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in 2009 with funding from
Univers ity of Ottawa
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RÉPERTOIRE
DES
CONNAISSANCES USUELLES
LISTE DES AUTEURS QUI ONT CONTRIBUÉ A L\ RÉDACTlOxN
DU ^^ VOLUME DE CETTE ÉDITION.
MM.
Aalliolm, d'Arendal.
Ahrens (IL), à Gœttingue.
Aicard (Jean).
Aicuibert (D').
Ancelot (Madame Virginie).
Arago (Etienne).
Arago (Jacques).
Artaad, ancien inspecteur général.
Aiibert de VUry.
Andirrret (11.).
Auger, de l'Académie française.
Bandeville (l'abbé).
Barbier ( Ant.-Alex. ), anc. bibliothécaire
de l'Empereur.
Bardln (le général).
Bcrliu (l'abbé J.).
Bordag-Denioulin.
BouchiUé, r/icteiirdc l'Acad. de Chait;cs.
Bouillet. ancien proviseur.
Bourdon (D'^Isid. ), de l'Acad. de médcc.
Bradi (Madame la comtesse de).
Bretou, de la Gazette des Tr-ibininux.
Brunet (Gustave), ù Bordeaux.
Biicbon, anc. insp. général des Arcliives.
Castil-Blaze.
l'.banipaguac.
Chauipolllou-Figeac (J. J.), ancien con-
servateur de la Bibliothèque nationale.
Gbarbonnier (D*^).
Gbasics (Philarète), professeur au Collège
de France.
Chateaubriand, de l'Acadéni. française.
Chevalier (Auguste), ancien secrétaire
général de la Présidence.
Clavier, de l'Académie des inscriptions.
Corbière ( Edouard ).
Corcy (B. de).
Corinenin (Vicomte de), conseiller d'État.
Cuttereau (P. L.), anc. professeur agrégé
à la Faculté de médecine de Paris.
Cuvier (Georges), anc. secrétaire perpé-
tuel de l'Académie des sciences.
Uanjou (F.).
Delaforest (A.).
Uclanibre , anc. secrétaire perpétuel de
de l'Académie des sciences.
Delbare (Th.), anc. prccept. des Inf. d'Esp.
Démezii.
Deunc-Baron.
Des Gcuevez (A. )
MM.
Despretz, de l'Académie des sciences.
Dnbard , ancien procureur général.
Oubier.
Uucbesne aine, conserv. de la Bibl. nat.
Dufey (de l'Youne).
Duciiett (W. A.).
DUpetit-Tbonars, de l'Acad. des sciences.
Du Rozoir (Charles), ancien professeur
suppléant à la Faculté des lettr. de Paris.
Faucbe (H.), anc. profess. de rhétorique.
Favé (I.), capit. d'artill,, officier d'ordon-
nance du Prince-Président de la républ.
Favrot, ancien chef des travaux chimi-
ques à l'École des mines.
Fayot (Frédéric).
Feillet (A.).
Ferry, anc. examinât, à l'École polytechn.
Français (de Nantes), anc. pair de France.
Fiévée (Joseph).
Forget (D"^), professeur à la Faculté de
médecine de Strasbourg.
Friess-Colonna , archiviste du départe-
ment de la Corse.
Gallois (Napoléon).
Gaultier de Claubry, profess. à l'École
polytechnique.
Ginguené, de l'Académie des inscriptions.
Granier de Cassagnac, dép. au Corps lég.
Guinot (Eugène).
Guy d'Agde (A.)
Hauréau (B.), anc. conserv. à la Bibl. nat.
Héreau (Edme).
Jacob (P. Lacroix), le Bibliophile.
Janin (Jules).
Kératry, ancien pair de France.
Lafage (Adrien de).
Laine, anc. généalogiste des ordres du Roi.
Lally-Tollendal, de l'Académ. française.
Lassime (J. de), avocat à la Cour d'appel
de Paris.
Laurent (de l'Ardèche), biblioth. du Sénat.
Laurent (L.), ancien chirurgien en chef
de la marine.
Laurentie , anc. inspect. en. gde l'Univ.
Lavigue (E.)
Leconite (Jules).
Leinoine (Edouard).
Lenioiniic (John).
Le Houx de Lincy.
Lonvei.
MM.
Mahui (A.), ancien préfet.
lUarmouiel.
Marrasl (Armand), anc. prés, de l'Ass. nat.
Merlieax (Ed.).
Martin (Henri).
Monglave (Eugène Garay de).
Muller (J.).
Muntz.
Nodier (Charles), de l'Académie française.
Norvins (J. de).
Ortigue (J. d'), prof, au Conserv. de mus.
Oarry.
Paffe, ancien professeur de philosophie.
Page (Théogène), capitaine de vaisseau.
Paris (Paulin , de l'Acad. des inscriptions.
Paton (Jules), banquier.
Pautet (Jules).
Pelouze père.
Reiffenberg (Baron de).
Rocbe (Achille).
Bolle (Hipp.), biblioth. de la ville de Paris.
Romey (Charles).
SaiDt-Prosper.
Saint-Prosper jeune.
Salvandy (N. A.), de l'Académie franc.
Sandean (Jules).
Sarrans jeune, anc. membre de l'Ass. nat,
Savagner (Auguste], ancien professeur au
lycée Charlemagne.
Say (J. B.), de l'Institut.
Ségalas (Madame Anaïs).
Simon (D' Léon).
Slsmondi (Simonde de).
Suard, de l'Académie française.
Talleyrand-Périgord (Prince-duc de),
de l'Acad. des sciences moral, et politiq.
Teyssèdre.
Tissot, de l'Académie française.
Tollard aîné.
Tonssenel, prof, au lycée Charlemagne.
Vaudonconrt (le général G. de), ancien
aide de camp du prince Eugène.
Vaulabelle (Achille de), ancien ministre
(je l'Instruction publique.
Vaulabelle (Éléonore de).
Viennet. de l'Académie française.
Viollet-Leduc.
Virey.
Vivien , de l'Acad. des se. mon et politiq.
Voltaire.
('ans — 1 si'"Si^|il>ic ili Fil min Dulul ficti'S, rue Jarob, M.
DICTIONNAIRE
DE LA
CONVERSATIOIS
ET DE LA LECTURE
INVENTAIRE RAISONNÉ DES NOTIONS GÉNÉRALES LES PLUS INDISPENSABLES A TOUS
TAR WM SOCIÉTÉ DE SATOTS ET DE GEWS DE LETTRES
sous LA DIRECTION DE M. W. DUCKETT
Seconde édition
ENTlEREMEiNT REFONDUE
CORRIGÉE, ET AUGMENTÉE IIE PLUSIEURS MILLIERS d'aRTICLES TOUT d'aCTUALITÉ
Celui qui voit tout abrège tout.
MOWTESQUIED.
TOME TROlSlliMlî
PARIS
LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET G"
IMPRIMEURS DE L^INSTITUT, RUE JACOB, 50
M DGCC LXVII
Les lecteurs sont prévenus que tous les mots espacés dans le texte courant ( par
exemple : Transsubstantiation, Immortalité, César] sont l'objet d'articles
spéciaux dans le Dictionnaire, et constituent dès lors autant de renvois à consulter.
DICTIONNAIRE
DE
LA CONVERSATION
ET DE LA LECTURE.
BÉRAAGER (Pierre-Jeam de), poète national, est
aéà Pans, le 19 août 1780.
Panard s'enivrart et s'endormait à table, mais le vin et
le sommeil lui donnaient des inspirations; et si on l'éveillait
pour lui demander des couplets, il en produisait de cliar-
luants , comme un arbre dont on agite les brandies laisse
tomber les fruits mûrs qu'il porte dans la saison de sa fécon-
dité. La table et le vin inspiraient également un épicurien
qui n'était pas sans quelque ressemblance avec le La Fon-
taine de la cbanson : en supprimant les bons repas à D é-
saugiers, vous auriez supprimé sa muse; le jour où les
bouteilles de Champagne et les tonneaux de Bourgogne eus-
sent été réduits pour elle à la lie, vous l'auriez vue sortir
«ic chez son hôte comme la courtisane infidèle dont parle Ho-
race. Le vin ne fait pas ainsi le génie de Béranger : convive
délicat, il s'humecte à petits coups, et ne trouve pas ses vers
à force de rasades. Quand Béranger chante sur le ton de Pa-
naid , vous ne trouvez point en lui cet abandon de l'ivresse,
qui était une espèce de muse pour l'auteur de La grande et la
petite Mesure ; mais sa franche et libre gaieté éclate sous la
direction cachée d'une raison qui ne sommeille jamais. Cette
raison habite plus haut que celle de Panard ; l'horizon des
idées s'est beaucoup étendu devant elle ; ses tableaux tien-
nent de la grandeur des sujets dont ils nous représentent
l'image. Ainsi, deux seuls couplets de la chanson intitulée
Le Aouveau Diogène sufûsent pour nous apprendre que la
liberté est venue visiter la France , et qu'il existe un con-
grès de rois qui , au lieu de se faire représenter par des
ministres, ont voulu régler eux-mêmes les destinées de
l'Europe.
Puisque j'ai prononcé le nom de Diogène, je ne dois
pas taire que je crois voir en notre Béranger quelque chose
de ce philosophe, orgueilleux de sa pauvreté indépendante,
ne demandant au plus puissant des rois que de ne pas lui
ôfer son soleil, et occupé toute sa ^^e à regarder dans le
Ctt'ur de riiomme avec une curiosité d'observateur satirique.
Aussi , les plus fortes saillies de Béranger sont encore des
peintures de mœurs ou même de hautes leçons. Dans le
nombre des premières , on peut compter le Sénateur, qui
dérida le front sévère de Napoléon au temps de ses plus
grands embarras. Dans la catégorie des secondes, il faut
ranger le Roi d'Yvetot, censure aussi vive que généreuse et
gaie du conquérant qui donnait alors des lois à l'Europe.
Seul , au milieu de cette Europe qui se taisait devant un
autre Cyriis ou un autre Alexandre, un simple chansonnier,
DICT. DE L\ C0\V. — T. «I.
commis dans un bureau du gouvernement, osa faire la cri-
tique du prince guerrier. La nation entière applaudit à la
plaisanterie charmante et philosophique du Roi d' Yvetot. Le
vainqueur de Darius, dans un premier accès d'emportement,
aurait pu envoyer aux carrières le poète capable d'une telle
témérité; Napoléon lui-même se prit plus d'une fois à fre-
donner la naïve satire, mais il ne profita pas de la leçon
qu'elle contenait. C'est par la chanson du Roi d'Yvetot que
la France fit connaissance avec Béranger.
La gaieté de Béranger, moins vive et moins communica-
tive que celle de Panard et de Désaugiers , ressemble au
comique de Molière, souvent si sérieux quand il nous fait
rire de nous-mêmes et des autres ; mais , comme le con-
templateur, il a pensé au peuple et à tant de gens comme il
faut qui sont peuple aussi. Le Petit homme gris, La Mère
aveugle. Le Voisin, sont des farces que Béranger nous
donne après de graves comédies. Le rigorisme a repris dans
ces tableaux à la Téniers des traits qui vont jusqu'à la li-
cence, mais la cour du plus majestueux acteur de la royauté
que l'on ait vu sur le trône passait à Molière bien des liber-
tés que notre pruderie de nouvelle date repousserait aujour-
d'hui, sans qu'on puisse inférer justement de ce scrupule
que nos mœurs soient préférables à celles de nos devanciers.
Avouons toutefois qu'il serait à souhaiter, malgré la verve
et la poésie dont elles brillent , que certaines chansons, em-
preintes d'une hberté vraiment cynique , ne figurassent pas
parmi les belles et morales composi t ions de Béranger ; du moins
faudrait-il qu'elles fussent imprimées dans un volume à part.
Béranger laisserait encore un nom, même quand il ne
serait que le rival des Panard et des C o 1 1 é ; mais il y a plus
en lui quun membre de cet ancien Caveau , si bien sur-
nommé l'académie du plaisir par AL Etienne. Né pour ainsi
dire avec une époque qui fit plus pour les progrès et le
bonheur du monde que toutes les autres époques de la ci-
vilisation, sevré du lait des écoles, mais aussi préservé des
eireurs qu'elles enseignent avec les bonnes doctrines , il a
formé sa raison à même les événements, et son talent a
reçu d'eux cette empreinte originale, libre et forte, qui le
caractérise. Nourri d'indépendance dans le sein de la pau-
vreté, abreuvé de philosophie par Montaigne, Molière, La
Fontaine, Voltaire et Rousseau, Béranger n'a point d'idole,
point de fétiche, point de marotte; il ne sait baisser la fête
devant aucun préjugé moral, politique ou littéraire; il ne
recule devant aucune vérité. Au lieu de perdre son temps et
son génie à essayer de ressusciter le passé , |)rclention ou
1
RERANGER
faiblesse qiri ont égaré plus d'un écrivain Iiabile de nos jours,
il adopte les lumières, il reconnaît les bienfaita du présent,
et marche vers l'avenir le front levé.
IJérangcr est un poëte, c'est-à-dire un faiseur, un boramc
qui crée : l'invention, voilà son premier mérite. Il conçoit
avec bonheur, médite avec force et constance; il creuse ses
idées au lieu de céder à cette impatience des jeunes écri-
vains dont le pinicau brille de jeter de la couleur sur le
premier germe éclos de leur imagination : chez eux, le titre
d'une pièce la révèle tout entière; chez lui, le titre cache
souvent un mystère que l'on cherche vainement à deviner,
même quand on a une longue habitude du geure de ses
compositions.
Uéranger a toujours affirmé qu'il ne savait pas les lan-
gues classiques. On ne peut guère douter de ce que dit
un hocnme de ce caractère ; cependant, après avoir lu un
certain nombre de ses belles chansons, qui respirent tout
le parfum de la poésie antique , on éprouve bien de la peine
à se défendre de l'incrédulité. Mais si Uéranger n'a lu ni
Homère, ni Virgile, ni Horace et leurs pareils dans leur
propre idiome , il n'en a pas moins fait de ces auteurs une
étude approfondie, qui éclate par ses jugements sur eux,
et surtout par sa manière de composer et d'écrire. On di-
rait qu'en se pénétrant de leur substance il a deviné le ca-
ractère et les formes de leur style , réfléchi par celui de
nos grands écrivains qu'il a tant étudiés dans un travail
continuel de sa tête méditative. Déranger , qui ne les copie
jamais , doit beaucoup à Montaigne , à Molière et à notre
fabuliste. Béranger est souvent un satirique ; il donne quel-
quefois de sanglantes leçons , mais elles ne sont pas odieuses
comme certains traits de Juvénal et d'Aristophane, qui bri-
sent le masque sur le visage des coupables , et les nomment
eu les montrant ; méchant à la manière de Regnard ou de
La Fontaine, on sent de la bonhomie jusque dans ses plus
grandes colères.
Au reste , si l'on pouvait en vouloir un moment à Béran-
ger , on ne lui garderait pas longtemps rancune , en voyant
combien les affections douces et tendres dominent dans ses
compositions. Si j'ouvre Anacréon, je trouve un homme
occupé de lui seul , qui ne pense qu'à sa coupe et à sa maî-
tresse. Il y a toujours un ami en tiers dans les plaisirs de
Béranger ; l'amitié est sans cesse auprès de lui pour recevoir
ces confidences de l'amour , si précieuses aux cœurs sen-
sibles. Qu'un ami de Béranger tombe dans le malheur, il
obtiendra du poëte des tributs que la richesse et la puis-
sance tenteraient en vain de payer au poids de l'or.
Je n'ai jamais flatté que l'infortune,
est la devise de Béranger ; il ignore surtout comment on
supprime l'éloge de Gallus. Les élégantes compositions, les
vers exquis d'Horace , les descriptions brillantes et quel-
quefois passionnées de Properce , les tendres supplications
du bon Tibulle, nous inspirent fort peu d'intérêt pour les
femmes dont ils portent les chaînes ; la Lisette de Béranger,
simple , tendre, sensible, et pourtant friponne , a un charme
particulier : on croit au bonheur de son poëte. Et puis ,
comme il lui parle d'amour ! Tantôt c'est l'accent de Parny ,
qui invite Éléonore à venir habiter les champs ; tantôt c'est
le ton (le Voltaire d;ms l'épître des Tu et des Vous ; ailleurs
on dirait d'un autre Chaulieu , devenu plus sensible, mê-
lant la gaieté d'un convive heureux à des souvenirs poli-
tiques, et baissant humblement la tête sous le joug prescrit
par l'arbitre souverain de ses volontés. Ce dernier trait
rappelle la chanson qui a pour titre: La République, chan-
son pleine de grûce et d'originalité, qui contient, sous une
(orme légère, des allusions aux plus grands événements du
siècle.
Par une certaine habitude de mélancolie, Béranger ainje
h remonter le cours des années. Ce retoiu- triste et doux
sur un passé qui tient encore au présent lui a inspiré Le
bon Vieillard , ta plus pure peut-être de ses composition».
Les souvenirs, les sentiments, les espérances, les délica-
tesses du cœur, l'amour sacré de la patrie, font de cette
ode une pièce achevée , dont il n'y a de modèle ni dans
l'antiquité ni chez les modernes ; on ne peut la lire sans
répandre des larmes. Ainsi que Tibulle et Parny, Béranger
interrompt les transports d'une passion fortunée pour chan-
ter sa mort et adresser ses derniers adieux à sa maltresse.
Encore jeune et jolie, il eu fait tout à coup une bonne
vieille q\ii survit à son ami et le pleure au coin du feu.
L'esprit adofite avec plaisir cette fiction attendrissante;
mais connue l'intérêt s'élève et sort du cercle étroit des
choses ])ersonnelles quand le |>oéte termine ses adieux en
reportant notre pensée sur les malheurs de la patrie et l'es-
pérance de rinunortalité!
Béranger n'affecte pas tel ou tel état de l'âme pour com-
plaire au caprice de son talent qui veut montrer sa flexi-
bilité; il cède à des impressions du moment , à des impres-
sions secrètes et inattendues, dont ses ouvrages portent
l'empreinte. Triste aujourdliui , il fait une ode élégiaque
comme celle d'Horace sur la moil de Quintilius; demain,
le ciel sourit, son imagination prend les riantes couleurs de
l'horizon et enfante des rêves de bonheur. Alors , il in-
vente, il compose à la manière des Grecs, sans penser à
imiter personne. Que sont les souhaits faut vantés d'Ana-
créon auprès de la chanson du Petit Oiseau, on le sourire
est toujours près des larmes? Ce même genre de mérite,
avec un intérêt encore plus touchant, donne beaucoup de
prix à L'Aveugle de Bagnolet , le Bélisaire de la chanson.
On retrouve aussi la teinte d'une douce sensibilité dans la
chanson si originale des Étoiles qui filent, et dans la pièce
intitulée Ma Lampe , l'un des éloges les plus heureux et les
plus délicats qu'une sympathie généreuse pour le talent ait
jamais inspirés à un poëte ( la pièce est adressée à madame
Dufrénoi). Mais Béranger ne chante pas longtemps sur le
même ton ; tout à coup il nous réveille par de piquantes
peintures de mœurs, par des portraits ressemblants qui élin-
cellent de verve, de raison et de gaieté : témoin Le marquis
de Carabas, qui a couru toute la France, et frapi)é d'un
ridicule éternel les prétentions de cette classe incorrigible
de gens à vieux blasons et à vieux parchemins, assez fous
pour entreprendre de ressusciter toutes les prétentions de
leur caste. On peut citer encore dans le même genre Le
Prince de Navarre et Le Vilain, auxquels Béranger op-
pose La Vivandière, création neuve , pleine de la gaieté la
plus entraînante et jjropre à éterniser de race en race et
chez les autres peuples le souvenir de la gloire des armées
françaises. Une autre fois. Déranger sort de son siècle, et
c'est pour nous offrir, dans une pièce vraiment lyrique,
l'image de Louis XI, semblable à un pûle fantôme, et cher-
chant à retrouver un sourire dans le spectacle du bonheur
des villageois. Je demande si le Tibère de Tacite est mieux
peint et surtout mieux puni que le Louis XI de Béranger;
je demande si jamais personne a conçu un tableau plus ef-
frayant et mieux contrasté.
C'est ici le lieu de remarquer de nouveau que Béranger
fait entrer tous les genres dans la chanson, couime La Fon-
taine les a tous introduits dans l'apologue. 11 excelle surtout
à trouver un cadre, à inventer une action où il jelte ses
personnages d'une manière dramatique ; le plus souvent il
se met lui-même en scène, et. cette manière de donner de
la vie à une composition ne lui réussit pas moins qu'au fa-
buliste. Le moi, si déplaisant de sa ïiature, le moi, qui
impatieide quelquefois jusque dans Montaigne, malgré la
grâce et l'abandon de sa causerie [ihilosophique , nous plaît
dans La Fontaine et dans Béranger. Pourquoi cette excep-
tion à une rè^le générale et défendue par la susceptibilité de
notre amour-propre? Parce que leur »ioi diffère des autres
moi, et nous paraît cxeinj)t d'égoïsrae, d'amertume et de
sotte vanité; parce que les confidences de ce moi, si aimable
BÉRANGEU
«Jans leur bouche, sont de naïves réviMations du cœur hu-
main. Mais une passion ardente parait le dominer, c'est
l'amour de la patrie. Cette passion est sa première muse ,
elle remplit toutes ses compositions, en se prêtant aux di-
vei-ses métamorphoses que le sujet demande. Comment ne
pas se sentir ému des adieux à la gloire de la France, ex-
primés dans la pièce qT.\ a pour titre Plus de politique?
Vit-on jamais détour plus ingénieux que celui du poète? Il
a l'air d'abjurer la politique aux genoux de sa maîtresse, et
ne cesse de l'entretenir des exploits , des grandeurs et des
revers de notre pays. L'amour de la patrie respire avec tout
ce que le regret d'une séparation cruelle peut y ajouter de
touchant, soit dans la chanson de L'Exilé , soit dans celle
du Champ d'Asile. La première excite de douces larmes,
la seconde fait battre le cœur et nous (pénètre de cette ad-
miration que nous cause le souvenir des grandes choses,
eu remuant toute la partie généreuse de notre cœur. Mais il
fallait qu'une révolution eût lieu , qu'un empire fût créé ,
que la France devînt la maîtresse du continent, qu'elle tom-
bât du faîte de sa gloire , que quelques-uns de ses défenseurs
se vissent condamnés à l'exil, que des Européens allassent
demander l'hospitalité à des sauvages , pour que cette chan-
son pût exister. C'est bien ici le cas de dire : « Que de
choses dans mie chanson ! »
Une autre ode du poète national commence par cette in-
vocation, que l'on ne trouve dans aucun poète d'Athènes
déchue de la souveraineté de la Grèce , mais reine encore
par le génie, l'éloquence et les arts :
Reine du monde, ô France, ô rua patrie!
Soulève eoliu tou Irool cicatrisé;
Sans qu'à tes yeux leur gloire en soit flétrie ,
De les enfants l'étendard s'est brisé.
Quand la fortune outrageait leur vaillance.
Quand de tes roains tombait ton sceptre d'or.
Tes ennemis disaient encor :
Honneur aux enfants de la France !
Si, après toutes ces belles inspirations, quelqu'un pou-
vait douter encore que Béranger aime la France co.iime un
fils aime sa mère , je lui rappellerais la belle chanson du
Retour dans la patrie. On ne peut lire cette chanson sans
un serrement de cœur et sans mouiller la page de ses larmes.
Ulysse baisant la terre natale et adressant les plus tendres
prières aux nymphes du lieu n'est pas plus touchant peut-être.
Au temps où il était le maître de l'Europe , Napoléon n'a
pu obtenir un vers de Béranger; mais le grand capitaine
trahi par la fortune , mais le représentant de la gloire du
siècle, mais l'homme de génie qui a enfanté tant de mer-
veilles pour agrandir et honorer notre pays, mais le bien-
faiteur, le sauveur des rois , enchaîné par eux sur le rocher
de Sainte-Hélène , inspire le plus religieux attachement, la
plus éloquente admiration au poète national. Béranger plaint,
chante et regrette Napoléon , tombé avec cette France qu'il
avait faite si puissante et si belle; il associe ensemble ces
deux grandes victimes du sort, et les relève de leur malheur
par le souvenir de leur commune gloire : ainsi, en célébrant
uji héros, Béranger célèbre encore la patrie, et ne court
jamais le risque de cette idolâtrie trop fréquente qui met
un homme au-dessus d'une nation , comme Virgile l'a fait
poiM- Auguste aux dépens de Rome. Entre toutes ces hautes
inspirations que Béranger doit à ce colosse de gloire qui est
venu éterniser le nom sonore, mais peu connu, de Napo-
léon , Le cinq mai me paraît l'une des plus heureuses. Tandis
que le plus grand débris de la fortune, dans ce siècle si
fécond en ruines , tandis que Napoléon , privé dun lils ,
objet du plus tendre amour, séparé de tous les siens par
une cruelle politique , expire en tournant ses derniers re-
gards vers la France, comme .Moïse regardait en mourant la
terre promise, interdite aux vœux brûlants de son cœur,
des Espagnols, oubliant leurs nisscntiments devant cette
augusie infortune, mêlent leurs regrets à ceux d'un vieux
soldat français qui reverra la France, où la main d'un lils
lui fermera les yeux. Ou je me trompe beaucoup , ou c'est là
un trait de génie.
Dans une autre ode , quelquefois sublime , Béranger, par-
lant à son âme prête à partir pour le séjour de l'immortalité,
célèbre encore la gloire et les malheurs de la France , dont
il va rejoindre les héros. Quelle haute inspiration dans celte
strophe :
Cherchez au-dessus des orages
Tant de Français morts à propos ,
Qui , se dérobant aux outrages.
Ont au ciel porté leurs drapeaux !
Pour conjurer la foudre qu'on irrite ,
Unissez-vous à tous ces demi-dieux !
Ah ! sans regret, mon âme, partez vite I
En sonriaot remontez dans les cieux 1
Remontez , remontez dans le» cieux!
La chanson qui porte pour titre La Sain te -Alliance des
peuples offre aussi un hommage à la France, comme à
toutes les familles du genre humain , que le poète veut ré-
concilier aux accords de sa lyre, et rallier au nom de cette
paix universelle, le rêve d'une belle âme, rêve qui de-
viendra peut-être une vérité , grâce aux progrès de la raison.
Cette création appartient tout entière à des idées et à des
événements d'un ordre nouveau dans le monde. L'auteur
fait descendre la I^aLx sur la terre pour conseiller aux peu-
ples le traité d'une éternelle amitié, qui les préservera de h
terrible union des rois contre la liberté.
Cette ode appartient au genre pliilosophique, où Béranger
n'a point d'égal. L'orage, Les deux Sœurs de Charité , Le
Bon Dieu, Le Dieu des bonnes gens, sont des mo-
dèles que le patriarche de Ferney aurait répétés à La Harpe,
son disciple, en lui disant : « Mon fds, j'aime ce Béranger :
je vous le lecommande. «
Voilà bien des éloges, mais la critique réclame aussi sa
part ; Béranger n'est pas sans défauts. On trouve des dis-
|)arates dans quelques-unes de ses plus belles chansons; i'
termine faiblement telle strophe de la plus touchante poésie,
il fait entrer de force certaines unages dans un sujet qui
les repousse ; chez lui le refrain obligé ne s'applique pas
toujours avec la même justesse et le même bonheur à la
pensée; le poète tombe jiarfois dans la sécheresse et surtout
dans l'obscurité. Son recueil contient des pièces médiocres,
d'autres tout à fait indignes de son talent. Il devrait faire
ce que Dieu fera , dit-on , au jour du jugement dernier, la
séparation des bons et des mauvais, des élus et des dam-
nés. Mais combien les beautés l'emportent sur les défauts
dans son recueil !
Successeur des Blot , des Passerai et des autres auteur»
de la Satire Ménippée, Béranger n'excelle pas moins dans
la chanson politique proprement dite que dans les autres
sujets , et le courage n'a point manqué à son talent toutes
les fois qu'il a voulu poursuivre de ses reproches les prin-
ces qui , après avoir soulevé les peuples au nom sacré de
la liberté, ont oublié leurs serments le lendemain même de
la victoire, arrosée du plus pur sang de ces mêmes peuples,
victimes de leur aveugle confiance. L'inexorable chanson-
nier a été de même l'adversaire le plus constant des Bour-
bons de la branche aînée. Tantôt il les accable du poids de
notre gloire nationale, à laquelle ils n'ont pris aucune
part, et qu'ils ont voulu punir dans ses plus nobles repré-
sentants, en les offrant comme holocaustes aux rois si long-
temps vaincus par des héros plébéiens et par un soldat cou-
ronné; tantôt il leur reproche, sous une forme vive et pi-
quante, leur alliance avec l'étranger appelé pour le seul
intérêt de leur ambition au sein de la France. Ailleurs,
dans une peinture à la manière de Juvénal , il marque avec
un trait de feu le souvenir ineffaçable d'une grande injure
faite aux mœurs par tin vieillard qui nous devait d'autres
exemjiles apiès les scandales de se^ pères. Une autre fois, il
1.
DERANGER
leur montre le drapeau tricolore déployé dans le ciel au-
dessus de la phalange des liéros français, ou caché sous la
[laille dans la cliaurnière d'un vieux grenadier qui arrose en
secret de ses pleurs cet étendard de la gloire.
Ainsi que tous les écrivains et tous les orateurs de l'op-
position, Béranger eut aussi une guerre à soutenir contre
les agents du pouvoir, surpris chaque jour en flagrant délit
de conspiration contre les libertés publiques. Il expia cette
témérité par neuf mois de détention , qui furent pour lui un
sujet de triomphe dans l'opinion. En dépit des réquisitoires
fulminés par des furieux, en dépit des arrêts rendus par des
juges passionnés, qui étaient pour la plupart des hommes
de parti et de réaction , tout le monde voulut voir le poète
captif. La beauté , la grâce et la jeunesse se disputaient cha-
que jour le plaisir de déposer des couronnes de fleurs sur sa
tête et de lui faire oublier l'ennui d'une captivité qui l'em-
pôchait d'aller saluer dans les bois le retour du printemps,
Je cette saison favorite qui renouvela toujours sa voix ,
comme elle renouvelle le chant des oiseaux. Béranger avait
'\n prison une espèce de cour selon son cœur, et conforme
il ses propres penchants , c'est-à-dire composée de flatteurs
de l'infortune. Il lui vint même du fond des départements
in tertain nombre d'interprètes de la sympathie générale
pour le chantre de la patrie. Jamais Béranger ne peut ou-
blier ces tributs de la reconnaissance et de l'affection pu-
bli<]ucs, ils font époque dans sa vie et dans les annales des
lettres.
La prison augmenta singulièrement la popularité de Bé-
ranger, et redoubla son audace à réveiller tous les beaux
souvenirs de notre moderne histoire, à défendre la cause
de la liberté, à signaler les fautes du pouvoir, qui finit par
se perdre lui-même par la plus inconcevable des impru-
dences.
Après avoir salué avec transport la victoire du peuple en
juillet 1830, Béranger nous donna un nouveau recueil de
chansons. Elles sont empreintes du même caractère que
toutes les autres. C'est toujours l'ami de l'humanité , tou-
jours le philosophe , toujours le bon Français, toujours le
poète du peuple , qui nous laisse voir le fond de son cœur ;
mais dans ces chants du cygne , il règne quelque chose de
plus grave, de plus sévère, de plus mélancolique : témoin
l'hymne de douleur sur le double suicide d'Augustin Le Bras
et de Victor Escousse, dont l'un mourut parce que l'autre
voulait mourir. Béranger avait connu ces deux victimes d'une
maladie de la jeunesse du temps , qui , ayant vu trop tôt le
bout de toutes les choses humaines , et acquis une trop
prompte maturité, voit s'évanouir toutes ses illusions, perd
tout, jusqu'à l'espérance, et se décourage enfin de la vie,
dont elle n'attend plus rien ni pour elle-même ni pour les
autres.
L'originalité est encore le cachet des nouvelles produc-
tions de Béranger, c'est ce que prouvent La Fête cfti pri-
sonnier, Le cordon, s'i/ vous plaît, Le Bonheur, Mon
tombeau , Le Cardinal et le Chansonnier, Les Dix mille
francs , satire si vive des sangsues de la fortune publique
sous la Restauration. Ce mérite brille au plus haut degré
dans Le Juif errant. Béranger seul pouvait tirer une aussi
belle ode d'une superstition populaire; dans ce portrait d'un
damné de la terre condamné à vivre pour soufirir un sup-
plice qui n'a point de modèle et qui ne saurait espérer de
(in , Béranger ressemble au terrible Dante. Les premières
chansons de Béranger s'emparent plus vivement de l'esprit
et du cœur que celles qu'il nous donne pour les derniers
tributs de sa muse; mais, à une seconde lecture, on entre
rlans la pensée du poète, et on sent tout ce qu'elle a de grave,
de pénétrant, de réfléchi, de mélancolique et de touchant.
Le plus noble tribut de reconnaissance payé à Lucien
Bonaparte, qui le premier accueillit la muse de Béranger,
encore inconnue , ouvre le recueil et honore également le
poète et .son bienfaiteur. A cet hommage succède une pré-
face où Béranger se révèle tout entier. Le bonheur de l'hn-
manité , voilà le songe de toute sa vie ; le peuple étudié
avec un soin religieux , avec une attention pleine d'amour,
voilà la muse de Béranger. C'est pour le peuple, dit-il avec
beaucoup de sens, que l'on doit maintenant cultiver les
lettres, c'est lui dont on doit rechercher les suffrages, c'est
à lui qu'il faut parler la langue du génie, du bon sens et
de la vérité. Rien de beau , de grand , de sublime même ,
que le peuple ne saisisse d'abord ; donnez-lui du Corneille ,
du Racine, du Voltaire, H applaudira avec un enthou-
siasme plein de discernement; exprimez pour lui des choses
utiles dans un lang.ige digne d'elles, vous serez sûr de
réussir, et vous aurez contribué à instruire le peuple en fai-
sant la fortune de votre talent : ces conseils, donnés en
d'autres termes par Béranger à la jeunesse de nos jours, sont
les meilleurs qu'elle puisse recevoir.
M. Laffitte, qui fut le meilleur des citoyens et le plus ex-
cellent des hommes , est dignement apprécié par Béranger,
d'autant plus libre dans ses éloges qu'il a toujours résisté aux
offres généreuses du seul homme de notre temps qui ait su
rendre la richesse populaire. Béranger élève aussi bien
haut son ami M a n u e I, qui a manqué à la révolution de 1 830.
Béranger est un poète éminemment national et populaire.
On lit Béranger dans la chaumière comme dans les palais.
Béranger a un ami partout où se trouve un Français qui
ait combattu en Asie, en Afrique, en Europe et sur notre
propre teiTitoire, pour la cause sacrée de l'indépendance.
Béranger, quoique préparé par la méditation, et déjà
éprouvé par des succès , ignorait peut-être son avenir, lors-
qu'il entendit résonner dans l'air une voix puissante qui
lui disait : « Viens consoler mes malheurs, et célébrer ma
gloire, dont on voudrait étouffer le souvenir. » Cette voix était
celle de la patrie ; il l'entendit , et devint un nouvel homme.
Aucune époque de notre histoire ne vit une pareille sym-
pathie entre le peuple et un poète; jamais léchant lyrique
n'éveilla tant d'échos dans le cœur d'un si grand nombre
d'hommes réunis sous le même ciel.
P. -F. TiSSOT, de l'Acadcnile Française.
Béranger, ce chansonnier très-vilain malgré sa noble par-
ticule, enfant de Paris comme Molière, homme du peuple,
primitivement ouvrier, naquit chez son pauvre et vieux
grand-père, honnête tailleur, habitant rue Montorgueil ,
dans une des maisons qu'on a abattues pour construire le
marché aux huîtres. Son père, né dans le village de Flami-
courl, près de Péronne, était doué de brillantes facultés,
d'ime imagination aventureuse, qui le portait à changer
sans cesse d'état et de résidence. Aussi ne put-il s'occuper
de l'éducation de son (ils, qui resta confié à ses grands-pa-
rents.
Jusqu'à l'âge de neuf ans il demeure chez son grand-père,
le tailleur, qui le traite avec indulgence, le gronde peu,
l'aime beaucoup, et, loin de l'accabler de leçons et de tra-
vaux , lui permet d'être heureux et de s'instruire à sa guise.
Son enfance, libre d'entraves et quelque peu vagabonde,
fut cefle d'un vrai gamin de Paris. Il se trouvait dans cette
capitale lors de la prise de la Bastille, et, quarante ans plus -■
tard , il chantait ce grand événement sous les verrous de
Sainte-Pélagie et de la Force. Peu de jours après cette pre-
mière victoire du peuple , il part pour Péronne , où il va
demeurer chez uiu; tante paternelle, aubergiste dans un
faubourg, et qui fut bien pour quelque chose dans le dé-
veloppement des (acuités de cet enfant pauvre et chélif.
Aussi s'est-elle montrée (ièrc du poète quand la gloire a
confirmé ses vagues prévisions. Elle mit entre ses mains
quelques livres achetés au hasard, un Télémaque, et des
volumes dépareillés de Racine et de Voltaire.
Un jour, par un violent orage, la bonne tante aspergeait
la maison d'eau bénite. Le petit Pierre riait sous cape et
ruminait déjà peut-être son hérétique chanson du Bon Dieu,
quand la foudre tombe sur lui et le paralyse momentané-
BÉRA^GER - BÉUARD
ment (le tous ses membres. Un pareil accident lit de Luther
un moine; Déranger, sortant de sa léthargie, dit à sa tante :
n Eh bien ! à quoi te sert ton eau bénite? » Les sentiments
républicains fermentaient déjà dans son âme. Les strophes
brûlantes de la Marseillaise , le canon de Péronne célé-
brant la délivrance de Toulon, les journaux de l'époque,
tout pleins de traits de dévouement, arrachaient des larmes
au futur Tyrtée de la France.
A quatorze ans il entre, comme apprenti, chez Laisney,
imprimeur à Péronne ; il étudie sa langue en coviposant la
prose d'autrui, il chante avant de parler. Un ancien meuibre
de la première Assemblée législative, Bellue de Bélanglise,
créateur d'une école primaire et grand admirateur de Jean-
Jacques , avait fondé , parmi les marmots qui fréquentaient
cette école , un petit club , dans lequel on nommait des dé-
putés, on prononçait des discours, oa votait des adresses.
Or le rédacteur le plus habile , l'orateur le plus inihient de
cette Convention en miniature était Béi anger. Dans cette ins-
titution démocratique on apprenait la gymnastique, le ma-
niement du fusil, les manœuvTes militaires. En revanche,
on n'y étudiait ni le grec ni le latin.
A dix-sept ans, le futur chantre des Gueux revient à Pa-
ris chez son père. Au bout d'un mois, ce^'e ne sais quoi
qu'on appelle la poésie bouillonne dans sa tête : il ébauche
les Hermaphrodites , comédie aristopiianesque, dirigée
contie les hommes mous et les femmes ambitieuses ; puis il
commence un poème épique, intitulé Clovis, travail stérile,
dans lequel il consume plusieurs de ses plus belles années.
La misère frappait a sa porte. 11 songe à passer en Egypte,
où Bonaparte triomphe. Un membre de l'expédition, de re-
tour en France, l'en dissuade. C'était, pourtant, au fond un
bon temps que celui-là; c'était le règne de Lisette et des
joyeux compagnons, l'époque de cette halte dans un grenier
où l'on est si bien à vingt ans, et de cette reprise de deux
jours au Vieil Habit tant aimé, le temps des folles orgies,
des amitiés chaleureuses et des fugitives amours.
Il avait envoyé quelques vers à Lucien Bonaparte, qui
l'autorisa à toucher pour lui son traitement de membre de
l'Institut. Landon l'employa aux Annales du Musée, dont
il rédigea cinq volumes. Enfin A r n a u 1 1 le (it entrer comn;e
expéditionnaire au secrétariat de l'université, où il resta
douze ans, griffonnant sur du papier-ministre La Gaudriole,
Frétillon et Leroi d' Yvetot. C'est par pur instinct qu'il avait
adopté la forme du couplet à refrain. A peine osait-il se
comparer à Désaugiers. Mais le succès des Gueux et des
Infidélités de Lisette, sa réception au Caveau, les ap-
I)laudissements qui accueillirent à un diner chez Etienne le
Dieu des Bonnes Gens, déterminèrent sa vocation.
Son recueil de 1821, attaque par Marchangy, défendu par
Dupin aîné, lui valut trois mois de prison. Celui de 1825
échappa à la vigilance du parquet. Celui de 1828, mis en
cause sous le ministère Martignac , et défend» par M. Bar-
tlie, le lit condamner à neuf mois de captivité. Le dernier,
publié en 1833, n'a été suivi que d'une douzaine de chan-
sons inédites, en tête desquelles on cite l'étrange prophétie
qui ne s'est réalisée qu'un instant :
Ces pauvres rois , ils seront tous noyés.
Béranger n'a jamais consenti, on le sait, à aller frapper à
la porte de l'Académie pour obtenir l'honneur de s'asseoir
dans le fauteuil de La Fontaine ou de Voltaire. Après la ré-
publique , dont il avait été un des précurseurs , il ne songea
pas davantage à mendier les votes de ses concitoyens pour
les représenter à la Constituante, mais on y songea pour
lui. Malheureusement le suffrage universel avait compté
sans son hôte. Béranger ne larda pas à s'apercevoir que
son royaume n'est pas de ce monde, et supplia l'Assemblée
d'accepter sa démission d'ime charge dont il avait d'avance
décliné l'honneur. « Le fardeau est trop lourd, dit-il, et
les forces me manquent. » On n'en voulut rien croire, et
l'offre de sa démiss'on fut solennellement rcjetéc; mais Dé
ranger n'est pas de ces hommes ordinaires, dont il est fa-
cile d'ébranler la résolution : il persista à vouloir s'en aller,
et l'Assemblée, n'ayant aucun droit de hii faire violence]
dut renoncer à le voir siéger dans son sein. Des acclamations
de joie l'avaient porté à la Constituante, des maniléstatioiis
universelles de regret le suivirent dans sa retraite.
De Passy Béranger a transporté ses périates dans la rue
d'Enfer, à l'autre bout de Paris. Il aNait précédemment ha-
bité Fontainebleau et Tours. E. G. de Mo.nglave.
BERAKD ( AuGDSTE-SiMON-Louis ), né à Paris, en 1783,
auditeur au conseil d'État en 1810, maître des requêtes et
chevalier de la Légion-d'llonneur en 1814, redevenu audi-
teur au conseil d'État pendant les Cent-Jours, membre de la
chambre des députés pour Seine-et-Oise de 1827 à 1830,
vota cette adresse des 221, un des principaux avant-cou-
reurs de la révolution de juillet. Cependant son nom pio-
bablement serait passé inaperçu comme celui de tant d'au-
tres sans cette révolution qui vint lui fournir l'occasion d?
déployer toute l'activité de son hardi patriotisme. Sa con-
duite pendant les trois jours fut digne d'éloges. Des qua-
rante députés présents à Paris, il fut le seul qui, le 26 au
matin , parla de protester contre les ordonnances. Le 27 il
otfrit son hôtel à ses collègues pour leurs réunions, et flé-
trit le peu de courage de ceux qui refusèrent de signer la
protestation. Le 30 il proposa une proclamation, qui fut
repoussée comme trop ré[)ublicaine, et le 3 août il fit le pre-
mier la proposition des changements à opérer à la Charte
de la branche aînée. Ces changements, qui furent presque
tous adoptés, peuvent le faire considérer comme le prin-
cipal auteur de ce nouveau pacte social ; mais il avait de-
mandé que l'âge des députés fût fixé à vingt-cinq ans, dis-
position que la chambre repoussa sans pitié; et il voulait que
la Charte, pour la confection de laquelle il demandait trois
mois et non pas quatre heures, fût soumise à l'acceptation
•lu peuple. Aussi son refus de signer Vassociation nationale
I>our la défense du territoire excita-t-il l'étonnement des
patriotes qui ne s'étaient pas séparés de lui.
Il est vrai que dans l'intervalle le député d'Arpajon
avait été nommé directeur général des ponts et chaussées
et des mines le 25 août, et conseiller d'État le 5 septembre.
Ces faveurs du |)ouvoir, il ne les conserva pas longtemps,
et, libre enfin de tout lien, nous voyons, en 1834, l'auteur
de la Charte de 1830 (qui ne l'avait faite que pour qu'elle
fut une vérité), pubher, redevenu simple député, une bro-
chure sur les événements de juillet et sur la part qu'il avait
prise à ces événements : c'est un livre qui contient d'u-
tiles révélalions. On y découvre dès le principe legerme de
cette influence doctrinaire qui depuis a toujours été en gran-
dissant pour le malheur de la France. M. Bérard a rendu
un véritable service au pays en soulevant un coin du voile
(jiii a couvert les premières combinaisons de la quasi-légi-
timité. Député , il s'associa constamment depuis à la lutte que
l'opposition soutenait en faveur des libertés publiques, et
alors môme qu'il cessa de faire partie de la chambre, il ne
dépouilla aucune de ses convictions, et ne renonça à aucune
de ses espérances.
Presque septuagénaire, voué à la retraite et à l'étude,
M. Bérard n'a point fait acte d'apparition dans le monde po-
litique depuis la révolution de 1848. On a de lui un ou-
^Tage intitulé : Essai bibliographique sur les éditions des
Elzeinrs (Paris, en 1822).
BERARD. Quatre savants d'un mérite reconnu ont
porté ce nom dans ces derniers temps.
BÉRARD (JosEPn-FRÉnÉKic), professeur d'hygiène à la
Faculté de Médecine de Montpellier, était né dans celte
ville, le 4 novembre 1789. Appelé au professorat sous
I^I. Frayssinous, il s'est rendu recoinmandable par plusieurs
ouvrages. Son Histoire des Doctrines de Montpellier 1»!
légitimement remurquée : personiie n'a mieux apprécié .ii
BÉRARD — RERBICK
[ilus \»iM les opinions de Barlliez, de lîordcu, de Sauva-
ges, etc. l'oiir mettre à couvert sa modcslie dans ses rlo^es
quelquefois excessifs, il avait coutume de dire qu'il vantait les
iruvres de l'ixole de Montpellier avec autant d'abnégation
qu'un tandiour lacontaiit les i)rouesses guenière» de <^on
réfjiment. Son second ouvrage, traitant de V Homme phy-
sique et moral, fut fait en haine des opinions de Cabanis,
et dut paraître aussi exagéré dans le sens spiritualiste que
l'ouvrage de Cabanis dans le sens opposé. Bérard allait jus-
qu'à dire et peut-être jusqu'à croire qu'un homme pounait
encore penser sans tête et sans cervelle. Il convient de re-
marquer que ses o|)inions furent malheureusement induen-
«^'es par les instigations d'une ambition trop mal servie par
sa .santé pour lutter et pour attendre. Les passions et l'étude
avaient fait de Bérard un squelette ambulant, que la seule
controverse avait de temps en temps le don d'animer et de
rajeimir. A considérer la finesse de son regard et la douceur
de sa voix, personne ne se serait imaginé qu'il fût sourd à
ne plus rien entendre. Cette surdité radicale donnait à ses
discussions une apparence rétive et despotique : aucune ré-
plicpie ne pouvait le convertir ni le déconcerter, car aucun
mol ne parvenait à son oreille. Sans aimer les jésuites, il
avait appuyé sa fortune sur leur pouvoir. Nommé professeur
à l'époque de leur plus grand crédit, il perdit son reste de
vie vers le moment de leur renvoi. Si grande fut son ap-
IMi-liension de déplaire et d'échouer à l'époque où il était
venu sollicitera Paris ( 1823), (ju'il avait défendu à ses meil-
leurs amis de l'accompagner aux voitures publiques, tant
il craignait de s'y voir reconduit par des opinions ditférentes
de celles qu'alors il était urgent d'aflicher. Faible caractèr.î
autant qu'esprit puissant! intelligence admirable, homme à
plaindre! F. liérard est mort le 16 avril 1828.
Un autre Dkhai-.d de Montpellier, mais qui n'appartient
pas à la famille du précédent, s'est fait connaître par de beaux
travaux chimi(iucs et plusieurs découvertes. Professeur de
chimie médicale et de toxicologie à la Faculté de Médecine de
Montpellier, il devint doyen de cette Faculté en 184G; mais
peu de temps avant la révolution de Février, ses opinions poli-
tiques lui valurent une destitution. Les événements de 1848
lui rendircntledécanat. Il estmembre delà Légion d'Honneur.
BKPiARD (PiniiKE-HoNOKÉ), docteur en médecine, est né
à Lichtenberg (Bas-Rhin) en 17'.)7. Élu au concours profes-
seur de physiologie à la Faculté de Médecine de Paris ( 1831 ),
il devint doyen de cette Faculté en 1848, et fut enfin appelé
par le président de la république, au mois de mars 18 j2, à
la [)lace d'iiis[:ecleur général des écoles de médecine, avec
entrée dans le nouveau conseil supérieur de l'instruction pu-
bliiiue. On lui doit de^) Aolices historiques sur Broussais
et sur Haller, et il a revu , corrigé et augmenté la dixième
édition des Nouveaux Eléments de Physiologie de l'.iclit'-
rand. Il a en outre commencé la publication d'un grand ou-
vrage de j)hysiologie et fait à l'Acadéniie de Médecine d'ex-
cellents rapports.
BÉHAHD (Auguste), frère du précédent, connne lui
élève de Boclard , était ne en 1802. Professeur de ciiniipie
chirurgicale à la Faculté de Paris, membre de l'Aradéiiiie
de Médecine , chirurgien de l'hôpital de la Pitié , ii est moi t
à Paris, le 14 octobre 1840. D"" Isid. Bouunu.N.
BERBERIS9 genre de plantes qui sert de type à la fa-
«lilledes berbéridées. L'espèce la plus connue estl'épine-
vi nette. Les herberis reçoivent aussi le nom de vinet-
ticrs.
BERIÎERS ou BERBÈRES. Les Européens désignent
exclusivement aujouririmi sous ce nom diverses parties de
la population aborigène de la Barbarie, sur les côtes sep-
tentrionales il'Afriipie. Mais (juckpies historiens et géographes
arabes étendent cette dénomination aux peui)!ades qui oc-
cupent toutes les oasis du désert. Gibbon, Volney, Saint-
Martin , pcn>ent avec bien d'autres <|ue ce nom de ]Scr-
hers est ujie corruiition de la qiKiiilicaLioa de barbares (8ip-
êapoi) que les Grecs donnaient aux peuples qui parlaient
un autre i<liome (pj'eux, et que les Romains avaient égah:-
mcnt .idoplée. llodgson, de son côté, s'appuyant de l'opi-
nion d'Hérodote, fait remonter jus(iu'aux Égyptiens répithète
de pâpoaoot, d'où l'on pourrait conclure que le mot est
égyptien, et que les Arabes l'ont pris dans leurs pérégrina-
tions à travers l'Egypte. Ce qu'il y a de certain, c'est que
l'appellation de Bcrbers ne désigne pas un corps de nation
homogène, mais un mélange confus de po[)ulations diverses
qui devaient être appelles lesDarbares par les dominateurs
romains et byzantins, lors de l'invasion des Arabes musul-
mans. Le contraste des cjnactères physiques et des fjaits du
visage , qui frappe encore l'observateur le moins attentif ,
témoigne hautement de cette hétérogénéité chez le peuple
qu'on désigneetqui se range lui-même sous la dénomination
conmmnc de Bcrbers. D'un antre côté cependant, chose
à remarquer, les dialectes deces peuples présentent une iden-
tité des plus évidentes, à laquelle fait exception la seule tribu
des Tibbous, identité qui prouve à elle seule le lien com-
nnm des peuplades appartenant à cette race.
Voici le relevé de tous les rameaux hétérogènes qui com-
posent la lamille berbère;
Les Amaziyhs, mot qui dans la langue veut dire noble,
libre, et que les .Maures appellent Schellouhk (pluriel de
Svhlllahh), sont ceux qui habitent l'ouest de la contrée,
et sont répandus dans les montagnes du Maroc.
Dans les montagnes des trois régences , les Berbers sont
désignes par les Arabes sous la simple dénomination de
Kabyles ou Kc.bnïl (pluriel de Kabileh , tribu).
Ceux qui vivent entre le Fezzan et l'iigypte sont connus
sous le nom de Tibbous ; leur idiome est radicalement dif-
férent de celui des autres tribus, et ces hommes, au teint
noir ciiivré, aux traits saillants , au nez épaté, aux lèvres
épaisses , ne possèdent aucun des points de sin\ilitude qui
sciid)!cnt relier entre eux les autres Berbers.
Il y a enlin les Touareks (pluriel de Terim , tribu). Ils
habitent cette partie du Sahara cpii est comprise entre le
Maroc, le Fezzan et le Soudan, et passent pour être les pins
faiouches de cette race.
Le Bcrbcr Ebn Khaldoun, écrivain arabe, a écrit dans
le ijuatorzième siècle une histoire de son pays, dans laquelle,
résiuuant et corrigeant les indications des exploratcHus pré-
c'dents, il classe les principales tribus berbères sous deux
grandes divisions, qu'il ramène à une seule et même souche,
a Hcrr, père de la race entière. Ainsi , deux lignes portant,
Tune le nom des Berànis , et l'autre celui des Botar, des-
cendant des deux fils de Berr, embrassent, suivant lui, la
totalité des tribus.
11 n'en est i)as moins vrai que jusqu'à présent la question
du noyau primordial des populations berbères est demeurée
insoluble. Des investigations les plus sûres et les plus vrai-
s(;nd)lablos, il résulte et demeure acquis néanmoins qu'au
temps de larbas, contemporain de Didon et roi des Ma-
zLes Gélules, les Cérûnis avaient déjà établi leurs pé-
nales dans la Libye; mais quant à savoir .s'ils étaient nel-
leiucnt autochthones, ainsi que Sallustc et Hiempsal l'ont
cru, c'est ce (;ui est encore incertain,
{>El\îU(^Ê., l'un des trois districts dont se compose le
gi)',iM.nienient de la Guyane anglaise, dans l'Amérique mé-
ridionale , sur les bords du fleuve du même nom, forme un
comté avec les deiix autres districts, Berner ara, et ^5-
scquibo,c\, sur une scpeificie de 90 myriamètres car-
rés, comprend une population de *0,000 habitants , dont
28,000 nègres.
Les Hollandais fondèrent des colonies en tG2C) dans ces
conirées; aussi la plupart des blancs y sont-ilsd'originehol-
Umdaise , et c'est la langue hollandaise qui y est encore en
usage dans les tribunaux et dans les chaires. En 179!) les
Anglais s'emparèrent de ce pays; puis ils le rendirent en
1803, mais pour s'en rendre maîtres de nouveau des
l'aniif^e suivante; et aux termes de la pai\ de Paris la Hol-
lande dut la Ilui- abandonner en 1814 avec Derneraia et
i'^ssequibo.
A reinbouchure du Berbice s'élève, dans une charmante
situation, la Nouvelle-Amsterdam, clief-lieu de tout le gou-
vernement et siège des autorités centrales, avec un bon port
et un commerce des plus actifs. Les voyages et les explora-
tions de R. Schomburgk ont jeté un jour tout nouveau sur la
connaissance du Berbice et des autres principaux cours
d"eau delà Guyane anglaise, et justitient les brillantes es-
pérances qu'on peut fonder sur l'avenir de cette colonie.
BERCE, genre de plantes de la famille des ombelli-
fères, dont l'espèce la plus répandue est aussi connue sous
le nom de fausse branche-tirsine { heracleian sph^n-
(fi/lium). Cette berce est vivace. Elle croit dans les bois et
dans les prés de l'Europe; elle est très- commune dans le
nord. Sa racine est longue, pivotante, blanchâtre, et l'é-
corce en est douceâtre; de son collet naissent quelques
feuilles d'un vert foncé, amples, velues, découpées pro-
fondément en iilnsieius segments étroits et refendus , et
plus souvent crénelés sur leurs bords. Le segment qui ter-
mine sa feuille est ordinairement divisé en troi-s parties. La
fige est haute d'un uuHre, velue, cannelée, creuse. Sou ex-
trémité et celles de ses branches sont couronnées par des
embolies de Heurs blanches llcurdelisées.
Le bétail mange les jeunes pousses de la berce ; mais ses
tiges sont dures et ne peuvent par cette raison être man-
g(>i'S en sec : il faut donc avoir l'attention , lorsqu'on veut
l'employer comme (ourrage, de la couper près de terre, au
moment où elle va lleiirir. On empêche en même iemps par
là sa trop grande reproduction , qui linit par daveuir nui-
sible aux |)rairics.
Les Busses , les Lithuaniens et les Polonais retirent de
ses semences et de ses feuilles , par le moyen de la fermen-
tation, une liqueur alcoolique très-enivrante, qui leur tient
lieu de bière; mais c'est à tort qu'on a prétendu que les Po-
lonais euq)loyaient la berce contre là p ligue.
BEKCEAU, lit des enfants , ordinairement assez mo-
bile et assez léger pour permettre de les y bercer. Ce mot
vient, selon Ménage, de versus, versullus, dirivé de
ver 1ère, dont on a tait d'abord bers par abréviation et par
la transformation du v en b.
La forme des berceaux a varié selon les pays et les mo-
des : tantôt ce fut un iwtit lit ou un vase, tantôt un bou-
clier concave ou unenacelle, que les Grecs appelaient scopAé
(crxàçYi)- Aujourd'hui, les berceaux sont faits de planches,
d'osier, de barres de bois, de fils de fer, ou de cerceaux
artistement arrangés. Cette forme , du reste, et la nature des
matériaux dont on les fabrique, sontd'ime faible importance;
mais il importe beaucoup qu'un berceau soit assez large
pour que l'enfant , en se remuant , ne se heurte point aux pa-
rois, et assez creux pour qu'il ne puisse en franchir les bords.
L'étymologie du mot berceau prouve assez que l'usage
de bercer les enfants est aussi ancien que le lit lui-même ,
dont il a déterminé la forme. Toutefois, l'observation atten-
tive a dû montrer combien l'abus de cette pratique est per-
nicieux , et l'on ne saurait trop appeler l'attention des nȏres
sur ce sujet. On conçoit jusqu'à un certain point que les en-
fants, après leur naissance, puissent éprouver de temps en
temps le besoin d'un mouvement doux, analogue à celui
auquel ils étaient habitués dans le sein maternel ; mais autant
ce mouvement peut être agréable et utile aux enlants lors-
qu'il est uniforme et modéré, autant il devient nuisible et
même dangereux lorsqu'il est brusque et sans mesuie. Le
cerveau, dans les jeunes enfants, est encore si faible et si
impressionnable que la moindre secousse peut y porter les
plus gi-ands et les plus funestes désordres.
On appelle berceau, en architecture, une vofi te cylin-
drique, dont le cintre est formé par une courbe quelcon-
que et dont les naissances portent siu' deux murs i)arallèles.
RERCHET • 7
Ces voiltes se construisent en pierres de taille , en moellons
ou en briques. Une voûte en berceau jirend le nom û'' arc
toutes les fois que sa longueur ai moindre que le diamètre
delà courbe dont elle fait partie. Conmie les arcs, les
voûtes en berceau sont susceptibles de diverses modifica-
tions, c'est-à-dire qu'elles peuvent être surhaussées , sur-
baissées, en plein cintre , biaises , rampantes , etc.
Un berceau, en jardinage, se fait ordinairement de
treillages, qu'on soutient par des montants de traverses,
cercles , arcs-boutants et barres de fer. On forme ce treil-
lage avec des lattes de bois de chêne ou de châtaignier,
bien planées et bien dressées, dont on fait des mailles
de 5 à 7 décimètres carrés, qu'on lie avec du fd de fer. Ces
sortes de berceaux n'ont de rapport avec l'architecture que
parce qu'on leur donne volontiers des élévations où l'on
figure, avec les treillages, des voûtes, des arcades, ornées
de colonnes , de frises et d'entablements. On les entoure de
plantes grimpantes, vivaces ou annuelles, telles que la
vigne, la cobée, la vigne vierge, le houblon, la clématite,
le chèvrefeuille, le jasmin, etc.
Une allée de jardin peut devenir un berceau naturel, si
l'on dispose les* branches des arbres qui la forment de ma-
nière à la couvrir entièrement : le marronnier d'Inde, l'or-
meau, le platane, le chêne, le hêtre, le noyer, se prêtent
plus ou moins à ce dessein; mais le tilleul, et surtout le til-
leul de Hollande, est l'arbre le plus favorable à une pareille
opération, qui exige du reste beaucoup de soins, de temps
et de patience. La première et la principale attention à avoir
pour cette sorte de construction consiste à ménager les
branches qui sont les plus propres à former l'arcade , et à
couper toutes celles qui sont du côté opposé, en sorte que
l'on élague l'arbre perpendiculairement, comme on fait
pour une palissade, mais en dehors seulement, tandis qu'en
dedans de l'allée on taille seulement les branches en cintre
pour oin'rer avec méthode. On oblige ensuite les principales
branches, les plus droites et celles qui forment pour ainsi
dire le corps de l'arbre , à se pencher par une courbure
insensible , ce que l'oo fait au meyen de cordes ou de jets
de vigne sauvage. 11 faut aussi avoir soin de conserver les
proportions dans une construction de ce genre, qui doit
avoir en liautcur au moins le double de sa largeur, c'est-à-
dire qu'une allée de 10 mètres de largeur doit en avoir
20 de hauteur dans le milieu de son arcade, et pour cela
on doit laisser les arbres s'élever à 5 ou 6 mètres avant de
songer à leur faire former leur courbure.
BEKCEAU DE LA VIERGE, nom vulgaire de la
clématite des haies.
BERCÎIEM ( Van). Voyez Berquen.
BERCUEÏ (GiovANM ) , l'un des poètes éminents de
l'Italie contemporaine, et de plus prosateur et critique
distingué, naquit à Milan, vers 1790. Sa famille , originaire
<h3 France , était depuis plusieurs générations établie dans
la Lombardie. Le poète, enfant, vit la belle terre sur la-
quelle il était né réunie sous un même sceptre avec la
France, et grande l'ut sa douleur lorsqu'au lieu de la gloire,
sinon de l'indépendance absolue qu'il avait rêvée pour son
pays, il vit sa patrie retomber en 1814 sous le joug autri-
chien. Non content de pleurer sa liberté, Bercbct, devenu
homme, consacra toute sa vie, toutes les hautes facultés
dont le ciel l'avait doué , à relever son pays de l'oppres-sion
étrangère.
Ne pour les lettres comme pour la liberté, il se fit re-
maniuer de bonne heure parmi la jeune pléiade romantico-
libérale italienne, au milieu de laquelle Manzoni brillait de
l'éclat du génie, SilvioPellico de l'auréole du malheur.
En 1820 cette école fonda à Milan le journal le Concilia-
teur, dont le but était à peu près celui que cinq année»
plus tard tenla d'atteindre chez nous le journal le Globe.
Berchet prit une part active à la rédaction de cette feuille,
à laquelle il fournit d'excellents articles de critique littéraire
« BERCÎIET -
particulièrement sur la lllh'rature allemande, qu'il contribua
{)lus qu'aucun antre à Caire connaître à l'Italie. Au bout de
quelque temps, fatifçuée de censurer et de mutiler les articles
destinés au Conciliateur, la police autrichienne frappa per-
sonnellement ses rédacteurs, dont quelques-uns furent jetés
en prison, d'autres condamnés à mort et forcés de s'exiler.
IJerchet dut quitter l'Italie.
Bientôt le journal français le Globe imprima sans nom
d'auteur deux petits poèmes italiens remarquables par la
forme, par la pensée, surtout par l'énergie et la profondeur
du sentiment. Ces poèmes, divisés en strophes, que tous les
patriotes italiens répètent encore , soit sur la terre d'exil ,
soit tout bas, dans la terre natale où règne l'Autrichien,
avaient reçu de leur auteur le modeste titre de romances :
c'étaient Le Remords {il Rimorso) et V Ermite du Mont-
Cénis (il Romito del Ceriiglo); tous deux étaient une
énergique protestation contic la domination étrangère. Ber-
chet s'y révélait comme poëte national. Aussi fut-il salué
du nom de Déranger italien.
Né dans cette belle Lombardie , qui , plus rapprochée du
nord que les autres parties de l'Italie, plus française aussi ,
a su se faire une langue qui n'a ni la mollesse du toscan ,
ni la grâce enfantine et coquette du doux parler vénitien ,
mais plutôt une sorte de vigoureuse senteur que semble lui
communiquer le vent sain et parfois âpre des Alpes, Berchet
a su tirer tout le parti possible du bel idiome milanais ,
comme l'atteste un petit volume publiée Paris, en 1841 ,
dans la Biblioteca Poetica Italiana. Outre V Ermite et le
Remords , ce recueil contient six autres poèmes : les Fugi-
tifs de Parga, œuvre véritablement grande, malgré des
dimensions peu étendues, et traduite par M. Fauriel; Cla-
rina, Mathilde, et le Troubadour, romances d'amour, où
s'entend , plus haut que la voix de la tendresse , le cri de
l'indépendance nationale; Julia, la plus belle pièce du
recueil peut-être, la plus douloureusement patriotique, et
enfin les Fantaisies, poème de sept cents vers, que les Ita-
liens considèrent comme le chef-d'œuvre de la poésie lyrique
et patriotique moderne , et qu'ils placent à côté , sinon au-
dessus des chants de Tyrtée.
Berchet planta ensuite sa tente à Genève , d'où venaient
au noble poète et les doux souffles de l'Italie, et les bruits
de cette France , patrie de ses pères.
BERCHINY, ou BERCHENY, nom d'une famille ori-
ginaire de Transylvanie, qui , en 16.33, s'établit en Hongrie,
où elle fut connue sous le nom de Berc'seny.
Son rejeton le plus remarquable , Nicolas Berchiny, né
Ch 1664 , après s'être brillamment distingué dans une guerre
contre les Turcs, ce qui lui avait valu de grandes faveurs
de l'empereur Léopold , concerta avec le prince Ragotzky ,
son parent, le soulèvement de la Hongrie. Obligé de fuir
en Pologne , il ne tarda pas à revenir, soutenu par la France,
à la tête d'un corps de troupes , et fut nommé grand géné-
ral du royaume et des armées des confédérés. Sourd aux
offres séduisantes que lui fit l'empereur Joseph l""", il refusa
la dignité de i)rince de l'Empire, et fut en revanche investi,
par les Hongrois , du titre de lieutenant-ducal. Mais , par
la suite , la confédération ayant éprouvé de nombreux re-
vers fut obligée de se dissoudre, et Berchiny , après avoir
été ambassadeur en Pologne et en Russie , se relira eu Tur-
quie dès que son parti eut succombé. 11 mourut à Rodosto,
le fi novembre 1725.
Son fils , Ladislas-Ignace Bekchiny, né à Épéries , en
Hongrie, le 3 août 1689, servit en 1708, 1709 et 1710,
dans la compagnie des gentils-hommes hongrois qui faisaient
partie de la maison du prince RagotzKy. En 1712 il vint
en France, où il obtint de grandes dignités. Il y reçut môme
le bâton de maréchal , et un régiment de hussards fran-
çais a porté son nom jusqu'en 1790.
BERCHOUX ( JosEPU ) naquit en 1765, dans la petite
ville de Saint-Symphorien de Lay, voisine de l.yon, où il
ÎÎERCTIOUX
lit ses études. Lors de l'institution des juges de paix, il fut
élu, dans sa patrie, à ces honorables fonctions; mais
à l'époque de la Terreur ses opinions monarchiques bien
connues seraient devenues pour lui un arrêt de proscription
s'il n'avait alors, comme beaucoup d'autres, cherché un
asile sous nos drapeaux victorieux. Uu reste, sans imiter
tout à fait l'excessive prudence du poète Horace, le jeune
Berchoux ne se piqua point de contribuer beaucoup au suc-
cèsdes armes républicaines. Lui-même en fit l'aveu plus tard
dans ces jolis vers de son meilleur poëme :
Je m'armai tristement d'un fusil iiiliuniain.
Qui jamnis, grâce au ciel , n'a fait l'eu dans raa main ;
Je me chargeai d'un sac, humhle dépositaire
De tout ce qui devait uic servir sur la terre.
Ainsi, nouveau BidS, je puitis accablé
Du poids de tout mou bien sur mon dos rassemblé.
Des jours plus tranquilles lui permirent de revenir dans
son pays et d'y suivre une carrière plus convenable à ses
goûts. Ce fut alors que, sous le voile de l'anonyme, il adressa
à un journal de la capitale cette boutade si piquante, que les
éditeurs de ses œuvres se sont obstinés à nommer Élégie :
Qui me délivrera des Grecs et des Romains? etc.
Appelé à Paris par la réussite de cet essai et une coopé-
ration spirituelle à la Quotidienne, où ses articles parais-
saient sous le nom ^^un habitant de Mâcon, Berchoux y
arriva en 1800 avec son poëme de la Gastronomie, dont le
premier jet offrait, avec beaucoup de verve et de gaieté, de
nombreuses traces de mauvais goût et d'affectation. Docile
aux conseils de critiques éclairés, et particulièrement de l'his-
torien des croisades, Michaud, de l'Académie Française, au-
quel il dut la décoration de la Légion-d'Honneur, il fit d'heu-
reux changements à cet ouvrage , qui , publié sans nom
d'auteur, obtint, par son seul mérite, trois éditions en
moins d'une année; ce ne fut qu'à la troisième que le mo-
deste écrivain révéla sa paternité. La Gastronomie, le
premier des titres littéraires dé Berchoux, est, après le Lu-
trin, l'un des plus ingénieux badinages de notre poésie.
S'il y a plus d'invention dans le Lutrin, la Gastronomie
n'a pas fourni moins de ces vers devenus proverbes en nais-
sant :
Ayez un bon château dans l'Auvergne ou la Bresse.
Un dîner sans façon est une perfidie.
Rien ne doit déranger l'honuéte homme qui dîne, etc.
Le poëme de Berchoux intitulé : la Danse, ou les Dieux
de l Opéra, que l'auteur fit paraître en 1 806 , fut accueilli
avec moins de faveur : il était en effet très-inférieur à
son aîné. L'action en semble froide , le comique peu naturel.
Cependant on y remarque quelques tirades heureuses, quel-
ques vers bien tournés. Mais il eût été difficile de reconnaî-
tre l'auteur de la Gastronomie dans le soi-disant poëme
comico-satirique de Voltaire, ou le Triomphe de la phi-
losophie moderne, qui parut en 1814. Berchoux nétait pas
de taille à s'attaquer à si haute renommée; son imprudente
témérité fut à peine aperçue. En 1804 il avait aussi voulu
prendre rang parmi nos prosateurs par un volume ayant
pour titre : le Philosophe de Charcnton, roman critique,
où quelques traits malins et spirituels ne purent triompher
de l'obscurité du sujet et de la faiblesse de l'action.
Berchoux parutavoir tcruiiné eu 1 8 1 9 sa carrière littéraire
par la [«iblication d'un petit poème qu'il nomma l'Art po-
litique. Quoiqu'on y trouvât encore de loin en loin ce que
l'auteur d'un autre Art appelle disjecti membra poetx , il
ne put même obtenir \m succès de paiti : c'était de l'çppo-
sition arriérée, une vieille réminiscence de 89. Retiré à Mar-
cigny ( Saoue-et-Loire ), il ne produisit plus rien depuis : il
avait fait ses adieux à la capitale et aux lettres, et mourut
dans son ermitage, le 17 décembre 1838. Si ses autres ou-
vrages n'ont pas tenu ce que promettaient sa première sa-
BERCllOUX — BÈRENGER
tiiv et sa Gastronomie, il n'eu a pas moins eu Tlionneur
par «es deux écrits remarquables de laisser trace de poëte
dans notre époque et dans les souvenirs de ses contempo-
rains. OtnRY.
BERCHTESGADEN ou BERCHTHOLDSGADEN,
justice de paix ( Landgericht ) du cercle de la Haute-
Bavière, formait jadis une prévôté dont le titulaire avait
le titre et le rang de prince , et dont la fondation remon-
tait à Tannée 1196. Sécularisée en 1803, elle fut attribuée
alors comme principauté à l'électoral de Salzbourg, puis
vn 1805 à l'Autriche; enfin, en 1810, elle fut définitive-
ment adjugée à la Bavière. C'est une contrée d'une nature
éuiinemment alpestre, assez élevée, entourée par les mon-
tagnes de SalzJbourg , et fort importante par ses salines
ainsi que par l'industrie de ses habitants. La petite com-
mune protestante qui essaya de s'y constituer au cominen-
cement du dix-huitième siècle, émigra dès 1732 à Berlin et
dans la marche de Brandebourg.
Le chef-lieu de la principauté et du Landgericht est le
bourg de BercliteJsgaden, avec une population de 3,000 ha-
bitants, un château, une église collégiale, une inspection
supérieure des saUnes , etc., etc. Il est justement renonnne
par sa situation ravissante, par le caractère distinctif de ses
habitants, par les objets de toute espèce , en bois, ei) os et
en ivoire qu'on y fabrique ainsi que daus les environs, mais
surtout par l'exploitation de ses mines de sel, par la saline
de Frauenreuth et par le grand canal, qui de là conduit l'eau
salée aux salines de Reichenball, Traunstein et Rosenlieim.
Des roules inagnirKjues mettent Bcrclitesgaden en coniiau-
iiication avec Salzbourg, llallein et Reiclicnhall, et sillon-
nent toute la principauté, dont la riature grandiose, avec ses
montagnes et ses vallées, qu'habitent le chamois et la mar-
motte, excite vivement la curiosité du Toyageur. Le bourg
de Ramsau, célèbre par ses carrières de pierres meulières, et
le iac de Schellenberg font encore partie du Landgeric/it
de Berchtesgaden ; et à peu de distance on trouve le lac
Saint-Barthélémy {Bartolomœussee), à bon droit célèbre
par le caractère éminemment pittoresque de ses rives. 11 a
13 kilomètres de long sur 4 de large, et est situé à 6C2 mè-
tres au-dessus du niveau de l'Océan , au pied du mont
Watzmann, haut lui-même de plus de 3,000 mètres.
BERCY, commune importante du département de la
Sçine, arrondissement de Sceaux, canton de Charenton-le-
Pont , située à la porte de Paris , sur la rive droite de la
Seine, à l'endroit où ce fleuve entre dans la capitale. Bercy
compte une population de 7,913 habitants; c'est le centre
d'un commerce immense en vins et eaux-de-vie, qui lui ar-
rivent par la Seine. Aussi est-ce à Bercy surtout qu'on peut
chanter :
C'est l'eau qui duus fuil buire
Du vin, du viu , du vin.
On y fabrique du sucre raffiné, des vinaigres, des pro-
duits chimiques. On y trouve un grand nombre de distille-
ries, etc. Un beau pont susi)endu avec des chaînes, cons-
truit par MM. Bayard et Verbes, met lîercy en communi-
cation avec la rive gauche à la hauteur du boulevard ex-
térieur. Un viaduc de cini] arches <loit y être construit à la
hauteur des fortifications jjour servir au chemin de 1er de
ceinture <pii doit relier la gare d'Orléans aux autres gares.
Ce qui donne une physionomie particulière à Bercy , ce
sont ses inuuenscs magasins en caveaux qui bordent des
es|)èccs <le rues ornées d'arbres. Le long du quai, qui en cet
endroit prend le nom de Lu Rdpée, on voit de joyeux ca-
l)arets et des restaurants, célèbres les uns et les autres par
leitrs matelotes, et oii se donnent rendez-vous la |)Oj)ulation
du port, les marchands de vin, les courtiers, les acheteurs,
et les nombreux amis des uns et des autres , qui , sous pré-
texte de déguster, vont faire en catimini leurs dévotions au
dieu du lieu. Le dimanche, les canotiers parisiens, ces
niCT. UE LA tUNVLKS. — X. 111.
innocents émules des Jean Bart et des Duguay-Trouin,
remplacent dans ces parages la population mercantile.
La prospérité de Bercy date des premières années de ce
siècle. Ce n'était auparavant qu'un village fort insignifiant,
célèbre seulement par le magnifique château qu'y possédait
et qu'y possède eucore la famille Ni col aï. Ce château,
demeure toute royale et bâti dans les dernières années du
dix-septième siècle par l'architecte Pierre Leveau, apiiarte-
nait originairement au marquis de Bercy, financier opulent
qui avait épousé la fille de Desmarests , contrôleur généra!
des finances sous Louis XIV. La fille du dernier marquis de
Bercy apporta par mariage cette belle propriété dans la fa-
mille Nicolaï. L'importance que prend chaque jour le com-
merce de la place de Bercy est telle que tous les ans l'heu-
reux propriétaire du vaste parc riverain de la Seine et dé-
pendant du château se voit obligé de céder aux sollicita-
tions des entrcpositaires de vins, et d'abattre les arbres
séculaires qui faisaient la gloire de cette demeure aristocra-
tique, pour les remplacer par des magasins qu'il loue en-
suite à prix d'or : aussi peut-on prévoir qu'avant peu cp
parc tout entier, que planta Le >ôtre, disparaîtra sons la
cognée, ainsi qu'il est déjà arrivé, il y a une trentaine d'an-
nées, du petit château et de ses dépendances qui étaient
plus rapprochés de la barrière , et dont il reste aujourd'hui à
peine le souvenir. Ce petit château, qu'avait acquis le baron
Louis, est devenu la source de l'immense fortune de ce cé-
lèbre financier.
BERDYCZEW ( on prononce Berditchef). Celte villa
de Russie, qui faisait autrefois partie du gouvernement do
Kief , et qui dépend aujourd'hui du gouvernement de Vol-
hynie , est située sur les frontières de la Podolie, et compte
une population d'environ 20,000 âmes. Les maisons des ha-
bitants, pour la plupart juifs de religion , offrent en génc'ial
tout l'aspect de la misère et de la malpropreté qui en csj
ordinairement la conséquence. Cependant Berdyczew est
le centre d'un commerce assez actif, et il s'y tient deux
fois par an des foires de chevaux et de bêtes à cornes, qui
y attirent un grand nombre d'étrangers. On se fera une
idée de l'importance des transactions auxquelles donnent
lieu ces foires, quand on saura qu'il s'y vend , année com-
mune, de 100 à 150,000 chevaux venus de la Podolie, de
l'Ukraine, de la Valachie et de la Turquie. Berdyczew fait
aussi un giand commerce avec Odes.-a et Brody , et peut
élre considérée comme l'entrepôt de ces deux villes. Une
grande quantité de voitures et de pianos, tabriqués à Var-
sovie, y trouvent aussi placement à chaque foire.
BÉRENG ARIENS, nom qu'on donnait aux hérétiques
qui partageaient les opinions de Béreuger de Tours tou-
chant riiucharistie. Bérenger, au milieu de ses nombreuses
rétractations, en revient toujours à penser que dans la con-
sécration le pain demçure pain, et que c'est uniquement par
la foi des fidèles qu'il peut acquérir les vertus que l'Église
attribiie au corps de Jésus-Christ.
BÉREI\GER l", roi d'Italie. Fils d'Éberard, duc de
Frioul, et de Gisèle, fille de Louis le Débonnaire, il piétendit
à la couronne après la déchéance de Charles le Gros, et fut
reconnu roi d'Italie par une assemblée des états du royaume.
Pendant les trente-six années que dura son règne, il eut
continuellement à lutter contre les compétiteurs que lui sus-
citèrent les grands , jaloux de son autorité. Tour à tour servi
jiar la mort et par la victoire , débarrassé de Guido, ex-duc
(ie Spolète, de Lambert, fils de ce dernier, et d'Arnolphe, roi
(le Germanie, enlevés tous les trois par une fin précoce, vain-
([ueur de Louis, filsdeBoson,roi de Provence, de Rodolphe II,
roi de la Bourgogne Transjurane, il allait enfin demeurer seul
et sans rivaux maître du pays, quand une iléiaite inattendue
vint tout changer, et l'obligea à se réfugier à Véione. 11 y
tomba sous les coups d'un assassin, nommé Flambert , an
mois de mars 924.
BLRliNGER !I, roi d'Italie , peiit-lils de Diienger V par
2
10
BEREAGER
Gisèle, sa mère, était fils d'Adalbert, marquis d'Iviée. Réfu-
gié à la cour d'Othon le Grand, en Alienriagne, pour échapper
à son frère Huj^ues , comte de l'rovcnce, que sa belle-mère
KriiicnKarde avait placé sur le trône d'Italie, il parvint, à
force d'intrigues, à soulever les grands feudataires. JlnS'i^'s
dut renoncer à la couronne en faveur do son fils Lothaire ,
et IJcrenger devint de fait le chef de la péninsule. Mais
les per^cciitions ipi'il employa contre Adélaïde, veuve de
I^otliaire, mort empoisonné, pour la forcer à devenir l'épouse
de son (ils Adnlbert, lui attirèrent l'hosiililé de ce même
Ollion le Grand qui l'avait accueilli à sa cour , et sons la
protection duquel se plaça, à son tour, la princesse. Dépos-
sédé <le l'Italie par ce terrible adversaire, ]5érenger en obtint
la restitution, à titre de (ief relevant de l'Allemagne. Mais
ayant de nouveau provoqué son courroux, après plusieurs
défaites que lui tirent essuyer soit Ludolplie, (ils d'Otbon, soit
Olbon lui-mOuie, il s'enferma dans la forteresse de Saint-Léo,
comté de Montefeltro, où la famine l'obligea à se rendre après
un siège assez long. Envoyé avec Willa, sa femme, dans les
prisons de IJainberg, il y mourut, en 966.
BÉRElXGEil DE TOURS, ainsi ai^pelé de la ville
où il naquit, en 9'JS, fit ses études à Cliartres, sous l'évêque
l'ulbert, auprès duquel il demeura jusqu'à sa moil. 11 re-
tourna alors à Tours, en 1030 , et fut choisi ponr enseigner
<lans les écoles publiques de Saint-Martin. Il devint ca-
mérier, puis trésorier de cette église. La dignité d'archi-
diacre d'Angers, qui lui fut conférée en 1039 , ne lui (it
(loint abandonner son école, qui était très-fréquentée , et
«l'oii sortirent des hommes qui devinrent plus tard émi-
nents dans l'Église.
L'histoire de l](Tenger de Tours n'est que l'histoire de sa
controverse sur l'EucharistiL' et des persécutions qu'elle lui
attira. Il paraît que ce fut en 1047 qu'il commença à re-
nouveler sur la présence réelle les opinions de Scot E ri-
gène, qui avait attaqué ce dogme vers le milieu du siècle
précédent. Brunon, évêque d'Angers, soulint ses senti-
ments, et lui attira en peu de temps quelques sectateurs.
LanlVanc s'étant élevé contre lui, Bérengcr lui écrivit, et dé-
fendit dans sa lettre son sentiment et celui de Scot. Lan-
franc se trouva à Rome au concile tenu dans cette ville,
sous le pape Léon IX, l'an lOôO. Sur la lecture de sa lettre,
Bérenger lut excommunié, et un concile (ut ordonné pour
le mois de septembre à Verceil , auquel il serait appelé.
Ayant appris sa condamnation , Bi'renger se retira en Nor-
mandie, comptant sur la protection de Guillaume le Bâtard;
mais, condamné par im synode à Brienne, il fut obligé de
sortir de la province, et se retira à Chartres. Le concile de
Verceil, où il n'osa point paraître en personne, condamna
son sentiment et le livre de Jean Scot duquel il l'avait em-
prunté. Dans cette même année 1050, un concile fut tenu
à Paris, le 16 novembre, par ordre d'Henri F''. Mais Bé-
renger ni Crunon n'y parurent. Ils furent comlamnés tous (kux.
Cependant, le premier soutint son opinion dans d'activés
controverses avec les théologiens conteuq)orains, parmi les-
quels on remarque surtout Adesman , clerc de l'église de
Liège, et Ascelin, moine de Saint-Évron en Normandie. Déçu
dans l'espoir dont il s'était flatté d'être protégé par Richard,
roi d'Angleterre, qui se trouvait alors à la cour de France,
il rétracta ses opinions, en 1055, au concile de Tours, pré-
sidé par le légat de Victor II, Ilildebraiid, depuis Gré-
goire VII. Mais aussitôt après il recommença à soutenir
le sentiment qu'il venait de condamner lui-même. Anathé-
niatisé par le concile de Rouen en 1003, et en 1075 par ce-
lui de Poitiers, où il courut le danger d'être tué , il resta
dans ses opinions , malgré les sages représentations de Bru-
non, qui avait pris la résolution d'éviter toute dispute, et
qui lui conseillait de suivre son exemple. Enlin il fit une
nouvelle et dernière rétractation au mois de décembre de
l'année 1078, au concile de Rome, présidé iiar Gré-
goire Vil.
11 est naturel de suspecter la sincérité de ce dernier chan-
gement , quoi(iu'il puisse être raisonnablement attribué à la
(aiblesse de l'âge, car Bérenger avait alors quatre-vingts ans.
Le sentiment qu'il défendit pendant la plus grande partie
de sa vie étant devenu dans la suite une des bases de la
Réforme, les protestants, qui cherchent dans la tradition
des écrivains qui leur soient favorables , se sont trouvés in-
téressés à soutenir que Bérenger n'avait cédé qu'à la lorce
et au désir de la paix , et les catholiques , de leur côté , ont
dû s'ajjpliqutr à prouver sa sincérité. Quoi qu'il en soit , il
paraît que sa rétractation parut sincère aux églises qui fu-
rent le plus agitées par ses opinions. On en a la preuve dans
le service annuel célébré pour lui dans l'église de Tours.
Jl mourut le 6 janvier 1088, dans l'île de Saint-Cômc,
près de Tours , après avoir encore été obligé , dans ses der-
nières années, de rendre compte de sa foi au concile de
Bordeaux, en 1080. 11 ne reste de lui que peu d'ouvrages,
qui tous ont rapport à ses opinions sur l'Eucharistie , et (jui
sont écrits dans un style sec et tout rempli de subtilités sco-
lasti(pies. II. Porcuinr , ancien rectear.
BÉREIXGER (Au'Uonse - Marie-Marcellin -Tiiom \s )
dit de. la Drôine, fils d'un avocat célèbre que le tiers état
du Dau[>hiné nouuua député aux états généraux , et qui
exerça sous la Ré[)ublique et sous l'Empire les plus hautes
fonctions de la magistrature dans sa province, naquit à
Valence, le 31 mai 1785. Il suivit la même carrière que
son père, et devint avocat général à la cour impériale de
Grenoble. H occupait ce poste élevé en mars 1815, lorsque
Napoléon, venant de l'île d'Elbe, s'arrêta dans cette ville.
M. P.crenger désirait que sa compagnie, en se présentant
devant l'enqiereur, lui exprimât des vœux pour des institu-
tions libérales et de sages réformes. 11 réiligea même dans
ce sens un projet d'adresse que la majorité trouva trop
énergi(pie. La minorité obtint du moins que la cour s'abs-
tint du langage banal de la llatierie, et qu'elle se renlermàt
dans un morue et noble silence. Mais l'empereur ne voulut
pas que l'audience donnée à la magistrature ne (ut qu'une
scène uuietle. Il parla beaucoup lui-même, et demanda
quelle était rinlluence de la cour dans les départements do
son ressort. « Nulle, lui répondit M. Bérenger. — l'omciuoi
cela? — Parce que dans les constitutions de l'empire le
pouvoir judiciaire a été trop subordonné au pouvoir execu-
tif, et (pie la considération et le crédit politiques s'obtien-
nent en raison de l'étendue, de l'autorité et de l'indépen-
dance de la fonction. — Je ne me suis pas mêlé de ces
choses-là, repartit l'empereur ; j'avoue ([ue je m'en suis
peu occupé ; c'e^t Treilhard qui a tout fait : il était dominé
par la crainte de ressusciter les anciens parlements, en ac-
cordant tiop de prépondérance à la magistrature. »
Peu de temps après M. Bérenger fut nommé à la chambre
des représentaids [lar le déparlement de la Drôme. ^«a con-
duite dans le sein de cette assemblée fut conforme aux prin-
cipes libéraux qu'il avait toujours professés, et pour lesquels
il avait I eu(iu témoignage en présence même de l'empereur.
Sa soll citude pour la liberté ne l'empêcha pas de recon-
naître que le maintien de la djuastie impériale était néces-
saire à l'indépendance nationale et au salut de la révolution.
Après le teirible désastre de Waterloo et la seconde abdica-,
tion de Napoléon, il insista pour faire déclarer que, parla
seule force des constitutions existantes, Napoléon II était
devenu empeieur des Français , et il entraîna la majorité à
proclamer ce jeune prince par acclamation Plus tard , et en
face des baïonnettes étrangères, M. Bérenger fut du nombre
des députés (jui signèrent, entre les mains du président
Lanjuinais, une protestation contre la violence que subissait
la représentation nationale.
La seconde restauration accomplie, il se démit de ses
fonctions d'avocat grnéral, et vécut dans la retraite, a[tpli-
qué à l'élude <le notre légishition criminelle et à la recherclie
des porlècl.'oni'.ements dont elle était susceptible. En 181»
BÉRENGER — BÉRENGÈRE
n
n qnilta le DaupliJné, et se rendit à Paris , on il publia le
résultat de ses méditations et de ses veilles. Son livre, qui
eut pour titre : De la Justice criminrlle en France, pro-
duisit une vive sensation et obtint un grand succès. Ce fut
une occasion pour lui de livrer à la sévérité de Tbisloire ,
dans des allusions saillantes, les réacteurs qui avaient désolé
sa province. Mais cette réprobation spéciale n'était pas le
vrai but ni la pensée principale de son œuvre. M. Oérengcr
s'était placé bien au-dessus des passions du moment et des
intérêts de localité. L'administration de la justice , en gé-
néral, était l'objet de ses préoccupations les plus vives et
de ses études les plus sérieuses. Il fut cliargé, vers le même
temps, d'un cours île droit public à l'Atliénée de Paris.
Cependant la réaction nobiliaire et cléricale marcliait de
manière à faire craindre que la parole et la presse ne de-
vinssent bientôt des armes inutiles contre ses envahissements
et ses fureurs. Les liommes qiu avaient l'intelligence des
besoins du pays et des nécessités du siècle, s'émurent à
Pimminence des périls que couraient les grands principes et
les intérêts immenses consacrés par la révolution française.
M. Bcrenger était de ces hommes, et l'un des plus éinineiils,
par sa réputation, ses lumières, ses talents, son caractère.
Ce n'est pas ici le lieu de dire ce que lui inspira sa sollici-
tude patriotique et la part qu'il prit à ces luttes généreuses
que le génie de la France nouvelle et de la civilisation mo-
derne essaya contre l'esprit rétrograde, dans la voie dange-
reuse des sociétés secrètes et des conspirations. L'heure de la
P.estauration n'avait pas encore sonné; nos efforts furent
vains : la contre-révolution triompha.
Mais bientôt le corps électoral s'effraya des progrès du
jésuitisme ; une majorité libérale sortit du scrutin, et M. Bé-
renger alla prendre place au milieu d'elle en 1827. Sous le
gouvernement de juillet M. Bérenger devint vice-président
de la chambre des députés. Il fut aussi chargé de soutenir
devant la chambre des |)airs l'accusation contre les derniers
ministres de la Restauration, signataires des fameuses or-
donnances. Il s'acquitta de celle pénible tâche avec cette
fermeté mêlée de niodéi-ation qui l'a toujours distingué. Quoi-
que séparé de l'opjiosition , il n'hésita pas à voter avec elle
foules les fois que les principes libéraux et l'esprit de progrès
lui parurent menacés par les projets du gouvernement. Lors
de la discussion de la nouvelle loi sur les élections, il ré-
clama, comme rap|)orteur, une part d'action politique pour
le travail, en faisant attribuer au fermier une portion de
l'impôt pour la constitution du cens.
Sa parole exerça également une grande influence à l'oc-
casion de la réforme du Code pénal. Il contribua beaucoup
à faire étendre au jury la faculté d'appliquer l'article 463,
l)ar l'admission des circonstances atténuantes; et malgré
tout ce que l'expérience semble accumuler contre cette in-
novation, ce savant criminalisfe ne paraît pas ébranlé dans
SCS convictions. Dans un travail lu à l'Académie des sciences
morales, il a élabli des calculs statistiques desquels il résulte
que, si les circonstances atlÉnuanles sont souvent mal ap-
pliquées, elles évitent par le scandale des semi-impunités le
scandale, plus grand, d'impunités complètes et fréquentes.
Au reste , M. Bi'renger ne s'est pas borné à l'étude de notre
législation criminelle, il s'est aussi occupé de la réforme
de la judicature civile , et une analyse des statistiques du
ministère de la justice l'a conduit à penser et à dire qu'il y
aurait utilité à supprimer le second degré de juridiction,
c'est à-dire les cours d'appel.
M. Bérenger appartient à cette classe honorable de libéraux
qui , tout en se groiq)ant autour du pouvoir issu de la ré-
volution de 18:}0, restèrent fidèles à la cause du perfec-
tinnnement social et aux principes constitutifs des États
libres. Il est de ceux qui prennent pour devise le mot de
Bossuet, qu'j^ n'y a pas de droit contre le droit : aussi
vofa-t-il constamment contre les lois d'exception.
Laurent (de l'Ardèche).
Nommé conseiller à la cour de cassation en ls.3?, pair
de France le 7 novembre 183y, membre de l'Académie des
sciences morales et politiques lors du rétablissement de cette
classe de l'Institut, M. Bérenger devint président de chambre
à la cour de cassation en 1849. Choisi par ses collègues, aux
termes de la constitution de 1848, comme l'un des cinq
membres de la haute cour de justice , c'est lui qui fut ap-
pelé à diriger les débats de cette cour qui jugea à Bourges
les attentats de mai 1848, et à Versailles ceux de juin 1849.
Comme toujours, M. Bérenger apporta une grande modéra-
tion dans ces fonctions délicates. Il est commandeur de la
Lé^iion d'Honneur depuis 1838.
BÉRENGER DE PALASOL, troubadour français , qui
llorissait à la cour du comte de Toulouse Raymond, mourut
en 1194. Lacurne de Sainte-Palaye nous apprend que c'é-
tait un chevalier du Roussillon, pauvre, mais distingué par
sa figure et ses manières, joignant à une grande bravoure
l'amour des plaisirs et le goût de la poésie. Dans le petit
nombre de vers qu'on a conservés de lui, et qui sont con-
sacrés à chanter les incomparables channes et les vertus
sans pareilles d'Ermesine, femme d'Arnaud d'Avignon, et
tille de Marie de Pierrelatte , il y a du sentiment et du na-
turel , mais rien d'ailleurs au point de vue de l'art qui les
dislingue des autres chants d'amour que nous ont laissés
les poètes de la langue d'Oc. « Si toujours je vous voyais ,
dit-il dans un cou[)let adressé à la belle Ermesine, toujours
je vous aimerais! c'est folie de s'attacher à vous , malgré
la défense que vous m'en faites ; mais je ne puis me dé-
livrer de cette folie. Je suis votre esclave ; je ne vous payerai
jau)ais ma rançon, car je ne veux pas ravoir ma liberté ! »
On attribue à im autre Béhenger, ou plutôt Bernard de
['arasolz, confondu souvent avec Bérenger de Palasol, et
qiu' était attaché à la reine Jeanne de Naples, cinq tragédies
que dans ses Fies des t'ocles provençaux ^ean de Nostrada-
mus traite de magnifiques. Les quatre premières, par allusion
aux quatre maris de la reine, André de Hongrie , Louis de
Tarenle, Jacques de Majorque et Othon de Biunsvvick, étaient
intitulées: Andrealla, Tarentala, Maillorquinuet Aleman-
na; et la cinquième, du nom de la reine Jeanne, Jehanella.
Ces cinq pièces formaient une manière d'histoire complète de
la vie de la princesse depuis sa naissance jusqu'à sa mort.
BÉRENGER DE LA TOUR, poète du seizième siècle,
né à Aubenasdans le Vi varais, vers 1 500, mort vers 1 560, avait
obtenu de bonne heure une charge de magistrature, mais
n'en sut pas moins trouver les loisirs nécessaires pour faire
des vers. Ajoutons, d'ailleurs, qu'à l'exemple des hommes le.";
plus graves de son temps, il put, sans être accusé de man-
quer en rien aux devoirs et aux convenances de son état ,
composer des œuvres badines et même burlesques. On a
de lui : Le Siècle d'or (Lyon , 1551 ) ; La Choréide, me
Louange du bal (Lyon, 1556); VAmye des Amyes (1558),
imitation de l'Arioste. Le même volume contient le 1*'' livre
de La Moschéide, ou combat des mouches et des/ourmis,
imitation de Martin Coccaie; des chansons, un roman bur-
lesque intitulé Nazéide d'Alcofibras, imprimé à la suite de
VAmye rustique (Lyon, 1558), etc.
BÉREIVGÈRE. Deux reines ont porté ce nom en Espa-
gne. La |)remière était fille de Raymond IV, et femme d'Al-
phonse VIII, roi deCastille. Les Maures étant venus, en 1139,
mettre le siège devant Tolède , Bérengère parut sur les rem-
parts, et traita de lâches des hommes qui ne rougissaient pas
de venir ainsi assiéger une femme, tandis que la gloire les ap-
pelait sous les murs d'Oreja , dont le roi de Castille faisait le
siège. Par esprit de galanterie, les Maures, à ce que dit la
chronique, abandonnèrent le siège de Tolède, et défilèrent
devant notre héroïne en rendant hommage à son courage et
à sa beauté. Elle mourut le 3 février 1149.
L'autre BÉKENGt:RE, fille aînée d'Alphonse IX, roi de
Castille, avait épousé le roi de Léon, Alphonse IX, qui la
répudia en 1209, sous prétexte de parenté. Elle rentra en
2.
BERENGERE — BÉRÉNICE
Cusli!le,oti elle fut nommée régente iluraiU la ininoiilé de
son frère Henri l*"'; niaisayanlalxliqué en laveur du comte de
l.an», c(!lui-ci la bannit de la Castllle. Elle y rentra en 1217,
pour succéder à son frère , qui était mort, et céda le trône
a Ferdinand, son lils aîné. Elle nionrnt en 1244.
BEREKÏÏORST (Geobcks-Henui de), bon slratégiste
allemand , connu surlout par ses vives controverses sur
l'ancienne tactique, né en 1733 à Sanderslcbcn, dans le pays
d'Anhalt-Uessau, et mort en 1814, était le fds naturel du
prince Léopoldd'Anhalt-Dessau. H entra au service de Prusse
en 1748, en qualité de lieutenant dans le régiment d'infan-
terie d'Anlialt. En 1757 il fut attaché en qualité de brigade-
major à l'état- major du prince Henri de Prusse, et trois ans
plus tard Frédéric le Grand le prit pour aide de camp.
Après la guerre de sept ans Berenliorst vécut à la cour du
prince d'Anlialt-Dessau , qu'il accompagna ensuite dans ses
voyages en France, en Italie et en Angleterre, de môme que
plus tard le prince Georges, à qui il servit de mentor, après
avoir eu la présidence de l'espèce d'Académie qui avait été
instituée pour diriger son éducation. Dis lors, il vécut entiè-
rement dans la retraite. Dans ses Considérations sur l'art
de la guerre, ses progrès, ses contradictions et ses certi-
tiidcs (Leipzig, 1797), il a exposé des principes nouveaux
en même temps qu'il s'est ell'orcé de condiattre des préjugés
encore trop généralement accrédités. Il faut aussi mentionner
ses Aphorismes (1805).
BERÉIXICE (c'est-à-dire, qui porte la victoire, du
grec oE'pw, je porte, et vîxv), victoire). Plusieurs femmes
célèbres dans l'antiquité ont porté ce nom.
DÉPiÉNlCE, seconde épouse du roi d'Egypte Ptolémée I"'
Soter (323-2«4 avant J.-C. ), si célébrée par les poètes, par
exemple par Tbéocrite dans la quinzième et la dix-septième
de ses idylles. Elle était lillc de Lagus et nièce d'Antipater,
et avait épousé en premières noces un Macédonien obscur
du nom de Philippe, dont elle avait eu plusieurs enfants,
entre autres Magas et Antigone. Plus lard, venue en Egypte
la suite d'Eurydice, femme de Ptolémée Soter, elle inspira
une passion si violente à ce prince, qu'il l'épousa, quoiqu'il
eût des enfants de celle qu'il abandonnait. Elle eut de lui
Ptolémée Philadelphe, Argée, Arsinoé et Philotère. Son
influence sur Ptolémée Soter fut telle qu'elle le détermina à
désigner pour son successeur au trône Ptolémée Philadelphe,
son fds du second lit, au détriment des enfants d'Eurydice,
et malgré l'opposition de Démétrius de Phalère. A sa mort,
ce prince lui lit rendre les honneurs divins.
BÉRÉNICE, fille de Ptolémée Philadelphe et d'Arsinoé,
fille de Lysimaque, épousa, l'an 252 avant J.-C, Antiochus II,
roi de Syrie , à la mort duquel elle périt assassinée par
ordre de Laodicée, première femme d'Antiocbus, et de son
(ils, Séleucus 11 Callinicus.
IJÉRÉNICE, fdle de Magas qui s'était rendu indépendant
à Cyrène, où Ptolémée-Philadelphe l'avait nommé gouver-
neur, dut, aux termes d'un traité intervenu entre Magas et
Ptolémée-Philadelphe, épouser son frère germain Ptolémée,
adopté par Arsinoé, femme de son père. Mais elle fut offerte
en mariage à Démétrius-Poliorcète par cette même Arsinoé,
(pii lit de Démétrius son amant. Celui-ci se conduisit avec
tant de brutalité envers Bérénice qu'elle entra dans un
complot tramé contre lui, et par suite duquel il fut assas-
siné dans le lit même d'Arsinoé. Bérénice épousa alors son
propre frère, Ptolémée Évergète (la loi égyptienne autorisant
de pareilles unions), et elle l'aima tendrement. Ce prince
ayant entrepris une expédition en Syrie, Bérénice, alarmée
des périls qu'il allait affronter, fit vœu de se faire couper
.es cheveux et d'en faire une offrande à Vénus Aphrodite
s'il revenait vainqueur. Évergète, après avoir soumis à ses
lois la Mésopotamie, la Susiane, la Perse, la Médie et la
Babylonie, rentra sain et sauf dans ses États; et alors Bé-
ri'tiice, exacte à accomplir son vœu, déposa sa chevelure,
qui rehaussait tant l'éclat de ses charmes, dans le temple
de Vénus, d'où elle fut enlevée dès la première nuit. Vlo»
lémée Évergète témoigna une profonde douleur de ce larcin,
considéré tout aussitôt comuie odieux sacrilège, et ordonna
les recherches les plus sévcrts pour en déc-ouvrir l'auteur.
Toutes les perquisitions (^lant demeurées inutiles, l'irrita-
tion du roi n'en devint que plus vive; et il était à redouter
(lu'il ne se livrât à tous les excès d'une aveugle vengeance et
ne frappât une foule d'innocents, lorsque l'astronome Conion,
de Samos , imagina de lui certifier qu'il avait aperçu dans
les cieux la chevelure de son épouse chérie, et qu'elle y
formait une constellation, composée de sept étoiles disposées
en une espèce de triangle dans la queue du Lion. Ce sont
ces sept étoiles que de nos jours encore les astronomes ont
l'habitude de désigner sous le nom de Chevelure de Béré-
nice. Callimaqiie composa sur le merveilleux enlèvement
de cette chevelure un petit poëme aujourd'hui perdu, mais
que Catulle traduisit plus tard en latin. Bérénice survécut
à Ptolémée Évergète, et fut mise à mort (216 av. J.-C. ) par
ordre de son fils Ptolémée Philopator , inquiet et jaloux de
l'attachement que le peuple et l'armée lui conservaient.
BÉRÉNICE , épouse de M i t h r i d a t e le Grand , fut mise
à mort par son époux , qui , battu par L u c u II u s , l'an 75
av. J.-C, craignait qu'elle ne tombât entre les mains d«
l'ennemi. Il agit de môme à l'égard de son autre femme, Mo-
nime, et de ses deux sœurs, Roxane et Statira.
BÉRÉNICE, fille de Ptolémée Aulètes et sœur de la fa-
meuse Cléopâtre, mourut l'an 58 avant J.-C. Quand les
habitants d'Alexandrie se révoltèrent contre son père, et
le chassèrent de leur territoire , ce fut elle qu'ils appelèrent
à s'asseoir sur le trône. Mariée d'abord à Séleucus Cybiosactés,
elle le prit bientôt en dégoût à cause de ses vices et de ses
difformités, et le fit assassiner. Après quoi elle épousa Ar«
chélaùs, que Pompée nomma grand-prêtre et roi de Co-
mane. Lorsque le gouverneur romain de la Syrie eut rétabli
Ptolémée Aulètes en possession de ses États, celui-ci fit
mettre à mort la fille dénaturée qui avait usurpé son trône.
BÉRÉNICE, appelée aussi Cléopûtre, fille de Ptolémée IX
(Lathyre), succéda à son père vers l'an 81 avant J.-C,
et fut contrainte par Sylla d'épouser son cousin Alexandre
et de l'associer au trône. QueUpies jours après, elle fut as-
sassinée par son époux, jaloux de régner sans partage, et
qui à son tour périt bientôt égorgé par ses sujets révollt';s,
BÉRÉNICE, fille d'Hérode 1" Agrippa , roi des Juifs, fut
d'abord mariée à un prince de Cilicie. Devenue veuve , elle
vint se fixer à Gésarée, auprès de son frère Agrippa ; et leur»
relations donnèrent lieu à des suppositions injurieuses. Elle
était avec lui , lorsque saint Paul eut à se défendre devant
le tribunal de ce prince. Elle se trouvait à Jérusalem , en
l'an 65, lors du siège de cette ville, où elle rendit de nom-
breux services à ses compatriotes. Elle s'attira ensuite par
ses présents la bienveillance deVespasien, etl'amourde Titus
par sa beauté. Sa liaison avec ce prince durait encore après
le sac de Jérusalem. Elle l'accompagna à Rome, vécut pen-
dant quelque temps avec lui dans le palais impérial , et
fut môme sur le point de se faire épouser |)ar ce prince ,
qui ne fut pas plutôt monté sur le trône qu'il la renvoya
pour ne point blesser les préjugés nationaux et religieux
des Romains en la prenant pour femme. C'est ee sujet que
Racine a traité dans sa tragédie de Bérénice,
Diverses villes portèrent aussi dans l'antiquité le nom de
^fVé«/ce, entre autres Bérénice Cyrène, ainsi nommée en
l'honneur de la fille de Magas ; et Bérénice d'Egypte , sur la
mer Rouge, qui tirait son nom de l'épouse de Ptolémée I",
BERÉIXICE {Zoologie), genre de méduses de forme
discoïde, déprimée ou renflée, garnies à leur circonférence
d'une rangée de longs lantacules filamenteux ; corps excavé
intérieurement , de manière à ce que cette surface remplisse
les fonctions de bouche ; canaux de l'estomac vasculiformes,
aboutissant par quatre troncs principaux à un sinus médian.
Ce genre est le type de la tribu des bérénicidées, proposée
1
BÉRÉNICE —
par M. Lesson , qai la caractérise ainsi : méduses dont les
ombrelles arrondies ou convexes sont parcourues par quatre
canaux en croix, dicliotoinés et recouverts de suçoirs ; boiulie
non api)arente; nombreux tentacules circulaires partant
d'un canai capillaire et formant le rebord de ronibrelle.
Cette tribu ne renferme que les deux genres bcrénice et
stanphore. L. Laukent.
BÉUÉIVICE ( Chevelure de ). Voyez Cheveluue de Bé-
rénice.
BERESFORD (Famille), l'une des plus anciennes qu'il
y ait eu Angleterre, tire son nom d'un vieux cliàteau féodal,
Bereford ou Beresford , situé dans le Straffordshire.
Tnstram Beresiord , qui , sous le règne de Jacques T',
passa en Irlande comme agent de la société créée à Londres
pour la colonisation de la province d'Ulster, s'y établit à Co-
leraine, dans le comté de I.ondonderry. — Son fils, Tristram
Beresford, fut membre du parlement irlandais, et reçut en
1GG5 le titre de baronet d'Irlande. — Le petit-fds de celui-ci.
Mardis Beresford, par suite de son mariage avec Catherine
DE Poer , fille unique et lién'tière de Jacques , comte de Ty-
ronc, fut élevé en 1720 à la dignité de pair d'Irlande comme
baron Beresford de Beresford, comte Cavun et vicomte
de Tyrone , et, à la mort de son beau-père , comme comle
de Tyrone. — Son second (ils, John Beresford, fut d'abord
barri s ter, puis, a partir de 1770, membre et plus tard
pendant longtemps président of the revenue d'Irlande,
de même ((u'il lit partie des deux conseils intimes du
roi, tandis qu'un troisième fils de Marcus , Wïliiavi,
obtenait la dignité d'archevêque de Tuam et était nommé
baron de Decies. — Le fils aîné de sir iMarcus Beresiord ,
George de Poer Bei-.esford, hérita en 1703 du titre de son
père, et fut créé en 1789 marquis de Waterford. A ce titre
succédèrent seuls légalement les aines de la famille Beres-
ford. — Le marquis de Waterford actuel, Henri de I*oeu Be-
resford , est né le 26 avril 181 1 , et succéda comme membre
de la chambre haute à son père en 1826. — John-Claude
Beresford, second fils de sir Marcus Beresford, né le
23 octobre 1766, fut destiné à la carrière commerciale. H
devint en peu de temps l'un des négociants les plus consi-
dérés de Dublin, et fut môme élevé aux fonctions de lord-
maire de cette ville, où jusque dans ces derniers temps il
exerça une grande inlluence dans le parti conservateur, et
où il est mort le 3 juillet 1846.
BERESFOKI) ( William CARR, vicomte), le plus cé-
lèbre d'entre les membres de la famille Beresford, second
fils naturel de Georges de Poer, marquis de Waterford,
entra au service en 1785 comme enseigne; servit jusqu'en
1790 dans la Nouvelle-Ecosse, où il perdit un œil à la chasse;
prit part ensuite aux expéditions des Anglais contre Toulon
et en Corse; alla en 1795 aux Indes occidentales, et en 1799
aux Indes orientales, et il y anéantit les derniers débris de
l'insurrection du cap de Bonne-Espérance , à la conquête
duquel il contribua. De là il fut envoyé en Egypte par la
mer Rouge , à la tète d'une brigade de l'armée de sir David
Baird. En 1800 on l'envoya en Irlande, comme colonel;
en 1805 il fut expédié à Buénos-Ayres à la tête d'un petit
corps d'armée , et avec le grade de général de brigade. Il
s'empara de cette ville , mais il se trouva plus tard dans
l'impossibilité de la défendre contre des forces numérique-
ment supérieures. Contraint de capituler , il resta six mois
prisonnier sur parole , mais s'échappa alors, parce que les
Espagnols, de leur côté, violèrent les clauses de la capitula-
tion , et arriva en Angleterre en 1807.
Le gouvernement le fit immédiatement partir pour Ma-
dère avec le commandement des troupes de terre, et après
la conquête de l'ile il en fut nommé gouverneur. Mais
dès 1808 il se voyait appelé à un commandement en Por-
tugal. Il y régla les stipulations de la convention de Cintra,
et accompagna ensuite sir John Moor-e en Espagne, où il
assista à l'affaire de la Corogne,et protégea l'cmbarquc-
BERËZLNA ts
ment des fuyards. Au mois de mars 1809 il fut nommé
feld-maréchal et généralissime de l'armée portugaise , po-
sition dans laquelle il ne se distingua pas seulement par de
brillants faits d'armes, mais aussi par la réorganisation des
troupes péninsulaires. A la tête de douze mille hommes, il battit'
sur les rives du Douro supérieur le corps d'armée commandé
par le général Loison, et opéra sa jonction avec les force'*
aux ordres de Wellington, à l'effet de poursuivre l'ennemi. Il
battit aussi le maréchal Soult à Albuhéra, quoique sa
pei1e dans cette affaire ne se soit pas élevée à moins de
sept mille hommes. Dans les campagnes de 1812 et 181 :{
il lui fut également donné de remporter des avantages si-
gnalés, tantôt comme commandant en chef, tantôt comme
commandant en second (en qualité de lieutenant général
anglais). Le 13 mars 1814 il entra à Bordeaux avec le
duc d' Angoulôme.
En 1817 le gouvernement portugais l'employa à Rio-Ja-
neiro, où il comprima sévèrement un mouvement insurrec-
tionnel tenté par le général Freyre, et cette conduite le
dépopularisa profondément dans l'armée portugaise, dont il
continuait à exercer le commandcn\ent en chef. Bientôt s'ac-
complit, en 1820, la révolution à la suite de laquelle la
constitution des Cortès fut proclamée à Lisbonne, et l'opinion
s'accrédita alors en Portugal que Beresfonl ne reviendrait
d'Amérique que porteur d'ordres et d'instructions marqués
au coin de l'absolutisme le plus exagéré : aussi s'opposa-t-on
à son débarquement. Considéré plus tard comme l'un des
plus fermes champions de la cause do dom Miguel, le gou-
vernement portugais lui retira en 1838 le traitement con-
sidérable resté jusque alors attaché à son grade de feld-ma-
réchal dans l'armée portugaise.
Depuis 1810 Beresford (duc d'Elvas et marquis de
Campo-Mayor, en Portugal) représentait à la chambre des
communes d'Angleterre le comté de Waterford, où il est né.
En 1814 il fut promu à la pairie sous le titre de baron Jic-
resford, et figura dès lors parmi les meneurs du parti tory
dans la chambre haute. Le parlement lui vota en même
temps une dotation annuelle de 2,000 livres sterling , trans-
missible aux deux héritiers les plus proches de sou titre. Il
fut en outre créé vicomte en 1823, promu en 1825 au grade
de général dans l'armée, ei en 1828 nommé grand-mai-
tre de V artillerie, lia épousé en 1832 Louise, veuve de
Thomas Hope, et fille de lord Decies, dont il a été question
dans l'article relatif à la famille Beresford.
BERESFORD (sir John POER), frère du précédent, né
en 1769, fut nommé vice-amiral en 1825, amiral en ts38,
et siégea à la chambre des commîmes de 1812 à 1828. 11
est mort le 22 octobre 1844 , dans son domaine de Bedale
(Yorkshire). C'est lui qui avait été choisi en 1814 pour es-
corter Louis XVIII à Calais.
BÉRET ou BERRET. Voyez Barrette.
BERETTIIVI (PiETRo). Voyez Cortona.
BÉUÉZIIXA (Passage de la). L'armée française ayant
quitté Moscou et s'étant mise en retraite au milieu du
mois d'octobre 1812, le général en chef russe conçut le projet
de l'envelopper au passage de la Bérézina, si elle lui échap-
pait avant le Boristhène. L'amiral Tchitchakof reçut en
conséquence l'ordre de se diriger avec la moitié de ses force»
sur Minsk , pour se rendre maître des magasins immenses
réunis dans cette place, de marcher ensuite sur Borissof, et
de s'y déployer sur la rive droite de la Bérézina. Le général
Wittgenstein, poussant devant lui les Français qui lui
étaient opposés, devait aussi se rendre à Borissof, par la rive
gauche de la Bérézina. Le maréchal Koutousof, avec le
corps principal , suivant l'armée française en queue , cette
dernière se serait trouvée acculée à une rivière non guéa-
ble , et attaquée de toutes parts. Le généra! russe ne réflé-
chissait pas qu'en resserrant ainsi une armée qui comptait
encore quatre-vingt mille vieux soldats , il en faisait un globe
de compression dont l'explosion amènerait inévitablement
f4
sa perte. L«s combats de la lîérézina ont prouvé que si le
plan de Koutousof eût été exécuté comme il avait été conçu,
le résultat en aurait été la destruction totale de l'armée
russe , et la possibilité pour nous dhiverner en Litliuanie.
Malheureusement ce plan fut mal exécuté, et le manque de
sou exécution fut précisément la cause de notre perle.
Le 27 octobre, l'amiral ïchitcbakof partit de Brecz-Li-
tewski avec environ trente mille hommes, dont dix mille
de cavalerie. Le prince de Schwartzenberg, comman-
dant le corps autrichien, n'inquiéta pas ce mouvement. Le ca-
binet de Vienne, dirigé par un agent anglais (M. Walpoole),
mcilitait déjà de profiter de nos revers par la défection
qui fut consommée plus tard. Schwartzenberg resta derrière
le Bug , et s'il fit un mouvement en avant à Wolkowisk pour
battre le général Sacken, que Tchitchakof avait laissé en
Volhynie, ce mouvement n'eut aucune suite. Le 12 no-
vembre, l'amiral Tchitchakof arriva sur le bord de la Bé-
rézina, en face de Sverjin. A cette môme époque, le corps
du duc de Reggio se retirait par Cholopeniczy sur Bobr ;
celui du duc de Bellune était à Czasniky en face du général
Wittgenstein , qui couvrait Lepel ; la division Loison , forte
de douze mille hommes, occupait Wilna; la division de
Dombrowsky s'étendait entre Jgumen et Bobruisk. Il y avait
à Minsk environ trois mille hommes. A la nouvelle de l'ar-
rivée d'un corps russe sur le Niémen , le gouverneur de
Alinsk perdit la tête, et s'avisa de vouloir disputer le passage
de cette rivière. 11 y envoya un bataillon de la garnison et
trois qu'il avait demandés au général Dombrowsky, op-
(losant ainsi environ trois mille hommes à trente mille. Ainsi
(ju'il était facile de le prévoir, ce détachement fut battu et
presque dispersé, et le 15 au soir l'avant-garde russe se
trouva à quatre lieuesdeMinsk. Legouverneur se décida alors
à quitter la ville en toute liàte pour se rendre à lîorissof, où
il parvint encore à réunir trois mille homme de recrues qui
vouaient de l'armée, et qu'il fit rétrograder. Le général Dom-
browsky, qui était accouru de sa personne à Minsk, retourna
ca hâte à sa division à Jgumen, afin de la diiiger sur Borissof.
Le gouverneur de Minsk resta pendant cinq jours à Bo-
rissof sans que l'ennemi parût ; mais il perdit ce temps dans
une apathie qui tenait de l'imbécillité. Il ne s'occupa pas de
faire mettie au moins en état le réduit du camp retranché
qui couvrait le pont; il ne plaça aucune troupe sur la rive
droite. Si l'ennemi avait marché droit sur lui , au lieu de
s'an éter à Minsk , il serait entré dans le bourg sans rencon-
trer d'obstacles. Le 20, vers 10 heures du soir, la division
Dombrowsky arriva vers la tête du pont, et s'y plaça comme
elle put. Dès le point du jour, le 21 , elle fut attaquée par les
divisions russes de Lambert et Langeron , fortes de dix mille
hommes d'infanterie et de six mille chevaux. Dombrowsky
n'en avait pas cinq mille. Le combat se soutint cependant
depuis six heures du matin jusqu'à cinq heures du soir.
Après des efforts inouïs de valeur, la brave division polonaise
lut obligée de repasser le pont sans pouvoir le détruire,
ayant perdu près de quinze cents hommes et quatre canons;
mais elle prit position sur les hauteurs qui dominent Bo-
rissof, en arrière de la route de Bobr, et arrêta l'ennemi
vainqueur. Que faisait pendant ce temps le duc de Reggio,
qui était à Bobr, et dont une division, celle du général
Merle , occupait Nacza? De l'un et de l'autre de ces points,
on avait parfaitement entendu la canonnade, qui avait duré
onze heures , et où près de cent bouches à feu avaient été
engagées. A une autre époque il aurait poussé sur Borissof
une division, qui y serait arrivée à dix heures du matin , et
aurait suffi pour repousser les Russes et conserver le pont.
Mais les temps de la fortune de Napoléon commençaient à
passer. Quoi qu'il en soit, le défaut de coopération du corps
du duc de Reggio au combat du 21 novembre lut la véritable
cause des désastres de la Bérézina.
Ce môme jour la grande armée française était entre Orsza
et Toloczin. Le corps du duc de Bellune s'était rapproché
BÉRÉZINA
de Czasniky à Cholopeniczy. Witigenstein suivait le duc de
Bellune. Koutousof était encore en arrière du Boristhène,
Ce ne fut que le 23 que le duc de Reggio se décida à mar-
cher sur Borissof. Une division russe en débouchait alors,
se dirigeant vers Bobr. Elle fut facilement culbutée, et perdit
son artillerie et ses bagages; mais l'amiral Tcliitchakof i>ut
faire couper le pont de son côté, et garnir de batteries les
hauteurs qui le dominent. Le 25, le gros de l'armée fran-
çaise se trouva réuni sur les hauteurs eu arrière de Borissof,
ayant une arrière-garde à Losznitza. Le duc de Reggio était
à Borissof, le duc de Bellune sur la gauche à Ratuliczy.
Witigenstein avait cessé de le suivre et était à Baran, s'a-
vançant du côté de Borissof. Le maréchal Koutousof occupait
Kopis, sur le Boristhène ; l'amiral Tchitchakof avait la division
Tchaplilz à Zembin, et était avec les trois autres devant Bo-
rissof. Ce même jour il reçut de Koutousof l'ordre de s'é-
tendre à droite sur Bérézino, parce que l'armée française se
dirigeait de Bobr sur ce point. Le 26 l'amiral s'y rendit en
effet, avec une division.
Cependant l'empereur Napoléon, ayant rassemblé .son ar-
mée et déployé une nombreuse artillerie en face de Borissof,
parut d'abord vouloir forcer le passage. L'opération était
peu praticable , quand même on serait parvenu à rép/irer
le pont , parce qu'il fallait passer un défilé de 600 mètres
formé par le pont et les digues qui traversent les marais, et
sous le feu des batteries qui couronnaient les hauteurs
semi-circulaires dans la concavité desquelles on arrivait.
L'armée, néanmoins, n'avait à choisir qu'entre deux routes,
celle de Minsk et celle de Wilna, par IMeszcsenitzy. Na-
poléon se décida pour la dernièie, qui paraissait la moins
gardée; mais il lui importait de faire croire à l'eimemi qu'il
choisirait la première , afin de se rapprocher de l'année de
Schwartzenberg, qui s'était aussi avancée du côté de Niesvy.
Tandis qu'il poussait des reconnaissances vers Veselovo,
il envoya d'assez forts partis de cavalerie vers Ucholoda ,
en descendant la Béréziua , et fit même conuuenccr à y
réunir des matériaux pour un pont. La position de Vese-
lovo ayant été bien reconnue, le corjjs du duc de Reggio
et la division Dombrowsky s'y rendirent le 26 au matin.
Les autres corps de l'armée suivirent ce mouvement, ex-
cepté celui du duc de Bellune, qui reçut l'ordre de se rendre
à Borissof, pour continuer à trom.per l'enneun. Dès son
arrivée le duc de Reggio fit construire deux ponts, dont
un pour l'infanterie, avec les matériaux que fournit la dé-
molition du village. Ce travail fut protégé par le feu de
l'artillerie, à laquelle les ennemis ne répondirent que fai-
blement , et pendant une heure au plus. Tchaplilz resla dans
le bois que sillonne la route de Zembin. Un peu avant la
nuit. Napoléon, voyant que l'infanterie ennemie s'était reti-
rée de la plaine jusque dans le bois, ordonna au duc de
Reggio de traverser la rivière. Une forte gelée, qui avait repris
le 24, rendait les marais praticables et facilita le passage.
Tchaplilz, vivement attaqué, fut culbuté sur Brilova, et la
route de Zembin se trouva ouverte. Le général Dombrowsky
fut blessé à celte affaire.
Aussitôt après, Napoléon passa avec la garde et s'établit
sur les hauteurs qui bordent le bois. Le 3* et le 5* corps
passèrent ensuite, et se placèrent en réserve derrière le duc
de Reggio, qui avait pris position à Brilova, pour contenir
l'amiral Tchitchakof, qu'on s'attendait à voir accourir au
secours de Tchaplilz. Ce passage dura toute la nuit, parce
que la mauvaise qualité et la faiblesse des matériaux qu'on
avait éié forcé d'employer pour les ponts obligeaient à les
réparer souvent. Le 27 , vers midi , le duc de Bellune ar-
riva devant Veselovo , avec les divisions Daensdels et Gi-
rard, et y prit position pour couvrir le passage. La division
Partouneaux resta à Borissof jusqu'à six heures du soir;
alors elle se mit en route pour rejoindre son corps d'armée;
mais le général s'étant trompé de chemin alla se jeter au
i milieu du corps de Wiltgenslcin, qui était arrivé à Studen-
BÉRÉZIiSA
Izy. lie pass.nuc, des t*""^, 4*", 7*" el S^ corps, du grand parc
et des (Hiiiipagcs (hira toule la journée du 27 et la nuit sui-
vante, à cause des fr('quentes réparations à faire au pont.
Le 23, au point du jour, l'amiral Tchitchakof, qui avait
réuni toute son armée , déboucha de StachoTa, et attaqua
les corps du duc de Keggio, du duc d'tlcliingen (3*) et du
prince Poniatowsky (o*") , qui étaient en avant de Brilova.
Malgré la disproportion du nombre ( 12,000 contre 30,000),
le combat se soutint toute la journée à avantage égal. Le
soir, une charge brillante delà division de cuirassiers du gé-
néral Doumerc décida l'amiral à la retraite. Sur l'autre rive,
le général W'ittgenslein attaqua en même temps le duc de
BcUune. Ici la disproportion était encore plus grande : le
9' corps ne comptait que 15,000 combattants, l'ennemi en
avait 45,000. Le duc de Bellune avait sa droite flanquée d'une
batterie de la garde, appuyée à la rivière ; sa gauche en l'air
n'était couverte que par la brigade de cavalerie du général
fonrnier, qui fit des prodiges de valeur. Derrière le 9'
corps, dans la plaine qui s'étend jusqu'au pont, se trou-
vaient quelques milliers de voitures, fourgons ou caissons,
et une multitude d'employés civils et militaires, de femmes,
d'enfants et de blessés, qui, devant passer les derniers,
étaient encore sur la rive gauche de laBérézina, et com-
mençaient a peine a défiler sur les ponts. Le 9'' corps sou-
tint le combat avec une valeur et une constance héroiqiit-s,
il tint longtemps la victoire in.lecisc; mais entin, vers trois
heures après midi , il fut obligé de céder et de repasser les
ponts, qu'on lit sauter, abandonnant l'artillerie et tous les
uon-combattanls qui n'avaient pu gagner la rive droite.
La plaine de Yeselovo oiVrait le soir un spectacle dont
l'horreur est dillicile à poindre. Elle était couverte de voitures
ft de fourgons, la plupart renversés les uns sur les autres et
brisés ; elle était jonchée de cadavres , parmi lesquels il n'y
avait ([u'un troj) grand nombre d'individus non militaires,
de feimnes et déniants, traînés à la suite de l'armée jusqu'à
Moscou, ou fuyant cette ville poiu" suivre leurs compatriotes.
Le sort de ces mallieureux, au milieu de la mêlée des deux
années, fut d'être écrasés sous les roues des voitures ou
fOus les pieds des chevaux., frappés parles boulets ou les
balles des deux pailis, nojés eu voulant passer les ponts
a\ec les troupes, ou dépouillés par les Russes et jetés sur
la neige, où le froid termina bientôt leurs soufirances. La
(lerte totale delarmée françiiise, dans les deux couibats du
•28, peut être évaluée à environ 10,000 hommes, dont (3,000
combaltauls seulement ; le reste était des blessés et des non-
combattants de tout âge et de tout sexe.
Le projet d'envelopper l'armée française, qu'on attribue
à l'empereur Alexandre , manqua par les causes suivantes :
1" le gênerai Wittgenstein, après avoir reçu les instiuctions
qui le concernaient , aurait dû se porter de Senno directe-
ment sur Pleszczenitzy et Zembin, où il aurait joint l'ami-
ral Tchitchakol dès le 21 novembre; dans ce cas, le pas-
sage de la Bérézina serait devenu bien plus difficile, ou plutôt
presque impossible. Au lieu de cela, Wittgenstein, en s'at-
tachant a suivre le 9*^ corps, lit un long détour, qui le plaça
à la queue de l'armée française au lieu d'être devant elle.
2" Le maréchal Koutousol lit la faute d'ordonner à l'amiral
Tchitchakof de s'étendre à droite, en soile que le 20 il ne
se trouva a Zembin qu'une division russe, au lieu de deux.
3" Le maréchal connnit lui-même une énorme faute en re-
tardant tellement sa marche que, le 27 , il était encore sur
les boids du Boristhène, et en se dirigeant de la sur Berézino,
sans avoir fait recoimaitre si réellement l'armée française
suivait cette roule.
Au reste, l'armée française ne fut qu'en partie sauvée à
la Bérézina. Le désordre devint si grand après le passage
de cette rivière, que la plupart des corps qui avaient encore
maintenu jusque-là une apparence d'organisation, se debau-
dèreiit entièrement. Plus de trente mille individus de to'.is les
€01 ps, désarmes et marchant pêle-mêle comme des trou-
— BERG tu
peaux de montons, sans vouloir reconnaître aucune disci-
pline, tombèrent entre les mains de l'ennemi depuis là jus-
qu'à Wilna. L'enneinine pouvait pas espérer un résultat aussi
avantageux de la bataille générale qu'il avait voulu amener
sur les bords de la Bérézina. G'' G. de Yaldo.ncolut.
BERG (c'est-à-dire monlaijnc) , jadis duché indépen-
dant d'Allemagne , aujourd'hui partie intégrante de la pro-
vince Rhénane (Prusse), e.st séparé à l'ouest, par le Rhin,
de l'ancien archevêché de Cologne, qui le limite aussi au-
sud. A l'est, il touche au territoire de Nassau-Siegen, devenu
de nos jours le cercle de Siegen , au duché de Westphalie
et au comté de la Marche; au nord au duché de Clèves ; et
le Rhin le sépare encore du duché de Meurs. C'est le pays
de fabriques par excellence de l'Allemagne, et l'industrie de
même que le commerce y ont acquis un haut degré de pros-
périté, particulièrement dans la vallée de Wupper, où s'élè-
vent les villes d'Elber/eld et de Bannen. Toute cette con-
trée est de nature montagneuse. Le fer, le plomb et la
houille y abondent, mais on est loin d'y récolter assez de
grains pour les besoins de la population, qui n'est nulle autre
part eu xMlemagne agglomérée eu aussi grand nombre sur
un petit espace. Cette nombreuse population, le haut degré
de perfection de son industrie et les riches.ses qui en sont
la source, ce pays les doit et aux conditions physiques dans
lesquelles il se trouve placé, et aux mesures prises par le
gouvernement pour en iavoriser le développement. Une ch'-
constance qui contribua surtout ;i assurer la prospérité du
duché de Berg, ce fut la neutralité qu'il lui fut donné d'ob-
server presque constanunent pendant les longues guerres
du dix-septième et du dix-huilièiue siècle, et qui engagea à
s'y fixer une foule-d'individus riches et industrieu.\ expulsés
de f'rance ou des i'ays-Bas jjour cause <ie religion. La révo-
cation de l'édit de Nantes par Louis XIN' eut surtout
pour résultat d'y appeler un gran<l nombre d'émigrés fran-
çais fuyant la persécution religieuse, et qui y apportèrent le
goût et la délicatesse qui distinguent les manufacturiers de
leur pays dans la fabrication des soieries, des toiles peintes,
des dentelles, dans le blanchiment des toiles el dans la
papeterie fine.
A repoi[ue de la domination des Romains, le pays de Berg
était habile par les Lbiens, qui y restèr.nt indépendants
jusqu'à la grande migration des peuples, moment ou ils
disparaissent de l'histoire et ou leur territoire fut occupé
par les l'ranks Ripuaires.
Depuis le couunencement du douzième siècle , une j)arlie
du pays de beig, érigé plus lard en duché, fut gouvernée
par des comtes particuliers, de la famille des comtes de
Teisterl-.a!id , [)anni lesquels Adolphe el Lberhard , dit le
chevalier d'Aitena, furent, en recompense de leurs ser-
vices militaires, ciéés comtes de Berg el d'Aitena par l'em-
pereur Henri \, eu UOs. Leurs descendants accrm'ent en-
core leur hiritage par des mariages, des donations, etc.,
jusqu'à ce (jue les fils d'Adolpiie lil en lissent le partage.
A la suite de l'extinction de la descendance mâle des
comtes de Berg, ce pa\ s échut ensuite, d'abord par voie d'hé-
ritage, eu 1219, au duc Henri iV de Limbourg, et a l'ex-
tinction de la race de celui-ci, en 13 is, par mariage, à
Gérard, prince de Juli. rs, dont le fils Guillaume l'^'' fut
créé duc de Berg par l'empereur NN'enceslas; el à partir
de cette époque le pays de Berg partagea les destinées de
celui de Juli ers.
Quand, en 1G09, la famille souveraine de Juliers-Berç
vinl à s'éteindre , l'Autriche éleva des prétentions à la pos-
session de ce territoire a titre de fief de l'Empire tombé en
désiiérence, et l'Espagne lui promit son appDi pour les faire
prévaloir. Mais elles furent énergiquement combattues par
la Saxe électorale, par l'électeur de Brandebourg el par le
prince palatin de Ncudujurg. Ces deux derniers candidats
se firent autoi iser par les étals du pays à le gouverner col-
lectixemcnt. Ce régime, ([ue la républicpie des Paj>-Bas
f6
gaianlit , se perpùtiia au grand avantage «le la population
iustju'eu l'année 1G24 , époque où , à la suite de dil'li-
«ullés nouvelles, une convention passée à Dusseldorf décida
que les pays de Clèves, de la Marche, de Ravensberg et de
Meurs appartiendraientàrelecteur de J}randebouig,et Juliers
avec Berg au prince palatin de Neubourg. Cet arrangement
lut conliriné en 1666 dans ses dispositions les plus essen-
tielles; après quoi, lors de l'extinction de la maison pala-
tine, en 1742, le pays de iJcrg passa sous l'autorité de l'é-
lecteur Cliarles-Flulippe-Tbeodore de la ligne de Sulzbach,
et à la mort de celui-ci, en l79i), au duc palatin Maxi-
inilien-Josepli de Deux-Ponts, ainsi que les autres parties
du territoire.
Kn 1S06 le duché de Berg fut cédé à la France; Napo-
léon l'érigea en grand-duché en faveur de son beau-lière,
Joacbira Murât, et divisa son territoire de 165 uiyria-
inetres carrés, avec une population de 900,000 âmes, en
quatre départements, à savoir : les départements du Rliin,
«le la Sieg, de la Ruhr et de l'Ems. Quand, en 1808, Murât
lut appelé à occuper le trône de Naples, il dut céder son
^irand-ducbé au (Us aîné, et encore mineur, du roi Louis de
Hollande; mais Naiwléon s'en réserva l'administration Ce
jeune prince n'était point arrivé à l'âge de majorité quand, en
lbl3, les troupes des alliés occupèrent le grand-ducUé de
Berg, où l'on établit un gouvernement provisoire, qui con-
tinua à fonctiomier jusqu'à ce que le congrès de Viemie,
eu 1815, eût adjugé ce territoire à la Prusse.
BERG (Grand-duc de). Voyez Mdkat.
BERGÀME ( Bergamo ), délégation du royaume Lom-
barde-Vénitien , d'une superlicie totale de 36 myriamètres
carrés, avec une population de 345,000 habitants.
Cette province est tiés-montagneuse et richement boisée
dans sa partie septentrionale, tandis que sa partie méri-
dionale appartient aux fertiles plaines de la Lombardie. La
sériculture et l'intlustrie du fer constituent les principales
richesses de la pojmlation, race active et industrieuse, qui
exploite de nombreuses manufactures de draps et de soie-
ries, s'occu[)e beaucoup aussi de l'élève du bétail, et fait un
commerce important en bois de construction. Les Berga-
inasques parlent un dialecte d'une grande rudesse, et pas-
^ent parmi les Italiens pour aussi rusés qu'ils paraissent
en général lourds et ridicules. Les personnages bouffons
«lu théâtre populaire italien. Arlequin, Truffuldino, Pan-
talon et Colombine, sont originaiies deBergame,et les au-
teurs comiques leur mettent toujours dans la bouche le
dialecte de cette province. On a les Mëtumorp/wses d'Ovide
traduites en bergamasque par un auteur qui a pris le nom
et la qualité de Baricocol, dottor di val Bambrcna.
Le chef-lieu de la délégation est Bergamo, le liergumum
des anciens, ville bâtie dans une situation ravissante, entre
plusieurs collines, sur les rives du Brembo et du Serio.
Elle est le sii-ge d'un évéché et des autorités supérieures
de la province. On y compte environ 32,000 âmes. Elle
possède une école de peinture et de sculpture, un musée,
un lycée avec une bibliothèque de 45,000 volumes, et plu-
sieurs fabriques, notannuent de soieries, de dra|)(;ries et de
fer. Parmi les 65 églises et chapelles qu'elle renferme, les
plus remarquables par leur antiquité, leur architecture et
leurs tableaux sont celles de Santa-Muria-Maggiore, San-
Alessandro délia croce (ancienne église arienne), San-
Barlolomeo, San-Andrca, Sanla-Muria dct Sepolcro et
Saula-Grata. La foire de .Saint-Barthélémy, dont la fon-
dation remonte, dit-on, au dixième siècle, et qui se tient
chaque année au mois d'aoOt dans le faubourg de San-Leo-
iiardo, est célèbre k bon droit. Klle a lieu dans un bâti-
ment en pierres construit à cet ellet et contenant plus «le
r.oo bouti(iucs. On évalue à j)lusieurs millions de lire l'iin-
ji'irtancc «les alfaires qui s'y traitent «haque année. Les
(rniihles dont ritalie a été le théâtre «lans ces dernières
ùuniec;. ont d'ailleurs siiigulièrement nui à celte foire. Le
BERG — BEHGAMI
chiffre de la population de Bergame est resté stationnair^
depuis longues années, parce qu'une grande partie de ses
plus pauvres habitants émigrent annuellement pour chercher
du travail ailleurs. C'est ainsi que jusqu'en 1848, époque
où on leur enleva ce monopole, \ts/acchini de la douane
de Florence étaient exclusivement des Bergamasques.
BERGAiMl ( Bautolomko ). Les rois s en vont; mais
jiendant longtemps encore leurs vertus, leurs vices, leurs
malheurs feront partie de l'histoire des peuples, et ser-
viront à peindre les mieurs de l'époque où ils auront vécu.
Georges, prince «le Galles, épousant Carohne de Brunswick,
sa cousine, et s'enivrant si comiilétement les trois |)remiers
jours de son mariage que Rome môme l'aurait déclaré nul,
représente une triste mode anglaise en l'année 17!)5; et
«juand en 18V.0, «levenuroi, il l'accuse d'adultère et lui in-
tente un procès, alin de prouver «fue l'accusation est vrai. , ,
les usages anglais qui interviennent nous révoltent et nous
indignent. Entre ces deux rejetons de tant de tètes couron-
nées, s'élève le pauvre Bartolomeo Bergami, qu'ils vont
rendre célèbre à jamais, lia été maréchal-des-logis chef dans
un régiment italien. Des passe-droits ( on en fait partout) le
décident à quitter le service ; mais comme il a l'habitude du
cheval, il devient courrier «lu général Pino. Cette servitude
lui déplaît, car il dit qu'il est gentil-homme, et peut-être le
prouverait-il ; mais le fait positif est qu'il a une taille her-
culéenne, un visage régulier, une chevelure blonde , épaisse,
bouclée , un esprit naturel fort gai , de la lincsse , et un cou-
rage, une audace, qui ne se démentent jamais. Avec «le
semblables avantages, on peut être le courrier d'une prin-
cesse : aussi le marquis Ghislieri le présenta-t-il à celle de
Galles, qui voyageait en Italie en 1814.
La princesse Caroline de Brunswick avait quarante-sept
ans, peu de beauté; mais elle était bonne, malheureuse, et ac-
cusée depuis longtemps de ne guère tenir compte des conve-
uan«-.es. Elle n'avait pas encore distingué le grand et beau Ber-
gami , lorsqu'un des camarades de celui-ci lui donna un verre
de vin destiné à la reine. Ce vin était empoisonné; Bergami
faillit mourir , et son auguste maîtresse crut devoir le dédom-
mager des douleurs qu'il souffrait pour elle, bien qu'il ne
les dût qu'au hasard. ÎJergami fut fait écuyer ^ baron, cham-
bellan; et sa sœur, la comtesse Oldi, devint dame d'hon-
neur. Depuis cette époque Bergami ne s'occupa qu'à pré-
server la vie de Caroline, même aux dépens de
car des scélérats, pour leur compte ou pour celui i
bien connu , tentèrent souvent de l'assassiner. La reconnais-
sauce de la princesse se manifesta sous toutes les formes, et
surtout envers la petite fdle de Bergami, qui se disait veuf,
et achetait le silence de sa femme au moyen d'une pen-
sion. Cette enfant, malade, ne recevait de soins que de Caro-
line; mais le roi «1 '.Angleterre a fait constater juridiquement
que Bergami n'en recevait i)as de moins affectueux ; et la
gratitude de Caroline n'était que «le l'amour, s'il faut en
croire les accusations d'adultère intentées contre elle en
1820 , lorsque, son mari devenu roi , elle eut ( chose incon-
cevable pour une femme d'esprit!) la fantaisie de s'asseoir
aussi sur le trône. On tenta vainement Bergami par l'appàl
de sommes immenses «le joindre ses aveux aux dépositions
de ceux qui accusaient la reine ; il s'y refusa constamment.
Sa discrétion eût été inutile, si le duc d'York n'eût pas eu
lui-même intérêt à ce que le divorce ne fût pas prononcé.
Plus tard un courrier apprit à Bergami , retiré à Pesaro, «pie
Caroline , étant au spectacle, avait pris une glace et élail
morte quelques heures après. « Elle a été empoisonnée 1 »
s'écria-t-il ; et il ne cessa de le croire.
Quoi qu'il en soit, Bergami était devenu riche. Il vécut quel-
que temps enlouré «l'une consiilération telle, qu'on lui avait
permis d'avoir vme garde et qu'on lui avait donné six canons
pour la défense de sa personne. Lors du soulèvement des Ita-
liens en ls;>l , il (il enfouir ces canons, dont It-s insurges vou-
laient s'emparer, et évita toujours de prendre part aux dis-
•a nu a |jic-
; la sienne; J
li d'un tiers ^
BERGAMI -
?ensions politiques. A son tour, il éleva une servante obs-
cure au rang de surintendante de sa maison, et lui té-
moigna une affection sans bornes. La fille et les gens de
Bergami regrettèrent le joug de la princesse , beaucoup plus
doux, disait-on, que celui de cette maritome. Cependant
Bergami conserva toujours le souvenir de sa royale maî-
tresse; n'en parlant qu'avec respect, portant à son inten-
tion des bracelets d'or rivés au haut de ses bras. Beaucoup
de personnes d'un rang élevé accueillaient Bergami comme
«n ami, à Rome, à Naples et à Milan; et riiistoire, car il
faudra qu'on l'y nomme, ne confondra point le favori de Caro-
line avec ceux de Catherine II. Comtesse de Bradi.
BERGAMOTTE. Il y a deux fruits de ce nom : le
premier, que donne une variété du citrus margaritta , est
une sorte de citron ou de petite orange, ronde et verte, très-
estimée, d'une odeur et d'une saveur très-agréables, dont la
feuille et le fruit sont plus courts que ceux des citrons et des
oranges ordinaires, et dont l'écorce donne, par l'extraction,
une huile employée comme parfum et quelquefois en méde-
cine. On fait aussi avec son écorce de petites boites à bon-
bons parfumées, et qui conservent le nom de bergamottes.
Un grand nombre d'espèces de poires sont comprises
également sous le nom commun de bergamottes : ce sont
1" la bergamotte d'été ou de la Beuviière, appelée aussi
milan blanc ; 2° la bergamotte rouge ; 3° la bergamotte
suisse ; 4° la bergamotte d'automne ; 5° la bergamotte
crassane; 6° la bergamotte de Soûler s (ou bonne de
Soulers);!" la bergamotte de Pâques (ou ù'hiver); S" la
bergamotte de Hollande (ou d'A/ençoji); et 9° la ber-
gamotte cadette (na poire de Cadet). Ces diverses varié-
tés de la même espèce ont plus ou moins d'analogie entre
elles et plus ou moins de qualités; mais elles sont, en gé-
néral, d'une nature tendre, fondante, sucrée et parfumée ,
qui les fait rechercher des amateurs.
Les deux espèces de fruits dont nous venons de parler
viennent, dit-on, l'une et l'autre de Bergame, en Italie, d'où
elles ont retenu leur nom.
BERGARA ou VERGARA, ville d'Espagne, dans la
province basque de Guipuscoa , sur la Deva , au nord-est
de Vittoria, compte une population de 5,000 âmes, et possède
une école des miues, une société savante et des fabriques
d'acier. Le souvenir d'un fait important de l'histoire con-
temporaine se rattache au nom de cette ville. C est en effet
dans ses murs que le général carliste M a rot o conclut, le
31 août 1839, avecle gouvernement de Madrid, représenté par
Espartero, une capitulation connue sous le nom de con-
vention de Bergara, laquelle mit fin à la guerre civile dans la
péninsule en contraignant le prétendant don Carlos à cher-
cher un asile en France. Voyez Espagne.
BERGASSE (NicoLis), avocat de Lyon, né en 1750,
est connu surtout par ses débats et sa lutte avec un écrivain
célèbre, l'auteur du Mariage de Figiiro {voyez BtAu-
MARCHAis, t. II, p. 673 et 674). Rien n'était plus simple au
fond que le procès de Kornmann contre son épouse. C'était
une de ces malheureuses affaires que de sages conseillers
font vider en famille , pour éviter un éclat préjudiciable
à toutes les parties. L'époux trompé , peut-être l'épouse
victime de la séduction et plus malheureuse que coupable ,
ont un égal intérêt à rompre spontanément dans le silence
du foyer domestique des liens qui ne peuvent plus être pour
l'un et l'autre qu'un avenir de honte et de douleur. C'est ainsi
qu'aurait" pu être évité le plus scandaleux des procès. Beau-
marchais , qui n'avait jamais eu avec les époux Kornmann
aucun rapport d'affection ni d'intérêt, imagina de se faire
tout à coup le champion de la femme malheureuse et per-
sécutée, mais pomt innocente; et ce proc«s, qu'une sépa-
ration volontaire allait prévenir, devint un événement qui
occupa longtemps l'attention de la capitale et de toute la
France. L'époux outrage invoqua les conseils et la coura-
geuse éloquence de Bergasse. Le modeste avocat de Lyon se
DICT. ni-; l.A CO.NVERS. — T. III.
CERGASSE
17
trouva en présence d'un écrivain déjà célèbre, et dont le la«
lent et l'audace grandissaient avec les obstacles. Le procès
se compliqua de plus en plus, et dura plusieurs années,
Bergasse opposait aux sarcasmes, aux outrageantes person-
nalités de son spirituel adversaire, cette éloquence calme,
sévère et consciencieuse, qui puise toute sa force dans la
double autorité des principes de la raison et des lois. Les
épfgranunes de Beaumarchais étaient applaudies dans les
salons. Bergasse n'oubliait jamais la dignité de sa cause, et
restait sur le terrain des convenances et de la légalité. I! fit
preuve, dans ces longs et orageux débats, d'un rare talent et
d'une courageuse probité. Son procès avait été gagné au tri-
bunal de l'opinion avant que les magistrats eussent proiinncé.
Ses concitoyens ne l'oublièrent pas, et il fut élu député
aux élats généraux de 1789. Ce fut alors qu'il publia une
brochure intitulée Cahier du tiers état à rassemblée des
états généraux. C'était l'œuvre d'un citoyen aussi probe
qu'éclairé. Dès l'ouverture de cette session mémorable, ii
se prononça pour la réunion des trois ordres. 11 monta ra-
rement à la tribune ; et il se plaçait au fond de la salle, à une
égale distance du côté droit et du côté gauche. Nommé
membre du premier comité de constitution , il conserva
dans la discussion toute l'indépendance de ses opinions.
L'organisation judiciaire avait d'abord fixé l'attention de
l'assemblée. Le rapport de Bergasse sur la nécessité de la
réformntion des parlements , des autres cours de justice et
des tribunaux, est remarquable par sa sagesse , l'impartia-
lité de ses motifs et la précision de ses dispositions. Il ne
voulait pas la suppression de l'ordre judiciaire établi, mais
sa réfonnation , l'abolition delà vénalité des charges, le
retour à l'ancienne constitution de la France, l'éleclion par
candidature, telle qu'elle avait été déterminée nar le^ élats
d'Orléans en 1560.
Après les événements d'octobre, Bergasse abandonna
l'assemblée, et quelques mois après il publia une brochure
où il tâcha de justifier son refus de se soumettre aux prin-
cipes constitutionnels qu'elle avait adoptés et qui étaient
précisés dans la déclaration des droits. Bergasse prétendait
qu'on ne pouvait exiger de serment que pour la constitution
elle-même, et lorsqu'elle serait entièrement terminée. Toute-
fois, il ne resta pas complètement étranger aux graves dé-
bats de l'assemblée, et publia successivement plusieurs
brochures contre les assignats, et sur le plan de constitution
présenté par les comités. Au sein de l'assemblée il avait
affecté une entière neutralité entre les deux fractions; de-
puis sa retraite il s'était rapproché du parti de la cour, et se
livrait tout entier à la rédaction de son plan de réformation
pohtique. Il voulait la monarchie à tout prix, non pas ab-
solue, mais avec des modifications qu'il croyait praticables.
Cependant les événements se compliquaient avec une gra-
vité toujours croissante. Les mémoires, les plans proposés
par Bergasse, furent trouvés aux Tuileries après le 10 août.
Réfugié à Tarbes en 1793, il y fut arrêté comme suspect et
conduit à Paris.
Emprisonné à la Conciergerie, il travaillait à sa défense.
L'accusation portée contre lui était spécialement motivée sur
son ouvrage contre les assignats. Son plaidoyer n'eût pu le
sauver; il devait comparaître bientôt devant le tribunal
révolutionnaire, quand le gouvernement de la Terreur fut
renversé, le 9 thermidor.
Bergasse s'était dévoué par conviction à la défense de
l'ancienne monarchie, des intérêts du clergé et de la no-
blesse. On n'aurait pas dû oublier ses services après les évé-
nements de 1814 et de 1S15; un prince étranger seul se
rappela le délense\ir mfatigable de l'autel et du trône. L'em-
pereur A 1 e x a n d r e , après avoir fait, dans le palais de l'Élj'-
sée, l'accueil leplus bienveillant à Bergasse, qui travailla, dit-
on, avecM""^ deKrudeneràla rédaction du fameux traité
de la Sainte-Alliance, alla le visiter dans sa modeste de-
meure, et lui offrit une honorable retraite dan; ses États.
3
18
BERGASSE — BERGER
Bergasse n« Toulut point quitter la France. La foule des
solliciteurs obstruait alors toutes les avenues du pouvoir,
Rergasse fut oublié. Il continua néanmoins à défendre la cause
qu'il avait embrassée. Fidèle à ses précédents, il publia, en
1821, un nouvel ouvrage en faveur des émigrés , et contre
la confiscation de leurs biens. Ce livre , intitulé Le la Pro-
priété, fut déféré aux tribunaux ; l'auteur comparut devant
la cour d'assises de la Seine le 28 avril 1821, et fut acquitté.
Bergasse avait, dans le cours de sa longue carrière, épar-
pillé ses talents et ses vastes connaissances en droit public et
en histoire dans une foule d'ouvrages nés des circonstances,
et qui ont passé avec elles. Quelques-uns cependant peuvent
être utilement consultés, et des bibliophiles en conservent
la collection. Il a publié aussi quelques travaux sur divers
sujets de piété et sur le magnétisme animal. Entièrement
retiré de la scène politique, il n'y reparut un instant qu'en
1830 pour être nommé, à la stupéfaction générale, con-
seiller d'État par une des petites ordonnances qui ser-
vaient d'escorte aux grandes et désastreuses ordonnances de
juillet, rentrer de nouveau dans l'obscurité et y mourir, le
23 mai 1832, à l'âge de quatre-vingt-deux ans.
DUFEY ( de l'Yonne ).
BERGE. On entend proprement par ce mot les bords
ou levées des rivières.
On donne aussi ce nom aux grands chemins qui , étant
taillés dans quelque côte , sont escarpés en contre-haut ou
dressés en contre-bas, avec talus, pour empêcher l'éboulé -
ment des terres et retenir les chaussées faites de terres rap-
portées.
En termes de marine , les berges ou barges sont de grands
rochers âpres, élevés à pic au-dessus de l'eau •• tels sont
ceux d'Oloime, de Scylla et de Charybde, en Sicile.
Une berge ou barge est encore une chaloupe longue et
élroite dont on se sert sur quelques rivières.
BERGEIV, chef-lieu du bailliage du même nom, en
Norvège, avec une superficie de 330 myriamètres carrés et
une population de 200,000 âmes, en même temps la ville la
plus peuplée du royaume de Norvège , est située à l'extré-
mité du golfe de Waag, qui entre profondément dans les
terres, où il forme un excellent port entouré de rochers à pic,
dont quelques-uns ont plus de 2,000 pieds d'élévation. Du
côté de la terre la ville s'appuie sur sept montagnes qui s'élè-
vent en demi-cercle autour de ses murailles. Du côté de la
mer elle est protégée par le fort de Bergenhiius, par la cita-
delle appelée Frederiksberg , et par plusieurs batteries. Au
total, elle est bien bâtie; cependant les rues en sont souvent
étroites, tortueuses et inégales; et la plupart des maisons
sont construites en bois, d'après l'architecture particulière
à la Norvège. Elle se compose de trois parties : la ville pro-
prement dite, le Sandvigen et le Nosted , et on n'y entre que
par deux portes. On y compte six places publiques, cinq
églises et un château royal. Le nombre de ses habitants
s'élève à 25,000.
Bergen est le siège d'un évêché et des autorités centrales
du bailliage; elle possède une école supérieure, quatre écoles
secondaires et plusieurs écoles élémentaires , une école de
navigation , trois bibliothèques publiques , un musée natio-
nal d'histoire naturelle , d'art et d'archéologie , un théâtre ,
une succursale de la banque, une caisse d'escompte, une
bourse , un hôpital et divers autres établissements de cha-
rité. Une circonstance climatérique particulière, non pas
seulement à cette ville, mais encore à toute la côte occiden-
tale de ce bailliage, c'est que l'influence de l'Océan con-
tribue à y rendre la température bien moins froide que dans
l'intérieur du royaume, de môme que le voisinage de la
mer y rend les pluies très-communes : aussi une journée de
l eau soleil y est-elle chose extrêmement rare.
C'est à Bergen que les habitants des côtes septentrionales
tiennent échanger leurs produits , tels que planches, mâts,
lattes, bois à brûler, goudron , huile de baleine, cuirs, etc..
mais surtout poissons scca, contre des grains et autres ob-
jets de première nécessité qu'y importent des Danois, des
Anglais , des Hollandais et des Allemands. Bergen , qui pos-
sède un nombre considérable de navires , est le centre d'un
commerce fort actif; aussi en 1846 ses exportations s'éle-
vèrent à plus de 300,000 tonnes de hareng , 200,000 quin-
taux de morue salée, et 50,000 tonneaux d'oeufs et d'huile
de poisson.
En 1445 les villes hanséatiques allemandes fondèrent dans
ces parages une factorerie et des magasins ; et pendant long-
temps les ouvriers allemands qui iiabitaient Bergen furent
placés sous la protection de la Hanse. C'est à cette époque
aussi que remonte la fondation de l'église allemande, la
seule qu'il y ait en Norvège, de l'hospice et du comptoir
allemand. Ce dernier établissement, qui se composait de
soixante boutiques, appartient aujourd'hui à la ville, et sert
d'entrepôt. C'est à Bergen que naquit le célèbre poète da-
nois Holberg.
BERGEN , bourg de l'arrondissement d'Alkmaer, dans
la Hollande septentrionale (Pays-Bas), est célèbre dans l'his-
toire par un combat qui s'y livra, le 19 septembre 1799,
après le débarquement d'une armée anglo-russe aux ordres
du duc d'York, entre le général russe Hermann et une divi-
sion de l'armée franco-batave commandée par le général
Brune. La victoire remportée par celui-ci, qui fît prisonnier
le général Hermann, eut pour suite, le 10 octobre, la ca-
pitulation d'Alkmaer, aux termes de laquelle l'armée anglo-
russe dut évacuer le territoire de la république Batave.
BERGER. La profession de berger est la plus ancienne
et la plus honorable qu'il y ait au monde; et si l'on en
croit l'histoire , on a vu jadis des rois , et même des dieux,
occupés à garder leurs troupeaux. C'est sans doute à cette
noble origine qu'il faut attribuer la création de l'ordre de»
Toisons, qui sont ainsi devenues les insignes des plus hautes
dignités. On doit probablement aussi lui attribuer la qualifi-
cation de bon pasteur, que l'on donne à ces curés respec-
tables qui s'occupent plutôt de soigner leurs brebis que de
les tondre , qui laissent les agneaux bêler toute la semaine,
et les béliers sauter le dimanche.
Cette noble profession exige beaucoup de connaissances ,
celle de garde ou de conducteur, d'herboriste , nourrisseur,
appareilleur, accoucheur, opérateur, pharmacien, ton-
deur, etc. Le proverbe dit : Tant vaut le berger, tant
vaut le troupeau.
En votre qualité de conducteur de troupeau , vous ne de-
vez le conduire aux champs que lorsque la rosée du matin
est dissipée, éviter les chemins fangeux, les lieux maré-
cageux ou simplement humides, les herbages trop succu-
lents et nourrissants , les clairières de bois , qui conservent
trop longtemps l'impression de la gelée blanche et du froid;
et enfin ne le faire paître que dans les lieux les plus élevés,
les plus secs et les plus aérés, dans lesquels croissent na-
turellement l'avoine élevée, la fétuque des brebis, la pim-
prenelle, qui fortifie le troupeau , le sainfoin sauvage et les
graminées, qui viennent en terre sèche et maigre. Vous
devez conduire votre troupeau lentement, le laisser aller,
venir, vaguer à sa fantaisie dans les lieux où il ne peut
faire de donunage , le retenir plutôt que de le hâter, parce
qu'une marche trop vive fatigue les agneaux et nuit à leur
accroissement, donne trop de chaleur aux moutons, et fait
quelquefois avorter les brebis pleines.
La bête ovine est timide et imitative. Un coup de fusil ,
l'explosion du tonnerre , les cris, les aboiements inaccou-
tumés d'une meute , l'apparition du loup , lui causent des
frayeurs quelquefois mortelles. Si durant un accès de ter-
reur panique la bête qui est en tête du troupeau vient à se
précipiter , tontes vont l'imiter, à moins que le berger, as-
sisté de quelques autres personnes, ne se jette en travers.
Ceux de vos chiens qui ont la mauvaise habitude d'atta-
quer la bête par l'oreille, le pied ou la queue, doivent être
1
BERGER
19
d«samus (te eeJles da leurs dents qui sont placées sur le
devant. Les morsures que font les chiens donnent nais-
sance à des plaies que des insectes enyeniment en y dépo-
sant leurs œufs, qui durant les saisons chaudes deviennent
des larves et produisent la gangrène.
L'espèce ovine veut une température moyenne. Comme
elle est vêtue chaudement , elle craint beaucoup plus le
chaud que le froid. Cette considération doit déterminer un
Iwrger attentif à placer durant les chaleurs de l'été son
troupeau à l'ombre, depuis midi jusqu'à quatre heures.
Les bêtes, en plaçant leur tête, lorsque le soleil est ardent,
sous le ventre les unes des autres , semblent elles-mêmes
implorer cette grâce. Cette situation, forcée par l'ardeur du
soleil, leur est préjudiciable. Elles s'échaufferaient moins
sous les rayons solaires que sous les toisons.
Comme grand-maréchal du palais pastoral , c'est à vous
qu'il appartient de veiller à ce que l'habitation soit spa-
cieuse, commode, salubre et bien aérée ; et si vous aperce-
vez que la température y soit trop élevée, et qu'il s'y ré-
pande une odeur d'ammoniaque, c'est un avertissement pour
\ous de redoubler de soins, en élargissant les ouvertures
extérieures , en établissant des courants d'air , en faisant
enlever les litières, et jusqu'aux parquets eux-mêmes, pour
en substituer de nouveaux. Voyez Bergerie.
La race ovine , comme toutes les espèces ruminantes ,
étant essentiellement herbivore , lorsque l'hiver arrive et
que les champs sont dépouillés de verdure, il faut, par de
sages gradations, ménager le passage de la nourriture verte
qu'elle aime à la nourriture sèche qui l'échauffé, et lui servir
a retable des choux cavaliers ou frisés , et des betteraves,
dont le feuillage résiste longtemps à l'action des gelées. Il
faut lui servir des rameaux d'orme, de bouleau, d'acacia
iiiermis, qui conservent leur feuillage tout l'hiver, lorsqu'on
les a coupés immédiatement après la sève d'août. La nour-
riture sèche altère beaucoup l'animal ; elle l'excite à de fré-
quentes et abondantes boissons qui nuisent à sa santé. Du-
rant l'hiver, on doit donner deux repas au troupeau, à rai-
son de deux kilogrammes de chou vert , ou bien d'un
kilogranuiie de fouiTage sec, par tête et par jour. Durant
les premiers froids , on leur donne de la paille de froment ,
qu'ils aiment médiocrement , puis de la paille de seigle
(lu'ils aiment un peu plus , et enlin de la paille d'avoine,
qu'ils préfèrent à toutes les autres; maison doit s'abstenir
de leur donner de la paille d'orge, dont les barbes leur bles-
seraient les papilles nerveuses du palais ou de la langue. Si
dès le commencement de l'hiver on leur donnait les mets les
plus friands , ils rebuteraient par la suite les mets les plus
giossiers, qu'il faut cependant consommer faute d'autres.
Un mouton constamment à l'herbage éprouve à un faible
degré le besoin de boire. Le breuvage qu'il préfère est l'eau
courante ; il faut la lui présenter, mais sans le provoquer.
Il sait mieux que le berger ce qui convient à sa santé. Lors-
que l'eau est pure et limpide, il en boit jusqu'à deux kilogram-
mes par jour durant l'hiver, tandis que, durant l'été, l'herbe
verte l'humecte suffisamment. Le mouton mange beau-
coup de neige ; elle ne l'incommode pas, parce que l'état de
réclusion et l'espèce de la nourriture léchaufient; tandis
que durant les chaleurs de l'été une rosée (roide lui donne
la colique , parce qu'il se trouve dans un état de relâche-
ment. On peut lui servir durant l'hiver des carottes, pa-
nais, raves , navets , pommes de terre, et la plupart des ra-
cines pivotantes ou tuberculeuses ; mais il leur préftre les
grains, les graines de toutes les espèces, féculeuses ou gra-
minées, telles qu'elles se trouvent dans les bourres de foin ,
de trèlle ou de luzerne, dans les fonds de grenier, les pail-
les et poutils des fonds de grange, les colzas, œillettes,
fe^es, fèverolles, vesces, pois, lentilles, haricots, lupulines et
graines de lupin stratifiées dans l'eau, les baies de genêt, de
bruyère, et les cliaillats composés des tiges, feuilles et siii-
ques des léguiuineiibes griinpanie^. Lu peu de sel, donne
tous les huit Jours durant l'hiver, excite leur appétit , faci-
lite leur digestion, soit qu'on le leur donne en nature, soit
en saumure , dont on asperge leurs fourrages. Le sel pré-
serve de beaucoup de maladies les bêtes à cornes; il est ex-
citant et non nourrissant; c'est par cette espèce de café que
le troupeau doit terminer son repas.
L'espèce pécorale est polygame par sa nature, et par
cela seul qu'elle produit plus de femelles que de mâles. On
ne peut corriger cette loi. La raison veut que dans l'état
social on tolère ce que l'on ne peut empêcher , et qu'on
rectifie ce qu'on ne peut supprimer. Tout règlement qui va
contre la nature des choses; toute loi contraire aux mœurs
générales, est nécessairement impuissante, augmente les
résistances et aigrit les esprits contre l'autorité. Pour que la
vôtre soit toujours respectée , vous devez donc vous prêter
aux besoins et aux instincts du peuple que vous avez à gou-
verner. Vous devez mettre tous vos soins et employer toute
votre intelligence dans l'organisation d'un harem sagement
combiné. Le bélier, qui en est le chef, doit avoir la tête
grosse, le nez camus, les naseaux étroits, le front élevé, l'o-
reille longue, l'encolure large, le cou allongé, le rable large,
le ventre grand, l'allure vive, le regard licencieux, la voix
rauque et profonde, et l'odeur pénétrante.
Le rut se manifeste plus ou moins vite , suivant que le
pays est plus ou moins chaud, que la saison est plus ou
moins avancée, et la nourriture plus ou moms succulente
ou échauffante. Dans les régions froides et situées au nord
(le la Loire, on doit donner à la brebis le bélier en sep-
tembre et en octobre, afin que les agneaux qui proviennent
de cette alliance puissent naître en février et en mars , ne
soient pas exposés à des froids trop vifs, et que les mères
puissent trouver dans une nourriture printanière un lait
plus abondant et plus salubre. La gestation dure ordinaire-
ment cinq mois, en d'autres termes, cent cinquante jours.
Le bélier est adulte dès l'âge de six mois , et il conserve sa
faculté virile jusqu'au delà de huit ans; mais il ne lui faut
donner la brebis que depuis dix-huit mois jusqu'à six ans.
Celle-ci acquiert sa qualité adulte et conserve sa puissance
générative aussi longtemps que le bélier. On préfère toujours
celui qui, n'ayant pas de cornes, demeure inoffensif dans le
parc, celui qui a la laine la plus fine, la plus douce, la plus
longue et la plus élastique. On connaît r('poque de la mise
bas par la date de la saillie, et par les mouillures qui pré-
cèdent de quinze à vingt jours raccoucliement. Lorscjue ce
sympt(Jme se manifeste , il convient de laisser les brebis ?.
l'étable. Quelques heures après la délivrance, on donne à
la mère de l'eau blanchie avec de la farine d'orge ou d'a-
voine, ou avec de la recoupe. Afin que la mère allaite, il
faut lui percer le pis, et en approcher les lèvres de l'agneau,
s'il ne s'en approche pas de lui-même. Si la mère ne lèche
pas le nouveau-né, il faut lui couvrir le corps de sel pour
l'y déterminer. Si l'agneau meurt, on prend sa peau, ou en
couvre le corps d'un autre agneau qui n'a pas de nourrice,
et par cette supposition de part on détermine presque tou-
jours la mère à l'allaiter comme le sien. Il faut ensuite
veiller à ce que la bête ne suce et n'avale pas en tétant des
brins de laine, qui, se réunissant sous une forme sphérique
dans le canal alimentaire, l'obstruent et causent souvent la
mort de l'mdividu. Le sevTage s'opère après deux mois d'al-
laitement. Avant cette époque, vous devez couper la queue
à l'agneau , afin qu'il ne se charge pas de boue dans le*
terres vaseuses, et qu'il ne se forme pas à son extrémité une
boule qui lui donne dans les jambes, embarrasse et retarde
sa marche. On mutile les agneaux deux jours après leur
naissance, afin de rendre leur chair plus tendre et nlus
grasse, leur laine plus fine et leur caractère plus doux ; il
y a plusieurs manières de mutiler, soit en liant, bistournant
on extirpant. On coupe les agnelettes à six semaine* , plus
tard que les agneaux, afin que les ovaires soient assez groi
pour qu'on puisse les distinguer et les enlever sùremeul, et
3.
20
BERGEU
c'est ahisi qu ou lonne i\(i moutonnes connues dans le Midi,
ot des moutons connus partout.
On entretient un troupeau pour avoir de la laine , de la
chair, du suif, des peaux , et dans certaines montagnes des
(lomages. Les lieux secs , niontunux , aérés , conviennent
mieux à la finesse des laines et à la santé des troupeaux
q!ie l'on ne veut pas engraisser; mais quant à ceux qu'on
«iestine à l'engraissage, ils exigent des pâturages et des lieux
humides. L'engraissage est une maladie i)assagère qu'on
donne à ces bêtes pour en tirer un meill 'ur parti, et qui de-
viendrait mortdle si on ne les vendait à l'époque où elle a
atteint son dernier degré. Le trèfle et la luzerne engraissent
t)rompfement, mais ils donnent une graisse jaune. Le sain-
foin offre le môme avantage sans produire le même incon-
vénient. Du reste, le pâturage dans les prairies naturelles
et permanentes produit toujours sur ces prairies un dom-
mage considérable. Le bélier arrache l'iierbe avec véhé-
mence; le jeune agneau, avec son museau pointu, la saisit
jusque dans ses racines.
La plupart des animaux éprouvent lors du renouvelle-
ment des saisons une éruption que l'on appelle mue. Le
mouton éprouve la même crise, produite par la môme cause :
une laine nouvelle pousse sous l'ancienne, qui tomberait
ou demeurerait accrochée à tous les buissons, si on ne la
tondait pas pour en profiter.
Les bêtes à laine fournissent d'autant plus de suif qu'elles
ont été mieux engraissées. Le suif a d'autant plus de prix
<iu'il a plus de densité. La chair de mouton a d'autant plus
de saveur que les herbes dont on le nourrit ont plus d'a-
rome, et les herbes sauvages ont d'autant plus d'arôme
qu'elles respirent un air plus vital sur les montagnes, et
qu'elles croissent sur un terrain plus sec. Le mouton nor-
mand, nourri dans des prés salés, est, à la vérité, très-gros,
très-tendre et très-gras, mais le mouton des Ardennes, ce-
lui des Alpes et des Cévennes, qui pèsent la moitié mains,
ont la chair plus noire et plus savoureuse.
On dislingue l'engrais d'herbe et l'engrais de pouture. Le
premier peut, sur un pâturage gras , s'opérer en trois mois,
et conséquemmeut on peut taire trois engrais dans les neuf
mois qui succèdent à l'hiver. L'engrais de pouture se dis-
tingue encore en engrais de grain et en engrais de fourrage
sec et de racines coupées. On doit mettre le mouton à l'en-
grais lorsqu'il a trois ans. Plus tôt il n'a pas de goût, plus
tard il est dur et rebelle à l'engraissage. On est parvenu au
plus haut degré de l'engrais lorsqu'on voit s'élever sur le
dos de la bête qui y est soumise de petites vessies pleines
de graisse ; et si l'on ne se hàtail de vendre ou de tuer le
mouton parvenu à ce degré , il péiiiait d'une maladie occa-
sionnée par l'inlitlralion de la graisse dans le tissu cellulaire.
Quant aux peaux de brebis ou de mouton, il est reconnu
que les meilleures sont celles qui , n'étant pas couvertes de
laine , se sont fortifiées par l'action de l'air. Leur qualité
relative est dans le degré de leur densité. Les peaux sont
appeh'es creuses lorsqu'elles ne son t pas compactes, et alors
' ou les destine à faire des parchemins, ou bien on les vend
à lies tanneurs qui les passent en basane, à l'usage des bour-
reliers. Si elles sont fra n c lies, on en fait des maroquins.
Il existe diverses races qu'il est dans le devoir d'un ber-
ger de connaître et de distinguer, et cette connaissance
est difficile, à cause des croisements qui s'opèrent sur des
espèces qui ont déjà été cent fois croisées. Nous parlerons
de ces différentes races à l'article Mouton.
Les moutons sont sujets à beaucoup de maladies aiguës et
de maladies chroniques. Nous citerons la maladie du sang
ou l'aixiplexif, la méléorisation du ventre ou colique de
jianse, la cachexie ou jiourriture, le tournoiement, le tour-
nis, le clave^ui ou la ciavelée, etc. Ces maladies auront des
articlis particuliers dans notre ouvrage.
Enfin un berger est tout à fait inexcusable, et il doit être,
conijedié sans miséricorde, si la gale attaque luie grande
partie de son troupeau. Il y a toujours tin premier galem
qui la communique à tous les autres. On le reconnaît connue
tel quand il éprouve des démangeaisons qui l'obligent à s«
frotter sans cesse contre les râteliers , les haies et les ar-
bres , et à s'écorcher le corps avec les dents et les pieds.
On doit se hâter de mettre ce galeux à l'écart. Le remède
le plus efficace contre cette maladie est aussi le plus sim-
ple et le plus à la portée de tous les bergers. Il consiste
dans un onguent composé avec 5 hectogrammes de suif et
125 grammes d'huile de térébenthine. On frotte les parties
galeuses sans les tondre; on se borne à écarter les flocons
de laine que cet onguent rend plus fine et plus douce.
Votre équipage de parc doit être fort simple. Au lieu
d'être peint en vert et de se confondre ainsi avec la couleur
des pâturages , il doit être peint en rouge foncé qui efTraye
les bêtes fauves. Il doit être léger, monté sur deux roues,
avoir 2 mètres de long et 1 "",30 seulement de large dans
œuvre. Votre cabriolet doit être garni sur chacune de ses
faces de fenêtres vitrées , et il doit être constamment tourné
vers le côté du bois par où débouche ordinairement le loup;
vos deux chiens placés à l'avant-garde comme sentinelles
perdues. Il doit être surmonté d'une cloche , indispensable
pour sonner l'alarme quand la bête fauve paraît , et d'une
lanterne, dont la lumière effraye à la vérité fort peu les loups
expérimentés à la guerre, mais impose aux louveteaux qui
entrent pour la première fois en campagne. Vous devez
être armé d'un fusil de calibre chargé à balle , et jamais
d'un fusil de chasse, qui serait pour vous un sujet perpé-
tuel de tentation à tirer le lapin. Vous savez , et vous devez
savoir mieux qu'un autre, que le loup qui médite une at-
taque s'avance toujours contre le vent , afin que les chiens
et le troupeau ne puissent pas sentir l'odeur infecte qu'il
exhale, et qu'il exécute le plus ordinairement ses plans de
campagne durant les nuits les plus sombres et les orages les
plus violents.
Le parc destiné à renfermer quatre cent cinquante bêles
de grandeur moyenne, y compris cent agneaux, doit être
composé de soixante et une claies, ayant 1",30 de hauteur
et 2'",G0 de longueur (ce qui se réduit à 2°',30 quand on les
a ajustées entre elles). Il doit être partagé dans son milieu
par sept claies, de manière à ce qu'on puisse, en en enlevant
une, faire passer le troupeau toutes les quatre heures d'une
moitié du parc dans l'autre.
Quant à la bibliothèque renfermée dans votre maison
roulante, au lieu de La Belle au Bois Dormant, du Petit
Albert, du Manuel de saint Ignace, et de VÉlixir de
Béatitude, qui sont la lecture ordinaire des bergers, et qui
remplissent leur esprit de mille sottessuperstitions, procurez-
vous le Catéchisme des Bergers, par Daubenton; le Traité
S2(r la Monte et l'Agnelage, de M. Morel de Vindé ; r/«.$-
truction élémentaire adressée aux bergers de la Haute-
Saône, par M. Marc; instruction sur les Bêtes à laine,
contenant la manière de former de bons troupeaux , par
M. Tessier; le Aouveari Traité sur la Laine et sur tes
Moutons , par MM. Perrault, Fabi7 et Girod de l'Ain, et
les Observations sur les Bêtes à Laine, faites dans les
environs de Genève pendant vingt ans , par LiiUin.
Comte Français (de Nantes).
BERGER ( Jean-Jacques ), aujourd'hui préfet de la
Seine, ancien député, ancien représentant du peuple, est le
fils d'un fabricant de papier. Né en juin i7i)0,à Thiers ( Puy-
de-Dôme), il vint à Paris faire ses études au lycée Najio-
léon , et acheta ensuite, dans cette capitale , une charge
d'avoué. On le vit aux barricades de 1830, et il dut à celle
circonstance la décoration de Juillet, celle de la Légion
d'Honneur et les fonctions de maire du deuxième arrondis-
sement. Kn 1833 il vendit sa charge pour se vouer désormais
exclusivement à la politique. Klu jiar son arrondissement
natal, il vint siéger à la Chambre des Députés en 1837. Assis
d'abord au centre gauche , il appartenait à l'opposition dy-
BERGER - BERGERIE
2t
oastique, et (il partie plus tard <le celte phalange sacrée du
petit ministre Thiers, qui envoyait au Siècle et au Natio-
nal ces formidables listes de fouclionnaires à sacrifier, alin de
pénétrer les esprits de leurs adversaires d'une sainte terreur.
Aussi, dès le moisde décembre 1840, M. Guizot le destituait-il
de ses fonctions de maire ; ce qui lui valait en 1841 de deve-
nirun des secrétaires delà Chambre par lecréditdu 1'" mars.
Du reste il n'en demeurait pas moins imperturbablement
silencieux dans les bureaux comme dans les séances publi-
ques. En 1846 il fut élu député dans son département et dans
le deuxième arrondissement de Paris, pour lequel il opta.
Dans les dernières années du règne de Louis-Philippe,
on le vit gravir, à vue d'œil , la pente de l'opposition ; aussi
n'y eut-il point de manœuvre électorale que le gouver-
nement ne mit en œuvre pour l'empêcher d'être réélu maire
de son arrondissement. Ses électeurs tinrent bon ; ils l'en-
tourèrent de noms non moins hostiles , plus hostiles même
que le sien, et, de guerre lasse, le pouvoir royal lut bien forcé
deleclioisir. M. Berger, qui s'était piqué au jeu, persista dans
sa ligne de conduite , assista au banquet du Chàteau-Rouge,
accepta d'être un des commissaires de celui du douzième
arrondissement, et signa, le 21 février 1848, l'acte d'accu-
sation fulminé contre les ministres de Louis-Philippe.
La révolution éclate, elle triomphe, les élections pour la
constituante vont avoir lieu. Alors on lit sur tous les murs de
Paris une pancarte ainsi conçue : « Citoyens, oublierez-vous
Berger, le maire des barricades de 1830? « Plus de 136,000
voix répondirent à cet appel, et son nom sortit de l'urne le
quinzième, entre ceux du général Cavaignac et du li-
braire Pagnerre. C'est même sur la proposition de re
dernier, chargé d'organiser les municipalités de Paris, qu'il
avait été maintenu dans ses fonctions de maire par le gou-
vernement provisoire. Dans la séance d'ouverture de la
Constituante, on le vit avec surprise, au nom de la dépu-
tation de Paris et de l'assemblée tout entière , déterminer
la proclamation eutiiousiaste et unanime de la république.
M. Berger, qui faisait partie du comité de l'intérieur, vota
pour les deux chambres, pour la proposition Rateau-Lan-
juinais, pour l'ordre dn jour en (aveur du minisière dans
la discussion sur les affaires d'Italie, et contre la propo-
sition d'amnistie présentée dans la dernière st-ance. Envoyé,
le sixième, à la Législative (lar plus de 52.000 voix du
Puy-de-Dôme, il ne prit aucune part aux votes importants
de cette assemblée.
Cependant l'avènement de Louis-Napoléon à la présidence
valut la prélecture de la Seine à M. Berger, il sut se mainte-
nir dans ce poste important sous tous les ministères qui se
succédèrent de'puis. Quelques dîners officiels, quelques ré-
ceptions le forçaient bien de temps à autre à parler poUtique,
mais c'était toujours avec une prudence qui ne le compromet-
tait vis-à-vis d'aucune des grandes fractions du parti de
l'ordre, et les compliments qu'il adressait parfois au chef de
l'Etat étaient assez vulgaires pour pouvoir passer sur le
compte de sa position officielle. Lorsque le conseil munici-
pdde la capitale s'avisa de vouloir festoyer le lord-maire de
Londres, ce lut M. Berger qu'on chargea de faire les honneurs
de la ville de Paris à ses hôtes. 11 s'en acquitta comme il
put. Un dîner monstre où l'on but à l'entente cordiale autant
que si Louis-Philippe eût été encore sur le trône, fut suivi
d'un bal monstre où la cohue le disputait aux bals des Tuile-
ries d'autrefois ; une fête monstre fut donnée a l'Opéra, où
l'on joua une pièce de circonstance avec une musique aussi
triste qu'improvisée. On finit par une fête militaire très-in-
téressante pour des Français , mais assez peu divertissante
pour ces marchands de la Cité, qui n'ont pas, à ce qu'on
dit, le même amour que nous pour le jeu du soldat. JNéan-
moins, de retour en Angleterre, le conseil municipal de
Lon:lres se déclara satisfait. Tout le monde doit l'être.
Le 2 décembre 1851 ne pouvait pas surprendie M. Eer-
gei . il fiit aussitôt appelé à la commission consultative. Ce
qu'il y fit , nous l'ignorons ; mais après le recensement de»
votes du 26 décembre, il reçut les délégués des départements
à l'hôtel de ville, et porta un toast au succès des enti-eprises-
du prince Louis-Napoléon. ]NL Berger avait été nommé com-
mandeur de la Légion d'Honneur lors de la pose de la pre-
mière pierre des halles centrales. On avait remarqué la
harangue flatteuse qu'il avait adressée ce jour-là au neveu
de celui qui disait que les halles étaient le Louvre du peuple.
Sous l'administration de M. Berger, Paris a vu s'a-
chever les travaux de canalisation du bras gauche de la
SeinCf le Palais de justice se continuer, les boulevards et
d'autres voies pubfiques s'empierrer, l'Hôtel de Ville s'isoler,
les travaux de prolongement de la rue de Rivoli s'ouvrir, la
place du Carrousel se déblayer, etc., etc. ; et malgré tant de
dépen.ses l'argent abonde dans les caisses nmnicipales, grâce
à un emprunt de 50 millions qui a pu être contracté à des
prix avantageux. M. Berger a été nommé sénateur en 1853.
BERGER DE XI VREY( Jules ), membre de l'Acadé-
mie des Inscriptions et Belles-Lettres de l'Institut de France,
que ses recherches philologiques et historiques classent ho-
norablement parmi les savants contemporains, est né le 16
juin 1801, à Versailles. Son début dans la carrière des let-
tres fut une traduction \]e la Batracomyomachie (Paris,
1823; 2* édit., 1837), qvi'il fit suivre d'un Traité de la
prononciation grecque moderne { 1828). Son édition des
Fables de Phèdre ( 1830) est un remarquable travail d'éru-
dition. On trouve d'intéressantes notions sur l'histoire de l;i
littérature du moyen âge dans ses Recherches sur les
sources antiques de la Littérature française (Paris, 1829),
dans ses Traditions tératologiquts (1836), et dans sa No-
tice sur la plupart des manuscrits grecs, latins et en
vieux français, contenant Vhistoire fabuleuse d'Alexan-
dre, le Grand, il a publié aussi un très-grand nombre d'ou-
vrages historiques , parmi lesquels nous citerons ici plus
spécialement ses Essais d'appréciations historiques (2 vol.,
Paris, 1837) et son liecue.il des lettres missives de Henri IV
( 3 vol., Paris, 1845-1846). Par sa dissertation intitulée : Sur
la polémique relative au cœur de saint Louis , qu'il fit
suivre plus tard de Preuves de la découverte du cœur de
saint Louis (Paris, 1846), M. Berger de Xivrey s'est mêlé
activement et utilement à une discussion qui occupa vive-
ment le monde savant dans les années 1843 à 1846. Cet
érudit a aussi enrichi d'un grand nombre d'articles du plus
haut intérêt divers recueils contemporains , notamment le
Journal des Débats. M. Berger de Xivrey a été nommé con-
servateur adjoint de la bibliothèque de l'Arsenal en mars 1851.
BERGERAC, ville de France, chef-lieu d'arrondisse-
ment, dans le département de laDordogne, sur la rive
droite de la rivière, qu'on y passe sur un beau pont. Située à
49 kilomètres S.-O. de Périgueux, au milieu d'une plaine vaste
et fertile , et entourée de coteaux que couvrent de riches
vignobles et de jolies maisons de campagne, cette ville ne
répond pas à la beauté de son site ; on y remarque toutefois
des traces (?u séjour des Anglais, qui l'occupèrent de 1345
à 1371, époque où elie fut reconquise parle duc d'Anjou,
frère de Charles V. Pendant les guerres de religion, Berge-
rac fut souvent le théâtre de combats meurtriers. Louis XIII
en (it raser la citadelle et les fortifications.
Cette ville possède un tribunal de commerce, ime église
consistoriale calviniste, et un collège communal. Sa popu-
lation est de 9,873 habitants. On y récolte de bons vins fins,
rouges et blancs; on y fabrique de la quincaillerie, des serges,
delà bonneterie; elle possède .des papeteries, des tanneries,
desdistilleries, et une imprimerie. Son commerce est très-actif;
elle a uii grand entrepôt de vins et d'eau-de-vie; elle exporte
des grains, des truffes, des pierres meulières et du bois.
BERGERAC (CYRANO dk). Foy« Cyhano.
BERGERIE {Économie rurale), lieu où l'on enferma
les moutons et les l)rel)is. La bergerie diffère du parc, eu
ce qu'elle est couverte et presiiuc toujours murée, et de
22
BERGERIE - BERGERON
Vétnble, (jai sert (également aux Ixrufs, aux codions et aux
brtîbis. La disposition d'une bergerie et les soins de sa te-
nue intérieure contribuent puissamment au bon ou au mau-
vais état des troupeaux , et doivent attirer toute l'attention
des propriétaires.
La race ovine, étant revêtue d'un vêtement de laine suf-
fisant, ne craint point le froid, mais elle est souvent alté-
rée par la chaleur. Il faut donc que la bergerie soit le plus
élevée et le plus spacieuse possible , et rafraîchie par des
s courants d'air, qu'il faut renouveler quand on y sent une
odeur d'ammoniaque. On conçoit que la laine de cinq à six
cents bêtes, leurs urineset leurs déjections, doivent nécessai-
rement vicier cette atmosphère. C'est pour cette raison que
notre illustre berger Daubenton prescrivait de les tenir tou-
jours dans le parc et jamais dans la bergerie ; mais si ce
quadrupède supporte bien le froid , il craint en même temps
beaucoup l'humidité, comme l'indique la forme de son pied,
qui annonce qu'il est un animal de coteaux ou de montagnes.
L'humidité des vallées et des prés à irrigation et la boue des
chemins dans lesquels on les conduit occasionnent des épi-
zooties nombreuses. Dans les pays d'argile, on est obligé de
vendre ou de changer le troupeau tous les ans, pour qu'il ne
périsse pas. Dans une bergerie, il faut compter 80 décimètres
carrés pour une brebis et son agneau , 30 décimètres carrés
pour un mouton , et un peu plus pour le bélier. Une portion
«le la bergerie doit être séparée pour former une infirmerie
et pour les brebis qui viennent d'agneler. Une porte à deux
battants portant ensemble l^jGO, qu'on ouvre tous deux
qumd le troupeau rentre ou sort , et dont on n'ouvre qu'un
6oul quand on veut les compter, est absolument nécessaire.
On peut, par des cloisons, séparer les moutons que l'on
veut engraisser, les agneaux de primeur, les bêtes fines et
les botes grossières ou jarreuses , et il n'est pas nécessaire
d'ajouter que la litière et même la terre doivent souvent être
changées, et qu'il faut des râteliers et des mangeoires tout
autour de l'étable. La nourriture d'une bête ovine renfermée
dans la bergerie doit être d'un kilogramme de fourrage sec,
et pour les brebis prégnanles 5 hectogrammes de plus de di-
vers grains. Les racines des plantes tubéreuses doivent être
comptées pour la moitié d'un poids égal de fourrage sec.
Une lanterne et la chambre du berger sont nécessaires
dans une bergerie. Comte Français (de Nantes).
BERGERIES {Littérature). Ce mot se prend habituel-
lement pour synonyme d' idylle, églogue, bucoliques.
Les liergcries étaient généralement de; espèces de comé-
dies et tragédies pastorales à imbroglio, qui faisaient fureur
au théâtre sur la fin du seizième siècle et jusqu'au milieu
du SHivant. Le roman célèbre de d' U rf é , VAslrée, les dé-
lices de La Fontaine et de Ségrais , et que jamais La Harpe ne
put lire, était l'abondante source où venaient puiser les au-
teurs de ces drames singuliers , dont le plus renommé , quoi-
que pris ailleurs, fut celui de Racan. Intitulé d'abord ylr-
tenice, nom d'une femme de la cour aimée du poète, il prit
bientôt le titre de Bergeries de M. de Racan. Se douterait-
on que sous l'innocence d'un pareil titre , qui ne promet
que le calme des bois , que des fontaines où viennent se
mirer des bergères au plus beau jour de fête, que des pe-
louses foulées par les danses , que des échos retentissant
du son des chalumeaux , il se passe des monstruosités dont
pourraient s'étonner aujourd'hui nos plus hardis drama-
turges? On y voit un berger Lucidas dont les trames pour
perdre son rival sentent la ville la plus corrompue; un
l'olistène, magicien éhouté ; un Chindonnax, druide l'ana-
tuiue et cruel, qui, assisté d'un prêtre tenant le couteau sacré
sur la gorge d'une bergère dont le nom est Idalie, lui dé-
bite ces joUs vers :
Ces vfiu et ce beau Icint de roses et de lys,
Smi» teiiii de la mort soroiit ensevelis ;
L'Iiorreur qui l'iiccoiiipiigiie esl à toutes comiiiuue ,
Ou n'y rceoiiudit point U hiauehc ui Ij briiuc!
Voilà ce qu'au seizième siècle, en France, on appelait
Bergeries. Telles ne sont point les scènes naïves de Théo-
cri te, les tableaux calmes et enchanteurs de Virgile, ces
modèles de la poésie pastorale; tels ne sont point encore
l'Aminta et le Pastor fido, ces deux poèmes d'une déli-
cieuse peinture, frais comme les prairies, harmonieux comme
les bois , théâtre de leurs doux sentiments , et où des chœurs,
des fêtes et des danses tous transportent dans l'âge d'or.
Denne-Bakon.
BERGEROIV (Louis) , né à Chauny (Aisne ) , le 1" oc-
tobre 1811 , remplissait dans l'une des pensions de Paris les
modestes fbnctions de maître d'études, quand, le 19 novem-
bre 1 832 , jour d'ouverture de la session des Chambres , il
fiit arrêté à la descente du Pont-Royal, sous l'incidpatioa
d'avoir tiré un coup de pistolet sur Louis-Pbilippe , qui se
rendait, en grand cortège , à la Chambre des Députés pour
y prononcer ce qu'on appelait sous le régime constitu-
tionnel le discours du trône. C'était poiu- la première fois
qu'une tentative d'assassinat était dirigée contre la personne
du prince acclamé roi deux années auparavant. L'opposition
républicaine, qui pendant toute la durée du règiie nia obs-
tinément la réalité des complots tramés contre la dynaslie
nouvelle, puis qui en 1848 se vanta à la tribune, par l'or-
gane de ses représentants les plus purs, d'avoir toujours
menti et de n'avoir pas cessé de conspirer pendant trente
ans; l'opposition républicaine, disons-nous, prétendit que
c'était là une basse manœuvre de police, que le pistolet
n'était chargé qu'à poudre, et qu'un mouchard seul avait
exécuté ce coup imaginé par le pouvoir pour effrayer l'opi-
nion et se faire autoriser à restreindre les libertés publiques.
Traduit aux assises, l'accusé nia les faits mis à sa charge.
Ils n'étaient attestés que par un seul témoin , une jeune pro-
vinciale , mademoiselle Boury , que le hasard avait placée dans
les rangs pressés des curieux à côté même de Bergeron , et
qui déclara avoir instinctivement fait , en voyant l'arme que
son voisin ajustait , un mouvement par suite duquel la balle
du régicide avait dû dévier dans sa direction.
M"* B0U17 , considérée par la famille royale et par ses
nombreux partisans comme ayant été en cette circonstance
l'iustrument de la Providence , fut fêtée, louée, récompensée
outre mesure; mais à l'audience le témoin n'apporta plus à
la justice que des souvenirs peu précis, et la défense profita
habilement des incertitudes tle sa déposition pour jeter du
doute dans l'esprit des jurés, qui rendirent un verdict né-
gatif.
Absous parla justice des hommes, Bergeron , nous aimons
à le croire , l'était aussi par sa conscience. Mais il eut tort
de tirer alors parti de l'espèce de célébrité que lui avait
donnée la terrible accusation qui avait pesé un instant sur
sa tête, pour se créer ime position dans la presse la plus
hostile au pouvoir nouveau. En effet , immédiatement après
son acquittement, il fut admis à l'honneur insigne (pour un
conscrit ) de découper \e&/aits-Paris dans le National, qui
en cela savait faire une habile spéculation , en môme temps que
jouer une bonne niche aux hommes de la Tribune, ses con-
ciurents dans l'exploitation de l'opinion républicaine, assez
mal avisés pour laisser échapper ime si belle occasion de don-
ner à peu de frais des gages de plus au parti. Ces fonctions
mirent tout naturellement Bergeron en relations directes
et continuelles avec la fine fleur des conspirateurs de ce
temps-là, et bientôt il se vit adopté et glorifié comme mar-
tyr et conune héros par toutes les sociétés secrètes.
La police, de son côté, qui était parfaitement sûre qu'un
coup de pistolet chargé à balles avait été tiré sur Louis-
Miilippe au bas du Pont-Royal ; qui aussi , en dépit dis
clameurs de l'opposition républicaine, avait la certitude de
n'èlre pour rien dans cette lealative d'assassinat, et dont le
verdict d'acquittement du jury de la Seine n'avait peut-être
l)as tiélruit tous les doutes à l'égard de l'innocence de Ber-
geron; la police, disons-nous, le surveilla de près, et, à
BERGERON — BERGIER
33
lort ou à raison , TOiHut absolument le trouver au fond de
tous les complots organisés ensuite contre la vie ou la cou-
ronne du roi-citoyen. De ces défiances à la persécution il
n'y avait qu'un pas. Il fut bientôt franchi ; mais peut-être
Bergeron en fut-il surtout redevable à des forfanteries de
tabagie que son extrême jeunesse explique, sans les excuser.
Quoi qu'il en soit, la police finit par comprendre qu'elle
(inirait à ce jeu par rendre intéressant l'homme qu'elle vou-
lait perdre. Elle prit donc le parti de le laisser tranquille ; et
plus tard quatre ou cinq meurtres purent être tentés contre
Louis-Philippe sans qu'elle songeât à en rendre complice le
héros de ïaffaire du coup de pistolet du Pont-Royal.
Bergeron , en 1836, fut attaché à la rédaction du Siècle,
auquel il fournit, sous un nom d'emprunt, un assez grand
nombre de feuilletons de la force de tous ceux qui ont fait
la fortune de cette feuille, alors monarchique et constitu-
tionnelle. M. E. Girardin, à cette époque conservateur
ardent, et toujours adversaire haineux ; M. Girardin, qui ne
pouvait pardonner au Siècle d'avoir trois fois plus d'abonnés
cjue sa Presse , crut de bonne guerre de révéler un beau
jour que dans la boutique rivale écrivait un homme que,
de sa propre autorité et pour l'effet de son argumentation ,
il déclarait coupable d'un fait dont l'avait absous un
verdict solennel et souverain du jury. Le rédacteur du
Siècle ainsi désigné demanda au rédacteur de la Presse
ou la rétractation ou la réparation d'une assertion néces-
sairement calomnieuse. M. E. Girardin crut avoir assez
de fois fait ses preuves pour oser refuser et de se battre
et de retirer sa phrase. Bergeron , exaspéré , alla alors le
frapper au visage en plein Opéra. L'offensé demanda jus-
tice à la police correctionnelle, qui condamna le délinquant
à deux ans d'emprisonnement ; et, sur l'appel qu'il interjeta,
la cour royale, plus sévère , porta même la condamnation
à trois années , maximum de la peine dont la loi frappe un
tel délit. Ce qu'il y a de curieux, c'est qu'en 1848 cet arrêt
valut à Bergeron l'honneur d'être porté pour une pension
de 500 fr. sur la liste des récompenses nationales.
11 n'y avait pas longtemps que les portes de la prison
s'étaient ouvertes pour Bergeron quand la révolution de
février éclata. Il figura alors un instant parmi les commis-
saires extraordinaires envoyés dans les départements par
M. Ledru-RoUiu, quoique i)récédemment et précisément
pendant sa longue éétention bien des nuages se fussent élevés
dans l'esprit des pointus du parti sur son patriotisme imma-
culé : tant il est vrai que si de nos jours les grands ci-
toyens se font à bon marché, il faut peu de chose aussi pour
les démonétiser! La loi Tinguy, en astreignant les journa-
listes à signer de leur nom leurs moindres élucubrations ,
a prouvé que Le Siècle comptait encore en 1852 parmi ses
rédacteurs le personnage qui fait l'objet de cette notice.
liEUGEROAWETTE, genre de petits oiseaux d'une
taille svelte et élégante, appartenant à la famille des becs-
fi n s. On les voit voltiger d'ordinaire près des berges , des
rivières et des eaux douces , ou bien encore à la suite des
bergers et des troupeaux : d'où leur est venu leur nom, au-
quel on a quelquefois substitué celui de hoche-queues,
parce qu'ils remuent incessamment , et par un balancement
vertical , cette partie de leur corps , qui est fourchue et beau-
coup plus longue que le reste. Les caractères génériques
des bergeronnettes sont : un bec très-menu , droit , subulé ;
des tarses grêles, très-élevés , avec les doigts latéraux à peu
près égaux et notablement plus couils que le médian ; des
ailes longues, avec les trois premières rémiges presque
égales ; enfin , une queue longue , composée de pennes
étroites , mais très-susceptibles de se développer.
On connaît en Europe trois espèces de beigeronnettes :
la plus commune est la bergeronnette jaune ( motacilla
Jlava ) ; elle ne porte toutefois cette couleur que sous le
venire et vers la queue ; tandis que la bergeronnette de
prinlempa {motacilla vernalis) est plus jaune qu'elle.
puisque cette couleur est étendue sur tout son corps, et
forme un trait au-dessous des yeux en même temps qu'une
petite bande transversale sur les ailes. Elles ne peuvent
vivre en cage ni l'une ni l'autre ; mais la seconde seule
émigré à l'approche de l'hiver. Au retour, elle fait son nid
avec beaucoup d'art dans les prairies, ou au bord des eaux,
sous une racine de saule ; sa ponte est de six à huit œufs,
tachetés de brun , sur un fond blanc sale. La troisième es-
pèce européenne est la bergeronnette grise , dont le plu-
mage varie avec les saisons.
Les bergeronnettes ne s'attachent au bétail que pour
se nourrir des insectes qui pullulent autour de lui , surtout
à l'automne , et qui , l'empêchant de paître , le font dépérir.
Malheureusement pour cette espèce d'oiseau , et plus mal-
heureusement encore pour l'agriculture, cette nourriture
abondante et facile que les bergeronnettes trouvent en sui-
vant les troupeaux donne à leur chair un embonpoint et
une saveur qui les font rechercher des gourmets , et font
employer à leur chasse et à leur destruction une industrie
qu'on devrait consacrer au contraire à leur conservation et
à leur multiplication.
BERGHEM (Nicolas), l'un des peintres les plus célè-
bres de l'école hollandaise, né à Harlem, en 1624 , y reçut
de son père, peintre assez médiocre , connu sous le nom de
Pierre de Harlem, les premières leçons de son art. II
continua successivement ses études sous van Goyen , "Wee-
ninx l'aîné et différents autres maîtres. On rapporte que son
père, qui le traitait fort durement, l'ayant poursuivi un jour
jusque dans l'atelier de van Goyen , où il s'était réfugié ,
celui-ci , pour le soustraire au courroux paternel , cria vi-
vement à ses autres élèves : Berghem ! ce qui veut dire en
hollandais cachez-le ! et c'est ainsi qu'on explique ce sur-
nom de Berghem, qu'il continua à porter dans la suite, à
l'exemple de la plupart des artistes de cette époque , qui ne
sont guère désignés que par des sobriquets, au lieu de l'être
par leur nom de famille.
L'amour de l'art , joint à l'empressement avec lequel ses
tableaux étaient recherchés et à l'avidité de sa femme, le
porta à travailler avec une activité et une application infati-
gables. On raconte de lui qu'il avait l'habitude de travailler
en chantant , et on ajoute que lorsque sa femme ne l'enten-
dait plus , elle frappait au plancher de son atelier, dans la
crainte qu'il se fût endormi. Une facilité extraordinaire lui
rendait le travail et l'étude agréables. Comme il aimait pas-
sionnément les gravures, il se trouvait souvent obligé,
pour en acheter, d'emprunter à ses élèves de l'argent, qu'il
rendait ensuite en trompant sa femme sur le produit de ses
tableaux. Il se lit de celte manière une superbe collection.
Les paysages et les tableaux d'animaux de Berghem font
l'ornement des plus riches galeries. Le mérite de cet ar-
tiste consiste dans la légèreté et la clarté de sa manière,
le séduisant de son coloris et le naturel de ses groupes.
Quoiqu'il ne quittât presque jamais son atelier, il eut ce-
pendant le temps de bien observer la nature, grâce au
long séjour qu'il fit au cliâteau de Bentheim. Des critiques
exigeants pourraient lui reprocher une trop grande légèreté,
peu d'art et une trop grande simplicité dans l'imitation , et
désirer plus de correction dans les contours et le dessin de
ses animaux ; mais ces légers défauts sont rachetés par
une foule de qualités, et c'est avec raison qu'on place Berg-
hem au rang des meilleurs paysagistes connus.
Il n'a pas seulement laissé la réputation d'un peintre ha-
bile , il s'était aussi exercé avec bonheur dans la gravure.
On a de lui des études à l'eau-forte, au nombre de trente-six,
représentant des brebis et des chèvres, ou des paysages, dont
les amateurs font grand cas , mais qui sont devenues très-
rares. Berghem mourut à Harlem, en 1683.
BERGHEA^ Voyez Berquen.
BERGIER (Nicolas-Sylvestre), né à Darnay, en Lor-
raine, le 31 décembre 1718, et mort à Paris, le 9 avril 1799,
S4
BERGTER — BERGMAN
tut successivenaent curé d'un petit village de Franche-Com-
té, professeur de théologie, principal du collège de Besan-
çon, chanoine de la cathédrale de Paris, confesseur de Mes-
dames, tan tes de Louis XVI, membre de l'Académie des Ins-
criptions et Belles-Lettres, et l'un des adversaires les plus im-
placables de la philosophie moderne. Parmi ses innombrables
ouvrages, on ne cite plus guère que ses Éléments primitifs
des Langues, découverts par la comparaison des racines
de l'hébreu avec celles du grec, du latin et du français;
son Origine des Dieux du Paganisme,sm\'ie. des poésies
d'Hésiode ; sa Certitude des Preuves du Christianisme,
faussement attribuée à Fréret, puis à Morellet, et à laquelle
répondirent successivement Voltaire et Anacharsis Cloots ;
deux volumes dirigés contre Jean-Jacques Rousseau ; deux
contre le baron d'Holbach; ses Principes de Métaphy-
sique, faisant partie du cours d'études à l'usage de l'École
militaire ; et son œuvre principale, le Dictionnaire Théolo-
gique, travail qui ne manque ni d'ordre ni de logique, mais
qui est écrit d'un style lourd et diffus.
BERGMAIV (ïorbern-Olof), l'un des plus beaux
noms dont s'honore la Suède, s'est principalement illustré
dans la chimie. Il naquit à Katharinberg ( Westgothland ),
le 9 mars 1735. Sa jeunesse eut cela de commun avec celle
d'une foule d'hommes célèbres, qu'il lui fallut vaincre par
un enthousiasme opmiâtre l'opposition de ses parents à son
goût pour les sciences. Lorsqu'il eut enfin obtenu la per-
mission d'aller les étudier à l'université d'Upsal, avide de
tout savoir, propre à tout retenir, il approfondit presque
toutes les branches de l'histoire naturelle, de la physique
et des mathématiques ; et cette universalité de connaissances,
sous laquelle un esprit médiocre aurait succombé, fut la
source où plus tard il puisa l'excellente méthode et la so-
lide érudition qui ont présidé à tous ses travaux.
Comme il avait commencé par suivre les leçons de L i n -
né, ses premières recherches eurent lieu dans le domaine
de l'histoire naturelle. Il annonça son talent d'observation
en découvrant que les sangsues sont ovipares, et que leurs
œufs ne sont autre chose que le coccus aquaticus , sub-
stance dont la nature était encore inconnue. Linné , d'abord
incrédule, fut convaincu à la lecture du mémoire, et écrivit
au bas ces mots flatteurs : Vidi, et obstupui (Je l'ai vu , et
j'en ai été frappé d'étonnement). D'autres travaux sur les
insectes et sur la botanique, et surtout une méthode pour
classer les insectes à l'état de larve ; des dissertations cu-
rieuses sur diverses parties de la physique, le talent et
le zèle avec lequel il suppléait souvent les astronomes de
l'observatoire royal dans leurs observations et les profes-
seurs de mathématiques dans leurs leçons, lui avaient déjà
fait la réputation d'un savant distingué, lorsqu'en 1766 il
obtint, par la protection éclairée du prince Gustave (de-
puis Gustave 111 ), alors chancelier de l'université, la chaire
de chimie et de minéralogie, devenue vacante par la retiaite
de Wallerius.
Libre de préjugés, parce qu'il avait appris la chimie sans
maître, habitué aux méthodes rigoureuses des géomètres,
Bergman résolut de bannir de la science tout esprit de sys-
tème, et de ne marcher qu'appuyé sur l'observation des faits.
11 a consigné ses vues à cet égard dans un beau Discours
sur la recherche de la vérité, où il distingue la méthode
cartésienne ou contemplative et la méthode newtonienne
ou expérimentale. C'est cette dernière qui le conduisit bien-
tôt à de grandes découvertes et lui lit considcier comme
son premier devoir d'agrandir le laboratoire , d'y réunir
tous les moyens d'expérimentation connus et d'y former
de vastes collections minéralogiques rangées méthodique-
ment. Le premier, il reconnut que l'acide dont Blake avait
signalé la présence dans les terres calcaires était un acide
particulier, qu'il nomma acide aérien (aujourd'hui l'acide
carbonique). En faisant bouillir de l'acide nitrique sur
le sucre , la gomme , et d'autres matières végétales, il pro-
duisit Vacide oxalique, précieux réactif pour constater
la présence de la chaux. Par l'IiaLile emploi de réactifs inu-
sités il fit (!e Yannhjse des eaux minérales un art nouveau;
il y découvrit le gaz hydrogène sulfuré, qu'il appelait gaz
hépatique. En même temps il formait, par la synthèse,
des eaux minérales factices, et, malgré les obsta-
cles que rencontre presque toujours la plus utile nouveauté
dans la prévention de l'ignorance, il en propageait l'usage
par la persévérance de ses conseils. Il émit dans ses recher-
ches sur les eaux minérales l'opinion que le cal crique est
un fluide comme l'électricité.
Jusqu'à lui on n'avait essayé les minéraux que par la
voie sèche; il fit voir que l'analyse par voie humide était le
seul moyen d'arriver à la connaissance complète de leur
nature. Ce n'était pas qu'il conseillât de renoncer à l'an-
cienne méthode ; au contraire, après l'avoir perfectionnée, il
la combinait avec bonheur à la nouvelle pour attaquer les
pierres précieuses, et faire ainsi connaître les principaux
éléments de l'émeraude, de la topaze, du rubis-spinelle, du
saphir, etc. C'est lui qui a presque créé , tant il l'a dévelop-
pée, la chimie du chalumeau, de cet instrument si utile
par les connaissances préliminaires qu'il donne au chimiste
pour se diriger dans ses opérations. Tous ces travaux le
conduisirent à une classification chimique des minéraux,
où les genres ont pour caractère la substance dominante du
morceau; la différence des parties intégrantes constitue
les espèces , et les variétés sont déterminées par la forme
extérieure. Personne n'avait encore réuni tant d'éléments
pour une bonne classification ; car le premier , appliquant
la géométrie aux formes des minéraux, il posa la base de la
cristallographie. 11 a jeté sur les opérations sidéra-
giques une vive lumière, en démontrant que la supériorité
des aciers retirés des fontes blanches était due à la présence
du manganèse ; que le fer obtenu en grand dans les forges,
loin d'être pur , renfermait toujours plusieurs corps en al-
liage , et que les fers cassants à froid devaient leur fragilité
à la sidérite, substance qu'il croyait être un métal nouveau
et qu'on a reconnu plus tard pour du phosphure de fer.
La théorie des affinités, créée par Geoffroi en 1718, avait
été le premier pas fait pour asseoir la chimie sur des bases
vraiment philosophiques. Bergman, reprenant cette idée
de génie, se l'appropria en quelque sorte par une masse
immense d'expériences, et publia des tableaux où tous les
corps étaient classés dans leurs rapports mutuels, et où
les phénomènes chimiques sont présentés comme des mo-
difications de la grande loi qui régit l'univers, quoique sou-
mis à un ordre particuUer d'attractions qu'il appelle élec-
tives. Toujours attentif à rapprocher la chimie des mathé-
matiques, il exprimait par des formules toutes les opérations
chimiques; idée nouvelle et heureuse qu'ont fécondée de-
puis les travaux des chimistes modernes , et surtout ceux
de son compatriote Berzélius.
Bergman avait adopté les idées ingénieuses, mais erro-
nées, de son ami Scheele sur le phlogistique; aussi
a-t-il montré plus de talent pour la découverte des faits que
pour l'exphcation des phénomènes. Ses écrits sur la géolo-
gie, quoique très-remarquables , ne peuvent que confirmer
ce jugement. Il a publié une Description physique de la
terre, estimable par l'ordre dans lequel les faits sont pré-
sentés , et surtout par les aperçus géologiques qu'il donne
sur plusieurs pays. Il chercha dans l'analyse de tous les
produits volcaniques et des eaux minérales qui sourdent
près des volcans l'explication de ces terribles phénomènes,
et se crut en droit de conclure que les foyers des volcans
ne sont pas à une grande profondeur , mais seulement dans
les couches déposées sur le noyau du globe, et que les in-
cendies souterrains sont dus à la décomposition des pyrites.
Enfin, il voulut relier en un faisceau les connaissances de
tout genre qu'il avait acquises sur la physique de notre pla-
nète , et formula un Système de la Terre basé sur cette
BERGMAN — BERING
fijpollièse, que l'oau enveloppait primitivement le noyau ,
proi»bloiueut magnétique, liu globe; que cette eau con-
tenait tous les éléments des sulistaiices solides plus ou
moins parfaitement dissous, et que la quantité de ce fluide
a toujours été en diminuant par une lente évaporation, qui
accroissait proportionnellement l'étendue des terres.
Bergman fut. longtemps recteur de l'université d'Upsal.
C'était alors , au milieu de la Suède, une espèce de repu-
blique, Gère de ses privilèges et puissante par ses posses-
sions. Deux grands partis s'y disputaient l'empire, les phy-
siciens et les naturalistes d'une part, le^ théologiens et les
jurisconsultes de l'autre. Par une exception bien honorable,
la magistrature de Eergmau ne fut point troublée par la
guerre civile. Ces hommes irascibles, qui auraient bravé
volontiers la rigueur des règk>raents, furent subjugués par
leur respect pour son génie et leur attachement pour son
caractère. Trop souvent les honnnes de talent font preuve
(i'ime mesquine jalousie envers leurs rivaux ; UKiis tout ce
«jui avait un caractère de grandeur et d'utilité trouvait dans
liergman un sincère admirateur. La postérité n'a pas oublie
«lu'il prononça avec une égale impartialité, devant l' Acadé-
mie de Stockholm, l'éloge de Wallerius, sou plus grand en-
nemi, et celui de Swab, le plus cher de ses amis. Une de ses plus
heureuses découvertes est assurément celle qu'il lit de l'il-
lustre Scheele dans la boutique d'un apothicaire, et l'on
ne saurait trop louer l'ardeur, le désintéressement, avec les-
tpiels il mit en lumière cette mine inconnue et déjà si riche.
Lnissant tant de vertus à tant de génie, et marié à une
lémme charmante, qui pour lui piaire s'associait ix ses goûts,
pouvait-il ne pas être heureux? A vou' l'immeiise hste de ses
travaux, on dirait qu'il a vécu de longues années; cepeu-
tlant, épuisé par cette prodigieuse focoudité, il est maita\aut
l'âge de cinquante ans, eu 17b4. — Condorcel et \'icq
d'Azyr ont fait sou éloge. A. Des GîiMiVEZ.
BERti-01*-Z00Ai {Bergen-op-Zoum), place forte de
la province hollandaise du Brabant septeutrional , à 4 myria-
mètres au nord d'Anvers , bâtie à l'embouchure du Zoom ,
j>etite rivière qui se jette dans l'Escaut oriental, avec lequel
la ville communique par un canal et un bon port. On y
compte 7,000 habitants, dont la principale industrie consiste
dans la fabrication des poteries Unes, des briques et tuiles,
et dans la préparation des anchois dont la pèche a heu
«lans l'Escaut. On voit à Berg-op-Zoom un vieux château
avec une tour s'élargissant extérieurement et que le vent fait
remuer, un bel hôtel de ville, trois églises, un collège, une
école de dessin et d'architecture.
Berg-op-Zoom ( Bajorzuna ou Bercizoma ) fut prise
en bSO par les Normands , et entourée de umrailles créne-
lées au treizième siècle comme chef-lieu de la seigneurie
du comte Gerhard de ^\ esemaele. Le maïquisat de Berg-
op-Zoom fut confisqué par Marguerite de Parme, gouver-
nante des Pays-Bas. En 1576 cette ville accéda a l'union des
Provinces-Unies ; et l'année d'après, quand la garnison es-
jiagnole en eut été expulsée, elle fut entourée de iortitica-
tious. Pour plus de sûreté, on y éleva eu 1628 du côté du
bud un camp retranché, et au moyen de trois forts on éta-
blit une comnumication avec le Sleenbergen, situé à l'est.
Vn Itiss et il').l on ajouta encore de nouveaux travaux de
ileionse aux fortilications déjii existantes, de manière à
rendre cette place presque imprenable.
L hnportance stratégique de Berg-op-Zoom excita à di-
verses reprises les Esi)ag!iols à essayer de s'en emparer.
En 1 583 cette ville ouvrit volontairement ses portes au duc
(r.\lonçon , qui l'occupa pendant quelque temps pour la
France ainsi que quelques autres villes de Flandre , à titre
d'ami des l*rovinces-Uuies. En 15SS le duc de Parme en
tenta inutilement le siège. En 1597 la vigilance des trou-
pes des Pays-Bas déjoua un projet de surprise conçu pai*
i'archidnc Albert pour s'en enqiarer. Trois attaques tentées
[lar les Espagnols, en mars, août et septembre 1605, échouc-
niCT. d;; la coNvriis — t. ni.
rent également. II en fut d.î vatmc du sirge entrepris en l ivn
par le marquis de Spinola, qui, après soixante-dix-huit
jours de tranchée ouverte et après avoir perdu plus de
10,000 îiommes, dut le lever j)ar suite de l'arrivée du
prince Maurice d'Orange.
Les Français furent plus heureux en 1747. Après deux
mois de siège le maréchal de Ld'wendal s'en empara. Les as-
siégeants avaient fait jouer quarante et une mines et les as-
siégés trente-huit. Mais à la paix Berg-op-Zoom fut rendue
aux Hollandais. Dans l'hiver de 171)5 Pichegru contraignit
cette place à capituler. Incorporée à la France à partir de
1810 , elle fut bloquée en 1814 par les Anglais, qui dans la
nuit du 9 mai's essayèrent, avec 4,000 hommes commandés
par Goorer, une surprise, que l'héroïque bravoure de la gar-
nison française déjoua con)p!étement. Ce ne fut que la paix
de Paris qui la replaça sous les lois de la Hollande.
CEîllBEÎlI , nom d'une maladie encore assez mal
conn;ie et endémique aux Indes, notamment dans l'île de
Ceylan et sur.la côte de .Malabar. 11 arrive le plus souvent
que les malades y succombent eu vingt-quatre ou trente
heures, et quelquefois même en moins de six heures; il
n'est pas rare cependant d'en voir dont les soufhances se
prolongent trois el même quatre semaines. Lorsque la gué-
rison a lieu , rien de plus fréquent que les rechutes , alors
toujours moitelles. Les indigènes ne sont pas moins sujets
à cette maladie que les étrangers lorsqu'ils habitent déjà de-
|)uis quelques mois un district où sévit le lléau. On a re-
m:u"qué (jue ses apparitions sont plus fréquentes pendant la
dimiimlion des moussons, et qu'elles sont provoquées par
les brusques changements de température d'une atuîosphère
chargée d'humididé.
IWlMl^.Votiez BÉKYL.
BÉÎIÎLÎSTÎQUE. Les anciens nommaient ainsi un pré-
tendu art magique, consistant à tirer des augures des ap-
parences extraordinaires obtenues à l'aide d'une espèce de
miroir qu'ils appelaient ôenWi.
BEIUA'G ou BEHRING (ViTus), né à Korsens, dans
le Jutland , commença à naviguer pour sa patrie dans
les Indes orientales, où il acquit la réputation d'un excel-
lent marin. Entré au service de Pierre le Grand, alors que
la marine de Cronstadt était encore au berceau, il se distingua
comme lieutenant et comme capitaine dans toutes les expé-
ditions navales contre la Suède. Plus tard son intrépidité et
ses talents lui méritèrent l'honneur d'être choisi |)our com-
mander l'expédition de découveries que la Bussie envoya
dans les mers de Kamtschatka.
La reconnaissance de toutes les côtes septentrionales de
cette grande presqu'île, jusqu'au 67" 18', et les premières
preuves de la séparation des deux continents d'Asie et d'.\-
mérique, furent le résultat de ce voyage, terminé en 1728 ;
mais la question de savoir si les terres dont oa avûil une
connaissance vague, à l'opposé de la côte du Kamtschatka,
faisaient partie de l'Amérique , ou si elles n'étaient que des
lies intermédiaires entre les deux continents, n'était point
encore résolue : Bering fut chargé de la décider. H partit
le 4 juin 1741, avec deux vaisseaux. Après avoir aborde la
côte nord-ouest de l'Amérique, entre 55" et 60" de longitude
nord, les tempêtes et le scorbut l'empêchèrent de pour-
suivre ses découvertes. Il fut jeté loin de sa route sur l'iie
déserte d'Awatscha, qui porte aujourd'hui son nom. Lu
neige couvrait alors celte terre stérile et sans abri. Bering
était dangereusement malade; il fut porté à terre, et placé
dans une fosse creusée entre deux monticules de sable, et
couverte d'une voile. C'est dans cette espèce de tombeau que
mourut l'infortuné commandant, le 8 décembre 1741.
La postérité a donné le nom de Bering au détroit qui sé-
paie l'Asie de l'Amérique , et dont Cook a achevé la lecou-
naissance.
BÉPiîKG ( Détroit de ), appelé aussi détroit d'Anian , et
encore, par les Anglais, détroit de Cook. C'est le détroit qij
28 BERING —
S(^l>arè la côlc occidentale de l'Atiiorique septentrionale , de
la <:ôle oiienlale de l'Asie.
Le premier voyaf^eiir qui constata que le continent améri-
cain est séparé fin continent asiaticjue Uit le Kosak Oosclmef,
lequel, en UJ'iS, partit de l'nn des ports de la Sihoiie situes
dans l'océan Polaire, et pénétra dans la mer du Kamts-
c h at ka par un canal séparant ces deux parties du monde.
Toutel'ois, cetaiirutlons^tempstonu pourfahuienx par lesEu-
ropi'ens, jnsciu'à ce qu'il eut été confirmé en 172f4 par le té-
moignage de Beri n{^, quidonna son nonià ce détroit. Plus
tard, en 1778, !e capitaine Cook le visita éj^aleiUL-nt. Dans
sa moindre lari^tMir, par 06" de latitude septentrionale, il n'a
jtas plus (le 74 kilomètres; mais par 69" sa largeur est déjà
de .555 kilomètres. Au centre, il a de vingt-neuf à trente
brasses de prolondeur; et cette profondeur diminue à me-
r.ure qu'on appro(;lit! des côtes, mais plus sensiblement sur
la côte américaine que sur la cote asiatique. Entre les deux
caps de Tclionkoltsk et du Prince-de-Galles, où il est le plus
resserré, et près du cercle polaire, ce détroit est souvent
fermé par les glaces.
On a aussi donné le nom de mer de Bering h cette partie
(le l'océan Pacifique qui s'étend de 100° de longitmle orien-
tale a 160° de longitude occidentale, et de 52° à 66° <li! lati-
tude septentrionale, entre le Kamtscliatka à l'ouest, l'Amé-
rique à l'est, ^et les Iles Aléoutes au sud.
liFR5^'GS^l\E. Voijez AunenciNE.
lîÉlUOT ( CnARLES-AtJGusTE de), l'un des plus babiles
violons de notre époque, est né le 20 fiivrier 1S02, à Louvain,
où il reçut sa première instruction musicale de M. ïiby,
professeur de musique, qui fut son tuteur et son second père.
il resta dans sa ville natale jusqu'à l'Age de dix-neuf ans,
et vint à Paris en 1821, pour y continuer ses études sous la
direction de lîaillot. Mais il ne fréquenta que fort peu de
temps le Conservatoire, et ne tarda pas à suivre sa propre
direction, avec tant de bonbein" qu'il put se faire entend.-e
en môme temps (|ue Paganini lors du premier début de ce
grand artiste a Paris. Quand Bériot revint de Paris dans
son pays natal, il reçut du roi des Pays-Bas le titre de pre-
mier musicien de sa cbambre, avec une pension de 2 ,000 flor. ,
que les événements de 1830, en amenant la séparation de
la Belgique et de la Hollande, lui firent perdre.
Ayant peu après cette époque contracté une liaison in-
time avec la célèbre iMalibran, il la suivit dans les dif-
férentes villes où elle se lit entendre, donnant lui-même
des concerts qui obtenaient le plus grand succès. Revenu
avec elle à Paris, en 1836, il l'épousa aussitôt qu'elle fut
parvenue à l'aire rompre son premier mariage, et partit de
nouveau avec elle pour l'Angleterre, on il eut le mallicur de
la (leidre au bout de quelques mois. De retour sur le con-
lini-nt , il se fi\a dans son pays natal , où il avait acquis une
belle [)ropriété. Il y a dei)uis contracté un nouveau ma-
riage.
Lors delà mort de B a i 1 1 o t , il fut un instant question de
Bériot pour le remplacer au Conservatoire de Paris; mais
f)U jugea peut-être avec raison qu'il était préférabledeclioisir
à ce grand maître un successeur qui continuât son école.
JJériot en lut dédommagé parla place de professeur an Con-
servatoire de Bruxelles, (|nil atlepuiscédée à Léonard, qui,
afirès Vieuxtemps, est le plus distingué de ses élèves. Bériot
a publié beaucoup d'airs variés, (]ui ont obtenu un grand
succès ; et pour répondre au lepiocbe qu'on lui faisait de
se borner à un genre si mescpùn et si unilorme, il a fait
entendre des concertos et autres pères, qui prouvent son
talent de compositeur. Mais c'est surtout comme exécutant
de premier ordrqfiu'il mérite d'être remanpié, et c'est aussi
sous ce rapjiort (\\i"û a fait école. Dans l'andante son jeu
est plein de grandem- et d'expression ; dans les morceaux
de vivacité, il montre de la finesse, de l'originalité, une
parfaite connaissance du mécanisme de l'instrument et
surtout de la conduite de l'archet, ce qui fait qu'on oublie
BERKELEY
volontiers certams traits et certaines formules que les véri-
tables connaisseurs ne trouvent pas toujours d'un goUt irré-
prochable.
BERKELEY (Georges), le vertueux et savant évêqne
de Cloyne, si connu par le système philosophique auquel
on donne le nom iVidéalisme de Berkeley , éiàll né à
Kilcrin, en Irlande, le 1 2 mars 1084. Après avoir reçu la pre- J
inière partie de son éducation à l'école de Kilkenny, il fut "
admis comme pensionnaire au collège de La Trinité de Du-
blin, à l'ûge de quinze ans; et en 1707 il obtenait le titre
ou degré de fcllow dans ce même collège. La première
preuve publique qu'il donna de l'étendue de ses connais-'
sances scientifiques et littéraires fut son Arithmetica absque
Algebra mit Huclide demonstrata. On voit par la pré-
face placée en tête de cet ouvrage qu'il le composa à l'âge
de vingt ans, bien qu'il n'ait vu le jour qu'en 1707. Il le fit
suivre de A Mathematical Miscellany, contenant des ob- '
servations et des théorèmes dédiés à son pupille Samuel
Molynenx.
En 1709 parut la Theory of Vision, qui de tous ses ou-
vrages semble être celui qui fait le plus d'honneur à sa saga-
cité ; car, ainsi qu'on l'a déjà fait observer, ce fut la première
tentative faite pour distinguer les objets naturels et immé-
diats de la vue, des conclusions que nous sommes habitués
dès l'enfance à en déduire. La limite qui sépare les idées
de la vue et du toucher y est marquée avec une admirable
précision ; et l'auteur démontre que bien que l'habitude ail
telhMiient associé ces deux classes d'idées dans l'esprit qu'il
faille ensuite un violent effort pour les séparer l'une de l'autre,
elles n'ont pourtant pas à l'origine cette liaison entre elles ;
qu'au contraire une personne aveugle de naissance qui
recouvrerait subitement la vue serait d'abord complètement
liors d'état de dire comment im objet quelcpjKpie qui affecte
sa vue pourrait affecter son toucher ; et en particulier (jue
la vue no pourrait lui donner aucune idée de la distance oii
de l'espace externe; mais qu'elle s'imaginerait quêtons les
objets sont dans son œil , ou plutôt dans son esprit.
Les Principles of human Knowledge furent publiés en
1710, et les Dialogues between Hylns and Pkilonoûs en
1713. Le but de ces deux dissertations est de démontrer la
fausseté de la notion généralement admise de l'existence de
la matière ; et que les objets sensiblement matériels, comme
on les appelle, ne sont point externes à l'esprit, mais exis-
tent en lui et ne sont rien plus que l'action immédiate de
Dieu, suivant certaines règles qualifiées de lois de la na-
ture. Ce scepticisme touchant la réalité du monde corporel
a sa source dans la doctrine philosophique qui veut que l'es-
prit, être immatériel, ne puisse percevoir directement les
choses matérielles, m.iis seulement les idées de ces choses.
De là le nom iVidéalisme donné au système de Berkeley,
qui une fois admis comme vrai e^t inattaquable. Car si
tout ce que nous percevons sont des idées, ces idées n'ayant
pas d'existence hors de notre esprit, il s'ensuit que le
monde matériel n'est i)lus qu'une hypothèse, dont il devient
à jamais impossible de vérifier la réalité. Mais ce principe
est-il vrai? Reid démontre qu'il doit être jugé absurde par
quiconque n'a pas l'esprit faussé par les rêveries métaphy-
siijues. Il serait bien diflitile de prouver à un homme libre
de tout système <pie le soleil, que la lune, la mer, la terre,
tous les objets immédiats dont il a connaissance, ne sont que
des idérs de son esprit et cessent d'exister du moment où il
cesse d'y penser. Ce système, que combat le sejis commun,
Berkeley l'a défendu non-seulementcomme vrai, mais encore
comme d'une haute importance pour la religion. Dans sa
préface des Dialogues entre Hylas et Philonoùs , il déclare
que les conséquences immédiates des principes qu'il va dé-
velopper .seront la ruine de l'athéisme et du scepticisme.
Force nous est bien de convenir qu'avec celte doctrine il
n'y a plus de matérialisme possible, puisqu'elle ne laisse
plus rien subsister de la réalité corporelle; mais toutes
BKRKELEY
<<»s vérités étant solidaires , la doctrine de Berkeley est en
realité plus nuisible qu'utile aux idées religieuses.
La finesse des aperçus et la beauté de l'iinagination sont
si remarquables dans les œuvres de Berkeley, que sa répu-
tation fut désormais fondée et que chacun recheicha sa
compagnie. Les houimes des partis les plus opposés s'accor-
Jèrent pour le recommander. Il rcilif;,ea pour Steele quel-
ques articles dans The Guardian^ et il reçut chez lui Po|h;
dont il resta toujours l'ami depuis. Swift le reconmianda
au célèbre comte de Peterborougli, qui, lorsqu'il fut nommé
ambassadeur près le roi des Deux-Siciles et les différents
Étals ilaliens, emmena avec lui en 1713 Berkeley à titre de
clia|)elain et de secrétaire. Il revint en Angleterre avec ce
seigneur, l'année suivante.
Les espérances d'avancement qu'il avait pu concevoir
ayant été déçues, par suite de la chule du ministère de la
reine Anne, il accepta à peu de temps de là l'offre que lui
St Ashe, évoque de Clogher, d'accompagner son fils dans
un voyage en Europe. Il y consacra cinq années de sa vie ;
et indépendamment des endroits que tout voyageur ne
manque jamais et qu'il est même tenu de visiter, il alla en
voir beaucoup d'autres où ne pénètre jamais le servum pe-
Cîis, recueillant en route avec une admirable industrie des
matériaux pour une histoire naturelle des contrées par lui
parcourues; malheureusement il les perdit dans la traversée,
en se rendant à Naples. On trouve partout l'anecdote suivant
laquelle, à son passage à Paris, en 1715, Berkeley serait
allé rendre visite àMalebranche, qu'il trouva malade d'une
fluxion de poitrine. La discussion ne s'en établit pas moins
entre les deux penseurs, et Malebranche, dit-on, y apporta
une telle vivacité eu combattant les idées de Berkeley sur
l'inunatérialisnie, que son mal augmenta au point qu'il en
mourut quelques jours après. Quelle mort pour un philo-
sophe ! C'est là le cas de dire : Si non e vero, e ben trovato.
Il était de retour avec son élève en Angleterre en 1721. Il
faut savoir qu'à ce moment les esprits n'étaient pas moins
hallucinés sur les bords de la Tamise que sur ceux de la Seine,
et que de l'un et l'autre côté du détroit on se livrait avec l'en-
tratnementleplusstupide à un monstrueux agiotage sur les
actions de la Compagnie de la mer du Sud. Témoin des mi-
sères individuelles et de la démoralisation générale qui
étaient le résultat de celle aberration, il publia dès la môme
année son ^ssoy towards preventing theruinof Great-Bri-
tain ( Essai sur les moyens de prévenir la ruine de la Grande-
Bretagne), réimprimé depuis dans ses jlifjsceZZfljjeoîw Tracts.
A partir de te moment les portes de la plus grande com-
pagnie s'ouvrirent devant lui. Pope le présenta à lord Bur-
lington, lequel le recommanda au duc de Grafton , nommé
tout récemment lord lieutenant d'Irlande; et celui-ci en 1731
admit Berkeley au nombre de ses chapelains, il consacra
les derniers six mois de cette même année 1731 à se faire
recevoir d'abord bachelier, puis docteur en théologie; et
l'année suivante la mort de mistriss Vanhomrigh, si connue
par son attachement pour Swift, fut très-inopinément pour
lui la source d'un accroissement de fortune. Cette dame avait
^d'abord eu l'intenticn d'instituer pour héritier l'homme
qu'elle aimait ; mais s'étant aperçue qu'il l'avait trompée pour
Stella Johnson, elle déshérita l'inlidèle, et partagea sa fortune,
montant à 8,000 liv. st. ( 200,000 fr.), entre ses deux exécu-
teurs testamentaires. Berkeley , qu'elle ne connaissait que
parce qu'il lui avait été présenté dans le temps par Swift, était
l'un d'eux. En 1724 il obtint, par le crédit du duc de Grafton,
le doyenné de Derry, valant 1,100 liv. st. (27,500 fr.) de
rente. Il s'était marié, et des lors sa carrière paraissait
fixée, lorsqu'en 1728, tourmenté du désir de convertir au
christianisme les sauvages d'Amérique, il s'embarqua pour
Khode-Island, où, sous la dénomination de collège de
Saint- Paul, il fonda un établissement destiné à devenir l'ins-
trument et le moyen de cette conversion. Mais les ressources
sur lesquelles il avait compté lui ayant lait défaut, force lui
■2 1
fut de s'en revonir en Angleterre , en 1732, après avoir
perdu dans cette pieuse entreprise une Durtie de .son avoir.
