Bretagne,  subdivisées  en  plusieurs  diocèses.  La  haute 
Bretagne  renfermait  les  diocèses  de  Rennes ,  de  Nantes ,  de 
Saint-Malo ,  de  Dol  et  de  Saint-Brieuc.  La  basse  Bretagne 
comprenait  ceux  de  Vannes,  deQuimper,  de  Saint-Pol-de- 
Léon  et  de  ïréguier.  Aujourd'hui  la  Bretagne  forme  les  dé- 
partements de  l'IUe-et-Vilaine,  des  Côtes-du-Nord, 
du  Finistère,  du  Morbihan  et  de  la  Loire-Infé- 
rieure. G''  G.  DE  Vaudoncourt. 

BRETAGXE  (Toile  de).  Vojjez  Toile. 

BUETAGXE  (  A  la  mode  de).  Voijez  Mode. 

liUETAGXE  (Nouvelle-),  l'oye; Nouvelle-Bretagne. 

BRETELLES.  C'est  le  nom  donné  à  ces  lanières  qui , 
s'appuyaut  sur  les  épaules  et  embrassant  verticalement  la 
poitrine ,  fixent  le  haut  des  pantalons  en  arrière  et  en  avant. 
Avant  Bretelle,  iniustrielqui  lesinventa,  le  haut-de-chausses 
n'était  un  peu  solidement  fixé  que  par  l'os  des  hanches , 
dont  la  saillie  répondait  de  la  décence.  Les  jeunes  gens  alors, 
mais  surtout  les  enfants ,  fixaient  le  vêtement  essentiel  au 
gilet.  A  cette  époque,  un  cavalier  devait  surveiller  son  main- 
tien et  réfréner  sa  gourmandise,  sous  peine  de  paraître  dé- 
braillé. Les  bretelles  favorisèrent  peu  à  peu  l'intempérance, 
donnèrent  congé  aux  culottes  courtes,  et  introduisirent  l'u- 
sage des  pantalons;  sans  les  bretelles,  on  n'eût  jamais 
songé  a\ix  sous-pieds ,  cette  innovation  révolutionnaire,  qui 
heureusement  commence  à  passer  de  mode.  Un  jour, 
sous-pieds  et  bretelles  se  firent  antagonisme  et  contre-poids. 
Chaque  mouvement  du  corps  rejaillit  sous  la  botte  et  sur  les 
épaules,  ce  qui  enrichit  chemisiers  et  tailleurs,  et  quelque- 
fois aussi  nos  orthopédistes.  Ces  pressions  fortes  et  répé- 
tées ,  que  le  milieu  des  bretelles  exerce  sur  les  épaules,  peu- 
vent en  elfet,  au  moins  chez  hs  jeunes  gens,  surtout  s'ils 
sont  scrofulcux  et  disposés  au  rachitisme ,  déranger  l'axe  du 
corps,  incliner  la  tige  vertébrale,  et  causer  des  déviations 
ou  môme  des  gibbosités.  Le  danger  en  est  plus  grand  qu» 

87. 


6<J2 


BRETELLKS  —  BRETON 


jamais  depuis  qu'un  caoutchouc  trop  peu  élastiqtie  a  rem- 
placé sans  prudence  le  lil  dt;  laiton  du  premier  inventeur. 
Les  spirales  métalliques  de  IJretellc  n'avaient  qu'un  grave 
inconvénient,  c'était  de  prendre  trop  aisément  le  vert-de- 
)iris.  Convenons  pourtant  que  les  nouvelles  bretelles ,  avec 
leurs  pattes  bifurquées,  ont  un  };iand  avantage  sur  l'ancien 
modèle,  lequel  concentrait  sur  un  trop  petit  espace  les  com- 
motions du  corps  en  mouvement.  Aujourd'hui  quelques 
jeunes  gens  affectent  même  de  supprimer  les  bretelles,  au 
inoven  de  la  boucle  qui  assujétit  assez  imparfaitement  le 
pajitalon  au-dessus  des  hanches.  Cette  réminiscence  du  temps 
qui  précéda  Bretelle  n'a  guère  réussi  qu'au  Pays  latin. 

liilEÏESSES  ou  DUETECHES ,  se  dit,  dans  la  science 
du  blason ,  d'une  rangée  de  créneaux  sur  une  lasce ,  bande 
ou  pal ,  ou  bien  s'entend  des  côtés  d'un  blason  de  plate 
iigure.  On  dit  écu  bretessé  simplement,  quand  les  créneaux 
d'une  fasce ,  d'un  pal  ou  d'une  bande  se  rapportent  et  sont 
vis-à-vis  l'un  de  l'autre. 

lillETEtJIL  (  LoDis-AucusTE  LE  TONNELIER,  baron 
DK  ),  ministre  de  Louis  XVI,  naquit,  en  1733,  à  Preuilly  en 
Touraine ,  d'une  faniille  pauvre  et  de  petite  noblesse.  Son 
oncle,  l'abbé  de  Breteuil,  chancelier  du  duc  d'Orléans,  se 
chaigea  des  frais  de  son  éducation,  et  le  lit  successivement 
nommer  guidon  dans  les  gendarmes,  puis  cornette  dans  les 
chcvau-légers  de  Bourgogne.  On  le  lit  remarquer  à  Louis  XV  ; 
et  dès  la  même  année  il  lut  envoyé  près  de  l'électeur  de 
Cologne,  en  qualité  de  ministre  plénipotentiaire;  le  roi  l'at- 
taclw  ensuite  à  la  correspondance  secrète  qu'il  entretenait 
dans  les  cours  étrangères,  et    que  dirigeait  le  comte  de 
Broglie.  En  1760  il  passa  en  Russie;  et  il  était  absent  de 
«on  poste  lorsqu'il  apprit  par  un  courrier  l'assassinat  de 
Pierre  III  et  l'avènement  de  Catherine  11.  Il  se  hâta  de  re- 
tourner à  Saint-Pétersbourg,  où  l'impératrice  lui  lit  le  plus 
ijracieux  accueil.  Ambassadeur  en  Suède,  il  appuya  vivement 
le  parti  français  dans  la  fameuse  diète  de  1769.  Nommé 
l'année  suivante  à  l'ambassade  de  Vienne  par  le  duc  de 
Choiseul ,  il  fut  presque  aussitôt  remplacé  par   le  i)rince 
Louis,  cardinal  de  Rohan;  ce  fut  la  première  cause  de  la 
haine  que  se  vouèrent  depuis  ces  deux  honmies.  Envoyé  à 
Naples,  puis  à  Vienne  par  Louis  XVI,  en  1775,  il  assista, 
en  1778,  au  congrès  de  Teschen,  qui  étouffa  l'embrasement 
près  d'éclater  en  Europe  pour  la  succession  de  l'électeur 
palatin  de  Bavière,  Charles-Théodore ,  mort  sans  postérité. 
Il  revint  en  France  en  1783,  et  fut  nommé  ministre  d'Etat 
avec  le  portefeuille  de  la  maison  du  roi  et  le  gouvernement 
de  Paris  :  c'était  le  département  des  lettres  de  cachet  et 
du  cabinet  noir.  Mais  on  doit  dire  que  sous  sou  adminis- 
tration le  sort  des  prisonniers  d'État  fut  amélioré,  et  qu'on 
commença  à  user  à  leur  égard  de  quelque  humanité.  Cepen- 
dant le  baron  de  Breteuil  ne  recula  jamais  devant  les  mesures 
les  plus  arbitraires.  On  raconte  que,  pour  prévenir  les  re- 
montrances qu'on  craignait  de  la  part  des  parlements  au 
iiujet  de  l'enregistrement  des  édits  buisaux  de  Calonne,  il 
envoya  aux  commandants  de  la  province  de  Languedoc  dix- 
tuiit  cents  lettres  de  cachet  en  blanc.  Heureusement  on  n'eut 
pas  occasion  d'en  fau-e  usage.  L'affiiire  du  Colli  er  lui  founiit 
une  occasion  de  se  venger  du  cardinal  de  Rohan  :  il  le  (it  ar- 
rêter à  Versailles  môme,  étant  encore  revêtu  de  ses  habits 
pontificaux.  Cependant  la  mésintelligence  ne  tarda  pas  à  se 
mettre  entre  Breteuil  et  Calonne;  les  deux  rivaux  our- 
<lirent  mille  intrigues;  enfin  Calonne  fut  obligé  de  remettre 
son  portefeuille  ;  mais  son  successeur  LoméniedeBrienne 
ne  s'entendit  pas  mieux  avec  le  baron,  qui  donna  sa  démis- 
sion en  17SS.  H  continua  néanmoins  à  jouir  de  toute  la 
confiance  de  Louis  XVI.  11  s'opposa  de  toutes  ses  forces  à  la 
convocation  des  étals  généraux  que  proposait  l'archevôque 
de  Sens ,  premier  uiiuistre. 

Sa  rentrée  au  pouvoir  ne  fut  qu'une  orageuse  apparition  ; 
il  fut  mis  le  12  juillet  17S9  à  la  tête  de  ce  ministère  im- 
|>rovisé  par  la  peur,  que  son  éiJiémèrc  existence  a  fait  ap- 


peler m'inislère  des  cent  heures.  On  sait  les  immenses 
événements  qui  s'accomplirent  alors  :  le  baron  de  Breteuil 
dût  se  retirer;  il  émigra  à  Soleure.  Louis  XVI  avant  son 
départ  lui  remit  des  pleins  pouvoirs  tels  qu'aucun  ministre  ■! 
n'en  avait  jamais  reçu  :  il  était  autorisé  «  à  traiter  avec  les  mt 
cours  étrangères  et  à  proposer  au  nom   du   roi   tous  les 
moyens  propres  à  rétablir  l'autorité  royale  en  France.  » 
Bertrand  de  Molleville  l'accuse,  dans  ses  mémoires,  d'avoir 
abusé  de  ces  pouvoirs  en  en  faisant  usage  après  leur  révo- 
cation. En  1792  il  renonç-a  complètement  à  la  politique,  et  so 
retira  à  Hambourg.  11  rentra  eu  France  en  vertu  du  sénatus- 
eonsulte  de  floréal  an  vi   :  il  était  dans  un  élat  voisin  de 
l'indigence;  mais  Joséphine  obtint  pour  lui  une  i)ension  : 
Napoléon  lui  accorda  12,000  francs  sur  sa  cassette.  Bientôt 
une  riche  succession  vint  ajouter  aux  bienfaits  de  l'empe- 
reur. Le  baron  devint  l'un  des  plus  assidus  courtisans  de 
Cambacérès.  Un  ministre  de  Louis  XVI  faisant  antichambre 
chez  un  conventionnel ,  qui  dans  le  procès  du  roi  avait  dé- 
claré Vaccuse  coupable,  cela  se  voyait  pourtant  alors!  Le 
baron  «le  îireteuil  mourut  en  1S07,  ne  laissant  qu'une  fille. 
BIIÉTICIMY  (  Traité  de  ).  Le  roi  de  France  Jean,  fait 
prisonnier  i)ar  les  Anglais  à  la  bataille  de  Poitiers,  avait 
signé  un  traité  qui  faisait  passer  sous  la  souveraineté  directe 
de  l'Angleterre  un  tiers  de  la  France.  Si  grand  que  fût  alors 
l'épuisement  de  notre  malheureuse  patrie,  l'esprit  public  se 
souleva  contre  cette  lâcheté  du  monarque,  et  les  états  géné- 
raux se  refusèrent  à  démembrer  le  royaume.  Aussitôt  le  prince 
Noir  repassa  sur  le  continent.  Dans  l'ctat  où  se  trouvaient  les 
finances  et  les  ressources  publiques  le  meilleur  système  de 
défense  était  d'éviter  soigneusement  toute  bataille  rangée  et 
de  laisser  l'Anglais  guerroyer  contre  les  places  fortes  :  ce 
système  eut  bientôt  les  conséquences  que  l'on  s'en  promettait. 
N'obtenant  aucun  résultat  sérieux,  et  voyant  croître  cha(iue 
jour  la  haine  des  populations  françaises ,  exaspérées  par  le 
brigandage  de  ses  soldats,  Edouard  I  II,  qui  manquait  aussi 
d'argent,  se  décida  à  accepter  la  médiation  du  pape  in- 
nocent VI.  Ce  fut  à  Bréliguy ,  près  de  Chartres,  que  s'ou- 
vrirent les  conforeuces ,  le  l"  mai  1300.  La  Guyenne  tout 
cûlicre,  la  Gascogne ,  le  Poitou,  la  Saintonge ,  le  Limousin, 
l'Angoumois,  avec  Calais  et  le  comté  de  Ponthicu,   furent 
cédés  au  roi  d'Angleterre,  riche  dédommagement  de  l'a- 
bandon de  ses  droits  à  la  couronne  de  France,  qui  fut  la 
seule  concession  stipulée  en  échange.  La  rançon  du  roi 
fut  fixée  par  le  même  traité.  Après  sa  délivrance,  le  roi  J&'iu 
acquiesça  à  Calais  au  traité  de  Brétigny.  Mais  les  provinces 
cédées  se  refusèrent  à  devenir  anglaises  ;  et  leurs  plaintes 
amenèrent  de  nouvelles  hostilités,  en  1370.  Le  traité  fut 
d'autant  plus  facilement  rompu,  qu'on  avait  omis  une  for- 
malité importante  :  un  des  articles  portait  que  renouciatioa 
serait  faite  publiquement  par  les  deux  princes  aux  droits  ou 
territoires  qu'ils  se  cédaient  mutuellement,  et  cet  échanjjç 
de  renonciations  n'eût  pas  lieu. 

BRETON  (JEAN-BA.i'TisTE-JosEpn  ),  longtemps  le  doyen  , 
des  journalistes  et  des  sténographes  de  France,  mort  à  Paris, 
le  6  janvier  1852,  était  né  dans  la  même  ville,  le  16  noven»/- 
bie  1777.  Son  père  était  lils  du  lieutenant  général  civil  et 
criminel  de  Pont  ii  Mousson.  On  ne  peut  se  défendre  d'une 
sorte  de  sentiment  su[)erstitieux  eu  se  rappelant  qu'il  était 
né  eu  même  temps  et  «ju'il  est  mort  en  même  temps  que  la 
gouvernement  pailemeiitaire  en  France.  Cette  longue  exis- 
tence, si  bien  reii!i)lie  par  le  travail,  se  trouve  comprise  cntro 
deux  dates  célèbres  :  entre  le  10  août  1792 ,  où  la  force  passa 
des  mains  d'un  seul  homme  dans  les  mains  d'une  assemblée, 
et  le  2  décembre  1851 ,  où  elle  passe  des  mains  d'une  assem- 
blée dans  celles  d'un  seul  homme.  Breton  assistait,  comme 
sténographe,  à  la  séance  du  10  août,  et  il  était  encore  à  sou 
poste  le  1*""  décembre  1851.  Nous  ne  croyons  pas  qu'il 
ait  été  donné  à  aucun  aulie  coûtemporaiji  d'ouvrir  et  de 
fermer  un  pareil  cycle. 
Breton  a  été  le  compagnon  fidèle  et  constant  de  la  trjij 


BRETON  —  BRETON  DE  LOS  HERREROS 


693 


bune  ;  il  s'est  élevé  avec  elle ,  il  est  tombé  avec  elle.  Il  est 
mort  dans  un  ûge  avancé ,  plein  de  jours  et  plein  de  bonnes 
œuvres,  après  une  existence  des  plus  laborieuses  et  des 
plus  méritantes.  Nous  ne  voulons  donc  parler  ici  de  Breton 
que  comme  d'un  personnage  historique  à  sa  manière.  Telle 
qu'elle  est,  cette  ligure  de  journaliste  sans  prétention  et  de 
sténographe  modeste  a  sa  place  à  part  dans  la  galerie  des 
portraits  de  ce  siècle.  Rien  n'est  plus  intéressant,  et,  si 
nous  pouvons  nous  permettre  ce  mot,  rien  n'est  plus  curieux- 
que  cette  vie  calme,  mesurée  et  uniforme,  accomplissant 
régulièrement  son  cours  à  travers  les  temps  les  plus  orageux 
qui  aient  jamais  bouleversé  l'histoire,  et  venant  tranquil- 
lement retrouver  sa  tombe  à  la  place  môme  de  son  berceau. 

I!  n'y  a  pas  un  homme  de  ce  temps-ci  qui  ait  yu  plus  et 
qui  ait  vu  mieux  que  Brefon.  Les  philosophes  qui  écrivent 
l'histoire  lui  donnent  leurs  systèmes,  les  poètes  leurs  cou- 
leurs ;  les  hommes  privilégiés  qui  font  les  événements  sont 
trop  acteurs  pour  pouvoir  être  juges.  C'est  comme  dans  les 
triomphes  et  les  processions;  ceux  qui  y  figurent  comme 
héros  ou  comme  victimes,  qui  marchent  avec  les  fais- 
ceaux et  avec  les  fanfares,  ne  voient  pas  et  n'entendent 
pas.  Il  n'y  a  que  ceux  qui  occupent  les  fenêtres  ou  les  es- 
trades qui  peuvent  voir  et  juger  successivement  le  monde 
qui  passe.  Eh  bien ,  on  pourrait  dire  que  Breton  a  été 
pendant  soixante  ans  à  la  fenêtre  ;  soixante  ans  pendant 
lesquels  l'univers  a  présenté  des  changements  à  vue  et  des 
effets  de  kaléidoscope  comme  nous  n'en  reverrcns  peut-être 
pas.  Nous  disons  peut-être. 

La  sténographie  est  en  quelque  sorte  un  genre  de  daguer- 
réotypie  ;  c'est  aussi  une  manière  de  prendre  la  nature  sur 
le  fait,  dans  son  passage  rapide  comme  l'éclair,  sans  l'em- 
bellissement de  l'art,  sans  rennoblissoraent  de  l'idéal ,  mais 
avec  l'exactitude  cruelle  et  la  crudité  impitoyable  de  la 
réalité.  Or,  Breton  a  sténographié  pendant  toute  sa  vie  ; 
toutes  les  célébrités  du  siècle ,  en  défilant  devant  lui ,  se  sont 
trouvées  traduites  et  reproduites  sous  sa  plume,  et  pour 
ainsi  dire  plaquées  sur  sa  page  blanche,  comme  si  elles 
avaient  passé  sous  le  rayon  de  lumière  de  la  photographie.  Il 
a  vu  la  muse  de  l'histoiie  sans  ornements  et  sans  parure, 
courant  les  rues  telle  qu'elle  s'était  levée  le  matin,  sans 
avoir  eu  le  temps  de  s'habiller  ou  de  se  costumer.  On  pour- 
rait dire  de  lui  qu'il  a  dressé  le  procès-verbal  de  ce  siècle. 
Il  a  été  le  témoin  de  l'histoire ,  témoin  modeste,  impartial, 
véridique.  Pour  nous  servir  d'une  expression  un  peu  spé- 
ciale ,  il  ne  posait  pas,  et  il  ne  faisait  pas  non  plus  poser  les 
personnages  qu'il  avait  vus.  Les  mots  de  l'histoire ,  il  les 
.'savait  tels  qu'ils  avaient  été  dits,  et  non  tels  qu'ils  avaient 
été  faits.  Bien  souvent  sa  vieille  et  malicieuse  mémoire  a 
remis  des  phrases  à  leur  place  :  bien  souvent  il  a  dit  à  la 
fable  ses  vérités.  Breton  était  non-seulement  le  doyen,  mais 
presque  le  créateur  de  la  sténographie  en  France.  C'est  as- 
surément l'homme  d'Europe  qui  a  le  plus  écrit  :  il  a  publié 
plus  de  cent  volumes  de  voyages  et  de  romans ,  traduits  de 
l'anglais  et  de  l'allemand.  Il  sténographiait  déjà  en  1792  ;  il  a 
été  pendant  trente-quatre  ans  sténographe  au  Moniteur  et 
au  Journal  des  Débats  ;\\  a  été  pendant  vingt-sept  ans 
gérant  de  la  Gazette  des  Tribunaux ,  participant  à  la  ré- 
daction du  journal ,  aux  comptes-rendus  des  procès  et  aux 
traductions  des  causes  étrangères.  Il  a  écrit  les  débals  des 
premières  et  des  dernières  assemblées  délibérantes,  les  cours 
de  Lagrange  et  de  Berthollet,  et  ceux  de  Broussais.  C'est 
quelque  chose  d'effrayant  que  de  calculer  la  somme  de  pa- 
roles humaines  que  cette  plume  infatigable  a  versée  sur  le 
monde.  On  frémit  quand  on  songe  à  tout  ce  que  ce  vieillard 
avait  entendu  pendant  plus  de  soixante  années ,  et  quand  on 
se  figure  toutes  les  voix  dont  il  avait  recueilli  les  sons  se 
mettant  à  parler  toutes  ensemble  et  répétant  ce  concert  à  la 
fois  sublime  et  monstrueux  qui  a  rempli  les  échos  de  ce 
siècle. 

Mais  ce  qui  donne  à  Breton  une  physiono.nie  toute  parti- 


culière, c'est  précisément  l'ordre  et  la  méthode  avec  lesquels 
tous  les  événements  de  son  temps  se  classaient  dans  son  en- 
tendement sans  le  troubler.  Spectateur  non  pas  indifférent, 
mais  impassible  de  cet  immense  drame  qui  se  jouait  dans  le 
monde ,  il  n'en  faisait  pas  la  critique  ;  il  se  bornait  à  faire  ce 
qu'on  appelle  V analyse  de  la  pièce.  C'est  ainsi  qu'il  a  vu  et 
raconté  cette  séance  du  10  août  dans  laquelle  le  malheureux 
Louis  XVI,  fuyant  les  Tuileries  ensanglantées,  se  réfugia 
avec  la  reine,  avec  les  enfants  de  France  et  Madame  Elisa- 
beth dans  l'Assemblée  Législative  :  «  Le  roi  constitutionnel, 
dit  Breton  ,  se  plaça  d'abord  sur  un  fauteuil  à  côté  du  pré- 
sident ;  mais  bientôt ,  dès  que  le  canon  et  la  fusillade  reten- 
tirent, on  prétexta  que  la  présence  du  monarque  nuisait  à  la 
liberté  des  délibérations.  Le  roi,  la  reine,  leurs  augustes  en- 
fants ,  Madame  Elisabeth  et  leur  suite  furent  relégués  dans  la 
tribune  du  Logographe.  «  Mais,  s'écria  un  membre,  où  donc 
«  placera-t-on  messieurs  les  journalistes? — Ces  écrivains,  dit 
«  Thuriol  de  La  Rosière,  sont  stipendiés  des  contre-révolu- 
«  tionnaires  et  du  cabinet  occulte  des  Autrichiens  ;  ils  sont 
n  payés  pour  dénaturer  nos  discours  et  les  rendre  ridicules  ; 
«  nous  n'avons  plus  besoin  d'eux  !  »  Telle  fut  la  fin  du  Logo- 
graphe. » 

Comme  on  le  voit,  déjà  dans  ce  temps-là  les  orateurs  se 
plaignaient  qu'on  rendit  leurs  discours  ridicules.  Nous 
sommes  obligés  de  croire  qu'il  suffisait  pour  cela  qu'on  les 
reproduisit  exactement,  car  jamais  il  n'y  eut  d'interprète 
plus  fidèle  et  plus  probe  que  Breton.  C'est  une  justice  qui 
a  été  souvent  rendue  au  Journal  des  Débats,  et  que  nous 
pouvons  rappeler  sans  scrupule,  qu'il  s'est  toujours  fait  re- 
marquer par  l'exactitude  et  l'impartialité  de  ses  comptes- 
rendus  parlementaires.  Breton  avait  sténographié  le  procès 
de  Babœuf ,  celui  de  Georges  et  de  Moreau ,  celui  de  la  ma- 
chine infernale.  Ce  même  homme  qui  avait  assisté  à  la  dé- 
chéance de  Louis  XVI  a  assisté  aussi  à  la  séance  du  24  fé- 
vrier 1848.  Il  avait -vTi  le  18  brumaire,  il  y  était  comme 
sténograplie  ;  et  le  1"  décembre  1851 ,  comme  nous  l'avons 
dit ,  il  sténographiait  encore  la  dernière  séance  de  l'Assem- 
blée Nationale. 

Il  était  d'une  assiduité  infatigable  et  d'une  exactitude  qui 
ne  tilt  jamais  mise  en  défaut.  Comme  souvenir  personnel , 
je  me  rappelle  qu'à  la  séance  du  15  mai  1848,  quand  l'As- 
semblée Constituante  fut  envahie  par  MM.  Blan([ui ,  Ras- 
pail ,  Huber  et  leurs  amis,  voyant  le  bureau  escaladé ,  les  tri- 
bunes publiques  et  celles  des  journaux  prises  d'assaut,  et 
ne  sachant  pas  trop  ce  que  pouvait  être  devenu  Breton  et 
la  sténographie  dans  ce  pandémonium ,  je  me  mis  à  prendre 
des  notes  rapides  au  crayon  pour  pouvoir  raconter  tant  bien 
que  mal  la  séance.  Mais  Breton  avait  imperturbablement 
sténographié  tous  les  discours,  toutes  les  interruptions,  tous 
les  cris,  avec  son  sang-froid  septuagénaire,  et  le  lendemain  la 
séance  paraissait  tout  entière  dans  le  Journal  des  Débats. 

Breton  était  d'une  obligeance  constante  et  d'une  ressource 
inépuisable;  c'était  une  mine  précieuse  de  souvenirs  et  de 
précédents.  Il  était  toujours  prêt  au  travail,  et  après  avoir 
fait  sa  propre  besogne,  il  se  mettait  tranquillement  à  tra- 
duire pour  les  autres  des  colonnes  de  journaux  étrangers , 
car  il  savait  à  peu  près  toutes  les  langues  de  l'Europe.  Il 
était  interprète  près  les  cours  et  tribunaux  pour  l'anglais , 
l'allemand,  l'italien,  l'espagnol,  le  hollandais  et  le  flamand. 

Il  y  a ,  surtout  en  des  temps  d'agitation  et  d'ambition 
comme  les  nôtres,  quelque  chose  qui  inspire  un  véritable 
respect  dans  cette  vie  detravail  honnête,  régulier  et  incessant. 

Le  Dictionnaire  de  la  Conversation  doit  à  Breton  l'article 
Sténographie,  où  il  a  fait  l'histoire  de  l'art  qu'il  pratiquait, 
ainsi  qu'un  grand  nombre  d'autres  articles,  où  cet  excellent 
vieillard  a  le  plus  souvent  consigné  ses  souvenirs  personnels. 

John  Lemoikne. 

BRETOIV  DE  LOS  HERREROS  (Don  Manuel),  le 
poète  peut-être  le  plus  populaire  et  le  plus  aimé  qu'il  y  ait 
aujourd'hui  en  Espagne,  est  né  le  19  décembre  1800,  à  Quel, 


694 


BRETON  DE  LOS  HERREROS  —  BRETONS 


dans  la  province  de  Logrono.  Après  avoir  fait  ses  études  à 
Madrid,  il  servit  comme  volontaire  dans  l'armée,  de  1814  à 
1822.  Il  fut  à  cette  époque  placé  dans  le  déparlement  des 
finances,  puis  nommé  secrétaire  de  l'intendance  de  Jativa , 
et  bientôt  après  de  celle  de  Valencia.  Constamment  dévoué 
à  la  cause  de  la  liberté,  il  dut  renoncer  à  cette  carrière  lors 
du  rétablissement  du  pouvoir  absolu  dans  sa  patrie.  Pour  ne 
pas  tomber  entièrement  à  la  charge  de  sa  famille ,  il  demanda 
au  théâtre  des  moyens  d'existence,  et  composa  des  pièces  qui 
lui  ont  acquis  une  r6[)utation  durable.  Ce  ne  fut  qu'en  1834 
qu'on  songea  de  nouveau  à  lui  confier  à  Madrid  des  fonc- 
tions publiques,  qu'il  ne  sollicitait  môme  pas;  plus  tard  on  le 
nomma  consenateur  delà  Bibliothèque  nationale, et  il  perdit 
cet  emploi  en  1840,  parce  qu'un  pocme  de  circonstance , 
composé  par  lui  en  l'iionneur  d'Espartero  par  ordre  de  la 
junte,  n'avait  obtenu  aucun  succès.  Cependant  l'Académie 
royale  d'Espagne  ne  l'en  admit  pas  moins,  en  1837,  au  nom- 
bre de  ses  membres. 

A  Tàge  de  dix-sept  ans  Breton  de  los  Ilerreros  avait  déjà 
composé  une  comédie  :  A  la  vcjez  viruclas ,  qui  obtint  en 
1824  les  honneurs  de  la  représentation,  et  dont  le  succès 
fut  des  plus  éclatants.  Depuis  lors,  doué  d'une  fécondité  et 
d'une  lacilité  peu  communes,  il  n'a  pas  fourni  à  la  scène 
espagnole  moins  de  cent  cinquante  ouvrages,  les  uns  com- 
plètement originaux  ,  les  autres  imités  de  vieux  auteurs  na- 
tionaux ou  bien  traduits  du  français  et  de  l'italien  ;  et  la  plu- 
part de  ces  pièces  ont  obtenu  les  plus  brillants  succès,  tant 
sur  les  théâtres  de  la  capitale  que  sur  ceux  des  provinces. 
Il  a  en  outre  publié  des  Poesias  sucltas  [^ld.ànà,  1831), 
ainsi  que  les  poèmes  satiriques  :  Contra  et  Jiiror  fUarmo- 
nico,  0  mas  bien  contra  los  que  desprecian  el  teatro  es- 
panol  (1828  );  Contra  los  hombres  en  de/ensa  de  las  mu- 
geres  (  1829  );  El  carnaval  (1833);  Contra  la  mania  con- 
taijiosa  de  escribir  para  elpubllco  (  1833  )  ;  La  Hipocresia 
(1834);  Contralos  abusas  y  dcspropositos  introducidos  en 
el  arte  de  la  declamacion  teatral  (1834)  ;  Recuerdos  de  nn 
baile  de  mascaras,  cuento  en  verso  (1834);  Epistola 
moral  sobre  las  costumbres  del  siglo  (1841).  Tous  ces 
poèmes  se  distinguent  par  l'élégance  et  en  môme  temps  par 
l'énergie  de  la  diction,  ainsi  que  par  l'harmonieuse  facilité 
de  la  versification.  La  satire  et  la  comédie,  voilà  son  véri- 
table élément  :  il  y  est  léger,  original  et  complètement  espa- 
gnol. Mais  si  ses  œuvres  dramatiques  se  distinguent  plus 
par  les  effets  de  scène  et  par  de  brillants  détails  que  par 
l'originalité  de  l'invention  et  la  richesse  de  la  composition , 
on  peut  dire  de  presque  toutes  qu'elles  amusent  le  specta- 
teur depuis  la  première  scène  jusqu'à  la  dernière.  Dans  ses 
derniers  drames,  il  a  su  d'ailleurs  se  défendre  de  l'influence 
des  classiques  français  et  se  rattacher  aux  grands  modèles  du 
vieux  théâtre  national.  On  publie  depuis  1850  à  Madrid  une 
édition  complète  de  ses  œuvres  en  cinq  volumes. 

BRETONS.  Ce  nom  était  un  appellatif  qui  désignait  les 
peuples  de  l'Angleterre  méridionale;  ceux  de  l'Armorique 
gauloise  ne  l'ont  porté  que  depuis  l'établissement  de  Conan- 
Mériadec  et  de  ses  compatriotes  {voyez  Bretagne).  Li- 
nom  de  Bretons  est  dérivé  du  mot  gaulois  brith ,  brit  ou 
breitk,  qui  signifie  peint,  bariolé,  tatoué.  Encore  aujour- 
d'hui ,  les  peuples  de  la  petite  Bretagne  donnent  aux  insu- 
laires de  la  grande  le  nom  de  Breizads.  C'était  donc  une 
épithète,  un  sobriquet,  qu'ils  devaient,  selon  César,  à  l'usage 
qu'ils  avaient  de  se  peindre  ou  de  se  tatouer  en  bleu  avec  la 
guède  (  vitrum  ou  glastum).  Du  temps  du  conquérant  romain, 
la  plus  grande  partie  de  ce  qui  forme  aujourd'hui  l'Angle- 
terre proprement  dite,  était  habitée  par  des  peuplades  belges 
venues  du  continent  opposé  ;  le  nord  de  l'Angleterre  et  de 
l'Ecosse  l'étaient,  par  des  Gaulois  indigènes.  Le  nom  de 
Bretons  n'a  été  porté  que  par  les  premiers,  et  ne  s'est  jamais 
appliqué  aux  Gaulois  du  nord  de  l'île.  Ces  derniers  étaient 
divisésen  deux  peuples,  les  Calédoniens  (  Kael-Dun,  aujour  ' 
d'hui  Kaetdoch),  ou  Gaiilois  montagnards,  et  les  Méates  ou  l 


Majates  (de  magh,  maigh,  maith,  plaine),  ou  Gaulois  de 
la  plaine.  Ces  derniers ,  plus  agricoles ,  étaient  appelés  par 
leurs  voisins  montagnards ,  qui  vivaient  de  chasse,  cruit- 
nich,  ou  mangeurs  de  blé.  Les  Bretons,  au  contraire,  dont 
ils  étaient  limitrophes,  et  dont  ils  ravageaient  les  terres, 
les  appelaient  Pietés,  non  parce  qu'ils  avaient  l'habitude 
de  se  peindre,  mais  du  mot  biktich  ou  piktich,  qui  signifie 
larron  ou  pillard. 

Pendant  tout  le  temps  de  la  domination  des  Romains  en 
Bretagne,  et  probablement  auparavant,  les  Calédoniens  et 
les  Pietés  firent  une  guerre  incessante  aux  Bretons  pour 
reprendre  le  pays  qui  leur  avait  été  enlevé.  Ce  furent  ces 
ravages  continuels  qui  obligèrent  les  Bretons  amollis,  après 
que  les  Romains  les  eurent  abandonnés,  à  appeler  à  leur 
secours  les  Anglo-Saxons,  qui  les  subjuguèrent  par  trahison. 
Les  Bretons  étaient  du  temps  de  César  plus  sauvages  et 
plus  féroces  que  les  Gaulois  du  continent,  à  l'exception 
toutefois  des  habitants  du  Kantium,  que  leur  commerce  avec 
les  étrangers  avait  rendus  plus  humains.  Ils  se  peignaient 
en  bleu,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  se  rasaient  la  barbe,  ne 
conservant  que  la  moustache,  et  portaient  une  longue  che- 
velure. L'infanterie  faisait  la  force  principale  de  leurs  armées  ; 
mais  ils  avaient  aussi  de  la  cavalerie  et  des  chars  de  guerre. 
Ils  s'adonnaient  peu  à  l'agriculture,  et  vivaient  principjdement 
de  la  chasse  et  des  produits  de  leurs  troupeaux.  La  disci- 
pline religieuse  des  Druides  s'était  formée  chez  les  Bretons, 
et  les  jeunes  Gaulois  qui  voulaient  s'y  perfectionner  allaient 
l'étudier  en  Bretagne.  Les  Bretons  recueillaient  l'étain,  que 
dans  les  temps  reculés  ils  apportaient  dans  le  Kantium,  où 
les  Phéniciens  venaient  le  chercher.  Plus  tard,  ce  furent  les 
Gaulois  qui  l'apportèrent  par  terre,  du  Kantium  à  Mar- 
seille. Les  Bretons  étaient  d'assez  hardis  navigateurs,  et 
non-seulement  ils  parcouraient  les  côtes  de  leur  pays  et 
celles  des  Gaules,  dans  des  barques  d'osier  couvertes  de 
cuir,  mais  ils  enseignèrent  aux  Phéniciens  le  chemin  de 
Thulé  ou  de  la  ^'orvège,  par  les  Orcades  et  les  lies  de 
Shetland.  G"'  G.  de  Vaudo.ncourt. 

BRETONS  (  Bas-  ).  Si  l'on  tire  une  ligne  transversale 
de  Paimpol  à  l'embouchure  delà  Vilaine,  au-dessous  de  la 
Roche-Bernard,  toute  la  partie  de  la  presqu'île  armoricaine 
comprise  entre  cette  ligne  et  l'Océan  forme  la  Basse-Bre- 
tagne. Cette  contrée  dans  les  anciens  jours  a  subi  plus  d'une 
invasion ,  sans  que  le  type  de  la  race  primitive  et  à  quel- 
ques égards  autochthone  en  ait  été  sensiblement  altéré.  Cel- 
tique d'origine  (  ses  Dol-menn  et  ses  Menn-hirs  ne  l'at- 
testent pas  moins  que  sa  langue  ) ,  elle  en  a  longtemps 
conservé  les  mœurs,  le  culte  et  les  habitudes.  Transplanté 
sur  cette  terre,  le  christianisme  s'y  est  teint  de  quelques 
antiques  superstitions.  Aucun  changement,  si  l'on  excepte  un 
petit  nombre  de  mots  empruntés  par  la  nécessité  au  voca- 
bulaire français ,  ne  s'est  introduit  dans  son  idiome,  dont 
la  prononciation  gutturale  et  durement  aspirée  s'apprend  avec 
une  extrême  difficulté  par  toute  personne  qui  ne  l'a  pas  par- 
lée depuis  sa  naissance.  Cet  idiome  n'est  pas  près  de  périr, 
et  cela  par  une  raison  péremptoire  tirée  de  la  configuration 
du  sol. 

Le  pays,  si  l'on  excepte  les  villes  et  quelques  bourgades, 
renferme  peu  d'habitations  agglomérées.  Déchiré  par  des  tor- 
rents, hérissé  de  roches  qui  ont  perdu  leur  terre  végétale,  il 
manque  de  plaines.  Indépendamment  des  montagnes-noires 
(  ménèz-du  ),  dont  la  chaîne  se  prolonge  de  l'est  à  l'ouest, 
sa  surface  consiste  principalement  en  collines  et  en  vallons, 
sur  lesquels  sont  éparses,  à  de  grandes  distances  l'une  de 
l'autre,  les  cabanes  des  cultivateurs.  Une  commune  formée 
de  deux  cents  feux  ainsi  disséminés  n'a  guère  moins  de 
ieux  lieues  carrées  de  superficie.  A  travers  ce  terrain  tou- 
,  (Ours  accidenté,  circulent  des  ruisseaux  torrentueux  en  hi- 
ver, seule  saison  pendant  laquelle  les  enfants  aient  le  loisir 
d'aller  chercher  au  loin  quelque  instruction,  car  les  tra- 
vaux de  l'été  les  retiennent  auprès  de  leurs  familles.  Il  est 


i 

J 


BRETONS 


696 


rare  qiie  le  clocher  paroissial  s'élève  au  centre  de  la  com- 
mune ,  qui,  à  parler  exactement,  n'a  pas  de  chef-lieu.  Pla- 
cées, comme  elles  le  sont  presque  partout,  auprès  du 
temple  rustique,  il  est  naturel  que  les  écoles  soient  peu 
fréquentées.  De  retour  sous  le  toit  paternel,  l'enfant,  qui 
n'entretient  de  rapports  avec  ses  auteurs  que  par  la  com- 
munauté de  l'idiome  celtique,  a  bientût  oublié  des  leçons 
reçues  à  longs  intervalles.  Ainsi ,  cet  idiome  triomphe  de 
la  îangue  française  sous  le  chaume  de  la  vieille  Armorique, 
et  y  régnera  longtemps  de  génération  en  génération.  Ne 
croyez  donc  pas  que  là  on  puisse  s'entendre  sur  vos  nou- 
velles mesures  ;  ne  comptez  guère  plus  sur  le  respect  exigé 
en  faveur  de  votre  système  métrique  et  décimal.  Réfrac- 
taire  à  votre  science,  le  paysan  bas-breton  calculera  comme 
ses  pères,  mesurera  comme  eux,  parlera  comme  eux;  et 
tout  au  plus,  subjugué  par  le  succès  récent  d'un  voisin,  il 
adoptera  quelque  méthode  inusitée  d'agriculture.  Encore fau- 
dra-t-il  qu'il  s'écoule  des  années  avant  qu'il  s'y  décide. 

Le  caractère  du  Bas-Breton  n'a  pas  subi  les  modifications 
remarquées  chez  le])eu|>le  de  Paris  depuis  l'époque  où  l'em- 
pereur Julien  le  jugeait  triste  et  taciturne.  Il  est  resté  tel 
en  Bretagne  que  le  lui  a  donné  primitivement  le  culte  drui- 
dique, sur  lequel  a  été  entée  une  religion  sévère;  il  est  tel 
qu'il  devait  résulter  d'un  ciel  inclément,  de  vents  presque 
continuels,  de  tempêtes  qui  enlèvent  les  toitures  des  édifices, 
de  travaux  contrariés  par  des  pluies  glaciales  ou  des  sé- 
cheresses prolongées,  d'une  nourriture  sobre,  céréale  en 
majeure  partie,  et  qui  sous  un  climat  froid  et  nébuleux 
appelle  des  excitants  alcooliques,  dont  le  propre  est  de 
conduire  le  paysan,  comme  les  classes  populaires,  à  l'in- 
tempérance. Celle-ci  est  trop  avantageuse  au  fisc  pour  n'être 
pas  afiligeante  pour  la  morale.  De  cette  lutte  contre  les  au- 
tans, de  cette  culture  pénible  sur  un  sol  tourmenté,  devait 
naître  une  opiniâtreté  au  niveau  des  obstacles  à  vaincre, 
une  humeur  mélancolique ,  un  langage  durement  accentué , 
une  gravité  qui  ne  s'oublie  que  dans  l'ivresse  des  foires  et 
des  fêtes  patronales ,  une  danse  monotone ,  une  joie  triste, 
de  la  lenteur  dans  la  démarche,  de  l'hésitation  dans  les 
premiers  mouvements;  mais  une  ténacité  invincible  dans 
les  déterminations  une  fois  prises,  un  oubli  de  tout  péril 
personnel,  et  un  mépris  de  la  mort  calme  et  sans  jactance. 
La  conformation  physique  du  Bas-Breton  est  en  rapport 
avec  sa  physionomie  morale.  Vous  trouverez  en  Basse-Bre- 
tagne peu  de  tailles  sveltes  et  élancées.  La  grande  mpjorité 
de  la  population  ne  surpasse  pas  pour  les  hommes  la  hau- 
teur de  cinq  pieds  (ancienne  mesure),  et  pour  les  femmes 
celle  de  quatre  pieds  dix  pouces.  Le  corps  des  premiers  est 
osseux ,  la  poitrine  est  large,  le  cou  est  court  et  fortement 
musclé  ;  la  tête,  généralement  plus  voisine  de  la  rondeur 
que  d'une  forme  ovale,  est  volumineuse;  l'œil,  souvent 
déprimé  dans  son  orbite,  est  surmonté  d'épais  sourcils;  la 
pensée  y  réside  profondément  ;  elle  n'en  jaillit  pas  de  prime 
abord  :  il  faut  l'interroger,  et  alors  elle  se  manifeste  dans  la 
fermeté  du  regard  ;  l'action  marche  bientôt  à  la  suite,  et  quel- 
quefois sous  l'incitation  d'une  colère  tranquille.  Gardez-vous 
dans  ces  occasions  de  vouloir  y  apporter  aucun  obstacle  : 
vous  arrêteriez  plutôt  le  torrent  qui  descend  des  monta- 
gnes ou  le  soufde  impétueux  qui  en  balaye  les  gorges. 

Napoléon  ,  parcourant  les  lignes  de  son  armée  pendant 
que  se  livrait  la  bataille  de  Lutzen,fixa  son  attention  cu- 
rieuse sur  quelques  compagnies  de  conscrits  à  figures  im- 
passibles, que  leur  chef  de  bataillon  haranguait  dans  une 
langue  inconnue  :  ces  figures  commencèrent  par  devenir 
soucieuses ,  ensuite  elles  s'animèrent  ;  bientôt  la  voix  du 
jeune  commandant  éclata  dans  un  dernier  cri  de  vigueur; 
le  fameux  Torré-penn  (  cassez-leur  la  tête  )  fut  prononcé,  et 
l'on  marcha  résolument  devant  une  batterie  chargée  à  mi- 
traille. La  moitié  de  cette  brave  jeunesse  y  périt ,  mais 
l'autre  enleva  deux  canons ,  bientôt  dirigés  par  elle  contre 
l'étranger,  dont  les  artilleurs  gisaient  assommés  sur  leurs 


pièces.  C'était  le  bataillon  du  Finistère,  à  peine  formé  trois 
mois  auparavant,  auquel  son  chef  (M.  Pascal  Keranvéyès) 
adressait  des  paroles  puissantes ,  empruntées  au  dialecte  cel- 
tique ,  le  seul  que  ces  jeunes  gens  connussent. 

Interrogez  les  officiers  de  marine  :  ils  vous  diront  que  le 
matelot  provençal  ou  bordelais  a  de  l'intelligence  ,  qu'il  ne 
manque  pas  d'activité,  qu'il  est  propre  à  un  coup  de  main; 
qu'obéissant  au  porte-voix ,  il  sera  prompt  à  la  manœuvre  ; 
que  dans  un  grain  ou  un  remous  il  aura  vilement  cargué 
les  voiles,  et  que  pendant  un  temps  donné  il  résistera  à 
une  bourrasque.  Mais  parlez-leur  d'une  tempête  prolongée , 
telle  qu'on  en  essuie  au  cap  Horn  ou  aux  approches  du  cap 
de  Bonne-Espérance,  ils  opineront  tous  pour  le  matelot  de 
la  Basse-Bretagne,  car  ils  savent  bien  que  celui-ci,  dans  son 
flegme,  abordera  les  huniers  sans  murmure  au  milieu  des 
éclairs  ;  qu'il  tiendra  sur  la  vergue  pendant  les  nuits  les  plus 
orageuses;  que  trempé  d'une  pluie  glaciale  il  continuera 
son  dur  service  ;  qu'avec  deux  doigts  d'eau-dc-vie  sur  l'es- 
tomac et  une  feuille  de  tabac  dans  la  bouche ,  il  luttera  aussi 
courageusement  contre  l'ennemi  que  contre  la  tempête,  et 
surtout  si  cet  ennemi  appartient  à  la  Grande-Bretagne. 

Le  Bas-Breton  en  effet  a  la  haine  de  l'Anglais  ;  il  ne  sait 
pas  pourquoi ,  il  ne  saurait  le  dire  :  elle  est  dans  son  sang, 
elle  est  dans  les  récits  du  foyer  paternel ,  elle  est  dans  les 
contes  des  veillées,  comme  dans  les  chants  populaires,  nous 
dirions  presque  dans  l'air  que  l'enfant  respire.  Voyez  ces 
visages  mornes,  ces  têtes  entourées  d'une  chevelure  épaisse 
qui  retombe  à  flots  sur  de  larges  épaules ,  cette  stature  roide, 
juchée  sur  des  sabots  qui  l'exhaussent  de  dix  centimètres, 
ce  justaucorps  qui  recouvre  autant  de  gilets  qu'en  dépouille 
Auriol  dans  une  course  du  Cirque-Olympique,  ces  braies 
plissées  et  gonflées  comme  deux  ballons  qui,  tenant  à  peine 
sur  les  reins,  descendent  jusqu'à  des  guêtres  de  cuir  noir 
posées  à  cru  sur  la  jambe  ;  voyez  cette  démarche  rendue 
lente  par  l'accoutrement  qui  la  gêne,  ces  lèvres  paresseuses 
qui  vous  font  attendre  une  réponse  oii  brille  l'épargne  des 
paroles ,  cette  indécision  qui  semble  soupçonner  votre  véra- 
cité, car  le  paysan  bas-breton  est  naturellement  défiant  :  ch 
bien ,  criez  à  son  de  trompe  qu'une  descente  d'Anglais  s'est 
effectuée  sur  le  littoral  de  la  vieille  Armorique,  et  tout  cela 
retrouvera  de  la  vie  !  Les  vieillards  redemanderont  à  leur  mé- 
moire le  souvenir  des  anciens  griefs  vrais  ou  supposés;  les 
adultes  détacheront  du  manteau  de  la  cheminée  leurs  fusils 
pour  les  fourbir;  les  femmes  et  les  enfants  crieront;  les  tra- 
vaux agricoles  seront  suspendus:  de  tous  les  animaux  qui 
composent  la  richesse  de  la  ferme,  le  cheval  sera  seul  soigné, 
et  les  hommes  valides  marcheront.  Sur  des  lèvres  naguère 
iraniobiles  se  placera  la  menace  ;  l'imprécation  retentira  dans 
les  chemins  de  traverse;  les  yeux  presque  éteints  auront 
des  éclairs  ;  les  groupes  se  formeront  à  la  porte  des  églises, 
sur  la  tombe  des  ancêtres  ;  des  messes  seront  payées  aux  rec- 
teurs ;  des  ex-voto  seront  promis  aux  autels;  les  bourgs  et 
les  villes  offriront  le  même  spectacle  d'animation  ;  et  à 
tant  de  haines,  qui  ne  formeront  qu'une  seule  et  immense 
haine,  il  ne  faudra  que  des  chefs  pour  les  conduire  à  la  vic- 
toire! Ce  n'est  pas  une  simple  guerre  qui  s'improvisera  :  vous 
seriez  tenté  de  dire  que  l'on  va  courir  à  une  vengeance. 

La  foi  du  Bas-Breton  va  jusqu'à  la  superstition.  Pour  lui, 
il  est  peu  de  fontaines  ou  de  grottes  qui  n'aient  un  patron 
dans  le  ciel.  A  chaque  bienheureux  de  la  légende  armori- 
caine est  affecté  le  droit  de  guérir;  à  tel  mal  suffit  telle  oraison; 
de  telle  rencontre  on  tirera  tel  présage  :  s'il  menace  un  en- 
fant, on  ira  trouver  le  prêtre,  qui  récitera  les  premiers  versets 
de  l'Évangile  selon  saint  Jean,  après  lui  avoir  posé  un  bout 
de  l'étole  sur  la  tête.  Ne  mécontentez  ni  les  mendiants  ni  les 
vieilles  femmes  :  vous  avez  beau  appartenir  audix-neuvièmô 
siècle ,  vous  ne  seriez  pas  à  l'abri  des  mauvais  sorts  qui  vous 
seraient  jetés.  Cependant  ces  pauvres,  ces  vieillards,  ont  leur 
part  dans  la  justice  distributive  du  paysan  bas-breton.  Aucun 
ue  se  montrera  à  la  porte  des  cabanes  sans  recevoir  son  au- 


606 


BRETONS  —  BREUILLES 


mône  :  celle-ci  consistera  en  pain,  en  farineou  en  menue  mon- 
naie; on  s'entretiendra  familièrement  avec  lui;  on  en  ap- 
prendra les  nouvelles  qu'il  recueille  ou  qu'il  promène  de 
village  en  village.  Dans  les  repas  de  noces ,  dans  les  danses 
dont  ils  sont  suivis,  les  pauvres  ont  une  place  acquise; 
assis  à  table  immédiatement  après  les  autres  convives,  ils 
sont  servis  par  les  jeunes  époux.  Bientôt  ils  ouvriront  le  bal 
champêtre  avec  eux  ;  le  nouveau  marié  prendra  par  la  main 
une  mendiante  ,  dont  les  guenilles  auront  été  lessivées  pour 
ce  jour  solennel,  et  un  vieil  estropié  s'accostera  sans  crainte 
de  la  jolie  fille  qui  vient  de  prononcer  le  serment  de  l'é- 
pouse. 

Le  mendiant  en  effet,  dans  sa  vie  errante,  jouit,  avec 
les  tailleurs,  du  privilège  de  préparer  les  conventions  my- 
trimoniales.  Ceux-ci,  toutefois,  ont  plus  d'occasions  que  l'autre 
de  mettre  les  futurs  conjoints  en  rapport  :  chargés  de  con- 
fectionner, sans  restriction,  les  vêtements  des  deux  sexes 
(ce  qui  les  met  en  faveur  auprès  des  jeunes  femmes), 
par  bandes,  leur  grand  bâton  blanc  à  la  main,  ils  vont  passer 
des  semaines  d'une  ferme  à  l'autre.  C'est  à  qui  aura  le  bon- 
lieurde  les  installer  dans  la  grange  qui  va  devenir  leuratelier; 
quatre  fois,  depuis  le  lever  jusqu'au  coucher  du  soleil,  on 
leur  présente  une  nourriture  délicatement  apprêtée ,  et  à  la- 
quelle ils  ne  manquent  jamais  de  faire  honneur.  Mais  leur 
rétribution  métallique  est  minime ,  une  pièce  de  cinquante 
centimes  est  le  salaire  le  plus  large  accordé  à  leur  travail , 
sur  lequel  chaque  servante  s'est  réservé  des  droits  qui  font 
partie  de  ses  gages.  Chose  extraordinaire!  chose  presque  in- 
croyable! partout  bien  accueillis,  fêtés  même,  les  tailleurs 
sont  partout  un  objet  de  mépris  quasi  légal.  Un  enfant  natt-il 
mal  conformé,  «  on  en  fera  un  tailleur,  »  disent  les  père 
et  mère;  est-il  plus  tard  atteint  de  quelque  infirmité,  on  le 
réserve  à  la  même  profession  ;  si  son  intelligence  se  déve- 
loppe tardivement,  il  n'échappera  pas  à  cette  destinée! 

Le  grand  défaut  du  peuple  de  la  Basse-Bretagne  consiste , 
nous  l'avons  déjà  dit,  dans  l'abus  des  liqueurs  spiritueu;;es  ; 
enlevez  à  l'intempérance  les  campagnes  et  les  villes  de  la 
vieille  Armoriqne,  et  vous  aurez  un  peuple  grave,  peu  dé- 
monstratif, mais  n'oubliant  ni  le  bien  ni  le  mal  qu'on  lui  a 
fait ,  endurci  h  la  fatigue,  soumis  aux  lois  ,  mais  murmu- 
rant contre  l'impôt  du  sel  et  du  tabac ,  chérissant  par-dessus 
tout  son  clocher,  et  mourant  quelquefois  de  nostalgie  quand 
il  s'en  éloigne.  Kératrv. 

BRETOXS  (Chevaux).  Voyez CaEv kl. 

liRETTE,  BP.1£TTEUR.  La  bretle  que  portaient  nos 
aïeux  était  une  espèce  d'épée  longue  et  étroite ,  une  rapière, 
une  arme  d'estoc.  Son  nom  de  birtle  lui  venait  de  ce 
qu'elle  avait  été  originairement  fabriquée  en  Bretagne.  On 
appelle  aussi  quelquefois  Brettc,  au  lieu  de  Bretonne ,  une 
femme  ou  une  fille  née  en  Bretagne,  et  Basse-Brette  celle 
qui  est  née  dans  la  Basse-Bretagne. 

De  brette  on  a  fait  les  verbes  brelter  et  bretaUlcr  et  le 
mot  bretteiir,  nom  pris  toujours  en  mauvaise  part,  et  par 
lequel  on  désigne  encore  les  gens  toujours  prêts,  sur  le 
moindre  prétexte ,  à  tirer  la  brette  du  fourreau ,  pour  venger 
ime  prétendue  injure ,  ou  même  faisant  métier  de  provoquer 
et  d'insulter  les  ^ens  honnêtes  et  paisibles,  afin  d'avoir  l'oc- 
casion de  se  mesurer  avec  eux,  et  de  faire  ainsi,  sans 
beaucoup  de  danger  et  à  peu  de  frais,  montre  d'un  courage 
qui  n'est  pas  toujours  à  l'épreuve  de  toutes  les  rencontres. 
C'est  ce  que  l'on  a  également  nommé  ferrailleur,  et  ce 
qu'on  peut  appeler,  en  termes  plus  relevés,  si  la  chose  en 
vaut  la  peine,  spadassin. 

BREUGHEL  (Pierre),  chef  d'une  célèbre  famille  de 
peintres  Hamands,  dit  aussi,  en  raison  du  caractère  ou  des 
sujets  ordinaires  de  ses  tableaux,  Pierre  le  Drôle  ou 
Breughel  te  Paysan  ,  naquit  en  1510  suivant  les  uns,  et 
en  1530  suivant  les  autres,  à  Breughel,  village  peu  éloigné 
de  Breda,  dont  il  prit  le  nom,  et  fut  l'él  ève  de  Pierre  Kock  van 
Aelst.  Il  voyagea  en  France  et  «n  Italie,  recueillant  partout 


les  points  de  vue  ou  les  sujets  naturels  qui  lui  plaisaient" 
et  à  son  retour  dans  sa  patrie,  il  se  fixa  à  Anvers ,  où  il  fut 
reçu  membre  de  la  Société  des  Peintres ,  et  où  il  épousa  la 
fille  de  son  maître.  Plus  tard  il  s'établit  à  Bruxelles,  où  il 
mourut,  en  1570  suivant  les  uns,  et  en  1590  suivant  les 
autres.  Dans  ses  noces  de  paysans ,  ses  fêtes  et  ses  danses 
champêtres,  il  a  peint  sous  de  vives  couleurs  la  joie  franche 
de  l'homme  des  champs,  telle  qu'il  l'avait  observée  de  ses 
yeux  d'artiste.  Une  de  ses  toiles  les  plus  célèbres  est  celle 
qu'on  voit  dans  la  galerie  de  Vienne,  portant  la  date  de  15C3 
et  représentant  la  construction  de  la  Tour  de  Babel.  Beau- 
coup de  ses  tableaux  ont  été  gravés  par  d'autres  sur  cuivre, 
mais  il  gravait  aussi  lui-même  à  l'eau-forte. 

Pierre  Breucuel,  son  fils,  dit  Breughel  le  jeune,  ou* 
rfn/ernal,  parce  qu'il  traitait  de  préférence  dessujets  où  il 
fallait  accumuler  les  contrastes  les  plus  frappants,  comme 
les  scènes  de  brigands ,  d'évocations  de  démons  et  de  sor- 
cières, etc.,  né  à  Bruxelles,  en  1569,  mourut  en  1625.  Son 
Orphée  séduisant  les  divinités  infernales  par  les  accents 
de  sa  lyre,  qu'on  voit  dans  la  galerie  de  Florence,  et  sa 
Tentation  de  saint  Antoine  sont  des  tableaux  de  premier 
ordre. 

Jean  Bredchel  ,  frère  du  précédent ,  dit  Breughel  de 
velours,  parce  qu'il  ne  portait  guère  que  des  vêtements  de 
cette  étoffe,  naquit  suivant  les  uns  en  1508,  et  suivant  les 
autres  en  1575.  Il  mourut  en  1640,  et  même  dès  1625  à  ce 
que  prétendent  quelques  auteurs.  Ce  fut  un  artiste  extrê- 
mement fécond,  qui  excella  dans  le  paysage  et  dans  la  peinture 
des  petites  figures,  sujets  qu'il  exécutait  d'ordinaire  avec  la 
plus  minutieuse  exactitude.  Il  peignit  aussi,  pour  d'autres 
maîtres,  tantôt  des  fonds  de  paysage,  tantôt  des  figures  sur 
un  fond;  c'est  ainsi  qu'il  fit  un  tableau  d'Adam  et  Ève  dans 
le  paradis  terrestre  dont  Rubens  exécuta  les  deux  figu- 
res principales.  Cette  toile  et  ses  Quatre  éléments,  de  même 
que  son  Vertumne  et  Bellone,  œuvres  également  exécutées 
en  société  avec  Rubens,  sont  les  productions  les  plus  re- 
marquables de  Breughel  de  velours. 

Son  fils,  Jean  Breughel,  reçu  membre  de  la  confrérie  de 
Saint-Luc  d'Anvers  en  1629,  imita  sa  manière. 

Les  autres  membres  de  cette  famille  qui  vécurent  en  des 
temps  postérieurs  sont  :  Amb7:otse  Brelghel,  qui  fut  doc- 
teur de  l'Académie  de  Peinture  d'Anvers,  entre  1035  et  1670, 
et  se  fit  une  réputation  comme  peintrç  de  fleurs  ;  Abraham 
Breit.uel,  dit  Rhingraf  ou  le  Napolitain,  remarquable 
peintre  de  fruits,  de  fleurs  et  d'oiseaux,  né  à  Anvers,  qui 
résida  longtemps  à  Rome  et  à  Naples,  et  mourut  dans  cette 
dernière  ville,  en  IG'JO  ;  son  frère,  Jean-Baptiste  lÎRt.iJGixzLf 
comme  lui  peintre  de  fleurs  et  de  fruits,  mais  artiste  d'un 
talent  bien  inférieur,  mort  à  Rome,  après  1700;  enfin  GaJi' 
pard  Brel'guel,  fils  d'Abraham,  qui  cultiva  le  même  genre 
que  son  père. 

BRElJIL,terrfled'eaux  et  forêts,  qui  signifie  unbois  taillis, 
ou  buisson  fermé  de  haies  et  de  murs,  dans  lequel  les  bêles 
ont  accoutumé  de  se  retirer.  Ce  mot,  dont  M.  Hase  fait  re- 
monter l'étymologie  au  grec  uîpiSoXtov,  que  les  Grecs  mo- 
dernes prononcent  brivolion ,  et  qui  dans  le  Levant  a  si- 
gnifié au  moyen  âge  un  verger,  un  jardin  cultivé  devant 
la  maison,  a  formé  par  la  suite  plusieurs  noms  de  lieux  : 
une  partie  de  la  place  Saint-Marc  à  Venise  a  été  appelée  Brn- 
glio,  d'un  petit  bois  qu'il  y  avait  autrefois  en  cet  endroit, 
et  ce  nom  est  devenu  aussi  celui  de  plusieurs  familles,  par 
exempiecelicsdesBroglie,  des  Debreuil,desDubreuil,  etc. 

BREUILLES.  En  termes  de  marine,  on  appelle  ainsi 
toutes  les  petites  cordes,  telles  que  martinets,  garcettes, 
petites  cargues,  etc.,  qui  servent  à  carguer  ou  trousser  les 
voiles,  opération  pour  laquelle  a  été  fait  le  verbe  breuiller 
ou  broïiillcr. 

On  donne  encore  le  nom  de  breuilles  aux  entrailles  ou 
intestins  des  poissons,  et  l'on  dit,  par  exemple,  qu'avant  de 
caqucr  le  hareng ,  il  faut  lui  arracher  les  breuilles. 


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BREUVAGE  —  BREVETS  DINVENTION 


BREUVAGE.  On  n'entend  pas  indistinctement  par  ce 
mot  toute  espèce  deboisson.Ce  derniernom  est  le  terme  gé- 
nérique dont  on  se  sert  plus  particulièrement  pour  désigner 
les  liquides  dont  l'Iiomme  fait  usage  pour  satisfaire  sa  soif, 
flatter  ou  réveiller  le  sens  du  goût.  Breuvage  s'emploie  plus 
spécialement  pour  indiquer  les  liqueurs  préparées ,  compo- 
sées, qu'on  destine  plutôt  à  produire  quelque  effet  extraor- 
dinaire qu'à  servir  de  boisson  habituelle.  Quand  Homère, 
dans  son  Odyssée,  parle  d'un  breuvage  composé  de  fro- 
mage, de  farine  et  de  miel  détrempés  dans  du  vin  de  Pramne, 
il  faut  moins  l'entendre  d'une  boisson  d'un  usage  habituel 
chez  ses  héros,  que  d'une  potion  qu'on  leur  apportait 
après  le  combat  ou  après  de  longues  fatigues  afin  de  répa- 
rer leurs  forces.  Dans  le  onzième  livre  de  ï Iliade  la  belle 
Hécamède  sert  un  pareil  breuvage  à  jMachaon,  qu'on  ra- 
mène blessé  du  combat. 

Quant  aux  breuvages  ou  philtres  des  anciens,  des- 
tinés à  inspirer  de  la  haine  ou  de  l'amour,  leur  recette  et 
lairs  effets  ne  sont  pas  bien  connus.  Les  breuvages  de  haine 
(  |xiar,Tpa)  étaient  composés,  dit  Dacier,  du  suc  de  l'herbe 
appelé  promothea,  mêlé  au  fiel  de  quatre  animaux ,  et  l'on 
suppose  que  c'est  avec  un  breuvage  semblable  que  Circé 
changea  les  compagnons  d'Ulysse  en  pourceaux.  Les  his- 
toriens et  les  poètes  nous  ont  laissé  quelques  indications 
à  l'aide  desquelles  on  pourrait  recomposer  les  breuvages  dan- 
gereux connus  dans  les  différents  ûges  et  chez  les  différents 
peuples,  et  cet  art,  depuis  Médée  jusqu'à  la  célèbre  Brin- 
villiers,  n'a  cessé  d'avoir  des  praticiens.  Quant  aux  breu- 
vages d'amour,  on  ignore  absolument  leur  composition  ;  on 
sait  seulement  qu'on  en  présentait  aux  jeunes  mariés ,  qui 
avaient  le  nom  spécial  de  brou  et  s,  usage  qui  s'est  long- 
temps conservé  chez  les  peuples  modernes. 

A  bord  des  navires,  breuvage  indique  un  mélange  égal  de 
vin  et  d'eau  qu'on  donne  quelquefois  pour  boisson  à  l'équi- 
page ;  mais  son  acception  la  plus  fréquente  est  encore  celle 
de  potion ,  de  médicament. 

BRÈVE  (Prosodie).  Voyez  Quantité. 

BRÈVE  (Musique).  C'est  une  note  dont  la  durée 
n'est  que  le  tiers  de  celle  qui  la  précède  :  la  noire  est  brève 
après  une  blanche  pointée,  la  croche  après  une  noire 
pointée,  etc.  Jl  n'en  est  pas  de  môme  dans  le  plain-chant, 
où  la  brève  vaut  la  moitié  de  la  longue. 

Brève  est  encore  le  nom  de  cette  ancienne  note  qu'on 
appelle  aussi  carrée,  à  cause  de  sa  figure,  et  qu'on  ne  ren- 
contre plus  que  dans  le  chant  d'église  :  la  brève  droite  ou 
parfaite  vaut  trois  rondes  dans  la  mesure  triple;  la  brève 
altérée  ou  imparfaite  ne  vaut,  dans  la  mesure  double,  que 
deux  rondes,  qui  prennent  le  nom  de  semi-brèves.  Voyez 
Allk  Bheve. 

BRÈVE  (Ornithologie),  genre  d'oiseaux  de  l'ordre 
des  passereaux  dentirostres ,  famille  des  fourmiliers.  Ce 
genre  a  pour  caractères  :  Bec  allongé,  robuste,  crochu; 
tarses  longs  et  scutellés  ;  queue  et  ailes  très-courtes ,  d'où 
leur  vient  sans  doute  leur  nom. 

BREVET  (du  latin  brevis,  court),  se  prend  dans  le 
même  sens  que  bref  pour  désigner  des  lettres  courtes  dont 
on  ne  garde  minute  que  par  abréviation.  Les  brevets  sont 
délivrés  par  le  chefde  l'État  pour  établir  en  faveur  de  chaque 
fonctionnaire  le  titre  en  vertu  duquel  il  exerce,  ou  pour 
donner  à  un  particulier  un  titre  spécial.  Ils  sont  expédiés 
par  les  ministères  ou  par  la  chancellerie,  et  contiennent 
seulement  la  nomination  du  titulaire,  avec  une  formule  gé- 
nérale. Il  est  interdit  d'exercer  certaines  industries,  comme 
l'im  p  r  i  merie,  la  li  b  ra  i  r  ie ,  sans  avoir  obtenu  un  brevet. 
On  appelait  autrefois  ducs  à  brevet  ceux  chez  qui  cette  di- 
gnité, conférée  par  brevet,  n'était  que  viagère.  L'on  nommait 
aussi  brevet  de  joyeux  avènement  ou  brevet  de  serment  de 
fidélité  les  lettres  par  lesquelles  un  prince  accordait  à  un  ec- 
clésiastique non  pourvu  de  bénéfice  la  première  prébende  qui 
vic.-uhait  à  vaquer  dans  un  chapitre,  en  sorte  que  le  titu- 

DICT.    nu   I.A    C0>M.KS.    —    T.    111. 


697 

laire  était  saisi  de  plein  droit  de  ce  bénéfice  sitôt  qu'il  venait 
à  vaquer.  Les  brevets  d'assurance  ou  de  retenue  étaient 
des  actes  par  lesquels  le  roi  accordait  à  une  personne  la  sur- 
vivance d'une  fonction ,  à  la  charge  de  payer  une  somme 
déterminée  au  titulaire  auquel  elle  devait  succéder. 

En  droit  un  acte  en  brevet  se  dit  de  celui  que  le  notaire 
remet  aux  parties  sans  en  garder  minute.  On  peut  faire 
de  cette  manière  les  certificats  de  vie ,  procurations ,  actes 
de  notoriété ,  quittances  de  fermages ,  de  loyers,  de  salaires, 
arrérages  de  pensions  et  rentes ,  et  autres  actes  simples. 
Une  obligation  pure  et  simple,  môme  contenant  consti- 
tution d'hypothèque ,  peut  toujours  être  délivrée  en  brevet, 
à  quelque  somme  qu'elle  s'élève  ;  l'usage  est  constant.  Les 
actes  en  brevet  n'emportent  pas  exécution  :  lorsqu'on  veut 
les  faire  revêtir  de  la  forme  exécutoire ,  on  les  dépose  chez 
le  notaire  qui  en  délivre  une  grosse. 

BREVETS  D'INVENTION.  On  nomme  ainsi  les 
titres  délivrés  par  le  gouvernement  pour  assurer  à  une 
personne  qui  les  obtient ,  le  droit  exclusif  de  fabriquer, 
vendre  ou  employer,  pendant  un  nombre  d'années  déter- 
miné ,  la  chose  qui  fait  l'objet  du  brevet. 

Avant  la  révolution  de  17S9  l'industrie  en  France  était 
enchaînée  par  des  règlements  despotiques,  qui  défendaient  au 
génie  toute  découverte,  toute  invention,  sous  peine  d'en 
voiries  résultats  confisqués;  les  privilèges  accordés  par  le 
gouvernement  étaient  tout  à  fait  arbitraires ,  et  donnaient 
lieu  à  une  foule  d'abus  intolérables.  La  moindre  innovation 
devenait  un  motif  de  poursuites  acharnées  de  la  part  d« 
ceux  qui  avaient  des  privilèges.  Les  inventeurs  français  pre- 
naient le  parti  de  se  réfugier  dans  les  pays  étrangers,  qu'ils 
enrichissaient  du  fruit  de  leurs  découvertes.  Les  corporations 
exerçaient  une  tyrannie  d'autant  plus  odieuse  que  les  privi- 
lèges étaient  accordés  à  perpétuité.  L'industrie  demandait  à 
grands  cris  son  émancipation.  En  1762  une  déclaration  de 
Louis  XV  réduisit  les  privilèges  à  quinze  années.  C'était 
une  amélioration ,  mais  elle  était  bien  insuffisante.  On  de- 
vait attendre  de  Louis  XVI  une  réforme  plus  complète; 
Turgot  s'associa  aux  généreux  projets  du  monarque.  Ce  mi- 
nistre fit  rendre  l'édit  mémorable  de  1776,  par  lequel  étaient 
supprimés  tous  les  privilèges  et  toutes  les  corporations; 
mais  cette  suppression  aurait  dû  être  précédée  d'une  indem- 
nité; des  plaintes  s'élevèrent  de  toutes  parts  :  l'édit  fut 
rapporté ,  et  le  ministre  remit  au  roi  son  portefeuille. 

Ainsi  l'industrie  ne  se  vit  un  moment  délivrée  de  ses  en- 
traves que  pour  retomber  sous  l'oppression  du  monopole. 
Cet  état  de  choses  se  maintint  jusqu'à  ce  que  l'Assemblée 
Constituante  eût  brisé  toutes  les  corporations  et  supprimé 
tous  les  privilèges,  pour  donner  à  tous  les  Français  les  mê- 
mes droits  et  leur  imposer  les  mômes  obligations. 

Le  gouvernement  restitua  à  l'industrie  tous  ses  titres;  le 
génie  d'invention  se  livra  à  son  essor,  sans  avoir  à  redouter 
les  obstacles  et  les  persécutions.  Toutefois  une  loi  était  né- 
cessaire pour  constater  les  découvertes,  les  perfectionne- 
ments ,  les  améliorations,  et  pour  en  assurer  la  propriété  à 
leurs  auteurs.  C'est  dans  cette  vue  que  fut  promulguée  la  loi 
du  7  janvier  1791  sur  les  brevets  d'invention. 

Cette  loi  portait  en  principe  que  tout  genre  d'indus- 
trio  ,  toute  découverte  ou  nouvelle  invention  est  la  propriété 
de  l'auteur ,  auciuel  la  loi  doit  en  garantir  la  pleine  et  entière 
jouissance  pendant  un  temps  déterminé.  Elle  assimile  aux 
brevets  d'invention  les  brevets  de  perfectionnement, 
et  elle  définit  le  perfectionnement  :  «  Tout  moyen  d'ajou- 
ter à  quelque  fabrication  que  ce  puisse  être  un  nouveau  genre 
de  perfection.  »  Elle  crée  des  brevets  d'importation,  et  ac- 
corde à  celui  qui  importera  le  premier  en  France  une  dé- 
couverte brevetée  à  l'étranger  les  mêmes  avantages  que  s'il 
en  était  l'inventeur.  Elle  assure  à  tout  inventeur  la  propriété 
et  la  jouissance  exclusive,  mais  temporaire,  de  son  inven- 
tion ,  par  la  délivrance  d'un  titre  ou  patente,  dont  elle  fixe 
laduréeà  cinq,  dix  ou  quinze  ans ,  au  choix  de  l'inventeur; 


69  i 


BREVETS  D'INVENTION 


ee  dernier  terme  ne  pouvant  jamais  être  prorogé  que  par 
un  décret  spécial  du  Corps  législatif.  Elle  prescrit  la  tenue, 
au  secrétariat  de  chaque  préfecture,  d'un  catalogue  des  in- 
ventions brevetées,  que  toute  personne  a  droit  de  consul- 
ter, môme  pendant  la  durée  du  privilège.  En  outre,  le  minis- 
tère de  l'intérieur  doit  conserver  pour  la  même  lin  le  dépôt 
général  des  spécifications  ou  descriptions  des  découvertes 
brevetées.  Elle  définit  la  propriété  exclusive  et  privative  que 
possède  chaque  inventeur  sur  l'exercice  et  les  fruits  de  sa 
tlécou  verte,  invention  ou  perfectionnement,  lui  reconnaissant 
le  droit  de  former  des  établissements  dans  toute  l'étendue 
de  la  France,  de  céder  la  propriété  de  sa  patente,  en  un 
mot,  d'en  disposer  comme  d'une  propriété  mobilière  ,  pour 
la  défense  et  la  conservation  de  laquelle  elle  lui  donne  l'ac- 
tion en  contrefaçon.  Elle  déclare  qu'à  l'expiration  ou  à  la 
déchéance  de  chaque  brevet  d'invention,  la  découverte 
tombe  dans  le  domaine  public ,  ordonnant  d'en  publier  la 
description  et  le  plan,  afin  d'en  rendre  la  jouissance  plus 
promptement  accessible  à  tous  ;  enfin  elle  déclare  la  dé- 
chéance encourue  :  1"  si  l'inventeur  s'est  servi  dans  sa  fa- 
brication de  moyens  secrets ,  non  détaillés  dans  sa  descrip- 
tion ;  2"  si  la  découverte  était  avant  la  demande  du  brevet 
décrite  et  consignée  dans  un  ouvrage  imprimé  et  publié  ; 
3"  si  dans  l'espace  de  deux  ans ,  à  compter  de  la  date  du 
brevet,  l'inventeur  n'a  pas  mis  sa  découverte  en  activité, 
sans  avoir  justifié  des  motifs  de  son  inaction;  4°  si  après 
avoir  pris  patente  en  France  l'inventeur  en  a  pris  une  pour 
le  même  objet  en  pays  étranger;  5"  si  l'invention  est  illicite 
et  contraire  aux  lois.  Voyez  Invention. 

Rappelons  aussi  qu'un  arrêté  des  consuls  delà  république, 
en  date  du  27  septembre  1800,  ordonnait  que,  pour  préve- 
nir l'abus  que  les  brevetés  peuvent  faire  de  leurs  titres ,  il 
devait  être  inséré ,  par  annotation  au  bas  de  chaque  expédi- 
tion ,  la  déclaration  suivante  :  «  Le  gouvernement  en  accor- 
dant un  brevet  d'invention ,  sans  examen  préalable ,  n'en- 
tend garantir  en  aucune  manière  ni  la  priorité,  ni  le  mé- 
rite, ni  le  succès  d'une  invention.  »  Cependant  un  comité 
consultatif  avait  été  établi  au  ministère  de  l'intérieur;  et  il 
était  chargé  d'avertir  officieusement  les  personnes  qui  de- 
mandaient un  brevet  de  l'existence  certaine  ou  présumée  de 
brevets  déjà  pris  pour  des  découvertes  analogues. 

La  loi  du  5  juillet  1844  est  venue  améliorer  cette  législa- 
tion. Elle  consacre  les  mêmes  principes  que  celle  de  1791  ; 
elle  indique  aussi  ce  qu'on  doit  considérer  comme  invention 
ou  découverte  nouvelle,  et  ce  qui  n'est  pas  susceptible 
d'être  breveté;  elle  conserve  aux  brevets  la  même  durée  de 
cinq ,  dix  et  quinze  ans  ;  mais  elle  en  augmente  la  taxe  ;  ainsi 
on  doit  payer  500  francs  au  lieu  de  300  francs  pour  un  bre- 
vet de  cinq  ans,  1,000  francs  au  Ueu  de  800  francs  pour  un 
brevet  de  dix  ans;  pour  un  brevet  dequmze  ans  le  prix  est 
resté  le  même,  à  savoir  1,500  francs.  Cette  taxe,  il  est 
viai,  peut  être  payée  par  annuités  de  100  francs,  sous  peine 
de  déchéance,  si  le  breveté  laisse  écouler  un  terme  sans 
l'acquitter. 

Suivant  l'ancienne  législation ,  toute  personne  qui  voulait 
obtenir  un  brevet  devait  acquitter  d'abord  la  moitié  de  la 
taxe  variable  selon  la  durée  du  brevet,  plus  50  francs 
pour  l'expédition  de  son  titre.  Quant  à  laulrc  moitié ,  la 
loi  de  1791  accordait  la  faculté  de  ne  l'acquitter  que  dans 
les  six  mois,  à  la  charge  par  le  requérant  de  déposer  une 
soumission  de  la  verser  dans  ce  délai. 

Selon  la  loi  du  5  juillet  1844,  la  demande  d'un  brevet 
d'invention  doit  être  adressée  au  ministre  «le  l'agriculture 
et  du  commerce,  avec  1°  une  description  de  la  découverte, 
invention  ou  application  faisant  l'objet  du  brevet  récla:né; 
2"  les  dessins  ou  écliantillons  nécessaires  pour  l'intelligence 
de  la  description;  3"  un  bordereau  des  pièces  déposées.  La 
demande  doit  être  limitée  à  un  seul  objet  principal ,  avec 
les  objets  de  détail  qui  le  constituent;  il  importe -de  men- 
tiounci  la  duiée  que  le  demandeur  veut  assigner  à  son  bre- 


vet dans  les  limites  de  cinq ,  dix  et  quinze  ans  ;  et  cela  sang 
restrictions  ,  conditions  ni  réserves.  La  description  ne  peut 
être  écrite  en  langue  étrangère;  elle  doit  être  sans  ratures 
ni  suicharges.  Il  fautjoindreà  la  demande  un  duplicata  de  lu 
descri[)tion  et  des  dessins  ;  le  tout  doit  être  signé  par  le  de- 
mandeur ou  par  un  mandataire.  Le  dépôt  de  toutes  ces  pièces 
ne  peut  avoir  lieu  que  sur  la  production  d'ua  récépissé 
constatant  le  versement  d'une  somme  de  100  francs,  à  va- 
loir sur  le  montant  de  la  taxe  du  brevet.  Pour  mieux  assurer 
sûrement  la  priorité  au  véritable  inventeur,  le  procès-ver- 
bal, constatant  le  dépôt  des  pièces,  doit  énoncer  l'heure  de 
leur  remise. 

La  durée  du  brevet  court  à  partir  du  jour  du  dépôt; 
mais  la  loi  veut  que  la  délivrance  des  brevets  soit  faite  avec 
toute  la  célérité  possible.  Ainsi ,  après  l'enregistrement  des 
pièces  qui  a  lieu  dans  les  cinq  jours  du  dépôt,  il  n'y  a  plus 
qu'à  expédier  les  brevets  dans  l'ordre  de  la  réception  des 
demandes;  et  cette  expédition  ne  peut  être  retardée,  puis- 
que les  brevets  sont  délivrés  sans  examen  préalable. 

A  défaut  de  l'observation  des  conditions  et  des  formalités 
exigées  par  la  loi ,  la  demande  est  rejetée,  et  dans  ce  cas  la 
moitié  de  la  somme  versée  reste  acquise  au  trésor,  à  moins 
que  la  demande  ne  soit  reproduite  dans  les  trois  mois  qui 
suivent  la  notification  du  rejet  de  la  requête.  Alors  seule- 
ment il  est  tenu  compte  de  la  totalité  de  la  somme  versée. 

On  se  hâte  ordinairement  de  faire  constater  une  invention, 
une  découverte,  pour  acquérir  un  droit  de  priorité;  mai» 
il  n'est  pas  d'inventeur  qui  ne  sente  le  besoin  de  compléter 
son  œuvre  par  une  foule  d'améhoratioiis ,  de  perfectionne- 
ments et  d'additions  que  l'usage  et  la  pratique  lui  révèlent; 
la  loi  de  1844  a  sagement  réservé  à  l'inventeur  des  droits  à 
cet  égard  :  il  peut  demander,  à  peu  de  frais ,  des  certificats 
d'addition,  ou  des  brevets  de  perfectionnement  en  obser- 
vant les  mêmes  formalités  que  pour  les  brevets  d'invention. 

La  cession  des  brevets,  totale  ou  partielle,  soit  à  titre  gra- 
tuit, soit  à  titre  onéreux,  ne  peut^tre  faite  que  par  acte 
notarié  et  après  le  payement  de  la  taxe. 

Comme  les  brevets  sont  accordés  autant  dans  un  intérêt 
public  que  dans  un  intérêt  privé,  toute  personne  est  auto- 
risée à  prendre  communication,  sans  frais,  des  descriptions, 
dessins,  échantillons  et  modèles  des  brevets  délivrés;  les 
brevets  d'importation  ont  été  supprimés;  mais  la  loi  fixe 
les  droits  des  étrangers  qui  peuvent  aussi  obtenir  en 
France  des  brevets  d'invention,  en  se  conformant  à  ses 
prescriptions. 

Les  brevets  délivrés  dans  les  cas  suivants  sont  nuls  et  de 
nul  effet  :  1°  si  la  découverte,  invention  ou  application 
n'est  pas  nouvelle  ;  2°  si  la  découverte ,  invention  ou  ap- 
plication n'est  pas,  aux  termes  de  l'article  3,  susceptible 
d'être  brevetée  ;  3"  si  les  brevets  portent  sur  des  principes, 
méthodes,  systèmes,  découvertes  et  conceptions  théoriques, 
dont  on  n'a  pas  indiqué  les  applications  industrielles;  4°  si 
la  découverte ,  invention  ou  application  est  reconnue  con- 
traire à  l'ordre  ou  à  la  sûreté  publique,  aux  bonnes  mœurs 
ou  aux  lois  de  l'Éfat,  sans  préjudice,  dans  ce  cas  et  dans 
celui  du  paragraphe  précédent ,  des  peines  qui  pourraient 
être  encourues  pour  la  fabrication  ou  le  débit  d'objets  prohi- 
bés; 5"  si  le  titre  sous  lequel  le  brevet  a  été  demandé  in- 
dique frauduleusement  un  objet  autre  que  le  véritable  objet 
de  l'invention;  C  si  la  description  jointe  au  brevet  n'est  pas 
suffisante  pour  l'exécution  de  l'invention,  ou  si  elle  n'indique 
pas  d'une  manière  complète  et  loyale  les  véritables  moyens 
de  l'inventeur;  7°  si  le  breveta  été  obtenu  contrairement 
aux  dispositions  de  l'article  18. 

Cet  article  18  porte  que  :  «  Ntil  autre  que  le  breveté  ou 
ses  ayant-droits  ne  pourra  pendant  une  année  prendre 
valablement  un  brevet  pour  un  changement ,  perfectionne- 
ment ou  addition  à  l'invention  qui  fait  l'objet  du  brevet  pri- 
mitif. Néanmoins,  toute  personne  qui  voudra  prendre  un 
brevet  pour  changement,  addition  ou  perfectionnement  à  un» 


il 


i 


BREVETS  D'I?^VENTION  —  BREVIAmE 


699 


«lécouvertc  déjà  brevetée,  pourra  dans  le  cours  de  ladite  an- 
née former  une  demande,  qui  sera  transmise,  et  restera  dé- 
posée sous  cachet,  au  ministère  de  l'Agriculture  et  du  Com- 
merce. L'année  expirée,  le  cachet  sera  brisé  et  le  brevet 
délivré.  Toutefois" le  breveté  principal  aura  la  préférence 
pour  les  changements,  perfectionnements  et  additions  pour 
lesquels  il  aurait  lui-même  pendant  l'année  demandé  un 
certificat  d'addition  ou  un  brevet.  » 

Il  arrive  souvent  que  des  demandeurs  de  brevets  s'imagi- 
nent avoir  inventé  une  découverte,  qui  en  France  ou  à  l'é- 
tranger, et  antérieurement  à  la  date  du  dépôt  de  la  demande, 
a  reçu  une  publicité  suffisante  pour  pouvoir  être  exécutée; 
tme  telle  découverte  n'est  pas  susceptible  d'un  brevet;  en 
pareil  cas  le  brevet  obtenu  est  nul. 

Pour  conserver  le  brevet  qui  a  été  délivré ,  il  est  indis- 
pensable de  remplir  certaines  conditions  :  ainsi  le  breveté 
sera  déchu  de  tous  ses  droits  :  1°  s'il  n'a  pas  acquitté  son  an- 
nuité avant  le  commencement  de  chacune  des  années  de  la 
durée  de  son  brevet  ;  2"  s'il  n'a  pas  mis  en  exploitation  sa  dé- 
couverte ou  invention  en  France  dans  le  délai  de  deux  ans , 
à  dater  du  jour  de  la  signature  du  brevet,  ou  s'il  cesse  de  l'ex- 
ploiter pendant  deux  années  consécutives ,  à  moins  que  dans 
l'un  ou  l'autre  cas  il  ne  justifie  des  causes  de  son  inaction  ; 
3°  s'il  a  introduit  en  France  des  objets  fabriqués  en  pays  étran- 
ger et  semblables  à  ceux  qui  sont  garantis  par  son  brevet. 

La  loi,  pour  parer  aux  fascinations  des  annonces  et  pour 
rappeler  que  le  gouvernement  n'exerce  aucun  examen  des 
objets  brevetés  et  ne  garantit  en  rien  leur  valeur,  exige  que 
tout  breveté,  sous  peine  de  cinquante  francs  à  mille  francs 
d'amende,  ajoute  dans  tous  ses  actes  de  publicité  relatifs  à 
son  brevet  ces  mots  :  Sans  garantie  du  gouvernement  ; 
disposition  que  les  intéressés  éludent  journellement.en  n'a- 
joutant que  les  initiales  de  ces  quatre  mots. 

Les  juges  de  paix  connaissaient  autrefois  de  toutes  les 
actions  relatives  aux  brevets;  mais,  par  une  loi  du  25  mai  1838, 
celte  attribution  fut  (;hangée  dans  les  termes  qui  suivent  : 
«  Les  actions  concernant  les  brevets  d'invention  seront 
portées,  s'il  s'agit  de  nullité  ou  de  déchéance  des  brevets, 
devant  les  tribunaux  civils  de  première  instance;  s'il  s'agit 
de  contrefaçon ,  devant  les  tribunaux  correctionnels.  »  Ces 
dispositions  ont  été  conservées  par  la  loi  de  1S44. 

En  matière  de  déchéance  et  de  nullité,  une  difficulté  grave 
s'était  présentée  :  on  s'était  demandé  par  qui  les  actions  de- 
vaient être  exercées.  Les  uns  soutenaient  que  toute  personne 
avait  le  droit  de  former  une  action  en  nullité  ou  déchéance 
d'un  brevet;  les  autres  affirmaient  que  ce  droit  n'apparte- 
nait qu'à  ceux  qui  y  ont  intérêt  ;  cette  dernière  opinion  a 
été  adoptée,  et  se  trouve  consignée  dans  la  loi  de  1844. 

Dans  la  matière  qui  nous  occupe,  le  délit  de  contrefaçon 
est  défini  :  «  Toute  atteinte  portée  aux  droits  du  brweté ,  soit 
par  la  fabrication  de  produits ,  soit  par  l'emploi  de  moyens 
faisant  l'objet  de  son  brevet.  »  La  loi  établit  les  peines  en- 
coiuues  par  ce  délit.  L'action  correctionnelle  pour  l'appli- 
cation des  peines  ne  peut  être  exercée  par  le  ministère 
public  que  sur  la  plainte  de  la  partie  lésée.  Le  tribunal  cor- 
rectionnel, saisi  d'une  action  pour  délit  de  contrefaçon, 
statue  sur  les  exceptions  tirées  par  le  prévenu ,  soit  de  la 
nullité  ou  de  la  déchéance  du  brevet ,  soit  des  questions  re- 
latives à  la  propriété  dudit  brevet. 

Pour  la  saisie  ou  la  simple  description  des  objets  contre- 
faits ,  la  loi  prescrit  des  règles  dont  on  ne  peut  s'écarter  ; 
c'est  en  vertu  d'une  ordonnance  du  président  du  tribunal  de 
première  instance  que  les  propriétaires  du  brevet  peuvent 
faire  procéder,  par  tous  huissiers,  à  la  désignation  et  descrip- 
tion détaillée,  avec  ou  sans  saisie,  des  objets  prétendus 
contrefaits.  L'ordonnance  est  rendue  sur  simple  requête,  et 
sur  la  représentation  du  brevet;  elle  contient,  s'il  y  a  lieu, 
la  nomination  d'un  expert,  pour  aider  l'huissier  dans  sa 
description.  Lorsqu'il  y  a  lieu  à  la  saisie,  l'ordonnance  du 
président  peut  imposer  au  requérant  un  cautionnement,  qu'il 


sera  tenu  de  consigner  avant  d'y  faire  procéder.  Le  caution- 
nement est  toujours  imposé  à  l'étranger  breveté  qui  requiert 
la  saisie.  11  est  laissé  copie  au  détenteur  des  objets  décrits  ou 
saisis,  tant  de  l'ordonnance  que  de  l'acte  constatant  le  dépôt 
du  cautionnement,  le  cas  échéant;  le  tout  à  peine  de  nul- 
lité et  dédommages-intérêts  contre  l'huissier.  Mais  si,  dans 
le  délai  de  huitaine,  le  propriétaire  du  brevet  ne  s'est  pas 
pourvu  par  la  voie  civile  ou  par  la  voie  correctionnelle,  la 
saisie  ou  description  est  nulle  de  plein  droit,  sans  préjudice 
des  dommages-intérêts  qui  peuvent  être  réclamés. 

La  confiscation  des  objets  reconnus  contrefaits  et,  s'il  y  a 
lieu,  celle  des  instruments  ou  ustensiles  destinés  spécia- 
lement à  leur  fabrication,  sont,  même  en  cas  d'acquittement, 
prononcées  contre  le  contrefacteur,  le  receleur,  l'intro- 
ducteur et  le  débitant.  Les  objets  confisqués  sont  remis  au 
propriétaire  du  brevet,  sans  préjudice  de  plus  amples 
dommages-intérêts  et  de  l'affiche  du  jugement,  s'il  y  a  lieu. 

Telle  est  la  loi  du  5  juillet  1844  sur  les  brevets  d'invention  ; 
elle  forme  à  elle  seule  un  code  complet,  car  elle  a  abrogé 
toutes  les  lois  et  tous  les  décrets  antérieurs.  Les  voeux  et  les 
intérêts  de  l'industrie  ont-ils  été  entièrement  satisfaits  par 
cette  loi?  Fallait-il,  comme  le  demandaient  certains  indus- 
triels, consacrer  la  perpétuité  de  la  propriété  des  inventions 
dans  les  arts  ?  Mais  ce  serait  retomber  dans  les  abus  de  l'an- 
cien régime  et  fermer  la  porte  à  tous  progrés  ;  car  il  arrive 
presque  toujours  qu'une  invention  n'est  véritablement  per- 
fectionnée que  par  des  personnes  étrangères  à  l'invention. 
La  durée  de  quinze  ans  est-elle  suffisante  pour  rémunérer 
les  inventeurs?  Nous  le  croyons  pour  la  plupart  des  cas, 
surtout  lorsque  l'invention  est  vraiment  utile.  Malheureu- 
sement on  voit  une  foule  d'industriels  prendre  des  brevets 
pour  des  inventions  sans  portée  et  ne  pouvant  en  aucun  cas 
rembourser  les  frais  des  annuités.  D'ailleurs,  beaucoup  d'in- 
dustriels ne  prennent  des  brevets  que  pour  le  bruit  qu'ils 
font  dans  les  annonces ,  et  dans  l'espoir  d'intimider  la  con- 
currence. On  peut  regretter  que,  comme  le  législateur  en  1791, 
celui  de  1844  ait  borné  la  matière  des  brevets  aux  décou- 
vertes relatives  aux  arts  industriels ,  et  que  ces  titres  soient 
expédiés  sans  examen  préalable.  Suivant  la  loi  actuellement 
en  vigueur,  l'invention  de  nouveaux  produits  industriels, 
l'invention  de  nouveaux  moyens  ou  l'application  de  moyens 
connus  pour  obtenir  un  résultat  ou  un  produit  industriel 
peuvent  seuls  devenir  l'objet  d'un  brevet  valable?  La  loi 
de  1791  était  plus  favorable  à  l'inventeur,  puisqu'elle  re- 
connaissait l'invention  partout  où  elle  existe  réellement  en 
disant  que  :  «  Tout  moyen  d'ajouter  à  quelque  fabrication  que 
ce  puisse  être  un  nouveau  genre  de  perfection  serait  regardé 
comme  une  invention.  »  On  reconnaîtra  que  cette  rédaction 
a  une  portée  aussi  large  que  juste ,  si  l'on  considère  com- 
bien sont  difficiles  à  saisir  les  caractères  d'une  invention  qui 
ne  révèle  son  utilité  que  par  ses  résultats ,  et  qu'il  est  im- 
possible d'embrasser  les  inventions  de  toute  espèce  dans 
une  simple  définition. 

On  peut  aussi,  dans  certains  cas,  regretter  que  les  brevets 
d'importation  ne  puissent  être  pris  que  par  les  inventeurs 
brevetés  à  l'étranger;  exemple  que  l'Angleterre  est  loin  de 
nous  offrir.  On  peut,  en  outre,  reprocher  à  la  loi  actuelle  de 
multiplier  les  causes  de  déchéance;  d'ou^Tir  par  là  une 
source  aux  procès  ;  de  faire  dépendre  la  validité  des  brevets 
de  la  preuve  testimoniale  ;  de  mettre  des  obstacles  à  l'ob- 
tention de  ces  titres  par  l'imposition  de  formalités  nom- 
breuses et  difficiles  ;  enfin  d'augmenter  la  taxe  des  brevets 
de  cinq  ans  et  de  dix  ans.  Il  est  vrai  que,  d'un  autre  côté,  le 
système  des  annuités  paraît  très-favorable  aux  inventeurs, 
et  les  soustrait  aux  griffes  de  l'usure;  mais  un  système  d'an- 
nuités progressives,  augmentant  à  mesure  que  l'invention  doit 
produire  ses  effets,  nous  aurait  paru  oréférable  à  des  anuuJ- 
tés  toujours  égales.         J.  de  Lassime,  avocat  à  la  cour  impér> 

BRÉVIAIRE, livre  d'office  à  l'usage  des  ecclésias- 
tiques, renfermant  les  heures  canoniales  qu'on  est 

83. 


700 

dans  l'usage  de  lire  en  public,  ou  en  particulier,  dans 
l'église  catholique.  Ce  mot  vient  du  latin  breviarium,  fait  de 
brevis,  court,  parce  qu'il  contient  des  morceaux  détachés 
de  l'Écriture  et  des  Pères,  et  qu'il  en  est,  en  quelque  sorte , 
le  résumé,  l'abrégé.  Il  est  composé  d'antiennes,  d'hymnes, 
d'oraisons,  de  versets,  de  répons,  de  canons,  ouvrages  de 
l'Église  ou  de  ses  évêqucs  ,  et  de  rubriques  qui  marquent  la 
différence  des  fêtes  de  l'année  et  règlent  les  rites  qu'on 
doit  suivre  dans  l'office  divin.  L'obligation  pour  les  ecclé- 
siastiques de  le  lire  chez  eux ,  quand  ils  ne  peuvent  y  as- 
sister, était  autrefois  générale  pour  les  chrétiens.  Elle  s'est 
peu  à  peu  réduite  aux  seuls  clercs.  Au  quinzième  siècle,  c'é- 
tait un  cas  réservé  au  jugement  des  évoques  que  d'avoir  été 
trois  jours  sans  dire  leBrévaire.  Joly,  grand-chantre  de  Notre- 
Dame  de  Paris,  dans  une  consultation  publiée  en  1644, 
prétend  que  l'obligation  de  réciter  le  Bréviaire  en  particulier 
n'est  appuyée  que  sur  une  coutume  qui  sert  de  loi ,  et 
qu'avant  le  concile  de  Bûle  on  n'en  avait  fait  l'objet  d'au- 
cune constitution.  C'est  dans  le  concile  de  Latran ,  tenu  sous 
les  papes  Jules  II  et  Léon  X,  que  fut  décrétée  la  consti- 
tution qui  oblige  expressément  les  ecclésiastiques  à  réciter 
le  Bréviaire,  sous  peine,  en  cas  d'omission,  d'être  privés 
temporairement  des  fruits  de  leurs  bénéfices,  et  même 
d'être  dépouillés  de  ces  bénéfices  si,  après  avoir  été  avertis, 
ils  ne  s'amendent  point. 

Le  Bréviaire  que  le  clergé  grec  appelle  horloge ,  ordre 
(xà^i;),  eiicologe  (  eùxoXôytov  ),  et  qu'on  retrouve  aussi  chei 
les  Arméniens  et  Slaves  orientaux ,  est  composé  da  Matines, 
Laudes,  Prime,  Tierce,  Sexte,  None,  Vêpres  ci  Com- 
piles, c'est-à-dire  de  sept  différentes  heures,  conformément 
à  ce  mot  du  prophète  David  :  Septies  in  die  laudem  dixi 
tibi.  (  Ps.  cxviii.  )  On  y  inséra  aussi  des  Vies  de  Saints , 
telles  qu'on  les  écrivait  alors,  c'est-à-dire  pleines  de  faits 
qui  ne  sont  point  avérés.  Aussi  les  papes  et  les  évêques 
ont-ils  dû ,  à  plusieurs  reprises,  le  réformer,  selon  le  décret 
du  concile  de  Trente.  Avant  ce  concile,  le  Bréviaire  n'était 
pas  uniforme  pour  tous  les  diocèses  ;  il  y  en  avait  de  distincts 
pour  chacun  d'eux,  comme  pour  chaque  ordre  religieux. 
Le  pape  Pie  V ,  le  premier,  fit  dresser  un  Bréviaire  pour 
l'usage  universel  de  l'Église,  intitulé  :  Breviarmmromanum 
ex  clecrcto  sacro-sancti  concilii  Tridentini  restitutum, 
auquel  Clément  VIII  et  Urbain  VIII  apportèrent,  àleur  tour, 
des  reformes.  Enfin,  plusieurs  évêques  de  France  firent  tra- 
vailler également  à  la  réformation  des  Bréviaires  de  leurs 
diocèses  respectifs.  Avant  Pie  V,  le  cardinal  Quignon ,  du 
titre  de  Sainte-Croix ,  avait  publié  ,  sur  l'invitation  des 
papes  Clément  VII  et  Paul  111,  un  Bréviaire  purgé  de  tout 
ce  qui  lui  avait  paru  fabuleux  ou  hasardé.  Son  dessein  était, 
<;omme  il  le  déclare  lui-même  dans  la  préface  placée  en  tête 
du  livre,  qu'on  lût  principalement  l'Écriture  Sainte  toute 
Tannée ,  et  les  psaumes  en  entier  cbaque  seinaine.  Le  des- 
tinant principalement  à  l'usage  de  ceux  qui  récitent  le  Bié- 
viaireen  particulier,  il  en  avait  retranché  le  petit  office  de 
la  Vierge,  les  traits  ou  versets,  les  répons,  et  plusieurs 
autres  choses  semblables  que  le  chant  avait  introduites  dans 
l'Église;  et  les  histoires  des  saints  qu'il  y  avait  laissées , 
étaient  rapportées  de  manière  à  ne  rien  offrir  qui  pût 
cboquer  les  personnes  graves  et  savantes.  Les  papes 
Jules  III  et  Paul  IV  autorisèrent  ce  Bréviaire,  dont  il  y  a 
un  assez  grand  nombre  d'éditions,  principalement  en 
France.  Celle  réformation  du  Bréviaire  parut  néanmoins 
trop  libre  aux  docteurs  de  la  Faculté  de  théologie  de  Paris, 
ïls  en  firent,  l'an  1535,  une  critique ,  en  forme  de  censure, 
sous  le  titre  de  Notx  censurariae  in  sacrum  Quignonis  Bre- 
viarium; mais,  nonobstant  celte  censure,  le  Bréviaire  du 
cardinal  Quignon  fut  réimprimé  plusieurs  fois  avec  appro- 
bation des  docteurs  de  Sorbonne  et  privilège  du  roi.  On  en 
compte  au  moins  quatre  éditions  sorties  dos  ivresses  de 
Lyon.  Les  docteurs  mêmes  se  servirent  de  l'autorité  de  ce 
Bréviaire,  en  1574 ,  pour  établir  la  conception  immaculée 


BRÉVIAIRE  —  BREWSTER 


de  la  sainte  Vierge  contre  le  jésuite  Maldonat  :  ce  qui  fail 
voir  manifestement  que,  quoique  supprimé  plus  tard,  il 
était  alors  en  usage ,  au  moins  parmi  les  ecclésiastiques  de 
France,  qui  le  récitaient  comme  un  véritable  Bréviaire 
romain. 

On  a  prétendu  retrouver  l'origine  du  bréviaire  dans  ces 
petits  livres  dont  les  moines  se  servaient  en  voyage,  et  dans 
lesquels  étaient  contenus  les  psaumes,  les  leçons  et  les 
oraisons  qu'on  lisait  au  chœur  dans  de  grands  volumes.  Le 
P.  Mabillon  dit  avoir  vu  dans  le  trésor  de  Cîteaux  deux 
de  ces  petits  livres ,  lesquels  n'avaient  que  trois  doigts  de 
large,  mais  étaient  plus  longs.  Ils  paraissaient  fort  petits 
quand  ils  étaient  fermés,  mais  quand  on  les  ouvrait,  ils 
semblaient  trois  fois  plus  grands,  parce  que  les  feuillets  en 
étaient  plies  en  trois;  ils  n'étaient  écrits  que  d'un  côté,  et 
le  texte  en  était  si  fin  et  si  abrégé,  que  toute  une  période  se 
trouvait  renfermée  en  fort  peu  d'espace.  Les  feuillets  en 
étaient  allacliés  par  un  fdet ,  et  on  enfermait  ces  petits  livres 
dans  des  sacs  de  cuir. 

Les  lois  canoniques  exigeaient,  du  reste,  jadis  le  con- 
cours du  chapitre  pour  les  modifications  et  changements  des 
bréviaires ,  et ,  suivant  l'ancien  droit  français ,  il  fallait  de 
plus  des  lettres  patentes  pour  en  autoriser  la  publication. 
Les  parlements  étaient  très-exacts  à  faire  observer  ces  rè- 
glements. 

BRÉVIPENNES  (  de  brevis,  court,  et  de  penna, 
plume  ),  nom  d'une  famille  d'oiseaux  de  l'ordre  des  échas- 
siers ,  qui  n'ont  point  de  pouce ,  et  dont  les  ailes  sont  trop 
courtes  pour  leur  permettre  de  voler  :  tels  sont  l'au- 
truche, lecasoar,  etc. 

BRÉVIROSTRES  (  de  brevis,  court,  et  de  rostrum, 
bec  ),  nom  d'une  famille  d'oiseaux  du  môme  ordre  que  les 
brévipennes,  et  dont  le  bec  est  gros  et  court  :  tels  sont 
l'agami,  le  flamant,  etc. 

BREWSTER  (Sir  David),  un  des  plus  savants  phy- 
siciens d'Angleterre,  naquit  en  Ecosse,  vers  1785.  Ses  pre- 
mières études  furent  dirigées  vers  la  pharmacie,  qu'il  aban- 
donna plus  tard  pour  l'optique.  Les  services  qu'il  a  rendus 
à  cette  dernière  science  lui  ont  valu  le  titre  de  baronet.  Se- 
crétaire de  la  Société  royale  des  Sciences  depuis  nombre 
d'années,  il  passe  sa  vie  alternativement  à  Edimbourg  et 
dans  sa  terre  d'Allerly  sur  la  Tweed.  H  doit  surtout  sa  répu- 
tation à  ses  recherches  sur  la  polarisation  de  la  lumière  et 
à  ses  découvertes  touchant  la  polarisation  elliptique,  autant 
qu'elle  est  produite  par  la  réflexion  des  métaux,  décou- 
vertes qu'il  a  publiées  en  partie  dans  les  Transactions  de 
la  Société  des  Sciences ,  en  partie  dans  divers  écrits  pério- 
diques, entre  autres  dans  le  Journal  Philosophiqtie  d'E- 
dimbourg,qn'il  a  fait  paraître  avec  Jameson  jusqu'au  10*  vo- 
lume ,  et  dans  son  Journal  d'Edimbourg,  auquel  il  donna 
plus  tard  le  titre  de  Journal  Philosophique  et  Journal  des 
Sciences  de  Londres  et  d'Edimbourg.  V Encyclopédie  d'E- 
dimbourg, dont  il  est  l'éditeur,  et  qui  a  été  publiée  de  1808 
à  1830  en  18  vol.  in-4°,  lui  doit  d'excellents  articles,  princi- 
palement sur  les  sciences  naturelles.  Il  a  inséré  aussi  des 
articles  remarquables  sur  les  différentes  branches  de  la 
science  dans  la  nouvelle  édition  de  la  grande  Encyclopédie 
Britanmque,\}\x\!)Me  en  1842.  Dans  ses  Lettres  sur  la 
Magie  naturelle  (Londres,  1831),  il  a  analysé  avec  autant 
d'esprit  que  de  science  la  magie  naturelle,  principalement 
les  phénomènes  provenant  d'illusions  d'optique;  dans  son 
Traité  d'Optique  (Londres,  1832),  il  a  exposé  avec  beau- 
coup d'érudition  la  théorie  de  la  lumière;  dans  la  Vie  de 
sir  Isaac  Aewton  (  Londres,  1832  ),  il  a  décrit  les  recherches 
de  Newton  et  ses  découvertes.  L'invention  du  kaléidos- 
cope a  rendu  le  nom  de  Brewster  populaire.  En  1850 
Brevvster  fut  appelé  à  présider  l'Association  britannique  pour 
la  propagation  des  sciences ,  qui  celte  année  s'assemblait 
à  Edimbourg.  Dans  son  discours  d'ouverture,  il  peignit  avec 
éloquence,  et  sous  de  saisissantes  couleurs,  les  progrès  fait» 


I 


BREWSTER  —  BRÉZÉ 


par  les  sciences  depuis  quelques  années.  En  1851  il  pré- 
sida le  Congrès  de  la  Paix,  qui  s'était  assemblé  à  Londres. 
En  1849  l'Académie  des  Sciences  de  Paris,  dont  il  était  cor- 
respondant depuis  1825,  Ta  choisi  pour  associé  étranger  à 
la  place  de  Berzélius. 

BRÉZÉ  (  Famille  de  ).  Celle  famille,  qui  s'est  éteinte  et 
dont  la  seigneurie  de  Brézé,  en  Anjou ,  est  entrée,  au  com- 
mencement du  quinzième  siècle,  dans  la  maison  de  Maillé , 
par  l'alliance  de  Jeanne  de  l'Estang,  dame  de  Brézé,  avec 
Péan  de  Maillé,  seigneur  de  Saint-Georges  du  Bois,  adonné 
des  grands  sénéchaux  à  l'Anjou,  un  maréchal  à  la  Nor- 
mandie, un  grand  veneur  et  un  grand  aumônier,  évêque  de 
Meaux,  à  la  France. 

Le  premier  membre  bien  connu  de  cette  famille  est  Jean 
nF,  Brézé,  seigneur  de  la  Varenne,  mort  en  1351  ;  puis  vient 
Pierre  de  Brézé,  grand  sénéchal  de  Poitou,  d'Anjou,  etc., 
qui  suivit  Charles  Vil  au  secours  de  la  ville  de  Saint- 
Maixent,  en  1440,  et  reçut  quatre  années  après,  au  mois 
de  décembre ,  en  considération  de  ses  services ,  plusieurs 
terres  confisquées  sur  le  roi  de  Navarre.  Il  assista,  en  1447, 
au  siège  du  Mans  et,  en  1450,  à  la  bataille  de  Formigny. 
Après  la  mort  de  Charles  VII ,  Louis  XI  le  fit  enfermer  au 
château  de  Loches,  d'où  il  ne  sortit  qu'à  la  condition  d'aller 
servir  le  duc  d'Anjou  en  Sicile  et  de  consentir  au  mariage 
de  son  fils  avec  la  sœur  naturelle  du  roi.  Il  fut  tué,  le  17 
juillet  1465,  à  la  journée  de  Montlhéry,  laissant,  entre 
autres  enfants,  Jacques  de  Brézé,  maréchal  et  grand  sé- 
néchal de  Normandie,  mort  le  14  août  1494;  il  avait  épousé 
Charlotte,  bâtarde  de  France,  fille  naturelle  du  roi  Charles  VII 
et  d'Agnès  Sorel. 

Louis  DE  Brézé,  leur  fils,  grand  veneur  de  François  I^'', 
fut  fait  chevalier  de  l'ordre  de  ce  prince  à  la  cérémonie  de 
Compiègne,  le  jour  de  Saint-Michel  1527.  Il  épousa  en 
premières  noces  Catherine  de  Dreux ,  dont  il  n'eut  pas 
d'enfant,  et  ensuite  Diane  de  Poitiers,  depuis  du- 
chesse de  Valentinois.  Deux  filles  naquirent  de  cette  union, 
Françoise  de  Brézé,  mariée  à  Robert  de  la  Marck,  quatrième 
du  nom ,  duc  de  Bouillon,  maréchal  de  France ,  et  Louise 
de  Brézé,  qui  épousa  Claude  de  Lorraine,  duc  d'Aumale,  fils 
puîné  de  Claude,  duc  de  Guise.  Gaston  de  Brézé,  frère  de 
Louis,  et  dont  le  fils,  Louis  de  Brézé,  évêque  de  Meaux 
et  trésorier  de  la  Sainte-Chapelle  de  Paris,  fut  nommé 
grand  aumônier  de  France  par  lettres  patentes  du  1*''  juin 
1556  à  la  sollicitation  de  la  duchesse  de  Valentinois,  as- 
sista au  concile  de  Trente.  Les  deux  filles  de  Gaston  épou- 
sèrent, Catherine,  Nicolas  de  Dreux,  et  Françoise,  Gilles  Le 
Roy,  seigneur  de  Chillon,  d'où  sont  sortis  les  seigneurs  de 
Breiiil  et  de  Gaignouville. 

La  famille  actuelle  de  Dreux-Brézc  n'a  avec  l'ancienne 
maison  de  Brézé  d'autres  rapports  que  la  possession  de  la 
terre  de  ce  nom  et  quelques  relations  de  parenté  fort  éloi- 
gnées par  des  alliances  prises  dans  les  mêmes  familles. 
D'après  des  titres  dont  l'examen  aurait  été  fait  par  ordre 
du  roi  Louis  XVIII,  et  qui  ont  été  déposés  aux  archives 
du  royaume,  elle  se  rattacherait  à  Pierre,  comte  de 
Dreux,  mort  en  1345.  Comme  elle  était  fort  nombreuse, 
on  trouve  dans  les  anciennes  liistcdres  beaucoup  de  ses 
membres  simples  hommes  d'armes  et  l'un  simple  auditeur 
au  Châtelet  de  Paris  en  1378.  Dans  le  seizième  siècle,  Méry 
de  Dreux,  arrière-petit-fils  de  Pierre,  avait  eu  deux  fils,  dont 
la  postérité  subsiste  encore.  Claude  de  Dreux,  seigneur  de 
la  Maison-Neuve,  dont  descendent  les  Dreux  de  ISancré, 
restés  dans  la  carrière  des  armes,  et  Thomas  de  Dreux, 
seigneur  de  la  Pommeraye,  qui  entra  dans  la  magistrature, 
et  dont  les  descendants  occupèrent  des  charges  aux  parle- 
ments de  Bretagne  et  de  Paris.  Ce  dernier  est  la  tige  des 
Dreu\-Bré/é,  qui  pri.ent  le  nom  de  Brczé  au  dix-septième 
siècle,  lors  de  l'échange  que  Thomas  de  Dreux,  conseiller 
au  i)arlemcnt  de  Paris,  fit  avec  le  grand  Condé  du  mar- 
quisat de  la  Galissonnière ,  pour  la  terre  de   Brézé;  il 


TOI 

s'appela  dès  lors  marquis  de  Brézé ,  la  terre  de  ce  nom 
ayant  été  en  sa  faveur  érigée  en  marquisat  par  lettres  pa- 
tentes d'août  1685. 

TJiomas  de  Dreux,  baron  de  Berrye,  marquis  de  Dreux, 
seigneur  et  marquis  de  Brézé,  fils  du  précédent ,  lieutenant 
général  des  armées  du  roi,  gouverneur  de  Loudun  et  des  îles 
Sainte-Marguerite,  acheta  en  1701,  de  Blainville,  frère  de 
Seignelay,  ministre  et  secrétaire  d'État,  la  charge  de  grand 
maître  des  cérémonies  de  France,  créée  par  le  roi  Henri  III, 
pour  M.  de  Rhodes,  et  qui  sembla  depuis  devenir  héréditaire 
dans  la  famille  de  Dreux-Brézé.  Il  mourut,  après  s'en  être 
dérais  en  faveur  de  son  fils,  le  26  mars  1749.  Son  peti(-fils 
aura  une  place  dans  l'histoire  pour  la  réponse  que  lui  fit 
Mirabeau  lorsipi'il  vint  au  nom  du  roi  Louis  XVI  dissoudre 
l'Assemblée  nationale.  Nous  lui  consacrons  un  article  spé- 
cial ,  ainsi  qu'à  trois  de  ses  fils. 

BRÉZÉ  (  Henri-Évraud,  baron  de  BERRYE,  marquis 
DE  DREUX  et  de),  grand  maître  des  cérémonies,  pair  de 
France,  chevalier  des  ordres  du  roi,  maréchal  de  camp,  etc., 
avait  épousé  une  fille  du  général  de  Cu  s  tine.  Né  en  1762,. 
il  succéda,  à  l'âge  de  dix-neuf  ans,  à  son  père  dans  la 
charge  de  grand  maître  des  cérémonies.  Il  dut,  peu  d'années^ 
après  son  entrée  en  fonctions,  pourvoir  aux  préparatifs  des 
états  généraux  :  la  tâche  était  difficile.  11  débuta  dans  ce 
rôle  délicat  le  20  juin  1789,  jour  choisi  par  la  majorité  des 
membres  du  clergé  pour  se  réunir  aux  députés  du  tiers  état. 
Afin  de  prévenir  cette  fusion ,  la  cour  avait  ordonné  la  fer- 
meture des  salles ,  sous  prétexte  de  travaux  pour  une  séance 
royale ,  et  le  marquis  dut  notifier  l'arrêté  du  roi  au  président 
Bailly.  C'est  cet  incident  qui  décida  la  séance  du  jeu  de 
paume.  Les  dernières  paroles  du  roi  avaient  été  une  in- 
jonction formelle  de  se  retirer;  toute  la  noblesse  et  une  partie 
du  clergé  avaient  obéi  ;  mais  les  députés  des  communes  et 
l'autre  partie  du  clergé  étaient  restés  immobiles  à  leur  place. 
Tout  à  coup  Mirabeau  se  lève,  et,  dans  une  improvisation 
entraînante,  propose  de  ne  se  séparer  qu'après  avoir  donné 
une  constitution  à  la  France.  En  ce  moment  le  grand  maître 
paraît,  et  s'adressant  au  président  :  «  Monsieur,  lui  dit-il, 
vous  avez  entendu  les  ordres  du  roi?  — Je  vais  prendre 
ceux  de  l'Assemblée,  répond  Bailly;  elle  est  ajournée  après 
la  séance  royale,  et  je  ne  puis  la  séparer  sans  qu'elle  en  ait 
délibéré.  —  Est-ce  là  votre  réponse,  et  puis-je  en  faire  part 
au  roi  ?  —  Oui ,  Monsieur.  »  Puis ,  se  tournant  vers  les  dé- 
putés qui  l'entouraient  :  «  Je  crois,  ajouta-t-il,  que  la  nation 
assemblée  ne  peut  recevoir  d'ordre.  »  Ce  fut  alors  que  M  i  - 
rabeau,  s'élançant  vers  le  marquis,  lui  adressa  la  fameuse 
apostrophe,  sur  laquelle  on  a  fait  bien  des  variantes.  A  l'oc- 
casion d'un  incident  qui  s'éleva,  le  15  mars  1833,  à  la 
chambre  des  pairs  entre  le  fils  du  maître  des  cérémonies ,, 
et  M.  Villemain,  voici  comment  le  premier  a  prétendu  ré- 
tabUr  le  texte  des  paroles  de  Mirabeau. 

«  Je  remercie  l'orateur  d'avoir  rappelé  un  souvenir  histo- 
rique, qui  se  rattache  à  la  mémoire  de  mon  père;  les  his- 
toriens du  temps  ont  tous  rapporté  ce  fait'd'une  manière 
plus  ou  moins  inexacte.  Mon  père  voulut,  au  retour  du  roî 
Louis  XVIII,  rétablir  la  vérité;  mais  ce  prince  lui  demanda 
de  n'en  rien  faire ,  et  il  se  soumit  à  sa  volonté...  Je  puis  dire 
aujourd'hui  comment  les  choses  se  passèrent  :  Mon  père  fut 
envoyé  par  Louis  XVI  pour  ordonner  à  l'Assemblée  natio- 
nale de  se  séparer;  il  entra  couvert  :  tel  était  son  devoir, 
puisqu'il  parlait  au  nom  du  roi.  De  grandes  clameurs  se 
firent  entendre  à  sa  vue;  on  lui  cria  de  se  découvrir;  mon 
père  s'y  refusa  énergiquement.  Alors  Mirabeau  se  leva,  et  ne 
lui  dit  point  :  Allez  dire  à  votre  viaître,  etc.,  mais:  Nous 
sommes  ici  par  le  vœu  de  la  nation;  la/orce  viatérielle 
seule  pourrait  nous  faire  désemparer.  Mon  père  prit  aus- 
sitôt la  parole,  et,  s'adressant  à  Bailly  :  «  Je  ne  puis  re- 
connaître ,  dit-ii ,  en  M.  Mirabeau  (pie  le  député  du  bailliage 
d'Aix,  et  non  l'organe  de  l'assemblée.  »  Puis,  il  se  retira 
quelques  minutes  après,  et  alla  rendre  compte  au  roi  de  cet 


702 

incident.  Voilà  exactement,  messieurs,  comment  les  choses 
se  passèrent;  j'en  appelle  aux  souvenirs  des  membres  de 
cette  chambre  qui  siégeaient  à  l'Assemblée  nationale.  » 

Le  marquis  de  Brézé  n'abandonna  pas  dans  le  malheur  le 
prince  dont  il  avait  partngé  la  fortune  :  jusqu'à  la  journée 
du  10  août,  il  resta  constamment  près  de  sa  personne,  et 
ce  ne  fut  que  du  moment  où  il  désespéra  de  le  servir  en  France, 
qu'il  suivit  le  cours  de  l'émigration.  Plus  tard,  par  déférence 
pour  les  ordres  de  Louis  XVIII,  qu'il  était  allé  rejoindre  à 
Vérone,  il  rentra  dans  sa  patrie.  A  la  Restauration,  il 
courut  à  Calais  recevoir  le  chef  des  Bourbons,  reprit  ses 
fonctions  de  grand  maître  des  cérémonies,  et  en  cette  qualité 
pourvut  avant  tout  à  la  sépulture  des  cendres  des  rois  de 
France.  Il  présida  plus  tard  aux  cérémonies  du  sacre  de 
Charles  X.  A  la  chambre  des  pairs  il  suivit  la  ligne  qu'il 
crut  lui  être  tracée  par  son  éducation,  sa  position  sociale  et 
les  liens  qui  l'attachaient  à  la  famille  royale.  Il  mourut 
avant  sa  cliute,  en  1S29,  laissant  plusieurs  enfants. 

BRÉZE  (  SciPioN,  marquis  de  DREUX-  ),  né  aux  Ande- 
lys,  le  13  décembre  1793,  fut  admis,  de  bonne  heure,  à  l'É- 
cole miUtaire  de  La  Flèche.  11  en  sortit  avec  le  grade 
d'ofTicier,  et  fit  dans  les  armées  de  l'empire  les  campagnes 
de  1812,  1313  et  1814.  Au  moment  de  la  Restauration,  il 
entra  dans  l'une  «les  compagnies  rouges  de  la  maison  du 
roi,  et  devint  aide  de  camp  du  maréchal  Soult.  Après  le 
second  retour  de  Louis  XVIII,  en  1815,  il  devint  capitaine 
de  cuirassiers  dans  la  garde  royale.  Il  en  sortit  en  1827, 
avec  le  grade  de  lieutenant-colonel,  sa  santé  ne  lui  permet- 
tant pas  de  suivre  la  carrière  militaire. 

A  la  mort  de  son  père,  il  lui  succéda  à  la  chambre  des 
pairs  et  dans  la  charge  de  grand  maître  des  cérémonies  de 
la  maison  du  roi.  A  la  chambre ,  il  se  montra  aussi  attaché 
au  roi  qu'aux  institutions  constitutionnelles.  Lorsque  éclata 
la  révolution  de  1830,  le  31  juillet,  dans  une  séance  privée 
delà  chambre  des  pairs,  où  MM.  Hyde  de  Neuville  ,  Guizot 
et  Sébastiani  vinrent  faire  une  communication  au  nom  de 
la  chambre  des  députés,  M.  de  Brézé,  tout  en  appuyant, 
comme  moyen  d'ordre  public,  la  lieutenance  générale  de 
M.  le  duc  d'Orléans,  soutint  que  celte  charge,  pour  avoir 
toute  sa  valeur  et  toute  sa  légalité ,  devait  être  accompa- 
gnée de  la  déclaration  publique,  par  le  lieutenant  général, 
de  n'user  des  pouvoirs  qui  lui  seraient  conférés,  que  dans  la 
limite  de  ses  devoirs  et  de  la  constitution. 

Les  événements  du  7  août  ayant  dépassé  et  renversé  toutes 
les  espérances  des  amis  de  la  monarchie  légitime,  M.  de  Brézé 
crut  devoir  rester  à  la  chambre  des  pairs  pour  y  défendre 
les  droits  de  l'autorité  et  de  la  liberté  réelle.  S'opposant 
aux  violences  populaires ,  il  réclama,  avec  non  moins  de 
courage,  l'accomplissement  régulier  de  toutes  les  promesses 
de  la  charte  de  1830.  Partisan  de  l'hérédité  de  la  pairie, 
mais  sentant  que  cette  institution  pouvait  dès  à  présent 
manquer  par  sa  base,  il  préférait  pour  la  formation  de  la 
chambre  des  pairs  un  mode  d'élections  sagement  réparties, 
à  la  combinaison  qui  prévalut  d'une  nomination  royale  sou- 
mise à  quelques  conditions  de  factice  indépendance.  Dans  le 
projet  de  loi  d'élection  à  la  cliambre  des  députés ,  ainsi  que 
dans  les  lois  précédentes  sur  les  attributions  municipales  et 
départementales,  M.  de  Brézé  réclama  le  d7-oit  commun,  la 
participation  de  tous  les  contribuables,  au  moyen  de  degrés 
successils,  à  l'élection  des  députés;  constamment  il  s'opposa 
à  l'octroi  des  fonds  secrets  ;  vingt  fois  il  monta  à  la  tribune 
pour  faire  prévaloir  l'honneur  et  les  intérêts  de  la  France 
dans  toutes  les  questions  de  la  péninsule  espagnole,  et  pour 
combattre  l'inlluence  et  la  position  que  l'on  laissait  prendre 
aux  prétentions  et  à  l'orgueil  de  l'Angleterre.  Il  combattit  les 
lois  de  septembre,  et  jeta  un  grand  jour  sur  toutes  les  cu- 
pides obscmités  dont  on  avait  entouré  l'exécution  de  la  loi 
des  100  millions  pour  les  travaux  publics,  etc.,  etc.  Il  serait 
aussi  long  que  difficile  d'énumérer,  même  en  les  abrégeant, 
les  discours  qn'il  prononça  à  la  chambre  des  pairs. 


BRÉZÉ  —  BRI  AL 


Après  avoir,  dans  la  session  de  1842  ,  parlé  de  nouveau 
contre  les  fortifications  et  l'embastillement  de  Paris ,  pro- 
noncé l'éloge  funèbre  du  maréchal  duc  de  Bellune,  et  dis- 
cuté le  projet  de  loi  sur  la  régence,  le  marquis  de  Bréié, 
dont  la  santé  se  trouvait  de  plus  en  plus  fatiguée  de  tant 
d'efforts,  crut  devoir  suspendre  le  cours  de  ses  travaux  par- 
lementaires. Il  mourut  le21  novembre  I845,dans  son  château 
de  Brézé. 

BRÉZÉ  (  EMMANUEL-JoAcnra-MARiE ,  comte,  puis,  à  la 
mort  de  son  frère  aîné,  marquis  te  DREUX-),  naquit 
le  25  décembre  1707  ,  aux  Andelys  (  Eure  ).  Voué,  comme 
son  frère  aîné,  à  la  carrière  dos  armes,  il  entra,  en  1812, 
dans  les  pages  de  la  maison  de  l'empereur,  et  fut  admis,  à 
la  Restauration,  comme  lieutenant,  dans  les  chevau -légers.  11 
ne  prit  aucun  service  pendant  les  Cent-Jours,  et  lut  nommé, 
au  second  retour  des  Bourbons,  lieutenant  au  huitième  ré- 
giment de  chasseurs  à  cheval.  Fatigué  de  l'oisiveté  des  gar- 
nisons, il  voulut  étudier  toutes  les  parties  du  service  mili- 
taire, et  après  avoir  visité  nos  grands  établissements  de 
guerre,  d'industrie  et  de  commerce,  continua  les  mêmes  études 
en  Italie,  en  Suisse,  en  Pologne,  en  Allemagne,  en  Russie, 
en  Suède,  en  Danemark ,  en  Angleterre,  et  suivit  toutes  les 
glandes  manœuvres  de  nos  armées  sur  les  champs  de  ba- 
taille, depuis  Lodi  jusqu'à  la  Moskowa.  En  Russie,  l'ambas- 
sadeur de  France,  le  comte  de  La  Ferronnays,  lui  conseilla 
d'embrasser  la  carrière  diplomatique,  et,  tout  en  conservant 
son  grade  dans  l'armée,  M.  de  Brézé  fut  nommé  attaché 
à  l'ambassade  de  Russie,  et  accompagna  notre  ministre  au 
congrès  de  Vérone.  La  guerre  d'Espagne  le  ramena  sous 
les  drapeaux.  11  fit  la  campagne  de  1823  comme  capitaine 
d'état-major,  en  qualité  d'aide  de  camp  du  maréchal  Moncey, 
et  trouva  les  occasions  de  se  distinguer.  Après  la  campagne, 
il  fut  nommé  aide  de  camp  du  maréchal  Suchet,  fit  partie, 
en  182G,  de  l'ambassade  extraordinaire  du  duc  de  Ragusc 
à  l'occasion  du  couronnement  de  l'empereur  Nicolas,  visita 
toutes  les  colonies  militaires  de  cavalerie  situées  près  d'O- 
dessa, et  adressa  sur  ce  sujet  un  travail  important  aux  mi- 
nistres des  alfaires  étrangères  et  de  la  guerre.  En  1827  il  fut 
attaché,  dans  son  grade,  à  la  première  division  mihtaire. 
Après  le  9  tioût  1830,  il  donna  sa  démission. 

BRÉZÉ  (  PiEr.nE-SiMOS-Louis-]\[ARiE  m  DREUX-  ),  frère 
des  précédents,  né  à  Brézé  (Maine-et-Loire),  le  2  juin  1811, 
est  entré  dans  la  carrière  ecclésiastique,  où  il  s'est  fait  re- 
marquer, non-seulement  par  l'exercice  de  toutes  les  vertus 
sacerdotales,  mais  encore  par  plusieurs  bons  sermons  qu'il 
a  prêches  dans  diverses  églises  de  la  capitale.  Il  avait  été 
l'un  des  vicaires  généraux  de  M.  de  Quélen,  archevêque  de 
Paris.  Nommé  évêque  de  Moulins  par  décret  du  28  octobre 
1849,  il  a  été  sacré  le  14  avril  1850.  Lors  du  passage  du  pré- 
sident de  la  république  à  Mouhns,  en  septembre  1852,  M.  de 
Brézé  le  félicita  dans  une  harangue  où  il  sembla  un  peu  prê- 
cher pour  son  saint,  en  disant  au  prince  qu'il  espérait  qu'une 
parole  créatrice  tombée  de  sa  bouche  ouvrirait  dans  le  dio- 
cèse un  plus  convenable  asile  au  siège  principal  de  la  prière. 
Il  était  difficile  au  reste  de  se  servir  d'une  plus  élégante  pé- 
riphrase pour  signaler  au  chef  du  pouvoir  exécutif  l'état  de 
délabrement  de  la  cathédrale  de  Moulins. 

BRI  AL  (Dom  MicnEL-jE\N-JosErn),  un  des  derniers 
membres  de  la  congrégation  de  Saint-Maur,  naquit  à  Per- 
pignan, le  26  mai  1743.  Il  embrassait,  à  dix-huit  ans,  la 
règle  de  Saint-Benoît  et  prononçait  ses  vœux  en  17G4,  dans 
l'abbaye  de  la  Daurade,  à  Toulouse.  Sur  l'invitation  de  ses 
supérieurs,  il  vint,  en  1771,  à  Paris,  seconder  dom  Clément, 
resté  seul  chargé  de  continuer  le  Recueil  des  Historiens 
de  France,  et  prit  part  à  la  publication  des  douzième  et 
treizème  volumes,  qui  parurent  en  1780.  La  suppression 
des  ordres  religieux  interrompit  bientôt  tous  les  grands 
travaux  littéraires  des  bénédictins.  Quand  il  fut  question 
de  les  reprendre,  dom  Brial,  qui  n'avait  pas  cessé  de  se 
livrer  h  l'étude  de  nos  anciens  monuments  avec  nne  ardeur 


BRIAL  —  BRIC-A-BRAC 


703 


infatigable,  se  chargea  de  poursuivre  seul  la  publication  du 
recueil  de  nos  historiens,  et  en  mit  au  jour  les  quatorzième, 
quinzième,  seizième,  dix-septième  et  dix-huitième  volumes , 
laissant  même,  à  sa  mort,  des  matériaux  pour  le  dix- 
neuvième.  Il  succéda,  en  1805,  à  Villoison  dans  la  classe 
d'histoire  de  l'Institut  national,  qui  reprit  plus  tard  son  nom 
d'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  Quoique  pres- 
que exclusivement  occupé  de  rassembler  des  matériaux 
pour  le  recueil  de  nos  historiens ,  il  ne  laissa  pas  de  coo- 
pérer aux  volumes  treize  à  seize  de  la  continuation  de 
V Histoire  Littéraire,  commencée  par  dom  Rivet,  ainsi 
qu'aux  Notices  et  extraits  des  Manuscrits  de  la  Biblio- 
thèque du  Roi.  11  payait  encore  son  tribut  à  l'Académie  par 
de  savantes  dissertations,  car  nul  n'était  plus  versé  que  lui 
dans  l'histoire  du  moyen  âge.  Après  avoir  fondé  deux  écoles 
{gratuites  dans  les  communes  de  Baixas  et  Pia,  près  de 
Perpignan ,  lieux  de  naissance  de  son  père  et  de  sa  mère , 
il  mourut  à  Paris,  le  24  mai  1S28,  à  l'âge  de  quatre-vingt- 
cinq  ans. 

Dom  Brial  était  membre  de  la  Légion  d'Honneur.  II  avait 
formé  une  bibliothèque  curieuse,  riche  en  histoire  ecclésias- 
tique et  littéraire,  en  iiistoire  des  villes  et  des  provinces  de 
France,  et  où  se  trouvaient  bon  nombre  de  manuscrits,  avec 
une  précieuse  collection  de  ciiartes  des  onzième,  douzième  et 
treizième  siècles.  Ge  monument  national  a  été  dispersé  par 
suite  de  la  vente  publique  qui  en  (ut  faite  en  août  1S28. 

BUÏAIVÇOM,  ville  de  l'ancien  Dauphiné,  aujourd'hui 
chef-lieu  de  sous-préfecture  dans  le  département  des  llaules- 
A 1  pes,  à  57  kilomètres  nord-est  de  Gap,  avec  une  population 
de  3,277  âmes,  est  bâtie  sur  la  rive  droite  de  la  Durance, 
qu'on  y  traverse  sur  un  pont  d'une  seule  arche  de  40  mètres 
(l'ouverture.  Lllc  est  défendue  par  sept  forts  commandant 
les  vallées  par  lesquelles  on  peut  l'approcher,  et  com- 
muniquant entre  eux  par  des  clicmins  et  des  voies  souter- 
raines. L'art  et  la  nature  rendent  cette  position  inexpu- 
gnable, et  en  font  l'une  des  places  de  guerre  les  plus  impor- 
tantes que  nous  ayons  en  France.  Cette  ville,  fort  irré- 
gulièrement bâtie,  est,  après  l'hospice  du  mont  Saint-Bernard 
et  l'auberge  constmite  sur  le  Faulhorn,  le  lieu  constamment 
habité  le  plus  élevé  de  l'Europe  ;  le  fort  l'inj'crnit  n'est 
pas  situé  à  moins  de  2,458  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la 
Méditerranée.  Les  habitants  de  Briançon  fabriquent  quelques 
menus  objets  de  quincaillerie  et  de  clouterie,  une  espèce  de 
résine  connue  sous  le  nom  de  manne  de  Briançon,  et  font 
avec  l'Italie  un  commerce  de  transit  assez  actif.  Les  envi- 
rons de  la  ville  offrent  les  points  de  vue  les  plus  pittoresques 
et  les  plus  romantiques.  Quant  àlastéatite  connue  sous 
le  nom  de  craie  de  Briançon,  elle  provient  de  Fenestrelles 
en  Piémont. 

Appelée  Brigantium  sous  la  domination  romaine ,  la  ville 
de  Briançon ,  pendant  le  moyen  âge ,  par  suite  de  sa  posi- 
tion ,  resta  longtemps  indépendante ,  puis  elle  se  rattacha 
au  Dauphiné,  et  passa,  en  1349,  en  même  temps  que  cette 
province,  sous  la  souveraineté  de  la  France.  La  paix  conclue 
à  Ryswick,  en  1697  ,  l'adjugea  au  duc  de  Savoie  ;  en  1709, 
pendant  la  guerre  de  la  succession  d'Espagne,  les  Impé- 
liaux  y  furent  complètement  battus  parles  Français;  enlin, 
<n  1713,  la  Savoie  dut  la  restituer  à  la  France.  Briançon 
avait  pour  devise  :  Petite  ville  et  grand  renom. 

BRIARE  (Canal  de).  Les  travaux  de  ce  canal,  com- 
mencés sous  Henri  IV,  qui  y  employa  c,000  hommes  de 
troupes,  furent  terminés  en  1G42,  par  Louis  XllI ,  et  coû- 
tèrent 10  millions  de  francs.  C'est,  suivant  la  remarque  de 
M.  de  Humboldt,  le  plus  ancien  canal  à  point  de  partage. 
Sa  longueur  totale  est  de  55,301  mètres.  H  commence  à 
Montargis,  sur  le  Loing,  l'un  des  affluents  de  la  Seine,  passe 
à  Ouzouer,  Rogny,  ChàtiUon,  Conflans,  et  aboutit  à  Briare 
sur  la  Loire ,  mettant  ainsi  les  deux  lleuves  en  communica- 
tion directe  au  moyen  du  canal  de  Loing.  Ses  écluses  sont, 
dit-on,  les  preniièics  que  l'on  ait  construites  en  France.  On 


en  compte  douze  jusqu'au  bief  de  partage,  et  douze  sur 
l'autre  pente.  Le  produit  annuel  de  ce  canal  est  évalué  à 
environ  400,000  fr. 

BRI  ARÉE  ,  géant  célèbre ,  fds  de  la  Terre  et  de  Titan 
ou  Cœlus.  Les  poètes  nous  le  représentent  avec  cent  bras, 
opposant  à  ses  ennemis  autant  d'épées  et  de  boucliers ,  cin- 
quante tètes  et  autant  de  bouches  enflammées.  Cependant  il 
fut  vaincu  deux  fois:  la  première  par  Neptune,  qui  le  pré- 
cipita dans  la  mer  d'un  coup  de  son  trident  ;  et  la  seconde, 
lors  de  la  révolte  des  Titans,  auxquels  il  s'était  uni,  par 
Jupiter  lui-même,  qui  l'emprisonna  sous  l'Etna.  Plus  tard. 
Jupiter  lui  pardonna ,  en  faveur  du  service  qu'il  en  reçut 
lorsque  Junon ,  Minerve  et  Neptune  osèrent  conspirer 
contre  le  maître  des  dieux.  Assis  auprès  de  lui ,  Briarée,  à 
leur  approche ,  leur  lança  des  regards  si  terribles,  qu'ils  pro- 
duisirent sur  eux  un  effet  plus  grand  que  celui  de  la  foudre, 
et  que,  saisis  d'effroi,  ils  se  hâtèrent  d'abandonner  leur 
entreprise.  Jupiter,  en  reconnaissance ,  prit  auprès  de  lui 
Briaree ,  avec  Cellus  et  Gygès ,  deux  autres  géants ,  pour 
lui  servir  de  gardes.  Les  Carystiens  lui  rendaient  des  hon- 
neurs sous  le  nom  de  Briarée,  qu'il  conservait  dans  le  ciel, 
et  les  habitants  de  Chalcis  sous  celui  d'Égéou,  qu'il  avait 
pris  sur  la  terre. 

BRIBE  se  dit  familièrement  des  restes  d'un  repa-s ,  et 
dans  le  sens  figuré,  de  choses  décousues,  de  peu  d'impor- 
tance. Par  bribes  de  latin  ou  de  grec  on  désigne  vulgaire- 
ment des  passages  tirés  d'auteurs  qui  ont  écrit  dans  ces 
deux  langues,  passages  souvent  tronqués  par  ceux  qui  leur 
font  ces  emprunts. 

BRIC-A-BRAC,  très- vieilleexpression,  qui  nes'emploiô 
plus  que  dans  cette  locution  vulgaire  :  marchand  de  bric- 
à-brac,  c'est-à-dire  celui  qui  acliète  dans  les  ventes  publi- 
ques, et  débite  en  détail  aux  amateurs,  sur  les  quais  de 
Paris,  ou  dans  des  boutiques  sombres  et  pleines  de  pous- 
sière, de  vieux  tableaux ,  de  vieux  cuivres ,  de  vieilles  fer- 
railles, mille  choses  sans  nom,  qui  n'ont  plus  de  formes,  qui 
n'en  ont  peut-être  jamais  eu  ;  des  objets  de  hasard,  des  sculp- 
tures en  ivoire,  des  bronzes  pompadours,  des  porcelaines  de 
Saxe,  de  Chine,  du  Japon,  des  madrépores,  des  stalactites, 
des  singes  et  des  oiseaux  empaillés.  Il  suffit  qu'une  chose  date 
ou  vienne  de  loin  pour  exciter  sa  convoitise  et  celles  de  ses 
clients  habituels.  Prouvez  qu'une  pantoufle  a  chaussé 
Agrippine  ou  Montézuma,  et  il  vous  l'achètera  argent 
comptant  pour  l'exposer  sous  verre  avec  étiquette  dans 
sa  boutique,  où  elle  fera  un  excellent  effet.  Balzac,  dans 
son  roman  de  La  Peau  de  Chagrin ,  a  inventorié  d'une 
façon  très-originale  une  boutique  de  bric-à-brac. 

Le  goût  du  bric-à-brac  n'est  pas,  au  reste,  nouveau  dans, 
ce  bas-monde.  Denis  le  Tyran  achetaitles  tablettesd'Escbyle., 
On  se  disputa  la  flûte  de  Timothée,  qui  l'avait  achetée  lui- 
même  sept  talents  à  Corinthe.  Le  (ils  du  tyran  Pittacu» 
gagna  les  prêtres  du  temple  d'Apollon  à  Lesbos  pour  échanger 
contre  une  lyre  vulgaire  celle  d'Orpliée,  qu'on  y  conservait 
et  qui  avait  eu  jadis  la  puissance  de  se  faire  suivre  proces- 
sionnellcment  par  les  animaux,  les  arbres  et  les  pierres.  Un 
contemporain  de  Lucien  paya  trois  mille  drachmes  la  lampe 
de  terre  d'Épictète.  On  a  tour  à  tour  recherché  le  bâton 
que  le  philosophe  Peregrinus  déposa  en  montantsurson 
bûcher,  celui  sur  le(juel  s'appuyait  Olden  Barnevel  t  en 
marchant  au  supplice,  et  la  canne  historique  de  M.  de 
Voltaire.  On  a  montré  les  os  de  Géryon  à  Thèbes,  la  peau  du 
sanglier  de  Calydon  chez  les  Tégéens  et  les  cheveux  d'Isis 
à  Memphis.  Maintenant,  pour  peu  que  la  foi  vous  sauve, 
vous  pourrez  vous  procurer,  en  y  mettant  le  prix,  la  rob(- 
de  Rabelais ,  celle  de  Jean-Jacques  quand  il  adopta  le  cos- 
tume arménien,  le  coffre  dans  lequel  se  sauva  Grotius,  le 
sabre  de  Pierre  le  Grand,  les  cruches  façonnées  par  Jacque- 
line de  Bavière,  la  chaîne  de  diamants  et  le  fauteuil  de 
Rubens ,  la  plinne  de  Juste  Lipse  et  le  goljelet  de  bois  dans, 
lequel  fut  portée  la  première  santé  des  gueux. 


704 


BRIC-A-BRAC  —  BRICOiNNET 


Den  0  n ,  le  plus  graad  amateur  de  bric-à-brac  du  globe , 
montrait  à  ses  visiteurs  une  écritoire  de  Voltaire,  des 
momies  d'Egypte,  des  raretés  de  la  Chine  et  du  Japon,  l'i- 
mitation en  cire  d'une  des  belles  mains  de  la  princesse  Pau- 
line, des  os  du  Cid  et  de  Chimène,  d'Héloise  et  d'Abaiiard, 
de  Molière  et  de  La  Fontaine ,  des  cheveux  d'Inès  de  Castro, 
d'Agnès  Sorel  et  du  général  Desaix ,  une  partie  de  la  mous- 
tache de  Henri  IV,  un  fragment  du  linceul  de  Turenne,  un 
morceau  ensanglanté  de  la  chemise  de  Napoléon  mourant  à 
Sainte-Hélène;  souvenirs  précieux  pour  les  amateurs,  amas 
de  bric-à-brac  pour  le  vulgaire.  A  ce  propos  on  citera  tou- 
jours le  spirituel  concierge  du  château  de  Fontainebleau  ven- 
dant successivement  à  plusieurs  milliers  d'Anglais  la  véi-i- 
table  plume  dont  Napoléon  s'était  servi  en  1814  pour  signer 
son  acte  d'abdication. 

BRICK  ou  BRIG.  C'est  par  abréviation  que  cette  dénomi- 
nation a  été  employée  pour  désigner  l'espèce  de  bâtiments  à 
laquelle  elle  s'applique.  Le  mot  primitif  était  6n5r«?j^in,  d'où 
l'on  a  fait  d'abord  le  mot  brïg,  puis  brick.  La  dénomination  de 
brick  entraîne  avec  elle  l'idée  d'un  genre  particulier  de  gréc- 
ment  et  de  mâture,  plutôt  que  l'idée  d'une  espèce  particu- 
lière de  construction.  On  appelle  brick  un  navire  pourvu  de 
deux  mâts  perpendiculaires  ou  à  peu  près ,  et  d'un  beaupré 
gréé  comme  celui  des  trois-mâts  ;  ou,  pour  donner  une  dé- 
finition plus  complète  de  ce  genre  de  navires,  on  pourrait 
dire  qu'un  brick  est  un  trois-mâts  auquel  on  aurait  retiré 
son  mât  d'artimon. 

Une  des  voiles  principales  des  bricUs  a  conservé  le  nom 
qui  rappelle  la  dénomination  sous  laquelle  les  bricks  étaient 
connus  primitivement  ;  c'est  la  briganline,  grande  voile  que 
l'on  grée  sur  l'arrière  du  grand  mât,  et  dont  la  partie  inférieure 
s'étend  sur  la  borne  ou  le  giiy.  A  bord  des  trois-mâts,  cette 
voile,  beaucoup  plus  petite,  porte  le  nom  à'artimon,  qu'elle 
emprunte  au  mât  sur  lequelle  elle  se  trouve  établie. 

Les  bricks  sont  généralement  plus  petits  que  les  trois  mâts. 
En  France  même  on  ne  grée  en  bricks  que  des  navires  d'as- 
sez médiocre  tonnage.  11  est  peu  de  bricks  de  trois  cents  ton- 
neaux chez  nous.  Chez  les  Anglais  et  les  Américains ,  il  n'est 
pas  rare  d'en  trouver  de  cinq  cents  tonneaux  et  plus;  mais 
la  difficulté  de  manœuvrer  des  bricks  de  cette  capacité,  où 
les  parties  du  gréement  sont  moins  divisées  qu'à  bord  des 
trois-màls,  tend  à  diminuer  de  jour  en  jour  le  nombre  de 
ces  bricks  immenses.  On  nomme  corvettes-bricks  dans  la  ma- 
rine militaire  les  grands  bricks  de  guerre.  Mais  aujourd'hui 
on  emploie  plus  généralement  le  nom  de  corvette  pour  dé- 
signer les  bâtiments  de  l'État  à  trois  mâts  au-dessous  des  fré- 
gates. Le  mot  brick  s'emploie  seul  pour  indiquer  l'espèce 
des  navires  de  guerre  à  deux  mâts. 

Les  bricks-goëlettes  sont  les  navires  dont  le  gréement  par- 
ticipe à  la  fois  de  celui  des  bricks  par  leur  mât  de  misaine, 
qui  supporte  une  hune ,  et  de  celui  des  goélettes  par  leur 
mât  de  hunière  ,  qui  n'a  que  des  barres  au  lieu  de  hune. 
Quand  on  donne  le  nom  d  hermaphrodites  aux  bricks-goë- 
lettes, on  ne  veut  pas  dire  que  ce  sont  des  bâtiments  de  deux 
sexes,  mais  des  bâtiments  de  deux  genres.    Éd.  ConBiÈitE. 

BRICOLE.  Ce  mot,  que  l'on  croit  venir  de  l'espagnol 
brincar,  qui  signifie  j'oî^er,  exprime,  dans  le  sens  propre, 
la  réilexion  d'un  corps  solide  à  la  rencontre  de  quelque 
autre  corps  dur.  Il  est  surtout  d'usage  à  la  paume  et  au  bil- 
lard :  à  la  paume,  quand  la  balle  s'écarte  de  la  ligne  droite 
pour  aller  frapper  la  muraille;  au  billard,  quand  une  bille  ne 
touche  une  autre  bille  qu'après  avoir  été  renvoyée  par  la  bande. 

Dans  l'acception  la  plus  habituelle ,  on  appelle  bricole  la 
partie  du  harnais  d'un  cheval  de  trait  contre  laquelle  s'ap- 
puie son  poitrail,  lorsqu'il  va  en  avant.  On  doit  avoir  soin 
«prelle  soit  toujours  soutenue  à  une  hauteur  telle,  qu'elle  ne 
puisse  gêner  sa  respiration. 

Par  analogie,  on  donne  le  même  nom  à  un  morceau  de  cuir 
très-épais  qui  sertaux  porteurs  à  soutenir  leur  fardeau  ou  à  s'at- 
teler à  une  voiture  à  bras.  C'est  enfin  un  filet  en  forme  de  bourse 


dont  on  use  à  la  chasse  pour  prendre  les  cerfe  et  les  daims. 

Au  figuré  encore  signifie  une  excuse  frivole,  une  espèce  de 

tromperie  adroite,  ou  bien  encore  une  manière  détournée  de 

posséder  un  livre,  une  brochure  ou  tout  autre  objet  défendu 

Petit  écrit  donne  sou»  le  manteau. 
Qu'un  se  dérobe  et  qui  vient  par  bricole. 
Ou  bien  moulé  par  Pierre  du  Marteau, 
Fiit-il  mauvais,  nous  parait  toujours  beau. 
Et  pour  l'avoir  on  ne  plaint  la  pistole. 

BRIÇOIViVET  (Guillaume),  connu  sous  le  nom  de! 
cardinal  de  Suint-Malo ,  petit-fils  de  Bernard  Briçonnet, 
maître  des  requêtes  de  l'Hôtel  sous  Charles  V,  naquit  à  Tours, 
et  fut  d'abord  commis  à  la  généralité  de  Languedoc.  Louis  XI 
le  nomma  général  des  finances  de  cette  province.  II  n'em- 
brassa qu'assez  tard  l'état  ecclésiastique ,  ayant  d'abord  été 
marié.  Le  roi,  en  mourant,  le  recommanda  à  son  fils,  qui  lo 
nomma  surintendant  des  finances.  Briçonnet,  qui  aimait  la 
guerre,  favorisa  cette  passion  chez  son  maître,  et  lui  fournit 
les  moyens  de  la  satisfaire.  C'est  par  son  avis  que  Charles  VIII 
entreprit  la  conquête  du  royaume  de  Naples.  Briçonnet,  qui 
avait  perdu  sa  femme,  embrassa  l'état  ecclésiastique,  et  de- 
vint évoque  de  Saint-Malo  en  1490.  Il  accompagna  le  roi 
dans  les  guerres  d'Italie,  et  fonda  la  grandeur  de  la  maison 
de  Médicis  en  couvrant  de  sa  protection  Pierre  de  Médicis, 
que  les  Florentins  voulaient  massacrer,  après  avoir  pillé  son 
palais. 

La  réputation  de  Briçonnet  comme  ministre  fut  toujours 
digne  d'éloges  ;  mais  comme  politique  deux  fautes  lui  ont 
été  reprochées,  la  première  d'avoir,  à  l'entrée  en  cam- 
pagne, ajouté  aux  promesses  de  Ludovic  Sforce  une  con- 
fiance qu'elles  ne  méritaient  pas;  la  seconde,  en  1495,  d'a- 
voir dissuadé  le  roi,  maître  de  P.ome,  de  s'emparer  de  la 
personne  du  pape  Alexandre  VI  et  de  le  faire  déposer  pour 
ses  crimes,  d'après  l'avis  de  la  plus  grande  partie  du  sacré 
collège.  Cette  conduite  lui  valut  le  chapeau  de  cardinal. 
Au  retour  d'Italie,  le  duc  d'Orléans,  depuis  Louis  XII, 
assiégé  dans  Navarre  par  Ludovic  Sforce ,  en  sortit  à  la  suite 
d'une  négociation  dont  furent  chargés  le  prince  d'Orange , 
Philippe  de  Comines  et  le  cardinal  de  Saint-Malo. 

Après  la  mort  de  Charles  VIII,  Briçonnet  dut  remettre 
les  finances  au  cardinal  d'Amboise;  mais  Louis  XII  le 
chargea  de  négociations  importantes  auprès  du  pape  Jules  II, 
dont  il  refréna  l'humeur  belliqueuse,  bravant  les  foudres 
du  Vatican,  assemblant  malgré  lui  le  concile  de  Lyon, 
en  opposition  à  celui  de  Latran ,  et  le  maintenant  jusqu'à 
l'exaltation  de  Léon  X,  successeur  de  Jules  II,  qui  leva 
l'excommunication  dont  il  avait  été  frappé.  De  l'évèché  de 
Saint-Malo  il  était  passé  à  l'archevêché  de  Reims,  où  il 
fut  remplacé  par  son  frère  Robert  Briçonnet ,  chancelier 
de  France.  H  devint  alors  archevêque  de  Narbonne,  et  fut 
en  outre  gratifié  par  Louis  XII  de  la  riche  abbaye  de  Saint- 
Germain-des-Prés  et  du  gouvernement  du  Languedoc.  Les 
deux  fils  qu'il  avait  eus  de  son  mariage  avant  d'entrer  dans 
les  ordres  furent  tous  deux  cvêques,  l'un  deMeaux,  l'autre 
de  Lodève,  et  il  officia  souvent  l'aîné  lui  servant  de  diacre, 
le  puîné  de  sous-diacre.  Il  fut  un  des  principaux  bienfai- 
teurs de  l'Hôlel-Dieu  de  Paris,  protégea  les  arts,  les  lettres, 
les  sciences ,  et  mourut  fort  vieux,  à  Narbonne,  le  14  dé- 
cembre 1514. 

BRIÇONNET  (  Guillaume  ),  fils  du  précédent ,  connu  d'a- 
bord sous  le  nom  de  comte  de  Montbrun ,  fut  successive- 
ment évêquc  de  Lodève  et  de  ]VIeaux.  Avant  de  se  retirer 
dans  son  diocèse,  il  avait  été  chargé  par  Louis  XII  et  Fran- 
çois I^'  de  diverses  négociations  auprès  du  saint-siége ,  avait 
assisté  aux  conciles  de  Pise  et  de  Latran,  et  avait  été,  sur 
la  démission  de  son  père,  pourvu  de  l'abbaye  Saint-Ger- 
main-des-Prés.  Revenu  à  Meaux,  il  attira  auprès  de  lui  plu- 
sieurs savants,  tels  que  Guillaume  Farel,  Jacques  Faber  ou 
Lefèvre,  Gérard  Roussel ,  François  Valable,  parmi  lesquels 
figuraient  des  docteurs  de  l'université  de  Paris,  zélés  calvi- 


I 


BRIÇONNET  — 

nistes,  qui  lui  firent  partager  leurs  opinions.  Mais  bientôt, 
craignant  de  perdre  son  évèché  et  les  faveurs  de  la  cour,  il 
ciiangea  de  conduite,  et  se  mit  à  poursuivre  avec  acharne- 
ment le  parti  qu'il  avait  d'abord  favorisé.  Excommunica- 
tions, processions,  jeûnes,  proscriptions,  rien  ne  fut  négligé 
par  lui  pourpronversonzèle.  Aussi  les  cordeliers,  qui  l'avaient 
deux  fois  traduit  au  parlement  pour  hérésie ,  furent-ils  trai- 
tés de  calomniateurs.  11  mourut  en  1533,  dans  son  ciiâteau 
d'Aymans,  près  de  Montereau.  Comme  son  père ,  il  avait  pro- 
tégé les  lettres  et  accru  la  bibliothèque  de  l'abbaye  de  Saint- 
Germain-des-Prés. 

BRIÇOJMNET  (  Robert),  d'abord  conseiller  au  parlement, 
président  aux  enquêtes  ,  pourvu  de  la  riche  abbaye  de  Saint- 
Waast  d'Arras,  archevêque  de  Reims  et  chancelier  de 
France ,  oncle  du  précédent ,  dut  son  élévation  rapide  à  la 
faveur  de  son  frère  le  cardinal  de  Saiut-Malo.  Il  mourut  en 
1497,  à  Moulins. 

BRIDAINE  (Jacques)  ,  fils  d'un  chirurgien,  naquit  à 
Uzès,  le  21  mars  1701.  Il  passa  du  collège  des  jésuites  d'A- 
vignon au  séminaire  Saint-Charles  de  la  même  ville.  Ce  fut  là 
qu'il  perfectionna  par  des  études  approfondies  les  qiuilités  ex- 
traordinaires dont  la  nature  l'avait  doué,  et  ses  supérieurs,  en 
l'entendant  expliquer  le  catéchisme  dans  différentes  églises, 
ne  tardèrent  pas  à  pressentir  un  talent  de  premier  ordre 
dans  ce  jeune  novice  qui  à  l'imagination  la  plus  vive  joi- 
gnait un  esprit  d'une  rectitude ,  d'une  pénétration  admirable, 
et  la  conviction  la  plus  profonde.  Aussi,  à  peine  Bridaine 
était-il  revêtu  des  premiers  ordres  qu'il  fut  envoyé  en  mis- 
sion à  Aigues-Mortes.  Son  début  dans  cette  ville  aurait  dé- 
couragé tout  autre  que  lui.  Chaque  jour  il  prêchait  dans  le 
désert.  Le  mercredi  des  Cendres,  fatigué  d'attendre  son 
auditoire,  il  s'élance  de  l'église  une  clochette  à  la  main, 
et  parcourt  toutes  les  rues  de  la  ville  entraînant  la  foule  sur 
ses  pas ,  impatiente  de  connaître  l'issue  d'une  telle  singula- 
rité. Ce  fut  au  milieu  des  sarcasmes  universels,  des  éclats  de 
rire  prolongés,  que  Bridaine  monta  en  chaire.  Mais  il  prend 
la  parole ,  et ,  par  une  sublime  paraphrase  sur  la  mort ,  il  a 
bientôt  fait  succéder  à  une  bruyante  dérision  le  silence  et 
l'admiration.  A  partir  de  celte  époque  sa  réputation  alla 
toujours  en  croissant,  et  le  fameux  sermon  qu'il  prononça  tn 
1751  devant  la  plus  illustre  compagnie  assemblée  pour  l'en- 
tendre y  mit  le  comble.  Le  cardinal  ISIaury  en  a  retenu  et 
nous  en  a  conservé  l'exorde,  et  s'il  n'a  pas  eu  besoin  d'ap- 
peler son  talent  au  secours  de  sa  mémoire,  il  faut  convenir 
que  jamais  l'éloquence  spontanée  des  missionnaires  no  se 
signala  avec  plus  de  force  et  d'éclat,  et  que  les  discours  les 
plus  estimés  des  grands  orateurs  sacrés  n'offrent  rien  qui 
surpasse  ce  morceau  sublmie.  Le  talent  de  Bridaine  aurait 
pu  le  porter  aux  plus  hautes  dignités  de  l'Église  ;  mais 
il  voulut  rester  missionnaire,  et  tout  ce  qu'il  accepta  fut  le 
pouvoir  que  lui  conféra  Benoît  XIV  de  faire  des  missions 
dans  toute  la  chrétienté.  Jamais  cependant  il  ne  sortit  de 
France;  mais,  si  l'on  en  excepte  les  provinces  du  Nord,  il 
n'est  point  de  ville,  de  bourg,  de  village,  qu'il  n'ait  fait 
retentir  des  accents  de  son  éloquence.  Pendant  toute  sa 
vie  il  fut  à  l'œuvre ,  et  il  venait  d'accomplir  sa  deux  cent 
cinquante-sixième  mission  quand  il  succomba  à  Roquemaure, 
près  d'Avignon,  le  22  décembre  1767. 

Bridaine  était  né  avec  une  éloquence  populaire,  pleine  de 
verve ,  d'images  et  de  mouvements.  Il  avait  un  si  puissant 
et  si  heureux  organe,  qu'il  rendait  croyable  tous  les  prodiges 
que  l'histoire  nous  raconte  de  la  déclamation  des  anciens  ; 
et  il  se  faisait  aussi  aisément  entendre  de  dix  mille  per- 
sonnes en  plein  air  que  s'il  eût  parlé  sous  la  voûte  du  temple 
le  plus  sonore.  Nul  n'a  possédé  à  un  si  haut  point  que  lui 
le  rare  talent  de  s'emparer  d'une  multitude  assemblée.  Son 
art  consistait  à  captiver  et  à  soutenir  l'attention  par  l'attrait 
de  la  nouveauté  et  de  l'imprévu.  C'est  là  le  secret  de  tant  de 
sensations  extraordinaires,  de  tant  de  conversions  éclatantes 
qui  furent  le  fruit  de  ses  efforts.  Étant  un  jour  à  la  tête 

DICT.    DE  LA  CONTERS.   —  T.   III. 


BRIDGEWATER 


705 


d'une  procession,  il  prononça  une  grande  exhortation  sut 
la  brièveté  de  la  vie,  et  finit  par  dire  à  la  multitude  qui  le 
suivait  :  «  Je  vais  vous  ramener  chacun  chez  vous...  »  Et  il 
les  conduisit  dans  un  cimetière. 

On  a  du  père  Bridaine  des  Cantlqttes  spirituels;  Lec- 
tures et  méditations  pour  le  temps  de  la  retraite,  ex- 
traites des  discoicrs  inédits  du  F.  Bridaine;  Règlement 
de  vie  pour  ime  pieuse  demoiselle ,  précédé  de  la  mé- 
thode pour  assister  avec  fruit  au  saint  sacrifice  de  la 
messe  ;  Sermons  inédits  du  P.  Bridaine,  publiés  sur  ses 
manusa-its  autographes. 

BRIDE,  bande  de  cuir  attachée  à  un  mors,  et  qui  sert  à 
conduire  un  cheval ,  à  discipUner  ses  mouvements ,  à  gou- 
verner sa  fougue.  La  bride  se  compose  des  deux  rênes,  d'une 
têtière  et  du  mors.  Le  bridon  est  une  espèce  de  bride  lé- 
gère, dont  le  mors  brisé  n'a  point  de  branches  et  qu'on  em- 
ploie quelquefois  indépendamment  de  la  bride.  Courir  à 
toute  bride,  à  bride  abattue ,  c'est  lancer  un  cheval  de 
toute  sa  force  ,  le  faire  courir  de  toute  sa  vitesse. 

Bride  s'emploie  figurément  pour  exprimer  ce  qui  arrête , 
ce  qui  contient  nos  penchants.  11  faut  user  de  toutes  choses 
avec  modération ,  et  ne  point  lâcher  la  bride  à  nos  sens  ; 
précepte  fort  sage ,  mais  fort  difficile  à  pratiquer,  surtout 
dans  la  jeunesse.  Lâcher  la  bride  à  son  imagination,  c'est 
s'abandonner  au  courant  de  ses  pensées ,  caresser  les  plus 
folles ,  les  plus  désordonnées ,  sorte  d'exaltation  qui  fait 
les  grands  poètes  et  les  grands  artistes. 

Bride  sert  encore  à  désigner  plusieurs  pièces  d'habille- 
ment. Mettre  des  brides  à  un  bonnet,  c'est  l'assujettir  sur 
la  tête  en  cousant  des  cordons  à  chaque  extrémité  pour 
les  nouer  ensemble  en  passant  sous  le  cou.  On  met  aussi 
des  brides  aux  boutonnières  d'une  chemise.  Ce  sont  des 
points  en  travers  de  la  couture  destinés  à  prévenir  les  dé- 
chirures. Les  brides  sont  encore  de  petits  tissus  de  fil  qui , 
dans  la  dentelle,  servent  à  joindre  les  fleurs  les  unes  aux 
autres. 

BRIDGETOWiV.  Vojjez  B aubade. 

BRIDGEWATER  (Fuancis-Henri  EGERTON,  comte 
de),  naquit  le  11  novembre  175G,  et  descendait  du  cé- 
lèbre Thomas  Egerton,  chancolicr  sous  Jacques  l".  Des- 
tiné à  l'état  ecclésiastique  par  son  père,  l'évêque  de  Dur- 
ham,  il  n'eut  pas  plus  tôt  terminé  avec  succès  à  Oxford  ses 
études  commencées  d'une  manière  brillante  à  Eton ,  qu'il 
obtint  un  bénéfice  dans  la  résidence  même  de  son  père  ;  et 
plus  tard  il  y  j'oignit  deux  cures  considérables ,  que ,  selon 
l'usage  de  l'Église  anglicane,  il  conserva  religieusement  jus- 
qu'à sa  mort  sans  en  jamais  remplir  les  fonctions.  Huma- 
niste distingué,  il  se  fit  connaître  du  monde  lettré,  en  1796, 
par  la  pubUcation  de  VHippolijte  d'Euripide,  et  plus  tard  il 
donna  des  fragments  de  deux  odes  de  Sapho.  En  1798  il 
fit  imprimer  l'histoire  de  la  vie  du  chancelier  Egerton,  dont 
il  parut  en  1807  une  nouvelle  édition,  destinée  uniquement 
à  ses  amis,  et  à  laquelle  il  joignit  une  notice  sur  son  parent 
le  duc  de  Bridgewater,  mort  en  1803,  et  célèbre  par  ses  en- 
treprises de  canalisation.  Il  reproduisit  cet  éloge  dans  une 
lettre  aux  Parisiens  et  à  la  nation  française  sur  la  navigation 
intérieure,  qu'il  publia  de  1819  à  1820  à  Paris,  où  il  faisait 
sa  résidence  depuis  le  rétablissement  de  la  paix  générale, 
et  y  ajouta  une  notice  sur  l'ingénieur  Bi  indley ,  qui  avait  di- 
rigé les  travaux  de  construction  du  célèbre  canal  de  Brid- 
gewater. 

Ce  duc  de  Bridgewater,  dont  il  a  donné  la  biographie , 
mourut  sans  enfants,  laissant  pour  héritier  de  son  immense 
fortune  et  de  son  nom  un  cousin,  le  général  Egerton  ;  mais 
son  titre  de  duc  s'éteignit  avec  lui ,  et  son  héritier  ne  put 
prendre  que  le  titre  de  comte. 

Ce  comte  de  Bridgewater  mourut  vingt  ans  plus  tard , 
en  1823,  et  sans  laisser  non  plus  d'enfants  ;  de  sorte  que  ses 
titres  et  ses  biens  passèrent  à  son  frère  puîné,  déjà  immen- 
sément riche,  Francis-Henri  Ecekton,  objet  de  cet  tfi-ticle,et 

89 


70G 


BRIDGEWATER  —  BRIENNE 


qui  continua  d'habiter  Paris.  Il  s'occupait  avec  un  soin  tout 
particulier  de  réunir  les  matériaux  de  l'histoire  des  membres 
de  sa  famille,  et  fit  imprimer  à  cet  effet,  en  1S26,  sous  le 
titre  de  Family  Anecdotes,  un  magnifique  volume  in- 
folio, tiré  à  un  petit  nombre  d'exemplaires,  pour  être  dis- 
tribués à  ses  amis.  Son  genre  de  vie  était  des  plus  étran- 
ges. Son  hôtel  (l'ancien  hôtel  deNoailles,  rue  Sainl-Honoré, 
dont  le  jardin  s'étendait  jusqu'à  la  rue  de  Rivoli ,  et  sur 
l'emplacement  duquel  on  perça  après  sa  mort  la  rue  d'.Mger 
et  ime  partie  de  la  rue  Monthabor  )  ;  son  hôtel ,  disons-nous , 
était  rempli  de  chiens  et  de  chats.  Deux  de  ces  ciiiens,  af- 
fublés de  vêtements  assez  semblables  à  ceux  des  hommes, 
dînaient  à  tour  de  rôle  à  la  table  de  mylord  ;  et  il  n'était  pas 
rare  de  rencontrer  au  bois,  aux  Champs-Elysées  et  sur  le 
boulevard  une  demi-douzaine  de  ces  fasliionables  de  nouvelle 
espèce,  allant  à  la  promenade  mollement  étendus  sur  les 
moelleux  coussins  d'une  calèche  attelée  de  quatre  chevaux, 
et  accompagnés  de  deux  valets  en  grande  livrée. 

Dans  sa  jeunesse  le  comte  de  Bridgewater  avait  été  un 
chasseur  déterminé  ;  mais  les  infirmités  de  Tâge  ayant  fini  par 
lui  rendre  impraticable  ce  délassement,  il  avait  imaginé  de 
réunir  dans  le  jardin  de  son  hôtel  quelques  douzaines  de  la- 
pins et  de  pigeons.  Traîné  dans  un  fauteuil  à  roues,  notre 
vieux  Nemrod  poursuivait  cet  innocent  gibier  dans  les  allées 
et  dans  les  fourrés,  en  abattait  quelques  pièces  à  coups  de 
fusil,  et  se  les  faisait  triomphalement  servir  sur  sa  table 
comme  produit  de  sa  chasse. 

Le  comte  de  Bridgewater  mourut  à  Paris,  le  12  février  1829; 
et  l'acte  de  ses  dernières  volontés  portait  l'empreinte  de  l'ex- 
centricité de  son  caractère.  C'est  ainsi  que  tous  ses  do- 
mestiques et  quelques  personnes  admises  dans  son  intimité 
y  figuraient  pour  des  legs  plus  ou  moins  considérables,  mais 
avec  cette  clause  restrictive  que  s'il  mourait  assassiné  ou 
empoisonné  ses  dispositions  testamentairesseraient  nulles.  Il 
n'est  pas  vrai  cependant ,  comme  on  le  prétendit  dans  le 
temps,  qu'il  ait  fait  mention  de  ses  chiens  dans  ce  testament. 
Il  léguait  en  outre  ses  manuscrits  et  une  somme  de  5,000 
liv. sterling  au  British  Muséum,  ainsi  qu'une  somme 
de  8,000  livres  sterling  (  200,000  fr.  )  pour  être  décernée  en 
prix,  par  la  Société  royale  de  Londres,  aux  auteurs  des  ou- 
^Tages  dans  lesquels  la  puissance,  la  sagesse  et  la  bonté  in- 
linies  de  Dieu  seraient  le  mieux  démontrées  par  les  mer- 
veilles de  la  création,  de  môme  que  pour  couvrir  les  frais  de 
la  publication  de  ces  ouvrages.  Cette  utile  fondation  nous 
a  valu  une  série  d'excellents  traités  dus  à  des  savants  cé- 
lèbres, que  l'on  a  traduits  dans  la  plupart  des  langues  de  l'Eu- 
rope, et  dont  le  plus  célèbre,  à  bon  droit,  est  le  Traité  de 
Géologie  et  de  Mméralogie  de  Buckland.  On  cite  en  outre,  de 
Whewell,  une  Physique  et  une  Astronomie  ;  de  Prout,  une 
Chimie  et  une  Météorologie;  de  Kirby  ,  les  Mœurs  et  lus- 
tincis  des  Annnaux;  de  Roget,  une  Physiologie  comparée 
des  Animaux  et  des  Plantes;  de  Charles  Bell,  la  Main  hu- 
maine; de  Kidd ,  Rapports  du  Monde  extérieur  à  la  cor- 
poréité  de  V Homme;  de  Chalmers,  des  Considérations 
générales  sur  la  révélation  de  la  puissance,  de  la  sagesse 
et  de  la  bonté  de  Dieu  dans  les  rapports  du  monde  exté- 
rieur avec  la  nature  morale  et  intellectuelle  de  l'homme. 
BRIDGEWATER  (Canal  de  ),  dans  le  comté  de  Lan- 
c^ister,  un  des  plus  anciens  canaux  de  la  Grande-Bretagne , 
a  reçu  son  nom  du  duc  Francis  Egerton  de  Bridgewater 
(né  en  172G,  mort  le  8  mars  1803),  qui,  possédant  de  riches 
mines  de  charbon  de  terre  près  de  Worsieymill,  à  quelques 
kilomètres  de  Manchester,  et  ne  pouvant  les  exploiter  à 
caure  de  la  cherté  des  frais  de  transport,  obtint  du  par- 
lement l'autorisation  de  faire  creuser  un  canal  jusqu'à 
Manchester.  Le  célèbre  James  Brindiey  fut  chargé  des 
travaux,  qui  durèrent  de  1758à  1772.  Ce  canal  franchit  des 
montagnes,  des  vallées,  des  fleuves,  perce  des  rochers,  tia- 
^erse  l'irwell  et  la  Merscy  sur  des  aqueducs  d'une  grande 
hauteur,  et  porte  des  bateaux  de  charbons  du  poids  de  120 


à  160  quintaux.  Plus  tard  le  duc  le  fit  continuer  jusqu'à 
Liverpool.  Le  succès  de  ce  canal  encouragea  plusieurs  so- 
ciétés à  entreprendre  sur  divers  points  des  travaux  sembla- 
bles; le  duc  lui-même  en  fit  creuser  un  second,  long  de  140  ki- 
lomètres, qui,  au  moyen  de  quatre-vingt-dix  écluses,  conduit 
l'eau  à  une  hauteur  de  163  mètres,  franchit  une  montagne 
et  met  en  communication  Hull  et  Liverpool,  c'est-à-dire  la 
mer  du  Nord  et  la  mer  d'Irlande. 

BRIE  ,  ancienne  province  de  France  qu'habitaient  les 
Meldi  du  temps  de  César,  et  qui  lors  du  dénombrement  or- 
donné par  Honorius  se  trouvait  comprise  dans  la  quatrième 
Lyonnaise.  Lorsque  les  Francs  eurent  conquis  ce  pays  sur 
les  Romains,  ils  l'incorporèrent  au  royaume  de  >'eustrie. 
Dès  le  neuvième  siècle  il  eut  des  seigneurs  particuliers,  qui 
prenaient  le  titre  de  comtes  de  Meaux.  Herbert  de  Verman- 
dois,  étant  devenu  comte  de  Troyes  ou  de  Champagne, 
en  968,  réunit  ces  deux  provinces,  dont  la  destinée  depuis 
lors  a  toujours  été  commune,  et  qui  furent  réunies  à  la  cou- 
ronne en  13G1. 

La  Brie  se  divisait  en  Brie  champenoise  et  Brie  fran- 
çaise. Meaux,  chef-lieu  d'un  bailliage  et  de  la  lieutenance 
générale  du  gouvernement  de  toute  la  Brie  ,  était  la  capitale 
de  la  Brie  champenoise.  Celle-ci,  bornée  au  nord  par  le  Va- 
lois et  le  Soissonnais,  au  sud  et  à  l'est  par  la  Champagne,  et 
à  l'ouest  par  la  Brie  française  et  l'Ile-de-France ,  présentait 
une  superficie  de  24  myriamètres  carrés.  Les  autres  villes 
principales  de  la  Brie  champenoise  étaient  Coulommiers , 
Provins,  Mon tm irait,  Sézanne  etC  hûteau-Thierri. 
La  Brie  française  était  bornée  au  nord  par  l'Ile-de-France  et 
la  Brie  champenoise ,  au  sud  par  la  Seine ,  qui  la  séparait 
du  Gâtinois;  ses  limites  à  l'est  étaient  la  Brie  champenoise 
et  à  l'ouest  la  Seine  ,  qui  la  séparait  du  Hurepoix.  Elle  n'a- 
vait qu'une  superficie  d'environ  14  myriamètres  carrés. 
C'est  de  cette  partie  que  viennent  le  beurre  et  le  fromage 
de  Brie,  si  estimés  par  les  Parisiens  et  par  les  étrangers.  La 
ville  de  Brie-Comte-Robcrt  était  le  chef-lieu  de  la  Brie 
française.  Les  autres  villes  étaient  :Lagny,  Corbeil,  qui 
a  eu  ses  comtes  particuliers  depuis  Aymon  (946)  jusqu'au 
fameux  Hugues  du  Puiset,  sur  lequel  le  roi  Louis  le  Gros 
confisqua  le  comté  de  Corbeil,  vers  1122  ;  Rozoy-sur-Yères , 
Villcneuve-Saint-Georges  ,  Tournans  et  >'angis.  On  divisait 
aussi  la  Brie  eu  haute  et  basse.  Meaux  était  la  capitale  de 
la  première,  et  Provins,  ancienne  résidence  des  comtes  de 
Brie,  le  chef-lieu  de  la  seconde.  Enfin  Château -Thierri 
était  aussi  capitale  d'une  portion  de  la  Brie  champenoise, 
appelée  la  Bric  pouilleuse.  La  Brie  fait  aujourd'hui  partie 
des  départements  de  Seine-et-Marne ,  de  l'Aisne  et  de  la 
Marne.  LaIné. 

BRIEIV.  Voyez  O'Brien. 

BRIEX^IVE,  petite  ville  du  département  de  l'Aube,  si- 
tuée sur  la  rive  dioite  de  la  rivière  de  ce  nom ,  avec  une 
population  de  2,000  âmes  environ ,  est  divisée  en  ipux , 
bourgades  distantes  de  mille  pas  environ,  appelées  Brienne- 
la-Ville  ou  la  Vieille  et  Brienne-le-Chàteau.  Cette  ville, 
qui  n'a  conservé  de  vestiges  d'aucune  fondation  remar- 
quable, si  ce  n'est  l'école  où  Bonaparte  commença  son 
éducation  militaire  ,  a  joui  anciennement  d'une  certaine  cé- 
lébrité. C'était  le  chef-lieu  et  le  séjour  ordinaire  des  anciens 
comtes  de  la  maison  de  B  rien  ne,  vassaux  immédiats  des 
comtes  de  Champagne,  dont  leur  fief  formait  lune  des 
sept  pairies ,  et  arrière-vassaux  de  la  couronne  de  France. 

BRIEi\.\E  (Maison  de).  Elle  eut  pour  chef  Engil- 
bert  I" ,  comte  de  Brienne,  qui  vivait  en  990 ,  sous  le  règne 
de  Hugues  Capet.  11  était  alors  uni  à  Mansfrède  ,  veuve  de 
Fromoud  1",  comte  de  Sens.  Engilbert  II,  leur  fils,  vécut 
jusque  après  l'année  1055.  Il  fut  père  de  Gauthier  I"",  comte 
de  Brienne,  marié  avant  l'année  1068  avec  Eustachie,  fille 
de  Milon  111,  comte  de  Tonnerre  ,  et  d'Azeka ,  comtesse  de 
Bar-sur-Scine.  Cette  alliance  amena  le  comté  de  Bar- sur- 
Seine  dans  la  maison  de  Brienne,  Eustachie  ayant  héri!« 


1 


BRIENNE 


707 


de  ce  comlé  de  son  frère ,  le  comte  Hugues  Renaud ,  évê- 
<iue  de  Langres.  Gautier  en  avait  eu  trois  fils,  qui  laissèrent 
posti^rité,  savoir  :  Érard  1"",  dont  nous  parlerons  plus  bas; 
]\lilon  r*",  comte  de  Bar-sur-Seine,  mort  en  1125.  Gui,  son 
fils  aîné ,  épousa  Pétroniile  de  Chacenai,  dont  vinrent  Mi- 
lon  II  etManassès,  successivement  comtes  de  Bar-sur-Seine, 
le  premier  décédé  en  1152,  le  second  promu  à  la  prêtrise 
et  nommé  doyen  de  Langres  vers  1 166.  Pétroniile,  fille  uni- 
que de  Milon  II  et  de  la  comtesse  Agnès,  porta  en  mariage 
le  comté  de  Bar-sur-Seine  (  1168  )  à  Hugues  du  Puiset,  vi- 
comte de  Chartres,  père  de  Milon  III,  comte  de  Bar-sur- 
Seine.  Après  la  mort  de  Milon  111 ,  du  Puiset  (  1218  ) ,  Lau- 
rence du  Puiset,  sa  nièce,  femme  de  Pons  de  Cuiseaux ,  et 
Pétroniile  de  Brienne,  fille  de  Thibaud,  frère  de  Milon  II, 
partagèrent  entre  elles  le  comté  de  Bar-sur-Seine,  qu'elles 
vendirent  peu  après  à  Thibaud ,  comte  de  Champagne.  En- 
gilbert  de  Brienne,  troisième  fils  du  comte  Gautier  F"',  eut 
en  apanage  la  terre  de  Conllans  en  Champagne,  dont  il  i)rit 
le  nom  ,  conformément  à  l'usage  du  temps  ,  en  conservant 
les  armes  de  Brienne.  Il  fut  le  fondateur  de  la  maison  de 
Conflans,  qui  s'est  continuée  jusqu'à  ce  jour,  et  dont  était 
le  maréchal  d'Armentières ,  mort  en  1774. 

Éraud  r',  comte  de  Brienne,  mort  en  1104,  n'est  connu, 
comme  ses  pères ,  que  par  des  actes  de  libéralité  envers  les 
abbayes.  Alix  de  Rouci  le  rendit  père  de  Gautier  II ,  comte 
de  Brienne,  qui  fit  le  voyage  de  Jérusalem  en  1147,  et 
laissa  d'Agnès  de  Baudemont  Érard  II  et  André  de  Brienne. 
Ce  dernier  fournit  la  branche  de  Rameru ,  éteinte  à  la  fin 
du  treizième  siècle.  Érard  II,  comte  de  Brienne  en  1156, 
laissa  d'Agnès  de  Montfaucon ,  dite  de  Montbéliard,  Gau- 
tier III  et  Jean  de  Brienne. 

Celui-ci ,  né  avec  la  passion  des  armes ,  était  destiné  par 
son  père  à  l'état  ecclésiastique.  Il  osa  résister  à  la  volonté 
paternelle ,  et  pour  s'y  soustraire  implora  la  généreuse  hos- 
pitalité des  moines  de  Cîteaux.  Touché  des  inutiles  efforts 
qu'il  tentait  pour  dompter  un  penchant  qui  contrariait  le 
vœu  de  sa  famille,  un  de  ses  oncles,  le  sire  de  Chàteauvil- 
lain,  le  fit  sortir  du  cloître,  et  dirigea  lui-même  ses  premiers 
pas  dans  une  carrière  où  sa  valeur  éleva  rapidement  sa  fa- 
mille au  faîte  de  la  puissance  et  de  la  gloire.  La  renommée 
de  ses  exploits  à  la  conquête  du  royaume  de  Naples,  où  il 
accompagna  le  comte  de  Brienne,  son  frère  aîné,  ayant  retenti 
jusqu'en  Orient ,  les  chrétiens  de  la  Palestine  envoyèrent 
une  ambassade  au  roi  Philippe-Auguste  pour  lui  demander 
la  main  de  ce  guerrier  pour  la  jeune  Marie  de  Montferrat , 
reine  de  Jérusalem ,  et  son  épée  contre  les  infidèles.  La  vie 
de  Jean  de  Brienne,  couronné  roi  de  Jérusalem  en  1210, 
offre  un  long  enchaînement  de  vicissitudes ,  où  la  part  des 
revers  ne  contribua  pas  moins  que  celle  des  succès  à  sa 
gloire.  Dépossédé  pendant  son  absence  do  la  Palestine  par 
l'empereur  Frédéric  II,  son  gendre  (1223) ,  il  fut  appelé  par 
le  choix  des  barons  français  de  l'empire  d'Orient  à  gouver- 
ner cet  État  chancelant  avec  le  titre  d'empereur,  alors  atta- 
clié  à  la  régence,  durant  la  minorité  de  Baudouin  II  de 
Courtenai.  Dans  la  guerre  terrible  qu'il  soutint  contre  les 
Grecs  et  les  Bulgares  réunis  sous  les  murs  de  Constantinople, 
il  sut  à  quatre-vingts  ans  rajeunir  sa  vieille  renommée  par 
de  miraculeuses  victoires.  Parvenu  au  comble  de  la  gran- 
deur, il  déposa  les  insignes  de  l'autorité  souveraine  pour  ter- 
miner une  vie  de  héros  sous  l'humble  habit  d'un  disciple  de 
saint  François  d'Assise  (  1237  ).  De  Bérengère  de  Castille,  sa 
seconde  femme,  sœur  du  roi  Ferdinand  III,  il  avait  eu,  entre 
autres  enfants,  Alfonse  de  Brienne,  grand  cliambrier  de 
France  et  comte  d'Eu  par  son  mariage  avec  Marie  de  Lu- 
signan;  Jean  de  Brienne,  grand  bouteiller  de  France,  et 
Louis  !*■■  de  Brienne ,  vicomte  de  Beauiuont  au  Maine  par 
la  vicomtese  Agnès  sa  femme  (  1253  ) ,  qui  fut  la  souche  de 
la  seconde  race  des  vicomtes  de  Beaumont,  dont  le  dernier, 
Louis  II,  fut  tué  à  la  bataille  de  Cocherel,  en  1364. 

Gautier  III    comte  de  Brienne ,  s'était  signale  avec  son 


frère  à  la  défense  d'Acre  contre  les  infidèles,  en  1188  ,  lors- 
que Tancrède,  roi  de  Sicile,  lui  donna,  en  1 191,  la  main  d'Al- 
bérie,  sa  fille  aînée,  sœur  du  jeune  roi  Guillaume.  Celui-ci 
ayant  été  dépouillé  de  ses  États  pendant  sa  minorité  par 
l'empereur  Henri  VI ,  Gautier,  comte  de  Brienne,  à  la  tête 
de  soixante  guerriers  déterminés ,  passe  le  mont  Cenis  et 
entreprend  la  conquête  d'un  royaume  que  la  valeur  de  quel- 
ques chevaliers  normands  avait  fondé  depuis  un  siècle-  la 
fortune  sourit  à  la  témérité  de  son  entreprise ,  car  en  peu 
de  mois  on  le  vit  en  possession  de  la  Pouille  et  des  princi- 
pales places  du  royaume  de  Naples.  Il  était  à  la  veille  d'ex- 
pulser entièrement  les  troupes  impériales  de  ce  royaume 
lorsqu'une  aveugle  confiance  dans  ses  succès  et  dans  la  bra- 
voure de  ses  soldats  vint  causer  sa  perte.  Au  conseil  qu'on 
lui  donnait  de  se  tenir  plus  en  garde  contre  ses  ennemis,  il 
n'avait  qu'une  réponse  :  ils  n'oseraient.  Le  comte  Diépold, 
qu'il  avait  vaincu  jusque  alors  toutes  les  fois  qu'il  avait  pii 
l'atteindre,  lui  fit  expier  cet  excès  de  confiance  et  de  présomp- 
tion. L'an  1203,  assiégé  dans  un  château  sur  le  Sarno,  le 
général  allemand  fait  une  sortie  de  grand  matin ,  surprend 
le  camp  de  Gautier  de  Brienne,  en  fait  un  horrible  carnage, 
et  ramène  Gautier  dans  la  place  couvert  de  blessures.  On 
vint  lui  offrir  de  briser  ses  fers  s'il  voulait  renoncer  à  la 
couronne  de  Sicile.  On  se  flattait  de  vaincre  sa  persévérance 
et  son  courage  par  les  plus  cruelles  privations ,  mais  il  se 
laissa  mourir  de  faim  plutôt  que  de  renoncer  à  un  trône 
qu'il  avait  si  glorieusement  conquis. 

Gautier  IV,  comte  de  Brienne,  hérita  de  la  valeur  de  son 
père,  mais  ne  recueillit  pas  le  fruit  de  ses  conquêtes.  Appelé 
à  la  Terre  Sainte  par  Jean  de  Brienne ,  roi  de  Jérusalem , 
son  oncle ,  et  ci-devant  son  mentor  et  son  tuteur ,  il  fit  sous 
lui  l'apprentissage  des  armes,  et  rendit  redoutable  aux  Sar- 
rasins le  titre  de  comte  de  JaJJ'a ,  sous  lequel  il  était  connu. 
11  commandait  l'aile  droite  à  la  bataille  de  Gaza  (1244)  : 
apercevant  du  désordre  dans  les  mouvements  que  faisait  l'ar- 
mée karismienne  pour  se  mettre  en  bataille  ,  il  voulut  pro- 
fiter du  moment  pour  fondre  sur  les  infidèles;  mais  toutes 
les  prières  qu'il  fit  pour  se  faire  absoudre  par  le  patriarche  de 
Jérusalem  d'une  excommunication  qu'il  avait  encourue  no 
purent  lui  obtenir  l'honneur  de  sauver  l'armée  chrétienne 
par  une  victoire.  L'évêque  de  Rama  ,  indigné  d'un  refus  qui 
allait  avoir  des  suites  si  funestes ,  s'avança  vers  Gautier  de 
Brienne,  lui  donna  l'absolution,  et  se  précipita  avec  lui  dans 
les  rangs  ennemis.  INIais  ceux-ci  avaient  eu  le  temps  de  pren- 
dre les  positions  les  plus  avantageuses.  Trente  mille  guerriers 
perdirent  la  vie  ou  la  liberté  dans  cette  bataille,  où  la  vic- 
toire fut  disputée  pendant  deux  jours.  Gautier  de  Brienne, 
fait  prisonnier  et  traîné  à  la  suite  des  vainqueurs  jusque 
sous  les  murs  de  Jaffa ,  fut  attaché  à  une  croix  par  les 
Karismiens,  qui,  en  montrant  les  outrages  et  les  tour- 
ments dont  ils  l'accablaient ,  se  flattaient  de  soumettre  cette 
ville.  Mais  Gautier,  loin  de  se  laisser  abattre,  exhorta 
de  toute  la  force  de  sa  voix  les  habitants  et  la  garnison 
à  ne  pas  trahir  leur  religion  et  leur  patrie  par  une  (ausse 
compassion  ou  une  indigne  faiblesse ,  et  à  défendre  jus- 
qu'à la  dernière  extrémité  une  ville  chrétienne.  Les  défen- 
seurs de  Jaffa,  enflammés  par  ce  dévouement  sublime,  re- 
poussèrent les  infidèles ,  et  Gautier  de  Brienne  marcha  avec 
joie  au  supplice  qui  l'attendait  au  Caire,  où  il  avait  été  con- 
duit après  la  retraite  des  Karismiens. 

Il  laissa  de  Marie  de  Chypre,  fille  du  roi  Hugues  I*"",  Jean, 
comte  de  Brienne,  mort  sans  postérité,  et  Hugues,  qui  lui 
succéda  avant  1270.  L'année  précédente ,  il  avait  accompa- 
gné Charles  de  France ,  comte  d'Anjou ,  à  la  conquête  du 
royaume  de  Naples,  et  en  avait  reçu  en  récompense  de  ses 
exploits  les  comtés  de  Liches,  de  Tripazzo  et  de  Tibenrano 
dans  la  terre  d'Otraute.  11  devint  aussi  duc  d'Athènes,  par  son 
mariage  avec  Isabelle  de  la  Roche,  fille  de  Guillaume,  duc 
d'Athènes  et  sire  de  Thèhes.  Gautier  V,  leur  fils,  comte 
de  Biicnne  et  de  Liches,  duc  d'Allièncs,  entreprit  une  guerre 

8i). 


708 


BRIENNE 


lieuneuse  contre  Jean  de  Diirazzo ,  duc  de  Patras ,  et  contre 
Thomas,  despote  d'Acarnanie,  qu'il  contraignit  à  faire  la 
paix,  après  leur  avoir  repris  plus  de  trente  châteaux  qu'iislui 
avaient  enlevés.  Il  fut  luépar  les  Catalans,  en  1312.  Jeanne  de 
Chastillon,  sa  femme,  fille  de  Gaucher  V,  comte  de  Porcean, 
l'avait  rendu  père  de  Gautier  YI,  comte  de  Brienne  et  de 
Liches,  duc  d'Athènes. 

Élevé  à  la  cour  de  Robert  le  Bon,  roi  de  Sicile,  Gautier  VI 
fut  nommé  par  le  duc  de  Calabre,  fils  de  ce  prince,  son  vi- 
caire ou  gouverneur  géni^ral  pour  l'État  de  Florence  en  132G, 
et  fut  opposé  l'année  suivante  à  l'empereur  Louis  de  Bavière, 
qui  voulait  pénétrer  dans  le  royaume  de  Naples.  Après  une 
tentative  infructueuse  pour  reconquérir  son  duché  d'Athènes, 
envahi  parles  Catalans,  il  revint  en  Italie  (1331),  et  de  là 
se  rendit  en  France,  à  la  cour  du  roi  Philippe  de  Valois,  qui 
l'employa  dans  ses  guerres  contre  les  Anglais  en  1339  et  1340. 
L'année  suivante,  Piobert,  roi  de  Sicile,  appela  Gautier  au 
Recours  des  Florentins  contre  les  Pisans,  qui  leur  avaient 
enlevé  la  ville  de  Lucques.  Ébloui  par  l'ascendant  que  lui 
avaient  acquis  ses  services,  il  aspira  au  pouvoir  souverain, 
se  fit  élire  capitaine  et  conservateur  du  peuple  de  Florence, 
puis  seigneur  à  vie,  le  8  septembre  1342.  Cette  élection  sou- 
leva de  nombreux  mécontentements.  Gautier,  par  une  po- 
litique aussi  atroce  que  dissimulée,  fit  périr  publiquement 
plusieurs  Florentins  dévoués  à  sa  cause  qui  lui  avaient  dé- 
Boncé  des  complots  tramés  contre  lui ,  pour  persuader  au 
peuple  qu'il  ne  croyait  pas  que  les  grands  fussent  capables 
de  conspirer  sa  perte.  Ces  lâches  cruautés  n'eurent  point  le 
succès  qu'il  s'en  était  promis.  Assiégé  dans  son  palais  le  3 
aofit  de  la  même  année,  son  pouvoir  despotique  fut  anéanti, 
et  il  fut  heureux  d'obtenir  la  vie  sauve  au  prix  de  celles  du 
provéditeur  et  de  son  fds,  que  la  populace  mit  en  pièces 
et  dont  elle  dévora  les  lambeaux  palpitants  ou  à  moitié  rôtis 
sur  des  charbons.  Gautier  revint  en  France,  et  il  fut  élevé 

la  dignité  de  connétable  par  le  roi  Jean,  le  6  mai  1356. 
II  fut  tué  à  la  bataille  de  Poitiers,  le  19  septembre  de  la 
même  année.  Comme  il  n'avait  pas  d'enfants,  sa  riche  suc- 
cession passa  à  sa  sœur  Isabeau,  comtesse  de  Brienne  et 
duchesse  d'Athènes,  femme  de  Gautier  IV,  seigneur  d'En- 
ghien.  Marguerite  d'Enghien,  sa  petite  fille,  porta  le  comté 
(le  Brienne,  avec  ses  droits  sur  le  duché  d'Athènes,  à  Jean  de 
Luxembourg,  son  mari.  Leurs  descendants  ont  possédé  le 
comté  de  Brienne  jusqu'en  1605  ;  à  cette  époque  il  fut  porté 
par  mariage  dans  la  maison  de  Béon  du  Masses,  et  de  celle- 
ci  il  passa,  en  1623,  dans  la  famille  de  Loménie,  qui  le 
possédait  au  moment  de  la  révolution. 

Louise  de  Béon  avait,  en  1625,  fondé  à  B  r  i  e  n  n  e,  un  cou- 
vent de  minimes,  destiné  à  l'éducation  des  enfants  du  pays, 
lequel  fut,  en  1730,  converti  en  collège  et,  en  1776,  en  suc- 
cursale de  l'école  militaire  de  Paris,  destinée  à  recevoir  cent 
élèves  du  roi  et  cent  pensionnaires.  L'école  militaire  de 
Brienne  fut  supprimée  en  1790;  les  bâtiments  en  furent 
vendus  et  démolis;  mais  le  château  bâti  par  Loménie, 
comte  de  Brienne,  ministre  de  la  guerre  sous  Louis  XVI, 
n'a  rien  perdu  de  sa  magnificence.  Laine. 

lîRIENIVE  (LOMÉNIE  de).  Voyez  Loménie. 

IJRIENNE  (Nicf.puore).  Voyez  Nicépiiore-Bryenne. 

BRIENNE  (Combat  et  Bataille  de).  Les  coalisés  avaient 
passé  le  Rhin  le  l*""  janvier  1814  :  le  centre  et  la  gauche  sous 
les  ordres  de  Sclnvartzcnberg,  au  nombre  d'environ 
317,000  hommes,  à  Bùie  et  à  Manheim  ;  la  droite,  sous 
les  ordres  de  Blucher,  à  Cobleniz.  Il  n'y  avait  devant 
Schwartzenberg  que  9,000  hommes,  sous  les  ordres  de  Vic- 
tor, et  devant  Blucher  que  16,000  hommes,  commandés  par 
Marmont.  Macdonald,  avec  21,000  hommes,  occupait  Co- 
logne; Maison,  avec  13,000,  la  Belgique;  une  réserve  de 
14,000  hommes  s'organisait.  Le  point  de  jonction  des  deux 
grandes  armées  coalisées  devait  être  entre  Châlons  sur 
Marne  et  Bar  sur  Seine.  Refoulés  par  des  forces  supérieures, 
Victor  et  Marmont  se  replièrent  derrière  la  Meuse  et  les 


Vosges.  Macdonald ,  débordé  par  Blucher,  se  relira  en  toute 
hâte  par  les  Ardennes,  afin  de  gagner  Châlons,  indiqué 
par  l'empereur  pour  point  de  concentration  de  toutes  ses 
forces.  Quelques  renforts  avaient  porté  notre  armée,  non 
compris  le  corps  de  Maison,  à  près  de  73,000  hommes,  qui 
furent  placés  sous  les  ordres  de  Mortier,  Victor,  Mar- 
mont, Macdonald  etNey.  Le  27,  Napoléon,  ayant  réuni 
les  corps  de  Victor,  Marmont  et  Ney  ,  marcha  sur  Saint- 
Dizicr,  où  il  espérait  prévenir  Blucher,  et  empêcher  la  jonc- 
tion des  deux  grandes  armées  des  alliés.  11  en  chassa  facile- 
ment l'ennemi  ;  mais  il  apprit  que  Blucher  était  déjà  à 
Brienne  et  Schwartzenberg  à  Bar-sur-Aube ,  et  que  la  jonc- 
tion qu'il  voulait  empêcher  avait  eu  lieu.  Il  comprit  dès 
lors  la  nécessité  de  couvrir  Paris,  et  résolut  de  marciier 
sur  Troyes  pour  se  réunir  à  l'aile  droite,  commandée  par 
Mortier. 

Le  28  donc,  laissant  Marmont  à  Saint-Dizier,  il  s'avança 
par  Vassy  sur  Montierender,  avec  les  corps  de  Victor  et  de 
Ney.  Blucher  se  concentra  autour  de  Biienne;  Schwartzen- 
berg entre  Bar  sur  Aube  et  la  Marne.  Le  29  l'empereur  se 
dirigea  de  Montierender  sur  Brienne  avec  les  corps  de  Victor 
et  de  Ney  :  Marmont  étendit  sa  cavalerie  du  côté  de  Vassy. 
Vers  midi,  la  cavalerie  légère  du  général  Pire  rencontra 
devant  Mézières  un  corps  de  l'armée  de  Blucher,  qui  l'ar- 
rêta. Grouchy  déploya  peu  après  à  la  gauche  de  Pire  les 
divisions  Lefebvre-Desnouettes,  Briclie  et  Lhéritier.  La  ca- 
valeriiî  russe  de  l'ahlen ,  vigoureusement  chargée ,  fut  alors 
obligée  de  se  replier  sur  Brienne,  sous  la  protection  des 
carrés  de  son  infanterie.  Traversant  le  bourg  à  toute  bride, 
elle  rejoignit  à  trois  heuics  le  gros  de  l'armée  de  Blucher,  qui 
était  en  position  dans  Brienne  et  autour.  Une  demi-heure 
après,  le  corps  de  Victor  étant  arrivé ,  la  division  Duhesme 
atta(iua  le  bourg.  Au  bout  d'une  heure,  le  corps  de  Ney 
arrivant  aussi,  la  division  Decouz  appuya  l'attaque  delà 
division  Duhesme.  Nos  forces  s'élevaient  à  27,000  hommes, 
celles  de  l'ennemi  à  40,000,  et  pourtant  Ney  allait  le  forcer 
à  évacuer  Brienne,  quand  une  faute  grave  nous  fit  reperdre 
nos  avantages. 

La  cavalerie  de  Grouchy  était  restée  derrière  l'infanterie, 
au  Heu  de  couvrir  sa  gauche.  Blucher  s'en  aperçoit,  et  fait 
charger  la  division  Duhesme  par  44  escadrons,  qui  la  culbu- 
tent et  lui  enlèvent  une  batterie.  Cet  échec  oblige  Ney  à  ré- 
trograder. Blucher,  croyant  l'affaire  terminée  avec  le  jour, 
donne  ordre  d'évacuer  Brienne  à  minuit,  et  se  met  à  table. 
Tout  à  coup,  vers  huit  heures  du  soir,  le  général  Château, 
chef  d'état-major  de  Victor,  pénètre  dans  le  château,  parle 
parc,  avec  deux  bataillons,  et  Blucher  a  juste  le  temps  de 
s'enfuir.  Puis  les  Français  descendent  rapidement  dans  la 
ville ,  tandis  que  deux  brigades  accourent  soutenir  leur  at- 
taque. Les  Russes,  serrés  de  près,  mettent  le  feu  à  Brienne. 
Enfin,  l'ennemi,  rebuté  de  ses  pertes  qui  s'élèvent  à  plus  de 
trois  mille  hommes,  évacue  la  ville  à  onze  heures  du  soir, 
pour  se  retirer  sur  les  hauteurs  de  Trannes,  tandis  que 
nous  restons  en  position  derrière  Brienne ,  en  occupant  le 
château.  Nous  avions  à  regretter  les  généraux  Baste  et  De- 
couz et  un  nombre  d'hommes  à  peu  près  égal.  Tel  fut  le 
combat  de  Brienne.  Passons  à  la  bataille. 

Le  30 ,  l'empereur,  voulant  couvrir  le  corps  de  Marmont, 
qui  devait  le  rejoindre,  fit  un  mouvement  en  avant ,  cliassant 
les  alliés  devant  lui  et  déployant  sa  petite  armée  de  Dien- 
ville  à  Chaïuiiesnil.  Schwartzenberg,  inquiet,  suspendit  sa 
marche  sur  Troyes.  Le  31  Napoléon  s'arrêta  pour  attendre 
Marmont.  Enfin  Marmont  rejoignit  le  1"  février  au  point  du 
jour;  il  avait  i)ris  la  route  la  plus  longue,  courant  risque 
de  se  faire  envelopiier  par  des  forces  supérieures.  Mais  le 
but  de  Napoléon  était  atteint,  il  avait  donné  signe  do  vie  et 
réussi  à  masser  ses  forces.  Dès  lors  il  fit  commencer  la  re- 
traite de  l'armée  par  les  deux  divisions  du  maivciial  Ney. 
Mais,  vers  midi ,  les  rapports  de  ses  avant-postes  lui  ayant 
annoncé  de  grands  mouvements  parmi  les  coalisés ,  il  re 


BRIENNE  —  BRIÈVETÉ 


709 


connut  lui-mi-mc  la  niarclic  ilcs  colonnes  qui  venaient  l'at- 
taquer, et  rappela  les  divisions  de  Ney  :  36,000  Français  al- 
laient ùlve  assaillis  par  123,000  adversaires,  que  pouvaient 
renforcer  encore  G8,000  hommes. 

A  deux  heures  de  Taprès-midi  le  prince  de  Wurtemberg, 
débouchant  des  bois  qui  longent  la  Gibrie,  refoula  nos 
avant-postes  sur  les  hauteurs  voisines ,  et  attaqua  le  village 
avec  six  bataillons,  une  brigade  de  cavalerie  et  du  canon. 
Nous  n'avions  là  que  deux  faibles  bataillons,  qui  ne  se  re- 
plièrent sur  Petit-Mesnil  qu'après  avoir  tenu  bon  plus  d'une 
lieure.  Mais  Victor,  sentant  l'importance  de  ce  point  straté- 
gique ,  s'en  rendit  maître  de  nouveau  par  une  brusque  at- 
taque. Cependant  plus  de  24,000  hommes  s'avançaient  contre 
la  brigade  Joubert,  qui ,  trop  faible  pour  résister  avec  ses 
2,500  hommes ,  fut  refoulée  sur  Morvilliers  et  obligée  d'a- 
bandonner quatre  canons  dans  des  chemins  défoncés.  Mar- 
raonl  vit  enfin  qu'il  était  urgent  de  combler  la  lacune  qui 
le  séparait  du  centre,  et  la  brigade  Joubert  reçut  ordre 
d'appuyer  sa  droite  sur  Chaumesnil ,  le  reste  du  corps  d'ar- 
mée devant  suivre  ce  mouvement. 

Malheureusement ,  sur  ces  entrefaites,  le  corjjs  de  Wrèd  e 
ayant  achevé  de  déboucher,  son  avant-garde  attaqua  les 
abattis  dont  le  patriotisme  des  habitants  de  .Morvilliers  avait 
pendant  la  nuit  couvert  leur  village,  qu'un  ruisseau  séparait 
encore  des  ennemis.  Le  passage  fut  forcé ,  Marmont  attaqué 
et  son  mouvement  suspendu  ;  une  charge  de  1800  de 
nos  cavaliers,  qui  tentèrent  de  le  soutenir,  échoua  contre 
9,000  Austro-Bavarois,  et  le  déployement  continua  sans  que 
les  alliés  pussent  cependant  gagner  du  terrain.  A  quatre  heu- 
res et  demie,  quatre  divisions  ennemies  étaient  déployées  de- 
vant Morvilliers,  lorsque  le  prince  de  Wurtemberg  envoya 
demander  du  renfort  à  Wrède.  Pendant  que  ceci  se  passait  à 
notre  gauche,  les  autres  colonnes  des  coalisés  s'avançaient  sur 
la  Rothière  et  Dienville.  Ce  dernier  point  fut  vigoureusement 
défendu  par  le  général  de  brigade  Bondier,  qui  repoussa  hé- 
roïquement à  plusieurs  reprises  les  attaques  de  deux  bri- 
gades autrichiennes  appuyées  de  dix  canons.  A  la  droite  de 
l'Aube  le  général  Gérard  soutint  jusqu'à  la  fin  de  la  bataille 
les  assauts  réitérés  de  la  division  Giulay ,  malgré  sa  nom- 
breuse artillerie.  Au  centre ,  le  corps  d'armée  du  général 
Sacken,  arrivé  devant  la  Rothière,  avait  engagé  un  combat 
terrible  sur  toute  la  ligne,  sans  pouvoir  pendant  deux  heures 
entières  entamer  les  divisions  Colbert,  Guyot  et  Pire,  qui, 
malgré  leur  infériorité  numérique,  menacèrent  plus  d'une 
fois  de  broyer  ses  masses. 

Blucher,  voyant  la  bataille  si  longtemps  stationnaire,  ré- 
solut d'en  finir  en  renforçant  les  colonnes  d'attaque.  A 
quatre  heures,  des  réserves  russes,  celle  des  gardes,  une 
division  de  grenadiers,  deux  brigades  de  cuirassiers,  s'é- 
lançaient vers  la  Rothière.  La  faible  division  Duhesmc,  de 
4,000  hommes ,  attaquée  par  20,000,  perdit  la  moitié  du 
village  jusqu'à  l'église,  mais  empêcha  l'ennemi  de  passer 
outre.  Vers  cinq  heures  les  divisions  Colbert,  Guyot  et  Pire 
étaient  rejetées  sur  Brienne  par  le  poids  de  15,000  cuiras- 
siers, malgré  les  efforts  des  divisions  Desnouettes  et  Briche 
pour  prendre  la  cavalerie  ennemie  en  flanc.  Blucher  profita 
de  ces  succès  pour  balayer  le  reste  du  village  de  la  Ro- 
thière. Joubert  ne  put,  malgré  son  héroïque  défense,  tenir  à 
Chaumesnil  contre  des  forces  si  supérieures.  Sa  retraite 
obligea  Jlarmont  à  évacuer  Morvilliers.  Le  prince  de  Wur- 
temberg ,  appuyé  d'une  brigade  bavaroise  et  d'une  division 
de  grenadiers  russes,  attaqua  de  nouveau  la  Gibrie,  qui 
fut  emporté  après  un  combat  opiniâtre,  et  Victor  se  replia 
sur  Petit-!SIesnil.  Après  cinq  heures,  les  coalisés  étaient  ainsi 
maîtres  de  la  Rothière,  de  la  Gibrie,  de  Chaumesnil  et  de  Mor- 
villiers. 

Napoléon  vit  bien  alors  que  la  bataille  était  perdue j 
mais  il  s'agissait  d'arriver  à  la  chute  du  jour  qui  s'appro- 
chait, pour  assurer  la  retraite  de  l'armée.  L'essentiel  était 
d'emi)f'clier   le   corps  austro-bavarois  de   débmirher  par 


Chaumesnil ,  d'acculer  l'armée  sur  l'Aube  ou  de  lui  couper 
la  route  de  Brienne  en  culbutant  le  corps  de  Marmont. 
L'empereur  se  porta  donc  en  toute  hâte  vers  Chaumesnil; 
mais  de  Wrède  y  était  déjà,  couvert  par  seize  bouches  à  feu. 
L'artillerie  française  fut  bientôt  démontée,  sept  pièces  furent 
perdues,  la  division  Guyot,  réduite  à  cinq  cents  chevaux,  fut 
enfoncée  par  quinze  cents  chevaux  autrichiens  et  bavarois. 
Cependant  l'ennemi  fut  contenu,  et  la  nuit,  qui  arriva,  permit 
à  Napoléon  de  commencer  sa  retraite.  Pour  la  masquer, 
Oudinot  attaqua  de  nouveau  la  Rothière,  la  cavalerie 
Milhaud  se  développa  devant  Chaumesnil ,  et  celle  de  Nan- 
souty  se  maintint  entre  la  droite  et  le  centre.  Oudinot  pé- 
nétra jusqu'à  l'église  de  la  Rothière.  Blucher,  croyant  avoir 
affaire  à  de  fortes  masses,  envoya  contre  le  maréchal  une 
division  de  grenadiers  russes  et  une  brigade  autrichienne, 
qui  forcèrent  nos  troupes  à  se  replier  à  400  mètres  en  ar- 
rière du  village,  où  elles  prirent  position. 

Vers  huit  heures  du  soir  commençait  enfin  la  retraite. 
Ney  et  Nansouty  se  mirent  les  premiers  en  marche.  Drouot 
incendia  la  Rothière  pour  contenir  l'ennemi  et  couvrir  le 
mouvement.  Victor  et  IMarmont  s'ébranlèrent  à  leur  tour. 
Gérard  tint  bon  à  Dienville  jusqu'à  minuit,  et  la  cavalerie 
Milhaud  occupa  la  plaine  entre  le  bois  d'Ajou  et  l'Aube.  Les 
divers  corps  des  alliés  conservèrent  leurs  positions  de  l'entrée 
de  la  nuit.  Notre  perte,  d'après  les  bulletins  ennemis  eux- 
mêmes,  s'éleva  à  4,000  morts  ou  blessés  et  1,000  prisonniers. 
Nous  perdîmes  de  plus  54  pièces  de  canon  et  les  généraux 
INIarguet  et  Forestier.  Les  coalisés,  de  leur  propre  aveu, 
eurent  6,000  morts  ou  blessés,  et  au  nombre  de  ces  derniers 
quatre  généraux.  L'importance  de  la  bataille  de  Brienne 
parut  telle  à  l'Allemagne  entière,  qu'elle  y  fut  célébrée  dans 
des  relations  dignes  des  Mille  et  une  Nuits.  On  n'y  avait  vu  en 
définitive  que  35,000  Français  résistant  avec  un  îiéroïsme  ad- 
mirable à  120,000  ennemis.      G"'  G.  de  Vacdoncourt. 

BRIEUX  (Jacques  MOISANïou  MOSANS  de),  littéra- 
teur normand  du  dix-septième  siècle  et  l'un  des  meilleurs 
poètes  latins  de  son  temps,  naquit  à  Caen,  vers  1614,  de  pa- 
rents nobles,  attachés  à  la  réforme.  Il  fit  ses  premières  études 
à  l'académie  de  Sedan  ;  après  avoir  passé  deux  années  à  l'u- 
niversité de  Leyde,  où  il  reçut  des  leçons  du  célèbre  Vos- 
sius,  il  visita  l'^Uigleterre,  et  recueillit,  dans  les  manuscrits  des 
bibliothèques  de  ce  pays,  des  notes  qu'il  devait  mettre  plus 
tard  à  profit.  De  retour  en  France,  il  se  fit  recevoir  avocat, 
et  ne  tarda  pas  à  occuper  une  charge  de  conseiller  au  par- 
lement de  Metz.  Mais  sa  santé,  qui  s'altéra  de  bonne  heure, 
l'obligea  de  revenir  à  Caen.  A  dater  de  ce  jour,  il  cultiva 
les  lettres,  non-seulement  poury  trouver  une  distraction  à  ses 
souffrances,  mais  encore  pour  obéir  à  ses  goûts  les  plus  chers. 
Moisant  de  Brieux  fut  le  fondateur  de  l'Académie  royale  de 
Caen ,  dont  les  premières  séances  eurent  lieu  dans  sa  maison. 
En  1674,  âgé  deprès  de  soixante  ans,  tourmenté  de  la  pierre,  il 
prit  la  résolution  de  se  faire  opérer;  il  expira  peu  de  jours  après. 
Moisant  de  Brieux  était  bon  poète  latin ,  savant  critique  et 
philologue  distingué.  Le  recueil  complet  de  ses  œuvres,  au- 
jourd'hui fort  difficile  à  se  procurer,  se  compose  de  quatre 
petits  volumes,  sortis  des  presses  de  Jean  Cavelier,  impri- 
meur à  Caen.  En  voici  le  titre  :  Origines  de  quelques  cou- 
tumes anciennes  et  plusieurs  façons  de  parler  triviales, 
avec  un  vieux  manuscrit  en  vers  touchant  l'origine  des 
chevaliers  bannerets  (1G72);  Recueil  de  pièces  en  prose 
et  en  vers  (1674)  ;  le  Divertissement  de  M.  D.  B.  (1673); 
Poemntum  Pars  altéra  (1669). 

Les  amateurs  de  livres  rares ,  et  même  ceux  qui  veulent 
étudier  l'histoire  littéraire  de  notre  vieille  France,  les  com- 
patriotes de  Moisant  de  Brieux,  achètent  fort  cher  l'œuvre  com- 
plète de  ce  philologue;  le  dernier  exemplaire,  provenant  de 
la  bibliothèque  de  Ch.  Nodier,  a  été  payé  146  francs. 

Le  Roux  de  LiîiCY. 
BRÎÈVETÉ  (en  latin  bravitas,  faitdc  brevis,  court* 
durée  d'une  chose) ,  qualification  ou  plutôt  qualité  de  ce 


710 

qui  est  court,  car  bien  rarement  la  brièveté  est  regardée 
comme  un  défaut  :  celle  môme  de  la  vie ,  dont  nous  nous 
plaignons,  n'est  réellement  regrettable  que  relativement  au 
bon  emploi  qu'on  fait  de  l'existence  et  au  bien  qu'elle  laisse 
inachevé.  Tantd'liommes  l'usent  dans  Texercice  du  mal,  que, 
pour  eux  et  la  société,  on  peut  dire  trop  souvent,  lorsqu'ils 
arrivent  au  terme  fatal ,  que  leur  vie  a  été  trop  longue  de 
moitié.  Dans  les  écrits,  dans  les  discours,  la  brièveté  est 
bien  plus  souvent  aussi  une  qualité  qu'un  défaut.  La  langue 
française  a  trouvé  le  secret  de  joindre  la  brièveté  à  la  clarté, 
sans  nuire  à  l'élégance  :  ce  sont  ces  qualités  qui  ont  as- 
suré sa  prééminence,  et  qui  l'ont  rendue  d'un  usage  si  uni- 
Tcrsel.  Il  y  a  une  brièveté  qui  vient  de  la  sécheresse  et  du 
peu  d'étendue  de  l'esprit  :  celle-là  est  un  défaut  ;  celle  qu'il 
faut  louer,  c'est  la  brièveté  qui  est  le  produit  de  la  réflexion 
et  du  jugement  (voyez  Concision).  Pascal,  s'excusant  de  la 
longueur  d'une  lettre  sur  ce  qu'il  n'a  pas  eu  le  temps  de  la 
faire  plus  courte,  résume  parfaitement  et  le  mérite  de  la 
brièveté  et  l'opération  de  l'esprit  qu'exige  cette  qualité.  Il 
ne  faut  pas  trop  presser  cependant  les  conséquences  de  ce 
principe  et  chercher  à  atteindre  une  trop  grande  iirièveté  :  on 
courrait  le  risque,  comme  l'ont  dit  Horace  etBoilcau  ,  de  ne 
rencontrer  que  l'obscurité.  11  y  a  des  genres  en  poésie  qui 
plus  que  tous  exigent  la  brièveté,  laquelle  constitue  en 
grande  partie  leur  mérite  :  telle  est  surtout  l'épigramme. 

BUIFAUT  (CiiAKLEs),  membre  de  l'Académie  Fran- 
çaise, naquit  à  Dijon,  le  15  février  1781.  Son  père  était  un 
simple  artisan ,  recommandable  dans  sa  profession.  L'abbé 
Yollius ,  en  ce  temps-là  évêque  constitutionnel  de  la  Côte- 
d'Or,  trouvant  dans  le  jeune  Brifaut  d'heureuses  dispositions, 
résolut  de  les  faire  fructifier  en  lui  ouvrant  les  portes  de 
l'école  centrale,  devenue  depuis  le  lycée  de  Dijon.  Le  jeune 
homme  justifia  par  ses  progrès  l'intérêt  qu'il  avait  inspiré 
à  son  protecteur.  Fixé  à  Paris  en  1804,  le  comte  Berlier, 
conseiller  d'État,  lui  accorda  une  protection  toute  particu- 
lière. Il  travailla  pour  plusieurs  journaux ,  notamment  pour 
la  Gazette  de  France.  Ses  principaux  titres  littéraires  sont 
une  tragédie  de  Ninus  II,  qui  fut  assez  favorablement  ac- 
cueillie ,  malgré  les  critiques  méritées  qui  fondirent  sur  elle 
aux  premières  représentations ,  et  une  autre  tragédie  de 
Jeanne  Gray ,  reçue  au  Théâtre-Français  en  1807,  dont  le 
gouvernement  impérial  ne  permit  pas  la  représentation ,  et 
qui  fat  fort  mal  accueillie  du  public  quand  elle  put  être 
jouée,  en  1814.  M.  Brifaut  donna  plus  tard,  en  1820,  une 
ti-oisième  tragédie  :  Charles  de  Navarre,  qui  réussit  mieux 
nue  Jeanne  Gray,  quoiqu'elle  n'obtint  qu'un  succès  bien 
faible. 

Les  autres  ouvrages  qu'il  a  publiés  sont  :  1°  la  Journée 
de  l'Hymen,  1810;  2°  une  Ode  sur  la  naissannce  d%i  roi 
de  Rome,  1811;  ces  deux  pièces  ont  été  aussi  insérées  dans 
le  recueil  officiel  intitulé  :  L'Hymen  et  la  Naissance,  1812, 
donné  en  prix  à  tous  les  lycées  de  l'Empire  ;  3"  Rosemonde , 
poème  en  trois  chants ,  1813  ;  4°  Stances  sur  le  retour  de 
Louis  XVHI,  mai  1814;  5°  OUjmpie,  tragédie  lynque,  en 
collaboration  avec  Dieulafoi,  musique  de  Spontini,  jouée 
avec  un  honnête  succès  au  Grand  Opéra,  le  20  décembre 
1819  :  G°  Dialogues,  contes  et  attires  poésies  (2  vol., 
1824).  C'est  à  l'aide  de  cet  estimable  bagage  que  M.  Brifaut 
a  vu  s'ouvrir  devant  lui,  en  1826,  les  portes  de  l'Académie 
Française. 

Depuis,  il  a  publié  encore  :  1°  Les  Déguisements,  ou  une 
folie  de  grands  hommes,  comédie  en  un  acte  et  en  vers, 
182i);  2°  le  Droit  de  Vie  ou  de  Mort,  poëme,  1829;  3°  son 
discours  prononcé,  en  séance  publique  de  l'Académie  Fran- 
çaise, le  15  juillet  1841,  en  réponse  au  discours  de  réception 
de  M.  An  ce  lot;  4"  une  notice  ou  préface,  en  tête  d'une 
traduction  de  l'anglais  de  Laure  de  Montrcville,  ou  l'cm- 
pire  sur  soi-même,  de  M™"  Brunton.  M.  Brifaut  a  aussi 
jilusieuts  ouvrages  en  portefeuille,  entre  autres  :  Amour  et 
Opinion,  comédie  en  cinq  actes  et  en  vers.  C'est,  en  somme. 


BRIÈVETÉ  —  BRIGADE 


un  talent  oublié  et  qui  pourtant  a  bien  valu  et  vaut  bien 
encore  celui  de  M.  Ponsard.  Arcades  ambot 

BR!G.  Vo7/e3  Brick. 

BRIGADE.  Ce  mot,  qui  paraît  avoir  la  même  origine 
que  les  mots  brigue  et  brigand,  a  longtemps  signifié  une 
agrégation  tactique  d'hommes  de  guerre ,  quelle  que  fût  sa 
force.  Ce  terme  générique ,  et  non  spécial ,  a  été  depuis 
Henri  IV  un  de  ceux  que  l'art  militaire  a  employés  le  plus 
diversement,  puisqu'il  a  exprimé  tout  à  la  fois  un  ensemble 
de  deux  ou  trois  hommes  et  un  corps  d'armée.  Ainsi,  la  gen- 
darmerie de  Henri  IV  se  décomposait  en  brigades  de  vingt- 
cinq  maîtres;  ainsi,  Louis  XIII  défendait  en  1635  aux  maré- 
chaux de  Brézé  et  de  Cliàtillon  de  partager  l'armée  en  deux 
brigades,  pour  s'en  faire  à  chacun  un  commandement  ex- 
clusif. Suivant  de  La  Fontaine,  lemot  brigadese  prenait  pour 
lignes  tactiques.  «  L'armée,  dit-il,  est  divisée  quelquefois 
en  deux  brigades  :  avant-garde  et  bataille  ;  et  quelquefois 
en  trois  :  avant-garde,  bataille,  et  arrière-garde.  Chaque  bri- 
gade est  composée  d'artillerie,  cavalerie  et  infanterie.  »  Ailleurs 
ce  même  écrivain  prend  le  mot  en  un  sens  tout  différent. 
«  Quelquefois ,  dit-il ,  on  sépare  les  batailles  en  deux  briga- 
des, on  les  espace  de  trois  à  quatre  cents  pas  :  l'une  est 
appelée  brigade  de  l'aile  droite,  l'autre  brigade  de  l'aile 
gauche.  L'aile  droite  est  commandée  par  le  général  et  ses 
maréchaux  de  camp  ;  l'autre  par  les  autres  maréchaux  de 
camp.  A  présent,  on  donne  à  chaque  brigade  un  autre 
officier,  appelé  maréchal  de  bataille.  » 

D'Espagnac  prétend,  sans  s'appuyer  sur  aucune  preuve 
et  sans  prendre  le  soin  de  nous  éclairer  par  des  dates,  que 
quand  la  force  des  compagnies  de  cavalerie  variait  de  cin- 
quante à  deux  ou  trois  cents  maîtres ,  elles  se  partageaient 
en  brigades,  et  celles-ci  en  sous-brigades  et  quadrilles  ;  de 
même  que  les  compagnies  d'infanterie  se  partageaient  en 
brigades  subdivisées  en  bigcs,  en  terses,  en  escouades.  Le  mot 
brigade  prit  dans  la  milice  suédoise  un  sens  plus  fixe  à  par- 
tir de  Gustave-Adolphe;  mais  dans  la  milice  française  il  resta 
longtemps  indéterminé.  Depuis  Louis  XIV  il  continua  à 
s'employer  quelquefois  comme  synonyme  de  fraction  quel- 
conque :  il  en  était  ainsi  dans  les  gardes  du  corps  ;  quelque- 
tbis  il  prenait  une  acception  bien  plus  étendue.  La  grande 
brigade  était  celle  que  commandait  le  brigadier  (  sorte  de 
géaéral  ).  Montécuculi  nomme  brigade ,  ou  grand  mem- 
bre d'armée,  une  association  de  bataillons  ou  d'escadrons. 

Puységur,  qui  servit  sous  Louis  XIV  et  sous  Louis  XV,  est 
celui  qui  le  premier  donne  de  la  précision  dans  notre  lan- 
gue au  mot  brigade  :  il  la  comprenait  dans  l'infanterie  comme 
une  agglomération  de  huit  bataillons,  dans  la  cavalerie  comme 
un  ensemble  de  huit  escadrons.  D'après  Dupain  de  Montes- 
son,  ce  terme  signifierait  l'accouplement  de  deux  compagnies 
de  cavalerie.  V Encyclopédie  méthodique  dit  qu'une  bri- 
gade est  une  division.  Le  mot  brigade  dans  les  régiments 
de  cavalerie  de  IMaiirice  de  Saxe  signifiait  compagnie;  ail- 
leurs le  mot  brigade  de  boulangers  donnait  l'idée  de  trois 
pétrisseurs  et  de  leur  chef  enfourneur  ;  le  mot  brigade  de 
maréchaussée  exprimait  un  poste  de  deux  cavaliers;  la 
brigade  des  grenadiers  à  cheval  était  un  escadron  ou  le 
tiers  d'une  compagnie  ;  la  brigade  des  grenadiers  de  France 
était  un  bataillon  de  douze  compagnies;  la  brigade  d'ar- 
tillerie indiquait  un  ensemble  de  vingt  bouches  à  feu  avec 
leur  matériel  et  leurs  servants  ;  enfin  les  brigades  du  génie, 
les  brigades  de  la  maison  du  roi,  et\c?i  brigades  de  mu- 
lets ,  offraient  un  sens  non  moins  disparate.  Le  général  de 
Cessac  dans  Y  Encyclopédie  s'élève  énergiquement  contre 
une  pareille  aberration,  sans  que  les  législateurs  se  soient 
souciés  de  purger  de  ces  taches  la  langue  militaire. 

Le  sens  commun  voulait  que  les  mots  brigade  et  briga- 
dier découlassent  l'un  de  l'autre  ;  mais,  tandis  que  le  mot 
brigade  (escouade)  tombait  en  désuétude,  alors  qu'on  main- 
tenait pourtant  le  mot  brigadier  (caporal  ),  la  grande  brigade 
(agrégation  tactique)  prenait  force,  alors  même  qu'on  sup- 


BRIGADE  —  BRIGADE  DE  SÛRETÉ 


primait  son  brigadier  (espèce  de  général).  La  loi  de  l'an  vii 
(23  fructidor),  rendue  sur  le  rapport  du  général  de  Cessac, 
a[>fe\ïebrigadcs  d'ouvriers  artistes àescorps au  nombre  de 
trente-deux,  composés  chacun  de  soixante  hommes;  elle 
appelle  demi-brigade  des  corps  composés  chacun  de  plus 
de  trois  mille  hommes. 

Occupons-nous  uniquement  de  la  brigade  d'armée,  ou 
de  la  brigade  active,  considérée  comme  un  ensemble  de  corps 
brigades ,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  ceux  qui  par  le 
lait  de  l'embrigadement  ont  pris,  à  la  fin  du  dernier  siècle, 
une  forme  jusque  là  inusitée,  en  s'appelant  demi-briga- 
des. Dans  les  usages  modernes,  une  brigade  se  compose 
ordinairement  de  la  moitié  d'une  division  ;  elle  est  une  agré- 
gation tactique  dans  un  corps  d'armée  ou  dans  une  armée 
agissante.  Gustave-Adolphe  est  l'inventeur  des  brigades; 
il  accoupla  ses  régiments  d'infanterie  en  1630;  telle  était  sa 
terrible  brigade  jaune  et  bleue,  nommée  ainsi  parce  qu'un 
de  ses  régiments  était  à  habit  bleu ,  l'autre  à  habit  jaune  ; 
mais  dans  cette  union  de  deux  corps  en  un  ni  les  batail- 
lons ni  môme  les  régiments  n'opéraient  comme  unités  tac- 
tiques ;  aussi  la  brigade  n'était-eile  dans  son  armée  qu'une 
fusion  éventuelle  de  divers  habillements  ou  armes  s'a- 
malgamantà  raison  de  l'analogie  tactique  et  de  l'armement 
des  soldats.  Cette  brigade  n'avait  encore  rien  de  sem- 
blable à  celle  qu'on  mettrait  actuellement  en  ligne  par 
régiments  et  bataillons.  A  l'imitation  de  Gustave,  Turenne 
essaya  de  former  dans  l'armée  française  des  brigades  de  trois 
àquatre  mille  hommes;  mais  cet  embrigadement  réussit  mal  ; 
ce  ne  furent  que  des  tûtonnements ,  parce  que  les  trou- 
pes n'étaient  assujetties  à  aucune  règle  précise  de  formation, 
et  qu'elles  étaient  un  composé  de  régiments,  ou  plutôt  d'a- 
grégations régimentaires,  dont  la  force  variait  depuis  quatre 
bataillons  jusqu'à  un  demi-bataillon.  Quelque  imparlaites 
qu'aient  été  jusqu'aux  temps  modernes  les  brigades  françaises, 
on  peut  les  considérer  de  nos  jours,  suivant  l'expression  du 
colonel  Carrion,  comme  les  instruments  de  grande  tactique, 
comme  les  seuls  éléments  en  grand  des  armées. 

La  création  des  divisions  dépouilla  les  brigades  de  leur 
importance  :  ce  furent  les  divisions  qui  devinrent  de  grands 
membres  de  l'armée;  il  en  fut  ainsi  jusqu'à  la  création  des 
corps  d'armée.  La  force  que  doivent  avoir  les  brigades  fran- 
çaises et  l'étendue  de  front  qu'il  convient  de  leur  donner  se 
rattachent  à  des  questions  jusque  ici  mal  résolues.  On  n'est 
pas  beaucoup  plus  avancé  qu'au  temps  où  Y  Encyclopédie 
voulait  vaguement  qu'une  brigade  se  composât  d'un  ou  de 
plusieurs  régiments.  Dans  les  usages  modernes ,  elle  n'est 
le  plus  ordinairement  que  la  moitié  d'une  division.  On  voit 
sous  Louis  XIV  et  Louis  XV  la  brigade  prendre  pour  déno- 
mination le  nom  affecté  au  premier  des  régiments  qui  la  com- 
posaient, c'est-à-dire  le  nom  du  régiment  chef  de  brigade  ; 
elle  se  formait  tantôt  de  trois,  de  quatre ,  tantôt  de  cinq, 
de  six,  ou  de  huit  bataillons.  Les  brigades  de  la  milice 
prussienne  étaient  sous  Frédéric  II  de  cinq  bataillons. 
Accompagnées  de  batteries  d'artillerie ,  et  fournies  de  tout 
le  matériel  de  campagne,  elles  étaient  commandées  par  un 
général  de  brigade.  Nos  premiers  bataillons  de  miliciens 
s'embrigadèrent  par  cinq,  à  l'imitation  des  Prussiens.  La 
milice  anglaise  a  composé  ses  brigades  de  deux,  de  trois  ou 
de  quatre  bataillons,  sous  un  major-général,  ou  plutôt  gé- 
néral-major. 

Le  règlement  de  1753  (17  février),  indiquant  le  mode  de 
rassemblement  de  l'armée ,  détermine  la  formation  en  bri- 
gades. Cette  disposition  a  été  recopiée  de  règlement  en  règle- 
ment, jusqu'en  179?  (5  avril),  époque  où  la  brigade  a  élé 
confiée  à  un  chef  qui  de  1793  à  1815  s'^est  appelé  général 
de  brigade,  de  1815  à  1848  maréchal  de  camp  et  de  nouveau 
général  de  brigade  depuis  1 84  s .  La  brigade  n'a  pas  encore  po- 
sitivement detactiqueécrite;  il  n'existe  pasd'écoiede  brigade  ; 
il  n'est  établi  de  règles  pour  l'alignement  des  brigades  que 
dans  les  évolutions  de  lignes  de  1791 ,  c'est-à-dire  dans  un 


7lt 

document  vague,  dont  il  faut  consulter  l'esprit,  non  la  lettre, 
puisqu'il  n'était  pas  reconnu  tactiquement  debrigadeen  1791. 
L'ordonnance  de  composition  de  1788  essayait  d'instituer  en 
temps  de  paix  les  brigades  sous  forme  permanente  ;  elle  di- 
visait l'armée  en  cinquante-deux  brigades.  C'était  un  résultat 
de  l'opinion  de  Guibert,  qui  voulait  qu'en  guerre  on  mît  ces 
brigades  à  trois  mille  cinq  cents  hommes.  Cette  formation, 
alors  tant  blâmée,  a  réussi  dans  divers  services  étrangers. 
Les  brigades  permanentes  et  les  divisions  permanentes  y 
sont  adoptées ,  et  probablement  un  jour  les  brigades  ces- 
sant, en  France,  d'être  temporaires,  entreront  suivant  une 
mesure  précise  dans  les  divisions  d'armée,  et  auront  une 
force  et  une  forme  constitutives  et  pareilles  pour  toutes.  En 
cela  nous  imiterons  la  milice  russe,  imitatrice  elle-même 
des  théories  françaises.  Aujourd'hui ,  celle-ci  tient  en  perma- 
nance  les  brigades  d'armée  comme  nous  étions  à  la  veille  de 
le  faire  en  1788 ,  et  elle  compose  ses  brigades  d'infanterie 
de  trois  régiments  de  bataille ,  et  d'un  régiment  de  chasseurs 
à  pied.  Une  brigade  d'armée  ne  deviendrait  alors  un  cadre 
administratif  que  dans  le  cas  où  elle  serait  détachée  loin  de 
la  métropole  et  livrée  à  elle-même,  ou  du  moins  immédiate- 
ment soumise  aux  décisions  qui  lui  seraient  transmises  par 
la  correspondance  ministérielle  ;  dans  tous  les  autres  cas 
ellene  formerait  jamais  un  cadre  administratif.  En  cemomeut 
chez  nous  la  brigade  se  compose  de  deux  régiments,  au 
moins,  soit  d'infanterie,  soit  de  cavalerie,  sous  les  ordres 
d'un  général  de  brigade.  Il  faut  deux  ou  trois  brigades  pour 
une  division.  Lorsque  les  circonstances  l'exigent,  on  forme 
des  brigades  mixtes  d'infanterie  et  de  cavalerie  légère  :  elles 
sont  spécialement  chargées  du  service  d'avant-garde. 

Dans  un  sens  plus  restreint,  brigade  e&t  une  subdivision 
de  compagnie  de  gendarmerie,  composée  de  cinq  à  six 
hommes,  à  pie  1  ou  à  cheval ,  sous  les  ordres  d'un  brigadier. 
Les  brigades  sont  réparties  dans  les  communes  de  France 
pour  le  service  de  la  police  de  sûreté.         G*'  Bardin. 

BRIGADE  DE  SÛRETÉ.  Pour  apprécier  l'utilité 
d'une  institution,  il  est  quelquefois  nécessaire  de  détour- 
ner les  yeux  de  la  honte  de  son  origine ,  comme  aussi  trop 
souvent  les  plus  nobles  créations  dégénèrent  entre  les 
mains  des  hommes.  Que  de  choses  sublimes  dans  leur  prin- 
cipe se  sont  lentement  dépouillées  de  tous  leurs  brillants  at- 
tributs pour  tomber  enfin  dans  une  dégradation  dont  il  est 
difficile  qu'elles  se  relèvent  I  Par  un  retour  opposé ,  de  la 
souche  la  plus  ignoble  peut  éclore  un  germe  fécond  ,  que  la 
temps  développe  et  fortifie,  en  le  purgeant  peu  à  peu  de 
foules  les  souillures  de  ses  premières  années.  Ces  dernières 
réflexions  peuvent  s'appliquer  à  la  brigade  de  sûreté.  En 
effet,  il  faut  bien  l'avouer,  c'est  à  Vidocq  qu'elle  doit  sa 
naissance.  Ce  célèbre  forçat,  évadé  du  bagne  de  Toulon  ou 
de  Brest,  mais  appréhendé  de  nouveau,  était  en  1812, 
détenu  à  Bicêtre,  où  il  attendait  le  moment  d'une  réintégra- 
tion, qu'il  voulait  éviter  à  tout  prix.  Une  idée  lumineuse  le 
sauva  de  ce  malheur.  Il  offrit  à  la  police  de  la  servir  loya- 
lement,  et,  par  compensation,  ne  demanda  que  la  liberté. 
Quelques  défiances,  bien  légitimes  sans  doute ,  vinrent  à  la 
traverse.  Cependant ,  comme  le  nouveau  postulant  était  de 
ces  hommes  qu'il  vaut  mieux  avoir  pour  ami  que  pour  ad- 
versaire, la  police  accepta  le  pacte,  et  nous  ne  pouvons  que 
lui  en  savoir  gré.  Après  un  noviciat  de  deux  mois  à  la 
Force,  Vidocq  tut  jugé  digne  du  bien  auquel  il  aspirait.  Une 
évasion  adroitement  concertée  le  transporta  bientôt  sur  un 
théâtre  plus  digne  de  son  génie.  Dans  les  nouveaux  rôles 
qu'il  y  remplit ,  il  s'attira  de  plus  en  plus  la  confiance  de 
l'administration  qui  remployait.  Enfin  il  parut  mériter  d'être 
chef  de  service,  et  la  brigade  de  sûreté  vit  le  jour. 

Ce  ne  fut  d'abord  qu'une  faible  escouade  de  quatre  aco- 
lytes ,  que  Vidocq  recruta  parmi  ses  anciens  camarades. 
Autour  de  ce  mince  noyau  vinrent  se  grouper  par  la  suite 
de  nouveaux  éléments  d'une  nature  parfaitement  homogène. 
En  1817  on  comptait  jusqu'à  douze  membres  dans  la  corn- 


712 


pagine.  Elle  avait  déjà  rendu  quelques  importants  services; 
mais  dès  cette  époque  la  nouvelle  phalange  devint  vérita- 
blement la  terreur  des  malfaiteurs  de  toutes  sortes  qui  in- 
leslaient  la  capitale.  Ces  derniers  dès  lors  ne  la  désignèrent 
plus  que  sous  le  nom  de /a  Rousse.  Dans  le  cours  des  années 
1823  et  1824  la  brigade  de  sûreté  prit  un  nouv«l  accroisse- 
ment; le  nombre  des  agents  dont  elle  se  composait  fut 
porté  à  vingt-huit,  et  jusqu'en  1827,  époque  à  laquelle  Vi- 
docq  fut  remplacé  par  son  ancien  secrétaire  Coco-Lacour, 
ce  nombre  fut  peu  augmenté.  Depuis,  le  service  de  sûreté 
a  vu  augmenter  encore  le  nombre  de  ses  agents.  Son  person- 
nel a  dû  subir  aussi  des  épurations.  Pendant  longtemps  il 
ne  fut  recruté  que  dans  les  prisons.  Aujourd'hui,  dit-on,  il 
ne  faut  avoir  subi  aucune  condamnation  pour  en  faire  partie. 
Le  service  des  agents  de  la  police  de  sûreté  consiste  prin- 
cipalement à  surveiller  les  lieux  publics ,  à  procéder  à  l'ar- 
restation des  repris  de  justice,  à  éclairer  les  juges  sur  les 
antécédents  des  individus  arrêtés ,  etc. 

BRIGADIER.  11  y  avait  autrefois  des  brigadiers  dans 
tous  les  corps  delà  maison  du  roi,  dans  l'artillerie ,  le  génie 
et  «les  carabiniers.  Leurs  fonctions,  toutes  particulières,  ne 
s'étendaient  pas  au  delà  du  corps  auquel  ils  appartenaient  ; 
il  y  avait  aussi  des  brigadiers  des  armées  du  roi  :  c'étaient 
des  officiers  généraux  qui  étaient  subordonnés  aux  lieute- 
nants généraux  et  aux  maréchaux  de  camp.  Ce  titre  était 
assez  équivoque.  II  existe  encore  dans  l'armée  espagnole,  et 
a  cessé  d'exister  dans  l'armée  russe.  En  France,  leur  brevet 
ne  leur  donnait  aucune  autorité  particulière,  ni  pendant  la 
guerre,  ni  pendant  la  paix  ;  ils  tiraient  tout  leur  pouvoir  des 
lettres  de  service  qu'ils  obtenaient.  Ce  grade  répond  à  peu 
près  à  celui  d'adjudant  général,  qui  a  existé  durant  les  guerres 
de  la  Révolution  et  les  premières  guerres  de  l'Empire.  Il 
était  intermédiaire  entre  ceux  de  colonel  et  de  général  de 
brigade, 

11  y  a  encore  de  nos  jours  dans  la  gendarmerie  à  pied  et 
à  cheval  des  brigadiers,  dont  le  grade  correspond  à  celui 
de  caporal  d'infanterie  de  ligne,  et  dont  les  titulaires  com- 
mandent des  brigades  de  six  hommes  à  pied  ou  de  cinq 
hommes  à  cheval  casernées  dans  de  petites  localités. 

Ce  grade  correspond  aussi  à  celui  de  caporal ,  dans  les  es- 
couades de  la  garde  de  Paris  à  pied  et  à  cheval,  dans  tous 
les  corps  de  la  garde  impériale,  dans  l'artillerie,  dans  tous 
les  régiments  de  cavalerie,  et  enfin  dans  tous  les  bataillons 
de  chasseurs  à  piod. 

Dans  les  préposés  des  douanes,  le  grade  de  brigadier 
équivaut  à  celui  de  sergent  et  celui  de  sous-brigadier  à 
celui  de  caporal.  Les  employés  de  l'octroi ,  les  sergents  de 
ville  et  les  garçons  de  la  Banque  ont  aussi  des  brigadiers. 

BRIGAND,  BRIGANDAGE,  BRIGANDINE.  Roque- 
fort ,  dans  son  Glossaire  de  la  Langue  Romane ,  donne  à 
penser  que  le  mot  brigand  est  venu  de  celui  de  brigandine, 
espèce  d'armure  légère  servant  de  cuirasse  et  faite  de  lames 
de  fer  jointes  ensemble.  Originairement  on  aurait  nommé 
brigands  les  soldats  qui  portaient  cette  armure;  puis, 
comme  ceux  que  la  ville  de  Paris  soudoya  en  1356,  pen- 
dant la  captivité  du  roi  Jean,  commirent  une  infinité  de 
vols ,  on  aurait  donné  indistinctement  leur  nom  à  tous  les 
voleurs.  Ainsi  en  latin  le  mot  lalro,  qui  signifiait  originai- 
rement soldat ,  fut  appliqué  aux  voleurs  ,  par  suite  des  ra- 
pines auxquelles  les  soldats  se  li\Tèrcnt.  Le  même  auteur, 
dans  ?,o\\  Dictionnaire  étymologique  de  la  Langue  Fran- 
çaise, a  rapporté  plus  tard  une  autre  origine  du  mot  bri- 
gand, qu'il  fait  venir  celte  fois  de  l'italien  brigante,  sous 
lequel  on  désigna  d'abord  ceux  qui  formaient  des  brigties , 
des  partis,  et  fomentaient  des  séditions  pendant  les  guerres 
civiles ,  puis  les  troupes  qui  exerçaient  le  pillage  à  main 
armée,  puis  enfin  les  scélérats,  les  voleurs  de  grands  che- 
mins, .es  assassins  ;  et  il  rejette  bien  loin  l'opinion  qui 
ferait  venir  cette  odieuse  qualification  des  Brigantes ,  peu- 
ple de  la  Rhétie  célèbre  par  son  amour  pour  la  liberté.  Ou 


BRIGADE  DE  SURETE  —  BRIGGS 

ne  saurait  l'appliquer  davantage  zwa.  Brigantes  de  l'An- 
gleterre ou  Bretagne  septentrionale,  qui  défendirent  si  long- 
temps leur  indépendance  contre  les  Romains. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  ctymologies  diverses  et  de  beau- 
coup d'autres  encore,  on  entend  d'ordinaire  par  brigand 
celui  qui  commet  des  vols  à  force  ouverte  sur  les  grands 
chemins ,  et  par  brigandage  la  profession  de  ceux  qui  exer- 
cent ces  vols.  Mais  ces  mots  ont  reçu  dans  le  monde  une 
plus  grande  extension;  on  les  applique  aussi  aux  extorsions 
ou  concussions  dont  les  particuliers  ne  peuvent  pas  se  dé- 
fendre ,  ainsi  qu'aux  individus  qui  s'y  livrent  impunément, 
à  l'abri  des  lois  et  des  vices  de  notre  organisation  sociale , 
qui  semble  parfois  plus  favorable  aux  fripons  qu'aux  hon- 
nêtes gens. 

Sous  la  dénomination  odieuse  de  brigands  de  la  Loire, 
quelques  Français,  ennemis  de  la  Révolution  et  de  l'Empire, 
ont  voulu  flétrir  les  débris  de  la  vieille  armée ,  retirés  der- 
rière la  Loire  en  vertu  de  l'armistice  signé  sous  les  murs  de 
Paris  le  3  juillet  1815. 

BRIGAJVTES.  11  paraît  y  avoir  eu  plusieurs  peuples 
de  ce  nom.  Ptolémée ,  Tacite  et  Crevier,  parlent  d'un  peuple 
de  l'ile  de  Bretagne  qui  portait  ce  nom  et  habitait,  selon 
le  premier ,  au-dessous  des  Elgoviens  et  des  Otadins,  de 
façon  qu'il  s'étendait  d'une  mer  à  l'autre.  Il  possédait  d'a- 
près ce  géographe  les  villes  d'Epdacum,  Yinnovie,  Ca- 
turactanic,  Calate,  Isurie  ,  Rhigodune,  Olicane  et  Ebora- 
cum.  La  cité  des  Brigantes  passait  pour  la  plus  populeuse 
du  pays.  Pctilius  Cerealis  ,  général  des  Romains  ,  étant  ar- 
rivé dans  l'île  de  Bretagne ,  jeta  partout  la  terreur  en  atta- 
quant cette  cité.  Après  plusieurs  combats,  dont  quelques- 
uns  furent  sanglants,  il  soumit  et  ravagea  une  giandc 
partie  de  la  province.  Le  canton  que  possédaient  ces  Bri- 
gantes comprenait  les  provinces  d'York  et  de  Lancastre, 
l'évèché  deDurhara,le  Westmoreland  et  le  Cumberland. 

Selon  Ptolémée,  il  y  aurait  eu  en  Hibernie  (aujourd'hui 
l'Irlande)  un  autre  peuple  du  même  nom  :  c'étaient  les 
plus  orientaux  de  l'île,  et  ils  occupaient  les  comtés  de  Wex- 
ford  et  Kilkenny.  Mais  on  croit  qu'il  y  a  dans  l'écrivain 
grec,  le  seul  qui  en  parle,  un  renversement  de  lettres,  et 
qu'il  faut  lire  Birgantes,  parce  qu'ils  prenaient  indubita- 
blement leur  nom  de  la  rivière  de  Birgus ,  qui  arrosait  leur 
pays,  et  que  Camhden  croit  être  la  même  que  le  Barrow 
d'aujourd'hui. 

BRIGAIXTiJV.  Autrefois  on  appelait  ainsi  ce  qu'on 
nomme  brick  aujourd'hui.  Dans  le  langage  actuel,  le  mot 
brigantin  désigne  un  petit  brick. 

BRIGAi\TIi\E.  Voyez  Brick. 

BRIGANTILM.  Voyez  Buunçon  et  Bregenz. 

BRIGGS  (Henri),  mathématicien  célèbre,  né  en  1550, 
à  W'arleywod,  près  d'Hahfax,  dans  le  comté  d'York,  de 
parents  peu  fortunés,  put  aller  suivre,  à  l'ûge  de  vingt-trois 
ans ,  les  cours  de  l'université  de  Cambridge ,  oii  il  se  fit  tout 
aussitôt  remarquer  par  ses  rares  dispositions  pour  les  ma- 
thématiques. Ses  progrès  furent  si  rapides  que  nous  voyons 
qu'en  1588  il  professait  déjà  cette  science  au  collège  de 
Saint-Jean  de  cette  imiversité.  Plus  tard,  en  1592,  il  fut 
nommé  à  la  première  chaire  de  géométrie  qu'on  institua  au 
collège  de  Gresham ,  à  Londres ,  et  il  alla  ensuite  exercer 
les  mêmes  fonctions  à  Oxford  (  1619).  Personne  ne  s'occupa 
plus  que  lui  du  calcul  des  logarithmes  et  de  la  propaga- 
tion de  cette  utile  invention ,  qui  était  alors  toute  récente, 
et  qu'il  contribua  tant  à  perfectionner.  Neper,  son  ami  et 
le  véritable  inventeur  des  logarithmes ,  avait  d'abord  dressé 
en  forme  de  tables  les  logarithmes  appelés  aujourd'hui  }ia- 
turels,  ou,  de  son  nom,  népériens;  mais  Briggs  remarqua 
qu'un  autre  système  serait  d'un  usage  beaucoup  plus  com- 
mode ;  il  proposa  de  changer  la  base  choisie  par  Keper,  et 
de  la  remplacer  par  10,  base  du  système  vulgaire  de  numé- 
ration ;  Neper  apjirouva  cette  modification.  Vers  la  fin  de 
sa  vie ,  Neper  se  proposait  encore  de  calculer  ces  nouvelle» 


BRIGGS  —  BRIGITTE 


713 


tables  aTCc  Briggs  ;  mais  la  mort  de  son  ami  laissa  à  celui- 
ci  toute  cette  tâche  à  entreprendre  et  à  terminer. 

11  publia  en  1618,  comme  échantillon  du  nouveau  sys- 
tC-me  logarithmique,  appelé  encore  généralement  aujourd'hui 
si/slc)ne  ordinaire  ou  logarithmes  de  Briggs ,  les  loga- 
rithmes des  mille  premiers  nombres  naturels  calculés 
avec  huit  décimales,  sous  le  titre  de  Logarithmorum  Chi- 
iuis  prima.  Quelques  années  plus  tard  parut  son  Arit/wie- 
tica  logarithmica  (Londres,  1G24),  contenant  les  loga- 
rithmes des  nombres  naturels  de  1  à  20,000  et  de  90,000  à 
100,000,  avec  quatoi'ze  décimales,  œuATe  qui  exigea  le 
travail  le  plus  assidu  pendant  plusieurs  années.  Briggs  en- 
gagea d'autres  calculateurs  à  l'aider  à  combler  les  grandes 
lacunes  qui  restaient  encore,  tandis  que  lui-même  entrepre- 
nait une  table  des  logarithmes  des  sinus  et  des  tangentes 
calculés  avec  quatorze  décimales  et  de  centième  en  centième 
de  degré,  et  une  table  des  sinus,  tangentes  et  sécantes 
naturels  calcules ,  les  premiers  avec  quinze  décimales ,  et 
les  tangentes  et  les  S(  cantes  avec  dix.  Ce  travail,  dont  Tim- 
niensité  effraye  quand  on  se  rappelle  que  les  méthodes  expé- 
dilives  inventées  depuis  n'existaient  pas  alors,  parut  après 
sa  mort ,  par  les  soins  de  Henri  Gellibrand ,  son  successeur 
au  coU  ige  de  Gresliam ,  sous  le  titre  de  Trigonometria 
Britannica  (Gouda,  1G23,  in-folio).  Indépendamment 
d'une  patience  et  d'une  force  d'application  dout  rien  n'ap- 
proche, Briggs  était  douéd'une  grandepuissance  d'invention, 
car  on  trouve  dans  ses  ouvrages  les  germes  de  quelques- 
unes  des  plus  importantes  découvertes  qu'on  ait  faites  en 
mathématiques ,  telles  que  la  construction  des  tables  par 
différences,  l'uiterpolation,  etc.,  etc. 

Cet  illustre  savant  mourut  à  Oxford  ,  le  25. janvier  1630, 
et  fut  inhumé  dans  la  chapelle  de  Merteu-CoUege.  Un  de  ses 
biographes  nous  le  représente  comme  l'honune  de  l'accueil 
le  plus  affable,  exempt  de  toute  espèce  d'orgueil,  de  morgue, 
d'envie  et  d'ambition.  Méprisant  souverainement  les  riches- 
ses, il  vivait  content  de  son  sort,  préférant  ses  calmes 
études  à  l'existence  la  plus  brillante. 

BRIGHELLA9  personnage  de  la  comédie  improvisée, 
qui  fait  partie  du  théâtre  national  italien.  Ferrarais  gros- 
sier ,  insolent  et  rusé ,  tout  de  blanc  habillé,  il  est  assez 
semblable  au  célèbre  Pierrot. 

BRIGIiT  (Maladie  de  ).  Cette  maladie  était  connue  sous 
le  nom  vague  d'htjdropisie  avant  qu'elle  eût  été  décrite 
par  Bright,  médecin  anglais.  On  la  désigne  aujourd'hui  plus 
spécialement  sous  le  nom  de  n ép hrit  e. 

BRIGHTON,  et  primitivement  BRIGHTHELMSTONE, 
ville  du  comté  de  Sussex ,  sur  la  côte  méridionale  de  l'An- 
gleterre, communiquant  avec  Londres  par  un  chemin  de  fer, 
n'était  d'abord  qu'une  bourgade  de  pêcheurs ,  visitée  seu- 
lement par  le  petit  nombre  de  voyageurs  qui  gagnaient  les 
côtes  de  France  par  Dieppe;  mais  depuis  une  centaine  d'an- 
nées elle  est  devenue  une  ville  importante,  et  c'est  mainte- 
nant l'un  des  bains  de  mer  les  plus  brillants  et  les  plus  fré- 
quentés de  l'Angleterre. 

La  ville  s'étend  en  partie  dans  une  petite  vallée  formée 
par  la  Steyne,  dans  la  direction  de  Lewes,  qu'un  chemin  de  fer 
met  également  en  communication  avec  elle,  et  en  partie  sur 
les  deux  rives  de  la  mer.  On  y  compte  aujourd'hui  54,000  ha- 
bitants ,  qui  s'occupent  de  pêche ,  de  commerce  et  de  na- 
vigation. Elle  possède  un  grand  nombre  de  beaux  édifices, 
et  surtout  une  foule  de  maisons  construites  dans  le  meilleur 
style.  On  y  admire  notamment  le  quartier  appelé  Crescent 
ou  Kemp-Town,  imposant  demi-cercle  formé  par  les  plus 
magnifiques  constructions ,  sur  une  grande  et  belle  place 
ornée  d'une  statue  de  bronze,  d'assez  mauvais  goût,  mais 
d'une  grande  ressemblance,  et  représentant  Georges  IV  en 
uniforme  de  dragons.  Les  établissements  de  Iwins,  surtout 
ceux  qui  sont  connus  sons  le  nom  de  Mohammed  Baths,  y 
sont  organisés  de  la  manière  la  plus  grandiose  et  à  la  mode 
anj/Jaise.  Brighton  est  redevable  de  son  rapide  accroisse- 

DiCT.    CE   L\  CO:<VERS.    —  J-    III. 


ment  à  la  prédilection  que  Georges  IV  avait  conçue  pour  ce 
séjour.  Il  n'était  encore  que  prince  régent  lorsqu'il  eut  la 
fantaisie  d'aller  y  prendre  des  bains  de  mer  ;  et  il  s'y  plut 
tellement  qu'il  y  revint  ensuite  tous  les  ans ,  s'y  fit  bâtir  une 
magnifique  habitation  d'été,  dans  le  genre  oriental  {Ma- 
rine-jmvillon),  et  donna  par-là  à  tous  les  seigneurs  de 
sa  cour  l'envie  d'y  fixer  leur  résidence  pendant  la  belle 
saison. 

A  peu  de  distance  de  Brighton  on  trouve  une  remar- 
quable digue  (  Pier  ),  construite  en  forme  de  pont ,  longue 
de  374  mètres ,  large  de  4  mètres  66  centimètres,  et  termi- 
née en  1822.  Elle  est  supportée  j)ar  de  fortes  chaînes  de  fer, 
rattachées  à  chaque  extrémité  à  quatre  colonnes  creuses 
en  fonte ,  et  a  coûté  plus  de  30,000  liv.  ster.  Il  existe  aussi 
à  Brighton  des  sources  d'eaux  minérales. 

Il  est  possible  que  ce  soit  sur  l'emplacement  où  s'élève 
aujourd'hui  cette  ville  que  César,  ainsi  que  le  veut  la  tra- 
dition ,  vint  débarquer  quand  il  quitta  la  Gaule  pour  en- 
treprendre la  conquête  de  la  Bretagne ,  car  de  nos  jours  en- 
core les  relations  sont  multiples  entre  ce  point  et  celui  de 
la  côte  opposée,  Dieppe.  On  a  même  trouvé  dans  les  envi- 
rons différentes  antiquités  romaines ,  et  en  1750  une  grande 
quantité  de  médailles  de  l'époque  d'Antonin. 

Brighton  est  célèbre  dans  l'histoire  des  rois  malheureux. 
C'est  de  Brighton  que  Charles  II,  à  l'issue  de  la  fatale  ba- 
taille de  Worcester,  essaya  de  s'enfuir  en  France  ;  c'est  k 
Brighton  que  le  roi  Louis-Philippe ,  expulsé  de  France  par 
la  révolution  de  Février,  passa  dans  le  cercle  de  sa  familla 
une  grande  partie  du  petit  nombre  de  jours  qui  lui  restaient 
encore  à  vivre. 

BRIGITTE  (Sainte),  naquit,  vers  1302,  de  Birger^ 
prince  du  sang  royal  de  Suède  et  sénéchal  d'Upland,  sui- 
vant les  uns ,  de  la  famille  Brahe ,  selon  d'autres.  Élevée  par 
des  parents  chrétiens  et  vertueux ,  elle  épousa ,  à  seize  ans, 
Ulf  Gudmarson,  prince  de  Néricie,  et  mit  au  monde  huit 
enfants,  dont  le  dernier  fut  sainte  Catherine  de  Suède.  Puis, 
les  deux  époux  s'engagèrent  à  passer  le  reste  de  leur  vie 
dans  l'état  de  continence,  et  firent  ensemble  le  pèlerinage  de 
Saint-Jacques  de  Compostelle.  A  leur  retour,  Ulf  mourut 
dans  le  monastère  d'Alvastre ,  de  l'ordre  de  Cîteaux  ;  Brigitte 
fonda  le  couvent  de  Wadstena ,  d'après  celui  de  Fontevrault. 
Soixante  reUgieuses  et  vingt-cinq  religieux  l'habitaient  dans 
deux  bâtiments  séparés  ;  mais  ils  célébraient  l'office  eu  com- 
mun. Brigitte  leur  donna  la  règle  de  saint  Augustin,  en  y 
ajoutant  quelques  règlements  particuliers.  L'ordre,  dit  du 
Saint-Sauveur,  fut  approuvé  par  Urbain  V.  Il  a  fleuri  en 
Suède  jusqu'à  la  Réforme,  possédant  encore  des  maisons 
en  Allemagne,  en  Italie,  en  Portugal  et  en  Flandre. 

La  fondatrice  étant  allée  visiter  les  tombeaux  des  apôtres 
à  Rome ,  y  établit  pour  les  pèlerins  et  étudiants  suédois 
un  hospice ,  qui  fut  réorganisé  sous  Léon  X.  Une  dévotion 
semblable  la  conduisit ,  à  soixante-neuf  ans ,  en  Palestine. 
De  retour  en  Italie,  elle  mourut  à  Rome,  le  23  juillet  1373  ; 
et  deux  Suédois  de  sa  suite  rapportèrent  ses  reliques  à  l'é- 
glise de  Wadstena ,  où  on  les  voit  encore.  Elle  fut  canonisée 
par  Bonilace  IX ,  et  plus  solennellement  par  le  concile  de 
Constance. 

Les  révélations  de  Brigitte  :  Revelationum  UbrioctOj 
écrites  par  ses  confesseurs  Pierre ,  prieur  d'Alvastre ,  et  Ma- 
thias,  chanoine  de  Linkœping,  furent  vivement  attaquées 
par  le  célèbre  Gerson,  mais  elles  obtinrent  l'approbation 
du  concile  de  B  âl  e ,  (^ui  en  permit  l'impression.  Elles  ont  eu 
de  nombreuses  éditions.  Le  plus  bel  exemplaire  manuscrit  se 
conserve  dans  la  bibliothèque  du  comte  de  Brahe ,  au  châ- 
teau de  Skogkloster,  près  d'Upsal.  On  les  a  traduites  dans 
toutes  les  langues,  et  particulièrement  en  français.  On  attri- 
bue encore  à  sainte  Brigitte  un  sermon  sur  la  Vierge  et 
quinze  discours  sur  la  passion  de  Jésus-Christ ,  précédés 
d'un  préambule  cdndanmé  par  la  congrégation  de  ïlndex. 
Tous  ces  ouvrages  sont  en  latin. 

'M 


714 


BRIGNOLES  —  BRILLANT 


BRI  GNOLES,  excellente  espèce  de  prunes  sèches,  qui 
ont  reçu  leur  nom  de  la  ville  de  Brignoles,  dans  le  départe- 
ment du  Var,  où  on  les  prépare. 

BRIGUE  ,  désir  ambitieux  d'obtenir  quelque  charge  ou 
quelque  dignité.  Ducange  dérive  ce  mot  de  briga,  signifiant, 
dans  la  basse  latinité,  noise , querelle ,  contestation,  trois 
compagnes  ordinaires,  en  effet,  de  la  brigue.  Cependant, 
nos  plus  récents  dictionnaires  la  définissent  un  assemblage 
de  mesures  secrètes  et  détournées  que  l'on  emploie  pour  ob- 
tenir quelque  chose  en  engageant  dans  ses  intérêts  plusieurs 
personnes. 

Suivant  Montesquieu,  la  brigue,  dangereuse  dans  un  sé- 
nat ,  dangereuse  dans  un  corps  noble ,  ne  l'est  pas  dans  le 
peuple,  dont  la  nature  est  d'agir  par  passion.  Dans  les  États 
où  il  n'a  point  de  part  au  gouvernement,  il  s'échauffera  pour 
un  acteur  comme  il  aurait  fait  ailleurs  pour  les  affah-es.  Le 
malheur  pour  une  république ,  c'est  quand  il  n'y  a  plus  de 
brigues  ;  et  cela  arrive  lorsqu'on  a  corrompu  le  peuple  à 
prix  d'argent.  La  brigue,  du  reste,  n'est  pas  née  d'hier,  les  an- 
ciennes sociétés  l'ont  connue  comme  les  modernes.  Plusieurs 
écrivains  du  siècle  d'Auguste  nous  ont  laissé  la  peinture 
des  intrigues  et  des  démarches  auxquelles  se  livraient  chez 
les  Romains  ceux  qui  aspiraient  aux  honneurs  de  l'élection. 
Ils  allaient  vôtus  de  blanc  par  toute  la  ville,  quêtant  des 
suffrages  sur  les  places  et  dans  les  assemblées  publiques.  En 
ce  temps,  la  brigue  se  pratiquait  ouvertement  à  Rome, 
comme  elle  se  pratique  encore  en  Angleterre,  et  on  y  sacri- 
liait  aussi  de  grandes  sommes  d'argent.  Cicéron  impute  à 
celte  cause  le  taux  excessif  de  l'intérêt  de  l'argent,  qui  de 
son  temps  variait  de  quatre  à  huit  pour  cent.  Souvent  la 
brigue  coûtait  pour  une  seule  tribu  jusqu'à  dix  mille  francs 
de  notre  monnaie.  Or,  il  y  en  avait  trente-cinq;  par  là  on 
peut  juger  des  sommes  immenses  auxquelles  revenaient  les 
charges,  bien  qu'elles  fussent  gratuites  pour  la  plupart.  Sur 
ce  point  nous  pourrions  en  remontrer  aux  anciens,  car 
l'on  ne  brigue  volontiers  chez  nous  que  les  emplois  qui  rap- 
portent ou  qui  mettent  sur  la  voie  de  faire  de  grands  profits. 
On  n'oubliera  pas  de  longtemps  nos  premières  années 
de  suffrage  universel  quand  pour  une  place  à  la  législative, 
rapportant  vingt-cinq  francs  par  jour,  des  légions  d'affamés 
se  précipitaient  sur  la  voie  publique  et  se  battaient  à  qui,  sur 
les  murs,  resterait  le  champ-clos  pour  la  profession  de 
foi  et  la  formule  sacramentelle  :  Aommons  le  citoyen...! 
C'est  alors  que  l'acception  du  mot  brigue  ne  se  borne  pas 
aux  démarches  isolées  d'un  seul  individu  pour  arriver  à 
la  satisfaction  d'un  désir  ambitieux  ;  il  s'entend  de  la  réu- 
nion combinée  des  démarches  de  plusieurs  personnes  en 
faveur  d'une  seule,  et  quelquefois  aussi  des  efforts  de  tout 
un  parti  pour  faire  triompher  un  système  ou  une  opinion  : 
dans  ces  deux  cas ,  la  brigue  peut  être  honorable  :  il  est 
glorieux,  en  effet,  pour  un  homme  d'être  porté  à  des  fonctions 
publiques  par  le  suffrage  indépendant  ou  par  l'estime  géné- 
reuse d'une  partie  de  ses  concitoyens,  qui  s'honorent  eux- 
mêmes  en  protégeant  le  talent  et  les  vertus  civiques  ;  et  il  n'y 
a  rien  que  d'Jionorable  à  poursuivre,  par  des  moyens  que 
ne  réprouvent  ni  les  lois  ni  la  morale,  le  triomphe  d'une  opi- 
nion ou  d'un  système  que  l'on  croit  réellement  propre  à  faire 
le  bonheur  de  son  pays.  Mais  employer  son  crédit  à  pousser 
un  vil  flatteur  ou  un  bas  intrigant  à  la  place  que  devrait  oc- 
cuper le  mérite  modeste;  caresser  les  vices  des  grands  ou 
flatter  les  passions  du   peuple  pour  leur  faire  adopter  des 
mesures  dont  on  attend  sa  propre  satisfaction;  les  enivrer  du 
récit  et  de  la  pemture  de  leur  puissance  pour  les  porter  à  en 
abuser  davantage  ;  hâter  et  provoquer,  en  un  mot,  les  fautes 
d'un  pouvoir  qu'on  ne  veut  renverseï'  que  pour  s'élever  soi- 
même  sur  ses  ruines,  sont  des  actes  infâmes,  pour  lesquels 
la  société  ne  saurait  avoir  trop  de  mépris  ni  témoigner  une 
trop  grande  réprobation.  D'un  autre  côté ,  se  faire  petit  avec 
les  petits,  humble  avec  les  humbles,  vicieux  avec  les  vi- 
cieux, emprunter  lour  à  tour,  en  un  seul  jour,  mille  formes 


diverses  et  se  dépouiller  de  son  individualité  pour  vivre  mo- 
mentanément de  la  vie  de  ceux  dont  on  recherche  les  suf- 
frages ou  dont  on  a  besoin ,  c'est  une  autre  lâcheté  insigne. 
Entre  cabale,  intrigue  et  brigue,  il  y  a  une  dis- 
tinction à  faire  qui  est  tout  en  faveur  de  cette  dernière  : 
uneintrigite  est  toujours  sourde,  oblique  et  tortueuse;  une 
cabale  emploie  d'ordinaire  les  menées  couvertes  ;  la  brigue 
parle  presque  toujours  haut,  agit  vivement  et  à  front  dé- 
couvert. L'esprit  d'intrigue  suppose  de  l'adresse  et  des 
dispositions  innées  pour  la  ruse  et  l'astuce;  l'esprit  de  ca- 
bale n'est  que  le  goût  du  bruit  et  des  tracasseries  ;  la  nais- 
sance d'une  brigtie  dépend  souvent  des  circonstances,  et 
sa  conduite  du  concours  de  plusieurs  personnes  qui  n'y  sont 
amenées  par  aucune  disposition  spéciale  de  leur  caractère. 
En  un  mot, il  faut  de  la  finesse  dans  une  intrigue, de  la  per- 
sévérance dans  une  brigue ,  qui  peut  avoir,  quand  elle  est 
puissante ,  quelque  chose  d'imposant  ;  mais  il  n'y  a  dans 
une  cabale  que  de  la  petitesse  et  du  ridicule. 

BRIL  (  Matthieu  ),  peintre  de  l'école  flamande,  né  à 
Anvers,  en  1550,  vint  très-jeune  encore  se  fixer  à  Rome, 
où  il  mourut  en  1584,  à  peine  âgé  de  trente-quatre  ans.  On 
sait  seulement  de  cet  artiste  qu'il  peignit  à  fresque,  dans 
les  galeries  et  les  salons  du  Vatican,  des  paysages,  qui  furent 
généralement  estimés  et  lui  méritèrent  une  pension  du 
pape  Grégoire  XIII. 

BRIL  (  Paul  ),  né  à  Anvers,  en  1556,  n'avait  encore  que 
quatorze  ans  lorsqu'il  s'échappa  de  la  maison  paternelle 
pour  aller  retrouver  à  Rome  son  frère  Matthieu,  dont  il  fut 
d'abord  l'élève  et  qu'il  surpassa  ensuite.  Après  la  mort  de 
Matthieu, qui  fut  bientôt  suivie  de  celle  de  Grégoire  Xlll, 
il  fut  chargé  par  le  nouveau  pape  Sixte  V  de  la  continuation 
des  travaux  de  son  frère ,  et  devint  titulaire  de  la  pension 
que  ce  dernier  tenait  de  la  munificence  pontificale.  C'est 
surtout  dans  le  paysage  qu'excellait  Paul  Bril  :  tout  le 
monde  s'accorde  à  reconnaître  la  légèreté  de  sa  touche  et 
la  vérité  de  sa  manière.  Ses  tableaux ,  dans  lesquels  An- 
nibal  Carrache  ne  dédaignait  pas  de  placer  quelquefois 
des  figures  de  sa  main,  offrent  tous  des  lointains  charmants, 
et  le  seul  reproche  qu'on  puisse  faire  à  Paul  Bril ,  c'est  d'a- 
voir trop  fait  dominer  la  couleur  verte  dans  ses  paysages.  On 
peut  en  juger  par  les  deux  tableaux  de  cet  artiste  que  possède 
notre  musée  :  les  Pèlerins  d'Emmaùs  et  Syrinci>  changée 
en  roseau.  Paul  Bril  mourut  à  Rome,  en  1626;  on  trouve 
des  ouvrages  de  lui  dans  plusieurs  églises  d'Italie ,  dans  les 
galeries  de  Florence,  de  Dusseldorf,  etc. 

BRILLANT,  dans  son  acception  la  plus  générale, 
signifie  tout  ce  qui  attire,  étonne  et  même  fatigue  l'œil.  C'est 
une  règle  absolue  du  goût,  que  le  brillant  ne  doit  jamais 
constituer  exclusivement  le  fond  d'une  œuvre  littéraire,  au- 
trement la  lecture  en  deviendrait  impossible.  L'esprit  a 
besoin  de  faire  quelques  pauses,  même  pour  admirer;  il  se 
lasse  bien  vite  des  sensations  qui  ne  lui  permettent  ni  repos 
ni  trêve.  On  supporte  mieux  ce  qui  est  brillant  dans  l'ira- 
provisation ,  parce  qu'au  sein  d'une  assemblée  nombreuse 
l'esprit  est  souvent  préoccupé  ;  alors  tout  ce  qui  est  trait 
le  réveille.  Dans  un  cercle  où  les  femmes  sont  nombreuses, 
une  conversation  brillante  produit  plus  d'effet  qu'une  con- 
versation qui  n'est  que  profonde.  Il  est  des  écrivains  dont  le 
brillant  est  populaire  ;  néanmoins,  cette  qualité  n'a  de  valeur 
que  tempérée  par  d'autres.  Voltaire,  par  exemple,  est  bril- 
lant ;  mais  il  règne  aussi  dans  son  style  un  naturel,  une  fa- 
cilité qui  ne  se  démentent  jamais.  C'est  quand  une  littéraiure 
commence  à  s'épuiser,  que  sous  mille  formes  différentes 
il  n'en  jaillit  que  du  brillant.  Plus  de  grandeur!  plus  d'en- 
semble !  On  ne  cite  les  écrivains  que  par  fragments  ;  l'ère  de 
la  décadence  est  venue. 

On  dira  d'un  homme  et  d'une  femme  qui  ont  longtemps 
fréquenté  le  monde,  que  leurs  manières  sont  brillantes;  oa  j 
ne  pourrait  en  dire  autant  d'un  jeune  homme  et  d'une  jeune 
fille  sans  nuire  à  leur  réputation ,  parce  que ,  considéré  sou»  j 


BRILLANT 

cet  ai^iiect,  brillant  emporte  l'idée  d'une  sorte  d'assurance 
qui  ne  convient  pas  à  cet  âge.  La  pudeur  et  la  modestie  ne 
doivent  jamais  faire  défaut  à  la  jeunesse  :  elles  affirment  sa 
date.  Les  qualités  brillantes  ne  sont  pas  de  mise  dans  toutes 
les  positions  :  elles  supposent  de  la  ricliesse ,  du  pouvoir ,  de 
hautes  dignités.  Dans  les  rapports  ordinaires  ,  au  sein  de  la 
solitude,  on  se  contente  de  manières  nobles  et  simples. 
L'audace  brillante  caractérise  l'officier  sur  le  cliamp  de  ba- 
taille; l'air  calme  est  l'apanage  du  magistrat  sur  son  siège. 
La  prodigalité  d'un  prince,  suivant  les  objets  auxquels  elle 
s'attache ,  sera  brillante  ;  elle  peut  mt^me  quelquefois  être 
utile;  mais  dans  toutes  ks  classes  l'ordre  est  précieux. 
Quand,  après  avoir  passé  une  partie  de  son  existence  au 
milieu  de  sociétés  d'élite,  on  les  abandonne,  soit  pour  se 
renfermer  dans  sa  famjlle,  soit  pour  se  livrer  à  des  études 
sérieuses ,  on  perd  vite  tout  ce  qu'à  l'extérieur  on  avait  de 
brillant.  Sans  doute,  si  l'on  est  doué  de  vertus,  plus  inti- 
mement connu  alors  de  tout  ce  qui  nous  approche ,  on  en 
est  mieux  aimé  ;  par  de  nobles  travaux ,  on  atteint  aussi 
parfois  à  la  gloire ,  mais  on  cesse  d'être  le  type  de  la  vogue 
ou  de  la  mode;  relativement  à  ce  que  dans  le  monde  on 
appelle  la  foule ,  on  n'est  plus  désormais  qu'estimable. 

BRILLAT-SAVARIN  (  Anthelme  )  était  né  le  1" 
avril  1755,  à  Belley  (  Ain  ).  Si ,  vous  trouvant  au  commen- 
cement de  l'hiver  del825danslesalonde  M"""  Récamier, 
vous  aviez  demandé  :  «  Quel  est  cet  aimable  vieillard,  dont 
la  haute  taille  est  restée  si  droite ,  qui  conserve  sous  des 
cheveux  blancs  ce  frais  visage,  cet  air  souriant,  et  qui 
répand  encore  tant  de  grâce  et  d'enjouement  dans  la  con- 
versation? «  l'un  des  invités  vous  eût  répondu  :  «  C'est 
M.  Brillât-Savarin,  un  de  mes  ex-collègues  à  l'Assemblée 
constituante  ;  »  un  autre  :  «  C'est  M.  Brillât-Savarin ,  l'an- 
cien président  du  tribunal  civil  du  département  de  l'Ain  ;  » 
celui-là  :  «  C'est  M.  Brillât-Savarin ,  que  j'ai  rencontré  à 
New-York,  en  1794,  maître  de  langue  française ,  et  premier 
violon  dans  je  ne  sais  plus  quel  petit  théâtre  ;  »  enfin , 
celui-ci  :  «  C'est  M.  Brillât-Savarin,  l'ex-secrétaire  de 
l'état-major  général  des  armées  de  la  république  en  Alle- 
magne, aujourd'hui  conseiller  à  la  cour  de  cassation.  « 
Mais  si  deux  ou  trois  mois  plus  tard  vous  aviez  adressé 
aux  mêmes  personnes  la  même  question ,  elles  vous  auraient 
toutes  répondu  :  «  C'est  IM.  Brillât-Savarin ,  l'auteur  de  la 
Physiologie  du  Goût.  »  A  ce  mot  disparaissent  le  légis- 
lateur, le  président ,  le  secrétaire ,  et  même  le  conseiller  à 
la  cour  de  cassation.  Aussi  la  publication  du  nouveau  code 
caiisa-t-elle  une  violente  rumeur  parmi  les  membres  de  ce 
corps.  Ils  jugèrent  que  leur  gravité  était  compromise,  et  se 
tinrent  pour  non  moins  offensés  que  lei  sénateurs  romains 
le  jour  où  l'empereur  Claude  s'écria,  en  entrant  au  sénat  : 
«  Pères  conscripts ,  dites-moi ,  je  vous  prie,  est-il  possible 
de  vivre  sans  petit-salé?  »  Fort  heureusement,  messieurs 
les  conseillers  ne  pouvaient  casser  les  arrêts  de  leur  con- 
frère; ils  étaient  trop  compétents  dans  l'espèce  pour  n'en 
pas  reconnaître  in  petto  la  sublimité.  Comment,  d'ailleurs, 
se  prononcer  dès  l'abord  sur  ce  fin  mélange  de  sérieux  et  de 
jilaisanterie ,  qui  déconcerte  et  ceux  qui  voudraient  le 
tourner  en  dérision  et  ceux  qui  essayeraient  de  le  prendre 
tout  à  fait  au  sérieux  ? 

Faut-il  le  considérer  comme  l'Évangile  ou  la  satire  de  la 
gastronomie?  Brillât-Savarin  ne  se  moque-t-il  pas  lorsque, 
s'adressant  à  Richerand  ^  «  Oui  !  je  révélerai  à  tout  Paris , 
à  toute  la  France,  à  l'univers  entier,  le  seul  défaut  que  je  te 
connaisse.  «  Richerand  (  d'un  ton  inquiet  )  :  «  Et  lequel , 
s'il  vous  plaît?  —  Un  défaut  habituel,  dont  toutes  mes  exhor- 
tations n'ont  pu  te  corriger,  »  Richerand  (  effrayé  )  :  »  Dis 
donc  enfin,  c'est  trop  me  tenir  à  la  torture.  — Tu  manges 
trop  vite!  »  N'est-ce  pas  par  suite  delà  même  tournure 
d'esprit  que  la  PAysio/ojJe  est  divisée  non  en  chapitres, 
mais  en  méditations ,  ce  qui  lui  donne  un  certain  air  de 
parenté  avec  les  poésies  de  M.  deLamaitine(  la  méditation  vu 


BRlLLAT-SAVArxIN  715 

roule  sur  la  théorie  de  la  friture).  Toutefois,  en  cherchant 
à  découvrir  et  à  poursuivre  la  veine  satirique  de  ce  nouveau 
Temple  du  GoiU ,  nous  pourrions  égarer  nos  lecteurs  et 
leur  faire  soupçonner  à  tort  que  le  plus  léger  mépris ,  le 
moindre  dédain  de  la  gastronomie  perce  dans  les  écrits  de 
notre  professeur.  Loin  de  là ,  il  est  impossible  de  mieux  ap- 
pn'cier  toutes  les  jouissances  dont  les  gourmets  se  repais- 
sent. Brillât-Savarin  corromprait  les  plus  sobres ,  et  il  n'est 
pas  de  Spartiate  à  qui  telle  description  de  caille,  de  bécasse, 
de  poularde,  d'éperlan,  ne  mît  si  bien  l'eau  à  la  bouche, 
qu'on  ne  le  vit  courir  d'un  pied  léger  j  pour  tâter  de  cet 
enthousiasme,  chez  Véry  ou  aux  Frères  Provençaux.  INo 
me  parlez  plus  de  vos  sciences  ni  de  vos  beaux-arts!  ni  du 
charme  delà  musique!  Quel  rossignol  vaut  un  bec-figue.'  un 
bec-figue  bien  gras!  malheureux,  iguoreriez-vous  le  prix 
du  becfigue?  «  La  nature  lui  a  donné  une  amertume  légère 
et  un  parfum  unique,  si  exquis,  qu'ils  engagent,  remplissent 
et  béatifient  toutes  les  puissances  dégustatrices.  Prenez-le 
parle  bec,  saupoudrez-le  d'un  peu  de  sel,  ôtez-enle  gésier, 
enfoncez-le  adroitement  dans  votre  bouche,  mordez ,  tran- 
chez tout  près  de  vos  doigts,  et  mâchez  vivement;  il  en 
résultera  un  suc  assez  abondant  pour  envelopper  tout  l'or- 
gane, et  vous  goûterez  un  plaisir  inconnu  au  vulgaire  !  » 

La  méditation  sur  le  goût  est,  au  dire  des  savante,  au 
point  de  vue  d'analyse  et  de  description  scientifiques,  une 
étude  achevée ,  où  l'art  n'a  rien  à  reprendre ,  rien  à  ajouter, 
et  pour  les  ignorants  comme  nous  une  lecture  aussi  pi- 
quante qu'instructive.  L'esprit  y  est  poussé  jusqu'au  vis  co- 
mica.  Quelques  traits  entre  mille  :  «  L'odorat  et  le  goût  ne 
forment  qu'un  seul  sens ,  mais  le  nez  fait  toujours  fonc- 
tion de  sentinelle  avancée,  et  qui  crie  :  Qui  va-là?  «  Et  plus 
loin  :  «  C'est  toujours  le  nez  à  bâbord  que  les  professeurs 
rendent  leurs  arrêts.  »  Il  ne  faut  que  consulter  la  table  des 
matières  de  la  Physiologie  pour  comprendre  avec  quelle 
largeur ,  quelle  méthode  et  quel  agrément  tout  l'ouvrage  est 
traité.  Le  but  de  la  gastronomie  s'élève  :  «  C'est  la  conser- 
vation des  individus  ;  elle  considère  l'action  des  aliments  sur 
le  moral  de  l'homme,  sur  son  imagination,  son  esprit,  son 
jugement,  son  courage  et  ses  perceptions,  soit  qu'il  veille, 
soit  qu'il  dorme,  soit  qu'il  repose.  »  Brillât-Savarin  étend  le 
ressort  de  son  sujet  jusque  dans  l'histoire  de  tous  les  siè- 
cles ,  et  touche  chemin  faisant  à  ces  graves  questions  des 
sens  et  de  leur  perfectionnement,  du  repos,  du  sommeil, 
des  rêves  et  de  la  mort  ;  se  défendant  avec  grand  respect  du 
rôle  des  Broussais,  des  Cousin  et  des  Frayssinous,  il  se  con- 
naît en  assaisonnements,  et  n'ajoute  rien  de  trop  à  sa  dis- 
sertation. Science  et  morale  n'y  sont  versées  qu'à  petites 
doses ,  mais  suffisantes.  Vous  allez  voir  par  une  seule  cita- 
tion comment  perce  l'oreille  du  lion  sous  la  peau  du  gastro- 
nome :  «  Le  corps  humain,  écrit-il,  cette  machine  si  com- 
pliquée, serait  bientôt  hors  de  service  si  la  Providence  n'y 
avait  placé  un  ressoit  qui  l'avertit  du  moment  où  ses  forces 
ne  sont  plus  en  équilibre  avec  ses  besoins.  Ce  moniteur  est 
l'appétit.  »  Tour  ingénieux,  exactitude,  trait  incisif,  tout  est 
là,  et  ces  heureuses  rencontres  ne  sont  pas  rares  dans  Brillât- 
Savarin. 

Il  eût  pu  dépenser  d'une  autre  manière  son  érudition ,  sa 
science  et  sa  philosophie  ;  il  a  préféré ,  avec  un  tact  exquis 
pour  sa  gloire,  faire  d'une  Cendrillon  une  princesse,  de  la 
cuisinière  bourgeoise  une  dixième  muse  ,Gasterea ,  qui  pré- 
side aux  jouissances  du  goût.  BrLllat-Savarin  est  le  grand 
prêtre  de  la  gourmandise  sociale ,  de  celle  qui  veut  qu'on 
réunisse  l'élégance  athénienne,  le  luxe  romain  et  la  délica- 
tesse française.  Le  vrai  plaisir  de  k  table ,  c'est  le  choix 
du  lieu  ,  les  apprêts  du  repas ,  le  rassemblement  des  con- 
vives. Ainsi  le  comprenaient  trois  grands  hommes ,  Achille, 
Horace,  et  Brillât-Savarin.  Patrocle  mettait  lui-même  sur  un 
brasier  le  vase  qui  renfermait  les  épaules  d'une  brebis ,  d'une 
chèvre  grasse  et  le  large  dos  d'un  porc  succulent  ;  le  divin 
Achille  divisait  les  viandes  et  les  perçait  avec  des  pointe» 

ao. 


716 


BRILLAT- SAVARIN  -^  BRINDLEY 


de  fer  ;  Automédon  ,  semblable  aux  immortels ,  soufïlait  le 
feu  ;  Patrocle  ensuite  distribuait  le  pain  autour  de  la  table , 
Achille  découpait,  Ajax  chassait  la  faim  etlasoif  au  plus  vite, 
tandis  que  le  sage  Ulysse  parlait  commequatre.  Pour  Horace, 
il  dressait  sa  table  sous  le  portique  de  sa  maison  de  Tibur , 
située  dans  le  pays  des  anciens  Sabins.  Des  esclaves  api'or- 
taient  des  parfums  et  des  roses  ;  on  se  couronnait  de  myrte, 
et  Mécène  alors  souriait  à  une  aile  de  poulet  proprement 
découpée,  et  goûtait  jusqu'à  trois  fois  d'un  chevreau  de  haute 
saveur,  tandis  que  Virgile,  en  attendant  un  coup  de  ce  vin 
fameux  récolté  sous  le  consulat  de  Manlius ,  mangeait  à  petit 
bruit  des  noix,  des  figues  et  du  raisin.  Quant  à  Brillât-Sa- 
varin, il  improvisait  :  un  jour  il  arrive  dans  une  petite  maison 
de  campagne  où  Taltendait  un  magnifique  turbot;  mais  on 
ne  savait  comment  le  faire  cuire.  Il  aperçoit  dans  la  buan- 
derie une  chaudière  :  «  Soyez  sans  inquiétude ,  s'écrie-t-il 
avec  cette  foi  qui  transporte  des  montagnes ,  le  turbot  cuira 
tout  entier;  il  cuira  à  la  vapeur;  il  va  cuire  à  l'instant.  » 
Et  il  étend  sur  une  claie  un  lit  de  bulbes  et  d'herbes  de  haut 
goût;  sur  ce  lit  repose  le  poisson;  la  claie  couvre  la  chaudière; 
ia  chaudière  est  mise  en  ébullition',  et  le  turbot ,  en  absor- 
bant tout  l'arôme  de  l'assaisonnement,  cuit  sans  rien  perdre 
de  ses  principes. 

La  mort  interrompit  Brillât-Savarin  dans  le  cours  de  ses 
exploits,  le  2  février  1826.  Il  a  laissé  après  lui  la  réputation 
d'un  excellent  homme.  Tout  le  prouve  dans  sa  vie  et  dans 
ses  écrits.  Cependant,  nous  lui  reprocherons  d'avoir  oublié 
dans  sa  Physiologie  du  Goût  de  verser  quelques  larmes  sur  la 
destinée  du  gastronome  sans  argent.  A  qui  devons-nous  de 
préférence  conseiller  la  lecture  de  ce  livre?  Sera-ce  à  la  jeu- 
nesse? Non,  vraiment  :  nous  ne  voudrions  pas  exciter  la  gour- 
mandise des  demoiselles  à  marier ,  dans  la  crainte  de  voir 
grossir  ces  tailles  si  fines ,  si  flexibles,  et  nous  serions  même 
d'avis  que  jusqu'à  la  signature  du  contrat  la  mère  en  dé- 
fendît la  lecture  à  sa  fille.  Nous  ne  le  mettrions  point  non 
plus  entre  les  mains  de  l'âge  mûr  :  les  maris  et  les  femmes  de 
trente  ans  pourraient  y  succomber  trop  tôt,  comme  aux  dé- 
lices de  Capouc.  Mais,  avec  M.  de  Cussy,  nous  en  conseille- 
rions l'étude  aux  sexagénaires,  parce  qu'une  table  bien  servie 
est  le  dernier  rayon  de  soleil  qui  caresse  les  vieillards. 

Jules  Paton. 

BRIMBELLE.  Voyez  Airelle. 

BRIMBORIOIV,  autrefois  Bimborion,  jouet  d'enfant, 
que  Roquefort  fait  venir  de  bimbelot,  et  Ménage  et  Pas- 
quier,  de  brebiarium  ou  breviarum.  Ce  mot  n'est  plus  d'u- 
sage que  pour  signifier,  au  figuré  et  dans  le  langage  familier, 
les  choses  de  peu  de  valeur,  auxquelles  les  esprits  frivoles 
peuvent  seuls  attacher  quelqiae  prix.  Un  dicton  veut  que 
ce  soit  par  des  brimborions  qu'on  prenne  les  enfants  et  les 
femmes. 

BRIN.  Ce  mot  signifie ,  dans  son  acception  la  plus  gé- 
nérale ,  la  première  tige  des  plantes  lorsqu'elles  commen- 
cent à  croître,  ou  les  courts  et  menus  jets  des  herbes,  des 
joncs ,  conmie  un  brin  de  paille,  de  foin ,  etc. ,  ou  des  corps 
faibles  et  déliés,  comme  un  brin  de  fil,  de  laine,  de  soie,  etc. 
On  arrache  brin  à  brin  les  mauvaises  herbes  d'un  jar- 
din. Par  analogie,  on  dit,  en  parlant  de  gens  pauvres, 
qu'ils  n'ont  pas  un  brin  de  paille ,  et  familièrement  qu'une 
personne  n'a  pas  un  brin  d'amour,  d'estime  ou  d'amitié  pour 
une  autre.  On  voit  que  dans  toutes  ces  acceptions  le  mot 
brin  est  pris  comme  diminutif.  Il  reçoit  une  plus  grande 
extension  dans  certains  cas  :  on  dit,  par  exemple ,  en  agri- 
culture, qu'un  arbre  est  de  brin  ,  loisqu'il  n'a  qu'ime  tige , 
et  qu'il  provient  de  semence.  Les  arbres  de  brin  croissent 
plus  vite,  viennent  plus  droits,  vivent  plus  longtemps  que 
les  autres,  et  sont  en  tout  préférables.  Aussi  est-ce  par 
analogie  que  l'on  dit  d'un  jeune  homme  ,  d'une  jeune  fille , 
d'une  femme ,  que  ce  sont  de  beaux  brins  d'homme,  de 
fdie  ou  de  femme,  pour  dire  qu'il  sont  droits,  grands  et 
bien  venus. 


En  termes  de  charpente ,  on  dit  que  les  meilleures  plan- 
ches se  font  de  brin,  c'est-à-dire  de  troncs  d'arbres  qui 
n'ont  pas  été  sciés  dans  leur  longueur,  mais  qui  ont  été 
seulement  équarris  à  la  coignée.  Ce  bois  est  beaucoup  plus 
solide ,  parce  que  le  fil  n'en  est  pas  rompu ,  et  que  le  cœur 
reste  intact. 

En  termes  de  corderie,  les  filaments  de  chanvre  peigné 
les  plus  longs  qui  restent  dans  les  mains  des  peigneurs , 
sont  dits  de  premier  brin,  et  ceux  que  l'on  retire  des  dents 
du  peigne,  et  qui  sont  plus  courts  ,  de  second  brin. 

BRIi\DES  ou  BRINDISI  (  Brundusium  ) ,  ville  du 
royaume  de  Naples,  sur  le  golfe  Adriatique,  à  40"  52' de 
latitude  septentrionale;  et  à  15°  40'  à  l'est  du  méridien  de 
Paris.  Elle  fut  très-cé'èbre  vers  la  fin  de  la  république  ro- 
maine, et  conserva  quelque  importance  même  après  la 
chute  de  l'empire,  jusqu'à  ce  que  la  puissance  et  l'esprit  de 
domination  des  Vénitiens  entraînât  sa  décadence.  L'entrée 
de  son  port,  autrefois  spacieux  et  très-sûr,  fut  obstruée 
pour  forcer  le  commerce  à  se  concentrer  dans  les  ports  que 
la  république  de  Venise  possédait  alors  sur  les  côtes  et  les 
îles  de  l'Adriatique  et  dans  l'Archipel.  Cette  violence  ne 
réussit  que  trop  bien  :  des  atterrissements  successifs  com- 
blèrent une  grande  partie  du  port  de  Brmdes  ,  et  en  firent 
un  marais  dont  les  miasmes  causèrent  souvent  des  maladies 
épidémiques.  Le  mal  était  devenu  si  grave ,  qu'il  fallut  y 
porter  au  moins  quelque  remède ,  et  procurer  aux  eaux  sta- 
gnantes une  voie  d'écoulement.  On  fit  cette  ouverture  assea 
large  pour  permettre  le  passage  de  quelques  petits  bâti- 
ments ;  mais  ces  améliorations  ne  suffisaient  pas  pour  ra- 
mener le  commerce.  11  serait  cependant  important  pour  le 
royaume  de  Naples  d'avoir  au  moins  un  bon  port  sur  cette 
partie  de  ses  côtes.  Aujourd'hui  que  les  moyens  de  curage 
sont  plus  puissants  et  moins  dangereux  qu'ils  ne  le  furent 
autrefois ,  et  que  l'emploi  des  machines  à  vapeur  remplace 
le  grand  nombre  d'hommes  employés  dans  ces  travaux ,  il 
devient  possible  de  remettre  les  choses  dans  leur  ancien  état, 
et  de  faire  en  sorte  que  le  moderne  Brundusium  reprenne 
l'éclat  et  l'opulence  de  l'ancien.  Fekky. 

BRINDILLES,  nom  donné  en  jardinage  aux  bran- 
ches à  fruits,  minces  et  courtes  ,  ayant  des  feuilles  ra- 
massées et  en  forme  de  dard ,  au  milieu  desquelles  il 
existe  toujours  un  ou  plusieurs  boutons  à  fruits ,  qui  sont 
presque  assurés,  et  qui  donnent  d'ordinaire  les  plus  gros  et 
les  plus  exquis. 

BRIIVDLEY  (James),  l'un  des  plus  célèbres  architectes 
hydrauliques  qu'ait  produits  l'Angleterre,  naquit  en  17 IG 
à  Tunsted ,  dans  le  comté  de  Derby,  de  parents  pauvres. 
Après  avoir  reçu  une  éducation  très-incomplète,  il  entra,  à 
l'ùge  de  dix-sept  ans,  comme  apprenti,  chez  un  constructeur  de 
moulins.  Une  machine  propre  à  élever  l'eau  qu'il  construisit 
en  1752  pour  une  mine  de  charbon  de  terre  commença  sa 
réputation.  Une  machine  à  filer  la  soie,  construite  sur  un 
plan  entièrement  nouveau ,  et  quelques  autres  travaux  du 
môme  genre ,  lui  valurent  l'amitié  et  la  protection  du  cé- 
lèbre duc  de  Bridgewater,  qui  lui  confia  l'exécution  du 
plan  gigantesque  qu'il  avait  formé  d'établir  une  communi- 
cation par  eau  entre  ses  propriétés  de  Worsley  et  les  villes 
de  Manchester  et  de  Liverpool  (  voyez  BRmcEWATEn  [Canal 
de]);  et  depuis  ce  moment  jusqu'à  la  mort  de  Brindley  aucun 
travail  de  ce  genre  n'a  été  entrepris  en  Angleterre  sans  qu'on 
eût  au  moins  recours  à  ses  conseils.  Entre  autres  idées  fécondes 
qu'il  avait  conçues,  nous  citerons  son  plan  d'assèchement  des 
marais  du  Lincolnshire,  ainsi  que  celui  qu'il  avait  formé 
pour  débarrasser  les  docks  de  Liverpool  de  la  boue  qui  les 
obstrue.  11  avait  aussi  conçu  le  projet  d'unir  l'Irlande  à 
l'Angleterre  au  moyen  d'un  pont  de  bateaux.  Ses  inventions 
étaient  aussi  diverses  qu'ingénieuses,  et  il  atteignait  le  but 
qu'il  se  proposait  par  les  moyens  les  plus  simples.  Il  lui 
arrivait  rarement  d'avoir  sous  les  yeux  un  plan,  un  modèle. 
Quand  il  rencontrait  une  difficulté  sérieuse,  son  habitude 


BRINDLEY  —  BRINVILLIERS 


71T 


était  lie  se  mettre  au  lit  et  d'y  rester  quelquefois  plusieurs 
jours  sans  premlre  absolument  aucune  nourriture,  absorbé 
tout  entier  dans  la  recherche  des  moyens  d'en  triompher. 
11  mourut  en  1772. 

BRINDOIVIER,  genre  de  la  polygamie  diœcie  et  de  la 
famille  des  guttifères,  tribu  des  garciniées.  Il  comprend  le 
brindonia  indica ,  arbre  pyramidal  dont  toutes  les  parties 
laissent  écouler  quand  on  les  entame  un  suc  jaune,  qui 
s'épaissit  et  se  transforme  en  une  sorte  de  gomme  gutte.  Le 
fruit  de  cet  arbre  est  très-estimé  dans  l'Inde  ;  son  acidité 
s'oppose  à  ce  qu'on  le  mange  crû ,  mais  on  en  fait  des  gelées 
et  des  sirops  très-recommandés  dans  les  fièvres  aiguës. 

BRIIVKM AN  (  Charles-Gustate  ,  baron  de  ) ,  homme 
d'État  et  poète  suédois,  né  le  24  février  1764,  dans  une  terre 
appartenant  à  son  père ,  et  située  aux  environs  de  Brœnn- 
Kyrka,  dans  le  gouvernement  de  Stockholm,  étudia  d'abord 
à  Upsal ,  puis  successivement  à  Halle ,  où  il  se  lia  intime- 
ment avec  Schleiermacher,  à  Leipzig  et  à  léna.  Il  ne  revint 
en  Suède  qu'en  1790,  et  y  embrassa  la  carrière  diplomatique. 
En  1792  il  fut  nommé  secrétaire  de  légation  à  Dresde,  et 
en  1798  chargé  d'affaires  à  Paris,  qu'il  dut  quitter  après  le  IS 
brumaire.  Il  passa  en  1801  en  la  même  qualité  à  Berlin, 
où  il  fut  suspendu  de  ses  fonctions  lorsque  son  souverain 
eut  renvoyé  au  roi  de  Prusse  les  insignes  de  ses  ordres.  11 
ne  tarda  pas  toutefois  à  être  accrédité  de  nouveau  près  de 
la  môme  cour,  et  l'accompagna  dans  sa  fuite,  lorsque  les 
désastres  de  1806  la  forcèrent  d'abandonner  Berlin.  En  1807 
il  se  rendit  à  Londres  en  qualité  de  ministre  plénipotentiaire  ; 
mais  en  1810  il  fut  rappelé  à  Stockholm,  où  on  le  nomma 
membre  du  conseil  d'État.  En  1829  l'Académie  royale  l'ad- 
mit au  nombre  de  ses  membres.  En  1835  il  légua  à  l'u- 
niversité d'Upsal  sa  bibliothèque,  forte  de  10,000  volumes, 
comprenant  toute  la  littérature  ancienne  et  moderne,  et 
riche  surtout  en  sources  historiques  relatives  aux  annales  de 
la  Suède.  Brinkman  mourut  le  10  janvier  1848.  Il  possédait 
des  connaissances  philologiques  très-étendues ,  et  il  écrivait 
le  français ,  l'anglais  et  l'allemand  avec  autant  de  facilité  que 
le  suédois.  Ses  premières  œuvres  poétiques  (2  vol.,  Leipzig, 
1789)  parurent  sous  le  pseudonyme  de  Selmar.  Il  publia 
plus  tard  à  Paris  un  petit  volume  de  poésies  pour  ses  amis  ; 
puis  des  Aperçus  philosophiques  et  Poésies  (Berlin,  1801) 
sous  le  voile  de  l'anonyme.  Son  poème  le  Monde  du  Génie 
obtint  en  1821  le  prix  de  poésie,  au  jugement  de  l'Académie 
de  Stockholm.  Lié  d'amitié  avec  M"'*  de  Staël,  il  entretint 
avec  elle  une  correspondance  littéraire  et  philosophique. 

BRINVILLIERS  (  Maiue-Marguerite  DREUX  d'AU- 
BRAI,  marquise  de  ) ,  célèbre  empoisonneuse  du  dix-sep- 
tième siècle.  La  famille  d'Aubrai  jouissait,  comme  toutes  les 
familles  de  robe  du  second  degré ,  d'une  honnête  aisance. 
On  ne  voyait  alors  de  grandes  fortunes  que  dans  les  pre- 
mières familles  parlementaires.  M"®  d'Aubrai  ne  pouvait  donc 
prétendre  qu'à  un  mariage  bourgeois.  Sa  taille  était  petite , 
mais  bien  prise  ;  sur  sa  figure,  douce  et  naïve,  respiraient  à 
la  fois  l'innocence 

Et  la  grâce,  plus  belle  encor  que  la  beauté. 

Le  jeune  marquis  Gobelin  de  Brinviiliers,  fils  d'un  prési- 
dent à  la  chambre  des  comptes  et  mestre  de  camp  du  ré- 
giment de  Normandie,  s'éprit  du  plus  violent  amour  pour 
elle  ;  il  était  héritier  de  trente  à  quarante  mille  livres  de 
rente.  Ce  mariage,  qui  eut  lieu  en  1651,  était  fort  au-dessus 
des  prétentions  et  des  espérances  de  la  famille  d'Aubrai. 
Le  marquis  laissait  à  sa  jeune  épouse  la  liberté  dont  il 
voulait  jouir  lui-même;  il  eut  l'imprudence  d'introduire 
dans  sa  maison  un  aventurier,  se  disant  bâtard  d'une  noble 
famille,  natif  de  Montauban,  se  faisant  appeler  le  clievalier 
Gaudin  de  Sainte-Croix,  et  portant  rci)aulette  de  capitaine 
de  cavalerie.  Le  marquis,  homme  de  plaisir,  n'avait  plus 
avec  sa  femme  que  des  rapports  de  convenance.  Sainte-Croix 
le  remplaça  bientôt  dans  le  cœur  de  celle  qu'il  avait  laissée 


sans  défense  contre  la  séduction  ;  la  marquise,  tout  entière  » 
sa  nouvelle  passion ,  ne  savait  rien  refuser  à  son  amant.  La 
fortune  du  mari  ne  put  longtemps  suffire  à  tant  de  dissipa- 
tion et  de  désordre,  et  la  marquise,  qui  avait  sacrifié  à  son 
amant  et  la  fortune  de  son  époux  et  sa  propre  réputation, 
n'attendait  plus  qu'une  occasion  pour  éclater.  Elle  avait 
déjà  obtenu  sa  séparation  de  biens  ;  elle  cessa  dès  lors  de  se 
contraindre,  elle  brava  l'opinion  publique  et  les  remon- 
trances de  sa  famille.  Son  mari  restait  témoin  impassible  et 
muet  de  son  propre  déshonneur;  mais  le  père  de  la  mar- 
quise, justement  indigné  des  désordres  de  sa  fille,  fit  arrêter 
en  1663  Sainte-Croix  dans  le  carrosse  même  de  sa  complice 
adultère,  et  le  fit  emprisonner  à  la  Bastille.  Toutefois,  il  n'eut 
pas  assez  de  prudence  ou  de  crédit  pour  l'y  retenir  plus 
d'une  année. 

Sainte-Croix  se  lia,  pendant  son  séjour  à  la  Bastille,  avec 
un  Florentin  nommé  Exili,  habile  dans  la  composition  des 
plus  subtils  poisons,  qui  s'était  déjà  fait  connaître  à  Rome, 
sous  le  pontificat  d'Innocent  X ,  par  plus  de  cent  cinquante 
empoisonnements,  et  qui  semblait  avoir  hérité  des  funestes 
secrets  de  ce  Florentin  fameux  qui  s'était  mis  aux  gages  de 
Catherine  de  Médicis,  et  qu'on  appelait  alors  Y  empoisonneur 
de  la  reine.  La  surveillance  importune  des  geôliers,  le  défaut 
d'ustensiles  et  de  matières  ne  permirent  sans  doute  au  maître 
que  d'initier  son  élève  dans  la  théorie  de  son  art  infernal. 
Mais,  rendu  àla  liberté  peu  après  le  chevalier  de  Sainte-Croix^ 
il  s'établit  dans  la  maison  de  la  marquise  de  Brinviiliers, 
qui  devint  bientôt  leur  complice.  La  femme  adultère  va 
préluder  dans  la  carrière  du  crime  parle  plus  grand  de  tous,^ 
le  parricide.  Elle  s'est  hâtée  de  se  réconciher  avec  son  père  : 
il  sera  sa  première  victime.  Elle  n'a  rien  oublié  pour  écarter 
les  soupçons  :  elle  a  renoncé  aux  fêtes,  aux  spectacles,  aux 
réunions  brillantes  ;  elle  affecte  la  plus  minutieuse  dévotion, 
ne  fréquente  plus  que  les  églises,  les  hôpitaux  et  les  ora- 
toires des  dévots  les  plus  vantés.  Une  liaison  intime  s'établit 
entre  elle  et  le  financier  Penautier,  trésorier  général  du  clergé. 
Elle  a  fait  sur  de  pauvres  malades  les  premiers  essais  des 
poisons  fabriqiiés  sous  ses  yeux  par  son  amant  et  l'Italien 
Exili  :  aucun  des  malades  auxquels  elle  a  donné  ses  biscuits 
préparés  n'ont  survécu  à  la  violence  du  poison.  Elle  répé- 
tait chaque  jour  ses  terribles  essais.  «  Elle  empoisonnait,  dit 
M"'*  de  Sévigné ,  des  tourtes  de  pigeonneaux,  dont  plusieurs 
mouraient  qu'elle  n'avait  pas  dessein  d'empoisonner.  Le 
chevaher  du  Guet  avait  été  de  ces  jolis  repas,  et  s'en  meurt 
depuis  deux  ou  trois  ans.  »  Elle  fit  un  autre  essai  sur  sa 
femme  de  chambre,  à  qui  elle  donna  une  tranche  de  jam- 
bon :  cette  malheureuse  n'en  mourut  point ,  mais  elle  fut 
longtemps  malade  et  ne  put  recouvrer  sa  première  santé. 

Ce  poison  était  trop  faible  :  la  marquise  le  fit  plus  violent, 
et  en  donna  à  son  père  dans  un  bouillon,  qu'elle  lui  présenta 
elle-même  dans  sa  maison  de  campagne,  à  Offemont.  La 
mort  du  vieillard  n'éveilla  aucun  soupçon.  Son  fils  aîné, 
Antoine,  lui  succéda  dans  sa  charge  de  lieutenant  civil, 
en  1667;  le  même  sort  l'attendait.  La  marquise  avait  placé 
près  de  lui  Hamelin,  dit  La  Chaussée,  ancien  domestique 
de  Sainte-Croix,  et  digne  valet  d'un  tel  maitre.  11  tenta  d'a- 
bord d'empoisonner  le  nouveau  lieutenant  civil  en  lui  don- 
nant à  boire;  mais  le  poison  avait  rendu  le  vin  si  amer  que 
son  nouveau  maître  n'acheva  pas  de  boire.  La  Chaussée, 
sans  pâlir,  sans  s'émouvoir,  improvisa  une  excuse  :  il  s'é- 
tait étourdiment ,  dit-il,  servi  d'un  verre  dans  lequel  le  va- 
let de  chambre  avait  pris  médecine  ;  il  obtint  son  pardon. 
M.  d'Aubrai  fut  moins  heureux  en  1670.  Il  s'était  rendu  à 
la  campagne  avec  son  frère,  conseiller  au  parlement,  et  six 
amis  :  on  leur  servit  une  tourte  empoisonnée.  Depuis  ce 
fatal  repas,  le  lieutenant  civil  devint  étique  ;  il  dépérissait  cha- 
que jour,  et  mourut  deux  mois  après.  L'autopsie,  faite  le  17 
j  juin,  révéla  la  cause  de  sa  mort  ;  l'hypocrite  La  Chaussée  ne 
fut  pas  même  soupçonné ,  et  passa  au  service  du  conseiller, 
qui  ne  survécut  que  six  semaines  à  son  frère.  Il  légua  à  La 


718 

Chaussée  une  pension  de  cent  écus.  Toujours  dominée  par  sa 
passion  pour  Sainte-Croix,  la  marquise  n'iiésita  pas  à  briser  le 
dernier  obstacle  qui  s'opposait  à  son  mariage  avec  son  amant; 
elle  empoisonna  plusieurs  fois  son  mari,  et  toujours  sans 
succès  :  Sainte-Croix ,  qui  redoutait  d'unir  son  sort  à  sa 
complice,  administrait  chaque  fois  un  contre-poison,  «  De 
sorte  qu'ainsi  ballotté  ,  écrivait  madame  de  Sévigné  ,  tantôt 
empoisonné,  tantôt  desempoisonné,  il  finit  par  demeurer 
en  vie.  » 

Un  accident  tout  à  fait  imprévu  découvrit  le  mystère  de 
tant  de  crimes.  Sainte-Croix  expira,  en  juillet  1672, victime 
de  son  art  infernal.  ]1  travaillait  à  une  composition  nou- 
velle; le  masque  de  verre  dont  il  s'était  couvert  la  figure 
pOur  se  garantir  des  vapeurs  du  poison  tomba,  et  il  fut  à 
l'instant  asphyxié.  Rien  ne  révéla  la  cause  de  sa  mort;  mais 
étant  sans  famille  connue,  et  aucun  héritier  ne  s'étant  pré- 
senté, le  commissaire  de  police  mit  les  scellés  dans  l'appar- 
tement du  défunt.  On  y  trouva  une  cassette  sur  laquelle 
était  un  billet  ainsi  conçu  :  «  Je  supplie  très-humblement 
ceux  ou  celles  entre  les  mains  de  qui  tombera  cette  cassette 
de  me  faire  la  grâce  de  vouloir  bien  la  rendre  en  mains  pro- 
pres à  madame  la  marquise  de  Brinvilliers ,  demeurant  rue 
Neuve-Saint- Paul ,  attendu  que  tout  ce  qu'elle  renferme  la 
regarde...  Au  cas  qu'elle  fût  plus  tôt  morte  que  moi,  de  la 
brûler  et  tout  ce  qui  sera  dedans,  sans  rien  ouvrir  ni  inno 
ver  ;  et,  afin  qu'on  n'en  prétende  cause  d'ignorance ,  je  jure 
devant  le  Dieu,  que  j'adore,  et  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  sacré, 
qu'on  n'expose  rien  qui  ne  soit  véritable.  Si  d'aventure  l'on 
contrevient  à  mes  intentions,  toutes  justes  et  raisonnables 
en  ce  chef ,  j'en  charge  en  ce  monde  et  en  l'autre  leur  cons- 
cience ,  pour  la  décharge  de  la  mienne,  protestant  que  c'est 
ma  dernière  volonté.  Fait  à  Paris,  ce  22  mai  1672.  De  Sainte- 
Croix.  «  On  lisait  au  bas  :  Paquet  qu'il  faut  remettre  à 
M.  Penautier. 

Le  commissaire,  sans  s'arrêter  aux  énonciations  de  ce  bil- 
let, fit  ouvrir  la  cassette  :  on  y  trouva  treize  paquets  ayant 
chacun  huit  cachets  au  moins ,  sur  lesquels  on  lisait  :  Pa- 
piers à  brûler,  le  tout  sans  ouvrir  le  paquet.  Un  de  ces 
paquets  contenait  une  quantité  considérable  de  sublimé; 
l'on  y  trouva  de  plus  beaucoup  de  lettres  d'amour  avec  une 
promesse  de  30,000  francs  souscrite  par  la  marquise  au 
profit  de  Sainte-Croix.  La  marquise,  informée  de  la  saisie  de 
la  cassette ,  la  réclama  avec  les  plus  vives  instances ,  mais 
sans  succès.  Pour  écarter  ou  du  moins  pour  affaiblir  les 
soupçons  d'intimité  avec  le  défunt ,  elle  donna  pouvoir 
à  un  procureur  de  poursuivre  devant  les  tribunaux  l'an- 
nulation de  l'obligation  de  30,000  francs,  et  se  réfugia  en  pays 
étranger.  Les  papiers  trouvés  dans  la  cassette  ne  prouvaient 
autre  chose  que  la  liaison  adultère  qui  avait  existé  entre  la 
marquise  et  le  chevalier,  mais  rien  quant  à  sa  complicité 
dans  la  composition  des  poisons  et  à  leur  emploi  :  une 
démarche  imprudente  de  La  Chaussée  révéla  l'affreux  mys- 
tère. Ce  valet  osa  faire  une  opposition  au  scellé,  sous  pré- 
texte qu'il  lui  était  dû  deux  cents  pistoles  et  cent  écus  blancs 
(300  livres)  pour  prix  de  ses  gages  pendant  sept  ans.  La 
veuve  du  lieutenant  civil,  qui  d'ailleurs  soupçonnait  ce  valet 
de  n'avoir  pas  été  étranger  à  la  mort  de  son  époux ,  le  fit 
arrêter.  La  Chaussée,  mis  à  la  question ,  avoua  tous  ses  cri- 
mes :  il  déclara  que  Sainte-Croix  lui  avait  donné  le  poison 
pour  faire  périr  les  frères  de  la  marquise  et  que  celle-ci 
n'ignorait  aucune  de  ces  circonstances;  il  fut  condamné 
à  mort  et  rompu  vif.  Glazer,  pharmacien  qui  avait  fourni 
des  drogues  à  Sainte-Croix,  fut  aussi  arrêté,  et  déclara  que 
le  chevalier  et  la  marquise  travaillaient  ensemble;  il  n'é- 
chappa qu'à  une  faible  majorité  de  voix  à  la  peine  capitale; 
mais  la  marquise  fut  condamnée  par  contumace  à  avoir 
la  tête  tranchée. 

Retirée  d'abord  en  Angleterre,  elle  était  venue  chercher 
un  asile  plus  sûr  dans  les  Pays-Bas,  et  s'était  réfugiée  dans 
un  couvent  de  Liège.  Son  asile  fut  découvert,  et  l'exempt 


BRINVILLIERS 

de  police  Desgrais  se  rendit  dans  cette  ville  déguisé  en  abbé; 
il  obtint  du  conseil  de  Liège  l'extradition  de  la  marquise,  et 
pénétra  dans  le  couvent.  Il  épuisa  toutes  les  ressources  de 
la  séduction ,  et  réussit  :  on  convint  d'une  partie  de  pro- 
menade hors  ville  ;  la  marquise,  arrivée  à  ce  rendez-vous  de 
plaisir ,  se  vit  à  l'instant  cernée  par  une  escouade  d'archers 
déguisés  ;  l'exempt  Desgrais  leur  remit  sa  prisonnière,  et  se 
rendit  au  couvent,  où  il  s'empara  de  tous  les  papiers  de  la 
marquise.  On  trouva ,  dit-on,  dans  une  cassette  un  cahier  de 
seize  feuillets  contenant  la  confession  générale  de  cette  in- 
fâme :  elle  s'y  accusait  d'avoir  cessé  d'être  fille  à  sept  ans, 
d'avoir  mis  le  feu  à  une  maison ,  d'avoir  empoisonné  son 
père,  ses  frères  et  un  de  ses  enfants,  de  s'être  empoisonnée 
elle-même.  On  a  peine  à  croire  à  l'existence  d'un  pareil 
écrit,  surtout  dans  la  situation  où  se  trouvait  la  marquise, 
condamnée  par  un  arrêt  et  exposée  à  être  arrêtée  à  chaque 
instant.  Elle  avait  changé  de  nom,  d'habitudes,  de  goûts, 
renoncé  aux  plaisirs  de  la  société  ;  elle  s'était  ensevelie  vi- 
vante  dans  la  solitude  d'un  couvent ,  et  elle  aurait  pu  créer 
elle-même  un  document  capable  de  rendre  tant  de  sacrifices, 
tant  de  précautions  inutiles  et  de  la  conduire  à  l'échafaud  ! 
Tant  de  prudence  à  la  fois  et  tant  d'étourderie  1  tout  cela  pa- 
raît inconciliable.  Elle  montra  plus  d'une  fois  dans  le  cours 
de  l'instruction  la  même  préoccupation  et  la  même  impré- 
voyance. Elle  eût  dû  se  méfier  d'elle  même;  mais  il  faut  con- 
venir qu'elle  n'avait  pas  le  choix  de  ses  moyens  de  salut. 
Ainsi ,  tandis  que  Desgrais  visitait  ses  papiers  au  couvent , 
et  qu'elle  était  restée  avec  les  archers  déguisés,  elle  tenta 
de  corrompre  l'un  d'eux ,  et  elle  crut  avoir  réussi  :  elle  lui 
confia  une  lettre  pour  un  M.  Théria.  Elle  l'invitait  à  la  faire 
enlever,  à  s'emparer  de  la  cassette  qu'elle  avait  laissée  au 
couvent  et  à  brûler  sa  confession.  L'archer  prit  son  argent, 
qu'il  garda,  et  remit  la  lettre  à  l'exempt  Desgrais.  Cepen- 
dant, l'arrestation  avait  fait  du  bruit ,  et  Théria  avait  ofl'ert 
1,000  pistoles  aux  archers  de  Maëstricht  pour  la  laisser  éva- 
der; il  lui  eût  été  plus  facile,  et  au  même  prix,  de  soudoyer 
une  vingtaine  d'hommes  déterminés,  et  de  la  faire  enlever 
de  force  à  huit  archers  mal  armés. 