Cette même année 1732 il publia Alciphron, or the
minute philo<;opher (2 vol. in-8"), ouvrage spécialement
dirigé contre les libres penseius. L'année suivante il fut
nommé évéquc deCloyne; et en 1745 loni Cheslertield lui
offrit de le faire nommer à Tévôclié de Glogher, auquel
étaient attachés <les revenus bien plus considérables. Mais
Berkeley refusa. Il résida constamment à Cloyne, où il s'ac-
quitta avec la plus grande conscience de tous ses devoirs
épi.scopaux, sans pour cela renoncer à ses études favorites.
C'est vers cette époque qu'il engagea avec quelques ma-
thématiciens une controverse qui excita la plus viveattentior,
dans le monde savant. Voici à (|!ielle occasion: Addison avait
transmis à l'cvêque de Cloyne, au sujet de la conduite tenue
à ses derniers moments par leur ami commun le D" Gartli,
des détails qui avaient également affligé ces deux défen-
seurs de la religion révélée. En effet, Addison étant allé
rendre visite au docteur et ayant entamé avec lui une con-
versation des plus sérieu.ses sur l'existence d'un autre
monde : t Assurément, mon cher Addison, lui répliqua le
moribond, j'ai de bonnes raisons pour ne pas croire à toutes
ces sornettes-là, depuis que mon excellent ami le D"" Halley,
qui s'est tant occupé de démonstrations , m'a assuré que les
doctrines du christianisme sont incompréhensibles , et que
cette religion elle-même n'est qu'une immense imposture. »
En conséquence l'évêque crut devoir descendre dans la
lice contre Halley, et il lui adressa, comme à un mathé-
maticien infidèle, un discours intitulé : The Analtjst, dont
le but est de prouver que les mathématiciens ont tort d'é-
lever des objections contre les mystères de la foi, puisque
dans la science ils admettent des mystères bien plus grands
encore et même des faussetés; et il fournissait pour preuve
à l'appui de son assertion la théorie des fluxions. 11 en ré-
sulta de longues di.scussions entre lui et quel(iues-uns des
mathématiciens les [dus éminents de l'époque.
En 1736 l'évêque de Cloyne lit paraître The Querixt (le
Questionneur), discours adressé aux magi.strats à l'occasion
des progrès toujours croissants de l'immoralité et de l'irré-
ligion. Cette publication fut suivie de quelques autres de
moindre importance. En 1744 il [lublia le livre si curieux
et si intéressant qui a pour titre : Siris, a chain of philo -
sophicalrejlections and inquiries concerning Uie vertues
of tar-water ( Siris , ou enchaînement de réflexions et
de recherches pliilosophiques sur l'eau de goudron ) , spéci-
fique contre la colique nerveuse dont il avait lui-même
éprouvé la vertu. Au mois de juillet de la même année , il
vint s'établir à Oxford avec toute sa famille , en partie pour
surveiller de plus près l'éducation d'un fils , mais surtoutafin
de pouvoir satisfaire son goût pour l'étude, qui jamais n'a-
vait été plus vif 11 eût volontiers changé son évêclié pour
un canonicat à Oxford; mais il n'obtint pas la permission
de permuter. Dans cette capitale scientifique et littéraire de
la Grande-Bretagne, il vécut entouré des respects universels,
occupé de revoir et d'imprimer divers petits ouvrages
qu'il avait encore en portefeuille ; mais il ne hii fut pas donné
de goliter longtemps cette vie calme et studieuse , et il mou-
rut subitement, le 14 janvier 1753, à l'âge de soixante-
neuf ans, au moment où il écoutait un sermon que lui lisait
sa femme. La belle âme de Berkeley se réfléchit dans tous
ses écrits, de même qu'il y déployé l'érudition la plus pro-
fonde et la plus variée ; et toute sa vie, si honorable et si
honorée, justifie le témoignage que Pope a porté de lui :
Te Berkeley every virtue under lieaven.
(Berkeley avait toutes les vertus qui existent sous le ciel).
Cène fut que longtemps après sa mort qu'il parut une édition
complète de ses œuvres (Londres, 1784, 2 vol.).
Le second fils de l'évêque de Cloyne, Geonje Berkeley,
né à Londres, en 1733, mort en 1795, commença sous les
4.
28
BERKELEY — BERLIEU
soins (le son pure, (rexcellentes études, qu'il termina à Ox-
ford. Jl entra dans, les ordres, fut clianoine de la caflié-
liiale de Cantorbéry, et devint un bon prédicateur. Il a
laissé quelques sermons imprimés.
RERÏÎELEY (Éus4DETH).ro7/e5 Crwen (Lady).
BERiîIÎEY (Jean LEFRANQ van), l'un des écri-
vains hollandais les plus distingués du dix-liuitième siècle ,
naquit le 23 janviei t729, à Leyde, où il mourut, le :î
mars 1812. Sou [lïsloïre naturelle de la Hollande (4
vol., Leyde, 1769) le fit nommer professeur d'histoire na-
turelle à l'Académie de Leyde. Il ne fit pas preuve de moins
détalent dans quelques dissertations sur l'histoire naturelle,
disséminées dans divers recueils, et aussi dans son grand
ouvrage intitulé : Natuurlijke historié van hct rundvee in
Holland (6 parties avec planches ; Amsterdam, 1805-181 1).
11 n'est pas non plus à dédaigner comme poète ; et bien
qu'on puisse reprocher à ses produclions en ce genre de
l'enflure et du pathos , on y rencontre des passages de la
meilleure poésie, notamment dans son Het verheerlijkt
Lciden, grand pooine composé à l'occasion du 200* anniver-
saire de la fondation de sa ville natale, et dont il donna lui-
même lecture le 4 octobre 1774, dans l'église de riiôjiital ,
aux applaudissements d'une nombreuse assistance. Ses opi-
nions, vivement orangistes, turent pour lui une source de
désagréments et de persécutions, à une époque où la majo-
rité de ses concitoyens attachait une importance extrême à
diminuer les droits et les prérogatives du stalhoudérat. Une
explosion qui eut lieu en 1807, et qui détruisit sa propriété,
afiligea les dernières années de la vie de ce vieillard, et le
reluisît à un état voisin de l'indigence.
BERLICIIÏNGEIV (GoetzouGodekroi de), surnommé
Main-de-Fer, brave chevalier du seizième siècle, qu'on peut
considérer , avec Ulrich de Hutten et Franz de Sickingen,
comme l'un des derniers représentants de la chevalerie du
moyen âge, était né à laxthausen en Wurtemberg, dans le
manoir de sa famille, dont l'origine remontait au dixième
siècle. Son cousin Kuno de Berlicbingen dirigea son édu-
cation, et l'emmena avec lui h Worms, en 1495, pour assister
aux délibérations de ladiète. Attaché à l'élat militaire par ha-
bitude et par goût, il prit du service dans l'armée de l'électeur
Frédéric de Brandebourg, servit ensuite l'électeur Albert V de
Bavière-Munich dans la guerre qu'il eut à soutenir contre le
palatin Rupert pour la succession de Landshnt. C'est dans
cette lutte et au siège môme de Landshut qu'il perdit la main
droite. 11 la lemnbça par une main en fer fort habilement
fabriquée, et qu'on montre encore aujourd'hui au château de
laxthausen. (Consultez une dissertation publiée par Michel :
la Main de fer du brave chevalier de Gcetz de Berli-
chingen [Berlin, 1815; avec planches ]. ) Quand l'empereur
Maximilien réussit à rétablir enfin la paix générale dans
l'empire, Goetz de Berlicbingen se retira dans son manoir.
Mais alors , par suite de l'état agité de ce temps-là, il eut
constamment de sanglantes luttes à soutenir contre tous ses
voisins , les villes impériales riveraines du Neckar et les
châtelains du Kocher; déployant autant de bravoure que de
chevaleresque loyauté dans ces guerres privées , le fléau de
l'Allemagne. Ayant plus tard prêté assistance au duc Ulric
de Wurtemberg contre la ligue de Souabe , il fut fait pri-
sonnier en 1 522 ; et quand le duc eut été chassé de ses États,
il fut obligé de racheter sa liberté moyennant une rançon
de deux mille florins.
Il prit également part à la guerre des Paysans en 1 525,
comme contraint et forcé, à ce qu'il prétend, mais peut-être
bien déterminé par sa passion de guerroyer et aussi par le
désir secret de tirer vengeance de ses vieux ennemis de la
ligue de Souabe. Gœtz de Berlicbingen devint môme le chef
de la bande des insurgés de l'Odenwald ; et ce ne fut pas sans
peine qu'après l'issue malheureuse de cette lutte il parvint
à s'échapper. Mais plus tard, en se rendant à Stuttgard sur
l'invitation de Truchers , cupilaiiie de la Tgru', il f:it assailli
en route par tm parli de ligueurs, qui lui fit prêter le ser-
ment de coin])ara!tre devant la diète toutes les fois qu'il eu
serait sommé. Il fut effectivement mandé à quelque temps
de là à Augshourg , où , après avoir subi une assez longue
détention, il fut condamné à ne pas .sortir de son manoir hé-
réditaire, sous peine, en cas de contravention, de 20,000 flo-
rins d'amende. Gœtz de Berlicbingen mourut le 23 juillet
1563, après avoir encore fait quelques campagnes en Hongrie
et en France. On a de lui une relation exacte de ses aventures,
qui fut imprimée d'abord en 173t à Nuremlierg, et en 1813
à Breslau. La dernière édition est celle qui a été donnée à
Pforziieim par dessert, en 1843. Ce livre est une exceUente
peinture de la vie privée et des mœurs du moyen âge. Gœthe
en a tiré le sujet d'un de ses drames.
BEULIER (TnÉopuiLE, comte), né en 1761, était avocat
à Dijon, sa patrie, quand il fut nommé, en septembre 1792,
député de la Côte-d'Or à la Convention nationale. Savant et
C()ns(;iencieux jurisconsulte, il prit une part Irès-active à
la reformation de notre législation civile et criminelle. Dans
le procès de Louis XVI , il combattit le principe d'inviola-
bilité , considéré dans son application aux actes politiques
de ce prince, et vota pour sa condamnation à la peine capi-
tale, il provoqua le décret d'accusation contre Duchàtel
pour intelligences avec les rebelles. Envoyé en mission près
de l'armée du Nord , à Dunkerque, il donna tous ses soins
aux besoins de cette armée. De retour à la Convention , il
parut rarement à la tribune, et s'occupa presque exclusi-
vement des améliorations de notre droit civil; il fit adopter
quelques changements à la loi des successions ; on lui doit
aussi de sages modifications dans les attributions des tri-
bimaux de famille. Après le 9 thermidor , il proposa la
réorganisation des comités du gouvernement, et fit ordonner
la mise en liberté dea cultivateurs détenus dans les prisons
pour cause politique. L'assemblée, sur son rapport, établit
d'après des données plus équitables la législation sur les
donations et les successions. Nommé membre du comité de
constitution pour la rédaction des lois organiques, il proposa
d'abolir les confiscations prononcées par les tribunaux et
commissions révolutionnaires , et de supprimer immédiate-
ment le tribunal révolutionnaire de Paris.
L'eiiier proposa un système universel d'élections gra-
duelles d'après lequel le principe d'élection eût dominé par-
tout. Ainsi, dans l'ordre administratif, les administrateurs
de district ou arrondissement n'auraient pu être choisis que
parmi les maires , les adjoints ou conseillers municipaux ;
les administrateurs de département, parmi les citoyens
qui auraient été membres d'une administration de district.
La même candidature graduelle aurait eu lieu dans l'ordre
judiciaire. Un magistrat n'aurait pu être élu membre du tri-
bunal de cassation qu'après avoir exercé les fonctions déjuge
«Il paix et de juge d'un tribunal civil ou criminel. Les législa-
teurs auraient été choisis parmi ceux qui auraient parcouru
tous les degrés dans l'ime ou l'autre partie de l'adminis-
traiion publique; des hommes spéciaux et d'une capacité
é])rouvée auraient été ainsi seuls admissibles à toutes les
fonctions.
L'opinion de Berlier ne fut pas adoptée. 11 fut plus heu-
reux en s'opposant au jury constitutionnaire de Sieyès.
C'était encore là un sénat conservateur, et l'on sait que
l'iHicien sénat n'a rien fait pour conserver la constitution
qui l'avait créé. Une nation ne doit s'en remettre qu'à elle-
même du soin de maintenir ou de perfectionner ses insti-
tutions : c'est poiu- elle un droit et un devoir. Tout le prin-
ciiic de souveraineté nationale est là. Berlier est resté fidèle
à (-e principe et à son mandat dans toutes les opinions qu'il
a émises à la tribune delà Convention nationale. Il présidait
cette assend)lée lorsqu'une section de Paris (celle des Arcis)
vint demander que l'assemblée tenninât sa session : Beiliei
rappela aux pétitionnaires l'inconvenance et l'inconstitu-
tioiinalité de leur prétention, et déclara que la Convenjion
J
BERLIER
nationale tenait son mandat Je la nation elle-même, et qu'elle
conserverait le pouvoir constituant jusqu'au moment où le
vœu (le la nation serait constitntionnellement constaté. 11
pensait aussi que les citoyens armés ne cessent pas d'être
citoyens : défenseurs des droite de tous, ils ne doivent pas
cesser d'en jouir. Il lit décider que l'armée serait appelée à
exprimer son vote sur la constitution. Les délibérations des
cainps et des garnisons s'ouvTirent et se terminèrent avec
calme et dignité.
Il avait été membre du comité de salut public après le
n Ihermidor et réélu député lors de la mise en activité de la
constitution de l'an III. Il se montra dans le Conseil des Cinq
Cents tel qu'il avait été à la Convention , toujours étranger
à re>prit de parti ; il s'opposa avec une constante énergie
aux déplorables excès de la réaction, et, sur sa proposition,
les prévenus d'émigration provisoirement rayés furent admis
à voter dans les assemblées primaires. La session législative
terminée, il remplit les fonctions de substitut du commis-
saire du Directoire (avocat général) près de la cour de cas-
sation.
Les suffrages de ses concitoyens le rappelèrent au Conseil
des Cinq Cents, dont il fut élu secrétaire. Il se démit immé-
diatement de ses fonctions de substitut. La réaction avait
fait d'efirayants progrès. Le Directoire, avec son système de
bascule, ses hésitations, croj"ant faire de la force quand il ne
faisait que de l'arbitraire, avait contre lui tous les partis;
toutes les assemblées électorales s'étaient fractionnées; de
scandaleuses scissions s'étaient partout manifestées ; la
liberté de la presse n'était plus qu'une déception; les prin-
cipes n'avaient plus d'organes ; les journaux n'ouvTaient
leurs colonnes qu'à une polémique toute de personnalités.
Derlier proposa diverses mesures pour ramener cette puis-
sance nouvelle à la dignité, à l'indépendance de son insti-
tution , et lui garantir le libre contrôle des actes du gou-
vernement; il ne voyait de délit que dans la c;domnie :
ainsi, la presse rentrait dans le droit commun, et, conservant
tons ses avantages, n'était passible de répression que dans
.ses attaques contre les personnes, quand ces attaques bles-
saient la vérité. H parvint à faire rapporter l'article de la
loi du 19 fructilor qui avait placé la presse soas la censure
du Directoire, et prit une grande part à la discussion sur la
nouvelle organisation des sociétés patriotiques qu'on appela
cercles constiùidonnels.
Herlier, après le 18 brumaire, fut nommé conseiller d'Etat
et ensuite président du conseil des prises, membre de la Lé-
gion d'Honneur et comte de l'empire. Il s'était pourtant,
comme conseiller d'État, opposé à l'institution de la L ég t o n
d'Honneur, disant que l'ordre proposé conduisait à l'aris-
tocratie. « Les croix et les rubans, avait-il ajouté, sont les
hocliets de la monarchie, » mots souvent répétés depuis. Il
contribua beaucoup à la rédaction des nouveaux codes; il
présenta plusieurs projets de loi sur la réorganisation de la
Cour de cassation , et soutint la discussion de ces projets de
loi au Corps législatif contre les orateurs du Tribunat. Après
la suppression arbitraire du Tribunat par Napoléon, il
continua ses fonctions au Conseil d'État; fut révoqué en
1814, et reprit ses fonctions en 1815. En 1816 il fut compris
dans ce qu'on appelait la loi d'amnistie, et, banni comme
conventionnel , il se retira à Bruxelles, où il se consacra
pendant son exil à de longues et laborieuses études histo-
riques. Il publia en 1822 un Précis historiqjie de l'an-
cienne Gaule, 1 vol. iu-8°. Il s'était arrêté à l'invasion des
Gaules par Jules César; il continua plus tard sou excellent
travail, et en publia la suite, qui lorme une histoire com-
plète de cette période si féconde en grands événements.
Après la révolution de 1830, M. Berlier attendit, pour
rentrer sur le sol de sa patrie, que Louis-Philippe eût abrogé
l'ordonnance qui l'avait banni. Retiré dans sa propriété avec
sa jeune famille, qui avait grandi dans l'exil, il poursuivit ses
utiles travaux d'histoire et de législation. Pendant son long
BERLIN
29
séjour à Bruxelles, il avait rédigé pour V Encyclopédie mo-
derneles articles Code civil, Code criminel et d'autres non
moins importants, qui se font remarquer par une profonde
érudition et par un rare talent d'analyse. Berlier, qui était
correspondant de rAcadéniic des Sciences morales et poli-
tiques, section de législation, est mort à Dijon, le 12 sep-
tembre 1844, à làge de quatre-vingt-trois ans.
DuFEY (de l'Yonne).
BERLIN , capitale du royaume de Prusse, résidence
ordinaire du roi, et siège de toutes les autorités supérieures.
Cette ville, remarquable par la beauté et le grandiose de ses
édifices publics, par la régularité de ses rues, par l'impor-
tance de ses établissements scientifiques et artistiques , par
l'activité de son industrie et de son commerce, qui en font
une des plus considérables et des plus belles cités de l'Europe,
est bâtie dans une plaine sablonneuse, sur les rives arides de
la Sprée, et se compose, à bien dire, de six villes différentes,
qui avec le temps en sont arrivées à n'en plus former qu'une,
à savoir : Berlin proprement dit, Cologne-sur-la-Sprée
(Kœlln-an-der-Spree), Friedrichswerder , Neustadt ou
Dorotheenstadt, Friedrichsstadt et Friedrich- Wilhelmsfadt.
Elle porte par conséquent jusque dans l'histoire de son
origine le type de la formation de la Prusse elle-même,
résultat de la lente agglomération de diverses parties long-
temps séparées pour arriver à former un tout formidable.
Les opinions sont partagées au sujet de l'époque de la fon-
dation de Berlin et de Kœlln , les diux plus anciens quar-
tiers, ainsi que sur la signification du nom même de Berlin,
mot que les uns traduisent par sol désert et boisé, comme
venant de la langue des Wendes, et que les autres dérivent
de la langue des Celtes, dans laquelle il siguilierait vaste
plaine. Les recherches les plus récentes désignent, avec une
grande probabilité , comme fondateur de ces deux villes le
petit-lils du margrave Albert lOurs, Albert II, qui régnait
de 120G à 1220. Mais il ne reste plus aujourd'hui qu'un liien
petit nombre d'edilices dont la construction remonte au
treizième siècle; entre autri:s, ii faut citer les églises du
cloître, (te Siiint-Nicolas et de iSoIre-Dame (Kloster-Aicolai-
Marien-Kirc/icn). L'IiCtelde ville, autrefois habité parles
majgraves, n'a de remarquable que son ancienneté.
De ravénenit-nt de la maison de Hohcnzollern date
un [irogres remarquable dans l'histoire architecturale de
Berlin. L'électeur Fré;!éric II aux Dents de fer construisit
en 1442 à Berlin un château sur l'emplacement duquel
s'élève le château actuel , et l'électeur Jean-Citéron lit de
cette ville la résidence habituelle de sa cour. On fient con-
sidérer comme le second fondateur de IJerlin Frédéric-Guil-
laume, dit le Grand Electeur, qui non-seulement l'embellit
beaucoup, mais encore l'accrut singulièrement (I6âs à 1681),
surtout en y attirant de nombreux colons, émigrés français
pour la plupait. Aussi la population s'en élevait-elle déjà
de son temps à 20,000 âmes. C'est ce prince qui fonda la
bibliothèque royale actuelle, la galerie de tableaux, le musée
des antiques, ainsi qu'un grand nombre d'églises et d'écoles
donnant ainsi fimpulsion première à la culture des lettres ,
des sciences et des arts, qui depuis lors a toujours pris plus
de développements. C'est encore lui qui, en 1699, transforma
sous la direction de l'architecte Schluter, la masse confuse
de bâtiments de styles différents dont se composait l'ancien
château , en un tout formant le château actuel. On lui doit
aussi l'Arsenal, édifice d'une bonne architecture, commencé
parNehring, en 1695, et terminé en 1706 par Jean de Bodt.
Il agrandit considérablement les faubourgs, et donna de
plus en plus l'aspect d'une capitale européenne à la ville
de Beriin , dont , sur la fin de son règne, la population at-
teignait déjà le chiffre de 50,000 âmes.
La construction colossale du château royal fut terminée
en 1716, sous Frédéric-Guillaume F', par l'architecte Bœhm.
On continua également alors à bâtir la Friedrichsstadt, où
vinrent s'établir, surtout à partir de 1727, un giand nonibre
su
BERLIN
lie Bohômcs fuyant la persécuUon religieuse, et qui, en 1737,
y construisirent nneéglise particulière à leur usage. Les autres
quartiers de la ville participèrent à ce mouvement continuel
«f'Mccroissement, et c'est de cette époque que datent les places
rie Dœnhof , de Belle-Alliance et de Paris, ainsi que la
construction de la plupart des liôtels de la Wilhemsslrasxe
et du palais déjà commencé sous le règne du grand électeur
par l'architecte Nehring pour servir de demeine au maréchal
de Schoenberg, et où mourut, le 7 juin 1840, le roi Frédéric-
Guillaume 111. A cette époque Berlin comptait déjà 90,000 ha-
bitants.
Sous le règne de Frédéric le Grand, Berlin fut enrichi des
plus magnifiques palais et édifices en tout genre. On cons-
truisit de 1741 à 1742 la salle de l'Opéra, l'un des plus beaux
monuments d'architecture de la ville; l'église catholique,
achevée en 1775, sur le plan du Panthéon; les deux tours
aes Gendarmes, dont le roi donna l'idée d'après le modèle
des églises de la Piazza del Popolo, et qui sont aujourd'hui
complètement restaurées ; le bâtiment de l'Université (ci-de-
vant palais du prince Henri ), construit pendant la guerre de
Sept Ans; la cathédrale, terminée en 1748, et diverses autres
constructions qui, avec la création du Parc ( Thïergarten)
contribuèrent essentiellement à embel I i r la v ille. Le commerce
et l'industrie y prirent aussi de notables développements.
En 1751 on y établit la première raffinerie de sucre. La fon-
dation de la Banque et de l'Institution de commerce mari-
time, ainsi que d'autres grands établissements industriels, eut
lieu ensuite. A la mort de Frédéric le Grand on comptait à
Berlin 145,000 habitants. Sous le règne de Frédéric-Guil-
laume II, qui, de 1789 à 1793, fit construire la Porte de Bran-
debourg, le château de Monbijou et divers autres édifices,
les fabriques et les manufactures, notamment celles de soie
et de coton, firent de remarquables progrès.
Frédéric-Guillaume III contribua cependant bien autre-
ment encore que tous ses prédécesseurs à donner à la ville
de Berlin le caractère grandiose d'une capitale, par la cons-
truction d'une foule d'édifices et de monuments publics, de
môme que par les améhorations de tout genre opérées dans
l'ensemble même du chef-lieu de la monarchie. Une nou-
velle ère architecturale s'ouvrit pour Berlin à la suite des
guerres de 1813 et 1815, sous l'habile direction de l'archi-
tecte Schinkel. Le premier monument qu'il ait construit fui
le nouveau théâtre; vinrent ensuite le INIuseum, bâti sur un
ancien lit de la Sprée consolidé au moyen de 8,000 pilotis ,
l'église de Werder, l'école d'architecture, et une foule de
constructions jjarticulières. C'est aussi sous le règne de Fré-
déric-Guillaume que fut inaugurée, le 15 octobre 1810, la
nouvelle université fondée par ce prince dans la capitale de
ses États. A la mort de ce souverain, le chiffre de la popula-
tion de Berlin était de 330,230 habitants.
Parmi les constructions nouvelles terminées sous le règne
de Frédéric-Guillaume IV, il faut surtout mentionner la nou-
velle École royale Vétérinaire de la Luisenstrasse, et parmi
celles auxquelles on travaille encore en ce moment le nou-
veau Muséum ; la nouvelle cathédrale, élevée sur l'empla-
cement de l'ancienne, qui mettra en communication, au
moyen d'une magnifique colonnade, le château avec l'ancien
Musée, et qui contiendra un Campo-Santo, orné de fresques
par Cornélius; enfin le magnifique hôpital de Béthanie, qui
s'élève dans la plaine de Kœpnick. Le monument à la nié-
moire de Frédéric le Grand, élevé à l'extrémité des Tilleuls,
dont la première pierre fut déjà posée sous le règne de Fré-
déric-Guillaume III, et qui a été exécuté par Raucli dans
le style le plus grandiose, a été inauguré le 31 mai 1851, jour
anniversaire de l'avènement du roi actuel au trône. L'incendie
de la salle de l'Opéra, arrivé dans la nuit du 18 au 19 août 184:5,
donna lieu à de notables améliorations et embellissements du
plan primitif, et dont le roi lui-même fournit l'idée. Dès 1844
avait lieu l'ouverture de la nouvelle salle. Les travaux en-
trepris pour transformer en jardin ïoologiquc la ci-devanl
faisanderie dans le Thiergarlen et le Friedrichsham , en
avant de la nouvelle Porte du Roi , sont aujourd'hui complè-
tement achevés. Les constructions entreprises dans la plaine
de Kupnick ont pris également l'essor le plus vaste et le
plus rapide , et forment peut-être à présent la moitié de
tout Berlin. Le recensement général, opéré à la fin de 1849,
donnait un chiffre total de 13,398 maisons, 37 églises, etc.,
et de 401,154 habitants, dont 380,839 protestants, 10,737 ca-
tholiques, 14 mennonites et 9,535 juifs Cette population
est incontestablement d'origine wende ou slave; mais à la
suite des nombreuses immigrations qui sont venues succes-
sivement l'accroître, elle a subi de fortes modifications. En
ce qui touche le nombre des habitants , Berlin est la sep-
tième ville de l'Europe, et n'est primée que par Londres,
Paris, Constantinople, Saint-Pétersbourg, Vienne et Naples;
encore ces deux dernières villes n'o;it-elles peut-être pas
une population réellement plus nombreuse. Sous le rapport
de la superficie, elle est à Vienne (y compris les faubourgs),
comme cinq est à six, et à Paris comme un est à deux. L'é-
lévation du sol de IJerlin au-dessus du niveau de l'Océan
e.st de 120 à 150 pieds.
Berlin est aujourd'hui divisé en neuf quartiers : Berlin,
le vieux et le nouveau Kœlln, le Friedrichswerder, la Lui-
senstadt, la Dorotheenstadt, la Friedrich-Wilhelmstadt, le
quartier de Spandau , la Kœnigstadt et le quartier de Stra-
lau ; à quoi il faut ajouter les faubourgs de Rosenthal et
d'Oranienburg.
Les édifices les plus importants du quartier de Berlin
sont le Château, dont il a été fait mention plus haut, occupé
aujourd'hui par diverses administrations et caisses pLibli-
ques, la poste, l'hôtel de ville, le tribunal municipal, l'É-
cole militaire générale , l'École des Cadets , le Gymnase du
Grauen Klosler. le Gymnase du Joachimsthal, transféré à
Berlin en 1655; le palais Provincial (Landscha/tsgebwude)
où se réunissaient les États provinciaux du Brandebourg et
de la basse Lusace; l'église Notre-Dame { Marienkirche )
avec sa tour haute de 286 pieds, l'église Saint-Nicolas et
l'église de la Garnison.
Dans le vieux Kœlln (nom dérivé du wende Koll,
Kollne, poteau, pilier, parce que la plupart des maisons da
cette partie de la ville sont construites sur pilotis), on trouva
le château royal, situé entre la place du Château , le parc,
la Sc/ilossfreiheit et la Sprée, et où se trouvent le Musée
et autres collections précieuses. A la suite du château on
découvre le pont de l'Électeur, nommé aussi le Long-Pont,
à cause de son ancien développement sur la Sprée, qui jadis
était beaucoup plus large en cet endroit qu'aujourd'hui. 11
unit le vieux Koelln au quartier de Berlin, et est décoré de
la statue équestre du grand électeur, modelée parSchluter,
fondue en bronze par Jacobi, et inaugurée le 3 juillet 1703.
En face du château est situé le parc, avec le Muséum, où l'on
a réuni la plus grande partie des trésors artistiques dis-
persés autrefois à Berlin et à Pot.sdam. Derrière se trouve
le nouveau Musée. Une coquille colossale en granit du poids
<le 1,500 quintaux, placée dans l'axe du Muséum, orne le
l)arc, où l'on voit aussi un jet d'eau de 45 pieds de hauteur
alimenté par une machine à vapeur qui se trouve près de
la Bourse.
Les monuments les jilus remarquables du Friedrichswer-
der sont : l'église du Werder, construite dans le style go-
thique du moyen âge, achevée en 1830, sur les plans de
SchinKel, ornée avec un goiH infini, à l'intérieur, d'un tableiu
d'autel par Begas et tles Qtiatre ÉvangéHstcs par Scha-
dow, mais où l'on regrette de trouver quelques défauts
acoustiques; l'Arsenal, l'un des i)lus beaux monuments de
rj\llemagne, formant un carré régulier et isole , avec le buste
en bronze du roi Frédéric I"', iilacé dans son portail et des
têtes de guerriers mourants exécutées en haut relief par
Schluler au-dessus des vingt et une fenêtres de l'étage in-
férieur; le palais du roi, le palais des princesses, la
I
}îr'''.ni1<3 t^arJo du roi , constniite d'après le plan de Schinkel
en forme d'ancien camp romain, entourée des deux côtés des
statues en marbre de Carrare de Scliandiorst et de Dulow,
deux cliefs-d'oGUvre dus au ciseau si puissamment original
de l'illustre Raucli. En face, sur la petite place de l'Opéra,
s'élève lastattie en pied de Bluciier, de vingt-sept pieds de
hauteur, exécutée en bronze d'après le modèle de Raucli, et
inaugurée le 18 juin 1326. C'est là aussi que se trouvent
situés l'Académie de chant, le pont du Château, long de cent
cinquante-six pieds et large de cent, et la Monnaie.
Le quartier le plus beau et le plus régulier de la ville est
la Friedrichstadt, où Ton voit la Friedrichsstrasse, qui a plus
de 1,200 mètres de longueur; la belle Leipzigerstrasse, la
non moins belle Wilhelmsstrasse , et la suiierbe place Wil-
helm, ornée de six statues en marbre élevées à la mémoire
du vieux Dessau, de Schwerin, de Winterfeldt, de Keith,
de Ziethen et de Seydlitz, ces hommes qui ont laissé de si
belles pages dans l'histoire militaire de la Prusse. Parmi les
édilices les plus remarquables de la Friedrichstadt, mention-
nons : le théâtre, situé dans le marché aux Gendarmes, cons-
truit sur les dessins de Schinkel, en remplacement de la
salle détruite en 1S17, par un incendie, et qui contient une
belle salle de concert; l'église catholique, la Fondation de
Louise, la manufacture de porcelaines , les hôtels de diffé-
rents ministères, et la Poi1e de Leipzig, monument de cons-
truction toute récente et du meilleur goût.
Dans la ville neuve ou Dorotheenstadt, ainsi appelée de
l'épouse du grand électeur, est située la promenade favorite
des Berlinois, /es Tilleuls, allée longue de plus de cinq cents
mètres sur vingt-quatre de large, et contenant quatre ran-
gées d'arbres. En fait d'édifices, on y remarque : le palais
du prince de Prusse, construit, de 1834 à 1836, uniquement
avec des matériaux provenant du sol prussien, par Lang-
hauns, qui a su admirablement tirer parti du petit espace
de terrain mis à sa disposition; les bâtiments de l'Univer-
sité, la Bibliothèque, l'Académie, l'École d'Artillerie et du
Génie, l'Opéra, et la Porte de Brandebourg, haute de quatre-
vingts pieds, large de cent cinquante-six, et pourvue de
cinq portiques, construite par Langhauns, de 1780 à 1793,
sur le plan des Propylées d'Athènes, avec la Victoire dans un
quadrige , que les Français transportèrent à Paris pour en
orner l'arc de triomphe de la place du Carrousel, et que la
victoire ramena à Berlin en 1815. En avant de la Porte de
Brandebourg est situé le Thiergnrten, la plus fréquentée et
la pins belle partie des environs de Berlin , parc d'environ
sept cents perches de long sur deux cent (juatre-vingts de
largeur, où l'on trouve les plus charmantes promenades,
une foule d'élégantes villas appartenant aux riches Berlinois,
et le beau monument élevé à la mémoire de Frédéric-Guil-
laume m , sur les dessins de Dnike.
IJans la Luisenstadt, appelée autrefois Kœllnische ou
Kcppnicker Vo)vtadt, demeurée jusqu'à ce jour la partie
la moins peuplée de la ville, on trouve dans la Linden-
strasse le Kammergertcht (tribunal de la chambre), vulgai-
rement appelé maison du collège, où siègent le tribunal su-
prême secret, le Kammergertcht, et le collège des Pupilles
de la Marche électorale. En avant de la Porte de Halle on trouve
l'établissement de la compagnie anglaise pour l'éclairage au
gaz, l'une des succursales fondées sur le continent par la
grande association impériale et continent;de de Londres pour
l'éclairage au gaz. Sur le mont de la Croix ( Kreuzbcrg), qui
s'élève en face de la Porte de Halle, on aperçoit le monu-
ment élevé en 1821 en commémoration des glorieux évé-
nements de 1813 et 1815. 11 consiste en un baldaquin en
forme de tour, et fondu d'après les dessins de Schinkel dans
les ateliers delà fonderie royale de fer, avec douze chapelles
consacrées aux douze principaux faits d'armes de cette lué-
rncrable époque.
Sous le rapport de la vie intellectuelle et scientifique , qui
suit les dii'ections les plus di\eiscs, et y produit partout les
BERLIN sf
plus brillants résultats, Berlin peut être appelée la grande
serre-chaude de l'inteUigence humaine. Pas de tendance ^
pas de faculté , pas même de déviation de la science et de
l'esprit humain, qui ne s'y trouvent puissamment repré-
sentées. Rien de plus imposant que de voir fonctionner ce
vaste ensemble d'institutions scientifiques, trouvant constam-
ment de nouveaux éléments d'activité dans la libérale solli-
citude d'un gouvernement éclairé, qui ne recule devant
aucune dépense pour accroître les ressources et les moyens
d'instruction. L'université de Berlin a fait déjà époque dans
diverses branches de la science, et parmi ses professeurs on
compte quelques-uns des hommes les plus justement célè-
bres de l'époque contemporaine.
Dans la faculté de philosophie , qui , par les glorieux tra-
vaux des Fichte et des Hegel, exerça une si décisive
influence sur les développements de la philosophie alle-
mande, la chaire rendue vacante par la mort de ce dernier
est occupée par Gabier, l'un de ses élèves ; mais l'éclat dont
brillait jadis l'enseignement philosophique de l'université
de Berlin a singulièrement diminué. L'ingénieux Steffens
n'est plus, et jusqu'à ce jour Schelling, qui depuis 1842
fait partie du personnel enseignant de l'université, y a exercé
une médiocre iniluence. La faculté de théologie, si rude-
ment éprouvée par la perte d'abord de Schleierraacher,
puis de Marheinecke, et tout récemment de N eander, cet
homme si pratique, et qui connaissait si bien le chemin de
l'âme, ne suit plus d'autre direction que celle de Hengsten-
berg, de Strauss et de Twesten. Nilzsch, ce penseur si pro-
fond, appelé de Bonn pour remplacer Marheinecke, incline
dans son enseignement vers des tendances plus philosophi-
ques. La faculté de droit nous présente les noms de Ho-
meyer, Heiïter, Lancizolle, Rudortf, Stahl, Keller et Richter.
Élève de Schelling, Stahl a été nommé eu remplacement de
Gans d'Erlangen, mort en 1838; mais l'absence de son
prédécesseur n'est pas moins sensible que celle de Savigny,
dont la nomination aux fonctions de ministre secrétaire
d'État de la justice a été une perte si douloureuse pour l'uni-
versité. Dans la philologie, Bœkh et Bekker, de même que
parmi les germanistes les frères Grimm, sont des noms
entourés de l'estime générale. La philologie latine déplore
encore la perte de Lachmann et de Zumpt, auxquels on a
bien pu donner des successeurs, mais qu'on n'a pas rem-
placés. L'étude de l'archéologie, favorisée par des collections
d'une richesse immense, est surtout cultivée par Gerhard et
par la Société archéologique, dont il est le président. Pour les
études relatives à l'Orient, et notamment pour les langues
orientales, Bo|>p peut être regardé comme le créateur d'une
école particuliire. Ruckert, si connu comme poète et
comme orientaliste, le seconde dans ses efforts , sans tou-
tefois posséder un talent de professeur bien saillant. R an ke
et Raumer enseignent Thistoire; Ritter, la géographie ;
Ohm et Dirichlet, les sciences mathématiques; Encke, l'as-
tronomie; Lichtenstein, Mitscherlich, Rose, SchuLerth ,
Dove et Ebrenberg, les sciences naturelles, la physique et
la chimie.
La faculté de médecine continue à briller d'un vif éclat,
grâce aux noms de Schœnlein, de Muller, de Jungken, de
Langenbeck, appelé à succéder à l'ingénieux Dieffen-
bach, etc., etc., de même que par la parfaite organisation
des établissements accessoires qui en dépendent, tels que le
jardin botanique, situé hors de la ville, à Schimberg, l'am-
phithéâtre d'anatomie, le muséum d'anatomie et de zoologie,
le cabinet de minéralogie, la clini(]ue, la maison d'accouche-
ments, etc. Le séminaire théologi(iue et philologique sert à
former de jeunes théologiens et de jeunes philologues.
Le nombre total des étudiants des diverses facultés s'est
élevé, pendant le semestre d'été de l'année 1850, à 1,8.34, qui
suivaient les cours de cinquante-sept professeurs ordinaires,
de quarante-quatre professeurs agrégés , de cinquante-neul
professeurs honoraires, de cinquante-neuf professeurs parti-
32 BERLIN — BERLINE
ciilieis , de scpi niaîlres cl lecteurs , en tuut par conséquent
de cent soixante-douze professeurs académiques.
l'arini les étahlisseineîits destinés à faciliter l'instruction
générale, la bibliotlièque royale occupe incontestablement
le premier ranj;. Placée depuis la mort de Wilken sous la
direction du bibliothécaire en chef Pcrtz, elle contient plus
de 5t)0,000 volumes, ime précieuse collection de manuscrits,
et a pour annexe une division particulière de la bibliothèque
(le l'Université, où l'on a eu soin de réunir les divers ou-
vraj;es les plus nécessaires aux besoins des diverses tacullés.
lîeriin possède en outre une Aca(!(''U)ie des sciences et des
arts, six gymnases, une école polytechnique et une école
d'arcliitecture, deux séminaires destinés à former des ins-
tituteurs et des institutrices , un autre pour former des mis-
sionnaires, une école pour les chirurgiens militaires, une
école militaire, une école d'artillerie, une école du génie,
neuf écoles de métiers, plusieurs écoles du dimanche et
bon nombre d'écoles particulières. Grûce aux nombreuses
sociétés savantes existant dans cette capitale, la science sert
comme d'un nouveau lien social, et pénètre ainsi de plus eu
jilus directement dans le cercle daclion de la vie réelle. On
<îoit mentionner surtout la Société des Amis de la Nature,
la Société. Pliilomalhique, la Société de l'Humanité, la So-
ciété Berlinoise pour la langue et l'archéologie allemandes ,
l'Association artistique des Sciences, la Société de Géogra-
phie, la Société Pédagogique, etc., etc. Que si ces diverses
associations semblent concentrer la vie scientifKnie de
Berlin dans la science pure, des cours publics ne laissent
pas que de la faire pénétrer également dans les cercles
éclairés de la société. Ils sont faits surtout dans l'Association
scientifique par Raumer, Lichtcnstein,Ruter, Dove, Ehren-
berg, Encke, etc.
Les arts ne sont pas cultivés avec moins do soin h Beilin
que les sciences, et leurs progrès sont favorisés par des
hislitutioas et des associations (!(! toiit genre La cons-
truction incessante dans la capitale d'édilices du meilleur
goût, le grand nombre d'ariistes distingués et les idées éclai-
rées du public jirovoquent et projKigent continuellement
l'amour de l'art. Les ateliers de Raucli, deWichmann, de
Drake, de Kiss, de Magnus, de IJegas et de Cornélius sont
toujours libéralement ouverts au\ amis des arts, et une ex-
position des beaux-arts a lieu tous les deux ans dans les
bâtiments de l'Académie. L'ancien Muséum contient en outre
les trésors artistiques des châteaux royaux, les galeries de
tableaux de Giustiniani et de Solly, la collection de vases
antiques de KoUer. On a placé dans le nouveau musée
égyptien les collections égyptiennes d'objets d'art et d'an-
tiquité de PassakKupia et de Miuutoli , en uième temps que
les acquisitions, bien autrement riches encore, provenant de
la grande exp('diliou faite en Egypte sous la direction de
Lepsius. Les si riches cabinets de Wolff, du consul Wa-
j^ener et du comte Raczynski forment autant d'exj)ositions
permanentes. Li population témoigne d'un goût décidé pour
ia muslipie , et cet art est en possession de charmer les
loisirs des classes inférieures même de la société. En tête
des associations nuisicales, il faut mentionner l'Académie
de Chant, fondée en 17'.)0 par Fasch, et en possession d'exé-
cuti'V avec une inconiparable perfection, dans de grandes so-
lennités plus parliculièrement , de la musique sacrée et les
oratorios des grands maîtres allemands. Deux associations
de chant de table, en hiver les soirées musicales données
par les diverses notabilités de l'art , et une foule de sociétés
<ie mirsiqiie vocale cf. inslruniciiii'.le, (ont les d('iices de tons
«■eux qui aiiiM'iit l'Iiarmonie. L'Opéra et le Théûtre-Royal, ce
«■Icriiier illustré aiitrelois par Fleck, Wolff et Devrient, et à
qui [dus tard M""" Crel'nger et Scydelman, mort en 1843,
donnèrent un nouvel éclat, laissent encore sans doute beau-
coup à désirer; ceiiendant il y a aujourd'hui amélioration et
progrès sensibles dans l'un et l'autre <le ces établissements,
puisipie le baiiel a cussi' «l'être leur grande et unioue préoc-
cupation. Une trou|)e française, qui pendant neuf mois de
l'anni^ donnait des représentations au Théàtre-Royal , a
charmé jusqu'en 184s un public d'élite, devant lequel elle
a exploité le répertoire si varié du théâtre de Paris , et monté
de remarquables ouvrages lyriques. Le théâtre de la Kœnigs-
stadt, fondé en 1824, placé sous une direction particulière
indépendante, et dont Henriette Sontag a fait les beaux
jours, était singulièrement déchu. Une trouped'opéra italien,
formée et engagée en 1841, y rappela passagèrement un pu-
blic choisi; mais il a fallu finir par le fermer en 1851.
Le commerce et l'industrie sont aussi en progrès cons-
tants à Rerlin depuis plusieurs siècles. La Société pour la
protection del'industrieen Prusse favorise l'essor de l'indus-
trie nationale par les jirimes qu'elle offre à la concurrence
soutenue contre l'étranger, et aussi par les expositions
qu'elle org.misetous les {piatreans. L'abolition des jurandes
et des maîtrises, qui date de 1810, permet à l'activité in-
dustiielle des habitants de se développer librement dans
toutes les directions. Le commerce y acquiert chaque jour
|>lus d'importance; des banques, des compagnies d'assu-
rances, des sociétés pour le commerce maritime, pour ia
navigation à vapeur, pour la navigation de l'Elbe, une foule
de fabriques et de manufactures, plusieurs foires annuelles
en activent et en facilitent les transactions. Les fabriques li-
vrent surtout à la consommation des draps, des tapis , des
étoffes de soie et de colon, des toiles, des papiers de tenture,
des papiers à écrire et d'itnpression, des porcelaines, des
objets de joaillerie et de bijouterie, de la quincaillerie fme,
des instiuiiients de chirurgie, de mathématiques, d'optique
fct de musique. Les chemins de fer qui mettent Berlin en
coumnmicatioii avec tant d'autres grandes villes de l'Aîle-
magne , par exemple avec Leipzig, Magdebourget Dresde,
par le chemin de Cc-rlin à Aulialt, et aussi par ceux de Pots-
dam, de Stettin, de Francfort et de Hambourg, ont exercé
une influence puissante sur la prospérité commerciale et in-
dustrielle de Berlin.
PcMini les établissements de charité que possède cette ca-
pitale, il faut citer en première ligne la Charité, ou l'on
reçoit des malades de toute espèce, qui pour la plupart y
sont traités gratuitement, et dont dépendent un établissement
pour les aliénés et une maison d'accouchements; et en-
suite le grand hôpital de Béthanie, dont il a déjà été fait
mention. L'Institut de Salut civil {liurgerrettungintistut),
fondé en 17'tG par le conseiller intime Baumgarten, vient en
aide aux habitants pauvres, en leur faisant des avances pour
faciliter leur industrie. Citons encore les différents hospices
d'orphelins, l'établissement de Wadzeck, fondé par le
piolésscur Wadztck [)our recueillir et élever des enfants
pauvres ; l'éiablissement pour les aveugles fondé par Zeune;
la maison des lnvali<les; un grand nombre d'écoles indus-
trielles et d'écoles pour les petits enfants, la caisse d'épar-
gne, etc. La grande Société biblique prussienne a élé
fondée en 1814, à l'effet de distribuer des Bibles parmi les
classes pauvres.
Le ly novembre 1808 Berlin obtint une constitulioR
municipale en vertu de laquelle elle administre elle-méuie
SCS intérêts. L'introduction de la nouvelle loi sur l'organisa-
tion des coumnmes devra singulièrement modifier l'adminis-
tration urbaine actuelle , de même que la physionomie
g;nérale de Berlin a aussi bien changé à la suite des catas-
tropiies qui ont marqué ces dernières années, et dont le
coMunerce et l'industrie n'ont pas laissé que de recevoir le
conhe-coup.
!}i:»LlN ( Bleu de ). Voyez, Bled de Prusse.
1BEÏIL1J\'E , voiture légère , suspendue à ressorts, posée
sur deux brancards et souteime par des soupentes, douce
et commode en voyage, recouverte d'une espèce de capote
ou manîelet, qu'on abaisse pour le mauvais teinps, cl qu'on
relève ipiaïul il fait beau et -.^u'on veut jouir de l'air et i!e
la vue.
I
BERLINE — BERLIOZ
13
On a dit raitrefois hrelingue on brelindc , mais à tort,
car cetle espèce de voiture tire son nom de la ville de Ber-
lin , où la première paraît avoir été fabriquée par Philippe
Chiese , natif d'Orange et premier architecte de l'électeur
de Brandebourg Frédéric-Guillaume.
On dit berlingot et iilus souvent brclingot, pour désigner
une berline coupée.
BERLIOZ (HECTon) est né à la Côte-Saint-André
(Isère), le 11 décembre 1S03. Son père, médecin fort dis-
tingué , le destinait à la carrière qu'il avait parcourue lui-
même. Cependant, dans le seul but de compléter son édu-
cation, il donna à sou fils, lorsque celui-ci avait déjà atteint
Tàge de douze à treize ans, un maître de musique. Au bout
de six mois, le jeune Berlioz solfiait parfaitement à première
vue et jouait passablement de la flûte. Son aversion pour
les études pathologiques croissait à mesure qu'il voyait ap-
procher le moment de sy consacrer exclusivement. Cepen-
dant , doucement entraîné par les caresses de son père , il
s'abandonna pendant deux ans à sa direction. ISIais le dé-
mon musical le possédait déjà ; il passait des nuits à pâlir
.sur des traités d'harmonie qu'il ne pouvait conq)rendre ; il
faisait d'inutiles essais de composition , qui, confiés aux ama-
teurs de la Côte-Saint-André , étaient accueillis par des quo-
libets et des éclats de rire.
Un quatuor de Haydn dévoila spontanément au jeune Hec-
tor le mystère de l'harmonie , et ce que le fatras des livres
didactiques avait dérobé à son intelligence. Il composa aus-
sitôt un quintette qui fut fort applaudi par les exécutants.
Peu après cette époque, le jeune Berlioz vint à Paris dans
le but d'achever ses études médicales; mais le séjour de Pa-
ris ne faisant qu'augmenter son penchant pour la musique
et son antipathie pour la médecine , il écrivit dès l'année
suivante à son père pour le prier de le laisser libre de suivre
son goût dominant, forcé qu'il serait de désobéir si l'on vou-
lait le contraindre à le sacrifier. Ce fut alors qu'il s'établit
entre les parents de Berlioz et lui une polémique qui dura
près de quatre ans, et qui n'aboutit qu'à jeter de l'irritation
dans ler.rs rapports de famille. RI. Berlioz père crut devoir
supprimer la pension qu'il faisait à son fils. Notre jeune mu-
sicien lullait contre la détresse, mais il ne se découragea
pas. Il alla trouver le directeur du théâtre des Nouveautés ,
qu'on bâtissait en ce moment , et lui demanda une place de
llùte à l'orchestre. Les places de flûte étant données, il réus-
.sit à se faire accepter comme choriste , aux appointements
de cinquante francs par mois. Voilà donc M. FJerlioz hur-
lant régulièrement tous les soirs des flonflons de vaudeville.
Ayant eu le bonheur de trouver trois mois plus tard qiielques
élèves de solfège , il quitta le théâtre des Nouveautés , et se
mit à travailler à un opéra àè% Francs Juges, dont le poëme
avait été écrit par un grave publiciste et dont l'ouverture,
le seul morceau de cet ouvrage conservé par le compositeur,
est devenu célèbre. Les parents de Î\I. Berlioz, vaincus par
sa persévérance , lui rendirent la modique pension qu'ils lui
avaient retirée.
Déjà il avait terminé au Conservatoire, sous Reicha, les
études d'harmonie et de composition qu'il avait commencées
avec Lesueur, lorsqu'un événement décida de l'existence et
peut-être aussi pour un certain nombre d'années de la di-
rection de son talent. Le théâtre anglais vint importer à
Paris les merveilles du génie de Shakspeare. Une actrice
s'y fit justement admirer dans le rôle d'Ophélie à'Hamlet.
M. Berlioz la vit, et combinant dans son esprit la prodi-
gieuse création poétique de Shakspeare avec les grâces et la
beauté de la tragédienne, un amour subit, inexplicable, ef-
frayant par sa violence, s'empara de son cœur. M. Berlioz
se nourrit pendant trois ans de cette inconcevable passion
sans s'en rassasier; au bout de la troisième année , ayant
recueilli de la bouche d'un imprudent ami une calomnie ab-
surde sur miss S , le musicien disparut pendant plusieurs
jours; ses amis le cherchèrent vainement, et finirent par se
DICT. DE L\ CONVERS. — T. HI.
persuader qu'il avait mis fin à son existence. Il repriit
pourtant , et ce ne fut que longtemps après qu'il se souvint
qu'étant sorti seul de Paris, il avait erré à travers les champs
dans un état complet de désespoir et de stupidité , courant
le jour sans nourriture, ayant perdu la conscience de lui-
même et des objets environnants , passant la nuit à la belle
étoile. Du reste, la jeunesse de M. Berlioz fournit plusieurs
exemples de pareilles excentricités , et l'on ne peut se dis-
simuler que c'est à des dispositions aussi peu raisonnables
que Ion doit attribuer ce qu'on remarque d'exagéré , d'ex-
travagant même dans plusieurs de ses compositions de cette
époque. Depuis lors, l'homme s'est formé, la raison a repris
son empire sur lui; mais les premières impressions subsis»
tent encore dans le public, et il reste dans ce talent, si puis-
sant sous d'autres rapports , une tendance aux choses vio-
lentes et heurtées, dont il ne se débarrassera peut-être jamais
totalement.
Quoiqu'il en soit, la Symphonie fantastique date de
l'époque de ce délire effréné dans lequel la vue de miss S
jeta notre compositeur. Le plan de cette œuvre est assez
connu pour nous dispenser de le retracer ; cette composition
hardie fit une vive sensation. Pour la première fois, le musi-
cien y dessina son système : c'était de piendre pour sujet
de symphonie une idée dramatique avec ses scènes, ses inci-
dents, ses péripéties; de charger la musique seule d'être
l'interprète des sentiments, des sensations les plus intimes
de l'homme ; de reproduire , à l'aide des ressources de l'ins-
trumentation, certains effets physiques ; de donner, au moyen
des sons , une forme aux créations poétiques , aux fantaisies
de l'imagination. Que cette tentative si audacieuse eût été
couronnée d'un plein succès, c'est ce que nous sommes loin
d'admettre. En plusieurs circonstances, la musique entre
les mains de M. Berlioz sortit de ses propres limites , de sa
propre sphère. A force de vouloir tout peindre, à force de
chercher une expression arrêtée , littérale , et de n'omettre
aucun détail de la description, il excéda les bornes de l'art,
en sorte que plus l'auteur s'efforçait d'être clair, plus il entas-
sait d'obscurités dans son style; car l'auditeur, ne pouvant
saisir le fil et les intentions de la chose que l'auteur avait
dans l'esprit, se perdait dans cette multitude de détails. La
nature de l'expression musicale est telle qu'elle disparaît dès
qu'elle cesse d'être idéale et vague. Il s'agit en effet bien
moins de peindre que de réveiller dans l'esprit de l'auditeur
des impressions analogues à celles qui résultent de l'objet
qu'on se propose. De ce système de tout exprimer viennent
aussi ces rhythmes brisés, ces phrases entrecoupées, que
le musicien affectionne tant. Nous le répétons, dans l'idée du
musicien toutes ces choses ont un sens, mais ce sens, ces
intentions, échappent à l'auditeur.
Tout cela n'empêcha pas que l'introduction de cette Sym-
phonie fantastique , la phrase principale à l'aide de la-
quelle le musicien représente la bien-aimée, et qui revient
avec tant de bonheur dans tous les morceaux , la scène du
bal , la marche au supplice , la scène aux champs , la ronde
du sabbat, dans laquelle l'auteur sut être fantastique sans
rien emprunter à Weber, ne produisissent dès l'abord une
grande surprise. On fut frappé surtout d'une instrumenta-
tion neuve, riche, colorée, pittoresque. Ce qui ajoute en-
core au mérite de l'auteur, c'est qu'à cette époque il ne
connaissait pas les grandes symphonies de Beethoven. Le
Robin des Bois seulement avait pu lui donner l'idée des
développements dont l'orchestration était susceptible.
Pendant les fameuses journées de juillet , tandis que le
canon grondait dans Paris et que la façade du palais de
l'Jnstitut était sillonnée de balles et de boulets, M. Berlioz
était tranquillement dans l'intérieur, écrivant sa cantate de
Sardanapale, qui lui valut le premier grand prix de com-
position. 11 partit donc pour Rome; là, pour faire suite à
la Symphonie fantastique , il écrivit le Mélologue ou la
Hetour à la vie, qui se compose de diverses scènes, telles
34
que la Ballade du Pêcheur, de Gœtlie; un chœur d'om-
bres , (ÏHainlet, sur des paroles de fantaisie ; «ne scène de
brigands , et un chœur symplionlque sur la Tempête de
Shakspeare. Tous ces morceaux n'avaient aucun rapport
rntreeux; ils étaient séparés par des tirades en prose, dé-
bitées par un acteur habile , et qui servaient tant bien que
mal de liaison de l'une h Tautre. Par cela môme , cette se-
conde partie ne pouvait exciter l'intérêt de la première ,
bien que le chœur d'ombres, la scène de brigands et la
tempête offrissent d'incontestables beautés. Depuis lors l'au-
teur a renoncé à faire entendre le Mélologue après la sym-
phonie, et il a eu raison.
M. Berlioz revint de Rome avec le Mélologue, et deux
ouvertures, celle du Roi Léar et une autre de Rob Roy :
cette dernière, exécutée aux concerts du Conservatoire,
n'eut aucun succès. M. Berlioz avoua qu'il s'était trompé, et
la brûla. 11 n'en conserva que l'introduction , qui a depuis
figuré dans la sympiionie ô'IIarold. Ce fut vers 1833 qu'il
composa cette symphonie; Paganini était alors à Paris, mais
il ne se faisait plus entendre en public. Un jour, l'illustre
virtuose alla trouver M. Berlioz, et lui demanda d'écrire une
symphonie pour alto principal. Il avait, disait-il, envie de
se montrer en public et de &'y faire applaudir sur cet ins-
trument. M. Berlioz conçut alors l'idée de la symphonie
à^Harold : on sait que, comme dans la Fantastique, il y
a une pensée dominante qui revient dans tous les mor-
ceaux , et qui se présente toujours sous un aspect diffé-
rent. Lorsque l'œuvre fut achevée , soit que Paganini ne
trouvât pas la partie d'alto assez brillante , soit que son
état de maladie le rendît indifférent aux applaudissements
de la foule , il chercha un prétexte et ne joua pas. Heureu-
sement Urhan se chargea de la partie d'alto principal, on
sait avec quel succès. Cette symphonie accrut le nombre
des partisans de M. Berlioz. La solennelle, majestueuse in-
troduction, la marche des pèlerins, la sérénade, conqui-
rent d'abord tous les suffrages. Jamais divers motifs, de na-
ture et d'expression différents, n'avaient été associés plus
heureusement, plus habilement entrelacés que dans ces
deux derniers morceaux. Au total, cette symphonie était
peut-être moins éclatante , moins saisissante que la pre-
mière; mais le style en était plus ferme, plus séné. Néan-
moins, à notre avis, de grands défauts, qui tiennent au prin-
cipe que nous avons tâché d'éclaircir plus haut, déparent
encore celte œuvre. Dans la seconde partie de l'allégro et
dans plusieurs endroits du finale, l'orgie des brigands, on
trouve de ces énigmes dont le sens échappe à l'auditeur.
Ce dernier morceau, du reste, quoique plein de verve et
«l'inspirations franches, est trop bruyant; il fatigue, il en-
tête comme une véritable orgie ; il est trop vrai.
Depuis longtemps M. Berlioz faisait de vains cffoils pour
arriver à l'Opéra; les administrateurs craignaient que ses
hardiesses ne compromissent le succès d'un ouvrage ; les
auteurs ne voulaient pas lui confier un poème. Trois poètes,
MM. de Vigny, Auguste Barbier et Léon de Wailly, se pro-
mirent d'abréger ce temps d'épreuve, et esquissèrent à la
bâte cet informe canevas qui a nom Benvenuto Cellini, le-
quel renferme de charmantes choses comme poésie, mais
est dépourvu de tout intérêt dramatique. Pressé d'avoir son
tour à l'Opéra, M. Berlioz ne s'arrêta pas aux défauts de la
pièce, et en composa la musique. On sait l'histoire de cette
chute éclatante. M. Berlioz avait à la fois contre lui le
mauvais vouloir de l'administration, les préventions des
artistes, les préjugés du public, les exagérations de son
propre système et les rancunes qu'il avait soulevées par une
critique trop franche et trop acerbe parfois. Aujourd'hui que
toutes ces passions sont calmées , nous pouvons dire que
M. Berlioz n'a point été jugé comme compositeur lyrique.
Quoi qu'il en soit , la polémique suscitée à l'occasion de
cet ouvrage fut très-vive, et se prolongea longtemps dans la
presse : les opinions diverses furent résumées dans deux
BERLIOZ
brochures, l'une pour, l'autre contre, dans lesquelles toutes
les questions vitales et fondamentales de l'art, la mélodie,
le rhythme, rinstrumentation, etc., étaient examinées suivant
les tendances des esprits qui rêvent un art stationnaire ,
et de ceux qui pensent qu'il subit aussi la loi du progrès.
C'est après la chute malheureuse de Benvenuto que
l'auteur, découragé, fit une longue maladie, qui épuisa
toutes ses ressources. Il donna néanmoins un concert dans
lequel il dirigea lui-même ses deux symphonies, la Fan-
tastique et Ilarold. Paganini, qui ne connaissait pas
encore le dernier de «es ouvrages , s'achemina après l'exé-
cution vers l'orchestre, et, ne craignant pas de se prosterner
devant l'auteur, il s'écria les larmes aux yeux : C'est un
prodige! Le surlendemain, 18 décembre 1838, M. Berlioz ,
forcé par sa maladie de garder le lit , reçut la lettre dont
nous donnerons la traduction : « Mon cher ami, Beethoven
« mort, il n'y avait que Berlioz qui put le faire revivre, et
« moi , qui ai goûté vos divines compositions , dignes d'un
« génie tel que le vôtre, je crois de mon devoir de vous
« prier de vouloir bien accepter comme un hommage de
« ma part vingt mille francs qui vous seront remis par
<' M. le baron de Rothschild , sur la présentation de l'in-
0 cluse. Croyez-moi toujours votre très-affectionné, Nicolo
« Pagamni. »
Pour suivre l'ordre chronologique , nous avons d'abord
parlé de Benvenuto ; mais le Requiem, composé après cet
ouvrage , fut exécuté dans l'église des Invalides le 5 dé-
cembre 1837, au service funèbre du général Damrémont.
Le grand effet produit par le Tuba viirum, le Lacrymosa
et par V Offertoire, bien que ce dernier morceau soit d'un
genre tout différent, est encore présent à l'esprit de ceux
qui l'ont entendu.
Voulant témoigner à Paganini sa reconnaissance en lui
dédiant une œuvre capitale , M. Berlioz conçut le plan de la
symphonie dramatique de Roméo et Juliette, dont il avait
confié le livret à M. Emile Deschamps ; malheureusement •
la mort vint frapper Paganini avant que ce grand ouvrage
fût achevé. M. Berlioz venait d'être décoré de la Légion
d'Honneur. Au mois de novembre 1839 il fit exécuter au
Conservatoire Roméo et Juliette, dont l'effet fut immense.
Nous ne craignons pas de dire que dans Yàfête, l'ada-
gio, le scherzo de la reine Mab, et le finale, il s'est montré
l'égal de Beethoven. L'idée des prologues ou des chœurs
chantant sur le ton du récitatif lui appartient en propre.
Ces chœurs, dont le rôle est assimilé ici à celui du chœur
de la tragédie antique , produisent l'effet le plus neuf et le '
plus heureux. Cette œuvre, si belle qu'elle soit, n'est pour-
tant pas à l'abri de fout reproche. On y trouve des détails
d'une expression forcée et trop cioie, mais ces défauts de-
viennent toujours plus rares. Ce qu'il faut admirer surtout
dans Roméo et Juliette, c'est la puissance et i'habileté
avec lesquelles M. Berlioz a mêlé le drame à la symphonie,
la symphonie au drame , sans jamais les confondre.
M. Berlioz mit le comble à sa renommée comme instru-
mentalistedanssagrandeSy??îp//o«îe/i»2è&ree^ triomphale
composée en 1840 , à la demande du ministre de l'intérieur,
pour la translation des cendres des combattants de juillet.
Cette composition offrait les plus grandes difficultés : la
musique devant être exécutée en plein vent, sur la place de
la Bastille, autour de la colonne : M. Berlioz ne pouvait y
employer les violons. Il disposa si habilement les masses des
instruments k vent que l'effet fut celui d'un orchestre com-
plet. Jamais les sentiments qui animent la multitude dans les
grandes circonstances nationales , la douleur publique, l'en-
thousiasme des combats , les joies du triomphe , n'avaient
été rendus avec des accents plus touchants et plus nobles.
C'est là de la vraie musique populaire.
En 1843 M. Berlioz parcourut la Belgique et toute l'Al-
lemagne, en donnant des concerts dans les principales
villes. Mcndeissohn et MeverBcer mirent tour à tour
BERLIOZ — BERML
3S
à sa dtsposiiion toutes les ressources musicales dont ils
pouvaient disposer. Dans un concert donné par MM. Ber-
lioz et Mendelssohn , les deux jeunes représentants de la
musique instrumentale en France et en Allemagne , rap-
pelés sur la scène, s'embrassèrent et échangèrent leurs bâ-
tons de mesure. De retour à Paris, M. Berlioz nous a fait
entendre dans plusieurs concerts son ouverture du Cflrn/fva^
romain. Cette cliarmante symphonie, composée sur les mo-
tifs de Benvemtto Cetlini , prouve que cette partition n'é-
tait pas aussi dépourvue de mélodie qu'on l'avait dit d'abord.
On connaît l'habiiefé de M. Berlioz comme chef d'or-
chestre. Personne n'exerce plus d'ascendant sur les musi-
ciens et ne sait leur communiquer plus d'enthousiasme.
Quelles que soient les opinions personnelles des artistes à
l'égard des compositions de leur chef, une fois réunis sous
son bâton de mesure , ils obéissent comme un seul homme.
Depuis longtemps M. Berlioz cherchait l'occasion de réunir
toutes les ressources n)usicales de Paris dans une grande
solennité. L'exposition des produits de l'industrie vint la
lui fournir : le 1^"' aoOt I84''i, il donna dans la vaste salle
«les mac'iines un grand festival qui avait vivement excité la
curiosité. Malheureiiseuient , ce local n'avait pas été cons-
truit d'après des conditions de sonorité assez favorables.
Néanmoins les effets de masses furent saisissants, et ja-
mais on n'avait vu une armée de plus de mille exécutants
manœuvrer avec plus d'ensemble et de chaleur. M. Berlioz
avait écrit pour cette solennité un Hymne à la France, pa-
roles de M. A. Daihier, dont la mélodie jjrincipale pourrait
avoir plus de distinction, mais d'une instrumentation admi-
rable, et dont la dernière strophe est d'un effet grandiose.
11 nous resterait à apprécier M. Berlioz comme critique,
écrivain et théoricien. Sous ce rapport, il est plein de verve ;
ses expositions sont nettes , ses analyses animées et pittores-
ques, ses jugements tranchants et parfois passionnés. Il est
admirable quand il parle de Gluck , de Beethoven , de \Ye-
ber, de Meyer-Beer, de Mendelssohn, de Spontini. Mais
certaines de ses opinions ne nous paraissent pas plus ad-
missibles que certaines données de son talent musical. Ce fut
en 1828 qu'il débuta dans le Correspondant par quelques
articles très-remarquables sur Beethoven ; il travailla suc-
cessivement dans la Revue Européenne et le Courrier de
V Europe. Vers 1835 il contribua pour une part notable au
succès de la Gazette Musicale. A la fin de la môme année,
il fut chargé du feuilleton musical des Débats, qu'il con-
tinue toujours. H a publié au commencement de 1844 son
beau Traité d'Instrumentation, et il a fait paraître deux
volumes d'un Yoijage musical en ItaUe et en Allemagne.
M. Berlioz est un des quatre ou cinq musiciens contem-
porains qui ont un style à eux, une individualité propre. 11
est rare qu'un de ses ouvrages n'ait pas produit une |)olé-
mique animée et soulevé les questions les plus fondamen-
tales qui tiennent à l'essence de la musique. Nous avons lâché
d'apprécier ce musicien avec impartialité. Qiioi qu'il en
soit, il restera de M. Berlioz de grandes œuvres entachées,
les premières surtout, de grands défauts, mais qui seiunt
destinées en France à agrandir la sphère de l'art. Lui seul a
tenté parmi nous des effets gigantesques; lui seul a remué
des masses colossales ; il n'a i)as toujours réussi , mais il est
vrai de dire aussi que plusieurs de ses insuccès doivent être
attribués aux défauts de l'exécution. Depuis qu'il dirige lui-
même ses concerts, on a pu mieux entendre sa musique,
et il a fini par grouper autour de lui, parmi les artistes et les
amateurs , tout ce qui est jeune et fort.
Aux grandes compositions de M. Berlioz dont il vient
il'être question, il faut ajouter une ouverture de Waverley,
neuf mélodies écossaises, le Cinq Mai, une fantaisie pour
le violon, plusieurs mélodies sur des paroles de MM. Yiclor
lliigo, Brizeiix et autres poêles. J. D'Ouxicur,.
M. Berlioz est aujourd'hui bibliothécaire du Conservatoire.
Nianiuoins il va souvent encore à l'étraugcr diriger dos csju-
ceits. A Paris, il préside chaque année à ceux que donne
une société musicale dont il est le grand maître. Partisan
des orchestres immenses , c'est aussi lui qui a eu l'idée d«j
donner en 1845 un concert monstre dans la salle du Cir-
que des Champs-Elysées. 1\L Berlioz a frappé déjà à la porte
de l'Académie des Beaux-Arts, mais sans pouvoir y entrer.
Aux productions citées plus haut il faut joindre la Dam-
nation de Faust, légende-symphonie exécutée en is'ie.
Il y a pourtant des esprits chagrins qui s'obstinent à ne pa?
admirer M. Berlioz, et qui lui reprochent de prendre sa bizar
rerie pour du génie, le biiiit pour de l'harmonie, des notes
cousues sans suite pour de la mélodie, etc. On leur répond
qu'ils n'entendent rien au progrès de l'art, et ils se consolent
en répétant cette plaisanterie du maréchal Lobau, qui di-
sait, après avoir entendu aux Invalides le Requiem de M.
Berlioz : « C'était fort bien; ce qui m'a (ait surtout beau-
coup de plaisir, ce sont les tambours. »
BEllLUE. C'est une alfection dans laquelle le cerveau
perçoit l'image d'objets qui n'existent réellement pas. Les
individus qui en sont affectés croient apercevoir un insecte,
une mouche, qui suit leurs mouvements ou se fixe sur les
objets vers lesquels ils portent leurs' regards ; d'autres fois, ce
sont des ombres, des points noirs, des toiles d'araignée,
qui passent et repassent en mille sens différents devant leurs
yeux; d'autres fois, les malades aperçoivent subitement des
éclairs, des étincelles brillantes, des globes ou des crois-
sants lumineux, des espèces de pluies de feu, etc.
Cette affection s'observe particulièrement chez les indivi-
dus qui ont la me tendre et dont la rétine jouit d'urne
sensibilité trop exquise, ou bien chez les personnes qui, ha-
bituellement, ou accidentellement, habitent dans des lieuv
très-éclairés. LUe peut être également le résultat de quel-
ques afléctions du cerveau, à la suite de congestion ou d'in-
flammation de cet organe, ou bien de l'ivresse, de l'épilep-
sie, etc.
Dans tous les cas, la berlue est de peu d'importance en
elle-même , disparaissant avec la maladie qui lui a donnu
naissance. Quelquefois cependant elle reste stationnaire cl
même devient permanente, et dans ce cas les individus qui
en sont affectc-s cherchent à fa're disparaître les objets
qu'ils croient voir se fixer sur ceux qu'ils regardent, par de ■>
mouvements automatiques. Cette erreur de la vue parait
déjieudre d'une lésion de la rétine, qui semble avoir quei-
qu'analogie avec l'amaurose, et celle-ci est peut-être le se-
cond degré de la première.
On emploie généralement contre cette aberration de l<.
vision les vapeurs de difléientes natures dirigées sur l'œil,
puis les dérivatifs, tels que les pédiluves, les sinapisines, len
vésicatoires, les émétiques, etc.
BERHIE. C'est, en termes de ponts et chaussées et d.!
fortifications , un i)rol()ni;eiuent régnant parallèlement et eu
continuité d'une route pavée , d'une chaussée, d'un ouvrage.
Une berme de batterie de siège offensif & un mètre de
large et règne entre le fossé et le parapet. Une batterie de
gabions, qu'elle soit ou non batterie de siège , a une berme.
La berme de chemin forme l'acolement du pavé d'un
chemin militaire; c'est le bas coté ou le côté de terre d'uns
route pavée ou ferrée.
Ou appelle berme de fortification ou berme de rem-
part une sorte de berme qui prend le nom défausse bruic.
ou de busse enceinte quand elle a un parapet. Une telln
berme présente un repos, un corridor ménagé au i)ied de l'es-
carpe d'un rempart non revêtu : elle régne au-dessus du fosse
de la forteresse, et au niveau de la campagne; sa largei r
varie à raison du besoin, mais elle est ordinairement du
quatre mètres. Ces bennes ont surtout pour objet de rc-
leuir les l'houlemeuts quand les lorliiications sont battue~^
par le canon ou dotérioiOes par la vétusté; sans cette pré-
caution, les débris encombreraient le fossé. Elles sont vue*
des lianes des bastions; elles sont hérissées ordinairemnii
86
BERME — BERNADOTTE
fie fi'aises, ex quelquefois défendues par des haies vives;
une rangée de palissades est plantée le long de leur milieu.
Les bermes de rempart se sont aussi nommées lisières,
pas (le sotms, accompagnement d'enceinte, relais, re-
traite, ronde; mais ce dernier mot exprime maintenant
nutre chose, et le terme pas de souris s'applique surtout
aux demies descendant au fond des fossés secs.
BERMUDES ( Iles), en espagnol Bermudas, appelées
aussi ilcs Somcrs, groupe océanien isolé, composé d'en-
viron quatie ctuits i)elites îles, rochers et écueils apparte-
nant à rAii^'«;terre et placées sous l'autorité d'un gouver-
neur particulier. Elles sont situées dans l'océan Atlantique,
à 111 niyriamètres de la côte de la Caroline du sud,
l'un des États dont se compose l'Union américaine du nord,
sur la grande route maritime conduisant des Indes occiden-
tales en Europe, par .■i2"20'de latitudeseptentrionaleetG?" 10'
de lont^ilude orientali;. Ell(« ne se composent que de bancs de
corail ([ui ne s'élèvent nulle part à plus de deux cents pieds
au-dessus du niveau de la mer, mais ((ui se prolongent fort loin
encoie sous l'eau, et qui rendent ainsi très-dangereuse Ten-
tilf'C des ports, d'ailleurs excellents, qu'on y trouve.
11 n'y a que neuf de ces îles qui soient habitées , à sa-
voir : Saint-George, avec le port de Georgetown pour chef •
lieu , protégé par le fort Davers, siège du gouvernement,
avec ([uatre mille habitants , et remarquable par ses vastes
citernes; Saint-David, Bermuda' , où se trouve le port
iV HatniUon ; Somerset, Ireland, Coopers, Gates, Bird-
Island et Nensucli. Quoique sous la région tropicale, le
climat y est si tempéré, que la température moyenne de l'an-
née n'y dépasse pas 16°Réaumur. Tous les produits des tro-
piques, comme le café, le sucre, l'indigo, le coton, etc., y
prospèrent. Toutefois le sol , de nature rocheuse, couvert
seulement d'une légère couche de terre végétale , et dénué
de cours d'eau , ne permet pas à l'agriculture d'y prendre de
grands développements; aussi , depuis l'émancipation des
nègres, ces îles ne fournissent-elles guère à l'exportation que
de l'arrow-root, et surtout ce qu'on appelle le bois de cèdre
<les Bermudes (juniperus bcrmir^ina) ; essence qui croît
ég.'.lemeut aux îles Bah a m a, qui convient admirablement
à la construction des vaisseaux, et qu'on utilise aussi pour
la fabrication des crayons de mine de plomb. Les légumes,
les fruits , les grains et la viande qu'on y consomme, sont
des importations des lîtats-Unis. Les plus effroyables oura-
gans y régnent toute l'année ; aussi les maisons du chef-dieu
n'ont-elles toutes qu'un étage.
Le chiffre total de la (topulal ion est de onze rallie habitants,
dont plus ûe la moitié de race nègre. Le reste est nngliiis
d'origine. Les hommes se distinguent par leur esprit indus-
trieux, et se livrent avec beaucoup de succès à la fabrication
des toiles à voiles et des tissus de coton , à la construction
des navires, à la pêche, notamment à celle delà baleine.
Les femmes sont généralement fort belles. Les deux sexes
se distinguent par une grande moralité et par la manière
gracieuse dont ils s'acquittent des devoirs de l'hospitalité.
Les frais occasionnés par l'entretien de cette colonie ne sont
pas, à beaucoup près, couverts par le produit des contribu-
tions publiques, au nombre desquelles les droits de douane
tiennent la première place. Mais , comme station de commerce
et lieu de rafraîchissement, ces îles , au point de vue stra-
tégique surtout, sont d'une importance extrême pour l'Anglc-
terre. C'est ce qui explique conmient dans ces dernières an-
nées le gouvernement anglais a pu y dépenser annuellement
plus de 100,000 livres sterling (2,500,000 fr.) en travaux de
iortilieations et pour y fonder un arsenal maritime.
L'administration de cette colonie se compose d'un gou-
verneur, d'un conseil de huit membres choisis par le gou-
verneur, et d'une assembty, dont les trente-six membres sont
<')us par les propriétaires de l'île.
Juan Bennude/, espagnol, découvrit les îles Bermudas
Cl» lJi22. En 1C0"J, sir Georges Somers , se rendant à la
Virginie, fit naufrage aux lies Bermudes; et dès ICI 2 les
Anglais s'y établissaient sans que l'Espagne s'y opposât,
malgré les droits de priorité de découverte qu'elle avait à
la possession de cet archipel. L'organisation administrative
de la colonie est encore aujourd'hui celle qui lui fut donnée
en 1620. Consultez : An historical and statistical Account
of Bermtidas {Londres, 1848).
BERMUDEZ (Jérôme), poète espagnol au seizième
siècle, était originaire de la Galice. Mais sa famille, l'époque
de sa naissance et celle de sa mort sont restées enveloppées
de la môme obscurité ; on suppose toutefois qu'il descen-
dait de Diego Bermudez, l'un des neveux du Cid. Célèbre
comme humaniste et comme théologien , il s'est fait aussi
un nom comme auteur dramatique. On a de lui deux tra-
gédies : A'i5a (Inès) malheureuse et Nisa couronnée, _
qu'il publia sous le pseudonyme d'Antonio Sylva ( 1575 ), et ■
un poème intitulé : VHespei-odia. Le fameux doc d'Albe est i
le héros que sa muse s'est choisi.
— rlusieurs rois des Asturies ont porté le nomdeBEUiHu-
PEZ . lîermudez V fut élevé au trône en 788, et Bermudez 1 1 1
périt à la bataille de Carion, en 1037. C'était le dernier re-
jeton couronné de la famille des anciens rois goths.
VA'imWDEZ (ZiU-). Voije:. ZÉA-BErtJiuDEZ.
lîE?l.\ADOTTE (Jeax-B^I'TIste-Ji'les), mort roi de
Suède et de Norvège sous le nom de CHARLES-JEAN XIV,
était né à Pau, le 20 janvier 1764, d'une famille hono-
rable de la bourgeoisie de cette ville. Son père exerçait la
profession d'avocat. A peine âgé de dix-sept ans , se sen-
tant peu de goût pour le barrean, il s'engagea volontai-
rement dans le régiment Royal-Jîarine , et partit à l'instant
même pour Marseille , oii son corps s'embarquait pour la
Corse. Son éducation n'avait été qu'ébauchée, comme il est
facile de s'en convaincre par les graves et nombreuses
incorrections grammaticales que l'on remarque dans ses
letti-es autographes. Quand éclata la grande commotion de
1789, il n'avait encore obtenu pour toute récompense de neuf
années de service que les galons de sergent-major. Le 7 fé-
vrier 1790 il fut promu au grade d'adjudant sous-officier.
Son régiment se trouvait alors à Marseille, où commençait à
se taire sentir le contre-coup des grands événements de Paris.
Un jour le peuple se révolte au nom de la liberté; le co-
lonel de Royal-Rlarine veut réprimer l'insurrection par la
force. Repoussé avec perle, il va payer de sa vie son im-
prudente audace, quand deux jeunes gens, s'élançant de-
vant .lui , lui font un rempail de leur corps et calment la
foule exaspérée. Ces deux jeunes gens étaient Bernadotte
et Barbaroux. Ils s'end)rassèrent avec effusion sur le
perron de l'hôtel de ville , en se jurant une amitié étemelle :
mais ils ne devaient plus se revoir.
On conçoit d'après ce qui précède que Bernadotte ait em-
brassé avec ardeur et professé avec énergie les principes
d'une révolution qui, détruisant toutes les distinctions fon-
dées sur la naissance ou l'éducation première, permettait à
un bas-olhcier d'aspirer au plus haut rang. D'ailleurs son
avancement fut rapide, et il gagna tous ses grades sur le
champ de bataille : colonel dans l'armée de Custine, il fut
nommé général de brigade par Kléber, qui , en mainte oc-
casion , avait été à même d'apprécier son courage et sa
rare intelligence. En 1794 il connuandait une division à !a
célèbre bataille de Eleurus. Son nom se rattache aux grands
et nombreux faits d'armes des premières campagnes de 1;>
guerre d'indépendance sur les rives de la Lahn , du Rhin ,
à Mayence , à Neuliof, au passage de la Rednitt, à la prise
d'Altorf, à Neumark et sur les bords du Mein. Ses soldats
paraissaient-ils hésiter, il les électrisait tout à la fois par sa
paiole et par ses actions. Un jour il jeta ses épaulettes dans
les rangs ennemis. « Allons les reprendre! » s'écria-t-il ; et
tous ceux qui l'avaient vu ou qui l'avaient entendu s'élan-
cèrent sur ses pas à la victoire. A la lin de cette campagne,
le Directoire lui écrivait : >• La répubrupic est accoutumée
BERNADOTTE
37
à voir triompher ceux de ses défenseurs qui vous obéissent. »
Peu de temps après la bataille de Neuwied, Bernadotte fut
cliargé de conduire à l'armée d'Italie 20,000 hontmaes de
l'armée de Sambre-et-Meuse. C'était la première fois qu'il
se trouvait face à face avec Bonaparte. Dès que ces deux
hommes s'aperçurent, ils éprouvèrent l'un pour l'autre une
secrète antipathie. « Je viens de voir , dit Bernadotte en
rentrant à son quartier général , un homme de vingt-six à
vingt-sept ans qui veut avoir l'air d'en avoir cinquante,
et cela ne me présage rien de bon pour la république. »
A en croire certains biographes, Bonaparte aurait dit de lui,
à son tour , que c'était une tête française sur le cœur d'un
Romain. Les messieurs de l'armée d'Allemagne ne frater-
nisèrent pas d'abord avec les sans-culottes de l'armée d'I-
talie; mais quand il s'agit de battre l'ennemi toutes ces
haines , toutes ces rivalités disparurent. Pendant la mémo-
rable campagne qui amena la paix de Campo-Formio,
Bernadotte ^e signala surtout au passage du Tagliamento et
à la prise de la forteresse de Gradisca.
Chargé de présenter au Directoire les drapeaux enlevés à
l'ennemi, il arriva à Paris quelques jours avant le coup
d'État du 18 fructidor. 11 était porteur d'une lettre du
général eu chef de l'armée d'Italie, se terminant ainsi :
« Vous voyez dans le général Bernadotte un des amis les
plus solides de la république, incapable par principes
comme par caractère de capituler avec les ennemis de la
liberté pas plus qu'avec l'honneur. «
Les partis qui divisaient la France se trouvaient alors en
présence, et la guerre était déclarée entre le Directoire et
les Conseils. La contre-révolution marchait tête levée ; elle
avait ses agents dans les premiers pouvoirs de l'État , son
armée, ses journaux, ses comités dans la capitale et les dé-
partements. Elle se trahissait souvent par d'indiscrètes rodo-
montades , et ses séides, se flattant d'un triomphe infaillible
et prochain , criaient hautement : « Nous sommes cinq cent
mille, et Pichegru est à notre tête. » Le Directoire opposait
les armées aux factieux de l'intérieur. Chaque jour des
adresses annonçaient au Directou-e que les armées étaient
prêtes à voler à son secours. Le discours prononcé par Ber-
nadette, en présentant les drapeaux conquis en Italie,
exprimait les mêmes vœux. Cette présentation était donc un
événement remarquable ; aussi la réponse du président du
Directoire au représentant de l'armée d'Italie fut-elle un ma-
nifeste de guerre et le signal du coup d'État du 18 fructidor.
Seul de tous les généraux des armées républicaines pré-
sents à Paris, Bernadotte avait refusé de jouer un rôle dans
ce coup d'État; il avait laissé faire Auger eau. Le Direc-
toire lui offrit le commandement de l'armée du midi, des-
tinée à comprimer les bandes royalistes qui s'y étaient
ortiauisées. Ses services méritaient une plus noble récom-
pense ; il refusa, et alla rejoindre Bonaparte avec des ordres
paiiiculiers et des instructions verbales. Ce fut au château
de Passeriano qu'ils se rencontrèrent. Bonaparte lui de-
manda son avis sur la conduite qu'il avait à tenir; Berna-
dotte ne balança pas à lui conseiller la paix. « Et quel est
l'avis du Directoire? — Juste l'opposé du mien. — Pensez-
vous qu'on me fournisse longtemps les moyens de faire la
guerre? — Non; la nation désire la paix, et le Directoire ne
tient à la guerre que pour prolonger son existence. » Voila
ce qui décida Bonaparte à signer le traité de Campo-Formio.
A cette époque Bernadotte écrivait au Directoire pour lui
demander un commandement aux îles de France, de la
Réunion, dans l'Inde, dans l'armée de Portugal, ou, enfin,
sa retraite. Le Directoire, heureux de la rivalité qu'il voyait
poindre entre les deux généraux, s'empressa de désigner
Bernadotte pour commander en chef l'armée d'Italie à la
place de Bertliier, qui exerçait cette fonction par intérim.
Il se rendait à son poste lorsciue, à sa grande surprise, il re-
çut un nouvel arrêté, qui le nommait ambassadeur à Vienne.
Il n'était alors rien moins que diplomate; il représenta
néanmoins sa patrie avec dignité, et fit pour la première fois
arborer le drapeau tricolore au palais de France : c'était
pour lui un droit et un devoir. L'apparition de l'étendard
républicain devint le prétexte d'une émeute organisée par la
police autrichienne , à la suite de laquelle Bernadotte dut
quitter Vienne. Uaffaire du drapeau eut les plus funestes
consécjuences. Les petits princes d'Allemagne, qui jus-
qu'alors avaient paiu résignés à de fortes concessions,
parce qu'ils croyaient l'Autriche sincèrement unie à la
France, reprirent courage et se montrèrent très-exigeants.
On sait comment linit le congiès de Rastadt : les hos-
tilités recommencèrent bientôt avec une effrayante intensité.
Bernadotte accusa l'ambition de Bonaparte de les avoir fo-
mentées. De retour à Paris , il refusa le commandement de
la 8* division (Marseille) et l'ambassade de La Haye.
Sa lettre de remercîment au Directoire, motivée sur le be-
soin de repos , se termine par ces mots : « Je vous prie ,
citoyens directeurs , d'agréer le tribut de ma gratitude.
Vous aurez justement senti que la réputation d'un homme
qui a contribué à placer sur son piédestal la statue de la
liberté est une propriété nationale. » Le Directoire ne
pouvait cependant laisser Bernadotte sans emploi après son
rappel de l'ambassade de Vienne ; c'eût été improuver et
punir la conduite de son ambassadeur dans Vaffaire du
drapeau. Il fut donc nommé général en chef de l'armée
d'observation du Bas-Rhin, et il ouvrit la campagne par le
bombardement de Philipsbourg et la prise de Manlieim.
Tandis que l'expédition d'Egypte se préparait, Berna-
dotte, de retour à Paris, y épousait la belle-sœur de
Joseph Bonaparte, M*"' Eugénie-Bernardine-Désirée
Claky, fille d'un négociant de Marseille. Singulière des-
tinée que celle de cette jeune fille, née pour être impéra-
trice ou reine! Quelques années auparavant, Napoléon
Bonaparte, alors général d'artillerie en disponibilité, l'avait
de;nandée à son père, qui lui avait répondu : « C'est bien
assez d'un Bonaparte dans la famille. »
Le système de destitutions arbitraires d'Aubry , qui , du
temps de la Convention, avait frappé les meilleurs géné-
raux des armées de la république, s'était renouvelé sous le
Directoire. Sieyès, qui voyait partout s'avancer comme
un redoutable fantôme le régime de 93 ; Sieyès , que la
moindre manifestation d'indépendance terrifiait, avait ré-
vélé son effroi dans un discours prononcé au Champ-de-
Mars dans une grande solennité uati9nale. Devenu à son
tour président du Directoire, il avait fait partager ses craintes
à ses collègues , Barras et Roger-Ducos. L'armée était dé-
couragée : des revers funestes et fréquents avaient succédé
aux victoires, et l'on rappelait avec affectation les brillants
succès de l'armée d'Italie, pour ramener l'admiration et
les regrets sur son jeune général, alors en Egypte. Était-ce
la conséquence d'un plan arrêté pour justifier son retour?
Quoi qu'il en ait été , le Directoire avait senti la nécessité
d'appeler au ministère de la guerre un autre général, qui
eût toute la confiance de l'armée, et dont les talents et
l'activité pussent rétablir l'ordre dans l'administration mi-
litaire. Bernadotte fut chargé de ce portefeuille. De grands
abus ne tardèrent pas à être réformés ; les cadres furent
bientôt portés au complet. Mais Bernadotte était républicain ;
il était lié avec les membres de la même opinion les plus
influents des deux conseils. C'en était assez pour alarmer
l'ombrageuse susceptibilité de la majorité du Directoire.
Elle chercha donc proniptement une occasion de s'en débar-
rasser. Ce fut une intrigue assez plaisante. A la suite d'une
conversation qu'il eut avec Sieyès, Bernadotte reçut sa dé-
mission, acceptée par trois membres du Directoire, avec la
promesse d'un commandement. Les deux autres directeurs,
Gohier et Moulin, qui n'avaient point eu connaissance de
cet acte, allèrent en grande pompe féliciter le général, dé-
savouant ainsi leurs collègues. Bernadotte n'en demanda pas
moins son triiitement de reforme. Il s'effaça lui-même d«
38
BERNADOTTE
la scène politique jusqu'au 18 brumaire. Vingt-cinq jours
après, Uonapaite débarquait à Fréjus; un mois plus tard, il
n'y avait plus de Directoire, et Sieyès était réduit à annoncer
que la France avait xin maître.
]| est douteux que Bernadette ait été dans l'entière con-
fidence de ce complot. 11 ne pouvait cependant ignorer qu'un
cliangemont dans le gouvernement ne fût prochain. Si l'on
en croit certaines relations , il aurait <lit à Napoléon Bona-
parte : « Je conçois la liberté autrement que vous , et votre
plan la tue. Je ne suis que simple citoyen ; depuis trois se-
maines, j'ai ma retraite comme militaire; mais si je reçois
des ordres de ceux qui ont encore droit de m'en donner,
je combattrai toute tentative illégale contre les pouvoirs éta-
blis. » Jl fut même un temps, dit-on, où non-seulement il
avait conspiré pour le renversement de Bonaparte, mais où
il s'était même efforcé à plusieurs reprises et vainement de
pousser à une résolution Moreau , toujours mécontent, tou-
jours faible, toujours indécis et toujours compromis. Un
soir, à un bal , à la suite d'une longue conversation , il lui
aurait dit : « Vous n'osez prendre la cause de la liberté. Eh
bien! Bonaparte .se jouera de la liberté et de vous; elle pé-
rira maigt é nos efforts, et vous serez enveloppé dans sa ruine
sans avoir combattu. » D'un autre côté, son beau-frère Jo-
seph Bonaparte affirme l'avoir rencontré quelques jours au-
paravant chez.Napoléon, et lui avoir dit en se retirant avec
lui : « Allons , Bernadotte , convertissez le général Jourdan ;
il faut qu'il soit des nôtres. » A quoi Bernadotte aurait ré-
pondu : « Je tùclierai, mais je crains que ce nesoitdifficile.«
Quelques personnes expliquent par le souvenir d'une an-
cienne passion mal éteinte dans le cœur de Bonaparte le
pacte constamment heureux que l'époux de mademoiselle
Désirée Clary sembla avoir fait avec la fortune , une fois
que Napoléon fut devenu tout-puissant. Quand en effet l'em-
pire arriva, les grandeurs, les dignités et les dotations
plurent sur le républicain Bernadotte , qui devint successi-
vement maréchal de l'empire et prince de Ponte-Corvo ,
malgré les justes motifs de mécontentement qu'il donnait
souvent à l'empereur. Une influence secrète et mystérieuse
le soutint évidemment alors contre les volontés même de
Napoléon, pour qui Bernadotte dissimulait mal sa jalousie,
pour ne pas dire sa haine.
Après la campagne de l^russe , Bernadotte fut mis à la tête
d'un corps d'observation placé au nord de l'Allemagne , et
établit son quartier général à Hambourg. Les pleins pouvoirs
dont il était revêtu, l'importance de sa position, tout con-
courait à donner à son état-major une pompe, un air de cour,
qui durent vivement fixer les regards des habitants du Nord,
déjà fascinés par l'éclat des triomphes de la grande armée,
auxquels le prince de Ponte-Corvo, comme les autres ma-
réchaux, avait eu une part si brillante.
Pendant que le vice-roi de Napoléon trônait à Hambourg
ou dans les palais du pauvre roi de Danemark, une des plus
singulières révolutions dont l'histoire fasse mention venait
de précipiter du trône de Suède Gustave IV. La nation,
dont il avait méconnu les droits et compromis l'existence
politique par ses rodomontades contre révolutionnaires, le
lit abdiqiier, au détriment de sa descendance directe, en fa-
veur de son oncle le duc de Suderma^iie, qui prit les rênes
du gouvernement sous le nom de Charles XI II. Ce prince
n'avait jamais eu d'enfants et n'était pas d'âge à en espérer;
il fallait dès lors lui choisir un héritier. La diète élut à une
wmiense majorité le prince Chrétien-Augusle de Holstein-
Augustenbourg, dont la nation suédoise avait eu lieu
d'apprécier les rares qualités, et qui sortait de cette illustre
maison de Holstein qui a donné des souverains à la Suède,
au Danemark et à la Russie. Charles XIII était trop affaibli
par l'âge et les infirmités pour pouvoir soutenir le poids
d'une couronne ; aussi le prince royal régnait-il sous son
nom. Six mois s'étaient écoulés depuis l'élection du prince
ile Holstein, et déjà on parlait avec assez de ceititude d'im
projet de mariage entre lui et une des nièces de l'empereur
des Français , quand le peuple suédois apprit un jour que
l'homme en (|ui rei)osaient toutes les espérances de la patrie
venait de périr mystérieusement en se rendant d'Helsing-
bourg à un camp de plaisance formé en Scanie. Cette cata-
strophe jetait la Suède dans un crise analogue à celle d'où
l'avait tirée l'élection du prince Chrétien-Auguste. Pour ne
pas prolonger un état d'incertitude qui pouvait devenir fatal
à la sécurité du pays, la diète résolut de procéder à l'élec-
tion d'un autre candidat à l'iiérilagc de la couronne. Le
frère aîné du prince Chrétien-Auguste , le duc alors régnant
de Holstein-.\ugustenbourg, rélmis^ait en sa faveur la ma-
jeure partie des voix qui avaient porté son frère; sou élec-
tion paraissait certaine, quand l'ambition d'un tiers, le roi
de Danemark, qui se portait ouvertement candidat, rêvani
acnsi la réunion des trois couronnes, vint la contrarier. Les
intrigues se croisèrent et se multiplièrent au sein de la diète. .j
Ce fut alors que quelques membres mirent pour la pre-
mière fois en avant le nom du prince de Ponte-Corvo , de I
Bernadotte. Tout autre maréchal d'enq)ire qui aurait été in-
vesti à cette époque du même commandement à une dis-
tance si peu éloignée du théâtre où s'agitaient ces graves in- '
térêts aurait eu , dit-on , le même honneur. On assure en
effet que l'élection du prince de Ponte-Corvo n'était qu'un
mezzo termine trouvé alors par quelques habiles de la diète
à l'effet de gagner du temps et de repousser par une fin de
non recevoir les instances par trop pressantes d'un candidat
qui avait trouvé commode de faire arrêter son compétiteur
pour l'empêcher d'être élu. On comptait que l'orgueil de
Napoléon ne consentirait jamais à l'élévation d'un de ses
lieutenants à un trône qu'il ne tiendrait ni directement ni
indirectement de sa munificence , puisque son ministre à
Stockholm avait travaillé publiquement et avec ardeur dans
les intérêts du roi de Danemark. On se trompa. Napoléon,
comme tous les hommes qui sont partis de bas et sont par-
venus bien haut en peu de temps, croyait à la fatalité.
Aussi , quand le prince de Ponte-Corvo, que la nouvelle de
son élection surprit à Paris, vint lui en faire paît, s'il hé-
sita un instant sur le parti qu'il devait prendre dans cette
occun-ence, s'il essaya, mais en vaia, de ne laisser partir
Bernadotte qu'après lui avoir fait signer l'engagement de ne
porter jamais les armes contre la France , ce fut pour s'é-
crier enfin : ii. Partez l que les destins s'accomplissent! »
Ces paroles étaient prophétiques. Bernadotte arriva en Suède
nanti de deux millions de francs que lui avait doimés Napo-
léon, pour qu'il n'eût pas l'air, a-t-il dit plus tard, d'y venir
avec toute sa foltune dans son bissac.
Le 19 octobre 1810 , le prince de Ponte-Corvo arriva de
Copenhague àElseneur, et descendit à l'hôtel du consul que
la Suède entretient dans ce port. Ce fut dans cette maison ,
en présence d'une nombreuse assistance, qu'il abjura la re-
ligion catholique, dans laquelle il était né, pour embrasser
la religion luthérienne : cette abjuration de sa foi religieuse
était une condition essentielle de son élection. Le lendemain,
20, une frégate suédoise transporta sur l'autre rive du Sund,
à Helsingbourg, le nouveau prince royal de Suède, qui eut
sa première entrevue avec son père adoptif le roi Charles XIII.
Le 3 1 il fut solennellement présenté à la diète. Le 5 novembre
suivant, une déclaration officielle du vieux roi annonça au
peuple suédois qu'il l'avait adopté pour son fils. Le prince
de Ponte-Corvo piêta le même jour entre les mains du mo-
narque serment de fidélité en sa qualité nouvelle de prince
royal de Suède et héritier du trône , et reçut les serments et
les hommages des membres de la diète, k cette occasion il
.prit le nom de Char les- Jean, et son fils Oscar reçut le litre
de duc de Sudermanie.
A ce moment coumience réellement le règne de Charles-
Jean, bien qu'il ne date officiellement que du 5 lévrier 1818,
époque de la mort du roi, son père adojitif; mais on sait que
ce prince, déjà affaibli pai- l'âge, lui abandonna complète-
BERNADOTTE
S9
ment la direction des alTaires. A lui donc toute la responsa-
bilité du bien et du mal qui vont suivre!
Devenu Suédois , Bernadette avait-il cessé d'être Français
à ce point qu'il put se réunir aux ennemis de la France et
s'armer contre elle, sans être ingrat et parjure? C'est une
question d'honneur et de conscience que ceux-là seuls peu-
vent résoudre qui croient encore à la puissance de ces
mots. Pour réaliser son blocus continental , Napoléon avait
besoin du concours loyal de tous ses alliés : c'était l'unique
moyen d'enlever à l'Angleterre le monopole de l'industrie
et de la navigation des deux mondes. Mais ce système devait
rencontrer de graves obstacles dans son exécution. Il impo-
sait en effet aux populations de pénibles privations ; le mal
présent se faisait vivement sentir, tandis que les avantages
qui devaient en résulter étaient dans le domaine de l'avenir.
Les eflorls prodigieux faits par l'Angleterre pour détourner
le coup terrible qui devait anéantir sa puissance ont prouvé
qu'elle avait su en apprécier les dangers. La Suède se trou-
vant particulièrement lésée dans ses intérêts du moment
par le système continental, 13ernadolte, pour se rendre po-
pulaire, lutta contre les exigences de Napoléon. S'il ac-
quérait ainsi les sympathies de ses nouveaux concitoyens ,
il satisfaisait en môme temps sa vieille rivalité, heureuse
enfin de traiter d'égale à égale avec une supériorité hnpa-
tiemment su[>portée pendant si longtemps. La correspon-
dance directe échangée à ce sujet entre le prince royal de
Suède et l'empereur ne cessa toutefois qu'en 1813.
Napoléon ne voulait consentir à aucune concession en fa-
veur de la Suède, qui par sa position ne pouvait, sans les
plus grave:^ inconvénients, rompre ses relations commerciales
avec l'Angleterre. De là l'aigreur, puis la mésintelligence que
l'on remarqua bientôt dans les relations diplomatiques des
deux puissances. Les coalisés en prolitèrent pour presser Der-
nadotte de faire cause commune avec eux. La fameuse confé-
rence secrète d'Abo s'ouvrit dès 1812. L'accession de laSnède
à la coalition y fut décidée entre l'empereur Alexandre, le
plénipotentiaire anglais et le prince royal de Suède Berna-
dotte. On conseillait à celui-ci d'exiger la restitution de la Fin-
lande; d'autres n'insistaient que sur la mise en possession
immédiate des îles d'Aland et de la terre ferme jusqu'à
Uleaborg. Bernadotte partageait ces vues ; mais l'empereur
Alexandre répondit à ses pressantes réclamations, dont il ne
pouvait contester la légitimité : « Cette concession me dépo-
pulariserait ; je préfère vous remettre , s'il le faut, les îles
d'Œsel et de Dago. » Bernadotte se contenta de répondre :
« Je ne veux d'autre garantie que votre parole. «
Par une convention ultérieure, il fut décidé que Berna-
dotte recevrait en indemnité la Norvège au lieu de la Fin-
lande; mais c'était là une véritable déception, le marché de
la peau de l'ours. On ne possédait même pas ce que l'on cé-
dait, et l'on sait que la Suède n'obtint plus tard la Norvège
que par la conquête. Or il n'y a pas de conquête qui ne
coûte de l'or et du sang. Cette acquisition, chèrement ache-
tée, ne pouvait d'ailleurs compenser la perte de la Finlande,
qui , par sa jposition géographique , doit être considérée
comme le boulevard de la nationalité suédoise. Du moment
où la Russie est en possession de cette province et des îles
d'Aland, une armée russe peut en quelques jours se trouver
au cœur de la Suède, qui est restée sur ce point important
sans frontière défensive.
Les seigneurs suédois , qui aux conférences d'Abo pres-
saient ]]ernadotte d'insister auprès de l'empereur de Paissie
sur la restitution immédiate de la Finlande et des îles d'A-
land, comprenaient mieux que le nouveau prince royal les
véritables intérêts politiques de leur pays. Charles-Jean, en
se contentant d'une promesse verbale, se mit à la merci de
la Russie alors qu'il cilt pu obtenir des garanties réelles. La
restitution de la Finlande aurait à la rigueur justifié son adhé-
sion à la coalition; c'était tout au moins, le seul moyen
de la faire excuser.
Cet abandon de la Norvège promis par l'empereur de
Russie, Bernadette l'avait aussi demandé à Napoléon à Tc-
poque même des conférences d'Abo. il en faisait alors la con-
dition expresse de son alliance avec la France; dans son
ultimatum, il avait proposé de faire céder cette province à la
Suède par le Danemark, qu'on aurait indemnisé ailleurs ; pre-
nant l'empereur par son faible, il faisait remarquer qu'une
descente de Norvège en Ecosse serait facile. Napoléon ré-
pondit qu'il ne pouvait consentir à cette cession sans violer
les traités existant avec le Danemark. C'est quand il vit
l'empereur bien déterminé à ne point dépouiller le Dane-
mark au profit de la Suède, que Bernadotte signa avec la
Russie et l'Angleterre le fameux traité d'Abo. En refusant
r.on concours à l'expédition de Russie, qu'eût singulière-
ment favorisée une diversion en Finlande, il porta un coup
mortel à la puissance de Napoléon. Sans doute il avait com-
pris qu'il y avait plus de chances de sécurité pour lui avec
les vieilles dynasties qu'avec l'homme encore maître de l'Eu-
rope, mais qui n'était en réalité que le colosse aux pieds
d'argile. Vainement on prétendrait que Beinadotte pensait
alors que l'objet unique de la coalition était de forcer Na-
poléon à changer de système politique; que l'Europe n'était
armée que contre son ambition. Mieux que personne il sa-
vait que les souverains de l'Europe ne pouvaient pardonner
à Napoléon d'avoir porté si haut le nom et la puissance de
la France. Entre eux et lui il n'y avait pas de réconciliation
possible. En signant la convention d'Abo, il se plaça franche-
ment dans les rangs des ennemis de son pays. Le désastre de
IMoscou vint bientôt surexciter les espérances du parti an-
glo-iiisse à la cour de Stockliolm, et le gouvernement sué-
dois n'hésita plus alors à envoyer à l'ambassadeur de France
ses passeports.
Bernadotte, affectant de croire aux bonnes intentions
de la coalition à l'égard de la France , écrivait encore à Na-
poléon, le 23 mars 1813 : « Je connais les bonnes disposi-
tions de l'empereur Alexandre et du cabinet de Saint-James
pour la paix. Les calamités du continent la réclament , et
Votre Majesté ne doit pas la repousser. Possesseur delà plus
belle monarchie de la terre, voudra-t-elle toujours eu
étendre les limites et léguer à un bras moins puissant
que le sien le triste héritage de guerres interminables? Voti o
JMajesté ne s'attachera-t-elle pas à cicatriser les plaies d'une
révolution dont il ne reste plus à la France que le souveni**
de sa gloire militaire et des malheurs réels dans son inté-
rieur? Sire, les leçons de l'histoire rejettent l'idée d'une
monarchie universelle, et le sentiment de l'indépendance
peut être amorti, mais non effacé du cœur des nations.
Que Votre INlajesté pèse toutes ces considérations et pense
réellement à une paix générale, dont le nom profané a fait
couler tant de sang. Je suis né dans cette belle France que
vous gouvernez, sire : sa gloire et sa prospérité ne peuvent
jamais m'ôtre indifférentes ; mais, sans cesser de faire des
vœux pour son bonheur, je défendrai de toutes les facultés dé-
mon âme et les droits du peuple qui m'a appelé et l'honneur
du souverain qui a daigné me nommer son (ils. Dans cett«
lutte entre la liberté du monde et l'oppression, je dirai aux
Suédois : Je combats pour vous et avec vous , et les vœux
des nations libres accompagneront nos efforts. En politique,
sire, il n'y a ni amitié ni haine; il n'y a que des devoirs à
remplir envers les peuples que la Providence nous appelle
à gouverner. Leurs lois et leurs privilèges sont des biens qui
leur sont chers; et si pour les leur conserver on est obligé
de renoncer à d'anciennes liaisons et à des affections de
fann'lle, un prince (pii veut rem[)lir sa vocation ne doit jamais
hésiter sur le paiti à prendre... Pour <* qui concerne mon
aml)ition personnelle, j'en ai une très-grande, je l'avoue:
c'est celle de servir la cause de l'humanité et d'assurer l'in-
dépendance de la presqu'île Scandinave. Pour y parvenir,,
je compte sur la justice de la cause que le roi m'a ordonné
de défendic, sur la persévérance de la nation et sur U
40
BEriNADOTTE
loyauté de «es alliés. Quelle que soit votre détermination ,
sire , pour la paix ou pour la guerre , je n'en conserverai pas
moins pour Votre Majesté les sentiments d'un ancien frère
d'armes. Charles-Jean. » Bernadette, dans cette lettre, sem-
blait aspirer à l'honneur d'intervenir comme médiateur.
Peu de mois cependant avaient suffi à Napoléon pour créer
une nouvelle et puissante armée , et son entrée en cam-
pagne avait été signalée par la brillante victoire de Lutzen ;
il avait refoulé les Prussiens et les Russes jusqu'en Silésie;
toute la rive de l'Elbe avait été balayée jusqu'à Dresde, où
il établit son quartier général. Un armistice fit cesser les
hostilités, des négociations s'ouvrirent. Bernadotte profita-
t-il de la trêve pour proposer cette paix générale, dont le
nom profané a fait couler tant de sang? Nullement. La
trêve fut à peine expirée, qu'à la tête de 30,000 Suédois, il
joignit l'armée alliée sous les murs de Lîerlin, et repoussa le
corps d'armée du maréchal Ney à Dennewitz. La grande
armée française s'était repliée sur Leipzig; la victoire était
incertaine, quand Bernadotte parut avec ses Suédois, et dé-
cida du sort de la bataille. L'empereur Alexandre et le roi
de Prusse l'embrassèrent publiquonent sur la grande place
de Leipzig. Ils lui devaient une victoire inespérée : ils le
proclamèrent leur libérateur. La coalition paya ce service
en permettant à Bernadotte d'employer la force pour s'em-
parer de la Norvège. Chargé d'agir contre le corps aux or-
dres de Davoust et contre les troupes danoises, Bernadette
songea alors un instant, dit-on, à se faire proclamer roi de
Nordalbingie, dénomination sous laquelle aurait été com-
pris un nouvel État constitué à son profit au nord de l'Eu-
rope au moyen des duchés de Schleswig-IIolstein et du Jut-
land enlevés au Danemark. Mais, changeant bientôt d'idées,
il se contenta de forcer le roi de Danemark à ratifier les sti-
pulations d'Abo et à consentir à l'abandon de la Norvège par
la paix signée à Kiel le 14 janvier 1814.
Est-il vrai que cette modération de Bernadotte provint
de la conviction où il était que ses augustes et victorieux
alliés avaient le projet de placer sur sa tête la couronne
qu'ils se disposaient à arracher à Napoléon.' Ce qui autori-
serait à penser qu'il voulait, en s'effaçant, ménager les sus-
ceptibilités nationales, c'est la lenteur e\trême qu'il mit à
rejoindre la grande armée aUiée. 11 n'entra d'ailleurs en
P^rance qu'en s'y faisant précéder de la proclamation sui-
vante : « Français , j'ai pris les armes par l'ordre de mon
roi, pour défendre les droits du peuple suédois. Après avoir
vengé les affronts qu'il avait reçus et concouru à la déli-
vrance de l'Allemagne, j'ai passé le Rhin. Revoyant les bords
de ce fleuve, où j'ai souvent et si heureusement combattu
pour vous , j'éprouve le besoin de vous faire connaître ma
pensée. Votre gouvernement a constamment essayé de tout
avilir, pour avoir le droit de tout mépriser; il est leinj)s que
ce système change. Tous les hommes éclairés forment des
voeux pour la conservation de la France : ils désirent seule-
ment qu'elle ne soit i)as le fléau de la terre. Les souverains
ne se sont pas coalisés pour faire la guerre aux na-
tions, mais pour forcer votre goiu^ernement à reconnaî-
tre l'indépendance des États ; telles sont leurs intentions,
et je suis auprès de vous garant de leur sincérité. Fils
adoptif de Charles XIII, placé par l'élection d'un peuple
libre sur les msrches du trône du grand Gustave, je ne puis
désormais avoir d'autre ambition que celle de travailler à la
prospérité de la presqu'île Scandinave. Puissé-je, en remplis-
sant ce devoir sacré envers ma nouvelle [tatric, contribuer en
même temps ou bonheur de mes anciens compatriotes! »
Les termes de cette proclamation ne posaient sans doute
pas ouvertement sa. candidature au trône de France ; mais
peut-être Bernadotte n'hésitait-il tant à faire louler le sol
français par son armée, que pour se rendre possible en pa-
raissant être resté étranger aux désastres du peuple fran-
çais? Quoi qu'il en ait pu être, il n'arriva à Paris que long-
temps après les souverains alliés, alors que l'entrée du comte
d'Aitois dans cette capitale et les conventions intcrvcriip»
entre ce prince et les coalisés avaient dû lui enlever toute
espérance, s'il en avait jamais eu réellement.
L'accueil que reçut à Paris l'ancien prince de Ponte-Coivo
le détermina à regagner promptement sa seconde patrie.
Ses futurs sujets le reçurent avec les plus vifs transports de
joie et le portèrent en triomphe à son palais. De ces deux
réceptions si différentes, à laquelle fut-il le plus sensible ?
Après la chute et l'abdication de Napoléon, l'Europe fut
en paix, la Suède exceptée. L'armée suédoise avait repassé le
Belt et s'était dirigée sur la Norvège. Le prince Christian de
Danemark, gouverneur général de ce royaume au nom de
Frédéric VI, essaya de le conserver à son pays en s'y dé-
clarant indépendant, et en s'y faisant couronner roi sous le
nom de Chrétien V ; mais la lutte était trop dispropor-
tionnée pour avoir des cliances de succès. Le 10 octobre
le prince Christian se rembarquait pour le Danemark,
et abandonnait la Norvège à Bernadotte, à la suite d'une
convention par laquelle celui-ci consentit pourtant à re-
connaître comme loi fondamentale de ce royaume la cons-
titution que les notables habitants réunis à Eidswold s'é-
taient donnée quelques mois auparavant; constitution qui
est incontcstabiement la plus lili(;ralede celles qui fonction-
nent encore aujourd'hui en Euro[)e. Pendant les Cent-Jours,
Bernadotte refusa de se mêler en rien des affaires inté-
rieures de la France. «Déclarer la guerre à une nation contre
laquelle nous n'avons maintenant aucim grief, écrivait-il au
représentant de la Suède au congrès de Vienne, le comte de
Lœwenhjelm, ne serait-ce pas s'interdire les avantages d'un
système que nous prescrivent à la fois notre position géogra-
phique, nos relations commerciales et notre organisation
politique? Il ne s'agit que de replacer les choses dans leur
état primitif en partant du traité de Paris, qui a terminé la
guerre entre la France et la Suède et mis fin à la coalition. »
L'attitude douteuse gardée pendant cette crise décisive par
Bernadotte le compromit singulièrement avec la Sainte-
Alliance. Une conspiration eut lieu en Suède contre sa vie en
1818; et certains souverains, l'empereur d'Autriche notam-
ment, ne se gênaient pas alors pour exprimer publiquement
le vœu de voir le principe de la légitimité triompher aussi
dans cette partie de l'Europe. Gustave-Adolphe , errant en
Allemagne, avait fait protester son fils contre l'abdication
qu'il soutenait lui avoir été arrachée par violence. A ce mo-
ment Bernadotte fit savoir aux puissances garantes du traité
de Kiel que si les diètes suédoise et norvégienne le déga-
geaient de ses serments, il descendrait du trône où leur suf-
frage l'avait fait monter.
La protection accordée publiquement par l'empereur
Alexandre au jeune Gustave Wasa, le mariage d'une fille de
Gustave IV avec un prince de la maison de Bade, furent en-
core pour le soldat parvenu autant de causes de sérieuses
inquiétudes.
Bernadotte, après avoir surmonté tous ces obstacles avec
une habileté qu'on ne saurait nier, succéda pourtant sans
opposition au roi Charles XIII, mort le 5 février 1818 , et
prit en montant sur le trône les noms de Charles-Jean XfV.
Il signa devant le conseil d'État Y acte d'assurance et de
garantie exigé par la constitution; puis il se fit couronner
le 11 mai à Stockholm, et le 7 septembre à Drontheim. An
sacre célébré dans la première de ces villes on eut lieu de
remarquer une particularité ingénieuse : à chacun des degrés
qui conduisaient à un trône fort élevé où le nouveau souve-
rain devait recevoir l'hommage des États et des fonction-
naires publics , on lisait sur des écussons les noms de ses
principales victoires, et ces noms semblaient indiquer que
tels étaient les titres de sa grandeur véritables, ceux qui l'a-
vaient conduit au trône. Malgré l'origine popidaire de son
autorité, tous les princes de droit divin finirent par en
prendre leur parti, et lui adressèrent leurs félicitations.
i.c<^^ premières annéesdu règne de Charles-.Tean XIV cou y-
lîERNADOTTE — BERNARD
4i
leront paniii les plus heureuses des annales de la Suède.
Sauf des difficultés toujours renaissantes avec les Xoné-
giens , peuple rude , ombrageux , fier de sa constitution dis-
tincte de celle de la Suède, et dont l'assemblée nationale
( stortinng ) se mettait souvent en opposition avec les idées
et les plans de Bernadotte, nul orage ne vint de longtemps
troubler les jours du Béarnais suédois, qui fut un moment
peut-être le plus populaire des rois de l'Europe, dont il était
le doyen d âge. Sur ce trône gagné au grand jeu du destin,
il développa des qualités qu'on n'eût pas osé attendre d'un
soldat. La Suède vit l'agriculture, restée jusqu'alors en ou-
bli, renaître, prospérer et fleurir, le commerce tiré d'une
langueur qui semblait incurable, le crédit public restauré,
l'industrie, expirante , rendue à la vie et encouragée. De
nombreux travaux d'utilité publique furent exécutés sur
divers points du royaume ; une large route creusée à travers
les Alpes Scandinaves vint lier physiquement la Suède et la
Non'^e, et l'immense canal de Gothie, qui unit la Baltique
à la mer du Nord, restera comme un monument impérissable
des grandes et utiles pensées de Charles-Jean XIV.
Malheureusement, sous le point de vue intellectuel et
politique, le progrès fut infiniment moindre. Cependant dans
le principe le nouveau roi , bien qu'imbu au fond , en nia-
jère de gouvernement , des traditions de l'école impériale,
prit souvent l'initiative d'innovations généreuses. Mais à ses
goûts de harangueur, qui dataient de l'an XI, il joignit sur
le trône un penchant assez prononcé pour la petite guerre
de journaux : ne pouvant plus se servir de son épée , il se
battait de temps à autre, tant bien que mal, avec sa plume,
littérairement aussi peu suédoise que française, contre les
journalistes de l'opposition.
Sur les dernières années de son règne , l'opposition , de-
venue de plus en plus formidable, avait réussi à le dépopu-
lariser à peu près complètement. On lui reprochait d'aimer
trop le pouvoir absolu et de s'attacher avec une puérile exac-
titude aux minutieuses prescriptions de l'étiquette. L'héritier
présomptif, le prince Oscar, était, selon l'usage , le chef des
mécontents. Une fois , pourtant, Charles XIV, trouvant que
son fils jouait son rôle trop au naturel , et n'osant pas l'en
blâmer ouvertement, reconmianda à tous les ecclésiastiques
du royaume de prêcher « sur le commandement de Dieu
qui ordonne aux enfants de re^ipecter leurs père et mère ».
Benjamin Constant avait déjà tracé le portrait suivant de
Bernadotte : « Quelque chose de chevaleresque dans la
figure, de noble dans les manières , de très-fin dans l'esprit,
de déclamatoire dans la conversation , en font un homme
remarquable , courageux dans les combats , hardi dans les
propos , timide dans les actions qui ne sont pas militaires ,
irrésolu dans ses projets.... »
Il fut frappé d'apoplexie le 26 janvier 1844, le jour même
où il entrait dans sa quatre-vingtième année. Dès les pre-
miers instants les médecins conservèrent peu d'espoir de
sauver ses jours. Cependant durant six semaines sa vigou-
reuse organisation lutta contre les progrès du mal. Il expira
le 8 mars, laissant, dit-on, à son fils Oscar une fortune per-
sonnelle évaluée à plus de quatre-vingt millions de francs,
et provenant de spéculations heureuses ainsi que d'écono-
mies faites pendant son long règne sur sa liste civile.
BERiVARD, roi d'Italie, était fils de Pépin et petit- fils
de Charlemagne, qui lui donna le gouvernement de l'Italie
en 812, deux ans après la mort de son père, possesseur de
ce trône avant lui. Lorsque Louis le Débonnaire, son oncle,
eut été reconnu successeur de Charlemagne , le nouvel
empereur ne vit pas sans inquiétude un neveu dont les droits
étaient supérieurs aux siens régner si près de lui, et, l'ayant
fait venir à Aix-la-Chapelle , il ne le laissa retourner en
Italie qu'après l'avoir séparé de ses fidèles conseillers. A peu
de temps de là il associait son fils Lotliaire à l'empire. Cette
nouvelle atteinte aux droits de Bernard détermina de la
l>art de celui-ci une tentative de résistance ; mais, battu et
DK.T. DF. I .\ COWERS. — T. Ul.
fait prisonnier en 818, il fut incarcéré, jugé, et condamné à
mort. Sa peine fut commuée toutefois, et son débonnaire
vainqueur lui fit simplement crever les yeux; mais l'infor-
tuné mourut de cet affreux supplice au bout de trois jours.
BERA'ARD, fils de saint Guillaume, duc de Toulouse,
fut substitué en 820, par Louis le Débonnaire, à Béra, d'o-
rigine gothique, dans le duché de Septimanie. Appelé
en 828 à la cour de France par l'impératrice Judith, qui
voulait s'en faire un appui contre les enfants que son époux
avait eus d'un premier lit, il y jouit d'une telle faveur et y
prit de telles mesures pour assurer à Charles, fils de Judith,
un royaume dont la formation devait ébrécher l'héritage de
ses frères consanguins, qu'il excita contre lui le méconten-
tement des seigneurs et fut accusé de sortilège et d'adultère.
Obligé de fuir, il prit part à toutes les entrepiises de Pépin,
roi d'Aquitaine, contre son père. Louis, irrité, le dépouilla de
son duché en 832 ; mais il le lui rendit l'année suivante, parce
qu'il l'avait secouru avec Pépin contre Lothairc. Plus tard,
ses relations avec Pépin II, roi d'Aquitaine , le mirent en
suspicion auprès de Charles le Chauve, qui, voyant dans sa
conduite équivoque à la bataille de Fontenai une trahison,
le fit mettre à moil en 844, comme coupable de lèse-majesté.
D'autres chroniques le font traîtreusement poignarder
par Charles, après une réconciliation et un traité qu'ils
avaient tous deux signés du sang de Jésus-Christ. C«
meurtre n'aurait même été , s'il faut en croire certaines re-
lations du temps, ni plus ni moins qu'un parricide. L'inti-
mité de Bernard avec Judith, la ressemblance de Charles
avec le duc de Septimanie, pouvaient bien ne pas rendre tout à
fait invraisemblable une telle supposition. Quoi qu'il en soit,
Bernard laissait de Dodane, sa femme, deux fils, Guillaume
et Bernard; le premier, âgé alors de dix-sept ans, se réfugia
en Espagne, et succéda plus tard à son père dans le duché de
Septimanie et d'Aquitaine, dont il fut redevable à Pépin 11.
BERXARD de Menthon (Saint), fondateur de l'hospice
du mont Saint-Bernard, était né en 923, près d'Annecy,
d'une des plus illustres maisons de Savoie. Porté par incli-
nation à la piété, il refusa un mariage avantageux auquel ses
parents attachaient une grande importance, et embrassa
l'état ecclésiastique. Devenu archidiacre d'Aoste, et rem-
plissant en même temps les fonctions d'official et de grand
vicaire , il imagina d'établir sur le sommet des Alpes deux
hospices qui portent encore son nom. Bernard de Menthon
termuia sa carrière à Novarre, le 28 mai 1008.
BERXARD (Samt) naquit , l'an 1091 , à Fontaine ,
village de Bourgogne, dont son père, nommé Tescelin , était
seigneur. Sa mère se nommait Aleth de Montbar. Malgré les
avantages de l'esprit et du corps, qui , joints à ceux de sa
position, lui assuraient des succès dans le monde, il montra
de bonne heure une véritable passion pour la solitude. Il
commença ses études dans l'école du chapitre de Châtillon,
et parut plus tard avec éclat dans l'université de Paris. Après
avoir passé quelque temps avec ses frères et quelques amis
en retraite dans la maison de son père, il entraîna ses com-
pagnons, au nombre de trente, à l'abbaye de Cîteaux, où ils
prirent l'habit de l'ordre. L'an 1115, l'abbé Etienne, chef
de l'ordre, ayant fondé l'abbaye de Clairvaux, dans une
valh'e aride et déserte du diocèse de Langres, nommée la
Vallée d'Absinthe, près de la rivière d'Aube, saint Bernard
en fut nommé abbé, et béni en cette qualité par Guillaume
de Champeaux, évêque de Cliâlons, pendant la vacance du
siège de Langres. Il n'avait alors que vingt-cinq ans.
La régularité de la vie qu'on menait sous la direction du
nouvel abbé attira autour de lui un grand nombre de dis-
ciples ; puis cette multitude se sépara en diverses colonies,
qui fondèrent autant de nouveaux monastères , reconnais-
sant tous la suprématie de l'abbé de Clairvaux. A cette
époque , où l'enthousiasme religieux , qui se manifestait
depuis quelque temps par les croisades, emportait tous
les esprits , la réputation do science et de pieté de saint,
6
42
BERNARD
Bernard devait attirer sur lui l'attention des puissances ri-
vales du sacerdoce et de l'empire. Aussi assisla-t-il aux
conciles de Troyes en 1128 , et de Châlons en 1129. Ce fut
d'après son jugement , auquel on était convenu de s'en
rapporter, que l'assemblée d'Étampes, réunie par la volonté
de Louis le Gros, en 1130, reconnut Innocent II pour
souverain pontife, et rejeta Anaclet. Ce pape étant venu en
France, saint Bernard l'accompagna à Orléans, et persuada
au roi d'Angleterre, Henri I^"", de le reconnaître. De là il le
suivit en Allemagne, et, dans la conférence que le pontife
eut avec l'empereur Lothaire II , il parla avec liberté à ce
prince pour le détourner de la demande qu'il avait faite au
pape du rétablissement des investitures. De retour en France,
Innocent II tint un concile à Reims, visita Cluny et Clair-
vaux, et emmena saint Bernard à Rome ; de là il le fit passer
en Allemagne, où il réussit à ménager la paix entre Conrad
et Lothaire. Rappelé auprès du pape, qui avait été forcé de
ne réfugier à Pise, il assista en 1134 au concile de cette ville,
à l'issue duquel il réconcilia avec le clergé romain celui de
Milan, qui s'était attaché à Anaclet. Le succès de sa mission
fut si grand, qu'il eut peine à se soustraire aux honneurs que
voulaient lui rendre les Milanais.
Un moment rendu au repos de son monastère, il fut forcé
d'accompagner le légat du pape en Guienne, où le duc de
cette province refusait d'obéir au saint-siége , et de rétablir
les évoques de Poitiers et de Limoges , qu'il avait expulsés.
Mais l'obstination de ce prince fut vaincue par la hardiesse
de saint Bernard, les évoques rétablis dans leurs sièges, et le
sclùsme étouffé.Il n'eut pas moins de succès lorsque, rappelé
en Italie en 1137, il détacha de la cause d'Anadet plusieurs
Romains, et surtout Roger, duc de Sicile, le seul des princes
qui lui prêtât encore son appui. Anaclet étant mort, celui
que l'on élut à sa place obtint son pardon d'Innocent Jl
par l'entremise de saint Bernard, et le schisme fut éteint.
A cette époque, Abélard avait entrepris, avec une grande
liberté, en appliquant la dialectique aux matières de la loi,
de reproduire et d'expliquer par des principes rationnels
les dogmes obscurs de la religion chrétienne , et princi-
palement la Trinité , ainsi que les principales idées de la
morale théologique, comme celle du p^hé et de la vertu.
Saint Bernard , après l'avoir en vain averti en particulier
de corriger ses erreurs , le poursuivit devant le concile de
Sens, et le fit condamner en 1140.
L'un de ses religieux , qu'il avait fait abbé du couvent
de Saint-Anastase , étant devenu pape sous le nom d'Eu-
gène III, le pria de prêcher une croisade pour satisfaire au
désir de Louis "VII, et l'enthousiasme de l'abbé de Clairvaux,
flattant la piété chevaleresque du prince , l'emporta sur
les sages conseils du prudent Suger, abbé de Saint-Denis.
La croisade ayant été malheureuse, le prédicateur l'attribua
aux péchés des croisés. C'était une excuse sur laquelle il
pouvait toujours compter. Il donna des règles aux Templiers,
s'opposa au moine Raoul , qui voulait qu'on tuât tous les
.(iiils, et poursuivit les disciples d'Arnaud de Drescia. Après
avoir assisté à trois conciles en l'an Ii47, et confondu
les erreurs de Pierre de Brueys de Hensi, il força l'évAque
de Poitiers, Gilbert de la Porée, de rétracter ses erreurs au
concile de Reims en 1148. Choisi pour médiateur entre les
peuples de Metz et quelques princes voisins, il termina leurs
différends, et mourut le 20 août 1 1 53. Il fut canonisé vingt ans
après sa mort par le pape Alexandre III.
On a porté sur saint Bernard des jugements tout à fait
opposés : les uns, révérant la qualité dont l'Église l'a revêtu,
l'ont regardé comme irréprochable ; les autres n'ont voulu
voir en lui qu'un hypocrite ambitieux et habile : tous se sont
trompés. Saint Bernard a été sincère dans son enthousiasme
religieux ; ce qui n'empêche pas de découvrir au fond de
toute sa conduite la ijussion d'exercer une grande influence.
Comme il ne parvint pas aux dignités de l'Eglise, auxquelles
U eiM pu prétendre, on en [iful conclure qu'il préférait le
pouvoir réel au titre qui semble ordinairement le conférer.
Il est du reste difficile de croire que, mêlé à toutes les in-
trigues pofitiques de son temps, il ait toujours conservé la
simplicité évangélique , et l'amertume de ses expressions
contre ceux qui se séparaient de l'orthodoxie , dont il
s'était fait le défenseur, ne peut être justifiée par son zèle.
Le style de saint Bernard est vif, noble et serré, ses pensées
sublimes, son discours délicat. Il est également plein d'onc-
tion, de tendresse et de force; U est doux et véhément. Nous
ajouterons cependant qu'il est souvent gâté par l'affectation
et les jeux de mots. Il exprime le culte qu'il rend à la Vierge
par les termes d'une galanterie mystique et d'une afféterie
souvent ridicule. Ce défaut du reste tenait à son siècle , et
n'empêche pas que ce ne soit à juste titre qu'il a été appelé
le dernier des Pères. Ses ouvrages se composent de lettres,
de traites théologiques et mystiques, de sermons. Un de ses
plus remarquables écrits est sans contredit le Traité de la
Considération, aiire?,sé à Eugène III, et dans lequel il donne
à la papauté d'excellents conseils, dont il eût bien fait de
s'appliquer plusieurs à lui-même. La meilleure biographie
de saint Bernard a été donnée par M. de Villefore. La seule
édition de ses ouvrages qui soit consultée aujourd'hui est
celle de D. Mabillon (1690, 2 vol. in-fol.).
H. BocCHiTTÉ, ancien rccleiir.
BERNARD de Thuringe, visionnaire du dixième siè-
cle, qui, sur la foi de l'Apocalypse, où il avait lu que l'an-
cien serpent serait délit', s'imagina que ce serpent signi-
fiait l'antéchrist. Or, comme l'Annonciation de la Vierge se
rencontrait avec le vendredi saint de l'année 9G0, il en con-
clut que cette coïncidence de la conception et de la moil de
Jésus-Christ annonçait évidemment la fin du monde, les
temps ne pouvant point aller au delà de cette période. De
cette vision au charlatanisme il n'y avait qu'un pas. L'er-
mite Bernard fit l'inspiré, et prêcha cette fin du monde,
comme une révélation de Dieu môme. Les prédicateurs
ajoutèrent à l'effroi que provoqua celte prédiction , et une
éclipse totale de soleil vint mettre le comble à la teneur
universelle. La reine Gerberge, femme de Louis d'Outremer,
roi de France, engagea plusieurs théologiens à rassurer le
peuple , en combattant l'extravagance du visionnaire. La
crédulité l'emporta sur la raison , et les moines firent une
ample récolte d'héritages et de donations. Il fallut que le
onzième siècle arrivât pour dessiller les yeux de cette popu-
lation d'imbéciles ; alors, quand on vit que le soleil se levait
encore tous les matins, on finit par se moquer des visions
de l'ernùte charlatan , qui ne fut pas le dernier de sa race.
ViENNET, de l'Académie Française.
BERIVARD DE VENTADOUR, l'un des plus célèbres
troubadours provençaux du douzième siècle, naquit d'une
famille humble et pauvre, au château de Ventadour , dans
le Limousin, on ne sait pas précisément en quelle année.
Raynouard dit que son père était de la classe des valets.
Quoi qu'il en soit, les heureuses dispositions de Bernard, la
vivacité de son esprit et le tour brillant de son imagination
le firent de bonne heure distinguer par ses nobles seigneurs.
Tout enfant, il composait des vers; il les chantait d'une
si douce voix , en accompagnant son chant de gestes si
gracieux, qu'on jugea bientôt qu'il était destiné à surpas-
ser tous les autres troubadours. Le vicomte Èble III , qui
aimait son talent, voulut le garder auprès de lui ; il l'en-
couragea, l'aida de ses conseils et le combla de marques
d'honneur. Èble avait une femme aimable et belle, Agnès
de Montluçon, et le troubadour adolescent ne put la voir
sans l'aimer d'amour. Il chanta sa peine, et il ne parait
pas q>ie cet amour ait révolté la noble châtelaine. Loin de là,
touchée du mérite de son troubadour, elle oublia sans doute
l'obscurité de sa naissance, et, ne voyant plus que l'éclat de
son talent, l'agréa pour chevalier, car l'heureux Bernard lui
jura protection et fidélité comme à la souveraine de sa vie.
Cette liaison chevaleresque et mystérieuse lui inspira uw«
foule de pièces charmantes, où il célèbre sa dame comme
une amante incomparable, quoique sous un nom convenu
entre elle et lui. Mais de quelque mystère que ce couple
heureux cherchât à voiler ses amours , Èble les soupçonna ,
et lorsque l'indiscrète conliance que donne le bonheur eut
inspiré au troubadour des aveux téméraires , le vicomte ,
ému de jalousie, chassa Bernard, et fit enfermer sa femme.
Bernard se uut alors à voyager. A la cour de Normandie,
où sa grande réputation l'avait devancé, il se vit gracieuse-
ment accueilli par la duche'^se Éléonore. Elle était belle et
n'avait que trente ans ; elle était passionnée pour la poésie ,
et Bernard était le plus célèbre des troubadours ; elle l'aima
pour ses vers , et lui l'aima aussi , vaincu par l'éclat de la
beauté uni an prestige de la puissance. Ce nouvel amour
lui inspira aussi de beaux vers.
On raconte qu'après un long séjour à la cour de Norman-
die, Éléonore ayant épousé Henri II, qu'elle sni\it en Angle-
tcire, le troubadour alla se consoler de la perte de sa royale
amante à la cour du comte de Toulouse, Raymond V, où
plusieurs beautés le captivèrent tour à tour. Là il apprit
qu'Èble III s'était retiré dans le monastère du Mont-Cassin ;
quant à la dame captive , on ne savait ce qu'elle était de-
venue. Bernard l'aimait encore ; touché de la destinée peut-
être tragique qu'il lui avait faite par son amour, il la pleura
dans plusieurs pièces de vers pleines de la plus tendre sen-
sibilité et d'une délicatesse si parfaite qu'elle étonne quand
on songe à l'état de barbarie où était alors l'Europe. Ber-
nard partit ensuite pour la Terre Sainte ; on ne sait rien de
plus de sa vie, sinon qu'il mourut dans l'abbaye de Dalon,
en Limousin, où sa vieillesse avait cherché quelques années
de calme et de recueillement.
Il nous reste de Bernard cinquante chansons et deux
tensons. Outre que ce troubadour est un de ceux dont il
nous est resté le plus de vers, ses poésies ont pour nous un
charme particulier : elles ont été inspirées par des circons-
tances de sa vie, douces ou pénibles , mais réelles ; elles ré-
pondent à des émotions vraies, et l'accent en est toujours,
ou à peu près, sincère. Jean AiCAr.a.
BERJVARD (Clacde), appelé communément le Pauvre
Prêtre, ou le Père Bernard , naquit à Dijon, en 158S; il
était fils d'Etienne Bernard, magistrat distingué du temps
d'Henri IV. Après avoir vécu quelque temps en ecclésias-
tique mondain, il renonça à la dissipation et au plaisii- pour
se vouer tout entier au service des pau^TCs. Il se dépouilla
en leur faveur d'un héritage de 400,000 fr.
Vingt ans de sa vie furent consacrés à soulager les ma-
lades de l'Hôtel-Dien de Paris , d'où il passa à rhôi)ital
de la Charité, dans l'église duquel il fut enterré en mars
1641. Il improvisait presque toujours ses sermons.
BERI\ARD,duc de Saxe-Weimar, l'un des plus grands
capitaines du dix-septième siècle, né le 16 août 1604, pu-
pille, ainsi que ses sept frères, de l'électeur de Saxe Chris-
tian II, et, après lui, de Jean-Georges, se sauva de l'aca-
démie d'iéna, après la mort de sa mère (1617). Il avait ap-
pris de bonne heure, et sans longues études, les noms de
Maurice de Saxe, de Philippe de Hesse, l'attachement de
sa famille à la Réforme , son courage et ses malheurs. Le
jeune Bernard traversa la cour et les tournois du duc de
Saxc-Cobourg, et vint dès l'année 1621 partager avec hon-
neur à Wimpfen la défaite de l'union protestante. Bernard
assistait encore à la tète d'un régiment à Stadtloe ( 1623 ),
où son frère Guillaume fut fait prisonnier; il alla servir
un moment dans les Pays-Bas, sous Maurice de Nassau,
revint en Allemagne prendre le commandement d'un régi-
ment de cavalerie, sous les ordres de son frère Jean-Emest,
et vit le nouveau protecteur de l'Union évangéhque, Chris-
tian IV, roi de Danemark , battu par Wallenstein et
Tilly, rejeté jusque dans le Jutland, conclure la paix de
Lubeck ( 1629) avec la maison d'Autriche.
Réconcilié avec reiriporeur Tordinand 11, par l'cntrc-
BERiNARD 43
mise de Wallenstein, il reprit à Weimar ses études slratégi
ques; alla, durant l'été de 1629, en faire l'application au
siège de Bois-lc-Duc, et revint en Allemagne après la prise
de cette ville par le prince d'Orange. Cependant Gus-
tave-Adolphe, allié du cardinal de Richelieu, allait
descendre en Allemagne, au secours de la Réforme, confie
cette orgueilleuse et dévote maison d'Habsbourg , qui me-
naçait la Hollande par la Westphalie, la Suède par la Po-
logne, et tous les réformés allemands par l'édit de restitu-
tion des biens ecclésiastiques. Leduc de Weimar, qui com-
prenait par son génie celui de Gustave , actif et religieux
comme lui, courut droit au camp du héros, à Werben. En-
couragé par l'estime du roi de Suède , qui lui promit les
évêchés de Bamberg et de Wurtzbomg avec le titre de
duc de Franconie , Bernard défendit vigoureusement la
camp suédois contre une attaque de Tilly, chassa les Impé-
riaux du landgraviat de Hesse-Cassel, prit part à la réduc-
tion de Wurtzbourg, à celle de Mayence, fut mis à la têta
d'un petit corps dans le Palatinat , puis à la tête de toute
rinfantcrie sur le Rhin , mais subit avec répugnance , en
l'absence de Gustave , la suprématie de son minisire
Oxenstiern. Rapi»elc par Gustave en Bavière en 1632, il
fut chargé d'achever la conquête de ce duché , s'empara
dans le Tyrol des trois forteresses d'Ehrenbourg, lesclefs
de ce pays, et menaçait Ferdinand II, soit dans l'Autriche,
soit dans ses États d'Italie, quand il reçut l'ordre de re-
joindre Gustave en Franconie. Bernard prit à cette époque
le commandement de l'un des deux corps de l'armée sué-
doise, et à la journéedeLutzen ( 16 novembre 1632), il ra-
massait l'épée de Gustave mourant, poin- continuer la vic-
toire comme son exécuteur testamentaire.
Le lendemain de la bataille, toute l'armée suédoise fut
rassemblée à Weissenfels : là, Bernard annonça d'abord
aux oOiciers la mort du roi, et la résolution de le venger ;
s'assura du dévouement des chefs , et fit jurer aux soldats ,
sur le cadavre de Gustave , de le suivre partout. En quel-
ques jours, il délivra des Impériaux la Saxe et son élec-
teur , très-équivoque allié de la Suède. Pendant qu'Oxens-
tiern, dans le nord, contrarié par les intrigues de ce même
électeur , assemblait à Heilbronn les étals prolestants des
quatre cercles de la Haute-Allemagne, la Souabe, la Fran-
conie, le Haut et le Bas-Rhin, Bernard, non reconnu géné-
ral en chef par Oxenstiern, résolut de tenter de nouveau
l'invasion de l'Autriche par la Bavière, une première fois
interrompue par Gustave- Adolphe , comme on vient de le
voir; mais ses soldats et ceux du maréchal Horn, las d'al
tendre leur solde, et de conquérir des domaines et prin-
cipautés aux gens de plume et de cabinet, refusèrent tout
à coup de marcher. Bernard se chargea d'aller à Franc-
fort réclamer près du chancelier pour eux et pour lui, se
fit adjuger, ou peut-être reçut à l'amiable le duché de Fran-
conie avec les évêchés de Bamberg et de Wurtzbouig
comme fief relevant de la Suède, mais distribua les terres
de ce duché à ses officiers comme fief de l'empire : aussi
le prince allemand fut-il accusé par le parti suédois d'avoir
excité la mutinerie de ses troupes. Menacé par Oxenstiern
d'unedestitution, il réponditfièrement, dit-on, qu'unprincede
l'empire valait mieux que dix gentils-hommes suédois. Cette
fois encore, il demanda vainement le titre de généralissime,
rejoignit ses troupes avec l'argent de leur solde, profita de
la perfide inaction de Wallenstein , et prit Ratisbonne.
Sans la jalousie du maréchal Horn, sans les défiances
d'Oxenstiera, il eût envahi l'Autriche. Après l'assassinat du
duc de Friedland, il pouvait l'envahir encore; mais, aûaii-
donné de ses collègues, il s'adresse inutilement à l'électeur
de Saxe, il perd Ratisbonne, il est réduit à défendre son
duché de Franconie, et perd encore, avec la bataille deNo r<l-
lingen (1634), ce duché et les principaux postes des
Suédois sur le Danube, le Mein et le Necker. Bernard avait
refusé d'attendre les troupes du landgrave Othon, comme
C.
44
BERNARD
le conseillait le mar&lial Ilorn, qm fut fait prisonnier; sa
précipitation fut cause de sa défaite. Dans sa fuite, il brûla
lui-môme ses arctiives, perte irréparable pour l'histoire.
Après le désastre de Nordlingen , qui fit perdre aux Sué-
dois la confiance des Allemands, qui décida l'électeur de
Saxe à conclure h paix déloyale de Prague , et qui sans la
dureté de l'empereur eût mis tous les États protestants à ses
pieds, Bernard rassembla péniblement les débris de son
armée dans les environs de Francfort. Une défaite fit pour
lui plus qu'une victoire ; car, au moment où les Impériaux
s'emparaient de plusieurs États de la confédération sur le
Haut-Rhin , au moment où , pour secourir cette ville, les
Français passaient sur la rive droite du lleuve, contre les
termes d'un traité récent, il fut nommé généralissime par
les états protestants réunis à Worms , sur les instances du
ministre français résidant en celle ville, qui connaissait les
offres de l'Autriciie au duc de Weimar. Avec l'aide des
Français, Bernard reprit Spire, qui, avec Wurtzbourg et
Pliilipsbourg, était tombée pendant ces négociations au
pouvoir des Impériaux ; mais , bientôt abandonné par les
Français, par ses trois frères, par les princes protestants
qui avaient maudit l'électeur de Saxe, et qui l'imitaient, ré-
duit à garder seul les deux rives du Rhin, Bernard comprit
que l'heure prédite par Grotius était venue, où l'Allemagne
protestante devait subir l'alliance de la France catholique.
Avant le voyage d'Oxenstiem à Compiègne, il avait déjà traité
séparément avec la France pour renirelien de son armée, que
les confédérés d'Heilbronn ne pouvaient plus nourrir. Avec
les premiers secours amenés par le cardinal de La Valette ,
il rejeta le général impérial Gallas au delà du Rhin , qu'il
venait de franchir; toutefois, il ne put s'emparer de Franc-
fort, se joindre au landgrave de Hesse-Cassel , le seul prince
allemand qm fût encore allié de la Suède , et réparer les
désastres de Nordlingen , paralyser les effets de la paix de
Prague, en chassant Gallas de la Haute-Allemagne. Crai-
gnant d'être séparé de la France , il fit vers Metz , à travers
un terrain montueux, une retraite victorieuse, admirée par
Gallas , son adversaire , comme la plus belle action qu'il eût
jamais vue.
Par un traité conclu à Saint-Germain-en-Laye , Bernard
devait recevoir du roi de Franco quatre millions de livres
par an pour l'entretien de douze mille hommes d'infanterie,
de six mille chevaux avec l'artillerie nécessaire ; par les ar-
ticles secrets, on lui donnait l'Alsace, à la condition d'y
tolérer la religion catholique; mais il s'engageait à conduire
son armée , indépendante de la Suède , partout où le roi de
l'rartce l'oidoimerait. RicheUeu donnait l'Alsace à Bernard
pour qu'il eu fit la conqutHe , et Bernard , en recevant cette
province , songeait moins à s'indemniser de la perte de son
iuché de Franconie qu'à s'assurer contre la France elle-
même un asile, une lorleresse pour lui, pour ses frères
d'armes et de religion. Pour éviter avec les agents de la
France des contestations sans cesse renaissantes , Bernard
lit un voyage à Paris , et , malgré sa dépendance secrète ,
j)arut à la cour avec la noble assurance d'un prince de
l'Empire. Richelieu le reçut < omme le meilleur ami qu'il eût
au monde. Le père Joseph , qui avait contribué à la chute
de Wallenstein , lui parlait de guerre , et lui nionlrait sur
la carte les villes à prendre : "■ Tout cela serait fort bien, mon
bon ]ièrc, dit Bei'nard, si l'on prenait les villes avec le
bout du doigt. » En somme , Bernanl revint à son armée
svec de nouvelles promesses, elle cardinal de La Valette prit
d'assaut Saverne , presque sous les yeux de Gallas, et se
trouva maître de l'Alsace.
11 songeait à poursuivre Gallas jusque dans la Souabe;
mais la France envahie de deux côtés à la fois, par les Espa-
gnols et les Autrichiens, l'appelait à son secours. On pliait
déjà bagage à Paris pour échapper à Jean de Weitli, qui
venait de la Picardie; Richelieu ne rendit au peuple, par
«is proclamations, le courage qu'il avait perdu lui-même
qu'après avoir été, dit-on , ranimé par le père Joseph. Tan-
dis qu'une armée levée à la hâte repoussait les Espagnols
au delà de la Somme , Bernard chassa les Impériaux de la
Lorraine , et se souvint dans ce pays de la promesse qu'il
avait faite à la reine de France de protéger contre les sol-
dats l'honneur des femmes et des nonnes. Il courut ensuite
en Bourgogne au-devant de Gallas, se retrancha savamment
en face d'une armée supérieure en nombre , et , secondé
par l'héroïque résistance de la petite ville de Saint-Jean-de-
Losne, par les maladies et le mauvais temps, fit repasser
le Rhin à Gallas , avec une perte de six mille hommes. Dans
le nord de l'Allemagne, Baner relevait à Witstork (24 sep-
tembre 1636) l'honneur du nom suédois.
Bernard , toujours en dispute avec le cardinal de La Va-
lette, trompé d'un million par la cour de France, lui sou-
mettait toute la F r a n c h e - C om té jusqu'à Montbéliard ,
et se faisait demander par Oxenstiern s'il était encore au
service de la cause commune ou simplement à celui de la
France. Il avoua ses obligations envers elle, mais promit de
passer le Rhin, fit un second voyage à Paris, réunit des
forces suffisantes , leur fit traverser le Rhin près de BAle,
et vint camper devant Rhinfeld , place alors très-impor-
tante. Attaqué par les Impériaux, bien supérieurs en nombre,
Bernard perdit dans une première action huit canons,
envoya quelques drapeaux autrichiens à Paris, revint trois
jours après attaquer les Impériaux , les mit en déroute après
ime heure de combat, et prit tous les officiers ennemis, moins
deux. Le peuple de I^aris et de Lyon put se venger du pri-
sonnier de la France, Jean de Werth, Jean le Pris, le Bien
Battu, qui l'avait fait trembler. La prise de Rhinfeld , le
siège de Brisach, l'un des diamants de la couronne impé-
riale, comme disait l'empereur, furent les résultats de cette
fameuse victoire. La cour de Vienne fit aussitôt partir
Gœte, avec l'armée austro-bavaroise, pour défendre Brisach,
et les jésuites pour soulever tous les habitants de la Forêt-
Noire. Bernard battit Gœtz près du village de W'ittenwihr.
Abandonné par les Français-, ces chrétiens moins fidèles
à leur parole que des Turcs, surpris par la fièvre, Ber-
nard monta pourtant à cheval pour aller battre Charles de
Lorraine. « Il est écrit , dit-il , voyant la belle armée du
Lorrain , que l'esprit est foil et la chair faible ; on peut dire
ici que l'esprit est faible et la chair forte. « Charles de Lor-
raine fit place à Gœtz et Lamboi , qui revenaient avec qua-
torze mille hommes; Bernard se leva pour la troisième fois
de son lit de douleur, et mit les Impériaux en fuite. Bri-
sach se rendit : c'était, dirent les prolestants, le Capitole de
l'Autriche. « Courage, père Joseph; Brisach est à nous! »
ciiait Richelieu au capucin mourant. Mais Bernard n'avait
fait mention dans la capitulation , ni de la France , ni de la
Suède , là de l'union d'Heilbronn.
On espérait que Bernard, maître de Brisach, allait désor-
mais protéger en Allemagne les opérations de Baner, quand
on apprit qu'il venait de rentrer en Franche-Comté pour
soumettre la dernière place forte de cette province , et as-
surer ses communications avec l'Alsace. Bernard voulait
conserver l'Alsace avec ses forteresses conuue un fief de l'Em-
pire, indemniser la France par la Franche-Comté, se mettre
à la tête des protestants abattus, et former une troisième
puissance, médiatrice entre eux et l'Autriche. Richelieu lui
offrait sa nièce, et le prince saxon n'en voulait pas; l'Au-
triche, sans plus de succès , lui faisait proposer une archi-
duchesse avec une principauté en échange de l'Alsace. Au
sortir de cette campagne ( 1 Oi'.s ) , où Bernard avait pris trois
forteresses réputées imprenables et gagné huit batailles , à
ce moment de sa jeunesse où , placé sur les frontières de
la France et de l'Allemagne, il entendait ses louanges répétées
par les deux peuples, le héros fut saisi de tristesse, et crut
sa mort prochaine. Envoyant les soldats allemands et fran-
çais |)iller Pontarlier,il s'écria : « La vie m'est à charge : je ne
p.enx plus vivre en repos avec ma conscience au milieu de ces
1
BEUP^AFvD
4i>
fmpies. » A Pfiit , on la foiilc accourait pour le voir, il dit
tout liant : « Je crains bien de partager le sort du roi de
Suède; car du moment que le peuple espéra plus en lui
qu'en Dieu , il dut mourir. » Arrivé à Huningue pour y
passer le Rhin , il tomba malade , et mourut le même jour
à Neubourg (1639), à Tâge de trente-cinq ans, trois ans
plus tôt que Gustave-Adolphe.
Cette mort peut sembler naturelle après les fatigues de
Bernard et sa lutte violente contre les maladies qui en deux
jours lui enlevaient quatre mille hommes; mais cette mort
avait été calculée comme prochaine par Richelieu dans son
traité avec le gouverneur de Brisach , Jean-Louis d'Erlach,
qu'il avait corrompu. Cette mort fut encore moins imprévue
pour l'Autriche , puisque dans le camp impérial on disait
Bernard mort avant sa dernière maladie. Lui-même se crut
empoisonné, et son aumônier exprima hautement ce soupçon
dans son oraison funèbre. On avait dit aussi que le duc
Albert de Saxe-Lauenbourg avait tué Gustave-Adolphe au
profit de l'Autriche : il est en effet remarquable que Gustave-
Adolphe, Walleustein et Bernard de W'eimar, les trois
génies révolutionnaires de cette époque, moururent de
mort prématurée, et toujours à propos pour l'Autriche.
T. ÏOUSSENEL.
BERIVARD (Samuel). Son père, peintre et graveur, né
en 1615, connu particulièrement pour ses miniatures et ses
gouaches , avait été protesseur de l'Académie de Peinture ,
et était décédé en 1687. Plus avide de richesses que de
gloire , son fils, né en 1651, à Paris, se livra tout entier aux
spéculations de la haute finance, et devint un des plus opu-
lents banquiers de l'Europe. 11 amassa, dit-on, plus de
33 millions. Il avait fait d'immenses bénéfices sous le mi-
nistère de Chamillard, qui de son aveu n'entendait rien
en administration. Mais lorsque ce ministre tomba, Samuel
Bernard, si longtemps sa seconde providence, lui avait
déjà impitoyablement fermé sa caisse. Le financier, qui lui
devait sa grande et rapide fortune, ne voulut pas la com-
promettre; il se montra également sourd aux sollicitations et
aux flagorneries de son successeur Desmarests. Le nouveau
ministre hasarda un dernier effort. 11 parvint ù faire adopter
a Louis XIV l'expédient qu'il avait imaginé en désespoir
de cause, et qui consistait à amener le plus fier des monar-
ques à caresser la vanité d'un financier. L'histoire contem-
poraine offre des exemples de ce genre. Mais alors c'était
un véritable prodige. Le besoin rapproche les distances. Le
<luc de Saint-Simon raconte ainsi cette singulière entrevue
du roi et du banquier :
« La cour était à Marly. On y \it Desmarests , qui se
présenta avec le célèbre banquier Samuel Bernard, qu'il
avait mandé pour dîner et travailler avec lui ; c'était le
plus riche de l'Europe , et qui faisait le plus grand et le
plus assuré commerce d'argent. 11 sentait ses forces, il y
voulait des ménagements proportionnés; et les contrôleurs
généraux , qui avaient bien plus souvent affaire à lui qu'il
n'avait affaire à eux , le traitaient avec des égards et des
distinctions fort grandes. Le roi dit à Desmarests qu'il était
bien aise de le voir avec M. Bernard; puis tout de suite
dit à ce dernier : « Vous êtes bien homme à n'avoir jamais
« vu Marly; venez le voira ma promenade, je vous ren-
ie drai après à Desmarests. » Bernard suivit, et tant qu'elle
dura le roi ne parla qu'à Bergheyck et à lui, et autant à
l'un qu'à l'autre, les menant partout et leur montrant tout
également, avec les égards qu'il savait si bien employer
quand il avait dessein de combler. J'admirais, et je n'étais
pas seul , cette espèce de prodigalité du roi , si avare de ses
paroles, à un homme de la médiocrité de Bernard. Je ne fus pas
longtemps sans en apprendre la cause ; et j'admirai alors jus-
qu'où les plus grands rois se trouvent quelquefois réduits.
Desmarests ne savait plus de quel bois faire (lèche ; tout
manquait et tout était épuisé. Il avait été à Paris frapper à
toutes les portes ; on avait si souvent et si nettement manqué
à toutes sortes d'engagements pris et aux paroles les plus pré-
cises qu'il ne trouva partout que des excuses et des portes
fermées. Bernard, comme les autres, ne voulait rien avancer.
11 lui était beaucoup dû. En vain Desmarests lui représenta
l'excès des besoins les plus pressants, et l'énormité des gain*
qu'il avait faits avec le roi ; Bernard demeure inébranlable :
voilà le roi et le ministre cruellement embarrassés. Des-
marests dit au roi que, tout bien examiné, il n'y avait
plus que Bernard qui pût le tirer d'affaire, parce qu'il n'é-
tait pas douteux qu'il n'était question que de vaincre sa
volonté et l'opiniâtreté qu'il avait montrée; que c'était un
homme accessible à la vanité , capable d'ouvrir sa bourse
si le roi daignait le flatter. Dans la nécessité si pressante des
affaires, le roi y consentit; et pour tenter le secours avec
moins d'indécence et sans essuyer de refus, Desmarests
proposa l'expédient que je viens de raconter. Bernard re-
vint de la promenade du roi tellement enchanté que d'a-
bord il lui dit qu'il aima't mieux risquer sa ruine que de
laisser dans l'embarras un prince qtii venait de le combler,
et dont il se mit à faire les plus grands éloges. Desmarests
en profita sur-le champ , et en tira beaucoup plus qu'il ne
s'était proposé. »
La véritable , la bonne comédie , n'est que l'histoire des
mœurs contemporaines mise en action. Notre Molière est le
meilleu r peintre des mœurs de son siècle. Samuel Bernard n'est
autre que M. Jourdain; le prince et son ministre ne ressem-
blent pas mal au grand seigneur et à la marquise du Bourgeois
Gentilhomme. Les portraits du grand maître sont frappants
de ressemblance. Les originaux venaient à leur insu poser
dans son atelier ; seulement il réduisait son cadre aux pro-
portions de la scène et des convenances. Le Bergheyck dont
parle Saint-Simon dans ses Mémoires avait dirigé avec une
rare habileté les finances de Charles II dans les Pays-Bas ,
et après la mort de ce prince celles de l'électeur. Il était ,.
dit le même auteur, « fort homme de bien , point du tout
riche et n'ayant jamais rien fait pour sa famille. Ses voyages
à Versailles étaient rares et toujours fort courts. » Bernard,
aussi habile financier, s'était au contraire beaucoup occupé do
l'accroissement de sa fortune et de l'élévation de sa famille.
Son nom trahissant son origine bourgeoise, il fit les plus
grands sacrifices pour le déguiser et pour qu'il ne passât point
à sa postérité. 11 acheta donc pour ses fils de grandes charges
et des terres titrées. Son fils aîné fut président au parlement
de Paris , et ne signait que son nom seigneurial de Rieux ;
l'autre, comte de Caubert. Son petit-fils, prévôt de Paris,,
se faisait appeler marquis de Boulainvilliers. Il avait marié
sa fille au premier président Mole , et se trouva par consé-
quent beau-père de la duchesse de Cossé-Brissac. L'histoire
de Samuel Bernard et de sa famille est celle de tous les riches
financiers d'alors parvenus au point de pouvoir, par leurs
capitaux, leur crédit, exercer une grande influence et donner
à l'industrie française une impulsion progressive ; tous, aus-
sitôt qu'ils en étaient là , abandonnaient leurs comptoirs
et leurs usines pour se faire anoblir.
Samuel Bernard , au milieu de ses rêves d'ambition et
de fortune , était le plus malheureux des hommes. Esprit
superstitieux , il croyait son existence attachée à celle d'une
poule noire , dont il faisait prendre et prenait lui-même le
plus grand soin. C'était pour lui le tison de Méléagre. Il
survécut peu à sa poule noire, et mourut en 1739. Il avait
acquis de grands domaines ; ses héritiers trouvèrent ses cais-
ses bien garnies et un portefeuille de dix millions de francs
de créances. On a prétendu que la moitié de cette somme
environ avait été prêtée sans intérêt. Les plus grands sei-
gneurs de la cour figuraient à l'avoir de son livre de caisse.
Cinq millions prêtés sans intérêt par Samuel Bernard! il
est permis de douter d'un fait aussi extraordinaire.
DUFEY (de l'Yonne).
BERNARD (Catherine), née à Rouen, en 1662, morte
à Paris, en 1712, était de la famille des Corneille. ÉleYi-e
4G
BERNARD
dans la religion réformc^c, elle renonça au culte de ses pères,
et se fit catholique : elle vint alors s'établir à Paris, et pa-
rut dans le monde littéraire sous le patronage de Fontenelle,
ion parent et son ami. Elle avait préludé par trois petits
poèmes en l'honneur de Louis XIV, qui furent couronnis
par l'Académie Française. D'un autre côté, l'Académie des
Jeux Floraux prodigua ses couronnes à M"* Bernard, et
celle des Kicovrati, de Padoue, l'admit au nombre de ses
membres. L'intérêt que Fontenelle prenait aux productions
de M"* Bernard Ta fait soupçonner de n'être pas dememé
étranger à leur rédaction.
m"* Bernard a fait paraître trois romans : les Malheurs
de V Amour ( 1684), le Comte d'Amboise ( 1689 ), Inès de
Cordoue (1689). Quelques auteurs lui attribuent la Rela-
tion de Vile de Bornéo. La pensée dominante des nombreux
romans de Catherine Bernard est de combattre le penchant
à l'amour : aussi tous ses héros ne sont que des amants
malheureux. M"* Bernard s'était d'abord élancée dans la
carrière dramatique ; mais elle renonça au théâtre à la prière
de M"* de Pontchartrain , qui lui faisait une pension. Sa
Laodamie et son Brutus obtinrent une vingtaine de repré-
sentations : l'une fut jouée le II février 1689, l'autre le 18
décembre 1690. Le Brutus de Voltaire, représenté quarante
ans après, a fait oublier celui de M"'' Bernard, auquel pour-
tant le grand poète a fait de nomlireux emprunts. S'il faut
en croire l'auteur des Tablettes dramatiques, la tragédie de
Bradamantc, jouée et imprimée sous le nom de M"* Ber-
nard , n'est autre que celle de Thomas Corneille. Voltaire
attribue à M. de la Parisière , évêque de INismes, l'apologue
intitulé l'Imagination et le Bonheur, imprimé sous le
nom de M"® Bernard.
Des pièces de vers de M"* Bernard il est resté surtout
ce placet, qu'elle adressait à Louis XIV pour rappeler à ce
prince les quartiers échus d'une pension qu'il lui faisait :
Sire, deux cents écus sont-ils si nécessaires
Au bnnlienr de l'État, au bien de vos affaires,
Que sans ma pension vous ne puissiez dompter
Les faibles alliés et du Kiiin et du Tage ?
A vos armes grand roi , s'ils peuvent résister.
Si pour vaincre l'effort de leur injuste rage
Il fallait ces deux cents ccus,
Je ne les demanderais plus.
Ne pouvant aux combats pour vous perdre la vie,
Je voudrais me creuser un illustre tombeau.
Et, souffrant une mort d'un genre tout nouveau ,
Mourir de faim pour la patrie.
Sire, sans ce secours tout suivra votre loi,
Et vous pouvez en croire Apollon sur sa foi;
Le Sort n'a point pour vous démenti ses oracles.
Ah ! puisqu'il vous promet miracles sur miracles.
Faites-moi vivre et voir tout ce que je prévois.
BERNARD (PiERKE-JosEpn), né en 1710. On sait qu'il
s'appelait Bernard tout court; ce fut Voltaiie qui accola à
son nom l'épithète mignonne , et on sait comment il en lit
un Gentil Bernard. Chargé par M"* de La Vallière de
l'inviter à souper, il lui adressa ce billet :
Au nom du Pinde et de Cythère,
Gentil Bernard est averti
Que l'Art d'aimer doit samedi
Venir souper chez l'Art de plaire.
Une autre fois le patriarche de Femey écrivait à notre
poète : « Mon cher petit Bernard , souvenez-vous de moi
au milieu de vos lauriers et de vos myrtes. « Gentil, petit,
jamais mots n'exprimèrent mieux les choses; Bernard en
effet fut un esprit gentil et un petit esprit; et Voltaire, mé-
rite qu'il a eu si souvent, avait deviné juste et estimé
riionune ce qu'il valait, fond et supcrlicic.
Le curieux pour les amatetns de contrastes piquants,
C'est q'.ie G en! il Bernard , cet épicurien de vie libertine, ce
g;iiant rimeur de vers libertins, quoiqu'il se vante quelque
l-art de la pudeur de sa muse, naquit à Grenoble, la pa-
trie du chaste chevalier Bayard , et fit ses études chez les
jésuites de Lyon, qui cherchèrent en vain à le retenir pour
en faire un des leurs. Son père était sculpteur. Il vint à
Paris très-jeune, et commença par manier les dossiers chez
un procureur, tout en rimant déjà des vers à Chloris, VE-
pitre à Claudine, et la Chanson de la Rose. De la robe et
du Palais, il passa au bout de deux ans à l'épée et aux
champs de bataille d'Italie ( 1733-1734 ), sous les maréchaux
de Maillebois et de Coigny, et il paya de sa personne à
Guastalla et à Parme. Nous devons à cette escapade mili-
taire de notre Bernard un assez mauvais poème adressé ,'i
la duchesse de Gontaut. Il fit en même temps la guerre et
l'amour, moitié laurier, moitié myrte, pour parler comme
Voltaire, à la façon des braves doni Bernard fait ainsi le por-
trait dans son poème :
On les Toit, partout aguerris ,
Tenter des conquêtes nouvelles,
Et des rois -venger les querelles.
Et s'en faire avec les maris.
L'Opéra-Comique n'a jamais dit mieux.
Le maréchal de Coigny s'intéressa à Bernard , et le prit
pour secrétaire, à condition qu'il renoncerait à la poésie. Le
ïiis du maréchal en levant la défense donna au poète la
place de secrétaire général des dragons, place de vingt
mille livres de rentes , qui lui valut en outre cet envoi ana-
créontique de son grand ami Arouet : « Le secrétaire de
l'Amour est donc le secrétaire des dragons! » Bernard avait
habité l'hôtel de Coigny jusqu'à la mort du vieux maréchal,
et son crédit dans la maison de Coigny descendit de l'aïeul
aux petits-fils.
Après une longue vie toute parfumée de roses et de rimes
à la rose, dont la plus grande affaire fut le plaisir, et un
continuel sourire la plus grande tristesse , Gentil Bernard
perdit, en 1771, la raison : faut-il dire le mot, le mot horri-
rible ? il devint imbécile. On vit donc l'Anacréon français ,
comme on l'appelait en ce temps-là, aller par la ville l'œil
terne, les lèvres pendantes, le front abaissé vers la terre ,
avec tous les signes de l'idiotisme; ce n'était plus Gentil
Bernard, hélas! c'était Beraard l'hébété; qu'en pensaient
lesÉglé et les Amaryllis qu'il avait tant chantées ? Sans doute
elles se souvenaient du conte de Zadlg, et volaient à d'autres
amours.
Voltaire, on le retrouve partout , a fait ce très-mauvais jeu
de mots sur cette disgrâce intellectuelle du pauvre Bernard :
« On dit que Gentil Bernard a perdu la mémoire; il a poui-
tant pour mère une des filles de Mémoire, et il doit avoir du
crédit dans la famille. »
Grimm en parle plus sérieusement, et profite de l'occa-
sion pour tracer de l'auteur de VArt d'Aimer une esquisse
très-ressemblante et spirituelle : « On peut rayer du nombre
des vivants, quoiqu'il soit encore en vie, Bernard, qui doit à
M. de Voltaire le surnom de Gentil Bernard. A force d'a-
voir usé de la vie de toute manière , Gentil Bernard , né
robuste, infatigable seniteur des dames, est tombé
dans l'enfance à l'âge de soixante ans passés ; il prétendait
vivre à soixante ans comme à trente. Ce calcul n'étant pas
celui de la nature, il eut au mois de juillet dernier une
attaque qui vient d'être suivie d'un affaissement du cer-
veau. Il a perdu la tête, il déraisonne; mais il n'est pas ma-
lade : il boit, il mange; et comme il n'a pas la connaissance
de son état, il n'est pas môme malheureux. »
Bernard était taillé exprès pour faire fortune, et il ne
manqua pas sa vocation : c'était un homme frivole , essen-
tiellement indifférent sur tout ce qui n'était pas son plaisir,
mais supérieurement doué de l'esprit de conduite , n'affi-
chant jamais rien que d'être galant, aimable, plein d'égards
pour tout le monde, sans attachement pour personne, joignant
à un tempérament infatigable la grâce et la gentillesse de
l'esprit et, chose inouïe dans un Français, une dis-crétion à
toute épreuve. S'il faut en croire la chronique gcîoureuse.
I
BERNARD
47
cette dernière qualité lui valut une infinité de bonnes for-
tunes.
Notre Seigneur prétend qu'on ne peut servir deux maîtres
à la fois ; Bernard prétendait au contraire qu'on peut très-
bien servir deux et même plusieurs maîtresses. En con-
séquence, U ne quittait jamais, à moins qu'on ne le voulût
bien ; et quand il était quitté, il se résignait à son sort sans
faire de bruit. U ne bornait pas ses jouissances aux plaisirs
de l'amour, il aimait avec tout autant de passion les plai-
sirs de la table. Bernard dînait et soupait noblement , et à
fond , tous les jours de sa vie. Au moment où il perdit la
raison, le chevalier de Chastellux dit spirituellement : « Les
hommes , sans exception , attribuent cet accident à son goût
effréné pour les femmes, et les femmes à sa passion inuno-
dérée pour la table. »
Bernard vécut toujours dans la bonne compagnie , sans
préjudice de la mauvaise, qu'il fréquentait sans s'afficher;
c'était l'homme le plus habile pour jouir de tout sans bruit.
U avait connu M™® de Pompadour avant qu'elle fût reine;
Bernard et l'abbé de Bernis étaient les beaux-esprits de la
société obscure de M™* d'Étiolés sous-fermière. Elle s'en
souvint dans sa fortune : Bernis devint ministre et cardinal;
Bernard resta Gentil Bernard sur le pavé de Paris ; trop sage
pour vouloir autre chose et pour sacrifier son indépendance
à l'ambition, car, sérieusement, nous ne comptons pas pour
des places celles de bibliothécaire à Choisy , et de garde des
médailles , marbres , etc.
Le même esprit de sagesse empêcha Bernard de publier
aucun de ses ouvrages ; le fameux opéra de Castor et Pol-
luXf musique de Rameau, est le seul qui fut imprimé de
son aveu. Le gentil poète a dit lui-même le secret de cette
modestie , en parlant des grands vers et des grands poètes
qui cherchent la renommée :
Vous n'eûtes pas ce vain désir comme eux.
Mes petits vers , et vous fûtes heureux.
Qu'ils plaisent à Pompadour, c'est tout ce qu'il leur de-
mande; et, en vérité, ils étaient faits tout exprès pour lui
plaire; jamais poésie ne fut plus Pompadour et plus pompa-
dourette. « Si vous voulez vous contenter de fleurs, dit
Grimm malicieusement , vous n'aurez que cela ; ce ne sont
que fleurs, et encore des fleurs. » Grimm oublie d'ajouter
fleurs artificielles. Qui pourrait en faire un reproche à Gen-
til Bernard? Il ne se vante pas d'autre chose, et n'a jamais
eu la prétention de l'épique :
Vers , chansons, études frivoles ,
Muse, Amour, voilà tous mes vœux.
Gentil Bernard fut donc l'Anacréon de la France ; du moins
»on le disait de son temps , un Anacréon frisé, poudré, fan-
freluche, que Beaudoin aurait pu peindre étalé sur un so-
pha, dans un boudoir, en robe de chambre, en caleçon de
taffetas, en pantouffles de maroquin jaune. C'est dans ce
costume qu'il écrivit sou poème de l'Art d'aimer, qui triom-
pha par la lecture de salon en salon , et jouit de ce succès
pendant trente ans , sans avoir passé par l'épreuve de l'im-
pression.
Quand le poëme parut , on se récria. Voltaire , — encore
lui ! — qui avait placé Bernard au-dessus d'Ovide et de Ti-
bulle, — dit : « C'est un ouvrage ennuyeux, qui ne renferme
qu'une trentaine de vers admirables, un mélange de grains
de sable avec quelques petits diamants joliment taillés. »
Grimm annonce qu'il a fait, après l'impression , la plus belle
chute du monde, et que cliacun s'étonne d'avoir admiré de
si fiiibles rimes. Ceci prouve le bon esprit et le bon sens de
Gentil Bernard , qui s'était contenté du huis-clos , et toute
sa vie avait redouté le grand jour et l'imprimeur. Aussi vé-
cut-il heureux , le plus heureux de son temps, dit un con-
temporain , heureux même, qui sait? de finir en perdant la
raison.
Après avoir végété cinq ans ainsi, il mourut en 1775, le
l*"" novembre, à Choisy.
Hippolyte Rolle , bibliothécaire de la ville de Paris.
BERNARD de Rennes (Louis-Désiré), magistrat et
ancien député, est fils d'un négociant de Brest, où il est
né, en 1788. Ne voulant pas être confondu dans la foule des
Bernard, il pouvait joindre à son nom celui de sa ville na-
tale ; mais il préféra celui de Rennes , où il a fait son droit
et commencé sa réputation. Il avait été admis au barreau
de cette ville en 1810, après de brillantes études à La Flè-
che, et à l'institution Sainte-Barbe, à Paris. Bien qu'il se
fût prononcé par un vote public, en 1815, contre le fa-
meux Acte additionnel , il prit rang dans la compagnie des
fédérés de Rennes pendant les Cent- Jours, et fut nommé
conseiller à la cour d'appel de Rennes par Napoléon ; mais
sa nomination fut bientôt révoquée sous la seconde Res-
tauration. Rendu au barreau , il détendit avec tant d'énergie
le malheureux général Tra vot, que, sur la dénonciation du
général Canuel, président du conseil de guerre, il fut arrêté
et mis au secret pendant huit jours.
M. Bernard venait de publier un roman , Charles (Pa-
ris, 1825, 4 vol.), et préparait une nouvelle édition du
Traité des Assurances , par Émérigon, lorsqu'il fut appelé
à Paris la même année , par les petits-fils de Caradeuc de
La Chalotais, pour y venger la mémoire de ce respec-
table procureur général du parlement de Bretagne contre
les outrages de V Étoile, feuille jésuitique de l'époque. M. Ber-
nard se fit le plus grand honneur dans cette affaire , et le
barreau de , Rennes lui en témoigna autant de satisfaction
que celui de Paris , qui ne tarda pas à l'inscrire sur le ta-
bleau de ses avocats. Sous le ministère Polignac, il dé-
fendit le Commerce dans la cause de l'Association bre-
tonne pour le refus de l'impôt. En 1830, aux élections qui
suivirent le vote de l'adresse des 221, il fut honoré d'une
double élection par les départements des Côtes-du-Nord et
d'Ille-et- Vilaine; il opta pour le premier, signa la protes-
tation contre les fameuses ordonnances du 25 juillet, et
prit une part active à la révolution des trois jours. Nommé
alors membre de la Légion d'Honneur et procureur général
à la cour royale de Paris, U fut chargé de verbaliser sur la
mort du duc de Bourbon. Peu de temps après, M. Bernard
renonça à des fonctions qui le forçaient de provoquer la
vindicte des lois contre plusieurs de ses amis , compromis
dans les réactions libérales , et préféra , pour son repos , la
place inamovible de conseiller à la cour de cassation. Cons-
tamment réélu député depuis, il a toujours fait partie de la
chambre élective, où il était encore à la révolution de 1848
un des mandataires du département du Morbihan ; depuis il
a disparu de la scène poUtique. Outre son plaidoyer pour
les petits-fils de Caradeuc de la Chalotais , contre M. Au-
bry, éditeur responsable de l'Étoile (Paris, 1826), on lui
doit un Résumé de l'histoire de Bretagne (Paris, 1826 ).
BERNARD (Josepu) , frère puîné du précédent, et né à
Brest, vers 1790, a fait son droit à Rennes, où il s'est marié.
Mais d'abord il s'y occupait plus d'anatomie que de juris-
prudence, car, en 1814, il avait obtenu l'autorisation de
faire bouillir des cadavres de prisonniers de guerre espa-
gnols , dont il détachait ensuite les os. Se trouvant à Paris
en 1830, il y prit une part si active à la révolution de juil-
let qu'il fut nommé préfet duVar. N'ayant pas voulu suivre
les instructions du ministre Casimir Périer, il fut révoqué;
mais les électeurs de Toulon le dédommagèrent de sa dis-
grâce en le nommant, en 1831 et 1833, leur représentant
à la Chambre des Députés. Il y siégea , vota avec l'opposi-.
tion et se prononça contre l'hérédité de la pairie , le privi-
lège universitaire , les monopoles et les abus , et aussi pour
la révision des lois électorale et communale, la diminutioi>.
des charges publiques , la rosponsabililé des ministres et IcV
réduction du budget de la liste civile à six millions. N'ayan^
pas été réélu en 1835, il se retira du monde i)olili<^ue pouji-
48
BERNARD — BERNARDIN DE SAINT-PIERRE
se livrer entièremenc aux lettres, fut décoré en 1836 et
nommé, sous le ministère de M. de Salvandy, l'un des
conservateurs de la bibliothèque Sainte-Geneviève, place
qu'il occupe encore. On a de M. Bernard : Le bon sens d'un
homme de rien, oulavraiepolitiqueàl'usagedes simples
( Paris, 1 828 ), excellent ouvrage, qui n"a pas fait grand bruit,
€t qui est cependant fort remarquable par un style mordant
et par les excellentes vérités qu'il contient.
BERNARD ( Charles de), naquit en 1805, à Besançon.
Ses débuts littéraires révélèrent un talent d'une maturité
remarquable. Dès ses premières publications , la critique
n'hésita pas à le mettre au rang de nos romanciers les plus
estimés. Aucune hésitation, aucun tâtonnement ne se fit
sentir dans sa manière; ce fut tout d'abord un style ferme,
correct, souple et varié, mais sans éclat; une rare finesse
d'aperçus, une richesse inépuisable d'observation, une fa-
culté brillante d'analyse. Tous ses livres pourraient être con-
sidérés comme autant de proverbes moraux où les ridicules,
les aberrations , les excentricités sociales , les faiblesses , les
modes absurdes, les engouements injustes, sont énergi-
quement et toujours spirituellement redressés : c'est dire
que Bernard excellait dans la comédie. Peu fécond , peu
dramatique, il conduit avec une rare habileté le fil un peu
faible, un peu léger de son action; il intéresse et pique la
curiosité , mais sans émouvoir , sans passionner son lecteur.
Ses dénoûments sont généralement défectueux; on vou-
drait quelque chose de plus complet , de plus définitif; mais
ses caractères sont burinés; ce sont de patientes et lumi-
neuses études, travaillées à la manière des maîtres, c'est-à-
dire pleines de relief et de couleur.
Voici les principaux ouvrages de Charles de Bernard :
1" Gerfaut, son œuvre de début : on y remarqua le carac-
tère de Marcillac, jeune barbu de la réaction artistique et
littéraire de 1 830, enthousiaste sincère, sectaire convaincu,
mais fort comique , des nouvelles doctrines sur les conditions
du beau et du laid. Écrit de verve d'un bout à l'autre, ce
roman eut un franc succès et se fait toujours lire avec plai-
sir ; 1° La Femme de quarante ans, plaisante histoire des
roueries d'un cœur blasé et vieilli spéculant sur de jeunes
et novices ardeurs; 3° Les Ailes d'Icare, sémillant, véri-
dique et quelquefois mélancolique récit des déceptions, des
désenchantements d'un jeune licencié de province, qui vient
chercher l'amour et la gloire à Paris, pour rejoindre bientôt
après, confus, meurtri et traînant l'aile , le pigeonnier pa-
ternel; 4" La Cinquantaine, épisode charmant, dans le-
quel un vieillard amoureux, et qui rougit de l'être, cherche à
préserver, au lieu et place d'un mari qu'absorbent de folles
préoccupations politiques, une jeune femme sans expérience
des séductions d'un roué vulgaire , et n'aboutit qu'à accé-
lérer le triomphe de son rival ; 5° La Peau du Lion , une
de ces ravissantes toiles de chevalet qui valent tous les ta-
bleaux d'histoire. C'est un mari que sa rude et épaisse en-
veloppe fait dédaigner par sa femme, railler par ses amis,
bafouer et exploiter par tout le monde, et qui , au moment
suprême, au moment où l'on va attenter à son honneur ,
jette son masque, pour dévoiler un de ces esprits fermes, vi-
goureux, résolus, une de ces fortes natures bretonnes, qui
étonnent et effrayent nos pâles générations parisiennes ;
6° V Homme sérieux , charge spirituelle , incisive , jamais
grotesque, d'une notabilité provinciale, d'une sommité de clo-
cher, qui se croit appelée, par une sorte de vocation divine,
à devenir le réformateur politique de son pays.
Charles de Bernard est mort à Neuilly, le 6 mars 1850 ,
à la suite d'une longue et douloureuse maladie.
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE ( Jacques-
Henri) naquit au Havre, le 19 janvier 1737. Son père,
Nicolas de Saint-Pierre , comptait avec orgueil au nombre
de ses aïeux le célèbre Eustache de Saint-Pierre,
maire de Calais. Il ne donna jamais de preuve bien claire de
cette illustration ; mais elle importe moins que jamais à sa
famille, aujourd'hui qu'elle peut se parer d'une illustration
plus nouvelle et moins contestable. Bernardin eut deux
frères : Dutailly et Dominique, et une sœur nommée Cathe-
rine. Nous n'avons pas à nous occuper ici de leur biographie.
Disons seulement que Dutailly fut tourmenté toute sa via
d'une ambition dévorante ; que Dominique fut doux et calme,
Catherine pleine de vanité. Ces trois caractères réunis
formèrent avec leurs défauts et leurs qualités celui du jeune
Bernardin, qui, doué par-dessus tout d'une imagination
brillante, consuma sa vie à la poursuite d'illusions qui. ja-
mais ne le délaissèrent, et qu'il ne put saisir jamais.
Dès sa plus tendre jeunesse , il manifesta un goût ardent
de retraite et de soUtude, une haine profonde de l'injustice,
un instinct énergique de la Divinité. Ces trois sentiments
dominèrent toute son existence , et résument tous ses ou-
vrages. Le caractère de son enfance se refléta sur toute sa
vie, comme ses impressions premières se reflétèrent sur
tous ses écrits : amant passionné de la nature, ce fut son
premier et son dernier amour. On raconte qu'à l'âge de
liuit ans, il avait un petit jardin qu'il cultivait lui-môme, oii
chaque soir il allait épier religieusement le développement
de ses plantations , étudier l'attraction de ses fleurs , sur-
prendre leurs caresses, arroser leur tige, et passer de lon-
gues heures à contempler les insectes d'or qui dormaient
dans leurs calices tout couverts de rosée. Il suivait dans leurs
mille nervures les fraisiers qui bordaient les allées ; il comp-
tait les familles ailées qui venaient aux rayons du midi
s'abattre en bourdonnant sur la giroflée jaune ; il respirait
avec amour la violette qui fleurissait le long du mur, ti-
mide et pâle, sous les buissons de framboisiers. C'étaient
des larmes amères et des chagrins réels lorsque ses frères
venaient déranger l'harmonie de ses plates-bandes, lançant
au travers de ses roses et de ses tulipes leurs balles ou leurs
cerceaux, ou que sa sœur les lui dérobait sans pitié pour
en parer son jeune corsage. Il ne dépouillait volontiers son
parterre que pour en offrir les richesses à sa mère ou à sa
marraine.
Il aimait surtout les animaux; ils étonnaient son inteUi-
gence. On rapporte qu'un jour il trouva dans l'égout d'un
ruisseau un malheureux chat percé d'une broche , poussant
des cris affreux et près d'expirer. Bernardin fut pris de pitié
pour le pauvre animal. Il le cacha dans son habit, le porta
au grenier de sa maison , lui fit un lit de duvet et de foin ,
et ne laissa point passer un jour sans apporter à son malade
la viande et le lait qu'il dérobait à la cuisine. Androclès
n'en agissait pas plus pieusement avec le lion du désert.
Grâce aux soins de l'enfant, le chat entra bientôt en con-
valescence ; sa blessure se cicatrisa et ses forces revinrent.
Aussitôt guéri , aussitôt libre; il s'élança sur les toits, courut
s'ébattre au soleil et devint bientôt l'Attila des lats. Bernar-
din racontait souvent ce trait de sa jeunesse à J.-J. Rous-
seau , et il ajoutait toujours que son protégé , ennemi fu-
rieux du genre humain, qui l'avait si cruellement embroché,
garda aux hommes une haine éternelle, et à lui , Bernardin,
une reconnaissance étemelle comme sa haine. Il ne se laissait
approcher que par lui, enflant son dos sous ses caresses,
et rôdant autour de lui , le poil hérissé et la queue relevée
ou en panache.
Sa haine de l'injustice, son amour de la solitude, sa
confiance instinctive en Dieu, influèrent sur toute son en-
fance, et donnèrent lieu à un fait étrange. Un jour qu'il
était sur les bancs de l'école (il avait neuf ans alors) , un
maître qui lui enseignait la langue latine le menaça de le
fouetter le lendemain devant tous ses condisciples s'il ne
récitait pas couramment sa leçon. Cette menace le révolta
tellemeut qu'il résolut aussitôt de se retirer d'un monde oii
le fort opprimait le faible, où la force faisait le droit. « Eh
bien ! s'écria-t-il , en fermant son nidimeiit avec colère et
en le foulant aux pieds , eh hioii ! je fuirai les hommes; j'irai
vivre au fond d'un bois, \'.s\k seul, île lait et de racines.
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE
49
riraj me faire ermite; je prierai Dieu, je chanterai ses
louanges comme le solitaire de la TticbaïJe; s'il le faut, je
marcherai nu-pieds , je ceindrai le cilice; mais jVtiiapperai
du moins au fouet du pédagogue. » Ce qui fut dit fut lai- :
le lendemain du jour fatal , le malin du jour de Texécution ,
au lieu de se rendre à l'école, il glissa furtivement conmie
une ombre le long des murs , s'échappa par des rues étroites
et sombres, et se trouva bientôt aux portes de la ville,
l'école derrière et les champs devant lui, les champs, les
bois, les vastes solitudes, le silence et la retraite, la Pro-
vidence et l'ermitage. Il arriva après quelques heures de
marche vers un massif de bouleaux et de chênes , au mi-
lieu d'une prairie bien verte et bien solitaire. Notre ermite
n'avait pas rêvé d'autres aspects aux forêts vierges et aux
savanes immenses du Nouveau-Monde : le voilà qui s'en-
fonce sous les branches du taillis , enlevant les mûres et les
senelles aux buissons , mangeant des racines , étudiant la
fleur, buvant l'eau claire du ruisseau , et admirant les
mousses vertes et les lichens dorés qui bordaient ses rivos.
Puis , comme la nuit arrivait , et que le solitaire commen-
çait à s'effrayer de la solitude où il s'était jeté , et de l'ap-
pétit vigoureux que n'avait point apaisé le frugal festin de
la journée, il se jeta à genoux, priant Dieu avec ferveur de
lui envoyer un ange avec quelque chose de plus substantiel
que les Iruits de la haie et les racines du vallon. Ses prières
furent exaucées : il vit bientôt un ange s'avancer dans la
plaine, sous la forme de Marie Talbot, bonne femme qui
l'avait vu naître et qui l'avait élevé. Il s'élança vers elle
avec transport, et ils se mirent tous les deux à pleurer de
joie. Puis , Bernardin ouvrit le panier qu'elle avait sous le
bras , et calma les besoins impérieux de la faim ; puis lorsque
son estomac fut plus résigné, sa vocation se ^é^eilla dans
sou cœur, et il persista à se faire ermite et à vivre au fond
d'un bois, loin du monde et de sa famille.
Il fallut bien des larmes , bien des prières , bien des ca-
resses , bien des supplications, pour le ramener le soir même
sous le toit paternel. Son père el sa mère lui firent raconter
comment il avait vécu : il le raconta naïvement, et comme
ils lui demandaient ensuite ce qu'il serait devenu , et ce
qu'il aurait fait dans le cas où il n'eût rien trouvé dans les
champs , il répondit gravement que Dieu n'abandonnait au-
cune de ses créatures, qu'à défaut d'un ange il lui avait
expédié Marie Talbot avec un panier, et qu'à défaut de .Marie
Talbot il lui eût envoyé un corbeau chargé de son diner,
comme cela était arrivé à saint Paul l'ermite. Peut-être Ber-
nardin de Saint-Pierre s'inspira-t-il plus tard de ce souvenir
de ses jeunes années , lorsqu'il peignit Paul et Virginie égarés
sur les bords de la rivière Noire , abattant un palmiste pour
se nourrir de ses fruits, buvant l'eau du torrent, priant
Dieu , s'effrayant du soir, et pleurant de joie en voyant ac-
courir leur chien fidèle et leur fidèle serviteur.
Il passa quelques années à Caen , chez un curé qui avait
un presbytère aux portes de la ville , et un grand nombre
d'élèves, auxquels il enseignait les éléments des langues
latine et grecque. Ces années d'études lui furent âpres et
pénibles , et ce fut avec grande joie qu'il vint reprendre
dans la maison paternelle ses premières occupations.
Ce fut à peu près à cette époque qu'un goût nouveau , le
goût des voyages, se développa en lui. Il s'était lié avec un
capucin du voisinage, qui s'était fait lui-même l'ami de sa
famille. Le frère Paul était instruit, le jeune Bernardin avide
d'apprendre : une douce intimité s'établit aussitôt entre
eux. Ils se trouvaient chaque soir sous les grands arbres du
jardin, et là l'enfant s'enivrait des récits de ses courses
lointaines et des merveilles de ses voyages. Sur le point
de partir pour la Normandie , le capucin pria M. de Saint-
Pierre de lui conher son fils : c'était un homme d'un cœur
élevé et d'une âme droite. M. de Saint-Pierre n'hésita pas
un instant ; Bernardin et frère Paul partirent par une belle
matinée, le sac sur le dos, le bâton épineux à la main.
DtCT. nr l,A f.O.NMJ.S. — T. III.
Voyageant à pied , ils passèrent ensemble quinze jours en
tournée, frappant tanft aux riches châteaux, tantôt aux,
pauvres chaumières , s'ariêtant à tous les couvents qu'iU
rencontraient sur leur route; partout accueillis et fêtés,
frère Paul comme le meilleur des hommes , Bernardin comme
le plus aimable et le plus gentil des capucins. Jamais visage
plus frais et plus rosé ne s'était tapi sous un capuchon. Les
dames lui firent tant de caresses qu'il prit sérieusement
goût au métier, et qu'au retour il parla gravement à sou
père d'entrer chez les frères de l'ordre , tant il était ravi de
l'indépendance de leur existence et des bénéfices de leurs
courses. Ce ne fut pas sans peine que M. de Saint-Pierre
parvint à vaincre celte pieuse résolution : il y parvint pour-
tant , et depuis quelques mois ces goûts nomades et voya-
geurs commençaient à s'assoupir dans le cœur de son fils ,
lorsque sa marraine lui fit cadeau de quelques livres, parmi
lesquels se trouvait Robinson : ce livre décida de sa desti-
née; il s'empara de toutes ses facultés, il le prit au cœur,
au cerveau , partout. Le vaisseau naufragé , l'île déserte ,
la chasse aux hommes, Vendredi, les sauvages, occupè-
rent toutes ses pensées : ce fut un enchantement. Il voulaif,
comme son héros bien aimé, se livrer aux houles de la
mer, aborder à quelque île lointaine , y fonder une colonie
et y réaliser la république de Platon. Ce dernier rêve fut
celui de toute sa vie.
Au milieu de ces dispositions romanesques, son oncle Go-
debout , capitaine de vaisseau , vint lui proposer de s'em-
barquer avec lui pour la Martinique. Voilà l'enfant qui
bondit de joie ; le voilà possesseur d'une île inconnue. Mo-
narque d'un monde nouveau, tout hii sourit, tout l'attend,
tout l'invite. C'est en vain que sa mère pleure et que son
père résiste ; il pleure plus fort que sa mère , il résiste plus
haut que son père ; son oncle joint ses prières aux siennes ;
il l'emporte enfin, cargue les voiles et lève l'ancre!
Hélas! jamais voyage ne fut plus triste, jamais retour ne
fut plus désenchanté ! Pauvre enfant 1 il avait rêvé une mer
agitée , bondissant sous la tempête , belle de fureur : il no
trouva qu'une mer calme et plate, dont le roulis monotone
le berçait mollement sur les flots endormis. Le mal de mer
le prit bientôt au cœur, et ternit bien vite les songes dorés
de son imagination ; puis , au lieu de douces rêveries , da
longues contemplations sur le pont , il fallut s'employer à
de rudes manœuvres , ployer humblement sous la brusquerie
de son oncle , obé'iT servilement au sifflet du contre-maître,
et se coucher le soir dans un hamac, brisé par la douleur
et la fatigue. Et les îles désertes, et les plages inconnues,
où étaient-elles? Il s'en revint aussi découragé que l'eût été
sans doute Christophe Colomb s'il eût reparu à la cour d'Es-
pagne sans avoir dérobé l'Amérique aux mers qui la re-
celaient.
A la recommandation de madame de Bayard, sa mar-
raine, le jeune Bernardin, quelque temps après son re-
tour de ce fatal voyage de la Martinique, fut envoyé à
Caen, chez les jésuites, pour continuer ses études. M. de
Saint-Pierre espérait qu'il y prendrait des goûts plus sérieux,
et que son esprit , devenu plus grave , finirait par se jeter
sur quelque spécialité. Il en arriva tout autrement. Les jé-
suites , qui cherchaient avec ardeur des disciples à captiver
et des âmes à convertir, ne tardèrent pas à reconnaître dans
leur nouvel élève un cœur facile et romanesque, qui sr;
prêtait merveilleusement au succès de leurs entreprises. Ils
essayèrent donc sur lui leur esprit de prosélytisme, et Ber-
nardin était si bien disposé à recevoir ces impressions nou-
velles que jamais conversion ne lut plus rapide et moins
rebelle. Il y avait, les veilles des jours de fête, des réu-
nions dans la grande salle du séminaire, que présidait le
supérieur, et durant lesquelles un professeur lisait à l'audi-
toire la relation des voyages des jésuites missionnaires. Ces
lectures, se mêlant dans l'esprit du jeune de Saint-Pierre
aux souvenirs tout récents des lectures qu'il avait faites,
7
£0
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE
en r<*vcllla1cnt les impressions ci le rendaient à toutes les
fantaisies de son imagination. Seulement, au lieu des îles
désertes qu'il voulait autrefois conquérir, des républiques
qu'il devait fonder, des colonies qu'il devait établir; au lieu
de ces rôves d'enfant , où il réalisait la province Utopie de
Thomas Morus , c'étaient des voyages pieux sur le rivage
du Gange, des peuplades converties à la religion du Christ,
des persécutions à braver, des néophytes à gagner ; c'était
le ciel à ouvrir aux barbares, c'étaient les palmes du mar-
tyre à cueillir au milieu des flammes du bûcher! Cette
double vocation du voyage et du martyre devint si fervente
qu'il finit par l'avouer aux saints pères. Cet aveu les com-
bla de joie , et ils lui proposèrent de l'associer à ceux de
leurs frères qui allaient prêcher la foi aux Indes, au Ja-
pon et à la Chine. Le néophyte, transporté, écrivit aus-
sitôt à son père pour lui demander la permission de se faire
jésuite. M. de Saint-Pierre goûta peu ce projet d'aller con-
.vcrtir des Chinois, des Japonais et des antiiropophages : il
arracha son fils à ces nouvelles séductions , et l'envoya au
collège de Rouen, où il fit sa philosophie et obtint le premier
prix de matiiématiques , en 1757 ; il avait vingt ans alors.
C'est là que finit l'enfance de Bernardin de Saint-Pierre;
elle fut couronnée par une amitié douce et tendre, comme
le fut celle de Montaigne et d'Etienne de La IJoëtie:
la mort de son ami, M. de Chabrillant, fut le premier mal-
heur réel dont il fut frappé; son âme ne s'en releva pas, et
vers le soir de sa vie il se rappelait encore avec une joie
délicieuse cette amitié toujours chère et toujours pleurée.
Au sortir de ses études , il s'interrogea scrupuleusement
sur l'emploi qu'il se croyait appelé à remplir, et, croyant sa
vocation indiquée par le prix de mathématiques qu'il avait
obtenu au collège de Rouen , il entra à l'école des ponts et
chaussées : il y étudiait depuis un an , lorsqu'il apprit que
son père venait de se remarier. Ce fut à la même époque
que les fonds destinés à l'école furent réformés, par une
mesure d'économie extraordinaire. La plupart des ingé-
nieurs et tous les élèves furent licenciés. Bernardin com-
prit qu'il n'avait plus de ressource en son père, et sollicita
du service dans le génie militaire. 11 obtint son brevet, six
cents Hvres de gratification et cent louis d'appointements. 11
partit aussitôt pour Dusseldorf, où se rassemblait une ar-
mée de 30,000 hommes, commandée par le comte de Saint-
Germain. Quelque temps après la malheureuse affaire de
Warburg , Bernardin de Saint-Pierre , victime de l'envie ,
fut suspendu de ses fonctions, et reçut l'ordre de se rendre
à Paris. Sans argent, sans état, sans ressource aucune, il
se hasarda à passer quelques années près de son père;
mais il s'aperçut au bout de quelque temps que sa pré-
sence n'était rien moins qu'agréable à sa belle-mère, et, ja-
loux de ne point troubler l'harmonie du nouveau ménage ,
il s'en éloigna, résolu de tenter la fortune. Il prit la route de
Paris , avec six louis et l'espérance , vers le commencement
de mars de l'année 1760.
A cette époque , un vaisseau de guerre turc jeta l'ancre
près des rives de la Morée pour lever le tribut payé au
granil seigneur par les Grecs des îles de l'Archipel. Pendant
qu'une partie de l'équipage était descendue à terre, soixante
esclaves français s'emparèrent du vaisseau , coupèrent les
câbles, se dirigèrent vers la rade de Malte, et y entrèrent
un dimanche matin. Le grand seigneur somma l'île de rendre
le vaisseau : on craignit un siège , et plusieurs ingénieurs
furent envoyés au service de l'ordre. M. de Saint-Pierre fut
du nombre. Comme à la campiigne du pays de Hesse, il
fut encore desservi, calomnié, repoussé, méconnu. Le siège
n'eut pas lieu , et il s'embarqua pour la France , après avoir
reçu six cents francs pour les frais de son voyage : ce furent
là tous les bénéfices de sa campagne. Après avoir essuyé une
affreiiso tempête à la vue de la Sardaigne , entre le banc de
La Case et les rochers (jui licrissent la côte, il toucha avec
transport la terre natale , et se dirigea vers Paris.
Il y vécut quelque temps pauvre , mis4rahle , délaissé de
ses amis , abandonné de sa famille. Ce fut au milieu des dé-
senchantements de la misère que son imagination de poète
se ranima, et que ses projets de république et de législa-
tion se dressèrent de nouveau devant lui plus attrayants que
jamais. Il n'y résista pas. Il résolut d'aller fonder sa répu-
blique tant rêvée , cette chimère de sa jeunesse , cet enfan-
tillage de tous les jeunes cerveaux ; mais en quels lieux .'
dans quel monde? Il emprunte quelques cents francs à ses
amis , vend ses habits pour payer ses dettes , se munit de
quelques lettres de recommandation, et, léger, joyeux, son
petit paquet sous le bras , la tête et le cœur plein de songes
de fortune et de gloire, le voilà qui descend de sa man-
sarde... Où va-t-il.' Il court s'asseoir sur la banquette de
la diligence qui doit l'emporter à Bruxelles. Quel est le
ciel qui lui sourit? quelles sont les rives qui l'invitent.' Il
part pour la Hollande ; il va fonder une répubUque au fond
de la Russie. Il va coloniser la neige et les glaçons.
Après un voyage hérissé de difficultés , durant lequel son
courage ne fléchit jamais, pauvre, et sans cesse obligé d'a-
viser aux moyens de poursuivre sa route, manquant de
tout, mais opiniâtre comme le génie, plein de confiance
dans l'élévation de Catherine au trône impérial, il arriva
enfin à Pétersbourg. Contre son attente , la cour était à
Moscou , où s'était rendue l'impératrice pour son couronne-
ment. 11 ne lui restait que six francs, qui furent bientôt dé-
pensés, et son hôtesse commençait à se lasser d'une hos-
pitalité sans profits, lorsqu'il fut présenté au maréclial de
Munich, gouverneur de Pétersbourg. La première entrevue
lui fut favorable ; à la seconde , il apporta au maréchal un plan
dont celui-ci fut si satisfait qu'il promit d'en recommander
l'auteur à M. de Villebois, grand maître de l'artillerie; en même
temps , le maréchal offrit un sac de roubles à M. de Saint-
Pierre, en lui disant que cette somme servirait à payer ses frais
de voyage jusqu'à Moscou : celui-ci répondit que les ingé-
nieurs du roi de France ne pouvaient recevoir que l'argent
d'un souveram , et il refusa. Munich , pénétré de sa dignité,
lui proposa alors de le confier au général Sivers , qui se
rendait à la cour. M. de Saint-Pierre accepta.
Le général Sivers fit placer notre jeune législateur dans un ;
traîneau découvert : on était en janvier; dès la première
nuit, le traîneau versa deux fois; le second jour, le légis-
lateur eut une joue gelée , plus une oreille ; pour toute nour-
riture , il obtint du pain froid et dur comme la glace , plus
du vin que l'on coupait avec la hache. L'austérité de ce ré-
gime lui rendit celle du froid et plus âpre et plus rude : l'as-
pect mort de la nature le jeta dans une noire mélancolie , et
son courage ne se réveilla qu'en apercevant les dômes de
Moscou, qui étincelaient, dans la brune du soir, aux rayons
du soleil.
Délaissé à son arrivée par le général Sivers , avec un écu
pour toute fortune, il se présenta le lendemain au général
Bosquet, pour lequel le maréchal Munich lui avait donné
une lettre de reconmiandation. Le général Bosquet était
Français; il accueillit son compatriote avec bienveillance ,
et lui fit obtenir quelques jours après une sous-Iieutenance
dans le corps du génie. Présenté à M. de Villebois, le grand
maître de l'artillerie, il fut bientôt admis dans sa familiarité,
et son nouveau protecteur résolut de le présenter à Cathe-
rine. Lorsqu'il lui fit pail de cette nouvelle, Bernardin
faiUit devenir fou ; il avait écrit un mémoire qui fut pubh^
plus tard sous le titre de Projet d'une compagnie peur la
découverte d'un passage aux Indes par la Russie. Sous
le titre de compagnie, il voulait fonder une république près
des rives orientales de la mer Caspienne , entre les Indes et
l'empire de Russie. Cette république devait être la réalisa
tion de tout ce qu'il y avait de grand et de beau dans son
jeune co'ur; elle devait être le refuge de tous les êtres bons
et souffrants. Et de ces beaux rêves , Catherine pouvait
faire de belles réalités ! et le génie de Catherine était vaste
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE
dl
et K'a'>nlesque ! et son ûme comprenait les grandes choses !
et il allait voir Catherine 1 il allait rapprocher, lui pauvre
tout à l'heure, lui misérable hier encore! lui, pauvre
jeune homme qui avait traversé sans argent, sans amis, la
France, la Hollande , rAllemagne, la Prusse et la Russie ! Il
bénit la Providence, et ne douta plus un instant qu'il ne
fût appelé par elle à de hautes destinées. Hélas ! l'heure de
l'audience approche : il se trouve dans une riche galerie, au
milieu de courtisans élincelants d'or et de pierreries ; une
porte s'ouvre , l'impératrice paraît ; Bernardin se trouble ,
met un genou en terre, baise la main impériale, et nror-
mure quelques flatteries qui viennent expirer sur ses lèvres.
Catherine sourit et se retire, et la république avec elle. Ber-
nardin n'avait pas plus pensé à son mémoire que s'il n'eût
jamais existé : législateur républicain, il n'avait su que s'in-
cliner devant la majesté impériale.
Désolé de n'avoir point saisi une occasion si opportime ,
il se présenta le lendeinain chez Oriof , ministre favori de
l'impératrice, et lui remit son mémoire. Orlof le lut avec
indifférence , le laissa tomber négligemment sur son tapis ,
et ne s'en occupa jamais. A la douleur profonde qu'il éprouva
lorsqu'il vit ses idées repoussées et les espérances de toute
sa jeunesse détruites , vint se mêler une douleur non moins
amère : ce fut l'aspect du despotisme des grands et la ser-
vilité du peuple. Il s'indignait des misères de l'esclavage ; il
déplorait la tristesse morne du paysage, la stupide inertie
des habitants, l'abandon des terres, la pauvreté des popu-
lations; il pleurait sur tant de contrées désolées; il accu-
sait de tous leurs maux la servitude qui pesait sur elles. « H
n'y a que des mains libres , s'écriait-il en la parcourant ,
qui puissent faire fleurir la ferre ! La Grèce et l'Italie ont
donné des lois au monde ; maintenant ces beaux pays sont
incidtes et déserts, parce qu'ils sont asservis. La Hollande
n'offrait sous le gouvernement des Espagnols que des sables
et des marais : l'indépendance en a fait l'État le plus riche
et le mieux cultivé de l'Europe. Protégez donc, si vous vou-
lez régner, car c'est le bonheur des peuples qui fait la force
des rois ! »
Après plusieurs excursions dans la Finlande russe et dans
la Finlande suédoise, il revint à Pctersbourg plein de ces
émotions douloureuses qu'avait fait naître en lui la vue de ces
contrées esclaves. Bien des choses s'étaient passées durant
son absence ; tout était changé à Pétersbourg ; on y parlait
d'une guerre prochaine. Auguste III, roi de Pologne, venait
de mourir; la Russie et la Prusse plaçaient d'un commun ac-
cord Poniatowski sur le trône électif. La France s'inquiétait
de l'agrandissement de ces deux puissances. La Pologne, ja-
louse de prendre rang parmi les nations , se remuait sour-
dement, et faisait mine de vouloir se cabrer bientôt sous le
joug dont elle était lasse. Alors un jeune prince, nommé
Radziwil, sortit des forêts de la Lithuanie, lit un appel éner-
gique aux mécontents , raUia les faibles , domina les forts ,
et proclama d'une voix haute et fière l'indépendance de la
Pologne. A ce spectacle inattendu d'un peuple qui se le-
vait les armes à la main pour conquérir sa liberté, M. de
Saint-Pierre se sentit transporté d'un pieux enthousiasme.
Entraîné vers Radziwil par une invmcible sympathie , il
abandonna le service de la Russie, et s'élança vers la Po-
logne avec la joie du prisonnier dont on vient de briser les
fers, et qui n'a plus que l'air entre le soleil et lui; il s'a-
vança vers Varsovie , rêvant les beaux jours de la Grèce et
de Rome, et mêlant la gloire de ses souvenirs à celle de
ses espérances. Pauvre âme enthousiaste , qui ne savait pas
combien , dans nos révolutions nouvelles , il se jette d'in-
trigues et d'ambitions mesquines entre le peuple et la liberté
qu'il appelle, et combien sont rudes, ditliciles et grossiers
les premiers efforts qu'il essaye pour la soutenir lorsqu'il
s'est énervé dans un long esclavage ! Il ne trouva qu'un
peuple abruti, des contrées raTagées, des factions furieuses,
un conilit désordonné d'opinions et de volontés, quelques
grands seigneurs qui se disputaient des esclaves, la misère
partout, rintérêt du bien public nulle part. 11 se jeta dans
le parti des républicains polonais, que protégeaient la France
et l'Autriche.
Comme il allait , en 17G5, avec l'agrément de l'ambassa-
deur de l'Empire et du ministre de France à "Varsovie , se
jeter dans l'armée du prùice Radziwil , il fut fait prisonnier
à trois milles de "Varsovie , par l'imprudence ou l'indiscré-
tion de son guide. Il fut ramené dans cette ville, mis en
prison et menacé d'être livré aux Russes , du service des-
quels il sortait, s'il n'avouait que l'ambassadeur de Vienne
et le ministre de France avaient concouru à lui faire faire
cette démarche. Bien qu'il eût tout à redouter des Russes, et
qu'il eût pu envelopper dans sa disgrâce deux personnes il-
lustres par leur emploi , et la rendre par conséquent plus
éclatante, il persista à la prendre entièrement sur son compte ;
il disculpa aussi de son mieux son guide , à qui il avait donné
le temps de brûler les lettres dont il était porteur, en s'op-
posant, le pistolet à la main, aux houlans qui vinrent le
surprendre la nuit dans la maison de poste , où ils firent
leur premier campement , au milieu des bois. Il resta pri-
sonnier neuf jours ; et il n'avait plus en perspective que la
Sibérie avec toutes ses horreurs, lorsque le soir du neu-
vième jour les portes de sa prison s'ouvrirent, grâce aux
vives sollicitations de plusieurs éminents personnages qui
s'intéressaient à lui.
Une passion plus terrible et plus dévorante que celle qui
avait déjà ravagé sa jeunesse l'attendait sur cette terre où il
était venu chercher la liberté , et où il ne trouva pour lui
que le plus impérieux et le plus absolu des despotismes ,
l'amour. A son arrivée à Varsovie, M. de Saint-Pierre avait
vu s'ouvrir devant lui les salons de tous les chefs de partis :
une parente du prince de Radziwil, la princesse Marie
M , le reçut avec empressement. Elle était jeune ,
belle et spirituelle, grave comme une Romaine, héroïque
comme la femme de Sparte, aimable et légère comme cellt.
de Paris (vieux style). Bernardin de Saint-Pierre l'aima avec
fureur, et fut aimé de même; et son séjour fut absorbé
tout entier par cette passion nouvelle, dont l'ambition l'avait
préservé jusque alors. Cet amour, comme tous les amours
fut un mélange des joies du ciel et des douleurs de la terre,
une vie tumultueuse , pleine de ravissements ineffables, de
douleurs inouïes et de félicités orageuses; comme tous les
amours, comme tous les bonheurs de ce monde, il n'échappa
point aux attaques de l'envie, de la médisance et de la ca-
lomnie : il en fut la victime. La famille de la princesse Marie
se souleva contre elle, sa mère la rappela : il fallut obéir. La
séparation fut cruelle. Marie se rendit près de sa mère; Ber-
nardin partit pour Vienne. Il y vivait depuis quelques mois
triste et solitaire, lorsqu'il reçut une lettre de la princesse ;
abusé par l'expression brûlante de son amour et par la pein-
ture animée de ses souffrances, il crut y voir le désir qu'elle
avait de renouer cette vie d'amour si brusquement inter-
rompue : il se persuada que la lettre n'avait été écrite que
pour le rappeler à Varsovie. I! partit pour Varsovie, plein
d'amour et de joie. Toujours l'illusion, qui se brise contre
recueil inévitable de la réalité! 11 arrive : la princesse est
au bal. 11 court au bal. La princesse le remarque à peine ;
le lendemain il reçoit une lettre de Marie , où elle l'engage à
revenir à la raison et à retourner à Vienne.
La guerre venait d'éclater entre la Pologne et la Saxe. II
résolut d'entrer en Pologne les armes à la main ; il se ren-
dit à Dresde, et y arriva le 16 avril 1765. Il fut accueilli avec
empressement par le comte de Bellegarde, qui lui promit du
service et lui donna son amitié; mais l'amidé du comte de
Bellegarde fut impuissante aussi bien que ses promesses.
Rien ne put le distraire de cet amour malheureux , plus
énergique , plus brûlant que jamais. Il passait ses journées à
se promener sur les rives de l'Elbe, dans les jardins du comte
de Brùhl , repoussant toutes consolations , aimant ses souf»
7.
62
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE
frances et «'attachant à elles atec autant d'ardeur qu'elles
s'acliarnaient à lui.
Par suite d'une aventure tellement romanesque que nous
n'osons pas la confier à la sévérité de l'Iiistoire , le séjour
de Dresde lui devint odieux ; il prit congé de M. de Belle-
garde, et partit pour Berlin, résolu de demander du ser-
vice au grand Frédéric; mais il ne put obtenir ce qu'il dé-
sirait. A son tour, il refusa ce qu'on lui offrait , et il allait
quitter Berlin, lorsque le hasard lui offrit un ami qui l'y re-
tint quelques mois encore. C'était un digne homme nommé
Taubenheim, que Bernardin avait rencontré chez l'am-
bassadeur de Russie. Taubenlieim essaya de fixer le jeune
voyageur auprès de lui. Il lui offrit sa fortune, sa maison
ol sa liile Virginie , la plus aimable et la plus belle de ses
lilles ; mais Bernardin refusa toutes ses offres. L'amour de la
patrie, qui ne s'éteint jamais, le poussait vers la France; un
autie amour, plus violent et plus âpre , que l'Age seul devait
amortir, occupait son cœur et n'y laissait point de place pour
une passion nouvelle : il refusa tout avec douleur, et n'ac-
«:cpta (|ue l'assurance d'une éternelle amitié en échange de
la sienne, qui ne mourut qu'avec lui.
Il revit la France. Son père n'était plus ; il ne retrouva
plus au Havre que sa vieille bonne , Marie Talbot, celle qui
dans sa jeunesse lui était apparueau désert. Elle lui apprit que
sa sœur était entrée dans un couvent à Honfleur. Il partit le
môme soir pour Honfleur. 11 vit sa sœur, et se sentit le cœur
plein de remords et d'amertume , en comprenant qu'il ne
possédait rien, et qu'il ne pouvait arracher la pauvre Cathe-
rine aux ennuis rongeurs du cloître pour lui faire une
destinée plus facile et plus belle. Il la quitta après lui avoir
cédé plusieurs petites rentes sur son patrimoine , résolu de
trouver un emploi qui les mît à même de vivre réunis sous
le même toit, et de ne plus se séparer jamais. Il loua une
chambrette chez le curéde Ville-d'Avray, et se retira dans ce
petit village pourmettre en ordre ses Voyages dans le Nord.
Lorsque ses mémoires furent achevés, il les présenta à
M. Durand , premier commis des affaires étrangères , qu'il
avait connu en Pologne. M. Durand ne lut pas les mémoires,
et les égara. Alors , fatigué , découragé , las de solliciter, et
de solliciter en vain , M. de Saint-Pierre témoigna au baron
de Breteuil , qui l'avait accueilli avec bienveillance à Péters-
bourg , le désir de passer aux colonies. M. de Breteuil lui fit
obtenir un brevet d'ingénieur pour l'île de France, et lui
confia que sa destination véritable était pour Madagascar ;
qu'il était chargé de relever les murs du fort Dauphin et de
civiliser la colonie. « Cette île, ajouta-t-il, est divisée en une
multitude de petites nations qui se font souvent la guerre, et
«pie les Européens n'ont jamais pu soumettre. C'est vous
qui devez les réunir, non par la puissance des armes, mais
l)ar celle de la sagesse : c'est en leur olTrant le spectacle du
l)onhcur que vous les attirerez à vous, et que vous les don-
nerez à la France. >»
Il serait difficile d'imaginer quels furent les transports de
surprise et de joie auxquels se livra Bernardin de Saint-Pierre
à cette proposition. Toutes les douleurs du passé tombèrent
pièce à pièce devant la position nouvelle qui s'ouvrait de-
vant lui. L'amour s'évanouit, l'ambition envahit son cœur,
et ce cœur, qu'elle avait tant lassé, tant vieiUi de ses dé-
ceptions, se réveilla à ses séductions aussi jeune, aussi
docile que s'il n'avait jamais été trompé par elle, ©e fut au
'nilieu de ces doux rôves qui revenaient l'as-saillir qu'il
s'embarqua avec le chef de l'entreprise, et un jour, qu'assis
tous les deux sur la dunette , il lui (aisait part de ses beaux
projets de législation et de félicité publicpie, le maître de
l'expédition lui confia en souriant qu'il était temjjs de
renoncer à tous ces enfontillages, et qu'il n'avait jamais eu
d'autre dessein que de laire la traite des noirs, en vendant
Res futurs sujets. Indigné de tant de perversité, M. de Saint-
Pierre se sej)ara de l'expédition , acheta une mauvaise ca-
bane à l'île de France, et prit du service comme ingénieur
sous les ordres de M. de Brcuil, ingénieur en chef. Nous n'en-
trerons dans aucun détail sur son séjour à l'île de France ,
sur ses études d'histoire naturelle, sur ses excursions à l'île
Bourbon et au cap de Bonne- Espérance ; ils se trouvent
tous dans les relations de son voyage et dans le récit de son
retour à Paris, qui eut lieu vers le mois de juin 1771.
Ce fut à peu près vers cette époque qu'il fut introduit par
d'Alembert dans la société de M"* de L'Espinasse ; il y entra
plein de respect pour la philosophie nouvelle, qu'il admirait
sur la foi de l'Europe, et il s'en retira bientôt plein de
haine et de mépris pour elle. Qu'avait-il à faire dans
un monde qui professait l'athéisme et niait la Provi- ,
dence , lui qui avait trouvé Dieu partout , et que la Provi-
dence n'avait jamais délaissé? Ce monde le révoltait, et il y
devenait lui-même un sujet de risée et de scandale. Lorsque
les philosophes comprirent qu'il avait des principes dont
il ne se départait pas, que ses opinions sur la nature
étaient contraires à leur système, qu'il n'était propre à
être ni leur prôneur ni leur protégé , ils devinrent ses en-
nemis. 11 chercha des amis dans les houuues d'un parti
contraire, qui avaient témoigné le plus grand désir de l'y
attirer quand il n'en était pas, et qui ne firent plus aucun
compte de son mérite dès qu'il fut parmi eux. Lorsqu'ils
virent qu'il n'adoptait pas tous leurs préjugés, qu'il ne
cherchait que la vérité, qu'il ne voulait médire ni de leurs
ennemis ni des siens, qu'il n'était propre ni à intriguer nj
à aduler, que ses vertus, qu'ils avaient tant exaltées, no
l'avaient mené à rien d'utile, qu'elles ne pouvaient nuiro
à personne , et qu'enfin il ne tenait plus ni à eux ni à leurs
antagonistes, ils le négligèrent tout à fiiit et le persécutèrent
même à leur tour.
Ramené de plus en plus vers la vie solitaire , il s'éloigna
des hommes, emportant dans son cœur la conscience di-
vine, qu'ils n'avaient pu lui ravir ; mais ses malheurs n'é-
taient pas à leur dernier période. Il avait publié , au retour
de son dernier voyage , en 1773, ses Mémoires sur l'île de
France, dont le manuscrit devait être payé 1,000 francs.
11 ne les avait écrits que dans la seule vue de remédier aux
misères qui afiligeaient cette île, et de rendre un service
essentiel à sa patrie, en faisant voir que l'île de France, que
l'on remplissait de troupes, n'était propre en aucune ma-
nière à être l'entrepôt ni la citadelle de notre commerce
des Indes, dont elle est éloignée de quinze cents lieues. Cet
ouvrage lui valut quelques admirations, de nombreuses
inimitiés, ne lui fut point payé, et l'introduisit dans un
monde brillant, qui le railla pour ses malheurs, et le mé-
prisa pour ses vertus. L'ingratitude des hommes dont il
avait le mieux mérité , des chagrins de famille imprévus ,
l'épuisement total de son faible patrimoine, les dettes dont
il était grevé , ses espérances de fortune évanouies , ses in-
tentions calomniées , un passé douloureux , un avenir
incertain, un présent qui lui échappait sans cesse, tant de
maux combinés, tant de calamités réunies, ébranlèrent à
la fois sa santé et sa raison. 11 fut frappé d'un mal étrange,
qu'il décrit lui-môme dans le préambule de VArcadie. Ce
qu'il y a de bizarre, c'est que ce mal ne le prenait que
dans la société des hommes. H ressentait à leur aspect la
répugnance que nous éprouvons tous à la vue des mets dont
nous avons souffert. Il lui était impossible de rester dans
un appartement oii il y avait du monde ; il ne pouvait pas
même traverser une allée de jardin public où se trouvaient
plusieurs personnes assemblées. Comme Jean-Jacques Rous-
seau, il avait toute la susceptibilité du malheur; méfiant
comme lui , il se croyait poursuivi par tous les regards qu'il
rencontrait, calonmié par toutes les paroles dont le murmure
arrivait à ses oreilles. Lorsqu'il était seul, son mal se dis-
sipait ; il se calmait encore dans les lieux où il ne voyait
que des enfants. Voyant qu'il n'avait rien à espérer ni des
hommes ni de lui-même, il se résigna et s'abandonna à
Dieu. Le premier fruit de sa résignation fut le soulagement
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE
sn
(le ses maux ; ses anMétcs se calmèrent dès qu'il n'y ré-
sisf.i pins.
15 eiitùt il lui échut, sans la moindre sollicitation, un se-
cours annuel du roi. C'était un bienfait médiocre, incertain,
d(^I)cnilant de la volonté d'un ministre, du caprice des in-
terniikliaires et de la méchanceté de ses ennemis; mais il
trouva que la Providence le traitait comme le genre humain,
auquel elle ne donne , dans la récolte des moissons , qu'une
subsistance incertaine, portée par des herbes sans cesse
battues des vents et exposées aux déprédations des oiseaux
et des insectes. Xe premier usage qu'il en fit fut de s'éloi-
gner des hommes. Dès qu'il ne les vit plus , son âme se
calma , et se réfugia dans l'amour de la natui'e , le seul qui
ne trompe pas, le seul dont les richesses ne s'épuisent jamais.
II y trouva l'oubli des maux qu'il avait soufferts et des mé-
chants qui l'avaient persécuté ; son cœur, rempli de Dieu ,
ne recela jamais de fiel contre aucun des méchants qui l'en
avaient abreuvé. Il croyait leur devoir des obligations , et
il se surprenait parfois ;\ les bénir en secret. Leurs persé-
cutions avaient causé son repos ; il devait à leur ambition
dédaigneuse une Hberté préférable à leur grandeur, et les
études délicieuses auxquelles il s'abandonnait dans le silence
et le recueillement.
Cette époque de sa vie est remarquable par sa liaison
avec J.-J. Rousseau. Les mêmes sympathies et les mêmes
douleurs réunirent ces deux âmes froissées et méconnues :
les âmes qui souffrent sont sœurs. Ce fut à Jean-Jacques
que Bernardin dut le retour de sa santé. 11 avait lu dans ses
écrits que l'homme est fait pour travailler et non pour mé-
diter, et il avait changé de régime ; au lieu d'exercer son âme
comme il l'avait fait jusque alors , et de reposer son corps,
il avait exercé son corps et reposé son âme. « Je jetai les
yeux sur les ouvrages de la nature , qui parlait à tous mes
sens un langage que ni le temps ni les nations ne peuvent
altérer. Je renonçai à la plupart de mes livres ; mon histoire
et mes journaux, c'étaient les herbes des champs et des prai-
ries, u On trouve plusieurs détaQs pleins de charmes sur cette
intimité à la fin du tome III des Études, dans le préambule
de VArcadie et dans la préface de VEssai sur J.-J. Rous-
seau Souvent ils se dirigeaient vers la campagne, dî-
nant assis au pied d'un arbre et ne reprenant que le soir le
chemin de la ville. La nature, la religion, l'immortalité,
étaient les objets habituels de leurs méditations. A ces idées
d'une philosophie profonde ils mêlaient quelquefois les pein-
tures vives et animées de leurs sentiments, les anecdotes de
leur enfance , les souvenirs de leurs beaux jours , et des ré-
flexions touchantes sur la recherche du bonheur, le mépris
de la mort et la constance dans l'adversité , questions qui
ont si souvent occupé les anciens et qui donnent tant d'in-
térêt à leurs ouviages.
Ces consolantes méditations ramenèrent insensiblement
Bernardin de Saint-Pierre à ses anciens projets de félicité
publi(pie, non plus pour les exécuter lui-même comme au-
trefois, mais au moins pour en faire un tableau intéressant.
La simple spéculation d'un bonheur général suffisait alors à
son bonheur particulier. Il pensait aussi que ses plans imagi-
naires pourraient un jour se réaliser par des hommes plus
heureux. Ce désir redoublait en lui à la vue des malheureux
dont nos sociétés sont composées ; et sentant, par ses pro-
pres privations, la nécessité d'un ordre politique conforme
à l'ordre naturel, il en composa un d'après l'instinct et les
besoins de son propre cœur. Telle fut l'origine de VArcadie:
une conversation qu'il eut une après-midi au bois de Bou-
logne avec J.-J. Rousseau, et qui est rapportée dans le
préambule de VArcadie , donne une idée assez complète de
ce livre. « Mes Arcadiens , disait-il à son ami , exercent
tous les arts de la vie champêtre ; il y a parmi euv des ber-
gers, des laboureurs, des pêcheurs, des vignerons Leurs
mœurs sont patriarcales comme au premier temps du
inonde. Il n'y a dans la république ni prêtres, ni soldats,
ni esclaves ; car ils sont si religieux que chaque père de fa-
mille en est le pontife, si belliqueux que chaque habitant
est toujours prêt à défendre sa patrie sans en tirer de solde,
et si égaux qu'il n'y a pas parmi eux de domestiques. Il n'y
a point de querelles entre les jeunes gens, si ce n'est quel-
ques débats entre amants , comme ceux du Devin du Vil
lage; mais la vertu y appelle souvent les citoyens dans
les assemblées du peuple pour délibérer entre eux de ce qu'il
est utile de faire pour le bien -public. Ils élisent à la pluralité
des voix leurs magistrats, qui gouvernent l'État comme une
famille, étant chargés à la fois des fonctions de la paix , de
la guerre et de la religion. Ou ne voit dans leur pays aucun
monument inutUe, fastueux, dégoiitant ou épouvantable;
point de colonnades , d'arcs de triomphe , d'hôpitaux ni de
prisons. Mais un pont sur un torrent, un puits au milieu
d'une plaine aride, un bocage d'arbres fruitiers sur une
montagne inculte, autour d'un petit temple dont le péristyle
sert d'abri aux voyageurs , annoncent dans les lieux les
plus déserts l'humanité des habitants.... Les tombeaux des
ancêtres sont au milieu des bocages de myrtes , de cyprès
et de sapins ; leurs descendants , dont ils se sont fait chérir
pendant leur vie , viennent dans leurs plaisirs ou leurs pei-
nes les décorer de Heurs et invoquer leurs mânes. Le passé,
le présent, l'avenir, lient tous les membres de cette société
des chaînons de la loi naturelle , en sorte qu'il est également
doux d'y vivre et d'y mourir. » C'est ainsi qu'il poursuivait
toujours les illusions de sa jeunesse et qu'il jouait encore à
la république, comme l'oncle Tobie de Sterne, qui creusait
des tranchées dans son jardin, élevait des bastions avec
Trimm , prenait des forts et gagnait des batailles pour se
venger de celles qu'il avait perdues.
Bernardin de Saint-Pierre eut toujours une profonde vé-
nération pour J.-J. Rousseau , qu'il plaçait dans son cœur
auprès de Fénelon. Tous les deux d'ailleurs professaient pour
ce dernier le même culte et le même amour.
M. de Saint-Pierre ayant perdu par un changement de
ministère la gratification annuelle de mille francs , qui était
son unique ressource, se décida à publier ses écrits, et
recueillit les fragments de VArcadie, afin d'en former les
Études. L'auteur a retracé lui-même les difficultés qu'on lui
fit éprouver lors de la publication de son ouvrage. D'abord,
la censure lui retiancha deux morceaux fort remarquables ,
qu'il regretta avec la douleur d'un père qui voit mutiler son
fils ; puis le manuscrit fut successivement rejeté par plusieurs
libraires , et l'auteur fut obligé de le faire publier à ses
frais. Les Études parurent enfin en 1784, et leur succès
consola l'auteur des tribulations qu'il avait éprouvées.
Ce ne fut que quatre ans après , en 1788 , que M. de Saint-
Pierre fit paraître Paul et Virginie. Il en avait fait lecture
dans les salons de madame Necker quelque temps avant lu
publication du livre des Études. La froide indifférence qui ac-
cueillit cette lecture jeta l'auteur dans un profond accable-
ment. Il avait bien surpris, durant cette fatale soirée, parmi
les femmes qui l'entouraient, des visages émus qui n'osaient
se trahir, des sympathies qui rougissaient de s'avouer, des
larmes honteuses qui se cachaient silencieusement dans les
mouchoirs de batiste ; mais il se rappelait aussi la figure
ennuyée de M. de Buffon , les bâillements de M. Necker, la
somnolence de Thomas, et la retraite furtive des auditeurs
les plus voisins de la porte, qui s'esquivaient en jurant
qu'on ne les y prendrait plus. Ces cruels souvenirs le plon-
geaient dans un morne abattement, et il n'essayait plus de
s'en arracher, fatigué qu'il était de s'épuiser en efforts sté-
riles contre la destinée qui le repoussait sans cesse. Il était
décidé à ne plus lutter et à ployer sans se roidir sous le dé-
couragement , renonçant à recueillir le fruit de ses travaux ,
songeant à livrer aux flammes ses manuscrits , dont l'aspect
l'injportunait, loisque le peintre Vernet vint s'asseoir un jour
à son modeste foyer, dans la mansarde qu'il occupait alors
rue Saint-Éticnne-d>i-Monf. Voyant Bernardin Ifislc cl si-
54
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE
lencieiix , Vemct voulut connaître la cause fie sa tristesse :
une vieille amitié lui en donnait le droit. Bernardin avoua
tout. Alors Vernet voulut entendre ce livre réprouvé par
l'aristocratique aréopage qu'avait présidé madame Necker ;
et lorsque Bernardin eut cédé à ses vives instances, lorsqu'il
fut arrivé à la dernière page de ce manuscrit frappé depuis
longtemps d'indillérence et d'oubli, Vernet se leva, le visage
inondé de larmes , et , pressant Bernardin dans ses bras :
«< Mon ami ! oh ! mon ami ! s'écria-t-il , vous avez fait un
chef-d'œuvre! » C'est ainsi que Boileau consola Racine des
sifflets qui accueillirent Alhalie sur la scène française.
Vernet avait été prophète : le succès de Paul et Virginie
fut immense, et mit M. de Saint-Pierre en état d'abandonner
son donjon de la rue Saint-Étienne-du-Mont pour acheter
une petite maison avec un jardin rue de la Reine-Blanche ,
à l'extrémité du faubourg Saint-Marceau. Ce fut de cette
«olitude qu'il adressa à Louis XVi Lcr, Voeux d'un Solitaire,
méditations morales , empreintes d'une grande inexpérience
des hommes et des choses , qui tendaient à concilier les
intérêts nouveaux qui s'agitaient dans la nation avec les
vieux intérêts de la royauté, qui déjà commençaient à plier;
oeuvre de candeur et de vertu , qui se perdit sans retentis-
sement au milieu des orages de cette époque tumultueuse.
Deux ans après, en 1791, il publia la Chaumière in-
dienne , critique spirituelle et douce des académies, des
sociétés, de la science et du bonheur des villes; satire ingé-
nieuse, écrite avec le cœur, et que Voltaire eût écrite s'il
avait eu l'àme de Jean-Jacques.
En 1792, comme il s'occupait de mettre en ordre quel-
ques fragments des Harmonies , Louis XVI l'enleva à sa
solitude pour lui confier l'intendance du Jardin des Plantes
et du cabinet d'histoire naturelle. « J'ai hi vos ouvrages ,
lui dit-il en le voyant; ils sont d'un honnête homme, et j'ai
cru nommer en vous un digne successeur de Biiffon. « M. de
Saint-Pierre se montra digne en effet du choix qui l'avait
appelé à remplacer ce grand naturaliste ; il apporta dans la
direction des richesses qni lui étaient confiées la science et
l'activité de son esprit , la grandeur et la droiture de son
âme. Malheureusement, les brillants projets qu'il avait
nourris ne purent se n'^aliser, tant il était difticile, à cette
époque turbulente, de biltir et de fonder sur un terrain
mouvant qui s'éboulait de toutes parts! Ce fut grâce à lui
cependant que le cabinet d'histoire naturelle fut ouvert
chaque jour aux recherches des naturalistes ; ce fut aussi
lui qui donna l'idée de joindre la ménagerie au Jardin-des-
riantes et d'établir une bibliothèque pour les étudiants et
un journal pour les professeurs. Idée féconde, étouffée par
la révolution, qui éclatait alors dans toute sa force et dans
toute sa puissance. M. de Saint-Pierre se \it bientôt relancé
par elle jusqu'au milieu du monde pacifique qui semblait
devoir échapper à ses coups. La ménagerie de Versailles fut
massacrée par les furieux, le Jardin-des-Plantes envahi,
ravagé, labouré en tous sens ; tout allait être détruit si le
ministre n'avait pas placé les débris de l'établissement sous
la garde fralernclle des citoyens du faubourg Marceau.
L'ordre fut rétabli, et l'intendance supprimée.