Arrivée  à  Rocroi,  elle  fut  interrogée  par  un  conseiller  de 
la  grand'chambre  envoyé  exprès;  elle  nia  tout.  Pendant  son 
séjour  à  la  Conciergerie,  elle  écrivit  à  Penautier,  son  ami, 
l'informant  qu'elle  avait  tout  dissimulé  et  l'invitant  à  tout 
tenter  pour  la  sauver.  Sa  lettre  fut  interceptée  ;  Penautier  fut 
arrêté  et  conduit  en  prison.  On  les  confronta  tous  deux  : 
dès  qu'ils  furent  en  présence,  ils  versèrent  des  larmes;  la 
marquise  déclara  qu'il  était  innocent.  Mais  comment  croire 
à  l'innocence  d'un  ami  de  la  Brinvilliers  et  de  Sainte-Croix? 
Peu  de  témoins  furent  entendus  dans  l'instruction  :  la  fille 
d'un  apothicaire  déposa  qu'un  jour  que  la  marquise  était  dans 
un  état  complet  d'ivresse,  elle  lui  avait  dit,  en  lui  montrant 
une  cassette  :  «  Il  y  a  là-dedans  bien  des  successions.  »  La 
marquise  s'était  rappelé  cette  imprudente  exclamation ,  et 
elle  avait  recommandé  au  témoin  de  brûler  cette  boîte  si  elle 
venait  à  mourir.  Elle  répétait  souvent  :  «  Quand  un  homme 
déplaît,  il  faut  lui  donner  un  coup  de  pistolet  dans  un  bouil- 
lon. »  Elle  recevait  dans  sa  prison  les  soins  et  les  conseils 
de  deux  prêtres  :  l'un  lui  conseillait  de  tout  avouer,  l'autre 
de  nier  tout  :  «  Je  puis  donc ,  disait  la  marquise ,  faire  en 
conscience  tout  ce  qu'il  me  plaira.  «  Ses  juges  établirent  la 
preuve  de  sa  culpabilité  sur  sa  confession;  l'accusée  objec- 
tait qu'elle  l'avait  écrite  dans  un  accès  de  fièvre.  Son  avocat, 
Nivelle,  démontra  dans  un.  mémoire  qu'on  ne  pouvait  ad- 
mettre comme  preuve  le  seul  aveu  d'un  accusé,  suivant  la' 
maxime  Aon  creditur  perire  volenti;  mais  à  cette  confes- 
sion écrite  se  joignaient  la  déclaration  de  La  Chaussée  et 
d'autres  dépositions  moms  précises ,  moins  directes ,  mais 
dont  la  combinaison  entraîna  la  conviction  des  juges.  Elle 
ne  se  dissimulait  pas  le  sort  qui  l'attendait,  et  n'en  paraissait 
pas  eflrayée:  elle  demanda  un  jour  à  faire  une  partie  de 
piquet /?0Mr  se  désennuyer.  Lorsqu'elle  entra  dans  la  chana» 


BRINVILLIERS  —  BRIOCHE 


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bre  de  la  question ,  elle  aperçut  trois  seaux  d'eau  :  «  C'est 
assurément,  dit-elle,  pour  me  noyer;  car,  de  la  taille  dont  je 
suis ,  on  ne  prétend  pas  que  je  boive  tout  cela.  » 

Le  seul  appareil  de  cette  torture  l'avait  cependant  effrayée  ; 
elle  avoua  tous  ses  crimes,  et  en  révéla  plusieurs  qui  avaient 
échappé  à  l'accusation.  Elle  eut  ensuite  un  entretien  d'une 
heure  avec  le  procureur  général  :  le  sujet  n'en  a  jamais  été 
rendu  public.  La  lecture  de  son  arrêt  de  mortl'étonna  moins 
que  l'appareil  de  la  question  ;  elle  paraissait  préoccupée 
d'autre  chose ,  et  pria  le  greffier  de  recommencer.  «  Ce  tom- 
bereau, dit-elle,  m'a  d'abord  frappée,  j'en  ai  perdu  l'atten- 
tion pour  tout  le  reste.  »  Le  reste ,  c'était  l'échafaud  et  le 
bûcher  !  Elle  avait  souvent  tenté  de  se  suicider  dans  sa  pri- 
son, et  elle  aurait  réussi  si  ses  premières  tentatives  n'eussent 
provoqué  la  plus  sévère  et  la  plus  active  surveillance.  Ré- 
signée à  la  mort,  elle  montra  le  plus  grand  repentir,  et  le 
docteur  Pirot,  son  confesseur,  assura  que  «  pendant  les  vingt- 
quatre  dernières  heures  de  sa  vie  elle  fut  si  pénétrée  de 
douleur,  si  bien  éclairée  des  lumières  de  la  grâce,  qa'il  au- 
rait souhaité  être  à  sa  place.  »  A  défaut  de  l'Eucharistie, 
qu'on  lui  refusa ,  elle  avait  demandé  un  morceau  de  pain 
bénit ,  comme  on  en  avait  donné  au  maréchal  de  Marillac  ; 
celte  grâce  lui  fut  également  refusée  :  elle  en  parut  plus  af- 
fligée que  surprise.  Elle  comptait  sur  l'intervention  des  amis 
de  Penautier  et  du  haut  clergé;  elle  espérait  sa  grâce;  son 
mari,  lui-même,  sollicitait  vivement;  il  lui  rendait  de  fré- 
quentes visites  dans  sa  prison  ;  il  y  était  près  d'elle  la  veille 
inôme  de  l'exécution  de  l'arrêt.  L'espoir  ne  l'abandonna  que 
sur  l'échafaud  ;  elle  ne  fit  entendre  que  ces  mots  :  «  C'est 
donc  tout  de  bon  !  « 

Une  foule  immense  se  pressait  sur  la  place  de  Grève  et 
dans  les  rues;  on  y  remarquait  beaucoup  de  dames.  La  mar- 
quise en  reconnut  plusieurs  avec  lesquelles  elle  avait  été 
très-liée,  et  jeta  sur  elles  un  dernier  regard  d'indignation  et 
de  mépris  :  «  Voilà,  leur  dit-elle,  un  beau  spectacle  à  voir  !  » 
M'"*  de  Sévigné  était  une  de  ces  curieuses  ;  elle  raconte  ainsi 
les  principales  circonstances  de  cette  exécution  :  «  Le  16  juil- 
let 1676,  vers  les  six  heures  du  soir,  on  l'a  menée  nue,  en 
chemise ,  la  corde  au  cou ,  à  Notre-Dame,  faire  amende  ho- 
norable, et  puis  on  l'a  remise  dans  le  même  tombereau,  où 
je  l'ai  vu  jeter  à  reculons  sur  de  la  paille ,  avec  une  cor- 
nette basse  et  en  chemise,  un  docteur  auprès  d'elle,  le 
bourreau  de  l'autre  côté.  En  vérité,  cela  m'a  fait  frémir... 
Ceux  qui  ont  vu  l'exécution  disent  qu'elle  est  montée  à  l'é- 
chafaud avec  bien  du  courage.  Pour  moi ,  j'étais  sur  le  pont 
de  Notre-Dame  (  alors  couvert  de  maisons  )  avec  la  bonne 
d'Escars  ;  jamais  il  ne  s'est  vu  là  tant  de  monde  ;  jamais  Pa- 
ris n'a  été  si  ému  ni  si  attentif...  Elle  dit  à  son  confesseur, 
en  chemin ,  de  faire  mettre  le  bourreau  devant  elle ,  afin  de 
ne  pas  voir  ce  coquin  de  Desgrais  qui  Vavait  prise.  Son 
confesseur  la  reprit  de  ce  sentiment;  elle  dit  :  «  Ah!  mon 
«  Dieu ,  je  vous  en  demande  pardon ,  qu'on  me  laisse  donc 
«  cette  étrange  vue...  »  Elle  monta  seule  et  nu-pieds  sur  l'é- 
chafaud, et  fut  en  un  quart  d'heure  mirodée,  rasée,  dressée  et 
redressée  par  le  bourreau  :  ce  fut  un  grand  murmure  et 
une  glande  cruauté.  Le  lendemain  on  cherchait  ses  os, 
parce  que  le  peuple  disait  qu'elle  était  sainte...  Enfin,  c'en 
est  fait,  la  Brinvilliers  est  en  l'air  ;  son  pauvre  petit  corps  a 
été  jeté ,  après  l'exécution ,  dans  un  fort  grand  feu  et  ses 
cendres  au  vent,  de  sorte  que  nous  la  respirerons,  et,  par 
la  communication  des  petits  esprits,  il  nous  prendra  quelque 
humeur  empoisonnante,  dont  nous  serons  tous  étonnés...  » 
Cette  dernière  phrase  est  pénible  à  lire  :  pour  l'honneur  de 
AI""*  de  Sévigné,  ses  éditeurs  auraient  bien  dû  la  supprimer, 
ainsi  qu'une  autre  lettre  écrite  à  M"'*  de  Grignan  sur  le 
même  sujet.  M""*  de  Sévigné  y  montre  plus  que  de  la  lé- 
gèreté :  elle  regrette  que  la  coupable  ait  été  traitf^e  si  dou- 
cement,  et  qu'elle  n'ait  pas  eu  la  question.  Le  peintre  Le- 
brun se  trouva,  lui  aussi ,  sur  le  passage  de  M""-'  de  Brinvil- 
liers. 11  dessina  ses  traits,  et  son  dessin,  morceau  précieux, 


offre  un  mélange  presque  unique  de  grâces ,  de  dureté  et 
d'angoisse. 

Madame  de  Brinvilliers  eut-elle  d'autres  complices  que  La 
Chaussée  et  Sainte-Croix  ?  Cette  question  a  longtemps  oc- 
cupé le  parlement,  et  n'a  pas  été  légalement  résolue.  Le  re- 
ceveur général  Penautier  avait  acquis  une  fortune  rapide  et 
colossale;  son  intimité  avec  la  marquise  et  le  chevalier 
était-elle  tout  à  fait  désintéressée  ?  On  peut  ne  pas  le  croii^. 
Tout  le  haut  clergé,  l'archevêque  de  Paris,  sollicitèrent 
vivement  sa  liberté  après  le  supplice  de  la  marquise ,  et  on 
assurait  dans  le  temps  que  le  procureur  général  garda  un 
officieux  silence  sur  les  révélations  qui  lui  avaient  été  faites 
par  la  marquise  dans  le  long  et  mystérieux  entretien  que 
j'ai  cité.  Plusieurs  domestiques  de  madame  de  Brinvilliers 
avaient  été  arrêtés,  et  ne  furent  remis  en  liberté  qu'après  la 
mort  de  leur  maîtresse.  Deux  autres  personnes ,  dont  on  ne 
sait  que  les  noms,  Bastard  et  Lemaître,  ne  furent  arrêtés 
que  le  4  août,  vingt  jours  après  l'exécution ,  et  conduits  à 
la  Bastille.  Le  premier  avait  été  presque  aussitôt  transféré  à 
la  Conciergerie.  Lemaître  n'avait  été  interrogé  que  par  le 
lieutenant  général  de  police  La  Reynie.  La  veuve  de  Sainte- 
Croix,  que  celui-ci  avait  abandonnée  depuis  longtemps, 
avait  été  aussi  arrêtée;  elle  fut  bientôt  mise  eu  liberté  sans 
jugement.  Belleguise,  principal  commis  de  Penautier,  échappa 
aux  poursuites  de  la  justice  en  se  réfugiant  en  pays  étranger. 
Penautier  ne  subit  qu'une  courte  détention;  le  maréchal  de 
Gramont ,  l'un  des  beaux  esprits  de  la  cour  de  Louis  XIV, 
avait  prévu  l'issue  de  cette  affaire  :  Penautier  était  fort  riche 
et  avait  de  puissantes  protections  :  «  Il  en  sera  quitte,  di- 
sait le  maréchal ,  pour  supprimer  sa  table.  »  La  chimie,  qui 
depuis  a  fait  d'immenses  et  rapides  progrès ,  était  alors  peu 
avancée.  Les  poisons  saisis  dans  la  cassette  de  Sainte-Croix 
furent  soumis  à  l'examen  d'une  commission  de  docteurs , 
dont  le  rapport  n'offre  aucun  résultat  satisfaisant.  «  Le 
poison  de  Sainte-Croix,  disent-ils,  a  passé  par  toutes  les 
épreuves  ;  il  surmonte  l'art  et  la  capacité  des  médecins  ;  il 
se  joue  de  toutes  les  expériences.  Ce  poison  nage  sur  l'eau  ; 
il  est  supérieur  à  cet  élément,  et  le  fait  obéir;  il  se  sauve  de 
l'expérience  du  feu ,  où  il  ne  laisse  qu'une  matière  douce  et 
innocente.  Dans  les  animaux ,  il  se  cache  avec  tant  d'art  et 
d'adresse  qu'on  ne  peut  le  connaître.  Toutes  les  parties  de 
l'animal  sont  saines  et  vivantes;  dans  le  même  temps  qu'il 
fait  couler  une  source  de  mort ,  ce  poison  artificieux  y  laisse 
l'image  et  les  marques  de  la  vie.  « 

La  marquise  de  Brinvilliers  fut  jugée  par  le  parlement; 
elle  subit  son  arrêt  le  17  juillet  1676,  quatre  ans  après  la 
mort  de  son  amant,  complice  de  ses  crimes.  Les  empoison- 
nements se  multiplièrent  avec  une  effrayante  progiession 
en  1677  et  1678,  et  ce  ne  fut  que  par  lettres-patentes  du  7 
avril  1679  que  fut  établie  la  chambre  royale  de  l'Arsenal 
qu'on  appela  c  0  M  r  des  poisons.    Dt'FEY(  de  l'Yonne). 

BRIOCHE ,  sorte  de  pâtisserie  ou  de  gâteau  fait  de  fleur 
de  farine ,  de  beurre  et  d'oeufs.  On  mêle  à  la  pâte  le  levain 
mis  préalablement  en  fermentation ,  et  lorsque  la  pâte  est 
bien  levée,  on  l'expose  à  un  feu  doux.  Le  pain  bénit,  comme 
on  sait ,  est  fait  de  la  même  pâte.  On  mange  les  brioches 
chaudes  ou  froides,  mais  chaudes  elles  sont  très-indigestes. 

On  emploie  assez  souvent,  dans  le  langage  vulgaire,  le 
mot  de  brioche  avec  la  signification  de  bévue. 

BRIOCHÉ  (  Jean),  célèbre  arracheur  de  dents  du  dix- 
septième  siècle,  avait  créé,  vers  l'année  1650,  un  théâtre 
de  marionnettes  aux  foires  Saint-Germain  et  Saint-Laurent. 
Après  avoir  longtemps  amusé  Paris  et  les  provinces,  il  passa 
en  Suisse,  et  alla  s'établir  à  Soleure  avec  ses  acteurs  de 
bois;  mais  la  gravité  de  ses  nouveaux  spectateurs  s'effraya 
de  la  figure  de  Polichinelle,  de  son  attitude,  de  ses  gestes 
et  surtout  de  ses  discours,  et  Brioché,  dénoncé  comme  ma- 
gicien ,  fut  anêté  et  emprisonné.  Ce  fut  à  grand'peine  qu'un 
capitaine  au  régiment  des  gardes  suisses,  nommé  Dumont, 
qui  se  trouvait  en  ce  moment  à  Soleure  pour  y  faire  des  re- 


720  BRIOCHÉ 

crues,  parvint  à  le  faire  élargir,  en  expliquant  aux  magistrats 
le  mécanisme  des  marionnettes ,  dont  il  s'était  beaucoup 
amusé  à  l'aris  dans  leur  nouveauté.  Brioché,  on  le  pense 
bien,  se  liâta  de  mettre  à  piolit  son  élargissement  pour  fuir 
un  sol  si  peu  hospitalier,  et  revint  chercher  sur  la  terre 
classique  du  rire  et  de  la  folie  des  succès  et  une  réputation 
qui  ne  lui  faillirent  pas  plus,  à  ce  qu'il  paraît,  que  la  for- 
tune, jusqu'au  moment  où  il  mourut,  regretté  de  tous  les 
entants  de  la  capitale,  grands  et  petits,  dont  il  avait  fait 
longtemps  les  délices. 

Fauchon  oa  François  BiuocnÉ  ,  son  fils,  lui  succéda, 
et  ne  fut  pas  moins  célèbre  que  lui.  Brioché  avait  un  singe 
célèbre  (jue  Cyrano  de  Bergerac  tua  d'un  coup  d'épée, 
le  prenant  pour  un  honnne  qui  lui  faisait  la  grimace.  Cette 
anecdote  a  fourni  le  sujet  d'un  opuscule  extrêmement  rare, 
intitulé  :  Grand  combat  de  Cyrano  contre  le  singe  de 
Urioché. 

imiOiX.  Voyez  BnvoN. 

lillIOUDE  (en  Litin  Iirwas,Brwata),  -ville de  France, 
chef-lieu  de  l'arrondissement  de  ce  nom,  dans  le  dépar- 
tement de  la  Haute-Loire,  à  quarante-cinq  kilomètres 
nord-ouest  du  Puy ,  près  de  la  rive  gauche  de  l'Allier,  avec 
une  population  de  4,852  âmes,  une  belle  église  sous  l'invo- 
cation de  saint  Julien,  fondée  au  neuvième  siècle,  et  autre- 
fois collégiale  d'un  chapitre  noble,  un  tribunal  de  commerce, 
une  société  d'agriculture,  un  collège  communal,  une  petite 
bibliothèque,  une  imprimerie,  des  fabriques  de  toiles  et  de 
lainages,  d'abondantes  récoltes  de  vins  passables,  et  un 
grand  commerce  de  grains,  vins,  chanvre  et  anthnoiue.  Sur 
la  rive  droite  de  l'Allier,  à  quatre  kilomètres,  on  trouve 
JBrioude  la  vieille,  avec  une  population  de  1,158  âmes  et 
im  beau  pont  d'une  seule  arche,  qui  date  de  1454. 

L'origine  de  Brioude  est  fort  ancienne.  Le  corps  de  saint 
Julien,  décapité  sous  l'empire  de  Maxime,  y  fut  transporté 
en  303.  Elle  fut  assiégée  par  l'armée  de  ïhéodoric  en  532. 
L'église,  où  s'étaient  réfugiés  les  habitants,  fut  livrée  au  pil- 
lage. Brioude  fut  enfin  prise  et  saccagée  par  les  Bourgui- 
gnons, par  les  Sarrasins,  par  les  Normands,  par  le  vicomte 
Héraciius  de  l'olignac,  escorté  d'une  bande  de  seigneurs 
pillards  et  par  le  seigneur  de  Castelnau,  roi  des  Compa- 
ynies,  qui  en  fit  sa  place  d'armes.  Vinrent  ensuite  les  luttes 
des  habitants  avec  les  chanoines  et  de  ceux-ci  avec  les  pro- 
testants et  les  ligueurs.  Avant  la  révolution  de  1789,  cette 
ville,  chef-lieu  d'une  élection,  possédait  une  prévoté,  une 
juridiction  de  juges-consuls  et  un  bailliage. 

BRIQUEBEC,  chef-lieu  de  canton,  situé  dans  le  dé- 
partement de  la  Manche,  à  13  kilomètres  sud-ouest  de 
Analogue.  On  y  exploite  une  mine  de  cuivre,  et  on  y  trouve 
des  eaux  minérales  qui  contiennent  de  l'hydrochlorate  de 
fer,  et  sont  employées  comme  toniques,  diurétiques  et  apé- 
ritivcs.  Briquebcc  compte  4,414  habitants. 

BRIQUES.  Quelques  contrées  manquent  complètement 
de  pierres  à  bâtir;  dans  beaucoup  d'autres  leur  exploitation 
serait  trop  coûteuse  pour  qu'elles  pussent  être  employées  à 
la  construction  des  habitations.  On  a  cherché  à  y  sup- 
pléer au  moyen  de  pierres  artificielles  formées  d'une  matière 
commune  et  facilement  exploitable.  L'argile  ,  que  la  nature 
semble  avoir  placée  de  préférence  et  à  dessein  dans  les 
pays  où  manque  la  pierre  ,  l'argile  réunit  les  conditions  les 
plus  favorables  à  cette  fabrication.  Aussi  l'a-t-on  dès  la  plus 
haute  antiquité  façonnée  en  briques.  Après  avoir  profité 
<le  son  humidité  naturelle  pour  lui  donner  une  forme  régu- 
lière, on  lui  fait  prendre  la  dureté  et  la  solidité  nécessaires 
aux  constructions  en  la  privant  complètement  d'eau.  Si  les 
briques  ont  été  séchées  au  soleil,  on  dit  qu'elles  sont  crues  ; 
si  elles  doivent  leur  dureté  à  l'action  du  feu,  ce  sont  des 
briques  cuites. 

L'usage  des  briques  crues  remonte  aux  premiers  âges 
historiques.  C'étaient  d'abord  des  masses  d'argile  grossière- 
ment façonnées.  Le  temps  apprit  à  les  mouler  et  à  y  mêler  ' 


-  BRIQUES 

de  la  paille  hachée  pour  augmenter  leur  consislance.  Ex- 
posées pendant  plusieurs  années  à  l'air,  elles  acquéraient  L 
de  la  solidité.  Comme  l'humidité  les  détruit  promptement ,  1 
elles  ne  conviennent  pas  aux  pays  froids;  mais  dans  les  cli- 
mats chauds  elles  sont  aussi  durables  que  les  briques  cuites, 
témoin  les  ruines  de  Babylone.  Les  murs  d'enceinte  de  cette  i 
ville  et  la  fameuse  tour  de  Babel  ou  15elus  étaient  probable- 
ment construits  de  briques  crues,  liées  par  un  mortier  de  terre 
et  de  bitume,  et  c'est  encore  ainsi  que  l'on  bâtit  à  Bagdad.  En 
Egypte,  à  dix  lieues  au-dessus  du  Caire,  on  voit  les  loiines 
d'une  pyramide  que  l'on  croit  avoir  été  élevée  par  Asychis. 
Elle  est  en  briques  crues  formées ,  suivant  les  voyageurs, 
d'une  terre  noire  et  argileuse ,  mêlée  de  petits  cailloux ,  de 
coquillages  et  de  paille  hachée ,  terre  qui  n'était  peut-être 
que  du  limon  du  Nil.  Chez  les  Grecs  et  les  Romains,  on 
sait  que  plusieurs  édifices  étaient  de  briques  crues.  Mainte- 
nant, dans  presque  toute  l'Asie,  on  construit  encore  les 
maisons  en  briques  crues,  et  on  les  protège  contre  l'action 
dégradante  des  eaux  pluviales  par  un  enduit  d'argile  ou  de 
chaux  et  de  plâtre  mêlés. 

Il  est  probable  que  la  fabrication  des  briques  crues  a  pré- 
cédé dans  le  développement  des  arts  celle  des  briques 
cuites.  Cependant  on  rencontre  dans  les  ruines  les  plus  an- 
ciennes ces  deux  espèces  de  matériaux.  Là  où  fut  l'immense 
Babylone,  on  trouve  des  briques  cuites  couvertes  d'un 
émail  qui  indique  un  très-haut  degré  de  perfection ,  et  par 
conséquent  une  origine  déjà  très-ancienne  de  l'art  du  bri- 
quetier.  D'après  Hérodote,  à  mesure  que  l'on  creusait  les 
fossés  de  cette  ville  on  convertissait  la  terre  déblayée  en 
briques,  et  lorsqu'il  y  en  avait  un  certain  nombre  de  fa- 
çonnées, on  les  faisait  cuire  dans  des  fours.  Diodore  de  Si- 
cile parle  d'un  stade  immense  construit  par  l'ordre  de  Sémi- 
ramis ,  dont  les  murs  étaient  en  briques  cuites  et  ornés  de 
bas-reliefs  représentant  toutes  espèces  d'animaux  avec  leurs 
couleurs  naturelles.  Il  semble  qu'il  y  eut  après  la  destruc- 
tion de  la  civilisation  assyrienne  une  grande  lacune  dans 
l'emploi  des  briques  cuites.  On  ne  les  retrouve  chez  les  Ro- 
mains que  sous  les  empereurs  ;  le  Panthéon  d'Agrippa  est 
peut-être  le  plus  ancien  édifice  de  ce  genre.  Cette  nation , 
qui  inventait  peu ,  n'apprit  probablement  que  par  ses  cam- 
pagnes en  Asie  toutes  les  ressources  de  l'art  du  briquetier. 
Avec  l'usage  des  briques  cuites  on  les  voit  adopter  le 
mode  de  construction  des  Babyloniens ,  c'est-à-dire  que  les 
faces  seules  des  murs  sont  en  briques ,  et  que  l'intérieur  est 
en  blocages.  Ces  briques  ont  la  forme  de  triangles  rectangles 
et  présentent  l'hypothénuse  à  l'extérieur  et  l'angle  droit  à 
l'intérieur,  disposition  qui  avait  évidemment  pour  but  de 
donner  de  l'homogénéité  à  la  maçonnerie.  De  plus,  de 
grandes  briques  carrées,  placées  de  quatre  en  quatre  pieds, 
et  formant  toute  l'épaisseur  du  mur,  reliaient  solidement 
ensemble  les  deux  parements.  Hérodote,  en  pariant  des 
murs  de  Babylone ,  appelle  ce  genre  de  maçonnerie  aîfxa- 
fft'a,  mot  qui  désigne  sa  couleur  rouge  (aIjAa,  sang).  Vitruve 
lui  donne  le  nom  d'IiATtXexTÔv. 

Chez  les  Romains,  beaucoup  de  murs  extérieurs  étaient 
f;iits  de  briques  polies  comme  le  sont  les  murs  de  l'église  de  la 
Madonua  di  Monti  à  Rome.  Le  pavé  des  bains  et  d'autres 
édifices  était  souvent  en  briques  très-minces,  placées  de 
champ  et  faisant  entre  elles  un  certain  angle;  on  appelait 
cet  ou\ra^e  opus  spicatum,p3iT  analogie  avec  un  épi  de  blé. 
Les  rues  de  Sienne  et  celles  de  plusieurs  autres  villes  d'Itali 
sont  encore  ainsi  pavées ,  et  l'on  donne  à  cet  arrangement  le 
nom  de  spina  pesée,  à  cause  de  sa  ressemblance  avec  des 
arêtes  de  poisson.  En  général ,  les  Romains  savaient  donner 
toutes  sortes  de  formes  aux  briques ,  suivant  l'usage  auquel 
ils  les  destinaient,  cintres,  voussures,  noyaux  de  colonnes, 
ornements  d'architecture ,  etc.  Les  dimensions  en  étaient 
également  variables  ;  cependant  elles  ont  en  général  beaucoup 
de  surface  et  peu  d'épaisseur. 

Chez  les  modernes ,  la  forme  et  les  dimensions  des  briques 


1 


BRIQUES  —  BRIQUET 


ont  plus  d'uniformité.  C'est  un  parallélipipède  rectangu- 
laire ,  dont  la  longueur  est  double  de  la  largeur  et  quadruple 
de  l'épaisseur.  En  France,  on  les  classe  en  grandes,  mot/en- 
nés  et  petites ,  les  premières  destinées  à  faire  des  cloisons  et 
des  voûtes ,  les  secondes  des  murs ,  des  revêtements ,  des 
languettes  de  ciieminées  ,  et  les  dernières  spécialement  con- 
sacrées aux  tuyaux  de  cheminées  et  aux  petits  foyers.  Le 
bas  prix  et  la  solidité  des  briques  cuites  en  ont  beaucoup 
multiplié  l'emploi  chez  les  peuples  modernes.  L'immense 
ville  de  Londres  en  est  presque  entièrement  construite,  et 
leur  doit  l'aspect  singulier  de  ses  rues.  Péking,  la  capitale  de 
l'empire  chinois ,  parait  aussi  principalement  bâtie  en  bri- 
ques. Nous  avons  en  France  beaucoup  de  constructions  de 
ce  genre  :  telles  sont  les  villes  de  Lille ,  Toulouse ,  etc.  A 
Paris ,  on  n'en  fait  usage  que  pour  certaines  parties  des 
édifices.  Cela  tient  à  l'abondance  des  carrières  de  moellon , 
et  surtout  à  la  cliertc  des  briques.  La  fabrication  aux  envi- 
rons de  notre  capitale  se  fait  en  petit,  et  la  cuisson  a  lieu 
dans  des  fours.  Dans  les  pays  où  l'on  en  fait  grand  usage , 
comme  l'Angleterre ,  la  Hollande,  la  Belgique  et  la  Flandre, 
on  les  cuit  au  moyen  de  la  houille  en  plein  air  et  en  tas 
immenses  qui  en  contiennent  jusqu'à  un  million.  Aussi  ne 
reviennent-elles  qu'à  9  ou  lo  fr.  le  millier  en  Flandre,  et 
môme  à  6  ou  7  fr.  à  Anvers ,  tandis  qu'elles  coûtent  plus  de 
50  fr.  à  Paris. 

Pour  les  constructions  qui  doivent  supporter  un  haut 
degré  de  chaleur,  telles  que  l'intérieur  des  fours  à  verrerie 
et  à  porcelaine,  la  chemise  et  le  creuset  des  hauts  fourneaux, 
on  fait  une  espèce  de  briques  particulières  connues  sous  le 
nom  de  briques  réfractaires.  Les  procédés  de  fabrication 
sont  les  mêmes  que  pour  les  briques  ordinaires.  11  n'y  a  de 
différence  que  dans  le  plus  grand  soin  apporté  à  la  mani- 
pulation et  dans  le  choix  des  matériaux,  qui  ne  doivent 
constituer  aucune  combinaison  vitrifiable.  Les  argiles  pures, 
étant  infusibles,  sont  recherchées  pour  cette  fabrication; 
les  argiles  magnésifcres  y  paraissent  également  propres.  Elle 
est  donc  dans  les  pays  qui  possèdent  ces  argiles  l'objet 
d'une  industrie  profitable. 

On  pourrait  remplacer  avec  avantage  cette  espèce  de 
briques  par  celle  que  Pline  appelle  briques  flottantes.  Com- 
posées de  chaux  carbonatée  pulvérulente,  ou  farine  fossile, 
et  d'un  peu  d'argile ,  elles  sont  assez  légères  pour  flotter  sur 
l'eau  ;  aussi  les  anciens  les  employaient-ils  dans  certaines 
constructions  hydrauliques.  Elles  transmettent  si  mal  la 
chaleur,  qu'on  peut  tenir  une  extrémité  entre  ses  doigts 
tandis  que  l'autre  est  encore  rouge.  On  en  fabiiquait  en  Es- 
pagne et  en  Italie.  Nous  avons  en  France  de  la  farine 
fossile  en  plusieurs  endroits ,  notamment  à  Nanterre,  près 
Paris,  et  surtout  en  Auvergne,  près  de  Pontgibaut. 

A.  Des  Genevez. 

BRIQUET.  Tel  est  le  nom  vulgaire  et  générique  d'une 
multitude  d'instruments  divers  à  l'aide  desquels  on  peut 
instantanément  se  procurer  du  feu  et  de  la  lumière.  Le  bri- 
quet le  plus  anciennement  en  usage ,  et  qui  a  précédé  les 
perfectionnements  offerts  par  la  chimie  et  la  physique  des 
modernes ,  instrument  que  le  plus  grand  nombre  persiste  à 
préférer  à  tout  le  reste ,  consiste  dans  un  morceau  d'acier 
de  forme  et  de  dimension  appropriées  à  son  objet ,  dont  la 
percussion  rapide  sur  un  silex  fait  jaillir  des  étincelles ,  qui 
reçues  sur  un  corps  très-inflammable,  tel  que  l'amadou,  le 
papier  ou  le  bois  pourri,  etc.,  produit  une  inflammation 
instantanée.  Chacun  sait  que  cet  effet  est  dû  à  l'oxydation 
complète  et  rapide  des  molécules  d'acier  détachées  du  briquet 
dans  l'acte  de  la  percussion  ;  le  combustible  léger  une  fois 
enflammé,  il  ne  s'agit  plus  que  d'en  approcher  une  allu- 
mette soufrée,  à  laquelle  le  feu  se  communique.  Le  reste  s'en- 
tend sans  description. 

Mais  tout  s'est  raffiné,  sinon  perfectionné.  On  connaît 
aujourd'hui  un  grand  nombre  de  briquets,  dont  la  construc- 
tion repose  sur  divers  piincipcs  scientifiques.  Le  plus  cu- 

DICT.    DE    IJV   CONVEKS.    —  T.    \\l. 


721 

rieux  sans  doute  est  le  briquet  pneumatique ,  ou  briquet 
à  air  comprimé,  fondé  sur  la  propriété  que  l'air  a,  par 
l'effet  d'une  subite  compression,  de  laisser  tamiser  du  ca- 
lorique. 11  consiste  le  plus  ordinairement  en  un  cyclindre 
métallique  (ordinairement  de  laiton,  ou  d'étain)  dans  lequel 
on  fait  glisser  à  frottement  forcé  une  tige  appliquée  sur  un 
piston.  Sur  l'extrémité  inférieure  du  piston,  on  attache  une 
espèce  de  petit  godet  qui  contient  de  l'amadou  bien  préparé 
et  bien  sec.  Le  piston  ,  ramené  à  l'extrémité  supérieure  du 
cylindre ,  est  poussé  vers  le  bas  par  un  mouvement  brusque 
et  instantané;  l'air  comprimé  dégage  du  calorique,  et  l'a- 
madou prend  feu.  On  retire  à  soi  la  tige,  et  on  procède 
ensuite  comme  dans  le  cas  de  l'inflammation  de  l'amadou 
par  la  percussion  du  briquet  d'acier  sur  le  silex. 

On  a  aussi  le  briquet  rotatif.  Figurez-vous  l'archet  d'un 
foret.  Une  petite  roue  d'acier  et  un  petit  cylindre  sont  fixés 
l'un  et  Vautre  sur  un  axe  commun.  Ce  cylindre  est  creusé 
en  gorge  à  sa  surface  pour  enrouler  la  corde  de  l'archet.  L'axe 
est  retenu  entre  deux  appuis  placés  aux  deux  extrémités  : 
par  ce  moyen  il  peut  librement  tourner  sur  ces  points,  et  il 
entraine  dans  sa  rotation  la  roue  qui  lui  est  perpendiculaire. 
Pour  produire  du  feu  avec  ce  petit  instrument,  on  fait  tour- 
ner rapidement  la  roue  d'acier  au  moyen  de  l'archet,  et  on 
présente  en  même  temps  à  la  circonférence ,  c'est-à-dire  sur 
le  limbe  de  cette  roue,  un  silex  auquel  est  collé  en  dessous 
un  morceau  d'amadou  :  il  jaillit  bientôt  de  nombreuses  étin- 
celles et  l'amadou  s'enflamme.  Ce  n'est,  comme  on  voit, 
qu'une  modification  de  l'ancien  briquet. 

Le  briquet  à  gaz  hydrogène  est  un  instrument  plus  com- 
pliqué, plutôt  destiné  aux  cabinets  de  physique  qu'à  l'usage 
domestiq\ie.  Il  consiste  en  un  vase  de  verre  rempli  de  gaz  hy- 
drogène, qui  peuts'enéchapperparunorificecapiflaire, qu'on 
ferme  à  volonté  par  le  robinet  qui  y  est  ajusté.  A  l'instant 
où  ce  gaz  s'écoule,  quand  le  robinet  est  ouvert,  on  l'en- 
flamme à  l'aide  d'une  étincelle  électrique  produite  par  un 
appareil  spécial. 

Le  briquet  phosphorique  est  encore  ce'.ui  dont  l'usage 
est  le  plus  familier.  On  en  trouve  de  plusieurs  espèces,  mais 
qui  toutes  reposent  sur  les  mêmes  principes  et  les  mômes 
propriétés  du  phosphore.  Assez  ordinairement  on  fait  liqué- 
fier le  phosphore  à  une  douce  chaleur.  Pour  cela,  on  en 
met  une  très-petite  quantité  dans  un  flacon  de  cristal,  allongé 
et  étroit  ;  quand  le  phosphore  est  fondu ,  on  plonge  dans  ce 
flacon  une  petite  tige  de  fer  rougie  au  feu  :  le  phosphore 
rais  en  contact  avec  cette  tige  s'enflanmie  ;  il  faut  alors  agi- 
ter pendant  quelques  instants,  et  quand  la  couleur  de  la 
masse  a  passé  au  rouge  un  peu  foncé,  on  retire  la  tige  et  on 
bouche  hermétiquement  le  flacon;  puis  on  laisse  refroidir  : 
le  briquet  est  préparé.  Il  ne  reste  plus  qu'à  adapter  le  fla- 
con dans  un  étui  où,  à  l'extrémité  opposée,  on  place  une 
quantité  plus  ou  moins  grande  d'allumettes  ordinaires  bien 
soufrées,  qu'il  suffit  de  presser  contre  le  phosphore,  en  leur 
imprimant  surtout  un  léger  mouvement  de  torsion,  pour 
les  enflammer.  Dans  cet  acte ,  il  se  détache  quelque  parcelle 
du  phosphore; on  retire  vivement  l'allumette  du  flacon,  et 
l'inflammation  de  la  molécule  enlevée  a  lieu  rapidement, 
surtout  si  l'on  brandit  un  peu  vivement  l'allumette  dans 
l'air,  ce  qui  renouvelle  les  points  de  contact  de  l'oxygène  at- 
mosphérique. 

Il  y  a  encore  pour  la  fabrication  du  briquet  phosphorique 
un  autre  procédé ,  assez  fréquemment  en  usage,  et  qui  con- 
siste à  introduire  dans  un  petit  vase  cylin  Irique  de  cristal 
ou  de  plomb  un  cylindre  de  phosphore  qu'on  y  refoule  à  l'aide 
d'une  tige  du  môme  diamètre  à  peu  près.  Cette  opération 
exige  des  précautions  pour  être  exempte  de  tout  danger  ;  car, 
par  exemple,  si  l'on  n'avait  pas  l'attention  de  choisir  des 
bâtons  de  phosphore  bien  pleins,  c'est-à-dire  sans  creux  ni 
cavité  dans  l'intérieur,  ce  qui  n'arrive  que  trop  souvent 
quand  ils  ont  été  moulés  à  une  basse  température,  l'air  in- 
tercepté dans  le  cylindre  pourrait  occasionner  une  déflagra- 

91 


722  BRIQUET  — 

fion  par  surte  de  la  compression  exercée.  Mais  les  briquets 
ainsi  préparés,  quand  ils  ont  bien  réussi ,  sont  plus  dura- 
bles que  ceux  de  la  variété  précédente  ;  ils  s'humectent  moins 
facilement.  Pour  se  servir  de  ces  briquets ,  il  faut  frotter  un 
peu  rudement  la  surface  découverte  du  phosphore,  afin  d'en 
détacher  quelque  parcelle  qui  s'attache  au  soufre  de  l'allu- 
mette, et  l'enllamme  en  même  temps  qu'elle  brûleelle-môme. 
Pour  arriver  à  cet  effet ,  quand  l'allumette  a  été  retirée 
du  flacon,  on  en  frotte  l'extrémité  sur  quelque  corps  solide 
et  rugueux,  tel  que  le  liège ,  le  feutre,  etc. 

Il  existe  une  troisième  méthode  pour  la  fabrication  du  bri- 
quet phosphoriqiie.  Celui-ci  est  dit  à  mastic  inflammable. 
Le  moyen  consiste  à  faire  enflammer  du  phosphore  dans  un 
▼ase  à  très-petit  orifice,  à  y  projeter  immédiatement  de  la 
magnésie  cah-inée,  et  à  bien  agiter  la  masse  à  l'aide  d'une 
tige  de  fer,  pour  faciliter  la  combinaison.  Le  tout  devient 
pulvérulent  et  perd  sa  compacité  :  alors  on  bouche  le  fla- 
con, pour  s'en  servir  avec  une  allumette,  comme  dans  les 
précédentes  méthodes.  On  présume  qu'il  se  produit  dans 
cette  opération  un  phosphure  de  magnésie  excessivement 
inflammable.  Cependant  cet  effet  n'est  pas  ceilain  :  quoi 
qu'il  en  soit,  le  mélange  de  phosphore  et  de  magnésie  (  si 
ce  n'est  point  une  combinaison  chimique  parfaite  )  est  sus- 
ceptible de  s'enflammer  très-facilement,  surtout  si  l'atmos- 
phère dans  laquelle  on  opère  est  humide,  ou  si  on  a  préa- 
lablement soufflé  sur  l'allumette. 

Enfin,  le  briqjiet  chimique  auquel  le  nom  de  Fumade 
a  dû  toute  sa  célébrité  a  été  décrit  à  l'occasion  des  allu- 
mettes oxygénées.  Dans  le  même  article  nous  avons  parlé 
des  allumettes  chimiques,  qui  tendent  à  remplacer  partout 
les  briquets  phosphoriques,  chimiques,  etc.    Pelouze  père. 

BRIQUET  ou  sabre-briquet,  mot  qui  n'a  d'abord 
été  pris  comme  synonyme  de  sabre  que  par  dérision  :  les 
•oldats  de  cavalerie,  pour  tourner  en  ridicule  une  lame  très- 
courte  par  comparaison  à  la  leur,  avaient  trivialement  com- 
paré le  sabre  d'infanterie  à  un  briquet  à  faire  du  feu.  L'in- 
attention des  commis  de  la  guerre  introduisit  ce  mot  dans 
notre  langue.  11  exprimait  l'arme  de  taille  des  hommes  de 
troupe  de  l'infanterie  française  ;  cette  arme  avait  remplacé 
l'ancienne  épée,  et  aété  remplacée  elle-même  par  le  sabre 
poignard  en  1831.  Les  caprices  de  la  mode  ont  décidé  de 
ces  changements,  bien  plus  que  le  calcul  du  raisonnement. 
Ce  fut  vers  1760  qu'on  donna  aux  grenadiers  le  sabre  en 
remplacement  de  Tépée;  les  autres  hommes  de  troupes  qui 
portaient  cette  même  arme  ne  le  prirent  que  depuis  l'or- 
donnance du  1"  octobre  1786.  Elle  reçut  en  l'an  xi  une 
forme  nouvelle  qui  l'alourdissait.  L'usage  du  sabre-briquet 
avait  plus  d'antagonistes  que  de  partisans  ;  Bonaparte  l'avait 
tour  à  tour  donné  et  ôté  à  ses  voltigeurs,  et  il  avait  même 
rendu  en  l'an  xn  un  décret  qui  le  retirait  aux  compagnies 
de  grenadiers,  et  y  substituait  un  pic-hoyau ,  décret  inédit, 
inconnu ,  parce  qu'il  est  resté  sans  exécution ,  mais  qui 
n'a  pas  été  rapporté. 

A  l'heure  qu'il  est,  le  sabre-briquet  n'a  été  conservé 
qu'aux  gardes  de  Paris  et  aux  gendarmes  à  pied.  Il  se 
compose  d'une  lame  à  un  tranchant,  légèrement  cambrée, 
«ans  gouttière  ni  pans  creux ,  avec  un  faux  tranchant  vers 
la  pointe.  La  monture  est  en  cuivre  coulé  d'une  seule  pièce 
et  à  poignée  ornée  en  dedans  de  godrons.       G"'  Bardin. 

BRIQUETTES.  On  connaît  sous  ce  nom ,  à  Paris  et 
en  divers  autres  lieux,  un  mélange  de  charbon  de  terre  ou 
de  coke  avec  de  l'argile.  Il  est  superflu  sans  doute  de  dire 
que  l'argile  du  mélange  ne  contribue  en  rien  aux  propriétés 
calorifiques  du  combustible  ;  mais  elle  offre  un  assez  bon 
moyen  de  ralentir  assez  la  combustion,  en  diminuant  le 
nombre  et  l'étendue  des  surfaces  exposées  à  l'air,  pour  que 
l'émission  de  la  chaleur  soit  successive,  et  qu'elle  accom- 
plisse l'objet  qu'on  a  en  vue,  celui  d'un  chauffage  très-mo- 
déré, mais  longtemps  continué.  Quand  la  fraude  n'est  pas 
Introduite  dans  cette  fabrication,  comme  il  n'arrive  que  trop 


BRIQUEVILLE 

souvent ,  c'est-à-dire  quand  au  Heu  de  bouille  ou  de  bon 
coke  on  n'a  pas  employé  dans  la  façon  des  briquettes  du 
mâchefer  et  autres  résidus  déjà  brûlés,  ce  qui  est  assez  dif- 
ficile à  discerner  à  l'œil ,  l'emploi  de  ces  briquettes  peut  être 
assez  avantageux. 

Pour  fabriquer  les  briquettes ,  on  délaye  de  l'argile  dans 
l'eau  en  proportion  suffisante  pour  obtenir  une  bouillie  un 
peu  épaisse  ;  on  a  disposé  à  part  de  la  houille  ou  du  coke 
cassés  et  passés  à  la  claie  ;  on  verse  sur  ce  tas  la  bouillie 
argileuse,  et  on  en  fait  le  mélange  le  plus  exactement  pos- 
sible à  la  pelle.  Dans  cet  état,  on  en  fait  des  boulettes  in- 
formes qu'on  presse  fortement  entre  les  mains;  quand  la 
matière  ainsi  pressée  s'est  suffisamment  tassée,  on  l'intro- 
duit et  on  la  presse  de  nouveau  dans  un  moule  de  bois,  en 
tout  semblable  à  ceux  en  usage  dans  le  travail  des  briques. 
Ce  moule  doit  être  posé  à  plat  sur  une  planche  unie.  On  le 
remplit  à  comble  à  l'aide  d'une  palette  en  fer,  quand  la 
boule  faite  à  la  main  n'a  pas  suffi  à  la  capacité  du  moule. 
On  frappe  ensuite  sur  le  petit  tas  qui  excède  les  bords  un  ou 
deux  coups  avec  la  palette,  dont  le  revers  est  bien  uni.  Pour 
retirer  la  palette ,  il  faut  la  faire  glisser  rapidement  et  bien 
horizontalement,  appuyant  sur  les  bords  du  moule.  On  sou- 
lève le  moule  entre  les  deux  mains  en  le  faisant  glisser  sur 
la  table,  et  la  briquette  est  posée  sur  une  planche.  Pour  la 
détacher  du  moule,  il  ne  faut  plus  qu'appuyer  légèrement 
des  deux  pouces  sur  la  surface  supérieure  de  la  briquette,  en 
redressant  en  même  temps  les  doigts  qui  étaient  recourbés 
en  dessous  pour  soutenir  la  briquette  pendant  qu'elle  était 
en  l'air. 

Les  briquettes  se  rangent ,  au  fur  et  à  mesure  qu'elles  sor- 
tent des  moules,  sur  la  même  planche;  et  celle-ci  étant  to- 
talement couverte,  on  passe  à  une  autre.  On  a  coutume 
d'élever  ainsi  trois ,  quatre  et  même  cinq  rangées  de  plan- 
ches les  unes  au-dessus  des  autres.  Avant  d'employer  les 
briquettes,  il  faut  qu'elles  soient  autant  sèches  que  possible. 
Cette  fabrication  a  surtout  pour  objet  de  tirer  parti  du  gru' 
beau  et  menuise  de  houille  et  de  coke,  principalement  de 
ce  dernier,  qui  en  produit  beaucoup.       Pelouze  père. 

BRIQUEVILLE  (ARMAND-pRANÇors,  comte  de),  co- 
lonel de  cavalerie  et  député,  d'une  des  plus  anciennes  mai- 
sons de  la  noblesse  française,  naquit  en  1785,  à  Bretteville, 
(Manche).  Tombé  au  pouvoir  des  républicains,  son  père 
mourut  en  criant  Vive  le  roi!  Cependant,  au  moment  de 
marcher  au  supplice,  il  dit  en  embrassant  son  fils  :  «  Je 
donne  ma  vieau?t  Bourbons,  mais  ne  les  servez  jamais;  ce 
sont  des  ingrats.  «  Briqueville  entra  à  dix-sept  ans  à  l'école 
de  Fontainebleau ,  d'où  il  sortit  avec  le  grade  de  sous-lieu- 
tenant de  cavalerie.  Depuis  ce  moment  sa  vie  ne  fut  mar- 
quée que  par  de  brillants  faits  d'armes  et  d'héroïques  ac- 
tions. L'enfant  de  l'aristocratie ,  le  rejeton  des  vieilles  races, 
devint  un  des  plus  fermes ,  des  plus  courageux ,  des  plus 
dévoués  défenseurs  de  tous  les  droits  consacrés  par  la  Révo- 
lution. Il  aimait  la  liberté  avec  enthousiasme ,  la  gloire  avec 
passion  ,  la  France  avec  idolâtrie.  Lieutenant  de  dragons  en 
1807,  capitaine  en  180S,  chef  d'escadron  et  officier  d'or- 
donnance de  Napoléon  en  1812,  lieutenant-colonel  des  lan- 
ciers de  la  garde  impériale  en  1813,  il  n'est  pas  un  de 
ces  grades  qu'il  n'eût  gagné  à  la  pointe  de  son  épée,  pas  un 
champ  de  bataille  qu'il  n'eût  rougi  de  son  sang,  pas  un 
combat  où  sa  valeur  n'eût  conquis  les  acclamations  de 
l'armée.  En  Italie,  en  Prusse,  en  Espagne,  en  Pologne,  en 
Russie,  en  France,  depuis  léna  jusqu'à  Waterloo  et  sous 
les  murs  de  Paris,  il  défendit  son  pays  avec  un  dévouement 
digne  des  temps  héroïques. 

Après  la  chute  de  l'Empire,  Briqueville,  toujours  fidèle  à 
Napoléon,  quitta  le  service;  mais  sa  retraite  fut  précédée  par 
un  fait  d'une  admirable  nationalité.  Rencontrant  Louis  XVIK 
escorté  par  des  cavaliers  prussiens,  le  jeune  colonel  s'é- 
lance ,  à  la  tête  de  ses  lanciers,  vers  l'officier  qui  commande 
ces  étrangers ,  lui  intime  l'ordre  de  lui  céder  la  place,  et* 


BRIQUEVILLE  —  BRISANTS 


■'adressant  au  roi  :  «  Sire ,  lui  dit-il ,  c'est  sous  la  prstection 
des  Français  que  votre  majesté  doit  rentrer  en  France.  »  Il 
eonduisit,en  effet,  la  famille  royale  jusqu'au  château  de 
Saint-Ouen;  mais  là  il  déclara  respectueusement  que  ses  af- 
fections et  sa  conscience  lui  faisaient  un  devoir  de  se  retirer, 
et  il  donna  sa  démission ,  malgré  les  bienveillantes  instances 
du  monarque.  Au  retour  de  l'empereur,  Briqueville  accomplit 
des  prodiges  à  la  bataille  de  Ligny ,  où  il  fut  mis  à  l'ordre 
du  jour  de  l'armée.  Le  17  et  le  18  juin,  faisant  partie  du 
corps  de  Grouchy ,  il  fut  l'un  des  officiers  qui  insistèrent  le 
plus  énergiquement  pour  marcher  sur  le  canon  de  Waterloo. 
Après  ce  grand  désastre  le  jeune  colonel ,  frémissant  d'in- 
dignation et  de  douleur,  se  précipita ,  entre  Sèvres  et  Ver- 
sailles ,  sur  une  colonne  de  cavaliers  prussiens ,  dont  il  fit 
un  horrible  carnage ,  et  du  milieu  de  laquelle  il  sortit  la  tête 
entr'ouverte  par  un  coup  de  sabre  et  le  poignet  droit  à 
demi  abattu.  Criblé  de  blessures  et  accablé  de  souffrances, 
il  ne  fit  pas  moins  partie  de  plusieurs  conspirations  ten- 
dant au  renversement  des  Dourbons;  puis  il  vécut  dans 
la  retraite  jusqu'au  moment  où  la  reconnaissance  de  ses 
concitoyens  l'envoya  à  la  chambre  des  députés. 

C'était  en  1827.  La  Restauration,  à  laquelle  il  reprochait 
surtout  son  origine  étrangère,  n'eut  jamais  de  plus  ferme 
ni  de  plus  incorruptible  adversaire.  Pour  Briqueville,  le 
Palais-Bourbon  était  un  nouveau  champ  de  bataille,  où  il 
combattait  sans  cesse  pour  la  défense  des  libertés  publiques. 
11  salua  avec  enthousiasme  la  révolution  de  Juillet  ;  mais 
ses  illusions  ne  tardèrent  pas  à  s'évanouir,  et  il  revint  bientôt 
à  l'opposition  constitutionnelle,  dans  les  rangs  de  laquelle 
il  attaqua  avec  toute  l'ardeur  de  son  caractère  cette  série 
d'actes  arbitraires,  d'humilités  extérieures  et  d'usurpa- 
tions hardies  ;  enfin,  ce  système  funeste  qui,  disait-il,  5e 
masquait  toujours  avec  les  mots  d'ordre  et  de  devoir. 
Une  attaque  assez  vive  contre  le  maréchal  Soult  amena 
entre  le  fils  du  maréchal  et  le  colonel  une  rencontre,  à 
l'issue  de  laquelle  Briqueville  vint  déclarer  à  la  tribune  qu'il 
maintenait  tout  ce  qu'il  avait  dit  la  veille. 

Vers  le  milieu  du  mois  de  mars  1844,  Briqueville,  qui 
pressentait  sa  fin  prochaine ,  se  traîna  mourant  à  la  chambre 
des  députés ,  pour  demander  que  les  restes  mortels  du  ma- 
réchal Bertrand  reposassent  sous  la  môme  nécropole  que 
les  glorieuses  dépouilles  de  Napoléon.  Après  avoir  payé  ce 
pieux  tribut  à  la  fidélité  et  à  la  gloire ,  le  soldat  de  l'Em- 
pire s'alita  pour  ne  plusse  relever.  Il  expira  le  20  mars,  en  pro- 
nonçant les  mots  :  patrie,  gloire,  désespoir.  B.  Sarbans. 

BRIS.  Ce  mot  s'applique  généralement  au  fait  de 
l'homme,  et  im|ilique  presque  toujours  l'idée  d'un  délit  ; 
cependant  il  a  en  droit  une  tout  autre  acception  quand  il 
s'agit  d'un  bris  de  navire.  Voîjez  Biiis  et  Nauihace. 

Lcbris  de  clôture  est  un  délit  prévu  par  l'article  456  du 
Code  Pénal ,  et  [vuni  d'un  emprisonnement  d'un  mois  au 
moins,  d'une  année  au  plus,  et  d'une  amende  qui  ne  peut  être 
au-dessous  de  50  francs.  Lorsqu'il  accompagne  un  autre  crime, 
il  en  forme  Tune  des  circonstances  aggravantes,  et  prend  le 
nom  d'effraction. 

Le  bris  de  porte  sort  de  la  classe  des  délits  lorsque  l'au- 
torité publique,  voulant  faire  une  perquisition  légale  dans  le 
domicile  d'un  citoyen ,  éprouve  quelque  obstacle  et  se  voit 
dans  la  nécessité  d'ordonner  le  bris  des  portes  au  nom  de  la  loi. 

Le  bris  de  prison  est  une  effraction  faite  à  une  prison 
pour  faciliter  l'évasion  d'un  prisonnier.  Le  Code  Pénal 
(  art.  241,  244,  245  )  détermine  la  peine  à  infliger  à  ceux  qui 
se  rendent  coupables  de  pareils  actes. 

Le  bris  de  scellés  est  un  délit  qui  consiste  dans  la  rupture 
des  scellés  apposés  par  un  officier  publie  sur  des  objets 
dont  il  n'a  pu  encore  être  fait  inventaire.  La  loi  établit  une 
différence  dans  la  peine  dont  ce  délit  est  puni  selon  qu'il  a 
été  commis  par  celui  à  la  garde  de  qui  les  scellés  avaient  été 
confiés,  ou  par  une  autre  personne,  et  selon  les  circons- 
tances dont  il  e«st  accompagné.  (  Art.  249  à  256.  ) 


:3» 

On  a  désigné  autrefois  sous  le  nom  de  bris  de  marché 
le  délit  de  coalition  ayant  pour  but  soit  d'empêcher  cer- 
taines marchandises  d'arriver  à  un  marché,  soit  de  fixer  le 
prix  de  certaines  denrées  de  manière  à  en  assurer  le  mo- 
nopole aux  parties  coalisées. 

BRISACH  ou  BREISACH ,  que  les  Allemands  appellent 
Alt-Breisach  (  Vieux-Brisach  ),  est  une  ville  du  grand-duché 
de  Bade,  chef-lieu  du  district  de  ce  nom  ,  dans  le  cercle  du 
Haut-Rhin,  à  20  kilomètres  ouest  de  Fribourg  et  55  sud  de 
Strasbourg  ,  sur  la  rive  droite  du  Rhin,  vis-à-vis  du  fort 
Mortier  et  de  Neuf-Brisach ,  ville  de  France  dans  le  dé- 
partement du  Haut-Rhin,  à  12  kilomètres  sud-est  de 
Colmar,  et  2  de  la  rive  gauche  du  Rhin ,  place  de  guerre  de 
1"^"  classe,  bâtie  en  1690  par  Louis  XIV,  et  fortifiée  en  1699 
par  Vauban  (  après  la  perte  du  Vieux-Brisach  ),  avec  une 
population  de  2,000  âmes ,  une  direction  d'artillerie,  un 
arsenal  et  une  grande  fabrication  de  calicot. 

Quant  au  Brisach  badois ,  bâti  sur  un  mamelon  de  for- 
mation basaltique,  il  fut  longtemps  ville  libre  impériale, 
et  passa  pour  une  des  places  les  plus  fortes  de  l'Allemagne 
jusque  vers  le  milieu  du  siècle  dernier,  où  ses  fortifications 
furent  en  partie  détruites  par  ordre  de  l'impératrice  Marie- 
Thérèse.  On  y  remarque  l'église  de  Saint-Étienne,  monument 
d'architecture  gothique,  qui  contient  les  tombeaux  d'un 
grand  nombre  de  personnages  célèbres.  Un  pont  jeté  sur  l« 
Rhin  le  met  en  communication  avec  la  rive  gauche.  Sa  po- 
pulation est  de  3,200  âmes  ;  son  commerce  et  sa  navigation 
sur  le  fleuve  sont  considérables;  sa  douane  est  une  des  plus 
actives  de  cette  frontière,  ainsi  que  sa  fabrication  de  tabac. 

Sa  situation ,  abrupte,  isolée,  dut  en  faire  de  bonne  heure 
un  point  stratégique  important.  Jules  César  en  parle,  soua 
le  nom  de  mons  Brisacius,  comme  d'une  forteresse  des 
Séquaniens.  Après  la  domination  romaine ,  Brisach ,  suivant 
les  destinées  des  pays  voisins ,  appartint  tantôt  à  l'Empire , 
tantôt  à  quelqu'un  de  ses  puissants  vassaux.  Durant  la 
guerre  de  trente  ans,  les  Suédois  et  les  Français  la  mena- 
cèrent à  deux  reprises.  Enfin  elle  dut  succomber  en  163* 
devant  l'armée  commandée  par  le  duc  Bcrnardde  Saxe- 
Weimar.  L'année  suivante,  l'empereur  Ferdinand  essaya 
vainement  de  la  reprendre ,  et  la  paix  de  Westphalie  en 
assura  la  possession  à  la  France,  qui  la  regarda  comme  un« 
des  clefs  de  son  territoire  jusqu'en  1697,  que,  par  la  paix 
de  Ryswyck,  Louis  XIV,  dont  la  période  de  revers  avait 
commencé,  fut  contraint  de  la  rendre  à  l'Empire.  Pendant 
la  guerre  de  la  succession  d'Espagne,  les  Français  s'en  em- 
parèrent par  surprise,  et  s'y  maintinrent  jusqu'en  1715,  où 
la  paix  de  Radstadt  la  rendit  à  l'Autriche.  En  1793  les  Fran- 
çais s'en  rendirent  maîtres  de  nouveau ,  et  en  rasèrent  le* 
fortifications;  mais  la  paix  de  Lunéville  en  attribua  la  pos- 
session au  duc  de  Modène,  puis  elle  fut  donnée  à  l'archiduc 
Ferdinand ,  et  définitivement  annexée  par  la  paix  de  Pres- 
bourg  au  grand-duché  de  Bade. 

BRISAJVTS,  masse  de  rochers  ou  de  coraux  contre 
lesquels  la  mer  frappe  ou  brise.  On  donne  aussi  ce  nom  aux 
lames  produites  par  le  choc  de  la  mer  contre  les  côtes  et 
contre  les  rochers  à  fleur  d'eau  ou  sous  l'eau ,  et  contre  les 
bancs  qui,  ayant  autant  d'inégalités  dans  le  fond  du  sol  qu« 
dans  leur  profondeur,  sont  assez  élevés  pour  produire  de 
telles  lames.  Dans  ces  deux  cas,  les  brisants  sont  utiles,  en 
ce  que ,  d'abord,  le  mouvement  ondulatoire  qui  se  commu- 
nique à  la  surface  de  l'eau  annonce  la  présence  du  danger, 
et  qu'en  outre  le  mouvement  rétrogiade  que  leur  choc  im» 
prime  au  navire  suffit  quelquefois  pour  le  mettre  hors  d« 
toute  atteinte. 

Les  brisants,  très-dangereux  pour  les  petits  navires,  qu'ils 
tourmentent  beaucoup ,  sont  incommodes  pour  les  gros, 
qu'ils  empêchent  de  gouverner  en  amortissant  leur  air.  A 
l'abord  d'une  côte,  h  l'entrée  d'imc  baie,  d'une  rade,  d'un 
port,  leur  mouvement  ondulatoircdonneaux  navires  unetelle 
levée,  que  parfois  ils  ne  peuvent  passer  sans  le  plus  gr««i 

91. 


724 


BRISANTS  —  BRIS  ET  NAUFRAGE 


danger  sur  des  hauts-fonds  où  ils  auraient  eu  assez  d'eau  sans 
cette  levée.  Parfois  aussi  ils  rendent  totalement  imprati- 
cable l'entrée  d'un  port  ou  l'abord  d'une  côte. 

BRISE.  On  entend  vulgairement  par  ce  mot  un  petit 
vent  (rais  et  périodique  qui  souffle  dans  certains  parages. 
En  termes  de  marine ,  c'est  la  qualilication  générique  du 
Tcnt  quand  il  n'est  pas  à  la  tempête.  On  dit  unc/aible  brise, 
une  petite  brise,  une  jolie  brise,  une  bonne  brise,  une 
brise  carabinée ,  une  brise  de  terre,  une  brise  du  large. 
H  ne  faut  pas  confondre  la  brise  de  terre  avec  le  vent  de 
terre,  ni  la  brise  du  large  avec  le  vent  du  large.  La  brise  du 
large  et  celle  de  terre  sont  des  brises  régulières  qui  se  suc- 
cèdent dans  la  zone  torride,  et  môme  un  peu  en  dehors.  La 
brise  de  terre  souffle  vers  le  matin  ;  elle  est  moins  forte 
<^ue  celle  du  large.  Elle  souffle  sur  la  terre  refroidie  quand 
l'air  n'est  plus  raréfié  :  à  ce  moment,  la  chaleur  que  la  mer 
a  conservée ,  raréfie  l'air  qui  lui  est  supérieur,  et  alors  celui 
de  terre  accourt  pour  remplir  la  dilatation  qu'opère  la  raré- 
faction au  large.  La  brise  du  large  se  fait  sentir  vers  midi, 
et  dure  plus  ou  moins,  quelquefois  jusqu'à  sept  ou  huit 
heures,  et  quelquefois  jusqu'à  minuit  :  elle  est  régulière 
sur  les  côtes  des  continents  et  des  grandes  îles  entre  les 
tropiques.  La  brise  carabinée  est  le  grand  frais;  elle  fait 
riser  (  sener  )  les  huniers  au  plus  près. 

BRISÉES.  On  entend  au  propre  par  ce  mot,  en  termes 
d'eaux  et  forêts ,  des  branches  que  l'on  coupe  dans  un 
taillis  ou  à  de  grands  arbres  pour  marquer  les  bornes  des 
coupt^s.  En  termes  de  chasse ,  ce  sont  également  des  branches 
que  le  veneur  rompt  aux  arbres  ou  qu'il  sème  sur  son  clie- 
niin  pour  reconnaître  l'endroit  où  est  la  bête  et  où  ou  l'a 
détournée  :  on  ûit/rapper  aux  brisées  pour  courre  lorsque 
le  veneur  a  fait  son  rapport. 

Dans  le  style  figuré ,  on  se  sert  du  mot  brisées  dans  la 
même  acception,  c'est-à-dire  pour  indiquer  la  voie  pratiquée 
})ar  quelqu'un,  et  que  l'on  veut  suivre  :  aller  ou  marcher 
sur  les  brisées  de  quelqu'un,  c'est  suivre  ses  traces,  c'est 
entrer,  en  quelque  sorte,  en  émulation,  en  concurrence,  en 
rivalité  avec  lui. 

BRISÉISou  HIPPODAMIE,  fille  de  Brisés,  grand  prêtre 
de  Jupiter  à  Ly messe  ,  capitale  de  la  Cilicic,  et  femme  de 
IMynès,  roi  de  cette  contrée,  tomba,  après  la  mort  de  son 
*'poux  et  la  prise  de  cette  ville  par  les  Grecs  durant  la 
guerre  de  Troie,  dans  le  partage  que  les  vainqueurs  firent 
du  butin,  entre  les  mains  d'Achille,  qui  en  devint  éper- 
dùaient  amoureux  ,  et  promit  d'en  faire  sa  femme.  Mais 
Agamemnon,  que  les  conseils  d'Achille  avaient  obligé  de 
rendre  à  Chrysès ,  frère  de  Brisés,  sa  fille  Chryséis,  dont  il 
avait  fait  son  esclave,  fit  enlever  au  héros  sa  captive,  et  la 
{^aida  dans  sa  tente,  où  il  la  traita,  du  reste,  avec  toutes 
sortes  d'honneurs  et  de  respects.  Le  ressentiment  qu'A- 
chille conçut  de  cette  action  faillit  avoir  des  suites  funestes 
pour  les  Grecs,  qui  se  virent  privés  de  l'appui  du  héros, 
retenu  durant  près  d'une  année  dans  sa  tente  sans  vouloir 
jirendre  aucune  part  aux  combats.  Enfin,  Agamemnon,  ef- 
frayé des  victoires  d'Hector,  consentit,  à  la  prière  des  Grecs, 
à  rendre  Briséisà  Achille,  et  il  la  lui  renvoya  avec  de  riches 
jirésents;  mais  celui-ci  refusa  de  la  reprendre.  On  ignore 
ce  qu'elle  devint  après  la  mort  d'Achille,  dont  la  colère  et 
l'inaction  après  l'enlèvement  de  sa  captive  font  le  sujet  prin- 
cipal (\cVHiade. 

BRISE  "LAMES.  On  nomme  ainsi  un  ensemble  de 
claire-s-voies  prismatiques,  faites  en  bois  et  flanquées  de 
liégc,  longues  chacune  de  vin^t  mètres ,  qui  dépassent  de 
deux  mètres  la  surface  agitée  de  la  mer,  et  qu'on  amarre 
solidement  à  environ  trois  Lilomèlres  des  côtes.  C'est  une 
espèce  de  digue  en  bois,  à  la  fois  résistante  et  mobile.  Les 
sections  du  brise-lames  sont  placées  en  ligne,  ou  plutôt  en 
échiquier  de  manière  5  se  prêter  un  mutuel  appui.  La  lame 
qui  vient  du  large  passe  à  travers  le  brise-lames  comme  a 
travers  un  crible  élastique,  cl  perdant  son  clan ,  la  mer  reste 


calme  dans  le  bassin  que  le  brise-lames  enserre  et  pro- 
tège. 

Les  premiers  essais  de  cet  appareil  ont  été  faits  à  Pen- 
zanceet  en  avant  de  Brighton.  En  1846  on  en  a  construit 
un  dans  le  port  de  la  Ciotat  (  Bouches-du-Rliône  ). 

BRISE  -  MOTTE.  On  appelle  ainsi  tout  instrument 
propre  à  pulvériser  les  mottes  trop  grosses  que  laisse  l'opéra- 
tion du  labourage.  Tels  sont  les  rouleatix  compresseurs 
de  Schattenniann,  soit  unis  soit  garnis  de  pointes ,  et  le 
rouleazi  scjuelelte,  qui,  formé  de  disques  de  fonte  enfilés 
dans  un  axe  de  fer ,  offre  des  tranchants  moins  sujets  à 
s'émousser  que  les  dents  des  rouleaux  à  pointes. 

Après  le  passage  du  rouleau,  les  mottes  semblent  quelque- 
fois encore  tout  entières  ;  mais  on  ne  tarde  pas  à  s'aper- 
cevoir de  l'atteinte  qu'elles  ont  reçue  ;  car  en  faisant  succéder 
à  ce  travail  celui  de  la  herse,  elles  se  brisent,  s'émiettent 
sans  peine,  tandis  qu'elles  résistaient  avant  le  passage  du 
rouleau. 

BRISE-PIERRE,  instrument  dont  on  se  sert  pour 
concasser  la  pierre  qui  entre  dans  le  ferrement  des  routes. 
En  chirurgie,  c'est  le  nom  de  plusieurs  instruments  de  li- 
thotritie  employés  pour  briser  la  pierre  dans  la  vessie. 

BRISER.  En  termes  de  blason  c'est  charger  un  écu  de 
brisures,  comme  lambel,  bordure,  etc.,  pour  distinguer 
les  branches  et  les  cadets  de  leur  aîné ,  auquel  appartiennent 
les  armes  pleines. 

BRIS  ET  NAUFRAGE  (  Droit  de).  Ce  droit  a  long- 
temps existé  en  France  :  c'était  la  confiscation  de  ce  qui 
restait  d'un  vaisseau  qui  avait  fait  naufrage  et  s'était  brisé 
sur  les  côtes.  U  est  vraiment  curieux  de  rechercher  l'origine 
d'un  usage  si  barbare,  qui  s'était  établi  chez  les  peuples  ri- 
verains de  la  mer,  et  que  jusque  vers  la  fin  du  dix-septième 
siècle,  au  milieu  d'une  civilisation  très-avancée,  notre  lé- 
gislation avait  osé  consacrer.  On  en  trouve  des  traces  chez 
toutes  les  nations  maritimes  ;  mais  c'est  dans  la  barbarie  des 
premiers  âges  qu'il  a  pris  naissance.  Lorsque  les  hommes 
commencèrent  à  s'organiser  en  sociétés ,  les  tribus  demi- 
sauvages  étaient  en  guerre  permanente;  la  piraterie  devait 
donc  être  en  quelque  sorte  le  droit  des  gens  de  ceux  qui 
habitaient  le  littoral  des  mers  ;  tout  étranger  étant  un  en- 
nemi ,  quelle  loi  eût  pu  protéger  les  naufragés?  On  trouvait 
tout  naturel  de  prendre  ce  qu'offrait  la  tempête  ;  et  d'ailleurs, 
il  était  difficile  qu'on  respectât  un  malheureux  que  la  colère 
des  dieux  semblait  poursuivre. 

Mais  quand  des  relations  de  commerce  et  d'amitié  se 
furent  établies  entre  les  nations,  que  des  conventions  réci- 
proques eurent  offert  une  protection  aux  citoyens  de  pays 
ilivers,  il  est  probable  qu'alors  on  dut  considérer  les  hommes 
que  la  tempête  poussait  sur  les  côtes,  avec  quelques  débris 
de  leur  fortune ,  comme  ayant  autant  de  droits  que  ceux 
qui  y  abordaient  tranquillement  pour  y  (aire  un  trafic  avan- 
tageux. Alors  la  féroce  coutume  de  piller  les  naufragés,  de 
les  réduire  en  esclavage,  de  les  immoler  comme  des  bétes 
fauves,  ou  même  de  les  sacrifier  en  holocauste' sur  les  au- 
tels de  la  Divinité,  disparut  sans  doute,  et  les  naufragés,  en 
mettant  le  pied  sur  le  rivage  d'une  nation  civilisée  par  le 
commerce,  purent  dire  comme  Ménélas  dans  Euripide: 
Kauayô;  èyô)  Çsvo;,  à(j-j).y;Tov  ^évo;  (Sum  naufragus ,  spo- 
liura  quod  geniis  est  ne/as  ).  Les  Égyptiens ,  ijui ,  par  des 
raisons  de  siirelé  intcrieu-re  ou  ae  commerce,  fermaient  quel- 
ques-uns de  leurs  ports  aux  étrangers,  firent  une  exception 
en  faveur  de  ceux  que  la  tempête  contraignait  à  chercher 
un  asile  dans  ces  ports  réservés.  La  législation  romaine  avait 
pris  toutes  les  mesures  qui  étaient  en  son  pouvoir  pour 
empêcher  que  les  naufrages  ne  fussent  pillés;  la  loi  pro- 
nonçait des  peines  sévèies  contre  ceux  qui  élevaient  sur  la 
côte  des  feux  pour  attirer  les  navigateurs  dans  les  écueils, 
(  ne  piscotores,  lumine  ostcnso,  /allant  navigantes,  qua- 
si in  port  uni  uliqurni  delaturi,  etc.  ).  Les  lois  de  Cons- 
luulin  cuiisacrèrcut  le  principe,  qu'il  était  odicuv  que  le  fisc 


BRIS  ET  NAUFRAGE  —  BRISSAG 


72^ 


s'enrichît  de  la  misère  des  marins  que  les  flots  mêmes  avaient 
épargnés. 

LMiivasion  des  barbares  dans  l'empire  romain  renversa 
ces  sages  institutions ,  et  l'atroce  coutume  de  s'emparer  des 
malheureux  échappés  au  naufrage  et  de  voler  les  débris  de 
leur  fortune  fut  remise  en  vigueur.  Cependant  ce  dioit  hor- 
rible ne  fut  pas  admis  partout  sans  réclamations  ;  le  code 
des  Yisigoths  condamnait  à  une  amende  considérable  ceux 
qui  pillaient  les  naufragés;  et  l'empire  d'Orient  au  moyen 
âge  avait  fait  revivre  les  belles  lois  romaines  à  cet  égard. 
Mais  quand  le  système  féodal  eut  embrassé  la  France  comme 
un  réseau  de  fer ,  les  droits  sacrés  des  naufragés ,  oubliés 
pendant  les  troubles,  ne  furent  pas  rétablis  ;  les  seigneurs 
féodaux  trouvirent  plus  agréable  de  mettre  au  nombre  de 
leurs  prérogatives  le  pillage  des  navires  que  l'orage  poussait 
sur  leurs  côtes;  quelques-uns  même,  ainsi  que  des  chefs  de 
brigands,  s'entendaient  avec  les  locmans  ou  pilotes  pour  faire 
échouer  les  navires  sur  des  pointes  de  rochers  ;  et  c'est  dans 
ces  siècles  que  l'histoire  de  la  Bretagne  nous  retrace  la  bar- 
barie de  certains  habitants  des  côtes ,  qui  attachaient  pen- 
dant la  nuit  des  feux  à  la  queue  des  vaches  ou  aux  cornes 
des  taureaux  pour  tromper  les  yeux  des  marins  c[ui  s'appro- 
chaient de  leurs  rivages. 

Alors  s'organisa  ce  honteux  brigandage ,  et  il  fut  inscrit 
dans  nos  lois  sous  le  nom  de  Droit  de  bris  et  naufi'age.  Il 
passa  à  la  couronne  quand  la  royauté  se  substitua  au  pou- 
voir des  seigneurs  féodaux,  et  Louis  XI  l'énonçait  en  termes 
formels  comme  faisant  partie  de  l'apanage  de  son  frère. 
Quand  les  prérogatives  de  l'amiral  de  France  furent  fixées, 
ce  droit  lui  fut  concédé,  et  il  continua  ainsi  à  être  en  usage 
avec  quelques  modifications,  jusqu'à  ce  qu'enfin  Louis  XIV 
l'abolit  entièrement  dans  tous  les  pays  de  son  obéissance, 
par  son  ordonnance  de  1681.  Il  fit  même  des  règlements 
pour  obliger  les  paroisses  voisines  de  la  mer  à  aider  dans  le 
sauvetage  des  navires  et  des  marchandises  ceux  qui  feraient 
naufrage  sur  leurs  côtes,  ^"ous  nous  abstiendrons  de  donner 
des  éloges  à  cette  ordonnance;  il  est  remarquable  qu'elle 
n'ait  pas  été  faite  et  mise  en  vigueur  plusieurs  siècles  plus 
tôt,  car  une  loi  de  Richard  Cœur-de-Lion  avait  déjà  rendu 
cette  justice  aux  marins  qui  échappaient  au  naufrage. 

Théogène  Page,  contre-amiral. 

BRISEURS  D'IMAGES.  Voyez  Iconoclastes. 

BRISE- VTÎllXT ,  terme  par  lequel  on  désigne ,  en  hor- 
ticulture ou  en  jardinage,  un  rempart  de  paille  ou  de  ro- 
seaux pratiqué  pour  mettre  des  plantes  ou  des  couches  à 
l'abri  du  vent.  Ces  brise-vent  ou  paillassons  doivent  être 
placés  perpendiculairement,  et  maintenus  dans  cette  position 
par  le  secours  de  piquets  fichés  en  terre;  ils  ont  communé- 
ment de  un  à  deux  mètres  de  hauteur,  et  leur  longueur  est 
proportionnée  au  terrain  que  l'on  veut  abriter.  On  se  sert 
aussi,  pour  le  même  objet,  de  lignes  d'arbres  rapprochés  et 
tenus  très-courts.  Voyez  ÂEni. 

BRISGAU.  Ce  pays  réuni  au  bailliage  d'Ortenau  forme 
l'une  des  plus  belles  et  des  plus  riches  contrées  du  grand- 
dnché  de  Bade,  où  il  fait  partie  des  cercles  du  Haut-Rhin  et 
du  Rhin  central. 

Le  Brisgau  comprend  une  superficie  d'environ  33  myria- 
mètres  carrés,  et  une  population  de  150,000  âmes  répartie 
entre  dix-sept  villes,  dix  bourgs  et  quatre  cent  quarante 
villages.  Ce  pays  est  généralement  montagneux,  particu- 
lièrement aux  environs  de  Triberg,  de  Saint-Pierre  et  de 
Saint-Biaise;  ilrenferme  les  pics  les  plus  élevés  delà  Forêt- 
Noire,  dont  les  plateaux  vont  toujours  en  diminuant  d'élé- 
vation ,  et  en  formant  une  suite  de  teiTasses  à  mesure  qu'ils 
se  rapprochent  davantage  du  Rhin ,  avec  de  fertiles  plaines 
et  de  ravissantes  montagnes,  entre  lesquelles  serpentent 
des  vallées  étroites ,  parfaitement  cultivées  et  extrêmement 
peuplées.  Sur  tous  les  points  le  sol  est  arrosé  par  de  petits 
aflluents  du  Rhin,  dont  les  plus  importants  sont  l'Elz,  le 
Treisam,  le  Glotter,  le  Wiesen  et  le  Neumagen.  On  y  tiouve 


aussi  plusieurs  petits  lacs,  la  plupart  situés  dans  les  parties 
les  plus  élevées  de  la  montagne.  Dans  les  plaines  l'agriculture 
est  pratiquée  avec  une  remarquable  intelligence.  On  y  récolte 
d'excellentes  espèces  de  vins,  d'excellents  grains,  et  quantité 
de  fruits,  de  chanvre  et  de  légumes  de  tous  genres.  La  culture 
des  pins  dans  les  montagnes  et  les  riches  pâturages  des  vallées 
constituent  les  principales  richesses  des  habitants  de  la 
Forêt-Noire,  qui  s'occupent  avec  succès  de  l'éducation  des 
bestiaux ,  du  flottage  et  du  commerce  des  bois,  de  la  fabri- 
cation de  toutes  sortes  d'objets  en  fer  et  en  bois,  et  surtout 
de  celle  des  horloges  et  pendules  si  connues  sous  le  nom 
û'^horloges  de  la  Forêt-Noire.  L'exploitation  de  quelques 
mines  donne  en  outre  d'assez  importants  produits  en  fer, 
plomb ,  cuivre  et  argent. 

A  l'époque  de  la  domination  romaine,  que  rappellent 
encore  une  foule  d'antiquités,  le  Brisgau  faisait  partie  du 
pays  des  Aleman  s  et  était  habité  par  l'une  de  leurs  tribus, 
celle  des  Brisigarii.  Au  moyen  âge  ce  gau  fut  gouverné 
par  des  comtes ,  et  à  partir  du  onzième  siècle  par  les  Bes- 
tilons,  devenus  plus  tard  ducs  deZaehringen.  A  l'extinction 
de  leur  race,  en  la  personne  du  duc  Berthold  V,  dit  le 
Biche,  mort  en  1218,  une  partie  du  Brisgau  passa  sous 
l'autorité  des  margraves  de  Bade ,  descendants  du  duc  de 
Zœhringen,  Berthold  l",  et  une  autre  partie  aux  gendres  du 
dernier  comte,  les  comtes  de  Kybourg  et  d'Urach.  Hedwige, 
fille  et  héritière  du  dernier  comte  de  Kybourg,  ayant  épousé 
le  comte,  devenu  plus  tard  l'empereur  Rodolphe  T""  de 
Habsbourg,  cette  partie  du  Brisgau  devint  la  propriété  de  la 
maison  de  Habsbourg. 

Après  avoir  acheléen  1370au  comte  d'Urach  F  ribonrg, 
chef-lieu  du  Brisgau ,  l'Autriche  sut  insensiblement  s'adjuger 
la  souveraineté  de  tout  le  pays,  de  sorte  qu'en  1386  le  duc 
Frédéric  d'Autriche  réunissait  déjà  sous  son  autorité  presque 
tout  le  Brisgau,  à  l'exception  de  Badenweibern  et  de  quelque» 
petites  parcelles  de  territoire  qui  passèrent  sous  les  lois  des 
souverains  de  Bade.  A  l'origine  l'Autriche  fit  administrer  le 
Brisgau  par  des  baillis;  mais  en  1470  la  mauvaise  gestion 
du  bailli  Pierre  de  Hagenbach  fut  cause  qu'on  y  convoqua 
des  états  provinciaux  à  l'effet  d'administrer  le  gau  de  con- 
cert avec  eux.  Depuis  cette  époque  le  Brisgau  partagea  tou- 
jours, jusqu'à  la  fin  du  dix-huitième  siècle ,  les  destinées  de 
l'Autriche  et  des  contrées  du  Haut-Rhin. 

Aux  termes  de  la  paix  de  Lunéville,  en  1801 ,  l'Autriche 
céda  le  Brisgau  avec  l'Ortenau  (  à  l'exception  du  Frickthal, 
qui  comptait  une  population  de  plus  de  20,000  âmes  répartie 
sur  une  superficie  d'un  peu  plus  de  275  kilomètres  carrés, 
et  que  la  France  fit  réunir  à  la  république  Helvétique),  au 
duc  de  Modène.  A  la  mort  de  ce  prince,  arrivée  en  oc- 
tobre 1S03,  il  eut  pour  successeur  son  gendre,  l'archiduc 
Ferdinand  d'Autriche,  qui  prit  le  titre  de  duc  de  Brisgau- 
Mais  la  paix  de  Presbourg  le  contraignit  à  faire  la  cession 
de  son  duché  au  grand-duché  de  Bade  et  au  royaume  de 
Wurtemberg ,  et  celui-ci  fit,  moyennant  indemnité,  abandoo 
de  sa  portion  au  grand-duché. 

BRISOIR.  Voyez  Broyé. 

BRISSAG  (Famille  de).  La  maison  de  Cossé-Brissac, 
appartenant  à  l'ancienne  chevalerie,  et  l'une  des  plus  illus- 
tres de  France,  tire  son  nom  de  la  terre  de  Cossé  dans  le 
Maine  et  de  celle  de  Brissac  dans  l'Anjou.  Elle  a  donné 
quatre  maréchaux  de  France ,  six  chevaliers  des  ordres  du 
roi ,  un  grand  maître  de  l'artillerie,  deux  colonels  généraux 
d'infanterie  et  plusieurs  gouverneurs  de  provinces.  La  branche 
aînée,  devenue  ducale  en  1611,  s'est  éteinte  le  9  sep- 
tembre 1792,  par  la  mort  du  duc  de  Brissac,  massacré  au 
château  de  Versailles. 

Nous  consacrons  un  article  spécial  au  maréchal  dit  le  beau 
Brissac.  Son  frère  Arthur  de  Cossé-Brissac  fut  aussi  un 
capitaine  distingué.  Il  signala  son  courage  et  son  dévouement 
dans  diverses  campagnes,  de  1551  à  1567,  et  reçut  de 
Charles  IX  le  bâton  de  maréchal  de  France.  Détenu   pea- 


L 


736 


BRISSAC  —  BRISSON 


dant  dix-sept  mois  à  la  Bastille  par  ordre  de  Catherine  de 
Médicis,  sur  le  soupçon  d'avoir  pris  parti  pour  le  duc  d'A- 
lençon ,  il  ne  recouvra  sa  liberté  que  sous  Henri  III ,  et 
mourut  en  1582. 

Timoléon  de  Cossé,  dit  le  comte  de  Brissac,  û\s  de 
Charles,  avait  déjà  mérité  par  sa  valeur  les  plus  hautes  dis- 
tinctions militaires,  lorsqu'on  1569  il  fut  tué,  à  vingt-cinq 
ans,  au  siège  de  Mucidan ,  en  Périgord.  Charles  //de 
Cossé-Brissac,  son  frère,  servit  en  Piémont  sous  leur  père, 
et  y  resta  jusqu'à  l'évacuation  de  ce  pays,  en  1574.  Monté 
sur  la  flotte  de  Strozzi ,  lors  de  l'expédition  des  Açores 
en  1582,  il  en  ramena  les  débris  après  la  défaite,  prit  une 
part  active  à  la  lutte  du  roi  contre  les  Seize,  abandonna  le 
parti  royal,  accepta  de  Mayenne  le  gouvernement  de  la  Ro- 
chelle, et,  gouverneur  de  Paris  pour  la  Ligue,  avec  le  titre 
de  maréchal,  en  1594,  en  remit  l'année  suivante  les  clelâ 
à  Henri  IV,  qui  lui  conserva  ses  titres  et  dignités,  et  l'em- 
ploya dans  plusieurs  affaires  importantes.  Créé  duc  et  pair 
en  1611,  il  se  signala,  en  1617,  à  l'assemblée  des  grands  du 
royaume,  et  mourut  en  1621,  au  siège  de  Saint-Jean  d'An- 
gely. 

Jean-Paul-TimoUon  de  Cossé-Brissac  ,  né  en  169S , 
soutint  glorieusement  le  nom  de  ses  ancêtres.  Il  servit  d'a- 
bord en  1714  sur  les  galères  de  Malte,  se  signala  au  siège 
de  Corfou,  ainsi  que  dans  diverses  actions  contre  les  Turcs, 
fut,  à  son  retour,  créé  mestre  de  camp,  puis,  en  1768, 
élevé  à  la  dignité  de  maréchal  de  France,  et  mourut  en  1784. 
JLouis-Joseph-Timoléon,  duc  de  Cossé-Brissac,  son  fils 
aîné,  fut  tué  en  1757  à  la  bataille  de  Rosbach,  ne  laissant 
pas  de  postérité. 

Louis- Hercule-Timoléon ,  dvc  de  Cossé-Brissac  ,  pair  et 
grand  pannetier  de  France,  gouverneur  de  Paris,  capitaine- 
colonel  des  Cent-Suisses  de  la  garde  du  roi  et  chevalier  de 
ses  ordres,  né  en  1734,  fut  nommé  en  1791  commandant 
général  de  la  garde  constitutionnelle  de  Louis  XYI.  Décrété 
d'accusation  lors  du  licenciement  de  ce  corps  en  1792,  il  fut 
transféré  à  Orléans,  puisa  Versailles,  où  il  fut  massacré, 
dans  les  premiers  jours  de  septembre,  avec  les  autres  pri- 
sonniers. 

Timoléon  de  Cossé  ,  duc  de  Brissac  ,  de  la  même  branche 
que  les  précédents,  né  en  1775,  servit  d'abord  comme  vo- 
lontaire dans  la  garde  constitutionnelle  de  Louis  XVI ,  et 
disparut  de  la  scène  politique  jusqu'à  l'Empire,  où  il  devint 
chambellan  de  madame  mère  et  préfet,  d'abord  du  dépar- 
tement de  Marengo,  puis  de  celui  de  la  Cùte-d'Or.  Lors  de 
la  première  invasion ,  il  prit  des  mesures  énergiques  pour 
arrêter  les  progrès  des  alliés.  Mais,  dégagé,  par  la  mauvaise 
fortune  de  Napoléon ,  de  ses  serments  et  de  la  fidélité  qu'il 
lui  avait  vouée,  il  envoya  son  adliésion  au  rétablissement 
des  Bourbons.  Élevé  à  la  pairie  en  1814,  le  duc  de  Brissac, 
qui  avait  constamment  voté  en  faveur  des  principes  monar- 
chiques, se  rallia  plus  tard  à  la  nouvelle  royauté  créée  par 
la  révolution  de  Juillet.  La  révolution  de  février  lui  enleva 
son  siège  au  Luxembourg,  mais  en  1852  il  a  accepté  une  can- 
didature au  conseil  général  de  Maine-et-Loire. 

BRISSAC  (  CuARLES  de  COSSÉ-) ,  marèclial  de  France, 
né  en  1506,  fut,  dès  sa  jeunesse,  attaché  au  dauphin.  Il  dé- 
buta dans  la  carrière  des  armes  en  1528,  et  se  distingua  au 
siège  de  Naplcs ,  où  il  fut  fait  prisonnier  par  les  Espagnols. 
H  n'avait  alors  que  vingt-trois  ans.  Du  reste,  il  déploya  de 
grands  talents  dans  toutes  les  guerres  que  François  l"  eut 
à  soutenir,  cl  rendit  à  ce  prince  d'èmincnts  services.  En  1547 
il  fut  nommé  colonel  de  la  cavalerie  légère.  A  peùie  Henri  II 
eut-il  succédé  à  son  père,  qu'il  prodigua  ses  faveurs  à  Bris- 
sac :  il  le  décora  du  grand  collier  de  son  ordre,  et  lui  donna 
la  charge  de  giand  maître  de  l'artillerie.  Peu  de  temps 
après,  Brissac  fut  envoyé  en  ambassade  à  Charies-Quint,  et 
joignit  la  réputation  de  politique  habile  à  celle  de  bon  ca- 
pitaine. La  guerre  ayant  éclaté  en  Italie,  Henri  lui  confia  le 
gouvernement  du  Piémont,  et  le  nomma  en  môme  temps 


maréchal  de  France.  Brissac  ouvrit  la  campagne  de  1551 
par  la  prise  de  Quiers  et  de  Saint-Damian  ;  mais  il  fut  peu 
secondé  par  la  cour  :  on  l'abandonna  à  ses  propres  forces; 
on  ne  lui  envoya  ni  argent ,  ni  troupes,  ni  munitions ,  ni 
vivres  :  il  était  encore  trop  heureux  lorsque  les  ennemis 
qu'il  avait  auprès  du  roi  n'augmentaient  pas  les  embarras 
de  sa  position.  Brissac,  ayant  presquetoujours  à  lutter  contre 
des  forces  sujjérieures ,  n'éprouva  jamais  d'échecs.  Non- 
seulement  il  conserva  le  pays  qui  lui  était  confié,  mais  il  en 
recula  les  limites.  Il  sut  par  sa  justice ,  i)ar  la  sagesse  de  son  L 
administration,  par  ses  manières  affables,  se  concilier  l'es- 
prit des  habitants.  Pendant  plus  de  dix  ans  il  les  maiolint 
dans  les  mêmes  dispositions  à  l'égard  de  la  France.  Il  fit  ré- 
gner parmi  ses  troupes  la  discipline  la  plus  sévère,  cl  les 
soldats,  souvent  exposés  aux  plus  rudes  privations,  n'osaient 
commettre  ni  désordres  ni  violences. 

Après  la  mort  de  Henri  II,  Brissac  se  vit  forcé  d'aban- 
donner le  théâtre  de  ses  victoires.  Il  revint  en  France,  où  il 
sollicita  le  payement  de  100,000  livres  qu'il  avait  empruntées 
pour  la  solde  des  troupes.  Ne  pouvant  l'obtenir  aussi  proinp- 
tement  qu'il  le  désirait,  il  donna  aux  marchands  piémontais 
qui  les  lui  avaient  avancées  une  somme  de  20,000  écus, 
qu'il  réservait  pour  la  dot  d'une  de  ses  filles.  Cet  acte  de  dé- 
sintéressement fit  beaucoup  de  bruit  à  la  cour  :  on  ne  put 
s'empêcher  de  l'admirer,  mais  on  l'oublia  bientôt.  Brissac 
combattit  les  protestants,  et  se  rangea  dans  le  parti  mixte 
qu'on  désignait  sous  le  nom  de  politiques;  mais  il  ne  joua 
dans  ces  troubles  qu'un  rôle  secondaire.  On  lui  avait  donné 
le  gouvernement  de  Picardie.  Sa  modération  le  fil  accuser 
d'indifférence  pour  la  religion  par  les  catholiques ,  et  les 
protestants  ne  l'en  déchirèrent  pas  moins  dans  leurs  écrits. 
il  ne  changea  pas  pour  cela  de  conduite.  Il  contribua  bea:j- 
coupà  la  prise  du  Havre,  et  ce  fut  son  dernier  exploit.  Il 
mourut  en  1563  ,  à  l'âge  de  cinquante-sept  ans.  Brissac  ne 
dut  pas  sa  fortune  à  ses  seuls  services  :  il  était  doué  de  tous 
les  agréments  extérieurs.  On  ne  l'appelait  à  la  cour  que  le 
beau  Brissac.  Il  y  brilla  par  les  grâces  de  sa  personne ,  par 
son  habileté  et  par  son  esprit.  On  prétend  même  que  l'intérêt 
tout  particulier  que  lui  portait  Diane  de  Poitiers  ne  fut  pas 
étranger  à  son  avancement  dans  l'armée.  Boivin  du  Villars, 
secrétaire  du  maréchal ,  a  laissé  des  Mémoires  qui  méritent 
d'être  consultés.  Th.  Delbare. 

BRISSON  (Barnaré),  né  en  1531 ,  d'une  famille  noble, 
se  distingua  de  bonne  heure  par  ses  grands  talents  et  son 
ambition  pour  les  places.  Il  était  encore  simple  avocat  au 
parlement  de  Paris  quand  Henri  III  disait  qu'aucun  prince 
de  l'Europe  ne  pouvait  se  vanter  de  posséder  un  homme 
aussi  savant  que  son  Brisson.  Avocat  général  au  parlement 
en  1575,  et  président  à  mortier  en  1583,  il  ne  cessa  d'unir 
les  recherches  les  plus  savantes  à  l'exercice  de  ses  fonctions. 
En  1587  le  roi,  après  l'avoir  nommé  conseiller  d'État, 
lui  avoir  confié  plusieurs  négociations  importantes  et  l'avoir 
envoyé  en  ambassade  en  Angleterre,  le  chargea  de  mettre 
en  ordre  les  ordonnances  rendues  sous  son  règne  et  sous 
celui  de  ses  prédécesseurs.  Cet  ouvrage ,  connu  sous  le  nom 
de  Code  Henri,  fut  achevé  en  trois  mois,  et  mérita  de 
grands  éloges  à  Brisson,  qui  avait  travaillé  avec  le  coup 
d'oeil  d'un  véritable  législateur. 

Lorsque,  plus  tard,  par  suite  de  la  jou  mée  des  b  a  r  r  i  c  a  d  c  s 
(  1588) ,  le  roi  se  retira  de  Paris  et  convoqua  le  parleiuent 
à  Tours,  un  assez  grand  nombre  des  membres  quittèrent 
également  la  capitale.  Brisson  fut  de  ceux  qui  restèrent ,  et 
la  Ligue  le  nomma  premier  président ,  à  la  place  d'Achille  de 
Harlay,  prisonnier  à  la  Bastille.  Ce  fut  entre  ses  mains 
que  le  duc  de  Mayenne  prêta  serment  en  qualité  de  lieu- 
tenant général  de  VÉtat  et  couronne  de  France.  On  a 
interprété  très-diversement  la  conduite  que  Bris.son  tint  en 
cette  circonstance.  Il  protesta  secrètement  devant  deux  no- 
taires contre  tout  ce  qu'il  pourrait  faire  de  préjudiciable  aux 
intérêts  du  roi,  déclarant  qu'il  ne  cédait  qu'à  la  force,  et 


BRISSON  —  BRISSOT  DE  WARVILLE 


Tn 


que,  dans  l'impossibilité  de  sortir  de  Paris,  il  se  prêtait  en 
apparence  aux  Tolontés  de  la  ligue  pour  sauver  sa  vie  et 
celle  de  sa  famille.  Il  peut  aussi  être  resté  au  milieu  de  l'in- 
surrection pour  rendie  service  à  la  cause  du  roi  dans  ce 
poste  périlleux.  Achille  de  Harlay,  qui  ne  le  pensait  pas, 
l'appelait  Barrabas,  au  lieu  de  Barnabas  ou  Barnabe. 
Mézeray  lui  reproche  d'avoir  voulu  nager  entre  deux  par- 
tis. On  peut  consulter  encore  sur  ce  point  Pasquier  et  de 
Thou.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  parti  que  Brisson  avait  em- 
brassé le  conduisit  à  sa  perte.  Devenu  suspect  aux  Seize 
par  sa  mansuétude  envers  des  partisans  du  roi  traduits  en 
justice,  et  probablement  aussi  par  une  vague  connaissance 
que  Ton  eut  de  sa  protestation,  les  plus  furieux  de  ses  enne- 
mis le  firent  arrêter  le  15  novembre  1591,  au  moment  où  il 
se  rendait  en  toute  sécurité  au  parlement.  Saisi  à  neuf  heures 
du  matin,  conduit  au  Petit-Châtelet  et  confessé  à  dix,  il 
fut  pendu  à  onze  à  une  poutre  de  la  chambre  du  conseil , 
parce  qu'on  voulait  profiter  de  l'effervescence  du  peuple.  Il 
avait  supplié  ses  bourreaux  de  lui  laisser  achever  en  prison 
un  de  ses  ouvrages  déjà  fort  avancé,  mais  on  ne  l'écouta 
pas.  Le  lendemain ,  son  corps  fut  exposé  sur  la  place  de 
Grève ,  au  milieu  d'autres  morts ,  avec  un  écriteau  portant  : 
Barnabe  Brisson ,  chef  des  hérétiques  et  des  politiques. 
«  Miroir,  certes  (dit  Pasquier  dans  sa  préoccupation  con- 
tre les  égarements  de  la  foule),  et  exemple  admirable  pour 
enseigner  à  tous  magistrats  de  ne  se  rendre  populaires.  » 

Brisson  joignait  à  un  degré  surprenant  la  connaissance  du 
droit  à  celle  des  littératures  anciennes  et  de  l'histoire.  Son 
émdition  nous  paraît  aujourd'hui  fréquemment  indigeste,  il 
est  vrai ,  mais  c'était  le  défaut  général  de  son  temps  et  de 
son  école.  Ses  principaux  ouvrages  sont  :  1°  le  dictionnaire 
qu'il  composa  sur  le  droit  romain  sous  le  titre  :  Be  verbo- 
rtim  qux  ad  jus  pertinent  significatione  (Lyon,  1559 ,  in- 
folio), augmenté  par  Tabor  et  Itter  (1683  et  1721),  et  re- 
fondu avec  succès  par  J.-G.  Heineccius  (Halle,  1743  ).  A. -G. 
Cramer  a  publié  en  1815  un  Supplément  à  ce  lexique.  Il 
faut  aussi  considérer  comme  tels  plusieurs  articles  impor- 
tants du  Magasin  de  Droit  civil,  par  Hugo.  1°  DeformuUs 
et  solemnibus pop.  romani  verbis  (Paris,  1583,  in-folio, 
dernière  édition,  par  Bach,  Leipzig,  1754).  3°  De  regio  Per- 
sarum  Principatu ,  ouvrage  publié  la  dernière  fois  à  Stras- 
bourg, en  1710,  avec  des  notes.  4°  Le  Code  Henri.  —  Les 
divers  traités  de  Brisson  sur  des  parties  isolées  du  droit  ont 
été  recueillis  en  un  volume,  Paiis,  1606,  et  réimprimés  à 
Leyde  en  1747.  Muntz. 

BRISSON  (Mathurin-Jacques)  ,  né  le  30  avril  1725,  à 
Fontenai-le-Comte  (Vendée),  censeur  royal,  membre  de 
l'Académie  des  Sciences ,  et  ensuite  membre  de  l'Institut 
national ,  depuis  son  origine.  Il  avait  montré  dès  son  jeune 
âge  les  plus  heureuses  dispositions  pour  les  sciences  na- 
turelles ,  et  il  leur  consacra  sa  vie  entière.  Ami  et  collabo- 
rateur de  Du  Fay,  de  Réaumur,  il  les  aida  dans  leurs  plus 
importantes  opérations ,  et  se  fit  dans  le  monde  savant  une 
réputation  telle  qu'on  le  désigna  pour  enseigner  aux  enfants 
de  France  les  éléments  de  l'histoire  naturelle  et  de  la  phy- 
sique. Successeur  de  l'abbé  NoUet  au  Collège  de  France ,  il 
prouva  dès  l'ouverture  de  son  cours  que  la  perte  que  venait 
de  faire  la  science  pouvait  être  réparée.  Il  occupa  cette  chaire 
depuis  1770  jusqu'à  son  décès,  arrivé  le  23  juin  1806,  à 
Croissy ,  près  de  Versailles.  Un  fait  physiologique  fort  cu- 
rieux se  rattache  à  cette  mort.  Quelque  temps  auparavant 
une  attaque  d'apoplexie  avait  altéré  toutes  ses  idées ,  effacé 
toutes  ses  connaissances,  même  celle  de  la  langue  française, 
et  il  ne  prononçait  plus  que  des  mots  du  patois  poitevin 
qu'il  avait  parlé  dans  son  enfance  et  oublié  depuis. 

Les  nombreux  et  savants  ouvrages  de  ce  savant  physicien 
sont  avec  r^ux  deNoUet,  de  Du  Fay  et  de  Réaumur,  l'histoire 
la  plus  complète  de  l'état  des  sciences  naturelles  à  la  fin  du 
dix-huitième  siècle.  Il  publia  en  1754  le  Système  du  règne 
animal  et  Ordre  des  Oursins  de  mer,  traduit  de  Th.  Klein 


(3  vol.  in-8°);  en  1756,  le  Règne  animal,  divisé  en  neuf 
classes,  avec  la  division  et  description  des  deux  premières, 
savoir  celles  des  quadrupèdes  et  des  cétacés  ;  en  176S , 
Ornithologie ,  ou  Méthode  contenant  la  division  des  oi- 
seaux en  ordres,  sections,  genres ,  espèces,  et  leurs  ra- 
riétés  (6  y'ol.'m-i"  avec  planches);  en  1781,  Dictionnaire 
raisonné  de  Physique  (2  vol.  in-4°,  avec  atlas)  ;  en  1784, 
Observations  sur  les  nouvelles  découvertes  aérostatiques 
et  sur  la  probabilité  de  pouvoir  diriger  les  ballons  ;  en 
1787,  Z)e  la  Pesantetir  spécifique  des  corps  (in-4°)  ;  en  1789 
et  1800,  Éléments  ou  Principes  Physico-Chimiques,  à  l'u- 
sage des  écoles  centrales  (il  avait  été  professeur  à  l'école 
centrale  des  Quatre-Xations),  4  vol.  in-8°;  en  1797,  Prin- 
cipes élémentaires  de  Vhistoire  naturelle  et  chimique  des 
substances  minérales  (in-8°)  ;  en  1799,  Instructions  sur  les 
nouveaux  poids  et  mesures  (  in-8°) ,  et  Réduction  des  me- 
sures et  poids  anciens  en  mesures  et  poids  nouveaxix,  etc. 
On  doit  encore  à  Brisson  une  traduction  de  VHistoire  de 
l'Électricité  de  Priesfley.  Dufey  (de  l'Yonne). 

BRISSOT, BRISSOTIENS.  Ilnes'agit  point  ici  de  Bris- 
sot  de  Warville  ni  des  adhérents  à  ses  principes,  qui 
partagèrent  sa  proscription.  Pierre  Brissot  était  un  méde- 
cin du  Poitou  ,  au  seizième  siècle.  Chaud  partisan  de  Galiea 
et  d'Hippocrate,  adversaire  prononcé  de  la  médecine  arabe, 
alors  dominante  au  sein  de  l'école ,  il  soutenait  que  dans 
la  pleurésie  il  fallait  saigner  du  côté  où  est  le  mal ,  et  non 
du  côté  opposé,  comme  le  prétendait  Avicenne.  Les  expé- 
riences qu'il  fit  pendant  les  épidémies  de  1515  et  de  1516  à 
Paris  obtinrent,  dit-on,  le  plus  grand  succès;  mais  il  trouva 
un  adversaire  acharné  dans  Denys,  médecin  de  Charles- 
Quint.  Les  deux  sectes  se  distinguèrent  par  les  noms  de 
Brissotiens  et  de  Dionysiens ;  mais  il  n'y  eut  d'autre  sang 
répandu  que  celui  des  malades.  Breton. 

BRISSOT  DE  WARVILLE, député  à  la  Convention 
nationale,  né  à  Chartres,  le  14  janvier  1754,  était  fils  d'un 
traiteur.  Une  vocation  naturelle  le  porta  dès  ses  plus  jeunes 
ans  vers  l'étude  et  la  rédexion;  il  se  formait  à  l'austérité  des 
vertus  républicaines  dans  la  lecture  de  Plutarque,  ce  livre 
des  nobles  âmes ,  qui  fit  aussi  l'enseignement  de  Jean-Jacques 
et  de  M"»^  Roland;  il  se  préparait  à  l'étude  des  langues  et  à 
celle  (les  sciences,  dont  elles  sont  le  plus  utile  instrument; 
il  rêvait  de  Croniwell;  il  subissait  l'influence  de  la  philoso- 
phie novatrice  et  radicale  par  laquelle  le  dix-huitième  siècle 
avait  préludé  aux  grands  et  terribles  événements  qui  de- 
vaient marquer  sa  dernière  période.  Paris  attira  bientôt  à 
lui  le  jeune  étudiant  de  Chartres.  On  le  destinait  au  barreau; 
il  se  fit  recevoir  avocat.  Alors  se  trouvaient  jetés  de  tous 
côtés,  dans  l'obscurité,  sans  nom,  sans  avenir  probable, 
mais  avec  la  soif  de  la  gloire  et  la  haine  d'un  gouvernement 
sans  dignité,  tous  les  hommes  auxquels  la  révolution  devait 
donner  un  nom ,  fatal  pour  quelques-uns  ,  glorieux  pour  la 
plupart.  A  Chartres,  Brissot  avait  connu  Bouvet,  membre 
de  la  Constituante,  où  il  avait  siégé  sans  éclat;  Sergent,  que 
les  massacres  de  septembre  ont  cruellement  illustré;  Pétion, 
qui  devait  plus  tard  partager  les  destinées  politiques  delà 
Gironde.  A  Paris ,  il  se  trouva  placé  chez  le  même  procu- , 
reur  que  Robespierre,  livré  alors  à  des  études  de  morale  et 
de  législation  ;  il  se  lia  avec  Rlarat ,  occupé  à  des  travaux 
purement  scientifiques.  Il  prévoyait  peu  sans  doute  qu'il 
aurait  un  jour  à  combattre  les  infâmes  attaques  du  dernier, 
et  que  l'autre  l'enverrait  à  la  mort. 

Le  barreau ,  avec  ses  discussions  positives  et  ses  intérêts 
étroits ,  offrait  peu  de  charme  à  son  esprit  spéculatif;  il  se 
voua  aux  travaux  plus  attrayants  des  lettres.  Ses  premières 
études  lui  fournirent  l'occasion  d'écrire  sur  les  lois  criminelles; 
et  son  ouvrage ,  pour  être  tombé  dans  l'oubli ,  n'a  peut-être 
pas  été  sans  influence  surles  réformes  qu'a  subies  cette  partie 
de  notre  législation.  Il  embrassa  donc  la  profession  d'homme 
de  lettres  :  cette  profession  offrait  peu  de  ressources  à  un, 
homme  nouveau  ,  qui  la  suivait  sans  fortune  et  sans  esprit 


728 

«Vinlrigiie.  11  ne  tarda  point  à  s'y  trouver  dans  l'abandon , 
et  à  recueillir  le  découragement  pour  prix  de  ses  efforts  cons- 
ciencieux et  désintéressés.  D'Alembert  l'avait  repoussé  avec 
froideur;  Voltaire  avait  répondu  par  quelques  mots  de  bien- 
veillance à  l'envoi  de  sa  Théorie  des  Lois  criminelles;  il 
s'était  trouvé  en  relation  avec  Linguet,  La  Harpe,  Palissot, 
Marmontel  ;  il  avait  mérité  les  éloges  de  Servan ,  Dupaty, 
Condorcet  et  Mirabeau;  mais  l'avenir  ne  s'ouvrait  point  de- 
vant lui.  Il  se  sentait  mal  à  l'aise  an  milieu  de  cette  vieille  so- 
ciété, dont  il  provoquait  la  régénération  sans  l'espérer  encore. 
Le  besoin  d'un  air  plus  libre  le  poussa  hors  de  France.  L'An- 
gleterre offrait  alors  aux  esprits  agités  par  des  rêves  d'indé- 
pendance le  spectacle  d'un  gouvernement  constitutionnel.  La 
littérakire  de  nos  voisins  était  peu  connue  de  nous,  leurs 
institutions  politiques  l'étaient  moins  encore  :  Brissot  voulut 
les  étudier.  11  se  rendit  à  Londres  ,  y  établit  une  correspon- 
dance suivie,  et  vint  travailler  à  Boulogne  au  Courrier  de 
l'Europe.  C'est  dans  cette  ville  qu'il  épousa  la  fille  d'une 
digne  femme,  qui  aimait  à  se  prendre  à  tous  les  sentiments 
généreux ,  et  de  qui  l'auteur  de  cette  notice ,  son  petit-fils , 
a  pu,  il  y  a  quelques  années  encore,  recueillir  les  traditions 
de  tout  ce  qu'il  y  avait  de  pur,  de  simple  et  de  vertueux  dans 
l'homme  qu'elle  avait  choisi  pour  son  gendre. 

Brissot  revint  bientôt  en  France  ;  il  ne  tarda  pas  à  être 
dénoncé  etenvoyé  à  la  Bastille.  C'était  le  disposer  mal  à  rester 
dans  sa  patrie.  La  vie  lui  était  lourde;  la  prison  toujours 
menaçante,  les  libellistes  déjà  ameutés  contre  lui ,  le  besoin 
même,  contre  lequel  son  désintéressement  ne  l'avait  pas  mis  en 
garde,  tout  devait  le  porter  vers  une  autre  existence.  Il  passe 
en  Amérique ,  admire  la  noble  simplicité  de  Franklin,  reçoit 
la  bienveillante  hospitalité  de  Washington,  et  s'enthousiasme 
des  doctrines  de  Penn  et  des  quakers.  Le  voilà  enfin  au  milieu 
de  ces  institutions  qu'il  a  toujours  aimées,  chez  un  peuple 
riche  de  bien-être  et  d'indépendance  ;  il  a  trouvé  une  tene  d'a- 
sile. Maisbientôt  le  bruitde  nos  premières  agitations  politiques 
traverse  les  mers  et  le  rappelle  en  France ,  où  il  doit  aussi 
mettre  la  main  à  l'oeuvre,  et  porter  la  cognée  dans  le  vieil  arbre 
du  despotisme. 

Il  était  de  ces  hommes  nouveaux  que  les  révolutions  mettent 
sur  la  scène  ,  et  il  y  apportait  une  partie  des  qualités  que 
réclame  un  pareil  rôle  :  une  grande  activité  d'esprit,  une  âme 
élevée,  un  patriotisme  sincère.  Mais,  il  faut  bien  le  recon- 
naître ,  les  embarras  de  sa  position ,  les  orages  d'une  jeu- 
nesse aventureuse,  quelques  relations  mauvaises,  contrac- 
tées dans  ses  travaux  littéraires ,  devaient  altérer  son  in- 
fluence ,  et  le  désignaient  d'avance  aux  poignards  de  la  ca- 
lomnie. Ses  travaux  du  Courrier  de  l'Europe  l'avaient 
habitué  à  la  guerre  des  journaux.  Il  crée  Le  Patriote  fran- 
çais, qu'il  soutient  avec  une  infatigable  persévérance.  Il 
fonde  ainsi,  un  des  premiers,  cette  presse  périodique,  appe- 
lée à  tenir  une  grande  place  dans  l'histoire  des  gouverne- 
ments, et  qui  s'éleva  à  la  puissance  d'une  autorité  politique. 
Dans  cette  œuvre ,  il  était  aidé  par  Roland  et  sa  femme ,  l'un 
des  plus  mules  caractères  de  notre  révolution ,  par  Girey- 
Dupré  et  par  Mirabeau  lui-même. 

Au  14  juillet  1789  il  était  membre  du  corps  municipal  de 
Paris  :  ce  fut  lui,  dit-on,  qui  reçut  les  clefs  de  la  Bastille, 
dans  laquelle  il  avait  été  enfermé  cinq  ans  auparavant.  Enfin, 
en  1791 ,  après  onze  ballottages  successifs,  il  fut  appelé  à 
l'Assemblée  législative  comme  député  de  Paris.  Ses  connais- 
sances politiques ,  son  activité ,  le  destinaient  à  y  jouer  un 
rôle  important.  11  y  proposa  peu  delois;  mais  il  était  du  comité 
diplomatique,  et  il  exerça  ainsi  une  grande  induence  sur  les 
déterminations  relatives  à  la  paix  et  à  la  guerre.  Il  fut  aussi 
un  des  plus  ardents  promoteurs  de  la  liberté  des  noirs  et  des 
hommes  de  couleur.  Au  mois  de  janvier  1792  il  dénonça 
les  projets  de  l'Autriche,  et  proposa  d'en  exiger  une  satis- 
faction, se  plaignant  de  la  conduite  des  ministres  de  France, 
surtout  de  celle  de  M.  Delcssart,  contre  lequel  il  solHcita  un 
décret  d'accusation.  La  guerre  était  résolue  hors  de  France, 


BRISSOT  DE  WAR VILLE 


et  déjà  même  presque  commencée;  il  fut  du  nombre  de  ceux 
qui  pensèrent  qu'il  convenait  de  la  déclarer  plutôt  que  de  la 
subir ,  et  fit  enfin  prévaloir  cette  opinion  dans  l'assemblée. 
Il  prononça  le  9  juillet  un  discours  véhément  contre  le  roi 
de  Prusse  et  contre  Louis  XVI  et  sa  cour  ;  il  finissait  par  dire 
que  frapper  les  Tuileries ,  c'était  frapper  le  mal  dans  sa 
racine. 

Cependant,  depuis  longtemps  déjà,  des  divisions  avaient 
éclaté  entre  les  divers  côtés  de  l'Assemblée.  Dès  1791  Bris- 
sot s'était  trouvé  en  opposition  avec  Robespierre  au  club  des 
Jacobins.  Le  25  juillet  1792  il  déclara  à  la  tribune  que  les 
ennemis  de  la  constitution  pouvaient  être  divisés  en  trois 
classes  :  les  rebelles  de  Coblentz ,  les  partisans  des  deux 
chambres,  et  les  régicides,  qui  voulaient  une  république  et 
un  dictateur.  Il  invitait  les  législateurs  à  réprimer  égale- 
ment ces  divers  ennemis.  Les  girondins,  ses  amis  po- 
litiques, qui  furent  aussi,  par  l'iniluence  qu'il  exerçait  parmi 
eux,  désignés  sous  le  nom  de  brissotins ,  les  girondins 
voulaient  arrêter  le  char  de  la  révolution ,  que  les  monta- 
gnards précipitaient  en  avant.  Étaient-ils  assez  puissants 
pour  faire  faire  halte  au  mouvement  populaire?  Avaient-ils 
cette  fermeté  de  caractère  qui  peut  seule  s'interposer  entre 
les  exigences  d'une  théorie  aveugle  et  les  nécessités  de  l'ordre 
et  du  gouvernement?  Il  est  permis  d'en  douter;  mais  il  serait 
pénible  aussi  de  penser  que  la  révolution  ne  put  se  sauver 
elle-même  qu'avec  le  régime  de  sang  et  de  terreur  que  la 
Gironde  tenta  de  prévenir,  et  dont  elle  aima  mieux  être 
victime  que  complice. 

Le  10  août  renversa  le  trône,  déjà  miné  de  toutes  parts, 
et  l'influence  de  Brissot  s'affaiblit  dès  ce  jour  même  ,  quoi- 
qu'il eiit  quelques  amis  dans  le  nouveau  ministère ,  tels 
que  Roland,  Servan,  Clavière  et  Lebrun  ;  mais  tout  le  pou- 
voir était  tombé  dans  les  mains  de  Danton,  homme  de  vio- 
lence et  d'énergie,  incapable  de  céder  à  aucun  obstacle, 
même  à  la  nécessité  du  crime.  Le  jugement  du  roi  marqua 
plus  profondément  encore  la  division  des  montagnards  et 
des  girondins.  Les  deux  partis  s'accusent  réciproquement  ; 
aux  jacobins  Brissot,  Vergniaud,  Lanjuinais,  repro- 
chent de  ne  vouloir  que  du  sang.  La  gironde,  au  contraire, 
est  accusée  de  royalisme.  Brissot  reste  encore  à  la  tête  du 
comité  diplomatique.  C'est  en  son  nom  qu'il  provoque  la  guerre 
contre  l'Angleterre  et  la  Hollande,  dont  les  préparatifs  hos- 
tiles annonçaient  assez  les  projets.  Mais  la  force  n'était  pas 
du  côté  des  girondins;  ils  sont  attaqués  dans  le  sein  de  la 
Convention,  suspendus  le  31  mai,  et  mis  en  accusation  le 
2  juin,  en  présence  d'une  insurrection  populaire. 

C'était  leur  arrêt  de  mort.  Brissot  tenta  de  s'y  soustraire  ; 
il  s'éloigna  de  Paris.  Son  projet  était  de  passer  en  Suisse, 
et  il  faut  dire  qu'il  ne  fut  pas  de  ceux  qui  songèrent  à  faire 
marcher  les  départements  contre  la  Convention.  Il  fut  ar- 
rêté à  Moulins ,  transféré  à  Paris  ,  et  mis  en  jugement  avec 
le  reste  des  proscrits,  dans  les  derniers  jours  d'octobre.  La 
défense  des  girondins  ne  manqua  ni  de  force  ni  de  courage  ; 
mais  était-il  de  leur  dignité  de  se  défendre?  Y  a-t-il  encore 
quelque  place  pour  la  justice  et  la  raison  dans  les  jugements 
révolutionnaires ,  qui  ne  sont  qu'un  mensonge  politique  ? 
Deux  partis  seulement  se  présentaient  aux  accusés  :  se  taire 
et  dédaigner  de  prendre  part  à  un  débat  hypocrite ,  ou  pro- 
clamer hautement  leur  système,  leur  doctrine,  en  se  por- 
tant accusateurs  de  leurs  bourreaux.  Mais  pourquoi  dis- 
cuter sur  des  laits  comme  des  prévenus  vulgaires?  pourquoi 
accepter  le  rôle  d'accusés,  invoquer  des  alibi,  justifier  les 
intentions  personnelles?  Dans  les  procès  politiques,  la  barre 
de  l'accusé  est-elle  autre  chose  qu'une  tribune  ?  Après  trois 
jours  d'inutiles  débats ,  la  sentence  de  mort  fut  prononcée  ; 
tous  les  condamnés  montèrent  sur  l'échafaud  le  31  octobre 
179?..  On  rapportesurleurs  derniers  instants  des  détails  pleins 
d'intérêt  et  de  grandeur.  Leur  mort  fut  digne  de  leur  vie. 

Brissot  n'a  laissé  aucune  foitune  ;  c'est  une  gloire  assez 
commune  dans  ces  temps  de  disintcressement  et  de  pas- 


BRISSOT  r,E  WARVILLE  -  BRISTOL 


729 


gions  énergiques  ,  mais  elle  mérite  encore  d'tHre  citée. 
Comme  écrivain ,  il  a  toujours  travaillé  avec  trop  de  rapi- 
dité pour  avoir  pu  donner  à  ses  écrits  la  profondeur,  la 
correction  et  la  maturité  qui  peuvent  seules  obtenir  les 
suffrages  de  la  postérité.  Sa  Théorie  des  Lois  Criminelles 
appartient  à  l'école  de  Bentham,  et  a  commencé  à  poser  les 
bases  du  système  de  modération  dans  les  peines,  qui  a  fini 
par  prévaloir.  Il  y  a  quelques  pages  bien  pensées  dans  son 
Traité  de  la  Vérité.  Quant  à  ses  écrits  politiques,  ils  ont 
été  se  perdre  dans  l'oubli  où  s'engloutissent  tant  de  talents 
et  de  hautes  pensées  à  nos  époques  de  troubles  et  de  dis- 
sensions civiles.  On  a  publié  il  y  a  quelque  temps  des 
mémoires  composés  avec  ses  papiers.  Ils  ne  sont  pas  sans 
intérêt  ;  mais  l'éditeur  n'a  pas  assez  songé  que  des  détails 
curieux  pour  une  famille  souvent  offrent  peu  d'attrait  au  pu- 
blic. Ses  mœurs  étaient  aussi  pures  que  son  âme  était  élevée. 
Ami  des  quakers ,  il  conservait  dans  son  extérieur,  sans  af- 
fectation pourtant,  la  simplicité  que  ces  sectaires  ont  adoptée. 
Cette  notice  ne  peut  être  mieux  terminée  que  par  un  ex- 
trait des  Mémoires  de  madame  Roland, .oii  elle  trace  le 
portrait  de  Brissot.  «  Ses  manières  simples,  sa  franchise, 
sa  négligence  naturelle ,  me  parurent  en  parfaite  harmonie 
avec  l'austérité  de  ses  principes.  Mais  je  lui  trouvais  une 
sorte  de  légèreté  d'esprit  et  de  caractère  qui  ne  convenait 
pas  également  bien  à  la  gravité  de  sa  philosophie  ;  elle  m'a 
toujours  fait  peine,  et  ses  ennemis  en  ont  toujours  lire  parti. 
A  mesure  que  je  l'ai  connu  davantage ,  je  l'ai  plus  estimé. 
Il  est  impossible  d'unir  un  plus  entier  désintéressement  à 
un  plus  grand  zèle  pour  la  chose  publique,  et  de  s'adonner 
au  bien  avec  plus  d'oubli  de  soi-même.  Mais  ses  écrits 
sont  plus  propres  que  sa  personne  à  l'opérer,  parce  qu'ils 
ont  toute  l'autorité  que  donne  à  des  ouvrages  la  raison ,  la 
justice  et  les  lumières,  tandis  que  sa  personne  n'en  put 
prendre  aucune,  faute  de  dignité.  C'est  le  meilleur  des  Im- 
mains,  bon  époux,  tendre  père,  fidèle  ami,  vertueux  ci- 
toyen. Sa  personne  est  aussi  douce  que  son  caraclère  est  fa- 
cile; confiant  jusqu'à  l'imprudence,  gai,  naïf,  ingénu  comme 
on  l'est  à  quinze  ans ,  il  était  fait  pour  vivre  avec  des  sages , 
et  pour  être  la  dupe  des  méchants.  Savant  publiciste ,  li- 
vré dès  sa  jeunesse  à  l'étude  des  rapports  sociaux  et  des 
moyens  de  bonheur  pour  l'espèce  humaine ,  il  juge  bien 
l'homme,  et  ne  connaît  pas  du  tout  les  hommes.  11  sait 
qu'il  existe  des  vices ,  mais  il  ne  peut  croire  vicieux  celui 
qui  lui  parle  avec  un  bon  visage;  et  quand  il  a  reconnu 
des  gens  comme  tels,  il  les  traite  comme  des  fous  qu'on 
plaint,  sans  se  défier  d'eux.  Il  ne  peut  pas  haïr;  on  dirait  que 
son  âme  ,  toute  sensible  qu'elle  soit ,  n'a  point  de  consis- 
tance pour  un  sentiment  aussi  vigoureux.  Avec  beaucoup 
de  connaissances ,  il  a  le  travail  extrêmement  facile ,  et  il 
compose  un  traité  comme  un  autre  copie  une  chanson. 
Aussi  l'œil  exercé  discerne-t-il  dans  ses  ouvrages,  avec  un 
fonds  excellent ,  la  touche  hâtive  d'un  esprit  rapide  et  sou- 
vent léger.  Son  activité,  sa  bonhomie,  qui  ne  se  refuse  à  rien 
de  ce  qu'il  croit  être  utile,  lui  ont  donné  l'air  de  se  mêler 
de  tout,  et  l'ont  fait  accuser  d'intrigues  par  ceux  qui  avaient 
besoin  de  l'accuser  de  quelque  chose.  Le  plaisant  intriguant 
que  l'homme  qui  ne  songe  jamais  ni  à  lui  ni  aux  siens,  qui 
a  autant  d'incapacité  que  de  répugnance  pour  s'occuper  de 
ses  intérêts,  et  qui  n'a  pas  plus  de  honte  de  la  pauvreté  que 
de  crainte  de  la  mort ,  regardant  l'une  et  l'autre  comme  le 
salaire  accoutumé  des  vertus  publiques.  Je  l'ai  vu  consa- 
crant tout  son  temps  à  la  révolution,  sans  autre  but  que 
de  faire  triompher  la  vérité  et  de  concourir  au  bien  général, 
rédigeant  assidûment  son  journal ,  dont  il  aurait  |)u  faire 
un  objet  de  spéculation  ,  se  contentant  de  la  modeste  rétri- 
bution que  lui  donnait  son  associé.  »  Des  souvenirs  de  fa- 
mille, qu'il  nous  a  été  permis  de  recueillir,  confirment  en 
lous  jmints  ce  portrait.  Brissot  a  mérité  ce  que  dit  de  lui  son 
collaborateur  Girey-Dupré  :  Il  a  vécu  comme  Aristide,  il 
est  mort  comme  Sidney.  Vivien  ,  de  l'Icstiiut. 

niCT.    DE    LA    CO.WEnS,    —    T.    Jll. 


BRISSOTINS.  Voyez  Brissot  de  Warville. 

BRISTOL,  l'une  des  plus  importantes  villes  de  commerce 
de  l'Angleterre,  constitue  avec  sa  banlieue  un  territoire  à 
part  dans  le  comté  de  Somerset.  Elle  est  située  dans  une  belle 
vallée  et  bâtie  -presque  circulairement  sur  les  flancs  d'une 
montagne,  aux  bords  de  l'Avon  et  du  Froome,  dont  le  lit  a 
été  considérablement  élargi,  entouré  de  quais  et  rendu  navi- 
gable pour  des  bâtiments  du  port  de  mille  tonneaux,  à  environ 
quinze  kilomètres  de  la  mer  et  à  deux  cents  de  Londres. 
Elle  possède  un  port  spacieux  pour  les  bâtiments  de  long 
cours,  à  la  construction  duquel  on  a  employé,  de  1803 
à  1809,  plus  de  600,000  liv.  steri.,  ainsi  que  plusieurs  fau- 
bourgs, mieux  bâtis  que  la  vieille  ville,  qui  est  fort  irrégu- 
lière, entre  autres  le  beau  faubourg  de  Cliton,  où  l'on  re- 
marque les  places  de  Royal  York-Crescent  et  de  Lower 
Crescent. 

Cette  ville,  siège  d'un  évêché,  possède  un  grand  nombre 
d'égUses  etde  chapelles,  dont  les  plus  remarquables  sontla  ca- 
thédrale, édifice  gothique  décent  huit  mètres  de  long,  l'église 
de  Sainte-Marie  Redcliffe,  célèbre  par  l'histoire  de  l'infor- 
tuné Chatterton,  et  la  chapelle  du  lord-maire, un  magni- 
fique palais  épiscopal,  une  bourse  construite  en  1760  dans  le 
style  grec,  plusieurs  banques  particulières  ,  un  théâtre  que 
Garrick  déclarait  être  le  meilleur  qu'il  eût  jamais  vu, 
sous  le  rapport  de  ses  dimensions,  un  palais  de  commerce 
orné  d'un  portique  grandiose,  où  les  négociants  se  réunis- 
sent tous  les  jours  de  trois  à  quatre  heures,  et  où  l'on  trouve 
tous  les  journaux  de  la  Grande-Bretagne,  la  liste  des  na- 
vires arrivés  dans  le  port  ou  en  partance,  et  une  petite  bi- 
bliothèque. Parmi  les  sept  ponts  unissant  entre  eux  ses  dif- 
férents quartiers,  séparés  par  les  deux  rivières  qui  viennent  y 
mêler  leurs  eaux,  on  doit  plus  particulièrement  mentionner 
le  pont  suspendu  jelé  sur  l'Avon,  haut  de  70  mètres  et  large 
de  10,  sous  lequel  les  navires  du  plus  fort  tonnage  peuvent 
passer  toutes  voiles  déployées.  En  fait  d'édifices  publics,  il 
faut  encore  citer  le  palais  de  justice,  le  bazar  couvert,  cons- 
truit en  JS27  sur  l'emplacement  du  cimetière  Saint-Jacques, 
et  un  hôtel  de  ville  aux  proportions  grandioses,  terminé 
en  1826. 

On  trouve  à  Bristol  un  hospice  pour  les  aveugles,  une 
maison  de  correction  pour  les  filles  perverties,  un  refuge 
pour  les  pauvres,  ainsi  qu'un  grand  nombre  d'hôpitaux  et 
d'établissements  de  bienfaisance.  Il  y  existe  aussi  une  uni- 
versité fondée  par  souscription  et  ouverte  en  1829,  un  col- 
lège ,  une  école  de  marine  et  divers  autres  établissements 
d'instruction  publique,  un  iustitut  littéraire  et  une  bibliothè- 
que de  15,000  volumes.  Les  nombreuses  fabriques  de  la  ville 
livrent  à  la  consommation  des  tapis,  des  étoffes  de  laine  etde 
coton,  de  la  dentelle,  des  toiles  à  voile,  des  savons,  des  soie- 
ries, des  chapeaux,  des  cuirs,  des  poteries,  des  aiguilles, 
des  ustensiles  en  laiton  et  en  étain,  de  l'huile  de  vilriol, 
de  la  térébenthine  et  des  matières  colorantes.  On  y  voit  aussi 
une  grande  quantité  d'affineries  de  cuivre,  de  ralïineries  de 
sucre,  de  distilleries,  de  brasseries,  de  filatures  et  de  savon- 
neries. Le  voisinage  de  houillères  importantes  y  a  favorisé 
la  création  d'importantes  usines  pour  la  fabrication  du  verre, 
de  marchandises  en  fer,  en  cuivre,  en  laiton  et  en  plomb,  de 
la  faïence,  etc. 

Le  commerce  de  Bristol  a  surtout  pour  débouciiés  l'Ir- 
lande et  les  Indes  occidentales,  et  emploie  environ  2,000  na-. 
vires ,  dont  300  appartiennent  à  son  port.  Elle  exporte 
principalement  les  produits  fabriqués  dans  les  villes  voi- 
sines, et  ses  importations  consistent  surtout  en  tabac,  vins, 
cafés,  sucres,  rhums,  térébenthines,  qu'elle  tire  de  l'Amé- 
rique, de  la  France  ,  de  l'Allemagne  et  de  la  Russie.  EH© 
expédie  aussi  chaque  année  de  nombreux  bâtiments  à  Terre- 
Neuve  pour  la  pèche.  Le  commerce  y  est  encore  rendu  plus 
actif  par  le  chemin  de  fer  de  260  kilomètres  de  long  qui  la  met 
en  communication  avec  Londres,  et  {«r  im  autre  de  44  ki- 
lomètres de  long  conduisant  à  Cheltenham ,  et  qu'on  doit 

92 


730 


BRISTOL  —  BRITANNICUS 


continuer  jusqu'à  Birmingliana.  La  popidation  <le  Bristol  est 
aujourd'hui  de  plus  de  150,000  ftiaes.  Les  eaiix  minérales  de 
Briatol,  HolweUs,  situées  dans  une  ravissante  contrée  entre 
Bristol  et  Clifton  sur  l'Avon ,  attirent  cliaque  année  un 
grand  nombre  d'étrangers.  Les  pierres  ou  diamants  de 
Bristol ,  pierres  fausses  imitant  le  diamant ,  qu'on  trouve 
aux  environs  de  la  ville,  sont  en  grand  renom. 

On  appelle  canal  de  Bristol  un  golfe  de  l'océan  Atlantique 
qui  pénètre  dans  les  terres  entre  les  côtes  méridionales  du 
pays  de  Galles  et  celles  de  Devon ,  et  entre  Ilartlands  et 
Saint-Gavers-Point,  et  où  vient  déverser  ses  eaux  la  Se- 
vern,  dont  la  large  embouchure  forme  déjà  comme  un  petit 
golfe.  La  marée  y  atteint  une  hauteur  de  3  à  4  mètres,  quel- 
quefois nif  me ,  par  les  grandes  eaux ,  de  5  à  8  mètres  ,  et 
permet  aux  navires  de  long  cours  de  remonter  jusqu'à 
BiistoJ. 

La  tradition  veut  que  Bristol  existât  des  le  quatrième  siècle 
de  notre  ère,  et  il  en  est  déjà  (ait  mention  vers  Tan  430 
corttmc  d'une  place  extrêmement  forte.  Vers  la  (in  du  dou- 
zième siècle  elle  passait  pour  une  ville  aussi  riclie  qu'im- 
portante. La  fondation  de  son  évôché  date  du  règne  de 
Henri  VIII.  Mais  sa  grande  prospérité  commerciale  ne  re- 
monte qu'à  l'année  1727,  époque  où  des  travaux  d'art  ren- 
dirent l'Avon  navigable. 

Le  28  octobre  1831  une  formidable  émeute  éclata  à  Bristol 
à  l'occasion  de  l'arrivée  dans  cette  ville  de  sir  Ch.  Wethe- 
rell,  qui  venait  d'y  être  nommé  recorder  après  avoir  ma- 
nifesté dans  le  parlement  une  opposition  haineuse  contre 
le  billdela  réforme  parlementaire.  La  populace  assaillit  l'hôtel 
de  ville  et  les  prisons,  détruisit  la  maison  de  correction 
(Brïdewell),  les  bureaux  de  la  douane,  le  palais  épiscopal, 
et  pilla  diverses  autres  maisons,  qu'elle  livra  ensuite  aux 
(lammcs.  Ce  ne  fut  que  le  31  octobre,  et  après  un  combat 
des  plus  vifs,  que  les  troupes  envoyées  sur  les  lieux  purent 
rétablir  le  bon  ordre.  On  porte  à  cinq  cents  le  nombre  des 
victimes  de  ces  déplorables  scènes,  et  on  évalue  à  plus  de 
300,000  livres  sterl.  les  dégâts  commis  dans  cette  occasion. 

BRISTOL  est  aussi  le  nom  de  divers  districts  et  villes  des 
États-Unis,  entre  autres  d'un  canton  de  l'État  de  Bhode-Jsland 
avec  la  ville  du  même  nom  pour  chef-lieu,  un  bon  port, 
une  marine  importante  et  3,500  habitants  ;  d'un  bourg  de 
1,900  habitants  dans  l'État  de  Connecticut;  enfin  d'un  can- 
ton de  l'État  de  Massachusetts,  de  15  myriamètres  carrés 
de  superficie ,  avec  une  population  de  64,000  âmes. 

BRISURE,  synonyme  de  fracture,  se  dit  particulière- 
ment, dans  la  plupart  des  arts  mécaniques,  d'une  forme 
donnée  à  une  ou  plusieurs  parties  d'un  tout  en  conséquence 
de  laquelle  on  peut  les  séparer,  les  réunir,  les  fixer  dans 
une  direction  rectiligne,  les  disposer  en  angles,  en  plier  les 
parties  les  unes  sur  les  autres,  les  raccourcir,  les  éten- 
dre, etc. 

En  teimes  de  fortification ,  on  nomme  brisure  de  la 
courtine  une  ligne  de  huit  à  dix  mètres ,  en  prolongement 
de  la  ligne  de  défense  qui  sert  à  former  ce  qu'on  appelle  le 
jianc  couvert. 

En  termes  de  blason,  la  brisure  est  une  altération  de  la 
simplicité  et  intégrité  de  l'écu,  par  l'introduction  de  certaines 
I>ièces  ou  figures  qui  servent  à  la  distinguer  des  armes  pleines 
d'un  aîné  ou  d'un  descendant  légitime,  et  <]u\  sont  propres 
à  celles  des  cadets  ou  des  bâtards  d'une  famille.  Tels  sont 
hlanibel,  la  bordure,  h  filière,  V  engrêlurc,\Q 
bâton  péri  et  \e  filet  en  bande  ou  en  barre  (dans  ce 
dernier  cas  marque  de  bâtardise).  La  brisure  passe  à  toute 
la  postérité,  et  ne  cesse  que  lorsque  le  droit  ouvert  de  suc- 
cession a  rendu  le  plus  proche  de  la  race  habile  à  hériter 
du  titre  d'aînesse  et  des  pleines  armes. 

BRIÏA^JiM  A  (  Pont  ).  Ce  pont  tubuiaire  jeté  entre  l' A  n  - 
gleterre  et  l'Ile  d'Anglesey,  sur  le  goll'edc  Conway  et  le 
canal  de  Menai ,  est  assurément  un  des  travaux  les  plus  ad- 
mirables qui  aient  jamais  été  exécutés.  Il  consiste  en  un 


tunnel  de  fer  assez  solide  pour  permettre  le  passage  des  con- 
vois de  chemin  de  fer.  Les  deux  ingénieurs  Fairbairn  et 
Stephenson  se  disputent  la  gloire  de  l'invention  de  ce  pro- 
jet gigantesque.  Fairbairn  paraît  en  avoir  conçu  la  pre- 
mière idée  ;  mais  c'est  à  Stephenson  qu'appartient  incon- 
testablement le  mérite  de  l'avoir  développée  et  mise  à  exé- 
cution. Le  tunnel  proprement  dit  est  fait  de  plaques  de 
fer  rivées  ensemble  et  formant  une  longue  caisse  dont  la 
coupe  transversale  est  un  rectangle.  Le  pont  ne  reçoit  la 
solidité  nécessaire  que  de  tubes  de  fer  carrés,  solidement  as- 
sujettis dans  le  sens  de  leur  longueur  dessus  et  dessous,  au 
nombre  de  huit  en  haut  et  de  six  en  bas.  Des  essais  répétés 
avec  un  modèle  de  près  de  31  mètres  ayant  réussi,  on  se 
mit  à  l'œuvre,  en  1847,  et  un  pont  de  121'",84  de  long, 
sur  4™, 14  de  large  et  ""',31  de  hauteur  fut  jeté  d'abord  sur 
le  golfe  de  Conway.  A  31  mètres  environ  de  son  emplace- 
ment, ce  pont  fut  assemblé  sur  des  pilotis,  d'où  on  l'enleva 
à  la  marée  montante  au  moyen  de  pontons  pour  le  mettre 
en  place  le  G  mars  1848.  Deux  presses  hydrauliques  mues 
par  la  vapeur  l'ajustèrent  sur  les  culées.  Le  pont  du  canal 
de  Menai,  construit  de  la  même  manière,  fut  achevé  en 
1850.  Il  a  454'",75  de  long,  et  repose,  outre  les  deux  cu- 
lées, sur  trois  piles,  dont  celle  du  milieu  est.construite  sur  le 
rocher  Britannia  dans  le  canal.  Les  deux  sections  moyennes 
ont  chacune  143'",85. 

BRITANNIA  (Métal),  alliage  fort  employé  dans  la 
fabrique  anglaise,  de  couleur  blanche,  semblable  à  l'argent, 
et  composé  de  parties  égales  de  laiton,  d'étain,  d'antimoine 
et  de  bismuth,  qu'on  fait  fondre  ensemble  et  auxquelles  on 
ajoute  assez  d'étain  pour  que  l'alliage  prenne  la  dureté  et  la 
couleur  convenables.  On  emploie  le  britannia  à  faire  des 
théières,  des  pots  au  lait,  etc. 

BRÎTANNICUS  (  Clxudius-Tiberius),  né  l'an  de  Bome 
794,  et  de  J.-C.  42,  de  l'empereur  Claude  et  de  Messa- 
line,  reçut,  comme  son  père,  le  surnom  de  Britannique , 
dont  le  sénat  avait  salué  ce  dernier  au  retour  d'une  expé- 
dition dans  la  Bretagne,  où  une  fois  il  avait  fait  preuve 
de  quelque  courage,  ("ils  de  l'imbécile  Claude  et  de  l'im- 
pudique Messaline  ,  ce  uiallieureux  prince  paraissait  réservé 
par  le  sort  à  être  lié,  tant  par  le  sang  que  par  les  alliances,  à  ce 
que  la  cour  enfermait  de  plus  honteux  et  de  plus  exécrable. 
Messaline  ayant  été  massaciée  par  un  tribun  dans  les  jardins 
de  LucuUus,  par  l'ordre  surpris  à  Claude  »!t  par  les  soins 
empressés  de  Narcisse ,  le  seul  héritier  de  l'illustre  famille 
Claudia,  à  laquelle  Rome  devait  trois  empereurs,  passa  sous 
la  tutelle  d'une  belle-mère  digne  en  tout  point  du  lit  qu'elle 
venait  d'occuper  et  de  celle  qu'elle  y  remplaçait,  sous  la 
tutelle  enfin  d'Agrippine,  mère  de  Néron.  Cette  femme, 
violente  et  artificieuse ,  se  hâta,  par  mille  moyens,  de  fra\er 
à  son  fils  une  route  à  l'empire,  dont  elle  convoitait  sa  part; 
elle  l'entouraitd'égards,  de  dignités  et  d'une  garde  d'honneur, 
l'ayant  proclamé  ;jri?!ce  de  la  jeunesse,  tandis  qu'elle  lais- 
sait dans  l'ombre,  le  caressant  en  apparence,  le  jeune  Bri- 
tannicus.  Toutefois,  la  tendresse  de  Claude  pour  cet  enfant, 
né  pendant  son  règne ,  circonstance  réputée  heureuse  pour 
lui  et  le  peuple  romain ,  offusquait  la  veuve  de  Domitius  ; 
il  rélevait  dans  ses  bras ,  le  montrait  a^ix  soldats  dans  la 
Champ-de-Mars  et  aux  citoyens  dans  le  Cirque;  dans  son 
palais,  il  le  tenait  souvent  sur  ses  genoux;  enfin,  lors(pi'il 
eut  atteint  l'âge  de  treize  ans,  il  voulut  qu'il  fût  revêtu  d« 
la  robe  virile  «  pour  que  Bome,  disait-il,  eût  cette  fois 
un  vrai  César.  »  Cependant,  par  une  de  ces  inconsé(iucnces 
qui  signalaient  chacune  de  ses  actions,  il  avait  adopté,  dès 
l'âge  de  sept  ans,  L.  Domitius,  l'ambitieuse  espérance  d'A- 
grippine. La  présomption  à  l'empire  était  déjà  si  forte  dans 
ce  (ils  adoplif,  qu'étant  encore  enfant,  lui  et  sa  mère  suppor- 
taient impatiemment  la  familiarité  de  Britannicus,  l'appelant 
de  .son  surnom  de  famille,  .Enobarbus  {Barbe  de  Cuivre)., 
Agrippine  s'en  plaignit  amèrement  à  son  faible  époux,  reje- 
tant néanmoins  toute  la  faute  sur  les  instituteurs  du  jeune 


BRITANNICUS  — 

prince  :   l'exil  ou  la  mort  furent  le  résultat  de  ces  condo-   i 
iéances  préparées  à  loisir.  | 

Claude  étant  mort  empoisonné  par  des  champignons  que 
le  fils  d'Agrippine,  par  une  horrible  arrière-pensée,  appela 
toujours  depuis  le  mets  des  dieux,  L.  Domitius,  sous  le 
nom  de  Néron,  devint  César.  Déjà  trop  à  l'étroit  sur  un 
trône  qu'il  devait  à  sa  mère  et  qu'elle  partageait  avec  lui ,  il 
méditait  en  silence  un  second  parricide.  Quoi  qu'il  en  soit, 
souvent  les  noms  de  Claude  et  de  Britannicus  et  le  mot  de 
poison  étaient  violemment  échangés  entre  le  fils  et  la  mère, 
et  au  milieu  de  leurs  divisions  cette  dernière  menaçait  l'em- 
pereur qu'elle  s'était  fait,  de  lever  le  voile  qui  cachait  à  demi 
aux  Romains  leurs  communs  forfaits  et  de  remettre  l'empire 
au  frière  d'Octavie.  Ces  menaces  faisaient  une  impression 
profonde  sur  Néron,  qui  dissimulait.  Entre  temps,  arrivè- 
rent les  Saturnales  :  dans  une  orgie  qui  eut  lieu  au  palais 
même  des  Césars,  Britannicus ,  qui  touchait  à  sa  quatorzième 
année,  taisait  partie  du  festin,  dont  la  royauté  était  échue  à 
Néron.  Au  milieu  même  de  la  joie  expansive  d'une  pareille 
fôte,  la  jeunesse,  le  noble  sang  du  fils  de  Claude  remuèrent 
vaguement  les  poisons  de  l'envie  dans  l'âme  du  nouvel  em- 
pereur. Pour  l'humilier  aux  yeux  des  jeunes  seigneurs  de 
son  âge ,  il  lui  commanda  de  chanter,  croyant  embarrasser 
sa  timidité  naturelle ,  et  en  faire  la  risée  des  convives.  Il  en 
fut  autrement  :  Britannicus  se  leva  d'un  air  d'assurance ,  et 
déclama,  d'une  voix  émue,  des  vers  d'Ennius ,  parmi  lesquels 
se  trouvait  cette  exclamation  : 

O  paler!  ô  patria!  ô  Prianii  domus! 

O  mon  père /  6  patrie!  0  palais  de  Priam  .'.., 

Cette  allusion  à  ses  infortunes,  à  son  héritage  ravi,  toucha 
jusqu'aux  larmes  des  convives  chez  lesquels  le  vin  et  le 
génie  de  la  fête  bannissaient  toute  dissimulation.  Dès  lors 
un  amer  ressentiment  s'attacha  au  cc&ur  de  Néron  ;  dès  lors 
il  jura  la  mort  du  frère  d'Octavie.  Que  fit-il?  il  ordonna  de 
suspendre  le  supplice  d'une  célèbre  empoisonneuse,  nommée 
Locuste,  que  Julius  Pollion,  tribun  d'une  coiiorte  préto- 
rienne ,  tenait  sous  sa  garde ,  et  par  l'entremise  de  ce  der- 
nier il  se  procura  un  poison  qui  devait  être  des  plus  actifs; 
il  fut  servi  par  ses  gouverneurs  mômes  au  confiant  Britanni- 
cus :  de  violentes  coliques  furent  les  seuls  effets  qu'il  pro- 
duisit. Néron ,  trompé  dans  son  attente  ,  faillit  punir  de  mort 
le  malentendu  du  tribun,  et  rendre  Locuste  au  dernier  sup- 
plice ;  mais  sa  prudente  colère  se  ravisa.  Il  fit  venir  l'empoi- 
sonneuse jusque  dans  le  palais  d'Auguste  ;  là  il  ne  rougit 
IJoint  de  l'accabler  lui-même  de  coups,  lui  reprochant  sa 
trahison  ou  son  incapacité  ;  et  comme  elle  s'excusait  sur  le 
dessein  qu'elle  avait  eu  de  cacher  un  si  grand  crime  ; 
«  Crois-tu,  lui  répartit  Néron,  que  je  craigne  la  loi  Julia?  » 
C'était  une  loi  portée  contre  les  empoisonneurs  et  les  parri- 
cides, n  Répare  ton  erreur,  ajouta-t-il,  fabrique-moi  un  poi- 
son prompt  comme  le  fer!  » 

Dans  les  appartements  mêmes  de  Néron ,  sous  ses  yeux , 
fut  élaboré  le  fatal  breuvage;  on  l'essaya  sur  un  chevreau 
qu'on  avait  fait  venir  :  il  n'expira  qu'au  bout  de  cinq  heures. 
Locuste ,  toute  tremblante  de  sou  demi-succès,  combina  au- 
trement ses  substances  délétères  :  la  combinaison  lui  parut 
efficace.  Un  marcassin  fut  amené;  on  la  lui  fit  avaler  :  il 
tomba  mort  comme  frappé  de  la  foudre.  A  cette  vue  les 
yeux  de  Néron  laissèrent  percer  sa  joie.  On  porta  la  coupe 
empoisonnée  à  l'heure  du  festin  dans  la  salle  du  triclinium. 
A  une  table  séparée,  placée  vis-à-vis  celle  de  l'empereur, 
était  assis  Britannicus,  avec  la  jeune  noblesse  de  Rome. 
Comme  tous  ses  mets  et  sa  boisson  étaient  d'avance  goûtés 
par  un  esclave ,  et  qu'on  ne  voulait  ni  omettre  cette  cou- 
tume, ni  dévoiler  le  crime  par  la  mort  de  tous  deux,  un  moyen 
fut  imaginé;  on  présenta  à  Britannicus,  après  l'épreuve,  un 
breuvage  non  encore  empoisonné,  mais  si  chaud  qu'il  fallut 
Je  renvoyer  :  ce  fut  dans  l'eau  froide  qu'on  y  ajouta  que  le 
poison  avait  été  versé.  A  peine  Britannicus  eut-il  vidé  la 


BRITANNIQUE  731 

coupe,  que  tous  ses  membres  furent  agités  d'horribles  con- 
vulsions, et  qu'il  perdit  tout  d'im  coup  la  voix  et  la  vie. 
Les  plus  jeunes  de  ses  compagnons  d'enfance  se  jettent  sur 
lui  et  l'embrassent  :  «  Les  imprudents  prirent  la  fuite,  dit 
le  profond  historien  ùç.%  Annales  ;  mwK  les  plus  pénétrants 
restèrent  impassibles  à  leur  place ,  les  regards  attachés  sur 
Néron,  qu'ils  observaient  silencieusement.  »  Lui,  sans  changer 
de  visage,  négligemment  penché  sur  son  lit  :  «  C'est  un 
accès  d'épilepsie,  dit-il,  auquel  il  est  sujet  ;  qu'on  l'emporte  !  » 
Après  un  court  et  affreux  silence,  la  joie  recommença,  et, 
couronné  de  roses,  Néron  fit  circuler  la  coupe  du  festin.  La 
terreur  et  les  prévisions  d'Agrippine  passèrent,  malgré  elle, 
sur  son  visage,  qu'elle  s'efforçait  de  contraindre,  et  Octavie, 
frappée  de  stupeur,  resta  immobile  et  muette.  Cependant , 
quelques  écrivains  ont  avancé  qu'Agrippine  n'était  point 
étrangère  à  cet  emi>oisonnement. 

Cette  même  nuit,  pendant  que  l'hymne  des  festins  faisait 
retentir  le  palais  de  Néron ,  le  bûcher  de  Britannicus  se  dres- 
sait dans  le  Champ-de-Mars ,  car  il  était  encore  assis  à  la 
table  des  convives  qu'on  préparait  déjà  ses  funérailles.  Le 
corps  de  cet  infortuné  rejeton  de  la  maison  Claudia  ,  auquel 
sa  sœur  Octavie  ne  put  dire  un  dernier  adieu ,  l'adieu  des 
morts,  fut  emporté  sans  pompe.  Par  ordre  de  Néron,  on 
avait  plâtré  son  visage  :  il  fut  placé  en  cet  état  sur  le  bûcher. 
Avant  que  les  torches  y  missent  le  feu,  une  pluie  mêlée 
de  tonnerres  effroyables ,  que  le  peuple  attribua  au  courroux 
des  dieux,  tomba  par  torrents,  et  emportant  ce  fard,  ce 
masque  du  crime ,  sous  lequel  le  poison  avait  déjà  consommé 
ses  ravages,  montra  à  la  lueur  des  éclairs,  écrit  sur  sa  face 
toute  noire,  le  forfait  de  Néron.  Du  reste,  il  paraît  que  ce 
jeune  prince  annonçait  déjà  la  faiblesse  d'esprit  de  son  père, 
le  seul  héritage  auquel  il  lui  fût  permis  d'aspirer.  Mais  la 
dernière  goutte  du  sang  de  l'illustre  maison  de  Claudia, 
tarie  par  sa  mort,  mais  sa  jeunesse,  mais  ses  malheurs  et 
sa  faiblesse  même,  ne  laissèrent  pas  que  de  jeter  un  deuil 
véritable  dans  la  ville  de  Rome.  Néron  feignit  aussi  d'y  pren- 
dre part.  Il  s'excusait  du  convoi  nocturne  et  précipité  de  son 
malheureux  beau-frère  sur  la  douleur  qu'eût  ressentie  le 
peuple  romain  à  l'aspect  d'une  pompe  funèbre  plus  longue 
et  plus  solennelle.  «  Les  anciens ,  disait-il  avec  attendrisse- 
ment, jetaient  un  voile  sur  les  corps  de  ceux  qui  avaient  été 
moissonnés  dans  la  fleur  de  leurs  années,  pour  les  dérober 
aux  regards.  »  En  même  temps  il  dotait,  en  récompense  de 
ses  services,  l'empoisonneuse  Locuste  de  terres  considé- 
rables. Il  lui  donna,  comme  aux  vestales,  un  collège.  Là,  elle 
formait  des  disciples  qui  pussent  perpétuer  son  art  sUencieu- 
sement  homicide. 

Ce  fut  l'an  808  de  la  fondation  de  Rome,  et  l'an  65  de 
J.-C.,quemourutle  frère  d'Octavie.  Britannicus  ne  fut  point, 
malgré  son  jeune  âge,  si  tôt  oublié  dans  Rome.  Titus,  son 
ami  d'enfance,  qui  au  fatal  festin  goûta  après  lui  de  la 
coupe  empoisonnée,  lui  fit  élever  deux  statues,  une  d'or, 
qu'il  garda  dans  l'intérieur  de  son  palais,  et  une  d'ivoire, 
qui ,  selon  l'usage  des  pompes  romaines ,  était  portée  dans 
les  fêtes  publiques,  avec  les  images  des  dieux  et  des 
héros.  Il  nous  est  parvenu  des  médailles  de  Britannicus , 
dont  la  tête  offre  encore  les  traits  de  la  plus  tendre  jeu- 
nesse. 

Racine  a  composé  sur  la  mort  de  Britannicus  une  tragédie, 
où  il  y  a  des  scènes  admirables  et  le  type  d'un  caractère  qui 
ne  peut  être  surpassé,  celui  d'Agrippine.  Cependant,  peut- 
être  n'a-t-il  pas  th-é  de  ce  sujet  toutes  les  ressources  tragiques 
et  tous  les  effets  dont  il  était  susceptible.  Tacite,  selon  nous, 
est  resté  plus  dramatique  que  le  poète.         Denne-Baron. 

BRITANNIQUE  (  Empire  ).  On  désigne  sous  ce  nom 
l'ensemble  des  États  soumis  au  sceptre  de  la  Grande- 
Bretagne  dans  les  différentes  parties  du  monde.  L'em- 
pire romain ,  l'empire  de  Charles-Quint,  si  vaste,  que  le  so- 
leil, comme  il  le  disait  lui-môme,  ne  se  couchait  jamais  sur 
ses  États,  étaient  peut-être  aussi  étendus  que  l'empire  Dii- 

92. 


732  BRITANNIQUE  — 

tannique,  mais  n'ont  jamais  approché  de  sa  puissance  et  de 
sa  richesse.  11  se  compose  : 

1°  En  Europe,  de  la  Grande-Bretagne,  qui  comprend  elle- 
même  l'Angleterre,  le  pays  de  Galles,  l'Ecosse  avec 
ses  lies,  celles  de  Jersey,  Guernesey,  Man,  etc.;  de 
l'Irlande,  de  Gibraltar,  Malte,  Gozzo,Helgoland, 
avec  une  population  totale  de  27,151,935  habitants.  Il  con- 
viendrait peut-être  d'y  joindre  les  lies  Ioniennes,  sur  les- 
quelles le  gouvernement  britannique  étend  un  protectorat 
qui  n'est  qu'une  souveraineté  déguisée. 

2°  En  Afrique,  le  cap  de  Bonne-Espérance,  Sierra 
Leone,laGambie,rileMaurice,Cape-Coast-Castle, 
KS  forts  danois  de  la  Côte- d'Or,  achetés  en  1850,  Accra, 
Sainte-Hélène,  l'Ascension  et  les  Seychelles 
avec  une  population  de  383,318  habitants. 

3°  En  Asie,Ceylan,  Hong-Kong  en  Chine,  l'île  de 
Labuan,  plus  les  vastes  possessions  de  la  compagnie  des 
Indes-Orientales,  qui  s'accroissent  tous  les  jours,  et 
qui,  en  y  comprenant  les  pays  soumis  à  sa  protection,  ren- 
ferment 134,360,071  habitants. 

4°  En  Amérique,  le  Canada,  le  Nouveau-Bruns- 
wick,  la  Nouvel  le- Ecosse  ou  Acadie,  le  Cap  Bre- 
ton, l'île  du  Prince-Edouard,  Terre-Neuve,  la  baie 
d'Hudson  avec  les  terres  Arctiques,  l'Orégon  avec  l'île 
de  Vancouver,  Antigoa,  les  Bar  b  ad  es,  la  Domi- 
nique, la  Grenade,  la  Jamaïque,  Mon  tserrat.  Ne- 
vis,  Saint-Christophe,  Sainte-Lucie,  Saint-Vin- 
cent, ïabago,  Tortola,  Anguilla,la  Trinité,  les  îles 
Bahama,  les  Bermudes,  la  Guy ane  et  Honduras, 
avec  une  population  totale  de  3,022,0:54  habitants. 

5"  Dans  les  terres  australes  ,  la  Nouvel  le- G  al  les  du 
Sud,  la  Terre  de  Van  Diémen,  la  Nouvelle-Zé- 
lande, l'Australie  occidentale,  méridionale  et  septen- 
trionale, les  îles  Auckland.  La  population  de  ces  colonies 
dépasse  un  million  d'àmes.  Il  laut  y  joindre  encore  les  îles 
I-alkland  ou  Maloumes,  situées  à  l'extrémité  de  l'Amé- 
rique méridionale. 

On  peut  voir  par  ce  simple  tableau  qu'aucune  puissance , 
excepté  la  Chine  peut-être,  n'atteint  le  chiffre  énorme  de  la 
population  que  renferme  l'empire  Britannique.  Sans  la  di- 
versité de  mœurs ,  de  lois  et  de  races  existant  parmi  cette 
masse  d'hommes,  d'ailleurs  si  disséminée,  le  monde  ne  pour- 
rait lui  opposer  de  contre-poids. 

BRITANiVIQUES  (Iles).  On  appelle  ainsi  nn  groupe 
d'iles  situées  dans  l'océan  Atlantique ,  entre  les  50  et  60°  52' 
de  latitude  nord  et  les  10°  30'  et  12"  40'  de  longitude  ouest , 
et  qui  comprend  celles  de  la  Grande-Bretagne,  d'Irlande, 
des  Hébrides,  des  Orcades,  de  Shetland,  de  Man, 
d'Anglesey,  de  Wight,  des  Sorlingues,  etc.,  dont  se 
compose  le  royaume  uni  de  la  Grande-Bretagne. 

BRITISH  MUSEUM ,  nom  d'un  des  plus  vastes  édi- 
fices de  Londres  et  des  plus  riclies  en  collections  d'objets 
d'arts  et  de  sciences.  Sir  Hans  Sloane,  mort  en  1753,  ayant 
laissé  par  testament  sa  collection  d'histoire  naturelle  et  sa  bi- 
bliothèque de  50,000  volumes,  riche  en  manuscrits  précieux, 
à  la  ville  de  Londres,  moyennant  une  somme  de  20,000  livres, 
à  répartir  entre  ses  héritiers ,  le  parlement  vota  la  somme, 
et  le  comte  d'Halifax  acheta,  au  prix  de  10,250  livres  ,  l'an- 
cien palais  du  duc  de  Montagne  dans  Great-Russell-Street 
pour  y  déposer  les  collections  de  Sloane.  Telle  fut  l'origine 
i^yx  Brltish  Muséum,  qui  s'accrut  rapidement  par  achats, 
donations,  etc.  Sa  première  acquisition  fut  celle  des  manus- 
crits de  Harley  ;  il  s'enrichit  ensuite  de  la  bibliothèque  de 
Cotton,  puis,  en  1801,  des  monuments  égyptiens  d'Alexan- 
drie ;  la  môme  année,  des  marbres  d'Elgin;  en  1805,  de 
Ja  collection  de  Towuley;  en  1823,  de  la  bibliothèque  de 
Georges  111;  mais  c'est  surtout  depuis  1845  que  Fellow  et 
Layard  ont  accru  ses  richesses,  le  premier  des  monuments 
lycions ,  le  second  des  marbres  d'IIalicarnasse  et  des  anti- 
quités assyriennes.  Cet  agrandissement  rapide  a  nécessité 


BRITISH  MUSEUM 

de  nouvelles  constructions.  En  1807  on  ajouta  une  galerie  a 
l'ancien  bâtiment;  en  1828  on  construisit  une  aile  sur  le 
côté  oriental  :  on  fit  aussi  quelques  changements  aux  côtés 
nord  et  ouest.  On  va  reconstruire  enfin  le  côté  sud  d'après 
le  plan  de  Smirkc ,  en  sorte  qu'il  ne  restera  plus  rien  de 
l'édifice  primitif,  construit  dans  le  style  Louis  XIV. 

Le  British  Muséum,  dont  la  façade  principale,  donnant  sur 
Russell-Street,estornéedecolonnes,a'estpas  à  tout  prendre 
un  bel  édifice.  Les  manuscrits,  les  livres  et  les  collections  ar- 
chéologiques occupent  le  rez-de-chaussée.  Les  manuscrits, 
dont  on  portait  le  nombre  en  1848  à  trente  et  un  mille, 
sont  placés  à  droite  dans  l'aile  orientale.  Un  catalogue  sys- 
tématique en  a  été  dressé  en  partie  par  les  soins  de  J.  For- 
shall  et  de  l'orientaliste  Rosen  sous  le  titre  :  Çatalogiis  co- 
dicum  manuscriptorum  orientalium  qui  in  British 
Muséum  asservantur  (part.  1  et  2,  Lond.,  1838.-1846);  il 
ne  comprend  encore  que  les  manuscrits  syriens,  karchou- 
niens,  et  une  partie  des  manuscrits  arabes.  Les  manuscrits 
de  Burney  ont  été  également  catalogués  dans  le  Catalogus 
qf  manuscripts  in  tlie  British  Muséum  :  New  séries 
(Lontl., 1834-40). Après  les  manuscrits  vientla  Bibliothèque, 
composée  de  bibliothèques  particulières,  et  riche  en  1851 
de  400,000  volumes  (Consultez  Panizzi,  Bristish  Muséum. 
A  short  guide  to  that  portion  of  the  library  of  printed 
books  now  open  to  the  public  [Londres,  1851]).  On  y  re- 
marque surtout  le  fonds  de  Gren\ille  (20,240  volumes), 
le  fonds  de  Georges  III  (80,000  volumes),  et  celui  de  Jo- 
seph Banks  (  16,000  volumes).  On  travaille  à  un  catalogue 
général  systématique.  Les  anciens  catalogues  n'embrassunt 
que  certaines  parties,  comme  Catalogus  bibliothecx  Musei 
Britannici  (7  vol.,  Londres,  1813);  —  Catalogue  o/prints, 
drawings,  etc.,  attachedto  the  library  of  King  George  II f 
(Londj-es,  1829)  ;  —  List  of  additions  made  to  the  collec- 
tions in  the  British  Muséum  in  the  years  1S31-I840 
(Londres,  1833-1843);  —Panizzi,  catalogue  of  printed 
books  in  the  British  Muséum  (vol.  I,  Londres,  1841). 

A  l'extrémité  orientale  et  dans  une  partie  du  corps  de 
bâtiment  du  nord  se  trouvent  deux  grandes  salles  de  lecture. 
Les  collections  d'objets  d'arts  remplissent  le  rez-de-chaussée 
de  l'aile  gauche  occidentale.  Les  parties  les  plus  importantes 
en  sont  décrites  dans  Ancient  Marbles  ofthe  British  Mu- 
séum, par  Taylor  Combe  (8  vol.,  Londres,  1812  et  suiv.  ), 
et  dans  Description  of  the  collections  of  Ancient  Terra' 
rotta  in  the  British  Museian  {Londres ,  1818).  Parmiles 
monuments  de  l'art  grec,  placés  dans  les  deux  sa'les  exté- 
rieures ,  se  distinguent  les  marbres  d'Elgin ,  les  monuments 
de  Lycie,  du  style  le  plus  pur  et  le  plus  noble.  Les  salles  in- 
térieures contiennent  la  galerie  de  Townley  à  l'ouest,  et  les 
antiquités  égyptiennes ,  dont  la  plupart  ont  été  enlevées  aux 
Français  par  Nelson.  On  remarque,  entre  autres,  la  célèbre 
inscription  de  Rosette  et  le  papyrus  de  Sallier.  Consultez 
Select  j)apyrus  in  the  hieratic  character  from  the  collec- 
tions of  the  British  Muséum  (Londres,  1342).  A  côté  de 
la  salle  égyptienne  sont  les  bronzes,  les  terres  cuites ,  les 
médailles  antiques,  orientales  et  modernes,  provenant  des 
collections  de  Sloane,  Cotton,  Georges  IV,  Cracherode, 
ICnight,  lady  Banks,  Marsden.  Les  antiquités  assyriennes 
ne  sont  pas  encore  classées. 

Les  collections  d'histoire  naturelle  occupent  les  étages  su- 
périeurs ;  la  zoologie ,  cinq  salles  ;  la  minéralogie ,  classée 
d'après  Berzélius ,  soixante  armoires  ;  les  fossiles  ne  sont  pas 
mis  en  ordre.  Dans  l'année  1847-1848 ,  les  recettes  du  Mu- 
sée se  sont  élevées  à  53,999  liv.  st.  18  schell.;  les  dépenses 
à  49,845  liv.  2  sch.,  dont  21,041  liv.  10  sch.pour  l'adminis- 
tration, 18,707  Uv.  3  £ch.  pour  acquisitions  nouvelles, 
6,514  liv.  7  sch.  pour  travaux  de  reliure,  etc.  Le  nombre 
des  visiteurs,  de  517,440  en  1842-1843,  s'est  élevé  à  897,985 
en  1847-1848.  Le  public  est  admis  les  lundis,  mercredis  et  J 
vendredis  de  dix  à  quatre  heures  en  hiver,  de  dix  à  sept  en  été.  ^ 
Les  étudiants  ont  accès  dans  les  salles  tous  les  jours  de  neuf  à 


I 


BRITISH  MUSEUM  —  BROC 


733 


I 


quatre  heures.  Le  musée  est  fermé  du  1*'  au  7  janvier,  du 
1^''  au  7  mai  et  du  l*^""  au  7  septembre,  ainsi  que  les  jours 
de  fête.  Consultez,  outre  les  ouvrages  cités,  Syiiopsis  ofthe 
Britisli  Muséum  (Londres,  1827,  44°  édit.,  1844). 

BRITOMARTIS ,  belle  nymphe  de  Crète,  fille  de  Ju- 
piter et  de  Charmis,  passionnée  pour  la  chasse,  fut,  selon 
Pausanias  et  Diodore  de  Sicile ,  l'inventrice  des  filets ,  et  en 
reçut  le  surnom  de  Dïctynne  (de  Sîxt-j,  filet).  Plusieurs  au- 
teurs l'ont  confondue  à  tort  avec  Diane,  qui,  selon  d'autres, 
la  fit  mettre,  après  sa  mort,  au  rang  des  divinités,  sous  le 
nom  à^Aphea,  et  lui  fit  ériger  des  temples  par  les  Éginètes 
et  les  Cretois.  Quelques  historiens  ont  prétendu  aussi  que  le 
surnom  de  Didynne  lui  vient  de  ce  qu'elle  se  cacha  dans 
des  filets  de  pêcheur  pour  "se  soustraire  aux  poursuites  de 
Minos,  épris  de  sa  beauté.  Diodore  de  Sicile  réfute  cette 
opinion,  qu'il  qualifie  d'erreur  grossière,  une  déesse,  fille  du 
plus  grand  des  dieux,  n'ayant  besoin  d'aucun  secours  hu- 
main pour  défendre  sa  pudeur ,  et  rien  dailleurs  n'étant  plus 
contraire  à  la  réputation  de  sagesse  et  de  justice  dont  jouit 
Minos  que  de  lui  imputer  un  dessein  aussi  impie.  Brito- 
martis,  du  reste,  signifiait  en  langue  crête,  une  vierge 
douce,  humaine,  et  Diodore  ajoute  que  les  Cretois  adoraient 
en  elle  la  déesse  des  alliances. 

BRIVES,  ou  BRIVES-LA- GAILLARDE,  viUe  du  dé- 
partement  de  la  Corrèze,  chef-lieu  d'arrondissement,  si- 
tuée sur  la  rive  gauche  de  la  Corrèze,  à  20  kilomètres  de 
Tulle,  avec  une  population  de  8,332  habitants.  Elle  possède 
un  tribunal  de  commerce,  un  collège,  une  petite  biblio- 
thèque de  3,000  volumes,  une  imprimerie,  des  filatures  de 
coton,  des  blanchisseries  de  cire;  on  y  fabrique  des  lai- 
nages et  de  la  bougie.  11  s'y  fait  un  commerce  actif  de  truffes 
et  de  dindes  truffées ,  de  marrons,  de  vins  du  pays,  d'huile 
de  noix ,  de  bestiaux  et  de  laines. 

BRIZARD  (Jean-Baptiste  BPJTARD,  dit),  né  à 
Orléans,  le  7  avril  1721 ,  mort  à  Paris,  le  30  janvier  1791 , 
avait  obtenu  quelques  succès  dans  la  peinture ,  qu'il  avait 
étudiée  sous  Carie  van  Loo,  lorsque  le  goût  du  théâtre  le 
jeta  des  troupes  d'amateurs ,  où  il  s'était  d'abord  exercé , 
sur  la  scène  du  Théâtre-Français ,  oii  il  débuta  le  30  juillet 
1757  dans  l'emploi  des  pères  nobles  et  des  rois,  et  où  il 
remplaça  le  fameux  Sarrasin.  Il  avait  reçu  de  la  nature 
toutes  les  qualités  physiques  et  intellectuelles  désirables 
pour  conserver  aux  personnages  qu'il  représentait  la  dignité 
avec  laquelle  nos  auteurs  classiques ,  et  principalement  le 
grand  Corneille,  les  ont  traduits  sur  la  scène.  Un  avantage 
qu'il  devait  moins  à  l'âge  qu'à  un  accident  où  il  faillit  perdre 
la  vie,  avait  ajouté  encore  au  prestige  de  son  talent.  En  voya- 
geant sur  le  Rhône,  la  petite  barque  qu'il  montait  ayant 
chaviré,  il  se  saisit  d'un  anneau  de  fer  des  piles  d'un  pont, 
et  y  resta  suspendu  jusqu'à  ce  qu'on  vînt  le  secourir;  mais 
son  angoisse  en  ce  suprême  danger  fut  telle,  que  ses  cheveux 
en  blanchirent.  Ce  changement  fut,  du  reste,  très-favorable 
à  son  emploi,  et  quelques  critiques  ont  répété  qu'il  devait 
une  partie  de  ses  succès  à  ses  cheveux.  La  Harpe,  qui  lui 
attribua  la  chute  de  sa  tragédie  des  Brames,  fut  le  plus  in- 
juste de  tous  ;  et  il  faudrait  bien  se  garder  de  juger  l'ailiste 
d'après  l'opinion  intéressée  de  l'auteur.  Les  contemporains 
de  Brizard  lui  ont  rendu  plus  de  justice  :  tous  ont  reconnu 
en  lui  une  énergique  sensibilité,  propre  à  rendre  les  passions 
de  la  tragédie,  et  à  les  lui  faire  deviner  presque  sans  le  se- 
cours de  l'étude  et  de  la  méditation.  Aussi ,  dispensé  de 
préparer  d'avance  ses  effets,  et  d'étudier  le  ton  et  l'accent 
à  donner  à  ses  rôles,  n'avait-il  besoin  que  de  sa  mémoire 
hors  du  théâtre  et  de  son  âme  sur  la  scène  ;  son  débit  était 
une  sorte  d'inspiration.  Toujours  noble  dans  le  pathétique, 
ce  qui  est  bien  plus  difficile  qu'on  ne  l'imagine,  l'expression 
des  plus  grandes  douleurs  n'altérait  jamais  sa  physionomie 
que  pour  la  rendre  plus  intéressante,  et  il  déchirait  le  cœur 
sans  jamais  déplaire  aux  yeux. 

Pendant  les  vingt-neuf  années  qu'il  resta  au  théâtre,  il 


créa  plus  de  vingt  rôles  dans  les  tragédies  nouvelles,  et  en 
remplit  un  grand  nombre  dans  des  comédies  et  des  drames 
anciens  ;  mais  son  plus  beau  triomphe  fut  le  personnage 
du  roi  Lear  dans  la  tragédie  de  Ducis,  qui  a  consacré  une 
épitapheà  son  digne  interprète,  mort  dans  la  retraite  en  1791, 
et  dont  on  voyait  le  tombeau  au  Musée  des  monuments 
français.  Ajoutons  un  trait  à  la  louange  de  Brizard  :  c'est 
qu'il  ne  fut  pas  moins  estimé  dans  le  monde  pour  ses  qualités 
personnelles  qu'aimé  au  théâtre  pour  son  talent. 

BRIZE ,  genre  de  la  famille  des  graminées ,  connu  par 
l'élégance  de  son  port,  et  qui  se  rencontre  dans  les  pâturages 
secs  et  calcahes,  où  il  procure  aux  chèvres  et  aux  moutons 
un  fourrage  assez  recherché  par  ces  animaux.  Il  paraît  que 
les  anciens  l'employaient  aussi  dans  l'économie  domestique, 
car  Galien  attribue  au  pain  fait  avec  les  semences  de  cette 
graminée  une  propriété  narcotique  à  laquelle  sans  doute  elle 
a  dû  son  nom ,  tiré  du  verbe  grec  êp(ÇEiv,  qui  signifie  assoupir. 

BRIZEUX  (  A.  ),  poète  contemporain,  fut  longtemps 
connu  sous  le  seul  vocable  de  l'auteur  de  Marie.  C'est  un 
des  caractères  distinclifs  du  génie  de  M.  Brizeui ,  d'avoir 
toujours  recherché,  dans  sa  vie  privée  commedans  ses  écrits, 
les  voiles ,  l'ombre  et  le  mystère.  Dans  ces  temps-ci,  où 
chacun  a  si  grand'soif  des  regards  de  la  foule,  du  fracas  des 
bravos  et  de  l'éclat  des  auréoles ,  ce  fut  à  jieine  si,  après 
dix  ans  de  gloire  anonyme,  il  permit  à  son  éditeur  d'écrire 
son  nom  sur  la  couverture  de  ses  li^Tcs.  Et  s'il  y  consentit, 
c'est  qu'il  savait  bien  qu'en  le  faisant,  l'éditeur  n'apprenait 
plus  rien  au  public.  Tous  ceux  qui  lisent  les  vers  savaient 
son  nom  lorsqu'il  parut  imprimé.  Il  avait  en  effet  déjà  semé 
en  avant  sur  sa  route ,  dès  1828,  avec  Busoni,  Racine,  co- 
médie en  un  acte  et  en  vers;  en  1836,  quelques  lignes  bre- 
tonnes intitulées  :  Barzonek  pé  Kanaouen  ar  Vretonad ,  et 
le  poème  de  Marie,  dont  la  troisième  édition  panit  en  1840, 
et  qu'il  publia  sous  le  titre  modeste  de  roman. 

Ce  poème  se  compose  d'une  suite  de  morceaux  détachés , 
n'ayant  d'autre  liaison  entre  eux  que  les  impressions  gé- 
nérales de  l'auteur  au  moment  où  il  les  composait  :  un 
même  sentiment  général,  toujours  exquis,  du  calme  et  du 
recueillement  que  lui  inspire  sa  chère  Bretagne.  Ce  poème 
lui  fit  d'un  seul  coup  toute  la  réputation  dont  il  jouit.  Du 
reste,  cette  composition  n'avait  pas  absorbé  tous  les  instants 
de  INI.  Brizeux  ;  il  travaillait  en  outre  à  un  grand  poème  sur 
la  Bretagne  :  il  avait  aussi  voyagé  en  Italie  et  préparé  sa  tra- 
duction de  là  Divine  Comédie,  qu'il  pubUa  plus  tard. 

En  1841  il  donna  les  Ternaires;  ce  fut  encore  un  succès. 
Dans  les  Ternaires,  livre  lyrique,  composé,  comme  Marie, 
de  pièces  détachées ,  l'auteur  essaya  un  rhythme  nouveau, 
quoi  qa'en  aient  pu  dire  quelques  détracteurs,  ou,  s'il  n'était 
pas  nouveau,  tellement  oublié  au  moment  de  sa  résurrection, 
qu'il  lui  doit  une  vie  nouvelle.  M.  Brizeux,  qui  avait  pro- 
fessé vers  1832  un  cours  de  littérature  à  l'Athénée  de 
Marseille,  a  travaillé  à  la  Revue  des  Deux  Mondes ,  et  la 
plupart  des  pièces  de  vers  qu'il  y  a  publiées  ont  été  réim- 
primées dans  ses  œuvres.  Enfin,  les  Derniers  Bretons,  ce 
grand  poème  qu'il  avait  fait  si  longtemps  attendre,  et  dont  il 
avait  donné  des  extraits  dans  cette  revue,  a  été  publié  der- 
nièrement, et,  chose  extraordinaire  pour  un  ouvr;ige  défloré 
dans  les  recueils  et  trop  vanté  peut-être  par  ses  amis,  il  à 
obtenu  un  succès  plus  complet  encore  que  celui  qu'on  lui 
avait  prédit. 

BRIZO.  Les  Grecs  habitants  de  l'île  de  Délos  honoraient 
sous  ce  nom ,  dérivé  du  verbe  ppîijsiv,  la  déesse  des  songes, 
ou  plutôt  des  prédictions  qui  se  faisaient  par  les  songes,  et 
ils  avaient  fait  de  cette  divination  un  art  particulier,  sous  le 
nom  de  Brizomancie. 

BROC,  vase  à  anse  fait  ordinairement  de  bois,  en  forme 
de  |)oire,  garni  de  cercles  de  fer  et  avec  un  bec  évasé,  qui 
sert  surtout  à  distribuer  et  à  vendre  le  \in.  Il  y  avait  autre- 
fois chez  les  princes  et  dans  les  maisons  des  riches  des  brocs 
d'arrrent  destinés  au  premier  de  ces  usages.  Le  broc  ser- 


734  BROC  — 

vait  aussi  démesure,  et  sa  valeur  variait  suivant  les  localités; 
c'était  ce  qu'on  appelait  à  Paris  la  quarte,  et  ailleurs  le  j9o^  ; 
le  broc  contenait  généralement  environ  deux  pintes  de  Paris. 

BROCANTEUR.  Ce  nom,  presque  toujours  pris  en 
mauvaise  part,  sert  à  désigner  certains  marchands  d'objets 
d'artsetde  curiosité,  dont  la  valeur  réelle  est  quelquefois  très- 
minime,  tandis  que  la  valeur  fictive  en  est  portée  à  un  taux 
excessif,  qui  varie  encore  suivant  les  circonstances  et  le 
caprice  des  amateurs.  Cette  variation  extrême  dans  le  prix 
des  objets  que  vend  un  brocanteur  lui  donne  les  moyens  de 
faire  des  bénéfices  considérables  en  échangeant  des  objets 
de  nature  bien  différente,  telle  qu'une  tabatière  contre  une 
pierre  gravée  antique,  un  tableau  moderne  contre  une  paire 
de  pistolets  ou  une  paire  de  bracelets.  Le  brocanteur  seul 
est  apte  à  apprécier  avec  justesse  des  objets  de  nature  aussi 
variée,  tandis  que  l'acquéreur  ne  sait  donner  une  exacte  éva- 
luation qu'à  celui  vers  lequel  son  goût  le  pousse.  L'habitude 
aussi  de  faire  des  opérations  hasardeuses  met  le  brocanteur 
dans  la  nécessité  de  tenter  de  gros  bénéfices;  et  quelquefois 
la  cupidité  l'amène  à  se  servir  pour  cela  de  moyens  peu  dé- 
licats. Le  commerce  de  tableaux  a  quelquefois  pour  inter- 
médiaires des  peintres,et  plusieurs  l'ont  fait  honorablement  ; 
mais  souvent  aussi,  les  tableaux  passant  par  les  mains  des 
brocanteurs ,  il  n'est  sorte  de  supercherie  et  de  fraude 
dont  on  n'ait  le  droit  de  se  méfier.  On  en  a  vu  faire  avec 
adresse  des  copies  d'un  tableau  de  mérite,  les  placer  dans 
d'anciennes  bordures,  et  les  offrir  ainsi  à  la  curiosité  comme 
des  originaux  de  Téniers  ou  de  tel  autre  maître. 

BROCARD,  sorte  de  moquerie  plus  acérée  que  la  rail- 
lerie, et  qui  participe  de  l'injure  et  de  la  bouffonnerie. 
Souvent  douce,  la  raillerie  n'attaque  d'ordinaire  que  de  lé- 
gères imperfections  de  l'esprit  et  des  manières  ;  le  brocard, 
toujours  amer,  poignant,  entame  jusqu'à  l'honneur.  En  po- 
litique, où  il  enflamme  les  passions  populaires,  il  assassine. 
En  littérature,  si  plus  d'un  écrivain  usa  de  cette  arme  contre 
ses  rivaux,  les  victimes ,  heureusement ,  ne  rencontrèrent 
que  des  rieurs  et  non  des  juges  :  Cotin  et  Pradon  mou- 
rurent dans  leur  lit.  Néanmoins,  lancé  par  une  main  habile, 
le  brocard  blesse  mortellement  et  fait  expirer  jusqu'à  la  re- 
nommée la  mieux  accréditée;  Chapelain  l'éprouva  :  long- 
temps roi  du  Parnasse,  lui,  qui  distribuait  les  réputations, 
perdit  la  sienne,  immolée  par  les  brocards  de  Boileau.  Pom- 
pignan,  harcelé  par  les  si,  les  quoi,  les  car,  qui  pleuvaient 
sur  lui  de  tous  côtés,  courut  se  cacher,  en  disant  : 

Je  d'j  puis  plus  tenir ,  de  brocards  on   m'assomme. 

Malgré  Richelet,  qui  prétend  que  le  mot  brocard  est  rude 
et  sonne  mal  dans  le  beau  style,  il  a  conservé  tous  ses  droits 
dans  le  langage,  mais  non  dans  notre  société  nouvelle,  où  sa 
puissance  a  beaucoup  déchu;  c'est  que,  dans  nos  gouver- 
nements nouveaux,  les  petits  défauts  de  l'individu  s'anéan- 
tissent dans  la  lutte  dus  intérêts  généraux.  Alors  on  ca- 
lomnie, on  déchire,  on  perce  son  ennemi,  et,  si  l'on  (ouille 
dans  la  vie  privée,  c'est  pour  en  tirer  moins  des  ridicules 
que  des  accusations.  .Aus-vi  le  brocard  ne  règne-t-il  plus  que 
dans  certaines  localités  de  province  ,  où  le  désœuviement 
l'alimente.  C'est  là  que  dans  un  couplet  il  stigmatise  la  gau- 
cherie ou  désole  la  vanité.  Dans  les  grandes  villes  il  s'est 
réfugié  dans  les  petits  journaux,  parce  que  la  bouffonnerie  y 
tient  la  place  du  raisonnement;  encore  à  peine  égaye-t-il 
plus  d'un  jour  la  malignité.  SAiNX-Pitosi'En  jeune. 

On  qualifiait  autrefois  de  brocards  de  droit  les  éléments 
ou  les  premières  maximes  de  droit  :  tels  sont  ceux  d'Azo, 
intitulés  Brocardia  Juris.  Vossius  dérive  ce  mot  du  grec 
protarchia  (  premiers  éléments  );  mais  Doujat  pense  qu'il 
a  été  formé  du  nom  de  Burchard  ,  évéquc  de  Worms, 
auteur  d'une  collection  de  canons  qu'on  appelait  Z?roc«rrfia; 
et  comme  son  ouvrage  était  plein  de  sentences  que  l'on 
citait  souvent,  brocard  signilia  par  la  suite  un  bon  mot , 
une  maxime  sentencieuse,  un  trait  de  raillerie. 


BROCHAGE 

'  BROCART.  Ce  mot,  qui  est  devenu  l'appellation  com.- 
niune  de  toutes  les  étoffes  de  soie,  satin,  gros  de  Naples 
ou  de  Tours ,  taffetas  ouvragés  de  (leurs et  d'arabesques,  etc., 
était  originairement  le  nom  d'une  étoffe  tissue  d'or,  d'argent, 
ou  des  deux  ensemble,  tant  en  chaîne  qu'en  trame,  et  avait 
été  appliqué  ensuite  à  celles  où  il  y  avait  quelques  parfilures 
de  soie  pour  relever  les  fleurs  d'or. 

BROCATELLE.  On  appelle  de  ce  nom  une  étoffe  de 
grosse  soie  ou  de  coton,  faite  à  l'imitation  du  brocart. 

C'est  aussi  le  nom  d'une  variété  de  brèche. 

BROCELIANDE,  forêt  merveilleuse  de  la  petite  Bre- 
tagne, où  se  trouvait  une  fontaine  magique,  si  l'on  en  croit 
les  romans  de  la  Table-Ronde.  Quand  un  chevalier  assez 
imprudent  ou  assez  confiant  en  son  courage  versait  de  l'eau 
sur  le  perron  d'énieraude  de  cette  fontaine,  il  y  éclatait  des 
prodiges  que  la  voix  humaine  avait  peur  de  raconter.  Un  af- 
freux orage  s'élevait;  la  pluie,  la  grêle,  le  tonnerre,  suc- 
cédaient tout  à  coup  au  calme  le  plus  profond  ;  puis,  le  ciel 
reprenant  toute  sa  sérénité,  les  oiseaux  les  plus  rares ,  au 
chant  le  plus  mélodieux,  cou\Taient  les  branches  d'un  arbre 
enchanté  qui  ombrageait  la  fontaine.  Bientôt  un  chevalier 
aux  armes  brillantes,  à  la  taille  gigantesque,  caracolant  sur 
son  grand  cheval  de  bataille,  s'avançait  pour  défier  l'im- 
prudent qui  avait  troublé  son  repos.  Du  premier  coup  de 
lance  il  le  jetait  sur  l'arène,  et  s'éloignait,  emmenant  avec 
lui  le  coursier  du  vaincu.  Le  roman  du  Chevalier  au  lion, 
celui  de  Totirnoiement  Antéchrist,  paLvleni  de  cette  forêt, 
dont  Wace  voulut  inutilement  voir  les  prodiges. 

La  alai  jo  luerveillcs  querre, 

Vis  la  fiprèt  et  vis  la  terre. 

Merveilles  quis,  mais  n'es  trouvai. 

Fol  m'en  revins,  fol  i  alai. 

Fol  i  alai,  fol  m'en  revios. 

Folie  quis,  pri  fol  me  tins.   (  Roman  du  Rou.  ) 

De  Reiffenbebc. 

BROCHAGE ,  opération  qui  consiste  à  plier  les  feuilles 
d'un  livre  sortant  de  l'imprimerie,  à  les  mettre  dans  leur 
ordre  de  pagination ,  à  les  coudre  ensemble  et  à  les  couvrir 
d'une  feuille  unie  ou  portant  le  titre  du  livre.  L'assern- 
blage,  qui  consiste  à  mettre  en  ordre  les  feuilles  imprimées 
pour  en  former  des  volumes ,  précède  le  brochage ,  et  s'ef- 
fectue de  la  manière  suivante  :  sur  une  table  longue  sont  autant 
déformes  (  tas  renfermant  chacun  un  nombre  déterminé 
d'une  même  feuille  imprimée)  rangées  de  gauche  adroite 
suivant  l'ordre  de  leurs  signatures  (lettre  ou  cliiiïre  placé 
en  bas  de  la  première  page  de  chaque  feuille);  l'assembleur 
lève  une  feuille  sur  chacune  de  ces  formes  ainsi  rangées,  de 
sorte  que  la  feuille  A  ou  1  se  trouve  sur  la  feuille  B  ou  2 , 
celle-ci  sur  la  feuille  C  ou  3,  et  ainsi  de  suite;  cet  amas  de 
feuilles  assemblées  forme  une  pile;  les  piles  étant  réunies 
en  corps,  il  ne  reste  plus  qu'à  plier  les  feuilles,  et  après 
que  le  brocheur  en  a  collationné  l'ordre  on  peut  procéder  au 
brochage  proprement  dit. 

Pour  cela,  on  pi  end  la  première  feuille  et  on  la  renverse 
sur  une  garde,  feuillet  de  papier  destiné  à  être  cousu  en 
même  temi>s  que  la  feuille  :  celte  garde  est  repliée  dans 
toute  sa  longueur  d'une  quantité  moindre  que  la  largeur  de 
la  marge  intérieure,  afin  qu'elle  ne  couvre  pas  l'impression. 
Ayant  enfilé  une  grande  aiguille  courbe,  on  en  perce  la  feuille 
par  dehors  au  tiers  environ  de  sa  longueur;  on  tire  le  fil  en 
dedans,  en  le  laissant  déborder  à  peu  près  de  cinq  centime- 
mètres  ,  plus  ou  moins  selon  le  format  ;  on  fait  un  second 
point  au-dessous,  du  dedans  au  dehors,  vers  le  milieu  de  la 
longueur  de  cette  feuille,  et  on  tire  le  fil  en  dehors  sans  dé- 
ranger le  bout  qui  passe.  On  pose  ensuite  la  seconde  feuille 
sur  la  première  ;  et  après  l'avoir  piquée  de  la  même  manière 
et  aux  mêmes  hauteurs,  on  tend  le  fil  et  on  le  noue  avec 
le  bout  que  l'on  a  laissé  passer.  La  troisième  feuille  étant 
posée  sur  la  seconde,  on  opère  de  même,  et  on  ne  coud  la 
quatrième  que  lorsqu'on  a  passé  son  aiguille  entre  le  point 


BROCHAGE  —  BROCHET 


735 


qui  lie  la  première  feuille  arec  la  seconde  ;  par  ce  moyen , 
il  se  forme  un  entrelacement  que  les  brocheuses  nomment 
chaîne/ te ,  et  qui  donne  de  la  solidité  à  l'ouvrage.  Arrivé  à 
la  dernière  feuille ,  on  ajoute  une  garde  comme  on  l'a  fait 
pour  la  première ,  mais  placée  en  sens  inverse. 

Cette  opération  terminée,  on  passe  avec  un  pinceau  de  la 
colle  sur  le  dos  du  volume  ainsi  cousu;  on  colle  de  môme  la 
feuille  qui  est  destinée  à  le  couvrir;  on  pose  le  dos  du  vo- 
lume à  plat  sur  le  milieu  de  cette  feuille  encollée;  on  relève 
les  deux  côtés  de  la  feuille  sur  les  gardes  en  l'y  appliquant 
légèrement,  et  on  appuie  fortement  sur  le  dos  pour  que  la 
couverture  s'y  colle  bien.  Il  ne  reste  plus  ensuite  qu'à  faire 
sécfier  le  volume  à  l'air  libre  ou  sous  une  pression  convena- 
ble ,  puis  à  rogner  et  à  cbarber  s'il  y  a  lieu.  Si  le  livre  doit  être 
satiné ,  on  fait  passer  préalablement  les  feuilles  au  satinage. 

BROCIÏE.  Ce  mot  désigne  généralement  un  baguette  de 
bois  ou  de  métal.  Mais  on  appelle  spécialement  broche  la 
tringle  de  fer  plus  large  qu'épaisse  dont  on  se  sert  pour  rôtir 
la  viande,  en  la  faisant  tourner  devant  le  feu.  La  broche, 
toujours  pointue  d'un  bout,  se  termine  ordinairement  vers 
l'autre  en  manivelle  qu'on  tourna  d'abord  à  la  main,  au 
moyen  d'un  bâton  perce ,  ce  qui  permettait  de  se  tenir  à  une 
certaine  distance  du  feu  ;  plus  tard ,  un  chiai,  enfermé  dans 
une  roue  à  tambour,  fut  chargé  de  ce  travail  ;  enlin,  les  dé- 
couvertes de  l'horlogerie  à  roues  dentées  donnèrent  heu  à 
l'invention  des  tour  nebroches. 

Pris  dans  sa  première  et  sa  plus  générale  acception,  le 
mot  broche  reçoit  dans  les  arts  et  métiers  diverses  applica- 
tions qui  se  rapprochent  toutes  plus  ou  moins  d'une  même 
origine  et  delà  signification  d'outil,  instrument,  machine,  de 
figure  ou  de  forme  longue  et  menue,  et  dont  la  fonction  ordi- 
naire est  de  traverser  ou  de  soutenir  d'autres  parties.  Ainsi , 
broche,  enfermes  de  serrurerie,  est  la  pointe  de  fer  qui  fait 
partie  d'une  serrure  et  qui  doit  entrer  dans  le  trou  d'une 
clef  forée;  on  appelle  aussi  broches  rondes  ou  broches 
carrées  des  morceaux  de  fer  ronds  ou  carrés  dont  les 
serruriers  se  servent  pour  tourner  plusieurs  pièces  à  chaud 
et  à  froid.  En  termes  de  filature,  broche  se  dit  de  petites 
verges  de  fer  qu'on  adapte  aux  rouets,  aux  métiers  à  filer,  et 
sur  lesquelles  le  fil,  le  coton ,  la  laine  s'enroulent  à  mesure 
qu'ils  sont  filés.  On  évalue  l'importance  d'une  filature  d'après 
'e  nombre  de  broches  qu'elle  contient.  Les  escompteurs  ap- 
pelent  broches  des  effets  à  ordre  de  mince  valeur.  En  termes 
d'artificier,  c'est  aussi  une  petite  verge  ronda,  conique,  de 
fer  ou  de  bois  fort ,  tenant  au  culot  du  moule  d'une  fusée 
volante ,  pour  ménager  un  trou  de  même  figure  dans  la  ma- 
tière combustible  dont  on  la  charge.  Les  broches,  en  termes 
de  balancier,  sont  de  petits  morceaux  de  fer  ronds  qui  pas- 
s«nt  au  travers  de  la  virole  du  peson.  En  termes  de  mar- 
chand cirier,  ce  sont  de  petits  morceaux  de  bois  poli,  en  forme 
de  cône  très-pointu ,  avec  lesquels  on  perce  les  gros  bouts 
des  cierges,  afin  de  pouvoir  les  faire  entrer  dans  les  fiches  des 
chandeliers.  En  termes  de  chasse ,  ce  sont  les  défenses  du 
sanglier,  et  l'on  appelle  aussi  de  ce  nom  la  première  tète  ou  le 
premier  bois  d'un  chevreuil.  Broche  se  dit  encore  de  cer- 
taines aiguilles  qui  servent  à  tricoter  des  bas ,  à  faire  du 
ruban,  du  brocart  et  autres  étoffes.  Enfin  on  appelle  broche 
un  petit  bijou  dont  la  forme  et  la  matière  varient  à  l'infini  et 
qui  sert  à  attacher  sur  la  poitrine  un  chàle ,  une  écharpe,  un 
mantelct ,  etc. 

BROCHER.  Ce  verbe  est  employé  dans  des  acceptions 
diverses ,  et  où  l'on  retrouve  tour  à  tour  les  différentes  si- 
gnifications du  raoibroche,  d'où  il  a  été  formé.  Enfermes 
du  maréchal  ferrant,  brocher,  c'est  enfoncer  à  coups  de 
brochoir  les  clous  qui  fixent  le  fer  à  la  corne  du  sabot 
d'un  cheval.  Mais  les  acceptions  de  ce  mot  qui  reçoivent 
l'emploi  le  plus  fréquent  sont  celles  qu'il  tire  du  mot  broche 
considérée  comme  aiguille.  Brocher  a  signifié  d'abord  en 
ce  sens,  et  en  termes  d'ourdisseur  et  de  passementier,  passer 
de  l'or,  de  l'argent,  de  la  soie  ou  de  la  laine  entre  de«  bro- 


ches ou  aiguilles  qui  servaient  à  faire  une  étoffe  nommée  de 
là  brocart.  On  L'a  étendu  ensuite  à  l'action  ou  opération 
qui  consiste  à  enrichir  une  étoffe  de  clinquant ,  de  chenille , 
de  fil  d'argent,  de  canetille,  etc.,  par  le  moyen  de  petites 
navettes  nommées  espolms.  De  là  ce  mot  a  été  employé , 
par  analogie ,  dans  beaucoup  d'autres  façons  de  parler. 

Brocher  et  brochant,  en  termes  de  blason,  se  disent 
des  bandes,  cotices  ou  bâtons  et  autres  pièces,  telles  que 
lions,  aigles,  etc.,  qu'on  fait  passer  d'un  bout  de  l'écu  à 
l'autre ,  ou  qui  traversent  sur  d'autres  pièces  :  on  dit  que 
des  chevaux  brochent  sur  desburelles,  pour  dire  qu'ils 
passent  dans  l'écu  sur  des  burelles  ;  on  dit  aussi  d'une  fa- 
mille ,  d'un  maison ,  qu'elle  porte  d'azur  au  lion  d'or,  à  la 
fasce  de  gueules  brochant  sur  le  tout. 

Brocher  se  dit  enfin ,  dans  son  acception  la  plus  usuelle, 
de  l'opération  qui  constitue  le  brochage. 

BROCHET,  genre  de  poissons  de  la  famille  des  esoces. 
Les  brochets  ont  de  très-petits  os  intermaxillaires  au  milieu 
de  la  mâchoire  supérieure.  Ces  os ,  ainsi  que  le  vomer,  les 
palatins,  les  pharyngiens ,  la  langue  et  les  arcs  branchiaux, 
sont  hérissés  de  dents  en  carde.  Leur  mâchoire  inférieure  est 
armée  de  longues  dents  pointues  sur  les  côtés.  Leur  museau 
est  obtus ,  oblong  ,  déprimé  ;  la  vessie  natatoire  très-grande. 
Le  brochet  commun  (exos  lucius)  est  très-connu;  sa  vo- 
racité est  passée  en  proverbe.  Ce  poisson  a  été  surnommé 
requin  des  eaux  douces;  il  ravage  promptemeut  les  viviers 
et  les  étangs  ;  il  n'épargne  pas  même  son  espèce ,  dévore  ses 
propres  petits ,  et  ne  dédaigne  pas  les  restes  des  cadavres 
putréfiés.  11  se  nourrit  aussi  de  grenouilles,  et  l'on  a  pré- 
tendu avoir  trouvé  jusqu'à  des  canards  entiers  dans  de  gros 
brochets.  Lorsque  ces  poissons  en  saisissent  d'autres  dont 
les  piquants  pourraient  les  blesser,  ils  ont  la  précaution  de 
les  retenir  quelque  temps  dans  leur  vaste  gueule ,  afin  de  les 
tuer  et  de  pouvoir  les  avaler  ensuite  sans  résistance  et  sans 
danger.  Lorsque  la  proie  est  trop  grande  pour  pouvoir  être 
engioutie  tout  entière ,  le  brochet  n'en  avale  que  la  portion 
qui  peut  entrer,  et  pendant  qu'il  la  digère ,  il  attend  pa- 
tiemment que  la  fermentation  putride  du  reste  lui  permette 
de  l'ingérer.  II  ressemble  sous  ce  rapport  au  boa. 

Parmi  les  exemples  de  longévité  de  ce  poisson,  le  plus 
remarquable  est  celui  du  brochet  de  Kaiserslautern ,  qui 
avait  six  mètres  de  long,  qui  pesait  175  kilogrammes,  et 
avait  vécu  au  moins  deux  cent  trente-cinq  ans.  On  prétend 
que  l'empereur  Frédéric  Barberousse  lui-même  l'avait  jeté 
le  5  octobre  1262  dans  l'étang  où  il  fut  pris  en  1497 ,  et  que 
cet  énorme  brochet  portait  un  anneau  d'or  qui  pouvait  s'é- 
largir, et  sur  lequel  était  gravée  l'indication  de  sa  naissance. 
Son  squelette  a  été  conservé  longtemps  à  Manheim. 

Les  pêcheurs  et  les  marchands  de  poissons  donnent  les 
noms  vulgaires  de  lançons  ou  lancerons  aux  jeunes  bro- 
chets, de  poignards  aux  moyens  brochets,  de  carreaux 
ou  loups  m\  vieux,  Aepansars  aux  grosses  femelles  pleines 
d'œufs,  et  de  lévriers  aux  mâles  les  plus  allongés.  Les 
plus  petits  brochets  sont  appelés  brochctons. 

On  ne  fait  aucun  usage  en  médecine  des  parties  de  ce 
poisson.  On  estime  beaucoup  sa  chair,  qui  fournit  une  bonne 
nourriture,  quoique  ferme  et  un  peu  réfractaire  à  la  di- 
gestion. Les  brochets  des  grandes  rivières  et  des  lacs  sont 
les  plus  estimés  ;  on  les  sert,  sur  les  tables  les  plus  somp- 
tueuses. Le  brochet  au  bleu  et  le  foie  de  ce  poisson  sont 
très-recherchés  par  les  gourmands.  Ses  œufs  provoquent 
souvent  le  vomissement  et  la  diarrhée. 

Une  seule  femelle  porte  jusqu'à  148,000  œufs.  La  fécondité 
n'a  lieu  qu'à  l'âge  de  trois  ans.  Les  plus  jeunes  femelles  com- 
mencent la  ponte  au  printemps  ;  celles  d'un  âge  moyen  la 
continuent  pendant  toute  la  saison,  qui  se  termine  par  la 
ponte  des  plus  âgées,  qu'on  nomme  grenouillettes  ou  gre- 
nouillées,  parce  qu'elles  pondent  à  peu  près  à  la  même  époque 
que  les  grenouilles.  L'influence  du  soleil  est  nécessaire  pour 
faciliter  l'éclosiou  des  œufs  du  brochet ,  placés  peu  profon- 


I 


736 


BROCHET  —  BROCHURE 


d(^,mcnt  sous  l'eau.  Les  oiseaux ,  cl  surtout  les  lierons ,  qui 
mangent  des  œufs  de  brochet ,  sont  purgés  et  les  rendent  sans 
«Itération.  On  prétend  que  lorsqu'ils  les  déposent  dans  des 
amas  d'eau  qui  n'ont  aucune  communication  entre  eux ,  ils 
propagent  ainsi  l'espèce  de  ce  poisson,  qui  est  répandue  dans 
toutes  les  eaux  douces  des  zones  tempérées  et  froides  de 
l'ancien  Monde.  Sur  les  bords  du  Volga  et  du  Jaik,  on  fume 
la  chair  du  brochet,  en  la  séchant  après  l'avoir  marinéc  dans 
une  saumure.  Ce  poisson  abonde  tellement  dans  ces  contrées, 
qu'au  dire  de  Pallas  ,  on  en  pêche  une  quantité  incroyable. 
On  les  réunit  en  tas  énormes,  que  la  gelée  durcit  et  garantit 
de  la  putréfaction ,  et  on  les  vend  à  un  prix  très-modique. 
On  nomme  rois  des  brochets  les  individus  dont  le  corps 
parsemé  de  taches  ou  marbrures  noires  présente  aussi  de 
belles  teintes  jaunes.  L.  Laurent. 

BROCIIETTE,  diminutif  de  broche,  petit  morceau 
de  bois  ou  de  fer,  long  et  pointu,  qui,  dans  l'usage  le  plus 
ordinaire,  sert  h  unir,  à  soutenir  ou  à  rapprocher  les  parties 
dans  lesquelles  on  le  passe,  et  qui  trouve  des  applications 
fréquentes  dans  les  arts  et  métiers.  On  donne  aussi  le  nom 
de  brochette  à  une  espèce  de  petite  boucle  en  or  et  à  jour, 
qui  sertà  passer  à  la  boutonnière  diverses  croix  oudécorations 
d'ordres.  Enfm ,  l'on  entend  par  le  mot  de  brochette  un 
petit  morceau  de  bois  mince,  au  bout  duquel  on  donne  à 
manger,  ou,  comme  on  dit  généralement,  la  becquée,  aux 
oiseaux  que  l'on  a  soustraits  au  nid  de  leur  mère  ,  et  qui  se 
trouvent  ainsi  privés  deses  soins.  Par  extension,  on  dit  des 
enfants  qui  sont  élevés  avec  beaucoup  de  soin  et  d'attention, 
qu'ils  sont  élevés  à  la  brochette. 

BROCHET  VOLANT.  Voyez  Istiophore. 

BllOCIlURE,  léunion  de  quelques  feuilles  imprimées, 
(]ui  dans  leur  ensemble  ne  peuvent  composer  un  volume,  et 
qui  se  vendent  ordinairement  non  reliées.  C'est  le  livre  po- 
pulaire par  excellence.  Il  coûte  peu,  et  ménage  la  bourse  et  le 
temps  de  celui  qui  l'achète ,  ce  qui  est  une  double  économie. 
L'imprimerie  et  la  Réforme  donnèrent  une  grande  impulsion 
à  la  brochure.  Les  premiers  livres  n'apparurent  qu'en  petit 
nombre  et  sous  la  forme  gigantesque  de  l'in-folio.  Enchaînés 
sur  des  pupitres,  ils  ne  sortaient  jamais  du  cabinet  des 
érudits  ;  il  fallait  les  lire  et  les  étudier  sur  place.  Cependant, 
la  diffusion  des  lumières  produisit  bientôt  à  cet  égard 
un  salutaire  effet.  L'in-quarto  prit  la  place  de  l'in-folio , 
puis  Aide  l'ancien  imagina  l'in-octavo,  qui  permit  de  faire 
du  livre  un  compagnon  assidu  au  lit,  au  coin  du  feu,  à  table, 
en  voyage.  Cette  heureuse  modification  multiplia  les  écri- 
vains et  les  lecteurs,  mais  multiplia  surtout  les  brochures, 
arme  rapide  et  redoutable  par  sa  légèrelé,  pénétrant  sans 
peine  dans  les  masses  et  courant  de  main  en  main.  La 
Réforme  accrut  encore  celle  avalanche,  qui  n'épargna  ni  le 
catholicisme  dans  ses  dogmes,  ni  la  royauté  dans  ses  préro- 
gatives. Les  questions  à  l'ordre  du  jour  furent  agitées  avec 
une  hardiesse  et  parfois  un  talent  remarquable.  La  politique 
s'en  mêla.  C'était  le  temps  de  la  Satire  Méni  ppée  ,  qui 
est  moins  une  brochure  qu'un  pamphlet,  et  qui  lit  plus  de 
tort  à  la  Ligue  que  toutes  les  victoires  de  Henri  IV.  Nous 
traiterons  à  part  du  pamphlet,  qu'on  peut  définir  la  bro- 
chure chargée  à  mitraille.  La  brochure  est  le  rail-waij  de  la 
pensée,  le  pamphlet  en  est  le  brûlot. 

Attaqué  par  les  brochures  et  les  pamphlets,  excommunié 
par  Sixte-Quint,  Henri  III  trouve  îles  plumes  ardentes  pour 
le  défendre.  Eulin,  la  Ligue  meurt  d'épuisement.  A  ces  dis- 
cussions âpres,  hardies,  envenimées,  succèdent  le  calme  et 
l'indifférence.  Le  temps  des  brochures  est  passé,  et  le  goût 
de  la  politique  reste  le  privilège  de  quelques  esprits  d'élite. 
Dans  le  siècle  suivant,  la  révolte  des  princes,  les  états  gé- 
néraux de  1G14,  les  querelles  de  Louis  XHI  avec  sa  mère, 
avec  son  frère,  les  ministères  de  Richelieu  et  de  ÎMazarin 
{voyez  FiiOiNui;  et  Ma/.akinxdes),  font  naître  de  nouveaux 
déchaînements,  de  nouvtjles  guerres  de  plume,  plus  terribles 
encore  que  celles  d'épéc.  Les  puissants  se  voient  déchiier 


sans  pitié  par  des  brochures  qui  distillent  ce  que  la  haine  a 
de  plus  acre,  l'esprit  de  plus  sarcastique,  la  logique  de  plus 
entraînant.  La  Ligue  avait  produit  des  écrivains  pleins  de 
sève,  des  publicistes  habiles;  on  les  retrouve  sous  la  Fronde, 
apportant  de  plus  des  idées  d'ordre  et  de  liberté  pratique 
qui  manquaient  à  leurs  devanciers. 

La  guerre  des  brochures  se  ralentit  sous  Louis  XIV,  à  part 
les  brochures  en  vers  de  Boileau,  qui,  en  poursuivant  If  mau- 
vais goût,  firent  les  déhcesde  lacour  ctde  la  ville.  Quanta  la 
prose,  elle  avait  passé  la  frontière,  et,  des  presses  de  Hol- 
lande et  des  Pays-Bas,  baffouait  les  intrigues  galantes  de  la 
cour  et  les  prétentions  du  roi  de  France  à  la  monarchie  uni- 
verselle. Les  querelles  du  jansénisme  servirent  de  texte  à 
une  autre  série  de  brochures,  dont  la  marche  fut  ouverte 
par  les  Provinciales  ou  Petites  Lettres,  comme  on  les  ap- 
pelait d'abord  (voyez  Pascal  ),  et  fermée  par  les  Nouvelles 
Ecclésiastiques,  qu'un  enfant,  blotti  dans  la  hotte  d'un  chif- 
fonnier affichait  par  une  petite  fenêtre  sur  les  murs  de  Paris. 

En  ce  temps-là  l'attention  publique ,  paresseuse  et  impa- 
tiente, eût  craint  de  s'imposer  un  long  examen  ;  aussi  les  au- 
teurs, pour  lui  plaire,  jetaient  leurs  idées  ou  traduisaient  leurs 
livres  en  brochures,  dont  la  brièveté  amusait  ou  instruisait 
sans  fatiguer.  Une  brochure,  lancée  au  plus  fort  de  la  que- 
relle des  Gluckistes  et  des  Piccinistes,  souleva  Grimm,  et 
ébaucha  sa  fortune,  achevée  depuis  par  son  esprit.  Devinant 
ce  que  serait  entre  ses  mains  la  portée  d'une  telle  arme, 
Voltaire  s'en  saisit  :  on  peut  même  affirmer  que  la  partie  de 
ses  œuvres  qui  a  exercé  le  plus  d'influence  se  compose  de 
brochures.  Arsenal  toujours  plein  de  traits  acérés ,  ses  cou|)s 
frappaient  tantôt  les  croyances  rehgieuses,  tantôt  les  erreurs 
de  la  justice,  ou  la  rouille  des  lois  féodales.  C'est  ainsi  qu'il 
réhabilitait  Calas ,  brisait  l'échafaud  de  Sirven  et  émancipait 
les  serfs  du  Jura.  Retpanché  dans  Ferney,  durant  les  trente 
dernières  années  de  sa  vie,  c'est  de  là  qu'il  lançait  ses  arrêts 
formulés  en  brochures  et  sonnait  la  réforme. 

Celle-ci  s'avançait,  précipitée  par  des  ministres  inhabiles 
et  violents  dans  leur  faiblesse.  Gênés  par  les  parlements, 
ils  les  abattirent  pour  y  substituer  une  autre  magistratuie, 
qui  succomba,  en  naissant,  sous  les  brochures  de  Beau- 
marchais. Attaqué  dans  ses  institutions  comme  dans  ses 
actes,  l'édifice  monarchique  était  encore  rainé  à  sa  base  par 
les  économistes,  examinant  dans  leurs  brochures  les  res- 
sorts de  l'association  humaine  et  proposant  de  les  changer. 
Peu  compris  de  la  foule ,  ils  enrôlèrent  beaucoup  d'esprits 
distingués,  qui,  imbus  de  leurs  doctrines,  saisirent  l'occasion 
de  les  appliquer  quand  la  monarchie  essaya  de  se  raffermir 
en  convoquant  les  états  généraux.  L'ouverture  decette  grande 
solennité  fut  marquée  par  la  querelle  des  trois  ordres  rela- 
tive au  vote  des  députés.  Une  simple  brochure  de  Sieyés» 
emporta  la  question.  —  Qu'est-ce  que  le  tiers-état?  disait- 
il.  Tout  !  —  Qu'a-t-il  été  jusqu'à  présent?  Rien  !  —  Que 
veut-il  être?  Quelque  chose  !  La  monarchie  s'écroula.  Nous 
passons  sur  sa  chute  et  sur  les  brochures  nombreuses  que  la 
révolution  fit  éclore,  hardies  et  raisonneuses  sous  la  plume 
des  publicistes  de  la  Constituante,  cyniques,  subversives,  di- 
gnes du  nom  de  pamphlets  sous  celles  d'Hébert,  de  Marat,  de 
Babeuf,  etc.,  etc.,  n'ayant  pas  toutefois  laissé  de  traces  aussi 
profondes  que  celle  de  Sieyès,  parce  qu'elles  étaient  toutes 
dominées  par  les  journaux  et  plus  encore  par  les  événe- 
ments de  l'époque.  Le  parti  royaliste  eut  aussi  ses  brochures, 
qu'il  continua  dans  l'émigration. 

Parvenu  au  consulat,  puis  au  trône,  Bonaparte  s'empara 
de  la  presse ,  n'en  permettant  l'usage  qu'à  ses  flatteurs  et  aux 
instruments  de  ses  desseins.  IMomentanément  la  brochure 
fut  étouffée  dans  son  nid.  Mais  le  colosse,  vaincu  par  les  ar- 
mes, ne  tarda  pas  à  être  accablé  par  la  brochure,  qui  ressu.s- 
cita  le  fiel  au  cœur  et  une  plume  acérée  au  bout  des  ongles. 
Le  canon  se  taisait  à  peine,  que  Chateaubriand  publiait 
la  sienne  :  De  Bonaparte  et  des  Bourbons,  dont  80,000 
exemplaires,  échappés  des  presses  de  Lenormant,  ne  suUi- 


BROCHURE  —  BROCKHAUS 


saient  pas  à  l'avidilé  des  lecteurs;  puis,  la  lutte  s'étant  en- 
gagée entre  les  partisans  de  la  vieille  monarchie  et  ceu\  des 
droits  du  peuple,  Chateaubriand  intervint  encore.  Ennemi 
<ies  hommes  d'État  alors  au  timon  des  affaires,  il  se  déclara 
pour  le  maintien  des  conquêtes  légales  de  la  révolution,  et 
La  Monarchie  selon  la  Charte  fut  le  fruit  de  sa  conviction. 

En  même  temps,  un  jeune  garde  d'honneur,  à  peine  de  re- 
tour de  l'armée,  M.  de  Salvandy,  lançait  courageusement 
a  la  face  des  étrangers  qui  inondaient  Paris  une  brochure 
etincelante  de  verve  :  La  Coalition  et  la  France.  Les 
hauts  alliés  se  plaignirent  avec  menace  de  cette  protes- 
tation de  la  patrie  écrasée  réclamant  par  une  bouche  de 
vingt  ans ,  et  délibérèrent  s'ils  ne  devaient  pas  répondre  avec 
toutes  les  armées  de  l'Europe  coalisée  audéfid'un  enfant.  D'au- 
tres publicistes ,  B o n a  1  d ,  Benjamin  Constant,  Fiévée, 
Montlosier,  montrèrent,  sous  des  bannières  différentes,  un 
talent  remarquable,  mais  aucun  n'égala  Paul-Louis  Cou- 
rier, l'ancien  canonnier  à  cheval,  le  célèbre  vigneron,  qui, 
plus  qu'eux  tous,  joignait  à  la  puissance  du  raisonnement 
le  prestige  d'un  stjle  plein  de  science  et  de  bonhommie. 
Cependant  une  fois  Montlosier  obtint  un  succès  non  moins 
universel  par  sa  Dénonciation  contre  les  Jésuites. 

La  polémique  des  brochures  ne  cessa  de  captiver  exclusi- 
vement l'attention  qu'au  moment  oii  les  journaux,  conquirent 
enfin  leur  indépendance.  Toutefois  ce  triomphe  fut  de  peu 
de  durée.  La  censure ,  rétablie  en  182G ,  pesa  lourdement  sur 
les  journaux,  qui  commencèrent  à  paraître  avec  de  longues 
colonnes  en  blanc.  Mais  toutes  les  bribes  abattues  par  les 
ciseaux  des  censeurs  ne  furent  pas  perdues  :  on  en  com- 
posa des  brochures  courageuses ,  brûlantes,  qui  se  succédè- 
rent coup  sur  coup  et  furent  dévorées  par  le  public.  Dans 
r«tle  guerre  de  plume,  on  retrouve  JL  de  Salvandy,  devenu 
rédacteur  du  Journal  des  Débats. 

Sans  parler  du  déluge  de  brochures  républicaines ,  huma- 
nitaires, socialistes,  etc.,  etc.,  qui  suivit  la  révolution  de  1830 
et  surtout  celle  de  1848,  on  peut  citer  encore,  après  celles 
de  Paul-Louis  Courier,  celles  que  M.  de  Cormenin  a  publiées 
sous  le  pseudonjTne  de  Timon.  En  résumé,  cependant, 
lorsque  les  journaux  sont  libres,  à  moins  de  tourner  au 
pamphlet  ou  au  libelle,  que  peut  révéler  la  brochure  qui 
ne  soit  su  d'avance?  Que  peut-elle  enseigner  qu'on  n'ait  ap- 
pris déjà.  Les  brochures  littéraires,  frappées  du  même  coup, 
se  transforment  en  revues.  Mais  lorsque  la  presse  périodi(iue 
est  muselée ,  la  pensée  comprimée  éclate  immédiatement  en 
brochures.  Le  gouvernement  issu  du  coup  d'État  du  2  dé- 
cembre 1831  l'a  si  bien  senti,  qu'en  soumettant  les  jour- 
naux au  régime  du  double  avertissement,  il  s'est  bien  gardé 
d'oublier  de  frapper  d'un  droit  de  timbre  toute  publication 
au-dessous  de  dix  feuilles.  11  est  cependant  des  hommes  qui, 
an  risque  d'avoir  moins  de  lecteurs,  préfèrent  toujours  ex- 
primer leurs  idées  dans  des  brochures,  parce  qu'ils  n'y  sont 
point  gênés  par  les  besoins  d'un  livre  ou  d'un  journal  fait 
en  commun.  Et  puis  un  honuTie  d'esprit  l'a  dit,  «  Il  faut  au 
moins  une  idée  pour  faire  une  brochure  :  on  peut  faire  un 
livre  sans  cela.  » 

Si  nous  tournons  les  yeux  du  côté  de  l'Angleterre,  nous 
y  verrons  l'auteur  de  Robinson  expier  par  le  pilori  et  une 
amende  qui  le  ruina  des  opinions  religieuses  antipathiques 
au  parlement;  puis  les  brochures  de  l'auteur  de  Gulliver 
faire  et  défaire  les  ministres  et  placer  Swift  au-dessus  d'eux. 
Sous  Georges  III,  les  Lettres  de  Junius  foudroyèrent  les 
mandataires  du  pouvoir  et  devinrent  des  Philippiques  ri- 
vales de  celles  de  Démosthène.  Les  brochures  de  Cobbett 
préparent  les  voies  au  chartisme  anglais;  colles  de  Cobden 
ont  par  leur  persistance  enlevé  d'assaut  la  liberté  commer- 
ciale. 

Parmi  les  antres  peuples  de  notre  hémisphère ,  les  Russes 
n'osent  pas  encore  penser,  les  Italiens  n'osent  plus  penser, 
les  Espagnols  et  les  Portugais  se  disposent  à  penser.  En 
Suède,  en  Danemark,  en  Pologne,  en  Allemagne,  depuis  les 

nCT.    DE    LA    COXVEnS.    —   T.     III. 


737 


brochures  de  Heine,  la  vie  politique  circule  par  cette  voie 
en  attendant  qu'elle  puisse  s'ébattre  dans  des  journaux  li- 
bres. Chez  les  Américains  du  Nord,  les  brochures,  depuis 
celles  de  Franklin,  sont  les  auxiliaires  obligés  du  journa- 
lisme ,  qu'elles  appuient  et  ne  gênent  pas.  Il  en  est  de  même 
de  l'empire  du  Brésil  et  des  autres  républiques  américaines. 

BROCKEN  (  Mons  Bructerus,  Melibocus),  appelé  aussi 
par  le  peuple  Blocksberg.  C'est  le  nom  que  l'on  donne  à  la 
cime  la  plus  haute  du  Harz.  Situé  dans  le  comté  de  Stol- 
berg-Wernigerode ,  le  Brocken  s'élève  à  1086  mètres  au- 
dessus  de  la  mer,  et  forme  le  centre  d'une  masse  granitique 
qu'a  percée  l'argile  schisteuse  et  le  quartz  mêlé  de  schiste  et  de 
mica,  et  qu'on  appelle  le  Brockengebirge.  Sur  son  sommet, 
arrondi  et  couvert  de  tourbe,  sont  dispersés  de  gros  blocs  de 
granit,  qui  semblent  être  les  débris  d'une  pyramide  grani- 
tique. Autour  de  cette  espèce  de  dôme  se  groupent  d'autres 
montagnes,  aux  pentes  rapides  vers  le  nord,  mais  se  reliant, 
sur  les  autres  faces,  aux  plateaux  de  Harz  :  les  Brandklippen 
au  nord;  les  Zeterklippen  à  l'est,  avec  le  Petit  Brocken  , 
la  Heinrichshœhe  et  les  Ilohncklippen ,  les  Feuerstein- 
klippen ,  les  Schnarcherklippen,  le  Wormberg,  VAchter- 
mannshœhe,  le  Kœnigsberg  et  les  Hischhœrner au  midi; 
le  Brocken/eld  et  VAbbensteiner-klippe  à  l'ouest.  Les 
nombreux  ruisseaux  qui  prennent  leurs  sources  dans  ces 
montagnes  ou  qui  s'échappent  de  leurs  marais  se  rendent 
dans  les  bassins,  soit  de  l'Elbe ,  soit  du  Weser,  et  se  réunis- 
sent dans  les  principales  artères,  le  Radau,  l'Elker,  l'Isle, 
rUolzemme,  le  Kalten-Bode,  le  \\'armen-Code  et  l'Oder. 

Des  routes  assez  commodes  conduisent  d'Elbingerode  et 
d'Ilsenbourg  jusqu'au  sommet  du  Brocken.  A  125  ou  155 
mètres  au-dessous  de  la  cime,  on  quitte  les  forêts  d'arbres 
conifères  pour  entrer  dans  la  région  des  pins  des  Alpes,  qui 
disparaissent  à  leur  tour,  bien  que  le  point  culminant  de  la 
montagne  offre  encore  des  traces  de  végétation.  Outie  diffé- 
rentes espèces  d'orchis,  les  botanistes  y  récoltent  le  lichen 
d'Islande,  ou  motcsse  du  Brocken ,  que  les  gens  pauvres  ra- 
massent pour  le  vendre,  l'anémone  alpine,  on  fleur  du 
Brocken ,  et  surtout  la  betula  nana ,  plante  rare ,  qu'on 
trouve  encore  quelquefois  dans  les  environs  du  Langen- 
werk. 

La  montagne  est  ordinairement  enveloppée  de  brouillards 
et  de  nuages,  qui,  tourmentés  par  un  vent  presque  continuel, 
offrent  à  l'imagination  les  plus  bizarres  tableaux,  dans  les- 
quels la  tradition  populaire  veut  voir  des  danses  de  sor- 
cières, etc.  (  voyez  Blocksberg).  Le  phénomène  da  spectre, 
du  Brocken  fait  une  singulière  impresssion  :  il  consiste  en 
la  réflexion  d'ombres  d'hommes  et  de  maisons  sur  un  voile 
de  nuages  faisant  face  au  soleil  couchant.  Lorsque  le  ciel  est 
serein,  on  jouit  d'une  vueravissante  sur  une  contréede  1 25  ki- 
lomètres de  circonférence,  et  avec  une  lunette  d'approche 
on  découvre  le  cadran  de  la  cathédrale  de  Magdebourg. 
En  1800,1e  comte  de  Stolberg-Wernigerode  a  fait  bâtir  sur 
la  cime  la  plus  élevée  du  Brocken  un  grand  bâtiment  à  un 
étage  qui  offre  toutes  commodités  aux  étrangers  et  devant 
lequel  s'élève  une  tour  en  bois  d'où  l'on  jouit  d'une  magni- 
fique perspective. 

BROCKHAUS  (Ff.édékic-Arxold),  célèbre  libraire  al- 
lemand, naquit  à  Dortmund,  le  4  mai  1772.  Malgré  le  pen- 
chant qu'il  manifesta  de  bonne  heure  pour  les  lettres ,  son 
père  le  destina  au  commerce,  et  le  mit  dès  1788  chez  un 
négociant  de  Dusseldorf.  De  retour  dans  sa  famille  en  1793, 
il  obtint  la  permission  d'aller  suivre  pendant  deux  ans  les 
cours  de  l'université  de  Leipzig;  mais  en  1795  il  fut  rap- 
pelé et  mis,  avec  un  de  ses  parents,  à  la  tête  d'un  magasin  <!e 
marchandises  anglaii^es,  qu'il  abandonna  en  1804,  dans  l'in- 
tention de  se  faire  libraire.  Il  s'associa  donc  avec  Rohloff,  et 
établit  à  Amsterdam  une  maison  de  librairie.  En  1806  il 
entreprit  la  publication  du  journal  de  Ster  (l'Étoile),  que  ses 
tendances  libérales  firent  bientôt  supprimer;  VAmsterdamsch 
Avond  7o7<n?«^,  qu'il  publia  ensuite,  n'eut  également  qu'une 

93 


738 


BROCKHAUS  _  BRODERIE 


courte  existt'ucc.  La  réunion  Je  la  Hollande  à  la  France , 
en  1310,  ayant  porté  le  coup  le  plus  rutle  à  son  commerce, 
IJrockhaus  retourna  en  Allemagne,  et  s'établit  d'abord  à  Al- 
lenbourg,  oii  il  commença,  en  1812,  une  réimpression  du 
Conversation's-Lexicon,  dont  il  avait  aclieté  et  ter- 
miné la  première  édition,  commencée  en  179G.Le  succès  pro- 
digieux de  celte  publication,  favorisé  par  le  rétablissement  de 
la  paix  en  1815,  lui  permit  de  donner  le  plus  grand  dévelop- 
pement à  ses  entreprises  de  librairie. 

De  1813  à  1816  Brockhaus  publia  la  Feuille  Allemande, 
dans  un  esprit  de  patriotisme  qui  ne  resta  pas  sans  iniluence 
sur  l'opinion.  En  1817  il  transporta  à  Leipzig  sa  maison,  à 
laquelle  il  joignit  une  imprimerie.  Six  éditions  du  Conver- 
sation's- Lcxicon  se  succédèrent  rapidement.  Outre  ce 
grand  ouvrage,  il  a  édité  YVrania,  depuis  1810  ;  le  Manuel 
de  la  Littérature  Allemande  d'Ersch,  depuis  1812;  les 
Contemporai7is ,  depuis  181C;  Hermès,  depuis  1819;  la 
Feuillede  Conversations  littéraires,  depuis  1820;  le  Dic- 
tionnaire Bibliographique  d'Èhart,  V Histoire  des  Hohens- 
taufen  de  Raumer,  etc.  Les  opinions  libérales  de  Brockhaus 
et  son  admiration  pour  le  gouvernement  constitutionnel  lui 
attirèrent  souvent  des  persécutions  de  la  part  du  gouverne- 
ment prussien,  et  l'exposèrent  aux  chicanes  de  la  censure 
saxonne.  Il  mourut  le  20  août  1823. 

Son  fils  aîné,  Frédéric  Bhockuaus,  né  à  Dorlmnnd,  le  9.3 
septembre  1800 ,  l'a  remplacé  à  la  tùte  de  la  maison  qu'il 
avait  fondée.  Secondé  par  son  frère  Henri,  né  à  Amsterdam, 
en  1804,  il  a  donné  à  sa  librairie  et  à  son  imprimerie  un 
très-grand  développement ,  et  y  a  ajouté  une  fonderie  de 
caractères.  Avant  qu'il  quittât  les  affaires,  en  1850,  il  avait 
publié  trois  nouvelles  éà\\\ons>(\\iiConversation''s-Lexicon  ,  et 
un  grand  nombre  d'ouvrages  importants.  Le  troisième  frère, 
Hermann,  né  à  Amsterdam,  en  1806,  professeur  de  litté- 
rature indienne  à  léna  en  1839,  et  aujourd'hui  à  Leipzig  , 
s'est  fait  connaître  par  la  traduction  des  cinq  premiers  livres 
du  Kalhd  sarit  sdgara  (en  sanscrit  et  en  allemand,  Leipzig, 
1839),  une  édition  du  Prabodha  candrodaija,  avec  les 
scolies  indiennes  (Leipzig,  1845),  une  édition  de  la  traduc- 
tion persane  des  Sept  Maîtres  sages  (Leipzig,  1845),  une 
édition  du  Vendidad  Sade,  qu'il  a  enrichie  d'un  index  et 
d'un  petit  glossaire  de  la  langue  zend  (Leipzig,  1850).  H  a 
publié  aussi  un  projet,  à  peu  près  généralement  adopté,  sur 
l'impression  des  ouvrages  sanscrits  en  caractères  latins 
(Leipzig,  1841). 

DROCOLI  ou  CHOU  BROCOLI.  Cette  race  de  choux 
est  très- voisine  des  choux-fleurs,  dont  elle  ne  diffère 
que  par  ses  feuilles  ondulées,  par  ses  dimensions  plus  grandes 
et  par  ses  couleurs.  Les  variétés  préférées  du  brocoli  sont  le 
blanc,  le  violet  et  le  violet  nain  hâtif ,  tous  les  trois 
pommés  ;  il  y  en  a  aussi  de  rouges ,  de  jaunâtres,  de  verts, 
les  uns  pommés,  les  autres  sans  pomme.  Tous  les  brocolis 
pommes  s'assaisonnent  comme  les  choux-fleurs  ;  les  autres 
se  mangent  en  salade. 

BUODEQUIN,  sorte  de  chaussure  en  usage  chez  les 
anciens ,  laquelle  couvrait  le  pied  et  la  moitié  de  la  jambe. 
Elle  se  composait  du  calceus  et  de  la  caliga.  Le  calceus , 
de  cuir  ou  de  bois ,  était  la  semelle;  elle  affectait  la  forme 
quadrangulaire;Ia  caliga,  d'étoffe  souvent  précieuse,  était 
l'espèce  de  bottine  qui  la  surmontait  et  qui  s'attachait  plus 
ou  moins  haut  sur  la  jambe.  Le  calceus  était  quelquefois  si 
épais,  qu'un  homme  de  médiocre  taille,  chaussé  du  brode- 
quin, pouvait  paraître  de  la  taille  des  héros.  Les  jeunes 
filles  l'adoptèrent  bientôt  pour  se  grandir,  puis  les  chasseurs 
et  les  voyageurs  pour  se  garantir  du  sable  et  de  l'humidité. 
Des  anciens  le  brodequin  passa  chez  les  modernes.  Marot, 
dans  une  de  ses  notes  sur  une  ballade  de  Villon,  appelle  le 
brodequin  ime  belle  chaussure,  une  chaussure  galante,  et 
dit  qu'elle  consistait  en  une  sorte  de  chausses  senielées,  dont 
la  tige  était  faite  d'une  peau  si  line,  qu'elle  se  retournait 
tomme  le  cuir  d'un  gant. 


De  nos  jours  le  brodequin  diffère  de  la  bottine  en  ce 
qu'on  le  lace  sur  le  cou-de-pied,  tandis  que  celle-ci  se  bou- 
tonne ou  se  lasse  sur  le  côté.  On  n'en  fait  guère  qu'en  cuir,  tan- 
dis que  les  bottines  sont  presque  toujours  en  étoffes  de  toutes 
couleurs.  Les  brodequins  sont  surtout  portés  par  les  enfants, 
dont  ils  assurent  la  marche,  en  même  temps  qu'ils  empêchent 
le  pied  de  se  déformer ,  et  qu'ils  le  préservent  de  la  pous- 
sière, du  sable  et  de  la  boue,  contre  lesquels  le  soulier 
seul  est  de  moindre  défense. 

Dans  l'application  aux  choses  du  théâtre,  il  faut  avoir  bien 
soin  de  distinguer  le  brodequin  du  cothurne:  un  poète 
comique  chausse  le  brodequin  ;  un  poète  tragique ,  le  co- 
thurne; le  premier  est  un  attribut  de  Thalie,  l'autre  un  at- 
tribut de  Melpomène,  Mercier  a  donc  eu  grandement  raison 
de  dire  : 

Voltaire,  plein  d'un  feu  divin, 
Chausse  le  cothurne  tragique; 
Ma  muse  ,  naïve  et  comique , 
Ne  chausse  que  le  brodequin. 

Brodequins  s'est  dit  autrefois  d'une  espèce  de  torture  on 
de  question  à  laquelle  on  soumettait,  non  pas  toujours  les 
criminels  seuls,  mais  quelquefois  aussi  les  accusés,  les  sim- 
ples prévenus ,  pour  leur  arracher  par  la  douleur  l'aveu 
d'un  crime  que  souvent  ils  n'avaient  pas  commis.  Ou  la 
donnait,  disent  les  anciens  auteurs,  avec  quatre  petits  ais 
forts  et  épais ,  dont  deux  se  plaçaient  chacun  à  la  partie 
extérieure  de  la  jambe  droite  et  de  la  jambe  gauclie,  et  les 
deux  autres  entre  les  deux  jambes.  On  liait  ensuite  tout  cet 
appareil  avec  de  bonnes  cordes ,  puis  l'on  prenait  des  coins 
de  fer  ou  de  bois ,  que  l'on  introduisait,  de  force,  à  coups  de 
maillet,  entre  les  deux  ais  qui  séparaient  les  jambes,  de 
manière  à  opérer  une  pression  si  puissante  et  si  terrible 
qu'elle  faisait  éclater  les  os. 

BRODERIE.  L'origine  de  cet  art  doit  remonter  à  une 
haute  antiquité ,  car  on  en  trouve  des  traces  dans  les  pre- 
miers livres  de  la  Bible,  et  la  mythologie  grecque  en  attribue 
l'invention  à  IMinerve.  On  appelle  broderie  un  dessin  tracé 
à  l'aiguille  avec  un  fil  quelconque  sur  toute  espèce  d'étoffes. 
Les  broderies  les  plus  simples  se  font  avec  du  coton  blanc, 
dont  on  fait  usage  sur  de  la  mousseline,  du  jaconas,  de  la 
batiste ,  etc.  On  en  fait  aussi  avec  de  la  soie  ou  de  la  laine 
de  couleur  sur  des  étoffes  <li verses.  On  fait  encore  des  bro- 
deries en  or  et  en  argent,  soit  en  fil  rond,  soit  en  layne, 
soit  en  paillette.  Enfin,  on  fait  des  broderies  en  soies 
nuancées,  et  dans  lesquelles  on  cherche  à  rendre  les  cou- 
leurs naturelles  des  objets  que  l'on  veut  représenter.  Toutes 
ces  broderies  ont  des  noms  particuliers,  tirés  de  l'espèce  de 
point  ou  de  la  matière  que  l'on  emploie.  Ainsi,  on  dit  bro- 
der en  blanc  ou  en  or,  broder  au  passé,  au  plumetis,  au 
point  de  chaînette,  au  point  de  marque,  au  nuancé,  à 
l'aiguille,  au  crochet,  à  la  main,  au  métier,  en  applica- 
tion. Cette  dernière  broderie  consiste  à  coudre  sur  l'étotle 
des  morceaux  d'une  autre  étoffe  découpée  pour  former  des 
pleins  et  des  clairs  d'un  agréable  effet.  Sur  les  mousselines 
ou  autres  tissus  blancs,  on  brode  souvent  à  la  main,  ayant 
seulement  l'attention  de  bâtir  son  dessin  par-dessous  l'étoffe 
ou  de  le  dessiner  sur  l'étoffe  par  un  procédé  qui  varie.  Pour 
les  broderies  en  or  et  en  argent,  et  surtout  pour  les  broderies 
en  soie  nuancée ,  on  trace  d'avance  le  dessin  que  l'on  veut 
broder ,  et  ensuite  on  monte  l'étoffe  sur  un  châssis  à  pie.i, 
(jue  l'on  nomme  métier  à  broder. 

Avant  la  révolution  de  1789,  les  brodeurs  sur  étoffe  foc- 
maient  une  corporation  dans  laquelle  n'étaient  pas  admises 
les  brodeuses,  qui  faisaient  seulement  des  broderies  en  blanc 
sur  le  linge.  Maintenant,  toutes  les  espèces  de  lirodcries 
sont  faites  par  des  femmes;  mais  ce  sont  ordinairement  des 
hommes  qui  font  les  dessins,  soit  sur  papier,  soit  sur  J 
ttofTc.  I 

Les  broderies  sont  l'objet  d'un  commerce  très-étendu.  De    • 
plus,  il  est  peu  de  dames  qui  ne  consacrent  qucl<iucs-imi 


à 


BRODERIE  -  BROEK 


739 


de  leurs  loisirs  à  exécuter  de  ces  charmants  travaux  d'ai- 
guille. Ainsi  la  broderie  dite  à  l'anglaise,  qui  se  fait  an 
point  de  cordonnet  allié  souvent  au  point  de  feston,  a  oc- 
cupe dans  ces  derniers  temps  beaucoup  de  doigts  plus  ou 
moins  aristocratiques;  aujourd'hui  que  ce  genre  de  broderie 
est  à  la  portée  de  presque  toutes  les  bourses,  l'engouement 
passager  qui  l'a  accueilli  semble  se  reporter  sur  d'autres  gen- 
res. Mais  la  broderie  en  tapisserie,  qui  consiste  à  rem- 
plir un  canevas  avec  de  la  laine  ou  de  la  soie ,  de  manière  à 
imiter  un  dessin  donné,  est  toujours  en  vogue,  comme 
élément  d'inépuisables  paires  de  pantoufles,  ronds  de  ser 
viettes,  dessous  de  lampe,  etc.,  etc.,  que  vous  imposent 
vos  nièces,  cousines  et  arrière-cousines,  aux  époques  so- 
lennelles de  votre  fête  ou  du  renouvellement  de  l'année. 

Au  figuré,  la  broderie,  sans  être  précisément  un  men- 
songe, en  approche  quelque  peu  :  on  brode  quand  on  ajoute 
à  un  récit  des  détails  dont  on  n'est  pas  sur,  souvent  même 
dont  on  sait  la  fausseté,  mais  qui  ollrent  l'avantage  de  rendre 
plus  intéressant  le  fait  que  l'on  raconte. 

Broderie ,  enfin ,  sert  encore  à  designer  en  musique  de 
légères  variations  que  le  musicien  ajoute  à  sa  partie  dans 
l'exécution ,  pour  orner  des  passages  trop  simples ,  et  par 
le  moyen  desquelles  il  peut  faire  briller  la  légèreté  de  ses 
doigts  ou  la  flexibilité  de  son  gosier. 

BRODY,importante  ville  de  la  GalicieAulricliipnne,  dans 
Je  cercle  de  Zloczow,  à  peu  de  distance  des  frontières  russes 
de  l'ancienne  Volliynie ,  au  milieu  d'une  piame  maréca- 
geuse environnée  de  forêts ,  à  8S  kilomètres  de  Lemberg,  et 
érigée  depuis  1799  en  ville  libre  commerciale,  est  le  siège 
d'une  chambre  impériale,  d'une  direction  générale  des  doua- 
nes et  d'un  11  ibunal  de  commerce.  On  y  trouve  cinq  fau- 
bourgs et  plusieurs  places  publiques,  entre  autres  le  vieux 
Marché  et  la  place  du  Château  ou  Marché-Neuf.  Les  rues 
en  sont  sales  et  les  maisons  construites  en  bois  ;  on  y  voit 
aussi  un  château  seigneurial  avec  parc ,  appartenant  au 
comte  Potocki ,  un  grande  église  catholique  et  deux  grandes 
églises  grecques,  trois  synagogues,  une  école  Israélite,  un 
collège  cathoUque  et  une  école  catholique  pour  les  filles , 
enfin  un  hôpital  richement  doté. 

La  population  de  Brody  est  d'environ  25,000  ânws ,  dont 
près  des  sept  huitièmes  professent  la  religion  juive;  le  reste 
se  compose  de  Polonais  ,  d'Allemands  et  de  fonctionnaires 
publics;  et  après  Lemberg,  c'est  la  ville  la  plus  peuplée  et 
la  plus  commerçante  de  la  Galicie.  Elle  constitue  le  princi- 
pal lieu  d'échange  entre  l'empire  dUutriche  et  la  Russie,  on 
pourrait  même  dire  entre  l'Orient  et  l'Occident.  Quaraiite 
maisons  de  commerce  de  premier  ordre  et  deux  cents 
maisons  d'importance  moindre,  les  unes  et  les  autres  pour  la 
plupart  entre  les  mains  d'Israélites,  y  font  des  affaires  im- 
menses en  bestiaux,  chevaux  ,  cires,  suifs,  cuirs,  pellete- 
ries, vins  de  France,  du  Rhin  et  de  Hongrie,  anis,  froma- 
ges, soies,  verres,  porcelaines  et  sels.  11  y  existe  aussi  d'im- 
portantes manufactures  de  cordes  et  tanneries. 

BRODZIXSKI  (Casimir  ) ,  l'un  des  poètes  polonais  les 
plus  distingués  des  temps  modernes,  naquit  en  1791,  à 
Krolowsko,  dans  l'ancienne  starostie  de  Lipna.  En  1809, 
à  l'époque  du  grand-duché  de  Varsovie,  il  entra  à  Craco- 
vie  dans  les  rangs  des  défenseurs  de  la  patrie ,  et  servit,  en 
qualité  de  sous-officier,  dans  un  régiment  d'artillerie.  La  pu- 
blication de  ses  premières  œuvres  poétiques  remonte  à  la 
même  époque;  elles  avaient  pour  titre:  Picnia  toiejskie  (Cra- 
covie,  181 1  ),  et  prouvèrent  que  la  vie  intime  du  paysan  po- 
lonais offre  à  la  poésie  une  riche  source.  On  admira  surtout 
la  vérité  avec  laquelle  il  savait  peindre  les  mœurs  et  exjiri- 
mer  les  idées  propres  au  peuple.  Après  avoir  séjourné  quel- 
que temps  à  Varsovie  et  à  Modiin,  il  fit,  avec  les  Fiançais, 
la  campagne  de  1812  contre  les  Russes.  Revenu,  en  1S13,  à 
Cracovie,  avec  les  débris  de  l'armée  polonaise  et  les  épaii- 
Jeltes  d'oflicier,  il  fit  encore  les  campagnes  d'Autriche  et  de 
Saxe.  Prisonnier  à  la  bataille  de  Leipzig,  il  fut  mis  en  liiicrté 


sur  sa  parole,  et  passa  alors  une  année  à  Cracovie.  11  nWn 
ensuite  à  Varsovie,  et  devint  professeur  d'esthétique  à  l'uni- 
versité de  cette  ville.  Bien  avant  Mickiewicz,  il  avait  tenté 
de  donner  une  vie  nouvelle  à  la  poésie  polonaise  par  l'imita- 
tion de  modèles  choisis  dans  les  poésies  étrangères;  il  ne 
pouvait  donc  manquer  d'être  l'un  des  plus  fervents  défenseurs 
de  ce  novateur,  lorsqu'il  commença  son  apostolat  httéraire. 
Les  poésies  de  Brodzinski ,  et  surtout  les  nombreuses  dis- 
sertations critiques  qu'il  fit  paraître  dans  des  revues  et  des 
journaux,  contribuèrent  puissamment  au  triomphe  de  la 
nouvelle  école  romantique ,  et  l'eurent  bientôt  classé  parmi 
les  critiques  polonais  les  plus  influents. 

Depuis  la  dissolution  de  l'université  de  Varsovie ,  à  la 
suite  des  événements  de  1831 ,  il  vivait  sans  emploi  à  Var- 
sovie, soulTrant  d'une  maladie  de  poitrine,  lorsqu'U  obtint 
enfin  ,  à  grand'peine  ,  la  permission  d'aller  prendre  les  eaux 
en  Bohême  ;  mais  il  ne  lui  était  pas  donné  de  revoir  le  sol 
natal.  Il  mourut  le  10  octobre  1835,  à  Dresde,  où  ses  com- 
patriotes lui  ont  élevé  un  modeste  monument.  Doux  et 
sensible ,  l'amour  de  la  patrie  et  le  sentiment  religieux  for- 
maient le  fond  de  son  canictère  et  le  type  de  son  existence. 
On  a  commencé  à  Wilna  une  édition  de  ses  œuvres.  Brod- 
zinski avait  aussi  traduit  Job,  les  Souffrances  dujeuneWer- 
tlier  et  un  choix  de  chants  populaires  serbes  et  bohèmes. 

liïlOEK  (on  prononce  Brouk),  village  de  1,100  âmes, 
dans  la  province  de  Nord-Hollande,  à  4  kilomètres  nord- 
est  d'Amsterdam ,  célèbre  par  la  minutieuse  propreté  de  ses 
habitants,  dont  beaucoup,  anciens  négociants  retirés  des  af- 
faires, sont  deux  et  trois  fois  millionnaires ,.  et  qui  n'admet- 
traient pas  chez  eux  un  étranger  sans  lui  avoir  fait  préala- 
blement quitter  ses  bottes  ou  ses  souliers,  pour  chausser 
des  espèces  de  babouches  destinées  à  garantir  de  toute  es- 
pèce de  souillure  leurs  parquets  et  les  somptueux  tapis  qui 
les  recouvrent.  Cette  formalité  est  tellement  de  rigueur,  que 
Napoléon  et  l'cmpeicur  .Alexandre  eux-mêmes,  quand  ils 
vinrent  visiter  ce  \illage,  furent  obligés  de  s'y  soumettre 
comme  de  simples  mortels.  L'entrée  de  Broek  est  d'aillems 
soigneusement  interdite  aux  bestiaux,  aux  chevaux,  aux 
voitures,  aux  équipages  môme  les  plus  légers,  afin  que  les  rues 
ne  soient  Jamais  salies  ;  car  vraiment  ce  serait  dommage  ! 
Représentez-vous  en  elTet,  si  vous  le  pouvez,  des  rues  pavées 
en  marbre  à  peu  près  comme  le  sont  les  antichambres  et  les 
safies  à  manger  de  nos  habitations  parisiennes ,  aussi  soi- 
gneusement entretenues,  balayées  et  lavées.  Le  long  des 
maisons  de  ces  villageois  miUionnaires  règne  un  espace  sé- 
paré de  la  voie  pubUque  par  une  balustrade  en  fer  battu 
ornée  de  pommes  de  cjivre  étincelantes  de  fourbissure.  Cette 
espèce  de  trottoir  est  pavé  en  mosaïque  à  la  manière  de  celles 
qu'on  peut  voir  dans  les  ruines  de  Pompéi.  L'aspect  exté- 
rieur des  habitations  répond  complètement  à  ce  que  promet 
cette  voie  publique  ;  ce  sont  de  véritables  palais  en  miniature, 
tout  étincelants  de  dorures  et  de  peintures  renouvelées  ou 
tout  au  moins  rafraîchies  chaque  année;  l'entrée  ordinaire 
en  est  placée  sur  les  derrières,  oii  l'architecte  a  discrète- 
ment ménagé  une  porte  bâtarde.  Quant  à  la  porte  unique 
donnant  sur  la  rue,  porte  toujours  d'apparence  somptueuse, 
elle  ne  s'ouvre  que  dans  trois  circonstances  bien  solennelles 
de  la  vie  de  chacun  des  propriétaires  de  ces  bijoux  :  les  baptê- 
mes, les  mariages  et  les  enterrements.  A  l'intérieur,  ce  ne  sont 
que  tableaux ,  marbres ,  vases  et  curiosités  ;  ce  ne  sont  que 
bois  précieux  et  luisants,  porcelaines  d'Asie,  cristaux,  al- 
bâtres ,  pori)hyres. 

Un  voyageur  français  qui  a  publié  une  description  très- 
piquante  de  la  Hollande  et  de  ses  mœurs ,  sous  le  titre  de 
Quatre  mois  dans  les  Pays-Bas,  M.  Lepeintre-Desroches, 
nous  ai)prend  que  cet  opulent  village,  tout  féerique  qu'il 
paraît  d'abord  ,  est  d'une  tristesse  incomparable ,  et  qu'on  y 
rencontre  si  [)eii  de  passants  qu'on  le  croirait  désert.  Les 
prudents  habitants  de  Broek,  aussi  économes  qu'opulents  et 
aussi  Sédentaires  qu'économes,  se  voient  rarement  entrtj 

93. 


740 


BROEK 


eux.  Quiconque  se  présente  dans  une  maison  sans  venir  de 
la  part  d'un  ami  bien  intime  ,  h  moins  qu'il  n'ait  quelque 
bonne.  r.'//"« ire  à  proposer,  se  voit  imfiitoyahlenient  fermer  la 
porte,  comme  il  arriva,  entre  autres,  à  l'empereur  Joseph  JI. 
Le  miîme  écrivain  ajoute  en  parlant  de  i3ioek  :  «  Les  \)\h-rf, 
qui  servent  aux  usages  communs,  telles  que  l'anticiiambre 
et  l'office,  sont  resplendissantes  de  netteté.  Il  n'y  a  pas  jus- 
qu'à la  cuisine  qui  ne  soit  remarquable  sous  ce  rapport,  et 
les  noudjreux  ustensiles  qui  y  sont  placés,  soit  en  fer,  soit 
en  cuivre,  sont  d'im  éclat  ravissant.  Quelques-uns  sont  gar- 
nis d'élolTes  de  coton  ou  de  laine  fine  aux  endroits  ou  la 
main  doit  les  saisir,  tant  est  f^vande  l'attention  des  gens  de 
cette  contrée  dans  les  pins  petits  détails.  » 

Notre  voyageur  ne  ilit  pas  tout.  Cette  cuisine  qu'il  décrit 
si  bien  ,  et  qu'on  ne  peut  se  représenter  (pie  comme  un  ma- 
gasin d'orftH  iciJe,  n'est  qu'une  cuisine  d'apparat  !  ces  usten- 
siles d'un  dcla(  si  ravissant,  on  ne  les  touche  jamais  que 
pour  en  raviver  par  de  savantes  frictions  le  poli  qui  se  ter- 
nirait à  la  longue  sans  cette  précaution;  et  il  y  a  dans  cha- 
que maison ,  mais  bien  mystérieusement  caché  à  tous  les 
regards ,  un  réduit  dans  lequel  s'apprêtent  les  mets  destinés 
à  l'alimentation  <fe  la  famille,  réduit  dont  l'habitant  de 
fîroek  dissimule  avec  autant  de  soin  l'existence  que  celle 
du  cabinet  où  ce  di.ible  d'Alccste  veut  à  toute  force  mettre 
le  sonnet  d'Oronte. 

Écoutons  encore  parler  M.  Lepeintre-Desroclies :  «Mais  ce 
qui  s'y  voit  de  plus  merveilleux  pnut-être ,  c'est  la  laiterie, 
c'est  retable ,  qui  ne  sont  pas  moins  éclatantes  de  couleur, 
de  propreté  et  de  clarté  que  tout  le  reste.  On  peut  dire  que 
la  Hollande  est  le  paradis  des  vaches;  elles  y  sont  logées 
beaucoup  plus  agréablement  que  la  plupart  des  bourgeois 
de  nos  villes.  A  Broek  surtout ,  les  nourrisseurs  semblent 
avoir  redoublé  d'attention  pour  elles  :  ils  les  ont  placées  de 
manière  à  ce  que  chacune  a  son  cabinet  séparé ,  bien  verni, 
bien  peint,  bien  frotté  ;  elle-même  est  soigneusement  épongée 
et  nettoyée  ;  ses  pieds  posent  sur  un  plancher  bien  lavé  ,  et 
pendant  que  sa  tête  s'allonge  dans  une  mangeoire  de  bois 
bien  ciré ,  sa  queue  est  retroussée  artistement  et  attachée  au 
plafond  par  le  bout  avec  un  cordon « 

Une  seule  chose  nous  étonne-,  c'est  que  les  habitants  de 
Broek  n'aient  pas  encore  songé  à  entourer  d'une  serviette 
le  cou  de  leurs  vaches  quand  elles  prennent  leur  nourriture, 
ainsi  qu'on  a  grand  soin  de  le  faire  chez  Franconi  au  cheval 
gastronome. 

BROEIÎIIUYSEIM  (  Jan  van),  plus  connu  sous  le  nom 
de  Janus  Broukusius ,  poète  et  philologue  hollandais  dis- 
tingué, né  le  20  novembre  1649,  à  Amsterdam,  appartenait  à 
une  famille  considérée,  et  fut  élevé  au  collège  de  sa  ville  na- 
tale, oiiil  composa,  à  l'occasion  de  l'installation  d'uu  nouveau 
bourgmestre,  un  poëmc  dont  les  heureuses  pensées  et  la  latinité 
d'une  remarquable  pureté  firent  grande  sensation.  Encouragé 
I)ar  les  éloges  (pii  lui  en  revinrentde  toutes  parts,  Broekhuy- 
sen  voulait  se  consacrer  dorénavant  à  la  culture  des  lettres  ; 
mais  ce  projet  fut  contrecarré  par  son  tuteur,  qui  avait  décidé 
dans  sa  sagesse  qu'il  ferait  de  lui  un  apothicaire.  11  se  soumit 
d'abord,  résigné,  aux  volontés  de  cet  esprit  positif;  cependant 
peu  de  temps  après  il  désertait  l'olficine  du  pharmacopole 
chez  lequel  il  avait  été  mis  en  apprentissage  pour  s'engager 
au  service  de  son  pays.  En  1674  il  partit  avec  le  grade  de 
eapitaine-lieutenantàbordde  l'escadre  aux  ordres  de  l'amiral 
Ruyter  pour  les  îles  des  Indes  occidentales  ;  mais  ni  les 
orages  ni  les  tempêtes  ne  purent  lui  faire  oublier  la  poésie. 
C'est  ainsi  qu'il  se  trouvait  à  la  hauteur  de  l'ile  Saint-Do- 
minique quand  il  traduisit  en  vers  latins  le  44*  psaume  de 
iiavid,  et  composa  son  Céladon  ou  le  Désir  de  revoir  sa 
patrie.  Revenu  dans  l'automne  de  la  même  année  à  Utrecht, 
il  eut  occasion  d'y  nouer  des  relations  avec  plusieurs  sa- 
vants, notamment  avec  Grevius;  et  il  y  fit  paraître  un  recueil 
de  ses  poèmes  latins  (Utrecht,  1684),  qu'il  traduisit  aussi  en 
hollandais.  A  peu  de  temps  de  là  il  obtint  un  emploi  comme 


BROGLIE 

officiera  Amsterdam.  En  1697  il  prit  son  congé,  avec  le 
grade  de  capitaine,  et  mourut  le  1.5  décembre  1707.  Ses  édi- 
tions de  Sanna/ar,  de  l'roperce  (1702  ;  nouv.  édit,,  1726) 
et  de  Tibulle  (  1708  ;  2*  édit.,  1727  )  prouvent  la  vaste  étendue 
de  ses  connaissances. 

BROEMSEDUO,  petit  village  de  Suède,  dans  la  pro- 
vince de  Calmar,  resté  célèbre  dans  l'histoire  par  la  paix 
qui  s'y  négocia,  en  1645,  entre  la  Suède  et  le  Danemark, 
et  en  vertu  de  Laquelle  celte  dernière  puissance  dut  aban- 
donner à  la  première  plusieurs  provinces.  Foye-DANE.MAitK. 

BilOEiXDSTED  (  Petf.u-Oi.ii- ),  si  célèbre  par  l'étendue 
de  ses  connaissances  philologiques  et  archéologiques,  était 
né  le  17  novembre  17sO,  à  llorsens,  en  Jutland,  d'un 
père  ministre  protestant.  Après  avoir  fait  ses  études  à  l'u- 
niversité de  Copenhague,  il  vint,  en  1806  ,  passer  deux  ans 
à  Paris,  d'où  il  se  rendit  en  Italie.  Il  en  partit  en  1810, 
avec  l'architecte  Haller  de  Hallerstein ,  Linckh  et  de  Sta- 
ckelberg  ,  pour  entreprendre  en  commun  un  voyage  scien- 
tili(iue  en  Grèce,  et  y  faire  exécuter  des  fouilles  qui  produi- 
sirent des  résultats  immenses  pour  les  progrès  de  l'archéo- 
logie. De  retour  à  Copenhague  en  1813,  il  y  fut  pourvu 
d'une  chaire  de  philologie  grecque.  Croyant  que  la  publi- 
cation du  grand  ouvrage  qu'il  se  proposait  de  publier  sur 
son  voyage  en  Grèce  ne  pouvait  point  se  faire  avantageu- 
sement en  Danemark,  il  sollicita  et  obtint  du  gouverne- 
ment danois  sa  nomination  aux  fonctions  d'agent  accrédité 
pi-ès  le  gouvernement  pontifical ,  et  se  rendit  à  Rome 
en  1818.  Pendant  les  années  1820  et  1821  il  entreprit  une 
tournée  dans  les  îles  ioniennes  et  en  Sicile ,  puis  se  rendit  à 
Paris,  avec  l'aulorisation  de  son  gouvernement ,  pour  y  com- 
mencer l'inipression  de  son  livre.  Cet  ouvrage,  véritable 
monument  élevé  à  la  science  et  au  sol  classique  de  la  Grèce, 
et  imprimé  aux  frais  du  gouvernement  danois,  fut  publié 
en  allemand  sous  le  titre  de  :  Reisen  und  Untersuc/iun- 
gen  in  Griechenland  (2  vol.  in-4",  Paris,  1826- fsao). 
lien  parut,  en  même  temps,  une  traduction  française. 

On  a  encore  de  Brœndsted  quelques  opuscules  archéolo- 
giques, entre  autres  :  An  Account  of  some  greek  vases 
found  near  Vulci  (Londres,  1832);  les  Bronzes  de  Sirjs 
(in-4°,  Copenhague,  1837  ),  et  de  précieux  essais  sur  rkis- 
toire  de  Banenturk,  d'après  les  manuscrits  français  du 
moyen  âge  (Copenhague,  1817-1818).  lia  en  outre  publié,  sur 
les  papiers  laissés  par  le  major  Muller,  des  Souvenirs  d'un 
Séjour  en  Grèce  jjendant  les  années  1827  et  182S  (Pa- 
ris, 1833  ),  qui  offrent  de  l'intérêt  sous  le  point  de  vue  de 
l'art  militaire.  Après  son  voyage  en  Angleterre  en  1826, 
Brœndsted  fut  nommé  conseiller  de  légation.  Revenu  en  18.32 
en  Danemark,  il  fut  nommé  directeur  du  cabinet  des  anti- 
ques de  Copenhague,  et  professeur  de  philologie  et  d'archéo- 
logie à  l'université  de  cette  ville.  Lorsqu'il  mourut,  le 
26  juin  1842,  des  suites  d'une  chute  de  cheval,  il  en  était 
devenu  recteur. 

liUOGLÏE  ( Famille  de).  Cette  famille,  originaire  de 
Quiers  en  Piémont,  et  dont  le  véritable  nom  (Brog Ho  ou 
Broglia,  intrigue  )  paraît  n'avoir  été  d'abord  qu'un  simple 
sobriquet,  a  donné  à  la  France  plusieurs  hommes  qui  se 
sont  distingués  dans  les  armes  et  la  diplomatie. 

BROGLIE  (  Fhançois-Makie,  comte  de), est  le  premier 
dont  l'histoire  fasse  mention.  Il  était  page  du  prince  Mau- 
rice de  Savoie,  et  se  signala,  en  1639,  comme  capitaine  de 
ses  gardes,  à  la  prise  de  Chivasso,  de  Quiers,  de  Trino,  de 
Montcallier  et  au  siège  de  Coni ,  qu'il  défendit  pendant 
trois  mois  contre  les  Français.  Le  duc  de  Savoie  le  créa, 
en  1643,  comte  de  Revel,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de  quitter 
bientôt  sa  patrie  pour  aller  s'établir  en  France.  Broglie 
s'attacha  à  la  fortune  de  Mazarin,  et  entra  dans  l'armée  fran- 
çaise, où  il  était  déjà  capitaine  dans  le  régiment  de  cava- 
lerie italienne  en  1647.  Il  se  signala  en  diverses  occasions 
par  une  bravoure  extraordinaire,  et  par  une  souplesse  de 
caractère  qui  lui  i>eimit  de  tirer  parti  des  troubles  de  la 


BÎIOGLIE 


r-ii 


Frontlc.  I-cs  l)icr.s  de  plusieurs  gentilslmmmes  passé-*  an 
eeivice  de  l'Kspagne  ayant  été  confisqués  en  1651,  le 
comte  deCroglie  obtint  une  partie  de  leurs  dépouilles,  dont 
le  produit  lui  servit  à  lever  et  écjuiper  un  régiment  de  ca- 
valerie étrangère,  qui  prit  son  nom.  11  fut  tué  au  siège  de 
Valence,  en  165C.  Depuis  six  mois  il  avait  reçu  des  lettres 
de  naturalisation  ;  mais  elles  ne  furent  enregistrées  à  la 
chambre  des  comptes  qu'im  an  environ  après  sa  mort. 
Sa  famille  n'en  continua  pas  moins  à  jouir  des  faveurs  de  la 
cour;  elle  compta  ,  en  très-peu  de  temps,  trois  maréchaux. 
C'est  qu'il  entrait  alors  dans  la  politique  de  la  royauté  d'élever 
les  familles  étrangères  aux  dépens  des  maisons  indigènes  : 
les  Schomberg  et  les  Rosen  ne  furent  pas  moins  bien  traités 
que  les  Broglie. 

BROGLIE  (Victor-Maurice,  comte  de)  ,  fut  pourvu  d'un 
régiment  d'infanterie  anglaise  dès  l'âge  de  trois  ans.  Il  servit 
sous  Turenne  en  Alsace  ,  fut  blessé  au  combat  de  Mulhouse 
en  lG74,et  passa  ensuite  dans  l'armée  du  maréchal  de  Cré- 
qui.  Il  leva  à  î^es  frais,  en  1674,  un  régiment  d'infanterie, 
et  en  1702  un  de  cavalerie,  qui  poitèrent  son  nom.  Gouver- 
neur du  Languedoc  ,  il  poursuivit  avec  cruauté  les  protes- 
tants révoltés  des  Cévennes,  fut  créé  maréchal  de  France, 
alors  que  depuis  quarante  ans  il  ne  comptait  plus  dans 
l'armée  active,  et  inouiiit  en  1727,  dans  son  château  de 
liuliy  ,  trois  ans  après  sa  nomination. 

BROGLIt  (François-Marie,  duc  de),  né  à  Paris,  en  1071, 
troisième  fils  du  précédent,  fit  à  partir  de  1689  toutes 
les  campagnes  des  Pays-Bas,  d'Allemagne  et  d'Italie,  se 
distinguant  par  sa  valeur,  et  fut  employé  souvent  dans  des 
négociations  diplomatifjues.  11  passa  successivement  par  tous 
les  grades,  et  obtint  en  1734  le  bâton  de  maréchal.  Ce  fut 
lui  qui  dans  la  guerre  de  la  succession  d'.\utriche  eut  le 
commandement  en  chef  des  armées  de  Bavière  et  de  Do- 
Iièiiie  ;  mais  obligé  de  battre  en  retraite  jusqu'aux  frontières 
de  France  avec  son  corps  d'armée,  il  tomba  en  disgrâce, 
et  mourut  le  22  mai  1745.  11  avait  été  créé  duc  en  1742. 

BBOGLIE  (  Victor-François  ,  duc  de),  fils  aîné  du  pré- 
cédent, naquitle  19  octobre  171S.  llservit  d'abord,  sous  les 
ordres  du  maréchal  son  père,  dans  la  guerre  de  1733, 
guerre  de  dynastie,  entreprise  dans  l'intérêt  de  Stanislas,  de- 
venu beau-père  de  Louis  XV.  De  l'armée  de  la  haute  Al- 
sace, commandée  par  le  maréchal  de  Coigny  ,  il  passa  à  celle 
du  Rhin,  et  se  fit  remarquer  à  la  bataille  de  llagucnau  et 
au  siège  de  Fribourg.  En  1757  il  assista,  sous  les  ordres 
du  maréchal  d'Estiées,  au  combat  de  HastenbecU,  s'empara 
de  Minden  et  de  Reithein ,  et  rejoignit  en  Saxe  le  maréchal 
•  le  ï)oulii>e.  Api  es  la  iuneste  bataille  de  Rossbacli,  il  retourna 
dans  le  Hanovre,  et  prit  lirêmeen  1758.  Un  an  après,  attaqué 
par  le  duc  Ferdinand  de  Brunswick,  dans  le  camp  qu'il  avait 
établi  à  Bergen ,  il  se  défendit  si  courageusement ,  que  l'em- 
pereur François  I"^  lui  conféra  le  titre  de  prince  du  saint-em- 
pire romain.  11  fut  ensuite  nommé  gouverneur  général  du 
pays  Messin,  dit  les  trois  Évêchés ,  et  créé  maréchal  de 
France  le  16  décembre  1759  ,  n'ayant  encore  que  qnarante- 
<leux  ans.  Jomini  le  regarde  comme  le  seul  général  français 
qui  se  soit  montré  constamment  habile  dans  la  guerre  de 
Sept  Ans. 

En  1789  le  maréchal  de  Broglie  fut  appelé  au  comman- 
dement de  l'armée  réunie  entre  Versailles  et  Paris  sous 
prétexte  de  protéger  la  liberté  des  états  généraux,  mais  en 
réalité  pour  assurer  le  succès  du  plan  adopté  par  la  cour 
afin  de  les  dissoudre.  Le  vieux  maréchal  appréciait  mieux 
que  les  habitués  de  Trianon  les  obstacles  que  rencontrerait 
une  itareille  entreprise;  il  ne  partageait  pas  l'illusion  de  la 
cour  sur  les  moyens  de  résistance  des  patriotes  ;  et  à  la  pre- 
mière nouvelle  de  l'insurrection  parisienne ,  il  avait  dit  à 
Louis  XVI  «  que,  ne  pouvant  compter  sur  la  fidélité  et 
l'obéissance  des  troupes,  il  aimait  mieux  aller  se  faire  tuer 
à  la  tète  d"nne  armée  que  d'attendre  qu'on  vînt  l'assassiner 
dans  son  hôtel.  »  Nommé  ministre  de  la  guerre  le  12  juil- 


let 1789,  il  ne  conserva  le  portefeuille  que  quatre  jours. 
L'armée  réunie  sous  les  murs  de  Paris  était  désignée  sous  le 
nom  d'armée  du  marécbal  de  Broglie  ;  une  tête  de  colonne 
s'étant  présentée  à  la  barrière  d'Enfer  dans  la  nuit  du  14 
au  15  juillet,  toute  la  population  parisienne  se  prépara  à  la 
plus  vigoureuse  résistance  ;  mais  l'armée  abandonna  la  même 
nuit  son  camp ,  ses  bagages  et  ses  munitions.  Le  maréchal 
se  retira  précipitamment  à  Luxembourg;  il  avait  cru  d'a- 
bord pouvoir  s'assurer  des  places  de  la  Lorraine,  dont  il 
était  gouverneur  :  mais  il  courut  les  plus  grands  dangers  à 
Verdun  ,  et  Metz  lui  ferma  ses  portes. 

Broglie  encouragea  de  tous  ses  moyens  l'émigration, 
dont  il  avait  le  premier  donné  l'exemple;  il  fit  les  plu» 
grands  efforts  pour  exciter  et  armer  les  puissances  étrangères 
contre  la  France.  Dénoncé  à  l'Assemblée  constituante,  il 
n'échappa  au  décret  d'accusation  que  par  le  dévouement  de 
son  fils  {voyez  plus  loin  ),  qui  osa  prendre  sa  défense.  Mais 
le  vieux  maréchal  écrivit  de  Trêves  à  l'Assemblée  pour  dé- 
savouer les  démarches  et  les  assertions  de  son  fils ,  repous- 
sant comme  une  injure  le  décret  qui  l'avait  absous ,  et  dé- 
mentant avec  une  sorte  d'indignation  l'olficieux  mensonge 
de  son  fils,  qui  pour  le  justifier  avait  affirmé  qu'il  ne  s'é- 
tait pas  réuni  aux  émigrés,  et  qu'il  était  resté  absolument 
étranger  aux  négociations  des  princes  pour  provoquer  une 
coalition  contre  le  nouveau  gouvernement  de  la  France. 
Le  maréchal  croyait  sun  honneur  et  sa  conscience  intéres- 
sés à  tout  tenter  pour  rétablir  l'ancien  régime.  11  se  mit  à  la 
tête  des  premiers  corps  d'émigrés  organisés  sous  les  aus- 
pices et  par  les  ordres  des  princes,ct  prit  part  aux  opération» 
de  la  campagne  de  1792.  Après  la  mort  de  Louis  XVI,  il 
fut  membre  du  conseil  de  régence,  et  contresigna  en 
celte  qualité  la  déclaration  par  laquelle  INIonsieur  (  depuis 
Louis  XVIII  )  réglait  les  attributions  de  cette  régence.  Passé 
en  Angleterre  en  1794,  il  leva,  au  service  de  ce  gouverne- 
ment ,  un  corps  qui ,  après  avoir  été  employé  dans  quelques 
expéditions  contre  la  république  française,  fut  réformé 
en  1796.  Le  inaréciial  passa  l'année  suivante  au  service 
de  la  Russie,  avec  un  grade  égal  à  celui  qu'il  avait  eu  en 
France  lors  de  son  émigration,  mais  sans  activité.  Lorsque 
Bonaparte  fut  élevé  à  l'empire,  le  maréchal  obtint  l'autorisa- 
tion de  rentrer  en  France.  En  1804  il  se  disposait  à  revenir 
(rans  sa  patrie  et  à  se  soumettre  au  serment  de  fidélité  à 
l'empereur ,  lorsqu'il  tomba  malade  à  Munster  en  Westphalie, 
et  y  mourut,  à  l'âge  de  quatre-vingt-six  ans. 

BROGLIE  (Chaules-François,  comte  de),  frère  du  pré- 
cédent, né  le  20  août  1710  fit  quelques  caiiifiagnes  «le  la 
guerre  de  Sept-Aiis,  mais  se  dislin£;na  plulôl  ntmine  diplo- 
mate que  comme  militaire.  En  1752  il  fut  nommé  ambassa- 
deur de  France  auprès  de  l'électeur  de  Saxe,  roi  de  Pologne. 
De  Varsovie  il  correspondait  directement  avec  Louis  XV. 
Prévoyant  la  catastrophe  qui  menaçait  la  nationalité  polo- 
naise, il  mit  tout  en  œuvre  pour  conjurer  ce  malheur.  Son 
crédit  s'y  usa  peu  à  peu,  et  il  finit  par  être  rappelé.  C'est  alors 
qu'il  alla  servir  en  Allemagne  dans  le  cori)s  de  réserve  placé 
sous  les  ordres  de  son  frère.  Après  plusieurs  actions  d'éclat, 
il  obtint  le  grade  de  lieutenant  général  en  1700;  et  se  signala 
l'année  suivante  à  la  défense  de  Cassel.  A  la  fin  de  la  guerre, 
Louis  XV  lui  confia  la  direction  du  ministère  secret,  chargé 
de  correspondre  directement  avec  lui  et  de  lui  fournir  des 
renseignements  sur  la  situation  de  l'Europe.  Dans  cette  po- 
sition difficile ,  il  ne  tarda  pas  à  se  brouiller  avec  le  conseil 
des  ministres,  et  finit  par  être  exilé.  Rappelé  ensuite,  il  con- 
tribua puissamment,  à  son  tour,  à  la  disgrâce  du  duc  de 
Ch  01  seu  1.  Exilé  de  nouveau  quelque  temps  avant  la  mort 
de  Louis  XV,  il  expira  en  1781 ,  après  avoir  dirigé  la  cor- 
respondance secrète  pendant  dix-sept  ans. 

BROGLIE  (Maurice-Jean-Madeleine,  abbé  de),  frère  des 
deux  précédents,  né  en  1706,  émigra  en  Pologne  pendant 
la  révolution.  A  son  retour  en  1803,  il  fut  nommé  aumô- 
nier de  l'empereur,  et  en  1805  évêtpie  d'Acqui  en  Piémont, 


I 


742  BROGLIE 

A  celle  époque ,  il  épuisa  dans  ses  mandements  les  for- 
mules de  la  plus  pompeuse  adulation  envers  le  vainqueur 
d'Austerlitz.  Mais  son  langage  et  sa  conduite  changèrent 
lorsqu'il  devint  évêquede  Gand.  On  le  vit  alors  refuser  des 
mains  de  Napoléon  la  croix  d'Honneur  et  manifester  une 
opposition  constante  dans  le  concile  national  de  1811.  Le 
lendemain  de  la  dissolution  de  cette  assemblée,  il  fut  en- 
fermé à  Vincennes,  puis  exilé  à  Beaune,  et  enfin  relégué  à 
l'île  Sainte-Marguerite.  Après  la  chute  de  l'empereur,  il 
rentra  dans  son  diocèse,  compris  alors  dans  les  Pays-Bas , 
refusa  ses  prières  au  roi  protestant  Guillaume  de  Nassau,  et, 
condamné  par  contumace  à  la  déportation  par  la  cour  d'as- 
sises de  Bruxelles,  vint  mourir  obscurément  à  Paris, 
en  1821. 

BROGLIE  (Claude-Victor,  prince  de),  fils  du  troisième 
maréchal  de  ce  nom  et  neveu  des  deux  précédents ,  fut 
député  de  la  noblesse  de  Colmar  et  de  Scliélestadt  aux  états 
généraux  de  1789.  Loin  de  partager  les  erreurs  paternelles, 
il  adopta  les  principes  de  la  révolution ,  se  réunit  au  tiers 
état,  et  vota  presque  toujours  avec  le  côté  gauche.  Déjà 
avant  la  révolution  il  avait  combattu  pour  la  liberté  dans  la 
{guerre  d'Amérique.  11  émut  l'Assemblée  par  l'énergie  avec 
laquelle  il  défendit  son  père;  mais  sa  piété  filiale  ne  le  mit 
pas  à  l'abri  d'un  démenti  de  la  part  du  vieux  maréchal,  qui 
crut  s'honorer  en  avouant,  de  la  terre  étrangère,  des  faits 
que  son  fils  regardait  comme  déshonorants.  Claude-Victor 
lui  en  1791  nommé  général  de  brigade  à  l'armée  du  Rhin; 
mais  son  refus  de  prêter  le  serment  exigé  après  le  10  août  le 
fit  destituer.  Voulant  néanmoins  combattre  encore  l'ennemi, 
il  demanda  à  servir  comme  simple  volontaire,  et  vint  le 
11  mars  1793  haranguer  la  Convention  à  la  tète  de  la  sec- 
lion  des  Invalides.  Menacé  cependant  dans  sa  liberté,  il 
se  décida  à  prendre  la  fuite ,  fut  arrêté  dans  le  département 
delà  Saône,  traduit  devant  le  tribunal  révolutionnaire, 
condamné  à  mort  et  exécuté  le  27  juin  1794. 

BROGLIt  (Yictor-Ajiédée-Marie  ,  prince  de),  frère  du 
précédent,  né  à  Broglie,  en  octobre  1772,  destiné  d'abord  à 
l'Église,  éniigra  avec  sa  famille,  et  s'enrôla  dans  le  régiment 
dit  des  cocardes  blanches ,  commandé  par  le  maréchal  son 
père.  Après  la  mort  du  prince  son  frère  ,  il  en  prit  le  titre 
et  devint  colonel  du  régiment  qui  portait  son  nom.  En  1796 
et  1797  il  combattit  dans  les  rangs  des  alliés  contre  la 
France,  et  fut  en  1799  décoré  de  la  croix  de  Saint-Louis, 
nommé  gentil-homme  d'honneur  du  duc  d'Angoulême  à  l'é- 
poque de  son  mariage ,  et  promu  au  grade  de  maréchal  de 
camp.  Rentré  plus  tard  en  France,  il  reçut  en  1813,  de 
l'empereur,  l'offre  d'un  régiment  de  gardes  d'honneur,  qu'il 
n'accepta  point.  A  l'avènement  de  Louis  XVIII,  il  reaiplit  di- 
verses missions,  fut  nommé  inspecteur  de  cavalerie ,  se  reti- 
ra dans  la  Normandie  durant  les  Cent-Jours,  et  siégea  en  1815 
au  côté  droit  de  la  chambre  introuvable.  Il  vivait  depuis 
longtemps  dans  la  retraite,  quand  il  mourut  en  janvier  1852, 
dans  son  château  de  Ranes. 

BROGLIE  (  Achille- CuARLES-LÉONCE-ViCTOR ,  duc  de  ), 
neveu  du  précédent,  le  plus  jeune  des  quatre  enfants  deClaude- 
Victor  de  Broglie,  né  le  29  novembre  1785,  n'avait  que  neuf 
ans  lorsqu'il  perdit  son  père  sur  l'échafaud.  Le  même  sort 
menaçait  sa  mère,  née  de  Rosen,  petite-fille  du  maréchal  de 
France  de  ce  nom,  alors  détenue  dans  les  prisons  de  Vesoul  ; 
mais  un  domestique  dévoué  parvint  à  la  faire  évader  et  à 
lui  fournir  les  moyens  de  passer  à  l'étranger.  Revenue  en 
France  après  le  9  thermidor,  elle  épousa  en  secondes  noces 
Voyer  d'Ar  genson,  qui  devint  un  autre  père  pour  le 
jeune  Victor.  Il  lui  fit  donner  une  éducation  des  plus  fortes, 
sut  lui  conserver  la  belle  terre  de  Broglie,  et  usa  de  son 
crédit,  sous  le  régime  impérial,  pour  le  faire  d'abord  exemp- 
ter de  la  conscription,  puis  nommer  successivement  audi- 
teur au  conseil  d'État,  intendant  en  lllyric  et  ensuite  à 
Valladolid,  enfin  allathé  aux  ambassades  de  Varsovie  et 
de  Vienne. 


En  1SI3  M.  de  Broglie  accompagna  M.  de  Narbonne  au 
congrès  de  Prague,  et  se  lia  peu  de  temps  après  avec  Talley- 
rand,  qui  en  1814  le  fit  comprendre  dans  l'ordonnance 
royale  constiîutive  de  la  chambre  des  pairs.  Vers  la  môme 
époque,  M.  de  Broglie,  admis  dans  l'instructive  intimité  de 
M'"^  de  Sfacl,  demanda  la  main  de  sa  fille,  et  l'obtint  (  vo/jez 
l'article  ci-après  ).  Ce  ne  fut  qu'après  la  seconde  restaura- 
lion  qu'il  prit  le  titre  de  duc,  qui  n'avait  plus  été  porté  dans 
la  famille  depuis  le  maréchal.  Dans  les  cercles  politiques, 
dont  la  charte  de  1814  et  les  institutions  qu'elle  comportait 
amenèrent  tout  aussitôt  la  formation,  M.  de  Broglie  prouva 
combien  étaient  profondes  les  études  qu'il  avait  faites  de 
toutes  les  branches  de  la  législation  et  de  la  politique,  ainsi 
que  des  besoins  moraux  des  générations  nouvelles,  et  la 
voix  publique  le  désigna  dès  lors  parmi  les  hommes  destinés 
à  jouer  un  rôle  important  sous  le  régime  représentatif  dont 
la  France  était  enfin  appelée  à  jouir. 

Lors  des  Cent-Jours  il  accepta  les  fonctions  d'officier 
supérieur  dans  la  garde  nationale;  et  après  le  désastre  de 
Waterloo,  quand  la  chambre  des  pairs  eut  à  juger  le  mal- 
heureux maréchal  Ney,  qu'une  capitulation  formelle  pro- 
tégeait pourtant  contre  toute  réaction,  M.  de  Broglie  fut  du 
petit  nombre  de  ses  juges  qui  votèrent  pour  la  non-culpabi- 
lité. Ayant  atteint  sa  trentième  année,  Age  fixé  pour  avoir 
voix  délibéralive  dans  l'assemblée,  la  veille  môme  du  jour 
où  devait  être  prononcée  la  sentence,  il  se  hâta  de  revendi- 
quer l'usage  de  son  droit,  afin  d'essayer  d'épargner  à  la  Res- 
tauration un  des  actes  qui  la  compromirent  le  plus  dans 
l'opinion  publique,  et  de  conserver  à  la  France  un  de  ses 
plus  illustres  guerriers.  A  partir  de  ce  moment  M.  de  Broglie 
ne  cessa  de  combattre  les  différentes  lois  d'exception  aux- 
quelles le  gouvernement  royal  crut  devoir  recourir.  Pendant 
toute  la  Restauration,  il  se  montra  le  constant  adversaire 
des  mesures  réactionnaires,  éleva  souvent  la  voix  en  faveur 
de  la  liberté  individuelle  et  de  la  liberté  de  la  presse,  solen- 
nellement promise  et  garantie  par  la  Charte,  et  lut  un  des  plus 
ardents  promoteurs  de  l'émancipation  des  noirs,  qui  ne  ces- 
sa de  le  préoccuper.  Depuis  longtemps  lié  à  la  société  Aide- 
toi ,  le  ciel  t'aidera,  il  accepta  la  présidence  de  celle 
pour  l'abolition  de  l'esclavage  et  de  la  Société  des  Amis  de 
la  Liberté  de  la  Presse.  Dans  les  réunions  de  cette  dernière 
association  politique,  il  énonça  souvent  des  vues  aussi  larges 
que  justes  sur  la  matière  qui  faisait  l'objet  spécial  de  ses 
études.  Le  gouvernement  de  la  Restauration  laissa  la  Soci(>- 
té  des  Amis  delà  Presse  répandre  librement  ses  brochures, 
et  la  seule  vengeance  qu'il  tira  de  son  président  fut  de  le 
tenir  constamment  éloigné  des  affaires.  Il  fallut  que  la  révo- 
lution de  juillet  s'accomplît  pour  qu'on  pût  voir  M.  de  Bro- 
glie descendre  enfin  des  hautes  théories  dans  lesquelles  il 
avait  été  jusque  alors  condamné  à  planer,  pour  entrer  dans 
la  carrière  positive  des  faits  pratiques. 

Le  .30  juillet  1830  il  fut  nommé,  par  le  gouvernement 
provisoire,  secrétaire  provisoire  chargé  du  portefeuille  de 
l'intérieur.  Le  11  aoiH  suivant  Louis-Philippe  le  nommait 
ministre  de  l'instruction  publique  et  des  cultes  et  président 
du  conseil  d'État.  Mais  dès  le  2  novembre  M.  de  Broglie 
donnait  sa  démission  par  raison  d'incompatibilité  d'humeur 
avec  un  cabinet  dont  M.  Dupont  de  l'Eure  était  appelé 
à  faire  partie,  et  qui  lui  semblait  devoir  suivre  une  politique 
trop  favorable  aux  idées  au  nom  desquelles  s'était  faite  la 
révolution.  Il  se  posa  tout  aussitôt  dans  la  chambre  des 
pairs  comme  l'adversaire  du  parti  populaire,  et  se  prononça 
nettement  pour  le  maintien  de  l'hérédité  de  la  pairie,  fidèle 
en  cela  aux  convictions  de  toute  sa  carrière  politique,  car 
la  constitution  anglaise  et  son  principe  aristocratique  lui 
avaient  toujours  paru  le  modèle  des  institutions  convenables 
à  la  France;  et  c'est  dans  cette  persuasion  qu'en  1820  ii 
avait  voté  avec  le  ministère  et  appuyé  la  loi  constitutive 
du  double  vole.  Il  ne  laissa,  d'ailleurs,  dans  le  cours  de  cette 
laborieuse  session  échapper  aucune  occasion  de  manifester 


BROGLIE  —  BROHAN 


743 


ses  principes  franchement  monarchiques,  se  prononçant,  par 
exemple ,  avec  force  pour  le  maintien  de  la  cérémonie  fu- 
nèbre du  2 1  janvier,  commémorati  ve  de  la  mort  de  Louis  XVI, 
et  comliattant,  dans  la  discussion  de  la  loi  d'exil  rendue 
contre  la  branche  ainée  de  la  maison  de  Bourbon,  l'expression 
d'ex-roi  employée  par  le  projet  ministériel  pour  désigner 
Charles  X. 

Rappelé  aux  affaires  en  octohre  1832,  lorsque  le  gouver- 
nement issu  des  harricades  se  fut  décidé  à  donner  la  main 
aux  cabinets  étrangers  pour  faire  rentrer  le  flot  révolution- 
naire dans  son  lit,  il  tut  chargé  du  portefeuille  des  affaires 
étrangères,  et  le  conserva  jusqu'au  4  avril  1834.  Sous  son 
ministère,  les  chambres  votèrent  le  traité  relatif  à  l'em- 
prunt grec  ;  il  appuya  aussi  de  son  éloquence  la  demande 
des  États-Unis  qui  réclamaient  25  millions.  Après  un  court 
intervalle,  il  reprit  encore  le  même  portefeuille,  en  no- 
vembre 1834,  et  le  garda  jusqu'en  février  1836,  en  y  joignant, 
depuis  le  mois  de  mars  1835,  la  présidence  du  conseil.  En 
sa  qualité  de  ministre  des  affaires  étrangères,  M.  de  Brog'.ie 
négocia  et  conclut  avec  le  gouvernement  anglais  la  conven- 
tion relative  à  la  répression  de  la  traite  des  nègres,  et  con- 
sacra le  fameux  droit  de  visite,  dont  il  a  tant  été  ques- 
tion dans  les  dernières  années  du  règne  de  Louis-Philippe. 
Les  stipulations  primitives  de  cette  convention  de  1836 
furent  postérieurement  aggravées  par  un  acte  supplémen- 
taire négocié  par  M.  Guizot  à  son  arrivée  au  ministère  des 
affaires  étrangères.  Mais,  sur  unvoteinfirmatifde  la  chambre 
des  députés,  M.  Broglie  lui-môme  fut  renvoyé  à  Londres, 
et  négocia  un  nouveau  traité. 

Après  avoir  été  longtemps  regardé  comme  l'un  des  chefs 
du  parti  doctrinaire ,  il  semblait,  quelques  années  avant  la 
révolution  de  Février,  s'éloigner  de  cette  coterie  d'orgueilleux 
et  d'égoïstes,  et  pencher  même  un  peu  vers  la  sphère  d'ac- 
tion de  M.  Thiers  et  de  M.  Odilon  Barrot. 

On  n'entendit  pas  parler  de  lui  sous  le  gouvernement  pro- 
visoire et  laConstituante. Maisil  se  réveilla  lorsdes  élections 
à  la  Législative;  il  était  un  des  quinze  membres  du  comité 
électoral  de  la  rue  de  Poitiers,  et  le  département  de  l'Eure 
l'envoya  à  la  nouvelle  assemblée.  Au  Palais-Bourbon  il  devint, 
sous  la  république,  un  des  chefs  de  la  droite,  un  des  B  u  r- 
graves,  un  des  protecteurs  du  journal  l'Assemblée  natio- 
nale. Dans  le  but  de  rallier  encore  une  fois  les  vieux  partis, 
disloqués  par  tant  de  discussions  brûlantes,  il  présenta,  au 
milieu  de  1S51,  une  proposition  pour  la  révision  de  la  cons- 
litntion,  qui  fut  discutée  et  repoussée  le  19  juillet,  bien  que 
448  voix  l'eussent  adoptée  contre  278,  parce  que  cette  majo- 
rité était  insuffisante,  aux  termes  de  la  constitution  de  1848, 
pour  en  déterminer  l'adoption.  Après  le  coup  d'État  du 
2  décembre  ^L  de  Broglie  s'est  effacé  de  la  scène  publique. 
[  BROGLIE  (  Albertine  de  Staël,  duchesse  de),  naquit  à 
Paris,  vers  l'an  1797.  Fille  de  M™'  de  Staël,  qui  veilla  seule 
sur  son  éducation ,  on  conçoit  aisément  tout  ce  que  les  soins 
d'une  pareille  mère,  joints  au  spectacle  des  graves  événe- 
ments dont  sa  jeunesse  fut  témoin ,  durent  faire  pour  cultiver 
une  heureuse  nature.  Aussi  a-t-elle  dignement  soutenu  l'hé- 
ritage de  ce  beau  nom.  Mariée  en  1815  à  M.  le  duc  de  Broglie, 
elle  trouva  dans  cette  union ,  qui  ne  fut  jamais  altérée  par 
le  plus  léger  nuage,  tout  ce  qui  peut  contribuer  au  bonheur 
de  la  vie,  et,  quel  que  fût  l'éclat  de  sa  haute  position ,  il  est 
juste  de  dire  qu'elle  l'a  rehaussée  encore  par  une  renommée 
sans  tache  et  par  l'exemple  admirable  qu'elle  a  donné  de 
toutes  les  vertus  domestiques.  A  son  tour,  elle  présida  elle- 
même  à  l'éducation  de  ses  enfants ,  et  ce  n'était  qu'après  avoir 
pleinement  satisfait  à  tous  les  devoirs  de  famille,  qu'elle 
donnait  une  partie  de  son  temps  au  monde ,  dont  elle  fut 
un  des  plus  beaux  ornements.  Son  salon  n'était  pas  seule- 
ment le  rendez-vous  de  toutes  les  illustrations  politiques , 
c'était  un  de  ces  salons  qui  deviennent  de  plus  en  plus  rares 
à  Paris ,  et  où ,  comme  aux  beaux  jours  du  dix-huitième 
siècle ,  la  Uaute  société  venait  chercher  les  plaisirs  de  l'esprit. 


Là  se  rendait  l'élite  des  écrivains ,  des  orateurs ,  des  artistes , 
et  tout  ce  qu'il  y  avait  à  Paris  d'étrangers  célèbres  par  le 
rang  ou  par  les  talents. 

M"*  la  duchesse  de  Broglie  était  zélée  protestante ,  et  dans 
sa  religion  même  elle  appartenait  à  une  secte  connue  par  la 
rigidité  de  ses  principes  et  par  l'austérité  de  ses  pratiques  ; 
mais  la  sévérité  du  méthodisme  n'avait  pas  réagi  sur  son  ca- 
ractère ,  et  en  elle  la  piété  se  conciliait  avec  une  extrême 
bienveillance,  avec  une  affabilité  gracieuse  et  avec  des  égards, 
on  peut  le  dire ,  affectueux  pour  tout  ce  qui  se  distinguait 
par  quelque  mérite.  Sans  jamais  produire  son  nom  au  public, 
JI™^  de  Broglie  a  écrit  elle-même  plusieurs  morceaux  aussi 
remarquables  par  la  délicatesse  de  l'expression  que  par  la 
tendance  morale  ;  ce  sont  pour  la  plupart  des  essais  de  morale 
religieuse.  Ils  ont  été  recueillis  depuis  sa  mort,  sous  ce  titre  : 
Fragments  sur  divers  sujets  de  religion  et  de  morale 
(imprimerie  royale,  1840).  Le  premier  de  ces  opuscules  est 
une  préfaceàla traduction  de  l'Histoiredes  Quakers,  ^ubUée 
en  1820.  Puis  les  préfaces  de  deux  ouvrages  d'Erskine,  l'un, 
Réflexions  sur  l'évidence  intrinsèque  du  christianisme  ; 
l'autre.  Essai  sur  la  Foi.  On  connaît  la  notice  intéressante 
que  M"'^  de  Broglie  publia  sur  son  frère,  M.  Auguste  de 
Staël ,  lorsqu'elle  donna  l'édition  complète  de  ses  œuvres. 
Un  des  écrits  les  plus  remarquables  de  ce  recueil  est  celui 
qui  est  intitulé  Sur  les  associations  bibliques  de  femmes 
(  1824).  L'auteur  y  traite  du  rôle  qui  appartient  aux  femmes 
dans  les  associations  philanthropiques,  et  montre  la  part  qui 
leur  est  réservée  dans  la  tâche  difficile  de  moraliser  les  popu- 
lations. A  la  suite  viennent  quatre  comptes  rendus  de  la 
société  auxiliaire  de  femmes ,  à  la  société  des  missions 
cvangéliques  de  Paris.  Enfin,  ce  volume  contient  encore 
trois  morceaux  inédits,  une  Introduction  à  la  traduction  du 
Sahit  gratuit  d'Erskine;  le  Caractère  du  Christ,  et  une 
Paraphrase  de  la  parabole  de  l'enfant  prodigue. 

Au  milieu  des  plus  brillantes  prospérités,  jouissant,  avec 
un  calme  heureux,  de  la  considération  européenne  qui  entou- 
rait son  époux.  M"*  la  duchesse  de  Broglie  avait  eu  elle- 
même  de  pénibles  épreuves  à  soutenir.  Peu  après  la  mort 
de  son  frère,  enlevé  dans  la  force  de  l'âge,  elle  fut  cruelle- 
ment frappée  par  la  perte  d'une  fdie  accomplie,  à  peine  âgée 
de  quinze  ans.  Il  avait  fallu  toute  sa  résignation  religieuse 
pour  résister  à  ces  douleurs  maternelles,  de  toutes  les  plus 
inconsolables.  Toutefois,  elle  avait  marié  en  1836  sa  se- 
conde fille  à  M.  le  comte  d'Haussonville.  Elle  venait  d'être 
témoin  des  succès  de  son  jeune  fils,  couronné  dans  les  con- 
cours de  l'université,  lorsqu'elle  fut  subitement  enlevée  à 
l'amour  des  siens,  au  mois  de  septembre  1838 ,  dans  sa  qua- 
rante-unième année.  Le  corps  de  M"^  la  duchesse  de  Broglie 
a  été  transporté  dans  la  sépulture  de  sa  famille ,  à  Coppet , 
où  reposent  déjà  les  corps  de  sa  mère  et  de  son  frère,  auprès 
de  ceux  de  M.  et  M"'  Necker.  Artaud.] 

BROHAîV.  Trois  actrices  ont  illustré  ce  nom  à  la  Co- 
médie française. 

BROHAN  (M™*  S'z.a-nne) ,  fdle  d'un  ancien  militaire  re- 
traité dans  une  petite  ville  de  province,  née  en  1807,  mon- 
tra de  bonne  heure  une  ardeur  si  exclusive  pour  la  comé- 
die, que  sa  famille  comprit  tout  dabord  qu'il  n'y  avait  pas 
à  lutter  contre  un  penchant  qui  avait  le  double  caractère 
d'un  instinct  et  d'une  passion.  On  se  résigna  donc  à  secon- 
der plutôt  qu'à  combattre  la  nature,  et  Suzanne  Brohan  fut 
envoyée  à  Paris  pour  y  perfectionner  par  l'étude  les  heu- 
reuses dispositions  dont  le  ciel  l'avait  douée.  C'était  en  1819. 
Suzanne ,  alors  âgée  de  douze  ans ,  fut  admise  au  Conserva- 
toire, où  elle  devint  bientôt  l'une  des  plus  brillantes  élèves 
de  l'excellent  professeur  Miclielot.  En  1820  elle  obtint  le 
deuxième  prix  de  déclamation;  en  1821  elle  eut  le  premier, 
puis  partit  pour  Orléans,  où  elle  remplit  avec  grand  suc- 
cès les  rôles  de  soubrettes.  Après  deux  années  de  séjour 
dans  les  départements,  deux  années  pendant  lesquelles  ses 
différents  essais  furent  autant  de  triomphes,  clic  s'en  vint 


M4 


Bî 


débuter  au  second  Tliéâtre-Français.  Le  premier  rôle  qu'elle 
joua  fut  celui  de  Dorinede  Tartufe.  La  nouvelle  Dorine  avait 
des  qualités  précieuses.  Son  regard  était  charmant,  sa  phy- 
sionomie fine,  sa  bouche  riante  et  moqueuse,  sa  taille  souple 
et  ronde,  satourniire  pleine  d'aisance  et  de  vivacité;  puis  il 
y  avait  dans  toute  sa  personne  je  ne  sais  quelle  séduction 
provoquante,  à  laquelle  il  était  impossible  de  résister.  La 
voix  était  nette  et  clairement  accentuée,  le  débit  intelligent 
et  vrai,  la  prononciatiou  franche.  Le  parterre  fut  conquis , 
et  proclama  Suzanne  Brohan  une  de  ses  idoles. 

En  1828  le  "Vaudeville  enleva  à  l'Odéon  la  piquante 
soubrette ,  pour  qui  les  vaudevillistes  en  renom  écrivirent 
leurs  meilleurs  ouvrages.  Sans  rappeler  toutes  les  créations 
par  lesquelles  M'"*  Brohan  se  signala  durant  les  sept  années 
qu'elle  resta  au  Vaudeville ,  citons  seulement  une  des  plus 
parfaites  :  Marion  Delorme  de  Marie  Mtgnot.  La  Comédie- 
Française  daigna  un  jour  s'apercevoir  que  Suzanne  Brohan 
lui  manquait.  Des  propositions  furent  faites  à  la  spirituelle 
actrice.  Suzanne  Brohan  était  comme  toutes  les  comédiennes 
<iui  ont  vécu  du  temps  de  M""-'  Mars;  il  lui  semblait  que  le 
beau  idéal  de  la  vie  artistique ,  c'était  de  fouler  les  planches 
où  trônait  la  plus  illustre  des  actrices  :  ce  fut  avec  bonheur 
<iu'en  1835  elle  fit  sa  première  apparition  sur  la  scène  fran- 
çaise. Cette  fois  encore  elle  prit  pour  rôle  de  début  Dorine  de 
Tartufe;  elle  y  joignit  Madelon  des  Précieuses  ridicules. 
L'une  et  l'autre  tentative  furent  des  plus  heureuses  ;  on 
«npprécia  ce  jeu  fin,  quoique  naturel,  cette  voi\  un  peu 
faible  peut-être,  mais  nette  et  limpide,  cette  sûreté  d'exécu- 
tion qui  pousse  la  gaieté,  l'entrain  jusqu'aux  dernières  limites 
i^.tablies  par  le  goût ,  mais  ne  les  dépasse  jamais.  En  quelques 
mois ,  M'"*  Suzanne  Brohan  avait  pris  sa  place. 

Malheureusement,  l'excellente  artiste  ne  tarda  pas  à  s'a- 
percevoir là,  comme  dans  la  rue  de  Chartres,  que  pour 
Téussir  au  théâtre  il  faut  autre  chose  que  du  talent,  autre 
chose  que  la  faveur  publique,  et  que  la  comédie  qu'on  joue 
à  la  clarté  de  la  rampe  demande  moins  d'énergie,  moins  de 
persévérance  que  n'en  exige  la  comédie  qu'on  joue  dans 
l'ombre  des  coulisses.  Elle  vit,  à  n'en  pas  douter,  qu'au 
Théâtre-Français  comme  au  Vaudeville  l'intrigue  est  plus 
■forte  que  l'esprit  ;  et  comme  sur  ce  terrain ,  qui  n'était  pas 
le  sien,  dans  ce  monde  qu'elle  connaissait  à  peine,  les  pe- 
tites dilficultés,  les  petites  haines  et  les  petits  complots  pre- 
naient à  ses  yeux,  effrayés,  des  propoilions  gigantesques, 
«lie  n'essaya  pas  de  lutter,  et  s'en  revint  à  son  Vaudeville. 
De  nouveaux  succès  l'y  attendaient.  Elle  s'y  fit  remarquer 
surtout  dans  Pierre  le  Rouge ,  pièce  dans  laquelle  son  ta- 
lent souple  et  ingénieux  brilla  d'un  triple  éclat  sous  trois 
aspects  divers.  Plus  tard,  elle  fit  preuve  d'une  verve  mer- 
veilleuse dans  Un  Monsieur  et  une  Dame.  Mais,  soit  que 
les  applaudissements  du  public  n'aient  pas  paru  à  W""  Su- 
zanne Brohan  une  compensation  suffisante  des  tracas- 
series du  foyer,  soit  que  sa  santé,  qui  n'a  jamais  été  flo- 
rissante ,  réclamât ,  comme  on  l'a  dit ,  un  repos  absolu ,  une 
renonciation  complète  aux  travaux  de  la  scène,  l'excellente 
artiste  prit  sa  retraite  définitive ,  alors  qu'à  peine  âgée  de 
trente-cinq  ans,  elle  était  dans  toute  la  plénitude  de  son 
talent. 

BROHAN  (Augustine),  fille  de  la  précédente,  débuta 
en  1841 ,  à  peine  âgée  de  seize  ans ,  sous  l'égide  du  nom  ma- 
ternel, au  Théâtre- Français.  Comme  autrefois  sa  mère,  soit 
hasard,  soit  superstition,  elle  choisit  le  rôle  de  Dorine  de 
Tartufe.  La  critique  fit  observer  que  jouer  Dorine  à  seize 
ans,  c'est  beaucoup  d'audace,  car  Dorine  est  une  fille  con- 
sommée, qui  sait  les  choses  sur  le  bout  du  doigt,  et  ne  se 
gène  guère  pour  les  diie  :  mais  chez  les  Brohan  l'audace 
est  une  vertu  do  famille;  et  quand  elle  se  vit  aux  prises 
avec  ce  vert  dialogue ,  M""  Augustine  Brohan  ne  broncha 
pas,  et,  tout  comme  l'avait  fait  sa  mère  en  1S53,  elle  s'em- 
para vigoureusement  du  personnage,  et  le  joua  avec  une 
vivacité,  un  nerf,  une  verdeur  qui  d'abord  donna,  puis  ra- 


OHAN 

vit  d'aise  le  vénérable  orchestre  du  Théâtre-Français,  peu 
habitué  à  pareille  fête.  Dans  la  même  soirée  elle  aborda  le 
rôle  de  Lise  des  Rivaux  d'eux-mêmes.  Ici,  il  ne  s'agissait 
plus  d'être  franche  du  collier,  il  fallait  finasser,  ruser,  avoir 
de  la  grâce,  de  la  chatterie  ,  quelque  peu  de  fine  fourberie; 
M"°  Augustine  Brohan  eut  de  lout  cela!  Aussi  dès  cette 
première  soirée  le  public  prit  en  grande  affection  ce  frais 
sourire ,  ces  dents  si  blanches,  toujours  prêtes  à  se  laisser 
voir,  ces  yeux  tout  à  la  fois  vifs  ,  doux  et  agaçants ,  cette 
taille  à  facilement  envelopper  dans  les  dix  doigts,  cette  phy- 
sionomie railleuse,  ces  gestes  sobres,  bien  qu'aisés,  cette  voix 
mordante,  qui  ne  permet  pas  à  l'oreille  la  moins  atten- 
tive de  perdre  une  syllabe  de  la  poésie  franche  et  forte  de 
Molière. 

Dès  cette  première  soirée  il  fallut  convenir  que  l'héré- 
dité du  talent  n'est  pas  toujours  un  vain  moL  Avec  le  même 
bonheur  qui  avait  protégé  ses  premiers  pas,  M"^  Augustine 
Brohan  parcourut  successivement  le  répertoire  de  Mari- 
vaux, de  Regnard  ,  de  Destouches,  de  Lesage,  etc.  Chose 
étonnante  !  la  Comédie-Française  comprit  que  ce  bonheur 
était  du  talent,  et  du  meilleur;  elle  se  hâta  (elle,  d'ordi- 
daire  si  lente  dans  ses  résolutions,  surtout  quand  ces  réso- 
lutions sont  bonnes)  d'enchaîner  à  tout  jamais  M"*  Augus- 
tine Brohan  ,  sa  vive  et  précoce  intelligence ,  son  fin  regard , 
par  une  promesse  de  sociétaire.  Cette  promesse  reçut  son 
accomplissement,  et  depuis  l'âge  de  dix-neuf  ans  à  peine 
M"''  Brohan  fait  partie  de  la  société.  Mais  ce  talent,  si  plein 
de  sève ,  d'avenir,  est-il  bien  à  sa  place  au  Théâtre-Fran- 
çais? Cette  exubérance  de  gaieté,  de  jeunesse,  se  déploiera- 
t-elle  en  toute  liberté  sur  cette  scène  un  peu  collet-monté  ? 
Un  théâtre  de  genre ,  avec  ses  pièces  aux  faces  multiiilcs , 
aux  couleurs  variées,  avec  les  hardiesses  que  sa  condition 
plébéienne  autorise,  ne  serait-il  pas  essentiellement  favorable 

à  l'épanouissement  complet  de  cette  verve  luxuriante .■" 

Edouard  Lemoike. 

Quoi  qu'il  en  soit.  M' "  Augustine  Brohan  n'a  pas  cessé 
d'appartenir  au  Théâtre-Français,  d'en  gâter  le  public,  et 
d'être  son  enfant  gâté.  Son  talent,  ses  séduisantes  qualités 
y  font  plus  que  jamais  courir  la  foule ,  et  ses  apparitions 
sur  la  scène  se  comptent  toujours  par  des  succès.  Huit  ans 
après  ses  débuts ,  au  mois  de  mars  1849  ,  un  proverbe  com- 
posé par  elle  et  intitulé  :  ]l  ne  faut  jamais  compter  sans 
son  hôte ,  était  représenté  dans  une  matinée  dramatique  et 
musicale  à  l'hôtel  Forbin-Janson.  La  piquante  actrice  y  joua 
le  rôle  de  la  duchesse,  dans  lequel  elle  déploya  de  l'esprit 

comme  quatre Brohan.    Cette  charmante  bluette  fut 

vivement  applaudie,  et  il  est  grand  dommage,  en  vérité, 
qu'im  premier  essai  aussi  heureux  n'ait  pas  encore  décidé  sou 
auteur  à  en  tenter  un  deuxième.  Par  malheur  M"*  Augustine 
Brohan  n'aime  pas  le  théâtre,  et  à  peine  âgée  de  vingt-six 
ans,  elle  rêve  déjà  ,  dit-on ,  la  retraite ,  le  calme  et  l'obs- 
curité de  la  vie  privée. 

BROHAN  (Madeleine),  sœur  cadette  d'Augnstine,  et  fille 
de  Suzanne  Brohan,  n'est  encore  qu'une  enfant  d.e dix-huit 
ans,  vivant  sous  l'aile  de  sa  mère.  Mais  cette  enfant  est  d(  jà 
sociétair?  du.  Théâtre-Français;  et  cette  enfant  précoce 
s'est  de  prime  abord  placée  au  premier  rang  et  révélée  conmic 
une  artiste  hors  ligne.  Née  le  22  octobre  1833  ,  et  dès  son 
entrée  dans  la  vie  destinée  au  théâtre,  la  jeune  élève  du 
Conservatoire  remporta  le  premier  prix  de  comédie  dans  lo 
concours  qui  eut  lieu  le  25  juillet  1850.  Le  15  septembre  de 
la  même  année,  elle  débutait  au  Théâtre-Français  dans  le 
rôle  de  Marguerite  des  Contes  de  la  reine  de  Navarre  ,  de 
M.  Scribe;  ce  début  fut  un  éclatant  triomphe.  On  admira  cctli 
excellente  diction,  cette  tenue  parfaite;  on  se  trouva  prisi 
sous  le  charme  de  cette  souriante  et  fraîche  jeunesse,  à 
cette  voix  charmante  ,  et  ce  qui  étonna  surtout  de  l'aimable 
jeune  fille,  fut  cette  largeur  d'exécution,  cette  intelligence 
du  détail,  qu'on  n'était  pas  en  droit  d'attendre  d'une  artiste 
ine.xpérimentéc  et  novice  comme  l'était  Madeleine.  F.lles'e* 


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BROHAN  —  BROMÉLIACÉES 


$.iya  ensuite  dans  Tancien  rëperloirc  de  la  comédie,  et  joua 
avec  beaucoup  de  succès  les  rôles  de  Célimène  du  Misan- 
tlirope  et  de  Sylvia  dans  Le  Jeu  de  l'Amour  et  du  Hasard. 
En  (ait  de  rôles  nouveaux ,  elle  n'a  depuis  les  Contes  joué 
que  Marianne  des  Caprices  de  Marianne,  et  Mademoiselle 
de  la  Seiglière,  de  Jules  Sandeau.  Elle  a  été  reçue  sociétaire 
de  la  Comédie-Française  au  mois  de  novembre  1851. 

BROIE.  Voyez  Brove. 

BROMALES.  Voyez.  Brumales. 

BRO1MATES9  sels  résultant  de  la  combinaison  de 
l'acide  bromique  avec  une  base.  Tous  les  bromates,  ex- 
cepté ceux  d'argent  et  de  protoxyde  de  mercure ,  sont  so- 
lubles  dans  l'eau.  Us  détonnent  vivement  sous  le  choc  du 
marteau.  Us  peuvent  servir  aux  mêmes  usages  que  les 
chlorates,  avec  lesquels  ils  sont  isomorphes.  Ces  deux 
classes  de  sels  se  comportent  presque  toujours  de  la  môme 
manière  :  ainsi ,  les  bromates  soumis  à  l'action  de  la  chaleur 
se  décomposent  en  oxygène  et  en  bromures  analogues 
aux  chlorures  qu'on  obtient  des  chlorates  dans  les  mêmes 
circonstances.  Enliii ,  comme  dans  les  chlorates  ,  l'oxygène 
de  l'acide  des  bromates  est  à  l'oxygène  de  leur  base  comme 
5  est  à  1 . 

BROMATOLOGIE  (de  PpwtJ.a,  aliment ,  et  Xôyo;, dis- 
cours), science  ou  traité  des  aliments.  En  hygiène,  on  traite 
sous  ce  nom  des  aliments,  des  boissons  ,  de  quelques 
opérations  culinaires  et  des  c  o  n  d  i  m  e  n  t  s  ou  a  s  s  a  i  s  0  n  n  e  - 
ments;  on  indique  leur  action  sur  l'organe  du  goût,  sur 
res.tomac  et  sur  tout  l'organisme.  Quant  à  la  partie  de  la 
science  qui  traite  spécialement  de  la  description  des  ali- 
ments, on  l'appelle  bromographie  (de  ppwjxo;,  pour  ppw(xa, 
et    Y?^?-'"'»  décrire  ). 

BROME  (deppôfjio;,  espèce  de  graminée,ou  de  ppwH^a, 
aliment ,  parce  que  les  graines  des  hromes  servent  de  nour- 
riture aux  oiseaux),  genre  de  plantes  de  la  famille  des  gra- 
minées, dont  les  espèces, au  nombre  denviron  quatre-vingts, 
sont  répandues  dans  presque  toutes  les  contrées  du  globe,  et 
particulièrement  en  dehors  des  tropiques.  Toutes  les  espèces 
indigènes  à  la  France,  et  on  en  compte  dix-huit,  con^'ie^- 
nent  plus  ou  moins  pour  la  composition  des  prairies.  La  plus 
propre  à  remplir  cette  destination  est  le  brome  des  prés 
(bromus  pratensis,  Lamarck),  qui  se  voit  dans  toutes  les 
prairies  confondu  au  milieu  des  autres  herbes.  Si  ime  por- 
tion de  ces  prairies  a  été  fatiguée  par  un  chemin  qui  y  aurait 
été  pratiqué  momentanément,  si  par  toute  autre  cause,  telle 
que  des  meules  qui  auraient  été  laissées  trop  longtemps,  ou 
des  feux  que  les  pâtres  auraient  établis,  l'herbe  naturelle  au 
pré  est  fatiguée  ou  détruite  ,  on  voit  d'abord  s'y  établir  des 
poas,  des  houlques,  qui  gazonnent  ces  places  d'une  l.erbe 
serrée  et  fine,  bientôt  surmontée  d'une  herbe  plus  élevée, 
qui  est  ordinairement  un  brome  et  presque  toujours  le 
bromus  pratcnsis  ou  le  bromus  mollis,  ce  qui  indique 
l'utilité  d'en  répandre  les  graines  dans  des  circonstances 
semblables  pour  rétablir  plus  rapidement  le  niveau  dans  les 
herbes  de  la  prairie.  Le  brome  des  prés ,  croissant  sponta- 
nément dans  les  sols  les  plus  mauvais ,  a  fourni  tout  natu- 
rellement la  pensée  de  le  cultiver  en  grand  en  de  pareilles 
circonstances;  la  pratique  a  justifié  cette  pensée  pour  des 
sols  rélractaires  à  d'autres  graminées,  où  on  obtient  une 
herbe  abondante  et  du  foin ,  tout  en  gazonnant  d'une  plante 
vivace  des  terrains  qui  se  trouvent  ainsi  améliorés  et  propres 
à  la  dépaissance  ou  disposés  à  recevoir  plus  utilement  d'au- 
tres cultures.  Mais  nous  conseillerons  de  le  mêler  de  quel- 
ques plantes  qui  tapissent  la  terre  ou  garnissent  les  parties 
inférieures  et  moyennes  un  peu  nues  du  brome  des  prés  ;  par 
ce  moyen ,  on  crée  immanquablement  une  prahie  toulliie  et 
élevée ,  dont  on  peut  faire  du  foin  ou  un  iiàturage  de  bonne 
qualité ,  abondant  et  permanent.  C.  Tollakd  aîné. 

Le  brome  des  prés  lleurit  en  juin.  C'est  une  belle  espèce, 
d'un  vert  glauque,  dont  la  hauteur  varie  de  0"',(j3  à0"',y5; 
ses  racines  dures,  épaisses,  vivaces,  donnent  naissance  à 

DICT.    nE   LA   CONVEKS.    —    C.   lil. 


745 

plusieurs  tiges  droites  presque  nues;  les  feuilles  sont  {>arsc- 
mées  de  poils  rares ,  les  épillets  panachés  de  vert ,  de  violet 
ou  de  pourpre,  et  composés  de  six  à  neuf  fleurs. 

Le  brome  seiglin  {bromus  secalinus ,  Linné),  ainsi 
nommé  de  ce  qu'on  le  trou\e  fréquemment  dans  les  champs 
de  seigle  et  d'avoine  négligés,  a  des  tiges  glabres,  hautes 
d'environ  un  mètre  ;  les  feuilles  sont  planes ,  à  peine  parse- 
mées de  quelques  poils  courts;  les  épillets  ovales  lancéolés, 
glabres,  un  peu  comprimés,  d'un  beau  vert,  tordes  de 
blanc ,  renfennant  dix  à  douze  fleurs. 

Le  brome  velu  {bromus  mollis ,  Linné)  se  reconnaît  à 
l'aspect  blanchâtre  et  pubescent  de  toutes  ses  parties ,  au 
duvet  mou  qui  recouvre  ses  graines  et  ses  épillets.  On  le 
trouve  ordinairement  le  long  des  chemins  et  des  murs  et , 
comme  le  brome  seiglin ,  dans  les  prés  secs  et  les  terres  né- 
gligées. Ces  deux  espèces  sont  souvent  très-communes  parmi 
les  céréales ,  et  leurs  semences ,  mêlées  à  celle  du  seigle  et 
du  froment,  sont  peu  nuisibles  il  est  vrai,  mais  communi- 
quent au  pain  une  saveur  amère  et  désagréable.  Dans  les 
années  de  disette,  on  a  cherché  à  les  employer  ;  mais  on  n'en 
obtenait  qu'un  pain  noir  et  pesant.  Le  meilleur  parti  qu'on 
puisse  en  tirer,  c'est  d'en  nourrir  la  volaille.  La  panicule  du 
brome  velu  fournit  une  couleur  propre  à  teindre  en  vert. 

Le  brome  rude  {bromus  squarrosus,  Linné),  qui  habite 
le  midi  de  l'Europe  et  se  répand  jusque  dans  l'Afrique  sep- 
tentrionale, croît  sur  le  bord  des  champs  et  lleurit  en  juin 
et  juillet.  Il  est  très-remarquable  par  la  grosseur  de  ses  épil- 
lets larges,  pendants,  comprimés,  comprenant  un  grand 
nombre  de  fleurs,  dont  les  valves  sont  grandes,  obtuses,  très- 
glabres  et  membraneuses. 

Le  brome  des  toits  {bromus  tectorum,  Linné),  très- 
commun  sur  les  toits,  les  vieux  murs,  et  dans  les  heux 
stériles,  s'étend  du  midi  au  nord  de  l'Europe.  Il  croît  pres- 
que toujours  par  touffes.  Les  épillets  sont  rapprochés,  d'un 
vert  blanchâtre  et  luisant,  mollement  balancés  sur  leur 
chaume  flexible.  La  panicule  est  inclinée  d'un  seul  côté , 
presque  horizontalement. 

Les  autres  espèces  indigènes  du  genre  brome  sont  le  brome 
stérile,  le  brome  des  buissons,  le  brome  à  petites  fleurs , 
le  brome  des  bois ,  etc. 

BROME  (de  ppwfAo; ,  fétidité).  C'est  le  nom  par  lecpiel 
on  désigne  un  corps  simple  trouvé,  en  1826,  dans  les  eaux 
mères  des  marais  salants ,  où  il  existe  à  l'état  de  combinaiseui 
avec  la  magnésie.  Ce  corps ,  dont  on  doit  la  découverte  à 
M.  Balard,  est  de  consistance  liquide,  d'une  couleur  rouge 
hyacinthe  ou  rouge  noirâtre,  suivant  qu'on  le  voit  par  ré- 
fraction ou  par  réflexion  :  son  odeur  est  suffocante  et.  offr;i 
beaucoup  de  ressemblance  avec  celle  du  chlore  et  particuliè- 
rement de  son  oxyde;  il  est  très-volatil  et  répand  des  vapeurs 
rutilantes  ;  mis  en  contact  avec  la  peau ,  il  la  tache  en  jaune , 
il  n'est  congelable  qu'à  une  très-basse  température;  sa  densité 
est  2,96. 

Le  brome  a  déjà  été  conseillé  dans  certains  cas  de  méde- 
cine, tels  que  les  scrofules,  la  phthisie,  la  chlorose,  etc.; 
cependant,  il  est  encore  peu  usité.  Espérons  qu'il  ne  tardera 
pas  à  être  plus  généralement  prescrit  par  les  praticiens.  Je 
l'ai  employé  (à  l'état  d'hydrobrômate  de  fer,  etc.  )  avec  un 
succès  assez  marqué  dans  quelques  cas  d'affections  stru- 
meuses,  dans  plusieurs  maladies  chroniques  de  la  poi- 
trine ,  etc.,  pour  qu'il  me  soit  permis  de  le  citer  ici  comme  un 
médicament  destiné  à  jouer  par  la  suite  un  rôle  des  plus  im- 
portants dans  la  thérapeutique.         D"^  P,-L.  Cottereau. 

BROMÉLIACÉES.,  famille  de  plantes  monocotylédo-- 
nés,  qui  a  pour  type  le  genre  bromelia,  dont  on  a  démembré 
l'a  ï.anas.  Les  broméliacées  ont  des  fleurs  hermaphrodites, 
généralement  réguhères,  disposées  en  épis,  plus  rarement 
en  grappes  ou  en  panicules.  Toutes  les  plantes  de  cette  la- 
mille  sont  originaires,  soit  des  Antilles,  soit  du  continent  da 
l'Amérique  méridionale.  Elles  se  font  remarquer  par  un  port 
tout  paiticulicr;  ce  sont  des  plantes  vivaces,  quelquefoU 


.746 

des  arbustes  ramcux,  portant  des  feuilles  très-nombreuses , 
épaisses  et  roides,  souvent  armées  de  dents  épineuses  sur 
leurs  bords. 