Bernardin profita aussitôt de sa liberté pour se réfugier à
l^ssonne, où il avait lait construire une jolie maisonnette; il
sortit d'ailleurs du Jardin des Plantes tellement pauvre et
dénué de tout, qu'il fut obligé de solliciter une légère gra-
tification pour comploter le payement de deux arpents de
terre qu'il possédait. Il s'y retira avec sa femme , M""' Didot,
(lu'il avait épousée par amour peu de temps avant sa nomi-
nation à l'intendance du cabinet d'histoire naturelle; il y
vécut heureux et solitaire, étranger aux passions qui bouil-
lonnaient autour de lui, s'occupaut de ses auteurs cliéris,
et pleurant sur la patrie comme le naufragé qui , du rivage
oii l'ont poussé les Ilots , j)Ieure à l'abri de la tourmente sur
le vaisseau que vont briser les vagues. C'est ainsi qu'il passa
dans sa retraite l'iiiver de l79:î et celui de 179i, près de
sa femme et de ses petits enfants, qui se roulaient à leurs
pieds devant le foyer brillant. On a accusé M. de Saint-
Pierre de n'avoir point aimé sa femme et de l'avoir rendue
malheureuse. Nous sommes tellement convaincu qu'un
homme se met tout entier dans ses ouvrages et que toute
œuvre du génie porte l'empreinte du ccrur où elle est mou-
lée , que cette accusation nous semble une puérile calomnie
à laquelle Parti et Virginie , les Harmonies et les Étude
répondent assez hautement.
Vers la fin de 1704, lors de la création de l'École NormaleJ
il y fut nommé professeur de morale. Jaloux de son obscu-
rité, il voulut vainement se soustraire à cette publicité nou*
velle; des gendarmes lui apportèrent son diplôme à la point
de leurs sabres. Il fallut bien obéir. Il se présenta à son au-
ditoire avec une assurance noble et modeste à la fois, il en fut
accueilli avec enthousiasme, et les doctrines religieuses qu'il!
professa avec hardiesse furent reçues au milieu de l'impiété
de ce siècle comme la manne inespérée tombant du ciel dans
le désert. L'année suivante, l'Institut fut créé, et Bernardin
de Saint-Pierre fut appelé à la classe de morale, avec des
hommes qui , ennemis de ses principes , se liguèrent aussitôt
contre lui. Il lutta courageusement , mais en vain , contre la
doctrme de l'Institut; il pressa vainement ses membres de
proclamer la Providence et d'asseoir toute morale sur l'exis-
tence de Dieu. Sa voix éloquente se perdit au milieu des
blasphème?;, ou mourut dans le silence du mépris et de l'in-
différence.
Après la mort de sa femme, enlevée par une maladie de
poitrine, M. de Saint-Pierre quitta sa retraite d'Essonne, qui
lui était devenue insupportable , et vint s'établir à Paris
avec ses deux enfants, Paul et Virginie, dont il résolut de
diriger l'éducation ; mais cette tûche était trop lourde à ses
soixante-trois ans, et il épousa pour la partager mademoi-
selle de Pelleport , qui voua avec enthousiasme sa jeunesse
et sa vertu aux vieux jours de l'homme dont le génie l'avait
captivée.
Il passa ses dernières années dans une maison de cam-
pagne située sur les bords de l'Oise , dans le petit village
d'Épagny. Après tant de fatigues et de traverses , il put enfin
se reposer dans le calme et dans le bonheur. Le soir de sa
vie fut pur et serein ; la tendresse de sa jeune femme dissipa
les nuages qui auraient pu en voiler l'azur, et l'amitié de
Ducis l'égaya comme un soleil doux et bienfaisant. Sa for-
tune avait éprouvé un échec considérable ; la munificence
de Joseph Bonaparte le répara. Bernardin ayant refusé la
place qu'il lui offrait, Joseph le força d'accepter une pension
de six mille francs, qui, jointe aux six mille francs qu'il
possédait déjà , procura à sa famille tout le bien-être d'une
vie douce et facile. Enfin le gouvernement lui accorda plus
tard une pension de deux mille francs avec la croix d'Hon-
neur. Ainsi, libre de soucis et d'inquiétudes sur l'avenir de
ses enfants, il put s'endormir dans le repos, la dernière de
ses ambitions. Il consacra ses heures de loisir à rédiger
l'Amazone et à mettre en ordre sa Théorie de l'Univers.
Son système des marées devint la monomanie de son vieil
Age. Il sacrifiait volontiers toutes ses prétentions à sa gloire
d'écrivain , il n'en cédait aucune à celle de lire dans les cieux.
En un mot, il était astronome, comme Girodet était poète.
Il se sentit vieillir sans effroi de la mort; il la vit appro-
cher sans pâlir ni se troubler. « Si je considère les peines
de la vie, disait-il, la mort ne peut être qu'un bienfait,
puisqu'elle vient après tant de maux , comme le repos après
le travail , comme la nuit qui succède au jour et qui me dé-
couvre de nouveaux cieux. Ce besoin d'aimer, de connaître,
ce besoin de m'élever à la source de toute vérité , la mort
va le satisfaire ; et comment craindrais-je de me réunir à
celui que j'ai cherché pendant la vie? » Quelques heures
avant sa mort , il tendit la main à ceux qui l'entouraient et
qui pleuraient agenouillés près de son lit : ■< Ce n'est qu'une
séparation de quelques jours, leur dit-il d'une voix faible,
I
lîERNARDIN DE SAINT-PIERRE — BERNE
55
ne me la rendez pas douloureuse ; je sens que je quitte la
terre et non la vie. » 11 mourut dans sa maison d'Épagny,
entre les bras de sa femme et de sa fille, le 21 janvier 1S14.
M. de Saint-Pierre avait eu l'intention d'écrire ses mé-
moires; il laissa des notes précieuses et des matériaux
nombreux, dont M. Aimé Martin, qui épousa la veuve de
Bernardin de Saint-Pierre, devint le dépositaire. Celui-ci en
composa un Essai sur lavie de Bernardin de Saint-Pierre,
qui précède l'édition de ses œuvres complètes, mises en
ordre par le même écrivain. Jules Sandeau.
BERIVARDIl\S,nom que l'on donna aux religieux de
Cîteaux après que saint Bernard, qui était entré dans
leur ordre , l'eut réformé.
BERNAUER ( Agnès ) était la belle et vertueuse fille
d'un pauvre bourgeois d'Augsbourg, Gaspard Bernatier,
originaire du pays de Bade. Le duc Albert de Bavière, fils
unique du duc régnant Ernest, vit cette jeune fille à l'occa-
sion d'un tournoi célébré en son honneur par les familles
patriciennes d'Augsbourg, et conçut aussitôt pour elle la
pasnion la plus vive. De son côté, Agnès ne resta pas insen-
sible à la mâle beauté et au rang élevé de son adorateur,
alors âgé de vingt-huit ans seulement ; mais elle avait trop
de piété et des mœurs trop pures pour consentir à accueillir
des hommages qui n'auraient pas le mariage pour but. Albert
lui promit donc de lépouser, et tint loyalement parole,
ïouiefois, leur union fut bénie en secret, et après la célé-
bration de l'acte religieux, Albert conduisit mystérieusement
sa jeune épouse au château de Vohburg, qu'il tenait du chef
de sa mère. Us y vécurent dans la plus heureuse et la plus
tranquille union jusqu'au moment où le père d'.\lbert, le duc
El nest, songea à marier son fils avec Anne, fille du duc Éric
de Brunswick. L'opiniâtre résistance à ce projet qu'il ren-
contra de la part d'Albert lui eut bientôt révélé l'amour du
jeune prince pour la belle Agnès et la vivacité d'un attaclie-
ment avec lequel il résolut aussitôt d'en finir par l'emploi de
la violence. Il commença par s'arranger de façon à ce que
dans un tournoi célébré à Ratisbonne, on refusât de laisser
son fils entrer en lice , comme étant en contravention avec
les règlements de la chevalerie, qui interdisaient l'accès des
tournois à tout chevalier entretenant d'impures relations
avec une jeune fille. Albert eut beau affirmer sur l'honneur
qu'Agnès était sa légitime épouse , on persista à tenir les
barrières closes pour lui.
Le prince se vengea de cet affront public en faisant à son
four rendre publiquement à Agnès les honneurs dus à une
duchesse de Bavière; il lui donna donc une brillante et
nombreuse domesticité, comme il convenait à une princesse,
et lui assigna pour demeure le château de Straubing. Mais
comme si elle eût eu le douloureux pressentiment de sa
sombre destinée, Agnès fondait, pendant ce temps-là, dans le
cloître des religieux de l'ordre du Mont-Carmel, situé à peu
de distance de sa résidence , une chapelle funéraire.
Tant que vécut l'oncle d'Albert , le duc Guillaume, qui
aimait tendrement son neveu, il n'y eut plus d'autre ten-
tative faite pour troubler le bonheur mutuel des deux
époux. Mais son frère ne fut pas plus tôt mort, que le duc
Ernest, incapable de dissimuler plus longtemps son profond
ressentiment, fit arrêter Agnès pendant une absence d'Albert,
et ordonna qu'elle fut mise à mort sans délai, comme cou-
pable d'avoir usé de maléfices pour ensorceler te duc Albert.
Le bourreau traîna l'infortunée toute garrottée, le 12 octo-
bre 1435, sur le pont du Danube, du haut duquel il la préci-
pita dans le fleuve en présence d'une immense multitude de
peuple. Mais alors, au lieu de disparaître aussitôt emporté par
le courant, le corps d'Agnès surnagea à la surface des flots,
qui le ramenèrent mollement au rivage. Un des valets du
bourreau y courut bien vite, parvint à se saisir avec une
longue perche de la belle chevelure d'or qui flottait éparse à la
surface de l'onde, l'enroula autour de cet instrument, à l'aide
duquel il put plonger de nouveau dans l'eau le corps de la
victime et l'y retenir jusqu'à ce que la suffocation fût complète.
Indigné d'un tel attentat, le duc Albert prit les armes con_
tre son père, et s'unit à ses ennemis pour ravager ses États.
En vain le duc Ernest eut recours alors aux prières et aux
supplications pour fléchir le légitime courroux de son fils.
Ce fut longtemps après seulement que les exhortations de
l'empereur Sigismond et les instances de ses amis détermi-
nèrent Albert à reparaître à la cour de son père, où il finit
toutefois par consentir à épouser Anne de Brunswick. Dans
l'espoir de regagner l'affection de son fils, le duc Ernest fil éri-
ger lui-même une chapelle expiatoire sur le tombeau de la
malheureuse Agnès. Dès le premier anniversaire de celte hor-
rible catastrophe , Albert avait fondé dans le monastère des
Carmélites de Straubing des messes à perpétuité pour le repos
de l'âme de sa chère Agnès. Douze ans plus tard il renou-
velait encore cette pieuse fondation à l'occasion de la trans-
lation solennelle du cercueil contenant la dépouille mortelle
de Yhonnête dame aux lieux qu'elle avait autrefois désignés
elle-même pour lui servir de sépulture, et où il fit élever un
beau tombeau en marbre. Pendant Iongtem[>s la complainte
des infortunées amours d'Albert et d'Agnès demeura popu-
laire en Bavière. Elles ont aussi servi de sujet à divers poètes
tragiques, par exemple au comte Tœrring (1780), à Jules
Kœrner (1821), et tout récemment à A. Bœttger (Leipzig,
1846; 3* édit., 1850).
BER3JAY, ville de France, département de l'Eure,
chef-lieu d'arrondissement, à 38 kil. d'Évreux, sur la Cha-
rentonne , compte 7,460 hab. Elle possède un tribunal de
commerce et un collège fréquenté par 125 élèves. L'indus-
trie est active à Bernay, où l'on fabrique des toiles et de.?
rubans de fil, des cuirs et des peaux mégissées, des draps,
des lainages , des bretelles , de la bonneterie. 11 y a trois
typographies. Cette ville fait un grand commerce de grains,
de bestiaux, de papiers, de fer, etc. Sa foire pour la vente
des chevaux est la plus considérable de la France : elle
est fréquentée par plus de quarante mille personnes.
BERNAY (Alisxandke de). Voyez Alexandre de
Bernay.
BERi\BURG, capitale du duché d'Anhalt-Bernburg
( voxjez Amialt ), bâtie sur les deux rives de la Saale, avec
une population de 10,000 âmes, est divisée en ville Vieille
et ville Neuve, avec le faubourg de Waldau sur la rive gauche,
et la Bergstadt sur la rive droite, qui est fort élevée. Un
beau pont, bien qu'un peu massif au total, met les deux
rives en communication. En fait d'édifices il faut surtout citer
le château, dont certaines parties sont d'une construction
fort ancienne et qu'entoure un beau parc. Il est situé dans
la Bergstadt. La ville possède quatre églises, dont la plus-
remarquable est celle de Notre-Dame ( Marienkircke) , un
gymnase , une école des arts et métiers et une école supé-
rieure pour les filles. Les habitants s'occupent d'agriculture^
d'horticulture, et récoltent un peu de vin; ils ont des ma-
nufactures de faïence, de papier, d'alcool, des raffineries de
sucre, des fonderies de cuivre et de fer. Un embranchement
du chemin de fer de Leipzig à Magdebourg et aboutissant à
Kœthen ne contribue pas peu à y donner une remarquable
activité au mouvement commercial,
BERNE , le canton de la Suisse le plus considérabC
après celui des Grisons, avec une superficie de 77 myriamè
très carrés, est borné par Bâle-Campagne, Soleure, Argovie
Lucerne, Unterwald, Ury, le Valais, le pays de Vaud
Fribourg , Neuchatel , et la frontière de France. Le recen-
sement opéré en 1850 y accuse une population de 487,921
habitants, et par suite de ce chiffre le canton de Berne
envoie vingt-trois députés à la diète fédérale. La grande
majorité des habitants professe la religion réformée. On ne
compte guère que 50,000 catholiques, qui habitent pour
la plupart les districts de l'ancien évéché de Bâle réunis
en 1815 au canton de Berne, et où existent aussi un rail-»
lier d'anabaptistes.
&6
An non! , ce canton est montagneux , mais entrecoupé
de Délies plaines et de riches vallées , au sol fertile et soigneu-
sement cultivé, produisant du blé en quantité suffisante
l)our les besoins de la population, du chanvre, des fruits de
toute espèce et même un peu de vin. C'est là qu'est située
V Emmenthal, l'une des plus riches, des plus belles etdesplus
fertiles vallées de la Suisse, où l'élève du bétail a acquis
un degré de perfection remarquable, et où la fabrication du
célèbre fromage d'Emmenthal constitue une des principales
branches de l'industrie de la population.
La partie méridionale du canton, désignée sous le nom
à'Oberland, avec les vallées de Hassli , de Grindeiwald,
de Lauterbrunnen, de Kanter, deFrutigen, d'Adelboden, de
Simmen , de Saanen , et de nombreuses vallées transversa-
les, appartient complètement à la région des plateaux. Elle
commence au pied des hautes montagnes voisines du Valais,
et s'étend jusqu'à leur plus grande élévation. Les profondes
vallées de cette contrée produisent d'excellents fruits, so:it
fertiles et agréables. A une hauteur plus considérable , on
trouve d'excellents pâturages alpestres, auxquels succè-
dent des rochers nus, d'immenses glaciers et les plus hautes
montagnes de toute la Suisse, le Finsteraarhorn , le
Schreckhorn et le Wctterhorn, VEiger^i la Jung/rmi. C'est
dans cette chaîne de montagnes que prend sa source l'Aar,
avec de nombreux alfluents qui traversent les lacs de
Brienz et de Thun et la plus grande partie de ce canton ,
fort riche en général sous le rapport hydrographique, qui
a en outre pour limites au nord le Doubs et la partie sep-
tentrionale du lac de Neuchâtel , et comprend presque tout
le lac de Biel.
Les beautés naturelles de l'Oberland avec ses gigantes-
ques montagnes, ses glaciers, ses cataractes , ses pâturages ,
y attirent chaque année de nombreux étrangers ; et il en ré-
sulte pour la population d'importantes ressources de subsis-
tance. L'élève du bétail et la fabrication d'une foule de petits
objets en bois sculpté constituent d'ailleurs une des princi-
pales industries locales. La parqueterie en est une branche
particulière de date encore fort récente. Au total, l'indus-
trie y est cependant assez peu étendue , et la fabrication
des toiles ainsi que celle des draps en forment toujours les
branches les plus importantes, notamment dans V Emmen-
thal. Dans la région jurassique du nord-ouest jusqu'à U'iel,
lafabrication des montres etpendulesa pris dans ces derniers
temps une grande importance. Les articles d'exportation se
composent des produits de toutes ces industries diverses,
surtout de fromages (environ 40,000 quintaux par an).
Une banque cantonale fondée récemment à Berne ne peut
qu'exercer la plus heureuse influence sur le développement
de la production, et déjà d'heureux résultats ont été obte-
nus par les améliorations apportées au système général des
voies de communication.
Après que la domination romaine eut été détruite dans
ces contrées par les Alemans, les Bourguignons vinrent
au cinquième siècle s'établir dans la plus grande partie du
canton de Berne, qui plus tard se soumit aux Eranks, puis
«Icvuit à la fm du neuvième siècle partie intégrante du
royaume de la Petite-Bourgogne, et au onzième siècle, de
l'empire d'Allemagne. Vers la fm du douzième siècle le duc
Berthold V de Zaehringen, dans le but tout à la fois de don-
ner plus de sécurité aux domames qu'il y possédait, ei de
protéger la noblesse inférieure ainsi que les petits proprié-
taires fonciers contre les exactions et les brigandages de la
haute noblesse, fit construire et fortifier par Kiino de Bu-
benberg, sur un sol faisant partie de l'Empire, un bourg
longtemps peu important, et devenu plus tard chef-lieu du
canton. Une charte portant la signature de rcnipeicur Fré-
«léric II, que l'on consene encore dans les archives de
Berne, déclara dès l'an 1218 ce bourg, d'origine si récente,
ville libre impériale, investie des mêmes droits et privilèges
que Cologne et Fribourg. Dès le treizième siècle la popula-
BERNE
lion s'en accrut rapidement, par suite de la sécurité plus
grande et de la protection que venaient y chercher la no-
blesse des environs ainsi qu'un grand nombre d'iiabilanl*
des campagnes, et surtout des bourgeois de Fribourg et de
Zurich, Ce mouvement d'accroissement devint bien plus
prononcé après que Rodolphe de Habsbourg eut vainement
assiégé Berne, et lorsque cette ville eut réussi en 12'J1
à mettre à la raison la noblesse qu'elle renfermait dans ses
propres murs. Sa puissance et son importance augmentèrent
encore à la suite de la glorieuse victoire remportée le21 juin
1339, dans les plaines de Laupen, par Rodolphed'Erlach, qui
avec des forces trois fois moindres mit en complète déroute
l'armée des chevaliers et des autres villes coalisées, par suite
de la profonde jalousie que leur inspirait la prospérité de
Berne. En 1353 cette ville, déjà considérablement agrandie,
entra dans la confédération , et dans le cours du quator-
zième siècle continua toujours à accroître son territoire, soit
par voie d'acquisition , soit par voie de conquête. Détruite
l)Our la plus grande partie en 1405 par un incendie, Berne
fut reconstruite sur un plan plus régulier, et prit plus tard
une glorieuse part aux longues luttes soutenues par la con-
fédération contre l'Autriche , le Milanais , la Bourgogne et
l'Espagne. Dès le commencement du quinzième siècle , les
dépendances de Berne, après qu'elle eut conquis le Bas-
Argovie et participé à la conquête du pays de Bade , s'éten-
daient depuis le Valais jusqu'au Jura. En 1536 Berne en-
leva aux ducs de Savoie tout le pays de Vaud, qui dès lors
fut administré, comme toutes ses autres conquêtes, par des
baillis, de telle sorte que son territoire, qui au premier
siècle de son existence ne se composait que de quelques pa-
cages et de quel(|ues forêts , comprenait alors une superficie
de 230 milles géographiques carrés. Dès 1526 la réforma-
tion avait pénétré sans grande résistance dans le canton de
Berne, qui postérieurement se trouva avec le canton de
Zurich à la tête de la Suisse protestante.
A l'origine l'égalité démocratique des droits dominait dans
le canton de Berne , ainsi qu'on en a la preuve dans toutes
les vieilles chartes, et même dans un acte de déclaration
de guerre contre la Savoie qui date du seizième siècle. Tou-
tefois les membres de l'ordre de la noblesse, distingués par
leur prudence , par leur expérience à la guerre et par de»
alliances influentes, étaient ceux à qui on confiait de préfé-
rence les principales fonctions publiques. Afin d'organiser
la démocratie sans lui substituer une aristocratie , et aussi
de prévenir les abus du pouvoir suprême, on adjoignit vers
la fin du treizième siècle au Schultheiss (maire) et à son
conseil un comité de deux cents hommes respectables, choisis
dans la bourgeoisie ; mais dès qu'il s'agissait d'affaires graves,
la commune seule , divisée en quatre quartiers , était apte à
donner une solution valable. Chaque quartier élisait pour
la guerre un porte-bannière, qui en temps de paix exerçait
l'autorité de tribun du peuple ou de chef de corps de mé-
tier. En 1470 la commune chûtia les insolentes prétentions
de la noblesse, qui de dépit quitta alors la ville, trop heu-
reuse cependant de pouvoir y revenir dès l'année suivante.
Ce régime démocratique dura jusqu'à la conquête du pays
de Vaud. A partir de cette époque la bourgeoisie cessa d'être
consultée sur les affaires poUtiques, tandis que le grand
conseil des Deux-Cents s'attribuait des prérogatives de plus
en plus étendues, et devenait en fait le seul souverain. Le
grand Conseil limita d'abord, puis interdit ensuite l'admission
de nouveaux membres dans l'ordre de la bourgeoisie; et il
en résulta de nombreuses lignes de démarcation entre ce
qu'on appelait les habitants perpétuels {ewigen Einwoh-
nern)àti la ville et les bourgeois proprement dits, de même
que parmi ces derniers entre les nobles et les roturiers,
entre les familles de non-gouvernants et de gouvernants ,
ou (le patriciens véritables, qui occupaient héréditairement
toutes les premières charges. Parmi les patriciens eux-mê-
mes, on distinguait des principaux et des inférieurs. Le
BERNE
57
conseil souverain se complétait lui-même par un comité,
c'est-à-dire qu'il se confirmait chaque année dans le nom-
bre de membres dont il se composait déjà, et qu'il comblait
les vides qui survenaient de temps à autre dans son sein en
y appelant des bourgeois capables de gouverner. Cest ainsi
qu'un gouvernement originairement démocratique en arriva
par voie d'exclusion à constituer un gouvernement aristo-
cratique , puis une oligarchie pure. Désormais le pouvoir
mimicipal se trouvant tout entier aux mains d'un petit
nombre de familles, celles-ci gouvernèrent également le ter-
ritoire conquis ou acquis. De là résulta cette maxime , qu'il
fallait laisser à chaque partie distincte du territoire l'usage
de ses droits et de ses privilèges particuliers. Elles étaient
chacune administrées par des baillis appartenant aux familles
patriciennes ; et ces charges de baillis, toutes extrêmement
productives, contribuaient singulièrement à rehausser l'éclat
et la puissance du patriciat.
Au milieu des luttes et des guerres continuelles que pen-
dant les premiers siècles de son existence la ville eut à sou-
tenir, d'abord pour la défense de son indépendance, puis
par esprit de conquête, se développa dans la Venise des
Alpes (comme les historiens appellent souvent Berne) cet
esprit orgueilleusement belliqueux qui faisait autrefois dire à
riiabilant de Berne qye le bon Dieu lui-même s'était fait
bourgeois de cette ville. Par contre, Berne prit une part bien
moins vive que Zurich, Bàle et Genève au mouvement des
intelligences , quoique dans ces derniers temps elle ait pro-
duit quelques hommes importants. La politique de ses hom-
mes d'État finit d'ailleurs par dégénérer en une pure routine
des affaires, désormais tout à fait au-dessous des nécessités
du temps, en dépit des effoils qu'elle faisait pom- dissimuler
son impuissance sous les formes vides d'une dignité tout ex-
térieure. Mais la roideur de cette gentilhomraerie était im-
puissante à opposer une digue durable aux progrès du
temps. Par suite de l'accroissement de la prospérité et des
lumières générales dans les villes les plus importantes de
son territoire, comme Lausanne, Aarau, Tliun, Burg-
dorf, etc., le sentiment de leur propre importance alla tou-
jours croissant dans ces différentes localités , qui n'en res-
sentirent alors que plus vivement l'injurieux ilotisme dans
lequel on les retenait. A Berne même, quelque unanimité
qu'il y eût dans l'opinion sur la nécessité de maintenir les
campagnes dans la dépendance de la ville, des discordes
éclatèrent entre les diverses classes de citoyens, à la suite
desquelles les patriciens se virent contraints de faire aux
autres bourgeois quelques concessions, assez insignifiantes
d'ailleurs.
Dans une telle situation des choses il était impossible que
l'oligarchie bernoise agonisante résistât aux terribles ébran-
lements de la révolution française. La réunion à Berne de
cinquante-deux représentants des sujets avec le conseil sou-
verain fut une mesure trop tardive. Le pays de Vaud et
Argovie s'étaient déjà soulevés ; et quelques jours après une
bataille malheureuse livrée le 2 mars 1798 aux troupes de la
république française, les vainqueurs firent leur entrée dans
la capitale. Le territoire de l'État de Berne fut alors divisé,
pendant toute la durée de la république Helvétique, en qua-
tre parties distinctes , le pays de Vaud, Argovie, Oberland
et Berne , dont les deux dernières ne tardèrent pas à être
de nouveau réunies , tandis que les deux premières de-
meurèrent des cantons indépendants tant que dura la mé-
diation.
Les événements de 1813 et l'invasion de la Suisse par
les Autrichiens éveillèrent de nouveau les espérances de
l'oligarchie, qui ne douta même pas qu'on allait rétablir la
domination qu'elle avait exercée autrefois sur les parties de
territoire maintenant distraites du, canton. Mais Argovie et
le pays de Vaud réclamèrent énergiquement contre ces
prétentions; et il en résulta que le congrès de Vienne re-
connut l'indépendance de ces deux cantons, en accordant à
WCT. DE LA CONVCRS. — T. 111.
Berne comme indemnité une grande partie de l'ancien évê-
ché de Bàle. L'oligarchie bernoise toutefois mit à profit
l'induence des baïonnettes étrangères pour rétablir l'ancienne
constitution aristocratique, sauf d'insignifiantes concessions
faites à l'élément démocratique. Quatre-vingt-dix-neuf mem-
bres nommés par les villes et par la campagne de tout le
canton furent en effet adjoints au conseil restauré des
Deux Cents, dont les membres étaient jadis à la nomination
unique des bourgeois de la ville. Mais les causes anciennes
du mécontentement subsistant toujours, il fit éruption quand
la révolution de 1830 vint provoquer de nouvelles commo-
tions politiques en Suisse. La campagne prit l'attitude la
plus menaçante , et la bourgeoisie de la capitale elle-même
se montra médiocrement disposée à se sacrifier aux intérêts
du patriciat. Par suite d'une énergique déclaration faite le
10 janvier 1831 à Munsingen, dans une assemblée populaire
composée de citoyens de toutes les parties du canton , le
grand Conseil convoqua un conseil constituant élu par les
vingt-sept bailliages, et résigna ses pouvoirs. La constitution
nouvelle acceptée le 31 juillet 1831 confia 1? pouvoir légis-
latif et celui de surveillance générale à un grand Conseil de
deux cent quarante membres, élus pour six ans, se renou-
velant par tiers tous les deux ans, mais rééligibles. La con-
dition régulière pour pouvoir en être élu membre consistait,
outre une limite d'âge , à justifier de la possession d'une
propriété foncière ou d'un capital de 5,000 francs de Suisse.
Cette fois encore le système d'élection à deux degrés fut main-
tenu. Chaque commune, fonctionnant comme assemblée
primaire, nommait un électeur par cent habitants. Ces élec-
teurs se réunissaient dans les arrondissements en assemblée
électorale chargée d'élire seulement deux cents députés. Les
quarante autres , de même que le président à élire chaque
année, le landamann, étaient choisis par le grand Conseil.
Le Schulteiss (maire) présidait le conseil de gouvernement,
composé de seize membres qui devaient en même temps
faire partie du grand Conseil. Sept départements administra-
tifs étaient subordonnés au conseil de gouvernement.
Après la chute de l'oligarchie urbaine, il était dans la na-
ture des choses que le pouvoir passât en grande partie aux
mains des notabilités de la campagne. Mais les hommes
qui se trouvèrent poussés à la direction des affaires man-
quaient pour la plupart de l'expérience nécessaire. C'est
là ce qui , joint aux nombreuses difficultés de la situation,
tant intérieure qu'extérieure , explique les incertitudes de
la politique bernoise pendant une longue série d'années.
A une marche pénible des affaires il faut encore ajouter
les vices de la constitution de 1831 , restée fort en arrière
des constitutions des autres cantons régénérés; vices qui
de jour en jour devinrent plus manifestes. Sous l'infinence
de la fermentation produite dans toute la Suisse par la
question des jésuites, et surtout après la seconde expé-
dition des corps francs contre Lucerne , la question de la
révision complète de la constitution souleva à Berne l'agi-
tation la plus vive. Dès le mois de janvier 1846 quelques
milliers de bourgeois et beaucoup de communes ainsi que
de conseils municipaux demandèrent une révision totale.
Le 12 janvier le grand Conseil se prononça bien pour la
révision de la constitution, mais à la condition que cette
révision serait faite par lui-même d'accord avec le pouvoir
exécutif. Les assemblées populaires ayant repoussé une
pareille prétention, le grand Conseil résolut de soumettre la
question de la révision au peuple, qui se prononça à une
grande majorité pour la convocation d'un conseil consti-
tuant. A la suite de cette détermination, Keuhaus, alors
Schulteiss ou maire et chef du gouvernement, se démit
de toutes fonctions publiques. Le peuple élut son conseil
constituant sur la base d'un membre par 3,000 habi-
tants, et la nouvelle constitution fut sanctionnée par le
peuple le 31 juillet, à la majorité de 36,079 oui contre
1,257 non.
&
58 BERNE
Cette constitulion de 1846 forme uc chapitre impoilant,
non pas seulement dans Thistoire du canton de Berne, mais
dans celle de toute la Suisse. En voici les dispositions
jirincipales.
L'élection à deux degrés a été abolie, et les droits élec-
toraux ont été accordés à-tous les citoyens âgés de vingt
ans au moins. Les membres du grand Conseil sont élus au
scrutin secret dans les assemblées électorales d'arrondisse-
ments, sur la base d'un membre par 2,000 habitants. Est éli-
gible tout citoyen possédant le droit de voter, quand il a
vingt-cinq ans accomplis. Ne sauraient être élus membres
du grand Conseil les individus remplissant des emplois ec-
clésiastiques ou civils salariés par l'État. Tous les quatre
ans on procède à la réélection du corps législatif de môme
qu'à celle de toutes les autorités supérieures. 11 y a lieu à
y procéder extraordinairement quand cette mesure est ré-
clamée, sur la proposition d'au moins 8,000 citoyens actifs,
par la majorité des citoyens ayant droit de voter dans les
assemblées politiques. Tout projet de loi est soumis à deux
délibérations du grand Conseil, avec un intervalle d'au
inoins trois mois entre chaque délibération. Avant son adop-
tion délinitive tout projet de loi doit être en temps utile
jiorté à la connaissance du peuple. Un conseil de gouverne-
ment composé de neuf membres que nomme le grand Con-
seil fonctionne comme pouvoir exécutif. C'est aussi le
grand Conseil qui chaque année élit le président du conseil
de gouvernement, dont les memi)res assistent aux délibéra-
lions du grand Conseil. Le conseil de gouvernement rend
compte de tous les objets qu'il soumet aux délibérations du
grand Conseil, lui fournit tous les renseignements qu'il de-
mande, et a le droit de soumettre toute espèce de questions
à ses délibérations, t^our l'étude des affaires et l'exécution
des diverses décisions dont elles sont l'objet, le conseil de
gouvernement a sous ses ordres six directions : celles de
l'intérieur, de la justice et de la police, des finances, de
Tiastruction publique, de la guerre et des travaux publics.
11 existe pour tout le canton un tribunal supérieur, composé
au plus de quinze membres élus par le grand Conseil, et de
quatre suppléants. La durée de leurs fonctions est de huit
années, et ils se renouvellent par moitié tous les quatre ans,
tandis que le renouvellement intégral du conseil de gouver-
nement a lieu en même temps que celui du grand Conseil.
Les membres du tribunal supérieur assistent également aux
séances du grand ConseD, et, sur l'invitation de celte as-
semblée, prennent part à ses délibérations sur des matières
de législation. Des tribunaux de bailliage existent pour
les instances inférieures. Leurs présidents, leurs quatre as-
sesseurs et leurs deux suppléants sont nommés par le grand
Conseil, sur la double présentation des arrondissementseux-
mêmes et du tribunal supérieur. L'institution des justices
de paix a été maintenue pour les diverses communes , et il
est question de soumettre à l'appréciation du JU17 les causes
eriminelles , les délits politiques et ceux de la presse.
Les assemblées communales élisent les diverses autorités
de chaque commune. Le conseil municipal et son prési-
dent fonctionnent comme pouvoir exécutif et sont en même
temps chargés de la direction de la police locale. La sépa-
ration de la puissance administrative et de la puissance ju-
diciaire existe à tous les degrés de la hiérarchie.
En fait de droits généraux reconnus par la constitution ,
il faut citer : l'égalité de tous les citoyens devant la loi ,
sans cUstinction de privilèges locaux , de personnes ni de
familles, et sans que les titres nobiliaires soient reconnus
par la loi; la liberté individuelle; le droit à une indemnité
quand on a été illégalement arrêté; l'inviolabilité du domi-
cile, avec déclaration expresse que toute tentative illégale
faite pour pénétrer dans le domicile d'un citoyen peut être
repoussée par la force; liberté de la presse; droit de péti-
tion, de réimion et d'association; liberté d'enseignement;
dioit de transporter et de lixcr son domicile où l'on veut ;
liberté absolue des cultes, sans autres limites que les me-
sures de décence, de moralité et d'ordre public à obser-
ver, mais avec exclusion du territoire du canton de toute
corporation, de tout ordre religieux étranger. Toute demande
de la révision de la constitution doit être faite par le grand
Conseil, ou par au moins mille citoyens aptes à voter. Le
peuple décide ensuite dans les assemblées politiques si la
révision doit avoir lieu, et si on en chargera le grand Conseil
ou un conseil constituant. Enûn, le projet de la constitution
révisée doit être soumis à l'acceptation définitive ou au re-
jet des assemblées politiques.
La constitution impose aussi à tous les citoyens suisses
habitant le canton l'obligation du service militaire, et en
même temps interdit l'entretien de troupes permanentes de
même que la conclusion de capitulations militaires avec les
États étrangers. En exécution de ces prescriptions, et con-
formément aux résolutions de la diète fédérale, une organi-
sation militaire particulière a été résolue en 1847. Ces im-
portantes réformes, qui ont fait droit à tant de griefs, ne pu-
rent toutefois s'acconq)lir sans qu'il en résultât des char-
ges nouvelles pour une partie de la population, par exemple
l'établissement d'un hnpôtd'un millième sur le revenu foncier
et industriel. Les événements politiques sont venus accroître
le chiffre des impôts extraordinaires, de sorte que les iné-
vitables sacrilices qu'ils ont entraînés ont fait oublier les
avantages (ju'ils avaient produits. Aussi la partie riche de la
population, astreinte désormais à une plus large participation
aux ciiarges publi(iues, se montra-t-elle disposiée à écarter
de la dirtcliou des affaires publiques, lors des élections
nouvelles pour l'année 1S50, les auteurs de la nouvelle
constitution et ceux qui en avaient provoqué l'établisse-
ment , pour replacer le pouvoir aux mains des anciens ad-
versaires de la révision de la constitution. Mettant à pro-
fit cette disposition des esprits, l'aristocratie, ou ce qu'on
appelle le parti conservateur, commença à faire une opposi-
tion des plus vives , notamment à partir des premiers mois
de l'année 1850, en prenant pour point de mire de ses at-
taques l'administration financière. La loi sur l'instruction
publique, qui rendait plus sévèrement obligatoire la fréquen-
tation des écoles, fournit également un spécieux prétexte ù
son hostilité. Les deux partis se préparèrent aux luttes élec-
torales annoncées pour le mois de mai , en organisant <>
l'envi des réunions populaires. Dans ces élections le parti
conservateur l'emporta à une majorité minime, mais suffi-
sante pour enlever la diiection des affaires aux radicaux.
Au total, cependant, il n'y eut là qu'un changement de per-
sonnes, car les deux partis avaient arboré à peu près le
même programme ; et les hommes arrivés alors au pouvoir
durent, dans leur propre intérêt, s'en tenir au maintien de
la constitution de 1846. Lo 20 octobre 1851 l'opposition
obtint une certaine majorité dans les élections fédérales. Les
radicaux, prétendant que le peuple condamnait son gouver-
nement, demandèrent uu vote général pour la révocation des
autorités. Le scrutin ouvert le 18 avril 1852 a donné, contre
toute attente, une immense majorité au parti conservateur,
en repoussant la révocation.
Le budget des recettes du canton de Berne s'élevait pour
l'année 1S51 à un jieu plus de 3,730,000 francs, argent de
Suisse. L'excédant de la dépense sur la recette , rendu iné-
vitable par les événements et par la réaUsation des diverses
mesures d'intéièt général , était évalué pour cet exercice à
environ 240,000 fr. Malgré le déficit total des dernières an-
nées, provenant des mêmes causes et montant à 3 millions
de francs, le canton de Berne, qui possède en propriétés plus
de 16 millions et demi et en capitaux plus de 12 raillions, ne
cessera pas, de longtemps encore, d'être, toutes proportions
gardées, l'Ltat le plus riche de l'Europe.
BERÎVE, chef-heu du canton suisse du même nom, avec
27,475 habitants, siège à son tour de toutes les autorités
supérieures de la Confédération Hcivéiique, située dans une
BERNE - r>En?-TGLES
A 9
presqu'île qu'entoure l'Aar, est une dos villes les mieux M-
ties de toute la Suisse. Les nies en sont pour la plupart
droites , larges et bien pavées, et les maisons généralement
pourvues d'arcades. Les monuments les plus remarquables
sont la cathédrale, édifice gothique de 160 pieds de longueur
sur 50 de largeur, avec une tour liante de 190 pieds; l'église
du Saint-Esprit, construite en 1 122 ; la bibliothèque de la ville,
à laquelle est adjoint un musée, la Monnaie , l'Hospice des
Orphelins, le vaste et magnilique hôpital civil , l'hôpital ap-
pelé l'Ile , qui a tout l'air d'un palais, et dont les revenus ne
s'élèvent pas à moins de trois millions de francs; la porte
de Murtner, consistant en belles grilles de fer, et l'Arsenal,
riche surtout en armures et en armes du moyen âge. Le
conseil municipal a récemment voté 200,000 francs pour
contiibuer aux frais de construction d'un nouveau palais
destiné aux séances de la diète fédérale. En fait d'établis-
sements scientifiques , il faut citer en première ligne l'U-
niversité , ouverte en 1S34 , qui compte une vingtaine de
professeurs ordinaires, autant de professeurs particuliers, et
environ 200 étudiants; et ensuite le Gymmase, l'École aca-
démique de dessin, et l'Association d'artistes. Les princi-
pales sociétés savantes sont la Société économique et la
Société suisse d'histoire naturelle, qui ont rendu Tune et
l'autre d'incontestables services aux sciences. La Galerie
d'histoire naturelle nationale, fondée en 1802, renferme
la collection complète de tous les mammifères, oiseaux,
papillons, insectes et plantes de la Suisse. La Bibliothèque
compte 30,000 volumes et possède d'inappréciables riches-
ses, tant eu livres imprimés qu'en manuscrits relatifs à
l'histoire particulière de la SuisiC. Divers particuliers possè-
dent en outre de remarquables collections d'art. L'industrie et
le commerce sont en progrès ; les fabriques fournissent à la
consommation des cotonnades, des toiles imprimées , des
étoffes de soie , des bas, etc. Peu de villes en Europe ont
de plus belles promenades. Une des plus remarquables est
la plate-forme garnie de quatre rangées d'arbres, et au mi-
lieu de laquelle s'élève la cathédrale. Le côté de cette place
que regarde l'Aar est à 108 pieds au-dessus de celte rivière,
qui forme en cet endroit une belle cataracte. Le côté qui
regarde le Rhin à Laupen n'a pas tout à fait la môme hau-
teur, mais la largeur est à peu près égale. Consultez Tscliar-
ner. Histoire de la ville de Berne ( en allemand, 1794-
1796); \\a\dhSivà, Description topographique et his-
torique de la ville de Berne ( 1829 ); Tillier, histoire du
canton de Berne ( 3 vol., 1838 ).
— Une autre Berne, très-peu connue, et que les voyageurs
ne visitent point , fut fondée en 1763, en Russie, au delà
du Volga, d;ms le gouvernement de Saratof. Une quaran-
taine de familles bernoises, attirées en Russie par l'impéra-
trice Catherine 11, firent leur établissement sur le bord du
Petit-Caraman, rivière qui tombe dans le Volga, et don-
nèrent à leur hameau le nom de la capitale de leur canton
natal.
JLSHiîlXE (Ours del. Voyez Ouks ue Behne.
BERÎVI ( Francesco ), qu'on nomme aussi BERNA et
BEKMA, est au rang des poètes les plus célèbres qui ont
illustré l'Italie au seizième siècle. Il naquit vers la fin du
quinzième, àLamporecchio, en Toscane; son père était d'une
famille noble, mais pauvre, de Florence. C'est dans cette
ville que le Berni fut envoyé tout jeune ; il y resta jusqu'à dix-
neuf ans dans un état voisin de l'indigence. Au miheu de sa
détresse, Rome tixa ses regards; il avait dans cette capitale
de la (hrétienté un parent, le cardinal deBibbiena; il se
rendit près de lui ; mais ses espérances furent bientôt dé-
çues, car il ne trouva ([u'un indillérent, et fut trop heureux
d'entrer comme secrétaire particulier chez un dataire du
pape Léop X, Gianiinateo Ghiberli, évèqiie de Vérone. Ce
fut pour comj)laire à l'ingrat evêque, qui le faisait manger à
l'oftice avec son cuisinier, (lu'il prit l'habit ecclt'siasliipie,
sous lequel il ne continua pas moins de manger avec le
ciioco, le cuisinier maître Pierre, à qui une de ses joviales
épîtres est adressée.
Il y avait alors à Rome une société de jeunes ecclésias-
tiques que réunissait l'amour de la joie, du vin, de la bonne
chère et surtout de la poésie. Le Berni, dans le besoin où i!
était d'épancher sa verve et de laisser déborder son esprit
facétieux et ardent, que la sévérité du prélat avait si long-
temps contenu, se jeta dans cette académie, dite des Vi-
gnerons (Vignajuoli), dont Jean délia Casa, dans la suite
archevêque, était l'un des membres, ainsi que le Mauro, le
Molza et le Firenzuola. Le rire inextinguible , le fou-rire ,
était l'âme de ces banquets, où l'on plaisantait sur tout, sur
les sujets même les plus graves et les plus lugubres ; on y
chantait, on y improvisait, on s'y portait des défis poétiques,
desquels le Berni sortait toujours vainqueur , quoiqu'il
n'improvisât pas : aussi son nom est-il resté attaché chez les
Italiens au genre de poésie burlesque , appelé depuis lui
bernesque ou berniesque. Pour la satire, Boccalini met au-
dessus de Juvénal notre poète , auquel , malgré son indo-
lence, la langue grecque était familière, et qui écrivait pu-
rement l'idiome d'Horace, dont il imita l'enjouement dans
sa propre langue , et l'élégance dans des vers latins qu'il
composa sur différents sujets.
L'ouvrage qui illustra le Berni est VOrlando innamorato
(le Roland amoureux) du Bojardo, qu'il refit entièrement.
Il n'y a point ajouté un seul épisode, il le suit pas à pas,
corrigeant le style , sur lequel il laisse le coloris de soc
pinceau; seulement, à la manière de l'Arioste, il onie
chaque chant d'un début, qui en est comme l'élégant fron-
tispice. Il brode avec tant d'art sur ce canevas écrit en
style sérieux, et des vers satiriques, et des vers burlesques,
et des détails épiques, que le lecteur , au milieu de tant d«
variétés, est entraîné par un charme irrésistible. Ainsi, Bo-
jardo et le Berni se sont donné tour à tour l'immortalité.
C'est sous le titre de Rime burlesche que la plupart de ses
autres poésies sont imprimées. On en blâme avec raison la
licence , qui d'ailleurs n'était qu'un reflet des mœurs de ce
siècle. Son capitolo on chapitre le plus facétieux est celui
de V Éloge de la peste; le plus mordant est celui qu'il
composa contre le pape Adrien VI. Son sonnet contre
l'Arétin est si licencieux que ce dernier en fut jaloux. Son
style est pur, gracieux, quoique familier; ses expressions
sont neuyes. Le Berni composait difficilement ses vers, si
faciles ; son manuscrit est couvert de ratures.
Tout fut successivement heur et malheur dans sa vie.
En 1527 Rome et le Vatican furent saccagés par le connétable
de Bourbon ; le Berni perdit tout ce qu'il possédait. Il finit
par se retirer à Florence , où il vivait avec les muses , ses
compagnes chéries, du revenu d'un médiocre canonicat;
il y vivait , sinon opulent , du moins heureux , quand la fu-
neste amitié du cardinal Hippolyte de Médicis et du duc
Alexandre de Médicis le perdit. Le premier mourut empoi-
sonné par le duc son ennemi. Le poète, invité par Alexandre
à se charger de cet infâme office, avait précédemment re-
poussé avec indignation une proposition pareille. Le duc,
redoutant les suites d'une telle confidence, empoisonna l'in-
fortuné poète, qui mourut à quarante ans, victime de c^
double et lâche forfait. Le portrait que le Berni fait de lui-
môine est curieux ; il parle ainsi de lui à la troisième per-
sonne : « 11 était grand, maigre et fort dispos ; il avait le nez
long, la face large, les sourcils rapprochés, les yeux un peu
creux , bleu d'azur, la vue très-nette, et la barbe épaisse. »
C'est effectivement ainsi qu'il est peint dans une des voûtes
de la galerie de Florence.
— Il ne faut pas confondre avec ce poète le comte Fran-
cesco Beum, né en 1610, mort en 1693, auteur <lc onze
drames et de diverses poésies lyriques. Denne-Bmio.x.
BEIII\ICLES. C'était une sorte de toiture, de géhenne,
en usage chez les Sarrasins, et que le sire de Joinville décrit
ainsi : " Les bernicles sont deux grands tisons di- boi>.
60
BERNICLES — BEP.NINI
qui sont entretenants en chief. Et quand ils veulent y mettre
aucun , ils le couchent sur le cousté entre ces deux tisons,
et lui font passer les jambes à travers de grosses chevilles,
puis couchent la pièce de bois qui est là-dessus, et font as-
soir un homme dessus les tisons , dont il advient qu'il ne
demeure à celui qui est là couché point demi-pied d'osse-
ments qu'il ne soit tout dérompu et escaché. Et, pour pis
lui faire, au bout de trois jours, ils lui remettent les jambes,
qui sont grosses et enflées, dedans celles bernicles , et les
brisent derechief. » « Le sultan, dit Fleury, menaça saint
Louis de le mettre aux bernicles , et il se contenta de dire
à ceux qui lui firent cette menace qu'il était leur prisonnier,
et qu'ils pouvaient faire de lui ce qu'ils voudraient. »
BERNIER (François), surnommé le 3/0510/ , voyageur
et philosophe célèbre, né à Angers, vers 1625, étudia d'abord
la médecine à Montpellier, En 1654, le goût des voyages le
conduisit en Syrie. Il visita l'Egypte, où il eut la peste; puis
passa dans l'Inde, ou il résida douze années, dont huit en
qualité de médecin de l'empereur Aureng-Zeyb. Aimé de ce
prince, estimé de ses ministres, il put, grâce à leur protec-
tion , parcourir des contrées jusque alors inaccessibles aux
Européens. De retour en France, il publia ses observations et
les renseignements qu'il avait recueillis. D'autres voyageurs
ont visité depuis le Cachemir, le Delhi et l'Indoustan, mais
n'ont pas fait oublier sa relation , écrite avec une élégante
simplicité , une exactitude exempte de sécheresse , une éru-
dition qui n'exclut pas l'intérêt. Il avait vu de grandes
choses, et sut les raconter sans rester au-dessous de son su-
jet. Il compte encore aujourd'hui parmi les meilleurs histo-
riens de l'Inde au temps d'Aureng-Zeyb.
Ami de Gassendi, et son plus illustre disciple , il avait
porté au Mogol sa philosophie épicurienne. Il a résumé,
mis en ordre , présenté pour la première fois en français et
popularisé par un abrégé lumineux les idées de ce rival de
Descartes. Comme Épicure , Gassendi et Bernier voulaient
qu'au lieu de chercher à deviner la nature, on se conten-
tât de l'observer, et que l'on fît consister la vertu, non
pas dans l'abstinence des plaisirs, mais dans la haine des ex-
cès ; non pas à se mettre au-dessus des lois de l'humanité ,
mais à s'assurer la paix et le bien-être intérieur par la mo-
dération des désirs. Bernier réunissait, par un rare bonheur,
les charmes de la figure et les grâces de l'extérieur à la fi-
nesse de l'esprit, à la solidité du jugement. Aussi, Saint-
Évremond le nommait-il le Joli Philosophe, et n'est-on pas
surpris de le voir recherché des plus illustres personnages
de son temps , lié avec les plus grands écrivains. C'est lui
qui composa avec Boileau ce fameux Arrêt burlesque qui
sauva les doctrines et le nom d'Aristote de la proscription
dont les menaçait le parlement de Paris. Il visita l'Angle-
terre en 1685, et voulut y attirer La Fontaine. Ninon de
Lenclos, madame de la Sablière, Chapelle, Saint-Évremond,
furent ses amis intimes. C'est assez dire quels étaient ses
goûts; mais s'il aima le plaisir en homme voluptueux,
il sut se ménager en homme sage, et mourut, dit Vol-
taire, en vrai philosophe, à l'âge de soixante-trois ans
(1688). A. DES Genevez.
BERNIER ( Étienne-Alexandre-Jean-Baptiste-Marie,
abbé), né d'une famille obscure de l'Anjou, en 1764, fut
pourtant élevé au collège d'Angers, d'où il sortit pour entrer
au séminaire. Sa conduite régulière, son application à l'étude,
de l'esprit et de l'adresse, lui valurent, jeune encore, la cure
de Saint-Laud d'Angers. 11 se plaça très-haut dans l'estime
de ses compatriotes lorsqu'en 1790 il relusa de prêter le
serment qu'exigeait la constitution civile du clergé, et se
déclara dès le mois de mars 1793 pour le parti royaliste qui
soulevait la Vendée. Les paysans s'armaient à la voix de
l'abbé Bernier, et leurs seigneurs, devenus chefs militaires ,
comme au temps des croisades , appelaient à les conseiller
le piètre, qui ne courait pas moins de dangeis que ces guer-
ricis improvisés. Bernier, parlant et écrivant avec une grande
facilité, animait les soldats par ses serinons et rédigeait les
proclamations des généraux ; il était de plus chargé de cor-
respondre avec les différents corps d'armée ; enfin , cette
guerre étant soumise aux lois d'une stratégie tout exception-
nelle, l'abbé Bernier prit souvent part aux opérations mili-
taires , non-seulement en portant la croix comme un éten-
dard au milieu des bataillons républicains , mais encore en
commandant des manœuvres.
Les circonstances qui avaient décidé de la guerre civile
en Vendée étaient telles qu'il serait téméraire de juger Ber-
nier d'après ce que nous savons des devoirs du sacerdoce.
Cependant il faut remarquer que l'influence de Bernier et
le respect qu'il inspirait aux chefs vendéens ne s'accrurent
pas avec le temps. 11 fut taxé de semer la discorde parmi les
royalistes , d'intriguer, d'employer tous les moyens pour ar-
river aune domination absolue, plus utile à son ambition
qu'aux intérêts de la cause royale. Enfin , s'étant attaché à
différentes corps d'armée et se trouvant dans celui de Stof-
flet lorsqu'on y fusilla le vicomte de Mariguy, ce fut Bernier
qui fut accusé de la mort de ce chef vendéen, violent et
cruel , mais brave et. dévoué aux Bourbons. Plus tard, caché
dans une métairie oii il avait mandé Stofllet et où il apprit
qu'on allait venir l'arrêter, Bernier se sauva sans (aire aver-
tir ce chef, qui, tombé au pouvoir des républicains, fut
passé par les armes. Cependant M. d'Autichamp, qui lui
conservait sa confiance, le fit nommer agent général des ar-
mées catholiques auprès des puissances étrangères. Mais
Bernier ne voulut jamais s'éloigner du foyer de la guerre, et
lorsqu'il ne fut plus possible de la soutenir, il traita lui-
même avec le général républicain Hédouville des conditions
qui devaient la terminer.
Lorsqu'on vit de près à Paris l'abbé Bernier, on s'étonna
de l'influence qu'il avait exercée ; ce qui n'empêcha pas qu'il
ne fût nommé évêque d'Orléans et compris parmi les plé-
nipotentiaires chargés de traiter du concordat. Mais Bernier
avait aspiré au cardinalat ; et, quoiqu'il prétendit que cette di-
gnité lui avait été promise par Bonaparte lors de la pacifica-
tion de la Vendée, il n'obtint point la barrette. Un jour, le
premier consul, commandant à Gérard un dessin qui devait
le représenter signant le concordat , lui désignait les places
que devaient occuper Portails et les autres personnages.
« Il faudra aussi que vous y mettiez Bernier , dit-il au cé-
lèbre artiste; c'est un coquin :.... vous le mettrez dans un
coin. » Les Orléanais jugèrent autrement de leur évêque,
dont l'administration fut sage et la conduite irréprochable.
Aussi , bien qu'il fût blâmé de quelques-uns pour s'être ral-
lié à Bonaparte , bien que l'on attribuât à l'ambition la ma-
ladie de langueur dont il mourut à Paris, le 1" octobre 1806,
fut-il regretté de la majorité de ses diocésains.
C"' DE BrADI.
BERMNI (Giovanni-Lorenzq), que les Français nom-
ment le cavalier Bernin, naquit à Naples, en 1598, de
Pierre Bernin , originaire de Toscane , assez bon sculpteur,
et d'Angelica Galante. Pierre Bernin, appelé à Rome par
Paul V, s'établit dans cette ville avec sa famille. Le jeune
Bernin montra de très-bonne heure du goût et des dispositions
extraordinaires pour les arts du dessin. Dès l'âge de dix ans
il exécuta des sujets de sculpture qui firent l'étonnement de
Paul V. Ce pontife chargea le cardinal Maffei-Barberini de
diriger ses études , prévoyant déjà que cet enfant serait un
jour le Michel-Ange de son siècle. Les pressentiments de
Paul furent justifiés : le Bernin fut bon peintre, bon sculp-
teur et grand architecte.
Après la mort de Grégoire XV, le cardinal Maffei étant
parvenu au souverain pontificat, fit appeler notre artiste, lui
fit part de ses projets d'embellissement pour la ville de Rome,
et lui commanda le baldaquin de Saint-Pierre. Le
Bernin s'acquitta de cette entreprise avec un rare bonheur,
quoique les difficultés qu'il eut à vaincre fussent grandes et
nombreuses. Il fut ensuite chargé de décorer de niches et de
I
BERMNI
«lalues les quatre piliers qui soutiennent le dôme de Saint-
l'ierre ; il pratiqua en même temps des escaliers dans l'in-
térieur de ces piliers pour monter dans les tribunes. Quoique
les constructeurs de ces masses eussent ménagé des vides
dans l'intérieur, Bernin n'en fut pas moins accusé par ses
ennemis d'être la cause des lézardes qui s'étaient manifes-
tées en plusieurs endroits de la coupole. Le Bernin répondit
à ses envieux par le palais Barberini, où l'on admire, entre
autres beautés, un magnifique escalier en vis dont le plan
est elliptique.
Urbain VIII chargea ensuite notre artiste de la construc-
tion de deux campaniles qui devaient orner le portail de
Saint-Pierre. Le succès de cette construction ne répondit pas
au talent de l'architecte. Il n'y eut pas de sa faute si les murs
menacèrent ruine : la mauvaise confection des fondements
en fut cause ; néanmoins le nouveau pape Innocent X se pro-
mit de ne pas l'occuper dans les travaux qu'il se proposait
de faire exécuter. Par suite de cette prévention, le saint-père
ayant voulu décorer la place Navone d'une fontaine surmon-
tée d'un obéHsque qui était enseveli sous les ruines du cirque
de Caracalla, tous les artistes, à l'exception de Bernin,
turent invités à présenter des projets ; mais Ludovisi, neveu
du pape, qui avait toujours aiTecUonné le Bernin, lui dit de
composer secrètement son modèle; quand il l'eut fait, il le
plaça dans une salle que le pape devait traverser en sortant
de table. Le pontife fut si enchanté de l'excellente compo-
sition de ce projet qu'il s'écria : « Il faudra donc à toute force
employer Bernini. » Dès ce moment il lui rendit ses bonnes
grâces , et le chargea de l'exécution de la fontaine. L'ou-
vrage était sur le point d'être terminé , quand le pape alla
le visiter : il demanda en se retirant à l'artiste dans con»-
bien de temps les eaux commenceraient à couler : k Le plus
tôt possible, » répondit celui-ci. Et à peine Innocent X était-il
sorti de l'enceinte des travaux , que le mui mure des eaux
le fit revenir sur ses pas. Ce trait prouve que le Bernin était
aussi fm courtisan qu'habile artiste.
Le chef-d'œuvre du Bernin est sans contredit la magni-
fique colonnade dont il décora la place qui précède l'entrée
de Saint-Pierre de Rome. Elle lui fut commandée par le
pape Alexandre VIII. Rien de si magnifique, comme pure
décoration , ne s'est fait depuis les anciens. La chaire de
Saint-Pierre , ouvrage colossal en bronze , est aussi l'œuvre
de Bernin. Il serait trop long dénumérer et surtout de dé-
crire les statues, les tableaux, les palais, les églises, les
mausolées, etc., que l'on doit au génie de cet artiste.
Vei-s 1664, Louis XIV et ses ministres résolurent de ter-
miner le Louvre sur un plan qui fût digne de la partie ma-
gnifique que François l" avait fait élever sur les dessins
de Pierre Lescot. « Dans ce temps-là , il y avait à Paris ,
dit Perrault , un certain abbé Benedetti , qui avait fait con-
naissance avec M. Colbert. Cet abbé , ami du cavalier
Bernin, prôna tellement son mérite et le mit si fort au-
dessus de tous les architectes d'Italie, que M. Coll)ert prit
la résolution de le faire venir en France. Le roi lui-même
lui écri^^t à ce sujet. « Les honneurs insignes qui furent
rendus au Bernin par les souverains dont il traversa les
États pour venir en France et par les autorités des villes de
France , l'accueil qui lui fut fait à son arrivée à la cour,
passent toute croyance , aussi bien que les largesses , pour
ne pas dire les prodigalités du roi en sa faveur. Il fit d'a-
bord le buste de Louis XIV; puis il s'occupa des plans
du Louvre, qui furent goûtés, moins pour leur mérite qu'à
canse de la renommée de l'auteur. Cependant, après di-
verses contestations , on jeta , suivant ses dessins , les fon-
dations de la façade orientale de ce palais ; après quoi il
demanda à s'en retourner, prétextant la rigueur de l'hiver
de notre climat. « La veille de son départ, dit Perrault,
je lui portai moi-môme , et dans mes bras , pour lui faire
flus d'honneur, 3,000 louis d'or en trois sacs, avec un
èrevet de 12,000 livres de pension par an, et un de 1,200
BEFxNIS
Cl
livres pour son fils, il me dit pour toute réponse que dn
pareils bonjours seraient bien agréables si Ion en donnait
souvent... On lui promit 3,000 louis d'or par an s'il vou-
lait rester, 6,000 livres pour son fils, et autant au seigneur
Mathias, son élève; 900 livTes au sieur Jules, 600 livres au
sieur Cosme , camérier, et 500 livres à chacun de ses es-
tafiers. »
De retour à Rome , le Bernin y continua pendant douze
ou treize ans ses travaux comme sculpteur, peintre et ar-
chitecte. Son dernier ouvrage de sculpture fut un Christ ,
demi-figure, offert par lui à Christine, reine de Suède, qui ne
voulut pas l'accepter , par la raison qu'elle se croyait inca-
pable de reconnaître dignement un tel présent. Bernin le
lui légua par son testament. Il était occupé à la restauration
de la Chancellerie , lorsqu'une attaque d'apoplexie , pré-
cédée d'une fièvre lente , l'enleva aux arts et à ses admira-
teurs, le 23 novembre 1680. Il laissa une fortunç de 2 mil-
lions de francs, somme que la reine Christine trouva fort
au-dessous de son mérite.
Voici le portrait que Perrault fait du cavalière : « Il avait
une taille un peu au-dessous de la médiocre, bonne mine ,
un air hardi; son âge avancé (soixante-huit ans) et sa grande
réputation lui donnaient encore beaucoup de confiance. Il
avait l'esprit vif et brillant , et un grand talent pour se faire
valoir : beau parleur, tout plein de sentences, de paraboles,
d'historiettes et de bons mots dont il assaisonnait la plu-
part de ses réponses... Il ne louait et ne prisait guère que
les liommes et les ouvrages de son pays. Il citait fort sou-
vent Michel-Ange , et disait à tout propos : Si corne diceva
il Michael-Angelo Buonarotti. Il disait encore qu'il avait
un grand ennemi à Paris , la grande opinion que l'on avait
de lui : Il concetto che trovo di me. » Teyssèdre.
BERIVIS ( Fit\Nçois-JoAcnisi de PIERRES de ) , né à
Saint-Marcel (Ardèche), le 22 mai 1715, d'une famille
noble et pauvre. Poète galant et spirituel , unissant à des
formes athlétiques une figure séduisante, le jeune de Remis
pouvait prétendre à tout à une époque où les femmes te-
naient le sceptre du pouvoir. Le plus brillant avenir s'ou-
vrait donc devant lui, quelle que fût la carrière qu'il choisît ;
mais il eût vécu et serait mort dans l'obscurité s'il se fût
contenté de son premier bénéfice. Nommé chanoine-comte
de Brioude , il suivit les inspirations de son ambition nais-
sante, et vint à Paris. Lié d'abord avec une petite mar-
chande de modes assez jolie, il fut présenté par elle à quel-
ques-unes de ses pratiques , et descendit de la mansarde
aux salons du premier étage. Aimable convive, causeur
amusant, il fut recherché par la meilleure compagnie. Les
hommes d'esprit applaudirent à ses premiers essais poé-
tiques. Ses ouvrages httéraires lui ouvrirent les portes de
l'Académie Française le 29 décembre 1744. Admis dans les
cercles de la haute finance, il fixa l'attention de M"* Poisson,
d'abord maîlre.sse, puis femme légitime du financier Le
Normand d'Étiolés. Devenue grande dame , l'amie de Ber-
nis fut bientôt favorite en titre , et régna sous le nom de
marquise de Pompa dour.
L'abbé de Bernis n'était encore que simple clerc ton-
suré. La princesse de Rohan, née Courcillon, nom tant soit
peu roturier, était une des beautés de la cour. La mort de
son époux l'avait mise en possession d'un beau titre, d'une
grande fortune et de sa liberté. Elle s'attacha Remis. L'abbé
lui aida à faire les honneurs de son hôtel , qui devint le
rendez-vous de tous les Français et de tous les étrangers de
distinction. Le comte, depuis prince, de Kaunitz, alors
ambassadeur devienne en France, y était un des plus as-
sidus. Bernis , qui savait prendre tous les tons, parlait tour
à tour plaisir et galanterie avec les dames , littérature et
beaux-arts avec les académiciens et avec ceux qui espéraient
le devenir, et politique avec les hommes d'État ou prétendus
tels ; il était de l'avis de tout le monde. La princesse de
Rohan s'était chargée de sa fortune ; elle n'éprouvait d'o^
C'y
BERNÎS
stade c[ue <lc la part de son cher protéR(^ , qui, nommé cha-
noine-comte de Lyon , paraissait satisfait de son sort. Ce
n'était pas assez pour sa protectrice; elle voulait le voir
arriver aux dignités ecclésiastiques ; mais elle fut obligée
d'y renoncer, par l'opposition sévère du tliéatin Boyer, de-
venu évoque de Mirepoix et dispensateur suprême de la
feuille des bénéfices. Une riche abbaye se trouvait vacante ;
il fallait triompher de l'insouciance de l'abbé : M""" de Rohan
exigea qu'il se présentât chez l'évêque de Mirepoix , qui
l'accueillit fort mal, et'refusa tout net. Il motiva son refus
sur ce que, « n'étant pas engagé dans les ordres, il n'était
l)as susceptible de posséder des bénéfices à charge d'âmes ;
il ajouta qu'il n'y avait rien de moins ecclésiastique que sa
conduite, et qu'il n'obtiendrait rien tant qu'il serait, lui, en
place. » Le jeune abbé répondit au vieux prélat : « Eh
bien, monseigneur ! j'attendrai » ; et il lui tira sa révérence.
La repartie de l'abbé fut le grand événement du jour. Elle
fut répétée, commentée, applaudie dans les petits apparte-
ments de Versailles, à l'Œil-de-Bœuf et dans tous les salons
de la capitale. Quelques personnes prétendirent même que
c'était au cardinal de Fleury, premier ministre, qu'elle avait
été adressée.
Le refus brutal de l'évêque de Mirepoix ne découragea
point M""' de Rohan : n'ayant pu faire de son ami un
prélat, elle voulut en faire un diplomate, et se donna tous
les mouvements possibles auprès du prince, depuis ma-
réchal, deSoubise, et du duc de Nivcrnois, pour qu'ils
le recommandassent à M""^ de Pompadour. Elle ignorait
sans doute l'intimité qui avait existé entre la favorite et
l'abbé de Bcrnis ; mais le prince de Soubise et le duc de
Nivernois ne l'ignoraient pas. Il ne leur fut pas difficile de
réchauffer leur ancienne connaissance , et M"'^ de Pom-
padour écrivit à Pàris-Duverney ce petit billet : « J'ai oublié,
mon cher nigaud, de vous demander ce que vous avez fait
pour l'abbé de 5er?2j/; mandez-le-moi, je vous prie, car il doit
venir dimanche. » Une femme peut changer d'état, oublier
ce qu'elle fut, mais elle n'oublie jamais ses premières incli-
nations. M"'" de Pompadour se rappela l'ami de Jl"* Pois-
son, et beaucoup plus la personne que l'orthographe de son
nom. L'abbé fut nommé à l'ambassade de Venise le 2 no-
vembre 1751. La favorite l'avait fait loger aux Tuileries :
il ne partit pour son ambassade qu'en octobre de l'année
suivante. Il y resta jusqu'à la fin d'avril 1755. Il allait sou-
vent à Parme pour y faire sa cour à la duchesse, fille de
Louis XV. Le reste de son temps , il le passait à écrire à
Pâris-Duverney qu'il s'ennuyait fort à Venise, où il n'y
avait rien à faire. Il sollicitait son ami d'obtenir son rap-
pel, et se plaignait surtout de ce qu'on persistait à ne vouloir
lui donner de nouveaux bénéfices qu'autant qu'il s'enga-
gerait dans les ordres ecclésiastiques. Il se détermina enlin
à faire le sacrifice de sa répugnance, et annonça cette
grande nouvelle à Pûris-Duverney le 19 avril 1755. Son
retour en France ne pouvait se faire attendre. De grandes
dames sollicitaient pour lui.
De retour en France, l'abbé, devenu prêtre, obtint suc-
cessivement plusieurs gros bénéfices. Sa fortune était assu-
rée, mais son ambition n'était point satisfaite ; il ne quit-
tait plus l'appartement de la favorite, dont il était devenu le
conseiller intime. L'ambassade d'Espagne lui fut donnée en
septembre 1755; mais il était devenu trop nécessaire à
M"^ de Pompadour, il ne partit point.
Le roi de Prusse s'égayait souvent aux dépens des maî-
tresses du roi de France et des poètes courtisans. L'abbé
diplomate ne pouvait pardonner au roi poète d'avoir écrit :
Évitez de Bcrnis la stérile abondauce.
M"' de Pompadour, que l'impératrice-reine Marie-Thé-
rèse appelait sa cousine , haïssait aussi mortellement le
petit roi de Prusse, qui l'avait numérotée Cotillon II dans
ia chronologie des amours de Louis XV. Les épigrammcs de
Frédéric , plus peut-être que l'enivrante et louangeuse poli-
tique de Marie-Thérèse, avaient inspiré à M""' de Pompadour
et à l'abbé favori une haine implacable contre le roi de
Prusse , en même temps que la plus vive sympathie pour
l'impératrice - reine. Le ressentiment du poète et de la
maîtresse paraît avoir été une des principales causes de la
guerre désastreuse de 1756, dite guerre de Sept-Ans et du
honteux traité qui la termina. La récompense du dévouement
de Bemis à la favorite ne se fit pas attendre : il fut nommé
conseiller d'État le 27 juin , et en septembre suivant am-
bassadeur extraordinaire à Vienne. Mais il en fut de cette
nomination comme de celle de Madrid; le nouvel ambas-
sadeur ne quitta point Versailles. La favorite lui réservait
de plus hautes destinées. Après avoir fait brutalement ren-
voyer du conseil MM. deMachau et d'Argcnson, elle réussit
à y faire entrer, le lendemain même, Bernis, en qualité do
ministre d'État, et quatre mois plus tard il prenait le porte-
leuille des affaires étrangères, qu'on enlevait à M. Rouillé.
Le funeste traité avait déjà porté ses fruits. Les Prussiens
étaient entrés en Allemagne, et devaient envahir la Saxe,
alliée secrètement à l'Autriche. Les campagnes suivantes ne
furent qu'une déplorable série de revers. Frédi'ric n'avait
pourtant pas cessé, même après les victoires de Rosbach et
de Lissa, de proposer la paix ; et il avait été jusqu'à offrir à
IM""* de Pompadour la principauté de Neufchûtel. C'est une
singularité de plus à ajouter aux bizarres événements de cette
époque. Personne, au reste, ne prit le change sur la véiifable
cause de ce déplorable traité, et une pièce de vers satirique
disait en terminant :
Six cent mille hommes égorgés, '
Monsieur Talibé, de grâce, est-ce assez de victimes;
Et les mépris d'un roi pour vos petites rimes
Vous semblent-ils assez vengés?
Bernis , détrompé par l'expérience , ou effrayé par les cris
de douleur et d'indignation de la France, désirait mettre
un ternie à tant de hontes et de calamités; il était disposé à
traiter avec le roi de Prusse. M"* de l'ompadour persistait
dans sa haine contre ce prince. La favorite et son confident,
ou plutôt son complice, avaient cessé de s'entendre. Celte
mésintelligence n'échappa point au comte de Stainville , de-
puis duc de Choiseul ; il remplaça l'abbé dans le cœur et dans
la confiance de la favorite. Bernis , nommé cordon-bleu le
2 février 1758, reçut encore le chapeau de cardinal le 2 octo-
bre suivant. Mais il fut brusquement renvoyé du ministère
en novembre de la même année, et exilé immédiatement à
Vic-sur-Aisne , entre Compiègue et Soissons. 11 y resta jus-
qu'en octobre 1760. Comme l'abbé de Bernis avait reçu
presque en même temps la pourpre romaine et son renvoi
du ministère, on fit à ce sujet cette épigramme :
On dirait que son Emiuence
IS'eut le chapeau de cardinal
Que pour tirer sa révérence.
Un dernier trait avait rendu la favorite et Bemis irrécon-
ciliables. Celui-ci avait remis au roi un mémoire dans le-
quel étaient énumérés les revers qui accablaient la France,
et dont la cause était attribuée à M™* de Pompadour. Le
roi avait eu la faiblesse de le communiquer à sa maîtresse;
et dès lors la disgrâce du ministre avait été résolue. Elevé au
cardinalat avant d'avoir occupé un siège épiscopal , il ne
fut promu à l'archevêché d'Albi qu'en juillet 1764. Il partit
pour le conclave en 1760, chargé d'appuyer l'élection de Gan-
ganelli, qui fut en effet élu et prit le nom de Clément XIV.
L'appui de la France ne lui avait été assuré qu'à la condi-
tion d'abolir la congrégation des jésuites. Il tint parole,
tout en ne se dissimulant pas qu'il payerait de sa vie l'exé-
ctifion de sa promesse.
Bernis jouit d'un grand crédit sous ce pontificat, et fut
nommé évêipic d'Albano. Déterminé à s'établir à Rome, il
n'en conserva pas moins l'archevêché d'Albi ; il ne tenait
BERINIS — BERjN'OULLI
plus à la France que par sa qualilii cFambassaJeur près le
saint-siège. Lors de la promulgation de la constitution civile
du clergé en 1791, il protesta avec la presque totalité des
prélats et des grands bénéliciers de France, déclaiant scliis-
jnaliques ceux qui prêteraient serment à la nouvelle cons-
titution.
Il avait commencé en 1737 un poëme intitulé : La Religion
vengée, qu'il n'acheva jamais. Ses œuvTes poétiques , d'un
gtnre tout opposé, contribuèrent beaucoup à son avance-
ment en lui ouvrant les portes de l'Académie Française.
On sait qu'à ce propos Voltaire l'avait appelé Babct la
Bouquetière par une double cillusion aux fleurs mjiholo-
giques dont il semait beaucoup trop ses vers et à une grosse
bouquetière en vogue qui se tenait à la porte de l'Opéra.
Les voyageurs que Bernis recevait dans son palais avec la
plus bienveillante politesse, les artistes français ou étrangers,
qu'il accueillait ou encourageait avec une générosité rare ,
n'ont parlé de lui qu'avec l'expression de la reconnaissance.
11 mourut à Rome dans un âge très-avancé, en 1794. Sa
correspondance avec Pàris-Duverney, depuis 1752 jusqu'en
1769, a été imprimée pour la première fois en 1790. Ces
lettres offrent des détails intéressants sur les principaux
personnages et les principaux événements du règne de
Louis XV. Les neveux et petits-neveux du cardinal de Demis,
aides de la légation française à Rome, firent exécuter par
un habile artiste italien un beau mausolée où ils déposè-
lent le corps de leur oncle. Ce monument a été plus tard
transporté en France et placé dans la cathédrale de ^'imes.
DUFEY ( (Je rVoune).
BERiXOULLI ou BERNOUILLI. Cette famille a produit
une foule d'hommes distingués, surtout dans les mathé-
matiques , et dans l'espace d'un siècle l'éclat de leur nom
a rejailli sur notre Académie des Sciences, qui de 1G99 à
1 790 a toujours compté quelque Bernoulli parmi ses mem-
bies associés.
Les Bernoulli descendent de Jacques Bernoulli, mort
en 15S3, qui avait émigré d'Anvers à Francfort, à la suite
des persécutions religieuses exercées dans les Pays-Bas
par le duc d' Albe. Son petit-lils, Jacques Bernoulli, fut,
en 1622, reçu citoyen de Bàle, où il vint s'établir, et où
son (ils , Nicolas Bernoulli , occupa bientôt une charge
importante. Quant à la branche de la famille fixée à Franc-
fort , on n'a conservé que le nom de Léon Bernoulli , qui
accompagna Oléarius dans l'ambassade que le duc de
Ilolstein envoya en Perse, et dont Varnhagen von Ense a
raconté les aventures dans ses Monuments Biographiques
(4^ vol., BerUn, 1846), à propos de la biographie de Paul
Flemming.
BERNOULLI ( Jacques ) , le premier qui commença l'il-
lustration de sa race, naquit à Bàle, le 27 décembre 1654,
de ISicolas Bernoulli, dont nous avons parlé plus haut.
Destiné par son père au ministère sacré , il reçut une édu-
cation toute littéraire. Mais , entraîné par un penchant in-
vincible vers les mathématiques, il les étudiait à la dérobée,
et parvint sans secours à comprendre les plus hautes théo-
ries de l'astronomie. Après avoir parcouru une grande partie
de l'Europe, il revint dans sa patrie se livrer exclusivement
à l'élude des sciences. En 1680 , l'apparition d'une comète
fut l'occasion de son premier ouvrage, et il y donna la
portée de son génie en démontrant l'opinion, déjà indiquée
par de grands géomètres , que les comètes sont des corps
éternels, d«nt les retours peuvent être prédits. En 1684,
Leibnitz ayant publié les premiers essais du calcul différen-
tiel, qu'il venait d'inventer, Jacques Bernoulli et son frère
Jean comprirent toute l'importance de ce nouvel instru-
ment donné à la science, et se l'approprièrent tellement par
d'heureuses recherches et de profonds développements, que
Leibnitz disait avec une généreuse candeur que celte dé-
couverte leur appartenait aussi bien qu'à lui. C'est Jacques
Ueiiioulli qui a donné les premiers exemples du calcul
intégral, cette source de tant de belles découvertes. Il
juéparait sur le calcul des probabilités un grand ouvrage,
où il comptait non-seulemeat approfondir les chances des
jeux , mais aussi éclairer la morale et la politique , lors-
qu'il mourut, le 16 août 1705. Comme Archimède, il voulut
que son plus beau titre de gloire fût gravé sur sa tombe
On y mit une spirale logarithmique , genre de courbe qui se
reproduit sans cesse dans ses développements, avec ces
xaoi% : Eadeni mutata resurgo , mots que l'on pouvait
prendre pour la profession de foi du chrétien mourant. 11
réunissait au génie des mathématiques le talent de la poésie
et faisait des vers latins , allemands et français. Il professa
depuis 1687 jusqu'à sa mort les mathématiques à l'université
de Bàle , avec une élégance et une clarté qui attiraient à ses
leçons un grand concours d'auditeurs.
BERNOULLI (Jean), son frère, lui succéda dans cette
chaire. Né à Bàle, le 27 juillet 1667 , il avait été destiné au
commerce; mais, se sentant appelé par la nature à l'étude
des sciences, il suivit l'exemple de son frère, se fit son
disciple, et fut bientôt son égal. Il partage avec lui la gloire
d'avoir étendu et fécondé la belle découverte de Leibnitz.
Pendant deux ou trois ans une noble émulation , resserrée
par les liens du sang , de l'amitié et de la reconnaissance ,
anima les deux frères dans leurs travaux. Mais , pleins d'or-
gueil tous deux , tous deux âpres disputeurs , ils furent in-
sensiblement conduits par la jalousie à la haine; les pre-
miers torts appartinrent à Jean. C'était alors l'usage parmi
les géomètres de se proposer des problèmes difficiles à ré-
soudre , et cette guerre savante avait l'avantage d'enrichir
la science d'utiles résultats. Les deux Bernoulli parurent
souvent avec honneur dans la lice; mais la lutte finit par
s'établir entre eux , et Jean fut vaincu , non pas par impuis-
sance , mais par une légèreté orgueilleuse qui ne lui permit
pas de donner^à ses solutions une assez longue attention.
Comme Jacques avait adopté de bonne heure les prin-
cipes de la philosophie nevvtonienne, Jean, en haine de son
frère , défendit toute sa vie les principes de la physique
céleste de Descartes, et il faut reconnaître qu'il déploya en
faveur de cette mauvaise cause toutes les ressources d'un
grand génie. Il fut aussi en discussion avec la plupart des
géomètres de son temps ; car il jugeait avec dureté les ou-
vrages des autres mathématiciens, et se montrait très-cha-
touilleux sur les siens. Il n'épargna pas même son fils Da-
niel , dont il accueillit fort mal les premiers essais ; et ce
fils ayant partagé avec son père le prix de l'Académie des
Sciences, celui-ci lui reprocha avec amertume ce qu'il appelait
« son manque de respect ». Depuis lors il conserva contre
Daniel une jalouse rancune ; et lorsque ce géomètre publia
son fameux Traité d'Hydrodynamique, il se hâta d'en com-
poser un pour détourner à son profit le concert d'éloges que
ce beau livre attirait sur son auteur.
Il ne faut pas croire cependant que Jean Bernoulli fût un
homme insociable. Un caractère dominateur et emporté le
jetait tout d'abord dans une querelle , puis l'orgueil l'empo-
chait de revenir sur ses pas. Mai i àl eut des amis , le grandi
Leibnitz entre autres , qu'il défendit avec une chaleureuse
habileté contre les attaques des géomètres anglais , et l'il-
lustre Euler, son disciple, dont il encouragea les débuts.
11 combattit à armes courtoises le chevalier Renau , ingénieux
inventeur des bombardes , sur sa Théorie de la Manœuvre
des Vaisseaux , et après une discussion aussi savante que
polie, il triompha par la publication de son grand traité
sur cette partie si importante de Tait de la navigation.
Jean Bernoulli avait étendu sa puissance d'assimilation
bien au delà du cercle des mathématiques , comme le prou-
vent ses écrits sur la physique, la physiologie, la métaphy-
sique et ses poésies latines et grecques. Ses excursions dans
le domaine de la physiologie méritent d'être signalées. Il
avait publié une dissertation sur la nutrition, dans laquelle
il prouvait que les corps se transfonncnt sans cesse, s'eu»
64
BERNOULLI
ricliissant chaque jour Je quelque emprunt Tait au dehors
et perdant par compensation une portion de leur sub-
stance. Les théologiens attaquèrent ces résultats, comme
contraires au dogme de la résurrection. Comment, en
effet, concevoir qu'au moment où tous les hommes de-
vront reprendre leur enveloppe terrestre pour comparaître
devant le souverain juge, comment concevoir qu'ils puissent
donner place dans la reconstruction de leur corps à toutes
les molécules qui y auront successivement fait séjour, comme
en un chemin où chaque passant apporte de la poussière,
d'où chaque passant en emporte.' Ces débats avec les théo-
lo;,';ens , quoique laissant suspendue sur la tête de Jean Ber-
noulli l'accusation d'impiété, ne le détournèrent pas des
éludes physiologiques. 11 fit encore des recherches sur le
mouvement des muscles , et essaya d'employer les mathé-
tiriues à l'évaluation des forces musculaires de l'homme.
Jean Bernoulli mourut le 1" janvier 1748. Lui et son frère
Jacques étaient associés des Académies des Sciences de Paris
et (le Berlin.
lîERNCULLI (Nicolas), fils d'un frère des deux précé-
dents, sans s'élever au même rang qu'eux, fut cependant
un mathématicien distingué. Après avoir édité VArs Conjec-
tandi de son oncle Jacques , il fit en 1709 une inipoi tante
apphcation des principes de cet ouvrage à la durée de !a vie
humaine. Il résolut aussi plusieurs des problèmes proposés
aux géomètres par Jean Bernoulli : la solution d'un de ces
problèmes contient le germe de la théorie des conditions
d'intégrabilité des fonctions dinérentielles.
Nicolas Bernoulli professa successivement les mathéma-
tiques et la logique à Padoue, puis la science du droit à
Bàlc. Il était membre de l'Académie de Berhn, de la Société
royale de Londres et de l'Institut de Bologne. On trouve
(juelques morceaux de lui dans les œuvres de Jean Bernoulli,
dans les Acta Eruditorum de Leipzig, et dans le Giornale
de' Letterati d'Italia.
BERNOULLI (Nicolas), fils aîné de Jean Bernoulh,
naquit à Bâle, le 27 janvier 1695, Dès sa plus tendre en-
fance, il se montra rempli des plus heureuses dispositions,
et à l'âge de seize ans il put aider son père dans sa cor-
respondance avec les savants.
Nicolas Bernoulli était déjà professeur de droit à Berne
et membre de l'Institut de Bologne, lorsqu'en 1725 il fut
appelé à Saint-Pétersbourg, avec son jeune frère Daniel, pour
y professer les mathématiques. C'est dans cette ville qu'une
maladie cruelle l'enleva tout h coup à la science, le 26 juillet
1726. Quelques-uns de ses mémoires sur diverses branches
des sciences mathématiques se trouvent dans les œuvres de
son père et dans les Acta Eruditorum de Leipzig.
BERNOULLI (Daniel), né à Groningue, le 9 février 1700,
frère du précédent, fut, comme son père et son oncle, un grand
mathématicien malgré la volonté de ses parents. Son père le
destinait au commerce; mais, passionné pour les sciences, il
préféra la carrière de la médecine, et alla en Italie étudiera
fond l'art de guérir, sous d'illustres maîtres, Michelotti et
Morgagni. Ce fut là qu'il fit ses premières armes comme
géomètre. Michelotti , homme profondément versé dans les
mathématiques , ayant eu quelques discussions avec d'au-
tres savants, Daniel prit la défense de son maître, et en
sortit à son honneur. Appelé à proiésser les mathématiques
à Saint-Pétersbourg, il y demeura jusqu'en 1733. Il vint
alors occuper à Bâle une chaire de philosophie spéculative
et de physique. Le nombre de ses travaux est immense. Dix
fois il remporta ou partagea les prix de l'Académie des
Sciences, dont il fut nommé associé étranger en 1748, en
remplacement de son père. Lui a^ssi embrassa des sujets
très-divers dans ses recherches, et, plus qu'aucun autre
des Bernoulli , il s'est fait remarquer par l'alliance de la
finesse et de la grandeur dans les vues , par la sagacité avec
laquelle il saisissait le point fondamental de la question , par
i'adresse qu'il mettait à choisir les hypothèses les plus pro-
pres à simplifier le problème. Pour lui le calcul n'était pas
le but, mais seulement le moyen, et il semblait ne consi-
dérer les mathématiques que comme un instrument dont la
valeur devait se mesurer à son usage.
Les immenses progrès que venaient de faire les mathé-
matiques depuis un siècle avaient surtout seni le dévelop-
pement de la physique céleste ; mais les sciences spéciale-
ment applicables aux besoins de la vie sociale en avaient
reçu peu de leçons : Daniel porta ses regards sur la méca-
nique, et ouvrit une ère nouvelle pour cette science par la
publication de son Traité d'Hydrodynamique , le premier
ouATage qui ait paru sur cette matière. L'art de la navi-
gation , qui avait fourni à son père l'un de ses plus beaux
ouvrages, dut à Daniel d'importants résultats. L'arithmé-
tique sociale , où Pascal et Jacques Bernoulli avaient fait
les premiers pas, ne pouvait manquer d'inspirer un esprit
si curieux d'applications. Aussi fit-il servir le calcul des
probabilités à démontrer les avantages de l'inoculation pour
les Étals en général, à connaître le nombre des mariages, à
déterminer l'inégalité numérique des naissances dans les
deux sexes.
En physique , il est connu pour avoir , le premier , ob-
servé la vaporisation des liquides dans le vide à une tem-
pérature qui les laisse fixes dans l'air libre. Il s'occupa plu-
sieurs fois de la théorie du son , et eut avec Euler une dis-
cussion célèbre sur les cordes vibrantes. En physiologie, il
a évalué la quantité d'air qui pénètre dans les poumons à
chaque insjiiration, recherché l'usage des feuilles dans l'é-
conomie végétale, et combattu l'existence des vaisseaux
aériens dans les plantes. Physicien autant que géomètre , il
avait dès sa jeunesse adopté la théorie newtonienne. Phi-
losophe autant que savant, il n'avait rien accepté des pré-
jugés religieux de son époque, et, après une vie sage et
heureuse, il mourut paisiblement, le 17 mars 1782.
BERNOULLI (JEA^), frère du précédent, né le 1 8 mai 1710,
à Bâle, succéda en 1748 à son père Jean, dans la chaire de
mathématiques de l'université de Bâle. Ce fut aussi un pro-
fond géomètre et un physicien habile. L'Académie des
Sciences couronna trois de ses mémoires sur le cabestan ,
sur la propagation de la lumière et sur l'aùnant. Il succéda
à son frère Daniel comme associé de cette Académie. Nommé
également membre de l'Académie de Berlin , il mourut à
Bâle, le 17 juillet 1790.
BERNOULLI (Jean), fils du précédent, né à Bâle, le 4
novembre 1744, mort à Beriin , le 13 juillet 1807, acquit
de bonne heure une grande réputation comme géomètre et
comme astronome. A treize ans il était reçu docteur en
philosophie , en prononçant son discours De historia ino-
culationis variolarum , qui se trouve dans le tome IV des
Épitres latines écrites à H aller , et il n'était âgé que de
dix-neuf ans quand l'Académie de Berlin l'appela dans son
sein comme astronome. Après avoir parcouru une grande
partie de l'Europe, il revint en 1779 se fixer à Berlin, où il
fut nommé directeur de la classe des mathématiques de l'Aca-
démie et honoré du titre d'astronome royal. Il <^tait aussi
membre des Académies de Saint-Pétersbourg et de Stockholm
et de la Société royale de Londres. Parmi les nombreux ou-
vrages qu'il a publiés, ceux qui ont pour objet les mathé-
matiques sont : 1° Recueil pour les Astronomes ; 2° Let-
tres Astro7iomiques ; 3° une traduction des Éléments d'Al-
gèbre d'Euler ; 4° des travaux insérés dans les Mémoires
de l'Académie de Berlin et dans les Éphémérides Astrono-
miques de cette ville.
BERNOULLI (Jacques), frère du précédent, né à Bâle,
le 17 octobre 1759, se fit d'abord recevoir licencié endroit.
Disciple de son oncle Daniel, il le suppléa dans sa chaire de
physique. 11 vint ensuite se fixer à Saint-Pétersbourg, où
l'attendait une chaire de mathématiques. Ses premier*
travaux, insérés dans les Nova Acta Academtx Petropoli-
tunx, donnaient déjà les plus hautes espérances, lorsque.
1
BERNOULLl -
le 3 juillet 1789, U périt frappé d'apoplexie en se baignant
dans laNéva. A peine âgé de trente ans, il était déjà membre
des Académies de Bàle, de Turin et de Saint-Pétersbourg,
et s'était récemment marié à une petite-fille d'Euler.
BERNOULLI (Daniel), frère du précédent et troisièma
fils de Jean, naquit à Bâle, où il professa l'éloquence; il fut
ensuite suppléant de son oncle Daniel.
BERNOULLI (Christophe), fils du précédent, né à
Bàle, le 15 mai 1782, entra en 1799 dans les bureaux du
ministre Stapfer à Luceme. Au mois d'octobre 1801, il se
rendit à Gœttingue, où il se livra presque exclusivement à
l'étude des sciences naturelles; puis en 1802 à Halle, où
il fut nonuné professeur au Pedagogium. Deux ans plus
tard, ayant renoncé volontairement à ces fonctions, il se
rendit à Berlin , et de là à Paris; puis, après un court sé-
jour à l'école d'Aarau , il s'en revint dans sa ville natale ,
où , en 1806 , mettant enfin à exécution un projet qu'il avait
formé depuis longtemps , il ouvrit une maison d'éducation ,
qu'il laissa périr en 1817. A peu de temps de là il fut ap-
pelé à professer l'histoire naturelle à l'université de Bàle.
Christophe Bernoulli appartient aux plus laborieux écri-
vains qui se soient occupés de technologie rationnelle. Nous
citerons ici sa Dissertation sur la Lumière de la Mer ( Gœt-
tingue, 1802); son Anthropologie physique (2 vol.. Halle,
1804); ses Guides pour l'étude de la Physique et de la
Minéralogie ( Halle, 18 1 1 ) ; De l'Influence pernicieuse des
Corporations et des Maîtrises sur l'industrie (Bàle, 1822) ;
Éléments de la Théorie des Machines à Vapeur (Bàle,
1824) ; Considérations sur la Fabrication du Coton (Bâle,
1829); Manuel de Technologie ( 1833, 2* édit., 1840), ou-
vrage dans lequel tout le domaine de la technologie se trouve
rationnellement passé en revue ; Manuel de la Théorie des
Machines à Vapeur ( Stuttgard, 1833 ; 3* édit. , 1847 ) ; Ma-
nuel de Physique, de Mécanique et d'Hydraulique ratio-
nelle (2 vol., 1835) ; une traduction de l'ouvrage de Baines,
V Histoire de la Fabrication anglaise du Coton (1836);
Théorie des mouvements de la population (Populationis-
tique; Ulm, 1840); eni'mV Encyclopédie Technologique;
( Stuttgard, 1850). U a publié auss\\ine Feuille du Citoyen,
qui se fusionna plus tard avec les Archives suisses de Sta-
tistique et d'Économie politique {5 -vol., Bàle, 1828-1830).
BERNOULLI (Jean-Gustave), fils du précédent, né
à Bàle, en 181 1 , s'est fait connaître par sa publication du
Vade-mecum du Mécanicien {'^ édit., Stuttgard, 1851).
BERNSTORFF ( Famille ). C'est une ancieime maison
de la noblesse allemande, vraisemblablement originaire de la
Bavière, mais dont il est question dès le douzième siècle
conmie seigneurs héréditaires des domaines de Bernstorff et
de Teschaw, dans le Mecklenbourg. Divers membres re-
marquables de cette famille appartiennent à l'histoire du
Danemark.
André-Gottlieb de Bernstorff , qui avait contribué à
faire obtenir à Georges 1^'' la dignité d'électeur pour le Ha-
novre, et plus tard à lui assurer le trône d'Angleterre, fut
élevé en 1715 au titre de baron du Saint-Empire , et mourut
en 1726, remplissant les fonctions de mmistre d'État hano-
vrien. — Son frère, Joachim-Engelke de ]iEKssTOP.¥F , fut
le père du ministre d'État danois Jean-Hartivig-Ernest de
Bernstorff, auquel nous consacrons plus loin un article
particulier.
André-Gottlieb de Bernstorff, fils du ministre hano-
vrien dont il vient d'êtie faitmention, eut deux fils, Joachim
Berchtold de Bernstorff, né en 1734, mort en 1807, et
André-Pierre de Bf.rnstorff, célèbre également comme
ministre d'État danois ( voyez ci-après ), qui fondèrent les
deux lignes de la maison de Bernstorff encore existantes.
— La ligne aînée a aujourd'hui pour chef le comte Berch-
told DE Bernstorff, né le 25 octobre 1803. — André-
Pierre oe Bernstorff, fondateur de la ligne cadette, né
ea 1735, mort en 1797, avait épousé en 1703 Henriette-
WCT. DE LA CONVERS. — T. 111.
BEriNSTORFF 65
Frédérique, comtesse de Stolberg, sœur du c^èbre poète
allemand de ce nom. Après la mort de sa première fenuce,
arrivée en 1781, il se remaria en secondes noces , en 1783 ,
avec Augusta de Stolberg , sa belle-sœur. De son premier
mariage il avait eu six fils et trois filles. Un fils fut le seul
fruit de sa seconde union. La plupart de ces enfants ob-
tinrent de grands emplois à la cour de Copenhague, et for-
mèrent des établissements en Danemark.
Nous ne mentionnerons ici que l'aîné, Christian-Gunther,
comte DE Bernstorff, né à Copenhague, le 3 avril 1769. Il
fut attaché, dès qu'il eut achevé ses études, à la légation de
Danemark à BerUn. Plus tard il alla à Stockholm en qualité
de plénipotentiaire, puis vécut pendant quelque temps sans
emploi à Copenhague. A la mort de son père, en 1797, il
le remplaça dans ses fonctions de ministre des affaires
étrangères, mais sans parvenir au glorieux renom de son
prédécesseur. C'est en grande partie aux fausses mesures
politiques qu'il adopta qu'on doit attribuer les calamités et
les désastres qui accablèrent le Danemark vers cette époque.
En 1810 il abandonna son portefeuille pour aller remplir
les fonctions d'envoyé danois à Vienne, où il prit part aussi
en 1814 aux déUbérations du congrès. En 1818 il aban-
donna le service danois pour entrer à celui du roi de Prusse,
qui le nomma son ministre des affaires étrangères , et il
assista en cette qualité aux congrès d'Aix-la-Chapelle, de
Carlsbad , de Vienne , de Troppau, de Laybach et de Vérone.
Cet homme d'État se signala dans toutes les circonstances
par ses tendances réactionnaires ; et il lui arriva un jour de
déclarer positivement que les puissances ne devaient pas
souffrir que le régime constitutionnel s'établît au midi de
l'.^emagne. Mis à la retraite, sur sa demande, en 1831 , il
est mort le 28 mars 1835.
BERA'STORFF (Jean-Hartwig-Ernest, comte de),
l'Oracledu Danemark, comme l'appelait Frédéric le Grand,
naquit à Hanovre le 13 mai 1712. Entré de bonne heure au
service du Danemark, il remplit dès l'année 1737 les fono
tions d'envoyé à la diète de Ratisbonne, et en 1744 à Paris.
En 1750 il fut nommé secrétaire d'État et conseiller intime,
puis, l'année suivante, membre du conseil privé. Ce fut à
l'habileté de ses négociations que le roi de Danemark fut re-
devable de pouvoir incorporer à ses États les possessions des
ducs de Holstein-Plœn, quand cette maison vint à s'éteindre.
La prudence , l'habileté et la fermeté dont il fit preuve dans
les discussions qui pendant et après la guerre de Sept-Ans
surgirent au sujet de Holstein-Gottorp entre la Russie et le
Danemark furent récompensées par le titre de comte, que
lui accorda le roi Chrétien Yli. Bernstorff jouit en effet sous
le règne de ce prince de tout autant de crédit que sous ce'ui
de Frédéric V, jusqu'au moment où Struensée, le nou-
veau favori de ce prince, réussit en 1770 à lui faire retirer
ses emplois; et alors il alla vivre pendant quelque temps à
Hambourg. Après la chute de Stmensée , on s'empressa en
Danemark de le rappeler de la façon la plus honorable;
mais la mort le surprit le 19 février 1772, pendant qu'il se
rendait à Copenhague.
Bernstorff est un des ministres qui ont le plus puissam-
ment contribué au développement de la prospérité matérielle
du Danemark. Il réussit à donner une vie nouvelle à l'in-
dustrie manufacturière et au commerce. Avant lui c'est à
peine si le pavillon danois était connu dans les eaux de la
Méditerranée; tandis qu'à la mort de Frédéric V on comp-
tait dans les différents ports du royaume plus de deux cents
gros navires naviguant habituellement dans cette mer.
Bernstorff aimait et protégeait les sciences, les lettres et les
arts. 11 fit obtenir des fonds à la Société des Belles-Lettres. Il
fonda aussi une Société royale d'.\;2;ricu!ture; et en même
temps qu'il faisait voyager en Orient une compagnie de sa-
vants, dont on trouvera les travaux consignés dans la Dis-
criplion de VArubie parNiebuhr, il attirait on Danemark
beaucoup de littérateurs allemands, KlopslocK entre au-
g
GO
très, qui trouva chez lui l'accueil le plus liospitalier. Berns-
torff apportait une ardeur sans égale dans ses efforts pour
venir au secours de l'humanité souffrante. Ce fut sur ses
plans qu'on fonda la maison de secours de Copenhague ,
et il posa la première pierre du grand hôpital de celte ville,
qui lui est en outre redevable de la première école d'ac-
couchement qu'ait eue le Danemark. Tous les ans il distri-
buait le quart de ses revenus aux pauvres ; et alors môme
qu'il fut obligé de s'éloigner du royaume, il consacra
3,000 florins à celte di'pense. Le premier en Danemark, il
affranchit les paysans de ses domaines. Une colonne de gra-
nit, élevée en 1783 à peu de distance de Copenhague, rap-
pelle le souvenir de ce bienfait.
BERNSTORFF (André-Pierre, comte de), cousin du
précédent, et qui dans ses fonctions de ministre d'Etat rendit
au Danemark des services encore plus réels et plus distin-
gués, naquit le 28 août 1735, à Garlow, dans le duché de
Brunswick-Lunebourg. Après avoir terminé ses études à Gœt-
tingue et à Leipzig, il alla voyager en Angleterre, en Suisse,
en France et en Italie, et entra au service du roi de Dane-
mark en 1755, comme gentilhomme de sa chambre. En
1767 il fut, en même temps que son cousin, promu à la
dignité de comte, et en 1769 nommé ministre d'État; mais
lui aussi il dut donner sa démission quand Struensée devint
le ministre tout-puissant de Chrétien VIL Rappelé également
après la chute de ce favori, il fut bientôt après nommé mi-
nistre. En 1773, il réussit à conclure l'échange de la partie
du Holstein appartenant à la maison de Gottorp contre Ol-
denbourg et Delmenhorst, négociation qui avait déjà été
entamée précédemment par son oncle, de môme qu'à res-
serrer les liens de bonne intelligence existant entre le Dane-
mark et la France ainsi que l'Angleterre, Au mois d'oc-
tobre 1788, ce fut lui qui fit à la cour de Suède la première
ouverture relative à une déclaration de neutralité armée.
En 1780, à la suite de la mésintelligence survenue entre
lui et la reine douairière, Juliane-M arie, et le ministre
Guldberg, il donna sa démission; mais dès 1784 11 était
remis en possession de son portefeuille. Il seconda alors
l'introduction d'un nouveau système financier, et prépara
l'abolition du servage en Schleswig et en Holstein , mesure
qui fut mise à exécution après sa mort, 11 se montra aussi
le constant défenseur de la liberté civile et de la liberté de la
presse. « La liberté de la presse , disait-il, est un grand
« bien. Les avantages résultant du bon emploi qu'on en peut
« faire l'emportent de beaucoup sur les inconvénients résul-
« tant de ses abus. Elle constitue un des droits imprescrip-
« tibles de tout peuple civilisé; tout gouvernement qui y
« apporte des entraves se déshonore. « Aussi , pendant
son administration la liberté d'écrire la plus complète existâ-
t-elle en Danemark.
Ce grand ministre, protecteur éclairé de l'industrie, du
commerce, de la navigation et de l'agriculture, dont toutes
les pensées étaient constamment concentrées sur la prospé-
rité du Danemark, mourut le 21 juin 1797, et sa mort fut
considérée comme une calamité nationale.
BÉROALDE DE VERVJLLE , né à Paris, en 1558,
mort vers 1612. Cet écrivain doit l'espèce de renommée qui
s'est attachée à son nom à une circonstance assez singulière :
tm ouvrage dont il n'est probablement point l'auteur lui a
été attribué, et a survécu, tandis (jue les livres qu'il a signés
sont tombés au rang de ces bouquins, très-nombreux, que
dévore un juste oubli. Béroalde publia divers poèmes, tels
que Les Appréhensions spirituelles, L'Idée de la Républi-
que, Jm Sérodokimasie, ou Histoire des Vers qui filent la
Soie; il mit au jour, entre autres romans, Les Aventures
de Floride, le Voyaye des Princes fortunés, Vllistoire
d'Hérodias; il s'occupa beaucoup d'alchimie. Tout cela l'au-
rait laissé dans le néant; mais on a mis sur sou compte
un bizarre recueil de dialogues intitulé, Le Moyen de par-
venir, et le voilà devenu presque célèbre. Dans ces dialogues
BERNSTORFF — BÉROSE
les personnages le moins faits pour se rencontrer ensemble
devisent gaiement autour d'une table chargée de vins. Zo-
roastre, Calvin, Jules Cés.ir, l'Autre, Sapho, Monsieur,
Alcibiade, Érasme, Pierre l'Ermite , Quehiu'un, Hermès,
Marie-Madeleine, Lucrèce et bien d'autres narrent des contes
plus que grivois, et font assaut de coqs-à-l'âne. Nulle suite,
nul plan ; ce sont entretiens de buveurs un jour de mardi
gras, toute retenue étant bannie. Mais dans cette longue
facétie il y a beaucoup de verve, d'entrain et d'originalité :
aussi depuis près de deux siècles et demi n'a-l-elle pas
manqué de lecteurs.
Divers savants ont cherché à montrer que Béroalde était en
effet le père de cet écrit; mais depuis quehiue temps la cri-
tique combat cette opinion. M. Paul Lacroix veut faire re-
monter Le Moyen de parvenir à Rabelais; M. Péricaud, de
Lyon, penche pour Théodore d'Aubigné, l'auteur àa Baron
de Fœneste; Nodier inclinait pour Henri Estienne, et re-
poussait entièrement les prétentions émises pour Béroalde,
se contentant, dit-il, d'un seul raisonnement, qui en vaut
mille : l'auteur du Moyen de parvenir est un des écrivains
les plus vifs, les plus variés, les plus originaux, les plus pi-
quants de notre vieille langue, un des hommes qui en ont
le mieux connu l'esprit et les ressources, et par-dessus tout
un conteur inimitable; Béroalde de Verville est le plus lourd,
le plus diffus, le plus ennuyeux, le plus languissant des
prosateurs de son époque, même dans quelques sujets heu-
reux, où son imagination paraît être à l'aise. Remarquons
en outre que Béroalde de Verville était chanoine de Tours;
et bien que dans quelques-uns de ses écrits avoués il ait
montré peu de respect pour les lois de la décence, on aurait
droit d'être surpris qu'un ecclésiastique eût eu l'idée d'é-
crire pareil ouvrage, et la hardiesse de le livrer à l'impres-
sion, même sous le masque d'un anonyme, qui pouvait être
dévoilé.
La première édition connue et datée du Moyen de
parvenir est de 1610; elle fut suivie de plusieurs autres,
la plupart sans date, ou avec des dates bizarres : Impri-
mé cette année; nulle part; Vannée pantagruéline
100070032, 100070057. Une de ces éditions s'annonce
comme étant corrigée de diverses fautes qui n'y étoient
point, et augmentée de plusieurs autres. Parfois le titre
ordinaire a été échangé pour celui du Salmigondis, ou de
Vénus en belle humeur. C'est vers 17!^0 qu'avait été mis
sous presse pour la dernière fois Le Moyen de parvenir, lors-
qu'en 1841 il reparut à Paris, en un volume in- 12 de plus de
cinq cents pages, avec une notice et un commentaire étendu
du bibliophile Jacob, fort utile pour l'explication de bien des
mots vieillis et de bien des allusions, bien des circonstances,
ignorés aujourd'hui du public. G. Brunet.
RÉROSE, savant prêtre babylonien, qui avait acquis
la connaissance de la langue et de la science des Grecs, et
qui semble avoir vécu vers l'an 200 avant J.-C, composa
en langue grecque trois livres relatifs à l'histoire de la Ba-
bylonie et de la Chaldée, pour lesquels il utilisa surtout,
dit-on , les antiques archives du temple de Bahyloue. Cet
ouvrage était fort estimé par les historiens grecs et romains.
Malheureusement nous n'en possédons plus aujourd'hui que
quelques fragments cités par Josèphe, Eusèbe, Syncelle, etc.
Mais ils n'en sont pas moins d'une haute importance, parce
qu'ils donnent de précieux renseignements sur les parties les
plus obscures de l'antique histoire de l'Asie. Ces fragments
ont été réunis par Kichter sous le titre de Berosi Chai-
dxorum Bistorix qiix supersunt (Leipzig, 1825). Les
Antiquitatum Libri quïnque, cum commentariis Joannis
Annii, publiés pour la première lois à Rome, eu 1498, par
Eucharius Silber, et attribués à Bérose, ne sont qu'une in-
vention pseudonyme du dominicaiu Giovanni Nauni de Vi-
terbe.
L'historien Bérose est-il le même que l'astronome Bérose,
Chaldécn comme lui et prêtre de Udus à Dabylone? C'est
BEROSE — BERR
67
(à une question au sujet de laquelle les savants ne sont pas
d'accord et qui a été longtemps controversée. Au rapport de
Vitruve, Bérose l'astronome aurait quitté son pays pour
venir àCos, dans la patrie d'Hippocrate, ouvrir une école;
mais il ne nous apprend pas à quelle époque il vivait. On lui
attribue l'invention d'une nouvelle espèce de cadran solaire,
à pivot, et de forme demi-circulaire, pour marquer la posi-
tion convenable aux diverses latitudes. Suivant Justin le mar-
tyr, ce même Bérose l'astronome aurait eu une fille , dési-
gnée sous le nom de la Sibylle babylonienne ; et ce serait elle
qui aurait offert à Tarquin les fameux livres sibyllins.
BERQUEN, BERGHEN, BERGHEM, ou encore BER-
KEN ( Louis de), lapidaire flamand , qui découvrit, vers le
milieu du quinzième siècle, l'art de tailler le diamant. Avant
lui on n'employait le diamant que dans l'état où la nature le
produit quelquefois, soit roulé dans les eaux,«ù il a acquis
un certain poli , soit en petites pyramides , qui semblent
être le résultat de la cristallisation. Mais alors le diamant,
quoique dépouillé de la croûte obscure qui l'enveloppe or-
dinairement, n'avait que très-peu de feu, ou d'éclat. Berquen
ayant remarqué que deux diamants s'entamaient quand on
les frottait l'un contre l'autre, en prit deux bruts et réussit
par des frottements prolongés à les couper en facettes assez
régulières. Ce n'est pas tout; il eut encore l'idée de les sou-
mettre à l'action d'une roue de son invention, et avec la
poussière résultant du frottement des diamants mêmes il
acheva de leur donner le poli le plus parfait. La taille du
diamant a sans doute fait depuis bien des progrès; mais au
nom de Berquen n'en reste pas moins attaché le souvenir
d'une invention qui fait époque dans l'histoire d'une indus-
trie restée jusqu'à ce jour à peu près spéciale à la ville
d'Amsterdam.
BERQUIiV (Arnadld), né à Bordeaux, vers 1749, raortà
Paris, le 21 décembre 1791. C'est à lui qu'est due l'impor-
tation en France des livres destinés à l'enfance par l'An-
gleterre calviniste et par l'Allemagne luthérienne , livres
qui jusqu'à cette époque étaient restés étrangers à notre
patrie. Sous ce point de vue, que personne n'a remarqué,
il mérite une place dans l'histoire littéraire de son temps.
Il ne manquait ni de talent, ni de grâce, ni de sensibilité; et
dans un siècle de destruction , oii l'orgueil des doctrines et
l'emphase des paroles accompagnaient le mouvement vio-
lent par lequel la société était entraînée, il n'est pas éton-
nant que ses qualités simples et ingénues aient disparu ,
éclii)sées par les prétentions furieuses et les passions en-
flammées qui l'entouraient. Il faut demander à d'autres les
grandes parties du talent , l'invention , l'énergie, le coloris,
la profondeur ; mais c'était une âme tendre, un esprit gra-
cieux, une intelligence souple. Il apprit de bonne heure
l'anglais, l'allemand et l'italien ; et, voyant le cours orageux
et ardent que prenaient les choses publiques, il abandonna
toute prétention politique etmême littéraire, et consacra ses
veilles et ses connaissances vai iées à l'éducation morale de
l'enfance. La tâche particulière qu'il s'imposa s'accordait
très- bien avec les tendances et les goûts de ses contem-
porains. Le protestantisme anglais et allemand, dont le but
spécial est de réformer l'individu par l'examen attentif de
lui-même , avait depuis longtemps fourni de livres intéres-
sants la bibliothèque du premier âge. En effet, si l'homme doit
s'examiner, se juger et se réformer lui-même , comme le
protestantisme l'établit, de telles œuvres lui deviennent in-
dispensables dès l'adolescence , comme guides et comme
instructeurs.
Les ouvrages de ce genre par Weiss, mistress Trimmer,
John Day, Hannah Moore, mistress Barbauld et plusieurs
autres avaient acquis en Allemagne et en Angleterre une
grande vogue populaire, lorsque Berquin, leur empruntant
ce qui lui paraissait le plus conforme au mouvement in-
tellectuel de son pays, et faisant disparaître de ses emprunts
la teinte religieuse, sévère en Angleterre, mystique en
Allemagne, qui eût contrarié les goûts pliilosopliiques de
ses concitoyens, composa une série de petits livres ingé-
nieux et ingénus, qui plurent infiniment. On y retrouvait la
morale de Jean-Jacques et de Locke, les idées de Saint-
Lambert et de Hume, les espoirs et les désirs du temps ;
toute trace de catholicisme enseignant et de morale sacer-
dotale en était effacée. A tout prendre , cette introduction
de la moralité protestante dans un pays et à une époque
où toutes les bases sociales de l'ancienne moralité catho-
lique s'écroulaient, fut utile à la génération qui s'élevait, et
Berquin a droit à la reconnaissance du pays.
La modestie de sa vie répondait à la candeur agréable de
ses ouvrages. Collaborateur de ia Feuille villageoise 8.v&c
GinguenéetGrouvelle, rédacteur du AfonJYewr pendant quel-
que temps, il avait obtenu, en 1784, le prix d'utilité morale
que l'Académie Française décerna à juste titre à son Ami des
Enfants. Il fut en 1791 un des candidats proposés pour être
le précepteur du prince royal, fils de Louis XYI. Il mouru»
quelques jours après. On ne sait que trop à qui cette place
fut donnée...
La verve poétique de Berquin était réelle, tendre et pure,
bien que timide et peu profonde; dans d'autres circons-
tances , nous ne doutons pas qu'il n'eût accompli une des-
tinée supérieure. La place de celui qui a écrit le délicieux
et simple chant d'une mère :
Dors, raoD enfant, clos ta paupière !
était marquée parmi les poètes élégiaques ; et cette perle de
pure et transparente poésie , jointe à une autre ballade
charmante : Geneviève de Brabant, à quelques idylles
délicieuses , et à une imitation délicate de YOrgoglioso
Flumicello de Métastase, composent un trésor poétique peu
considérable, mais plus précieux que les hexamètres tendus
de Roucher , les diffuses fatuités de Dorât et l'épopée
prosaïque et emphatique de Thomas. Il n'y avait pas de
place à cette époque pour un poète naïf; Berquin se fit l'ami,
le poète, le romancier et l'historien des enfants. On ne peut
lui reprocher ni la sentimentale diffusion de B o u i 1 1 y, ni la
corruption secrète et élégante de M""® de G en lis , ni la
puérile parure et la fausse poésie de FI orian. Enfin, il nous
paraît juste de rendre à cet aimable esprit, à ce poète in-
génu , et la place qu'il mérite, et le regret de celle qu'il eût
conquise sans peine, si la fleurde son doux génie avait pu se
développer dansuu temps calme et sous un ciel serein qui eût
protégé sa grâce et sa timidité. Philarète Chasles.
BERQUIN (Louis de), gentilhomme de l'Artois, né en
1489, fut brûlé à Paris, en place de Grève, le 22 avril 1529,
pour cause d'hérésie. Ami particulier d'Erasme et bien à la
cour en vertu de son mérite, c'était un homme religieux, mais
qui détestait les moines à raison de leur ignorance et de leur
superstition. 11 ne voulait pas qu'on rendît à la Vierge les
mêmes honneurs qu'à Jésus-Christ, sans pour cela partager
les opinions des luthériens. Les écrits qu'il publia à ce sujet
lui attirèrent un premier procès devant le parlement de Paris,
en 1523 : cette fois, il en fut quitte pour une admones-
tation et l'injonction d'avoir à abjurer certaines proposi-
tions hérétiques; ce qu'il fit. Sa condamnation ne le ren-
dit pas plus prudent dans ses propos; et trois ans après
il fut arrêté comme hérétique relaps et enfermé à la Con-
ciergerie. Heureusement François T'', de retour à ce mo-
ment de sa captivité d'Espagne, intervint pour qu'on le re-
mît en liberté. En 1528 de nouvelles dénonciations amenè-
rent encore une fois l'arrestation de Berquin , qui refusa de
se rétracter et fut condamné à périr par le feu. Le seul
adoucissement apporté à cette sentence, ce fut d'étrangler
le libre penseur avant de le brûler.
6ËRR (Michel), né à Nancy, en 1780, mort à Paris,
en 1837, était fils d'Isaac Berr de Turique, Israélite célèbre
par le zèle actif qu'il déploya au commencement de la ré-
volution , et plus tard encore, pour assurer à ses coreli-
9.
C8
BERR — BERRY
gioanair^ le li>ire exercice de leur culte et cette égalité
civile devant la .oi que dix-huit siècles de persécution leur
faisaient si vivement désirer. Il fut le premier de ses co-re-
ligionnaires qui, usant des droits que leur conférait leur
émancipation politique , proclamée par la législation nou-
velle , se fit recevoir avocat. Cependant il ne parait pas que
les luttes du barreau eussent beaucoup d'attrait à ses yeux;
car il ne tarda pas à y renoncer pour se vouer tout entier à
la philosophie et à la littérature. Ses nombreux ouvrages ,
composés tous dans un but utile , lui assurent une place
honorable parmi les gens de lettres contemporains. Le but
constant des efforts et des travaux de Michel Berr , ce fut
d'éclairer, de moraliser, et , pour nous servir d'un mot que
nous nous rappelons lui avoir entendu employer, de chris-
tianiser ses co-religionnaires.
Sous l'Empire, Michel Berr avait rempli les fonctions de
chef de division au ministère de l'intérieur en Westphalie.
Sous la Restauration , il prit une part active à la lutte que
toutes les intelligences généreuses engagèrent bien vite, dans
la presse , contre ce pouvoir imbu de principes et d'idées
rétrogrades, défendant les droits ou les intérêts de ses co-
religionnaires toutes les fois qu'ils étaient attaqués.
BERRET, BERRETTE. Voyez Barrette.
BERRI. Voyez Berry.
BERRUGUÈTE (Alonso), l'un des sculpteurs, des
architectes et des peintres les plus célèbres qu'ait produits
l'Espagne, naquit en 1480 , à Paredès de ISava, et mourut
en 1561, à Alcala. Il étudia de 1503 à 1520, d'abord à Rome,
où il travailla beaucoup avec Michel-Ange, dont il s'as-
simila la manière; puis à Florence, où il se lia intimement
avec André del Sarteetavec Bandinelli. A son retour
en Espagne, il séjourna d'abord pendant quelque temps à
Saragosse, où il exécuta le superbe mausolée du vice-chan-
celier d'Aragon. Il passa ensuite en Castille, et fut distingué
par Charles-Quint, qui lui confia différents travaux et
l'employa même comme architecte pour le palais du Pardo
et pour des réparations à l'Alhambra. Ses principaux ou-
vrages de sculpture sont dans la cathédrale de Tolède, et ses
toiles les plus remarquables à Valladolid , Tolède et Sala-
manque. Berruguete figure au premier rang des artistes es-
pagnols qui , après s'être formé le goût en Italie , introdui-
sirent la manière des grands maîtres en Espagne, en môme
temps que, comme architecte, il y transplantait un style
d'arciiitectiire plus simple et moins surchargé d'ornements.
BERRUYER ( Joseph-Isaac ) , né à Rouen , le 7 no-
vembre 1681, d'une famille honorable de cette ville, pro-
fessa longtemps avec distinction les humanités chez les jé-
suites , et se retira dans la maison professe de Paris , où il
mourut, le 18 février 1758, après avoir fait beaucoup de bruit
dans le monde par son Histoire du Peuple de Bien , his-
toire mêlée de traits singuliers et brillants, écrite avec une
élégance abondante, que dépare quelquefois la prolixité, en
un mot surchargée d'ornements qui ne sont pas toujours de
bon goût. La seconde et la troisième partie de cet ouvrage
furent condamnées par Benoît XIV et Clément XIII. La Sor-
bonne censura aussi l«s ouvrages du P. Berruyer. Les jé-
suites désavouèrent publiquement l'œuvre de leur confrère,
et obtinrent de lui un acte de soumission, lu en Sorbonne
en 1754. Malgré cette marque de déférence extérieure, Ber-
ruyer publia plusieurs brochures pour la justification de ses
écrits. Ces apologies aussi bien que les livres qui en étaient
l'objet furent condamnés par l'évêque de Soissons, Fitz-
Jamee. Quoi qu'il en soit, les erreurs mêmes du P. Berruyer
prouvent qu'il était né avec beaucoup d'esprit et d'imagina-
tion. CUAMPACNAC.
BERRY OU BERRI, une des anciennes provinces de
France ; elle répondait à la plus grande partie du pays des
Biluriges Cubi, et avait pour limites, au nord l'Orléa-
nais, au sud la Marche, à l'ouest la Tourainc, à l'est le Ni-
vernais. Divisée en haut et en bas Berry, Bourges était sa
capitale. Aujom'd'hui cette provhice forme les départements
de l'Indre et du Cher, et quelques fractions de ceux de
Loir-et-Cher, de la Nièvre, de la Creuse et de
l'Allier.
Les Bituriges tenaient le premier rang parmi les peu-
ples de la Gaule celtique, et, s'il faut en croire plusieurs his-
toriens, les sciences y étaient déjà fort avancées, même avant
l'invasion de César. Celui-ci étant parvenu à les réduire, mal-
gré l'énergique résistance de Vercingétorix, leur général en
chef, le Berry demeura sous la domination romaine jusque
vers l'an 475, époque où cette province fut envahie par Eu-
ric, roi des Visigoths. En 507, après la bataille de Veuille,
Clovis s'en empara et la réunit à l'empire des Francs. Elle
fut alors gouvernée par des chefs militaires , qui prirent le
litre de comtes de Bourges, et qui, s'étaut rendus indépen-
dants , l'érigèrent, sous Charles le Chauve, en comté héré-
ditaire. En 1094, l'un de ces comtes, Eudes Arpin ou Her-
pin, se disposante partir pour la Terre Sainte, vendit à
Philippe I*"", roi de France, son comté de Berry pour 60,000
sous d'or, et prit la croix. Depuis ce moment, le Berry ne
fut détaché de la couronne que pour servir d'apanage aux
princes ou princesses du sang. Érigé en duché-pairie par le
roi Jean le Bon (1360), à charge de réversion à la couronne
en cas d'extinction d'héritiers mâles, il fut d'abord possédé
par son troisième fils , Jean de France , et successivement
ensuite par Jean, second fils de Charles VII ; par Charles ,
frère puîné de Jean, et depuis Charles VII, roi de France;
par Cliarles, frère de Louis XI; par Jeanne de France, qni
épousa Louis d'Orléans, depuis Louis XII ; par Marguerite
de Navarre, sœur de François F'' ; par Marguerite, duchesse
de Savoie, sœur de Henri II ; par le duc d'Anjou, qui le réu-
nit à la couronne après son avènement au trône , sous le
nom de Henri III , en 1574; et enfin par la reine Louise,
veuve de Henri III, à qui Henri IV l'accorda en usufruit.
Après la mort de cette princesse , le Berry fut définitive-
ment uni à la couronne, et à partir de ce moment le titre
de duc de Berry a été purement nominal ; le dernier prince
qui l'a porté était fils de Charles X ( voyez plus loin ).
Le Berry n'a pas été épargné par les guerres politiques
ou religieuses qui ont tour à tour désolé la France; si
pendant les agitations de la révolution de 1789, il fut une
des provinces qui se distinguèrent le plus par leur modéra-
tion et l'absence de tout désordre, il n'en a malheureuse-
ment pas été de même à la suite des événements de 1848.
Le territoire de ce pays se compose en général de bruyè»
res et de terrains sablonneux. La toison des bêtes à laine
qu'on élève dans ses pâturages est recherchée à cause de
sa finesse. Le sol renferme des mines de fer et de charbon
de terre, et des carrières de marbre.
BERRY (Jean de FRANCE, duc de ), troisième fils de
Jean le Bon , naquit à Vincennes, le 30 novembre 1 340 , et
commença par porter le titre de comte de Poitou. Après la
désastreuse bataille de Poitiers, à laquelle il assista , et qui
amena la captivité de son père , il fat, en vertu du traité
de Brétigny, envoyécomme otageen Angleterre. ÉdouardlII
lui ayant, au bout de neuf ans, accordé un congé pour ve-
nir moyenner sa rançon en France, il y resta jusqu'à la re-
prise de la guerre, et, devenu commandant de l'armée fran-
çaise en Guyenne, il enleva au Prince Noir plusieurs villes
importantes. A la mort de son frère Charles V, il fut
nommé tuteur du roi mineur Charles VI, avec les ducs;
d'Anjou et de Bourgogne. Plus tard, s'étant fait donner Ift
gouvernement du Languedoc, il s'y fit exécrer par sa cu-
pidité et ses exactions. Les plaintes allèrent si loin , que le
roi, visitant cette province, chargea des prélats de faire une
enquête ; et pour qu'on ne semblât i>oint faire un procès
au duc de Berry lui-même, ce fut son principal agent , Bé-
tiiisac, qui fut mis en jugement et brillé comme hérétique^
Lors de la déplorable défaite d'Azincourt, le duc de BerrjJ
avait fait de vains efforts pour s'opposer à ce qu'on livrât lî
i
BERRY
69
bataille. Il ne fut pas plus heureux pour faire accepter la
paix que Sigismond proposait de négocier entre la France
et l'Angleterre.
11 mourut à Paria le 15 juin 1416. Dans une maladie dont
il avait été atteint cinq ans auparavant, il avait eu tellement
peur de la mort qu'il avait fait implorer Dieu par des prières
publiques, et offert des dons aux églises. Il avait fait même
une remise de vingt mille écus sur les derniers impôts;
mais comme il n'en resta pas moins maudit et abhorré par
le peuple , il eut son hôtel de Nesle démoh, et son château
de Bicêtre brûlé, pendant qu'il était malade.
BERRY (Charles, duc de), troisième fils de Louis, dau-
phin de France, et de Marie-Cluistine de Bavière, petit-fils
de Louis XIV, naquit le 31 août 1686. Prince d'un carac-
tère faible, il n'a joué aucun rôle politique ; il serait à peine
connu s'il n'avait été l'époux de cette duchesse de Berry,
fille du duc d'Orléans , que la dissolution de ses mœurs a
rendue si fameuse {voye:^ l'article suivant). Il l'avait épousée
en 1710. Il mourut à Marly, le 4 mai 1714, à l'âge de vingt-
huit ans, d'une mort prématurée el que l'on ne crut pas
naturelle.
BERRY (MAUiE-LouisE-ÉLis.vBETn d'ORLÉANS, du-
chesse de), fille et maîtresse du régent Philippe d'Orléans,
née en 1695, morte à la Muette, à vingt-quatre ans, le 20 juil-
let 1719. Plutarque, dans la Fie de i>/art'-i4n<oine, nous parle
de la vie inimitable que l'ambitieuse et lascive Cléopâtre lai-
sait mener à ce triumvir, qui préféra les caresses d'une reine
à l'empire du monde. Il faudrait son pinceau naïf pour nous
montrer la vie inimitable aussi que la duchesse de Berry,
avec son orgueil de princesse et sa beauté de courtisane,
avec ses formes gâtées par l'embonpoint, et cependant en-
core belles, avec ses yeux allumés de luxure et de Champa-
gne, avec ses délirantes colères, avec son inexprimable aban-
don de maintien, de regards, de paroles, faisait mener an
bon régent son père. Eh 1 combien elle alla grand train, la
vie de cette mademoiselle d'Orléans ! Jetée dans la tombe à
vingt-quatre ans, elle avait paru capable de tous les crimes,
elle avait épuisé toutes les maladies qu'enfantent l'intempé-
rance et la lubricité, rêvé toutes les ambitions, poussé à bout
tous les vices, tari la coupe de toutes les voluptés, depuis
.a grossière et bruyante crapule du soldat aux gardes, qui
s'enivre de vin et de tabac, jusqu'aux recherches raffinées
de la courtisane habile à raviver les sens usés, ennuyés, bla-
sés des princes. Quel biographe aurait la plume assez peu
chaste pour nous faire voir la duchesse de Berry-Orléans
montrant le premier jour au lit conjugal un aplomb capable
d'étonner tout le monde, excepté son jeune et débonnaire
époux, qui, sous l'empire de l'amour et de l'illusion, ne vit
en cela qu'un charme de plus? Dès les premières semaines
du mariage , le duc de Berry ne suffît plus seul à l'exigence
des sens effrontés de la duchesse, et sa couche ducale
devint un théâtre où l'acteur principal change souvent, si
l'héroïne reste toujours la même. Alors éclatent les indé-
cences en pubUc, alors commencent les courses avec les
jeunes gens.
Devenue folle d'un écuyer de son époux, nommé De-
lahaye, champion au teint rosé, au cœur sensible, ardent,
délicat, ne veut-elle pas, dans une visée d'héroïne de ro-
man, se faire enlever par lui? Elle prétend qu'il l'em-
mène en Hollande ; et l'amant trop favorisé n'échappe à
cette périlleuse nécessité qu'en révélant au régent la nou-
velle folie de sa fille. Au reste, Delahaye n'est pas le seul :
elle admet dans sa maison, tenue avec le luxe d'une reine,
maints braves aux belles moustaches, soit afin de remplir les
entr'actes de sa passion en titre, soit « pour se faire compter,
dit Saint-Simon, entre l'Espagne et son père, et se tourner
<lu côté le plus avantageux; » car jamais elle ne cessa d'allier
aux gofits d'une Messaline les soins ambitieux d'une femme
qui se sent appelée à gouverner les hommes, sans doute parce
qu'elle les méprisait autant qu'elle en était méprisée.
Le règne de Delahaye ne fut pas long. Ce Lauzun, qui
avait épousé, tourmenté, vilipendé la grande Mademoiselle
d'Orléans-Montpensier , ce Lauzun, dont l'insurmontable
impudence avait imposé à l'orgueil, jusque alors invaincu, de
Louis XIV; ce Lauzun, qui tenait pour maxime, comme
dit Saint-Simon « que les Bourbons veulent être rudoyés
et menés le bâton haut, sans quoi on ne pourrait conserver
sur eux aucun empire ; •» ce Lauzun avait un neveu, comme
lui cadet de Gascogne : c'était Rion, au teint bilieux et
verdàtre, mais aux puissantes épaules. Un tel homme, formé
à pareille école, était bien digne de conquérir toutes les af-
fections de la fille du régent. Avec cette duchesse de Berry,
qui faisait trembler son père, qui tenait à distance respec-
tueuse sa mère, qui avait bravé les mécontentements et la
sévérité bigote du vieux sultan de Versailles , Rion prend
le ton de maître ; il la traite en esclave, la contrarie sur ses
dépenses, sur sa toilette, sur tout ; il la mène bride haute,
il va jusqu'à ne pas lui dissimuler la préférence et les ca-
resses qu'il accorde à M™* de Mouchy, l'une des femmes de
la princesse ; enfin , à la mort du duc de Berry, il se fait
épouser par la noble veuve , et, comme on le conçoit sans
peine, le mari se montre encore bien moins traitable que
l'amant. Trop heureux le régent, que la mort prématurée de
sa fille l'ait débarrassé de la nécessité de reconnaître haute-
ment ce mariage, car c'était chaque jour nouvelles scènes
de la part de la duchesse pour qu'il le fit déclarer.
Afin de compléter ce tableau du vice puni par lui-même
(car sans cela trop heureux seraient les gens de race
royale), suivrai-je la duchesse de Berry dans ses amours
incestueux avec son père? Digne et monstrueux couple! un
père que la postérité , d'accord avec Louis XIV, a qualifié
de fanfaron de crimes, une fille si merveilleusement
chassant de race qu'elle semblait moins affectionner de hon-
teux tôte-à-tête que de publiques orgies ! On peut , dans les
Mémoires de Saint-Simon, l'ami du régent, l'époux de
la dame d'honneur de la duchesse, lire la description d'un
gala dans lequel le père et la fille se donnèrent en spectacle
de la manière la plus extraordinaire : « Madame la duchesse
de Berry , dit-il , et M. le duc d'Orléans s'y enivrèrent au
point que tous ceux qui étaient là ne surent que devenir.
L'effet du vin par haut et par bas fut tel qu'on en fut en
peine , et ne la désenivra pas , tellement qu'il fallut la ra-
mener en cet état à Versailles. « La duchesse de Berry et
son père furent les inventeurs du bal de l'Opéra, non pas
avec ses folies ridiculement innocentes , mais avec les mys-
tères raffinés de la prostitution en petites loges : c'est là
que cette princesse , si fière du sang royal qui coulait dans
ses veines, trouvait qu'au paradis tous les mortels sont
égaux , et s'abandonnait avec une joie frénétique aux ca-
resses de maint séduisant roturier. Tous les mémoires con-
temporains affirment qu'incestueuse par ambition autant que
par lubricité, celle princesse s'offrit à son père : elle espérait
le gouverner ; et si elle ne put tout à fait y réussir, le régent
étant peu accessible de ce côté, du moins elle acquit sur lui
beaucoup plus d'influence qu'aucune autre maîtresse. Sur la
fin, le régent, soit pnidence, soit lassitude de libertin chan-
geant , parvint à se soustraire presque entièrement au joug,
et ce furent les efforts qu'elle fit pour le captiver de nouveau
qui causèrent la mort de la duchesse.
Du vivant du duc de Berry , la cour retentit plus d'une
fois des contestations qui éclatèrent entre le mari jaloux et
le beau-père. Le duc de Berry , peu de temps après une
scène des plus vives à ce sujet , fut frappé de la courte ma-
ladie qui l'enleva à la fleur de l'âge ; et le public douta peu
que le poison , administré par la femme , ne fût venu à
propos calmer lafureur dumari. Rien n'estmoins prouvé que
cet empoisonnement; mais ce ne fut pas le seul crime de
ce genre dont on ait accusé la duchesse de Berry. La mort
du duc de Bourgogne et celle de sa vertueuse épouse lui
furent attribuées : cela n'a pas été prouvé davantage; mats
70
BERRY
toutes ces accusations ont eu la vraisemblance que leur don-
nait le caractère connu de la duchesse de Berry , tandis que
l'histoire, pour laver le régent de tout soupçon de ce genre,
n'a eu besoin que de jeter un coup d'oeil impartial sur la
bonté facile de son àmc, à la fois si humaine et si corrompue.
La soif de dominer régnait aussi bien dans le cœur de la
duchesse que la soif des plaisirs. Elle voulait primer à
tout prix : elle avait tous les vices de l'ambition , et l'ingia-
titude au premier degré. Elle devait tout à la duchesse et au
duc de Bourgogne, qui avaient amené son union avec le duc
de Berry, malgré les répugnances de Louis XIV et du grand
dauphin , répugnances fondées sur la connaissance de ses
vices et de ses travers. A peine mariée , elle ne dissimula
pas sa haine contre sa bienfaitrice et contre tous ceux qui
avaient eu part à ce résultat; dans son immense vanité, elle
ne craignait pas de déclarer qu'avoir contribué à son élé-
vation c'était avoir encouru son inimitié.
Orgueilleuse jusqu'à l'extravagance, elle parut un soir au
spectacle sous un dais , en présence de son père et de sa
mère, et il fallut que les murmures du public châtiassent
cette insolence. Sur une estrade également elle voulut re-
cevoir l'ambassadeur de Venise. Le diplomate se retira con-
fondu. « Celte folie d'une jeune personne occupa toute l'ICu-
rope, dit Lacretelle; les ambassadeurs protestèrent, et il
fallut que le régent promît que pareille scène ne se renou-
vellerait plus. » La duchesse d'Orléans était, comme on
sait, une fdle légitimée de Louis XFV et de madame de
Montespan : croirait-on que pour ce motif elle fut cons-
tamment l'objet des insultes de sa (ille, la duchesse de Berry?
Que de scènes scandaleuses au milieu desquelles le régent,
mari infidèle, père incestueux, fut obligé de s'interposer
entre son épouse délaissée et sa fille favorite ! Celle-ci voulut
un jour chasser un huissier dont le seul crime était d'avoir
chez elle ouvert les deux battants à la duchesse d'Orléans,
honneur qui ne s'accordait pas, à la vérité, aux filles du roi
légitimées, mais que cet officier avait cru devoir à la mère
delà duchesse venant faire visite à sa fille. La duchesse d'Or-
léans avait en sa possession des pendants d'oreilles en dia-
mants que convoitait la duchesse de Berry. La veille d'un
grand bal donné à la cour, elle avait essayé vainement de
les obtenir de sa mère. Piquée de ce refus , elle menaça
son père de rompre avec lui si elle n'avait par son moyen
les diamants d« sa mère. Le duc d'Orléans va docilement
les demander à sa femme , sous prétexte de les mettre en
gage pour acquitter une dette. Madame d'Orléans livre son
écrin, et le lendemain la duchesse de Berry, triomphante, se
montre au bal avec les pendants d'oreilles. Le scandale était
au comble; les cris et les pleurs de la duchesse d'Orléans
y ajoutèrent encore, en ne laissant aucun doute sur les
odieuses accusations auxquelles étaient en butte le père et
la fille.
La mort de la duchesse de Berry fut digne de sa vie.
Elle voulait les derniers sacrements , car chez elle la peur
du diable , dit Saint-Simon , s'alliait à l'amour de tous les
vices. Le curéLanguet, approuvé par le cardinal deNoailles,
archevêque de Paris, refusait de (aire son office, si la prin-
cesse ne commençait par chasser de sa maison Riou , son
amant, et la dame de Mouchy, maîtresse avouée du der-
nier. Dominée jusqu'à la fin par ces deux intrigants , la du-
chesse ne voulait rien moins que faire jeter le curé par la
fenêtre. Elle accoucha, et parut sauvée; elle alla môme
jusqu'à se persuader que l'on avait pu cacher sa grossesse
et sa délivrance. Après quelques jours de convalescence,
voulant reconquérir son ancien ascendant sur son père, qui
semblait s'éloigner d'elle , elle lui offrit une fête nocturne
dans les jardms de Meudon. Le régent vint. Dans cette or-
gie, sur laquelle planait la mort, elle s'exposa d'autant
plus imprudemnîent au froid qu'elle prétendait toujours
donner le change au public sur son accouchement. Cette
nuit fut la dernière de ces fêles : atteinte à la fois d'un
fiisson glacial et d'une fièvre brillante , il fallut l'emporlei
dans son lit : elle ne se releva plus. Celle fois les sacrements
ne lui furent pas refusés : elle les reçut avec appareil, ,
portes ouvertes , fit à l'assistance un beau discours, puis,
restée seule avec ses intimes , leur demanda , comme l'em-
pereur Auguste à ses amis, si elle n'avait pas bien joué son
rôle. Un ou deux jours après, nouvelle peur du diable, nou-
veaux sacrements , mais reçus du moins celte fois avec dé-
cence. Elle morte, le régent fut seul à la regretter; mais il
ne voulut point qu'elle eût d'oraison funèbre : cependant
Massillon, qui avait sacré le cardinal Dubois , était là avec
son habile et onctueuse phraséologie. Cette pudeur de la part
du régent fut un trait d'esprit. Charles Do Rozom.
BERRY (Charles-Feudinand, duc de), second fils du
comte d'Artois {voyez Charles X) et de Marie-Thérèse de
Savoie, naquit à Versailles, le 24 janvier 1778, fut élevé
avec leducd'Angoulême, son frère aîné, par le duc de
Sérent, et de bonne heure fit preuve d'un caractère heu-
reux , d'une grande présence d'esprit, et de l'art, si difficile,
de tenir à chacun le langage qui convient à sa position.
En 1789, il suivit son père dans l'émigration, et servit avec
lui à l'armée de Condé jusqu'en 1798. Plus tard, il accom-,
pagna le chef de sa maison en Russie; puis en 1801 il vint
s'établir en Angleterre , vivant alternativement à Londres et
à Edimbourg. 11 y épousa même une jeune Anglaise de famille
plébéienne ; deux filles sont issues de ce mariage, que la poli-
tique de Louis XYIIl lui fit ensuite annuler, comme ayant
été contracté sans son consentement : l'une a depuis épousé
le marquis de Charetle , et l'autre le prince de Faucigny.
Lorsque nos désastres de 1813 et de 1814 eurent rouvert
les portes de la France à la famille de Bourbon , le duc de
Berry, qui était allé s'établir à Jersey, comme dans un poste
d'observation , débarqua le 13 avril à Cherbourg, d'où il se
dirigea sur Bayeux , Caen, Rouen , etc., gagnant partout sur
son passage, disent les relations de l'époque, par l'affabilité
de son langage , les populations et les gardes nationales à la
cause royale , et triomphant des préjugés des soldats eux-
mêmes par ses manières franches , brusques et toutes mi-
litaires. AccueQli , raconte-t-on , dans une revue par des cris
de Vive l'empereur! il ne put contenir la fougue de son
caractère , et s'écria avec humeur : « Et qu'avait-il donc de
si merveilleux, cet homme? — 11 nous conduisait à la vic-
toire, répondit un grenadier. — Avec des gens tt;ls que
vous, cela n'était pas difficile, » repartit le prince. Une
autre fois , il dit à un vieux général : « Nous commençons
à peine à nous connaître; mais quand nous aurons fait en-
semble quelques campagnes, nous nous connaîtrons mieux ! «
On remplirait un volume des mots heureux qu'on prêta
alors à chacun des membres de la famille royale. Le duc
d'Angoulême lui-même eut les siens , et ils n'étaient pas
des moins bons ; ce dont on ne devra pas s'étonner quand
on saura que c'était le feu comte Beugnot, de spirituelle
mémoire, qui en avait l'entreprise et la fourniture. Quoi
qu'il en soit de la vérité de ces anecdotes, peut-être apo-
cryphes, le duc de Berry, arrivé le 21 avril à Paris, fut
nommé, le 15 mai suivant, colonel général des dragons, et
reçut un apanage de 1,500,000 francs. Au mois d'août il
alla parcourir les départementsduISord et inspecter les places
fortes de la Lorraine, de la Franche-Comté et de l'Alsace.
Lorsqu'en mars 1815 Bonaparte débarqua au goife
Jouan, Louis XVIII confia au duc de Berry le commande-
ment supérieur de toutes les troupes réunies autour de
Paris ainsi que de la garnison de la capitale ; mais le
merveilleux succès de l'entreprise de Napoléon, qu'avaient
si admirablement favorisée les fautes sans nombre commises
par la Restauration , força le duc ainsi que le reste de sa
famille à quitter Paris dans la nuit du 19 au 20 mars, et il
suivit Louis XVIII , avec une partie de la maison militaire
de ce prince, à Gaud et à Alost, oii il resta jusqu'au désastre
de Waterloo. Le 8 juillet il fit sa rentrée à Paris , à la suite
BERRY
f\
du roi, son oncle, et fut nommé, au mois d'août 1815,
président du collège électoral du département du Nord.
Mais le duc ne tarda pas alors à s'éloigner des coteries po-
litiques dans lesquelles on prétendait à toute force lui faire
jouer un rôle.
Marié, le 17 juin 1816, à Caroline-Ferdinande-Louise ,
pctite-fdle du \ieux roi de Naples {voijez l'article suivant),
le duc de Berry semblait ne plus vouloir vivre que de la
vie de famille; il encourageait les arts, protégeait noblement
les lettres, et montrait à l'égard des hommes qui s'étaient
compromis avec sa famille pendant la révolution une tolé-
rance qui n'en contrastait que plus vivement avec les idées
réactionnaires dont la petite cour de son père était le foyer.
Une princesse était déjà née, le 21 septembre 1S19, de
son mariage avec la princesse des Deux-Siciles , lorsqu'il
fut assassiné, le 13 février 1820, au moment où il recon-
duisait la duchesse à sa voiture, au sortir de l'Opéra. Le
meurtrier, arrêté à quelques pas de là, était un ouvrier sel-
lier, employé dans les écuries du roi depuis trois mois, et
qui, sous l'Empire, avait servi dans le train. Ce fanatique
avait conçu, à ce qu'il paraît, dès 1816 le projet d'assas-
siner le duc de Berry, comme étant le seul des membres de
la famille de Bourbon qui semblât destiné à la perpétuer.
Au moment où le prince, après avoir aidé sa femme à
monter en voiture, se retournait pour rentrer au théâtre,
l'assassin, nommé Louvel, le saisit par le bras et lui
plongea dans le côté droit un poignard à deux tranchants,
long de huit centimètres. « Je suis assassiné! » s'écria
au même instant le malheureux duc de Berry; et il tamba
dans les bras d'un aide de camp accouru à son secours.
Transporté aussitôt dans un salon dépendant des bureaux
de l'administration duthéitre, l'agonie du prince dura encore
sept heures. Il avait tout de suite perdu connaissance. Ce-
j)endant il revint à lui vers deux heures du matin, et môme
reconnut tous ceux cpii l'entouraient. C'étaient sa femme,
son frère, son père, le duc de Bourbon, le duc et la du-
chesse d'Orléans, le maréchal Oudinot, le duc de Riche-
lieu, etc. Le duc de Berry leur adressa la parole malgré les
horribles douleurs qu'il ressentait, et leur annonça qu'il
sentait que sa lin approchait. 11 demanda à voir sa fille une
dernière fois ; on la lui apporta ; il l'embrassa tendrement en
lui disant : « Chère enfant ! puisses-tu être plus heureuse que
ton père ! » Après s'être entretenu quelque temps à voix
basse avec son frère, M. le duc d'Angoulême, il demanda à
recevoir les secours de la religion. M. de Latil, aumônier
«le Monsieur, s'étant alors approché, le duc se confessa à
lui à haute voix en présence de tous ceux qui se trouvaient
là, demanda à Dieu le pardon de ses fautes, et aux hommes
celui des offenses qu'il pouvait leur avoir faites, reçut le
saint viatique, et interrompit les prières des assistants pour
réclamer la grâce de son meurtrier.
Vers cinq heures du matin, arriva enfin Louis XVIII,
qu'on ne s'était décidé à prévenir du nouveau malheur qui
frappait sa race qu'à là dernière extrémité et lorsqu'il ne
restait plus d'espoir. En le voyant entrer, le duc de Berry
lui dit d'une voix affaiblie : « Sire , la dernière grâce que je
vous demande , c'est la vie de celui qui m'a blessé ! Grâce
pour l'hommel (il ne désigna jamais auîi-ement l'assassin).
Ce sera sans doute quelqu'un que j'aurai offensé sans le
vouloir ! » Le vieux roi se prit à pleurer. « Ce n'est pas
le moment de parler de cela ! répondit-il à son neveu ;
occupons-nous d'abord de votre guérison ! — Oh ! repartit
le prince , je ne me fais pas illusion sur mon état ! u En
effet, tous les moyens employés par les gens de l'art furent
inutiles; le sang s'agglomérait toujours davantage dans la
poitrine, et le moment fatal approchait. Sous prétexte de
laisser son époux prendre un peu de repos, on arracha la
malheureuse duchesse de Berry à cette scène terrible , et
on obtint de la duchesse d'Angoulême , de Monsieur et de
son fils , le duc d'Angoulême , qu'ils passassent dans une
pièce voisine. Le vieux roi seul refusa de s'éloigner : « Je
n'ai pas peur de la mort, répondit-il aux instances de ceux
qui l'entouraient, et il me reste un devoir à rendre à mon
malheureux neveu. « La victime allait rendre le dernier
soupir, elle eut encore la force de prononcer ces dernières
et solennelles paroles : « Que ne suis-je mort dans une ba-
taille !... Qu'il est dur pour moi de périr de la main d'un
Français! O ma patrie! Malheureuse France!... » Il
pressa encore une fois la main de son oncle, et rendit
l'âme. Il était six heures du matin : on était au mardi
14 février! Louis XVlll s'approcha alors du cadavre de son
neveu et abaissa les paupières sur les yeux restés fixes; c'é-
tait là le dernier et suprême service qu'il avait annoncé
vouloir rendre encore à son fils adoptif.
Sept mois environ après la mort de son mari, la du-
chesse de Berry accoucha du duc de Bordeaux, dont la
naissance combla de joie tous les amis de la légitimité, et
qui semblait alors deslmé à gouverner un jour notre pays.
La douleur de toute celte royale famille fut digne ; mais les
passions mauvaises des courtisans s'empressèrent de l'ex-
ploiter. On voulut à toute force rendre la France res-
ponsable d'un crime qui était celui d'un fanatique isolé,
nous aimons du moins encore à le ])enscr, malgré la pré-
sence d'indices plus ou moins accusateurs, de présomptions
plus ou moms graves, qui donnèrent tout aussitôt lieu à
quelques-uns de soupçoimer l'existence d'une de ces ma-
chiavéliques combinaisons dont on ne retrouverait le fil
qu'en remontant bien avant dans le siècle dernier. Quoi
qu'il en ait été, on punit la France du crime de Louvel en
y trouvant un prétexte pour lui ravir une à une ses libertés.
On sait où cela a condmt la branche ainée des Bourbons.
BERRY (Caroune-Ferdinande-Lolise, duchesse de),
princesse des Deux-Siciles , aujourd'hui comtesse de Luc-
chesi-Palli, mère du duc de Bordeaux, est née à Palerme,
le 5 novembre 179S, de François V, roi de ÎNaples, et de
Marie-Clémentine, archiduchesse d'Autriche. Le 16 avril
1816 elle fut mariée par i)rocuration au duc de Berry {voyez
l'article précédent), neveu de Louis XVIIl, et second fils
de Charles X, alors comte d'Artois.
Comme presque toutes les jeunes filles de Naples, la
princesse Caroline n'avait reçu qu'une éducation très-in-
suffisante; mais, douée d'une âme chaleureuse et confiante,
d'un esprit vif et d'une intelligence facile, passionnée pour les
arts et pour tous les plaisirs qui peuvent embellir la vie d'une
femme aimable, elle devait exercer autour d'elle une grande
séduction. Sans être belle, elle a de la grâce; sa physio-
nomie porte une certaine expression de douceur et de mé-
lancolie qui insp'ure à la fois le respect et la confiance. A
son arrivée en France , où elle fit son entrée à Marseille le
30 mai 1816, elle se recommanda par la franchise et la
simplicité de ses manières. Le duc de Lévis, que Louis XVIII
lui avait donné pour chevalier d'honneur, voulut la com-
plimenter en italien : « En français, dit-elle, en français ; je
ne connais pas d'autre langue. » A Fontainebleau , elle eut
le 7 juin sa premièie entrevue avec la famille royale ; entrée
solennellement le 17 à Paris, elle reçut le lendemain la
bénédiction nuptiale à Notre-Dame. Les deux conjoints
étaient cousins , et descendaient de Louis XIV au sixième
degré. On remarqua dans le temps que l'autel était tendu
aux trois couleurs. La France avait alors, dans le corps lé-
gislatif, deux majorités, qui faisaient au profit du pouvoir
de l'enthousiasme et de la générosité aux dépens du pays.
Le duc de Richelieu, président du conseil, en annonçant ce
mariage à la Chambre des Députés, avait demandé un mil-
lion pour augmenter l'apanage du duc de Berry, et cette
assemblée vota 1,500,000 francs.
Tous les mémoires du temps s'accordent à dire que les
nouveaux époux firent bon ménage, bien que la duchess<î
ne pût ignorer l'union, trop publique, de son mari avec
Virginie Letellier, danseuse de l'Opéra. Le prince était plein
72
liERRY
d'égards ponr sa feœnn!, et vivait avec elle bourgeoisement.
Il était comme elle amateur éclairé en peinture, et tous
deu\ se faisaient un plaisir d'encourager les artistes , dont
ils achetaient les tableaux avec une sorte d'émulation. Après
deux fausses couches, la duchesse mit au monde, le 21 sep-
tembre 1819, une fdle, qui fut nommée Louise-Marie-Thérèse,
Mademoiselle. Six mois après (13 février 1820), le poi-
gnard de Louvel rendit veuve la duchesse de Berry. Elle
recueillit les derniers soupirs de son époux , et montra tout
le respect qu'elle avait pour sa mémoire en assurant le sort
des fdles qu'il avait eues d'un premier mariage contracté à
Londres. Le prince défunt avait laissé sa royale veuve en-
ceinte. Au mois de mai 1820, deux individus obscurs. Gra-
vier et Bouton, en déposant un pétard auprès du pavillon
Marsan, où logeait la princesse, tentèrent de détruire par
un accouchement anticipé les espérances que les royalistes
fondaient sur sa fécondité. Tous deux , sur la déclaration
d'un jury, furent condamnés à mort. La duchesse de Berry
s'honora en demandant leur grâce, et Louis XVIII com-
mua la sentence.
Dans la nuit du 28 au 29 septembre, elle accoucha d'un
fds, qui fut nommé Charles-Ferdinand-Marie -Dieudonné
d'Artois, duc de Bordeaux. Personne ne se réjouit plus
de cet événement que Louis XVIIl , qui , dit-on , obsédé par
les intrigues de son frère, s'écria : « Maintenant on ne nous
fera pas l'affront de nous contraindre à désigner notre hé-
ritier de notre vivant. » Les royalistes appelèrent le duc de
Bordeaux Venfant du miracle. Leurs adorations autour d'un
berceau furent tournées en ridicule par les libéraux, et même
parles bonapartistes, qui oubliaient qu'ils en avaient fait au-
tant pour le roi de Rome. Les ennemis de Napoléon avaient
nié dans le temps l'identité de son fils; les ennemis des
Bourbons prétendirent de même que le duc de Bordeaux
était un enfant supposé ; et , comme dans toutes les intri-
gues de ce genre contre la branche aînée , le nom d'Orléans
fut toujours mis en avant; il parut dans les journaux anglais
une protestation attribuée au chef de la branche cadette. Des
écrivains zélés pour la royauté du 7 août 18.30 n'ont pas
manqué de reproduire cette pièce. C'est ainsi qu'à la naissance
du dauphin, fils de Louis XYI, le père de Louis-Philippe
avait protesté, dit-on, contre la légitimité du fils de Marie-
Antoinette. Sans nous arrêter à toutes ces iniquités, sans
examiner s'il n'est point des cas où l'on se rend complice de
certaines assertions en s'abstenant de protester contre elles,
sous prétexte qu'on les méprise, nous dirons qu'il suffit
d'avoir vu le duc de Bordeaux auprès de sa mère pour être
frappé de sa ressemblance avec elle. Quoiqu'il n'ait presque
rien de Bourbon dans la physionomie, cette particularité ne
prouve rien contre sa légitimité. Le sang de la maison d'Au-
triche, le type autrichien, pour me servir de l'expression
consacrée, domine chez le jeune prince aussi bien qu'il do-
minait dans le fils de Napoléon , et qu'il se montre encore
aujourd'hui dans les fils de Louis-Philippe et de Marie-Amélie
de Naples , tante de la duchesse de Berry.
La naissance du duc de Bordeaux commença à donner
à sa mère quelque importance politique; et lorsque, après
ses relevailles, elle reçut le corps diplomatique, elle eut à
le remercier d'avoir donné à son fils le nom tVenfnnt de
l'Europe. Le baptême, qui se fit le l^"" mai 1821 , fut, dit-on,
conféré avec de l'eau du Jourdain conservée depuis plus de
quinze ans par M. de Chateaubriand. Une souscripliun
royaliste s'ouvrit pour faire don au jeune prince du château
de Chambord. Alors que toutes les ambitions se pressaient
autour de son fils, la duchesse de Berry demeura étrangère
aux affaires. Après avoir consacré à la retraite le temps de
son deuil, elle recommença à chercher les amusements de
son âge. Elle suivait les spectacles avec assiduité ; elle devint
la protectrice du Gymnase dramatique , dont les ac-
teurs l'avaient suivie dans un voyage ([u'elle fit à Dieppe. Ce
théâtre naissant répondait, par le genre neuf et piquant de ses
pièces', à un des besoins littéraires de notre époque. 11 fut,
en 1823, menacé par cet esprit de vandalisme qui présidait
à l'administration surnommée déplorable. La protection'
de la duchesse de Berry sauva le Gymnase , qui fut appelé
Théâtre de Madame.
Ses fréquents voyages à Dieppe , où elle fonda et protégea
plusieurs établissements, ses visites aux eaux du Mont
Dore , son excursion en Béarn , contribuèrent à la rendre
populaire; car partout elle se montrait aimable et bienfal
saute. Les marchands de la capitale la regardaient comme
la patronne de leurs boutiques : elle achetait beaucoup, ei
payait exactement. Des hommes de lettres et' des artistes
lui durent des encouragements. Cependant son revenu était
modique en comparaison des sommes immenses dont la listé
civile pouvait disposer. Rien n'était mieux entendu que lea
fêtes données par la duchesse de Berry au pavillon Marsan
ou à son château de Rosny. On peut se rappeler son fameux
bal historique du carnaval de 1830. Elle y parut en Marie
Stuart , et le duc de Chartres en François II. On ne fit pas
alors attention que le choix de ces deux infortunées per
sonnes royales était assez malheureux. Les témoins de cette
lïte brillante ne peuvent avoir oublié combien le jeune prince,
à peine échappé du collège , était heureux et fier d'être le
chevalier de la reine de la fête. Pour la nouvelle Marie Stuart,
aux yeux des personnes qui croient aux présages, le sinistre
augure est suffisamment accompli. Le public savait presque
gré à la duchesse de Berry de ses plaisirs , par cela seul
qu'ils contrastaient avec la bigoterie du reste de la cour.
Seulement elle eut à se reprocher d'avoir donné un bal le
jour de l'exécution des quatre sergents de La Rochelle. De
telles maladresses sont si faciles à éviter qu'on ne conçoit
pas qu'elles se répètent si souvent chez le peuple le plus
porté à les blâmer impitoyablement.
Cependant le duc de Bordeaux prenait des années. Des
mains de madame la duchesse de Gontaut , gouvernante des
enfants de France , il avait passé dans celles des hommes
En moins de trois années , il eut trois gouverneurs ;
MM. Matthieu de Montmorency, de Rivière et de Damas. On
savaitdans le public que la duchesse de Berry n'approuvait pas
la direction monacale que le vieux roi voulait qu'on donnât
à l'éducation de son fils. Ce fut malgré elle que l'abbé Tharin,
évêque de Strasbourg, fut nommé précepteur. Elle avait
obtenu, au commencement de l'année 1830, l'éloignement
de cet instituteur. On parlait même d'améliorations intro-
duites par l'induence d'un habile sous-précepteur (M. de
Barande) dans l'éducation de cet héritier d'une couronne
constitutionnelle. La duchesse de Berry venait d'avoir la
satisfection de faire les honneurs de Paris à son père, le roi
de Naples, qui était venu rendre visite à Charles X , lorsque
les folles combinaisons de M. de Polignac amenèrent une
troisième fois la chute de la branche aînée. Durant les
journées de juillet, la duchesse de Berry était à Saint-Cloud.
On prétend qu'elle crut devoir faire à Charles X des repré-
sentations qui ne furent point écoutées. Quand le moment
fut venu pour le vieux roi de quitter la France, la duchesse
de Beri7 le suivit à Cherbourg, puis à Holy-Rood. Dans
ce sombre palais , témoin de tant de sinistres catastrophes,
elle put se rappeler cette Marie Stuart dont, huit mois au-
paravant , elle avait joué le rôle sous un costume qui lui
allait fort bien.
Malgré son abdication , Charles X n'avait pas voulu con
sentir à accorder à la duchesse de Berry le litre de régente,
de peur de perdre la direction de l'éducation du duc di
Bordeaux. Cependant cette princesse avait pris la résolutioi
personnelle de rentrer en France. Elle quitta l'Anglelerr
le 17 juin 1831 , traversa la Hollande, l'Allemagne, la Siiissi
et la Lombardie jus(iu'à Gênes, ]m\s. alla se fixer à Sestri, soui
le nom de la comtesse de Sagnna, mais sans prendre au
cunc précaution pour dissimuler sa présence et ses projets.^
Le gouvernement français réclama , et le roi de Sardaigne
BERRY
73
Cliaries-Âlbert , par une lethe diplomatique, la fit inviter
poliment à quitter ses États. La duchesse de Beiry, qui se
rappelait l'accueil distingué que Charles-Albert avait reçu
huit ans auparavant à la cour de Charles X , fut exaspérée
de cette invitation. « La royauté s'en va, dit-elle : c'est
comme l'architecture ; mon aïeul a fait bâtir des palais ,
mon grand-père des maisons , mon père des bicoques , et
mon frère des nids à rats; Dieu aidant, il faudra cependant
bien que mon fds rebâtisse des palais à son tour. » Du
Piémont, ta princesse se rendit à Modène, où elle fut reçue
avec le plus vif empressement. A Rome , où elle se rendit
ensuite, la duchesse se vit obsédée par des personnes qui ,
dans l'espoir de remplir des fonctions éminentes auprès de
la régente , Ja pressaient de faire une descente en France,
où, à les entendre, l'ouest et le midi n'attendaient que sa
présence pour se soulever. Cependant les hommes sages du
parti lui écrivaient de la manière la plus positive pour la
dissuader d'une telle entreprise. On a publié dans le temps la
lettre dans laquelle Chateaubriand disait que « ce qui pour-
rait arriver de plus funeste à la petite-fille d'Henri IV serait
d'être prise, jugée, condamnée et graciée ».
Placée amsi entre les conseils de la prudence et ceux de
la flatterie intéressée , la duchesse de Berry suivit l'impul-
fiionde son naturel aventureux. Partie le 21 avril 1832, sur
le bateau à vapeur le Carlo-Alberto , elle débarqua furti-
vement, en dépit d'une grosse tourmente, dans la soirée
du 29 , sur une des côtes de la rade de Marseille , et passa
la nuit à l'abri d'un rocher, enveloppée dans un manteau ,
sous la garde de MM. de Ménars et deBourmont. Elle
avait compté sur un mouvement royaliste à Marseille ; mais
tout se borna à une émeute prompteraent réprimée par la
force armée. La retraite aurait été possible que la prin-
cesse n'y eût point songé ; elle se décida à traverser la France
dans toute sa largeur, pour gagner les provinces de l'ouest.
Avec la rapidité qui préside à toutes ses résolutions , elle or-
donne à ses deux compagnons de se séparer d'elle pour éviter
d'être reconnus, et, sous la conduite d'un guide campagnard
que le hasard lui offre, elle se dirige vers Montpellier par des
chemins de traverse. Une maison de belle apparence frappe
ses regards : le guide lui apprend que le propriétaire est un
maire républicain ; sans hésiter, eUe se présente à ce fonction-
naire, lui déclare qui elle est, se confie à son honneur, et
celui-ci la conduit dans son cliar- à-bancs à la ville voisine.
De Montpellier, où M. de Ménars était arrivé sans en-
combre, elle se rend à Toulouse, on elle passe un jour; et
de trois heures à huit heures du soir, elle reçoit les per-
sonnes dévouées à sa cause avec autant de tranquillité que
si elle eût été aux Tuileries. Arrivée en calèche découverte
h Bordeaux, où elle donne audience avec la même publicité,
la princesse s'achemine vers cette forteresse de Blaye, qu'elle
doit trop tôt revoir, puis se remet gaiement en route. D'un
château voisin de Saint-Jeau-d'Angely, où elle réside quel-
ques jours , elle écrit aux légitimistes de Paris , et lance
dans la Vendée une proclamation , datée du 1 5 mai , qui se
termine ainsi : « Ouvrez à la fortune de la France ; je me
place à votre tête , sûre de vaincre avec de pareils hommes.
Henri V vous appelle; sa mère , régente de France, se voue
à votre bonheur : tm jour, Henri V sera notre frère d'armes
si l'ennemi menaçait nos fidèles pays. Répétons notre ancien
et notre nouveau cri : Vive le roi! vive Henri V! » Ces
phrases , du genre de celles qu'on avait prodiguées à certains
jours de danger sous la Restauration , ne produisirent aucun
effet : la Vendée était peu disposée à ce que les chefs légiti-
mistes les plus dévoués appelèrent d'avance une sanglante
échmiffourée. D'ailleurs, tout matériel manquait, et l'An-
gleterre ne se crut pas intéressée à alimenter xme nouvelle
guerre civile. Depuis le 15 la duchesse était entrée dans la
Vendée . déguisée en paysanne ; elle avait fait le sacrifice de
T-^a longue chevelure. Au mémoire dans lequel les chefs de
la Vendée déduisaient tous les motifs de ne pas prendre les
DICT. DE I.A CONVEIlS. — T Iir.
armes , elle répondit par un ordre absolu de les prendre le 24.
Les légitimistes de Paris voyaient la chose du même œU que
les Vendéens.
Ici se placent le voyage de M. Berry er dans l'ouest et
son entrevue avec la duchesse pour la détourner de sou fa-
tal projet. M. de Bourmont était tellement contraire à l'in-
smrection qu'il prit sur lui d'envoyer un contre-ordre pour
retarder la prise d'armes. Malgré tant d'avis , dont l'unani-
mité aurait au moins dû l'arrêter, la duchesse persista, et
ce fut dans la nuit du 3 au 4 juin que commença l'insur-
rection. Par une coïncidence assurément bien fortuite ( car
qui pouvait de la Vendée prévoir que le général Lamarque
mourrait à Paris ce jour -là même?), les funérailles de ce.
député donnèrent lieu au soulèvement républicain, qui amena
au 6 juin la canonnade et la sanglante réaction de Saint-
Méry. Le même jour, les Vendéens se faisaient tuer au com-
bat du Chêne, près de la Vieille-Vigne ; et tandis que Louis-
Philippe , victorieux , parcourait à cheval le pavé encore
rouge de Paris , la duchesse de Berry, au milieu des balles,
pansait de sa main les blessés sur le champ de bataille : elle
manqua d'être prise, elle qui n'attendit pas pour se montrer
que tout fût fini. Ce ne fut qu'en troquant son cheval, trop
faible, contre celui de M. de Charette qu'elle put échapper à
la poursuite. Pendant plus de trois semâmes , des colonnes
mobiles, aux ordres du général Dermoncourt, parcoururent
le pays dans toutes les directions , vingt fois sur le point de
la prendre , et n'y parvenant jamais ; ce qui fit dire à un
journal légitimiste : « Elle couche sous un buisson, elle
passe la nuit au bruit du vent et des coups de fusil qu'on
tire près d'elle et sur elle; on prend tout le monde, ou ne
la prend pas, elle. »
C'est dans le livre de ce général , qui fut le Renaud de
cette nouvelle Marphise, qu'il faut Ure tous les détails de
cette vaine poursuite, de ces recherches infructueuses, qui
avaient l'air d'une mystification pour tous les partis. « Elle
avait toujours, dit M. Dermoncourt, quelques-uns de mes
détachements sur les talons : aujourd'hui, on lui prenait ses
harnais, le lendemain ses habits et elle était obligée de
fuir, n'emportant avec elle que les vêtements qu'elle avait
sur elle. Cette vie était intolérable : poursuivie comme elle
l'était , la duchesse n'avait pas une nuit de sommeil com-
plète; et au jour le danger et la fatigue se réveillaient en
même temps pour elle. Elle résolut, de l'avis des chefs ven-
déens, de se rendre à Nantes, où depuis longtemps un asile
lui était préparé. » Ce fut vêtue en paysanne , les pieds nus
et souillés par la fange de la route, pour dissimuler Varisto-
cratique blancheur de ses jambes , que , suivie d'un vieillard
et d'une jeune fille, M. de Ménars et M"* deKersabiec, la
duchesse de Berry atteignit sa destination : la demeure
des demoiselles Du Guigny ; là , on lui avait disposé une
chambre en mansarde, attenante à une étroite cachette
pratiquée sous une portion de toit , et dont la seule commu-
nication avec la chambre était une plaque de cheminée. Pen-
dant cinq mois, grâce à cette cachette, qui paraissait in-
trouvable, la duchesse déjoua toutes les recherches de la
poUce. Peut-être y eût-elle échappé tout à fait sans la trahi-
son du juif renégat Deutz.
Ce misérable était neveu d'un autre juif renégat, ce Drach
que sous la Restauration nous vîmes avec scandale élevé
au rang de bibliothécaire de la Faculté de théologie, en Sor-
bonne. Deutz, après s'être converti comme son oncle, fit
des bassesses ; mais il se dépaysa, et à Rome, en 1831 , les
personnes les plus vénérables le présentèrent à la duchesse
de Berry comme un sujet précieux. La princesse n'en de-
manda pas davantage; et comme elle n'accorde pas sa con-
fiance à demi , l'infâme eut la clef de tous les secrets de sa
maîtresse. Était-il dès lors l'agent de la police de Paris , et
la duchesse de Berry ne fut-elle qu'un automate que fit à
son insu mouvoir, depuis Massa jusqu'à Marseille, et depuis
Maiv^cille jusqu'à Nantes, la politique machiavélique de ceux
10
74
lîERRY
qu'empôcliait de Joimu- le titre de régente que prenait la
mère d'Henri V? C'est encore là un de ces mystères d'ini-
quité qu'il est impossiljle de pi^nétrer. Au surplus, on peut
lire dans les Mémoires du général Dermoncourt celles des
intrigues de Deutz qui ont pu venir à la connaissance des
hommes qui ne sont pas dans les intimités de la police. On
y verra que ce ne fut point par des agents secondaires, mais
par les ministres, que fut négociée avec cette haute puissance
une trahison payée, dit-on, au prix d'un demi-million.
Après avoir ainsi fait son marché avec M. Thiers, Deutz
arriva à Nantes, accompagné, surveillé pax l'agent de police
Joly. Il obtint, non sans peine, une audience de la duchesse;
et une heure après , la maison où elle était cachée fut cer-
née de troupes , d'administrateurs et de mouchards. Je ne
répéterai pas les détails de cette expédition si caractéris-
tique : toutes les forces militaires d'une des premières places
de France sur pied pendant deux jours consécutifs pour
traquer, découvrir, arrêter une femme! Peut-être la du-
chesse de Berry aurait-elle encore échappé aux recherches
(carDeutzavait bien le secret de la maison et de la chambre,
mais non celui de la cachette), si le feu allumé dans la
cheminée dont la plaque donnait entrée à cette cachette
n'eût forcé la princesse à se découvrir elle-même. Qu'on juge
de toutes les toitures morales, de tous les tourments phy-
siques qu'elle eut à endurer pendant plus de trente heures
qu'elle demeura , avec M. de Ménars , M"^ de Kersabiec
et M. Guibourg , tapie dans ce recoin , exposée aux intem-
péries de l'air et à la pluie qui pénétrait par le châssis du
toit, en butte à la faim, à la soif, à l'insomnie, à tous les
besoins de la nature, puis, en dernier lieu, épuisée, torréfiée
par la chaleur de l'àtre !
Durant tous ces supplices, elle montra non-seulement de
la résignation et du courage, mais cette gaieté, cette liberté
d'esprit qui ne l'abandonna jamais dans tous les périls et
iians toutes les traverses qu'elle avait subies depuis son dé-
barquement. Cette force d'âme extraordinaire dans une
femme si frêle a fait dire au général Dermoncourt : « C'est
une de ces organisations faibles qu'un souffle semble devoir
courber, et qui cependant ne jouissent de la plénitude de
Jeur existence qu'avec une tempête dans les airs ou dans
le cœur. » Ce fut donc elle-même qui , quand il lui devint
impossible, ainsi qu'à ses compagnons, de supporter la
chaleur, adressa la parole aux gendarmes de faction dans
la chambre : « Je suis la duchesse de Berry, leur dit-elle,
ne me faites point de mal. u Le général Dermoncourt, qui
avait présidé militairement à toutes les recherches , monta
auprès de la princesse. Elle s'avança précipitamment vers
lui en s'écriant : « Général ! je me rends à vous et me remets
à votre loyauté. — Madame, lui répondit-il, votre altesse
est sous la sauvegarde de l'honneur français. — Général,
lui dit-elle ensuite, je n'ai rien à me reprocher; j'ai rempli
le devoir d'une mère pour reconquérir l'héritage de mon
fils. «Dans ce moment, divers fonctionnaires se présentè-
rent pour constater son identité, et visiter les papiers qu'elle
pouvait avoir. Si l'on en croit les mémoires du général Der-
moncourt, le préfet Maurice Duval crut pouvoir rester
couvert devant la princesse. Au moment de quitter la man-
sarde, elle dit encore au général : « Ah ! si vous ne m'aviez
pas fait une guerre à la saint Laurent, ce qui est, par pa-
renthèse, indigne d'un brave militaire, vous ne me tiendriez
pas à l'heure qu'il est. » La chose était si vraie que le bas
de sa robe était tout brûlé ainsi que ses mains. Elle fut
transférée aussitôt au château de Nantes. Ce trajet de
soixante pas seulement ne fut pas sans danger ; et la du-
chesse, qui s'appuyait sur le bras du général Dermoncourt,
put voir aux regards dont elle était l'objet ce qu'elle avait
pu gagner dans l'opinion en inlliseant à Nantes et aux po-
pulations environnantes les fléaux de la guerre civile. Arrivée
au château , elle (it un premier repas , après avoir clé trente-
six heures sans rien prendre.
De Nantes, elle ftit, en vertu d'une ordonnance de Loui.s.
Philippe, datée du 8 novembre, transportée à la citadelle
de Blaye. Le premier brait du débarquement de la duchesse
à Marseille avait fait aux Tuileries l'effet d'une apparition
médusienne ; et par une dépêche télégraphique, l'on avait
ordonné qu'elle fût transférée en Corse , pu.s de là embar-
quée pour Palerme. Cette décision, prise spontanément,
n'était pas dénuée de prudence ni môme d'une sorte de gé-
nérosité. La présence de la duchesse dans la Vendée amena
des pensées d'une autre nature. Il fut résolu que si on par-
venait à la prendre, on la tiendrait assez longtemps en cap-
tivité , afin d'en faire un épouvantail pour la majorité de
la Chambre, en attirant sur le même terrain et l'opposition
patriote , scandalisée d'une détention arbitraire sans juge-
ment , et l'opposition carliste exaspérée de voir la mère de
Henri V dans les fers. En tous cas , ne pouvait-on pa<? es-
pérer que l'auguste captive, pour obtenir sa liberté, ferait
quelques concessions, sans impoiiance assurément aux
yeux du parti patriote , mais qui en auraient beaucoup aux
yeux de l'Europe monarchique? Ces considérations dic-
tèi ent sans doute l'ordonnance du 8 novembre, qui releva à
la fois les prisons d'État et l'institution des lettres de ca-
chet. Il est vrai qu'un de ses articles promettait de d -férer
aux Chambres la duchesse de Berry; mais, ainsi que les
ministres l'ont dit plus tard, jamais on n'eut sérieusement
cette pensée. Ainsi fut annulé l'arrêt de la cour royale de
Poitiers, qui avait, au mois de septembre précédent, mis
en accusation la duchesse de Berry pour être traduite aux
assises de la Vendée.
Sa détention à Blaye devint le sujet de tous les entretiens ;
tous les journaux s'en occupèrent, et l'on doit à la presse
libérale la justice de dire qu'elle garda constamment pour la
duchesse les égards dus au sexeetau malheur. S'il y eut des
exceptions , ce fut de La part des feuilles ministérielles. Le
parti royaliste s'épuisa en brochures, en protestations, en
pétitions pour la princesse détenue. Les noms les plus res-
pectables et les plus illustres, tels que ceux de MM. Cha-
teaubriand, de Kergorlay, de Conny, Desèze, etc. , figu-
raient au bas de ces actes; mais, aucune manifestation
popidaire ne se joignit à cette guerre de plume pour la
légitimité. La Vendée même se pacifiait.
Ce fut le 5 février 1833 que fut fait à la Chambre des Dé-
putés le rapport sur les nombreuses pétitions dont la cap-
tive de Blaye' était l'objet. Les unes demandaient sa mise en
liberté, les autres sa mise en jugement. M.deBroglie,au
nom du cabinet, invoqua de hautes convenances pour jus-
tifier la détention sans jugement delà duchesse; il dit que
les membres des familles qui régnent ou qui ont régné ne
pouvaient être placés sou.s le niveau le plus pénible et le
plus luuniliant de la loi. Il articula que cette même néces-
sité, qui avait fait chasser Charles X, avait forcé le gou-
vernement d'emprisonner la duchesse de Berry , et le con-
traignait aussi à ne pas la mettre en jugement, de peur de
compromettre la tranquillité publique. La qualification d'in-
scnsce que le ministre donna à la duchesse de Ben7 fut ini-
prouvée des carlistes. Peut-être eùt-il été de meilleur goût
de s'abstenir de cette épithète, comme aussi de dire de la
nièce de Louis-Philippe qu'elle n'était plus Française. Le
pouvoir prévoyait-il dès lors l'incident qui devait faire perdrÉ
légalement cette qualité à la duchesse? M. Thiers, qui parla
ensuite, établit qu'il faudrait échelonner plus de quatre-vingt
mille hommes autour du lieu où l'on inocèderait au juge-
ment de la princesse. Le résultat de la discussion fut l'ordre
du jour, que M. Dupin, président, ne mit pas aux vois
sans expliquer que cette décision laisserait au ministère toute
la responsabilité de l'ordonnance du 8 novembre et des dis-
positions qui l'avaient suivie. 11 n'en demandait pas davan-
tage. Toutes les mesures furent prises i)our indiquer que W
détention de la duchesse n'était pas près définir.
Des bruits de grossesse commençaient cependant à se i
pandrc, et les journaux dévoués au pouvoir étaient les pre-
miers aies consigner. Les feuilles légitimistes ne manquèrent
pas de repousser ces rumeurs comme d'infâmes calomnies.
Le pouvoir parut insensible à tontes ces provocations. Et,
en effet , qu'aurait-il pu répondre ? Comme il tenait au se-
cret la duchesse , et qu'assurément les royalistes n'avaient
pas provoqué ces bruits, de qui pouvaient-ils venir, si ce
n'est des agents du gouvernement? Bientôt deux médecins,
MM. Orfila et Auvity , furent envoyés à Blaye le 23 janvier
1833. Rien d'officiel ne fut publié sur le motif de leur mis-
sion; mais l'insignifiance même de leur rapport, qui parut
enfin dans le Moniteur, donna plus de consistance aux soup-
çons fâcheux qui planaient sur la princesse , tout en accu-
sant encore mieux la marche tortueuse du pouvoir.
Pourtant les royalistes ne se lassaient pas de protester
contre la détention de la duchesse. Ici se placent les inutiles
démarches de MM. Desèze, Hennequin et Cliateaubriand
pour parvenir auprès d'elle. Depuis son arrestation à Nan-
tes, elle avait été séparée de M"* de Kersabiec et de M. de
Ménars , qui alors était captif et traduit devant la cour
d'assises de Montbrison. A la fin de décembre 1832, ma-
dame d'Hautefort vint s'enfermer avec elle. Un peu plus
tard, il fut permis à M. de Brissacde partager sa captivité.
Cependant le colonel Chousserie, qui commandait à Blaye,
eut pour successeur le général Bu g eau d. Celui-ci prit pos-
session de son poste le 3 janvier 1833.
Le moment était arrivé où la captive de Blaye ne pou-
vait plus jeter aucun voile sur son état de gi-ossesse. Si le
pouvoir cOt voulu sauver le scandale , c'eût été l'instant de
la rendre à la liberté pour qu'elle allât sur une terre étran-
gère accomplir une destinée qui ne pouvait plus inquiéter,
ni môme politiquement intéresser la France. Ce fut au con-
traire le moment clioisi pour river les fers de la captive.
Dès lors la duchesse put entrevoir l'abime sans fond où son
imprudence l'avait précipitée. Elle, qui avait entrepris une
conspiration contre son oncle avec cette même fougue de
jeune femme qui l'aurait jetée dans une partie de plaisir, se
vit enveloppée dans les filets d'une conspiration impitoyable
contre son existence comme princesse et contre sa réputa-
tion comme femme. Dans cette extrémité, elle fit la décla-
ration suivante, qui fut insérée au Moniteur : « Pressée par
les circonstances et par les mesures ordonnées par le gou-
vernement , quoique j'eusse les motifs les plus graves pour
tenir mon mariage secret, je crois devoir à moi-même ainsi
qu'à mes enfants de déclarer m'être ma.riée secrètement
pendant mon séjour en Italie. De la citadelle de Blaye, le 22
février 1833. Marie-Caroline. »
Le gouvernement s'empressa de faire déposer cette dé-
claration à la chancellerie , dans la même pensée sans doute
qui lui avait fait enregistrer les abdications de Charles X et
de son fils. Le parti légitimiste fit tous ses efforts pour in-
firmer cette déclaration ; il fit valoir la position de la du-
chesse, privée de tout conseil, de toute communication. Et
sous le rapport des convenances de moralité, de famille
et d'humanité , combien les organes de toutes les opposi-
tions n'avaient-ils pas beau jeu ! C'est une triste tâche pour
un gouvernement , disait-on , que celle de proclamer offi-
ciellement la faiblesse d'une femme. Il y a longtemps qu'il
devait avoir le soupçon de ce que sa captive voulait ca-
cher ; il ne l'a donc retenue que pour amener l'éclat scan-
daleux qui occupe toute l'Europe et consterne toutes las
royales maisons. Or, quelle famille un peu honnête ne se
(lit pas imposé le devoir d'étouffer la publicité officielle-
ment donnée à une déclaration telle que celle de la du-
chesse de Berry ? Que de protestations légitimistes parurent
encore , surtout au moment où le gouvernement fit partir
pour Blaye une nouvelle commission de médecins, com-
posée de MM. Orfila, Auvity, Fouquier, Andral! Malheu-
reusement la présence à Blaye cle M. Deneux , accoucheur
ordinaiie de la princesse, était de notoriété publique, et
BERRY 75
infirmait ces dénégations qu'une crédulité vertueuse arra-
chait à des hommes tels que MM. de Kergorlay , de Floirac,
de Ménars, etc. Chateaubriand, qui venait d'être acquitté
avec éclat sur le fait de la publication d'une brochure in-
titulée : De la captivité de la duchesse de Berry, fut de-
mandé par la princesse comme conseil. Le ministère lui
refusa l'autorisation d'aller à Blaye , ainsi qu'à MM. de
Kergorlay et Hennequin, dont elle réclamait également l'as-
sistance. Le gouvernement agit à peu près de même à l'égard
de M. Bavez et des amis qu'elle avait à Bordeaux. Cepen-
dant la Chambre des Députés restait muette. Vainement,
le 27 mars , à propos de je ne sais quel incident, un député
patriote, à qui plus tard l'indignation lit donner sa démis-
sion , réclama au nom de la Charte contre la détention ar-
bitraire de la duchesse de Berry : la voix de M. ïhouvenel
fut étouffée par les murmures de la majorité. Le moment
prévu, espéré, ménagé par les geôliers arriva enfin; et le
procès-verbal d'accouchement, daté du 10 mai 1833, trois
heures et demie du matin , fut dressé avec toutes les pré-
cautions susceptibles de donner un caractère d'authenticité
à cette scène, qui terminait par un dénoùment si bour-
geois le roman de la régente de France.
L'homme de cette grande journée , M. Bugeaud, avait
convié à l'accouchement toutes les autorités constituées de
Blaye , depuis le sous-préfet jusqu'au curé. Étaient aussi
présents le célèbre Dubois , ex-doyen de la Faculté de mé-
decine , qu'on avait envoyé de Paris , et M. Olivier I)u-
fresne , commissaire civil du gouvernement à la citadelle.
Tous ces témoins , introduits dans la cliauibre de la du-
chesse, la trouvèrent couchée, ayant un enfant nouveau-
né à sa gauche. Le président Pastoureau, pour constater
l'identité de la princesse, lui adressa des questions aux-
quelles elle répondit avec beaucoup de calme. Interrogée
si l'enfant était d'elle, et de quel sexe : « Oui, monsieur,
dit-elle, cet enfant est de moi. Il est du sexe féminin. J'ai
d'ailleurs chargé M. Deneux d'en faire la déclaration. »
Et ce docteur fit la déclaration suivante : « Je viens d'ac-
coucher M"* la duchesse de Berry, ici présente, épouse,
en légitime mariage, du comte Hector Lucchesi - Palli ,
des princes de Campo-Franco , gentil-homme de la chambre
du roi des Deux-Siciles , domicilié à Palerme. » Invités par
le général Bugeaud à signer le procès-verbal des faits dont
ils avaient été témoins, M. le comte de Brissac et M™* la
comtesse d'Hautefort répondirent qu'ils étaient venus pour
donner leurs soins à la duchesse , et non pour signer un
acte quelconque. Le Moniteur, dans lequel on ne manqua
pas d'insérer cette pièce, contenait encore l'acte de nais-
sance de l'enfant, à laquelle furent donnés les noms ù' Anne-
Marie-Amélie : il était signé par les mêmes témoins , et en
outre par le maire , le juge de paix de Blaye, et un officier
d'ordonnance du général Bugeaud. Ces actes ne produisirent
pas un meilleur effet que la précédente déclaration, et à cer-
tains égards le public impartial adopta les opinions des jour-
naux les plus trancliés dans les deux couleurs. M. Battur,
avocat, lança une plainte pow/- cattse de présomption légale
de supposition d'enfant commise par les ministres et les
agents du gouvernement envers madame la duchesse de
Berry. MM. de Kergorlay, de Floirac, de Conny, etc., signè-
rent ce mémoire. « L'acte est nul et sans autorité, disaient-
ils, puisqu'il ne parle ni de la signature de Madame ni de celle
de ses amis. « M. Guibourg, dans une lettre du 12 mai , dé-
clara « qu'il n'avait jamais été à Massa, qu'il était en prison
le 13 août, qu'il n''a\a\tyu Madame qu'a la lia d'octobre 1832 ;
enfin, qu'il était, comme tous les autres, condamné à ne
porter aucune lumière sur le cruel mystère de Blaye. »
En cette occasion , les journaux libéraux furent décents
et dignes en parlant de la duchesse de Berry; les conve-
nances ne furent méconnues à son égard que dans les feuilles
qui sympathisaient le plus avec le pouvoir. Alors aussi la
police laissait diaiiter d'infilracs couplets dont la citatioa
10.
76
BERRY — BERRYER
ne salira point ces pages. Madame de Berry trouva encore
dans cette occasion M. de Kergorlay pour défenseur. Déjà,
dans deux lettres, adressées le 19 avril et le 8 mai à M. le
ministre de la guerre, président du conseil, il avait an-
noncé que la supposition d'enfant allait se commettre à l'é-
gard de la duciiesse de Berry. Les procès-verbaux du 10 mai,
loin d'ébranler la foi de cet intrépide cbampion de la
royauté déchue, n'avaient fait que rendre plus profonde une
indignation que nous concevons parfaitement, sans par-
tager ses convictions. Dans une troisième lettre, adressée
le 18 mai au président du conseil, M. de Kergorlay lui réi-
térait au nom de la loi, qui protège les prisonniers contre la
séquestration et la calomnie , la réclamation de l'ordre né-
cessaire pour que la personne de la duchesse de Berry lui
fût représentée par son geôlier. Pour toute réponse à cette
lettre, le pouvoir ordonna des poursuites judiciaires contre
les journaux qui l'avaient insérée. Cependant , puisque la
naissance d'une fille et la déclaration forcée d'un mariage
avec M. Lucchesi-Palli avaient couronné les menées les plus
machiavéliques, le gouvernement n'avait aucun intérêt à
garder plus longtemps sa prisonnière.
Enfin, le 8 juin 1833 Louis-Philippe ordonna la mise en
liberté de sa nièce. Ce jour-là, elle s'embarqua sur l'Agathe,
accompagnée de M. de Ménirs, qui était venu la retrouver,
et fit voile vers Palerme. Le surlendemain , une discu>sion
des plus vives s'éleva au sein de la cliamhre des déi.iilés sur
la conduite arbitraire du pouvoir dans toute cette affaire :
la position des ministres était assez embarrassante. Ces
hautes convenances auxquelles, avaient-ils dit dans la
séance du 5 janvier, ils croyaient devoir sacrifier les prin-
cipes les plus sacrés de la constitution , pouvaient-ils les in-
voquer, puisqu'ils les avaient violées depuis pour rendre la
duchesse de Berry victime de la plus inexorable publi-
cité? Après avoir professé pour les membres des familles
royales un respect tel qu'on avait craint de commettre leur
dignité en la plaçant sous la sauvegarde de la justice com-
mune , ce respect n'aurait-il pas dû étendre à la vie privée
de la duchesse de Berry la protection acquise à tous les
membres de la société? Dans cette circonstance, M. Thiers,
laissant ses collègues chercher des excuses ou des sophis-
mes plus ou moins humbles, sut prendre une position toute
nouvelle : « On nous accuse, s'écria-t-il, de nous èti-e mis
au-dessus delà loi commune : j'en conviens. L'arrestation,
la détention , la mise en liberté , tout a été illégal. Où est
donc l'excuse de notre conduite? elle est dans la franchise de
notre conduite. » La majorité trouva de bon aloi cette dé-
fense inattendue : elle permit d'invoquer leur franchise à
ceux-là qui, dans toute cette affaire, avaient marché de
stratagème en stratagème. Le président, effraye de ces as-
sertions , ferma la discussion de son autorité privée.
Les amis des libertés publiques écrivirent le lendemain
dans tous leurs journaux : plus de constitulion ! Et en
voyant le vaisseau emporter vers Palerme la duchesse de
Beri-y, venue en France pour conquérir un royaume, et qui
n'en rapportait que le nom de Lucchesi-Palli , ses partisans
avaient pu aussi s'écrier : plus de royauté! Quant à nous,
nous ne pensons pas que l'histoire attache un jour une
telle importance à toutes les mystifications de Blaye, et
qu'elle y voie autre chose qu'une affaire de fainille.
Ch. Du Rozoïn.
Pendant que ces événements se passaient, le vieux roi
Charles X et le dauphin gémissaient dans un coin de la Bo-
hème, et détachaient de plus en plus le dernier rejeton de
leur race de l'influence de la duchesse. Celle-ci fut long-
temps à se faire pardonner son escapade; et lorsque le duc
(le Bordeaux approcha du jour de sa majorité, un ordre au-
trichien empêcha sa mère d'aller à Prague. Cependant cet
état de choses ne pouvait durer. Un rapprochement dut avoir
lieu. L'ex-duchesse put venir près de son roi avec son nou-
veau mari, mais elle dut renoncer à toute influence pohtique.
Elle était bien vraiment devenue une étrangère à la cour de
Frohsdorf. Elle aussi, elle avait voulu rompre avec les vieux
errements de la monarchie ; Chateaubriand était son conseil,
son confident , on pourrait dire son ministre. Elle espérait
qu'un jour encore la France voudrait voir fleurir ses libertés
à l'ombre des lis , et elle désirait pousser son fils dans des
voies nouvelles; mais elle n'avait aucune autorité sur ce fils,
qui passa des mains du vieux roi à celles du pauvre daur
phin, et enfin à celles de la dauphine, qu'il regardait comme
sa véritable mère. La mort lui a enlevé aujourd'hui tous ses
tuteurs, et le jeune prince peut être enfin lui-même. Cepen-
dant la duchesse de Berry a vu marier ses deux enfants de
France : sa fille épousa, le 10 novembre 1845, Ferdinand-
Charles, prince héréditaire de Lucques, aujourd'hui duc de
Parme; le duc de Bordeaux épousa le 7 novembre 1346
Marie-Thérèse de Modène , plus âgée que lui de trois ans.
Madame de Berry a eu plusieurs filles depuis son second
mariage. Le duc de Bordeaux n'a pas d'enfants; mais sa
sœur paraît avoir hérité de la fécondité de sa mère : elle a
déjà donné le jour à quatre enfants : deux fils et deux filles.
BERRYAT SAIi\T-PRïX (Jacques), néà Grenoble,
en 17C9, mort à Paris, le 4 octobre 1845, était doyen de la Fa-
culté de Droit, où il occupait depuis 1819 la chaire de pro-
cédure civile et criminelle, dans laquelle il avait succédé à
Pigeau ; il avait rempli les mêmes fonctions depuis 1803 a la
Facultéde Grenoble. Précédemment, après avoir fait son cours
complet de droit dans sa ville natale, il y avait étudié les
sciences natureUes et médicales. Gradué en 1787, défenseur
officieux au tribunal du district de Grenoble de 1791 à 1795,
chef des bureaux du clergé et des contributions dans le même
district; archiviste du département de l'Isère, adjoint aux
commissaires des guerres à la suite d'un concours ; capitaine
commandant une des compagnies franches levées lors de
l'invasion de la Maurienne et de la ïarentaise par une ar-
mée piémontaise pendant le siège de Lyon , quartier-maître
trésoiier du dixième bataillon des volontaires de l'Isère;
élève de la grande École normale de Paris; administrateur
du district de Lyon, professeur de législation à l'École cen-
trale de la même ville, il passait à juste titre pour un de nos
plus laborieux et de nos plus féconds jurisconsultes, et en
môme temps pour un de nos bons littérateurs. 11 était de-
puis longtemps membre de la Société royale des Antiquaires
de France , aux séances de laquelle il se montrait des plus
assidus , quand un siège vint à vaquer à l'Institut (Aca-
démie des Sciences morales et politiques). Il se mit sur les
rangs, et l'obtint, le 25 janvier 1840.
Travailleur infatigable, Berryat-Saint-Prix avait toujours
rempli à l'École de Droit, avec la plus scrupuleuse exactitude,
les devoirs, souvent pénibles, du professorat ; ce qui ne l'avait
point empêché de publier un grand nombre d'ouvrages fort
estimés, qui ont été traduits dans plusieurs langues. Les étu-
diants, dans leur gratitude, respectaient en lui le professeur
zélé, l'ami sincère, le père indulgent.
Le Cours de Procédure civile de Berryat Saint-Prix, qui
depuis longtemps fait autorite dans cette matière, a paru
pour la première fois en 1808. Cet ouvrage vraiment clas-
sique a eu depuis de nombreuses éditions, que l'auteur a tou-
jours enrichies de notes et de dissertations nouvelles , fruits
de ses études et de ses recherches. Citons encore de lui son
Cours de Droit criminel (quatrième édition, 1824), ses
Observations sur le Divorce et l'Adoption, et sur l'usage
ou l'abus qu'en faisaient les grandes familles de Home,
et surto2it les Césars ( 18.3:5).
On lui doit en outre d'excellentes dissertations sur dif-
férents sujets , et une édition des Œuvres de Boileau, qui
contient des lecberches précieuses sur la vie, la famille et
les ouvrages du célèbre satirique.
BERRYER (PiEnRE-NicoLAs), l'une des notabilités du
barreau <lc Paris, né à Sainte-Mcneiiould, en 1757, fut reçu
avocat au parlement de Paris en 1780 , et a continué d(
BERRYER
77
TtHreà la cour royale jusqu'à sa mort, arrivée le 25 juin
1841. Aucun de ses confrères ne l'a surpassé dans la con-
naissance et la discussion des affaires commerciales ; aussi
était-il l'avocat des principaux banquiers et négociants. Sous
le régime impérial, il plaida longtemps au conseil des prises;
mais il ne laissa pas de se distinguer dans des causes fameuses,
tant civiles que criminelles. Il défendit le maire d'Anvers ,
qui, accusé de malversations, avait été traduit devant la
cour d'assises de Bruxelles , et il ne succomba que parce
qu'il avait à lutter contre le gouvernement impérial.
Chargé, en 1815, de la défense du maréchal Ney devant
la Cour des Pairs, et dignement assisté par M. Dupin aîné,
son confrère , qui avait rédigé le premier mémoire , il af-
faiblit peut-être, par trop de considérations subalternes,
l'intérêt qui s'attachait à son client ; mais ce qui nuisit le
plus au succès de sa cause, c'est qu'il fut forcé d'abandon-
ner l'examen des questions politiques qui s'y liaient, tandis
que son adversaire, le procureur général Bellart, avait toute
latitude. Le deuxième mémoire publié par Berryer dans ce
procès, sous le titre à' Effet de la convention militaire du
:■> juillet et du traité du 20 novembre 1815, se distingue
par l'érudition et la force de la dialectique. On a prétendu
qu'après l'arrêt de condamnation , Berryer avait dit , en
I)ariant de cette affaire , que le linge était trop sale pour
(ju'onpût le blanchir ; mais ce propos a été démenti.
Berryer soutint contre la duchesse de Montebello et ses
enfants les prétentions d'un fils aîné du maréchal Lannes,
issu d'un premier lit. En 1816 il plaida et gagna la cause
de Fauche-Borel contre Perlet, ancien agent de police et
journaliste, dont il dévoila la conduite perfide et atroce.
Berryer était chevalier de la Légion-d'Honneur, et il était
autorisé à porter la croix de Malte , pour avoir défendu les
intérêts de cet ordre. Outre l'article Lettres de change,
qu'il a donné dans Y Encyclopédie moderne, on a de lui :
1° Dissertation générale sur le commerce, son état actuel
en France , et sa législation , servant d'introduction à un
Traité complet de Droit commercial de terre et de mer,
tel qu'il est observé en France et dans les pays étrangers
( Paris, 1829, in-8°). 11 n'a pam que cette introduction, et
le prospectus de l'ouvrase. 2° Allocution d'un vieil ami de
la liberté à la jeune France , suivie d'une notice sur la
vie, politique de l'auteur et de ses premiers écrits sur les
journées de juillet (Paris, 1830 , in-S"). H. Aldiffret.
En 1838, Berryer père fit paraître ses Souvenirs; c'est un
livre curieux, où d'importants points d'histoire sont éclair-
cis. « Chose remarquable, a dit un critique, en s'efforçant
pendant toute sa carrière de ne pas se mêler de politique,
M. Berryer fut presque toute sa vie en opposition avec le
pouvoir. Pendant la Terreur, il dispute aux bourreaux quel-
ques-unes de leurs victimes ; en 17'J3, il s'élève avec succès
contre la prétention d'assujettir sa profession à l'impôt de
la patente. Opposé à la Convention et au Directoire par ses
luttes perpétuelles en faveur des neutres , appelé plus tard
à l'honneur de servir de conseil au général Moreau, le vote
de l'ordre des avocats n'était pas fait pour le remettre bien
en cour. Enfin la défense de quelques généraux tombés dans
la disgrâcede Bonaparte et un procès contre M. de Bourienne
n'avaient été que le prélude d'une lutte presque personnelle
contre la volonté de fer du grand homme lui-même. Il s'y
trouva encore plus engagé par la défense du maire d'Anvers,
accusé de péculat dans la manutention des deniers de l'oc-
troi de cette ville. Il semblait que dans sa position M. Ber-
ryer ne pouvait que gagnera un changement de gouver-
nement; mais la défense du maréchal Ney le brouilla encore
sous ce régime avec le procureur général, qui, aux termes
du décret du 14 décembre 1810, devait cornposer lui-même
le conseil de discipline, dont les membres pouvaient seuls
prétendre à l'honneur de devenir bâtonniers de l'ordre.
M. Berryer fut consolé de cette disgrâce «ar le vote persé-
vérant de ses confrères , qui pendant plusieurs années se
porta sur lui à une immense majorité. Rien n'a donc manqué
à ceftte longue , honorable et périlleuse carrière. Un philo-
sophe de l'antiquité a dit qu'un homme avait largement
rempli tous ses devoirs sur la terre lorsque le ciel lui avait
accordé de construire une maison, de faire un bon livre, et
d'avoir un fils digne de lui. Il semble qu'un si vénérable
auteur, qu'un si heureux père a pu, en toute sûreté de cons-
cience , se dispenser de la maison. »
Outre le célèbre avocat à qui nous allons consacrer un
article particulier, Berryer père a laissé deux autres fils :
l'un, Ludovic Bejuiyer , est un juriste distingué; l'autre,
ffippolyte-Nicolas Berryer , récemment nommé général
de brigade, commandeur de la Légion d'Honneur, comman-
dant le département des Ardennes,aété longtemps à la tête
du l'^"' de hussards. Il se fit remarquer lors de l'attentat de
Lecomte, par la vigueur qu'il mit à poursuivre l'assassin.
BERRYER (Pierre-Antoine), fils du précédent , né à
Paris, le 4 janvier 1790 , suivit la carrière de son père, qui
lui inspira les sentiments hostiles dont il était pénétré lui-
même contre le gouvernement impérial. Aussi en 1815
M. Berryer fut-il des premiers à s'engager parmi les volon-
taires royaux, et ce premier acte d'une jeunesse ardente n'a
pas été sans influence sur la destinée politique de ce
grand orateur. A quelques nuances qu'elles appartiennent ,
les intelligences élevées répugnent toujours à changer de
drapeau . Malgré ce témoignage de dévouement à la Res-
tauration , ou peut-être à cause même de ce témoignage ,
M. Berryer fut adjoint à son père et à M. Dupin aîné dans la
défense du maréchal Ne^. Bientôt après , en 1816 , il fut
chargé tout seul de défendre les généraux Cambronne et De-
belle devant le conseil de guerre de la 1" division. La sus-
ceptibilité ombrageuse des vainqueurs rendait la position des
vaincus très-difficile. La réaction était encore furieuse, l'o-
pinion publique abattue, la presse libérale timide et dé-
fiante , les partis implacables , et le tribunal exceptionnel.
Le jeune avocat sut, en cette occasion , oublier ses opinions
privées pour s'identifier avec ses clients. Son plaidoyer pour
Cambronne promit tout le talent que M. Berryer a depuis
réalisé : il dédaigna de se couvrir lui-même sous des ré-
sei-ves compromettantes pour sa cause. Il soutint hardiment
que le général avait dû son obéissance au gouvernement
de fait ; il rappela, d'ailleurs, que le traité de Fontainebleau
avait conservé le titre et les droits de souverain à l'em-
pereur; et il fallait tout l'aveuglement de la haine pour
ne pas comprendre la fidélité, quand l'homme qui la de-
mandait s'appelait Napoléon , et que le soldat était Cam-
bronne. On faisait donc un procès de haute trahison à celui-ci,
parce qu'il n'avait pas abondonné sur le champ de bataille
de Waterloo le souverain qu'il avait suivi à l'île d'Elbe ?
M. Berryer fit valoir toutes ces circonstances dans un
plaidoyer où la puissance de la dialectique était relevée sous
les formes d'un langage vigoureux et facile , abondant et
passionné , plein de cette éloquence communicative qui a
pour elle les harmonies de l'intonation, le feu du regard et
la chaleur du sang. Le succès le plus complet couronna ces
efforts : Cambronne fut acquitté. Mais les doctrines soute-
nues par le défenseur parurent fort scandaleuses à M. Bel-
lart, l'accusateur public. Il avait fait ses réserves contre ce
prêche de sédition du jeune orateur, et il le cita devant le
conseil de discipline. On peut croire que c'était seulement un
moyen d'intimidation dirigé habilement contre M. Berryer,
pour frapper le reste du barreau. Dès qu'il fut à la barre,
le ministère public se souvint qu'il avait affaire à un vo-
lontaire royal, à un jeune homme dont le talent pouvait être
fort utile à son parti; le réquisitoire fut indulgent et pater-
nel , et l'avocat de Cambronne en fut quitte pour un simple
avertissement.
Dès ce moment , M. Berryer fils s'était classé au barreau
de Paris parmi les avocats auxquels s'ouvraient les plus
brillantes perspectives. Il plaida pendant douze ans dans des
78
BERRYER
causes où la publicité augmenta sa renommée; il figura plus
d'une fois comme défrnseur de la presse royaliste , et l'éclat
de son talent y gagna plus, peut-être, que l'énergie de son
caractère ; car il y eut des circonstances où ses plaidoyers
furent suivis pour lui de plus d'un grave désagrément. Entre
toutes ces affaires, dont le temps a presque effacé le sou-
venir, il en est une qui a laissé des traces plus profondes,
et dont l'opinion publique fut vivement préoccupée. Nous
étions en plein règne des jésuites , lorsque le journal mi-
nistériel V Étoile , intrépide champion du ministère Villèle,
publia un article où la mémoire de La Chalotais était
indignement outragée. Les héritiers de ce nom illustre in-
tentèrent au journal un procès en diffamation , et l'un des
membres de cette famille prit pour avocat M. Berryer, que
des liens trop étroits unissaient à la feuille accusée. Celui-ci
ne fit pas cette fois ce qui l'avait tant honoré dans le
procès de Cambronne. L'homme de parti prévalut sur l'a-
vocat : aurlieu d'employer au sen ice de sa cause ses brillants
accents et cette vivacité hardie de logique qui lui était si
Jamilière, il se montra cauteleux, souple, plein d'égards
pour son adversaire , et il semblait moins rechercher la pu-
nition que demander la grâce du calomniateur. Cette con-
duite lui attira de légitimes sévérités : les fonctions de l'a-
vocat sont libres , et M. Berryer devait refuser une cause
dans laquelle il ne se sentait pas à l'aise. Mais accepter de
plaider contre les jésuites et parler pour eux , se charger de
poursuivre un journal et prendre en quelque sorte sa dé-
fense, c'était un rôle peu honorable, et qui jeta sur la per-
sonne de iM. Beriyer une certaine défaveur.
Jusque alors, quoique bien connu pour ses opinions légiti-
mistes, quoique renommé au barreau de Paris pour la rare
distinction de son talent, il n'avait cependant pas encore
été employé par son parti comme un de ces hommes dé-
voués et sûrs, auxquels on veut donner leur part d'in-
fluence, d'honneurs et de pouvoir. Supérieur de plusieurs
coudées , et par l'intelligence et par tous les dons extérieurs
au moyen desquels elle se manifeste, à la plupart de ces
hommes de mince taille et de mince étoffe qui arrivaient
aux affaires, M. Berryer voyait passer devant lui et monter
les degrés du pouvoir jusqu'au sommet de l'échelle une foule
d'avocats bretons ou gascons, protégés de prélats dévots,
favoris des marquises de Pretintaille, esprits courts et cœurs
plats, race sournoise et médiocre, dont la congrégation dé-
posait l'œuf dans les ministères, dans la diplomatie ou dans
les Chambres, pour le faireécloreàlachaleurdu confessionnal
et sous le miel du budget. M. Berryer ne fut pas du nombre
de ces privilégiés de sacristie. Plébéien et Parisien, ces deux
qualités originelles étaient également répulsives pour la ca-
farderie dominante. Ami des arts , curieux de gloire, il avait
de l'aristocratie les goûts sensuels et mondains; mais son
esprit, trempé d'humeur gauloise et de sève nationale, mé-
prisait la morgue des grands et l'insolence des parvenus.
Son éloquence spontanée, brûlante, n'était pas non plus un
de ces instruments que la main des dévots pût ployer à son
gré; génie llùneur, il attendait son moment, ne s'enflammait
que d'inspiration, et l'inspiration ne venait que lorsqu'il
était ému par quelque sentiment élevé, grandiose, cheva-
leresque. Tout cela pouvait en faire un homme puissant pour
ses convictions, mais fort peu utile pour des passions qu'il
ne partageait pas. La congrégation le comprit, et le laissait à
l'écart.
Cependant le moment vint où le duel se posa nettement
entre l'autorité royale et la puissance populaire. Le cabinet
Polignac en avait dit le dernier mot, et le roi de France ne
devait pas rendre son épée. Les dernières élections de 1830
amenèrent M. Berryer à la Chambre, où il prit hardiment
|)arti pour les descendants avoilés de Louis XIV. Il pro-
nonça plus d'un discours dans lu discussion de la fameuse
adresse des 2?.t , qui eut lieu, comme c'était d'usage alors,
en couu'lé secrcî; ol ceux qui l'entendirent reconnurent
aussitôt que la tribune venait de conquérir un de ses plus
grands , sinon son plus grand orateur. Quelques mois après, ■
la rencontre avait eu lieu; trois jours y suffirent; le peu-
ple sut arracher à Charles X l'épée qu'il ne devait pas ren-
dre, et la remplaça par un bâton de voyage sur lequel le
vieillard put s'appuyer pour conduire à l'exil tout ce qui res-
tait de la brancîie aînée des Bourbons.
Au moment donc où M. Berryer mettait le pied dans la
grande arène politique , il voyait s'éloigner et disparaître les
espérances prochaines qid se montraient la veille même à
sa légitime ambition. Homme d'épée, il aurait sans doute
brisé la sienne sur les débris du trône; homme de cour et
d'intimité, il aurait cru devoir suivre sur la terre étrangère
ces trois générations de rois; mais la parole était son
arme, il en avait éprouvé la force, il en calculait la puis-
sance, et il ne l'avait pas compromise et avilie à d'indignes
services. Aussi , pendant que le parti , si puissant naguère ,
se débandait de toutes parts, tandis que les autres députés
donnaient leur démission, que la pairie décimée abandon-
nait jusqu'à ses bagages dans la déroute, M. Berryer resta
seul au milieu des vainqueurs, il y resta pour représenter la
défaite , expliquant sa présence par quelques paroles aussi
honorables pour la générosité du peuple que pour la dignité
du vaincu, abaissant son drapeau, ne le reniant point, et
proclamant dès le premier jour qu'au-dessus de tous les
gouvernants, au-dessus de toutes les affections personnelles,
il y a toujours une nation , une patrie, à laquelle tous les ci-
toyens doivent leur premier culte et leur suprême dévoue-
ment. M. Berryer assista donc à la révision de la Charte
de 1814 ; il y intervint plus d'une fois, et ne négligea même
aucune occasion de ménager pour l'avenir de larges issues à
ses principes. Il faut bien le reconnaître avec sincérité, il
rencontrait à côté de lui des s}Tnpathies secrètes qui l'en-
courageaient ; et quand seul il avait parlé , plus d'un mem-
bre de cette assemblée usurpatrice, composée de deux cent
dix-neuf membres, le cherchait dans les couloirs et dans
quelque coin obscur, lui serrait la main et lui disait en sou-
pirant : « Mon cœur est avec vous ».
Tout était doute encore en ce moment : le peuple gron-
dait toujours ; on croyait que la Sainte-Alliance n'abandon-
uei'ait pas ses amis ; le double lléau de l'anarchie et de la
guerre étrangère menaçait à la fois et venait agiter les trem-
bleurs, troubler les prudents et rendre toute position ex-
trême fort difficile. Celle de M. Berryer ne s'améliora point
dans l'année qui suivit celle-ci. Il ne pouvait se faire illusion
lui-même sur les antipathies profondes et générales que ren-
contraient et les hommes et les choses auxquelles il gardait
sa fidélité. De plus, à mesure que le nouveau régime se for-
tifiait, ses courtisans reprenaient courage. Mais déjà la di-
vision était parmi les vainqueurs; on rejetait comme des
conseillers importuns Lafayette, Laffitte, Dupont ( de l'Eure ) ;
le cabinet du 1^*^ mars, inaugurant la réaction, abandonnait
l'Italie, la Pologne, l'Espagne; on proclamait la quasi-légi-
timité, on se faisait accepter de l'Europe à prix d'honneur;
on mendiait la paix genou en terre; on traquait la presse
avec fureur; on réprimait avec violence toutes les mani-
festations populaires. C'était plus qu'il n'en fallait pour of-
frir à M. Berryer des occasions magnifiques d'attaquer ce
que Juillet avait produit. Aussi ne négligea-t-il aucune cir-
constance pour demander si l'on avait fait une révolution de
palais ou une révolution de principes; si la souveraineté du
peuple était une de ces fictions redoutables qu'on invoque
un jour de crise, et que l'on se hâte de replon«:er dans les
abîmes dès qu'elle a donné leur pâture aux ambitieux.
Profitant habilement de sa solitude, séparé tout à la fois du
pouvoir et de l'opposition , courant sur le flanc de ces deux
armées, guettant toutes les fautes, il n'entrait dans la mê-
lée que lorsqu'il voyait un moment propice pour faire tour-
ner le débat à l'avantage de ses opinions. Lorscjue Casimir
Périer venait réclamer au nom le l'ordre pid^lic des me-
i
BERRYER
n:ies sévères : » L'ordre! s'écriait l'orateur, vous con-
" >ient-il de l'invoquer? Vous en avez sapé la base, vous
n avez déchaîné l'anarclùe; le principe vous presse, il faut
« en subir les conséquences. » Et si l'opposition voulait à
son tour appliquer à nos lois , à nos mœurs , à notre état
social, quelques-unes de ces améliorations que commandaient
ou la politique, ou les conditions civiles, ou les besoins
moraux, la suppression de l'anniversaire du 21 jaaivier, le
bannissement perpétuel des Bourbons, le divorce, le ma-
liage des prêtres, M. Berryer se levait aussitôt, et deman-
dait avec douleur si l'on voulait anéantir toutes les traditions,
absoudre tous les crimes, rompre tous les liens de la fa-
mille, jeter le schisme dans la religion, et réduire en pous-
sière tout ce qui restait des éléments sociaux les plus néces-
saires et les plus respectés.
Telle fut sa constante tactique dans les commencements
de la lutte. Le premier discours qui fonda pour tous les partis
sa puissance oratoire fut celui qu'il prononça dans la dis-
cussion de la pairie (5 octobre 1831). Le ministre Périer
avait déclaré lui-même qu'il cédait à contre-cœur au vœu
populaire en détruisant l'hérédité. Quelques orateurs vinrent
la défendre dans des tissus d'inconséquences ; M. Berryw
seul était à l'aise dans cette question. Le respect de l'héré-
dité était l'àme même de ses opinions politiques; il le dé-
veloppa dans un discours d'une liardiesse véhémente, avec
lequel il terrassa ce cabinet qui sapait une constitution en
l'adorant , et ses traits ne furent ni moins piquants ni moins
rudes contre cette pairie elle-même , qui se condamnait à
un rôle subalterne , sans crédit , sans autorité , sans indé-
pendance... Triste expiatiou des lâchetés qu'elle avait com-
mises, expiation à laquelle elle ne pouvait échapper qu'en
se retirant ! Cette vigoureuse sortie fut admirable : l'orateur
s'y était révélé tout entier avec son regard hautain , son
geste dominateur, cet organe incomparable dont les cordes
métalliques agitent ses fibres nerveuses , avec cette parole
qui brûlait ses lèvres et qui se répandait en flammes étiu-
celantes sur toute cette assemblée , qui n'était ni convaincue
ni persuadée, mais qui demeurait haletante, et qui se sen-
tait enchaînée d'admiration par ce fluide irrésistible de la
passion éloquente. M. Berryer eut tous les honneurs de
cette longue discussion , et désormais il était srtr de com-
mander le silence, car il avait pris son rang parmi les
princes de la parole.
Plus tard, il défendit avec le même succès M. de Chateau-
briand contre les attaques étourdies de M. Viennet ( 16 no-
vembre 1831); sa place était faite, son autorité établie ,
sa puissance redoutable et redoutée. Alors seulement il de-
vint pour son parti un homme considérable : seul il le re-
présentait, seul il pouvait faire croire encore à son exis-
tence en jetant sur lui le reflet d'un talent plein d'éclat.
Toutefois ce service ne suffisait plus. Une femme de cœur,
entreprenante et digne de commander à d'autres hommes ,
la duchesse de Berry, avait été bravement se jeter au mi-
lieu de quelques bandes de chouans, reste dégénéré de la
Vendée de 93 : les légitunistes s'étaient ranimés ; la cons-
piration de la rue des Prouvaires ayant échoué à Paris,
on en voulut agrandir les proportions, en changer le ter-
rain, et tenter la guerre civile. M. Berryer fut assurément
mis dans le secret de ces mouvements , et le public ignore
les conseils qu'il donna ; mais ce qu'on sait positivement ,
c'est qu'il se rendit de sa personne auprès de la duchesse de
Berry , et le pouvoir tracassier le fit arrêter et mettre en
jugement. Ce procès fut pour les accusateurs un sujet de
confusion , pour l'accusé un nouveau triomphe. Cette per-
sécution augmentait son autorité sur son parti , et dans la
session qui suivit son acquittement , M. Jollivet ayant voulu
transporter à la tribune ce débat qui avait été honteux pour
le ministère en cour d'assises , M. Berryer saisit du même
coup l'iutei'pellateur et ses patrons , et , après les avoir vi-
goureusement étreints sous sa serre, les envoya rouler meur-
79
tris et confus sur leurs bancs (28 novembre 1832, discussion
de l'adresse ). La tentative de guerre chile échoua d'abord
par la plus odieuse trahison. On apprit bientôt que la duchesse
de Berry était arrêtée ; ce n'était pas assez : on annonça plus
tard qu'elle était enceinte ; la fortune se plaisait à frapper ses
coups les plus impitoyables sur la race déchue. M. Berryer
fit pourtant tête à l'orage : des pétitionnaires demandaient
la liberté de la princesse ; d'autres réclamaieiit sa mise en
jugement : discussions passionnées , irritantes, au milieu
desquelles l'orateur déploya toujours la môme puissance de
talent. Mais la vengeance du pouvoir fut complète : il ar-
racha la déclaration de sa grossesse à la captive, et la fit
accoucher en prison , au milieu d'une surveillance dégoû-
tante, à laquelle présidait le général Bugeaud; puis il la
fit embarquer avec son enfant.
Le temps des luttes armées était fini : la réaction vic-
torieuse se donna carrière; l'attentat Fieschilui fournit
l'occasion de jet^r sur la France ce réseau de lois arbi-
traires , inconstitutionnelles , violentes, qui détruisaient et
le droit de discussion, et le droit d'association, et la consti-
tution du jury, et les promesses solennelles de la Charte.
C'est dans la session de 1835 que tout cet arsenal fut mis
au jour. L'opposition combattit vigoureusement, et M. Ber-
ryer se joignit complètement à elle dans d'impuissants ef-
forts. Son discours sur la loi des associations ( 17 mars 1834 )
produisit un immense effet sur l'assemblée. Nous nous rap-
pelons encore avec quel accent il prononça ces paroles au
milieu d'une violente agitation ; il répondait à une llasque
déclamation de M. Barthe :
« M. le ministre nous a dit que le gouvernement de la
« Restauration était odieux et repoussé parce qu'il avait été
« imposé par l'étranger
Voix nombreuses. Oui ! oui !
M. Beurïer. « Et qu'il était pour la France le triste fruit
« des désastres de Waterloo.
Ati centre avec force : « Oui! oui!
IST. Berryer s'arrête un instant, et dirigeant sa main du
côté même où devait figurer le portrait du roi , il s'écrie ;
n Eh bien ! je demanderai au ministre imprudent qui a ose
« tenir ce langage s'il a oublié les noms de ceux qui ne sont
« rentres en France qu'à la suite de l'étranger et en passant
« sur le champ de bataille de Waterloo! »
En achevant ces mots, le regard dédaigneux de l'orateur
s'arrêta sur M. Guizot, qui siégeait au banc des ministres.
Les centres demeurèrent anéantis. Puis revenant au carbo-
naro Barthe, et l'apostrophant lui-même, il s'écria d'une
voix terrible : « Punissez, monsieur, punissez quiconque a
« la bassesse, la lâcheté de s'enfermer dans des sociétés se-
« crêtes, pour y prêter des serments incendiaires contre son
« pays ! » Et comme M. Guizot avait dit qu'il ne connais-
sait rien de plus dégoûtant que le cynisme révolutionnaire,
M. Berryer lui répondit en s'écriant : Il y a quelque chose
de plus dégoûtant encore : c'est le cynisme des aposta-
sies!...
On ne pai-viendrait pas par des citations à donner l'idée
de l'effet foudroyant de cette parole : il faut voir l'orateur,
il faut l'entendre; car l'écriture ne saurait reproduire l'en-
semble de ces facultés qui sont harmonisées précisément
pour produire l'éloquence. Ceux mêmes qui la veille ont as-
sisté aux séances ne retrouvent plus dans les discours impri-
més que des cendres chaudes , ceux qui n'y assistent pas
n'ont guère que le minerai figé du volcan. Nous ne préten-
dons pas dans cette rapide esquisse apprécier le talent de
M. Berryer : cette œuvre est laite par un maître (t), et nous
n'avons voulu ici que rendre quelques-unes de nos impres-
sions. Ce qui est remarquable dans le talent de cet orateur,
c'est qu'il lui échappe pour ainsi dire à lui-même. H n'en
dispose ni quand il veut ni conune il veut ; l'instrument lui
(1) Voir te Livrtdes Orateurs parlementaires, par CBrmenia.
80
BERRYER
manque même les jours où il croyait l'avoir le mieux pré-
paré. C'est là ce que nous avons vu dans une occasion im-
portante, où la personne de M. Berryer et les intérêts de
son parti se trouvaient également en cause. 11 s'agissait du
voyage de Belgrave-Square, pieux pèlerinage que les
légitimistes avaient été faire auprès de leur prétendant.
Accusé par le ministère, objet d'une animosité violente,
menacé de se voir flétri lui et les siens dans un paragraphe
de l'adresse, M. Berryer n'eut point à son service cette
éloquence qu'il a fait admirer tant de fois. Ceci tient à
deux causes , que nous avons souvent observées en l'étu-
diant. L'une fondamentale, et qui touche à la source même
de toute inspiration : c'est que la première force de l'ora-
teur, c'est la vérité. Jeté par ses précédents, par ses illu-
sions, par une certaine tournure d'esprit chevaleresque, dans
les opinions légitimistes , M. Berryer n'en est pas moins pé-
nétré des besoins de la société nouvelle ; son intelligence en
a les idées , son âme en reçoit les aspirations ; et lorsqu'il
est forcé de se restreindre dans les intérêts du passé , il
s'embarrasse dans ses béquilles, il perd en hauteur comme
en largeur ; il doute de son action, parce qu'il sent le vide,
et, mécontent de lui-même, l'ai tiste se décourage et se traîne
au lieu de monter. L'autre cause tient à la nature toute spon-
tanée de cette parole qui jaillit comme l'eau vive du sein du
roc : c'est que J\L Berryer perd à se trop préparer. Impro-
visateur par excellence, il a besoin de sentu: bouillonner son
cerveau ; sa pensée prompte souffre comme ces germes pré-
cieux qu'une trop longue incubation étouffe ; et les fds de
son intelligence qu'il vêt avec le plus d'éclat et de bonheur
sont précisément ces enfants trouvés que le temps, le lieu,
la chaleur du sujet fécondent et font éclore.
Inférieur à lui-môme dans l'affaire de Belgrave-Square, il
retrouva toutes ses facultés quand il vint après sa réélec-
tion passer en revue la politique extérieure du cabinet. 11
fut cette fois ce qu'il avait été l'année précédente en traitant
la question de SyTie, ce qu'il avait été en 1840 lorsque après
avoir ramassé une à une toutes les lâchetés de ce régime , il
s'était écrié, la voix émue et frappant de son poing le marbre
de la tribune : « Céder partout ! céder toujours ! ah , c'est
trop! c'est trop! c'est trop!... » Et cette répétition, insi-
gnifiante ou vulgaire ici, frappa l'assemblée entière d'une
commotion électrique. Homme d'affaires quand il le faut,
M. Berryer discute les faits et les chiffres avec une merveil-
leuse clarté, et c'est lui qui fit échouer une première fois le
projet de 25 millions pour les États-Unis. Il a souvent dans
des débats d'intérêts matériels montré la même habileté à
débrouiller une question et à la vider en la simplifiant. Mais
le caractère principal de son talent, sa véritale souveraineté,
c'est l'éloquence, l'éloquence dans sa grandeur, avec sa
puissance d'émotion, son pathétique, et ces belles formes
que l'antiquité nous a transmises , que si peu d'hommes ont
conservées. Aussi , bien que professant des opinions pro-
fondément contrastantes, bien que séparé de M. Berryer
par tout l'espace qui sépare les deux pôles, nous n'en éprou-
vons pas moins pour les dons privilégiés qu'il a reçus l'ad-
miration la plus sincère, et, fidèle à la doctrine quia porté
le vaincu de Juillet à servir la nation, nous croyons qu'il
faut honorer tous ceux qui dans les sciences et les lettres,
dans les armées ou dans les arts, par la gloire des armes,
ou par celle de la parole, contribuent à élever aux yeux
des autres peuples et notre langue et notre patrie.
Armand Makkast,
ancien président de l'Asseiiiblée nationale.
M. Berryer a fait ses études chez les oratoriens, réunis en
corporation privée à Juilly, où il eut pour condisciple le
maréchal Jérôme Bonaparte. 11 quitta cette maison en 1306.
Il avait montré de bonne heure une vaste intelligence, que
83 paresse pouvait seule égaler : aussi brilla-t-il peu dans ses
études. L'éducation religieuse qu'il avait icçue dans la
maison de Juilly le poussait à entrer dans un séminaire j sa
famille parvint, non sans difficulté, à l'en détourner et à lui
faire adopter la carrière du barreau. Son père lui aplanit
les premières difficultés , et ses brillantes facultés ne tar-
dèrent pas à se révéler. Après avoir pâli sur le code et passé
quelques mois chez un avoué , il se maria , à peine âgé de
vingt et un ans.
Ses opinions étaient loin d'être arrêtées alors. « Quoique
enthousiaste du génie de Napoléon, a dit un biographe,' il
regardait le grand homme comme un despote disposé à ré-
pandre jusqu'à la dernière goutte du sang de ses sujets sur
l'autel de son aml)ition, et il vit avec joie arriver la première
restauration , à laquelle il se dévoua corps et âme. « Après
avoir vainement essayé de sauver le général Debelle devant
le conseil de guerre , il alla se jeter au pied du roi, et obtint
sa grâce. Les généraux Canuel et Donadieu ayant été
mis en cause après les insurrections de Grenoble et de Lyon,
M. Berryer plaida pour eux , et en rejeta hardiment tout
l'odieux sur le ministère Decazes.U publia même à cette
occasion une brochure qui causa un certain scandale, et le
fit ranger parmi les royalistes purs.
Cependant les procès politiques ne lui faisaient point né-
gliger les affaires civiles. Les discussions des banquiers Se-
guin et Ouvrard ( 1826 ), la succession du marquis de Vérac,
l'affaire des marchés Ouvrard, puis les liquidations et les
procès pour coupes de bois appartenant aux anciens émigrés,
fournirent à M. Berryer autant d'occasions de mettre en
relief son talent. Le 21 avril 1826 il prêta l'appui de sa
parole à M. l'abbé de L a me n n a i s, et obtint l'acquittement
de son client. Sous le ministère Villèle il participa à la créa-
tion de la Société des bonnes lettres et de la Société des
bonnes études , sociétés qui avaient pour but de déguiser
la propagande politique sous le manteau de la religion.
Faisant sans doute peu de cas des serments que réclament
toujours les gouvernements à leur origine , et que chacun
peut interpréter, quoi qu'on fasse, suivant sa conscience, il
prêta en 1830 celui qu'exigeait Louis-Philippe. « Quand la
force domine dans un État , disait-il alors , les gens de bien
doivent encore à la société le tribut de leurs efforts pour
détourner de plus grands maux. » Les affaires de la Vendée
liù valurent quatre mois de prison préventive. Acquitté par
la cour d'assises , il fut encore inculpé, avec Chateaubriand,
de Brian et autres, pour avoir, dans une réunion publique,
voté en l'honneur du noble vicomte une médaille avec l'exer-
gue : Votre fils est mon roi. Mais comme il avait proposé
l'exergue Le génie fidèle au malheur, il fut renvoyé de la
plainte. Il en profita pour faire acquitter Chateaubriand en
cour d'assises ; en même temps il défendait différents jour-
naux royalistes.
Dans la session de 1834, venant en aide à MM. Aud ry d e
Puyraveau et Voyer d' Argenson, accusés de participa-
tion à la Société des Droits de l'homme, M. Berryer opposa
aux objections de 31. Guizot des arguments d'un radica-
lisme complet. Il prétendit que le droit de discussion et
d'association était une conséquence forcée de la révolution,
dût l'exercice de ce droit être fatal au nouveau gouverne-
ment. Sans doute il ne pensait plus ainsi après la révolution
de Février, lorsiiu'il accepta, en 1850, d'être membre de cette
commission des dix-sept chefs de parti qu'on a nommés les
Bu r graves, quia préparé les mesures au moyen desquelles
toutes les libertés publiques ont été sévèrement restreintes.
Quoi qu'il en soit, au milieu des préoccupations de la po-
litique, qui lui avaient fait négliger une riche clientèle,
M. Berryer se trouva un beau jour ruiné; c'était vers 1836.
Son parti ne fut pas ingrat, et, sur l'annonce de la mise en
vente de la terre d'Angerville , qui appartenait au célèbre
avocat, une souscription s'ouvrit, et produisit 400,000 fr.,
moyennant quoi ce bien fut conservé à son propriiHaire. Chef
de son parti à la tribune, M. Berryer ne tint pas toujours
compte des avis et des prétentions des journaux royalistes
soumis à d'autres influences. 11 essaya même une fois de se
BERRYER — BERTHE
créer un organe dans la presse parisienne, ce qui lui attira
de vertes attaques des défenseurs patentés de la monarchie,
dont l'un, engagé dans les ordres sacrés, s'oublia jusqu'à
rappeler au député de Marseille qu'il n'était queVavocat du
parti légitimiste.
Avant le voyage de Belgrave-Square, M. Berryer était déjà
allé en Allemagne déposer ses hommages aux pieds de la
famille déchue. Le duc d'AngouIôme lui confia une pièce
qui avait pour but de maintenir les prétentions de ce der-
nier au titre de Louis XIX jusqu'à la troisième restauration
exclusivement. Combattant toujours le ministère, M. Ber-
ryer appuya dès IS36 la proposition Gouin pour le rembour-
sement des rentes ; il attaqua le projet de loi de disjonction
en 1837 , repoussa l'année suivante la proposition relative à
l'abolition de l'esclavage, et en 1839 il fut un des plus éner-
giques promoteurs de la coalition formée pour renverser
le ministère Mole.
Le prince Louis -Napoléon, arrêté à Boulogne, se souvint
du défenseur du maréchal Ney, et M. Berryer devint un
de ses conseils devant la chambre des pairs.
Après la révolution de Février, le département des Bou-
ches-du-Rhône choisit M. Berryer pour un de ses représen-
tants à l'Assemblée constituante. Il fit partie du comité des
finances; et l'un des chefs de la réunion de la rue de Poi-
tiers, il fut réélu à l'Assemblée législative. La réaction dans
laquelle tomba la majorité de cette assemblée donna une
certaine importance à M. Berryer, qui finit par être pro-
clamé le principal mandataire du comte de Chambord dans
la circulaire Barthélémy, datée de Wiesbaden, où M. Ber-
ryer avait recommencé le pèlerinage deBclgrave-Square,sans
flétrissure à la suite, cette fois ; il est vrai que la république
n'avait demandé aucun serment à ses représentants. L'année
suivante, alors que les projets de fusion étaient à l'ordre du
jour, l'Exposition universelle lui fournit l'occasion de rendre
visite aux membres de la famille d'Orléans, à Claremont.
Toujours membre des commissions qui siégeaient pen-
dant les prorogations de l'Assemblée, M. "Berryer fit partie
de la commission chargée de la surveillance de la caisse d'a-
mortissement, et s'associa au blâme infligé au ministère qui
avait osé destituer le générale h angarnier. Reprochant au
cabinet d'avoir tenté de scinder la majorité , il dit que la
république n'était pour lui qu'un gouvernement de transi-
tion. Bientôt, champion avoué du représentant de la légitimité,
repoussant la proposition Creton relative à l'abolition des
lois de proscription contre les Bourbons, il déclara que M. de
Chamboi'd ne pouvait rentrer en France qu'avec le titre qui
lui appartenait, c'est-à-dire comme le premier des Français.
La révision de Ja constitution le compta parmi ses parti-
sans sous certaines réserves. La république était incompatible,
suivant lui, avec les mœurs, les traditions et les intérêts
du pays : il voulait avant tout un ciiangement de gouver-
nement ; autrement, il était opposé à la réélection du prési-
dent. Les événements du 2 décembre l'ont rendu tout en«
lier au barreau. Il y a fait sa réapparition en plaidant avec
M* Paiilet la compétence du tribunal civil dans l'affaire des
biens de la maison d'Orléans contre le déclinatoire introduit
par le préfet de la Seine. Après la mort de M. de Saint-
Priest, l'Académie Française appela M. Berryer à le rem-
placer dans son sein. Son discours de réception fut beau-
coup remarqué. L'orateur se tira avec un rare bonheur des
difficultés d'un tel sujet, où il s'agissait d'ailier le respect des
convenances avec le respect qu'il se devait à lui-même et
aux convictions de toute sa vie.
BERSERKER (dérivé des mots hcr, nu, et serkr,
cuirasse). C'était, suivant la tradition Scandinave, un cé-
lèbre et redoutable héros, petit-fils de Starkader aux huit
mains et de la belle Aifhilde. La tradition porte que , mé-
prisant les casques, les cuirasses et les boucliers, il se pré-
sentait au combat n'ayant , contrairement aux usages de
1 époque, pour toute arme défensive que son courage et sa
DICT. DE LA CONVERS. — T. IH.
8l
force. Ayant épousé la fille du roi Sivarfurlam, qu'il avait
tué dans un combat, il en eut douze fils, tous aussi braves
et aussi courageux que lui, et qui portèrent son nom, de-
meuré synonyme d'homme déterminé.
BERTHE (du vieil allemand ^erc/^^a, Perahta ), nom
qui a été porté par plusieurs femmes célèbres du moyen âge.