BROMUYDRIQUE  (Acide).  Cet  acide,  composé 
d'hydrogène  et  de  brome,  est  un  gaz  incolore,  fumant 
à  l'air  comme  l'acide  chlorhydrique,  dont  il  rappelle 
l'odeur  et  avec  lequel  il  présente  une  grande  analogie,  tant 
par  sa  composition  que  par  ses  propriétés.  Seulement,  à  une 
température  élevée ,  l'acide  bromliydrique  se  décompose  en 
partie;  il  est  par  conséquent  moins  stable  que  l'acide  chlor- 
iiydrique. 

Pour  préparer  l'aciie  bromliydrique  pur,  on  met  des 
fragments  de  phosphore  dans  un  vase  auquel  est  adapté  un 
tube;  on  verse  par  dessus  une  couche  d'eau,  puis  on  ajoute 
du  brome.  Une  vive  réaction  a  lieu  aussitôt;  il  se  forme  un 
bromure  de  phosphore,  qui  décompose  l'eau  et  donne  nais- 
sance à  de  l'acide  hypophosphoreux,  qui  reste,  et  à  de  l'acide 
bromhydrique,  qui  se  dégage  et  qu'on  recueille,  comme  le 
chlore,  dans  un  flacon  rempli  d'air. 

BROMIOS  (du  grec  Pp£[X£tv,  frémir,  résonner,  vibrer). 
Voyez  Bacchus. 

BROMIQUE  (Acide).  Liquide,  incolore,  inodore,  com- 
posé de  2  volumes  de  brome  et  de  5  d'oxygène,  cet  acide, 
isomorphe  avec  les  acides  iodique  et  chlorique,  forme 
avec  les  bases  des  bro mates  analogues  aux  chlorates  et 
aux  iodates.  Il  se  prépare  absolument  de  la  môme  manière 
que  l'acide  chlorique. 

BROMURES,  composé;»  binaires  résultant  de  la  com- 
binaison du  brome  avec  un  corps  simple.  Isomorphes  avec 
les  chloru  res,  ils  peuvent  les  remplacer  parfaitement  dans 
certains  usages.  M.  Roseleur  s'en  était  servi  avec  succès 
pour  la  dorure  galvanoplastique. 

BRONCHES  (de  ppâv/o;,  gosier).  On  appelle  ainsi  les 
subdivisions  de  la  trachée-artère.  Lorsque  celle-ci  est  par- 
venue dans  la  poitrine  au  niveau  delà  deuxième  ou  troisième 
vertèbre,  elle  se  partage  d'abord  en  deux  rameaux  secon- 
daires, qui  portent  spccialeTnent  les  noms  de  bronche  droite 
et  bronche  gauche.  Ces  deux  rameaux  se  subdivisent  ensuite 
en  pénétrant  dans  les  poumons  en  des  bronches  de  plus 
en  plus  ténues,  qui  se  terminent  enfin,  d'après  l'opinion  de 
la  plupart  des  anatomistes  ,  par  de  petites  vésicules  arrondies 
où  s'opère  la  revivilication  du  sang.  M.  Rochoux  ,  sur  des 
recherches  microscopiques,  suppose  que  chaque  bronche  n'a 
que  quinze  divisions  successives,  et  porte  à  32,7C8  le  nombre 
de  leurs  ramifications  dernières.  11  suppute  que  chacune  de 
ces  ramifications  aboutit  à  17,790  cellules  aériennes,  ce  qui 
porte  le  nombre  total  de  ces  cellules  à  582,942,720.  C'en  est 
assez  à  coup  sur  pour  donner  une  vaste  idée  du  champ  res- 
piratoire et  des  innombrables  points  de  rencontre  de  l'air  et 
du  sang  (voyez  Respiration).  Les  bronches,  qu'entourent 
un  grand  nombre  de  ganglions  lymphatiques,  sont  formées 
^ans  leur  partie  interne  d'une  membrane  muqueuse ,  mince 
et  rougeàtre,  qui  présente  à  sa  face  libre  les  orifices  excré- 
teurs d'un  grand  nombre  de  follicules  muqueux  sécrétant 
plus  ou  moins  abondamment  ce  fluide  assez  épais  que  l'on 
rejette  par  la  toux. 

La  membrane  muqueuse  qui  tapisse  les  bronches  est 
sujette  à  une  inflammation  qui  porte  le  nom  de  bronchite 
ou  catarrhe  pulmonaire.  Cette  membrane  est  aussi 
le  siège  du  croup,  maladie  funeste  surtout  dans  l'enfance. 
La  rupture  des  dernières  ramifications  des  biouches  produit 
l'espèce  d'hémorragie  qui  a  reçu  le  nom  d'hémoptysie. 
Quelquefois  enfin  on  observe  la  carie  du  cartilage  des  bron- 
ches dans  la  phthisie  laryngée. 

BRONCHIQUE,  qui  appartient  aux  bronches.  Les 
cellules  ou  culs-de-sacs  qui  terminent  les  bronches,  les 
glandes  ou  ganglions  lymphatiques,  les  artères,  les  veines 
et  les  nerfs  de  ces  organes ,  sont  désignés  sous  les  appella- 
tions de  ganglions  bronchiques ,  artères  bronchiques, 
veines  bronchiques,  nerfs  bronchiques. 


BROMÉLIACÉES  —  BRONGNIART 


BRONCHITE,  inflammaiion  des  bronches.  Voyez 

CaT.UUUIE  PCLMONMl'.E. 

BRONCHOCÈLE  (de  ppôy/.oc,  gosier,  bronche,  et  d« 
x^Xrj ,  tumeur),  synonyme  de  goître. 

BRONCIIOTOMIE  (de  p^ôv/o; ,  gorge ,  bronche ,  et 
zo\iri,  coupure,  incision),  nom  impropre  que  l'on  a  donné 
à  une  opération  chirurgicale  autrement  appelée  trachéo- 
to-viie. 

BRONGNIART,  nom  d'une  famille  de  savants  qui  a  eu 
l'heureux  privilège  de  donner  un  grand  nombre  de  mem- 
bres à  notre  Académie  des  Sciences. 

RRONGNIART  (  Antoine-Louis  ) ,  pharmacien  du  roi 
Louis  XVI,  se  fit  connaître  par  des  cours  particuliersde  phy- 
sique et  de  chimie  à  une  époque  où  ces  deux  sciences  comp- 
taient à  Paris  peu  de  professeurs.  La  facilité  avec  laquelle 
il  s'énonçait,  la  clarté  de  ses  démonstrations,  le  firent  nom- 
mer professeur  au  Collège  de  Pharmacie,  et  lorsque  Rouelle 
le  jeune  mourut,  ii  fut  appelé  à  la  chaire  de  professeur  de 
chimie  appliquée  aux  arts,  et  se  trouva  collègue  de  Four- 
croy  au  Lycée  républicain  et  au  Jardin  des  Plantes.  Pendant 
une  partie  de  la  révolution,  il  remplit  les  fonctions  de  phar- 
macien militaire,  puis  fut  professeur  au  Muséum  d'Histoire 
Naturelle.  Il  est  mort  à  Paris,  le  24  lévrier  1804.  Il  a  pu- 
blié un  Tableau  analytique  des  combinaisons  et  des  dé- 
compositions de  différentes  substances,  ou  Procédés  de 
chimie  pour  servir  à  Vintelligence  de  cette  science  (  Pa- 
ris, 1778).  Il  a  travaillé,  en  1792,  avec  Hassenfratz,  au 
Journal  des  Sciences,  Arts  et  Métiers,  et  à  d'autres  feuilles 
périodiques. 

RROXGNIART(ALEXANDnE-TuÉoDouE),  architecte,  frère 
du  précédent,  naquit  à  Paris,  le  15  février  1739.  La  cons- 
truction d'un  grand  nombre  d'hôtels,  le  dessin  élégant  de 
plusieurs  jardins,  enfin  son  habileté  dans  les  arts  d'orne- 
ment, lui  avaient  fait  une  belle  réputation  lorsqu'il  fut  chargé 
en  1807  de  la  construction  delaBoursedeParis.  Quoi 
qu'en  ait  dit  l'auteur  de  Notre-Dame  de  Paris,  par  un 
amour  un  peu  trop  exclusif  du  moyen  ùge,  ce  monument 
est  l'une  des  gloires  de  notre  capitale.  Rien  en  effet  ne 
manque  à  la  majesté  de  l'édifice,  qu'une  plus  noble  destina- 
tion. Il  semble  qu'un  sanctuaire  pour  les  chefs-d'œuvre  des 
arts  ou  les  collections  de  la  science  serait  mieux  placé  der- 
rière cette  magnifique  colonnade  qu'un  champ  clos  pour  les 
âpres  combats  de  l'agiotage  et  de  la  chicane. 

Brongniart  n'eut  pas  le  bonheur  de  voir  son  grand  ou- 
vrage terminé;  enlevé  aux  arts  le  C  juin  1813,  ses  restes 
furent  déposés  au  cimetière  du  Père-Lachaise,  dont  les  no- 
bles et  simples  dispositions  sont  encore  son  ouvrage,  ainsi 
queles  grandes  avenues  qui  avoisinent  les  Invalides  et  r£cole 
militaire.  Son  fils  Alexandre  Brongniart  a  publié,  en  1814, 
ses  Plans  du  portail  de  la  Bourse  et  du  cimetière  de 
Mont-Louis ,  en  6  planches  avec  une  notice. 

[BRONGNIART  (Alexandre),  savant  naturaliste,  fils  du 
célèbre  architecte  dont  nous  venons  de  parler,  naquit  à  Paris , 
le  5  février  1770.  Il  termina  de  bonne  heure  ses  premières 
études  scientifiques  à  l'École  des  Mines,  et,  à  peine  âgé  de 
vingt  ans,  il  visitait  les  mines  du  Derbyshire,  d'où  il  rapporta 
les élémentsd'un jWmoJre  sur  l'Artde  l'Émailleur,  qui,  in- 
sère dans  les  Annales  de  Chimie,  fut  son  début  dans  la  car- 
rière céramique.  A  son  retour  d'/Vngleterre,  choisi  pour  pré- 
parateur par  son  oncle  Antoine-Louis  Brongniart,  il  se  hvra  à 
la  pratique  de  la  chimie.  Il  étudiait  également  la  médecine, 
lorsque,  la  première  réquisition  appelant  tous  les  Français  à 
la  frontière,  il  tut  attaché  comme  pharmacien  à  l'armée  des 
Pyrénées.  Là,  pendant  un  séjour  de  quinze  mois  dans  les 
montagnes,  il  ne  négligea  ni  la  zoologie,  ni  la  botanique, 
ni  surtout  la  géologie.  C'est  au  milieu  de  ces  paisibles  tra- 
vaux que,  accusé  d'avoir  favorisé  l'évasion  de  Brousson- 
net,  il  fut  mis  en  prison.  Rendu  à  la  liberté  après  le  9  ther- 
midor, il  revint  à  Paris,  oii  il  lut  nommé  ingénieur  des  mi- 
nes. Bientôt  après  il  fut  appelé  à  professer  l'I'-^toire  naturelle 


BRONGNIART  —  BRONKHORST 


à  récole  centrale  des  Quatre  Nations,  et  en  1800  Ber- 
thollet,  qui  avait  deviné  tout  ce  que  promettait  le  jeune 
Brongniart,  le  (It  nommer  directeur  de  la  manufacture  de 
porcelaine  de  Sèvres.  Depuis  cet  instant  jusqu'à  sa  mort,  cet 
établissement,  oii  il  fit  renaître  Tart  presque  perdu  de  la 
peinture  sur  verre,  lui  fut  redevable  d'incessantes  amélio- 
rations :  ainsi  c'est  Brongniart  qui  créa  le  musée  céramique 
de  cette  manufacture,  magnifique  collection  de  poteries,  de 
verreries,  d'émaux  de  tous  les  pays  et  de  toutes  les  épo- 
([ues,  classés  avec  l'ordre  et  la  méthode  qui  caractérisaient 
tous  ses  travaux. 

Déjà  en  1S05  Brongniart  avait  publié  son  Essai  sur 
une  Classification  naturelle  des  Reptiles,  excellent  tra- 
vail qui  sert  encore  de  base  à  l'erpétologie,  lorsqu'en  1807 
il  fit  paraître  son  Traité  élémentaire  de  Minéralogie,  œu- 
vre capitale,  qui  devint  le  texte  assidûment  perfectionné  des 
leçons  qu'il  fit  pendant  longtemps  à  la  Faculté  des  Sciences 
comme  adjoint  de  Haijy,  et  qu'il  continua  au  Muséum 
d'Histoire  Naturelle  lorsqu'il  fut  appelé  à  y  remplacer  cet  il- 
lustre savant.  Le  premier  de  ces  ouvrages  rapprocha  Bron- 
gniart et  Cuvier  :  leurs  communes  recherches  les  condui- 
sirent à  des  faits  d'une  immense  importance  en  géologie, 
qu'ils  consignèrent  dans  leur  Description  géologique  et 
miner alogique  des  environs  de  Paris  (  1811;  3*  édition, 
1835). 

Brongniart  venait  de  coopérer  à  une  grande  révolution 
scientifique.  A  partir  de  cette  époque  sa  vie,  déjà  si  iaborieuso, 
n'est  plus  qu'une  suite  non  interrompue  de  précieux  tra- 
vaux. Ses  nombreux  voyages  en  l'"rance,  en  Suisse,  en  Ita- 
lie, en  Suède,  en  Norvège,  etc.,  enrichissent  la  science  d'une 
foule  d'observations  utiles  et  de  connaissances  nouvelles.  Il 
analyse  la  glaubérite  d'Espagne  et  détermine  la  webs- 
térite  d'Auleuil.  Il  publie  un  Mémoire  sur  les  trilobiles 
(1814),  où  il  pose  les  bases  de  la  classification  de  ces  sin- 
gidiers  crustacés.  Il  fait  paraître  un  grand  nombre  de  mé- 
moires importants  dans  les  Annales  des  Sciences  natu- 
relles et  dans  les  Comptes  retidus  de  r Académie  des 
Sciences  ;  il  donne  de  savants  articles  au  Dictionnaire  Tech- 
nologique et  au  Dictionnaire  des  Sciences  Naturelles; 
il  annote,  dans  la  Bibliothèque  Latine-Française,  la  traduc- 
tion de  Pline,  d'.\jasson  de  Grandsagne,  etc.;  il  publie  sa 
Classification  des  Roches,  son  Tableau  des  Terrains  qui 
composent  fécorce  du  globe,  etc.,  et,  enfin,  en  1844,  il 
résume  les  travaux  d'une  grande  partie  de  sa  vie  dans  son 
Traité  des  Arts  Céramiques  (2  vol.  in-8°  ). 

Travailleur  infatigable,  Brongniart  remplissait  rigoureuse- 
ment tous  les  devoirs  que  lui  imposaient  ses  fonctions  d'in- 
génieur en  chef  des  mines,  de  directeur  de  la  Manufacture 
du  Sèvres,  de  professeur  au  Muséum  et  de  membre  de  l'A- 
cadémie des  Sciences  (  depuis  1815  ).  Comme  professeur,  il 
possédait  à  un  haut  degré  le  don  d'instruire,  et  son  cours 
de  minéralogie  recevait  un  grand  intérêt  des  considérations 
géologiques  dont  il  se  plaisait  à  l'enrichir.  Affable  envers 
tous,  se  faisant  un  devoir  de  protéger  les  jeunes  gens  qui 
aimaient  la  science,  il  fut  enlevé  à  l'affection  de  ses  élèves, 
le  7  octobre  1847.  E.  Merlieux.  ] 

[BRONGNIART  (ADOLi'nE-TnicoDORE),  fils  du  précédent. 
Né  à  Paris,  vers  1798,  il  manifesta  dès  le  collège  une  prédi- 
lection prononcée  pour  la  botanique  :  en  soite  qu'à  elle  seule, 
la  famille  Brongniart  embrassait  il  y  a  quinze  ou  vingt  ans 
les  principales  divisions  de  l'histoire  naturelle  :  Brongniart 
père  cultivait  la  minéralogie  et  la  géologie  ;  A  ud  o  u  i  n  ,  l'un 
de  ses  gendres,  la  zoologie,  mais  surtout  l'entomologie;  et 
M.  Adolphe  Brongniait  la  botanique,  prmcipalemcnt  la cryp- 
togamie.  Et  môme  il  y  a  trente  ans  M.  J.-B.  Dumas,  autre 
beau-frère  de  "M.  Adolphe  Brongniart,  se  montrait  un  habile 
physiologiste  et  micrographe,  direction  première  qu'il  n'eilt 
sans  doute  point  quittée,  si  la  chimie  ne  l'avait  pas  entouré 
de  ses  séductions  irrésistibles. 

M.  Ad.  Biongniart ,  aujourd'hui  professeur  au  Jardin  des 


717 

Plantes ,  membre  de  l'fnsf itut,  où  il  a  succédé  à  Desfontaines 
(1834),  docteur  et  agrégé  de  la  Faculté  de  Médecine,  a  com- 
posé plusieurs  ouvrages  de  botanique,  entre  autres  une  Clas- 
sification des  Champignons  (1825),  et  VÉmimération  des 
genres  de  plantes  cultivés  au  Muséum  d'Histoire  Natti- 
relle  de  Paris  (1843);  mais  le  principal  lui  a  été  suggéré 
par  les  travaux  do  Cuvier,  l'intime  ami  et  le  collaborateur 
de  son  père.  Histoire  des  Végétaux  Fossiles ,  ou  Recher- 
ches botaniques  et  géologiques  sur  les  végétaux  renfer- 
més dans  les  diverses  couches  du  globe ,  tel  est  le  titre  de 
ce  bel  ouvrage ,  dont  il  a  déjà  paru  24  livraisons  formant 
2  vol.  gr.  in-4°,  avec  160  planches.  M.  Ad.  Brongniart  soumit 
à  l'Institut  dès  1828  les  premières  vues  et  comme  le  pro- 
drome de  ce  grand  travail,  qui  fit  sensation  et  fut  utile  au 
progrès  d'une  science  naissante.  L'auteur,  frappé  devoir 
coïncider  dans  les  couches  profondes  du  globe  les  débris  d'é- 
normes végétaux  cryptogames  avec  ceux  de  reptiles  et  de 
poissons  gigantesques ,  en  infère  avec  vraisemblance  qu'à 
cette  première  époque ,  à  ce  premier  cataclysme  dont  le  sein 
de  la  terre  offre  le  témoignage,  il  n'existait  encore  ni  mammi- 
fères, ni  oiseaux,  ni  à  plus  forte  raison  aucun  individu  de 
l'espèce  humaine.  Il  fait  plus  :  en  cela  d'accord  avec  Buffon, 
quand  il  suppose  l'incandescence  et  le  refroidissement  de  la 
terre,  M.  Ad.  Brongniart  conjecture  que  l'atmosphère,  à  ces 
premiers  temps  de  la  création,  n'avait  pas  la  composition  qu'on 
lui  voit  aujourd'hui  ;  que  sans  doute  elle  contenait  plus  d'a- 
zote et  moins  d'oxygène ,  plus  d'acide  carbonique  et  plus  de 
chaleur,  ainsi  que  semblent  l'attester  ces  énormes  reptiles  à 
respiration  imparfaite  et  ces  grands  végétaux  cryptogames, 
lesquels,  en  elfet,  ne  consommaient  pas  autant  d'oxygène, 
mais  devaient  exiger  plus  de  chaleur  que  les  animaux  mam- 
mifères et  les  végétaux  phanérogames  de  nos  jours.  Il  est  re- 
grettable que  la  faible  santé  de  M.  Brongniart  ait  retardé  la 
terminaison  de  ce  savant  ouvrage  ,  si  digne  de  motiver  une 
réputation  de  premier  ordre.  Isidore  Bodrdon.  ] 

BHONIKOWSKI  (Alexanure-Auguste-Ferdinand  d'O- 
PELN),  célèbre  romancier  allemand,  naquit  le  28  février  1783, 
à  Dresde,  où  son  père.  Polonais  d'origine,  remplissait  les 
fonctions  d'adjudant  général  de  l'électeur.  Il  entra  d'abord 
au  service  de  Prusse  ;  mais,  fait  prisonnier  à  Breslau  en  1807, 
il  donna  sa  démission ,  et  habita  alternativement  Breslau , 
Prague  et  Dresde.  En  1812  il  prit  du  service  dans  l'armée 
polonaise,  fut  nommé  major  dans  les  hulans  de  la  garde , 
et  attaché  à  l'état-major  du  duc  de  Bellune.  Au  réta- 
blissement de  la  paix,  il  prit  sa  retraite,  et  vécut  à  Varsovie 
jusqu'en  1823,  époque  où  il  alla  s'établir  à  Dresde.  De  1830 
à  1832 ,  il  résida  à  Halberstadt,  puis  revint  encore  se  fixer 
à  Dresde,  où  il  mourut,  le  21  janvier  1834. 

Il  était  déjà  âgé  de  quarante-deux  ans,  lorsque  le  besoin  de 
vivre  fit  de  lui  un  écrivain ,  et  il  donna  bientôt  des  preuves 
d'une  étonnante  fécondité.  Réduit  à  travailler  pour  assurer  sa 
subsistance  quotidienne,  il  était  impossible  qu'il  songeât  jamais 
à  écrire  une  œuvre  sérieuse.  Ses  romans  témoignent  du  lais- 
ser-aller avec  lequel  il  les  composait  ;  il  étendait  son  sujet 
le  plus  qu'il  pouvait ,  au  lieu  de  le  resserrer  et  de  le  limiter 
suivant  les  préceptes  de  l'art.  Il  se  pourrait  toutefois  que  ce 
fussent  précisément  ses  défauts  qui  aient  fait  son  succès  et 
qui  aient  valu  un  public  si  nombreux  à  ses  romans  et  à  ses 
nouvelles,  dans  lesquels  on  ne  saurait  sans  injustice  mécon- 
naître une  rare  habileté  à  disposer  un  plan  et  à  exciter  l'inté- 
rêt. Bronikowski  emprunta  de  préférence  ses  sujetsà  l'histoire 
de  Pologne  ,  comme  on  peut  le  voir  d'après  la  liste  suivante 
de  ses  ouvrages  :  Jlippolyle  Boralynski  (4  vol.,  Dresde, 
1825-1826);  Olgicrd  et  Olga,  ou  la  Pologne  au  onzième 
siècle  (5  vol.,  2"  édition,  1832);  la  Pologne  au  dix-sep- 
tième siècle,  ou  Jean  III  Sobieski  et  sa  cowr  (5  vol., 
1829)  ;  Les  dames  Koniapolski  {it  vol.,  1833-1835).  Ou 
a  aussi  de  lui  une  Histoire  de  la  Pologne  (4  vol.,  1827). 

BROIVKIIOUST  (  Peteu  Van  ) ,  peintre  hollandais,  né 
le  IG  mai  lf.8S,  à  Deiff;  réussissait  particulièrement  à  re- 

94. 


748 


BROiNKHORST  —  BROxNZE 


présenter  des  perspectives  de  temples  et  d'églises,  et  sa- 
vait les  animer  par  de  petites  figures  d'un  fini  admirable. 
On  voit  à  l'hôtel  de  ville  de  Deift  deux  grandes  et  belles 
toiles  de  cet  artiste,  représentant  l'une,  le  Jugement  deSa- 
lomon,et  VaiUlre,  Jéstis-Christ  chassant  les  marchands  du 
Temple.  Ces  deux  tableaux  sont,  suivant  Descamps,  les  prin- 
cipaux ouvrages  de  Bronkhorst,  qui  mourut  le  22  juin  1661. 

imOA'KIIORST  (Jean  Van)  ,  né  à  Utrecht,  en  1603, 
mort  en  1680,  est  surtout  renomraécomme  peintre  sur  verre. 
Il  existe  de  lui  de  précieuses  peintures  de  ce  genre  à  Ams- 
terdam ,  dans  la  Aieuwe-Kerk.  11  a  aussi  beaucoup  gravé 
d'après  Pd'Iemburg. 

BROMÎIIORST  (Jean  Van),  peintre  célèbre,  né  à 
Leyde,  en  164S ,  était  pâtissier  de  son  état,  et  ne  faisait  de 
la  peinture ,  qu'il  avait  apprise  sans  le  secours  d'aucun  maî- 
tre, que  pour  se  délasser;  mais  il  ne  tarda  pas  à  atteindre 
dans  ses  productions  un  haut  degré  de  perfection.  Il  pei- 
gnait de  préférence  les  animaux,  et  surtout  les  oiseaux, 
dont  il  excellait  à  reproduire  le  plumage  brillant  et  léger.  Il 
mourut  à  IFoorn,  en  1726. 

BROMTE  (CnxuLOTTE),  plus  connue  sous  le  pseudo- 
nyme de  Currer  Bell,  et  sumommée  à  tort  la  George  Sand 
d'Angleterre,  naquit  en  1824,  dans  le  Cumberland,  où  son 
père  était  vicaire  de  campagne.  Les  sites  romantiques  de  sa 
patrie  firent  de  bonne  heure  une  profonde  impression  sur 
son  esprit,  et  lui  inspirèrent  le  désir  de  peindre  l'état  so- 
cial des  paysans  anglais,  d'esquisser  les  traits  caractéristiques 
(le  la  vie  de  province  qui  rappellent  encore  à  tant  d'égards 
la  naïveté  des  mœurs  patriarcales.  Son  premier  roman 
Jane  Eyre  (Londres,  1848)  fit  une  vive  sensation  par  la 
nouveauté  du  style  non  moins  que  par  la  hardiesse  des  pa- 
radoxes dont  il  abonde  ;  il  ne  tarda  pas  à  être  traduit  dans 
toutes  les  langues  de  l'Europe.  Chacun  se  demandait  qui 
pouvait  être  ç,^  Currer- Dell  qui  avait  su  tracer  un  caractère 
aussi  vigoureux  que  celui  de  Rochester,  le  héros  du  roman, 
et  qui  connaissait  en  même  temps  à  fond  les  mystères  du 
cœur  féminin,  lorsque  l'apparition  deS/iJrZe!/(  Londres,  1849) 
vint  révéler  le  secret.  On  trouve  dans  ce  nouveau  roman  de 
si  fines  nuances  dans  la  peinture  du  caractère  de  la  femme, 
qu'il  était  évident  que  l'auteur  appartenait  au  beau  sexe. 
Jane  Eyre  est  dédié  à  Thackeray,  que  Charlotte  Bronte  a 
certainement  pris  pour  modèle,  à  en  juger  par  son  style  et 
par  les  traits  mordants  d'ironie  dont  elle  perce  l'hypocrisie 
des  mœurs  modernes. 

Ses  deux  sœurs  cadettes,  Emily  et  Amw^  mortes,  toutes 
deux  à  la  fleur  de  l'âge,  la  première  le  19  décembre  1848, 
la  seconde  le  28  mai  1849 ,  se  sont  aussi  fait  connaître  dans 
la  littérature  sous  les  pseudonymes  à'Ellis  et  A''Acton  Bell, 
qu'elles  avaient  pris ,  comme  leur  sœur  aînée ,  parce  qu'elles 
redoutaient  la  réputation  de  bas-bleus  et  qu'elles  n'osaient 
cependant  se  donner  pour  des  auteurs  du  sexe  masculin. 
Elles  ont  publié  Wutherïng  heïghts  et  Agnès  Grey  (  Lon- 
dres, 1850),  romans  qui  révèlent  autant  de  talent  que  de 
sensibilité. 

iJUOiXTÈS.  Voyez  Cyclopes. 

BRONZAGE.  C'est  l'art  de  donner  la  couleur  et  l'ap- 
parence du  bronze  à  des  objets  de  bois,  de  plâtre,  de  car- 
ton ,  etc.  Ces  objets  doivent  être  d'abord  recouverts  d'une 
couche  uniforme  de  colle  ou  de  vernis ,  et  lorsque  celte 
couche  est  sur  le  point  de  sécher,  on  la  saupoudre ,  à  l'aide 
d'un  petit  sachet,  <ie  poudre  à  bronzer  que  l'on  prépare  avec 
des  feuilles  d'étain ,  d'or,  de  l'or  mussif  ou  du  cuivre  ;  on 
frotte  ensuite  la  surface  avec  un  linge  humide.  On  peut 
mêler  d'avance  la  poudre  à  bronzer  avec  de  l'huile  sicca- 
tive, et  puis  appliquer  le  mélange  avec  une  brosse.  Du 
reste ,  il  y  a  un  grand  nombre  de  recettes  pour  former  des 
couleurs  imitant  le  bronze,  mais  toutes,  ou  du  moins  les 
meilleures,  ont  pour  base  le  cuivre  jaune  pulvérisé  aussi  fin 
que  possible ,  par  la  raison  que  cette  poussière  s'oxydant  à 
l'air  (c'est-à-dire  prenant  la  couleur  de  vert-de-gris),  il  en 


résulte  que  l'objet  qui  en  est  couvert  prend  l'apparence  du 
bronze. 

Le  bronzage  des  canons  de  fusil  et  antres  objets  en  fer 
s'opère,  tantôt  en  les  exposant  à  l'action  de  l'acide  chlorhy- 
drique  en  vapeur,  tantôt  en  les  traitant  par  de  l'eau  régal« 
très-étendue;  le  plus  souvent,  on  chauffe  légèrement  le 
canon,  et  on  le  frotte  vivement  avec  un  mélange  d'huile  d'o- 
lives et  de  chlorure  d'antimoine  fondu,  dont  on  renouvelle 
l'action  à  plusieurs  reprises.  Quelquefois  on  frotte  ensuite 
avec  un  linge  imbibé  d'eau  seconde.  Enfin ,  on  lave  le  ca- 
non avec  de  l'eau  pure,  on  l'essuie,  on  le  sèche,  et  on  le 
polit  avec  un  brunissoir  d'acier. 

On  entend  aussi  quelquefois  par  bronzage  l'art  de  recou- 
vrir d'un  enduit  métallique  par  la  galvanoplastie  de* 
objets  de  matière  quelconque. 

BROÎVZE.  On  appelle  ainsi  des  alliages  decui  vre  et  d'élaii» 
auxquels  on  ajoute  quelquefois  un  peu  de  zinc  ou  de  plomb. 
Beaucoup  plus  dur  que  le  cuivre,  le  bronze  était  employé 
par  les  anciens  pour  faire  des  haches,  des  épées ,  etc.  (  voyez 
Airain).  Une  toule  d'objets  divers,  comme  des  rnslrumenl» 
aratoires,  des  lampes,  des  anneaux,  etc.,  se  retrouvcU 
encore  bien  conservés  dans  les  fouilles  que  l'on  fait  dans  les 
pays  habites  autrefois  par  les  Romains.  Sans  contredit  le 
fer  et  l'acier  se  façonnent  mieux ,  et  peuvent  donner  des 
instruments  plus  légers  et  plus  conuuodes,  mais  nous  au- 
rions à  peine  une  idée  de  ceux  qui  étaient  en  usage  dans 
les  temps  reculés ,  si  ces  substances  avaient  toujours  servi 
à  les  confectionner;  la  rouille  en  aurait  à  peine  respecté 
quelques  fragments ,  tandis  que  le  bronze  enfoncé  dans  b 
terre  s'altère  assez  fortement ,  il  est  vrai ,  mais  de  manière 
cependant  à  conserver  encore  une  grande  partie  de  ses 
formes. 

C'est  surtout  pour  des  objets  qui  doivent  retracer  quelques 
faits  importants  ou  perpétuer  la  mémoire  d'événements  qui 
font  époque  pour  une  nation ,  que  le  bronze  présente  un 
incontestable  avantage  :  ainsi ,  les  monnaies  des  Romains 
coulées  avec  ce  métal  se  sont  conservées  jusqu'à  nos  jours, 
malgré  les  vicissitudes  extraordinaires  .  qu'elles  ont  é(irou- 
vées,  tandis  que  toutes  celles  que  l'on  a  frappées  en  cuivre 
depuis  deux  cents  ans  ont  déjà  éprouvé  de  si  fortes  altéra- 
tions que  leur  existence  dans  quelques  siècles  est  très-pro- 
blématique D'ailleurs,  le  bronze  n'a  par  lui-même  qu'ime 
très-faible  valeur  :  on  a  peu  d'intérêt  à  détruire  des  objets 
qui  en  sont  composés ,  et  à  l'exception  des  tourmentes  po- 
litiques ou  des  bouleversements  des  nations,  qui  anéantissent 
.souvent  les  monuments  les  plus  précieux ,  le  bronze  est 
beaucoup  plus  respecté  que  ne  l'est  le  cuivre,  dont  il  est 
si  facile  de  tirer  immédiatement  parti. 

L'art  de  fondre  des  statues  de  bronze  était  déjà  arrivé  à 
un  certain  degré  de  perfection  vers  l'an  700  avant  J.-C.  ;  mais 
il  prit  un  grand  développement  pendant  le  règne  d'Alexandre. 
A  cette  époque,  le  célèbre  Lysippe  parvint,  par  de  nou- 
veaux procédés  de  moulage  et  de  fusion,  à  des  résultats 
remarquables  que  nous  a  transmis  l'histoire.  Bientôt  après 
on  coula  d'énormes  colonnes  en  bronze.  On  rapporte  que  le 
consul  romain  Mutionus  trouva  plusieurs  milliers  de  statues 
à  Athènes,  à  Olympic,  à  Delphes,  etc. 

Chez  les  modernes  les  usages  les  plus  importants  du  bronze 
sont  la  fabrication  des  statues,  des  bouches  à  feu,  des 
cloches,  des  tam-tam  ou  des  cymbales,  des  médail- 
les, des  pendilles  et  des  ornements  destinés  à  la  dorure. 

Le  bronze  destiné  aux  statues  ou  aux  monuments  doit  être 
assez  fusible  pour  couler  proinptemeni  dans  toutes  les  parties 
du  moule ,  quelque  délicates  qu'elles  soient  ;  il  doit  être  dur, 
afin  de  pouvoir  résister  aux  chocs  que  les  statues  peuvent 
recevoir  par  accident;  il  doit  être  à  l'épreuve  de  l'influence 
des  saisons  et  de  nature  à  pouvoir  acquérir  à  l'extérieur,  avec 
le  temps,  cette  teinte  yt^nVàive  on  patine,  qu'on  admire 
tant  dans  les  bronzes  antiques.  La  composition  chimique  de 
l'alliage  est  donc  un  objet  de  la  première  imjwrlance.  Les 


BRONZE  —  BROSSAED 


740 


fiires  K  cl  1er,  fondeurs  célèbres  du  temps  de  Louis  XIV,  di- 
rigeaient toute  leur  attention  sur  ce  point  :  des  statues  cou- 
lées par  eux  ont  été  trouvées  composés  de  cuivre,  91  à  91,6S  ; 
étain,  1  à  2,32;  zinc,  4,93  à  6,09,  et  plomb,  1,07  à  1,61  ; 
variations  tellement  faibles  que  l'on  ne  saurait  trop  admirer 
le  talent  des  fondeurs  qui  les  ont  exécutées. 

C'est  toujours  dans  des  fours  à  réverbère  que  l'on  fond  le 
bronze  ;  la  température  doit  être  assez  élevée  pour  le  faire 
Uquéfier  promptement ,  parce  que  s'il  reste  trop  longtemps 
exposé  à  l'air,  une  portion  considérable  du  zinc ,  de  l'étain 
et  du  plomb ,  s'oxyde ,  et  le  cuivre  se  fond  plus  difficile- 
ment, coule  mal,  et  ne  peut  prendre  tous  les  détails  du 
moule,  ce  qui  donne  lieu  à  des  inconvénients  immenses.  Le 
refroidissement  doit  être  aussi  prompt  que  possible  dans  les 
moules ,  afin  d'empêcher  que  les  métaux  ne  se  séparent  entre 
eux  dans  l'ordre  de  leur  densité.  Enfin ,  on  a  reconnu  qu'il 
était  avantageux  d'ajouter  au  bronze  une  petite  quantité  de 
fer,  pour  augmenter  sa  dureté  et  sa  ténacité. 

Les  marchands  donnent  le  nom  de  bronze  artistique  à 
une  composition  dans  laquelle  il  entre  peu  de  cuivre  et  qui 
est  fort  peu  propre  à  rendre  la  beauté  des  formes  plastiques. 

BKOMZES  (  Industrie  des  ).  Depuis  la  Renaissance 
jusqu'à  la  fin  du  règne  de  Louis  XV  le  bronze,  employé 
seulement  à  de  grands  travaux  d'art,  n'était  pas  encore 
du  domaine  de  l'industrie.  Mais,  à  l'époque -de  la  faveur  de 
madame  Dubarry,  Goutherie  inventa  la  dorure  au  mat.  Le 
bronze,  devenu  objet  de  luxe  et  d'ameublement,  prit  dès 
lors  une  place  importante  dans  la  fabrication  parisienne.  Ce- 
pendant, il  y  a  quarante  ans  Paris  comptait  au  plus  six  fa- 
briques de  premier  ordre.  Mais  le  luxe  en  pénétrant  dans 
les  classes  moyennes  a  popularisé  les  bronzes  et  fait  surgir 
en  peu  d'années  un  grand  nombre  d'établissements  dont  le 
but  est  de  satisfaire  à  ces  nouveaux  besoins. 

L'industrie  des  bronzes  est  aujourd'hui  au  premier  rang 
des  grandes  industries  de  luxe.  Elle  produit  des  pendules, 
des  candélabres,  des  lustres,  des  pièces  de  surtout,  des  gar- 
de-feu, des  statuettes,  des  garnitures  de  meubles,  etc.,  etc. 
On  estime  que  l'atelier  de  bronzes  de  Paris,  sans  rival  et  à 
proprement  dire  sans  concurrent  dans  le  monde,  fabrique, 
année  commune,  pour  environ  25  millions  de  produits,  dans 
lesquels  la  matière  première  entre  pour  un  tiers  de  la  valeur; 
le  surplus  est  le  prix  de  l'invention  et  le  salaire  de  six  mille 
ouvriers  distingués,  sculpteurs,  fondeurs,  ciseleurs  et 
monteurs,  doreurs  et  metteurs  au  vert.  L'exportation  monte 
à  peu  près  aux  deux  tiers  de  la  production. 

BROXZIIVO  (  A.NCI0LO  ),  peintre,  graveur  et  poète,  né  à 
riorence,  vers  1502,  mort  dans  la  même  ville,  en  novembre 
]  572,  se  distingua  surtout  dans  la  peinture.  Élève  du  Pon- 
tormo,  qu'il  aida  dans  un  grand  nombre  d'ouvrages,  il  ter- 
mina ceux  de  la  chapelle  de  San-Lorenzo,  à  Florence,  que 
la  mort  de  son  maître  laissait  inachevée.  Quoique  Bronzino 
ait  cherché  surtout  à  imiter  le  style  de  Michel-Ange,  on  re- 
jtroche  à  ses  tableaux  d'histoire  une  manière  froide  et  étu- 
diée. Il  réussissait  mieux  dans  le  portrait,  et  il  en  existe  de 
lui  qui  sont  de  véritables  chefs-d'œuvre;  tel  est,  dans  la 
galerie  électorale  de  Dresde,  celui  de  la  duchesse  Éléo- 
nore,  femme  de  Cosme  l"  de  Médicis. 

Les  principales  toiles  de  ce  maître,  dont  s'enorgueillit  l'É- 
role  florenthie,  sont  à  Pise  et  à  Florence.  Dans  cette  der- 
nière ville,  on  remarque  surtout  unC/irist  dans  les  Limbes. 
Le  musée  du  Louvre  n'a  qu'un  tableau  de  cet  artiste,  le 
Christ  apparaissant  à  la  Madeleine,  tableau  longtemps 
attribué  par  erreur  à  Alessandro  Allori,  qui,  élève  et  ne- 
veu de  Rronzino,  se  fit  appeler  du  nom  de  son  maître. 

BROOKE  (Henhv),  poète  anglais,  né  en  Irlande, 
en  1/06.  Il  suivit  quelque  temps  malgré  lui  la  profession 
d'avocat  consultant;  mais  son  goût  dominant  était  pour  la 
poésie  et  la  littérature.  Ce  goilt,  fortifié  par  la  société  de 
Pope  et  de  Swift,  se  manifesta  par  un  poëme  philosophique 
sur  la  Beauté  universelle;  sa  tragédie  de  Gustave  Wasa, 


jouée  à  Dublin ,  pièce  remarquable  par  les  sentiments  de 
liberté  dont  elle  est  remplie ,  produisit  un  tel  efiet  que  le 
parlement  crut  en  devoir  défendre  la  représentation;  ce 
qui  augmenta  tellement  l'enthousiasme  que  lorsqu'en  1739 
la  pièce  tut  publiée  par  souscription ,  elle  rapporta  à  l'auteur 
beaucoup  plus  que  n'aurait  pu  le  faire  un  long  succès  au 
théâtre.  Il  est  aussi  l'auteur  de  plusieurs  romans,  parmi 
lesquels  nous  citerons  Le  Fou  de  qualité,  ouvrage  ingé- 
nieux, d'un  ton  original  et  un  peu  bizarre,  et  qui  obtint  un 
grand  succès.  Juliette  Grenvi^/e,  composée  dans  les  der- 
nières années  de  sa  vie,  indique  le  déclin  de  ses  facultés. 
Il  mourut  en  1783. 

BROOKE  (  Françoise  MOORE,  mistress),  morte  en  1789, 
a  composé  plusieurs  romans,  entres  autre  X Histoire  de  Ju- 
lie Mandeville  dans  le  genre  de  Richardson;  V Histoire 
d'Emilie  Montague,  des  poésies  pastorales,  et  une  tragédie. 
Rosine,  drame  en  musique,  est  demeurée  en  Angleterre  son 
ouvrage  le  plus  goûté. 

BROOKE  (James),  Anglais  célèbre  par  la  position  qu'il 
a  su  se  faire  à  Bornéo,  est  né  à  Londres,  en  1803.  Il  en- 
tra de  bonne  heure  au  service  de  la  compagnie  des  Indes 
orientales,  se  signala  dans  la  guerre  contre  les  Birmans,  et 
fut  nommé  capitaine.  En  1830,  dans  un  voyage  qu'il  fit  en 
Chine,  il  visita  plusieurs  îles  de  l'archipel  Indien,  et  ne  tarda 
pas  à  reconnaître  que  c'était  un  théâtre  sur  lequel  on  pou- 
vait acquérir  un  nom  immortel.  Sans  se  laisser  rebuter  par 
les  difficultés  qu'il  rencontra,  il  partit  d'Angleterre,  en  1837, 
et  débarqua  à  Singhapuen,  qu'il  avait  choisi  pour  son  centre 
d'opération.  Il  se  mit  en  relation  avec  des  marchands  de 
tous  genres,  et  fit  voile,  en  1838,  pour  Sarawak,  province 
du  royaume  de  Bornéo,  depuis  longtemps  déchirée  par  la 
guerre  civile.  Le  radja  Mouda-Hassim  ayant  réclamé  son  se- 
cours contre  les  rebelles,  il  consentit  à  le  seconder  à  con- 
dition qu'il  lui  abandonnerait  l'administration  du  pays.  Un 
traité  fut  signé  le  24  septembre  x846.  Brooke  sut  si  bien 
profiter  de  sa  position,  qu'en  peu  d'années  il  devint  le  maître 
du  pays,  et  qu'il  força  le  sultan  de  Bornéo  à  lui  en  accor- 
der l'investiture.  Dès  lors  il  prit  le  titre  de  radja  de  Sara- 
wak, et  il  donna  à  sa  principauté  une  constitution  qui  pro- 
clame l'égalité  de  tous  devant  la  loi ,  punit  de  mort  la  pira- 
terie, et  déclare  libres  le  commerce  et  l'industrie.  Le  sultan,^ 
ayant  essayé  de  se  débarrasser  de  cet  étranger  impérieux , 
fut  traité  comme  un  traître  sans  foi,  en  1846,  et  lorcé  de 
céder  l'île  de  Labouan  aux  Anglais. 

Brooke  cependant  nagit  qu'en  son  nom  ;  il  ne  reçut  aucun 
secours  du  gouvernement  britannique.  Dans  un  voyage  qu'il 
fit  en  Angleterre,  il  fut  reçu  avec  les  plus  grands  honneurs, 
et  nommé  gouverneur  de  Labouan ,  commissaire  et  consul 
général  auprès  du  sultan  et  de  tous  les  princes  indépendants 
de  Bornéo.  Depuis  son  retour  dans  l'archipel  Indien,  en  1847, 
il  n'a  pas  cessé  de  travailler  à  étendre  la  domination  an- 
glaise dans  ces  contrées.  En  1850  il  fut  envoyé  à  Siam; 
mais  sa  mission,  qui  avait  pour  but  d'obtenir  de  nouveaux 
avantages  au  commerce  anglais,  ne  réussit  pas.  En  1851 
il  résolut  de  faire  un  nouveau  voyage  en  Europe,  vraisembla- 
blement pour  s'entendre  avec  le  gouvernement  anglais  sur 
l'exécution  des  plans  qu'il  a  conçus  relativement  à  l'Indo- 
Chine  et  à  l'archipel  Indien.  Consultez  Keppel,  L'Expédi- 
tion de  Bornéo  pour  la  suppression  de  la  piraterie,  Avecùe& 
extraits  du  Journal  de  J.  Brooke  (2  vol.,  Londres,  1847). 

BROSSARD  (SÉBASTIEN  de),  maître  de  musique  de 
l'église  cathédrale  de  Strasbourg,  et,  en  dernier  lieu  grand 
chapelain,  maître  de  musique  et  chanoine  de  l'église  cathé- 
drale de  Mcaux,  né  en  1G60,  et  mort  en  1730,  est  le  premier 
auteur  français  qui  ait  publié  un  Dictionnaire  de  Musique. 
Cet  ouvrage,  incomplet  aujourd'hui,  était  néanmoins  très- 
remarquable  pour  l'époque  où  il  fut  composé ,  et  ren- 
dit à  l'art  des  services  réels.  J.-J.  Rousseau  ,  qui  n'était  ni 
aussi  savant  musicien  ni  aussi  érudit  dans  l'histoire  de  la 
musique  que  Brossanl,  a  constamment  attaqué  ce  dernier. 


750 


BROSSARD  —  BROSSES 


sans  avouer  les  emprunts  qu'il  lui  avait  faits.  Il  lui  reproche 
surtout  d'avoir  donné  un  vocabulaire  italien  au  lieu  d'un 
dictionnaire  français,  mais  c'était  positivement  le  but  de  Bros- 
sard,  et  c'est  en  cela  même  que  son  ouvrage  fut  utile,  puis- 
qu'il expliquait  la  nomenclature  des  termes  latins,  grecs  et 
italiens  qui  étaient  alors  d'un  fréquent  usage  dans  la  musique. 
Il  existe  plusieurs  éditions  du  dictionnaire  de  Brossard  ;  la 
première  est  de  1703,  in-fol.  Il  a  laissé  en  manuscrits  de 
nombreux  matériaux  pour  un  dictionnaire  historique  de  la 
musique  et  des  musiciens,  qu'il  se  proposait  de  mettre  au 
jour.  Sa  Lettre,  en  forme  de  dissertation ,  à  M.  Demoz,  sur 
sa  nouvelle  méthode  d'écrire  le  plain-chant  et  la  musique, 
parut  en  1729.  Il  a  aussi  composé  des  messes,  des  motets, 
des  cantates  et  le  Prodromus  musicalis,  imprimé  en  1695, 
in-(ol.  Brossard  fit  hommage  à  Louis  XIV  de  tous  ses  tra- 
vaux et  de  sa  belle  bibliothèque  musicale  ;  cette  magnifique 
collection  fut  placée  à  la  Bibliothèque  Nationale  ;  elle  se 
compose  d'un  grand  nombre  de  pièces ,  parmi  lesquelles  il 
en  est  de  très -rares,  et  qui  sont  d'un  prix  infini  pour  l'his- 
U)ire  de  la  musique.  F.  Danjou. 

BROSSARD  (  Amédée-Hippolyte,  marquis  de  ),  né  le 
8  mars  1784  à  FoIICny  (Seine-Inférieure),  s'enrôla  d'abord, 
en  1795,  parmi  les  Vendéens,  et  passa  l'année  suivante  a 
l'armée  de  Condé.  Rentré  en  France  en  1806,  il  s'engagea 
dans  les  gendarmes  d'ordonnance,  après  avoir  servi  en  Por- 
tugal comme  garde  de  la  marine.  Au  bout  de  deux  ans  il 
était  lieutenant  dans  un  régiment  de  chasseurs  à  cheval.  11  fit 
toutes  les  campagnes  de  la  grande  armée,  et  devint  sous  la 
Restauration  lieutenant-colonel  au  corps  d'état-major.  C'est 
en  qualité  de  chef  d'état-major  de  la  première  division  qu'il 
fut  attaché,  en  1830,  à  l'armée  expéditionnaire  d'Afrique. 
Maréchal  de  camp  en  1833,  on  lui  confia  le  commondemcnt 
militaire  du  département  de  la  Drôme,  d'où  il  fut  envoyé  à 
Oran  en  1837,  pour  y  remplacer  le  général  de  L'Etang,  rappelé 
en  France.  C'est  lui  qui  fit  construire  le  camp  de  laChilîa, 
établir  la  redoute  d'Oued-Laleg  { rivières  des  Sangsues  ) ,  et 
occuper  Misserghin.  Il  bloqua  la  ville  de  Blidah  pendant 
l)lusieurs  jours,  et  refoula  vigoureusement  dans  leurs  mon- 
tagnes les  Béni-Salah,  dont  les  agressions  incessantes  com- 
I)romettaient  la  tranquillité  de  cette  petite  cité.  Il  donna  sou- 
vent des  preuves  de  valeur  et  de  capacité.  Une  accusation 
de  concussion,  de  corruption  de  fonctionnaires  publics,  d'ex- 
citation à  la  haine  et  au  mépris  du  gouvernement  qui  le  força 
de  comparaître  devant  le  conseil  de  guerre  de  Perpignan,  vint 
suspendre  tout  à  coup  le  cours  de  sa  carrière  militaire. 
L'arrêt  d'acquittement  qui  le  renvoya  absous  ne  parut  pas 
justifier  son  caractère  aux  yeux  du  ministre,  qui  en  1839 
l'admit  à  faire  valoir  ses  droits  à  la  retraite. 

BROSSE,  BROSSERIE.  Tout  le  monde  connaît  l'ins- 
trument dont  on  se  sert  pour  nettoyer  les  habits,  les  souliers, 
les  voitures,  etc.  Les  brosses  se  font  en  soies  de  porc  ou  de 
sanglier,  en  crins  de  cheval,  en  brins  de  bruyère,  en  racines 
de  riz,  etc.,  que  l'on  fixede  deux  manières  sur  le/«î<  ou  pa</?e 
de  la  brosse,  suivant  que  celle-ci  est  percée  de  trous  à 
joîir  ou  de  trous  foncés.  Pour  faire  une  patte  de  brosse  on 
prend  une  planchette  de  bois  dur,  débitée  à  la  scie.  Souvent 
la  patte  est  courbée  en  arc  de  cercle  ;  celles  qui  sont  des- 
tinées à  faire  des  brosses  communes  sont  toutes  droites.  Les 
trous  des  pattes  se  percent  avec  une  mèche  de  vilbrequin 
montées  sur  l'arbre  d'un  tour-en-l'air,  que  l'on  fait  mou- 
voir avec  le  pied  ;  pour  que  les  trous  soient  aussi  bien  espacés 
entre  eux  que  possible,  on  fixe  sur  le  fût  un  calibre  de  tôle 
de  même  grandeur  :  ce  calibre  est  percé  d'autant  de  trous 
que  le  fût  peut  en  comporter.  Au  moyen  de  cette  précaution, 
on  perce  vite,  avec  régularité,  sans  tillonnement.  Si  les  trous 
ne  doivent  pas  être  percés  d'outre  en  outre,  on  fixe  une 
virole  sur  la  mèche,  qui  l'empêche  <ravancer  au  delà  d'une 
certaine  limite,  de  façon  que  tous  les  trous  ont  la  même 
profondeur. 

Comme  nous  l'avcns  déjà  dit,  il  y  a  deux  manières  de  fixer 


les  poils,  les  crins,  etc.,  sur  la  patte  :  quand  les  trous  de 
celle-ci  sont  à  jour,  on  prend  un  pinceau  de  poils,  on  le 
courbe  en  U,  on  le  saisit  avec  une  ficelle  que  l'on  introduit 
double  dans  un  trou  par  le  dos  de  la  patte  ;  on  tire  cette 
ficelle  avec  force,  et  l'on  oblige  ainsi  le  pinceau  à  entrer 
dans  les  trous ,  qu'il  doit  remplir  exactement  ;  quelquefois 
la  ficelle  est  remplacée  par  un  fil  de  laiton.  L'inspection 
d'une  brosse  môme  grossière  fera  concevoir  tout  de  suite  la 
manière  dont  les  pinceaux  de  poil  et  la  ficelle  sont  enlacés 
entre  eux.  Lorsque  les  trous  du  fût  sont  foncés,  on  lie  d'a- 
bord les  pinceaux  avec  un  bout  de  cordon  ,  et ,  après  les 
avoir  trempés  dans  de  la  poix  ou  de  la  colle  forte  bouil- 
lante, on  les  introduit  avec  force  dans  les  trous.  Lorsque  les 
pinceaux  sont  fixés,  soit  d'une  manière  soit  d'une  autre,  on 
les  égalise  avec  de  gros  ciseaux. 

La  grosse  brosserie  se  fait  en  province  ;  les  brosses  fines 
se  font  dans  les  grandes  villes  :  leurs  pattes  sont  faites  de 
bois  choisis,  travaillés  et  polis  avec  soin,  et  leur  dos  est 
couvert  d'une  feuille  de  bois  pour  cacher  les  points  de  la 
ficelle  ou  du  fil  de  laiton. 

Les  peintres  appellent  brosses  de  gros  pinceaux  qui  se 
font  en  serrant  fortement,  avec  un  fil  de  fer  ou  une  corde- 
lette des  bottes  de  crins  au  bout  d'un  manche  en  bois.  On 
coupe  ensuite  de  niveau  les  crins  aux  deux  bouts,  et,  pour 
assurer  la  solidité  de  la  brosse,  on  enduit  le  haut  des  crins 
d'un  mélange  de  cire  et  de  résine.  TEvsstDRE. 

BROSSE  (  Jacques  de  ).  Voyez  Debuosse, 

BROSSE  (  Pierre  et  Guy  de  la  ).  Voyez  Labrosse. 

BROSSES  (Zoologie).  On  nomme  ainsi  des  amas  ou 
faisceaux  peu  étendus  de  poils  roides  ou  soies  coiules,  insé- 
rées perpendiculairement  à  la  peau.  Quelques  espèces  de 
cerfs  et  d'antilopes  sont  pourvues  de  brosses  à  la  partie 
externe  et  supérieure  du  métatarse.  Plusieurs  rongeurs, 
et  surtout  la  marmotte ,  portent  un  petit  pinceau  de  poils 
longs  ou  soies  sur  im  tubercule  situé  sur  la  surface  posté- 
rieureetinterne  de  l'avant-bras.  On  observe  aussi  des  brosses 
sur  le  corps  de  quelques  chenilles,  à  l'extrémité  de  l'ab- 
domen de  certaines  larves,  et  sous  les  tarses  de  la  plupart 
des  diptères.  Le  premier  article  du  tarse  des  pattes  posté- 
rieures des  abeilles  est  garni  en  dedans  de  plusieurs  rangées 
de  poils,  dirigées  en  travers,  qui  forment  une  brosse. 

Les  brosses  doivent  être  distinguées  ea  persistantes  et  en 
temporaires.  Les  premières  sont  employées  à  divers  usages , 
qui  ne  sont  point  encore  suffisamment  déterminés.  On  sait 
seulement  que  les  diptères  (mouches,  etc.)  peuvent  à  l'aide 
des  brosses  de  leurs  pattes  marcher  sur  les  corps  les  plus 
polis ,  et  que  les  abeilles  ouvrières  s'en  servent  pour  balayer 
et  recueillir  le  pollen  qui  s'est  attaché  aux  poils  du  corps. 
Les  brosses  temporaires  ne  sont  que  des  amas  de  poils , 
dont  certaines  chenilles  se  servent,  après  les  avoir  détachés 
de  leur  peau ,  pour  en  construire  leur  cocon  à  l'aide  d'une 
très-petite  quantité  de  matière  soyeuse  qu'elles  filent  pour 
les  agglutiner.  L.  Laurent. 

BROSSES  (Cn ARLES  de), premier  présidentau  parlement 
de  Bourgogne,  naqiut  à  Dijon,  le  1"  février  1709.  Par  son 
père,  conseiller  en  cour  souveraine,  il  appartenait  à  une  an- 
cienne famille  originaire  de  Savoie,  qui  avait  servi  avec 
honneur  dans  les  rangs  français  lors  des  guerres  de  Louis  XII 
en  Italie.  Charles  de  Brosses  prit  ses  degrés  à  l'univer- 
sité de  Dijon.  Reçu  conseiller  au  parlement  en  1730,  prési- 
dent, avec  dispense  d'âge,  en  1741 ,  puis  nommé  premier 
président  quand  on  rétablit  les  parlements,  après  la  crise 
Maupeou,  il  était  zélé  parlementaire,  et  avait  subi  un  exil 
de  six  mois  en  1744,  pour  avoir  opiné  contre  M.  de  Ta- 
vannes,  commandant  pour  le  roi  en  Bourgogne,  à  l'occasion 
d'une  dispute  de  préséance  entre  ce  grand  seigneur  et  le 
parlement.  Il  rédigea  souvent  les  remontrances  de  sa  com- 
pagnie, et  refusa,  en  1771,  de  figurer  dans  le  parlement 
de  la  création  Maupeou. 

Le  président  de  Brosses  se  recommande  surtout  par  les 


I 


BROSSES  — 

services  qu'il  a  rendus  aux  lettres.  Sa  prédilection  pour  Sal- 
luste  lui  fit  concevoir  de  bonne  heure  le  projet  de  recomposer 
V Histoire  de  la  République  romaine,  ouvrage  perdu  de 
ce  grand  écrivain.  11  entreprit  cette  œuvre  de  patience,  en 
rapprochant  les  fragments  épars  dans  les  grammairiens 
de  l'antiquité,  cl  en  les  classant  à  peu  près  comme  Cuvier 
recomposait  un  éléphant  fossile  à  la  vue  de  quelques  débris 
d'ossements  antédiluviens.  Dès  qu'il  fut  ébauché ,  ce  travail 
parut  si  remarquable  à  l'Académie  des  Inscriptions,  qu'elle 
s'associa  de  Brosses  comme  membre  honoraire.  Quelques  an- 
nées auparavant,  en  1729,  l'espoir  de  découvrir  des  manus- 
crits précieux  pour  son  œuvre  lui  avait  fait  entreprendre  le 
voyage  d'Italie,  qu'il  exécuta  de  concert  avec  Sainte- Palaye, 
son  intime  ami.  11  parcourut  pendant  une  année  entière 
toute  cette  contrée ,  à  l'exception  de  la  Sicile.  De  retour  en 
France ,  il  recueillit  et  fit  transcrire  les  lettres  qu'il  avait  adres- 
sées à  ses  amis  durant  ce  voyage.  Une  copie  de  ces  lettres, 
qu'il  n'avait  pas  destinées  à  l'impression,  tomba  entre  les 
mains  d'un  sieur  Seryès,  commis  à  la  garde  des  papiers  saisis 
dans  les  bibliothèques  d'émigrés.  On  peut  supposer  que  le 
gardien  spécula  sur  le  dépôt,  car  il  le  fit  imprimer  en  l'an 
VII  (3  vol.  in-8°).  Cette  édition,  désavouée  par  la  famille  de 
l'auteur ,  renferme  une  foule  de  fautes  grossières.  Tellequ'elle 
est,  toutefois,  elle  donne  ridi'e  de  la  verve  d'esprit  et  d'en- 
jouement dont  de  Grosses  était  doué ,  de  ses  connaissances 
rares  et  variées  et  de  la  justesse  de  ses  observations. 

De  Brosses  est  le  premier  qui  ait  fait  connaître  en  France 
les  fouilles  d'Herculauum,  par  une  dissertation  lue  à  l'Aca- 
démie des  Inscriptions  en  1748,  imprimée  en  1750,  sous  le 
titre  de  Lettres  sur  Ilereulée  {in-12).  L'année  1756  vit  pa- 
raître un  ouvrage  plushiiportant  encore,  YHistoirc  des  Na- 
vigations aux  terres  australes  (2  vol.  in-4°).  Ce  grand  tra- 
vail fut  suivi  d'r.ne  dissertation  d'un  genre  bien  différent  : 
Bu  culte  des  dieux  fétiches  (  17C0,  in-12),  qui  a  été  réim- 
primée AaL\i?>V Encijclopédie  Méthodique,  et  à  laquelle  Benja- 
min Constant  a  fait  de  fréquents  emprunts  dans  son  ouvrage 
sur  ta  Religion.  Il  y  a  de  l'érudition  dans  cet  opuscule;  mais 
la  science  contemporaine  n'en  a  point  confirmé  les  conclu- 
sions ,  qui  tendent  à  faire  considérer  le  polythéisme  antique 
comme  un  matérialisme  absolu.  En  17C5,  de  Brosses  publia 
son  Traité  de  la  Formation  mécanique  des  Langues 
(2  vol.  in-12).  Knfin,  en  1777,  parut  à  Dijon  \ Histoire 
du  septième  siècle  de  la  république  romaine  (3  volumes 
in-4"),  chef-d'œuvre  des  presses  de  Frantin  père,  sur  laquelle 
de  Brosses  comptait  pour  lorcer  les  portes  de  l'Académie 
Française,  que  Voltaire  lui  barrait  avec  un  acharnement  peu 
honorable. 

La  brouilleriedu  président  de  Brosses  avec  Xa  philosophe 
de  Ferneij  est  un  des  faits  les  moins  bien  connus  de  l'his- 
toire anecdotique  du  dix-huitième  siècle.  Une  correspon- 
dance assez  longue  avait  eu  lieu  entre  les  deux  écrivains.  Si 
nous  sommes  bien  informé,  il  résulte  de  cette  correspondance, 
où  l'esprit  étincelle  de  part  et  d'autre ,  que  les  torts  n'étaient 
pas  réciproques ,  et  qu'ils  ne  peuvent  être  imputés  qu'à 
Voltaire,  dont  les  héritiers  ont  payé  40,000  fr.  à  la  famille 
de  Brosses,  à  titre  de  dommages-intérêts,  pour  éviter  une 
instance  juridique.  11  s'agissait  de  la  terre  de  Tournai,  au 
pays  de  Gex,  que  Voltaire  avait  achetée  à  vie  du  président 
de  Brosses ,  et  (iont  le  poète  ne  jouissait  pas  précisément  en 
bon  père  de  famille. 

Indépendamment  des  œuvres  dont  nous  avons  parlé,  de 
Brosses  avait  composé  un  fort  grand  nombre  de  mémoires 
et  de  dissertations  sur  plusieurs  objets  d'art  et  sur  différents 
points  de  l'histoire  ancienne.  Ils  ont  été  presque  tous  insérés 
dans  les  Mémoires  de  VAcad.  des  Inscriptions.  Le  président 
de  Brosses  mourut  le  7  mai  1777.  Dldaisd. 

"IJKOSSETTE  ( Claude),  né  à  Lyon,  en  1671 ,  et  mort 
en  1743,  était  seigneur  de  Varenncs-Rappetour ,  avocat, 
avocat  général,  administrateur  de  l'hôpital  de  Lyon,  fon- 
dateur et  secrétaire  de  r.\cadémie  de  Lyon  ,  bibliolliccaire 


EROSSETTE  75, 

de  Lyon,  échevin  de  Lyon  ;  mais  tous  ces  titres  n'auraient 
pas  sauvé  son  uoin  de  l'oubli  s'il  ne  l'avait  associé  par  un 
commentaire  à  la  renommée  impérissable  deBoileau.  Bros- 
sette  est  le  type  du  commentateur  servile ,  enthousiaste  et 
minutieux.  Tout  lui  est  bon  pour  grossir  son  commentaire. 
Ce  qui  frappe  surtout  en  lui,  c'est  l'assurance  impertur- 
bable ,  c'est  la  bonhomie  de  conviction  avec  laquelle  il  res- 
sasse les  anecdotes  les  plus  niaises,  les  observations  les 
plus  puériles.  Il  est  encore  curieux  de  remarquer  son  exac- 
titude à  relever  et  à  mettre  en  relief  les  passages  que  Des- 
préaux a  imités  des  anciens.  Drossette  est  là ,  son  Perse , 
son  Juvénal  et  son  Horace  à  la  main  ,  pour  défendre  pied  à 
pied,  même  dans  ses  i)artics  les  plus  médiocres,  l'ouvrage 
d'un  homme  qu'il  proclame  infaillible.  Dans  Boileau  il  n'est 
rien  qu'il  ne  cherche  à  louer  ;  chaque  page  et  chaque  vers , 
chaque  pensée ,  chaque  hémistiche,  chaque  expression  a  sa 
dose  égale  d'éloges  et  d'encens. 

Mais  laissons  là  ce  commentaire  ,  oii  se  trouvent,  au  sur- 
plus, quelques  anecdotes  intéressantes  au  milieu  de  tant  de 
fatras.  Montrons  Brossette  dans  ses  rapports  personnels  avec 
Boileau.  Le  siècle  de  Louis  XIV  était  révolu.  Despréaux, 
après  avoir,  en  1G99 ,  recueilli  les  derniers  soupirs  de  Ra- 
cine, ne  paraissait  plus  à  la  cour;  il  avait  perdu  le  talent 
de  louer,  il  ne  le  regrettait  pas  :  qu'en  eût-il  fait  durant  les 
dernières  années  du  grand  roi?  Célèbre  en  Europe,  admiré 
en  France,  mais  consumé  d'infirmités  et  d'ennuis,  survivant 
à  tous  ses  amis ,  il  s'apercevait  à  peine  de  son  influence  et 
de  sa  gloire.  L'iionmie  qui  s'intéressait  le  plus  à  lui  dans 
ces  tristes  temps ,  c'était  Brossette  ;  mais  Brossette  demeu- 
rait à  cent  lieues  de  Paris,  et  il  y  avait  bien  d'autres  dis- 
tances entre  ces  deux  hommes.  Aussi  leur  correspondance 
n'est-elle  pas  celle  de  la  véritable  amitié  ;  le  ton  de  Boileau 
est  celui  d'un  maître  ordinairement  bon ,  quelquefois  cha- 
grin, et  Brossette,  trop  peu  fait  pour  être  son  disciple, 
n'est  qu'un  éditeur  futur,  qui  \\Àprcnd  avec  respect  la  me- 
sure à'an  commentaire.  En  lisant  leur  correspondance,  on 
y  voit ,  moins  que  cela  encore ,  un  valet  de  chambre  béné-» 
vole ,  qui  importune  son  maître  des  plus  humbles  prévenan- 
ces ,  qui  s'immisce  officieusement  dans  ses  moindres  af- 
faires, qui,  sans  en  être  requis,  exécute  ses  commissions, 
qui  va  même  jusqu'à  se  faire  le  camarade  d'un  valet  que 
Boileau  a  chassé  pour  surprendre  les  secrets  de  leur  com- 
mun patron.  Bien  de  plus  ennuyeux  à  liie  que  les  lettres  de 
'Brossette  à  Boileau  ,  si  ce  n'est  peut-être  les  lettres  de  Boi- 
leau à  Brossette.  Despréaux ,  qui  est  parfois  attachant  dans 
quelques-unes  de  ses  lettres  à  Racine,  demeure  constam- 
ment au-dessous  de  lui-même  dans  ses  missives  à  son  com- 
mentateur futur.  On  n'y  trouve  qu'une  répétition  ennuyeuse 
d'excuses  de  sa  part,  sur  sa  négligence  ou  sa  lenteur  à  ré- 
pondre à  son  correspondant,  dont  l'indulgence  intéressée 
est  inépuisable.  Dans  toutes  les  lettres  de  Boileau ,  qui  sont 
au  nombre  de  soixante  et  une ,  il  en  est  à  peine  quatre  ou 
cinq  qui  soient  d'un  intérêt  réel  pour  l'histoire  littéraire, 
celle  entre  autres  où,  d'un  ton  aigre-doux,  Boileau  juge  le 
Télémaque ,  et  établit  un  parallèle  entre  son  auteur  et  le 
romancier  grec  Héliodore ,  qui  était  évoque  comme  Féne- 
lon.  Du  reste,  Brossette,  qui  dans  sa  correspondance  s'ap- 
pesantit sur  les  virgules  de  Boileau,  mérita  de  sa  bouche  cet 
éloge  qui  dut  le  combler  :  «  Vous  saurez  bientôt  mieux  que 
moi-môme  votre  Boileau.  » 

Brossette  a  fait,  en  outre,  un  commentaire  des  œuvres  de 
Mathurin  Régnier.  C'est  encore  une  œuvre  de  minuties. 
Cependant  on  y  trouve  sur  la  vie,  la  mort  et  la  fortune  de 
Régnier,  des  documents  particuliers,  puisés  dans  des  pa- 
piers de  famille,  et  qui  ne  sont  pas  sans  intérêt.  Brossette 
avait  fait  aussi  un  commentaire  de  Molière,  qui  n'a  jamais 
été  impiimé,  et  qu'on  croit  [leidu.  Courtisan  empressé  de 
tous  les  gens  de  lettres,  il  fut  en  correspondance  avec  J.-B. 
Rousseau  et  même  avec  Voltaire,  alors  ennemi  acharné  de 
Rousseau  le  poote ,  comme  il  le  fut  plus  tard  de  Rousseau 


752 


BROSSETTE  —  BROUCKÈRE 


le  philosophe.  Voltaire,  qui  possédait  si  bien  la  recette  du 
compliment  goguenard  ,  écrivait  à  Brossette  :  ■<  Vous  res- 
semblez à  Pomponius  Atticus ,  courtisé  à  la  fois  par  César 
et  par  Pompée.  »  Il  y  aurait  eu  là  de  quoi  faire  tourner  la 
tête  au  commentateur  de  Despréaux,  si  en  cette  occasion 
Voltaire ,  sans  doute  sans  le  savoir,  n'avait  été  le  plagiaire 
<le  Boileau,  qui  à  propos  de  fromages  à  lui  envoyés  par 
Brossette  lui  écrivait  :  «  En  comblant  ainsi  de  vos  dons 
l'auteur  que  vous  avez  entrepris  de  commenter,  vous  ne 
jouez  pas  simplement  le  personnage  de  Servius  et  d'Asco- 
nius  Pédianus,  mais  de  ISIécénasetdu  cardinal  de  Riche- 
lieu. »  La  première  édition  du  Boileau  de  Brossette  (  2  vol. 
in-4°)  est  de  1716.  11  tenait  chez  lui  une  assemblée  de  lit- 
térateurs et  de  savants,  qui  fut  érigée  en  Académie  de  Lyon 
en  1700,  et  dont  il  se  fit  nommer  secrétaire  perpétuel.  Sa 
femme  étant  morte,  il  imagina  de  faire  détacher  de  son  cer- 
veau la  glande  pinéale,qne  quelques  anciens  regardaient 
comme  le  siège  de  l'âme,  et  il  la  porta  constamment  enchâs- 
sée dans  une  bague.  11  avait  continué  VÉloge  historique  de 
la  ville  de  Lyon,  du  père  Ménestrier,  de  1669  à  1711,  et 
s'était  approprié  le  tout  sans  façon.    Charles  Du  Rozoir. 

BROU.  C'est  le  nom  vulgaire  que  porte  le  mésocarpe 
qui  entoure  la  noix  proprement  dite  et  quelques  autres 
fruits  analogues.  Le  brou  de  la  noix  est  d'un  vert  foncé , 
teint  les  doigts,  et  s'ouvre  plus  ou  moins  régulièrement  en 
quatre  parties  quand  le  fruit  est  mrtr.  Celui  de  l'amande  est 
couvert  d'un  duvet  blanchâtre,  et  sa  couleur  est  d'un  vert 
clair;  il  s'ouvre  en  deux  parties.  Celui  de  la  noisette  laisse 
percer  le  fruit,  et  alors  son  sommet  est  découpé  en  manière 
de  frange.  Ou  pourrait  compter  au  rang  des  brous  celui  du 
marronnier  d'Inde  et  du  marronnier  châtaignier,  si  l'on  n'était 
pas  convenu  de  l'appeler  hérisson,  à  cause  de  la  ressemblance 
de  ses  piquants  avec  ceux  du  hérisson.  Le  goût  des  brous 
varie  suivant  les  espèces  de  fruits  :  celui  de  la  noix  est  très- 
amer  et  astringent,  celui  de  l'amande  est  acide  et  âpre,  celui 
de  la  noisette  tst  très-acide  et  piquant.  Le  brou  protège  le 
fruit  jusqu'à  la  maturité. 

Les  usages  (|ue  différents  arts  retirent  du  brou  des  noix 
ont  porté  les  chimistes  à  en  faire  l'analyse.  M.  Braconnot  en 
a  retiré  de  l'amidon  ,  une  substance  acre  et  amère  très-al- 
térable, de  l'acide  malique,  du  tannin,  de  l'acide  citrique, 
du  phosphate  de  chaux ,  de  l'oxalale  de  chaux  et  de  la 
potasse.  L'incinération  du  brou  a  donné  pour  produit  de  la 
potasse ,  de  la  chaux  et  de  l'oxyde  de  fer. 

Les  brous  de  noix  amoncelés  pendant  quelque  temps  per- 
dent leur  couleur  verte  et  acquièrent  une  couleur  brune.  Si 
dans  cet  état  on  les  fait  bouillir  dans  de  l'eau  assez  long- 
temps pour  les  réduire  en  pâte ,  on  aura  une  eau  qui  don- 
nera au  bois  de  chêne  ou  de  merisier  la  couleur  du  bois 
d'acajou.  On  peut  s'en  servir  pour  donner  aux  planchers  et 
aux  carreaux  de  brique  une  couleur  brune  qui  tient  bien. 
Les  teinturiers  emploient  aussi  le  brou  de  noix  dans  les  cou- 
leurs brunes  et  communes. 

Le  brou  de  noix  a  encore  la  propriété  de  faire  périr  les 
pucerons  et  autres  insectes  qui  dévorent  les  plantes,  lors- 
qu'on les  arrose  avec  de  l'eau  dans  laquelle  on  l'a  fait  macérer, 
sans  que  cet  arrosage  soit  en  rien  nuisible  à  ces  plantes. 

Enlin  on  en  fait  une  liqueur  connue  sous  le  nom  de  li- 
queur de  brou  de  noix  ou  simplement  brou  de  noix,  et 
que  l'on  assure  être  un  bon  stomachique.  Pour  obtenir  cette 
liqueur,  il  faut  prendre  quatre-vingts  noix  déjà  un  peu 
grosses,  mais  non  encore  formées,  les  piler,  et  les  faire 
infuser  pendant  assez  longtemps  dans  quatre  litres  d'eau-de- 
vie;  après  quoi  on  les  «'goutte  sur  un  tamis ,  au-dessus  d'un 
vase,  et  l'on  mêle  à  la  ll(iueur  qui  en  provient  la  valeur  d'un 
kilogrannnc  de  sucre,  puis  on  la  laisse  reposer  encore  quelque 
temps,  avant  de  la  liltrer  à  la  chausse  et  de  la  mettre  en 
bouteilles. 

BROU,  hameau  du  département  de  l'Ain,  à  quelques  ki- 
lomètres de  Bourg,  célèbre  par  son  église  gothique,  d'une 


belle  architecture,  ornée  de  vitraux  estimés,  et  qui  renferme 
des  mausolées  de  princes  de  la  maison  de  Savoie.  Cette 
église,  consacrée  à  Notre-Dame,  fut  construite  par  les  ordres 
de  Marguerite  d'Autriche,  fille  de  l'empereur  Maximi- 
lien  F'',  et  tante  de  Charles-Quint.  La  devise  Forhine,  in- 
fortune, fort  une,  adoptée  par  cette  princesse,  qui  eut  deux 
maris  et  si  mourut  pucelle ,  est  répétée  de  toutes  parts 
dans  l'église  de  Brou.  Commencée  en  1511,  cette  église  fut 
achevée  en  15-36.  Le  frontispice  est  couronné  par  trois  fron- 
tons; celui  du  milieu  est  le  plus  élevé.  Le  portail,  dont  l'arc 
est  surbaissé,  est  couvert  d'ornements  et  d'arabesques  remar- 
quables par  la  richesse  du  travail  et  la  perfection  des  dé- 
tails. L'intérieur  de  l'édilice  est  généralement  simple  ;  mais 
un  luxe  éblouissant  est  déployé  dans  le  chœur  :  une  pierre 
éclatante  de  blancheur,  le  marbre  de  Carrare,  des  ^itraux 
rehaussés  de  mille  couleurs  sur  lesquels  se  jouent  les  rayons 
du  soleil ,  tout  rappelle  dans  ce  sanctuaire  la  richesse  des 
temples  byzantins.  C'est  dans  cette  partie  de  l'église  que  se 
trouvent  les  mausolées  en  marbre  blanc  de  Marguerite  de 
Bourbon,  femme  de  Philippe  II,  prince  de  Savoie,  celui  de 
Marguerite  d'Autriche,  et  au  milieu  celui  de  Philibert  le  Beau, 
(ils  du  premier  et  mari  de  la  seconde.  Ces  monuments,  d'un 
style  admirable  et  d'une  belle  exécution,  sont  ainsi  que  l'é- 
glise l'œuvre  de  Colornban  ,  artiste  dijonnais,  dont  on  voit 
la  statue  en  marbre  non  loin  des  tombeaux.  On  remarque 
encore  à  Notre-Dame  de  Brou  les  boiseries  du  chœur,  le  jubé, 
une  cha[)elle  gothique  revêtue  en  marbre,  un  tabernacle 
d'autel  fait  d'une  espèce  d'albâtre,  le  tout  parfaitement 
sculpté.  En  avant  du  portail  il  existe  un  cadran  solaire  ellip- 
tique azimutal ,  situé  horizontalement  devant  la  porte  d'en- 
trée. Construit  au  seizième  siècle  et  restauré  par  Lalande, 
ce  cadran  présente  cela  de  curieux  que  c'est  la  personne  qui 
veut  savoir  l'heure  qui  sert  de  style  :  en  se  plaçant  sur  une 
lettre  qui  marque,  le  long  de  la  méridienne,  le  mois  où  l'on 
est,  on  voit  son  ombre  se  projeter  à  la  circonférence  sur  le 
chiffre  qui  doit  indiquer  l'heure. 

BUOU  ALLE  ,  genre  de  plantes  de  la  famille  des  scro- 
phularinées ,  renfermant  un  certain  nombre  d'espèces  indi- 
gènes de  l'Amérique  tropicale.  Les  principales  sont  :  1"  la 
broualle  élevée  ou  violette  bleue  (  browallia  elata,  L.  ) , 
dont  les  tiges,  de  la  hauteur  de  0™,  65,  sont  très-rameuses , 
les  feuilles  lancéolées,  et  les  fleurs  axillaires,  souvent  au 
nombre  de  trois,  d'un  beau  bleu  lilas,  et  à  tube  long  et 
jaune  doré;  1"  la  broualle  à  tige  tombante  {browallia  de- 
missa,  L.),  de  Panama,  dont  les  tiges,  de  la  hauteur  de 
0'",32  el  tombantes ,  à  feuilles  entières  et  ovales,  portent 
des  flems  estivales,  axillaires,  solitaires,  à  tube  cylin- 
drique et  limbe  à  cinq  divisions,  d'un  violet  bleuâtre,  taché 
en  jaune  à  la  base  de  la  division  supérieure.  Ces  deux  es- 
pèces demandent  une  terre  légère  et  substantielle,  ainsi 
qu'une  exposition  chaude ,  et  elles  se  multiplient  de  graine 
sur  couche  et  sous  châssis. 

BROUCKÈRE  (Chables  de), l'un  des  principaux  au- 
teurs de  la  révolution  belge,  né  à  Bruges,  en  1796,  descend 
d'une  famille  honorable  de  la  Flandre,  anoblie  par  le  roi  des 
Pays-Bas  Guillaume  ^^  Son  père  avait  occupé  des  fonctions 
importantes  de  magistrature  sous  la  domination  française. 
Au  commencement  du  règne  de  Guillaume  I"  il  fut  nommé 
gouverneur  de  Limbourg,  place  qu'il  conserva  jusqu'en  1S28; 
et  plus  tard  il  devint  membre  de  la  première  chambre  des 
états  généraux.  Élevé  à  l'École  Polytechnique  de  Paris, 
M.  Charles  de  Brouckère  annonça  de  bonne  heure  les  plus 
brillantes  dispositions,  mais  en  même  temps  aussi  un  ca- 
ractère impatient  de  toute  discipline.  En  1815  il  entra  en 
qualité  de  sous-lieutenant  dans  l'artillerie  des  Pays-Bas, 
et  cinq  ans  après  il  abandonnait  le  service  militaire  pour 
l'administration.  Élu  député  de  la  province  du  Limbourg 
à  la  seconde  chambre  des  états  généraux ,  il  y  prit  place 
parmi  les  plus  fermes  défenseurs  des  droits  du  peuple  j 
belge ,  et  se  signala  surtout  comme  membre  de  l'opposition 


BROUCKÈRE  —  BROUETTE 


dans  la  se;^iah  de  185S  par  ses  efforts  heureux  pour  faire 
annuler  deux  déciets  de  1815  restrictifs  de  la  liberté  de  la 
presse  et  de  la  liberté  individuelle.  La  même  amiée  il  se  pro- 
nonça pour  la  liberté  illimitée  de  l'enseignement,  vote  qui  le 
mit  fort  en  crédit  dans  la  coalition  formée  à  cette  époque 
entre  les  catholiques  et  les  libéraux,  et  qu'en  sa  qualité  de 
rédacteur  de  différents  journaux  influents  il  n'avait  pas  peu 
aidé  à  constituer.  On  remarqua  toutelois  vers  1830  qu'il 
se  rapprochait  visiblement  de  la  politique  gouvernementale, 
l>eut-èlre  bien  séduit  par  les  brillants  avantages  que  le  pou- 
voir lui  lit,  dil-on,  entrevoir  s'il  consentait  à  servir  ses  intérêts. 

Avant  la  lutte  sanglante  qui  s'engagea  en  septembre  dans 
les  rues  de  Bruxelles,  il  avait  eu,  ainsi  qu'un  autre  député 
de  la  capitale,  une  entrevue  avec  le  prince  Frédéric,  qui  se 
trouvait  à  Vilvorde,  et  lui  avait  représenté  dans  les  ternies  les 
plus  pressants  la  situation  grave  où  la  couronne  et  la  dynas- 
tie se  trouvaient  placées.  Il  alla  ensuite  assister  à  la  session 
extraordinaire  des  états  généraux  convoquée  à  La  Haye  ;  et 
après  les  décisives  journées  de  septembre  il  avait  même  en- 
core hésité  alors  à  se  prononcer  ouvertement  contre  la  maison 
régnante.  Mais,  habile  à  s'acconnnuder  aux  circonstances,  il 
ne  tarda  pas  à  se  rattacher  complètement  au  nouvel  ordre  de 
choses  ;  il  vota  donc  dans  le  congrès  national  pour  l'exclusion 
perpétuelle  de  la  famille  de  Nassau-Orange,  et  plus  tard  aussi 
pour  l'élection  du  duc  de  N'eraours  au  trône  de  Belgique. 
Adversaire  du  traité  def,  dix-huit  articles,  il  se  déclara  ensuite 
contre  l'élection  immédiate  d'un  chef  suprême  de  l'Etat ,  et 
repoussa  la  candidature  du  prince  Léopold.  Président  du 
comité  des  finances  sous  le  gouvernement  provisoire ,  il  fut 
par  la  suite  ministre  des  finances  du  régent  ;  portefeuille 
qu'il  conserva  dans  le  premier  cabinet  constitué  par  Léopold. 

Après  l'insuccès  des  opérations  militaires  entreprises 
contre  la  Hollande  en  août  is3l ,  il  accepta  le  ministère  de 
la  guerre ,  où  il  rendit  de  notables  services,  par  la  meilleure 
organisation  qu"il  sut  lui  donner.  Les  chambres  ayant  refusé 
d'allouer  les  crédits  qu'il  deiaaudait  pour  son  département, 
et  les  débats  législatifs  relatifs  à  un  marché  de  fournitures 
passé  par  lui  d'urgence  menaçant  d'attaquer  jusqu'à  sa  pro- 
bité, il  donna  sa  démission  au  mois  de  mars  1832  ;  mais  à 
peu  de  temps  de  là  il  était  nommé  directeur  de  la  .Monnaie. 
11  s'était  démis  en  môme  temps  de  ses  fonctions  de  repré- 
sentant, en  déclarant  qu'il  renonçait  pour  toujours  à  la 
carrière  parlementaire.  En  1334  il  accepta  une  chaire  gra- 
tuite à  la  nouvelle  université  libérale  créée  à  Bruxelles , 
et  plus  tard  une  chaire  d'économie  politique  à  lecole  de 
commerce  de  la  même  \'ille.  Son  cercle  d'activité  s'agrandit 
singulièrement  quand,  au  commencement  de  1835,  il  conçut 
le  projet  d'une  banque  nationale  de  Belgique.  Devenu  direc- 
teur de  cet  établissement,  il  contribua  beaucoup  par  là  au 
développement  de  l'esprit  d'associalioa  dans  son  pays  ;  mais 
en  1S38  une  crise ,  provoquée  en  partie  par  la  jalousie  d'une 
institution  rivale,  portaune  atteinte  irréparable  au  crédit  delà 
banque  de  Belgique,  et  entraîna  la  ruine  d'une  foule  d'entre- 
prises industrielles  où  s'engouffrèrent  d'énormes  capitaux. 
M.  de  Brouckère  donna  alors  sa  démission  des  fonctions  de  di- 
recteur de  ce  grand  étabhsseraent  de  crédit,  pour  ne  plus  se 
consacrer  désormais  qu'à  la  direction  de  la  Monnaie  et  à  celle 
de  la  société  de  la  Vieille  Montagne,  dont  il  tire  des  béné- 
fices immenses. 

En  1840,  malgré  ses  déclarations  si  positives,  les  électeurs 
de  Bruxelles  l'arrachèrent  à  ses  occupations ,  exclusivement 
industrielles,  pour  lui  confier  de  nouveau  le  mandat  législa- 
tif. Vers  la  fin  de  la  même  année,  le  ministère  Rogier  le 
nomma  bourgmestre  de  Bruxelles  ;  et  dans  l'exercice  de  ces 
fonctions  il  a  su  faùe  preuve  de  la  plus  louable  énergie,  no- 
tamment lors  des  crises  produites  en  1846  par  la  cherté  des 
subsistances,  et  en  1849  par  le  choléra.  Les  services  qu'il 
rendit  alors  ont  fait  oubher  et  ses  manières  rudes  et  bles- 
santes, et  de  nombreuses  fautes,  résultat  de  son  opiniâtreté 
et  de  sa  précipitation.  Ajoutons  qu'il  présida  le  congrès  des 

niCT.    DE    LA   COXVEUS.    —  T.   IJI. 


75» 

économistes  tenu  à  Bruxelles  en  1847  et  le  congrès  agricola 
de  1848  ;  enfin  qu'il  est  l'un  des  membres  les  plus  actifs  de  li 
plupart  des  commissions  nommées  pour  apprécier  la  pro- 
duction industrielle  du  pays.  Tout  dès  lors  nous  porte  à  pen- 
ser que  la  cariijre  politique  de  M.  de  Brouckère  n'est  point 
encore  définitivement  close  ,  et  à  voir  en  lui  un  en-cas  tou- 
jours prêt  pour  telle  nouvelle  combinaison  ministérielle 
qu'exigeraient  les  circonstances. 

BROUCKÈRE  (Henri  de),  frère  du  précédent,  est  né  en 
1801.  Lorsque  la  révolution  éclata,  il  était  procureur  du  roi 
à  Ruremonde.  Envoyé  au  congrès  national,  qui  le  nomma 
l'un  de  ses  secrétaires ,  il  y  déploya  une  grande  activité.  Il 
fut  du  nombre  des  commissaires  chargés  d'aller  offrir  la 
couronne  de  Belgique  au  pnnce  Léopold.  Dans  la  chambre 
des  députés,  dont  il  fut  membre  jusqu'à  la  promulgation  de" 
la  loi  des  incompatibilités,  en  1848,  il  ne  cessa  de  com- 
battre avec  une  inébranlable  fermeté,  et  quelquefois  avec 
talent,  les  envahissements  de  l'influence  cléricale.  Après  avoir 
occupé  pendant  plusieurs  années  le  siège  de  conseiller  à  la 
cour  d'appel  de  Bruxelles,  il  fut  nommé  par  le  ministère  Ro- 
gier gouverneur  d'Anvers,  en  1840.  Plus  tard  il  fut  envoyé 
en  la  même  qualité  à  Liège  ;  mais  il  donna  sa  démission  en  1 846, 
à  l'avènement  du  ministère  de  Theux.  Depuis  1849  il  rem- 
plit les  fonctions  de  ministre  de  Belgique  auprès  du  pape  ei 
des  autres  cours  italiennes. 

BROUET,  breuvage  qu'on  portait  autrefois  avec  solen- 
nité aux  nouveaux  mariés  ,  le  lendemain  de  leurs  noces,  et 
que  l'on  servait  aussi  aux  nouvelles  accouchées  ,  ce  qui  le 
faisait  ajjpeler  broiiet  de  V épousée  ou  de  l'accouchée;  il 
était  fait  d'œufs,  de  lait  et  de  sucre  :  c'est  ce  que  nous  avon» 
nommé  depuis  un  lait  de  poule. 

Le  brouet  noir  des  Spartiates,  au  dire  de  Plutarque,  était 
le  plus  exquis  de  tous  leurs  mets  ;  les  vieillards  surtout  '.ui 
donnaient  la  préférence  sur  les  viandes ,  qu'ils  laissaient  vo- 
lontiers aux  jeunes  gens.  On  raconte  qu'un  roi  de  Pont,  qui 
avait  beaucoup  entendu  vanter  le  brouet  noir,  voulant  en 
essayer,  fit  venir  exprès  de  Sparte  un  cuisinier,  qui  fut  chargé 
de  lui  apprêter  ce  mets  fameux;  et  comme  après  y  avoir 
goûté  il  s'étonnait  de  le  trouver  détestable,  un  Lacédémo- 
nien  qui  était  présent  lui  dit  qu'il  y  manquait  deux  choses: 
les  exercices  du  Plataniste  et  les  bains  de  l'Eurotas ,  ré- 
ponse pleine  de  sens ,  et  qui  prouve  en  effet  que  la  plupart 
des  choses  n'ont  qu'une  qualité  relative  au  goût,  aux  mœurs 
et  aux  habitudes  d'un  peuple.  Quant  à  la  composition  de 
ce  célèbre  brouet ,  dont  la  frugalité  des  Spartiates  n'est  pas 
faite  d'ailleurs  pour  donner  une  haute  idée,  il  paraît  qu'elle 
n'est  pas  bien  connue  :  les  uns  prétendent  que  c'était  un 
mélange  grossier  de  sel ,  de  vinaigre ,  de  sang  et  de  petits 
morceaux  de  viande;  d'autres,  de  la  graisse  de  porc,  as- 
saisonnée avec  du  vinaigre  et  du  sel.  Quoi  qu'il  en  soit ,  il 
n'est  guère  probable  que  nos  gastronomes  modernes  aient  à 
regretter  de  ne  pas  le  mieux  connaître,  et  il  est  passé  dan» 
l'usage  de  dire  d'un  mauvais  potage,  que  c'est  le  brouet  noir 
des  Spartiates. 

BROUETTE ,  petit  tombereau  à  bras  et  à  une  seule 
roue,  employé  dans  le  jardinage  et  dans  les  travaux  de  ter- 
rassement. Quand  il  s'agit  de  faire  des  transports  à  une  cer- 
taine distance,  on  emploie  plusieurs  brouettes,  dont  les  rou- 
leurs  se  relayent  successivement  ;  il  est  important  de  les  es- 
pacer de  manière  à  obtenir  le  maximum  d'effet.  On  a  recon- 
nu que  le  travail  le  plus  avantageux  est  le  transport  d'une 
charge  de  40  kilogrammes  à  une  distance  de  34  mètres  (  c'est- 
à-dire  qu'il  faudrait  plusdedépense  si  on  diminuait  la  charg» 
en  augmentant  la  distance ,  ou  si  on  dijninuait  la  distance 
en  augmentant  la  charçe)  :  le  premier  rouleur  mène  la 
brouette  chargée  à  34  mètres  ;  là  il  trouve  le  second,  reve- 
nant avec  sa  brouette  vide;  il  lui  transmet  la  brouette  char- 
gée et  retourne  à  vide  au  point  de  chargement.  On  peut 
établir  ainsi  une  ligne  de  relais  assez  prolongée,  tandis 
qu'avec  la  civière,  par  exemple,  le  changement  de  por- 

9à 


764 


BROUETTE  —  BROUGHAM 


teura  est  beaucoup  plus  incommode;  il  est  plus  difficile 
encore  avec  la  liotte. 

La  résistance  au  roulement  dépend  de  la  nature  du  sol  ; 
il  faut  donc  préparer  avec  soin  la  vole  que  doit  parcourir  la 
brouette,  si  l'on  veut  que  l'ouvrage  soit  fait  économiquement  : 
pour  peu  que  le  terrain  ne  soit  pas  résistant,  il  faut  môme 
le  planchéier.  Quand  la  l)rouettc  doit  franchir  des  pentes,  on 
les  dispose  de  manière  à  ce  qu'elles  ne  dépassent  pas  huit 
centimètres  par  mètre. 

C'est  au  célèbre  Pascal  que  l'on  attribue  l'invention  de 
la  brouette ,  nommée  d'abord  vinaigrette,  dont  l'usage  est 
si  simple,  si  économique  et  si  expéditif. 

BROUGILVm  AND  VAUX  (  Henri  BROUGHAM 
[on  prononce  ^roMm] ,  baron),  ancien  lord  chancelier 
d'Angleterre,  est  né  à  Edimbourg,  en  1779,  d'une  famille  ori- 
ginaire du  Westmoreland.  Élève  de  l'école  supérieure,  puis 
de  l'université  d'Edimbourg,  Henri  Brougham  y  fut  le  con- 
disciple d'une  foule  d'hommes  dont  le  nom  a  jeté  depuis 
de  l'éclat,  soit  dans  les  soienccs,  soit  dans  la  politique.  Il 
eut  l'immense  avantage  d'être  dirigé  dans  ses  études  par  son 
oncle  maternel,  le  célèbre  historien  Robertson;  et,  suivant 
l'usage  des  écoles  d'Angletei  re,  il  fit  partie  d'une  association 
(  the  Spéculative  Club  )  au  sein  de  laquelle  se  discutaient 
les  plus  hautes  questions  de  morale,  de  religion  et  de  politicjtie. 
Malgré  ses  succès  dans  ces  joutes  toutes  scolastiques,  véri- 
tables tournois  littéraires  où  le  talentnaissantessaye  ses  forces 
et  prélude  aux  luttes  plus  sérieuses  du  barreau  ou  de  la  tri- 
bune, Henri  Brougham  poursuivait  en  même  temps  des  tra- 
vaux d'un  ordre  tout  différent.  Tandis  que  MansCeld ,  son 
condisciple,  préludait  par  des  vers  aux  triomphes  qu'il  lui 
était  réservé  de  remporter  dans  la  chambre  haute,  lui,  il  se  li- 
vrait à  l'étude  des  hautes  mathématiques ,  et  semblait  bien 
plus  désireux  de  s'illustrer  dans  le  domaine  des  sciences  que 
de  parvenir  aux  honneurs  et  aux  dignités  qui  dans  notre 
système  politique  attendent  infailliblement  l'homme  d'État 
et  le  jurisconsulte  éminents.  Il  n'avait  encore  que  dix-sept 
ans  quand  il  composa  un  Essai  sur  la  Vitesse  de  la  Lu- 
mière, qui  fut  jugé  assez  remarquable  pour  obtenir  les  hon- 
neurs de  l'impression  dans  les  Philosophical  Transactions. 
Plus  tard,  en  1803,  il  ajouta  encore  à  sa  réputation  comme  ma- 
thématicien par  un  Essai  sur  les  propriétés  de  l'hyperbole 
conique  et  le  rapport  de  la  ligne  harmonique  aux  courbes 
de  différents  ordres;  travail  qui  lui  ouvrit  d'emblée  les 
portes  delà  Société  Royale  de  Londres,  au  retour  d'un  voyage 
qu'il  venait  de  faire  avec  son  ancien  condisciple,  lord  Stuart 
de  Rothesay,  dans  la  seule  partie  du  continent  alors  acces- 
sible aux  touristes  anglais,  la  Norvège  et  la  Suède. 

Pendant  la  courte  trêve  qu'on  appela  Pajj;  d'Amiens, 
Brougham  était  venu  à  Paris,  et  avait  été  présenté  à  Car- 
not,  non  comme  homme  politique ,  car  rien  alors  ne  faisait 
encore  pressentir  en  lui  le  futur  lord  chancelier  d'Angle- 
terre, mais  comme  savant;  et  cependant  jamais  il  n'avait 
sérieusement  songé  à  faire  des  sciences  l'occupation  exclu- 
sive de  sa  vie.  Dans  cette  carrière,  en  effet,  il  y  a  chez  nous 
trop  peu  d'honneurs  et  surtout  de  trop  médiocres  émoluments 
réservés  au  talent,  pour  jamais  tenter  un  ambitieux.  Ainsi  que 
la  plupart  de  ses  condisciples,  Brougham  s'était  livré  à  l'é- 
tude des  lois,  et  comme  eux  il  avait  débuté  au  barreau  d'Edim- 
bourg. Mais  là  encore  la  gloire,  les  honneurs,  lui  arrivaient 
trop  lentement  au  gré  de  son  impatience.  Le  champ-clos  de  la 
politique  et  ses  luttes  retentissantes  avaient  bien  autrement 
d'attraits  à  ses  yeux  que  les  joules  du  prétoire  et  la  défense  de 
la  veuve  ou  del'orphelin.  C'est  vers  la  politique  qu'il  se  sentait 
donc  véritablement  entraîné.  Aussi  dès  cette  même  année 
1803  publiait-il  son  Inquinjinto  the  colonial policij  of  the 
european poivers  (Londres,  2  vol.).  Après  un  exposé  (idèle 
des  systèmes  décolonisation  suivis  chez  les  Grecs,  les  Cartha- 
ginois et  les  Romains,  l'auteur,  arrivant  à  l'époque  moderne, 
montrait  l'origine  et  les  progrès  de  la  traite  des  nègres,  ré- 
clamait énergiquement  non-seulement  l'abolition  de  cet  in- 


fôme  trafic,  mais  encore  celle  de  l'esclavage  lui-même  ;  grandes 
et  réparatrices  mesures  qu'il  lui  a  été  donné  de  voir  réaliser 
depuis,  et  dont  il  peut  à  bon  droit  revendiquer  l'initiative 
pour  l'éternel  honneur  de  son  nom.  Il  allait  même  plus  loin 
encore  dans  l'ouvrage  précité,  puisqu'il  y  exprimait  formelle- 
ment l'espoir,  «  qu'un  jour  viendrait  où  dans  les  îles  fertiles 
de  l'Amérique  on  verrait  les  nègres  africains,  graduellement 
civilisés,  obtenir  la  légitime  et  paisible  possession  d'un  sol  fé- 
condé jadis  par  les  sueurs  et  les  souffrances  de  leurs  pères.  » 

C'est  à  peu  près  vers  la  même  époque  que  la  pléiade  de 
jeunes  gens  de  talent  au  milieu  desquels  Brougham  avait 
été  élevé  conçut  un  projet  à  l'exécution  duquel  chacun 
d'eux  consacra  désormais  tous  ses  efforts ,  et  dont  la  réali- 
sation n'a  pas  exercé  une  médiocre  influence  sur  la  direction 
de  l'esprit  public  dans  la  Grande-Bretagne.  Nous  voulons 
parler  de  la  fondation  de  la  Revue  d'Edimbourg. 

Lors  de  la  grande  crise  de  1790,  au  moment  où  la  révo- 
lution française  éveillait  si  puissamment  les  sympathies  de 
toutes  les  nations,  la  ville  d'Edimbourg  n'était  pas  restée 
étrangère  à  ce  mouvement  général  des  intelligences.  Une 
grande  partie  de  sa  jeunesse  avait  hautement  embrassé  et 
les  idées  et  les  espérances  de  l'époque ,  mais  son  imprudent 
enthousiasme  avait  été  réprimé  de  la  manière  la  plus  sévère 
par  des  dispositions  législatives.  Bientôt,  en  criant  à  la 
trahison  contre  tous  les  réformateurs  politiques,  les  tories 
réussirent  à  mettre  de  leur  côté  la  grande  masse  de  la  popu- 
lation, à  éteindre  toute  étincelle  de  libéraUsme  en  Ecosse, 
nous  pourrions  même  dire  dans  la  Grande-Bretagne.  Fox 
et  les  autres  membres  de  l'opposition  firent  bien  retentir  le 
parlement  de  leurs  protestations  ;  mais  ils  mettaient  dans 
leur  langage  trop  d'emportement  et  d'indignation  pour  ne 
pas  compromettre  leur  infiuence  et  leur  popularité ,  à  une 
époque  où  la  nation ,  dans  les  paroxismes  de  sa  fièvre  an- 
tigallicane, paraissait  avoir  abdiqué  sa  raison.  Les  esprits 
sages  comprirent  alors  l'inutiUté  d'une  lutte  violente,  fût-elle 
môme  parlementaire,  et  la  nécessité  d'amener  une  réaction 
dans  l'esprit  public  sans  recourir  à  des  armes  autres  que 
celles  du  raisoranement.  C'est  dans  une  situation  absolument 
semblable  que  la  France  s'est  trouvée  depuis,  à  l'époque  de 
la  restauration.  Là  comme  chez  nous,  désespérant  d'être 
jamais  écoutés  par  des  majorités  parlementaires  aussi  com- 
pactes que  bien  disciplinées ,  quand  même  ils  parviendraient 
à  se  glisser  dans  leurs  rangs,  les  amis  de  la  liberté  et  les  par- 
tisans du  progrès,  retranchés  derrière  la  presse,  ne  visèrent 
plus  désormais  à  violenter  l'opinion  publique,  mais  à  étendre 
par  le  raisonnement  seul  l'empire  des  idées  libérales,  con- 
vaincus que  lorsque  les  esprits  seraient  assez  mûrs ,  une 
révolution  toute  pacifique  serait  la  conséquence  de  leur  pa- 
triotique persévérance.  Seulement,  en  Angleterre,  la  tâche  des 
novateurs  fut  plus  pénible,  de  même  que  le  résultat  de 
leurs  efforts  devait  être  plus  lent ,  parce  que  les  masses  y 
étaient  encore  tout  imbues  de  préjugés  et  de  bigoterie;  en 
France,  au  contraire,  le  parti  libéral,  alors  même  qu'il  était 
le  plus  opprimé  par  le  pouvoir,  a  constamment  formé  la 
grande  majorité  du  pays. 

En  fondant  la  Revue  d'Edimbourg  Brougham  et  ses  amis 
ne  se  proposaient  rien  moins  que  la  complète  rénovation  de 
la  presse  périodique  ;  or,  pour  opérer  ce  grand  eeuvre  il  fal- 
lait à  la  fois  du  talent  et  du  courage.  A  cet  égard  nos  jeu- 
nes écrivains  étaient  en  fonds;  et  ils  firent  preuve  de  tact  en 
choisissant  pour  théâtre  de  leur  activité  la  capitale  de  l'E- 
cosse, ville  placée  en  dehors  de  l'influence  gouvernemen- 
tale et  des  agitations  politiques.  En  effet  ils  étaient  sûrs  de 
trouver  dans  son  université,  antique  foyer  de  science  et  de 
lumière,  des  intelligences  pour  comprendre  leur  entreprise  et, 
au  besoin,  des  talents  pour  la  seconder.  L'apparition  de  leur 
revue  eut  toute  l'importance  d'un  événement.  Jamais  en  effet 
le  torysme  n'avait  encore  rencontré  d'adversaires  si  habiles  et  si 
énergiques  ;  jamais  doctrines  si  libérales,  si  fécondes,  n'avaient 
encore  été  présentées  aux  méditations  du  peuple.  Et  ce  ne 


CrxOUGHÂM 

fut  pas  seulement  par  son  influence  directe  que  la  Revue 
d'Edimbourg  opéra  en  Angleterre,  dans  l'esprit  public,  une 
révolution  dont  à  cinquante  ans  de  distance  on  retrouve  au- 
jourd'hui de  si  nombreuses  traces ,  mais  bien  encore  par 
la  direction  nouvelle  qu'elle  donna  à  la  presse.  Les  sciences 
politiques,  restées  pour  ainsi  dire  jusque  alors  le  secret  et  le 
monopole  d'une  aristocratique  minorité,  devinrent  à  partir  de 
ce  moment  accessibles  à  la  jeunesse  studieuse  et  à  la  masse 
des  citoyens.  La  critique,  demeurée  aussi  jusque  alors  un  vil 
(rafic  de  calomnies  ou  de  louanges  vénales,  sortit  bientôt 
«le  cet  état  de  dégradation  pour  prendre  dans  les  moindres 
journaux  un  ton  digne  et  respectable. 

Cependant  Brougbam  ne  négligeait  pas  pour  cela  les  tra- 
vaux de  sa  profession ,  et  diverses  causes  importantes  lui 
fournirent  l'occasion  de  se  distinguer  aussi  bien  comme 
avocat  que  comme  écrivain.  L'une  de  ces  causes,  relati\e 
au  titre  et  aux  biens  des  ducs  de  Roxburg ,  ayant  été  déférée 
par  voie  d'appel  à  la  chambre  iiaute,  Brougham  se  chargea 
de  la  plaider  de  nouveau  sur  ce  théâtre  si  imposant;  et  le 
succès  qu'il  obtint  à  la  barre  de  la  première  cour  de  justice 
de  l'Angleterre  lut  si  grand,  qu'il  résolut  de  quitter  le  bar- 
reau d'Edimbourg  pour  celui  de  Londres.  Il  s'attacha  à  la 
cour  du  banc  du  roi,  et  fut  bientôt  compté  parmi  les  avocats 
les  plus  célèbres  de  la  capitale. 

Les  luttes  du  barreau  ne  suffisaient  pas  toutefois  pour 
absorber  l'activité  de  son  esprit,  et  au  plus  fort  même  de 
ses  succès  comme  avocat  il  trouvait  encore  le  temps  d'ap- 
profondir la  grande  question  de  la  liberté  commerciale,  dont 
le  principe  triomphe  aujourd'hui ,  mais  qu'il  eut  la  gloire  de 
proclamer  le  premier. 

Personne  n'a  oublié  cette  époque  funeste  où  la  France  et 
l'Angleterre,  comme  si  les  champs  de  bataille  leur  man- 
quassent pour  assouvir  les  haines  qui  les  armaient  l'une  contre 
l'autre ,  imaginèrent  de  se  faire  une  guerre  de  restrictions 
et  d'exclusions  commerciales.  Aux  décrets  de  Berlin  de  Na- 
poléon, l'Angleterre  répondait  par  ses  orders  in  council , 
qui  déclaraient  de  bonne  prise  tout  navire  neutre  qui  oserait 
commercer  avec  la  France,  ou  môm^j  entrer  dans  ses  ports. 
Dès  1806  Brougham  s'était  élevé  avec  force,  dans  la  Revue 
d'Edimbourg ,  contre  cette  politique  aussi  inhumaine  qu'in- 
sensée ;  il  n'avait  même  pas  hésité  à  se  prononcer  dès  lors 
contre  la  coutrune  vraiment  barbare  qui  permet  de  capturer 
les  vaisseaux  marchands  d'une  nation  ennemie,  et  à  pro- 
clamer qu'il  y  aurait  justice  à  adopter  pour  la  guerre 
maritime  les  principes  admis  pour  la  guerre  de  terre ,  les- 
quels n'autorisent  la  violation  des  propriétés  particulières 
qu'autant  qu'un  général  s'y  trouve  contraint  pour  assurer 
sa  piopre  subsistance.  Il  ne  comprenait  pas,  disait-il,  com- 
ment le  pillage  des  propriétés  d'un  industrieux  négociant 
peut  être  sur  terre  un  acte  entraînant  la  flétrissure  pour 
celui  qui  le  commet,  et  en  môme  temps  licite  et  honorable 
du  moment  où  il  a  lieu  sur  mer.  Mais  il  ne  se  contenta 
pas  d'appuyer  son  opinion  de  considérations  emprun- 
tées à  l'équité  naturelle  ou  à  la  philanthropie  :  chargé ,  en 
1808,  dans  une  enquête  solennelle,  de  porter  la  parole  à 
la  barre  de  la  chambre  des  communes,  au  nom  des  négo- 
ciants intéressés  dans  la  question,  il  prouva  clairement  (jue 
le  mépris  des  droits  des  puissances  neutres  était  en  défi- 
nitive beaucoup  plus  préjudiciable  à  l'Angleterre  qu'à  la 
France.  Le  discours  qu'il  prononça  en  cette  occasion ,  fort 
de  dialectique  et  puissant  d'éloquence,  produisit  au  dehors 
nue  impression  profonde,  sans  toutefois  convaincre  l'as- 
semblée. Deux  ans  à  peine  se  furent  écoulés,  que  déjà  les 
faits  s'étaient  chargés  de  vérifier  ses  prévisions  ;  le  com- 
merce de  notre  pays  était  anéanti  et  ses  ressources  épuioées. 

Cette  triste  confirmation  donnée  À  ses  doctrines  par  les 
événements  ouvrit  à  Brougham  les  portes  de  la  chambre  des 
communes;  cependant,  il  faut  le  dire  à  la  honte  des  villes 
commerciales  dont  il  avait  si  bien  plaidé  les  intérêts,  au- 
cune d'elles  ne  le  choisit  pour  mandataire.  Ce  fut  à  un  pair 


de  l'opposition  que  Brougham  dut  son  siège  à  la  chambre 
basse.  Le  duc  de  Bedford  le  nomma  en  1810  membre  des 
communes  pour  son  bourg-pourri  de  Camelford.  Le 
nouveau  représentant  débuta  au  parlement  par  attaquer  vi- 
vement le  ministère  au  sujet  de  l'opiniâtreté  avec  laquelle  il 
persistait  dans  la  rigueur  de  sa  politique  commerciale ,  au 
risque  de  pousser  les  Américains  à  déclarer  la  guerre  à  l'An- 
gleterre. Le  discours  qu'il  prononça,  en  juin  1812,  pour  de- 
mander le  retrait  des  orders  in  council,  fut  considéré 
comme  l'un  des  plus  brillants  et  en  même  temps  des  plus 
profonds  qu'on  eût  encore  entendus  à  Westminster.  L'effet 
en  (ut  tel,  que  le  ministère  tory,  quoique  fort  de  sa  majorité 
et  de  ses  victoires  sur  le  continent,  dut  céder  sur  ce  point, 
mais  trop  tard  il  est  vrai ,  pour  éviter  une  guerre  entre  les 
États-Unis  et  l'Angleterre.  Après  un  pareil  triomphe  parle- 
mentaire, Brougham  crut  pouvoir  se  porter  candidat  à  la  re- 
présentation de  la  ville  de  Liverpool  ;  mais  son  -compéliteur, 
Canning,  l'emporta.  Ce  fut  là,  entre  ces  deux  hommes 
d'État,  le  prélude  d'une  rivalité  à  laquelle  la  mort  de  Can- 
ning seule  mit  un  terme.  A  la  suite  de  cet  échec  électoral, 
Brougham  resta  pendant  deux  ans  éloigné  du  parlement;  et 
pour  y  rentrer  il  lui  fallut  encore,  comme  à  son  début,  pro- 
fiter d'une  fiction  de  droit  constitutionnel  et  accepter  le  man- 
dat législatif  d'un  autre  bourg-pourri,  Winchelsea,  pro- 
priété du  duc  de  Cleveland. 

Pendant  les  années  qui  suivirent  la  conclusion  de  la  paix 
générale  en  1814,  Brougham  appliqua  presque  exclusive- 
ment son  attention  aux  intérêts  commerciaux  et  à  la  détresse 
du  pays.  Les  différents  discours  qu'il  prononça  à  ce  sujet 
seront  toujours  précieux  à  consulter  pour  quiconque  vou- 
dra étudier  l'histoire  du  progrès  et  de  la  décadence  de  la 
prospérité  commerciale  de  l'Angleterre.  La  Sainte  -  Al- 
liance et  ses  projets  rétrogrades  n'eurent  pas  dans  le  par- 
lement d'adversaire  plus  constant ,  plus  redoutable  que  lui. 
Ses  énergiques  accents  retentirent  bien  au  delà  du  détroit, 
et  ne  contribuèrent  pas  peu  à  tirer  les  populations  du  conti- 
nent de  l'état  de  stupeur  dans  lequel  les  avait  jetées  le  triom- 
phe de  l'oligarchie  européenne  à  Waterloo.  Une  des  ques- 
tions dans  lesq\ielles  il  déploya  sans  contredit  le  plus  de 
i?i!înt,  d'éloquence  et  de  patriotisme,  fut  celle  de  l'instiuc- 
lion  primaire,  soulevée  en  1818.  Castlereagh  lui-même  fut 
obligé  de  rendre  hommage  à  la  supériorité  que  déploya  Brou- 
gham dans  cette  mémorable  discussion.  11  échoua  toutefois 
dans  ses  efforts  pour  donner  une  application  plus  généra- 
lement utile  aux  riches  fondations  des  établissements  d'ins- 
truction supérieure,  ou,  en  d'autres  termes,  et  pour  employer 
le  jargoji  naguère  à  la  mode ,  pour  démocratiser  l'instruc- 
tion publique.  Il  n'en  déploya  que  plus  d'activité  en  dehors 
de  la  sphère  parlementaire  à  l'effet  de  propager  l'instruction 
dans  les  classes  inférieures.  C'est  ainsi  qu'il  exposa  ses  vues 
sur  cette  importante  question  dans  un  li\Te  remanjuable  in-, 
titulé  :  PracUcal  Observations  vpori  (he  Education  ofthe 
People  (Londres,  1835),  et  qu'h  seconda  de  toute  son  in- 
fluence la  création  de  la  Société  pour  la  diffusion  des  con- 
naissances utiles,  laquelle  a  publié  depuis  1825  une  nom- 
breuse collection  d'ouvrages  à  l'usage  du  peuple ,  dont  fait 
partie  un  li\Te  de  Brougham  ayant  pour  titre  :  A  Discourse 
on  the  objects, advantages andpleasures  of  Science  (  1 827  ). 
En  1 835  il  tut  nommé  lord  recteur  de  l'université  de  Glasgow, 
et  il  contribua  beaucoup  vers  la  même  époque  à  la  création 
de  l'université  de  Londres. 

Peu  de  temps  auparavant,  un  incident  fameux  à  jamais 
dans  nos  annales  parlementaires  était  venu  mettre  le  sceau 
à  la  popularité  de  son  talent.  Nous  voulons  parler  du  hon- 
teux procès  d'adultère  intenté  en  plein  parlement  pa»- 
GeorgesIVà  la  reine  son  épouse.  Brougham,  choisi  par 
cette  princesse  pour  son  défenseur,  déploya  dans  sa  plai- 
doirie une  si  noble  éloquence,  qu'il  réussit  à  enflammer  les 
passions  populaires  en  faveur  de  sa  cliente. 

Broii^ia.m  prit  la  part  la  plus  active  aux  délibérations 

»5. 


756 


BROUGHAM  —  BROUGHTON 


rdalires  à  l'émancipation  des  catholiques  (  182S 
et  1829),  grande  mesure  d'équité  que  le  parti  des  wliigs 
avait  toujours  appelée  de  ses  vœux;  acte  solennel  de  répa- 
ration, dont,  contre  l'attente  générale,  l'honneur  revint  au 
duc  de  Wellington,  hautement  renié  par  son  parti  dans 
cette  occurrence.  Un  autre  remarquahlc  triomphe  de  Broug- 
ham  à  la  chambre  basse  fut  le  discours  qu'il  prononça  à 
propos  d'une  motion  relative  à  l'amélioration  de  la  procii- 
<iure  civile  et  criminelle  et  des  lois  pénales  anglaises,  et  cette 
iliscussion  lui  (ournit  l'occasion  de  signaler  les  nombreux 
abus  qui  souillaient  l'administration  de  la  justice  et  des  lois. 

Cependant  l'opinion  libérale  avait  fait  insensiblement  tant 
de  progrès  dans  la  nation,  que  Brougham  avait  pu  résigner 
le  patronage  du  duc  de  Cleveland  et  obtenir  les  suffrages 
des  électeurs  d'un  grand  et  important  comté,  celui  d'York. 
Une  glorieuse  révolution  s'était  accomplie  en  France,  et 
avait  excité  l'admiration  de  toutes  les  nations  européennes. 
Plein  de  syn)pathie  et  d'enthousiasme  pour  la  victoire  rem- 
portée en  juillet  1830  par  le  principe  révolutionnaire,  le 
peuple  anglais  ne  demandait  qu'un  prétexte  pour  imiter  ses 
voisins.  Dans  cette  crise  terrible  le  duc  de  Wellington,  alors 
premier  ministre,  étant  venu  avec  sa  légèreté  habituelle 
déclarer  en  plein  parlement  qu'à  ses  yeux  la  ré  forme  par- 
lementaire était  une  mesure  aussi  inutile  que  pernicieuse, 
Brougham  proposa  aussitôt  sa  célèbre  motion  pour  la  ré- 
forme du  parlement;  et  le  duc,  abandonné  par  sa  majo- 
rité ,  dut  résigner  ses  fonctions.  La  formation  d'un  mi- 
nistère whig  ne  laissait  pas  cependant  que  d'offrir  de  nom- 
breuses difficultés  ;  Brougham  refusa  longtemps  d'entrer  au 
conseil;  mais  lord  Grey,  chargé  de  la  composition  du 
nouveau  cabinet,  vainquit  ses  répugnances  en  lui  offrant  la 
plus  éminente  dignité  du  royaume,  la  place  de  lord  chan- 
celier; et  Brougham,  créé,  au  mois  de  novembre  1830,  baron 
du  royaume  sous  le  titre  de  Brougham  and  Vaux ,  vint 
s'asseoir  sur  le  sac  de  laine  et  présider  la  chambre  haute. 
En  cette  qualité  il  lui  fut  donné  de  prêter  un  puissant  con- 
cours à  la  réforme  parlementaire,  grande  et  juste  mesure 
politique,  qui  n'eut  pas  dans  la  chambre  haute  de  plus  habile 
ni  de  plus  opiniâtre  défenseur  que  le  nouveau  lord  chan- 
celier ;  il  faut  d'ailleurs  ajouter  à  sa  louange  qu'il  sut  prêcher 
d'exemple  dans  son  département,  en  détruisant  sans  ré- 
mission les  nombreux  et  lucratifs  abus  que  l'usage  autorisait 
dans  la  chancellerie  et  dont  ses  différents  prédécesseurs  ne 
s'étaient  pas  fait  faute  de  profiler.      Crowe,  de  Londres. 

L'une  des  premières  mesures  législatives  proposées  par 
lord  Brougham  fut  la  réforme  de  la  législation  en  matière 
de  banqueroutes ,  réforme  opérée  en  dépit  de  la  vive  résis- 
tance de  tous  les  gens  de  loi ,  habitués  à  vivre  grassement 
v.n  eau  trouble.  En  même  temps  il  donnait  un  remarquable 
txcmple  de  désintéressement  et  d'abnégation  personnelle 
en  réduisant  de  7,000  livres  sterling  (  175,000  fr.  )  le  chiffre 
des  émoluments  attachés  à  ses  fonctions. 

Les  tories  ayant  ressaisi  le  pouvoir  à  la  fin  de  1834 ,  lord 
Lyndhurst  remplaça  en  qualité  de  chancelier  lord  Broug- 
ham, qui  par  quelques  indiscrétions  s'était  attiré  l'inimitié 
des  chefs  du  parti  whig  et  celle  du  roi  Guillaume;  aussi 
quand  les  whigs  revinrent  aux  affaires  l'année  suivante,  ne 
fut-il  point  appelé  à  faire  partie  du  nouveau  cabinet.  Cette 
exclusion ,  sans  rejeter  précisément  Brougham  dans  le  parti 
tory,  le  mit  cependant  dans  une  espèce  d'opposition  à  l'égard 
des  whigs;  et  il  se  laissa  alors  aller  à  concourir  à  quelques 
actes  (par  exemple  au  blâme  exprimé  en  1 838  par  la  chambre 
au  sujet  de  l'administration  de  lord  Durham  au  Canada) 
qu'on  ne  peut  expliquer  que  par  une  irritation  personnelle. 
Au  reste,  ildemeura  constamment  fidèle  aux  grands  principes 
<iu'il  avait  professés  toute  sa  vie,  notamment  sur  la  ré- 
forme électorale ,  sur  la  législation  relative  aux  céréales,  sur 
l'éducation  populaire  et  l'émancipalion  des  nègres.  Pendant 
un  séjour  qu'il  fit  à  Paris  en  183'.),  il  publia  sous  le  voile  de 
l'anonyme  une  broclmrc  sur  la  situation  respectiv*;  des  partis 


en  France.  En  1840  il  se  prononça  contre  0'  Connell,  et 
indirectement  contre  le  ministère  whig,  dans  un  remar- 
quable discours  où  il  jetait  une  vive  lumière  sur  l'état  de 
l'Angleterre,  en  môme  temps  qu'il  y  traitait  de  la  plus  dou- 
loureuse des  plaies  dont  souffre  ce  pays  :  la  condition  sociale 
et  politique  de  ses  classes  laborieuses.  Il  indiquait  comme 
unique  remède  àla  situation  l'abolition  de  la  législation  restée 
jusque  alors  en  vigueur  en  matière  de  céréales,  et  une  ex- 
tension nouvelle  à  donner  au  droitde  représentation  politique. 
En  1842  il  se  prononça  de  nouveau  pour  l'abolition  com- 
plète de  toutes  les  restrictions  apportées  au  commerce  des 
grains,  sauf  à  ne  procéder  que  graduellement  dans  cette 
œuvre  réparatrice. 

Lord  Brougham  n'est  pas  seulement  l'un  des  plus  grands 
jurisconsultes  que  l'Angleterre  ait  jamais  eus,  il  possède  en 
outre  les  connaissances  les  plus  variées  dans  presque  tous 
les  autres  domaines  de  la  science.  L'un  des  premiers  ora- 
teurs du  parlement  en  ce  qui  est  de  la  finesse  et  souvent  du 
mordant  de  l'esprit,  de  l'éclat  du  débit,  de  la  vigueur  et  de 
la  flexibilité  de  l'organe,  il  n'a  jamais  eu  de  rival  comme 
dialecticien.  Autant  il  brille  comme  homme  politique,  autant 
dans  la  vie  privée  il  montre  d'amabilité  et  de  bienveillance 
à  tous  ceux  qui  l'entourent.  Fidèle  en  amitié,  il  est  d'un 
commerce  aussi  silr  qu'agréable. 

Nous  sera-t-il  permis  maintenant  d'ajouter,  dans  l'unique 
intérêt  de  la  vérité  historique,  qu'avec  l'àge  ce  qu'il  y  avait 
d'excentrique  dans  le  caractère  de  lord  Brougham  n'a  fait 
que  se  manifester  avec  plus  de  force  et  l'a  poussé  à  certaines 
démarches  en  désaccord  complet  avec  tous  les  principes  de 
sa  carrière  antérieure.  Ses  paroles  et  ses  actes  trahissent 
trop  souvent  une  certaine  irritabilité  nerveuse  à  laquelle,  par 
exemple,  il  faut  sans  doute  attribuer  l'étrange  sortie  qu'il  se 
permit  à  l'égard  du  chevalier  Bunsen,  envoyé  de  Prusse 
à  Londres,  qui  à  la  séance  de  la  chambre  haute  du  17  juin 
1850  s'était  placé  dans  la  tribune  attribuée  aux  pairesses. 
Il  salua  d'abord  la  révolution  française  de  1848  de  ses  plus 
sympathiques  acclamations,  et  alla  même  alors  jusqu'à 
demander  au  ministre  de  la  justice  du  gouvernement  pro- 
visoire, Crémieux,  si  en  raison  de  la  propriété  qu'il  possède 
aux  portes  de  la  ville  de  Cannes,  et  où  il  a  l'habitude  de  venir 
passer  ses  vacances  parlementaires ,  il  ne  pourrait  pas  se 
faire  recevoir  citoyen  français.  Mais  il  ne  tarda  point  à  com- 
plètement changer  d'idées  à  cet  égard  ,  ainsi  qu'on  peut  le 
voir  dans  sa  Lettre  au  marquis  de  Lansdowne ,  où  il  s'ex- 
prime au  sujet  de  la  révolution  de  Février  et  de  ses  auteurs 
dans  les  termes  les  plus  amers.  Il  n'a  pas  fait  preuve  d'une 
moindre  inconséquence  à  l'occasion  de  la  fameuse  exposi- 
tion universelle  de  Londres.  Après  s'être  prononcé  de  la  ma- 
nière la  plus  vive  contre  ce  projet  quand  il  en  fut  pour  la 
première  fois  question,  et  après  avoir  déclaré  qu'il  le  regardait 
comme  dangereux  pour  le  commerce  anglais ,  il  en  devint 
tout  à  coup  l'un  des  plus  chauds  partisans. 

Lord  Brougham  a  beaucoup  écrit  depuis  qu'il  n'occupe 
plus  de  fonctions  publiques.  Entre  autres  ouvrages  qu'on  a  de 
lui  nous  citerons,  indépendamment  du  recueil  de  ses  discours 
(4  vol.,  1838)  et  d'un  Essai  sur  la  Constitution  anglaise 
(1844)  :  Sketches  qf  Statesmen  of  the  Unie  qf  Georges  III 
(1839)  etZiyes  qf  Men  qf  Letlers  and  Science  wfiojlou- 
ris/ied  in  the  time  qf  Georges  III.  Sur  le  frontispice  d'un  do- 
maine qu'il  possède  près  de  Cannes  (  Var),  on  Ut  ce  distique  : 

IiiTcni  portura  :  spes  et  fortuna  valele, 
Satme  lusistis;  liidilc  niinc  alios. 
BROUGHTON  (Archipel  de),  groupe  d'Iles  ba&rvçs, 
situées  dans  l'Océanie,  archipel  des  Fidgi ,  à  l'est  de  la  Nou- 
velle-Zélande, par  44"  de  latitude  sud  et  178°  de  longitude 
ouest.  Il  se  compose  des  iles  Cornwallis,  Pitt  et  Chatam. 
Cette  dernière  est  la  plus  considérable  de  toutes  ;  sa  longueur 
peut  aller  à  4S  Kilomètres;  le  terrain  s'y  élève  graduelle- 
ment, et  forme,  dans  l'intérieur,  des  collines  d'un  aspect 
agréable.  Bien  que  la  végétation  y  ait  beaucoup  de  force,  lei 


I 


BSOUGHTON  —  BROUILLON 


arbres  n'y  atteignent  guère  qu'une  élévation  moyenne.  Les 
babilants  sont  des  bommes  de  moyenne  taille ,  vigoureux , 
bien  proportionnés.  Leur  corps  n"offre  aucune  trace  de  ta- 
touage. Une  peau  de  phoque  et  une  natte  tressée  avec  art 
forment  leur  vêtement.  Leur  teint  est  d'un  brun  foncé ,  et 
leurs  traits  sont  vivement  accusés.  Ils  ont  des  filets  et  des 
lignes  fabriqués  avec  un  beau  chanvre  qui  croît  probable- 
ment dans  leur  île.  Cet  archipel  tire  son  nom  du  navigateur 
Krough  ton,  qui  le  premier  le  visita.  Le  nom  du  même  na- 
vigateur a  également  été  donné  à  un  autre  groupe  d'iies, 
situé  sur  la  côte  occidentale  de  l'Amérique  septentrionale, 
au  nord  de  lîle  de  Vancouver,  par  50°  47'  nord  et  128° 
6g'  longitude  ouest  et  découvert  pendant  le  voyage  de  re- 
cherches entrepris  par  Vancouver. 

BROUGHTOiX  (Willum-Robert),  navigateur  an- 
glais, ne  dans  le  comté  de  Glocester,mortà  Florence,  en  1821, 
commandait  le  brick  le  Châtain  dans  la  célèbre  expédition 
de  Vancouver.  11  découvrit  en  1790  plusieurs  lies  à  l'em- 
bouchure de  rOrégon ,  sur  la  côte  occidentale  de  l'Amérique 
du  Nord  et  leur  donna  son  nom.  11  reconnut  en  outre  l'ar- 
chipcl  du  Japon,  la  côte  orientale  de  l'Asie ,  et  une  partie  de 
rOcéanie.  En  1797  il  eut  part  à  la  prise  de  Java,  en  qualité 
de  Commodore. 

BROUILLAMIIVI,  terre  rouge  et  visqueuse,  espèce  de 
bol,  que  l'on  a  conlomiu  avec  le  bol  d'Arménie,  et  d'où 
.«erait  venu  son  nom,  selon  quelques  ctj mologistes.  On  lui 
attribuait  autrefois  de  grandes  vertus  médicales;  mais  son 
usage  le  plus  réel  était  celui  que  les  peintres  en  faisaient 
pour  appliquer  l'or  à  leurs  ornements ,  et  les  potiers  pour 
teindre  leurs  pots  en  rouge.  On  désigne  généralement  au- 
jourd'hui sous  ce  nom,  ou  sous  celui  de  bol  en  bille,  en 
pharmacie,  des  masses  de  bol  de  la  grosseur  et  de  la  lon- 
gueur du  doigt. 

Brouillamim  se  dit,  dans  un  autre  sens,  et  dans  une 
acception  familière  ou  burlesque,  de  tout  ce  qui  est  obscur, 
embarrassé;  il  est  alors  synonyme  d'<?«6rog'iJo,  et  tire, 
comme  lui ,  son  origine  du  verbe  brouiller. 

BROUILLARD.  Les  brouillards,  que  l'on  observe 
fréquemment  en  Europe,  paraissent  le  soir  et  le  matin.  Ils 
sont  la  suite  du  refroidissement  de  l'atmosphère.  Pendant 
la  journée,  la  température  de  l'atmosphère  s'élève,  l'air  peut 
retenir  la  vapeur  formée  à  la  surface  de  la  tene  ;  le  soir,  la 
terre  perd  par  le  rayonnement  une  partie  de  la  chaleur  qu'elle 
a  reçue  du  soleil ,  elle  se  refroidit  et  refroidit  l'air  atmosphé- 
rique ;  celui-ci  abandonne  une  partie  de  la  vapeur  qu'il  a 
dissoute  pendant  la  journée  ;  cette  vapeur  se  précipite  sur 
la  terre,  et  il  arrive  souvent  que  le  brouillard  disparaît  quel- 
ques heures  après  le  coucher  du  soleil  ;  quelquefois  il  dure 
toute  la  nuit.  Enfin  il  arrive  que  le  brouillard  ne  se  mani- 
feste que  le  matin ,  c'est-à-dire  vers  le  moment  où  la  terre 
a  perdu  le  plus  de  chaleur.  La  cause  des  brouillards  étant 
une  fois  indiquée,  il  est  facile  de  se  rendre  raison  de  ces  di- 
verses circonstances.  La  présence  d'un  brouillard  doit  pro- 
duire le  même  effet  que  celle  d'un  n  u  a  g  e  sur  le  refroidis- 
sement de  la  terre;  elle  doit  le  ralentir.  Aussi  a-t-on  remar- 
qué qu'en  général  le  froid  est  peu  intense  pendant  que  la 
terre  est  couverte  de  brouillards. 

Les  pièces  d'eau  un  peu  étendues,  les  lacs,  les  riviè- 
res, etc.,  sont  souvent  couverts,  le  soir  et  le  matin,  de  brouil- 
lards plus  ou  moins  épais.  Voici  pourquoi  :  la  surface  de 
l'eau  se  refroidit  moins  que  la  terre  et  que  l'air,  parce  qu'à 
mesure  qu'une  couche  se  refroidit,  elle  se  précipite  et  est 
remplacée  par  une  couche  plus  chaude ,  en  sorte  que,  pour 
que  la  surface  d'une  pièce  d'eau  soit  à  la  température  à  la- 
quelle elle  serait  si  elle  ne  changeait  pas  de  position,  il  faut 
que  toute  la  masse  d'eau  ait  subi  le  même  refroidissement 
qu'elle  a  subi  d'abord.  La  surface  d'une  eau  courante  ou 
tranquille  doit  donc  être,  en  général,  plus  chaude  que  l'air 
et  que  la  terre  qui  l'environnent;  mais  la  couche  d'air  qui 
«st  immédiatement  en  contact  avec  elle  prend  sa  tempéra- 


767 

ture  et  se  sature  de  vapeur.  Cette  couche  d'air  chaud  et 
humide  s'élève,  se  mêle  à  l'air  plus  froid,  abandonne  de  la 
vapeur  et  produit  un  brouillard.  Si  l'air  est  agité  par  la  pluie 
ou  par  le  vent,  la  température  de  l'air  est  sensiblement  uni- 
forme ;  la  couche  qui  touche  la  surface  de  l'eau  n'a  pas  le 
temps  de  se  saturer  de  vapeur,  il  ne  doit  pas  se  former  de 
brouillard  ;  c'est  ce  que  l'observation  confirme. 

Quoique  les  brouillards  doivent  généralement  leur  origine 
à  l'humidité,  ils  ne  sont  pas  tous  de  même  nature.  Assez 
souvent  lis  répandent  une  odeur  fétide,  qui  atteste  qu'ds 
peuvent  retenir  et  entraîner  diverses  substances  gazeuses 
autres  que  la  vapeur  de  l'eau  ;  parfois  même  ils  semblent 
tellement  chargés  de  particules  étrangères,  qu'ils  mouillent  à 
peine  les  corps  avec  lesquels  ils  se  trouvent  en  contact,  et 
qu'on  a  pu  les  désigner  sous  le  nom  de  brouillards  secs.  Ces 
brouillards  agissent  chimiquement  sur  la  végétation  :  ils  fer- 
tilisent la  terre  en  la  pénétrant  à  l'époque  des  labours  et  des 
semailles,  et  ils  ajoutent  plus  tard  à  la  nourriture  que  les 
feuilles  puisent  dans  l'atmosphère.  Mais  si  leur  durée  est 
trop  longue  ,  ils  contribuent  indirectement ,  en  abaissant  la 
température ,  en  arrêtant  les  rayons  lumineux  et  en  entre- 
tenant une  humidité  particulière,  à  facibter  la  propagation 
de  la  rouille  des  blés,  du  charbon,  de  lacai'ie,  l'avorteœent 
des  lleurs,  la  coulure  des  fruits,  etc. 

BROUILLARD   {Comptabilité).   Voyez  Livres   de 

COKMERCE. 

BROUILLE ,  niplure  momentanée,  altération  légère 
dans  le  commerce  de  l'amitié.  Diminutif  de  brouillerie, 
brouille  n'est  usité  que  dans  la  conversation  et  le  style  fa- 
milier :  On  dit  qu'il  y  a  de  la  brouille  dans  le  ménage , 
qu'après  la  brouille  vient  le  raccommodement,  etc.  Ce  mot 
parait  être  tout  moderne,  et  ne  date  peut-être  que  du  com- 
mencement de  ce  siècle. 

BROUILLER,  de  l'italien  brogliare,  imbrogliare, 
s'emploie  dans  l'acception  de  mêler,  d'établir  de  la  confu- 
sion ou  du  désordre  dans  les  affaires ,  dans  les  idées  ou  entre 
les  personnes. 

En  termes  d'équitation ,  brouiller  un  cheval,  c'est  le 
conduire  si  maladroitement,  qu'on  l'oblige  à  agir  sans  règle; 
un  cheval  se  brouille  lorsque  par  trop  d'ardeur,  ou  par  l'in- 
habileté de  son  cavalier,  il  confond  tous  les  mouvements 
qu'on  lui  imprime. 

BROUILLERIE,  commencement  de  discorde,  dissen- 
sion légère  qui  divise  et  menace  d'altérer  les  sentiments  dans 
la  famille  ou  l'amitié.  Les  brouilleries  les  plus  légères  quand 
elles  sont  fréquentes  détruisent  à  la  longue  les  affections  et 
usent  l'amitié ,  tandis  qu'elles  fortifient  l'amour.  Aussi ,  les 
amants,  s'ils  cessent  d'aimer ,  ne  se  querellent-ils  pas  long- 
temps :  ils  se  quittent.  Pascal  appelle  brouilleries  des  dis- 
putes hérissées  de  chicanes.  Toutefois ,  si  le  mot  brouillerie 
a  figuré  dans  le  style  noble,  il  n'a  pu  s'y  maintenir,  et  n'est 
guère  admis  maintenant  que  dans  le  style  simple  ou  familier. 

Brouillerie ,  dans  un  autre  sens ,  était  un  amas  d'objets 
de  peu  de  valeur,  qui  ne  méritaient  pas  d'être  décrits  sépa- 
rément. On  dit  aujourd'hui  broutilles. 

BROUILLON,  celui  qui  brouille  et  confond  toutes 
choses  faute  de  réflexion  ou  de  discernement.  C'est  un  vice 
de  tempérament  insupportable  dans  la  vie  privée  et  dange- 
reux dans  les  affaires  publiqi:es.  Dans  le  premier  cas  le 
brouillon  parle  sans  savoir  ce  qu'il  dit,  agit  sans  avoir  la 
conscience  de  ce  qu'il  fait;  il  affirme  ou  dénie  au  hasard, 
comme  il  place  et  déplace  sans  motif  ce  qu'il  touche.  En 
politique  le  brouillon  est  un  ambitieux,  qui  trouble  l'État 
par  amour  du  changement,  par  inconstance  d'esprit.  11  n'a 
point  de  vues  profondes  ,  de  plan  médité,  il  s'abandonne  à 
son  penchant  et  s'élance  dans  les  révolutions  par  goût  ou 
pour  venger  une  injure.  A  Rome,  Clodius  était  un  brouil- 
lon ,  César  un  politique. 

Brouillon  se  dit  aussi  des  premières  idées  jetées  sur  le  pa- 
pier et  destinées  à  être  revues ,  corrigées,  transcrites  de  iwu- 


i 


758 


BROUILLON  —  BROUSSAIS 


veau.  Dans  la  tenue  des  livres,  Brouillon  e%t  synonyme  de 
Brouillard  ou  main-courante  (voyez  Livres  de  Commeçice). 

BROUISSURE.  Voyez  Brûlure  {Agriculture). 

BROlirMISTES,  disciples  de  Robert  lîrown,  qui  se 
sépara  de  l'Église  dominante  par  suite  des  mesures  sévères 
adoptées  à  partir  de  1573  contre  les  puritains.  Dans  ses  atta- 
ques passionnées,  il  ne  ménageait  pas  plus  les  presby- 
tériens que  l'Église  épiscopale;  car,  bien  (jue  partageant 
quelques-unes  des  doctrines  des  premiers,  il  condamnait 
leur  constitution  synodale  et  presbytérale,  comme  contraire 
aux  traditions  apostoliques.  Suivant  lui,  cliaqiie  communauté 
devait  foiiner  une  société  ou  congrégation  (d'où  le  nom  de 
congrégatïonnalistes)?,VL\)f>h\.M\\.  par  elle-même  et  se  gou- 
vernant elle-raômc,  indépendante  de  toute  autorité  étrangère. 
Cette  constitution,  dans  laquelle  chaque  membre  de  la  com- 
munauté avait  les  mômes  droits  et  la  môme  puissance,  en- 
traînait la  nécessité  de  la  suprématie  des  majorités.  Chaque 
communauté  élisait  librement  son  ministre  ou  lui  ôtait  ses 
pouvoirs,  et  ce  prêtre  n'avait  point  le  privilège  de  l'ensei- 
gnement, car  chaque  frère  avait  le  droit  de  prophétiser.  En 
ce  qui  touche  la  liturgie,  Robert  IJrown  condamnait  toutes 
les  formules  de  prières,  ainsi  que  le  mode  d'administration 
des  sacrements  et  la  cérémonie  ecclésiastique  du  mariage. 
Après  la  mort  de  Brown,  ses  partisans,  dont  le  nombre  aug- 
menta plutôt  qu'il  ne  diminua,  sous  la  direction  de  leur 
deuxième  docteur,  le  jurisconsulte  Henri  Barrow  (d'où 
le  nom  de  barrowistcs  qu'on  leur  donne  aussi  quelquefois), 
se  virent  forcés,  par  suite  des  persécutions  dirigées  contre 
eux,  de  se  réfugier  en  Hollande,  et  de  s'établir  à  Amsterdam, 
Middelbourg  et  Leyde.  C'est  dans  ce  pays  que  John  Robin- 
son,  leur  chef  à  Leyde,  mort  en  1 026,  leur  inspira  des  idées 
plus  modérées,  et  transforma  leur  communauté  en  celle  des 
indépendants,<\m  plus  tard  prit  une  si  grande  impor- 
tance politique.  Vers  1643,  les  uns  revinrent  s'établir  en  An- 
gleterre, et  les  autres  passèrent  dans  l'Amérique  septen- 
trionale. Aujourd'hui ,  les  indépendants  ne  diffèrent  des 
autres  sectes  protestantes  que  parce  qu'ils  rejettent  toute 
formule  de  foi  et  ne  font  point  ordonner  leurs  prêtres. 

BROUNISTES  {Hist.  médicale).  Foy. Buowi\ (John), 

BROUSSA.  Voyez  Brousse. 

BROUSSAILLES,  mauvais  bois  qui  profite  peu,  tels 
que  haies,  buissons,  ronces,  épines,  bruyères,  etc.  On  a  dit 
autrefois  brossailles. 

BROUSSAIS  (François-Joseph-Victor),  naquit  à 
Saint-Malo  (Ille-et- Vilaine),  le  17  décembre  1772.  A  peine 
avait-il  terminé  ses  études  classiques  au  collège  de  Dinan , 
que  la  révolution  survint.  Pendant  quinze  mois  il  servit 
l'État,  d'abord  comme  simple  grenadier,  puis  en  qualité  de 
sous-officier.  Durant  les  trois  premières  années  de  la  répu- 
blique il  fut  employé  comme  chirurgien  sous-aide,  dans  la 
marine  militaire,  à  Saint-Malo,  dans  les  différents  hôpitaux 
de  Brest ,  et  à  bord  des  vaisseaux  français.  Il  reçut  de  son 
père  les  premières  notions  de  chirurgie,  et  il  commença  à 
étudier  l'anatomie  sous  la  direction  de  Billard  et  Diiret. 
Pendant  deux  ans  il  exerça  sur  une  corvette  de  l'État  les 
fonctions  de  chirurgien  de  seconde  classe.  Revenu  dans  ses 
foyers  en  1798  ,  Broussais  continua  .ses  études  médicales  par 
l'étude  de  la  botanique ,  de  la  matière  médicale,  et  la  lecture 
des  livres  de  médecine.  Muni  de  tant  d'instruction  et  de  con- 
naissances pratiques  déjà  étendues,  il  se  rendit  à  Paris  en 
1799,  où  pendant  quatre  années  il  suivit  les  cours  qui 
s'y  faisaient  alors,  et  fut  reçu  docteur  en  1803,  après  avoir 
soutenu  une  thèse  qui  portait  pour  titre  :  De  la  fièvre  hec- 
tique, considéréecomnie  dépendante  d'une  lésion  d'action 
des  différents  systèmes,  sans  vice  organique.  Après  avoir 
exercé  la  médecine  pendant  deux  ans  dans  la  capitale,  Brous- 
sais fut  nommé  médecin  militaire,  et  successivement  il  exerça 
l'artde  guérir  dans  les  iiôpitaux  de  la  Belgique,  de  la  Hollande, 
de  l'Autriche  et  de  l'Italie.  Revenu  à  Paris  en  1808,  pour  refaire 
sa  santé,  que  les  latigues  de  la  guerre  avaient  altérée,  il  publia 


son  Histoire  des  P/ilegmasies  ou  inflammations  chroni' 
qties  ,  fondée  sur  de  nouvelles  observations  de  clinique 
et  de  pathologie,  et  presque  aussitôt  il  repartit  continuer  les 
fonctions  qui  lui  étaient  confiées.  Ce  fut  le  moment  où  com- 
mença pour  Broussais  une  existence  nouvelle ,  le  moment 
où  il  entreprit  la  réforme  médicale  à  laquelle  il  s'est  dévoué 
jusqu'à  son  dernier  jour.  Pendant  six  ans  il  remplit  les  fonc- 
tions de  médecin  principal  à  l'armée  d'Espagne.  La  restau- 
ration le  ramena  à  Paris,  où  il  fut  désigné  comme  second 
professeur  à  l'hôpital  militaire  du  Val-de-Grâce ,  devenu  hô- 
pital d'instruction. 

La  publication  de  F  Histoire  des  Phlegmasies  chroniques 
avait  surpris  la  France,  et  en  particulier  l'école  de  Paris, 
livrée  au  charme  des  systèmes  de  nosologie.  On  n'y  jurait 
queparPinel,  Sauvages  et  Alibert;  Brown,  CuUen  et 
Sydenhamy  recevaient  aussi  de  fervents  et  aveugles  hom- 
mages. Broussais ,  qui  avait  abandonné  son  livre  à  sa  propre 
fortune,  se  fiant  à  l'importance  des  idées  qu'il  contenait  du 
soin  de  le  faire  rechercher,  fut  très-étonné  de  voir  qu'on  le 
connaissait  à  peine,  et  qu'il  devait  le  discrédit  où  il  était 
tombé  dès  son  apparition  à  la  critique  peu  fondée  qu'en 
avait  faite  Pinel  dans  le  Journal  de  Médecine ,  publié  par 
Corvisart,  J.-J.  Leroux  et  autres.  Il  sentit  aussitôt  que  sa 
vie  devait  être  une  existence  de  lutte  pénible,  mais  néces- 
saire au  triomphe  des  opinions  scientifiques  qui  avaient  sa 
foi.  Il  accepta  donc  cette  condition  attachée  à  l'œuvre  de 
tout  réformateur,  avec  l'ardeur  que  donne  une  conviction 
profonde,  la  constance  d'un  homme  que  rien  ne  saurait 
l'aire  dévier,  et  toute  l'habileté  d'un  tacticien  expérimenté. 
Dès  1815  il  commença  à  se  livrer  aux  fonctions  de  l'en- 
seignement particulier ,  et  lorsque  par  la  puissance  de  sa 
parole,  appuyée  de  la  puissance  plus  irrésistible  encore  des 
faits,  il  se  fut  créé  un  auditoire  disposé  à  suivre  ses  traces, 
il  porta  un  noble  défi  à  ses  adversaires  et  à  cette  masse  d'in- 
différents qui  préfèrent  le  repos  de  l'ignorance  aux  inquié- 
tudes de  la  recherche. 

Dès  1817  parut  V Examen  de  la  Doctrine  Médicale  gé- 
néralement adoptée  et  des  systèmes  de  nosologie.  Le  gant 
fut  aussitôt  ramassé  qu'il  avait  été  jeté  :  un  haro  universel 
s'éleva  contre  le  réformateur  audacieux  qui  portait  une  main 
téméraire  sur  l'arche  sainte  des  systèmes  nosologiques.  La 
première  édition  de  V Examen  des  Doctrines ,  devenue  si 
rare  aujourd'hui ,  est  avant  tout  un  livre  de  critique  ,  entre- 
pris dans  le  but  de  combattre  les  systèmes  nosologiques  qui 
régnaient  alors ,  en  remontant  jusqu'à  Brown ,  qui  les  ani- 
mait de  son  esprit ,  comme  Sauvages  les  avait  guidés  dans 
leur  fausse  et  minutieuse  analyse.  Les  jugements  passionnés , 
les  attaques  de  l'ignorance  et  de  la  mauvaise  foi  ne  manquè- 
rent pas  à  ce  livre.  Broussais  riposta  avec  autant  de  courage 
que  (le  résolution.  On  en  trouve  des  témoignages  nombreux 
dans  les  travaux  de  polémique  qu'il  inséra  pendant  longtemps 
au  Journal  universel  des  Sciences  Médicales ,  ainsi  que 
dans  les  articles  dogmatiques  qu'il  publia  dans  plusieurs  vo- 
lumes du  grand  Dictionnaire  des  Sciences  Médicales.  Du 
reste ,  le  ton  qui  régnait  dans  la  polémique  de  Broussais  n« 
permettait  guère  à  ceux  qu'il  attaquait  de  rester  impassibles, 
A  la  multiplicité  des  faits  et  à  la  profondeur  du  raisonnement 
il  joignait  l'ironie,  le  sarcasme,  et  des  qualifications  peu 
bienveillantes  pour  ses  adversaires.  Logicien  rigoureux  et 
sévère,  il  ne  négligeait  aucune  Occasion  de  mettre  dans  toute 
leur  nudité  les  fautes  de  raisonnement  de  ses  ennemis.  Ha- 
bile à  saisir  le  point  faible  d'une  discussion,  il  s'y  jetait  avec 
une  hardiesse  que  rien  ne  pouvait  arrêter.  Observateur  sa- 
gace,  analyste  sévère,  sa  polémique  devenait  formidable  pour 
ceux  qu'il  combattait ,  en  raison  de  la  prodigieuse  multipli- 
cité des  faits  pratiques  qu'il  déroulait  à  leurs  yeux. 

En  1821,  Broussais  pul)lia  la  deuxième  édition  de  l'Exa- 
men des  Doctrines  Médicales,  ouvTage  tout  neuf,  relati- 
vement à  la  première  édition,  depuis  longtemps  épuisée» 
en  ce  que  l'auteur  y  agrandit  son  point  de  vue ,  et  du  rôle 


BROUSSAIS  —  BROUSSE 


ÎS9 


de  critique  s'élève  à  la  fonction ,  autrement  digne  et  impor- 
tante, d'historien  de  la  science.  Mais  dans  cette  édition  la 
partie  critique  occupe  encore  une  si  large  place,  que  le  plan 
historique  de  l'auteur  n'y  est  pas  nettement  dessiné.  Aussi 
beaucoup  de  noms  et  de  systèmes  qui  eurent  une  haute  in- 
fluence sur  la  marche  de  la  science  s'y  trouvent-ils  négligés 
ou  à  peine  indiqués,  quelquefois  méconnus  et  mal  jugés. 
Dans  la  troisième  édition  du  même  ouvrage,  qui  a  paru  de 
1829  à  1834,  liroussais  fait  de  nombreux  efforts  pour  effacer 
de  plus  en  plus  le  critique  à  l'ombre  de  l'historien.  Mais  son 
livre,  quelque  remarquable  qu'il  soit,  n'est  point  encore  une 
histoire  de  la  médecine. 

En  1822  Broussais  fonda  les  Annales  de  la  Médecine phtj- 
siologique,  journal  qui  devint  le  théâtre  de  sa  lutte  avec  les 
rnédccias,  et  où  il  publia  par  fragments  son  Traité  de  Physio- 
logie pathologique, et,  souslctitrede  Commentairedespro- 
positions  de  pathologie,  un  véritable  traité  de  médecine. 
Des  efforts  qu'il  déployait  Broussais  reçut  la  plus  belle  récom- 
pense. La  doctrine  physiologique  devint  au  bout  de  peu  d'an- 
nées la  théorie  k  laquelle  se  rattachèrent  la  très-grande  ma- 
jorité des  médecins  de  France  et  de  Belgique  ;  elle  pénétra 
en  Espagne,  en  Italie,  et  dans  les  deux  Amériques;  il  n'y 
eut  que  l'Angleterre  et  l'Allemagne  qui  furent  pour  elle  deux 
terres  ingrates,  où  jusqu'ici  elle  n'a  pu  jeter  de  racines  un  peu 
profondes.  Nommé  en  1820  premier  professeur  à  l'hôpital 
du  Val-de-Grâce ,  Broussais  fut  appelé  dès  sa  fondation  à 
l'Académie  royale  de  Médecine ,  en  qualité  de  membre  titu- 
laire ,  en  môme  temps  que  l'Académie  des  Sciences  et  la  Fa- 
culté de  Médecine  le  repoussaient. 

La  réforme  médicale  tentée  par  Broussais  offre  deux  mo- 
.ments  bien  distincts  :  leTraité  des  Phlegmasies  chroniques, 
la  première  édition  de  V Examen  des  Doctrines  Médicales 
et  les  leçons  orales  en  remplissent  la  première  période.  Ren- 
verser l'hypothèse  de  l'essentialité  des  fièvres,  combattre  ce 
que  l'auteur  a  nommé  Vontologie  médicale,  et  la  poursuivre 
jusqu'en  ses  derniers  retranchements ,  étudier  les  phlegma- 
sies aiguës  et  chroniques  sous  toutes  leurs  formes,  dans  toutes 
leurspériodes,  voilà  ce  que  fit  Broussais  jusqu'en  1821.  Avec 
la  seconde  édition  de  V Examen  des  Doctrines,  et  la  fonda- 
tion des  Annales  de  la  Médecine  physiologique,  commence 
une  autre  phase  de  la  vie  scientifique  de  leur  auteur.  Il  s'agit 
moins  pour  lui  de  continuer  à  défendre  une  cause  désormais 
gagnée  dans  l'esprit  des  médecins,  à  savoir  la  non-essentialité 
des  fièvres  et  la  théorie  des  phlegmasies  aiguës  et  chroniques, 
que  de  faire  reconnaître  Virritation  comme  la  loi  générale  de 
la  vie,  considérée  à  l'état  normal  et  à  l'état  anormal.  Cette 
grande  tâche,  Broussais  l'a  remplie  de  1821  à  1828.  Mais  à  cette 
époque  la  doctrine  physiologique,  qui  semblait  désormais 
à  l'abri  de  toute  atteinte  sérieuse,  se  crut  menacée,  sinon  dans 
son  existence ,  au  moins  dans  ses  progrès,  par  la  résurrection 
de  V éclectisme  philosophique,  qui  engendra  presque  aussitôt 
V éclectisme  médical.  Laënnec  venait  de  mourir,  empor- 
tant avec  lui  cet  esprit  étroit  de  polémique  sophistique,  qui, 
avec  son  talent  d'observation ,  contribua  si  puissamment  à 
la  grande  réputation  dont  il  jouit  de  son  vivant.  Il  arriva  à 
la  doctrine  physiologique  que ,  ne  pouvant  plus  l'attaquer 
dans  son  ensemble,  on  crut  triompher  d'elle  en  lui  faisant 
quelques  concessions,  et  en  mettant  des  doutes  plus  ou  moins 
ingénieux  à  la  place  des  prmcipes  que  l'on  contestait.  M.  An- 
dral,  qui  accepta  cette  mission  de  pur  dévouement  (car  elle 
n'exige  ni  courage  ni  puissance  de  création),  fut  celui  qui 
planta  en  regard  de  la  bannière  dogmatique  de  Brc»jssais 
le  drapeau  pâle  et  timide  de  l'éclectisme  médical. 

Broussais  sentit  tout  ce  qu'il  y  avait  d'habilement  perfide 
dans  les  concessions  qui  lui  étaient  faites,  bien  que  ceux  qui 
les  lui  faisaient  obéissent  tout  simplement  à  leur  propre  con- 
viction. Il  sentait  aussi  que  l'éclectisme  médical  devait  né- 
cessairement conduire  h  un  scepticisme  aussi  pénible  pour 
le  médecin  que  dangereux  pour  le  malade.  Déjà  les  rangs 
de  ses  zélateurs,  s'ils  ne  s'éclaircissalcnt  point  encore,  s'é- 


branlaient manifestement  :  on  lui  reprochait  de  n'avoir  pa» 
découvert  une  loi  générale,  puisque  tous  les  phénomènes  phy- 
siologiques et  pathologiques  ne  pouvaient  être  expliqués 'par 
la  théorie  de  Virritation ,  lui-môme  n'ayant  jamais  songé  à 
ramener  les  fonctions  et  les  désordres  du  système  nerveux 
sous  l'empire  de  sa  loi  générale.  Il  nous  semble  que  c'est  à 
cet  état  de  choses  que  nous  devons  le  livre  publié  en  1828 
sous  le  titre  de  Virritation  et  de  la  Folie ,  où  son  auteur 
essaye  de  rattacher  à  l'histoire  de  la  science  sa  propre  dé- 
couverte (  tant  il  est  vrai  que  les  hommes  de  génie  ont  tou- 
jours besoin  de  se  sentir  liés  à  la  traditioni),  et  combat 
l'éclectisme  philosophique  et  médical  avec  la  même  ardeur 
qu'il  avait  mise  à  poursuivre  l'ontologie  médicale. 

En  1831  Broussais  reçut  enfin  une  tardive  justice  :  la 
Faculté  de  Médecine  l'admit  dans  son  sein.  Lors  du  rétablis- 
sement de  l'Académie  des  Sciences  morales  et  politiques , 
en  1832,  il  fut  appelé  à  en  faire  partie.  Il  était  en  outre  com- 
mandeur de  la  Légion  d'Honneur  et  inspecteur  général  du 
service  de  santé  des  armées.  D''  Léon  Simon. 

Le  choléra,  qui  en  1832  vint  décimer  la  population  de 
Paris,  fut  pour  Broussais  l'occasion  d'une  nouvelle  polémique. 
Mais  Casimir  Périe  rayant  été  atteint  par  le  fléau,  Broussais 
ne  put  le  sauver;  ses  adversaires  s'emparèrent  de  cette  oc- 
casion pour  critiquer  plus  que  jamais  le  système  de  l'irri- 
tation. 

Parmi  les  dernières  publications  de  Broussais ,  une  des 
plus  importantes  est  son  Cours  de  Phrénologie ,  qui  parut 
en  1836. 

Broussais  mourut  à  Vitry,  près  de  Paris,  le  17  novembre 
1838.  Ses  cendres  ont  été  déposées  au  Val-de-Grâce,  où  un 
monument  lui  a  été  élevé  par  souscription. 

BROUSSAIS  (  Anne-Mabie-  Casimui  ),  fils  du  précédent, 
naquit  à  Saint-Servan  (  Ille-et-Vilaine  ) ,  le  10  février  1803. 
Il  se  livra  à  l'étude  de  la  médecine  sous  la  direction  de  son 
père ,  et  en  1831  il  commença  à  être  attaché  aux  hôpitaux 
comme  chef  de  service.  En  1833  il  entra  au  Val-de-Grâce 
comme  professeur.  Il  fut  enlevé  à  la  science  au  mois  de 
juillet  1847. 

Les  principales  publications  de  Casimir  Broussais  sont , 
outre  un  grand  nombre  d'analyses,  d'observations  et  de 
rapports  de  médecine,  sa  thèse  pour  l'agrégation  sur  Vana- 
tomie  pathologique,  publiée  en  1829;  sa  thèse  soutenue 
en  1833  au  concours  pour  la  chaire  de  clinique  interne,  sur 
cette  question  :  Existe-t-il  des  maladies  générales  pri- 
mitives ou  consécutives?  (  in-4°  de  28  pages  );  Atlas  his- 
torique et  bibliographique  de  la  Médecine  (  1829);  Hy- 
giène Morale  (1837);  Lettre  sur  la  Fièvre  Typhoïde 
(1842);  Histoire  des  Méningites  cérébro-spinales  qui  ont 
régné  épidémiquement  dans  différentes  garnisons  en 
France,  depuis  1837  jusqu'en  1842  (  1843);  etc. 