Sainte Berthe, dont l'Église honore la mémoire le 4 mai,
était la belle et pieuse fille de Charibert, roi des Francs. Ma-
riée en 560 à .Ethelbert, roi de Kent, elle contribua beaucoup
à la conversion de son époux, de même qu'à la propagation
du christianisme parmi les Anglo-Saxons.
BERTHE, fille de Burkhard, duc des Alemans et
épouse de Rodolphe II, roi de la Bourgogne Transjurane,
prit, à la mort de ce prince, en 937, la régence au nom de
son fils Conrad, encore mineur, se remaria plus tard à Hugues,
roi d'Italie, etmourut vers la fin du dixième siècle. Cette reine
avait la réputation d'être une excellente ménagère ; et les
monuments de l'époque la représentent toujours filant as-
sise sur son trône. Aussi est-ce à elle qu'on fait remonter
l'origine de ce proverbe, si connu encore aujourd'hui dans
le territoire de l'ancien royaume de la petite Bourgogne :
n Dans le bon vieux temps, lorsque la reine Berthe filait, u
On cit^ cependant d'autres princesses de la même époque,
laborieuses fileuses à la mémoire desquelles on rattache aussi
ce proverbe. Il est à noter, au reste, que lors de la propaga-
tion du christianisme, on transféra les attributs de la vieille
déesse germaine Berchta à diverses personnes d'une certaine
importance historique. Nous consacrons ci-après un article
spécial à Berthe ou Berthrade aux Grands Pieds.
Les légendes de la Table Ronde font aussi mention d'une
Berthe, sœur de Cliarleiiiagne , mariée à Milon d'Angleris,
de qui elle aurait eu un fils, le célèbre Roland.
BERTHE, reine des Français, épouse de Pépin le
Bref et mère de C h ar le magne. Elle mourut le 12 juillet
TS.î, et fut inhumée à Saint-Denis : son tombeau , restauré
par les soins de saint Louis, portait cette unique inscrip-
tion : Berta, mater Caroli Magni. Les historiens disent que
le grand empereur avait pour sa mère une tendre'sse res-
pectueuse, ft qu'il écoutait ses avis avec une certaine défé-
rence. D'ailleurs, on ne sait pas exactement à quelle nation,
à quelle famille elle appartenait. Suivant les uns , son père
était Caribert, comte de Laon; suivant les autres , un em-
pereur de Constantinople. On sait qu'en général nos rois
francs se préoccupaient alors assez peu de l'origine plus ou
moins illustre de leurs épouses; et personne n'aurait vrai-
semblablement recherché d'où venait la reine Bertbe , si
l'ancienne poésie héroïque et plusieurs légendes pieuses n'a-
vaient essayé de trancher la question.
Il convient de rappeler ici rapidement ce que nos vieux
trouvères ont raconté de la mère de Cbarlemagne. Douée
d'une grande beauté, le surnom qu'ils lui donnent de Berthe
aux Grands Pieds ne fait à leurs yeux aucun tort aux
heureux dons que la nature lui avait prodigués. Elle était
fille du roi Flore, de Hongrie, et de la reine Blancliefleur.
Pépin le Bref, ayant entendu louer ses vertus et ses charmes,
fit demander sa main; le mariage fut résolu, et la princesse
partit pour la France dans la compagnie de deux femmes :
Margiste, et sa fille Aliste, qu'elle avait affranchies. Aliste
était devenue chère à la reine de Hongrie, par l'extrême res-
semblance de ses traits avec ceux de Berthe aux Grands Pieds.
Cette ressemblance causa tous les malheurs de la jeune prin-
cesse en donnant à la vieille Margiste la pensée de tromper
Pépin, et de substituer dans sa couche sa fille Aliste à sa
noble maîtresse. Pour arriver à ses fins, elle représente à
Berthe que le roi de France est une espèce de monstre, et qu'il
met ordinairement en danger la vie des objets de ses premiers
embrassements. En conséquence elle propose à la princesse
de changer de nom pour quelques jours avec Aliste, qui,
une fois le danger passé, s'empressera de reprendre sa véri-
table place. Berthe accepte la tromperie : la serve est
11
82
conduite, au lieu de la reine, dans la couche royale. Le lende-
main, au point du jour, des traîtres, rassemblés par IMargiste,
f 'emparent de la vraie Bertlie, la conduisent dans la forêt du
Mans, et là se disposent à exécuter leur mission en lui
tranchant la tête. Heureusement, un d'entre eux, nommé
JMorant, écoutant la voix de ses remords, obtint de ses com-
plices qu'ils laisseraient fuir la princesse. Berthe, après de
longues angoisses, vint frapper à la porte d'un voyer ou
garde-cbasse , nommé Simon. Ce brave liomme reçut la
princesse avec bonté, la confia aux soins de sa femme et de
sa lilie, et la retint à titre de chambrière. Elle demeura chez
lui plusieurs années; et cependant Aliste donnait au roi
deux enfants et se faisait hair de toute la nation par son
avarice , son insolence et sa méchanceté.
La pieuse résignation de Berthe aux Grands Pieds n'aurait
jamais mis le roi sur les traces de la vérité, si la reine de
Hongrie, désireuse de revoir sa fille et de juger par elie-môme
de son bonheur, n'avait i)as fait un voyage en France.
Grande terreur alors dans l'âme de la serve : on peut
abuser un mari, il est moins aisé de tromper une mère. Sur
toute sa route Blanchedeur recueillit les malédictions des
peuples. » Voilà, » disait-on , « la mère de la plus indigne
reine qui fut jamais. « Blanchefleur ne pouvait revenir de
sa douloureuse surprise. Elle entre dans Paris ; le roi vient
à sa rencontre. Pour la reine, on lui dit qu'elle est malade,
qu'elle ne peut supporter l'éclat du jour ni même la lumière
des flambeaux. « Je veux pourtant la voir, » s'écria la mère.
« Conduisez-moi vers elle. « Elle entre dans son apparte-
ment ; la fausse malade prononce quelques mots d'impatience
et de dépit. « Qu'ai-je entendu ? » s'écrie Blanchefleur, « ma
chère Berthe peut-elle ainsi me recevoir ! Non, ce n'est pas ma
fille : elle eût voulu me voir ; elle se fût jetée dans mes bras. «
Et tout en disant ces mots, elle tire violemment la cou-
verture et regarde les pieds d'Aliste : « Je l'avais bien deviné,
dit-elle, non, ce n'est pas ma fille. Mais qu'en ont-ils fait.' Ils
l'ont tuée ! » Le roi accourt ; Aliste, dans son trouble, est con-
trainte de tout avouer, et bientôt la méchante mère subit le
supplice queméritait son odieuse trahison. On épargna la fille
en faveur des deux enfants qu'elle avait eus du roi , et l'on
sut par le bon Morant comment la véritable Berthe avait
été abandonnée. Mais comment la retrouver? Longtemps
toutes les recherches furent inutiles. Cependant, un jour
que Pépin, emporté par l'ardeur de la chasse, s'était égaré
dans la forêt du Mans , il aperçut , au pied d'une croix
dressée dans le plus épais de la forêt, une jeune femme
dimt la beauté le frappa tellement, qu'en véritable roi de
ces temps-là il s'approcha d'elle, et voulut lui faire vio-
lence. Berthe implora sa pit é ; mais ses larmes et ses prières
n'auraient servi de rien, si pour sauver son honneur elle
n'avait pris le parti de déclarer ce qu'elle avait caché jusque
là , même à Simon le voyer. « Arrêtez, dit-elle, je suis la
fille du roi Flore; je suis Berthe aux Grands Pieds. » Ainsi fut-
elle reconnue de Pépin et revint-elle à la cour en triomphe.
Morant fut récomi)ensé comme il le méritait. Simon le
voyer obtint une charge à la cour, et reçut pour armoiries
un écu d'azur à la fleur de lis d'or, que ses descendants
[lortaiimt encore au treizième siècle. Nous avons le regret
d'avouer que telles ne sont jilus les armes de l'illustre fa-
' mille des Le Yoyer d'Argenson.
Pour terminer la légende poétique de la reine Beithe aux
Grands Pieds, nous dirons que Dieu bénit son mariage et lui
donna d'abord un fils, le puissant Charlemagne, puis une
fille, nommée comme sa mère, et qui devait elle-même donner
le jour au héros de l'épopée française, le terrible Roland,
L'histoire fabuleuse de Berthe aux Grands Pieds se trouve
d'abord dans un manuscrit du douzième siècle conservé au-
jounriiui dans la Bibliothèque Impériale. La tradition, ap-
l)aieinment plus ancienne, fut recueillie comme parfaitement
véridicjue par un habile trouvère du siècle suivant, nommé
Adenès, et surnommé le Roi, sans doute parce qu'il avait
BERTHE — BERTHEZÈNE
gagné plusieurs prix de poésie dans les Puis d'Arras ou de
Lille, ces académies du moyen âge. Adenès en a fait le sujet
d'une chanson de geste fort touchante et fort gracieuse, que
l'auteur de cet article a publiée en 1836, sous ce titre : Li
Romans de Berte aus Grans Pies, précédé d'une disserta-
tion sur les Romans des Douze Pairs (Paris, Techener, un
volume in-12). ^ Paulin Paris, de l'Iosiiiut.
BERTIIEZÈIVE ( Pierre , baron), lieutenant général,
naquit à Vandargues (Hérault), le 24 mars 1775. Aux pre-
miers jours de la Révolution , il s'enrôla comme volontaire
dans le 5* bataillon de l'Hérault, qui allait défendre le ter-
ritoire national, menacé par les Espagnols. Au bout d'un an
il était déjà sous-lieutenant , quand son corps passa à la di-
vision Garnier, de l'armée d'Italie. Nommé capitaine sur le
champ de bataille de Saint-Julien, le 5 messidor an vu, il
devint chef de bataillon au 72^ de ligne, à la suite de combats
sur le Mincio. Compris en 1804 dans la grande promotion
de la Légion d'Honneur, au camp de Boulogne, il entra
comme major au 05* de ligne , et obtint trois ans plus tard
le grade de colonel du 10" d'infanterie légère. L'empereur
après la bataille d'Ileilsberg le fit officier de la Légion d'Hon-
neur et le créa baron de l'empire, avec une dotation en West-
phalie. A peine remis des graves blessures qu'il avait re-
çues à EckmiJiil, puis à Wagram , il prit, en qualité d'ad-
judant général, le commandement des grenadiers de la garde
impériale qui devaient faire la campagne de Russie, et rendit
à l'armée les plus utiles services par sa bonne contenance
devant l'ennemi, tant à la Bérézina qu'à Lutzen et à
Bautzen. Nommé général de division le 4 août ISl.'î , il
fut forcé de capituler à Dresde par le manque de vivres
et de munitions; mais les coalisés, violant lâchement la
capitulation , envoyèrent tous les Français prisonniers en
Hongrie.
En 1814, le général Berthezène , rentré en France, fut mis
en disponibilité. Cependant le maréclial Soult l'appela au co-
mité de la guerre , et Louis XVIIl le décora quelque temps
après de la croix de Saint-Louis. Mais après le débarque-
ment de Napoléon , ayant continué ses services et vaillam-
ment combattu les alliés à Fleurus, à Wavres, à Bierges, à Na-
mur et sous les murs de Paris , il fut obligé , au retour des
Bourbons, de chercher un refuge en Belgique. Le maréchal
Gouvion-Saint-Cyr, qui l'aimait et l'appréciait beaucoup,
le fit rentrer en grâce. Il remplit successivement les fonctions
de membre du comité consultatif d'infanterie et d'inspec-
teur général. Lors de l'expédition d'Alger en 1830, on ju-
gea convenable qu'un lieutenant général bien vu des an-
ciens fût adjoint au commandant en chef, M. de Bour-
mont. Le général Berthezène lut choisi à ce titre. Sa division
aborda la première le sol africain. Ce fut par la vigueur
qu'il inspira- à nos jeunes soldats , lors du débarquement ,
que les batteries algériennes de Sidi-Ferruch lurent enlevées
si rapidement. On se rappelle encore l'enthousiasme que
produisit en France son premier bulletin de victoire. Sa di-
vision concourut aussi très-activement à la bataille de
Staouéli, qui ouvrit à l'armée française les portes d'Alger.
Sa belle conduite au feu décida M. de Bourmont à demander
pour lui la pairie, faveur sollicitée de nouveau à son inteU'!
tion par le général Clauzel , mais qui ne lui fut accordée
que deux ans plus tard. Revenu en France grand -officier
de la Légion d'Honneur, il dut au mois de février 1831
remplacer le général Clauzel dans son commandement de'
l'Algérie.
Dans l'incertitude où l'on était alors du maintien de la
paix en Europe, on avait prescrit la rentrée en France d'une
partie des troupes de l'armée expéditionnaire. Elle était ré-
duite, à cette époque, à un effectif de 9,300 hommes, et
c'est avec de si faibles moyens que le général Berthezène
allait être obligé de faire face aux nombreuses exigences de
la conquête. Ce fut pendant son gouvernement que les ba-
taillons de zouaves furent organisés. Lors de la malheureuse
reuse
BERTHEZÈNE — BERTHIER
s 3
expédition deMédéah, ce furent ces mêmes enfants de
Paris qui, sous les ordres du chef de bataillon , depuis gé-
néral Du vivier, protégèrent la retraite de l'armée en for-
mant spontanément rarrière- garde qui la sauva d'un af-
freux désastre. Cette expédition de Médéah n'aurait pu être
différée sans donner de nous la plus mauvaise opinion aux
Arabes ; elle fut résolue au commencement de juin , et cette
opération difficile, au lieu de calmer l'effervescence de
l'ennemi , ne fit qu'irriter son audace et accroître sa haine.
Soulevées par les intrigues de Sidi-Saïd et de Bou-Mezrag ,
encouragées par l'afTaiblissement subit des forces de l'occu-
pation, les tribus de la plaine se révoltèrent, et vinrent nous
attaquer au gué de l'Arrach et à la Ferme-Modèle , feous
les ordres de Ben-Aissa et de Ben-Zamoun , les deux prin-
cipaux chefs des tribus de l'Est. Quelques heures suffirent
pour battre et disperser ces hordes indisciplinées , dont les
plus fongueux agitateurs, dans leur dépit de cet échec, en-
voyèrent des vêtements de femme à Ben-Zamoun , le pre-
mier de tous qui lâcha pfed devant nos troupes.
Dès son début à Alger, le général Berthezène avait im-
posé à l'administration de rigoureuses habitudes d'économie;
il cherchait à rétablir im peu d'ordre dans les finances, no-
tablement compromises par les gaspillages qu'avait trop to-
lérés son prédécesseur ; non-seulement il restreignit les dé-
penses au strict nécessaire, mais, pour les diminuer encore,
il alla jusqu'à donner, à l'occasion de l'investiture de l'agha
des Arabes, un magnifique yatagan, garni en or, qui lui
appartenait. 6,000 francs lui étaient accordés par mois sur
les fonds secrets ; pendant les onze mois de son commande-
ment, il ne dépensa sur le total de ces sommes, montant
à 66,000 francs, que 11,000 francs, dont 2,000 seulement
pour les frais d'espionnage. Le surplus fut employé à des
secours et à des indemnités. Cette probité excessive souleva
de toutes parts d'interminables criailleries; on l'accusa de
petitesse, de lésinerie, d'avarice; on regretta les prodiga-
lités du général Clauzel. Le ministre, d'autant plus satisfait
de ce désintéressement qu'on ne l'y avait guère habitué, ne
put s'empêcher d'en exprimer sa satisfaction au général
Berthezène. Au nombre des actes administratifs qui lui font
le plus d'honneur, il ne faut pas oublier la séparation du
domaine militaire d'avec le domaine civil, principe dont
l'expérience démontre chaque jour l'opportunité; la cons-
truction des casernes de Mustapha-Pacha , au delà du fau-
bourg de Bab-Azoun, d'un abattoir hors de la ville, et la
réparation du port d'Alger.
Le duc de Rovigo, nommé gouverneur général de nos
possessions en Afrique, le remplaça en décembre 1S31.
Depuis, il ne fut plus employé; mais il suivait assez assidû-
ment les séances de la Chambre des Pairs. Malade depuis
quelque temps, il revit son pays natal , et se retira dans sa
terre de Vandargues , où il mourut d'une fièvre rémittente
pleurétique, le 9 octobre I8i7, à l'âge de soixante-treize ans.
BERTHIER ( Alexandre ), prince de WAGRAM , l'un
des généraux le plus utilement employés par l'empereur,
naquit à Versailles, le 10 novembre 1753. Il acquit en quel-
ques années les connaissances nécessaires à un officier
d'état-major, sous son père, ingénieur géographe de beau-
coup de mérite , l'un des premiers auteurs de la magnifique
collection de cartes mifitaires du Dépôt de la guerre, et ne
quitta ses leçons que pour entrer au service. Son dessin
était facile et plein de netteté ; Louis XYI , qui suivait avec
plaisir les progrès de la géographie, qui aimait même à
dessiner et à écrire des cartes, appela ce jeune homme à
la composition d'une carte des chasses qui s'exécutait
dans son cabinet , et dont il était lui-même occupé. Berthier
passa du cabinet topographique du roi au service actif
dans le régiment des dragons de Lorraine, dont le prince
de Lambesc était colonel. C'est cet officier général lui-même
qui demanda le jeune Berthier. Le régiment qu'il comman-
dait était alors regardé coname la première école de cava-
lerie de l'Europe. Berthier y apprit à manier les armes et les
chevaux : il s'y fit même remarquer par sa dextérité et par
le calme de son esprit, que la violence des exercices n'al-
térait pas.
Lors de la guerre d'Amérique, Berthier fut appelé à l'etat-
major du comte de Rochambeau, et s'embarqua avec
l'armée. Il se distingua au combat naval de la Chesapeok , et
à la reconnaissance de New-York. Là il escortait avec
quelques officiers le général en chef sous le feu des batte-
ries anglaises, quand des soldats ennemis vinrent les as-
saillir. L'escorte tira aussitôt l'épée; Berthier tua de sa
propre main un dragon qui se jetait sur les généraux Ro-
chambeau et de Damas, et fit plusieurs prisonniers. Il se
distingua dans les affaires suivantes par une impassible
énergie. Son activité était inépuisable dans le travail du ca-
binet , où il déployait sous les yeux de ses chefs des con-
naissances géographiques et militaires fort étendues. Ber-
thier passa ensuite à l'état-major du général ^'iomesnil :
c'était au commencement de l'expédition contre la Jamaïque.
Cette opération fut suspendue par la paix de 1783.
La guerre d'Amérique précisa et rendit tout à fait pra-
tiques les connaissances de Berthier; il avait nu les éprouver
sur le terrain. A son retour en France, il se mit à suivre le
cours des meilleures écoles militaires, et rcchercliadans les
ouvrages classiques du temps toutes les coimaissanccs im-
médiatement applicables à la guerre. Il alla même examiner
dans les camps prussiens des théories vantées dans toute
l'Europe. Le mouvement interne et puissant qui ébranlait
déjà le vieux monde avertissait ce clairvoyant officier que
les armes seraient la grande carrière de son temps, que la
seulement s'élèveraient des existences prédominantes du-
rables. Il travailla en conséquence à se rendre propre au
commandement secondaire du premier ordre, à diriger
l'inexpérience enthousiaste des bataillons quand une
guerre éclaterait. C'est dans ces moments-là surtout que
des officiers décidés et riches de connaissances sont précieux.
Berthier se tint prêt pour ce rôle. La révolution le trouva
colonel, chef d'état-major, sous Bézenval. Il fut nommé
ensuite commandant de la garde nationale de Versailles, et
favorisa en cette qualité la fuite des tantes de Louis XVI.
La crainte et la fureur révolutionnaire l'attaquèrent dans ce
poste, mais il sut s'y maintenir assez longtemps. Au com-
mencement de la Terreur, Berthier fut appelé aux armées,
conune chef d'état-major d'abord de Lafayette, puis de
Luckner. Il y passa les cinq années les plus orageuses de la
révolution, et s'y battit bien. Patriote alors et oflicier habile,
il y rendit d'éclatants sers'ices, mais en faisant pour s'ef-
facer les mêmes efforts que d'autres faisaient pour paraître.
11 ne se sentait pas l'ardente ambition du premier rang, et ne
se l'est jamais sentie.
Le général Bonaparte trouva Berthier à l'armée d'Italie,
en 1796. Il le prit pour son chef d'état-major, et depuis il ne
l'a pas quitté. A ce moment, la vie de Berthier se confond
avec celle de Napoléon; tous ses sersices s'y rattachent,
Berthier n'a exécuté supérieurement que les détails des cam-
pagnes ; il a su constamment les épargner au travail de l'em^
peranr, qui, grâce à de pareils lieutenants, pouvait s'attach»
quelquefois, dans ses grandes opérations, à ses seules vues
générales. Il en résultait une précision d'exécution admirable.
Bonaparte trouva en Berthier l'homme capable de saisir dans
quelques mots , dans quelques traits, son impatiente pensée.
Berthier agrandit, durant dix-neuf années de guerres con-
sécutives, à campagne double pour le grand nombre , sa
réputation iï officier d'exécution . Cette exécution dévelo ppéf
d'ordres généraux communiqués seulement avec les ren-
seignements e.^entiels , lui devint familière. Il refit la guen e
avec cette précision mathématique qu'on avait remarquée
dans les officiers de Turenne , et se donna ce génie exp ri-
menlé et patient qui garantirait presque l'exécution dos
idées générales par celle des détails ; ses études spécial»?
11.
84
s'iiHcnniient tic [ilus en plus. Personne n'eût mis dans les
fonctions de niajor général la même assiduité, n'eût eu sa
facilité et sa rapidité de travail, son ordre lumineux. Berthier
fit seize campaj^ncs, cependant il ne commanda en chef qu'un
corps d'armée : c'est dans les quelques semaines qui précé-
dèrent le second passage des Alpes. Alors il organisa à Dijon,
puis réunit à Genève, et commanda un moment l'armée dite
de réserve, mais sous la direction du premier consul, resté à
Paris jusqu'au dernier moment. Berlliier se trouva à Marengo
dans son emploi ordinaire , et y dirigea tous les détails de la
bataille avec fermeté, avec sagesse, avec une activité unique,
lia raconté depuis cette campagne merveilleuse , achevée
en quelques jours , dans un ouvrage remarquable par la
belle simplicité du récit et par la lumière historique qui
en jaillit, et il l'a appuyé de cartes excellentes. Il a fait le
môme travail sur Yexpédition d'Égijpte.
Son activité dans la distribution des ordres, au feu son
insouciance du danger, la force nerveuse et exercée de son
eorps , égale à toutes ces fatigues, le rendaient bien précieux
à l'empereur. 11 saisissait assez vite sa conception pour se
faire aider avec habileté , et répondait ainsi au plus vaste
travail. 11 était toujours prêt à le reprendre au milieu des
nuits , des marches , des mouvements de bataille. Toute sa
présence d'esprit lui était rendue en un instant. Il suffisait
à l'empereur de lui donner sa pensée dans quelques traits
pour qu'il la traduisît aussitôt en ordres précis. C'était le
même homme, doué de cet intrépide sang-froid, sur le ter-
rain. L'ordre et la promptitude de son travail étaient vrai-
ment admirables : c'est là qu'éclatait ce haut talent spé-
cial que la nature lui avait donné, que Napoléon a loué
vivement à Sainte-Hélène ; et puis sa prudence était sans
cesse éveillée. Bien qu'il eût de la douceur dans le caractère
et fût dépourvu de ces traits énergiques qui imposent aux
honmies , il savait obtenir le respect de tout ce qui lui était
subordonné. Berthier, qui ne gagna pas de bataille , servit
utilement et même avec gloire dans toutes celles du Con-
sulat et de l'Empire. En 1796, au pont de Lodi, il déploya
sous les yeux de l'armée la plus rare intrépidité : pour tout
dire en peu de mots, il se signala depuis IMontenotte jusqu'à
la marche sur Saint-Dizier, en mars 1814. Sa carrière mili-
taire a donc été remplie et belle. Il occupera une place dis-
tinguée dans l'histoire contemporaine, celui qui remplaça un
moment Bonaparte au commandement de l'armée d'Italie ,
acheva la conquête de Rome , organisa la république de
l^lilan, attacha son nom à la capitulation d'Ulm, au traité
de Munich, à la convention de Kœnigsbcig, etc. Successi-
vement ministre de la guerre après le 18 brumaire, ma-
réchal dcTEmpire, grand veneur, vice-connétable, chef delà
première cohorte de la Légion d'Honneur , prince de Wa-
gram, de Keuchàtel , de Valençay, il reçut pour épouse des
mains de Napoléon la princesse Elisabeth-Marie, nièce du
roi de Bavière.
L'histoire , après avoir fait cette belle part à la mémoire
d'Alexandre Berthier, lui reprochera l'abaissement de son
caractère lors de la première Restauration. Du dernier champ
de bataille de 18 1 4 il courut lui offrir des serments qu'elle
n'attendait pas d'un homme couvert des plus belles dignités
de l'Empire. Berthier descendit jusque là pour être nommé
l'un des capitaines des gardes de Louis XVIll ! N'eùt-il pas
dû préférer à cette place, assez modeste pour lui, des loi-
sirs mérités après cinquante batailles et trente années de
marches dans trois parties du monde? Des fautes comme
celle-ci sont tristes à noter; elles nous prouvent que, malgré
des lumières élevées , le prince de Wagram n'eut pas le
sentiment de tout ce qu'il était. Nous nous sentons profon-
dément humilié d'avoir à lesuivredu canipde Fontainebleau
dans les salons de la Restauration et des souverains étran-
j;ers. Après avoir vu renverser définitivement dans les ba-
tailles l'antique monarchie, dont nos sentiments et nos idées
. i'iaient en 1814 si éloignés, il n'eût pas dû croire qu'une
BERTHIER — BERTHIER DE SAUVIGINY
calamité nationale pût la ressusciter. C'était montrer qu'il ne
connaissait pas son temps et n'avait pas aimé sa cause. Ber-
thier crut-il que sa fortune et son rang fussent simplement la
rémunération de ses nombreux services? On ne saurait le
supposer, car il avait l'esprit juste, et il eût alors compté à
un prix trop élevé ce qu'il avait fait.
En 1815, lorsque Napoléon s'élança héroïquement du
golfe Jouan sur Paris , Berthier , redoutant la colère du
maître, se retira à Bamberg, au château du prince de Ba-
vière , son beau-père , avec son épouse et ses trois enfants.
C'est là qu'il termina quelqijes semaines après et bien tris-
tement sa vie (le 1*"^ juin 1815). De son palais, entendant
battre les tambours de quelques régiments , il courut à une
fenêtre pour les voir passer. Ces troupes étaient dirigées
sur la France ; leur vue l'émut si extraordinairement, qu'une
attaque d'apoplexie le frappa à l'instant même , et le coup
le précipita du balcon dans la rue , où il expira aussitôt.
Tel est le récit plus ou moins véridique de V Observateur
autrichien. D'autres relations parlent de suicide; d'autres,
d'aliénation mentale; quelques-imes y nouent même une
lugubre tragédie, et le font assassiner à sa fenêtre par six
hommes masqués qui le jettent dans la nie. D'après cette
version absurde, c'étaient les représentants des sociétés
secrètes qu'il avait persécutées dans sa petite principauté
de Neuchâtel.
Berthier avait la figure fine et douce, mais peu remar-
quable ; elle contrastait avec les belles et mâles figures des
généraux dont il rédigeait les opérations. Il était sans illu-
sion dans la vie ; son but ne fut grand à aucune époque.
Son éducation avait été très-soignée , comme nous l'avons
dit , et il y avait réuni avec les années des connaissances
solides; son esprit retraçait très-bien les faits, mais il les
retraçait sans mouvement et sans coloris. C'est ce que prou-
vent tous ses rapports et quelques ouvrages remarquables
qu'il a publiés. Tout y est raconté avec un soin fidèle, mais
c'est tout. Rien ne s'y élève , rien n'y est peint avec feu.
La smiplicité qu'il a n'est pas la manière simple des esprits
supérieurs, qui relèvent de temps en temps cette simplicité
du récit par de belles pensées , des traits profonds ou écla-
tants. Il est visible que Berthier ne peut pas faire davantage,
que sa portée d'esprit n'excède pas l'élan qu'il a pris.
Deux frères du prince de Wagram, 'V'ictor-Léopold ,
mort en 1807, et César , mort en 1819, servirent aussi avec
distinction dans les armées françaises, et parvinrent l'un
et l'autre au grade de général de division. Un fils du der-
nier a été tué en Afrique au combat du Typhour, en 1845.
11 était parvenu au grade de lieutenant-colonel des chasseurs
d'Afrique. Frédéric Fayot.
BERTHIER DE SAUVIGIVY ( Louis-Bénigne-
Fkançois ), conseiller d'État et intendant de Paris à l'époque
où éclata notre première révolution , était le gendre de
Foulon. Appelé par Louis XVI à faire partie du ministère
par lequel ce prince faible et mal conseillé se décida à rem-
placer le cabinet dont Necker était le chef, Berthier de
Sauvigny, par ses manières dures et hautaines, par son ca-
ractère odieusement inhumain , ne tarda pas à partager la
haine que le peuple avait vouée à son beau-père. A la suite
de la journée du 14 juillet 1789 , qui vit les murs de la Bas-
tille s'écrouler sous le canon de l'insurrection , Berthier de
Sauvigny prit la fuite; mais, arrêté à Compiègne par des
gardes nationaux et ramené à Paris , il y périt égorgé par
les mêmes hommes qui venaient de pendre son beau-père
car il avait été, comme lui, désigné aux vengeances de
foule par les meneurs du Palais-Royal.
Il laissait un fils , ISL Ferdinand Berthier , que la Res.
tauration appela aux affaires, et qui fut successivement prcft
du Calvados (1815), puis del'lsère, etconseiller d'État (1821),
Élu la même année membre de la Chambre des Députés
il siégea à l'extrême droite jusqu'en 1830, et s'est signal
dans tout le cours de sa carrière législative par l'exaltatioi
BERTHIER DE SAUVIGNY — BERTHOLLET
8&
de son ïèle monarchique , ainsi que par sa haine instinctive
pour tous les intérêts nés de la révolution. Nous ignorons
[époque tle sa mort. Son Cls fut accusé, en 1831 , d'avoir
voulu écraser le roi Louis-Philippe, sur la place du Carrousel.
11 écrivit ensuite dans les journaux légitimistes; puis, rallié
à la royauté de Juillet, il devint directeur des affaires ci-
viles à Bone, et mourut dans cette ville, en novembre 1849.
BERTHOLD, le deuxième apôtre du christianisme
parmi les Livoniens , était abbé d'un couvent de l'ordre de
Citeaux., établi à Loccum , dans la Basse-Saxe, lorsqu'il fut
chargé par l'archevêque de Brème et de Hambourg d'aller
porter la parole de l'Évangile aux populations encore païen-
nes de la Livonie , au milieu desquelles Meinhard, premier
missionnaire qui eût encore pénétré dans ces contrées ,
venait de souffrir le martyre. A son arrivée à IxkuU sur la
Duna, siège des premiers chrétiens de la Livonie, il s'efforça
de gagner les naturels par la douceur, mais ne tarda pas
cependant à être expulsé par eux de leur pays. Il y rentra
ensuite avec des croisés venus de la Basse-Saxe , essaya
d'opérer par la force des armes des conversions qui avaient
résisté aux moyens ordinaires de la prédication, et périt dans
un combat Uvré aux païens, en 1 198. La croisade n'en réussit
pas moins , et les Livoniens embrassèrent le christianisme ,
mais pour retourner aux pratiques du paganisme dès que
leurs vainqueurs se furent éloignés. Albert, successeur de
Berthold, réussit seul, avec le secours des chevaliers de
l'ordre Teutonique, à opérer la conquête de la Livonie et la
conversion de ses liabitants au christianisme.
BERTIIOLLAGE. Voyez Blrtuollet et Blanchiment.
BERTllOLLET (Clalde-Louis) naquit à Talloire,
près d'Annecy en Savoie , le 9 décembre 1748. Ses études ,
commencées à Chambéry , se continuèrent au collège des
Provinces de Turin. A môme, comme ses camarades, de
choisir parmi des carrières dont plusieurs pouvaient le con-
duire aux plus hautes dignités de l'Église et de l'État, Ber-
thollct s'en tint à la plus modeste. 11 s'attacha à la méde-
cine, moins encore pour les avantages qu'elle pouvait lui
offrir que par l'attrait irrésistible qui l'entraînait déjà vers
les sciences sur lesquelles elle repose. Ce même attrait,
aussitôt qu'il eut pris ses degrés, le fit accourir à Paris,
seule ville où il crût pouvoir satisfaire à son aise la passion
qui le dominait. 11 n'y avait ni connaissances ni recom-
mandations; mais le célèbre médecin genevois Tronchin
y jouissait au plus haut degré de la faveur publique , et le
jeune Savoisien pensa que, né si près de Genève, ce voisinage
l'autorisait à se réclamer de ce demi -compatriote. Son assu-
rance ne fut pas trompée : prévenu par son air franc et sa
tournure réfléchie, s'attacliant à lui à mesure qu'il le connut
davantage , Tronchin en fit en quelque sorte son enfant
d'adoption , et pour lui assurer d'abord une existence tran-
quille, il engagea le duc d'Orléans, Louis, près duquel il
pouvait tout , à le prendre pour l'un de ses médecins.
Bien convaùicu qu'il n'aurait pas besoin des moyens or-
dinaires dans les cours pour conserver la faveur que son
ami venait de lui procurer, il se livra aussitôt, et tout entier,
aux travaux dont la succession a rempli cinquante années
de la vie la plus active.
Vers cette époque avait commencé dans la chimie l'espèce
de fermentation qui en a changé le système et le langage.
Lavoisier, excité par les observations nouvelles sur les airs,
et les lapprochant de faits anciennement constatés sur les
calcinations , s'était convaincu de la nécessité d'abandonner
la théorie dominante. 11 en cherchait une meilleure ; et enfin
en 1775 il saisit presque subitement dans quelques expé-
riences de Bayen et de Priestley le point précis que depuis
longtemps il cherchait, et il prononça contre le phlogistique
un arrêt qui a été irrévocable. Mais pendant plusieurs années
encore Lavoisier fut seul de son avis , et nous en avons des
lueuves remarquables dans les rapports mêmes qu'il fit à
l'Académie sur les premiers mémoires que lui présenta Ber-
thoUet. Le jeune chimiste n'y avait suivi que ses propres
idées, comme il le fit toujours; il adaptait encore à ses ex-
périences ou les théories vulgaires, ou quelques vues isolées
que lui suggéraient les faits qu'il observait. Lavoisier de son
côté ne le combattait qu'avec réserve, et ne proposait que dans
des termes modestes ces explications simples qui ressortaient
de sa théorie. Peut-être aussi ne voulait-il pas rebuter par
trop de rigueur un esprit dont il mesurait déjà la portée , et
ne se croyait-il pas bien assuré que parmi ces explications
hasardées et ces faits mal éclaircis il ne se trouvât quelques
germes de vérités qui se développeraient plus tard. En effet,
il s'y en trouvait qui lui servirent à lui-même à compléter
sa théorie.
C'est en 1785 que Berthollet prit un rang incontestable
parmi les premiers chimistes en découvrant que l'alcali vo-
latil est un composé d'un quart à peu près d'azote et de trois
quarts d'hydrogène, et surtout que le caractère des sub-
stances animales est d'avoir l'azote pour l'un des principes
essentiels de leur composition. Cette découverte, jointe à
celle deCavendish sur l'acide nitreux, compléta le sys-
tème de la nouvelle chimie dans tout ce qui paraissait alors
nécessaire pour satisfaire aux phénomènes connus.
Avec un pareil titre , Berthollet ne pouvait manquer d'être
appelé à ce congrès où l'on essaya de fixer pour la chimie
une nomenclature qui représentât méthodiquement les faits
qu'elle avait constatés. Comparé au langage extravagant
que la chimie avait hérité de l'art hermétique, ce nouvel
idiome fut un service réel rendu à la science, et contribua
à accélérer l'adoption des nouvelles théories. Berthollet était
académicien avant cette époque; il avait été élu , en 1781^
à la place de Bucquet, et de préférence à Fourcroy, à
Quatremère d'isjonval et à d'autres concurrents , qui furent
admis plus tard. 11 avait eu moins de succès dans un autre
concours. Bufl'on, en 1784, lui avait préféré Fourcroy
pour la chaire vacante , au Jardin du Roi , par la mort de
Macquer. Buffon et l'Académie firent chacun ce qu'ils de-
vaient. Berthollet fut porté à l'Académie parce qu'il enri-
chissait la science par des recherches profondes, et Fourcroy
fut nommé professeur, parce que le charme inexprimable
attaché à son élocution le rendait plus capable qu'aucun
autre d'en inspiier le goût et d'en propager l'étude. Ber-
thollet, peu méthodique dans ses mémoires, peu disposé à sa
mettre à la portée des commençants , et qui n'avait aucune
facilité à parler, servait la chimie dans son laboratoire, mais
ne l'aurait jamais répandue. On en eut la preuve en 1795,
lorsqu'il fut chargé de l'enseigner à l'Ecole Normale.
Cependant Berthollet obtint l'une des places qu'occupait
Macquer, celle de commissaire du gouvernement pour les
teintures. 11 s'occupa aussitôt d'appliquer au perfectionne-
ment de l'art les progrès récents de la chimie, et dès son
début il l'enrichit d'un procédé dont les avantages ont été
incalculables. Scheele avait observé que l'acide muria-
tique déphlogistiqué , comme on le nommait alors, ou le
chlore des chimistes d'aujourd'hui, jouit de la propriété de
détruire les couleurs végétales. Berthollet pensa à tirer parti
de cette expérience pour le blanchiment des toiles en y ap-
pliquant simplement cet acide. La toile blanchissait à la
vérité, mais sa blancheur ne se conservait point. Il dut donc
se livrer à des études et à des expériences plus approfondies.
Réllécliissant que les procédés ordinaùres du blanchiment ,
ces alternatives de lessives et d'exposition à l'air et à la lu-
mière , ne pouvaient avoir pour but que de rendre solubles
et d'enlever les substances qui brunissent les fils, il conçut
l'idée que l'acide rauriatique déphlogistiqué , qui agit à le
fois comme l'air et comme la lumière, pourrait faire en peu
de temps ce que ces agents naturels ne font qu'en plusieurs
mois , mais que pour compléter son effet il était nécessaire
de combiner son action avec celle des lessives; et c'est alors
seulement que naquit un art tout nouveau et d'un produit
immense. Aussi, en peu d'années, l'emploi du chlore devint
86
BERTHOLLET
universel et tellement populaire qu'il a introduit de nou- i
veaux mots dans le langage usuel. Personne n'ignore au-
jounrimi ce que c'est qu'une blanchisserie berthollienne.
On dit même dans les ateliers bertholler, berthollage ; on y
entretient des ouvriers que l'on y appelle des bertholleurs.
Rien ne met plus authentiquement le sceau au mérite d'une
découverte. C'est la seule récompense qu'en ait tirée l'auteur,
et il n'en désira point d'autre. Toujours étranger à ce qui
n'était pas la science elle-même, il ne prit pas seulement
d'intérêt dans ces fal)ri<iues élevées sur sa découverte. Les
Anglais, qui la mirent les premiers en usage, voulaient lui
marquer leur recoiuiaissance par de beaux présents. Tout
ce qu'il accepta fut un morceau de toile blanchi par son
procédé.
En étudiant sous toutes ses faces cet agent singuliw du
blanchiment, le chlore, Berthollet fit encore une décou-
verte bien remarquable : celle de l'acide chlorique. Mêlés
à un corps combustible, ses sels détonent bien plus forte-
ment que le nitre; bien plus aisément aussi, car il suffit de
les frapper. On proposa d'en substitu.-îr au nitre dans la com-
position de la poudre. Cette poudre serait terrible, mais elle
est trop dangereuse. La première fois que l'on voulut en
faire à i:ssonne, le choc des pilons la fit éclater; le moulin
sauta, et cinq personnes furent victimes de l'essai ; on n'a
pas osé le renouveler.
11 existe cependant une composition encore plus effrayante,
et c'est aussi Berthollet qui le premier l'a observée et dé-
crite. C'est l'argent fulminant, qui s'offrit à lui pendant ses
recherches sur l'alcali volatil, et qu'il fil connaître en t788.
Depuis longtemps on possédait l'or fulminant, qu'une lé-
gère chaleur fait (dater avec fracas; mais il n'approche pas
de l'argent fulminant. Sur celui-ci le plus léger contact
produit une détonation épouvantable. Une fois la prépara-
tion faite, on est presipie condamné à n'y plus toucher; le
moindre grain resté dans un vase peut tuer celui qui le frot-
terait; et cepcndiint on n'a pas laisse que de tirer parti
d'une couqH)siti()u iuiitce de celle-là, le mercure fulminant
d'Howard, que l'on cuqjloie maintenant à amorcer les fu-
sils A percussion. Voi/cz l•"LL^u^,\Tl;s.
En 17!)0, licrthollct réunit toutes ses recherches sur la
teinture <lans nu ouvr;ige eléni- ntaire en <leu\ volumes. 11
y offre une théorie générale des principes de cet art; la
doctrine des matières colorantes et de to\ites les moilifica-
tions qu'on peut leiu' faire subir , celle des mordants né-
cessaires pour les fixer, y sont exposées en détail; ce que
l'on connaissait de plus avantageux alors y est expliqué;
et, ce qui vaut mieux encore, on y trouve les idées qui pe<i-
vent conduire à découvrir des pratiques plus simples ou
plus efficaces.
Lorsque la guerre de la révolution éclata , Berthollet était ,
après Lavoisier, le chimiste le plus connu du public. On
recourut à lui au moment où la chimie devint pourlaguerre
un auxiliaire de première nécessité, lorsqu'il fallut deman-
der à notre sol le salpêtre, la potasse et jusqu'aux matières
colorantes, et qu'il fallut apprendre à faire en quelques
jours toutes les opérations des arts. Chacun se souvient de
cette prodigieuse et subite activité qui étonna l'Europe, et
arracha des éloges môme aux ennemis qu'elle arrêta : Ber-
thollet et son ami Monge en furent l'âme. C'était d'après
leurs instructions que cet immense mouvement était di-
rigé. Les chimistes que l'on chargeait des essais devenus
nécessaires pour tant de procédés nouveaux ne travaillaient
que sur leurs indications, et l'on dit que s'ils avaient voulu
suivre tous les secrets qui se révélèrent à eux, des moyens
destructifs plus intenses qu'aucun de ceux que l'on pos-
sède seraient sortis de leurs laboratoires.
Pour Berthollet, ce qu'il voyait surtout dans ces déve-
loppements extraordinaires de l'industrie humaine excitée
par les plus grands intérêts, c'étaient des expériences chi-
jni(jues faites sur une grande échelle. Les pliénomènes dé
l'extraction du salpêtre réveillèrent des idées qui déjà s'é-
taient présentées plus d'une fois à lui, et qui embrassaient
l'essence même de la force dont la chimie dispose. Il re-
marquait qu'à mesure que le dissolvant s'empare de plus
de sel, la terre retient ce sel avec plus de succès; qu'un dis-
solvant pur surmonte à son tour cette résistance , et que
ces alternatives se répètent à plusieurs reprises. La néces-
sité d'employer de nouvelle eau bien avant que la première
soit saturée, ces quantités toujours moindres que donnent
les lavages successifs, lui firent conclure que l'affinité
qui cause les dissolutions n'est pas une force absolue, mais
qu'il y a dans ces phénomènes un balancement, un antago-
nisme de forces contraires.
Il avançait ainsi vers sa grande théorie des affinités, qui
se développa tout à fait dans son esprit lorsque l'Egypte
lui offrit dans le même genre des phénomènes encore plus
caractérisés.
Le général en chef de l'armée d'Italie avait connu Ber-
thollet en 1796, à l'occasion d'une commission que celui-
ci avait reçue du Directoire pour le choix des monuments
des arts au prix desquels on avait accordé la paix aux
princes de ce pays, et il avait pris plaisir à une simplicité
de manières qui s'alliait à tant de profondeur dans les idées.
Pendant le séjour de quelques mois qu'il fit à Paris après
le traité de Campo-Formio, il voulut employer ses loisirs à
recevoir de lui des leçons de chimie. Il lui fit confidence
de son projet d'expédition en Egypte, et lui demanda non-
seulement de l'y accompagner, mais de choisir des hommes
capables de le seconder par leurs talents et leurs connais-
sances dans une entreprise où toutes les connaissances pou-
vaient trouver de l'emploi. On conçoit aisément à quel
point devait plaire à un liomme tout chimiste l'idée de vi-
siter à son aise la patrie originaire de la chimie. Cependant
les caractères mystérieux d'Hermès demeurèrent pour lui
lettres closes; mais dans ce pays extraordinaire la nature
parle aussi un langage particulier , et Berthollet sut l'en-
tendre.
Les petits lacs placés à l'entrée du désert, et célèbres déjà
dans l'antiqu'lé par le natron , ou le carbonate de soude ,
dont ils sont des mines inépuisables, attirèrent toute .son at-
tention. C'est du muriate de soude, c'est-à-dire du sel ordi.
naire, qui en se décomposant sans cesse fournit continuel-
lement autant de carbonate de sou<le que l'on vient en en-
lever ; et cependant il ne se trouve à la portée du sel que du
carbonate de chaux, de la pierre calcaire, qui dans les
circonstances ordinaires ne possède point la force propre
à opérer cette décomposition, mais qui la prend lorsqu'à
une température donnée l'eau salée filtre au travers de ses
pores. La grande quantité relative de la chaux donne donc ici
plus d'intensité à son action chimique; l'acide ne demeure
pas exclusivement attaché à la base pour laquelle il a le
plus d'affinité, à la soude; il se partage entre elle et cette
autre buse que la nature lui présente en grande masse , la
chaux. C'était encore un effet de ce balancement de lorces
déjà observé dans les dissolutions du salpêtre, un nouvea;i
pas dans cette appréciation des causes, bien plus compli-
quées que l'on ne croyait, qui opèrent dans les phénomènes
chimiques. C'était aussi un pas de plus dans un des arts
les plus utiles à la société , art que Leblanc avait déjà mis
en pratique, mais qui depuis le retour d'Egypte a pris en
France une extension surprenante. Je veux parler de la dé-
composition du sel marin pour en extraire la soude.
Mais ce qui préoccupait surtout Berthollet, c'était ses
vues sur les lois de l'affinité, sans cesse présentes à son es-
prit, et que ces dernières observations mûrirent à son gré.
Soumises d'abord en esquisse à l'Institut du Caire, publiées
sous une forme plus étendue dans les Mémoires de l'Aca-
démie des Sciences de ISOl, appuyées sur un grand nombre
de faits et d'expériences nouvelles, elles ont produit enfin,
en 1803, la Staliqiie chimique , ouvrage dont le titre an-
BERTHOLLET
87
nonce qu'il a pour objet ce balancement, cette espèce d'é-
quilibre entre les forces qui maintiennent l'état d'un com-
posé et celles qui tendent à en séparer les éléments.
L'action cliimique, selon BertlioUet, s'exerce en raison de
raffinité et de la quantité de chacun des corps mis en con-
tact. L'affinité d'un corps pour un autre peut s'exprimer
par la quantité qu'il doit en dissoudre pour en être saturé,
ou, en d'autres ternies, par sa capacité de saturation. Lors-
que deux acides agissent à la fois sur une base, ils agissent
chacun en raison de leur masse et de leur capacité de satura-
tion, mais ces trois substances demeureraient unies et ne for-
meraient qu'un même liquide, et il en serait de même de la
dissolution commune de deux composés binaires :. leurs
quatre substances demeureraient ensemble, s'il ne survenait
pour les séparer des causes étrangères à leurs affinités mu-
tuelles. Mais ces trois, ces quatre substances, peuvent former,
prises deux à deux, diverses combinaisons; et si Tune de
ces combinaisons est de nature, dans les circonstances don-
nées , à devenir cohérente ou à se changer en un fluide
élastique, il se fait alors un précipité ou il s'élève une va-
peur, et le liquide ne garde que les substances que ces causes
n'en ont pas séparées. Rarement encore la séparation est-
clle complète. Pour qu'elle le soit, il faut que l'échange des
combinaisons n'ait laissé au liquide aucune force dissolvante
sur le composé qui tend à se précipiter ou sur celui qui
cherche à devenir élastique. Ce n'est donc point une affi-
nité élective qui sépare ces combinaisons nouvelles, mais
leur propre nature, leur plus ou moins de tendance à chan-
ger d'état. Il en est de même des simples dissolutions : l'af-
finité considérée à elle seule les opérerait dans toutes sortes
de proportions, si telle de ces proportions, à l'instant où
elle se réalise, n'amenait pas un effet qui contrarie ceux de
l'affinité, comme une cristallisation ou une évaporation.
C'est alors seulement qu'il se forme des composés à propor-
tions fixes. Telles sont, dans leurs plus simples expressions,
les idées fondamentales de Berthollet ; mais ledétail des ap-
plications qu'il en fait et des expériences qu'il imagine pour
en démontrer l'exactitude serait infini.
La force avec laquelle le charbon retient l'hydrogène, les
combinaisons sous lesquelles cet hydrogène eu est chassé
par la distillation, remplirent encore ses loisirs , et furent
dans la suite d'un grand secours à ceux qui s'occupèrent de
perfectionner et de rendre usuel l'art de l'éclairage par le
gaz inflammable. Il semblait de sa destinée que ses re-
cherches les plus abstraites comme les plus simples de-
vinssent aussitôt profitables et sur une échelle immense.
En s'occupant du charbon et de ses propriétés antiseptiques,
il imagina un jour qu'en charbonnant l'intérieur des barils
on pourrait conserver l'eau plus longtemps dans les voyages
de long cours. Enfin, dans un dernier mémoire sur l'analyse
des substances végétales et animales, il a préludé en quelque
sorte aux méthodes découvertes par MM. Gay-Lussac et
Thénard pour réduire à leurs éléments par la combustion
ces combinaisons compliquées.
Ainsi se sont passées les cinquante années que Berthollet a
consacrées sans relâche à sa science favorite, voyant alter-
nativement naître de ses recherches ou quelque vérité neuve,
ou quelque aperçu profond, ou quelque procédé d'un emi>loi
immédiat. Aussi ne lui fut-il pas difficile de conserver le cahne
de l'esprit et de n'être point troublé par les choses du dehors.
C'est une tranquillité dont Berthollet a joui peut-èlre plus
qu'aucun homme dans sa position. Toujours prêt à remplir ses
devoirs, toujours courageux, mais toujours désintéressé, ce
qui lui arriva d'heureux ne fut point provoqué par ses sol-
licitations, et son propre avantage ne le retint jamais quand
il lui fut possible d'empôcher le mal d'autrui. Dans le temps
où la terreur régnait seule en France, il ne craignit point de
dire la vérité à ceux dont un mot donnait la mort , et l'af-
fection qu'à une autre époque lui montra l'homme qui dis-
tribuait des couronnes ne l'engagea point à lui faire sa cour.
Il ne manquait de courage d'aucune sorte. Momenta-
nément chargé , après le 9 thermidor , de la direction de
l'agriculture, il affronta, pour conserver les parcs de Sceaux
et de Versailles , tout ce qui subsistait dans la Convention
de la fureur révolutionnaire, et celui de Sceaux n'a été dé-
truit que pendant son absence. En Egypte, Monge et lui
ne s'exposaient pas moins que les militaires de profession :
ils se montraient partout. Devenu inséparable de Berthollet,
Bonaparte le prit avec lui, et l'embarqua à l'impro-
viste pour ce retour qui devait produire en France une si
prompte et si grande révolution. Dans cette immense puis-
sance où il fut bientôt porté, au milieu de ce tourbillon qui
ne lui permettait de prendre de rien une connaissance ap-
profondie, son chimiste d'Egypte était devenu pour lui une
sorte de savant officiel; et si quelqu'un ne lui faisait pas sur
un objet scientifique une réponse assez précise à son gré ,
il avait coutume de dire, et quelquefois avec humeur : Je
le demanderai à Berthollet. Il s'était habitué à placer
toutes les découvertes chimiques sur sa tête, et il a fallu
plus d'une fois que Bert'.iollet, qui ne voulait point se parer
du bien d'autrui, lui répétât les noms des véritables auteurs.
En de telles circonstances , un peu d'assiduité l'aurait
conduit à une aussi haute fortune qu'aucun des amis du
nouveau maître. Ce fut le moment qu'il prit pour se confiner
à la campagne. Nommé successivement administrateur des
monnaies, sénateur, grand officier de la Légion d'Honneur,
grand'croix de l'ordre de la Réunion, titulaire de la séna-
torerie de Montpellier, il conserva toujours et les mêmes
manières et les mêmes amis. Sa vanité ne fut pas mise en
jeu plus que son ambition. Lorsque ceux qui se trouvaient
dans une position élevée reçurent de-; titres et des insignes
héréditaires, et que chacun s'efforçait de faire placer dans
ses armoiries quelque emblème des faits dont il tirait le
plus de gloire, il ne voulut mettre dans les siennes que son
chien , que l'emblème de l'amitié et de la fidélité.
Aussi était-ce au milieu de l'amitié qu'il vivait dans sa
retraite, mais d'une amitié encore toute chimique : il y avait
construit un laboratoire; il y formait à la science des jeunes
gens dont il avait pressenti le mérite, et plus d'un chuniste
renommé lui a dû la première direction de son génie; il y
exerçait une noble hospitalité envers les chimistes étrangers,
et même envers ceux d'entre eux qui avaient le plus combattu
ses idées. Le monde doit à ces réunions savantes les trois
excellents volumes connus sous le titre de Mémoires de la
Société d'Arcucil. Berthollet fut le promoteur et le président
de cette société. « Il y trouvait , dit-il dans sa préface , la
douce satisfaction de contribuer encore à la fin de sa carrière
aux progrès des sciences auxquelles il s'était dévoué, plus
efficacement qu'il n'aurait pu le faire par ses propres tra-
vaux : » dernier trait de modestie, car les mémoires qu'il a
insérés dans ces volumes ne sont inférieurs ni à ceux qui
les avaient précédés, ni même à ceux de ses jeunes émules.
Il ne fallait rien moins qu'un grand chagrin domestique
pour altérer le bonheur d'un tel homme, et comme s'il ne
devait point y avoir d'existence exempte de revers , il en
éprouva un, et des plus cruels : la mort de son fils unique,
arrivée avec des circonstances déxhirantes. Dès lors toute
gaieté fut perdue pour lui. Pendant le peu d'années qu'il sur-
vécut, son air morne et silencieux contrastait péniblement
avec ses habitudes antérieures; on ne le vit plus sourire;
quelquefois une larme s'échappait malgré lui ; une discussion
importante de phjsique ou de chimie, quelque expérience
neuve et riche en conséquences, pouvait seule lixer assez ses
idées pour le distraire de sa douleur.
Sa dernière maladie fut de celles qui surprennent et
désespèrent toujours la médecine. Un ulcère charbonneux
venu à la suite d'une fièvre légère le dévora lentement pen-
dant plusieurs mois, mais sans lui arracher un mouvement
d'impatience. Cette moit qui arrivait à lui par le chemin de
la douleur, dont, comme médecin, il pouvait calculer les
88
BERTHOLLET — BERTIIN
pas et prévoir l'heure, il l'envisagea avec constance jusqu'à
son dernier moment.
Bcrthollet mourut le 6 novembre 1822, âgé de soixante-
quatorze ans. Georges Cuvier, de l'Académie des Sciences.
BERTHOLLET (Poudre fulminante de). Voyez Ful-
minates.
BERTIIOUD (Ferdinand), né le 19 mars 1727, à Plan-
ceniont, dans le canton de Neuchâtel, mort le 20 juin 1807,
à Groslay , près de Montmorency, contribua puissamment
au perfectionnement de la géographie et de la navigation
en faisant les premières horloges marines, ce qui lui mérita
d'être nommé successivement horloger-mécanicien de la
manne pour la construction et l'inspection des horloges à
longitude , membre de l'Institut , de la Société Royale de
Londres, et de la Légion d'Honneur. 11 a publié plusieurs
ouvrages dans lesquels il expose les principes de son art,
UERTHOUD (Louis), neveu et digne élève du précédent,
remporta, en 179S, le prix proposé par le gouvernement
pour le perfectionnement des horloges marines. 11 fut
membre de l'Institut et horloger de la marine, ainsi que
l'avait été son oncle, dont il continua les travaux avec succès.
11 mourut jeune encore, le 17 septembre 1813.
BERTiN (Antoine). Né le 10 octobre 1752, à l'île Bour-
bon , une année avant Parny , il vint comme lui étudier à
Paris , et obtint de brillants succès au collège du Plcssis.
Suivant Ginguené , il aurait même remporté le prix d'hon-
neur; mais cette assertion paraît tout à fait dénuée de fon-
dement. Ainsi que le chantre d'Éléonore , il entra de bonne
heure au service , et devint même chevalier de l'ordre de
Saint-Louis. En 1777 et 1778 il exerça les fonctions d'écuyer
auprès du comte d'Artois, et reçut des bienfaits de ce prince
et de la reine Marie-Antoinette.
Aussi spirituel que brave et galant, Berlin manifesta
dès l'âge de vingt ans un vif penchant pour la poésie. Une
foule de jolis vers de sa composition étaient répandus dans
la société. Il avaitraôme imprimé , dit-on , un petit recueil de
poésies en 1773, année du départ de Parny pour l'île Bour-
bon; ce recueil n'a laissé aucune trace; les érudits mime
et les bibliographes ne croient pas à son existence, malgré
l'asseition positive de Ginguené. Quelle que soit la véiilé à
ce sujet , Bertin , dans ses premiers essais , suivait l'école
de Dorât , avec lequel il avait contracté des liaisons de plai-
sir; il imitait la manière, le coloris faux et brillant de ce
poète, qui gâta comme à plaisir quelques dons heureux
de la nature. Le succès universel de Parny et le discrédit
rapide de Dorât dessillèrent les yeux de son élève. Enflammé
du désir d'obtenir aussi quelque gloire , il embrassa Parny,
et quitta Feuillancourt, leur retraite commune, pour un sé-
jour plus solitaire , et ses joyeux amis pour les élégiaques
de l'antiquité; il ne se contenta pas d'étudier avec soin Ca-
tulle, Tibulle et Properce, il les traduisit avec soin et en fit
des extraits considérables avec l'intention de leur donner
place dans ses élégies françaises. Avant que ce fait ne m'eût
été révélé par le chantre d'Éléonore, confident de tous les
secrets de Bertin, une lecture attentive et mes souvenirs
m'avaient appris qu'il n'écrit presque jamais d'original.
Bertin demande son goût et ses peintures de la campagne
à Tibulle, son esprit à Ovide, son enthousiasme d'amant
à Properce, ses vives images des plaisirs des sens à Catulle
ou à Jean Second , sa tendresse et ses larmes au chantre
d'Éléonore. Presque toutes les élégies qu'il publia sous ce
titre charmant : Les Amoîws, se composent de nombreux
larcins, qu'il dissimule plus ou moins bien, mais qui n'en-
trent pas toujours à propos dans le cadie de la pensée pre-
mière. Aussi manque-t-il entièrement d'unité dans la com-
position et de couleur propre dans le style. Quelquefois il
reproduit les anciens avec un rare bonheur ; telles do ses
imitations de Tibulle sont peut-être supérieures à toutes les
imilalionf que l'on a faites de ce pocte parmi nous. Mais la
fnroiir de copier entraîne le chantre d'Eucharis au point dt;
prendre dans Tibulle et d'appli(|ucr à une brillante héroïne
de nos cercles de Paris des détails de mœurs qui semble-
raient annoncer une courtisane de Rome , occupée à filer
son fuseau sous la garde d'une vieille esclave. D'autres imi-
tations donnent lieu à d'autres reproches.
Bertin est plus heureux dans ses imitations de Parny, qui
peint les mœurs de notre temps , et la vive passion de l'a-
mour telle que la sentent les modernes. Mais il se pénètre si
profondément de ce nouveau modèle , que souvent tout son
mérite est de le répéter, comme une glace fidèle réfléchit les
objets qu'on lui présente. Dans Parny la passion est vraie,
tendre, et devient plus profonde chaque jour, après avoir
paru légère dans la peinture de ses premiers plaisirs. Elle
remplit le cœur du poète, elle s'accroît en silence, et se ré-
pand sans peine au dehors , comme une eau vive que re-
nouvelle sans cesse une source abondante. Dans Bertin l'a-
mour paraît un sentiment factice ou emprunté ; l'orgueil ,
la vanité, la fièvre des sens, font fermenter son esprit, mais,
le cœur reste froid. Aussi, dans le tôte-à-tôte, cette grandej
épreuve de l'amour, sa conversation avecEucbaris est sté
rile, et, pour prévenir la froideur, il est obligé de faire ia
tervenir des tiers entre sa maîtresse et lui. Nous sentons)
que s'il n'appelait pas les anciens et Voltaire ou Parny à son
secours, Eucharis lui adresserait bientôt une question sem-
blable à celle de Bérénice à Titus , dont la froideur l'afflige
Ce coeur, après huit jours, n'a-t-il rien à me dire?
On a cité avec de grands éloges, et les femmes ainsi que
les jeunes gens, quelquefois également dupes de l'exalta-|
tion, ont retenu le début de la peinture du premier bon-
heur de Bertin :
Elle est à moi! diviaités du Pinde ,
De vos lauriers ceignez mon front vainqueur!
Elle est à moi! que les maîtres de l'Inde
Portent envie au maître de son cœur!
Ce début fait illusion au lecteur; mais, qui le croirait? un
triomphe si magnifiquement célébré par un homme qui noua
semble ivre d'orgueil et d'amour avait laissé en lui une im-
pression si faible, qu'impuissant à trouver des souvenirs et
des images , il s'est vu contraint de mettre à contribution
Ovide, Properce et Voltaire, pour les détails même de sal
victoire. Le cœur féconde tout dans Parny, l'esprit, l'ima
gination , les souvenirs des sens et le talent de peindre et
d'orner la vérité sans l'altérer. C'est encore dans un cœurj
tendre et sensible que Parny a puisé ce sentiment délicat des
convenances , ce choix d'expressions , cette pudeur de pa-
roles dont la poésie erotique ne saurait se passer, et que
Bertin oublie ou blesse quelquefois d'une manière si étrange.
L'amant d'Éléonore est toujours de bonne compagnie ainsi
que de bon goût. Berlin , qui avait cependant vécu au sein
d'une société élégante et polie, n'en a pas toujours conservé
l'empreinte. Dans ses élégies les plus agréables, certains traits
communs et presque grossiers désenchantent de tableaux
dignes de l'Albane; ils choquent les oreilles , comme une
expression libre qui s'échapperait tout à coup de la bouche
d'une lemine distinguée par la noblesse des manières et la
grâce du langage.
Si Bertin ne respire pas la douceur et la mollesse de
Parny, il le surpasse en éclat, en audace et en vigueur.
Trempé dans les sources antiques, il y puise parfois des
transports d'enthousiasme qui donnent presque le mouve-
ment lyrique à ses vers. Peut-être même la nature l'avait-
oUe appelé à la haute poésie; c'est une opinion que font
naître ses beaux vers sur l'Italie, et d'autres encore, qui
sont pleins d'inspiration.
Dans quelques-unes de ses pièces, Bertin n'a pris conseil
qnc de lui-même, et ce ne sont pas les plus faibles du re-
cueil. L'élégie qui a pour titre le Portrait d'Eucharis res-
pire tout l'enthousiasme d'un amant pour la beauté de sa
maîtresse, et contient de ces détails brillants et vrais qui
à
BERTIN
donnent à la poésie erotique une variété dont le genre a be-
soin. Toutefois, le nom d'idylle, suivant le sens que lui don-
naient les Grecs, conviendrait mieux à ce petit poëme que
celui d'élégie. D'autres pièces sont marquées au coin de la
véritable poésie , et quelquefois les plus élégantes formes de
stjie rendent avec éclat des pensées dignes d'elles. Les sou-
venirs de l'ile Bourbon, sa patrie, fournissent surtout d'heu-
reuses inspirations au compatriote de Parny. II se montre
amant et poète dans l'élégie Aux mânes d'Eticharis , mais
je ne voudrais pas voir Catilie intervenir dans la scène des
derniers adieux de Berlin à sa première maîtresse; il devait
payer seul un tribut de regi ets à cette Eucharis tant célébrée,
il ne devait s'occuper que d'elle sur son tombeau. 11 y a dans
les clioses de sentiment une délicatesse , une pudeur et un
caractère religieux qui demandent à être respectés. Parny
conuaissiiit tous ces mystères, qui ne s'apprennent pas, mais
que l'on trouve en soi quand oiia une àme tendre et que cette
âme est vraiment touchée.
Berlin reconnaissait Parny pour son maître, Parny voyait
dans Bertin son émule, et partagea toujours avec joie les
succès de son ami. Tous deux nés sous le môme ciel , tous
deux courant la double carrière des armes et des lettres,
tous deux favorisés des muses, tous deux célèbres dans les
fastes de l'amour, ils se chérissaient comme des frères, et
leur union ne fut jamais troublée par des jalousies d'auteur,
l^arny était pour lîerlin le juge plein de candeur qu'Horace
a vanté dans son cher Tibulle; Parny ne parlait jamais de
Certin qu'avec la plus tendre affection ; mais dans la con-
'idence intime il accusait Bertin d'être trop occupé de lui-
même ; il aurait voulu que Bertin s'oubliât pour être tout
entier à sa maîtresse. Il trouvait trop d'orgueil personnel et
pas assez d'amour dans le chantre d'Eucharis. « INIon ami,
me disait-il un jour, les femmes sur le piédestal, et nous
dans l'attitude de Pygmalion devant la beauté souveraine ,
voilà la poésie erotique. »
Bertin parait avoir cessé de bonne heure son commerce
avec les Muses ; du moins on ne voit plus paraître de vers
de lui depuis son édition de 1785. Est-ce une santé chance-
lante, est-ce le mariage de Catilie qui réduisit son amant au
silence ? On ne peut faire à cet égard que des conjectures.
Nous ne savons pas davantage comment il accueillit la révo-
lution française , qui avait excité lenthousiasme de Parny.
Bertin quitta la France à la fin de 17S9 pour aller à Saint-
Domingue épouser une jeune créole qu'il avait connue à
Paris. De longues formalités retardèrent la conclusion du
mariage jusqu'au commencement de juin 1791. Le jour où
la célébration devait avoir lieu , Bertin , dc'jà malade , de-
manda qu'elle se fît dans sa chambre ; mais à peine eut-il
prononcé le oui d'une voix très-faible qu'il s'évanouit. Il ne
reprit connaissance qu'avec une forte lièvre et des vomisse-
ments. Après des étreintes douloureuses, il mourut le dix-
septième jour de sa maladie , âgé d'un peu plus de trente-
huit ans, laissant une jeune épouse et toute une famille dans
le deuil. Parny lui survécut vingt-quatre ans, et ne cessa de
donner des regrets à la mémoire de ce jeune poète, qui du
moins avait conquis avant de mourir toute la renommé*
qu'il pouvait attendre de son Ulent.
P. -F. TiSSOT , de l'Acadcruie Française.
BERTIN (Tuéodore-Pierre), né à Donemarie en Brie,
près Provins, le 2 novembre 1751, était fils d'un avocat au
parlement. Employé dans la ferme générale , il s'était livré
avec ardeur, et, on peut le dire, avec une sorte de passion,
à l'étude de la langue anglaise , dans un temps où les chefs-
d'œuvre de la littérature de nos voisins d'outre-mer ne nous
étaient guère connus que par des traductions. Étonné de
l'oubli de Lelourneur, qui n'avait point compris dans les
œuvres choisies du célèbre auteur des Nitils la satire
d'Young sur l'amour rfe la Renommée, il en fit, vers 1788,
une traduction. La Vie de Bacon et un ouvrage de Wil-
liam Paley sur la justice criminelle et le jury ont été tra-
BICT, DE LA CONVERS. — T. lU.
8D
duits aussi avant la révolution de 1789 par T. -P. Bertin.
Ce fut en 1792 qu'il publia, non pas la traduction, mais
une imitation adaptée à la langue française de la Sténo-
graphie anglaise de Samuel Taylor, laquelle eut quatre
éditions, dont la dernière sorlit des presses de l'Imprimerie
impériale en 1804. Bertin a donc été, sinon par lui-même, car
il n'était pas praticien, mais par ses élèves et ses imitateurs,
l'introducteur en France de la sténographie.
Il avait préparé dans sa jeunesse une traduction complète
de Tom Jones; son but était de venger l'ingénieux, le phi-
losophe Fieldiug , des mutilations de Laplace. Son manus-
crit était presque achevé lorsqu'il fut devancé par des con-
currents plus diligents, entre autres par M. Davaux en 1794.
Forcé de renoncer à cette entreprise , qui aurait pu lui pro-
curer un succès durable, il traduisit une multitude de romans
anglais. On lui doit aussi deux versions libres des Curiosités
de la Littérature de d'Israéli , et des Misères de la Vie
humaine. Ce dernier ouvrage, qui a obtenu deux éditions,
a fourni le sujet d'une assez triste coméilic, représentée et
tombée au Théâtre-Français, en 1822.
Doué d'une imagination inventive, Bertin avait conçu le
projet de reliures vernies, pour lesquelles il avait pris un
brevet d'invention, et obtenu un logement à l'ancien Châle-
Ict avant sa démolition. Constamment occupé de physique,
il croyait avoir découvert une application nouvelle du siphon,
pour élever l'eau sans pompe ni piston au-dessus de sa
source, par la seule force ascensionnelle, qui, en faisant
passer le liquide de la petite branche dans la grande, rem-
plissait un réservoir placé au sommet. L'in^itut nomma des
commissaires pour examiner cet instrument; le crièbie
physicien Charles en fut le rapporteur. On étonna beau-
coup Bertin en lui montrant sa machine décrite ef gravée
dans le r/Y/<7e' de la Magie naturelle, par J,-B. Porta. Il
a été plus heureux dans une invention que personne ne lui
a disputée, celle des lampes docimastiqucs, destinces à rem-
placer par un éolipyle le chalumeau derémailleur, soit poiur
essayer les mines , soit pour travailler le verre.
Sur la fin de sa carrière, Bertin avait repris ses an-
ciennes fonctions de chef de bureau dans l'administration
des droits réunis. Il venait d'être mis à la retraite, lorsqu'une
attaque de paralysie, suivie d'apoplexie, l'enleva le 25 jan-
vier 1819. BllETON.
BERTIN (Jean-Victor), peintre de paysage, né à Paris,
en 1767, et mort dans la même ville en 1842. Soit cons-
cience, soit développement tardif, Bertin ne commença guère
à se faire connaître que vers l'âge de trente-trois ans. Le
premier ouvrage qu'il exposa lui attira des suffrages unani-
mes, et le mit à même d'entreprendre le voyage d'Italie,
d'où il revint avec un talent mûri. En 1808 il obtint une
médaille d'or, et sous la Restauration la croix de la Lé-
gion d'Honneur. Ce fut à cette époque qu'il fonda cette
école de paysage qui est devenue célèbre, et d'où sont
sortis tant de peintres habiles. Michalon , son élève , rem-
porta le premier grand prix fondé pour l'école de paysage,
et depuis lors jusqu'au moment de sa mort ce furent presque
toujours ses élèves qui obtinrent cet honneur.
Ce qui distingue surtout Bertin, c'est une sévérité de lignes
digne du Poussin et une heureuse haimonie de coloris. Seu-
lement, on pourrait peut-être lui reprocher ce qui, du
reste , fut le défaut général de son époque, d'avoir jeté la na^
lure dans un moule un peu uniforme et presque de convention.
Les tableaux de Bertin se trouvent répandus dans les
châteaux nationaux et dans les musées de province. JNous
ne pourrions les citer tous ici ; nous nous contenterons d'en
indiquer quelques-uns, tels que : une Fête du dieu Pan,
îine 0/Jrande à Vénus, Cicéron à son retour de l'exil,
une Vue de Nepi sur la roule de Rome, une Forêt, la
Fuite d'Angélique, une Fête de Bacchus.
BERTIN (Rose), marchande de modes, a mérité une
sorte de célébrité par son désintéressement , son courage, et
12
î>n
BEIITIIN
sa recoiiiiui-isancc. Née en 1744, à Amiens, et ayant reçu
de ses parents une éducation assez soignée, elle vint à Paris,
où elle fut ouvrière de la modiste du Trait-Galant , dont
la maison , aussi renommée pour la régularité de ses mœurs
que pour l'étendue de son commerce, fournissait plusieurs
princesses de la cour. Associée à cette maison. Rose Bertin
travailla ensuite pour son compte, et dut aux princesses de
Conti et de Laniballe et à la duchesse de Chartres l'avan-
tage de fournir, en 1770, les parures de ladauphine Marie-
Antoinette. Celle-ci, devenue reine , admit dans sa fami-
liarité M"'' Bertin, dont elle avait su apprécier l'esprit et
le caractère , et la chargea de toutes les fournitures de
modes pour la famille royale. Accueillie au château à toute
heure, il était bien dil'licile qu'elle n'en éprouvât pas
(juclque mouvement de vanité. On cite , à ce sujet , l'anec-
dote suivante : une dame du plus haut rang venait lui re-
demander des articles commandés depuis longtemps : « Je
ne puis vous satisfaire, lui répondit majestueusement
M"" Bertin ; dans le conseil tenu dernièrement chez la reine,
nous avons décidé que ces modes ne paraîtraient que le
mois prochain. » Malgré la vogue que cette modiste avait
obtenue à Paris et à Versailles, comme elle était mal payée
|)ar les fennnes des grands seigneurs et qu'elle excédait ses
dépenses pour soutenir son espèce de rang à la cour, sa
(ortnne se dérangea peu d'années avant la révolution , et sa
petite vanité fut punie par les railleries que cet événement
lui attira; mais les bienfaits de la reine ne lui firent pas
défaut. M'"' Bertin, de son côté, ne se montra pas ingrate.
En 1793, pendant la captivité de Marie-Antoinette, elle brûla
des registres de commerce où figuraient des fournitures qui
lui étaient encore dues par cette infortunée, et répondit
aux agents du gouvernement révolulionnaiie qui vinrent
1 interroger que la reine ne lui devait rien.
M"^ Bertin mourut à Paris, en septembre 1813, à
soixante-neuf ans. Les Mémoires publiés sous son nom en
1824 (à Paris et à Leipzig, in-8°) sont regardés comme
apocryphes, quoiqu'ils portent le cachet d'une femme médio-
crement lettrée. Us finissent en 1791, ne contiennent rien de
neuf ni de piquant, et paraissent n'avoir été écrits que pour
justifier Marie-Antoinette tles torts qui lui ont été imputés ,
surtout dans la fameuse affaire du Collier. La famille de
M"'-' Bertin a constamment réclamé contre l'authenticité de
ce livre. H. Audiffret.
BERTIN (Famille). Deux frères ont illustré ce nom par
la fondation du Journal des Débats, la plus grande affaire
de presse qui se soit faite en Europe peut-être, feuille po-
litique qui leur a survécu, et qui, encoredans les mains de leur
tamille , semble toujours destinée à marcher vers une for-
lune nouvelle à travers les révolutions les plus inouïes. Ces
«leux frères appartenaient à une famille riche et considérée.
Leur père, secrétaire du duc de Choiseul, premier mi-
nistre, mourut de bonne heure. Leur mère, femme de beau-
coup d'esprit et d'un grand sens, ne négligea rien pour leur
éducation, qui fut forte, longue et complète.
BERTIN Valné (Louis-Fkançois) naquit à Paris, le 13
décembre 17G6. Il était venu au monde assez à temps pour
admirer encore dans tout leur éclat les fugitives splendeurs
du siècle passé. 11 était né au beau milieu du doute et de
l'ironie, mais aussi au milieu de la poésie et des espérances
du dix-huitième siècle. Il aimait à parier de cette brillante
époque , et c'était merveille de l'entendre raconter comment
s'étaient évanouies toutes ces grandeurs, comment avait
éclaié 1789 au milieu des transports unanimes, comment
enfin la France entière, que l'on croyait sauvée pour jamais,
s'était précipitée tête baissée dans la Terreur et dans l'a-
narchie. Quand éclatèrent ces fureurs sanglantes, M. Bertin
était un tout jeune homme ; mais déjà ces abus de la force
l'indignaient outre mesure; déjà il se demandait avec in-
♦juiétude (juelle était donc l'espèce de liberté que nous dé-
ïobaicut les échafimds? Cependant il suivait d'un pas
ferme et d'un regard assuré cette révolution éperdue. Il
assistait, la tête haute, à ces condamnations insensées , a
ces supplices stupides ; il plongeait d'un regard dédaigneul
et ferme dans l'ignoble cruauté des bourreaux, dans l'hé-
roïque lâcheté des victimes. Aussi savait-il jour par jour
cette révolution française dont il eût été un si digne, un si
éloquent historien.
Voilà comment il mit à profit cette sanglante époque :
plus il voyait ces excès terribles , et plus il se disait à lui-
môme que contre des forces ainsi déchaînées il fallait in-
venter une force nouvelle et qui n'existait pas encore. Or,
quelle sera cette force qui peut sauver la société aux abois?
La tribune n'est pas à l'abri de l'épouvante et de la surprise ;
l'armée appartient à qui la commande ; le juge sur son tri-
bunal marche souvent avec lenteur : il faut une force active,
agissante , toujours prête , toujours mêlée aux passions du
moment , qui se fasse sa part souveraine dans les haines,
dans les amours, dans les libertés, dans les obéissances de
la nation Cette force, ce sera la presse périodique :
ainsi l'a deviné ce jeune homme. Mais cependant la liberté
de la presse , à peine née, qu'est-elle devenue? où est-elle?
qu'en a-t-on (ait déjà? Hélas! on en a fait un affreux instru-
ment de désordre, d'anarchie, de supplices, de calomnies : le
sang a remplacé l'encre, et l'écrivain écrit avec le poignard !
Ce fut à cet instant même, où la presse périodique sem-
blait s'être dévorée elle-même, que M. Bertin se mit à accom-
plir le grand projet qu'il avait rêvé au plus fort de nos boule-
versements et de nos tumultes. Aussi, à peine eut-il paru, le
Journal des Débats, sous cette direction puissante et forte,
qu'il fut salué pr^r tous les honnêtes gens comme une révo-
lution salutaire. Cette fois enfin la langue du journal était
trouvée ; cette fois enfin la passion, l'intérêt, la poésie, l'é-
vénement, la bataille de chaque jour étaient racontés par
d'honnêtes gens, dévoués à l'ordre, dévoués à l'art, au goût,
à la liberté sage ; les nobles instincts de cette nation fran-
çaise , violemment arrachée à cette urbanité qui faisait une
partie de sa gloire , se montraient de nouveau dans cette
histoire des événements de chaque jour. Or notez bien qu'en
si peu de temps toutes choses avaient été brisées et jetées
au vent , et que toutes choses étaient à refaire.
Destiné d'abord à l'état ecclésiastique, et pourvu d'un
petit bénéfice, M. Bertin l'aîné avait pourtant salué d'un
enthousiasme reconnaissant cette révolution de 1789 qui le
forçait à chercher une autre carrière. JMais quand le torrent
révolutionnaire menaça de tout détruire, M. Bertin se posa
comme un obstacle. Poussé par je ne sais quelle curiosiié
funeste, il assistait malgré lui à ces vastes funérailles de la
Terreur, et plus d'une lois sa haute taille, son beau visage,
l'indignation qui animait ses tiaits, l'élégance même de sa
personne , le désignèrent aux dénonciateurs et aux bour-
reaux de ces époques sanglantes; sa jeunesse le sauva, et
il paya son tribut à la révolution par quelques mois de
prison qu'il fit en très-bonne compagnie, comme cela était
d'usage , dans ces prisons ouvertes à tout ce qui restait de
grand , d'honnête et de généreux dans cette nation au dé-
sespoir.
Vint le Consulat, vint Bonaparte, tout-puissant par la
gloire , et tout-puissant surtout par la fatigue de la nation
française, qui ne voulait plus entendre parler de tant de
furibondes et sanglantes théories. Bonaparte , quand il eut
dévasté l'orangerie de Saint-Cloud et nettoyé la place Saint»
Roch, s'occupa de la liberté de la presse. Cette toute-puis-
sante liberté, qui a besoin d'être si respectable et si sage,
s'était tant vautrée dans le barbarisme et la fange, elle s'était
tellement attaquée à toutes les personnes et à tous les de-
voirs, qu'il n'y eut pas une seule réclamation en France
quand le premier consul écrasa du talon de sa botte cette
hydre aux mille têtes renaissantes. Bonaparte venait de dé-
cider que de toutes les feuilles politiques existantes douze
seulement survivraient : et encore, que leur laissail-il a
BERTIN
cellos-Ià? l'annonce des biens à vendre , le récit des batailles
copie dans le Moniteur, les lois nouvelles, et le spectacle
du jour au bas de la feuille. Rien de plus. Autrefois, sous le
Consulat et sous l'Empire, le plus grand journal se com-
posait d'une simple feuille in-4°, dans laquelle on trouvait
plus souvent une charade qu'un article de politique: la po-
litique de cette époque ne se discutait pas. Il n'y avait qu'un
homme dans ce temps qui eût le droit d'écrire Je premier-
Paris, c'était Bonaparte.
M. Bertin l'aîné, qui avait travaillé au Journal Français,
à l'Éclair (il 9b), au Courrier Universel, acheta, après le
18 brumaire, le titre d'un journal d'annonces 20,000 fr. à
Baudoin l'imprimeur. Quand il eut acheté ce privilège, res-
tait à l'exploiter : comment faire ? Avec le coup d'œil qui ne
l'a jamais trompé, M. Bertin comprit fort bien que le journal
qu'il projetait ne devait ressembler en rien aux journaux
de l'ancien régime ni aux journaux de la révolution. L'an-
cien régime, vaniteux, tout-puissant, protégé par la Bas-
tille, se contentait du Mercure de France, sous l'inspec-
tion de deuK ou trois censeurs. Le lieutenant de police et
la favorite usaient du Mercure de France à volonté et le
donnaient à qui bon leur semblait. Marmontel y imprimait
ses contes , et les beaux esprits de la cour y déposaient ,
sous un clairvoyant incognito, leurs logogriphes et leurs
rliarades : cela suffisait. C'est qu'en ce temps-là vivait, de
toutes les forces de l'ironie et de toutes les grâces de l'es-
prit, le plus puissant , le plus impérieux , le plus sceptique,
le plus moqueur, le plus redoutable , le plus français des
journaux , la correspondance de Voltaire. Ajoutez que l'op-
position au pouvoir, cette condition première de la presse,
n'était pas dans le journal. Elle était dans les livres, elle
était dans V Encyclopédie, aux discours de J.-J. Rousseau,
aux tragédies de Voltaire; elle était partout, excepté dans
le journal. Voilà ce que M. Bertin l'aîné avait bien compris
lorsqu'il entreprit le Journal des Débats. Mais, d'autre
part, le journal tel que l'avait fait la révolution française
était impossible sous un gouvernement qui voulait être craint
et respecté. Quand bien même le maître l'eût permis, la na-
tion française n'en eût pas voulu de longtemps. Et comment
faire un journal sous un empereur tout-puissant , qui ne
veut pas qu'on discute les lois, qu'on explique les faits,
qu'on ne dise pas seulement pourquoi ses armées vont si
loin et si vite ? Comment attirer à soi l'intérêt et l'attention
d'un peuple qui s'occupe de toutes ses gloires, et comment
lui faire lire un journal , à ce peuple émerveillé , qui peut
lire chaque matin une proclamation dictée par Bonaparte ?
C'était une tâche bien difficile , en effet , et il y avait de
quoi désespérer un moins hardi ; mais M. Bertin ne désespéra
pas. Il comprit tout d'abord qu'on ne pouvait pas faire un
journal si on ne pouvait pas parler librement. Alors , il
se mit à parler de la seule chose dont on pût parler encore :
il parla de la littérature et des théâtres ; il se figura que la
nation française , échappée à tant de tourmentes , ne serait
pas fôchée de se reposer quelque peu avec ses souvenirs
littéraires, car elle avait été arrêtée dans un beau moment
littéraire, la France du dix-huitième siècle! elle avait été
rejetée violemment de ses habitudes et de ses longues dis-
cussions , qu'elle aimait tant.
Pour accomplir son œu\Te, M. Bertin appela à son secours
des hommes de science, de talent et d'esprit, qui avaient
fort peu d'habitude du journal, et qui en firent tout d'a-
bord sans le savcfir. Ces hommes, c'était Geoffroy,
c'était D uss au It, c'était Féletz, c'était Delalot, c'était
M. Bertin de Vaux ; et tout d'abord, quand la France lut un
journal écrit avec mesure, pensé avec esprit, fait pour la
bonne compagnie, incisif et aussi hardi qu'on pouvaitl'ôtre
alors , la France fut émerveillée ; on eût dit qu'elle avait un
nouveau sens. La vogue du Journal de l'Empire (c'était
son titre depuis 1805) fut bientôt établie ; les Français d'alors
ne demandaient pas mieux que de s'occuper de théâtres ,
de livres nouveaux et de comédiens a leur début. Just»;-
ment, tout commençait eu France, le théâtre surtout.
Le dix-huitième siècle littéraire , coupé en deux par une
révolution politique, s'était réfugié en Allemagne , et nos
ignorants Français , sans s'inquiéter de ce siècle perdu et
sans songer à le continuer, comme c'était leur devoir, re-
montaient tout simplement au dix-septième siècle, et s'é-
vertuaient à refaire une poésie qui ressemblait au siècle de
Louis le Grand ; car eux-mêmes n'étaient-ils pas les poètes,
les historiens de Napoléon le Grand? Geoffroy se mit à
attaquer Voltaire corps à corps, et la nation applaudit
beaucoup à l'ennemi vivant de Voltaire mort. Le Journal
des Débats eut bientôt trente-deux mille abonnés dans cette
grande France que lui faisait Bonaparte. Après les arrêts
de l'empereur, il n'y en avait pas auxquels on obéît comme
à ceux du Journal de l'Empire.
L'influence. toute-puissante de ce journal à cette époque, le
nombre immense de ses lecteurs, c'est là une histoire unique
dans l'histoire de la presse périodique. Il fallait bien que la
France , réduite à ce grand silence , se sentît un immense
besoin de s'entendre, même à demi-mot, pour s'être mise
simultanément à lire un journal qui parlait plus souvent
de prose et de vers que de gouvernement et de bataille ,
plus souvent de Racine et de Boileau que de Bonaparte
et de l'empereur d'Autriche, d'autant plus qu'en dépit
même du souverain, les plus hautes questions politiques
s'agitaient dans ce journal , sans qu'aucune force pût l'em-
pêcher. C'était là une habile manière de rentrer dans les
affaires de l'État, par la littérature. D'autant plus que le
chef de la France avait ses opinions littéraires très-pronon-
cées; et alors, ne pouvant faire d'opposition au gouverne-
ment de l'empereur, on faisait de l'opposition à sa tragédie
et à ses poèmes descriptifs. On ne pouvait guère attaquer
ses généraux ; on soutenait ses antipathies de salon et de
poésie. Madame de Staël trouvait asile dans le Journal de
l'Empire; chassée de la cour impériale, exilée de la France
impériale, elleétait soutenue et rendue populaire parle/o«j-
nalde VEmpire. Chateaubriand était dans le même temps
protégé, défendu et compris dans le Journal de l'Empire.
Cette secousse donnée à l'art français par Chateaubriand et
madame de Staël était trop vive et trop spontanée pour lu
France. L'empereur d'ailleurs n'aimait pas qu'un autre
génie que le sien donnât des secousses ou même de; éton-
nements à la France. Il n'y eut donc en France que le
Journal de VEmpire qui vint au secours de ces deux gé-
nies ; bien plus, ce fut de ce temps de persécutions que date
la première amitié de M. de Chateaubriand et de M. Bertin.
Le grand poète confiait à la sévérité de son ami les épreuves
de son ouvrage : or, en fait de critique consciencieuse,
énergique , éclairée , amicale, intelligente, il était impossible
de rencontrer une critique supérieure à celle de M. Bertin,
homme du dix-septième siècle par ses études, homme du
dix-huitième siècle par l'urbanité de ses mœurs, homme de
toutes les époques par son admirable faciUté à comprendre
tout ce qui était jeune , tout ce qui était bon , tout ce qui
était naïf, tout ce qui pouvait se promettre un avenir.
Vous sentez bien (lue cette opposition même littéraire
dans un journal qui était lu, qui était dévoré de l'Europe
entière , ne pouvait pas durer longtemps. Le maître souve-
rain de ce monde ' agenouillé devant son épée et sa parole,
s'était bien fâché un jour contre le parterre, qui n'avait pas
admiré autant qu'il l'admirait lui-même la tragédie A^ Hector
par Luce deLancival : à plus forte raisonne pardonnait-
il pas l'admiration qui n'était pas la sienne. Vous savez
d'ailleurs si c'était un homme obéi , et sur-le-champ. Un
soir donc on avait joué sur le Théâtre-Français Edouard en
Ecosse, et le lendemain, par je ne sais quelle coïncidence,
le Journal de l'Empire avait parlé avec éloge des Stuarls ;
sans compter que le Mercure de France , qui appartenait
dans ce temps-là à AL de Chateaubriand et à M. Bertin, avait
17.
«)2
BERTIN
parlé aussi du Prétendant avec élofje. L'empereur, à son
réveil, vit toiif à ronp une conjuration contre son trône et
son pouvoir dans cette simultanéité de tons ces re^rets et
de tous ces éloges pour la famille légitime d'un roi d'An-
gletcire détrône comme l'avait été Louis XVL L'empereur
fait avertir son préfet de police. Aussitôt, l'ordre est donné;
il y aura quelques proscrits de plus : M. de Chateau-
briand, Alexandre Duval et M. Bertin l'aîné. M. Certin
l'aîné était exilé à l'île d'Elbe, ne se doutant guère à quel
captif il ouvrait les voies de cet exil ; le préfet de police lui
fit savoir qu'il eût à partir le lendemain pour son exil entre
deux gendarmes; en même temps, l'empereur disposait de
cette propriété du Journal de l Empire. Kon content de cet
e\il sans jugement, il dépouilla les propriétaires de ce noble
patrimoine qu'ils avaient fondé.
Une fois celle grande fortime partagée entre plusieurs
hommes de sa police et de sa littérature , tout ce que put
faire l'empereur pour l'homme qu'il avait dépouillé et exilé,
ce fut de l'oublier parfaitement. INL Dertin s'en alla d'abord
à l'île d'Elbe entre deux gendarmes. 11 resta là plus d'une
année, sans qu'on s'inquiétât de lui. A la (In, se voyant
com|)lélement oublié, il rompit son ban et s'enfuit en Ita-
h'e, cette patrie des beaux-arts, toujours libre par le privi-
lège des beaux-arts et du génie. En Italie, se voyant oublié
comme il l'avait été à l'île d'Elbe, et poussé par un im-
mense désir de revoir la patrie, M. Certin revint à Paris,
comme on revient d'un voyage d'agrément. Il avait été em-
p<'rté de France entre deux gendarmes ; il rentrait en France
connue on revient d'un long voyage. Telle était la légalité
de cette époque ! Voilà un homme qui a fondé la plus grande
entreprise littéraire et politique des lemps modernes :... un
signe du maître l'exile; on le dépouille de sa propriété, sous
prétexte qu'elle lui a élé assez profitable ; e\\\é, il revient
à Paris sans être rappelé, et Userait encore caché à Paris,
toujours dépouillé, toujours exilé, s'il n'avait pas été secouru
par une révolution.
Il fallut que Louis XVIII régnât sur la France, et que la
charte se fil jour dans les mo'urs de ce peuple, plus guerrier
que citoyen , pour qu'enfin la liberté de penser et d'écrire
s'établit sur de justes bornes. A la Restauration, M. Bertin
chassa les usurpateurs de son journal : c'est une restauration
qui a duré plus longtemps que celle du roi Louis XVllI.
Le Journal de r Empire avait été plus littéraire que po-
litique; sous la Restauration, le Journal des Débats fut plus
politique que littéraire. Le premier a recueilli et remis en
ordre ce (pii restait en France de bonne littérature et de bon
goiM ; il remit en honneur les modèles oubliés ; il a rpuni
en faiscKiu tant de not'ons éparses dont nous profitons au-
jourd'hui ; il a été au-devant des innovations et des nova-
teurs, peu h peu, d'un pas prudent, mais ferme. Sous ce
rapport, le Journal de l'Empire a eu chez nous une in-
fluence très-salutaire, et dont on ne peut calculer tous les
elfets. Cette première période du journal a été accomplie par
M. Bertin l'aîné, aidé de Geoffroy, de Dussault, de Féletz,
de Delalot, d'Hoffman, de Fiévée, de Malte-Brun.
Sous la Restauration, il y eut un mouvement en progrès
trè;)-prononcé. C'était l'époque où la mort de Bonaparte ve-
nait de réveiller tant d'idées poétiques assoupies dans l'âme
des peuples par la terreur, par l'étonnement ou par fa fatigue.
M. (le Lamartine écrivait ses premières Méditations poéti-
ques, ce livrequi était tout un avenir pour la poésie française.
Byron , à Venise, faisait éclater sa sauvage misanthropie et
s'abandonnait avec toute la verve du poète , avec toute la
rage du dandy, à ses sublimes caprices. En Allemagne, la
vioillc renommée de Goethe grandissait encore au milieu de
tant d'efforts tout allemands que faisait la philosophie fran-
çaise. En même temps, Schiller se révélait chez nous par
limitation, comme se révèlent tous les grands poètes étran-
gers. Victor Hugo était encore tout petit, peu lu et bien
moqué, mais déjà ferme et ocre, et soutenu par la conscience
de son talent. C'était donc une belle époque littéraire, qni
ne demandait qu'à être comprise. Le Journal des Débats
l'a comprise le premier. Cette fois encore, M. Bertin l'aîné
ne manqua pas plus à la littérature de la Restauration qu'il
n'avait manqué à la littérature de l'Empire. Il avait fait de
l'opposition à la littérature de l'Empire comme à une chose
morte et vaincue, il soutint de toutes ses forces la littérature
naissante de la Restauration. 11 ne manqua pas plus à lord
Byron qu'il n'avait manqué à Chateaubriand. Quand il vit
que Rossini devenait un pouvoir, il alla chercher dans la
foule un musicien, un rare esprit, M. Castil-Blaze, pour
faire parler, à la France, de Rossini et de Mozart. Il renou-
vela tout le personnel du Journal des Débats au moment
même où d'autres doctrines littéraires allaient surgir. Il
sentit que la vieille critique devait disparaître avec la vieille
littérature. Une critique ardente et jeune s'empara du Jour-
nal des Débats en même temps qu'une poésie ardente et
jeune s'emparait du monde des idées. C'est ainsi que, grâce
à sa jeune critique , le Journal des Débals le premier pro-
clama Walter Scott un grand romancier, M. de La Mennais
un grand écrivain, Victor Hugo un grand poète, après qu'il
eut été exécuté par Hoffman; mais l'exécution n'était pas
sans appel. Ceci a été un des miracles de M. Bertin : il ne
lui fallut que huit jours pour mettre le Journal des Débats
à la hauteur de la génération nouvelle. Il a appelé à hu' de
jeunes écrivains , les plus ignorés et les plus jeunes, M. Saint-
Marc-Girardin, M. de Sacy, le fils du savant orienta-
liste, E. Béquet, critique plein de sens, exact, ingénieux,
railleur et bonhomme, M. de Salvandy, reflet vigoureux
de M. de Chateaubriand, le premier jeune homme qui ait
travaillé à la seconde période du Journal des Débals. C'est
sur M. de Salvandy qu'a roulé toute l'opposition contre
M. de Villèle. Enfin, quand le successeur de Geoffroy, Du-
vicquet, ce bon et digne vieillard , si indulgent pour la jeu-
nesse, se sentit fatigué et déposa la plume, M. Bertin remit
cette plume entre les mains d'un jeune homme qui est
devenu vieux à son tour. Après une révolution à laquelle il
avait tant contribué, après son procès du mois de juin, qui
fut la première défaite des ordonnances de juillet, et dans le-
quel il porta la parole avec tant de noblesse et de courage,
M. Bertin resta journaliste; il ne voulut jamais être que
journaliste.
Aussi, comme l'a dit M. de Sacy sur cette tombe honorée
à tous les titres de l'esprit, du talent, du courage, de la
bonté, « M. Bertin aimait la profession qu'il avait choisie;
il aurait pu être tout ce qu'il aurait voulu être : il préféra
rester un journaliste! Proscrit à une époque, spolié it exilé
à une autre, battu par toutes les tempêtes, il revenait tou-
jours à son journal comme un soldai intnpide à son poste.
La vie de M. Bertin a été une vie de combat ; il a eu suc-
cessivement pour ennemis tous les partis, toutes les factions;
mais si l'on demande quel a été le principe de M. Bi^rtin
dans cette vie si agitée, je ne craindrai pas de répondre,
le journal qu'il a dirigé pendant cinquante ans à la main :
« C'est la raison , une raison qui l'elevait au-dessus de tous
les excès; c'est un sentiment juste et vrai des besoins et des
intérêts permanents de la société; c'est le désir, après tant
d'elforts inlructueux, de concilier l'ordre avec la liberté. »
M. Bertin l'aîné mourut le 13 septembre 1841. La veille
encore il signait le Journal des Débats comme gérant res-
ponsable. Ainsi pendant cinquante ans M. Bertin a suivi «le
très-près et de très-haut toutes ces révolutions qui se sont
succédé l'une à l'autre comme autant de coups de (oudre.
Pendant cinquante ans il a été appelé à dire à l'Europe en-
tière son opinion haute et franche sur tous les hommes, sur
tous les événements de ce temps-ci. Travail pénible , tout
rempli de difficultés, de périls et de calomnies de tout genre,
auquel ce courageux politique a résisté jusqu'à la fin ! Œuvre
presque incroyable, à laquelle il a usé doux générations
d'écrivains qu'il avait associés à sa noble tâche. Et note»
BERTIN
bien que pas un des détails de cet ensemble, qui n'est rien
moins que i'iiistoire complète du dix-neuvième siècle tout
entier , n'écliappait au rédacteur en chef du Journal des
Débats. Jules J.vmn.
BEKTIN de Vaux (Louis-François), frère du précé-
dent, naquit à Paris, le 18 août 1771. Il aida son frère dans
la formation du Journal des Débats politiques et litté-
raires, dont le premier numéro parut le 21 janvier ISOO.
En 1801 il fonda une maison de banque à Paris. Quelques
années après, il fut nommé juge , puis vice-président du
tribunal de commerce. Son frère, impliqué en l'an IX dans
une accusation de royalisme, se vit détenu pendant neuf mois
dans la prison du Temple, où les épreuves do son journal
lui étaient apportées. Ensuite Berlin l'ainé fut déporté à l'ile
d'Elbe, d'oii il s'échappa pour l'Italie. Arrivé à Rome, il y lia
connaissance avec Chateaubriand, dont il devint l'ami intime,
et qui ne tarda pas à prendre une grande influence sur le
Journal des Débats. En ISOi Berlin l'aîné revint à Paris;
la police ferma les yeux sur sa présence. 11 reprit même la
direction de son Journal; mais en 1805 Napoiéon imposa le
titre de Journal de l'Empire à la feuille des frères Berlin,
qui durent charger Fiévée de la rédaction en chef, en lui
payant un traitement de 50 à C0,000 fr. par an. Cependant
Fiévée laissa passer un morceau extrait du Mercure de
France, où Chateaubriand peignait Tacite marquant la
tyrannie d'une empreinte qui désignait suflisaminent l'em-
pereur. Celui-ci mécontent remplaça Fiévée par Etienne,
et les proprit'taires du Journal de L'Empire perdirent toute
iniluence sur la rédaction; ce qui n'empêcha pas qu'en 1811
ils furent tout à fait dépouillés, par un arrête de l'empereur,
de leur propriété. L'énorme revenu du journal, le mobilier
de la rédaction, jusqu'aux glaces et aux fauteuils, l'argent
en caisse, tout fut saisi sans arrêt des tribunaux.
A la chute du gouvernement impérial, les deux frères
Berlin se prononcèrent hautement pour les Bourbons, et
rentrèrent dans leur propriété. Au 20 mars , Berlin l'aîné
suivit Louis XVI 11 dans l'exil, et contribua à la rédaction
du Moniteur de Gand pendant que le Journal de l'Empire
repienait sous d'autres mains une couleur semi-oflicielle.
Berlin revint à Paris en même temps que les princes. Le Jour-
nal des Débuts se montra un des soutiens de la cause roya-
liste, mais en se séparant des ultras, qui ne voulaient tenir
aucun compte de la révolution. En septembre 1815 Berlin
de Vaux présida un des collèges électoiaux de Paris, qui le
choisit pour député. Un mois après il devint secrétaire
général du ministère de la police , place qu'il conserva jus-
qu'en 1817. Réélu en 1820, il échoua aux éleclious sui-
vantes; mais il représenta ensuite Versailles à la Chambre.
Conseiller d'État en 1827, puis démissionnaire en 1829, il
se rangea parmi les 221 députés qui votèrent celte fameuse
adresse dont le but était de renverser un ministère, et qui
culbuta un trône. C'était sans doute plus que ne voulait
Berlin de Vaux. Cependant, après les journées de Juillet il
s'associa à ceux de ses collègues qui proclamèrent roi le duc
d'Orléans.
Le renvoi de Chateaubriand du ministère avait jeté le
Journal des Débats dans l'opposition. En juin 1830 un
art'cle de Béquet avait fait passer Berlin l'ainé en police
correctionnelle, où il avait été condamné ; mais la cour royale,
sur la plaidoirie de M. Dupin aîné, avait cassé ce jugement.
Lors des fameuses ordonnances de Juillet, les rédacteurs
du Journal des Débats ne signèrent pas la protestation
des journalistes. Néanmoins le journal ne s'en attacha pas
moins avec vigueur au nouvel état de choses; bientôt même
il parut refléter la pensée intime du nouveau roi , et les la-
beurs tombèrentdru surtous ses rédacteurs. Berlin l'aîné eut
i'esprit de ne rien accepter pour lui ; il n'en eut que plus de
puissance pour ses amis. Berlin de Vaux, rappelé d'abord
au Conseil d'État, fut chargé de missions diplomatiques en
Hollande (22 septembre 1830) et en Angleterre. Une ordon-
93
nance du 13 octobre 1S32 l'appela à la Chambre des Pairs,
où il ne parla jamais. 11 survécut peu à son frère, et mourut
à Paris le 23 avril 1842.
On attribue à son frère quelques romans en partie tra-
duits de l'anglais (1798 et 1799) : Éliza, oif la Famille
d'Elderland; La Cloche de Minuit; La Caverne de la
Mort, et L'Église de Saint-Sil/rid.
BERTIN de Vaux ( Auglste-François-Thomas) , fils du
précédent, est né à Paris, le 26 mai 1799. Ayant embrassé la
carrière militaire, il devint officier d'ordonnance du duc
d'Orléans , puis aide de camp du comte de Paris. Député
de Saint-Germain- en-Laye de 1835 à 1842, il fut élevé à la
pairie le 13 avril 1845. Colonel du 5^ lanciers avant la révo-
lution de Février, il fut nommé officier de la Légion d'Hon-
neur à la suite des événements du 13 juin 1849.
BEUTIN (LoLis-MAiUE-Ai'JiAftD), naguère redacteurenchef
du Journal des Dé bat s, f\\s de Berlin l'ainé, naquit a Paris
le 22 août 1801. Admis dès 1820 au nombre des collaborateurs
de la feuille paternelle, il suivit Chateaubriand à Londres en
qi alité d'attaché d'ambassade, succéda à son père dans la di-
rection du journal, et mourut d'apoplexie le 12 janvier 1854.
iM. Armand Berlin sut, comme son père, conserver dans
la direction de son journal une certaine indépendance , toat
dévoué qu'il fût d'ailleurs au pouvoir. On raconte que Louis-
Philippe lui ayant envoyé uu jour, pour être publié dans le
Journal des Débats, un article où les hauts faits de son fils
le duc d'Aumale en Algérie étaient vantés outre toute me-
sure, ]\I. Armand Berlin lui renvoya le manuscrit tout
biffé; trait d'indépendance dont le vieux roi lui garda
constamment rancune.
Depuis la révolution de Juillet, le Journal des Débats, for-
tement rattaché à la dynastie des trois jours, avait fait une
certaine opposition à tous les ministères qui tendaient à res-
treindre l'influence royale. On l'avait vu attaquer Lalftte,
soutenir Casimir Périer, M. Mole, attaquer la coalition ,
M. Thiers, etc., puis attaquer et défendre tour à tour .M. Gui-
zot, etc. Sous la direction de M. Armand Berlin, il continua
la même politique. Combattant toute reforme, s'il était par-
fois en opposition avec les ministres, il ne semblait du moins
jamais l'être avec ce qu'on appelait la pensée immuable.
De nouveaux collaborateurs setaienl adjoints à ceux que
nous avons déjà cités : M.M. Cuvillier-Fleury, précepteur
du duc d'Aumale, Alloury, jMichel Chevalier, Benazet,
Th. Fi'i, J. Lemoinne, Ph. Chasies, Guéroult, Saint-
Ange, Berlioz, étaient venus grossir le bataillon poHlique
et littéraire du Journal des Débats.
Après la révolution de 1848, on aurait pu croire l'exis-
tence du Journal des Débats singulièrement compromise
à cause de tous ses antécédents; mais à ce moment M. A.
Berlin réussit à en assurer l'existence en se maintenant avec
une grande habileté au point de vue du parti libéral conser-
vateur, tandis que beaucoup d'autres feuilles qui avaient
jusque alors défendu les mêmes principes se jetaient dans
la réaction la plus violente, ou bien épousaient avec im( u-
dence les doctrines révolutionnaires les plus exagérées. Ne
cachant ni sa couleur ni .ses regrets, le Journal des Débats
combattit les gouvernements qui se succédèrent avec toute
la latitude que lui laissaient la loi ou les circonstances , et
sut du moins ne jamais se départir de l'urbanité que se doi-
vent des gens bien élevés , même quand ils se trouvent dans
des camps opposés. Tous les rapports des gens de lettres et
des artistes avec M. Arm. Berlin étaient de la nature la
plus bienveillante. Fidèle à la tactique paternelle, il avait
fait donner des croix, des pensions, des missions, des rubans
de toutes couleurs à tous ses collaborateurs, sans jamais rien
accepter pour lui-même.
Son frère Edouard Bertin s'est fait un nom comme pay-
sagiste.
[BERTIN (M"* Lolise-AiNCélique), née aux Roches, près
de Bièvrc, le 5 janvier 1805, est la sœur de .M. Armand
94
BERTIN — BERTON
Berlin. M"* Berlin possède celle inlelligence supérieure qui
semble héréditaire dans sa famille, et qui, modifiée par sa
qualité defemme, s'est manifestée dans de gracieuses et belles
compositions poétiques et musicales. C'est quelque chose
d'extraordinaire, et qui mérite l'admiration, qu'une femme
ayant fait applaudir la musique d'un grand opéra, Esmé-
ralda, à l'Opéra, pendant que l'Académie Française couron-
nait son recueil de poésies intitulé les Glanes.
Voici ce que M"* Berlin a publié , comme musicienne :
Ze Loup-Garoii, opéra-comique en un acte, représenté à
Feydeau le 10 mars 1827 ; Fausto, opéra itahen, en 4 actes,
représenté le 8 mars 1831 ; la Esméralda , opéra en 4 actes
représenté le 12 novembre 1836; plusieurs ballades sur
des paroles des Glanes. Comme poète on lui doit un vo-
lume de poésies intitulé : Glanes, publié en 1842. Toutes les
délicatesses d'un cœur tendre, rêveur et mélancolique, toutes
les inspirations d'une pensée en même temps naïve et élevée,
sont embellies par la forme pure , correcte et élégante , dans
les vers de M"^ Berlin. On est ému avant d'avoir admiré.
De môme, les gracieuses et fortes mélodies de ses créations
musicales sont rehaussées par la science, et l'on est charmé
des airs harmonieux , avant de s'être convaincu qu'ils sont
remarquables par l'art qui a présidé à leur composition. Et
cependant aucune de ces compositions n'a eu un succès
décidé. Il y a dans les ouvrages de M"* Berlin, comme dans
presque tous les ouvrages de femme, quelque chose de plus
personnel et de plus intime que dans les ouvrages des hom-
mes. On voit qu'ils se sont échappés de l'âme, bien plus qu'ils
n'ont été cherchés par l'esprit, et l'on devine que c'est dans
la retraite et le calme du foyer de famille que sont nées
leurs douces rêveries et leurs tendres inspirations.
jyjme yirginje Angelot. ]
BERTIIVAZZI (Charles). Voyez Carlin.
BERTIUS (Pierre), cosmographe célèbre et histo-
riographe de Louis XIII, étjiit né en 1565, à Beveren , en
Flandre, et mourut à Paris, en 1629. Il commença ses
études à Londres , où les troubles de religion avaient fait
passer sa famille, et alla à l'âge de douze ans les ter-
miner à Leyde, où le fit venir son père, qui était devenu
pasteur protestant à Rotterdam. Dès l'âge de dix-sept ans
il embrassa la carrière de l'enseignement public , et professa
successivement en Flandre , dans le Hainaul , dans le Bra-
bant , à Strasbourg. Il voyagea ensuite , dans le but de
perfectionner son instruction, en Allemagne, en Silésie , en
Bohême, en Pologne, en Russie et en Prusse, et revint
à la fin de ses voyages occuper une chaire à Leyde. On
l'avait en même temps chargé de la bibliothèque de l'uni-
versité de celte ville , et il en rédigea le catalogue. La part
active qu'il prit ensuite aux querelles théologiques des par-
tisans d'Arminius contre ceux de Gomar le força de quitter
Leyde, après avoir perdu ses différents emplois. Ciiargé d'une
nombreuse famille, Bertius passa en France, et, pour s'y
assurer du pain, se convertit avec éclat au catholicisme.
Les spéculations de ce genre ont rarement manqué leur
effet. Celle-ci aussi fut couronnée de succès , et valut au
néophyte une place de professeur surnuméraire de mathé-
matiques au Collège de France, et le litre d'historiographe
et de cosmographe du roi.
Bertius a laissé un grand nombre d'ouvTages. Nous ne
parlerons pas ici de ses écrits de controverse, origine de
toutes les misères de sa vie ; nous ne citerons que celui de
ses ouvrages scientifiques qui obtint le plus de réputation :
le Thealntm Geographix veteris (2 vol. in-fol., 1618 et
IfilO , EIzevir). Le premier volume comprend la géographie
de Ptolémée, en grec et en latin; le second renterme l'Iti-
néraire d'Antonin , la Notice des provinces de l'Enipne , la
Table de PeuUnger avec les commentaires de Veller, un
choix de cartes anciennes extraites du Parergon d'Ortelius,
avec le texte descriptif de ce savant géographe. Bien que ce
ne soit en définitive qu'une compilation assez mal exécutée.
surtout sous le rapport de la pureté des textes, le Then-.
trum de Bertius est encore aujourd'hui consulté par les
savants.
BERTON (Jean-Baptiste, baron), général de bri-
gade , né le 15 juin 1769 à Francheval, près de Sedan (Ar-
dennes), entra à l'école militaire de Brienne à l'âge de dix-
sept ans , lorsque Bonaparte en sortait. Il passa de cette
école à celle d'artillerie , qui venait d'être établie à Châlons
( Marne), et fut ensuite nommé sous-lieutenant dans la légion
des Ardennes. Promu au grade de capitauie dans les pre-
mières campagnes de la guerre de l'indépendance , il resta
dans l'élat-major de Bernadotte jusqu'en 1807. Le maré-
chal Victor, qui avait succédé à Bernadotte dans le com-
mandement de son corps d'armée , promit à Berton , alors
chef d'escadron , de le proposer pour le grade de colonel,
en récompense de ses signalés services à la bataille de
Friedland. Il n'obtint néanmoins ce grade que dans la cam-
pagne d'Espagne, en 1808.
Berton fut successivement chef d'élal-major des géné-
raux Valence et Sébasliani. Son courage, ses talents, crois-
saient avec le danger. 11 fit des prodiges de valeur à la
bataille de Talavera ; à celle d'Almonacid , il enleva la po-
sition la plus élevée du double pic sur lequel cette ville est
assise. A la bataille d'Occana, il fit une charge brillante à
la tête des lanciers polonais ; son sang-froid et son habi-
leté étonnèrent toute l'armée. Le prince Sobieski, à côté
duquel il avait été blessé , l'embrassant en présence de sou
régiment : « Je ferai savoir à ma nation, lui dit-il, l'hé-
roïque intrépidité avec laquelle vous venez de combattre à
la tête de ses enfants ; je demanderai pour vous la croix du
Mérite militaire : les Polonais seront fiers de la voir briller
sur la poitrine d'un brave tel que vous. » Berton , à la tête
de deux mille hommes, s'empara de Malaga, défendu par
sept mille Espagnols, qu'il fil prisonniers. Il fut nommé, par
le maréchal Soull, gouverneur de la place qu'il venait de
conquérir. La guerre n'offrit plus, après la bataille des
Arapiles , qu'une suite de retraites. Berton se distingua par
ses talents stratégiques. Un décret impérial du 30 mai 1813
le nomma général de brigade. Il commandait une brigade
à la bataiOe de Toulouse , où vingt mille Français eurent à
combattre une armée triple en nombre, sous les ordres de
Wellington, qui perdit plus de monde que les Français
n'avaient de combattants.
Mis à la demi-solde en 1814, il reprit son rang dans
l'armée nationale en 1815, et combattit à Waterloo à la
tête des 14^ et 17*^ régiments de dragons. De retour dans
les murs de la capitale avec sa demi-brigade, il suivit l'ar-
mée sur les bords de la Loire. Après le licenciement , il se
fixa à Paris; mais il n'y jouit pas longtemps de sa liberté;
il fut arrêté par ordre du directeur général de la police,
Mounier, et détenu à la prison de l'Abbaye, dont il ne sortit
qu'après cinq mois de captivité , et sans avoir été mis en
jugement. Il publia ensuite plusieurs ouvrages de stratégie,
et adressa plusieurs pétitions à la Chambre des Députés,
dans lesquelles il rappelait avec une énergie toute française
les promesses royales de la proclamation de Cambrai , et
réclamait l'observation fidèle de la charte. Le ministre de
la guerre Latour-Maubourg le fil rayer des contrôles de
l'armée. Quelque ressentiment était permis à un vétéran de
l'ancienne armée, dont le sang avait coulé sur tant de
champs de bataille, et qui se voyait arbitrairement éliminé
des contrôles des braves et privé de sa retraite. Il publia
un mémoire contre le directeur général de la pofice, Mounier,
auteur de sa longue et illégale détention ; puis il partit pour
la Bretagne, et , après un court séjour à Brest et à Rennes
il se rendit à Saumur. Ce fut là qu'il vit les chefs de l'assi
cialion patriolique connue sous le nom des Chevaliers rfi
la Liberté. Cette association s'était formée depuis quelque
temps; son but avoué était de signaler les abus, de pro-
téger les libertés publiques et de maintonir \k^ institutions
I
BERTON
95
! garanties par la cliarte. Berton eut quelques conférences
avec les cliefs de l'association. Il en accepta le commande-
ment, à condition « qu'on ne tirerait pas un coup de fusil,
même dans le cai où l'on résisterait et où l'on prendrait
l'initiative ». Il aurait ajouté « qu'il était louahle sans doute
de vouloir empêcher son pays d'être esclave , mais qu'il
fallait surtout éviter l'anarchie... » Telle est la version con-
firmée par une lettre de M. Chauvet, qui a joué un grand
rôle dans ce qu'on appela la conspiration de Saumur, lettre
datée de Londres, du 22 septembre 1822. L'auteur, parvenu
à échapper à toutes les poursuites de la police, s'était réfugié
dans la capitale de la Grande-Bretagne.
Le 24 février 1822, Berton se rendit, pendant la nuit, à
ïhouars, revêtu de son uniforme de général, la cocarde tri-
colore au chapeau, et à la tête de cinquante hommes ar-
més. Le drapeau national flottait dans leurs rangs. 11 pro-
clama un gouvernement provisoire, qui devait être composé
de cinq membres de la Chambre des Députés, dont les noms
étaient indiqués. Cette proclamation fut publiée dans la
ville ; il pourvut à la nomination de nouveaux fonctionnaires
publics : quelques magistrats furent conseivés. Berton pre-
nait le titre de général commandant la garde nationale de
l'Ouest. Bientôt, aux cris de Vive la liberté! vive Napo-
léon III il se dirigea sur Saumur. Sa troupe se composait
de vingt cavaliers et de cent vingt fantassins. Prévenues de
sa marche, les autorités s'étaient mises sur la défensive ; il
avait déjà traversé le pont Fouchard, quand le maire se
présenta à lui, et obtint que son entrée serait différée au
lendemain. Berton repassa le pont, le fit barricader, et éta-
blit des postes pour éviter d'être surpris. Il garda sa posi-
tion jusqu'à minuit.
Informé alors que les autorités réunies avaient décidé de
s'opposer de vive force à l'entrée de sa troupe le lendemain,
il donna l'ordre de la retraite. Après avoir fait halte à Mon-
treuil, il continua sa marche jusqu'à Brion. Son intention
était de se replier sur Thouars ; mais toutes les précautions
avaient été prises pour s'opposer à son retour. Il jugea à
propos de renoncer à son entreprise; les chefs et les autres
attroupés se séparèrent, et lui-même erra pendant quelque
temps dans les départements des Deux-Sèvres et de la Cha-
rente-Inférieure. On avait fait courir le bruit qu'il était passé
en Espagne ; mais il s'était réfugié à Laleu, chez un de ses
amis. Un sous-officier de carabiniers, Wolfel, avait obtenu
sa confiance par toutes les démonstrations d'un dévouement
sans bornes et d'une discrétion à toute épreuve : c'était im
traître ; il avait tout révélé à son colonel, M. Bréon, et, d'a-
près les ordres de ce chef, il avait continué des relations
avec Berton, qu'il avait ordre de ne pas perdre de vue. Il
poursuivit son rôle d'observateur tant que l'on conserva
l'espérance d'obtenir quelques renseignements sur les projets
du général et sur l'association des Chevaliers de la Liberté,
que l'on supposait n'être autre chose que l'association des
carbonari français ; mais quand on eut acquis la certitude
que les Chevaliers de la Liberté n'avaient plus de centre
d'action et que l'association était dissoute de fait, on donna
à Wolfel l'ordre d'arrêter le général.
L'apparition d'une force armée considérable eût pu avertir
Bcf'on du danger dont il était menacé , et provoquer de sa
part une vive et éclatante résistance. Wolfel lui présenta
plusieurs fois des militaires de son régiment, au nombre de
trois , dont il lui garantissait le dévouement pour la cause
de la liberté. Un jour qu'ils revenaient ensemble de la chasse,
à peu de distance de la maison de M. Delalande, notaire, où
ils étaient attendus pour dîner, Wolfel le couche en joue, en
lui disant : « Vous êtes prisonnier. » Les trois autres tien-
nent le général en arrêt, et sont prêts à faire feu. Berton,
surpris, mais non effrayé, répond à Wolfel : « Je ne m'at-
tendais pas à cela de votre part, vous qui venez de ra'em-
brasser. » Wolfel, sans l'écouter, avait ordonné aux trois
soldats de tirer sur le prisonnier s'il faisait le moindre mou-
vement. Il allait chercher un détachement qui était embus-
qué à quelques pas, quand il s'aperçut que Magnan, qui ac-
compagnait le général , se disposait à entrer dans la maison
pour amener du secours et le délivrer; il déchargea à Tins
tant ses pistolets sur lui , et l'étendit mort à ses pieds. Le
général était sans armes. Le détachement ne se lit pas at-
tendre , et le général fut conduit au château de Saumur. De
l'or, peut-être, et toujours du mépris, c'était ce que la po-
lice devait à Wolfel pour prix de ses services : il fut immé-
diatement nommé officier.
Ceci se passait le 22 juin. Le général Berton et ses cin-
quante-cinq coaccusés furent , par arrêt de la cour royale
de Poitiers, renvoyés devant la cour d'assises de Niort, dans
le ressort de laquelle la conspiration avait éclaté ; mais sur la
demande du procureur général , et malgré la plaidoirie de
M^ O. Barrot, la cour de cassation renvoya l'affaire, pour
cause de suspicion légitime et de sûreté publique, devant la
cour d'assises de Poitiers. Le 26 août les débats commen-
cèrent : quarante accusés étaient présents , et entourés de
gendarmes armés de leurs carabines. Berton déclina la
compétence de la cour , et insista pour son renvoi devant la
Cour des Pairs , seule compétente pour juger les complots
à main armée contre le gouvernement royal. Il avait choisi
pour conseil et pour défenseur M* Mérilhou, qui ac-
cepta ; mais comme il appartenait au barreau de la cour de
Paris , cet avocat ne pouvait , sans l'autorisation du garde
des sceaux , plaider hors du ressort de cette cour. L'autori-
sation fut demandée et refusée powr des considérations po-
litiques. M. Mérilhou écrivit au président de la chambre
d'accusation de Poitiers , et demanda à défendre le général
comme ami. Ce président promit de le permettre, si mon-
seigneur le garde des sceaux ne s'y opposait pas. Nouveau
refus! Et cependant notre législation criminelle de toutes les
époques consacre le principe que la défense est de droit na-
turel. Privé d'un défenseur de son choix, le général, pour se
renfermer dans les restrictions du Code , désigna M* Mes-
nard, avocat à Rochefort, et, par conséquent, dans le res-
sort de la cour de Poitiers. Encore un refus ! La cour nomma
d'office un avocat de Poitiers, M" Barbau, qui n'accepta
point. Par une nouvelle décision, elle lui substitua M^ Drault.
Berton persista à demander M* Mesnard ; il n'y avait rien de
raisonnable , de légal à objecter à sa requête. La protestation
du général , fondée sur le droit naturel et sur la législation,
(ut rejetée. L'accusé se vit donc contraint d'accepter l'avo-
cat d'office : il l'eût demandé lui-même s'il l'eût connu.
M" Drault ne put lui parler qu'à travers deux grilles dis-
tantes l'une de l'autre de quelques pieds , et en présence du
geôlier et de deux gendarmes. Plus l'accusation est grave,
plus il importe que l'accusé ait une libre communication avec
son conseil. Cette communication fut refusée à M* Drault.
Il y a plus, sa qualité d'avocat lui donnait le droit d'entrer
dans la prison , et cette entrée ne lui était accordée que sur
une permission spéciale du procureur général Mangin, visée
par le colonel de la gendarmerie. M*" Drault, avocat désigné
par la cour elle-même , réduit par les plus arbitraires prohi-
bitions à ne pouvoir présenter qu'une défense incomplète,
dut s'en abstenir et protester contre tant d'illégalités fla-
grantes. C'était son droit et son devoir : il fut rajé du ta-
bleau.
Les accusés étaient conduits à l'audience sur des charrettes
fermées , garrottés avec des chaînes ou des cordes , et les
soldats de leur nombreuse escorte avaient l'ordre de faire
fermer toutes les fenêtres dans les rues qu'ils traversaient
pour aller de la prison au palais. Le général se maintint
dans un système absolu de dénégations quant à l'existence d'un
complot ; il soutint que l'unique but de sa démonstration était
d'obtenir le redressement des abus et l'accomplissement de
toutes les garanties stipulées par la charte, sans l'emploi de
moyens de vive force. Les débats se prolongèrent pendant
dix-sept jours. Cinq accusés furent condamnés à la pciuft
98
BERTON
de mort , les autres à un long emprisonnement. Les enCants
du général n'avaient pu, avant l'arrêt, voir leur père, et ce-
pendant ils y étaient formellement autorisés par le ministre
de la guerre et le garde des sceaux. Ces deux ministres
avaient sans doute en secret donné des ordres contraires
au procureur général de Poitiers , qui refusa impitoyable-
ment toute comuninication du père avec ses fils. Ces jeu-
nes infortunés, instruits du fatal arrêt et munis de nouvel-
les permissions ministérielles, s'étaient liâtes de se rendre
de l'aris à Poitiers pour recevoir les derniers embrassemenis
de leur père. Us arrivèrent trop tard. Le pourvoi , appuyé
sur des motifs qui semblaient devoir déterminer infaillible-
ment la cassation de l'arrêt, avait été rapidement jugé, et le
rejet transmis à Poitiers par estafette dans la nuit du 4 au 5
octobre 1822.
Sur les cinq condamnés à mort, trois étaient contu-
maces; le géniral Berlon et le docteur Caffé, ancien cbirur-
gien-niajor des armées , étaient seuls présents. Caffé avait
dans tout le cours des débats montré le plus noble carac-
tère, et s'était défendu avec un rare talent. Dès que le rejet
du pourvoi lui eut été notifié, il s'ouvrit l'artère crurale. Le
bourreau ne trouva plus qu'un cadavre. Berton restait seul.
Les tristes préparatifs ne furent terminés qu'à onze lieures
du matin. Berton , dont les cbeveux étaient coupés , et déjà
tout préparé pour l'écbafaud, fut conduit dans la cuisine de
la prison, où l'attendaient deux missionnaires, mandés pour
la double exécution. Le suicide de Caffé avait rendu inutile
le ministère de l'un des deux. Tous deux étaient restés.
« Messieurs, leur dit Berton, dispensez-vous de m'accom-
pagner ! je sais aussi bien que vous tout ce que vous pouvez
me dire. » Une petite charrette l'attendait dans la cour. Il
y monta d'un pas ferme , et les deux missionnaires se pla-
cèrent à ses côtés. 11 franchit avec une tranquille gravité les
degrés de l'écbafaud, en répétant ces cris : Vive la liberté !
Vive la France! Deux minutes après il n'était pluï. Ses
deux lils n'avaient pu le revoir à ses derniers moments ; ils
demandèrent qu'il leur fût permis de couvrir d'une pierre
le lieu où leur père avait été inhumé... Cette dernière grâce
leur fut refusée 1
Le procès du général Berton eut un long retentissement
en France. L'opinion publique, déjà froissée par le zèle fa-
rouche déployé dans le cours de cette affaire par le trop
fameux Man^in, llétritdn nom d'assassinat une condamna-
tion que le pouvoir n'eût peut-être pas obtenuedu jury , si
la défense avait été libre. Il y a dans ce fait une preuve de
plus que la position des Bourbons n'était pas tenable.
DUFEY (de l'Yonne).
BEIITON (HENhi MONT AN), compositeur de musique,
né à Paris, le 17 septembre 1767, était lils de Pierre Mon-
tan Beiton, compositeur, chanteur, acteur, organiste, et en-
fin chef d'orchestre, puis directeur de l'Opéra, qui, comme
on le voit, jouissait d'une des plus belles positions musicales
qui lussent alors. Destinant son fils à sa profession, illui lit
apprendre la musique dès l'àge de six ans, et bientôt après
le violon , en sorte qu'à quinze ans le jeune Henri , qui en
1780 avait perdu son père, fut admis à l'orchestre de l'O-
péra comme surnuméraire , et devint titulaire l'année sui-
vante. II reçut des leçons de composition de Rey , profes-
seur et compositeur médiocre, qui ne parut pas soupçonner
les heureuses dispositions de sou élève. Par bonheur l'opi-
nion de son maître ne le découragea pas, et, sans trop s'in-
qin'éfer de la rigueur des règles du contre-point, il chercha
d'aboid à se rendre compte de la musique qu'il exécutait à
l'Opéra et de celle qu'il allait entendre aux Italiens les jours
où il n'élait pas occupé.
Il est à croire que les opéras de Paesiello, qui alors s'in-
Irodnisaienten France, fiappèrent vivement son imagination,
car ses premiers ouvrages s'écartaient notablement du sys-
tème de chant français alors en usage, dans lequel il était
si rare de rencontrer une pensée mélodique liahilemcnt dé-
veloppée. Il avait débuté par des cantates ou pièces ana-
logues, exécutées au Concert spirituel dont son père avait-,
eu la direction ; mais il désirait ardemment mettre en mu-
sique une œuvre dramatique, et il s'essaya en 1786 dam
un acte intitulé le Premier Navigateur, qui n'a jamais été
représenté ; il en écrivit l'année suivante un autre sur des
paroles de Morlière; cet ouvrage, qui portait pour titre la
Dame invisible, était achevé lorsque le jeune auteur se sentit
tout à coup frappé de vives craintes pour le résultat , en
sorte qu'il n'osait faire aucune démarche pour en obtenir la
représentation, m"* Maillard, première cantatrice de rOj)éra,
s'intéressait vivement à lui ; elle s'empara de la partition,
et, sans le lui dire, la porta au célèbre Sacchini, qui, trou
vant dans cet essai les germes d'un beau talent, et voyant
surtout avec plaisir un jeune compositeur français se rap
procher autant qu'il le pouvait du beau style et de la belle
manière de l'école italienne, voulut voir l'auteur, et lui dit
de venir chaque jour travailler chez lui. Berton avait trou-
vé précisément le maître qui lui convenait le mieux , car
Sacchini se contentait de corriger ses compositions, en lui
indiquant sommairement ce qui était défectueux et l'habi-
tuant surtout à ne jamais négliger la pureté et la beauté de
la mélodie.
Ces leçons ne durèrent pas longtemps, car Sacchini mou-
iTil dans l'année même ; son élève en avait heureusement
profité. Ne songeant plus à sa Dame invisible, il écrivit
en 1787 les Promesses de Mariage, composition légère et
gracieuse donnée à la Comédie Italienne, et suivie rapidement
de deux autres actes, les Brouilleries (1789) et les Deux
Sentinelles (lldO), dontle succès fut grandement dépassé par
les Rigueurs du Cloître, en deux actes, paroles de F levée,
données presque aussitôt après. On aurait tort de croire que
le succès prodigieux de ce dernier ouvrage vint surtout des
paroles; la musique y entra pour une bonne part. En 1790
Berton avait fait répéter à l'Opéra Cora, en trois actes, que la
situation politique empêcha de représenter. Huitautres pièces,
parmi lesquelles on remarque Ponce de Léon, dont il avait
écrit les paroles et la musique , se succédèrent jusqu'en
1798. L'année suivante parut Montano et Stéphanie, chef-
d'œuvre de l'auteur et l'un des ouvrages les plus remar-
quables qui se soient montrés sur la scène française depuis
le mouvement musical opéré dans le dernier quart du dix-
huitième siècle. Grâce, énergie, élégance de mélodie, origi-
nalité dans la cantilène, habileté et sagesse dans l'orches-
tration, tout s'y rencontre à un degré éminent, et aucun
morceau faible ne suspend l'admiration de l'auditeur. Cet
ouvrage produisit sur le public une impression qui ne s'&st
ralentie à aucune des nombreuses reprises qu'on a faites de
ce beau drame» ^1"' marqua la place de Berton parmi les pre-
miers compositeurs français.
Nous ne pouvons citer ici tous ceux des ouvrages de Ber-
ton qui ont obtenu plus ou moins de succès; mais nous de-
vons au moins mentionner d'une manière spéciale le Dé-
lire (1799), Aline,reine de Golconde (1803), ouvrages qui,
dans des genres fort différents , ne sont pas inférieurs à
montano; la Romance ( 1804), où se trouve un duo co-
mique, chef-d'œuvre d'esprit et de goût mélodique ; les Ma-
ris garçons (\^0G) , Françoisede Foix {i8Q9), les Mousque-.
taires (1824); tous ces ouvrages ont été représentés au
théâtre Feydeau. Berton a aussi donné à l'Académie de Mu-
sique seul ou en société plusieurs opéras et ballets; par-
mi ceux qui n'appartiennent qu'à lui on remarque Virgi
nf'e (1823); ses œuvres de théâtre, en y comprenant les,
grandes cantates, s'élèvent à plus de cinquante-cinq. Il esf
en outre auteur de quantité de romances et de plusieu
charmants canons de société, dont quelques-uns sont deve
nus populaires.
Lors de la première organisation du Conservatoire de M»
sique à Paris, en 1795, Berton y fut nommé professeur d'ha
monie. De 1807 à 1809 il eut la direction de l'Opéra-Bui'"
puis itoviul chef du chant à TOpéia sous Tadministralion
de iMcard jusqu'en 1815. Cette même année, le nombre des
membres de la section de musique à l'Institut ayant été
augmenté, il y fut nommé; et lors de la réorganisation du
Conservatoire sous le nom d''École royale de Musique et
de Déclamation, il y fut appelé comme professeur de com-
position et membre du jury d'examen, emplois qu'il a con-
servés jusqu'à sa mort. 11 a formé pendant sa longue car-
rière un grand nombre d'élèves.
Berton n'était pas seulement musicien, il possédait des
connaissances littéraires assez étendues ; il s'est abusé sur l'u-
tilité de ses ouvrages théoriques : son Arbre généalogique
des Accords, son Dictionnaire des Accords et son Traité
d'Harmonie n'ont obtenu aucun succès. Il a publié des ar-
ticles dans quelques journaux, fourni à V Encyclopédie mo-
derne de Courtin ceux qui concernent la musique, et revu
les délînitions musicales de la dernière édition du Diction-
naire de l'Académie Française. Il a eu le malheur d'é-
crire contre la musique de Rossini une brochure assez promp-
tement oubliée pour que sa réputation n'ait pas eu à en
souffrir.
Au reste, cette attaque, qui étonnerait chez un musicien
formé à l'école italienne si l'on ne savait combien il est fa-
cile de ne pas saisir le côté vrai des questions musicales, ne
prouve rien contre le caractère et le mérite de Berton, qui
tout au contraire a peut-être été le moins envieux des mu-
siciens; aucun n'a eu un plus grand nombre d'amis, que sé-
duisaient surtout la parfaite égalité et la gaieté habituelle de
son caractère, son extrême bienveillance pour tout le mondé,
le plaisir qu'il avait à obliger et surtout à protéger les jeunes
artistes. Et pourtant cet homme d'une humeur si égale et
d'un si excellent cœur avait dès l'iige de vingt ans souffert
les cruelles atteintes de la goutte, et les progrès de cette ter-
rible maladie avaient suivi les années, en sorte qu'il restait
souvent plusieurs mois entièrement pcrclu, mais conser-
vant toujours une entière liberté d'esprit , et se plaisant
même dans cet état à créer certaines compositions burles-
ques qu'il affectionnait infiniment. Ayant toujours vécu en
artiste, qui ne songe guère au lendemain , il avait de bonne
heure vendu ses droit; d'auteur, et ne subsistait que de ses
émoluments du Conservatoire et de l'Institut. Il eut de plus le
malheur de perdre ses deux fds, dont l'un était professeur de
chant et compositeur et l'autre peintre, tous deux distin-
gués; sa fille, dont l'esprit plein d'élévation retraçait le ca-
ractère de son père, leur survécut bien peu ; mais il eut la
consolation de conserver la compagne de sa vie, entre les
bras de laquelle il expira le 22 avril 1S44, regretté de tous
ceux qui avaient eu le bonheur de le connaître. II était le
doyen des compositeurs français, et en lui s'éteignit le der-
nier rejeton de cette école qui suivit celle de Monsigny et
de Grétry, et dont l'influence a conservé à la musique de
nos théâtres les principaux traits du genre français.
Adrien de Lafage.
liERTRADE ou BERTHE de Montfort, fille de Si-
noon, comte de Montfort, et seconde épouse de Philippe I'"',
1 oi de France, avait été, jeune fille encore, mariée au comte
li'.Vnjou, Foulques le Rechin, en 1089. Ce mari, vieux, dif-
forme , usé par les débauches , avait déjà répudié deux
femmes. Il convenait peu à la belle comtesse de Montfort ;
aussi, le roi Philippe I*"'", qui vivait séparé de Certiie, sa
femme, étant venu à Tours, reçut de Dertrade une lellre
de félicitation , qui n'était qu'un message d'amour. Le roi
le comprit ainsi. Il prit un rendez-vous avec la belle com-
tesse, et l'enleva pendant qu'on bénissait les fonts baptis-
maux, le jour delà Pentecôte de l'an 1092. Une fois réunis,
les deux amants s'occupèrent du soin de légitimer leur
amour par le mariage, liertrade lit aisément annuler celui
que la violence lui avait imposé précédemment; et Philippe,
=ious prétexte de parenté, lit casser le sien avec Derthe, qui
lu reste mourut piu de temps après. La bénédiction nup-
DICT. \)K I.A COXVEKS. — T. III.
BERTON — BERTRAND DE BORN 97
tiale leur fut donnée par l'évêque de Senlis à Paris, kais l'é-
vêque de Charti'es, Yves, se mit à protester. Un concile s'as-
sembla à Autun le 6 novembre 1094, et Philippe y fut ex-
communié pour avoir épousé Bertrade. Le pape Urbain II
déiendit de célébrer le saint sacrifice partout où le roi se
trouverait. Philiiipe alla trouver le pape à Nîmes, et reçut
l'absolution après s'être engagé en plein concile à se sépa-
rer de Bertrade. Mais la vie lui devint insupportable, et il
reprit sa femme en 1097. La cour de Rome lança de nou-
veaux anathèmes. La mort vint soustraire l^hilippe à ses
tourments, en 1108.
Quelques historiens assurent que le pape aurait cédé de
guerre lasse, et parla crainte d'exciter un schisme en France,
et que Philippe et Bertrade auraient été définitivement ab-
sous. Bertrade avait payé bien cher le beau titre de reine
de France. Elle avait été l'objet des plus ridicules calom-
nies; mais il paraît démontré que sa conduite fut sans re-
proche , qu'elle aimait uniquement le roi son époux. Louis
le Gros, fils aîné de Philippe et son successeur, avait pour
sa belle-mère toute l'estime, toute la tendresse d'un fils. On
peut opposer aux satires, au dévergondage d'incriminations
d'Yves et de ses hargneux partisans le témoignage hono-
rable du sage Suger, ami et premier ministre du roi Phi-
lippe. Bertrade était, à la mort de ce prince, dans tout l'é-
clat de sa beauté. Elle resta fidèle à la mémoire de son
époux, et prit le voile parmi les religieuses de l'ordre de Fon-
tevrault, qu'elle avait richement doté. Elle passa le reste
de ses jours dans le monastère de Hautes-Bruyères, où elle
mourut, le 19 janvier 1117 ou 1118.
Bertrade avait eu de son premier mariage, avec Foulques
le Rechigné, un fils , qui fut depuis comte d'Anjou et roi de
Jérusalem, et de son second mariage, avec le roi Philippe I",
deux fils et une fille : 1° Philippe, comte de Mantes et sei-
gneur de Melun-sur-Yèvreset de Montlhéry ; 2" Florus, Flore
ou Fleuri, qui depuis épousa l'héritière de Nangis ; 3" Cécile,
mariée en premières noces à Tancrède, prince deïabarie, et
ensuite à Ponce, comte de Tripoli. Dufey (de l'Yonne.)
BERTRAJ\D DE BORJV fut à la lois un des plus
célèbres troubadours et le plus grand batailleur peut-être du
douzième siècle. Vicomte de Hautefort, et châtelain redouté
dans l'évôchédePérigueux, réunissant près de mille hommes
sous sa bannière féodale, « il était, dit son biographe proven-
çal, bon cavalier, bon séducteur de (emmes {domnejaire)
et bon troubadour. « Brave, infatigable, adroit et bien par-
lant, il embrassait également les bons et les mauvais pro-
jets, et tout son temps, môme en campagne, il l'employait
à exciter de nouvelles guerres, tantôt contre le comte de
Périgord, tantôt contre le vicomte de Limoges, tantôt contre
son propre frère Constantin. « La paix ne me convient pas ,
dit-il lui-même, la guerre seule me plaît. Que d'autres
cherchent, s'ils veulent, à embellir leurs châteaux et à se
faire une vie douce. Pour moi, faire provision de lances, de
cas(|ues, d'épées, de chevaux, c'est ce que j'aime. »
Fidèle à cotte ligne de conduite, Bertrand ne manqua pas
de se mêter de toutes les querelles de Henri H, roi d'Angle-
terre, et de ses fils, Richard comte de Poitou et Henri duc
de Guienne, que ce prince avait imprudemment associés
à sa couronne. Intùneraent lié avec ce dernier, qui était
l'aîné, Bertrand le poussa à se révolter contre son père et à se
déclarer souverain des possessions continentales dont le gou-
vernement lui avaitété confié. Sous son inspiration, en 1 173,
les principaux seigneurs d'Aquitaine se confédérèrent avec
Henri le jeune roi, et Louis VII de France reconnut ce
dernier. Mais, au grand chagrin de Bertrand, et tandis qu'il
poussait la guerre avec vigueur , Henri se soumit à son
père. INéanmoins, la ligue foiinée et excitée par ses chants
subsista, grâce à lui, et il continua la lutte. « Puisque le
seigneur Henri , .s'écria-t-il , n'a plus de terre et qu'il n'en
veut plus avoir, fiu'il soit proclamé le roi des lâches. Puis-
qu'il a trahi les roitcvins cl (lu'il leur a menti, qu'il ne
13
BERTRAND DE BORN — BERTRAND DE MOLLE VILLE
98
compte plus être aimé d'eux. » Et les Aquitains répétaient
avec enthousiasme ce cri ; mais les chances de la guerre
leur furent contraires. Ricliard Cœur de Lion vint en force
mettre le siège devant le château de Bertrand. Le trouba-
dour, bien que trahi par ses alliés , négocia si adroitement
que Kichard, troubadour lui-même, lui fit merci et luiren-
dit son château. Bertrand se vengea alors d'Alphonse d'A-
ragon, dont la tralxison avait hâté la prise d'Hautefort, par
un sir vente.
En 1 182 , toujours sous l'inspiration de Bertrand , Henri,
prince faible et indécis, se révolta de nouveau, sans trop
savoir pourquoi, contre son père; mais sa mort, aiTivoe
iîicnlôt après , laissa derechef le troubadour exposé seul à
la colère du roi d'Angleterre , qui vint l'assiéger dans Hau-
tefort, et, malgré sa vigoureuse résistance, le fit prison-
nier (1184). Anicné devant le redoutable vainqueur , d'un
mot il sut désarmer sa colère. « C'est donc vous qui vous
vantiez d'avoir tant d'esprit? lui dit le roi. — Je pouvais
dire cela dans un temps , repartit Bertrand ; mais en per-
dant votre fils j'ai perdu tout ce que j'avais d'esprit et
d'habileté. » Au nom de son fils , le roi d'Angleterre se prit
à pleurer et s'écria : « Bertrand, malheureux Beilrand!
c'est bien raison que vous ayez perdu l'esprit depuis que
mon fils est mort, car il vous aimait uniquement; et pour
l'amour de lui, je vous rends votre liberté, vos biens, votre
château. » Et il lui rendit tout en effet, poussant la généro-
sité jusqu'à lui faire compter cinq cents marcs pour payer
les frais delà guerre. Mais Dante, moins facile à apaiser,
n'en a pas moins placé l'auteur de ces guerres parricides
dans un des cercles de son Enfer, où il nous peint Ber-
trand portant sa tète séparée de son corps en guise de
lanterne.
Bertrand , au fond peu touché de la clémence de Henri,
ne cessa point ù'excUer des guerres, et peu après il eut la
joie de voir Richard Cœur de Lion, qui avait succédé à son
frère Henri dans le gouvernement de l'Aquitaine, et qu'il
avait surnommé Oul-et-non , prêter l'oreille à ses conseils
et sur le point de se révolter contre son père. Avant que
les armes eussent décidé du sort de cette révolte , le vieux
roi d'Angleterre était mort (1188), et Pdchard lui ayant
succédé de droit, les plans de Bertrand durent changer. Une
nouvelle croisade était alors réclamée à grands cris; le nou-
veau roi d'Angleterre était jeune et aventureux ; le roi de
France, Philippe-Auguste, bien plus politique, avait néan-
moins l'ambition de rivaliser en tout avec Richard : Ber-
trand ne crut pouvoir mieux faire que d'envoyer, d'un coup,
les deux puissants ennemis de son pays en Palestine. Du
haut des murailles de son château, il fit, par ses sirvcntes,
pour la liberté de l'Aquitaine ce que les papes firent tant
de fois du haut du saint-siége pour agrandir leur pouvoir : il
prêcha la croisade. Sans jamais s'éloigner de Hautelbri,
Bertrand ne cessait de gémir sur les envahissements des
.Sarrasins , et déiilorant la lenteur des seigneurs et des rois
à les réprimer, il plaisantait lui-même sur son inaction vo-
lontaire, tout en gourmandant celle des autres.
Les sirventes de Bertrand eurent la plus grande infiuence
sur l'opinion publique; le roi d'Angleterre et le roi de l^rance
s'observaient l'un l'autre, et aucun d'eux ne voulait partir
le premier ; enfin , entraînés par le cri de la chrétienté , ils
partirent ensemble, en 1191. Ou sait l'issue désasheuse de
cette expédition, et la captivité de Richard. Lorsqu'il re-
vint, il trouva ses domaines continentaux envahis , soit par
Philipjie, soit par ses vassaux d'Aquitaine. Il pan'int à
soumettre ses vassatix , et guerroya avec eux contre la
France. Mais la fougue chevaleresque de Richard et des
Aquitains se trouva bientôt paralysée par le génie poli-
tique du roi de France, qui finit par arracher la paix à Ri-
chard. Ce n'était pas le compte de l'Aquitaine, et Bertrand
provo(|ua de nouveau la guerre entre ses deux jiuissants
voisins par un sirvente: A ce nouveau mani/csle en vers.
il joignit d'activés négociations; la paix fut rompue, et il
chanta cet événement, mais ce fut son dernier chant. Ici
l'histoire le perd de vue, et les biographes ne parlent plus
de lui que pour nous dire qu'il mourut sous le froc , à
Cîteaux.
— Son fils fut aussi troubadour, et on lui attribue deux des
cinquante-quatre pièces de vers qui composent le recueil
de son père. Ayant fait hommage à Philippe-Auguste pour
sa terre de Hautefort, il suivit ce prince à la bataille de Bou-
vines , et s'y fit tuer.
— H y a eu, au treizième siècle, deux autres troubadours
du nom de Bertrand, Bertrand (TAlamanon et Bertrand
de Gordon. Ce dernier n'est connu que par un dialogue
poétique ( ^ensoJi ) dont l'idée est la même que celle dont
Molière a tiré un si grand parti dans sa scène entre Vadius
et Trissotin des Femmes Savantes. 11 reste de l'autre,
Bertrand d'Alamanon , quelques pièces de vers adressées
à une tante de la célèbre Laure , tant chantée par Pétrarque.
Jean Aicard.
BERTRAND DE MOLLEVILLE (ANTOiNE-Fr.AN-
çois, marquis de ), mmistre de Louis XYI, fut l'un de ses plus
maladroits serviteurs, comme l'un des adversaires les plus in-
capables de la révolution française. Né à Toulouse, en 1744,
il fit son apprentissage à l'école du ministre Maupeou, fut
nommé mailre des requêtes , puis intendant de la province
de Bretagne , et reçut avec le titre de commissaire du roi la
dangereuse mission de dissoudre le parlement de Rennes.
Il n'échappa qu'avec peine, ainsi que le comte de Thiars,
aux bâtons de la jeunesse bretonne, qui s'arma pour défen-
dre ses magistrats et ses franchises provinciales. A peine eut-
il été nommé ministre de la marine (4 octobre 1791) qu'une
opposition très-vive éclata contre lui dans le sein de l'As-
semblée législative , et cette opposition du côté gauche fut
souvent soutenue par celle du côté droit, qui, voulant
transiger avec la révolution et faire succéder au roi par la
grâce de Dieu un roi constitutionnel , se défiait du zèle im-
prudent de Bertrand de JloUeville et des traditions du minis-'
tère l\îaupeou. ^
Le texte ordinaire de l'opposition violente, des accusations
multipliées du côté gauche, ce fut l'expédition de Saint-
Domingue. On reprochait au ministre, tantôt de n'avoir
choisi pour cette expédition que des aristocrates , tantôt de
s'opposer secrètement à l'émancipation des noirs. H paraît
en effet prouvé que Bertrand de MoUeville, qui, dans un
discours mieux accueilli que les autres par l'Assemblée lé-
gislative, avait attribué les maux de Saint-Domingue aux
amis imprudents des noirs , ne sut point appliquer à ces
^laux les remèdes qu'il avait indiqués et mériter par ses
actions l'approbation qu'on avait accordée à ses paroles; et
que ses intrigues administratives, ses ordres contradictoires,
mécontentèrent également et les amis des noirs et leurs en-
nemis. La perte de Saint-Domingue lui fut attribuée, sans
doute avec quelque raison. L'Assemblée législative usa d'é-
quité peut-être autant que d'indulgence en refusant de don-
ner suite à l'accusation proposée à ce sujet contre le mi-
nistre de la marine. Celui-ci n'avait remporté que des suc-
cès fort négatifs, puisque son triomphe se bornait à n'avorj
été ni condamné ni même jugé ; il fut même contraint,'
pour satisfaiie l'Assemblée sur quelqi-.es points, de lui au-
noncer la destitution du marquis de Vaudreuil, l'un de ses
principaux agents et l'un des plus fougueux ennemis de la
révolution.
Le lendemain même du jour où l'Assemblée l'avait absou
Htirault deSéd.elles fut chargé par elle de faire sur la co
duite de Bertrand de MoUeville un rapport qu'on mit soi
les yeux du roi. Celui-ci se déclara naturellement |>our soi
ministre; et lorsque, cédant aux instances de ses collègir'
Bertrand de MoUeville eut quitté le ministère delà marii
Louis WI lui donna celui de sa police scciète , c'cst-à-.l
la direction du comité autrichien, connue on disait nkn
BERTRAND DE MOLLEViLLE — BERTRAND
90
Ddnoncé aux Jacobins en cette nouvelle qualité, il n'en con-
tinua pas moins ses fonctions occultes et ses ridicules efforts
etintre la révolution. Il avait observé que les tribunes pu-
bliques, occupées par les jacobins ou par leurs émissaires ,
communiquaient à l'Assemblée législative l'énergie révolu-
tionnaire qui devait plus tard être le caractère de la Con-
vention, et le ministre de la police sscrèle crut que la mo-
narchie de saint Louis serait sauvée s'il faisait taire les tri-
bunes , ou s'il les faisait applaudir et crier pour la cour.
Enfin Bertrand de ]Molleville, décrété d'accusation le
15 avril 1792, après avoir essayé vainement une nouvelle
évasion de Louis XVI, fut forcé de se réfugier en Angleterre,
où son séjour se prolongea jusqu'en 1814. Là, consacrant à
des travaux littéraires les loisirs de l'émigration, il publia
une Histoire de la Révolution française, en 10 vol. in-8°
(Londres, 1801; Paris, 1803). Une seconde édition parut
plus tard sous le titre à'' Annales de la Révolution française,
9 vol. in-8°. Le ministre proscrit écrivit également une
Histoire d'Angleterre , depuis les Romains jusqu'à la paix
de 1763 (Paris, 1815, 6 vol. in-s"); et après son retour en
France, il lit paraître (1816) des illémolres particuliers
sur la fin du règne de Louis XVI. Le vieil avocat de la
contre-révolution était assez heureux cette fois pour plaider
en (ixreur des coupables devant des juges qui lui donnaient
volontiers gain de cause ; mais nous ne conseillerions à per-
sonne d'étudier l'histoire de notre révolution dans ces dif-
férents ouvrages. Bertrand de MoUeville est mort à Paris,
en 1818. T. ToDssENEL.
BERTRAND (Henri-Gratien, comte), général de di-
vision , connu surtout par son dévouement à l'empereur ,
naquit à Cliâteauroux, le 23 mars 1773, d'une famille hono-
rable du Berry.D'a|irès le désir de son père, maître des eaux
et forêts, il se destina d'abord au génie civil; mais les
guerres que la France avait à soutenir le déterminèrent à
prendre du service et à entrer dan^ le génie militaire. Le
10 août 1792 ii avait déjà fait partie, comme garde national,
d'un des bataillons qui s'étaient portés volontairement aux
Tuileries pour y défendre Louis XVL En 1795 et 1796 il
servit en qualité de sous-lieutenant dans l'armée des Pyré-
nées. En 1797, après avoir concouru ;\ la formation de l'école
Polytechnique et y avoir parfois suppléé Monge, il lit partie
d'une ambassade envoyée à Constantinople. Compris dans
l'expédition d'Egypte, il s'y distingua sous les yeux du grand
homme , à la gloire et au malheur duquel il voua plus tard
le reste de sa vie. Demeuré avoc Klébcr après le départ de
Bonaparte, et s'étant signalé chaque jour, en fortifiant des
places et en rendant des services nouveaux, il reçut les
brevets de lieutenant-colonel , de colonel et de général de
brigade, qui lui furent accordés successivement, mais que le
môme vaisseau venu de France lui apporta à la fois en
Jtgypte.
Ce fut principalement au camp de Boulogne, en 1804 ,
que Napoléon , plus à même d'apprécier l'étendue des con-
naissances et toutes les qualités estimables du général Ber-
trand, lui accorda son amitié. A la bataille d'Austerlilz, le
2 décembre 1805, Bertrand donna de nouvelles preuves de
ses talents militaires et de son courage. Après l'affaire , on
le vit, à la tête d'un faible corps qu'il commandait, ramener
un grand nombre de prisonniers et dix-neuf pièces de ç.[\my.\
enlevées à l'enuemi. Ce fut à l'issue de cette campague que
Napoléon l'admit au nombre de ses aides de camp. 11 le
chargea d'attaquer la forteresse de Spandau, que Bertrand
contraignit à capituler le 25 octobre 1806. Le vainqueur de
cette place se montra de la manière la plus éclatante à Fried-
land, le 14 juin 1807, et reçut pour récompense les éloges de
l'empereur, qui ne les prodiguait pas. A la fin de mai 1809,
Bertrand, lors de la bataille d'Essling, rendit par la ra-
pide construction de ponts hardis jetés sur le Danube, pour
assurer les communications de l'aimée française, le service
le plus essentiel de la campagne et le plus iiautement pro-
clamé par la reconnaissance de Napoléon , qui plus tard a
consigné ce fait dans ses Mémoires. Ce fut par l'active ha-
bileté du général Bertrand que l'armée française , enfermée
dans l'île Lobau , parvint à traverser ce fleuve pour se porter
sur le champ de bataille de Wagram.
En 1812 il accompagna l'empereur en Russie, et en 1813 en
Saxe; et la valeur qu'il y déploya le porta à un si haut degré
dans l'estime de Napoléon , qu'à la mort du duc de Frioul,
Du roc, tué à Wurtschen, Bertrand fut nommé grand ma-
réchal du palais. L'armée applaudit à cette distinction, comme
à la récompense de rares talents et de grands services. Les
2 et 20 mai 1813, le général Bertrand commandait à Lut-
zen et à Bautzen le 4® corps de la grande armée, et il
soutint par sa bravoure sa première réputation. Il com-
battit en diverses circonstances et presque partout avec
avantage Bernadotte et Bliicher ; et si le 6 septembre sui-
vant ce héros de fidélité fut moins heureux à Donnewitz
dans une attaque contre le prince royal de Suède , si le gé-
néral prussien lui fit éprouver, le 16 octobre, au passage de
l'Elbe, une perte assez considérable, c'est que déjà la fortune
semblait vouloir abandonner nos armes. Mais dès le len-
demain, 17, l'engagement fut repris, et le 18 le général Ber-
trand, en s'emparant de Weissenfeld et du pont sur la
Saale, protégea efficacement la retraite de l'armée, à la suite
de trois journées meurtrières, qui ne furent en quelque sorte
qu'uTie seule et interminable bataille. 11 rendit des services
non moins importants après H an au, en occupant la position
de Hocheim dans la plaine qui s'étend entre Mayence et
Francfort. Dans cette double circonstance, comme après
que ledépartde Napoléon lui eut laissé un difficile commande-
ment , il déploya une admirable énergie et un persévérant
courage pour sauver les derniers et glorieux débris de notre
armée.
De retour à Paris en janvier 1814, Bertrand fut nommé
par l'erapereur aide-major général de la garde nationale;
mais il n'en remplit qu'un moment les fonctions, et repartit
dès le commencement de février pour cette campagne de
Champagne, où Napoléon déploya, dans une situation que la
trahison vint rendre désespérée, tout ce que le génie de la
guerre peut concevoir et exécuter de plus merveilleux. Après
la capitulation de Paris, le comte Bertrand , fidèle au mal-
heur comme il l'avait été à la puissance et à la gloire, n'hésita
pas un instant à suivre Napoléon. Toutefois , avant ce
qu'il appelait lui-même la dette de la reconnaissance et
de l'honneur, il faisait passer ses devoirs envers la France.
En allant s'enfermer, avec son empereur, dans cette île
dont on avait fait une souveraineté, il écrivit une lettre que
de prétendus juges et des accusateurs passionnés ont bien
pu incriminer, mais qui doit être un titre de plus pour les
hommes qui mettent le culte de la patrie au-dessus de tous
les autres. « Je reste sujet du roi , » avait-il , en partant ,
écrit au gouvernement nouveau ; et il avait ajouté, avec une
tendresse touchante , dans la lettre d'envoi de cette décla-
ration adressée au duc de Fitz-James, son très-proche allié,
le 19 avril 1814 : « Je désire pouvoir aller visiter ma famille.
Il y a plus de trois ans que je n'ai vu ma mère. Si dans un an
j'ai recours à vous pour obtenir la permission (ie venir passer
quelques mois à Cliâteauroux dans le sein de ma famille ,
je compte sur votre obligeance , mon cher Édouara- »
Moins d'un an après, les fautes de la Restauration , les
humiliations de la France avaient préparé et provoqué le
retour de Napoléon. Les déclarations les plus solennelles ,
trop tôt oubliées, avaient relevé le pays du serment qu'on
lui avait fait prêter. Le comte Bertrand s'embarquait, le
26 février , en qualité de major général de cette armée de
huit cents hommes, dont le drapeau et la cocarde suffirent à
Napoléon pour reconquérir la France. Le l®"' mars il con-
tresignait au golfe'Jouan les proclamations de l'empereur;
le 20, après cette marche, à la rapidité, à l'entraînement
triomphal de laquelle la postérité aiu'a peine à croire, il en-
13.
100
BERTRAND — BERTUCH
trait aux Tuileries avec JN'apoléon , auprès de qui il repre-
nait immédiatement ses fonctions de grand maréchal.
Le comte Bertrand contribua puissamment à la reconstitu-
tion de l'armée, qui se trouva réorganisée avec une activité
qui tientdu prodige. Enfin, arriva la journée de Waterloo,
l'arti pour l'armée à la suite de Napoléon, il y subit l'arrêt
de la fortune que la bravome ne put conjurer, et revint avec
l'empereur pour ne plus le quitter à partir de ce moment,
A Paris , à la Malmaison , à Rocliefort, sur le Bellcrophon,
à Sainte-Hélène, il confondit sa destinée avec celle de l'homme
extraordinaire à la gloire fabuleuse duquel quelque chose
eût manqué peut-Ctre si son raalheurn'eùt pas fait naître le
plus sublime dévouement.
Si les vainqueurs d'un jour exercèrent leur haine en con-
finant et torturant sur un roc meurtrier celui qui les avait
vaincus pendant vin.ut ans, ceux qui avaient profité de cette
triste victoire ne surent pas respecter davantage le malheur,
le dévouement, la veilu. Le7 mai 1810, à un an de distance
des grands événements que nous nous sommes borné à
dater, le conseil de guerre de la première division militaire
condamnait à mort le général comte Bertrand pour crime de
trahison. Cette condamnation fut un crime inutile : l'An-
gleterre ne livra point Bertrand. Et pourtant on avait osé
plaider au nom de l'accusation que l'intérêt avait été le mo-
bile secret du dévouement du général!
A Sainte-Hélène, Bertrand écrivit sous la dictée de Napo-
léon le récit des opérations de ceile campagne d'Egypte où
ils s'étaient trouvés réunis pour la première fois. 11 prodi-
fi,ua ses respects et ses soins à l'illustre captif, et ne quitta ce
roc inhospitalier, où la comtesse Bertr;ind, fille du général
Arthur Dillon, et ses enfants l'avaient suivi, que quand il
eut recueilli le dernier soupir de son empereur, de son ami.
L'admiration que ce dévouement avait inspirée à l'Europe
entière amena le roi Louis XVIII à annuler, en 1821 , par
orilonnance, le jugement de 18 IG. Le comte Bertrand put
rentrer en France et y Cire réintégré dans son grade. 11 se
retira dans le département de l'Indre, où il se livra tout entier
à l'éducation de ses enfants et à la culture d'un domaine qu'il
possédait près lie Chàteauroux.
Après la révolution de juillet 1830 , le roi Louis-PhiHppe
appela le général Bertrand au commandement de l'ecoie
Polytechnique, qu'il garda fort peu de temps. Bientôt l'arron-
dissement de Chàteauroux l'envoya à la Chamke des Dé-
putés. L'éducation toute libérale qu'il avait reçue, le dé-
vouement au pays, que ie culte de la gloire n'avait jamais ni
remplacé ni affaibli dans son cœur, le firent asseoir sur
ces bancs où siégeait un autre homme qui .s'était dévoué à
la même infortune, le comte de Las Cases. Le général Ber-
trand prit plusiciu-s fois la parole, et enleva les applaudis-
sements de ses collègues, qu'il émut jusqu'aux larmes, par
des allocutions à l'appui des réclamations d'anciens mili-
taires et de discussions sur l'arriéré de la Légion d'Hon-
neur. IMais chacun de ces discoms , comme tous ceux qu'il
prononça dans d'autres circonstances , se terminait inva-
riablement par un vo'U en f iveur de la liberté illimitée de la
presse. C'était le vieux Caton demandant sans relâche la
destruction de Carthage.
Le général Bertrand ne siégeait plus à la Chambre , et vi-
vait de nouveau retiré depuis deux législatures , quand ,
en 1840, l'Angleterre , voulant dissimuler au gouvernement
de Louis-Phihppe, jusqu'à ce qu'elle fût consommée, la
trahison qu'elle préméditait envers lui, consentit, sur les in.s-
tances de IM. Thiers, à restituer à la France les cendres de
Napoléon. Le général Bertrand fut désigné le premier
pour monter sur la frégate la Belle-Poule, que comman-
dait le prince de Joinville, et qui appareillait pour Sainte-
Hélène. Quelle traversée! quel abordage! quels souvenirs!
quelles émotions! quel contraste entre rembarquement de
Roche'^ort en 18)5 et le retour sur les côtes de Nonnandie
en 1840 ! On n'oubliera jamais les transports universels qui
éclatèrent sous les voûtes de l'église des Invalides quand on
y vit entrer le glorieux cercueil et son compagnon fidèle.
Après avoir rendu à la France les cendres exilées de l'em-
pereur, il ne restait plus au général Bertrand qu'à lui don-
ner le complément des Mémoires dont il était resté le dé-
positaire, et (pi'il avait pieusement mis en ordre. C'est un
devoir qu'il s'était promis de remplir au retour d'un voyage
qu'il avait été obligé de faire en 1843 dans l'Amérique du
Nord, où il avait été reçu avec enthousiasme; mais à peine
de retour au milieu des siens, il fut emporté par une fièvre
muqueuse, à Chàteauroux, le 1^"^ février 1844.
A cette nouvelle, une noble et touchante motion fut faite
à la Chambre des Députés par le brave colonel de Bricqne-
ville. Il demanda qu'on déposât dans le tombeau qu'on
préparait aux Invalides les cendres de Bertrand près de
celles de Napoléon, afin à'unir tant de fidélité à tant de
gloire. Celte proposition fut votée avec un amendement ac-
cordant les mêmes honneurs à l'autre maréchal du palais
de l'empereur, Duroc. Tous deux dorment maintenant auprès
du héros des temps modernes.
Le général Bertrand a laissé deux fils, qui ont suivi la
carrière militaire. L'aîné, Henri, entra à l'école Polytech-
nique en 1830, et deux ans après il en était renvoyé pour
opinion avec soixante de ses camarades. Béintégré en dé-
cembre 1832 , il reçut son brevet de sous-lieutenant d'artil-
lerie en 1833, partit pour l'Afrique en 183G, fit la première
expédition de Constantine avec le maréchal Clauzel, rentra
en France en 1839, y fut nommé capitaine d'artilleiie
en 1840, et officier d'ordonnance du général Cavaignac quel-
ques jours après la révolution de Février. Aux événements
du 15 mai il vint dégager r.\ssemblée à la tète de quelques
compagnies de la garde mobile. Envoyé par le département
de l'Indre à la Constituante, il eut un duel avec M. Clément
Thomas, général de la garde nationale, qui avait à la tribune
qualifié de hochet la croix de la Légion d'Honneur. —
M. Arthur Bertrand, néà Sainte-Hélène, en 1817, aussi offi-
cier, a fait le voyage de Sainte-Hélène en 1840 avec son père.'
BERTUCli ( Fkédéuic- Justin ) , néà \Veiraar, eu
1747 , mort en 1822, a laissé en Allemagne un nom égale-
ment cher aux amis des arts et à ceux des lettres. Destiné
d'abord à l'état ecclésiastique , ses goûts l'entraînèrent dans
une autre carrière; lié d'amitié avec \N"ieIand , Musœus,
Goethe , etc. , il commença par s'adonner à la littérature
dramatique. Parmi les ouvrages datant de ses débuts dans
la vie littéraire, nous citero;is : Wiegenlieder (Chants du
berceau [1772 1 ), le Gros Lot (\N'eimar, 1774), opéra, et
Poly xène {V^'eimetr , 1774), mélodrame dont la musique
fut composée par Scliweizer. L'éducation des fils du baron
d'Eck, ministre de Danemark en Espagne, dont il s'était charge
vers 17G9, lui fournit l'occasion d'acquérir une connais-
sance approfondie des littératures espagnole et portugaise.
La traduction du Don Quichotte de Cervantes avec la con-
tinuation d'Avcllanéda (6 vol., ^Yeinlar, 1779) etscn^/fl^'a- .
sin des Littératures espagnole et portugaise (1780-1782),
entreprise en société avec Seckendorf et Zanthier, et dans
lequel il cherclia à faire pour ces langues ce que Meinhard
avait fait pour la poésie italienne, sont restés au nombre
des meilleurs livres de ce genre.
En 177 j Bertuch était entré au service du duc de Wei-
mar en quafité de secrétaire du cabinet; en 1785, ce prince
lui conféra le titre déconseiller de légation. En 1785 il con-
çut avec V.ieland et Schutz le plan de la Gazette -univer-
selle littéraire d'Iéna. A partir de 1786 il publia avec
Kraus le Journal du Luxe et des Modes. En donnant le pre-
mier l'idée de la BiblioUièciuc bleue de toutes le."; nations,
précieuse collection de contes des fées, habilement traduits
et suivis de biographies intéressantes et do commentaires
ingénieux, ouvrage dont le succès fut immense, il jeta les
fondements de sa fortime industrielle, qui ne tarda pas à
devenir considérable. On lui doit la fondation de l'Institut
i
BERTUCH — BERVIC
101
géographique de Weimar, établissement destiné à la gravure
des cartes géographiques, et d'où est sorti le Manuel com-
i plet de la Géographie moderne {terminé seulement en 183:?,
20 tomes gros in-8°, composés chacun de plusieurs vo-
lumes), vaste collection qu'on peut considérer comme une
I véritable encyclopédie géographique. Bertuch a publié en
outre une Nouvelle Bibliothèque des Voyages, dont il a
paru 60 volumes. Il avait fondé en 1817 la Feuille d'Op-
position , journal que le pouvoir ne tarda pas à supprimer,
à cause de l'indépendance de ses allures.
BÉRULLE( Pierre de), cardinal, naquit d'une famille
noble, au château de Sérilly, prèsdeTroyes,le4 février 1575,
et mourut à Paris, le 2 octobre 1629. De bonne heure il
montra une pénétration, des lumières et une vertu qui frap-
pèrent les maîtres sous lesquels il fit ses diverses études.
Élevé à la prêtrise , il se signala dans la controverse. « Si
c'est pour convaincre les hérétiques , disait le cardinal Du
Perron, amenez-les-moi; si c'est pom' les convertir, présen-
tez-lesàM. de Genève (saintFrançois de Sales); mais si
vous voulez les convaincre et les convertir tout ensemble,
adressez-vous à M. de Berulie. » Il lavait pris pour son se-
cond dans le fameux duel théologique qu'il eut avec D u-
plessis-Mornay, le 4 mai 1600, à Fontainebleau , en
présence de Henri IV, des princes et des premiers seigneurs
des deux partis , au nombre d'environ deux cents, et oii le
pape des huguenots (c'est ainsi qu'on appelait Duplessis)
fut battu. Bérulle , par ordre du roi, soutint lui-même, à
Sézanne en Brie, un combat singulier de ce genre contre
Pierre Dumoulin. Il en sortit également vainqueur. Après
avoir opéré des conversions , refusé d'être précepteur du
dauphin, introduit en France, non sans peine, les carmélites
réformées d'Espagne, il songea à y fonder la congrégation de
l'Oratoire, qui existait déjà en Italie. C'était afin de ré-
générer le clergé, en le retirant de l'ignorance et des vices,
fruit des temps barbares et des guerres civiles. L'esprit de
rénovation travaillait alors l'Église.
Il suscita d'autres établissements, tels que les prêtres de
la Doctrine de saint Vincent de Paul , Port-Royal , et , par
celte ardeur et ses travaux immenses, la science ecclésias-
tique se releva, les mœurs s'épurèrent. Une belle part de
la gloire du sacerdoce au dix -septième siècle revient aux
oratoriens. Pour les établir, Bérulleeut à surmonter beaucoup
d'obstacles. Heureusement il n'était pas moins homme d'af-
faires que d'étude. Jouant un rôle important dans la poli-
tique, il réconcilia les membres de la famille royale, et fit par-
tie du conseil de la couronne, où il se trouva plusieurs fois
en opposition avec Richelieu, dont il excita la jalousie. A la
mort de ce rival, Richelieu dissimula si peu le contentement
d'en être débandasse qu'on crut qu'il l'avait fait empoisonner.
Il s'en défendit avec indignation, et sans doute il était inno-
cent. Les médecins avaient jugé Bérulle depuis longtemps
atteint d'une maladie incurable. Bérulle concevait mieux
l'indépendance de l'Église gallicane que la liberté des cultes.
Chargé d'aller à Rome demander la dispense pour le ma-
riage de Henriette, sœur du roi , avec le prince de Galles,
depuis Charles I^"^, roi d'Angleterre, il laissa entendre qu'on
s'adressait au saint-siége par déférence, et que s'U n'agissait
point convenablement , on saurait se passer de lui ; qu'on
avait en France des pouvoirs suffisants. Il fut nommé con-
fesseur de la nouvelle reine, et il l'accompagna en Angleterre,
avec douze prêtres de l'Oratoire. Il revint en France expo-
ser le triste état des catholiques; retenu par Louis XIlî, il
reprit ses anciennes fonctions.
Gardien sévère de la pureté de la foi , il repoussait à la
fois le qulétismeet le molinisme. Il fuyait l'élévation, quoi-
que par dévouement il setiouvât dans les plus hauts pos-
tes. Sans le prévenir , le roi demanda pour lui le chapeau
de cardinal ; le pape, en le lui envoyant , lui adressa deux
brefs dont l'un avait pour objet de le relever du vœu par le-
quel il s'était engage à n'accepter jamais aucune dignité ec-
clésiastique, et de lui enjoindre de recevoir celle qui venait
de lui être conférée sous peine de désobéissance. Ma^ré ces
ordres, quelque impératifs qu'ils fussent, il était tenté de faire
des repiésentations pour être dispensé de s'y soumettre. ]Mais
le père Condren, son confesseur , vint à bout de l'en dis-
suader, en lui remontrant qu'il devait se prêter à ce que
Dieu exigeait visiblement de lui. 11 était en garde contre
tout ce qui pouvait, même de loin, le porter à se prévaloir
du haut rang qu'il occupait ; il ne permettait pas que les
pères de sa maison adoptassent une nouvelle manière de
traiter avec lui. La veille des grandes fêtes , il lavait la
vaisselle, suivant un usage qui existait alors dans la plu-
part des communautés.
Ce cardinal remplissant l'office de marmiton se déclara
en toute occasion le protecteur des gens de lettres. Ainsi,
il fit lever les difficultés qui s'opposaient à l'impression de
la Polyglotte de Le Jay. Lu des premiers, il comprit le gé-
nie de Descartes, et l'encouragea à se produire. Dans une
réunion de savants tenue chez le nonce Bagni, pour en-
tendre un médecin bel esprit, nonmié Chandoux, qui devait
étaler un nouveau système philosophique , Bérulle s'aper-
çoit que Descartes, au milieu des applaudissements, écoute
en silence; U le presse de s'expliquer sur ce qui vient d'être
dit ; Descartes obéit, et ra\it l'assemblée. Bérulle, frappé de
la netteté et de la justesse de ses idées, désire avoir un en-
tretien particulier avec lui ; Descartes lui développe ses prin-
cipes, et lui fait entrevoir les avantages que les hommes
pourraient en retirer pour la perfection des arts et des
sciences pratiques, conune la mécanique, la médecine et les
autres. Bérulle l'engage vivement à poursuivre ses recher-
ches et à les livrer au public. « Ce n'est point en vain, lui
dit-il, que vous avez reçu de Dieu une force et une péné-
tration si peu communes. Vous lui rendrez compte de vos ta-
lents; vous répondrez à ce juge souverain des hommes du
tort que vous feriez au genre humain en le privant du fruit
de vos méditations. » De pareilles exhortations, plusieurs
fois réitérées, raniment le courage de Descartes, effrayé jus-
que là des contradictions que les suppôts de la vieille phi-
losophie commençaient à lui faire éprouver de toutes parts.
Il prend la résolution inébranlable de suivre l'impulsion qui
le porte à se frayer une route nouvelle.
On a de Bérulle plusieurs ouvrages et des lettres. Celui
où il traite de l'État et des grandeurs de Jésus fit, lors-
qu'il parut, une sensation extraordinaire. Après l'avoir lu,
le pape Urbam VHI n'appelait plus l'auteur que l'apôtre
du Verbe incarné. Ce livre a peut-être donné à Bossuet
ridée de ses Élévations sur les Mystères ei de ses Médita-
tions sur l'Évangile. En 1644, Bourgoing, troisième géné-
ral de l'Oratoire, publia les œuvres réunies de Bérulle eu un
gros volume in-folio. Bordas-Democli.n.
BERVIC (Charles-Clémem), célèbre graveur français,
s'appelait véritablement /ea?i-G2<i7/aî»He B,sxvaï. Il naquit
à Paris, en 1756. Dès son enfance, cédant à un penchant
irrésistible, il copiait toutes les images que le hasard faisait
tomber dans ses mains. La vue de quelques tableaux et les
leçons de dessin qu'il reçut de Lepvince décidèrent de sa
vocation : il voulut être peintre ; mais, plus calculateurs qu'en-
thousiastes, ses parents préférèrent lui voir étudier lagravure.
On le plaça donc chez le graveur Georges Wille dès l'âge
de treize ans : l'élève devait laisser son maître bien loin der-
rière lui.
Après avoir successivement gravé plusieurs portraits, où
il est intéressant de suivre pas à pas les progrès de son bu-
rin, après avoir fait à Lépicié l'honneur de graver ses
froids tableaux du 7?p/io.s' et de L'Accordée de villarje, qu'il
chercha vainement à réchauffer du feu de son talent, Bervic
prit sa revanche en 1790 , dans le grand portrait en pied
de Louis XVI ; et de la plus misérable peinture de Caliet
il fit une bonne eslampe, pleine de vérité , de couleur et
d'harmonie. Celte magnifique planche futniallieureusement
102
BERVIC
biisce lors de la tempête révolutionnaire de 1793 : aussi les
épreuves en sont-elles devenues très-rares et Irès-clières.
La peinture, déchue dans l'école de Boucher, se régéné-
rait alors sous rimpulsion de David ; Bervic était appelé à
rendre le même service à son art. Sa réputation s'accrut et
s'affermit encore à l'apparition de V Éducation cV Achille
(an vi), d'après Regnault, et surtout de V Enlèvement
de Dcjanire (an x), d'après le Guide. C'est là une belle
œuvre, qui reproduit avec fidélité la légèreté de ton et la
manière lumineuse de ce maître, la noblesse et le haut style
de dessin et de pensée de la figure de Déjanire, avec l'ex-
pression passionnée de son ravisseur. Lors([u'elle parut,
lîervic , qui avait déjà reçu en 1792 le prix d'encouragement
pour la gravure , fut désigné pour le prix de gravure par la
commission des prix décennaux. « Cette estampe {Y Enlève-
ment de Déjanire) peut être regardée, dit le compte-rendu
du jury, comme une des plus belles dans le genre histo-
rique qui aient paru depuis Louis XIV (1). »
Après avoir gravé le groupe de Laocoon , encore un des
chefs-d'œuvre de l'école française, Bervic gémissait pour-
tant toujours de n'avoir pu réaUser qu'en partie les vues nou-
velles qu'il avait sur son art. Ces vues étaient sans cesse
présentes à son esprit : dans l'école de gravure, où de nom-
breux élèves recueillirent ses leçons , nul maître ne s'atta-
cha plus à démontrer les dangers de l'imitation servile ,
nul ne dirigea mieux ses élèves dans la liberté du génie naturel
de chacun: aussi cette école fut-elle distinguée entre toutes.
La vie de Bervic fut sans événements importants. Les
souverains et les gouvernements s'empressèrent de lui dé-
cerner les récompenses et les encouragements dus à son ta-
lent. Il fut logé par Louis XVI au Louvre, et décoré succes-
sivement des ordres de Saint-î\Iichel , de la Réunion et de
la Légion d'Honneur. Il avait été membre de l'ancienne
Académie royale de Peinture et de Sculpture ; il mourut à
Paris, le 23 mars 1S22, membre de l'Institut, laissant un
nom qui ne sera jamais prononcé, dit Quatremère de
Quincy, sans rappeler une des plus belles époques de
la gravure en France.
BERVILLE ( Saint-Albin ) , premier avocat général à
la cour d'appel de Paris, est né à Amiens, le 22 octobre 1788.
Son père, attaché , en qualité de secrétaire, à l'Assemblée
provinciale de Picardie , devint plus tard secrétaire géné-
ral de la préfecture de la Somme, Il fit, dans sa ville natale,
en raison de sa frêle santé, de médiocres études, mais il vint
dans la suite les compléter à Paris. Reçu avocat en 1812,
il ne tarda pas à se distinguer, non moins par une probité
sévère et un beau caractère politique , que par le talent élevé
qui le plaça en peu dé temps aux premiers rangs du bar-
reau. Bientôt il dévoua sa vie à la défense des amis de la
liberté persécutés par le gouvernement des Bourbons de la
branche aînée. Comme les Dupin, les Barthe, les Mérilhou,
les Mauguin, les Barrot, il fut l'un des chef.s-de ce jeune
libéralisme qui ne cessait de combattre les mesures réac-
tionnaires du gouvernement.
Peu fait pour le mouvement et pour le bruit , il ne se dé-
lassait des travaux de son état que par un autre genre de
travaux. La littérature et la musique composaient les seules
distractions qu'il recherchât. Aussi , malgré la réputation
étendue et bien acquise que ses talents lui méritèreiit, il fut
peu mêlé aux faits de la Restauration. Toute sa vie publique
est dans ses plaidoyers ; ses autres instants ont été partagés
entre les arts, «pie son goût délicat et sûr sut apprécier, et
l'amitié, que son caractère, doux et simple, est fait pour
rendre sincère et de longue durée. Cependant, quelque re-
tiré (ju'il fût, quelque modération que comportât sa nature,
aucun avocat, pendant la longue durée de la Restauration,
(1) Qu'il nous soit permis de rappeler à nos premiers 'souscrip-
tpiiis que ces deux dernières gravures, également appréciées pur
ti'us les j'igcs oynipéleiits, sont celles qiic nous leur avons offertes
ï.'è iiriinc.
P. ER VILLE
ne l'a surpassé en courage et en véritable énergie. Cherchant
peu les occasions de se produire , et peu propre à la fougue
qiii pousse en avant les chefs de parti , il sut rester ave
une grande vigueur de probité sur la brèche toutes les foid
qu'il s'y trouva placé. Toujours ses principes furent la règlf
de sa conduite, et ses principes sont ceux d'un philosopha
élevé et d'un bon citoyen.
Analyser tous les plaidoyers de Berville serait faire l'his-
toire de tous les procès politiques de la Restauration. Nous
citerons seulement quelques-uns des principaux. Il faut
mettre au premier rang sa défense des officiers de la légioixj
de la Seine devant la Chambre des Pairs , à l'occasion de
la conspiration du 19 août. D'autres appelèrent les passionsi
à leur secours : Berville, avec le calme de l'honnête hommeJ
et des hauteurs de la philosophie du droit, analysa les ar^
licles de la loi pénale qui punissent le complot , prouva qu'on
ne pouvait y voir qu'un arsenal de tyrannie et de vengeance,!
et non des prescriptions morales et justes, et fit acquitter
ses clients en mettant au jour la cruauté du code et l'ini-
quité que demanderait l'application brutale de son texte.
Jamais on ne pourra caractériser la loi de fer de l'Empire
sans invoquer cette belle discussion : elle sera désormais la
réponse des malheureux de tous les partis que voudra frap-
per une vengeance despotique. Dans la déplorable affaire
des carhonari, Berville défendit le jeune avocat Baradère,
tt eut le bonheur de ne voir prononcer contre lui qu'une
condamnation correctionnelle , tandis que Bories et trois
autres militaires furent frappés d'une peine capitale. Jamais
le barreau ne s'était montré plus dévoué, plus courageux,
plus éloquent; jamais Berville n'eut plus de force et plus
de zèle. 11 prêta souvent son secoms à la presse dans sa
guerre à mort contre la vieille dynastie. Béranger fut au
nombre de ses clients. L'auteur de cet article eut également
le bonheur de l'avoir pour défenseur. Dans cette affaire (les
Mémoires de Levasseur, de la Sarthe) , en s'associant com-
plètement au prévenu, Berville a fait preuve d'un dévoue-
ment qui égalait son talent. 11 osa venger la révolution des
lâches attaques d'un pouvoir rétrogracie, et revendiquer pour
la Convention nationale, devant les juges de Charles X, la
part glorieuse que lui fera l'histoire dans nos discordes et
dans nos conquêtes. Ce plaidoyer fut le dernieï que Berville
eut à prononcer comme avocat.
Après la révolution de Juillet , qui enflamma toutes ses
sympathies, au moment où Dupont (de l'Eure) était ministre
de la justice, Berville accepta , avec quelque hésitation, les
fonctions d'avocat général. Ce poste si difficile et si glissant
le vit comme par le passé pur et sans tache. Il aurait relevé
le ministère public si le siège des Mangin et dos Bcllart ,
des ]\Iarchangy et des Persil n'était pas à jamais terni. Une
fois il porta la parole dans une affaire de presse. Il s'agis-
sait d'une éloquente et vive diatribe publiée par M. de La
Mennais, dans un journal catholique intitulé l'Avenir. Le
nouveau membre du parquet combattit avec force les er-
reurs philosophiques du prévenu, mais n'insista pas sur
l'accusation. 11 déclara même qu'il voyait seulement dans
l'illustre prêtre un adversaire, et un de ces adversaires à
qui l'on serait heureux de toucher la main. Une autre fois,
il a rempli les fonctions de son ministère dans un procès de
conspiration carliste, et ses ennemis mêmes, si toutefois ilj
peut avoir des ennemis , ont dû rendre hommage à son im-
partialité , à sa modération et à sa haute probité judiciaire.
Dès que le juste-milieu eut fait des tribunaux un instriuiienti
de vengeance, Berville se renferma dans la partie pureineiitj
civile de ses attributions, et ne consentit jamais à prêter l'ap-
pui de son talent aux hommes qui avaient déchiré le pro-
gramme de juillet. Sa carrière d'avocat général a donné une
grande leçon aux hommes du pouvoir : elle a prouvi'; qu'il !
n'est pas de fonctions que la probité n'honore; elle a prouvé]
que la fermeté de caractère s'allie tn''s-bien avec la douceur]
des mœurs et la véntable modération.
BERVILLE — BERWICK
103
1 Parmi les travaux purement litt<îraires de CerviUe, le plus
1 connu est Y Éloge de Rollin , couronné par rAradémie Fran-
I çaise, discours remarquable par la grâce et l'olégance de la
diction et par la finesse des aperçus. Ces qualités sont au reste
celles qui caractérisent Téloquent avocat général. Son style
I reproduit parfaitement son âme douce et îeudre. Il manque
peut-être de n^.ouvement et de passion, lî'.ais son élégante
I simplicité prend toujours de la vigueur quand la droiture et
la probité ont besoin pour se montrer dans tout leur jour
' d'être appuyées sur une uiàlc énergie. Ev rviUe est le parfait
I modèle du calme et de h sérénité de la bonne conscience.
D'autres peuvent, émouvoir plus fortement , nul ne peut se
I .faire plus aimer ni i>lus estimer. Acliille Roche.
I En 1837 le collège électoral de Pontoise envoya M. Eer-
i ville, pour la première fois, à la Chambre des Députés, et ne
I cessa pas depuis de renouveler son mandat. Il y siégeait sur
I la limite de la gauche et du centre , sans que le pouvoir
d'alors s'en préoccupât beaucoup et s'offensât des velléités
du magistrat député. Il avait bien au fond une opinion
jirogressive pour les choses, mais il n'avait que des services
pour ses collègues de toutes les nuances; et il lui arriva plus
iPimc fois, sur les marches de la tribune, de donner en
0 temps des boules noires au ministère et des poignées
main aux ministres , lesquels eussent peut-être bien
[,, .l'ré le contraire.
Jl présenta en 1840 le rapport de la loi sur les fonds se-
crets et celui de la loi sur l'organisation du tribunal de la
Seine. Il fit une proposition relative aux droits des veuves
et des enfants des auteurs dramatiques, et parla encore sur
la propnété littéraire et sur les sucres. Un pair de France
;i', ;:it introduit une nouvelle jurisprudence pour la répression
lélits de presse, lorsqu'il s'agissait de diffamation exercée
re les fonctionnaires : on ne s'adressait plus au jury
(Mnimc le voulait la charte, mais aux tribunaux civils, et,
au lieu d'une condamnation pénale qu'on n'obtenait pas tou-
jours, on obtenait une réparation pécuniaire. Cette juris-
l)riiilcnce, accueilUe par la cour de cassation, trouva un
adversaire dans BI. Berville, qui fit une proposition à la
Chambre pour rendre au jury sa compétence exclusive surles
délits de la presse. Quand vint la grande question de fa ré-
forme, il avoua qu'il désirait bien moins l'extension du
suffrage électoral qu'une bonne distribution des électeurs. II
ne voyait la corruption que dans les petits collèges. Du reste
ses avertissements ne cessèrent pas d'être pleins de bienveil-
lance. « Il y a toujours moyen, disait-il, de s'entendre avec
un pouvoir qui n'use pas de violence pour bri.ser les insti-
tutions du pays. »
Après la révolution de Février, le département de Seine-
et-Oise envoya encore M. Berville à la Constituante. Aux
deux dernières sessions de l'ex-Chambre des Députés, il avait
cessé de prendre la parole, son mince filet de voix n'arrivant
qu'à grand'peine jusqu'au tube auditif de ses collègues les
plus désireux de l'entendre. Dans la Constituante l'étendue
du local et la turbulence d'une aussi nombreuse réunion
achevèrent de lui fermer la bouche. Il ne se représenta pas
pour l'Assemblée législative : la loi avait déclaré son mandat
incompatible avec ses fonctions.
M. Berville est toujours, comme .par le passé, premier
avocat général à la cour d'appel de Paris. Il est de haute
taille, mince et fluet; sa petite figure, maigre et allongée,
respire à la fois la candeur, la finesse et la bienveillance.
Il doit une partie de sa fortune à la publication des Mé-
moires sur la Révolution française, annotés par lui et par
son ami Barrièic. Il a écrit dans le Journal des Débats au
temps où cette feuille faisait feu sur les romantiques, en
attendant le jour où elle le deviendrait, pour cesser de l'être
plus tard. Knfin , il est un des membres éminents de la So-
ciété PliUotechnique, espèce d'Institut au petit pied.
BER WîCH, comté du sud-est de l'Ecosse," borné par la
mer du Isovà et par les comtés d'Iladdington, de Koxburgh
et d'Edimbourg , séparé en outre de l'Angleterre par la
Tweed, comprend une superficie de 11 myriamètres carrésp
avec une population d'environ 36,000 habitants. Le soi,
stérile dans les districts du nord et du nord-ouest, où il est
couvert pai- des ramifications des monts Lammermoor, ayant
au plus 360 mètres d'élévation , est au contraire très-apte à
("tre mis en cultJM-e dans les districts méridionaux, où on no
laisse pas d';)' ^eurs que de rencontrer aussi des landes d'une
grande éler.fUie. i.e grès domine dans tout ce comté, où le
Leader, la Dye et le 'sYhiteadder viennent, en se dirigeant
au sud-est, se jeter dans la Tweed et l'Ege , fleuves qui se
frayent passage à travers les rochers hauts, abrupts et
presque inaccessibles qui bordent les côtes , pour se dé-
charger dans la mer. Le climat est âpre, mais sec, et favo-
rable par conséquent à l'agviculture. Dans les vallées dos
parties montagneuses , là où un sol marécageux a pu êtro
mis en valeur, de même que dans les plaines bien situées où
la propriété se trouve extrêmement divisée, morcelée, le so!
est exploité avec beaucoup d'habileté, soit par les proprié-
taires eux-mêmes, soit par leurs fermiers; les uns et les
autres emploient les méthodes de culture les plus r<-itionnelles
et les plus perfectionnées. Les pâturages qu'on rencontre
dans les montagnes nourrissent une remarquable race de
bêtes à cornes , dont l'engraissage forme avec l'élève des
moutons et des porcs une des principales ressources de la
population.
BERWICK, sur la Tweed, bourg et port de mer, qui, de
même que son territoire , de 440 kilomètres d'étendue en-
viron , ne dépend , à bien dire , d'aucun comté particulier,
bien qu'on le comprenne souvent dans le NoiHiumberland,
est bien bûti. Il possède plusieurs édifices remarquables, et
environ 13,000 habitants, qui vivent pour la plupart du
commerce des poissons, des grains, des charbons et de l'aie,
en retour desquels ils font venir du bois, du chanvre, du fer,
des os, etc. Il existe en outre à Berwick une importante usine,
dans laquelle on fabrique les différents métiers et maclùnes
propres à la filature du lin et du coton. La pêche du saumon
y a beaucoup perdu de l'impoilance qu'elle avait autrefois.
Une grande jetée en pierre surmontée d'un phare rend sûre
et commode l'entrée du la Tweed . On y traverse le fleuve
lui-même sur un pont et sur un ùnmense viaduc construit
pour la compagnie du chemin de fer à Edimbourg par
Sîephenson.
BERIVICK (James FITZ-JAMES, duc nE), appelé or-
dinairement le maréchal de Berwick, pair de France et
d'Angleterre, et grand d'Espagne, né le 21 août 1670, était fils
naturel du duc d'York, qui fut plus tard le roi Jacques li, et
à^Arabella Churchill, sœur du duc de Marlborough. Il
porta d'abord le nom de Fit:^- James. Élevé en France, il
lit ses premières armes en Hongrie sous les ordres du duc
Charles de Lorraine, généra! de l'empereur Léopold V. Peu
de temps après éclata la révolution d'Angleterre. Berwick
accompagna son père dans ses expéditions d'Irlande, et fut
lilessé pour la seule fois de sa vie dans une affaire qui eut
lieu en 1689. Il servit ensuite en Flandre sous les ordres du
maréchal de Luxembourg, en 1702 et 1703 .sons ceux du
duc de Bourgogne, puis sous le maréclial de Villeroi, et se
fit naturaliser Français. En 1706 il passa maréchal, et fut
envoyé en Espagne, où il remporta la victoire d'Almanza,
qui rendit de nouveau le roi Philippe V maître de Valence,
et lui assura la possession du trône d'Espagne. Philippe l'en
récompensa en le créant dtic de Liria et de Xerica. Mais
en 1719 il dut envahir l'Espagne à la tête d'une armée
française et combattre ce même Philippe Y, qui , par re-
connaissance pour ses services passés, avait appelé un de ses
fils en Espagne. En entrant sur le territoire espagnol ,
Berwick écrivit à ce fils, connu sous le nom de duc de Liria,
de faire son devoir en toute occuneuce et de défendre de
son mieux les droits de son souverain.
Après être re.sté iongîcm[is en iniictiNité, Berwick reçut la
104
BERWICK — BEBZELIUS
commandement d'une armée chargée d'effectuer le passage
du Rhin à Strasbourg , et alla mettre le siège devant
l^hilippsbourg, où il fut tué d'un coup de canon. C'était un
homme froid, mesuré, mais d'une grande énergie de carac-
tère, et possédant toutes les qualités propres à un capitaine.
De son premier mariage avec la fille du comte de Clanricarde
descendent les ducs de Liria en Espagne. En 1699 il épousa
en secondes noces une certaine miss Bulkelers, qui le rendit
père du premier duc de Fitz-Jaraes. Les Mémoires du
maréchal de Berivick (2 vol., La Haye, 1737-1738) sont
apocryphes; mais plus tard le duc de Fitz-James publia les
Mémoires autographes du duc de Berwick ( 2 vol. ,
Paris, 1778).
BÉRYL, variété de l'éraeraude. Les béryls de Sibérie
sont d'un bleu verd;\tre ou d'un jaune de miel (évierande
miellée des lapidaires); ceux de Bavière, de l'île d'Elbe et de
France sont blancs ( quelquefois limpides et incolores ) ,
blanc jaunâtre on gris brunâtre. Quand le béryl est d'un vert
bleuâtre , il prend le nom particulier A'aigzie-viarine.
La chaux sert de base à deux combinaisons qui portent
dans le commerce le nom de faux béryls : ce sont cette
variété de phosphate de chaux appelée apatite, et les
gemmes de chaux Jîîtatée que les marchands nomment
prime d'émeraiide, fausse améthyste, fausse topaze, sui-
vant leur couleur.
BÉRYLLE ou BERYLLUS, évêque deBosra, en Arabie,
qui enseignait que Jésus-Christ n'avait point joui d'une
existence particulière avant que de paraître parmi les
hommes, et qu'il n'avait point d'autre divinité que celle du
Père, qui habitait en lui. C'était anéantir la personne divine
du Verbe éternel. Plusieurs évêques disputèrent contre
Bérylle pour le tirer de son erreur, et, ne pouvant le réduire,
ils appelèrent à leur secours Or i gène, qui le pressa par
des raisons si fortes qu'il le convaiuquit et le ramena à
l'orthodoxie. 11 paraît toutefois que la sc^te qu'il avait fondée
n'en continua pas moins de subsister, car un concile as-
semblé cent ans après fut obligé de promulguer encore des
canoris contre elle.
BÉRYLLIENS. Voïjez Bérylle et Alogie.ns.
BÉRYTE. Voyez BEmocr.
BERZELIUS (Jean-Jacques), un des plus grands
chimistes de notre temps, naquit le 20 août 1779, à Wester-
lœsa, près de Linkœping, dans l'Ostrogothie, où son père
était chapelain. 11 reçut sa première éducation dans la maison
paternelle, et alla en 179G suivre les cours de l'université
d'tJpsal avec Tintention de se consacrer à la médecine.
Son aptitude pour la chimie se ut remarquer de bonne
heure , et il acheva ses études dans cette science sous le
patronage du célèbre Gahn. Le premier fruit de ses études
et aussi d'un an de séjour fait en qualité d'aide auprès d'un
médecin d'un endroit thermal appelé Medewi , fut la Nova
Analysis Aquarwn Mediviensium (Upsal , ISOO). Après
avoir encore publié un petit écrit intitulé : De Electrïcitutis
galvanicx in Corpora organica effectu (Upsal, 1802), et
s'être fait recevoir docteur en médecine, il fut nommé en
mai 1802 adjoint pour la médecine et la pharmacie à
Stockholm par le collège de santé. Berzélius , tout en rem-
plissant ces fonctions, ne laissa pas que de s'occuper con-
curremment de pratique médicale, de faire des cours publics
sur la chiuùe expérimentale et de donner des leçons par-
ticulières de pharmacie. En ISOG il fut nommé professeur
de chimie à l'école militaire, et l'année suivante professeur
demédecineetdepharmacieàStockholnijOÙil fonda en 1807,
avec le concours d'autres médecins, la Société Médicale de
Suède, compagnie savante qui a bien mérité des sciences.
Nommé membre de l'Académie des Sciences de Stockholm
en 1808 , il fut appelé à la présider dès l'année 1810, et
en 18)8 on l'en élut .secrétaire |H'rpétuel, fondions qu'il
remplit assidûment jusqu'au 7 août 1848, jour où la mort
vint l'enlever à la sciruice.
La découverte de la pile galvanique faite par Voila, la
carrière nouvelle que cet ingi'nieux appareil ouvrait aux
sciences en leur fournissant un nouveau moyen d'action
portèrent un grand nombre de savants à rechercher sor
influence sur une foule de corps. Berzélius s'occupa avei
assiduité à déterminer celle qu'elle exerçait sur les sels , el
ces travaux acquirent un intérêt particulier par la décom
position si inattendue des alcalis et des terres qu'opérj
Davy. Cette époque si féconde en découvertes importantesj
et qui devint pour cet illustre chimiste, et pour deux d(
nos compatriotes, Gay-Lussac et Thénard, l'occasion d'une
lutte dont la science devait retirer de si grands avantages,
imprima aux recherches chimiques un degré de précision
inconnu jusque alors, et porta les esprits vers des travaux
d'une plus grande exactitude.
Deux théories se disputaient l'empire de la chimie : celle
de BerthoUet, qui supposait la matière susceptible de com^
binaisons en nombre illimité, et celle de Proust, qui, traçant
un cercle circonscrit , n'admettait que deux combinaison!
possibles entre les mêmes corps. Les recherches de Berzéliui
\inrent confirmer les idées de Proust en les étendant seu
lement un peu, et l'analyse exacte d'un nombre presque
incommensmable de composés devint pour la science une
de ses plus belles acquisitions.
Il serait impossible , à moins d'entrer dans des détails
extrêmement minutieux , de rappeler seulement le titre des
mémoires de Berzélius : peu de chimistes en ont publié
ufl aussi grand nombre, et la variété de ses recherches
prouve la haute capacité de cet infatigable ami des sciences.
On peut à peine citer quelques corps sur lesquels il n'ait l'ait
d'essais, et chacun de ses travaux renferme quelque méthode
nouvelle ou quelque modification des procédés connus , qui
deviennent d'une utile application pour la science. De moitié
avec Hisinger, il fit des recherches sur un minéral trouvé
dans les mines de cuivre de la Westmanie (Suède) , et dé-
couvrit l'oxyde d'un nouveau métal qu'il appela cérium ,
du nom de la planète Cérès, nouvellement découverte par
Piazzi. Il découvrit encore le sélénium en traitant la pyrite
de Fahlun, puis le thorium, et constata la présence du li-
thium dans les eaux de Carlsbad. Le premier il présent;» à
l'état métallique le calcium, le baryum, le strontium , le
tantale, le silicium et le zirconium.
Depuis que Bergman a donné les premiers procédés
d'analyse exacte, beaucoup de chimistes se sont occupés de
cette branche importante de la chimie. Klaproth et Vauquelin
se sont plus particulièrement adonnés à ce genre de travaux ;
leurs analyses sont des modèles ; mais les méthodes de
Berzélius l'emportent sur tout ce qui avait été fait de plui
exact dans ce genre. Les chimistes suédois , parmi lesquels
on peut citer principalement Gahn, ont fait un usage extrê-
mement précieux du chalumeau comme moyen d'essai
des minçraux : à peine employé en Fiance, cet important
instrument est devenu entre les mains de BerzéHus un
moyen des plus exacts pour l'analyse des substances inor-
ganiques ; dans un ouvrage sur cet instrument, il a lait
connaître son utilité et toutes les ressources que l'on peut
tirer de son emploi.
Presque toute la forme actuelle de la chimie a en grand
partie pour bases les découvertes qu'il a faites dans celle]
science. Dans sa théorie électro-chimique il range les corps
simples dans l'ordre de leurs intensités électriques, les div
sant d'abord en deux grandes classes, en électro-positifs et
en électro-négatifs : ceux de la i)remière classe oflVcnt
toujours l'électiicilé positive en présence de ceux de la se-
conde, et leins oxydes se comportent avec ceux des corps
de la deuxième classe comme des bases salifiables avec des
a(;i(les. La nomenclature chimique et la théorie alomistique
lui sont redevables d'une grande partie de leurs progrès.
Outre un giand nombre de mémoires publiés dans 1
journaux étrangers, et particulièrement dans Afliandlingnri\
fisik , journal suédois , on possède de Berzélius plusieurs
ouvrages traduits en français. Les principaux sont : Essai
sur la théorie des proportions chimiques et sur l'in-
fluence chimique de V électricité. ; Nouveau système de
Minéralogie ; De l'emploi du Chalumeau datis l'analyse
chimique ; Éléments de Chimie , traduits par Jourdan
avec des additions et des corrections par l'auteur ( Paris ,
1829), etc., etc. De plus, coname secrétaire de l'Académie
des Sciences de Stockholm, Berzélius publiait annuellement,
sous le titre d'AnmiaiJ-e des Progrès des Sciences physi-
ques, un compte-rendu de ce que la chimie, la physique et la
minéralogie avaient produit de remarquable pendant l'année
précédente : de 1820 à 1847, il fit paraître ainsi vingt-sept
volumes qui ont été traduits en allemand par Gmelin ,
Wœhler, etc.
En 1819, l'illustre Suédois fit un voyage à Paris. Pendant
son. séjour en France, Berzélius , par l'affabilité de son ca-
ractère, sut captiver tout le monde. Les salons de Ber-
thoUet à Arcueil étaient à cette époque le rendez-vous de
ce que les sciences et les lettres avaient de plus illustre.
C'est là que Berzélius commença avec Laplace, Gay-Lussac,
Arago, Ampère, Dulong, Fresnel, etc., des relations qui
n'ont été interrompues que par la mort.
Anobli dès 1818 par le roi Charles-Jean, Berzélius, à
l'occasion de son mariage avec la fille du conseiller d'État
Pappius, fut créé baron en 1835. Député à la diète, il obtint
en 183S le titre de sénateur. Mais la faveur royale ne fit pas
de Berzéhus un homme politique ; son laboratoire ne fut
pas négligé pour sa nouvelle dignité. Il resta simple et
travailleur comme par le passé , et par cette sage conduite il
laisse à sa patrie un nom illustre, inattaquable par les partis
et les réactions politiques. Utile enseignement pour les sa-
vants de notre pays!
BESACE ou BISSAC (du latin Us saccus, double sac),
sorte de sac ouvert par le milieu , qu'on porte sur l'épaule
et dont l'un des bouts pend par devant et l'autre par der-
rière. La besace est surtout l'apanage des mendiants. De là
les proverbes Porter la besace , Réduire quelqu^m à la
besace. Une besace bien promenée nourrit son maître ,
dit-on proverbialement; et sous leurs haillons, certains
animaux à deux pieds qui se plaignent du poids de leurs
charges répètent encore que c'est toiijours aux gueux la
besace. Enfin , si l'on en croit les fables des moralistes ,
Le fabricaleur souverain
Nous créa hesaciers , tons de même manière.
Tant ceux du temps passé que du temps d'aujourd'liui.
Il fit pour nos défauts la poche de derrière.
Et celle de devant pour les défauts d'autrui.
BESAGUË ou BESAIGUË. Arme offensive et d'hast, en
tisage dans le moyen âge. C'était une sorte de serpe ou de
liache à deux tranchants, garnie de pointes à son extrémité
supérieure. On s'en servit dans les combats jusqu'à l'épo-
que de l'invention de la poudre et des armes à feu. Elle
cessa alors de faire partie de l'armement des troupes.
BESAIV. Voyez, Besant.
BESAJXÇON (Vesuntio, nommée aussi Chrysopolis
du temps de César) , ville de* France , chef-lieu du dé-
partement du Doubs. Sa population est de 29,718 hab.
Siège d'un archevêché, d'une cour d'appel, d'un tribunal de
première instance et d'un tribunal de commerce , Besançon
possède une faculté des lettres , une faculté des sciences, un
lycée, une école secondaire de médecine, une école normale
primaire, un séminaire théologique, une bibliothèque pu-
blique, renfermant 65,000 volumes, un musée d'antiquités,
le musée Paris, et un jardin botanique. Place forte, et
quartier général de la 7^ division militaire , Besançon pos-
sède une école d'artillerie et une citadelle.
L'origine de cette ville , dont le nom en langue celte
signifierait sépulcre dans une vallée, se perd dans la nuit
des temps. Déjà célèbre sous César, qui en parle avec éloge
UICT. DR LA CONVERS. — T. III.
BERZÉLIUS — BESANT io5
(lib. I,cap. 9, De Bell. Gall.), elle devint sous Auguste la
métropole de la Grande Séquanie, et atteignit sa plus grande
splendeur sous l'empereur Aurélien , à la mémoire duquel
y fut élevé un arc de triomphe {la Porte Noire), dont
les vestiges, avec ceux d'un amphithéâtre et d'un aque-
duc, attestent encore aujourd'hui sa haute antiquité. De-
venue ville libre et impériale, puis cédée aux Espagnols ,
reconquise par Louis XIV , elle resta définitivement à la
France en 1674-, et devint en 1676 le siège du parlement et
la capitale ;de la Franche-Comté.
Dans une situation agréable , à l'extrémité d'une vallée
arrosée par le Doubs, la ville de Besançon , divisée en deux
portions inégales par la rivière , se trouve dominée par de
hautes montagnes couvertes de vignes, de bois , et couron-
nées par plusieurs forts dont les principaux sont la citadelle
assise sur im roc inaccessible , la tour de Chaudanne et le
fort du Griphon. La partie de la ville située sur la rive gau-
che du Doubs est très-bien bâtie, et renferme des places pu-
bliques vastes et régulières ; l'hôtel de ville , bel édifice go-
thique ; un magnifique hôtel de préfecture , l'hôpital , l'an-
cien palais du cardinal de Granvelle, la cathédrale, les
églises Saint-Jean et de la Madeleine, les casernes, de belles
fontaines publiques, des bains, la porte Taillée, ouvrage des
Romains, la salle de spectacle , le polygone , la promenade
de Granvelle et celle de Chamars.
Besançon possède des manufactures d'armes à feu et d'ar-
mes blanches. On y fabrique de l'horlogerie, des draps, des
toiles, de la mousseline, de la bonneterie, des toiles peintes,
des gants, des papiers peints, de la quincaillerie. Cette ville
a en outre une raffinerie de poudre et de salpêtre et des
brasseries renommées. Son commerce est actif, surtout avec
la Suisse, l'Alsace et le midi de la France. Elle possède un
bureau de douanes.
A trois lieues sud-ouest de Besançon , se trouve la grotte
d'Osselle , qui a plus d'un quart de lieue de long, et qui
est remarquable par ses belles stalactites et les ossements
fossiles qu'on y rencontre.
BESAi\T,BESAN ou BEZANT, nom d'une ancienne
monnaie, qui a d'abord été frappée par les empereurs de
Byzance, d'où elle aurait tiré son nom, et qui était d'or pur,
au titre de vingt-quatre carats. Plus tard, il fut d'usage en
France d'en présenter treize à la messe du sacre des rois , et
Henri II en fit battre, expressément pour cette destination ,
un nombre pareil, en leur donnant le nom de byzantins.
On s'est demandé pourquoi nos princes se servaient d'une
monnaie étrangère dans leur sacre? Leblanc pense que ce
nom était donné autrefois à toute monnaie d'or, même
quand elle n'était pas frappée à Constantinople.
On ne paraît pas bien fixé sur la valeur du ôesfi??^ ancien.
Ragneau et Baquet l'évaluent à 50 livres ; le sire de Joinvilie
dit qu'on demanda pour la rançon de Louis 200,000 besants
d'or, qui valaient 500,000 livres : ce serait à raison de 50 sous
pour chacun. Dans plusieurs titres d'abonnement de fiefs,
le besant n'est apprécié qu'à 20 sous; dans un compte des
baillifs de France de l'an 1277, il est évalué à 9 sous. Le
denier tournois était alors à 1 denier 6 grains de loi, à la
taille de 200 au marc : ainsi , il valait de notre monnaie
courante 4 deniers un quart, et par conséquent le besant
vaudrait environ 21 sous de la monnaie d'aujourd'hui.
BESANT (Blason). C'est une pièce de métal ronde et
pleine dont on charge l' écu, à la différence des tourteaux,
qui sont de couleur, et des cercles et anneaux, qui sont
à jour. Les paladins français mirent sur leurs écus de ces
sortes de besants, pour faire voir qu'ils avaient fait le
voyage de la Terre Sainte. On appelle besant-tourteau celui
qui est mi-partie de métal et mi-partie de couleur. Les Es-
pagnols confondent les besants et les tourteaux, et les ap-
pellent indifféremment roeles ; quelques-uns appellent aussi
les besants d'argent plates, du mot espagnol plata, qui si-
gnifie argent. Upton nomme les besants d'or talents, et
14
106
BESAiNT — BESELER
ceux (ïaLTgenl palets. IJ y a aussi des besants saracéniques
(sarrazins).
DESBOIIOUÏJO (Alexandre, prince), secrétaire d'État
sous le règne cle Catlicriiic II et do Paul I" de Russie, né
en (742, dans la l'eîite-Russie, mort à Saint-Pétersbourg, en
1799, avait accompagné en qualité de secrétaire le feld-ma-
r^clial Roinanzofr dans ses premières campagnes contre les
Turcs, lorsqu'il obtint un emploi de secrétaire à la chancel-
lerie. Connaissant i)arfaitement sa langue maternelle , il
brillait en outre par la facilité et la rapidité de la conception.
Ayant reçu un jour l'ordre de rédiger un projet d'ukase, il
oublia complètement la commission dont il était chargé, et
se présenta au palais de l'impératrice sans être porteur du
travail qui lui avait été demandé. Catherine II le lui rap-
pela, et Besborodko, sans se troubler, tira de son porte-
î'euille une feuille de papier blanc, puis donna lecture à sa
souveraine du projet d'ukase comme s'il eût été réellement
rédigé déjà dei>uis longtemps. L'mipératricc, satisfaite, lui
demanda le papier pour y apposer immédiatement sa sig;ia-
ture, et sa surprise fut grande en le trouvant d'une entière
blancheur. Toutefois elle prit la chose enbonnopart, ne lit
point de reproche à Besborodko, et le nomma, au contraire,
conseiller intime, puis, en 1780, secrétaire d'État pour les
affaires étrangères. Depuis lors, et surtout après la mort<lc
Panin, en 17S3, il posséda toute la confiance de Cathe-
rine II.
Créé comte du saint-empire par l'empereur .Joseph II , et
possesseur d'une fortune immense, Besborbdko s'allia à la
Camille Woronzoff,et devint ainsi l'un des adversaires secrets
de Potemkin. En 1791 l'impératrice l'envoya à Jassy pour
renouer avec la Porte les négociations de paix rompues par
Potemkin ; et au retour de cette mission son crédit s'accrut
encore. 11 dirigeait presque à lui seul toutes les relations de
la Russie avec les puissances étrangères, et il exerça la plus
décisive influence sur le sort fait k la Pologne. Plus tard, le
favori Platon Zouboff le remplaça dans la confiance de Ca-
therine II, sans que cependant il tombât pour cela en dis-
grâce. A l'avéneuient de Paul F"^ au trône, il tut créé prince,
et en 1797 cet empereur le chargea de négocier une alliance
entre la Russie et l'Angleterre contre la France. Il aimait
')assionnément les beaux-arts , et la magnifique galerie de
tableaux qu'il forma prouvait la sûreté de son goût. Par
.^on testament il consacra nue grande partie de sa fortune à
des établissements d'utilité publique.
JBESCIÏIR (Émir). Voyez Bkchir.
IîESCHTIAI\'S. Vouez CuAsmiM.
BESELER (GuH,L,viJME-lÎAUTviG ), l'un des hommes qui
ont tenu le plus dignement en 1848, 1849 et 1850 le dra-
peau de rindéi)endancc, de la nationalité allemande et de
l'inséparabilité politique des duchés de Schleswig-Hol-
slein contre les projets d'absorption conçus par le cabinet
<le Copenhague, est né en 180G, dans le pays d'Oidenburg.
Élevé à Schleswig, il fit ses études de 1825 à 1827 aux
universités de kiel et de Heidclberg , et reçu avocat, vint
se fixer à Schleswig, où bientôt il sut se faire une place des
plus honorables au barreau de cette ville, en môme temps
(ju'il prenait la part la plus active à toutes les discussions
que soulevait dans le pays l'intention de le daniser, haute-
ment avouée par le gouvernement danois. Bien que de-
venu plus tard un des chefs de l'agitation anti-danoise,
il s'efforça constammc!ît de rester dans les voies de la
stricte légalité. Son rôle polificpie ne date pourtant, h bien
dire, que de l'aimée 1844, époque où la ville de Touderne
l'élut pour son mandataire à la diète de Schleswig. A celte
époque le parti radical danois s'efforçait d'entraîner dans
son courant d'idées et d'efforts les populations du nord
du Schleswig, tant par de belles promesses que par cpiel-
(pies concessions. M. Beseler IVit un de ceux qui repous-
sèrent avec le plus d'énergie les insidieuses tentatives fai-
tes pour arriver à désunir ses concitoyens. La diéle Tayaut
élu pour son président, il eut en cette qualité à combattre
les usurpations et les excès de pouvoir de tout genre com-
mis par le commissaire du gouvernement Scheele. Sa con-
duite dans l'exercice de ces importantes fonctions lui valut
les sympathies universelles de ses concitoyens, et plus par-
ticulièrement la gratitude des habitants du pays d'Angela
et de la Frise.
La conviction profonde de M. Be.seler a toujours été qu'il
n'y aurait jamais de tranquillité durable à espérer pour le
Schleswig qu'à la condition de réunir à l'Allemagne la
partie allemande (plus des trois quarts) du territoire de
ce duché, sans d'ailleurs porter en rien atteinte aux droits
du souverain par le seul fait du maintien de l'union
administrative et politique qui a constamment existé de-
puis plus de quatre cents ans entre le Schleswig et le Hol-
stein, partie intégrante jadis de l'empire, et aujourd'hui en-
core de la Confédération germanique. Tels sont les principes
qu'il s'esL efforcé de faire prévaloir dans tout le cours de
sa cairièrc politique. A la suite du mouvement produit en
mars 1848 dans les duchés par le contre-coup de la révo-
lution ({ui venait de mettre à Copenhague le pouvoir aux
mains du parti radical, M. Beseler fut appelé par ses conci-
toyens à faire [ir-rtic du gouvernement provisoire qui se
constitua alors dans les duchés. Plus tard, il fut député par
la ville d(! Rcndsbourg au parlement allemand de Franc-
fort ; et quoique son rùie dans celte assemblée se soit à peu
près borné à y défendre le droit de ses concitoyens de con-
server leurs lois, leui-s institutions et leur langue nationale,
il n'y obtint pas moins les honneurs de la vice-présidence.
Quand, trahie par la Prusse, indignement sacrifiée parles
jalousies réciproques de l'Angleterre et de la Russie, et
niaisement abandonnée par la France se laissant, dans cette
circonstance comme dans tant d'autres , traîner à la remor-
que par la diplomatie de ses ennemis intimes, la cause des
duchés dut succomber en janvier 1851 sous la pression d'i.n
corps d'exécution autrichien , M. Beseler, personnellement
exclu des diverses amnisties proclamées par le roi de Da-
nemark , se retira à Brunsvnck, où un asile lui avait été
offert au nom du duc.
Son ivhve y Charles-Georges-Chrétien Besei.ek, profes-
seur de droit à l'université de Greifswald ( Prusse ) et l'un des
jurisconsultes les plus distingués de l'Allemagne, né en
1809, près de Husmn, dans le duché de Schleswig, se vit
refuser par le gouvernement danois le droit de s'établir
comme avocat à Schleswig ou de faire des cours particu-
liers à l'université de Kiel, parce que sa conscience ne lui
permit pas de prêter le serment de fidélité à la loi du roi
( voyez l'article Danemark) que le gouvernement danois, à
partir de 18:îl, imposa dans les duchés à tous les fonction
naircs publics, avocats, notaires, greffiers, etc. Prêter ce
serment, c'était aux yeux de M. Beseler devenir complice de
l'usurpation danoise. Après avoir successivement professé
avec le plus grand succès à Gœttingue, à Heidelberg, à Bàle,
à Rostock, il fut appelé, en 1842, par le gouvernement
prussien, à occu|)er une chaire à l'université de Greifswald.
Élu à l'Assemblée nationale allemande en 1848, par le cercle
éle<;toral de cette ville, il y devint l'un des chefs du centre
droit. En toute occasion il combattit les projets d'omnipo
tence et de suiuématie de l'Autriche. 11 vota en outre l'hé-
rédité de l'empire dans la maison de Hohenzollern, et
fut un des membres de la députation que le parlement de
Francfort envoya à Berlin pour y faire connaître au roi ie
vote de l'assemhlée qui lui offrait la couronne impériale.
Plus tard, quand le parlement de Francfort prit mie at
tilude décidément radicale, il engagea tous ses collègues
j)ru.ssicns à se retirer de cette assemblée, et son conseil
allait êfre suivi quand arriva un ordre do Berlin pc.sciivant
ce que M. Ce.solcr se bornait à conseiller. En J8i9 il a
été élu par l'arrondissement de aiausfcld membre de la
Chambre des Députés prussienne, et dans cette assemblée,
BESELER — BESOIN
107
011 il siège à la gauche, il s'est prononcé pour la révision
de la constitution dans le sens du système constitutionnel.
BESEMVAL. Voyez Bezental.
BESIADE (Famille de). Voyez Avaiuy.
BESICLES. Voyez Lunettes.
BESIGUE. Composé d'empixints faits au piquet et
au mariage, le besigue se joue à deux personnes et en
cinq cents points , avec un jeu de trente-deux cartes , dont
Tordre et la valeur sont ainsi réglés : l'as vaut onze points ;
le dix en vaut dix; le roi, quatre ; la dame , trois ; le valet,
deux; les neuf, huit, sept, suivent la progression descen-
dante , et peuvent servir à faire des levées , rçiais ils ne
font pas compter de points.
Celui des deux joueurs que le sort a désigné pour donner
le premier, donne allernativement, deux par deux, six
cartes à son adversaire et autant à lui-même; puis il re-
tourne la treizième , qui indique la couleur de l'atout. Si la
retourne est un sept, le donneur marque dix points. Si
c'est une autre carte, celui des deux joueurs qui a le sept
de même couleur peut l'échanger contre la retourne, et il
marque dix points.
Les diverses chances sont : la quinte majeure en atout ,
qui vaut cinq cents points et fait gagner d'emblée; les au-
tres quintes, qui valent deux cent cinquante ; les quatre as,
qui valent cent; les quatre rois, quatre-vingts; les quatre
dames, soixante; les quatre valets, quarante. Le bésigue,
qui est la réunion du valet de carreau et de la dame de pi-
que dans la même main, vaut quarante. Le mariage, c'est-
à-dire le roi et la dame de même couleur, vaut quarante
s'il est en atout , et vingt dans les autres cas ; enfin la der-
nière levée vaut dix.
Après chaque levée , chacun des deux joueurs prend une
carte sur le talon ; celui qui a fait la levée prend le pre-
mier. On ne peut compter les points qu'on a en main, comme
besigue, mariages, cent d'as, etc., qu'après avoir fait une
levée et avant de prendre la carte du talon. Quant aux
points résultant des levées , on ne les compte qu'après le
coup.
Tant qu'il y a des cartes au taion , on peut renoncer ou
même couper avec de l'atout, bien qu'on ait en main de la
couleur demandée. Mais lorsqu'il n'y a plus de cartes à
relever, on est tenu de suivre les règles de l'écarté.
Le besigue se joue aussi sans retourner la treizième carte ;
alors , c'est le premier mariage compté qui indique la cou-
leur de l'atout.
BESKOW (Bernard de), grand maréchal de la cour
du roi de Suède, né le 19 avril 1796, à Stockholm, est le
fils d'un riche négociant, propriétaire de mines importantes.
Dès son enfance il montra les dispositions les plus grandes
pour la peinture et surtout pour la musique, et ne se laissa
que plus tard entraîner par les charmes de la poésie.
En 1814 il entra dans la chancellerie, fut, en 1824, at-
taché au cabinet du prince royal , puis nommé secrétaire de
ses commandements, anobli en 1826, créé chambellan en
1827, et en 1833 grand maréchal de la cour. En février
1831 il prit la direction du théâtre royal de Stockholm,
et fit représenter sur cette scène plusieurs pièces d'un grand
mérite ; mais des motifs financiers le forcèrent dès l'année
suivante à résigner ce sceptre théûtral. Non content de l'e-
noncer aux émoluments attachés à ses différents emplois , il
lui est souvent arrivé de consacrer une notable partie de sa
fortune particulière à produire dans le monde et à y soutenir
de jeunes talents encore inconnus. Il est l'un des dix-huit de
l'Académie Suédoise, et depuis 1834 son secrétaire per-
pétuel. En 1818 et 1819 il !il paraître Vitterheds Jorsak
und jEremimie or/ver Torkel Knuston, aussi que le
poëme Cari XII, dont la publication lui valut la connais -
sauce et l'amitié de Tegner. En 1824 son poëme Sreriges
MHo?' lui fit avoir le grand prix de l'Académie.
r Pendar.t h:s annres 1S20 et JS21 , 1827 et 1828, M. de
Beskow parcourut les principales contrées de l'Europe, se
liant partout avec les hommes les plus considérés dans les
arts et les lettres. L'un des fruits de ce voyage fut la pu-
blication de ses Vandring minnen ( Souvenirs de voyages,
2 vol.; Stockholm, 1832). Erick den Fjortonde fut sa
première tragédie; vinrent ensuite Hïldegard, Torkel
Kmitson, peut-être la plus remarquable des tragédies qu'offre
la littérature suédoise; Kong Birgeroch Hans JElt ( 1837 ),
et Gustav Adolfi Tykland, traduites en danois et en alle-
mand par Œhlenschlœger. Son opéra les Troubadours a
élé mis en musique par le prince royal lui-même, depuis
roi (le Suède sous le nom d'Oscar i«''.
M. de Beskow a aussi donné des articles à |)resque tous
ceux des journaux suédois qui s'occupent de littérature et
de beaux-arts. Abordant même le champ de la politique , il
a fait de la polémique monarchique, notamment dans VA-
beille suédoise, et, comme on devait s'y attendre, s'est
efforcé de démontrer que la Suède a le meilleur des gcu-
vernements possibles, donnant ainsi , sans le vouloir peut-
être, une nouvelle preuve de la puissance d'imagination
poétique dont l'a doué la nature. Comme prosateur, on doit
reconnaître que son style réunit la pureté à l'éclat, l'élé-
gance à la noblesse; il manie avec un rare bonheur l'ironie,
tout en sachant observer toujours les plus exactes conve-
nances. Ses poésies respirent la grâce et tous les sentiments
tendres qui parlent au cœur. Si la critique peut reprocher
à quelques-unes de ses tragédies des vices de plan et des
caractères faux, elle n'a que des éloges à donner à sou style
et à la facture de ses vers. En 1842 la Faculté de philoso-
phie de l'université d'Upsal lui a décerné le titre de doc-
leur, honneur qui n'avait encore été accordé qu'au baron
deBrinkmann , bienfaiteur delà bibliothèque de l'université.
BESMES , ainsi appelé de ce qu'il était né en Bohême,
mais dont le vrai nom était Charles Dianovvitz , assassin à
la solde des Guise , devenu fameux par son audace et sa
férocité d;uis les massacres de la Sauit-Barthélemi. Ce fut
lui qui eut la principale part au meurtre de l'amiral Coli-
gn y, et qui jeta son coriis par la fenêtre. 11 se distingua à la
tête des bandes d'égorgeurs tant que durèrent ces sanglantes
exécutions. Pour prix de ses services, il reçut, avec une
riche dot, la main d'Anne , fille naturelle du cardinal de
Lorraine, qui avait été fille d'honneur d'EUsabeth de France,
femme de Philippe IJ, roi d'Espagne. Par reconnaissance
ou par goût, il continua de poursuivre à outrance les hugue-
nots. Il revenait à Paris, après avoir exploité les provinces,
lorsqu'il tomba au pouvoir d'un parti huguenot, entre Bar-
bézieux et Château-Neuf. Les Rochelais demandèrent qu'il
leur fût livré; mais il resta prisonnier au château de Ber-
tanville. En 1575 il parvint à s'évader avec un soldat qui
le gaidait. Le gouverneur, informé imméciialement de son
évasion, se mit lui-même à sa poursuite et ralteignit. Besmes,
qui ne pouvait lui échapper, s'arrête, et armant un pistolet ;
n N'avance pas , dit-il au gouverneur, ou tu es mort. ïu
sais que je suis un mauvais garçon. » Besme manqua son
coup. « Je ne veux pas que tu le sois , » répond le gouver-
neur , et il lui passe son épée au travers du corps. C'est une
chose digne de remarque que les deux assassins de Coligny
périrent de mort violente. Maurevel fut rencontré à Paris,
rue Croix-des-Petits-Chanips, par le fils du malheureux de
Mouy, que ce scélérat avait assassiné à Niort Mauievel, àl'as-
pect du fils de sa victime, prit la fuite; mais le jeune de Mouy
l'alteignit dans la rue Saint-Honoré, et lui fit plusieurs bles-
sures, dont il mourut le lendemain. Dut'EY ( de l' Voune ).
BESOIN (Droit commercial). Dans les effets de com-
merce, on indique pour payer ati besoin une ou plusieurs
personnes auprès desquelles on a recours faute de payement
par le débiteur sur qui l'effet a été tiré. Ainsi , d'après l'ar-
ticle 173 du Code de Commerce, les protêts faute d'accep-
tation ou de payement doivent être faits au domicile de ceux
qui ont été désignés par la lettre de clKuigc pour la paver
14.
108
BESOINS
(lu besoin. Le besoin , étant d'une main étrangère, n'oblige
pas, bien entendu, la personne désignée. Celui qui consent b.
payer ainsi peut exiger la remise de l'effet acquitté , ainsi
que le protêt dûment enregistré fait sur le tiré.
ïîESOÎiVS. On fait venir ce mot de bis somnium, parce
que les nécessités que cause le besoin doublent les soucis ou
les songes. Cependant, on peut dire qu'il y a des besoins par
excès , comme d'autres par défaut, que les animaux sont
réduits aux besoins physiques, et que l'homme seul éprouve
aussi des besoins moraux. Il est même dans notre nature
de se créer des besoins factices, sources d'industrie
comme de misère , et qui ont pu élever notre espèce au
rang que la civilisation lui assigne sur tous les êtres or-
ganisés.
La plante, dans son insensibilité, semblerait exempte de
vrais besoins , ou de la douleur que les privations des ob-
jets nécessaires à la vie imposent; cependant elle appète
.sa nourriture, soit par les racines, soit par les feuilles, dont
les pores absorbent les sucs nutritifs, avec l'humidité, l'a-
cide carbonique , etc. Chez les animaux , les besoins d'ali-
mentation, la faim , la soif, s'expriment par des actes plus
manifestes encore. Il en est ainsi de tous ceux que leur
instinct exécute spontanément pour la conservation de l'in-
dividu et de sa race. Tout ce qui fait vide dans l'économie
animale ou végétale est cause d'un besoin , afin de réparer
l'indigence de l'organisme : de là les sensations de la faim,
de la soif, celles du froid, de la chaleur, etc.; elles de-
mandent leur contraire, ou le rétablissement de cet équi-
libre, qui constitue la santé, le bien-être corporel.
L'économie vivante demande également à s'exonérer des
matériaux superllus qui peuvent la surcharger ou gêner ses
actes. Quand on ne citerait ici que les pioduits des excré-
tions, soit du résidu des aliments et des boissons, soit des
humeurs surabondantes , dans l'état de santé comme dans
les maladies, on comprend qu'il en résulte plusieurs besoins
tout aussi réels que ceux par défaut. 11 est surtout des ex-
crétions qui ont une nombreuse série de besoins, telles sont
celles relatives à la génération : ainsi l'évacuation meus-
truelle, celle du lait et du liquide reproducteur, sollicitent
des besoins nés d'un excès naturel d'élaboration d'aliments
dans l'âge de la vigueur et au faîte de notre existence. Ce
n'est donc point la pénurie qui est la cause de tous lés
besoins, comme on l'a supposé; car la diète même et l'abs-
tinence sont désirées par les personnes trop largement
repues. Ainsi le besoin de débarrasser l'estomac surchargé
d'aliments, comme le faisaient l'empereur Vitellius et
d'autres gastronomes , est une nécessité , quoique tout op-
posée à celle du pauvre affamé. Les excrétions spéciales,
comme celles de la matière de la soie dans le ver à soie ,
et d'autres chenilles fileuses , sont également un besoin de
leur constitution, puisqu'elles meurent si elles ne peuvent se
décharger de cet amas de matière soyeuse. Les émissions
comme les absorptions développent donc de vrais besoins
chez les animaux et même dans les végétaux.
Ainsi il y a pour toutes les espèces vivantes un principe
qui veille à leur existence, et qui les pousse par des besoins
appropriés à ce qui leur est utile. De là sont nés certains
appétits remarquables, le besoin de nourritures ou de bois-
sons acides, rafraîchissantes, chez les personnes trop échauf-
fées, etc. De là ce besoin que le chien manifeste de se pur-
ger ou de vomir en mâchant du gramcn, et tant d'autres
actes d'instinct qui paraissent inexplicables. On comprendra
facilement que si la fatigue appelle le besoin du repos,
l'excès du repos engendre à son tour le besom de l'activité ,
et qu'il y a un tel degré d'ennui qu'on lui préfère des travaux
pénibles, la chasse, la guerre raôrne, qui deviennent alors
des plaisirs.
L'animal qui trouve sa nourriture, une femelle et un abri,
accomplit sa destinée dans l'insouciance qui lui est naturelle,
loin de ses ennemis. 11 ne voit jamais au delà du présent;
il vit satisfait , parce qu'il ne sort aucunement de l'état où le
sort l'a jeté. "\'oiIà pourquoi il ne se perfectionne ni ne se
détériore point de lui-môme. A vrai dire, il agit moins par
une volonté réfléchie qu'il n'est guidé par l'impulsion de
ses instincts. Aveugle instrument d'une nature savante,
qui le forme et le dirige pour des fins inconnues à l'individu,
c'est une sorte de marionnette dépourvue de moralité, c'est
à-diie n'étant point digne de récompense ni coupable de
crime, puisque le tigre obéit à un instinct sanguinaire autant
que l'agneau subit le malheur de son innocence. De cet état
passif résulte pour l'animal une vie toute subordonnée aux
simples besoins corporels. De même, l'homme qui se ré
duit à une existence purement matérielle végète pour ainsi
dire comme la brute. Telles sont ces peuplades de nègres
sur le sol brûlant de la Guinée ; tels sont ces sauvages indé-
pendants des forêts de l'Amériiiue : la terre fertile leur pro-
digue spontanément ses trésors; ils en jouissent dans leur
stupide indolence, satisfaits de laisser couler leurs jours et
d'attendre le terme de cette carrière, insipide selon nos
goiits, mais peut-être channante par le bonheur de ce dolce
far nicnte dont elle les abreuve sans cesse. La nature dé
dommage ainsi de quelque manière les êtres dont elle rcS'
treint les jouissances; car les sots, les imbéciles crétins,
pour lesquels tant de besoins n'existent pas, subsistent,
sinon bienheureux, tout au moins exempts de grandes peines,
sur la terre où ils sommeillent.
L'arbre de la science et de la civilisation porte des fruits
délicieux et des semences d'insupportable amertume pour
•notre espèce lorsqu'elle s'en nourrit. Et cependant, que
serions-nous sans cette ardeur, peut-être insensée, de sortir
de notre spiière étroite et obscure, pour nous élancer,
à force de travaux et de fatigues, vers le faîte de grandeur,
d'éclat, de puissance, que nous promettent la curiosité, l'am
bition, le désir de nous surpasser aux regards de nos sem
blables et de la postérité.' C'est cette funeste passion qui
met le fer meurtrier à la main du conquérant et le pousse
à exposer sa vie pour régner sur les peuples. Des besoins
moins cruels ont inspiré les travaux des sciences, des lettres,
des beaux-arts ; ont élevé les dômes magnifiques des cités,
ont lancé des vaisseaux audacieux sur les flots de l'Océan et
déployé leurs ailes vers l'Orient, afin de recueillir au milieu
de mille hasards l'or, les diamants, et d'autres produits non
moins précieux. C'est le besoin de briller qui fait qu'on s'ex
ténue pour s'enrichir, pour s'entourer d'objets de luxe ou
des jouissances de la vanité , jusqu'à se glorifier de l'abais
sèment de ses rivaux.
Plus on accroîtra donc les besoins chez l'horame, plm
on agacera ses désirs poignants de s'agrandir dans toutes
les carrières, en savoir, en richesses, en jouissances phy-
siques et morales, au delà de la nécessité ; mais plus aussi, afin
de contenter un amour-propre inassouvissable, l'homme fera
d'efforts d'industrie pour se distinguer ou se satisfaire.
Voyez les peuples des climats prospères de l'Inde ou de
l'Asie : ils trouvent aisément tout ce qui peut combler leurs
désirs et satisfaire leurs besoins; ils s'en contentent, et ne
font nul effort pour s'élever au delà de ce simple bien-être.
Mais les nations nées sous des cieux plus Apres, subissant
l'inclémence de longs hivers, sentent la nécessité de se dé-
fendre par les vêtements, les habitations, les nourritures
plus abondantes, et par mille soins qui né peuvent se coor-
donner que dans un état de civilisation, de sécurité sociale.
De là surgissent les lois protectrices de la propriété , du
commerce et des arts ; de là cet essor des travaux de nia^
nufactureset de l'agriculture; de là se construisent les cités
où se rassemblent toutes les commodités de la vie, toutes
les prosp^ites du luxe , tous les secours contre les besoins.
Enfin , de là jaillissent les lumières des sciences, pour la pro-
pagation de ces moyens de civilisation et pour leurs i)rogrès
ultérieurs. Là fermentent ces associations puissantes qui
créent des ouvrages gigantesques, ces canaux, ces chemin»
BESOINS — BESSARION
109
(!e fer, ces machines à vapeur, elc, qui centuplent les forces
(te l'homme, font concouru- mille bras et les muscles ro-
bustes des animaux pour de grandes entreprises , avec l'or
des uns et le génie des autres.
Le citadin opulent de Londres ou de Paris , se créant des
besoins factices, réunit dans ses palais les productions des
deux mondes; il savoure dans la porcelaine du Japon le
thé de la Chine, ou le café de l'Yémen, avec le sucre pres-
suré par la main des nègres des colonies. Il faut qu'on aille
au pôle harponner des baleines pour éclairer de leur huile
ses portiques, ou pcurtailler leurs fanons élastiquesen légers
parasols, en corsets flexibles. La perle qui rayonne sur le
front de nos beautés a été dérobée aux abîmes des mers de
l'Inde. Quels sont donc ces besoins factices qui mettent
ainsi tout l'univers à contribution? Il est beau sans doute
de visiter par la vue, à l'aide d'un télescope , les déserts du
firmament, et d'y suivre une comète flamboyante; il est
grand de traverser l'Océan et de ceindre le globe de sa lon-
1 gue navigation au milieu des écueils, pour le seul besoin de
la science et de la gloire. L'homme s'ennoblit de toute la
renommée que cette ardente curiosité lui inspire ; il brave
; la mort , il affronte les douleurs et mille privations pour
faire fleurir sa réputation parmi ses semblables ; elle le dé-
dommage de cruelles fatigues, et une simple inscription sur
sa tombe, en témoignage de ses immenses labeurs , satisfait
quelquefois elle seule cet immense besoin de louange , apa-
I nage des héros et des vastes génies.
I Qu'on ne blâme donc plus ces besoins factices, puisqu'ils
sont le stimulant le plus énergique de notre perfectionne-
ment sur ce globe. C'est par eux que les nations modernes
d'Europe se sont élevées si haut en puissance, en savoir, et
qu'elles sont aussi parvenues à dominer, non-seulement les
autres êtres, mais même les peuples moins éclairés , soit
par les armes, soit par la supériorité des connaissances. On
pourrait dire que malheureux sont les peuples physique-
ment heureux ; ils languissent dans l'engourdissement. C'est
la peine et la misère sur un territoire stérile qui sollicitent les
travaux pour réparer à force d'habileté ce que déniait la
nature. C'est ainsi qu'on oblige les abeilles à rassembler de
nouveaux trésors en les privant chaque année de leur miel.
La peine, le besoin, la privation, éveillent donc le génie. La
nature n'a créé l'homme faible, nu, sensible, ou le plus
délicat de tous les animaux, que pour lui faire conquérir le
sceptre de son empire sur eux ; elle lui a fait don, en même
temp^, de deux mains et d'un cerveau intelligent, curieux,
pour le rendre capable d'inventer et d'exécuter tous les
travaux que nécessitaient ses besoins. J.-J. VmEv.
BESOINS DES HOMMES. Ce sont eux qui déter-
minent les hommes au sacrifice nécessaire pour obtenir les
produils capable.» ûe satisfaire ces besoins. Le sacrifice con-
siste, soit à prendre la peine de créer soi-même les pro-
duits, scie à donner en échange, pour les avoir, d'autres
produits précédemment acquis.
Les besoins des hommes ont différents degrés d'intensité :
depuis les besoins impérieux de la satisfaction desquels dé-
pend leur existence , jusqu'aux goûts les plus légers.
Une jouissance quelconque est attachée à la satisfaction
de chacun de nos besoins ; d'où il suit que les expressions
pourvoir à nos besoins, multiplier nos jouissances , et
même contenter nos goûts, présentent des idées du même
genre , et qui ne diffèrent entre elles que par des nuances.
Les hommes ont des besoins comme individus, comme
membres de la famille, comme membres de l'État. Ceux des
deux premiers genres donnent lieu aux consommations
privées; ceux du dernier genre donnent lieu aux consom-
mations ptibliqices. J.-B. Say.
BESSARABIE, ancienne province de l'empire otto-
man, aujourd'hui dépendance de la Russie, à laquelle elle
fut cédée en 1S12 par la Porte, aux termes de la paix de
IJukarest. Située entre la mer Noire, le Dniester, le Pruth et
l'embouchure du Danube , elle a pour limites les provinces
russes de Cherson et de Podolie , la Gallicie, la Moldavie et
la Bulgarie, et comprend en superficie environ 275 myrin-
mètres carres formant six cercles, Kischneff, Bjettsu,
Chotin , Bender, Aljerman et Ismaïl , avec une popu-
lation de 720,000 âmes. La Bessarabie manque de bois et
d'eau; cependant une zone de forêts qui ont péri depuis
longtemps a laissé sur les chauves plateaux des rochers
une épaisse couche d'humus sur laquelle se développent
d'immenses steppes où l'herbe parvient à plus d'un mètre de
hauteur et où prospère d'une façon admirable l'élève des bes-
tiaux. Le cUmat essentiellement continental de cette contrée,
où à un hiver d'une grande âpreté succède un été d'une
chaleur accablante, y favorise la production du froment, de
l'orge, du millet, du maïs, du chanvre, du lin, du tabac,
des melons , des légumes et des fruits de toute espèce, ainsi
que de la vigne. Les bêtes à cornes et les chevaux sont au
nombre des animaux domestiques qui y sont l'objet de plus
de soins. Le gibier y est rare ; mais partout où l'on trouve
de l'eau , le poisson est extrêmement abondant. En fait de
productions du règne minéral , il faut surtout citer, avec le
salpêtre, le marbre et la chaux, le sel, particulièrement ce-
lui qui provient des marais salants d'Akjerman. L'industrie
est encore bien arriérée, et se borne à peu près à la tanjierie,
à la fabrication des savons et à celle des chandelles. Le
commerce est entre les mains des Juifs et des Arméniens et
a surtout pour objet l'exportation des produits du sol. Les
habitants sont Vulaques, Moldaves, Bulgares, Grecs, Armé-
niens, Juifs, Bohémiens ou encore Tartares d'origine; ce-
pendant, à la longue, plus de huit mille familles de colons
allemands sont venues s'établir dans la contrée. Elle a pour
chef-lieu Kischneff. Sur les rives du Dniester on trouve les
forteresses de Chotm et de Bender, à l'embouchure de ce
fleuve Akjerman, et, sur le bras septentrional du Danube,
Ismaïl et Kilianava.
BESSARION (Jean ou Basile), moine grec de Saint-
Basile, patriarche titulaire de Constantinople , archevêque
de Nicée, ensuite cardinal et légat en France, sous Louis XI,
n'était point né à Constantinople, comme l'écrivent quelques
biographes, mais à Trébizonde, et dans l'année 1389,
comme le fait voir son épitapiie , qu'il composa lui-même;
il mourut à Ravenne, le 19 novembre 1472. Le philosophe
Pléthon avait été un de ses maîtres. Après avoir passé Aingt
et un ans dans un monastère du Péloponnèse, occupé de
l'étude des belles-lettres , qu'il joignait à celle de la théo-
logie, il en fut tiré en 1438, par Jean Paléologue , qui avait
formé le projet de se rendre au concile de Ferrare pour
réunir l'ÉgUse grecque et l'Église latine. Il fut fait par lui
évêque de JSicée, et suivit son protecteur en Italie, avec
Pléthon, l'archevêque d'Éphèse, le patriarche de Constanti-
nople et plusieurs autres Grecs distingués par leurs talents
ou par leurs dignités. Il seconda de tout son pouvoir les
projets de Jean Paléologue, et finit même par se rendre
odieux aux Grecs scliismatiques, pour le zèle avec lequel il
travaillait à une réunion qu'ils éloignaient de leurs vœux
et de leurs efforts.
Le pape Eugène lY l'en dédommagea et le récompensa
de son dévouement à l'Église latine par la dignité de car-
dinal-prêtre du titi-e des Saints-Apôtres , qu'il lui conféra.
Dès lors , Bessarion reprit sa vie studieuse, et sa maison de-
vint le rendez-vous de tous ceux qui cultivaient ou ai-
maient les lettres. Il obtint successivement la confiance et
les bonnes grâces de plusieurs papes, et fut sur le point d'at-
teindre lui-même à cette dignité et de succéder à Nicolas V ;
mais il aurait fallu acheter pour cela par une injustice la voix
du cardinal Orsini , et Bessarion refusa de le faire. Le car-
dinal de la Rovère, moins scrupuleux , consentit à ce qu'on
voulait de lui, et tut nommé. Bessarion fut chargé successi-
vement de quatre ambassades délicates et difficiles : il se
tira avec honneur et succès des trois premières; mais il
110
BESSARION — BESSIERES
<;chnua complcfemeiit <lans la quatiième. Envoyé ea Frauce,
par Sïxte IV , pour réconcilier Louis XI avec le duc de Bour-
s^ogne et obtenir des secours contre les Turcs , non-seule-
ment il ne réussit pas dans ce projet , mais encore on pré-
tend que Louis XI l'humilia eu pleine audience par de
dures plaisanteries. Bcssarion reprit tristement le chemin de
Rome , où l'on veut que le chagrin ait causé sa mort, que
l'ûge seul (quatre-vingt-trois ans) sufTisait du reste pour
amener. Il a laissé plusieurs ouvrages sur le projet de réu-
nion des deux Églises, et une défense de la phllosopliie de
Platon , que l'on a réunis dans le tome XVI de la Biblio-
thèque des Pères.
BESSEL (Frédéric -Guillaume), professeur d'astro-
nomie à Kœnigsberg, associé étranger de notre Académie
des Sciences, naquit à Minden, le 22 juillet 1784. Il entra
à l'âge de quinze ans dans l'une des premières maisons
de commerce de Brème en qualité de commis. Les rela-
tions maritimes de cette place lui inspirèrent d'abord le
goût de la géographie, et plus tard celui de la navigation.
Comme ses journées étaient absorbées tout entières par les
devoirs de l'emploi qu'il remplissait, il prenait sur les
nuits le temps nécessaire pour acquérir des connaissances
mathématiques, et il ne tarda pas à concevoir le goût le
plus vif pour l'astronomie. Un premier travail astrono-
mique le mit en rapport avec 0 1 b e r s , qui dès lors l'aida de
ses conseils. Sur sa recommandation , Bessel fut nonmié
inspecteur des instruments astronomiques appartenant à l'u-
niversité de Gœttingue, fonctions qu'il remplit pendant
quatre années. Appelé alors à Kœnigsberg , il présida , en
1812 et 1813, à la construction de l'observatoire de cette ville.
Parmi les premiers ouvrages de Bessel , il faut mentionner
celui qu'il publia en 1810 à Kœnigsberg iMr le mouvement
vrai de la comète de 1807 et ses Eundamenta astrono-
viix deducta ex observationibus J. Bradiez (Kcrnigs-
berg, 1818). Les Rechei'ckes sur la longueur dupendule
simple à secondes pour Berlin (Berlin, 1828 et 1837)
sont restées un livre classique. Citons encore de lui : Obser-
vations astronomiques faites à l'Observatoire de Kœ-
nigsberg, comprenant la période de ISlâ à 18:^5 (21
parties ; Kœnigsberg, 1815-134G ;continuée3 par Busch ) ; Ta-
bulec regiomontanxreductionumobservatiomim ab anno
1750 usquead annum 1830 computatx (Kœnigsberg, 1830) j
Mesure d'un degré dans la Prusse orientale (Berlin ,
1838) , pubUé en société avec Bayer; Exposition des re-
cherches faites de 1835 à 1838 pour établir l'unité
d'un système de mesures pi-usslen, ouvrage publié aux
frais des ministères du commerce et des finances, et Re-
cherches astronomiques (Kœnigsberg, 1841-1842).
Dans les années 1824 à 1833, Bessel acheva une série de
75,011 observations, faites en cinq cent trente-six séances ,
sur la zone du ciel située entre le 15" degré de déclinai-
son septentrionale et le 15" degré de déclinaison méridio-
nale. Ces observations, comprenant toutes les étoiles jusqu'à
la neuvième grandeur, tirent le sujet de plusieurs de ses
publications ; l'une des plus intéressantes est celle qui est
intitulée Mesure de la distance de la Gl« étoile de la cons-
tellation du Cygne, publiée dans V Annuaire de Schu-
viacher pour 1839; Bessel y fixe la distance de cette étoile
au soleil à 357,700 diamètres de l'orbite terresti'e, c'est-à-
dire à plus de treize millions de myriamètres.
En se li\Tant à un examen attentif des observations faites
par Brandes et autres sur les étoiles filantes, Bessel
trouva que leur ascension est sans exemple , résultat qui
fait disparaître une des plus grandes difficultés de la théorie
de ces phénomènes. En 1844 cet infatigable travailleur
publia encore une dissertation qui contient des recherches
d'un haut intérêt sur la mutabilité des mouvements parti-
culiers des étoiles fixes. A la même époque il donnait une
esquisse biographique sur son vénérable maître Olbers, à
l'occasion delà 21* réunion annuelle des naturalistes et des
médecins allemands à Brème. Sfais déjà la santé de Bessel ^|
commençait à chanceler; il finit par tomber dans une ma- 'Il
ladie de langueur, à laquelle il succomba le 17 mars 1S4o
Deux ans plus tard , son ami Schumacher publia les Leçons
populaires sur divers sujets scientifiques que Bessel avait
faites presque toutes de 1 832 à 1 844 dans la Société Physico-
Économique de Kœnigsberg. Dans l'une de celles qu'il faisait
en 1840, se trouve déjà annoncée la planète Neptune d'a-
près les considérations qui un peu plus tard devaient amener
sa découverte par M. Leverrier.
BESSES (Bessi) , peuple de Thrace , qui habitait sur la
rive gauche du Strymon, au nord du mont Rhodope. Ils
étaient féroces, sauvages et voleurs. Après avoir été long-
temps gouvernés par des rois , ils furent soumis par les
Romains, dont ils parvinrent à secouer le joug; mais Octa-
vius, père d'Auguste, les fit rentrer sous la domination
romaine. Us firent une nouvelle tentative sous son succes-
seur, pendant le règne duquel un de leurs prêtres, attaché
au culte de Bacchus , souleva tout le pays et ravagea la
Ciiersonèse; mais ils furent vaincus par Pison , et restèrent
depuis attachés aux Romains. '
BESSÎÈRES (JE.iN-B\i>TisTE), duc D'ISTRIE, maré-
chal de l'empire, colonel général delà garde impériale,
grand-aigle de la Légion-d'Honneur, commandeur de la
Couronne-de-Fer, naquit à Preissac (Lot) , le 6 août 1768.
Admis en 1790 dans la garde constitutionnelle de Louis XVI,
il y trouva l'occasion de sauver la vie à plusieurs per-
sonnes delà maison de la reine. Au mois de novembre 1792
il passa avec le grade d'adjudant-sous-officier dans les chas-
seurs à cheval de la légion des Pyrénées. Il s'y battit bra-
vement , et s'éleva rapidement au grade de capitaine. 11
fit remarquer aux bolles affaires de Bascara, Basola, La
fiuvia , et dans les combats qui furent livrés dans les plaines'
de Figuières. On l'envoya quelques années après à l'armée
d'Italie. C'était à l'époque où Bonaparte en prenait l
commandement.
Bessières se fit un grand nom sur ce nouveau théâtre:
Suivi seulement de six chasseurs , il enleva deux canons ans
Autrichiens au combat de Roveredo; un autre jour, s'é-
tant élancé seul sur une batterie ennemie , il perdit son clie
val en l'abordant, mais il se releva et courut à pied sur
une pièce ; les canonniers ennemis le sabrment, quand quel-
ques-uns de ses chasseurs , qui avaient aperçu le péril où se
trouvait leur capitaine, arrivèrent à son secours; soutenu
par eux , il enleva la batterie. Ces actions intrépides fixèrerit
sur Bessières les regards du jeune général en chef, qui le
mit à l'ordre du jour et lui donna le commandement de
ses guides. Ce beau corps devint le noyau de la garde ini
périale. Bessières s'y éleva , par les plus nombreux et le
plus brillants faits d'anues , à une haute réputation miUtaire.
Il passa en Egypte, et y garda le commandement du même
corps. Il servit avec éclat parmi les plus braves et les plus
intelligents , et prit une part importante aux batailles de
Saint-Jean d'Aci-e et d'Aboukir. Bonaparte lui confia dan
ces journées plusieurs charges décisives , dans lesquelles il
fit preuve d'une haute et rapide intelligence.
Revenu en France avec Bonaparte , il prêta main-forte à
l'entreprise du 18 brumaire. H fit la seconde campagne
d'Italie, et décida àMarengo, par une admirable charge
de la cavalerie d'élite, la retraite des Autrichiens. C'est
dans les derniers moments de cette charge qu'il s'honora
par une action digne des temps chevaleresques ; ce fut le
mouvement d'une bonté sublime, car ce mouvement lui
vint dans l'élan furieux d'une dernière attaque victorieuse ,
dans un de ces instants où l'iumianité semble avoir perdu
tous ses droits. Il avait à disperser les Autrichiens fou
droyés et battus de toutes parts. La cavalerie de la garde
des consuls chargeait à coups redoublés l'arrière-garde en
nemie. Bessières se trouvait au milieu du feu, au premier
rang. Il aperçoit tout à coup un cavalier autrichien qui
BESSiESES
m
tombe , blessé , en suppliant les Français de ne pas l'écraser
sous leurs chevaux. Bessières s'élance près de lui , et crie
aussitôt : « Ouvrez vos rangs , soldats , épargnez ce brave ! »
A ces mots, les rangs s'ouvrent, et la vie du vaincu est
■ épai^ée. C'était un jeune homme qui appartenait à une
des premières familles de la r\Io:avie.
Bessières fut porté par Napoléon sur la première liste des
maréchaux de l'empire ( 19 mai 1804), et élevé en 1808 à
la dignité de duc d'Islrie. L'empereur l'envoya dans cette
înôme année à la cour de Wurtemberg pour y épouser, au
nom du prince Jérôme, une des filles du roi. Bessières resta
constamment à la tète de la garde. L'empereur joignit dans
plusieurs campagnes à ce commandement celui d'un corps
(l'armée. En 1805, en avant de Braunn, sur la route d'Ol-
inùtz , il défit avec la cavalerie de la garde et la division des
cuirassiers d'Hautpoul un corps de six mille Russes , qui
formait l'arrière-garde de Koutouzof; cela fait, sa cavalerie
s'élança sur la garde noble d'Alexandre et l'enfonça ; puis
elle perça le centre de l'armée du czar. Les Russes perdi-
rent dans cette affaire 27 pièces de canon. Durant la cam-
pagne de Prusse , le maréchal , placé à la fête du 2* corps
de cavalerie , commanda de la manière la plus brillante aux
fameuses batailles d'Iéna, d'Heilsberg et de Fried-
I a nd. A Biezem, en avant de Thorn, il enleva aux Prussiens
cinq pièces de canon , deux étendards , et fit huit cents pri-
sonniers. A Eylau, l'empereur ayant réuni les divisions
Jlilhaud , Klein , Grouchy et d'Hautpoul à la cavalerie du
maréchal , celui-ci exécuta cette terrible charge qui culbuta
20,000 hommes d'infanterie dans des boues glacées. Bes-
sières y prit toute l'artillerie de ce corps ; un cheval fut tué
sous lui.
En 1803 il fut nommé au commandement du deuxième
corps de l'armée qui entrait en Espagne. Il établit son quartier
général à Burgos. Son administration , juste , vigilante et
douce, apaisa les agitations des populations qui lui furent
confiées. Bessières fut détaché de ces soins par l'arrivée
subite d'une armée espagnole ayant à sa tète le général
Cuesta. Cette armée, s'elevant à 40,000 hommes, avait été
équipée par les Anglais. Son général espérait couper les com-
unmications entre Madrid et la France. Bessières courut à
lui, bien qu'il n'eût à sa disposition que 13 à 14,000 hommes.
L'armée de Cuesta, rangée en bataille sur les montagnes
tle Médina de Rio-Secco, où elle était appuyée par quarante
pièces en batterie , fut attaquée et culbutée de ces hau-
teurs, grâce aux habiles mesures du maréchal. Les pre-
miers moments de l'atthaue fiuent sanglants et nous coûtè-
rent de braves soldats. Le.. Espagnols s'enfuirent , laissant
sur ces montagnes mille tués. L'ennemi fut vivement pour-
suivi sur Benavenle, Léon, etc. Le maréchal trouva dans
ces villes des dépôts de fusils anglais et un grand nombre
lie munitions. Cette admirable bataille , gagnée au sommet
des montagnes, fut admirée par Napoléon. Il dit : « C'est
une seconde bataille de Villa-Viciosa ; Bessières a rais mon
frère sur le trône d'Espagne. « Pendant cette campagne
de 1808, Bessières rendit , à la tète de sa cavalerie , d'autres
grands services. A la bataille de Burgos, au combat de
.Sommo-Sierra, il commanda des charges terribles.
La nature de son poste l'obUgeant à accompagner partout
l'empereur, il quitta l'Espagne avec lui, et le'sui^^t à Paris ;
il se rendit presque aussitôt en Allemagne ( 1809), où il prit
le commandement de la cavalerie de la garde et d'un corps
(le réserve delà même arme. Une nouvelle campagne contre
les Autrichiens était décidée. L'empereur ne se fit pas at-
tendre, et les hostilités commencèrent dès q\i'i! fut arrivé.
Bessières défit un gros corps de cavalerie aux portes de
Landshut , et fut chargé de poursuivre avec deux divisions
d'infanterie et la brigade Marulaz le 5*^ et le 6*^ corps autri-
chien dans leur retraite sur l'Inn ; puis, par d'habiles manœu-
vres, il contint le général Ililler, qui lui était bien supé-
rieur en forces, et lui disputa avec avantage le terrain A
Ebers!)erg , il appuya vigoureusement les combinaisons de
Masséna, qui réussirent toutes. AEssling, au moment où
l'archiduc Charles parvenait à se placer au centre de l'armée
française , qui se trouvait forcément vide entre EssUng et
Aspern, il s'élança au-devant de lui, et l'arrêta; il l'assaillit
avec fureur, car il y allait du salut de l'armée , et Napo-
léon en avait appelé , dans cette circonstance, au dévoue-
ment de son vieil ami. Bessières foudroya les Auhichiens,
les rompit , les repoussri dans un si épouvantable désordre
(ju'ils ne purent se rallier et revenir sur leurs pas. 11 n'é-
pargna pas un moment sa vie dans cette difficile opération.
Elle fut décisive. 11 voulut rester au milieu du feu pour
exalter l'intrépidité du soldat. Le brave général d'Espagne,
plusieurs colonels et un grand nombre d'officiers furent tués
près de lui.
Dans la dernière journée, celle de "W a g r a m , il prit encore
une belle part à la bataille. Il conduisit toute la cavalerie
sur les flancs de l'armée autrichienne, et la chargea cons-
tamment avec une fureur froide et Aaèi^e.Unbouletayant
atteint son cheval , il fut renversé , et ses soldats frémirent
en le voyant tomber ; mais ce n'était heureusement qu'un ac-
cident, il n'avait pas été atteint. L'emiiereur apprit la chute
de Bessières au moment où il remontait un second cheval ;
il courut à lui, et lui dit avec émotion en l'abordant : « Bes-
sières, voilà un beau boulet; il a fait pleurer ma garde. »
Il y avait plus qu'une bravoiu-e chevaleresque et des senti-
ments élevés chez ce digne maréchal ; il y avait de rares ta-
lents pour la guerre moderne. C'était un des officiers les plus
éclairés de Napoléon. Il appuyait la pratique par la théorie
la plus profonde. Lorsque cette nouvelle campagne d'Au-
triche (ut terminée , Bessières fut nommé au commande-
ment de l'armée chargée de soumettre Flessingue ; 11 y rem-
plaça Bernadottc. Bessières fut bientôt maître de cette
place par suite de mesures plus habiles et plus fermement
exécutées que les précédentes , et, grâce à son dévouement
il l'empereur , l'intérêt de la France et de Napoléon était
désormais en bonnes mains. L'influence qu'il avait, il la jus-
tifiait sans cesse par ses services. Comme il connaissait tous
les sentiments de l'empereur, il pensait avec raison que le
servir, c'était senir le pays Son dévouement était sans li-
mites comme sa confiance et son héroïsme. Toujours à cheval
et prêt à payer de sa personne, il tirait un des premiers
l'épéc dans les moments difficiles. Il était intrépide dans le
feu et à la suite de Napoléon.
En 181 1 , l'Espagne , qui ne fut jamais conquise, le revit
sur son tenitoire à la tête d'une armée , celle du nord.
L'empereur réunit à son commandement militaire le gou-
vernement de la Vieille-Castille et du royaume de Léon.
Lorsque l'armée anglaise débarqua en Espagne, il vola au
secours de Masséna, et partagea sa fâche et ses périls à la
bataille de Fuentès de Onoro. La campagne de Russie étant
décidée (1812 ), l'empereur le rappela, et lui donna le com-
mandement de la garde et d'un corps de cavalerie. 11 fit
très-bien exécuter ce qui lui fut or<lonné pendant notre
marche sur IMoscou ; puis au retour, dans la retraite, à tra-
vers un océan de neige et sous les coups d'un froid mortel ,
son âme intrépide et son dévouement firent tout ce qui était
humainement possible.
Au commencement de la campagne d'Allemagne (en 1813),
le duc d'Istrie fut appelé au command(îment en chef de toute
la cavalerie de l'année. L'empereur venait d'élever son poste
et de lui offrir l'occasion de montrer ses talents actuels comme
la guerre les avait d:''veloppés. La veille de la bataille de
Lutzcn , le maréchal, cliargé de l'attaque, se rendit au dé-
fi!.-de Rinpath; rcnnemi le défendait vivement. Bessières
commandait lui-même les tirailleurs; il avait mis pied à
terre ; il les élecfrisait. L'ennemi fléchit bientôt , et le défilé
fut emporté. Dans ce moment un boulet l'atteignit à la po'-
trine et le tua ( 1"'^ mai 1813 ). Ses officiers prescrivirent I&
silence aux témoins afin que ce malheur fût coché un jouï
112
à l'armée, qii'i! eût pu consterner. Le corps fut enveloppé
dans un linceul et caché jusqu'au surlendemain. L'empereur
presque seul connut cette fatale nouvelle. Elle l'accabla de
douleur. Il perdit un de ses plus habiles officiers et de ses
meilleurs amis , un de ceux qui lui avaient ramené de Mos-
cou les vieilles phalanges que le froid n'avait ni désarmées
ni rompues. 11 écrivit du champ de bataille à madame d'Is-
trie que son mari venait de recevoir la mort pour la
France, et qu'il avait terminé sans douleur ta plus belle
vie. Il la dota ainsi que son (ils d'une pension considérable.
Depuis la mort de Muiron , de Desaix , de Lannes , il n'avait
pas paru à ses officiers qu'il eût ressenti une peine aussi vive.
Le lendemain de la bataille de Lutzen, il traversait silen-
cieusement, les bras derrière le dos, quehpies rangs de sa
garde , quand un vieux soldat voulut lui présenter une de-
mande; un de ses camarades le retint , et lui dit : « Laisse-
le aujourd'hui , il ne pourrait t'écouter ; vois comme il est
triste : il a perdu un de ses enfants. » La France paya les
/rais des funérailles du maréchal, qui eussent sans cela
anéanti la modeste fortune qu'il laissait. L'empereur à Sainte-
Hélène inscrivit sur son testament le jeune duc d'Istrie, son
lils, pour un don de 100,000 fr. Frédéric Fayot.
BESSIIX 9 nom d'une ancienne division de la Basse-Nor-
mandie, comprise entre la campagne de Caen , la mer, le
Bocage et le Cotentin. Elle fait aujourd'hui partie des dépar-
lements du Calvados et de la Manche, Le Dessin ou
Bayossin se divisait en haut et bas Bessin , le premier au
levant et l'autre au couchant. Bay eux était sa capitale.
Parmi les autres villes de ce pays, on cite encore Saint-Lô,
Isigny et Port-en-Bessin.
BESSOIV (N... ) , plus connu sous le nom de BESSON-
BEY , qu'il portait comme amiral de Méhémet-Ali , vice-roi
d'Egypte, naquit en France , en 1782 , et entra dans la ma-
rine dès l'âge de neuf ans. 11 fit les campagnes de 1806 et
de 1807 , fut nommé lieutenant de vaisseau lors du siège de
Dantzig, et se trouvait en 1815 attaché en cette qualité à
l'état-major à Rochefort, d'où Napoléon, avant de se livrer
aux Anglais , avait eu l'intention de se réfugier en Amérique.
Marié avec la fille d'un propriétaire armateur de la ville de
Kiel , en Holstein , il offrit ses services à l'empereur , et mit
à sa disposition trois navires de son beau-père , qui par ha-
sard se trouvaient précisément en ce moment dans le port
de Rochefort. Déjà tous les détails de ce plan d'évasion
avaient été discutés et arrêtés en présence de serviteurs dé-
voués , et rien ne s'opposait plus au dépait , lorsque Napo-
léon hésita , remit l'embarquement à la nuit suivante, pour
donner à son frère Joseph le temps d'arriver , puis s'arrêta
au parti de se rendre à bord du Bellérophon , et de là en An-
gleterre. Besson s'efforça vainement de faire changer Napo-
léon de dessein; le monarque déchu, entraîné parla fatalité,
y persista. Il congédia le courageux lieutenant de vaisseau,
en lui disant : « Je n'ai plus rien dans le monde à vous offrir,
mon ami , que cette arme. Veuillez l'accepter comme sou-
venir. " Et en même temps il lui donna un fusil de chasse.
Douloureusement affecté d'avoir vu ainsi échouer le plan
d'évasion qu'il avait formé pour Napoléon , et l'âme navrée
de la triste destinée du grand capitaine, Besson abandonna
la France, se retira à Kiel auprès de son beau-père, et fut
pendant quelques années capitaine au long cours. Ce ne fut
qu'en 1821 qu'il entra au service de Méhémet-Ali. A ce mo-
ment, le vice-roi s'occupait de créer une marine ; il eut
tant h se louer des services que Besson lui rendit sous ce
rapport , qu'il lui confia le commandement de la frégate
Bahiré , construite à Marseille , et le nomma membre de son
conseil d'amirauté. Besson mourut le 12 septembre 1837,
à bord de son vaisseau amiral , dans le port d'Alexandrie.
BESSUS satrape de la Bactriane, vivait dans la seconde
moitié du quatrième siècle avant l'ère chrétienne. A la tôte des
Bactriens , des Sogdiens et des forces de l'Inde soumise aux
lois de Perse , il vint au secours de Darius , attaqué par Alexan-
BESSIÈRES — BESTIAUX
dre de Macédoine, et prit part à la bataille de Gnugamèlc,
D'abord fidèle à son souverain dans la mauvaise fortune,
Bessus l'accompagna lorsque après sa défaite il chercha à
se retirer par l'Hyrcanie dans les forêts de la Bactriane , oii
il comptait bien que son vainqueur ne s'aventurerait pas
îe poursuivre. Mais vint l'instant où Bessus comprit qu
c'en était irrémissiblement fait de Darius et de sa race, el
que l'empire des Perses ne pourrait plus se reconstituer
avec les mômes éléments et sous la môme dynastie. Alors
son parti fut bientôt pris , et il résolut de traiter pour son
compte avec le vainqueur, espérant bien qu'Alexandre la
maintiendrait dans sa position de satrape du moment où'
il lui aurait livré Darius. Les ouvertures qu'il fit à ce'
sujet ayant été repoussées, Bessus tua Darius, et iirit 1
titre de roi. Il n'en jouit pas longtemps ; car deux ans
après il tombait aux mains de Spitlsamenès ou de Ptolé-
mée-Lagus, el était conduit à Alexandrie. Le roi de Macé
doine s'en remit du soin de venger la trahison dont Bessus
s'était rendu coupable, au frère de sa victime, àOxathrès,
à qui il le livra après l'avoir fait battre de verges. Les bis
toriens ne s'accordent pas sur la nature du supplice par 1
quel on lui fit expier son crime.
BESTIAIRES ( en latin bestiarius). On appelait ainsi
à Athènes et à Rome ceux qui combattaient contre lei
bêtes féroces. On en distinguait de deux sortes. Les pre
miers étaient des criminels , des esclaves ou des prisonnier!
de guerre, que Ton condamnait aux bêtes, et qu'on leu
livrait sans armes et sans détense dans le cirque. Il
leur servait de rien de trouver dans leur courage ou dan
leur désespoir la force et les moyens de sortir vainqueurs]
d'une première lutte; car on les exposait à de nouvelle:
attaques jusqu'à ce qu'ils eussent succombé. Du reste , la
plupart du temps les victimes succombaient dans leur pre
mier combat. Bien plus, ordinairement une seule bôtC'
féroce suffisait à la destruction de plusieurs hommes. Ci
céron , dans l'oraison pour Sextius , parle d'un lion qui
seul avait suffi contre deux cents bestiaires. Les chrétiens
furent souvent livrés aux bêtes sous les empereurs, mêm
ceux qui avaient la qualité de citoyen romain, quoiqu
celte qualité fût pour les Romains un droit qui les exempta
de ce supplice.
La seconde espèce de bestiaires se composait de jeunes
gens appartenant souvent aux meilleures familles , et qui ,
pour faire preuve de courage ou s'habituer au rude métier
delà guerre, descendaient armés dans l'arène pour y
attaquer les bêtes féroces. Auguste excita souvent les Romains
des premières classes à ces dangereux combats ; Néron s'y
exposa lui-même, et Commode, après y avoir remporté de
grands succès, se fit proclamer l'Hercule romain.
BESTIAUX , BÉTAIL. Ces deux mots ont à très-
peu près le même sens, quoique l'un ne soit employé qu'au
pluriel , et l'autre au singulier. On ne fait point de distinction
entre les bestiaux; et bdtail est divisé en deux parties, le
gros et le menu. Celte distinction fait voir que le mot bé-\
tail appartient plus spécialement au dictioimaire de l'éco-
nomie rurale , au lieu que le mot bestiaux est d'un usage
plus universel. L'un et l'autre désignent les animaux do-
mestiques appartenant à mie exploitation agricole (à l'ex-
ception des oiseaux de basse-cour), ou les troupeaux, qui
font la richesse des peuples pasteurs. Ainsi , dans une ferme •
européenne, les bestiaux sont des chevaux, des bœufs et des
vaches, des moutons, des chèvres; dans les steppes de l'Asie,
le Tatar ajoute à ces espèces celle du chameau, et sur les
côtes de la mer Glaciale, le Lapon leur substitue le renne, etc.
Aucune espèce d'animaux ne s'est perfectionnée sous la
domination de l'homme; le chien même n'a rien gagné à
devenir notre commensal et notre ami , quoiqvie l'on cite
quelques races dont la force , le courage et la sagacité sem-
blent être le résultat des soins qu'on a donnés à leur pro-
pagation et à la culture de leurs facultés. En généraV ^ *o-
BESTIAUX
BESTOUSCHEFF-RJ UMINE
observe que le joii^ inipnsé par riiomme aux animaux les
a fait dcgéiK^rer d'antaiit plus qu'il devenait plus pesant.
Ainsi, les ber.liaux des peuples asiatiques, moins maltraités
par leurs maîtres que ceux de l'Europe, conservent plus de
vigueur et plus d'instinct primitif; l'homme peut en tirer
im meilleur service.
L'économie rurale c<;t déjà parvenue à quelques résultats
généraux qiie l'on peut ériger en préceptes : tel est, par
exemple, l'avantage de la nourriture à l'étable, au lien de
laisser vaguer les bestiaux dans les pâturages. Un autre
point sur lequel les agronomes sont d'accord , ainsi que les
naturalistes , c'est la diverse inHuence des qualités du mâle
et de la femelle sur colle des produits de l'accouplement. Il
semble constant que la part du mâle est de déterminer les
formes extérieures , et d'agir plus fortement sur tout ce qui
tient à la peau ; que la femelle exerce sa prépondérance sur
la taille des individus procréés, et sur ceilaines qualités
dont les gastronomes savent apprécier l'importance. Si l'on
recherche l'abondance du laitage , on n'attachera que peu
d'importance au choix du taureau ; les bonnes qualités de la
mère seront le principal objet des investigations. Toutefois,
pour des motifs dont le perfectionnement du laitage n'est
pas le but, on donnera la préférence aux taureaux dont la
lOte est petite et les cornes peu saillantes. S'agit-il de l'a-
mélioration des laines, le choix du bélier est de la plus
haute importance ; il est décisif pour le succès. Le proprié-
taire bien conseillé n'épargnera ni -soins ni dépenses pour se
procurer les individus les mieux pourvus des perfections
qu'il veut propager dans ses troupeaux. Mais si l'on voulait
avoir des moutons faciles à nourrir, et qui s'engraissent à
peu de frais, il parait que le choix des mères influerait es-
i^entiellemcnt sur ces dispositions dans les agneaux , quoique
le bélier y participe aussi, en sorte que le croisement
des races n'est pas un moyen assuré d'arriver à ces sortes
d'améliorations.
On voit que dans l'action exercée par l'homme sur les bes-
tiaux qu'il réunit autour de lui pour son usage , il ne s'agit
que d'obtenir des variétés et de les conserver; aucune es-
pèce animale n'est considérée en elle-même par rapport à ses
qualités spécifiques. Ainsi, les animaux domestiques ont dû
varier prodigieusement en comparaison de ceux qui n'é-
taient soumis qu'à l'influence des causes naturelles. Si l'on
s'était projjosé de perfectionner chaque espèce par la culture
de l'ensemble de ses facultés , on aurait fait disparaître quel-
ques variations lociiles, et en s'approchant de plusenplusde
la limite du bien ou du mieux possible, les espèces ainsi
perfectionnées eussent été amenées à la plus grande uni-
formité. Nos arts ont besoin tout au contraire de diversifier
leurs moyens , et de les accommoder à leur propre mobilité ;
ce qui est recherché aujourd'hui sera peut-être négligé à une
époque peu distante : à moins qu'on ne panienne à fixer
nosgoitts, il faudra bien aussi tolérer quelque inconstance,
même dans nos méthodes d'économie rurale. Ferry.
BESTOUSCÏIEFF ou BESTOLMEF (Alexandre),
rcvnancier russe, né vers 1795, était officier aux gardes et
aide de c^amp du duc Alexandre de Wurtemberg lorsqu'il fut
impliqué avec son ami Rylejeff dans la conspiration de 1825.
A la suite de l'enquête à laquelle elle donna lieu, il fut dé-
gradé, l'éduit à la condition de simple soldat, et envoyé
comme tel à Jakoutsk en Sibérie. Anmistié plus tard après
de longues sollicitations, il eut ordre d'alicr rejoindre l'ar-
mée du Caucase. Il y périt en juin 1837, <ians un des com-
bats livrés aux montagnards insurgés. Avant son bannisse-
ment en Sibérie, il avait publié, de concert avec Rylejeff,
mort du dernier supplice à la suite de l'écliauffourée de 1825,
le premier almanach populaire qu'eût encore eu la Russie :
l'Étoile polaire (Saint-Pétersbourg, 1823). Son genre de
vie dans les montagnes du Caucase et le cercle au milieu
duquel il se trouvait ont exercé une grande influence mr ses
travaux postérieurs, qui se composent d'esquisses et de
ÛICT, DE LA COXVri'.S. — ï. III.
113
nouvelles, et q li ont été publiés sous le nom du Kosak IM;t>-
linski. On y remarque un rare talent de descriiition, une
grande habileté à saisir et â reproduire le grotesque des si-
tuations ainsi que la vie rude et agitée du soldat. Son style
est plein de poésie et pétille d'esprit. Malheureusement il ne
sait pas assez modérer sa verve, et trop souvent chez lui
l'élément comique dégénère en farce de mauvais goût. Après
la nouvelle m\\\u\<^.e Mullah-Nur, son meilleur ouvrage est
le roman (VAmmn/cfh Jieg , dont le sujet est l'histoire de la
trahison d'un chef circassien envers la Russie, et dans le<iuel
on trouve les plus attachantes descriptions des contrées cau-
casiennes. Une édition complète de ses œuvres a paru à
Saint-Pétersbourg en 1840. Dès 1835 on y avait public
Contes et Nouvelles, par Marlinski.
— Ses frères, Nicolas BESTouscnEFF , lieutenant de vais-
seau, poète et auteur des Souvenirs de Hollande, et Michel
Bestol'scheff, capitaine dans la garde impériale à Moscou,
ainsi que Pierre Bestouscuefi-, lieutenant de vaisseau et
aide de camp de l'amiral Moller, furent tous impliques
comme lui dans la conspiration militaire de 1825. Nicolas
et Michel, bien que condamnés seulement à vingt ans de ban-
nissement, furent pendus en 1826 par ordre exprès de l'em-
pereur.
Ces quatre frères étaient les fils du conseiller d'État en
activité de service Bestouscheff , connu sous le règne d'A-
lexandre comme publiciste gouvernemental, et qui eut le
bonheur de mourir avant celte fatale année 1825.
BESTOUSCHEFF-RJUMIIVE ( Alexis, comte de ) ,
chancelier d'État et feld-marcchal russe, né à Moscou,
en 1693, fut élevé en Allemagne, partie à Berlin et partie à
Hanovre, et ne parut à la cour de Russie qu'en 17i8. Le
czar Pierre Y' le nomma son envoyé près la cour de Dane-
mark , et l'impératrice Anne , ou plutôt le duc de Courlande,
réleva au rang de conseiller intime et de ministre de ca-
binet. Après la chute de son protecteur, il resta pendant
quelque temps en disgrâce, et fut même arrêté. L'impératrice
Elisabeth non-seulement le fit rendre à la liberté, mais en-
core lui conféra le titre de comte et la dignité de vice-chan-
celier de l'empire. Investi de toute la confiance de l'impé-
ratrice, il profita de son crédit et de son influence pour
satisfaire ses dispositions haineuses à l'égard des coins de
Prusse et de France. Il conclut, en 1746, un traité d'alliance
offensive et défensive avec le cabinet autrichien, fit mar-
cher, en 1748, une armée de trente mille Russes vers le
Rhin, et parvint à renverser Lestocq. Après avoir renou-
velé, en 1756, l'alliance avec l'Autriche, il fit déclarer la
guerre à la Prusse.
Une indisposition de rimpératrice lui ayant fait ensuite
craindre la mort de cette princesse, il se décida à rappeler
inopinément le général Apraxin, qui commandait en chef
l'armée russe chargée d'agir contre la Prusse, ordre auquel
celui-ci se hâta d'obéir. 11 paraît que le projet de Bestous-
cheff était de faire exclure de la succession au trône le
grand-duc Pierre Fédorovitch , duquel il se savait haï, et de
le remplacer par le i)rince Paul Pétrovitcb. Mais l'impéra-
trice recouvra la santé, et quand elle apprit le mouvement
de retraite opéré par son armée , elle en fut tellement irritée
qu'elle fit déclarer Bestouscheff coupable de haute trahison,,
comme tel déchu de tous ses titres et emplois, et qu'elle
l'exila dans sa terre de Goretowo. Ces faits se passaient
en 1758. Son exil dura pendant tout le reste du règne de
Pierre 111; mais en 1762 l'inqtératrice Catherine 11 réta-
blit Bestouscheff dans toutes ses dignités, et le nomma feld-
maréchal , sans lui accorder cependant la moindre part d'in-
fluence sur la direction des affaires politiques. H mourut
en 1766. 11 avait employé les loisirs que lui avaient faits ses
quatre années de disgrâce à composer un recueil de Maxi-
mes choisies, tirées des saintes Écritures, pour la con-
solation de tout chrétien qui souffre injustement, com-
pilation ascétique qui étonnerait de la pai t d'un liommed'unQ
15
114
eiissi profonde immoralité, si l'on ne savait qu'un courtisan
disgracié est capable de tout. 11 a donné son nom à un mé-
dicament ferrugineux, dit tinctura tonica nervina Bes-
iuzewi, qu'il aurait inventé vers 1725 , et dont la formule
fut achetée plus tard trois mille roubles , par l'impératrice
Catherine II , pour être rendue publique.
BESTOUSCIIEFF-RJUMINE (MicnEL) appartenait
à une branche collatérale de la fauiille du précédent. Lieute-
nant au régiment d'infanterie de Pultawa, dont le colonel fai-
sait aussi partie des conjurés, ce fut lui qui en 1825 pro-
voqua et dirigea avec Mourawief l'insurrection militaire dans
le sud de la Russie, surtout après l'arrestation de Pestel.
Déjà il avait été avec celui-ci à la tête des diverses sociétés
secrètes de la Russie, et s'était efforcé, même après le 18 dé-
cembre 1821, de les réunir dans les tendances panslavistes
avec les sociétés existant en Pologne; fusion des Steve^-
Unis qui s'effectua pendant l'été de 1825 au camp de Lesch-
tscbin en Volhynie. Quand la révolution militaire eut été
comprimée dans le sud de l'empire, Michel Bestoniscbcff, pris
les armes à la main, fut ramené à Saint-Pétersbourg, où il
périt sur le gibet avec Pestel , Kylejeff et Serge Mourawieff.
Lui et les deux derniers de ses compagnons d'infortune subi-
rent leur arrêt le 25 juillet 1826 avec une'fermeté qui a laissé
de profonds souvenirs. Unecirconstance horrible signala cette
exécution : pour lancer les condamnés dans VÉternité ,
comme disent les Anglais, le bourreau dut s'y prendre à
deux fois , parce que la première fois la corde fatale n'avait
pas été serrée assez fort autour du cou des patients pour que
mort s'ensuivit.
BÈTA. Voyez B.
BÉTAIL. Voyez Bestiaux,
BETE. Ce mot s'emploie dans la même acception que
celui (Tanimal, surtout en tant qu'être privé de raison. 11 y
a plusieurs sortes de bêtes. Les bêtes sativages, bêtes fé-
roces ou carnassières , sont celles qui habitent les forêts ,
qui vivent dans l'état sauvage, sans communication avec
l'homme, et qui se nourrissent pour la plupart en détruisant
les autres animaux, telles que le lion, l'ours, le tigre, etc. On
comprend sous la dénomination de bêles à cornes les bœufs,
les taureaux, les béliers, etc. Par bêtes à laine ou bêtes
blanches, on entend les brebis, les moutons, les mérinos, etc.
Les bêtes de somme sont les animaux à quatre pieds dont
l'homme se sert, soit pour sa monture, soit pour le transport
de ses fardeaux, tels que le cheval, le dromadaire, le mulet,
l'âne, etc.
Enfermes de chasse, on dislingue les quadrupèdes sauvages
auxquels on fait la guerre en bétes fauves, telles que le
cerf, le chevreuil, le daim ; en bêtes noires : ce sont les san-
gliers ; en bêtes rousses ou carnassières : le loup, le renard,
le blaireau. On applique aussi la dénomination de bétes
rousses aux jeunes sangliers, depuis l'ûge de six mois jus-
qu'à un an; quand ils passent de la première année à la
seconde, on les appelle bêtes de compagnie, parce qu'alors
ils vont habituellement par troupes.
Comment la métaphore a-t-ellc osé faire remonter cette
qualification à notre espèce {voyez Bêtise ) ? Est-il vrai que
souvent entre l'âne et ses maîtres le plus bête
... n'est pas celui qu'on pense.''
Quand nous sommes petits nous avons peur delà bête. Plus
grands, nous trouvons parmi nos semblables des i>67es noires,
que nous ne pouvons pas souffrir, de mauvaises bêtes, que
nous estimons peu, et de bonnes bêtes, que nous aimons assez
généralement. Nous en voyons qui /ont la bête.... pour
avoir du foin , ajoute le proverbe. L'homme abattu par les
événements ne sait pas toujours remonter sur sa bête; et
en dépit de la sagesse des nations, le venin ne meurt pas si
bien qu'on le croit avec la bête.
BÊTE (Faire la). Voyez Hombue.
BESTOUSCHEFF-RJUMINE — BÉTES
BETE A BON DIEU ou BÉTE A DIEU. Voyez Coc-
CINELLK.
BÊTE NOIRE. Voyez Blatte.
BETEL, plante sarmenteuse , originaire des Indes, où
elle croît naturellement le long des côtes. Dans l'intérieur
des terres, on la cultive comme la vigne. Les botanistes ran-
gent cette plante parmi les poivres. Ses fruits croissent en
épis assez longs, et ressemblent à une queue de lézard. Les
feuilles de cette plante sont très-remarquables; elles ont
beaucoup d'analogie avec celles du citronnier, quoiqu'elles
soient plus longues et plus pointues, ayant sept petites côtes
ou nervures, qui s'étendent d'un bout à l'autre. Elles ont
une saveur amère, et produisent une liqueur rougcâtre
lorsqu'on les mâche. Aux Indes orientales, elles font la base
principale d'une mixtion dont on fait grand usage, à peu
près comme en d'autres pays on fait usage du tabac. Le
bétel préparé par les uns avec de la chaux, de l'arec et des
trochisques, par d'autres, plus riches, avec du camphre, de
î'aloès, de l'ambre gris, du musc, donne une odeur très-
agréable à la bouche, mais il a l'inconvénient de gâter et *
de faire tomber les dents. Les hommes et les femmes de
tout rang mâchent continuellement du bétel, qu'ils ont cou-
tume de porter dans une petite boîte, et qu'ils s'offrent mu-
tuellement lorsqu'ils se rencontrent, comme nous faisons du
tabac à priser. On n'aborde jamais une personne élevée
en dignité sans avoir préalablement mâché du bétel, et il est
même impoli de se parler entre gens de la même condition
sans avoir la bouche parfumée de cet arôme. Le bétel , du
reste, est bon pour l'estomac , et renforce les glandes sali-
vaires; il prévient les sueurs trop abondantes, et garantit
par là des affaiblissements, qui sont à craindre dans ces pays,
011 la chaleur est excessive.
BÊTES (Ame des). Les animaux ont-ils une âme, et
s'ils en ont une, quelle est-elle? Telle est ici la double ques-
tion qui se présente. Un grand nombre de philosophes ,
Descartes à leur tête, ont refusé une ârne aux animaux , soit
que la psychologie ne fût pas alors assez avancée pour qu'on
pût distinguer nettement la nature du principe qui préside
à leurs actes , soit que l'opinion qui leur accorde une âme
ait paru contrarier certains dogmes du cliristianisme, qui
fit ses efforts pour la rtyeter, soit enfin que l'orgueil de
l'homme ait été offense d'une trop grande analogie avec des
êtres d'une nature inférieure, et probablement pour toutes
ces raisons à la fois. Maintenant les progrès de la science
psychologique ne permettent pas de révoquer en doute que
les animaux soient mus par un principe qu'il convient d'ap-
peler une dme, si l'on veut continuer d'appeler les choses
par leur nom. Qu'entendons-nous, en effet, par dme hu-
maine, si ce n'est ce prmcipe constitutif de notre être, en
vertu duquel nous sommes capables de sentir, de connaître
et de vouloir? Or, l'induction la plus simple nous amène à
reconnaître dans les animaux une force autre que la force or-
ganique, une force à la fois sensible, intelligente, active, qui
peut différer par degrés de la force analogue dans l'homme ,
mais qui n'en diffère pas par son essence , par ses attributs
constitutifs, qui sont le sentir, le connaître et le vouloir.
Sentiment. Pourquoi sommes-nous assurés que les êtres
revêtus d'un corps semblable au nôtre sont susceptibles de
plaisir ou de douleur, quoique nous n'ayons aucun moyen
d'atteindre directement le plaisir ou la douleur qu'ils éprouT
vent ? C'est unujuement parce que nous leur voyons pro-
duire certains gestes et certains sons que nous produisons
nous-mêmes quand nous sommes affectés des mêmes sen-
timents. Or, c'est aussi légitimement que nous sommes au-
torisés à conclure à l'existence de phénomènes agréables ou
désagréables dans les animaux que nous voyons exécuter
certains mouvements, que nous entendons émettre certains
cris, qui sont pour nous les signes infaillibles de leur peine
ou de leur plaisir. Quel est l'homme qui ne reconnaît danj
ans I
1
l'animal une foule de phénomènes psychologiques dont il
a conscience en lui-même , et qui ne les appelle du même
nom , comme la souffrance , la crainte , la joie , l'attache-
ment, la jalousie, le ressentiment, la colère? Or, si tous
ces sentiments sont dans l'homme le fait de l'âme , et non
du principe organique , pourquoi seraient-ils le fait du prin-
cipe oi^anique dans les animaux ? Nous avons également
à nous appuyer sur l'analogie de l'organisation ; et quand
nous voyons , par exemple , les nerfs disposés chez nous de
manière à transmettre au cerveau une impression d'où ré-
sulte le sentiment , l'emploi des mêmes moyens chez les ani-
maux atteste assez que la nature s'est proposé la même fin,
c'est-à-dire l'apparition du phénomène affectif à la suite de
l'ébranlement nerveux.
Connaissance. Des raisons aussi légitimes nous permet-
tent de constater dans les animaux l'existence du principe
intelligent. Voir et distinguer par la vue, c'est connaître. Or,
un animal voit , regarde et distingue : comment peut-on dire
qu'il ne connaît pas? Assurément, il ne se rend pas compte
qu'il connaît , il n'opère pas comme nous sur ses connais-
sances au moyen de l'abstraction ; toujours est-il que cer-
taines formes se présentent à ses regards, qu'il se les repré-
sente teUes qu'elles existent dans la nature, qu'il les distingue
entre elles, en un mot qu'il les connaît. Le chien aperçoit
son maître, le reconnaît, distingue ses vêtements , ses traits,
sa voix , des vêtements , des traits , de la voix des personnes
qui ne soi;t pas lui : il connaît sa cabahe, comprend les
signes impératifs de l'homme, c'est-à-dire y associe les idées
que l'homme y a lui-même associées, exécute les différents
ordres attachés à chacun de ces signes. Il y a des animaux
susceptibles d'éducation, c'est-à-dire d'apprendre autre
chose que ce que leur enseigne la nature; il y en a pour
cette raison qu'on a quaUfiés de savants ; il y en a dans
lesquels on ne reconnaît que peu d'intelligence , etc.; en
un mot , toutes les expressions de la langue prouvent que,
sans le savoir, chacun reconnaît dans les animaux l'exis-
tence du principe intellectuel.
Volonté. Enfin, ils sont doués comme nous d'une acti-
vité intelligente, c'ést-à-dire de volonté : on dira le mouve-
lèient de la pierre qui tombe, de la fumée qui s'élève; on
ne dira pas seulement le mouvement de l'animal qui fuit ou
qui se jette sur sa proie, on dira son action. C'est qu'en
effet son mouvement n'est point imputable à la même cause
que le mouvement d'une pierre qui gravite. La force qui
fait giaviter le caillou ne réside pas dans le caillou lui-même,
elle réside au centre de la terre. La force qui fait mouvoir
l'animal ne réside qu'en lui ; c'est de lui-même que partent
les efforts qu'il déploie pour tendre vers son but. De plus ,
cette forme n'obéit pas, comme dans le végétal, aveuglément
et sans motif personnel , sans autre raison que l'impulsion
communiquée par la loi générale qui préside à tel ou tel
développement. Elle a dans l'animal le sentiment pour con-
dition et pour mobile , et ce sentiment est accompagné de la
notion de l'objet aimé ou haï. Menacez un chien d'un bâ-
ton, et les mouvements qu'il produira pour fuir auront pour
cause la force qui réside en lui-même. Cett« force sera mue
par un sentiment de crainte , et ce sentiment supposera le
souvenir d'une douleur ressentie et la notion d'un danger
présent. Assurément, malgré l'intervention du sentiment et
de la connaissance, il y a dans l'animal une sorte de fata-
lité qui n'existe pas pour l'homme ; mais ses actions , pour
n'être pas libres , n'en sont pas moins volontaires , et parce
que l'animal ne peut pas vouloir atteindre un autre but que
celui vers lequel il tend, il ne veut pas moins l'atteindre.
Sensibilité, intelligence, activité volontaire, tels sont in-
contestablement les attributs qui élèvent l'animal au-dessus
du minéral, au-dessus de la plante, et qui nous obligent à
lui accorder une autre force que la force moléculaire ou la
force organique, dans lesquelles rien jusqu'à présent ne nous
a révélé vestige d'intelligence ou de sensibilité.
BÉTES 115
La plupart des philosophes qui refusent une âme aux ani-
maux ont cru donner une explication suffisante de leur opi-
nion en disant que les bêtes étaient sensibles , à la vérité,
mais non point intelligentes, raisonnables, et que c'était là
ce qui lès distinguait de l'homme et ce qui empêchait de
leur accorder mie âme. Cette exphcation prouve seulement
un esprit peu psychologique de la part de ceux qui l'ont
tentée; car la sensibilité dont les animaux sont doués,
l'homme l'a également reçue en partage , et dans l'homme
elle est le fait de l'âme et non point du corps, puisque le
principe qui connaît est aussi le principe qui sent. De plus,
il est entièrement faux que l'aniinal soit borné à la sensi-
bihté, c'est-à-dire au pouvoir d'éprouver du plaisir ou de
la douleur. Car, comment pourrait-il chercher ou fuir ce
qui lui fait éprouver un sentiment, s'il ne connaissait et le
sentiment qu'il éprouve et l'objet qui le lui cause? Or, du
moment où il connaît quoi que ce soit , par quelque moyen
que ce soit, il est intelligent. Il est vrai que la sensibilité
a jusqu'à présent été très-mal définie, et confondue dans un
grand nombre de cas avec l'élément intellectuel. Ce n'est
pomt ici le lieu d'établir cette distinction et de traiter une
question aussi vaste ; mais quand on confondrait encore l'é-
lément affectif et l'élément intellectuel, il n'en faudrait pas
moins rapporter à l'âme le principe qui sent ; car, encore
une fois, c'est le moi et non point l'organisme qui éprouve
du plaisir et de la douleur, c'est le moi qui est le sujet de la
joie ou de la peine ressentie, comme des notions qu'il reçoit,
comme des efforts qu'il produit, puisqu'il a conscience
de tous ces faits qui se passent dans son sein , et point du
tout des modifications qui se passent au sein de l'organisme.
Descartes a été plus conséquent lorsque, pour soutenir
cette thèse , que les bêtes n'ont point d'âme , il a essayé
d'expliquer leurs actes par un mécanisme disposé par la na-
ture de manière à prodmre tous les mouvements que nous
leur voyons effectuer. Mais celte hypothèse, quoique moins
contradictoire , n'est pas moins dénuée de fondement ; car
si l'on suppose que les animaux sont de pures machines ,
merveilleusement organisées , si l'on veut, et avec infini-
ment plus d'art et de puissance que le canard de Vaucanson ,
comment expliquera-t-on une foule de phénomènes , l'é-
ducation de certains animaux, par exemple? Pour changer
l'action d'une mécanique , il nous faudrait déranger les res-
sorts qui la font mouvoir. Or, nous ne touchons nullement
à ces ressorts : quand , par exemple , nous voulons dresser
un chien de chasse , nous nous contentons de nous adresser
à sa sensibilité et à son intelligence; nous le déterminons
à agir d'une certaine manière par la crainte d'un châti-
ment ou Vespoir d'un bon morceau. Si ce chien était un
assemblage de ressorts disposés de manière à le pousser
dans une direction à l'approche de tel animal , il courrait
à sa proie sans que rien pût l'en détourner , si ce n'est un
obstacle physique. Or, les menaces l'en détournent, et les
menaces supposent un être sensible et intelligent. Pour
nous servir d'un exemple trivial , mais excellent , si l'âne
placé à égale distance de deux paniers également remplis
d'avoine, était une macliine, il resterait aussi immobile que
le fléau d'une balance que sollicitent deux forces égales.
Enfin , si l'on croyait pouvoir expliquer tous les actes des
animaux par cette hypothèse du mécanisme , il n'y a pas
de raison pour qu'on n'attribuât pas également au méca-
nisme les actions analogues dans l'homme et à un mécanisme
plus parfait les actions qui nous placent dans l'échelle des
êtres au-dessus de l'animal.
C'est donc pour nous une vérité au-dessus de toute con-
testation, que l'existence chez les animaux d'un principe
qui sent, connaît et veut, c'est-à-dire d'une âme. JMais si
nous sommes forcés d'avouer que les animaux ont avec
l'homme une telle analogie , nous devons aussi reconnaître
la prodigieuse distance qui sépare leur âme de la nôtre , et
constater cette différence essentielle, qui met un abîme entra
15.
11 G BÊTES
ranimai le plus intelligent et l'iiomiTie le plus ordinaire,
l'ar là s'expliquera la répugnance qu'ont eue les meilleurs
esjirits à admettre une âme cliez les animaux , et la compa-
laison que nous allons établir, en fournissant la solution
(le la seconde question , servira à jeter un nouveau jour sur
la picmière.
En quoi l'âme des animaux diffère-t-elle de Vâme hu-
maine? Quoique l'élément affectif, c'est-à-dire la sensibilité,
soit chez les animaux le plus développé de tous, il est loin
jiourtant de posséder toutes les richesses dont la nature a
«ioué la sensibilité de l'homme, et il est, à peu d'excep-
tions près , borné aux plaisirs et aux douleurs (lui résultent
des modifications organiques, c'est-à dire aux sensatio ns.
Remarquez même que si les sensations de l'animal sont plus
vives, elles sont bien moins nombreuses. Ainsi , il n'y aura
guère pour lui de saveurs et d'odeurs agréables que celles
des substances qui sont appropriées à sa nature et qui ne
lui sont pas nuisibles. Pour l'homme , au contraire , il y a
des parfums qu'il aimera inspirer pour eux-mêmes , et in-
dépendamment de l'utilité des substances dont ils provien-
nent. Le café, par exemple, dont l'usage est pour moi per-
nicieux, me plaira inliniment par son odeur et sa saveur;
pour l'animal ce sera le contraire , il ne trouvera de plai-
sir qu'à savourer et à odorer les objets dont il doit résultisr
un bien pour son organisation. Quant aux plaisirs qui résul-
tent des perceptions de forme , de couleur , de son , de
rapport, c'est-à-dire aux plaisirs du beau, ils sont à peu
près nuls pour les animaux, si l'on en excepte quelques-uns
que Ton voit adirés et agréablement flattés par une musi-
que harmonieuse. Mais on n'en a jamais vu admirer une
belle statue, un bel édihce, contempler avec plaisir tel as-
semblage de couleurs , rire à la vue de certains rapports
(jui excitent chez l'homme un vif sentiment de gaieté, etc.
Cependant , on a remarqué dans certains animaux des
sentiments qu'on a qualifiés de moraux chez l'homme ,
comme l'amour de la progéniture , l'altachement à son maî-
tre, le plaisir de la société, etc.; maison aurait tort de
donner ici à ces sentiments la même quaUfication d'alfec-
t ions' morales; car on ne les a appelés ainsi que parce qu'ils
sont pour nous les auxiliaires de la morale, et que l'homme,
capable de les juger tels , est moralement obligé de ne pas
les étouffer, de les nourrir dans son cœur, et d'en diriger
l'impulsion. Chez les animaux ces sentiments restent cons-
tamment instinctifs; ils ne sont pas plus libres de leur dé-
sobéir que de s'y abandonner , et ce manque d'empire sur
leurs instincts est précisément ce qui empêche ces sentiments
de mériter le nom de moraux.
Mais c'est en comparant l'homme et l'animal sous le
point de vue des facultés intellectuelles qu'on pourra mieux
apprécier l'intervalle immense qui les sépare. Les ani-
maux perçoivent les formes, les couleurs, les sons; ils
S(.>nt donc connue nous pourvus de la faculté de percevoir
à l'extérieur, c'est-à-diie de la perception externe. On ne
peut non [)his leur refuser une connaissance instinctive de
certaines lois de la nature et la croyance à leur stabilité.
Ainsi, l'on cite l'excuiple de ce singe qui plaçait une pierre
sous la noix qu'il voulait casser avec une autre pierre ,
jiarce qu'il avait remarqué que la terre ne lui ofl'rait pas
assez de résistance. Il fallait donc qu'il ciU pris connais-
bance de la qualité de dureté dans les corps, et qu'il sût
que les corps qui sont doués de cette propriété la conser-
vent, et que les mêmes effets résultent des mêmes causes
quand ces causes agissent dans les mêmes circonstances.
Assurément , il ne se rendait pas compte de ce que c'est
qu'un effet, une cause, un rapport, une loi de la nature;
mais il ne iirévoyait pas moins, à jieu près comme eût pu
ie faire un enfant, qtic remploi de tels moyens amènerait
tel résultat; et c'est ce que j'appelle connaître instinctive-
iuent certaines lois de la nature , et ce qu'on peut appeler
aussi raisonnement. Je ne parle pas ici de ces instincts in-
dustrieux, qui jouent un sigraml rôle, surtout chez les in-
sectes ( comme l'araignée , l'abeille , le ver à soie , etc. ) ;
l'accompUssement des actes de ces animaux ne peut être at
tribué à un raisonnement de l'espèce de ceux dont j'ai parli;
plus haut, et dans lesquels il y a évidemment un calcul
(lui n'i st point l'effet d'un instinct aveugle et mécanique.
Les raisonnements que suppose la confection d'une toilej
d'araignée, ce n'est point l'araignée qui les fait, mais la
nature qui en est l'auteur, qui raisonne ici pour l'insecte,
et à son insu [voyez Instinct); tandis que ce n'est point
en vertu d'un instinct aveugle et fatal que le chien , qui
avait remarqué comment on demandait à dîner dans un
couvent , tirait le cordon de la sonnette pour obtenir son
repas de la même manière.
Nous serons donc forcés d'accorder aux animaux la fa-
culté de percevoir des rapports et de raisonner jusqu'à un
certain degré. Ils possèdent également la conception, c'est-
à-dire la faculté de se représenter les objets en leur absence.
Ainsi, le chien qui se réjouit en voyant son maître revêtir
ses habits de chasse, doit nécessairement se représenter des
circonstances dont l'idée, associée dans son esprit à celle de
ces vêtements, cause maintenant par son réveil la joie qu'il
ressent. Les idées peuvent donc aussi s'associer dans les
animaux; mais c'est là leur seule mémoire. Je ne sais même
si on peut leur accorder la mémoire proprement dite ; car
le souvenir ne consiste pas seulement dans la représentation
d'une notion antérieurement acquise , et qui vient s'associer
à une autre dont l'objet est présent ; il consiste surtout use
rappeler l'objet d'une notion comme déjà connu et à re-
marquer son identité avec celui dont la perception a été
acquise précédemment. Or, pour cela il faut avoir l'idée
distincte du temps passé, et cette idée est refusée aux ani-
maux. Tout entiers au présent et à un avenir extrêmement
borné, et qui se rattache au présent qui les occupe, le passé
n'existe pas pour eux ; et s'ils sont quekjuefois occupes par
des conceptions de faits antérieurement connus, ces faits
leur apparaissent comme actuels. Ainsi, la douleur que re-
doute l'animal qui se voit menacé par le fouet dont il a été
frappé ne se retrace pas à lui comme un fait plus ou moins
éloigné dans le passé, mais bien comme un fait actuel et
tellement présent qu'il l'indique souvent par ses cris. On
peut donc regarder les animaux comme privés de la faculté
de la mémoire, et doués seulement de la conception et delà
faculté d'association.
Mais ce qui place l'animal à un rang si inférieur relative-
ment à l'homme , ce qui lui interdit le progrès et la qua-
lité à^être moral, c'est l'absence de la réflexion, et l'on peut
dire que c'est cette défectuosité capitale qui entraîne avec
elle toutes les autres. Un être incapable de faire un retour
sur ses propres idées par la réflexion, et de les distinguer
par l'abstraction , est également incapable d'attacher des
signes à ces idées , et par conséquent d'avoir un langage.
Qu'on ne croie pas, en effet, que ce soit le langage seul qui
permette d'avoir des idées abstraites et générales. C'est le
langage, assurément, qui permet de les maintenir dans l'es-
prit et d'opérer sur elles , mais ce n'est point le langage
qui les fait acquérir, c'est la réflexion seule qui les donne;
le langage n'est qu'un instrument destiné à favoriser l'ac-
tion de la pensée. Un animal qui serait doué d'un organe
vocal bcaucoui) plus perfectionné encore que celui de
l'homme ne parlerait pas plus pour cela s'il était privé delà
réflexion. C'est ce que prouvent certains oiseaux à qui l'on
])arvient à faire prononcer un très-grand nombre de phrases
sans qu'ils puissent néanmoins comprendre jamais un mot
de ce qu'ils disent, parce qu'ils sont incapables de rp/?^cAJr,
c'est-à-dire de concevoir les abstractions que ces mots re-
pnsenlent.
On conçoit alors que, privé de langage, l'animal soit in-
capable de se réunir en société, d'améliorer par conséquent
son état physique et intellectuel, de se livrer aux sciences,
BETES — BEïnLEN GABOU
n:
mères de l'industrie et de la morale, lesquelles ne peuvent
être étudiées qu'avec le secours des signes qui prêtent un
soutien aux idées abstraites, dont elles ne sont qu'un long
encliaineinent. On concevra pareillement que sans le se-
cours de la réflexion l'animal ne puisse pas s'élever à l'idée
abstraite de devoir, c'est-à-dire d'une loi que la créature est
obligée d'accomplir pour remplir sa destination; car il fau-
drait qu'il se distinguât comme individu, comme personne,
et qu'il se distinguât de la loi qui lui est imposée. Or, pour
envisager distinctement et ses propres actes, et la loi qui y
préside ou doit y présider, il faudrait s'élever à des abstrac-
tions auxquelles la réflexion peut seule conduire, et cette
faculté est refusée à l'animal. Il ne peut donc pas séparer
dans son esprit l'idée de ses actes et l'idée de la loi en vertu
de laquelle ces actes doivent être produits. Il n'obéit qu'aux
suggestions de la nature, dont il a conscience au moment où
il les reçoit, mais qu'il ne distingue pas de l'acte même au-
quel il est poussé. 11 n'est donc pas doué de cette liberté
morale qui consiste dans l'homme à pouvoir choisir sciem-
ment entre deux actes dont l'un est l'accomplissement de
sa loi, et l'autre la satisfaction d'un désir contraire au but
pour lequel il a été créé. D'ailleurs, et qu'on remarque bien
ceci, l'animal n'éprouve pas de désirs qui ne le mènent à
l'accomplissement des lois de sa nature. Ses instincts ont
été calculés de manière à ce qu'il ne pût outrepasser comme
l'homme les limites de ses besoins.
L'homme, au contraire, ressent des désirs dont la satis-
faction l'entuaînerait loin de son but : il a des instincts qu'il
doit régler ou étouffer, des passions auxquelles il doit imposer
silence s'il veut accomplir sa loi ; et c'est là précisément ce
qui lui donne occasion d'exercer sa hberté; autrement il
aurait beau connaître sa loi et la distinguer de lui-même, si
lien ne l'engageait à l'enfreindre, il ne serait réellement pas
libre en l'accomplissant, parce qu'il n'aurait pas de motif
pour la violer ; il ferait le bien sans vertu et sans mérite.
Ce qui constitue le mérite chez l'homme, c'est ce conflit de
penchants divers qui se disputent son cœur, et les eftorts
qu'il produit pour comprimer ceux qui sont un obstacle à
l'accomplissement de sa destinée.
Pour l'animal , non-seulement il n'a pas la connaissance
distincte de sa loi, il n'a pas môme besoin de la connaître ,
puisque rien ne le porte à la transgresser ; et il n'est pas le
maître de commander à ses penchants, parce qu'il n'en est
|)as distinct, et que la réflexion n'a pas éclairé sa conscience
de manière à le séparer à ses yeux des instincts dont la na-
ture l'a doué. Par là, il est privé de ce qui fait le plus noble
attribut de la créature humaine, c'est-à-dire de la liberté,
<lu pouvoir d'acquérir du mérite par la vertu, et par consé-
quent de tout droit à l'immortalité.
Nous pouvons donc, sans crainte d'abaisser l'homme ou
de blesser son amour-propre, accorder à la bête une âme
dont la nature est si inférieure à la nôtre , et dont les facultés,
uniquement appropriées à la satisfaction des besoins ter-
restres, prouvent qu'elle n'a pas d'autre destination que cette
/îemeure où elle est condamnée à vivre et à mourir, sans
souvenir dupasse, sans inquiétude de son avenir, sans autre
pensée que celle de ses besoins présents, sans conscience
de son être , sans intelligence de l'univers qui l'entoure et
du Dieu qui l'y a placée. C.-M. Paffe.
BETli , nom de la seconde lettre de l'alphabet chez les
hébreux. Voyez B.
BETIIANIE , bourg et forteresse de la tribu de Benja-
min; il était situé aux environs de Jérusalem, au pied du
mont des Oliviers. C'est à Béthanie que Jésus-Christ opéra
la résurrection de Lazare.
Il y avait encore une autre Béthanie, au delà du Jourdain,
appelée aussi Béthabara.
UÉTHESDA, c'est-à-dire lieu de miséricorde ou Ueic
sai7H. C'est le nom d'un étang situé à peu de distance de
Jérusalem, mais dont l'Évangile de suint Jean (chap. v)
fait seul mention. Il y avait cinq salles on passages couverts
sous lesquels les malades, au rapport de saint Jean, at-
tendaient que l'eau se mît ea mouvement pour s'y baigner.
D'après une opinion populaire parmi les Juifs , c'était un
ange qui opérait ce mouvement et qui faisait jaillir les
sources salutaires. Le malade qui le premier s'y baignait
immédiatement après était sûr de guérir. Les Pères de
l'Église, Nonnus surtout, ce poétique commentateur de
saint Jean, expliquaient déjà d'une manière naturelle ce
phénomène. A une époque plus récente on attribuait l'effet
de ces eaux soit à leurs vertus minérales, soit à cette
circonstance quele sang des victimes sacrifiées dans le temple
s'écoulait dans l'étang. Aujourd'hui encore, d'ailleurs, la tra-
dition montre l'endroit où était jadis l'étang de Béthesda,
depuis longtemps desséché.
BETIILEIIEM, originairement Ephrata, aujourd'hui
Beth-Lalnn, lieu de naissance du roi David et de Jésus-
Christ, village et autrefois ville de la Palestine, à deux
lieues de Jérusalem , sur une montagne toute couverte de
vignes et d'oliviers, compte aujourd'hui près de 300 maisons
et une population d'environ 3,000 Grecs et Arméniens, qui
fabriquent à l'usage des pèlerins des chapelets de bois ainsi
que des crucifix garnis de nacre de pede, et produisent de
fort bon vin blanc. Sur l'emplacement où la tradition veut
que soit né Jésus-Christ s'élève une église construite par
Justinien , et non pas , comme on le dit quelquefois , par
l'impératrice Hélène. Elle est consacrée à sainte Marie de la
Crèche {di Presepio), et on y conserve une crèche en marbre,
dans laquelle la tradition porte que fut placé Jésus-Christ
alors enfant.^
BETULÉÏIEM, établissement central des frères Mo ra-
ves ou herrnhutes dans l'Amérique du Nord, ville bâtie en
Pensylvanie, dans le comté de Northampton, au confluent du
Manakiny dans le Lehigh , au nord-ouest de Philadelphie ,
fut fondée en 1741. Elle est le siège d'un évêque, possède
une belle église, 400 maisons et 3,000 habitants, avec d'im-
portantes usines et trois grandes tanneries, trois maisons
différentes établies pour loger les jeunes hommes non mariés ;
les jeunes filles et les veuves sont soumises à un régime
presque claustral. Dans les excellentes écoles dépendant de
ces maisons on admet également des enfants de parents ap-
partenant à d'autres confessions clirétiennes. Les villages her-
rnhutes de Gtiadenthal, Christianbrimn, Guadenhutten
et Schœneck dépendent de Bethléhera. Des frères Moraves
habitent également les localités situées à peu de distance de
là et désignées sous les noms de Kitis et de Nazareth.
BETIILÉHÉMITES.Cenom aété celui d'un ordre reli-
gieux quiexistait à Cambridge au treizième siècle, et qui portait
l'habit des dominicains ; plus tard, d'un ordre fondé à Gua-
temala par Pierre de Bétancourt, qui ne fut confirmé
qu'en 1673, qui portait l'habit des capucins et suivait la
règle de Saint-Augustin. Les partisans de Jérôme Huss emr
pruntèrent aussi le nom de Bethléhémites à l'église de Beth-
léhem de Prague, où il prêchait.
BETIILÈN GABOB (c'est-à-dire Gabriel Bethlen),
prince de Transylvanie et roi de Hongrie, né en 1580, des-
cendait d'une famille ancienne et considérée de la haute
Hongrie, qui possédait aussi d'importants domaines en
Transylvanie et avait embrassé la religion protestante. Pen-
dant les troubles qui désolèrent la Transylvanie, sous le
gouvernement de Sigismond et de Gabriel Bathori, Beth-
len sut se taire des amis et des partisans parmi les grands
du pays, et après la mort de ces deux malheureux princes,
en 1613, il réussit, avec l'assistance de la Turquie, à se
faire élire prince souverain de Transylvanie, la maison
d'Autriche ne se trouvant pas à ce moment en position de
faire valoir ses droits contre lui. Lorsqu'en 1619 les États
de Bohômase révoltèrent contre l'Autriche, Bethlen, faisant
cause commune avec eux, pénétra en Hongrie à la tète
d'une armée, s'empara de Presbourg, menaça un instant
118
BETHLEN GABOR — BETHMANN FRERES
Vienne, et se fit élire roi de Hongrie le 25 août 1620. La for-
tune ayant été plus favorable dès Tannée suivante aux armées
impériales, Gabor fit sa paix avec Ferdinand, renonça à la
eouronne de Hongrie, et reçut, à titre d'indemnité, sept pa-
latinats de Hongrie , la ville de Kaschau et les principautés
d'Oppein , de Ratibor, en Silésie.
Mais cette paix dura peu, et fut violée par les Impériaux,
à qui les victoires remportées par Till y avaient rendu tout leur
orgueil. Aussi Bethlen-Gabor dut-il prendre de nouveau les
armes, en 1623. Il pénétra alors jusqu'à Brunn, en Moravie,
à la tête d'une armée de soixante mille hommes. N'ayant pu
opérer sa jonction avec les troupes du duc Christian de
Brunswick , il fut contraint de conclure un armistice , et
d'accepter la paix aux anciennes conditions. Le mariage
qu'il contracta en 1G26 avec Catherine de Brandebourg eut
pour suites de lui faire prendre part aux luttes de la guerre
de trente ans. Cependant dès 1626 il concluait pour la troi-
sième fois sa paix avec l'empereur. Il ne s'occupa plus de-
puis que de l'administration de la Transylvanie, et mourut
le 15 novembre 1629, sans laisser d'enfants. Dans son testa-
ment il recommandait son pays et sa veuve à la protection
de l'empereur Ferdinand II , instituait le sultan des Turcs
son exécuteur testamentaire , et lui faisait don, ainsi qu'au
roi des Romains, Ferdinand III, d'un beau cheval richement
caparaçonné , et d'une somme de quarante mille ducats
payable en- or.
La famille Bethlen a encore produit :
Jean Betule?}, chancelier de Transylvanie, mort en 1687,
célèbre par son intéressant ouvrage Rerum Transilvanica-
rum librilV ( Hermannstadt, 1683), qui contient l'histoire
delà Transylvanie de 1629 à 1663. L'auteur laissa en ma-
nuscrit la continuation de cet ouvrage jusqu'à l'année 1674.
Storanys l'a publiée à Vienne en 1783.
Wol/gang Bethlen, qui fut aussi chancelier de Tran-
sylvanie, mort à l'âge de quarante ans, en 1679, est auteur
d'une histoire de Transylvanie en seize livres , comprenant
les événements qui se sont accofnplis depuis la bataille de
Mohacs jusqu'à l'an 1609; mais la mort l'empêcha de livrer
à l'impression cet ouvrage , l'une des sources les plus pré-
cieuses auxquelles on puisse puiser pour l'histoire de la Hon-
grie et de la Transylvanie. Le manuscrit en avait singulière-
ment souffert; mais il a été restauré et complété avec
beaucoup de bonheur, puis publié par J. Benkœ, sous le
titre de Wolfgangi de Bethlen Historia de Rébus Transil-
rflnicjs( Hermannstadt, 1792,6 vol.).
BETIIMANN FRÈRES, raison sociale sous laquelle
est connue, dans le monde financier, l'une des plus impor-
tantes maisons de banque de l'Europe, dont le siège est à
Francfort.
La famille Bethmann est originaire des Pays-Bas, qu'elle
dut quitter par suite de persécutions religieuses pour venir
s'établir dans la petite ville de Nassau, située à peu de dis-
tance de TTàQcfort. Simon- Maurice Bethmann, né en 1687,
mort en 1725 avec le titre de bailli de Nassau, laissa quatre
enfants, Jean-Philippe, Jean-Jacques, Catherine-Elisa-
beth et Maurice , tous encore en bas âge. Leur oncle ma-
ternel , Jacques Adamy, négociant riche et considéré fixé à
Francfort, qui, bien que marié, n'avait pas d'enfants, re-
cueillit ces orphelins, et les fit élever avec le plus grand soin.
L'ainé,/ean-P/a?i7)/)e Bethmann, né en 1715, et qui était
doué de remarquables facultés intellectuelles, fut associé de
bonne heure par Adamy à ses affaires, déjà très-prospères,
puis institué par lui son héritier universel en vertu d'une
disposition testamentaire. Après la mort de son oncle, ar-
rivée le 23 décembre 1745, Jean-Philippe Bethmann con-
tinua encore pendant quelque temps ses affaires sous la raison
Jacques Adamy. Plus tard, il s'associa le plus jeune de ses
frèies, Simon-Maurice , né le 6 octobre 1721 , et tous deux
adoptèrent alors la raison sociale de Bethmann frères. L'autre
frère, Jean-PliLUppe , né en 1717, s'établit à Bordeaux.
Par leur intelligence , leur activité et leur loyauté en af-
faires, les frères Jean-Philippe et Simon-Maurice Bethmann
réussirent à donner un essor immense à leurs opérations et '
fondèrent la fortune de leur famille. L'un et l'autre* se
marièrent heureusement. L'ainé eut quatre enfants , un filg
et trois filles ; le cadet au contraire ne laissa pas d'héritien
en mourant. Leur sœur Catherine-Elisabeth était morte déU
longtemps auparavant, sans avoir jamais été mariée. Jean,
Philippe Bethmann, banquier et conseiller aulique, mourul
le 27 novembre 1793. — Son fils unique, Simon-Maurice, lU
le 31 octobre 1738 , devint le chef de la maison , qui, pai
l'importance toujours croissante de ses opérations de banques
et par la négociation de différents grands emprunts pour I(
compte de l'Autriche, du Danemark et d'autres puissances
parvint à une prospérité extrême en même temps que son
nom se répandait dans toutes les parties du monde.
Simon-Maurice Bethmann était un homme aussi heu-
reusement doué sous le rapport physique que sous le rapport
intellectuel, qui vécut dans des temps extrêmement agiles, et
qui,dans les circonstances les plus difficiles et lesplus critiques,
excellait à distinguer et à saisir en toutes occasions l'instant
favorable. Les hommes les plus distingués de l'époque recher-
chèrent son amitié, et les souverains les plus puissants recon-
nurent et récompensèrent ses services par des collations de
litres et de décorations honorifiques. L'empereur d'Autriche
l'anoblit, et l'empereur Alexandre de Russie le nomma con-
seiller d'État et consul général. Bienfaiteur des pauvres, il
protégeait noblement les arts et les lettres ; et dans toutes
les circonstances difficiles qu'elle eut à traverser, sa ville
natale trouva auprès de lui de sages et prudents conseils en
même temps que l'appui et la protection les plus efficaces^
Quand , à la suite de la bataille de Leipzig et de la bataille
de Hanau, l'armée française battit précipitamment en retraite
sur le Rhin, Napoléon passa avec son état-major la nuit du
31 octobre au i" novembre 1813 dans \Bi villa Bethmann,
située en avant de la porte de Friedberg, et dont le pro-
priétaire était déjà allé la veille dans l'après-midi , en com-
pagnie du maire de Francfort Guiollet, de quelques cavaliers
de la garde bourgeoise, au devant de l'empereur, qu'il n'avait
pu joindre qu'à travers des dangers de tout genre. Dans ces
quelques heures si décisives , Bethmann , par son influence
personnelle sur l'esprit de Napoléon et par la prudence de
toute sa conduite, réussit à détourner de sa ville natale d'in-
calculables calamités. Il mourut le 28 décembre 1826.
Sa veuve, Louise-Frédérique Boode, issue d'une famille
hollandaise de distinction, se remaria avec Mathias-François
Borgnis, devenu plus tard associé de la maison Bethmann
frères. Des trois sœurs de Simon-;Maurice Bethmann , qui
toutes lui survécurent, sont mortes depuis Suzanne-Élisa-
beth,msinéeh. Jean-Jacques Hollweg, associé de la maison
Bethmann frères, qui prit le nom et les armes de la famille
Bethmann, et devint le fondateur de la ligne de Bethmann-
Hollweg, et Marie-Élisabeth, mariée en premières noces à
Jean-Jacques Bethmann , associé de la maison Bethmann
yrères, et en secondes noces à Victor-François vicomte de
Flavigny. De ce second mariage est issu Maurice de Flavi-
gny, pair de France sous Louis-PhiUppe, et qui, après la ré-,
volution de Février , a fait partie de l'Assemblée nationale.
La troisième sœur, encore vivante aujourd'hui, Sophie^
Elisabeth , veuve De Luze , et en secondes noces veuva
baronne de Mettingh, habite Munich. :
La maison Bethmann frères continue à jouir d'une pros-
périté qui repose sur les bases les plus solides. Outre d'im-
menses affaires de banque et de commission , ainsi qu'une^
participation importante à toutes les grandes opération*
financières de notre époque, elle s'est, dans ces demiera
temps, mis à la tête de différentes entreprises de chemins dfl
fer, tant sous le rapport financier qu'en ce qui est de l'exé-
cution et de l'administration. Elle a aujourd'hui pour chel
Philippe-Henri-Maurice- Alexandre de Bethmann; ni
J
BETHMANN FRÈRES — BÉTHUNE
es octobre 1811, fils aîné de Simon-Maurice Bethmann. Il
jossède les qualités du cœur et de l'esprit qui semblent hé-
•éditaires dans la famille Bethmann : aussi jouit-il de
'estime générale. Il est connu par son zèle à venir en aide
i toutes les institutions charitables et à toutes les entreprises
l'utilité publique. Il est consul général de Prusse à Francfort
■t décoré de plusieurs ordres. — Ses frères, Charles-César-
Loitis, nommé baron et chambellan par le roi de Bavière ,
'i Alexandre , propriétaire des seigneuries de Krzinétz,
^onow et Dobrowan en Bohême, résident alternativement à
Tancfort et dans leurs terres. L'aîné a épousé Marie-Thérèse
)aronne de Prindts, de la maison Prindts de Treuenfeld ; le
)lus jeune, Jeanne-Frédérique Heyder, fille d'un banquier de
•'rancfort.
Dans la villa Bethmann, dont il a été question plus haut,
labitation où l'on trouve réunies toutes les délicatesses et
outes les rechercheâ du bon goût et du luxe, et ornée d'une
ouïe de trésors artistiques de tout genre, les amateurs des
leaux-arts vont admirer une magnifique galerie où se
rouvela célèbre Ariadne, montée sur la panthère, exécutée
n marbre par Dannecker.
BETHMANIV-HOLLWEG ( Maurice- Augdste de ) ,
élèbre jurisconsulte, né le 10 avril 1795, à Francfort, est le
'is de J.-J. Bethmann-HoUweg , alors second chef de la
laison de banque Bethmann frères. Après d'excellentes
tudes faites au gymnase de sa ville natale sous la direction
e Ch. Ritter, il parcourut, de 1811 à 1813, la Suisse et l'I-
alie, revint en I8l3 suivre les cours de l'université de Gœt-
ngue, et en 1 8 1 5 ceux de l'université de Berlin, pour s'y livrer
l'étude du droit sous Hugo et Savigny. Il passa l'été de 1817
vec Gœschen à Vérone , pour y déchiffrer le manuscrit
es Institutes de Gaius, et l'année suivante il fut reçu doc-
eur en droit par l'université de Gœttingue. En 1819 il vint
'établir à Berlin , à la demande de Savigny , et y fit des
ours particuliers. Un an après il était nommé professeur
grégé, puis trois ans plus tard professeur titulaire de droit
ivil et de procédme. De 1827 à 1828, il remplit les fonç-
ons de recteur de l'université de Berlin. Transféré à Bonn,
ur sa demande, en 1829, il y occupa les mêmes chaires jus-
u'en 1842, époque où il renonça aux fonctions de profes-
)ur pour accepter celles de curateur de l'université, qu'il
remplit jusqu'en 1845. Nommé cette même année conseiller
'État, il prit part, en 1846, en qualité de député du synode
e la province rhénane, au synode général tenu à Berlin, et
n 1849 il fut élu membre de la première chambre prus-
enne. En 1840, à l'occasion du couronnement de Frédéric-
uillaume FV, il avait été anobli comme l'un des plus grands
ropriétairesde la province rhénane. Il possède, entre autres,
! château de Rheineck sur le Rhin, qu'il a fait reconstruire
t dans lequel il a réuni un grand nombre de tableaux et
'objets d'art du plus grand prix. On a de lui , outre diver-
•s dissertations. Éléments de Procédure civile (3^ édit.,
onn, iiZI) , Essais sur quelques parties de la Théorie
e la Procédure civile ( Bonn, 1834 ) , et Origine des Liber-
's des villes lombardes ( Bonn, 1846 ) , ouvrages qui té-
i.oignent de sa sagacité et de l'i^teadue de son savoir.
BETHSAMiTES, habitants delà petite ville deBeth-
imès , en Palestine , dont plusieurs périrent au passage de
arche d'alliance.
Sous le pontificat d'Héli, l'arche était tombée au pouvoir
as Philistins. Ceux-ci , lassés des maux qu'attirait sur leur
ays la présence de ce symbole sacré, résolurent de s'en dé-
ire. L'arche fut donc renvoyée, chargée de présents ex-
iatoires, sur un chariot traîné par des animaux, qui se
irigèrent d'eux-mêmes vers le pays des Hébreux , et s'ar-
'tèrent non loin de Bethsamès. A la vue de cet objet de la
i^nération publique , les habitants de la ville, alors occupés
ix travaux de la moisson, s'empressèrent de courir à sa
încontre, et bientôt l'arche fut entourée d'une foule im-
lense qui poussait des cris de joie. Quelques Bethsamites,
119
poussés par une profane curiosité, osèrent, au mépris da
la loi ( Num., rv, 20), porter des regards indiscrets jusque
dans l'intérieur de l'arche : ils tombèrent sur-le-champ frap-
pés de mort.
On a porté à cinquante mille, d'après la Vulgate, le nom-
bre de ceux qui périrent en cette occasion. Mais il y a sans
doute erreur dans la traduction latine. Car , l° il eût été
difficile à cinquante mille personnes de regarder dans l'ar-
che; 2" la petite ville de Bethsamès ne comptait vraisem-
blablement pas cinquante mille habitants , et toute la popu-
lation ne fut pas frappée ; 3° le texte original dit clairement
que dans cinquante mille personnes qui étaient venues des
pays circonvoisins au-devant de l'arche , soixante-dix hom-
mes périrent pour avoir bravé la défense du Seigneur. Ainsi,
au lieu de septuaginta viras et quinquaginta millia pie-
bis, il faudrait lire : septuaginta viras è quinquaginta mil-
libus, ce qui est bien différent. {Joseph. Antiq., lib. vi,
cap. 2. ) L'abbé C. Bandeville.
BÉTHULIE, ville de la Terre Sainte, dans la tribu de
Zabulon , et qui était située sur une montagne , est célèbre
par l'action .hardie de Judith(la mort d'Holoferne) et la
défaite des Assyriens, qui assiégeaient cette ville.
Les Francs ont eu aussi leur Béthulie : c'était une for-
teresse que les chrétiens avaient fait bûtir sur le sommet
d'une montagne , ou plutôt d'un rocher , et que les Arabes
appellent Bethli-el-Franki.
BÉTHUIVE , ville forte de l'ancienne province d'Artois,
à 25 kilomètres nord-nord-ouest d'Arras , aujourd'hui chef-
lieu d'arrondissement du Pas-de-Calais, avecun tribu-
nal de 1" instance, des fabriques de savon, de poterie, de
sucre de betterave , des raffineries de sel , des blanchisseries ,
un commerce considérable de lin , toiles , fil , graines oléagi-
neuses, et une population de près de 7,150 habitants. Elle
avait autrefois des seigneurs particuliers; en 1248 elle devint
une des propriétés des comtes de Dampierre. Plus tard eUe
fut soumise par Philippe le Hardi. Louis XI s'en empara.
Charles VIII la rendit à l'Espagne. Tombée en notre pouvoir
en 1645, elle fut réunie à la France par la paix des Pyré-
nées. Vauban en agrandit les fortifications ; cependant les
alliés la prirent encore en 1710; mais ils la rendirent quatre
ans après, au traité d'Utrecht.
La petite ville de Charost , dans le Berry, à 24 kilomètre»
de Bourges , département du Cher, a pris le nom de Bé-
THLNE après son érection en duché-pairie au dix-septième
siècle, en faveur de Louis de Béthune (Voyez l'article sui-
vant). Elle portait auparavant le titre de comté. Situé sur
l'Arnon, ce chef-lieu de canton compte aujourd'hui 1,300 ha-
bitants.
BÉTHUIXE (famille de). Cette maison, originaire de
l'Artois et descendant de Robert dit Faisseux,né vers 970,
était une des plus anciennes et des plus illustres du royaume.
Un de ses descendants , François de Béthune, baron de
Rosny, embrassa le calvinisme , et fut fait prisonnier à la
bataille de Jarnac. Ses deux fils devinrent les souches de
deux branches.
La branche aînée fut fondée par Maximilien de Béthune,
marquis de Rosny, ministre de Henri IV, qui, ayant
acheté la terre de Sully -sur-Loire, obtint qu'elle serait
érigée en duché-pairie au mois de février 1606 (voyez
Sully). Cette branche s'est éteinte le 20 septembre 1802, en
la personne d'Alexandre de Béthune , dernier duc de Sully.
Le irère du célèbre Sully, Philippe de Béthune, qui
remplit de hautes fonctions militaires ou administratives
sous les règnes de Henri III et Henri IV, et mourut en 1049,
fut le fondateur de la branche cadette. — La ville de Charost
en Berry, qui portait le titre de comté, fut érigée en duché-
pairie, dans l'année 1672, pour Louis de Béthune, petit
neveu de Sully, et chef alors de cette branche, à laquelle
appartenait d'abord le titre de marquis de Chabris, puis
celui de duc de Charost, et qui s'est éteinte en 1807.
BÉTIÎUNE — BÊTISE
J20
La famille Béthune des Pl\ncques, qui existe encore au-
jourd'hui en France, descend (la Michel des Plancqves,
seigneur d'Hesdigneul et lieutenant de la ville et du cliàteau
de liéthune vers l'an 1522. Son dh, Pierre des Plcincques,
laissa deux fils, dont l'un, /e«« des Plancqucs, seii^neur
d'Hesdigneul, fonda la ligne de Béthune Hesdigneul, et
l'autre, Georges, seigneur de Uerlelle, la ligne des comtes
de Saint-Venant. Depuis deux siècles les descendants de
l'une et l'autre de ces maisons ont ajouté à leur nom celui
de la ville de IJétliune. L'un des descendants de Jean des
Plancques, le marquis Eugène- François-Léon deBétuu.ne,
né en 1746, obtint de l'empereur Joseph II, le 6 septembre
1781, pour lui et ses descendants , le titre deprincede Bé-
thune-Hesdigneul, et mourut le 17 août 1823. Son (ils aîné,
Maximilien , prince de Béthune, né le 17 septembre 1774,
est aujourd'hui le chef de cette famille.
Un petit-fiis de Georges des Plancques, appelé Adrioi-
François de Béthlune, épousa Marie de Lierres, fille aînée
de Maximilien de Lierres , comte de Saint- Venant; mariage
qui réimit dans la môme branche tous les biens de la fa-
mille des Plancques. C'est pour ce motif que depuis lors les
membres de cette branche prennent le titre de comtes de
Saint-Venant. L'arrière-pelit-lils d'Adrien-François de Bé-
thune, Marie-Louis-Eugène, moïi en 1812, crut pouvoir
prendre le nom de Béthuxe-Sully, parce qu'il avait acheté
en ISOS les biens du dernier duc de Sully. Son fils , Maxï-
viilien-Léonard-Marie-LouiS' Joseph , comte de Cétuune-
SuLLY, est aujourd'hui le clicide cette branche de la famille.
BÉTHUrVE ( DAvm ). Voyez Beatoun.
BETHYLE, genre d'insectes, de l'ordre des hyméno-
ptèies, section des porte-tarière. Ce genre,établi parLatreille,
est caractérisé par des mandibules longues , arquées et qua-
dridentées; par des palpes maxillaires filiformes; par des
antennes coudées , composées de douze ou treize articles ,
et par des pattes robustes , ayant les cuisses renflées et les
jambes droites.
BÉTIIYLES ou BÉTYLES, pierres informes, que les
Orientaux adoraient, avant de donner des formes humaines à
leurs divinités. Les Grecs appelaient ainsi la pierre abadir,
que Cybèle (it avaler à Saturne. Bochart tire l'origine des
béthyles de cette pierre mystérieuse sur laquelle Jacob re-
posant pendant la nuit eut une vision , et qu'à son réveil il
oignit d'huile, d'où le lieu fut appelé Belh-el. Selon d'au-
tres , Uranus fabriqua des pierres animées qui portèrent le
nom de béthyles. Daraascius, qui écrivait sous Justinien ,
racontait qu'il avait vu une de ces pierres se mouvoir en
l'air. Héliogabale rapporta de la Phénicie à Rome une
grosse pierre noire en forme de cône , qu'il voulut faire
adorer. Les béthyles passaient aussi pour Ctre descendues du
ciel : de là des commentateurs en ont fait des aérolithes. On
en trouvait dans les tem])les, chez des particuliers, et elles
servirent naturellement d'amulettes.
BETIQUE,nnedes trois grandes contrées de l'EspagiK',
ainsi nommée du fleuve Bétis (aujourd'hui leGuadal-
quivir) qui la traversait dans toute sa longueur, et qui
comprenait à peu près l'Andalousie et le royaume de Gre-
nade. Elle était bornée à l'ouest par l'Anas , qui la séparait
de la Lusitanie, à l'est par la mer et au nord par la ïarra-
conaise, et avait cinq sous-divisions principales (Béturie.
Turdétains , Turdules , Bastules et Bastitaius). Le sol delà
Bétique était extraordinairemcnt fertile, et elle offrait des
sites délicieux. Ses ports excellents attiraient les naviga-
teurs des contrées les plus lointaines, et les Carthaginois y
menèrent de nombreuses colonies. Du temps des Romains
la Bétique, au dire de Pline, comprenait cent soixante-
quinz-e villes.
BETISE. La bêtise est chez l'homme un manque d'in-
telligence; c'est l'opposé de celte précieuse faculté qu'on
nomme esprit. La bêtise n'est pas moins que l'esprit un at-
tribut qui distingue l'homme delà hète, douée seulement
de l'instinct. Une bête des forêts n'est pas plus bête qu'une
autre : tous les animaux de môme espèce ( il nous le semble
du moins) ont la même dose d'instinct; l'homme, au con-
traire , reçoit le don de l'esprit à doses plus ou moins fortes,
et il existe autant de distance d'une intelligence humaine
à une autre qu'il peut s'en trouver entre l'instinct de l'huître
et celui du chien.
Tandis que l'esprit court, dit-on, les rues, la bêtise,
presque toujours privilégiée dans ce monde, en attendant la
béatitude qui lui est promise dans l'autre (Beati pauperes
spiritu), s'est réfugiée dans les conseils des rois et des na-
tions, voire dans les académies et dans les collèges. Pour
indiquer tous les lieux où règne la bêtise, pour exprimer
tous les cas où, à l'exclusion du bon sens et de la raison,
elle trône, .se prélasse, pérore, disserte, professe, il fau-
drait reprendre de haut et de loin i'hisloire des institutions
humaines, en religion, en politique, en administration, et
dans tous les usages de la vie.
Il n'est personne dans le monde qui n'ait été à portée de
constater la distinction qui existe entre la bêtise et la sottise.
L'homme qui n'est que bêle peut être ennuyeux, ridicule;
mais quand la vanité s'en mêle, quand une bête s'imagine
avoir de l'esprit, alors elle devient incomcuode, importune,
insupportable; en un mot, elle tombe dans la sottise. On
peut être une bonne bête, on n'est jamais bon quand on
est sot; car la sottise suppose à la fois un défaut d'esprit
et un vice de caractère. Il est plus bête que méchant ; Il
est si bon qu'il en est bête, voilà deux proverbes dont
personne ne conteste la justesse. Les bêtes de cet acabit se
confondent avec les benêts, gens qui trouvent tout bon , tout
bien; benè est, voilà leur devise, d'où est tiré leur nom.
Vidiot est la bête par défaut de connaissance et d'aptitude
à rien apprendre. Lestupide est la bêle renforcée. La brute
est l'homme qui à la bêtise joint des manières grossières et
brutales : il y a là, comme dans la sottise, défaut d'esprit et
vice du cœur. L'imbécile est le faible d'esprit : être encore
plus négatif que la bête , il n'a pas d'idées, il ne conçoit pas
celles des autres; la bête an moins a le triste avantage d'a-
voir des idées à elle, des idées telles qu'elle peut les conce-
voir. Le niais, le nigaud , ne doivent pas non j)lus être
confondus avec la bête. Le niais est un être novice sur
tout, qui se laisse mener comme à la lisière parle premier
venu; mais une fois déniaisé, grâce à l'expérience, il peut
quelquefois n'être plus une bête. Le nigaud (nugator)esl
un grand innocent, qui ne s'occupe que de niaiseries. L'es-
prit du nigaud, comme celui du iiiais, est susceptible de
se réveiller. 11 serait facile de citer des niais qui sont tou-
jours restés tels et qui ont fait des livres, des journaux , des
constitutions, et jusqu'à des révolutions, pour ne s'en trou-
ver ni plus riches ni mieux gouvernés. Il y a plus : en
politique , les véritables gens d'esprit sont presque toujours
des )iiais de comédie; et ce sont des fripons assez bêtes,
mais à la tête froide, qui emboursent la recette.
Bien, dit-on, de si bête que les gens d'esprit. Il est en
effet des bêtises que la préoccupation , la distraction , l'ha-
bitude de se complaire à ses propres idées , font commettre
à un homme d'esprit, et que ne commettrait [las une bête^
renforcée. Qui ne se rappelle le mot de la garde-malade de
La Fontaine au confesseur de ce poète : « Laissez-le doncj
en paix ! Dieu n'aura pas le courage de le condamner, il cslj
plus héte que méchant. «
L'amour, dit-on encore,
Rn gens d'esprit clian{;c les bêtes
Et rend bctcs les gens d'esprit.
Il est effectivement peu de passions qui bouleversent au-1
tant l'homme , donnant tant de ressources au plus stu|)ide,J
et embarrassant en mémo temps le plus spirituel , conuna
pour rappeler à notre espèce son identité d'origine.
L'osprif est moins utile qu'on ne croit généralement à H
BÊTISE — BÉTOINE
121
réussite dans ce monde. Pour un homme d'esprit qui perce,
combien d'idiots qui parviennent! Une certaine dose de
bêtise profite à beaucoup de gens. Un imbécile n'inspire
jamais d'ombrage à ses supérieurs, on le protège do préférence.
On se croit toujours sûr d'en faire ce qu'on voudra. On aide
l'Imître à fixer son byssus n'importe où , et l'huître s'en-
graisse. Aussi le poète a bien eu raison de dire :
Pour êlre heureux faut être bête!
L'histoire n'est autre chose que les annales de la bêtise
des rois et de leurs ministres : sous ce rapport elle est par-
fois assez divertissante , du moins pour la postérité. Il doit
manquer aux rois une foule d'idées pratiques qui sont à
l'usage du plus mince bourgeois : voilà pourquoi le sens
commun est encore plus rare sur le trône que l'esprit et le
génie. C'est en effet par un homme de génie que commencent
d'ordinaire les races royales ; elles finissent le plus souvent
par des bêles méchantes et sottes. Ceci me remet en mé-
moire le trait par lequel de jeunes auteurs ont buriné dans
un drame historique le personnage impérial de Claude : Gros,
gras et bête! ces trois mots résumaient vingt pages de Ta-
cite : aussi ont-ils fait fortune.
Il faut le reconnaître, l'homme du peuple qui, à la faveur
d'une convulsion politique, devient un homme en place,
contracte bientôt ce penchant à la bêtise. On a fait un volume
entier des dneries révolutionnaires. Bien digne assurément
était de figurer dans ce recueil cet officier municipal qui
fit incarcérer comme patriote tiède un malheureux violo-
niste, pour avoir, dans un concert patriotique, observé les
pauses, n Je vous apprendrai , lui dit le fonctionnaire , à
rester les bras croisés la moitié du temps quand les autres
Jouent! » N'a-t-on pas entendu sous la Restauration im cour-
tisan de Louis XVIII répondre à ce roi fin railleur, qui lui
avait dit : « Vous venez de parler comme un Démosthène :
— Sire, il est possible que je n'aie pas l'éloquence de Dé-
mosthène, mais Démosthène n'avait pas assurément plus
d'amour pour son roi. » Ce trait nous rappelle ce seigneur
de la cour de Louis XV qui demandait si Cicéron avait fait
ses études chez les jésuites, et cet autre qui priait Cassini
de recommencer l'éclipsé. Du reste, plus près de nous , n'a-
vons-nous pas vu un prince s'ébahir sur la haute température
qu'avait dû ressentir iin savant académicien dans une ascen-
sion aérostatique !
A la cour, les flatteurs réussissent quelquefois par des
bêtises dites à propos. Le courtisan qui répondait à
Louis XIV : « Sire, il est l'heure qu'il plaira à Votre Ma-
jesté ; » le cardinal d'Estrées montrant sans le vouloir les
plus belles dents du monde en disant au même monarque,
qui se plaignait de la perte des siennes : « Sire, qui est-ce
qui a des dents ! » ont su plaire au maître. Mais de nos Jours
furent siffles , baffoués par tous les partis , ces sénateurs par-
venus dont l'un , haranguant l'impératrice mère , la compa-
rait à la mère du Christ, et l'autre, en offrant à Napoléon
trois cent mille conscrits de dix-sept ans, xantàit l'exercice
salutaire qu'ils allaient prendre en allant laisser leurs os
sur la route de Moscou ou de Madrid.
Que de bêtises n'ont pas dites les premiers hérésiarques
du christianisme, depuis celui qui s'est attaché à nous faire
connaître les joies promises aux deux sexes dans le paradis.
Jusqu'à cet autre qui avait mesuré la taille d'Adam, celle de
Jésus, même celle du Saint-Esprit! Mais laissons Bayle et
Voltaire moissonner dans le champ des bêtises sacrées.
Si des hauteurs du trône et de l'autel nous descendons aux
usages des peuples, nous ne trouverons pas le genre humain
en masse moins sujet à la bêtise que Tliommc pris indivi-
duellement. Hérodote nous apprend que chez certain peuple
d'Asie, les Tibaréniens, quand la femme accouchait, le mari
se mettait au lit, puis se faisait soigner et recevait des vi-
sites comme une accouchée. Cela n'est pas assurément plus
bête que de faire servir un somptueux repas pendant huit
DICT. DE LA CONVERS. — T. lU.
jours au cadavre d'un roi ou d'un évêque, assis, couvert
d'oripeaux et de fard, sur un lit de parade.
Mais plus nous exploitons la matière de cet article , moins
nous l'épuisons, et plus elle s'étend. Après avoir parlé des
rois , des princes , et de leur entourage , il ne nous reste plus
qu'à indiquer la bêtise observée , reproduite avec esprit par
certains acteurs si aimables et si chers au public : depuis
Janot , avec son fameux c'en est, qui fit fureur à la cour de
Louis XVI , et qui eut même l'honneur de passer dans la
befle bouche de Marie- Antoinette ; depuis Jocrisse Bru net,
jusqu'à Potier, toujours divers et toujours si risible; jus-
qu'à Odry, toujours le môme et toujours si divertissant;
jusqu'à ce bon Arnal, si innocent et si persécuté, on a vu
se succéder en France cinq générations au moins de rois de
la bêtise. Ceux-là du moins n'ont fait que des heureux : plus
fortunés que Titus , chaque soir ils ont pu dire : Je n'ai pas
perdu ma journée. Ch. du Rozom.
BETJOUAJVS ou BETSCHOUANS, nombreuse et
puissante nation de l'Afrique méridionale, où elle liabitc depuis
le Kou-Gariep ou fleuve Jaune , par 28° de lat. sud, entre
le canal de Mozambique et les Boschimans, un territoire
de t.'^ente à quarante journées de marche , jusqu'au tropique
du Capricorne. Us appartiennent à la grande famille des
Cafres, et se rapprochent beaucoup des Koosas. Leur langue
a beaucoup d'analogie avec celle qu'on parle au Congo. Les
nombreuses tribus dont se compose le peuple betjouan obéis-
sent à un chef suprême, qui jouit d'une autorité à peu près
absolue, et sont continuellement occupées à guerroyer, bien
qu'elles aient moins le renom de bravoure que leurs voisins
de l'ouest et du sud , et qu'elles soient parvenues à une cer-
taine civilisation. Le Malopo est le principal cours d'eau
qui arrose leur territoire, lequel est traversé par les belles
vallées qu'y forment les monts Kammani. Comme il est
situé dans la zone où réussissent les diverses espèces de
céréales du midi de l'Europe, l'agriculture s'y pratique sans
grande peine; mais on s'y livre plus particulièrement à
l'élève des bestiaux, des bêtes à cornes surtout. Les chevaux
y sont un objet d'horreur. La fréquence des guerres, la pré-
paration habile du fer, du cuivre , de l'ivoire et des peaux
d'animaux expliquent pourquoi on y trouve d'assez grandes
villes, dont quelques-unes ont jusqu'à 15,000 habitants, et
dans lesquelles chaque maison constitue une espèce de for-
teresse défendue par des remparts et des fossés. La plupart
des travaux ordinaires sont abandonnés aux femmes, qui y
sont l'objet d'un profond mépris. Ces populations ne présen-
tent d'ailleurs que de très-faibles traces d'idées religieuses.
Ce n'est guère que vers 1801 que le nom de cette nation est
parvenu en Europe, et jusqu'à présent on n'a encore obtenu
sur elle que des renseignements fort insuffisants. Le peu
que nous en savons nous a été appris par des missionnaires
qui entretiennent d'importants établissements au Vieux et
au Nouveau Latakou. Consultez Lichtenstein , Voyages dans
VAfrique méridionale (Bedin, 1812); Shaw, Memorials
of south Africa (New-York, 1841); Napier, Excursions in
Southern Africa (2 vol., Londres, 1849), et Casali, Études
sur la langue séchuna (Paris, 1841).
BÉTOINE , genre de la famille des labiées et de la
didynamie gymnospermie , plante vivace , dont les fleurs
sont en gueule. Sa racine est grosse comme le doigt et garnie
de plusieurs fibres longues et chevelues. Les feuilles qui en
partent sont oblongues, bosselées et velues. Sa tige est car?
rée, rarement branchue, hautes de 45 centimètres, chargée
par intervalles de quelques feuilles opposées, plus allongées
que celles du bas et plus étroites. Cette tige se termine par
un épi de fleurs purpurines assez pressées, dont chacune
est un tuyau découpé par devant en deux lèvres , la supé-
rieure relevée, pliée en gouttière et échancrée, et l'inférieure
divisée en trois parties. Le cahce est un cornet verdâtre ,
au fond duquel sont contenues quatre petites semences
oblongues. jg /
122
BETOINE
La hétoine commune {bctonica o/ficinalis) était très-
renommée chez les anciens, qui employaient ses fleurs et
ses feuilles en décoction contre la goutte , la sciatique , la
céphalalgie , etc. Ce qui est resté de certain de toutes les
vertus que l'on se plaisait à prêter ainsi à la bétoine, c'est
que les racines de cette plante , qui a une odeur pénétrante,
sont purgatives , et que ses feuilles sont sternutatoires et
peuvent être prises en guise de tabac.
Quant au nom de bétoine , il paraît qu'il provient de celui
d'un peuple d'Espagne, les Vetones (aujourd'hui habitants
du Béarn ), qui ont les premiers fait usage de cette plante.
BÉTOINE DES MONTAGNES. Voyez Arnica.
BÉTON, sorte de mortier formé de chaux, de sable
et de gravier. Pour obtenir ce mélange on prend de la chaux
récenuTient tirée du four, et on l'éteint dans un bassin pro-
portionné à sa quantité : ce bassin n'est autre chose que du
gros gravier môle de sable disposé circulairement pour con-
tenir l'eau. Dès que la chaux est éteinte et lorsqu'elle est
encore cliaude, plusieurs hommes armés de broyons mé-
langent cette chaux , ce sable et ce gravier ; et lorsque ce
mélange est bien fait, c'est le moment de l'employer.
S'il s'agit d'un édifice à l'air libre et sur le sol , on com-
mence par ouvrir les tranchées nécessaires ; la terre étant
enlevée, on place de distance en distance des bassins de
sable ou de gravier, où l'on éteint la chaux. Aussitôt qu'elle
a été broyée de la manière que nous avons indiquée , les
ouvriers, armés de pcUes, poussent le tout dans les tran-
chées , se hâtent d'éteindre la nouvelle chaux , et, procédant
de la môme manière, continuent l'opération jusqu'à ce que
la tranchée soit remplie. Pendant ce temps , d'autres ou-
viiers tassent le béton dans la tranchée afin de chasser l'air
qui pourrait rester entre les différentes couches. Enfin, quand
la tranchée est remplie , elle est aussitôt recouvei'te de deux
à trois pieds déterre, et reste ainsi pendant un an, ou, ce
qui vaut mieux encore, pendant deux ans. Dans cet inter-
valle, la masse totale se cristnl!i<^e tout d'une pièce, et
quelques années après elle est si dure (jue la scie ne peut
y mordre. Il n'est pas nécessaire, pour cette opération, de
choisir du gravier fin ; lors même qu'il serait gros comme le
poing, quand Lien môme à la ])lace du gravier on emploie-
rait des retailles de pierres , elle n'en serait pas moins parfaite.
Enfin, lorsque la cristallisation, ou, pour parler vulgairement,
lorsque la prise du mortier est faite , on enlève la terre de
la surface, et l'on élève le reste de la iuaçonnerie. C'est ainsi
qu'ont été faites les fondations de toulcs les maisons qui
couvrent actuellement les Brotteaux , vis-à-vis de Lyon.
S'agit-il d'élever un quai, d'empôcher qu'un ruisseai'
n'emporte le terrain , de faire enfin des consîruclions sous
l'eau, le béton fournit encore le moyen le pioins dispen-
dieux et le plus sûr. Lorsque les pilotis sont enfoncés , on
coule sur le devant et contre eux des revêtements formés de
vieilles planches qui servent d'encaissement pour la partie
extérieure. Si le courant est rapide et profond , on plante en
ayant quelques pilotis, qu'on enfonce peu. Ces premiers
pilotis retiennent les planches d'encaissement comme le
ferait une coulisse. Tout étant ainsi disposé , on se hâte de
lemplir l'intervalle en béton jusqu'il la hauteur voulue. Il
prend aussitôt de la consistance , et quelques années après
il faut faire jouer la mine pour le détruire. Il est inutile de
faire remarquer que c'est la chaux hydraulique, et non la
chaux grasse , qui doit servir pour la fabrication du béton
qui est destiné à être employé sous l'eau.
Le béton sert à une foule d'usages. On en fait encore des
iures sur lesquelles on pose le bitume. On en fabrique d'é-
normes pierres artificielles qu'on emploie pour asseoir de
(grands travaux hydrauliques, conune le môle du port d'Alger.
BETTEjgenre de la famille des cliénopodécs, dans lequel
Linné reconnaît trois espèces distinctes : le lela mari/ima,
\>lante indigène croissant sur les bords de la mer ; le bc/a
vuUjarls ou poirée, et le bc/a cijcla ou betterave. De
BETTERAVE
l'avis d'un grand nombre de botanistes et d'agronomes , ces
deux dernières ne seraient que des variétés du beta mari-
tima modifié par la culture.
Le genre bette a pour caractères : un périgone à cinq di-
visions profondes , à moitié adhérent par sa base à l'ovaire,
cinq étamines, deux ou trois styles très-courts, et un fruit
réniforme entouré par le périgone, qui forme cinq côtes et
qui est béant dans sa partie supérieure.
BETTERAVE ou BETTE-RAVE. Qu'elle constitue
une espèce du genre bette ou qu'elle soit simplement une
variété du beta maritima, la betterave n'occupe pas moins
un rang imi)ortant dans l'agriculture. Sa racine fournit un
aliment agréable, quoique peu nourrissant, et d'une digestioû
assez difficile pour les estomacs délicats ; dans certaines
contrées, ses feuilles s'accommodent comme les épinards, on
mange en salade les jeunes pousses que les racines jettent
en hiver dans la cave où on les conserve. En mêlant des
racines de betterave avec des poires, du houblon et des
pommes de terre , on obtient une très bonne eau-de-vie. En
Allemagne, et principalement dans la Thuringe, on prépare
aussi avec ses racines torréfiées une poudre qui, mêlée au
café , lui donne un très-bon goût. Mais la betterave est sur-
tout précieuse pour le sucre qu'elle fournit et pour la nour-
riture abondante qu'elle procure aux bestiaux, qui en mangent
avec avidité les feuilles et les racines.
La diversité des emplois de la betterave a multiplié le
nombre de ses variétés , chaque cultivateur ayant cherché à
développer au plus haut point les qualités qui se trouvaient
être les principales pour remplir le but qu'il se proposait.
C'est ainsi que la betterave champêtre , appelée aussi bette-
rave sur terre, racine d'abondance, racine de disette ,
plus spécialement destinée à la nourriture des bestiaux, est
beaucoup plus volumineuse dans ses racines, plus abondante
en feuilles, d'une constitution plus robuste et d'un produit
plus considérable que les autres betteraves; cette variété a
une racine très-grosse, longue, et croissant plus de moitié
hors déterre, rose en dehors et panachée à l'intérieur, ou
bien quelquefois seulement marquée de stries rouges très-
pou prononcées. C'est dans la betterave champêtre que
Margraff eut la gloire de découviir la présence du sucre,
et c'est sur elle qu'A chard répéta les expériences de son
devancier.
Le jardin potager possède la betterave rouge ordinaire,
dont les racines , allongées , sont d'un rouge tirant sur le pour-
pre et entrent dans la composition des salades , et surtout de
la salade de barbe de capucin ; la grosse betterave rouge de
Casteinaudarg, encore plus foncée en couleur et plus volu-
mineuse; \a petite betterave rouge ronde précoce, variété
plus petite dans toutes ses parties que les deux précédentes;
\&bettcrave jaiine ordinaire, de forme allongée, d'une sa-
veur sucrée prononcée, et sans aucun mélange d'âcreté; la
betterave Jaune de Casteinaudarg, plus grosse, également
d'une saveur douce; la betterave jaune à chair blanche,
approchant beaucoup plus de la couleur blanche et beau-
coup plus riche en principe saccharin ; la betterave jaune
ronde, née de la betterave de Casleluaudary, mais qui a
la chair presque blanche, et dont la racine, très-grosse, a
une tendance marquée à croître hors de terre.
Le caractère principal des betteraves à sucre est d'être
de la plus grande blancheur possible. On en connaît trois
variétés, qui sont : la betterave blanche de Silésie, née
des betteraves acclimatées dans le Nord , d'un blanc mat
dans toutes ses parties, mais très-sujette à dégénérer en
betterave rose ; la betterave blanche de Prusse à collet
rcse, plus sujette encore à dégénérer en betterave entière-
iHcnt rose-rouge panachée ; la betterave jaune blanche de
France, d'une blancheur parfaite dans l'intérieur et d'un
blanc tirant sur le jaune à l'extérieur; elle est la plus riciie
(!c toides en sucre.
Toutes les bettciaves se cultivent de môme. Après avoir
BETTERAVE — BEUCHOT
123
bien amcublé la terre par un ou deux labours profonds, on
sème, à la volée ou en rayons, depuis la mi-mars jusqu'en
mai ; on éclaircit , suivant la qualité du sol et le volume de
l'espèce , Ue manière à ce que les plants soient à trente ou
cinquante centimètres les uns des autres : on sarcle et l'on
.lonne plusieurs binages. On peut aussi semer en pépinière
pour mettre en place lorsque la racine a atteint la grosseur
du doigt , en ayant soin que l'extrémité ne soit pas repliée
au fond du trou; mais les racines plantées, quelque jeunes
qu'elles soient alors, ne viennent jamais aussi belles que celles
des betteraves qui ont été semées sur place : on ne doit donc
employer la transplantation que pour regarnir les places du
champ semé où le plant manquerait. Le§ betteraves aiment
une terre douce, profonde, fumée de l'année précédente.
Les racines se récoltent en novembre : après avoir coupé
les (l'uiilcs, on les laisse se ressuyer, et on les met dans une
cave ou une serre sèche, à l'abri de la gelée. Pour récolter de
la graine, on replante, en mars, des racines choisies et bien
conservées ; cette graine se conserve quatre ou cinq ans.
En 1599 Olivier de Serres parla le premier de la bette-
rave, qui venait d'être rapportée d'Italie. Plus tard, l'abbé de
Commerel et le baron de Those contribuèrent puissamment
à faire connaître cet intéressant végétal. La découverte de
Margraff donna lieu à un grand nonubre de travaux, dont les
principaux sont ceux d'Acliard, de SIM. de Beaujeu et
Paven, et de notre collaborateur M. Tollard.
BETTERTON (Thomas), comédien et auteur drama-
tique anglais, né à Londres, en 1635, et mort en 1710, était le
lils d'un sous-chef des cuisines du roi Charles F"". Son père
lui fit donner une bonne éducation. Ambitieux pour son.
fils, qui annonçait les plus heureuses dispositions, ille des-
tinait à une profession libérale ; mais la révolution renversa
la marmite de notre maître queux en même temps que le
trflne de son maître, et il dut se résigner à placer son (ils
en qualité de commis chez un libraire. Thomas s'enn lya
bientôt de cette position ; et il ne se sentit pas plus tôt en élat
de voler de ses propres ailes, qu'il s'engagea dans la troupe'
de William Davenant. Ses débuts sur la scène lurent heu-
reux. 11 devint un des acteurs favoris du public, qui n'esti-
mait pas moins en lui l'homme privé que le comédien, .^u
déclin de sa vie, Betterton eut le chagrin de perdre dans une
entreprise commerciale une somme considérable , fruit des
travaux et des épargnes de toute sa carrière dramatique ; et
réduit à un état voisin de la misère, il supporta son mal-
iienr avec la plus philosophique résignation. On lui attribue
les pièces suivantes : The v:oman made a justice (La femme
prise pour juge), et une imitation du Georges Dandin de
notre Molière, The amourous Widow ( La Veuve amou-
reuse). Il refit aussi pour le théâtre une pièce de John
Welster, The injust Jadge, or Appuis and Virginia.
BETTI.Deiix peintres florentins ont porté ce nom. L'un,
ISiccolo Betti, florissait vers le milieu du seizième siècle.
11 aida Vasari dans la décoration du Palazzio Vecchio, et
peignit pour le cabinet d'étude un tableau représentant des
Soldats ro77iains déposant aux pieds de César les dépouilles
des peuples vaincus. Cette toile orne aujourd'hui la galerie
de Florence. L'autre, Sigismondo Betti, vivait au milieu
du siècle dernier, et fut élève de .Matteo Bonechi. C'était un
bon dessinateur et un habile peintre à fresque et à l'huile.
Parmi les principaux ouvrages qu'on voit de lui à Florence,
nous mentionnerons la voûte de la nef de l'église Saint-Jo-
seph ; une fresque exécutée vers 1754 et représentant Saint
François de Poule ravi au ciel par les anges; et une
Vierge dans une gloire, entre saint Paul et sainte Ca-
therine, pour l'église des Barnabites. En 1765 il exécuta
encore, pour le sanctuaire de Varallo, une Présentation de
Jésus au Temple. On a aussi de lui quelques bons pastels.
Un poète du même nom, Zacharia Betti, né à Vérone,
en 173?., mort dans la même ville, en 178S, est auteur d'un
poëme sur le ver à soie, intitulé : Vel h'aco da Sela,
l Canti IV, con annotazioni (Vérone, 1756), et dédié au
marquis Spolverini, auteur d'un poëme sur la culture du
riz. Il avait fondé à Vérone une Académie d'Agriculture.
BETTIJXA, célèbre peintre de l'école milanaise, qui flo-
rissait dans les dernières années du dix-septième siècle. Elle
■ excellait à peindre les fleurs et les fruits.
BETTllVA D'ARXIM. Voyez Arnim (Elisabeth d').
BETTINELLI (Giuseppe-Maria), littérateur italien, né
à Mantoue, en 1713 , mort en 180S, entra dans la société de
Jésus, et professa, ne 1739 à 1744, les belles-lettres au collège
i de Brescia. En 174S, il alla occuper une chaire de rhé-
' torique à Venise; mais contraint bientôt après, par la fai-
blesse de sa santé, à la partie active de l'enseignement pu-
blic, il dirigea pendant huit ans le collège noble de Parme.
] Des voyages qu'il eut occasion de faire en Italie, en Alle-
I magne et en France, le mirent en rapport avec quelques-
I uns des littérateurs les plus éminents de son siècle, entre
autres. avec Voltaire, qui le reçut aux Délices. Bettinelli se
I trouvait à Modène lorsque eut lieu la suppression de l'ordre
des Jésuites, et il se retira alors à ]\iantoue, où il continua
à se livrer à la culture des lettres. Obligé de se réfugier a
Vérone devant l'invasion française, en 1796, il ne revintdans
sa ville natale qu'en 1797. Il y commença une édition de ses
œuvres complètes, intitulée : VAhbate Bettinelli, Opère
édite ed inédite, in prosa edin versi (Venise, ISOi).
BETTIiVi (Anto.mo), écrivain ascétique italien, né à
Sienne, en 1396, fut élu, à l'âge de soixante-cinq ans, évo-
que de Foligno, diocèse qu'il édifia par ses vertus chré-
tiennes. Parvenu à un âge très-avancé, il se démit de son
évêché pour se retirer dans le monastère des Jésuites de
Saint-Jérôme, oii il avait fait profession dans sa jeunesse. Il
est auteur d'un ouvrage mystique, intitulé : Monte santo di
Dio, qui fut imprimé à Florence, in-4°, en 1477. C'est le pre-
mier livre imprimé avec des gravures en taille-douce dans le
texte. Une autre édition, imprimée à Florence, en 1491, est
ornée de gravures sur bois. On a en outre d'A. Bettini une
Esposizione délia Dominicale Oratione et un traité De
divina Prxordinatione Vitx et mortis humanas.
BETTIIXI. On compte deux peintres italiens de ce nom.
L'un, Domenico Bettini, né à Florence, en 1644, mort à
Bologne, en 1705, fut à Rome l'élève de Mario Nuzzi,
alors le plus célèbre peintre de fleurs qu'il y eût en Italie,
et devint dans ce genre presque l'égal de son maître. Le
premier il sut faire saillir ses groupes de fleurs ou de fruits
sur des paysages éclairés et agréables, au lien de les déta-
cher sur des fonds obscurs et insignifiants, ainsi que cela
s'était toujours pratiqué avant lui. Appelé à la cour du duc
de Modène vers 1760, il y resta pendant dix-huit ans, puis
alla travailler à Bologne, où s'écoula le reste de sa vie.
L'autre, Giovanni-Antonio UEjnm , peintre bolonais ,
mort en 1773, étudia rarchitecture, la perspective et l'or-
nement sous Carlo Giuseppe Carpi. Il déploya en ce genre
une remarquable habileté, et on peut voir des échantillons
de son talent dans divers palais et églises de Bologne.
BETTIO (Gilseppe), peintre de l'école vénitienne, né à
Bellune, en 1720, mort en 1803, se forma par l'étude réfléchie
des chefs-d'œuvre du Titien , de Paris de Bordone , de Paul
Véronèse et du Bassano. Ju amateur anglais l'attira à Lon-
dres, où avec son pinceau il acquit une fortune honorable.
Il revint alors dans sa patrie, où, quoique en état de se livrer
aux cl'.armes du far niente, il ne cessa point de cultiver son
art. Si à la facilité d'exécution , à la fraîcheur et à la vi-
gueur du coloris, il avait réuni un dessin plus sévère et une ob-
servation plus exacte de la vérité du costume, sa mémoire
occuperait plus de place dans l'histoire de l'art.
BÉTYLES. Voyez Béthyles.
BEL'CIIOT (Adrien-Jea:<-Qlentïn), savant et scrupu-
leux bibliographe , ancien bibliothécaire de la Chambre des
Députés, naquit à Paris, le 13 mars 1773 , d'un père qui y
exerçait le profession d'avocat, et qui, vers 1781, fut nomme
124
secrétaire de l'intendance de Lyon , où il alla s'établir avec
sa famille. Le jeune Beuchot fut élevé au collège de la Tri-
nité de Lyon , que dirigeaient des pères de l'Oratoire ; il fut
ensuite un moment clerc de notaire à Lyon , puis il se mit
à étudier la médecine, et fut attaché eu 1794, en qualité de
chirurgien-major, au 9* bataillon de l'Isère. Après trois an-
nées de sen'ice , il renonça à ces fonctions , qui étaient peu
conformes à ses gortts , re\int à Lyon, et se remit à travailler
chez un notaire. Tout en grossoyant, Beucliot cultivait déjà
les lettres , faisait des chansons et des vers, et enrichissait
de sa prose et de sa poésie la partie littéraire des Petites-
Afjkhcs du département du Rhône.
Beuchot se décida à venir à Paris en 1801. 11 n'y trouva
d'abord que de faibles ressources, et ne réussit à placer des
articles que dans le Courrier des Spectacles , que publiait
Lepan. 11 eut alors l'idée de se faire libraire , et travailla aussi
pour le théâtre, oii il eut à passer par toutes les épreuves
cruelles, à essuyer tous les déboires réservés aux auteurs
encore inconnus, et où cependant il finit par se faire une
place, car nous po un-ions citer les titres de plusieurs de ses
l)icces jouées avec succès sur différents théâtres consacrés au
vaudeville. Ceux qui l'ont connu à cette époque s'accordent
à dire qu'il cultivait avec succès le couplet à la Collé et à
la Panard. En 1808 il entreprit la publication du nouvel
Almanach des Muses; il écrivit en môme temps dans la
Décade Philosophique avec Andrieux, Ginguené, etc.
Dès l'origine de la Biographie Universelle publiée par
M. Michaud , il prit une part active à ce vaste et précieux
recueil , et apporta dans la rédaction des articles dont il fut
chargé cette science scrupuleuse devenue le cachet de tout
ce qui est sorti de sa plume.
L'imprimerie , par l'immense multiplication des livres , a
fait de la bibliographie une science vaste et compliquée ,
science qui oblige ceux-là môme qui y sont le plus profon-
dément versés, et malgré la plus grande mémoire, à recou-
rir fréquemment aux catalogues , et à s'aider de moyens
matériels pour ne pas perdre le fruit de leurs recherches et
de leurs travaux. Le législateur a senti la nécessité, entre
aiittes choses, de fonder légalement une sorte d'état civil
de l'imprimerie, vrs artium conservalrix. Un décret im-
périal du 14 octobre 1811 imposa à la direction de la li-
brairie l'obligation d'insérer dans un journal l'annonce de
tous les ouvrages qui seront imprimés , d'y indiquer le lieu
et l'année de leur impression , le format et le nombre de
leurs volumes, leur prix, les noms de leurs imprimeurs,
ceux des libraires-éditeurs, ceux de leurs auteurs s'ils sont
connus, etc. Beuchot fut choisi poiu- rédiger la Bibliogra-
phie de la France, dont Pillet aùié était nomraéd'impri-
iueur; rédaction que Bcuciiot a continuée avec le môme
zèle et la uîCine autorité juscpi'à sa mort.
Kn 1814, Beuchot, qui n'avait jamais encensé la gloire des-
potique de Bonaparte empereur, s'indigna en voyant ceux qui
s'éiaient prosternés aux pieds de l'idole aux jours de sa puis-
sance, lui jeter la pierre quand elle était tombée de son pié-
destal. 11 prit la plume, et publia, sous le titre de : Oraison
funèbre de Bonaparte, i>ar une société de gens de lettres ,
■prononcée au Luxeinbourg , «m Palais Bourbon et ail-
lerirs (Paris, 1814, Delaunay), le curieux recueil de toutes
les basses adulations prodiguées à Napoléon par ses liants
fonctionnaires, et insérées à diverses époques au Moniteur.
Pendant les Cent-Jours il fit acte de bon citoyen dans une
courte brocluu-e, où respire l'esprit île 1789, et qui est inti-
tulée : Opinion d'un Français sur l'Acte additionnel aux
Constitutions de l'empire. Il donna la môme année, sous
le voile de l'anonyme, son Dictionnaire des Immobiles,
par ïin homme qtii jusqu'à présent n'a rien juré et n'ose
nirer de rien (Paris, septembre 1815), publication qui lui
a fait à tort attribuer la paternité du Dictionnaire des Gi-
rouettes. On sent que Beuchot ne prend le mot immo-
bile (lue dans une acception toute favorable et par opposi-
BEUCHOT — BEUDANT
tion h girouette. Ses Immobiles ne sont autres que de
fermes et généreux citoyens, tels que Lanjuinais, Lafayette ,
Daunou , Stanislas Gù-ardin, etc. , etc.
Nous ne mentionnerons pas ici tous les autres travaux
de Beuchot , et nous nous bornerons à parler de sa ma-
gnifique édition de Voltaire en 70 volumes, commencée
en 1828 et terminée en 1834. C'est la plus correcte et la plus
complète qui existe. Beuchot ne s'est pas contenté de lire son
auteur, il en a lu tous les réfutateurs, les Fréron, les La
Beaumelle, les Nonotte, les Patouillet, les Clément; et
quand il a trouvé que par hasard ils avaient noté quelque
point à propos, il en a tenu compte. Deux volumes d'index
ou de table alphabétique des matières, publiés en 1841,
facilitent singulièrement les recherches, et achèvent de
donner la clef de cette œuvre immense. Cette édition, fruit
de vingt ans de travaux , est et restera le plus beau fleu-
ron de la couronne de Beuchot. On lui doit aussi une édi-
tion du Dictionnaire de Bayle en IG volnmes.
Ce laborieux bibiiogrnplie reçut, le4 mars 1831, la déco-
ration de la Légion-d'Honneur; et la Chambre des Députés
ayant perdu son bibliothécaire à la fin de 18.33, Beuchot
fut élu, au scrutin, le 18 janvier 1834 , pour en remplir les
fonctions, qu'il n'a quittées que peu de temps avant sa
mort, arrivée en 1851.» Ch. Romey.
BEUDANT (FRATsçois-SuLncE), membre de l'Aca-
démie des Sciences, un des minéralogistes les plus distingués
de notre époque, était né le 5 septembre 1787, à Paris. Ar-
rivé à l'âge de vingt et un ans sans avoir encore aucune
carrière ouverte devant lui , Beudant , devenu maître de
disposer à son gré du faible patrimoine que son père lui
avait laissé , n'hésita pas à le sacrifier tout entier pour ,
assurer un peu d'aisance à sa mère. Ne voulant devoir qu'à
son travail les moyens d'existence dont il aurait lui-même
désormais besoin, il entra comme élève à l'École Normale,
où il se prépara à suivre la caiTière ardue et obscure d'».
l'enseignement .secondaire. Il s'y distingua bientôt, et, a|)rès
une année d'études solides , il obtint une chaire de mathé-
matiques au lycée d'Avignon.
«... Dix ans plus tard, a dit M. Milne-Edwards , après
avoir occupé avec distinction la chaire de physique au
lycée de Marseille, et avoir acquis un rang élevé dans la
science par ses nombreux travaux de recherches , Beudant
fut désigné par l'Académie des Sciences et par le Collège de
France pour remplir la place de professeur de physique dans
ce dernier établissement. L'ordonnance du roi Louis XYIII
qui lui conférait ce titre était déjà signée par ce monarque,
lorsque notre modeste collègue apprend que son ami Am-
père désirait vivement obtenir cette position, et en avait
réellement besom pour pouvoir s'occuper d'expériences dont
l'importance bu était connue ; il pensa peut-être aussi que
les droits scientifiques d'Ampère étaient supérieurs aux
siens, et, n'obéissant qu'au noble mouvement de son cœur,
il courut chez le ministre, demanda l'annulation de l'or-
donnance rendue en sa faveur, et destinée à paraître dan.>
le Moniteur du lendemain ; plaida avec chaleur la cause
de son ami, et, ne pouvant dans cette première entrevue
vaincre la résolution déjà prise par M. Corbière , dans les
attributions duquel le Collège de France était alors placé , I
il insista sans relâche, pendant quinze jours, pour obtenir
le remplacement qu'il sollicitait comme bien d'autres au-
raient sollicité une faveur; et enfin, pour trancher la ques-
tion, il rendit sa démission publique par la voie de la presse.
Cet acte d'un désintéressement si rare ouvrit à Ampère ,
les laboratoires de physique du Collège de France, où il
fit bientôt après ses belles découvertes sur l'électro-magné-
tisme; et Beudant, en voyant son ami rendre à la science
de pareils services , se sentit heureux d'avoir été la cause
première de ses succès , et trouva dans la gloire d'Ampère
la récompense du sacrifice qu'il s'était lui-môme si gêné- ,
reusement imposé. »
BEUDANT — BEUGNOT
125
Le? recherches par lesquelles Beudant se fit d'abord con-
naître portèrent sur la zoologie , et avaient principalement
pour objet les mollusques; elles datent de ISIO, et on cite
surtout ses expériences sur la possibilité de faire ■vivre des
mollusques d'eau douce dans les eaux salées , et des mol-
lusques marins dans les eaux douces ; question qui intéresse
les géologues ainsi que les physiologistes , et qui avait été
soulevée parla découverte d'un mélange de coquilles fossiles
fluviales et marines dans les grès de Beauchamp , fait dont
la science était également redevable à Beudant.
Mais ses travaux les plus nombreux et les plus unportants
sont relatifs à la minéralogie et à la géologie. Chargé en
1815 de faire transporter d'Angleterre en France une belle
collection minéralogique formée par le comte de Bourraont
et appartenant à Louis XVill , collection que l'on voit au-
jourd luii an Collège de France, Beudant hit bientôt après
noumié sous-directeur de ce cabinet; et dès ce moment il
se consacra spécialement à l'étude du règne minéral. En 1818
il visita la Hongrie, et y recueillit les matériaux d'un grand
ouvrage sur la constitution géognostique de ce pays :
Voyage minéralogique et géologique en Hongrie, etc.
(Paris, is;.2). On y remarque surtout ses observations sur
le terrain aurifère de Schemnitz, dont il a déterminé la
position géologique et le mode probable de formation ; sur
les tracliytes qui abondent en Hongrie ; sur les opales de ce
pays si célèbre en bijouterie, et sur l'âge des g(:ands dépôts
de se! gemme de Villiczka. il entreprit aussi vers la môme
époque de nombreuses expériences sur les causes qui peu-
vent faire varier les formes cristallines, et il publia sur ce
sujet, dans les Annales des Mines de 1818, un mémoire
où il montra que si le système cristallin est lié avec la
composition chimique, les formes variées qui en dépendent
sont le résultat des circonstances qui se produisent pendant
l'acte de la cristallisation. Ce beau travail, qui restera tou-
jours comme un modèle de recherches cristallographiques ,
fut suivi de plusieurs mémoires importants. 11 avait précé-
demment fait paraître dans les Annales des Mines de 1817
des Recherches tendant à déterminer Vimporlance rela-
tive des formes cristallines et de la composition chimique
dans la détermination des espèces minérales.
Depuis 1822 jusqu'à 1840, Beudant occupa la chaire de mi-
néralogie à la Sorbonne, et donna à l'enseignement de cette
science un caractère de généralité qui mancpjait jusqu'alors.
Le Traité de Minéralogie qu'il publia en 1824 renferme la
substance de ses leçons , et fait connaître avec détail sa clas-
sification naturelle des minéraux. Dans cet ouvrage, Beu-
dant, comprenant qu'il ne fallait pas refaire l'immortel
traité de H au y, a spécialement étudié la minéralogie sous
le rapport chimique. On lui doit aussi un Traité de Phtj-
sique; et dans ces dernières années il a publié pour l'ensei-
gnement élémentaire de la géologie un petit manuel dont le
succès a été si grand que déjà ce Uvre a eu cinq éditions,
Membre de l'Académie des Sciences depuis 1824, Beudant
«piilta la Faculté en 1840, pour aller renq)lir dans l'Uni-
versité des fonctions adminislratives. Inspecteur général de
l'instruction publique, il s'acquitta avec zèle et intelligence
de tous ses devoirs jusqu'à son dernier moment. Il mourut
le y décembre 1850. E. MEr.uEux.
BEUDli\( Jacques-Félix), ancien banquier, auteur dra-
matique et député, né à Paris, le 12 avril 179G, n'est
guère connu par le côté le plus curieux de sa triplicité phé-
noménale ( pour parler comme l'honorable M. Cousin), nous
voulons due par sa qualité d'auteur dramatique. M. Beudin
est cependant auteur, en collaboration avec MM. Goubaux,
Victor Ducange et Alexandre Dumas, de deux des drames
de la nouvelle école qui ont obtenu le plus de succès dans
les dernières années de la Bestauration : Trente Ans, ou
la Vie d'un Joueur, et Richard d'Arlington. Il fut, avec
ces messieurs, l'un des précurseurs et des introducteins au
théâtre du genre romantique, qui violait, aux grands ap-
plaudissements du public, les trois unités qui ne sont pas
d'Aristote , quoi qu'on dise. On ne sait comment ni à quel
propos vint à M. Félix Beudin, banquier, et à iM, Prosper
Goubaux, chef d'une maison d'éducation, l'idée de cetta
croisade dramatique. Ce qu'il y a de certain , c'est qu'ils
convinrent de prendre un pseudonyme formé de la fin du
nom du premier réunie à la fin du nom du second, ce qui
fit DiN\cx, nom devenu célèbre dans les fastes du théâtre,
et qui , à la suite de la dissolution de la société littéraire
des deux amis après ces deux œuvres, échut en héritage à
M. Goubaux, qui n'a pas cessé de l'exploiter depuis.
La banque et la politique absorbèrent ensuite tout M. Beu-
din. En 1837, M. Paturle, député de Paris, étant mort,
M. Beudin se présenta pour le remplacer aux électeurs
du 8"* arrondissement. Son concurrent était le statuaire
David (d'Angers) ; M. Beudin l'emporta ( 4 novembre 1837 ),
et fut admis à la Chambre le 21 décembre suivant. Il alla
prendre place au centre dans le bataillon sacré des conser-
vateurs , et ne cessa pas de voter avec le ministère. Dans
sa carrière législative, IM. Beudin eut quelques vagues vel-
léités littéraires, qu'il trouva le moyen de satisfaire au
grand avantage de ses intérêts électoraux : c'est ainsi que
le 18 janvier 1841 il montra un beau zèle pour les lettres,
dans un rapport à la Chambre des Députés, à propos d'un
crédit de "6:5,000 fr. demandé pour être appliqué aux dé-
penses des travaux à faire à la Bibliothèque de l'Arsenal. No-
dier avait été l'inspirateur de la demande, qui eut un plein
succès. Ch. RoMEV.
j\Ialgré cela, les électeurs préférèrent M. Bethmont en 1 842 ;
mais en 1846 ils en revinrent à M. Beudin, qui était au
nombre des satisfaits , lorsque la révolution de février mit
fin à la mission de la Chambre des Députés. Déçu dans la
politique, il quitta la banque, et du fond de sa retraite
peut-être rêve-t-il au théâtre, qui seul fait encore quelquefois
penser à lui.
BEUGIVOT (Jacques-Claude, comte), né en 1701, à
Bar-sur-Aube, et qui en 1788 exerçait les fonctions de lieu-
tenant général du présidial de cette ville, est à coup sftr
un des hommes qui depuis la révolution ont traversé le
plus de places et d'emplois. Procureur général syndic du
département de l'Aube en 1790, il y fut nommé l'année
suivante député à l'Assemblée législative. C'est là qu'il
commença à se faire connaître comme orateur distingué.
Deux circonstances signalèrent honorablement ce début de
sa carrière politique. Zélé défenseur de la liberté des cultes,
Beugnot, dans une discussion sur cet objet, proposa, tout
en accordant des traitements aux seuls prêtres assermentés,
de laisser aux communes la faculté de salarier elles-mêmes
les autres prêtres qu'elles désireraient conserver, en bornant
l'action du pouvoir, dans ce cas, à la répression des troubles
qui pourraient en résulter pour l'ordre public. L'époque
n'était pas à la tolérance, cette proposition fut rejetée.
Plus tard Beugnot ne montra pas moins de sagesse , et fit
preuve de courage en demandant contie Marat un décret
d'accusation pour avoir provoqué, par ses discours et ses
écrits, l'assassinat du général Dillon, décret qu'il obtint de
l'Assemblée, mais qui n'eut point de résultat. Il dénonça
aussi la Commune et le ministre de la justice relativement
à la publication du journal l'Ami du Peuple. Un tel sou-
venir devait être en 1793 sa sentence de mort. En effet
il fut arrêté au mois d'octobre de cette année ; mais il eut
le bonheur d'être oublié dans l'immense population des
prisons jusqu'au 9 thermidor, qui lui rendit la liberté.
Le 18 brumaire ramena Beugnot sur la scène politique.
Tour à tour conseiller intime de Lucien Bonaparte, préfet
de la Seine-lnferieure, conseiller d'État, président du collège
électoral de la Haute-Marne, ministre des finances du
royaume de Westplialie sous Jérôme Bonaparte, puis du
giand-duclié de Berg et de Clèves sous Murât, il fut en
outre nommé comte de l'empire et grand-officier de la
126
l-égion d'Honneur. Revenn dans sa patrie en 1813, après
la fatale journée de Leipzig, il fut nomn.é préfet du Kord,
et lorsque le sénat, en 1814, prononça la déchéance de
l'empereur, il reçut du gouvernement provisoire le porte-
feuille de l'intérieur ; Louis XVIII lui confia bientôt la di-
rection générale de la policé, et les gens de cette époque
n'ont pas oublié sa fameuse ordonnance sur la stricte
observation du dimanche, qui donna lieu à tant de plai-
santeries.
Il était d'autant plus étonnant que Beugnot eût ainsi prêté
le flanc à la raillerie , qu'il avait lui-môme , outre ses autres
talents , beaucoup de cet esprit français, fécond en saillies
et en bons mots. Un des meilleurs est sans doute celi;i
qu'il laissa , dit-on , échapper dans un comité secret de la
Chambre de 1815, où il eut l'honneur de faire partie de la
minorité. Un des introuvables demandait que la figure du
Christ sur la croix fût placée au-dessus du président : « Je
demande de plus, dit alors le caustique orateur, que
l'on inscrive au-dessous ses dernières paroles : « Mon
« Dieu , pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ! »
Au commencement de 1815 il échangea la direction de
la police contre le portefeuille de la marine ; mais Napoléon
étant revenu de l'Ile d'Elbe, Beugnot suivit Louis XVIII à
Gand. Après le second retour des Bourbons, il devint suc-
cessivement directeur général des postes, ministre d'État,
membre du conseil privé, président de plusieurs collèges
électoraux; de plus, député presque inamovible, il fut
aussi , dans beaucoup de sessions , rapporteur de la com-
mission du budget. Pair de France en expectative depuis
le règne de Louis XVIII , et ayant dès lors dans sa poche,
à ce que l'on a prétendu, sa lettre dénomination, sans qu'une
ordonnance officielle l'en fit jamais sortir, le comte Beu-
gnot, qu'on a surnommé, à bon droit, le Tantale de la
pairie, n'obtint pas même du gouvernement de Juillet
cette faveur, si désirée et si longtemps attendue. Il est mort
à Bagneux, le 24 juin 1835, laissant de curieux mémoires,
dont la Revue Française a publié des extraits en 1839.
BEUGNOT (Arthur-Auguste, comte), membre de l'Ins-
titut ( Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ), fils aîné du
précédent, et de VÉmilie à laquelle Demoustier adressa
ses Lettres sur la Mijthologie, est né à Bar-sur-Aube, le 25
mars 1797. L'année, de désastreuse mémoire, qui vit les
étrangers traiter Paris en ville conquise , le trouva termi-
nant ses études dans un lycée impérial. Il en sortit vers la
troisième année de la Restauration , pour suivre les cours de
l'École de Droit. Reçu avocat très-jeune , il fit son stage,
plaida plusieurs causes civiles devant la cour royale de
Paris, et défendit quelques accusés politiques devant la
CQur des Pairs , mais non sans cultiver les sciences et les
lettres. La muse de l'histoire le détourna bientôt du palais.
En 1820, l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ayant
proposé pour sujet de prix cette question : « Examiner quel
« était à l'époque de l'avènement de saint Louis l'état du
« gouvernement et de la législation, et montrer quels étaient
« à la fin de son règne les effets des institutions de ce prmce, »
M. Beugnot concourut, et partagea le prix ex œquo avec
M. Mignet, alors avocat à Aix, aujourd'hui son confrère à
l'Institut. Son travail fut publié en 1821 , sous le titre de :
Essai sur les Institutions de saint Louis.
Peu de temps après , la même Académie proposa un au-
tre sujet de prix : « Examiner l'état civil , religieux et lit-
« téraire des juifs en France, en Espagne et en Italie, depuis
« le commencement du douzième siècle jusqu'à la fin du
« seizième. » M. Beugnot fut moins heureux celte fois, et n'ob-
tint qu'une mention honorable. 11 n'en publia pas moins
son travail sous ce titre : Les Juifs d'Occident, ou Recher-
ches sur l'état civil, le commerce et la littérature des
Juifs en France, en Espagne et en Italie , pendant la
durée du moyen âge ( 1824 ).
Dès cette époque, dit-on, M. Beugnot s'occupait de deux
BEUGNOT — BEUR.NONVILLE
ouvrages qui, après longues années, sont encore à p.-iraîlre;
l'un devait être intitulé : Recherches sur les cérémonies re-
ligieuses symboliques usitées dans rancienne jurispru-
dence des Français , et l'autre : Aperçu de l'influence que
les corporations d'arts et métiers ont exercée sur le gou-
verneynent municipal de la France. En 1829 il rentrait
de nouveau dans la lice des concours académiques, et ob-
tenait une nouvelle couronne pour un mémoire intitulé :
Des Banques publiques de prêts sur gages, et de leurs
inconvénients. Enfin, M. Arthur Beugnot reçut en 1832
une dernière palme académique pour un ouvrage qui lui
ouvrit la même année les portes de la classe qui venait de
le couronner. Son mémoire avait pour titre : Histoire de la
Destruction du Paganisme en Occident.
Vers 1840, le ministre de l'instruction publique confia à
M. Beugnot le soin de publier, pour la Collection des do-
cuments inédits sur l'histoire de France, les Olim, ou re-
gistres des arrêts rendus par la cour du roi sous les règnes
de saint Louis, de Philippe le Hardi, de Philippe le Bel , de
Louis le Hutin et de Plnlippe le Long. On connaissait l'im-
portance de ces registres ; mais la gloire de M. Beugnot n'eût
pas été moindre sans doute s'il se fût rappelé davantage ce
qu'il pouvait devoir au laborieux archiviste qui avait passe
une partie de sa vie à mettre en ordre ces actes qu'il n'avait,
lui, que la peine de faire imprimer, et qu'il a fait précéder de
préfaces dont ses travaux antérieurs font en partie les frais.
On doit encore à M. Beugnot une édition des Assises de
Jén(salem , ou recueil des ouvrages de jurisprudence com-
posés pendant le treizième siècle dans les royaumes de Jé-
rusalem et de Chypre, et une Chronologie des états gé-
néraux {Annuaire de la Société d'Histoire de France
pour 1840).
Arrivé à la Chambre des Pairs sous les dernières années
du règne de Louis-Philippe, M. le comte Beugnot y faisait,
avec le marquis de Barthélémy, partie do cette fameuse
triade néo-catholique dirigée par M. deMontalembert,
qui se signala surtout dans sa croisade en faveur de... d'autres
diraient contre la liberté de l'enseignement. On le vit en
1845 prendre chaudement le parti des jésuites, et prétendre
que le gouvernement était impuissant contre eux. Il regret-
tait que le ministère eût déserté la défense de la liberté reli-
gieuse. « C'était, disait-il, un moyen de réconciliation avec
un parti séparé du gouvernement par une simple question
dynastique, et que le bonheur dont la France jouissait de-
vait appeler à se rallier à la grande famille nationale. » Ces
avances furent entendues du gouvernement de Louis-Philippe :
on se rapprochait beaucoup quand la révolution de Février
survint. Si le parti qui prétendait que les jésuites n'avaient
ni armées ni trésors n'avait pas aidé à cette révolution, il
n'y avait du moins pas nui. Il ne se laissa donc pas abattre,
et après un an de troubles il entrait en force à l'Assemblée
législative. M. Beugnot avait trouvé le moyen de se faire
élire le troisième dans la Haute- Marne. Uni à cette majorité
de confusion qui avait pu faire de M. Thiers un défenseur
des jésuites, M. Beugnot, un des dix-sept burgraves qui
suspendirent le suffrage universel, fut le rapporteur de la loi
sur l'instruction publique qui , sous le prétexte de liberté,
devait remettre l'enseignement tout entier dans la main du
clergé. 11 en fut récompensé par l'Institut, qui le chargea
de le représenter dans le conseil supérieur. Après le 2 dé-
cembre 1851 nous retrouvons M. Beugnot dans la commis-
sion consultative. Nous ne savons trop ce qu'il est devenu
depuis. Ah! s'il pouvait être rendu à l'étude! peut-être fini-
rait-il ces deux importants ou\Tages que depuis si longtemps
il promet à ses amis.
BEURNOXVJLLE ( PiEKRE RIEL, comte, puis mar-
quis de), pair, maréchal de France, ministre d'État, mem-
bre du conseil privé, etc., né le 10 mars I7C2, à Champigno-
les, près de Bar-sur-Aube, fut destiné par ses parents à l'état
ecclésiastique; mais, entraîné par son goût pour l'état mi-
BEUR^lO^ViLLE — BEURRE
127
litaire, il fut admis à l'âge de quatorze ans dans le corps des
gendarmes de la Reine. En 1775, ayant passé avec le grade
de sous-lieutenant dans le régiment colonial de l'ile de
France, il se signala dans les trois campagnes de l'Inde,
sous les ordres de Suffien( 1778-1781). Il était comman-
dant des milices de l'île Bourbon lorsqu'au moment de la
révolution de 17S9 il fut destitué par le gouverneur. Il
porta ses plaintes au ministre , et même à l'Assemblée na-
tionale , et pour tout dédommagement obtint la croix de
Saint-Louis. Au commencement de 1792 Beumonville était
aide de camp du maréchal Luckner , avec le grade de colo-
nel ; il passa maréchal de camp au mois de mai de celte
même année. Chargé de la défense du camp de Maulde, il
résista pendant plusieurs mois à des forces supérieures. Ce
fut à cette occasion que le général en chef Dumouriez , qui
l'avait pris en affection, le surnomma, à cause de sa haute
stature et de son courage impétueux, YAjax français.
Beumonville prit part aux journées de Valray et de Jem-
mapes. Il reçut le jour môme ( 4 novembre 1792 ) la mission
d'aller conquérir le Luxembourg, tandis que Dumouriez
envahissait la Belgique. Beumonville n'effectua pas cette
conquête sans difficulté ni sans éprouver des perles, que
dans ses rapports officiels il dissimulait soigneusement.
C'est dans un de ces rapports qu'il ne craignait pas de dire
que l'ennemi avait perdu beaucoup de monde, mais que les
l' rançais en avaient été quittes pour le petit doigt d'un
chasseur.
Quand d'ennemis tués on compte plus de mille.
Nous ne perdons qu'un doijt, encor le plus petit.
Holà! monsieur de Beumonville,
Le petit doigt n'a pas tout dit.
Telle fut l'épigramme qui flétrit cette impudente gascon-
nade. Beumonville prit ses quartiers d'hiver derrière la
Sarre. C'est là que, dans les premiers jours de février 1793,
il reçut sa nomination au département de la guerre , à la
place de Pache. Entouré de difficultés, il ne tarda pas à
offrir à la Convention sa démission pour retourner à l'armée.
Après de vifs débats, cette démission ne fut acceptée
qu'à la condition que le ministre rendrait ses comptes avant
de partir. Il venait de les rendre, lorsqu'une nouvelle
nomination aux mômes fonctions , du 4 mars 1793, le força
de rester. C'était le parti modéré qui avait ménagé cet
interrègne ; aussi , plus que jamais , Beumonville se vit-il en
butte à l'animadversion du parti jacobin , qui tenta même
de l'assassiner. La lettre qu'il reçut alors de Dumouriez , et
dans laquelle ce général exhalait ses plaintes contre la Con-
vention, mit le comble aux embarras de Beumonville, qui
ne crut pas pouvoir se dispenser de communiquer cette
lettre à l'Assemblée. Un décret d'accusation s'ensuivit contre
Dumouriez, et Beumonville fut adjoint aux commissaires
chargés d'aller l'arrêter dans son camp. Lorsque Dumouriez
donna l'ordre d'arrêter ces commissaires, il allait excepter
de cette mesure Beumonville, qui, s'approcliant de lui, lui
dit tout bas : Vous me perdez. Dumouriez le comprit, et le
(it arrêter comme les autres. Livré aux Autrichiens, il fut
incarcéré dans diverses forteresses pendant trente-trois mois,
dont il passa vingt-sept accablé par la fièvre et par les mau-
vais traitements. Échangé, en novembre 1795, avec les
; utres commissaires contre la fille de Louis XYI, il rccon-
' ;a son grade, et fut chargé du commandement de l'armi-e
'^ambre-et-]Mcnse, qu'il ne conserva que quelques mois.
trouvant à Paris en 1797, il se lia avec Pichegru et quel-
([ues autres membres du parti clichien, et, porté par eux au
Directoire, il ne lui manqua que peu de voix pour l'emporter
sur Barthélémy. Toutefois, après le 18 fructidor, loin d'être
inqm'été par la faction qui triomphait, il fut investi par
le Directoire du commandement de l'armée de Hollande,
et chargé de faire dans ce pays de la propagande républi-
caine, il paraît qu'on ne le trouva pas à la hauteur ; on lui
donna pour successeur Joubert, et il revint à Paris avecle
titre d'inspecteur général , comme dédommagement.
Au 18 bramaire, Beumonville se montra un des fauteur?
les plus zélés des projets de Bonaparte. Il en fut bientôt ré^
compensé par l'ambassade de Berlin ; mais il se trouva ef-
facé par Duroc , qui , possesseur de toute la confiance du
premier consul, était seul instruit des secrets les plus im-
portants. Beumonville fut chargé d'intimer à la cour df
Berlin l'ordre d'arrêter Précy et quelques autres royalistes
qui s'étaient réfugiés à Baireuth. A son retour à Paris, il
rapporta une correspondance qui révélait toutes les intrigues
du parti royaliste, et que le gouvemement consulaire s'em-
pressa de faire imprimer sous ce titre : Papiers saisis à
Baireuth ( 1 vol. in-S", 1800 ). BeurnonviUe fut envoyé en-
suite, en la même qualité, à Madrid; mais il fut bientôt rap-
pelé, le premier consul ne trouvant pas qu'il montrât assez
de capacité ni d'énergie dans cette mission toute d'exigences
en\ers la faible cour d'Espagne. Nommé alors membre du
sénat, grand-officier de la Légion d'Honneur, comte de
l'empire, Beumonville eut le chagrin de se voir seul, de tous
les généraux de la révolution qui avaient commandé en chef,
exclu du titre de maréchal. Bonaparte, si l'on en croit le
Mémorial de Sainte-Hélène, ne lui accordait aucune ca-
pacité militaire. Le seul emploi dont il fut encore investi
sous l'empire fut celui de commissaire extraordinaire dans
les départements de l'Est, en 1814; mais il ne remplit pas
longtemps cette mission. Les événements qui amenèrent la
chute de Napoléon élevèrent Beumonville au gouvernement
provisoire, lequel servit de transition au rappel des Bour-
bons.
Louis XVIII, à peine de retour, le nomma pair de France et
membre de son conseil privé. Proscrit , par un décret, pen-
dant les Cent-Jours, Beumonville suivit à Gand Louis XVIII,
et après la seconde Restauration rentra dans toutes ses
dignités. Il fut au mois d'août 1815 nommé président du
collège électoral de la îtloselle , adressa aux électeurs une
allocution très-royaliste, et tint toujours le même langage
quand il eut occasion de prendre la parole dans la Chambre
des Pairs. A son retour des élections , désigné pour présider
la commission chargée d'examiner les réclamations des an-
ciens officiers vendéens, il s'acquitta avec beaucoup d'impar-
tialité de cette mission délicate. C'est alors que Louis XVIII
le nomma commandeur de l'ordre de Saint-Louis, puis,
en 1816, marquis, maréchal de France, cordon-bleu, etc.
Beumonville mourut le 23 avril 1821. Ch.Du Rozom.
BEURRE (en latin butyrum, formé du grec poù-njpov,
composé de pov;, vache, et de Tupo?, lait, fromage), sub-
stance grasse et onctueuse que l'on obtient du 1 a i t ou de la
crème épaissie par le battage.
Les Grecs n'ont connu le beurre que fort tard : Horaèr£,
Théocrite, Euripide et les autres poètes grecs parlent sou-
vent de lait et de fromage, jamais de beurre. Aristote a réuni
plusieurs choses remarquables touchant le lait et le fromage
dans ïon Histoire des Animaux (III, 20 et 21) ; il n'a pas
dit un mot du beurre. Il paraît que les Grecs durent la
découverte du beurre aux Scythes , aux Thraces ou aux
Phrygiens, et que ce seraient les Germains qui en auraient
fait connaître l'usage aux Romains. Pline (XVlII, 9) dit que
le beurre était un mets délicieux chez les nations barbares,
et qui faisait distinguer les riches d'avec les pauvres; mais
les Roraams ne s'en servirent que comme remède, et non
comme aliment, de même que les Espagnols, qui n'en firent
pendant très-longtemps que des topiques pour les plaies.
Dans les ordonnances indiennes de Wishnou, écrites douze
siècles avant l'ère chrétienne, il est question, dit Beckmann,
de beurre pour certaines cérémonies religieuses; il ea est
parié aussi dans la Genèse (XYIII, 8) ; mais le même auteut
prétend que c'est une méprise du traducteur, et que le mot
devait être rendu par celui de crème ou de lait aigri.
Dura.it les premiers siècles de l'Église, dit Clément d'A-
128
BEURRE
lexandrie , on brûlait du beurre dans les lampes au lieu
d'huile; cette pratique s'obseiTe encore dans l'Abyssinie.
Comme nos provinces méridionales sont les seules où l'olivier
puisse croître avec un certain avantage, il ne s'est jusque ici
que peu multiplié en France : aussi la quantité que produi-
saient ces provinces n'a-t-elle jamais été suffisante , à
beaucoup près, pour la consommation du royaume. Ce fut
cette disette qui, en 817, porta le concile d'Aix-Ia-Chapellc
à permettre aux moines l'usage du jus de lard; plus tard,
en 1401, le souverain pontife permit à la reine Anne, puis
ensuite à la Bretagne, et successivement à nos autres pro-
vinces, l'usage du beurre en assaisonnement pour les jours
maigres. Il a existé longtemps dans les églises un tronc pour
le beurre, c'est-à-dire pour la permission qu'on obtenait
d'en manger dans le carôme. La cathédrale de Rouen a une
tour appelée la tour de Beurre, nom qui lui vient de ce que
Georges d'Amboise , qui était archevêque de celte ville
en 1500, voyant que l'huile manquait dans son diocèse
pendant le carôme , autorisa l'usage du beurre, à condition
que chaque diocésain payerait six deniers tournois pour
obtenir cette permission. L'argent qu'on recueillit ainsi
servit à la construction de cette tour, Notre-Dame de Paris
et la cathédrale de Bourges ont aussi une tour du môme
nom , dont la construction doit être sans doute attribuée à
la même source et au même principe.
Le beurre est la partie grasse, huileuse et inflammable du
lait. Celte espèce d'huile est distribuée naturellement dans
toute la substance du lait, en molécules très-petites, qui sont
interposées entre les parties caséeuses et séreuses de cette
liqueur, entre lesquelles elles se tiennent suspendues à l'aide
d'une très-légère adhérence, mais sans être dissoutes. Cette
huile est dans le même état où est celle des émulsions ; et
c'est par cette raison que les parties butyreuses contribuent
à donner au lait le même blanc mat qu'ont les émulsions,
et que , par le repos , ces mêmes parties se séparent de la
liqueur et viennent se rassembler à sa surface , où elles
forment une crème. Tant que le beurre est seulement dans
l'état de crème, ses parties propres ne sont point assez unies
les unes aux autres pour qu'il se forme en une masse homo-
gène ; elles sont encore à moitié séparées par l'interposition
d'une assez grande quantité de parties séreuses et caséeuses.
On perfectionne le beurre en exprimant, par le moyen d'une
percussion réitérée, ces parties hétérogènes d'entre ses par-
ties propres ; alors il est en une masse uniforme et d'une
consistance molle. La liqueur qui reste après que le lait a
été battu et converti en beurre, porte le nom de babeurre
ou lait de beurre : elle renferme du caseum et une petite
quantité de beurre.
Le beurre récent, et qui n'a éprouvé aucune altération,
n'a presque point d'odeur ; sa saveur est très-douce et
agréable ; il se fond à une chaleur très-faible, et ne laisse
échapper aucun de ses principes au degré de l'eau bouillante.
Ces propriétés, jointes à celles qu'a le beurre de ne pouvoir
s'enllammer que lorsqu'on lui applique une chaleur bien
supérieure à celle de l'eau bouillante, capable de le dé-
composer et de le réduire en vapeurs, prouve que la partie
buileuse du beurre est de la nature des huiles douces, grasses
et non volatiles, qu'on retire de plusieurs matières végétales
par la seule expression. La consistance demi-ferme qu'a le
beurre est due, comme celle de toutes les autres matières
buileuscs concrètes , à une quantité assez considérable
d'acide butyrique qui est uni dans ce corps composé à la
partie huileuse ; mais cet acide est si bien combiné qu'il
n'est aucunement sensible lorsque le beurre est récent et
tant qu'il n'a reçu aucune altération. Lorsque le beurre
vieillit et qu'il épionve une sorte de fermentation, alors cet
acide se développe de plus en plus, et c'est la cause de la
rancidité qu'ac(iiiicrt le beurre avec le temps, comme les
huiles douces de son esp('-ce.
La fabrication du beurre intéresse vivement l'économie
domestique, et n'est pas un des produits les moins impor-
tants de la ferme dans certaines contrées. On aura sur-le-
champ une idée de celte importance pour les environs de
Paris, quand on saura que cette ville consomme annuelle-
ment pour environ onze millions de francs de beurre. La fa-
brication du beurre est d'ailleurs facile et ne demande que des
soins et une propreté qui malheureusement ne sont pas aussi
communs qu'on pourrait toujours le désirer. Le beurre,
comme nous l'avons dit en tête de cet article , s'obtient ou
du lait ou de la crème : la première méthode est moins éco-
nomique; cependant on l'emploie dans quelques localités,
surtout dans les départements du Nord, où le lait de beurre
sert à la nourriture des gens de la ferme. L'usage de tirer le
beurre de la crème est plus général et permet d'employer le
lait à faire des fromages maigres. Pour opérer la séparation
de la crème d'avec le lait, il faut mettre ce dernier, au sortir
de l'étable , dans des vaisseaux de ferre évasés , tenus pro-
prement et dans un lieu frais; en été, cinq ou six heures
suffisent pour opérer l'ascension des parties crémeuses; en
hiver, il en faut au moins vingt-quatre pour que cette
séparation soit complète ; on s'en assure en posant le doigt
légèrement sur la surface, et dès qu'on l'en retire intact, c'est
un signe certain que toute la crème est montée. L'écrémage
fif fait de diverses manières, mais la pratique la plus géné-
rale et la plus simple consiste à l'enlever au moyen d'une
cuillère presque plate et assez large.
On trouvera à l'article BAnATTE le détail des diverses
machines employées au battage et à la fabrication du beurre.
Nous ferons seulement remarquer ici que dans l'hiver le
beurre est lent à se séparer, et qu'on fera bien, pour en
hâter la formation, d'envelopper la baratte d'un linge chaud
en opérant près du feu et en ajoutant à la crème une cer-
taine quantité de lait chaud. Quant aux matières étrangères
conseillées quelquefois dans le même but, il vaux mieux
s'en abstenir que de risquer de nuire à la qualité du beurre ;
ce qui s'est vu très-souvent. En été , et dans les grandes
chaleurs, il faut procéder tout différemment, ne travailler à
la fabrication du beurre que le malin, dans un lieu frais, en
observant même de placer, au besoin, la machine dans une
cuve pleine d'eau fraîche, précaution nécessaire pour em-
pêcher la crème de s'aigrir. Lorsque le beurre est tait, ce
dont on s'aperçoit aisément à une sorte de granulation qui
se précipite , on retire le petit-lait. Si le beurre doit être
consommé frais, surtout pour la table, et qu'il ait été fait
avec de la crème nouvelle , on se contente de le pétrir lé-
gèrement avec une cuillère de bois et de le laver à l'eau
fraîche. Neuf kilogrammes de lait donnent environ cinq
cents grammes de beurre; ce qui est à peu près le produit
d'une vache par jour.
Le beurre d'automne est généralement préféré, parce que
le lait est meilleur dans cette saison , qui est aussi plus fa-
vorable à sa conservation. Il est à remarquer aussi que la
qualité des fourrages influe sur la couleur et le goiil du
beurre, de même que ce produit offre souvent la saveur des
plantes dont la vache a fait sa pâture. La fane des pounnes
de terre produit un beurre trèsnnauvais ; celui qui est fourni
par les vaches nourries de luzerne et de trèfle est de qualité
inférieure; et enfin le meilleur est celui que donnent les
vaches qui paissent dans les prairies naturelles.
Le beurre a une couleur jaune naturelle, plus ou moins
foncée, selon la saison ; mais celui d'hiver est presque blanc,
et la préférence qu'obtiennent en général les beun'es jaunes
a amené l'habitude de colorer ceux qui ne le sont pas. On se
sert ordinairement à cet effet de la fleur de souci , que l'on
recueille et que l'on entasse dans des vases de grès, où elle
dépose une substance jaune et épaisse, dont une très-petite
quantité, délayée dans un peu de lait et jetée dans la baratte,
suffit pour donner la couleur à une certaine quantité de
beurre. On emploie aussi au même usage diflérenles autres
matières colorantes moins innocentes, telles que le safran.
BEURRE — BE VERLAN D
129
la grrune d'asperge, les baies d'alkekenge; mais souvent
la qualité du beurre en est altérée , et il se conserve moins
longtemps.
Le beurre frais peut se conserver quelques jours en été , et
plus longtemps en hiver ; le seul soin à prendre pour cela ,
t'est de le tenir sous une eau fréquemment renouvelée et
dans un lieu frais et aéré ; il suffit même de l'envelopper
d'un linge humide, en observant que ce linge soit toujours
tenu fort propre. Cette conservation, du reste, peut être plus
ou moins longue , selon que la séparation du petit-lait aura
été plus ou moins complète. Quant à la conservation du
beurre pendant un temps plus long, qui peut s'étendre
jusqu'à une et deux années , on l'obtient en le salant ou en
le fondant , ce qui le rend en même temps propre à être
transporté au loin. De ces deux méthodes, la première de-
vrait sans aucun doute obtenir partout l'avantage, car le
beurre salé perd moins de sa quaUté et de son bon goût ,
et il peut se servir sur la table , tandis que le beurrefondu
n'est guère propre qu'à l'usage de la cuisine ; la cherté exces-
sive du sel a pu seule faire choisir si souvent la seconde
méthode, et l'on remarque en effet que dans les cantons
désignés autrefois sous le nom de pays de gabelle l'usage
de saler le beurre était à peine connu , tandis que cette pra-
tique était constamment employée dans ceux qui jouissaient
d'une franchise à l'égard de cet impôt.
La salaison du beurre se fait ordinairement au prin-
temps ou à l'automne ; les chaleurs de l'été , qui nuisent
toujours plus ou moins à la qualité du beurre, doivent faire
préférer cette seconde époque. On emploie communément
le sel blanc pour le beurre fin , et le gris pour le beurre
commun ; mais il est toujours nécessaire que l'un et l'autre
soient bien secs : il faut même faire sécher le sel gris au
four et le broyer grossièrement avant de s'en servir. On
emploie le sel dans la proportion de 60 à 120 grammes par
kilogramme pour le beurre qui doit voyager, et moins pour
celui qui doit être consommé sur les lieux. Pour bien saler
le beurre, on l'étend par couches, que l'on saupoudre à
mesure de sel , et que l'on manipule ensuite partiellement et
en masse pour rendre le mélange bien complet et saler éga-
lement. On le met ensuite dans des pots de grès ou des
tonneaux , et il doit y être foulé avec force et ensuite recou-
vert d'une saumure très-épaisse.
Pour obtenir le beurre fondu , il ne faut pas attendre
que le beurre que l'on a intention de fondre soit ancien ,
parce qu'il aurait pu contracter un état de rancidité que la
chaleur nécessaire à l'opération ne parviendrait jamais à lui
faire perdre entièrement. On prend un chaudron de cuivre
jaune, extrêmement propre , d'une capacité proportionnée
à la quantité de beurre qu'on veut fondre ; on a soin que le
feu auquel il est exposé soit clair, égal , modéré , et d'éviter,
autant qu'il est possible, la fumée, qui , par suite de son
contact avec la surface du beurre fluide et chaud , finirait
par se combiner entièrement avec lui et lui communiquer un
goût désagréable. Au moyen d'une chaleur douce et uni-
forme, le beurre se liquéfie très-facilement , et dès qu'il
commence à frémir, il ne faut plus le perdre de vue. On
l'agite pour favoriser l'évaporation de l'iiumidité, empêcher
qu'il ne monte, et pour enlever à la matière caséeuse in-
terposée dans le beurre son adhérence, sa fluidité et sa so-
lubilité. Bientôt une portion de cette matière recouvre la
surface comme une écume ; on la sépare à mesure qu'elle se
forme ; l'autre , pendant la liquéfaction, se concrète, se
précipite au fond du chaudron , y adhère , et présente une
matière connue sous le nom vulgaire de gratin. Dès que
cette matière est formée, il faut se hâter de diminuer le
feu, car elle se déco.nposerait et conununiquerait au beurre
une mauvaise qualité ; l'indice le plus certain pour juger si
le beurre est parfaitement fondu, c'est lorsque la totalité a
une transparence comparable à celle de l'huile, et qu'il
s'eullauune sans pétiller quand on en jette quelques gouttes
DICT. DE LA CONVERS. — T. IIl,
sur le feu. On achève alors d'écumer le beurre, et on re-
tire le chaudron de dessus le feu. On laisse ensuite reposer
un instant la liqueur sur le feu , puis on la verse par cuil-
lerées dans des pots bien échaudés et séchés au feu , qu'on
recouvre après que le beurre est tout à fait refroidi. Une
autre méthode, que beaucoup de personnes préfèrent, parce
qu'elle entraîne moins d'embarras et qu'elle exige moins de
soins , est d'exposer le beurre au four après que le pain en
est retiré. Pour cet effet , on emploie tout simplement des
pots de terre : le beurre se fond insensiblement , et du soir
au lendemain matin , on le retire , on l'écume et on le laisse
se refroidir. Mais on sent facilement que par cette méthode
le beurre n'est souvent pas assez dépouillé de son humidité,
qu'il est mal écume, et qu'enfin la séparation de la matière
caséeuse ne s'opère pas assez complètement. Un troisième
procédé consiste à tenir le beurre en liquéfaction pendant
un certain temps au bain-marie, et à le verser ensuite par
inclinaison dans des pots de terre. La matière caséeuse,
en se déposant , entraîne avec elle une portion de beurre :
pour l'en séparer entièrement, on ajoute au dépôt une
quantité proportionnée d'eau bouillante , et on remue un
instant le mélange ; après quoi on le laisse en repos jus-
qu'au parfait refroidissement. Le beurre vient surnager à la
surface du liquide , d'où on le retire facilement lorsqu'il est
entièrement figé. On mêle à ce beurre , lorsqu'il n'est en-
core qu'à demi figé, une quantité proportionnée de sel sé-
ché , parfaitement égrugé ; et lorsque son refroidissement
est complet, on le met dans des pots, dont on couvre l.i
surface d'une légère couche de sel pareillement pulvérisé. Ce
beurre, fondu et salé en même temps, s'exporte au loin
sans se détériorer.
On fait du beurre non-seulement avec le lait de vache ,
mais aussi avec le lait de brebis et de chèvre , et même avec
le lait de cavale et d'ûnesse.
L'analogie a fait donner le nom de beurres à plusieurs
produits végétaux ; ce sont en général des matières grasses,
solides, extraites de fruits exotiques, comme les beurres
de Galam {voyez, El^is), de cacao, de coco, de mus-
cade, etc.
BEURRE ( Botanique ). Plusieurs plantes cryptogames
portent vulgairement ce nom. Le beurre d'eau (ulva pru-
ni/ormis) appartient au groupe des ulves d'eau douce. D'a-
près Pallas, il est employé en Sibérie pour guérir les maux
des jambes ou des yeux. Le beurre de fourmi est une es-
pèce d'ulve qui croît dans les fourmilières. Le beurre du
terre est une autre espèce d'ulve qui croît au pied des
sapins.
BEURRE (rAmie). Dans l'ancienne chimie, ce mot
était synonyme de chlorure : c'est ainsi que l'on disait
beurre d'antimoine, beurre d'arsenic, beurre de bismuth,
beurre d'étain , beurre de zinc , au lieu de chlorure d'an-
timoine, etc.
BEURRE DE CIRE. On nomme ainsi la cire dis-
tillée, à cause de sa consistance butyreuse après cette
opération.
BEURRE DEMOWTAGNE, BEURRE DE PIERRE,
ou BEURRE DE ROCHE, matière onctueuse, de couleur
jaunâtre, qui forme de petits amas, et quelquefois des es-
pèces de stalactites dans les cavités des montagnes schis-
teuses de Sibérie ; celte substance est un mélange d'argile,
d'alumine sulfatée, d'oxyde de fer et de pétrole. (Foj/es Alun.)
BEURRÉ, sorte de poire ainsi appelée parce qu'elle
a la chair douce et fondante.
BEUVRON. Voye:> Harcourt.
BEVERLAND (Adrien) , savant Hollandais , qui, par
la nature de plusieurs de ses ouvrages et par les obscénités
qu'on y trouve, excita les plus vives discussions parmi les
théologiens de son temps , était né à Middcibourg , v*rs le
milieu du dix-septième siècle. Il avait étudié le dioil, visité
l'université d'Oxford , et était procureur en Hollande , lors-
17.
130
(priKit paraître, en 1678, l'ouvrage intitulé : Peccatumori-
(jinale. « I,e but<le ce livre est de prouver, dit JI. Depping,
que le péclié d'Adam est son commerce charnel avec Eve,
et que le péché originel est le penchant mutuel d'un sexe
vers l'autre. » A La Haye, on le brûla publiquement parla
main du bourreau, et on emprisonna l'auteur, à qui les
villes de Leyde et d'Utrecht interdirent désormais tout sé-
jour dans leurs murs. De retour à La Haye, il y composa
sous ce titre : De xiolatx virginltatis jure (1680), un
écrit qui l'emportait encore en obscénité sur le premier.
Peu de temps après, il passa en Angleterre, où il trouva
un protecteur dans la personne d'Isaac Vossius , et il pa-
raît même qu'il se fit alors recevoir docteur en. droit à
Oxford. Mais il rencontra parmi les théologiens des ad-
versaires non moins ardents en Angleterre que dans sa pa-
trie, à en juger du moins par les sales pamphlets qu'il com-
posa contre plusieurs chefs de l'Église anglicane. Peut-être
la mort île &on protecteur, Isaac Vossius, en 1689, fut-
elle ce qui le détermina à se rétracter et à exprimer le re-
giet d'avoir employé pou'' démontrer les vérités du christia-
nisme une méthode d'exposition qui avait si justement cho-
(pié le public savant. Il paraît qu'il finit par être atteint
d'aliénation mentale, et qu'il mourut en Angleterre, vers
1712. Malgré les nombreux adversaires qu'il s'était attirés,
Heverland compta des amis parmi les hommes les plus cé-
lèbres de son temps. Il faut reconnaître d'ailleurs que les
opinions qu'il a émises au sujet du péché originel ont été
partagées, tant avant qu'après lui, par un grand nombre
d'auteurs, mais que ceux-ci les ont présentées avec plus de
gravité. Ses ouvrages, devenus extrêmement rares, appar-
tiennent aujourd'hui aux curiosités bibliographiques.
lîEVEULEY(JEANnE), Joannes Beverlacius, arclie-
vê(jue d'York , né à Harpham , dans le Northumberland ,
dans la seconde moitié du septième siècle, mort en 721, com-
mença par être abbé du monastère de Saint-Hilda. En 685
Alfred, roi de Northumberland, lui donna l'évêché d'Hexam,
et deux ans plus tard l'arcbevêclié d'York. Ce prélat ap-
porta un soin tout particulier à favoriser l'étude et la propa-
gation (les lumières. Dans ce but il fonda en 704 , à Beveriey,
un collège pour les prêtres séculiers , où il se retira après
trente-quatre ans d'épiscopat. Bède et quelques autres écri-
vains ecclésiastiques lui ayant attribué divers miracles,
son corps fut exhinné au douzième siècle par Al fric, ar-
chevêque d'York , et exposé dans une châsse magnificjue
à la vénération des fidèles; et en 1416 un synode tenu à
Londres institua une fête annuelle pour célébrer l'anniver-
saire de sa mort. Sa mémoire inspirait une si grande véné-
ration aux populations du Northumberland, que Guil-
laume le Conquérant, lorsqu'il ravage.ait cette province, crut
politique d'épargner la ville de Beveriey.
KEVERN, petit bourg du Brunswick, situé dans le Harz,
h 4 kilomètres de Holzminden, sur la Bever, avec 1,400
habitants. On y voit les ruines de l'ancien château d'E-
berstein. Ce bourg avait donné son nom à une branche colla-
térale, aujourd'hui éteinte, de la maison de Brunswick.
II5EVEll]\(AUGUSTE-GuiLL,VUME, ducDE BRUNSWICK-),
général au service de Prusse [)endant la guerre de sept
ans, était né en 1715, à Brimswick, d'une branche collaté-
rale de la maison de Woli'enbnttel. 11 entra de bonne
heure au service, et fit la campagne de 1734 sur le Rhin,
l'mmu au grade de général, en récompense de la distinc-
tion avec laquelle il avait fait les deux guerres de Silésie
il contribua beaucoup au gain delà bataille de Lovvositz,
livrée le !*■■ octobre i756. L'aile gauche qu'il commandait
ayant consommé toutes ses cartouches sans que la position
de Lowositz eût encore pu être enlevée , il s'écria , quand
on vint lui apprendre que les munitions manquaient : « Ab
çà, camarades ! n'avez- vous donc plus de baïonnettes au
bout de vos fusils? » A ces mots, les Prussiens , enflam-
més d'une nouvells ardeur , se précipitent à la baïonnette
BEVERLAND — BÉVUE
sur les retiancliements antricliiens , les enlèvent , et déci-
dent du succès de la journée. Le 29 avril t757, peu de temps
avant la bataille de Prague , il enleva aussi, après des pro-
diges de valeur , le camp retranché du comte de Kœnigseck,
près Rcichenberg. H prit également part aux batailles da
Prague et de Collin. Pendant (pie Frédéric le Grand mar-
chait contre Soubise, le duc de Bevern commandait l'armé«
de la Silésie et de la Lusace ; il fut cause , par ses fausses
manœuvres , de la mort prématurée du Winterfeldt. Cons-
tamment malheureux depuis ce moment, il se laissa com»
plétement battre à Breslau, le 25 novembre 1757. Doulou.
reusement affecté d'avoir si mal répondu à la confiance du
grand Frédéric, il tenta de se soustraire à sa colère en se
faisant faire prisonnier le lendemain de cette malheureuse
affaire dans une reconnaissance poussée jusqu'aux avant-
postes autrichiens. Il fut cependant échangé dès l'année
suivante, et le roi de Prusse le nomma gouverneur deStet-
tin. En 1762 ce prince lui confia encore le commandement
il'un corps détaché à Reichenbacb , où il prit sa revanche
sur les Autrichiens , qu'il battit le 7 août. Après la paix
d'Hubertsbourg, il passa la plus grande partie du reste de sa
vie à Stettin, et y mourut, en 1782.
BEVERÎ\INGî» (JÉRÔME van), célèbre homme
d'État hollandais, né àTergau, en 1614, mort aux environs
de Leyde, en 1690, fut un des plus habiles diplomates de
son temps. Ce fut lui qui, en 1654, dirigea les négocia-
tions de la paix qui se conclut alors entre les Provinces-
Unies et l'Angleterre. Il prit également part à celles qui ame-
nèrent en 1667 la conclusion du traité de Breda, en 1668
celle du traité d'Aix-la-Chapelle, et en 1678 celle delà paix
de Nimègue. Botaniste instruit, c'est à lui qu'on est rede-
vable de l'introduction en Europe de la capucine à grandes
fleurs (tropolcTum majiis). Ce fut lui aussi qui détermina
Paul Hermann à voyager dans l'Inde, d'où il rapporta un
herbier des plus précieux. La protection généreuse que
Beverningk accordait aux sciences et aux lettres lui avait
mérité l'honneur d'être nommé curateur de l'université
de Leyde.
BÉVUE. Ce mot , employé autrefois en pathologie dans
le sens de d i p 1 o p i e , vue doiible ( de bis, deux fois, et vi'
sus , vue) signifie dans la langage usuel une méprise , une
errmr, dans laquelle on tombe par ignorance, par inadver-
tance , par défaut de réflexion. La inéprise est l'action de
n)al prendre ; elle est un mauvais choix. L'errewr est un
écart de la rai.son ; elle est tantôt un faux principe, tantôt une
fausse application de principe, tantôt enfin une fausse con-
séquence ; elle est donc toujours en opposition avec la vérité.
Que de bévues se sont commises depuis que le monde es'
monde! Les auteurs en ont plus d'une à se reprocher, les
traducteurs surtout. Ainsi les abréviateurs de la Biblio-
thèque de Gessner attribuent le roman iVAmadis à un certain
Aciierdo Olvido, ignorant que ces deux mots, placés en épi-
graphe au frontispice de la traduction , signifient en espa-
gnol : souvenir oublié. Un honnête franciscain, compila-
teur d'une Histoire de Vlùjlise, place parmi les écrivains
sacrés le poète Guarini , trompé par sa célèbre pastorale II
Pastorjido, qu'il traduisait Le Pasteur fidèle. Un autre tra-
ducteur français, l'abbé Vial, prétend que l'évêque de Can-
tcrbury «lisposa des c«hoh5 sur les stalles de sa cathédrale.
Le malheureux ignorait qu'en anglais le mot cannon ne si-
gnifie pas seulement canon , mais chanoine. Un écrivain
français, enfin, dans une version de la comédie de Cibber :
Love's last Shi/t, intitule la piècenon La dernière Ruse de
l'Amour, mais La dernière Chetnise de l'Amour.
Toute érudition d'emprunt expose aux bévues. Combien
de savantasses, dans notre siècle de lumière, prendraient,
comme le .singe de la fable ,
Vu nom (le porl [lour un nom d'iiominfl!
Nous avons entendu un financier en renom de la rue I.af-
BEVUE — BEYLE
ISJ
fitte (lire sérioascnient à un gentil-liomme du faubourg Saint-
Gerrrain qui avait une fille h marier : « Eh bien , cher ,
ne pensez-vous donc pas sérieusement à donner un Plu/ar-
que à votre Laure? » Un vaudevilliste bien connu, que la
Rf.^tauration, en un jour de gaieté, avait transformé en biblio-
thécaire, trouvant sur tous les bouquins confiés à sa garde
l'inévitable étiquette ex Ubris, s'imagina de la faire gra-
ver, en vedette de son nom, dans la coiffe de son chapesoj,
persuadé qu'elle voulait dire : J'appartiens à...
BEWICK (Thomas), né en 1753, au petit village de
Cherryburn, daus le Northumberland, montra dès son en-
fance de grandes dispositions pour le dessin.
Il était venu au monde dans une ferme appartenant à
son père. Nouveau Giotto, son unique plaisir était de re-
produire avec un peu de craie ou de charbon les formes des
animaux qui rentouraieut. Giotto avait été deviné par Ci-
raabue : un graveur sur cuivre nommé liielby, ayant vu par
hasard les essais du jeune Bewick , pria instamment son
père de lui laisser eimîiener l'enfant comme apprenti à New-
castle. La famille y consentit. Les progivîs de l'apprenti
furent rapides, et il se distingua surtout dans la gravure sur
bois, dont il devait être le régénérateur.
Bewick eut bientôt sa part dans les travaux et dans les
bénéfices de son maître, et en 1775 il remporta le prix pro-
posé par la Société des Arts de Londres pour la meilleure
gravure sur bois; sa composition, qui représentait un chien
de chasse, le plaça au premier rang des graveurs anglais.
Ce dessin fut inséré plus tard dans une édition des fables
de Gay, imprimée à ISewcastle , illustrée par Bewick et par
son frère John, qu'il s'était associé depuis plusieurs années.
L'œuvre de Bewick est immense. Dans les ventes , les
amateurs et les artistes se disputent ses dessins. Le plus
remarquable de ses ouvrages est son Histoire des Quadru-
pèdes, oi\ il a surmonté d'immenses difficultis.
Entièrement voué à son art, Bewick mourut en 1828, après
avoir formé un grand nombre d'élèves.
BEY, BEG, BEK, ou BEIGH, est un mot turc, dont l'or-
thographe ne varie que d'après la prononciation en usage
dans les divers pays où on l'emploie; il répond au litre de
prince et de seigneur, et se donne aux chels militaires, ai>\
capitaines de vaisseau et aux étrangers de distinction. Il
désigne pins particulièrement le gouverneur d'un petit dis-
trict nommé quelquefois beylich, lequel porte comme signe
distinctif de sa d'gnité une queue de cheval. On sait que le
sultan en a sept et le grand vizir cinq, et les pachas, sui-
vant leur importance, trois ou deux. Nous trouvons ridi-
cule cette distinction des rangs par queues de cheval ; mais
combien les Orientaux, de leur côté , ne doivent-ils pas rire
de nos croix , de nos cordons et de nos crachats !
Le fondateur de la puissante dynastie des Seidjoukides,
Tbogrul , en arrivant en Perse à la tète de sa nombreuse
tribu, vers le milieu du onzième siècle, n'y apporta que le
titre de beigh , (pj'il conserva même après avoir reçu du
klial'fe celui de sulthan.
Le fameux Timour ( Tamerlan ), le conquérant de la
Perse, de l'indonstan, de l'Asie Mineure, de la Syrie, d'une
partie de la Tartarie et de la Russie, le vainqueur de Baja-
zet, qui était sulthan et khan (empereur), et de plusieurs
khans tatares, ne portait que le titre de bek et celui à'émir,
qui en arabe signifie également prince.
Les princes de la dynastie turcomane .4 c-Coi h Zw, ou du
Mouton-Blanc, qui ont régné en Perse à la fin du quin-
zième siècle, n'ont pas porté d'autre titre que celui de bey.
Le souverain héréditaire de Tunis porte le titre de bey.
C'était aussi le tilreque prenaient les gouverneurs de Cons-
tantine, d'Oran, deTittery, avant la conquête de l'Algérie par
la France.
lîEYLE ( HEiNri), plus connu comme écrivain que
par les emplois qu'il a occupés, mort en 1S42, était né
à Grenoble en 1783. Fils d'un riclie propiiétaiie , avocat
au parlement de cette ville, il devint par la protection du
comte Daru, son parent, inspecteur du mobilier et des bA-
tiraeuts de la couronne sous l'Empire, et auditeiu- au conseil
d'État. Investi d'une mission en Allemagne, spécialement
pour le choix des livres et manuscrits que l'on voulait tirer
de la célèbre bibliothèque de Wolfenbuftel, à laquelle avait
présidé Leibnitz , il nous apprend lui-même, dans sa publi-
cation sur Rome, Nnples et Florence, qu'il séjourna à
Cassel (Hesse), et qu'il y connut l'historien Jean de Millier.
Nous étant trouvé dans la même ville , à la même époque,
en rapport par nos fonctions avec cet homme illustre, ainsi
qu'avec un M. Ceyle remplissant alors l'emploi de secré-
taire général du ministère des finances auprès du comte
Beugnot , nous avons tout lieu de croire que notre collègue
était l'écrivain à qui cette notice est consacrée.
Presque tous les travaux littéraires de 5Î. Beyle ont été
publiés sous les pseudonymes Z.-^.-C. Bombct ou de Sten-
dhal. Six voyages et un séjour de dix ans en Italie, son
amour pour les arts du dessin et pour la nmsique, lui avaient
donné le droit d'écrire sur les merveilles comme sur les
mœurs de la Péninsule et sur le caractère de ses habitants.
Refusé d'abord par l'Autriche en qualité de consul à Trlestc,
c'est cependant en Italie qu'il a terminé sa carrière, à Ci-
vita-Vecchia, oii il avait été appelé à exercer les mômes
fonctions.
Le début de cet écrivain dans la carrière des lettres ne
fut pas heureux. Publiant, en 1815, sous le pseudonyme
Bombet, des Lettres écrites de Vienne sur IJayd)i , il avait
oublié de signaler l'auteur italien de ces lettres, Carpaui,
l'ami du grand compositeur. Il reproduisit avec plus de
succès ce travail en 1817, sous le titre de Vies de Haydn ,
Mozart et Métastase , in-8".
M. Beyle s'est fait connaître comme amateur écrivant sur
les arts, comme moraliste et voyageur, enfin comme roman-
cier et conteur. A l'écrivain amateur appartiennent, outre
l'œuvre que nous venons de citer : 1° son Histoire de la
Peinture en Italie (Paris, 1817); 2° en italien, l'écrit
intitulé : Del Romantismo nelle Arti (Florence, 18 19); 3° sur
l'art dramatique, et en faveur du romantisme. Racine et
Shakspeare (Paris, 1823 et 1825); 4° Vie de Rossini
( 1823 et 1824 ). Le voyageur, le moraliste, souvent sati-
rique, réclame : 1° le livre intitulé De l'Amour (1822).
On a vanté le mot cristallisation, donné par l'auteur comme
définition de l'amour. Nous avouons nous en tenir de préfé-
rence à celle de Platca : « L'amour est une entremise des
dieux avec la jeunesse »; 2° Rome, Aaples et Florence
(1817, in-8° ); 3" D'un nouveau complot contre les in-
dustriels, diatribe contre l'industrialisme, dans la feuille
le Globe (1825); 4" Promenades dans Rome ( 1829); 5° Mé-
moires d'un Touriste (1838). Au romancier (t au conteur
doivent être rapportées les publications suivantes : r Ar-
mance, ou qxielques scènes dfi Paris ( 1827); 2" le Roùye
et le Noir, chronique du dix-neuvième siècle (1830); la
Chartreuse de Parme (1839), louée dans les journaux
et dans les revues, presque comme un chef-d'o^uvre; 3° t'Ab-
besse de Castro, publiée dans la Revue des Deux Mondes.
On en a fait un drame; 4° enfin, différentes nouvelles publiées
dans les revues, entre autres Vanino Vanini, et Le Cenci,
histoire de 1599.
L'écrivain à qui l'on a dû tant de pidjlications en divers
genres était certainement un homme de beaucoup d'esprit
et de talent; on lui a reproché un esprit frelaté, une affec-
tation Continuelle d'originalité, la prétention aux idées sin-
gulières et bizarres. Ce reproche avait déjà été fait à un
écrivain que Beyle semblait quelquefois avoir pris pour
modèle,M. Simond,auteurdeFoî/«pcA, curieux et estimés, en
Angle/erre, en Suisse et en Italie. Il arrive en elVel trop
souvent au premier, et peut-être à tous deux , de chercher
ce que les Allemands appellent Vexcenlricité. Toutefois, il
y a aussi beaucoup de naturel dans leur singularité, et c'esi
17
132
BEYLE — BEZE
là ce qui les rend piquants; on est agréablemciit surpris de
rencontrer des iiomnies qui jugent comnne ils ont senti. On
a beau se trouver souvent choqué de leur témérité, on leur
sait gré, en définitive , de ne pas se faire les échos de tous
ceux qui ont écrit avant eux. Il y aurait d'ailleurs trop de
rigueur à apprécier la plupart des écrits de M. Beyle comme
des ouvrages ; car son humeur indépendante ne s'y astrei-
gnait à aucun plan , à aucune méthode : il suivait son im-
pulsion et laissait courir sa plume; à meilleur titre que
Sterne, il eût pu dire : « J'écris ma première phrase , et je
m'abandonne pour le reste à la Providence. » Nous ne le
prendrons donc pas plus au sérieux qu'il n'a voulu l'être.
Il était de l'école de Voltaire, mais du Voltaire qui a écrit
Candide, Babouc, etc. Quoique M. Beyle sentît vivement
tes arts et les passions , et qu'il s'y connût , il s'en faut bien
que ses opinions fussent toujours celles d'un homme d'un
goût et d'un jugement sûrs. Mais avec ses défauts, ses bou-
tades et ses élrangetés en goût et en morale, il se fait lire,
parce qu'il intéresse quelquefois , et qu'il amuse presque tou-
jours.
On aurait grand tort toutefois de ne voir dans M. Beyle
qu'un touriste frivole et paradoxal : quand il peint les ha-
bitudes, les mœurs, les passions des peuples de l'Italie,
il se montre bon observateur, et ses remarques sur les vices
des institutions et des gouvernements, sur les funestes con-
séquences de ces abus invétérés , annoncent une âme hon-
nête, indépendante, qui sent vivement le mal lait aux
hommes , et réclame avec énergie eu faveur des malheu-
reux. Pourquoi faut-il que l'auteur n'ait pas apporté plus
de sérieux et de soins dans ses travaux ! Selon lui, ce n'est
pas la durée du succès qui classe une œuvre quelconque;
c'est la vivacité de l'impulsion produite, ou, pour parler
net, la vogue du moment. « 11 n'y a pas de prochain », écri-
vait l'abbé Galiani à l'un de ses amis. Nous disons à pré-
sent : n 11 n'y a pas de postérité » : à la bonne heure !
AUBERT DE VlTRY.
BEYROUTH. Voyez BEinouT.
BEZAKT. Voyez Besant.
BÈZE (Théodore de),î<h des principaux piliers de la
réforme (Bayle), qui fut à Calvin ce que Mélanchthon fut
à Luther, et que ses coreligionnaires avaient surnommé le
Phénix de son siècle, naquit le 24 juin 1519, à Vézelai
dans le Nivernais, au même lieu où saint Bernard avait
prêché la seconde croisade. Il fut destiné d'abord à l'état ec-
clésiastique. Sa famille éta't riche et noble; il avait fait avec
succès les plus brillants progrès dans les lettres sacrées et
profanes. A peine âgé de vingt-cinq ans, sans avoir encore
pris les ordres, il était pourvu de deux ou trois riches béné-
fices , entre autres du prieuré de Lonjumeau. Beau comme
Adonis , fort comme Hercule, éloquent, doué de Xa pres-
tance d'un prince et de ['esprit d'un ange, pour meservT
des expressions de ses contemporains, il pouvait prétendre
aux premières dignités de l'Église catholique; mais dès son
enfance il avait été imbu des principes de la Réforme par
Melcliior Wolkmar de Rothwell , jurisconsulte et helléniste ,
qui professa pendant plusieurs années à Orléans et à Bourges.
L'indépendance des nouvelles doctrines convenait merveil-
leusement à l'esprit fier, fougueux et empoilé du jeune
Théodore, qui, malgré les écarts d'une adolescence très -
dissipée , était parvenu presque en se jouant à en savoir au-
tant que son docte maître. Mais, par une loi de la nature qui
admet peu d'exceptions , elle n'avait pu départir tant de
dons à un mortel sans y mêler le germe des passions les
plus orageuses. Homme complet s'il en fut jamais, Bèze les
eut toutes. Il ne connaissait dans sa vie privée que cette
autre loi, appelée par les épicuriens la bonne loi naturelle,
et il s'y livra sans frein et ouvertement.
Celui qui, par la séduction de la parole , devait un jour
faire tant de prosélytes à la Réforme, commença par faire
chez l'un et l'autre sexe maintes conquêtes à Satan :
c'est l'expression dont plus tard il se servit luî-méme pour
faire allusion à cette époque de sa vie. Toutefois , dans l'in-
fâme diversité de ses goûts, une femme, Claudine Denosse,
épouse d'un tailleur, et un jeune homme de famille, d'esprit
et de talent, Audebert, depuis présidente l'élection d'Or-
léans , inspirèrent à Bèze une double passion , qu'il s'est plu
à immortaliser dans des vers latins livrés par lui sans pu-
deur à l'impression. Je veux parler de cette fameuse pièce
qui a toujours été contre lui un si grave sujet d'accusation ,
et qui a donné lieu à une polémique qui remplirait des in-
folio. En vain Bayle, ordinairement plus impartial, a voulu
le défendre de ce méfait, en vain a-t-il rassemblé toutes les
preuves à côté de la question pour innocenter soupape cal^
viniste, il n'a pu y parvenir. C'était impossible. On en ju-
gera, du reste, par la citation suivante, qui n'a besoin ni
de traduction ni de commentaire :
At est Candida sic avara novi.
Ut tntum copiât tencre Bezani :
Sic Braœ est cupiilus sui Audebertus
Bezà Ht geslist integro potiri.
Amploctor quoqiie sic et hune et illam ,
Ut totns cupiam \idere utrumque....
Ces vers, et diverses autres pièces erotiques, écrits avec le
me! abandon de Catulle et toute la hcence de Pétrone , pa-
rurent pour la première fois en 1548 , avec le portrait de l'au-
teur, alors âgé de vingt-neuf ans. Depuis quatre ans, Bèze
vivait avec sa Candida, qui voulait à toute force se faire
épouser; mais pour y parvenir, l'un et l'autre devaient , en
apostasiant, rompre les liens qui attachaient Claudine à un
honnête artisan, et Bèze à l'Église catholique. « Cette femme,
dit Bayle, avait beau lui parler de noces, le revenu des bé-
néfices auquel il eût fallu renoncer réfutait fortement toutes
ses instances. » Mais il rompit enfin cette ligature. Une
maladie grave le fit sortir de cet état d'irrésolution ; il eut
peur de l'enfer, et il abandonna ses bénéfices , ses espérances
et sa famille, pour se rendre â Genève, où il épousa sa con-
cubine, après avoir bien et dûment abjuré, comme il le dit
hii-même , la papauté , ainsi quHl l'avait voué à Dieu
depuis seize ans.
Bayle admire son désintéressement, d'avoir ainsi , pour
faire un mariage de conscience et embrasser la Réforme,
sacrifié la douce opulence que lui promettait la prélature ro-
maine ; mais il ne dit pas d'abord que la publication de ses
Juvenilia allait lui attirer, de la part du parlement de Pa-
ris , un procès pour adultère et vice contre nature ; en se-
cond lieu, qu'il sut, en quittant la France, vendre a beaux
deniers ses bénéfices , « commençant ainsi , dit Mé/erai , la
réforme de sa vie par une simonie et par un adultère ». On
trouve en outre dans Bayle , indépendamment de ses réti-
cences et de la faiblesse de ses arguments, une preuve plus
positive de la culpabilité de Bèze : ce sont les insinuations
mêmes que cet auteur, entraîné par la force de la vérité et
la justesse de son esprit, a glissées dans les notes de son élo-
gieux article. Il tance vertement les maladroits apologistes
de Bèze : l'un d'eux, par exemple, pour prouver que la Can-
dida des Juvenilia n'était pas Claudine Denosse , enlevée
à son mari , soutenait que les vers sur l'agrafe qui voilait
le srin de Candida ne pouvaient s'appliquer à la femme
d'un tailleur, comme si la femme d'un tailleur de Paris n'é-
tait pas dans le cas, en ce temps-là, « de porter une agrafe,
dit Bayle, qui empêchât qu'on ne lui vît à son aise ses ap-
pas ». D'ailleurs, n'était-elle pas en même temps la maîtresse
entretenue d'un riche bénéficier? Enfin, Cayle reconnaît
lui-même, dans une autre note , que pour ne voir qu'un
jeu d'esprit dans une fatale épigramnie, pour la voir nette
et pure des horreurs que les missionnaires (catholiques
et luthériens) prétendent y découvrir, il faut être des amis
de l'auteur. Cela n'équivaut-il pas à un aveu ?
Après son changement de religion, Bèze fut nommé pro-
fesseur de grec à Lausanne : c'est là qu'il pul)lia sa tragédie
française d'^ftraAaJ» sacrifiant (1550), qui fut bientôt tra-
duite en latin et répandue partout. Quiconque essayera de la
lire aujourd'hui aura peine à concevoir ce qu'en dit Estienne
Pasquier : « qu'Abraliam est si bien retiré au vif, qu'en le
lisant il me fit autrefois tomber les larmes des yeux. » Mais
un ouvrage qui étendit bien davantage la renommée de
Bèze, et qui prouve qu'il n'y avait alors pas plus de philo-
sophie et d'esprit de tolérance chez les réformateurs que
chez leurs adversaires , c'est son fameux traité De hxreticis
a civili magistratu puniendis. C'est l'apologie du ju-
gement et du supplice de Servet, condamné au bûcher
comme hàétique par les magistrats de Genève, le 27 oc-
tobre 1553. Bèze n'était au surplus, dans cette circonstance,
que l'interprèle des seni' :ients et de la doctrine des hommes
les plus importants de n;! parti. Us applaudirent vivement
à son ouvrage, qu'iis ri:._,urdaient couuue publié à propos
pour refréner les esprits flottants. Il devint dès lors un
homme très-important parmi ses coreligionnaires, et fut
chargé en 1558 d'alier en Allemagne solliciter l'intercession
de quelques princes auprès du roi de France, en faveur des
protestants de ce royaume. Dans cette mission , ses avan-
tages extérieurs ne le servirent ;ias moins bien que son élo-
quence, sa dextérité, son zèle infatigable. L'année suivante
il quitta Lausanne, pour iillcr s'établir à Genève. Était-il
dans cette circonstance giiiué par le seul désir de se fixer
dans la métropole de la Réforme, ou l'aventure scandaleuse
d'un enfant fait à sa servante lui rendait-elle impossible
un plus long séjour à Lausanne? Car voilà encore contre lui
une accusation que ses ennemis opt su fort bien établir, et
(pie ses apologistes n'ont |)as victorieusement réfuti ?•. A l'ar-
ticle Bèze, liayle, en la rapportant sans conmientaire, ajoute
que dans ce départ il y eut quelque chose de caché. 11 est
vrai que dans l'ailicle Calvin il avance que ce déplacement
)i'eut d'autre molit" que àe?, factions consistoriales et aca-
démiques.
A cette époque Bèze était devenu l'ami intime de Cal-
vin. Ce réformateur, maigre l'àpreté de son caractère,
avait cédé conune tous les autres à la séduction que Bèze
exiiirait sur ceux qui rapprochaient. « En comparant l'ai-
greur sauvage de Calvin , sa sécheresse caustique et atra-
bilaire, dit un moderne, avec la douceur affable et enjouée
de Théodore de Bèze , son plus constant ami , on disait qu'on
aimerait mieux être en enfer avec Théodore de Bèze qu'en
paradis avec Calvin. » On cherchait alors à Genève à per-
fectionner les études et à répandre le goût des lettres. Une
académie venait d'être formée (1559) : Calvin voulut que
Bèze en fOt nommé recteur, et y occupât une chaire de
théologie. L'éclat de son cours, qu'il interrompit pour aller
en France convertir le roi de Navarre , Antoine de B o u r b o n ,
le succès de sa mission calviniste dans le Béarn , avaient
fixé sur lui les yeux de l'Europe politique et lettrée, lorsque
le colloque de Poi ssy vint ajouter à sa célébrité. Bèze y fut
envoyé avec onze docteurs de la Réforme. Si l'on en croit
les mémoires du temps, le cardinal de Lorraine, avant
d'entrer en lice avec lui , tenta inutilement de le conquérir
à la foi catholique par l'appât des honneurs. 11 résista
avec une fermeté modeste. Le jour de la conférence arrivé,
Bèze et ses collègues, avant d'exposer leur doctrine, tom-
bèrent à genoux , et il récita à voix haute une fervente
oraison dans laquelle il implora les lumières du ciel. 11 ex-
pliqua ensuite avec modération , et d'une manière aussi peu
polémique que possible , les points sur lesquels les calvi-
nistes s'accordaient avec l'Église romaine , et ceux .sur les-
quels ils en différaient. Mais quand il vint à dire qu'encore
bien que ses frères confessassent la i)résence réelle de Jésus-
Christ dans l'Eucharistie, ils croyaient que son vrai corps,
formé dans le sein d'une vierge , était aussi éloigné du pain
et du vin après la consécration que le plus haut ciel est
éloiijné de la (erre, cette parole parut si choquante aux j
évt;T;ues « qu'ils commencèrent à bruire et murmurer, dont !
BÈZE ,3:?
les uns disoient : blasphemavit ; entre autres le cardinal d»
Toumon , doyen des cardinaux , qui étoit assis au premier
lieu , requist au roy et à la reyne que l'on imposât silence à
de Bèze, ou qu'il fust permis à sa compagnie de se retirer.
( Bèze , Hist. Ecclésiastique. ) » Catherine ne céda point
à ce coni-eil violent, et il fut écouté jusqu'au bout. Ce-
pendant «lie ne laissa pas de blâmer Bèze « de s'être oublié
en une comparaison si absurde et tant offensive des oreilles
de toute l'assistance ». Le cardinal de Lorraine, qui lui
répondit quelques jours après, montra plus de modé-
ration : « Plût à Dieu , s'écria-t-il , que cet homme eût été
muet, et que nous eussions été sourds! » Tout cela est sans
doute bel et bien; mais, comme on l'a dit avec esprit,
puisqu'on A'oulait des colloques , il f;!l!ait y apporter des
oreilles plus aguerries. On sait quel fut le résultat du col-
loque : il fit briller les orateurs de ciiaque parti , et en-
flamma davantage le fanatisme des deux côtés.
Bèze ne retourna point à Genève : l'édit de janvier 1562
ayant permis aux réformés l'exercice public de leur culte ,
il prêcha à Paris, et se distingua dans toutes les occasions
par la ferveur de son zèle. Ses adversaires disaient alors do
lui qu'il était la trompette de discorde dans les guerres ci-
viles. U assista à la bataille de Dreux , où les protestants
furent défaits ( 15C3). On l'accusa de s'être battu , mais il se
défend d'avoir jamais quitté la houlette du pasteur pour le
glaive de l'homme de guerre. Poltrot de Méré, assassin du
duc de Guise, dans son premier interrogatoire, nonuna
Bèze avec l'amiral de Coligny comme lui ayant inspiié son
exécrable projet. Il se rétracta ensuite devant le président
de Thou. On doit dire que sa première déclaration paraît
avoir obtenu peu de créance parmi les contemporains.
Bèze quitta la France lors de la pacification de 1563, et
revint prendre sa place dans l'académie de Genève. A la
mort de Calvin, en 1564, il succéda à tous les emplois de
son ami et de son maître, et fut dès lors regardé comme le
chef des réformés en France et à Genève. Il ne revit dé-
sormais que rarement la France, et toujours pour l'intérêb
des calvinistes. Au synode de La Rochelle , toutes les Églises
réformées de France lui déférèrent l'honneur de présider
l'assemblée. 11 fut encore employé à une négociation im-
portante en Allemagne, dans l'année 1574, et assista à
différentes époques à des conférences tenues en Suisse et
en Allemagne pour l'éclaircissement de quelques points de
doctrine. En 1586 41 eut à Montbéliard une conférence pu-
blique avec Jacques André, théologien de Tuhingue. L'issue
de cette dispute « fut comme toujours , obsejve Bayle :
chaque parti se vanta d'avoir triomphé , et publia des rela-
tions victorieuses ».
Dans la discussion orale, Bèze conservait delà dignité,
de la grâce, de la modératicn; il n'en est pas de même de
ses écrits polémiques. Quel amas d'injures et de trivialités!
avec quelle avidité il recueille et reproduit, en les enveni-
mant, les bruits les plus hasardés qui couraient contre ses
adversaires! Vilain, effronté, misérable, pédant, puant,
Ivup déguisé, serpent, singe, telles sont les épithètes qui
reviennent fréquemment sous sa plume. Les écrivains ré-
formés, entre autres Jurieu et Claude, ne lui ont pas re-
proché moins sévèrement que les catholiques « les médi-
sances bouffonnes, impures, qui ne pouvaient convenir qu'à
ceux qui n'ont point eu d'autre école que îles lieux de pros-
titution. « Au surplus , si Bèze mi'-nageait peu ses adver-
saires, ceux-ci le lui rendaient bien. On doit regretter qu'un
esprit aussi distingué, qu'un lionune qui avait tant de
grâce dans la vie privée , ne se soit pas sous ce rapport
élevé au-dessus de ses fanatiques amis et de ses fanatiques
adversaires. Aucune philosophie dans ses écrits polémiques,
rien qui décèle l'esprit de justice, de sagesse, de charité.
La liberté ne s'y montre que sous les traits de la licence;
l'obéissance y est servilité. Dans l'entraînement de son zèle,
ses injures ne sont pas seiilcment pour les théologiens, les
134
BEZE
évèqiies et les pontifes ; elles montent jusqu'aux souverains
temporels. Antoine de Ijourbon , roi de Navarre , est sous sa
plume un Julien P Apostat, Marie Stuart une Mcdôe. S'^s
adulations furent pour la roiiio d'Angleterre Elisabeth et
pour Jacques l*^', son successeur. 11 leur a dédié à l'un et à
l'autre plusieurs de ses écrits; et l'on a reproclié justement
à IJèze , Français de naissance, d'avoir dans une de ses dé-
dicaces donne à ÎLlisabetli le titre de reine de France.
Si |)ersonne n'eut de plus ardents ennemis que Bèze ,
personne aussi n'a eu de partisans plus enthousiastes. De
Genève, il guidait , il anhiiait tous ses disciples , accoutumé.^
à ne jiner que par lui. Gregorio Leti nous apprend que
Sixte-Quint, qui se connaissait en hommes, songea sérieu-
sement aux inoyens d'ôter aux protestants « l'appui et le
grand ressort qu'ils avaient en la personne de Bèze ». Des
calvinistes ont écrit (jue la cour de lîome avait voulu em-
ployer le poison ou le poignard pour se défaire de lui. Toute-
fois, il est prouvé «pie, soit de bonne foi, soit pour faire
croire à la méchanceté de ses ennemis, il prenait dfs
précautions pour sa silreté; il ne sortait jamais sans être
accompagné de qu(^!(iues disciples. Son caractère s'était
fort adouci dans ses dernières années; et lorsqu'il eut le
bonheur de voir Henri IV dans un village de la Savoie près
de Genève, ce [)rince lui ayant demandé ce qu'il pourrait
faire pour lui, Lèze , qui avait alors quatre-vingt-un ans,
n'exprima qu'un seul vo'U, celui de voir la France entière-
ment pacifiée. 11 jouissait alors en France d'une considéra-
tion universelle : Sully le comliled'éloges dans ses Mémoires,
et dit que le suffrage de ce vieillard vénérable suflit seul
pour le consoler de la perte de tous les autres suffrages
prolestants, lièze, maigre son âge et ses infirmités, conser-
vait toute sa verdeur. II avait perdu en 15S8 sa première
femme , et à l'Age de soixante-dix ans il se remaria avec
une jeune personne, mieux apparentée que la défunte, Ca-
therine de la Plane, qu'il appt;l;'.il sa Sunamite. •< C'était,
dit Etienne Pasquier, un vieux coq qui ne pouvait se déta-
cher du char du Vénus , au(iuel il avait été attelé dès sa
jeunesse. » Il n'eut jias |)lus d'enfants de cette seconde
épouse que de la première.
Bèze ne discontinua qu'en IGOO ses leçons à l'académie de
Genève. « S(m meilleur titre à la gloire, ditM. deBarante père,
celui qui diiit lui assurer la reconnaissance de tous les amis
des lettres vi des sciences, c'est l'heureuse direction qu'il a
donnée pendant quarante ans à toutes les études dans l'aca-
démie de Genève, dont il fut le prenn'er recteur. Le mal-
heur des tenq)s ayant obligé le conseil de Genève de sup-
primer deux cliaii es d(; professeurs dont on ne pouvait payer
le traitement, Bèze, âgé de plus de soixante-dix ans, et
sans négliger aiu'un de ses autres travaux, suppléa les i)ro-
fesseurs supprimés pendant plus de deux années. Quand on
songe au nombre d'hommes illustres ou utiles que l'académie
de Genève a iiroduits pendant les deux derniers siècles , et
à larenoumiée qu'ont procurée à cette petite cité ses institu-
tions, ses lumières et les succès de l'enseignement ([u'on y
reçoit, on ne peut se défendre d'un sentiment vif d'estime
et de reconnaissance i>oiu' Théodore de Bèze. C'est lui qui
fut le véritable fondateur de cette académie, qui lui doima
des règles, et légua à ses successeuis la tradition et les
exenq>les<lont l'utilité se fait encore sentir. Si l'on considère
Théodore de Bèze sous ce point de vue, on sera plus dis-
posé à lui pardonner les torts de sa jeunesse et ceux de
l'esprit de parti. »
Nous ne donnerons pas la liste des écrits de Bèze : elle est
immense. La Comédie du J'ape malade, par Tlirasijbutc-
J'hénice (l.'^)6i); V Histoire de la Mappeinonde pa;)is-
lique, par Fraïujidetplie lùscorc/ie-Messes, sont des pam-
phlets mordants, mais sans délicatesse : il y avait la de
quoi transporter d'aist; la plébicule calviniste. On ne les lit
plus depuis longtemps. Dans ses /foxes Viroruiniliuslrium,
ouvrage d'un genre i>lus sérieux , et qui a été traduit en
BEZENVAL
français, Bèze lance des coups de foudre contre l'épiscopal.
Dans son Histoire F.cclésiastique des Églises réformées au
rotjnume de France, depuis l'an 1521 jusqiCen 15G3,j
écrite en français et publiée en 1580, il se montre plus mo-
<Ieré , plus impaitial que dans ses écrits polémiques. Il avaH
fait inqjrimer en 1550 sa version du Nouveau Testament
avec des notes. Cette traduction eut sept éditions du \ivan|
de l'auteur, mais toujours avec de nouveaux changements
dans les annotations, ce qui lui a attiré de grands reproche!»
de la part de ses contemporains. M a rot avait traduit en
vers français les cinquante premiers psaumes de David
Bèze, d'après le conseil de Calvin, entreprit de compléter
celte version, et donna les cent autres psaumes, traduits,
dif un contemporain, non avec lamêmejoHoeté que Marot
L('s révolutions de la langue ont rendu cette joliveté bien
ridicule. La traduction de Marol et de Théodore de Bèze fut
admise dans la liturgie protestante, et par là devint plus
odifHise aux catholiques : dans la suite, elle fut rajeunie par
Conrad et La Bastide, et longtemps les Églises protestan-
tes, suivant leur degrô de pédanterie, se pailagèrent entre
l'ancienne traduction et la nouvelle, toutes deux assez vieilles
aujourd'hui.
Pendant que Bèze mettait la dernière main à la publication
des i)saumes, il fut attaqué de la peste qui régnait à Genève
(1005). A ce propos il publia un écrit en latin, fort rare,
et qui prouve qu'alors comme aujourd'hui il y avait, eu lait
d'i'pidémie , des contagionistes et des non-contagionistes.
V.n voici le titre en français : Solution de deux questions
sur la peste : Est-elle ou non contagieuse? Est-il permis
aux ch'etiens de s'y soustraire par l'éloignêment?
En 1597, à soixante-dix-huit ans, il retrouva toute la
verdeur de sa jeunesse pour faire la petite guerre aux jé-
suites. Clément Dupuy, l'un d'eux, avait écrit que Bèze
élait mort après avoir fait profession de la foi romaine.
" Ne fallait-il pas, s'écria Bayle, être de la dernière bêtise
pour s'iniagiucr que les protestants laisseraient perdre une
si belle occasion de crier contre les impostures et les four-
beries monacales. » Sous le titre de £eza redivivus, le
prétendu mort publia une satire en vers latins, qui pi-o-
diiisit tant d'effet, que les jésuites , habiles à se retourner ,
n'eurent d'autre ressource que de soutenir que la prétendue
lettre à eux imputée, sur la mort et conversion de Bèze, était
une pure imposture de Bèze et des Bézanites de Genève,
forgée par ceux-ci pour le plaisir de la leur imputer. Il est
assez remarquable (lu'un de ses derniers écrits rappelle, par
le feu de la composition, toute la verve qui avait présidé à
la composition (lèses Juvenilia.
Cet étonnant vieillard, beau encore à quatre-vingt-six ans,
n'eut pas, comme tant d'autres, le malheurdesesurvivreà lui-
même. Seulement, eouinie dit Bayle, sa mémoire était « fort
bonne et fort mauvaise : fort bonne à l'égard des choses qu'il
avait apprises pendant la force de son esprit; car il pouvait
réciter par cœur tous les psaumes ettousles chapitres de saint
Paul; (t fort mauvaise à l'égard des choses présentes, car
après avoir dit une chose il ne s'en souvenait point. » Le
testament de Bèze, qui est imprimé, respire partout l'amour
de la France et de la i)aix, mêlé au souvenir et au regret de
ses faiit(s. !1 mourut ii Genève eu 1C05. Ch. du Rozoik.
lîEZEiWAL ( Pir.KRE-VicTOK, baron de), né à Soîeure,
en IT9.2, d'une famille noble de la Savoie, mériterait à peine
d'èfreici nommé si, après avoirtraversé lerègnedeLouis.W
et de Louis XVI, il n'avait assisté, dans ses derniers jours,
au début de la révolution française; s'il n'en eût été le plus
ridicule adversaire, et si enfin la petitesse de certains
hommes ne servait à mesurer la grandeur d'une époque. Le
baron de Bezenval entra dès l'âge de neuf ans dans les
gardes suisses, lit eu 1735 et 174S les campagnes de Bohême
et de Hanovre, fut nommé maréchal de camp en 1757, et
après la paix de 1702 lieutenant général, inspecteur géné-
ral des Suisses et des Grisons , grand-croix de Saint-Louis,
BEZENVAL — liEZIERS
135
Ajoutez à toutes ces dignités une brillante réputation d'es-
[irit et de courage, des succès de cour, succès de femmes
ot de cliansons, la faveur de Marie-Antoinette, le renvoi de
quelques ministres, le titre, fort honorable alors , d'officier
suisse, une confiance illimitée en son heureuse étoile , et
vous aurez une idée complète de Parrogance du vieux cour-
tisan , qui voulait lutter corps à corps avec la révolution
française. Le baron de Bezenval la menaçait des mesures
les plus énergiques dans le conseil privé, dans ce que le
peuple appelait éloquemment le comité autrichien. Au 14
juillet, la cour, dans son embarras , jeta naturellement les
yeux sur le baron suisse, et le fit commandant de l'intorieur.
Bezenval, qui n'avait pas compté sur tant d'énergie popu-
laire, perdit contenance, prit la fuite, fut arrêté à Villenaux,
et mis en jugement, malgré toutes les démarches deKec-
ker. Il ne pouvait nier ses intelligences avec le gouverneur
de la Bastille ; mais la cour et iVecker redoublèrent d'ins-
tances et d'intrigues; Mirabeau s'employa pour lui, et Be-
zenval fut absous. Depuis ce jour, il vécut dans la plus pro-
fonde obscurité, guéri sans doute de son fanatisme, et mou-
rut en 1794, cachant également sa vie et sa mort à ces
révolutionnaires qu'il avait tant méprisés. Les mémoires
(le liezenval ont été publiés en 1806 par son héritier, le
comte de^ Ségur. T. Toussexel.
BÉZERËDJ (Etienne), l'un des membres les plus
marquants de l'opposition hongroise avant 1848 , né le 28
novembre 1796,àSzerdahely, dans lecomitatd'Œdenbourg,
fit ses études à Œdenbourg et à Presbourg, et se fixa en-
suite dans le comitat de Tolna , oii il se rattacha à la frac-
tion la plus avancée de l'opposition, et prit, dès l'année tS^.i,
la part la plus active à la résistance aux mesures incons-
titutionnelles du pouvoir. Élu en 1830 député à la diète par
le comitat de Tolna, qui le réélut pour son mandataire jus-
qu'à l'année 1849, il figura constamment dans cette assem-
blée au premier rang de l'opposition, se distinguant de ses
collègues en ce qu'il s'attachait à traiter plutôt les questions
sociales que les questions politiques; c'est pourquoi il y
avait la réputation d'un philanthrope par excellence. Ses
discours, toujours remarquables par un style fleuri et par
une chaleur entraînante, étaient souvent plus pathétiques
que parlement-lires. 11 insistait surtout sur l'urgence d'amé-
liorer la condition des paysans; et en donnant le premier
l'exemple de se soumettre volontairement à l'impôt, alors
qu'un projet de loi tendant à soumettre la noblesse au
payement de l'impôt avait été repoussé par la diète dans sa
session de 1833-1834, il prouva tout ce qu'il y avait de sin-
cère dans ses efforts pour arriver à une plus équitable ré-
partition des charges publiques. Plusieurs centaines de no-
bles et de magnats, électiisés par cette preuve de patrio-
tisme, s'honorèrent en l'imitant. Il s'efforça aussi de faciliter
aux paysans de ses domaines le rachat des corvées, de môme
que de favoriser autant que possible les entreprises de co-
lonisation. Ses tendances, plus philanthropiques que i)oli-
tiqucs, l'empêchèrent déjouer un rôle bien saillant dans les
événements de 1848 et 1849. 11 ne prit part que comme dé-
puté du comitat de Tolna aux délibérations de la diète,
parla toujours pour le parti de la modération et de la con-
ciliation : aussi, après la compression de la révolution hon-
groise, ne fut-il, de la part du gouvernement autrichien,
l'objet d'aucune recherche.
Sa femme, Amélie Bézérédj, douée de toutes les qua-
lités du cœur et de l'esprit , née en 1804 , dans le comitat
d'Eisenburg, s'est fait avantageusement connaître par la pu-
blication de ses Nouvelles et Récits (2 vol., Pesth, 1840 ).
Elle mérita surtout de ses compatriotes par la part active
qu'elle prit à la fondation de crèches et d'écoles pour l'en-
fance , de même que par d'excellents ouvrages à l'usage de
la jeunesse, Flori Eœhive ( Pesth, 3* édit., 1846) et Fœl-
desi estvék (2* édit., Pesth, 1848). Elle est morte à l'âge
ie trente-trois ans, en 1837.
BÉZIERS, très-ancienne ville du bas Languedoc, au-
jourd'hui du département de l'Hérault, et dont la popu-
lation s'élève à 17,442 habitants. Sa position géographique
est au 43* degré de latitude, sur le parallèle de Livoume, et
à 52' de longitude à l'est du méridien de Paris. Les chaleurs
de juillet et d'août y sont heureusement tempérées par la
brise de mer qui vient tous les matins rafraîchir l'atmo-
sphère. Cette ville est assise du côté de Narbonne sur la
crête d'une montagne escarpée d'où se découvre un im-
mense panorama; vers le midi , à 10 kilomètres, la Médi-
terranée forme la ceinture d'une riche plaine , parsemée de
villages et de maisons de campagne. Au nord, les derniers
contre-forts des Cévenncs bornent l'horizon à 40 kilomètres
de distance ; à l'ouest, ce sont les montagnes qui touchent
au département du Tarn. Entre ces deux chaînes s'étend
une autre plaine , couverte d'habitations et de riches cultu-
res. La rivière dOrbe descend des hauteurs du nord, vient
baigner le pied de la ville, y prête un moment ses eaux au
canal des deux mers, et va se perdce dans la Méditerranée à
deux kilomètres du village de Sérignan. Le canal y descend
par neuf écluses de la colline de Foncerannes, qui est en face
de Béziers, et, après avoir franchi la rivière, se prolonge vers
les ports d'Agde et de Cette. Un pont fort tortueux avait
été jeté dans le moyen âge sur la rivière; un autre, plus
digne de notre temps, l'a remplacé; là viennent aboutir
la route de Sérignan et de la mer, celle de Narbonne et d'Es-
pagne, celle de Carcassonne et celle de Castres. Au delà de
la rivière est la route d'Agde, qui arrive au faubourg Saint-
Pierre, comme les routes de Bédarieux et de Montpellier.