BROUSSE  ou  BOURSAH ,  l'ancienne  Pruse,  capitale  de 
la  Bithynie,  devenue  plus  tard  la  résidence  des  sultans 
turcs,  dansl'eyalet  d'Anatolie,  située  au  pied  de  l'Olympe 
ou  Keshish,  montagne  boisée  haute  de  1500  mètres,  dans 
une  ravissante  situation,  à  29  kilomètres  de  Mundania,  sur 
les  bords  de  la  mer  de  Marmara,  compte  60,000  habitants 
dontc.,000  Arméniens,  4,000  Grecs  et  2,000  Juifs.  La  ville  pro^ 
prementdite  est  en  partie  construite  sur  des  rochers  coupés  à 
angle  droit  et  entre  lesquels  s'élèvent  de  grands  arbres.  Elle 
est  entourée  de  remparts  et  de  fortes  murailles  ;  un  château 
fort,  bâti  sur  un  autre  rocher  et  dont  les  murs,  d'origine  cy- 
clopéenne,  attestent  la  haute  antiquité,  la  domine.  Elle  est  le 
siège  d'un  pacha,  d'un  mollah,  d'un  métropolitain  grec  et 
d'un  archevêque  arménien.  On  y  voit  deux  palais  impériaux, 
un  nombre  infini  de  mosquées ,  entre  autres  celle  des  trois 
sultans  (  Mourad  I'^'",  Bajazet  I"  et  Mohammed  V  )  ;  la 
mosquée  du  sultan  Orkhan  et  celle  de  Mourad  I*"  se  dis- 
tinguent par  leur  architectme  et  leurs  proportions  gran- 
dioses; trois  églises  grecques  et  une  église  arménienne,  plu- 
sieurs synagogues,  de  magnifiques  promenades,  des  jardins 


760 


BROUSSE  —  BROrSSEL 


admirablement  dessinés  et  riches  en  ombrages,  d'excellentes 
sources  thermales,  une  foule  de  fontaines  et  de  nombreux 
caravansérails.  Les  habitants  fabriquent  de  la  gaze,  du 
velours,  des  étoffes  de  soie,  des  toiles,  des  tapisseries,  des 
têtes  de  pipe,  des  étoffes  et  des  broderies  d'or  et  d'argent, 
dont  on  exporte  annuellement  de  3  à  4,000  quintaux  pesant, 
et  qu'on  expédie,  avec  du  vin,  du  safran,  de  la  térébenthine, 
de  la  noix  de  galle,  etc.,  à  Sinyrne,  à  Constantinople  et  à 
Angora.  Les  Grecs  et  les  Arméniens  y  vivent  très-rigoureu- 
sement séparés  les  »ms  des  autres  dans  les  deux  petits  fau- 
bourgs situés  au  bas  de  la  ville  et  entourés  chacun  de  fossés 
et  de  ponts-levis.  Le  monument  du  sultan  Othman  1'"",  orné 
de  marbre  et  de  jaspe,  est  situé  en  dehors  de  la  ville,  dans 
le  voisinage  de  laquelle  on  trouve  aussi  les  bains  de  Jenni 
«td'Eski-Kapiizza.  Dans  la  montagne  d'Eskischehir,  voisine 
de  Brousse,  et  aussi  à  Kiitshik,  on  trouve  beaucoup  d'écume 
de  mer,  qu'on  taille  en  tôtes  de  pipe  à  Brousse  même,  mais 
qu'on  ne  sculpte  qu'à  Vienne,  à  Lemgo  et  dans  d'autres  villes. 
Dans  ces  derniers  temps,  Brousse  est  singulièrement  déchue 
de  son  antique  prospérité. 

Prise,  en  1325,  par  Orkhan,  fds  d'Othman,  pendant  la 
dernière  maladie  de  son  père,  Pruse,  ou  Brousse,  devint 
alors  la  capitale  des  sultans  othomans.  Ce  prince  y  fonda, 
en  1334,  avec  une  magnificence  vraiment  royale,  une  mos- 
quée, un  hôpital  et  une  académie,  qui  devint  si  fameuse  par 
Je  mérite  de  ses  professeurs,  qu'on  y  accourait  en  foule  du 
fond  de  l'Arabie  et  de  la  Perse.  Mou  rad  F'',  s'étant  emparé 
d'An  d  ri  no  pie  en  1360,  y  transporta  la  résidence  des  sul- 
tans. Bajazet  l"  fit  bâtir  à  Brousse  une  superbe  djami  ou 
mosquée,  avec  une  medresseh,  ou  collège.  Cet  orgueilleux 
monarque  ayant  été  vaincu  et  fait  prisonnier  par  Tamerlan, 
Brousse  fut  conquise  par  le  vainqueur  en  1402.  On  y  prit 
la  femme  et  les  deux  filles  de  Bajazet;  et,  quoiqu'un  des 
fils  du  sultan  en  eût  enlevé  le  trésor  public,  on  y  trouva 
des  richesses  immenses  ;  les  perles  et  les  pierres  précieuses 
s'y  mesuraient  au  boisseau.  Après  avoir  brûlé  Brousse ,  Ta- 
merlan la  rendit  à  Mousa,  l'un  des  fils  du  sultan.  Bajazet 
y  fut  enterré  l'année  suivante.  Ses  fils  s'en  disputèrent  la 
possession  durant  quelques  années;  elle  resta  à  Mahomet  l*"', 
qui  mit  fin  à  l'anarchie.  En  1413  le  sultan  de  Carama- 
nie  assiégea  cette  ville,  dont  il  pilla  les  faubourgs.  En  1481 
le  prince  Djem ,  ou  Zizim,  disputant  l'empire  à  son  frère 
Bajazet  II,  fut  proclamé  sultan  à  Brousse,  dont  les  habitants 
lui  fournirent  des  sommes  considérables.  Lorsque  après  ses 
revers  et  son  long  séjour  en  France,  ce  prince  eut  été  em- 
poisonné en  Italie,  son  corps ,  réclamé  par  Bajazet ,  fut 
transporté  à  Brousse  pour  y  être  enterré.  En  14'J0  un 
violent  incendie  consuma  cette  ville.  En  1693,  sous  le  règne 
d'Achmet  II,  Misri-Effendi ,  cheik  ou  mollah  de  Brousse, 
enrôla  trois  mille  derviches  sous  son  étendard,  et  se  rendit 
à  Andrinople,  où  il  déclama  contre  le  gouvernement  dans  la 
grande  mosquée.  Le  sultan  triompha  de  sa  révolte,  et  s'em- 
para par  ruse  de  sa  personne;  mais  il  n'osa  sévir  contre  lui, 
et  le  fit  reconduire  respectueusement  dans  sa  résidence. 

BROUSSEL  (  PiEKKE  ),  conseiller  à  la  grand'chambre 
du  parlement  de  Paris,  joua  un  rôle  important  dans  les 
troubles  de  la  F  ronde.  Il  s'était  toujours  prononcé  contre 
les  nouveaux  impôts ,  et  surtout  contre  l'accroissement 
exorbitant  des  acquits  au  comptant,  bons  sur  le  trésor,  émis 
par  le  roi  lui-même,  sans  être  ordonnancés  par  un  ministre, 
et  sans  que  le  motif  en  fût  indiqué. 

Le  parlement  avait  cassé  le  testament  de  Louis  XIII,  et, 
sur  la  renonciation  formelle  du  duc  d'Orléans  et  du  prince 
de  Condé  à  la  régence,  il  l'avait  déférée  à  la  veuve  du  feu 
roi,  Anne  d'Autriche.  Il  pouvait  dès  lors  se  considérer 
comme  responsable  des  actes  de  la  régence,  ou  du  moins 
s'arroger  le  droit  et  le  devoir  de  contrôler  ses  actes.  Toute 
la  France  avait  été  aussi  surprise  qu'indignée  de  voir  que  le 
pouvoir  fût  passé  de  fait  entre  les  mains  de  deux  étrangers  : 
le  cardinal  Mazarin  avait  été  fait  prcmierniinistrc,  et  !c 


ministère  des  finances  avait  été  remis  à  un  autre  Italien, 
Emerio,  qui,  pour  avoir  francisé  son  nom  (  d'Émeri  ),  n'en 
était  pas  moins  étranger.  Cette  double  promotion  avait  con- 
trarié de  hautes  ambitions;  l'augmentation  des  imjjôts  ex- 
citait de  violents  murmures.  A  la  tète  des  frondeurs  se  si- 
gnalait René  de  Longueil  de  Maisons,  président  à  mortier. 
Le  conseiller  Broussel  partageait  ses  opinions  et  ses  vœux 
pour  la  réformation  des  abus;  plus  que  septuagénaire,  il 
avait  encore  toute  l'énergie  du  jeune  ûge,  et  manifestait 
avec  la  plus  courageuse  fianchise  sa  haine  contre  le  des- 
potisme ministériel.  La  cour,  effrayée  de  l'opposition  du  par- 
lement et  de  son  refus  d'enregistrer  les  nouveaux  éditsbur- 
saux  ,  après  avoir  essayé  de  la  violence  et  des  moyens  de 
séduction,  avait  été  forcée  de  céder.  Le  parlement  réclamait 
1°  la  diminution  des  impôts;  2°  l'établissement  d'une  cour 
de  justice  chargée  de  surveiller  l'emploi  des  revenus  de 
l'État  et  de  poursuivre  les  ministres  et  les  autres  agents  con- 
cussionnaires ;  3°  la  suppression  des  intendants  ;  4°  l'abo- 
lition des  acquits  au  comptant.  La  régente,  ou  plutôt  son 
premier  ministre,  avait  envoyé  au  parlement  une  déclaration 
où  l'on  faisait  les  plus  belles  promesses  pour  l'avenir,  et  qui 
en  réalité  se  bornait  à  une  modique  réduction  des  impôts 
existants.  On  délibéra  longtemps  si  cette  déclaration  serait 
préalablement  soumise  au  rapi)ort  d'une  commission  :  la 
majorité  opina  pour  l'affirmative.  Le  conseiller  Broussel 
oxa  se  charger  du  rapport  ;  ses  conclusions  ne  furent  point 
favorables  au  pouvoir. 

Le  duc  d'Orléans  s'était  constitué  médiateur  entre  la  cour 
et  le  parlement  ;  il  insistait  pour  l'enregistrement.  Broussel 
persistait ,  au  contraire ,  à  soutenir  ses  conclusions  pour  le 
rejet  ■>•  Le  nom  d'intendant,  disait-il,  est  si  odieux  et  si 
suspect  au  peuple,  qu'il  faut  en  abolir  et  en  ôter  la  mémoire  ; 
il  faut  le  rayer  de  nos  fastes,  comme  de  mauvais  augure  et 
pernicieux  kla.républiq2ie.  «  Nos  pères  n'entendaient  par  ce 
mot  que  Vintérét  général  du  pays.  Les  délibérations  du 
parlement  sur  cette  déclaration  se  prolongeaient  ;  mais  il  était 
facile  d'en  prévoir  le  résultat.  La  cour  fit  remettre  une  nou- 
velle déclaration ,  moins  restreinte,  et  qui  ne  fut  pas  mieux, 
accueillie.  Tout  rapprochement  devint  dès  lors  impossible  ; 
le  ministère  était  à  bout  de  voie  :  la  nouvelle  de  la  victoire 
de  Lens  lui  rendit  le  courage  et  l'espérance;  il  se  hâta  d'ex- 
ploiter à  son  profit  l'enthousiasme  populaire.  Le  ministère 
affecta  la  modération  ;  il  semblait  ne  pas  vouloir  profiter  de 
ses  avantages.  Il  flattait  le  parlement.  Mais  Mazarin  méditait 
un  odieux  guet-apens  contre  les  membres  qui  s'opposaient  à 
ses  usurpations.  L'exécution  du  coup  d'Etat  fut  ajournée 
au  26  août  (1648  ),  jour  fixé  pour  le  Te  Deum  :  toutes  les 
cours  souveraines  y  assistèrent  ;  le  parlement  s'y  rendit  en 
plus  grand  nombre  qu'à  l'ordinaire,  précisément  parce  que 
la  cour  avait  fait  répandre  le  bruit  qu'il  avait  résolu  de  res- 
ter étranger  à  cette  solennité.  Toutes  les  rues ,  depuis  le 
Palai.s-Royal  jusqu'à  Notre-Dame,  étaient  bordées  de  gardes 
iVançaises  et  de  gardes  suisses,  qui  continuèrent  à  stationner 
après  le  retour  du  roi  et  de  son  cortège.  Cette  circonstance 
fut  remarquée  et  provoqua  dans  le  public  une  agitation  in- 
quiète. Cominges,  lieutenant  des  gardes  de  la  régente,  et  qui 
avait  ordre  d'arrêter  Broussel,  le  président  de  Blancménil 
et  Cliarton ,  était  resté  à  l'église  après  la  cérémonie  :  on 
s'étonnait  qu'un  officier  des  gardes  du  corps  n'eût  pas  suivi 
la  cour. 

Les  membres  du  parlement  étaient  encore  à  Notre-Dame; 
on  leur  donna  avis  du  stationnement  extraordinaire  des  trou- 
pes de  la  garde  royale,  et  on  en  concluait  que  leur  liberté 
était  menacée.  Tous  sortirent  en  même  temps  et  avec  pré- 
cipitation; ils  s'écoulèrent  par  toutes  les  issues.  La  foule 
accourue  jiour  voir  le  cortège  circulait  sur  le  parvis  et  dans 
les  rues  voisines;  on  s'aperçut  de  ce  mouvement  :  des  grou- 
pes nombreux  se  formèrent.  Cominges  avait  envoyé  deux 
exempts  pour  se  saisir  de  Blancménil  et  de  Cliarton;  celui- 
ci,  prévenu  à  temps,  s'était  évadé.  Lui-même  s'était  réservé 


BROUSSEL  —  BROUSSONNET 


761 


I 


Yexpédition  la  plus  dillicile  :  la  régente  attachait  la  plus 
liaufe  importance  à  l'arrestation  du  vieux  Broussel,  et  avant 
<'»'  sortir  de  la  calliédraie  elle  avait  réitéré  ses  ordres  à 
Cominges,  «  Allez,  lui  avait-elie  dit;  et  que  Dieu  vous  as- 
siste! »  L'officier  avait  combiné  son  plan  :  il  avait  envoyé 
«l'avance  son  canosse ,  quatre  gardes  et  un  exempt  à  l'ex- 
trémité de  la  rue  Saint-Landri,  où  demeurait  Broussel.  Les 
portières  étaient  abattues,  les  mantelets  levés  pour  pouvoir 
donner  des  ordres  en  cas  d'attaque.  Cominges  s'empare  de 
la  porte  de  la  maison,  y  laisse  deux  gardes,  et  pénètre  dans 
l'appartement  du  magistrat.  Le  vieillard  achevait  sondiner; 
sa  famille  était  réunie  ;  il  n'était  vêtu  que  d'une  vieille  robe 
de  chambre.  L'ofticier  lui  signifie  l'ordre  de  la  reine,  et  pré- 
sente la  lettre  de  cachet.  Broussel  ne  demande  que  le  temps 
de  s'habiller  ;  sa  fanùlle  se  précipite  épiorée  ;  une  vieille  ser- 
vante se  place  à  une  lenôtre ,  et  crie  à  la  foule  qu'on  veut 
enlever  son  maître.  Les  groupes  grossissent,  on  se  dispose 
à  briser  le  canosse  :  les  gardes  en  défendent  l'approche. 
Cominges  arraclie  le  vieillard  des  bras  de  sa  famille,  et,  le 
fer  sur  la  poitrine ,  il  le  menace  de  le  tuer  s'il  ne  marche  à 
l'instant.  11  l'entraîne ,  et  le  jette  dans  le  carrosse  ;  mais  au 
|)remier  détour  la  foule  oppose  ses  masses  compactes ,  et  à 
peine  est-ou  entré  dans  la  rue  des  Marmousets,  que  de  l'élude 
d'un  notaire  on  lance  un  banc  de  bois  qui  barre  le  passage. 
Le  carrosse  ne  franchit  cet  obstacle  que  pour  aller  se  bri- 
ser sur  le  quai  des  Orfèvres,  vis-à-vis  de  l'hôtel  du  premier 
président. 

L'officier  a  perdu  l'espoir  d'emmener  son  prisonnier,  et  ne 
songe  plus  qu'à  sa  sûreté  personnelle  :  il  s'élance  de  la  voi- 
ture répée  à  la  main,  traverse  les  premiers  groupes.  Des 
soldats  du  légimenl  des  gardes  accourent  à  ses  cris,  le 
[)lacent  au  milieu  de  leurs  rangs  serrés;  d'autres  courent 
pour  s'emparer  du  premier  carrosse  venu  :  il  s'en  présente 
un  ;  ils  forcent  la  dame  qui  l'occupe  d'en  descendre,  et  y  font 
monter  Broussel.  Le  carrosse  de  Cominges  avait  été  enlière- 
inent  brisé;  l'autre  carrosse  se  rompt.  L'envoyé  de  la  reine 
était  perdu  et  son  prisonnier  déli\Té,si  Guitaut,son  oiicle, 
capitaine  des  gardes  delà  régente,  ne  fût  accouru  à  son  se- 
cours. 11  se  précipite  dans  ce  troisième  carrosse  avec  Brous- 
sel, et  parvient  aux  Tuileries,  où  l'attendait  un  relais  qui  le 
conduit  au  château  de  Madrid  et  de  là  à  Saint-Germain,  où 
il  fait  coucher  le  vieillard.  Le  président  Blancménilavaitété 
touduit  sans  obstacle  au  château  de  Vincenues.  D'autres  of- 
liciers  des  gardes  portaient  des  lettres  de  cacheta  trois  con- 
seillers qu'ils  étaient  chargés  de  conduire  l'un  à  iSIantes, 
l'autre  à  Provins  et  le  troisième  à  Compiègne.  Aucun  de  ces 
magistiats  ne  put  être  arrêté. 

Cominges  avait  conduit  à  fm  sa  périlleuse  entreprise;  mais 
Paris  était  soulevé  ;  des  groupes  armés,  menaçants,  parcou- 
idient  la  ville  ;  toutes  les  boutiques  se  ferment  ;  bientôt  douze 
cent  soixante  barricades  s'élèvent  comme  par  enchan- 
teiuent.  Le  maréchal  de  La  Meilleraie  marche  à  la  tête  du  ré- 
giment des  gardes.  Les  Ilots  du  mouvement  populaire  le  pres- 
sent et  l'arrêtent  à  chaque  pas.  Aux  cris  de  Broussel  !  lirons- 
sel  !  Vive  le  roi  seul  !  Vive  Broussel  !  àminerres  sont  partout 
lancées  sur  le  maréchal  et  sur  sa  troupe  ;  dégagé  par  le  coad- 
juteur,  il  arrive  au  Palais-Royal.  La  régente  était  effrayée  ; 
de  nombreux  courtisans  cherchaient  à  la  rassurer  :  «  Ce 
n'otait  qu'un  feu  de  paille,  disaient-ils.  Que  pouvait  faire  une 
populace  sans  chef  pour  celui  qu'elle  s'était  donné?  Le 
tribun  du  peuple,  Broussel,  était  au  pouvoir  de  sa  ma^'csté.  » 
Les  rapports  du  maréchal  et  du  coadjuteur  sont  considérés 
comm.e  l'expression  de  la  peur,  qui  exagère  tout,  et  les 
courtisans  beaux  esprits  répondent  aux  effrayants  récits  du 
coadjuteur  et  du  maréchal  par  des  épigrammes  et  des  éclats 
de  rire.  Bientôt,  cependant,  l'émeute  gronde  autour  du 
palais  ;  un  lieutenant  des  gardes  annonce  que  le  peuple  me- 
nace de  forcer  les  postes;  le  chancelier,  pâle  et  tremblant, 
à  grand'peine  échappé  aux  groupes  furieux  ,  confirme  l'im- 
luiucnce  du  danger.  Le  vieux  Guitaiit  s'écrie  :  «  11  faut  ren- 
mer.  DE  L\  oNiTKS.  —  r.  m. 


dre  ce  vieux  coquin  de  Broussel  mort  ou  vif.  «  Le  cardinal 
de  Retz  appuie  cet  avis.  «  Je  vous  entends,  monsieur  le 
coadjuteur,  dit  la  régente;  vous  voudriez  que  je  rendisse  la 
liberté  à  Broussel  ;  je  l'étranglerais  plutôt  de  mes  mains  et 
ceux  qui...  >>  Et  elle  s'élance  sur  le  coadjuteur  avec  un  geste 
menaçant  ;  le  cardinal  Mazarin  l'arrête ,  lui  dit  un  mot  à 
l'oreille ,  et  sa  fureur  s'évanouit. 

Force  était  de  céder  enfin  aux  Parisiens.  On  fait  publier 
que  les  prisonniers  vont  être  rendus  à  la  liberté;  les  amis 
que  la  cour  compte  dans  le  parlement  proposent  un  arrêt 
qui  fasse  détruire  les  barricades  et  cesser  les  rassem- 
blements. Mais  les  Parisiens  veulent  voir  de  leurs  yeux 
Broussel  en  liberté,  et  bientôt  le  vieux  magistrat  est  tiré  de 
sa  prison  et  ramené  à  Paris  dans  un  carrosse  de  la  cour,  at- 
telé de  six  chevaux.  Son  arrivée  fut  un  triomphe  :  le  calme 
se  rétablit;  à  sa  rentrée  au  parlement,  il  fut  reçu  en  au- 
dience solennelle  et  complimenté  par  le  premier  président 
au  nom  de  toutes  les  chambres.  Ce  calme,  toutefois,  ne  fut 
qu'une  trêve  passagère  :  im  cri  général  s'élevait  contre  Ma- 
zarin;  le  parlement  et  le  peuple  demandaient  son  renvoi. 
La  reine  ,  le  roi  et  le  cardinal  avaient  été  forcés  de  s'enfuir 
de  Paris;  les  frondeurs  restaient  maîtres  de  la  capitale.  Le 
vieux  Broussel  avait  été  nommé  gouverneur  de  la  Bastille 
après  la  prise  de  cette  foiteresse  par  le  peuple  en  1649. 
Lorsque  la  paix  fut  rétablie  entre  les  frondeurs  et  la  cour,  il 
fut  convenu  qu'il  conserverait  ce  commandement  et  que  le 
château  ne  serait  pas  utimédiatement  remis  au  roi.  Il  eut 
pour  successeur  dans  ce  poste  son  fils,  qui  donna  quelques 
années  après  sa  démission ,  moyennant  une  indemnité  de 
90,000  francs.  En  1652  les  frondeurs,  ayant  destitué  le 
prévôt  des  marchands,  mirent  à  sa  place  Broussel,  leur  idole. 
Il  avait  été,  avec  un  grand  nombre  de  frondeurs,  excepté 
de  l'amnistie  publiée  après  la  rentrée  dti  roi  dans  Paris.  Le 
tribun  du  peuple  n'était  pUis  redoutable;  il  se  survivait  à 
lui-même.  Il  ne  s'était  nullement  opposé  à  la  capitulation 
qui  avait  mis  fin  aux  troubles.  L'exception  dont  il  fut  frappé 
ji'élait  ni  juste  ni  politique  :  c'était  une  infraction  à  la  foi  des 
traités.  Le  vieillaid  mourut  en  exil.    Dufey  (de  l'Yonne.  ) 

BROUSSOIVNET  (  Pierre-Marie-Adcuste),  naquit 
àI\iontpellier,le28  février  1761.  Fils  d'un  médecin,  les  riclies 
productions  du  lieu  de  sa  naissance  et  les  collections  de  sou 
père  firent  de  lui  un  botaniste  avant  même  son  entrée  au 
collège  :  il  connut  Linné  avant  Yirgile,  et  cela  eut  la  plus 
grande  influence  sur  sa  destinée.  Sa  thèse  doctorale  Sur  la 
Respiration  (  1778)  atteste  d'assez  grandes  connaissances  en 
histoire  naturelle  :  c'est  un  bon  travail  de  physiologie  com- 
parée; on  y  trouve  à  la  fois  de  l'érudition  et  de  la  sagacité. 
Après  sa  réception,  le  jeuneBroussonnet  vintà  Paris.  11  se 
lia  alors  avec  les  savants  de  la  capitale  ;  il  étudia  attentive- 
ment les  belles  collections  du  Jardin  du  Roi,  et,  peu  sa- 
tisfait des  classifications  de  Buffun  et  de  Daubenton,  il  con- 
çut le  projet  qu'a  depuis  réalisé  Cuvier,  d'appliquer  à  toutes 
les  parties  de  l'histoire  naturelle  la  nomenclature  si  simple 
et  si  commode  de  Lmné ,  qu'il  mettait  judicieusement  au- 
dessus  des  autres  arrangements  systématiques.  Peut-être  ne 
prévoyait-il  pas  plus  que  Linné  lui-même  ne  l'avait  prévu,  qu'il 
arriverait  un  moment  où  l'histoire  naturelle  ne  serait  plus 
qu'une  vaine  liste  de  noms  barbares,  qu'un  aride  catalogue, 
qu'un  puéril  alphabet,  sans  idées,  sans  vues,  sans  grandeur, 
à  l'usage  de  ceux  qui,  au  préjudice  de  la  pensée,  distribuent 
dans  l'ordre  le  plus  parfait  des  milliers  de  mots  stériles  dans 
leur  vaine  mémoire.  Cette  nouveauté  un  peu  superficielle 
attira  sur  lui  l'attention  des  savants,  sans  exciter  en  eux  au- 
cune sollicitude  de  rivalité,  puisque  après  tout  les  idées  de 
Broussonnet  n'étaient  qu'un  simple  reflet  de  celles  de  Linné. 
D'ailleurs,  les  zoologistes  d'alors  n'étaient  pas  fâchés  de  rom- 
pre indirectement,  et  comme  malgré  eux,  avec  Buffon,  dont 
le  grand  nom,  perpétuellement  répété  de  toutes  parts,  avait 
quelque  chose  de  blessant  pour  les  contemporains  sm-vivanta 
du  célèbre  écrivain. 

36 


7()2 

Pour  mieux  accomplir  son  projet,  Broussonnet  r<^solut  de 
visiter  les  principaux  cabinets  d'histoire  naturelle  de  l'Europe, 
espérant  y  trouver  des  espèces  plus  nombreuses  que  n'en 
possédait  alors  le  Muséum  de  Paris.  Sa  première  visite  fut 
pour  Londres  ;  la  générosité  de  Ban  k  s  l'y  retint  longtemps, 
et  lui  rendit  le  séjour  de  cette  ville  aussi  agréable  que  fruc- 
tueux. C'est  à  Londres  que  Broussonnet  publia  sa  rremlère 
décade  des  Poissons,  commencement  d'ouvrage  qui  le  plaça 
tout  d'abord  au  premier  rang  des  naturalistes  et  le  fit  adopter 
()ar  les  deux  premiers  corps  savants  de  l'Europe  :  la  Société 
Royale  de  Londres  et  l'Académie  des  Sciencesde  Paris.  Il  avait 
à  peine  vingt-quatre  ans.  Broussonnet  publia  à  peu  près  à  la 
môme  époque  une  Histoire  des  Chiens  de  Mer,  un  Mémoire 
sur  les  Poissons  électriques,  les  Silures,  la  Torpille, etc.; 
une  Description  des  Vaisseaux  spermatiques  des  poissons, 
un  mémoire  assez  curieux  touchant  les  moicvements  com- 
parés des  animaux  et  des  plantes ,  et  un  autre  mémoire 
sur  les  dents  des  animaux  de  tout  ordre,  etc. 

Broussonnet  aurait  pu  fournir  une  carrière  brillante  sans 
quitter  l'histoire  naturelle;  mais  il  se  laissa  aller  à  l'incons- 
tance de  son  caractère ,  à  la  tentation  provoquée  par  un  ad- 
ministrateur de  ses  amis,  M.  Berthier  de  Sauvigni ,  qui 
l'attira  vers  l'agriculture  en  le  nommant  secrétaire  de  la  So- 
ciété Royale  nouvellement  instituée  h  Paris.  Plus  tard  il 
quitta  l'agronomie  pour  la  politique ,  comme  il  avait  déjà 
quitté  la  zoologie  pour  l'agriculture,  et  d'abord  la  botanique 
pour  la  zoologie. 

Membre  de  l'Assemblée  de  1789,  il  fut  chargé  plus  tard  de 
l'approvisionnement  de  la  ville  de  Paris  de  concert  avec 
Vauvilliers.  1792  vint  ensuite  lui  faire  expier  par  de  vifs 
regrets  son  ambition  des  trois  années  précédentes.  Retiré 
d'abord  volontairement  dans  une  campagne  des  environs  de 
Montpellier,  Broussonnet  fut  ensuite  emprisonné,  comme  gi- 
rondin, dans  la  citadelle  de  cette  ville,  d'où  il  s'évada,  comme 
par  miracle.  Ce  fut  avec  beaucoup  de  peines,  et  non  sans 
(le  grands  dangers ,  qu'il  se  fraya  un  chemin  en  Espagne , 
où  il  eût  essuyé  les  plus  mortelles  privations  si  la  noble 
amitié  de  Banks  ne  se  fût  ingéniée  à  lui  procurer  de  secou- 
rables  consolations  en  lui  expédiant  1,000  guinées.  Protégé 
à  ]\Iadrid  par  cet  Anglais  généreux,  Broussonnet  s'en  vit  re- 
poussé par  des  Français,  émigrés  et  malheureux  comme  lui, 
comme  lui  expiant  des  erreurs  et  fuyant  l'échafaud,  espérant 
comme  lui  des  jours  meilleurs ,  mais  autrement  que  lui.  Il 
lui  fallut  donc  bientôt  quitter  Madrid,  d'où  il  passa  à  Lis- 
bonne; et  comme  la  haine  ne  manqua  pas  de  le  précéder 
jusqu'au  sein  du  Portugal ,  Broussonnet  fut  trop  heureux  de 
devoir  à  la  protection  du  duc  de  La  Foëns,  président  de 
l'Académie  des  Sciences  de  Lisbonne  et  prince  du  sang,  la 
permission  de  vivre  caché  dans  l'hôtel  de  cette  Académie. 
Mais  quand  l'inquisition  du  lieu  fut  instruite  par  des  Français 
de  Madrid  que  la  bibiiotiièque  de  Lisbonne  donnait  refuge 
à  un  franc-maçon  de  Montpellier,  force  fut  à  Broussonnet 
«l'aller  chercher  à  Maroc  la  liberté  de  vivre  inoffensif  et 
ignoré ,  qu'il  n'avait  pu  trouver  dans  la  péninsule. 

Broussonnet  s'était  trouvé  .si  libre  et  si  heureux  à  Maroc, 
qu'au  moment  où  la  tranquillité  fut  rétablie  en  France  il  de- 
manda instamment  le  consulat  de  Mogador,  et  plus  tard 
celui  des  Canaries.  Il  venait  d  être  nommé  consul  au  cap  de 
Bonne-Espérance,  quand  son  parent,  le  célèbre  Chaptal, 
alors  ministre  de  l'intérieur,  l'appela  à  la  chaire  de  botanique 
de  Montpellier,  qu'il  aurait  du  pour  son  bonheur  occuper 
vingtans  plus  tôt.  11  succomba,  en  1807,  à  une  attaque  d'apo- 
plexie ,  qui  avait  d'abord  déterminé  des  effets  singulier.s  : 
après  avoir  assez  promptement  recouvré  l'usage  des  sens , 
les  mouvements,  les  facultés  de  l'esprit  et  la  parole,  Brous- 
sonnet ne  put  jamais  ni  prononcer  ni  écrire  convenablement 
les  noms  substantifs  et  les  noms  propres  en  quelque  langue 
que  ce  fût,  tandis  que  les  épilhètes  et  les  adjectifs  lui  arri- 
vaient en  foule.  C'est  à  Broussonnet- qu'est  due  l'introduction 
en  France  du  mûrier  à  papier,  plante  dont  il  avait  observé 


BROUSSONNET  —  BROWN 

un  individu  femelle  h  Oxford,  et  à  laquelle  le  botaniste 
Lhéritier  a  doimé  le  nom  de  Broussonnelia  (voyez  Biiois- 

SONNETIEU).  Isidore   BOUIiDOM. 

BROUSSOIXiXETIEU,  genre  de  la  famille  des  amen- 
tacées,  établi  par  Ventenat  en  l'honneur  du  naturaliste  fran- 
çais Broussonnet.  11  se  rapproche  beaucoup  du  genre 
mûrier,  et  le  broussonneticr  à  papier  {broussonnetin 
papyracea)  avait  même  reçu  de  Linné  le  nom  de  mûrier  à 
papier.  Mais  le  genre  broussonnetier  se  reconnaît  à  un  pistil 
simple  et  par  sa  semence  que  recouvre  le  calice. 

Le  broussonneticr  à  papier,  originaire  du  Japon,  est  un 
grand  arbre  à  tCte  arrondie  et  à  feuilles  rudes;  les  unes  à 
cœur  et  entières,  les  autres  à  deux  ou  trois  lobes;  ses  fleurs 
sont  dioiques  :  les  mules  sont  en  chatons  et  les  femelles  en 
forme  de  petites  tôtes  verdàtres.  En  automne ,  il  sort  de  leur 
calice  des  filets  rouges,  saillants,  succulents  et  mangeables. 
Son  écorce  sert  au  Japon  à  faire  du  papier.  Il  s'accommode 
de  toute  espèce  de  terrain,  et  se  multiplie  de  graines  et  de 
marcottes. 

Une  autre  espèce  est  employée,  dans  l'Amérique  australe, 
pour  teindre  en  jaune  :  c'est  le  broussonnelia  tincloria , 
décrit  par  M.  de  Humboldt,  et  qui  se  distingue  par  ses  feuilles 
hsses  et  ses  branches  épineuses. 

BROUT.  On  donne  ce  nom  aux  jeunes  pousses  d'arbre 
que  les  bestiaux  broutent  au  printemps. 

BROUTER  (de  ppÙTteiv,  manger),  paître,  manger 
l'herbe  ou  les  feuilles  des  arbres.  L'herbe  sera  bien  courte, 
s'il  ne  trouve  de  quoi  brouter,  se  dit  d'un  homme  indus- 
trieux qui  sait  trouver  à  subsister  aisément  où  d'autres 
auraient  peine  à  vivre. 

BROUTILLES,  diminutif  de  brout,  menues  bran- 
ches, et  au  figuré  petites  choses  inutiles  ou  de  peu  de  valeur. 

BROUWER  (ADKiEjf).  Foye;  Brauwer. 

BROWN  (Roreut),  fondateur  de  la  secte  religieuse  des 
brounistes,  était  né  vers  15;)0,  à  Northampton,  et  avait 
fait  ses  études  à  Cambridge.  En  1581  il  devint  ministre  à 
Norwich,  où  les  Hollandais  avaient  fondé  une  communauté 
anabaptiste,  et  y  fit  de  nombreux  prosélytes,  de  concert 
avec  le  naître  d'école  Nicolas  Harrison.  Jeté  en  prison  par 
suite  de  l'excessive  ardeur  de  sa  polémique,  il  fut  remis  en 
liberté,  grâce  à  l'intervention  de  son  parent  Cécil,  lord- 
trésorier,  et  continua  ses  prédications  passionnées,  d'abord 
à  Middlcbourg,  en  Zéelande,  où  il  publia  un  écrit  sur  la 
prompte  réformation  (Middlebourg,  1582),  et  ensuite  en 
Angleterre ,  jusqu'à  ce  qu'il  eut  été  anathématisé  par  l'évéque 
de  Peterborough.  Il  se  soumit  alors,  extérieurement  du 
moins,  à  l'Église  dominante,  et  obtint  une  cure  dont  i! 
dissipa  les  revenus  en  menant  une  vie  scandaleuse.  A  l'âge 
de  quatre-vingts  ans  il  était  encore  si  vert,  qu'il  rossa 
d'importance  un  employé  du  fisc,  fait  pour  lequel  il  fut  mis 
en  prison;  il  y  mourut  en  1G30.  Sa  secte  lui  survécut. 

BROWiX  (John)  naquit  en  1735,  de  parents  obscurs, 
à  Buncle,  village  du  comté  de  Berwick,  en  Ecosse.  Les  heu- 
reuses dispositions  qu'il  manifesta  dès  ses  plus  jeunes  anné(;s 
engagèrent  ses  parents  à  lui  faire  faire  des  études  ;  mais  au- 
paravant ils  avaient  essayé  d'en  faire  un  tisserand.  Admis 
à  l'âge  de  seize  ans  à  l'école  latine  de  Dunse,  il  y  fit  de  ra- 
pides progrès ,  et  au  bout  de  quelques  années  il  obtint  une 
place  de  sous-maître  dans  sa  classe.  En  1755  sa  réputation 
de  philologue  lui  fit  obtenir  une  place  de  précepteur  dan^ 
ime  famille  de  haute  distinction  des  environs  de  Dunse,  place 
que  ses  manières  dures  et  ])édanlesques  lui  firent  perdre 
])resque  aussitôt.  Ce  fut  alors  qu'il  se  rendit  à  Edimbourg 
pour  se  livrer  à  l'étude  de  la  philosophie  et  de  la  théologie, 
carrière  qu'il  ne  tarda  pas  à  abandonner.  De  retour  à  Dimse, 
en  1 758,  Brown  reprit  une  place  de  sous-maStre ,  qu'il  occupa 
jiisiiu'on  1759,  époque  où  il  trouva  des  moyens  d'existence 
suffisants  en  traduisant  pour  quelques  misérables  guinées 
les  thèses  des  candidats  qui  allaient  .subir  leurs  examens. 
Dès  ce  moment ,  il  s'abandonna  sans  réserve  aux  éfudea 


I 


BRO\VN 


768 


médicales,  où  l'appelaient  ses  goûts  et  où  il  devait  tenir  un 
rang  si  élevé.  Ayant  obtenu  des  professeurs  de  Tuniversité 
la  faveur  de  suivre  gratis  leurs  cours,  dont  le  prix  était  trop 
élevé  pour  ses  foibles  moyens ,  il  ne  larda  pas  à  se  concilier 
de  la  part  des  professeurs  et  des  élèves  une  estime  égale  à 
celle  dont  il  avait  joui  autrefois  dans  l'école  de  Danse.  S'étant 
marié  en  1765,  il  prit  des  élèves  en  pension,  dans  le  but 
de  subvenir  aux  nouvelles  dépenses  que  nécessitait  la  tenue 
de  sa  maison ,  ce  qui  lui  réussit  d'abord  ;  mais  le  défaut  d'or- 
dre et  d'économie  qui  régnait  dans  son  ménage  et  les  excès 
auxquels  il  se  livrait  depuis  quelques  années  amenèrent  la 
plus  grande  confusion  dans  ses  alTaires  domestiques;  Brown 
lit  banqueroute.  On  dit  que  depuis  lors  sa  conduite  fut  d'une 
scandaleuse  irrégularité ,  et  qu'il  se  livra  à  la  débauche  sans 
mesure  comme  sans  scrupule. 

Parmi  les  professeurs  qui  brillaient  alors  à  l'université 
d'Edimbourg,  le  célèbre  Cullen  fut  de  tous  celui  qui  l'en- 
toura de  plus  de  bienveillance.  Brown  fut  admis  comme  pré- 
cepteur dans  sa  propre  maison ,  et  Cullen  lui  facilita  les 
moyens  de  répéter  ses  leçons  aux  étudiants  de  l'université , 
moyennant  rétribution.  Brown  fut  sensible  à  l'amitié  dont 
Cullen  l'honorait,  et  pendant  longtemps  il  ne  laissa  échap- 
per aucune  occasion  de  lui  rendre  l'hommage  que  méritaient 
ses  travaux  et  son  caractère.  Mais  au  bout  de  quelqi:es 
années  une  violente  inimitié  succéda  de  part  et  d'autre  à 
cette  intimité  si  profonde. 

Ce  fut  en  1779  que  pour  la  première  fois  Brown  pubha 
son  ouvrage  intitulé  :  Elcmenta  Medicinœ  (éléments  de 
médecine),  et  qu'il  dosma  des  leçons  publiques  dans  le  but 
d'expliquer  le  système  dessiné  à  grands  traits  dans  son  livre. 
Bientôt  les  hommes  les  plus  forts  de  l'université  d'Edimbourg 
s'attachèrent  à  lui  :  on  ajoute  que  les  plus  déréglés  des  étu- 
diants se  passionnèrent  pour  son  système.  La  conduite  de 
Brown  et  le  ton  insultant  de  sa  polémique  envers  les  pro- 
fesseurs de  l'université  nuisirent  à  la  hardiesse  et  à  la  nou- 
veauté de  ses  idées  ;  elles  furent  repoussées ,  et  leur  auteur 
fut  accablé  de  mépris. 

Au  dix-huitième  siècle  trois  hommes  de  génie,  quoique 
d'un  mérite  différent,  se  disputèrent  les  suffrages  de  l'Europe 
médicale  ;  c'étaient  le  vïtaliste  Stahl ,  le  solidiste  Frédéric 
Hoffmann,  et  le  savant  ('c/ec^igî<e  Boerhaave.  Mais  de 
môme  que  la  philosophie  inchnait  vers  le  matérialisme,  la 
physiologie  et  la  médecine  s'engageaient  résolument  dans 
les  voies  du  solidisme.  Aussi  la  victoire  rcsta-t-elle  à  Fré- 
déric Hoffmann ,  que  Cullen  continuait  à  Edimbourg.  Toute- 
fois ,  les  théories  mécaniques  de  Fr.  Hoffmann ,  qui  faisait 
de  l'homme  une  simple  machine,  dont  tous  les  actes  pou- 
vaient être  nombres  et  tous  les  désordres  fonctionnels 
soumis  aux  inflexibles  prévisions  d'un  chiffre,  avaient  quel- 
que chose  de  trop  déterminé  et  de  trop  grossier,  pour  qu'on 
s'y  arrêtât  longtemps.  A  la  machine  humaine,  si  ingénieu- 
sement combinée  par  Hoffmann,  il  ne  manquait  qu'une 
chose ,  la  vie.  Brown  se  chargea  de  la  lui  donner  ;  il  ressus- 
cita le  vitalïsme. 

Selon  cet  illustre  et  fougueux  réformateur,  les  êti'es  vi- 
vants diffèrent  des  corps  inorganiques  par  la  propriété  d'être 
affectés  par  les  corps  extérieurs  de  manière  à  ce  que  leurs 
fonctions  s'exécutent.  Les  agents  extérieurs  et  de  plus 
certaines  fonctions  de  l'organisme,  comme  les  contractions 
musculaires,  l'action  cérébrale  dans  le  double  phénomène 
de  la  pensée  et  des  passions,  constituent  ce  qu'il  nomme  les 
influences  de  la  vie.  L'/Hci^aiiZiY^  est  la  propriété  ou  la  faculté 
en  vertu  de  laquelle  agissent  ces  deux  genres  d'influences  : 
ces  dernières  sont  les  puissances  incitantes,  et  l'incitation 
est  l'effet  résultant  de  l'impression  des  puissances  incitantes 
sur  Yincitabilité  :  c'est  la  vie  elle-même.  Inconnue  dans 
son  essence,  Yincitabilité  varie  selon  les  individus,  les  dif- 
férentes espèces  d'animaux  et  selon  les  âges.  Elle  a  son  siège 
dans  la  substance  médullaiie  du  cerveau  et  des  nerfs  ainsi 
que  tlans  la  libre  musculaire  :  elle  est  une  et  indivisible  dans 


tout  l'organisme  vivant.  Parmi  les  stimulants  (  puissances 
incitantes  ) ,  il  en  est  de  généraux ,  qui  agissent  de  manière! 
à  exciter  tout  l'organisme  ;  tandis  que  d'autres  bornent  leur 
action  aux  endroits  sur  lesquels  ils  sont  appliqués,  et  n'affec- 
tent l'ensemble  du  corps  humain  qu'après  avoir  produit  un 
changement  local.  L'incitation  résultant  de  l'action  des  puis- 
sances stimulantes  sur  l'organisme ,  si  l'action  de  ces  der- 
nières est  en  rapport  parfait  avec  la  somme  d'incitabilité 
répandue  dans  l'économie,  la  santé  sera  le  résultat  de  cette 
heureuse  harmonie.  Mais  si  cette  action  est  trop  faible  ou 
trop  forte ,  la  santé  est  troublée ,  et  dans  le  premier  cas  il  y 
a  accimiulalion  de  l'incitabilité  dans  les  organes  ou  faiblesse 
directe  ;  dans  le  second  cas  ,  épuisement  de  l'incitabihté  par 
la  violence  du  stimulus,  ou  faiblesse  indirecte.  D'où,  selon 
Brown,  deux  classes  de  maladies  :  l'une  par  défaut,  l'autre 
par  excès  d'incitation. 

Dans  ce  système  la  santé  et  la  maladie  ne  sont  que  des 
efforts  divers  du  même  principe  d'action  ;  c'est-à-dire  qu'elles 
résultent  toujours  de  la  désharmonie  qui  existe  entre  l'ac- 
tion trop  faible  ou  trop  forte  de  puissances  incitantes  sur 
l'incitabilité.  Toute  maladie  est  générale  ou  locale.  Les  pre- 
mières sont  générales  dès  leur  début,  et  supposent  une 
opportunité  ou  diathèse  préalable.  Elles  proviennent  de  ce 
que  l'incitabilité  a  été  primitivement  affectée.  Les  secondes 
affectent  toujours  un  point  déterminé  de  l'économie ,  ne  dé- 
viennent générales  que  dans  leur  cours ,  et  ne  supposent 
jamais  l'opportunité.  Partant  de  ces  données ,  Brown  n'ad- 
mettait en  dernière  analyse  que  deux  formes  générales  de 
maladie  :  la  forme  sthénique  et  la  forme  asthénique ,  en 
d'autres  termes,  par  excès  ou  par  défaut  d'incitation.  Il 
niait  de  la  manière  la  plus  positive  les  maladies  spécifiques, 
comme  la  syphilis,  la  goutte,  etc.,  les  idiosyncrasies  oa 
dispositions  individuelles  et  les  maladies  héréditaires.  Aussi 
négligeait-il  constamment  les  caractères  qui  auraient  pu  l'é- 
clairer sur  les  différences  que  peuvent  présenter  les  mala- 
dies ,  c'est-à-dire  les  symptômes ,  qu'il  déclarait  trompeurs. 
Pour  lui ,  le  rôle  du  praticien  se  bornait  à  reconnaître  si  la 
maladie  est  générale  ou  locale,  sthénique  ou  asthénique,  et  a 
quel  degré  de  sthénie  ou  d'asthénie  elle  était  parvenue. 
Cette  triple  détermination  une  fois  faite,  il  ne  s'agissait 
plus  que  de  fixer  la  médication;  chose  assez  facile,  puisqu'il 
en  était  des  médicaments  comme  des  maladies  ;  qu'ils  étaient 
ou  stimulants  ou  débilitants ,  selon  qu'ils  étaient  réputés 
guérir  les  maladies  asthéniques  ou  les  maladies  sthéniques. 

Doué  d'un  esprit  éminemment  synthétique ,  Brown  releva 
le  vitalisme ,  entièrement  banni  par  les  théories  mécaniques 
de  Hoffmann.  Par  lui ,  la  physiologie  et  la  médecine ,  à 
jamais  débarrassées  du  servage  des  explications  physi- 
ques et  chimiques ,  ont  reconquis  une  indépendance  qu'on 
essaye  encore,  mais  inutilement,  de  leur  faù-e  perdre.  Qu'en- 
suite son  incitabilité  ne  soit  qu'une  hypothèse ,  qui  le  nie- 
rait? Qu'il  ait  erré  sur  la  détermination  des  maladies  sthé- 
niques et  asthéniques ,  cela  se  peut,  cela  est  vrai.  Mais 
pour  en  avoir  fait  une  fausse  application,  la  donnée  n'en  est 
pas  moins  juste,  et  de  nos  jours  on  ne  conçoit  encore 
d'autre  division  rationnelle  de  la  multitude  presqu'infinie  de 
maladies  dont  le  corps  humain  est  susceptible,  que  la 
sthénie  et  Vasthénic,  bien  qu'on  leur  donne  d'autre.s 
noms  et  qu'on  les  comprenne  différemment.  Dans  ces  der 
niers  temps ,  l'un  des  principes  cardinaux  de  la  théorie 
brownienne  a  été  le  sujet  d'attaques  aussi  vives  que  peu 
méritées.  Nous  voulons  parler  de  la  diathèse,  dont  l'école 
italienne  s'est  emparée,  que  l'école  française  nie  d'une  manièie 
exclusive ,  et  à  laquelle  l'école  homoeopathique  accorde  mw 
faveur  presque  absolue,  sans  la  nommer.  Dans  notre  opi- 
nion, il  en  est  de  la  diathèse  de  Drown  comme  de  la  sthénie 
et  de  l'asthénie;  elle  ne  peut  être  niée  sans  absurdité ,  mais 
elle  demande  à  être  comprise  autrement  qu'elle  ne  la  été 
jusque  ici. 

Toute  féconde  que  soit  la  méthode  analjlique,  à  quelque» 


7C4  BROWN  —  BROWWE 

brillants  résiillals  qu'elle  nous  ait  conduits  ,  elle  laisse  sans 
solution  aucune  les  plus  hauts  problèmes  de  la  science.  Si 
elle  nous  a  conduits  d'une  manière  sfire  à  la  connaissance 
des  altérations  de  chaque  organe  et  de  chaque  système  or- 
ganique pris  en  particulier,  elle  ne  nous  a  rien  appris  sur 
la  vie  unitaire  de  tout  organisme  humain  et  sur  les  mo- 
difications que  la  maladie  imprime  à  l'homme  tout  en- 
tier. C'est  dans  cette  direction,  abandonnée  mal  à  propos 
parla  médecine  française,  que  se  feront  désormais  tous 
les  progrès  que  la  science  médicale  attend  et  désire. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  réflexions ,  l'apparition  du  sys- 
tème de  Brown  fut  le  signal  d'une  lutte  acharnée.  Ses  par- 
tisans se  liguèrent  contre  les  professeurs  d'Edimbourg,  les 
médecins  de  l'hôpital ,  et  contre  la  Société  de  Médecine.  On 
raconte  qu'il  s'éleva  entre  les  étudiants  des  disputes  si  fré- 
quentes et  si  pénibles  que  la  Société  de  MédecJne  émit  im 
règlement  en  vertu  duquel  tout  membre  qui  en  attaquerait 
un  autre  dans  une  discussion  scientifique  serait  expulsé  de 
ia  Société. 

l'ar  Ruiie  de  son  inconduite,  Brown  fut  mis  en  prison 
pour  dettes.  Ses  élèves  y  allaient  assister  à  ses  leçons,  et  là 
il  lançait  l'anathème  à  ses  ennemis  avec  une  énergieque  rien 
ne  pouvait  réiréner.  Ce  fut  à  cette  époque  qu'il  se  livra  .sans 
aucun  ménagement  à  l'usage  des  liqueurs  spiritueuses. 
Eu  1786  il  quitta  Edimbourg  pour  se  rendre  à  Londres,  où 
il  espérait  que  sa  situation  s'améliorerait.  Dès  son  arrivée,  un 
charlatan  se  présente,  qui  lui  propose,  moyennant  une 
somme  considérable  ,  de  prêter  son  nom  à  des  pilules  qu'il 
\<>uU\\i  (iébiicrsoiislemtn  de pihites excitantes  de Broîvn, 
r.nlraîné  par  la  pauvreté  et  les  besoins  que  ses  excès  et  la 
négligence  de  ses  affaires  créaient  autour  de  lui,  il  accepta. 
Mais  sa  position  n'en  reçut  aucune  amélioration  ,  en  raison 
du  genre  de  vie  qu'il  menait.  En  1787  il  publia,  sans  se 
nommer,  des  observations  qui  étaient  écrites  pour  le  peu- 
pie.  Il  ne  réussit  pas  mieux  auprès  de  lui  qu'auprès  des  sa- 
vants, linfin,  en  1788,  accablé  de  misère  et  de  dégoûls, 
ruiné  par  les  excès  ,  il  périt  d'une  attaque  d'apoplexie,  après 
avoir  bu  en  se  couchant  une  forte  dose  de  laudanum, 
comme  il  avait  coutume  défaire  tous  les  soirs.  Brown  laissa 
six  enfants,  que  des  secours  bienfaisants  sauvèrent  de  la 
misère,  ainsi  que  sa  veuve,  pendant  les  premiers  temps 
qui  suivirent  sa  mort.  L'aîné  de  ses  deux  fils  a  parcouru 
la  carrière  médicale  avec  honneur.        D'  Léon  Simon. 

BROWN  (  Robert  ) ,  un  des  savants  botaniste  de  notre 
temps,  est  né  en  1781.  Sur  la  recommanfialion  de  sir  Joseph 
B  a  n  k  s ,  on  l'attacha  comme  botaniste  à  l'expédition  chargée 
par  le  gouvernement  anglais,  en  1801,  d'explorer  une  partie 
des  côtes  de  la  Nouvelle-Hollande ,  sous  les  ordres  du  ca- 
pitaine Flinders.  Celui-ci  se  vit  forcé,  par  le  mauvais  état 
de  son  navire,  de  retourner  en  Europe,  et  tomba  entre  les 
mains  des  Français,  qui  le  retinrent  prisonnier  pendant  plu- 
sieurs années  à  l'Ile  de  France.  Brown,  qui  était  resté  à  la 
Nouvelle-Hollande  avec  le  peintre  de  fleurs  Ferdinand  Bauer, 
visita  d'abord  une  foule  de  lieux  alors  complètement  à  l'état 
de  nature,  et  où  .s'élèvent  aujourd'hui  de  florissantes  colo- 
nies. Il  passa  ensuite  dans  la  terre  de  Van-Diémen,  puis 
aux  Iles  du  détroit  de  Bass,  et  revint  en  Angleterre,  en  1805 
avec  quatre  mille  différentes  es^tèces  de  plantes  de  la  Nou- 
velle-Hollande, Le  soin  de  mettre  en  ordre  et  de  décrire 
cette  collection,  la  plus  riche  qu'on  eût  encore  apportée  en 
Europe  de  ces  lointaines  contrées  ,  l'occupa  pendant  plu- 
sieurs années. 

Choisi  par  Banks  pour  être  le  conservateur  de  sa  collec- 
tion d'objets  d'histoire  naturelle,  la  plus  complète  qu'un  par- 
ticulier ait  jamais  possédée,  non-seulement  il  eut  désormais 
un  sort  agréable  et  assuré,  mais  encore  les  ressources  de 
travail  les  plus  précieuses.  Il  imprima  alors  un  Prodromus 
Fiorx  Novas-Hollandiœ,  etc.  (Londres,  1810),  dont  il 
supprima  plus  tard  toute  l'édition,  parce  que,  malgré  l'ex- 
cellenre  de  ce  travail,  il  n'en  était  pas  complètement  satis- 


fait. Malgré  cette  précaution,  ce  remarquable  ouvrage  n'est 
pas  demeuré  perdu  pour  le  monde  savant;  car  Okeu  le  pu- 
blia dans  son  Isis,  et  Mees  dEsenbeck  le  réimprima  (Nu- 
remberg, 1827)  avec  des  notes  et  des  additions.  Ce  chef- 
d'œuvre  adonné  une  nouvelle  direction  à  la  pbylographie. 
Dans  ses  General  Remarhs  on  the  Botany  of  Terra  Aus- 
tralis  (Londres  1814),  ainsi  que  dans  une  publication 
postérieure,  relative  à  la  division  des  familles  de  plantes 
dans  la  Nouvelle-Hollande  ,  Robert  Brown  a  considéré 
le  monde  végétal  du  point  de  vue  le  plus  élevé,  et  prodigué 
une  incroyable  richesse  de  remarques  ingénieuses  et  pro- 
fondes sur  l'histoire  delà  nature.  Par  une  prédilection  qu'on 
s'explique  facdement  pour  une  contrée  qui  lui  a  fourni  la 
matière  de  si  belles  expériences  scientifiques,  il  publia  enfin 
unSupplementiim  pritmim  Flora;  Aova;-Hotlandiœ  {Lon- 
dres,  1820)  ,  pour  lequel  d'autres  voyageurs  mirent  à  sa 
disposition  les  herbiers  qu'ils  avaient  recueillis  dans  ce 
pays. 

Sa  grandeet  légitime  réputation  a  engagé  plusieurs  autres 
voyageurs  à  le  charger  de  la  mise  en  lumière  et  de  la  pu- 
blication de  leurs  collections.  C'est  ainsi  qu'il  a  publié  des 
appendices  botaniques  aux  relations  des  voyages  entrepris 
dans  les  mers  polaires  par  Ross,  Perry  et  Edward  Sabine, 
et  qu'il  a  aidé  dans  la  publication  de  son  voyage  le  chi- 
rurgien Richardson ,  qui  en  accompagnant  Franklin  dans 
son  expédition  avait  aussi  eu  l'occasion  de  recueillir  les 
matériaux  les  plus  précieux.  Il  a  en  outre  décrit  successi- 
vement l'herbier  recueilli  par  Ilorsfield  à  Java,  de  1802  à 
1815,  et  les  plantes  rapportées  de  l'Ahyssinie  par  Sait,  de 
l'intérieur  de  l'Afrique  par  Oudney  et  Clapperlon,  et  de 
l'expédition  sur  le  fleuve  du  Congo  par  Christen  Smith , 
compagnon  de  Tuckey  dans  son  voyage.  Sir  Joseph  Banks, 
mort  en  1850,  l'a  institué  légataire  de  ses  riches  collections 
et  de  sa  bibliothèque,  qui  devront  à  son  décès  faire  retour 
au  Br  itis  h  Muse  u  m. 

Brown  n'est  i)as  seulement  l'homme  qui  connaît  le  mieux 
le  règne  végétal,  il  fait  servir  ces  connaissances  à  un  plus 
noble  but.  Le  système  naturel  lui  doit  beaucoup  ;  car,  quoi- 
qu'il ait  cherché  par  principe  à  être  aussi  simple  que  pos- 
sible dans  ses  divisions  et  dans  son  style,  quoiqu'il  se  soit 
abstenu  de  toute  innovation  d'une  nécessité  douteuse,  il  a 
beaucoup  contribué  à  étendre  les  anciennes  familles  et  à  en 
établir  de  nouvelles.  U  a  beaucoup  travaillé  aussi  sur  la 
physiologie  des  plantes.  Une  de  ses  plus  belle  découvertes 
est  celle  du  mouvement,  encore  mal  expliqué,  des  particules 
moléculaires  dans  le  pollen.  Ses  Mélanges  de  Botanique 
sont  une  uune  féconde.  Eu  1849  11  a  remplacé  l'évoque  de 
Norwich  dans  la  présidence  de  la  Société  Linnéenne. 

BROWNE  (Georges,  comteDE),  feld-maréchal  russe, 
était  né  en  Irlande,  le  15  juin  1698,  d'une  ancienne  famille 
noble  catholique.  Après  avoir  fait  ses  études  à  Limerick,  il 
entra  en  1723  au  service  de  l'électeur  palatin,  puis  en  1730 
au  service  russe  avec  le  grade  de  capitaine.  Une  émeute, 
dans  la  répression  de  laquelle  il  ne  déploya  pas  moins  de 
courage  que  de  résolution,  lui  fournit  bientôt  Toccasion  de 
se  mettre  en  évidence,  et  à  partir  de  ce  moment  jus- 
qu'en 1762  il  prit  part  à  toutes  les  guerres  que  la  Russie 
eut  a  soutenir.  Fait  |)risonnier  par  les  Turcs  à  Kroska,  il 
fut  à  trois  reprises  successives  vendu  comme  esclave,  et  ne 
recouvra  la  liberté  que  giàceà  l'intervention  de  l'ambassa- 
deur «le  France  à  Constantinople.  Dans  la  guerre  de  Sept 
Ans,  qu'il  fit  avec  le  grade  de  général  major,  il  fut  fait  pri- 
sonnier par  les  Prussiens  à  l'affaire  de  Zoudorf.  Ayant 
réussi  à  s'évader,  il  fut  blessé  si  grièvement,  qu'il  ne  put 
plus  rejoindre  son  corps. 

L'empereur  Pierre  Ut  le  nomma  feld-maréchal;  l'intention 
de  ce  prince  était  de  faire  sous  ses  ordres  de  la  guerre 
qu'il  s'était  décidé  à  déclarer  au  DancmarK.  Browne  n'ayant 
pas  craint  de  déclarer  à  l'empereur  que  cette  guerre  serait 
aussi  injuste  qu'impolitique,  Pierre  111  lui  fit  donner  l'ordre 


BROWNE  —  BROYEUR 


de  rcisigner  toutes  ses  dignités  et  de  quitter  le  territoire 
nisse.  Il  n'avait  pas  encore  eu  le  temps  d'obéir,  que  déjà 
reinpereur  le  faisait  rappeler  en  sa  présence  pour  lui  rendre 
so^  grades  et  honneurs,  et  le  nommer  gouverneur  de  la  Li- 
\im\e ,  fonctions  qu'il  conserva  pendant  trente  ans,  et  dans 
l'exercice  desquelles  il  rendit  d'importants  services  à  cette 
;)iovince.  En  1779  Josepii  II  le  créa  comte  de  l'Empire. 
«Quelques  années  avant  de  mourir,  il  demanda  à  l'impéra- 
triceCatlieriiie  II  delui  accorder  sa  retraite  :  «Non,  monsieur 
le  comte,  lui  répondit  l'impératrice  :  il  n'y  a  que  la  mort  qui 
pourra  nous  séparer.  »  Browne  mourut  à  Riga,  le  IS  sep- 
tembre 1792.  Vingt  ans  auparavant,  il  avait  lui-même  fait 
faire  son  cercueil,  qu'il  examinait  fréquemment.  Il  avait 
aussi  riiabitude  de  se  faire  lire  chaque  année  l'acte  conte- 
nant l'expression  de  ses  dernières  volontés. 

BROWNE  (IMaximilien-Ulysse,  comte  de),  cousin  du  pré- 
cérJent  et  feld-maréclial-général  autricliien,  était  né  en  1705, 
à  Raie ,  d'un  père  qui  avait  été  obligé  de  quitter  l'Irlande 
comme  partisan  de  Jacques  II ,  pour  entrer  au  service  de 
l'empereur,  et  qui  mourut  en  1721  avec  le  grade  de  colonel 
et  le  titre  de  comte  de  l'Empire,  qu'il  avait  obtenu  en  1716. 
Il  embrassa  jeune  encore  la  profession  des  armes,  se  distingua 
dans  la  campagne  d'Italie,  contre  les  Français  et  les  Sardes 
en  1734,  lit  de  1737  à  1739  trois  campagnes  contre  les 
Turcs  ,  et,  en  récompense  de  ses  services,  fut  nommé  feid- 
maréchal-lieutenant  et  membre  du  conseil  aulique.  Lors- 
qu'éclata  la  guerre  de  la  succession  d'Autriche ,  il  opposa 
en  1740  une  vive  résistance  à  l'invasion  de  la  Silésie  par 
les  Prussiens.  Obligé  de  battre  en  retraite  devant  des  lorccs 
supérieures ,  il  optra  sa  jonction  avec  le  feld-maréciial 
INeipperg,  et  commanda  l'aile  droite  à  la  bataille  de  Jloil- 
witz  ,  le  10  avril  1741.  L'année  suivante,  en  qualité  de  plus 
ancien  desfeld-maréciiaux-lieutenants,  il  exerça  le  comman- 
dement supérieur  à  la  bataille  de  Chotusitz  près  de  Czaslaw. 
Il  lit  ensuite  les  campagnes  de  Bavière,  de  Bohême,  du 
r.hinet  d'itdliojusqu'à  la  mort  del'empereur  Charles  Vil.  Eu 
17'*6  il  commanda  l'armée  des  Impériaux  en  Italie,  con- 
tribua puissaumient  au  gain  de  la  sanglante  bataille  de  Plai- 
sance, et  se  rendit  maître  des  défdés  de  la  Bocchetta,  fait 
d'ai  mes  qui  entraîna  la  soumission  de  Gênes.  En  récompense 
de  ses  services,  il  fut,  à  la  paix,  nommé  gouverneur  de  la 
Transylvanie.  En  1761  il  reçut  le  commandement  général 
de  la  Bohème,  cl  fut  élevé  en  1754  au  grade  de  fetd-maré- 
chal  général.  Lorsque  Frédéric  le  Grand  recommença  la 
guerre,  Browne,  qui  manquait  de  tout,  tant  la  cour  de 
Vienne  avait  été  prise  à  l'improviste ,  déploya  une  telle  ac- 
tivité, qu'il  put  bientôt  entrer  en  campagne;  mais  il  fut 
battu  à  Lowositz,  le  1*'  octobre  1756,  et  ne  put  dégager 
l'armée  saxonne  enfermée  entre  Kœnigsteiu  et  Pirna.  Il 
contraignit  cependant  les  Prussiens  à  évacuer  la  Bohême. 
Appelé  à  Vienne,  il  opina  pour  qu'on  prit  l'offensive,  mais  il 
ne  fut  pas  écouté.  Grièvement  blessé  a  la  bataille  de  Prague, 
où  il  déploya  la  plus  grande  bravoure  (G  mai  1757),  il 
mourut  le  2G  juin  1757  ,  à  Prague,  des  suites  de  ses  bles- 
sures. En  disant  que  c'était  du  feld-maréclial  Browne  qu'il 
avait  appris  la  science  de  la  guerre,  Frédéric  II  lit  de  ce 
guerrier  la  plus  belle  oraison  funèbre  qu'il  eût  pu  ambitionner. 

BïlOWiXÏNG  (Robert),  poète  anglais  moderne,  na- 
quit vers  1310.  Il  débuta  par  un  conte  en  vers,  Pauline, 
suivi  bientôt  d'un  drame,  Paracelse  (  1S35),  ou  il  tenta  la 
réhabilitation  de  ce  philosophe,  en  y  ajoutant  les  portraits 
de  quelques-uns  de  ces  esprits  profonds  (jui  amenèrent  la 
Réforme.  En  1837  Browning  lit  représenter  âtrafford , 
tragédie  historique  où  il  peint  avec  vigueur  la  vie  et  le  ca- 
ractère de  l'infortuné  ministre  de  Charles  r"".  En  Is'iS  il 
pul'iia  un  recueil  d'essais  dramatiques  sous  le  titre  Bells 
and  pomerji-anates,  où  l'on  remarque  un  grand  changement 
dans  son  style  et  une  tendance  sensible  à  se  rapprocher  de 
la  réalité.  Son  dernier  ouvrage,  Clirisimas  eve,  and  casier 
daij  (1850),  est  un  poème  phi'osophico-religicux,  rempli 


de  pensées  hardies  et  riche  en  descriptions  poétiques  mais 
où  l'on  trouve  encore  trop  de  ces  singularités ,  de  ces  bizar- 
reries, qui  déparent  les  autres  créations  du  poète.  —  La 
femme  de  Browning,  Elisabeth  Haurett,  s'est  aussi  acquis 
un  nom  dans  la  littérature  parsa  Casa  Gj<if/iît;i?!f/oîr.s(  1851) 
où  elle  peint  avec  éloquence  l'état  politique  actuel  de  l'Italie' 

BROYE,  BRAYE  ou  BRAYOIRE.  Cet  instrument,  que 
dans  quelques  localités  on  appelle  aussi  brisoir,  maque  on 
tillottc,  sert  pour  rompre  le  fd  du  chanvre  à  une  certaine 
longueur,  et  pour  séparer  la  fdasse  de  la  chènevotte.  Cette 
petite  machine  est  on  ne  peut  plus  simple.  Deux  pièces  de 
bois  réunies  à  l'une  de  leurs  extrémités  correspondantes  la 
composent  principalement.  A  cette  extrémité  elles  s'em- 
brèvent  l'une  dans  l'autre,  le  tenon  de  l'une  des  pièces  étant 
maintenu  dans  la  mortaise  de  l'autre  à  l'aide  d'une  cheville 
ou  axe  traversier  très-résistant.  La  pièce  inférieure  est 
montée  sur  quatre  pieds  de  banc,  dont  les  deux  antérieurs 
sont  plus  élevés  que  les  deux  autres;  l'espèce  de  table  du 
banc  est  donc  fortement  inclinée  :  cette  disposition  procure 
plus  de  solidité,  et  elle  offre  en  outre  de  la  commodité  au 
teilleur  pour  son  travail.  Assez  communément,  le  banc  de  la 
broyé  est  formé  d'une  pièce  de  bois  de  12  à  15  centimètres 
d'équarrissage ,  et  de  2",  25  à  2™,50  de  long.  Cette  pièce  est 
creusée  dans  presque  toute  sa  longueur  par  deux  grandes  mor- 
taises, larges  de  3  centimètres,  qui  la  traversent  dans  toute 
son  épaisseur.  Les  trois  languettes  que  laissent  entre  elles 
ces  mortaises  sont  taillées  en  couteau  non  tranchant  dans 
leur  partie  supérieure.  Une  autre  pièce  moins  large  que  la 
première,  qui  porte  une  poignée  du  bout  opposé  au  chcvil- 
lage,  et  qui  a  sur  son  prolongement  deux  semblables  lan- 
guettes, taillées  pareillement  en  couteau  et  par-dessous,- est 
attachée  sur  la  première  par  une  cheville  de  fer  qui  la  tra- 
verse,  connue  nous  l'avons  dit  plus  haut,  à  l'autre  extré- 
mité ,  et  fait  l'oflice  d'une  goupille  de  charnière.  Les  deux 
languettes  de  la  pièce  supérieure  entrent  dans  les  rainures 
de  la  pièce  inférieure. 

L'ouvrier  broyeur,  ou  plutôt  la  broyeuse,  car  c'est  presque 
toujours  une  femme ,  tient  d'une  main  une  poignée  de  tiges 
de  chanvre,  qu'elle  engage  entre  les  mâchoires  de  la  broyé, 
dont  elle  élève  et  abaisse  successivement  la  poignée.-  Par 
cette  manœuvre,  les  chènevottes  sont  brisées  à  plusieurs 
reprises  ;  en  réitérant  l'opération,  et  en  tirant  un  peu  à  elle 
sa  poignée  de  chanvre  elle  force  la  majeure  partie  des  chène- 
vottes à  se  séparer  de  la  filasse.  L'ouvrière  secoue  ensuite 
fortement  ce  qu'elle  tient,  pour  faire  tomber  les  chènevottes 
qui  adhèrent  encore.  Celte  filasse,  ainsi  nettoyée  assez  im- 
parfaitement, et  qui  retient  encore  en  grande  quantité  des 
fragments  de  chènevottes,  se  plie  en  deux,  se  tord  grossiè- 
rement, et,  dans  cet  état,  elle  attend  le  sérançage. 

Dans  ces  derniers  temps,  plusieurs  philanthropes  et  spécu- 
lateurs ont  rêvé  aux  moyens  de  substituer  à  toute  espèce 
de  rouissage  du  chanvre  un  broyage  perfectionné  qui  pût 
éviter  cette  opération  insalubre;  mais  il  faut  malheureuse- 
ment reconnaître  que  tant  de  travaux  n'ont  eu  qu'un  résul- 
tat fort  incertain  et  fort  contesté,  pour  ne  pas  dire  pis.  La 
filasse  donnée  par  les  procédés  purement  mécaniques  s'est 
toujours  montrée  dure,  cassée,  courte,  et  les  déchets  sont 
très-considérables. 

Les  fragments  des  tiges  qui  résultent  du  broyage  et  du 
sérançage  servent  quelquefois  à  faire  des  allumettes,  ou 
pour  chauffer  les  fours  des  boulangers.  Le  chaibon  qui  en 
provient  est  réputé,  dans  la  fabrication  delà  poudre  à  canon, 
comme  égal  à  celui  delabourgène.      Pei.ouze  père. 

BROYEUIl  (  Art  du  ).  Un  grand  nombre  de  substances 
plus  ou  moins  dures  exigent  un  broyage  préalable  à  leureiu- 
ploi.  Le  plus  communément  on  entend  par  broyage  celui  des 
couleurs  pour  la  peinture  à  l'huile  ou  en  détrempe. 

L'art  du  broyeur  est  en  général  pénible,  quand  il  s'exerce 
sans  le  secours  de  moteurs  étrangers  à  la  force  mécanique 
de  l'homme,  et  dans  ce  cas  il  ne  peut  même  guère  avoir 


76G 


BROYEUR 


pour  objet  que  de  petites  masses.  D'ailleurs,  la  malpropreté 
du  métier  rebute ,  et  le  danger  des  émanations  délétères  exige 
de  grandes  précautions  pour  s'en  garantir;  car  un  grand 
nombre  de  couleurs  sont  tirées  du  règne  minéral,  et  ce  sont 
des  poisons  plus  ou  moins  subtils,  qu'il  est  extrêmement  dan- 
gereux de  respirer.  Le  mélange  môme  qui  en  est  fait  avec 
l'huile,  loin  de  diminuer  le  danger,  ne  fait  souvent  que  le 
rendre  plus  difficile  à  éviter.  Si  d'une  part  l'huile  s'oppose 
à  la  diffusion  des  poussières  dans  l'atmosphère  que  l'on  respire, 
de  l'autre  la  dissolution  qu'elle  opère  d'une  petite  portion 
des  substances  malfaisantes  les  reml  plus  ou  moins  vapori- 
sables,  et  dans  ce  cas  le  danger  est  imminent  :  c'est  ce  qui  a 
lieu  principalement  dans  le  broyage  des  oxydes  de  plomb. 
Aussi  les  vues  des  philanthropes  se  sont-elles  depuis  long- 
temps tournées  vers  les  moyens  de  substituer  le  travail  des  mé- 
caniques à  celui  de  l'homme  dans  le  broyage  des  couleurs 
de  peinture.  Le  but  qu'on  se  proposait  a  été  en  grande  par- 
lie  atteint.  Nous  en  avons  sous  nos  yeux  à  Paris  un  heu- 
reux exemple  dans  le  bateau  broyeur,  qui  fonctionne  depuis 
nombre  d'années  avec  succès  et  économie  en  rivière,  et  qui 
est  amarré  contre  le  quai  de  l'Horloge. 

Néanmoins,  comme  ces  moyens  mécaniques  sont  malheu- 
reusement fort  loin  d'avoir  partout  remplacé  le  broyage  à 
main  d'homme ,  rappelons  que  quand  on  broie  à  sec  il  fiaut 
avoir  soin  de  se  placer  dans  un  courant  d'air  déterminé  par 
un  feu  d'appel  dans  une  cheminée  k  l'extrémité  opposée  de 
l'atelier.  De  plus  cet  art  exige  des  précautions  et  une  grande 
propreté.  Le  broyeur  doit  fréquemment  nettoyer  sa  pierre 
et  sa  molette,  à  l'aide  de  son  couteau  et  d'un  peu  d'huile;  il 
ne  doit  pas  souffrir  les  espèces  de  couennes  qui  se  forment 
par  l'action  de  l'air.  Cette  propreté  devient  d'autant  plus 
indispcDJsable  à  la  fin  de  chaque  broyage,  que  si  l'on  a  à 
changer  de  couleur,  on  doit  éviter  le  mélange  des  teintes. 
Quand  la  pierre  et  la  molette  ont  été  décrassées,  il  est  bon  de 
les  essuyer  avec  de  la  mie  de  pain  médiocrement  tendre  pour 
achever  le  nettoyage  ;  on  peut  môme  finir,  pour  plus  de  pré- 
caution, par  un  lavage  avec  une  dissolution  alcaline  faible, 
une  grande  affusion  d'eau  ensuite  pour  faire  disparaître  l'al- 
cali, et  un  séchage  convenable. 

11  serait  assez  inutile  de  décrire  minutieusement  la  ma- 
nœuvre du  broyage  :  elle  consiste  principalement  à  écraser 
d'abord  avec  le  coin  de  la  molette  la  substance  qu'on  veut 
réduire  en  poudre  ou  en  pâte  fine.  On  travaille  ensuite  par 
un  mouvement  circulaire  imprimé  à  la  molette.  On  n'hu- 
mecte la  couleur,  soit  d'huile,  de  colle  ou  d'eau  de  gomme , 
que  graduellement,  et  à  mesure  que  la  sécheresse  de  la  niasse 
en  fait  sentir  le  besoin.  Le  mouvement  circulaire  tend  con- 
tinuellement à  refouler  la  matière  à  la  circonférence  de  la 
pierre  ;  il  laut  donc  de  temps  à  autre  la  ramener  au  centre , 
à  l'aide  du  couteau  ou  spatule  de  broyeur;  on  rassemble  la 
couleur  en  un  tas  ;  on  la  reprend  par  parties  et  successi- 
vement; on  continue  à  broyer,  et  ainsi  de  suite.  Les  pierres 
à  broyer  et  les  molettes  sont  généralement  de  porphyre ,  de 
i^rès  compacte  on  de  marbre.  Pelouze  père. 

BRUAiVT,  genre  d'oiseaux  appartenant  à  l'ordre  des 
passereaux  ,  et  qui  se  distingue  facilement  à  son  bec  coni- 
que, court ,  droit,  sans  aucune  échancrure,  et  dont  la  man- 
<lilnile  supérieure,  plus  étroite  et  rentrant  dans  l'infmeure, 
a  au  palais  un  tubercule  saillant  et  dur.  Ce  sont  de  petits 
oiseaux  dont  le  chant  est  monotome,  qui  se  nourrissent  de 
graines  pendant  l'hiver,  de  graines  et  d'insectes  pendant 
l'été,  qui  ont  peu  de  prévoyance,  donnent  dans  tous  les 
pièges  qu'on  leur  tend  ,  et  sont  recherchés  comme  petit  gi- 
bier. Il  y  en  a  diverses  espèces  dans  les  deux  continents; 
nous  citerons  seulement  celles  que  l'on  trouve  en  France. 

Le  bruant  commun  ou  bruant  jaune  (  emberiza  c'itri- 
nella,  Linné),  long  de  0'",  17,  a  le  dos  fauve,  tachetéde  noir, 
la  tète  et  tout  le  dessus  du  corps  jaune,  les  deux  pennes 
externes  de  la  queue  à  bord  interne  blanc  ;  il  est  répandu  dans 
toute  ri'.urope,  depuis  la  Suède  jusqu'en  Italie.  Il  établit  son 


-  BRUAIST 

nid  soit  à  terre,  sous  une  motte,  au  milieu  de  l'herbe,  soit 
dans  un  buisson  ou  sur  les  basses  branches  d'un  petit  arbre. 
Ce  nid ,  composé  à  l'extérieur  de  mousse ,  de  feuilles  et  de 
paille,  est  garni  en  dedans  d'un  petit  matelas  de  crin  et  de 
laine,  sur  lequel   la  femelle  pond,   plusieurs  fois  par  an, 
quatre  ou  cinq  œufs  d'un  blanc  sale,  tachetés  de  brun.  Celte 
mère  a  tant  d'affection  pour  sa  progéniture,  qu'elle  se  laisse 
souvent  prendre  à  la  main  sur  ses  œufs  plutôt  que  de  les 
abandonner.  Ces  oiseaux  ne  s'enfoncent  guère  dans  l'épaisseur  j 
des  bois;  ils  se  tiennent  sur  leur  lisière,  le  long  des  haies,; 
dans  les  bosquets  et  les  taillis.  L'hiver  ils  se  rapprochent  | 
des  habitations  en  troupes  innombrables ,  et  sont  alors  très  • 
faciles  à  prendre. 

Le  bruant  fou  {emberiza  cia,  Linné)  habite  particuliè- 
rement les  contrées  montagneuses ,  et  n'est  que  de  passage 
en  France.  Il  diffère  du  précédent  en  ce  qu'il  a  le  des- 
sous gris  roussâtre ,  et  les  côtés  de  la  tôte  blanchâtres,  en- 
tourés de  lignes  noires  en  triangle.  Son  nom  vient  de  la 
facilité  avec  laquelle  on  le  prend  à  l'aide  de  toute  sorte  de 
pièges;  mais  cette  espèce  de  folie  n'est,  dit  Buffon,  qu'une 
maladie  de  famille,  que  le  bruant  dont  il  s'agit  ici  a  seule- 
ment dans  un  plus  haut  degré. 

Le  bruant  des  haies  ou  zizi  (emberiza  cirlus,  Linné)  est 
long  de  0",  IG.  Il  a  les  parties  supérieures  variées  de  roux 
et  de  marron,  les  parties  inférieures  d'un  jaune  clair,  la 
gorge  et  le  haut  du  cou  noirs,  les  sourcils  jaunes,  les  mous- 
taches noires,  le  plastron  jaune,  la  poitrine  cendrée  avec  ses 
côtés  roux  ainsi  que  ceux  du  ventre ,  la  tête  et  la  nuque 
olivâtre  tacheté  de  noir.  La  femelle  a  les  parties  inférieures 
plus  ternes  et  la  poitrine  maculée  de  roussâtre.  Ces  oiseaux 
sont  plus  communs  au  midi  que  dans  nos  contrées  ;  cepen- 
dant on  en  voit  charpie  année  quelques  individus,  au  prin- 
temps et  en  automne,  dans  les  environs  de  Paris.  Leur 
chant,  que  l'on  a  cherché  à  rendre  par  les  syllabes,  zis,  zis, 
ziSfZis,  gor,(jor,gor,  a,  malgré  sa  monotonie,  quelque 
chose  d'agréable,  surtout  quand  il  se  mêle  à  celui  des 
autres  oiseaux.  Aussi  recherche-t-on  ce  bruant  pour  en  garnir 
les  volières ,  dans  lesquelles  on  le  nourrit  avec  du  chènevis 
et  de  la  navette,  et  où  il  vit  ainsi  en  captivité  pendant 
cinq  ou  six  ans. 

Le  bruant  des  roseaux  { emberiza schœniciilus,  Linné), 
a  chez  le  mâle,  le  bec  noir  ainsi  que  la  tête,  la  gorge 
et  le  devant  du  cou ,  un  collier  blanc  sur  la  partie  supé- 
rieure du  cou  ,  une  ligne  au-dessus  des  yeux  et  une  bande 
au-dessous  de  la  même  couleur,  le  dessous  du  corps  d'un 
blanc  teinté  de  roux  ,  les  flancs  un  peu  tachetés  de  noirâtre, 
les  pennes  des  ailes  et  de  la  queue  d'un  beau  noir  et  fran- 
gées de  roux,  excepté  les  deux  dernières  de  chaque  coté 
de  la  queue ,  dont  la  plus  interne  est  toute  d'un  blanc 
de  neige  et  la  suivante  seulement  bordi''e  de  blanc.  Dans  la 
saison  des  amours,  le  bec  prend  une  teinte  jaunâtre,  les 
joues  sont  d'un  roux  l)run,  la  gorge  entièrement  noire,  le 
dessous  du  corps  d'un  blanc  pur  avec  des  taches  noires  sur 
les  côtes.  Il  a  0  "",  15  de  longueur.  La  femelle,  un  peu  plus 
petite  que  le  mâle,  en  diffère  d'ailleurs  par  la  privation  du 
collier  et  de  teinte  noire  sur  la  gorge  ,  par  la  tète  variée 
de  brun  et  de  roux  clair,  et  par  les  parties  blanches  de 
son  plumage ,  qui  sont  souvent  plus  ou  moins  lavées  de 
roux.  Cet  oiseau,  que  l'on  trouve  depuis  les  provinces  mé- 
ridionales de  l'Italie  jusque  dans  les  régions  froides  de  la 
Suède  et  de  la  Russie,  niche  au  bord  des  lacs,  des  rivières 
et  des  marais.  11  attache  aux  roseaux  un  nid  composé  de 
joncs  secs  et  de  mousse,  garni  de  poils  intérieurement,  et 
dans  lequel  il  pond  quatre  ou  cinq  œufs,  d'un  gris  foncé,  avec 
des  taches  et  des  raies  brunes;  à  l'automne  il  quitte  les 
lieux  marécageux  pour  fiéquenter  les  plaines  et  les  hautein-s, 
où  il  recherche  sa  nourriture  le  long  des  haies  et  dans  les 
champs  cultivés.  11  s'élève  peu  de  terre,  et  ne  se  perche 
que  sur  les  buissons  ou  les  petits  arbres.  Au  printemps  le 
mâle  fait  entendre  nuit  et  jour  un  gazouillement  assez  re- 


BRUANT  —  BRUCE 


tnarquable.  On  nourrit  ces  oiseaux  en  cage  avec  de  la  na- 
vette, du  chènevis  et  du  millet;  mais  ils  supportent  difficile- 
ment la  captivité. 

Nous  consacrons  des  articles  spéciaux  au  proyeret  à 
l'ortolan,  qui  appartiennent  aussi  à  ce  genre.  Enfin,  le 
hritant  déneige oa  ortolan  de  neige  (emberiza  nivalis, 
Linné  )  est  long  de  0™,175.  Son  plumage,  composé  principale- 
ment de  blanc,  de  noir  et  de  roux,  varie,  quant  aux  propor- 
tions de  ces  diverses  couleurs,  selon  les  époques  de  l'année  : 
eu  iiiver  il  devient  presque  tout  blanc  ;  mais  même  lorsque 
la  robe  d'été  est  complètement  formée  ,  il  reste  toujours  sur 
l'aile  une  large  bande  longitudinale  blanche,  qui  fait  recon- 
naître cet  oiseau.  Il  a  pour  patrie  les  contrées  les  plus  septen- 
trionales de  l'Europe ,  d'où  il  descend  dans  les  plus  grands 
froids,  pour  se  répandre  dans  le  nord  de  la  France  et  de 
l'Allemagne ,  qu'il  ne  fait  que  parcourir,  en  troupes  assez 
nombreuses.  Démezil. 

BRUAIVT  (  Libéral),  architecte  du  milieu  du  dix-sep- 
tième siècle ,  est  moins  connu  aujourd'hui  que  ses  ouvrages 
ne  pouvaient  le  faire  présumer.  C'est  à  lui  que  sont  dus  les 
l)lansde  riiotel  des  Invalides,  dont  il  conduisit  l'exécution, 
à  la  ré.serve  du  dôme,  ajouté  postérieurement  à  l'extrémité 
de  l'église;  et  c'est  cette  partie,  sans  doute  la  plus  magni- 
fique et  la  plus  brillante  de  tout  l'ensemble ,  qui  a  pu  contri- 
buer à  obscurcir  le  renom  de  celui  qui  n'eut  à  sa  disposition 
que  le  côté  utile.  Architecte  du  roi ,  Bruant  a  encore  partagé 
avec  d'autres  architectes  la  conduite  de  l'église  des  Augus- 
tins,  dite  aujourd'hui  des  Petits-Pères,  dont  Pierre  Le 
Muet  avait  jeté  les  fondements.  Il  partage  aussi  avec  Le  Van 
l'honneur  d'avoir  donné  les  dessins  de  l'église  de  la  Salpé- 
trière. 

Cet  artiste,  qui  fut  un  des  huit  membres  fondateurs  de 
l'Académie  d'Architecture ,  mourut  vers  1697. 

BRUCE  (  RoBEHT  ) ,  roi  d'Ecosse.  Ce  fameux  Robert 
lîruce,  dont  les  faits  et  gestes  bien  avérés  ont  atteint  ou 
surpassé  les  plus  romanesques  aventures  que  les  poètes  aient 
prêtées  à  leurs  fabuleux  héros  ,  avait  à  la  fois  dans  ses 
veines  le  sang  des  rois  de  la  mer  (les  corsaires  normands), 
et  celui  des  monarques  galliques  de  l'Ecosse.  Son  père, 
Robert  Bruce,  comte  d'Amiandalc  et  de  Carrick  ai  Ecosse, 
de  Cleveland  en  Angleterre,  était  né  d'un  autre  Robert 
Bruce,  surnommé  Edel  ou  le  Noble ,  puissant  baron  de  race 
normande,  et  d'Isabelle  d'Ecosse,  (ille  du  prince  David, 
comte  d'Huntingdon. 

Après  la  mort  du  roi  d'Ecosse  Alexandre  III  et  desapetite- 
fdle  Marguerite,  dite  la  Vierge  de  Norvège ,  qui  le  suivit  de 
près  au  tombeau ,  une  effroyable  confusion  s'éleva  dans  ce 
royaume  :  il  ne  se  présenta  pas  moins  de  dix  prétendants , 
parents  ou  alliés  à  divers  degrés  de  la  famille  royale  qui 
venait  de  s'éteindre  :  parmi  eux  figurait  le  lord  d'Annandale, 
père  de  notre  héros.  Dans  une  contrée  habitée  par  des  races 
diverses,  hostiles  les  unes  aux  autre?,  régies  partie  par  le 
système  féodal,  partie  par  l'aristocratie  patriarcale  des  chefs 
de  clans ,  une  assemblée  nationale  ne  pouvait  résoudre  paci- 
fiquement la  question;  les  grands  écossais  eurent  donc 
recours  à  la  médiation  d'Éouard  V  ,  roi  d'Angleterre ,  et 
le  prièrent  de  décider  entre  les  compétiteurs.  Edouard  leur 
signifia  qu'avant  de  recevoir  un  roi  de  sa  main  ,  ils  eussent  à 
le  reconnaître  lui-même  comme  seigneur  suzerain  de  l'E- 
cosse. Chacun  des  candidats  s'étant  déclaré  prêt  à  tenir  la 
couroime  du  roi  d'Angleterre  en  qualité  de  vassal ,  Edouard 
choisit  .lohn  BaUol  ou  de  Bailleul,  comte  de  Galloway. 
Plus  tard ,  Bailleul  s'étant  décidé  à  recourir  aux  armes , 
le  monarque  anglais  se  rapprocha  de  Bruce,  lui  fit  espérer 
la  dépouille  du  rebelle,  et  lui  persuada  de  se  joindre  avec 
ses  partisans  aux  ennemis  de  l'Ecosse.  Bailleul  fut  vaincu  et 
•létrôné  :  Bruce  vint  alors  réclamer  la  promesse  du  roi 
d'Angleterre.  «  Croyez-vous  que  nous  n'ayons  rien  à  faire 
qu'à  vous  conquérir  des  royaumes  >?  lui  répondit  brusque- 
ment Edouard.  Bruce  s'éloigna,  la  rage  dans  le  cœur;  ce- 


pendant ses  vaines  espérances  le  ramenèrent  encore  aux 
pieds  du  tyran. 

Ce  n'était  pas  auprès  d'un  tel  père ,  ni  à  la  cour  de  l'op- 
presseur de  l'Ecosse,  que  le  jeune  Robert  Bruce  pouvait 
acquérir  des  notions  bien  exactes  de  ses  devoirs  envers  sa 
patrie.  Aussi,  lorsque  l'illustre  William  "\V  al  1  a  c  e  eut  soulevé 
l'Ecosse  contre  la  tyrannie  anglaise,  et  que  la  reconnaissance 
nationale  eut^romu  ce  grand  homme  à  la  dignité  de  n-gent, 
Robert  suivit  le  lord  d'Annandale  dans  les  rangs  de  l'arméo 
qu'Edouard  conduisait  contre  Wallace,  et  comballit  à  Fal- 
kirk  contre  les  Écossais  (  1298  ).  Ceux-ci  succombèrent 
après  une  héroïque  résistance  :  le  lord  d'Annandale  ,  qui  en- 
viait la  gloire  de  Wallace,  et  le  soupçonnait  de  vouloir  se 
faire  roi  à  son  détriment,  s'attacha  vivement  à  la  poursuite 
du  régent  d'Ecosse.  Il  arriva  sur  les  bords  du  Carron  à 
l'instant  où  W^allace  venait  de  franchir  ce  torrent  étroit  et 
rapide  :  ils  se  reconnurent ,  s'interpellèrent  l'un  l'autre ,  et 
entamèrent  un  entretien  dans  lequel  Bruce  reprocha  d'a- 
bord à  Wallace  sa  prétendue  ambition,  et  les  maux  qu'il 
causait  à  l'Ecosse  en  la  jetant  pour  son  intérêt  personnel 
dans  des  périls  insurmontables  ;  mais  le  régent  se  disculpa 
si  noblement,  et,  prenant  l'offensive  à  son  tour,  fit  si  bien  sen- 
tir à  Bruce  l'indignité  de  sa  propre  conduite,  que  le  lord 
d'Annandale  resta  comme  altéré ,  puis  partit  en  silence 
sans  songer  davantage  à  inquiéter  la  retraite  de  Wallace! 
Le  jeune  Robert  avait  assisté  à  cette  scène  ;  quelques  histo- 
riens prétendent  même  que  ce  fut  lui  qui  adressa  la  parole 
à  W'allace  :  quoi  qu'il  en  soit,  l'entrevue  du  torrent  de  Car- 
ron fit  sur  lui  une  impression  ineffaçable.  Lord  Annandale 
mourut  peu  après ,  rongé  de  chagrin  et  de  remords. 

Telle  est  la  version  la  plus  accréditée  sur  l'occasion  qui 
dessilla  les  yeux  de  Robert  Bruce  ;  voici  cependant  à  cet 
égard  une  autre  tradition  :  Robert  Bnice ,  ayant  aidé  les  sol- 
dats d'Edouard  à  remporter  le  victoire  contre  les  patriotes 
écossais,  se  mita  table  sans  prendre  le  temps  de  laver  ses 
mains,  encore  ensanglantées.  «  Voyez,  se  dirent  à  voix  basse 
les  lords  anglais,  voyez  donc  cet  Écossais  qui  mange  son 
propre  sang  !  »  Bruce  entendit  ces  paroles  ;  il  seleva  de  table, 
entra  dans  une  chapelle  voisine,  où,  pleurant  amèrement, 
il  demanda  pardon  à  Dieu ,  et  fit  vœu  d'employer  tous  ses 
efforts  à  délivrer  l'Ecosse  du  joug  étranger.  Pendant  plu- 
sieurs années ,  il  ne  laissa  toutefois  rien  paraître  des  pensées 
qui  l'agitaient  :  il  retourna  môme  à  la  cour  d'Edouard ,  qui 
le  surveillait  avec  inquiétude  ,  ainsi  que  John  Cumyn  ,  lord 
de  Badenoch  (  surnommé  le  ronge  Cumyn ,  à  cause  de  la 
couleurde  ses  cheveux  ), cousin  germain  deBailleul.  Edouard 
comptait  les  neutraliser  réciproquement.  Mais  le  jeune 
Bruce  s'assura  que  Cumyn  n'était  pas  moins  las  que  lui  de 
se  voir  le  jouet  d'Edouard  :  alors  il  s'ouvrit  sans  réserve  à 
ce  rival,  qui  devint  son  allié.  Ils  convinrent  que  s'ils  réus- 
sissaient à  ravir  l'Ecosse  aux  Anglais ,  Robert  serait  roi  et 
Cumyn  lieutenant  général  du  royaume. 

Sur  ces  entrefaites ,  "^' allace,  livré  aux  Anglais  par  la  trahi-, 
son,  fut  amené  à  Londres,  et  périt  sur  l'échafaud.  A  ce  mo- 
ment, Bruce  somma  John  Cumyn  de  remplir  ses  engagements. 
Il  l'envoya  en  Ecosse  préparer  les  voies  à  la  révolte,  tandis 
que  lui-même,  gardant  le  pofte  le  plus  périlleux,  demeurait 
à  la  cour  d'Edouard  pour  prévenir  ses  soupçons ,  attendant 
son  destin  avec  calme.  Tout  à  coup,  un  soir,  il  reçut  du 
comte  Gower  une  bourse  pleine  d'or  et  une  paire  d'éperons. 
Profitant  de  l'avertissement,  il  mit  l'or  dans  son  escarcelle, 
les  éperons  à  ses  talons ,  fit  ferrer  ses  chevaux  h  rebours,  afin 
de  dérouter  ceux  qui  le  poursuivraient,  et  partit.  Il  gagna 
rapidement  la  frontière  d'Ecosse ,  altéré  de  vengeance  contre 
Cumyn  ;  car  il  pensait  à  bon  droit  que  c'était  de  lui  qu'était 
venue  la  révélation.  Cumyn  était  à  Dumfries,  sur  les  confins 
de  l'Annandale.  Robert  y  courut,  et  eut  avec  le  traître  une. 
conférence  seul  à  seul  dans  une  église;  ce  tête-à-tête  fut 
très-orageux,  et  se  termina  de  la  façon  la  plus  tragique  :  ou 
ne  sait  que  vaguement  ce  qui  s'y  passa;  mais  deux  anciens 


I 


768  ^^^ 

frères  d'armes  de  Wallace,  qui  attendaient  Bruce  à  la  porte 
de  l'église,  le  virent  s'élancer  de  la  nef,  pâle,  sanglant,  dans 
une  agitation  extrême.  11  venait  de  blesser  grièvement  Cuinyn. 
Eux  se  précipitèrent  dans  le  lieu  saint,  et  l'aclievèrent  à  coups 
de  poignard.  Ce  fatal  événement  entourait  Robert  Bruce  de 
dangers  nouveaux  :  aux  armes  d' Edouard  allaient  s'unir 
pour  l'accabler,  et  l'implacable  ressentiment  de  la  maison  de 
Cumyn,  toute  puissante  dans  plusieurs  provinces  d'Ecosse, 
et  les  foudres  de  l'église,  offensée  par  un  meurtre  commis  au 
pied  des  autels.  Robert,  à  travers  toute  l'Écos-sc  méridio- 
nale ,  couverte  de  garnisons  anglaises,  pénétra  jusciu'à  Scone, 
réunit  ses  plus  lianiis  partisans  dans  l'abbaye  de  cette  ville, 
où  se  faisait  d'ordinaire  le  couronnement  des  rois  d'Ecosse, 
et  la,  sans  le  concours  des  pairs  du  royaume,  une  femme, 
Isabelle  iMac-Duif ,  comtesse  de  Buclian ,  posa  le  diadème 
sur  le  front  de  rau<lacieux  prétendant,  en  vertu  d'un  privi- 
lège réservé  aux  descendants  du  fameux  vainqueur  de  Mac- 
iieili.  Lorsque  le  roi  d'Angleterre  apprit  l'entreprise  de  Bruce, 
quoique  affaibli  par  l'âge  et  la  maladie,  il  jura  solennellement, 
dans  un  grand  festin,  d'en  tirer  vengeance,  et  entra  en 
Ecosse  avec  une  puissante  armée. 

Le  règne  de  Robert  connnença  sous  de  lugubres  auspices. 
11  avait  été  couronné  le  2'J  murs  i;50G.  Le  IS  mai  il  était 
excommunié  par  une  bulle  du  pape,  qui  le  retrancbait  de 
la  communion  des  fidèles  ,  et  donnait  implicitement  à  chacun 
le  droit  de  le  mettre  à  mort;  le  11)  juin  il  était  attaqué  près 
de  Metliven  par  im  corps  d'armée  anglais  aux  ordres  du 
comte  de  l'embroKe  :  les  patriotes  furent  (  craséspar  le  nombre. 
Robert,  abattu  sous  son  cheval  fraiii)é  à  mort,  faillit denicu- 
rer  prisonnier.  Forcé  d'évacuer  les  Basses  Terres,  il  se  jeta 
dans  VAtben  (  la  montagne),  avec  ses  frères  Edouard  et  Ni- 
gel,  et  lejeune  lord  James  Douglas,  depuis  si  célèbre  sous 
le  nom  de  Douglas  le  Noir.  Là  ils  errèrent  lorgtennps,  sans 
autres  moyens  de  subsistance  que  le  produit  de  leur  pêche 
dans  les  lacs  des  vallées  ou  de  leur  chasse  dans  les  forêts 
des  monts  Grampiens  :  réponse  de  Bruce,  la  comtesse  de 
Buchan ,  et  d'autres  femmes  ou  fdies  de  proscrits  parta- 
geaient cette  vie  de  fatigues  et  de  périls.  Robert,  poussé  vers 
l'ouest  par  les  forces   anglaises  ,  voulut  se  retirer  dans  le 
pays  de  Lorn  ;  mu's  il  y  trouva  d'autres  ennemis,  etJan  de 
Lorn,  chef  de  la  tribu  des  IMac-Dougal,  vint  fondre  sur  lui 
à  Dalry  avec  toutes  les  forces  du  parti  de  Cumyn.  La  petite 
armée  de  Bruce  fut  accablée  pour  la  seconde  fois  :  tous  ses 
compagnons  eussent  péri ,  si  lui-même  ne  les  eût  sauvés 
par  des  prodiges  de  valeur.  Se  postant  à  cheval  dans  un 
étroit  délilé,  entre  un  roc  escarpé  et  un  lac  profond,  il  re- 
poussa seul  l'attaque  des  ennemis  jus(iu'à  ce  que  les  siens 
eussent  achevé  leur  retraite.  Malgré  quatre  autres  échecs, 
il  continua  de  lutter  contre  ses  revers  avec  une  constance 
inébranlable,  relevant  par  son  exemple  le  courage  de  ses 
compagnons;  enlin ,   lorsque  l'hiver  couvrit  de  neige   les 
Hautes  Terres,  ne  pouvant  plus  tiaîncr  avec  lui  les  géné- 
reuses femmes  qui  s'étaient  dévouées  à  sa  fortune,  il  les 
enferma  dans  le  château  de  Kildrununie  sur  le  Don  ,  la  seule 
forteresse  qui  fût  encore  en  son  pouvoir,  sous  la  garde  de 
son  f.èreNigcl,  puis  il  alla  de  colline  en  (;olline,  de  lac  en 
lac,  poursuivi  et  tra(pié  comme  une  hèle  fauve,  jusqu'à  la 
pointe  du  promontoire  de  Cantjre,  d'où  il  passa  dans  la  pe- 
tite ile  de  Rath-Erin  ,  sur  la  côte  d'Irlande. 

Il  put  reprendre  haleine  (pielques  mois  dans  cette  retraite 
fûre,  et  employa  la  morfe  saison  à  envoyer  des  messages 
aux  chefs  des  Hébrides  et  des  montagnes  du  nord-ouest  de 
rÉcosse,  qui ,  retranchés  au  fond  de  leurs  déserts,  s'étaient 
peu  inquiétés  jusque  alors  de  la  guerre  nationale;  mais  il 
n'était  pas  au  bout  de  ses  misères.  Il  apprit  bientôt  que  Kil- 
drummie  avait  été  forcé  par  les  Anglais,  Nigel  Bruce  lâche- 
ment égorgé ,  la  leine  et  ses  conipagnes  emmenées  prison- 
nières et  traitées  avec  la  dernière  rigueur,  et  lady  Buchan, 
attachée  à  un  gibtt.  Ce  dernier  coup  étourdit  l'iniortuné  :  il 
scnlit  son  cceur  faillir,  et  se  demanda  s'il  ne  vaudrait  pa'-- 


mieux  renoncer  à  une  cnlr^-prise  qui  attirait  de  si  affreuses 
calamités  sur  tout  ce  qu'il  aima  t.  Cependant  la  soif  de  la 
vengeance  raffermit  son  àme.  Sur  ces  entrefaites,  Angusog, 
chef  de  la  grande  tribu  des  Mac-Donald ,  à  qui  le  litre  de 
seigneur  des  Hébrides  ou  lord  des  Iles  donnait  une  sorte  de 
suprématie  parmi  les  montagnards ,  renvoya  les  députés  de 
Robert  avec   promesse  de  foi  et  d'assistance,  et  tous  les 
chefs  des  clans  galliques  imitèrent  cet  excmjde,  à  l'excep- 
tion de  Mac-Dougal.  Robert  quitta  Rath-Erin  au  commen- 
cement du  printemps  de  \?,0l,  et  mit  à  la  voile  pour  la  côle 
sud-ouest  de  l'Ecosse  ,  fort  peu  accompagné ,  mais  comptant 
sur  une  diversion  au  nord,  de  la  part  de  ses  nouveaux  amis 
des  montagnes.  Il  débarqua  d'abord  dans  l'ile  d'Arran ,  et 
là  il  attendit  impatiemment  des  nouvelles  de  son  comté  de 
Carrick ,  oii  il  avait  praticiué  des  intelligences.  Tout  à  coup 
il  vit  briller  de  loin  une  flamme.  C'était  le  signal  convenu 
avec  ses  affidés  dans  le  cas  où  les  habitants  auraient  pris 
les  armes  en  sa  faveur.  Aussitôt  Bruce  vola  vers  ses  barques 
avec  trois  cents  braves,  et,  franchissant  le  détroit,  aborda 
près  du   cap  de  Turnberry.   Mais  l'homme  qui  avait  été 
chargé  d'allumer  le  feu  accourut  tout  consterné,  annonçant 
que  la  terreur  inspirée  par  les  Anglais  avait  empêché  tout 
mouvement  <ians  le  pays.  11  ignorait  absolument  qui  avait 
mis  le  feu  au  biicher.  «  N'importe!  dit  Bruce,  puisque  me 
voilà  sur  la  terre  d'Ecosse ,  je  ne  reculerai  pas  :  advienne 
ce  qui  plaira  au  ciel!  »  Et  il  mit  le  pied  <lans  ses  domaines. 
La  circonstance  singulière  qui  avait  amené  le  débarque- 
ment du  roi  Bruce  frappa  vivement  l'imagination  poétique 
des  Écossais,  et  plus  tard  il  passa  pour   certain  que  ce- 
n'était  point  une  main  humaine  qui  avait  donné  le  signal  de 
Turnberry.  Robert,  en  attendant  qu'il  vît  autour  de  lui  des 
forces  suffisantes  pour  attaquer  régulièrement  les  Anglais, 
entreprit  une  guerre  de  partisan   contre  les  garnisons  qui 
occu])aient  les  forteresses  et  les  détachements  qui  battaient 
la  campagne,  guerre  active,  infatigable,  de  chacpie  jour  et 
de  chaque  heure.  11  demeura  souvent  presque  seul,  et  courut 
vingt   fois   le  risque  de  périr  ou  d'être  vendu  aux  tyrans 
comme  Wallace.  11  fut  poursuivi  à  diverses  repiises  avec 
des  limiers  appelés  cb.ieus  de  slol  (llair)  qui  étaient  dressés 
à  courre  rhonnne ,  et  qu'on  employait  d'habitude  à  la  re- 
cherche des  grands  criminels.  Une  fois  il  fut  assailli   par 
trois  bandits,  désireux  de  gagner  la  récompense  promise  à 
qiù  prendrait  Robert  Bruce  rr.ort  ou  vif.  La   force  prodi- 
gieuse de  Robert  et  la  bonté  de  son  armure  le  sauvèrent,  et 
il  étendit  à  ses  pieds  les  trois  assassins.  Bientôt  il  fut  re- 
joint par  cent  cincpiante  hommes  d'armes  (jue  lui  ramenaient 
son  frère  Edouard  et  James  Douglas  :  sans  prendre  le  temps 
de  réparer  ses  forces,  il  alla  fondre  à  l'improviste  sur  les 
ennemis  qui  l'avaient  si  bien  relancé,  et  les  mit  en  pleine 
déroute.  Ce   succès  décida  le  soulèvement  de  tous  les  pa- 
triotes du  midi  de  l'Ecosse  :  Bruce  se  vit  promptement  en 
état  de  tenir  la  campagne  contre  tous  les  lieutenants  d'E- 
douard, et  battit  les  lords  Pembroke  et  Clifford. 

Le  vieux  roi  d'Angleterre  frémit  de  rage  en  apprenant  les 
succès  du  rebelle,  et  il  s'avança,  suivi  d'une  armée  formi- 
dable, jusqu'aux  frontières  d'Ecosse.  11  ne  devait  pas  les 
franchir  :  la  force  factice  ([ui  l'exaltait  l'abandonna  soudain  ; 
il  fut  forcé  de  s'arrêter  à  trois  milles  de  la  Tweed ,  languit 
peu  de  jours,  et  expira  le  6  juillet  1307.  Di^  lors  le  parti 
national  prit  une  supériorité  déciilée  dans  toute  l'Ecosse  : 
Bruce,  son  frère  Edouard,  ses  deux  fameux  capitaines  Dou- 
glas et  Randolph,  remportèrent  des  avantages  continuels  sur 
les  Anglais  et  leurs  fauteurs.  Randolph  ,  comte  de  Murray , 
neveu  du  roi  Robert,  reprit  Edimbourg,  la  capitale  du 
royaume,  et  Robert  tira  une  vengeance  terrible  des  Cumyn. 
Tiente  seigneurs  de  ce  nom  furent  pris  et  décapités  en  un 
seul  jour,  comme  traîtres  à  la  patrie.  Les  Mac'-Dougal 
furent  écrasés  à  leur  tour  sur  les  bords  du  Loch-Awe  et 
dans  les  gorges  de  Cruachan-Ben.  Jan  de  Lorn  échappa 
presque  seul  à  l'épée  de  Brute.  Lis  généraux  du  roi  Edouard 


BBUCE 

ne  tenaient  plus  dans  Tintérieur  de  l'Ecosse  qu'une  seule 
ville  importante,  Stirling,  sur  le  Forth.  Lorsqu'on  sut  en 
Angleterre  ce  qui  était  advenu  des  conquêtes  d'Edouard  l", 
grâce  à  l'incurie  de  son  successeur,  l'orgueil  national  se  sou- 
leva si  violemment,  qu'Edouard  II  fut  forcé  de  s'arracher 
à  ses  plaisirs  :  le  puissant  royaume  des  Anglo-Normands  s'é- 
branla d'une  extrémité  à  l'autre,  et  tous  les  aventuriers  de 
l'Europe  furent  invités  à  venir  prendre  part  au  pillage  de 
l'Ecosse. 

Mais,  de  son  côté,  l'Ecosse  s'apprêtait  à  bien  recevoir 
ses  ennemis  :  les  Gaels  descendaient  en  masse  des  rochers 
à'Alben  ;  les  barons  des  Basses  Terres  et  les  chefs  des  clans 
de  la  frontière  (border)  faisaient  entre  eux  des  pactes  de 
fraternité  d'armes  à  la  vie  et  à  la  mort,  pour  Robert  Bruce 
et  le  pays,  contre  tout  homme.  Français,  Anglais  ou  Écossais 
(  c'est-à-dire  Normand,  Anglo-Saxon  ou  Scott  d'origine),  qui 
contesterait  le  choix  du  peuple.  Bruce  convoqua  ses  guer- 
riers sous  les  murs  de  Stirling ,  et  l'on  ne  tarda  pas  à  voir 
paraître  l'armée  d'invasion,  qui  avait  passé  la  Tweed  et 
traversé  les  Lothians  sans  obstacle.  Cent  mille  soldats  inon- 
daient au  loin  la  plaine  :  Anglais,  Aquitains,  Gallois,  Ir- 
landais. Robert  ne  comptait  sous  sa  bannière  au  lion  rouge 
que  30,000  combattants  .  il  les  disposa  entre  la  ville  de 
Stirling  et  le  ruisseau  de  Banuock  (Dannock-Burn),  et,  sans 
cherchera  leur  dissimuler  l'infériorité  de  leur  nombre,  il 
leur  fit  une  harangue  pleine  d'énergie.  Des  cris  d'enthou- 
siasme et  de  fureur  lui  répondirent  ;  bientôt  la  grande  armée 
ennemie  se  déploya  en  vue  des  Écossais.  Plusieurs  cheva- 
liers de  renom  s'avancèrent  en  éclaireurs  à  peu  de  distance 
des  légions  écossaises.  Ils  reconnurent,  à  sou  heaume  sur- 
monté d'une  couronne  d'or,  Robert,  qui  parcourait  le  front 
de  ses  lignes  sur  un  petit  poney  de  montagne,  n'ayant  à  la 
main  qu'une  courte  hache  d'armes.  Alors  un  chevalier  an- 
glo-normand ,  sir  Henry  de  Bolmn,  se  trouvant  tout  près  du 
roi  d'Ecosse,  résolut  de  terminer  la  guerre  d'un  seul  coup, 
et,  piquant  son  dexlrierj  il  courut  ventre  à  terre ,  la  lance 
eu  arrêt,  sur  Robert  Bruce.  Celui-ci  le  vit  venir,  l'attendit 
tranquillement ,  évita  son  coup  de  lance  en  se  détournant 
un  peu ,  et,  se  dressant  sur  ses  ctriers ,  lui  asséna  un  si  fu- 
rieux coup  de  hache  qu'il  fracassa  comme  du  verre  le  casque 
et  la  tète  de  Bohun. 

Le  combat  ne  s'engagea  pas  ce  jour-là  :  le  lendemain 
(24  juin  1314),  vers  l'aurore,  le  roi  Edouard,  voyant  les 
Écossais  se  prosterner  tous  ensemble ,  s'écria  d'un  ton 
joyeux  :  «  Us  se  mettent  à  genoux  !  Us  demandent  grâce  ! 
—  Oui ,  répondit  un  baron  anglais;  mais  c'est  à  Dieu,  non 
point  à  nous.  »  L'armée  dÉcosse  se  releva  au  même  ins- 
tant, et  la  charge  sonna.  Les  redoutables  archers  anglais 
commençaient  à  faire  pleuvoir  une  grêle  de  traits  meurtriers 
sur  les  bataillons  de  Bruce,  quand  ce  prince  lança  sur  les 
archers  ses  meilleurs  hommes  d'armes.  En  un  moment  les 
archers  furent  criblés  de  coups  de  lances  ou  foulés  sous 
les  pieds  des  chevaux.  Toute  la  chevalerie  anglaise  partit 
alors  d'un  élan  qui  fit  trembler  la  terre  ;  mais  tout  à  coup 
chevaux  et  cavaliers  s'abattirent  les  uns  sur  les  autres ,  et 
roulèrent  dans  des  milliers  de  fosses  que  Robert,  la  veille, 
avait  fait  creuser  et  recouvTir  de  gazon.  Les  montagnards  et 
les  autres  fantassins  écossais,  fondant  sur  cette  cavalerie  en 
désarroi,  en  firent  un  horrible  carnage  ,  puis  Robert  assaillit 
le  gros  de  l'armée  ennemie.  Bien  que  la  fleur  des  guerriers 
d'Edouard  fût  anéantie,  ses  bataillons  étaient  si  nombreux, 
que  le  combat  se  soutenait  encore,  lorsque  les  valets,  les 
conducteurs  de  chariots,  les  vivandiers  écossais,  que  Ro- 
bert avait  renvoyés  derrière  une  colline,  saisis  tout  à  coup 
d'un  accès  de  vaillance  patriotique,  s'armèrent  de  tout  ce 
qui  leur  tomba  sous  la  main  ,  et  débouchèrent  sur  les  flancs 
de  l'ennemi.  Les  Anglais,  les  prenant  pour  un  corps  d'ar- 
mée,  perdirent  courage,  rompirent  leurs  rangs,  et  une  im- 
mense déroule  succéda  à  la  bataille.  Cette  grande  multitude 
fut  presque  entièrement  exterminée,  soit  par  les  victorieux 

DICT.    DE   LA   CONVERS.    —   T.    111. 


760 

compagnons  de  Bruce,  soit  par  les  populations  de  la  plaine 
et  des  monts  Cheviots.  Le  roi  Edouard  lui-même,  serré  de 
près  par  Douglas  le  Noir,  ne  gagna  qu'avec  peine  Dunbar , 
d'où   il  se  sauva  en  Angleterre  sur  une  misérable  barque. 

L'enthousiasme  des  Écossais  pour  leur  libérateur  alla  jus- 
qu'à l'idolâtrie.  La  couronne  était  désormais  fixée  d'une  ma- 
nière inébranlable  dans  la  maison  de  Bruce ,  mais  peu  s'en 
fallut  que  Robert  ne  trouvât  un  rival  dans  son  frère  Edouard. 
Ce  prince,  aussi  ambitieux  qu'intrépide,  annonça  haute- 
ment la  prétention  d'être  associé  au  trône.  Robert  eijt  sans 
doute  éprouvé  bien  des  embarras  de  la  part  de  cet  esprit 
turbulent  et  inquiet,  si  d'autres  espérances  n'eussent  détour- 
né l'attention  d'Edouard  ;  les  chefs  des  clans  irlandais  lui  of- 
frirent le  trône  de  la  verte  Erin,  s'il  voulait  les  aider  à  chas- 
ser leurs  oppresseurs  anglo-normands.  Edouard  accepta ,  au 
grand  contentement  de  Robert,  et  les  deux  frères  s'en  al- 
lèrent ensemble  délivrer  l'Irlande,  dont  ils  enlevèrent  la 
meilleure  partie  aux  Anglais.  Cependant,  Robert  fut  instruit 
que  l'Angleterre ,  à  peine  revenue  de  l'étourdissement  où 
l'avait  jetée  la  défaite  de  Bannok-Burn ,  témoignait  quelques 
velléités  de  vengeance  :  il  se  hâta  de  retourner  en  Ecosse  ; 
mais  ses  lieutenants  avaient  déjà  battu  complètement  les 
agresseurs,  repris  Berwick,  la  dernière  place  que  les  Anglais 
eussent  conservée  jusque  alors  au  nord  de  la  Tweed;  puis  ils 
s'étaient  jetés  à  leur  tour  sur  le  territoire  ennemi ,  avaient 
ravagé  le  Northumberland  et  pénétré  jusqu'à  York.  Robert 
continua  l'œuvre  si  bien  commencée,  et  traita  si  rudement 
les  Anglais,  qu'il  les  mit  hors  de  combat  pour  plusieurs  an- 
nées. Ces  avantages  furent  achetés  par  la  mort  du  roi  d'Ir- 
lande Edouard  Bruce,  devenu  victùne  de  sa  téméraire  va- 
leur, en  combattant  les  Anglais  qui  lui  disputaient  son 
royaume;  cette  catastrophe  fit  rentrer  l'Irlande  sous  la  do- 
mination anglo-normande. 

Quand  Bruce  se  vit  enfin  possesseur  d'un  pouvoir  incon- 
testé, il  s'occupa  de  rétablir  l'ordre  en  Ecosse.  11  rendit  aux 
légitimes  héritiers  tous  les  biens  confisqués  par  Edouard  1" 
et  donnés  à  des  Anglais;  puis  il  força  les  détenteurs  de  pro- 
priétés d'une  origine  suspecte  à  exhiber  leurs  titres.  Mais 
l)ca(icoup  de  barons  se  confédérèrent  pour  ne  pasrestiluer 
le  bien  mal  acquis,  et  un  jour,  entourant  le  roi  Robert,  ils  ti- 
rèrent tous  à  la  fois  leurs  épées ,  en  lui  criant  :  «  Voici  nos 
titres!  »  Us  conspirèrent  ensuite  avec  les  ennemis  de  leur 
pays,  et  firent  des  offres  de  service  au  roi  d'Angletene. 
Bruce  déjoua  ce  complot,  et  les  livra  tous  à  un  parlement 
national,  qui  fut  surnommé  le  parlement  noir,  à  cause  de 
la  sévérité  qu'il  déploya  contre  les  traîtres,  sans  exception 
de  rang  ni  de  naissance.  Un  neveu  du  roi  Bruce  fut  con- 
damné à  mort,  et  exécuté  comme  les  autres. 

Edouard  II,  espérant  profiler  de  ces  agitations  de  l'Ecosse, 
trouva  moyen  de  réunir  une  nombreuse  armée,  malgré 
les  pertes  encore  récentes  de  l'Angleterre.  Le  roi  Robert  le 
laissa  pousser  jusqu'à  Edimbourg  :  la  disette  et  les  maladies 
se  mirent  dans  les  troupes  d'Edouard,  qui  voulut  alors 
songera  la  retraite;  mais  Robert  le  poursuivit ,  l'aUeignit  à 
Bylan  I ,  et  remporta,  de  nouveau,  sur  lui  une  éclatante  vic- 
toire (1323).  Les  fatigues  inouïes  qu'il  avait  endurées  ac- 
célérèrent sa  vieillesse  :  une  lè[ire  cruelle ,  qu'il  avait  con- 
tractée durant  sa  vie  errante  à  travers  les  bois  et  les  marais, 
revint  l'assaillir  ;  devenu  peu  à  peu  incapable  de  conduire 
au  combat  ses  vieux  compagnons  d'armes ,  il  continua  de 
veiller  de  loin  sur  ses  amis  et  ses  ennemis,  car  sa  tête  ne  par- 
tageait en  rien  ralïaibiissement  de  son  corps.  La  dernière 
année  de  son  règne  fut  signalée  par  une  brillante  expédition 
que  Douglas  et  Randolpli  firent  par  son  ordre  en  Angle- 
terre :  leurs  succès  amenèrent  un  traité  de  paix  par  lequel 
le  jeune  Edouard  III,  fils  d'Edouard  II,  abandonna  toute 
prétention  de  suzeraineté  sur  l'Ecosse,  et  donna  en  marifige 
sa  sœur,  Jeanne  Plantagenet,  à  David  Bruce,  fils  du  roi 
Robert. 

Après  que  la  paix  de  Nortliampton  fut  signée.  Robert, 

y; 


L 


770 


BRUCE 


sentant  qu'il  n'avait  que  peu  de  jours  à  vivre ,  appela  près 
de  lui  ses  meilleurs  amis  et  les  grands  de  son  royaume  :  il 
leur  demanda  de  garder  leur  foi  à  son  jeune  fils  David ,  et , 
dans  le  cas  où  David  mourrait  sans  postérité  (ce  qui  ar- 
riva en  effet  )  ,  de  reconnaître  pour  roi  Robert  btevvart 
(voyez  Stuart)  ,  fils  de  Marie,  sœur  de  Robert  Bruce.  Il  dit 
ensuite  que  son  intention  avait  toujours  été  d'aller  combattre 
les  infidèles  en  Palestine  pour  expier  le  crime  qu'il  avait 
commis  en  tuant  le  rouge  Cumyn  au  pied  des  autels,  mais 
que  puisque  la  mort  l'en  empêcliait ,  il  priait  son  grand  ami 
James  Douglas  de  porter  son  cœur  en  Terre  Sainte.  Le  li- 
bérateur de  l'Ecosse  rendit  le  dernier  soupir  un  moment 
après  (  1329).  Il  était  âgé  d'environ  cinquante-quatre  ans;  il 
y  en  avait  vingt-trois  qu'il  s'était  fait  couronner  à  Scone. 
James  Douglas  ne  put  accomplir  jusqu'au  bout  le  désir  su- 
prême de  son  chef  :  ayant  pris  sa  route  par  l'Espagne ,  il  alla 
combattre  les  Maures  de  Grenade.  Mais  il  s'abandonna  im- 
prudemment à  la  poursuite  d'une  troupe  d'ennemis  ,  et,  sé- 
paré des  siens ,  se  vit  tout  à  coup  enveloppé.  Alors ,  détachant 
de  son  cou  le  cœur  du  roi  Bruce,  qu'il  portait  embaumé 
dans  une  boîte  d'argent ,  il  lui  parla  comme  s'il  eût  encore 
battu  dans  la  poitrine  de  Robert  :  «  Marche!  lui  dit-il, 
marche  le  premier,  ainsi  que  tu  l'as  toujours  fait!  Douglas 
te  suivra,  ou  mourra  près  de  toi!  »  Et  lançant  le  précieux 
dépôt  au  milieu  des  assaillants ,  il  s'y  précipita  après  lui.  Le 
soir  de  la  bataille ,  les  Castillans  retrouvèrent  son  cadavre 
étendu  sur  la  boite  d'argent.  Henry  Mautin. 

BRUCE  (DAvm),  fils  du  précédent,  né  en  1321,  n'é- 
tait âgé  que  de  huit  ans  lorsque  la  mort  de  Robert  l'^'",  son 
père,  l'appela  à  recueillir  la  couronne  d'Ecosse,  en  1329. 
Comme  il  arrivait  toujours  dans  ces  siècles  où  l'on  ne  re- 
connaissait d'autre  droit  que  celui  du  plus  fort,  la  mino- 
rité de  ce  prince  vit  tout  aussitôt  renaître  les  troubles  que 
le  bras  vigoureux  de  Robert  avait  eu  de  la  peine  à  com- 
primer. Quoique  fiancé  par  avance  à  la  princesse  Jeanne 
d'Angleterre,  fille  du  roi  Edouard  II,  ce  fut  son  beau-frère 
Edouard  III  qui  se  montra  le  plus  redoutable  et  le  plus  per- 
fide de  ses  ennemis.  Ce  prince  lui  suscita  un  rival  dans  la  per- 
sonne d'un  fils  de  B  a  i  1 1  e  u  1 ,  appelé  Edouard  ;  et  secondé  par 
les  secours  de  toutes  espèces  que  lui  fournit  l'Angleterre,  le 
prétendant  réussit  à  faire  la  conquête  de  l'Ecosse,  où  il  fut 
même  couronné  roi  en  1332.  Les  serviteurs  de  David  ne  par- 
vinrent pas  sans  peine  à  sauver  les  jours  de  l'hérilier  lé- 
gitime du  trône  ,  en  le  faisant  passer  en  France.  La  politique 
constante  de  la  France  en  ces  siècles  était  de  soutenir 
les  rois  d'Ecosse  contre  les  attaques  ou  les  usurpations  des 
rois  d'Angleterre.  Pendant  ce  temps-là,  l'usurpateur  ne 
laissa  pas  que  de  voir  son  autorité  contestée  par  quelques 
seigneurs  puissants  et  demeurés  fidèles  à  la  dynastie  légi- 
time. La  lutte  en  vint  à  prendre  des  proportions  de  plus 
en  plus  formidables;  et  en  faisant  appel  à  ce  vif  sentiment 
de  la  nationalité  qui  a  toujours  caractérisé  les  populations 
écossaises,  les  Murray,  les  Douglas  et  Robert  Stuart  finirent 
par  faire  triompher  la  cause  de  David  Bruce,  qui  put  ren- 
trer en  Ecosse  en  1342.  Sa  première  pensée  fut  de  tirer 
vengeance  de  l'appui  prêté  par  l'Angleterie  à  l'usurpation 
d'Edouard  Bailleul;  mais  le  sort  des  armes  trahit  son  courage. 
Repoussé  dans  deux  invasions  successives,  il  fut  fait  prison- 
nier en  1346.  Sa  captivité  dura  onze  ans,  et  ce  ne  fut  que 
lorsqu'il  eut  pris  l'engagement  d'instituer  pour  hérilier  un 
prince  de  la  maison  d'Angleterre  qu'Edouard  III ,  vaincu  par 
les  larmes  de  sa  sœur,  consentit,  en  1357,  à  lui  permettre 
de  rentrer  dans  ses  ittals.  Instruit  par  le  maliieur,  David 
Bruce  ne  s'occupa  plus  que  du  soin  de  cicatriser  de  son 
mieux  les  plaies  profondes  faites  à  l'Ecosse  par  les  malheurs 
des  temps.  Il  mourut  en  1370,  sans  laisser  de  descendance  ; 
et  les  seigneurs  écossais  considérant  le  traité  qui  assurait 
à  un  prince  anglais  la  succes.sion  de  David  comme  un  abus 
de  la  force,  le  déchirèrent  en  proclamant  les  droits  de  Ro- 
bert Bruce  ,  neveu  du  roi  défunt. 


BRUCE  (  Jacques-Daniel  ,  comte  ),  ingénieur  russe ,  d'o- 
rigine écossaise ,  né  à  Moscou,  en  1670  ,  entra  dans  l'artil- 
lerie, et  fut  nommé  gouverneur  de  Novgorod.  Malheureux 
en  1701  dans  son  attaque  contre  Narwa ,  il  encourut  la  dis- 
grâce de  Pierre  le  Grand.  Toutefois  il  réussit  à  se  justifier, 
et  fut  réintégré  dans  son  grade.  C'est  lui  qui  à  Pultawa 
commandait  l'artillerie.  Depuis  1711  il  était  grand-maître 
de  cette  arme;  et  en  1721  il  fut  l'un  des  négociateurs  de  la 
paix  de  Nystadt.  Peu  d'écrivains  ont  mieux  connu  la  situa- 
tion réelle  et  les  ressources  de  la  Russie.  Après  avoir 
été  quelque  temps  en  correspondance  avec  Leibnitz  par 
ordre  de  l'empereur,  il  traduisit  en  russe  divers  ouvrages 
anglais  et  allemands  relatifs  aux  sciences,  il  composa 
aussi  un  traité  de  géométrie  et  un  calendrier  séculaire 
connu  sous  le  nom  de  Calendrier  de  Bruce  ou  encore 
de  Tchornaia  Kinga  (Livre  noir).  Il  avait  réuni  une  pré- 
cieuse bibliothèque,  ainsi  qu'une  riche  collection  de  mé- 
dailles, d'histoire  naturelle ,  d'instruments  d'astronomie  et 
de  mathématiques,  dont  l'Académie  des  Sciences  de  Saint- 
Pétersbourg  fit  l'acquisition  en  1736.  Le  comte  Jacques- 
Daniel  Bruce  mourut  en  i735. 

BRUCE  (  James)  ,  né  en  1730,  à  Kinnaird,en  Ecosse.  Ce 
célèbre  voyageur  n'était  pas  destiné  par  ses  parents  à  une 
vie  aventureuse;  car  ils  l'envoyèrent  à  Londres  chez  un  ri- 
che négociant  en  vins ,  dont  il  devint  l'associé  en  épousant 
sa  fille.  Mais  bientôt  M™'  Bruce,  atteinte  d'une  maladie 
de  poitrine ,  mourut  à  Paris,  dans  les  bras  de  son  mari. 
Livré  à  un  désespoir  sincère,  Bruce  chercha  des  distractions 
dans  les  voyages.  Il  avait  étudié  le  droit ,  les  mathématiques , 
un  peu  d'astronomie,  et  avait  acquis' une  légère  teinture  des 
langues  orientales.  Il  parcourut,  en  1757,  le  Portugal, 
l'Espagne, la  France  et  les  Pays-Bas.  Vif  dans  ses  enthou- 
siasmes, ardent  dans  ses  projets,  il  voulut  à  Madrid  publier 
les  nombreux  documents  arabes  qui  dormaient  à  l'Escnrial 
sous  une  épaisse  couche  de  poussière  et  qui  y  reposent  encore 
dans  une  paix  profonde.  Le  gouvernement  espagnol  mit 
obstacle  à  un  projet  dans  la  réalisation  duquel  il  vit  sans 
doute  un  immense  péril  pour  la  monarchie.  Décidé  à  en- 
treprendre un  voyage  en  Afrique,  il  accepta  en  1761  le 
consulat  d'Angleterre  à  Alger,  que  lord  Halifax  lui  offrit; 
Le  passage  de  Vénus  sur  le  disque  du  soleil  était  attendu, 
Bruce  se  munit  de  tous  les  instruments  nécessaires  pour 
l'observer  dans  l'Afrique  septentrionale,  pendant  que  Cook 
recevait  la  même  mission  pour  les  îles  de  la  mer  du  Sud , 
et  que  Chappe  d'Hauteroche  faisait  dans  ce  but  le  voyage 
de  la  Sibérie.  Après  un  an  de  séjour  à  Alger,  devenu  familier 
avec  l'arabe  vulgaire,  Bruce,  qui  ne  cherchait  qu'une  oc- 
casion d'exercer  son  ardeur  de  locomotion ,  abandonna 
son  consulat ,  visita  Paimyre  et  Balbec ,  et  entreprit ,  en 
1768  un  voyage  aux  sources  du  Kil.  Déjà  un  missionnaire 
portugais  pensait  avoir  découvert  ces  sources  célèbres  ; 
mais  la  relation  portugaise  n'était  pas  encore  connue  dans  le 
monde  savant.  Bruce  partit  au  mois  de  juin  1768.  Le 
gouvernement  anglais  recommanda  à  Bruce  de  traverser 
l'Egypte  pour  son  agrément,  et  de  ne  commencer  sérieuse- 
ment ses  travaux  que  par  delà  les  cataractes.  Pénétrant 
hardiment  à  travers  les  déserts ,  notre  explorateur  atteignit 
enfin  cette  mystérieuse  Abyssinie  ,  si  mal  connue  avant  lui , 
et  si  imparfaitement  appréciée  aujourd'hui  encore.  Il  arriva 
à  Gondar,  sa  capitale,  et  fut  parfaitement  accueilli  du  roi  et 
de  tons  les  princes  de  ces  contrées ,  en  qualité  de  wakil  ou  de 
médecin.  Après  deux  ans  de  séjour,  il  reprit,  mais  lentement, 
le  chemin  de  l'Europe  ;  car  il  mit  près  de  treize  mois  à  ar- 
river au  Caire. 

En  passant  par  Luxor,  l'ancienne  Thèbes  aux  cent  por- 
tes ,  Bruce  examina  le  fameux  sarcophage  de  S^SS  de  lon- 
gueur ,  qui ,  suivant  quelques  savants ,  a  renfermé  la  momie 
de  Menés,  et,  suivantd'autres,  celle  d'Osimandyas.  Il  admira 
dans  ce  même  tombeau  plusieurs  peintures  à  l'encaustique, 


BRUCE  —  BRUCKER 


771 


et  notamment  deux  joueurs  de  lyre ,  dont  les  instruments , 
si  l'on  s'en  rapporte  aux  dessins  de  notre  voyageur  et  de  son 
secrétaire ,  ont  une  ressemblance  étonnante  avec  nos  liarpes 
modernes.  C'est  une  des  nombreuses  parties  de  sa  relation 
dont  la  véracité  a  été  révoquée  en  doute.  Lorsque,  plus  tard, 
Bruce  se  vanta  chez  un  ministre  de  cette  précieuse  découverte, 
un  de  ses  interlocuteurs  lui  dit  en  jouant  sur  le  mot  anglais 
lyre,  qui  se  prononce  comme  le  mot  lïar,  menteur  :  «  A  votre 
arrivée  il  y  en  avait  deux ,  mais  à  votre  départ  il  y  en  avait 
un  de  moins.  »  Malgré  ces  critiques,  le  Voyage  aux  sources 
du  Ml,  imprimé  en  5  volumes  in-4°,  obtint  un  grand  suc- 
cès. Le  roi  Georges  III  acheta  pour  la  bibliothèque  de  Kew , 
moyennant  2,000  livres  sterling  (50,000  francs) ,  les  dessins 
originaux ,  et  fit  les  frais  de  la  gravure.  Cet  ouvrage ,  publié 
à  Londres  en  1790,  a  obtenu  en  France  les  honneurs  d'une 
traduction  complète.  Indépendamment  de  l'intérêt  scienti- 
fique, les  aventures  du  voyageur  sont  fort  attachantes. 

Un  des  amis  qu'il  s'était  faits,  nommé  Abd'el-Kader,  l'ex- 
posa à  être  assassiné  en  racontant  à  tout  venant  que  Bruce 
était  un  prince ,  qu'il  avait  beaucoup  d'or  sur  lui ,  et  que  le 
respect  dont  il  avait  été  l'objet  de  la  part  des  voyageurs  an- 
glais à  Sidda  était  une  preuve  incontestable  de  son  opu- 
lence. Bruce  mit  fin  à  ces  conjectures  périlleuses  pour  lui 
en  disant  :  «  Je  suis  un  des  moindres  serviteurs  du  roi  d'An- 
gleterre; cependant,  vos  correspondants  ne  vous  ont  pas 
tout  à  fait  trompés.  Mes  ancêtres  ont  été  rois  de  l'Ecosse,  ma 
patrie ,  et  ils  méritent  d'être  comptés  parmi  ceux  qui  ont 
porté  la  couronne  avec  le  plus  d'éclat  ;  mais  leurs  descen- 
dants n'ont  pas  à  beaucoup  près  hérité  de  leur  puissance  et 
de  leurs  trésors.  »  Si  Bruce  pouvait  se  vanter  d'être  issu  des 
monarques  qui  ont  jadis  donné  des  lois  à  l'Ecosse,  il  a 
obtenu  cet  insigne  honneur,  que  dans  une  circonstance  dif- 
ficile un  de  ses  petits-neveux  a  paru  fier  de  porter  son  nom 
et  d'avoir  suivi  ses  traces.  Michel  Bruce  ,  qui  fut  à  l'âge  de 
vingt-six  ans  jugé  par  la  cour  d'assises  de  Paris,  et  condamné 
à  trois  mois  de  prison,  comme  le  principal  auteur  de  l'éva- 
sion deLavalette,  ajouta,  à  l'audience  du  23  avril  1816, 
quelques  explications  à  la  plaidoirie  de  M.  Dupin,  son  avo- 
cat, et  prononça  ces  paroles  :  «  Messieurs,  je  suis  encore 

jeune,  mais  j'ai  eu  déjà  l'avantage  de  beaucoup  voyager 

J'ai  toujours  observé  chez  les  nations  les  plus  barbares , 
môme  chez  celles  qui  sont  presque  encore  dans  l'état  primi- 
tif de  la  nature,  que  c'était  une  chose  sacrée  pour  elles  que 
de  secourir  ceux  qui  avaient  recours  à  leur  protection...  J'ai 
cru,  homme  civilisé,  devoir  imiter  les  vertus  des  barbares.  » 
Quant  à  James  Bruce,  notre  voyageur,  qui  avait  revu  l'Écoss^ 
après  une  absence  de  onze  ans,  et  y  avait  épousé  une  seconde 
femme  (qu'il  perdit  en  1785)  pour  se  venger  de  ses  héri- 
tiers, qui  s'étaient  partagé  ses  biens  pendant  son  absence ,  il 
mourut  à  Londres,  en  1794  ,  des  suites  d'une  chute  sur  un 
escalier.  Breton. 

BRUCE  A ,  genre  d'arbrisseaux  de  la  famille  des  téré- 
binthacées,  ainsi  nommé  en  l'honneur  de  James  Bruce,  qui 
rapporta  d'Abyssinie  la  première  espèce  connue,  le  brucea 
antidysenterica,  dont  le  nom  indique  les  propriétés  :  on 
l'emploie  en  effet  avec  succès  contre  la  dyssenterie.  Dans  les 
serres,  où  l'on  est  forcé  de  le  retenir  en  Europe,  il  n'atteint 
guère  que  la  hauteur  de  deux  mètres ,  quoique  dans  son  pays 
natal  il  s'élève  jusqu'à  quatre  ou  cinq  mètres.  De  grandes 
feuilles  ovales  rassemblées  à  l'extrémité  des  rameaux  lui 
donnent  une  assez  belle  apparence  ;  mais  ses  (leurs  sont  pe- 
tites et  sans  éclat  :  il  n'est  donc  recommandable  que  par  ses 
propriétés  médicales ,  qui  résident  principalement  dans  son 
écorce ,  dont  on  extrait  la  b  r  u  c  i  n  e.  Celte  dernière  ma- 
tière se  trouve  également  dans  les  écorces  des  autres  espèces 
de  brucea  qu'on  rencontre  aux  îles  Sandwich,  à  Sumatra  et 
en  Chine. 

BRUCELLES ,  petites  pinces  faites  d'une  seule  pièce, 
dont  les  branches  font  ressort.  Les  horlogers  et  les  bijoutiers 
se  servent  de  brucelles  pour  saisir  les  petites  pièces  qui  en- 


trent dans  la  composition  de  leurs  ouvrages.  II  y  a  de  ces 
sortes  de  pinces  en  acier  trempé  et  en  cuivre  écroui  ;  on 
peut  en  improviser  soi-même  au  besoin,  avec  un  bout  de  fil 
de  fer  ou  de  cuivre  non  recuit ,  que  l'on  ploie  en  deux  en 
forme  de  V. 

BRUCHE  (  de  Pfuxw,  je  ronge  ).  Ce  genre  d'insectes ,  de 
l'ordre  des  coléoptères,  renferme  les  hôtes  habituels  des  pois 
secs ,  des  vesces,  des  gesses,  des  lentilles ,  des  fèves,  etc. 
Gmelin  en  compte  jusqu'à  vingt-sept  espèces ,  qui  toutes 
rongent  à  l'état  de  larves  la  substance  intérieure  des  graines, 
et  souvent  causent  par  conséquent  les  plus  graves  domma- 
ges. L'insecte  dépose  ordinairement  ses  œufs  sur  les  gousses 
encore  vertes  de  la  légumineuse  à  laquelle  il  s'est  attaché , 
de  sorte  que  le  petit  ver  préexiste  dans  la  graine  au  moment 
de  la  récolte.  On  conçoit  dès  lors  facilement  que  la  bruche 
éclose  ensuite  et  se  multiplie  de  nouveau  dans  les  lieux  les 
mieux  clos ,  de  manière  à  dévorer  de  proche  en  proche  tout 
ce  qui  peut  alimenter  sa  voracité.  «  On  est  parvenu, 
nous  apprend  Leclerc-'f  houin ,  à  limiter  le  mal  à  son  origine 
en  enveloppant  les  semences  de  sable  fin  ou  de  cendres  ;  ces 
deux  moyens  ne  nuisent  en  rien  à  leur  faculté  germina- 
native.  On  peut  aussi ,  quand  elles  ne  sont  pas  destinées  à 
la  reproduction,  conserver  ces  mêmes  semences  intactes  en 
les  exposant  pendant  quelque  temps ,  dans  un  four,  à  une 
chaleur  de  40  à  45  degrés,  qui  est  suffisante  pour  faire  périr 
les  larves  et  sans  inconvénients  ultérieurs  pour  les  usages 
culinaires.  »  Démezil. 

BRUCIIVE,  alcaloïde  découvert,  en  1819,  par  Pelletier 
et  Caventou,  dans  l'écorce  du  brucea  antidysenterica. 
Quelque  temps  après,  on  retrouva  de  la  brucine  unie  à  la 
stryciinine  dans  la  noix  vomique.  La  brucine  se  présente  sous 
la  forme  de  prismes  obliques  à  base  parallélogrammique, 
ou  en  masses  feuilletées  d'un  blanc  nacré,  ou  encore  en 
champignons  ;  elle  est  incolore  et  d'une  saveur  amère  très- 
prononcée.  C'est  à  la  brucine  que  la  fausse  angusture  doit 
ses  propriétés  vénéneuses  :  elle  agit  sur  la  moelle  épinièro 
en  déterminant  des  contractions  tétaniques.  Insoluble  dans 
l'éther,  la  brucine  se  dissout  dans  850  parties  d'eau  froide  . 
ou  dans  500  d'eau  bouillante.  L'acide  sulfurique  la  colore 
d'abord  en  rose;  cette  teinte  passe  ensuite  au  jaune  et  enfin 
au  vert  jaunâtre.  Une  solution  d'étain  la  colore  en  violet. 
Ces  réactions  distinguent  la  brucine  de  la  morphine  et  de 
la  strychnine. 

BRUCKER  (Jean-Jacqdes),  naquit  le  22  janvier  1696, 
à  Augsbourg.  Il  mit  de  bonne  heure  à  profit  les  leçons  qu'il 
avait  reçues  à  l'université  d'Iéna;  mais  la  supériorité  de  son 
talent  et  les  brillants  succès  qu'il  obtint ,  tout  en  lui  attirant 
l'admiration  de  ses  compatriotes,  ne  furent  point  récompensés 
comme  ils  le  méritaient.  Grâce  aux  efforts  de  rivaux  envieux, 
il  fut  forcé  de  s'expatrier,  et  accepta  à  Kaufl)euern  une  place 
de  pasteur.  La  réputation  qu'il  ne  tarda  pas  à  y  acquérir 
et  surtout  la  vanité  de  ses  concitoyens  le  firent  enfin  rappeler 
dans  sa  ville  natale,  où  il  rentra  avec  honneur  dans  la  car- 
rière de  la  prédication.  Mais  ce  ne  devait  pas  être  là  son  vé- 
ritable titre  à  la  gloire.  Sa  préoccupation  favorite  avait  tou- 
jours été  l'histoire  de  la  philosophie,  et  dès  l'année  1719, 
lorsqu'il  était  encore  à  léna,  il  avait  publié  son  Tentamen 
introductionis  in  historiam  doctrinx  de  Ideis,  qu'il  com- 
pléta ensuite  sous  le  titre  d'Historiaphilosophica  doctrime 
de  ideis.  U  avait  aussi  fait  paraître  plusieurs  dissertations 
relatives  à  des  matières  philosophiques. 

Ces  travaux  n'étaient  que  le  prélude  du  grand  ouvrage 
qu'il  publia  longtemps  après,  et  qu'il  intitula  :  Bistoriacri- 
tica  Philosophix,  a  mundi  incunabilis  ad  nostram  usque 
setatem  deducta  (  5  vol.  in-4",  réimpr.  avec  augraent.  d'un 
6^  vol.  en  1767,  à  Leipzig).  Ce  travail,  vraiment  extraordi- 
naire par  la  patience  et  les  innombrables  recherches  qu'il  dut 
coûter  à  son  auteur,  est  moins,  il  est  vrai,  un  ouvrage  ori- 
ginal qu'une  compilation;  mais  c'est  une  compilation  im- 
mense, fruit  d'une  érudiison  aussi  judicieuse  que  vaste,  ol 


772 


BRUCKER  —  BRUEYS 


Ront  exposés  avec  fidéiiîé,  mais  avec  trop  de  détail  peut-être, 
la  vie  et  les  systèmes  de  chaque  philosophe.  On  reproche  à 
Brucker  d'avoir  manqué  de  méthode,  de  n'avoir  point  fait 
présider  à  son  ensemble  une  idée  systématique  qui  en  liût 
toutes  les  parties,  en  un  mot  d'avoir  trop  donné  à  l'analyse 
et  de  n'avoir  point  établi  un  ordre  qui  servît  de  soutien  et 
de  guide  à  l'esprit,  et  lui  permît  de  parcourir  ces  régions  im- 
menses sans  succomber  de  lassitude  ou  d'effroi.  IMais  ce  le- 
proche  est  sans  fondement  pour  qui  considère  l'époque  à 
laquelle  Brucker  accomplissait  sa  grande  tâche,  et  l'état  où 
était  alors  l'histoire  de  la  philosophie,  dont  on  peut  dire  qu'il 
fut  le  père.  11  était  impossible  en  effet  de  donner  une  dispo- 
sition régulière  à  tous  ces  matériaux  avant  qu'ils  fussent  au 
moins  rassemblés.  C'est  ce  que  fit  Brucker,  et  ce  qui  permit 
à  ses  successeurs  d'embrasser  plus  facilement  tant  d'opinions 
diverses,  de  les  classer,  de  les  ramènera  l'unité  philosophique, 
et  de  faire  un  système  avec  des  systèmes.  Or  le  philosophe 
d'Augsbourg  ne  pouvait  commencer  par  une  telle  synthèse, 
et  malgré  la  supériorité  de  méthode  qu'on  est  forcé  de  recon- 
naître aux  historiens  de  la  philosophie  qui  ont  profité  de  son 
œuvre,  on  ne  peut  enlever  au  livre  de  Brucker  le  mérite 
d'une  féconde  analyse,  qui  rivalise  par  la  richesse  et  l'exac- 
titude des  faits  avec  la  hardiesse  des  généralisations  plus 
brillantes,maisaussi  quelquefois  aventureuses,  des  autres  his- 
toriens ,  et  à  laquelle  aimeront  souvent  mieux  recourir  ceux 
qui  veulent  chercher  la  vérité  dans  les  faits  plutôt  que  de  la 
voir  à  travers  les  idées  systématiques  d'un  auteur. 

Brucker  a  publié  lui-même  un  extrait  de  son  grand  ou- 
vrage sous  le  titre  de  :  Instïtutïones  Historix  Phïlosophicx  ; 
et  dont  Born  a  donné  une  nouvelle  édition ,  fort  augmentée 
(Leipzig,  1790).  Brucker  a  produit  aussi  plusieurs  autres 
ouvrages  d'érudition.  Les  principaux  sont  :  Monument  élevé 
à  l'honneur  de  ^érudition  allemande,  ou  vies  des  savants 
allemands  qui  ont  vécu  dans  les  quinzième,  seizième  et 
dix-septième  siècles  (  5  vol.  in-4°,  en  allemand);  Disputatio 
de  Comparatione  Philosophix  gentilis  cum  Scriptiira 
(  in-4°,  léna,  1720);  Questions  sur  l'Histoire  de  la  Philo- 
sophie depîiis  le  commencement  du  monde  jusqu'à  la 
naissance  de  Jésus-Christ  (Ulm,  173G,  7  vol.  in-12,  en  al- 
lemand). Brucker  mourut  en  1770  dans  sa  ville  natale,  quel- 
ques années  après  la  réimpression  de  son  grand  ouvrage. 

C.-M.  Paffe. 

BRUCOLAQUES,  nom  que  les  Grecs  chrétiens  don- 
naient aux  cadavres  des  personnes  mortes  excommuniées, 
qu'ils  prétendaient  être  possédés  du  démon ,  et  dont  celui-ci 
était  censé  ranimer  les  organes  à  certaines  heures  de  la  nuit. 
Les  brucolaques  apparaissaient  donc  pour  effrayer  et  tour- 
menter les  vivants.  Leurs  corps  ne  pouvaient  se  dissoudre,  à 
moins  que  l'évêque  n'accordât  l'absolution.  Autrement,  pour 
paralyser  l'œuvre  du  démon  il  fallait  exhumer  les  brucola- 
ques, leur  arracher  le  cœur,  le  mettre  en  pièces  et  les  en- 
sevelir de  nouveau  après  cette  opération ,  ou  bien  brûler  leur 
corps  et  en  jeter  les  cendres  au  vent  :  ce  qui  a  été  conseillé 
également  contre  les  vampires. 

BRUCTERES  5  nation  germanique,  sur  les  deux  rives 
de  l'Enis ,  ayant  pour  limites  la  Lippe,  la  Vecht,  le  Weser, 
et  pour  voisins  les  Ansibars ,  les  Chauces  et  les  Frisons.  Son 
territoire  répondait  à  ceux  de  Munster  (  Prusse  rhénane), 
d'Osnabruck  et  de  Hanovre.  11  était  couvert  de  marais 
(  bruch  eu  allemand  )  et  de  forêts,  que  les  Romains  appelèrent 
Sylva  CcTsia.  On  divisait  cette  nation  en  grands  et  petits 
Bructères,  ceux-ci  au  nord-ouest,  ceux-là  à  l'est  et  au  sud 
vers  les  sources  de  la  Lippe.  Ils  avaient  des  flottilles,  et 
livrèrent  un  combat  naval  sur  l'Ems  à  Drusus.  Alliés  des 
Chérusques,  ils  prirent  part  à  leur  levée  de  boucliers  contre 
les  Romains,  contribuèrent  à  la  défaite  de  Varus,  enlevèrent 
l'aigle  de  la  vingt  et  unième  légion ,  reprirent  encore  les 
armes  pour  secourir  les  Mavses  attaqués  par  Rome,  et  furent 
battus  par  Sterninus,  qui  leur  reprit  l'aigle  qu'ils  gardaient 
comme  un  trophée.  Sous  Yilellius  etVespasien,  UbùOinouou-  j 


cèrent  pour  Civilis.  Ve  lléda,  la  prophétesse,  était  Bructère  • 
d'origine;  elle  habitait  du  moins  une  tourelle  de  leur  pays. 
Battus  par  les  Chamaves  et  les  Angrivars ,  pillés ,  brûlés, 
dévastés,  égorgés  par  Constantin,  forcés  de  recevoir  un  chef 
qu'ils  avaient  expulsé,  ils  entrèrent  en  grand  nombre  dans 
la  milice  romaine.  Allies  des  Francs,  subjugués  par  les 
Saxons ,  ils  changèrent  leur  nom  en  celui  de  Berthari  au 
huitième  siècle. 

BRUEYS  et  PALAPRAT,  «  nés  tous  deux  dans  le 
midi  de  la  France,  et  qui  avaient,  dit  La  Harpe,  la  vivacité 
d'esprit  et  la  gaîté  qui  caractérisent  les  habitants  de  cette 
contrée,  réunis  tous  deux  par  la  conformité  d'humeur  et  de 
goût,  après  avoir  mis  en  commun  leur  travail  et  leur  talent, 
sans  que  cette  association  délicate  ait  jamais  produit  entre 
eux  de  jalousie,  nous  ont  laissé  deux  pièces  d'un  comique 
naturel  et  gai  :  L'Avocat  Patelin  et  Le  Grondeur.  » 

Né  à  Aix  en  1G40,  d'une  famille  ancienne  et  protestante, 
David-Aîigustin  de  Brueys  avait  été  élevé  dans  la  religion 
de  ses  parents,  qui  le  destinaient  au  baiTeau  ;  mais,  se  sen- 
tant peu  de  goût  pour  la  jurisprudence,  il  avait  préféré  l'é- 
tude de  la  théologie,  à  laquelle  il  s'était  livré  avec  tant  d'ar- 
deur ,  qu'il  était  devenu  en  peu  de  temps  un  des  membres 
les  plus  distingués  du  consistoire  de  Montpellier.  Bossuet, 
frappé  du  talent  qu'il  remarqua  dans  une  Réponse  que 
Brueys  avait  faite  en  1681  à  son  Exposiiio?i  de  la  Doctrine 
Catholique,  au  lieu  de  répliquer,  voulut  voir  son  antagoniste, 
l'accueillit  avec  distinction,  entreprit  de  le  converth-,  et  y 
réussit.  Brueys  se  montra  aussi  zélé  défenseur  des  doctrines 
qu'il  venait  d'embrasser  si  subitement,  qu'il  l'avait  été  pré- 
cédemment des  croyances  de  ses  pères,  et  divers  écrits,  tels 
que  Y  Examen  des  raisons  qui  ont  donné  lieu  à  la  sé- 
paration des  protestants  (16S2);  la  Défense  du  culte 
extérieur  de  l'église  catholique  (  1686  );  la  Réponse  aux 
plaintes  des  protestants  contre  les  moyens  qu'on  a  em- 
ployés poîir  leur  réunion,  et  contre  le  livre  intitulé  :  La 
politiqîte  du  clergé  de  France  (  ibid.  );  le  Traité  de  l'Eu- 
charistie en  forme  d'entretiens  (  ibid.  );  le  Traité  de  la 
Sainte  Messe  (  1683  ),  et  le  Traité  de  l'Église  (  1687  ), 
vinrent  successivement  témoigner,  sinon  de  la  sincérité  de 
sa  conversion ,  du  moins  de  la  merveilleuse  facilité  avec 
laquelle  son  style  et  son  raisonnement  avaient  su  se  plier  à 
sa  nouvelle  position. 

Ce  qui  pourtant  semblerait  annoncer  de  sa  part  «ne  foi 
assez  vive ,  c'est  la  résolution  qu'il  prit  d'embrasser  l'état  ec- 
clésiastique après  la  perte  de  sa  femme.  Le  clergé  et  le  roi 
l'avaient  comblé  de  pensions  et  de  bénéfices  en  récompense 
de  ses  écrits  en  faveur  de  la  religion  catholique,  et  tout  devait 
faire  penser  que  sa  vocation  était  dès  lors  bien  décidée , 
lorsqu'un  voyage  qu'il  fit  à  Paris  et  la  fréquentation  du 
théâtre  éveillèrent  en  lui  une  nouvelle  faculté,  dont  l'exercice 
devait  lui  assurer  un  nom  dans  les  fastes  de  la  scène. 
Étranger  aux  intrigues  du  monde,  et  surtout  à  celles  qui 
se  pratiquent  dans  les  coulisses,  il  lui  fallait  quelqu'un  qui 
facilitât  ses  premiers  pas,  fit  recevoir  ses  ouvrages  et  en 
suivît  les  répétitions  ;  il  trouva  ce  secours  dans  un  de  ses 
compatriotes,  qui  devint  bientôt  son  ami,  son  collaborateur, 
et  n'aurait ,  assurent  certains  biographes ,  apporté  d'autr© 
contingent  que  celui-là  à  leur  fraternelle  association. 

C'était  Jean  de  Bigot  Palaprat,  issu  d'une  famille  de 
robe,  né  à  Toulouse,  en  1650,  fait  capitoul  en  1675,  chef  du 
consistoire  en  1684,  qui  avait  quitté  tous  ces  honneurs  pour 
se  livrer  aux  lettres  et  .s'attacher,  en  qualité  de  secrétaire,  au 
duc  de  Vendôme.  Les  premiers  fruits  de  cette  association 
furent  le  Grondeur  et  le  Itfuet,  représentés  tous  les  deux 
avec  succès  sur  la  scène  française  la  même  année  (1091). 
Le  dernier  de  ces  deux  ouvrages,  au  jugement  de  La  Harpe, 
est  fort  inférieur  à  l'autie;  le  fond  en  est  emprunté  à  VEu- 
nuque  de  Térence ,  et  il  offre  des  situations  que  le  jeu  seul 
du  théâtre  fait  valoir.  Nous  ne  nous  étendrons  pas  sur  VA* 
vocat  Patelin,  pour  lequel  nous  partageons  la  prédileC'^ 


BRUEYS  —  BRUEYS  D'AIGALLIERS 


773 


Mon  de  Fauteur  du  Lycée,  mais  que  Brueys  et  Palaprat 
n'ont  eu  que  le  mérite  d'approprier  à  la  scène,  sans  y  rien 
ajouter  d'essentiel.  Le  Grondeur  restera  donc  le  chef- 
d'œuvre  des  deux  amis.  Sans  doute  le  troisième  acte,  tout 
entier  du  genre  de  la  farce ,  ne  vaut  pas,  à  beaucoup  près, 
celui  do  V Avocat  Patelin  ;  mais  les  deux  premiers  sont  bien 
faits,  et  cette  pièce,  très-remarquable  d'ailleurs  par  l'intérêt 
de  l'action ,  la  vivacité  de  l'intrigue  et  du  dialogue ,  la 
verve  et  le  comique  du  principal  caractère,  qui  est  très- 
bien  dessiné  ,  toujours  en  situation  et  parfaitement  soutenu 
jusqu'au  dénoùment,  a  mérité  de  rester  au  répertoire,  où 
elle  occupe  un  rang  distingué  parmi  nos  comédies  du  se- 
cond ordre. 

Elle  fut  le  sujet  d'une  rupture  entre  les  deux  amis  :  elle 
avait  été  composée  primitivement  en  cinq  actes  ;  Palaprat , 
chargé  de  la  faire  représenter  pendant  un  voyage  de  Brueys, 
fut  obligé,  pour  la  faire  agi-éer  des  comédiens,  de  la  réduire 
en  trois,  et  il  parait  qu'elle  eut  d'abord  un  succès  assez 
médiocre,  quoiqu'on  ait  continué  de  la  représenter  depuis 
sans  le  secours  des  deux  autres.  A  son  retour,  Brueys  se  fâcha 
sérieusement,  et  tint,  à  ce  qu'on  prétend,  le  propos  sui- 
vant ,  auquel  on  ne  sache  pas  que  Palaprat  ait  rien  opposé 
poursajustilication  :  «  Le  premier  acte  du  Gro«(/e!«r  est  en- 
tièrement de  moi,  et  il  est  excellent ;\e  second  a  été 
gâté  par  quelques  scènes  de  farce  de  Palaprat,  et  il  est 
médiocre;  le  troisième  est  entièrement  de  lui,  et  il  est  détes- 
table! «  Le  silence  de  Palaprat,  et  plus  encore  iieut-être  la 
nullité  des  ouvrages  qu'il  lit  représenter  depuis  sous  son 
nom  seul  {Herculeet  Omphale;  Les  Sifflets;  LeBallet  Ex- 
travagant et  La  Prude  du  temps),  ont  confirmé  le  soupçon 
assez  probable  que  l'on  avait  déjà  de  la  supériorité  du  talent 
de  Brueys.  On  n'a  pas  même  conservé  le  souvenir  de  deux 
autres  de  leurs  pièces  faites  en  couimun  :  le  Secret  Révélé 
et  le  Concert  Ridicule.  INIais  il  est  juste  de  dire  aussi  que 
celles  que  Brueys  fit  seul  ne  valent  pas  mieux  ;  ce  sont  :  Le 
Sot  toujours  sot,  ou  la  Force  du  sang  ;  L'Important;  Les 
E uipir iqv.es  ;  L'Opinidlre;  Les  Quiproquo  et  Les  Eva- 
barras  du  Théâtre.  Elles  forment,  avec  trois  mauvaises 
tragédies,  Gabinie,  Asba  et  Lijsimacus,  et  une  paraphrase 
en  prose  de  l'.lr^  poétique  d'Horace ,  qui  avait  été  son  pre- 
mier début  dans  la  carrière  littéraire  (1683),  la  collection 
de  ses  œuvres,  réunies  en  3  vol.  in-12  (Paris,  1735). 