Mais de ce côté, vers le levant, la ville n'est aperçue qu'au
moment où l'on y entre; et ce n'est point cette situation
qui a donné lieu au proverbe latin dont elle se glorifie.
C'est la perspective qu'elle offre du côté de l'Orbe et le
beau climat dont elle jouit qui ont fait dire à quelques voya-
geurs du vieux temps : Si vellet Dens in terris habitare,
Bïterris. Les bourreaux des Albigeois ont ajouté ces trois
mots injurieux : ut iterum crucijigeretur.
Le nom de Bîterrx lui vient des Romains, et n'est
qu'une corruption du nom primitif de la contrée, qui était
celle de Biiterres ou Bxterres. Cette peuplade appartenait
à la nation des Volces , et comme on la donne tantôt aux
Tectosages et tantôt aux Arécomices, il est probable qu'elle
était sur la frontière qui séparait ces deux divisions du
peuple volce. Conquise par les Romains, elle fit partie de
la Gaule narbonuaise, et devint la station des vétérans de
la septième légion , qui lui imposèrent le nom de colonie
des Septimaniens. Cinq cents ans i)lus tard, en 40;'i, Béziers
fut comprise dans le territoire concédé aux Visigoths par
Honorius ; tomba trois siècles après au pouvoir des Sarra-
zins, qui la pillèrent ; fut reconquise sur eux parCharies-Mar-
tel, qui la démantela en 737, au lieu de la fortifier. Rebâtie
par les rois d'Espagne, elle fut reprise par Pépin en 752,
gratifiée d'un vicomte particulier par Charlemagne, ruinée
au treizième siècle par les sanguinaires compagnons du
légat d'Innocent 111, de Simon de Montfort et de saint Domi-
nique, adjugée enfin à saint Louis et à la France par un
traité signé en 1258, par la maison d'Aragon. Le premier
évèque de Béziers fut saint Aphrodise, contemporain de
.saint IJenis, et décapité comme lui pendant la même per-
sécution. Ses successeurs partagèrent plus tard avec le vi-
comte le droit de justice, portèrent le titre de comtes , et
laissèrent de grands biens que la Convention vendit pour
du papier, comme tant d'autres.
Les Romains avaient élevé deux temples dans Béziers,
l'un à l'empereur Auguste, l'autre à Julie, sa fille. C'étaient
des dieux fort étranges. Il ne reste rien de ces édifices.
La ville ne possède que des vestiges fort douteux d'un
cirque, qui formerait aujourd'hui le jardin d'un établisse-
ment de bains. Les monuments du christianisme y étaient
très-considérables : c'était la cathédrale de Saint-Nazaire ,
ne
les églises paroissiales de Saint-Aplirodise, de Saint- Jacques,
de la Madeleine ot de Saint-Ft'lix. La nef de celle-ci sert
aujourd'hui de halle. Les quatre autres existent. De ses
couvents, il ne reste que la moitié de l'église des RécoUets.
L'hospice des Enfants-Trouvés existe encore, ainsi que la
maison des Sœurs de la Charité. Rien n'a été changé à l'é-
glise ni au collège fondés par les jésuites en 1599. Cet éta-
blissement sert aujourd'hui à un des meilleurs collèges
communaux de France. Les monuments modernes sont la
statue de Paul Riquet, ouvrage du statuaire David d'Angers,
et une salle de spectacle.
Béziers possédait autrefois une académie des sciences et
lettres, (ondée en 1723. Elle a aujourd'hui une société ar-
chéologique, qui s'occupe de recueillir les débris de ses anti-
quités et de son histoire. Cette ville est depuis longtemps
célèbre par son commerce. Elle était déjà au dixième siècle
un entrepôt des produits asiatiques, italiens et mauresques.
Plus tard, les soies, les cuirs, le vert-de-gris, exercèrent
son industrie. Aujourd'hui toutes les spéculations se tour-
nent vers les esprits et la culture de la vigne, qui en four-
nit avec abondance. Un fort marché s'y tient tous les ven-
dredis : c'est une espèce de bourse hebdomadaire pour
toute la contrée; et, malgré une distance de plus de deux
cents kilomètres, grâce aux bateaux à vapeur, Marseille y
approvisionne ses abattoirs et ses boucheries. L'évêché de
Béziers était suffragant de l'archevêché de Narbonne. La
ville avait en outre une sénéchaussée et un présidiai dé-
pendant de la généralité de Montpellier; elle a aujourd'hui
une sous-préfecture, un tribunal de première instance, un
tribunal de commerce, une bibliothèque, quatre typogra-
phies , etc. Après le coup d'État du 2 décembre 1851, des
troubles graves éclatèrent dans cette ville.
BEZOARD. Les Arabes ont désigné sous ce nom des
concrétions calculeuses formées dans l'estomac ou les intes-
tins de divers animaux, et auxquelles ils attribuaient la vertu
de prévenir ou de guérir une foule de maladies, de préserver
des contagions et de neutraliser les poisons. Ces propriétés
merveilleuses , et généralement reconnues sur la foi des mé-
decins arabes, faisaient des bezoards des objets très-précieux,
que les grands recherchaient avec ardeur et payaient au
poids de l'or. A l'époque de la découverte de l'Amérique ,
on apporta de ce continent de nouveaux bezoards, dont les
voyageurs vantèrent les vertus, mais qui cependant n'attei-
gnirent jamais la réputation des bezoards arabes , nommés
dès lors bezoards orientaux, par opposition à ceux d'A-
mérique , que l'on réunit avec d'autres , trouvés en Europe,
sous la dénomination commune de bezoards occidentaux.
Les bezoards orientaux présentent une surface lisse et
brillante, une couleur brune ou d'un vert foncé ; ils ont une
saveur un peu acre et chaude, et dégagent, quand on les
chauffe, une odeur forte et aromatique. Us sont composés de
couches concentriques, et ont ordinairement pour noyau un
fruit, une graine ou quelque autre corps étranger. Leur
forme est variable ainsi que leur grosseur : on en trouve
quelquefois du volume d'un œuf de poule, mais ils sontor-
diuairement beaucoup plus petits. Ce sont des concrétions
résino-bilieuses , solubles dans l'alcool et précipitées par
l'eau de celte dissolution, qui se fondent à une chaleur douce,
mais s'enflamment quand on les chauffe fortement. C'est dans
la quatrième des cavités gastriques de l'antilope des Indes
qu'on les trouve le plus ordinairement; toutefois, d'autres
ruminants , et même , à ce qu'il paraît, toutes les chèvres et
antilopes des montagnes de l'Asie et de l'Afrique, fournis-
saient jadis à l'Europe cette drogue précieuse. La famille
des ruminants n'est pas la seule dans laquelle on l'ait prise :
le bezoard de porc-épic, par exemple, qui se reconnaît à
son toucher et à son aspect grai et savonneux , passait pour
un préservatif infaillible contre toute espèce de contagion.
Quant à la manière dont on employait les bezoards, nous
nous Ijornerons h dire qu'on les portait en amulettes, qu'on
BÉZIERS - BEZOUT
les appli(iuait sur les plaies ou les parties malades, et qu'on
les prenait à l'intérieur, soit en poudre, soit associés à
d'autres substances. Est-il nécessaire d'ajouter que cette
panacée merveilleuse est complètement tombée en désué-
tude, du moins chez les nations éclairées de l'Europe, et
qu'elle ne fournit plus aujourd'hui qu'un fait assez curieux
à l'histoire naturelle des animaux , et un article à l'histoire,
malheureusement si longue, des aberrations de l'esprit hu-
main.
Les bezoards occidentaux sont fournis par différents
animaux herbivores des hautes montagnes de l'Europe, et
surtout des parties élevées de l'Amérique méridionale, tels,
par exemple, que le chamois, la vigogne , les cerfs des mon-
tagnes de la Nouvelle-Espagne. Us sont formés , comme les
bezoards orientaux, de couches concentriques , et il est bien
difficile de les distinguer par des caractères précis, ce qui
d'ailleurs est tout à fait naturel , puisque leur origine est
semblable. Toutefois l'on a rangé également parmi les be-
zoards occidentaux des composés salins, blancs ou gris,
formés de carbonate de chaux ou de phosphate ammoniaco-
magnésien, et qui paraissent venir delà vessie plutôt que
du canal intestinal. Quoi qu'il en soit, les bezoards de l'Oc-
cident, bien qu'employés dans diverses maladies, et préco-
nisés surtout pour les cas de blessures empoisonnées , n'ont
jamais eu ni la réputation ni la valeur des bezoards de l'O-
rient, et môme on ne cherchait souvent à s'en procurer que
pour mieux les disUnguer des anciens et vrais bezoards. Les
uns comme les autres ne figurent plus que pour mémoire
dans nos matières médicales. Démezil.
BEZOrVS (Jacques BAZIN de), fils de Claude Bazin , sei-
gneur de Bezons , conseiller d'État, intendant de Languedoc,
membre de l'Académie Française, naquit en 1645, et mourut
en 1733. U n'avait pas encore vingt-trois ans lorsqu'il servit
en Portugal, sous le maréchal de Schomberg ; puis il suivit
La Feuillade à l'expédition de Candie. En 1671, au passage
du Rhin, il était capitaine de cuirassiers; en 1674 il fut
blessé à la bataille de Senef. Comme brigadier ( général de
brigade), il commandait, en 1692, le corps de réserve aux
affaires de Steinkerque et de Nerwinde. Apiès la paix de
Riswick, Louis XIV lui donna le gouvernement de Grave-
lines; il ne le quitta que pour aller combattre d'abord en
Allemagne, sous Villeroi , en 170l,et passer ensuite en Italie
pour assister à la bataille de Chieri. Nommé lieutenant gé-
néral, il seconda le duc de Vendôme dans toutes ses expé-
ditions. U se trouva avec lui à l'affaire de Luzzara et au
siège de Governolo. Tandis que le duc couvrait le Piémont,
Bezons fut chargé de commander l'armée du Pô et de proté-
ger Mantoue. On le retrouve plus tard aux sièges de Verceil,
d'Ivrée et de Verrue; en 1708 il commandait la ville et la
citadelle de Cambrai; en 1713 il prenait Landau, et dans la
suite il activait le siège de Tortose en Espagne , sous le
duc d'Orléans. Le bâton de maréchal, la grand'croix de Saint-
Louis , et ensuite le cordon-bleu , furent la récompense de
ses services.
Armand Bazin de Bezons, son frère, docteur de Sor«
bonne, fut agent général du clergé de France, puis évoque
d'Aire, ensuite archevêque de Bordeaux, de Rouen, membre
du conseil de la régence , pendant laquelle il ordonna le
fameux abbé Dubois, et chargé de la direction des écono-
mats après la mort de Louis XIV. il mourut à Gaillon, en
1721, à l'âge de soixante-six ans. Aug. Savacner.
BEZOUT ( Etienne ), membre de l'Académie des Sciences
au siècle dernier, s'est surtout rendu célèbre par ses Cours
de Mathématiques à l'usage de la marine et de l'artillerie,
qui parurent pour la première fois en 1764 et en 1770, et
dont on ne compte plus maintenant les éditions. Né à Ne-
mours, en 1730, d'une famille fort pauvre, la lecture de
quelques livres de mathématiques lui révéla sa vocation ;
l'Académie des Sciences lui ouvrit ses portes en 1758, à la
suite de deux mémoires qu'il venait de publier sur le calcul
dl
BEZOUT — BIAir<
137
îrte^al. On lui doit aussi une Théorie générale des Équa-
tions algébriqties (Paris, 1779, in-4"), où se trouve la
première démonstration qui ait été donnée de la proposition
fondamentale de cette théorie envisagée dans toute sa géné-
ralité. Il mourut à Paris le 27 septembre 1783. Il était
depuis 1763 examinateur des gardes du pavillon et de la
marine, et depuis 1768 examinateur de l'artillerie. Quoique
s'adonnant de préférence à l'étude de la géométrie, il cul-
tivait aussi avec succès les sciences physiques. C'est lui qui
le premier fit connaître les grès cristallisiés de Fontainebleau,
qui depuis ont été l'objet de savantes recherches.
Be/out fut le type du savant honnête et laborieux : aussi
sa vie a-t-elle été paisible, pure et heureuse. Condorcet a
relevé, dans l'éloge de ce géomètre , un trait qui honore à la
l'ois son courage et la bonté de son cœur. Deux jeunes aspi-
rants de marine étaient malades de la petite vérole , que
Bezout n'avait pas eue. Il était alors dans un âge déjà avancé,
et il eût été dangereux pour lui de contracter à cette époque
cette cruelle maladie. IMais il n'hésita pas entre cette crainte
et celle de retarder d'un an l'avancement de ses jeunes dis-
ciples; il alla les examiner dans leur lit. « On ne dit pas,
ajoute M. Harginet, que Bezout ait eu l'habitude de n'agréer
que ceux de ses élèves qui avaient étudié les mathéma-
tiques dans ses livre-s; les professeurs de notre époque ont
seuls le triste droit de réclamer l'honneur d'un pareil pro-
grès. «.
BHAGAVAD-GITA (c'est-à-dire, Révélations chan-
tées par la divinité), tel est le titre d'un poème didac-
tique, philosophico- religieux, intercalé comme épisode
dans la grande épopée indienne, le Mahdbhdratta. L'action
en est à peu près celle-ci: Le dieu Krischna a accompagné,
eous une forme invisible, le héros Ardjouna au combat qui
va se livrer. C'est à ce moment que l'épisode commence.
Les deux armées ennemies, celle des Kourouides et celle
des Pandouïdes, qu'unissent des liens de proche parenté,
sont en présence et déjà rangées en balaille. Les trompettes
donnent le signal du combat, et le Pandouïde Ardjouna
monte sur son char de guerre, (jue conduit la divinité elle-
niôine sous la forme humaine de Krischna. Mais quand
Ardjouna aperçoit dans les rangs ennemis ses parents, les
amis de sa jeunesse , ses maîtres , il hésite à se précipiter
dans la mêlée , tourmenté par le doute de savoir si lorsqu'il
.s'agit du gain d'un avantage terrestre , comme ici de re-
conquérir le royaume paternel, il est licite de violer les
lois sacrées de tout l'organisme politique. Alors Krischna
lui démontre dans une série de dix-huit chants la nécessité
de l'action , sans se préoccuper du résultat ; et dans la suite
du dialogue qui s'établit entre le héros et le dieu, le poète
développe un système complet de philosophie religieuse
des Indiens , où il s'efforce de résoudre avec autant de clarté
de style que d'élégance d'exposition les problèmes les plus
élevés de l'esprit humain.
Il a été jusqu'à ce jour impossible de déterminer à quelle
époijue appartenait ce poème et par qui il a été composé.
On ne saurait toutefois le faire dater de l'époque des pre-
miers essais de l'esprit philosophique des Indiens. La nature
en e<;t plutôt éclectique , et suppose une longue culture de
l'esprit obtenue par la fréquentation de nombreuses écoles
philosophiques. 11 est vraisemblable dès lors que le Bha-
gavad-Gitd est contemporain du premier siècle de l'ère
chrétienne. Cet ouvrage jouit dans toute l'Inde d'une im-
mense réputation; aussi a-t-il été souvent commenté (le
meilleur commentaire est celui de Sridhara Svâmin; il a
paru à Calcutta en 1832 ) et traduit dans les divers dialectes
de rindc. Cinq imitations en vers en ont été publiées en 1842
à Bombay. Il en a paru une traduction eu langue télégu à
Madras (1840), et en langue canarcsi à Bangalove (1846),
etc., etc. On doit à Guillaume de Schlegel la meilleure édition
critique du texte sanscrit avec traduction latine ( 2* édition ,
Conn, 1846). Citons encore, en fait de traductions, celle
lilCT. DE L\ CONVEr.S. — T. IH
qu'ena donnée, en langue anglaise, \Vilkins( Londres, 1785),
qui le premier fit connaître ce poème à l'Europe ; la traduc-
tion allemande de Peiper ( Leipzig , 1834 ) , et la traduction
grecque de Galanos (Athènes, 1848). Guillaume de Hum-
boldt a exposé de la manière la plus ingénieuse le contenu
de ce poème, dans sa dissertation Sur l'épisode du Mahd-
bhdratta connu sous le nom de Bhagavad-Gitd ( Berlin ,
1827).
BH ARTRIHARI , célèbre poète indien , auteur d'un
grand nombre de sentences en vers. On n'a aucun détail précis
sur les circonstances de sa vie. La tradition en fait un frère
du roi Pikramàditya, qui vivait au premier siècle avant J.-C,
et rapporte qu'il passa sa jeunesse dans des excès de tout
genre pour finir comme ermite les dernières années dans
les pratiques de la vie ascétique. Son nom figure en tète
d'une collection de trois cents sentences , soit qu'il l'ait réel-
lement composée , soit , ce qui est plus probable , que nous
ne possédions là qu'une anthologie attribuée, suivant
l'usage indien, à un personnage célèbre dans les fables et les
traditions populaires. Dans ces sentences , de gracieux ta-
bleaux de la nature et de séduisantes images d'amour al-
ternent avec de sages observations sur toutes les circon-
tances de la vie et avec des pensées pleines de profondeur sur
Dieu et sur l'immortalité de l'àme.
M. de Bohlen a donné (Berlin, 1833) de ces sentences,
dont la forme est remarquablement belle, une édition cri-
tique, à laquelle se rattachent les varix lectiones du même
commentateur (Berlin, 1850), qui en a également publié
une traduction en vers (Hambourg, 1833). Bhartrihari n'a
d'ailleurs aujourd'hui d'intérêt pour nous que parce que
c'est le premier écrivain indien dont les œuvres aient été
connues en Europe, attendu que le missionnaire Abraham
Boger traduisit dans son savant ouvrage intitulé : Porte
ouverte pour arriver à la connaissance du Paganisme
( Nuremberg, 1653 ), deux cents de ces sentences, que Herder
a beaucoup imitées dans ses Zerstrenten Blœttern.
BHAWALPOUR ou BAWLPOUR , ancienne princi-
pauté , située à l'ouest de l'Inde, dans le Sind, et bornée par
le territoire des Sikhs et les déserts de Bliatnir, Bikaïuiïr et
Djessalmair, ne contient sur une superficie d'environ 55,000
kilomètres carrés qu'une population d'à peine 300,000 âmes ,
à cause de l'inféconditéde son sol. La Ghara, le Pancijuoud et
rindus baignent ses limites au nord-ouest, et ce n'est guère
qu'au voisinage de c«s cours d'eau que le sol est susceptible
de culture. Les exportations consistent en coton, indigo,
sucre, cuirs, laines, matières tinctoriales de tout genre et
matières pharmaceutiques. La population, composéede Djàts,
peuple aborigènedecettecontrée, d'Hindous, de Béloutches et
d'Afghans, fait le plus généralement profession d'islamisme ;
cependant les Hindous sont traités avec beaucoup de dou-
ceur et de tolérance. Les khans de Bhawalpour ont suc-
cessivement reconnu la souveraineté des Afghans, celle des
Sikhs, et depuis 1837 celle des Anglais, qui en 1847 ont
placé cette contrée directement sous leur dépendance.
Bhawlpour, chef-lieu de la contrée, compte une popula-
tion de 20,000 âjnes. Càtie sur un bras de la Ghara , elle
est renommée pour ses manufactures, et fait un important
commerce, favorisé par sa situation, dans un centre naturel
auquel viennent aboutir trois grandes routes. Les Ilindons
de Bhawlpourexpédient des marchandises dans l'Asie centrale
et jusqu'à Astrakkan.
BHÉLAD-AL-DSCHÉRID. Voye::. Bélud-el-Djérid.
BI ACUiVlIlVÉ , épithète donnée, en botanique, aux
poils des plantes qui ont deux branches opposées par la
base , et qui semblent attachées par le milieu.
BIAIN ou BIAIV, terme de coutume par lequel on in-
di(piait , dans les anciennes provinces d'Angoumois, d'Anjou,
de Bretagne, de Poitou et de Saint-Jean d'Angely, les cor-
vées d'hommes ou de bêtes {operarxim privbitio) aux-
quelles les paysans étaient sujets envers leurs seigneurs.
IS
13»
De Laurière j)ense que ces corvidés étaient ainsi nommées
de ce qn'oilcs se proclamaient ou se publiaient au ban.
BIAIS, ce (\u\ n'est pas taillé, coup!'- à angle droit. On
entend par là en architecture les obliiiuités qui se rencon-
trent dans la construction d'un bâtiment , dans un mur de
(ace ou mitoyen, et qu'on ne peut éviter, à cause des coudes que
forment souvent les rues d'une ville ou d'un grand chemin,
ou le terrain d'une maison voisine. On distingue plusieurs
sortes de biais. Le biais gras est celui qui résulte d'un
angle obtus; le biais inaigre, celui que produit un angle
aigu. Le biais par tête est la déviation d'un plan qui pro-
vient de ce que le mur de l'entrée d'une voiUe droite ou
rampante n'est pas d'équerre avec ceux qui portent cette
voûte; le biais passi'. est la fermeture d'un arc ou d'une
voûte sur les pieds-droits de travers par leur plan. Selon l'ex-
jilicalion qu'a laissée Frczier , on donne ce dernier nom ,
dans une voûte , à un berceau biaisé par devant et par
derrière, dont les joints du lit ne sont pas parallèles aux
côtés du passage, tomme dans les voûtes ordinaires
biaises , mais dont la direction tend à des divisions des
voussoirs inégaux , en situation inverse du devant au der-
rière, c'est-a-dire de l'entrée à la sortie, de telle façon que
les joints de lit à la droite ne doivent pas être droits. On
désigne aussi sous le nom de biais passe certaines sujétions
qui, dans les bâtiments, obligent à faire des portes ou des
fenêtres de biais, qualilication qui leur vient du trait géo-
ms'trique qui se produit ou par équarrissement ou par
panneaux ; on appelle corne de bœuf ou corne de vache
les ouvertures ou les passages construits de cette sorte, et
(jui sont seulement de biais d'un côté. Les expressions de
biais par (été , biais par derobement , biais par équar-
rissement s'emploient également dans la coupe des pierres.
En termes de manège, on dit aller en biais, /aire aller
un cheval en biais, c'est-à-dire les épaules avant la croupe,
ou les parties de devant toujours avant celles de derrière.
Pour cela, il faut aider à toutes mains le cheval de la rêne
de dehors, et le soutenir, c'est-à-dire le tenir ferme, sans
lui donner aucun temps , en l'aidant aussi de la jambe de
dehors, de làçon que la rône et la jambe soient du même
côté , et toujours en dehors.
tiiais se dit par extension en morale , ou dans le si-ns
figuré, avec la même acception que dans le sens propre et
direct , des diverses faces sous lesquelles on peut envisager
une chose, des divers moyens, des divers expédients dont
on peut se servir pour y réiissir, des diverses manières enlin
«le tourner, de regarder une alïaire, une entreprise. Mais
c'est surtout en politique (jue ce mot reçoit son acception
la jilus fréquente el la plus étendue. L'adresse et la ruse
font plus en politique ([ue la force et la violence ; là l'ha-
bileté consiste souvent a savoir tourner les diflicultés, à les
aborder de biais et non eu f;ice, car il n'est pas donné a
tout le monde de trancher le nœud gordien ; mais en politique
comme en architecture on ne doit jamais user d'un piucil
moyen sans nécessite absolue, ni recourir à la ruse (juand
on peut employer la franchise, ni aller en biaisant quand
ou peut marcher droit, ni tourner la dil'liculté quand il est
aussi silr et plus honorable de l'aboider de face.
BIALOVVICZ ( Forêt de J. Celte lorêt primitive est si-
tuée en Lilhuanie, dans le gouveitiement de Grodno, entre
le Boug et la ville d'isla. Sa plus grande longueur est de
:{1 myriamèlres et demi, sa plus grande largeur de 27 myria-
inètres, et son circuit de il 2 myriameires. Arrosé par trois
rivières, laNarwa, la Narewca et la Uialowiczouka, le sol
en est géntiralement marécageux, et elle tire son nom d'un
village a|)pelé liialowic/.a. On y trouve des sangliers, des
loups, des ours cl des élans. L'aurochs (t;o//e: lloi:i;i-), que
l'on voyait autrefois dans foules Ic'^ grandes forêts de l'Eu-
rope, ne se rencontre ,<lus aujourd'hui que dans la forêt de
liiaiowicz et dans les marais boises du Caucase. La chasse
à i'aurochs foisait un Aks plus magniliques diverlissemenls
BIAIN — BIANCHINI
des rois de Pologne. Une pyramide élevée au milieu de
la foiôt de Bialowicz, et portant le millésime 1752, a pour
but de consacrer le souvenir d'une grande chasse exécutée
cette année-là par le roi Auguste lll, et dans liiquelle furent ',
tués quarante-deux aurochs. Depuis, la crainte de voir l'es-
pèce complètement s'éteindre (on estime qu'il n'en reste
pas au plus cinq cents individus dans toute l'étendue de la
forêt de Bialowicz) en a fait interdire la chasse sous les
peines les plus sévères, même sous celle de mort. On con-
çoit dès lors que les exceptions admises à cette règle géné-
rale soient regardées comme de véritables événements , el
que le souvenir s'en perpétue à l'instar des faits historiques.
C'est ainsi que l'on cite une chasse à l'aurochs faite par
l'empereur Alexandre en 1829.; on y tua plusieurs de ces
nobles animaux, dont les peaux lurent envoyées à difiéreuts
musées d'histoire naturelle de Russie et d'Allemagne, pour
enrichir leurs collections zoologiques. On cite encore une
grande chasse exécutée en 1836, par ordre du prince Dol-
goroucki, gouverneur général de Lithuanie, et dans laquelle
on abattit un aurochs en grande solennité.
Pendant la lutte que les Polonais soutinrent pour la dé-
fense de leur indépendance nationale, les patriotes de Grod-
no, après s'être soustraits à la surveillance des autorité*
russes, se réunirent dans la forêt de Bialowicz et y levèrent
l'étendard de l'insurrection dans les premiers jours d'avril
1831. Grâce à la position qu'ils y avaient prise, ils cau-
sèrent beaucoup de mal aux Russes , et ne contribuèrent
pas peu à les empêcher pendant quelque temps de franchir
le Boug.
lîl ALYSTOCK, cercle du gouvernement russe de Grod-
uo, dont il tbrme l'extrémité occidentale et confinant à la
Pologne, qui forma jusqu'à la (in de l'année 1842 une pro-
vince particulière de lô8 myriamèfres carrés, avec une i)0-
pulation de 18;j,500 habitants, dans l'ancienne Podlaquie.
C'était autrefois une voïvodie, et elle faisait alors partie in-
tégrante de la Pologne. Lors du dernier partage, elle fut
donnée à la Prusse; mais la paix conclue à Tilsitt en 1807
l'adjugea à la Russie.
Le sol en est plat et léger, mais fertile, arrosé dans .sa
plus grande partie par le Boug, qui y est navigable, et gé-
liéralement sain, malgré ses nombreux marais, qui sur les
bords du Bolz, par exemple, ont quelquefois jusqu'à dix
myriamètres détendue. Les forêts, oii les loups et les renards
so;it très-nombreux, fournissent d'excellents bois de cons-
truction. Le sapin y est l'essence la plus commune. Les ha-
bitants du cercle de Bialystock sont pour la grande majo-
rité d'origine polonaise et catholique , sous l'autorité spiri-
tuelle de l'évêque de I>uck ; ceux qui professent la religion
grecque ressortissent à l'évêché de Polotsk. On y trouve
eu outre des Lettons, desRus.ses, et des juifs, dont le noudire
s'( lève au neuvième de la [lopulation totale. L'agriculture,
l'élève du bétail, celle des porcs surtout, l'exportation des
céréales, du houblon, de la graine de lin, du bois de cons-
truction, des draps, constituent les principales ressources
de cette contrée.
BIALYSTOCK, ville bien bâtie, sur la Binly, et centre
d'un commerce important , e.st le chef-lieu du cercle, avec
une population de 10, .^OO habitants. On y voit un beau châ-
teau, appartenant au conde Branicki, et entouré d'un parc
de toute beauté, ce qui l'a fait surnommer le Versailles de
Il Podlaquie. On y trouve aussi un gyumase, un hôpital,
une école de sages-femmes , deux églises , un couvent de
religieuses et deux chapelles.
BIAIVCIIIA'I (FiiANCEsco), célèbre par ses travaux as-
tronomiques et archoologi(|ues, naquit en liî(i2, à Vérone,
011 il fut élevé au collège des jésuites. Destiné à la carrière
ecclésiastique, il alla, en liiso, étudier à Pailoue la théolo-
gie, les mathématiques, la pliysicpu; et suriout la botanique,
puis le droit à Rome, en 1(kS4. Il s'y lia avec les .savants les
plus célèbres, et s'y livra en même temps à l'élude appro-
B!ANCHINÏ — BIARMIE
139
fondîe (les langues et des littératures grecque , hébraïque et
française. Les antiquités romaines (ievinreiil aussi l'objet
parîiculier de ses recherches , et il eu exécuta lui-uiêiue «les
dessins avec autant de goût que d'habileté. Alexandre \ lit
lui accorda une riche prébende, et Clément XI le notiuiia
secrétaire de la commission instituée pour rectiherle calen-
drier. Chargé de trac<T une ligne inf^ridienne et d'établir un
cadran solaire dans Pégiise de Santa-Maria degli Angeli ,
il s'acquitta avec un rare bonheur de ce travail dihicile. Dans
un voyage qu'il fit en France, en Hollande et en Angleterre,
il conçut le plan de tracer en Italie d'une mer à l'autre une
méridienne , à l'instar de celle qu'avait tracée Cassini en
France. 11 consacra huit années à ce travail, qu'il exécuta à
ses propres frais, mais qui resta inachevé, indépendamment
des nombreuses dissertations astronomiques et archéolo-
giques qu'on a de lui , nous citerons son histoire universelle,
Storia universale provata co' monumenti ejigurata co'
simboli degli antichi (Rome, l(i94), et sa grande édition
de l'ouvrage d'Anastasius , De VUis Romanorum Pontiji-
cuin, qu'acheva son neveu Giuseppe Bianchini (Rome,
171S-1724, 4 vol.). Il mourut en il M; un monument lui a
été érigé dans la cathédrale de Vérone.
î$IAi\COLELLI. Voyez Dominique.
BIARD (FuAiNçois-AuGtSTE). Lvon nous a donné des
poètes, des historiens, des philosophes, des mécaîiiciens,
(les peintres. Parmi ceux-ci, et en première ligne, citons
îîiard, créateur d'un genre qu'on avait rêvé peut-être, mais
(;ue nul encore n'avait eu le courage d'exploiter. Ce n'est
point la caricature, comme l'ont laite les Charlet , les Eel-
langé, les Teniers , les Callot, les Decamps. C'est une pen-
sée toujours rieuse, caustique; c'i'.>-t le coup de lanière sur
\m ridicule, un sarcasme suf un travers. La main de Ciard
n'est point armée d'un pinceau , elle tient le fouet et la te-
rnie; elle frappe, elle sillle, elle fait crier, mais les douleurs
de la victime excitent le rire, et c'est pour cela qu'on peut
dire avec raison que Biard est un ])eintre de mœurs. Ce
qu'on doit le plus admirer <lans ses tableaux, c'est l'esprit,
c'est la vérité, c'est le piltorescjue des détails, c'est la phy-
sionomie de ses personnages. Les rôles sont doimés : à cha-
cun le sien , plaisant ou grave. Ln présence de ses toiles ,
vous assistez à un jeu, à une lutte, à une revue, à une scène,
auxquels vous aussi vous prenez une part. Vous riez avec
le joyeux convive, vous pensez avec le philosophe, vous
folâtrez avec le bambin ou la jeune fille, vous criez avec le
malheureux dont le rasoir entaille la joue, vous entendez
les sons discordants de la clarinette de village qu'un ma-
gistrat homérique a placée en tète de la formidable garde
nationale défilant sous son balcon Biard veut que vous
soyez un personnage de ses tableaux.
On se rappelle, comme d'hier, le triomphe de notre peintre
lors de sa première apparition au musée. Ou criait en s'abor-
dant, on se donnait la main en se disant : L'as-tu vu?
n'est-ce pas que c'est piquant, original, curieux? Et
la foule entourait les cadres de Biard, et la gravure se dis-
putait ses grandes et ses petites créations. Mais quan<l le
peintre se fut rassasié des scènes amusantes qu'il traduisait
à sa barre impitoyable, il alla chercher au loin de nou-
velles émotions, de nouvelles études, de nouveaux spec-
tacles 11 part vers le pôle, il est en face d'un monde
inconnu de la foule; il nous le rapportera tel qu'il le voit,
tel qu'il est, avec ses glaces éternelles, avec ses aurores si
merveilleuses, avec ses avalanches, avec ses ours devora-
feurs et ses scènes de deuil, qui ont jeté sur la côte tant
de cadavres d'hommes et de navires. Biard est devenu
grave, solennel comme le ciel d'airain qui pèse sur sa tête,
connue l'ouragan qui balaye l'espace, comme le chaos qui
l'accompagne, comme l'imposante solitude qui l'entoure. Sa
palelle a de la réflexion; elle revient du Groenland et du
Spit/berg, séjour désolé du phoque et de la baleine, où le
voyageur no porte ses pas q<ie lorsqu'il y est pousse jmr
l'étude cl par cette ardente passion devoir qui ne peut naître
que dans les âmes élevées. Sa femme l'avait courageusement
suivi dans ce voyage.
La seule nomenclature des tableaux de Biard nous mène-
rait trop loin. Paysages, scènes burlesques, terribles drames
>ous les zones brillantes ou dans les glaces du pôle , tout
passe sous l'habile pinceau de l'artiste, tout s'y colore; le
monde est son domaine, et il s'en empare avec une audace
que le succès seul pouvait justifier. Le Baptême sous les
tropiques; La Chasse à l'ours blanc; Du Couédic rece-
vant les adieux de son équipage; Le Duc d''Orléans des-
cendant la grande cascade de l'Eyanpaïkka, sur le
fleuve Muonio , en Laponie; une Vue de la presqu'île
des Tombeaux, au nord du Spitzberg ; un superbe Effet
d'aurore boréale; Le Gros péché; une Chasse aux morses
par des Groënlandais , dans l'océan Glacial; une autre
Chasse aux rennes, en Laponie; Les Demoiselles à ma-
rier ; Le Viatique dans la montagne, en Suisse; La Dis-
traction; un Épisode de la guerre d'Espagne; Le Sacri-
fice de la veuve d'un brahmine; Le Désert, où la pensée
même ne trouve |)as d'horizon; une Scène de la douane à
la frontière; une Scène sur les bords du Hkin; Diver-
tissement troublé; une Distribution de prix dans une
école allemande; Le Triomphe de l'Embonpoint; La Haie
de la Madelaine, aii Spitzberg ; La Pudeur orientale ;
La Convalescence ; Un Appartement à louer; Les Incon-
vénients d'un voyage d'agrément ; V Arrivée de l'artiste
à Pile aux Ours, dans l'Océan Arctique Arrêtons-
nous là; notre plume se fatiguerait à suivre l'ardent explo-
rateur dans ses incessantes excursions. Chez lui , ou peut
dire que le pinceau (;iée, quoiqu'il copie; il ne tâtonne pas,
il trouve l'effet ilu premier coup, Jacques Akago.
Nous ne reparlerons pas des tableaux de Bianl inspirés par
son expédition du Nord. Ces tableaux égayés trop nombreux,
couverts de neige éternelle, trop souvent d'ours blancs,
sont beaucoup trop semblables et d'une monotonie trop
naturelle. Nous jiarlerons encore moins de ses tableaux
d'histoire: Louis-Philippe au bivouac de la garde natio-
nale dans la soirée du 5 juin 1832 (1844); Le Prince
de Joinville au Liban (1843); Les Prisonniers au Sa-
hara ( 1848); Proclamation de la liberté des Aoirs aux
colonies (1849) ; encore bien moins de ses portraits. Mais
nous reviendrons sur le genre qu'il a créé et qui lui doit :
Les Comédiens ambulants (wyi); Le Repas interrompu;
Le Concert de Famille; La Poste restante; Les Suites
d'un Bal masqué ( 1839) ; La Traversée dujfavreà Hon-
Jlcur (1842) ; Le Droit de Visite ; Le Peintre classique; Un
Dessert chez le Curé ( 1 846) ; Henri IV et Fleurette ; Quatre
Heures au Salon (1847); Le Propriétaire ; Le Conseil de
Révision (1848); ^fan^ elAprès la Soirée { 1849); LesPé-
cheurs (1852). Ce sont là autant de petits chefs-d'œuvre
pleins d'esprit, <le mouvement et d'expression. INL Biard a
reçu la décoration de la Légion d'Honneur en 1838. Peu de
Salons s'ouvTent sans qu'il n'y dépose quelques-uns de ses
charmants tableaux. Aussi fut-on bien étonné, en 1845,
de ne rien trouver de lui à l'exposition; et tout le inonde se
demandait avec inquiétude s'il était arrivé quelque acci-
dent à l'aimable jieintre, autrefois si fécond; s'il était re-
tourm3 au Si)it/-berg avec sa courageuse moitié, ou bien si
quelque commande du roi l'avait convié à la retraite , ou
enfin si quelque faux ami lui avait fait prendre la peinture
des ridicules en aversion. Heureusement il n'en était rien ;
les années suivantes M. Biard reparut plus brillant que ja-
mais au Salon, et à Iheure qu'il est son talent est encore
dans toute sa vigueur.
lilAU.^IlE, nom d'un royaume finnois, au nord ou
nord-isl de la Russie, dont il est souvent question dans les
traditions et les annales des pays Scandinaves, mais dont
il est impossible aujourd'hui de déterminer les hmites. C'est
de ce mot que vient sans doute le nom du gouvernement
140
BÎÂRMIE — BIBANS
russe appelé Périme, Perm; mais ce serait à tort que l'on
confondrait avec ce pays l'ancienne Biarmic, qui semble
s'Clre étendue le long de la Dwina , sur une grande partie
des gouvernements d'Archangel et de Vologda , et avoir été
baignée par la mer Blanche.
BIARQUE (de pcoç,vic, et àpxri, commandement),
nom que Ton donnait dans l'empire d'Orient à l'intendant
des vivres , charge analogue à celle du prxfectxis annonx
de Rome.
BIAS, l'un des sept sages de la Grèce, naquit à Priène,
Tille d'Ionie, vers Tan 570 avant J.-C. Il s'attacha princi-
palement à l'étude de la morale et de la politique, et, philo-
sophe pratique avant tout , il resta étranger aux spécula-
tions hasardeuses qui caractérisent la métaphysique de
l'école ionienne, disant que nos connaissances sur la Divi-
nité se bornent à savoir qu'elle existe, et qu'on doit s'abs-
tenir de raisonner sur son essence. Aussi éloquent que dé-
sintéressé, il consacra ses connaissances en législation à
plaider devant les tribunaux, mais sans exiger de rétribution,
et seulement pour les causes qu'il croyait justes. Aussi di-
jait-on, pour désigner une cause excellente : C'est une
cause dont se chargerait Blas. Lors de la conquête de
l'Ionie par les généraux deCyrus, les Priéniens, voyant
leur ville assiégée, la quittèrent en emportant ce qu'ils
avaient de plus précieux ; et comme on demandait à Bias
pourquoi il ne faisait pas comme les autres : u C'est, dit-il,
])arce que je porte tout mon bien avec moi. » Il resta dans
sa patrie dans un âge très-avancé , avec la réputation d'ora-
teur habile, de bon politique et d'excellent citoyen. Les
Pri(''niens lui élevèrent un magnifique tombeau, et lui con-
sacrèrent une enceinte, qu'on nommait le Teutamium (il
éiait fils de Teutamus). 11 composa unpoëme de deux mille
•vers, où il enseignait les moyens de rendre un État heureux
et florissant. On nous a conservé de lui un grand nombre
<Ie maximes, qui attestent la finesse de son esprit, l'austé-
rité de sa morale, et les sentiments d'une piété sage et
élevée. C.-M. Paffe.
BIBACIER. On désigne sous ce nom vulgaire le bel
arbrisseau que Thunberg a rapporté en 1784, et qu'on ap-
pelle encore néflier du Japon {mespilus japonica). Le
hibacier s'est acclimaté dans notre pays, et a soutenu en
pleine terre et dans toutes les localités un froid de treize de-
grés centigrades. Cet arbrisseau plaît par ses fruits jaunâ-
tres acidulés et agréables au gotit, par ses fleurs, qui sont
très-odorantes , et par ses feuilles , qui sont larges et per-
sistantes. On le cultive aussi dans l'Inde et à l'île de l'rance.
Liudley en a formé un nouveau genre , sous le nom de erio-
hotrija (du grec Ipiov, laine, et pôtpu; , grappe), par allusion
à SOS fleurs en grappes lanugineuses. L. Laurent.
li! BANS. Au sud des montagnes de Bougie, dans la
province de Constantine, règne une plaine assez étendue,
que sépare du Sahara une suite non interrompue de ma-
melons liés aux montagnes de Bougie et de Flissa par une
chaîne transversale dont le mont Jurjura est le nœud. C'est
là que se trouve le fameux défilé des Bibans , appelé par
plusieurs voyageurs les Portes de Fer. C'est une gorge
étroite, formidable et sombre, d'un accès fort difficile et
bordée de rochers à pic très-élevés. Le chaînon de l'Atlas
qu'elle traverse est formé par un grand soulèvement qui a
relevé verticalement des couches de roches horizontales à
l'origine. L'action des siècles a successivement enlevé les
portions de terrain qui réunissaient auti efois les bancs de
roclie, de telle sorte qu'elles offrent aujourd'hui laspccl d'un
nuir presque droit, sans aspérités, impossible à franchir,
et qui se prolonge au loin, se rattachant çà et là à des som-
mets tout à fait inabordables. Un ruisseau salé, l'Oued-
lîiban, qui s'est ouvert une route h travers ua lit de cal-
caire dont les faces verticales s'élèvent à plus de :5:J mètres,
de hauteur, et atteignent , par des escarpements successifs ,
ajix crêtes anguleuses et bizarrement découpées qui couron-
nent les montagnes , coule en grondant au milieu de ceffe
chaîne, et y fait tant de circuits qu'on est obligé de le tra-
verser au moins quarante fois pendant les quelques heures
qu'on met à passer le défilé. Le sentier, rude et caillouteux
ici, sablonneux et effondré plus loin, se dresse tantrtt en
montée à pic et tantôt fuit sous le pied par des pentes d'une
roideur extrême, qui rendent la marche des hommes et des
chevaux excessivement pénible. Bientôt on descend vers un
fond , entouré d'une pittoresque couronne de rochers énor-
mes , surplombants et comme pendants dans le vide : ce
site est le plus sativage qu'on puisse voir. C'est là qu'on
rencontre une première ouverture pratiquée perpendiculai-
rement dans ces masses de granit, sur une largeur de trois
mètres environ. A partir de cette première porte , le sentier
se rétrécit insensiblement pendant une centaine de pas
jusqu'à une seconde ouverture, mais si étroite, qu'un mulel
chargé n'y passe qu'avec une grande difTiculté. Ce chemin
caverneux tourne alors un peu vers la droite , et par des si-
nuosités sans nombre , sous deux nouvelles voûtes de ro-
chers, gris à leur base et rosés au sommet, vous permet
enfin de continuer sans intemiption , sans trop d'obstacles,
le parcours de la gorge , qui s'élargit peu à peu dans une
étendue de cinq cents pas à peu près. Un petit vallon, res-
serré par de hautes montagnes, sert d'écoulement aux eaux
de l'Oued-Biban dans la saison des pluies, où, devenu
torrent , ce ruisseau , arrêté dans son cours par les rétrécis-
sements de ce passage , élève quelquefois le niveau de ses
eaux jusqu'à dix mètres au-dessus du sol , puis s'échappe
enfin avec violence par la seule issue que lui ait ménagée la
nature en creusant cette vallée à l'extrémité même de la
pente des Bibans.
Une fois hors de ce passage, où le soleil pénètre rare-
ment , où le vent s'engouffre avec sa voix grondeuse et ses
cris lamentables, où quelques palmiers nains, étiolés, éten-
dent leurs maigres rameaux souvent brisés par l'aile puis-
sante d'un vautour, on retrouve comme par enchantement
le ciel chaud et rayonnant de l'Afrique, la verdure vigou-
reuse des vallées, et ces points de vue admirables qui re-
posent si heureusement le regard , encore fatigué de la dé-
solation des Bibans. Trop heureux si des maraudeurs
embusqués dans ces positions formidables ne vous fusillent
pas à bout portant, car il serait impossible, en cas d'atta-
que , d'opposer la moindre résistance dans ces lieux. Avant
notre conquête, les caravanes, quelque nombreuses et bien
armées qu'elles fussent , ne manquaient jamais d'être sur-
prises, à leur passage aux Bibans, par les Berbères. Il fal-
lait composer avec eux sous peine de mort. Le bey de
Constantine lui-même, qui n'allait à Alger qu'avec une ar-
mée, était obligé de leur payer une somme pour passer le
défilé ; sans cela ils l'auraient attaqué et volé comme après la
conquête d'Alger, lorsqu'il se retira avec un trésor consr-
dérabie pris dans la maison de l'aga.
Telle était donc la route d'Alger à Constantine du temp»
des Turcs. La mine et la pioche y avaient laissé leurs mar-
ques ; elles indiquaient (jue des travaux immenses avaient
dû être exécutés avant d'obtenir seulement pour résultat un
sentier à peine franchissable aux bêtes de somme en de
certains endroits. Évidemment, elle n'existait pas avant
l'établissement de la puissance algérienne ; car aucune trace
des soldats romains ne se fait remarquer aux environs, et
l'étude du système de routes qui liaient ensemble les diffé-
rents points de la Mauritanie semble prouver que la commu-
nication entre S<^/yÎ5 Colonia (Sétif) et Auzia (Aumale) se
faisait, soit par Saldœ (Bougie) et la station de Tubusup-
tus (Bordj-el-Bouberak ), soit par la route, plus longue en-
core, qui tourne par le désert les montagnes d'Ouennouagh.
Depuis quelque temps on avait compris la nécessité de re-
connaître cette partie de la province de Constantine qui s'étend
depuis la ville jusqu'aux Portes de Éer, et de là jusqu'à
J'Oued-Kadd;ira, en passant par le fort de Hamza, oii le dey
BIBANS -
Omar avait fait ouTrirune route royale (soi^ania), qui con-
duit aux Bibans en passant par le sud et assez près du fort. La
présence du duc d'Orléans, débarqué pour la seconde fois en
Afrique, liâta le moment de cette importante opération. Le 25
octobre 1 830, une colonne expéditionnaire , commandée par
le maréchal Valée et composée de deux divisions, sous les
ordres, la première, du prince royal , la seconde, du général
Galbois, partit du Sétif et vint s'établir sur l'oued Bouselah.
De là le corps expéditionnaire se porta rapidement vers
Sidi-Embarek ; et après avoir traversé le territoire des Ben-
Bou-Kethon et des Beni-Abbas , les deux divisions se sépa-
rèrent. Le général Galbois rentrait dans la Medjanab; le
gouverneur général et le duc d'Orléans, avec la première
division, marchaient sur Alger. On s'engagea dans le terrible
défilé des Bibans , gardé seulement par quelques compagnies
d'élite à ses deux extrémités. Les chéiks arabes gardiens
des Portes de Fer, qui devaient nous guider dans cette mar-
che, ayant recomiu l'autorité de El-Mokrani, notre kalifat,
reçurent du prince leurs burnous d'investiture, puis se pla-
cèrent à notre tête, et la colonne s'ébranla aux mâles accents
du clairon. Il s'agissait de se porter sur Alger par les vallées
de rOued-Beni-Mansour et de son affluent l'Oued-Hamza.
Le passage, commencé le 28 à midi, ne fut terminé qu'à
quatre heures du soir. Ce ne fut qu'un longue promenade,
sans dangers sérieux, et qui n'eut pas eu autant de reten-
tissement si le prince royal en personne ne l'avait dirigée ;
mais il y avait quelque chose de grand et de glorieux dans
cette marche triomphale de nos drapeaux à travers ces
gorges redoutables, que les Turcs eux-mêmes n'avaient jamais
franchies sans payer tribut , et où n'étaient point parvenues
les invincibles légions romaines. Nos soldats, grimpant
comme des chamois sur les flancs de cette immense muraille,
y tracèrent avec la pointe de leurs baïonnettes cette simple
inscription, qu'on lit aussi sur les plus hautes pyramides
«l'Egypte : Armée Jrançaise ! Quelques coups de fusil de
maraudeurs les interrompirent à peine dans leur orgueilleuse
opération. On quitta le défilé en chantant la Marseillaise,
et la colonne se dirigea vers le territoire des Beni-Mansour.
Le 30 elle se porta sur Hamza. Au moment oii l'avant-garde
débouchait dans la vallée de Hamza, on aperçut les troupes
d'Ahmed-ben-Salera, établies sur une crête parallèle à celle
qui suivait la division. La cavalerie fut immédiatement lancée
dans la vallée ; mais les cavaliers de Ben-Salem ne l'atten-
dirent pas. On trouva le fort de Hamza complètement
abandonné. Sur le territoire des Beni-Djaad le* tribus de cet
outhan voulurent s'opposer à la marche de la colonne, mais
sans pouvoir l'inquiéter sérieusement. Enfin le l*"" novembre,
au soleil couchant, la division expéditionnaire s'établissait
sous la protection du camp du Fondouck , réunie à la di-
vision du général Dampierre, qu'elle avait rencontrée à
rOued-Kadara. Le lendemain les troupes entraient à Alger,
où une fête fut célébrée. Le passage des Bibans irrita l'or-
gueil de l'émir. C'était en quelque sorte la contre-partie de
l'excursion tentée par lui peu de temps auparavant du côté
de Bougie. Notre expédition tranchait par le fait une ques-
tion de limites , et consommait la prise de possession des
comnHinications entre Alger et Constantine. Les dispositions
hostiles d'Abd-el-Kader ne se dissimulaient plus.- On avait
pris pendant la route des courriers de l'émir qui portaient
des lettres où il appelait des chefs à la guerre sainte. Bientôt
les Arabes passaient la Chiffa, et la guerre éclatait de tous
côtés.
BIBASIS. Nom d'un jeu en usage parmi les Jeunes La-
cédémoniens ; c'était un exercice propre à donner de l'agilité
et de la souplesse, une espèce de danse. Les jeunes garçons
et les jeunes filles qui s'y livraient étaient nus. La biha^is
consistait principalement en sauts, dans lesquels il fallait,
en se repliant sur soi-même , frapper son derrière avec ses
talons. Celui qui faisait les plus beaux sauts et les plus nom-
breux remportait le prix. Les peintures d'Herculanum et
BIBERACH
141
les pierres gravées offrent des sauteurs de bibasis ; il y eii a
même qui l'exécutent sur la corde.
BIBBIENA (Bernard DOVIZI, cardinal de), né de pa-
rents obscurs, en 1470, entra comme précepteur dans la mai-
son de Laurent de Médicis, qui lui confia le soin de veiller sur
la conduite de son fils , le cardinal Jean de Médicis. L'élève ,
qui devint pape sous le nom de Léon X , conféra la pourpre
romaine, en 1513, à son gouverneur, et cinq ans plus tard
l'envoya en qualité de légat du saint-siége en France, à l'effet
de déterminer François l" à laisser prêcher dans ses États
une croisade contre les Turcs. Ce prince ne paraissait pas
éloigné d'en entreprendre une pour son propre compte; mais
les secrètes intrigues et les défiances de la cour pontificale
ne tardèrent pas à l'en dissuader. Le cardinal Bibbiena, à
ce que rapporte le P. Fabre , prévoyant les conséquences
d'une conduite si peu politique, en écrivit à Bome dans les
termes de reproches les plus vifs. On y interpréta mal une
franchise qui, quelque sensée et bien intentionnée qu'elle
fût, devint cause de sa perte. En effet, quelques jours après
son arrivée dans la capitale du monde chrétien, il succomba
tout à coup à une mystérieuse maladie , à l'âge de cinquante
ans à peine, au moment où jamais sa santé n'avait été plus
robuste. On croit, dit Paul Jove, qu'il fut empoisonné avec
des œufs à la mouillette. Il était évêque de Coutances , en
Normandie.
Ce prélat, homme d'esprit et de savoir, compte parmi les
restaurateurs du théâtre. Sa comédie intitulée la Calandra
(Rome, 1524) est la première qui ait été écrite en prose
italienne. L'auteur la composa à l'époque d'un carnaval , à
l'effet de divertir la marquise de Mantoue, Isabelle d'Esté,
dont la cour était le sanctuaire des arts et le siège du plaisir.
Le nom de Bibbiena a été aussi porté par plusieurs ar-
tistes du dix-septième siècle,issus du peintre J.-Marie Galli.
BIBBY9 nom vulgaire d'un palmier de l'Amérique méri-
dionale que les botanistes rapportent au genre ^'/asis,
BIBERACH est une ville du Wurtemberg, autrefois
ville libre impériale, aujourd'hui chef-lieu de l'arrondisse-
ment de son nom , dans le cercle du Danube, à 34 kilom.
sud-sud-ouest d'Ulm , sur la Riss , avec une fabrication très-
active de peaux mégissées, de pelleteries, de toiles fortes,
de lainages, un important commerce de grains et une popu-
lation de près de 5,000 âmes, dont 1,800 catholiques envi-
ron. Elle fut témoin de deux victoires des Français sur les
Autrichiens, dont la première remonte au 2 octobre 1796.
Afin de ne pas être cernée par toutes les forces autri-
chiennes, l'armée de Rhin et Moselle était rentrée en France
au mois d'octobre 1796. Il ne lui était plus possible de con-
tinuer sa retraite, ni de forcer le passage des montagnes
Noires , qu'après s'être débarrassée , au moins pour quelques
jours', du général Latour, qu'il fallait rejeter à une certaine
distance. Les Français avaient pour unique avantage dépos-
séder des forces concentrées. Ils ne pouvaient point se dis-
simuler cependant qu'ils étaient environnés de dangers. Mais
ils avaient la faculté , dans cette position , de porter à leur
gré leurs masses réunies contre les divers corps qui les pres-
saient isolément de tous côtés ; ils pouvaient ainsi battre
l'ennemi successivement et en détail. Le général Jloreau ga-
rantit son armée d'une perte certaine en profitant habilement
de cette situation.
Le corps de Naùendorf marchait dans les vallées de la
Kiniig et de la Rench pour couper le passage des Français;
il avait déjà passé Tubingue, il avait trop d'avance, et se
trouvait trop éloigné du général Latour pour que celui-ci
pilt en recevoir des secours. Dans cet isolement , Moreau
résolut d'attaquer ce général. Sa seule ressource était dans
une bataille : ce parti était audacieux peut-être, mais la
constance admirable des troupes semblait l'y convier. îl fit
donc tous ses préparatifs : l'aile droite était commandée par
le général Férino, qui devait laisser sur l'Argen un corps
de troupes destiné à être opposé au général autrichien Frœ-
^42
BTBERACH — BIBERO^^
licli. Dans le même moment, le suiplus avait ordre de se
diriger vers le village d'Essendorff, en poursuivant l'ennemi,
après avoir passé par Waldsée. Le général Saint-Cyr, com-
mandant le centre et la réserve , était chargé d'attaquer les
Imi)criaux vers Steinliausen, et ses instructions lui enjoi-
gnaient de faire ses efforts pour pousser l'ennemi jusqu'à
Biberacli ; dans le même temps , Desaix , à la tête de l'aile
gauche, devait par la route de Rieldingen à Riberach aller
attaquer Tennerni de l'autre côté du lac. Il lui était expres-
sément ordonné de tâcher de précéder le général Latour sur
les hauteurs près de Steinliausen.
La principale attaque fut commencée par le centre , le 2 oc-
tobre 1796, vers sept heures du matin, sur la route qui
conduit de Reichenbach à Bibcracli. Une seconde colonne
fut commandée pour marcher à l'ennemi par la droite de
Schussenried ; une autre attaque enfin était disposée, et fut
exécutée sur Oggelthausen. Après un combat très-animé de
part et d'autre , les Français eurent la gloire de culbuter les
Autrichiens , qui furent aussitôt vivement poursuivis. Tous
les divers mouvements avaient été calculés , et tout fut exé-
cuté avec une précision qui coopéra beaucoup au succès que
nous obtînmes. L'aile gauche, s'étant mise en mouvement plus
matin, devait arriver au centre à l'instant dési^mé pour
l'attaque entre Seekirk et Ala. Alors, l'aile droite des Impé-
riaux, pour soutenir leur centre, fut obligée de plier ainsi que
leur corps de bataille, qui supportait tout le choc des Fran-
çais, dont la victoire fut complote. Les trophées de cette
brillante journée furent cinq mille prisonniers autrichiens ,
dix-huit pièces de canon et deux drapeaux.
Telle fut la première bataille de Biberath. Jetons un coup
d'oeil sur la seconde, qui fut livrée le 9 mai 1800.
Le cabinet de Vienne avait profité de l'absence de Bona-
parte, qui était en Égjpte, pour reprendre son ancienne do-
mination en Italie et en Allemagne; mais Bonaparte, à son
retour d'Egypte, placé à la tête du gouvernement, en qua-
lité de premier consul de la nation française, réorganise ses
armées, qui se sont ressenties de son éloignement. Son ima-
gination le reporte encore vers l'Italie; il se repaît des sou-
venirs glorieux de cette époque. Déjà les Impériaux ont été
vaincus par l'armée du Rhin à Engen et à Moèskirk. Ces
deux batailles sanglantes ont fait penser que le général Kray
se retirerait derrière l'I lier. Cependant, on le voit se porter,
par des marches forcées, sur les hauteurs en avant de la Riss.
Le général Lecourbe marche le 9 mai 1800 sur l'Atrachi. Il
dirige sa droite vers la hauteur de Lenkirk , le centre vers
Welishoffen et Arnach, la gauche sur Wurtzach, la réserve
sur Biberach, par la route de Pfullendorf, tandis que le
général Saint-Cyr s'y rend également en suivant la route
de Buchau , avec les deux divisions Baraguay d'Hilliers et
Thurreau. La première de ces divisions est rencontœe par
l'ennemi ; on en vient aux mains , mais ces escarmouches ne
retardent presque point sa marche. Les Impériaux, forts de
dix bataillons, voient arriver à eux devant les hauteurs
qu'ils occupent les deux divisions françaises. L'ennemi a sur
celte position quinze pièces d'artillerie et un corps nom-
breux de cavalerie. Le général Kray plaçait le reste de son
armée en arrière de Biberach ; le grand ravin formé par la
rivieie de la Riss couvre le front de ses troupes.
A peine arrivés en présence, les bataillons du général
Saint-Cyr se précipitent avec une telle impétuosité sur les
Autrichiens qui occupent les hauteurs, que du premier choc
ils sont culbutés dans le ravin, et que, bien loin de cher-
cher à reprendre leurs lignes pour résister, ils jettent en
jiartie leurs armes. Le général Kray se hâte d'envoyer des
secours assez puissants pour protéger la retraite ou plutôt
la déroute des siens. Il fait aussi diriger son peu d'artillerie
dans la même intention ; sans cela on aurait lait un grand
nombre de prisonniers sur ce point.
L'ennemi avait aussi été rencontré par le général Riche-
panse dans la direction de Pleinheiss, a un mjriamèlre de
Biberach ; il s'était avanté en combattant toujours depuis
Indelfmgen , et à peine il arrivait sur les hauteurs en deçà
de Biberach , que le général Saint-Cyr , à la tète de ses
troupes, pénétrait dans la ville. Bien que les Impériaux oc-
cupassent un plateau en arrière de la ville, et eussent une
artillerie considérable et un corps nombreux, le général Ri-
chepanse résolut de les en débusquer. La situation des rives
de la Riss est peu favorable à une pareille attaque : elle est
encaissée dans un terrain bourbeux, bordée par des ma-
récages; et c'est sur ce point que l'artillerie ennemie vo-
missait SI s boulets et sa mitraille. Ces obstacles n'effravè-
rent point les troupes françaises, et la Riss fut traversée par
l'infanterie ayant de l'eau jusqu'à la ceinture ; les hussards
du b'' régiment la suivirent : ils eurent de la peine, car le
terrain était devenu trop mou ; il fut donc ordonné à deiix
régiments de cavalerie d'aller an galop traverser la Hiss
à Biberach ; et comme l'ennemi se i-ejjliait directement sur
Memmingen, Richepanse leur prescrivit de prendre enMiile
le chemin de cette ville. D'après ces dispositions, dont
l'exécution ne laissa rien à désirer, les hauteurs furent
gravies, la baïonnette en avant, i ar les généraux Digonet et
Durut. Au moment de leur arrivée, la cavalerie débouchait
sur la route de Memmingen; alors les Autrichiens lurent
chargés par la division entière, qui les battit et les accdhia
avec cette impétuosité dont les Français setds ont le sccrit,
et l'on vit les Impériaux, loin de résister, abandonner pré-
cipitamment le champ de bataille, couvert de morts et de
blessés.
Cependant un débris de leur armée scmaintenait encore
sur le prolongement du plateau qui se dirige vers Mitem-
bach. Tandis que Digonet et Dunjt venaient de battre les
Autrichiens auprès de Biberach, le général Saint-Cyr or-
donne d'attaquer ce débris sur l'éminence, où l'on n'arrive
que par un débouché, ce qui rendait au premier coup d'o-'l
cette position inexpugnable ; mais l'intelligence du général
Saint-Cyr, égale à sa valeur, eut bientôt surmonté ces difli-
cultés locales. Ses dispositions furent si bien prises, et
son attaque fut exécutée avec tant de vigueur, que les Im-
périaux se défendirent à peine, et que la déroute fut
bientôt dans leurs rangs; ils finirent par abandonner le
champ de bataille aux Français, qui trouvèrent dans Bibe-
rach des magasins immenses. Cette brillante journée, où
toutes les armes se distinguèrent, coûta aux Autriclùens
4,000 hommes, dont 2,000 prisonniers.
BIBEROiV. Ce n'est point de ces hommes à rouge tro-
gne que le peuple nomme ainsi dont nous voulons parler, mais
seulement d'un instrument destiné à remplacer le sein dans
l'allaitement artificiel des enfants. Le plus simple et le
plus généralement employé est une sorte de bouteille plate en
verre blanc , ouverte en dessus d'un trou par lequel on fait
entrer le liquide et qu'on peut fermer au moyen d'un bouchon.
Le goulot est terminé par une sorte de bouchon aussi en verre
et en forme de mamelon, percé d'un petit trou par lequel le
lait s'écoule dans la bouche de l'enfant lorsque celui-ci tient
ce mamelon entre ses lèvres. Quelquefois on entoure ce
mamelon d'un linge pour empêcher le liquide de venir en
trop grande abondance. On peut ôter le bouchon dont nous
avons parlé plus hSTut lorsque l'enfant boit, afin que Fair ne
manque pas dans la bouteille. Avant l'invention de ce bibe-
ron, on avait imaginé d'en faire dont le mamelon était en
liège artistement travaillé ou en tétine de vache.
Les nourrices se servent tout bonnement de bouteilles
qu'elles ferment avec une éponge , avec un linge ou avec un
bo\ichon troué. Ces derniers ont un inconvénient a.ssez grave ;
l'air ne pouvant entrer dans le vase au fur et à mesure que
le liquide s'en échappe, l'enfant finit par s'épuiser en efforts
inutiles pour attirer le lait. Un autre inconvénient de ces bi-
berons, c'est que l'enfant aspire beaucoup d'air, qui, introduit
dans l'estomac, se dilate et occasionne des flatuosités, sui
vies quelquefois de vomissements. D'ailleurs , quelque soin
BIBERO?( — BIBLE
Î43:
<j!ie Ton apporte à entretenir lV|ioii£;c propre, on ne peut guère
(viter qu'il n'y s«^jonrneunpeu delait, qui s'aigrit trèspromp-
lement et altère bientôt toute la noiirriture de l'enfant.
BIBI.WK 011 VIV11:NXE (Sainte), vierge romaine qui
souffrit 11' martyre, à ce ipron croit, sous le règne de Julien
l'Apii-tat. On lit dans Aniinien Marcellin qu'en l'an 363 de
notre ère cet empereur nomma Apronien gouverneur de
Rome, et que dans le voyage qu'il dut faire pour se rendre
dans cette ville, Apronien eut le malheur de perdre un oeil.
Non moins super>titieii\ que son maître, ce fonctionnaire
attribua aussitôt l'accident dont il était victime aux maléfices
des magiciens; et dans cette folle persuasion il résolut
d'exterminer les raasiciens (sous ce nom on entendait les
chrétiens ). Parmi les victimes de cette persécution on com-
prit sainte Bibiane, son père Fiavien, qui appartenait à
l'ordre des chevaliers, Dalrose samère, et Démétrie sasœur.
Quand les chrétiens recouvrèrent le libre exercice de leur
culte, ils érigèrent une chapelle sur l'emplacement où avaient
été déposés ses restes mortels. En 405 le pape Simplice y
fit construire une b^ile éi;lise, qu'on appela Olympia, du
nom d'une pieuse dame romaine qui avait fait les frais de
l'édifue. Plus tard, Honorius llllatit réparer; et comme elle
finit avec le temps par tomber en ruines, on la réunit à Sainte-
Marie-Vajeiire. Urbain VIII, qui lit reconstruire cette église
en I62S, ordonna d'y déposer les reliques de sainte Bibian-^,
de sainte Dalrose et de sainte Démétrie.
ClIilOX (Ornithologie) , nom vulgaire de l'oiseau
qu'on appelle aussi demoiselle de yumidie (Ardea vir-
go, Linn.). Cette espèce de grue a été remarquée de tout
temps, à cause de sa démarche cadencée, de ses mouvements
mimiques et de ses sauts, par lesquels elle semble vouloir
fixer l'attention , et qui lui avaient fait donner par les an-
ciens le nom de Comédien.
Le bibion se reconnaît à son corps, d'un joli gris bleuâtre,
avec la tête et le haut du cou noirs ; il a derrière chaque
œil un faisceau de plumes blanches , longues , flexibles , et
pendantes en arrière; un troisième faisceau de même nature
mais composé de plumes noires , prend naissance au bas
du cou. Il offre dans son anatomie une particularité remar-
quable, qui ne s'est retrouvée jusqu'ici que chez quelques
espèces de cygnes : sa trachéc-artcre xient s'engager par
une double circonvolution dans la crête du sternum, creusée
à cet effet. Cet oiseau se rencontre dans la Guinée, dans la
>"i!midie et dans les parties de l'Asie voisines de l'Europe.
BiB10\ ( Entomologie), '^cnrt d'insectes diptères, de
la famille des sarcostomes , et dont plusieurs espèces
stijit connues sous des noms qui rappellent les époques où
elles paraissent : telles sont les mouches de Saint-Marc ,
qui se montrent au printemps, et les mouches de la Saint-
Jean , qu'on voit plus tard. Ces insectes se posent en grand
nouibie sur les arbres Iruitiers, auxquels ils ne causent, du
reste , aucun dommage. Les femelles fécondées déposent
leurs œufs dans la terre ; les larves (jui en sortent sont
apodes, cylindriques, munies de vingt stigmates et cou-
vertesde poilsquiles font ressemblera de certaines chenilles.
Pendant l'hiver ces larves s'enfoncent dans les terres, pour
se garantir de la gelée; elles y pénètrent encore au mois de
mars, pour s'y changer en nymphes: sous cette dernière
(onr.Q elles sont oblongues , et u'odrent plus que seize
stigmates. Enfin, lorsque l'animal est parvenu à l'état par-
fait, ses caractères génériques sont : une tète presque en-
tièrement occupée par les yeux dans les mâles, mais petite,
allongée et inclinée dans les femelles; une trompe saillante;
des antennes cylindriques, insérées sous les yeux et com-
|K)sées de neuf articles ; des pieds velus ; deux cellules
basiiaires aux ailes.
BIBLE (du grec Ta P'.g/.îa, c'est-à-dire les livres, ou
le livre des livres). C'est le nom sous lequel on désigne
<l!';iiiis <aint Jean Chrysostome la collection des sain-
tes Éciilures, coasidéices et lionoiée^î par les clirétiens
comme la base de la religion qni leur a été révélée par
Dieu. >'ous n'avons point à faire ressortir ici l'excellence
de ce livre, dans lequel Chateaubriand croyait retrouver
comme un écho de l'Éternité : un homme d'une plus grande
autorité se chargera d'ailleurs de cette tâche à l'article
ÉcRiTCKE Sainte. Nous n'avons point à juger les raisons qui
ont fait admettre tel ou tel livre dans le canon de la Bible ,
et nous donnerons au mot Canomqlf.s (livres ;i la liste des
ouvrages admis dans ce canon , et aussi celle des livres re-
jetés comme apocryphes, par les différentes églises chré-
tiennes. Nous laisserons pour les mots Exégèse , iNTEr.piiÉ-
TATio.N, L\spiR.\TiON , etc, les discussions relatives a la saine
explication des saintes Écritures. Enfin chaque livre de ce
livre des livres ayant dans notre Dictionnaire un article par-
ticulier, où nous ferons son histoire spéciale et où nous ana-
lyserons son contenu, il ne nous reste plus qu'à donner l'h's-
toire littéraire de la collection , la manière dont elle s'est
formée, l'historique de ses éditions et de ses traductions les
plus importantes.
Au point de vue de la langue, comme à celui de leur
contenu, les livres de la Bible se divisent en deux parties
fort inégales, V Ancien et le youveau Testament, c'est-à-
dTe r.\ncienne et la Nouvelle .Mliance. En efTel. le mot
Testamentum n'est que la traduction en latin postérieur
(du deuxième siècle) du grec ôiaOr.xr, , qui veut dire al-
Hance, le système religieux du Mosaïsme étant con-
sidéré comme une alliance entre Jchova et Israël, et le prin-
cipe de la rédemption dans le Christ étant mentionné de
même à diverses reprises sous cette dénomination dans le
Nouveau Testament.
VAncien Testament est la collection des trente-neuf
livres en langue hébraïque ou chaldéenne considérés par
les Juifs et par l'Église chrétienne comme samts et inspirés
( le nombre en a été artificiellement réduit à vingt-deux , pour
répondre aux lettres de l'alphabet hébraïque). Il contient
tous les débris de la littérature hébraïque et chaldéenne jus-
que vers le milieu du deuxieiue siècle avant Jésus-Christ.
A l'cpoqt.i de Jésus-Christ cette collection portait indiffé-
remment les titres &" Écriture (TpaçT)), de saintes Écri-
tures, ou, suivant leur contenu, de la Loi et les Prophètes;
a quoi on ajoute quelquefois les Psaumes ou le reste des
Ecritures. De là aussi une division de r.\ncien Testament
fort ancienne, et qui existait déjà avant le Nouveau Testa-
ment , en la Loi, les Prophètes et les autres saintes Écri-
fines. La Loi comprend les cinq livres de Moïse : la Genèse,
ï Exode, le Lévi tique, les .SnmbresciXe. Deutéro-
nome. Les Prophètes se divisent en Anciens, qui sont
les livres de Jo sué, des Juges, de Samuel et «les Pi ois;
et en youveavx, lesquels se subdivisent en grands et fn
petits prophètes. Les premiers sont : Isaïe, Jérémie,
Êzéchiel, auxquels les chrétiens ajoutent Daniel, d'après
la traduction d'.Alexandiie; les seconds comprennent tous
les autres prophètes. La troisième division, contient les
Écritures désignées sous le nom iVNagioiraphes, et ren-
ferme, outre les livres poétiques lie Job, les Prov erbes
et les Psaumes, le Cjn tique des cantiques,r Ecclé-
siaste, Rut h, Jérémie et Esther.
Les traducteurs d'Alexandrie et les Pères de l'Égli.se,
Luther, etc., n'adoptent pas pour le placement de ces livres
le même ordre que les Juifs ; ceux-ci eux-mêmes différent
entre eux, les Talmoudistes n'admettant pas l'ordre adopté
par les .Mazoreths , les manuscrits allemands en ayant un
autre que les manuscrits espagnols.
Quant à l'origine même de la collection, en raison de
l'usage excessivement restreint que Moïse, les poètes et les
légendairesderépoquehéroique suivante firent de l'Écriture, il
faut admettre que ce fut seulement à dater des écoles de pro-
phètes que se formèrent les rédactions plus complètes de
lois et d'histoires qui portent le nom de Samuel , de même
que quelques coileclion.; de cantiques. Les quatre livres ipii
144
nous possétlons aujourd'hui sous le nom de Moïse datent
(le l'époque de Salomon (dixième siècle avant J.-C), peut-
être bien au-jsi le livre de Josué ; plus tard vinrent les
livrée des Juges et de Samuel , puis les i'rophéties au hui-
tième siècle avant J.-C. ; avant et à l'époque d'Ezéchias
(vers l'an 712 avant J.-C), une collection des Proverbes
de Salomon; vers l'époque de Josias (environ vers l'an 627)
eut li€u l'achèvement duPentateuque, et dans l'exil seu-
leiucnt furent composés les livres des Rois. Par conséquent
la première partie, la Loi, et la première moitié de la se-
conde partie, les Prophètes, datent de l'époque de l'exil.
Ajirès l'exil et après la mort du dernier prophète, Malachie
(vers la fin du cinquième siècle avant J.-C), se forma la
collection de la seconde moitié de la seconde partie, laquelle
fut terminée alors qu'existaient déjà les Paralipomèncs
(dans la seconde moitié du quatrième siècle) et le livre de
Daniel ( vers la fin du deuxième siècle) , qui par conséquent
auraient pu y être compris. Peut-être est-ce seulement à la
fin de la période perse ( dans la seconde moitié du quatrième
siècle) que se forma la troisième partie, celle des Ha-
giographes, qui ne fut pas terminée avant le milieu du
deuxième siècle avant J.-C, puisqu'on y comprit encore le
Livre de Daniel , qui ne fut écrit que vers ce temps-là. La
plus ancienne mention qui soit faite de la collection de
l'Ancien Testament se trouve dans le prologue de Jésus
Sirach ( vers l'an 130 environ avant J.-C ), ce qui ne prou-
verait pas d'ailleurs que la troisième partie eiU été terminée
alors. Les citations qui en sont faites dans le Nouveau Tes-
tament (S. Luc, XXIV, 44; S. Matthieu, xxin, 25) ne le
prouveraient pas davantage ; la preuve complète ne se trouve
que dans la seconde moitié du premier siècle après J.-C. et
dans les ouvrages de Josèphe, sans que pour cela toutes
incertitudes en ce qui touche la troisième partie soient de-
venues impossibles parmi les Juifs et les chrétiens versés
<lans la connaissance des langues grecques.
Les écrits de Moïse , des Prophètes et de David, ou une
certaine partie de ceux qui leur sont attribués, ne furent
admis dans la sainte collection qu'en raison du caractère
personnel de leurs auteurs ; et les autres ouvrages , anony-
mes pour la plupart, tantôt à cause de leur contenu, tantôt
en raison de l'espèce de consécration que leur donnait leur
antiquité ; enfin, parmi les écrits postérieurs à l'exil, quelques-
uns (le Cantique des Cauliqucs, l'ixclésiaste, Daniel) en rai-
son de l'époque reculée où vivait l'auteur qu'on leur donne;
d'autres (les Paralipomènes, Esther), à cause de leur con-
tenu; d'aiiti es encore (lisdras et Néliémie), parégaiO |iour
les services importants rendus par leur auteur au rétablisse-
ment du culte et de la loi. Une critique sévère ne fut point
exercée à cet égard, et ce soiii a été laissé à la critique mo-
derne, exempte (le préventions. Mais tandis qu'en haine des
Juifs, et par un prétendu respect pour Moïse, les Samaritains
«le reconnaissaient couune canoniques que les cinq livres de
Moïse et ne possédaient d'ailleurs encore qu'une paraphrase
postérieure du livre de Josué, les Juifs d'Egypte ajoutaient
dans leur traduction grecque d'Alexandrie, du moins par-
tiellement, d'autres livres apocryphes que les Juifs de la
Talestine ou rejetaient de l'Ancien Testament ou bien ne
lisaient pas du tout.
L'Église chrétienne se trouva d'autant plus obligée de faire
usage, dans sou culte et dans sesenseignementsdogmatiques,
de l'Ancien Testament , que plusieurs siècles s'écoulèrent
«ans qu'on eût réuni en collection les livres du Nouveau
Testament; seulement elle en fit usage avec toute liberté.
Toutefois , par suite de l'ignorance des langues hébraïque et
«haldéenne, qui était généiale dans l'Église chrétienne pri-
mitive , elle ne put se servir que de la traduction de l'Ancien
Testament faite en grec à Alexandrie. Or, comme celle-ci
contenait aussi ce qu'on a coutume d'ai)peler les Apoery-
jilics, livres que les Juifs de la Palestine ne considéraient
çt;is comme des onvnu^es canoniques, il eu résulta que les
BIBLE
premiers Pères de l'Église eux-mômes fiient un usage plus
large et plus libre des Apoci-jpheâ. Toutefois, jusqu'au quu'^
trième siècle dans l'Église grecque les livres de l'Ancic
Testament appelés apocryphes pour la première fois aii_
cinquième siècle par saint Jérôme, furent considérés comme"
des livres propres à être lus dans l'église et dont la lecture
était recommandée par l'Église, sans qu'elle les assimilât auTM
livres canoniques. Des principes beaucoup plus sévères rôfll
gnaient, au contraire, à cet égard dans l'Église latine. On y
considérait précisément comme canoniques les livres regardés
par les Grecs comme seulement propres à être lus à la foule,
encore bien que quelques savants, comme saint Jérôme, saint
liilaire, Rufin, Junilius, peu d'accord entre eux à ce sujet,
s'y opposassent et ne voulussent Voir dans ce qu'on appelle
aujourd'hui les Apocryphes que des /tôrj ecc/esiositci rcjetcs
de l'Ancien Testament canonique.
Les protestants revinrent les premiers au canon juif de
l'Ancien Testament, et séparèrent des livres hébreux de l'An-
cien Testament les ouvrages ajoutés à la traduction latine et
à celle d'Alexandrie, en n'admettant que les premiers à
une démonstration dogmatique. On ne saurait nier toutefois
que ces Apocryphes constituent une expression historique
de l'époque de transition de l'Ancien Testament au Nou-
veau , et qu'il serait bien difficile de s'en passer si l'on tenait
à se faire une idée complète des idées religieuses , et aussi
qu'ils forment (le Livre de la Sagesse, par exemple) une
très-précieuse partie de l'Ancien Testament. C'est donc au
fond avec raison , quoicjuc peut-être au point de vue d'une
tradition et d'une dogmatique trop rigides, qu'au concile de
Trente l'Église catholique, contrairement à l'opinion des pro-
testants, sanctionna tous les ouvrages contenus dans la V u I-
gate, et qu'elle déclara par conséquent que les Apocryphes
constituaient une partie canonique de l'Ancien Testament.
Beaucoup de savants catholiques (par exemple, Bernard
Lamy, Jahn, etc. ) .se sont efforcés pourtant de se rapprocher
du droit historique, en établissant une distinction entre le
premier et le second canon. Les protestants ont d'ailleurs
admis aussi les Apocryphes dans leurs éditions de r.\ncien
Testament. En effet, Luther les ayant compris dans sa tra-
duction delà Bible en allemand, comme des livres « qu'il no
faut pas sans doute estimer à l'égal des saintes Écritures ,
mais qu'il est cependant utile de lire , « on les trouve en-
core aujouid'hui Imprimés dans toutes les Bibles allemandes.
De ce qui précède il résulte que si de tout temps l'admis-
sion des Apocryphes a été contestée, par contre, de tout
temps aussi les clirétiens, à l'exception des sociniens et »le
quehpies autres sectaires, se sont accordés à reconnaître
à l'Ancien Teslamcut une autorité canonique égale à celle
du Nouveau Teslament. On ne saurait nier cependant, et il
est tout au moins généralement reconnu tacitement, que le
Nouveau Testament a remplacé l'Ancien Testament, dont le
Christ a osscntiellement accompli toutes les prophéties. Le»
auteurs du Nouveau Testament et les législateurs chrétiens
se sont effectivement placés, au moyen d'une interpréta»
tion des plus libres, au-dessus de l'Ancien Testament par
les rectifications qu'ils lui ont fait subir, et aussi en n'hésitant
pas à supprimer de leur autorité privée certaines institu-
tions de l'Ancien Testament (par exemple, celles des sacri-
fices, du sabbat, et de presque tout le cérémonial). Mettre
l'Ancien Testament sur la même ligne que le Nouveau
Testament, ce ne serait pas seulement renier celui-ci el
jusqu'à un certain point le déclarer nul, mais encore, si on
était conséquent, aller droit aux contradictions les plus ins
lubies en ce qui est du dogme, des mœurs et du culte. Cepen
dant l'Ancien Testament contient si bien l'histoire antérieur
du Nouveau Testament qu'il est indispensable pour pouvoir
comprendre la nouvelle alliance; il y en est si souveni
fait mention, et par Jésus-Christ lui-même ( Saint Matthiei^
surtout, v, 17 et suivants ), comn>ed'une base qu'il faut bie
se garder de délniiie, parce que c'est sur elle que s'élèvera
l'élifice (In clinstianisme ; il a e\crcé une influence si dé-
risivc sur le développement de l'Église cliréllenne, et, mal-
gré son point de vue judaïque et partial , il a produit en re-
ligion et en morale tant et de si grandes choses auxquelles
aucun autre peuple n'a rien à comparer, que ce serait trahir
fhistoire et la religion que vouloir l'effacer de la liste de nos
livres saints et le séparer du Nouveau Testament.
Le Nouveau Testament est la collection des ouvrages
considérés par les chrétiens comme imposés, saints et véri-
tahles, datant de l'époque primitive du christianisme, de
celle où vivaient encore les apôtres du Christ, ses aides et
ses disciples, et ayant trait à Thistoire ainsi qu'aux dogmes
de la religion chrétienne. Cette collection se compose égale-
ment, d'après son origine et d'après son contenu, de trois
parties bien distinctes.
La première comprend les livres historiques : les Évan-
giles, à savoir : les synoptïqxies , c'est-à-dire les Évangiles
de saint Matthieu, de saint Marc et de saint Luc, l'Évan-
gile de saint Jean, elles Actes des Apôtres de saint Luc,
qui, en raison de leur grande ressemblance dans les faits et
dans les paroles, se rertco«^re«^ souvent.
La seconde partie comprend les ouvrages épistolaires et di-
dactiques : en premier lieu les Épîtres de saint Paul, deux
aux Romains, deux aux Corinthiens, une aux Galates, une
aux Éphésiens, une aux Philippiens, une aux Colossiens, deux
aux ïhessaloniciens ; les épitres pastorales (à TimoUiée et
une à Tite); l'Épître de saint Paul à Philémon; eiilin les
épitres catholiques , deux épîtres de saint Pierre et de saint
Jean, de saint Jacques et saint Jude, et en outre
l'épître aux Hébreux , écrite avant l'épître de saint Jacques.
La troisième partie est la partie prophétique , et ne con-
tient que la révélation de saint Jean, l'Apocalypse.
Mais cette collection telle qu'elle existe aujourd'hui ne
date pas, pour toutes ses parties, de l'origine du christia-
nisme, et n'est pas non plus demeurée à l'abri des doutes de
la critique ancienne et moderne pour quelques-unes de ses
parties. Les premiers chrétiens ne reconnurent comme base
de leur foi que l'Ancien Testament. Aussi à côté de citations
accumulées de l'Ancien Testament ne trouve-t-on que très-
rarement dans les Pères apostoliques des invocations bien
précises de textes des épîtres des Apôtres, notamment de
celles de saint Paul : par exemple , des épîtres aux Romains,
aux Hébreux et aux Corinthiens, dans Clément Romain;
de l'épître aux Éphésiens et de la première aux Coiinlhicns,
dans Ignace; de l'Épître aux Philippiens et de la première
aux Corinthiens, dans Polycarpe. Les citations de textes
des Évangiles, qui ne furent séparés que beaucoup plus tard
des apocryphes, sont encore bien moins précises, par
exemple dans Barnabas, Clément Romain , li;nace, Poly-
carpe; circonstance qui tend à prouver tout au moins
que ce fut dès le premier siècle et au commencement du
second qu'on s'occupa de recueillir et de fixer les traditions
chrétiennes et les docimients évangéliques. L'incertitude des
textes réunis par l'Église est en outre démontrée par l'usage
qu'on n'hésitait pas à faire dans les premiers siècles d'Évan-
giles déclarés plus tard apocryphes et à ce titre rejetés du
Nouveau Testament, par exemple de VÉvanrjile égyptien
cité par Clément d'Alexandrie , et d'autres Évangiles encore
invoqués par Clément Romain et par Ignace. C'est seule-
ment à partir de la seconde moitié du deuxième siècle qu'on
trouve des citations plus précises des Évangiles et de l'A-
pocalypse dans saint Justin Martyr ( mort vers l'an 160 ) et
dans son disciple Tatien (mort en 176), des Épîtres de
saint Paul dans Athénagoras ( mort en 180 ), des Évangiles
et des Épîtres de saint Paul dans Théophile ( qui floiissait
vers l'an ISS).
La conscience de la liberté dans l'Esprit saint qui péné-
trait les premiers siècles chrétiens à l'égard de toute auto-
rité , même de celle des Apôtres ; la tradition ecclésiastique ,
encore récente et vivante; la lenteur extrême que mit l'É-
Dicr. nr. la convfjîs. — t. uj.
BIBLE \4h
glise catholique à se constituer; la difficulté qu'il y.ivait i\
obtenir commiinicationd'écrits apostoliques dispersés pour la
plupart dans diverses communautés; l'absence de critique à
l'égard d'hérésies et de falsifications condamnées plus fard
seulement; enfin les incertitudes existant dans la détermi-
nation des limites oij cessait le caractère des hommes apos-
toliques et où commençait la canonicité, principe qui ne fut
admis et reconnu qu'à la longue ; la maxime encore générale-
ment admise qu'il suffisait pour le but du culte chrétien
de lectures de l'Ancien Testament ou de quelques ouvrages
chrétiens existant par hasard dans les différentes commu-
nautés, sans avoir pour cela de caractère canonique; toutes
ces circonstances empêchèrent jusque vers le milieu du se-
cond siècle qu'on s'occupât sérieusement de réunir les ou-
vrages du Nouveau Testament pour en former une collec-
tion d'une certaine étendue et la soumettre à une critique
plus attentive. Des livres de la première moitié du premier
siècle de l'èrechrétienne dont l'authenticité est évidente pour
tout juge réfléchi, par exemple l'Épître aux Galates, ne pa-
rurent très-certainement que cent cinquante ans après l'é-
poque où ils furent composés, à la fin du second et au com-
mencement du troisième siècle, sans que pour cela, comme
la critique modernel'a essayé pour d'autres ouvrages du Nou-
veau Testament, il y eût à douter qu'ils fussent auliientiqucs
ou tout au moins qu'ils eussent été composés à une époque bien
antérieure. On ne trouve donc pas de traces d'une collection
des ouvrages du Nouveau Testament avant la seconde moitii';
du deuxième siècle ; elle fut faite alors en opposition à une fal-
sification gnostique du ciirislianisme primitif par Marcion de
Pont, lequel avait réuni dix épîtres de saint Paul en omet-
tant ses pastorales, et s'était en outre servi d'un Évangile de
saint Luc en lui faisant subir les mutilations les plus arbi-
traires.
L'origine du canon du Nouveau Testament actuel ne date
donc à bien dire que de la fin du deuxième siècle et du
commencement du troisième siècle, époque où saint I renée,
saint Clément d'Alexandrie et Tertullien reconnaissent comme
canon déjà concordant les quatre Évangiles atlmis encore
aiiourd'hui pour canoniques, les Actes des Apôtres, les
13 épitres de saint Paul, la première épître de saint Pierre,
l'épitre de saint Jean et l'Apocalypse, Deux recueils se trouvè-
rent alors en présence, mais ne tardèrent pas à se combiner :
Yinstrumentumevangelicum (tô EùayYs'Xiov), comprenant
les quatre Évangiles, et Vlnstrumentum apostolicum (6
'ATiôffxoXoî) avec les Épitres de saint Paul et autres. Cepen-
dant les discussions de la critique se prolongèrent jusqu'au
sixième siècle. C'est ainsi qu'Origène révoque encore en doute
l'authenticité de l'Épître aux Hébreux, des Épîtres de saint
Jacques et de saint Jude, de la seconde et de la troisième Épî-
tres de saint Jean, tandis qu'il incline à admettre comme ca-
noniques beaucoup d'apocryphes du Nouveau Testament, no-
tamment des ouvrages d'Hermas etde Barnabe, rejetés déci-
dément plus tard par l'Église. L'Apocalypse elle-même fut
révoquée en doute jusqu'au milieu du septième siècle par
des motifs dogmatiques. Eusèbe , ce père de l'Église si ins-
truit et si sagace, distingue encore au quatrième siècle trois
classes de livres du Nouveau Testament : 1° les ouvrages gé-
néralement reconnus ( ôîAo/oyoyjAEva ) , les quatre Évangiles,
les Actes des Apôtres, 14 Épîtres de saint Paul, la première
Épître de saint Jean et de saint Paul ; 1° les ouvrages non
généralement reconnus ( àvtiXeYÔixeva ) , entre autres les épî-
tres de saint Jacques, de saint Jude, deux épîtres de saint
Pierre (2"" et 3^ épîtres) ainsi que l'Apocalypse de sai:i
Jean, et encore en seconde ligne les Actes de saint Paul, com-
plètement rejetés plus tard , le livre du Berger ( Hermas),
la Révélation de saint Pierre, l'Épître de Barnabe, les Le-
çons des Apôtres et l'Évangile des Hébreux ; 3° les ouvrages
absurdes et impies (hérétiques).
L'Occident, plus porté à conserver, plus éloigné aussi du
la source des traditions chiéliennes primitives, se décida a
H6
fi\er le titre du NouTeau Testament beaucoup plus tôt que
l'Orient, plus enclin à la critique. Le concile tenu à Laodicée
( de 360 à 304 ) avait encore exclu l'Apocalypse du canon,
tandis que les synodes tenus à Hippone (393) et à Carthage
( 397), l'êvêque de Rome Innocent 1" au commencement
du cinquième siècle, et le concilium romanum sous Gé-
lase !"■ ( 494 ), reconnurert et admirent l'ensemble du ca-
non du Nouveau Testament tel qu'il existe actuellement. Les
doutes au sujet de certains ouvrages du Nouveau Testa-
ment ne durèrent guère au delà du septième siècle. Le
moyen âge, enchaîné très-iiiérarcliiquement et devenu , surtout
dans sa première moitié, généralement étranger à la con-
naissance de la langue grecque, demeura sans critique. Ce
fut la Réformation qui la première fit renaître les anciens
doutes au sujet de l'Épitre aux Hébreux, des Épîtres de
saint Jacques et de saint Jude, et Luther ne craignit même
pas de qualifier à' apocryphes l'Épitre aux Hébreux et l'A-
pocaljTJse. Cependant l'engourdissante orthodoxie, qui, à par-
tir de la deuxième moitié du seizième siècle, pendant tout
le courant du dix-septième et jusque dans le milieu du dix-
huitième, domina dans l'Église protestante, recula tellement
sur ces matières tout libre développement scientifique, que
ce fut un catholique libre penseur, Richard Simon (mort
en 1712 ), qui, en opposition à l'étroite théologie des protes-
tants , dut le premier faire prévaloir l'idée d'une Introduc-
tion historique et critique à la Bible contenant l'Ancien et le
Nouveau Testament. Les protestants, à l'invitation de Lowth,
de Semler, de Herder, de Giiesbach, de Miciiaelis, d'Eich-
horn, etc., finirent par se décider à faire des études plus
critiques. A la vérité , la manie des hjrpothèses et aussi en
partie le résultat de ces investigations scientifiques trouvè-
rent des adversaires aussi ardents parmi les catholiques
^ue parmi les protestants restés orthodoxes. Mais l'œuvre
le critique rationnelle n'en trouva pas moins d'intrépides
continuateurs.
Depuis la publication de la Vie de Jésus de Strauss
tous les ouvrages du Nouveau Testament, à l'exception des
quatre grandes Épîtres de saint Paul.del'Épîlre auxRomains,
de deux Épîtres aux Corinthiens et de l'Épitre aux Galates ,
ont été révoques en doute par l'école de 'fubingue; tout ré-
cemment même, Bruno Bauer a traité d'apocryphes les li-
vres qui avaient trouvé grâce devant ses devanciers, et la
lutte sur les autres ouvrages dure encore. Mais si la fausseté
de la seconde épître de saint Pierre peut être aujourd'hui
considérée comme scientifiquement démontrée, en revanche
raiillienticitc de tous les autres ouvrages du Nouveau
Testament est reconnue par les plus habiles critiques ( à
l'exception de l'école de Tubingue), soit comme indubitable,
soit comme présentant tous les caractères déterminants de
la vraisemblance. Le canon du Nouveau Testament sub-
siste donc encore historiquement en entier, à l'exception de
la deuxième Épître de saint Pierre. Mais c'est là un résultat
plus important au point de vue historique qu'au point de vue
dogmatique.
Quelque importance historique que puisse avoir la ques-
tion de savoir si la plupart des livres du Nouveau Testament
datent dans leur forme actuelle du milieu du deuxième
iècle, ainsi que le prétend l'école de Tubingue, ou bien de
fa première moitié du premier siècle, comme l'affirme l'école
opposée, elle n'en saurait avoir aucune en ce qui touche le
do^Mic môme. Un dogme, comme l'enseignent les protes-
tants demeurés orfiiodoxes, ne doit pas être tenu pour vrai
parce qu'il a été écrit dans tel ou tel livre, dans le premier
ou d:ins le second siècle ou à toute autre époque, ou encore
parce qu'il est commandé par une autorité extérieure, mais
parce qu'il a jiour lui la vérité qui résulte d'une nécessité
intérieure particulière , alors même que les livres qui ont
fait jusiiue alors autorité absolue le déclareraient faux. Ce-
pen.ianl il n'en est p.îs moins nécessaire de combattre dog-
uialiquemenl les tendances d'une critique uniquement des-
BIBLE
tructive, parce que le plus souvent elle est dirigée par de
fausses prémisses et qu'elle mène à l'erreur.
L'Ancien et le Nouveau Testament ayant été écrits tous
deux dans une langue ancienne et fixés dans leur forme ex-
térieure à une époque où la critique n'avait pas encore de
base solide , la restauration possible du texte original tant
de l'Ancien que du Nouveau Testament constitue une partie
importante de la théologie scientifique , dont les travaux se
partagent le plus souvent entre l'Ancien et le Nouveau Tes-
tament.
L'opinion, jadis orthodoxe, suivant laquelle l'Ancien Tes-
tament serait parvenu intact jusqu'à nous, une fois écartée,
comme aussi le reproche adressé aux Juifs par les anciens et
les modernes d'y avoir intentionnellement introduit des fal-
sifications destinées à favoriser leurs dogmes particuliers , il
s'agissait d'abord pour la critique de fixer des leçons en gé-
néral très-différentes, et d'indiquer les moyens de rétablir le
texte dans sa pureté primitive. Les investigations les plus
récentes prouvent qu'en général les Juifs de la Palestine et
de Babylone ont traité leurs livres saints avec beaucoup plus
de soin et de respect que les Samaritains et les Alexandrins.
Dans les écoles savantes qui florissaient vers l'époque de Jé-
sus-Ciirist à Jérusalem , peu après la destruction de cette
ville en Palestine, et plus tard encore en Babylonie, le texte
de l'Ancien Testament fut rectifié et fixé avec assez de soin,
surtout après que le texte du Talmoud eut été fixé au sixième
siècle par ce qu'on appelle la Masora. Ce soin ne s'éten-
dit d'abord qu'aux consonnantes du texte hébreu, de môme
que la ponctuation ne devint l'objet d'une grande sollicitude
qu'à partir du onzième siècle , quoiqu'à un degré moindre
que les anciennes consonnantes , réputées par cela même
pour saintes. En 1477 parut d'abord ( vraisemblablement à
Bologne) le Psautier, imprimé aussi avec le commentaire de
Kimchi; en 148S à Soncino, pour la première fois, tout l'An-
cien Testament petit in-folio, édition qui paraît avoir été
suivie pour celle de Brescia (1494), dont Luther se servit
pour sa traduction de l'Ancien Testament. La Biblia Poly-
ylotta Complutensis (1514-1517), la Biblia Rabbinica de
Bamberg, publiée par le rabbin Jacob Ben-Chajim (Venise,
1525-1526), édition qui a été suivie par la plupart des édi-
tions postérieures; enfin la Biblia Polyglotta d'Angers (8
vol., 1569-1572), les Bibles d'Hutterus (Hambourg, 1587;
souvent réimprimées depuis) , de Buxtorf (Bàle, 1611), et sur-
tout celle de Jos. Athias ( Amsterdam , 1660 et 1667), qu'ont
presque entièrement suivie les éditions les plus récentes et
les plus estimées, par exemple, celles de Simonis, de Hahn,
de Theile, etc.), sont justement célèbres. Par conséquent,
si le caractère Httéraire des écrivains de l'Ancien Testament
peut être signalé comme incertain et induisant le critique en
erreur, les éditions hébraïques que nous possédons aujour-
d'hui de l'Ancien Testament peuvent, au total, être con-
sidérées comme bonnes et exactes. La division qu'on y
trouve du Pentateuque en six cent soixante-neuf parasch
(chapitres) provient ^Taisemblablement de l'époque reculée
où existait l'usage de donner pubUquement lecture de l'É-
criture sainte , et se trouve déjà dans le Talmoud. Les gi'ands
^parasch ou les cinquante-quatre péricopes actuels du Sab-
bath apparaissent, au contraire, pour la première fois dans la
Masora, et ne se trouvent pas dans les rouleaux de la syna-
gogue. Les morceaux de lecture choisis dans les prophètes,
tous écrits sur des rooleaux particuliers et appelés naph-
^ares, c'est-à-dire chapitres finaux, parce qu'on en donnait
lecture à la fin des assemblées du culte, sont aussi déjà dans
le Talmoud. Notre division actuelle en chapitres est, au con-
traire, de beaucoup postérieure. Bien qu'empruntée aux Juifs,
elle est d'origine chrétienne, et date à peu près de la (in du
treizième siècle. La division des livres poétiques en phrase;»
détachées ou membres rhythmiq\ies (versets) est beaucoup
plus ancienne, et précéda même les divisions des livres de
prose en périodes logiques qui se trouvent ausi.i déjà dans le
i
BIBLE
147
Talinoutl et qui sen'ent de base à notre division actuelle de
l'Ancien Testament en versets. Toutefois , c'est seulement à
la longue et depuis le commencement du seizième siècle que
s'introduisit l'indication par ctiiffres aujourd'hui en usage,
l'ar conséquent, la mise en ordre et l'arrangement si commode
actuel de l'Ancien Testament sont également sous ce rapport
le travail de plusieurs siècles.
Indépendamment de Marcion, qui a été accusé d'avoir
commis plusieurs falsifications dans le Nouveau Testament,
et surtout plusieurs mutilations , indépendamment encore
des erreurs qui t'taient inévitables dans la reproduction des
manuscrits, les chrétiens du premhsr siècle, qui n'étaient
pas enchaînés par l'autorité de la lettre , se permirent un
grand nombre d'interpolations, ou encore des modifica-
tions au texte primitif, sans les soumettre à une critique
suffisante. Le courant d'idées et la civilisation si différents
de l'Orient et de l'Occident aggravèrent encore le mal ; et la
critique moderne n'évalue pas à moins de 80,000 le nom-
bre des variantes qui en sont résultées. Afin d'arriver à
mettre un peu d'ordre dans ces matériaux critiques , Gries-
bach adopta trois leçons différentes des matériaux cri-
tiques : t° la leçon occidentale; 2° la leçon d'Alexandrie;
3° la leçon de Conslantinople. Ce point de vue a été ou
combattu ou adopté par les critiques Matthoei,Rink, Bach-
niann et Tischendorf, sans qu'on puisse dire jusqu'à ce
jour que les matériaux critiques aient été l'objet d'inves-
tigations suffisantes et même que les bases de ce travail
aient encore été posées.
Le Nouveau Testament fut imprimé beaucoup plus tard
(lue l'Ancien : d'abord dans la Polyglotta CompliUensis ,
en 1514, d'après des manuscrits non complètement authen-
tiques, et à diverses reprises à partir de 1510 (5 fois,
jusqu'en 1535), mais avec peu de soin au point de vue
critique , par Érasme, à Bàle. Les nombreuses éditions du
Nouveau Testament qui furent faites ensuite suivirent pour
la plupart, sauf de minimes changements, l'édition d'Érasme
ou la Polyglotta Complutensis , ou bien les deux textes
combinés. On ne peut mentionner spécialement que celles
de Colonaei (Paris, 1534), de Bogard (Paris, 1543), et la
troisième édition d'Etienne l'aîné (1550) et d'Etienne le
jeune (Genève, 1569). Théodore de Bèze fut le premier
qui, par des études comparatives faites sur la troisième
édition d'Etienne , fit progresser la critique du Nouveau
Testament. On doit dire toutefois que ce fut moins son
travail fondamental que sa réputation personnelle et l'ac-
tive industrie des imprimeurs hollandais qui firent adop-
ter leur édition comme texte ordinaire actuel du Nou-
veau Testament, comme textus receptus, imprimé pour la
première fois (Genève, 1565) par Etienne, avec la Vulgate
et des observations critiques , puis à diverses reprises , no-
tamment par Elzévier (Leyde, 1024, et souvent depuis).
Le labeur des Anglais Walton dans la Polyglotte de Londres
(5^ et 6^ parties, 1657), Fels (Oxford, 1075) et surtout
Mill (Oxford, 1707), ranima de nouveau la critique du
Nouveau Testament; on peut associer honorablenient à
leurs travaux ceux de Bengel, si remarquables sous le rap-
port du tact et de la sagacité (Tubingeu, 1734 ; nouvelle
édition, avec additions par son fils, 1790), et de Welstein
(2 parties, Rotterdam, 1731; 2" édit. parLotze, 1732). Les
uns et les autres toutefois ont été de beaucoup dépassés par
la prudente critique et la réserve systématique de Griesbach
(Halle, 1774), qui dans sa seconde édition (2 vol.. Halle
et Londres, 1796 et 1806) put mettre à profit les matéiiaux
nouveaux recueillis dans l'intervalle par]\Ialthœi,et extraits
de plus de 100 manusciits moscovites et autres, de même
que les travaux de Birch (Copenhague, 1788), de Molden-
liauer et d'Adler : aussi cette seconde édition de l'ouvrage
de Griesbach avec sa savante Polyglotte forme-t-elle en-
core le manuel indispensable du critique. Les Essais de
Scholz, la Lucubraito crilicu cl l'édition critique de Rink
(2 vol., Leipzig, 1830-1836) ainsi que celle de Lachmann
(Berlin, 1831 ) et Tischendorf (Leipzig, 1851) ont fourni à
la science de nouveaux matériaux , et lui ont permis d'aller
bien au delà du point où Griesbach en était resté.
l'ai mi les manuscrits, les plus anciens (ils datent au plus
du qiiatiièn)e siècle), sont écrits en lettres onciales; les
plus récents (à partir du dixième siècle) , en écriture cur-
sive. Les plus importants sont le Codex Alexandri-
n«s, le Codex Vaticanus, le Codex Ephrœmi (un Codex
rescriptus ou palimpsestus sur lequel sont écrits des ou-
vrages de saint Éphrem, Pèrede l'Église), \eCodex Cantnbri-
gensis ou BezcV (ainsi appelé parcequ'il appartint à Bèze, qui
en fit don à l'université de Cambridge, l'un des manuscrits les
plus anciens , mais où ne se trouvent que les Évangiles et
les Actes des Apôtres), etc. , etc. Ceux que nous venons de
citer sont ordinairement désignés par les critiques, dans
l'ordre où nous les avons placés, par les lettres A, B, C, D.
Dans la plupart il n'existe pas de séparations entre les
mots , et c'est là précisément une des preuves de leur haute
antiquité. Les divisions actuellement existantes dans le Nou-
veau Testament ne remontent qu'en partie à une époque
reculée. Vers l'an 462, Eulhalius, diacre à Alexandrie,
imagina la division en versets ((ttîxoij ; ce fut lui qui eut l'i-
dée de diviser ainsi les Épîtres de saint Paul et les Actes des
Apôtres ainsi que les Épîtres catholiques en alinéas , pour
indiquer comment il faut les distinguer à la lecture. La di-
vision actuelle du Nouveau Testament en chapitres ne date
comme celle de l'Ancien Testament, que du treizième siè-
cle , époque où elle fut introduite par le cardinal Hugo ;
celle des versets fut faite par Etienne dans son édition de
1551. De môme, les titres et épigraphes sont d'origine pos-
térieure , et tombent par conséquent complètement dans le
domaine de la critique scientifique. Mais sur ce point encore
il n'y a de progrès possible qu'à la condition d'une indé^)en-
dance complète des dogmes. On doit reconnaître d'ailleurs
que , en dépit de ses nombreuses incertitudes , le texte du
Nouveau Testament est encore (sauf un petit nombre d'ex-
ceptions) dans un état tout à fait satisfaisant sur tous les
points les plus importants.
Les traductions de la Bible devinrent d'autant plus im-
portantes et nécessaires pour l'Ancien et pour le Nouveau
Testament que l'usage de la Bible se répandit loin de son
sol historique original et national. C'est ce qui explique les
différences essentielles que présente l'histoire des traduc-
tions de la Bible , de l'Ancien et du Nouveau Testament.
En ce qui touche l'Ancien Testament, il faut signaler en
première ligne, parmi les traductions faites directement du
texte hébreu original :
1" Les traductions grecques, dont la plus remarquable est
celle qui fut laite à Alexandrie et qu'on connaît sous le nom
des Septante, puis celles d'Aquila, de Théodotion et de
Symmaque, lesqueHes datent de la lin du deuxième siècle.
Toutes ces traductions, avec des fragments de quelques au-
tres dont les auteurs ne sont point connus , se trouvaient
réunies dans les Hexaples d'Origène. La traduction en
grec de plusieurs livres de l'Ancien Testament qui fut faite
au quatorzième siècle, et qui existe dans la bibliothèque de
Saint-Marc à Venise, la versio venetica (publiée par Villoi-
son, Strasbourg, 1784, et par Ammon, Erlangen, 1790),
n'a été reproduite dans aucune autre langue. De bonne
heure, au contraire, la traduction faite à Alexandrie par les
Septante passa dans d'autres langues. Ainsi naquirent les
anciennes traductions latines, dont la plus importante est
celle qu'on désigne sous le nom A'Itala, que saint Jérôme
corrigea en partie, et qui date des premiers temps du chris-
tianisme ; puis les traductions syriaques, entre autres la tra-
duction faite en 017 par Paul, évoque de Tela, et Vlnter-
pretatio figurata (ce qui veut dire : traduction faite d'a-
près celle des Septante), aujourd'hui presque coinpléleiur-iit
perdue, mais critiquée au couiuiencement du huitième siccla
la.
148
par Jacob d'Edesse. La traduction éthiopienne faite par les
ctiréliens vers le quatrième siècle environ , et dont il n'a été
publié jusqu'à ce jour que des fragments, provient également
de la traduction des Septante, de même que la double tra-
duction égyptienne, la traduction copte ou de Memphis et
la traduction saidique ou de la Thébaide, toutes deux faites
vraisemblablement vers la fm du troisième ou le commen-
cement du quatrième siècle. La traduction arménienne faite
au cinquième siècle par Miesrop et par ses disciples Johan-
nes Ekelensis et Josephus Palnensis ( publiée pour la pre-
mière fois par l'évéque Uskan, Amsterdam, 1665 ; en der-
nier lieu, Venise, 1805) ; la traduction géorgienne ou gru-
sinienne ( Moscou, 1743 ) qui date du sixième siècle ; la tra-
duction slave du neuvième siècle, ordinairement attribuée
aux missionnaires Méthode et Cyrille ( Moscou, 1766 ) ;
enfin plusieurs traductions arabes du dixième au douzième
siècle de l'ère chrétienne , proviennent toutes de la même
source.
2° Les traductions chaldéennes ( Targumim ) remontent
à une époque extrêmement ancienne; mais le texte en a
trop souffert pour que la critique puisse s'en occuper avec
fiùreté.
3° La traduction samaritaine du Pentateuque, le plus sou-
vent Httéralement fidèle, dont l'auteur et l'époque sont in-
connus, remonte également au delà du troisième siècle de
l'ère chrétienne.
4° La traduction ecclésiastique adoptée par tous les chré-
tiens de Syrie et qui à l'origine ne comprenait que les li-
vres canoniques de l'Ancien Testament, diisignée sous le nom
de Peschito, qui veut dire simple, (idole, parait être l'ime
des plus anciennes traductions de la Bible et avoir été faite
par un chrétien vers la fin du deuxième siècle. Elle a sem
de source à plusieurs traductions arabes.
5" Les traductions arabes provenant, soit du texte judaï-
co-hébreu (par exemple, du rabbin Saadia Gaon), soit du
Pentateuque samaritain, traduit au onzième ou douzième
siècle par le Samaritain Abou-Saïd, sont d'une date posté-
vieure.
6" La traduction persane du Pentateuque, (ruvre d'un
Juif appelé Jacob, qui remonte au plus au neuvième siècle
de notre ère.
1" Enfin, il faut encore mentionner la V u 1 g a t e latine.
Parmi les traductions du Nouveau Testament il faut d'a-
bord citer trois traductions syriaques :
TLatrès-tidèle Peschito, composée vers la fin du deuxième
siècle (publiée par la Société Biblique d'Angleterre, Lon-
dres, 1816), avec une double reproduction : l'une en
arabe ( publiée par Erpennius, Leydc, 1816 ) , et une traduc-
tion persane des Évangiles.
2" La traduction très-littérale de tous les livres du Nou-
veau Testament, à l'exception de l'Apocalypse, désignée sous
le nom de Traduction de Philoxène ou de Charkel, faite en
fi08 sur l'ordre de Philoxène, évoque d'Hiérapolis, par le
chorévêquc Polycarpe, puis revue en 616 par Thomas de
Chakel ( Héraclée), dont While a donné une édition (2 vol.,
Oxford, 1778).
3" La traduction en syriaque hiérosolyraitain contenue
dans un manuscritde l'an 1030, que possède la bibliothèque
du Vatican.
A ces traductions syriaques se rattachent la très-littérale
traiiuction éthiopienne; les traductions égyptiennes, d'une
haute importance pour la critique, et datant vraisemblable-
ment déjà de la seconde moitié du troisième siècle (l'une eu
dialecte de la Haute- Egypte ou saidique, l'autre en dialecte
de la Basse-Egypte ou de Memphis, et une troisième en
dialecte de Basmuri); la traduction arménienne, peu impor-
tante pour la critique, mais fort ancienne dans quelques-nnes
de ses parties; enfin les traductions géorgienne, persane,
iirahe et arabe-copte. Indéfiondaiimicnt de la traduction
slave (Moscou, 1GU3), la liailuction en langue gotlic par
BIRLE
Ulfilas est d'une importance liistorique toute particu-
lière; elle est cependant encore surpassée sous ce rap-
port par l'ancienne Bible latine dite Itala ( publiée par Mar-
tianay; Paris 1695), traduite à son tour en anglo-saxon
( publiée par Thorpe; Londres, 1845 ), mais surtout par la
traduction latine retouchée par saint Jérôme et désignée sous
le nom de Vulgate. C'est surtout au point de vue de la
critique que ces différentes traductions ont de l'importance,
laquelle s'accroît en raison de leur antiquité, et de cette cir-
constance qu'elles peuvent avoir été faites sur des manus-
crits contenant les textes originaux.
En raison des efforts faits au moyen âge par l'Église pour
empêcher le peuple de lire librement la Bible , l'imitatioa
poétique de l'histoire évangélique, par Otfried de Wissem-
bourg, la traduction du livre de Job et des Psaumes faite par
Nokter Labeo vers l'an 980 , et d'autres encore, eurent une
importance toute particulière, et les efforts faits déjà à partir
du quatorzième siècle pour traduire toute la Bible en alle-
mand on eurent bien davantage encore. A cet égard , la
France, de tout temps plus disposée que les autres nations
du continent à faire acte d'indépendance, fit preuve et de
plus d'activité et de plus d'énergie. Dès l'an 1170 le réfor-
mateur Potrus Waldus se faisait traduire le Nouveau Tes-
tament en provençal par Etienne d'Aure. Si cette traduction,
qui proiiuisit d'immenses résultats, de même que celles qui
furent faites pour saint Louis ( 1227 ), Charles le Sage (1380),
etc., n'existent plus aujourd'hui pour la plupart, l'histoire de
la Bible {Bible ystorieus, hijstoire escolastre), écrite en 1380
par Guyars de Moulins , ne laissa point que de les suppléer
et d'exercer à son tour une grande influence. Cet exemple
ne tarda pas à être imité par l'Espagne sous Alphonse V
( au treizième siècle), par l'Angleterre, où Wi clef traduisit
la Bible (imprimée à Londres, 1757 et 1810), par la Bohême,
oii Jean Huss traduisit également la Bible en langue natio-
nale. Une fois que l'art de l'imprimerie eut été inventé, et
surtout à partir de la seconde moitié du quinzième siècle, on
vit poindre les signes avant-coureurs d'une reconstitution
totale du christianisme dans les réimpressions sans nombre
qu'on fit alors des textes bibliques : ainsi il nous faut citer
les traductions espagnoles ( 1478 et 1515), la traduction ita-
lienne du bénédictin Nicolas Malherbi (1471 ), la traduc-
tion française de Des Moulins (1477-1546), la traduction
en langue bohème (Prague, 1448; Venise, 1506, souvent
réimprimée depuis), la traduction hollandaise (Délit, 1477),
et surtout les dix-sept traductions allemandes publiées avant
celle de Luther, dont cinq antérieurement à l'année 1477 et
les autres de 1477 à 1518.
Luther éclipsa dans sa traduction de la Bible les réfor-
mateurs qui l'avaient précédé. Jamais on ne s'était encore
aussi entièrement pénétré du sens et de l'esprit des saintes
Écritures. Possédant des connaissances philologiques aussi
étendues qu'on pouvait les avoir de son temps, il fut se-
condé dans sonœuvrc par quelques-uns de ses contemporains
les plus savants, tous précurseurs et champions ardents
delà Réformation, Mélancbthon, Bugenhagen, Jonas,
Creutziger, Aurogallus, et Nicolas d'Amsdorf. Luther avait
la conscience de l'importance que devait avoir sa traduction
pour l'œuvre de sa vie, la Réformation ; car c'est en s'élèvant
jusqu'à l'étude de la Bible qu'il avait pu trouver la force
nécessaire pour résister au despotisme spirituel. Alleman<l
avant tout, il s'attacha à mettre entre les mains du peuple
allemand une version des saintes Écritures claire , intelli-
gible, reproduisant l'inspiration des anciens livres, afin de lui
fournir une arme défensive contre l'asservissement systéma-
tique des infolligences , poursuivi sans cesse par l'Église de
Rome. C'est ainsi que sa traduction de la Bible en langue
allemande est restée un chef-d'œuvre inimitable, un livre
essonliollement populaire, le bouclier et l'épée de l'Église
proteslanfo. Pondant son séjour à Wartbourg, Luther avait
déjà achevé sa traduction du Nouveau Tcstauicnt. Elle lut
BIBLE — BlBLTOGRAPHl!:
149
publiée en seplembre 1522. En 1523 parurent les cinq livres
(le ^Moïse ; et le tout se trouva successivement terminé et
complété en 1 53'* par les Apocryphes. Cette traduction se
répandit dans toute l'Allemagne avec la rapidité d'un torrent.
Les presses seules de l'imprimeur Hans Luft à Wittemberg
en mirent dans l'espace de quarante ans cent mille exem-
plaires en circulation sur tous les points de l'Allemagne ;
on la réimprima en même temps. En 1558 il en existait déjà
trente-huit éditions différentes, sans compter soixante-
douze éditions du Nouveau Testament seul. Dans le nord
de lAllemagne on la réimprima en plat-allemand (de-
puis 1553, à Lubeck, Hambourg, Wittemberg, Magde-
bourg, etc. ) ; on la traduisit à l'usage des populations du Da-
nemark (le Nouveau Testament, 1524 ; la Bible entière, 1550),
tie la Suède (le Nouveau Testament, 1526; la Bible en-
tière. 1550), de la Hollande (1526), de l'Islande (le Nou-
veau Testament, 1540; la Bible, 1584), et amsi jusqu'en
Laponie.
Le clergé catholique, irrité de l'énorme propagation de la
traduction de Luther, lui reprocha de n'être qu'une falsifi-
cation des saintes Écritures; mais ses attaques ne firent
qu'accroître le succès du livre.
Pendant ce temps-là Zwingle avait également entrepris
de son coté, avec Léon Judae et Gaspard Grossmann (Me-
gander), une traduction de la Bible, qui parut de 1524 à 1531.
Après Lerèvre d'Étaples (Faber Stapulensis, le Nouveau
Testament, Paris 1523; la Bible, 1528 ), un cousin deCalvin,
Oliveton, traduisit d'abord le Nouveau Testament (Neuciià-
tel, 1535), puis toutç la Bible (Genève, 1545; c'est pour-
-luoi on la désigne sous le nom de Bible de Genève). Cette
traduction, revue en 1551 par Calvin, et plus tard par Th. de
Bèze , devint le texte officiel de la Bible pour l'Église ré-
formée, qui rejeta alors celles de Faber et de Castellio, tandis
ijuc l'Angleterre, en proie aux plus sanglantes discordes
religieuses, ne recevait qu'en 1568, sous le règne d'Élizabeth
et i)ar les soins de l'archevêque Parker, la Bible épiscopale,
que précédèrent des tentatives de traduction faites par
Sv. Tindal (le Nouveau Testament, imprimé en Hollande,
1527, et souvent depuis), par Taverner (Londres, 1539), par
Mattliew (1549), enfin par les puritains Coverdale et Gilbie,
par Cranmer (1561). Pendant le cours du dix-septième
siècle un grand nombre de souverains , soit spirituels , soit
temporels, s'attachèrent à renouveler et à corriger les tra-
ductions de la Bible usitées dans les terres placées sous
leur domination. Telle est l'origine des traductions encore
en usage aujourd'hui dans diverses éghses nationales. C'est
ainsi qu'en 1611 l'AngleteiTe reçut la Royal version de
Jacques !"■, à laquelle quarante-sept savants avaient travaillé
pendant sept années consécutives; la Hollande, en 1637, la
Bible officielle publiée par le synode de Dordrecht; la Suède,
une édition officielle à laquelle a coopéré toute la Suède
savante à partir de 1774 ; la Suisse ( 1665), une Bible toute
nouvelle par J.-H. Hottinger, C. Sincer, P. Fùsslin et autres
(revue et corrigée en 1772); l'Église française réformée
(les Huguenots), outre diverses autres éditions, celle publiée
en 1588 par la Vénérable Compagnie , sous la direction de
Beitram, à laquelle est venu s'ajouter un nouveau com-
mentaire genevois de 1805 et de 1835.
Les catholiques aussi , notamment en France et en Alle-
magne, eurent leur part de travail dans l'œuvre biblique,
là surtout où les doctrines du jansénisme et celles de la
philosophie religieuse dont Joseph II fut le patron entrè-
rent en lutte ouverte contre l'ancienne Église. La Bible de
Louvain fut ou revue ou traduite de nouveau en France
(entre autres par Richard Simon, 1702 ), mais surtout par les
jansénistes de Sacy , Arnauld, Nicole, dont la tra-
duction de la Bible (Amsterdam, 1667 ; dite Bible de Mons,
par suite de l'indication fausse du lieu d'impression ) fut
condamnée par le pape Clément IX , tout comme le fut en
I70S par Clément XI le Nouveau Te^tamcnl en français
avec des réflexions morales (Paris, 1687 et 1693) du
P. Quesnel.
Conséquente avec la base même de ses enseignements ,
l'Église catholique s'est toujours montrée jusqu'à ce jour op-
posée à la libre propagation de la Bible, dans quelque tra-
duction que ce pût être ; encore bien qu'elle n'ait pu em-
pêcher de paraître de nouvelles et de meilleures traductions
de la Bible ( par exemple, par van Ess, en 1807 ; par Schnap-
pinger, 1807; par l'abbé deGenoude, en 1818; par Kistenia-
ker, en 1825 ; par Scholz , en 1828; par Allioh, en 1836). L'É-
glise protestante, de son côté, persistant dans ses principes, a
voulu que peu à peu la Bible devînt accessible aux peuples les
plus lointains , et qu'on pût la lire dans toutes les langues de
la terre. Elle entreprit celte œuvre dès le seizième siècle ,
mais c'est dans le siècle actuel , par la coopération des So-
ciétés Bibliques, et surtout par celle de la Société Biblique
de Londres, qu'elle est parvenue à obtenir les résultats les
plus certains. A l'exposition universelle qui a eu lieu à
Londres en \%h\ ,\mSi\\\URritish and foreign Bible So-
ciety exposer la Bible traduite en cent trente langues dif-
férentes. Par une bizarre anomalie, la traduction de la Bible
adoptée et avouée par l'église Anglicane n'est pas dans le
domaine public en Angleterre, et y constitue une propriété
particulière.
BIBLIA PAUPERUM, c'est-à-dire Bible des pau-
vres. On appelle ainsi un ouvrage qu'il ne faut pas con-
fondre avec un livre de saint Bonaventure qui porte le
même titre. C'est un système ou typique ou de typologie
biblique, contenant, en quarante ou cinquante tableaux, les
principaux événements de la rédemption du genre humain
par Jésus-Christ, avec de courtes explications et des senten-
ces des prophètes en langue latine. Le Spéculum humanx
Salvationis, c'est-à-dire le Miroir du Salut, est le déve-
loppement plus large de la même pensée première, tant sous
le rapport des figures que par un texte rimé plus étendu.
Avant la Réformation, ces deux ouvrages étaient les guides
principaux des prédicateurs, de ceux surtout qui apparte-
naient aux ordres mendiants. Ils tenaient lieu de la Bible
aux laïques et même aux ecclésiastiques. Les membres des
ordres inférieurs , par exemple les franciscains , les char-
treux, etc., se qualifiaient de Pauperes Christi; de là le
nom de Biblia Pauperum donné à un livie dont ils fai-
saient un si fréquent usage. Il existe encore aujourd'hui
dans différentes langues un certain nombre d'exemplaires
de la Biblia Pauperum et du Spéculum Salvationis; quel-
ques-uns datent du treizième siècle. Cette série de tableaux
était répétée en sculptures, en peintures de muraille et en
verrines ; souvent aussi on y prenait des sujets pour les ta-
bleaux d'autels à compartiments. C'est ce qui leur donne
une importance toute particulière pour l'art du moyen âge.
Au quinzième siècle, la Biblia Pauperum fut peut-être le
premier livre imprimé dans les Pays-Bas et plus tard eu
Allemagne ( tout en planches de bois dans beaucoup d'édi-
tions, et de la même manière typographiquement pour la
première fois par Pfister, à Bamberg). Les premières im-
pressions du Spéculum humanœ Salvationis sont un des
principaux arguments qu'on fait valoir pour attribuer à la
ville de Harlem l'honneur de l'invention de l'imprimerie
(voyez l'article Coster ). Consultez Heinecken, Idée géné-
rale d'une collection d'estampes (Leipzig, 1771).
BIBLIOGNOSIE. Voyez BmLiocRAPHiE.
BIBLIOGRAPHE. La découverte de l'imprimerie a
répandu dans le monde une multitude d'ouvrages, dont les
uns sont marqués au sceau du génie, tandis que d'autres
sont frappés au coin de la médiocrité : il est essentiel do
savoir distinguer les bons ouvrages d'avec les mauvais.
Parmi les bons ouvrages, il y a des éditions qui méritent la
préférence sur d'autres : il faut être capable d'en faire le dis-
cernement. Quelques éditions ou quelques ouvrages de-
viennent raivs par dinércnls molifs : la connaissance ûet
150
BIBLIOGRAPHE —
livres rares peut donc aToir son utilité. Enlin , la multipli-
cité des livres qui encombrent aujourd'hui les bibliothèques
publiques impose la nécessité de préférer les ouvrages les
plus utiles à ceux qui le sont moins : la bibliographie
apprend à faire ce choix.. On voit donc que la bibliographie
peut devenir la science de l'homme de lettres , et surtout de
l'homme de goût. C'est quand elle est envisagée sous ces
différents rapports que la bibliographie mérite d'occuper
une place distinguée parmi les connaissances humaines.
Le bibliographe digne de ce nom sera celui qui, préfé-
rant les bons ouvrages à ceux qui ne sont remarquables que
par leur rareté ou leur bizarrerie, aura puisé une véritable
science dans les meilleurs auteurs anciens et modernes ,
et saura communiquer aux personnes qui le consulteront
les renseignements les plus propres à les bien diriger dans
les études auxquelles elles voudront se livrer. Les recherches
diverses dont il se sera occupé lui donneront, en outre,
la facilité d'assigner à chaque ouvrage la place qui lui
convient ou de retrouver cet ouvrage dans une collection
de livres, quelque nombreuse qu'on la suppose, pourvu
qu'elle soit rangée suivant l'ordre des matières. On n'ap-
précie pas assez ce talent, qui ne peut être que le fruit
d'une iuunense lecture et de profondes méditations. En ef-
fet, les livres sont presque aussi multipliés aujourd'hui que
les productions delà nature; et comme le génie de l'homme,
nécessairement borné, ne peut faire éclater dans les sujets
qu'il se propose de traiter renchaînement et la régularité
que l'on admire dans les diverses espèces d'êtres créés, le
bibliographe doit éprouver dans le classement des travaux
de l'esprit humain plus de difficultés que n'en rencontre le
naturaliste dans la classification des êtres. Un bibliographe
tel que je le dépeins mérite aussi le nom de bibliophile,
c'est-à-dire d'amateur de livres ; mais il ne faut pas le con-
fondre avec lebiblio7nane, qui ne s'attache qu'à certains
livres rares et chers, ni avec les bibliotaphes, qui ne
possèdent des livres que pour eux-mêmes, sans vouloir les
■communiquer à leurs amis.
Ant.-Alex. Bakdieii, bihliolh. du Louvre.
BIBLIOGRAPHIE, BIBLIOGNOSIE , ou encore BI-
BLIOLOGIE (du grec piêXiov, livre, et ypàçw , j'écris ; yvwcri; ,
connaissance , et ).6yo;, discours). Sous ces trois mots on
entend une science qui s'occupe de la connaissance des pro-
ductions littéraires de tous les siècles et de tous les peu-
pies, considérées et en elles-mêmes et d'après certaines cir-
constances extérieures. Dans l'antiquité le mot grec (îi-
fiXioYpdçoc était synonyme de copiste. Depuis l'invention
de l'imprimerie les imprimeurs portèrent d'abord quelque-
fois ce nom ; plus tard on le donna aux connaisseurs et aux
<léchiffreurs d'anciens manuscrits, jusqu'à ce qu'enfin, vers
le milieu du dix-huitième siècle, ce mot reçut en France sa
signification actuelle.
Nous diviserons cette science d'après Ébert en biblio-
graphie pure et bibliographie appliquée.
La bibliographie pure considère les livres et les ma-
nuscrits en eux-mêmes; elle a pour mission d'inventorier ce
qui se trouve en général écrit ou imprimé. Son fondateur fut
K. Gessner, au seizième siècle, qui la traita dans toute son
extension, embrassant toutes les contrées, toutes les époques,
toutes les sciences. Depuis lors, comme une pareille tâche ,
en raison de l'immense accroissement du nombre des livres,
eût dépassé les forces d'un seid individu , elle n'a été cul-
tivée que dans des ouvrages d'une étendue plus restreinte,
d'après l'un ou l'autre de ces points de vue. Les ouvrages bi-
bliographiques sont donc de trois espèces : 1" ceux qui
se rapportent aux productions littéraires de certaines épo-
<|ues : ainsi, pour en citer un exemple, Ersch, le fondateur
Ile la bibliographie en Allemagne, déciit dans son AlUjemei-
iies fipperlorittm der Literalur (8 vol., léna et Weimar,
1 7!)3 - 1 sot) ) toute la littérature des quinze années cunq)rises
i-nlrc 17S5 et 1800; "2" les bibliographies nationales se rat-
BIBLIOGRAPHIE
tachant à certains pays et à certaines localités : nous cite
rons comme exemples les Sertecle Testi de Gamba (4* édit.»
Venise, 1839) pour l'Italie; le DibUograp\efs Manual d^
Lowndes ( 4 vol., Londres, 1S34 ) pour l'Angleterre ; la Bi
bliographie nts^e de Sopikoff (5 vol., Saint-Pétersbourg
1813- 1821); h Jiibtiotheca Scoiico-Celtica deReid {Édim<
bourg, I8.'î4); la Bibliotheca Judaïca de Furst (3 vol.
Leipzig, 1850) et le Bïbliographical Diclionary du Tun
Hadji-Chalfa ( traduit par Flugel, tomes t à 5 , Londres
1845-1800). 3" Le plus grand nombre des ouvrages biblio'
graphiques traitent d'une littérature particulière à uns
science ou bien à une branche de cette science : parmi les
plus récents travaux de ce genre, on peut citer comme des
modèles le Thesaurtis Lileraturx Botanicœ de Pretzel
(Leipzig, 1847 et suiv. ); la Bibliographie Biographique
d'Œttinger (Leipzig, 1850); la Bibliotheca Medico-Histo
ricrtde Chouland (Leipzig, 1828, 2* édit., 1842); le Mor
nuel de Bibliographie classique de Schweigger ( 3 vol.,
Leipzig, 1830-1844); le Manuel de Littérature Théolo-
gique de Winer ( 2 vol. , 3* édit , Leipzig , 1837-1840);
Y Exposition delà Littérature i)/H.siCfl/eparBecker(2 vol.,
Leipzig, 1836; supplément, 18:59); le Manuel de Litté-
rature Jurisprudcnticlle de Scliletler (tom. T"', Grimma,
1843); la Littérature des Grammaires et des Diction-
naires, par Water ( 2^ édit., Berlin, 1847 ) ; la Science des
Écritures du Blason, par Bernd (4 vol., Bonn, 1830-1841).
Dans cette catégorie rentrent encore les catalogues relatifs
à l'histoire de ceilains pays et de certaines localités, à cer-
tains faits et événements (par exemple, le Jubilé de la Ré-
formation), à des personnages célèbres, et à des sujets
particuliers : nous citerons comme exemples la Bibliogra-
phie parémiographique île Duplessis (Paris, 1846); le
Shakspeariana de HaUiwell (Londres, 1841 ); la i?ii)/(o-
theca Petrarchesca de Mansard (Milan, 1826); les Série
degli Scritti impressi in dialetto veneziano de Gamba
(Venise, 1832); le Bibliothecx sanscritx Spécimen de
Gildemeister (Bonn, 1847); h Littérature du Jeti des
Échecs, par Schraid (Vienne, 1846 ) , etc., etc.
A ces dilférences constituées par les matières et par le
contenu de la bibliographie il faut encore ajouter celles qui
proviennent de la manière différente de les traiter. Les uns
choisissent l'ordre alphabétique ou chronologique , les au-
tres l'ordre systématique. Tantôt les livres sont indiqués pu-
rement et simplement, tantôt cette indication est accompa-
gnée de notes critiques et rai sonnées. Ceux-ci ont un but bi-
bliographique, ceux-là un but scientifique ; tantôt ils visent
avant tout à être complets, tantôt Us s'attachent à faire un
choix de ce qu'il y a de meilleur et de plus important. C'est
ainsi que V Allgemeincs Bucherlexicon de Heinsius ( tom. I
à VII, Leipzig, 1812-1829 : tomes VIII et IX, par Schulz,
Leipzig, I83G-1847; tom. X, par Schiller, Leipzig, 1847-1849)
présente la liste, par ordre alphabétique, de tous les livres
que la librairie allemande a fait paraître depuis l'année 1700,
et qu'on trouve systématiquement classés par science dans
le Handbuch der Deutschcn Literatur d'Ersch (4 vol.,
2* édit., Leipzig, 1822-1840; 3* édit., par Geissler, 1840 et
suiv. ) tous les ouvrages qui ont paru en Allemagne depuis
1750. L'excellent ouvragede Quérard, LaFrance littéraire
(10 vol., Paris, 1837-1840), avec ses compléments; La^
Littérature française contemporaine {Vatm, 1842 et suiv.) J
Ouvrages polijomjmcs et anonymes (Paris, 1848 et suiv.).-
Superchcries littéraires dévoilées : galerie des auteurs
apocryphes {Varh, 1848), et Les auteurs déguisés delà
Littérature française (Paris, 1845), présentent le tableau
complet delà littérature française depuis 1700, par auteurs. ,
Les Hollandais, les Danois, les Suédois, les ^orvégiens, leS:
Anglais et les Américains possèdent de sendjiahics revues;
bibliographiques, quoique moins complètes, moins biea
faites et méritant moins de conliance. C'est la France qut
en donna le premier exenqjle avec sa Bibliographie gén
BIBLIOGRAPHIE — BIBLIOMANIE
161
aie (le la France { voyez BrucnoT), qui parait régulière-
nent toutes les semaines depuis 1812. Ce recueil provoqua
in 182S la publication en Italie de la Bibliografia Italia-
ia; en Hollande, àeLijst van Nieiv intgekomen boeken;
i 'H Suède, de la Svensk Bibliographi ( 1829 ) et du Svensk
litteratur Bulletin ( 1844) ; en Danemark, de ïaDanskBi-
bliographie, par Hœst ( 1843) ; de la Bibliographie de Bel-
vque, parMucquardt (1838); en Espagne (1840), de la Bi-
bliografia de Espaîia et du Boletin Bibliografico ; en
Angleterre ( 1838), à&Thepublisher' s circular and gênerai
Record qfbritish littérature ti An Monthly List of New
Books; en Hongrie depuis 1843 du Honi irodalmi Hirde-
lœ, par Eiggenberg; enfin en Allemagne depuis 1836 de
VAllgemeine Bibliographie fur Dentschland. Le cata-
logue semest'iel des livres, cartes, etc., par Heinrichs, paraît
régulièrement depuis 1799. Le Leipziger Repertorium der
Deiitschen xind Auslxndischen Literatur, fondé en 1818
par Beck, continué après sa mort, en 1833, par Pœlitz, et
depuis 1834 par Gersdorf, présente le tableau critique de
toutes les publications les plus importantes.
La Bibliographie appliquée , appelée de préférence Bi-
bliographie , considère les livres d'après leur état actuel ,
les destinées qu'ils ont éprouvées et leurs conditions exté-
rieures , qui en constituent la valeur aux yeux des collec-
tionneurs ( bibliothécaires, bibliophiles, biblio-
manes). C'est une science qui a fleuri surtout en France
et en Angleterre, parce que c'est dans ces deux pays que le
luxe des livres et la bibliomanie ont été poussés le plus
.loin. Les livres dont s'occupent les collectionneurs, et qui
par suite rentrent dans le domaine de la bibliographie ap-
pliquée, sont ceux que leurs destinées , leur âge et leur état
extérieur rendent remarquables; les livres rares, défendus,
mutilés, les incunables, \es editiones principes des, an-
ciens classiques, les An a, les Facéties, les ouvrages pro-
venant des presses de certains imprimeurs célèbres, comme
les Elzevier, les Aide, les Giunti, les Bodoni, les
Etienne, etc. Les conditions extérieures dont les biblio-
graphes ont habitude de tenir compte varient à l'infini. Ils
considèrent l'impression et la manière dont elle a été exé-
cutée, les caractères, le papier, l'état particulier dans lequel
se trouvent les exemplaires. La Bibliographie appliquée a
pour créateur le Français De bure , auteur de la Bibliogra-
phie instructive (7 vol., Paris, 1763-17G8). Plus tard
Bru net fit paraître son excellent Manuel du Libraire
(3 vol., Paris, 1810; 4*^ édit., Paris, 1845), qui a servi de
hase à YAllgemeines bibliographisches Lexicon d'Ébert,
ouvrage resté sans rival (2 vol., Leipzig, 1821-1830). Il faut
dire toutefois que ce dernier inventaire des richesses de la
bibliographie, comme en général tous ceux qui ont été dres-
sés en Allemagne , répond plus aux besoins des savants et
de la science que les ouvrages analogues publiés en Angle-
terre, entre autres ceux de Dibdin, destinés plutôt à Hatter
la passion de la bibliomanie. Panzer, Heller, Sotzmann,
Fischer, Bessenmeyer, Weigel, Asher, Zunz, Grœtz, Von-
derHagen,Merzdorf, Mone, Hain, etc., sont en Allemagne
les écrivains qui par de bonnes monographies ont contribué
le plus aux progrès de la science bibliographique.
[Indépendamment des livres qui viennent d'être cités,
quelques ouvrages bibliographiques méritent encore une
mention ; nous nommerons seulement : Bibliotheca biblio-
thecarum, par le P. Labbe, jésuite (Paris, 1664, in-4''),
revue et augmentée par Ant. Teissier( Genève, 1786, in-4'') ;
Dictionnaire typographique, historique et critique des
Livres rares, singuliers, estimés et recherchés en totis
genres, par Osmont, 17G8, 2 volumes in-8'';DJc^?onnflJre
bibliographique, historiq^ic et critique des Livres rares ,
précieux, singuliers, curieux , estimés et recherchés,
soit imprimés , soit manuscrits , avec leur valeur, par
l'abbé Duclos, et la supplément par Brunet (1790 à 1802,
4 vol. in-'è,°); Nouveau Dictionnaire porîalif de Biblio-
graphie, précédé d'un précis sur les bibliothèques et la
bibliographie, par Fr.-Ig. Fournier ( 1809, in-8").
Parmi les ouvrages bibliographiques spéciaux, rappelons
le Dictionnaire Bibliographique choisi du quinzième
siècle, ou Description par ordre alphabétique des édi-
tions les plus rares et les plus recherchées , etc., par de
La Sema-Santander, bibliothécaire à Bruxelles (1805, 3 vol.
in-8''); le Dictionnaire Critique, Littéraire et Bibliogra-
phique des principaux livres condamnés au feu, sup-
primés ou censurés , précédé d'un discours sur ces sortes
d'ouvrages, par Gab.Peignot (1806, 2 vol. in-8°); Vis-
sai Bibliographique sur les Éditions des Elzevicrs les
plus précieuses et les plus recherchées , précédé d'une
notice sur ces imprimeurs célèbres , par M. Bérard; le
Dictionnaire des Ouvrages Anonymes et Pseudonymes ,
composés, traduits oic publiés en français et en latin ,
avec les noms des auteurs et éditeurs, par Ant.-Al. Bar-
bier,
Sans entrer dans le détail des bibliographies particulières
à chaque science et en diverses langues , nous indiquerons
seulement : la Bibliothèque Sacrée , par le P. Lelong,
oratorien (1709, 2 vol. in-8°) ; la Bibliothèque Historiqtte
de la France, par le même, augmentée et publiée par Fon-
tette (Paris, 1768, 5 vol. 'm-îo\.) •,\iL Bibliothèque Latine
deFabricius, revue par Ernest; la Bibliothèque Arabe
de Schnurrer; la Bibliothèque Orientale de Hottinger
(toutes deux en latin); la Bibliographie Astronomique
de Lalande ; la Bibliographie des Voyages, par Beck-
mann; la Bibliothèque A mérico- Septentrionale, par
W'arden (en latin); le Catalogue des Dictionnaires,
Grammaires et Alphabets de toutes les Langues, par Mars-
den (en anglais); la Bibliothèque Orientale du Vatican,
par Assemani (en latin) ; la Bibliothèque Arabe de l'Es-
curial, par Casiri ; le Catalogue de la bibliothèque du
sultan Tippou (en anglais); \Si Bibliothèque Italienne
de Haym; la Bibliothèque Bodléienrie d'Oxiord , par Ury
et Nicholl, etc., etc.
Louis Jacob a publié un Traité des plus belles Bi-
bliothèques publiques et particulières (in-S", 1655). Il
donna pendant quelques années (en latin) une Bibliothèque
Parisienne et une Bibliothèque Française. On y trouve la
liste de tous les ouvrages imprimés à Paris et en France
depuis 1643 jusqu'en 1663. Les journaux suppléèrent long-
temps au défaut de continuation de ces deux ouvrages bi-
bliographiques : le Journal des Savants, le Mercure de
France, le Journal Encyclopédique, le Journal de Tré-
voux, Y Année Littéraire, le Journal de Bouillon, YAl-
manach des Muses, VAlmanach Littéraire, et divers jour-
naux de sciences spéciales , etc. ; et depuis : le Magasin
Encyclopédique, \a Décade Philosophique,^ Revue Ency-
clopédique, d'autres Revues encore, ont publié périodique-
ment des listes analytiques plus ou moins complètes d'ou-
vrages imprimés en France et dans les pays étrangers,
H. AUDIFFRET. ]
BIBLIOLITHES (de pi6>îov, livre, etXÎÔo;, pierre).
On donnait anciennement ce nom à des schistes de con-
texture lamelleuse et à certaines pierres portant l'em-
preinte de feuilles végétales , parce que ces diverses pro-
ductions minérales offrent l'apparence des feuillets d'ua
livre.
BIBLIOLOGIE. Voyez Bibliocrapuie.
BiBLlOMAIVIGIE (de BtêÀîa, Bible, et (lavteîa, divi-
nation ), espèce de divination qui s'«'xerce au moyen et par
le secours de la Bible, ouverte au hasard, pour avoir une
réponseà ce que l'on veut savoir. Elle était fort en usage
dans le moyen âge parmi les juifs.
BIBLPOMAME (de piê/îov, livre, (xavia, manie),
fureur d'avoir des livres et d'en ramns'icr.
Descartes disait que la lecture était ime conversation qu'on
avait avec les gramls hommes des siècles jiaivsés, mais unï
152
BIBLIOMANIE — BIBLIOPHILE
conversation clioisie, dans laquelle ils ne nous découvrent
que les meilleures de leurs pensées. Cela peut être vrai des
grands hommes; mais comme les grands hommes sont
en petit nombre, on aurait tort d'étendre cette maxime à
toutes sortes de livres et à toutes sortes de lectures. Tant de
gens médiocres et tant de sots môme ont écrit, que Ton peut
en général regarder une grande collection de livres, dans
quelque genre que ce soit, comme un recueil de mémoires
pour servir à l'iiistoire de l'aveuglement et de la folie des
hommes ; et on pourrait mettre au-dessus de toutes les grandes
bibliothèques cette inscription : Les Petites Maisons de
Cesprit htwiain.
11 suit de là que l'amour des livres, quand il n'est pas
guidé par un esprit éclairé, est une des passions les plus ri-
dicules. Ce serait à peu près la folie d'un homme qui en-
tasserait cinq ou six diamants sous un monceau de cailloux.
L'amour des livres n'est estimable que dans deux cas :
r lorsqu'on sait les estimer ce qu'ils valent, qu'on les lit en
philosophe, pour profiter de ce qu'il peut y avoir de bon,
et rire de ce qu'ils contiennent de mauvais ; 2° lorsqu'on
les possède autant pour les autres que pour soi, et qu'on
leur en fait part avec plaisir et sans réserve.
J'ai ouï dire à un bel esprit qu'il était parvenu à se faire,
par un moyen assez singulier, une bibliothèque très-choisie,
assez nombreuse, et qui pourtant n'occupait pas beaucoup de
place. S'il achetait, par exemple, un ouvrage en douze vo -
lûmes où il n'y eût que six pages qui méritassent d'être
lues, il séparait ces six pages du reste, et jetait l'ouvrage
au feu. Cette manière de former une bibliothèque m'accom-
moderait assez.
La passion d'avoir des livres est quelquefois poussée jus-
qu'à une avarice très-sordide. J'ai connu un fou qui avait
conçu une extrême passion pour tous les livres d'astrono-
mie , quoiqu'il ne sût pas un mot de cette science ; il les
achetait à un prix exorbitant , et les renfermait proprement
dans une cassette sans les regarder. Il ne les eût pas prêtés
ni même laissé voir à Halley ou à IMonnier s'ils en eussent
eu besoin. Un autre faisait relier les siens très-proprement;
et de peur de les gâter , il les empruntait à d'autres quand
il en avait besoin, quoiqu'il les eût dans sa bibliothèque.
Il avait mis sur la porte de sa bibliothèque : Ite ad venden-
tes ; aussi ne prêtait-il de livres à personne.
En général, la bibliomanie, à quelques exceptions près,
est comme la passion des tableaux, des curiosités, des mai-
sons ; ceux qui les possèdent n'en jouissent guère. Ainsi
en entrant dans une bibliothèque , on pourrait dire de pres-
que tous les Uvres qu'on y voit ce qu'un philosophe disait
autrefois en entrant dans une maison fort ornée : Quam
multis non indigeo! que de choses dont je n'ai que faire !
D'AlemBERT , de rAcadémie des Sciences.
Le bibliomane n'est pas toujours un homme qui achète
indistinctement tous les livres qui lui tombent sous la main ;
il collectionne ordinairement d'après certains principes,
mais en attachant à certaines circonstances et conditions ,
toutes fortuites et extérieures , des livres une valeur extra-
ordinaire; et il est déterminé dans ces acquisitions plutôtpar
l'existencede ces conditions que par l'importance scientifique
ou littéraire des livres. Les principes qui le guident dans ses
choix sont tantôt les destinées et l'âge des livres, tantôt leur
matériel. Les collections de Hvres qu'on peut considérer
comme faisant un ensemble, parce qu'ils se rapportent à
un sujet ayant de l'importance aux yeu\ desbibliomanes (par
exemple , les Res publicx d'Eizevier) , ou parce qu'ils sont
fabriqués d'une manière à laquelle on attache un certain mé-
rite , ou encore parce qu'ils sortent d'officines renommées
(d'Elzévier, d'Aide, deGiunti, d'Etienne, de Bo-
d 0 n i, etc.), ont en outre relativement une valeur presque tou-
jours scientifique. Toutefois, il est plus commun de voir la
passion des bibliomanes s'attacheraux conditions matérielles
mêmes des livres. On i)aye souvent à des prix inouïs des édi-
tions de luxe, des exemplaires ornés de miniatures et de let-
ties initiales artistemeut peintes, des impressions sur parche-
min ou vélin, sur papier de couleur ou sur des matières hora
d'usage (par exemple de l'asbeste, de la peau humaine)^
sur grand papier (avec de très-larges marges), et des exem-
plaires non rognés d'ouvrages rares et anciens , des impres^
sions en or , en argent et autres couleurs , des livres dont I4
texte a été complètement gravé sur cuivre; enfin des ou-
vrages tirés à un très-petit nombre d'exemplaires seulement
et numérotés, portant l'indication du nombre total dont s'es(
composée l'édition. En France, en Angleterre surtout, on
recherche aussi les reliures sorties des ateliers de relieurs
en renom (Derome, Bozérian, Lewis, Payne); les hvres
dont les pages sont ornées de lignes simples ou doubles tra-i
cées à la plume ( exemplaires réglés ) ; ce qu'on appelle
des exemplaires illustrés, enfin les livres portant l'indica-
tion des noms de leurs anciens propriétaires et ayant appar^
tenu à des hommes célèbres, à quelque titre que ce puisse
être; toutes ces circonstances fortuites et bien d'autres en-
core suffisent pour déterminer le véritable bibliomane à en
donner des prix incroyables. De toutes les ventes publique»
à l'occasion desquelles on vit les bibliomanes s'abandonner
sans retenue à leur passion pour les hvres, la plus remar
quable est celle qui eut lieu à Londres en 1812 pour la bi
bliothèque du duc de Roxburgh. Presque tous les article!
y furent poussés à des prix fabuleux. Ainsi, un exemplaire de
la première édition de Boccace, publiéeen 1471 chez Valdarfer,
alla à 2,260 liv. sterl. (56,500 fr.). C'est pour en éterniser le
souvenir qu'on fonda l'année suivante le Roxburgh Club,
composé uniquement de bibliomanes pur-sang, dont lord
Spencer fut longtemps le président, et qui se réunit tous les
ans à la taverne de Saint- Alban, le !.■} juillet, jour anni-
versaire de la vente du fameux exemplaire de Boccace. C'est
en Hollande, et vers la fin du dix-septième siècle, que ce goût
exagéré des livres revêtit pour la première fois des formes
singulières; mais on ne saurait contester qu'en fait de bi-
bliomanie les Anglais conservent une supériorité que les
Français et les Italiens essayeraient vainement de leur dis-
puter , et bien moins encore les rares amateurs qu'on peut
rencontrer dans le midi de l'Allemagne. A eux la gloire d'a-
voir érigé en système les excentricités les plus bizarres dont
soit capable un riche amateur, et qui ont fourni à Dibdin
le sujet de son livre : Bibliomania or Book-Madness ( Lon-
dres, 1811).
Ce qui distingue le bibliomane du bibliophile , c'est qu'il
attache de l'importance à des circonstances tout accessoires
et se laisse dominer par des considérations qu'aucun motif
raisonnable ne saurait justifier. Le bibliophile, au con-
traire , ne commence à réunir les ouvrages les meilleurs et
les plus utiles dont il veut composer sa bibliothèque, ou
tout au moins à former une collection spéciale , que dans
l'intention de s'en servir. Sans doute il se présente des cas
où il devient bien difficile d'établir une ligne de démarcation
précise entre l'un et l'autre ; et c'est là vraisemblablement
le motif qui fait qu'en Angleterre, où depuis vingt-cinq ans
les hommes qui ont la passion des livres ont singulièrement
perdu de l'espèce de considération qui s'attachait à ce tra-
vers de l'esprit , on persiste à appeler bibliomanes tous les
collectionneurs de livres. Nous retrouverons les uns et les
autres au mot Collection, où nous aurons à parler des plus
curieuses collections de livres qui aient été formées.
BIBLIOPI11LE,BIBLIOMANE. Le premier de cesmotSj
vient de pt6Xîov, hvre, et çîXoç, ami. Il ne peut donc s'en-
tendre que d'une manière favorable; c'est le nom de celui
qui aime les hvres plus pour ce qu'ils contiennent que pour'
leur aspect ; qui recherche avant tout les bonnes éditions ,;
qui estime les éditions correctes, qui prise les éditions rares,
et bien imprimées, celui enfin qui aime les livres avec Intel'
ligence. Le bibliomane est celui qui pousse l'amour des li
vres jusqu'à la fureur, jusqu'à la manie, qui en entasse san»
BIBLIOPHILE
153
les lire , qui court après les livres rares sans se demander
s'ils ont d'autres mérites, qui fait d'une bibliothèque une col-
lection de curiosités. Ce n'est pas un homme qui se pro-
cure des livres pour s'instruire. « 11 a des livres , comme
le disait Diderot, pour les avoir, pour en repaître sa vue;
toute sa science se borne à connaître s'ils sont de la bonne
idition , s'ils sont bien reliés : pour les choses qu'ils con-
tiennent, c'est un mystère auquel il ne prétend pas être ini-
tié ; cela est bon pour ceux qui auront du temps à perdre. •
On sait le portrait que La Bruyère a fait du bibliomane :
« Je vais trouver, dit-il , cet homme, qui me reçoit dans
une maison où dès l'escalier je tombe en faiblesse d'une
odeur de maroquin noir dont ses livres sont tous couverts.
11 a beau me crier aux oreilles, pour me ranimor, qu'ils
sont dorés sur tranche, ornés de filets d'or, et de la bonne
édition ; me nommer les meilleurs l'un après l'autre ; dire
que sa galerie est remplie à quelques endroits près , qui sont
peints de manière qu'on les prend pour de vrais livres ar-
rangés sur des tablettes, et que l'oeil s'y trompe; ajouter
qu'il ne lit jamais, qu'il ne met pas le pied dans cette gale-
rie ; qu'il y viendra pour me faire plaisir : je le remercie de
sa complaisance, et ne veux, non plus que lui, visiter sa
tannerie, qu'il Ap\Kl\e bibliothèqîie. »
INIallieureusement nous n'avons pas de mot pour désigner
la passion du bibliophile comme nous en avons un pour dé-
signer celle de bibliomane. De là sans doute cette sorte de
confusion qu'on rencontre souvent entre ces deux genres
d'amateurs. Ainsi, par exemple, dans le curieux article qu'on
va lire, on reconnaîtra peut-être plus d'une fois un biblio-
phile sous le manteau du bibUomane.
[ Toutes les manies ne sont pas ridicules et mauvaises; il
en est de bonnes et de respectables, celle des livres, par
exemple. L'amour devient passion : un bibliophile sera bien-
tôt bibliomane. On aime les livres, on se passionne pour
eux , à tout âge, dans toute position de vie et de fortune;
mais , contrairement aux habitudes de l'amour, c'est la pos-
session qui échauffe, active et développe la passion des li-
vres ; passion obstinée et fidèle, inquiète et dévorante, in-
fatigable et jalouse. La bibliomanie s'empare d'une existence,
la tourmente et la remplit, l'enivre de jouissances douces et
paisibles, la stimule de désirs capricieux, et la concentre pour
ainsi dire dans le corps d'une bibUothèque. On aurait tort de
faire labibliomanie contemporaine de l'imprimerie ; elle exis-
tait peut-être avant les manuscrits d'écorce d'arbre, de peau de
serpent et de papyrus; ceux qui recueillaient soigneusement
les oracles des sibylles tracés sur des feuilles de chêne et je-
tés au vent, n'étaient-ils pas un peu bibliomanesct amateurs
d'autographes.' H y eut de véritables bibliomanes quand on
s'occupa de former des bibliothèques, et celle d'A-
lexandrie atteste la patience, le zèle, le goût des prêtres
égyptiens, qui cherchaient à rassembler le plus grand nom-
bre de volumes et le meilleur choix d'ouvrages. Ce n'é-
tait pas l'usage des anciens Grecs , qui confiaient la garde
de leur littérature à la mémoire de leurs rapsodes.
Cependant , dans tous les temps et en tous les pays , la bi-
bliomanie a été l'apanage des esprits délicats et cultivés.
En France , ii une époque où l'ignorance pesait sur les mas-
ses , qui ne connaissaient de livres que le Missel public en-
chaîné derrière un grillage à l'entrée des églises , les moines
entassaient dans la librairie de leur monastère , avec au-
tant de soin que les tonneaux dans leurs celliers , ces vieux
codices, grecs et latins, ces manuscrits en vélin , dorés et
coloriés, qui sont encore les plus précieux ornements de
nos bibliothèques.
11 semble que la bibliomanie soit la distraction des grands
hommes et même des héros. Alexandre, il est vrai , ne com-
posait sa bibliothèque de conquérant que d'un exemplaire
des poèmes d'Homère, enfeimé dans le cèdre, au milieu des
parfums ; mais Charies V et François T'" fondaient la B i bl i o-
thèquenaticnale; mais Louis XIV envoyait acheter des
UlCÎ. l)L LA CO.NM;Ks. T. UI.
livres en Orient et jusqu'en Chine ; mais Bonaparte ic dé-
lassait de sa rude guerre d'Espagne en dressant avec Bar-
bier le plan , en feuilles, d'une bibliothèque portative. Ici
Mazarin charge le savant Naudéde créer sa bibliothè-
que , dont il ne posséda que le catalogue complet ; là , le gou-
vernement républicain se fait bibliothécaire des 1,500,000
volumes sauvés de la ruine des couvents.
N'étaient-ils pas bibliomanes, ces imprimeurs du seizième
et du dix-septième siècle qui eussent sacrifié à leurs livres
tout, excepté l'honneur de les avoir faits? cet Antoine Vé-
rard , qui, pour conserver à son art les richesses de la cal-
ligraphie , imprimait sur vélin et faisait peindre ses romans
de chevalerie ? ceRobert Etienne, qui mettait son orgueil à
ne pas voir ses publications défigurées par un erratum ? ces
f rères E 1 z e V i e r s , qui se distinguèrent encore de tous les typo-
graphes par la netteté des caractères et la sonorité du papier?
Hélas ! aujourd'hui les bibliophiles ne sont plus bibliomanes.
La bibliomanie peut aller jusqu'au déhre, jusqu'au sui-
cide. Le marquis de Chalabre est mort, dit-on, du noir
chagrin qu'il conçut à la recherche infructueuse d'une Bible
imaginaire. Combien d'infortunés n'ont pu survivre à la perte
de kurs livres chéris ! Certainement plus d'un bénédictin
s'éteignit de douleur avec l'incendie de la bibliothèque de
Saint-Germam-des-Prés pendant la révolution. Le père Ja-
cob, qui a laissé le Traité des plus belles bibliothèques du
monde, fut sans cesse irrité du mépris où étaient tombés
les anciens livres originaux « dont on fait des fusées , dit-il
avec amertume , et dont les charcutiers parent leurs bou-
tiques ». C'est ce mépris qui tua ce bon religieux, que l'on
mit, aussitôt après sa mort, dans un carrosse, avec ses livres,
pour être transporté à son couvent des Billettes.
La bibliomanie commence de bonne heure , quelquefois
avant les autres passions : « Je me rappelle le temps , dit
un camarade de classe de Barbier, où il rentrait tous les
soirs au collège avec ce que nous appelions un bouquin. »
Et moi je me rappelle aussi que j'aimais les livres avant de
savoir lire ; j'aimais d'avance à les examiner, à les toucher,
à les caresser cgmme des amis d'enfance.
Le bibliomane, bien différent du bibliographe , ne s'at-
tache qu'à certains livres curieux , rares et cliers , qu'il ne
connaîtra jamais qu'en dehors si vous voulez, mais qu'il
léguera un jour à des dépositaires non moins religieux , qui
ne dissiperont pas c& trésor. C'est une sorte d'avarice , je
l'avoue, qui s'affiche au lieu de se cacher, et qui tient dans
ses mains une sorte de propriété nationale des monuments
intellectuels et typographiques, la plupart enlevés à l'oubli
et à la destruction. Le bibliomane est le dragon du jardin
des Hespérides.
Il y a des bibliomanes de tonte espèce. Les fous ne sont
pas plus variés, et bien des bibliomanes pourraient compter
parmi les fous : l'un ne rêve qu'Elzeviers , et surtout Elze-
viers non rognés, dont la marge se mesure au compas;
l'autre n'estime des livres que l'habit, et se montre docte
en fait de reliures , ne confondant jamais Padeloup et De-
rome , se pâmant d'aise à lorgner un filet et une nervure ;
celui-ci paye autant que des chevaux anglais ces bagatelles
imprimées qui n'ont de mérite que leur rareté et leur bêtise;
celui-là s'identifie en quelque façon avec un auteur favori,
dont il pourchasse les moindres pièces fugitives , s'enquérant
d'une variante comme s'il s'agissait de la pierre philoso-
phai. En général , chaque bibliomane a son genre , sa fan-
taisie : tel passera cinquante ans à ramasser tout ce qui
concerne la révolution, tout ce qui touche à l'histoire, à la
géographie, à la philosophie, aux sciences occultes, les
éiWWons, princeps , les pièces de théâtre, les facéties, quel-
que matière spéciale enfin qui puisse (aire collection. Tel
s'intriguera enfin pour découvrir des livres de bonne mai-
son, dont la condition gén('alogique soit constatée, ces livres,
(pii portent les armes et ks signatures de d'Urfé, de Gai-,
gnat, de Goulard et de La Valhèrc.
2(».
154 BIBLIOPHILE —
Pour comprendre le bibliomane , il faut avoir tu le véné-
rable Boulard longer les quais, été comme hiver, gelée ou
soleil, analyser d'un coup d'oeil l'étalage d'un bouquiniste,
et tirer la perle du fumier en homme qui sait la valeur de
la perle , puis le soir rentrer dans son vaste sérail de livres
pour débarrasser ses poches gonflées de leur butin journalier...
Il se fût arrêté découragé à l'idée que ce travail lent et pro-
gressif de quarante années de recherches et de bonheur se-
rait dilapidé deux ans après sa mort! car le bibliomane aime
ses livres comme un père ses enfants ; il les choie , il les con-
temple, il leur rit; il s'exagère leurs quahtés pour mieux
s'aveugler sur leurs défauts ; il se préoccupe de leur avenir.
Heureux quand il espère que sa collection ira sous son nom
s'engouffrer dans les catacombes de la Bibliothèque Natio-
nale! C'est en cet illustre tombeau que reposent Dupuy, Ba-
luze , Cangé et La Vallière. P. L. Jacob , bibliophile. ]
BIBLIOPHILES (Sociétés de). On trouve fort bon
qu'on se réunisse pour extraire du charbon d'un sol où il
n'y a (juedu sable et des cailloux, pour tisser du chanvre ou
du lin ,* faire du sucre de betterave , des machines à va-
peur, des moulins de toute espèce, et se ruiner en société ,
sans se ruiner pour cela plus gaiement : et l'on blâmerait
des gens inoffensifs qui , n'en voulant ni à la bourse ni au
repos de personne, s'associent pour se procurer l'innocent
plaisir d'avoir sur leurs tablettes un livre rare ou que
d'autres ne peuvent posséder ! Ne médisons pas, croyez -moi,
de cette aimable passion.
On cite en France la société des Bibliophiles français,
dont le siège est à Paris et qui a été instituée en 1820.
Elle se compose de vingt-quatre membres au plus , et peut
s'adjoindre cinq associés étrangers. Pour être admis dans
son sein , il suffit d'aimer les livres, d'avoir une bibliothè-
que, et de se soumettre aux conditions imposées par les sta-
tuts. Chaque soci<^taire verse une cotisation annuelle de cent
francs. La société a pour but de faire imprimer soit des ou-
vrages français inédits ou devenus très-rares , soit des ou-
vrages en langue étrangère avec la traduction française.
Lorsque l'importance de l'ouvrage à publier n'a qu'un intérêt
de pure curiosité , elle se borne à en tirer un nombre égal à
celui de ses membres; lorsqu'au contraire la nature de l'ou-
vrage lui .semble exiger une publicité plus étendue, elle en
fait imprimer sur papier ordinaire un certain nombre
d'exemplaires destinés à être mis en vente; mais elle réserve
toujours à ses membres des exemplaires d'un format et
«l'un papier particulier. Les ouvrages imprimés par la société
portent sur leur titre l'indication suivante : Publié par la
Société des Bibliophiles français , le fleuron de la société
et la date de l'année. La hste des sociétaires est imprimée
sur le feuillet qui suit le titre. La Société des Bibliophiles
français a fait tirer, de 1820 à 1838, quatre-vingt-huit ou-
vrages, dont la liste figure dans le Manuel du Libraire. De-
puis, elle a publié un volume in-folio sur les cartes à jouer,
enrichi de cent planches; V Apparition de Jean de Meung
par Honoré Bonet ( 1398 ) ; un manuscrit unique appartenant
a un des sociétaires, le Ménagier de Paris, ouvrage fort im-
portant pour l'histoire delà vie privée des Français et pour
li-s statistiques de la ville de Paris au quatorzième siècle. La
Société des Bibliophiles français se réunit deux fois par
mois, et tient deux grandes assemblées annuelles , l'une en
janvier et l'autre en mai.
En Angleterre les sociétés de bibliophiles se sont multi-
pliées depuis le club de Roxburgli , de fastueuse mémoire ,
formé en 1812. L'Ecosse a vu naître : en 1823, le club de
Ballautyne; en 1828, Glasgow vit s'ouvrir le club Mait-
land ; postérieurement, celui d'Abbotsford fut fondé à Edim-
bourg , en ri-.onneur de Walter Scott : il distribua h ses
membres, en 1838, une magnifique édition du poème d'^l;--
ihour and Merlin, d'après lemanuscritd'Auchinleck. Citons
encore la Société de Camden (1837), qui est fort active et
bien dirigée; lu Société Historique, dont les choix sont Ci-
BliiLIOTUÉCAIRE
cellents ; la Société d'Alfred le Grand, dévouée à l'anglo-saxon ;
la Percy-Society , la Shakespeare- Society, la Parker's-So-
ciety, là Surtees-Society (Duriiam, 1838), \e Spalding-Club
(Aberdeen, 1839), la Welsh-Manuscript-Society , etc.
Nous ne connaissons en Allemagne que V Association lit-
téraire de Stuttgard , quoiqu'à Vienne M. Karajan fasse de
véritables publications de bibliophile. En Belgique on compte
la Société des Bibliophiles du Hainaut (à Mons), créée par
Delmotte et M. Renier-Chalon , celle des Bibliophiles de
Belgique, à Bruxelles, et celle des Bibliophiles Flamands. Ces
trois associations impriment et dotent la littérature d'ou-
vrages sérieux et ignorés. Plus récemment uue société s'est
constituée à Stockholm pour la reproduction d'anciens ou-
vrages imprimés. De Reiffenberg.
BIBLIOTAPHE (du grec pi6X(ov, livre, et xâ^oc,
tombeau). C'est le nom qu'on a donné à ces espèces de
maniaques qui n'ont des livres que pour les cacher {voyez
BiBLioMANiE), Encore lorsque ces livres appartiennent à ces
avares, on ne peut que gémir sur cet abus de la propriété
au préjudice de la science; mais que dire de ces Cerbères
qui, payés par le budget , se plaisent à barrer l'entrée du
sanctuaire, dont ils devraient être les guides fidèles et obli-
geants, à ceux qui ont soif d'uistruction ? Ne ressemblent- ils
pas à ce chien de la fable , qui, couché près d'un tas de
foin, voulait empêcher un bœuf d'en approcher? Par malheur
Paul-Louis Courier n'est pas le seul qui ait eu à se plaindre
de ces dépositaires envieux et ignorants, et les Furia ne sont
pas tous en Ualie.
BIBLIOTHÉCAIRE. On appelle ainsi celui qui est
chargé de la conservation, du soin, de la classification et du
service d'une b i b 1 i o t h è q u e. Sous les rois carlovingiens, les
bibliothécaires écrivaient, dataient et expédiaient les actes
de l'autorité royale. Les mêmes fonctions leur étaient con-
fiées par les papes , et leur charge tenait le premier rang à
la cour pontificale. H en était de même des bibUothécaires
des archevêchés, etc., surtout en Itahe.
Toutes les qualités nécessaires à un bon bibliographe
le sont aussi à un bibliothécaire, puisque cette science est celle
à laquelle il doit surtout s'adonner. L'histoire littéraire et le
mécanisme de la typographie lui sont essentiels pour dé-
cider du format, du caractère et de l'impression de certaines
éditions des quinzième et seizième siècles. La gravure sur
bois et sur cuivre et l'écriture des différents siècles doivent
être connues de lui, pour qu'il puisse juger du mérite des
miniatures qui ornent la plupart des livres imprimés ou
manuscrits, déchiffrer les textes contenus dans le volume,
dont il est aussi tenu de donner une description exacte, qui
consiste à rendre fidèlement la lettre, la date, le nom de la
ville , de l'imprimeur et de l'auteur d'un ouvrage, notions
que l'on est obligé de chercher parfois, soit à la tête ou à
la fin d'une dédicace, soit dans la préface ou dans le prologue
pour les manuscrits, soit dans le privilège, dans les acros-
tiches, éloges, devises, emblèmes, etc. ; il doit aussi compter
les feuillets de l'ouvrage, ceux qui le précèdent nu le suivent,
en désignant leur emploi ; indiquer si le livre est imprimé
ou écrit à longues lignes ou à colonnes , si le caractère est
romain, gothique, italique, etc. ; si les chiffres, les réclames
et les signatures s'y trouvent exactement; compter et exa-
miner les miniatures , et annoncer les index , tables , ré-
pertoires, etc. : tous ces renseignements font partie d'une
description utile pour reconnaître complètement, soit un
manuscrit, soit une édition princeps, et distinguer celle-ci
des éditions postérieures. Le bibliothécaire ne doit pas être
étranger à la numismatique , parce que cette science prête
son secours à l'explication des faits les plus marquants
rapportés par les historiens classiques. Après s'être fami-
lial i.sé avec la connaissance des livres, il doit se faire un
système de classification .simple, facile, et qui, suivant
l'origine et la filiation des connaissances humaines et les
rapports (ni'ellcs ont entre elles , doit présenter au premier
BIBLIOTHÉCAIRE
coup d'œil un résultat capable de plaire à l'imagination sans
fatiguer l'esprit.
l'armi les bibliothécaires les plus fameux de l'antiquité ,
on cite d'abord : Déraétrius de Phalère , qui présida à l'or-
ganisation de la fameuse bibliothèque d'Alexandrie, sons
Ptolémée-Philadelphe , et eut pour successeurs Zénodote ,
Ératosthène, Apollonius, Aristonyme, Aristophane, etc. On
rapporte ainsi les circonstances qui firent choisir ce dernier
pour occuper cette charge à la bibliothèque des rois grecs
d'Egypte. Lorsque Ptolémée-Épiphane eut nommé six juges
pour examiner les ouvrages envoyés au concours des jeux
institués par lui en l'honneur d'Apollon et des Muses , le
septième manquant, les juges déjà désignés proposèrent à
ce roi de leur adjoindre un certain Aristophane , occupé
depuis longtemps à lire les livres de la bibliothèque. Cette
proposition fut agréée, et Aristophane, contre l'avis des
six antres juges , décerna le prix à un poète que l'on avait
à peine écouté , accusant tous les autres concurrents de
plagiat , ce dont il les convainquit en allant lui-même cher-
cher les ouvrages, et en leur faisant voir les passages
pillés par eux.
L'on ne connaît aucun bibliothécaire des diverses villes
de la Grèce. Asinius PoUion organisa le premier une biblio-
thèque à Rome ; la mort de JuJes-César arrêta le plan qu'il
avait conçu pour la réunion de livres grecs et latins , et
dont le soin avait été confié p«r lui à Varron. Les deux
grammairiens Melissus et Lucius Hygenus furent les biblio-
thécaires des bibliothèques Octavienne et Palatine. Un
nommé Antiochus et un certain Julius Félix furent aussi
chargés de conserver, le premier tous les ouvrages latins
de la bibliothèque du temple d'Apollon , le second tous les
livres grecs de la Palatine. Dans le moyen âge, la première
personne qui fut chargée en France de ranger la biblio-
thèque des monarques, devenue publique, fut, sous
Charles V, Gilles Malet, valet de chambre de ce prince , à
qui l'on donna le titre de maistre de la librairie du roy.
Il eut pour successeur Antoine des Essarts , Jean Maulin ,
Garnier de Saint-Yon. Robert Gaguin, un de nos vieux
historiens, a été, selon plusieurs auteurs, bibliothécaire sous
Louis XI , mais on n'en a pas de preuves bien certaines.
Laurent Palmier était alors garde en titre de la bibliothèque
royale. Guillaume Budé fût le premier bibliothécaire en
chef; François 1" créa cette charge pour lui. Après Budé,
les provisions en furent expédiées par les rois à Pierre
Chastelin, Pierre de Montdoré, Jacques Amyot, Jacques-
Auguste de Tbou, François de Thou, Jérôme Bignon,
Jérôme Bignon, fils du précédent, Camille Le Tellier, Jean-
Paul Bignon, Jérôme Bignon, et Armand-Jérôme Bignon,
dernier bibliothécaire du roi. Une loi de l'an iv organisa na-
tionalement ce vaste établissement , supprima cette charge,
et nomma des conservateurs qui , à droits égaux, partagè-
rent la responsabilité et l'administration. Depuis cette
époque, plusieurs noms célèbres dans la littérature, les
sciences et la bibliographie sont venus contribuer de leurs
lumières et de leur zèle à augmenter ce dépôt si précieux.
De ce nombre sont l'abbé Barthélémy, Millin, Lan-
glès, La Porte du Theil, Legrand d'Aussy, Caperonnier,
Gail, Abel Rémusat, de Chéey,Dacier, Sylvestre de
Sacy, Jomard, Hase, Letronne,Magnin,Nau-
det,Reinaud, Paulin Paris, etc., elc.
D'autres bibliothèques de Paris ont eu Barbier et Be u-
chot pour bibliothécaires. Dans les départements se sont
fait connaître l'abbé Saas, à Rouen; Laire, à Toulouse;
Gabriel Pcignot, à "Vesoul; Delandine, à Lyon; Weiss, à
Besançon; A. Leglay, à Valenciennes, etc., etc.; à l'étranger,
en Allemagne, l'abbé Denis Lambecius, Chmel, Endlicher,
à Vienne; Reuss, à Gœttingue; Wilken, à Berlin ; Falken-
stein, Èbert, à Dresde; en Suisse, Sinner (maintenant à
Paris), Senebier; en Italie, Léon Allatius, les Assemani,
l'abbé Morclli, Angelo Mai; au Brésil, monsignor Yidigal ,
— BIBLIOTHÈQUE 155
le grand fondateur de villes, mort évoque et bibliothécaire
de Rio de Janeiro, etc., etc.
La science du bibliothécaire devrait être pour ainsi dire
universelle : Parent , dans son Essai sur la Bibliographie ,
trace ainsi les devoirs de ce fonctionnaire : « Le bibliothé-
caire doit être exempt de préjugés politiques et religieux ;
il n'est le prêtre d'aucun culte , le ministre d'aucune secte,
l'initié d'aucune coterie, le partisan idolâtre d'aucun sys-
tème. Il se doit au public, et surtout à la foule des vrais
amateurs, qui trouveront en lui une bibliothèque parlante,
qui tireront plus de secours de sa vaste et complaisante
érudition que de ses registres d'ordre. Il se doit à une jeu-
nesse studieuse, curieuse et avide d'instruction, pour qui
il sera im guide sûr, qui la conduira aux sources les plus
pures. Il d*»it être pour les professeurs des écoles publiques
un confrère utile, un ami éclairé, un conseil permanent,
qui, de concert avec eux, travaillera au succès de l'instruc-
tion publique. » Ce n'est donc pas sans raison que l'on
compare le bibliothécaire ignorant à l'eunuque chargé de
la garde du sérail. C'est un bibliothécaire de cette espèce
qui, trouvant un livre hébreu, le porta ainsi sur son ca-
talogue : n Item, un livre dont le commencement est à la
fin. » L'académicien et ambassadeur Guill. Bautru , ayant
visité la bibliothèque de l'Escurial, dont le bibliothécaire
était si ignorant qu'il ne connaissait pas même la plupart
des livres de sa collection, dit au roi d'Espagne qu'il de-
vrait donner l'administration de ses finances à son biblio-
thécaire de l'Escurial. Le roi en demanda la raison : « C'est,
lui répondit Bautru, parce qu'il n'a jamais touché à ce
que Votre Majesté lui a confié. » Si l'on veut, au contraire,
citer le modèle du bibliothécaire, pour la science, le zèle,
l'obligeance et le dévouement le plus complet et le plus
désintéressé, tout le monde nommera le vénérable Van
Praet, dont les vieux habitués de la Bibliothèque Nationale
n'ont pas perdu et ne perdront jamais le souvenir.
A. Champollion-Figeac.
BIBLIOTHÈQUE. Ce mot est formé de deux mots
grecs, pi6).tov, livre, et Q-fiinri, dépôt, lieu où l'on cache, où
l'on conserve. Il se prend dans trois acceptions différentes :
1° comme lieu qui renferme des livres ; 2° comme collection
de livres ; 3° comme recueil de travaux de divers auteurs dans
une spécialité commune, tel que Bibliothèque des Pères de
r Église, Bibliothèque des Auteurs ecclésiastiques. Bi-
bliothèque choisie des Romans, Bibliothèque générale des
Voyages, Bibliothèque du dix-neuvième siècle; etc., etc.
(voyez aussi l'article Bibliographie). Pendant le moyen
âge, l'on donna encore le nom de bibliothèque à la Bible,
réunion des livres sacrés.
La tradition veut que la première bibliothèque ait été
fondéeà Memphis par le roi Osymandias, qui régnait près
de 2000 ans avant J.-C. Suivant Diodore de Sicile, on lisait
sur la porte cette simple inscription : Remèdes de l'âme.
Chez les Phéniciens , comme en Egypte, la conservation des
archives était confiée aux prêtres. Les nombreuses connais-
sances que ce dernier peuple acquit par la navigation et le
commerce lui firent recueillir de bonne heure et avec soin
les livres les plus utiles. Les Hébreux n'avaient pas de li-
vres avant Moïse , et ce ne fut qu'après la mort de ce pa-
triarche que l'on songea à recueillir ses écrits. Un exem-
plaire du livre de la Loi était déposé dans le temple de
Jérusalem ; plus tard , on y ajouta les écrits de Josué et des
prophètes; on les plaça dans la partie la plus secrète du
sanctuaire, que le grand-prêtre avait seul le droit de visi-
ter. Mais à la prise de cette ville par les Babyloniens, le
temple et la bibliothèque furent brûlés. Néhémie. au retour
de la captivité de Babylone , rassembla de nouveau , en forme
de bibliothèque, et avec l'aide d'Esdras, les livres de Moïse,
les livres des Rois, les livres des Prophètes. Chaque syna-
gogue possédait aussi des livres sacrés. Du reste, (ort peu de
i enseignements nous ont cle conserves sur ces leiiips n-ciiiés.
2'J.
166 BIBLIOTHEQUE
Si nous tournons les yeux vers la Perse, Ctésias nous np-
prendra que les annales de cette nation étaient anciennement
écrites par ordre des rois; que la loi forçait les faniilles à
déposer dans des archives l'histoire de leurs ancêtres , et
que c'était de ces monuments qu'il avait tiré une grande
partie des fastes de ce peuple. Aucun historien postérieur
n'a démenti ce récit, et l'on sait que le Grec Mégasthène se
rendit à la bibliothèque de Suse pour y composer aussi une
histoire des Perses. Diodore de Sicile et l'Écriture Sainte
parlent également de la bibliothèque de cette ville. En
Grèce ce furent Polycrate et Pisistrate qui formèrent les
plus anciennes collections de livres, le premier à Samos,
le second à Athènes. Xerxès enleva celle-ci lorsqu'il brûla
cette ville, et elle fut transportée en Perse, où elle était
encore du temps d'Alexandre. Aulu-Gelle rapporte qu'elle
ftrt l'envoyée à Athènes par Séleucus Nicator; Sylla la pilla
de nouveau , et l'empereur Adrien la rétablit. La précieuse
collection de livres de médecine conservée dans la biblio-
thèque de Cnide la rendit célèbre vers le même temps.
Parmi les bibliothèques particulières des Grecs, on citait
celles d'Euclide, de Nicocrate, d'Euripide, d'Aristote, etc.
Cette dernière n'était ouverte qu'aux péripatéticiens , et
passa , après la mort d'Aristote , à Théophraste , qui la ioi-
gnit à la sienne. Ptolémée l'acheta de Nélée, héritier de
Théophraste, et la fit porter en Egypte.
Mais la bibliothèque d' A 1 e x a n d r i e , due à la magnificence
des rois grecs d'Egypte, est la plus célèbre de toutes celles de
l'antiquité. Eumène en fonda une rivale à Pergame. Ptolé-
mée-Épiphane, pour arrêter cette concurrence effrayante, fit
défendre l'exportation du papyrus d'Egypte. On y suppléa
en perfectionnant l'art, déjà connu, d'écrire sur des peaux d'a-
nimaux, et le parchemin (pergamena charta ) devint d'un
usage général. Plus tard Evergète II établit une seconde bi-
bliothèque à Alexandrie.
Les Romains ne prirent le goût des lettres et des arts qu'a-
près avoir vaincu les Grecs, qu'ils voulurent imiter en tout.
Paul-Émile et Lucullus rapportèrent à Rome dans leur butin
les premières bibliothèques qu'ait eues cette ville. L'atrium
du temple delà Liberté, situé sur le mont Aventin, reçut la
première bibliothèque publique qu'Asinius Pollion fonda à
Rome avec les livres qu'il avait pris chez les Dalmates et chez
les autres peuples conquis. Cicéron et Atlicus possédèrent,
eux aussi , de grandes et belles collections. L'empereur Au-
guste fonda deux bibliothèques, l'une appelée Pn/fl^/ne, parce
qu'elle fut placée dans le temple d'Apollon sur le mont Pala-
tin ; l'autre Octavienne, parce qu'elle était sous le portique du
temple de sa sœur Octavie. Les deux incendies qui détruisirent
en partie la ville de Rome, sous Néron et Titus, consumèrent
•plusieuis bibliothèques, entre autres celle que Tibère avait
établie dans son palais. Domitien voulut réparer ces pertes
■en faisant copier les manuscrits d'Al 'xandrie. Une biblio-
thèque fut placée dans le temple de la Paix par Vespasien et
brûlée .par un troisième incendie pendant le règne de Com-
mode. Enfin le nom d'Ulpienne fut donné par Trajan à celle
qu'il rassembla : elle l'emportait sur toutes les bibliothèques
de ses prédécesseurs par sa richesse et son luxe. Pline le
Jeune avait un grand nombre de livres dans sa maison de
campagne à Laurentium. Ce favori de Trajan, en fondant
une école publique à Côme, sa ville natale, la dota d'une
bibliothèque. On en a découvert une petite dans une maison
de campagne d'Herculanum. En général, les bibliothèques
des Romains étaient composées d'armoires dans lesquelles
on plaçait des rouleaux ou volumes qu'on distinguait par des
numéros. On décorait les bibliothèciues des statues et des
bustes des hommes célèbres. Le médecin Sammonius Sérénus
légua à Gordien le jeune soixante-douze mille volumes qu'il
avait ramassés. Enfin Publius Victor, qui décrivait la ville
éternelle au quatrième siècle, y compte vingt-huit biblio-
thèques publiques, outre bon nombre de grandes biblio-
Ihèques particulières.
Constantin , en portant le siège de l'empire romain dans
la ville qu'il fonda sur les ruines de Byzance, et à laquelle
il donna son nom , y construisit des bàtunents qui pour le
luxe et la somptuosité pouvaient rivaliser avec ceux de
Rome. Il y réunit aussi une bibliothèque , qui de son vivant
renfermait six mille volumes. Successivement augmentée par
les héritiers de son empire, elle comptait plus de cent mille
volumes à la mort de Théodose. Mais Léon l'isauiien ne
pouvant réussir à entraîner dans son parti les savants pré-
posés à sa garde, les enferma dans le bâtiment où elle était
rangée, et y fit mettre le feu. C'était l'an 727 de J.-C. Plu-
sieurs importantes collections de Uvres furent formées du
neuvième au onzième siècle par l'empereur Basile le Macé-
donien et par l'illustre famille des Coranènes, notamment
dans les couvents des îles de l'Archipel et sur le mont Athos.
Constantin Porphyrogénète , protecteur des sciences et des
lettres, fonda de nouveau à Constantinople une bibliothèque,
à l'arrangement de laquelle il travailla lui-môme. Elle n'é-
prouva aucune perte lors de la prise de Constantinople par
les Turcs. Les Arabes possédaient de même à Alexandrie une
bibliothèque considérable dans leur langue, et Al-Mamoun
faisait acheter et transporter à Bagdad un grand nombre do
manuscrits grecs. Dans la suite, Amm'athlV, dans un accès
de dévotion , sacrifia la seconde bibliothèque de Constanti-
nople à sa haine pour les chrétiens.
Quant à la bibliothèque actuelle du sérail, exclusivement
réservée au service de la maison impériale, on en attribue
généralement la fondation à Achmet III et à Mustapha III
au commencement du dix-huitième siècle ; ils l'enrichirent,
ainsi que leurs successeurs. On croit qu'elle renferme au-
jourd'hui 15,000 volumes, et le nombre s'en augmente con-
tinuellement. Au-dessus de la porte on lit en arabe : E7i-
trez en paix. A son cadenas pend le sceau du bibhothécaire.
Outre cette bibliothèque on en compte plusieurs autres à
Constantinople, toutes assez riches en manuscrits. Dans les
bibliothèques turques, les volumes sont élégamment reliés,
et, déplus, enfermés dans des étuis pour les préserver de
la poussière, et c'est sur ces étuis que sont écrits les titres
des ouvrages. Il y a encore en Egypte quelques bibliothè-
ques dans les couvents copktes.
Au milieu des querelles théologiques, la Grèce vit son gé-
nie national s'éclipser; plus heureuse cependant que l'Occi-
dent, elle échappa aux invasions des Barbares. Les chrétiens
grecs, en fondant leurâ monastères , y réunirent aussi des
bibliothèques dans lesquelles passèrent probablement des
volumes de 1" ancienne bibliothèque des empereurs. Les cou-
vents de l'île de Pathmos en possédaient encore de fort
belles et en fort bon ordre. Bagdad servit de retraite aux
savants grecs que les querelles de religion portèrent à aban-
donner leur patrie pendant le huitième et le neuvièuue siècle^
Le khalife Haroun-al-Raschid, et surtout son fils et succes-
seur Adallah-al-Mamoun, les employèrent à traduire en aral»
et en syriaque des ouvrages de sciences et de philosophie.
Tous deux dépensèrent des sommes énormes pour recueillir
dans leurs palais des livres d'Egypte, de Syrie, d'Arménie, etc.
Ce dernier prince exigea même, lors d'un traité avec l'empe-
reur de Byzance, Michel III, que des auteurs grecs de toute
espèce lui fussent donnés. On citait surtout de son temps
les bibliothèques de Fez et de Maroc, dont la première comp-
tait plus de cent mille volumes.
l'endant que les sciences s'étaient réfugiées en Orient,
sous la protection dos khalifes, l'instruction disparaissait de
l'Occident par suite des invasions des peuplades du Nord
La perte de presque toutes les bibliothèques de cette contr»
la plongea dans l'ignorance, et la conquête de l'Egypte pai
les Arabas l'augmenta encore en rendant le papynis très-rare,j
et les livres d'une cherté excessive. L'on se remit alors
écrire plus que jamais sur des peaux d'animaux; mais 1er
prix élevé força souvent les moines à gratter d'anciens m»
nuscrits, et à convertir ainsi des Tite-Live et des Cicéronei
BIBLIOT
de longues et souvent très-peu lucides dissertations mys-
tiques. De là les manuscrits palimpsestes, où peuvent
être retrouvés les livres des historiens classiques qui nous
manquent. La barbarie ne lit pourtant que s'accroître en
Occident pendant les neuvième, dixième et onzième siècles.
Quelques seigneurs puissants et les principaux monastères
possédaient seuls un petit nombre de livres. On citait comme
magnifiques en Fraace la bibliothèque de Charlemagne, celle
de l'abbaye Saint-Gennaiu-des-Prés , celle de l'abbaye de
Pontivy, en Bretagne, contenant 200 volumes; en Angleterre,
celle que fonda, à York, Egbert, archevêque de cette ville, et
celle du monastère de Saint-Alban, rassemblée par Richard
de Bury, évêque de Durham et chancelier d'Angleterre. En
Allemagne il y avait des bibliothèques à Fulda, à Corvey et
depuis le onzième siècle à Hirschau. En Italie, l'abbaye du
mont Cassin avait 90 volumes; celle de Pompose, près de
Kavenne, 00 ; et en Belgique, au commencement du onzième
siècle, celle de l'abbaye de Gembloux en contenait 160.
Les Arabes, maîtres de l'Espagne méridionale, y firent
fleurir leur littératta-e et leurs arts, en établissant des aca-
démies et des écoles à Cordoue, à Grenade, à Valence et
à Séville. L'Andalousie possédait soixante-dix bibliothèques,
parmi lesquelles celle de Cordoue, contenant, dil-on, 250,000
volumes. La plupart ont depuis enrichi celle de l'Escurial.
Seuls les Arabes cultivaient alors les sciences , pendant que
l'Europe chrétienne était sans livres, sans lettres, et plongée
dans la barbarie.
L'invention du papier de chiffon , en fournissant d'abon-
dantes matières à l'écriture , vint heureusement remplacer
dans le treizième siècle le papyrus et le vélin , et multiplier
ainsi les moyens de reproduire les livres jusque là enfouis
dans les monastères. Saint Louis, de retour de la Terre
Sainte, fit copier les meilleurs ouvrages conservés dans les
couvents pour en former une bibliothèque. Malheureusement
le roi et ses successeurs disposèrent , par une clause de leur
testament, des livres rassemblés pendant leur règne. On
peut voir au cabinet des titres de la Bibliothèque iSatiouale
l'inventaire de la bibliothèque de la reine Clémence de Hon-
grie, deuxième femme de Louis X , morte au Temple, le 13
octobre 1338. Il peut servir à indiquer de quoi se composait
une bibliothèque royale à cette époque , où les livres étaient
d'un prix si élevé : quarante volumes formaient cette collec-
tion, et l'inventaire la di\ise en deux parties : les livres de
chapelle et les roumans. Charles V fut le premier qui fonda
en France une bibliothèque publique; ses livres servirent
de base à la Bibliothèque National e , devenue de nos
jOurs la plus riche de l'Europe.
Après la découverte de l'imprimerie, la formation d'une bi-
bliothèque devint plus facile. Celle du Vatican commençait à
naître , quand elle fut transférée à Avignon , avec le saint-
siége , sous Clément V, et ne revint à Rome que sous
Martin V. Nicolas V l'augmenta tellement qu'il passe pour
son fondateur. Elle se composait alors de 6,000 volumes des
plus rares. Dispersée souslepontificatdeCalixte III, Sixte IV,
Léon X et Clément VII travaiUèrent à la rétablir; mais elle
fut de nouveau détruite en partie par l'armée de Charles-
Quint qui saccagea la ville de Rome. Sixte-Quint lui rendit
son ancienne splendeur, et l'enrichit d'un grand nombre de
livres et de précieux manuscrits. Elle compte aujourd'hui
300,000 volumes et 24,000 manuscrits, dont quelques-uns
sont du plus grand prix. Les autres principales bibliothè-
ques de Rome sont : celle du cardinal François Barberini
(25,000 volumes imprimés et 5,000 manuscrits); celles du
palais Farnèse , du prince Borghèse, de Pamfili et de divers
autres princes de Rome, ainsi que de plusieurs maisons reli-
gieuses. Ce fut le pape Clément VII qui fonda, au commen-
cement du seizième siècle, une bibliothèque dans l'église Saint-
Laurent à Florence (20,000 volumes). Côme de Médicis,
«le la même famille que ce pape , en réunit aussi une dans
l'église de Saint-Marc de la même ville (20,000 volumes,
ïïÈQLE 167
5,000 manuscrits grecs, latins, orientaux). La bibliothèque
Magliabechiana du môme lieu compte 100,000 volumes et
8,000 manuscrits. La bibliothèque de Saint-Ambroise de
Milan , fondée par Frédéric Borromée (voyez Ambrosienne
[Bibliothèque]), celles de Mantoue, Turin, Ferrare, Bo-
logne (150,000 volumes et 9,000 manuscrits), de Saint-Juste,
Saint- Antoine et Saint-Jean de Latran à Padoue ; celle du roi
de Naples (150,000 volumes et une foule de manuscrits pré-
cieux), sont les plus célèbres d'Italie.
On remarque en Allemagne la bibliothèque royale de Mu
nich (plus de 500,000 volumes, 18,000 manuscrits, plus de
12,000 incunables); la bibliothèque impériale de Vienne, fon-
dée en 1430, par Maximilien , enrichie des collections de
MathiasCorvin, du prince Eugène, etc., etc. (plus de 300,000
volumes et 10,000 manuscrits), et la bibliothèque de l'u-
niversité dans la même ville ( 115,000 volumes ) ; la biblio-
thèque de Gœttingue (300,000 volumes et 5,000 manuscrits;
la bibliothèque royale de Dresde ( plus de 300,000 volumes,
182,000 dissertations et brochures, 2,000 incunables et 2,800
manuscrits ) ; la bibliothèque royale de Stuttgard ( 200,000
volumes, 2,300 incunables et 3,600 manuscrits ); la biblio-
t eque royale de Berlin , fondée par Frédéric-Guillaume
(520,000 volumes et 500 manuscrits); la bibliothèque de
Prague ( 130,000 volumes et 4,000 manuscrits ); la biblio-
thèque de Bamberg ( 60,000 volumes, et 2,600 manuscrits ) ;
la bibliothèque de l'université de Bonn (70,000 volumes
et 230 manuscrits) ; la bibliothèque de Carlsruhe ( 80,000
volumes et un grand nombre de manuscrits ) ; la bibliothè-
que de Cassel ( 70,000 volumes et 400 manuscrits, pour la
plupart d'une haute importance ) ; la bibliothèque d'Erfurt
( 40,000 volumes ); la bibliothèque d'Erlangen (100,000 vo-
lumes et 500 manuscrits); la bibliothèque de Francfort-sur
le-Mein (80,000 volumes); la bibliothèque de Fribourg
en Brisgau ( 80,000 volumes ) ; la bibliothèque de Gies-
sen ( près de 100,000 volmnes ) ; la bibliothèque de Gotha
( 140,000 volumes et 5,000 manuscrits ) ; la bibliothèque de
Halle ( 50,000 volumes); la bibliothèque de Hambourg
( 150,000 volumes et 5,000 manuscrits); la bibliothèque
do Heidelberg ( 150,000 volumes et un grand nombre de
manuscrits très-curieux relatifs à l'histoire d'Allemagne) ;
la bibliothèque d'Iéna ( 60,000 volumes ) ; la bibliothèque
d'Inspruck ( 40,000 volumes); la bibliothèque de Kiel
( 80,000 volumes ) ; la bibliothèque de Kœnigsberg ( 60,000
volumes) ; la bibliotb.èque de l'université de Leipzig ( 150,000
volumes, plus de 1 ,S00 incunables et 2,000 manuscrits ); la bi-
bliothèque de la ville à Leipzig ( 80,000 volumes et 2,000
manuscrits ) ; la bibliothèque de Marbourg ( 100,000 volu-
mes); la bibliothèque de Meiningen (40,000 volumes ); la
bibliothèque de Nuremberg (50,000 volumes et 800 manus-
crits ) ; la bibliothèque d'Oldenbourg (80,000 volumes ) ; la
bibliotlièque de Weimar ( 140,000 volumes ); la bibliothè-
que de Wolfenbuttel (200,000 volumes et 4,500 manuscrits).
La bibliothèque Bodléienne est la plus riche de toutes
celles d'Angleterre. Elle fut ainsi appelée du nom de sou
principal fondateur,ThomasBodley ,qui la légua à l'univer-
sité d'Oxford. Elle commença à être publique en ir,0!>. Dans
le quinzième siècle, le duc de Gloucester avait donné à la
même université lasienne, composée de 129 volumes. 11 en
résulte aujourd'hui un fonds de 220,000 vol. et 17,000 ma-
nuscrits. Georges III en établit une au château de Bucking-
liam, qui contient aujourd'hui plus de 80,000 volumes.
Elle a été augmentée par Georges IV, qui l'a léguée par
son testament au Brit'ish-Museum. Elle contient 350,000
vol., et près de 30,000 manuscrits, indépendamment d'envi-
ron 30,000 chaî-tes, diplômes, etc. Celles delà Société royale,
du collège des Hérauts, de Lambeth, et du collège des Méde-
cins, sont aussi fort nombreuses. — Les débris des bibliothC'
ques des Maures d'Espagne furent apportés au couvent de
Saint-Laurent, et servirent à fon>?erla bibliothèque de l'Es-
curial, que Cha»les-Quinl établit, et qui fut considérable-
158 BIBLIOTHÈQUE
ment augmentée par PhUippe II, de celles du roi de Fez et
de Maroc, achetées lors du pillage de la forteresse de La-
rache. La foudre détruisit en partie la bibliothèque de
l'Escurial en 1670. Elle contient aujourd'hui 200,000 toI. et
un grand nombre de manuscrits arabes.
L'empire de Russie dut à Pierre l*' de nombreuses aca-
démies et de nombreuses bibliothèques. Sous son règne celle
de l'Académie de Pétersbourg reçut un assez grand nombre
de volumes , que Catherine II augmenta considérablement
en y ajoutant ceux qu'elle acquit de Diderot et de Vol-
taire. La bibliothèque impériale de Pétersbourg est aujour-
d'hui très-belle; elle contient plus de 400,000 volumes et
20,000 manuscrits.
En 1721 les Russes découvrirent chez les Tatars Kalmouks
une bibliothèque dont les hvres étaient extrêmement longs,
les feuillets épais , tissus d'une espèce de coton ou d'écorce
d'arbre, enduits d'un double vernis; l'écriture blanche sous
un double fond noir. Des fragments de ces manuscrits furent
donnés à diverses bibliothèques d'Europe. On en voit quel-
ques feuilles à la Bibliothèque Nationale de Paris.
Les autres principales bibliothèques d'Europe sont ; en
Suède, celle du Roi à Stockholm, et celle de l'université
dIJpsal ; en Danemarck , la Bibliothèque royale et celle de
l'université de Copenhague (400,000 volumes et plus de
3,000 manuscrits); dans les Pays-Bas, celles d'Amsterdam,
de Leyde, d'Utrecht, etc.; en Belgique, la bibliothèque de
la ville à Bruxelles (100,000 volumes), et la Bibliothèque
royale de la même ville ( 70,000 volumes et 25,000 manus-
crits ), fondée par le gouvernement en 1837, et qui renferme
la célèbre bibliothèque des ducs de B 0 u r g o g n e ; et celles de
Berne, Bade, Zurich ( 55,000 volumes et beaucoup de manus-
crits), Saint-Gall et Genève en Suisse. Parmi les biblio-
thèques de l'Inde, on cite la bibliothèque impériale éta-
blie à Oummera-Pourra, capitale du royaume d'Ava, ou em-
pire des Birmans , classée par ordre dans de grands coffres
ornés de dorures et de jaspe, et portant sur le couvercle la
note du contenu en lettres d'or. U y a aussi dans chaque
kioun ou monastère un dépôt de livres conservés ordinai-
rement dans des caisses de laque. Ces livres se composent
généralement de minces filaments de bambou , artistement
tressés et vernis de manière à former une feuille solide ,
unie et aussi grande qu'on le veut. Cette feuille est ensuite
dorée , et on y trace les lettres en noir et en beau vernis
du Japon. La marge est ornée de guirlandes et de figures
en or, sur un fond rouge, vert ou noir. Le gouvernement
chinois met, de son côté , tous ses soins à former de vastes
dépôts de livres et à les accroître sans cesse. Dès la dy-
nastie de Lean, en 502, la bibliothèque impériale comptait,
dSt-on, 370,000 volumes. Des dépôts de livres existent aussi
non-seulement dans la capitale et dans les palais des em-
pereurs, mais encore dans les métropoles de provinces; et
de tout temps, dans le but de prévenir les pertes que pour-
raient occasionner les guerres ou les révolutions, un exem-
plaire de tous les ouvrages précieux est envoyé dans les
grandes bonzeries (monastères).
Enfin d'importantes bibliothèques ont été fondées en Amé-
rique, notamment à Boston, à Cambridge, à New-York,
à Philadelphie, à Providence, à Washington, etc. Voyez
Edwards, Statlstical Vicwqf the principal public Libra-
iries qf Europe and America (Londres, 1848).
BiBLiotnÈQCES DE Pxnis. Après la Bibliothèque Natio-
nale, à laquelle nous consacrons un article particulier, les
principales de la capitale sont :
1° La Bibliothèque Mazarine, fondée en 1648, par le
cardinal dont ello porte le nom, dans le local occupé main-
tenant par la Bibliothèque Nationale, rendue publique dès
celte époque , et transportée quarante ans après au Collège
Mazarin, dont elle a fait partie jusqu'en 1792. A son ori-
gine elle se composait <le r.0,000 volumes ; elle en compte
aujourd'iiui 150,000, y compris les manuscrits et un grand
nombre d'opuscules remontant au quinzième siècle. Dans
une de ses salles sont placés quatre-vingts modèles en re-
lief des monuments pélasgiques de l'Italie et de la Grèce ,
collection formée par Petit-Radel, administrateur de
cette bibliothèque , qui a publié de savants mémoires sur
ces monuments, dits cyclopéens.
2° La Bibliothèque de l'Arsenal, créée pjr le marquis
de Paulmy {voyez notre article Argenson, t. l'f, p. 785).
Le comte d'Artois en fit l'acquisition en 1781. A cette époque
il y réunit la plus grande partie de l'ancienne bibliothèque
du duc de La Vallière. Aujourd'hui elle compte 175,000 vo-
lumes , sur lesquels il y a environ 6,000 manuscrits. Elle
est riche surtout en romans depuis leur origine, en ou-
vrages de littérature moderne, en pièces de théâtre de-
puis l'époque des moralités et des mystères , et en recueils
de poésies françaises depuis le commencement du seizième
siècle.
3° La Bibliothèque Sainte-Geneviève, dont la fondation ne
remonte qu'à 1624 : elle se compose aujourdliui de 150,000
volumes et de 3,000 manuscrits. Elle avait reçu en don,
du cardinal de La Rochefoucault, un fonds de 600 volumes;
en 1687; elle en comptait déjà 20,000, et en 1710 Letellier,
archevêque de Paris , lui légua tous ses livres. Sa collection
typographique du seizième siècle est assez précieuse, et
celle des Aide qui s'y trouve est une des plus complètes.
Placée d'abord dans une dépendance de l'ancienne abbaye
Sainte-Geneviève, que la révolution transforma en collège ,
elle occupe maintenant des bâtiments neufs élevés sur l'em-
placement de l'ancien collège Montaigu , qui servait aupa-
ravant de prison militaire. Elle est ouverte le soir.
4° La Bibliothèque de l'Institut. Son premier fonds
provient de l'ancienne bibliothèque de la ville de Paris, qui
contenait alors à peine 20,000 volumes ; celle de l'Institut
en compte aujourd'hui plus de 80, 000. Cette bibliothèque
est réservée aux membres de l'Institut, mais tous les étran-
gers présentés par eux y sont admis.
5» La Bibliothèque de la Ville , composée en grande
partie de livres modernes , au nombre de 50,000. Elle est
riche en ouvrages sur les villes de France. La bibliothèque
que légua à la ville le procureur du roi Moreau, en 175î),
servit de base à l'ancienne collection ; Bonamy , qui en fut
le premier conservateur, y réunit, en 1760, sa bibliothèque
particuUère. A la révolution , cette ancienne bibliothèque
de la ville fit le fonds de celle de l'Institut; celle qui existe
aujourd'hui a été tirée des dépôts littéraires nationaux.
Parmi les bibliothèques les plus importantes de Paris , on
compte encore celles du Louvre (80,000 vol.), du Corps
législatif, fondée en 1703 par le comité d'instruction publi-
que de la Convention ( 50,000 vol. ), du Sénat ( 18,000 vol. ),
du Muséum d'Histoire Naturelle ( 30,000vol.), du Bureau des
Longitudes ( 4,000 vol.), du CoÙége de France (5,000 vol. ),
de la Faculté des Lettres ( 30,000 vol., 314 manuscrits), de
la Faculté de Droit (8,000 vol.), de la Faculté de Médecine
(26,000 vol.), de l'École Normale (20,000 vol.), de l'École
Polytechnique (27,000 vol.), de l'École des Mines (4,000
vol.), de l'École des Ponts et Chaussées (5,000 vol.), do
l'École des Beaux-Arts (1,500 vol. ), du Musée ( 3,000 vol. ),
du Conservatoire de Musique, créée en l'an ii (5,000 vol.),
du Conservatoire des Arts et Métiers ( 12,000 vol. ), du sé-
minaire Saint-Sulpice (20,000 vol.), du lycée Louis le
Grand (30,000 vol.), de la Société Asiatique (2,000 livres
ou manuscrits), du ministère des affaires étrangères ( 15,000
vol. ), du ministère de l'intérieur (14,000 vol. ), de la pré-
fecture de police ( 8,000 vol. et quelques manuscrits curieux
de 1 793 ), du conseil des mines ( 12,000 vol. ), de Thospice des
Quinze- Vingts (2,000 vol.), de l'Imprimerie nationale (3,000
vol.), du ministère de la guerre (7,000 vol. ), du dépôt de
la guerre (19,000 vol., 9,000 manuscrits), du dépôt d'artil-
lerie (9,000 voL ), des Invalides (20,000 vol. ), du ministère
des finances (3,500 vol. ), du ministère de la justice ( i2,ooù
BIBLIOTHÈQUE
vol. )»de la cour de cassation (36,000 vol.), du conseil
d'État (35,000 vol.), de la cour des comptes (6, 000 vol.),
du tribunal de l"^' instance (25,000 vol.), des avocats, créée
en 1810 par un legs de l'avocat Ferey (10,000 vol.), du
ministère de la marine (2,700 vol. ), du dépôt de la marine
(15,000 vol. ), des Archives nationales (14,000 vol.).
BiBLioTBÈQUES DES DÉPARTEMENTS. On conipte ctt France
211 villes possédant des bibliothèques, dont l'ensemble s'é-
lève à 3 millions de volumes , ce qui fait à peu près un vo-
lume pour 15 habitants. Il y a en Belgique 95 vol. par
100 habitants et en Allemagne 373 pour le même nombre.
380 villes de 3 à 20,000 habitants n'ont pas encore chez nous
debibUotlièque. De toutes nos bibliothèques départementales
la plus considérable est celle de Lyon, qui contient 1 17,000 vo-
lumes et près de 1,300 manuscrits. D'abord placée au collège
de la Trinité, elle reçut un assez grand nombre de volumes que
lui envoyèrent Henri III, Henri IV, Louis XIII et Louis XIV,
sur la demande des pères Auger, Coton et Lachaise. Une
partie des livres et du bâtiment fut détruite par un incendie,
en 1644. Placée dans-des bâtiments de l'Oratoire, elle per-
dit un assez grand nombre de volumes lors de la suppression
de la compagnie de Jésus. En 1793 , pendant le siège de la
ville , les boulets attaquèrent l'édifice , fracassèrent les ta-
blettes et détruisirent encore une immense quantité de li-
^Tes. "Un bataillon de volontaires y fut logé, qui, sous pré-
texte de faire disparaître les œuvres d'église, en brûla et
en dispersa beaucoup d'autres. Des commissaires du co-
mité de salut public y vinrent aussi faire un choix d'ou-
vrages imprimés et manuscrits les plus précieux pour être
envoyés à la Bibliothèque Nationale de Paris. Quatorze
caisses furent emballées, mais la plupart n'arrivèrent pas à
leur destination; quelques-unes descendirent le Rhône,
d'autres se perdirent en chemin. Bientôt après, la biblio-
thèque de Lyon reçut, pour réparer ses pertes, celles de
plusieurs ordres reUgieux. Le catalogue en a été publié par
le bibliothécaire Delandine. Cette ville possède encore deux
dépôts, importants : la bibliothèque de l'Académie ( 6,000 vol.)
et celle du palais des Beaux-Arts ( 6,000 également ).
La bibliothèque de Bordeaux contient 110,000 volu-
mes, et 1 50 manuscrits. — Après elle , la plus riche de nos
départements est celle d^Aix en Provence, qui possède
près de 100,000volumes et 1,100 manuscrits. On y remarque
un choix des plus belles productions des Aide , des Estienne ,
des Plantin, des Elzevir, etc., etc. — La bibliothèque de
Strasbourg , riche en manuscrits et en livres des premiers
temps de l'imprimerie, compte 80,000 volumes. Sa fondation
remonte à l'an 1531. La bibliothèque de la faculté de méde-
cine de cette ville contient 10,000 volumes. — La suppres-
sion des couvents et des maisons religieuses, en 1793, mit
à la disposition des communes et des districts tous les ou-
vrages rassemblés par les religieux qui les avaient habités.
Tel fut le premier fonds de l'établissement à Marseille d'une
bibliothèque publique, qui compte 50,000 volumes et près
de 1,300 manuscrits. — A Rouen, la bibliothèque de l'ab-
baye de Saint-Ouen possédait non-seulement un grand nombre
de livres, mais encore une riche collection de manuscrits
précieux , qui servirent de base à la bibliothèque de la ville
lorsque les religieux abandonnèrent leur maison, au com-
mencement de la révolution. Le second étage des bâtiments
de la mairie de Rouen , qui a remplacé le réfectoire de l'an-
cienne abbaye, est le local qu'occupent aujourd'hui la bi-
bliothèque et le musée. La première renferme 43,000 vo-
lumes et 1,100 manuscrits, pour la plupart en anglo-saxon,
provenant de l'abbaye de Jumiéges. C'est un des plus pré-
cieux trésors bibliographiques de la France.
La fondation de la bibliothèque de Grenoble date de l'an-
née 1772, et les livres de Jean Caulet , évoque de la ville,
ac([uis par les Grenoblois au moyen dune souscription, en
furent le premier fonds. Bientôt après, l'ordre des avocats y
réunit la sienne, et les bâtiments qu'occupaient ancicnne-
1^9
ment les jésuites furent en paiti« cédés par l'adminis-
tration du collège à la ville. Ce fut le 5 septembre 1773 que
la bibliothèque devint publique. La révolution l'augmenta de
plusieurs raretés bibliographiques, et d'un assez grand
nombre de manuscrits, parmi lesquels il faut citer ceux
de la Grande-Chartreuse. La ville dépense annuellement plus
de 3,000 francs pour cette bibliothèque, qui contient aujour-
d'hui 54,000 volumes et 1,200 manuscrits, parmi lesquels
on remarque celui des poésies de Charles d'Orléans. Cham-
pollion-Figeac et ChampoUion jeune en ont été bibliothé-
caires. Le titulaire actuel, M. Ducoin, en a publié le cata-
logue. — La ville d''Amiens possède aujourd'hui une
bibliothèque riche de plus de 42,000 volumes, dont la plu-
part ont été fournis par la suppression des abbayes ; elle
compte aussi 1,500 manuscrits. La bibliothèque du sémi-
naire contient 4,000 volumes. — A Versailles, la principale
richesse de la bibliothèque consiste en un grand nombre d'é-
ditions des Estienne , Plantin , Elzevir, Baskerville , etc. ;
42,000 volumes y sont réunis. — La ville d'Arras en compte
40,000 , et 1,000 manuscrits , dont le plus remarquable est
un Évangile du dixième siècle. — La bibliothèque de Cam-
bray a beaucoup de manuscrits ; le catalogue en a été publié
par M. Le Glay, bibliothécaire. Elle possède aussi plusieurs
raretés bibliographiques. Elle s'accrut à la révolution des
collections du chapitre métropolitain et de plusieurs ab-
bayes. Le nombre de ses volumes s'élève aujourd'hui à plus
de 30,000, dont 1,000 manuscrits, parmi lesquels on distin-
gue un Grégoire de Tours, que dom Bouquet croit être du
septième ou du huitième siècle. Ce précieux manuscrit con-
tient plusieurs leçons inédites.
Après ces bibliothèques, les plus considérables de France-
sont celles : d'Abbeville (13,000 vol.), cataloguée par
M. Louandre père; d'Agen (15,000 vol. ) ; d'Ajaccio (14,00a
vol.); d'Albi (14,000); d'Angers (28,000); d'Angouléme
(16,000, avec plusieurs manuscrits précieux); d'Auxerre
(25,000 vol. et 200 manuscrits); d'Avignon (28,000 vol.
et 500 manuscrits); d'Avranches, dans laquelle M. Cousin
a découvert le manuscrit du Sic et non d'Abeilard (10,000
vol. ) ; de Beaune ( 10,000 vol. ) ; de Besançon , riche en pré-
cieux manuscrits, entre autres ceux du cardinal Granvelle, et
qui a pour bibliothécaire M. Weiss ( 60,000 vol. ) ; de Blois,
longtemps dirigée par M. de la Saussaye, de l'Institut,
( 20,000 vol. et quelques manuscrits rares ) ; de Boulogne
(21,000 vol.); de Bourg (17,000 vol.); de Bourges ( 20,000
vol. et de curieux manuscrits) ;'de Brest, bibliothèque de la
marine (20,000 volumes); de Caen (25,000 vol.); de Ca-
hors (12,000); de Carcassonne (20,000); de Carpentras
(25,000, ave« 800 manuscrits); de Châlons-sur-Marne
(20,000 vol.) ; de Châlons-sur-Saône ( 10,000); de Charle-
ville ( 22,000 , avec 200 manuscrits ) ; de Chartres ( 40,000
vol. et 800 manuscrits ) ; de Chaumont (35,000 vol.); do
Clermont-Ferrand ( 1 0,000 vol. ) ; de Colmar ( 36,000 ) ; de Di-
jon (40,000 vol. et 600 manuscrits); de Douai (30,000 vol'.,
et 600 manuscrits); d'Épemay (10,000 vol.); d'ÉpinaÈ
(17,000 vol.) ; d'Évreux (10,000) ; de La Flèche (20,000 vol.) ^
de Fontainebleau (à l'État, 40,000 vol.) ; du Havre ( 15,000.
voL); de Langres (30,000 vol.); de Laon (20,000 vol.,
et 480 manuscrits); de Lille ( 21,000 vol.); de Limogea
(12,000 vol. et quelques manuscrits); de Mâcon (10,000.
vol.); du Mans, bibhothèque de la ville (41,000 vol. et
7,000 manuscrits), bibliothèque du séminaire (15,000 vol.);
deMeaux (14,000 vol.); de Melun (10,000 vol.); de Meta
(36,000 vol.); de Montauban ( 11,000 vol.); de Montbel-
liard ( 10,000 vol.) ; de Montbrison ( 15,000 vol. ) ; de Mont-
pellier, de la ville (40,000 vol.), de la faculté de mé-
decine ( 30,000 vol. et 600 manuscrits), du musée Fabre
( 25,000 vol. ) ; de Moulins ( 20,000 vol. ) ; de Nancy ( 25,000
vol. ) ; de Nantes (30,000 vol. et 600 manuscrits, la plupart
d'auteurs classiques ) ; de Nemours ( 1 1 ,000 vol. ) ; de Niort
( 20,000 vol. ) ; de Nîmes (30,000 vol. ) ; d'Orléans ( 20^000
BIBLIOTHÈQUE — BIBLIOTHÈQUE NATIONALE
160
vol.); de Pau (15,000 vol.) ; de Périgueux ( 16,000 vol.);
<le Perpignan (15,000 vol. ) ; de Poitiers ( 25,000 vol. ) ; de
Reims (30,000 vol. et 1,000 manuscrits); de Rennes
(30,000 vol. ) ; de La Rochflle (20,000 vol. et 200 manus-
crits) ; de Saint-Brieuc (24,000 vol.) ; de Saint-Omer (36,000
vol.) ; de Saint-Quentin ( 17,000 vol.); de Saintes (25,000
vol.); de Semur (15,000 vol.); de Soissons (30,000 vol.
et 220 manuscrits ) ; de Toulouse ( 30,000 vol. et plusieurs
curieux manuscrits) ; de Tours (32,000 vol. et 1,000 ma-
nuscrits); de Troycs (50,000 vol. et 400 manuscrits); de
Valenciennnes (30,000 vol.); de Valognes (15,000 vol.
et 100 mantiscrits); de Verdun ( 14,000 vol.), etc., etc.
BIBLIOTHÈQUE NATIONALE de Paris , la plus
riche , la jiius vaste de l'Europe. Elle est divisée en quatre
départements : 1" livres imprimés; 2° livres manuscrits,
chartes et diplômes; 3° médailles et antiques; 4" estampes,
cartes et plans.
La réunion des conservateurs et des conservateurs-ad-
joints , qui ont voix consultative , forme , sous le nom de
Conservatoire, l'administration responsable de cet établis-
sement. Un administrateur général président, un viccrpré-
sident et un secrétaire composent le bureau.
L'origine réelle de celte bibliothèque est, comme celle de
la plupart des grands établissements publics, obscure et
incertaine ; elle eut de faibles commencements , et ce n'est
qu'après de longues suites d'années et de nombreuses révo-
lutions qu'elle est parvenue à ce degré de magnificence qui
en fait aujourd'hui le plus vaste dépôt des connaissances hu-
maines. Charlemagne avait ur.°. bibliothèque ; il ordonna
qu'elle fût vendue, et que le prix en fat distribué aux pau-
vres. Ses successeurs disposèrent aussi de leurs livres
comme du reste de leur mobilier. Saint Louis forma à son
tour une bibliothèque , dont il permit l'usage aux savants ;
il la dispersa encore par une clause de son testament. Phi-
lippe le Bel et ses trois fils imitèrent cet exemple ; Philippe de
Valois s'occupa peu des sciences et des livres; le roi Jean,
au contraire , ramassa quelques volumes ; Charles V en hé-
rita , et en réunit avec soin un assez grand nombre d'au-
tres : ce fut là l'origine et la base primitive de la Biblio-
thèque Nationale comme établissement public. Le premier
inventaire qui s'y trouve, et qui remonte à 1373, est signé
de Gilles Malet , valet de chambre de Charles V, garde de
la librairie du Louvre. Il constate un total de 910 volumes,
parmi lesquels les ouvrages de théologie, d'astrologie, de
géomancie et de chiromancie figurent en grande majorité.
En 1429,1a bibliothèque du roi, qui était à la tour du
Louvre depuis Charles \, fut achetée par le duc de Bed-
ford, régent du royaume, pour 1,220 livres, et ce sei-
gneur en envoya une bonne partie en Angleterre. Louis XI
en ramassa quelques débris épars dans les maisons royales.
L'invention de l'imprimerie lui apporta de nouvelles ri-
chesses. Louis XII la transporta à Blois ; François V la
réunit à celle qu'il avait formée à Fontainebleau, et créa la
charge de maistre de la librairie du roi. Henri II ordonna
qu'il serait remis à la bibliothèque du Roi un exemplaire de
chaque livre imprimé par privilège. Parmi les maistres de
la librairie figurent Guillaume Bu dé, Mellin de Saint-Ge-
lais, Jacques Amyot, Auguste de Thou, François de
Thou, un fils du ministre Colbeit, etc. La bibliothèque du
roi fut pillée au temps de la Ligue. Henri IV la lit transporter
à Paris au collège de Clermont, que les jésuites exilés ve-
naient d'abandonner. Elle passa en 1004 aux Cordeliers ,
puis sous Louis XIII à la rue de la Harpe, en 16GG à la
rue Vivienne, et enfin en 1724 au local actuel , hôtel de Ne-
vers, rue Richelieu.
Les i)rincipales acquisitions dont elle s'enrichit furent : en
1657, le legs des frères Dupuy, anciens bibliothécaires,
consistant en 126 manuscrits et plus de 9,000 vol. imprimés,
les plus précieux peut-être qu'elle possède encore aujour-
d'hui ; en 1G65, celui du comte IJippoljte de IJcthuue, con-
sistant en 1,923 volumes manuscrits; en 1678 le don fait par
Cassinide 700 vol. sur les sciences mathématiques; en
1728 l'acquisition de mille volumes imprimés provenant du
cabinet de Co Ibert, et en 1732 la plus importante que la
Bibliothèque nationale ait jamais faite, cellt; des manusciiU
du même cabinet, au nombre de près de 10,000, y cont
pris 645 manuscrits orientaux et 1,000 manuscrits grecs
en 1733 l'acquisition de la bibliothèque du sÏL'ur de Cangé
6,000 vol., presque tous relatifs à l'histoire littéraire di
France; en 1750 l'acquisition des manuscrits de du Cangi
et de l'église de Paris, au nombre d'environ 300, la plupai
des onzième et douzième 8iècles;en 1762, le legs de 11,001
volumes par Falconnet ; en 1765, la bibliothèque du ce
lèbre Huet, évêque d'Avranches (plus de 8,000 vol.);
en 1766 l'acquisition du cabinet Fontanieu, riche surtout en
manuscrits , parmi lesquels on remarque plus de 60,000
pièces originales sur l'histoire de France ; l'acquisition des
manuscrits et livres précieux qui composaient la magnifi-
que collection du duc de La Vallière, et enfin, à la révolu-
tion de 89, les abondantes dépouilles des bibliothècpies des
émigrés, efde celles des nombreux monastères supprimés,
sans compter les richesses étrangères dues à nos conquêtes.
Avant cette époque le vaste dépôt de la rue Richelieu
était un établissement purement privé , mais que la magni-
ficence du roi ouvrait, à de rares intervalles , à quelques
lecteurs privilégiés. La révolution changea cet ordre de
choses : la publicité , une publicité sans autres limites que
les précautions à prendre pour la conservation des objets,
fut pour la première fois posée en principe, et mise à exé-
cution aussitôt qu'adoptée.
L'an XII, la Bibliothèque eut à regretter les pertes qu'é-
prouva son cabinet des antiques par le vol qui y fut commis
le 26 pluviôse. ]\Iais, quatre mois après, les cinq pièces capi-
tales furent retrouvées à Amsterdam, entre les mains mômes
des voleurs , et furent réijitégrées à la Bibliothèque. L'em-
pereur Napoléon conçut à cette époque le projet de trans-
porter la Bibliothèque au Louvre; mais l'examen du local
fit abandonner ce projet à cause de l'insuffisance des sur-
faces. Ce projet a souvent été renouvelé depuis , toujoiu's
sans succès.
Les puissances étrangères , maîtresses de la France après
les désastres de 1814, réclamèrent les objets d'art pris
dans leurs capitales , et dont la plupart avaient été stipulés
comme conditions de traités antérieurs. L'Autriche , la pre-
mière , se fit restituer les différents monuments apportés de
Vienne en 1809. L'ordre en fut expédié à l'administrateur
de la Bibliothèque par l'abbé de Montesquiou , et les objet;^
furent rendus le 14 septembre. Le retour de Napoléon mit
fin, pour cette année, aux réclamations des autres cabinets;
et en mars 1815 la Bibliothèque reprit son ancienne ins-
cription de Bibliothèque Impériale. En juillet, le baron de
MufQing , redevenu gouverneur de Paris au nom des puis-
sances alliées, expédia promptement des ordres sévères poui
faire restituer aux divers États les objets enlevés de leun
musées et bibliothèques. Il fit aussi réclamer au nom de
l'Autriche les monuments d'Italie conquis par nos armées
Mais Dacier, alors administrateur, refusa de les rendre avan
d'avoir reçu des instructions du ministre; sa fermeté et se;
démarches réitérées auprès des autorités préservèrent alor
la Bibliothèque des malheurs inséparables d'une invasion
Les ordres expédiés quelques jours après par M. deBarante
ministre de l'intérieur, avertissaient les conservateurs de m
céder qu'à la force, puisque aucun traité ne mettait l'Italie
sous la domination de l'Autriche. Le commissaire de cetti
puissance renouvela sa visite le 4 octobre, accompagné d'iii
officier d'état-major, et ce ne fut que pour éviter les do
sordres et les dégâts qui pouvaient résulter de riutroductioi
des troupes dans un établissement littéraire, que l'adminiv
trateur cfda aux injonctions des plus forts, et laissa enlève
les objets que naguère encoïc on était fier de contcmpr
BIBLIOTHÈQUE NATIONALE
se rappelant les noms des victoires qui les avaient procurés
à la France.
Pendant la Restauration de nombreuses acquisitions vin-
rent se classer de nouveau dans les galeries de la Biblio-
thèque Nationale. Citons, parmi les plus importantes, les
manuscrits autographes de La Porte du Theil , Miilin , Vis-
conti, les pièces du duc de Mortemart sur l'histoire de
France et du père Llorente sur l'inquisition d'Espagne , de
curieux monuments rapportés d'ÉgvT)te par M. Caillaud,
des médailles de M.M. Cousinery, Rollin, Cadalvène, et une
partie de la précieuse collection de M. Allier de Haute-
roche.
En 1831, la Bibliothèque eut de nouveau à regretter le
second vol fait dans son cabinet des antiques , malheur à
jamais funeste aux sciences historiques , et dont la perte a
justement retenti dans le monde savant. Ce vol, commis
durant la nuit du 5 au 6 novembre, enleva à l'archéologie
des moyens nombreux d'instruction , à l'étude de l'art de
pri cieux modèles , et à la France un capital considérable.
Dès avant le jour, les conservateurs, avertis de ce désastre,
SI' rendirent en toute hâte au cabinet et trouvèrent toutes
1rs armoires ouvertes ; une partie des montres placées sur le
liiueau étaient forcées, et un grand nombre de tablettes et
<le cartons avaient été entassés ou Jetés pêle-mêle sur le
parquet ; quelques-uns de ces cartons étaient encore chargés
de médailles d'or ou de bijoux , que les malfaiteurs n'avaient
pas eu le temps d'emporter. Après de longues recherches, la
police parvint enfin à découvrir leurs traces, et, sur la décla-
ration de l'un d'eux, une partie de ces richesses fut repêchée
au fond de la Seine; l'autre avait été fondue.
Parmi les dernières acquisitions faites par la Bibliothèque,
il faut encore citer la collection d'antiquités du général
Guilleniinot, les médailles de la Bactriane offertes par le
^'énéral Allard , des antiquités du cabinet Durand, du prince
(le Canino, des manuscrits autographes de CliampoUion
jeune, un précieux manuscrit du code Thoodosien, un au-
tre des frères Pithou, une grande partie de la riche collection
de la duchesse de Beriy.
Les bâtiments de la Bibliothèque Nationale ont à l'ex-
térieur l'aspect le plus déplorable. A l'intérieur les propor-
tions en sont vicieuses et manquent de symétrie. Une
partie de la cour est convertie en jardin , dans lequel se
trouve un jet d'eau. On y voit aussi une statue de Char-
les V. Près du jardin, et an i)ied de l'escalier qui conduit à
la salle de lecture, est située la salle du Zodiaque, orn(''e du
fameux zodiaque de Dendôrah et de curiosités égyptiennes.
Cette salle sert à des cours. Le reste du rez-de-chaussée est
occupé par des bureaux. En entrant, un large escalier pré-
cédé d'un vestibule conduit au premier étage : le grand
espace qu'il occupe et sa rampe de fer, citée comme un des
plus beaux travaux de ce genre, attirent l'attention des visi-
teurs. Sur le mur on voit une grande tapisserie donnée
par M. Jubinal et provenant du château de Bayard; on sup-
pose qu'elle a appartenu au célèbre chevalier de ce nom.
l)e cet escalier on entre dans une galerie divisée en plu-
sieurs salles, dans lesquelles est exposée, sous des montres,
une curieuse collection d'incunables et de chefs-d'œuvre
typographiques. Ces salles sont ornées de la statue en bronze
de Voltaire par Houdon, et du plan en relief des pyra-
mides d'Egypte par le colonel Grobert. Au bout de cette
galerie se trouve le cabinet des antiques, dont nous repar-
lerons , et en retour d'équerre une grande salle oniée du
Parnasse français de Titon du Tillet, pièce de bronze où
figurent les poètes français les plus connus depuis la Re-
naissance. Des deux côtés sont de charmantes petites tours
chinoises. Par un nouveau retour d'équerre on entre dans la
grande salle de lecture, laquelle communique avec la cour
par un autre escalier. Derrière les bibliothécaires, une grande
salle renferme les deux grands globes de Coronelli. Un autre
bâtiment, faisant le quatrième côté du parallélogramme,
DICT. DE LA COiNVERS. — T. !II.
161
ramène sur le grand escalier; une partie seulement de ce
dernier bâtiment est publique, et conduit au département des
manuscrits. On y voit une cuve de porphyre , qui était jadis
dans l'église de Saint-Denis , et dans laquelle on dit que
Clovis reçut le baptême des mains de saint Remy.
Les murs de ces diverses galeries sont garnis d'armoires
remplies de livres. De belles et larges croisées s'ouvrent sur
la cour. Les imprimés de la Bibliothèque Nationale ne s'é-
lèvent pas à moins de 600,000 volumes, sans compter un
pareil nombre au moins de brochures et pièces fugitives.
Chaque année ce fonds s'augmente d'un exemplaire de
chacun des ouvrages nouveaux et des éditions nouvelles et
des opuscules publiés en France pendant l'année, soit
d'environ 6,000 volumes ou brochures, et de 3,000 volumes
publiés à l'étranger. C'est la plus belle collection des pro-
duits de l'imprimerie qui existe dans le monde.
Département des manuscrits. L'entrée de ce départe-
ment est à gauche du grand escalier des imprimés; mais
il communique aussi avec les livres par une pièce du pre-
mier étage. L'escalier particulier est étroit et d'assez mau-
vaise apparence; il conduit à une grande et belle suite de
salles où on a réuni la plus belle collection de manuscrits
de tout âge, de tout genre et de toutes langues. En entrant,
l'on trouve trois grandes pièces dont les plafonds sont peints
à fresque. Ils représentent différents sujets , et la plupart
sont des fleurs, des oiseaux, des paysages, etc., que l'on
croit avoir été peints par des élèves de Romanelli , d'après
les cartons de ce maître. La cinquième pièce est une grande
et superbe galerie, dite Mazarine, de 45 mètres 50 centim.
de longueur, sur 7 mètres 20 centim. de largeur. Elle a fait
partie des appartements du cardinal dont elle porte le nom,
à l'époque où il habitait cil hôtel. Huit croisées en vous-
sure éclairent cette salie dans sa longueur, et en face de
chacune d'elles était une niche en coquilles décorée de pay-
sages peints par Grimaldi Bolognèse ; mais elles sont main-
tenant masquées par des corps de tablettes couverts de
manuscrits. Le plafond envoûte est très-beau, il a été peint
à fresque, en 1051, par Romanelli, qui y a représenté
divers sujets de la Fable. Dans celte galerie, on a exposé
dans des montres \ itrées des manuscrits chinois, persans, an-
ciens et modernes, éthiopiens, birmans, turcs, arabes, etc.,
et plusieurs autres des différents siècles du moyen âge ,
depuis le septième jusques et y compris le seizième siècle;
des écritures autographes en grand nombre, celles, entre
autres, d'Agnès Sorel et de Molière, des lettres d'Henri IV
à Sully, de Voltaire, J.-J. Rousseau, Boileau, Corneille,
Racine, mesdames de La Vallière, Maintenon et Sévigné;
des manuscrits de Fénelon , Bossuet, INIontesquieu , Pascal
et saint Vincent de Paul. A l'extrémité nord de la galerie
Mazarine est l'ancienne chambre à coucher du cardinal,
occupée par la réunion des manuscrits orientaux. Viennent
ensuite de nombreux manuscrits grecs et latins. L'en-
semble de cette collection enfin ne s'élève pas à moins de
85,000 volumes, sans compter environ un milhon de pièces
et documents historiques, dont un grand nombre sont du
plus haut intérêt.
Département des médailles et antiques. L'origine de
son établissement remonte à Henri IV. Ce roi choisit le
gentilhomme provençal Bagarris pour former ce cabinet.
Louis XIV , après l'avoir considérablement enrichi , le fit
transporter au Louvre ; plus tard , on le plaça près de la
Bibliothèque, pour le mettre plus en sûreté. On y réunit
plus tard le cabinet de Caylu s, riche d'un nombre prodi-
gieux de monuments en marbre, bronze, etc. De Boze,
Barthélémy et Miilin ont à jamais illustré leurs noms par
les services rendus à ce cabinet, et leur mémoire sera tou-
jours chère aux antiquaires. L'entrée est au bout de la pre-
mière galerie des imprimés. Dans la salle où le public est
admis, une infinité d'objets curieux sont exposés sous verre
ou à nu. Des deux côtés de cette salle sont des tableaux de
21
162 . BIBLIOTHÈQUE ^ATIONALE
Naloire et Van Loo, représentant Apollon et les Muses; les
dessus de porte sont de Bouclier. Les pierres gravées sont
rangées dans des montres : l'une est garnie de scarabées
égyptiens, étrusques et grecs ; ceux des Égyptiens sont les
plus anciens exemples connus de la gravure sur pierre fine.
Dans une autre montre se trouvent des camées représentant
des sujets religieux gravés pendant le moyen âge; des portraits
de rois et autres personnages illustres, tels que Charles II
d'Angleterre, Cromwell, Marie Stuart, Henri IV, Elisabeth
d'Angleterre, Louis XII, Anne d'Autriche, Louis XIII,
Louis XIV , Richelieu , Mazarin , Louis XV , Charles-Quint ;
les portraits de madame de Pompadour et de Laure et Pétrar-
que, etc. Des empereurs et différents personnages romains
sont figurés sur les camées rangés dans une troisième montre,
parmi lesquels quelques-uns se distinguent surtout par la
finesse du travail et la beauté de la matière. On ne peut
se dispenser de citer ['Apothéose de Germanïcus, sardonyx
h trois couches, conservée pendant plus de sept cents ans
par les bénédictins de Saint-Évre de Toul. Ces religieux
avaient cru que ce camée représentait saint Jean enlevé
par un aigle et couronné par un ange ; mais lorsqu'ils con-
nurent son véritable sujet, ils l'offrirent au roi en 1C84. Une
quatrième montre est aussi remplie par des camées repré-
sentant des personnages romains, Agrippine, la vestale
Néria, Claude, etc. Nous prenons ici le mot camée dans son
acception générale, indiquant à la fois, quoique abusive-
ment, les pierres gravées en relief et celles qui le sont en
creux, qui se nomment proprement intailles.