On  lit  dans  la  Vie  de  l'auteur,  qui  est  de  l'abbé  de  Lau- 
uay ,  et  qui  se  trouve  en  tète  de  cette  édition ,  le  récit  d'un 
■procès  assez  singulier  auquel  donna  lieu  le  premier  des  ou- 
vrages que  nous  avons  cités  comme  étant  de  Brueys  seul.  Un 
de  ses  amis,  ayant  voulu  faire  jouer  cette  pièce  à  la  Comédie- 
Jtalicnne,  apprit  qu'on  l'avait  déjà  présentée  à  la  Comédie- 
Française  comme  l'œuvrede  Palaprat,  dan^  les  papiers  duquel 
on  en  avait  trouvé  une  copie  après  la  mort  de  ce  dernier; 
qu'elle  avait  été  mise  sur-le-champ  en  répétition  et  qu'on 
allait  bientôt  l'y  représenter.  Le  Ueutenant  de  police,  à  qui 
cet  ami  porta  sa  plainte,  décida  que  la  pièce  serait  jouée  le 
même  jour  sur  les  deux  théâtres ,  et  qu'elle  reviendrait  de 
droit  à  celui  où  elle  obtiendrait  le  plus  de  succès.  Cet  arrêt 
fut  exécuté;  les  Italiens  l'emportèrent,  et  la  pièce  dut  rester 
à  Brueys.  Du  reste,  l'association  des  deux  collaborateurs  ne 
parait  pas  avoir  été  dissoute  par  les  dissentiments  qvù  s'éle- 
vèrent entre  eux ,  mais  par  le  départ  de  Palaprat ,  qui  fut 
obligé  de  suivre  le  grand-prieur  de  Vendôme  à  la  guerre 
d'Italie,  après  l'issue  de  laquelle  il  vint  mourir  à  Paris,  le 
23  octobre  1721.  De  son  côté,  Brueys  s'était  retiré  à  Mont- 
pellier, où  il  mourut  deux  ans  plus  tard,  le  25  novembre 
1723,  à  l'âge  de  quatre-vingt-trois  ans,  mêlant  à  ses  der- 
nières études  sur  le  théâtre  de  pieuses  méditations  et  de  nou- 
veaux écrits  théologiques,  dont  voici  les  titres  :  Traité  de 
l'Obéissance  des  Chrétiens  aux  puissances  temporelles 
(  1709);  Histoire  du  Fanatisme  de  notre  Temps  (4  vol., 
1692, 1709  et  1713);  Traité  du  Légitime  Usage  de  la  Rat- 
ion,principalement  mr  les  objets  delà  foi  (Paris,  1717). 


Le  recueil  de  Brueys  et  Palaprat  a  été  publié  en  cinq  vo- 
lumes in-12;  et  ces  deux  poètes  ont  fourni  à  Etienne  le 
sujet  d'une  fort  jolie  comédie. 

BRUEYS  D'AIGALLIERS  (Fr\nçois-Paul),  issu 
d'une  noble  famille  de  Languedoc,  naquit  à  Uzès,  en  1753. 
Destiné  à  la  marine  dès  l'âge  de  treize  ans,  il  fit  en  1766  sa 
première  campagne  comme  volontaire  à  bord  du  vaisseau  le 
Protecteur.  Garde  de  la  marine  en  1768,  il  fut  employé  dans 
l'escadre  destinée  à  agir  contre  les  Barbaresques  ;  puis,  lieu- 
tenant de  vaisseau  en  1780,  dans  l'armée  na^*lle  du  comte  de 
Grasse,  il  participa  aux  cinq  combats  qu'il  livra  aux  amiraux 
Hood  et  Graves.  JNommé  en  1784  au  commandement  de  l'A- 
viso le  Chien  de  Chasse,  il  employa  quatre  aucées  à  par- 
courir les  Antilles,  ainsi  que  la  Côte-Ferme ,  depuis  l'ile  de 
la  Trinité  jusqu'à  Puerto-Cabello ,  fit  de  nombreux  relève- 
ments, leva  des  plans  de  forteresses  et  recueillit  de  précieux' 
renseignements  sur  le  commerce  de  ces  contrées.  Fait  capi- 
taine de  vaisseau  en  1792,  il  fut  chargé  de  l'installation  du 
nouveau  pavillon  national  dans  les  Échelles  du  Levant  et 
dans  les  ports  de  l'Adriatique.  Les  circonstances,  plas  que 
ses  talents,  l'avaient  rapidement  porté  en  1795  au  grade  de 
contre-amiral.  Ce  fut  en  cette  qualité  qu'il  alla  établir  une 
croisière  dans  la  Méditerranée.  Bonaparte  avait  conçu  pour 
lui  une  estime  particulière ,  parce  que,  chargé  par  le  général 
en  chef  de  l'armée  d'Italie  de  mettre,  avec  son  escadre  de  six 
vaisseaux,  les  Ragusains  dans  les  intérêts  de  la  France,  il 
s'était  parfaitement  acquitté  de  sa  mission. 

Nous  parlons  de  Brueys  parce  qu'à  son  nom  se  rattache 
un  funèbre  souvenir  pour  notre  marine,  celui  du  désastre 
d'Aboukir.  Mais,  tout  en  blâmant  ses  fautes,  nous  sommes 
heureux  de  pouvoir  donner  un  regret  à  sa  mémoire  :  i] 
mourut  comme  un  vrai  soldat  français ,  en  combattant  cou- 
rageusement pour  son  pays.  La  marine  française  n'aurait 
pas  eu  tant  d'affronts  à  laver  si  tous  les  officiers  sous  ses 
ordres  eussent  imité  sa  valeur.  Brueys ,  promu  au  grade  d<j 
vice-amiral ,  commandait  la  flotte  qui  porta  l'armée  fran- 
çaise en  Egypte.  Cette  flotte  se  composait  de  treize  vais- 
seaux, quatre  frégates ,  trois  bricks  et  trois  bombardes ,  es- 
cortant un  nombre  considérable  de  bâtiments  de  transport. 
Après  la  prise  de  ]MaUe ,  il  opéra  heureusement  le  débar- 
quement de  nos  troupes  à  Alexandrie,  puis  il  alla  mouiller 
dans  la  rade  d'Aboukir.  Bonaparte,  tout  occujié  de  son 
armée  et  de  sa  conquête,  s'en  remit  à  l'amiral  du  salut  de  , 
sa  flotte,  et  celui-ci,  soit  ignorance  de  l'art,  soit  apathie 
naturelle,  prit  des  dispositions  qui  coûtèrent  cher  à  la 
France.  C'était  une  faute  d'abord  que  de  rester  au  mouil- 
lage dans  une  rade  ouverte  à  tous  les  vents,  comme  celle 
d'Aboukir;  c'était  une  faute  que  de  se  laisser  attaquer  à 
l'ancre  par  une  escadre  à  la  voile  et  favorisée  par  le  vent  ; 
c'était  encore  une  faute  que  de  tenir  ses  vaisseaux  si  éloi- 
gnés les  uns  des  autres  et  hors  de  la  protection  de  tout* 
batterie  de  terre.  Nous  n'osons  pas  lui  reprocher  l'inactivité 
de  son  arrière-garde  pendant  toute  l'action  ;  il  ne  lui  fut  sans 
doutfipas  possible  de  donner  des  ordres  au  milieu  du  combat  : 
l'histoire  flétrira  l'amiral  Villeneuve,  qui  assista  tranquil- 
lement sans  bouger  au  massacre  de  ses  compagnons  d'armes. 

Brueys  montait  l'Orient,  vaisseau  de  120  canons;  atta- 
qué par  le  vaisseau  anglais  le  Bellérophon,  de  74,  il  l'é- 
crasa de  son  feu,  et  l'eut  coulé  bas  si  celui-ci  fût  resté  en- 
gagé quelques  minutes  de  plus.  Mais  l'Anglais,  désemparé, 
coupa  ses  câbles  et  se  laissa  dériver  vers  l'arrière-garde,  qui 
l'accueillit  à  coups  de  canons,  et  le  força  d'amener  son  pavil- 
lon. Pendant  tout  le  combat,  l'amiral,  quoique  blessé  à  la 
figure  et  à  la  main  dès  la  première  heure  de  l'action,  resta  sur 
la  dunette  au  milieu  de  son  état-major,  lorsque  après  trois 
heures  de  combat  un  boulet  le  coupa  presque  en  deux.  Les 
matelots  se  précipitèrent  pour  l'enlever  et  le  transporter  au 
poste  des  blessés,  mais  il  s'y  opposa:  «  Laissez-moi,  leur  dit- 
il  d'une  voix  ferme,  un  amiral  français  doit  mourir  sur  son 
banc  de  quart.  «  Quelques  minutée  après  il  n'existait  plu»j 


774 


BRUEYS  D'AIGALLIERS  —  BRUHL 


(  l*'  août  1798).  Le  malheur  de  Brueys  fut  d'avoir  eu  à  com- 
battre un  rival  qui  possédait  le  génie  de  la  guerre  :  Nelson 
s'affranchit  des  vieilles  routines  de  la  tactique  navale  ;  il  osa 
penser,  contre  l'opinion  commune  d'alors ,  qu'une  escadre 
bien  embossée  n'était  pas  inexpugnable  ;  il  attaqua  les  Fran- 
çais,  et  le  génie  enchaîna  la  victoire.        Théogène  Page. 

BRUGES^  chef-lieu  de  la  Flandre  occidentale,  province 
du  royaume  de  Belgique ,  est  située  dans  une  plaine  fertile , 
à  12  kilomètres  de  la  mer.  Les  trois  canaux,  de  Gand,  de 
L'Écluse  et  d'Ostende  qui  viennent  converger  dans  la  ville, 
sont  assez  profonds  pour  pouvoir  en  permettre  l'accès  aux 
bâtiments  du  plus  fort  tonnage.  La  population  actuelle  de 
Bruges  est  de  49,600  habitants  ;  mais  telle  est  l'étendue  de 
son  circuit,  qu'elle  en  pourrait  contenir  200,000,  comme  au 
temps  de  son  antique  prospérité.  On  compte  dans  l'intérieur 
de  la  ville  cinquante-quatre  ponts ,  dont  douze  en  bois  et 
tournants,  pour  laisser  passer  les  navires.  Les  édifices 
les  plus  remarquables  sont  :  la  halle,  bâtùnent  carré,  qui 
s'élève  sur  la  grande  place  avec  un  beffroi  haut  de  170  mètres, 
et  dont  le  carillon,  composé  de  quarante-huit  cloches,  est  en 
grande  réputation  ;  l'hôtel  de  ville,  de  style  gothique ,  cons- 
truit vers  la  fin  du  quatorzième  siècle,  et  dont  les  trente-trois 
statues,  représentant  des  comtes  et  des  comtesses  de  Flandre, 
furent  jetées  au  feu  en  1792  par  les  Français  ;  le  Palais  de  Jus- 
tice, d'abord  résidence  des  comtes  de  Flandre,  mais  qui 
aujourd'hui  n'offre  plus  rien  de  remarquable,  que  la  célèbre 
cheminée  en  bois  sculpté  qu'on  voit  dans  la  salle  d'audience 
du  Franc  de  Bruges.  Elle  fut  exécutée  en  1559,  et  indé- 
pendamment d'une  foule  d'ornements,  d'armoiries  et  de 
portraits ,  on  y  voit  les  statues  en  pied  de  Charles-Quint , 
de  Maximilien  et  de  Marie  de  Bourgogne ,  de  Charles  le  Té- 
méraire et  de  Marguerite  sa  femme.  Citons  encore  l'église 
Notre-Dame  avec  sa  flèche  haute  de  140  mètres ,  où  l'on 
admire  une  statue  de  la  Vierge  par'Michel-Ange,  dont  Horace 
Walpole  offrit  80,000  florins,  plusieurs  toiles  remarquables 
de  Segbert,  de  Crayer,  van  Oost,  E.  Quellyn,  ainsi  que  les 
tombeaux  de  Charles  le  Téméraire  et  de  sa  fille,  Marie  de 
Bourgogne;  l'église  Saint-Sauveur  dont  l'extérieur  est  des 
plus  simples,  mais  qui  est  magnifiquement  décorée  à  l'in- 
térieur, et  dont  la  principale  richesse,  consistant  en  toiles 
de  J.  van  Oost,  van  Hoek,  E.  Quellyn,  Hemling,  etc.,  a 
beaucoup  souffert  dans  un  incendie  arrivé  en  1839  ;  la  cha- 
pelle où,  suivant  la  tradition,  Dietrich  d'Alsace  déposa,  en 
1150,  quelques  gouttes  du  sang  de  Jésus-Christ.  A  l'occasion 
du  700"  anniversaire  de  ce  fait,  un  superbe  jubilé  a  encore  été 
célébré  à  Bruges  en  1850,  avec  toutes  les  pompes  extérieu- 
res dont  s'entoure  la  religion  catholique.  Il  faut  mentionner 
en  outre  l'église  de  Jérusalem ,  construite  par  Pierre  Adornes 
d'après  le  modèle  du  Saint-Sépulcre  j  le  vaste  séminaire  épis- 
copal,  dit  abbaye  de  Durer;  l'église  de  l'hôpital  Saint-Jean, 
où  l'on  conserve  les  reliques  de  sainte  Ursule  et  sur  les 
murailles  de  laquelle  Hemling  a  peint  le  Martyre  des  onze 
mille  Vierges  de  Cologne,  peinture  que  la  ville  considère 
comme  le  plus  précieux  de  ses  trésors. 

Bruges  est  le  siège  d'un  évéché  (depuis  1559),  d'une  cour 
d'assises  et  des  autorités  administratives  supérieures  de  la 
Flandre  occidentale.  Elle  possède  un  collège  royal,  une  Aca- 
démie des  Beaux- Arts,  un  muséum,  un  jardin  botanique, 
une  bibliothèque  publique  contenant  9,000  volumes  et  450 
manuscrits,  un  théâtre  et  de  nombreux  établissements  de 
bienfaisance.  Les  principaux  produits  de  l'industrie  des  ha- 
bitants sont  les  tissus  de  fil ,  de  laine  et  de  coton,  les  tissus 
mêlés  et  les  dentelles.  La  brasserie,  la  distillerie  et  la  cons- 
truction des  navires  donnent  lieu  également  à  d'importan- 
tes transactions.  L'exportation  des  produits  du  sol  et  des 
manufactures  belges,  de  même  que  l'importation  des  articles 
d'épicerie,  des  matières  tinctoriales,  des  vins,  des  huiles  et 
des  fruits  secs,  alimentent  un  commerce  des  plus  actils,  mais 
qui  n'approche  cependant  point  de  la  prospérité  dont  jouis- 
sait autrefois  cette  ville. 


De  toutes  les  villes  de  la  Belgique  c'est  celle  qui  a  le  plus 
conservé  de  la  physionomie  du  moyen  âge  ;  et  il  est  pos- 
sible de  remonter  dans  son  histoire  jusqu'au  troisième  siècle 
de  notre  ère,  époque  où,  dit-on,  saint  Chrysole  vint  prêcher 
l'Évangile  à  ses  habitants.  Au  septième  siècle  elle  avait  pris 
assez  d'extension  pour  avoir  le  titre  de  ville  et  être  considé- 
rée comme  la  capitale  de  toute  la  contrée  environnante  dé- 
signée sous  le  nom  de  Flandre.  Son  commerce  maritime  était 
déjà  considérable  avant  la  conquête  d'Angleterre  par  les 
Normands,  et  il  prit  alors  un  tel  essor  avec  les  seigneui-s 
normands  que  les  marchands  de  Bruges  formèrent  à  Londres 
une  hanse  particulière,  investie  de  nombreux  privilèges  et 
qui  en  vint  à  acquérir  tant  d'influence  qu'en  1242  le  comte 
de  Flandre  s'engagea  à  ne  cliciisir  désormais  d'échevins  que 
parmi  les  membres  de  cette  association.  La  richesse  de  cette 
ville  au  moyen  âge  était  extraordinaire, ainsi  qu'on  en  peut 
encore  juger  de  nos  jours  par  les  nombreux  monuments  et 
édifices  qui  nous  restent  de  cette  époque.  Mais  l'ensable- 
ment successif  des  ports  de  Sluys  et  Damme,  auquel  les  ha- 
bitants de  Bruges  ne  purent  porter  remède,  empêchés  qu'ils 
étaient  par  des  guerres  civiles  et  des  émeutes  sans  cesse  re- 
naissantes, amena  la  décadence  de  leur  ville  en  même  temps 
qu'il  favorisa  les  développements,  toujours  plus  grands, 
d'Anvers,  cité  rivale.  Les  événements  qui  aboutirent  à  la 
captivité  de  l'empereur  Maximilien  dans  le  château  de 
Cranen  (  1488)  exercèrent  sur  leur  commerce  la  plus  délélèie 
influence  ;  et  il  n'y  eut  bientôt  plus  que  le  monopole  des 
laines,  devenu  d'une  haute  importance  pour  les  Anglais 
après  la  perte  de  Calais  (  1460),  qui  le  préserva  d'un  complet 
anéantissement.  Les  émigrations  en  masses  qui  à  l'époque 
du  règne  sanglant  de  Philippe  II  furent  le  résultat  des  per- 
sécutions religieuses  n'eurent  pas  des  suites  moins  désas- 
treuses. 

Vers  la  fin  du  seizième  siècle  les  tapisseries  fabriquées  à 
Bruges  jouissaient  d'une  immense  réputation  en  Europe, 
et  les  premières  tapisseries  de  haute  et  de  basse  lisse  qui 
sortirent  des  ateliers  de  la  célèbre  manufacture  fondée  à 
Paris  par  les  frères  Go  bel  in  étaient  l'ouvrage  d'un  ouvrier 
de  Bruges,  appelé  Jans  ou  Jansen.  On  prétend  que  ce  fut  à 
Bruges  qu'en  1450  l'art  de  tailler  le  diamant  fut  inventé  par 
Louis  de  Berken  ou  Berquen. 

En  1704  les  Hollandais  mirent  le  siège  devant  Bruges,  qui 
fut  prise  par  les  Français  en  1708  et  1745.  Lors  de  la 
réunion  de  la  Belgique  à  la  France,  elle  devint  le  chef-lieu  du 
département  de  la  Lys.  Elle  a  donné  le  jour  à  van  Oort,  le 
peintre  célèbre,  à  l'imprimeur  Colard-Mansion  (1472)  et 
au  mathématicien  Stevin,  auquel  elle  a  récemment  élevé  une 
statue.  C'est  à  Bruges  qu'en  1429  le  duc  Philippe  le  Bon 
institua  l'ordre  de  la  Toison  d'or.  Le  sang  est  beau  dans 
cette  ville,  et  les  femmes  de  Bruges  jouissent  d'un  renom  de 
beauté  justement  mérité,  qui  date  de  loin,  comme  on  peut  le 
voir  par  des  vers  latins  que  nous  citons  plus  loin  à  l'article 
Bruxelles,  et  qui  caractérisent  les  avantages  particuliers  à 
chacune  des  villes  principales  de  la  Belgique. 

BRUGES  (Jean  de).  Voyez  Eyck  (Van). 

BRUGNET.  Voyez  Bolet. 

BRUGNON,  espèce  de  pêche,  dont  la  chair  est  plus 
ferme  et  la  peau  plus  lisse  et  plus  colorée  que  celle  des  pê- 
ches ordinaires ,  et  qui  mûrit  à  la  fin  de  septembre  :  le 
brugnon  violet  est  le  plus  estimé;  il  y  en  a  aussi  une  espèce 
musquée. 

BRÙIIL  (  Henri,  comte  de),  ministre  d'Auguste  III,  roi 
de  Pologne  et  électeur  de  Saxe,  naquit  le  13  août  1700  à 
Weissenfols,  où  son  père  remplissait  les  fonctions  de  ma- 
réclinl  de  la  cour  et  de  conseiller  intime  du  duc  de  Saxe- 
Weissenfels.  Il  était  le  quatrième  de  cinq  enfants,  et  sa  mère, 
née  Van  der  Heyde ,  appartenait  aux  maisons  de  Chemnitz 
et  de  Mislareutli.  De  bonne  heure  il  entra,  en  qualité  de 
page,  au  service  de  la  duchesse  Elisabeth,  veuve  du  duc 
Jean-Georges  de  Saxc-Weissenfels,  qui  résidait  alors  le  plu* 


BRUHL 

souvent  à  Leipzig.  Son  caractère  insinuant  et  la  douceur  de 
ses  manières  lui  concilièrent  bientôt  non-seulement  les 
bonnes  grâces  de  la  duchesse,  mais  encore,  à  peu  de  temps 
(le  là,  celles  d'Auguste  II,  dont  il  fut  nommé  page  en  1720. 
Par  la  suite,  le  roi  le  nomma  chambellan,  et  se  lit  accompa- 
gner par  lui  dans  tous  ses  voyages.  Bruhl  profita  de  la  fa- 
veur dont  il  jouissait  près  de  son  maître  pour  parvenir  ra- 
pidement aux  emplois  administratifs  les  plus  importants. 
Auguste  II  étant  venu  à  mourir  le  1*''  février  1733  à  Var- 
sovie, Bruhl  partit  en  toute  hâte  pour  Dresde  avec  les  dia- 
mants de  la  couronne,  dont  il  se  trouvait  par  hasard  déposi- 
taire à  ce  moment.  Il  venait  mander  cet  événement  à  l'héritier 
d'Auguste  II ,  et  déploya  alors  une  activité  extrême  pour  lui 
assurer  la  succession  à  la  couronne  de  Pologne,  en  dépit  des 
nombreux  concurrents  qui  devaient  la  lui  disputer.  Par  cette 
conduite ,  par  son  manège  insinuant  à  l'effet  de  se  mettre 
bien  avec  le  comte  Sulkowski ,  favori  d'Auguste  III ,  il 
réussit,  mais  non  pourtant  sans  peine,  à  gagner  la  bienveil- 
lance de  ce  prince,  qui  d'abord  éprouvait  de  l'éloignement 
pour  lui,  et  qui  finit  par  le  confirmer  dans  la  possession  de 
ses  différentes  charges. 

A  partir  de  ce  moment  la  fortune  ne  cessa  pas  un  seul 
instant  de  favoriser  Bruhl ,  qui  d'ailleurs  possédait  merveil- 
leusement l'art  de  dominer  son  maître,  et  savait  éloigner 
avec  un  art  et  une  adresse  infinis  tous  ceux  qui  auraient  pu 
être  tentés  d'essayer  de  lui  nuire  dans  son  esprit.  Aussi  bien 
jamais  prmce  ne  fut  servi  d'une  manière  plus  servile  qu'Au- 
guste III.  Briihl  faisait  constamment  partie  de  sa  suite, 
passait  à  ses  côtés  des  journées  entières  sans  lui  adresser  un 
seul  mot ,  tandis  que  le  monarque  désœuvré  rôdait  à  droite 
et  à  gauche  chassant  machinalement  devant  lui  la  fumée  de 
sa  pipe,  et  les  yeux  fixés  sur  Briihl  sans  le  voir  pour  cela. 
«  Briihl ,  ai-je  de  l'argent?  »  Telle  était  l'étemelle  question 
qui  revenait  sur  ses  lèvres  ;  et  pour  pouvoir  lui  répondre  : 
«  Oui,  Sire!  »  Bruhl  épuisait  les  caisses  publiques,  et  acca- 
blait le  pays  de  dettes.' Afin  de  mieux  assurer  sa  position, 
Bruhl  se  maria  avec  la  comtesse  Franziska-Mariana-Antonia 
Kolowrat-Krakowski ,  dont  la  mère  était  grande-maîtresse 
de  la  maison  de  la  reine.  Grâce  à  cette  alliance  et  à  l'in- 
fluence qu'elle  lui  permit  d'exercer  sur  l'esprit  de  la  reine, 
il  obtint  en  1738  le  renvoi  du  comte  Sulkowski,  le  seul 
personnage  de  Tintiraité  du  roi  qui  lui  portât  encore  ombrage  ; 
intrigue  pour  la  réussite  de  laquelle  il  fut  puissamment  se- 
condé par  le  directeur  de  la  conscience  de  ce  prince,  le  P.  Gua- 
rini ,  qu'il  était  parvenu  à  mettra  dans  ses  intérêts. 

Une  fois  Sulkowski  tombé  en  disgrâce,  les  plans  ambi- 
tieux et  rapaces  de  Bruhl  ne  rencontrèrent  plus  d'obstacle. 
Dès  l'année  1733  il  avait  été  chargé  de  l'inspection  générale 
des  caisses  publiques  et  nommé  ministre  de  cabinet,  avec  le 
département  des  affaires  civiles  pour  attributions.  Quatre 
ans  après ,  en  1737,  il  était  appelé  à  la  direction  des  affaires 
de  la  guerre,  et  le  7  février  1738  à  celle  des  affaires  étran- 
gères. Trois  jours  plus  tard ,  immédiatement  après  la  retraite 
de  Sulkowski ,  il  était  nommé  grand  chambellan»,  Enfin , 
en  1747,  Auguste  III  lui  accorda  le  titre  de  premier  mi- 
nistre, avec  préséance  sur  toutes  les  charges  de  l't'lectorat  de 
Saxe  et  sous  réserve  de  cumuler  ses  nouvelles  attributions 
avec  toutes  ses  autres  fonctions,  dont  les  appointements  lui 
étaient,  comme  de  juste,  conservés.  Non  content  de  tant  de 
faveurs,  Briihl,  aussi  avide  qu'ambitieux,  se  fit  encore  acca- 
bler de  dons  et  de  présents.  Ainsi ,  en  1740  il  reçut  d'Au- 
guste III  à  titre  gratuit  la  seigneurie  de  Forsta  et  de  Pfœrten, 
située  dans  la  basse  Lusace,  avec  le  droit  de  prendre  le 
titre  de  baron  de  Forsta  et  de  Pfœrten;  puis,  par  décret  de 
donation  en  date  de  1746,  le  domaine  de  Gangloffsœmmern, 
aliéné  jadis  par  sa  famille,  avec  les  quatre  villages  qui  en 
dépendaient,  et  lors  de  la  mort  de  la  reine,  tout  l'apanage 
de  cette  princesse  (la  starostie  de  Zips),  à  titre  d'indemnité 
jjour  les  perles  et  dommages  qu'il  avait  essuyés  pendant  la 
guerre  de  Sept  ans.  En  outre ,  à  l'aide  de  créatures  qui  lui 


775 

étaient  complètement  dévouées ,  il  se  livrait  sur  les  certifi- 
cats d'impôt  (steuerscheinen) ,  espèce  de  papier-monnaie 
mis  alors  en  circulation ,  aux  opérations  d'agiotage  les  plus 
désastreuses  pour  le  pays ,  commettant  ou  autorisant  cons- 
tamment aussi  les  iniquités  les  plus  révoltantes  dans  l'admi- 
nistration de  la  justice. 

En  abandonnant  le  protestantisme  pour  le  catholicisme , 
et  en  se  fabriquant  un  arbre  généalogique  qui  le  faisait 
descendre  d'un  comte  Bruhl ,  voïwode  de  Posen ,  son  but 
avait  été  d'acquérir  également  en  Pologne  des  biens  et  des 
charges  de  la  couronne.  En  conséquence ,  aux  domaines 
qu'il  possédait  déjà  en  Saxe  il  en  ajouta  d'autres ,  situés  en 
Pologne ,  et  plus  tard  il  se  fit  octroyer  par  son  maître  ou  fit 
octroyer  à  ses  fils  diverses  charges  de  la  couronne.  Les  sou- 
verains étrangers,  eux  aussi,  semblaient  lutter  à  qui  com- 
blerait de  plus  de  grâces  et  d'honneurs  le  tout-puissant  favori 
d'Auguste  m.  L'impératrice  Elisabeth  lui  accorda  l'ordre 
de  Saint-André,  et  l'empereur  Charles  VI  le  créa  comte  du 
Saint-Empire. 

Briihl  dépensait  chaque  année  des  sommes  énormes  pour 
l'entretien  de  la  cour  de  son  maître,  mais  plus  encore  pour 
l'entretien  de  sa  propre  maison.  Il  avait  deux  cents  domes- 
tiques, et  ses  gardes  du  corps  étaient  mieux  payés  que  ceux 
du  roi  lui-même.  Sa  table  était  servie  avec  un  luxe,  une  dé- 
licatesse et  une  profusion  inouïs.  Sa  garde-robe  était  la  plus 
brillante  et  la  plus  fastueuse  qu'on  pût  voir.  «  Briihl ,  disait 
Frédéric  II,  est  l'homme  de  notre  siècle  qui  a  le  plus  d'ha- 
bits, de  dentelles,  de  montres,  de  bottes,  de  souliers  et  de 
pantoufles.  César  l'aurait  compté  au  nombre  de  ces  têtes 
bien  frisées  et  parfumées  qu'il  ne  redoutait  guère.  »  Le  ré- 
sultat de  tant  de  folles  et  odieuses  prodigalités  fut  que 
lorsquela  guerre  de  Sept  ans  vint  à  éclater,  et  quand,  en  1756, 
Frédéric  II  envahit  la  Saxe ,  cette  puissance  ne  put  mettre 
en  ligne  que  17,000  hommes,  qui  ne  tardèrent  pas  à  se 
trouver  contraints  de  mettre  bas  les  armes  dans  leur  camp 
de  Pirna ,  parce  qu'ils  manquaient  d'approvisionnements  en 
tout  genre.  Quant  au  roi  et  à  ses  ministres ,  ils  s'enfuirent 
à  Varsovie,  oîi  ils  demeurèrent  jusqu'à  la  paix  d'Huberts- 
bourg. 

Auguste  III  mourut  peu  après  son  retour  à  Dresde,  le  5 
octobre  1763,  et  vingt-trois  jours  plus  tard  Briihl  suivait 
son  maître  dans  la  tombe.  Le  prince  Xavier,  qui  le  haïssait 
personnellement,  fit,  en  sa  qualité  d'administrateur  de  la 
Saxe,  placer  sous  séquestre  tous  les  biens  de  Brûbl,  et 
ordonna  que  sa  gestion  des  affaires  publiques  fiit  l'objet 
d'une  enquête.  Mais  comme  Bruhl  avait  eu  la  précaution  de 
faire  apposer  au  roi  sa  signature  à  tous  les  actes  de  son  ad- 
ministration,  cette  enquête  n'eut  aucun  résultat,  et  les  fils 
de  Briihl  héritèrent  de  ses  biens. 

Après  avoir  fait  justice  de  la  conduite  de  Briihl ,  on  ne 
saurait  nier  que  son  goût  pour  le  faste  et  la  dépense  n'ait  du 
moins  singulièrement  contribué  à  encourager  les  beaux-arts 
et  les  sciences  en  Saxe.  Aujourd'hui  encore  l'hôtel  qu'il  s'é- 
tait fait  construire  sur  la  terrasse  dite  de  Bruhl,  jadis  théâtre 
de  tant  de  fêtes  brillantes,  est  un  des  plus  beaux  édifices  de 
Dresde.  Sa  bibliothèque,  qui  se  composait  de  62,000  vo- 
lumes, forme  maintenant  le  fonds  le  plus  important  de  la 
Bibliothèque  Royale  à  Dresde. 

BRUHL  (  Fkédéric-Alovs,  comte  de  ),  fils  aîné  du  précé- 
dent, né  à  Dresde,  le  31  juillet  1739,  fut  élevé  avec  autant 
de  soins  que  de  prudence  par  sa  mère ,  femme  accomplie 
sous  tous  les  rapports,  d'un  grand  sens  et  de  beaucoup  d'es- 
prit, et  fit  ses  études  universitaires  à  Leipzig  et  à  Dresde. 
A  dix-neuf  ans  il  portait  déjà  le  titre  de  grand  maître  de 
l'artillerie  de  Pologne;  et  après  avoir  voyagé  dans  les  di- 
verses  contrées  de  l'Europe,  il  alla  assister  à  quelques-unes 
des  campagnes  des  Autrichiens  en  Transylvanie.  A  la  mort 
d'Auguste  m,  il  perdit  toutes  les  charges  qu'il  occupait  en 
Pologne;  cependant  le  successeur  de  ce  prince,  le  roi  Sta- 
nislas, lui  en  rendit  plus  tard  quelques-unes.  Mais  il  n'en 


\ 


776 


BRUHL  —  BRUIT 


vécut  pas  moins  dès  lors  dans  une  pliilosophiqiie  retraite , 
à  Pfœrten ,  partageant  ses  loisirs  entre  la  culture  des  lettres 
et  des  sciences  et  un  petit  cercle  d'amis  distingués.  Il 
mourut  le  30  janvier  1793,  à  Berlin,  où  il  était  venu  rendre 
visite  à  sou  frère  Charles.  C'était  l'un  des  plus  beaux  hommes 
de  son  temps ,  et  il  possédait  une  force  musculaire  prodi- 
gieuse. En  outre,  il  excellait  sur  divers  instruments ,  dessi- 
nait et  peignait  avec  goût,  connaissait  les  mathématiques  à 
fond  et  surtout  leurs  applications  à  l'arme  de  l'artillerie, 
dont  il  était  allé  étudier  pendant  un  an  les  secrets  dans  une 
fonderie  de  canons  à  Augsbourg.  Parlant  et  écrivant  avec 
autant  de  grâce  que  de  facilité  la  plupart  des  langues  de 
l'Europe,  c'était  le  plus  brillant  causeur  qu'on  pût  rencon- 
trer. Le  théâtre  faisait  un  de  ses  amusements  de  prédilec- 
tion ;  aussi  en  avait-il  construit  un  pour  son  usage  particulier 
dans  son  château  de  Pfœrten ,  dont  il  avait  peint  lui-même 
les  décorations  et  composé  le  répertoire,  et  où  il  remplissait 
des  rôles  dans  ses  propres  ouvrages.  Les  pièces  de  ce  ré- 
pertoire et  d'autres  essais  dramatiques  de  lui  ont  paru  sous 
le  titre  de  :  Divertissements  dramatiques  (  en  allemand , 
5  vol.,  Dresde,  1785-1790).  Quelques-unes  de  ces  pièces, 
entre  autres  La  Contribution  forcée ,  anecdote  vraie  de  la 
guerre  de  Sept  ans,  accommodéeà  la  scène,  se  sont  soutenues 
avec  succès  pendant  longtemps  sur  la  scène  allemande.  La 
meilleure  de  toutes  est  peut-être  celle  qui  a  pour  titre  : 
Comment  on  démasqiœ  un  fripon  (  Dresde,  1787  ).  Ses  co- 
médies sont  écrites  avec  négligence,  mais  elles  abondent  en 
traits  de  vrai  comique.  D'ailleurs,  on  est  doublement  choqué 
du  langage  si  trivial  et  si  bas  qu'on  y  rencontre,  quand  on  se 
rappelle  que  l'auteur  était  un  homme  du  monde  accompli. 
Il  traduisit  aussi  en  français  l'Alcibiade  de  Meissner. 

BRUHL  (Cqarles-Frédéric-Maurice-Paul,  comte  de); 
petit-fils  du  tout-puissant  ministre  d'Auguste  III,  né  au 
château  de  Pfœrten,  le  18  mai  1772,  mort  à  Berlin,  le  9 
août  1837,  intendant  général  des  musées  royaux,  prit  le 
goût  du  théâtre  dans  la  maison  de  son  oncle  ;  et  plusieurs 
fois  il  parut  dans  des  pièces  dont  les  principaux  rôles  étaient 
joués  par  Reinecke ,  Brandes  et  sa  femme ,  par  son  père  et 
son  oncle  eux-mêmes.  Plusieurs  fois  aussi  il  figura  comme 
acteur  sur  le  théâtre  de  société  que  la  spirituelle  duchesse 
Amélie  avait  organisé  dans  son  propre  palais.  Le  séjour  qu'il 
lit  à  Weimar  avec  ses  parents  à  dater  de  1785,  et  où  il  eut 
occasion  de  faire  la  connaissance  de  Gœthe,  qui  lui  donna 
des  leçons  de  minéralogie,  et  celle  de  Herder  et  de  Wie- 
hnd,  qui  l'initièrent  à  d'autres  parties  des  connaissances  hu- 
maines ,  exerça  une  influence  décisive  sur  la  direction  ulté- 
rieure de  sa  vie.  Après  avoir  occupé  à  partir  de  1790  divers 
emplois  administratifs  à  Berlin  ,  il  fut  nommé  en  1800  cham- 
bellan du  prince  Henri  de  Prusse,  avec  lequel  il  passa  quel- 
ques années  à  Rheinsberg,  sans  devenir  pour  cela  étranger 
à  l'art  théâtral,  puisque  ce  prince  entretenait  à  ses  frais  une 
troupe  de  comédiens  français.  Plus  tard  il  fut  placé  avec  le 
même  titre  auprès  de  la  reine  douairière,  et  en  18 10  auprès 
de  la  reine  Louise.  En  1815  on  l'appela  à  l'intendance  gé- 
nérale des  théâtres  royaux ,  place  dans  les  attributions  de 
laquelle  était  la  direction  de  toutes  les  fêtes  données  à  la 
cour.  Dans  ces  fonctions,  le  comte  de  Brùhl  se  montra  homme 
«le  tact  et  de  goût,  et,  sauf  un  court  intervalle  où  le  cha- 
grin de  la  mort  de  son  fils  et  quelques  désagréments  admi- 
nistratifs le  portèrent  à  donner  sa  démission,  il  les  conserva 
jusqu'à  sa  mort.  Il  était  excellent  musicien,  peintre  dis- 
tingué et  élève  de  Genelli  ;  on  a  aussi  de  lui  quelques  gra- 
vures qui  ne  sont  pas  sans  mérite. 

BRUINE  ,  petite  pluie  extrêmement  fine  qui  tombe 
très-lentement.  Elle  est  le  produit  ou  d'un  brouillard  qui 
se  résout,  ou  d'un  nuage  qui  se  dissout  dans  toute  son  éten- 
due, également  et  lentement,  en  sorte  que  les  particules 
aqueuses  ne  se  réunissent  pas  en  très-grand  nombie,  mais 
forment  de  petites  gouttes,  dont  la  pesanteur  spécifique 
n'est  presque  pas  différente  de  celle  de  l'air.  Alors  ces  petites 


gouttes  tombent  insensiblement,  et  produisent  nnQhrïiine 
qui  dure  quelquefois  tout  un  jour  lorsqu'il  ne  fait  point  de 
vent.  Elle  a  lieu  pareillement  lorsque  la  dissolution  de  la 
nuée  commence  par  le  bas  et  continue  de  se  faire  lentement 
vers  le  haut,  car  alors  les  particules  de  vapeurs  se  réunissent 
et  se  convertissent  en  petites  gouttes ,  à  commencer  par  les 
inférieures ,  qui  tombent  aussi  les  premières  ;  ensuite  celles 
qui  se  trouvent  un  peu  plus  élevées  suivent  les  précédentes, 
et  celles-ci  ne  grossissent  pas  dans  leur  chute ,  parce  qu'elles 
ne  rencontrent  plus  de  vapeurs  en  chemin  :  elles  tombent 
sur  la  terre  avec  le  même  volume  qu'elles  avaient  en  quit- 
tant la  nuée  ;  mais  si  la  partie  supérieure  de  la  nuée  se  dis- 
sout la  première  et  lentement  de  haut  en  bas ,  il  ne  se  forme 
d'abord  dans  la  partie  supérieure  que  de  petites  gouttes  qui, 
venant  à  tomber  sur  les  particules  qui  sont  placées  plus  bas, 
se  joignent  à  elles,  et,  augmentant  continuellement  on  gros- 
seur par  les  parties  qu'elles  rencontrent  sur  leur  passage , 
produisent  enfin  de  grosses  gouttes,  qui  se  précipitent  sur  la 
terre  en  forme  de  pluie. 

BRUIT.  On  considère  le  bruit  comme  un  assemblage 
desons  irréguliers,  plus  ou  moins  nombreux  et  discordants. 
Cette  distinction  est-elle  suffisamment  exacte?  Dans  le  bruit 
y  a-t-il  réellement  irrégularité  du  mouvement  vibratoire.'  le 
calcul  fournit-il  une  évaluation  numérique  différente  de  celle 
du  son?  ou  bien  n'y  a-t-il  que  perception  confuse  de  sons 
plus  ou  moins  nombreux  et  discordants?  Cette  dernière  opi- 
nion est  plus  probable.  On  pourrait  donc  penser  que  si  l'on 
dégage  dans  un  bruit  composé ,  quelque  léger ,  quelque  écla- 
tant qu'il  soit,  tous  les  bruits  simples  qui  le  constituent, 
chacun  de  ces  bruits  simples  serait  appréciable  par  notre 
oreille,  et  deviendra  dès  ce  moment  un  son. 

Quelle  variété,  quelle  multiplicité  de  mots  dans  les  diver- 
ses langues  pour  exprimer,  soit  l'idée  générale  du  bruit,  soit 
les  mêmes  ou  les  différentes  sortes  de  bruit!  Et  cependant, 
nous  dit-on,  l'imitation  de  ce  phénomène,  ou  l'onomato- 
pée, a  présidé  à  la  formation  première  des  langues  !  Bornons- 
nous  à  indiquer  ici  les  principaux  termes  qui  ont  servi  aux 
Grecs  et  aux  Latins  à  désigner  une  grande  variété  de  bruits. 
Cette  indication  aura  l'avantage  de  rappeler  les  noms  que 
nous  avons  puisés  dans  ces  deux  langues  anciennes,  et  de  mon- 
trer ceux  qui  sont  susceptibles  d'enrichir  encore  soit  notre 
langage  usuel,  soit  la  nomenclature  des  sciences  et  des 
arts. 

Les  Grecs  appelaient  ppyy.^  »  ■^ô^oc, ,  le  bruit  en  général  ; 
TràtaYoç,  grand  bruit ,  fracas ,  bruit  de  la  mer,  du  tonnerre, 
du  vent;  xXayyÔ  >  bruit  clair  et  sonore  ou  des  trompettes; 
tptaïAÔç ,  bruit  d'une  porte  qui  crie;  tî/iT-njpîapLa ,  doux  bruit, 
murmure  agréable;  xpôxo;,  bruit  produit  par  un  battement 
quelconque  ;  çwvîî,  vjxw  ,  bruit  de  la  voix  ;  Oof  u6o; ,  grand 
bruit,  tumulte,  tintamarre  ;  xpauTo  ,  bruit  de  clameur,  vo- 
cifération, criaillerie,  criarderie  ;  y.o&ovt(T[j.oi: ,  tintement  d'o- 
reille; p6(j.êo(; ,  bourdonnement  ;  epO).),o;,  bruit  de  chuciiofe- 
ment,  murmure;  Xt^O;,  qui  fait  un  bruit  clair;  U(>n:tjt7[j.a, 
sifllement  pour  appeler  et  pour  flatter  un  cheval  ;  êpic,  brriit , 
querelle;  (priiAï) ,  bruit  pubUc,  nouvelle;  ô6?a,  bruit, renom, 
réputation. 

Les  Latins  appelaient  5onîïz«,  le  bruit  on  son;  murnmr, 
murmurillum,  admurmuratio,  obmurmuratio ,  vuix- 
salio,  viusitatio ,  murmure,  mussitation,  gronder,  grom- 
meler; fremituSffremor,  frémissement;  susurrus,  susiir- 
rum,  sztsiirramen ,  susurratio ,  \és,eT  murmure,  lir\iit 
somd;fragor,  fracas;  c/aw^or,  bruit  aigu  et  glapissant  ; 
stridor,  bruit  aigre,  perçant  ;  strepitus,  bruit  rude ,  reten- 
tissant; crépitas,  crepitatio ,  craquement,  crépitation; 
frcndere,  grincer  des  dents;  bombus,  bourdonnement; 
plausus  alarum,  bruit  du  battement  des  ailes  ;;JO/;/)ysmMS, 
claquement  des  mains  qui  applaudissent;  stlopus,  bruit  du 
claquement  sur  une  joue  gonflée  ;  n«HO/-,  bruit,  nouvelle  qui  • 
court,  rumeur  ;  ./a??m,  renom,  renommée,  bruit  de  bonne  ■ 
ou  mauvaise  réputation  ;  tianultus,  tumulte,  bruit,  émeute,  ■ 


BRUIT  —  BRUIX 


777 


sédition;  turba,  ttirbamcntum ,  iurhatio,  trouble,  bruit, 
inouvement  populaire ,  remuement  séditieux. 

Ajoutons  il  tous  ces  noms  les  mots  français  suivants,  qui 
sont  des  onomatopées  :  cliquetis  des  armes,  gazouillement 
des  oiseaux,  glou-glou  de  la  bouteille,  tac-tac  Am  moulin, 
tic-tac  d'une  montre,  tic-toc  des  verres,  le  frôlement 
d'une  robe ,  \(i  fracas  d'une  chose  qui  se  brise  en  tombant , 
le  roulement  du  tonnerre,  etc.,  et  nous  aurons  réuni,  sinon 
tous,  du  moins  un  nombre  suffisant  de  termes  pour  spécifier 
les  diverses  sortes  de  bruit. 

Tout  en  avouant  son  ignorance  sur  la  nature  du  fluide 
étliéré  qu'on  présume  devoir  remplir  tout  l'espace ,  et  dans 
lequel  se  meuveut  les  corps  célestes ,  l'intelligence  humaine 
peut  encore  analogiquement  supposer  une  sorte  de  bruit  ré- 
sultant des  mouvements  plus  ou  moins  rapides  de  trans- 
lation ,  de  rotation  et  de  nutation  de  ces  grandes  masses  as- 
tronomiques ,  soit  stellaires ,  soit  planétaires  ;  mais  elle  ne 
possède  aucun  moyen  de  vérifier  son  hypothèse.  Le  phéno- 
mène supposé  est  tellement  hors  de  la  sphère  de  son  action 
qu'il  est  impossible  de  l'y  amener ,  du  moins  pour  le  perce- 
voir directeineuL  On  ne  peut  l'admettre  qu'hypothétiquernent; 
mais  nous  entendons  distinctement  les  bruits  très-variés  du 
vol  des  oiseaux,  des  insectes  et  de  quelques  poissons,  ceux 
de  la  marche  sur  le  sol  des  quadrupèdes  et  des  reptiles ,  et 
nous  savons  de  plus  que  les  animaux  vivant  dans  l'eau  et 
ceux  qui  creusent  le  sol  y  produisent  de  véritables  bruits, 
qui  sont  perçus  par  les  autres  liabitants  de  ces  deux  milieux, 
lorsqu'ils  sont  pourvus  d'organes  auditifs.  Nous  formons  ainsi 
un  premier  groupe  de  bruits  produits  par  les  mouvements 
de  translation  des  corps  dans  les  milieux  ambiants.  IS'ous 
devons  le  faire  suivre  immédiatement  de  tous  ceux  que  déter- 
minent les  mouvements  intérieurs  du  globe  terrestre,  les 
éruptions  volcaniques  et  les  phénomènes  météoriques,  carac- 
térisés par  des  mouvements  de  translation  en  divers  sens 
des  matériaux  qui  constituent  soitrécorce,  soit  l'atmosphère 
terrestre.  A  ce  deuxième  groupe  nous  rattachons  le  bruit 
produit  par  les  aérolithes  ou  pierres  tombées  du  ciel. 

L'action  que  les  vents  ou  grands  courants  d'air  atmos- 
phérique exercent  sur  tous  les  corps  de  la  surface  du  globe, 
y  déterminent  des  mouvements  vibratoires,  qui  sont  quel- 
quefois des  sons  ou  bruits  appréciables ,  tels  que  le  sifïlement 
des  cordes  et  des  portes;  mais  le  plus  souvent  ce  sont  de  vrais 
bruits,  tels  que  le  mugissement  de  la  mer,  le  souffle  du  vent 
heurtant  les  édilices,  les  montagnes,  agitant  les  [liantes 
herbacées,  les  arbustes,  les  forôts,  brisant  les  branches  et 
les  troncs  des  plus  grands  arbres ,  les  déracinant  même  quel- 
quefois. Si  l'imagination  est  raolleuient  portée  aux  douces 
rêveries  par  le  bruissement  du  feuillage  qu'agitent  les  zé- 
phyrs au  sein  d'une  campagne  riante,  la  raison  humaine  la 
plus  élevée  ne  peut  contempler  sans  effroi  le  spectacle  affreux 
des  ravages  produits  par  la  temnête ,  et  surtout  par  les  ter- 
ribles ouragans  de  la  zone  torride.  Le  bruit  sourd,  le  souffle 
impétueux  qui  accompagne  ces  grandes  commotions  de  l'at- 
mosphère ,  suffit  seul  pour  imprimer  un  sentiment  de  ter- 
reur à  tous  les  êtres  animés. 

Fixées  au  sol ,  immobiles ,  les  plantes  ne  donnent  lieu  à 
des  bruits  que  par  l'agitation  de  leurs  parties  plus  ou  moins 
flexibles.  Les  mouvements  qu'on  observe  dans  la  sensitive, 
Vhedisarumgirans,  ne  sontpoint  assez  rapides  pourproduire 
le  plus  léger  bruit  ;  mais  on  connaît  une  plante ,  dite 
sablier  élastique  {hura  crépitons),  dans  laquelle, 
lors  de  la  maturité  du  fruit ,  les  pièces  qui  composent  les 
capsules  se  séparent  brusquement ,  éclatent  avec  bruit ,  et 
lancent  an  loin  leurs  graines.  Quelque  rapides  qu'on  suppose 
l'ascension  et  la  descente  de  la  sève,  quelque  accéléré  que 
poit  l'accroissement  des  tiges,  ces  mouvements  ne  peuvent 
donner  lieu  à  des  bruits  susceptibles  d'être  perçus.  L'expres- 
sion populaire  entendre  V herbe  qui  pousse  est  une  méta- 
phore ,  une  exagération  pour  exprimer  l'acuité  de  la  finesse 
de  l'ouïe.  Mais  si  les  végétaux  sont  en  général  muets  et  silen- 

DICT,   DE   LA   CONVERS.    —    T.    III. 


cieux ,  à  cause  de  la  privation  de  mouvements ,  on  doit 
s'attendre  à  ce  que  les  animaux  pourvus  d'organes  muscu- 
laires très-variés,  destinés  à  mouvoir  des  gaz,  des  liquides 
et  des  solides ,  produiront,  en  outre  de  la  voix  et  de  la  pa- 
role, un  très-grand  nombre  de  bruits,  que  les  physiologistes, 
les  médecins  ■çt  les  naturahstes  devront  étudier  avec  soin. 

En  envisageant  sous  un  point  de  vue  général  tous  les 
mouvements  vibratoires  bruyants  que  produisent  les  êtres 
animés ,  il  convient  d'en  former  deux  ordres  :  le  premier 
comprend  tous  les  bruits  qui  se  passent  dans  l'intérieur  des 
animaux ,  sans  servir  à  les  mettre  en  relations  réciproques  ; 
le  deuxième  ordre  renferme  tous  ceux  à  l'aide  desquels  les 
animaux  s'appellent,  établissent  leurs  relations  et  commu- 
niquent entre  eux. 

Dans  le  premier  ordre  se  trouvent  les  bruits  du  cœur  et 
des  vaisseaux  pendant  leurs  battements,  les  divers  bruits  de 
larespiration,  plus  ceux  dubâillement,  duhoquet, 
de  la  toux,  de  l'éternuement,  du  crachement,  du 
moucher,  du  soupir,  du  gémissement,  du  sanglot  et 
du  rire,  observés  dans  les  divers  âges  dans  les  deux  sexes 
de  l'espèce  humaine ,  auxquels  il  faut  joindre  les  mêmes 
bruits  observables  dans  la  série  des  animaux ,  toujours  sans 
y  comprendre  les  phénomènes  de  la  voix  ,  du  chant,  de  la 
parole.  Pour  compléter  ce  groupe  de  bruits  inutiles  pour  la 
manifestation  des  actes  de  l'intelligence ,  il  faut  comprendre 
dans  cette  énuraération  physiologique  tous  ceux  produits 
par  les  gaz  qui  parcourent  les  voies  intestines.  On  les  dé- 
signe dans  la  pratique  médicale  sous  les  noms  à' éructa- 
tions, ôeborbpr y gmcs  on  gargouillements,  de  fl a- 
tuosités  et  de  vents. 

Dans  le  deuxième  ordre,  ou  celui  des  bruits  significatifs, 
il  faut  d'abord  distinguer  ceux  produits  par  le  larjux  et  la 
touche,  dont  il  sera  traité  aux  articles  Yoix,  Chant  et  Pa- 
role, et  mentionner  ensuite  les  divers  bruits  qui,  à  défaut 
de  la  voix ,  peuvent  seivir  au  môme  but.  Parmi  ces  der- 
niers, qui  n'ont  point  été  suffisamment  éhidiés,  il  faut 
ranger  le  bruit  que  les  auunaux  produisent  par  le  choc  de 
leurs  parties,  soit  entre  elles,  soit  contre  un  corps  étranger, 
ou  par  d'autres  mécanismes  :  tels  sont  le  bruit  que  les  la- 
pins font  avec  leurs  pattes  de  derrière,  le  c'aquemenî  du 
bec  des  cigognes,  le  petit  bruit  causé  par  les  vrillettes ,  par 
le  bachine-pétard ,  le  bourdonnement  d'un  grand 
nombre  d'insectes,  e'.c.  Boumons-nous  à  indiquer  encore 
parmi  ces  bruits  significatifs  le  crocro,  bruit  fait  par  un  pois- 
son, \q  feulement  et  le  rouroii  des  chats,  le  grognement 
des  cochons,  des  chiens  hargneux  ou  en  colère,  etc.  Disons 
enfin  que  ces  sons  produits  par  la  bouche  des  animaux  ont 
reçu  différents  noms  suivant  les  espèces. 

L'iiorame  produit  encore  dans  l'exercice  de  son  industrie 
une  infinité  de  bruits.  Citerons-nous  celui  du  marteau ,  du 
tambour,  du  tamtam,  des  cloches,  du  canon,  de  la  machine 
à  vapeur,  cadence  déplorable  pour  les  nerfs  des  petites  mai- 
tresses,  indicateur  grandiose  de  la  puissance  hu.Tiaine. 

L.    L\l'RENT. 

BRUIX  (Ecstache),  né  à  Saint-Domingue,  en  1759, 
était  d'une  famille  originaire  du  Béarn,  dont  plusieurs 
membres  s'étaient  fait  un  nom  dans  les  armes  en  France  et 
en  Espagne.  Pour  lui,  il  passa  de  très-bonne  heure  dans  la 
mère  patrie ,  et  ce  fut  à  Paris  qu'il  reçut  les  premiers  élé- 
ments des  sciences  qui  devaient  développer  son  penchant 
pour  les  dangers  et  les  hasards  de  la  mer.  Il  avait  à  peine 
quinze  ans,  qu'il  s'embarquait,  comme  simple  volontaire,  sur 
un  navire  marchand,  et  le  métier  dans  lequel  il  devait  s'il- 
lustrer lui  était  déjà  familier  lorsqu'il  fut  nommé  garde  de 
la  marine  à  Brest,  en  1778.  Il  fit  ses  premières  campagnes 
dans  la  guerre  d'Amérique,  sur  les  frégates  le  Fox,  la  Con- 
corde et  la  Médée,  sous  les  amiraux  d'Orvilliers,  de  Grasse, 
d'Estaing,  et  obtint  en  17S4  le  commandement  du  Pivert, 
puis  en  1792  celui  de  la  Sémillante.  Pendant  les  quatre 
années  qui  suivirent  la  conclusion  du  traité  de  Versailles,  il 

98 


778 

seconda  Puységur  dans  les  opérations  qui  préparaient  la 
publication  des  cartes  précieuses  qu'on  doit  à  cet  officier  sur 
les  côtes  et  les  débouqueraents  de  Saint-Domingue  ;  et  à 
l'âge  de  vingt-cinq  ans  les  connaissances  distinguées  qu'il 
avait  acquises  lui  ouvrirent  les  portes  de  l'Académie  de 
marine.  Il  venait  d'être  appelé  au  commandement  de  l'In- 
domptable, lorsqu'en  1793  il  fut  compris  dans  la  mesure  gé- 
nérale prise  en  France  à  l'égard  des  anciens  officiers  du 
corps  de  la  marine.  Rendu  en  1794  à  son  service,  il  remplit 
jusqu'en  1796  les  fonctions  de  major  général  de  l'escadre 
commandée  par  l'amiral  Viilaret-Joyeuse,  fut  nommé  ensuite 
major  général  de  la  marine  à  Brest,  puis  directeur  de  ce 
port,  et  enfin  vice-amiral  et  ministre  de  la  marine,  après 
avoir  été  major  général  de  l'armée  de  l'amiral  Morard  de 
Galles,  destinée  à  l'expédition  d'Irlande,  qui  échoua,  comme 
on  sait,  mais  dans  laquelle  il  fit  preuve  d'une  grande  habileté. 

Pendant  le  peu  de  temps  qu'il  remplit  les  fonctions  de 
ministre  il  s'occupa  constamment  des  moyens  d'exécution 
d'un  plan  de  campagne  qu'il  avait  conçu.  Chargé  de  diriger 
lui-même  cette  expédition,  il  partit  pour  Brest  en  mars  1799, 
et  prit  le  commandement  de  l'armée  navale  préparée  par 
ses  soins.  Il  déploya  alors  pour  la  première  fois  sur  un 
grand  théâtre  le  pavillon  amiral ,  le  montra  sur  des  mers 
couvertes  de  flottes  ennemies,  dont  il  trompa  la  vigilance,  ra- 
vitailla Gênes,  fit  sa  jonction,  à  Cadix  et  à  Carthagène  avec 
l'armée  navale  espagnole,  rentra  avec  elle  à  Brest,  et  mit  le 
sceau  à  sa  réputation  par  l'habileté  de  ses  manœuvres  du- 
rant cette  campagne.  Nommé  en  1801  au  commandement  de 
l'armée  réunie  sur  la  rade  de  l'île  d'Aix ,  les  fatigues  avaient 
tellement  dérangé  sa  santé,  qu'il  se  vit  contraint  de  revenir 
en  toute  hâte  à  Paris.  11  y  resta  jusqu'à  la  reprise  des  hos- 
tilités. Amiral  el  commandant  en  chef  de  la  flottille  de  Bou- 
logne, en  1803,  il  y  déploya  toute  son  activité;  mais  il  ne  se 
fit  jamais  illusion  sur  l'inutilité  de  cet  armement,  et  il  le  té- 
moigna même  souvent  à  Napoléon.  Bientôt  sa  santé  délabrée 
le  força  de  quitter  ce  commandement.  Il  revint  à  Paris,  où  il 
mourut,  le  18  mars  1S05.  On  a  de  lui  un  Essai  sur  les 
moyens  d'approvisionner  la  marine  (1794,  in-8°). 

BRÙLEMEMT  DES  CORPS.  La  coutume  de  brûler 
les  corps  au  lieu  de  les  inhumer  était  presque  générale 
chez  les  Grecs  et  chez  les  Romains.  Elle  a  précédé  chez  les 
premiers  le  temps  de  la  guerre  de  Troie.  Il  ne  faut  cepen- 
dant pas  en  inférer  que  ce  fût  la  seule  ni  même  la  plus 
ancienne.  Il  parait  bien  démontré  que  l'on  commença  par 
inhumer  les  corps,  en  les  rendant  à  la  terre  ;  mais  les  deux 
usages  paraissent  aussi  avoir  subsisté  en  même  temps  à 
Rome.  Sylla ,  victorieux  de  Caïus  Marins  ,  fit  déterrer  son 
corps  et  le  fit  jeter  à  la  voirie  ;  et  ce  fut  sans  doute  par  la 
crainte  d'un  pareil  traitement  qu'il  ordonna  que  son  propre 
corps  fût  brûlé  après  sa  mort.  Quoi  qu'il  en  soit ,  il  fut  le 
premier  des  patrices  cornéliens  à  qui  on  éleva  un  bûcher. 

Voici  comment  la  chose  se  pratiquait  :  le  mort,  couronné 
de  (leurs  et  revêtu  de  ses  plus  beaux  habits,  était  posé  sur  le 
bûcher,  que  ses  proches  parents  allumaient  avec  des  torches, 
en  détournant  levisage,  pourtémoigner  qu'ils  ne  lui  rendaient 
qu'avec  répugnance  ce  dernier  devoir.  Dès  que  le  bûcher 
était  consumé,  la  mère,  les  sœurs  ou  les  parentes  du  défunt, 
vêtues  de  noir,  ramassaient  les  cendres  et  les  os,  et  les  met- 
taient sous  leurs  habits  pour  les  emporter  et  les  enfermer 
ensuite  dans  une  urne.  Les  fils  recueillaient  de  la  même 
manière  les  restes  de  leur  père,  et,  à  défaut  d'enfants  ou  de 
veuve,  ce  devoir  était  rempli  par  les  autres  parents  ou  par 
les  héritiers.  Les  consuls  ou  les  officiers  des  empereurs  ra- 
massaient les  ossements  de  ceux-ci  :  au  décès  d'Auguste, 
les  premiers  de  l'ordre  équestre  s'acquittèrent  pieds  nus  de 
ce  devoir  religieux.  Avant  de  se  retirer,  les  assistants  criaient 
au  défunt  :  Vale,vale,  vale,  nos  te  ordine  guo  natura 
permiserit  cuncti  sequemur.  «  Adieu ,  adieu ,  adieu  ;  nous 
te  suivrons  tous  dans  l'ordre  où  la  nature  le  permettra  !  » 

Au  rapport  de  Pline,  l'iLsage  de  brûler  les  corps  ne  re- 


BRUIX  —  BRULEMENT 


montait  pas  bien  haut  à  l'époque  où  il  écrivait  ;  et  néanmoins 
Plutarque,  dans  sa  Vie  de  Numa,  dit  que  ce  prince  fut  in- 
humé, parce  qu'il  avait  expressément  défendu,  en  mourant, 
que  l'on  brûlât  son  corps  :  ce  qui  serait  une  preuve  en  fa- 
veur de  l'ancienneté  d'une  coutume  qui,  du  reste,  semble 
avoir  été  en  horreur  à  plusieurs  peuples.  Hérodote  rapporte 
que  les  Perses  la  détestaient  et  la  regardaient  comme  impie , 
par  suite  du  culte  qu'ils  rendaient  au  feu.  Les  Égyptiens 
n'étaient  pas  non  plus  dans  l'usage  de  brûler  les  cadavres , 
mais  par  une  autre  raison  :  selon  eux  le  feu  était  une  bête 
inanimée,  et  ils  pensaient  qu'il  n'était  pas  permis  de  donner 
les  cadavres  à  dévorer  à  des  bêtes.  Macrobe ,  qui  vivait  à 
la  fin  du  quatrième  siècle  de  l'ère  chrétienne ,  assure  que  de 
son  temps  la  coutume  n'était  plus  à  Rome  de  brûler  les 
corps.  On  croit  qu'elle  cessa  sous  l'empire  des  Antonins. 

Avant  l'établissement  de  la  monarchie  française  dans  les 
Gaules,  on  brûlait  plus  souvent  les  corps  qu'on  ne  les  in- 
humait, et  cet  usage  dura  jusqu'aux  derniers  temps  du 
paganisme.  César  rapporte  que  peu  de  temps  avant  son 
arrivée  dans  cette  province,  on  faisait  brûler  avec  le  cadavre 
d'un  grand  personnage  ses  esclaves,  ses  vassaux  et  tous 
ceux  qu'il  avait  désignés  lui-même  avant  sa  mort  pour  l'ac- 
compagner dans  l'autre  monde.  On  vit  souvent  aussi  chez 
les  Celtes,  dit  Diodore  de  Sicile,  un  fils,  ou  un  amant  incon- 
solable, jeter  dans  le  bûcher  de  son  père  ou  de  sa  bien-aimée 
des  lettres  qui,  dans  la  croyance  commune  de  ces  temps, 
devaient  lui  parvenir  et  l'entretenir  du  regret  que  causait 
sa  perte.  Chez  les  modernes,  la  coutumedel'inhumation 
a  été  généralement  admise  ;  il  n'y  a  eu  d'exception  que  pour 
des  cas  particuliers,  tels  que  le  besoin  de  se  soustraire  à  des 
causes  épidémiques  que  la  putréfaction  des  cadavres  pouvait 
augmenter,  ou  la  difliculté  de  creuser  la  terre  pour  procéder 
aux  inhumations. 

Ces  deux  intentions  avaient  dicté  les  mesures  ordonnées 
par  le  gouvernement  russe,  dans  une  grande  partie  de  l'em- 
pire, pendant  l'hiver  de  1812,  à  l'égard  des  soldats  pri- 
sonniers, français  ou  autres,  échappés  au  fer  des  populations 
et  qu'achevaient  de  décimer  les  épidémies.  Pendant  quelque 
temps  la  haine  de  ces  peuples,  entretenue  par  leur  supersti- 
tion, leur  avait  fait  refuser  tout  concours  à  l'inhumation 
de  ceux  qui  mouraient  ainsi  sous  un  ciel  rigoureux,  loin  de 
leur  patrie.  Un  lieu  séparé ,  un  lieu  frappé  de  réprobation 
était  réservé  dans  beaucoup  d'endroits  à  leur  sépulture  ; 
mais  la  terre  se  refusait  à  recevoir  leurs  dépouilles,  comme 
de  leur  vivant  le  ressentiment  de  ces  populations  les  avait 
poursuivis  d'asile  en  asile.  Les  mains  exténuées  et  décou- 
ragées de  leurs  compatriotes  ne  pouvaient  creuser  qu'à 
demi  le  lit  où  ils  devaieût  reposer  du  sommeil  étemel ,  et 
au  retour  de  la  belle  saison  leurs  corps,  en  partie  couverts 
de  neige,  vinrent  se  remontrer  aux  regards  attristés  et  ré- 
clamer de  nouvelles  funérailles ,  qui  cette  fois  leur  furent 
accordées  par  des  mains  et  par  des  cœurs  que  la  réflexion 
avait  dépouillés  de  haine.  Ils  purent  reposer  enfin  dans 
une  terre  redevenue  hospitalière,  la  face  religieusement 
tournée  vers  la  patrie.  Mais  pendant  ce  temps  des  ordres 
généraux  avaient  été  donnés  dans  la  plupart  des  gouver- 
nements de  la  Russie,  eu  l'on  brûla  longtemps  les  corps  dç 
ceux  qui  avaient  ainsi  succombé,  avec  tous  les  effets  d'ha- 
billement qui  leur  avaient  appartenu.  En  Angleterre,  où  l'on 
inhume  à  peu  de  profondeur,  et  dans  des  cimetières  trop 
restreints,  il  s'est  trouvé  un  moment  où  une  épidémie  vint 
chasser  précipitamment  de  leur  dernière  demeure  des  corps 
dont  le  temps  n'avait  pu  produire  la  dissolution  ;  un  cri  d'a- 
larme se  fit  alors  entendre  :  on  y\i  se  former  des  sociétés 
pour  ramener  l'ancienne  coutume  de  brûler  les  corps.  Mais 
cette  coutume,  plus  rationnelle  peut-être,  semble  trop  en  dé- 
saccord avec  les  habitudes  et  les  croyances  chrétiennes  pour 
devenir  d'une  pratique  commune. 

Quant  au  brûlement  volontaire  des  vivants,kce\.  hymen 
affreux,  à  cette  association  monstreuse  de  la  vie  et  de  la 


BRULEMENT  —  BRULOT 


779 


mort  sur  le  même  bûcher,  on  sait  qu'il  existe  encore  dans 
les  Indes,  où  il  est  entretenu  par  la  superstition.  Voyez  Sut- 

TIES. 

BRULER,  supplice  du  feu.  Voyez  Bûcher. 

BRULERIE.  Ce  mot  a  deux  acceptions  bien  différentes 
dans  les  arts  industriels.  D'abord  on  nomme  brûlerie  le  lieu 
où  l'on  convertit  le  vin  ou  d'autres  boissons  fermentées  en 
alcool  (  voyez,  Distillation  ).  Nous  n'avons  point  à  nous  en 
occuper  ici  ;  mais  nous  parlerons  de  la  brûlerie  des  bois 
dorés  et  des  tissiis  d'or  et  d'argent. 

De  grandes  quantités  d'or  et  d'argent  ont  été  pendant 
longtemps  perdues,  parce  qu'on  ignorait  alors  le  moyen 
simple  et  peu  coûteux  de  reprendre  ces  métaux  précieux 
aux  matières  de  luxe  sur  lesquelles  ils  avaient  été  appliqués 
en  lames  si  minces  qu'on  regardait  presque  comme  impos- 
sible de  les  en  séparer.  Il  s'en  faut  bien  que  cette  extraction 
soit  négligée  aujourd'hui.  On  pousse  même  à  cet  égard  la 
vigilance  à  un  point  qui  ne  semble  pas  justifié  aux  yeux  de 
ceux  qui  sont  étrangers  aux  moyens  qu'on  emploie  et  à  l'im- 
portance des  résultats  qu'on  obtient. 

Pour  les  bois  dorés,  on  a  d'abord  recours  à  un  trempage 
dans  l'eau  bouillante,  et  qui  a  pour  but  de  dissoudre  la  colle 
de  la  dorure.  L'exposition  de  ces  bois  à  la  vapeur  très-chaude 
de  l'eau  dans  un  milieu  hermétiquement  fermé  a  un  effet 
encore  plus  prompt  et  plus  certain.  Les  feuilles  d'or,  dé- 
tachées du  mastic  sur  lequel  elles  reposaient ,  tombent  au 
fond  d'un  vase,  et  on  peut  hâter  cet  effet  à  l'aide  d'une  brosse. 
Mais  il  ne  faut  pas  croire  que  ces  lames  d'or ,  d'une  ténuité 
presque  incalculable,  se  trouvent  complètement  isolées  ; 
elles  entraînent  toujours  avec  elles  une  quantité  de  blanc 
ou  de  mastic  infiniment  plus  pesante  qu'elles-mêmes.  C'est 
cette  espèce  de  magma  (  pâte  )  qui  doit  être  recueilli,  des- 
séché, pilé  dans  un  mortier  et  exposé  ensuite  à  un  feu  de 
moufle  pour  brûler  tout  ce  qui  reste  de  combustible,  tel  que 
]a  colle  ou  l'huile,  etc.,  qui  entraient  dans  la  composition 
du  blanc  ou  assiette  de  la  donu-e.  Les  mêmes  procédés 
sont  applicables  aux  plâtres  dorés,  etc. 

Quant  aux  tissus  dorés  et  argentés  divers,  tels  que  galons, 
gazes,  etc. ,  il  ne  s'agit  d'abord  que  de  les  brûler  directement 
et  d'en  recueillir  les  cendres.  Peut-être  cependant  y  a-t-il 
moins  de  risque  de  perte  à  dissoudre  la  soie  des  tissus  de 
cette  espèce  qui  sont  recouverts  de  métaux  précieux  en  les 
soumettant  à  l'ébuUition  dans  une  forte  lessive  d'alcali  caus- 
tique. La  soie  se  saponifie,  et  en  étendant  ce  produit  d'une 
grande  quantité  d'eau  on  peut  recueillir  la  poussière  mé- 
tallique au  fond  du  vase. 

Les  métaux  ainsi  obtenus  sont  fondus  dans  un  creuset  et 
soumis  ensuite  à  l'affinage.  Pelouze  père. 

BRULLOW  (Charles),  peintre  d'histoire,  d'un  remar- 
quable talent,  né  à  Saint-Pétersbourg,  en  1800,  apprit  les 
premiers  éléments  de  son  art  à  l'académie  de  celte  ville. 
En  1823  il  fit  le  voyage  d'Italie  aux  frais  d'une  société 
d'amis  des  arts ,  protégé  par  l'impératrice  Elisabeth,  et  y 
exécuta  plusieurs  excellentes  copies  de  Raphaël.  Mais  le 
travail  qui  l'a  surtout  rendu  célèbre,  c'est  une  grande  page 
que  la  gravure  a  depuis  longtemps  popularisée,  repré- 
sentant Le  Dernier  jour  de  Pompai,  d'après  le  récit  de 
Pline.  Ce  beau  tableau  orne  maintenant  la  galerie  de  l'Er- 
mitage, à  Saint-Pélersbourg.  11  a  dix  mètres  de  long,  et  ren- 
ferme vingt-trois  figures  principalesdegrandeur  naturelle,  dont 
les  attitudes  peignent  la  terreur.  BruUow  fut  nommé  peintre 
de  la  cour,  chevalier  de  l'ordre  de  Wladimir ,  membre  ho- 
noraire de  l'Académie  de  Milan  et  de  celle  de  Bologne;  et 
l'Académie  de  Saint-Pétersbourg  proposa  à  l'empereur  de 
créer  pour  lui  une  dignité  académique.  De  retour  dans  sa 
patrie,  il  peignit  pour  la  cathédrale  de  Kasan  une  .4 xceHsion 
et  quelques  portraits  de  saints.  Son  second  tableau.  Le  Siôge 
de  Pskow,  prouve  que  son  talent  est  resté  stationnairc. 
Depuis  quelques  années,  il  s'occupe  de  la  décoration  de  la 
nouvelle  église  d'Isaac,  Ses  portraits  se  distinguent  par  la 


vigueur  du  coloris  ;  on  vante  aussi  beaueoup  les  tableaux 
de  genre  de  cet  artistci 

Son  frère  Alexandre,  qui  l'a  accompagné  en  Italie  et  a 
demeuré  quelque  temps  à  Paris,  est  un  architecte  de  mérite. 
Il  a  bâti  l'église  évangélique  de  Saint-Pierre ,  le  théâtre  de 
Michailoff,  l'observatoire  de  l'Académie  des  Sciences  et  a 
restauré,  avec  Strassof,  le  Palais  d'hiver.  L'empereur  lui  a 
donné  une  pension  et  la  croix  de  Saint-Wladimir. 

BRULOT,  bâtiment  incendiaire,  destiné  à  être  dirigé  sur 
un  navire  ennemi  et  à  l'envelopper  dans  son  explosion ,  en 
s'attachant  à  lui.  Tous  les  navires,  quelles  que  soient  leurs 
dimensions  ,  peuvent  être  affectés  à  cet  usage.  On  a  vu  les 
Anglais  consacrer  jusqu'à  de  vieilles  frégates  au  service  de 
brûlots  :  dans  la  fameuse  expédition  incendiaire  contre  la 
division  française  mouillée  en  rade  des  Basques ,  près  de 
Rochefort ,  on  vit  de  très-forts  bâtiments  de  guerre  sauter 
en  l'air  à  côté  des  vaisseaux  à  bord  desquels  ils  devaient 
porter  l'mcendie. 

On  choisit  ordinairement  pour  faire  des  brûlots  de  vieux 
navires,  qui  offrent  un  double  avantage,  celui  d'entraîner 
une  perte  moins  réelle  et  d'être  plus  facilement  brisés  lors- 
que éclate  l'explosion  qui  doit  disperser  leurs  débris. 

Pour  atteindre  le  but  qu'on  se  propose  en  envoyant  un 
brûlot  à  l'ennemi,  on  place  des  barils  de  poudre  dans  la  cale 
du  brûlot  ;  on  remplit  son  entrepont  et  on  couvre  son  pont 
de  la  plus  grande  quantité  possible  d'artifices  ;  on  garnit  son 
gréement  de  cravates  et  de  panaches  inflammables,  et  on  a 
soin  de  suspendre  au  bout  de  ses  vergues  des  grappins  qui 
puissent  s'accrocher  aux  manœuvres  du  navire  qu'il  s'agit 
d'incendier.  Lorsque  le  brûlot  a  un  entrepont  et  des  sabords, 
on  a  soin  de  ménager  à  l'incendie  que  l'on  prépare  toutes 
les  issues  qu'il  faut  ouvrir  à  la  flamme  pour  qu'elle  puisse 
se  répandre  à  l'extérieur  et  embraser  tous  les  objets  qu'on 
veut  lui  faire  dévorer.  Après  avoir  ainsi  disposé  toutes  les 
matières  qui  doivent  prendre  feu  instantanément,  on  verse 
sur  la  mâture,  le  gréement,  le  pont  elles  bordages  intérieurs 
et  extérieurs  du  navire  autant  d'huile  de  térébenthine  qu'on 
peut  en  répandre.  Cette  substance  si  inflammable  est  des- 
tinée à  donner  une  nouvelle  activité  au  feu  et  à  servir  de  con- 
ducteur à  l'incendie  dans  les  parties  où  il  pourrait  s'arrêter. 

Entre  les  barils  de  poudre ,  les  saucissons  et  les  pots  à 
feu  placés  dans  la  cale ,  l'entrepont  ou  sur  le  pont ,  on  sème 
des  bombes  farcies ,  des  grenades  panachées ,  qui  doivent 
éclater  dans  un  temps  calculé  par  les  artificiers.  On  a  poussé 
quelquefois  si  loin  la  précision  dans  ces  sortes  de  prépa- 
rations que  l'on  a  retrouvé  dans  des  débris  de  brûlots  des  < 
horloges  grossièrement  faites,  au  moyen  desquelles  on  était 
parvenu  à  régler  mécaniquement  l'heure  à  laquelle  devait 
partir  l'artifice. 

Dans  les  diverses  compositions  employées  pour  le  muni- 
tionnement  des  brûlots,  on  remarque  principalement  les 
objets  que  l'on  désigne  sous  les  noms  de  fagots,  saucissons, 
panaches ,  rubans  de  feu,  cravates  et  barils  ardents.  Les 
fagots  sont  des  gerbes  de  sarments  de  vigne ,  que  l'on  trem- 
pe dans  un  liquide  composé  de  résine,  de  brai  sec,  d'huile  et 
d'esprit  de  térébenthine,  de  poudre  et  de  salpêtre  pulvérisé. 
On  nomme  saucisson  un  long  sac  de  toile  goudronnée  farci 
de  soufre,  de  salpêtre  et  de  poudre  en  poussière.  'Les  pana- 
ches sont  des  mèches  de  chanvre  trempées  dans  une  mix- 
tion de  poudre,  de  soufre  et  d'huile  de  térébenthine.  Les 
rubans  à  feu  se  font  en  trempant  des  pnquets  de  copeaux 
de  menuisier  dans  une  décoction  d'huile  de  lin ,  d'esprit-de- 
vin et  de  térébenlliinc,  saturée  de  poudre ,  de  brai  sec  et  de 
soufre.  Les  crai/'o^es,  dont  on  enveloppe  les  haubans,  les  cal- 
haubans  et  les  principales  manœuvres  de  brûlot,  sont  de  lon- 
gues mèches  d'éloupe  ou  de  serpillière  usée,  que  l'on  plonge 
dans  une  préparation  semblable  à  celle  dont  nous  venons 
de  parier.  Les  barils  ardents,  destinés  à  être  placés  dans  le 
haut  de  la  cale  ou  l'entrepont  et  à  fnire  explosion ,  renfer- 
ment de  la  poudre ,  du  suif  et  du  goudron  ;  ils  contiennent 

9S. 


I 


7S0 


BRULOT  —  BRULURE 


aussi  quelquefois  îles  grenades  farcies  et  des  lances  à  feu, 
qui  éclatent  à  Tinstant  où  le  baril  s'enflamme. 

On  concevra  aisément,  en  lisant  ce  simple  exposé  des 
objets  principaux  qui  entrent  dans  le  munitionnement  des 
brûlots,  l'effet  que  l'on  doit  attendre  de  ces  sortes  d'appa- 
reils destructifs.  Mais  pour  obtenir  tous  les  résultats  qu'on 
pent  en  espérer  il  faut ,  autant  que  possible ,  que  les  brû- 
lots ne  soient  envoyés  que  pendant  la  nuit  :  pendant  le  jour, 
il  serait  trop  facile  à  l'ennemi  de  se  prémunir  contre  ce 
genre  d'attaque ,  pour  qu'il  se  laissât  surprendre  sans  pré- 
caution par  l'abordage  de  ces  sortes  de  navires  ,  dont  il 
est  toujours  aisé  de  deviner  l'espèce  dès  qu'on  peut  les  aper- 
cevoir, fût-ce  môme  de  très-loin. 

Des  hommes  dévoués  à  une  mort  presque  certaine  ont 
quelquefois  réussi  à  diriger  des  brûlots  avec  un  appareil 
bien  moindre  que  celui  dont  nous  venons  de  donner  une 
idée  .  munis  de  quelques  chemises  soufrées,  qu'ils  allaient 
clouer,  dans  de  légères  embarcations,  sur  le  bordagedu  na- 
vire qu'ils  voulaient  incendier,  ils  ne  pouvaient  que  bien  dif- 
ficilement, dans  une  expédition  aussi  hasardeuse,  échapper  à 
la  vengeance  des  équipages  qu'ils  avaient  essayé  de  faire  sauter. 

Anciennement,  l'usage  des  brûlots  était  une  chose  telle- 
ment consacrée  et  prévue  pour  les  besoins  ordinaires  de  la 
guerre  maritiinc ,  qu'il  existait  dans  la  marine  des  officiers 
désignés  sous  le  nom  de  capitaines  de  brûlots.  Aujourd'hui 
on  ne  connaît  plus  cette  dénomination ,  et  les  brfdots  ne 
deviennent  qu'accidentellement  un  moyen  de  destruction 
contre  les  flottes  ennemies.  La  promptitude  aveclaquelle  on 
peut,  dans  un  instant  donné  et  avec  les  ressources  néces- 
saires ,  transformer  en  brûlots  les  navires  et  les  embarca- 
tions ordinaires ,  rend  pour  ainsi  dire  inutile  la  longue  pré- 
voyance elles  vastes  préparatifs  qui  auparavant  présidaient  à 
l'armement  ds  ces  sortes  de  bâtiments  spéciaux.  Espérons  que 
bientôt  riiumanité,  qui  doit  aujourd'hui  régler  entre  les  na- 
tions civilisées  jusqu'aux  moyens  qu'elles  ont  de  s'enlre-dé- 
truire,  finira  par  proscrire  entre  les  peuples  belligérants  l'em- 
ploi funeste  des  brûlots.  Edouard  CouBiùiiE. 

Brûlot,  suivant  Perrault,  cstaussile  nom  d'une  machine 
{catapulta  incendiaria  )  dont  les  anciens  se  servaient  pour 
lancer  des  dards  auxquels  était  attachée  une  matière  com- 
busli'ole  qu'on  allumait  lorsqu'on  les  voulait  darder. 

On  appelle  encore  de  ce  nom ,  dans  les  manufactures  de 
glaces,  une  sorte  de  polissoir  étroit  avec  lequel  on  tennine 
certains  endroits  de  la  surface  de  la  glace  qui  ont  échappé  au 
poli. 

Au  figuré ,  brûlot  se  dit  trivialement  d'un  morceau  de 
pain ,  de  viande  ou  d'autre  chose,  bien  épicé  de  sel  et  de 
poiVre  qui  brûle  le  gosier  de  celui  auquel  on  le  donne  ;  mais 
on  s'en  sert  plus  habituellement  pour  désigner  un  homme 
ardent,  inquiet  et  remuant,  qui  par  ses  discours  excite  au 
tumulte  et  à  la  révolte. 

BRULURE,  lésion  déterminée  par  l'action  d'une  chaleur 
intense  appliquée  aux  organes.  Le  calorique  seul  en  est  l'a- 
gent, bien  qu'on  attribue  la  propriété  de  brûlera  certains  corps 
désorganisateurs,  tels  que  les  acides  concentrés,  diverses  sub- 
stances caustiques,  corrosives,  et  dont  le  mode  d'action  dif- 
fèi  e  de  celui  de  la  chaleur  concentrée  :  ces  agents  cautérisent 
{voyez  Cautérisation  ),  mais  ne  briilentpns.  La  puissance 
ou  le  degré  d'activité  des  corps  dits  comburants  est  en  l'ai- 
son  directe  de  leur  capacité  calorifique  et  de  leur  faculté  conduc- 
trice :  ainsi,  les  métaux  se  trouvent  au  premier  rang,  puis 
les  corps  gras,  et  enfin  les  liquides.  On  distingue  divers  degrés 
d«  la  brûlure,  suivant  la  profondeur  à  laquelle  elle  pénètre  ; 
Dupuytrcn  en  admet  six  :  1*'' degré ,  rubéfaction  de  la  peau  ; 
S^degré,  vésication  ouépanchementde  sérosité  sous  l'épi- 
derme;3*degré,  destruction  de  la  couche  superficielle  de  la 
peau  ;  k"  degré,  désorganisation  de  tor.tc  l'épaisseur  de  la 
peau  ;  5'"  degré ,  destruction  des  parties  mol  les  subjacentes  ;\  la 
peau;  0<=  degré,  combustion  des  os  et  de  toute  l'épaisseur 
d'un  membre. 


Chacun  sait  de  quelle  sensation  douloureuse  la  brûlure 
est  accompagnée  ;  mais  un  phénomène  bien  digne  de  re- 
marque, c'est  la  tendance  de  la  désorganisation  à  se  propager 
au  delà  des  limites  du  point  primitivement  affecté;  de  sorte 
qu'une  brûlure  légère,  au  premier  aspect,  est  souvent  sui- 
vie de  graves  désorganisations;  aussi  les  divers  remède-; 
I)réconisés  contre  la  brûlure  ont-ils  la  plupart  pour  effet 
de  s'opposer  à  l'extension  du  mal.  Une  foule  de  remèdes 
ont  été  imaginés  pour  remédier  à  un  accident  aussi  fréquent 
(jue  douloureux,  et  Vonguent  pour  la  brûlure  est  devenu 
proverbe  comme  synonyme  de  remède  de  commère.  Cc' 
pendant,  parmi  les  recettes  populaires  il  en  est  quelques- 
unes  d'assez  rationnelles;  ainsi,,  les  pulpes  de  carottes,  de 
pommes  de  te.'-re,  etc.,  ont  pour  effet  de  calmer  la  douleur 
par  le  fait  de  la  fraîcheur  qu'elles  comportent,  et  de  modérer 
l'irritation  par  le  mucilage  qu'elles  contiennent  ;  l'encre  agit 
aussi  par  sa  fraîcheur  et  par  l'astriction  que  détermine  la 
gallate  de  fer  qui  en  forme  la  base;  la  farine  absorbe  de  la 
sérosité  qui  tend  à  s'cNhaler,  et  s'oppose  à  la  formation  des 
vésicules,  etc.  C'est  à  peu  près  ainsi  qu'on  peut  intei-préter 
l'action  du  coton  cardé  et  du  duvet  du  ty7)ha,  qu'on  a 
vantés  pendant  un  temps  ;  mais  un  remède  fort  simple ,  et 
qui,  selon  nous,  mérite  le  plus  de  confiance,  c'est  l'eau  froide, 
dans  laquelle  on  maintient  la  partie  brûlée  aussi  longtemps 
qu'il  est  nécessaire  pour  prévenir  ou  modérer  la  réaction  in- 
flammatoire, c'est-à-dire  pendant  plusieurs  heures,  et  môme 
pendant  un  jour,  en  ayant  soin  de  renouveler  l'eau  à  me^sure 
qu'elle  s'échauffe.  Lorsque  la  partie  n'est  pas  susceptible  d'ôlre 
immergée,  on  emploie  des  compresses  imbibées  d'eau,  qu'on 
renouvelle  souvent.  L'eau  froide  n'a  pas  seulement  l'a- 
vantage, déjà  très-précieux,  de  calmer  immédiatement  la 
douleur,  mais  encore  elle  s'oppose  efficacement  au  dévelop- 
pement des  phénomènes  inflammatoires.  On  peut  favoriser 
son  action  résolutive  en  y  versant  une  certaine  quantité  d'cx- 
trait  de  Saturne  (sous-acétate  de  plomb  liquide). 

Lorsque  l'action  du  calorique  a  été  assez  vive  pour  dé- 
sorganiser les  tissr.s,  les  parties  mortifiées  doivent  néces- 
sairement être  éliminées  par  la  suppuration  :  alors  les  brû- 
lures rentrent  dans  la  catégorie  des  plaies  suppurantes,  et 
réclament  un  traitement  analogue.  Les  vastes  brûlures,  par 
la  douleur  et  la  réaction  qu'elles  occasionnent,  entraînent 
fréquemment  des  accidents  cérébraux  ou  abdominaux  qui 
causent  la  mort:  celle-ci  peut  encore  être  le  résultat  des 
suppurations  abondantes  fournies  par  les  tissus  endommagés. 

Les  cicatrices  qui  succèdent  aux  brûlures  ont  une  tendance 
prononcée  à  se  rétrécir ,  à  se  crisper,  de  manière  à  rappro- 
cher les  parties  circonvoisines  :  c'est  ainsi  qu'on  a  vu  des 
brûlures  du  dos  de  la  main  amener  progressivement  le  ren- 
versement des  doigts,  jusciu'à  les  mettre  en  contact  avec 
l'avant-bras.  Il  faut  donc  s'attacher  à  prévenir  ces  rétrac- 
tions en  maintenant  les  parties  dans  une  extension  perma- 
nente jusqu'à  parfaite  guérison;  si  les  doigts  sont  affectés, 
on  les  maintiendra  sur  une  palette;  si  c'est  une  ouverture 
naturelle  qui  soit  le  siège  de  la  brûlure,  on  combattra  la 
tendance  à  l'oblitération,  au  moyen  de  corps  dilatants. 
Lorsque  deux  surfaces  contiguës  ont  été  dépouillées  de  leurs 
téguments ,  il  faut  les  tenir  écartées,  au  moyen  d'un  appareil 
convenable,  afin  de  prévenir  leur  adhésion  mutuelle.  Les 
procédés  à  suivre  pour  obtenir  une  cicatrice  régulière  com- 
portent des  détails  minutieux,  dans  lesquels  nous  ne  pouvons 
entrer.  Enfin,  lorsque  la  cicatrice  s'est  opérée  d'une  manière 
vicieuse,  il  ne  reste  plus  qu'à  l'enlever  en  totalité  et  à  tra- 
vailler sur  nouveaux  frais  pour  en  obtenir  une  plus  régulifre. 
11  nous  resterait  à  émettre  quelques  considérations  sur  les 
moyens  préservatifs  de  la  brûlure;  mais  la  simple  raison  suf- 
fit pour  y  pourvoir.  Chacun  sait  ce  qu'il  convient  de  faire 
pour  éviter  et  pour  étouffer  le  feu.  L'eau  froide  que  l'on 
jette  quelipiefois  sur  des  personnes  dont  les  vêtements  sont 
en  feu  peut  call^e^  de  graves  accidenls;  il  est  plus  sage  d'é- 
teindre le  feu  en  les  enveloppant  de  draps  ou  de  couvertures. 


J 


BRULURE  —  BRUMAIRE 


rsi 


On  a  prétendu  que  les  accidents  occasionnés  par  la  f  o  u  d  r  e 
n'étaient  que  le  résultat  de  la  commotion  électrique;  mais  il 
est  avéré  que  les  atteintes  du  tonnerre  peuvent  occasionner 
(le  véritables  brûlures,  plus  ou  moins  profondes,  et  qui  ne 
difTèrent  des  autres  que  par  la  stupeur  qui  les  accompagne 
le  plus  ordinairement.  Un  préjugé  qui  existe  encore  parmi 
le  peuple ,  et  qui  fut  longtemps  partagé  par  les  chirurgiens , 
c'est  de  croire  que  les  projectiles  lancés  par  la  poudre  à  ca- 
non brûlent  les  parties  qu'ils  traversent  ;  mais  l'aspect  noi- 
râtre des  blessures  de  ce  genre  n'est  que  le  résultat  de  la 
contusion  extrême  dont  elles  sont  accompagnées. 

Il  est  un  genre  de  brûlure  qui  constitue  un  des  phéno- 
mènes les  pins  étonnants  de  la  pathologie,  phénomène  dont 
l'essence  n'est  pas  encore  bien  déterminée  :  il  est  connu 
sous  le  nom  de  combustion  spontanée,  et  nous  en 
traiterons  dans  un  article  particuUer.  D''  Forget. 

BRÛLURE  (Agriculture).  L'écorce  du  tronc  d'un 
arbre  exposé  contre  un  mur  à  toute  l'action  du  soleil  du 
midi  est  sujette  à  se  fendre,  à  s'écailler,  à  se  dessécher  ;  ce 
qui  prive  les  branches  de  la  plus  grande  partie  de  la  sève 
nécessaire  à  leur  nourriture,  et  accélère  toujours  leur  mort. 
On  appelle  cet  effet  brûlure.  Certains  arbres  fruitiers, 
tels  que  le  pécher  et  l'abricotier,  y  sont  plus  sujets  que 
d'autres.  La  ^igne,  dont  l'écorce  extérieure  se  renouvelle 
fous  les  ans ,  la  brave  impunément. 

Les  gelées  produisent  quelquefois  des  effets  analogues, 
en  formant  de  la  glace  sous  l'écorce,  glace  qui,  comme  on 
le  sait,  offre  toujours  plus  de  volume  que  l'eau  qui  lui  a 
donné  naissance. 

On  a  indiqué  un  grand  nombre  de  moyens  pour  garantir 
les  arbres  de  cet  inconvénient ,  tels  que  d'empailler  leurs 
troncs ,  de  les  envelopper  de  toile  cirée,  etc.  Tous  ces  pré- 
servatifs sont  nuisibles,  en  ce  qu'ils  privent  l'écorce  de  l'in- 
fluence d'un  air  renouvelé,  qu'ils  conservent  autour  d'elle 
une  humidité  constante,  ce  qui  l'attendrit,  la  pourrit,  etc. 
Le  seul  de  ces  moyens  qui  mérite  confiance ,  c'est  l'établis- 
.■ement  d'unabri  à  quelque  distance  du  tronc ,  abri  qu'il  est 
plus  économique  de  faire  avec  deux  planches  formant  un 
angle  droit  et  ne  se  joignant  pas  tout  à  fait,  de  manière 
que  l'air  puisse  circuler. 

On  appelle  aussi  brûlure  les  effets  de  la  chaleur  du  so- 
leil ou  des  fortes  gelées  sur  les  bourgeons  encore  tendres , 
dont  le  résultat  est  de  rendre  ceux-ci  subitement  noirs. 

Dans  quelques  pays  on  dit  que  le  froment  ou  les  autres 
céréales  sont  brûlés  quand  leurs  racines  sont  frappées  de 
mort  par  l'évaporation  de  toute  l'eau  de  la  terre  qui  les  en- 
tourait. Cette  sorte  de  brûlure  est  plus  conimune  dans  les 
terrains  sablonneux,  dans  ceux  qui  ont  peu  de  profondeur, 
dans  les  expositions  méridionales ,  qu'ailleurs  ;  il  est  des 
années  sèches  et  chaudes  où  elle  cause  de  grandes  pertes  aux 
cul'iivateurs.  Quaud  cette  brûlure  se  manifeste  au  commen- 
cement de  l'été ,  la  récolte  est  totalement  perdue ,  l'épi  se 
desséchant  complètement.  Quand  elle  vient  plus  tard ,  le 
grain  est  seulement  retrait.  Dans  tous  les  cas  la  paille  perd 
beaucoup  de  sa  qualité.  Les  moyens  d'cmpècher  cette  sorte 
de  brûlure  varient  suivant  les  circonstances  :  si  le  terrain 
n'a  pas  de  profondeur,  on  doit  ou  le  rechanger,  ou  le  cou- 
vrir de  litière,  de  mousse,  etc.,  ou  [ilauter  de  grands  arbres, 
s'il  y  a  possibilité;  ces  derniers  m.oyers,  ainsi  que  les  irri- 
gations, s'appliquent  aux  terrains  sablonneux  et  exposés  an 
midi. 

Une  autre  espèce  de  brûlure  se  remarque  souvent  sur  les 
arbres  en  espalier  comme  sur  ceux  en  plein  vent,  même 
dans  les  pépinières;  c'est  le  dessèchement  de  l'extrémité 
des  branches  pendant  les  chaleurs  de  l'été.  Elle  a  pour  cause 
la  perméabilité  ou  la  sécheresse  du  sol,  un  vent  hàlant, 
comme  le  vent  du  nord-est  dans  le  climat  de  Paris.  Dans 
le  premier  cas ,  le  manque  d'humidité  diminue  la  production 
de  la  sève,  ce  qui  affaiblit  sa  force  d'ascension ,  et  par  suite 
prive  de  ses  bienfaits  les  rameaux  les  plus  élevés.  Dans  le 


second ,  qu'on  nomme  brouissure ,  l'évaporation  considé- 
rable qui  se  fait  par  ses  rameaux ,  n'étant  plus  remplacée 
par  la  même  quantité  de  sève ,  donne  à  la  chaleur  du  soleii 
la  puissance  de  les  dessécher,  positivement  comme  l'écorce 
dans  le  cas  précité. 

Une  dernière  espèce  de  brûlure,  qu'on  appelle  quelquefois 
improprement  blanc,  est  produite  par  l'eau  des  rosées,  des 
gelées  blanches,  etc.,  sur  les  feuilles  des  arbres,  principale- 
ment des  arbres  en  espalier  placés  au  levant.  Elle  se  recon- 
naît à  des  taches  blanches,  qui  devieiment  ensuite  noires.  Le 
résultat  est  une  véritable  sphacélation  du  parenchyme ,  qui 
anéantit  son  action  vitale ,  en  ne  permettant  plus  ni  absorp- 
tion ni  transpiration.  Lorsque  ces  taches  sont  peu  nom- 
breuses ,  leur  effet  sur  l'arbre  n'est  pas  sensible  ;  mais 
lorsque  les  feuilles  en  sont  couvertes,  l'arbre  languit,  ses 
fleurs  ne  nouent  point ,  ses  fruits  tombent  avant  le  temps , 
ou  restent  petits  et  sans  saveur.  On  a  expliqué  la  désorga- 
nisation du  parenchyme  sous  les  gouttes  d'eau  ou  les  glo- 
bules de  glace,  de  différentes  manières.  Les  uns  ont  dit  : 
elles  agissent  comme  de  véritables  lentilles,  et  réfractent  les 
rayons  du  soleil  de  manière  à  produire  une  assez  forte 
chaleur  à  leur  foyer;  mais  Bénédict  Prévôt  a  prouvé,  par  des 
calculs  et  par  des  expériences,  qu'il  ne  pouvait  en  être  ainsi. 
D'autres  ont  pensé  que  le  fait  s'expliquait  par  la  présence 
de  corps  froids  s'opposaut  à  la  transpiration  en  quelques 
endroits  de  la  surface  des  feuilles,  tandis  que  cette  fonction 
se  faisait  partout  ailleurs.  D'autres ,  enfin ,  ont  vu  dans  ce 
phénomène  un  commencement  de  fermentation.  Toutes  ces 
explications  offrent  des  difficultés  lorsqu'on  les  soumet  à 
une  rigoureuse  analyse  ;  la  dernière  paraît  cependant  la  plus 
plausible.  Quoi  qu'il  en  soit,  constatons  que  cette  brùluren'a 
pas  lieu  lorsqu'on  secoue  la  rosée,  lorsqu'on  fond  la  gelée 
blanche  avec  de  l'eau  froide ,  ou  en  brûlant  du  fumier  ou  de 
la  paille  mouillée  avant  le  lever  du  soleil. 

BRU3IAIRE.  Voyez  Calendrier  républicain. 

BRUilAIRE  (Journée  du  18)  ou  du  9  novembre  1799. 
Cette  journée  mit  fin  au  gouvernement  directorial  en  France, 
et,  plaçant  le  pouvoir  dans  les  mains  du  général  Bonaparte, 
devenu  premier  consul  de  la  république,  ne  tarda  pas  aie 
rendre  le  seul  héritier  de  la  révolution. 

La  république,  jusque  là  presque  partout  victorieuse, 
venait  de  perdre  l'Allemagne  et  ce  magnifique  présent  que 
Bonaparte  avait  fait  à  la  France,  l'Italie;  elle  déplorait  les 
défaites  que  rappellent  les  noms  de  S^oAocA  et  de  Magnano, 
et  voyait  avec  effroi  la  Suisse  envahie  et  le  Var  menacé.  A 
l'intérieur,  les  partis  relevaient  la  tête,  les  royalistes  par- 
laient publiquement  du  prochain  retour  des  Bourbons ,  les 
jacobins  s'entretenaient  de  leurs  espérances,  et  le  Direc- 
toire, gouvernement  sans  force  et  sans  génie,  qui  quel- 
quefois frappait  les  restes  de  la  Montagne  et  quelquefois 
semblait  les  ménager  et  les  craindre ,  donnait  à  la  France 
le  droit  d'accuser  hautement  ses  sympathies  secrètes  pour 
le  parti  des  jacobins.  Ce  gouvernement  sans  fixité,  sans 
unité,  qui  n'offrait  de  garanties  ni  à  l'ordre  ni  à  la  paix,  qui 
n'assurait  ni  l'indépendance  ni  la  liberté  du  pays ,  com- 
mençait à  lui  peser;  néanmoins  on  le  supportait  encore  : 
on  attendait  un  homme  qui  osât  le  briser  et  se  mettre  à  sa 
place.  Cet  homme  rempoilait  alors  en  Egypte  quelques- 
unes  de  ses  plus  éclatantes  victoires  ;  Bonaparte  avait  de- 
viné juste,  en  pensant  que  s'il  portait  la  gloire  du  nom  fran- 
çais sur  ce  sol  antique  et  lointain ,  où  tant  de  gloires  avaient 
déjà  passé,  il  frapperait  vivement,  irrésistiblement,  l'imagi- 
nation nationale. 

Cependant ,  les  succès  en  Afrique  firent  bientôt  place  aux 
revers;  au  milieu  de  ces  revers  Napoléon  Bonaparte, 
un  peu  découragé  sans  doiAe,  ap;irit  par  les  dépêches  de 
ses  frères,  Lucien  et  Joseph,  membres  du  Conseil  des 
Cinq-Cents ,  les  dangers  qui  à  l'intérieur  menaçaient^  la 
France,  et  la  faiblesse  toujours  croissante  du  Directoire. 
11  eut  bientôt  pris  son  parti,  et,  confiant  à  Kléber  le  com 


782 


BRUMAIRE 


mandement  de  son  armée ,  il  s'embarqua ,  bravant  à  la  fois 
et  les  vents  qui  lui  étaient  contraires ,  et  les  vaisseaux  an- 
glais qui  couvraient  la  mer.  Le  t5  vendémiaire  il  mouillait 
triomphant  dans  le  golfe  de  Fréjus.  L'enthousiasme  qui 
éclata  partout  sur  son  passage  fut  extrême,  et  dut  bien 
l'affermir  dans  l'espoir  qu'il  caressait  déjà  :  il  partit  pour 
Paris  incognito ,  et  descendit  sans  bruit  et  sans  éclat  dans 
sa  maison  de  la  rue  Chantereine  ;  quelques  instants  après 
son  arrivée,  il  allait  au  Directoire,  et  s'entretenait  des  inté- 
rêts publics  avec  G  obier,  président  du  gouvernement. 
C'est  le  25  de  ce  mois  qu'il  fut  présenté  solennellement  au 
Directoire  en  corps  ;  là ,  rendant  compte  de  sa  présence  en 
France ,  il  dit  que  ses  victoires  d'Aboukiretde  Mont-Thabor 
lui  avaient  permis  de  confier  sans  inconvénient  son  armée 
à  un  habile  général,  et  de  voler  au  secours  de  la  patrie  ; 
qu'il  la  regardait  comme  sauvée,  et  s'en  réjouissait.  Le  Di- 
rectoire ,  sans  se  méprendre  sur  le  but  de  ce  brusque  retour, 
dissimula;  il  ménagea  le  jeune  conquérant,  parce  qu'il  le 
craignait,  et  le  président  Gohier  le  complimenta  sur  ses  vic- 
toires. 

En  arrivant  en  France,  Bonaparte  avait  essuyé  un  premier 
mécompte;  il  croyait  voir  le  territoire  envahi ,  et  il  trouvait 
le  contraire  :  M  asséna  venait  de  remporter  sa  belle  vic- 
toire de  Zurich;  les  Anglo-Russes  avaient  capitulé.  Les 
Anglais,  d'autre  part,  étaient  descendus  sur  les  côtes  de 
Hollande ,  mais  on  les  avait  repoussés  ;  nons  reprenions  en 
Italie  une  vigoureuse  offensive;  notre  influence  s'étendait 
sur  la  Suisse,  la  Hollande,  le  Piémont;  la  barrière  du  Rliin 
nous  appartenait,  et  Bernadotte  avait  fortement  réorga- 
nisé les  armées;  les  dangers  les  plus  imminents  étaient  donc 
conjurés.  Toutefois,  Bonaparte  ne  perdit  pas  courage;  car 
enfin  cette  France  que  ses  conquêtes  avaient  rendue  si 
puissante,  si  grande,  il  ne  la  retrouvait  pas  telle  qu'il  l'avait 
laissée  ;  les  magnifiques  résultats  du  traité  de  Campo-Formio, 
on  ne  les  avait  pas  reconquis ,  et  l'invasion  ,  repoussée  une 
fois,  pouvait  au  premier  jour  reparaître  plus  menaçante; 
enfin  la  France  avait  encore  besoin  de  lui.  11  employa  cinq 
semaines  à  préparer  son  coup  d'État  :  pendant  ces  cinq  se- 
maines il  interrogea  les  partis ,  calcula  leurs  forces ,  et  les 
caressa  tous  avec  une  rare  habileté  :  aux  jacobins  il  dit 
qu'il  consoliderait  leur  chère  république,  et  que  lui  seul 
pouvait  le  faire;  que  son  gouvernement,  plus  ferme  que 
celui  du  Directoire,  les  préserverait  du  retour  des  Bourbons. 
Quant  aux  royalistes ,  il  les  flatta  vaguement  de  l'espoir  de 
rencontrer  en  lui  un  nouveau  Monck  quand  l'heure  d'une 
restauration  sonnerait  et  que  la  France  se  serait  assez  ré- 
conciliée avec  les  principes  monarcliiques  et  le  nom  de  Bour- 
bon. Mais  c'est  dans  le  parti  qu'on  appelait  alors  le  parti 
des  politiques  ou  modérés  qu'il  trouva  le  plus  de  sympa- 
thie :  ce  parti-là,  c'était  la  généralité,  les  cinq  sixièmes  de 
la  France  ;  c'étaient  tous  les  hommes  tranquilles ,  amis  de 
l'ordre  et  de  la  paix ,  par  goût  ou  par  calcul ,  qui  forment  la 
majorité  sous  presque  tous  les  gouvernements,  hommes 
sans  passions  politiques,  toujours  prêts  à  faire  bon  marché 
des  principes  quand  l'horreur  de  l'anarchie  ou  de  la  guerre 
combat  en  eux  le  goût  des  théories;  cet  immense  parti 
craignait  alors  le  triomphe  des  jacobins ,  de  ces  jacobins 
infatigables ,  derrière  lesquels  il  voyait  encore  des  échafauds 
tout  prêts.  Donc,  en  cherchant  bien  autour  de  lui,  il  ne  trou- 
vait que  l'épée  de  Bonaparte ,  l'épéc  d'Arcole  et  d'Ab*»ukir, 
qui  brillât  d'un  éclat  assez  vif  pour  rallier  toutes  les  dissi- 
dences et  promettre  au  pays  assez  de  force  et  de  puissance 
pour  faire  respecter  le  pouvoir  en  le  rendant  redoutable  aux 
factions.  Il  restait  cependant  un  autre  parti,  que  Bonaparte, 
dans  son  énergique  langage,  avait  lletri  du  nom  de  faction 
des  pourris  :  celui-là  ne  valait  vraiment  pas  la  peine  qu'on 
lui  demandât  son  assentiment.  Ces  pourris,  que  Barras 
représentait  dans  le  sein  du  Directoire,  c'étaient  des  hommes 
sans  conscience,  sans  honneur,  ne  s'occupant  des  affaires 
publiqiues  que  comme  d'un  moyen  de  faire  fortune;  des 


hommes  dont  l'ignoble  cupidité  s'acconmodait  fort  bien  du 
trouble  et  du  désordre,  qui  favorisaient  leurs  malversa- 
tions, et  d'un  gouvernement  sans  force,  sans  dignité,  dont 
l'insouciance,  laissant  flotter  au  hasard  les  rênes  de  l'État, 
fermait  complaisamment  les  yeux  sur  toutes  leurs  rapines; 
il  ne  se  composait,  du  reste,  que  de  quelques  individus» 
épars.  ■ 

Comme  on  le  voit,  Bonaparte  n'avait  à  surmonter  que" 
d'assez  faibles  obstacles.  Il  s'entoura  avec  soin  ,  dès  le  pre- 
mier jour,  de  toutes  les  notabilités  de  l'époque  :  Talley- 
rand,  Regnault  de  Saint- Jean-d'Angely,  Camba- 
cérès,  Fouché,  Roger-Ducos.  Gohier  et  Moulin 
eux-mêmes,  ces  deux  patriotes  si  purs  et  si  zélés,  mais 
hommes  d'État  médiocres ,  lui  firent  assidûment  leur  cour. 
Dubois-Crancé,  ministre  de  la  guerre  et  fougueux  jaco- 
bin, venait  le  consulter  avec  respect  sur  les  affaires  de  son 
département.  Il  semblait  déjà  que  rien  ne  se  pût  faire  sans 
lui.  Les  meilleurs  généraux  de  la  république  accoururent 
aussi  se  grouper  autour  de  leur  jeune  compagnon  d'armes, 
qu'ils  semblaient  déjà  regarder  comme  leur  maître  futur  : 
Lannes,  Murât,  Berthier,  Bessières,  qui  l'avaient 
suivi  en  Egypte  et  en  étaient  revenus  avec  lui ,  attachant  leur 
fortune  à  la  sienne;  Jourdan,  Augereau,  Macdonald, 
Beurnonville,  Leclerc,  Lefebvre  lui-même  ,  malgré 
ses  sympathies  républicaines  et  ses  tendances  jacobines ,  lui 
formaient  comme  un  brillant  état-major  ;  toutes  ces  gloires 
militaires  du  futur  empire  français  semblaient  s'inscrire  et 
prendre  date  pour  un  avenir  qui  s'approchait  ;  autour  de 
Bonaparte ,  comme  autour  de  leur  centre  naturel,  on  voyait 
bourdonner  toutes  ces  ambitions  ardentes  de  soldats  par- 
venus, tous  ces  appétits  insatiables  de  gloire,  d'honneurs  et 
de  fortune,  qui  dévoraient  déjà  ces  généraux  de  la  républi- 
que ,  pour  lesquels  la  république  n'avait  pas  fait  assez.  Bo- 
naparte comptait  donc  au  nombre  de  ses  partisans  les  mi- 
litaires ,  la  plupart  des  membres  du  Conseil  des  Anciens ,  et 
puis  cette  majorité  toute  puissante  dont  l'assentiment  lui 
garantissait  la  consécration  de  son  succès,  la  majorité  du 
pays.  Que  pouvaient  contre  ces  masses  quelques  ré|)ubli- 
cains  purs ,  mais  rares  et  d'une  médiocre  capacité  ,  qui  re- 
doutaient dans  Bonaparte  le  restaurateur  à  venir  du  principe 
monarchique?  Que  pouvaient  contre  lui  quelques  jacobins 
fanatiques ,  qu'il  n'avait  pu  séduire,  et  quelques  pourris 
sans  courage ,  qu'il  avait  méprisés  ? 

Toutes  ces  chances  de  succès,  la  faiblesse  de  tous  ces 
obstacles,  n'avaient  pourtant  pas  endormi  sa  prudence; 
résolu ,  s'il  le  fallait,  à  triompher  par  la  force,  à  tout  prix, 
il  travailla  d'abord  à  arracher  la  démission  de  chacun  des 
cinq  Directeurs,  pour  se  brouiller  le  moins  possible  avec  la 
légalité.  Alors,  tout  naturellement,  à  la  demande  des  Anciens 
et  de  quelques  membres  du  conseil  des  Cinq-Cents,  il  aurait 
saisi  les  rênes  de  l'État,  sans  avoir  besoin  de  recourir  aux 
armes.  Il  obtint  ce  qu'il  voulut.de  l'abbé  S  le  y  es  et  de 
Roger-Ducos.  Sieyès  avait  vu  d'abord  avec  un  dépit  mal 
dissimulé  le  peu  de  déférence  que  Bonaparte  lui  marquait 
à  dessein  depuis  son  retour  d'Egypte  :  ce  dernier,  qui  af- 
fectait déjà  de  temps  en  temps  un  profond  mépris  pour 
ce  qu'il  nommait  les  théories,  parut  d'abord  traiter  l'or- 
gueilleux abbé  avec  une  complète  indifférence,  et  même  ne 
point  lui  parler  quand  il  le  rencontrait  dans  quelque  salon; 
il  lui  répugnait  de  «aire  des  avances  à  ce  théoricien  dc/ro' 
gué.  Cependant  l'abbé  Tallcyrand,  cet  homme  si  habile, 
qui  avait  deviné  le  génie  de  Bonaparte,  et  qui  pressentait 
qu'un  prochain  avenir  allait  ouvrir  une  scène  plus  vaste  à 
son  ambition ,  voulut  rapprocher  Sieyès  et  le  vainqueur  de 
l'Orient  (  c'est  le  nom  qu'on  donnait  à  Bonaparte  depuis  son 
retour  d'Egypte)  :  il  dit  à  ce  dernier  que  le  crédule  Sieyès 
servirait  avec  joie  ses  projets ,  dans  l'espoir  de  mettre  enfin 
au  jour  cette  faliieuse  constitution  sortie  de  son  génie ,  et 
qui  depuis  si  longtemps  dormait  en  portefeuille  en  attendant 
un  moment  favorable  ;  que,  du  reste,  après  le  succès,  il  serait 


BRUMAIRE 


783 


très-facile  de  se  débarrasser  d'un  collègue  importun  ;  il  dit 
aussi  au  ci-devant  abbé  membre  du  Directoire  que  le  mo- 
ment était  venu  où  sa  constitution  devait  être  mise  à  l'épreuve 
et  triompher  de  toutes  les  moqueries;  que  Bonaparte,  d'ail- 
leurs soldat  par  nature  et  par  goût,  bornerait  son  ambition 
à  la  direction  des  détails  purement  militaires  du  gouverne- 
ment ,  et  que  lui ,  Sieyès ,  embrassant  tout  le  reste,  l'efface- 
rait complètement  :  il  le  leur  dit ,  et  les  persuada  tous  deux. 
Quant  à  Roger-Ducos,  doublure  de  son  collègue  défroqué, 
il  n'agissait  que  sous  ses  inspirations.  Bonaparte  songea 
ensuite  à  séduire  Goliier  et  Moulin  ;  mais  il  ne  trouva  en  eux 
que  des  républicains  austères ,  incorruptibles ,  à  la  sagacité 
desquels,  malgré  la  médiocrité  de  leur  génie,  son  ambition 
n'avait  point  échappé ,  et  qui ,  loin  de  se  prêter  à  la  favoriser, 
étaient  disposés,  au  contraire,  à  la  combattre  de  leur  mieux. 
Ces  deux  directeurs,  qui  d'ailleurs  admiraient  les  talents 
militaires  du  jeune  conquérant  de  l'Italie,  l'auraient  volontiers 
mis  à  la  lôte  des  armées  de  la  république  :  ils  auraient  con- 
senti tout  au  plus  à  l'admettre  au  nombre  des  directeurs , 
mais  ils  ne  voulaient  pas  d'un  changement  de  constitution, 
de  la  substitution  violente  d'un  gouvernement  à  un  autre, 
dussent-ils  y  trouver  eux-mêmes  leur  part  toute  faite.  Quant 
à  Barras ,  qui  sentait  s'échapper  de  ses  mains  son  cinquième 
de  royauté  républicaine ,  il  eût  bien  voulu  associer  ses  inté- 
rêts à  ceux  de  Bonaparte;  mais  ce  dernier  le  méprisait,  et 
d'ailleurs  sa  maladresse,  qui  dans  l'intimité  d'un  tête-à-têfe 
laissa  percer  aux  yeux  du  jeune  général  une  ambition  ridi- 
cule et  déplacée ,  coupa  court  à  tout  arrangement. 

Si  presque  tous  les  généraux  s'étaient  groupés  autour  du 
vainqueur  de  l'Orient,  il  en  restait  quelques-uns  ne  manifes- 
tant pas  hautement  leur  répugnance  pour  la  révolution  qui 
se  préparait ,  mais  cachant  à  grand'peine  leur  dépit  sous 
leur  maladresse;  Bernadotte  surtout,  qui  affectait  alors  des 
sentiments  républicains ,  qu'il  se  chargea  plus  tard  de  dé- 
mentir en  montant  sur  un  trône,  refusa  positivement  d'abord 
de  s'atteler  au  char  de  Bonaparte.  On  dit  même  que  le  18  bru- 
maire il  offrit  à  Gohier  et  à  Moulin  de  repousser  la  force 
par  la  force ,  et  de  combattre  le  coup  d'État  ;  mais  il  de- 
mandait qu'un  ordre  signé  par  la  majorité  du  Directoire 
légitimât  au  moins  son  intervention  armée  ,  et  lui  donnât  un 
droit  en  lui  imposant  un  devoir.  Gohier  et  Moulin  y  consenti- 
rent, dit-on  ;  mais  le  timide  Barras ,  redoutant  un  revers  et 
les  ressentiments  de  Bonaparte,  paralysa  par  son  refus  le 
bon  vouloir  de  Bernadotte.  Jouulan  et  Augereau,  plus  sin- 
cères dans  leur  républicanisme ,  mais  moins  redoutables  et 
bien  moins  résolus,  ne  dissimulaient  pas  mieux  leurs  sym- 
pathies pour  le  gouvernement  usé  que  Bonaparte  allait  faire 
tomber  pour  en  ramasser  les  débris.  Mais  ce  qui  surprit 
tout  le  monde,  ce  fut  de  voir  Moreau,  ce  républicain  qui 
conspira  plus  tard  contre  le  premier  consul ,  se  laisser  en- 
traîner par  cette  puissance  de  séduction  dont  Bonaparte  se 
servit  si  souvent  pour  charmer  jusqu'à  ses  ennemis  et 
prêter  son  concours  au  coup  d'État  qui  se  préparait. 

Le  15  brumaire,  trois  jours  seulement  avant  l'explosion, 
plusieurs  membres  des  deux  Conseils  donnèrent  à  Bonaparte, 
dans  l'église  Saint-Sulpice,  un  banquet  par  souscription.  Ce 
fut  au  sortir  de  ce  banquet ,  où  il  ne  fit  que  paraître  peu 
d'instants,  et  où  sa  froideur  et  son  silence  calculé  surprirent 
tout  le  monde,  qu'il  se  rendit  immédiatement  chez  Sieyès, 
pour  arrêter  avec  lui  leurs  plans  définitifs  :  ils  convinrent 
qu'ils  suspendraient  les  Conseils  pendant  trois  mois  ;  que  dans 
cet  intervalle  les  trois  consuls  (  Bonaparte,  Sieyès  et  Roger- 
Ducos  ) ,  s'investissant  eux-mêmes  des  pouvoirs  extraordi- 
naires réclamés  par  les  circonstances ,  feraient  une  constitu- 
tion nouvelle,  après  quoi  le  gouvernement  rentrerait  dans 
l'ordre  régulier  nouvellement  tracé.  Voici  les  moyens  d'exé- 
cution dont  ils  convinrent  également  :  le  Conseil  des  Anciens 
supposerait  un  complot  de  jacobins  contre  la  représentation 
nationale,  et  transférerait  à  Saint-Cloud,  sous  ce  prétexte,  le 
Corps  législatif;  Bonaparte  serait  chargé  par  le  décret  d'eu 


faire  protéger  l'exécution  par  la  force  armée.  La  constitution 
armait  bien  le  Conseil  des  Anciens  du  droit  de  transférer, 
dans  certains  cas,  le  Corps  législatif,  m.ais  elle  lui  refusait 
celui  de  faire  intervenir  la  force  des  armes  dans  cette  trans- 
lation :  ainsi,  si  la  première  moitié  du  décret  était  légale, 
la  seconde  ne  l'était  pas.  Sieyès  et  Bonaparte  pensèrent  qu'à 
Saint-Cloud  un  appareil  militaire  contiendrait  plus  aisément 
la  résistajice  des  répubhcains  du  Conseil  des  Cinq  Cents  ; 
qu'il  serait  là  moins  difficile  d'en  obtenir  ou  de  leur  arracher, 
s'il  le  fallait,  le  décret  constitutif  du  Consulat,  une  fois  que 
Sieyès  et  Roger-Ducos  auraient  donné  leur  démission  de 
directeurs ,  et  entraîné  par  leur  exemple  celle  de  leurs  col- 
lègues, moins  dociles.  Cependant  Dubois-Crancé,  instruit  de 
cette  conspiration  si  menaçante  pour  le  Directoire ,  voulut 
en  informer  Gohier  et  Moulin,  qui,  malgré  les  défiances  que 
leur  inspirait  l'ambition  de  Bonaparte ,  refusèrent  de  croire 
qu'il  dût  si  tôt  les  prendre  corps  à  corps ,  et  s'endormuent 
dans  leur  impi-udente  sécurité. 

Cependant  Bonaparte  prenait  ses  mesures  :  il  fit  dire  le  17 
aux  divers  officiers  généraux  qui  d'ordinaire  se  rassem- 
blaient chez  lui  pour  lui  faii*e  leur  cour,  qu'il  les  recevrait 
le  18  au  matin  ;  Moreau  ne  fut  pas  oublié;  il  annonça,  en 
outre,  à  quelques  colonels  (entre  autres  à  Sébastiani), 
qui  tous  avaient  donné  des  gages  d'un  dévouement  complet 
à  sa  fortune,  que  le  môme  jour  18  il  passerait  leurs  régiments 
en  revue.  Au  Conseil  des  Anciens  la  proposition  fut  faite  ; 
on  omit  à  dessein  d'envoyer  des  lettres  de  convocation  aux 
membres  dont  on  se  méfiait  :  elle  fut  adoptée,  et  Cornet, 
président  de  la  commission  des  inspecteurs,  fut  chargé  d'ap- 
porter à  Bonaparte  le  décret  qui  lui  attribuait  le  commande- 
ment des  troupes  cantonnées  à  Paris.  Alors  ce  dernier  ha- 
rangua rapidement  les  généraux  et  les  officiers  qui  se  pres- 
saient dans  son  antichambre  :  pour  s'accommoder  aux 
exigences  du  temps ,  il  leur  parla  patrie  et  liberté ,  et  sortit 
accompagné  de  cette  brillante  escorte,  de  quelques  régiments 
sous  les  armes,  et  d'une  foule  de  curieux  ou  de  militaires, 
qui  inondaient  les  rues  Chantereine  et  du  Mont-Blanc.  11 
courut  au  Conseil  des  Anciens  :  là  il  s'écria  :  «  Citoyens  re- 
présentants, la  république  allait  périr,  votre  décret  vient  de 
la  sauver.  »  Son  discours  produisit  sur  l'assemblée  une  vive 
impression.  Cependant  tout  Paris,  instruit  de  ces  événe- 
ments ,  en  attendait  l'issue  avec  anxiété  ;  les  Cinq-Cents , 
étonnés,  s'étaient  rendus  à  la  salle  de  leurs  séances;  là,  Lu- 
cien ,  le  décret  de  translation  à  la  main ,  leur  avait  enjoint 
de  se  retirer  ;  les  plus  fougueux  avaient  bien  protesté  contre 
ce  décret  imprévu ,  mais  force  leur  fut  d'obéir  à  un  acte  ré- 
gulier et  légal,  émané  d'un  pouvoir  compétent.  Bonaparte, 
dont  le  coup  d'œil  pénétrant  avait  déjà  pris  la  mesure  des 
hommes  qui  l'entouraient ,  chargea  l'intrépide  Murât  d'occu- 
per Saint-Cloud  à  la  tête  de  sa  cavalerie  ;  quant  à  Moreau , 
il  accepta  une  mission  bien  peu  digne  de  lui  :  il  fut  chargé  de 
garder  les  directeurs  à  la  porte  du  Luxembourg,  avec  un 
millier  de  soldats.  Aussi,  le  directeur  Moulin,  auquel  il  eut  à 
signifier  les  ordres  qu'il  avait  reçus  de  Bonaparte,  le  consigna 
avec  mépris  à  l'antichambre ,  en  lui  disant  que  c'était  là  la 
place  qui  lui  convenait.  Fouché  rendit  aussi  un  grand  service 
en  suspendant  les  douze  municipalités  de  Paris,  redoutables 
par  l'esprit  de  jacobinisme  qui  les  animait  presque  toutes. 
Sieyès  et  Roger-Ducos  avaient  donné  leur  démission;  et  le 
pusillanime  Barras  n'avait  pas  osé  refuser  la  sienne  à  l'inter- 
vention de  Talleyrand. 

Mais  le  lendemain  la  face  des  affaires  changea  tout  à 
coup,  et  la  fortune  sembla  abandonner  un  instant  Bonaparte  : 
les  membres  du  Conseil  des  Cinq-Cents,  seul  asile  où  le  ré- 
publicanisme à  celte  époque  se  fût  réfugié,  ébranlèrent  ceux 
d'entre  les  Anciens  qui  n'avaient  pas  reçu  de  lettres  de  con- 
vocation. Augereau  et  Jourdan  attendaient  à  Saint-Cloud 
qu'une  décision  législative  leur  permît  de  se  prononcer 
contre  le  coup  d'État.  Au  Conseil  des  Cinq-Cents,  Gaudin 
avait  plis  la  parole  en  faveur  de  Bonaparte ,  mais  inutile- 


784 


BRUMAIRE  —  BRUME 


ment;  des  cris  :  A  bas  le  dictateur  1  vive  la  constitution 
de  l'an  III'.  étouffèrent  sa  voix.  La  Constitution  ou  la 
mort',  s'écria  l'impétueux  Delbrcl;  un  grand  nombre  de 
voix  répondirent  à  ce  cri  ;  on  prêta  serment  à  la  constitu- 
tion de  l'an  III ,  et  l'enthousiasme  avec  lequel  on  le  prêta 
rappela  presque  le  fameux  serment  du  jeu  de  paume  : 
<;'est  alors  qu'Augereau,  croyant  le  coup  d'État  défmitivement 
manqué,  dit  en  raillant  à  Bonaparte,  que  ses  affaires  étaient 
désespérées  :  «  Elles  allaient  plus  mal  à  Aréole,  répon- 
dit Napoléon;  et  en  effet  il  se  rendit  immédiatement  au 
Conseil  des  Anciens,  y  ranima  le  dévouement  refroidi  des 
membres  favorables,  paralysa  par  ses  protestations  de  répu- 
blicanisme la  résistance  des  membres  républicains,  et,  quel- 
«pies  instants  après  il  parut  au  Conseil  des  Cinq-Cents ,  à  la 
tête  de  quelques  grenadiers  ;  des  cris  menaçants  retentirent 
à  sa  vue.  Le  tumulte  fut  tel,  qu'il  le  déconcerta  lui-même  ; 
il  prononça,  ou  plutôt  il  balbutia  un  discours  emphatique  et 
froid  qui  n'émut  personne.  C'est  alors  qu'Aréna,  député 
corse,  le  secoua,  dit-on,  par  le  collet  de  son  habit,  en  le 
menaçant  de  l'assassiner  ;  mais  un  grenadier,  qui  ne  le  quit- 
tait pas,  l'arracha  du  milieu  de  celte  foule  orageuse,  irritée. 
Les  républicains  des  Cinq-Cents  demandaient  ardemment  sa 
mise  hors  la  loi;  mais  Lucien,  qui  présidait  le  conseil, 
refusa  obstinément  de  la  mettre  aux  voix.  En  vain  voulut- 
on  l'y  contraindre  :  «  Misérables,  s'écria-t-il,  moi!  mettre 
hors  la  loi  mon  propre  frère  !  »  Alors ,  Bonaparte  qui  écou- 
tait dans  le  jardin  de  Saint-Cloud,  et  auquel  pas  un  mot,  pas 
une  menace,  pas  un  cri  poussé  dans  cette  lutte,  n'échappait, 
harangua  ses  troupes  lui-mê.rne;  Murât  aussi  harangua  sa 
cavalerie  :  «  Ils  sont  Là  cinq  cents  avocats,  dit-il  à  ses  sol- 
dats ,  qui  voudraient  nous  priver  de  notre  général  !  Soldats, 
pourriez-vous  le  soulïrir?  —  Non  !  non  !  s'écrièrcnt-ils  tous;  » 
et  c'est  alors  que  les  habitants  du  village  assistèrent  à  un 
douloureux  spectacle  :  l'assemblée  envahie  par  les  baïon- 
nettes ,  qui  arrivaient  à  temps  au  secours  de  Lucien  menacé. 
Les  députés  furent  réduits  à  s'élancer  par  les  fenêtres  dans 
les  jardins  de  Saint-Cloud,  pour  échapper  à  la  pointe  des 
baïonnettes  dirigées  contre  leurs  poitrines,  et  à  fuir  çà  et 
là,  pêle-mêle,  encore  revêtus  de  leurs  toges. 

On  voit  parle  récit  qui  précède  que  Bonaparte,  dans  ce 
premier  succès ,  fut  merveilleusement  servi  par  la  fortune; 
si  les  cinq  trônes  populaires  n'eussent  pas  été  envahis  par 
la  médiocrité  ou  la  faiblesse ,  si  le  Directoire  eût  compté  un 
seul  homme  d'énergie  et  de  talent,  le  18  brumaiie  n'eût 
pas  eu  lieu  peut-être.  Si  Barras  se  lût  rallié  à  ses  collègues 
Gohier  et  Moulin;  si,  bravant  Bonaparte,  ils  eussent  in- 
vesti Bernadotte  des  pouvoirs  extraordinaires  qu'il  récla- 
mait, peut-on  savoir  qui  aurait  triomphé  dans  cette  lutte? 
Enfin  si  Lucien,  intimidé,  eût  laissé  voter  la  mise  hors  la 
loi  de  son  frère,  ou  si  l'on  eût  jeté  à  sa  place,  sur  le  fauteuil 
du  président,  un  membre  plus  républicain,  qui  eût  pu  ré- 
pondre que  ces  soldats,  ces  généraux  eux-mêmes ,  groupés 
derrière  Bonaparte,  ne  l'eussent  pas  abandonné  ?  Cet  immense 
ascendant  qu'il  prit  sur  eux  plus  tard  ne  faisait  que  com- 
mencer, et  n'avait  pas  encore  subi  de  grandes  épreiives  :  ne 
comptait-on  pas ,  d'ailleurs ,  à  cette  époque  des  généraux 
qui,  eux  aussi,  avaient  été  l'idole  de  leurs  soldats ,  et  que 
leurs  soldats  avaient  pourtant  laissé  proscrire ,  et  mourir 
sur  les  éciiafaudsde  la  Convention  ?  Disons  cependant,  pour 
être  justes  et  vrais ,  que  la  révolution  du  18  brumah'e  satisfit 
à  une  grande  nécessité  ;  que  la  France  éprouvait  alors  le  be- 
soin d'un  gouvernement  jeune,  fort  au  dehors  comme  au 
dedans,  à  la  place  de  ce  gouvernement  décrépit  du  Directoire, 
qui  végéta  si  misérablement  jusqu'au  jour  de  sa  chute.  La 
France  craignait  les  jacobins;  elle  les  repoussait,  elle  les 
distinguait  à  peine  des  républicains  purs  ;  le  Directoire ,  au 
contraire,  ménageait  les  jacobins  ou  sympathisait  avec  eux  : 
il  fallait  donc  quelqu'un  qui  délivrât  la  France  de  ses  iin- 
poiluncs  terreurs.  Masséiia,  parla  victoire  de  Zurich, 
venait  de  sauver  d'une  invasion  imuiiuentc  notre  territoiie 


en  péril  ;  mais  des  dangers  semblables  ne  pouvaient-ils  pas 
nous  menacer  encore?  Il  fallait  dès  lors  confier  au  plus  ha- 
bile général  le  soin  de  défendre  la  France.  Ce  coup  d'État 
fut  donc  essentiellement  populaire  :  si  la  constitution  le  con- 
damnait, la  raison  nationale  donnait  à  Bonaparte  un  Mil 
d'impunité.  Du  reste ,  à  cette  occasion  pas  une  goutte  de 
sang  ne  fut  versée  ;  mais  cinquante-cinq  députés  furent  ex- 
clus, et  un  décret  de  déportation  fut  lancé  contre  cinquante- 
neuf  des  principaux  meneurs  du  parti  républicain.  Trois  ans 
après  Bonaparte  mettait  la  couronne  impériale  sur  sa  tOte. 

A.  Guy  D'Acdr. 

BÏIUMALES,  fêtes  instituées  par  Romulus  et  abolies 
par  le  sixième  concile,  qui  avaient  été  ainsi  appelées  de  Bro- 
mius,  surnom  de  Bacchus,  suivant  les  uns,  en  l'honneur 
duquel  on  les  célébrait;  selon  d'autres,  de  bruma,  hiver. 
Elles  avaient  lieu  en  effet  dans  cette  saison,  du  24  novembre 
au  23  décembre.  Quelques  a^uteurs  prétendent  cependant 
qu'elles  se  célébraient  à  deux  époques  différentes  de  l'année, 
le  18  lévrier  et  le  15  août. 

BltUME.  Les  marins  nommentainsi  le  brouillard.  Il 
faut  un  certain  abaissement  dans  la  température  de  l'air  en- 
vironnant pour  que  les  molécules  aqueuses  puissent  ainsi  se 
rapprocher  ;  aussi  voit-on  rarement  des  brumes  dans  les  ré- 
gions tropicales,  tandis  qu'elles  sont  presque  continuelles 
dans  les  mers  polaires.  Les  brumes  sont  aussi  plus  fré- 
quentes à  la  mer  que  les  brouillards  ne  le  sont  sur  terre  ; 
car,  l'evaporation  de  l'eau  s'opérant  sans  cesse ,  l'atmosphère 
qui  repose  sur  la  surface  de  la  mer  se  remplit  de  vapeurs 
qui  deviennent  visibles  aussitôt  qu'un  changement  dans  la 
température  en  rapproche  suffisamment  les  parties. 

Il  est  facile  de  comprendre  à  quels  dangers  les  brumes 
exposent  les  marins ,  surtout  lorsqu'ils  sont  près  des  côtes 
ou  qu'ils  naviguent  en  escadre.  D'abord,  comme  les  calculs 
de  latitude  et  de  longitude  ne  peuvent  se  faire  qu'à  l'aide  de 
l'observation  des  astres ,  les  brumes ,  en  privant  de  la  vue  du 
soleil  et  des  étoiles,  ne  permettent  pas  de  déterminer  la  po- 
sition du  navire  par  des  moyens  astronomiques  ;  en  second 
lieu,  les  brumes  sont  souvent  si  épaisses,  qu'il  est  impossible 
de  distinguer  les  objets  à  soixante  pas  devant  soi  ;  dans  ce  cas 
on  doit  prendre  beaucoup  de  précautions  en  approchant  des 
côtes  ;  il  faut  se  maintenir  sous  petites  voiles  et  sonder  fré- 
quemment :  les  diverses  profondeurs  de  l'eau  servant  alors  à 
fixer  la  route  du  navire.  Si  l'on  navigue  en  escadre,  on  se  fait 
des  signaux  convenus,  soit  en  battant  le  tambour,  soit  en 
tirant  des  coups  de  canon,  ou  au  moyen  de  quelques  dé- 
charges de  mousqueterie  ;  autrement  ou  courrait  risque 
de  s'aborder  les  uns  les  autres.  La  navigation  sur  le  banc  de 
Terre-Neuve  offre  de  grands  dangers  à  cause  des  brumes 
épaisses  qui  enveloppent  presque  perpétuelleoient  ces  pa- 
rages ;  mais  elle  présente  plus  de  périls  encore  dans  les  mers 
du  Nord,  où,  au  milieu  des  ténèbres  occasionnées  par  la 
bmme,  on  est  à  chaque  instant  exposé  à  se  briser  contre  des 
îles  de  glace.  Ces  énormes  glaçons,  détachés  de  la  croûte 
qui  recouvre  les  parties  polaùes  du  globe,  ne  peuvent  être 
aperçus  que  de  près  par  une  espèce  de  lumière  phosphores- 
cente qui  les  entoure  et  en  dessine  vaguement  les  formes. 
Les  brumes  sont  fréquentes  dans  la  mer  Noire  pendant  l'hi- 
ver, et  elles  y  sont  d'autant  plus  redoutables,  qu'elles  SMit 
ordinairement  accompagnées  de  coups  de  vent  violents ,  et 
que  les  courants  qui  régnent  dans  cette  mer  ne  permettent  sou- 
vent de  fixer  sa  position  sur  la  carte  que  par  les  relèvements 
des  côtes. 

En  temps  de  guerre,  les  brumes  présentent  encore  d'au- 
tres dangers  aux  marins.  Avant  d'engager  le  combat  avec 
une  (lotte  ennemie ,  on  doit  connaître  sa  force  et  son  ordre 
de  bataille,  et  quand  le  temps  est  brumeux  on  est  exposé  à 
faire  de  grandes  erreurs  de  compte.  C'est  probablement  à 
la  brume  épaisse  qui  couvrait  alors  la  mer  qu'il  faut  attri- 
buer la  <léfaite  de  Tour  viMe  par  les  Anglais,  au  combat 
de  L  a  H  0  s  u  e.  Tourville  ne  put  compter  le  nombre  des  vais- 


BRUME  —  BRUN 


78.5 


seaux  ennemis  ;  il  vira  sur  leur  flotte,  alors  réunie  tout  en- 
tière et  rangée  en  bataille,  croyant  que  ce  n'en  était  qu'une 
partie  et  qu'il  en  aurait  bon  marché;  mais  quand  il  longea 
la  ligne  ennemie,  le  ciel  s'éclaircit  tout  à  coup,  et  il  put 
compter  un  nombre  de  vaisseaux  supérieur  à  celui  de  sa 
flotte.  Alors  il  n'était  plus  temps  de  faire  retraite  pour  éviter 
l'engagement;  la  fuite  eût  été  plus  dangereuse  encore  que 
le  combat....  11  aborda  l'ennemi;  mais  la  fortune  ne  se- 
conda pas  sa  valeur,  et  en  quelques  heures  la  belle  marine 
de  Louis  XIV  sembla  anéantie. 

Le  brouillard  ou  la  brume ,  qu'il  soit  suspendu  dans  l'at- 
mosphère en  vésicules  liquides,  ou  qu'il  soit  condensé  en 
légers  flocons  de  glace,  produit,  comme  l'on  sait,  des  effets 
de  réfraction  très-remarquables  :  tout  le  monde  a  observé  les 
grands  cercles  de  lumière  frêle  et  douteuse  qui  environnent 
souvent  le  disque  du  soleil ,  et  surtout  celui  de  la  lune.  La 
lueur  du  halo  est  un  effet  de  réfraction  à  travers  une  at- 
mosphère brumeuse ,  et  quelquefois,  par  l'effet  de  la  brume, 
le  soleil  paraît  blanc,  bleu  ou  rosé.  C'est  ainsi  que  nous 
l'avons  vu,  dans  la  Floride  occidentale,  présenter  pendant 
huit  jours  un  disque  bleu,  mais  pâle,  dont  on  distinguait 
les  taches  à  l'œil  nu. 

On  avait  d'abord  attribué  à  une  brume  épaisse  le  phé- 
nomène connu  sous  le  nom  de  ténèbres  du  Canada  :  il  con- 
siste, comme  on  sait,  en  une  profonde  obscurité,  qui  survient 
tout  à  coup  au  milieu  du  jour;  mais  il  est  probable  que 
dans  les  circonstances  où  on  l'a  observé  l'atmosphère  était 
remplie  de  cendres  lancées  par  l'éruption  d'un  volcan  in- 
connu, ou  peut-Ctrc  de  tourbillons  de  fumée  dus  à  l'incendie 
de  quelque  grande  forêt.  Le  fond  du  ciel,  dans  les  intervalles 
des  nuages,  paraissait  noir  comme  de  l'encre,  et  le  soleil  rouge 
comme  du  sang.  Théogène  Page,  contre-amiral. 

BRUMOY  (Piekre),  savant  jésuite  ,  naquit  à  Rouen, 
en  1688,  et  mourut  à  Paris,  le  16  avril  1742.  Il  entra  en- 
core bien  jeune  (en  1704)  dans  la  société  de  Jésus,  et  fit 
l'éducation  du  prince  de  Talmont.  Il  fut  un  des  rédacteurs  du 
Journal  de  Trévoux.  Il  prit  part  aux  travaux  <le  plusieurs 
de  ses  confrères  :  ainsi ,  il  termina  V Histoire  des  Révolu- 
tions d'' Espagne,  que  le  P.  d'Orléans  avait  laissée  inachevée  ; 
et  chargé  de  continuer  l'Histoire  de  l'Église  gallicane  des 
PP.  Longueval  et  Fontenay ,  il  en  rédigea  le  onzième  et  le 
douzième  volume.  Mais  le  plus  connu  de  ses  ouvrages  est  le 
Théâtre  des  Grecs,  dont  la  première  édition  parut  en  1730, 
en  3  volumes  in-4°.  Le  P.  Brumoy  ne  manquait  ni  d'ins- 
truction ni  d'esprit  :  on  en  trouve  la  preuve  dans  ce  livre  ; 
mais  il  n'avait  pas  plus  que  son  siècle  la  véritable  intelli- 
gence de  l'antiquité  ;  et  c'est  là  surtout  ce  dont  on  regrette 
l'absence  dans  son  Théâtre  des  Grecs.  Comme  tous  ses 
contemporains ,  il  est  soumis  à  ce  préjugé  qui  transportait 
dans  les  temps  anciens  les  idées  ,  les  mœurs  et  les  usages 
de  la  cour  de  Louis  XIV  et  de  Louis  XV.  Ce  point  de  vue 
a  trop  souvent  faussé  son  jugement,  et  il  en  résulte  aussi 
des  infidélités  graves  dans  sa  manière  de  traduire. 

L'auteur  a  mis  en  tête  de  l'ouvrage  trois  discours ,  l'un 
sur  le  théâtre  grec,  le  second  sur  l'origine  de  la  tragédie,  et 
le  troisième  sur  le  parallèle  du  théâtre  ancien  et  du 
théâtre  moderne.  Les  progrès  qu'ont  faits  depuis  un  siècle 
les  études  philologiques  et  la  connaissance  de  l'antiquité 
nous  ont  mis  à  même  de  reconnaître  un  assez  grand  nombre 
d'erreurs  dans  ce  travail  du  P.  Brumoy  ;  et  c'est  surtout 
dans  ses  appréciations  des  anciens  comparés  aux  modernes 
qu'on  peut  surprendre  cette  espèce  d'illusion  d'optique  dont 
nous  parlions  plus  haut ,  et  qui  lui  fait  habiller  Œdipe,  Jo- 
ca^te,  Electre,  à  la  mode  de  Versailles.  Cet  ouvrage,  qui  dans 
son  temps  a  pu  mériter  un  certain  succès,  a  donc  vieilli  pour 
nous.  D'ailleurs ,  le  P.  Brumoy  avait  suivi ,  pour  nous  faire 
connaître  la  tragédie  et  la  comédie  grecques,  un  système 
qui  ne  nous  sullit  plus  :  il  n'avait  traduit  en  entier  que  sept 
tragédies,  se  bornant  à  donner  des  autres  pièces  de  simples 
extraits  ou  des  analyses,  qui  en  défigurent  complètement 

DICT.    DE   LA   CONVERS.   —  T.    UI. 


la  physionomie.  On  avait  cherché  à  remédier  à  cet  incon- 
vénient dans  les  éditions  postérieures  de  1785-1789,  en  y 
joignant  les  traductions  d'Eschyle  par  Laporte-Dulheil ,  de 
Sophocle  par  Rochefort,  d'Euripide  jjar  Prévost,  d'Aris- 
tophane par  Dupnis,  etc.  Aussi  le  nombre  des  volumes,  qui 
dans  cette  édition  s'élevait  déjà  à  treize,  a-t-il  été  porté  à 
seize  dans  une  réimpression  qui  fut  donnée  en  1820-1825  , 
sous  le  nom  de  M.  Raoul  Rochette.  Aktaud. 

BRUN.  On  désigne  généralement  par  ce  mot  une  couleur 
tirant  sur  le  noir,  mais  moins  prononcée.  Quand  on  applique 
cette  désignation  aux  personnes ,  elle  s'entend  alors  non- 
seulement  de  la  teinte  des  cheveux ,  mais  encore  de  celle 
delà  peau,  qui  est  d'ordinaire  moins  blanche  chez  les  bru7is 
et  chez  les  brimes  que  chez  les  personnes  blondes.  On  dit 
de  celle  dont  la  couleur  des  cheveux  tient  le  milieu  entre  la 
blond  et  le  noir  foncé ,  qu'elle  est  d'un  brun  clair  ou  châ- 
tain. Cette  couleur  chez  les  chevaux  s'appelle  bai  brun.  Les 
personnes  brunes  passent  pour  avoir  plus  d'activité  biotique 
que  les  personnes  blondes  (  voyez  Biologie). 

Apphqué  aux  choses,  le  mot  brtin  est  employé  comme 
synonyme  de  sombre,  obscur;  o»  dit  que  le  temps  est  brun, 
pour  dire  qu'il  est  obscur,  et  cette  qualification  a  même  fait 
créer  exprès  le  substantif  brune,  par  lequel  on  indique  le 
temps  de  la  journée  qui  précède  et  annonce  la  nuit. 

Le  brun  rouge  est  une  espèce  d'oxyde  de  fer  naturel- 
lement jaune,  auquel  une  calcination  lente  a  donné  une 
couleur  rouge  obscure  très-belle. 

Brunâtre  et  brunette  sont  des  diminutifs  de  brun  :  le 
premier  s'applique  aux  choses  dont  la  couleur  approche  du 
brun;  le  second  se  dit  poétiquement  et  tendrement  des 
femmes  dont  les  cheveux  sont  noirs. 

BRUN  (Jouann-Nokdhall),  célèbre  poète  et  orateur 
sacré  non'égien,  naquit  le  21  mars  1746,  dans  une  petite 
ferme  aux  environs  de  Drontlieim,  en  Norvège,  et  y  reçut  sous 
l'œil  vigilant  de  ses  parents  l'éducation  agreste  et  religieuse  «lu 
paysan  norvégien,  ne  travaillant  pas  seulement  aux  champu, 
comme  tous  ses  compagnons  d'enfance,  mais  acquérant 
en  outre  une  habileté  extraordinaire  dans  l'exercice  du  i)atin, 
qui  est  si  familier  aux  montagnards  de  la  Norvège.  On  comp- 
tait faire  de  lui  un  soldat ,  et,  suivant  l'usage  de  l'époque , 
on  avait  obtenu,  dès  qu'il  avait  eu  atteint  l'âge  de  douze  ans, 
sou  inscription  sur  les  contrôles  d'un  régiment  d'infanterie 
en  qualité  de  sous-lieutenant.  Mais  plus  tard,  un  ami  de  la 
famille ,  ayant  remarqué  combien  sous  ses  habitudes  brus- 
ques et  rustiques  se  cachait  de  finesse  d'esprit  et  de  dispo- 
sitions pour  les  belles-lettres ,  obtint  de  ses  parents  qu'on 
lui  fit  suivre  des  études  classiques  et  qu'on  le  destinât  à 
l'Église. 

Le  jeune  Brun  fit  en  conséquence  ses  premières  études  à 
l'école  de  la  cathédrale  de  Drontheim,  et  y  obtint  de  grands 
succès.  En  1763  il  vint  suivre  les  cours  de  l'université  de 
Copenhague,  où  il  fut  reçu  docteur  en  théologie  en  1767. 
En  1772  nommé  ministre  de  sa  paroisse  natale,  il  revint 
s'y  fixer,  et  fut  nommé  en  1793  grand  prévôt,  puis 
en  1804  évêquc  de  Bergen.  Comme  orateur  évangélique, 
comme  prêtre  sage,  éclairé,  tolérant.  Brun  a  laissé  une  ré- 
putation justement  méritée;  il  s'est  en  même  temps  fait 
un  nom  durable  comme  poète  et  comme  écrivain.  Son  pre- 
mier poème,  La  Fête  de  la  Nature,  lui  valut  d'illustres  et 
puissantes  amitiés.  Il  publia  plus  tard  les  tragédies  de  Za- 
rine,  et  d'Einar  Tambeskjœlvcr,  compositions  non  moins 
originales  que  hardies,  dans  lesquelh^s  l'éclat  du  style  le 
dispute  à  la  protondeur  de  la  pensée.  En  1791  il  fit  paraître 
l'opéra  Les  Accès  d'Hendridet  de  Sigrid,  puis  successive- 
ment son  Recueil  de  Poèmes  (le  plus  estimé  de  ses  ou- 
vrages), La  République  sur  Vile,  comédie,  et  Jonathan, 
poème.  Toutes  les  i)roductions  de  Brun  sont  restées  clas- 
siques en  Norvège.  Mais  on  y  a  surtout  conservé  le  souvenir 
de  ses  deux  chants  nationaux  For  Aorgc ,  kocmpers  fx- 
dreland  (  Pour  la  Norvège,  la  patrie  des  braves),  et  Bucr 


786  BRUN  - 

jeg  paa  det  hœle  Fjeld  (  Quand  je  suis  sur  la  haute  mon- 
tagne), composés  l'un  et  l'autre  à  un  moment  où  le  feu  sacré 
dans  toute  son  énergie  animait  le  poëtc;  devenus  tout  aus- 
sitôt populaires ,  ils  retentiront  longtemps  encore  sur  nos 
montagnes.  Aauiolm  (d'Arendal). 

KUUN  (FRÉDÉnicKE-SopniE-CimisTiANE),  née  le  3  juin 
1705,  dans  le  duché  de  Gotha,  suivit,  quelques  semaines 
après  sa  naissance,  son  père,  Balthazar  Miinter ,  poëte 
lyri(iue  de  quelque  mérite,  appelé  à  remplir  les  fonctions 
de  prédicateur  ailemaml  à  Copenhague.  Une  éducation  forte 
développa  rapidement  les  heureuses  dispositions  qu'elle 
tenait  de  la  nature,  et  de  bonne  heure  elle  manifesta  un 
talent  réel  pour  la  poésie.  Mariée,  à  l'âge  de  dix-huit  ans ,  à 
M.  Brun  ,  liomme  riche,  et,  de  plus,  haut  fonctionnaire  du 
gouvernement  danois ,  elle  accompagna  son  mari,  d'abord  à 
rétcrsbourg ,  puis  à  Hambourg ,  et,  après  y  avoir  passé 
quelques  mois  vivant  dans  la  société  intime  de  Klopstock, 
s'en  revint  à  Copenhague.  Lors  du  rigouteux  hiver  de  1788 
à  1789,  elle  perdit  subitement  l'ouïe,  dans  une  nuit,  par 
l'effet  du  froid  excessif,  et  ne  put  jamais  depuis  recouvrer 
cette  faculté.  Jeune  et  spirituelle ,  elle  se  consola  pourtant 
bientôt  de  cette  triste  infirmité  en  cultivant  les  sciences  et 
la  poésie.  En  1791  elle  entreprit,  avec  son  mari,  au  midi  de 
l'Europe,  un  voyage  qui  lui  fournit  l'occasion  de  faire  à 
Lyon  la  connaissance  de  Matthison ,  et  à  Genève  celle  de 
Bonstetten,  voyage  dont  elle  a  décrit  les  impressions 
dans  les  deux  premiers  volumes  de  ses  œuvres  en  prose 
(Zurich,  4  vol.,  1799-1801);  les  deux  autres  sont  consacrés 
au  récit  d'un  second  voyage  qu'elle  fit  en  Italie  avec  la 
princesse  de  Dessau  et  avec  Matthison. 

Après  avoir  passé  l'hiver  à  Rome ,  où  elle  se  lia  avec 
Zoega,  l^ernow  et  AngeHca  Kaufmann,  elle  visita,  dans 
l'été  de  1796,  Ischia ,  dont  les  eaux  sulfureuses  rétablirent 
sa  santé  délabrée.  En  1801  elle  quitta  encore  le  Danemark 
pour  visiter  la  Suisse ,  et  elle  resta  alors  tout  un  hiver  à 
Coppet ,  chez  Necker ,  dans  la  société  de  sa  fille,  M'"*  de 
Staél.  Elle  passa  l'été  suivant  à  Rome.  Elle  a  raconté  ce 
voyage  de  Suisse  dans  les  deux  premiers  volumes  de  ses 
Épisodes  (  1807-1818),  et  son  second  séjour  à  Rome,  dans 
La  Vie  à  /Jome  (Leipzig,  1833).  Le  troisième  et  le  quatrième 
volume  de  ses  Épisodes  contiennent  le  récit  d'un  troisième 
voyage  qu'elle  fit  encore  de  1806  à  1809,  par  suite  de  la 
mauvaise  santé  de  sa  fille  Ida ,  tant  en  Suisse ,  où  elle  vé- 
cut alors  constamment  dans  l'intimité  de  Sismondi  et  de 
Bonstetten ,  qu'à  Rome ,  où  elle  fut  témoin  de  l'enlèvement 
de  Pie  VII  par  ordre  de  Napoléon. 

Tous  les  ouvrages  de  M'"*  Brun ,  n'omettons  pas  de  le 
dire,  furent  composés  en  allemand.  Revenue  vers  1810  en 
Danemark,  elle  résida  depuis  cette  époque  constamment  à 
Copenhague,  recevant  l'élite  de  la  société  dans  sa  maison, 
qui  rappelait  les  bureaux  d'esprit  de  notre  Paris  du  dix- 
huitième  siècle,  et  faisant  avec  autant  de  grâce  et  d'esprit 
que  M""*  Dudeffand  ou  M'"^  Geoffrin  les  honneurs  d'un 
salon  où  l'on  ne  parlait  jamais  d'autre  langue  que  le  fran  • 
çais ,  et  où  la  haute  société  danoise  et  quelques  élus  du 
corps  diplomatique  venaient  s'approvisionner  à  l'envi  de 
saillies  et  de  bons  mots,  de  jugements  ingénieux,  de  pensées 
spirituelles  et  de  piquantes  anecdotes,  racontées  avec  un 
charme  qui  en  doublait  le  prix.  Elle  mourut  le  25  mars  1835, 
\m  an  avant  M.  Brun,  lequel  avait,  au  reste,  accepté  avec 
une  abnégation  de  bon  goût,  et  vraiment  méritoire,  ce  rôle 
de  comparse  auquel  est  condamné  par  tous  pays  le  mari 
d'un  bas-bleu. 

Quelques  phrases  équivoques  de  Matthison  ont  donné  à 
penser  qu'elle  s'était  convertie  au  cathohcismc  ;  mais  rien 
n'autorise  à  croire  que  cette  supposition  soit  fondée.  A  trois 
époques  différentes  de  sa  vie,  en  1795,  en  1806  et  en  1820 , 
M""^^  Brun  publia  des  recueils  de  vers  dont  le  succès  fut 
grand  en  Allemagne,  et  qui  obtinrent  même  les  honneurs  de 
I)luàieurs  éditions.  Aussi  vil-on  plus  d'une  fois  Bœttiger  et 


BRUNCK 

Matthison  tenir  à  honneur  d'être  les  parrains  et  de  soigner 
l'impression  des  ouvrages  de  l'amie  de  M"*  de  Staël ,  de 
Klopstock  et  Bonstetten. 

Le  frère  de  M""^  Brun ,  Miinter,  était  évêque  de  la  See- 
lande.  On  raconte  les  aventures  les  plus  divertissantes  des 
singulières  distractions  de  ce  prélat  protestant,  homme  d'ail- 
leurs d'une  grande  érudition ,  et  qui  a  laissé  dans  son  dio- 
cèse une  mémoire  justement  vénérée. 

BRUNCK  (RiciiARD-FRAiNçois-PniuppE),  l'un  des  plus 
ingénieux  critiques  des  temps  modernes,  né  à  Strasbourg, 
le  30  décembre  1729,  fut  élevé  à  Paris  chez  les  jésuites  de  la 
rue  Saint-Jacques,  où  il  fit  de  fortes  études.  Les  affaires,  dans 
lesquelles  il  se  trouva  lancé  dès  sa  sortie  du  collège ,  sem- 
blaient avoir  mis  entre  lui  et  les  lettres  anciennes  une  bar- 
rière éternelle.  Le  hasard  en  disposa  autrement.  Lors  des 
campagnes  de  Hanovre,  étant  commissaire  des  guerres  et 
en  quartier  d'hiver  à  Giessen ,  un  professeur  chez  lequel  il 
logeait,  homme  érudit,  réveilla  en  lui  ses  premières  amours 
pour  les  muses  grecques.  Il  reprit  ses  études  à  leur  source 
même  ;  on  vit  le  commissaire  des  guerres,  de  retour  à  Stras- 
bourg ,  étudiant  de  trente  ans ,  venir  s'asseoir  sur  les  bancs 
de  l'université,  mêlé  avec  des  hellénistes  imberbes.  Per- 
suadé que  toutes  les  fautes  qu'on  trouve  dans  les  poètes  et 
les  auteurs  grecs  proviennent  dniquement  de  la  négligence 
des  critiques ,  il  bouleversait  les  textes ,  effaçait  et  restituait 
à  son  caprice,  avec  bonheur  sans  doute,  mais  trop  légè- 
rement. On  ne  saurait  toutefois  disconvenir  que  peu  de  sa- 
vants ont  contribué  aussi  efficacement  que  lui  au  réveil  de  la 
philologie. 

Brunck  ne  faisait  point  de  commentaires  :  il  coUationnait 
simplement  les  manuscrits  les  uns  avec  les  autres  ;  laissant 
de  côté  les  matières  d'érudition,  ses  notes  étaient  purement 
philologiques.  Receveur  des  finances,  et  riche,  il  pouvait 
immédiatement,  et  sans  l'entremise  d'un  fibraire ,  faire  im- 
primer ses  textes,  circonstance  qui  explique  le  grand 
nombre  de  ses  travaux.  Il  avait  la  patience  de  refaire  lui- 
même  les  copies  des  auteurs  dont  Û  remettait  les  œuvres 
sous  presse.  Son  premier  ouvrage  est  ï Anthologie  grec- 
que, qu'il  publia  sous  le  titre  d'Aiialecta  Veterum  Poeta- 
rum  Grxcorum  (3  vol.,  Strasbourg,  1772-1776);  Ana- 
créon ,  Callimaque ,  Théocrite  ,  Bion ,  Moschus  et  autres 
petits  poêles  en  font  partie ,  œuvres  d'ailleurs  d'une  trop 
longue  haleine  pour  être  une  portion  intégrante  de  V An- 
thologie, dont  le  titre  seul  indique  le  genre  et  l'étendue  des 
pièces  qu'elle  comporte.  Ce  premier  ouvrage,  où  notre  philo- 
logue a  fauché  sans  ménagement  à  travers  les  textes,  doit 
être  lu  avec  précaution.  Brunck,  dans  la  suite,  en  détacha 
Anacréon ,  qu'il  donna  à  part ,  coUationné  et  recorrigé  sur 
le  manuscrit  du  Vatican  (Strasbourg,  1778  et  1786).  VÉ- 
lectre  et  Y  Œdipe-Roi  de  Sophocle,  VAndromaque  et  l'O- 
reste  d'Euripide,  le  Prométhée,  les  Perses,  les  Sept  CheJ's 
devant  Thèbes  d'Eschyle,  la  Médée,  VHécube,  les  Phé- 
niciennes, l'Hippolyte  et  les  Bacchantes  d'Euripide  paru- 
rent successivement  dans  l'espace  de  deux  années.  Sa  cri- 
tique, sage  et  presque  toujours  saine,  de  ces  drames  célèbres 
du  théâtre  des  Grecs,  fit  ardemment  désirer  une  édition  com- 
plète du  Sophocle.  Elle  ne  parut  qu'en  1786,  six  ans  après  » 
les  pièces  détachées.  Cest,  disent  les  érudits,  le  chef-  ■ 
d'œuvre  de  Brunck.  Elle  valut  à  son  auteur  une  pension  ■ 
du  roi  de  2,000  livres.  Brunck  avait  déjà  donné  un  Apol- 
lonius de  Rhodes  (Strasbourg,  1780),  son  poëte  de  pré- 
dilection. On  cite  de  lui,  comme  un  trait  de  modestie  et  de 
bienveillance ,  d'avoir  remis  à  M.  Caussin  un  commence- 
ment de  traduction  qu'il  en  avait  faite ,  sachant  que  ce  pro- 
fesseur en  préparait  une  de  son  côté.  Après  Apollonius 
avait  pani  Aristophane,  avec  une  traduction  latine,  que 
suivit  une  édition  de  Virgile. 