Le casque, le bouclier, l'épée et deux masses d'armes qui
ont appartenu à François l", sont appendus dans le ca-
binet des antiques , qui possédait aussi l'épée de ville de
Henri IV, ornée de camées, et son épée de chasse, portant
un pistolet. L'épée de ville avait été tirée du cabinet, lorsque
les commissaires nommés par le peuple pour parcourir la
Bibliothèque pendant la révolution de Juillet vmrent cher-
cher des armes pour l'insurrection. Cette épée fut fidèlement
rendue quelques jours après par les personnes qui l'avaient
emportée en présence des conservateurs. Le cabinet des an-
tiques possède encore le fauteuil dit de Dagobert, autrefois
conservé à Saint-Denis. Les quatre pieds sont d'un travail
meilleur que le reste de ce meuble ; il ressemble assez à la
chaise curule des Romains; il fut transporté à Boulogne
pour la distribution des croix de la Légion d'Honneur faite
par l'Empereur ; il servit encore à Napoléon lors de la cé-
rémonie du Champ de mai, en 1815. D'autres montres vi-
trées contiennent encore des camées et des intailles, sur la
plus grande partie desquels sont figurés les dieux du paga-
nisme ; puis des pierres gravées représentant des princes de
l'antiquité et du moyen âge. Parmi les objets antiques de
premier ordre , on remarque le plus grand camée connu :
il vient de la Sainte-Chapelle, où on le conservait à cause de
son sujet, que l'on croyait être le triomphe de Joseph. Il
fut apporté en France par Baudouin II, qui vint, en 1224,
implorer le secours de saint Louis pour recouvrer Cons-
tantinople; et il fut donné à la Sainte-Chapelle par Char-
les V. Ce monument, d'un prix inestimable, nous offre l'a-
pothéose d'Auguste, dans sa partie supérieure; et dans la
ligne du milieu , Tibère sur son trône , Agrippine près de
lui, etc. Volé en 1804, il perdit alors sa monture gothique
en forme de reliquaire. Des vases, des boucliers, des ar-
mures, enrichissent encore ce cabinet.
Dans d'autres montres vitrées sont placées les premières
monnaies de Rome ; des objets antiques, tels que aiguilles,
dés, stylets, un coin à frapper les monnaies , etc., des col-
liers, des chaînes, des bagues et autres ornements; des
médailles , soit des empereurs romains , soit de la Grèce , de
l'Asie Mineure, quelques-unes du moyen Age, et les mé-
dailles modernes les plus récemment frappées. D'autres cu-
riosités complètent encore ce trésor.
Les médailles sont divisées en deux classes princi|)aks ,
- BIBLIOTHÈQUES RURALES
médailles anciennes , médailles modernes : les unes et les
autres forment plusieurs subdivisions.
Les pierres gravées ne furent réunies à la Bibliothèque
qu'en 1791. La collection est assez belle. Quant aux an-
tiques , cette partie a toujours été regardée comme acces-
soire , parce que le Louvre en possède une très-belle col-
lection. Cependant il se trouve à la Bibliothèque quelques
morceaux antiques du premier ordre.
La collection des médailles s'élevait, avant le vol de
18.31 , bien au delà de 100,000 pièces, tant en or qu'en ar-
gent et bronze, sans compter les pierres gravées et les
antiques. Elle se compose aujourd'hui de 100,000 monnaies
ou médailles, 7,000 pierres gravées, et 3,000 antiques.
On peut se faire une idée de la manière dont on compre-
nait la publicité des collections scientifiques avant la révo-
lution par le passage d'un mémoire de l'abbé Barthélémy
sur le cabinet des médailles, mémoire destiné à l'Assemblée
constituante. Le meilleur moyen de conservation pour le
cabinet était , selon lui , de ne jamais songer à le rendre pu-
blic. Son prédécesseur le montrait fort rarement. Après sa
mort, Barthélémy se laissa entraîner à un zèle de novice,
mais il ne l'ouvrait Jamais à personne sans être saisi de
frayeur. Pendant son voyage d'Italie, qui d'ailleurs ne fut
pas improductif pour la collection, il emporta la clef du ca-
binet, qui resta fermé pendant deux ans, de 1755 à 1757.
Département des estampes , cartes et plans. Quoique
ce département soit un des plus importants de la Biblio-
thèque, et celui où les artistes viennent journellement con-
sulter les chefs-d'œuvre des arts du dessin reproduits par
la gravure, nous ne dirons cependant que quelques mots
des monuments de tout genre qu'il renferme. La seconde
section, celledes cartes eLplans, n'estcrééeque depuis 1828,
et l'on travaille avec beaucoup de zèle à l'enricliir. On y
trouve quelques cartes anciennes, de précieuses cartes étran-
gères dessinées et gravées , et avec le temps la collection
sera d'un grand secours pour l'étude de l'histoire et de la
géographie. L'établissement du cabinet des estampes ne re-
monte pas au delà du règne de Louis XIH, et l'on en est
surtout redevable à la protection de Colbert pour les
sciences et les arts. On le plaça d'abord parmi les livres im-
primés ; et ce ne fut qu'après plusieurs acquisitions impor-
tantes que l'on .songea à l'établir à part. On peut évaluer
au delà de 1 ,200,000 le nombre des estampes, la plupart en
belles épreuves rares ou avant la lettre, augmentées annuel-
lement comme les livres imprimés, et contenues dans près
de 6,000 volumes ou portefeuilles. Cette collection est la
plus riche en œuvres des vieux maîtres d'Italie et d'Alle-
magne ainsi que de Rembrandt, en eaux-foiles des peintre»
hollandais et en œuvres des graveurs allemands et français.
Si d'autres cabinets possèdent de plus riches collections de
portraits, aucun ne renferme des collections historiques,
mythologiques et topographiques aussi considérables, et
nulle collection d'Europe n'offre autant de diversité. L'ex- j
position des gravures attire de tout temps l'attention des eu- ;
rieux ; on y voit les plus belles estampes au burin ; d'autres '
se font remarquer par leur ancienneté ; on y trouve aussi ;
des gravures à l'eau-forte et les plus belles estampes mo- |
dernes. En parcourant cette galerie l'on y peut suivre toutes j
les phases de l'art de la gravure, depuis les plus vieilles pro- '
ductions jusqu'à celles de nos jours. Les cartes géographiques !
sont au nombre de 50,000, et cette collection s'augmente I
également d'un exemplaire des atlas ou cartes publiés en "!
France et d'acquisitions faites à l'étranger.
BIBLIOTHÈQUES RURALES. Il faut avouer que
la somme delà richesse intellectuelle d'un pays, qui se réiume
jiar les bibliothèques, est bien inégalement répartie sur toute ,
la surface de la France et même de l'Europe. Les hauteurs j
de la science sont illuminées, les bas-fonds restent dans
l'oiiibrc. Les grandes villes , hormis Paris , conservent pré- '
cieuseinent dans de vastes locaux des livres tout poudreux, I
à
BIBLIOTHÈQUES RURALES — BIBLIQUE
1G3
dont les rayons de leurs bibliothèques sont chargés , et
qui ne sont lus que par un petit nombre de lecteurs. Il
semblerait que la centralisation , dont on ne peut d'ailleurs
contester les avantages politiques, ait fait refluer au cœur
le sang de la France, en appau\Tissant les extrémités. Aucun
point lumineux ne s'élève au milieu des provinces, comme
ces phares littéraires et scientifiques des cités de second
ordre qui éclairent l'Allemagne. Nos cliefs-heux d'arron-
dissement possèdent à peine de chétives bibliothèques, meu-
blées la plupart de livres ramassés çà et là, ou expédiés sur
la recommandation de n'importe qui parle ministre de l'ins-
truction publique, livres qu'on donne parce qu'on n'a pu
les vendre. Elles sont même remplies à moitié de romans ,
de quelques voyages illustrés , d'histoires naturelles , de
Flores et de livres dits amusants , les seuls que les oisifs
des petites villes daignent parcourir lorsqu'ils veulent bien
se donner la peine d'ouvrir un volume pendant un demi-
quart d'heure. Quant aux artisans , ils travaillent toute la
semaine ; les jours de fête ils vont au bal et au cabaret. Ils
ne mettent jamais les pieds dans la bibliothèque dite pu-
blique , et la plupart ne savent pas même qu'il en existe
une, ni où elle est. Et d'ailleurs elle n'est pas ouverte le
dimanche. Mais il n'existe pas de bibliothèques dans les
campagnes. Ici, ce n'est point sous la même forme qu'elles
pourraient se produire , car il n'y a pas de local pour rece-
voir les lecteurs ; à peine y en a-t-il un, fort encombré , fort
exigu , pour la tenue des écoles et des séances du conseil
municipal. La bibliothèque des campagnes consiste dans
une armoire vermoulue qui renferme les cartons du cadastre,
les circulaires des préfets rongées par les souris, les nu-
méros dépareillés du Bulletin de» Lois, le registre des actes
de l'état civil, qui souvent n'est pas en meilleur état, et les
déUbérations de la mairie. Des livres , il n'y en a point : qui
les achèterait? qui les garderait? qui les lirait?
Ce n'est pas que l'on n'ait souvent songé à en établir,
mais jusque ici l'on a échoué. D'où cela vient-il? Ke serait-
ce pas peut-être de ce que, lorsqu'on se propose d'organiser
im établissement populaire , il faut travailler sérieusement
pour le peuple, et non pour soi ? 11 ne faut pas l'endoctriner
par surprise au profit de ses théories, de ses croyances ou
de ses opinions. Le peuple s'aperçoit tout de suite de vos
ruses, et il s'éloigne. C'est pour cela, eji grande partie, que
les bibliothèques rurales n'ont pu féussir. Les uns voulaient
lui distribuer des contes de Berquin , où l'on ne voit figurer
que des bergers la houlette à la main et des bergères avec
des rubans roses. Les autres exprimaient dans de petits
traités abstraits la quintessence de leurs problèmes scien-
tifiques , ornés d'un jargon incompréhensible. Ceux-ci spé-
culaient , en façon de libraires, sur la vente de leurs drogues
bibliographiques ;ceux-làdistribuaientdescatalognesde livres
purement ascétiques ; d'autres enfin n'auraient pas été fâchés
d'insinuer le désir et l'imitation de leurs utopies plus ou
moins sociales. Chacun de ces entrepreneurs ne songeait
absolument qu'à soi, et les communes rurales n'étaient pour
eux que des unités ou des chiffres qu'ils groupaient très-ar-
tistement au profit de leurs systèmes ou de leur bourse, de
leur bourse surtout, selon le précepte ordinaire du siècle.
Le peuple des campagnes n'a pris confiance ni aux uns ni
aux autres. Il résiste à tout ce qui lui est imposé, et il ne
veut servir d'instrument à personne. 11 faut lui exposer ce
qu'il y a de mieux à faire et le lais!:er faire, lui donner à
choisir et le laisser choisir, et, en un mot, ne forcer ni ses
goûts ni sa volonté.
Y a-t-il cependant un objet qui soit plus digne que
celui-ci d'attirer les yeux et de tenter le zèle et les efforts
de la vraie philanthropie, de celle qui laisse les phrases aux
faiseurs intéressés de pl^us et d'utopies, et qui , ne voulant
d'autres guides que l'expérience des fails et l'étude des
mœurs, va pas à pas, sans bruit de sonnettes, et s'applique
à des œuvres do pratique usuelle et vulgaire? Timon.
M. de Cormenin a tenté de résoudre le problème d'une
manière ingénieuse. Il a composé une bibliothèque de cent
cinquante volumes, et établi un système de roulement entre
dix communes dont chacune possède à la fois quinze vo-
lumes qui s'échangent chaque année contre quinze volumes
d'une autre commune , et ainsi de suite. L'instituteur est
chargé de la garde de ces volumes, qu'il prête aux habitants.
De cette façon la dépense est réduite à une très-faible
somme, puisqu'elle est répartie entre dix communes et en
dix années. Mais reste toujours à choisir les volumes. Pour
l'essai tenté par M. de Cormenin les volumes ont été payés
par lui. S'entendra-t-on quand il s'agira de renouveler cette
bibliothèque ? Fera-t-on des livres exprès pour ces nouveaux
lecteurs? A quoi bon? on a déjà bien essayé de pareilles
collections , et on n'a jamais réussi. Le ministère s'en est
mêlé sans succès. C'est s'exposer à des accusations de cama-
raderie, de tripotage. On ne lit guère un livre recommandr- ;
et d'ailleurs les bons livres ne manquent pas. Dieu merci ,
dans notre littérature; il s'agit seulement de laisser chacun
en prendre à son goût. Que l'État vienne donc au secours
des communes qui veident avoir des bibliothèques rurales,
et qu'il les laisse libres de les composer à leur fantaisie ;
qu'à côté des Encyclopédies, ces bibliothèques économiques
des campagnes, des collections de petits traités, des biblio-
thèques classiques, etc., puissent venir se placer des romans,
des chansons, des pamphlets, des revues, des journaux
même ; quel'État n'intervienne en rien ni pour personne, qu'i'
n'ait pas même la prétention d'éclairer des gens qui savent
mieux que lui ce qu'il leur faut, et qui ont d'ailleurs le curé
ou telle personne lettrée du pays pour guider leur choix. Il y
aura sans doute quelques abus; mais qu'importe! et pour
un mauvais choix , il y en aura peut-être des milliers
d'heureux. On aime à lire le livre qu'on a demandé, qu'on
a voulu ; et comme il s'agit d'abord de créer des habitudes,
le but sera atteint. L. Louvet.
BIBLIQUE (Archéologie). C'est la science qui traite
des antiquités, de la constitution, des mœurs et des usages
des peuples parmi lesquels naquirent les ouvrages bibUques
ou bien auxquels ils ont rapport. La connaissance de l'ar-
chéologie bibhque est de toute nécessité pour bien com-
prendre l'Écriture, attendu que seule elle peut donner
l'interprétation d'un grand nombre de passages de la Bible.
Quoique les antiquités du peuple hébreu en composent
la partie la plus essentielle, elle n'en doit pas moins s'oc-
cuper des peuplades sémitiques de même origine, dont il
est fait mention dans la Bible. Toutefois, il est généralement
d'usage de ne rattacher qu'incidemment à l'archéologie hé-
braïque ce qui regarde les autres peuples.
Les souices principales de l'archéologie biblique sont
l'Ancien et le Nouveau Testament. On trouve en outre de
précieux renseignements à cet égard dans les ouvrages de
Josèphe S2ir les Antiquités juives et sur la guerre de
Judée, de même que dans ceux de Philon. Les autres
sources sont les livres religieux postérieurs des Juifs, le
Talmud et les rabbins, mais dont il ne faut accueillir le té-
moignage qu'avec une réserve extrême ; enfin les écrivains
grecs, romains et arabes, de môme que les monuments de
l'art et les relations des voyageurs. Thomas Goodwin, dan?
son ouvrage intitulé : Moses et Aaron S. civiles et eccle-
siastici Rittis Antiquitatum hebraica)-um (Oxforâ, 1616),
est le premier écrivain moderne qui ait fait de l'archéologie
biblique l'objet spécial de ses investigations. Nous mention-
nerons encore parmi ceux qui se sont occupés de cette
science : Wanekros, Essai sur les Antiquités hébraïques
( Weimar, 1781 ; 5^ édition, 1832); John, Archéologie Bi-
blique (5 vol.; Vienne, 1796-1805); Winer, Dictionnaire
biblique (3* édit., Leipzig, 1847).
BIBLIQUE (Géographie), science qui traite de la
constitution physique des contrées qui furent le théâtre
dos événements racontés dans les saintes Écritures, c'est-
21.
164 BIBLIQUE -
à-dire des faits dont se compose l'hislolre du peuple juif,
ainsi que de la fondation et de la propagation du christia-
nisme; «lie décrit la Palestine, mais elle fournit en même
temps des renseignements sur les contrées avoisinantes et
sur les provinces de l'empire romain où le christianisme
trouva accès à l'époque des Apôtres. Les sources de la géo-
graphie biblique sont, indépendamment des livres de la
Bible, les ouvrages de Josèphe, les géographes et les
historiens grecs et romains, les l'ères de l'Église (dont
l'ouvrage le plus important sous ce rapport e&tï'Onomasti-
con Vrbiuin et Locorum Scripturœ Sacrée , traduit par
saint Jérôme du grec en latin); enfin les historiens des
Croisades, les ouvrages historiques et géographiques des
Arabes, ainsi que les ouvrages des voyageurs modernes.
Les meilleurs guides à suivre pour l'étude de la géogra-
phie biblique sont : la Description de la Palestine, par le
Hollandais Dachiene; la Géographie biblique, par un autre
Hollandais, Hamelsveld; la Géographie biblique de Bélier-
mann (2''édit. ;Erfurt, 1804), et la Palestine, par Raumer
(3*édit. ; Leipzig, 1851).
BIBLIQUE (Histoire). Autrefois on désignait particu-
lièrement ainsi l'exposition historique des récits contenus
dans la Bible. On distingue cette exposition do l'histoire
du peuple hébreu , en ce qu'elle comprend en même temps
l'histoire primitive de l'humanité , l'histoire des autres peu-
ples dont il est f;iit mention dans la Bible, enfin l'histoire de
Jésus-Christ et des premiers temps chrétiens, tandis qu'elle
néglige les périodes de l'histoire du peuple hébreu dont il
n'est pas fait mention dans la Bible. Les premiers écrivains
qui s'en occupèrent ne la présentèrent guère que comme
une sèche introduction à l'histoire de l'Église chrétienne.
D'autres en mirent plus en relief le côté pratique, et présen-
tèrent les personnages bibliques comme autant de modèles
à suivre. C'est là ce qu'ont fait Hess, dans son Histoire
des Israélites avant la venue de Jésus-Christ (12 vo-
lumes, Zurich, 1776-1788); Niemeyer, dans sa Cfl?-flC^e-
ristiçiie de la Bible ( 5 vol., Halle, 1732; nouvelle édition
1832), et Greiling, dans sa Vie de Jésus de Nazareth
(Halle, 1813), ainsi que dans ses Femmes de la Bible
(2 vol., Halle, 1815). L'histoire de la Bible fut traitée à l'aide
d'autres sources par Prideaux (4 vol., Londres, 1725) ; par
Shuckford (Londres, 1723-1738, 3 vol.) ;par Lardner(4vol.,
Londres, 1764), et par G.-L. Bauer (2 vol., Nuremberg,
1804), dont l'ouvrage, demeuré inachevé, ne va que jusqu'à
l'exil de Babylone. Les premiers écrivains qui se sont oc-
cupés de l'histoire biblique prirent tous pour point de départ
la maxime que toutes les autres sources historiques sont in-
férieures à la Bible. 11 en résulte que leurs ouvrages ne
sauraient prétendre à une véritable valeur historique, sans
compter qu'ils omettent à dessein les périodes historiques
des peuples quand par hasard il n'en est pas tait mention
dans la Bible. Une histoire biblique au point de vue de la
science actuelle serait une entreprise d'une difficulté extrême,
parce que les investigations historiques sur les livres bibli-
ques eux-mêmes ne sont pas près d'être terminées.
BIBLIQUE (Littérature), et mieux Histoire bibliogra-
phiqtie des saintes Écritures. Les Allemands appellent ainsi
la science qui soumet à l'examen de la critique l'histoire des
différents livres de la Bible en particulier, et aussi celle de
toute la collection. Elle se divise naturellement en histoire
générale et en histoire particulière : l'une qui s'occupe de
l'état intellectuel et littéraire, de la langue et de l'écriture
du peuple hébreu dans ses diverses périodes , de la collec-
tion , de son ordre et de l'importance ecclésiastique des
livres bibliques comme foi mant un tout , le canon , des
destinées du texte original, des modifications qu'il a subies,
des moyens de le rétablir dans sa pureté primitive, des
différents manuscrits, des anciennes traductions et des autres
moyens servant à l'interprétation de l'Écriture; l'autre qui
traite des renseignements sur les auteurs des différents livi es,
BIBLIQUES
de l'époque où ils les écrivirent , du degré de véracité on
d'authenticité et de l'intégrité des diflérents livres de la Bible
de leur but , de leur contenu et des destinées particulières
qu'ils ont pu avoir. Saint Augustin , au commencement du
cinquième siècle, dans sa Doctrina Christiuna, et Cassio-
dore au sixième siècle, dans son livre De Institutione Divi-
narum Scripturarum, avaient déjà donné quelque chose de
semblable à une histoire de la Httérature biblique. Junilius,
qui composa en Afrique (vers l'an 550) son traité De Par-
tibus Legis Divinœ, et le dominicain Paguinus, de Lucques
( mort en 1 54 1 ) , dans son Isagoge ad Sacras Litterus ( Co-
logne , 1540 ), approchèrent davantage du but. La première
histoire bibliographique des saintes Écritures est, à bien dire,
la Biblia sancta à Sixto Senensi collecta (2 vol., Venise,
1566). Après les précieux travaux publiés par Calow, Ilot-
tinger, Leusden et Buxtorf , on vit paraître au dix-septième '
siècle et au commencement du dix-huitième des ouvrages
qui jetèrent une vive lumière sur ces matières, notamment
Y Apparatus Biblicus de l'Anglais Wallon (publié par He-
diggcr ; Zurich , 1623), ciV Histoire critique du Vieux Tes-
tament Aq Richard Simon (Paris, 1678; livre supprimé en
France, et par suite réimprimé à Rotterdam, 1085), ainsi
que Y Histoire critique dic texte du Nouveau Testament,
par le même (Rotterdam , 1689). Carpzov, dans son Intro-
ductio ad libros canonicos Veteris Testamenti {Le\\yi\g,
1721 ), donna une forme précise à cette science; et à quelque
temps de là Cramer publia une traduction allemande des
ouvrages critiques de Richard Simon relatifs au Nouveau
Testament (3 volumes, avec des annotations par Semler;
Halle, 1776-1780). Il nous faut ensuite citer relativement à
l'Ancien Testament les travaux d'Eichhorn, Introduction à
l'Ancien Testament (3 vol., 4* édit. , Leipzig, 1821), de
De Wette, Matériaux pour servir à l'Introduction à
l'Ancien Testament (2 vol.; Berlin, 1807), son Manuel
(6* édit. ; BerHn, 1846 ) ; et relativement au Nouveau Testa-
ment, les ouvrages d'Eichhorn, de Hug, de Credner, de
Guerike, deReuss, de Herbst et de De Wette.
BIBLIQUES (Sociétés). Ces associations, ayant pour
but de répandre la Bible dans toutes les classes et tous les
états de la société civile , ne pouvaient naître qu'après l'in-
vention de l'imprimerie, et seulement dans le sein du pro-
testantisme, puisque l'Église catholique persiste à penser
qu'il y a imprudence à permettre la lecture de la Bible à
tous les laïques indistinctement. Ce fut seulement lorsqu'on
eut trouvé les moyens de multiplier rapidement et à peu de
frais les exemplaires d'un ouvrage , et encore lorsque la Ré-
formation eut proclamé que la Bible était le livre du peuple,
que se trouva constitué le terrain solide sur lequel pouvaient
naître et prospérer les sociétés bibUques. Cependant plusieurs
siècles s'écoulèrent avant qu'elles entrassent en activité. Les
imprimeurs qui , à partir de la moitié du seizième siècle,
rivalisèrent en Allemagne pour rendre la traduction de la
Bible par Luther la propriété commune des protestants, pré-
parèrent la venue des sociétés bibliques, en mettant par leur
industrieuse activité chaque famille aisée en état de se pro-
curer une Bible et en éveillant ainsi de proche en proche le
désir de posséder un pareil livre. Les malheurs de la guerre
de Trente-Ans, l'absence de vie qui en fut le résultat dans la
dogmatique protestante , furent cause d'un long temps d'ar-
rêt , pour ne pas dire d'un immense recul dans cette di-
rection des es])rits ; et c'est à ce qu'on a appelé depuis l'é-
cole piétiste qu'il était réservé de réveiller ce besoin des in-
telligences et de tenter pour la première fois d'y donner
satisfaction. Dès les premières années du siècle passé, le
baron Hildebrandde Canstein, l'un des plus intimes amis
de Spener, avait fondé à Halle, avec la coopération de
Francke, un établissement ayant pour but unique de fabri-
quer à bon marché des exemplaires, soit complets, soit par-
tiels, delà Bible, afin qu'ell ■ put arriver ainsi aux maips de'
l'homme des classes les plus communes. En lbJ4 il était
I
I
BIBL10Ui:S
sorti Je cet établissement 2,754,350 exemplaires de la Bible
et 2 millions d'exemplaires du Nouveau Testament. L'écou-
lement de ces exemplaires s'était singulièrement accru aus-
sitôt que des sociétés bibliques avaient aussi surgi en Alle-
magne.
La première association vraiment digne de ce nom, celle
qui a provoqué la création de sociétés analogues dans toutes
les contrées civilisées par le christianisme, celle qui, et
sous le rapport des immenses moyens d'action dont elle dis-
pose, et sous celui de la prudence et de l'énergie de ses re-
présentants , ne saurait être comparée à aucune autre au
monde, est la Société Biblique britannique et étrangère
(the Bhstish and foreign Bible Society) de Londres.
Vers la fin de l'année 1802, un prêtre du nord du pays de
Galles, appelé Charles, était venu dans cette capitale avec la
ferme conviction que la connaissance de la Bible était le
seul moyen de remédier à l'ignorance et à la rudesse de
mœurs des populations galloises. Ses pressantes exhorta-
tions obtinrent un accueil sympatliique parmi les nombreux
partisans d'un christianisme agissant, mais surtout parmi
les membres d'une société de missions anglaises crét^e de-
puis 1796. Sur la proposition expresse de Hughes de Batter-
sea, dans le pays de Galles, il se forma une .société ( 1803)
ayant pour but de propager la Bible, non pas seulement dans
une province particulière , non pas seulement dans toutes
les possessions britanniques, mais dans le monde entier.
C'est dans cet esprit que dès le premier jour de la fondation
de cette société (4 mars 1804), il fut décidé qu'elle aurait
imiquement pour but de répandre les saintes Écritures dans
tous les pays de la terre, qu'ils fussent chrétiens, mahomé-
tans ou païens, et que les dissidents eux-mêmes auraient la
liberté de participer à l'œuvre. Fut considéré comme membre
de la société quiconque en approuvait le but et s'efforçait
par le payement d'une cotisation annuelle d'aider à l'at-
teindre. Ces tendances si libérales et si éclairées provoquè-
rent une foule d'adhésions au projet proposé ; et le nombre
s'en accrut bientôt à tel point qu'il y eut nécessité de don-
ner à la société une organisation complète. A cet effet, on
nomma un comité composé par moitié de laïques et d'ecclé-
siastiques tant de l'Église épiscopale que des partis dissidents ;
et le comité ainsi constitué élut à son tour dans son sein
un président , vingt-six vice-présidents , un trésorier et trois
secrétaires. Des agents furent désignés pour parcourir l'An-
gleterre et le continent dans les intérêts de l'œuvre, dont le
succès est demeuré un des faits saillants de notre époque.
Des sociétés auxiliaires {auxiliary societies) s'organisèrent
dans les grandes comme dans les petites villes d'Angleterre,
étabhssant des affiliations {branch societies) dans les locali-
tés de moindre importance, et le nombre des unes et des autres
ne tarda pas à dépasser sept mille, dont les membres prenaient
l'engagement de verser au moins un penny par semaine au
profit de l'œuvre. Des associations analogues se créèrent
dans toutes les classes de la société ; et en adressant le pro-
duit de leurs collectes respectives à la direction générale de
l'œuvre, elles obtenaient le droit de recevoir des exemplaires
de la Bible et du Nouveau Testament au-dessous du pHx fixé
pour la vente. En raison de l'empressement universel à par-
ticiper à l'œuvre de la Société Biblique, des fonds considé-
rables se trouvèrent bientôt à la disposition de son comité.
Si dans la première année de son existence la Société ne
put dépenser qu'une somme de 619 liv. stcrl. (15,475 fr. ),
par suite ses recettes s'élevèrent, année commune , de 80 à
100,000 liv. sterl. La recette de l'exercice 1849-1850 attei-
gnit le chiffre de 118,445 hv. sterl. (3,161,125 fr.). Depuis
son origine jusqu'en 1850 la dépense totale faite par la So-
ciété s'est élevée au chiffre énorme de 3,648,012 liv. sterl.
(91,200,300 fr.).
Si la Société dispose de ressources énormes, on doit dire
aussi qu'il n'y arien de comparable à racti\ité qu'elle déploie.
tUc ne fournit pas seulement de Bibles et de Nouveaux
ig;
Testaments en anglais foute l'Angleterre et ses colonies ; il
résulte encore de son compte rendu pour l'année 1850 qu'elle
a fait traduire soit la Bible tout entière , soit des parties dé-
tachées de la Bible, dans cent soixante-six langues diffé-
rentes ; et aujourd'hui encore elle poursuit son entreprise
de traduction des saintes Écritures avec autant de prudence
que d'habileté. De Calcutta et de Madras les populations de
l'Asie centrale et de l'Asie orientale reçoivent les saintes
Écritures traduites dans leurs langues respectives. Smyrne
Malte et quelques autres dépôts établis dans la Méditerranée
fournissent aux besoins des populations du nord de l'Asie
du Levant et de l'Afrique septentrionale. La Société entrer
tient en outre sur tous les points de la terre habitée des
agents voyageant à ses frais, à l'effet de trouver et d'indiquer
les voies les plus sûres et les plus convenables à employer
pour la propagation de la Bible, et aussi afin de rencontrer
d'habiles traducteurs ou d'acquérir des manuscrits d'an-
ciennes traductions. C'est ainsi que dans le courant, de
l'année 1849 jusqu'à la fin de mars 1850 il avait été expédié
de Londres 450,070 Bibles complètes et 886,625 Nouveaux
Testaments. Depuis sa fondation, la société a répandu
8,840,891 Bibles complètes et 14,269,159 Nouveaux Tes-
taments, en tout 23,110,050 exemplaires des .saintes Écri-
tures. Consultez the 46'" Report o/ the british and foreign
BibleSociety (Londi-es, 1850). Enfin, la Société Biblique de
Londres a établi des relations avec les sociétés analogues qui
se sont créées sur les différents points du globe civilisé, con-
tribuant à leurs efforts par des sommes d'argent, par des
envois de caractères d'imprimerie, de planches toutes sté-
réotypées et de presses à imprimer, et aussi par des sous-
criptions à un certain nombre d'exemplaires des Bibles
qu'elles se chargeaient d'établir pour leur propre compte. Tou-
tefois, ces rapports de la Société de Londres avec les sociétés
du continent subirent en 1825 une grave perturbation. A
l'origine il avait été convenu en principe que l'on réimpri-
merait la Bible purement et simplement, sans observations
ni commentaires. Mais on n'avait point tardé à tolérer, avec
la division par chapitres et par versets, les titres donnés
aux chapitres eux-mêmes ainsi que l'indication des concor-
dances. Les protestants d'Allemagne attachaient en elfet un
prix tout particulier à ces deux détails de l'exécution maté-
rielle. Aussi le mécontentement fut-il général parmi eux
quand la Société de Londres exigea qu'on les supprimât dé-
sormais dans tous les exemplaires de la Bible publiés sous
son patronage. En 1825 , le comité directeur de cette Société
ayant annoncé en outre l'intention de ne plus distribuer que
les livres canoniques de l'Écriture sainte, d'en retrancher
tous les apocnphes et de refuser à l'avenir toute espèce
d'appui aux sociétés bibliques étrangères qui ne se confor-
meraient point à cette décision, un grand nombre d'entre
elles rompirent les liens qui les avaient jusque alors ratta-
chées à r.Angleterre.
A l'instar de la Société Biblique de Londres , des associa-
tions pour la propagation delà Bible se fondèrent partout ,
notamment en Bussie, en Suède, en Norvège, en Dane-
mark , en Allemagne , en Suisse , en Hollande et en France.
On conçoit que nous ne pouvons nous occuper ici que de
celles qui ont obtenu les résultats les plus importants.
On peut dire que la Société Biblique russe, qui a son siège
à Saint-Pétersbourg, s'est montrée la digne rivale de la So-
ciété Biblique de Londres. Elle a fait imprimer la Bible en
trente et une langues ou dialectes différents parlés par les
diverses populations de l'empire russe, et elle est parve-
nue à organiser des succursales dans les piovinces les plus
lointaines do cet immense empire, à Irkutzk et à Tobolsk,
parmi les Tchcikesses et les Géorgiens. Sa sollicitude s'est
môme étendue au delà des frontières de la Bussie, et d'O-
dessa elle fait répandre des exemplaires de la Bible dans tout
le Levant.
La grande Société Biblique Américaine, qui conipie au<
166 . BIBLIQUES
jourd'hui plus de mille sociétés affiliées dans l'étendue de
l'Union, n'a pas obtenu des résultats moins grandioses. Lors
de sa création , elle s'est , il est vrai , imposé pour règle de
ne point chercher à agir au dehors tant que ciiaque famille
habitant le territoire de l'Union ne posséderait point un
exemplaire de la Bible ; mais en revanche l'activité qu'elle a
déployée à l'intérieur n'en a été que plus grande et plus ef-
ficace. Elle imprime des Bibles stéréotypées que les sociétés
affiliées sont chargées de répandre et de distribuer gratuite-
ment parmi les pauvres , et depuis sa fondation elle n'a pas
distribué moins d'un million d'exemplaires de la Bible. Dans
la seule année 1848 elle a fait imprimer 760,000 exemplaires
des saintes Écritures, tant en anglais qu'en allemand et en
portugais.
La grande Société Biblique de Berlin est l'institution la
plus importante de ce genre qui existe dans l'Allemagne pro-
testante. Elle fut créée le 2 août 1814, et depuis cette époque
elle ne discontinue pas de répandre tant à l'intérieur qu'à
l'extérieur du pays des exemplaires de la Bible dans la tra-
duction adoptée par chaque confession , sans notes ni com-
mentaires. Le comité, composé d'un président , d'au moins
trois vice-présidents, d'au moins douze directeurs, de trois
secrétaires et d'un trésorier, s'attache avec le zèle le plus
digne d'éloges à obtenir des renseignements certains sur les
besoins des diverses provinces du royaume , et à fonder au-
tant que possible des succursales sur tous les points un peu
importants de la monarchie prussienne. Le nombre en 1849
en était de quatre-vingt-quinze. Au 1*"^ janvier 1850 la so-
ciété centrale avait distribué, en totalité, 1,073,680 exem-
plaires delà Bible et 492,343 exemplaires du Nouveau-Tes-
tament. Le mouvement général pour l'exercice de 1849 avait
été de 34,927 exemplaires de la Bible et de 13,575 exem-
plaires du Nouveau Testament.
Indépendamment de la grande Société Biblique de Prusse,
l'Allemagne compte encore bon nombre d'associations de
ce genre, qui ne laissent pas, toutes proportions gardées, que
de rendre d'importants services. La Société Biblique de
Hambourg, fondée en 1817, a répandu jusqu'à ce jour
95,000 exemplaires des saintes Écritures. Les succursales
qu'elle compte à Berggedorf, Eppendorf, Ham et Steinbeck
ont déjà distribué pour leur propre compte 87,644 Bibles
et 8,121 Nouveaux Testaments. La Société Biblique de
Dresde, fondée en 1813, a répandu en tout 200,585 exem-
plaires de la Bible. La Société Biblique de Nuremberg ( as-
sociation centrale de l'Église protestante de Bavière), fon-
dée en 1823, avait déjà distribué en 1850 126,274 Bibles,
57,741 Nouveaux Testaments, et 1,726 Psautiers. La So-
ciété Biblique de Lubeck, depuis son origine jusqu'à l'année
1849, avait distribué 14,649 exemplaires des saintes Écri-
tures. La Société Biblique pour les duchés du Scbleswig-
Holstein, fondée en 1826 à Schleswig, a distribué dans les
duchés, depuis son origine, 130,296 exemplaires de la Bible,
dont 2,968 pendant l'année 1849-1850, au milieu même des
graves perturbations apportées dans ce pays par la guerre
qu'il dut soutenir contre le Danemark pour la défense de
sa nationalité et de son indépendance. A Francfort-sur-le-
Mein, à Brème, à Stuttgard, à Marbourg, existent aussi des
Sociétés Bibliques rendant de non moins utiles services.
D'un rapport publié par la Société Biblique de Paris pour
l'exercice 1849, il résulte qu'elle avait distribué cette année-
là 2,201 exemplaires de la Bible et 4,429 exemplaires du
Nouveau Testament. La Société Biblique de Colmar, fon-
dée en 1820, avait distribué en 1848 2,205 Bibles et 4,145
Nouveaux Testaments.
La Société Biblique de Bàle pendant l'exercice 1849 avait
répandu, .suivant sou compte rendu, 4,959 exemplaires des
saintes Écritures.
La Société Biblique de Suède, qui a son siège à StocKlioim,
a également fait savoir dans son compte rendu pour l'an-
née 1850 qu'elle avait répandu à celle date 45,099 lliblcs.
— BICEPS
La société de Gœthaborg en avait distribué de son côté
112,983. En 1849 la Société Biblique de Copenhague a dis-
tribué 297 Bibles et 3,670 Nouveaux Testaments.
Sans parler des résultats obtenus par la grande Société
Biblique de Londres, et qui restent en dehors de toute es-
pèce de comparaison, on voit par ce qui précède que les
différentes autres Sociétés Bibliques ont répandu jusqu'à ce
jour au moins 14,500,000 exemplaires des saintes Écritu-
res. Sur ce chiffre, environ 6 millions d'exemplaires ont
été distribués dans l'Amérique septentrionale', 1,500,000
dans les Indes Orientales et 7 millions en Europe. La
France figure dans ce dernier chiffre pour 500,000 exem-
plaires au moins; la Suisse, pour une égale quantité; le
nord de l'Europe, l'Islande, les tlesFœroer, la Norvège, la
Suède , la Finlande et le Danemark , pour 1 million ; le
Danemark, à lui seul, pour 185,000. La Russie y est com-
prise pour au moins un million, dont 800,000 répandus par
une Société Biblique russe de Saint-Pétersbourg, qui comp-
tait déjà 289 sociétés auxiliaires, et qui malheureusement fut
supprimée en 1826 en vertu d'un oukase, et 200,000 parla So-
ciété Biblique protestante russe, fondée depuis 1826. L'Al-
lemagne y entre pour environ 300,000 exemplaires. Ces
chiffres sont plutôt réduits qu'exagérés; et beaucoup de
sociétés, telles que celle de Hanovre, qui à elle seule a ré-
pandu 110,000 exemplaires de la Bible, n'y figurent même
pas.
On devait s'attendre à ce que les Sociétés Bibliques au-
raient à triompher d'un grand nombre d'obstacles mis à
leur activité. Ce n'est pas seulement en Russie que le clergé
s'est opposé à la propagation de la Bible; en Autriche
aussi un ordre de cabinet, rendu en 1817, proscrivit les So-
ciétés Bibliques. Par suite, celles qui s'étaient déjà fondées
en Hongrie durent se dissoudre. Une bulle pontificale, pu-
bliée en 1810 à la sollicitation de l'archevêque de Gnesen,
interdit la propagation d'une traduction du Nouveau Testa-
ment par les catholiques Van Est frères ; mais , grâce aux
efforts faits par la Société Biblique de Londres, cette traduc-
tion a pu arriver aux mains d'un grand nombre de catho-
liques.
11 faut se garder de croire que l'Église catholique soit res-
tée impassible en présence de ces efforts si actifs faits par
le protestantisme pour répandre ses doctrines dans le monde.
A l'article Propagation de la foi ( Association pour la )
nous présenterons le tableau non moins curieux des efforts
faits par le catholicisme pour conserver dans le monde sa su-
périorité morale et numérique.
BIBLISTE. Quelques auteurs ont donné ce nom aux
hérétiques qui n'admettent pour règle de leur foi que le
texte de la Bible et de l'Écriture sainte, et qui rejettent
l'autorité de la tradition et celle de l'Église pour décider les
controverses de la religion.
BIBRACTE. Voyez Autcn.
BICARS, mendiants religieux qui se répandirent dans
les Indes vers le neuvième siècle. Ils allaient tout nus, lais-
saient croître leur barbe, leurs cheveux et leurs ongles, I
et portaient au cou une écuelle de terre dans laquelle ils
recevaient les offrandes des passants.
BICEPS (du latin bis , deux, et ceps, pour captif,
tète, c'est-à-dire qui a deux tètes). C'est ains' que les Ro-
mains avaient surnommé Janus, auquel ils attribuaient
deux visages, l'un par-devant, et l'autre au derrière de la
tête, d'où ils concluaient qu'il avait également la con-
naissance de l'avenir et du passé. Ils le nommaient aussi
bifrons (de bis et dcfi'ons, front). Les Athéniens mirent
sur leur monnaie une tête de femme unie à celle de Cécrops,
qu'ils regardaient comme l'auteur du mariage, et appelèrent
cet emblème D'iJ'rons.
Biceps est, en anatomie, le nom spécial de deux muscles,
dont l'un appartient au bras {biceps brachial) et l'autre à
la cuisse {biceps ci tirai ou fémoral). Le premier, nommé
à
BICEPS — BICÉTRE
aussi muscle scapulo-radial , est situé au-devant du bras,
et forme cette saillie que l'on voit si follement prononcée
lorsque te bras est fléchi ; ce muscle s'attache par le bas au
radius ; supérieurement, il est divisé en deux parties , dont
l'une se fixe à la cavité articulaire de l'omoplate, et l'autre
à son apophyse coracoide : ce muscle fléchit le bras et l'a-
vanl-bras et détermine la rotation du membre en dedans.
Le biceps fémoral ou muscle ischio-Jémoro-péromer est
situé à la partie postérieure de la cuisse ; il est allongé ,
aplati , divisé supérieurement en deux portions , dont l'une
se fixe à la tnbérosité de l'ischion [voyez Bassin), et l'autre
à la face postérieure du fémur dans la partie qui poi1e le
nom de ligne âpre; il sert à fléchir la jambe sur la cuisse,
et vice versa.
BICÉTRE. Ce village, situé à quelques kilomètres au sud
des barrières de Paris, fait partie du département de la
Seine , de l'arrondissement de Sceaux , du canton de Ville-
juif, et de la commune de Gentilly. Voici ce qu'on raconte
sur l'origine de son nom : Louis IX ayant acquis un terrain
pour des chartreux qu'il établit près de Paris, Jean,
évoque de ^Vinche5ter, en Angleterre, acheta une partie de
ce terrain, sous Philippe le Bel , et y fit construire ou
agrandir une maison qu'il voulait habiter. En 1294 le mo-
narque confisqua cette maison et tous les biens du prélat ,
mais il lui en donna mainlevée en 1301. Le peuple appela
cet édifice Winchestre , d'où sont venus par corruption
Bischestre, Bicestre, et enfin Bicêtre, nom sous lequel
il était inscrit, en 1523, sur les comptes de la préviHé de
Paris. Ce lieu appartint plus tard à Amédée le Rouge ,
comte de Savoie, auquel il fut cédé probablement pour
prix des secours qu'il avait amenés à Charles VL C'est
de son fils, Amédée Mil (qui fut depuis le pape Félix V),
que Jean, duc de Berry, oncle du roi de France, acquit
Bicêtre, sans doute en 1400. Ce lieu n'offrait plus que des
ruines alors; Jean le fit rebâtir avec magnificence; mais
l'évêque de Paris, en sa qualité de seigneur de ce territoire,
qui dépendait de Gentilly , s'opposa à ce que le duc y lit
des fossés et desponts-levis. En 1411 , la faction du duc de
Bourgogne s'empara de ce bel édifice , et le détruisit de
fond en comble. La perte fut irréparable sous le rapport
des arts. On voyait dans la grande salle les portraits origi-
naux du pape Clément \ï et de ses cardinaux , des rois et
princes de France, des empereurs d'Orient et d'Occi-
dent , etc. Il ne resta d'entier que deux petites chambres
enrichies de superbes mosaïques.
En 1416 le duc de Berry légua Bicêtre tel qu'il était,
avec quelques dépendances, au chapitre de Notre-Dame
de Paris , en écliange de quelques obits et de deux pro-
cessions; la donation fut confirmée par Charles VU en 1441,
et par Louis XI en 1464. Mais le chapitre n'y fit aucune
réparation , et quarante-cinq ans plus tard les ruines de ce
bâtiment étaient devenues un repaire de brigands , sur les-
quels on le reprit en 1519. Dans un dialogue satirique du
temps , Bicêtre est qualifié de masure où l'on a établi un
hôpital d'hôtes languissants et de courtisans estropiés. En
1632 le cardinal de Richelieu le rasa jusqu'aux fonde-
ments , et le fit rebâtir pour y recevoir des soldats inva-
lides. Cet hospice n'était pas encore terminé lorsqu'on y
célébra l'office en 1634, dans une chapelle dédiée à saint
Jean-Baptiste , qui vers 1670 fut remplacée par une éghse
sous le même nom. En 164S saint Vincent de Paul obtint
de la reine Anne d'Autriche une partie de Bicêtre pour ser-
vir d'asile aux enfants trouvés, qui y restèrent peu de temps,
parce que l'air y était trop vif. Louis XIV , songeant à
fonder un véritable hôtel pour les invalides (qui fut
commencé en 1672), réunit l'hôpital général à ^ho^■pice de
Bicêtre, et dès l'année 1657 on y reçut les pauvres qui s'y
rendirent volontairement et les vagabonds qui furent arrê-
tés après plusieurs publicalions d'une ordonnance qui pro-
hibait la mendicité.
167
Sous Louis XVI Bicêtre fut destiné à recevoir les hom-
mes et les filles publiques atteints du mal syphilitique.
Avant de les panser dans les deux salles qui leur étaient spé-
cialement consacrées, les chirurgiens les faisaient fustiger.
Les aliénés, hommes et femmes, y étaient traités aussi dans
un local particulier. On appelait petite correction une
autre partie de la maison , où des jeunes gens étaient ren-
fermés pour cause d'inconduite, de fainéantise ou de sévices
envers leurs parents ; ceux que leur famille faisait mettre
à Bicêtre payaient pension , ceux qu'on y conduisait par
ordre supérieur ne payaient rien. On les employait tous
aux travaux les plus rudes , on ne les nourrissait que de
pain et d'eau avec un potage. On y ajoutait un peu de viande
et quelques rafraîchissements quand ils s'amendaient. Pen-
dant longtemps Bicêtre a été à la fois prison, hospice et
maison de retraite. Le plan de l'édifice, sauf quelques ad-
ditions, offre un carré d'environ 150 toises de chaque côté,
renfermant trois principales cours. La première sert d'en-
trée par une avenue aboutissant à la grande route de Fon-
tainebleau. Dans la seconde on voit, au sud, l'église, fort
simple et en forme de croix , avec l'ancienne prison, et au
nord le principal corps de bâtiment, où est placée l'infirmerie
générale. La face opposée de cet édifice donne sur un jardin
qu'entourent des bâtiments moins élevés, occupés depuis
longtemps par des vieillards infirmes. La troisième cour
est formée par un grand nombre de constructions non
symétriques. Là sont les portes d'entrée de la division des
aliénés.
La position de Bicêtre, sur une colline et en pleine cam-
pagne, en fait un lieu très-agréable, et aucun hospice de la
capitale ne lui serait comparable sous le rapport de la sa-
lubrité si l'on pouvait y conduire la Seine. On a remplacé
cet avantage inappréciable par des canaux qui amènent l'eau
d'Arcueil , et par deux puits , dont le principal , que tous
les étrangers vont admirer, peut être placé parmi nos plus
grandes curiosités d'architecture. 11 fut construit de 1733
à 1735 , sur les dessins du célèbre Boffrand. Son diamètre
est de 5 mètres ; sa profondeur de 57, et la hauteur de l'eau,
intarissable, est de 3 mètres, tout le fond ayant été creusé
dans le roc. La machine qui fait monter l'eau est fort simple.
Une charpente tournante de 12 mètres de diamètre est fixée
horizontalement autour d'un gros arbre, au sommet duquel
est un tambour qui sépare deux câbles de 76 mètres de
long , filant en sens contraire ; à ces deux câbles sont atta-
chés deux seaux garnis de fer, pesant environ 600 kilo-
grammes, et dont l'un monte tandis que l'autre descend. Ils
contiennent chacun près de 270 litres d'eau , et on en tire
environ 500 par jour. Cette eau se rend dans un réservoir
voûté, de 6 mètres 66 en carré sur près de 3 mètres de
profondeur, et contenant 10,728 hectolitres ; ressortant de
ce réservoir, 72 conduits distribuent cette eau dans l'établis-
sement. Douze chevaux furent longtemps employés à faire
mouvoir cette machine ; on en attelait quatre , et quelque-
fois huit. Le heutenant général de police Lenoir y fit em-
ployer des prisonniers vigoureux. Aujourd'hui vingt-quatre
hommes choisis parmi les aveugles et les idiots font marcher
cette machine. On leur donne pour ce travail un supplé-
ment de ration. Avant la construction de ce puits, plusieurs
voitures à tonneau allaient chercher de l'eau de la Seine au
port de l'Hôpital pour la consommation de la maison.
La prison se composait de six corps de bâtunent à plu-
sieurs étages , dont toutes les fenêtres étaient garnies d'énor-
mes barreaux de fer. Là ont été longtemps confondus en-
semble des prisonniers d'État , des hommes suspects à la
police, des détenus par voie correctionnelle , des réclusion-
naires, des condamnés à mort, des forçats attendant le départ
de la chai ne. On fit d'abord un triage, et les trois dernières
classes furent seules conservées. Des cachots noirs, constniits
en pierre de taille, étroits, humides et malsains, où un faible
rayon de jour pénètre à peine à travers des piliers percés obK=-
168
BICETRE — BICHAT
quement,recevaicntdes malheureux qu'on précipitait dans ces
antres funèbres avec du pain noir et de l'eau pour toute nour-
riture. Avant la révolution chacun des habitants de ces tom-
beaux était retenu par quatre chaînes, lîtpourtant, ainsi privés
d'air, de lumière et d'espérance, des hommes ont pu vivre dans
ces sombres demeures! Le complice, le délateur de Car-
touche , y vécut quarante-trois ans : comme deux ou trois
ibiâ il avait contrefait le mort , pour qu'on lui fit respirer
un peu d'air au haut de l'escalier, lorsqu'il mourut tout de
bon, on eut peine à y croire. Vers 1789 on trouva dans un
de ces cachots un nommé Isidore, menuisier, voleur de
profession , qui pour avoir menacé le lieutenant de police,
Sartine, de le tuer, y avait été enteiTé vivant depuis quatorze
ans; il jouissait, dans son tombeau , d'une santé parfaite.
Bicôtre fut témoin de plusieurs révoltes. En 1774 un es-
pion des condamnés fut crucifié par eux. D'autres tentatives
d'évasion amenèrent encore des rixes dans la prison.
En 1756 les prisonniers du local appelé la petite fosse for-
cèrent la sentinelle, et se saisirent des armes du poste ; mais
la garde s'étant rassemblée à un coup de sifflet, un com-
bat s'engagea ; deux archers et quatorze mutins furent tués.
Ceux qui s'échappèrent, reconnus à leur costume, furent
bientôt rattrapés; et comme ils dirent que, las de la vie,
ils n'avaient écouté que leur désespoir, on les prit au mot :
plusieurs furent pendus, et les autres fouettés et resserrés
plus étroitement.
En septembre 1792 Bicôtre fut compris dans les fa-
meux massacres de cette époque sanglante. Une troupe d'as-
sassins, munie d'armes et d'artillerie, se présenta devant cette
maison. Le concierge fut tué au moment de mettre le feu
à deux pièces de canon qu'il avait fait braquer contre eux.
Les prisonniers, conduits par leurs gardiens, se défendirent
avec courage, armés de pierres, de barres de fer arrachées
de leurs cachots. Plusieurs se servirent des fers qu'on n'avait
pas eu le temps de leur ôter. On vit alors des insensés re-
couvrer la raison et vendre chèrement leur vie. Les assail-
lants pointèrent enfin leur artillerie sur une cour où les dé-
tenus avaient établi leur principale défense , et tirèrent à
mitraille. Pétion, arrivé au moment où l'on poursuivait dans
les cours et dans les cabanons quelques fugitifs éciiappos à
cette boucherie , et qu'on allait inonder avec des pompes
dans leurs asiles , fit d'inutiles efforts pour arrêter le car-
nage. La mort plana pendant trois jours et trois nuits sur
Bicètre; les meurtriers n'épargnèrent personne : prison-
niers, malades, gardiens, tout périt, excepté 200 individus,
qui furent enfermés dans régli.se. Depuis ISOl jusqu'en 1813,
et particulièrement en 1806, plusieurs tentatives d'évasion
eurent lieu. A la dernière , quelques détenus montèrent sur
les toits ou gagnèrent les champs. L'un d'eux se sauva, un
autre fut tué, et le reste fut promptement ressaisi; un seul,
prisonnier d'État, assis encore sur un toit d'où il criait qu'il
se rendait, fut précipité de haut en bas par un féroce gui-
chetier. Un autre prisonnier d'État, qui, malade dans son ca-
banon , n'en était pas sorti , fut arraché de son lit, frappé
avec une barre de fer, et mourut trois jours après. C'est à
Bicèlre que mourut, en 1812, Hervagau It, fils d'un
tailleur de Saint-Lô, qui s'('lait hardiment fait passer
pour le fils de Louis XVL C'est là aussi que le marquis de
Sade fut enfermé. En juillet 1815 on transféra les détenus
de Bicètre à Paris, à cause de l'approche des armées enne-
mies. En 1818 et 1819 beaucoup d'abus furent réformés
dans cette prison. Enfin, sous le règne de Louis-Philippe la
prison de la Roquette remplaça petit à i)etit la prison de Bi-
cètre, et toute la maison put être transformée en hospice.
Celui-ci n'avait jamais eu du reste aucune espèce de com-
munication avec la prison. Avant la révolution il contenait
des individus des deux sexes et de tout âge, atteints de toute
espèce d'infirmité ou de maladie. 11 y avait des lits oii six
malheureux couchaient ensemble , et se communiciuaient
leurs principes morbiliques. M"'" Neckcr, lorsque son mari
était ministre, fut frappée de ce hideux spectacle en visi-
tant les salles ; elle employa tout son crédit pour faire cons-
truire des lits où il ne couchât plus que deux malades,
qu'une séparation en bois préservait, tant bien que mal,
des miasmes pestilentiels. En 1801 il y avait 1505 lits obi
les malades couchaient seuls , 262 où ils couchaient deux,
144 à double cloison qui .séparait les pauvres couchés en-
semble; 172 lits à seul, scellés dans le mur, 126 lits appe-
lés auges pour les galeux , et 36 lits de réserve. Les lits où
quatre coucheurs , passant la moitié de la nuit, étaient
ensuite remplacés par quatre autres , n'existaient plus de-
puis la révolution. En 1803 et après, de nombreux et utiles
cliangements ont été faits dans cet hospice ; des plantations,
des constructions, y ont été exécutées. Destiné aux infirmes
pauvres, aux vieillards sans moyens d'existence, aux aliénés
dont les familles ne sont pas dans l'aisance, on n'y admet
plus les femmes depuis cette époque, ni les enfants au-des-
sous de seize ans. Il n'y a que la caducité et l'infirmité qui
soient oisives. En 1813 le nombre des travailleurs, pris
parmi les indigents ordinaires, les fous et les épileptiques, y
montait à 680. Sa population était de 3,000 individus
en 1801, et de 2,500 en 1814.
Parmi les fous de Bicôtre on a vu, en 1801, l'abbé Four-
nier, renfermé par ordre du préfet de police Dubois , mis en
liberté en 1804, à la recommandation du cardinal Fe>ch, et
nommé depuis chapelain de Napoléon et évéque de Mont-
pellier. Son délit était d'avoir, dans un sermon , fait allu-
sion à la mort de Louis XVI.
Ce qu'on appelle le pelit Bicêlre se compose de plusieurs
maisons près de l'ancien château. H. Audiffret.
La population totale de l'hospice de Bicêtre est d'en-
viron quatre mille individus. Les vieillards doivent être
septuagénaires pour y être admis ; mais on y reçoit aussi des
infirmes plus jeunes. De vastes dortoirs, bien aérés, avec
des lits bien entretenus, les abritent la nuit; une nourriture
saine leur est distribuée, et il leur est permis de sortir une
fois par semaine; mais alors ils doivent quitter l«s vêtements
gris de la maison. Un temple protestant a été adjoint à l'é-
glise catholique. Des ateliers occupent en outre les bras de
ceux qui sont valides , et avec le salaire que ces travaux leur
rapportent ils peuvent encore se procurer, soit à la cantine,
soit au dehors , des superlluités et des douceurs.
La division des aliénés est redevable déjà d'améliorations
importantes à des hommes d'une haute philanthropie,
parmi lesquels on cite M. î\Iallon, directeur de Bicêtre,
et MM. Pinel , Ferrus, Voisin et Leuret, médecins de l'hos-
pice. Parmi ces améliorations nous citerons les travaux des
champs confiés aux aliénés , notamment l'exploitation de la
ferme Sainte-Anne; puis les travaux de plusieurs genres
exécutés dans l'intérieur de l'établissement; l'école élé-
mentaire fondée pour les idiots , les réunions pour l'exécu-
tion de chants ou de pièces de théâtre, etc., etc.
BICHAT (Marie-François-Xavier). Il est des hommes
privilégiés qui tirent avantage de toutes les circonstances de
leur vie : d'une naissance sans éclat, de l'époque pleine
d'agitation où ils paraissent , des personnages incultes et fa-
rouches auprès desquels ils ont accès , et même des mal-
heurs publics qui désolent la patrie; qui, jeunes, méconnais-
sent ces passions envahissantes par lesquelles l'existence
est infructueusement consumée; qui dès l'adolescence sa-
vent discerner la carrière la mieux appropriée à leur génie; j
qui ne se laissent ensuite ni décourager par les censures ni ]
enivrer par les applaudissements , et qui , à la suite de nom- *
breux succès, voyant tout près d'eux la fortune, lui préfè-
rent noblement la gloire, non parce qu'elle est le plus in-
aliénable et le plus important des biens, mais parce qu'on
ne la peut conquérir que par des actions ou des pensées pro-
fitables aux progrès de l'esprit humain ou au bien-être des
hommes Tel fut Bichat, qui, mort à l'âge de trente et un j
ans , a laissé une réputation au moins égale à celle de Ga^
i
BÎCHAT
lien. — La vie de Bicliat n'est connue que par ses ouvrages
et ses découvertes : c'est une vie pleine de choses , sans
aucune aventure.
Bicliat naquit le 12 novembre 1771, à Thoirette-en-Bresse
(Ain), et il est sans contredit le plus beau génie de cette
province , oii reçurent le jour en même temps que lui Ri-
clierand et Brillât-Savarin. Après de bonnes études au col-
lège de iN'antiia, puis au séminaire de Lyon, il était en âge
de choisir un état à l'époque où la révolution française ve-
nait d'éclater. Il n'y avait alors que trois carrières prati-
cables avec probabilité de succès : proclamer à la tribune
lesdroitsdu peuple, courir aux frontières pour les défendre,
ou bien secourir humblement les blessés : il fallait opter
entre ces rôles, et c'est au dernier des trois que se destina
Bichat. Aussitôt voilà son parti pris, son plan conçu.
« Comme Bordeu , je suis fds de médecin : c'est un grand
avantage. J'ai appris à lire dans J.-L. Petit, dans Haller et
dans Sydenham ; je sais le langage de la profession presque
aussi bien que ces mots plus doux dont ma mère a bercé
mon enfance ; et de bonne heure, sous le toit paternel, j'ai
été initié à des secrets précieux, qu'il serait long de deviner
soi-même et qu'aucun maître ne peut enseigner. J'ai fait de
bonnes études , puisque j'ai obtenu des couronnes ; J'en ob-
t'endrai de plus brillantes , ou j'y perdrai la vie. En philoso-
phie j'ai rivalisé avec mes professeurs et brûlé mes ca-
hiers : il doit exister une philosophie plus profonde : je veux
l'apprendre ; où la faire .=> Je vais à Lyon. J'étudierai là sous un
maître habile, sous Antoine Petit, tout ensemble chirurgien,
médecin et poète, consolant le soir, d'une voixbarnionieuse,
les douleurs qu'il a causées le matin. Le beau théâtre d'ob-
servation qu'un hôpital de grande ville ! que de douleurs à
adoucir, que de misères dues à l'imprévoyance , que d'infir-
mités engendrées par les vices! mais aussi quel champ fer-
tile en découvertes ! que de moissons j'y ferais, si la Fiance
I t;iit tranquille , si Lyon n'était pas assiégé , et si ma jeu-
nesse même n'y semblait pas un crime digne de l'échafaud,
ou un motif suffisant pour être envoyé aux frontières !
« Courons donc à Paris. Il est bien vrai que le crime y
Fuscite la terreur (1793); mais l'obscurité est une protec-
tion , et la foule un refuge assuré. J'irai m' enfermer à FHô-
tel-Dieu; je suivrai là le célèbre Desault, et saurai mettre à
profit son expérience et son habileté. L'Hôtel-Dieu est d'ail-
leurs le seul lieu de Paris où régnent l'ordre et la tranquillité,
et où l'on retrouve l'image d'un État gouverné par une seule
volonté à qui tous obéissent.... Desault a déjà remarqué
mon zèle et ma personne (1794) : c'est à moi, dans son
immense amphithéâtre, qu'il adresse avec prédilection ses
paroles; sans doute, le feti de mes regards lui aura révélé
combien je sympathise avec son génie. Mais le voilà qui
vient à moi!.... il m'écoute, il m'accueille, il m'adopte; me
voilà donc certain de la gloire: il a son trône, j'aurai le
mien. Quelle révolution nous allons faire! îs'ous allons re-
nouveler la science, l'éclairer et la féconder. Sans cesse
occupé de malades et d'opérations, Desault n'a pas le temps
de méditer et d'écrire; je composerai pour lui des ouvra-
ges (il publia en effet, de 1796 à 1800, le dernier volume de
son Journal de Chirurgie et ses Œuvres chirurgicales
en 3 vol.), et ferai qu'ils resplendiront de ce vernis de phi-
losophie générale et de pénétrante sagacité dont il n'au-
rait pu les empreindre; je lui ferai don de mon style et de
mon savoir, en retour de ses conseils et de sa protec-
tion. Pour éviter jusqu'aux vains prétextes de désunion
entre nous , dès ce jour je quitte la chirurgie pour la méde-
cine (1705). Plutôt né pour une science de méditation que
pour un art d'adresse , j'avouerai d'ailleurs que mon cœur
s'agite toujours à la vue de ces chairs palpitantes que le
bistouri divise douloureusement et d'où le sang jaillit par
flots : les cris des opérés me remplisseut d'émotion ; je
prends trop de part à leurs souffrances. Il faut au chirur-
Jîien une fermeté de caractère dont le ciel ne m'a pas assez
D(CT. DE LA CONVERS. — T. 111.
169
pourvu, et qui, après tout, se concilierait difliciJcmcnt avec
des méditations habituelles.
n Ainsi , je serai médecin ; mais il faut qu'à moi seul j'o-
père en médecine une révolution équivalant à celle qui s'ac-
complit en politique. D'abord j'effacerai jusqu'aux dernières
traces de Vlnanorisme, qui règne encore, et, pourmieux éta-
blir le 50^((-//5mr', j'omettrai presque entièrement ce qui con-
cerne les humeurs dans les ouvrages d'anatomie dont je
médite le plan. Puisque j'ai déjà découvert les membranes
synoviales , je m'autoriserai de cette découverte pour com-
poser un Traité complet des Membranes , qui peq)étuera
ma célébrité. Je dois par-dessus tout affrancbir la médecine
de la tyrannie des sciences pbysiques; je veux la soustraire
au moins pour un temps au joug systématique de Boërhaavt;
et de Fourcroy. Tous ces dons qu'on veut lui faire l'appau-
vrissent de jour en jour, outre qu'ils la rendent méconnais-
sable. D'ailleurs les fonctions de la vie n'ont rien d'identique
avec les phénomènes de la physique et de la chimie; et
même je défierai les meilleurs cliimistes de l'avenir décom-
poser une seule goutte de sang ou de salive. Je prétends
donc en revenir au vitalisrae de Bordeu et de Barthez; mais
je veux être plus clair que l'un, mieux coordonné et plus
complet que l'autre , plus utile que tous les deux. J'étudierai
chaque propriété vitale dans chacun des tissus élémentaires,
et j'éluderai ainsi l'écueil de ces généralités d'abstraction
qu'une simple objection fait crouler.
n Aristote et Buffon ont eu raison, il existe en nous deux
sortes de fonctions : les unes, purement automatiques , s'ef-
fectuent sans repos, sans interruption, et à notre insu même,
dans le sommeil comme durant la veille ; les autres sont
arbitraires, intermittentes, car le sommeil les interrompt,
et elles ne sont pas indispensables à la vie. Les premières
servent à entretenir et à conserver les organes ; les autres,
à éclairer notre intellect, à multiplier nos rapports. Les ins-
truments des unes diffèrent beaucoup des organes des autres :
je noterai scrupuleusement ces différences. Je m'approprierai
en le modifiant le trépied vital de Bordeu, et j'analyserai avec
tant de soin le jeu concordant des trois organes que ce mot
désigne (cœur, poumon , cerveau), leurs inlluences respec-
tives et leurs synergies , que cette partie de la physiologie
paraîtra aussi évidente que le mécanisme d'une machine des
arts et métiers. Je composerai sur ces différentes idées,
ainsi que sur la manière dont les fonctions de la vie s'em-
barrassent dans l'agonie, puis s'interrompent à l'instant de
la mort, un ouvrage rempli d'expériences curieuses, et
presque aussi étonnant par son exécution même que par la
hardiesse et l'originalité des vues.
« Cependant ces premiers ouvrages ne seront encore qu'un
essai de mes forces, et comme le prologue d'une composition
plus vaste à laquelle j'attacherai mon nom. Jusqu'à présent
on s'est borné à étudier les organes un à un et tour à tour,
les os, les muscles, les vaisseaux, puis les nerfs, puis les
viscères ou les entrailles : voilà ce que je veux changer. Je
réduirai le corps humain à peu près comme Montesquieu a
réduit le corps social, dont il voulait scruter les lois, je veux
dire en ses plus simples éléments. Je prendrai les uns après
les autres chaque espèce de fibre , chaque tissu analogue ,
tissu cellulaire , diverses membranes, veines, artères, os,
cartilages, muscles, nerfs, peau, épiderme, glandes et
organes à parenchyme, vaisseaux lymphatiques; j'aurai de
la sorte vingt-un ou vingt-cinq tissus : n'importe, j'en voudrais
avoir cinquante au lieu de vingt, car ce seront là autant de
cases ou viendront se ranger sans désordre mes observations
et mes pensées, assez nombreuses pour les remplir toutes.
A l'occasion de chaque genre de fibre, je dirai ses propriétés,
sa sensibilité vive ou obscure, ses mouvements de cause pu-
rement physique, et ses mouvements instinctifs et arbitraires;
je dirai quels organes ce tissu concourt à former, à quelles
soulfrances il peut donner lieu, ses altérations maladives, les
remèdes qui agissent sur Ini , son développement chez l'en-
22
BICHAT
son (Icsré (Vusiire cliez le vieillard, et cent autres
170
i;inl ,
ilioses souvent nouvelles, constamment vraies, et toujours
utiles au praticien comme au savant spéculatif. Du tissu
simple je remonterai ensuite à Torgane môme que plusieurs
tissus composent , et j'étudierai les fonctions de cet organe,
ses sympathies , ses maladies spéciales et leurs moyens de
guérison. Je grouperai enfin les organes par familles, ou
par appareils , dans le même ordre où ils coopèrent aux
fonctions de la vie , et j'en ferai la description sous le titre
iTAnatomie descriptive.
-i Ainsi, j'aurai soigneusement analysé les éléments du corps
danslM?7fl^m?e ^'^«t^mZe, groupé et fait l'histoire des organes
dans \^ descriptive, exposé, dans mes llecherches sur la Vie
i-t la Mort, mes opinions sur les organes des deux vies (ex-
pression qu'on critiquera sans doute, mais dont j'ai besoin
pour peindre une idée grande et neuve). Quelques années m'au-
ront donc suffi pour reconstituer la médecine sur des bases so-
lides et nouvelles, et peut-être alors me trouverai-je entraîné
malgré moi à faire de la médecine ailleurs qu'à l'hôpital
:Mais, en attendant, il me faut redoubler d'activité : j'ai des
coins à faire, des dissections et des autopsies à multiplier,
mes observations cliniques à suivre, des essais thérapeutiques
à réitérer. J'ai d'ailleurs à méditer sur les grandes lois de la
nature. Je sais mal la chimie, il me faut l'apprendre. J'aurai
beau faire, beaucoup de choses me manqueront : je ne suis
pas assez érudit, je n'ai le loisir de lire ni du latia ni de
l'anglais; cl l'allemand me demanderait dix grandes années
d'études que j'aime mieux employer à ma science person-
nelle. On se récriera si l'on veut; mais, pour ne point com-
mettre de nombreuses erreurs, je ne citerai que quelques
grands noms pour les idées les plus importantes.
« Mon projet après tout est d'une exécution facile. La mé-
decine à l'heure où je prends la plume ne compte presque
aucun homme dminent, aucun de ces maîtres hors de fou!e
et qui doivent à l'étude moins qu'au génie. L'anatomie de
Boyer est d'une exactitude rigoureuse, et profitable au chi-
rurgien sans vues capitales ; celle de Gavard est un soîn-
maire; celle de Sabatier, tine coiiij)iIaticn. La physiologie
est négligée ailleurs qu'à Montpellier; mais Barthez l'obs-
curcit et Dumas la rabaisse et la morcelle. Reste l'illustre
ouvrage de Haller, que personne ne consulte, et les tableaux
synopliiiues forf, arides deChaussier, plutôt faits pour guider
ou remémorer qiK! pour instruire. En thérapeutique, Des-
nois de Rochefort est sans portée, Peyrilhe sans instruc-
tioîi et sans profondeur. Quant aux médecins, Pinel suit
trop servilement les naturalistes; Ilallé, dont la vaste mé-
moire fatigue infructueusement la raison, rapporte tout à
l'hygièite, et n'en l'ait rien sortir. Corvisart, le grand médecin
de nos jours , n'a ni le loisir ni la patience de faire un bon
livre ou de lier des idées en doctrine; d'ailleurs, le médecin
de Bonaparte ne doit prendre aucun souci de sa gloire : la
postérité saura son nom, quoi qu'il arrive. Pour Cabanis,
il ne laissera jamais que des jiaraphrases d'Helvétius, quel-
ques secours que Locke lui prête. J'espère donc à moi seul
tout embrasser, et faire plus que tous ensemble. Si je réussis,
je mériterai qu'on dise un jour : 'Vers la fin du dix-huitième
siècle, la médecine était en France assujettie à la physiqi'.e
quant aux dogmes, comme esclave de la chirurgie quant à
la pratique de l'art; détournée des voies sûres de l'observa-
tion et tributaire de la chimie; livrée à la médiocrité et aux
.sophismes, seule, entre les sciences hiuiiaines, elle restait
sans progrès. Un jeune homme la sortit de celte ornière; il se
nommait IJichat, et n'avait pas trente ans. Inconnu hors de
l'Hôti'l-Dieu, sa demeure habituelle, il n'était ni médecin
titulaire de cet établissement (il ne fut nonmié qu'en 1800),
ni professeur à l'iïcole de Médecine (il concourut, mais sans
succès), ni membre d'aucune académie; il n'était pas même
docteur. »
Voilà ce qu'aurait pu dire Cichat; mais il avait trop de
liKKlcslioet trop de circonspection pour agir de la sorte. 11 se
borna à surpasser ses rivaux et ses maîtres , sans montrer
jamais ni présomption ni jactance. 11 avait une si grande
simplicité de mœurs, si peu d'attache pour le lucre, et si
peu de sentiment de la valeur vénale de ses ouvrages , qu'il
abandonna au libraire Gabon pour vingt-cinq louis le ma-
nuscrit de VAnalojnie générale, ouvrage en 4 volâmes in-s"
dont il a été placé 30,000 exemplaires.
Si jeune que soit mort Bichat, l'anatomie lui doit pins
qu'à Chaussier, qu'à Sœmmering, et peut-être plus qu'à
Scarpa, lui cependant au nom de qui se rattachent tant de
découvertes et d'admirables productions. Corvisart, âme
noble et sans envie, écrivit au premier consul lorsque Bichat
eut cessé d'exister : « Bichat vient de mourir. Il est resté
sur un champ de bataille qui veut aussi du courage et qui
compte plus d'une victime. Personne en si peu de temps n'a
fait tant de choses et aussi bien... » Cette lettre fait honneur
à Corvisart; car elle est la preuve, puisqu'il n'ajoute aucun
commentaire, qu'il n'avait pas attendu la mort de Bichat
pour entretenir Bonaparte de ce talent illustre.
Quelques jours après sa mort , le 9. août 1 802 , on grava
sur une table de marbre les noms réunis de Desault (mort
dès 1795) et de Bichat. On voit encore ce très-simple mo-
nument sous les dôntes de l'Hôtel-Dieu , où il fut placé dès
l'origine. La ville de Paris a depuis donné le nom de Bichat
à l'une de ses rues; les départements de l'Ain et du Jura lui
ont érigé une statue dans la ville de Bourg (août 1843). Ant.
Miquel et M. Ph.-G. Roux ont fait son éloge, et David son
buste et sa statue, après l'avoir placé déjà au fronton du
Panthéon.
Parmi les vérités qu'on doit à Bichat, il faut mettre au
premier rang la découverte des nuMiibranes synoviales,
comme aussi la généralisation du feuillet adhérent des mem-
branes séreuses; découvertes d'autant plus belles qu'elles
sont dues non au hasard , mais au raisonnement et à l'ana-
logisme. L'anatomie des tissus est de sa création. 11 a fait
de l'anatomie pathologique une science toute française, qu'a-
vant lui Morgagni avait comme concentrée dans l'Italie. 11 a
pour ainsi dire renouvelé toute la médecine, non par des
conjectures et des systèmes , mais par des observations avé-
rées et décisives.
Les ouvrages de Bichat seraient presque irréprochables,
s'il n'avait pas ignoré l'action de la moelle épinière, sup-
posé, puis décrit les vaisseaux exhalants, omis le tissu
érectile, trop négligé l'histoire des humeurs, exagéré sou
idée abstraite des deux ries, et déraisonne sur les passions,
causes malheureusement fécondes en erreurs de toute espèce.
La fin si prématurée de Bichat laissa un vide immense
dans la science. Il ne se trouvait personne pour remplacer
cet homme étonnant : on fut réduit à partager ses dépouilles
scientifiques, ses conquêtes. Ses principaux élèves, et il
en comptait de remarquables, la plupart fort jeunes, se
conduisirent en quelque sorte comme les lieutenants d'A-
lexandre. Roux et Marjolin s'emparèrent en maîtres de l'a-
natomie; Laènnec, Broussais, Bayle et Dupuytren s'adju-
gèrent l'anatomie patliologique; Alibert et Schwilgué se
réservèrent la matière médicale et la thérapeutique, comme
Legallois et Nyslen la physiologie. D'autres, plus paresseux
à le suivre, ou perdant l'espoir de l'égalei en le continuant,
prirent pour eux le rôle, moins fraternel , «fe joindre à ses
œuvres des critiques ou de futiles annotation»'.
Sans doute l'époque où parut Bichat fut pmpice à ses
travaux. La liberté de penser était alors à son comble :
l)oint de censeius , si ce n'est les émules et quelques en-
vieux passionnés ; \me foule de rivaux de gloire dans toutes
les carrières , et nuls préjugés qui vinssent entraver les
investigations ou les expériences. Dans ces temps de ré-
volution fondamentale, les esprits, plus exaltés, sont plus
féconds; l'ambition, plus ardente, convoite et ose davan-
tage : le cliquetis des armes et le bruit des tambours élec-
trisent les imaginations et connnuniquent au génie plus
lîICIÎAT —
d'animation, phis de ferveur. Chacun alors veut accomplir
personnellement sa révolution à rexerapie du peuple,
que ses préventions contre les choses établies disposent
à accueillir les innovations de toute nature. On voit alors
plus de puissance dans l'éloquence parlée, plus d'origina-
lité dans la poésie; les écrivains, souvent plus inégaux,
sont aussi plus sublimes, les savants plus inventifs. Dante,
Corneille et Î^Iilton composèrent leurs glorieux écrits à la
suite de révolutions ou de guerres civiles; les conquêtes
d'Alexandre, sans parler d'une protection plus directe,
stimulèrent le génie laborieux d'Aristote; enfin W. Ilarvey, à
qui est due la découverte de la circulation du sang , vécut
sous Cromwell , comme Bichat sous la Convention.
Bichat mourut à Paris , à la suite d'un accident encore
aggravé par ses veilles et ses continuelles dissections , le
22 juillet 1802, n'ayant pas trente et un ans. 11 fut inhumé
I au cimetière Sainte-Catlîerine ; mais en 1845 ses restes ont
été solennellement portés au cimetière du Père La Chaise.
On peut se demander ce que fût devenu Bichat si sa vie
se filt prolongée jusqu'à la vieillesse. L'homme qu'à vingt-
neuf ans les Allemands comparaient à leur Boérhaave sans
doute n'aurait pu déchoir dans sa maturité, outre que Na-
poléon, ce judicieux rémunérateur des talents, aurait vrai-
semblablement compris dans les longues listes du sénat un
nom tout aussi digne d'y figurer que ceux des Daubenton ,
des Cliaptal et des Berthollet. D"" Isidore Bol'rdon.
BICHE, femelle du cerf. C'est aussi, en astronomie, l'un
des noms (le Cassiopée.
BICIIET, ancienne mesure de grains, dont la conte-
nance variait selon les lieux, que l'on évaluait en général au
minot de Paris. Le bidiet était particulièrement en usage en
Bourgogne et dans le Lyonnais. A INIontereau le bichet de
froment pesait quarante livres. Huit bichets formaient le
septier du pays, lequel était de la valeur de seize boisseaux
de Paris; douze septiers formaient le muid; mais on y
ajoutait d'ordinaire quatre bichets, pour faire le compte rou'l
de cent bichets pour un muid. Le bichet de Meaux était
de cinquante livres, c'est-à-dire de dix livres plus pesant
que celui de Montereau. Ceux des autres localités variaient
également.
On disait aussi un bichet ou une bichen'e de terre, en
parlant de la mesure d'une terre qui avait besoin d'un bi-
chet de blé pour être ensemencée.
iBICHO. Voyez Chique.
BICIlOiX ou CHIEN DE xMALTE, peUte et jolie race de
chiens, qui a le nez court, le poil long, d'un foncé plus
ou moins grisâtre ou jaunâtre , et qui provient du croise-
ment d'un petit barbet etdel'épagneul. Les bichons
ont été longtemps à la mode chez les dames, qui les por-
taient dans leur manchon. Ce mot est le diminutif de celui
de barbet; on a dit d'abord ôarôic^e , barbichon; puis, par
contraction, bichon.
BICHOiX DE MER. Toj^e:; Balate.
BICOAJJUGUÉ ou BIGÉMINÉ, épithète donnée aux
feuilles dont le pétiole commun se divise en deux rameaux,
chargés chacun de deux folioles. Telles sont celles M mi-
mosa unguis cati.
BICOQUE, village du royaume Lombardo-Yénitien ,
sur le chemin de Lodi à Milan , à sept kilomètres de cette
dernière ville , où les Impériaux repoussèrent une attaque
de l'armée française en 1522, et qui depuis a donné son
nom à toute place sans importance.
Lautrec, qui depuis la perte de Milan s'était retiré
à Crémone avec la cavalerie française, et qui avait déjà
fait sa jonction avec l'armée vénitienne, passa l'Adda
le 1" mars 1522, réunit les Suisses à son armée, et s'ap-
procha jusqu'à quekiues kilomètres de Milan. Jean de Mé-
dicis , capitaine aventurier issu d'une branche cadette de
la famille domin;mte à Florence, vint le joindre avecle corps
d'infenterie italienne qu'il avait formé. H donnait à ce
BICOQUE j7i
corps le nom de Bandes Noires (voyez Bandes miutaiiiks),
en signe de deuil pour la mort de Léon X, et les soldats ras-
semblés autour de son drapeau noir s'étaient déjà illustres
par leur bravouic et leur discipline.
Cependant Prosper Colonna, général de la ligue, et
Alphonse d'Avalos , marquis de Pescara , commandant de
l'infanterie espagnole , avaient de leur côté reçu des renforts
considérables ; les deux armées étaient à peu près de force
égale. Lautrec fut bientôt obligé de renoncer à son attaque
sur Milan; il prit Novarra, mais il l'ut repoussé devant
Pavie. Enfin il se dirigea vers Monza, pour se rapprocher
du Lac-Majeur. C'était par ses bords, et au travers du
Valais, qu'il entretenait quelques communications avec la
France. Le roi avait envoyé jusqu'à Arona une partie de
l'argent dont Lautrec avait besoin pour la solde de ses trou-
pes ; mais Anchise Yisconti , avec un corps de troupes mi-
lanaises , bloquait Arona ; et Prosper Colonna , retranché à
la Bicoque, coupait à Lautrec le chemin du Lac-xMajeur.
La situation de Lautrec était infiniment difficile : la gen-
darmerie française quïl avait avec lui demeurait dévouée et
fidèle : toutefois, elle n'avait pas touché de paye depuis dix-
huit mois ; aussi , faute d'argent , était-elle mal équipée et
mal armée. Les Vénitiens s'étaient obligés, par leur traité,
à se joindre au roi pour la défense du Milanais ; mais ils
n'entraient qu'avec répugnance dans une guerre qui les ex-
posait à de grands dangers, sans compenser leurs risques
par aucun avantage : aussi se refusaient-ils à toutes les
actions hasardeuses , et ne voulaient-ils jamais s'éloigner de
leurs frontières. Les Suisses s'ennuyaient d'une guerre de
positions, où le général pouvait faire briller une science
stratégique qu'ils méprisaient, mais où les soldats soupi-
raient après la bataille et le pillage des villes. C'étaient ces
jours de gloire et d'excès qu'on leur avait promis comme
des fêtes, pour les engager à sortir de leur pays. Pleins de
confiance en eux-mêmes et de dédain pour leurs ennemis,
ils ne voulaient se soumettre à aucune des privations que
nécessitaient la pauvreté de Lautrec et l'état hostile des
campagnes. Lorsqu'ils apprirent que , tandis qu'on les lais-
sait languir à i\lonza dans la misère, l'argent qui leur était
dû était arrivé à Arona, ils commencèrent à sattrouper
devant la tente de Lautrec, en criant qu'ils voulaient leur
solde ou la bataille.
Lautrec avait lieu de croire que Prosper Colonna, au-
quel le nouveau pape ne faisait point toucher de subsides ,
n'avait pas plus d'argent que lui ; que les lansquenets qui
lui étaient arrivés d'Allemagne étaient aussi prêts à se mu-
tiner que ses Suisses, et qu'il y avait, par conséquent,
tout à gagner pour lui à traîner la guerre en longueur. De
plus, il avait chargé Créqui, seigneur de Pont- Dormi , de
reconnaître l'armée impériale , et celui-ci lui avait rapporté
qu'elle était garantie sur les flancs par de profonds canaux
d'arrosement , et en face par un chemin creux garni d'ar-
tillerie. Un pont de pierre en arrière de la gauche formait
la seule entrée de cette position formidable , qui prenait son
nom de la maison de campagne d'un seigneur milanais.
Lautrec voulut faire comprendre aux Suisses combien l'at-
taque de la position de la Bicoque présentait peu de chances
de succès ; mais ils répondirent que leurs hallebardes les ren-
draient bientôt maîtres des batteries dont on les menaçait,
et qu'ils persistaient à vouloir argent, bataille, ou congé.
La retraite des Suisses équivalait pour Lautrec à une
déroute : elle aurait été bientôt suivie de celle des Vénitiens ;
d'autre part, l'ardeur des troupes, qui demandaient impa-
tiemment la bataille, laissait espérer d'heureuses chances.
Il partit donc de î\Iouza le 29 avril pour attaquer la Bico-
que, après avoir f;u't les meilleures dispositions que permît
la situation des eimemis. Il consentit à ce que les Suisses ,
selon leur demande, l'attaquassent de front; il chargea sou
frère Lcscun-. Ue tourner par la gauche, et d'entrer par
le pont de pierre dans lo camp des Impériaux ; avec une
172
autre division, à kquclle il avait fait prendre !a croix
rouge, au lieu de la croix blanche de France, il tournait
par la droite avec l'espoir que les soldats de C'olonna le
recevraient comme un des leurs. Les Bandes Noires , enfin ,
et l'armi^c vénitienne devaient soutenir les Suisses et formiT
la réserve; mais, pour le succès de cette a(ta(|ue combinée,
il fallait que les trois corps d'armt'e arrivassent ensemble;
il fallait que les Suisses, qui avaient beaucoup moins de
chemin à faire que les doux autres corps, marchassent plus
lentement ou attendissent : ils ne le voulurent pas; ils parti-
rent avec impétuosité, et, doublant le pas, ils arrivèrent d'un
Irait au bord du chemin creux qui couvrait le front de
Prosper Colonna. Avant d'y parvenir cependant mille d'en-
tre eux avaient déjà été tués par le feu de l'artillerie espa-
gnole ; les survivants s'élancèrent avec courage dans le
chemin creux ; mais ils le trouvèrent plus profond qu'ils
n'avaient voulu le croire ; leurs hallebardes pouvaient à
peine atteindre aux pieds de l'infanterie espagnole qui le
bordait. Tous leurs eflorts pour gravir de son côté furent
infructueux ; vingt-deux de leurs capitaines et trois mille
soldats avaient trouvé leur tombeau dans le chemin creux,
lorsque les Suisses reculèrent, laissant leurs ennemis, qu'ils
ne pouvaient atteindre, étonnés de leur intrépidité et de
leur acharnement. Dans cet instant seulement , Lautrec ar-
rivait sur la droite de l'armée de Prosper Colonna; mais
celle-ci .ivait ajouté une branche de feuillage à sa croix
rouge, et elle tomba sur les Français, qu'elle reconnut sous
leur déguisement. Fn même temps, Lescuns entrait par le
pont de pierre, à gauche, dans la position des ennemis. Il
était trop tard ; Prosper Colonna , sans inquiétude désor-
mais sur l'attaque des Suisses , qu'il avait rejjoussée, tourna
toutes ses forces contre les deux maréchaux , et les con-
traignit également à la retraite.
Malgré la perte considérable qu'elle avait essuyée, l'armée
française était encore redoutable; mais les Suisses, irrités
d'une délaite qu'ils avaient provoquée, ojjposaient un si-
lence hautain à toutes les instances de Lautrec, qui voulait
les retenir en Italie : ils ne promirent rien, ils n'expliquèrent
point leurs vues, elle lendemain ils reprirent le chemin du
lîergamasque pour rentrer en Suisse. Lautrec sévit lédiiit
à les suivre pour se rendre en France, se justifier du juissé,
et obtenir des secours plus efficaces pour l'avenir. Andié
Gritti, avec l'armée vénitienne, se retira vers lesfroniières
de sa république, qu'il s'efforça de défendre; Lescuns de-
meura chargé du commandement de la geudaj'Jiicrie, qu'il
distribua entre le petit nombre de places qui obéissaient
encore aux Français; mais Lodi se laissa surprendre,
Piz/.ighittone capitula, et Lescuns, retiré à Crémone,
signa enfin, le 21 mai, une convention par laquelle il
s'engageait à évacuer toute la Lombardie , à la réserve des
trois châteaux de Crémone, Novarre et Milan, s'il n'était
pas secouru avant quarante jours. Ainsi toute l'Italie fut
])erdue pour les Français ; car Gènes, qui n'était pas com-
prise dans la capitulation de Lescuns, (ut surprise, le
30 mai , par les espagnols , et pillée avec la froide férocité
qui signalait à la guerre les soldats de cette nation.
J.-C.-L.-S. SiSMONDI.
BICUSPIDE (de bis, deux, et ciispis, pointe). En
anatomie, on appelle doits Oicuspidccs les petite^ molaires.
En botanique, bicuspidé se dit des feuilles et des autres
parties qin sont divisées au sommet, de manière à être
terminées par deux pointes divergentes.
liïDASSOA, petite rivière presque toujours maréca-
geuse, qui prend sa source à la cime du Bélat, dans les Py-
rénées; française à sa soin'ce seulement, elle parcourt, en
serpentant, un arc sinueux d'environ 48 kilom., sur le sol
espagnol , pour venir, non loin du lieu oii elle se jette dans
la mer de Biscaye, tracer, sur une très-faible étendue, la
limite de la France et de l'Espagne, entre le village de Hen-
daye et la place de Fontarabie. Elle coujie ainsi la route de
BICOQUE — BIDAULT
I
Bayonne à Madrid. On la traverse sur un pont de bois an
delà du village Ijasque de Eéliobie. Près de là apparaissent
des îlots , derniers débris de Vile des Faisans ou de la
Conférence , à laquelle on ne peut dire si ce dernier nom
vient de l'entrevue de Louis Xi et de don Enrique de Cas-
tille en avril 1463, ou du congres qu'y tinrent en 1659 lo
cardinal Jlazarin et don Luiz de Haro, et d'où résultèrent le
traité de paix des Pyrénées et le mariage de Louis XIV et
de l'infante Marie-Thérèse, à Saint-Jean-de-Luz. «
Un siècle et demi plus tard , le G avril 182.3, l'avant-garde
d'une armée française, conmiandée par un descendant de
Louis XIV, et marchant, d'après les ordres de la Sainte-Al-
liance, à la destruction des libertés espagnoles , parut sur U
rive droite de la Bidassoa. Au même instant, deux cents,
proscrits français , après avoir fraternisé à Irun avec le ré-
giment espagnol Impérial-Alexandre , se montrèrent sur la
rive gauche , en uniforme de la vieille garde , commandés
par le colonel Caron, portant tous la cocarde tricolore, et
faisant flotter dans leurs rangs le drapeau de l'Empire. lU
essayaient vainement sept ans trop tôt le mouvement natio-
nal qui devait réussir à Paris dans les journées de Juillet.
«Vive la France! vive l'artillerie I » s'écriaient-ils un.inime-
ment en marchant vers la rivière, et tendant les bras à l'armés
françai.se, dont ils n'étaient séparés que par un étroit es-
pace. Il y eut un moment d'indécision; mais la voix du gé-
néral Valin .se fit entendre : « A vos pièces, artilleurs! s'é-
cria-t-il; à vos armes! voltigeurs! Feu, camarades! vive le
roi! u Et une d^'cliarge à mitraille, soutenue parla mousque-
terie, abattit douze malheureux proscrits; huit expirèrent
sur le coup, quati'e furent emportés blessés, quelques autres
se virent traduits plus tard devant les tribunaux royalistes.
Déjà le pouvoir d'alors proclamait dans toute la France que
le canon de In Bidassoa avait tué la révolution. Et cepen-
dant ce succès avait tenu à bien peu de chose : Paimée qui
marchait contre l'Espagne comptait dans son sein près de «iix
mille chevaliers de la Liberté; il n'y en avait pas moins de
mille dans la seule garde royale. Un moment d'indécision
avait tout perdu et retardé de sept ans le retour du drapeau
tricolore.
BIDAULT (Joseph-Xavier), peintre de paysages his-
toriques, naquit à Carpentras, en 1758. Il eut pour maître
son frère, Jean-Pierre-Xavier Bidault, peintre de paysages,
qui vécut et mourut à Lyon (1814), et qui a laissé quelques
bons clairs de lune et de petites toiles représentant avec
fidélité des oiseaux et des fleurs. Joseph-Xavier apprit de
son frère aîné à étudier la nature, car h nature avait été
l'unique maître du peintre lyonnais. Le jeune Bidault profita
des leçons fraternelles, et son nom rappelle l'exactitude dans
les sites. C'est l'Italie et la France que Bidault a exploitées :
La Goi-çed'Allevard,\A Vue de San-Cosnnato,h Vue du
lac et de la ville de Bracciano, le Lac Majeur, la Vue
de Tivoli et de la plaine de Rome, sont les princi|)aux
souvenirs italiens que son pinceau a reproduits. Ceux dont
nous sommes redevables aux promenades du peintre dans
sa patrie sont : la Vue de Grenoble et de ses environs,
la Vue d' Ermenonville, hi Plaine d'Ivrij, la Vue du parc
de AeuiUij, celle de la Fontaine de Vaucluse. La plupart
de ses paysages sont animés par des figures plus ou moins
importantes : ainsi, dans la Vue de la Jontaine de Vaucluse
François \" écrit sur le tombeau de Laure des vers qu'il
composa pour la belle prude tant aimée de Pétrarque. Bi-
dault ne s'en est pas tenu à ces souvenirs d'une exactitude
scrupuleuse, à ces paysages-portraits. En utilisant ses études
nombreuses, il a composé des paysages animes tantôt par
Psyché et le dieu Pan, tantôt par Daphnis et Cbloé, tantôt
encore par un prètie portant le viatique à la campagne. On
voit que Bidault s'est inspiré tour à tour de la fable, de
l'histoire et de la vie actuelle.
On disait, de 1812 à 1828, belle époque de Bidault, qu'il
excellait à couqioser un paysage, que ses sites élaient d'uu
BIDAULT — BÎDDLE
173
lieau carndère; et la mcJaille d'or qiii lui fiit décernée au
salon de 1812, le deuxième grand prix qu'il obtint dans le
genre secondaire, la croix de la Lésion d'Honneur dont sa
boutonnière resplendit plus tard, enfin sa nomination à TA-
cadcniie des Beaux-Arts, où il remplaça Prud'hon, tout en
son temps parut juste et naturel. Aujourd'hui on s'étonne
quelque peu de ces succès. On a dit, on a même imprimé
que ses paysages mythologiques sont du Poussin manqué ;
que ses autres toiles sont du Claude Lorrain sans vie,
qu'elles n'offrent rien de hardi dans le pinceau ni môme
d'observé largement. C'est là sans doute un autre genre
d'exagération. Certes, le sentiment large et poétique n'a pas
dans Bidault un puissant interprète; sa couleur n'a pas
non plus cet accent profond qui donne de la valeur aux
moindres détails ; mais il faut lui tenir compte de la fidélité
locale et du choix des sites aux(]uels se rattachent d'inté-
ressants souvenirs, comme aussi d'une sagesse dans l'ordon-
nance de ses tableaux arrangés et d'un certain charme pit-
toresque.
Bidault est mort le 20 octobre 1846, à Montmorency, où
il vivait retiré depuis longtemps. Etienne Arago.
BIDAUX, coqis d'infanterie de l'ancienne milice fran-
çaise, sorte d'aventuriers, dont on faisait assez peu de cas.
La Chronique de Flandre en parle au sujet de la bataille et
de la prise de Fumes en 1297. Jean de Gare, qui s'était
retiré dans cette ville, ne voulait point se rendre; mais
les bidaitx lui saillirent au col par denv'ère, l'abattirent,
€t le tuèrent. Guillaume Guyart, qui en fait aussi mention
sous les années 1298, 1302 et 1304, semble faire entendre
qu'ils tiraient leur origine des frontières d'Espagne.
De Navarre et devers Espagne
Reviennent bidaux à grans routes.
Il paraît, d'après le même auteur, que ces soldats portaient
pour armes deux dards et une lance, et un coutel à la
ceinture , d'où Hocsemius pense que les bidaux étaient
ainsi appelés a binis dardis, des deux dards qu'ils por-
taient; mais on trouve plus ordinairement dans les auteurs
• bidaux, bidaldï, que bidarii, et Hocsemius est le seul qui
leur ait donné ce second nom latin, pour ra|)proclier davan-
tage de sa prétendue étymologie. Ménage les nommQ pilaux.
11 paraît que les bidaux n'étaient pas de fort boimes
troupes ; souvent ils lâchaient pied, et lançaient leurs dards
en s'enfuyant. Bidaux ?"e<rflic/i^, c'est-à-dire s'enfuient, et
dards ruent, dit le poète que nous avons déjà cité; et le
continuateur de Nangis rend à peu près le même témoi-
gnage de leur bravoure à la bataille de Cassel, où il dit que
les bidaux, s'étant mis à fuir, selçn leur coutume, causè-
rent quelque désordre dans l'armée française.
6IDDLE (Nicolas) , financier célèbre, président de la
banque des États-Unis et de la banque de Pensylvanie , na-
quit le 8 janvier 1786, à Philadelphie. Son père était vice-
président de l'État de Pensylvanie, et fit donner à ses neuf
enfants , dont sept fils , une éducation distinguée. Nicolas
Biddle fut élevé à Philadelphie, puis à Princetown, dans le
New-Jersey. En 1801 il quitta ce collège pour se livrer à l'é-
tude de la jurisprudence. Il débuta au barreau en 1804, et
peu de temps après il accompagna à Paris le général Arms-
trong, nommé ministre plénipotentiaire des États-Unis près
la cour des Tuileries pour liquider l'indemnité que le gou-
vernement français s'était engagé à payer à divers négo-
ciants de l'Union. Il suivit plus tard à Londres, en qualité
de secrétaire de légation, Monroe, alors plénipotentiaire des
Etats-Unis en Angleterre, et devenu ensuite président de
l'Union. En 1807 il revint dans sa patrie, s'y livra de nou-
veau à la pratique du droit, et publia pendant quelque
temps, en société avec Dennie,un recueil périodique inti-
tulé : Portfolio, rédigé dans le sens démocratique, et qui fit
alors beaucoup de sensation. Dans les années 1810 et 1811,
il représenta sa ville natale dans la législature de la Pen-
sylvanie, et s'y signala comme l'un des plus chauds partisans
du système dit américain, conçu et proposé par Henry
Clay. A la fin de cette législature, il rentra dans la vie
privée; mais en 1814 la ville de Philadelphie le nomma
sénateur, et il profita alors de sa nouvelle position pour im-
primer une vigoureuse direction aux moyens de défense or-
ganisés contre l'Angleterre. En 1817 le parti démocratique
le porta comme candidat au congrès; mais il échoua à deux
reprises dans ses efforts pour entrer dans le sein de la repré-
sentation nationale , toujours repoussé par une majorité fé-
déraliste.
Ce fut en 1819 que pour la première fois commencèrent
ses rapports avec la banque nationale des États-Unis ( voyez
Banqce), en proie à ce moment à la crise la plus périlleuse.
Le congrès nomma dans les circonstances les plus alarmantes
Biddle directeur, en même temps que Langdon-Cheves pré-
sident de cet important établissement financier. Ces deux
hommes étaient assurément très-capables; mais on doit re-
connaître que ce fut surtout aux efforts et à l'activité de son
président que la banque fut alors redevable de la résurrec-
tion de son crédit. Langdon-Cheves ayant résigné ses fonc-
tions en 1821 , elles furent conférées à Biddle, dont la ré-
putation comme financier remplissait alors toute l'Union.
Les choses allèrent au mieux pendant toute la durée de la
présidence de Monroe et de celle de Quincy A dams. La
confiance dans la banque nationale était illimitée ; mais ce
fut aussi vers cette époque que les directeurs de la banque
et Biddle commencèrent à se mêler des affaires générales de
l'État, à prendre des journaux à leurs gages, à solder des
écrivains et des publicistes, et à vouloir influer sur l'élec-
tion du président de l'Union. Il en résulta une guerre ouverte
entre la banque et le parti démocratique, guerre à la suite
de laquelle le général Jackson enleva à la banque des
États-Unis le dépôt des fonds appartenant à l'État, et refusa
sa sanction à un bill déjà adopté par les deux chambres, et
renouvelant le privilège de la banque.
Biddle essaya alors de maintenir la banque des États-
Unis tout au moins comme banque provinciale , et dépensa
des sommes immenses pour obtenir un nouveau privilège de
la législature de Pensylvanie. Comme dans cet État, essen-
tiellement démocratique , la banque était généralement dé-
testée, il fallut pour se concilier l'opinion publique faire des
sacrifices sans nombre et de tout genre. Il n'y eut point de
compagnie de chemin de fer, d'entreprise de canal, de pont
ou de construction de route qui n'eût son compte ouvert à
la banque, laquelle prêta des millions à ces diverses entre-
prises, bien qu'il fût facile de prévoir que jamais la moitié
de ces avances ne pourrait rentrer dans ses caisses. On es-
pérait couvrir ces pertes en obtenant le dépôt des fonds ap-
partenant au trésor public ; et les frais et les pertes d'aller
ainsi toujours en augmentant jusqu'au moment où , après
l'élection de Van-Durcn à la présidence, force fut à la banque
de Pensylvanie de suspendre ses payements.
Une des circonstances qui contribuèrent peut-être le plus
à cette catastrophe fut une spéculation faite sur les cotons
par la banque avec un capital de 35 millions de dollars
(180 millions de francs) pour lequel elle n'avait pas d'em-
ploi ; spéculation qui excita la rivalité de la banque d'An-
gleterre, et qui aboutit de la manière la plus désastreuse à
une dépréciation subite du cours des cotons. On a souvent
reproché à Biddle d'avoir entrepris cette énorme spéculation
uniquement pour accroître sa popularité et se poser candidat
à la présidence en s'assurant ainsi les suffrages des planteurs
du sud et du sud-ouest. Quoi qu'il en puisse être de cette
accusation, il est évident que la spéculation reposait sur des
données fausses, et que Biddle ou s'était exagéré les res-
sources de la banque, ou avait trop compté sur la confiance,
ou, pour mieux dire, sur la crédulité publique. En 1839 il
quitta la direction des affaires de la banque, circonstance
qui porta un coup funeste au crédit de cet établissement el
174
BIDDLE
fit douter qu'il pût jamais reprendre le cours de ses paye-
ments en numéraire. Un an plus tard en effet la banque
de Pensylvanie fit ouvertement faiJliie (1840), et peu de
tpuips après Biddle comparaissait en justice sous la préven-
tion de dol et de fraiide , ainsi que de conspiration contre
l'État; mais le tribunal le renvoya absous. Depuis cette
époque , il vécut complètement étranger aux affaires pu-
bliques, dans une propriété qu'il possédait non loin de Phi-
ladelphie, et où il mourut en 1844. C'était incontestablement
un liomme d'une haute capacité financière et politique; mais
il était devenu l'objet de l'exécration populaire.
BIDEIMT, genre de plantes de la faiiul!e des corymbi-
fères, dont les graines sont surmontées de deux dents très-
marquées : telle est ïeupatoire femelle ou chanvre aqua-
tique ( bidens tripartita, L. ), qui pousse en France natu-
rellement dans les fossés et les lieux marécageux , passe
pour sternutatoire, et sert, dans la teinture, à colorer en
jaune.
lilDEIVTALES, prêtres institués chez les Romains
pour faire certaines cérémonies et expiations prescrites
lorsque la foudre était tombée quelque part. La principale
consistait dans le sacrifice d'une brebis de deux ans, appe-
lée en latin bidens, d'où le lieu frappé de la foudre s'appe-
lait bidental, et les prêtres chargés de le purifier bïdentales.
Il n'était point permis de marcher dans ce lieu avant sa pu-
rification. On l'entourait de palissades, et l'on y dressait un
autel pour le sacrifice expiatoire , après lequel seulement il
était rendu libre.
BIDENTÉ, BIFIDE, BIPARTI. Ces trois expres-
sions indiquent des degrés divers d'une même disposition
d'un organe. Ainsi, un pétale, un sépale, un stigmate, etc.,
est bidenté quand il présente à son sommet une fente
peu profonde qui le partage en deux dents; si la fente s'étend
à peu près jusqu'au milieu de l'organe, celui-ci est bifide;
enfin, il est biparti quand la fente, se prolongeant plus
profondément , gagne presque la base.
BIDET, cheval de petite taille , cheval de main , cheval
de monture. On appelle double bidet un cheval de taille
médiocre au-dessus de celle du bidet ordinaire.
BIDON , terme de marine , vaisseau de bois , ou espèce
de broc, dont on se sert sur mer pour mettre et distribuer
la ration devin aux équipages. — On appelle aussi bidonun
vase de ferblanc dans lequel les soldats vont ciiercher leur
provision d'eau.
BIDPAI ou PILPAI. C'est le nom que l'on donne à
l'auteur d'une collection de fables et de récits qui sont ré-
pandus depuis plus de deux mille ans en Orient et en Occi-
dent , où on les regarde comme le résumé de toute la sagesse
pratique de la vie. Grûce aux redierches approfondies de
Colebrooke, de Wilson , de Silvestre de Sacy et de Loiseleur
de Longchamps {voir son Essai sur les Fables indiennes,
Paris, 1838), on connaît maintenant positivement l'origine
de ce recueil, ses publications successives, et les transforma-
tions qu'il a dû subir à travers les siècles et chez les diffé-
rents peuples. Sa source première est l'ancien recueil de
fables indiennes intitulé : Pantchatantra, qui a souvent été
traduit, paraphrasé et publié dans l'Inde môme sous le nom
(THitopadeça. La meilleure édition critique est celle qu'en
ont donnée A.-G. de Schlegel et Lassen (Honn, 1829). En
fait de traductions, il faut surtout citer la traduction anglaise
de Wilkins (Londres, 1787) et la traduction allemande de
Muller (Leipzig, 1844).
Sous le règne du roi de Perse Nouschirvan le Grand
(531-579) le Pantchatantra fut traduit en langue pehhvi
par son médecin Barsouyé , sous le titre de Kalila et Dimna
(noms de deux chacals qui figurent dans la première fable).
Cette traduction en langue polilwi a péri, comme tout le reste
delà littérature profane de l'ancienne Perse; cPiwndanf elle fut
traduite en arabe sous le règne du khalife Almansour (75i-
775), par Abdallah- Ibn-Almokaffa, mort en 700 (publiée i
CÏDPAI
par Silvestre de Sacy, Paris, 181G; puis an Caire, 1936;
en allemand, par Holomboe, Christiania, 1832, et par
Woif, Stuttgard, 1837 ). Cette traduction arabe est la source
de toutes les traductions et imitations difiérentes qui cir-
culent aujourd'hui en Orient et en Occident. Dans son in-
troiluction, le traducteur arabe, Abdallah-Iba-Almokalfa ,
nomme l'auteur du recueil Bidpai, chef des philosophes in-
diens; et sa traduction est le texte que plusieurs poètes
arabes ont ou mis en vers, par exemple : Abdelmoumin-
Ibn-Hassan {Les Perles des sages doctrines), ou imité, par
exemple : Abou-Iaali-al-Habariya, mort en 1115 {Celui qui
crie fort et celui qui parle à haute voix ).
Le plus ancien poète de la littérature moderne persane,
Roudeji, mort en 914, en a faille sujet d'une grande épopée
d'animaux. Il en existe d'ailleurs dans la nouvelle prose per-
sane de nombreuses imitations, savoir : celles d'Abou'l-.Maali-
Nar-Allah (vers 1150), de Hosséin-Ben-Ali , surnommé Al»
Vaez (publiée vers la fin du quinzième siècle, sous le titre
(VAnvdhri Souhaili, ce qui veut dire : Lumières de Canopc
[Calcutta, 1805; Bombay, 1824]; en français par David-
Sahid [Paris, 1G44], et d'Aboii'l-FasI (publiée en 1590, sons
le titre (TAyydri ddnish, ce qui veut dire : Pierre de
touche de la sagesse). L'ouvrage fut traduit en turc d'après
la traduction d'Al-Vaez, par Ali Tschelebi, vers l'an 1540,
sous le titre de Homayoun Nameh, ce qui veut dire :
Livre impérial, Boulak, 1735 (traduit en français par Gal-
land; Paris , 1778). Le recueil a en outre été traduit dans
les langues malaise , mongole et afghane.
La traduction arabe d'Ibn-Almokaffa servit à répandre
l'ouvrage dans tout l'Occident, et vers la fin du onzième
siècle il fut traduit en grec par Siméon Seihus, sous le titre
de I-reyavir/iç xoù iyvY;),âTri; , ce qui veut dire : Celui qui est
couronné par la victoire, et celui qui clierche (publié par
Stark ; Berhn, 1697). Un siècle plus tard, il en parut une
traduction en langue hébraïque, par le rabbin Joël , que Jean
de Capoue, juif converti, traduisit, dans la dernière moitié
du treizième siècle , sous le titre de : Directorium humanx
Vitx ( V^ édit. , 1480). Eberhard 1", duc de Wurtemberg,
mort en 1325 , en donna une traduction allemande, sous le
titre de : Exemples des anciens Sages (Ulm, 1483).
Le travail d'Ibn-Almokaffa fut aussi traduit en Espagne,
sous le règne d'Alphonse X (1251), en langue castillane;
puis de nouveau en latin par Raymond de Béziers, savant
médecin , sur l'ordre de la reine Jeanne de Navarre, épouse
du roi Philippe le Beau. Les traductions de Jean de Capoue
et de Raymond de Béziers ont servi de texte original aux
différentes traductions publiées dans les langues modernes
de l'Europe : en espagnol (Burgos, 1498), en italien (Flo-
rence, 1548), en français (Lyon, 1556), en anglais (1570),
en hollandais (Amsterdam , 1623 ) , en danois (Copenhague,
1618), en suédois (Stockholm, 1743); en allemand (tra-
duction la plus récente, Leipzig, 1802, et Eisenach, 1803).
On a souvent confondu le recueil de Bidpai avec le livre
populaire des Sept Maîtres sages.
[ On ne sait rien de bien certain sur Bidpai. Cependant
voici ce que raconte Ali-Ben-Alchah-Faresi sur l'auteur du
livre de Calila et Dimma, ouvrage qu'il a fait passer
dans la langue arabe : « Alexandre venait d'achever la con-
quête de l'Inde; le roi Four, vaincu, avait cédé son trône
à l'un des officiers d'Alexandre. Mais bientôt le vainqueur
s'éloigna , et les Indiens , mettant à profit le repos qu'il leur „
laissait, renvoyèrent l'élu d'Alexandre , et choisirent à sa i
place, pour les gouverner, Dabschelim, de race royale.
Dahschclim ne se vit pas plus lot maître du souveraui |iou-
voir qu'il se livra à toutes ses passions, et commit à l'en-
droit de ses sujets les actes de la plus cruelle tyrannie. Or, en
ce temps-là vivait un brahmane fort sage, fort savant et en
grande estime par foute l'Inlc. Ce brahmane avait nom 1
Bidpai. Après avoir assemblé ses disciples, il leur repré- 1
senta combien la conduite de Dabschelim était odieuse. « il
À
BIDPAl — BIELSKI
175
« est (le votre devoir, leur dit-il, d'éclairer le roi, et de
X lui laire comprendre les périls où il nous précipite. Ce n'est
« pas avec la force et la violence que nous parviendrons à
« le convaincre; la ruse peut nous aider utilement. « Comme
les disciples de Bidpaï semblaient douter que le succès fût
possible môme avec la ruse, le savant brahmane imagina la
fable des grenouilles qui, à l'aide des oiseaux, viennent à
bout de se venger de l'éléphant , qui les écrasait sous ses
pieds. Ses disciples , à ce qu'il paraît , eurent peu de con-
irance en la moralité de cet apologue, et ils refusèrent net
d'être les oiseaux qui vengeraient les grenouilles des injures
de l'éléphant. Le brahmane , indigné de leur refus , se dé-
cida à affronter seul la colère du roi. Il entre dans le palais
du tyran ; Dabschelim s'étonne, car un long temps s'écoule,
et le brahmane , les bras croisés sur sa poitrine , la tète pen-
chée, garde un profond silence. « Pourquoi ne parlcs-tu
« pas? » lui demande enfin Dabschelim. « Grand roi, répond
n Bidpaï, les sages m'ont instruit à me taire. » Cela dit, le
brahmane adresse au roi toutes les remontrances que lui a
méritéessaconduitedepnislejouroùilest monté sur le trône.
Le roi l'ocoute avec impatience ; mais le courageux brahmane
n'en continue pas moins de lui reprocher sa tyrannie. Dab-
schelim, outré de colère, ordonne qu'on le mette en croix.
■< Tu périras! » s'écrie-t-il. La voix temble du tyran n'a pas
fait trembler le brahmane. U se laisse entraîner à la mort.
Mais, par bonheur, le roi se ravise. « Je lui fais grâce de la
« vie, dit-il à ses gardes; qu'on le jette dans un cachot! »
« Bien longtemps après , une nuit que Dabschelim ne pou-
vait dormir, il se mit à chercher la cause de l'univers. Il
pensa aux étoiles, au soleil, à la lune, et ne put se rendre
compte de toutes ces merveilles. Bidpaï lui revint en mé-
moire, et il l'envoya chercher. Le brahmane venu, Dabsche-
lim lui demanda comment et pourquoi avait été fait l'uni-
vers. Les réponses de Bidpaï furent si sages, si concluantes,
que le roi, charmé, voulut, après l'avoir délivré de ses
chaînes, lui confier l'administration de son empire. Le braii-
\mne hésita beaucoup à prendre cette charge périlleuse ,
mais, vaincu par les instances du roi, il consentit. L'InJe
fut heureuse.
Cet événement remontait déjà à plusieurs années, lorsque
le roi, voyant son règne tranquille, Rongea à le remplir de
gloire comme avaient été précédemment remplis de gloire les
règnes des souverains ses ancêtres. « Les rois mes prédéccs-
'< seurs, dit-il au brahmane, ont été célèbres par les grandes
" et merveilleuses choses qui furent écrites sous leur règne.
« Je veux être célèbre comme eux. Fais un livre qui puisse
« me couvrir d'une illustration éternelle. Je te donne un an
« pour accomplir cette glorieuse tâche. « Le brahmane s'em-
pressa d'obéir. Knfermé dans sa maison avec un de ses disci-
ples, il lui dictait et revoyait à mesure tout ce que celui-ci
venait d'écrire. C'est de cette façon que l'ouvrage fut fait. U
le composa de quatorze chapitres, dont chacun renfermait
une question, suivie d'une réponse. Après quoi tous les cha-
pitres étant réunis dans un seul livre , il nomma ce recueil
Cailla et Dimna. Une foule d'animaux de toute espèce y
jouaient un rôle, parlant et discutant sur les choses du gou-
vernement et de la vie. Bidpaï s'était servi de cette enveloppe
pour faiie parvenir la vérité aux hommes. Le roi, fort con-
tent de cet ouvrage, demanda au brahmane quelle récom-
pense il voulait obtenir? « Je ne souhaite qu'une chose, ré-
pondit Bidpaï , c'est que mon livre prenne place à côté des
livres qui ont illustré les règnes de vos ancêtres; c'est qu'on
le garde comme un trésor, de peur qu'il ne tombe entre les
mains des Perses. >•
Dix-huit fables de La Fontaine sont des imitations, plus
ou moins rapprochées des fables de Bidpaï. ^'ous citerons
entre autres : Les Deux Amis , La Lionne et l'Oins, Les
deux l'crroqucls, Le Roi et son Fils , La Souris méta-
morphosée en fille, La Torlite et les deux Canards, Le
Marchand, le Gentilhomme et le Fils de roi. Quelques
orientalistes ont même découvert dans Bidpaï la fable des
Deux Pigeons. E. de Vall.4.belle.]
BIEF ou BIEZ, canal élevé qui conduit l'eau sur une
roue hydraulique. Son nom lui vient , suivant la plupart des
étymologistes, de ce qu'il est ordinairement incliné ou biaisé.
L'intervalle entre deux écluses ou barrages d'un canal
poi1e aussi le nom de bief. Quand le canal traverse une
chaîne de montagnes , les biefs montent par échelons sur
(es deux versants jusqu'au bief de partage, point culminant
du canal. Voyez Canal.
lilEL (Grotte de) , nom d'une très-curieuse cavité natu-
relle, située dans le Harz, duché de Brunswick, non loin
de la grotte deBaumann, sur la rive droite de la Bode,
dans une montagne appelée Bielstein. Elle fut découverte
en 1762 , et en 1788 un certain Becker en fit disposer l'entrée
de manière à la renJre plus commode aux visiteurs. Cette
entrée est à 38 mètres environ au-dessus de la rivière.
La grotte de Biel se compose de onze salles séparées.
Parmi les figures bizarres qu'y forment les stalactites , on
remarque surtout le grand orgue de la huitième grotte, et
la mer en courroux de la neuvième. C'est sur le Bielstein
que l'on adorait , dit-on , dans les anciens temps l'idole de
Biel , dont saint Boniface fit détruire l'image.
BIÉLA ( Comète de ). Voyez Comète.
BÏELEFELD , chef-lieu de cercle de l'arrondissement
de Paderborn , dans la province de Weslphalie, sur le
chemin de fer de Cologne à îNIinden et au pied de la forêt de
Teutobourg, avec dix mille habitants. Les entrons de cette
ville dépendaient autrefois du comté de Ravensberg, qui en
1G09 passa sous la souveraineté de Brandebourg. Bielefeld
est le grand centre de l'industrie linière de la Prusse; aussi
la culture et la filature, le tissage et le blanchissage du lin
constituent-ils les principales industries de la population.
La fabrique de Bielereld livre chaque année à la consom-
mation plus de soixante-dix mille pièces de toile fine et
damassée. Il existe aussi dans cette ville des fabriques de
soie, de cuir et de tabac, etc. Elle est le siège d'un tribunal de
cercle , d'une chambre de commerce , et d'une société d'a-
griculture. On y trouve trois églises protestantes, une
église catholique, un gymnase, une école industrielle et
plusieurs auties établissements d'instruction publique. La
ville est couronnée par des hauteurs, sur l'une desquelles
s'élève un vieux château fort, construit au temps des luttes
entre Henri le Lion et Frédéric Barberousse , appelé Spar-
renburg , et servant aujourd'hui de pénitentiaire. L'autre,
le Joannisberg, a été transformée en un parc charmant. De
l'une et de l'autre on jouit d'une vue délicieuse sur une vaste
plaine parfaitement cultivée et couverte d'habitations.
BIELLE. On appelle ainsi, en mécanique, une pièce de
fer employée le plus souvent pour les transmissions de mou-
vements circulaires et tournant dans l'œil d'une manivelle,
laquelle, à chaque tour, fait faire un mouvement de vibra-
tion à un valet placé sur un essieu , en le tirant à soi ou en
le poussant en avant. Il y a des bielles pendantes attachées
aux extrémités d'une pièce de bois. Elles sont accrochées
par une des extrémités à un valet, et par l'autre à im des
bouts du balancier.
La meule du rémouleur offre un exemple vulgaire de
manivelle fixée au centre de la meule, et recevant un mou-
vement ciiculaire continu au moyen d'une bielle attachée
à la fois à la manivelle et à la pédale, à laquelle le pied du
rémouleur imprime un mouvement circulaire alternatif.
C'est aussi au moyen d'une bielle que le mouvement recti-
ligne du piston d'une machine à vapeur est transmis aux
roues des locomotives et transformé en iiiouvement circulaire.
BIELSKI (Marcin), ancien historien de la Pologne,
né, vers Tan U93 , dans le domaine de Biala, appartenant
à son |)ère, et situé dans le district de Siéradz, passa sa
jeunesse à la cour du voivode Kraita , entra plus tard au
service et assista en 1531 à la glorieuse bataille d'Obertyn,
176
BIELSKI — BIEN
dans laquelle le prince de Valachie fut vaincu par l'helmann
Tarnowski. Il revint plus tard se fixer à Biala, où il mourut,
en 1575. Il est l'auteur de deux poèmes satiriques. Dans
l'un, intitulé : Sen Majoivij (Craco^ie, 15i)0), il décrit
les déchirements de la Hongrie, cl, dans un rêve allégo-
rique, prédit à sa nation le même sort, si les mœurs pu-
bliques ne deviennent pas plus chevaleresques; dans l'autre,
dont le titre est : Seym Aiewiesci (Cracovie, 1595), il dé-
peint en termes éloquents l'état déplorable où se trouvait
alors la Pologne. Sa Spraioa rycerska (Cracovie , 1569),
contenant les règles de l'art de la guerre d'après les écri-
vains anciens et modernes , et faisant connaître comment
on menait alors la guerre en Pologne et dans les pays voi-
sins , est un ouvrage d'un haut intérêt. Mais c'est surtout
par ses chroniques que Bielsld est devenu célèbre; elles
font époque pour la formation de la prose polonaise, et
sont, à bien dire, les premiers ouvrages historiques qu'ait
eus la littérature polonaise. Sa Kronika swiata ( Cracovie,
1 5J0 et 1554 ), histoire universelle, qui remonte à la création
et conduit le lecteur jusqu'au temps où vivait l'écrivain ,
est le résumé d'une foule d'autres historiens.
BIELSKI (JoAcniM), fils du précédent, après avoir fait
ses études à l'académie de Cracovie, entra au service, et
fit les campagnes d'Etienne Bathori contre Dantzig et la
P.ussie. Dans les premières années du règne de Sigismond III,
il fut secrétaire de ce prince , et devint ensuite député au
tribunal de Lublin. Jaloux de perpétuer le nom de son
père, il publia non-seulement ses poèmes satiriques, mais
encore sa Kronika Polska (Cracovie, 1597), restée ma-
nuscrite et augmentée d'un supplément qui la conduit jus-
qu'au règne de Sigismond III; ouvrage qui, bien que por-
tant le nom du père, serait presque entièrement, à en croire
Ossolinski , l'œuvre du fils tout seul. Le style en est beau-
coup plus formé , et l'exposition des faits , qui non-seule-
ment est calquée sur les chroniques latines, mais contient
aussi beaucoup de faits nouveaux, en est impartiale et
exacte.
La franchise dont ont fait preuve les deux Bielski , sur-
tout en ce qui touche les affaires de l'Église, les rendit
suspects d'hérésie : aussi kurs chroniques furent-elles inter-
dites et anathématisées en 1617, par l'évoque de Cracovie;
circonstance qui explique pourquoi elles sont devenues si
rares.
BIEN. Ce mot sert à exprimer plusieurs idées. Le bien,
dans son acception la plus générale, le bien absolu, c'est
l'accomplissement régulier et harmonieux de toutes les lois
qui régissent l'univers , c'est l'ordre sage et bienfaisant qui
préside à l'ensemble des piiénomènes dont la succession
et l'enchaînement constituent la nature. Le bien difl'èie du
vrai en ce que le vrai est la pensée même des lois et de
l'ordre , et que le bien eu est l'accomplissement. Ainsi ,
dans la pensée du Créateur, la terre doit tourner autour du
soleil , les corps doivent s'attirer en raison inverse du carré
de leur distance , l'homme ne doit pas nuire à son sem-
blable et lui prêter assistance : voici le vrai. l\Iais si nous
considérons ces pensées du Créateur ou , si l'on veut, ces
lois de la nature recevant leur exécution , ce ne sera plus
seulement le vrai, ce sera le bien. Ainsi, il est bien que la
terre accomplisse sa révolution autour du soleil, bien que
l'homme porte secours aux maux de son semblable , etc. Le
bien est donc la mise en œuvre delà pensée suprême, la
réalisation du vrai. Le principe du vrai est dans la sagesse
éternelle, celui du bien dans la puissance dont cette sagesse
est armée pour réaliser ses pensées.
L'homme ne peut connaître le bien dans tout son déve-
loppement , il sait seulement qu'il existe ; de même qu'il ne
peut connaître le vrai dans toute son étendue, à cause des
bornes de son intelligence; mais de même aussi qu'il lui
suffit de voir un seul côté de la vérité pour s'élever aussitôt
à son principe , pour affirmer son immobilité et sa sagesse,
et pour étendre ensuite son affirmation à tout ce qu'il ne
connaît pas comme à tout ce qu'il connaît, de même il lui
suffit de voir un seul exemple de bien pour s'élever à l'idée
de bien en général , pour affirmer que la sagesse bienveil-
lante du Créateur préside à l'ensemble de l'univers. Voilà
comme il se forme l'idée du bien absolu , au moyen de la
raison , qui généralise.
Le bien d'un être en particulier, c'est l'accomplissement
régulier et sans obstacle de la fin pour laquelle cet être a
été créé. Ainsi , le bien pour une plante, c'est son dévelop-
pement facile et complet; le bien pour un organe, c'est
l'accomplissement régulier de ses fonctions ; le bien pour
un animal , c'est la satisfaction de tous les besoins que la
nature a mis en lui ; le bien pour l'homme , c'est le déve-
loppement régulier et harmonieux de ses lacultés physiques,
intellectuelles , affectives et morales , développement qui a
pour but l'accomplissement de sa destinée , c'est-à-dire son
bien.
On voit par là que l'idée du bien absolu ne diffère de
l'idée du bien particulier que du plus au moins. Le bien
d'un être, c'est toujours l'accomplissement régulier des lois
qui président au développement de cet être, et qui doivent
le conduire à sa fin. La somme de tous les biens particu-
liers doit donner le bien absolu , c'est-à-dire l'accomplisse-
ment régulier de toutes les lois de l'univers; seulement,
il ne nous est point possible de connaître jamais la totalité
de cette somme , tandis que nous pouvons connaître quel-
ques-unes de ses parties.
On peut remarquer aussi pourquoi l'homme confond l'idée
de son bien avec celle de son bonheur. C'est qu'en effet la
nature a attaché un vif sentiment de plaisir à la satisfaction
de chacun de ses besoins, et que l'homme le plus réelle-
ment heureux est celui qui satisfait ses penchants les plus
importants et se développe de la manière la plus conforme
à sa destinée. Le bonheur n'est pas identique avec le bien,
il en est le résultat et le complément. Jlais l'homme les a
confondus dans sa pensée, parce que l'un le conduit à
l'autre. Aussi se trompe-t-il toujours en poursuivant le
bonheur, s il ne le cherche pas dans son bien , c'est-à-dire
dans la satisfaction des besoins les plus nobles et les plus
essentiels de sa nature, dans l'accomplissement de sa loi
dernière, et s'il prend pour le bonheur les plaisirs que pro-
cure la satisfaction d'un besoin moins important , et qui
peuvent entraver le développement de ses facultés princi-
pales, empûcher l'accomplissement de sa véritable destinée,
c'est-à-dire son bien , et par conséquent son bonheur.
11 est encore facile d'expliquer pourquoi on appelle du
nom de biens les richesses de toute nature qui sont en la
possession de l'homme : c'est que ces richesses sout pour lui
des moyens de développement, et que les ressources dont
elles accroissent sa puissance peuvent l'aider, s'il sait en
faire usage, à accomplir plus aisément les lois de la nature,
c'est-à-dire son bien. Ainsi, c'est le moyen auquel, par
analogie , on a donné le nom de la fin elle-même.
Le mol ^ie« a encore une autre acception, la pi us importante
de toutes : nous voulons parler du bien moral ( xquum ,
honestum), et que nous définirons : l'accomplissement du de-
voir. Le bien moral ne diffère du bien en soi que parce qu'il
est imputable à l'homme lui-même , qui l'accompht libre-
ment, lin effet, quand l'homme pratique le bien ( hones-
tum ), il ne fait autre chose qu'exécuter les lois de la na-
ture et réaliser la pensée du Créateur, que sa conscience et
sa raison lui révèlent, et dont il lui a réservé l'accomplisse-
ment. Seulement, il y a cette différence entre le bien qui
s'accomplit directement par le fait de la nature et le bien qui
s'acccomplit par le fait de l'homme, que c'est à l'activité hu-
maine qu'a été confiée l'exécution d'un grand nombre de
lois, et (juc ces lois ne s'exécutent qu'autant que l'hoiiime se
prêle et consent librement à le faire. Ainsi , le bien moral
n'est aulre chose que le bien fait sciemment et librement
BIEN
par l'homme. Ainsi, c'est une loi de la nature que Tintelli-
gence d'un individu se développe en raison des moyens qui
lui sont fournis et du but particulier auquel il est appelé ;
c'est une loi de la nature que la mère nourrisse son enfant
et lui procure, pour opérer son développement physique et
moral, toutes les ressources qu'il ne possède pas par lui-
même. Mais ces lois ne recevront leur exécution qu'autant
que l'homme les connaîtra, et emploiera son activité à en as-
surer l'accomplissement. Le bien en soi est hors de l'homme,
le bien moral seul lui appartient; il constitue son mérite,
car l'homme qui fait le bien concourt avec le Créateur à
effectuer les lois qu'a établies la sagesse éternelle ; il devient
le réalisateur de la pensée suprême. Remarquons, en termi-
nant, que ce qui rend le bien obligatoire pour l'homme, c'est
précisément parce qu'il consiste dans des lois qui ne sont
point son ouvrage, qui préexistent dans la pensée de l'au-
teur de la nature, et qu'il a seulement reçu mission d'accom-
plir librement, par un privilège qui en fait la plus noble de
toutes les créatures. C.-M. Paite.
BIEIV ( Souverain). Le bonheur est une idée abstraite
composée de quelques sensations de plaisir. Platon , qui
(Clivait mieux qu'il ne raisonnait, imagina sou monde ar-
chétype, c'est-à-dire son monde original, ses idées générales
du beau, du bien, de l'ordre, du juste, comme s'il y avait
(les êtres éternels appelés ordre, bien, beau, juste, dont dé-
rivassent les faibles copies de ce qui nous parait ici-bas
juste, beau et bon.
C'est donc d'après lui que les philosophes ont recherché le
soîiverain bien, comme les chimistes cherchent la pierre
philosophalejmaislesouverainbien n'cxistepas plus que
le souverain carré ou le souverain cramoisi : il y a des cou-
leurs cramoisies, il y a des carrés, mais il n'y a point
d'être général qui s'appelle ainsi. Cette chimérique manière
de raisonner a gâté longtemps la philosophie.
Les animaux ressentent du plaisir à faire toutes les fonc-
tions auxquelles ils sont destinés. Le bonheur qu'on ima-
gine serait une suite non interrompue de plaisirs : une telle
série est incompatible avec nos organes et avec notre des-
tination. Il y a un grand plaisir à manger et à boire, un
plus grand plaisir est dans l'union des deux sexes ; mais il
est clair que si l'homme mangeait toujours ou était tou-
jours dans l'extase de la jouissance, ses organes n'y pour-
raient suffire; il est encore évident qu'il ne pourrait remplir
les destinations de la vie, et que le genre humain en ce cas
périrait par le plaisir.
Passer continuellement, sans interruption, d'un plaisir à
un autre, est encore une autre chimère. Il faut que la femme
qui a conçu accouche, ce qui est une peine; il faut que
l'homme fende le bois et taille la pierre, ce qui n'est pas un
plaisir.
Si on donne le nom de bonheur à quelques plaisirs répan-
dus dans cette vie, il y a du bonheur en effet ; si on ne donne
ce nom qu'à un plaisir toujours permanent, ou à une file
continue et variée de sensations délicieuses, le bonheur n'est
pas fait jiour ce globe terraqué : cherchez ailleurs.
Si on appelle bonheur une situation de l'homme, comme
des richesses, de la puissance , de la réputation , etc., on ne
se trompe pas moins. Il y a tel charbonnier plus heureux
•que tel souverain. Qu'on demande à Cromwell s'il a été plus
content quand il était protecteur que quand il allait au ca-
baret dans sa jeunesse, il répondra probablement que le
temps de sa tyrannie n'a pas été le plus rempli de plaisirs.
Combien de laides bourgeoises sont plus satisfaites qu'Hé-
lène et que Cléopâtre !
11 n'appartient certainement qu'à Dieu, à un être qui ver-
rait dans tous les cœurs, de décider quel est l'homme le plus
heureux. 11 n'y a qu'un seul cas où un homme puisse aflir-
mer que son état actuel est pire ou meilleur que celui de
son voisin : ce cas est celui de la rivalité et le moment de
la victoire. En effet il n'y a que le seul cas du plaisir ac-
DICT. DE LA COÎ(T. — T. lU.
BIKN-ÉTRE 177
tuel et de la douleur actuelle où l'on puisse comparer le
sort de deux hommes en faisant abstractioH de tout le reste.
Un homme sain qui mange une bonne perdrix a sans doute
un moment préférable à celui d'un malade tourmenté de la
colique ; mais on ne peut aller au delà avec sûreté, on
ne peut évaluer l'être d'un homme avec celui d'un autre;
on n'a point de balance pour peser les désirs et les sensa-
tions.
Nous avons commencé cet article par Platon et son sou-
verain bien ; nous le finirons par Solon et par ce grand mot
qui a fait tant de fortune : « Il ne faut appeler personne
heureux avant sa mort. » Cet axiome n'est au fond qu'une
puérilité, comme tant d'apophlhegmes consacrés dans l'an-
tiquité. Le moment de la mort n'a rien de commun avec
le sort qu'on a éprouvé dans la vie; on peut périr d'une
mort violente et infâme, et avoir goûté jusque là tous les
plaisirs dont la nature humaine est susceptible. Il est très-
possible et très-ordinaire qu'un homme heureux cesse de
l'être : qui en doute ? mais il n'a pas moins eu ses moments
heureux.
Que veut donc dire le mot de Solon? qu'il n'est pas sûr
qu'un homme qui a du plaisir aujourd'hui en ait demain?
En ce cas , c'est une vérité si incontestable et si triviale
qu'elle ne valait pas la peine d'être dite. Voltaire.
BIEN ( Homme de ). Voi/cz Homme de dien.
BÏEX-DIRE, langage poli et élégant, manière de s'ex-
primer agréable et engageante , mais qui doit être naturelle
pour conserver une acception favorable : lorsqu'elle est
accompagnée d'affectation, elle touche au ridicule. Il y a des
différences marquées entre bien penser , bien dire et bien
faire. L'axiome deCicéron -.virbomis dicendi peritus, n'est
que trop souvent en défaut, et il ne suffit pas toujours de bien
penser et de bien agir pour bien parler. Le bien-dire tient
de qualités qui sont le résultat de la plus ou moins grande
perfection de l'organe de la parole et d'une étude attentive et
suivie, à laquelle les hoiiimes d'action dédaignent quelquefois
de donner un temps qu'ils pensent pouvoir mieux employer.
Le bien-dire dépend davantage aussi de la rectitude de l'es*
prit ; le bien-fdire, de la force de caractère. Bien des gens,
par exemple , sont d'excellents donneurs de conseils qui ne
savent pas toujours les mettre en pratique pour eux-mêmes.
Il ne faut pas croire pour cela qu'ils manquent de franchise
dans leurs paroles ; ils peuvent sentir , apprécier la force
et la vérité de leurs propres discours, ils peuvent parler
enfin avec conviction ; mais c'est l'énergie, la force d'exécu-
tion qui leur fait faute. En général, les paroles perdent
beaucoup de leur poids et de leur autorité dans la bouche
de ceux qui ne peuvent y joindre l'action.
BIEIV-ETRE, situation, état d'une personne qui vit
commodément, à qui rien ne manque pour être heureuse
dans sa condition : Sors hominis oui nihil dcest. Furetière a
dit avec raison que la nature a donné Vétre aux enfants, et
que leurs parents leur doivent le bien-être, c'est-à-dire une
bonne éducation, de bons conseils et une bonne direction,
qui les mettent à même de se le procurer. Celui qui n'a que
le nécessaire n'a cependant pas encore ce qu'on peut appeler
le bien-être, à moins qu'il ne sache se contenter du néces-
saire; et dans ce cas, qui est certainement fort rare, oa
peut même encore avancer que le bien-être se compose
d'un peu plus. Sans doute Horace comprenait dans son
aurea mediocritas non-seulement la possibilité de satis-
faire les désirs personnels d'un homme modéré, mais encore
la faculté de pouvoir quelquefois donner ou partager son
superllu, pour participer au bien-être A'' &y\\v\x\. Proscrire
ce désir si louable et si naturel chez lliomme dont le cœur
n'est pas corrompu par une fausse civilisation , ce serait le
réduire à l'état d'égoïsme, pour lequel il n'est pas (bit, et
qui est d'ailleurs opposé à l'état social. Cest donc dans la
bienfaisance et dans les occupations utiles à la sociélé
que l'homme qui a plus que le nécessaire doit chercher son
2.3
178
BIEN-ÊTRE — BIENFAISANCE
bien-être. Ceux qui le trouvent dans des jouissances égoïstes
sont presque aussi nuisibles à la société que ceux qui le
font consister dans le mal; car ils sont vis-à-vis d'elle dans
un môme état d'hostilité , avec cette différence seule qu'on
ne se tient pas en garde contre eux comme on pourrait le
faire avec un ennemi déclaré.
L'amour du bien-être est moins une passion que la source
naturelle de toutes les passions nobles. S'il l'emporte quel-
quefois sur l'amour de la patrie, c'est la faute de celle-ci ;
car un État bien constitué ne doit pas seulement protection
et sécurité aux individus , il leur doit encore les moyens de
mettre en œuvre les talents et les (acuités dont ils sont doués
pour leur propre avantage et celui de la société dans laquelle
ils vivent. Quand les gouvernements comprendront cette
grande vérité, ils auront des amis et des citoyens, au lieu
<i'avoir des sujets et des créatures ; et ils n'auront plus de
dépenses secrètes, parce qu'ils pourront avouer tous leurs
actes.
La langue française est redevable du mot bien-être à An-
toine d'Urfé, qui s'en est servi le premier dans son épître au
roi Henri IV. A qui devrons-nous la chose? E. Héreau.
RIENEWITZ ou BENNEWITZ. Voyez Apianus.
BIENFAISANCE , de toutes les vertus de l'homme la
plus active. Pour accomplir les œuvres qu'elle s'impose, les
jours lui paraissent trop courts, elle prend sur ses nuits;
elle souffre du repos. La bienfaisance fait plus que de don-
ner , elle se dépouille avec joie ; et si les ressources lui man-
quent, elle apporte la fertilité de ses conseils et la chaleur
de son dévouement; elle n'est pas que la raison du bien,
elle en est la passion. Un des caractères propres à la bien-
faisance , c'est qu'elle i)ossède toutes les vertus dont elle a
besoin; elle est tour à tour patiente et impétueuse, vive et
insinuante; elle compose avec les obstacles, elle sait aussi
les franchir. Un premier succès la conduit infailliblement à
un second. Commandant par les sacrifices qu'elle s'impose,
elle en profite pour augmenter à l'infini tous les genres de
soulagement et de consolation.
A son insu, la bienfaisance exerce une grande influence
lorsque la société touche au plus haut degré de la civilisa-
tion. Sans être un rouage de l'État, elle se glisse entre ceux-
ci, et empêche qu'ils ne se choquent et ne se brisent. En
effet, la fortune établit alors des distances si prodigieuses et
des disparates si désolantes, qu'une guerre civile permanente
existerait entre les citoyens; mais la bienfaisance réussit à
rétablir l'équilibre, et, sans qu'on s'en aperçoive, amène à
un partage continuel. Elle constitue en définitive un pouvoir
d'autant plus irrésistible, qu'à la différence des autres, il
donne au lieu de demander.
On peut dès les premières années habituer l'enfant à la
bienfaisance; c'est une vertu à laquelle on s'attache et dont
on ne peut plus se séparer. Ce devrait être la partie essen-
tielle de l'éducation. Sur ce point on abandonne trop les en-
fants à leur propre sensibilité : le cœur est comme l'es-
prit , 11 a besoin à une certaine époque d'une culture cons-
tante.
La bienfaisance pour s'introduire dans les capitales est
forcée de revêtir des formes qui lui coûtent; elle séduit les
ims pour venir au'secours des autres ; le plaisir est son agent,
mais en l'approchant elle le purifie. 11 n'y a pas d'acte de
bienfaisance où les femmes ne soient mêlées : dans ce genre
elles devinent tout ce qu'on peut entreprendre; elles ont si
bien toutes les grâces du succès, qu'elles séduisent ceux
qu'elles ne peuvent toucher.
Un érudit a prétendu que le mot bienfaisance datait de
loin, et que l'abbé de Saint-Pierre n'en était pas l'inventeur.
On trouve en effet, au dix-septième siècle, dans Bal/.ac
l'ancien, bienfaisant et bienfaisante. Quoi qu'il en soit,
ce mot est né de la i)hilosophie ; il exprime un sentiment de
solidarité, de sympathie humaine, qui se manifeste entre in-
dividus, hors de l.i famille et indépendamment du patrio-
tisme ou de l'amitié. C'est, pour emprunter une définition de
Sénèque, un acte de la conscience, un acte volontaire par
lequel nous donnons de la joie et nous en recevons. Sous le
christianisme la bienfaisance des Grecs et des P>omains, un
peu sensuelle et orgueilleuse, s'absorba dans la charité,
mot plus vaste, qui confondait la bienfaisance dans l'amour
de Dieu et du prochain. Mais lorsque les progrès de la civili-
sation appelèrent les droits positifs de l'homme à remplacer
un droit divin , poétique sans doute, mais insuffisant désor-
mais, le mot de charité perdit de sa faveur, et la bienfai-
sance prit sa source dans la philanthropie.
BIENFAISANCE (Bureau de), administration locale
de secours publics qui , sous divers titres et avec diverses
modifications , existe dans tous les pays. En France , les bu-
reaux de bienfaisance gèrent, dans les communes, les re-
venus des pauvres et distribuent les secours publics. Sous
l'ancienne monarchie, la déclaration de juin 1642 avait ins-
titué les bureaux des pauvres. Il y avait à Paris avant la
révolution un grand bureau des pauvres, dirigé et présidé
par le procureur général au parlement, et prélevant arbitrai-
rement une taxe annuelle sur tous les habitants laïques et
ecclésiastiques de Paris sans distinction , depuis les princes
jusqu'aux artisans aisés. 11 avait ses huissiers pour exiger
le payement de cette taxe et pour contraindre les commis-
saires des pauvres à accepter et à remplir leurs fonctions.
Quant aux ordres monastiques, par leurs distributions de
soupes à la porte de leurs couvents , ils offraient moins de
ressources à l'indigence qu'ils n'encourageaient la paresse
et la mendicité. Après leur suppression, on sentit la néces-
sité de remplacer ces secours, généralement mal appliqués,
par des moyens mieux dirigés : on institua donc, en 1790,
les comités de bienfaisance , lesquels furent régularisés par
la loi du 27 novembre 1796, et auxquels on assigna pour re-
venu un droit sur les spectacles , les bals et les plaisirs pu-
blics , des fondations , des quêtes , des dons , des souscrip-
tions, certaines amendes de police et des subventions sur
les revenus communaux. Il y en eut quarante-huit dans
Paris (un par section), et un nombre proportionnel dans
toutes les villes de France.
Les comités devenus bureaux de bienfaisance survécu-
rent à tous les gouvernements qui se succédèrent jusqu'à
la Restauration. En 1814 on réduisit le nombre de ces
établissements à douze pour Paris : on leur donna le nom
de bureaux de charité, et on changea l'organisation de leur
personnel. Le maire de l'arrondissement et ses adjoints, le
curé de la paroisse, les desservants des églises succursales,
les ministres protestants, en furent membres nés; il y avait
de plus douze administrateurs nommés par le ministre de
l'intérieur, les conuuissaires des pauvres, les dames de cha-
rité et un agent comptable. En 1831 on sentit que le mot
de bienfaisance était plus significatif et moins humiliant
que celui de charité, et les bureaux de charité redevinrent
bureaux de bienfaisance. Toujours et en tout, mode, chi-
cane, et abus de mots. Leur organisation fut modifiée après
1830 : les curés, les prêtres, sans en être membres-nés, pu-
rent être élus. Maintenant chaque bureau est composé : l°du
maire de l'arrondissement, président-né du bureau ; des ad-
joints, membres-nés, qui président le bureau en l'absence
du maire; V de douze administrateurs nommés par le mir-
nistre de l'intérieur ; 3° de commissaires des pauvres et dp
dames de charité, dont le nombre est illimité. Un secrétaire
trésorier comptable est attaché à chaque bureau. Ces bu-
reaux , sous l'autorilé du préfet de la Seine et la direction
de l'administration générale de l'assistance publique, sont
chargés de la distribution des secours à domicile dans
chacun des douze arrondissements municipaux de Paris.
Dans tous, on disfribue de l'argent, du pain, du bois, de
la soupe, du vin , du linge, des layettes pour les nouveau-
nés, de la farine, des draps , et des médicaments aux indi-
vidus et aux familles inscrits sur le registre des indigents,
I
BIENFAISANCE — BIENFAISANCE PUBLIQUE 179
qu'on appelait auXrelois pauvres honteux; on subvient au
dénùment dans lequel se trouvent les convalescents qui sor-
tent des hôpitaux, en leur donnant des aliments pour plu-
sieurs jours et en leur procurant des outils. De plus, des
distributions mensuelles de bons de pain, de viande, de
paille, de sabots, etc., sont faites aux plus nécessiteux, aux
ménages chargés d'enfants, aux blessés, aux orphelins sans
appui. On fournit aux pauvres des cercueils pour leur in-
iiumation. Dans chaque bureau il y a une cuisine et un la-
boratoire de pharmacie confiés aux sœurs de la Charité.
Dans quelques-uns, au lieu de donner du bouillon en na-
ture, on distribue des cartes sur des entreprises particu-
lières. Douze médecins et quatre chirurgiens sont attachés
à chaque bureau d'arrondissement. Les écoles, les ouvrolrs,
les asiles de charité dépendent aussi de ces bureaux.
En 1833 les bureaux de bienfaisance de France avaient
à leur disposition un revenu de 10,315,746 fr. ; ils dépensè-
rent 7,399,556 fr., et secoururent 695, 932 indigents. Il ne
faut pas croire cependant que ce soit là le chiffre des néces-
siteux du pays. Beaucoup de pauvres répugnent à demander
ces secours ; quelques-uns les regardent comme insuffisants
pour soulager leur misère; d'autres profèrent mendier aux
passants, d'autres sont à charge à leur famille ou à d'an-
ciens amis; enfin, dans une foule de communes il n'y a pas
de bureau de bienfaisance, ce qui n'empêche pas qu'il n'y
ait des malheureux. Sur les 6,275 bureaux de bienfaisance
qui existaient en 1833, le département du Nord en possédait
618, celui du Pas-de-Calais 396; celui de l'Aisne 260 ; celui
des Basses-Pyrénées 242 et celui de Seine-et-Oise 200. 11 n'y
en avait que 2 dans la Corse et la Haute-Vienne, 3 dans les
Pyrénées-Orientales, 4 dans la Creuse, etc. Dans le dépar-
lement de la Seine, il y en avait, en 1841, 92, dont les re-
cettes s'étaient élevées à près de 2 millions. Les recettes
des bureaux de bienfaisance étaient de 13 millions en 1840,
de 12,249,000 fr. en 1841.
A Paris le nombre des indigents inscrits aux bureaux de
bienfaisance était en 1835 de 62,539, formant ensemble
28,969 ménages, dont 19,862 recevaient un secours annuel
et 9,107 un secours temporaire. La somme distribuée ainsi
en secoursà domicile s'élevait à 1,417,514 fr. En 1841 Pa-
ris comptait 66,487 indigents inscrits, répartis en 29,282 mé-
nages. Ce chiffre se décomposait ainsi : ménages ayant reçu
des secours temporaires, 10,424; des secours annuels ordi-
naires, 14,383; octogénaires, 1,223; septuagénaires, 1,962;
aveugles, 1,054; paralytiques, 230. Les chefs de ces mé-
nages indigents se classaient de la manière suivante : ma-
riés, 11,917; veufs, 10,408; femmes abandonnées, 1,898;
on y ajoutait 4,496 célibataires adultes, 563 célibataires or-
phelins. 15,230 chefs dé ménage avaient moins de soixante
ans ; 14,052 avaient dépassé cet âge. Un seul était centenaire.
15,495 chefs de ménage étaient des hommes. 5,399 de ces
ménages secourus occupaient des loyers de 50 francs et
au-dessous; 12,081 des loyers de 51 à 100 fr.; 5,681 des
loyers de 101 à 200 fr. ; 187 des loyers de 201 à 300 francs;
13 des loyers de 301 à 400 fr. ; 2 des loyers au-dessus de
400 fr. ; 3,003 étaient logés à titre gratuit, et 2,317 comme
portiers. Parmi ces indigents il y avait 1,982 individus
sans état, 1,805 journaliers, 1,129 commissionnaires ou
hommes de peine; 880 cordonniers; 778 marchands re-
vendeurs; 477 tailleurs; 406 menuisiers; 333 serruriers;
800 maçons; 278 peintres vitriers; 197 bonnetiers ; 192 ébé-
nistes; 189 porteurs d'eau; 171 cochers; 156 corroyeurs,
tanneurs, mégissiers et peaussiers ; 149 balayeurs; 140 ma-
nœuvres; 140 employés et écrivains; 140 charretiers; 139
imprimeurs en caractères; 132 domestiques; 131 savetiers;
130 terrassiers; 129 tisserands; 124 fileurs; 122 chiffon-
niers; 119 tourneurs; 111 charpentiers; 24 relieurs; 15
graveurs; 10 compositeurs; 6 libraires et bouquinistes;
4 dessinateurs; 3 chantres de p-Toisse; .3 artistes drama-
tiques, etc., etc.
Le rapport de la population indigente de Paris a été en 1 84 1
de 1 sur 13 habitants. Cette proportion varie beaucoup d'un
arrondissement à l'autre. Ainsi dans le 2® arrondissement
on trouvait un indigent sur 33 habitants ; dans le 3®. 1 sur 27 ;
dans les 10^, 1^"", 5*, V, 11®, 6° et 4^ arrondisssements 1 in-
digent sur 19 à 15 habitants, dans le 9® 1 sur 8, dans le 8°
et dans le 12® 1 sur 6.
Les recettes faites par les bureaux de bienfaisance de Pa-
ris sont le produit d'une subvention de l'administration des
hospices , de legs et donations , de dons , collectes et sous-
criptions (ces dernières ressources ont monté en 1841 à
259,549 fr.), des troncs et quêter dans les églises ( 27,692 fr.
la même année ), des représenia lions théâtrales, bals et
concerts (9,182 fr. ) et d'autres fonds généraux et spéciaux.
Leur dépense a été la même année de 1,361,635 fr. Le
12® arrondissement est entré dans ce chiffre pour 241,323 fr.
95,811 fr. ont été distribués en espèces.
En 1844 le nombre des indigents inscrits dans les bureaux
de bienfaisance s'éleva à 86,401; il s'éleva bien plus haut
en 1847, année de disette. En 1820 il avait atteint le même
chiffre qu'en 1844. En 1803 le chiffre des indigents s'éle-
vait à 112,626, et en 1813 à 102,806. En 1850 les secours
à domicile vinrent en aide à 94,619 indigents et coûtèrent
2 418 227 fr.
' WÈIXFÀISAXCE PUBLIQUE,CHARiTÉLÉGALE,
ASSISTANCE OFFICIELLE. Ces noms divers servent h
caractériser les institutions par lesquelles les sociétés or-
ganisées viemient publiquement au secours des infortunes
qui naissent dans leur sein. Si le nom change avec le sen-
timent qui l'inspire, le but est toujours le même, à savoir
de venir au secours de celui qui souflre.
Dans les sociétés antiques de l'Occident les pauvres n'é-
taient point isolés et livrés à eux-mêmes : ils étaient forte-
ment groupés autour des riches, dans la famille par les lient
de l'esclavage, dans la cité par ceux de la confraternité et
du patronat. Le maître avait intérêt à conserver ses escla-
ves, qui formaient sa fortune; le patron, à assurer le bien-
être de ses clients, dont le nombre faisait sa puissance. Ce
ne fut que lorsque les liens qui aggloméraient les pauvrej
autour des riches se furent relâchés, lorsqu'il se fut formé
dans les villes un peuple indépendant, voué au négoce et
aux travaux mécaniques, que la misère, c'est-à-dire la
pauvreté extrême et permanente, se manifesta, puis obtint
des riches, en excitant leur pitié ou en leur vendant ses
suffrages, des largesses régulières, qui élevèrent insensible-
ment rindigence et bientôt la mendicité au rang des faits
normaux et des plaies désormais incurables du corps social.
Chez les anciens, dit Chateaubriand, l'assistance se résu-
mait en deux mots : infanticide et esclavage. L'hospitalité
patriarcale des temps primitifs s'était singulièrement amoin-
drie au contact des lois brutales de la Grèce et de Rome ;
un patriotisme farouche, la fatalité, la servitude, ne pou-
vaient faire naître de douces compassions. Ce fut bien len-
tement que les Grecs et les Romains modifièrent leurs sen-
timents à cet égard et cessèrent d'assimiler leurs esclaves
aux bêtes. Tite-Live revient fréquemment sur la misère des
Romains, mais sans mentionner jamais ni hôpitaux ni sys-
tèmes d'assistance publique. Le polythéisme de ces peuples
ne faisait point de l'aumône un devoir religieux; et si Vir-
gile s'écrie : ISon ignara malt, miseris succurrere disco,
pensée d'un sage du paganisme qui se retrouve chez plus d'un
auteur éclairé, chez plus d'un vrai philosophe des anciens
jours, Piaule, qui écrivait dans l'avant-dernier siècle avant
l'ère chrétienne, et qui ne faisait guère que copier les comi-
ques grecs, ne met-il pas dans la bouche de Frinumnius, un
de ses personnages , cette sentence terrible : « C'est ren-
dre un mauvais service à un mendiant que de lui donner
de quoi manger ou de quoi boire, car on jMîrd ainsi ce qu'on
lui donne , et l'on ne fait que prolonger sans fruit pour Ij
société une misérable existence. »
180
Dans rOrien*, la religion faisait, au contraire, de la bien-
faisance un devoir positif. Les livres sacrés des Indous, des
l»erses, des Juifs, vont jusqu'à prescrire la quotité de l'au-
mône que les riches doivent aux pauvres. Le Coran, sans
fixer un minimum, formule, à plusieurs reprises, le pré-
cepte religieux de la charité. Moïse est à cet égard plus po-
sitif encore : « Faites part, dit-il, de votre pain à celui qui
a faim; faites entrer dans votre maison les pauvres qui ne
savent où se retirer, et lorsque vous verrez un homme nu,
cmpres.'-ez-vous de le vêtir! » L'hospitalité arabe n'existe-
t-elle pas encore de nos jours? Aussi l'indigence et la men-
dicité ont-elles atteint chez ces peuples un développement
auquel l'immuable organisation des sociétés théocratiques
était seule capable de résister.
Mais la véritable bienfaisance publique, il faut bien le
reconnaître, est toute d'origine chrétienne. A tort on essaye-
rait de ravir à la religion du fils de Marie cette glorieuse
auréole; à tort on nierait la charité chrétienne, pour lui as-
signer une origine plus raffinée ou plus philosophique. On
est forcé de convenir que l'application de cette vertu n'a été
réelle que dans les jours nouveaux du christianisme. Le chris-
ti.inisme, qui est supérieur aux autres cultes en ce qu'il étend
le devoir religieux à tout ce qui peut inspirer l'amour du
prochain, mais qui n'en recommande pas moins l'aumône
couime une des principales manifestations de cet amour,
« onmie une forme et un produit essentiel de la charité,
lit éclore dans l'empire romain de nombreuses institutions
destinées au soulagement des pauvres, tandis que les abon-
dantes aumônes distribuées par les couvents et par le clergé
donnaient à l'accroissement de la mendicité une impulsion
dont les conséquences sont encore visibles dans l'Europe
moderne.
Toutefois, ni les sociétés antiques ni celles du moyen
âge n'ont connu le paupérisme, cette lèpre qui envahit
des classes entières, et devient leur état normal par l'effet
inème des causes qui favorisent l'acaoissement de la ri-
chesse et le développement de la prospérité générale. On
ignorait alors le prolétariat, c'est-à-dire l'apparition d'une
classe ouvrière indépendante, soumise par son indépendance
même à l'action immédiate des lois qui règlent la distribu-
tion des richesses. A quoi songent Gratien , Yalentinien et
Théodose pour couper court aux abus de la mendicité? Insti-
tuent-ils des maisons de travail, des ateliers, des ouvroirs,
des asiles, des secours à domicile? Pas le moins du monde!
Ils ordonnent tout simplement d'arrêter les mendiants va-
lides pour rendre à leurs maîtres ceux qui sont esclaves ,
pour assujettir au colonat ceux qui sont libres.
Plus tard l'esclavage, au moins dans l'action préventive,
fut remplacé pour la population agricole par le servage,
et pour celle des villes parles corporations de métiers
et par les confréries religieuses. Le pauvre qui ne trou-
vait place dans aucun de ces groupes cessait d'appartenir
à la société. La mendicité ou le brigandage devenait sa
seule ressource. Qui n'a entendu parier de ces bandes orga-
nisées qui jadis étalaient dans les villes ou promenaient dans
les campagnes leurs ignobles ruses et leurs mœurs scandaleu-
ses? Mais ce n'était pas le paupérisme, qui atteint le travail-
leur lui-même au sein de l'industrie. Les statuts des ordres
ieligieux commandaient aux fidèles la charité et les secours
envers les pauvres. Les voyageurs étaient inscrits en pre-
mière ligne dans la nomenclature des devoirs du chrétien.
Les invasions Guccessives qui signalèrent le laps de temps
qui s'écoula du cinquième au dixième siècle jetèrent la
France dans une confusion telle, que les fondations pieu-
ses ou furent détruites, ou dévièrent promptement de leur
primitive vocation. Charlemagne lui-même, malgré ses lois
et sa vigilance, ne put opposer une digue au torrent. Pen-
dant les croisades les sentiments chrétiens des chevaliers et
\es maladies affreuses qui désolèrent les villes et les campa-
gnes motivèrent la création d'une foule de m al ad re ries,
BIENFAISAINCE PUBLIQUE
et donnèrent pour l'époque une extension remarquable à la
charité publique.
De 1254 à 1259 Louis IX mit en œuvre les projets les
plus généreux qu'il ait été donné à un roi d'accomplir pour
le soulagement des misères publiques. En parcourant les
historiens de cet homme si prodigieux de bienveillance et
de simplicité, on a peine à comprendre comment il put
venir à bout d'aussi monumentales fondations en présence
des difficultés qu'il dut rencontrer dans les esprits de son
temps. Mais après cette époque, où la charité française brille
d'un si vif éclat, nous retombons dans les invasions étran-
gères et dans les malheurs qu'elles traînent à leur suite.
Excepté quelques fondations, dues à des grands vassaux, à
des particuliers , à Henri IV, à Louis XIV, à saint Vincent
de Paul, dans la capitale ou dans les provinces , toutes ré-
gies par des ordonnances locales, des chartes, des titres
spéciaux, la bienfaisance publique n'a rien de complet, de
régulier, d'homogène. Cependant, en lisant nos vieilles
chroniques municipales , le nombre considérable de bien-
faiteurs, princes , abbés, prêtres, bourgeois, ouvriers en-
fants de leurs œuvres, femmes du peuple et grandes dames
prouve d'une manière irrécusable l'intérêt que l'infortunu
n'a jamais cessé d'inspirer à nos concitoyens , même au mi-
lieu des jours les plus néfastes de notre histoire nationale.
Le dix -huitième siècle devait par ses aspirations économi-
ques offrir nécessairement une large part à la bienfaisance pu-
blique. Les Cochin, les Mouthyon, les Kecker, les loisspé-
cialei des .'î septembre 1791, 19 mars 1793, 7 octobre 1796,
en sont l'expression la plus frappante, la plus réelle. De leur
côté , les nations étrangères développaient aussi cette vertu
suivant leur génie et leurs besoins. En Angleterre la bien-
faisance recevait une extension considérable, soit par le
système (Vallouvince (secours aux valides), soit par la taxe
des pauvres, soit par les sociétés charitables, soit par les
secours aux invalides. Mais la plus forte partie de cette
taxe revient à la bienfaisance. En 1832 elle s'élevait à
7,03G,96sHvressteriing( 175,924,200 francs). En 1849 l'An-
gleterre secourait 815,523 indigents. En 1851 elle n'en se-
courait plus que 744,860. Cette diminution du paupérisme
britannique, malgré l'accroissement notable de la popula-
tion, est-elle un argument en faveur du bien-être croissant
des classes laborieuses et prévoyantes de ce pays ? Faut-il
en faire honneur aux 607 unions et paroisses de l'Angle-
terre ? En face du poids écrasant de la taxe des pauvres ,
nous n'avons pas à nous prononcer sur ce point.
En Hollande , en Prusse , la bienfaisance publique a ren-
contré dans son application moins d'obstacles, moins d'abus
surtout qu'en Angleterre. La Belgique suit les idées fran-
çaises ; mais elle n'est pas arrivée audegré de perfection de la
Suède, du Danemark, de la Bavière et de la Suisse. Saxe-
Weimar et le Wurtemberg pourraient donner d'utiles ensei-
gnements aux États méridionaux de l'Europe, et leur ap-
prendre une assistance plus judicieuse que celle qui se pratique
en Italie, en Espagne, en Portugal, ces beaux pays dans les-
quels, malgré la somptuosité des institutions charitables, on
chercherait vainement la trace d'une bienfaisance publique
régulièrement organisée et sagement répartie. Toutefois , les
établissements hospitaliers de Turin, Florence, Vienne,
Milan, Gênes, et les associations religieuses philanthropiques
de Home sont bien dirigés, et font honneur à l'intelligence et
aux vertueuses sympathies de leurs fondateurs. Au Brésil
la bienfaisance publique ne mérite que des éloges. Elle est
moms irréprochable aux États-Unis. Il est vrai que les im-
migrants d'Europe y augmentent incessamment le nombre des
indigents secourus par les sociétés charitables, et que sur
le chiffre de 62,000, auquel il s'élève, ils ne figurent pas
pour moins de 32,000.
Chez nous les plan.s de l'Assemblée constituante de 89
tendaient à organiser d'une manière judicieuse les secours
publics; mais, comme beaucoup de bonnes choses que les
liommes n'ont pas le temps d'appliquer, ces bonnes inten-
tions restèrent à l'état de projet.
La bienfaisance publique s'exerce en France au moyen
de secours à domicile distribués par les bureaux de bien-
fiiisance et par un système d'hospices et d'hôpitaux.
Voici quelques-unes de ses principales applications ma-
térielles.
En 1849 les 1270 hôpitaux et hospices de France ont
coûté 51,900,415 fr., et avec un revenu de 54,116,660 fr. ils
ont secoum plus d'un million d'indigents. Pour Paris l'admi-
nistration des hôpitaux et hospices a dépensé cette même
année 15,132,164 fr. sur une recette de 15,236,473 fr.,
non compris 700,153 fr. de dons particuliers. Avec cette
dépense on a réussi à soigner 21,997 personnes, et l'on
a fait face à l'entretien de 27,296 lits , à celui des édifices,
aux achats des médicaments , aux frais du personnel, etc.
Enfin, les recettes générales de l'administration de la bien-
faisance publique à Paris ont été en 1850 de 15,032,440 fr.,
et les dépenses de 15,156,962.
On a calculé qu'il y avait en France plus d'un million
d'indigents , non compris ceux qui sont admis dans les hos-
pices ou hôpitaux et ceux qui sont passagèrement privés
de moyens suffisants de travail et d'existence. Le paupé-
risme a été divisé en zones , suivant son degré d'intensité.
Ainsi les départements du Nord, de la Seine, du Rhône, de
l'Aisne, de la Somme, d'Ille-et-Vilaine, du Morbihan et
des Bouches-du-Rhône occupent le premier degré de la
ïone principale. En général , cependant , il n'y a guère que
vingt départements où le nombre des indigents soit un peu
considérable.
Après avoir jeté un coup dœil sur l'exercice de la bien-
faisance pubUque chez nous et chez quelques autres peuples,
nous nous trouvons jeté à notre insu dans des doutes fort
graves. Ainsi, d'un côté nous remarquons que les institutions
charitables les plus étendues, les plus parfaites, sont en
plein exercice , et de l'autre nous voyons qu'elles sont im-
puissantes à opposer une digue à la marée montante du
paupérisme, qui envahit les sociétés modernes, et fait triste-
ment penser à cette sombre vérité d'un poète anglais :
Wbat is the lifc? A war,elcrual war, wiLb woe!...
Aussi se demande-t-on partout avec anxiété si une po-
pulation toujours croissante , une concurrence de plus en
plus anarchique, l'abandon de l'agriculture, l'agglomération
des ouvriers dans les villes, l'ignorance, l'inintelligence de la
vie , le manque de travail , la fréquence des révolutions, les
mauvaises récoltes, l'immoralité, ne sont pas les principales
causes des misères de toutes espèces qui désolent tant de pays.
Et là dessus les gouvernements se mettent à reviser leurs lé-
gislations charitables. Mais est-il donc possible, même avec
une Uixe comme celle de l'Angleterre, d'arriver à détruire le
paupérisme? Les illusions et les théories sont-elles encore
l)ernnses quand il faut secourir collectivement malades,
indigents , orphelins , enfants trouvés , sourds-muets, aveu-
gles, aliénés, mendiants, prisonniers, etc?
Malheureusement , interroger ainsi , c'est mal interroger.
Presque partout la question a été mal posée ; on en a fait une
question de morale , de politique , presque de théologie. On
s'est préoccupé exclusivement des devoirs de la société en-
vers les pauvres , comme s'il ne fallait pas , avant de recher-
cher ce que la société doit, s'informer de ce qu'elle /je«^.
M. Duchàtel , dans son livre sur la charité , expose fort
bien les causes de la misère et les tendances désastreuses de
la charité légale; mais après être ainsi entré dans la bonne
voie, il s'arrête, et se borne à « faire un devoir à l'État d'in-
tervenir à ses frais dans le soulagement des pauvres toutes les
fois que la prudence ou la charité ne suffiront pas à préve-
nir ou a soulager l'indigence ». La charité légale ne pouvait
pas s'exprimer autrement.
D'autres écrivains, MM. de Movogues, de Villeneuvc-
BIENFAISANCE PUBLIQUE 181
Bargcmont, Degérando , Thiers, etc., se sont placés dans la
question qui nous occupe sur un terrain si fictif, si mou-
vant, qu'avec eux aucune lutte sérieuse , profitable àU
science, n'est possible. M. Thiers résume ainsi son opinion :
R L'État, comme l'individu, doit être bienlaisant; mais,
comme lui , il doit l'être par vertu , c'est-à-dire librement,
et , de plus , il doit l'être prudemment. Et ce n'est pas pour
lui assurer le moyen de donner moins ou de donner peu ,
mais afin de garder la fortune publique, qui est celle des
pauvres encore plus que celle des riches; c'est afin de
maintenir l'obligation du travail pour tous, et de prévenir
les vices de l'oisiveté , vices qui chez la multitude devien-
nent facilement dangereux et même atroces. Mais l'État
libre et prudent dans sa liberté n'en sera pas moins large-
ment bienfaisant.... Il voudra que nos cités ne soient pas des
repaires de misères ou de vices; il s'attachera à diminuer la
somme des souffrances par l'amour du bien, qui égalera
dans son cœur l'amour du beau et du grand. 11 sera aussi fier
d'épargner aux étrangers le spectacle de mendiants mourant
de faim que jaloux de leur montrer nos monuments d'art ou
de gloire.... L'État, en un mot, sera un honnête homme,
agissant par les impulsions qui conduisent l'Iionnête homme,
l'amour du bien et du beau, et en étant un honnête homme,
il sera aussi un homme juste et sage. Tels sont, à notre
avis, les seuls principes vrais en fait d'assistance. »
Tout cela est admirablement écrit; mais qu'est-ce que tout
cela prouve? M. Thiers se fait gloire, nous le savons, d'i-
gnorer et de nier les questions sociales. « Pour être consé-
quent avec lui-même, dit M. A.-E. CherbuUicz, M. Thiers
doit nier bien d'autres choses encore. Mais l'arithmétique,
pour être ignorée et niée par les dissipateurs, n'en est pas
moins certaine. « Aussi, d'après l'ex-représentant, pourvu
que l'État paraisse largement bienfaisant dans ses lois, dans
son budget, et pourvu qu'on empêche les pauvres de vaguer
en haillons, peu importe que la misère augmente d'année
en année.
L'État, suivant M. CherbuUiez, ne doit ni pratiquer la bien-
faisance publique ni intervenir dans l'exeicice de la charité
privée. La bienfaisance est un de ces besoins auxquels la so-
ciété ne saurait pourvoir que par elle-même, par le libre déve-
loppement de ses facultés morales et de ses forces produc-
trices. Livrée à ses propres inspirations , la société ne tarde-
rait pas à comprendre que la bienfaisance pour être efficace,
pour ne pas devenir un encouragement à l'oisiveté, aux
vices , à la fraude, doit adopter certains principes et s'im-
poser certains devoirs , principes et devoirs qui peuvent se
résumer ainsi : la charité doit combattre les causes de l'in-
digence, c'est-à-dire la prévenir en môme temps qu'elle
s'applique à la soulager. Elle doit travailler à détruire la
misère plutôt qu'à la secourir.
Mais , répond un prudent économiste, M. Félix Mornand ,
.< les détracteurs de la bienfaisance publique, et M. Cher-
buUiez en tête, partent d'une donnée évidemment morale et
équitable : à savoir, que tout homme ici-bas, sauf le cas
flagrant d'impossibilité, dont ces rigides logiciens paraissent
ne tenir aucun compte, est chargé de pourvoir à ses propres
destinées; que c'est à tort qu'il compte sur la collection de
ses semblables, c'est-à-dire sur la société, pour l'exonérer de
ses strictes obligations envers soi-même. "Voilà le vrai, sans
doute; mais dans la pratique que d'exceptions, que de mal-
heurs involontaires , que de précoces infirmités, que de cons-
titutions débiles, que de maladies contractées sous l'in-
fluence même de ce travail qui doit donner à tous le bien-
être! Vous dites que chacun peut épargner : et comment,
si votre loi suprême de l'offre et de la demande réduit dan»
tant de cas les salaires au taux strict, sinon au-dessous des
besoins? Oui , les hôpitaux, comme toutes les autres institu
lions de bienfaisance, doivent tendre sans cesse à disparaître
d'un milieu de plus en plus parfait, de plus en plus aisé; il
est permis de croire qu'avec le temps, giâce aux progrvs
182
de la richesse générale , grâce à l'hygiène , grâce à la mora-
lisation , grâce à la charité , grâce h une répartition peut-être
plus équitahle et plus fraternelle des produits du travail
humain , le pauvre échappera à la double épouvante et de
l'infirmerie commune, et de l'ossuaire commun. Nous croyons
au bien , non pas complet sans doute , non pas définitif, mais
croissant, malgré des oblitérations passagères, plus appa-
rentes que réelles. Toutes ces choses alors, hôpitaux et bu-
reaux de charité, et autres, cesseront d'exister ou à peu près,
non de par les arrêts des logiciens de Genève, mais comme
les béquilles tombent à un boiteux guéri, qui n'en a plus
besoin. En l'état actuel des sociétés chrétiennes, ces pallia-
tifs sont-ils nécessaires!' Là est apparemment la question.
Que les théoriciens de Genève ou d'ailleurs répondent non,
slls l'osent. Quant à moi , j'estime que condamner, au temps
où nous vivons, de telles institutions, comme pouvant pa-
ralyser la prévoyance, c'est tout justement proscrire le vin,
l)arce qu'il grise; l'eau, parce qu'elle noie; l'aliment, parce
qu'il indigère; la flamme, parce qu'elle brûle. »
E. G. DE MONGLAVE.
BIENHEUREUX. C'est celui qui jouit de la béati-
tude, beatus, beati, cœli cives, cœlites. On dit la bien-
heureuse Vierge Marie, les bienheureux apôtres. Le pa-
radis est le séjour des bienheureux , c'est-à-dire de ceux
auxquels une vie pure et sainte a mérité le royaume des
cieux. Le titre de bienheureux est particulièrement donné
par l'Église à ceux qui ont été béatifiés ( voyez Béatifica-
tion ), comme on donne le nom de saints à ceux qui ont
été canonisés.
BIEN JOINT, nom d'un arbre de l'île de France, appelé
par les botanistes tenninalia angustifolia ( voyez Bada-
MiER ), dont le bois est dur et solide. Ce mot s'est facilement
transformé en celui de benjoin , quoique ce ne soit pas ce
végétal qui fournisse le baume connu sous ce nom.
BÏENNE, synonyme de bisannuel.
BÎENNE (Lac de). Ce lac, assez rapproché de celui de
Neucliàtel, dont il fut peut-être l'extrémité nord-est à une
époque très-reculée , est traversé par la Thielle , qui en sort
près de la petite ville de Nidau, et tombe dans l'Aar. Sa lon-
gueur est d'environ 17 kilomètres, et sa largeur moyenne
n'excède guère 3 kilomètres. Beaucoup moins profond que
le lac de Neuchâtel, dont il reçoit les eaux, il se comble sen-
siblement à l'embouchure des torrents et des ruisseaux qu'il
reçoit, en sorte que la capacité de son bassin diminuant sans
cesse, tandis que les eaux y affluent quelquefois avec abon-
dance lors de la fonte des neiges , ses bords sont exposés à
de fréquentes inondations. Nidau et ses environs en souffrent
beaucoup; car les eaux y séjournent assez souvent, quel-
quefois pendant trois mois. Malgré cet inconvénient très-
grave et l'insalubrité qui en est la suite inévitable, Bienneet
son lac sont visités par tous les voyageurs en Suisse; aucun
ne se dispense de parcourir l'île de Saint-Pierre, devenue si
célèbre par le séjour qu'y fit J.-J. Rousseau. Il ne fallait
rien moins que la plume de cet écrivain pour répandre
quelque charme sur ces lieux, que la nature n'a pas plus
lavorisés de ses dons qu'une multitude de contrées qui
n'excitent pas la curiosité , quoique les sites y soient encore
plus pittoresques que sur les bords du lac de Bienne.
La ville de Bienne, ou Bicl, située à l'embouchure de
la Suse dans ce lac , sert d'entrepôt au commerce de Neu-
châtel. Bâtie au onzième ou au douzième siècle , elle a en-
viron 4,300 habitants, dont le plus grand nombre appartien-
nent à la religion réformée. Réunie à la France à la suite de
la r 'volution de 1798, elle fit retour en 1815 au canton de
Berne, auquel ofle appartenait depuis le quinzième siècle.
Qu()i(iue la population y parle allemand , une espèce de pa-
tois français est déjà en usage dans les villages voisins. L'in-
dustrie de la ville de Bienne a pris des développements
considérables dans ces dernières années. La fabrication des
cotons , des cigares et du (il de fer s'y fait sur une large
BIENFAISANCE PUBLIQUE — BIENS
échelle; celle des montres y occupait en 1850 près de cinq
cents ouvriers. Feriit.
BIEN PUBLIC (Ligue du). C'est le nom donné à la
coalition armée qui se forma contre Louis XI peu de temps
après son avènement au trône. Ce prince s'était aliéné la)
peuple par les impôts dont il l'écrasait, la noblesse par les
dédains dont il l'abreuvait et l'abaissement où il AT)ulait la
(aire tomber, le clergé par l'abolition de la Pragmatique-
Sanction. Spéculant sur le mécontentement général, le duc
(le Bretagne devint l'instigateur de la révolte, et, secondé par
Charles, comte de Charolais, il parvint sans peine à entraîner
le duc de Bourbon et le duc de Berry, frère du roi. \Sn ma-
nifeste, publié en mars 1465 par le duc de Bourbon, annonça
que la ligue du Sien public avait pour objet la réforme de
l'État, le bien et le soulagement du peuple, et les hostilités
commencèrent.
Le duc de Bretagne devait arriver par l'Anjou avec
10,000 hommes, et le comte de Charolais par la Picardie
avec les forces de la Flandre et de l'Artois. Le duc de Bourbon,
soutenu d'un côté par le prince d'Armagnac, qui soulevait le
Languedoc et la Guienne, de l'autre par les troupes de la
Bourgogne, devait marcher sur le Berry; tandis qu'une
armée de Lorrains et d'Italiens serait conduite à travere
la Champagne par le duc de Calabre. Ce plan formidable
était tracé de manière à envelopper Louis XI vers Paris par
plus de 60,000 hommes. Il ne s'effraya pas cependant. Il dé-
voila nettemeiit le but des seigneurs, et répondit au mani-
feste du duc de Bourbon : « Si j'avais voulu augmenter
leurs pensions et leur permettre de fouler leurs vassaux
comme par le passé, ils n'auraient jamais pensé au bien
public. «
Après avoir pris d'énergiques mesures de défense, chargé
le comte de Foix de maintenir le Languedoc, opposé le
comte du Maine au duc de Bretagne, confié les marches de
Picardie au comte de Nevers , et livré la gardo de Paris à
Charles de Meulan, au cardinal de Balue, et surtout à la
fidélité des bourgeois, Louis XI entra lui-même dans le
Berry, à la rencontre du duc de Bourbon ; l'ayant obligé
ainsi que le prince d'Armagnac à conclure une trêve et, à
force d'habileté , de pardons, capitulations et grâces, ramené
à lui le Berry, il revint à marches forcées vers la capitale,
que le comte de Charolais avait tenté vainement de sur-
prendre. Les deux armées se rencontrèrent près de Mont-
Ihéri; la bataille fut sanglante. Le roi et le comte y si-
gnalèrent également leur bravoure, sans pouvoir décider
la victoire. A la suite de ce combat, Louis XI se retira à
Corbeil, retraite qui faillit lui coûter Paris, dont la haute
bourgeoisie se serait donnée aux princes sans la résistance
du peuple, qui prit les armes et fit échouer la trahison. Enfin,
après deux mois de négociation , suivant le conseil de Fran-
çois Sforza, duc de Milan, qui lui disait que pour dissiper
la ligue il fallait tout promettre, sauf à voir ensuite ce que
les circonstances obligeraient de tenir, Louis XI signa le
traité de Conflans , par lequel il cédait la Normandie à son
frère, et donnait des terres considérables aux principaux
chefs. Cette trêve n'était sincère ni d'un côté ni de l'autre,
et le roi ne tarda pas à la violer. Dans ce traité il ne fut
pas dit un mot du bien public, prétexte de la guerre, et le
peuple fut plus accablé qu'auparavant.
BIENS. En droit on comprend sous ce nom tout ce qui
est susceptible de propriété ou de possession. Les biens ont
été ainsi nommés parce qu'ils contribuent au bien-être et au
bonheur de l'homme; bona ex eo dicunlur quod béant,
quod beatosj'aciunt.
Les biens se divisent en deux classes principales, les
meubles et les immeubles. La nature, la destination
des biens ou ies déterminations de la loi règlent dans quelle
classe on doit les ranger.
On distingue aussi les biens cor/jore/s, c'est-à-dire ceux qui
ont une existence matérielle , et les biens incorporels, c'est
C'CSl- I
A
BIENS — BIEKS COMMUNAUX
183
à-dire ceux qui ne se manifestent pas sous une forme phy-
sique. Ainsi un droit de servitude, une créance, un droit
d'usufruit, sont des biens incorporels.
On distingue encore les biens qui sont dans le commerce
de ceux qui sont hors du commerce. Ces derniers compre-
naient, outre les biens du domaine public, ceux qui sont
joints à la dotation présidentielle, aux majorais, etc.
Considérés dans leurs rapports avec ceux qui les possèdent,
les biens appartiennent aux particuliers, à l'État , aux com-
raunes ou aux établissements publics. Les particuliers ont
la libre disposition des biens qui leur appartiennent , sous
les modifications étabUes par la loi. Des lois particulières
déterminent de quelle manière doivent être administrés les
biens qui appartiennent à l'État, dans quelles circonstances
et avec quelles formalités ils peuvent être aliénés ( voyez
Domaine public ). Enfin , des dispositions spéciales régissent
également les biens possédé.s par les communes, les fabriques
et les établissements de bienfaisance {voyez Biens commu-
NACx). La loi protège également de garanties spéciales les
biens des mitieurs, des interdits, des femmes, des
absents, etc.
Depuis que les ministres des cultes sont salariés par l'État,
comme les fonctionnaires publics, la division des biens ec-
clésiastiqiies a disparu. Dans un article particulier, un sa-
vant académicien examinera la source et l'origine de ces
biens. Un autre article sera consacré aux biens de diverses
natures que la révolution réunit au domaine national , et que
l'on confondit depuis sous le nom de biens nationaux.
Sous l'ancien régime on appelait biens nobles ceux qui
étaient tenus en fiefs, et qui, par conséquent, jouissaient de
certaines immunités; ce qui le^ distinguait des biens rotti-
ricrs , soumis à toutes espèces de tailles.
Les biens se sont subdivisés ou se .subdivisent encore en
propres, acquêts et conquêts, droits réels, biens
paraphernaux, etc. Les biens profectices sont ceux qui
viennent de succession directe; leurs possesseurs sont dési-
gnés, dans la pratique, sous le nom de bien-tenants. Les
biens adventices sont ceux qui procèdent d'ailleurs que
de succession de père ou de mère, d'aieul ou d'aïeule. Les
biens dotaux procèdent de la dot, et leur aliénation n'est
pas permise au mari. Il y avait encore autrefois les biens ré-
ceptices , qui étaient ceux que les femmes pouvaient retenir
en pleine propriété pour en jouir à part, et qui étaient dis-
tincts des biens paraphernaux et des biens dotaux.
Enfin, les biens vacants sont ceux qui se trouvent aban-
donnés, soit que leurs possesseurs en mourant ne laissent
point d'héritiers, soit par renonciation de la part de ceux-ci.
Ils tombent alors dans le domaine de l'État, avec tous les
autres biens ad flscum spectantia, tels que chemins publics ,
fleuves et rivières navigables , etc.
BIENS COMMUNAUX. On comprend sous cette dé-
nomination ceux à la propriété ou au produit desquels les
habitants d'une ou plusieurs communes ont un droit acquis.
( Code Napoléon , article 542. )
Dans l'ancien droit, on appelait communaux les ma-
rais , prés , pâtis , bois et autres biens qui appartenaient aux
communautés d'habitants ou communes. Indépendamment
des biens communaux proprement dits, on distinguait les
usages, qui consistaient dans les droits que les communes
possédaient sur certains biens dont elles n'avaient pas la
propriété. Le droit intermédiaire, c'est-à-dire celui qui fut
établi par les lois de la révolution , différait peu des dispo •
sitions actuelles.
Quelle était l'origine des biens communaux, ou, pour
parler plus exactement, d'où provenait la propriété des com-
munes? C'est ce qu'il n'est pas toujours facile de déterminer.
Si l'on examine les lois qui ont été rendues à diverses épo-
ques, notamment sur ia matière du triage, il paraît cer-
tain que le principe de la féodalité, qui dérivait de la con-
quête, a-jdnt attribué aux seigneurs la totalité du terriloire,
ceux-ci l'ont concédé quelquefois à titre onéreux, mais plus
ordinairement à titre gratuit, à leurs vassaux, à la charge
de le cultiver ou de le foire valoir ; et telle fut , pour un
grand nombre de communes, la cause de leur établissement
ou la source de leur prospérité. D'autres fois , le seigneur
n'abandonnait pas la propriété des biens qu'il concédait aux
habitants; il se bornait à leur en permettre Vusage d'une
manière indéfinie. Au premier cas, la concession étant con-
sidérée comme gratuite, et faite non-seulement dans l'inté-
rêt des vassaux, mais dans celui du seigneur lui-même,
puisqu'il était membre de la commune, on supposait qu'il
avait conservé son droit à la chose dans la proportion des
besoins de sa famille ou de sa maison, et on lui attribuait une
part très-considérable, qui était ordinairement fixée au tiers
de la totalité des biens concédés ; c'est ce qu'on appelait le
droit de triage. Alors il devenait propriétaire exclusif de ce
tiers, et la commune conservait exclusivement les deux autres
tiers. Lorsque le seigneur n'avait concédé qu'un droit d'usage
dans les biens de la seigneurie, il pouvait, à son choix, s'en
affranchir ou le faire régler. Pour s'en affranchir il cédait
aux habitants une portion déterminée de la terre , et cette
autre espèce de triage était connue sous le nom de canton^
nement. Pour modifier simplement le droit, ou le rendre
moins onéreux à la seigneurie , moins nuisible à l'agricul-
ture , le seigneur pouvait recourir à la voie de Vamcnage-
nient , c'est-à-dire qu'il faisait régler l'usage du droit, qui
en conséquence s'exerçait tantôt sur une partie , tantôt sur
une autre, de telle sorte que ce droit en lui-même n'était
point altéré, et que de son côté le seigneur ne cessait pas
d'être propriétaire du fonds. 11 résulte de ce qui vient d'être
dit que le droit de cantonnement ou A'aménagement ne
pouvait être réclamé que par le maître du sol, puisque
lui seul était propriétaire et que lui seul avait un intérêt
véritable à l'affranchissement de la propriété. Cependant la
loi du 19 septembre 1790 a intei-vcrti sur ce point les an-
ciennes règles, en accordant aux usagers le droit de ré-
clamer eux-mêmes le cantonnement. Du reste , quelle était
rétendue de ce droit, c'est-à-dire quelle était la portion at-
tribuée aux communes? A cet égard il n'existait rien de
Lien précis : généralement il en était comme en matière de
triage, et le tiers était la base ordinaire; mais cette me-
sure n'était pas invariable, elle pouvait être augmentée ou
diminuée suivant les titres , les circonstances et les besoins
bien constatés des communes.
Au surplus, tous les droits dont nous venons de parler ont
été supprimés par les lois de la révolution. Il est essentiel
de faire remarquer encore que non-seulement les lois ont
aboli les droits dont il s'agit, mais que, par un effet ré-
troactif, elles ont anéanti les jugements et transactions qui
avaient réglé les droits des anciens seigneurs à l'égard des
communes , et ont attribué à celles-ci la propriété pleine
et exclusive de tous les biens qui avaient fait l'objet de ces
transactions. « Avant la loi du 28 août 1792, dit M. Mer-
lin, les jugements passés en force de chose jugée, les trans-
actions sur procès et la prescription avaient contre les com-
munes, relativement aux biens communaux, les mômes
effets en faveur des seigneurs de leur territoire qu'en fa-
veur des simples particuliers. Mais l'article 8 de cette loi en
a disposé autrement : suivant cet article, les communes
qui justifieront avoir anciennement possédé des biens ou
droits d'usage quelconques dont elles auront été dépouil-
lées, en totalité ou en partie, par des ci-devant seigneurs,
pourront se faire réintégrer dans la propriété ou possession
desdits biens ou droits d'usage, nonobstant tous édits, dé-
clarations, arrêts du conseil , lettres-patentes, jugements et
possessions contraires, à moins que les ci-devant seigneurs
n'en représentent un acte authentique qui constate qu'ils
ont légitimement acheté Icsdits biens. »
Indépendamment de cette disposition législative, qui a
ouvert la porle à une foule de prétentions et donné nais-
184
sance à de nombreux procès , la même loi investit tout à
coup les communes de toutes les terres vaines et vagues ,
landes , biens vacants situés dans l'étendue de leur terri-
toire, alors même qu'elles ne pouvaient justifier qu'elles
les avaient anciennement possédés , et il leur a suffi de les
réclamer dans le délai de cinq ans pour en obtenir l'ad-
judication. Ce n'est pas tout : la loi du 28 août 1792 avait
établi une exception , et elle avait maintenu les anciens sei-
gneurs dans la propriété des ferres vaines et vagues, landes,
marais et biens vacants , lorsqu'ils justifiaient les avoir pos-
sédés depuis quarante années : la loi du 10 juin 1793 supprima
encore l'exception, en statuant que la possession de quarante
ans ne pourrait en aucun cas suppléer le titre légitime, et
en ajoutant que ce titre légitime devait être un acte
autbentique constatant que les ci-devant seigneurs avaient
réellement et ré^çu fièrement acheté lesdits biens. On con-
çoit qu'une semblable législation ait dû susciter de nom-
breuses difficultés : et en effet les tribunaux ont long-
temps retenti des plaintes et des contestations auxquelles
l'application des lois dont on vient de parler a donné lieu.
Mais cette matière des biens communaux était difficile
à régler : il ne suffisait pas d'attribuer aux communes la
propriété de certains corps d'héritage, il fallait détermi-
ner un mode de jouissance, et là s'élevèrent de sérieuses
contestations; là les prétentions individuelles se montrèrent
à découvert.
La jouissance en commun ne satisfaisait guère l'intérêt
personnel; car aux yeux des individus quelle est la va-
leur d'une possession qui appartient à tous , et dont aucun
ne peut disposer? Aussi l'Assemblée législative se bûta-
t-elle de décréter (14 août 1792) que tous les terrains et
usages communaux, et autres que les bois, seraient par-
tages entre les citoyens de chaque commune , que ces
citoyens jouiraient en toute propriété de leurs portions res-
pectives; que les biens connus sous le nom de sursis et va-
cants seraient également divisés entre les habitants, et que
pour fixer le mode de partage le comité d'agriculture pré-
senterait dans trois jours un projet de décret.
Ct terme de trois jours annonçait assez l'impatience
des prétendants au partage ; mais il était évident qu'une
loi de cette importance exigeait un peu plus de maturité.
Aussi , le 1 1 octobre , fallut-il déclarer que le travail n'était
pas achevé : la Convention nationale prorogea le délai.
Mais le 10 juin 1793 la loi fut présentée, et le partage
des biens communaux fut décrété. Tout habitant domicilié
y fut appelé , quel que fût son âge ou son sexe , qu'il fût
présent ou absent, qu'il eût le titre de maître ou qu'il fut
simple domestique : chacun dut y recueillir part égale ; ct
pour être réputé domicilié il suffisait d'avoir habité la
commune pendant un an avant la promulgation de la loi.
Toutefois , il fut dit que le partage serait facultatif, et que
les habitants auraient le droit de s'assembler pour décider si
les biens communaux devaient être partagés en tout ou en
partie. Mais cette disposition , qui pouvait avoir un résultat
avantageux , fut paralysée par celle qui déclara que le tiers
des voix serait suffisant pour déterminer le partage. Et pour-
tant il arriva que dans plus d'une circonstance l'intérêt bien
entendu de la commune prévalut sur l'avidité des indivi-
dus ; et c'est ainsi que plusieurs communes ont conservé les
biens dont elles jouissent aujourd'hui.
N'oublions pas de remarquer que la Convention, qui s'é-
tait montrée si jalouse de faire rentrer dans les mains des
conmiunes ceux de leurs biens dont elles pouvaient avoir
été dépouillées par l'effet ou l'abus de la puissance féodale,
ne parut plus aussi empressée quand il fallut appliquer le
principe aux biens comnumaux dont la nation était devenue
propriétaire par l'effet de la confiscation opérée sur les or-
dres monastiques ou sur les émigrés. A cet égard elle dé-
cida formellement que la partie des communaux possédée
par les communautés ecclésiastiques ou les émigrés appar-
BIENS COMiVlUNAUX
tiendrait à la nation et ne serait point restituée aux com»
munes.
L'Assemblée nationale avait sagement excepté le sol des
bois du partage des biens communaux ; mais il restait à ré-
gler le mode du paitage en ce qui concernait le produit de
ces bois ou leur superficie : sur ce point la Convention na-
tionale n'eut pas autre chose à faire qu'à appliquer le prin-
cipe posé dans la loi du 10 juin, et il fut dit par le décret du
26 nivôse an II que les bois coupés seraient partagés, non
par feux, mais par têtes. On alla même jusqu'à soutenirque
cette disposition devait avoir un effet rétroactif ; mais la pré-
tention fut rejetée par le décretdu 28 ventôse an II.
On voulut pousser plus loin encore le système de réaction.
Une commune du département de l'Yonne , interprétant de
la manière la plus large la loi du 28 août 1792, qui avait
réintégré les communes dans les biens dont elles avaient
été dépouillées par l'effet de la puissance féodale, demanda
la restitution des fruits précédemment perçus par les ci-de-
vant seigneurs. Peut-être cette prétention eût-elle été ac-
cueillie si les anciens seigneurs eussent été en possession
de tous leurs biens; mais les lois sur l'émigration en avaient
attribué une grande partie à la république : c'était donc sur
la nation qu'en définitive la réclamation devait porter. Aussi
b Convention décida-t-clle (6 germinal an II) « qu'on ne
pouvait ordonner une pareille restitution de fruits sans
donner lieu contre le trésor public à des réclamations dont
l'effet serait aussi onéreux à la nation que la cause en se-
rait injuste. »
De ce que nous avons dit plus haut, on a pu tirer la
conséquence que les partages lurent souvent effectués avec
empressement , avec précipitation; et en effet il parait
que dans plus d'un cas il n'en fut pas même dressé un
acte par écrit. C'est pour remédier à cet état de choses , et
pour empêcher les perturbations qui pouvaient en résulter,
que fut rendu le décret du 9 ventôse an XII. Par ce décret
il lut dit que tous les partages de biens communaux dont
il avait été dressé acte seraient exécutés, et qu'à l'égard de
ceux qui n'avaient pas été rédigés par écrit, les détenteurs
des biens seraient maintenus en possession provisoire et
pourraient devenir propriétaires incommutables, à la charge
par eux, « 1° de laire la déclaration , devant le sous-préfet ,
du terrain qu'ils occupent, de l'état dans lequel ils l'ont
trouvé et de celui dans lequel ils l'ont mis ; 2" de se sou-
mettre à payer à la commune une redevance annuelle, ra-
chetable en tout temps pour vingt fois la rente, et qui sera
fixée, d'après estimation, à la moitié du produit annuel du
bien ou du revenu dont il aurait été susceptible au moment
de l'occupation. » Par cette espèce à'auinislie lurent ter-
minées toutes les contestations auxquelles les partages ir-
réguliers des biens communaux avaient donné lieu , et de
ce moment on entra dans un meilleur système d'adminis-
tration.
Une première loi du 19 ventôse an X, confirmée par une
autre du 9 floréal an XI, régla l'administration de l'espèce
la plus précieuse de ces biens, c'est-à-dire des bois et forêts,
ct en confia la surveillance à l'agence forestière. Une autre
loi, du 22 mars 1806, attribua à cette agence la poursuite
des délits commis dans les bois. Bientôt on sentit la néces-
sité de revenir sur les dispositions de la loi du 26 nivôse
an II, qui, du reste, avait été confirmée par un arrêté du 19
frimaire an X, et qui décidait que le partage des bois devait
se faire par tète d'habitant. En conséquence , il fut ordonné
par un décret in)pcrial du 26 avril 1808 que les partages se
fissent par feu , c'est-à-dire par chef de famille ayant domi-
cile : tel est le mode qui s'exécute encore aujourd'hui.
Une autre décision avait mis obstacle à un abus qui avait
semblé vouloir s'introduire : par un arrêté des consuls, en
date du 7 germinal an IX, il lut établi qu'aucun bien rural
appartenant aux hospices, aux établissements d'instruction
publique, &\x\ communautés d'habitants, ne pourrait être
BIENS COMMUrs^AUX — BIENS ECCLÉSIASTIQUES
concédé à bail à longues années qu'en Tertu d'arrêté spé-
cial des consuls.
Ce n'était pas assez de pourvoir, par des règlements sévères,
à l'administration des biens communaux, il fallait veiller à
ce que ces biens ne fussent pas compromis par des procès
entrepris ou soutenus témérairement. Aussi l'arrêté des
consuls du 17 vendémiaire an X défendait-il aux créanciers
des communes d'intenter contre elles aucune action sans en
avoir préalablement obtenu la permission par écrit du con-
seil de préfecture. Et cet arrêté ne fut d'ailleurs rendu que
par une conséquence des lois des 14 décembre t789, 29
vendémiaire an V et 28 plu^-iôse an VIII, qui voulaient que
les communes ne pussent plaider sans l'autorisation de l'ad-
ministration supérieure.
A plus forte raison devait-on interdire aux communes de
transiger sans une garantie expresse et formelle de l'op-
portunité de la transaction : c'est pourquoi l'arrêté du
21 frimaire an Xll consacrâtes dispositions suivantes : « Ar-
ticle l^"". Dans les procès nés ou à naître qui auraient lieu
entre des communes et des particuliers sur des droits de
propriété, les communes ne pourront transiger qu'après
une délibération du conseil municipal prise sur la consulta-
tion de trois jurisconsultes désignés par le préfet du départe-
ment et sur l'autorisation de ce même préfet , donnée d'après
l'avis du conseil de préfecture. — Article 2. Cette transac-
tion, pour être défmitivement valable, devra être homologuée
par un arrêté du gouvernement, rendu dans la forme
prescrite pour les règlements d'administration publique. »
Il va sans dire que les communes ne peuvent consentir
aucune vente ou aliénation de leurs biens ni emprunter
aucune somme sans y être autorisées dans la forme légale.
L'édit du mois d'avril 1CS3, la déclaration du 2 août 1C87
et l'arrêt du conseil du 24 juillet 1775 contenaient à cet
égard des prohibitions expresses. Aujourd'hui les disposi-
tions de la loi sont encore plus précises , et pour qu'une
commune puisse aliéner ou emprunter il feut 1° que la
demande en soit faite par le conseil municipal ; 2° que sur
cette demande il intervienne un avis du préfet, le sous-
préfet entendu ; 3° qu'une loi soit rendue sur la proposi-
tion du gouvernement.
On sait que l'amodiation des biens communaux rentre
dans le système de l'administralion ordinaire , et qu'elle est
placée dans les attributions des maires des communes.
Enfin , pour compléter cet aperçu de la législation sur
les biens communaux , nous devons ajouter que chaque
année les recettes que les communes doivent effectuer et
les dépenses qu'elles peuvent faire sont réglées d'avance
par un acte que l'on est convenu d'appeler du nom étranger
de budget. Aux termes d'un arrêté du gouvernement , en
date du 4 thermidor an IV, les budgets, après avoir été
préparés par les maires assistés des conseils municipaux ,
sont arrêtés par les préfets pour les communes qui n'ont
pas plus de 20,000 fr. de revenu , et par le gouvernement
pour les communes dont les revenus excèdent cette somme.
Chacun sait , d'ailleurs , que les comptes de l'administration
des deniers communaux sont soumis à la vérification de
l'autorité supérieure , et que la cour des comptes est même
appelée à exercer son contrôle sur la gestion des receveurs
municipaux ; en sorte que le système légal de garantie paraît
complet et assuré. Dcbard, ancleo procureur gcDcral.
BIEXS ECCLÉSIASTIQUES. Jésus -Christ avait
dit : n Mon royaume n'est pas de ce monde. » Il avait
enseigné au prêtre à ne posséder rien en propre, à vendre
ce qu'il avait et à le distribuer aux pauvres, s'il voulait
arriver à la perfection. Il lui défendait expressément de thé-
sauriser sur la terre , et il ne rencontra parmi ses apôtres
qu'un seul homme qui osa transgresser sa loi. Judas volait
la bourse commune, dont il était chargé, et il vendit son
maître lui-même pour accroître son pécule. Cet exemple fut
Ijeu suivi des chrétiens pendant les deux premiers siècles
DICT. DE L\ CONVERS, — T. lU,
155
de l'Église : on y compta peu d'usuriers et de fripons. La
masse des fidèles observait scrupuleusement les préceptes du
divin législateur. On ne cherchait pas à posséder quand la
persécution était toujours présente et qu'elle menaçait à
chaque instant d'une confiscation soudaine. Les collectes
et le,?, offrandes étaient les seuls revenus de l'Église. L'évo-
que était chargé de la distribution; et quand la multiplica-
tion des chrétiens eut augmenté les charges et les devoirs
de l'épiscopat, les diacres furent créés pour avoir soin
de recueillir et de distribuer les aumônes. Ils furent insti-
tués dans toutes les églises d'Occident et d'Orient , et celles
qui prospéraient plus que les autres venaient au secours des
plus pauvres. Saint Paul raconte qu'il faisait des collectes
en Macédoine et en Grèce pour subvenir aux besoins de l'É-
glise de Jérusalem.
C'est vers le milieu du troisième siècle que la corruption
se glissa parmi les chrétiens. Les évêques cherchaient dès
lors à s'enrichir à leurs dépens, et faisaient l'usure pour
augmenter leurs richesses. Saint Cyprien le remarque comme
un abus assez ordinaire, et leur prédit une persécution comme
une punition divine. L'empereur Dèce se chargea d'accomplir
cette prophétie. Cependant l'Église ne possédait encore au-
cun immeuble : les lois romaines s'y opposaient. Aucun
collège, aucune communauté ne pouvait avoir de biens com-
muns sans l'approbation du sénat ou de l'empereur, et les
chrétiens n'étaient pas alors en position d'obtenir ces sortes
de dispenses. L'exemple d'Ananie et de Saphire, qu'on a tant
cité, est un témoignage irrécusable de la non-possession. Ils
n'apportèrent pas leurs biens à saint Pierre; ils les vendirent,
et lui en remirent la valeur. Cependant , les débats perpé-
tuels des Césars, leurs guerres sanglantes , les révoltes de
leurs soldats, ayant produit partout le relâchement de la
discipline et la violation des lois, les prêtres chrétiens osèrent
accepter des donations d'immeubles, et ces donations fu-
rent considérables ; mais , en 302 , Dioclétien et Jlaximien
en ordonnèrent la confiscation , et le décret fut exécuté par-
tout, hormis dans les Gaules, dont le gouverneur Constance-
Chlore désobéit sur ce point aux deux empereurs. Huit ans
après, ces biens furent rendus à l'Église par Maxence; et
cette indulgence fut bientôt convertie en droit par Constantin
et Licinius , qui permirent aux ecclésiastiques d'acquérir et
de posséder. Cet édit ou constitution est de l'an 321 , et de
cette époque datent la cupidité, l'ambition, la tyrannie, la
corruption et tous les vices qui ont déshonoré l'Église.
Les prêtres oublièrent les enseignements du Christ et les
paroles de saint Paul sur l'avarice ; et pourtant la loi de Jésus-
Christ ordonne sans ambiguïté au prêtre de ne rien posséder
en propre, de vivre d'offrandes et d'aumônes, et surtout de
les distribuer aux pauvres. Il avait pu être permis à l'em-
pereur Aurélien d'adjuger à l'Église d'Antioche une maison
que lui disputait Paul de Saniosate , évêque déposé de ce
siège, et de consacrer ainsi pour les Églises le droit de pos-
session ; Aurélien n'était pas obligé d'observer les lois du
christianisme, qu'il ne professait pas. ISIais Constantin,
orthodoxe, violait ouvertement les préceptes de la religion
qu'il adoptait ; et les évêques , plus éclairés que cet hypo-
crite, auraient dû refuser le privilège qu'il leur accordait.
Us usèrent au contraire de la permission avec une telle
avidité , ils firent des acquisitions si scandaleuses , si outra-
geantes pour la morale publique, que, cinquante ans après
l'édit de Constantin, Valentinien 1" se vit dans l'obligation
d'y mettre ordre , et les termes de ce nouvel édit n'attestent
que trop les moyens illicites dont les prêtres se servaient
pour accroître leurs richesses. Valentinien défend aux clercs
de fréquenter les maisons des veuves et des pupilles, livre
les délinquants au bras séculier, leur interdit d'accepter le
legs d'une femme avec laquelle ils auraient eu des liaison?
particulières, casse les testaments de ce genre , et confisque
les biens qu'ils en auraient reçus. Six ans avant cette loi ,
en 3Gi, saint Jérôme avait remarqué ces désordres. Il écrivait
24
186
h Euslocliic : « Quand vous voyez les prùlres aborder d'im
air doux et sanctilié les riclies veuves qu'ils rencontrent,
vous croiriez que leur main ne s'étend (jue pour leur donner
des bénédictions , c'est au contraire pour recevoir le prix de
leur hypocrisie. »
Le scandale ayant continué, l'édit de Valentinien fut re-
nouvelé en 390 par ïliéodose; mais toutes ces ordonnances
restèrent sans effet. Les évoques étaient déjà les maîtres du
monde romain, et leur cupidité n'avait plus de bornes.
Saint Jean Clirysostome leur reprochait , vers l'an 404 ,
d'abandonner leurs fonctions ecclésiastiques pour vendre
leurs denrées, pour soigner leurs métairies, de passer leur
temps à plaider au lieu d'instruire le peuple. Dix ans plus
tard , saint Augustin prêchait aussi contre les acquisitions
immodérées des ecclésiastiques. 11 publiait qu'il était mieux
de laisser les biens aux héritiers naturels que de les donner
aux prêtres; et il joignait l'exemple au précepte, en refusant
rm grand nombre de donations pour son église d'Hippone,
disant en chaire qu'il aimerait mieux vivre d'offrandes et de
collectes, suivant la loi du Christ, et qu'il aurait plus de
temps à donner à ses devoirs spirituels. Il ne cherchait pas
ainsi dans les lois de Moïse ce qui était favorable à l'avarice ;
il imitait au contraire les prêtres hébreux , qui se plai-
gnirent un jour à leur hjgislateur que le peuple leur donnait
au-dessus de leurs besoins , et Moïse défendit au peuple de
donner davantage. Jésus-Christ n'avait d'ailleurs demandé
jjour ses apôtres que le vivre et le vêtement, victum et ves-
titum ; et les successeurs des apôtres voulaient des châteaux,
des palais, des fermes, des chars et des pierreries.
La corruption avait fait tant de progrès que ces biens ,
destinés primitivement à la nourriture des pauvres , étaient
détournés de leur origine par les évoques. Ce nouveau dé-
sordre nécessita un nouveau règlement. Il fut statué en 470,
dans les Églises d'Occident, que les biens ecclésiastiques se-
raient divisés en quatre parts : la première était pour l'é-
vêque, la seconde pour les prêtres, la troisième pour l'en-
tretien des églises et des maisons cléricales, la quatrième,
enfin, pour les pauvres. Ce règlement fut compensé par l'é-
dit de Marcien , qui , rapportant vers la môme année ceux
de Valentinien et de Thcodose , remit les orphelins et les
veuves au pillage ; et de peur que les gens d'Église ne l'eus-
sent pas compris , l'édit de Marcien fut confirmé en 527 par
Justinien. L'empereur Anastasc avait fait plus : en 491 il
avait déclaré que les legs faits à l'Église ne se prescriraient
que par quarante ans. L'année suivante , il recula la pres-
cription jusqu'à un siècle ; et une foule de testaments , de
donations périmées furent tirées de la poussière par les ec-
clésiastiques pour recevoir leur effet : il s'ensuivit des spo-
liations sans nombre. 'La fraude môme y ajouta des spolia-
lions nouvelles. On falsifia des titres , et l'abus fut si criant,
que Justinien fut forcé d'abroger le second édit d'Anastase
et de fixer la prescription à quarante années. C'était trop
encore : les richesses du clergé s'accrurent à tel point, que
le roi de France Chilpéric disait, en 583 : « Nos coffres sont
vides, nos richesses passent aux Églises : les prélats devien-
nent des lois, et nos honneurs sont transférés aux évoques. »
A cette époque une nouvelle espèce d'ecclésiastiques
vint prendre part à la curée. Les moines, inventés en
Egypte, sous le nom de solitaires, pour prier dans le dé-
sert, voulurent jouir des joies du monde. Saint Basile les
réunit en communautés dans la Grèce. Saint Athanase les
introduisit, vers 370, en Italie; mais cette institution n'y
fit de progrès que vers le sixième siècle, par les prédica-
tions de saint Equice et les fondations de saint Benoît,
qui s'établit au mont Cassin. Saint Maur, son disciple, les
amena en France , et un siècle après ils avaient englouti le
quart des propriétés de la Gaule. L'abbé ïrithème écrivait
que de son temps on comptait quinze mille maisons de bé-
nédictins sur la terre. Ceux qui embrassaient la vie monas-
tique apportaient leurs biens à la communauté : c'était le
BIEJNS EGCLÉSIASTIQLES
nouveau droit romain établi par les papes. Les rois de France
les enrichissaient par des donations de toutes espèces, |)ar les
confiscations même qu'ils ordonnaient dans leurs Étals. Les
superstitions dont les moines et les prêtres avaient rempli
le monde étaient une source féconde d'acquisitions et de
larcins. Ils refusaient la sépulture en terre sainte aux chré-
tiens qui mouraient sans laisser à l'Église une portion de
leur héritage. La terreur des mourants était telle , qu'une
pauvre femme, n'ayant rien à donner, légua son chat à l'é-
glise pour attraper les souris qui la pillaient, énonçant dans
son testament que le chat était de bonne race. La confession
était un des moyens les plus productifs qu'ils eussent mis en
œuvre : elle leur procura des bénéfices sans nombre. On
crut arrêter le mal en réglant la part que les mourants de-
vaient laisser à l'Église : cette part fut fixée au dixième des
biens, et ce règlement devait, au bout de dix générations,
donner aux prêtres la totalité des biens de la chrétienté;
mais les obsessions des confesseurs avançaient ce terme en
arrachant beaucoup plus des malheureux dont ils tourmen-
taient l'agonie.
Les ecclésiastiques allèrent plus loin , ils s'arrogèrent les
exécutions testamentaires ; ifs prétendirent que l'exécution
des volontés du défunt leur appartenait, par la raison sin-
gulière que les morts avaient déjà subi leur jugement au tri-
bunal de Dieu. Les papes confirmèrent ce droit; saint Louis
souffrit qu'il leur fût déféré, sous peine d'excommunication,
et cette décision fut ratifiée plus tard par le concilede Trente.
A défaut de testament, l'évêque nommait des arbitres qui
réglaient ce que le défunt aurait dû donner à l'Éghse. Les cu-
rés eux-mêmes se mêlèrent d'augmenter leur pécule par des
inventions fiscales. Us s'attribuèrent le droit d'être invités à
toutes les noces qu'ils célébraient, et d'y occuper la première
place. Ce droit fut bientôt converti en argent , et les abbés
et les évoques en réclamèrent leur part ; les mariés ne pou-
vaient même coucher ensemble pendant les trois premières
nuits sans la permission des curés, qui la vendirent le plus
cher qu'ils purent. La collation de tous les sacrements fut
aloi-s une occasion d'augmenter ce casuel. Quelques per-
sonnes pieuses avaient fait des dons volontaires pour les
baptêmes et les enterrements, les curés finirent par les exi-
ger de tous leurs paroissiens.
C'est au douzième siècle que ces prétentions se manifes-
tèrent. Les fidèles eurent beau dire que c'était pour cela qu'ils
payaient la dlme; il fallut payer encore le casuel, sous
peine de n'être ni baptisé , ni marié , ni communié , ni en-
terré. Le pape Innocent III mit fin à ces contestations vers
l'an 1200, et il le fit à sa manière, c'est-à-dire à l'avantage
du fisc ecclésiastique. Il défendit bien aux prêtres de refuser
les sacrements sous prétexte de non-payement , mais il leur
permit d'employer la voie des censures et de l'excommuni-
cation contre les fidèles qui refuseraient d'observer ce qu'il
appelle dans sa bulle une couttinie louable. La dîme dont
nous venons de parler, et qui faisait entrer le dixième des
biens chrétiens dans les trésors de l'Église , n'était pas une
prescription de l'Évangile; c'est dans les lois de Moïse que
les prêtres allèrent la chercher vers le sixième siècle. Jusque
là elle n'avait pas été obligatoire, et Fra Paolo prétend,
dans son Traité des bénéfices, que la France donna la pre-
mière cet exemple. Mais les papes et les conciles ne tardè-
rent pas à généraliser cet usage.
Les croisades furent une occasion merveilleuse pour
accroître les richesses du clergé. Les seigneurs lui cédaient
leurs biens en partant ou les lui vendaient à vil prix. On
leur faisait croire qu'ils recevraient dans le ciel autant d'ar-
pents qu'ils en donneraient à Dieu sur la teiTe, et sur cette
espérance ils se dépouillaient de leur patrimoine pour aug-
menter les biens de l'Église. Ceux qui ne voulaient point
partir se rachetaient de leur vœu par des sommes considé-
lables ou des fondations pieuses. Les prélats se faisaient
hjs curateurs, les gardiens des biens que les croisés ne leur
BIENS ECCLE
donnaient point; et non-seulement ils héritaient de ceux
qui mouraient en Palestine, mais ils plaidaient encore
contre ceux qui réclamaient à leur retour les héritages de
leurs pères. Cette moisson du clergé fut des plus abon-
dantes, et le patrimoine des églises s'en accnit outre me-
sure. Ce patrimoine n'était pas renfermé dans les limites de
leur juridiction. Les abbayes, les évêchés, eurent des biens
dans toutes les parties de l'Europe. Les Églises de Milan et
de Ravenne en possédaient dans la Calabre, dans la Sicile,
dans les autres contrées de l'Italie. Celle de Rome eu avait
partout.
L'ingénieuse rapacité des ecclésiastiques inventa, vers
887, le contrat appelé prcca/re, que nous nommons au-
jourd'hui constitution de rente viagère. Les chrétiens qui
ne voulaient pas de leur vivant se dépouiller de leurs
biens , et qui étaient sans héritiers directs, les cédaient à
l'Église pour le double du revenu ; et quand les moines ou
les prêtres étaient pressés de jouir d'un domaine qui était à
leur convenance, ils portaient ce revenu au triple en faveur
du cédant.
Une chose étonnante, c'est que pendant le moyen âge la
libéralité des chrétiens s'accroissait en proportion de la dé-
moralisation du clergé. Jlais la peur des anathèmes avait
fait alors de tels progrès, môme chez les hommes les [ilus
vicieux et les plus sanguinaires, que tout cédait à cet épou-
vantail que Thypocrisie avait imposé à l'ignorance. A
l'exemple des églises et des monastères , les évoques et les
abbés voulurent posséder plus d'un bénéfice. On a dit qu'un
certain Ébrouin, évêque de Poitiers, avait été le premier à
cumuler ainsi un évéciié et une abbaye, avec la permission
de Charles le Chauve. Voltaire remarque avec raison que
c'est une erreur, et il cite Alcuin, favori de Charlemagne,
qai était à la fois' abbé de Ferrières, de Saint-Martin de
Tours et autres abbayes. Si ce premier des Césars d'Occi-
dent n'avait pas trouvé en effet cet abus établi, il n'eût pas
publié un capitulaire pour le réprimer; mais il est remar-
quable que l'auteur de cette réforme ait permis à son favori
de s'en exempter.
Les jubilés furent encore une grande ressource pour
Rorne et pour ses prêtres. Les pèlerins afiluaient dans la
capitale du monde chrétien , et l'enrichissaient de leurs of-
frandes , après avoir gratifié les églises et les monastères
qui se trouvaient sur leur route. Quelque impure que lût
la source des b^ens que l'Église convoitait , elle ne se fit
aucun scrupule de les dévorer. Les canons avaient défendu
d'accepter aucun legs ou donation des sacrilèges, adultères
et autres pécheurs de ce genre. Les gens d'éghse revinrent
de cette délicatesse, et reçurent indistinctement de toute
main. Ils allèrent plus loin : vers l'an 1200, ils imposèrent
la dîme sur les aumônes que les mendiants recueillaient de
porte en porte et sur les produits de la prostitution des
courtisanes. A la dîme le pape Alexandre II ajouta les
prémices, nouvelle imitation de la loi des Hébreux ; et
ces prémices, longtemi)s contestées, furent enfin fixées au
quarantième, qu'on nommait en Italie le quart, par allu-
sion au décime, d'où la dirne était venue.
Les prêtres ne se contentèrent pas d'acquérir et d'aug-
menter leurs biens, ils prirent des mesures pour les con-
server par des défenses d'aliénation. La défense était con-
traire aux comman<lements des versets 14 et 16 du chapi-
tre xxvii du Lévitique ; mais le verset 2S défendait de vendre
les biens consacrés au Seigneur, et ce fut la loi que les gens
d'église adoptèrent. L'empereur Léon interdit toute aliéna-
tion en 470. Basilius Cœcina, préfet de Rome sous Odoa-
cre. appliqua cette règle, en 483, aux églises d'Occident,
pendant la vacance du saint-siége; mais, en 501, le pape
Symmaque et son concile s'indignèrent qu'un laïque eût fait
des constitutions dans l'Église; ils cassèrent son décret, et
en firent un pareil. Les successeurs de ce pape, qui n'avait
stipulé que pour le diocèse de Rome, souffrirent cependant
SIASTIQUES 187
que Justinien étendît à toute la chrétienté l'exécution du
décret de Léon , à moins que l'aliénation n'eût lieu pour
racheter les captifs ou nourrir les pauvres dans une disette
extraordinaire. Saint Ambroise déclare que dans ces deux
cas l'Église vendait non-seulement ses biens, mais les vases
sacrés ; et pendant deux siècles cet usage fut généralement
suivi, jusqu'au pontificat d'Adrien 1"^. Quand l'Occident eut
passé sous les lois de Charlemagne, l'édit de Justinien n'y fut
plus observé, et les biens ecclésiastiques furent fréquemment
aliénés pour servir à la dissipation des gens d'Église ou aux
révoltes qu'ils suscitaient contre les imbéciles Carlovingiens.
Mais la cour de Rome s'occupa de réprimer cet abus, et
depuis l'an 1000 jusqu'en 1250 plusieurs bulles furent lan-
cées contre les prélats qui aliénaient les biens de l'Église.
Innocent IV annula même toutes les aliénations contraires
à l'édit de Justinien, et dans le concile de Lyon , en 1274,
Grégoire X cassa toutes celles qui pourraient être faites
sans la permission du saint-siége, qui finit par ne plus
l'accorder sous aucun prétexte. 11 en résulta que les biens
ecclésiastiques furent à perpétuité des biens de main-
morte, et qu'il n'y eut plus moyen de rendre au monde ce
que les legs et donations faisaient entrer dans le domaine
de l'Église.
Les plus fameuses de ces donations furent faites au pape
ou, comme on disait, au patrimoine de saint Pierre.
Nous ne parlons pas de celle de Constantin , qui est une
fable ridicule inventée par la cour de Rome ; mais celle du
roi Pépin est réelle. C'est par lui que (ut créé le patri-
moine de saint Pierre , origine de la puissance temporelle
des papes ; et comme parmi les biens donnés par ce roi de
France, qui les avait conquis par la voie des armes, se trou-
vait l'exarchat de Ravenne , il répondit aux ambassadeurs
de Constantin-Copronyme, qui le revendiquait, que c'était
pour l'amour de l'apôtre qu'il s'était exposé à tant de com-
bats, et que tous les trésors du monde ne lui feraient pas
ôter ce qu'il lui avait donné. Après la bataille de Pavie, le
même Pépin ajouta vingt-deux villes à ce patrùnoinc, qui s'ac-
crut dès lors par toutes sortes d'usurpations et de violences,
La séduction même y contribua sous Grégoire VII, en atti-
rant dans ce gouffre les biens de la comtesse Mathilde , dont
l'histoire est tellement liée à celle de ce pape qu'il est dif-
ficile de croire à la pureté évangélique de cette liaison.
Charlemagne ne fit que confirmer la donation de son yèrc,
mais il songea dans son testament aux églises de France ,
et légua l'or , l'argent et les pierreries de son trésor aux
vingt et un sièges métropolitains de son empire.
On ne finirait pas ?i l'on voulait signaler toutes les sources
qui contribuèrent à alimenter les biens ecclésiastiques. Ils
s'accrurent à tel point que l'évêque Jean de Palafos, cano-
nisé par Clément XI! I, écrivait à Innocent X, vers 1C30,
qu'il avait trouvé chez les jésuites de Portugal presque
toutes les richesses du royaume; que deux de leurs collèges
possédaient à eux seuls 300,000 moutons, de riches mines
d'or et d'argent et six grandes sucreries, dont quelques-
unes valaient un million d'écus. On sait quels. biens les
Templiers avaient ;i massés pendant le court espace de
deux siècles qu'avait duré leur ordre. Le clergé de Castille
possédait presque toutes les propriétés de ce royaume. En
France, suivant le dtnombrement fait en 1655 par l'ordre
de Louis XIV, le clergé avait en sa possession 6,429 abbayes
grandes ou petites , 9,000 châteaux , 252,000 métairies et
20,000 arpents de vigne. La totalité de ces biens lui rappor-
tait 312 millions, sans compter les produits des bois, mou-
lins, forges, scieries, tuileries et foui-s banaux, dont le re-
venu n'avait pu être estimé; ce qui ferait aujourd'hui près
de 600 millions : et la France n'avait encore acquis ni l'Al-
sace, ni la Franche-Comté, ni la Lorraine, ni la Flandre! On
évaluait enfin au quart des propriétés de la terre cluétiennc
celles que possédaient les seuls monastères ; et Montesquieu,
qui examine en législateur si le clergé, considéré comme une
24.
188
famille qui ne doit pas s'accroître, ne doit pas être borné
dans ses acquisitions, estimait que sous les trois races des
rois de France les ecclésiastiques avaient reçu trois fois les
biens du royaume.
On sait quel effet produisit sur les mœurs du clergé cette
opulence extraordinaire. Les déclamations de saint Bernard,
du moine Glaber et de tant d'autres en font foi , et les plain-
tes des peuples forcèrent souvent les monarques d'arrêter
le cours de ces spoliations, qui avaient élevé en Allemagne
quelques archevêques au rang de princes souverains et d'é-
lecteurs du Saint-Empire. Chilpéric fut le premier qui , en
G04, entreprit de modérer la rapacité des gens d'église : il
défendit les institutions d'Iicritiers qui se faisaient à leur
Iirolit ; mais ce capitulaire ne fut exécuté que pendant sa vie,
et après lui les acquisitions reprirent leur cours. Charles
Marlel adopta une voie plus efficace , mais en introduisant
im abus d'une autre espèce. Les seigneurs du royaume
étaient au moins aussi avides que les ecclésiastiques ; et
comme les premiers lui semblaient alors plus redoutables,
tomme le pape avait besoin de lui pour lutter contre les
Lombards, il distribua un grand nombre de biens de l'É-
j^ise à ceux de ses capitaines qui l'avaient servi dans la
f-uerre contre les Sarrasins. On vit alors des comtes et des
barons abbés de Saint-Denis ou de Saint-Germain-des-Prés,
comme on vit bientôt après des évêques et des abbés
prendre les titres de barons et de comtes , et marcher à la
tête de leurs vassaux contre l'ennemi. La confusion amenait
la confusion, et le ridicule usage de conférer à des laïques les
bénéfices de l'Église , quoique condamné par Charlemagne,
se prolongea jusqu'à la minorité de Louis XIV , qui n'eut
que la gloire de prêter son nom à l'abolition de cet abus,
l'resque en même temps que Charles Martel reprenait sur
l'Église une partie de ce qu'elle avait usurpé , Léon l'Lsau-
rien, empereur d'Orient, attentait en 732 sur les biens ec-
clésiastiques , en faisant saisir les patrimoines que le clergé
d'Italie avait en Calabre et en Sicile. Charlemagne fit à son
tour restituer aux curés ce que les évêques s'étaient appro-
prié de leurs possessions. IMais sa race dégénérée laissa tout
envahir par les prêtres comme par les seigneurs , et les cinq
premiers Capétiens montrèrent la même indulgence. Philippe-
Auguste enfin recommença à y mettre ordre, et saint Louis,
fout saint qu'il était, ne se gênait pas pour saisir le tem-
porel des évêques toutes les fois qu'ils empiétaient sur son
autorité ou qu'ils exécutaient les ordres de Rome qui
étaient contraires à sa politique. Le Vatican n'était pas
moins Apre à attaquer les biens ecclésiastiques ; mais c'était
moins pour réprimer les usurpations du clergé que pour les
attirer à lui.
On agita dans le moyen âge la question de savoir si les
domaines de l'Église étaient de droit divin ou humain. Les
jurisconsultes et les canonistes se divisèrent. Rome fit ce
singulier raisonnement : Dieu étant le maître absolu des
biens de l'Église, le vicaire de Dieu sur la terre doit en être
également le maître. Une décréfale de Clément IV établit
cette proposition vers le milieu du treiziL>me siècle, époque
féconde en controverses du même genre. Mais saint Thomas
d'Aquin la combattit, en disant que le pape n'était que le
dispensateur principal des bénéfices ecclésiastiques, sans
qu'il piH en inférer qu'il on lut le maître ou possesseur. Le
cardinal Cajétan, expliquant la jionsée de saint Thomas,
ajoute que le pape ne pouvait ni donner les biens de l'É-
glise ni en disposer d'aucune manière, mais qu'il pouvait
seulement en faire l'application convenable. Cette dispute en
produisit une autre. Le pape s'éfaya du principe qu'il avait
établi pour enlever aux rois la collation des bénéfices
ecclésiastiques, et de là naquit la querelle des inves-
titures.
Pour se venger de l'ordonnance de saint Louis , qui
avait défendu aux cleics de rien payer à la cour de Rome
sans son consonfcmcnf , l'aiticr Honiface VJIl contesta
BIENS ECCLÉSIASTIQUES
à Philippe le Bel le droit de régale, dont les rois de
France étaient en possession depuis 51 1 , par décision du
concile d'Orléans. Il s'agissait sous ce titre de la jouis-
sance des biens vacants pendant la première année. Cette
querelle fut de longue durée. Les monarques français exer-
cèrent ce droit malgré les ana thèmes du saint-siége, et In-
nocent XI le leur disputait encore en 1681. Les évêques
assemblés par Louis XIV n'osèrent en décider. Il fallut
convoquer un concile , et le droit de régale fut maintenu.
Bonifaca VIII avait inventé un nouveau droit pour l'opposer
à celui des rois. Il s'était approprié , sous le nom (\''anna-
tes, le même privilège sur les bénéfices qui viendraient
à vaquer dans le monde catholique ; et comme les annales
et la régale devaient s'exercer sur les mômes biens, la ques-
tion était de savoir à qui des rois ou du pape resterait la
jouissance des bénéfices vacants pendant une année.
Ce mot d''annates n'était pas inconnu dans l'Église. 3Iat-
thieu Paris rapporte qu'en 746 l'archevêque de Cantorbéry
les levait dans toute l'étendue de son diocèse , et dans le
onzième et le douzième siècle les évêques et abbés de
France avaient levé cet impôt sur les biens vacants de
leurs subordonnés. Boniface VIII voulait travailler plus en
grand, mais il ne travailla que jiour ses successeurs. Clé-
ment V fut le premier qui obtint la jouissance de ce droit
en 1305. Il réussit à faire payer les annales par le clergé
d'Angleterre, et les porta même à deux ans de revenu , et
d'autres royaumes se soumirent à cet impôt sur les biens
ecclésiastiques. Les papes l'aggravèrent encore en deman-
dant aux monastères, dont les bénéfices ne vaquaient jamais,
la quinzième année de leur revenu. Ils exigèrent bientôt le
droit d'annales sur les bénéfices transférés ou résignés en
cour de Rome, comme ceux des cardinaux , ¥gats, officiers
de cour et autres. Ces sortes d'annales furent appelées ré-
serves.
Mais toutes ces nouveautés excitèrent de violentes récla-
mations. Boniface IX essaya de les calmer en réduisant les
annates à la moitié du revenu , et en fixant à trois ans la
durée de ce privilège. Les oppositions continuèrent, et le
pape Alexandre V y renonça dans le concile de Pise , en
1409. Elles furent bientôt après condamnées par les conciles
de Constance et de Bûle. Vains efforts ! Le saint-siége
reprit cette prétention avec plus"de ténacité. Charles VU fut
forcé de renouveler les défenses de Charles VI son père ,
et de signer enfin, le 7 juillet 143S, la pragmatique-sanction
délibérée dans l'assemblée de Bourges, et dans laquelle fut
insérée l'abolition des annales. Louis XI , les états de Tours,
François F"" lui-même, résistèrent à leur tour à cette ten-
tative du saint-siége. Mais le dernier de ces rois céda sot-
tement à la cour de Rome en signant avec Léon X le con-
cordat qui abolit la pragmatique : ce fut un grand scandale
dans le royaume , qui paya à la chambre apostolique, pen-
dant tout le règne de François I*', une somme annuelle de
100,000 écus, qui vaudrait aujourd'hui des millions. Le
clergé, les pariements, l'université, réclamèrent avec force
le maintien de la pragmatique. Henri II , cédant aux cris
de son peuple, renouvela, en 1551, la défense de payer
les annates ; mais le concordat fut rétabli en 1572 par Char-
les IX. Henri lïl consentit comme lui à payer; Henri IV
lui-mêmeconfirmace tribut par son éditdu 22 janvier 1596,
et la vanité royale se contenta de stipuler que le pape n'en-
jouirait que par la permission du roi.
Le temps était cependant venu où les empiétements et
les usurpations du clergé devaient rencontrer de plus pius-
sants obstacles , et attirer de grands châtiments sur l'Église.
Les cinq ou six cents conciles qui avaient essayé de répri-
mer ces désordres n'avaient rédigé que des canons inutiles.
Le mal fut attaqué dans sa racine. La vente des indulgen-
ces, qui donnait un gi-and revenu au saint-siége, produisit
la révolte de Luther, et enleva la moitié de l'Allemagne à
l'autorité de la cour de Rome. Calvin, Muncer et autres
nogmentèrent ces défections. Henri VIII , entraîné par un
motif peu lionorable , sépara l'Angleterre de la communion
romaine , et s'appropria les immenses biens des monastères ;
mais il avait besoin des évèques , et leur laissa leur patri-
moine , qui s'est scandaleusement accru jusqu'à nos jouis.
Henri III de France se contenta d'interdire aux religieux
de disposer de leurs biens en faveur des couvents où ils
étaient admis. Deux siècles plus tard , en Allemagne, le phi-
losophe Joseph II supprima les monastères de ses États,
assura la subsistance des moines , et consacra leurs biens
à l'instruction du peuple.
Les biens ecclésiastiques avaient donné lieu à une autre
querelle , qui dura quinze siècles. Les prêtres prétendirent
que ces biens ne devaient pas payer l'impôt ; ils se fondaient
sur l'édit de Constantin, qui les en avait exemptés , et sur le
caractère divin de leurs domaines. Mais ils oubliaient que
cet empereur avait inséré dans son édit les mots propter
paupertatem (à cause de leur pauvreté) , et, ce qui est
plus encore, que Jésus-Christ avait payé lui-même son tri-
but à César. Il est vrai qu'après avoir enfreint sa défense
d'acquérir et de posséder, ils pouvaient pousser l'avarice
jusqu'à méconnaître le plus commun de ses préceptes, qui
était de rendre à César ce qui était à César ; mais les suc-
cesseurs de Constantin lui-même les en firent souvenir, et
l'Église était devenue assez riche pour faire disparaître la
condition de cette immunité. Constance, Honorius et Théo-
dose le jeune les soumirent donc à l'impôt comme les au-
tres sujets de l'empire. Saint Ambroise déclara que c'était
juste, et que pour avoir le droit de réclamer le privilège
des apôtres il fallait rester pauvre comme eux. Les évoques
répondaient, il est vrai, que leurs biens étaient les biens
des pauvres , et qu'on ne pouvait rien imposer sur ceux
qui n'avaient rien. Mais c'étaient eux qui jouissaient de ces
biens, et ils ne servaient qu'à leurs fastueuses dissipations.
Saint Hilaire répliquait que s'ils ne voulaient pas être tri-
butaires de César, ils ne devaient pas posséder les biens du
monde. Saint Augustin ne voyait qu'un droit humain dans
leurs possessions. Hincmar, archevêque de Reims, écrivait
que le payement du tribut était l'accomplissement des pré-
ceptes de l'apôtre saint Paul , qui en avait fait un devoir de
conscience. Plus près de nous , enfin, Bossuet, le seul mo-
derne qu'on fût tenté d'inscrire au rang des Pères de l'É-
glise, enseigna qu'il fallait payer le tribut au prince pour
contribuer aux besoins de l'État et pour avoir le droit de
jouir en paix du reste. Aussi les biens ecclésiastiques fu-
rent-ils soumis à l'impôt dès les premiers temps de la mo-
narchie française, comme ils le furent en Orient jusqu'au
dernier empereur. Clovis n'exempta les prêtres que des tri-
buts personnels; mais il leur imposa même des subsides
extraordinaires. Clotaire et tous les Mérovingiens suivirent
cet exemple. Pépin régla cet impôt au déchue ; Charlemagne
et Louis le Débonnaire l'imitèrent. Charles le Chauve y
ajouta cette clause , que les biens des clercs qui ne le paye-
raient pas seraient rendus aux véritables héritiers. En 1298
les clercs d'Angleterre tentèrent de refuser la taille , sous
prétexte que Boniface VIII leur avait défendu de la payer.