La  révolution  vint  à  éclater;  bien  que  Brunck  en  eût  em- 
brassé les  principes,  il  ne  laissa  pas  que  de  perdre  sa  pen- 
sion ;  mais,  dans  la  suite,  on  la  lui  restitua.  Il  fut  un  des 


premiers  membres  de  la  Société  populaire  de  Strasbourg  ; 
et  s'il  y  montra  une  modération  qui  le  mit  à  couvert  de  tout 
reproche,  il  lui  dut  son  incarcération  durant  la  Terreur. 
La  mort  seule  de  Robespierre  le  rendit  à  la  liberté.  Ruiné 
deux  fois ,  il  vendit  deux  fois  ses  livres,  qu'il  pleurait,  dit- 
on,  comme  il  eût  fait  de  ses  propres  enfants.  Dès  lors  il  prit 
en  haine  cette  science  dont  les  fruits  sont  ordinairement  si 
amers  :  il  ne  voulut  plus  entendre  parler  d'auteurs  grecs. 
Toutefois,  il  se  laissa  aller  aux  charmes  de  la  poésie  latine  ; 
en  1797  il  donna  une  magnifique  édition  de  Térence  ; 
Plante ,  qui  devait  succéder,  allait  être  mis  sous  presse , 
quand  la  mort  le  surprit,  le  12  juin  1803. 

Avec  moins  d'emportement  que  le  savant  J.  Scaliger, 
Brunck  avait  plus  de  causticité  ;  sa  lettre  française  sur  le 
Longus  de  Vilïoison,  espèce  de  polémique  littéraire ,  en  est 
une  preuve;  elle  existe  manuscrite  à  la  Bibliothèque  Na- 
tionale de  Paris.  Brunck  fut  membre  associé  de  l'Académie 
des  Inscriptions,  et  depuis  de  l'Institut.    Denne-Baron. 

BRUNDUSIUM,  aujourd'hui  Brindisi.  Voyez  Brindes. 

BRUIXE  (Guilladme-Makie-Anne),  maréchal  de  l'em- 
pire, naquit  à  Brives-la-Gaillarde  (  Corrèze),  le  13  mars  1763, 
d'un  père  avocat,  qui  le  destinait  à  la  môme  profession.  Il 
suivit  en  conséquence  à  Paris  les  cours  de  l'École  de  Droit 
et  ceux  du  Collège  de  France.  Mais  la  littérature  était  plus 
de  son  goût  que  la  procédure.  Ayant  eu  occasion  de  passer 
ses  vacances  chez  quelques  amis  du  Poitou  et  de  l'An- 
goumois,  c'avait  été  pour  lui  une  existence  toute  de  plaisir 
et  de  bonheur,  dont  il  esquissa  le  tableau  dans  un  ou- 
vrage intitulé  :  Voyage  pittoresque  et  sentimental  dans 
quelques  provinces  occidentales  de  la  France.  Cet  essai , 
en  prose  et  en  vers,  offrait  des  détails  gracieux  et  spirituels; 
il  fut  publié  en  1788 ,  sans  nom  d'auteur.  La  révolution 
vint  distraire  Brune  de  ses  études  ;  il  se  fit  inscrire  des  pre- 
miers dans  la  garde  nationale  parisienne ,  improvisée  après 
les  journées  de  juillet  1789  :  c'était  l'un  des  plus  beaux  gre- 
nadiers de  la  nouvelle  armée  citoyenne.  Il  se  dévoua  avec 
toute  l'énergie  de  son  âme  et  toute  la  candeur  de  son  âge  à 
la  cause  de  la  révolution ,  écrivit  dans  quelques  journaux, 
et  se  lia  avec  les  principaux  orateurs  des  sociétés  patrio- 
tiques. En  1790  il  établit  une  imprimerie.  Des  pertes  im- 
prévues ,  d'injustes  persécutions ,  le  forcèrent,  au  bout  d'un 
an,  d'abandonner  son  entreprise.  Cependant  la  guerre  étran- 
gère était  imminente  ;  Brune  s'envola  dans  le  2*  bataillon  de 
volontaires  de  Seine-et-Oise,  et  fut  élu,  le  18  octobre  1791, 
adjudant-major. 

L'année  suivante,  à  l'ouverture  de  la  première  campagne, 
il  fut  nommé  adjoint  aux  adjudants  généraux.  Il  était  à  Ro- 
denach,  près  de  Thionville ,  lorsqu'il  fut  appelé  à  Paris;  il  y 
arriva  le  5  septembre ,  et  le  7  le  conseil  exécutif  privisoire 
le  nommait  commissaire  général,  chargé  de  diriger  les  mou- 
vements militaires  et  l'organisation  des  nouveaux  bataillons, 
la  remonte ,  la  confection  et  l'envoi  des  armes  et  des  rau- 
iiitions,  le  service ,  enfin ,  des  transports  de  la  guerre  dans 
tous  les  départements,  et  spécialement  entre  Paris,  Châlons 
et  Reims.  L'ennemi  avait  franchi  les  frontières  ;  la  trahison 
lui  avait  ouvert  les  portes  de  plusieurs  places  fortes ,  et  ses 
colonnes  n'étaient  qu'à  120  kilomètres  de  la  capitale.  Une 
administration  aussi  vaste,  aussi  compliquée,  n'était  pas 
au-dessus  des  moyens  de  Brune  et  de  son  infatigable  acti- 
vité :  c'eût  été  pour  tout  autre  moins  désintéressé  une  source 
de  fortune  ;  mais,  préférant  la  gloire  et  les  dangers  du  champ 
de  bataille  aux  séduisantes  éventualités  d'une  grande  spécu- 
lation, il  demanda  comme  une  faveur  et  obtint  enfin,  le  25 
septembre  1792,  l'autorisation  d'aller  reprendre  sa  place 
dans  l'état-major  de  l'armée,  alors  aux  prises  avec  les  vieilles 
bandes  prussiennes,  dans  les  plaines  de  la  Champagne. 

11  partit  donc  pour  le  camp  de  Meaux,  et  prit  une  part 
honorable  aux  brillants  faits  d'armes  de  cette  première  cam- 
pagne ;  à  partir  de  ce  jour  son  nom  se  rattache  à  l'histoire  de 
la  longue  et  glorieuse  lutte  de  la  France  contre  l'Europe 


BRUNCK  —  BRUNE  7  si 

coalisée.  Il  gagna  tous  ses  grades  au  champ  d'honneur.  On 


le  trouva  toujours  prêt  pour  les  missions  les  plus  difficiles 
et  les  plus  périlleuses;  partout  il  se  "montra,  avec  une  égale 
supériorité,  homme  d'État  et  homme  de  guerre.  H  avait  heu- 
reusement arrêté  les  progrès  des  fédéralistes  du  Calvados  et 
prévenu  l'explosion  d'une  guerre  civile  imminente.  Le  gou- 
vernement voulut  le  rapprocher  du  ministère;  mais  Brune 
aima  mieux  partager  les  fatigues  et  les  périls  de  ses  frères 
d'armes.  Après  la  bataille  de  Hondschootte ,  et  tandis  qu'il 
faisait  ses  dispositions  po\ir  faire  lever  le  siège  de  Dunker- 
que,  le  comité  de  salut  public  l'appela  à  Paris,  et  lui  confia 
une  mission  à  la  fois  politique  et  militaire  dans  la  Gironde. 
Après  avoir  ramené  le  calme  par  le  seul  appareil  de  la  force, 
il  protégea  l'entrée  des  représentants  Isabeau  et  Tallien  à 
Bordeaux ,  et  prit  le  commandement  de  la  division.  Son  dé- 
part excita  de  justes  regrets  ;  et  les  Bordelais  lui  conser- 
vèrent longtemps  un  souvenir  d'estime  et  de  reconnais- 
sance. Il  avait  été  rappelé  à  Paris  pour  une  nouvelle  organi- 
sation de  l'mfanterie  française.  Les  anciens  régiments  de 
ligne  et  les  bataillons  de  volontaires  formèrent  des  demi- 
brigades  ,  composées  d'un  bataillon  de  ligne  et  de  deux 
bataillons  de  volontaires.  Tous  avaient  reçu  le  baptême  du 
feu.  Il  prit,  après  la  révolution  de  thermidor,  le  comman- 
dement de  la  dix-septième  division  militaire ,  et  fut  mis  à 
la  tête  d'une  de  celles  qui  avaient  été  réunies  sous  les  ordres 
de  Barras  et  de  Bonaparte  dans  la  journée  du  13  vendé- 
miaire. Envoyé  dans  le  midi,  il  dispersa  les  bandes  de  pil- 
lards et  d'assassins  qui  infestaient  ces  belles  contrées.  Paris 
le  revit,  en  1796,  au  camp  de  Grenelle,  combattre  la  même 
faction  avec  le  même  courage  et  le  même  bonheur,  II  n'é- 
tait que  général  de  brigade  quand  il  vint  prendre  sa  place 
dans  l'armée  d'Italie ,  commandée  par  Bonaparte. 

Brune  assista  à  toutes  les  affaires  où  combattit  la  division 
de  Masséna,  dont  il  faisait  partie,  et  qui  s'immortaUsa  par  sa 
conduite.  Seul,  à  la  tête  des  grenadiers  de  la  soixante- 
quinzième  ,  il  repoussa  les  colonnes  autrichiennes  qui  atta- 
quaient le  village  de  Saint-Michel.  Ses  habits  furent  percés 
de  sept  balles  ;  aucune  ne  l'avait  grièvement  atteint.  Il  fut 
aussi  un  des  héros  de  Rivoli.  Le  général  en  chef  l'appela 
ensuite  au  commandement  de  son  avant-garde ,  et  le  promut 
au  grade  de  général  de  division  sur  le  champ  de  bataille. 
Après  la  paix  de  Campo-Formio ,  il  rentrait  en  France  avec 
sa  division ,  destinée  à  l'armée  dite  d'Angleterre,  lorsqu'il 
reçut  en  chemin  une  dépêche  du  Directoire  qui  le  nommait 
ambassadeur  extraordinaire  de  la  république  à  Naples.  Il  s'a 
gissaitde  faire  expliquer  le  roi  sur  les  motifs  de  ses  nouveaux 
armements.  Un  vaste  plan  avait  été  combiné  par  les  princes 
d'Italie  pour  opérer  une  contre-révolution,  et  l'assassinat 
du  général  Duphot  avait  été  le  prélude  de  cette  violation 
du  droit  des  gens  ;  Brune,  au  lieu  d'accepter  cette  mission, 
aima  mieux  continuer  sa  route  vers  Paris ,  où  il  obtint  son 
changement  de  destination,  et  peu  après  le  commandement 
en  chef  de  l'armée  dirigée  sur  la  Suisse  par  le  pays  de  Vaud. 
Cette  expédition  fut  rapide  et  glorieuse  ;  la  Suisse  se  vit  sau- 
vée de  ses  propres  excès  et  des  calamités  de  la  guerre  civile: 
Le  vainqueur  n'abusa  point  de  ses  avantages  :  un  plan  d'ad- 
ministration sagement  combiné  garantit  les  personnes  et  les 
propriétés  publiques  et  particulières.  Talleyrand  écrivit  à 
celte  occasion  au  général  Brune  :  «  Tout  ce  qui  sait  ap- 
précier les  hommes  trouve  que  vous  avez  atteint  la  per- 
fection de  conduite  en  Suisse ,  et  pense  que  les  plus  belles 
destinées  vous  sont  réservées.  » 

Brune  fut  appelé  en  1799  au  commandement  de  l'armée  qui 
entrait  en  Hollande  ;  les  talents  qu'il  déploya  dans  cette  cam- 
pagne le  placèrent  au  rang  des  meilleurs  généraux  de  l'époque. 
Ilbattitles  Anglais  à  Bergen, et  forçaleduc  d'York  à  signer 
une  capitulation  humiliante.  Chargé  en  1800  du  commande- 
ment des  troupes  qui  occupaient  la  Vendée,  il  eut  une 
grande  part  à  la  pacification  de  ce  pays.  Placé  h  la  tête  de 
l'armée  d'Italie,  il  montra  son  habileté  ordinaire  dans  ce 

99. 


788 


BRUNE 


poste  important.  En  1803  il  fut  nommé  ambassadeur  à  Cons- 
tantinople;  et,  après  avoir  exercé  cette  mission  pendant  deux 
ans,  il  revint  à  Paris  en  1805.  Lors  de  l'organisation  de  l'em- 
pire, Napoléon  l'avait  fait,  en  son  absence,  maréchal  de  France 
et  grand  aigle  de  la  Légion-d'Honneur.  Il  lui  donna  un  com- 
mandement dans  l'année  des  Côtes-du-Nord,  à  Boulogne,  et 
le  nomma  ensuite  gouverneur  des  villes  anséatiques  et  chef 
de  l'armée  qu'il  destinait  à  s'emparer  de  la  Poméranie.  Cette 
campagne  se  termina  par  la  prise  de  Stralsund  ;  mais,  après 
avoir  signé  avec  la  Suède  le  traité  qui  mettait  la  France  en 
possession  de  Rugen  et  des  îles  adjacentes,  Brune  fut  rap- 
I)elé  pour  avoir,  disaient  les  uns,  fait  mention  dans  cet 
acte  de  V armée  française ,  et  non  de  Vannée  de  sa  ma- 
jesté impériale  et  royale,  pour  avoir,  selon  d'autres,  prêté 
les  mains  aux  concussions  de  Bourrienne  à  Hambourg. 
Quoi  qull  en  soit,  il  cessa  d'être  employé  jusqu'à  la  chute 
de  Napoléon.  Il  envoya, en  avril  1814,  au  sénat  son  adhésion 
aux  changements  politiques  provoqués  par  l'entrée  des  alliés 
dans  Paris;  mais,  mal  accueilli  par  les  Bourbons,  il  reprit 
l'épée  durant  les  Cent  jours,  et  fut  mis  à  la  tête  de  l'armée  du 
Var. 

Après  le  désastre  de  "Waterloo ,  il  avait  résolu  de  s'em- 
barquer à  Toulon  et  de  se  retirer  en  Bretagne ,  pour  éviter 
la  rencontre  des  bandes  de  Verdets  qui  infestaient  le  midi, 
où  elles  avaient  déjà  égorçé  beaucoup  de  soldats  et  d'officiers 
de  l'ancienne  armée.  Les  nouvelles  autorités  établies  par  les 
Bourbons  s'y  opposèrent,  et  il  fut  obligé  de  prendre  la  voie 
de  terre.  Il  échappa  comme  par  miracle  à  un  guet-apens  qui 
l'attendait  à  Aix  ;  mais  d'autres  assassins  épiaient  son  pas- 
sage à  Avignon,  et  cette  fois ,  moins  heureux ,  il  succomba. 
La  France  entière  jeta  un  cri  d'horreur  et  d'indignation  en 
apprenant  la  fin  déplorable  de  l'illustre  victime.  Le  gouver- 
nement royal  fut  forcé  plus  tard  de  faire  droit  à  sa  malheu- 
reuse veuve  ;  toutefois  un  seul  des  assassins  fut  traduit  aux 
assises  de  Riom ,  et  cela  quand  déjà  cinq  années  s'étaient 
écoulées  depuis  le  fatal  événement.  Nous  emprunterons  à 
l'acte  d'accusation  le  récit  des  faits. 

«  Dans  la  matinée  du  2  août  1815,  le  maréchal  Brune  tra- 
versait la  ville  d'Avignon  pour  se  rendre  de  Marseille  à 
Paris.  Pendant  que  l'on  changeait  les  chevaux  de  sa  voi- 
ture et  de  celle  de  ses  aides  de  camp,  un  officier  de  la  garde 
nationale  alla  présenter  les  passeports  au  visa  du  comman- 
dant de  la  place,  ce  qui  retarda  de  quelques  moments  le 
départ.  Cependant,  un  groupe ,  qui  s'était  formé  autour  des 
oitures  dès  le  premier  moment  où  l'on  avait  su  qu'elles 
ontcnaient  le  maréchal  Brune  et  sa  suite ,  s'étant  considé- 
rablement augmenté ,  des  cris  de  menace  et  de  fureur  se 
firent  entendre,  et  des  gens  du  peuple  dételèrent  eux-mêmes 
les  chevaux.  Instruit  que  M.  de  Saint-Chamans,  nouveau 
préfet  de  Vaucluse,  arrivé  à  Avignon  depuis  quelques  heures, 
était  logé,  comme  lui,  à  l'hôtel  du  Palais-Royal ,  devant  le- 
quel se  passait  cette  scène  de  désordre ,  le  maréchal  réclama 
sa  protection.  Cet  administrateur  parvint  à  faire  ouvrir  une 
issue  au  maréchal,  qui  sortit  par  la  porte  de  l'Oule,  pour 
suivre  1^  route  de  Paris ,  resserrée  entre  le  Rhône  et  les 
remparts  de  la  ville.  Mais  à  l'instant  où  les  voitures  quittaient 
l'hôtel  les  furieux  qui  avaient  accablé  le  maréchal  d'outrages 
et  de  menaces  coururent  après  lui  en  prenant  des  rues  dé- 
tournées ;  ils  se  trouvèrent  en  nombre  considérable  et  munis 
d'armes  de  toutes  espèces  sur  son  passage,  et  lui  fermèrent  la 
route.  Les  voitures  furent  assaillies  à  coups  de  pierres  ;  on 
cria  qu'il  fallait  le  tuer.  Le  préfet  et  quelques  magistrats , 
avertis  de  son  nouveau  danger,  accoururent.  L'impossibilité 
absolue  de  lui  faire  continuer  sa  route  ne  fut  que  trop  faci- 
lement reconnue  :  il  n'y  eut  d'autre  parti  à  prendre  que 
de  le  ramener  en  villç,  la  foule  menaçante  entourant  et 
suivant  la  voiture. 

«  De  retour  à  l'hôtel,  le  maréchal  descend  à  la  porte,  et 
se  précipite  dans  l'intérieur;  la  voiture  des  deux  aides  de 
camp  entre  dans  la  remise.    Aussitôt  on  ferme  ,  on  barri- 


cade toutes  les  portes  de  l'hôtel ,  malgré  les  efforts  des  as- 
saillants ,  dont  un  avait  même  interposé  son  bras  entre  les 
battants  pour  empêcher  qu'on  ne  la  fermât ,  et  ne  le  retira 
qu'après  la  menace  sérieuse  de  le  lui  casser  s'il  ne  le  reti- 
rait rapidement.  Les  autorités  de  la  ville,  dès  que  l'on  put 
disposer  des  troupes,  s'assemblèrent  devant  l'hôtel  du 
Palais-Royal.  Leur  voix  fut  méconnue;  leur  force  devint 
impuissante,  leurs  efforts  inutiles  :  elles  ne  purent  empê- 
cher le  pillage  des  voitures,  de  divers  effets  et  d'une  partie 
de  l'argent  qu'elles  contenaient.  On  résista  même  avec  vio- 
lence à  la  force  publique  et  aux  officiers  ou  agents  de  l'au- 
torité administrative  et  judiciaire,  qui  cherchaient  à  rétablir 
l'ordre  et  à  prévenir  des  crimes.  L'acharnement  de  la  foule 
contre  le  maréchal  était  au  comble;  on  criait  qu'il  fallait 
lui  faire  éprouver  le  sort  de  la  princesse  deLamballe,  dont 
on  lui  imputait  d'avoir  porté  la  tête  au  bout  d'une  pique; 
des  furieux  conseillaient  même,  si  l'on  ne  pouvait  pénétrer 
jusqu'au  maréchal,  de  mettre  le  feu  à  l'hôtel.  Des  gens  ar- 
més se  portèrent  sur  les  toits  des  maisons,  des  fusils  furent 
braqués  sur  les  fenêtres  et  les  cheminées,  se  disposant  à 
faire  feu  sur  Brune  s'il  cherchait  par  là  un  moyen  d'é- 
vasion, quand  un  homme  se  montra  à  la  croisée  de  l'appar- 
tement du  maréchal,  indiquant  par  ses  signes  qu'il  n'échap- 
perait pas  et  que  sa  dernière  heure  était  venue.  Déjà  on 
étaitparvenu,  parles  toits  des  maisons  voisines,  sur  celui 
de  l'hôtel;  de  là  on  s'était  introduit  dans  le  grenier,  d'où 
des  gens  armés  étaient  descendus  dans  la  chambre  du  ma- 
réchal. Un  premier  coup  de  feu  lui  fut  tiré  :  il  n'en  fut  pas  at- 
teint ;  mais  l'instant  d'après  il  fut  renversé  mort  d'un  se- 
cond coup,  et  tomba  la  face  contre  terre.  Aussitôt  un  homme, 
signalé  pour  être  un  portefaix  d'Avignon  (le  fameux  Tres- 
taillon  ),  parut  à  la  croisée  de  l'appartement  occupé  par  le 
maréchal,  et  annonça  sa  mort  à  la  populace,  qui  y  répondit 
par  des  cris  de  joie.  Les  officiers  de  justice  firent  constater 
l'état  du  cadavre  par  des  gens  de  l'art  :  il  fut  physiquement 
reconnu  que  le  maréchal  avait  été  atteint  d'un  coup  d'arme 
à  feu,  qui,  ayant  pénétré  par  le  derrière  du  cou ,  était 
sorti  par  le  devant,  et  dans  une  direction  indiquant  que  le 
coup  avait  été  tiré  de  haut  en  bas,  mais  cependant  assez 
horizontalement  encore  pour  qu'après  avoir  traversé  le 
cou,  la  balle  eût  pu  frapper  le  trumeau  de  la  cheminée  à 
une  hauteur  à  peu  près  égale  à  celle  d'un  homme  debout. 
Sur  le  milieu  de  l'appartement,  et  particulièrement  à  la 
place  sur  laquelle  gisait  le  cadavre,  on  remarquait  un  trou 
à  la  poutre  du  plafond,  qui  ne  pouvait  être  que  l'empreinte 
de  la  balle  du  premier  coup,  que  le  maréchal  avait  évité 
en  relevant  avec  son  bras  le  pistolet  au  moment  où  l'on 
faisait  feu  sur  lui. 

«  Dans  la  crainte  que  le  séjour  prolongé  du  corps  dans 
l'hôtel  ne  fût  la  cause  de  quelques  excès  nouveaux,  soit  sur 
la  personne  des  deux  aides  de  camp ,  renfermés  dans  une 
chambre ,  soit  même  sur  l'hôtel ,  que  la  bande  menaçait  de 
piller  ou  de  brûler,  on  ordonna  que  la  sépulture  du  maré- 
chal eût  lieu  incontinent.  En  vain  un  détachement  armé , 
sous  la  conduite  d'un  officier,  chercha  à  protéger  les  porteurs 
du  cadavre  :  à  peine  le  cortège  eut-il  passé  la  porte  de  l'Oule, 
que  le  corps  fut  enlevé  aux  porteurs,  précipité  dans  le 
Rhône ,  et  au  moment  où  il  surnagea  on  le  cribla  d'une 
cinquantaine  de  coups  de  fusil.  Enfm  sur  ime  des  poutres 
formant  le  parapet  du  pont  on  grava  ces  mots,  qui  sont 
restés  lisibles  pendant  longtemps  : 

c'est  ici   le   CIMETliiRE    DU   MARÉCHAL   BRUNE, 
2    AOUT  M  DCCC  XV.   » 

L'acte  d'accusation  signale  ensuite  Guindon,  dit  Roquefort, 
comme  un  des  assassins.  «  Un  individu,  y  est-il  dit,  que  la 
mort  a  depuis  mis  hors  de  la  justice  des  hommes  (  Trestail-  S 
Ion),  ayant  tiré  le  premier  coup  de  pistolet,  qui  n'atteignit  J 
pas  le  maréchal,  Guindon,  dit  Roquefort,  lui  reprochant  sa 
maladiessc,  le  repoussant  à  l'écart  et  se  mettant  à  sa  place. 


i 


BRUNE  — 

prononça  ces  affreuses  paroles  :  Je  vas  te  faire  voir  com- 
ment il  fallait  faire...  Déjà  il  avait  tiré  son  coup  de  cara- 
bine, et  le  maréchal  Brune  n'était  plus.  A  peine  a-t-il  été 
question  d'informer  sur  cette  affaire,  que  cet  homme  a  pris 
la  fuite.  »  L'assassinat  fut  commis  le  2  août  1815,  l'acte  d'ac- 
cusation est  daté  du  2  juin  1820! 

La  Veuve  du  maréchal  Brune  avait  présenté  une  requête 
au  roi,  le  19  mars  1819,  contre  les  assassins  de  son  époux; 
elle  demandait  l'évocation  de  l'affaire  devant  une  autre  cour 
d'assises  que  celle  du  département  de  Vaucluse  ;  elle  dési- 
gnait celle  de  Paris  comme  la  seule  où  les  juges  et  les  jurés 
pussent  prononcer  avec  une  entière  indépendance,  et  s'inscri- 
vait en  faux  contre  un  procès-verbal  qui  attribuait  la  mort 
du  maréchal  à  un  suicide.  Cette  requête  était  signée  par 
elle  et  par  M'  Dupin  atné,  son  conseil. 

L'allégation  de  suicide  ne  pouvait  soutenir  un  examen  sé- 
rieux ;  il  résulte  en  effet  du  premier  procès-verbal  rédigé 
sur  les  lieux,  et  immédiatement ,  que  la  mort  a  été  causée 
par  un  coup  de  feu  porté  par  derrière  le  cou  et  tiré  de  haut 
en  bas.  La  raison  publique  et  les  magistrats  repoussèrent 
cette  assertion  comme  mensongère  et  invraisemblable. 

Le  fait  allégué  contre  le  maréchal  pour  exciter  la  fureur 
des  assassins  était  également  atroce  et  faux  :  il  avait  été 
tout  à  fait  étranger  à  la  mort  de  la  princesse  de  Lambalie  : 
il  ne  se  trouvait  pas  alors  à  Paris,  mais  à  l'armée,  et  n'é- 
tait arrivé  dans  la  capitale  que  le  5  septembre ,  deux  jours 
après  les  massacres,  et  sur  un  ordre  du  conseil  exécutif 
provisoire. 

Dans  sa  requête  au  ministre  de  la  justice,  en  date  du 
19  mai  1819,  la  maréchale  signale  comme  auteurs  immédiats 
du  crime,  Fargès,  taffetatier,  et  Guindon,  dit  Roquefort, 
portefaix.  Le  jeune  homme  qui  le  premier  avait  insulté  le 
maréchal  et  excité  la  fermentation  publique  «  était  fils  d'un 
personnage  exerçant  à  Paris ,  au  sein  d'un  des  premiers  corps 
de  l'Etat,  des  fonctions  dont  l'influence  s'étendait  sur  tout  le 
département  de  Vaucluse;  un  autre  jeune  homme,  M.  Ver- 
ger, fils  du  procureur  du  roi ,  commandait  le  poste  qui  ar- 
rêta les  voitures  du  maréchal,  lui  demanda  des  passeports, 
éleva  des  difficultés  mal  fondées  sur  leur  validité,  et  retarda 
sa  marche  jusqu'à  ce  que  le  rassemblement  se  flit  accru  au 
point  de  la  rendre  impossible.  »  {Requête  ati  roi).  Après  un 
silence  déplus  de  cinq  années,  l'affaire  fut  envoyée  devant 
la  cour  d'assises  de  Riom.  Un  seul  accusé  ,  Guindon,  por- 
tefaix, fut  signalé;  il  était  contumax.  Les  débats,  ouverts 
le  24  février  1821,  se  terminèrent  le  lendemain,  et  un  ar- 
rêt par  défaut  condamna  Guindon  à  la  peine  de  mort. 

M°"  Brune,  morte  en  1829,  a  été  réunie  à  son  époux 
dans  un  même  tombeau.  Elle  avait  été  fort  belle  à  l'époque 
de  son  mariage,  et  était  demeurée  aussi  spirituelle  que  chari- 
table. En  1 84 1  un  monument  a  été  élevé  au  maréchal  Brune 
à  Brives-la-Gaillarde ,  par  une  souscription  de  ses  compa- 
triotes. DuFEY  (del'YonDe). 

BRUXE  AU  (  Mathcrin),  soi-disant  Charles  de  France 
et  de  Navarre,  fils  d'un  pauvre  sabotier ,  aima  mieux  être 
fils  de  roi,  et  se  donna  Louis  XVI  pour  père.  C'est  en  cette 
qualité  qu'il  fixa  l'attention  publique  pendant  les  deux  pre- 
miers mois  de  1818.  Il  résulte  de  la  procédure  Intentée 
contre  lui  à  la  police  correctionnelle  de  Rouen  qu'il  naquit 
en  1784,  à  Vezins  (Maine-et-Loire) ,  où  son  père  faisait  des 
sabots.  Se  sentant  de  l'aversion  pour  ce  métier,  qu'on  lui 
avait  appris  de  bonne  heure,  et  n'ayant  de  goût  que  pour 
une  vie  oisive  et  vagabonde,  il  abandonna  sa  famille  en  1795, 
pour/fli?"e  son  tour  de  France.  Partout  il  alla  d'abord  se 
donnant  pour  le^?^*  du  baron  de  Vezins,  ancieH  seigneur  de 
son  village.  Admis,  cependant,  malgré  ce  titre,  comme  do- 
mestique chez  la  comtesse  de  Turpin-Crissé ,  sa  paresse  et 
son  inconduite  le  firent  renvoyer  au  bout  de  quelques  mois. 
On  ne  sait  que  vaguement  ce  qu'il  devint  ensuite  ;  il  est  pro- 
bable qu'il  vécut  dans  le  vagabondage  et  la  mendicité  ;  car 
en  1803  on  le  retrouve  écroué  à  la  maison  de  répression  de 


BRUNEAU  789 

Saint-Denis,  près  de  Paris,  comme imbécille  et  sans  asile.  Re- 
mis en  liberté ,  le  prétendu  baron  s'engagea  dans  le  qua- 
trième régiment  d'artillerie  de  marine  comme  aspirant  canon- 
nier,  et  s'embarqua  à  Lorient  sur  la  frégate  la  Cybèle.  Le 
bâtiment  étant  arrivé  en  Amérique ,  Bruneau  déserta,  et  par- 
courut une  partie  des  États-Unis.  Il  séjourna  plusieurs  an- 
nées à  New-York  et  à  Philadelphie ,  où  il  exerça  la  profession 
de  garçon  boulanger.  Il  a  prétendu  avoir,  pendant  sa  rési- 
dence dans  ce  pays ,  épousé  une  riche  héritière ,  morte  en 
lui  laissant  de  nombreux  enfants;  mais  il  n'a  pu  justifier  de 
ces  faits. 

En  septembre  1816  il  repartit  pour  la  France,  et  dé- 
barqua à  Saint-Malo ,  muni  d'un  passeport  américain  sur  le- 
quel il  était  désigné  sous  le  nom  de  Charles  de  Navarre , 
citoyen  des  États-Unis.  S'étant  dirigé  vers  son  départe- 
ment, il  y  revit  plusieurs  individus  qui  l'avaient  connu  au- 
trefois, et  auprès  desquels  il  s'obstina  à  se  faire  passer  pour 
Louis  XVII,  dauphin  de  France,  fable  dont  il  avait  vrai- 
semblablement conçu  l'idée  depuis  longtemps.  Ses  efforts 
pour  la  faire  accueillir  échouèrent  à  cette  époque  auprès  des 
personnes  qui  se  rappelaient  ses  traits ,  et  il  ne  rencontra 
partout  qu'incréduUté  et  que  raillerie.  Plus  heureux  dans  une 
autre  circonstance ,  il  profita  de  l'erreur  d'une  femme  dont 
le  fils,  parti  pour  l'armée,  avait  cessé  depuis  longtemps  de 
donner  de  ses  nouvelles,  et  se  servit  habilement  de  quelques 
particularités  qui  lui  étaient  connues  pour  jouer  le  rôle  de  ce 
fils ,  échappé  aux  dangers  de  la  guerre.  A  ce  titre  il  tira  de 
la  veuve  Phelippeaux  environ  800  francs.  Les  autorités  lo- 
cales ayant  découvert  l'imposture ,  il  fut  incarcéré.  Alors , 
reprenant  son  auguste  caractère,  il  écrivit,  du  fond  de  sa 
prison,  au  gouverneur  de  l'tle  anglaise  de  Guernesey  une 
lettre  signée  Dauphin- Bourbon ,  par  laquelle  il  l'invitait  à 
faire  savoir  au  roi  d'Angleterre  que  le  fils  de  Louis  XVI  était 
dans  les  fers.  Cette  lettre  ayant  été  interceptée,  il  fut  dirigé 
vers  la  maison  de  détention  de  Rouen.  Là ,  il  fit  la  connais- 
sance d'un  nommé  Branzon ,  condamné  à  la  réclusion  pour 
détournement  de  deniers  publics ,  et  il  en  fit  son  secrétaire. 
Les  débats  n'ont  pu  établir  avec  certitude  si  Branzon  fut  la 
dupe  du  roman  fabriqué  par  Mathurin  Bruneau  ,  ou  s'il  crut, 
en  se  rendant  l'instrument  de  cette  intrigue ,  pouvoir  la  faire 
servir  à  sa  fortune.  Ce  qu'il  y  a  de  positif ,  c'est  qu'il  ne  tarda 
pas  à  devenir  le  confident  intime  du  faux  dauphin,  au  nom 
duquel  il  écrivit  à  la  duchesse  d'Angoulême,  puis  à  diverses 
autres  personnes ,  dont  il  obtint  des  secours  pour  le  royal 
prisonnier.  La  curiosité  et  l'amour  du  raerveÙleux  amenè- 
rent bientôt  près  du  fils  du  sabotier  nombre  de  personnes , 
dont  quelques-unes ,  détrompées  par  ses  manières  basses  et 
grossières,  lui  retirèrent  l'intérêt  que  leur  avait  inspiré  d'a- 
bord sa  position,  et  dont  les  autres,  douées  d'une  foi  robuste, 
ou  entrevoyant  dans  cette  affaire  quelque  avantage  personnel, 
se  prêtèrent  avec  empressement  à  servir  ses  desseins.  Dans 
cette  dernière  catégorie  figurèrent  un  prêtre  et  des  femmes 
dont  l'esprit  enthousiaste  avait  saisi  avidement  l'espoir  de 
replacer  sur  le  trône  un  enfant  longtemps  persécuté,  puis 
délaissé ,  et  d'associer  peut-être  leur  nom  à  son  rétablis- 
sement. Ce  fut  probablement  dans  le  même  but  que  se 
forma  à  Paris ,  vers  la  même  époque ,  une  association  chargée 
de  recueillir  des  dons  volontaires  pour  le  prétendu  dauphin; 
mais  la  police,  après  avoir  suivi  quelque  temps  en  silence 
la  marche  de  cette  intrigue,  en  fit  arrêter  les  chefs,  qui  fu- 
rent traduits  devant  les  tribunaux.  Il  résulta  delà  procédure 
qu'ils  n'avaient  eu  d'autre  dessein  que  de  profiter  des  cir- 
constances et  de  l'extrême  crédulité  de  quelques  royalistes 
pour  lever  sur  eux  le  tribut  que  paye  trop  souvent  la  bon- 
homie à  l'astuce. 

Cependant ,  du  fond  de  sa  prison,  Mathurin  Bruneau  con- 
tinuait à  entretenir  d'activés  correspondances;  on  s'étonnait, 
non  sans  raison ,  de  l'indifférence  apparente  avec  laquelle 
le  gouvernement  recevait  des  réclamations  auxquelles  le  de- 
voir le  plus  sacré  exigeait  qu'il  fût  fait  droit  si  elle?  étaient 


790 


BRUNEAU  —  BRUNEHAUT 


fondées ,  et  dont  il  fallait  démasquer  l'imposture  si  elles  ne 
l'étaient  pas.  Enfin,  en  février  1818,  le  sabotier  usurpateur, 
avec  son  secrétaire  et  ses  principaux  agents ,  fut  traduit  de- 
vant la  police  correctionnelle  de  Rouen.  Une  foule  immense 
assista  à  ce  procès,  dans  lequel  le  principal  personnage,  si 
l'on  doit  s'en  rapporter  au  compte-rendu  des  journaux, 
sembla  se  charger  de  dissiper  lui-même  les  préventions  favo- 
rables qui  pouvaient  exister  à  son  égard.  L'incohérence  de 
ses  propos ,  la  bassesse  de  son  langage  et  de  ses  manières , 
son  ignorance  absolue  des  bienséances  les  plus  communes , 
excitèrent  le  rire  et  soulevèrent  le  mépris  de  l'auditoire. 
Quelques-unes  de  ses  réponses  auraient  même  paru  déceler 
un  esprit  aliéné,  si  Ton  n'avait  eu  lieu  de  soupçonner  que 
cette  imbécillité  était  feinte ,  d'après  la  remarque  faite  par 
plusieurs  personnes ,  et  en  particulier  par  son  secrétaire 
Branzon ,  qu'avant  de  paraître  devant  le  tribunal  il  raison- 
nait et  s'exprimait  tout  différemment.  Enfin ,  dans  son  au- 
dience du  19  février,  le  tribunal  correctionnel  rendit  un  ju- 
gement qui  condamna  Mathurin  Bruneau,  comme  convaincu 
d'usurpation  de  nom ,  d'escroquerie  et  de  vagabondage ,  à 
cinq  années  de  détention,  à  l'expiration  desquelles  il  subirait 
une  réclusion  de  deux  autres  années  pour  sa  conduite  turbu- 
lente et  ses  outrages  envers  les  juges.  L'arrêt  portait,  en 
outre,  qu'après  avoir  subi  la  totalité  de  cette  peine ,  il  serait 
remis  entre  les  mains  de  l'autorité  militaire  pour  être  pris , 
à  son  égard,  comme  déserteur,  telle  disposition  qu'elle  ju- 
gerait convenable. 

Le  faux  dauphin  entendit  la  lecture  de  cette  sentence  avec 
une  tranquillité ,  une  indifférence ,  que  n'avaient  pas  donné 
lieu  d'attendre  de  lui  les  violences  auxquelles  il  s'était  laissé 
emporter  durant  les  débats ,  et  de  laquelle  on  a  môme  induit 
qu'il  s'attendait  à  des  conclusions  plus  rigoureuses.  Ainsi  se 
termina  cette  affaire,  qui,  après  avoir  longtemps  fixé  les  re- 
gards de  l'Europe ,  finit  par  aller  grossir  l'histoire  des  im- 
postures par  lesquelles  à  toutes  les  époques  des  ambitieux 
plus  ou  moins  adroits  se  jouent  de  la  crédulité  des  peuples. 
Bruneau  et  ses  coaccusés  ne  se  pourvurent  point  en  cas- 
sation. Pour  couper  court  à  la  correspondance  qu'il  ne  cessait 
d'entretenir  depuis  sa  condamnation,  on  l'écroua ,  le  14  mai 
1821,  dans  la  prison  de  Caen,  d'où  il  fut  transféré,  le  20  du 
même  mois,  au  Mont-Saint-Michel.  On  prétendit  à  cette 
époque  que  l'individu  qui  avait  comparu  devant  la  police 
correctionnelle  de  Rouen  n'était  par  le  même  qu"e  celui  qui 
précédemment  s'était  donné  pour  le  fils  de  Louis  XVI,  et 
qu'entre  les  prisons  et  l'audience  il  y  avait  eu  substitution  de 
personne;  mais  qu'importe,  après  tout,  ce  bruit?  qu'importe 
cette  substitution  vraie  ou  fausse?  Que  Mathurin  Bruneau 
ait  été  ou  n'ait  pas  été  un  dauphin,  qu'est-ce  que  la  France 
pouvait  avoir  à  perdre  ou  à  gagner  à  cela? 

Depuis  1821  on  n'avait  plus  entendu  parler  de  Mathurin 
Bruneau,  lorsque  la  Gazette  des  Tribunaux  publia  une 
lettre  écrite  de  la  Guyane  française,  le  5  août  1844,  dans 
laquelle  on  remarque  les  passages  suivants  :  «  Il  existe  à 
Cayenne  un  homme  que  le  monde  appelle  Mathurin  Bruneau 
et  qui  signe  Symphorien  Bruneau.  Il  parait  âgé  d'environ 
soixante-cinq  ans ,  est  d'une  taille  élevée ,  a  une  figure  toute 
bourbonnienne.  11  est  arrivé  à  la  Guyane  fort  peu  de  temps 
après  le  procès  de  Mathurin  Bruneau ,  et  a  reçu  pendant 
longtemps  la  ration  et  des  secours  du  gouvernement.  Son 
éducation  parait  aussi  peu  développée  et  son  langage  aussi 
grossier  que  celui  du  fameux  Mathurin  Bruneau.  Comme 
lui,  il  parle  avec  une  prétention  ridicule,  et  se  sert  souvent 
de  la  première  personne  du  pluriel  ;  comme  lui ,  il  sait  faire 
du  pain  ;  comme  lui  surtout  il  a  un  talent  remarquable  pour 
confectionner  des  sabots.  Tout  le  monde  ici  le  croit  l'ancien 
dauphin,  et,  quand  on  lui  en  parle,  sans  l'avouer  précisé- 
ment, il  ne  prend  pas  la  peine  de  le  nier.  Il  résulte  du  procès 
du  soi-disant  fils  de  Louis  XVI  qu'il  avait  navigué  quelque 
temps  et  séjourné  plusieurs  années  aux  États-Unis.  Celui-ci 
a  également  habité  ce  pays,  et  passe  pour  assez  bon  marin. 


Il  s'est  procuré  un  mauvais  bateau-ponté  avec  lequel,  à  l'aide 
de  quelques  nègres ,  il  a  fait  des  voyages  de  cabotage  sur 
les  côtes  de  la  Guyane  et  au  Brésil.  De  jeunes  esclaves  nè- 
gres et  mulâtres  disparaissant  de  Cayenne,  on  soupçonna 
Mathurin  Bruneau  de  les  entraîner  dans  ce  marronnage pro- 
longé, sans  les  inscrire  sur  son  rôle  d'équipage.  Arrêté  et 
interrogé  par  le  consul  français  de  Para ,  accusé  de  détour- 
nement de  mineurs,  le  pauvre  Bruneau,  dans  sa  prison, 
passait  le  jour  et  la  nuit  à  écrire.  La  chambre  des  mises  en 
accusation,  reconnaissant  le  consentement  des  mineurs  et  le 
manque  absolu  de  violence  et  de  fraude,  l'a  renvoyé  de- 
vant la  police  correctionnelle,  comme  prévenu  de  transport 
d'esclaves  à  l'étranger,  délit  prévu  et  puni  par  les  lois  spé- 
ciales de  la  colonie.  » 

Mathurin  Bruneau  est  le  sujet  d'une  des  meilleures  chan- 
sons de  Béranger.  Qui  n'a  répété  ce  refrain  bien  connu  : 

Croyez-moi,  prince  de  Navarre, 
Prince  ,  faites-nous   des  sabots. 

E.  G.  DE  MONGLAVE. 

BRU]VEH  AUT  (dans  la  langue  germanique  Brunhild, 
fille  brillante),  était  fille  d'Athanagild,  roi  des  Visigoths  d'Es- 
pagne. Sigebert,  roi  d'Austrasie ,  dédaignant  de  recevoir 
dans  son  lit  des  femmes  de  basse  naissance,  comme  faisaient 
ses  frères,  demanda  sa  main,  et  l'obtint.  «  C'était,  dit  Gré- 
goire de  Tours,  une  jolie  fille,  belle  de  visage,  séduisante 
en  ses  manières,  honnête  et  décente  dans  ses  mœurs,  douée 
de  prudence  dans  les  conseils  et  d'un  langage  llatteur.  «  La 
même  année  Chilpéric,  roi  de  Soissons,  voulut  faire 
comme  son  frère  un  noble  mariage,  et  épousa  Galswinthe, 
sœur  aînée  de  Brunehaut.  Mais  bientôt  il  l'abandonna  pour 
sa  concubine  Frédégonde;  l'infortunée  Galswinthe  fut 
étouffée  entre  deux  matelas.  Ce  meurtre  fit  éclater  entre  les 
deux  reines  une  haine  furieuse,  qui  devait  non  pas  causer, 
mais  animer  la  guerre  entre  les  Francs  d'Austrasie  et 
ceux  de  Neustrie.  C'est  en  vainque  le  saint  évoque  de 
Paris ,  Germain ,  essaya  de  s'interposer  entre  les  partis  : 
Bmneliaut  ne  cessait  de  pousser  son  époux  à  la  vengeance; 
Sigehert  poursuivit  Chilpéric,  et  se  préparait  à  l'assiéger  dans 
Tournay ,  quand  deux  assassins,  envoyés  par  Frédégonde,  vin- 
rent le  frapper  dans  son  camp  avec  des  couteaux  empoi- 
sonnés. Aussitôt  la  fortune  changea  de  face  :  l'armée  austra- 
siennese  dissipa,  et  fit  sa  soumission  au  roi  de  Neustrie; 
Brunehaut  tomba  au  pouvoir  de  son  ennemi.  Cependant  Chil- 
péric, dont  la  cupidité  se  trouvait  assouvie  par  les  riches  tré- 
sors enlevés  à  sa  captrs'e,  la  traita  avec  plus  de  douceur  qu'elle 
ne  s'y  attendait  ;  mais  la  veuve  de  Sigebert,  qui  ne  se  sentait 
pas  en  sûreté  en  présence  de  l'implacable  Frédégonde,  sé- 
duisit le  fils  de  Chilpéric,  Mérovée.  Ce  prince  vint  la  re- 
joindre à  Rouen,  qui  lui  avaitété  donné  pour  résidence,  et  fit 
bénir  son  union  avec  la  femme  de  son  oncle  par  son  parrain, 
l'évêque  Prétextât. 

Quelque  temps  après,  Brunehaut  parvint  à  se  sauver  et  à 
f^agnerl'Austrasie,  où  régnait,  sous  l'autorité  des  grands,  son 
fils  Childebert,  âgé  de  six  ans.  A  peine  de  retour  dans  ses 
États,  elle  eut  à  lutter  contre  les  seigneurs  austrasiens  ;  ces 
leudes,  plus  nombreux  et  plus  compactes  que  les  nobles  francs, 
vivaient  disséminés  dans  la  Neustrie  et  dans  la  Gaule  méri- 
dionale ;  en  même  temps  plusvoisinsdes  forêts  de  la  Germanie, 
leur  ancienne  patrie ,  ils  en  avaient  mieux  gardé  les  mœurs 
rudes  et  farouches,  et  se  croyaient  plus  de  droits  à  l'indépen- 
dance. Aussi  virent-ils  avec  dépit  la  veuve  de  Sigebert  ja- 
louse de  régner  au  nom  de  son  fils  comme  elle  avait  régné 
au  nom  de  son  époux.  Ses  efforts  pour  restaurer  l'adminis- 
tration impériale,  les  Gallo-Romains,  dont  elle  aimait  à  s'en- 
tourer au  milieu  d'un  peuple  encore  sauvage,  les  leudes 
même  qu'elle  avait  attachés  à  sa  personne  (chose  inouïe 
jusque  alors  et  qui  n'avait  lieu  que  pour  un  rci),  furent  au- 
tant de  causes  qui  soulevèrent  les  mécontents.  Elle  eut  pour- 
tant d'abord  si  peu  d'autorité,  qu'elle  ne  put  donner  asile  à 


BRUNEHAUT  —  BRUiNELLE 


791 


son  second  mari,  l'imprudent  Mérovée.  Ce  jeune  prince,  trahi 
par  son  favori  Contran  Boson,  dut  chercher  dans  la  mort  un 
refuge  contre  la  vengeance  de  sa  marâtre.  Déjà  l'évêque  de 
Rouen,  Prétextât,  avait  payé  de  sa  vie  sa  complaisance  pour 
le  fils  de  Chilpéric. 

Cependant  Brunehaut  parvint  à  raffermir  son  autorité 
chancelante  ;  par  le  traité  d  '  A  n  d  e  1  o  t  (  587  ),  elle  obtint  de 
Contran,  roi  de  Bourgogne,  son  beau-frère,  les  villes  de 
Cahors,  Bordeaux,  Limoges  et  celles  aujourd'hui  détruites 
de  Béarn  et  de  Bigorre.  Elles  avaient  formé  le  douaire  de 
Galswinthe,  et  Contran  avait  lui-même  autrefois  condamné 
Chilpéric  à  les  remettre  à  la  reine  d'Austrasie  en  réparation 
du  meurtre  de  sa  sœur,  lorsqu'il  avait  été  pris  pour  arbitre 
par  les  deux  frères.  La  prospérité  et  l'éclat  de  son  gouver- 
nement fut  un  nouveau  tourment  pour  Frédégonde ,  qui  ne 
pouvait,  comme  sa  rivale,  régner  sous  le  nom  de  son  fils; 
selon  sa  coutume,  elle  lui  envoya  deux  assassins,  deux  prê- 
tres, que  l'on  punit  d'un  atfreux  supplice.  Après  la  mort  de 
Childebert,  peut-être  empoisonné  par  les  grands  d'Aus- 
trasie ,  Brunehaut  se  flatta  de  conserver  son  autorité  sous 
son  petit-fils  Théodeberten  l'énervant  par  les  plaisirs. 
Elle  lui  donna  pour  maîtresse  une  jeune  esclave  ;  mais  il  se 
trouva  que  cette  esclave  était  une  femme  de  tête  et  de  cœur, 
qui  acquit  une  grande  influence  sur  le  roi  d'Austrasie,  et 
s'en  servit  pour  chasser  Brunehaut.  La  vieille  reine  se  réfugia 
en  Bourgogne,  qui  appartenait  à  Thierry,  son  autre  petit- 
fils.  Dans  cette  nouvelle  cour  Brunehaut  souilla  ses  cheveux 
blancs  de  débauches  que  l'on  n'avait  pas  eu  à  reprocher  à  sa 
jeunesse  ;  elle  fit  maire  du  palais  le  Romain  Protadius ,  son 
amant;  elle  procura  des  concubines  à  Thierry  pour  garder 
son  influence  sur  lui.  En  même  temps  elle  s'attira  la  haine 
du  clergé  en  faisant  lapider  saint  Didier,  évêque  de  Vienne, 
et  en  chassant  saint  C  olomb  an  ,  qui  s'était  établi  dans  les 
Vosges ,  pour  convertir  un  pays  encore  païen.  Ils  étaient 
coupables  à  ses  yeux  de  pousser  Thierry  au  mariage  en  re- 
poussant les  bâtards  de  l'hérédité  du  trône.  Cependant  son 
gouvernement  tyrannique  ne  fut  pas  sans  gloire  militau-e; 
après  avoir  mis  aux  prises  ses  deux  petits-fils ,  elle  fit  ton- 
surer  et  tuer  plus  tard  le  roi  d'Austrasie,  vaincu.  Ici  s'arrête 
la  dernière  période  de  prospérité  de  Brunehaut  :  la  mort 
subite  de  Thierry  vint  ranimer  les  espérances  de  la  noblesse 
franque.  Plutôt  que  de  voir  la  vieille  reine  ressaisir  encore 
une  fois  le  pouvoir  pendant  la  minorité  des  fils  de  Tliierry, 
Vamachaire,  maire  de  Bourgogne,  et  Pépin,  chef  d'une  illustre 
maison  austrasienne ,  se  laissèrent  battre  par  Clotaire  IL 
Brunehaut,  âgée  de  quatre-vingts  ans,  tomba  aux  mains  du 
fils  de  Frédégonde.  Celui-ci  lui  reprocha  la  mort  de  dix  rois  ou 
princes  ;  sans  doute  il  lui  comptait  les  crimes  de  sa  mère. 
Après  trois  jours  de  torture,  elle  fut  promenée  sur  un  chameau 
à  travers  le  camp,  et  livrée  aux  insultes  des  soldats  ;  puis  on 
l'attacha  par  les  cheveux ,  par  un  pied  et  par  un  bras,  à  la 
queue  d'un  cheval  sauvage,  qu'on  remit  en  liberté.  Les  lam- 
beaux de  son  corps  furent  bnUés  et  ses  cendres  jetées  au 
vent. 

Ainsi  périt  Brunehaut,  fille,  sœnr,  mère  et  aïeule  de  rois, 
«  et ,  dit  Sismondi ,  l'une  des  plus  puissantes  reines  dont  la 
terre  ait  vu  se  prolonger  la  domination.  Quoiqu'elle  eût  sou- 
vent éprouvé  une  fortune  contraire,  elle  avait  toujours  su  se 
relever  par  la  force  de  son  caractère ,  par  un  courage  in- 
domptable, de  rares  talents,  et  un  art  pour  gouverner  les 
hommes  que  ne  posséda  au  même  degré  aucun  des  princes 
de  la  première  race....  On  l'accusa  de  beaucoup  de  crimes 
qu'elle  n'avait  pas  commis ,  et  ce  qui  reste  d'avéré  parmi 
ses  forfaits  ne  passe  pas  la  mesure  commune  des  rois  de  la 
race  de  Clo\is.  Ceux  qui  la  condamnèrent  et  qui  la  firent 
périr  n'étaient  pas  moins  féroces  qu'elle,  et  n'avaient  pas  ses 
talents....  L'architecture  semble  avoir  été  son  principal 
luxe;  elle  y  consacra  les  trésors  qu'elle  amassait  parles  con- 
cussions qui  ont  souillé  sa  mémoire  et  qui  causèrent  sa  ruine  ; 
elle  donna  à  toutes  ses  constructions  un  caractère  de  gran- 


deur unposante,  qui  frappait  l'imagination  du  peuple.  Ses  mo- 
numents, sa  puissance  et  ses  malheurs  avaient  fait  une  impres- 
sion si  profonde  sur  l'esprit  des  hommes,  qu'on  lui  attribua 
ensuite  un  grand  nombre  d'ouvrages  qui  n'étaient  point  d'elle. 
Tout  ce  qu'on  rencontrait  de  grand,  de  fort,  de  durable,  pre- 
nait le  nom  de  Brunehaut.  Il  y  a  en  Belgique,  et  peut  être 
encore  dans  d'autres  contrées,  des  chaussées  de  Brune' 
haut  dont  les  larges  pavés  et  la  construction  inébranlable 
semblent  plutôt  signaler  des  ouvrages  romains.  »  La  mytho- 
logie Scandinave  et  les  chroniques  des  Nibelungen,  par 
une  coïncidence  toute  fortuite ,  contiennent  l'histoire  et  les 
épisodes  de  la  rivalité  d'une  Brunehild  avec  Crimehild  et 
Gudruna.  On  a  eu  tort  d'y  voir  un  souvenir  défiguré  de  la 
longue  querelle  des  reines  d'Austrasie  et  de  Neustrie  ;  le 
seul  rapport  que  l'héroïne  de  l'Edda  puisse  avoir  avec  la 
fille  d'Athanagild ,  c'est  qu'elle  personnifie  comme  elle  les 
passions  de  la  haine  et  de  la  domination  chez  la  femme. 

W.-A.  DUCKETT. 

BRUNEL  (  ]Marc-Isambert  ) ,  ingénieur  célèbre ,  naquit 
en  1769,  à  Hacqueville,  dans  le  départementde  l'Eure.  Après 
avoir  lait  ses  classes  au  collège  de  Cisors,  il  entra  au  sé- 
minaire ;  mais ,  ne  se  sentant  qu'une  médiocre  vocation  pour 
l'état  ecclésiastique ,  et  ne  pouvant  obtenir  de  son  père  la 
permission  de  suivre  la  carrière  d'ingénieur,  il  prit,  en  1786, 
du  service  dans  la  marine  royale.  La  révolution,  qui  éclata 
bientôt,  le  força  à  s'expatrier.  En  1793  il  passa  en  Amérique, 
et  arriva  à  New-York,  où ,  se  livrant  tout  aussitôt  à  son 
goût  inné  pour  la  mécaniqueet  les  sciences  qui  s'y  rapportent, 
il  ne  tarda  pas  à  être  chargé  de  la  direction  d'une  fonderie 
de  canons,  et  de  celle  des  fortifications  du  port.  En  1799  U 
abandonna  cependant  cette  position  pour  se  rendre  à  Londres, 
où  il  se  fixa.  Une  ùnmense  machine  à  fabriquer  des  poulies, 
qu'il  monta  en  1806  pour  le  service  de  la  marine,  machine 
qui  depuis  n'a  cessé  de  fonctionner  et  de  livrer  ses  produits 
à  la  marine  avec  une  économie  de  24,000  livres  sterling  par 
an,  lui  valut  du  gouvernement  anglais  une  récompense 
de  2,000  llvr.  sterl.  (  50,000  francs);  quelque  temps  après 
il  construisit  à  Chatam,  pour  l'amirauté,  une  scieriedont  tout 
le  mécanisme  excita  l'admiration  des  juges  compétents.  Il 
inventa  encore  successivement  une  machine  à  dévider  le 
coton,  une  scie  circulaire  pour  découper  en  plaques  les  bois 
précieux,  et  une  mécanique  à  faire  des  souliers  pour  l'armée. 

Il  s'était  déjà  fait  la  réputation  la  plus  honorable  en  même 
temps  que  la  position  la  plus  lucrative,  lorsqu'il  lui  fut 
donné  de  mettre  le  comble  à  sa  célébrité  par  la  construction 
du  tunnel  sous  la  Tamise,  dont  il  avait  conçu  le  plan 
dès  1819,  époque  où  il  eut  une  entrevue  avec  l'empereur 
Alexandre,  auquel  il  proposa  de  construire  un  passage  sous 
la  Newa  dans  un  endroit  où  l'accumulation  des  glaces  et  la 
force  de  la  débâcle  rendaient  impossible  l'établissement  d'un 
pont.  Ce  projet  n'ayant  pas  eu  de  suites,  Brunel  ne  put  com- 
mencer qu'en  182  5  l'exécution  de  son  gigantesque  monument, 
qui,  terminé  en  1842,  après  une  lutte  incessante  contre  des 
obstacles  qui  eussent  fait  reculer  tout  autre,  a  été  solennel- 
lement inauguré  le  25  mars  1843. 

Brunel  était  vice-président  de  la  Société  royale  de  Londres , 
honneur  bien  rarement  conféré  à  un  étranger;  et  en  1841 
le  gouvernement  angMs  avait  récompensé  ses  beaux  travaux 
en  le  créant  baronnet.  Il  a  succombé  à  une  longue  maladie , 
le  11  décembre  1849. 

Son  fils,  qui  en  1842  faillit  périr  pour  avoir  impru- 
demment avalé,  en  jouant,  une  pièce  d'or,  et  qui  n'échappa 
alors  à  une  mort  imminente  qu'en  se  soumettant  aux  plus 
dangereuses  opérations,  s'est  aussi  rendu  très-célèbre  comme 
ingénieur  civil.  Il  a  pris  une  part  importante  à  la  cons- 
truction du  chemin  de  fer  de  Londres  à  Bristol,  et  a  secondé 
son  père  dans  les  travaux  du  tunnel. 

BRUIXELLE,  nom  vulgaire  du  %e.m&  prunella,  de  la 
famille  des  labiées  et  de  la  didynamie  gymnospermie.  Les 
brunelles  croissent  dans  toutes  les  régions  du  globe.  On  en 


792 


BRUNELLE  —  BRUNELLESCHI 


connaît  une  quinzaine  d'espèces,  dont  la  plupart  sont  assez 
communes  en  France  :  nous  citerons  principalement  la 
brunelle  commune  et  la  brunelle  à  grandes  fleurs. 

La  brunelle  commune  (  prunella  vulgaris,  Linné  )  se 
rencontre  partout  sous  nos  pas  ;  ses  feuilles  sont  ovales , 
pétiolées,  entières  ou  un  peu  dentées ,  quelquefois  à  trois 
lobes  ou  fortement  laciniées;  les  fleurs  sont  purpurines, 
bleuâtres,  ou  blanches,  assez  petites  ;  la  lèvre  supérieure  du 
calice  tronquée,  à  trois  dents,  à  peine  sensibles. 

La  brunelle  à  grandes  fleurs  (  prunella  grandiflor a  ), 
qui  entre  dans  l'ornement  des  jardins,  montre  en  juillet  ses 
fleurs  en  épi ,  fort  grandes ,  renflées,  bleues,  pourpres,  ro- 
sées ou  blanches.  Elle  demande  une  terre  légère  et  une 
exposition  découverte,  et  se  multiplie  de  graines  ou  d'éclats 

Les  vaches,  les  moutons  et  les  chèvres  broutent  toutes 
les  espèces  du  genre  brunelle. 

BRUNELLESCUI  (Filippo),  né  en  1377  et  mort  en 
1444,  descendait  d'une  ancienne  famille  de  Florence,  qui 
comptait  quelques  hommes  célèbres  dans  les  sciences  ou 
dans  l'exercice  des  professions  libérales.  Son  père  était  no- 
taire ,  son  grand-père  avait  été  médecin,  et  le  jeune  Filippo, 
que  l'on  destinait  à  l'une  de  ces  deux  carrières,  reçut  d'a- 
bord une  instruction  conforme  à  l'une  et  à  l'autre  de  ces  direc- 
tions; mais  uneaptitudenaturelleàtoutesles  choses  d'adresse, 
ainsi  qu'une  rare  et  précoce  intelligence  pour  tous  les  tra- 
vaux de  la  main,  l'appelaient  à  une  vocation  que  son  père  ne 
voulut  point  contrarier.  Le  jeune  Brunelleschi  fut  placé  par 
lui  chez  un  orfèvre.  L'art  de  l'orfèvrerie  était  alors  à  Flo- 
rence tout  autre  chose  que  ce  qu'il  est  le  plus  souvent  chez 
nous  et  de  nos  jours.  Cet  art  se  liait  intimement,  et  par  une 
multitude  de  procédés  et  par  le  nombre,  la  grandeur  et  le 
genre  de  ses  productions,  à  tous  les  arts  du  dessin;  il  était 
surtout  (ainsi  que  le  fait  voir  l'histoire  de  cette  époque)  l'ap- 
prentissage et  l'école  de  la  sculpture.  Brunelleschi,  tout  en  se 
livrant  aux  opérations  qui  constituent  la  partie  commerciale 
du  travail  des  métaux,  en  vint  bientôt  à  ne  les  considérer 
que  comme  des  moyens  applicables  aux  œuvres  du  génie , 
et  sa  liaison  avec  le  jeune  Donatello,  qui  était  destiné  à 
être  le  premier  sculpteur  de  son  siècle ,  lui  inspira  le  désir 
de  se  montrer  son  émule.  Il  le  devint  en  effet,  à  un  point  tel 
qu'il  se  vit  compris  au  nombre  des  sept  compétiteurs  qui 
eurentà  disputer  l'exécution  des  portes  de  bronze  du  baptis- 
tère de  Florence,  concours  dans  lequel  Brunelleschi  et  son 
ami  Donatello  durent  céder  la  palme  à  Lorenzo  Ghiberti, 
dont  ils  s'empressèrent  de  reconnaître  la  supériorité,  et 
dont  Brunelleschi  refusa  même  de  partager  la  gloire. 
Mais  dès  ce  moment  il  conçut  le  projet  d'en  poursuivre  et 
d'en  obtenir  une  qu'aucun  autre  ne  pût  lui  disputer  : 
les  études  qu'il  avait  faites  en  géométrie,  en  optique  et  en 
mécanique,  lui  donnaient  les  moyens  de  choisir  parmi  les  arts 
libéraux  celui  qui  pouvait  lui  offrir  le  plus  de  chances  :  il  se 
décida  pour  l'architecture,  et  partit  avec  Donatello  pour  al- 
ler à  Rome  étudier  les  modèles  de  l'art  antique,  alors  mé- 
connus dans  sa  propre  patrie. 

Bientôt  Brunelleschi  conçut  le  projet  de  réunir  par  une 
immense  coupole  les  quatre  nefs  de  Sainte-Marie-des-Fleurs 
à  Florence,  sa  patrie.  Il  voulait  élever  au-dessus  de  cet  édi- 
fice une  voûte,  non  pas  en  bois  de  charpente,  mais  en  pierre  et 
en  matériaux  solides,  et  lui  donner  une  dimension  proportion- 
née à  sa  largeur  et  à  la  grande  hauteur  du  reste  de  l'église. 
Mais  un  tel  projet  demandait  à  être  médité  en  silence,  et  à 
n'être  exposé  au  grand  jour  qu'avec  les  plus  grandes  pré- 
cautions ,  sous  peine  de  le  voir  regarder  comme  un  de  ces 
tours  de  force  dont  il  n'était  permis  qu'à  l'imagination  de  faire 
les  frais.  Cette  œuvre  immense,  Brunelleschi  sut  l'exécuter , 
et  il  fut  servi  dans  son  projet  par  une  de  ces  circonstances 
qui  semblent  naître  quelquefois  si  à  propos  pour  le  génie 
quand  il  ne  les  fait  pas  naître  lui-même.  En  1407 ,  l'année 
même  du  retour  de  Brunelleschi  dans  sa  patrie,  fut  convo- 
quée à  Florence  une  assemblée  d'architectes  et  d'ingénieurs 


pour  délibérer  sur  la  meilleure  manière  de  terminer  l'église 
de  Sainte-Marie-des-Fleurs,  objet  qui  depuis  longtemps  était 
celui  de  ses  méditations.  Un  premier  avis,  ouvert  par  lui , 
et  qui  concernait  quelques  dispositions  à  prendre  avant  la 
résolution  de  la  question  principale,  ne  trouva  point  de 
contradicteurs ,  et  fut  adopté  à  l'unanimité  ;  mais ,  politique 
adroit  autant  qu'artiste  savant,  Brunelleschi  retarda  autant 
qu'il  put  la  solution  que  son  génie  avait  trouvée,  et,  dans  le 
double  but  de  se  dérober  à  la  curiosité  pour  l'exciter  davan- 
tage, et  de  recueiUir  toutes  les  lumières  dont  il  avait  besoin  de 
s'entourer,  il  s'absenta  jusqu'à  trois  reprises  différentes  de 
Florence,  pour  retournera  Rome,  dans  l'intervalle  de  dif- 
férentes conférences  qui  eurent  lieu  au  sujet  de  l'entreprise 
projetée. 

Près  de  treize  années  se  passèrent  ainsi  en  essais  et  en 
tentatives  infructueuses  d'une  part,  en  ajournements  habi- 
lement ménagés  de  l'autre;  enfin,  en  1420,  un  congrès  com- 
posé des  architectes  les  plus  renommés  de  l'Europe  s'étant 
réuni  à  Florence ,  Brunelleschi  ne  voulut  pas  différer  davan- 
tage de  leur  exposer  son  plan ,  s'attendant  à  trouver  dans 
cette  brillante  réunion  de  savants  encore  plus  d'approbateurs 
et  de  témoins  de  son  triomphe  que  de  véritables  rivaux  ;  mais 
on  le  railla  quand  on  l'entendit  proposer  d'élever  à  la  hau- 
teur de  quatre-vingt-quatorze  mètres  une  coupole  de  plus 
de  quarante-deux  mètres  de  diamètre  ;  on  ne  le  comprit  pas 
quand  il  dit  qu'il  ferait  deux  coupoles  inscrites  l'une  dans 
l'autre  et  de  manière  à  laisser  entre  elles  un  assez  grand 
vide;  on  l'injuria,  on  le  traita  tout  haut  d'insensé  quand  il 
eut  affirmé  que  pour  cintrer  ces  immenses  voûtes  il  n'em- 
ploierait aucune  espèce  de  soutien  ou  de  forme  intérieure  de 
charpente.  Habitués  aux  légèretés  de  forme  de  la  bâtisse 
gothique,  ses  compétiteurs  ne  savaient  autre  chose  qu'éle- 
ver très-haut,  à  l'aide  d'arcs-boutants,  des  murs  évidés  par 
toutes  sortes  de  découpures ,  des  voûtes  en  tiers-point,  for- 
mées de  petite  maçonnerie  légère,  et  dont  la  poussée  se  trou- 
vait divisée  et  répartie  sur  plusieurs  points.  Or,  il  s'agissait 
avant  tout ,  dans  l'érection  de  la  coupole  projetée ,  d'établir 
un  nouveau  système  de  bâtir,  en  vertu  duquel  la  construc- 
tion toute  seule,  dans  celte  vaste  circonférence  et  avec  sa 
prodigieuse  portée,  se  senlt  à  elle-même  et  d'échafaudage  et 
de  point  d'appui. 

Tel  était,  en  effet,  le  problème  que  Brunelleschi  avait  su  ré- 
soudre, et  dont  la  communication  du  modèle  en  relief  qu'il 
avait  exécuté  eût  convaincu  les  moins  experts;  mais  il  mit 
une  sorte  d'amour-propre  à  les  amener  à  lui  par  d'autres 
moyens  ,  à  les  élever,  pour  ainsi  dire,  dans  leur  propre  es- 
time en  les  conduisant  à  deviner  une  partie  de  son  secret 
par  ce  qu'il  leur  en  laissait  voir.  Non-seulement  il  était  par- 
venu à  les  réduire  au  silence,  il  avait  encore  obtenu  leurs 
suffrages.  Mais  on  voulut  apporter  à  la  direction  de  l'entre- 
prise, qui  venait  de  lui  être  définitivement  adjugée,  des  con- 
ditions humiliantes  pour  son  orgueil,  en  lui  donnant  pour 
collègue ,  chargé  plutôt  de  surveiller  que  de  seconder  ses 
travaux ,  ce  même  Lorenzo  Ghiberti ,  avec  lequel  il  s'était 
jadis  trouvé  en  rivalité,  et  dont  il  avait  refusé  de  devenir 
l'associé.  Sa  vengeance  était  prête  :  une  feinte  maladie  fut 
le  piège  qu'il  tendit  à  l'incapacité  de  son  collègue,  qui  fut 
bientôt  obligé  de  se  retirer  de  lui-même  pour  ne  pas  mettre 
au  grand  jour  son  impuissance  et  l'immense  supériorité  du 
génie  de  Brunelleschi.  Dès  ce  moment  Brunelleschi  devint 
entièrement  maître  de  son  projet,  et  le  public,  mis  dans  le 
secret  de  l'artiste  par  l'exposition  de  son  modèle ,  ne  put  se 
lasser  d'admirer  la  puissance  de  talent  et  la  rare  intelligence 
qu'il  avait  apportées  à  en  coordonner  toutes  les  parties.  Il 
eut  avant  de  mourir  la  satisfaction  de  voir  sa  coupole  ache- 
vée, à  la  réserve  de  l'extérieur  du  tambour,  pour  la  décora- 
tion duquel  il  avait  laissé  des  dessins  qui  furent  soustraits 
ou  perdus. 

■    Cette  coupole  est  en  quelque  sorte  l'expression  du  génie 
et  de  la  vie  tout  entière  de  Brunelleschi.  H  fit  cependant 


BRUNELLESCHI  —  BRUNET 

d'autres  ouvrages  importants.  Le  grand-duc  Côme  de  Médicis 
et  le  pape  Eugène  IV  l'employèrent  dans  une  foule  de  tra- 
vaux, qui  eussent  suffi  à  la  réputation  de  plusieurs  autres 
architectes  ;  nous  citerons  seulement  parmi  ces  travaux  le 
célèbre  palais  Pitti,  qui,  augmenté  depuis  par  les  soins 
d'Ammanati ,  est  devenu  le  séjour  des  grands-ducs  de  Tos- 
cane à  Florence. 

Quoique  la  sépulture  de  sa  famille  fût  dans  l'église  de 
Saint-Mare ,  le  corps  de  Brunelleschi  fut  inhumé  dans  celle 
de  Sainte-Marie-des-Fleurs  :  touchant  hommage  rendu  par 
le  peuple  de  Florence  à  son  grand  artiste. 

BRUIVELLIER  ,  genre  de  plantes  qui  renferme  six  à 
huit  espèces,  dont  deux  sont  originaires  des  îles  Sandwich 
et  Rawak,  et  les  autres  de  l'Amérique  méridionale.  Ce  genre, 
que  M.  de  Jussieu  place  dans  la  famille  des  zanthoxylées, 
fiit  dédié  par  Ruiz  et  Pavon  au  botaniste  bolonais  Brunelli. 
Les  brunelliers  sont  des  arbres  à  fleurs  diclines,  disposées 
en  panicules  ou  en  corymbes  axillaires  ou  terminaux. 

BRUIXET  (Jacqles-Cuarles),  célèbre  bibliographe, 
naquit  le  2  novembre  1780  ,  à  Paris,  oii  son  père  était  li- 
•  braire.  Après  avoir  quelque  temps  exercé  lui-même  cette 
profession ,  il  débuta  dans  la  carrière  bibliographique  par 
la  rédaction  de  plusieurs  catalogues  de  ventes  de  livres,  dans 
le  nombre  desquels  on  peut  citer  celui  de  la  bibliothèque 
du  comte  d'Ourches  (1811)  comme  offrant  un  vif  intérêt, 
et  comme  ayant  conservé  une  grande  valeur.  En  1802,  il 
avait  déjà  publié  un  Supplément  au  Dictionnaire  Biblio- 
graphique de  Duclos  et  de  Cailleau.  Plus  tard  il  donna  son 
Manuel  du  Libraire  et  de  l'Amateur  de  Livres  (Paris, 
1810,  3  vol.),  et  il  fit  suivre  ce  livre  de  ses  Nouvelles 
Recherches  bibliographiques  pour  servir  de  supplé- 
ment au  Manuel  (3  vol.,  Paris,  1834;  4^  édition,  1842- 
1843).  Ces  ouvrages,  fruit  d'un  travail  immense,  ont  fait 
dire  que  M.  Brunet  pouvait  à  bon  droit  passer  pour  le  créa- 
teur de  la  bibliographie  générale;  ils  ne  sont  pas  moins  esti- 
més et  recherchés  à  l'étranger  qu'en  France ,  et  font  tout  à 
fait  autorité  dans  la  matière.  On  lui  doit  encore  une  Notice 
sur  les  différentes  éditions  des  Heures  gothiques  ornées 
de  gravures  et  imprimées  à  Paris  à  la  fin  du  quinzième  et 
au  commencement  du  seizième  siècle  (1834);  des  Notices 
sur  deux  anciens  romans  intitulés  :  Les  Chroiii</ues  de 
Gargantua  (1834);  et  les  Poésies  françuists  de  J.-E. 
Alione  (d'Asti),  composées  de  1494  à  1520,  pubUées  pour  la 
première  fois  en  France  avec  une  notice  biogi-aphique  et  bi- 
bhographique. 

BRUJVET  (MIRA,  dJO  »  né  à  Paris,  en  1766,  est  parmi 
les  acteurs  de  nos  théâtres  secondaires  celui  dont  le  nom  et 
la  réputation  ont  été  le  plus  populaires ,  le  plus  répandus. 
Pendant  le  cours  de  sa  vogue ,  l'une  des  plus  longues  que 
l'on  puisse  citer  dans  les  annales  de  la  scène ,  on  ne  disait 
plus  :  Allons  aux  Variétés  ;  mais,  allons  chez  Brunet.  Cette 
faveur  si  prononcée,  si  constante,  était  justifiée ,  il  faut  le 
dire ,  par  un  jeu  d'une  vérité ,  d'une  naïveté ,  d'un  naturel 
parfaits  dans  un  genre  inférieur  ;  Brunet  eut ,  en  outre ,  l'a- 
vantage si  précieux  de  venir  à  temps.  Son  public  n'avait  plus 
ce  dédain  aristocratique  pour  la  peinture  des  mœurs  du 
peuple,  qui  avant  la  révolution  de  1789  eût  pu  nuire  à  l'ef- 
fet des  tableaux  dont  il  était  le  personnage  principal.  Et  nul 
mieux  que  Brunet ,  dont  la  figure  seule  provoquait  le  rire  le 
plus  franc ,  ne  pouvait  répondre  à  ce  besoin  de  l'époque. 
Cette  révolution  qui  devait  changer  tant  de  destinées ,  tant 
de  carrières ,  le  lança  dans  celle  du  théâtre  ;  son  père  tenait 
dans  le  quaitier  de  la  Halle  un  bureau  de  loterie  d'un  grand 
rapport.  Quoique  le  jeune  Mira  eût  un  goiit  très-vif  pour  le 
spectacle ,  surtout  pour  celui  qu'égayaient  alors  les  lazzis  de 
Carlin,  il  ne  songeait  nullement  à  jouer  la  comédie  autre- 
ment qu'en  société ,  et  était  destiné  à  hériter  du  bureau  et 
des  occupations  de  son  père.  Une  particularité  assez  piquante 
de  son  enfance,  c'est  que  Talma,  dont  les  parents  habitaient 
aussi  ce  quartier,  fut  son  condisciple  dans  une  des  modestes 

DICT.    DE   LA   CONVERS.    —   T.    III. 


793 

pensions  de  l'arrondissement.  Assurément  leurs  camarades 
ne  se  doutaient  guère  qu'ils  avaient  auprès  d'eux  la  tragédie 
et  la  farce,  Manlius  et  Cadet-Roussel. 

Lors  de  la  suppression  des  loteries,  en  1790,  le  fils  du  bu- 
raliste songea  à  se  faire  une  ressource  de  ce  qui  n'avait  été 
jusque  là  pour  lui  qu'un  amusement.  Il  obtint  de  ses  pa- 
rents, non  sans  difficulté,  et  sous  la  condition  de  changer 
son  nom  de  famille  contre  celui  de  Brunet ,  la  permission 
d'aller  essayer  en  province  son  talent  dramatique.  Deux 
ans  de  scène  à  Rouen  le  firent  appeler  à  Paris,  où  il  débuta 
sur  le  théâtre  de  la  Cité  dans  Le  désespoir  de  Jocrisse,  rôle 
qu'avait  créé  Baptiste  cadet,  et  qu'après  cet  acteur  il 
était  difficile  d'aborder.  Sorti  avec  bonheur  de  cette  épreuve, 
Brunet  devmt  bientôt ,  à  son  tour,  un  des  sujets  les  plus 
aimés  du  pubhc,  et  quelque  temps  après  il  passa  au  Pa- 
lais-Royal, sur  le  théâtre  de  M"^  Montansier,  dont  cet  Atlas 
de  la  bouffonnerie  fut  pendant  neuf  ans  la  plus  ferme  co- 
lonne. L'aflluence  qu'il  y  attirait  de\int  certainement  le 
principal  motif  du  décret  impérial  qui  fit  fermer  cette  salle 
en  1807,  comme  nuisant  à  la  prospérité  du  Théâtre-Fran- 
çais ;  la  foule  n'en  suivit  pas  moins  Brunet,  d'abord  au  théâtre 
de  la  Cité,  où  fut  représentée  cent  fois  de  suite  La  famille 
des  Innocents,  puis  dans  la  salle  des  Variétés,  construite  au 
boulevard  Montmartre,  où  ses  anciens  directeurs  contrac- 
tèrent avec  lui  une  association  dont  ils  n'eurent  pas  à  se  re- 
pentir. Il  resta  attaché  à  ce  théâtre  jusqu'en  1833,  qu'il  prit 
sa  retraite,  après  avoir  fait  rire  le  public  pendant  trente-cinq 
ans.  Il  était  alors  presque  septuagénaire  et  jouissait  d'une 
modeste  aisance,  fruit  de  ses  longs  travaux. 

L'espace  nous  manquerait  pour  citer  seulement  les  prin- 
cipaux rôles  de  sa  création  ;  sa  carrière  théâtrale  offre  trois 
grands  types  bien  distincts.  Dans  les  niais,  où  il  se  montra 
surtout  l'acteur  de  la  nature,  il  sut  différencier  les  nuances 
de  ce  type ,  et  faire  ressortir  tour  à  tour  la  simplicité  de 
Jocrisse,  la  candidïté  d'Innocentin,  les  prétentions  comiques 
de  Cadet-Roussel ,  la  mahce  du  Niais  de  Sologne,  la  pol- 
tronnerie de  Tremblin  et  d'Agnelet,  etc.  Les  travestisse- 
ments lui  valurent  des  succès  auxquels  n'ont  jamais  atteint 
ceux  qui  remplissent  ce  même  emploi  :  ce  sont  des  hommes 
déguisés  en  femmes ,  tandis  que  Brunet  était  réellement  Cen- 
drillon.  Belle-belle,  Flamméa,  etc.  Quoiqu'il  eût  alors 
près  de  cinquante  ans ,  l'illusion  était  complète.  Enfin,  plu- 
sieurs rôles  grimés ,  plusieurs  caractères  qui  se  rapprochaient 
davantage  de  la  comédie,  tels  que  ceux  de  Vautour,  de 
Pépin,  du  vieux  procureur  de  L'intérieur  dé  l'Étude ,  ajou- 
tèrent encore  à  sa  renommée  théâtrale ,  et  prouvèrent  que 
le  naturel  n'excluait  pas  chez  lui  la  variété. 

Plus  d'une  fois  on  a  voulu  créer  à  Brunet  un  autre  genre 
de  réputation ,  en  lui  prêtant  quelques  mauvais  bons  mots 
politiques  dont  il  était  fort  innocent.  Un  de  ces  mensonges 
unprimés  qui  se  propagent  de  recueil  en  recueil  a  fait  croire 
aussi  à  beaucoup  de  lecteurs  qu'il  avait  été  emprisonné  sous 
le  consulat,  pour  avoir,  dans  son  rôle  de  Jocrisse,  plai- 
santé sur  les  préparatifs  de  descente  en  Angleterre,  et  com- 
paré les  bateaux  de  Boulogne  à  des  coquilles  de  noix.  Cette 
anecdote  est  tout  à  fait  controuvée,  mais  en  voici  une  plus 
authentique ,  dans  laquelle  apparaît  la  grande  figure  de  l'em- 
pereur en  regard  avec  le  masque  bouffon  de  Brunet.  A  l'é- 
poque où  circulait  déjà  parmi  les  personnes  de  la  cour  im- 
périale le  bruit  du  divorce  avec  Josépliine,  sans  qu'il  eût 
encore  transpiré  dans  ie  public,  les  acteurs  du  théâtre  des 
Variétés  furent  appelés  à  Grosbois  par  le  prince  de  Ncuf- 
châtel ,  pour  y  contribuer  aux  plaisirs  de  la  fête  qu'il  y  don- 
nait à  Napoléon.  On  représentait  devant  l'illustre  assem- 
blée Cadet-Roussel ,  professeur  de  déclamation.  La 
première  moitié  de  la  pièce  divertit  beaucoui)  les  specta- 
teurs, sans  en  excepter  l'hôte  célèbre  de  Bertliier;  inais 
lorsqu'un  des  personnages  dit  à  Cadet  que  son  élève  ne 
vient  chez  lui  que  pour  décider  sa  femme  à  un  divorce,  ce 
mot  fatal  comprima  soudain  la  gaietô.  Ce  fut  bien  pis  encore 

100 


794 


BRUNET  —  BRUNI 


lorsque  Cadel-Roussel-Brunet  s'écria,  avec  ce  sérieux  si 
comique  du  singulier  professeur  :  «  Est-ce  que  tous  croyez 
que  c'est  pour  le  plaisir  que  je  me  suis  marié?  C'est  pour  ne 
pas  laisser  finir  la  perpétuité  de  ma  famille  :  c'est  pour  me 
voir  renaître  à  moi-même...  «  Celte  fois,  des  chuchotements, 
des  regards  dirigés  timidement  sur  l'impératrice,  le  silence 
morne  et  glacial  des  courtisans  pendant  tout  le  reste  de  cette 
parade  déconcertèrent  totalement  Drunet  et  ses  acteurs,  qui 
l'achevèrent  tant  bien  que  mal  et  le  plus  vite  possihle.  Jo- 
séphine n'avait  pu  cacher  son  trouble;  l'empereur,  plus 
maître  de  lui-même ,  fit  bonne  contenance  jusqu'à  la  fin. 
«  Qu'avez-vous  (ait,  malheureux  ?  »  vint  direalors,  tout  ef- 
frayé, aux  acleurs,  qui  ne  l'étaient  guère  moins,  l'aide  de 
camp  du  prince  de  \Vagram  ,  l'auteur  Reveroni  Saint-Cyr , 
malencontreux  ordonnateur  du  spectacle.  «  Je  ne  connaissais 
pas  cette  pièce  ;  il  fallait  me  prévenir.  »  Mais  .  pendant  ce 
temps,  l'empereur,  rentré  dans  les  salons,  disait  au  prince, 
un  peu  troublé  aussi  :  «  Berthier,  mon  secret  était  bien 
gardé,  car  ces  bonnes  gens  auraient  à  coup  sûr  choisi  un 
antre  ouvrage.  »  Le  grand  homme  en  effet  ne  garda  point 
rancune  à  Cadet-Roussel ,  et  Brunet ,  l'un  des  comédiens 
qui  le  délassaient  le  mieux  de  ses  importantes  préoccupa- 
tions, vint  souvent  encore  jouer  devant  lui  et  sa  cour.  Piron 
comptait  parmi  ses  titres  de  gloire  celui  d'avoir  fait  rire  le 
guet  ;  l'acteur  qui  amena  plus  d'une  fois  le  sourire  sur  les 
lèvres  de  Napoléon  peut  à  juste  titre  se  glorifier  d'un  bien 
plus  beau  succès.  Ourrï. 

BRUIXETTI  (Angelo),  surnommé  Cicernacchio,  voi- 
turier  du  ïranstevère,  s'est  rendu  fameux  lors  des  événe- 
ments arrivés  à  Rome  pendant  les  années  1S'*8  et  1849. 
Quoiqu'il  n'eût  reçu  aucune  instruction  ,  il  sut,  grâce  à  une 
intelligence  peu  ordinaire  et  à  ses  rares  talents,  dominer  la 
jnultitude,  et  pendant  longtemps  il  exerça  une  grande  in- 
fluence sur  la  populace  de  Rome.  11  n'employa  d'abord  son 
crédit  qu'à  prévenir  les  excès,  à  fortifier  les  Romains  dans 
leur  vénération  pour  Pie  IX  et  à  diriger  les  démonstrations 
quotidiennes  de  reconnaissance  pour  le  pape  réformateur. 
Cependant,  lorsque  la  réforme  dégénéra  en  révolution,  lorsque 
le  pape  refusa  formellementdedéclarer  la  guerre  à  l'Autriche, 
Cicernacchio  changea  de  rôle.  Aveuglé  par  sa  vanité  ou  par 
les  louanges  des  républicains,  il  ne  tarda  pas  à  devenir  un 
inslriiment  entre  les  mains  des  démocrates.  On  n'a  jamais 
pu  prouver,  il  est  vrai,  qu'il  ait  pris  part  à  l'assassinat  de 
Rossi  ;  mais  il  a  participé  à  la  révolution  du  IG  novembre 
1848.  Il  se  montra  zélé  partisan  de  la  république;  cepen- 
dant, comme  on  n'avait  plus  besoin  de  lui,  on  le  laissa  de 
côté.  Une  fois  les  Français  à  Rome,  il  s'enfuit  à  Gênes. 

BRUIVETTO  LATINI.  Voyez  Latini. 

BRUNFELS  ou  BRUNSFELS  (Othon),  médecin  et 
botaniste  allemand  du  seizième  siècle,  naquit  vers  1464,  près 
de  Mayence,  et  mourut  à  Berne,  le  23  novembre  1534.  Fils 
d'un  tonnelier,  il  fut  dès  sa  jeunesse  entraîué  vers  l'étude 
des  sciences,  et  parvint  au  grade  de  licencié  en  théologie  et 
en  philosophie.  Ses  parents  n'ayant  pu  lui  fournir  les  res- 
sources qui  lui  auraient  été  nécessaires  pour  poursuivre  ses 
travaux,  il  prit  le  froc  dans  un  couvent  de  chartreux  situé 
aux  environs  de  Mayence.  Quand  les  doctrines  de  Luther 
commencèrent  à  se  répandre  en  Allemagne,  Bnmfels  était 
déjà  arrivé  à  la  cinquantaine;  elles  produisirent  une  vive 
impression  sur  son  esprit,  et  le  déterminèrent  à  abandonner 
son  couvent  pour  se  faire  prédicateur  protestant.  Mais  mal- 
gré son  zèle  pour  la  réforme,  sa  constitution  chétive  et  ma- 
ladive le  força  de  renoncer  au  rôle  d'apôtre,  pour  se  con- 
tenter du  modeste  rôle  de  maître  d'école  à  Strasbourg.  Il  y 
passa  neuf  années  ,  étudiant  en  même  temps  la  médecine 
et  les  sciences  naturelles;  et  reçu  docteur  en  médecine  en 
1530àBâle,  il  remplit  pendant  deux  ou  trois  ans  les  fonctions 
de  médecin  inspecteur  à  Berne.  Les  derniers  moments  de  sa 
vie  paraissent  avoir  été  exclusivement  consacrés  à  la  bota- 
i(^ique,  dont  il  fut  le  restaurateur  au  seizième  siècle,  et  à  la 


rédaction  de  ses  ouvrages.  Il  traça  à  la  science  une  route 
nouvelle  en  donnant  l'exemple  des  herborisations  pour  ap- 
prendre à  connaître  les  plantes  indigènes.  C'est  ainsi  qu'il 
fit  connaître  plus  décent  trente  espèces  qui  étaient  demeurées 
inconnues  à  ses  prédécesseurs.  Plumier  lui  a  consacré , 
sous  le  nom  de  brttn/elsia,  un  genre  de  solanées.  On 
a  de  Brunfeisun  grand  nombre  d'ouvrages  relatifs  soit  à  la 
médecine,  soit  à  la  botanique  ;  nous  citerons  entre  autres  : 
Herbarum  vivx  Icônes  ad  naturx  imitatïonem  summa 
cum  diUgentia  effigiatx,  unacum  efjectlbus  earumdem 
(Strasbourg,  1530,  in-fol.);  Catalojus  illustrium  Medico- 
rum,  scu  deprimis  medicina:  >,crip totibus  {\\y\d.,  1533)  ; 
Onomnaticon  seu  Lexicon  Medicinse  simplicis,  avec  les 
ouvrages  de  Théophraste  (ibid.,  1534);  EpHome  Medices, 
summum  tolius  medicinx  complectens  (Anvers  et  Pa- 
ris, 1540);  Chrrurgia  Parva  (Francfort,  1569). 

BRUIVFELSIA,  genre  de  solanées,  établi  par  Plu- 
mier en  l'honneur  d'Othon  Brunfels.  Il  se  compose  d'ar- 
brisseaux de  l'Amérique  méridionale.  Le  bninfclsïer  des 
Antilles  {brunfelsia  americanà)  est  môme  un  arbre  assez 
grand  dans  les  contrées  où  il  est  indigène.  Il  a  besoin  pour 
fleurir  d'une  bonne  terre  substanticUe  et  d'une  chaleur 
continuelle,  et  ne  peut  exister  chez  nous  que  dans  les  serres 
chaudes,  où  il  reste  nain,  mais  dont  il  fait  le  plus  bel  or- 
nement, par  son  feuillage,  toujours  vert,  et  ses  charmantes 
fleurs,  grandes  et  blanches,  qui  répandent  pendant  tout 
l'été  l'odeur  la  plus  suave.  Il  se  multiplie  de  boutures,  sur 
couche  chaude  et  sous  châssis  ombragé. 

Une  espèce  particulière ,  le  brunfelsier  ondulé  (  brun- 
felsia undulata),  originaire  de  la  Barbade  et  de  la  Jamaï- 
que, où  il  s'élève  jusqu'à  0™,50 ,  ne  parvient  guère  en 
France  qu'à  un  mètre  ou  l^jSO.  Ses  feuilles  sont  lan- 
céolées, rétrécies  à  la  base,  et  ses  fleurs,  qui  paraissent  de 
mars  à  septembre  ,  sont  grandes ,  à  tube  long  et  verdàlre , 
un  peu  courbé,  à  limbe  légèrement  ondulé,  d'un  blanc  jau- 
nâtre, et  répandent  une  odeur  d'oeillet  assez  prononcée.  Cette 
espèce  demande  la  même  culture  que  la  précédente. 

BRUNI (Leonardo),  surnommé ri4ré</;i,étaitnéenl369, 
à  Arezzo.  En  1383,  les  bandes  françaises  aux  ordres  d'En- 
guerrand  de  Coucy,  et  réunies  aux  exilés  d'Arezzo ,  s'empa- 
rèrentde  cette  ville,  qu'elles  saccagèrent;  et  il  eut  la  douleur 
de  voir  son  père  emmené  prisonnier  par  les  vainqueurs, 
tandis  que  lui-même  était  enfermé  par  eux  comme  sujet  dan- 
gereux. Il  n'avait  encore  que  quatorze  ans.  Un  portrait  de 
Pétrarque  appendu  dans  la  pièce  où  il  se  trouvait  détenu  lui 
inspira  la  pensée  de  suivre  les  traces  de  ce  grand  poète  ;  et 
il  n'eut  pas  plus  tôt  été  remis  en  liberté,  qu'il  alla  à  Florence 
continuer  sous  Jean  de  Ravenne  ses  études  commencées  dans 
sa  ville  natale.  Elles  furent  des  plus  complètes,  et  il  nous 
apprftud  lui-même  que  son  ardeur  pour  le  travail  était  si 
grande  qu'il  répétait  ses  leçons  pendant  son  sommeil.  Après 
avoir  donné  quelques  instants  à  l'étude  de  la  jurisprudence, 
il  se  livra  tout  entier  à  l'étude  de  la  langue  grecque,  sous 
la  direction  de  Jean  Chrysoloras,  qui  faisait  alors  à  Florence 
des  cours  de  langue  et  de  littérature  grecques.  Nommé  secré- 
taire apostolique  par  le  pape  innocent  VII,  il  remplit  suc- 
cessivement les  mêmes  fonctions  près  de  Grégoire  XII , 
d'Alexandre  V,  et  de  Jean  XXIII.  Ce  souverain  pontife 
ayant  été  déposé  par  le  concile  de  Constance,  Leonardo 
Bruni  revint  à  Florence,  où  il  se  fixa  et  où  il  se  consacra 
désormais  à  la  culture  des  lettres,  quoique  revêtu  à  diverses 
reprises  du  titre  de  chancelier  de  la  république.  11  en  rem- 
plissait les  fonctions,  lorsque  la  mort  vint  le  frapper  en 
1444.  11  laissait  divers  ouvrages  historiques,  qui  ont  tous 
été  imprimés.  La  république  lui  fit  des  obsèques  magnifi- 
ques. On  plaça  sur  sa  poitrine  un  exemplaire  de  son  Histoire 
de  Florence,  ouvrage  écrit  en  latin  dès  1415,  traduit  en 
italien  par  Acciajuoli  et  imprimé  à  Venise  en  1473  (la  pre- 
mière édition  du  texte  original  ne  parut  qu'en  1610,  à 
Strasbourg).  Son  éloge  funèbre  fut  prononcé  par  Giannoni 


BRUNI  —  BRU  IN  N 


(95 


Manetti,  qui  fut  autorisé  par  les  magistrats  à  le  couronner 
de  lauriers;  et  on  lui  éleva  dans  l'église  de  Santa-Croce  un 
mausolée  en  marbre,  que  l'on  y  voit  encore.  Les  autres 
ouvrages  deLeonardo  Bruni  ont  pour  titre:  De  Temporibus 
suis  (L475);  De  bello  Italico  adversus  Gothos  gesto 
(1470);  Commentarium  Rerum  Grxcarum  (1539);  on  a 
aussi  de  lui  des  Vies  de  Pétrarque  et  du  Dante, 

Un  poète  du  même  nom,  Antonio  Bruni,  vivait  dans  la 
seconde  moitié  du  seizième  siècle  et  remplit  les  fonctions 
de  secrétaire  auprès  du  duc  d'Urbin,  François-Marie  II.  11 
mourut  à  la  suite  d'excès  de  table.  Lié  d'amitié  avec  le  Ma- 
riai, il  imita  son  style,  alors  fort  goûté.  On  a  de  lui  :  Epis- 
toleeroiche  (Milan,  1626)  :  chacune  de  ces  épîtres  est  ornée 
d'une  gravure,  d'après  le  Guide,  le  Dominiquin,  etc.  ;  divers 
poèmes,  entre  autres  Le  Tre  Grasie,  cive  la  céleste  e  la 
terrestre  (Rome,  1633),  et  une  tragédie,  Radaminto. 

BRUNIE,  genre  composé  d'arbrisseaux  du  Cap.  Il  ren- 
ferme un  grand  nombre  d'espèces ,  dont  plus  de  vingt  sont 
cultivées  dans  les  jardins  européens  :  dans  le  nombre,  on 
distingue  la  brunie  lanugineuse ,  arbrisseau  de  0",  60  à 
l'°,20  de  haut,  très-élégant,  à  rameaux  effdés,  droits, 
couverts  de  feuilles  linéaires  et  laineuses  dans  le  bas.  Elle 
fleurit  en  mai ,  et  ses  fleurs ,  réunies  en  tètes  globuleuses, 
forment  un  corymbe  terminal.  Toutes  les  espèces  de  brunies 
réclament  la  môme  culture  que  les  bruyères. 

Ce  genre  a  servi  de  type  à  M.  Brongniart  pour  établir  la 
famille  des  bruniacées ,  dont  les  espèces  étaient  auparavant 
placées  à  la  suite  des  rhamnées. 

BRUIXIIXGS  (  CuKisTrAN  ) ,  né  en  1736 ,  à  Neckarau ,  en 
Palatinat,  et  mort  en  1805 ,  passe  à  bon  droit  pour  l'un  des 
hommes  qui  se  sont  le  plus  distingués  dans  l'architecture 
hydraulique.  De  bonne  heure  il  s'était  familiarisé  avec  les 
diverses  sciences  se  rapportant  à  cet  art.  Il  était  percepteur 
de  l'octroi  des  digues  eu  Hollande,  lorsqu'en  1769  les  états 
généraux  le  nommèrent  inspecteur  général  des  digues.  Les 
travaux  les  plus  importants  qu'il  ait  exécutés  sont  les  ouvra- 
j;es  construits  pour  arrêter  tes  ravages  du  lac  de  Harlem, 
l'endiguement  de  ce  qu'on  appelle  dans  les  Pays-Bas  les  eaux 
hautes,  lesquelles  à  l'époque  des  fortes  marées  inondaient 
souvent  de  vastes  étendues  de  territoire;  enfin,  la  construc- 
tion du  canal  de  dérivation  du  Wahal,  et  du  canal  de  Pan- 
nerden,  travail  qui  a  amélioré  le  lit  du  Rhin,  du  Wahal  et 
du  Leck.  On  lui  doit  aussi  l'échelle  graduée  pour  mesurer 
ia  crue  des  eaux  et  mettre  en  garde  contre  l'inondation. 
En  1778  il  fit  paraître  deux  volumes  de  Rapports  et  de 
Procès-verbaux  sur  Veau  des  rivières  supérieures  (Ams- 
terdam, 2  vol.,  avec  atlas).  Quand  il  mourut,  le  directoire  de 
la  république  batave  mit  au  concours  le  plan  du  monument 
qui  devait  lui  être  élevé  dans  la  cathédrale  de  Harleui  ;  mais 
les  changements  politiques  survenus  peu  après  firent  oublier 
l'exécution  de  ce  projet.  Toutefois  ,  le  prix  (200  ducats)  pro- 
posé pour  le  meilleur  éloge  de  cet  habile  architecte  avait 
été  adjugé,  en  1807,  à  son  élève  et  successeur  Conrad. 

BRUIVIR,  opération  qui  consiste  à  polir,  ou  plutôt  à  rendre 
brillante  une  pièce  de  métal  au  moyen  dubrunissoir.liy 
a  en  effet  une  grande  différence  entre  brunir  et  polir  : 
on  polit  en  usant  les  aspérités,  les  inégalités  d'une  pièce  de 
métal  ou  de  toute  autre  matière ,  au  moyen  de  matières  du- 
res broyées  plus  ou  moins  fin, telles  que  le  grès,  l'émeri ,  le 
rouge  d'Angleterre,  le  tripoli ,  la  poudre  de  diamant,  etc. 
Toutes  sortes  de  matières  sont  susceptibles  de  poli  plus  ou 
moins  parfait,  suivant  leur  nature;  mais  on  ne  peut  brunir 
en  général  que  les  matières  métalliques,  attendu  que  le  bru- 
nissoir ne  fait  que  resserrer  et  niveler,  s'il  est  permis  de  par- 
ler ainsi,  les  molécules  de  la  surface  que  Ton  brunit  sans 
les  enlever.  Ou  ne  saurait  brunir  une  glace,  une  table  de 
marbre,  etc.  —  Bruni  se  dit,  en  terme  d'orfèvrerie,  par  op- 
position au  mat.  Teïssèdre. 

Brunir  signifie  aussi  peindre  en  brun,  devenir  brun. 

Ea  termes  de  relieur,  brunir  un  livre  signifie  éclaircir, 


polir  les  tranches  d'im  livre ,  en  les  frottant  avec  une  dent 
de  loup,  une  dent  d'agate  ou  de  silex. 

Brunir  se  dit,  enfin,  en  termes  de  vénerie,  de  l'action 
des  cerfs,  des  daims  ou  chevreuils,  qui,  après  avoir/raye, 
c'est-à-dire  frotté  légèrement  leur  tête  aux  arbres  pour  la 
dépouiller  de  sa  première  robe  ou  enveloppe  velue,  vont 
la  teindre,  ainsi  que  leur  bois,  aux  charbonnières,  aux  terres 
rougeâfres,  etc. 

BRUNISSOIR,  instrument  d'acier  trempé  ,  auquel  on 
donne  ordinairement  la  forme  d'une  amande  plus  ou  moins 
allongée,  et  que  l'on  fixe  par  un  de  ses  bouts  dans  un  man- 
che en  bois,  à  l'aide  duquel  on  peut  appuyer  plus  ou  moins 
fort  sur  la  pièce  de  métal  que  l'on  veut  brunir.  On  fait 
usage  du  brunissoir  en  le  faisant  glisser  par  un  mouve- 
ment de  va-et-vient  sans  quitter  la  pièce  que  l'on  veut  bru- 
nir :  par  ce  frottement  répété  l'ouvrier,  sans  rien  enlever  de 
la  superficie  métallique  ,  ne  fait  qu'abattre  ou  refouler  les 
petites  rugosités  que  la  lime  ou  le  marteau  peuvent  avoir 
laissées  sur  la  pièce. 

Le  brunissoir  sert  également  dans  divers  arts  et  métiers; 
mais  il  varie  de  lorme  et  de  grandeur  suivant  le  besoin  de 
l'ouvrage  sur  lequel  on  l'emploie.  Les  serruriers,  éperonniers, 
armuriers  et  couteliers  se  servent  de  brunissoirs ,  aussi  bien 
que  les  ciseleurs ,  les  fabricants  de  bronze ,  les  doreurs  sur 
métal  ou  sur  bois ,  les  horlogei-s  ,  les  potiers  d'étain,  les  or- 
fèvres, les  bijoutiers,  les  relieurs,  les  graveurs  et  les  pla- 
neurs. Le  brunissoir  de  ces  derniers  est  d'une  assez  grande 
dimension  ;  son  manche  a  environ  0™,60  de  long,  et  l'ou- 
vrier le  tient  à  deux  mains.  Celui  dont  se  servent  les  orfèvres 
et  les  bijoutiers  n'est  quelquefois  qu'une  simple  pointe ,  ou 
un  crochet,  auquel  on  donne  le  nom  de  dent  de  loup; 
souvent  aussi ,  au  lieu  d'être  en  acier,  c'est  une  agate,  dont 
la  dureté  donne  un  poli  encore  plus  parfait  que  l'acier  même. 
Lorsque  les  potiers  d'étain  se  servent  du  brunissoir,  ils  ont 
soin  de  mouiller  leur  pièce  avec  de  l'eau  de  savon;  les  pla- 
neurs se  servent  d'eau  pure;  les  serruriers  et  les  armuriers 
emploient  quelquefois  de  l'huile. 

BRUNN,  appelé  par  les  Slaves  5rno,  située  en  Moravie, 
au  confluent  de  la  Zwittawa  et  de  la  Sch  wartzawa,dans  une  con- 
trée fertile  et  agréable,  est  en  partie  entourée  de  murs  et  de 
fossés  qui  la  séparent  de  ses  quatorze  faubourgs.  Les  rues 
n'en  sont  pas  larges,  mais  bien  pavées  et  garnies  de  frottoirs. 
On  y  compte  sept  places  publiques,  décorées  de  fontaines 
jaillissantes  :  les  plus  remarquables  sont  la  Grande  Place,  le 
Marché  aux  Herbes  et  la  place  des  Dominicains.  Les  édifices 
les  plus  considérables  sont  :  la  cathédrale  de  Saint-Pierre, 
bâtie  au  sommet  d'un  rocher,  non  loin  de  la  résidence  de  l'é- 
vêque  et  de  celle  des  membres  du  chapitre,  et  d'où  l'on  jouit 
d'une  vuemagnifique;  l'église  gothiquedeSaint-Jacques,  avec 
une  tour  haute  de  92  mètres  et  une  collection  extrêmement 
précieuse  de  livres  datant  des  débuts  de  l'imprimerie  ;  l'é- 
glise des  Minorités  ;  le  couvent  des  Augustins,  situé  dans  le 
idubom^  d'Alt-Brunn,  avec  une  église  gothique,  et  qui 
possède  un  beau  tableau  de  Luc  Kranach  ainsi  qu'une  riche 
bibliothèque;  l'église  des  Capucins;  l'église  des  Dominicains 
et  celle  d'Obrowitz.  Citons  encore  l'hôtel  du  gouverneur, 
l'hôtel  de  ville ,  oii  l'on  admire  un  portail  magnifique  et  di- 
verses antiquités  ;  l'école  des  aveugles  ;  le  palais  de  justice  ; 
celui  du  prince  de  Kaunitz,  etc.,  etc.;  enfin, le  superbe  em- 
barcadère où  viennent  converger  les  chemins  de  fer  de 
l'empereur  Ferdinand  et  du  Nord. 

Brunn  est  le  siège  des  autorités  civiles  et  militaires  su- 
périeures de  la  province,  d'une  direction  générale  des  fi- 
nances, d'une  cour  d'appel  pour  la  Moravie  et  la  Silésic.  On 
y  trouve  un  grand  et  un  petit  séminaire,  un  collège  avec 
une  bibliothèque,  une  école  pour  les  aveugles  et  une  école 
pour  les  sourds-muets  ,  une  maison  de  correction  pour  les 
enfants  dépravés ,  un  théâtre  avec  une  redoute ,  un  couvent 
d'ursulines  avec  une  école  de  filles,  plusieurs  écoles  primai- 
res, et  diverses  sociétés  pour  la  culture  des  sciences  et  des 

100. 


796 


BRUNN  —  BRUNNOW 


lettres  ou  le  perfectionnement  de  l'économie  agricole.  La  po- 
pulation est  de  50,000  âmes,  en  y  comprenant  les  faubourgs. 
On  y  trouve  des  fabriques  de  draps,  de  liqueurs,  de  sucre, 
d'étoffes  de  laine  et  de  cuir.  11  s'y  fait  aussi  un  commerce 
de  transit  fort  important  avec  la  Bohême  et  le  reste  des 
États  autrichiens,  avec  l'Italie ,  la  Pologne ,  la  Russie,  l'A- 
mérique et  la  l'erse.  Les  anciennes  fortifications  ont  été 
transformées  en  promenades  publiques. 

A  l'ouest  de  la  ville,  non  loin  du  Pelersbcrg,  haut  de  200 
mètres,  s'élève  le  Spielberg,  qui  atteint  une  hauteur 
de  272  mètres,  d'où  l'on  découvre  le  panorama  le  plus  ma- 
gnifique, dont  les  Français  essayèrent  de  détruire  les  forti- 
fications en  1801),  et  qu'on  a  transformé  de  nos  jours  en  pri- 
son d'État.  En  dehors  de  la  ville  on  trouve  la  colonne  de 
Zdérad,  le  plus  ancien  monument  de  la  Moravie.  Sur  le  Pé- 
lersberg,  appeléaujourd'hui  Franzensberg,  orné  de  jardins  et 
de  terrasses,  s'élève  un  obélisque  en  marbre  de  Moravie,  haut 
de  20  mètres,  et  consacrée  la  mémoire  de  l'empereur  Fran- 
çois, de  ses  alliés  et  de  la  bataille  de  Leipzig. 

Brunn  a  été  plusieurs  fois  assiégé;  par  exemple  :  en  1428, 
par  les  Taborites  ;  en  1467,  par  le  roi  de  Bohème  Georges 
Podiebrad,  qui  voulait  punir  les  habitants  d'avoir  pris  fait  et 
cause  pour  le  roi  de  Hongrie  Mathias  Corvin,  et  à  l'époque 
de  la  guerre  de  Trente  ans  par  Torstenson,  qui  fut  réduit 
a  en  lever  le  siège.  Après  la  capitulation  d'Ulm  (  20  oc- 
tobre 1805  )  et  la  prise  de  Vienne  Napoléon  tran.sféra  le 
théâtre  des  opérations  militaires  aux  environs  de  Brunn 
jusqu'au  moment  où  la  bataille  d'Austerlitz  amena  la 
conclusion  de  la  paix  de  Presbourg. 

BRUI\NER( Appareil  de),  appareil  au  moyen  duquel 
on  effectue  l'analyse  de  l'air  par  une  seule  opération.  Il  se 
compose  d'un  llacon  rempli  d'eau  et  muni  d'un  robinet 
fermé  à  sa  partie  inférieure.  Le  bouchon  de  ce  flacon  livre 
passage  à  un  tube  recourbé  rempli  de  chlorure  de  calcium 
qui  communique  avec  un  second  tube  plein  de  phosphore, 
lequel  communique  pareillement  avec  un  troisième  tube  plein 
de  potasse  caustique ,  qui ,  à  son  tour,  arrive  dans  un  tube 
plein  d'amiante,  mouillée  avec  de  l'acide  sulfurique  ;  l'extré- 
mité de  ce  dernier  tube  est  fermée  à  la  lampe.  Toutes  les  join- 
tures étant  parfaitement  lutoes,  si  on  ouvre  le  robinet  et  que 
l'on  brise  l'extrémité  fermée  à  la  lampe,  l'air  entre  aussitôt 
par  cette  extrémité  et  traverse  successivement  tous  les  tubes 
dans  un  sens  inverse  de  celui  de  notre  énumération.  Mais,  en 
vertu  des  affinités  chimiques  des  gaz  qui  le  composent  pour 
les  matières  renfermées  dans  les  tubes ,  l'air  dépose  dans  le 
premier  tube  qu'il  rencontre  la  vapeur  d'eau  qu'il  contient  ; 
dans  le  suivant,  son  acide  carbonique,  et  dans  celui  qui  vient 
après  son  oxygène  :  de  sorte  qu'il  n'arrive  dans  le  flacon  que 
de  l'azote.  Quant  au  chlorure  de  calcium  du  tube  recourbé 
il  n'a  pour  destination  que  d'absorber  l'humidité  qui  pour- 
rait provenir  du  flacon  et  altérer  ainsi  les  résultats  de  l'ana- 
lyse. On  arrête  l'opération  en  fermant  le  robinet,  et  on  voit 
immédiatement  quel  volume  d'eau  l'azote  a  déplacé.  Pour 
connaître  les  quantités  absorbées  d'oxygène,  d'acide  carbo- 
nique et  de  vapeur  d'eau ,  il  suffît  de  peser  exactement  le 
phosphore,  la  potasse  et  l'amiante,  avant  et  après  le  pas- 
sage de  l'air  :  les  dillérences  de  pès  pesées  sont  évidem- 
ment les  quantités  cherchées. 

Cet  ingénieux  appareil  porte  le  nom  de  son  inventeur, 
artiste  adjoint  au  Bureau  des  Longitudes.    E.  Meulieux. 

BRU]\IXOW(  Pini.U'i'E,  baron  de),  conseiller  d'État, 
envoyé  extraordinaire  et  ministre  plénipotentiaire  de  la 
cour  de  Russie  à  Londres,  est  né  le  31  août  1797,  à  Dresde, 
d'une  famille  originaire  de  la  Poraéranie,  et  fut  élevé,  avec 
son  frère  Ernest- Georges,  dans  la  maison  paternelle,  qu'il 
ne  quitta  qu'en  lsl5,  pour  aller  suivre  les  cours  de  l'uni- 
versité de  Leipzig.  A  l'époque  du  congrès  d'Aix-la-Chapelle, 
en  1818,  il  entra  au  service  de  la  Russie,  et  fut  alors  parti- 
culièrement prot(>gé  par  le  conseiller  d'État  Stourdza.  Les  mi- 
nistres rs'csseirodc  et  Çapo-d'Istria  ayant  eu  bientôt  l'occa- 


sion d'apprécier  ses  rares  dispositions  pour  la  carrière  di- 
plomatique, il  fut  attaché  au  ministère  des  affaires  étran- 
gères, et  adjoint  à  Stourdza ,  à  l'effet  de  rédiger  un  projet 
de  code  civil  pour  la  Bessarabie.  Après  avoir  assisté  aux  con- 
grès de  Troppau  et  de  Laybach,  il  fut  attaché  pendant  une 
année,  comme  secrétaire,  à  l'ambassade  de  Londres,  puis 
vint  prendre  [)ail  aux  délibérations  du  congrès  de  Vérone, 
et  occupa  ensuite  une  haute  position  administrative  à  Saint- 
Pétersbourg.  Attaché  plus  tarda  la  personne  du  comte  Wo- 
ronzoff,  gouverneur  général  d'Odessa,  il  fit,  comme  employé 
civil,  les  campagnes  de  1828  et  1829  contre  les  Turcs.  Nom- 
mé alors  conseiller  d'État  et  employé  dans  le  cabinet  même 
de  M.  de  Nesselrode ,  il  remplit  à  Saint-Pétersbourg  les 
fonctions  de  premier  rédacteur  du  ministère  des  affaires 
étrangères,  et  dans  ce  poste  put  acquérir  une  connaissance 
intime  de  l'esprit  et  de  la  direction  de  la  politique  russe. 

En  1839  fl  fut  accrédité  comme  ministre  plénipotentiaire 
auprès  des  cours  de  Stuttgard  et  de  Hesse-Darmstadt  ;  mais 
dès  l'automne  de  la  même  année  son  gouvernement  le  char- 
gea d'une  mission  spéciale  à  Londres,  à  l'effet  d'opérer  un 
rapprochement  plus  intime  entre  les  cabinets  de  Saint-James 
et  de  Saint-Pétersbourg,  à  propos  de  la  question  d'Orient, 
en  profitant  du  refroidissement  survenu  entre  la  France  et 
la  Grande-Bretagne.  Ses  premières  tentatives  demeurèrent , 
à  ce  qu'il  parait,  infructueuses,  car  dès  la  fin  de  cette 
môme  année  il  était  revenu  à  son  poste  diplomatique  en 
Allemagne.  Quelques  semaines  plus  tard,  cependant,  il  par- 
tait de  nouveau  pour  Londres,  à  l'effet  d'y  renouer  les  négo- 
ciations précédemment  entamées,  et  au  printemps  de  1840 
il  y  était  accrédité  d'une  manière  pcnnanente.  C'est  à  ses 
effoits  et  à  son  habileté  que  le  cabinet  de  Saint-Pétersbourg 
fut  reîlevable  de  la  conclusion  du  célèbre  traité  du  15  juil- 
let 1S40;  traité  qui  brisa  l'alliance  diplomatique  de  l'Angle- 
terre et  de  la  France,  et  qui,  en  mettant  les  puissances  du 
Nord  d'accord  avec  le  cabinet  de  Londres  sur  la  question 
d'Orient,  en  amena  une  solution  provisoire.  M.  de  Brunnow, 
qui  eut  ordre  de  ne  rien  négliger  pour  faire  croire  aux  ten- 
dances pacifiques  de  la  Russie,  resta  dès  lors  à  poste  fixe  en 
Angleterre,  et  prit  part  aux  négociations  qui  aboutirent  au 
traité  de  commerce  de'l849  entre  la  Russie  et  la  Grande-Bre- 
tagne. Quand  lord  Palmerstort  éleva  des  réclamations 
contre  la  Grèce,  Rome,  la  Toscane,  la  Sardaigne  et  Naples 
en  1850,  la  Russie  fit  mine  d'abord  de  rappeler  son  ambas- 
sadeur; mais  M.  de  Brunnow  parvint  à  rétablir  les  relations 
sur  un  pied  amical  entre  deux  États  que  le  traité  relatif  au 
Schleswig-Holsfein  et  à  la  succession  danoise  a  liés  solidai- 
rement l'un  à  l'autre.  Le  succès  obtenu  par  M.  ds  Brunnow 
dans  ces  négociations  pour  la  conclusion  du  traité  du  15  juil- 
let 1840  l'a  tout  aussitôt  fait  compter  à  bon  droit  parmi  les 
plus  habiles  diplomates  de  l'époque. 

BRUNNOW  (  Ernest-Georges  de  ),  frère  du  précédent, 
connu  comme  romancier  et  comme  propagateur  zélé  des 
doctrines  de  l'homœopathie,  est  né  à  Dresde,  le  6  avril  1796. 
Bien  différent  en  cela  de  son  frère  cadet,  qui  se  dévouait 
complètement  aux  intérêts  russes  et  se  faisait  même  natio- 
naliser en  Russie,  celui-ci  est  toujours  resté  Allemand.  A 
l'université  de  Leipzig,  où  il  étudiait  le  droit,  le  traitement 
nécessité  par  une  maladie  d'yeux  qui  lui  était  survenue 
le  mit  en  rapport  avec  Hahnemann,  et  l'amitié  qui  s'é- 
tablit alors  entre  eux  se  resserra  encore  plus  tard  à 
Dresde,  où  M.  de  Brunnow  fut  pendant  deux  années  atta- 
ché à  la  régence  provinciale ,  en  qualité  d'assesseur.  Forcé 
alors ,  par  la  faiblesse  de  sa  vue ,  de  renoncer  à  tout  ser- 
vice public,  les  soins  d'Hahnemann  prévinrent  cependant 
l'aggravation  du  mal  ;  aussi ,  dans  son  admiration  et  sa  re- 
connaissance pour  le  médecin  qu'il  regardait  comme  son 
sauveur,  M.  de  Brunnow  résolut-il  de  consacrer  désormais 
toutes  ses  facultés  à  la  propagation  de  l'homœopathie.  Après 
s'être  convenablement  préparé  par  des  études  médicales,  il 
traduisit  en  français  l'Or^rtHO»  d'Hahaemann  (Dresde,  1824); 


BRUNNOW  —  BRUNO 


797 


il  entreprit  ensuite,  conjointement  avec  Stapf  et  Gross,  la 
traduction  en  latin  de  la  Doctrine  Médicale  pure  du 
maitre  (  2  vol.,  Dresde,  182.5-1826  ).  En  1830  il  prit  une 
part  active  à  la  fondation  de  la  société  centrale  homœopa- 
thique,  dont  il  devint  tout  aussitôt  membre.  Dans  la  car- 
rière des  lettres,  M.  de  Brunnow  s'est  fait  avantageusement 
connaître  par  un  Recueil  de  fodsie.^,  publié  à  Dresde  en  1833  ; 
par  la  Nouvelle  Psyché,  roman  { Bunzlau,  1837  );  par  le 
Troubadour  (  2  vol.,  Dresde,  1837  ),  tableau  liistorico-ro- 
mantique  ;  par  Ulrich  de  Uutten  (3  vol . ,  Leipzig,  1 843- 1 844  ), 
grand  roman  lirstorique;  enfin,  par  le  Colonel  de  Carpezan 
(  Leipzig,  1844  ),  roman.  Il  venait  de  publier  xinCoup  d'œil 
siir  Hahnemann  et  l'Homœopathie  (Leipzig,  1844)  lors- 
qu'il mourut  à  Dresde,  le  4  mai  1845. 

BRUJXO  ou  BRUNON,  dit  LE  GRAND ,  arcbevêque  de 
Cologne  et  duc  de  Lorraine,  l'un  des  personnages  les  plus 
importants  de  son  siècle,  naquit  vers  l'an  928.  Troisième 
fils  du  roi  Henri  l",  et  frère  de  l'empereur  Otbon  l",  il  fut 
élevé  d'abord  par  l'évoque  d'Utrecbt,  Baldrich,  qui  lui  ensei- 
gna les  premiers  éléments  des  lettres  grecques  et  latines, 
et  ensuite  par  l'évoque  Israël  Scotigena  et  plusieurs  savants 
grecs.  L'étendue  peu  commune  de  son  savoir,  sa  sagacité  et 
son  éloquence,  ne  le  faisaient  pas  moins  briller  entre  les  évo- 
ques et  les  prêtres  de  son  temps  que  sa  charité,  son  humi- 
lité et  la  gravité  de  son  caractère  ne  le  rendaient  respectable 
aux  yeux  des  laïques.  Lorsqu'il  fut  plus  avancé  en  âge, 
Othon  l'appela  dans  le  Palatinat,  où  il  occupa  bientôt  le  pre- 
mier rang  parmi  les  historiens,  les  poètes  et  surtout  les 
philosophes  réunis  à  cette  cour,  contribuant  à  policer  par 
son  commerce  beaucoup  de  seigneurs  spirituels  et  temporels 
au  service  de  son  frère,  et  formant  autour  de  lui  comme 
une  espèce  d'école  d'ecclésiastiques  dont  il  faisait  ensuite  des 
évoques.  Nommé  plus  tard  arclievêque  de  Cologne  et  archi- 
ciiancelier  de  l'empereur,  il  l'accompagna,  en  951,  dans  sa 
première  expédition  contre  l'Italie  ;  et  bien  différent  des 
autres  proches  parents  d'Othon  Is"",  qui  tous  se  révoltèrent 
les  uns  après  les  autres  contre  ce  prince ,  il  se  montra  en 
tout  et  partout  le  plus  fidèle  de  ses  adhérents.  Aussi  Othon  r"" , 
reconnaissant,  lenomma-t-il  en  954,  après  la  déposition  de 
son  turbulent  gendre  Conrad,  duc  et  seigneur  suprême  de 
la  Lorraine,  laquelle  fut  divisée  en  deux  gouvernements  ad- 
ministrés chacun  par  un  duc  particulier,  placé  sous  ses 
ordres.  Il  lui  confia,  en  outre,  le  soin  de  défendre  cette  pro- 
vince contre  les  tentatives  de  Conrad,  qui  disposait  encore 
de  quelques  ressources. 

Bruno  le  Grand  mourut  à  Reims,  le  11  octobre  965,  comme 
il  se  rendait  à  Compiègne  pour  y  opérer  une  réconciliation 
entre  son  neveu,  le  roi  Lothaire,  et  les  fils  de  Hugues  Ca- 
pet.  Protecteur  éclairé  des  lettres  et  des  sciences,  on  lui  at- 
tribue un  Commentaire  sur  le  Pentateuque  et  plusieurs  Vies 
de  saints. 

BRUNO  (Saint),  apôtre  de  la  Prusse,  descendant  de 
l'ancienne  famille  de  Querfurt,  fut  de  bonne  heure  pourvu 
d'un  canonicat  dans  l'Église  de  Magdebourg.  Il  construisit 
une  église  à  Querfurt,  et  vint  à  la  cour  de  l'empereur 
Othon  III ,  qui  l'envoya  à  Rome ,  en  995 ,  au  secours  du 
pape  Grégoire  V.  Lors  de  la  déposition  de  ce  pontife,  Bruno 
lui  resta  fidèlement  attaclié.  Aussi,  Grégoire  V,  quand  il  fut 
rétabli  sur  le  trône  pontifical ,  voulut-il ,  dans  sa  reconnais- 
sance, l'appeler  aux  suprêmes  honneurs  ecclésiastiques. 
Mais  Bruno  n'aspirait  qu'à  aller  porter  aux  païens  les  lu- 
mières de  l'Évangile.  Désigné  pour  être  le  compagnon  de 
saint  Adalbert,  il  se  rendit  en  999,  deux  ans  après  la 
mort  de  cet  apôtre  du  Nord ,  en  Prusse ,  où  il  fut  parfaite- 
ment accueilli.  En  l'an  1004,  abandonnant  à  d'autres  mis- 
sionnaires la  continuation  de  son  œuvre  apostolique,  il  s'en 
retourna  à  Rome,  et  fut  nommé  chapelain  de  l'empereur 
Henri  II.  Les  habitants  de  la  Prusse  ayant  ensuite  témoigné 
les  plus  mauvaises  dispositions  pour  les  missionnaires ,  et 
une  vive  répugnance  à  embrasser  la  religion  qu'ils  venaient 


leur  prêcher,  Bruno  ne  tarda  pas  à  revenir  parmi  eux.  Mais 
tous  ses  efforts  pour  propager  parmi  ces  barbares  la  reli- 
gion du  Christ  demeurèrent  alors  infructueux,  et  il  périt, 
avec  dix-huit  de  ses  compagnons ,  assassiné  sur  les  frontières 
de  la  Lithuanie  en  1003.  Le  duc  Boleslas  de  Pologne  acheta 
les  corps  de  ces  martyrs  de  la  foi ,  et  plus  tard  Bruno  fiit 
canonisé. 

BRUNO  (Saint),  de  Reims.  On  ne  peut  assignera  sa 
naissance  une  époque  précise.  Il  paraît  cependant  qu'elle 
doit  être  placée  entre  1030  et  1040.  Il  était  de  Cologne,  où 
il  reçut  le  jour  d'une  famille  noble  de  l'Allemagne.  Après 
avoir  commencé  ses  études  sous  les  yeux  de  ses  parents,  il 
alla  les  continuer  à  Reims,  où  l'avait  attiré  la  célébrité  de 
cette  école,  et  il  se  distingjia  surtout  dans  l'étude  de  la  théo- 
logie. Cest  sans  doute  pour  cette  raison  qu'il  est  souvent 
appelé  Bruno  de  Reims.  De  retour  dans  sa  patrie,  et  dé- 
terminé à  embrasser  l'état  ecclésiastique,  il  fut  admis  dans 
le  clergé  de  Cologne  et  nommé  chanoine  de  Saint-Cunibert. 
On  ne  connaît  point  les  détails  des  courses  apostoliques 
auxquelles  il  se  livra  après  avoir  été  ordonné  prêtre ,  et  à 
la  suite  desquelles  il  s'établit  à  Reims ,  où  l'archevêque  Ger- 
vais  lui  conféra  le  titre  iTécolâtre,  qui  lui  donnait  la  direc- 
tion des  études  des  clercs.  H  eut  dans  ses  fonctions  de  nom- 
breux disciples,  dont  le  plus  célèbre  fut  Urbain  II  (Eudes 
ou  Odon).  Devenu  chancelier  de  l'église  de  Reims,  il  n'en 
accusa  pas  moins  de  simonie  l'archevêque  Manassès,  auquel 
il  devait  cette  dignité ,  et  le  fit  suspendre  par  le  concile 
d'Autun.  Furieux  d'avoir  succombé  aux  attaques  de  Bruno, 
Manassès  fit  briser  les  portes  de  sa  maison ,  vendit  sa  pré- 
bende ,  et  le  dépouilla  de  ses  biens.  Malgré  l'indulgence  de 
Grégoire  VII  et  d'un  concile  de  Rome  (  1078),  qui  leva  la 
suspçnse  du  concile  d'Autun,  Manassès  fut  déposé  deux  ans 
après  au  concile  de  Lyon  (  1080),  et  quitta  son  diocèse.  Le 
siège  de  Reims  était  vacant  depuis  deux  ans ,  et  Bruno  réu- 
nissait l'unanimité  des  suffrages ,  lorsqu'il  prit  la  résolution 
de  tout  quitter  pour  Jésus-Christ.  Il  a  transmis  lui-même 
dans  une  lettre  les  motifs  de  son  éloignement  du  monde.  Il 
rapporte  «  qu'étant  dans  un  jardin  voisin  de  la  maison  d'A- 
dam, chez  qui  il  demeurait  alors,  et  conversant,  avec  deux 
de  ses  amis,  des  vanités  du  monde,  ils  s'embrasèrent  telle- 
ment de  l'amour  de  Dieu  et  du  désir  des  biens  éternels  qu'ils 
firent  vœu  d'abandonner  le  siècle  et  de  revêtir  l'habit  mo- 
nastique. » 

Ce  fragment  réfute  une  fable  qui  fut  accréditée  parmi  ses 
disciples,  et  qui  explique  plusieurs  des  tableaux  de  la  belle  ga- 
lerie de  Lesueu  r.  D'après  l'ancienne  tradition  de  l'ordre, 
ce  qui  l'aurait  déterminé  à  embrasser  la  vie  solitaire  serait 
un  événement  singulier  arrivé  en  sa  présence  à  l'eiiUTi  ement 
d'un  célèbre  docteur  de  Paris,  son  ami  particulier,  mort 
en  1082  après  une  vie  qui  passait  pour  sainte  et  exemplaire. 
Ce  docteur  aurait  été  porté  à  l'église  :  là ,  comme  on  chantait 
sur  son  corps  l'office  des  morts ,  à  cet  endroit  des  leçons  de 
Job ,  Responde  mihi,  il  aurait  levé  la  tête,  affirmant  d'une 
voix  terrible  qu'il  était  accusé  par  un  juste  jugement  de 
Dieu  :  ce  qui  aurait  fait  remettre  au  lendemain  sa  sépulture. 
Mais,  l'office  des  morts  ayant  été  recommencé,  il  aurait 
élevé  de  nouveau  la  voix  au  même  passage,  assurant  qu'il 
était  jugé  par  un  juste  jugement  de  Dieu  ;  et  enfin,  au  troi- 
sième jour,  qui  avaitétéencore  pris  pour  délai,  il  aurait  ajouté, 
en  présence  d'une  infinité  de  personnes  qu'un  événement  si 
extraordinaire  avait  attirées  à  l'église,  qu'il  était  condamné 
par  un  juste  jugement  de  Dieu. 

Les  deux  amis  de  Bruno  ne  persi.stèrent  point  dans  leur 
résolution  ;  mais  lui  n'en  resta  pas  moins  fidèle  à  son  vœu. 
Comme  il  cherchait  un  maître  éclairé  dans  la  science  du 
salut,  il  le  trouva  dans  saint  Robert,  que  les  solitaires  de 
Molesme  avaient  choisi  pour  abbé,  et  qui  fonda  ensuite 
l'ordre  de  Cîteaux.  Bruno  eut  recours  à  ses  conseils,  et 
pour  se  former  à  la  vie  monastique  il  eut  de  fréquentes 
relations  avec  les  religieux  de  Molesme.  Pui'^,  il  s'associa  à 


798 


BRUNO 


deux  clercs,  Pierre  et  Lambert,  qui,  lorsque  Bruno  prit  la 
résolution  de  quitter  l'abbaye,  allèrent  élever  à  Sèchefon- 
taine,  au  diocèse  de  Langres,  une  église  et  des  maisons  où 
ils  pratiquèrent  la  vie  érémitique. 

Cependant  Bruno ,  en  abandonnant  les  confins  de  la  Cbam- 
pagneet  de  la  Boui;gogne,  était  venu  en  Dauphiné.  Hugues, 
évêque  de  Grenoble,  avait  été  son  élève  dans  l'école  de 
Reims.  Bruno  se  présenta  à  lui  avec  six  compagnons,  dans 
lesquels  le  pieux  évêque  crut  reconnaître  sept  étoiles  dont 
il  avait  eu  la  vision,  et  les  conduisit  dans  une  vallée,  située 
fi  seize  kilomètres  de  Grenoble ,  et  appelée  Chartrouse  ou 
Chartreuse,  d'oîi  l'ordre  a  pris  son  nom.  C'est  là  qu'au 
sein  d'une  nature  imposante,  non  loin  d'un  torrent,  au  milieu 
d'une  forêt  de  sapins  qui  frappe  encore  le  voyageur  d'admi- 
ration et  de  respect,  s'éleva,  inconnu  et  obscur,  en  1084, 
vers  la  fête  de  saint  Jean-Baptiste ,  le  berceau  d'un  ordre 
monastique  destiné  à  être  un  des  plus  riches  et  des  plus 
puissants  du  globe  {voyez  Chartreux).  Il  ne  parait  pas, 
du  reste,  que  Bruno  ait  donné  de  règle  particulière  à  ses  dis- 
ciples. Cependant  l'austérité  de  leurs  mœurs  est  attestée  par 
Guibert,  abbé  de  Nogent  en  1104,  c'est-à-dire  vingt  années 
après  leur  établissement.  Déjà  Bruno  et  ses  compagnons 
avaient  obtenu  des  actes  authentiques  des  diverses  cessions 
que  leur  avaient  faites  leurs  bienfaiteurs,  dont  le  nombre 
prouve  la  vénération  qu'on  avait  pour  lui  et  son  nouvel 
institut. 

Urbain  II,  élevé  sur  le  saint-siége  le  12  mars  1088, 
voulut,  au  milieu  des  difficultés  que  lui  suscitait  le  pouvoir 
rival  de  l'antipape  Guibert ,  avoir  auprès  de  lui  son  ancien 
maître,  et  appela  du  fond  de  sa  solitude  Bruno  pour  s'é- 
clairer de  ses  conseils.  Celui-ci  se  rendit,  quoique  avec  répu- 
gnance, aux  ordres  du  pontife,  suivi  de  quelques-uns  de  ses 
disciples.  Les  autres,  un  instant  dispersés,  revinrent  dans 
leur  désert  sous  la  conduite  de  Landevin ,  que  Bruno  leur 
avait  désigné  pour  prieur.  La  considération  dont  jouissait 
Bruno  auprès  d'Urbain  fit  concevoir  (1090)  au  prince  nor- 
mand de  la  Fouille  et  de  la  Calabre  le  désir  de  lui  confier 
l'archevêché  de  Reggio  ;  mais  il  refusa  cette  offre,  et  on  élut 
à  sa  place  un  de  ses  anciens  élèves  de  Reims,  Rangier,  re- 
ligieux bénédictin  du  monastère  de  la  Cave.  Bruno  cepen- 
dant, au  milieu  des  honneurs  qu'on  lui  rendait  à  Rome, 
n'aspirait  qu'à  la  retraite,  et,  avec  la  permission  du  pontife, 
il  accepta  en  Calabre  le  territoire  delta  Torre  (de  la  Tour), 
dans  le  diocèse  de  Squillace,  que  lui  donna  le  comte  Roger, 
et  où  il  bâtit  un  monastère.  Il  lui  fut  donc  facile  d'assister 
en  1091  au  concile  qu'Urbain  II  convoqua  à  Bénévent,  et  à 
celui  de  Troia  dans  la  Fouille.  Il  n'est  pas  aussi  certain  qu'il 
ait  pris  part  à  celui  de  Flaisance ,  au  mois  de  mars  1095.  Le 
comte  Roger,  qui  avait  voulu  que  Bruno  baptisât  son  fiU 
(depuis  Roger  II,  roi  de  Sicile),  ne  se  borna  pas  à  la  do- 
nait'ion  delta  Torre;  il  fit  bâtir  un  monastère,  sous  le  titre 
de  Saint-ÉUenne-des-Bois,  à  un  kilomètre  du  premier.  Il 
donna  aussi  à  l'ordre  naissant  le  monastère  de  Sainte-Marie 
d'Arsaphias  ,  auquel  il  ajouta  plus  tard  celui  de  Saint-Jac- 
ques de  Montauro.  Voici  à  quelle  occasion,  si  l'on  en  croit 
quelques  hagiographes  et  la  célèbre  galerie  de  Lesueur  : 

Le  comte  Roger  assiégeait  Capoue.  Un  de  ses  officiers, 
nommé  Sergius,  avait  promis  pour  une  somme  d'argent  de 
le  livrer  avec  toute  son  armée.  Bruno  apparut  au  comte 
pendant  la  nuit,  et  l'avertit  assez  à  temps  pour  qu'il  pré- 
vînt les  perfides  projets  dont  il  allait  être  victime.  Le  saiut 
religieux  refusa  toutefois  la  plus  grande  partie  des  biens  que 
le  prince  reconnaissant  lui  offrit,  se  contentant  de  lui  voir 
accorder  la  vie  à  cent  douze  familles  de  ceux  qui  étaient 
entrés  dans  la  conspiration.  Fendant  qu'il  gouvernait  sain- 
tement sa  chartreuse  delta  Torre,  il  reçut  la  visite  de  Lan- 
devin, envoyé  par  ses  frères  du  Dauphiné,  à  la  sollicitude 
desquels  il  répondit  par  une  lettre  pleine  d'onction  et  d'at- 
tachement paternel ,  que  l'on  trouve  imprimée  dans  ses 
œuvres.  Il  mourut  le  C  octobre  1101,  à  la  Tour,  où  il  (ut  en- 


terré. Il  ne  pouvait  guère  être  âgé  de  plus  de  soixante-huit 
ans.  Le  culte  de  saint  Bruno,  autorisé  dans  les  églises  des 
chartreux  par  Léon  X,  en  1514,  fut  étendu  à  toutes  les 
autres  par  Grégoire  XV ,  en  1623. 

Il  y  a  plusieurs  éditions  des  œuvres  de  saint  Bruno.  A 
l'exception  des  commentaires  sur  les  Psaumes  et  sur 
saint  Paul,  de  deux  lettres,  dont  l'une  à  ses  frères  de  la 
Chartreuse ,  et  d'une  élégie  de  quatorze  vers  sur  l'impru- 
dent oubli  de  la  mort,  citée  par  les  BoUandistes ,  dont  la 
poésie  n'est  pas  très-remarquable ,  le  reste  est  attribué  à 
saint  Bruno  d'Asie ,  et  à  Bruno,  évoque  de  Wurtzbourg, 
duc  de  Carintliie.  Les  commentaires  sur  les  Psaumes  et  sur 
saint  Paul,  écrits  dans  un  latin  passable,  annoncent  un  es- 
prit exercé  aux  études  les  plus  profondes  de  la  philosophie 
de  l'époque.  Son  goût  pour  la  solitude  respire  dans  la  plu-  ' 
part  de  ses  ouvrages.  Les  tableaux  représentant  la  vie 
de  saint  Bruno  dont  Lesueur  avait  orné  le  cloître  des  char- 
treux de  Paris ,  après  être  restés  longtemps  au  musée  du 
Luxembourg,  ont  été  transportés  au  Louvre. 

H.  BoucniTTÉ,  ancien  recteur. 

BRUiXO  (GiORDANo) ,  penseur  célèbre,  qui  fut  le  précur- 
seur des  différents  systèmes  panthéistes  modenies,  naquit  à 
Noie  au  milieu  du  seizième  siècle.  Il  entra  de  bonne  heure 
dans  l'ordre  des  Dominicains;  mais,  ayant  émis  des  doutes 
sur  la  transsubstantiation  et  sur  l'immaculée  Conception, 
il  devint  suspect,  et  dut  fuir.  En  1580  il  était  à  Genève, 
d'où  le  chassèrent  les  calvinistes  orthodoxes  ;  il  vint  à  Paris, 
où  il  ouvrit  un  cours  sur  le  grand  art  de  Raimond  Lulle  ; 
mais  ses  querelles  avec  les  partisans  fanatiques  d'Aristote 
l'obligèrent  à  quitter  aussi  cette  ville  et  à  se  retirer  à  Lon- 
dres, où  il  vécut  quelques  années  sous  la  protection  de  l'am  • 
bassadeur  de  France  Michel  de  Châteauneuf  de  la  Mauvis- 
sière,  et  où  il  composa  ses  ouvrages  les  plus  importants. 
En  1585  il  se  rendit,  par  Paris  et  Marbourg,  à  Wittemberg, 
où  il  professa  publiquement  de  1586  à  1588,  et  où  il  prononça 
pour  discours  d'adieu  un  éloge  enthousiaste  de  Luther. 
Les  années  suivantes  il  habita  Prague,  Rrunswick ,  Helm- 
stedt ,  Francfort.  On  ignore  les  raisons  qui  le  portèrent  à 
retourner  en  Italie  en  1592.  Il  passa  quelques  années  à  Fa- 
doue  sans  être  inquiété;  mais  en  1598  l'inquisition  l'arrêta 
à  Venise,  et  le  fit  transférer  à  Rome,  où,  après  une  captivité 
de  deux  ans,  ayant  refusé  de  se  rétracter,  il  fut  brûlé  vif, 
le  17  février  1600,  comme  hérétique  et  violateur  de  ses  vœux. 

Ses  écrits,  dont  les  plus  importants  sont  en  italien, 
annoncent  un  esprit  plein  de  force  et  d'énergie,  facile  à 
s'irriter,  capable  d'enthousiasme,  mais  ne  brillant  pas  par 
la  clarté.  Sa  Cena  dette  ceneri  est  une  apologie  de  l'astro- 
nomie de  Copernic  ;  le  Spaccio  delta  bestia  trionfante 
(Paris,  1584),  une  allégorie  dans  le  goût  du  temps,  pleine 
de  remarques  satiriques  sur  son  siècle.  Dans  la  Cabota  del 
cavalo  Pegasco  colC  agiunta  del  asiriio  Citlenico  (Pa- 
ris, 1585),  il  vante  ironiquement  le  bonheur  de  l'ignorance. 
Les  poésies  qu'il  a  publiées  sous  le  titre  Degti  eroici  Furori 
(Paris,  1585),  célèbrent  l'amour  divin.  Il  avait  fait  imprimer 
auparavant  uue comédie  satirique,  Il  Candetajo  (1582  ).  Les 
principaux  de  ses  écrits ,  sans  parler  de  ses  nombreux 
traités  latins  sur  la  Mnémonique  et  la  Topique  de  Lulie, 
sont  ses  ouvrages  de  métaphysique,  entre  autres  Delta 
causa,  p}-incipio  ed  uno  (Venise,  1584); /)ei  infinito 
universo  emojjd»  (Venise,  1584  ),  et  son  poème  De  innu- 
merabilibus ,  immenso  et  infigurabiti ,  seu  de  universo 
et  mundis,  publié  à  Francfort,  1591  avec  Je  traité  De  mo- 
nade, numéro  et  figura.  F.-G.  Jacobi  attira  de  nouveau 
l'attention  sur  les  idées  de  Bruno  dans  ses  Lettres  sur  la 
doctrine  de  Spinoza.  Les  éditions  originales  de  ses  œuvres  m 
sont  très-rares  ;  Wagner  a  publié  ses  œuvres  italiennes  (  2  vo-  JJ 
lûmes,  Leipzig,  1830),  avec  une  notice  sur  sa  vie,  etGfœrer 
une  partie  de  ses  ouvrages  latins  dans  son  Corpus  Philo- 
sophorum  (Stuttgard,  1834  et  suiv. ).  Consultez  Barthol- 
riiès,  Jordano  Bruno  de  Nota  (2  vol.,  Paris,  1846);  Clé- 


BRUNO  — 

mens,  Giordano  Bruno  et  Nicolas  de  Cusa  (Bonn,  1847  ). 

[  Le  résumé  suivant  fera  suffisamment  connaître  la  phi- 
losophie de  Bruno. 

Théologie  ou  philosophie  première.  1°  Il  est  un  prin- 
cipe premier  de  l'existence ,  c'est-à-dire  Dieu.  Ce  principe 
peut  tout  être  et  est  tout.  La  puissance  et  l'activité ,  la  réa- 
lité et  la  possibilité  sont  en  lui  une  unité  indivisible  et  insé- 
parable. Il  est  le  fondement  intérieur  et  non  pas  seulement 
la  cause  extérieure  de  la  création.  Cest  lui  qui  vit  dans 
tout  ce  qui  vit.  2°  La  natura  naturans  ou  cause  générale  et 
active  des  choses  s'appelle  encore  la  raison  générale  divine, 
qui  est  tout  et  produit  tout.  Elle  se  manifeste  comme  la 
forme  générale  de  l'univers ,  déterminant  toutes  choses. 
Elle  est  l'artiste  intérieur  et  présent  partout ,  qui  opère  tout 
en  tous,  forme  la  matière  de  son  propre  fonds,  la  figure,  et 
incessamment  la  ramène  en  soi-même.  3°  Le  but  de  la 
natura  naturans  est  la  perfection  du  tout,  qui  consiste 
en  ce  que  toutes  les  formes  possibles  viennent  à  l'être.  Le 
principe  un ,  en  créant  la  multitude  des  êtres  n'en  reste 
pas  moins  un  en  soi.  Cet  un  est  inlini,  immense  et  par 
conséquent  immobile  et  immuable.  4°  Il  n'est,  d'aucune 
manière,  ni  plus  formel ,  ni  plus  matériel,  ni  plus  esprit,  ni 
plus  corps  :  c'est  l'harmonie  parfaite  de  l'un  et  du  tout.  Il 
n'a  point  de  parties,  il  est  indivisible.  5°  Vîcn  principe  est 
une  monade ,  viinimum  et  maximum  de  tout  être.  L'iden- 
tité elle-même  toute  pure  produit  toutes  les  oppositions  ; 
elle  est  simplement  le  fondement  de  toute  composition  ;  in- 
divisible et  sans  forme,  elle  est  le  fondement  de  tout  ce  qui 
est  sensible  ou  figuré.  6"  L'esprit  intelligent  qui  est  au- 
dessus  de  toutes  choses  est  Dieu  ;  l'esprit  intelligent  qui 
est,  demeure  et  travaille  en  toutes  choses,  est  la  nature; 
l'esprit  intelligentde  l'homme,  qui  pénètre  tout,  est  la  raison. 
1'  Dieu  dicte  et  ordonne ,  la  nature  exécute  et  fait ,  la  raison 
contemple  et  discourt.  8°  La  perfection  d'un  État  comme 
celle  d'un  homme  consiste  dans  la  subordination  des  volontés 
particulières  à  la  sage  volonté  du  maître  suprême ,  qui  n'a 
pour  but  que  le  bien  du  tout.  Il  est  donc  convenable  de  ne 
pas  chercher  avec  une  ardeur  sans  mesure  tout  bien  infé- 
rieur, mais  d'ambitionner  le  véritable  salut  éternel  en  Dieu. 

Cosmologie.  1°  La  natura  naturata ,  comme  l'univers 
éternel  et  incréé ,  est  aussi  en  germe  tout  ce  qu'elle  peut 
être  et  devenir.  Mais,  dans  son  développement  successif  à 
l'extérieur,  elle  n'est  jamais  que  ce  qu'elle  peut  être  à  la 
fois  en  existence  formelle ,  et  elle  manifeste  alors  une  opéra- 
tion dont  les  produits  sont  incessamment  divers.  2°  La  ma- 
tière, le  premier  être,  tous  les  êtres  sensibles  et  intelligents, 
toutes  les  existences  actuelles  ou  possibles,  sont  l'être  lui- 
même.  .3"  La  matière  en  soi  ne  saurait  avoir  aucune  forme 
déterminée  et  aucune  dimension,  puisqu'elle  les  a  toutes, 
puisque ,  bien  plus ,  elle  les  fait  naître  toutes  de  son  propre 
sein.  Elle  n'est  donc  pas  ce  prope  nihilum,  (irj  ôv  de  quel- 
ques philosophes  ;  elle  n'est  pas  non  plus  un  sujet  simple- 
ment passif,  mais  bien  une  puissance  active.  4"  Il  y  a  dans 
l'univers  un  extérieur. et  un  intérieur,  matière  et  forme, 
corps  et  esprit ,  renfermés  dans  une  unité  absolue  et  iden- 
tique. 5°  La  foule  des  espèces,  etc.,  se  trouve  dans  le  monde, 
non  comme  dans  un  simple  réservoir  ou  espace ,  mais  les 
innombrables  individus  sont  entre  eux  et  avec  l'ensemble 
liés  comme  les  membres  d'un  organisme.  6°  Chaque  chose 
est  seulement  la  substance  générale,  présentée  d'une  manière 
particulière  et  isolée,  et  étant  à  chaque  instant  tout  ce 
qu'elle  peut  être  à  cet  instant.  Ce  qui  change  cherche  seu- 
lement une  autre  forme  d'être ,  mais  n'aspire  point  à  une 
existence  nouvelle  en  soi.  7°  Dans  le  tout  sont  toutes  les 
oppositions ,  qui  dans  les  cljoses  se  présentent  divisées,  mais 
qui,  dans  leur  être  réel,  rentrent  de  nouveau  dans  l'unité, 
8°  L'univers  est  comme  un  système  numérique  ;  la  mo- 
nade est  le  fondement,  l'unité  qui  est  tout;  le  nombre  deux 
est  le  principe  de  l'opposition  ;  le  nombre  trois  lie  les  op- 
posés en  un  tout  j  le  nombre  quatre  est  le  symbole  de  la 


BRUNOY  793 

perfection  extérieure,  etc.  Bruno,  on  le  voit,  essayait  de  re- 
nouveler la  doctrine  des  nombres ,  cultivée  dans  l'antique 
Egypte ,  commune  à  Pythagore  et  à  Platon  ,  que  piétendi- 
rent  connaître  les  néo-platoniciens  d'Alexandrie  et  dont 
on  trouve  des  traces  dans  les  premières  écoles  chrétiennes. 
Elle  a  été  renouvelée  à  la  fin  du  dernier  siècle  et  au  commen- 
cement de  celui-ci  par  quelques  écoles  mystiques  allemandes 
et  françaises. 

Psychologie,  morale  et  doctrine  de  la  science,  l»  Tout, 
dans  la  nature,  jusqu'aux  dernières  parties  de  la  matière, 
est  animé  ;  seulement,  les  êtres  animés  ne  sont  pas  tous  dans 
une  jouissance  effective  de  la  vie.  2°  L'action  morale  est 
celle  seulement  qui  se  fait  avec  ou  par  l'intelligence,  qui  sup- 
pose un  dessein,  c'est-à-dire  un  but,  auquel  un  rapport 
vers  quelque  cliose  sert  de  fondement.  3°  Le  but  le  plus 
élevé  de  l'action  libre ,  de  laquelle  seule  est  capable  l'être 
intelligent,  ne  saurait  être  autre  que  le  but  de  l'intelligence 
divine  elle-même.  4°  Le  but  de  toute  philosophie  est  de 
connaître  l'unité  de  toute  opposition ,  et,  en  conséquence, 
rinfmi  dans  le  fini ,  la  forme  dans  la  matière ,  le  spirituel 
dans  le  corporel  :  elle  démontre  donc  comment  la  manifes- 
tation des  formes  sort  de  l'identité.  5°  En  général,  pour  pé- 
nétrer dans  les  profondeurs  de  la  science,  on  ne  doit  ja- 
mais se  lasser  de  considérer  chaque  chose  dans  les  deux 
termes  contraires,  jusqu'à  ce  que  l'on  ait  trouvé  l'accord 
des  deux. 

Giordano  Bruno  s'occupa  aussi  d'astronomie,  et  y  porta  la 
même  originalité  et  la  même  profondeur  que  dans  ses  au- 
tres études.  Iluet,  évêque  d'Avranches,  croit,  non  sans 
quelque  raison  ,  que  Descartes  lui  a  emprunté  son  système 
du  monde.  11  se  livra,  en  outre,  à  l'étude  de  l'alchimie, 
comme  le  prouvent  plusieurs  de  ses  ouvrages.  Bodchitté], 

BRUIXOY  (N.  marquis  de)  était  fils  et  neveu  des  plus 
riches  banquiers  de  leur  époque.  Son  père,  Pâris-Monmartel, 
avait  été  nommé  en  1722  garde  triennal  du  trésor  du  roi 
Louis  XV,  et  était  ensuite  devenu  banquier  de  la  cour;  la 
publication  du  registre  de  ce  monarque,  dont  l'authenticité  ne 
peut  être  contestée ,  a  révélé  les  importantes  opérations  faites 
par  ce  banquier  avec  ce  prince  ,  qui ,  afin  de  récompenser 
ses  services,  érigea  en  marquisat  pour  son  complaisant 
agent  la  seigneurie  de  Brunoy  (village  peuplé  aujourd'hui 
de  mille  habitants,  à  quatre  kilomètres  de  Corbeil).  Bientôt 
le  vieux  manoir  où  le  roi  Dagobert  venait  s'esbattre  avec  sa 
cour,  où  Philippe  de  Valois  avait  passé  le  printemps  de 
1346,  et  dont  les  moines  de  Saint-Denis,  donataires  de  ce 
séjour  royal  et  de  ses  dépendances,  tiraient  de  gros  fer- 
mages ,  parut  trop  étroit  à  ce  fils  d'un  argentier  du  dix- 
huitième  siècle,  qui  y  ajouta  de  nouvelles  et  splendides  cons- 
tructions. L'hôtel  de  Pàris-Monmartel  était  à  Paris,  vers  le 
milieu  du  dix-huitième  siècle,  le  rendez-vous  habituel  des 
gens  de  lettres  et  des  artistes  les  plus  distingués.  L'heureux, 
propriétaire  ne  se  donnait  poui-tant  pas  les  airs  d'un  Mécène; 
c'était  un  homme  de  bon  sens  et  de  bon  goût ,  affable  san* 
affectation,  obligeant  pour  le  plaisir  d'obliger ,  encourageant 
les  talents  sans  les  humilier;  mais  son  fils  n'hérita  pas  plus 
de  ses  goûts  que  de  ses  excellentes  qualités. 

Une  fois  possesseur  d'une  grande  fortune,  qu'il  croyait 
inépuisable,  il  se  livra  aux  fantaisies  les  plus  excentriques; 
puis ,  voulant  se  signaler  par  de  pieuses  prodigalités ,  il 
préluda  par  doter  l'église  de  Brunoy  des  plus  splendides  or- 
nements. Ce  ne  fut  partout  qu'or,  argent  et  diamants  sur 
les  autels.  Les  mémoires  du  temps  ont  décrit  le  faste  prodi- 
gieux de  ses  processions.  Celle  de  juin  1772  fut  plus  magni- 
fique encore  que  les  précédentes ,  et  coûta,  dit-on,  500,000 
livres.  «  L'entretien  du  jour ,  disent  les  Mémoires  de  Ba  - 
chaumont,  à  la  date  du  21  juin  1772 ,  roule  sur  la  proces- 
sion de  Brunoy  ,  dont  on  fait  les  détails  les  plus  singuliers , 
ainsi  que  du  personnage  qui  l'a  dirigée.  On  assure  que  tout 
s'y  est  passé  dans  le  meilleur  ordre  et  de  la  manière  la  plus 
édifiante  pour  le  public.  C'est  M,  de  Brunoy  q^ii  dirigeait 


800 


la  marche  et  le  cérémonial.  Comme  personne  ne  se  connaît 
mieux  que  lui  en  liturgie,  il  n'y  a  pas  eu  une  révérence 
d'omise.  Il  y  avait  plus  de  cent  cinquante  prôtres,  qu'il  avait 
loués  à  plus  de  dix  lieues  à  la  ronde.  11  avait,  en  outre, 
donné  des  chapes  à  quantité  de  particuliers  ;  en  sorte  qu'il 
en  résultait  un  cortège  de  quatre  cents  personnes.  On 
comptait  vingt-cinq  mille  pots  de  (leurs,  six  reposoirs , 
lont  l'un  tout  en  fleurs  et  de  l'élégance  la  plus  exquise. 
Après  la  procession,  ce  magnifique  seigneur  a  donné 
un  repas  de  huit  cents  couverts ,  composé  de  prêtres ,  de 
chapiers  et  de  paysans,  ses  amis  ;  car  c'est  dans  cet  ordre 
qu'il  les  cherche.  On  comptait  plus  de  cinq  cents  carrosses 
venus  de  Paris,  et  le  spectacle  du  monde,  épars  dans  les 
campagnes,  y  faisant  des  repas  champêtres,  n'était  pas 
un  des  moindres  coups  d'œil  de  la  fête.  Elle  doit  recom- 
mencer jeudi  procliain,  et  le  récit  de  ce  qui  s'est  passé  aug- 
mentera vraisemblablement  la  multitude  de  curieux.  «  Ces 
solennités  fastueuses  se  renouvelèrent  pendant  quelques  an- 
nées. Les  fêtes  de  Longchamps  les  firent  oublier;  ce  fut  un 
scandale  de  plus. 

Il  l'fait  réservé  au  marquis  de  Brunoy  d'étonner  tout  Pa- 
ris par  une  autre  fantaisie  plus  excentrique.  Il  annonça, 
en  1775,  la  résolution  de  se  rendre  en  Palestine,  d'y  visiter 
le  tombeau  de  Jés>is-Clu-ist  et  des  apôtres.  Il  devait  faire  ce 


BRUNOY 

long  voyage  à  pied  dans  le  modeste  costume  d'un  pèlerin 
vulgaire,  en  sandales,  le  bourdon  au  poing,  l'escarcelle  à 
la  ceinture,  etc.  ;  mais  il  n'avait  pas  l'intention  de  partir  seul  : 
trente  hommes  devaient  l'accompagner,  et  il  assurait  à  cha- 
cun d'eux  une  prime  de  600  francs  payée  avant  le  départ, 
et  une  pension  viagère  à  ceux  qui  reviendraient  avec  lui  en 
France.  Tous  les  frais  de  route  d'ailleurs  à  sa  charge.  Ce 
pèlerinage  n'eut  pas  lieu.  A  ces  conditions  cependant,  il  ne 
devait  avoir  que  l'embarras  du  choix.  L'obstacle  n'était  pas 
là;  Brunoy  avait  plus  de  vanité  que  de  dévotion;  il  ne  vit 
plus  que  l'ennui  et  la  fatigue  d'un  si  long  voyage,  sans 
faste ,  sans  éclat ,  sans  rien  qui  le  distinguât  des  mercenaires 
qui  l'escorteraient,  et  il  y  renonça. 

L'heureux  successeur  de  Pâris-Monmartel  dans  l'exploi- 
tation des  finances  de  la  France,  le  banquier  favori  du  rt^gent 
et  de  Louis  XY ,  Beaujon,  eut  aussi  des  fantaisies  de 
grand  seigneur.  Mais  ses  folies  furent  d'un  autre  genre  que 
celles  du  marquis  de  Brunoy.  N'oublions  pas  qu'il  fonda  à 
Paris  un  grand  établissement  de  bienfaisance,  auquel  les 
pauvres  ont  donné  son  nom.  Que  reste-t-il  du  marquis  de 
Brunoy?  Le  souvenir  d'une  stérile  et  scandaleuse  prodiga- 
lité et  celui  de  son  interdiction,  sollicitée  et  obtenue  jiar 
ses  parents,  Di'fey  (  de  1"  Vonne). 


FIN  DU  TROISIÈME  VOLUME. 


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