Edouard l^"" les déclara déchus de sa protection ; et comme
leurs biens furent alors exposés à toutes sortes de pillages, ils
vinrent lui offrir le cinquième de leurs revenus. La même
résistance se manifesta partout à cette époque ; les conciles
l'encouragèrent.
La bulle de Boniface VIII Clericis laicos ayant parlé
de don fjrutuit au heu de taille obligatoire, le clergé de
France s'empara de ce mot, et, après avoir payé la taille
sous tous les règnes, il essaya de faire prévaloir cette nou-
velle appellation de l'impôt , qui lui offrait l'espérance de
s'en afi'ranchir tôt ou tard. Mais Philippe le Bel força les
successeurs de Boniface à lacérer la bulle qui avait causé les
révoltes du clergé, et leva jusqu'au cinquième des revenus
ecclésiastiques. Ses enfants se contentèrent du dixième ; leurs
BIENS ECCLÉSIASTIQUES isî)
successeurs fixèrent le tribut au quart , sans préjudice des
subsides que la guerre les obligeait à demander. François I""
porta cette espèce de subside à quatre décimes , avec la per-
mission du pape; mais il fit payer son concordat au saint-
siége en s'affranchissant, en 1535, de cette humiliante auto-
risation , et réclama sur-le-champ le tiers du revenu des
évêchéset des collégiales, et la moitié des autres bénéfices.
Le clergé résista comme à son ordinaire. Il fut puni par la
saisie de ses biens; mais celui de Chartres ayant offert de
payer sa part sous le nom de don gratuit , tous les autres
s'empressèrent de suivre cet exemple; et cette forme, ayant
dès lors été convenue, fut définitivement arrêtée, en 1561,
sous Charles IX, par l'assemblée générale de Poissy. Le
clergé y gagna de ne pas voir les biens ecclésiastiques exposés
à l'investigation des agents du fisc , et il ne donna que ce
qu'il voulut. A chaque demande de subsides, il se hâtait
d'offrir un abonnement, conservait les apparences d'une
composition volontaire, et ne payait jamais dans la pro-
portion des autres sujets du royaume.
Ce ne fut plus à partir de cette époque qu'une lutte de
finesses, détours de passe-passe, entre les rois et le clergé,
les uns pour ùnposer les biens ecclésiastiques , l'autre pour
s'en défendre. Ainsi, Henri IV créa en 1594 dix-sept offices
de receveurs provinciaux des décimes, et fit payer leurs ap-
pointements sbr les biens de l'Église. En 1506 il ordonna la
revente de ces offices , força le clergé d'y consentir, et n'en
accorda la suppression, en 1606, que pour un nouveau sub-
side. Louis XIII et Louis XIV en créèrent de nouveaux,
qui furent mis encore à la charge des biens du clergé, mal-
gré son opposition et ses remontrances.
La capitation fut une nouvelle invention de ce règne ;
mais les évêques trouvèrent encore le moyen de s'en af-
franchir par une transaction et un don gratuit de 4 et 6 mil-
lions par année. Le dénombrement de 1655 fit voir claire-
ment que ces sacrifices, dont le clergé exagérait l'importance,
étaient au fond peu de chose pour lui. Qu'était en effet une
somme de 12 millions, la plus forte qu'il consentit à payer
sous Louis XIV, en 1710, pour un revenu si considérable?
A cette époque la France avait acquis trois riches pro-
vinces de plus, et le revenu des biens ecclésiastiques dépas-
sait 500 millions de livres : c'était à peine le quarantième
qu'il s'imposait, tandis que les autres sujets du royaume
payaient jusqu'au tiers.
Aussi, lorsqu'en 1750 Louis XV pubUa son édit du ving-
tième , le clergé ne manqua point de recommencer ses op-
positions et ses doléances. Mais alors c'était en présence
d'une philosophie qui attaquait de toutes parts les abus du
sacerdoce , et jamais sa résistance n'avait été plus impoli-
tique. Elle le fut beaucoup plus encore au moment de la
révolution. Ce n'était plus à des rois bigots , à des parle-
ments timides, qu'il avait affaire ; c'était à une nation éclai-
rée et déterminée à en finir avec les abus de toute espèce-
Le clergé ne comprit ni sa position ni celle de ses adver-
saires. Qu'était pour la noblesse et pour lui un déficit an-
nuel de 56 millions à combler? Mais sa vanité se révolta
contre l'égalité des charges; il parla encore du caractère
divin des biens ecclésiastiques, et l'origine n'en était déjà
que trop bien démontrée. On lui répondit qu'il n'en était
pas le propriétaire, que ces biens appartenaient à la nation,
et il n'eut point assez d'esprit pour aller au-devant de cette
observation ruineuse. L'Assemblée nationale commença cette
grande réforme par l'abolition dos annales, de la dîme et
de la pluralité des bénéfices , et finit par s'emparer de tous
les biens ecclésiastiques.
Il est remarquable que ce fut un membre du clergé,
Talleyrand-Périgord, alors évêque d'Autun , qui en
fit la proposition. Il prouva qu'il résultait de tous les titres
de fondation et des diverses lois de l'Église, que le bénéfi-
cier n'avait droit qu'à la portion de ces biens nécessaire à
sa subsistance, et qu'il n'était que l'administiatcur du reste.
BfENS ECCLÉSIASTIQUES - BIENS NATIONAUX
Mirabeau survint avec sa grande voix pourétalilir la pro-
priété réelle de la nation ; Thouret l'appuya de sa dialec-
tique serrée. Barnave ajouta que le clergé n'existait que par
la nation ; que les biens du clergé ne lui avaient été donnés
que pour elle, pour l'utilité générale. L'abbé Maury essaya
vainement de repousser leurs arguments; il défendit avec
sou éloquence ordinaire les titres de son ordre ; il offrit même
de venir enfin au secours du trésor. L'oOre était trop tar-
dive; l'opinion publique s'était prononcée : l'Assemblée na-
tionale prononça le décret d'aliénation (voyez Biens na-
tionaux), et le prêtre, devenu salarié de l'État ou de la
communauté des fidèles, rentra dans les conditions de son
origine. Il n'y eut de changé que le titre des collecteurs : au
onzième siècle , on les avait appelés diacres , au dix-hui-
tième on les appela percepteurs ; mais le clergé vécut de
collectes, comme Jésus-Christ l'avait décidé.
ViENNET, de rAcadémie Française.
BFENS-FOIXDS. Quoique sous cette acception on en-
tende en général les biens immobiliers, il est nécessaire de
les définir plus exactement. Tous les biens-fonds sont des
immeubles, mais tous les immeubles ne sont pas des
biens-fonds. Les biens-fonds sont plus particulièrement
connus dans le langage des légistes sous le nom d'immeu-
bles corporels : ce sont les fonds de terre , les vignes , les
bois, les édifices, etc. D'autres immeubles, et ce sont ceux
désignés sous le nom d'incorporels , ne peuvent être ran-
gés dans la classe des biens-londs. Ainsi , les actions qui
tendent à la poursuite ou à la revendication d'un immeuble
sont de la même qualité que l'immeuble lui-même, et ce-
pendant on ne doit pas les comprendre sous la dénomina-
tion de biens-fonds : la faculté de rachat , les actions hy-
pothécaires, les actions en rescision pour cause de lésion,
constituent bien évidemment des droits immobiliers; on
peut donc les qualifier immeubles , mais ce ne sont pas des
biens-fonds. Les servitudes mômes, qui sont établies
pour l'usage ou l'utilité des fonds, participent de la nature
immobilière de ceux-ci; mais, il faut encore le dire, les ser-
vitudes ne sont pas des biens-fonds.
Autrefois on reconnaissait un bien plus grand nombre d'im-
meubles de l'espèce de ceux que nous venons de désigner :
tels étaient les droits de seigneurie, de justice, de cens, de
ferrage, de dîme, de banalité, etc.; les rentes constituées,
qui meubles dans certaines provinces étaient immeubles
dans d'autres , et que le Code Napoléon a définitivement
classées parmi les choses mobilières. Le môme Code a per-
mis d'établir, par exception, dans le contrat de mariage des
immeubles fictifs, ainsi appelés parce que, meubles de leur
nature, ils ne tiennent la qualité immobilière que de la fic-
tion ou de la convention. Ces immeubles ne peuvent pas
recevoir néanmoins le titre de biens-fonds; et cependant ils
participent de l'essence de ceux-ci quant à certains effets,
comme de limiter le pouvoir du mari sur leur aliénation, en
échappant à la communauté. Dlb\rd, aoc. proc. général,
BIENS NATIONAUX. On appelait autrefois biens
domaniaux ceux qui constituaient le patrimoine ou la dot
de la couronne ; c'était le domaine royal. Quand la révo-
lution vint changer l'ordre des idées politiques, et boule-
verser tout à la fois la fortune de l'État et celle des particu-
liers , le domaine royal devint celui de la nation , ou , pour
parler i)lus exactement , on le désigna sous le nom de biens
nationaux , quoiqu'à vrai dire le corps de la nation n'en
ait guère profité.
La première loi sur cette matière date du 1 novembre 1789.
Un décret de l'Assemblée constituante plaça les biens ec-
clésiastiques sous la main de la nation, et, par com-
pensation , mit à la charge de celle-ci les pensions et traite-
ments qui furent alloués au clergé dépouillé , pour lui tenir
lieu de ces biens. 11 y avait dans cette disposition législa-
tive une raison apparente et un motif d'intérêt général ; car
ces biens, inaliénables entre les mains du clergé, étaient de-
venus une valeur morte; ils étaient du moius sortis du com-
merce, et il pouvait paraître d'une bonne politique de les
rendre à cette destination. Du reste, un décret du 17 mars
1790 pourvut à l'entretien du clergé par la disposition qui
attribua les biens de ce grand corps aux municipalités jus-
qu'à concurrenœ de 400 millions, à la charge par elles de
subvenir aux besoins du culte; et deux autres décrets, en
date des 14 mai et 16 juillet suivants, permirent aux munici-
palités de revendre ces mêmes biens aux particuliers.
Cependant , il y avait dans ces biens un grand nombre de
forêts , et on ne pouvait se dissimuler que si cette masse de
bois était vendue et entrait dans le domaine des particuliers,
il en résulterait une destruction presque complète de c«tte
nature de propriété, qu'il était pourtant essentiel de conser-
ver dans l'intérêt de l'État et de l'économie publique. On
dut nécessairement penser que le grand nombre de forêts
qui allaient être abattues avilirait le commerce des bois , et
anéantirait une ressource précieuse. En conséquence, le
6 août 1790, il fut décrété qu»^ les grandes masses de bois
et les forêts nationales seraie»it exceptées de la loi qui avait
aliéné les domaines nationaux aux municipalités. Mais
bientôt le mouvement révolutionnaire reçut une impulsion
qui sembla s'être accrue en raison de celte sorte de résis-
tance. Dès le 15 août de la même année un décret fut rendu
sur la vente des biens nationaux ; et pourtant le 16 octo-
bre l'esprit de conservation parut faire encore un nouvel
effort en produisant U décret qui statua sur l'emploi des
bâtiments et édifices publics dépendant des domaines natio-
naux , et sur l'emplacement des tribunaux et corps admi-
nistratifs. Le 3 novembre nouveau décret sur la vente de
certains biens nationaux; mais le 22 novembre loi qui
statue dans les termes suivants (articles 8 et 9) : « Les do-
maines nationaux et les droits qui en dépendent sont et
demeurent inaliénables sans le consentement ou le concours
de la nation; mais ils peuvent être vendus et aliénés à
titre perpétuel et incommutable , en vertu d'un décret
formel du corps législatif, sanctionné par le roi, eu obser-
vant les formalités prescrites pour la validité de ces sortes
d'aliénations. Aucun laps de temps, aucune fin de non rece-
voir ou exception , honnis celle résultant de l'autorité de
la chose jugée , ne peuvent couvrir l'irrégularité connue
et bien prouvée des aliénations faites sans le consentement
de la nation. «
Le 3 décembre un décret fut rendu sur l'ajournement
de la vente des biens des séminaires, collèges, hôpitaux et
autres établissements; mais dès le 6 mai de l'année sui-
vante il fut statué sur la vente des églises, édifices et au-
tres biens du culte, qui par l'effet de suppressions nouvelles,
nous voulons parler des ordres monastiques , se trouvaient
sans emploi.
Dès le 9 février 1792 les biens des émigrés furent saisis
par la nation , et de ce moment fut réalisé le vaste système
de conliscation dont jusque alors on n'avait fait que quekpies
essais , et qui donna lieu à la réunion dans les mains du
gouvernement de cette masse immense de propriétés plus
ordinairement connues sous le nom de biens nationaux.
Nous ne retracerons pas les conséquences de cette résolu-
tion hardie; nous ne dirons rien du déplacement des for-
tunes ni de ces scandaleuses richesses acquises si prompte-
ment, et souvent avec un peu de papier presque sans va-
leur {voyez Assignats); nous nous tairons sur la notable
atteinte portée par là aux lun'urs publiques ; nous ne parlerons
pas même îles ressources que le gouvernement trouva <lans
les ventes nationales , ressources qui , bien que diminuées
par le pillage et la mauvaise administration, fournirent à la
nation les moyens de soutenir une lutte prodigieuse contre
toutes les puissances coalisées; nous nous bornerons à rap-
porter les faits, et ces faits consistent dans l'historique de
la législation.
La confiscation une fois décrétée, la vente des biens na-
BIENS NATIONAUX
tjonaux en fut la conséquence nécessaire ; mais il paraît que
parfois cette mesure rencontra des obstacles , et que , soit
scrupule , soit crainte de l'avenir, soit tout autre motif, les
fonctionnaires publics ne se pressèrent pas toujours d'obéir
à la loi révolutionnaire. Alors, et le tl septembre 1793, la
Convention nationale , qui avait hâte de consommer son
œuvre, décréta les dispositions suivantes : « Art. 1^"^. Les
administrateurs qui, sous quelque prétexte que ce soit,
refuseront de mettre en vente les biens immeubles des émi-
grés et autres domaines nationaux dans la quinzaine des
soumissions faites pour lesdits biens, seront punis de dix
années de fers. — Art. 2. Les préposés des domaines na-
tionaux qui refuseront d'affermer lesdits biens, sous pré-
texte que les soumissions ne sont pas suffisantes , ou sous
quelque autre prétexte que ce soit, seront punis de dix. an-
nées de fers. Les représentants du peuple veilleront à
l'exécution du présent décret, et nommeront dans la société
populaire des citoyens zélés pour faire vendre ou affermer
les biens <les émigrés. » Le 13 du môme mois, nouveau
ticcret pour accélérer la vente de ces biens. En exécution
de ces violentes mesures, qui du reste furent puissamment
secondées par la cupidité , les ventes ne rencontrèrent plus
d'obstacles.
.Mais ce n'était pas tout : pour enlever aux églises les
moyens de se soutenir ou de se relever, il fut décrété , le
13 bramairean II, que l'actif des fabriques et fondations
serait propriété nationale. Il va sans dire que les presby-
tères furent compris dans la confiscation. Là ne s'arrêta pas
la marche du système, et le 22 frimaire an II les biens des
associations de piété et de charité furent déclarés nationaux.
Et lorsque ces immenses richesses furent englouties dans le
gouffre révolutionnaire, lorsqu'il n'y eut plus ni prêtres ni
nobles à dépouiller, et qu'on se trouva en face d'exigences
nouvelles ou de besoins sans cessi; renaissants, il fallut bien
jeter encore quelques miettes dans la bouche du géant
affamé. C'est pourquoi les biens des tribunaux de commecce
furent fiappés de la condamnation : un décret du 4 nivôse
an II les déclara aussi nationaux. Bien plus, au mépris du
droit des gens , on comprit dans la fatale dénomination les
biens des corporations étrangères silués en France ( 13 plu-
viôse an II). Dès le 10 mars 1793 on avait confisqué les
biens des personnes condamnées pour crimes contre-révo-
lutionnaires. Le 1^"^ août suivant il devint suffisant pour
encourir la peine de confiscation d'être mis hors Va loi.
Bientôt la mesure ftit étendue au simple délit d'avoir laissé
subsister sur ses propriétés des signes de la royauté. Mais
le comble de l'absurdili; et de l'atrocité tout ensemble fut
d'ordonner la confiscation contre tout accusé qui se donne-
rait la mort ; car, la confiscation n'ayant lieu dans les pre-
miers temps qu'après la condamnation , il se trouva des
pères de famille qui pour laisser à leurs enfants les moyens
de subsister se donnèrent la mort avant la sentence révo-
lutionnaire ; et c'est pour paralyser l'effet de ce noble dé-
vouement que la loi du 29 brumaire an II décréta qu'il
suffisait d'être accusé pour encourir la confiscation. Et par
un semblant d'humanité , qui n'était en effet qu'une déri-
sion cmelle , il fut ordonné que les enfants de ceux dont les
biens seraient frappés de confiscation seraient envoyés aux
hospices des enfants trouvés ! ( 16 brumaire an II. )
Hâtons-nous d'arriver à des temps moins déplorables. Un
premier décret du 14 lloréal an III ordonna la restitution
des biens confisqués par suite des jugements révolutionnaires ;
mais^ il établit de si nombreuses exceptions,, que ce n'était,
à vrai dire , qu'une apparence de retour aux idées de jus-
tice. Un autre décret, du 21 prairial an III, en expliquant
le premier, lui donna une certaine extension ; mais ce ne
fut que sous le gouvernement consulaire que la réparation
devint réelle. Un arrêté du 9 fioréal an IX ordonna d'abord
de surseoir à la vente des biens nationaux. Une autre déci-
liion, du 7 messidor an IX, affecta ceilainsde ces domaines à
191
l'indemnisation de ceux des hospices dont les biens avaient
été vendus. Et enfin, le 6 floréal an X, intervint le séna-
tus-consulte qui prononça sur les effets de l'amnistie ac-
cordée aux émigrés : tous ceux de leurs biens qui étaient
encore entre les mains de la nation , autres que les bois et
forêts, les immeubles affectés à un service pubhc, et les
droits sur les grands canaux , durent leur être restitués ,
et dès ce moment l'on put connaître ce qu'il fallait définitive-
ment comprendre sous la dénomination Aebiens nationaux.
Toutefois, il intervint encore quelques modifications à la
règle. C'est ainsi que le 29 floréal an X, par la création
de la Légion d'Honneur, 200 mille livres de rentes
en biens nationaux furent affectées à chaque cohorte. Mr.is
presqu'en même temps, c'est-à-dire le 18 germinal delà
même année, parut le célèbre concordat, qui , en rati-
fiant définitivement la vente des biens ecclésiastiques , re-
mit les églises non aliénées nécessaires au culte à la dispo-
sition des évêques et les presbytères entre les mains des
curés. Cependant le système de confiscation n'était pas en-
tièrement abandonné ; car c'est presque à la même époque,
c'est-à-dire le 20 prairial an X, qu'intervint un arrêté des
consuls sur la suppression des ordres monastiques, congré-
gations régulières, etc., dans les quatre nouveaux départe-
ments situés sur la rive gauche du Rhin. Les biens de ces
ordres et corporations furent réunis au domaine national,
et les lois relatives à l'administration , aux baux et à la
vente des domaines nationaux leur furent appliquées.
La réparation dont Napoléon avait conçu la pensée, mais
que Vempereur ne put effectuer, devenait possible pour le
roi. De là cette fameuse loi d'indemnité en faveur des
émigrés que fit rendre le gouvernement de Charles X. Ce
fut, quoi qu'on en ait dit, une idée grande, politique et gé-
néreuse que celle d'indemniser les anciens possesseurs des
biens nationaux. Elle tendait à réconcilier les partis, à
dépouiller ces biens de l'espèce de tache qui les couvrait, à
leur donner toute la valeur vénale qui leur manquait, en un
mot à effacer la trace d'une origine qui les frappait de dé-
faveur, et en même temps à dédommager les anciens pro-
priétaires de la perte qu'ils avaient éprouvée. On ne peut
nier que dans l'opposition que la loi d'indemnité rencon-
tra , soit en dedans , soit en dehors des Chambres, il ne soit
entré quelques sentiments peu louables, notamment une
crainte jalouse de voir les anciens émigrés reprendre dans
les affaires pubUques la place que donne la propriété. Et
peut-être cet acte n'inrtua-t-il pas médiocrement sur les
causes de la révolution de Juillet, par la haine que les
classes moyennes ressentaient en général contre les indem-
nisée. Peut-être aussi faut-il convenir que plusieurs de
ceux-ci n'apportèrent pas dans leur triomphe toute la mo-
dération que la prudence leur commandait, et dont la dis-
position des esprits leur faisait une loi.
Ce n'était pourtant pas la première fois que des réparations
de ce genre avaient eu lieu. On avait vu des rois de France,
pressés par les besoins de l'État, et ne pouvant trouver des
ressources suffisantes dans le trésor public, aliéner, à titre
d'' engagement, des biens de la couronne; et plus tard, à
diverses reprises , sous le règne même de Napoléon, on avait
imposé de fortes redevances aux possesseurs de ces biens.
Le recouvrement de cet impôt n'avait point rencontré d'obs-
tacles. Et cependant un long espace de temps s'était écoulé,
une longue prescription s'était acquise, et l'on ne s'était ja-
mais avisé ni d'attaquer cette mesure ni d'en faire un crime à
ses auteurs. C'est qu'elle portait principalement sur l'ancienne
aristocratie, et que les ennemis de celle-ci voyaient d'un œil
favorable tout ce qui pouvait diminuer ses moyens ou sa
puissance. Et remarquons bien que le chef de l'État, en frap-
pant les domaines engagés, avait agi directement contre
les possesseurs de ces domaines. On n'avait pas appelé tous
les Français à réparer des torts que, par fiction et pour ne
pas blesser la classe des acquéreurs, on a fait de nos jouta.
192
BIENS NATIONAUX — BIENVEILLANCE
Bupporfer à la France entière. Qu'auraient donc dit ces ac-
quéreurs, dont le plus grand nombre avaient acquis à vil prix,
si on n'eût demandé qu'à eux seuls le juste supplément de
ce prix? Ce moyen eût sans doute paru plus équitable , peut-
être môme eùt-il rencontré moins d'opposition réelle ; mais
on dut et l'on voulut ménager le principe d'inévocabilité des
ventes nationales; le prince demeura fidèle à ses serments.
Il cmt être plus juste, il parut plus faible; on feignit de ne
pas croire à sa bonne foi, et, au lieu de la reconnaissance qui
lui était due pour avoir voulu fermer les plaies de la révo-
lution , il ne put satisfaire les uns et s'attira la haine des
autres.
Nous ferons remarquer, en terminant cet article, que
la régie des biens nationaux a toujours été confiée et se
trouve encore entre les mains de cette administration de
l'enregistrement et des domaines, si recomraan-
dable par son zèle, sa parfaite connaissance des lois de la
matière, et la régularité de son travail.
DUBARD, ancien procureur général.
DIEIXSÉAIVCE. Conformité d'une action avec les temps,
les lieux et les personnes. C'est l'usage qui rend sensible à
cette conformité. Manquer à la bienséance expose toujours
au ridicule et dénote même parfois un vice. Cicéron va
peut-être trop loin quand il définit la bienséance : ce qui con-
siste à ne rien faire en dépit de la nature. Les bienséances
ne se devinent pas, elles s'apprennent ; l'éducation du monde
vous les inculque, et encore ce n'est que d'une manière res-
treinte et tout à fait personnelle. En effet, chaque classe a
ses bienséances particulières , qui varient à leur tour avea
les localités. « Les bienséances d'une nation ne sont pas
toujours les bienséances d'une autre nation, dit Voltaire,
ni les bienséances d'un siècle celles d'un autre siècle. » Sur
un même point , tout est contradiction. Il y a néanmoins une
exception à faire pour certaines bienséances , qui tiennent
aux sentiments du cœur; toutes les classes de la société les
rencontrent par instinct, il n'y a de dittérence que dans
les formes. » La bienséance du langage est, dit Rœderer,
l'expression naturelle des mœurs honnêtes. Elle serait une
loi du goût , quand elle ne serait pas une règle de morale, et
c'est pour cette raison que la bienséance peut être respectée
au plus haut point chez une nation où la corruption des
mœurs est portée au dernier excès. >> Les hommes les plus
vertueux comme les plus instruits sont sujets à négliger
quelques bienséances de détail ; ils ne les aperçoivent pas ,
ils portent leur vue plus haut.
Auprès des gens en place manquer aux bienséances, c'est
abjuier leur protection , c'est même une espèce de déclara-
tion de guerre ; avec ses égaux négliger quelques bien-
séances n'est qu'une faute de bon goût; avec ses véritables
amis , c'est une légère imperfection que l'habitude de se voir
fait oublier. A la suite d'une grande révolution règne une
sorte de guerre civile entre les bienséances anciennes et les
bienséances nouvelles ; mais, comme dans les modes, ce sont
toujours les dernières qui ont raison. Il n'y a jamais à hé-
siter entre les devoirs essentiels et les bienséances du mo-
ment ; les uns tiennent à la moralité , les autres ne dérivent
que de l'usage. Saint-Prosper.
Dans l'imitation poétique, les convenances et les bien-
séances ne sont pas précisément la même chose : les conve-
nances sont relatives aux personnages ; les bienséances sont
plus particulièrement relatives aux spectateurs. Les unes
regardent les usages, les mœurs du temps et du lieu de l'ac-
tion ; les autres regardent l'opinion et les mœurs du pays et
du siècle où l'action est représentée. Lorsqu'on a fait parler
et agir un personnage comme il aurait agi et parlé dans son
tcnips, on a observé les convenances; mais si les mœurs de
ce temps-là étaient choquantes pour le nôtre , en les peignant
sans les adoucir on aura manqué aux bienséances ; et si une
imitation trop fidèle blesse non-seulement la délicatesse, mais
la luidcur, on aura manqué à la décence. Ainsi, pour mieux
observer la décence et les bienséances actuelles, on est sou-
vent obligé de s'éloigner des convenances en altérant la vé-
rité. CeDe-ci est toujours la même, et les convenances sont
invariables comme elle ; mais les bienséances varient selon
les lieux et les temps : on en voit une preuve frappante dan»
l'histoire de notre théâtre.
Ce n'est pas le progrès des mœurs , mais le progrès da
goût, de la culture de l'esprit, de la politesse d'un peuple,
qui décide des bienséances. C'est à mesure que les idées de
noblesse, de dignité , d'honnêteté se raffinent, et que la mo-
rale théorique se perfectionne , qu'on devient plus sévère
plus délicat :
Chastes sont les oreilles,
Encor que le cœur soit fripon,
a dit La Fontaine. On va plus loin, et l'on prétend que plus
le cœur est corrompu, plus les oreilles sont chastes; mais
ce n'est qu'une façon ingénieuse de faire la satire des siècles
polis. L'innocence, il est vrai , n'entend mahce à rien , et à
ses yeux rien n'a besoin de voile; mais le monde ne peut
pas toujours être innocent et naïf, comme dans son enfance;
et les siècles, comme les personnes, peuvent en s'éclairant
devenir à la fois et plus décents dans le langage et plus sé-
vères dans les mœurs. Marmontel.
BIENVEILLANCE. Heureuse disposition du cœur
qui nous fait entrer dans les peines des autres et nous inspire
la pensée de les adoucir. C'est un sentiment que Dieu im-
prime dans tous les cœurs, et par lequel nous sommes portés
à nous vouloir du bien les uns aux autres. La société lui doit
ses liens les plus doux et les plus forts. Le principal moyen
dont s'est servi l'auteur de la nature pour établir et conserver
le genre humain, a été de rendre communs entre tous les
hommes leurs biens et leurs maux , toutes les fois que leur
intérêt personnel n'y met point obstacle. Il est des hommes
en qui l'intérêt, l'ambition, l'orgueil empêchent qu'il ne
s'élève de ces mouvements de bienveillance , mais il n'en est
point qui n'en portent dans le cœur les semences prêtes à
éclore en faveur de l'humanité , de la vertu ; ou, s'il en est
qui n'aient point reçu de la nature ces précieux germes , ce
doit être un défaut de conformation , semblable à celui qui
rend certaines oreilles insensibles au charme de la musique.
n II y a dans la nature de l'homme, selon Diderot, deux
principes opposés : l'amour-propre, qui nous rappelle à nous,
et la bienveillance, qui nous répand. Si l'un des deux ressorts
venait à se briser, on serait ou méchant jusqu'à la fureur,
ou généreux jusqu'à la fohe. »
Sans doute il n'est pas toujours possible de donner, ni
môme de s'offrir à des périls pour sauver ceux qui souffrent,
mais du moins on les console par la démonstration d'une
véritable sympathie : telle est la bienveillance. On allègue
contre elle qu'à force d'être générale , il lui arrive quelquefois
de n'être utile à personne en particulier : c'est une grave
erreur. Il est une foule de circonstances qui n'exigent ni
secours ni sacrifices; la vie ne se compose pas que d'intérêts
ou de besoins; on est déchiré dans ses sentiments et ses af-
fections : c'est déjàunallégementqued'être compris, qu'est-ce
donc quand la bienveillance pleure avec nous ? Mais là ne
s'arrête pas son rôle; elle intervient avec délices entre les
prétentions et les haines ; et si elle ne réussit pas toujours à
les désarmer, souvent elle les apaise d'abord, pour les ré-
concilier ensuite.
Aux époques de crises et de désastres, la bienfaisance
sans doute est d'une utilité plus immédiate; je conviendrai
même que dans les temps ordinaires son activité embrasse
les classes les plus nombreuses de la société : elle est toute en
action. C'est dans un autre cercle que se meut la bienveil-
lance; elle ne va pas qu'au-devant du malheur, elle est li
mise en œuvre de la félicité ; elle répand le calme, la douceu
et le bien-être stir tout ce qui l'entoure : c'est son soin con
tinuel. On reçoit avec empressement les dons de la bie:
BIENVEILLANCE — BIERE
103
faisancc ; encore une minute peut-être , ils seraient arrivés
trop tard. Mais, dans toutes les positions, c'est avec ravis-
sement qu'on agrée l'aspect de la bienveillance : elle s'as-
socie tout ce qui l'approche.
On confond quelquefois la politesse avec la bienveil-
lance; il est pourtant bien facile de les distinguer : c'est
pour soi qu'on possède la première ; on la regarde comme
l'apanage du rang que l'on occupe ou de l'éducation que l'on
a reçue. La politesse est souvent haute et froide ; la bienveil-
lance , au contraire , a quelque chose de tendre et de cares-
sant : elle laisse de côté tout ce qui est distinction ; elle oblige
a sa mesure, mais sans jamais classer. Saint-Pkosper.
BIENVEIVUE, bonne arrivée, heureuse arrivée,
ne se dit proprement que de la première fois qu'on arrive
en quelque endroit ou qu'on est reçu en quelque corps :
c'est, en style familier, ce que les Romains appellent sur
leurs médailles /c/ix adventus, ou simplement aclven-
tus. L'usage veut que celui qui est admis dans une com-
pagnie offre un repas ou une collation à ceux qui en font
partie et qui le reçoivent parmi eux ; cela s'appelle payer
sa bienvenue. Cet usage s'exerce principalement entre
écoliers , entre militaires ou entre prisonniers ; et il doit
être fort ancien, comme il paraît avoir donné lieu à
plus d'un abus, puisqu'une ordonnance du roi sur les ma-
tières criminelles, datée de 1670, défend, à peine de puni-
tion exemplaire, aux geôliers, greffiers, guichetiers, et à
Vancien des prisonniers, sous prétexte de bienvenue, de
rien prendre des nouveaux arrivants , en argent ou en vi-
vres, quand bien même il leur serait volontairement offert.
BIERE, cercueil de bois. Voyez Cercueil. •
BIÈRE ou BIERRE. C'est après le vin la meilleure
liqueur termentée; on la prépare avec l'orge germé, au-
quel on associe le houblon, sans lequel la liqueur serait
très-promptement altérée.
L'orge, ainsi que les autres graines, renferme une sub-
stance amilacée, qui ne peut directement subir la fermenta-
tion, mais qui se transforme en partie en sucre lorsque la
graine germe, et peut alors fermenter ( voj/e- Fermentation).
Trois conditions sont nécessaires pour que la germination
ait lieu : de l'humidité, une certaine température et la pré-
sence de l'air. On verse dans un grand bassin en bois ou
en pierre une assez gi'ande quantité d'eau pour que le grain
en soit recouvert à six ou huit centimètres d'épaisseur, et on
y jette ptju à peu l'orge; si des grains viennent nager à la
surface, on les retire, parce qu'ils donneraient un mauvais
goût à la bière. L'orge est assez trempé quand les grains
se laissent écraser entre les doigts. On renouvelle deux ou
trois lois l'eau du bassin pendant le cours de l'opération,
qui dure environ quarante heures; et quand les grains sont
arrivés au point convenable de gonflement, on soutire toute
l'eau et on en passe une dernière pour les bien laver ; on
laisse égoutter les grains, qui continuent à se gonfler, et,
au bout de huit heures à peu près en été, et de quinze
heures à peu près en hiver, on retire l'orge, que l'on réunit
en tas, dans lesquels il se développe bientôt de la chaleur ,
et peu de temps après on voit se former à l'extrémité du
grain de petits points blancs , qui sont produits par la ger-
mination. Il faut alors retourner de temps à autre les tas
pour en exposer toutes les parties à l'action de l'air. Après
un certain temps, qui dépend de la température, des radi-
cules se sont développées, et le grain est devenu sec et a
pris une saveur sucrée. Arrivée à ce terme, si la germina-
tion continuait, la matière sucrée se décomposerait, et l'on
ne pourrait plus se servir de l'orge pour fabriquer la bière.
On le poile alors dans un atelier nommé touraille, où il
se trouve exposé à une température suffisante pour le tor-
réfier légèrement; le germe se détache, et le grain peut se
conserver pendant plusieurs mois sans éprouver d'altération.
La touraille est formée d'un plancher en tôle, percé d'un
grand nombre de petites ouvertures, et placé au-dessus d'un
DICT. DE LA CONVEKS. — T. III.
fourneau dans lequel on fait du feu avec un combustible qui
donne très-peu de fumée; on étend l'orge en couches min-
ces, afin que l'action de la chaleur s'exerce plus rapidement
sur lui, et on le remue avec des râbles en fer pour en ex-
poser toutes les parties à l'action de la chaleur. On l'agite
ensuite dans des cribles, au travers desquels passent tous
les germes desséchés : l'orge reste sur le crible. On broie
l'orge sous des meules, de manière à obtenir une farine très-
grossière, que l'on place dans des cuves en bois, munies
d'un double fond percé d'un graud nombre de trous coni-
ques , dont la base est tournée vers le bas, afin qu'ils ne
puissent jamais se boucher, et Ton fait arriver au-dessus du
double-fond de l'eau chaude à 40" à peu près, en agitant
toute la masse pour la bien mêler avec l'eau. Après l'avoir
laissée reposer pendant quelque temps, on y ajoute de l'eau
plus chaude , de manière que la masse marque environ
50". On continue à l'agiter, et, après un certain temps , on
jette à la surface une certaine quantité de farine de malt
très-fine; on couvre 'bien la cuve, et on abandonne la li-
queur à elle-même pendant quelques heures ; on la retire
par le double fond et on la porte dans une chaudière ; après
quoi on fait arriver à deux fois dans la cuve une quantité
d'eau semblable à celle que l'on avait employée la première
fois.
Ji. mesure que la liqueur qui sort de la cuve, et que l'on
appelle moût de bière, arrive dans la chaudière, on y jette
du houblon et on porte la liqueur jusqu'à l'ébuUition; on
la fait ensuite écouler dans de vastes cuves appelées bacs,
qui présentent une très-grande surface pour faciliter le plus
possible le refroidissement. Le moût s'aigrit aisément
lorsque la température est élevée ; il est de la plus grande
importance d'éviter cet inconvénient, et malgré tous les
soins que l'on donnait autrefois à cette partie de l'opéra-
tion, il n'arrivait que trop souvent qu'une altération plus ou
moins sensible de la liqueur avait lieu pendant les chaleurs
de l'été. On a employé différents procédés pour obvier à
cet inconvénient : celui qui a donné les meilleurs résultats
consiste à faire passer la liqueur dans un appareil où elle
se trouve refroidie par un courant d'eau froide qui circule
dans une double enveloppe en sens inverse du moût. Ce
système présente de grands avantages, par le refroidissement
Irès-rapide du mofrt, qui ne risque pas de s'aigrir, et pro-
cure en même temps une grande quantité d'eau chaude,
utile pour diverses opérations de la brasserie. La quantité
d'eau nécessaire pour abaisser la température du moût au
degré con^^nable n'excède pas celle du moût lui-même ; il
n'y a pas de brasserie où on ne puisse se la prociu-er facile-
ment.
Le moût de bière, reçu dans une grande cuve destinée à
cet usage, étant abaissé à une température convenable, on
y ajoute de la levure; bientôt une fermentation s'y déve-
loppe , et, selon la température de la saison , elle est ache-
vée plus ou moins rapidement, ce qu'on reconnaît à la
cessation du mouvement très-rapide que présente la liqueur.
On la soutire alors dans des tonneaux , où la fermentation
présente ses dernières phases , après qu'une écimie épaisse
qui est formée de la levure s'est déversée au dehors. Il
suffit alors, pour que la bière puisse être bue, de la clari-
fier avec de la colle de poisson et de la tirer en bouteilles.
Pour coller la bière, on délaye dans dix fois son poids de
la colle de poisson gonflée et divisée le plus possible en la
malaxant entre les doigts , et on passe la liqueur dans un
linge. On mélange cette liqueur avec un volume égal de
bière, et on en verse une bouteille dans un quart de bière ;
on agite fortement avec un bâton ; on laisse reposer, et on
tire la liqueur après vingt-quatre heures. Si on veut avoir
une bière ti'ès-mousseuse, on laisse les bouteilles couchées
pendant vingt-quatre heures, et on les relève ensuite ; si on
les gardait trop longtemps couchées, un grand nombre se
briseraient , parce que le gaz acide carbonique qui se dé-
23
BIÈRE — BIÈVRE
194
vcloppedans la liqneur, ne trouvant aucune issue, acquer-
rait bientôt assez de force pour surmonter la résistance
des parois.
L'action qu'exerce la colle de poisson quand elle clarifie
la bière s'explique ainsi : elle forme en s'étendant un ré-
seau qui, en descendant, entraîne toutes les substances
qu'elle rencontre en suspension dans la liqueur, et cet effet
remarquable explique bien pourquoi la gélatine , quelque
pure qu'elle fiit, n'a jamais pu servir à cet usage : cette
dernière substance ne présente pas une organisation qui lui
permette d'agir de la même manière , et il est certain que
cette substitution ne pourra jamais avoir lieu.
La bière soumise à la distillation donne une liqueur al-
coolique d'un goût désagréable, qui est dû à une substance
acre qui l'accompagne constamment.
Dans les pays où cette liqueur sert de boisson babituelle,
comme en Angleterre, en Flandre, en Belgique, etc., on
prépare des bières extrêmement fortes, qui enivrent très-
promptement ceux qui en font usage, et on a même re-
marqué que cet enivrement est beaucoup plus dangereux
que celui qui est dû au vin. Les bières épaisses que l'on boit
dans quelques pays donnent souvent lieu à des accidents,
qui sont dus à une quantité plus ou moins considérable de
levure qu'elles tiennent en suspension. Voyez Boissons.
H. Gaultier de Claubry.
BIERNACKI ( Aloys-Prosper ) , agronome qui a rendu
à la Pologne, sa patrie, les plus grands services, et qui fut
ministre des finances pendant la révolution de 1830 , naquit
en 1778, dans lepalatinat de Kaliscb. Après avoir étudié à
l'université de Francfort-sur-l'Oder et avoir acquis des con-
naissances agronomiques très-étendues, grâce à de nombreux
■voyages dans les différentes contrées de l'Europe , il réussit
à faire de sa teiTC de Soulislawice , près deKalisch, une
véritable ferme modèle ; et les moutons de race électorale
qu'il y introduisit dès l'année 1811 acquirent bientôt à ses
troupeaux une réputation méritée. Jaloux de faire participer
sa patrie à tous les perfectionnements , il fonda dans ses do-
maines une école d'enseignement mutuel pour l'agriculture,
l'horticulture, l'histoire naturelle et les mathématiques. 11
s'associa aussi aux efforts de l'opposition contre la Russie, et
s'attira ainsi la haine du parti impérial, en même temps qu'il
se faisait de nombreux partisans parmi ses concitoyens. A
l'époque de la révolution de Pologne, en 1830 , il fut nommé
membre de la diète et président de la chambre des comptes,
puis chargé du portefeuille des finances. Après la chute de
Varsovie , il émigra en France.
BIETT (LAOKENT-TnoMAs), médecin en chef de l'hô-
pital Saint-Louis, était né à Scamf, en 1784, dans une des
vallées les plus sauvages du pays des Grisons. Il avait fait
en partie ses études en France , et était devenu Français de
toutes façons, non toutefois sans conser\'er de son pays natal
un vif souvenir et quelque chose d'embarrassé , d'original
et de naïf qui ajoutait un charme singulier à son mérite et
à l'attrait mélancolique et distingué de sa personne et de
ses manières. Mais il était avant tout un homme de bien ,
un bon esprit, un cœur droit. Enclin à l'enthousiasme, il
avait plus qu'un autre de ces instants de découragement et
de désillusion qui font brèche au bonheur. Ceux qui ont
connu le docteur Biett , ses élèves , ses amis et ses clients ,
savent avec quel dévouement, quelle douceur et quel zèle in-
génieux il traitait ses malades , principalement ceux qui n'a-
vaient à espérer aucun adoucissement de la fortune, et quelle
délicatesse il apportait dans les relations sociales. Sa règle
était de traiter sans aucune rétribution les artisans et les
artistes entons genres, et de recevoir des riches tout ce qu'il
leur plaisait de lui offrir. Hélas! parce système si humain,
il ne laissa à sa veuve , avec un nom sans tache et un ca-
binet magnifiquement orné, qu'une fortune fort dispropor-
tionnée à sa grande et légitime réputation.
Le docteur Biett avait une instruction solide et varice, un
esprit délicat , un goût littéraire très-pur ; il avait donné ses
soins et son concours à deux des ouvrages de son maître, le
célèbre docteur A liber t. Il était protestant, et connu pour
ses opinions politiques, à la fois sages et libérales. Médecin et
ami du comte .Mole et de Benjamin Delessert, qui le prenuer
avait éprouvé son zèle et ébauché sa fortune , Biett n'était
ni sans influence ni sans crédit. Il excellait à protéger comme j.
à conseiller.
Reçu docteur en 1814 à la faculté de Paris, il montra
bientôt l'élévation et la fermeté de son caractère. On le
nomma en 1815 médecin inspecteur des services sanitaires
de l'hôpital Saint-Louis, alors encombré de soldats atteints
du'typhus : il vit tomber autour de lui onze élèves frappés
par le fléau meurtrier sans quitter un poste si périlleux. 11
devint médecin titulaire du même hôpital le 11 février 1819.
A la suite d'un voyage en Angleterre , il créa dans cet hô-
pital, dévolu entièrement aux maladies de la peau, un trai-
tement externe qui permit de secourir six mille dartreux
par an. Sous son intelligente direction , les bains de Saint-
Louis devinrent un établissement-modèle, où les riches pri-
rent place tout à côté des pauvres.
D'abord prévenu en faveur des classifications de Willan
et de Bateman , il finit cependant par distribuer d'après ses
propres vues les affections cutanées en quinze classes. Il était
réservé à ses élèves, MM. Schedel et A. Cazenave, de pu-
bUer les idées qu'il avait surabondamment exposées dans les
leçons cliniques qu'il donnait chaque année à Saint-Louis.
Pendant le choléra de 1832 , il se signala par un dévouement
incomparable : on le vit passer sans désemparer jusqu'à
quatorze heures par jour auprès de ses malades de Thôpital.
Biett était membre de l'Académie de Médecine depuis 1823,
et il avait publié quelques bons articles dans le grand Dic-
tionnaire des Sciences médicales de Panckoucke, et dans
divers recueils. Il succomba à une hydropisie de poitrine,
le 3 mars 1840. Isid. Bourdon.
BIÈ'VRE. Voyez Castor.
BIÈVRE, petite rivière qui prend sa source aux en-
virons de Versailles, entre Bouviers et Guy ancourt, et vient
se perdre dans la Seine à Paris, après un cours de 31 ki-
lomètres, dans lequel elle baigne les villages de Jouy, de
Bièvre , dont elle tire son nom , arrose des prairies , se cache
dans de fraîches vallées , fait tourner des moulins et ali-
mente des fabriques. Elle entre à Paris sur le boulevard
Saint-Jacques. A cent pas en avant de l'enceinte, de beaux
arbres la couvrent de leur ombrage, ses bords sont parés
de gazon , et l'on s'étonne de trouver ses eaux encore asseï
pures. Elles n'ont pas fait cent pas dans Paris , que l'indus-
trie s'en empare, les trouble , les épaissit, les altère. Cette
corruption date de bien loin. La Bièvre suivait doucement
sa pente naturelle , quand les religieux de Saint-Victor
voulurent, sous Louis VII, la forcer d'entrer dans leur en-
clos et d'y moudre leurs grains. Saint Bernard les y aida,
au préjudice des riverains. Le temps , les fortifications de
la ville obligèrent, plus tard, à l'abandon d'une partie de
ce nouveau canal. La partie délaissée devint pour le voi-
sinage un égout; chacun y jeta ses immondices; on l'appela
le ti'ou punais. Ce fut pour tout ce côté de Paris un foyer
de contagion ; et cependant de bien longtemps encore on
n'osa porter remède au mal, tant on appréhendait de blesser
les droits seigneuriaux des moines 1 Ce canal est devenu
la rue de Bièvre.
Mais la Bièvre coulait en même temps dans Paris pour
le travail. Des drapiers et des teinturiers en laine s'étaient
établis sur ses bords dès le quatorzième siècle. Jean Go-
belin donna le premier beaucoup d'éclat et de célébrité à seJ
couleurs. Ses descendants l'imitèrent. Cette famille des Go^
belins devint riche et puissante. Colbert, qui appréciait leurs
travaux, fit de leur fabrique, en 1667, la manufacture royale
des Gobelins. La Bièvre en prit le nom. C'était une d'
nomination et presque une illustration nouvelle. La peti
BIÈVRE — BIFIDE
19;
rivière n'en fut ni plus fière ni plus propre. L'usurpation
des moines, les saignées faites aux berges par les riverains,
les batardeaux établis par des seigneurs du voisinage, le
rouissage des chanvres, la lessive des blanchisseurs, le dé-
pôt des teintures, le déversement des égoiits, appauvrirent,
corrompirent de plus en plus les eaux de la Bièvre. L'oubli
de tous règlements , l'absence de toute répression pendant
la révolution aggravèrent l'état des choses. Enfin un arrêté
des consuls , signé Bonaparte, réglementa le cours, la jouis-
sance, l'usage, l'entretien, la police de la rivière.
Les dispositions de cet arrêté des consuls étaient sages.
Le libre cours de la BièvTC importe à beaucoup d'existen-
ces. Quarante mille ouvriers vivent, sur ses bords, des in-
dustries qu'elle alimente. Ses eaux, dont les exhalaisons ont
été si souvent incommodes, si souvent nuisibles , retenues
par des travaux bien dirigés , giossies par les tributs de
sources voisines, surv cillées par une propreté vigilante, peu-
vent rendre encore de plus grands services et devenir même
un moyen de salubrité. C'est dans ce but que la ville de
Paris en entreprit la canahsation vers 1844. Devenue maî-
tresse du plan des eaux par l'achat de plusieurs moulins, la
ville a fait maçonner le lit de la rivière et réglé sa pente par
des barrages. De plus, un long tunnel doit la recevoir à son
embouchure sur le quai d'Austerlitz, et la conduire, grossie
des eaux des égouts de la rive gauche, sous ce canal cou-
vert, jusqu'au dessous du pont des Arts, et même plus tard
plus loin, afin de l'empêcher de troubler les eaux de la Seine.
Dans son cours supérieur la Bièvre est voisine de plu-
sieurs étangs, qui, dans les saisons pluvieuses, déversent
leur trop-plein dans cette rivière , ce qui a plusieurs fois
causé des inondations. Le Jmirnal de l'Étoile nous a con-
servé la mémoire d'un débordement de la Bièvre, qui em-
porta plusieurs maisons et dans lequel plusieurs personnes
perdirent la vie. Dans l'été, au contraire, le lit de cette petite
rivière était à sec. Pour parer à ces accidents, il a été formé
dans le bois de la Minière un étang-réservoir, qui recueille les
eaux quand elles sont trop abondantes, et qui les déverse
dans la rivière quand elle baisse. Ce vaste réservoir peut
contenir G00,000 mètres cubes d'eau.
BIÈVRE (MARÉCHAL marquis de), né en 1747, en-
tra , fort jeune encore , dans les mousquetaires. Sa facilité à
produire des rébus, des jeux de mots, des calembours,
lui créa parmi ses camarades une sorte de réputation , qui
bientôt s'étendit dans le monde. Pour la société frivole du
règne de Louis XV, tous les genres d'esprit étaient bons,
même dans leurs abus. Se voyant un homme fameux à si
bon marché , de Bièvre voulut augmenter sa renommée en
faisant des ouvrages avec ses mauvais bons-mots, et de la
littérature avec ses coq-à-l'àne. En 1770 il publia une
Lettre à la comtesse Tatlon , par le sieur de Bois-Jlotté,
étudiant en droit fil, suivie bientôt de quelques autres chefs-
d'œuvre de la même espèce , tels que la tragédie burlesque
de Vercingetorix, où l'on trouve des vers de cette force :
Il plut à fer^e aux dieux de m'enlever ces biens.
Hclas! saos eux brouillés que peuvent les humaias!
Puis vinrent encore Les Amours de l'ange Lure et de la fée
Lure ( 1772 ) , l'Almanach des Calembours, etc. , etc.
Ces sottises imprimées eurent assez de succès et de vogue
pour effrayer Voltaire, indigné , suivant son expression , de
voir « \m tyran si bête (le calembour) usurper l'empire du
monde ». La mode avait prononcé, et il fallait attaquer
son protégé avec ses piopres armes : c'est ainsi que lors-
qu'il lui convint de quitter son nom de famille, Maréchal,
pour se donner un titre : « Pourquoi, lui dit un ami gogue-
nard , ne vous faites-vous pas appeler, au lieu du marquis ,
le maréchal de Bièvre? » Le fait est que son grand-père,
Georges Maréchal, avait dû à ses talents la place de premier
chirurgien de Louis XTV. Cette illustration en valait bien
une autre. Un railleur amusa aussi la capitale aux dépens
du marquis par une plaisanterie d'un goût moms délicat.
M. de Chambre (c'était son nom) fit circuler une lettre
dans laquelle il l'invitait à dîner, en ne lui promettant que
la fortune du pot , phrase immédiatement sui^^e de sa si-
gnature. Une leçon plus ingénieuse fut donnée au grand fai-
seur de calembours par une dame chez laquelle il dînait.
A chaque mets demandé par h.'i, elle feignait de chercher
dans les mots qu'il avait prononcés un double sens. En vain
se tuait-il à protester du contraire. « Je n'entends pas celui-
là, u répétait la maîtresse de la maison, qui s'amusa à le dé-
sespérer ainsi pendant tout le repas.
M. de Bièvre, approchant delà quarantaine, s'avisa en-
fin de penser qu'il était temps de produire, à l'appui de
son titre d'homme de lettres, quelque ouvrage plus impor-
tant et plus sérieux. Il fît jouer au Théâtre-Français , en
1783, Le Séducteur, prétendue comédie de caractère, mais
drame écrit en général avec assez d'élégance, et parfois d'un
style assez maniéré pour que Dorât en fût soupçonné le vé-
ritable auteur. Quoi qu'il en soit , la pièce eut un succès
prononcé, et quelques jours après, la tragédie des Brames,
de La Harpe, éprouva un échec; aussi le calembouriste
ne manqua-t-il pas de dire : « Le Séducteur réussit , les
bras me (Brames) tombent. » L'irascible La Harpe ne lui
pardonna pas ce mot : un de ces bons arrêts...., bien
justes, dont parle Figaro , fut rendu dans le Cours de lit-
térature contre le Séducteur du marquis. En 1788 ce
dernier fit représenter au même théâtre une autre comédie,
en cinq actes et en vers. Les Deux Réputations ; mais elle
éprouva une chute complète, et ce fut à qui répéterait
que les Deux Réputations ne lui en feraient pas ttne.
Lorsque la révolution éclata, l'année suivante, ]M. de Biè-
vre, en sa double qualité de marquis et d'ancien mousque-
taire, crut devoir suivre un des premiers le torrent de l'é-
migration. Les graves événements qui occupaient alors les
esprits le firent oublier plus encore que son absence , à tel
point qu'il reste encore quelque incertitude sur le lieu et l'é-
poque de sa mort : suivant les uns, elle eut lieu peu de temps
après son départ, en 1789, à Spa, où il prenait les eaux; et
ils ajoutaient que , fidèle encore au calembour à ce moment
suprême, il avait dit aux personnes qui l'entouraient : « Mes
amis, je m'en vais de ce pas (de Spa). » Mais les auteurs
de ce récit pourraient bien avoir cédé au besoin d'ajouter un
calembour in extremis à tous ceux dont se compose la
couronne du marquis. La seconde version, d'après laquelle
de Bièvre serait mort à Anspach, dans le Palatinat, en 1792,
paraît plus vraisemblable. Mais ce qu'on n'eût guère soup-
çonné alors , c'est que cet homme si profondément oublié,
et le détestable genre qu'il avaH créé , auraient quelques
années plus tard ce qu'on pourrait appeler une reprise de
vogue; mais dans la réaction qui suivit la Terreur, sous
le Directoire, un égal dévergondage détériora le goût et les
mœurs. Cet abus de l'esprit reprit faveur : le Bievriana,
collection des prétendus bons mots du marquis, eut jusqu'à
trois éditions en peu de temps ; lui-même fut mis sur la
scène , comme on y montrait alors , avec accompagnement
de couplets, tous les hommes célèbres de la nation, et, pour
renchérir sur les facéties du maître , le théâtre des Variétés
nous offrit celles de son portier.
Les personnes qui ont connu particulièrement de Bièvre
assurent que son caractère valait beaucoup mieux que ses
ouvrages, et que, souverainement bon et obligeant, il n'a
guère moins rendu de services qu'il n'a dit et publié de
1-ébus et de niaiseries. 11 est doux , en compensation des
torts de son esprit, de pouvoir faire un pareil éloge de son
cœur. OijRRY.
BIEZ. Voyez Bief.
BIFÈRE (du latin bis, deux fois, et fera, je porte).
On donne ce nom aux plantes qui fleurissent et fructifient
deux fois dans l'année.
BIFIDE. Voyez Bidenti^.
25.
1U6
BIFLORE — BIGARRURE
BIFLORE, qui porte ou renferme deux fleurs : tels
sont le ;)C'tloncule du géranium phxum et la glume de
Y air a can/op/njHa.
BIFIIONS. Votjez Bicnps.
1JIFJJ11CA.TIOIV, endroit où une chose fourchue se di-
vise en deux : exemple , la bifurcation d'un chemin. Par
suite, les botanistes nomment ainsi l'endroit où une bran-
che, une tigf, un poil, etc., se divise en deux, de manière
à figurer une fourdie. — Bifurcation se dit aussi de la sé-
paration d'une artèie, d'une veine ou d'un vaisseau, telle que
celle de l'aorte abdominale.
niGAILLE, terme générique sous lequel les habitants
des Antilles comprennent tous les insectes volatiles, comme
mouches , moucherons , etc.
BIGAMIE (mot hybride, formé du latin Sis, deux fois,
et du grecYaiAEiv, se marier). D'après la définition de l'article
340 du Code Pénal, la bigamie est l'état, le crime d'une per-
sonne qui, étant engagée dans les liens du mariage, en a
contracté un autre avant la dissolution du précédent.
On conçoit que chez les peuples chrétiens , le mariage
étant considéré comme une institution tout à la fois civile
et religieuse, celui-là qui se joue d'un titre sacré, d'un con-
trat sur lequel reposent les fondements de la société, doive
être soumis à une punition sévère. Les empereurs romains
avaient poussé la rigueur jusqu'à prononcer la peine de
mort contre la femme et son complice. Puis ils s'étaient re-
lâchés de cet excès de sévérité , et alors la femme, assimilée
à r a d u 1 1 è r e, était fouettée et renfermée dans un monastère.
Les peuples prolestants se sont surtout distingués dans
la répression de la bigamie. En Suède on a affligé la peine
de mort ; en Angleterre la même peine fut en vigueur jus-
qu'au règne de (juillauine 111 ; depuis, le coupable dut être
condamné à rester en prison après avoir eu la main brûlée.
Mais rien n'égale l'atrocité de la législation suisse, où lors-
que deux femmes réclamaient le même mari , et que le crime
(le bigamie était prouvé, la loi ordonnait que le corps du bi-
game fut coupé par la moitié.
En France, et avant le Code Pénal de 1791 , il n'existait
aucune loi spéciale sur le crime de bigamie. Les parlements,
juges souverains du fait et de sa gravité , appliquaient la
l)ciiie qui leur paraissait propotiionnée à son importance,
et , il faut le dire, le dernier supplice a plus d'une fois été
infligé aux coupables. L'exemple le moins ancien qu'on en
puisse citer date de l'année 1G26 : par arrêt du 12 féviier,
le baron de Saint-Angel fut condamné à être pendu à Paris,
pour avoir épousé plusieurs femmes alors encore vivantes.
A partir de celte époque, on exposait le coupable au car-
can ou au pilori, avec autant de quenouilles qu'il avait de
femmes vivantes, ou, si c'était une femme, avec autant de
chapeaux qu'elle avait de maris vivants. On aggravait ordi-
nairement cette peine en y ajoutant celle des galères ou
du bannissement ;i temps pour les hommes; et à l'égard
des femmes, on les condamnait aussi au bannissement ou
à être renfermées pendant un certain temps dans une mai-
son de force.
La loi du 9.5 septembre 1791 établit enfin en France une
règle uniforme : elle statua que toute personne engagée dans
les liens du mariage, et qui en contracterait un second avant
la dissolution du premier, serait punie de douze années de
fers. Le Code Pénal de ISIO, qui nous régit actuellement,
n'a pas changé la nature de la peine; mais il a converti le
ternie fixe de douze années de fers en une période de cinq
à vingt ans de travaux forcés , variable à la volonté des
juges, suivant le degfé de culpabilité du bigame et les cir-
constances de son crime. Il a de plus ordonné que la même
peine serait iniligée à l'officier public qui aurait prêté son
n'.inistère au mariage bien qu'il connût l'existence du pré-
cédent. Mais c'est une question de savoir si l'on doit punir
comme bigame celui qui s'est marié deux fois, et dont le
premier mariage est nul. Assurément l'auteur de celte double
action peut paraître grandement répréhensible aux yeux de
la morale; mais devant la loi le premier mariage, étant
nul, est considéré comme s'il n'avait point existé.
Maintenant il s'agit d'examiner quels sont les effets de la
bigamie à l'égard des enfants qui peuvent être issus de l'un
ou de l'autre mariage. En ce qui concerne le premier, il est
clair que la légitimité ne saurait être contestée ; et quant
au second mariage, le lien étant illégitime, il n'a pu en
provenir que des enfants naturels ou bâtards : d'où dérive
la conséquence qu'ils ne peuvent hériter ni de leur père ni
de leur mère. Cependant, si l'un des deux époux avait ignore
l'existence du premier mariage de son conjoint; si, pour
nous sei'vir des expressions adoptées par les jurisconsultes,
il avait été dans la bonne foi, alors cette exception profiterait
à ses enfants , et ceux-ci pourraient être admis à la succes-
sion. Grand nombre d'arrêts l'ont décidé de la sorte. Le
Code Pénal de 1791 admettait d'ailleurs en matière de biga-
mie la preuve de cette bonne foi.
C'est à fa société , qui est blessée dans une de ses lois les
plus essentielles , qu'appartient la poursuite du crime de bi-
gamie , et le ministère public doit agir d'office pour en ob-
tenir la répression ; les personnes qui en ont ressenti du dom-
mage ont la faculté de se rendre parties civiles dans l'ins-
tance; mais en aucun cas elles ne peuvent être contraintes
d'y prendre qualité, encore moins de se charger de l'initia-
tive. Du reste, la prescription de l'action publique et de l'ac-
tion privée s'acquiert par le laps de dix années, ainsi qu'il
résulte de l'article 637 du Code d'Instruction criminelle;
mais de quelle époque le délai commence-t-il à courir? C'est
à partir du jour du second mariage , à moins que la pres-
cription n'ait été interrompue par des actes d'instruction ou
des poursuites , cas auquel il faut compter les dix ans du
jour de l'interriqition. Ainsi l'ont décidé plusieurs arrêts de
la cour de cassation, notamment celui du 30 décembre 1819.
DUBAKD , ancien procureur gcoéral.
La bigamie ne s'entendait pas seulement autrefois de
ceux qui étaient mariés à deux personnes vivantes à la fois,
mais aussi de ceux qui avaient contracté mariage deux fois
dans leur vie. Bien plus, on donnait quelquefois le nom
de bigame à celui qui épousait une veuve , une femme
débauchée ou une femme répudiée, toute femme enfin qui
avait appartenu à un autre. Hermenopule met au nombre
des bigames ceux qui , après s'être fiancés à une fiUe, con-
tractent mariage avec une autre ou qui épousent la fiancée
d'un autre homme. Quelques canonistes prétendent même
qu'il y a bigamie lorsqu'un homme, après que sa femme est
tombée en adultère, a commerce avec elle. On sait que l'É-
glise déclarait les bigames irréguliers, c'est-à-dire inhabiles à
être promus aux ordres sacrés ou mineurs, et incapables de
posséder des bénéfices. Saint Thomas décide que l'évêque
peut relever de la bigamie pour les ordres mineurs et les
bénéfices simples; mais Sixte V et le concile de Trente ont
décidé le contraire.
Il y a une autre sorte de bigamie par interprétation,
comme quand une personne qui est dans les ordres sacrés,
ou qui s'est engagée dans quelque ordre monastique, se
marie. Il y a aussi une sorte de bigamie spirituelle, comme
quand une personne possède deux bénéfices incompatibles :
deux évêchés, deux cures, deux canonicats, etc.
BIGARADIER. Voypz Orangku.
BIGARREAU, espèce de cerise, de la grosseur des
guignes, mais dont la chair est beaucoup plus ferme; sa
figure, moins ronde que celle des cerises, approche de la
forme du cœur; il a reçu son nom de la bigarrure de sa
peau , qui est mêlée de blanc et de rose. L'arbre qui porte
ce fruit s'appelle bigarreautier. Voyez Ceuisiek.
BIGARRURE. Variété de couleurs tranchantes ou
mal assorties. Voyez Dri fékknce.
Bigarrure se dit aussi des ouvrages de l'esprit qui n'ont
aucune liaison ni relation ensemble, et qui n'offrent qu'un
BIGARRURE — BIGNON
197
mélange de choses disparates. Et. Tabourot, seigneur des
Accords, a publié, sous le titre Ac Bigarrures, un recueil
dont Pasquier a dit qu'il était « plein de gentillesses et
de naïvetés d'esprit, bigarrées et diversifiées d'une infinité de
beaux tiaits ».
En termes de fauconnerie, on appelle bigarrures des di-
versités de couleurs que l'on remarque sur le pennage de
quelques oiseaux.
BIGAT (en latin higatus), nom d'une ancienne monnaie
des Romains qui portait wabige pour empreinte. Pline dit
que ce fut aussi le nom du denier, dont la marque au
temps de la république était un char conduit par une Vic-
toire, et tiré par deux chevaux. Quelquefois, au lieu de
deux chevaux, c'étaient deux cerfs qui tiraient le char,
comme sur les médailles de la famille Axsia; ou deux
hippopotames portant un Neptune sur leurs queues, comme
sur celles de la famille Crepcrcia.
BIGE (en latin blga) , chariot à deux chevaux, appelé
aussi par les Pioraains bijuga , parce que les deux chevaux
y étaient attelés au môme joug. Les biges, comme les qua-
driges, étaient employés à la course dans la lice. Dans des
temps plus anciens, cette espèce de chariot avait été aussi
d'un usage fort commun à la guerre et dans les combats.
Dans Homère , Hésiode, Virgile, tous les héros combattent
en bige, c'est-à-dire sur un char attelé de deux chevaux
soumis au même joug. Plusieurs médailles, surtout celles
de Syracuse et celles qu'on nonmie consulaires, portent des
biges pour effigie.
BIGÉMINÉ. Voyez Biconjdcué.
BIGIVAJM (Anne). C'est un de ces hommes qui semblent
toujours jeunes, mais non au môme titre que les génies
supérieurs. On dirait toujours un poète qui donne les plus
heureuses espérances. IS'ous allons cependant trahir son
âge ; et ce sera peut-être un malheur pour lui. Né à Lyon,
le 3 août 1795, le jeune Bignan fut envoyé à Paris pour y
faire ses études. Il se distingua dans l'université impériale,
où il préluda aux nominations et aux prix académiques par
des nominations et des prix de collège. Helléniste studieux
sur les bancs de l'école , M. Bignan songea à utiliser ses
premières et excellentes études. Loin de se livrer aux dissi-
pations du monde, il se mit à traduire Y Iliade; et en
1819 il lit paraître trois chants du chef-d'œuvre d'Homère
mis en vers français. On y sent un peu la version de col-
lège ; on voit qu'il y a effort , mais aussi application, et con-
science ; et si l'exactitude et la fidélité sont les premiers
mérites d'un pareil travail , on ne peut refuser à celui de
M. Bignan une supériorité sur plusieurs de ceux qui l'ont
précédé.
Loué par de bons critiques de l'époque, encouragé par
ses amis, M. Bignan donna tout son avenir à la carrière
poétique. Il concourut à toutes les académies ; et trois fois
lauréat aux Jeux Floraux, 11 fut nommé maître ès-art à l'A-
cadémie toulousaine. L'Académie Française eut aussi pour
lui des couronnes et des nominations : il y remporta le prix
de poésie sur un sujet bien aride : le Voyage de Charles X
dans les départeinents de l'Est. L'Invention de l'impri-
merie, qui aurait pu exalter davantage une muse chaleu-
reuse , fut moins favorable à la sienne. M. Bignan n'obtint
que l'accessit. Le Dévouement des médecins français à
Barcelone, l'Abolition de la traite des noirs, autres
sujets de concours qui prêtaient aussi aux élans poétiques
et aux vives émotions , ne lui valurent que des mentions ho-
norables. Son ode sur Joseph Vernet fut couronnée par
l'Académie de Vaucluse; ses deux poèmes sur Venise et
sur les Ruines de la France lui méritèrent la couronne
de la Société d'Émulation de Cambrai.
Outre ces poèmes, M. Bignan a publié la Grèce libre,
ode; lepauvre Vieillard, élégie; Napoléon ou le Glaive;
Is Trône et le Tombeau, poème suivi du Siège de Lyon.
Mais son titre séiieux , c'est une traduction de V Iliade ,
précédée d'un Essai sur l'épopée homérique , œuvre lon-
gue et réfléchie dans ce siècle où tout s'improvise. Vessai
est un morceau de critique historique et littéraire qui fait
honneur à la sagacité de l'écrivain ; la traduction se lit
avec intérêt, laisse deviner le génie d'Homère, et réunit
l'exactitude et l'élégance.
On voit, en lisant ses compositions originales, que l'au-
teur aime et sent la poésie ; mais souvent son expression
est forcée , sa précision sèche , son harmonie imparfaite.
Il manque surtout de chaleur, d'animation, de vie, et son
imagination n'est bien riche ni dans le fond de ses sujets ni
dans les accessoires dont il les entoure ; enfin , on éprouve
en lisant ses poèmes, plus d'estime que de plaisir. Cette
estime des ouvrages est un reflet de celle dont l'auteur s'est
entouré. Dans un siècle positif, M. Bignan a su se renfer-
mer dans les émotions poétiques ; et quand les Uttérateurs
en vers et en prose vont à la curée des honneurs, des places
et des pensions , il a su borner son ambition aux récom-
penses académiques.
Dès que le nom de Bignan est jeté dans une conversation,
on se figure entendre un cliquetis de médailles et unfrou-
frou de palmes et de couronnes. C'est que M. Bignan est
un des hommes qui ont été le plus souvent proclamés dans
les concours poétiques ; c'est que sa tête est une de celles
qui ont été le plus fréquemment ombragées du vert laurier.
Il est dans notre dix-neuvième siècle comme le représentant
des lutteurs académiques du dix-huitième, et nul auteur
n'est plus que lui en droit de dire avec le métromane de
Piron :
De Paris à RoueD , de Toulouse à Marseille ,
J'ai concouru partout, partout j'ai fait merveille,
Etienne Arago.
M. Bignan a réuni et publié en 1837 sous le titre ^Aca-
démiques toutes ses productions couronnées. En 1823
il avait fait un voyage en Italie, et en 1828 il publia un
recueil des poésies que la patrie des arts lui avait inspirées.
En 1827 il écrivit une nouvelle en prose, L'Ermite des
Alpes , qu'il fit suivre de plusieurs autres romans : L'Écha-
faud (1832 ), plaidoyer contre la guillotine; Louis XV et le
cardinal de Fleury ( 1834) ; Le dernier des Carlovingiens
( 1836) ; Une Fantaisie de Louis XIV { 1838 ). C'est M. Bi-
gnan qui a défini le roman actuel : roman épileptique , gal-
vanique , pulmonique , fantastique , satanique , etc. On lui
doit encore une pièce de théâtre intitulée : La Manie de la
Politique, qiù n'a pas été jouée. Dans ces dernières années
il a donné ses soins à une édition de ses œuvres complètes.
Il garde, dit-on, en portefeuille une tcadaclioa àeVOdyssée.
Enfin, tourmenté sans doute par les progrès des doctrines
nouvelles, il a eu la malheureuse pensée, en 1852, d'impri-
mer une traduction en vers de l'Evangile !
BIGNOIV (Jérôme) naquit à Paris, le 24 août 1589, de
Rolland Bignon , homme érudit, qui lui enseigna les lan-
gues, les humanités, l'éloquence, la philosophie, les ma-
thématiques, l'histoire, la jurisprudence, la théologie, si
bien qu'à dix ans il publiait une Chorographie de Terre
Sainte, et peu de temps après un Discours sur la ville
de Rome, qui eût fait honneur à un savant consommé.
Henri IV, ayant entendu parler de ce petit prodige , le
choisit pour enfant d'honneur du dauphin, depuis Louis XJII.
Il composa à quatorze ans pour ce prince un livre sur Vé-
lection des papes , ouvrage fort estimé de Casauhon, de de
Thou et de Grotius. A dix-neuf ans il dédiait à Henri IV son
Traité de l'excellence des rois et du royauine de France.
Il quitta la cour après la mort de ce roi, voyagea en Italie,
et de retour en France se livra tout entier aux exercices du
barreau. Ssn père le fit pourvoir en 1620 d'une charge
d'avocat général au grand conseil , où il s'acquit une si belle
réputation, que Louis XIH le nomma quelque temps après
conseiller d'État, puis avocat général au paiiement en
19« BÎG
1625. En 1641 il céda cette cliarge à Briguet, son gendre,
et fut, en 1642, nommé grand maître de la bibliothèque du
roi après la mort de de T h ou. 11 refusa dans la suite la
place de surintendant des finances. Son gendre étant mort
en 1645, Bignon fut obligé de reprendre sa charge pour la
conserver à son fds. Il arait été employé dans diverses af-
faires importantes, et Anne d'Autriche, pendant la régence,
l'appela plusieurs fois au conseil. Il mourut à Paris, le
7 avril 1656,
Son fils aîné, Jérôme, obtint en 1651 la survivance de la
charge de maître de la librairie , qu'occui)ait son père, et
conserva cette place, qu'il réservait pour son fils, jusqu'à ce
qu'en 1683, le marquis de Louvois le contraignit h donner
sa démission pour en faire hommage à l'abbé de Louvois,
son fils, âgé de huit ans.
BIGIXOIV (Jean-Paul), abbé de Saint-Quentin, de l'Aca-
démie Française, bibliothécaire du roi à la mort de l'abbé
de Louvois, et membre honoraire de l'Académie des Sciences
et de celle des Inscriptions, né à Paris, en 1662, mort à l'Ile-
Belle, prèsdeMelun, en 1743, à l'àgpde quatre-vingt-un ans,
était petit-fils de l'avocat général Jérôme Bignon, dont nous
avons parlé dans l'article précédent. Entré d'abord dans la
congrégation de l'Oratoire, il devint ensuite prédicateur du
roi et l'un des plus laborieux et des plus habiles coUabora-
leursdu Journal des Sava77ts. Ses Explications historiques
des médailles du règne de Louis XIV se font remarquer par
leur précision et une juste appréciation des faits. On lui doit
aussi une Description du sacre de Louis XV, une Vie
du père François Levesque , oratorien {ifjSi) ; Les Aven-
tures d'Abdalla ( 2 vol., 1713). Les gens de lettres, les
savants, consultaient souvent l'abbé Bignon, qui n'affectait
pas avec eux un orgueilleux patronage : érudit sans pédan-
tisme , obligeant par caractère et par goût, il les accueillait
avec tout l'abandon d'une franche amitié. Il fut un des plus
zélés protecteurs de Tournefort , qui lui témoigna sa recon-
naissance en donnant le nom de Bignonia ( voyez Bignone )
à un nouveau genre de plantes d'Amérique. Sa maison de
plaisance de Saint-Côme était le rendez-vous des savants et
des artistes. Les poètes ont célébré ce séjour champêtre
avec plus de zèle que de talent. La chanson de Moreau de
Mautour nous apprend que
C'est là que l'eau de la Seine
Se change en eau d'Hippocrène.
La Motte-Houdard a été plus hemenx. Voici l'épitaplie qu'il
a composée en l'honneur de l'abbé Bignon :
l^es sciences, les arts, lui durent des hommages;
11 en fut l'ardent protecteur;
S'il fût ué dans les premiers âges,
Il en eût été l'inventeur.
DuFEY (de l'Yonne).
BIGNON (Armand-Jérôme ), neveu du précédent, né
en 1711, mort en 1772, maître des requêtes et intendant
de Soissons, obtint en 1722 la siuvivance de la charge de
bibliothécaire du roi, occupa cette place dès 1741, date de
la démission de son oncle, et s'en démit lui-même en 1770
en faveur de son (ils.
BIGNON (Jean-Frédéric), son fils, né à Paris en 1747,
était depuis quelques années à peine conseiller au parlement,
lorsque, sur la démission de son père, il fut en 1770 nommé
bibliothécaire du roi. Reçu à l'Académie des Inscriptions
en 1781, il mourut en 1784.
BIGNON ( Louis-Pierre-Édouard, baron ),ministre plé-
nipotentiaire de Napoléon, député, pair de France , mem-
bre de l'Académie des Sciences morales et politiques , mi-
nistre de l'instruction publique et historien, naquit le 3 jan-
vier 1771 àGuerbaviile, près de La Meilleraye ( Seine-Infé-
rieure), d'un père qui exerçait la profession de teinturier. Il
lit de bonnes études au collège de Lisieux, à Paris, et se trouvait
dans cette capitale lorsque éclata la révolution de 17S9, dont il
NON
embrassa chaudement les principes; et quand les étrangers
menacèrent le sol de la France, il s'enrôla dans un bataillon
de volontaires. Cependant Bignon, qui rêvait une autre car-
rière, s'avisa un jour d'adresser une requête en vers à Talley-
rand, pour solliciter un emploi dans la diplomatie directo-
riale. Cette excentricité fut l'origine de sa fortune. Nommé
en l'an IV secrétaire de la légation française près des Can-
tons helvétiques , il passa bientôt en cette même qualité
près de la république Cisalpine. Sous le gouvernement con-
sulaire , il fut successivement chargé d'affaires à la cour de
Berlin et ministre plénipotentiaire près de l'électeur de Hesse-
Cassel , et sa modération contribua longtemps à maintenir
de bons rapports entre ces pays et la France.
Dès ce moment Bignon fut associé à tous les grands des-
seins de la politique impériale. Après la bataille d'iéna, Na-
poléon le nomma administrateur général des domaines et
des finances dans les pays conquis , difficiles fonctions, dans
lesquelles il déploya autant de probité que de talents admi-
nistratifs. En 1808 il rentra dans la diplomatie comme mi-
nistre de France à la cour de Bade; puis en 1809 il fut
chargé de l'administration provisoire des provinces autri-
chiennes que la victoire avait rangées sous la domination
française. Là encore Bignon s'attacha à adoucir le sort des
vaincus. Devenu, au commencement de 1810, résident de
France à Varsovie, il contribua, lors des désastres de 1812,
à arrêter le mouvement rétrograde des Autrichiens et à ra-
lentir l'évacuation du territoire polonais. En 1813 il fut
l'un des plénipotentiaires de Napoléon au congrès de
Dresde.
Quand l'empire se fut écroulé , Bignon publia , sous ce
titre : Exposé comparatif de l'état financier, militaire,
politique et moral de la France et des principales puis-
sances, un livre qui produisit une vive impression en Eu-
rope , et rendit à la France le sentiment de sa prépondé-
rance naturelle. Il passa dans la retraite le temps qui
s'écoula entre la première restauration et le retour de l'île
d'Elbe. Pendant les Cent Jours il exerça les fonctions de
sous-secrétaire d'État aux affaires étrangères, et fut con-
damné, après la bataille de Waterloo, à signer la fatale
convention du 3 juillet 1815.
Bignon entra en 1817 à la Chambre des Députés, où il
combattit toujours dans les rangs des défenseurs des li-
bertés publiques. C'est alors qu'il fît paraître son livre Des
Proscriptions, allusion sanglante à la situation de la
France , œuvre de conscience et de véritable courage , dans
un moment où les proscriptions étaient partout à l'ordre
du jour. Napoléon, en mourant, avait légué à Bignon une
somme de cent mille francs , en l'engageant à écrire Y His-
toire de la Diplomatie française de 1792 à 1815. II ac-
cepta et accomplit rehgieusement cette tâche. De 1829 à
1840, il publia 10 vol. du vaste travail dont l'empereur lui
avait légué la pensée. Ce livre, susceptible de quelques
critiques , mais inspiré par de nobles sentiments , est à la
fois l'œuvre d'un homme d'État, d'un écrivain habile et
d'un bon citoyen.
La révolution de Juillet trouva Bignon au nombre des
hommes les plus considérables du parti triomphant : aussi
fut-il nommé tout d'abord commissaire provisoire du gou-
vernement pour les affaires étrangères, et puis ministre de
l'instruction publique. Cependant il ne conserva ce porte-
feuille que jusqu'au 27 octobre 1830. Redevenu simple
député, il reprit sa place dans l'opposition ; mais le nouveau
pouvoir ne trouva plus en lui qu'un athlète épuisé et bien
plus disposé à excuser ses fautes qu'à les fiétrir. Toutefois,
il défendit avec énergie la cause polonaise, lâchement aban-
donnée par le cabinet Périer. Là finit la vie militante de
Bignon. Élevé à la pairie en 1837, les dernières années de
son existence parlementaire s'écoulèrent dans le silence et.
le désenchantement. Le 15 décembre 1840 il tomba ma-
lade, après avoir accompagné aux Invalides le char fu-
BIGNON — BIGORRE
199
nèbre qui contenait les cendres de Napoléon , et mourut
ie (i janvier suivant. B. Sarrans.
BIGXOiXE. Ce genre de plantes exotiques, type de la
famille des bignoniacées, fut ainsi appelé par Tourne-
fort, du nom de son ami racadémicien Bignon. Son
caractère distinctif est d'avoir toujours quatre étamines
didynames, et souvent une cinquième stérile. Nous citerons
les espèces que l'horticulture est parvenue à acclimater en
France.
La bignone à vrilles {bignonia capreolata, Linné),
originaire de la partie méridionale des Étals-Unis, est une
belle plante grimpante, à tiges longues et flexibles, à feuilles
persistantes , géminées , sur un pétiole muni de vrilles. En
mai et juin elle se couvre d'une profusion de fleurs
tubuleuses, d'un rouge fauve. Longtemps cultivée en oran-
gerie , elle a été livrée à la pleine terre , et résiste bien aux
hivers avec une légère couverture de litière sur le pied.
Plus elle est âgée, plus elle fleurit abondamment.
La bignone à fleurs pourpres {b'igiionia speciosa,llo6[i),
qui croit naturellement à Buénos-Ayres , vient bien en
pleine terre , contre le mur d'une serre tempérée. Sa tige
sarmenteuse donne naissance à des feuilles géminées, à
folioles ovales , oblongues et lisses ; elle est terminée par des
Heurs d'un beau pourpre lilas , veinées de lignes plus foncées.
N'oublions pas la bignone de Virginie {bignonia radi-
Cflns, Linné), vulgairement appelée jo5J«;?i de Virginie,
dont les tiges, grimpantes comme celles du lierre, s'atta-
chent aux murailles et aux arbres par les petites racines
qui poussent aux nœuds des branches. Lorsqu'elle trouve
des soutiens convenables , cette belle plante porte jusqu'à
dix à treize mètres de haut ses nombreux bouquets de
grosses fleurs d'une couleur écarlate un peu sombre.
Du reste, toutes les espèces du genre bignone sont à tige
sarmenteuse et grimpante, et plus ou moins armées de vrilles ;
ce qui les lend propres à être employées dans la décoration
des berceaux. Seule, la bignone catalpa de Linné n'offrait
pas ce caractère ; mais De Candolle en a fait le type du nou-
veau genre ca fa Z^a.
BIGNOMIACÉES. Cette famiUe de plantes dicotylé-
dones monopétales hypogynes tire son nom du genre bi-
gnone. Elle est ainsi caractérisée par De Candolle : calice
irrégulier , k cinq divisions plus ou moins profondes ou à
deux lèvres ; corolle à tube souvent renflé, à limbe divisé ré-
gulièrement, ou plus ordmairement partagé en deux lèvres,
dont la supérieure est entière ou bilobée et rinfcrieure tri-
lobée; cinq étamines alternant avec les lobes; de ces cinq
étamines, une (et même quelquefois trois) avorte presque
constamment; anthères à deux loges; ovaire placé sur un
disque annulaire, surmonté d'un style simple que termine
un stigmate bilamellaire.
« Les bignoniacées, dit M. A. de Jussieu, sont des arbres
ou des arbrisseaux , très-souvent des lianes ; et le bois de
celles-ci se reconnaît à un caractère particulier, extrêmement
remarquable : le partage du corps ligneux en plusieurs lobes
dont l'intervalle est rempli par le corps cortical, et qui,
ordinairement au nombre de quatre, figurent une sorte de
croix de Malte. Dépourvues de stipules, les feuilles sont
presque constamment opposées , simples ou composées, et
fréquemment terminées en une vrille simple ou rameuse.
Les fleurs, souvent remarquables par leur beauté , forment
le plus ordinairement des panicules terminales ; l'inflores-
cence est plus rarement axillaireou opposée aux feuilles, ou
uniflore. C'est sous les tropiques, dans les deux hémisphères ,
et surtout en Amérique, qu'on trouve la plupart des bigno-
niacées, quoique quelques-unes se rencontrent dans les cli-
mats tempérés, au sud jusqu'au Chili, au nord jusque dans
la Pensylvanie. «
Les genres bignone, catalpa, paulownia, sontles
pliis connus de cette famille , qui renferme près de quatre
cents espèces.
BIGNOU, espèce de cornemuse, fort en usage en Basse-
Bretagne. Le joueur de bignou remplace dans chaque vil-
lage bas-breton le ménétrier de nos villages de l'Ile-de-
France. C'est presque un personnage dans quelques-uns
et il n'y a pas de bonne fête sans lui. Il préside à la danse
des villageois, aux kermesses bretonnes, aux noces et festins,
et plus d'une tradition populaire sur certains d'entre eux
au bon vieux temps, a cours encore dans les Côtes-du-
Nord , le Finistère et le Morbihan. Telle est la légende bre-
tonne sur le joueur de bignou Nicolas Penhoët, qui pour
avoir , au bourg de Goësnou , changé le matin son chapelet
contre le ruban qui nouait son bignou , fut enlevé la nuit ,
en s'en retournant chez lui, par sept jeunes filles qui l'en-
traînèrent, non sans l'avoir préalablement forcé de les faire
danser.
Souvent le joueur de bignou est considéré comme ayant
donné son âme au malin esprit; et comme il y a les lavayi-
dièrcs de nuit , forçant les passants à laver avec elles les
chemises sales du diable, il y a le joueur de bignou du
diable , qui donne à danser dans les bruyères au clair de
la lune, et mène ensuite de force les danseurs au sabbat. 11
faut bien se garder surtout du bignou enchanté, si l'on ne
veut voir l'enfer avant le temps. Charies Romey.
BIGORRE, pays de France, qui faisait jadis partie,
comme comté, du duché de Gascogne. Il était borné au
nord par l'Armagnac , au sud par les Pyrénées , à l'est par
les Quatre-Vallces, le Nébouzan, et l'Astarac, à l'ouest par
le Béarn , et avait Tarbes pour capitale.
Ce pays, dont la superficie est de 242,000 hectares, et
qui forme aujourd'hui la majeure partie du déjjailement
des Hautes-Pyrénées, se divisait en trois parties : 1° la
plaine, où se trouvait Tarbes; 2" les montagnes , compre-
nant la vallée de Lavedan , où se voit Lourdes ; la vallée de
Carapan, où C5t situé Bagnères, et enfin la vallée de Barèges ;
3° le Rustan, dont Saint-Séver était le chef-lieu. Arrosé par
le Gave, l'Adour et l'Arroz, il jouit d'un climat doux et tem-
péré dans la plaine, mais se refroidissant à mesure qu'on se
rapproche des régions montagneuses. Les arbres de la contrée
fournissent de très-beaux bois de charpente, de construction
et de mature. On y trouve des vins d'assez bonne qualité ,
de magnifiques pâturages, de l'amiante, des eaux miné-
rales fort renommées, et les marbres fins qu'on extrait
de ses carrières , trop longtemps laissés dans l'oubli , sont
enfin depuis quelques années l'objet d'une exploitation digne
de leur mérite.
Le Bigorre était un pays d'états. Le sénéchal les convo-
quait chaque année, pour une session de huit jours, en
qualité de gouverneur du pays et de commissaire du roi ;
il les présidait dans l'origine ; mais l'évêque de Tarbes par-
vint à s'approprier cette prérogative , et , en son absence ,
l'abbé de Saint- Pé le remplaçait. Le clergé était représenté
aux états par l'évêque , quatre abbés mîtrés , deux prieurs ,
et un commandeur de ISIalte ; la noblesse, par douze barons,
et le tiers état par les consuls et jurats des villes de Tarbes^^
Vie, Bagnères, Lourdes, etc., et par les vingt-huit députés
des sept vallées. Les trois chambres commençaient par déli-
bérer séparément , puis elles se réunissaient pour résoudre
chaque question à la pluralité de deux voix contre une.
Les impôts et toutes les affaires du pays étaient discutés et
réglés par ces assemblées.
Lorsque Crassus soumit cette contrée à la puissance
romaine, elle était habitée parles Bigerri ou Bigerrones,
et près de cinq cents ans plus tard , quand elle tomba sous
la domination des Yisigoths, elle faisait partie de la Novem-
populanie. Les Francs s'en emparèrent à leur tour après la
mortd'Alaric, et les Gascons, l'ayant envahie, l'incorporèrent
à leur territoire. Louis le Débonnaire, s'étant décidé à dé-
posséder les ducs de Gascogne en 819, ne voulut pas en-
velopper les enfants de Loup-Centule, dernier duc méro-
I vingien de Gascogne, dans la disgrâce de leur père; il
203
BIGORRE — BIGOT DE PRÉ AMEN EU
cépara de ce duché le pays de Bigorre, et en investit, avec
le titre de comte , Donat-Loup, (ils aine de Loup-Cenlule.
Donat-Loup vivait encore en 845. On ne connaît pas ses
successeurs jusqu'à Raimond, comte de Bigorre, qui vivait
en 947, et fit réédilier le monastère de Saint-Savin , dans la
vallée de Lavedan. Garcie-Arnaud I" (983) , Louis (1009)
et Garcie-Arnaud II (1032) furent successivement comtes
de Bigorre. Gersende, sœur et héritière de Garcie-Arnaud II,
porta le comté de Bigorre , vers 1036, à son mari Bernard-
Roger, comte en partie de Carcassonne et de Foix. Ber-
nard 1'^'' (1038) et Raimond P'", son fils et son successeur
en 10G5, ont été les seuls comtes de Bigorre de la maison de
Carcassonne.
Ce comté fut porté, en 1080, par Béatrix F^, sœur du
comte Raimond, dans la maison do Béarn. Centule, vicomte
de Béarn , son mari , porta du clief de Béatrix le titre de
comte de Bigorre, qui passa vers 1096 à Bernard II, son fils
aîné. Celui-ci fut père de Centule II, comte de Bigorre
en 11 13, lequel contribua à la conquête de Saragosse sur les
Maures d'Espagne en 1118. Béatrix II, fille unique de
Centule II, lui succéda en 1127, avec son mari, Pierre,
vicomte de Marsan, fondateur, en 1141, de la ville de
Mont-de-Marsan. Centule III, fils de la comtesse
Béatrix II, et de Pierre, vicomte de Marsan, et leur suc-
cesseur (1163), soutint une guerre malheureuse contre
Richard d'Angleterre , duc d'Aquitaine, qui le fit prisonnier
en 1178, et ne lui accorda la liberté qu'après en avoir
obtenu la ville de Clermont et le château de Montbrun.
Béatrix III de Marsan, sa fille unique (nommée aussi
Stéphanie), fut mariée d'abord à Pierre, vicomte de Dax ,
ensuite à Bernard IV, comte de Comminges. Elle eut
de ce second mariage une fille nommée Pétronille de
Comminges, comtesse de Bigorre, mariée: 1" en 1196 à
Gaston VI, vicomte de Béarn, mort sans enfants en 1215 ;
2° à Nugnès-Sanche, comte de Cerdagne, mariage déclaré
nul presque aussitôt; 3° en 1216 à Gui, fils du fameux
Simon de Montfort; 4° avec Aimar de Rançon; 5° avec
Boson de Mathas.
Eschivat de Chabanais, fils de la fille aînée de Pétronille
et de Gui de Montfort, eut à lutter contre Mathe de Mathas,
sa tante, née de Boson, qui avait épousé Gaston VII, vicomte
de Béarn, et qui se prétendait seule héritière légitime de Pé-
tronille; la médiation de Roger IV, comte de Foix, ter-
mina le différend, par un traité qui détacha du Bigorre la
vicomte de Marsan et le pays de Rivière-Basse, pour les
donner à Mathe. Eschivat étant mort sans postérité , ce fut
sa sœur Laure de Chabanais qui lui succéda avec Rai-
mond VI, vicomte de 'furenne, son mari. Il y eut bicnlût
après, pour la succession du comté de Bigorre, six concur-
rents, tous issus de la comtesse Pétronille de Comminges.
Les états du pays étaient partagés. Celte affoire ayant été
évoquée au parlement de Paris , le roi Philippe le Bel sé-
questra le comté litigieux ; et comme Jeanne , reine de Na-
varre , sa femme , y formait aussi des prétentions , elle en
rendit hommage, l'année suivante, à l'église du Puy. Dans
la suite, Philippe le Bel, ayant éteint par des indemnités les
droils des autres prétendants, fit porter le titre de comte de
Bigorre au troisième de ses fils, qui fut depuis le roi Charles
le Bel. En 1368, Edouard III, roi d'Angleterre , donna,
comme duc de Guienne, le comté de Bigorre à Jean II, sei-
gneur de Grailly;mais ce dernier en fut presque aussitôt
dépouillé par Charles V, roi de France, qui investit de ce
comté et de celui de Gaure Jean \", comte d'Armagnac. Ce
monarque repi it le comté de Bigorre par un échange en 1374 ;
et Charles VI le donna en 1389 à Gaston-Phébus , comte de
Foix, descendu de Roger-Bernard III, qui avait épousé
en 1262 Marguerite de Béarn, fille de Gaston VII, vicomte
de Béarn, et de Mathe de Mathas-Bigorre, vicomtesse de
Marsan, alliance qui avait réuni dans la même maison les
pays de l'oix, de Béarn, de Bigorre et de Marsan. Cepen-
dant, ce ne fut qu'à partir de 1425 que les comtes de Foix
jouirent paisiblement du comté de Bigorre. Un arrêt du
parlement de Paris mit fin à toutes les difficultés relatives à
l'investiture de ce pays , qui depuis ce temps a suivi le sort
du Béarn. Ils passèrent en 1484 dans la maison d'Albret.
Henri IV, les ayant recueillis de Jeanne d'Albret, sa mère,
les réunit à la couronne de France par lettres patentes du
mois d'octobre 1607. Laîné.
BIGOT, dévot outré, superstitieux. Camden rapporte,
dans sa Britannia, que les Normands ont été appelés bi-
gots, et voici pourquoi : Lorsque Charles le Simple eut résolu
de donner la Normandie , avec sa fille Gissa, à Rollon, les
courtisans ayant averti ce duc qu'il fallait qu'il baisât les
pieds du roi, il répondit en anglais : No so, by God , c'est-
à-dire : Non, cJepar Dïeti. Aussitôt, le roi et les siens, en
se moquant, l'appelèrent Bygod, dont on a fait bigot , et
cette qualification passa à tous les Normands. Pasquier a
adopté la même version sur l'origine de ce mot , ainsi que
Guillaume de Nangis.
Le mot bigot ne se prend guère qu'en mauvaise part. Il
y a cette différence entre les bigots et les c a g^ o ^ s, que ceux-ci
sont bien réellement de faux dévots, des hypocrites, des
tartufes, tandis que la bigoterie ou le bigotisme est plutôt
le vice des petits esprits, des esprits faibles, étroits et su-
perstitieux, qui font consister la religion dans de menues
pratiques, indignes souvent du caractère élevé qu'elle doit
avoir.
BIGOT DEPRÉAMENEU (Félix-Julien- Jean),
ministre des cultes sous l'empire , naquit à Rennes , le 20
mars 1747. Destiné d'abord à la carrière ecclésiastique, il y
renonça pour se préparer à la profession d'avocat, que son
père avait exercée avec succès. Après plusieurs années
passées au parlement de Rennes, il vint se fixer à Paris, en
1779, et y fut bientôt remarqué par sa droiture, sa sagesse
et l'étendue de ses connaissances. Les suffrages de ses con-
citoyens ne tardèrent point à lui prouver que ces mérites
divers étaient appréciés. Il fut successivement nommé juge
d'un des tribunaux créés à Paris par la loi du 5 décembre
1790, et membre de l'Assemblée législative pour le dépar-
tement de la Seine. Il siégea au côté droit de cette assem-
blée ; il était de ceux qui, acceptant suicèrement la constitu-
tion de 1791, cherchaient à y trouver des éléments d'ordre,
étaient résolus à maintenir la monarchie, et croyaient né-
cessaire de lutter contre le débordement des passions popu -
laires. Les violences dont le clergé commençait à être l'objet
excitèrent sa résistance, et le courage qu'il déploya pour
lutter contre l'entraînement des esprits l'exposa plus d'une
fois aux murmures et aux attaques de ses adversaires po-
litiques. Cependant la modération de son caractère, la
loyauté de ses opinions, lui concluaient l'estime de tous, et
il eut l'honneur, bien que membre de la minorité, d'être
appelé aux devoirs, toujours délicats et souvent périlleux, de
la présidence. Au 20 juin il contribua à sauver les jours
du roi et à conjurer une collision sanglante, qui n'éclata que
quelques jours plus tard. Rentré dans la vie privée lorsque
les événements eurent pris une direction incompatible avec
ses sentiments et ses principes, il fut décrété d'accusation,
arrêté à Rennes et transféré à Paris, dans la prison de
Sainte-Pélagie, où il retrouva plusieurs de ses anciens col-
lègues , et resta pendant six mois sous les verrous , menacé
chaque jour de comparaître devant le tribunal révolution-
naire, qui était devenu le servile et cruel agent des pres-
cripteurs. Enfin, les événements de thermidor lui rendirent
la liberté : il en profita pour se retirer dans sa ville natale,
où il demeura trois ans, n'acceptant pour tout emploi que
l'utile et humble soin de réorganiser les écoles primaires.
Cependant son nom et ses services n'étaient point oubliés
à Paris : en 1796 l'Institut l'appelait à faire partie d'une
de ses classes, et lui faisait sentir le besoin de reparaître
sur un théâtre où il avait laissé de si honorables souvenirs;
BIGOT DE PRÉAMENEU — BIGOT DE MOROGUES
201
hientùt IVlcclioii îe replaça dans le tribunal unique substi-
tué aux anciens tribunaux d'arrondissement de la Seine,
ot ses collègues le choisirent pour présider une des sections.
Le 18 brumaire, en rétal)lissant le règne de l'ordre et des
lois , ouvrit une carrière plus élevée aux talents et au dé-
vouement éclairé de M. Bigot de Préameneu. Le premier
consul cherchait à s'attacher tous les hommes que leur ca-
lactère et leurs services antérieurs avaient entourés d'une
juste considération. A ce titre M. Bigot se recommandait
à son attention : il le nomma commissaire du gouvernement
( procureur général ) près le tribunal de cassation, et lui
conféra quelques mois plus tard une mission plus glorieuse,
bien que purement temporaire, et qui suffirait pour illustrer
son nom. M. Bigot fut chargé, avec Tronchet et Portails,
de préparer la rédaction de ce Code civil, un des plus beaux
titi'es de gloire de l'homme de génie qui sut le vouloir, qui
en fut lui-môme un des auteurs, et qui parvint enfin, en dépit
des résistances, des préjugés et des obstacles de tous genres,
à en doter la France. I^L Bigot de Préameneu se livra avec
ardeur à cet immense travail. Le premier consul, selon les
habitudes de son esprit, avait assigné par avance le terme
des travaux confiés aux trois commissaires. Ce terme ne fut
point dépassé, ftl. Bigot, nommé conseiller d'État, puis pré-
sident du comité de législation, prit en cette double qualité
une part active aux discussions qui s'engagèrent plus tard
devant le Corps législatif, et rédigea l'exposé des motifs de
plusieurs titres. Son nom est donc resté attaché à cet admi-
rable monument de législation.
Ses fonctions de président du comité de législation l'a-
vaient initié aux questions ecclésiastiques ; il fut ci)argé de
diriger exclusivement cette branche importante du gouver-
nement par sa nomination au ministère des cultes. Portahs,
qui avait aussi contribué avec éclat à la rédaction du Code
civil , et qui occupait ce ministère depuis plusieurs années ,
était mort le 5 août 1807 ; l'empereur lui donna M. de Préa-
meneu pour successeur. Les circonstances étaient graves, et
réclamaient des qualités spéciales. Le saint- siège se livrait
depuis quelque temps à de sourdes hostilités ; il refusait
l'institution canonique aux évêques nommés par l'empereur ;
il n'avait pas voulu s'associer au système continental , et les
nécessités de la politique étaient sur le point d'engager le
gouvernement français dans des mesures de rigueur contre
le pouvoir pontifical. Il fallait au moins que le ministre
chargé de ces affaires tempérât par l'aménité des formes la
sévérité des actes. Nul n'était plus propre à atteindre ce but
que l'ancien défenseur du clergé à l'Assemblée législative ,
que le président du comité de législation, déjà habitué à ré-
gler ces grands intérêts. M. Bigot de Préameneu eut à inter-
venir dans les circonstances les plus critiques. Il est vrai
que la volonté prépondérante de l'empereur ne lui laissait
qu'une part secondaire de responsabilité, mais cette part
était encore assez grande pour que l'aptitude spéciale qu'il y
déploya exerçât une heureuse intluence. Napoléon , poussé
aux dernières extrémités contre le pape , s'emparant de ses
États et de sa personne,' voulait éviter de soulever dans le
clei'gé français des résistances trop ouvertes. Il se proposait,
pour assurer au culte une sorte de représentation et de pou-
voir propre, de convoquer à Paris un concile œcuménique;
il avait formé , sous le nom de petit conseil du clergé de
France, une commission composée de prélats et d'ecclésias-
tiques recommandables pour préparer le travail de ce con-
cile et lui servir de conseil à lui-même. Il faisait venir à Pa-
ris tous les cardinaux italiens pour assister à son mariage.
Le pape , bien que prisonnier, créait encore de grands em-
barras. C'était le ministre des cultes qui dirigeait toutes les
négociations officielles ou secrètes appropriées à une situa-
tion si compliquée. M. Bigot de Préameneu remplit cette
tache difficile avec assez de succès pour conserver la con-
fiance de l'empereur jusqu'aux événements de 1814, et pen-
dant les Cent -Jours il eut encore l'honneur d'être placé à la
DtCT. DE LA CONVERS. — T. HI
tête de l'administration des cultes. 11 demeura fidèle au gou-
vernement dont il avait été l'un des pUis dignes auxiliaires.
La Restauration le rendit définitivement à l'étude qui avait
toujours charmé sa vie , à sa famille, dont il était l'honneur,
à ses amis , qui avaient toujours trouvé en lui des sentiments
affectueux et sincères. Il mourut en 1825. Sa mort fut simple
et modeste comme sa vie; et c'est en vain que l'esprit de
parti, égarant son pieux successeur à l'Académie Française,
s'efforça de ternir sa mémoire. Son nom restera comme
celui d'un homme de bien qui a traversé avec honneur des
temps difficiles, et a su conserver toujours sa modération en
face des violences populaires et des emportements d'un
pouvoir snns frein. Vivien, de l'Institut.
BîGOT DE MOROGUES (PiErj^E-MARiE-SÉBASTiEN,
baron), minéralogiste, géologue, économiste et agronome
distingué, né à Orléans, le 5 avril 1776 , mort dans la même
ville, le 15 juin 1840 , descendait d'une famille noble d'An-
gleterre , qui , vers le onzième ou douzième siècle , était ve-
nue s'établir en France, où elle avait acquis la seigneurie de
Morogues, dans le Berry. Le père du savant auquel est con-
saci'ée cette notice était Augustin-Pierre , vicomte de Mo-
KOGUES, ce major de vaisseau qui sous Louis XVI était
connu dans la marine sous le nom di Intrépide major.
Le baron de Morogues était bien jeune lorsqu'il perdit son
père. Sa mère l'envoya à l'école de Vannes, avec l'intention
de lui faire suivre la carrière de la marine, qu'avaient digne-
ment parcourue son père, son aïeul et son bisaïeul. L'enfant
s'adonna avec ardeur à l'étude des sciences exactes ; mais
la Révolution ne tarda pas à supprimer l'école de Vannes.
Le baron de INIorogues n'avait encore que quinze ans , quand
il vit la foudre révolutionnaire frapper une partie de sa fa- .
miile. Mais, loin de se laisser aller à la haine et d'armer son
bras d'un fer étranger pour le tourner contre sa patrie, il
voulut étudier encore pour être utile à ses concitoyens.
En 1794 il entra à l'École des Mines, où il mérita les en-
couragements de ses maîtres , Vauquelin et Haùy. Compris
dans la réforme que cet établissement subit en 1795, le ba-
ron de Morogues continua de suivre quelques cours et de se
livrer à l'étude de la minéralogie dans le laboratoire de Vau-
quelin.
De retour à Orléans, il devint, par son mariage , le beau-
frère du comte de Tristan. Unis déjà par les mêmes goûts
scientifiques, ils firent ensemble un voyage où ils explorèrent
la Bretagne, les Vosges, le Jura, la Suisse et la Savoie. Le
Journal des Blines , les Annales du Muséum d'Histoire
Naturelle et autres feuilles de l'époque suivirent presque
jour par jour leurs traces en donnant au public des rensei-
gnements aussi positifs q\ie curieux sur les productions mi-
néraloei^ues des pays qu'ils venaient de parcourir. Revenu
avec ui grand nombre de matériaux, le baron de Morogues
publia plusieurs mémoires intéressants. En 1810 il fit pa-
raître des Observations minéralogigues et géologiques sur
les principales substances des départements du Mor-
bihan, du Finistère et des Côtes-du-Nord; puis, en 1812,
un Mémoire historique et physique sur les chutes de
pierres tombées sur la surface de la terre à diverses
époques , l'un des premiers qui aient paru sur cet ordre de
phénomènes {voyez Aérolitues).
En ISU, définitivement fixé dans sa propriété de la Source
du Loiret, près d'Orléans , le baron de IMorogues se fit agro-
nome. Il eut la généreuse pensée d'améliorer la Sologne,
d'en régénérer les habitants , et rien ne lui coûta pour vaincre
les obstacles presque insurmontables qu'il rencontrait à
chaque pas. Il démontra la possibilité d'arriver à son but ,
dans une série d'écrits estimés, tels que : V Essai sur l'ap-
propriation des bois aux divers terrains de la Sologne;
V Essai sur la topographie de la Sologne et sur'les-prin-
cipatix moyens d'amélioration qu'elle présente; V Essai
sur les moyens d'améliorer ragriculinre en France, etc.
L'élude de l'agriculture, considérée dans ses rapports
•;,6
202
avec la prospérité du pays , avec le commerce intérieur et
étranger, avec les besoins du peuple, conduisit naturellement
le baron de Morogues à l'étude de l'économie politique. Son
premier opuscule sur cette matière parut en 1815 sous ce
titre : De Vinjlucnce de la forme du gouvernement sur
la gloire, l'honneur et la tranquillité nationale. L'auteur
l'écrivit pour prouver, lors des élections de 1815, la néces-
sité de se rallier aux formes constitutionnelles. De môme
qu'il avait appliqué ses connaissances agricoles à l'améliora-
tion des pays pauvres, ce l'ut principalement à l'améliora-
tion des classes souffrantes qu'il consacra ses études poli-
tiques. Dans son ouvrage intitulé : La Noblesse constitu-
tionnelle, ou Essai sur l'importance des honneurs et des
distinctions héréditaires , appliqués et modifiés confor-
mément aux progrès naturels de la Société (Paris, 1825,
in-8°), il démontra que les honneurs ne pouvaient plus
<^.tre que la récompense du mérite et des services rendus à
l'État, et que l'hérédité ne saurait les conserver sans le
mérite personnel. Dans sa Politique religieuse et philo-
sophique, ou Constitution morale du gouvernement (Pa-
ris, 1827, 4 vol. in-8°), après avoir remonte à l'origine des
sociétés religieuses et politiques, il chercha à déduire de
leurs progrès les causes de la révolution et la nécessité de
ses institutions avec l'extension dont elles sont susceptibles.
La censure l'empêcha de développer toutes ses opinions po-
litiques; mais en 1834 il les émit plus librement dans sa
Folitique basée sur la morale.
Quoique le baron de Morogues fût partisan de la légitimité,
les tendances réactionnaires de la Restauration le poussèrent
dans les rangs de l'opposition. Aussi la révolution de Juil-
let le trouva-t-elle rallié à la cause nationale, et en 1835
il fut élevé à la dignité de pair de France. Il apporta dans
l'accomplissement de ses devoirs législatifs un zèle incompa-
rable , et il allait encore à la Chambre quand déjà ses forces
défaillantes lui annonçaient l'approche de sa fin.
Le Cours complet d'Agriculture , publié presque cora-
j)létement sous sa direction, renferme un grand nombre
d'articles du baron de Morogues , articles où les connais-
sances de l'agronome ne le cèdent en rien à celles de l'écono-
miste. 11 a aussi apporté sa collaboration aux premiers vo-
lumes de la Biographie Universelle de Michaud, à la Revue
Encyclopédique , etc.
BIGOTINI (M"*), célèbre artiste de l'Opéra. Née à
Paris, vers 1784, et nièce de Milon, elle débuta en 1804,
et fut reçue comme remplaçant dans le genre noble. Le
premier sujet dans ce genre était alors M"" Clotilde.
Comme on voit aujourd'hui la manie, la vanité, la mode du
chaut introduite dans les classes les moins bien disposées à
la culture de cet art, ainsi, au commencement de ce siècle,
et pendant douze ou quinze ans, la société , à tous ses étages,
avait ses virtuoses chorégraphiques. Sous l'Empire on ne
chantait pas, on dansait. Aujourd'hui c'est le contraire: on
ne danse pas , on chante. La vocalisation ayant pris un grand
développement par le succès de l'opéra italien et de l'opéra
français, nous avons eu des Sontag de salon, des Damoreau
de comptoir; mais pendant l'époque impériale c'était la
gavotte et le pas russe qui régnaient dans les soirées do-
mestiques. L'art public se leflétant sur l'art privé, tous les
yeux étaient fixés sur Vestris et Clotilde , sur Duport et
Bigotini, sur Albert et Noblet. Ils tenaient le sceptre de la
chorégraphie théâtrale. On ne voyait qu'en eux la perfection
du la grûce , de la noblesse , de la décence relative, et que
dans leur pantomime l'expression d'actions ou de sujets
élevés, gais sans bouffonnerie, comiques sans charge.
M""^ Bigotini brillait au premier rang. Elle régna sans par-
tage du jour où M"" Clotilde se fut retirée du théâtre.
D'une taille au-dessus de la moyenne, d'une beauté régu-
lière et sérieuse sans sévérité, douée des yeux noirs les plus
expressifs et d'une chevelure d'ébène, M"*' Bigotini était
-assurément une des plus belles femmes du théâtre à celte
BIGOT DE MOROGUES — BIGRE
époque. Il y avait dans toute sa personne un charme de no-
blesse et de sensibihté qui pénétrait la salle entière dès
qu'elle paraissait sur la scène. Comme danseuse , elle mérita
d'être distinguée parmi celles qui se distinguaient alors;
mais dans les dix dernières années de sa carrière théâtrale
ce fut surtout et presque exclusivement dans la pantomime
que M"" Bigotini se plaça kors ligne. Rien aujourd'hui à
l'Opéra ne saurait donner l'idée de ce que le véritable art
mimique peut pro luire d'effet, et ce qu'il en produisait alors
que Vestris , Goyon , Milon , Beaupré , et M""^' Chevigny,
Clotilde , Gardel , prêtaient la mobilité de leurs traits, l'é-
nergie , le naturel , la grâce de leurs gestes à l'expression des
sentiments et des personnages de toute nature.
Quoitiue danseuse excellente, sons ce rapport elle avait
plus que des rivales; mais aussi finit-elle par s'adonner plus
exclusivement à la pantomime, et y prima-t-elle d'autant plus
qu'elle perdait ainsi une partie du charme de ses facultés
dansantes. Ses airs de tête, ses expressions plastiques, sa
démarche, ses gestes, sa représentation tout entière, avait
alors la vérité de chacun des personnages qu'elle avait à re-
présenter, dégagés de l'apprêt, de la roideur, de l'innaturel
qui sont nécessairement dans la condition de la danse.
L'art théâtral , dans toutes ses expressions , est l'art de la
transformation ; c'est ce que l'on ne rencontre plus aujour-
d'hui; c'est ce que l'on voyait briller chez M"* Bigotini,
toujours vraie, toujours réelle, quoiqu'elle parût sous les
traits des personnages les plus opposés, soit qu'elle eût à
représenter le charme idéal et l'amour mystique du fils de
Vénus dans Pstjché, soit que, fille de condition , mélanco-
lique et passionnée , elle nous attendrit sur les infortunes de
Mirza ou de Nina, soit enfin qn' Eucharis , Cendrillon ou
Reine de Golconde, elle se livrât à l'expression des caprices
ou des sentiments de ces caractères si divers. M"* Bigotini
savait sans cesse faire naître, entretenir l'illusion, et porter
jusqu'au bout les émotions que comportait chacun de ses
rôles. Après elle et pour ceux qui ont pu en jouir encore,
M"" Legallois dans Clari et M™* Montessu ont seules
donné quelque juste idée de la puissance de l'art mimique,
cette dernière surtout, puisqu'elle jouait avec une égale su-
périorité la Fille mal gardée et la Fée Nabotte, la Som-
nambule et Manon Lescaut, derniers reflets du génie
de M"''Rigotini, qui, après avoir brillé sur la scène du monde
entourée des honnnages et môme des attachements les plus
illustres du siècle, après avoir vu à ses pieds non-seulement
le fils adoptif de l'empereur, le grand-maréchal du palais
impérial, le plus grand seigneur de l'Espagne, mais, ce qui
valait mieux encore , le public tout entier, de M"* Bigotini
enfin qui , après avoir jeté le plus bel éclat sur l'Académie
royale de Musique et sur l'art de la pantomime, s'est sous-
traite en 1 825 à sa célébrité artistique , qu'elle pouvait aug-
menter encore , pour se livrer, dans la retraite modeste de
la vie de famille, à l'éducation chrétienne et sévère d'une
fille charmante, qu'elle croyait avoir honorablement ma-
riée (1), et dont la mort prématurée ne lui a laissé qu'un fils
et des regrets. A. Delaiorest.
IÎIGRE9 mot souvent employé dans les chartes latines
et françaises à partir du douzième siècle, désignait principa-
lement un garde chargé de veiller , dans les forêts , à la con-
servation des abeilles, de réumr les essaims, de construire
les ruches, de recueillir le miel et la cire. Les bigres avaient
le droit île couper et d'abattre les arbres où se trouvaient
les abeilles, sans pouvoir être recherchés ni inquiétés pour
ce fait. Depuis, et agrandissant toujours leur pouvoir, ils en
vinrent à s'arroger le droit de prendre dans les forêts tout
le bois dont ils avaient besoin pour leur chaulVage : d'où ils
furent appelés dans quelques endroits ./)fl?îcs bigres. Un
(1) Elle avait épousé M. Dalloz, notaire à Paris, qui , marié en
secondes noces , a eu à soutenir un procès si tristement cclélire pour
lui, pour cette seconde épouse et pour le /rire <le s.i première
femme.
BIGRE — BTJOU
203
édit royal de 1669 ayant supprimé tous les droits de chauf-
fage, à quelques exceptions près , les bigres , qui n'avaient
d'autre titre que l'usage, durent renoncer à cet avantage.
Selon le Mercure de Fraiice de février 1729, è/gre viendrait
du latin ap'ujer ou apicurus (qui gouverne les mouches,
qui a soin des abeilles ).
6IGUE, forte et longue pièce de bois de sapin, placée
debout près des navires en construction. Elle est garnie à
sa tête de poulies et de cordages , et sert à élever les lourdes
pièces de bois, de fer, etc., qui entrent dans la confection
d'un bâtiment. Souvent on établit deux bigues à bord des
grands navires ; on les fait se joindre et se croiser par leurs
têtes , qui sont dans cette position fortement liées ensemble
à l'endroit où elles se croisent; leurs pieds s'écartent de
tout l'espace offert par la largeur du navire ; des cordages ,
fixés en étais à divers points de leur longueur, les maintien-
nent en équilibre. Dans cet état, ces deux bigues consti-
tuent, momentanément, un puissant appareil qui sert à
mettre en place les bas-mâts d'un vaisseau , ou à les arra-
cher et enlever de leur place quand ils ont besoin d'être
réparés. Cet appareil est employé à défaut de machine à
mater, plus spécialement consacrée à la même opération.
Jules Lecomte.
BIHAI, genre de plantes de la famille des musacées,
qui croit en Amérique, principalement aux Antilles, où on
le trouve dans les lieux humides. Les branches du bihai des
Antilles {heliconia caribxa) sont assez semblables à celles
du platane; elles jettent des rameaux et des verges, au mi-
lien et autour desquels sont les feuilles, qui sont assez
grandes et assez larges pour que les Indiens les emploient
à couvrir leurs maisons. Ils s'en servent aussi pour eux-
mêmes en guise de parapluie, et font avec ses jeunes bran-
ches des paniers ou corbeilles, qu'ils noxamcai havas. Dans
le besoin , ils en mangent aussi les racines ou jeunes pous-
ses, qui sont blanches, tendres, et ressemblent assez à la
partie du jonc qui est en terre, avec cette différence qu'elles
ont une légère saveur qui n'a rien de désagréable.
BIHAR. Voyez. Béhar.
BIHOREAU. Genre d'oiseaux du groupe des hérons ,
qui se distinguent des butors, dont ils ont le port, par un
bec plus gros à proportion et par quelques plumes grêles
implantées dans l'occiput de l'adulte. Cuviern'en^ite qu'une
seule espèce, lebihoreau d'Europe {ardea ntjcticorax ,
Linné ), dont le mâle est blanc , à calotte et à dos noirs ; les
jeunes sont gris, à manteau brun, calotte noirâtre. Il en in-
dique trois autres espèces , caractérisées d'après leur cou-
leur. L. Laurent.
BIJOU. Ce mot, ainsi que ceux de joyau et joujou,
dérive de la racine jo,joc,ioM, d'où sont aussi venus les
mots je«,jo/e,^m«r; il exprime l'idée de tout ce qui réjouit,
amuse, procure du plaisir. Bijou, composé des syllabes bi
ou bis (deux fois ) et jou , est donc en quelque sorte syno-
nyme de joujou, car ils signiOent tous deux double jeu, avec
cette différence que le joujou n'amuse que les petits enfants,
et que le bijou sert à divertir les grands enfants, tant les fem-
mes que les hommes, qui en raffolent et y attachent un grand
prix. Matériellement parlant, un bijou est un ouvrage d'or-
fèvrerie, moins nécessaire à l'habillement qu'accessoire
plus ou moins recherché de la toilette. Pour les femmes , ce
sont des bracelets, des boucles d'oreilles, des ai-
grettes, des ceintures, des colliers, des écrins,des
boîtes et paniers à ouvrage, des peignes, etc.; pour les
hommes, des tabatières, des pommes de canne, des
cachets, des boucles de souliers et de jarretières, etc. ;
pour les deux sexes , des agrafes, des anneaux, des
bagues, des bombonnières, des chaînes, des breloques,
des boutons, des croix, de étuis, des épingles, des
flacons, des lorgnons, des lunettes, des montres,
des nécessaires, des tablettes, etc., etc. Cette nomen-
clature , quoique assez longue , est pourtant bien loin d'être
complète ; car il est difficile de se souvenir de tout ce que le
caprice et la mode ont produit en tous temps, en tous heux,
et de prévoir ce qu'ils peuvent inventer encore; mais nous
laissons le soin d'y suppléer aux amateurs des deux sexes
plus versés que nous dans la connaissance et l'usage de ces
colifichets.
Il serait pourtant curieux de savoir en quoi consistaient
les bijoux qu'Isaac envoya à Rébecca; la forme, la matière
et les ornements des diadèmes de Sémiramis et de Didon ,
du collier qui coûta la vie à Ériphyle et à son époux Am-
phiaraus, de celui que portait le Gaulois qui tut tué par
Manlius , surnommé depuis Torquatus , etc. ; on voudrait
avoir quelques détails sur l'anneau de S a lo m on, sur
celui de Polycrate, sur ceux qui servaient de cachet à
Mahomet et aux khalifes , ses successeurs , et qui générale-
ment étaient d'argent, comme le sont encore ceux des
Turcs ; de la prétendue bague de Ja sainte Vierge, ou plutôt
d'Agrippine, épouse de Germanicus, qu'on voit au cabinet
des médailles de la Bibliothèque Nationale ; sur les anneaux
que des femmes indiennes et sauvages portent aux narines
ou à la membrane intermédiaire du nez; sur l'anneau de
chasteté des kalandcrs, etc.
Il est certain, du reste, que l'usage des bijoux est fort an-
cien. Si l'on réfléchit que l'art de découvrir, d'extraire, de
travailler l'or et l'argent, de mettre en œuvre les pierreries,
fait supposer un degré assez avancé de civUisation, et
qu'avant de fabriquer des bijoux, les hommes ont dû songer
à se nourrir, à se loger, à se vêtir, à inventer, à perfec-
tionner tous les objets nécessaires, non-seulement aux pre-
miers besoins, mais à l'aisance de la vie , on jugera avec
nous que le monde est beaucoup plus vieux qu'on ne pense.
Les bijoux, les ornements d'or, d'argent et de pierres pré-
cieuses , ont été adoptés principalement par les femmes ,
dans tous les temps et dans tous les pays. L'Orient , Athè-
nes , Rome, virent des excès en ce genre. On cite Cornélie,
la mère des Gracques, comme ayant su s'affranchir de
cette vanité ridicule, et préférer ses enfants à ses bijoux;
mais les Cornélies sont rares, même de nos jours. On se
souvient des fameuses perles que Cléopâtrefit dissoudre
dans un festin. Sous les empereurs d'Orient, au cinquième
siècle, les dames, outre leurs boucles d'oreilles, avaient
d'autres bijoux, pour orner l'extrémité de leurs joues; elles
portaient des lames d'or au-dessus de leurs mains. Les
jeunes gens avaient des bracelets d'or. Comment le luxe
n'aurait-il pas gagné toutes les classes, lorsque les pontifes
de Jésus-Clu-ist en donnaient l'exemple? Sans parler des
mitres, des crosses, des croix des évêques, en or et en
argent, de la belle améthyste qu'ils portaient au doigt, on
sait que le pape Grégoire IX , à son couronnement , était
couvert de pierreries , et que le faste de la cour de Rome ,
sauf quelques rares exceptions, n'a pas diminué. Le luxe des
bijoux n'est pas général en Orient; les Turcs et leur sultan
affectent beaucoup de simplicité dans leur costume ; mais le
chah de Perse est resplendissant de diamants et de pierre-
ries. Là aussi ce sont les femmes qui poussent la maïue
plus loin que les hommes : en Turquie elles ont des col-
liers de sequins d'or, et des bagues à tous les doigts.
Autrefois, en France les bijoux étaient un des attributs
de la puissance et de la noblesse ; les vilains n'avaient pas
le droit d'en porter. Aujourd'hui c'est presque le con-
traire : l'usage en est devenu si commun , que certaines
femmes qui attirent le plus les regards par l'éclat de leurs
diamants ne sont pas pour cela les plus considérées. Agnès
Sorel est, dit-on, la première en France qui ait eu un collier
de diamants bruts; car on ne savait pas encore les tailler.
Comme ce collier la gênait beaucoup, elle l'appelait son
carcan, et ne le portait que pour plaire à Charles VII. Les
dames de la cour imitèrent la favorite, et les diamants
furent en crédit. Le goût varia depuis. Françoise de Foix ,
comtesse de Château briant, préférait l'or; dit' fit fondre
20.
204
BIJOU — BIJOUTIER
ses bijoux en lingols avant tle les ronJie à François l", qui
voulait les donner à la duchesse d'Étampes, sa rivale. La
belle Fé ronnière portait sur le front une plaque de pier-
reries, dont la mode s'est renouvelée de nos jours. Cathc-
rine de Médicis et Diane de Poitiers préférèrent les
perles. Marie Stuart, épouse du dauphin qui fut Fran-
i^oh II, ayant apporté de superbes diamants, ce luxe reprit
faveur. Après son départ pour l'Ecosse, on revint à l'usage
des perles; au couronnement de Marie de Médicis,
femme d'Henri IV, les dames de sa suite en portaient dans
leurs cheveux et sur leurs robes. Sous Louis XIV on reprit
les diamants et les pierreries, dont l'usage devint plus gé-
néral en raison des relations que les voyageurs Tavernier,
Chardin et Paul Lucas entretinrent avec la Perse et l'Inde.
Les actrices qui figuraient aut spectacles de la cour , ne
voulant pas se laisser éclipser par les marquises, parsemèient
leurs robes de pierres fausses, qui brillaient au théâtre comme
des pierres fines. Les dames de haut rang adoptèrent les
diamants comme paruie distinctive : elles eurent des bra-
celets, des boucles d'oreilles, des colliers, des aigrettes,
môme des pièces en diamants placées sur le devant du
corsage de leurs robes. La reine en avait à sa ceinture, à
ses épaulettes, à l'agrafe de son manteau. On se rappelle le
fameux collier acheté parle cardinal de Rohan pour
Marie-Antoinette. Ce luxe gagna les hommes, et peu d'an-
nées avant la révolution de 1789 on fit des garnitures d'ha-
bit, des boutons, des ganses de chapeau, des nœuds et
des poignées d'épée, des montres et des tabatières enrichis
de diamants. On portait deux chaînes de montre, qui des-
cendaient jusqu'à mi-cuisse, et garnies de breloques dont
le frémissement se faisait entendre de loin ; on avait des
boîtes pour chaque saison, pour tous les jours de l'année.
Le marquis de Crochant, à Avignon, possédait trois cents
soixante-cinq bagues plus précieuses les unes que les autres.
Sans pousser l'extravagance à ce point, de simples jjarti-
culiers portaient à leurs doigts des bagues énormes, octo-
gones, ovales, à losange , qu'on appelait des firmaments ,
parce qu'elles étaient composées de diamants montés sur
une pierre facsse bleue ou violette. Tandis que les hommes
faisaient la belle main, les femmes avaient des baguiers
qui absorbaient un ou deux patrimoines ; l'anneau conjugal
y était totalement éclipsé. La Révolution fit disparaître ce
luxe, aussi insolent que bizarre, et ramena des idées plus
saines et des goûts plus shnples.
11 reparut, avec quelques modifications, sous Napoléon;
mais ses progrès n'ont pas été aussi rapides ni aussi scan-
daleux, et ses écarts ont été moins ridicules. La mode des
boucles de souliers, quoique plus petites qu'autrefois, n'a
pas pu se soutenir ; celle des pantalons a fait disparaître les
boucles de jarretière. A l'exception des épingles de che-
mise, pour lesquelles on a employé diverses pierres pré-
cieuses, et qui ont été remplacées par des boutons, les
hommes ne portent presque plus de bijoux. Les femmes
seules ont conservé ce privilège ; mais elles n'en abusent
pas.
Le mot de joyau n'est pas tout à fait synonyme de celui
de bijou. Il entraîne avec lui l'idée de grand , de beau, de
précieux : c'est ainsi que l'on dit las joyaux de la couronne.
Le bijou est généralement plus petit, plus mignon, plus cu-
rieux : aussi emploie-t-on d'ordinaire, par métaphore, le nom
de bijou pour exprimer tout ce qui est propre, commode,
agréa'ole et gentil; on dit d'une maison bien distribuée,
d'un appartement décoré avec goût, d'un meuble élégant,
d'une femme cliarmante, d'un enfant iilein de grâce, d'un
jeune cheval, d'un petit chien, d'un serin, etc. : Cest un
\rai bijou. On dit également à son amie, à sa maîtresse, à
son enfant, plus rarement à sa femme : mon bijou, mon
pelit bijou. Les dames de la halle , renommées par leur
amour des bijoux, se servent aussi fréquemment de ce nom
pour amadouer le chaland. IL Aunirii'.KT.
BIJOUTIER. Les bijoutiers sont les ouvriers qui s\i
donnent à la confection de légers ouvrages d'art servant à
l'ornement des personnes. Les orfèvres s'occupent plus
spécialement de pièces dépendant du mobilier, et les pierres
précieuses sont le domaine des joailliers.
Il y a cinq classes principales de bijouterie : 1° la bi-
jouferie enjin, qui est toute d'or sur lequel l'ouvrier monte
les émaux, les nielles, etc. ; 2" la bijouterie en argent,
qui est souvent dorée ou vermcillée ; 3" la bijouterie en
fa^ix, qui a pour constituant le chrysocale, soit bruni,
soit doré; 4" la bijouterie d'acier; 5° la bijouterie en
fonte de fer.
Les pièces qu'exécute le bijoutier en fin passent en gé-
néral par toutes les phases que nous allons décrire.
On en fait d'abord un dessin de grandeur naturelle ; sur
ce dessin on exécute en cuivre un modèle sur lequel on
moule. Quand on a à faire des pièces d'un assez fort vo-
lume, on commence par exécuter un premier modèle en
cire sur lequel on ne fait figurer que les parties saillantes
principales; on le moule dans du sable fin , et on coule en
cuivre un second modèle qu'on répare avec soin, et qui de-
vient le modèle définitif après qu'on l'a ciselé exactement
tel que l'objet doit être moulé ; on moule dans le sable pour
l'or comme on l'a fait pour le modèle en cuivre. Le mou-
lage des petits objets se fait dans des os de sèche, par un
procédé particulier.
Les parties plates des bijoux, les plaques, les fils, etc.,
sont passés au laminoir ou à la filière. Les parties creuse:,
sont estampées , les métaux employés en bijouterie ayant
toujours une assez grande malléabilité pour qu'il soit facile
de leur faire prendre toutes les formes au moyen de l'ef-
tampage. Très-souvent aussi on emploie la gravure pour
orner les faces des bijoux. Voyez Nielle.
Les soudures sont très-fréquentes daps la bijouterie. On
les fait au moyen d'alliages plus fusibles que les parties à
réunir, et dont le titre est déterminé par la loi. Ceux que
l'on emploie pour souder l'or portent les différents noms
de soudure au quart, soudure au tiers, soudure au
deux, suivant la proportion des métaux étrangers qui en-
trent dans leur composition : la soudure au quart est com-
posée de trois j)arties d'or et d'une partie d'un alliage
formé de ikux tiers d'argent fin et d'un tiers de cuivre; la
soudure au tiers, de deux parties d'or et d'une partie du
même alliage; la soudure au deux, d'une partie d'or et
d'une partie d'un alliage composé moitié d'argent, moitié de
cuivre. Les soudures pour l'argent sont : la soudxire au six,
qui contient cinq parties d'argent et une de cuivre jaune; la
soudure au quart, qui contient trois parties d'argent et
une de cuivre jaune, et la soudure au tiers, qui contient
deux parties d'argent et une de cuivre jaune. Le bijoutier
fait lui-même ses alliages pour les soudures.
Pour souder, on réunit avec un fil de fer les deux parties
à joindre; on les saupoudre de limaille de soudure mêlée de
poudre de borax (le borax en fondant prévient l'oxydation
et opère un décapagequi facilite la réunion) ; puis on dirige
dessus le dard d'un chalumeau, qui opère la fusion de la
soudure , et par suite l'assemblage des pièces. Lorstju'on a
plusieurs soudures successives à fiiire sur la môme pièce, on
a soin d'employer, pour les premières, les alliages au titre
le (lus élevé, parce qu'étant les moins fusibles, ils ne peu-
vent être fondus quand on fait les autres soudures , pour
lesquelles on emploie les alliages aux titres inférieurs, qui
exigent moins de chaleur pour entrer en fusion.
Les bijoutiers se servent quelquefois de soudures de titres
inférieurs; mais la loi punit cette tromperie, qui ne doit pas
d'ailleurs échapper au contrôle. Tous les bijoux fabriqués ,
en France sont en effet vérifiés et poinçonnés suivant leur
titre dans les bureaux de garantie à ce destinés. Certains
fabricants trouvent cependant parfois les moyens d'éluder
ces sages dispositions. Les bijoux fourrés en sont un
i
BIJOUTIER — BILAN
tiù3
exemple : on appelle ainsi des bijoux creux, qui, faits d'or
au titre à l'extérieur, sont remplis de matières lourdes desti-
nées à leur donner du poids; ces ouvrages, jadis tolérés,
mais assujettis à une marque particulière, sont actuellement
prohibés. D'autres fois, des marchands présentent au bu-
reau de garantie de petites épingles ou de petits anneaux à
bon titre, et qui par conséquent reçoivent le poinçon. Ces
mêmes épingles ainsi marquées leur servent à faire des cli-
quets pour des boucles d'oreilles fourrées, en les y attachant
à l'aide de goupilles; c'est ce qu'on appelle Vent âge. 11 est
inutile de dire que tous ces délits, lorsqu'on parvient à les
constater, sont l'objet d'une peine plus ou moins forte.
N'étant jamais faits qu'avec des alliages qui n'ont pas l'éclat
de l'or fin, on est obligé de parer les bijoux en les plongeant
dans des liquides qui exercent une action corrosive sur les
alliages de la surface et laissent à nu une couche d'or fin. C'est
cette dernière opération qu'on appelle làmise en couleur. La
composition la plus employée est un mélange de deux par-
ties de nitre, une de sel marin et une d'alun, en dissolution.
On y fait bouillir la pièce après l'avoir fait rectùre et dé-
rocher.
Le besoin, la mode, le caprice font sortir des ateliers une
multitude presque innombrable de bijoux que les ouvriers
rangent en plusieurs catégories : \%gros bijou, le massif,
Iccre^ix, la chaîne, \g filigrane. Dans le bijou propre-
ment dit, les pièces principales de fabrication sont les taba-
tières, les garnitures de lunettes , les encadrements en or
et en argent des pierres précieuses, les bagues, chaînes,
boucles d'oreilles, bracelets, bandeaux, boucles ornées, etc.
Paris compte aujourd'hui un grand nombre de fabriques de
bijouterie fine , qui occupent une population de bijoutiers ,
de polisseuses , de reperceuses ou brunisseuses , d'émail-
leurs , de sertisseurs , de graveurs , de ciseleurs , et d'ou-
vriers qui, sans être bijoutiers, ont des rapports directs ou
indirects avec ce commerce, tels que doreurs, tourneurs,
estampeurs, fondeurs, guilloclieurs, apprêteurs, etc. Tout
concourt à faire rechercher l'orfèvrerie et la bijouterie de
Paris : le titie de.-> matières qu'on y emploie, la beauté, l'é-
légance , la grâce et la variété des dessins , la perfection de
la main-d'œuvre, sont autant de causes qui lui donnent
une prépondérance et une supériorité réelles sur celles des
autres nations. A Paris, la place Dauphine et quelques autres
quartiers offrent une réunion et en même temps une divi-
sion du travail qui sont telles qu'on y exécute quelquefois
des commandes avec une promptitude surprenante. Après
Paris viennent Lyon, Marseille, Bordeaux, Clermont-Fer-
rand. A Lyon, on établit un peu de joaillerie et de la bijou-
terie pour les campagnes du midi ; à Marseille , on monte
des roses et quelques brillants pour le Levant; à Bordeaux,
il y a quelques fabriques de joaillerie; Clermont fait prin-
ci])alement des bijoux creux pour la campagne.
La seule bijouterie qu'on pourrait opposer à celle de la
France est celle de Londres, qui sans contredit est fort
belle ; en général , les ouvrages anglais sont bien soignés ,
mais on leur reproche de la sécheresse et un peu de mai-
greur dans les dessins. La bijouterie d'Anvers jouit d'une
estime méritée. Celle de Genève est également renommée.
L'Allemagne envoie tous les ans à la foire de Francfort une
prodigieuse quantité de bijouterie, qui ne se distingue ni
par l'élégance ni par le fini des ouvrages ; elle est massive
et de mauvais goût. Enfin, des Français ayant élevé quel-
([iies fabriques à New-York, les États-Unis ont fait des pro-
^iès rapides, et ils approvisionnent le Mexique et les mers
t'.u Sud.
La bijouterie en faux , abandonnée autrefois à quelques
villes d'Allemagne, occupe aujourd'hui chez nous une
/ouïe d'artisans fort habiles ; car, en se substituant aux ou-
vriers de Manheim et de Nuremberg, qui ne travaillent
que des bijoux assez giossiers en faux or, les Français ont
élevé cet art à un grand degré de perfection, tant dans le
bijou tout métal que dans la monture et le sertissage des
pierres fausses enchaînées dans le chrysocale. C'est au rare
perfectionnement des pierres fausses, du strass, des éme-
raudes fôctices, des améthystes de cristal, des saphirs,
des grenats de composition , qu'il faut sans doute en grande
partie attribuer la vogue du bijou en faux. La matière de
ces sortes de bijoux , qu'on lui donne le nom de similor,
d'or de Manheim, de chrijsocale , etc., est toujours une
espèce de laiton , dont la couleur ne peut être aussi pure et
aussi flatteuse que celle de l'or. Pour obtenir une couleur
agréable et une certaine durée dans l'éclat de ces bijoux , il
faut nécessairement recourir à la dorure.
Paris a toujours eu la palme pour la fabrication de la
bijoxiterie en acier, fabrication qui embrasse des objets en-
core plus variés que la bijouterie d'or. Pour donner au bijou
d'acier cet admirable poli qui fait son principal mérite ,
l'ouvrier emploie d'abord l'éneri, puis la potée d'étain, et
ensuite la potée dite d'Angleterre.
La bijouterie de fonte de fer ou bijouterie de Berlin
est une industrie encore nouvelle et que nous devons à la
Prusse. Mais si les Prussiens ont dans les plaines de Berlin
un sable plus fin qui leur permet de couler des bijoux aussi
délicats que la dentelle, nos fabriques, créées seulement
depuis 1822, l'ont emporté sur les leurs par le bon marché
et par le bon goût parisien. Dans cette dernière branche
de la bijouterie , comme dans les autres , la France occupe
le premier rang.
Les bijoutiers, comme les coiffeurs, ont choisi pour
patron saint Louis, sans doute à cause de la couronne qu'il
a portée. Les bijoutiers ne faisaient autrefois qu'un corps
avec les orfèvres. Il fallait trois ans d'apprentissage pour
être reçu bijoutier. Certaines précautions sont imposées
aux marchands bijoutiers pour l'achat et la vente des bi-
joux. Leurs livres doivent être tenus avec une exactitude
scrupuleuse. Ils ne doivent payer le prix des objets de quel-
que valeur qu'ils achètent qu'au domicile des vendeurs qui
ne leur sont pas connus ; enfin, l'achat au-dessous de la va-
leur réelle les expose à être regardés comme complices
dans le cas où les objets auraient été volés : et cependant
aucun corps ne peut se vanter de savoir mieux profiter de la
simplicité des ^clients.
BÎJUGUE (de bis et de jugum) se dit, en botanique ,
des feuilles pinnées, dont le pétiole commun porte deux
paires de foUoles, telles que celles des mimosa nodosa
elfagifolia.
BIKUIMIS) religieuses du Japon , qui vivent d'aumônes
et mènent une vie vagabonde , à laquelle se mêle la prosti ■
tution la plus effrénée. Elles sont soumises aux jammabes ,
célèbres moines du pays, qui n'admettent dans cet ordre
que les plus belles femmes, et choisissent ordinairement leurs
épouses dans ces coureuses privilégiées. On les rencontre
à la porte des temples, dans les rues, sur les grandes
routes , mettant en œuvre tout ce qu'elles ont de charmes
pour émouvoir la charité des passants. C'est la débauche
sanctifiée par la superstition.
BILABIÉ (de bis, deux fois, et labium, lè\Te). On
appelle ainsi, en botanique, les organes ou rudiments qui
ont deux parties principales disposées comme les lèvres
des animaux , et désignées , l'une par le nom de lèvre su-
périeure, l'autre par celui de lèvre inférieure : les calices
et les corolles de la sauge, du phlomis , etc., ont cette con-
formation , ainsi que les pétales de la nigelle et de l'ellé-
bore. Voyc-, Labiées.
BÏLAMELLÉ , c'est-à-dire composé de deux lames :
tels sont, en botanique, le stigmate des mimules et les
cloisons dont sont pourvues les capsules de la digitale.
BILAN. Ce mot, formé du latin bilanx, sert à désigner
l'acte ou l'inventaire dans lequel le négociant relève chaque
année, aux termes de la loi, l'état de ce qu'il doit, de ce
qu'il possède et de ce qui lui est dû. C'est la balance de
206
BILAN — BILDERDÎJK
«m actif et de son passif : Vactif se composant des meu-
bles et immeubles , de l'argent en caisse, des marchan-
dises en magasin, des effets en portefeuille et des autres
créances; et le ^assi/ comprenant les effets à payer et
généralement toutes les dettes. Foj/es Balance générale
DES LrvTffiS.
Lorsqu'un commerçant se voit forcé par le mauvais état
de ses affaires de suspendre ses payements, il dresse la
balance de ses comptes, et, suivant l'expression consacrée ,
il dépose son bilan.
La loi du 28 mai 1838, qui a modifié plusieurs articles
du Code de Commerce , a maintenu les art. 438 et 4-39 ,
suivant lesquels la déclaration que le failli fait au greffe
du tribunal doit être accompagnée du dépôt de son bilan,
ou contenir l'indication des motifs qui l'empêchent de le dé-
poser. Ce bilan doit renfermer l'énumération et l'évalua-
tion de tous les biens mobiliers et immobiliers du débiteur,
l'état des dettes actives et passives , le tableau des profits
et pertes , et celui des dépenses.
L'accomplissement de cette formalité établit en faveur du
failli une présomption en vertu de laquelle le tribunal
peut l'affranchir du dépôt dans une maison d'an-êt ou de la
garde de sa personne, s'il n'est pas déjà, au moment de la
déclaration de la faillite, incarcéré pour dettes ou pour
toute autre cause. INIais quand le failli n'a pas pris cette
initiative, il est, aussitôt après les mesures conservatoires
prises , procédé à la confection du bilan par les syndics
provisoires que le tribunal de commerce a nommés dans
son jugement déclaratif de la faillite.
BILAN D'ENTRÉE et BILAN DE SORTIE.
Voyez Balance d'enti\ée et Balance de sortie.
BILATÉRAL (de bis, deux fois, et latus, côté),
qui a deux côtés , qui se dirige de deux côtés opposés. On
«lit d'un acte qu'il est bilatéral lorsqu'il contient des con-
ventions réciproques de la part de plusieurs parties dont
chacune s'engage à f^ire quelque chose, comme dans tout
contrat synallagmatique; par opposition à l'acte tmi-
latéral, dans lequel une seule partie souscrit l'obligation, où
ne figure point celui au profit de qui elle est souscrite.
Ainsi, une reconnaissance d'un prêt, un simple billet, un
billet à ordre, sont des actes unilatéraux; un contrat
de bail , un contrat de vente, sont, au contraire, des actes
bilatéraux. Aussi doit-il en être fait, à peine de nullité,
autant de copies qu'il y a de parties qui y figurent : cha-
cune d'elles doit avoir sa copie, portant la mention que cha-
cune des autres parties obligées a également la siemie.
BILBAO, ville d'Espagne, riche et florissante, chef-
lieu delà province, autrefois seigneurie basque de Biscaye,
est située dans une belle plaine, sur la rive droite de l'Ansa,
qu'on y passe sur un pont de bois d'une seule arche et
d'une grande élévation. Elle est à 8 kiloni. de l'embouchure
de cette rivière devant Portugalete, à 334 kilomètres de Ma-
drid et à 65 de Saint-Sébastien. L'air y est très-pur. Fondée
en 1300, Bilbao est le siège du célèbre consulado ou tri-
bunal de commerce de Burgos, qui y fut transféré au quin-
zième siècle. On n'y compte guère plus de 900 maisons.
Aussi ses 15,000 habitants s'y logent-ils avec peine, quoi-
(ju'elles soient hautes et bien bâties ; quelques-unes sont
ornées de fresques au dehors. Ses rues sont droites et bien
pavées.
On remarque à Bilbao la jolie promenade de l'Arsenal,
une belle place, un beau quai, l'hôtel de ville, l'hôpital et
la boucherie. Les environs sont couverts de jardins déli-
cieux et de charmantes maisons de campagne. Rien déplus
agréable que la perspective dont on jouit en remontant la
rivière. Ce sont à chaque instant de nouveaux aspects de
plus en plus attrayants, des groupes de maisons, des massifs
de verdure; et ii gauche la ville, qui se déploie en un ma-
jestueux amphilhéàlre et anime tout le tableau.
L'industrie y est très-aclivc ; elle consiste en fabrication
de toiles à voiles, cordages, ancres, quincaillerie, cuirs,
papier, tabac et poterie. 11 y a un arsenal de construction
d'artillerie et des chantiers de construction pour la raaiine
marchande. Le port est le plus important du nord de l'Es-
pagne. C'est le principal entrepôt du commerce des laines
de ce pays. On en exporte des fers , des aciers , du poisson,
des fruits, surtout des châtaignes, des grains , quelquefois
en quantité considérable. On y importe principalement des
tissus de coton et de laine et des denrées coloniales. Les
transports ont lieu, en grande partie, au moyen de navires
étiangers, anglais, hollandais, et des villes anséatiques. Les
gros bâtiments s'arrêtent à Portugalete ou à Olaveaga.
Bilbao a été prise et reprise dans les guerres de la France
et de l'Espagne en 1795, 1808 et 1809, et dans la guerre de
don Carlos en 1837.
BILBOQUET. C'est le nom qu'on donne, en archi-
tecture, à tout petit carré de pierre qui, ayant été scié
d'un plus gros, reste dans le chantier. — On appelle aussi
bilboquets les moindres carreaux de pierre provenus de la
démolition d'un bâtiment.
Le bilboquet des monnayeurs est un morceau de fer,
en forme d'ovale très-allongé, au milieu duquel est un
cercle en creux et au centre un petit trou. Celui des per-
ruquiers est un petit morceau de bois tourne , sur lequel ils
roulent les cheveux pour les friser.
En termes de doreur, le bilboquet est un petit morceau de
bois carré où est attaché un morceau d'étoffe fine pour
prendre l'or et le mettre dans les endroits les plus difficiles,
conmie dans les filets carrés, dans les gorges et dans le;
autres endroits creux.
Les imprimeurs appellent bilboquets certains petits ou-
vrages de ville, tels que les billets de mariage, d'enterre-
ment, les adresses, cartes de visite, avis au public, etc.
Le bilboquet est aussi un jouet d'enfant fort connu,
creusé par un bout et pointu par l'autre, au milieu duquel est
attachée une ganse ou ficelle, terminée par une boule percée
d'un trou, et que l'on doit chercher, en la lançant, à faiie
retomber et à fixer sur l'un de ces deux bouts. Le Journal de
Henri III nous apprend que ce prince portait quelquefois
un bilboquet à la main. Cet exercice était en effet très-
commun de son temps, comme il l'était redevenu en 1789;
après quoi il fut remplacé par le jeu de Vémigrant.
Gui Patin, prenant le mot de bilboquet dans une accep-
tion figurée, appelait des gens que la fortune avait élevés
subitement, et dont la position ne paraissait pas bien assurée,
les bilboquets de la fortune.
Enfin on donne le nom de bilboquets à de petites figures
qui ont aux jambes des plombs dont le poids les fait tou-
jours se retourner et se trouver debout, quelque autre posi-
tion qu'on essaye de leur faire prendre.
BILDERDIJK (^VlLLl•:M), célèbre philologue et poète
hollandais, né à Amsterdam, le 7 septembre 1756, développa
rapidement ses rares facultés en dépit d'une santé chance-
lante. Il étudia le droit à Leyde, et pratiqua ensuite à La Haye
comme avocat. Lors de l'invasion de sa patrie par les troupes
françaises , il la quitta par attachement pour les droits du
stathouder, et se rendit d'abord à Brunswick , puis à Lon-
dres, où il fit des cours publics sur le droit, sur la poésie et
sur la littérature. En ISOG il revînt en Hollande; ce fut de
lui que le roi Louis Bonaparte voulut apprendre la langue
de ses nouveaux sujets, et il l'appela l'un des premiers à faire
partie de l'Institut national de Hollande. La restauration
lui fit perdre son traitement. Le roi Guillaume lui olfril ce-
pendant plus tard une place d'auditeur militaire, qu'il re-
fusa. Après avoir passé^queUpies années à Leyde, il se relira
vers la fin de sa vie à Harlem, où il mourut le 18 dé-
cembre 1831.
Familier avec les langues et les littératures grecque et la-
tine, et aussi avec la plupart des langues et des littératures
modcrncsde rEuro{)e, liilderdijk possédait des connaissances
BILDERDIJK — BILIN
non moins étendues en jurisprudence et en histoire, en ar-
chéologie, en géographie , en théologie et même en méde-
c8ie. Cette si vaste érudition , il l'avait acquise à peu près
tout seul , et" les résultats utiles ou nuisibles que durent
avoir sur sa vie son caractère et ses ouvrages , les efforts
qu'il lui fallut faire pour atteindre le but qu'il s'était pro-
posé, apparaissent visiblement aussi bien dans ce qu'on
voit chez lui de résolu, de tranchant et de persévérant,
que dans sa rudesse et son opiniâtreté. Dès l'année 1776 il
avait fondé sa réputation comme poète par un chant inti-
tulé : De l'Influence de la Poésie sur L'art de gouverner
les hommes , lequel fut couronné par l'Académie de Leyde.
Il le fit suivre, en 1777, d'un poème ayant pour titre : Le
véritable Amour de la Patrie. Une célébrité d'autant plus
grande s'attacha à son nom qu'il s'efforçait en même temps
dans sa romance d''Eliiis et dans ses heureuses traductions
des tragédies de Sophocle : Koning Edipus et De dood
van Edipus, de s'affranchir de l'influence, jusqu'alors toute-
puissante, de la littérature française. Nous ne citerons pas
tous ses drames empruntés à l'histoire de la Hollande , non
plus que ses nombreuses traductions ou imitations en vers
d'Homère, Sapho, Pindare, Théocrite, Ovide, Horace, Os-
sian et DelQle. Une mention particulière est due cependant
à son poème sur l'astronomie , à ses Adieux, à ses Fleurs
d'Hiver, à ses Fleursdes Tombeaux (Asphodè\es) , inspirées
par la mort de son fils et de ses deux filles , et surtout à ses
étranges poèmes de la Destruction du premier monde et
des Maladies des Savants. N'oubUons pas qu'il chercha
ses modèles et ses inspirations bien moins dans les œuvres
de ses contemporains étrangers ou nationaux, que dans
celles des anciens poètes de son pays, et dans les meilleurs
écrivains de tous les siècles et de toutes les littératures. Une
imagination aussi vive que hardie , une grande richesse de
pensées, des images neuves et frappantes, beaucoup de cor-
rection dans l'expression , un style harmonieux , une heu-
reuse coupe de vers , telles sont les quahtés qui distinguent
ses productions.
Si les œuvres de Bilderdijk sont à bon droit populaires
dans sa patrie, elles sont encore peu connues à l'étranger,
comme l'est en général toute la littérature hollandaise. Bil-
derdijk ne s'est pas uniquement occupé de poésie ; il a encore
beaucoup fait pour la fixation de la langue nationale. Les
ouvrages qu'on a de lui dans cette direction d'idées ou sont
de nature grammaticale ou ont pour but d'élucider les plus
anciens monuments écrits de la langue hollandaise. On a
en outre de Bilderdijk divers ouvrages relatifs à la science
(lu droit, notamment Observationes et emendationes Juris,
un Traité de Géologie et une Théorie de l'organisation vé-
gétale. Il s'est également occupé de l'histoire de son pays,
qu'il a traitée au point de vue aristocratique, dans son Ges-
chiedenis des Vaderlands , publiée après sa mort par
Tijdemann ( 12 volumes, Leyde, 1832-1839).
Sa seconde femme, Catherine- Wilhehnine Schwick-
HVRDT, était née à La Haye, en 1777, et mourut en 1830. Son
éducation avait été des plus distinguées, et elle se livra
avec un égal succès à la culture de la peinture et à celle de
la poésie. Parmi ses ouvrages, dont la plupart parurent im-
jirimés avec ceux de son mari , on regarde comme un chef-
d'œuvre son Roderigo de Goth , traduction du Roderick de
Southey. On estime aussi ses tragédies Elfrede et Jphi-
génie; cette dernière est imitée de Racine.
BILE. Ce liquide, provenant de la sécrétion du foie,
est répandu en partie dans les intestins, pour favoriser la
digestion, et en partie dans une poche située derrière le
foie, et que l'on nomme la vésicule biliaire.
La bile existe chez tous les animaux vertébrés , et y rem-
plit sans doute les mêmes fonctions. Son analyse a fait re-
connaître qu'elle était composée d'eau, d'albumine, d'une
résine jaune qui lui est propre, de sonde, d'hydrochlorale
de soude, de phosphate de cliaux et de soude, plus une
207
substance particulière , à laquelle M. Thénard a donné le
nom depicromel; cependant cette dernière substance, qui
existe constamment dans la bile de bœuf, n'est pas toujours
rencontrée, dit M. Chevieul, dans la bile de l'homme. Cette
dernière est verte, d'im brun jaunâtre, rougeàtre ou inco-
lore; elle n'est pas très-amère, peu limpide. Chauffée, elle
répand l'odeur du blanc d'œuf.
La bile est un des liquides les plus irritants de l'éco-
nomie ; épanchée dans le pé ritoinc, à la suite de plaies d u foie
ou de la vésicule biliaire, elle donne lieu à des périto-
nites qui sont presque constamment mortelles. Dans cer-
taines maladies on a vu la bile changer d'état, devenir ou
noire, très-épaisse {voyez Atrabile), ou d'une fluidité et
d'une décoloration très-marquées. On l'a même vue dans
quelques cas contracter des propriétés délétères.
On a regardé la bile comme la cause d'un grand nombre
de maladies ; cette opinion était surtout fort en crédit du
temps des médecins humoristes : ainsi on admettait uue
foule d'affections bilieuses, des fièvres, des pleurésies, des
péripneumonies, etc., que l'on attribuait à la bile. Quoi qu'il
en soit de l'action qu'exerce ce liquide, les maladies qui ont
plus particulièrement reçu le nom de bilieuses offrent des
symptômes à peu près constants, savoir : amertume et em-
pâtement de la bouche , ordinairement accompagnés d'un
enduit plus ou moins jaune sur la langue ; soif, perte d'ap-
pétit, nausées, et souvent vomissements et déjections bi-
lieuses jaunes ou vertes. En même temps le malade éprouve
une chaleur acre , un brisement général , de la douleur au
creux de l'estomac et souvent de la fièvre; la peau est plus
ou moins colorée en jaune; l'urine , foncée en couleur, paraît
également chargée de bile. Ces phénomènes peuvent se ren-
contrer séparés ou réunis à des degrés différents, depuis le
simple embarras gastrique, affection passagère et sans
danger, jusqu'à la fièvre jaune, qui est presque toujours
mortelle.
Quand ces maladies sont portées à un certain degré, la bile
est expulsée en plus ou moins grande quantité, et longtemps
on a provoqué artificiellement cette expulsion à l'aide des
vomitifs. Mais l'abus de cette médication a occasionné de
nombreux accidents , et les praticiens les plus sages ont re-
connu que dans le plus grand nombre des cas simples il
suffit de soustraire les malades à l'action des causes déter-
minantes pour que la sécrétion biliaire reprenne son cours
habituel , et que dans les circonstances graves le traite-
ment qui convient aux inllammations aiguës est le plus ef-
ficace. Les boissons rafraîchissantes et acidulés, que les
malades recherchent par une sorte d'instinct salutaire , con-
tribuent beaucoup à la guérison, ainsi que l'abstinence
complète, au moins pendant les premiers jours.
On se sert de la .bile du bœuf dans l.es arts pour dé-
graisser les étoffes de laine. Cette substance doit cette pro-
priété de dissoudre les matières grasses à la soude libre, et
au composé ternaire de soude , de picromel et de résine
qu'elle contient.
BILEAM. Voyez Balaam.
BILED-UL-GÉRID. Voyez Belud-el-Djérid.
BILIAIRES ( Calculs ). Voyez Calculs.
BILIAIRES (Voies). On donne ce nom à l'ensemble
des organes qui servent à sécréter, à conserver et à excréter
la bile. Ces organes sont le foie , les pores biliaires ou les
radicules des conduits hépatiques , la vésicule biliaire , son
conduit cystique et le canal cholédoque. Voyez Foie.
BILIEUX (Tempérament). Voyez Tejipéi!ament.
BILIi\, petite ville de Bohême, située dans le majorât
de la famille de Lobkowitz, sur les rives de la Bila, dans
le cercle de Leitmeritz, et célèbre par ses eaux minérales. Sa
population est de 3,200 habitants ; on y remarque un vieux
château , une usine servant à l'extraction de la magnésie
en dissolution dans l'eau acide de Seiijsclmts et de Seidlitz ,
ainsi qu'une grande fabrique do bouteilles de grès. La ville
208
BILIN — BILL
est entourée déroches basaltiques, entre lesquelles on dis-
tingue la pierre de Bilin , immense rocher de forme ronde,
du haut duquel on jouit de la plus belle vue sur la vallée
de la Bohème.
On compte à Bilin quatre sources différentes , dont celle
dite de Joseph est la plus renommée. L'eau en est d'une
grande pureté , d'un gofit rafraîchissant et légèrement aci-
dulé, à la tempi'îrature moyenne de 12 à 15 degrés Réau-
mur, et pétille vivement, surtout lorsqu'on y môle du vin et
du sucre. Sous le rapport de la composition , les eaux pro-
venant des quatre sources diffèrent peu entre elles. L'eau
de Bilin appartient à la classe des eaux alcalines, et con-
tient plus d'acide carbonique que les autres eaux minérales
de l'Allemagne. On ne l'emploie qu'en boisson , et elle agit
de la manière la plus énergique sur le système des glandes
et sur lès vaisseaux absorbants. Elle provoque surtout l'ac-
tivité de la membrane pituitaire , et est par conséquent sou-
veraine dans les affections des organes génitaux , dans les
douleurs des glandes et du système lymphatique. L'eau de
BiHn se consomme bien plus au loin qu'à la source même ;
on en expédie dans tous les établissements thermaux de la
Bohême, notamment àTœplitz, où on la piend concurrem-
ment avec l'eau locale. Les baigneurs de Tœplitz font de
fréquentes excursions à Bilin. On évalue de 80 à 100,000 le
nombre des bouteilles d'eau de Bilin qu'on envoie mainte-
nant année commune à l'étranger, tandis qu'en 177i) cet
envoi n'atteignait pas le chiffre de 3,000. L'analyse des
eaux de Bilin a été fiiite par Reuts, Strave, Steinmann , etc.
Consultez Reuts, les Eaxix Minérales de Bilin (2° édit.,
Vienne, 1827).
Il y a aussi en Hongrie un établissement thermal du
môme nom.
BILINGUE (du latin bilinguis, en deux langues),
terme employé récemment par les archéologues pour dési-
gner les inscriptions et monuments anciens où les mêmes
idées sont exprimées en deux langues.
BILL, mot qu'on fait dériver de lihellus, et par lequel on
désigne dans le parlement d'Angleterre ce qu'en France on
appelle un projet de loi. Dans le langage juridique anglais,
tout engagement écrit est un MU : ainsi , on dit a bill of
exchange , une lettre de change ; a Mil of sale , un contrat
de vente , etc. Lorsque le grand jury pense qu'une accusa-
tion criminelle est rccevable aux assises , il écrit au revers
de l'acte : a true bill, un vrai bill (quand la langue latine
était seule en usage dans les tribunaux, les termes consacrés
étaient vera billa), sans préjuger d'ailleurs en rien de la
réalité des faits qui servent de base à l'accusation , et uni-
quement en réponse à la question qui lui est adressée :
« Résulte-t-il des faits rapportés quelque charge contre l'ac-
cusé? » Quand, au contraire, le jury ne trouve pas les
faits suffisamment prouvés, il écrit : IS'ot a true bill
ou not foiinded (mal fondé).
En matière civile, on entend par bill un acte introduisant
l'instance et par lequel l'intimé est prévenu de la plainte
et des conclusions auxquelles elle donne lieu. Il provient du
tiibunal compétent, et doit toujours reproduire les formules
adoptées pour chaque espèce de plainte.
Dans le langage parlementaire, un bill est une proposition
que son adoption doit transformer en loi.
Lesbills d'intérêt particulier {private b'ills), c'est-à-dire
contenant des dispositions ayant pour objet de favoriser des
individus isoles ou des corporations (comme demandes de
lettres de naturalisation, d'autorisations à l'effet de cons-
truire des ponts et d'y percevoir des droits de péage , de
percer des routes, creuser des canaux, etc., etc.), ne peu-
vent être introduits qu'après une pétition adressée à cet effet
par les intéressés. 11 faut que cette pétition soit présentée
par un des membres de la chambre. Celle-ci , s'il est né-
cessaire, renvoie la pétition à l'examen d'un comité, lequel
décide alors si elle doit être transformée en bill ou bien
écartée. Les projets de loi sur les affaires publiques (public
bills) doivent, au contraire , toujours être précédés par une
motion, c'est-à-dire par la demande de présenter un bill
faite verbalement par l'un des membres de la cliambre. Si
cette permission est accordée , la proposition est présen-
tée plus tard par écrit.
Dans la copie de cette proposition écrite , on laisse un
grand nombre d'espaces en blanc [blancks) pour y insérer
les fixations que le parlement seul a droit d'arrêter, conr.no
les époques , les sommes et les quantités. Le bill est ensuite
lu à la chambre , à trois reprises successives. Lors de la
première lecture, il ne s'agit que du rejet pur et simple
du bill. Il est discuté après la seconde lecture, soit par une
commission, soit par la chambre elle-même , qui se trans-
forme en comité si l'affaire a quelque importance. Dans ces
occasions, l'orateur [the speaker, le président de l'assem-
blée) quitte son fauteuil, discute et vote; et la chambre
choisit un autre membre pour la présider momentanément,
et qu'on appelle tout simplement alors chairman. On remplit
les blancs, on fait au bill des additions ou des amendements,
et souvent on en bouleverse toute l'économie. Cette tâche
terminée , Voratcur remonte au fauteuil , et son remplaçant
provisoire met aux voix le bill tel qu'il vient d'être arrêté. Si
la majorité l'adopte, on le transcrit en gros caractères sur
du parchemin, et on procède à la troisième lecture. S'il est
à ce moment fait une nouvelle addition , on la consigne sur
une feuille de parchemin séparée, appelée rider. En cet
état, le bill est envoyé à l'autre chambre, où on observe
encore la même série de formalités , à l'exception toutefois
de la transcription sur parchemin. Si le bill ne passe pas à
cette seconde épreuve , il n'en est plus question. Si on y fait
de nouvelles additions ou de nouveaux amendements,
on les communique à l'autre chambre; et au besoin il
s'établit, pour leur adoption, des conférences entre
des délégués de l'une et de l'autre assemblée. Si les deux
chambres ne peuvent tomber d'accord, la chose est re-
gardée comme non avenue : the bill is dropped, dit-oi)
alors.
La sanction royale se donne ou par le roi en personne, ou
par écrit avec l'apposition du grand sceau de l'État, ainsi
que l'usage s'en établit pour la première fois sous le règne
de Henri VIII, à l'occasion du bill de condamnation à
mort rendu contre la reine Catherine Howard. Si la sanc-
tion a heu par le roi ou la reine en personne, ils se rendent
à la chambre haute , à la barre de laquelle ils mandent la
chambre des communes. Un secrétaire donne lecture des
titres des différents bills, puis des réponses du roi, qui se
sert toujours des vieilles formules en langue franco-nor-
mande, usitées depuis r('poque de la conquête. Pour un bill
relatif aux affaires publiques, la formule de sanction est :
Le roi le veut ; pour les bills relatifs à des intérêts particu-
liers : Soit fait comme il est désiré; pour les bills qui ac-
cordent au gouvernement des taxes , impôts ou emprunts
(money -bills) : Le loi remercie ses loyaux sujets, accepte
leur bénévolence, et aussi le veut. La formule polie du
refus de sanction est : Le roi s'avisera. En affaires de
grâce, comme actes d'amnistie, lettres de grâce, etc., etc.,
le parlement répond par l'organe de son secrétaire : Les
Prélats, Seigneurs et Gommons , en ce présent parlia-
ment assemblés, au nom de tous Vos autres subjets, re-
mercient très-humblement Votre Majesté et prient à Dieu,
Vous donner en santé bonne vie et longue. La reine Eli-
sabeth usa fréquemment du droit de refus de sanction ; il
lui arriva dans une seule session de la refuser à quarante-huit
bills. Les princes de la maison de Hanovre, au contraire,
n'y ont jamais eu recours. Le dernier exemple qu'en offre
l'histoire date de 1692, sous le règne de Guillaume III. C'est
en maniant habilement les majorités parlementaires et en
les faisant servir à ses vues que le gouvernement préfère
.'uijonrd'hui arriver au but qu'il s'est {U'oposé.
i
BILLARD
209
BILLARD. Ce jeu, qui est foit aucien, lire piobable-
meiit son origine (îe celui de boule. En effet, il n'est pas
absurde de supposer que le tapis vert est une inoitation du
gazon. Le billard, aujourd'hui fort en vogue, se compose,
< omme on sait , d'une table ayant en largeur la moitié de sa
longueur, laquelle est en moyenne de S^jOO. Le dessus d'une
Inble de billard doit présenter constamment un plan hori-
zontal, quelles que soient les variations de température, de
sécheresse ou d'iiumidité de l'atmosphère. Pour leur donner
autant que possible cette qualité, les constructeurs les font
en bois vieux ciioisi avec soin, débité en petits morceaux,
qu'ils assemblent de fiiçon que leurs fds se croisent. La table
présente donc un large feuillet de parquet divisé en plu-
sieurs compartiments. Quoique cet assemblage soit fort in-
génieux , et que les bois aient beaucoup d'épaisseur rela-
tivement à leur longueur et à leur largeur, néanmoins la table
travaille sans cesse, tellement que si l'on tient à ce qu'elle
soit à peu près régulière , on est obligé de la redresser pres-
que tous les mois au moyen d'une longue varlope et du
niveau. Cette opération nécessite quelques frais ( à Paris ,
environ 150 francs par an). Pour obvier aux inconvénients
des tables en bois, on en fait en marbre, en ardoise et
même en fonte de fer.
Les billards ont reçu dans ces derniers temps quelques
légers perfectionnements. Aujourd'hui, on peut soi-même
enlever et replacer le tapis en très-peu de temps. Ou a fa-
briqué des billards qui jouent un air quand la bille tombe
dans la blouse. On fait aussi des billards circulaires.
Ce serait ici le lieu de parler de la théorie des mouve-
ments des billes, de la manière de les frapper pour leur faire
d<5crire tel ou tel angle, leur faire produire tel ou tel effet,
faire tel ou tel carambolage. Mais ces questions sont d'une
grande complication, et demandent l'emploi de formules de
l'analyse supérieure. Nous ne pouvons que renvoyer les lec-
teurs qui voudraient étudier cette matière à l'ouvrage de
Coriolis, Théorie mathématique des effets du jeu de bil-
lard; Paris, 1835.
La France, qui à aujourd'hui le privilège presque exclusif
de la fabrication des billards, en exporte en Suisse, en Bel-
gique, en Amérique et en Angleterre. On compte à Paris
une trentaine d'ateliers d'où sortent annuellement six à sept
cents billards. Viennent ensuite les fabriques de Lyon , de
Bordeaux , de Cacn et de Rouen , bien moins importantes.
Les prix des billards varient, depuis 7 ou 800 francs jusqu'à
2,500 et 3,000 francs. Les queues ei les billes, qm peuvent
être regardées comme des dépendances nécessaires du bil-
lard, sont l'objet d'industries spéciales. Teyssèdre.
Avant la révolution , la faculté de tenir billard était un
privilège accordé aux seuls billardiers-paulmiers. Ils
avaient leurs statuts et règlements, confirmés par lettres-pa-
tentes ; ils n'étaient pas cent vingt dans l'origine , mais en
1789 on en comptait deux cents dans Paris. Leurs premiers
statuts dataient de 1610. En 1812 un recensement général
des billards publics donna pour résultat cinq cent cinquante
dans Paris , deux cent deux dans les environs. On sait à
quel point ce nombre s'est accru ; aussi presque tout le monde
aujourd'hui connaît ce noble jeu d'adresse , au moins pour
l'avoir vu pratiquer. Nous pouvons donc, sans entrer dans
des détails fastidieux , nous borner à donner les règles prin-
cipales des différentes sortes de parties qui se jouent main-
tenant.
Partie au même. Cette partie, que le doublet a presque
complètement détrônée, se joue ordinairement à deux per-
sonnes, avec deux billes blanches et une rouge. Après avoir
tiré à qui commencera , on pose la rouge sur la mouche
d'en haut, puis celui qui doit jouer le premier place sa bille
dans le demi-cercle tracé au-dessous de la mouche du quar-
tier (bas du billard), et vise la rouge en cherchant à la
faire (faire tomber) dans l'une quelconque des blouses. S'il
atteint ce résultat , on replace la rouge sur sa mouche ; le
DICT. DE LA CONVEUS. — T. Hl.
joueur qui a fait ce premier :oup recommence du point oîi
se trouve sa bille, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il ne réus-
sisse pas. Le second joueur commence alors de la même
manière que le j)remier ; seulement il peut chercher soit à
faire la rouge, soit à faire la bille de son adversaire, soit
enfin à caramboler. Quand il cesse de faire des points, le
premier reprend , et ils continuent de même jusqu'à ce que
1 lin d'eux ait atteint le nombre de points fixé à l'avance, et
qui le plus souvent est de vingt-quatre.
Celui qui fait une bille com[>te trois points si c'est la
rouge , deux points si c'est la blanche. Un carambolage vaut
deux points. On peut donc , en faisant les deux billes et en
carambolant du même coup, marquer sept points. Suivant
que l'un des joueurs manque de touche, se perd (sa bille
tombant dans une blouse) en touchant la blanche, ou
se perd en touchant la rouge, l'autre marque un, deux ou
trois points. Un joueur faisant des points et se perdant en
même temps, les points faits comptent à son adversaire.
Quand on joue la partie à trois ou à quatre , les règles pré-
cédentes ne reçoivent que les modifications qu'exige l'aug-
mentation du nombre des joueurs.
Partie du doublet ou doublé. Les règles de cette partie
sont les mêmes que celles de la partie au même, avec cette
différence que, pour qu'une bille faite soit comptée, il faut
qu'avant d'entrer dans la blouse elle aille frapper au moins
une des bandes du billard.
Parjie russe. Cette partie, qui trouve encore un assez
grand nombre d'amateurs , se joue avec cinq billes , dont
deux blanches, une rouge, une jaune et une bleue ; ces trois
dernières se placent respectivement sur les mouches du haut,
du milieu et du quartier. Le premier joueur donne son ac-
quit, c'est-à-dire qu'il pousse sa bille vers la bande d'en
haut en cherchant à la placer le plus près possible de la
pénitence; il ne faut pas, de ce coup, que sa bille touche
aux autres, sans quoi il perd autant de points qu'il y a de
billes touchées. Le second joue sur la bille blanche d'abord ;
s'il en touche d'autres avant elle, il perd autant de points
qu'il a touché de billes de couleur.
Les billes blanches peuvent se faire dans toutes les blouses,
et elles comptent deux points ; la rouge ne peut se faire
qu'aux quatre coins, et elle compte trois points; la bleue ne
peut se faire également qu'aux quatre coins , et elle compte
quatre points ; la jaune ne peut se faire qu'aux blouses du
milieu, et elle compte six points; le carambolage compte
deux points. Mais toute bille faite dans l'une des blouses qui
lui sont interdites fait perdre au joueur autant de points
qu'il en eût gagné en la faisant à une des blouses qui lui
sont assignées. Enfin, les pertes se comptent comme dans les
parties précédentes.
Partie du carambolage. On joue ordinairement cette
partie sur un billard sans blouses; car, ainsi que son nom
l'indique, on n'y marque que les carambolages. Ses règles
sont plus simples que celles des autres parties ; mais la dif-
ficulté du jeu est beaucoup plus grande. Aussi est-ce la partie
par excellence pour les véritables joueurs. On n'y tient
compte ni des pertes ni des manques de touche.
Poule. Cette partie se joue entre un nombre illimité de
joueurs. On convient de mourir ( se retirer du jeu ) en un
certain nombre de points appelés marques; puis chacun
donne sa mise au marqueur. Ce dernier, après avoir mis
dans un panier en forme de bouteille autant de petites bou-
les portant un numéro qu'il y a de joueurs, agite ce panier,
tire les boules au hasard, et une à une, et les distribue en
commençant par sa droite aux joueurs rangés autour du
billard. Cela terminé, le joueur qui a eu le numéro 1 donne
son acquit {voyez plus haut); le numéro 2 joue sur le
numéro 1 ; le numéro 3 joue sur le numéro 2 avec la bille
du numéro 1 (car il n'y a que deux billes sur le tapis), et
ainsi de suite. Chaque fois qu'une bille est faite, celui qui
a joué le coup précédent est marqué; celui qui manque de
27
2tO
tfniche est également marqué. Sitôt qu'un joueur a atteint le
nombre de marques fixé, il est ?nor^, il se retire. Celui qui
reste le dernier empoche l'ensemble des mises diminué des
frais du billard.
Outre les règles particulières que nous venons d'énoncer,
toutes les parties sont soumises à des règles générales dont
voici les principales : Le joueur qui est en main doit pour
jouer se tenir dans le billard , c'est-à-dire que ni ses pieds ni
son corps ne doivent dépasser les grandes bandes. — En
jouant , il faut toujours avoir au moins un pied sur le par-
quet. — Bille touchée, bille jouée. — On ne doit jamais
arrêter une bille qui roule sur le tapis , etc.... Toute infraction
à ces règles générales est ordinairement préjudiciable au
joueur qui s'en rend coupable: ainsi, celui qui billardc,
c'est-à-dire qui chasse deux billes d'un même coup, perd
un point; il en est de même de celui qui touche à une bille
arrêtée, etc.... Si le cas est douteux, s'il y a contestation
entre les joueurs, un tribunal est là qui prononce sans
appel... Ce tribunal, dont les arrêts sont toujours respectés,
c'est la galerie.
BILLARD DU MONCEAU, trésorier général des
postes, doit moins sa triste célébrité au hasard, qui le fit
parrain de madame Dubarr y, qu'à ses relations avec le fa-
meux abbé Grisel, et à la sentence qui le condamna comme
banqueroutier frauduleux. L'abbé Grisel , sous-pénitencier
du chapitre de Paris et confesseur de l'archevêque, cachait,
sous l'apparence d'une grande sévérité de mœurs et d'une
fastueuse dévotion , une insatiable cupidité. Il était à la
piste de tous les vieillards riches et dévots, et directeur ti-
tulaire de toutes les douairières opulentes ; il recevait des
dépôts qu'il ne rendait jamais s'ils étaient considérables;
il se ménageait une place dans tous les testaments de ses
pénitents et pénitentes, non sous son nom, mais sous celui
de son digne ami Billard. Ainsi , les legs n'étaient que des
fidéicommis , et chaque fois l'officieux Billard se parju-
rait en justice. Le partage venait ensuite, à quelques ex-
ceptions près ; car si le legs était d'une quotité trop sédui-
sante , le prête-nom éprouvait des scrupules, et gardait tout.
L'autorité fut informée; une pareille spéculation devait
faire naître les plaintes des héritiers légitimes. L'association
fut rompue, et l'abbé Grisel emprisonné. Soit que cette
découverte eût fixé l'attention des fermiers généraux sur la
gestion du caissier général des postes, soit toute autre cause.
Billard du Monceau fut arrêté bientôt après l'abbé Grisel.
Ses registres furent examinés, et il résulta de l'examen de
ses livres et de sa caisse la preuve d'une soustraction de
plusieurs millions.
Billard du Monceau ne témoigna ni surprise ni crainte;
sa réputation de piété était bien établie , et la protection
de sa filleule , favorite déclarée , ne pouvait lui manquer. Il
entendait chaque jour une ou plusieurs messes à sa paroisse,
et communiait tous les deux jours. Rien de plus curieux
que le mémoire justificatif qu'il rédigea lui-même , et que
tout Paris voulut lire. C'est lui seul qui parle; il n'invoque
point de texte de loi , il n'élève aucune question d'irrégula-
rité de procédure ou d'incompétence ; il ne met en avant
aucun avis de jurisconsulte; il convient tout bonnement
des soustractions qui lui sont reprochées. Ses aveux se con-
fondent avec des citations des saintes Écritures et des déci-
sions de casuisles;iltraceun tableau peu édifiant des mœurs
des fermiers généraux , ses chefs ; il déplore l'emploi qu'ils
font de leurs énormes bénéfices , dont ils prodiguent la
plus grande partie à des prostituées et à leurs passions
pour les pompes et les vanités du monde. 11 en conclut que
s'il leur a soustrait des sommas considérables , c'est pour
le bien des pauvres , pour consacrer à des œuvres pies une
partie de l'or que ces grands pécheurs auraient employé
en œuvres du démon. C'était sur de pareils arguments
qu'il fondait la preuve de son innocence. 11 n'avait , disait-
il , cru devoir prendre aucune précaution pour cacher ses
BILLARD — BlLLARDIÈllE
soustractions, le plus léger examen de ses écritures suffi*
sait pour s'en convaincre ; et si MM. les fermiers généraux
ne les avaient pas découvertes plus tôt , c'était sans doute
parce que la Providence les avait frappés d'imprévoyance
et d'aveuglement. Ces erreurs si claires se renouvelaient
chaque jour depuis plusieurs années. Il en inférait « qu'il
pouvait à bon droit se regarder comme étant sous la gard«
de Dieu ».
Le prince de Conti avait fait le pari que Billard ne se-
rait point pendu, ni même condamné aune peine quel-
conque. Il le perdit. Le vol était si énorme, si évident; le
procès avait eu une si grande publicité , que madame Du-
barry ne put sauver Billard ; le chancelier lui-même, qui lui
était tout dévoué , n'osa pas soustraire le coupable ni ar-
rêter le cours de la justice. Billard fut condamné au pilori
et au bannissement. « Le fameux banqueroutier Billard ,
écrivait madame du Deffant, a été au pilori à la Grève,
une seule (ois, pendant deux heures, avec un écriteau :
Banqueroutier frauduleux , commis infidèle. Il était en
bas de soie, en habit noir, bien frisé, bien poudré. Quand
le bourreau vint le chercher à la Conciergerie, il voulut
l'embrasser, l'appela son frère , le remercia de ce qu'il lui
ouvrait la porte du ciel, bénit Dieu de son humiliation, et
récita des psaumes tant qu'il resta au carcan. Il fut con-
duit après hors de Paris ; et comme sa sentence porte le
bannissement , on ne doute pas qu'il n'aille à Rome auprès
du général des jésuites ; et comme sa banqueroute est de
cinq millions, il aura eu la précaution de faire passer des
fonds dans les pays étrangers. Il aurait été juste de le con-
damner aux galères. »
Les prévisions de madame du Deffant se réalisèrent. Une
berline bien attelée attendait Billard du Monceau à la bar-
rière; il fit la route de Rome. Il était jésuite de robe
courte; il soutint son rôle jusqu'à la fin. Il avait été arrêté
et mené à la Bastille le 17 décembre 1769; il y resta jus-
qu'au 18 février 1772, époque où il fut transféré à la Con-
ciergerie , pour de là être conduit au pilori. L'abbé Grisel
avait été plus heureux : il en fut quitte pour quelques mois
de séjour à la Bastille. Dcfey ( de l'Yonne).
BILLARDIÈRE, genre de plantes de la famille des
liittosporacées, institué par Smith, en l'honneur de La Bil-
lard i è r e , auteur du Aovie Hollandix Plantarum Spéci-
men.
Introduite en France il y a vingt-cinq à trente ans, dans
nos collections de plantes de serre tempérée, la billardière
sarmenteuse (billardiera scandens) y fut accueillie avec ena-
pressement, ainsi qu'un grand nombre de végétaux de la
Nouvelle-Hollande, parce que ces plantes sont la plupart
remarquables par leurs formes, la beauté de leurs fleurs,
la singularité de leur feuillage, et, pour parler d'une ma-
nière générale, par leur ensemble, qui a peu d'analogie avec
nos végétaux de France et môme de l'Europe entière. La
billardière sarmenteuse est ligneuse, grimpante, et acquiert
60 à 95 centimètresde hauteur; ses rameaux sont grêles, ses
feuilles dentées, velues et ovales, et ses fleurs, tirant sur le
jaune, sont remarquables par leurs longs pétales, qui, quoi-
que divisés profondément, donnent par leur rapprochement
une disposition tubuleuse à cette fleur, de forme, de cou-
leur et d'un aspect réellement peu communs. Ses fruits
inclinés et tombants, sont charnus et de forme oblongue.
On voit encore dans les collections de plantes de choix
pour la serre tempérée la billardière variable (billardiera
mutabilis ), également originaire de l'Océanie, moins forte
dans toutes ses parties que la précédente, et néanmoins fort
recherchée par les amateurs.
Les billardières, étant originaires de l'une des parties
froides de la Nouvelle-Hollande ( le cap Van-Diemen ),
pourront sans doute, ainsi que les autres plantes qui ont
été rapportées de ce point de l'Océanie, être cultivées un
jour en pleine terre en France.
BILLARDIERE — BILLAUD-VARENNES
Les biHardières se multiplient par bouturas et par leurs
(iraines ; on les tient en pot comme l'oranger : la terre qui
leur convient le plus est celle de bruyère, ou toute autre
terre douce et légère. C. Tollard aîné.
BILLAUD-VAREIVNES (Jean-Nicolas), né à La
Rochelle, en 1760 , et fils d'un avocat de cette ville, fut des-
tiné de bonne heure à l'état ecclésiastique; il fit partie de
la congrégation de l'Oratoire, et devint professeur au collège
de Juilly; mais, son goût pour le théâtre lui ayant fait
perdre sa place, il vintà Paris à l'âge de vingt-cinq ans, et fut
reçu avocat au parlement de cette ville. Il épousa quel-
que temps après une fille naturelle de M. de Verdun , fer-
mier général. Il avait fait une étude approfondie de notre
histoire et de notre droit public ; et avant l'ouverture des
états généraux il avait manifesté hautement son ardent
amour pour la liberté et son horreur pour tous les genres de
tyrannie.
Son premier ouvrage ne fut point, comme on l'a dit et
ré|)été dans toutes les biographies, un pamphlet éphémère,
une diatribe fugitive passionnée , mais un grand tableau
historique des révolutions dont la France avait été le tiiéà-
tre depuis l'origine de la monarchie. Cet ouvrage, en 3 vol.
in-8°, est intitulé : Despotisme du Ministère de France,
ou Exposition des principes et moyens employés par l'a-
ristocratie pour mettre la France dans les fers (Ams-
terdam, 1789). Son nom n'est indiqué que par les initiales
B. V. Mais Billaud-Varennes a depuis déchiré le voile de
l'anonyme, dont il avait cru devoir s'envelopper en 1789.
Cet ouvrage, écrit sous l'influence d'une conviction profonde
et de la plus vive irritation , se faisait remarquer par l'éner-
gie du stjle et par une rare érudition. L'auteur ne raconte
point, il ne discute point, il accuse; mais ses attaques ne
portent que sur les ministres qui avaient abusé de l'auto-
rité que les rois leur avaient confiée.
Voilà dans quelles dispositions la révolution trouva Bil-
laud-Varennes. Il soutint d'abord les mêmes doctrines;
il montra la môme indépendance d'opinion et de caractère
à la tribune de la société des Amis de la Constitution , si
connue depuis sous le nom de Société des Jacobins, où
il fut admis dès l'origine. Il prit une part très-active à l'in-
surrection du 10 aoftt. On lui a même reproché de s'être
associé aux auteurs des massacres des 2 etSseptembre.
Dans les derniers jours de l'orageuse session de l'Assem-
blée législative , il fut envoyé en mission dans les départe-
ments ; il ne dépendit pas de lui que les habitants et la muni-
cipalité de Cbaions ne devinssent l'objet de mesures sévères
et terribles de la part de l'Assemblée et de la municipalité
de Paris. Il fut à cette époque élu substitut du procu-
reur de la commune. Billaud-Varennes dut son élection à
la part qu'il avait prise à l'insurrection du 10 août. Il était
membre du club qui siégeait alors à l'ancien hôtel Soubise ,
occupé maintenant par l'Imprimerie impériale. Ce club eut
une très-grande influence sur les élections des députés à la
Convention. Les Girondins étaient en majorité au club des
Jacobins, qui avait alors une couleur républicaine moins
prononcée que le club des Cordeliers. Il était facile de
prévoir les conséquences de l'ascendant de la commune de
Pnris sur l'Assemblée nationale et sur les départements. La
nouvelle municipalité de Paris s'arrogea une véritable et
toute-puissante dictature. Les Fédéralistes ou Girondins et
les Montagnards se dessinèrent dès les premières séances
de la Convention. Billaud, député de Paris, et membre de
cette municipalité , appelée Commune du 10 août, apparte-
nait par sa position , ses relations et ses doctrines poli-
tiques, au parti des Montagnards. Une nouvelle carrière
s'ouvrait devant lui, il s'y jeta corps et âme; c'était riionune
des partis extrêmes.
En 1789 il s'était prononcé avec la plus véhémente éner-
gie contre l'arbitraire ministériel; déi>uté à la Convention,
il se constitua laccusaleur des rois et de la royauté. Mais
211
dans cette seconde période de sa vie politique, comme dans
la première, il ne parlait et n'agissait que par conviction ; il
ne voyait de moyen possible pour consolider la liberté que
dans la destruction de tout ce qui pouvait lui faire obstacle.
Il n'était arrêté dans ses actions par aucune considération,
même d'intérêt personnel.
Dans le procès de Louis XVI il proposa, le 13 décembre
1792, d'ajouter à l'acte d'accusation présenté par Barrère
l'article suivant : « La nation t'accuse d'avoir fait prêter
aux Suisses , dans la matinée du 10 août , le serment de
soutenir ta puissance. La nation t'accuse d'avoir établi au
château des Tuileries un bureau central, composé de plu-
sieurs juges de paix, où se fomentaient tes desseins crimi-
nels. La nation t'accuse d'avoir donné ordre à Mandat,
commandant de la garde nationale, de tirer sur le peuple
par derrière, quand il serait entré dans les cours du châ-
teau. Enfin, la nation te reproche l'arrestation du maire de
Paris dans l'intérieur du château , pendant la luiit du 9
août. »
La Convention ayant, malgré son opposition, décidé que
toutes les pièces dont Louis XVI pourrait avoir besoin pour
sa défense lui seraient remises , et qu'il lui serait permis
de choisir ses défenseurs , Billaud-Varennes s'indigna de
ces formes dilatoires, s'emporta contre ceux qui en avaient
appuyé la proposition, et qu'il qualifiait di'amis du tyran ,
et termina son impétueuse harangue en proposant de bri-
ser la statue de Brutus , placée dans la salle des séances.
• Cet illustre Romain , s'écriait-il, n'a pas balancé à détruire
un tyran, et la Convention ajourne la justice du peuple
contre un roi ! « Il s'o|iposa avec la même véhémence à
l'appel au peuple, et demanda si dans le cas où ce ridicule
appel serait prononcé, les Français des Grandes -Indes, de
l'Amérique et des îles seraient aussi convoqués pour pronon-
cer sur cet appel, comme faisant partie du gouvernement
français. Il vota en ces termes : « La mort dans les vingt-
quatre heures. »
La Convention hésitait à livrer à la publicité les pièces
relatives à la trahison de Dumouriez ; Billaud s'écria qu'il
ne fallait rien cacher au peuple : « C'est à la nouvelle de
la prise de Verdun qu'il s'est levé et qw'il a sauvé la pa-
trie. > Le décret qui instituait le tribunal révolutionnaire
était à peine adopté que Billaud-Varennes n'hésita pas à té-
moigner ses craintes sur le pouvoir exorbitant et vraiment
arbitraire conféré à cette redoutable juridiction. Il pensa
que les accusés auraient une puissante garantie dans les
j\irés s'ils étaient choisis par tous les départements de la
république , et souvent renouvelés. Sa proposition fut re-
jetée; les jurés furent choisis dans le déparlement de la
Seine et les quatre départements les plus voisins de la capi-
tale, et la Convention s'en attribua la nomination. La lii^e
fut arrêtée les 13 et 15 mars 1793. Ces jurés devaient rester
en fonctions jusqu'au 1" mai seulement. A cette épocjuc
la Convention devait procéder à leur remplacement en clioi-
.sissant leurs successeurs dans tous les départements. Des
décrets ultérieurs étendirent les attributions de ce tribunal.
Le jour même où Billaud-Varennes proposait im jury dé-
partemental, il dénonçait à la Convention Clavière, niinistie
des finances, et le fameux Fonrnier l'Américain. Il signaU
celui-ci comme le provocateur et le chef de toutes le«
émeutes populaires, et l'autre comme son complice. Il était
impossible de réunir dans une même accusation deux
hommes plus opposés de caractère et d'opinion, et entre
lesquels il ne pouvait y avoir aucun rapport.
Billaud-Varennes, envoyé en mission dans le département
d'Ille-et- Vilaine, ne se fit point illusion sur le caractère, les
forces et l'intensité de cette déplorable guerre de la Ven-
dée, sur l'insuflisance des moyens adoptés pour en arrêter
les progrès; il se haia de transmettre à la Convention le ré-
sultat de ses observations, et réclama avec instance l'envoi
de nouvelles forces. Sa réclamation n'obtint aiic\m succès^
27.
212
BILLAUD-VARENNES
et, coirvaincu de l'impoissance des moyens mis à sa dispo-
sition pour remplir sa mission, il revint s'asseoir à l'Assem-
blée, pour lui rendre, disait-il, son énergie républicaine.
Le 17 mai le conseil exécutif déposa sur le bureau de la
Convention un travail sur l'organisation des états-majors.
Billaiid adressa les plus vifs reproches au conseil sur la pré-
sentation de plusieurs officiers généraux ; il déclara ne vou-
loir prendre aucune part à une délibération qui aurait pour
objet la nomination des généraux Custine et Houcbard au
commandement en cbef des armées du Nord et du Rhin.
Le 27 du même mois il soutint avec la même acrimonie
son opposition : il accusa formellement le général Custine
d'avoir fait battre 30,000 Français par 6,000 ennemis.
La journée du 31 mai 1793 occupe une grande place dans
les fastes de la Convention nationale. Les deux partis qui
la divisaient ont cessé de s'observer; le combat s'engage,
et c'est un combat à outrance : d'un côté, les Girondins,
sans autre appui que leurs talents et leur courage ; de l'autre,
la Montagne avec ses doctrines radicales, son audace, et
l'immense pouvoir de la Commune de Paris et des sec-
tions armées. Lanjuinaisse prononça contre la Commune
et ses partisans, contre ce qu'on appelait déjà la révolution
du 31 mai, à l'instant où elle ne faisait qu'éprouver ses
forces. Biliaud répondit à Lanjuinais par une accusation ;
il lui reprocha d'avoir favorisé le parti de la contre-révo-
lution à Rennes , et d'avoir protégé ouvertement les roya-
listes de cette ville. Il proposa le lendemain l'accusation
des députés de la Gironde et de leurs partisans, et le renvoi
de sa motion au comité de salut public pour faire, séance
tenante , le rapport d'une pétition des autorilcs révolu-
tionnaires de l'aris, qui proposaient diverses mesures de
salut public. La pétition se terminait en ces termes : « Ci-
toyens , le peuple est las d'ajourner sans cesse l'instant de
son bonheur; il le laisse encore un moment entre vos
mains -. sauvez-le, ou nous ^ous déclarons qu'il va se sau-
ver lui-même. »
Biliaud-Varennes avait considéré le gouvernement révo-
lutionnaire « comme moyen nécessaire pour comprimer
tous les partis opposés au système démocratique ». Il com-
battait avec la même violence tous ceux qui , par la mo-
dération ou l'exagération de leurs opinions politiques , pou-
vaient compromettre le succès de la révolution du 10 août.
Il s'éleva avec le sentiment de la plus vive indignation contre
les doctrines anarcbiques de Jacques Roux, à l'occasion
d'une adresse contre les riches. 11 renouvela le 15 juillet
ses attaques contre les Girondins , et lit décider leur mise
en jugement. Le lendemain il lit comprendre dans la même
accusation Polverel et Santonax , par le seul motif qu'ils
étaient partisans de Brissot. Quinze jours apiès il jiarlil
en mission pour les départements du Nord et du Pas-de-
Calais. La guerre civile ensanglantait les départements de
l'Ouest; de nombreuses armées ennemies menaçaient ceux
du Nord. Biliaud se hâta de revenir à Paris, et, après avoir
exposé le tableau des dangers qui menaçaient l'indépen-
dance nationale, il proposa de faire marcher vers le nord
toutes les troupes de l'intérieur, et de mettre en réquisition
tous les Français depuis l'âge de vingt ans jusqu'à celui
de trente. Le 23 décembre quel((ues sections de Paris de-
mandèrent la formation d'une armée révolutionnaire; il
appuya leur pétition, et lit révoquer le décret qui défendait
les visites domiciliaires pendant la nuit. Un décret d'accu-
sation fut rendu le même jour contre les ministres Clavière
et Lebrun. « 11 faut, disait-il, que le tribunal révolution-
naire les juge, toute afiairc cessante , et qu'ils périssent
avant huit jours. Lorsque leurs têtes seront tombées , ainsi
que celle de Marie-Antoinette, dites aux puissances coali-
sées contre vous qu'im seul fd retient le fer suspendu sur
la tète du fds du tyran, et que si elles font un pas de plus,
il sera la première victime du peuple. «
Il fut le même jour nommé président de la Convention.
Le comité de salut public se vit presque entièrement renou-
velé le 23 frimaire de Tan II. Biliaud fut élu, et ne cessa d'en
faire partie qu'un mois après le 9 thermidor. Alors qu'il y sié-
geait encore, il fut accusé. Avant cette époque il avait été
obligé de défendre ce même comité contre les attaques dont
il était l'objet, et qu'il attribuait aux ennemis de la répu-
blique.
C'était Biliaud-Varennes qui avait proposé l'établissement
d'un tribunal criminel extraordinaire. Il demanda que ce
tribunal prît le nom de révolutionnaire. Nous avons dit
plus haut les modilications qu'il proposa ensuite de faire à
cette institution. Le gouvernement conventionnel de la ré'
publique ne devait être d'abord que provisoire; il fut dé-
claré permanent jusqu'à la paix générale. Biliaud-Varennes
s'opposa à ce que le comité de salut public prit le nom
û& comité de rjouvernement. « C'est la Convention, disait-
il, qui seule doit gouverner. » Il fit décréter en nivôse an n
que tout général ou fournisseur condamné serait exécuté à
la tête des armées. Le 2 pluviôse, anniversaire de la mort de
Louis XVI, il fit décréter que la Convention assisterait en
corps à la fête de l'abolition de la royauté. Il s'était séparé
de Danton dès qu'il l'avait soupçonné de vouloir substituer
un nouveau patriciat à l'ancienne noblesse. Le système
d'Hébert ne lui parut pas moins dangereux, et il se rendit
l'accusateur de ce parti. Nul ne proposa plus d'accusations.
Vilalte, dans ses Révélations sur les causes secrètes du
9 thermidor, peint Biliaud-Varennes « bilieux, inquiet et
faux , pétri d'hypocrisie monacale , se laissant pénétrer par
ses efforts mêmes à se rendre impénétrable, ayant toute
la lenteur du crime qui médite et l'énergie concentrée pour
le commettre.... Son ambition, ajoute-t-il , ne peut souffrir
de rivaux : il est morne, silencieux; ses regards sont vacil-
lants et convulsifs, il marche comme à la dérobée; sa figure,
au teint pâle, froide, sinistre, montre les symptômes d'un
esprit aliéné. » Ce portrait est-il aussi fidèle que hideux?
L'histoire «prononcé. Biliaud-Varennes disait de la tragédie
de Timoléon : « Elle ne vaut rien, elle n'aura pas l'honneur
do la rejirésentation. Qu'entend Chénier par ce vers contre-
révolutionnaire :
N'esl-on jamais tyran qu'avec un diadème? »
En littérature comme en politique, Biliaud-Varennes avait
toujours une opinion tranchée. H croyait sans doute que
l'auteur faisait allusion à Robespierre, et alors Robespierre
était pour Biliaud-Varennes la personnification de toutes les
vertus politiques. Biliaud-Varennes, en provoquant des
mesures teriibles, ne s'est-il pas peint lui-même dans ces
phrases : « Le sommeil est passé ; le lion n'est pas mort parce
qu'il doit; le moment où il s'éveille est cehii où il étrangle
et déchiie ses victimes ! » Quel sens attachait-il au mot ace-
phalocratie, qu'il avait écrit et placé en tête d'un ouvrage sur
la félicité publique, et qu'il publia en 1791? Les utopies de
Biliaud-Varennes ne se jirésentaicnt point sous une forme
sédui^ante ; sa philanthropie était effrayante.
Robespierre , qui jusqu'à l'époque de la fête de l'Être
suprême avait suivi avec la plus grande exactitude les
séances de la Convention et des Jacobins, ne s'y montrait
plus que rarement; il cessa tout à fait d'y paraître. Ce chan-
gement de conduite fixa l'attention de ses collègues du m
comité de salut public. Leur confiance fut ébranlée. Enfin, il "
rompit le silence le 8 thermidor. Cette brusque réappari-
tion après une longue absence, ce manifeste menaçant a|)rès
un silence d'un mois, ne permettaient plus d'incertitude sur
les nouveaux projets de Robespierre, de Saint-Just et de
Couthon. De nouvelles [jrosciiptions menaçaient les autrrs
membres du comité et la Convention elle-même. Mais dès
le 22 lloréal précèdent Biliaud-Varennes avait rompu av<cj
Robespierre; il lui reprochait vivement d'avoir propo.sé à
la Convention, au nom du couuté, un projet de décret sur 3
lequel il n'avait pas mêiue été consulté. Robespierre s'étaitT
BÎLLAUD-VARENNES
2t?
excus<5 sur ce que jusque alors tout s'était fuit de confiance,
et qu'il avait cru pouvoir agir seul avec Couthon. Bil-
laud-Varenncs, après lui avoir rappelé que jamais aucune
mesure en matière grave n'avait été proposée à l'Assemblée
qu'après avoir été soumise aux délibérations du comité et
approuvée par la majorité de ses membres, ajoutait : >< Le
jour où un membre du comité se permettra de présenter
seul un décret à la Convention , il n'y aura plus de liberté,
il n'y aura plus l'opinion de plusieurs, comme dans les
pays libres, mais la volonté d'un seul, pour proposer la lé-
gislation. » La discussion continua, et Robespierre, ne se
sentant plus soutenu par la majorité du comité, entra dans
une véritable fureur. Cette séance devait être le signal d'une
crise prochaine.
Une dernière scène, plus vive , plus passionnée, plus dé-
cisive, se passa au comité de salut public dans la nuit du 8
au 9 thermidor. Le 8 Robespierre avait prononcé à la Con-
vention le discours de rentrée, qui annonçait de nouvelles
proscriptions ; il l'avait répété le soir à la séance des Jaco-
bins. Saint-Just était resté au comité jusqu'à minuit et demi ;
il avait beaucoup parlé d'un rapport qu'il devait faire le len-
demain ; il avait promis à ses collègues de le leur communi-
quer avant la séance, et il était sorti apiès avoir échangé des
paroles vives avec Carnot et les autres membres qui restè-
rent en permanence. Ils délibéraient et travaillaient encore le
matin, lorsque Coullion entra, et un instant après un huis-
sier lui remit un billet de Saint-Just ainsi conçu : « L'in-
justice a fermé mon cœur; je vais l'ouvrir tout entier à la
Convention. » On veut garder ce billet, Couthon le déchire,
et sort. Rulh se lève : « Allons , dit-il à ses collègues, allons
démasquer ces scélérats , ou présenter nos tètes à la Con-
vention. » Saint-Just n'avait encore prononcé que les pre-
mières phrases de son discours ; il est interrompu par Bil-
laud-Varennes , il ne peut continuer. On a cru ce discours
perdu : Saint-Just avait laissé le manuscrit à la tribune; il
a été publié dans un recueil de réjioque. Saint-Just y accu-
sait tous ses collègues du comité cl beaucoup d'autres mem-
bres de la Convention. Voici le passage relalif à liiliaud ,
qu'il f)laçait sur la même ligue que Collot-d'Herbois : « Collot
et liiliaud prennent peu de part depuis quelque temps aux
délibérations ; ils paraissent livrés à des intérêts et des vues
plus particulières. Billaud assiste à toutes les séances sans
parler, à moins que ce ne soit dans le sens de ses passions,
ou contre Paris, contre le tribunal révolutionnaire, contre
les hommes dont il paraît souhaiter la perte. Je me plains
de ce que lorsqu'on délibère il iérnie les yeux et feint de
dormir, comme si son attention se concentrait sur d'autres
objets. A sa conduite taciturne a succédé l'inquiétude de-
puis quelques jours. » Il rappelle ensuite que lorsque les
premiers bruits de dictature commencèrent à circuler, Bil-
îaud avait dit à Robespierre : « Nous sommes tes amis ,
nous avons toujours marché ensemble » , et que la veille il
l'avait traité de Pisistrate ; il concluait de ces contradic-
tions que Billaud-Varennes conspirait pour un nouvel ordre
de choses, et cherchait à faire perdre aux plus ardents dé-
fenseurs de la république leur popularité. C'était, selon
Saint-Just, un système de diffamation imaginé pour con-
centrer dans les mains de deux ou trois hommes tous les
pouvoirs du comité. « Car, ajoutait-il , en même temps que
Billaud-Varennes et Collot-d'Herbois ont conduit le plan, ils
ont manifesté depuis quelque temps leur haine contre les
Jacobins; ils ont cessé de les fréquenter. «
Billaud-Varennes fut un des premiers qui accusèrent Ro-
bespierre dans la séance du 9 thermidor. Six jours après
il donna sa démission de membre du comité de salut public,
«t le IG fructidor il fut, ainsi que Collot-d'Herbois, Bar-
rère, Yadier, Amar, Vouland et David , dénoncé à la Con-
vention nationale par le comité de Versailles, comme com-
,pli(;e de Robespierre. Un déciet déclara que sa conduite
avait été conforme au vœu national. Une autre accusation
fut peu de temps après portée contre lui à la tribune de l«t
Convention par L'tgendre; elle fut écartée par un ordre
du jour. Billaud-Varennes ne tarda pas à se convaincre que
le parti de la contre-révolution s'était emparé des résul-
tats de la journée du 9 thermidor pour l'exploiter à sou
profit. La réaction en était venue au point de ne plus dis-
simuler ses projets. Billaud-Varennes n'avait point cessé de
se rendre aux séances des Jacobins. Son silence depuis le 9
thermidor avait été remarqué ; il le rompit enfin le 14 bru-
maire an III (4 novembre 1794). Il retraça sous les plus
sombres couleurs le tableau des progrès de la contre-révolu-
tion. « Le lion que l'on croit mort, dit-il, n'est qu'endormi ;
il est temps qu'il se réveille , qu'il se précipite sur ses enne-
mis, qu'il les déchire; le temps est venu d'écraser les en-
nemis de la république. » Son discours produisit la plus
vive sensation. Le lendemain il fut accusé à la tribune
d'avoir provoqué une insurrection contre la Convention na-
tionale. Il ne rétracta pas ses paroles de la veille. Bentabole
le somma de s'expliquer sur cette expression , le réveil
du lion. Billaud éluda la question en se jetant dans les gé-
néralités. Il lutta encore quelque temps contre ses infati-
gables adversaires , et succomba enfin. Il fut condamné à la
déportation, ainsi que Collot-d' Herbois, Barrère et
Vadier, sur le rapport de Saladin , au nom de la commission
des vingt-et-un, le 12 germinal an III ( 1" avril 1795). U
fut arrêté le lendemain, et conduit avec Barrère et Collot-
d'Herbois au château de Ham, et ensuite à l'île d'Oléron.
Vadier s'était soustrait par la fuite au décret. L'ordre d'em-
barquer les autres pour Cayenne fut expédié. Barrère
était malade, il ne partit point. Le navire qui transportait
Billaud-Varennes et Collot-d'Herbois était à peine en pleine
mer, qu'un autre décret rendu dans l'orageuse séance
du !"■ prairial, et qui rappelait les déportés, pamnt ii Olé-
ron. 11 était trop tard. Les deux bannis arrivèrent à leur
destination. Le nouveau décret ne les aurait pas rendus im-
médiatement à la liberté ; ils devaient, ainsi que Barrère, être
traduits devant le tribunal de la Charente-Inférieure pour y
Être jugés.
Arrivé à Cayenue, Billaud-Varennes fut envoyé dans l'in-
térieur du pays, et séparé de Collot-d'Herbois, qui mourut
bientôt après. Quant à lui, il était encore à Siuuamari quand
les déportés du 18 fructidor y arrivèrent. On conçoit que les
nouveaux prisonniers n'aient pas voulu se lier avec Biilaud-
"\arcnues; cependant la conformité de malheur aurait dû,
sinon détruire, du moins modérer leur antipathie. L'abbé
Broltier, qui dans une opinion tout à fait opposée mour
trait la même exaltation, se rapprocha de Billaud-Varennes,
et bientôt une liaison intime s'établit entre le fougueux Ja-
cobin et le fanatique défenseur de la royauté absolue.
On a publié en 1823 deux volumes in-8°, intitulés Mé-
moires de Billaud-Varennes : il en résulte qu'il auiait par-
couru en missionnaire religieux et politique l'Amérique du
Sud et les Antilles^ et qu'il aurait pris une part très-active
aux révolutions de l'Amérique méridionale et de Saint-Do-
mingue. L'éditeur de ces mémoires, évidemment apocryphes,
donne quelques fragments d'une lettre que lui aurait écrite
l'abbé Grégoire, et cite un soi-disant ouvrage de Billaud-
Varennes intitulé : Question du droit des gens : Les répu-
blicains d'Haïti possèdent-ils les conditions requises
pour obtenir la ratification de leur indépendance? l'ar
un observateur philosophe. Ail Port-au-Prince, 1818,
an XV de l'indépendance. Pendant le cours de la révolution
française Billaud-Varennes avait publié: \° Plusde minis-
tres, ou Point de grâce; avertissement donné aux pa-
triotes français et justifié par quelques circonstances de
l'affaire de' Nancy (1790); 2" le Dernier Coup porté aux
préjugés et à la superstition (1790); 3° le Peintre poli-
tique, ou Tarif des opérations actuelles (1790); 4° VAcé-
phalocratie, ou le Gouvernement fédératif démontré le
i meilleur de tous (1791); o° Élcmcnls du rcpublica-
2f4
BILLAUD-VARENNES
nisme (1793). On reproclie avec raison à lîillaud-Varen-
ncs lin style emphatique et boiirsoullé et un grand luxe de
métaphores. Des pensées souvent justes jaillissent quel-
quefois de ce chaos ; ces df'fauts sont moins sensibles dans
8on premier ouvrage que dans ceux qui l'ont suivi. C'était
le style obligé de la pdlétnique de l'époque. Il avait dans sa
jeunesse cultivé la po('sie. Dufey (de l'Yonne).
Six ans s'étaient écoulés depuis que Biilaud-Varennes
supportait son exil en véiitable Homain, lorsque je le vis à
Cayenne, où je servais en qualité d'aide de camp du gou-
vei-neur de cette colonie. L'amnistie qui rendit la liberté à
tous U's déportés me fournit l'occasion de connaître ses sen-
timents et la fermeté de son caractère. Le gouverneur me
dicta la lettre dans laquelle il annonçait à cet ancien membre
du Comité de salut public que l'arrêté des consuls faisait
cesser sa d(''portation et qu'il pouvait retourner dans sa
patrie. J'allai moi-même porter ce message à Dorvilliers,
petite habitation qui avait appartenu à un ancien gouver-
neur, et qui, restée sous le séquestre comme bien d'émigré,
venait d'être affermée à Billaud. Elle était située sur la pente
d'une belle montagne, dont la mer baigne le pied dans le
quartier connu sous le nom de la Côte. Je le trouvai sous
la galerie de sa petite maison sans étage, couché dans son
hamac. Il se leva, vint à moi, et, avec la politesse qui lui
«.■tait familière, me demanda ce qui lui procurait l'honneur
de ma visite. « La fin de votre exil , » lui dis-je avec émo-
tion ; et lui remettant la lettre, j'y ajoutai les félicitations du
gouverneur et les miennes.
Biilaud-Varennes prit la dépêche ; un sourire glissa sur ses
lèvres, mais ce n'était pas un sourire de joie; il me pria de
me reposer dans son hamac, et lut lentement sans que je pusse
reconnaître en lui la moindre émotion. Il était d'une haute
stature; sa figure large et pâle ne révélait son âme énergique
par aucun signe extérieur. Sa physionomie était pleine de dou-
ceur ; il portail une perruque rousse, taillée à la jacobin. Son
accent, ses manières, annonçaient de l'affabilité et une dis-
tinction que son costume, plus que simple, ne pouvait effacer.
Un pantalon, une veste de toile grossière, un chapeau à larges
bords, de gros souliers, tel était le costume du Spartiate.
Il vivait paisiblement dans sa solitude. Les faibles produits
de l'habitation suffisaient à ses besoins. Le hamac était le
seul meuble de la galerie ; une table de sapin et trois chaises
à moitié dépaillées composaient le mobilier de la pièce in-
térieure de cette maison, occupée par un des oligarques qui
avaient gouverné la France. Sans me dire un seul mot sur
le sujet de ma mission, il me pria d'accepter un verre de
punch et de lui permettre d'aller répondre à la lettre obli-
geante du gouverneur. Pendant ce temps je visitai l'habita-
tion; et lorsque je rentrai, Biilaud-Varennes me remit avec
gravité sa réponse, sans me laisser rien soupçonner de son
contenu. Je courus près du gouverneur. Celui-ci connais-
sait notre Romain ; il prit la lettre avec empressement, la
lut , et me la remit en me disant : « Je m'y attendais. »
Billaud s'exprimait à peu près ainsi dans quelques lignes tra-
cées d'une main ferme : « Je sais, par l'histoire, que les
consuls romains tenaient du peuple certains droits; mais
le droit de faire grâce, que s'arrogent les consuls français,
n'ayant pas été puisé à la même source, je ne puis accep-
ter l'amnistie qu'ils prétendent m'accorder. »
Ce refus, d'ailleurs, ne changea rien à la position du dé-
porté. Depuis l'arrivée de V. Hugues, il jouissait d'une
complète liberté et se voyait traité avec tous les égards qu'il
méritait. Il était parti de France sans ressources ; quel-
ques colons le soutinrent dans sa détresse, il lui fallait si
peu de chose! Il se suffit à lui-même par son travail quand
il eut affermé Dorvilliers. Peu de temps après , il éprouva
un changement favorable dans sa fortune : son père mourut
à La Rochelle, en lui laissant .30,000 francs. Dès ce moment
il put jouir de la vie indépendante qu'il désirait. Du lesle,
iJillaud était considéré à Cayenne comme citoyen français ;
il y jouissait de ses droits civils, et y acheta une pefife ha-
bitation avec huit nègres et négresses sur le bord de la ri-
vière du Tour (le l'Ile. Des esclaves à un ancien membre
du comité de salut public! quelle contradiction !
La situation de cette propriété était fort agréable. Billaud
y construisit une demeure commode, et l'entoura de belles
allées. 11 cJioisit pour culture le girofle, et pour principale
industrie l'élève du bétail.
Mon habitation était limitrophe de la sienne, et nous
nous visitions quelquefois. Je le trouvais toujours au travail,
tantôt l'herminette ou le ciseau de charpentier à la main ,
planant les bois de sa maison, creusant les mortaises, sciant
les tenons, tantôt ralliant son troupeau ou fouillant des trous
pour ses plantations.
Un profond chagrin pesaitnéanmoins surlecœurdeBillaud.
Après sa condamnation, sa jeune femme, qu'il avait adorée,
et qu'il aimait peut-être encore, profitant de la loi du di-
vorce, s'était remariée. Embarqué eu 1806 sur le Vétéran,
que commandait Jérôme Bonaparte, je suivis le prince à
Paris. J'étais lié avec un chef de division du ministère des
finances, qui m'invita à dîner, en médisant que je trouve-
rais chez lui Prieur (de la Marne) et une dame qui désirait
faire ma connaissance. Le mystère me fut expliqué tout
de suite en apercevant au cou de cette dame un grand raé-
. daillon sur lequel étaient peints avec une ressemblance frap-
pante les traits de Biilaud-Varennes. Je connaissais l'his-
toire de son divorce, et la beauté de madame Billaud jus-
tifiait à mes yeux la passion qu'elle avait inspirée à son mari.
Elle vit bien que le portrait lui épargnait la moitié de sa con-
fidence, et, s'adressant à moi sans embarras, elle me dit :
« Vous savez qui je suis, monsieur, et vous reconnaissez les
traits de votre voisin de campagne? — Oui, madame. — Mais
cette perruque rouge, la porte-t-il toujours? — Oui, ma-
dame. — Mon Dieu ! que cette manie est bizarre, et combien
elle lui a fait de tort ! Sa physionomie, naturellement douce,
en a été changée. Vous allez le revoir, monsieur : veuillez
bien vous charger de cette lettre. Mais j'attends plus encore
de votre obligeance : soyez mon avocat auprès de cet
homme inflexible; obtenez de lui qu'il me permette d'aller
partager son exil, devenu volontaire. Toutes mes lettres res-
tent sans réponse, et je n'ai cessé de lui écrire depuis que la
mort de mon second mari m'a rendu la liberté. Je sais tout
ce qu'a d'aflVeux le séjour de Cayenne, et surtout la soli-
tude que M. Billaud s'est faite sur sa petite habitation ;mais
je n'attends plus de bonheur que dans notre réconciliation.
Qu'il se rappelle la position dans laquelle il m'a laissée :
je n'avais que vingt ans, un nom terrible à porter , et aucune
ressource pour les premiers besoins de la vie. Un homiue
âgé et riche, touché de cette position déplorable, m'offrit sa
main. Je l'acceptai. 11 est mort; j'ai hérité de sa fortune;
je désire la consacrer à améliorer le sort de M. Billaud à
Cayenne, et pour me réunir à lui j'adopterai aussi sa nou-
velle patrie. »
Je ne doutai pas du succès de ma mission en admirant les
beaux yeiix de la jolie veuve. Bientôt le ministre de la ma-
rine me renvoya à Cayenne sur un bâtiment neutre. En route
je perdis la lettre de madame Billaud. Arrivé dans la colo-
nie, je profitai de mon premier moment de liberté pour
courir chez mon voisin m'excuser de mon étourderie et n-ju-
plir au moins ma mission verbale. Mon accent révélait le
plus vif intérêt. Billaud m'écouta avec attention, et je saisis
des larmes dans ses yeux. Je crus au succès de ma dé-
marche; mais quand j'eus cessé de parler, l'homme in-
flexible me dit : « Ne regrettez pas la perte de cette lettre ;
je l'aurais déchirée sans la lire... Il est des fautes irrépa-
rables. » Puis le calme reparut sur son visage, et il me mena
voir les progrès de ses plantations. Il évita aussi de nie
parier des afraires publiciiies, et d'une patrie où il avait pour-
tant laissé un nom m;ir(piant.
Il continua de vivre auisi retiré jusqu'en 1800, époque de
la conquête de Cayenne par les Portugais. L'intendant de
cette nation , M. Da Costa , le voyait souvent , et s'aidait de
ses conseils. Mais lorsque Billaud-Varennes apprit le retour
des Bourbons et la prochaine arrivée de l'expédition qui ve-
nait reprendre la colonie, il vendit son habitation, alors en
plein rapport et devenue délicieuse par ses soins; puis il
partit pour le Port-au-Prince, où il est mort en 1819, pro-
tégé par Pétion , président d'Haïti. Le nouveau propriétaire
de l'habitation de Billaud-Varennes transporta, plus tard,
son établissement dans l'intérieur. Ce n'est plus qu'une ruine.
Dans un pareil climat la nature a bientôt détruit l'œuvre des
Iwnmies : les lianes et la mousse ont couvert les arbres frui-
tiers ; de grandes herbes épineuses embarrassent les allées ,
les cours, les jardins ; les termites enlin rongent les bâtiments
en bois, et les font écrouler... G"' B. Bernard.
BILLAULT ( Aoolpue-Auccste-JIarie ) , président du
Corps législatif, est né à "Vannes (Morbihan), le 12 no-
vembre 1805. 11 avait vingt ans à peine quand, après avoir
achevé son droit à Bennes, il vint en 1825 exercer auprès
du tribunal de première instance de Nantes la profession
d'avocat. Son talent le plaça de prime abord à la tète du
barreau de cette ville , dont quelques années après il deve-
nait bâtonnier. Jusqu'en 1830 il ne s'occupa que de sa pro-
fession ; mais, une ère nouvelle s'ouvrant dès lors pour lui
comme pour la France , il sembla prévoir son avenir et se
faire un plan de conduite qu'il n'a pas cessé de suivre avec
une rare persévérance en étudiant tous les degrés de l'admi-
nistration publique pour en connaître les ressorts. Élu suc-
cessivement membre du conseil municipal à vingt-cinq ans,
et membre du conseil général à vingt-sept, il prit à leurs
travaux la part la plus active, publiant en même temps
plusieurs écrits : 1° Recherches historiques sur les voies
de transport; 2° Considérations sur l'organisation de la
commune en France; 3° De V Éducation en France, et de
ce qu'elle devrait être pour satisfaire aux besoins du
pays, brochures d'un style élégant et net, abondantes en
idées ingénieuses, libérales et surtout pratiques.
M. Billault venait d'avoir trente ans quand arrivèrent les
élections générales de 1837. Trois collèges le portaient à la
fois. Élu au premier tour de scrutin à Nantes et à Ancenis,
il allait l'être également à un deuxième scrutin à Paim-
bœuf, quand la nouvelle de sa double élection vint changer
le vote. Arrivé à la Chambre, M. Billault eut de nombreux
obstacles à vaincre. Son début ne fut pas heureux. La forme
un peu déclamatoire de son débit, quelques habitudes de
barreau dont il n'avait pu réussir à se dépouiller entiè-
rement, nuisirent à son succès. Mais il n'en fut pas décou-
ragé; il se transforma. Son discours de 1837 sur la corruption
électorale fut généralement goûté ; et dès lors il commença
à fournir au labeur parlementaire im énorme contingent
de rapports et de discours.
On distinguait à cette époque à la Chambre des hommes
spéciaux et des hommes politiques : M. Billault commença
par être un homme spécial, non, comme on eût pu le croire,
dans le droit , la législation, la jurisprudence, mais dans les
relations commerciales et dans les travaux publics. Dès 1838
il était nommé membre et secrétaire de la gi-ande commission
chargée de la question des chemins de fer. En 1839 deux
autres commissions lui confiaient leurs rapports; il avait
déjà conquis droit de cité dans ces matières. La même pen-
sée présida aux actes de sa vie politique. Lorsque l'admi-
nistration du 12 mai se forma , le ministre de la justice Teste
lui proposa le secrétariat général de son département. Il re-
fusa sans hésiter. A quoi lui eût servi de s'occuper du per-
sonnel de la magistrature? Quand le cabinet du 1" mars se
constitua, il fut fortement question de confier à M. Billault
le portefeuille du commerce et de l'agriculture. M. Gouin ne
lui fut préféré qu'après beaucoup d'hésitation. On voulut du
moins l'avoir pour sous-secrétairc d'État, et l'on créa pour
loi cette place, qui disparut avec le ministère de M. Thiers.
BILLAUC-VARENNES — BILLAULT 216
Ces fonctions nouvelles fournirent à M. Billault une occa-
sion précieuse de compléter ses études et d'entrer dans la
pratique des affaires. Il fut bientôt chargé de préparer et de
rédiger le traité avec la Hollande; soutint comme commis-
saire du roi, à la session de 1840, la discussion de la loi sur
les sucres , donna son assentiment à la proposition de créer
des chambres consultatives d'agriculture , défendit enfin les
projets de loi relatifs aux fortifications de Paris, aux tarifs
de douanes de 1841, à la propriété des œuvres littéraires, et
donna sa démission lorsque le cabinet du 1" mars se retira.
L'année suivante il se fit inscrire au tableau des avocats de
Paris.
péjà sa position à la Chambre avait complètement changé
de face. Absorbé jusque là dans des questions spéciales, il
hasardait rarement quelques pas sur le terrain brûlant de la
politique. Les uns n'accordaient à ses discours qu'une mé-
diocre attention, les autres lui déniaient jusqu'à la possibi-
lité d'aborder de plus graves débats. Il s'affranchit de cette
réserve dans la discussion de l'adresse de i841 ; sa place fut
dès lors marquée parmi les orateurs politiques; et tandis que
M. Thiers se tenait davantage en réserve, M. Billault harce-
lait continuellement le ministère du 29 octobre : aussi fut-
il bientôt de toutes les combinaisons qu'on imaginait pour
le cas où le ministère Guizot viendrait à être renvei-sé.
Deux discussions appelèrent d'abord l'attention sur lui, la
question du droit de visite et celle de l'adjonction de la
seconde liste du jury à la liste électorale. Ses discours
étaient toujours longs , diffus, prétentieux ; mais enfin il y
avait une apparence de science pratique, qui n'ébranlait pas
la majorité assurément, mais qui faisait de M. Billault un
membre obligé du futur ministère si une révolution n'était
venue renverser le trône avec le cabinet.
C'est alors que Timon faisait de M. Billault ce portrait,
certainement flatté : u M. Billault est le plus remarquable de
tous les nouveaux orateurs. S'il était plus précis , il serait ,
comme un autre Phocion, la hache des discours de M. Guizot,
cet autre Démosthène. Tout avocat qui veut cueillir les
palmes de l'éloquence politique ne doit plus aller au palais
courir le mur mitoyen et la question d'état. M. Billault a
autant de principes qu'un avocat en puisse avoir, et beaucoup
plus dans tous les cas qu'il n'en faut pour un ministre de ce
temps-ci ; lieutenant de M. Thiers, il aime à se divertir comme
son général dans les pérégrinations de la mer et de la terre
ferme.... Ce n'est pas que M. Billault ne puisse être un jour
un très-productif ministre de n'importe quelle branche de re-
venu public. Il n'est gêné, du côté droit ni du côté gauche, par
aucun précédent. Il a ses petites entrées au Louvre sans y
être ni échanson ni panetier. 11 jouit des bonnes grâces de
l'opposition , sans qu'il lui faille approcher les doigts des
charbons ardents du radicalisme. Il a la parole à tout, se
porte en avant, bat en retraite, se jette sur les talus du che-
min et revient au lancé avec la même prestesse d'évolu-
tion. Ces sortes d'éloquences, chauffées à une température
moyenne , sont encore , après tout , celles qui réussissent le
mieux dans nos serres du monopole. »
La Chambre fut dissoute. Aux élections générales qui
suivirent, le 3* arrondissement de Paris, agité par M. Perrée,
directeur du Siècle, le choisit pour son candidat, quoiqu'un
autre collège lui assurât l'unanimité de ses sullïages. Mais
M. Billault se crut enchaîné par les liens qui l'attachaient
aux électeurs d' Ancenis, et il opta pour son département.
L'amiral Lalande, sentant les approches de la mort, ne
voulut pas que les fruits de son expérience fussent perdus
pour le pays ; il résolut de parler encore à la France du fond
de son tombeau. Ce fut à M. Billault qu'il légua cette sainte
mission, et M. Billault justifia complètement le choix de l'il-
lustre amiral. A propos de la célèbre affaire Pritchard , il
prononça encore plusieurs discours qui resteront comme
l'expression la plus éloquente de l'indignation soulevée
dans le pays par l'administration du 29 octobre. Enfin,
21G
BILL AU LT
parlant il loîitc occasion, on le vit faire des discours à jmo-
pos (ifi l'EspaRne, de la Plala, du Mexique, etc., etc., et
«n 1846 il signalait >< la corruption coulant à pleins bords,
d(?bonlant dans le pays, couvrant toute la France, mena-
çant d'engloutir à jamais les institutions représentatives ».
Cette opposition constante ne l'empêcha pas cependant
d'accepter la clientèle du domaine privé du duc d'Aumale,
pour lequel il rédigeait des consultations, plaidait, et duquel
il recevait, comme de raison, des honoraires. Il consentit aussi
à être le conseil judiciaire d'une compagnie de chemin de
1er; mais il réclama contre la qualification de député qu'on
lui donnait dans les annonces, prétendant ingénieusement
qu'il y avait deux hommes en lui : d'un côté l'avocat, de
l'autre le député.
Comme M. Thiers, qui l'avait fait chevalier de la Légion
d'Honneur en 1840, mais dont il ne fréquentait pas les réu-
nions et auquel il tenait peu d'ailleurs dans les derniers temps
de la monarchie, et bien différent en cela de M. Odilon
Barrot, qui ne se mettaiten avant que pour reculer plus tard,
M. Billault ne paraît avoir pris aucune part aux banquets
réformistes qui préparèrent la chute du trône de Louis-
Philippe et l'inauguration de la république. Après la ré-
vohilion de Février, le suffrage universel songea dans la
Loire-Inférieure à acquitter la dette du suffrage censitaire
envers M. Billault, et l'envoya à l'Assemblée constituante
avec un contingent de près de 89,000 voix. Là il se sépara
de M. Thiers, pour défendre le droit au travail; puis, après
l'élection du président de la république, il se posa en suc-
cesseur obligé du ministère 0. Barrot, comme il s'était posé
en successeur obligé de M. Guizot avant le 24 février. Et
pourtant il ne fut pas élu à la Législative. Radicaux ou lé-
gitimistes, il fallait à cette époque des caractères plus tran-
chés aux Bretons. Le 8juinl850 M. Billault, pour faire acte
de politique, défendit devant la cour d'assises de la Seine le
journal républicain avancé L'Événement, prévenu d'avoir
outragé l'Assemblée et le gouvernement en attaquant la ma-
jorité et lesDurgraves, MM. Thiers, Montalembert, etc., à
propos de la loi du 31 mai. La feuille radicale fut acquittée,
bonheur qu'elle n'eut pas toujours depuis.
Vers la fin d'octobre 1851, le bruit se répandit que le
prince Louis-Napoléon voulait revenirau suffrage universel.
Son ministère, craignant, disait-on, une rupturcavec la ma-
jorité, n'osait accepter la responsabilité du message. Le
président dut chercher de nouveaux ministres. M. Billault
fut appelé ; mais sa mission ne put aboutir. L'opposition de
certains journaux, présage d'une autre opposition dans l'As-
semblée, le fit reculer. Après le coup d'État du 2 décembre
M. Billault, candidat du gouvernement, fut élu àNantes dé-
puté au corps législatif, et le prince Louis-Napoléon lui a
confié la présidence de cette assemblée délibérante, dont il
a fait l'ouverture par un discours où, en rappelant à ses
collègues les (onctions que leur confère la nouvelle consti-
tution, il n'a pas craint de faire, sans y ponser peut-être, la
critique la plus sévère de sa vie parlementaire.
BILLAÛT (Adam), généralement connu sous le nom de
Maître Adam, poète français du dix-septième siècle, dont
une chanson pleine de verve,
Aussitôt que la lumière
Vient redorer nos coteaux, etc.,
dérobera toujours le nom à l'oubli, naquit à Nevers, vers la
fin du règne de Louis XIII, et mourut dans sa ville natale, le
19mailG62. Il exerçait la profession de menuisier; aussi les
poètes ses contemporains le surnommèrent-ils le Virgile
au rabot. C'est tout en maniant le rabot et la varlope,
et au milieu des rudes travaux de son métier, qu'il com-
posait des vers pour se distraire, demandant le plus ordi-
nairement ses inspirations à la divine bouteille. Ses Che-
villes ( lfi44), son Vilbrequin ( 1653), obtinrent un grand
succès, tant à cause de quelques vers vraiment heureux et
- BILLECOCQ
d'un grandnombre de pensées ingénieuses qu'on y rencontre
au milieu de beaucoup de fatras, que par la singularité
qu'il y avait à cette époque à voir un liomme occupé de
travaux tout matériels, chercher des distractions dans la
culture de la poésie. Le cardinal Richelieu crut s'honorer
en accordant des pensions au modeste menuisier de Nevers,
qui eut le bon sens de se défendre contre les séductions de
la gloire et de persister à ne pas quitter Nevers. S'il avait
cédéaux sollicitations de ceux deses protecteurs qui voulaient
l'attirer dans la grande ville, il est probable que la curiosité
publique une fois satisfaite il eût fini par y être oublié, et
peut-être bien déprécié. Il ne faut pas croire au reste que
Maître Adam fût au dix-septième siècle le seul ouvrier qui
se niêlût de rimer. Il y avait aussi alors un pâtissier de Paris,
appelé Ragueneau, qui faisait des vers, les imprimait et les
servait à ses pratiques, sous forme d'enveloppes pour les
biscuits dont il faisait un grand débit. Ra;;ueneau adressa
même à son rival de Nevers un sonnet dans lequel il lui di-
sait, en détestables vers d'ailleurs, que s'il travaillait avec
plus de bruit, lui travaillait avec (ilus de feu. Maynard,
faisant de l'esprit sur son confrère en Apollon, disait que les
Muses ne devaient être assises que sur des tabourets faits
de la main de ce poëte menuisier.
BILLE (du latin piln , globe, ou billus , bâton, selon
l'acception qu'on lui donne). Autrefois ce mot signifiait un
bâton, ce que témoignent les mots de biller et de débiller,
dont on s'est longtemps servi, etdont on se sert encore quel-
quefois aujourd'hui sur les rivières, pour dire attacher la
corde du bateau aux billes ou bâtons qui sont au bout des
traits des chevaux qui firent. C'est dans ce sens qu'il faut
prendre aussi, 1* la bille ou rouleau dont se servent les bou-
langers pour aplatir la pâte; 2° la bille ou morceau de ter
ou de bois rond, gros et long à volonté, qui sert aux cha-
moiseurs pour tordre les peaux et pour en faire .sortir toute
l'eau, la gomme ou la graisse qu'elles peuvent contenir ;
.3° la bille ou bâton qui sert surtout aux emballeurs pour
serrer les cordes de leurs ballots ; 4° les billes, ou rejetons,
enlevés par les jardiniers du pied des arbres pour être mis
en pépinière; 5° les billes à moulure, ou morceaux de fer
plat modelés dans le milieu, entre lesquels les orfévies ti-
rent la matière où ils veulent faire des moulures; 6° les
billes ou pièces de bois de toute la grosseur de l'arbre dont
elles proviennent, et qu'on équarrit pour les employer soit à
soutenir des rails, soit à faire des planches, etc.
La signification du mot bille, comme dérivé de pila, et
rappelant la forme d'un globe, est beaucoup plus restreinte,
et ne .s'applique guère qu'aux boules d'ivoire avec lesquelles
on joue au billard, ou aux petites boules de pierre, <Io
marbre ou de verre qui servent de jouets aux enfants.
BILLECOCQ (Jean-Baptiste-Louis-Josepu;, avocat
et homme de lettres, naquit à Paris, le 31 janvier 1765. Son
père, qui avait occupé plusieurs emplois dans la haute fi-
nance, et qui est mort régisseur des droits du roi, lui fit
faire ses études à l'un des meilleurs collèges de l'ancienne
université, celui du Plessis-Sorbonne. Ses poésies latines
attestent le culte qu'il voua toute sa vie à nos vieilles muses
classiques. La révolution, survenue comme il terminait son
stage, le jeta pour un temps dans la carrière des emplois et
des fonctions publiques. Appelé à faire partie du c^rps élec-
toral de Paris, et nommé député suppléant à l'Assemblée lé-
gislative, il n'eut point occasion d'y paraître. Le 9 thermi-
dor l'arracha à la prison où l'avait jeté le 10 aoijt 1792.
Proscrit pendant une autre phase révolutionnaire comme
ayant occupé avec courage, durant les mitraillades du 13
vendémiaire an iv, le fauteuil de président dans la section
insurgée de la Butte des Moulins ; devenu ensuite, lorsqu'il
put reparaître, membre de l'administration municipale, le
coup d'État du 18 fructidor amena sa destitution. A cette
époque, des traductions de l'anglais, d'autres traduction»
ou éditions de classiques latins occupèrent sa plume. H put
(
BILLECOCQ
«iiiM suivre la généreuse impulsion de sa piété filiale et
eiupêclier que sa mère, qu'il conserva près de lui jusqu'à
l'âge de plus de quatre-vingt-quatre ans, ne se ressentît des
pertes causées à sa famille par les révolutions.
« A la fin de 1797, dit M. Dupin l'aîné, les temps étant
devenus meilleurs, Billecocq rentra au barreau, où la ri-
chesse de ses connaissances littéraires, sa haute réputation
de probité, son désintéressement, son attention scrupuleuse
dans l'examen et l'étude des intérêts qui lui étaient con-
fiés , le placèrent bientôt à un rang très-distingué. Sa dic-
tion, naturellement persuasive, animée par la chaleur d'une
àme ardente et sincère, s'est fait remarquer par son éléva-
tion et son entraînement, toutes les fois qu'il a fallu traiter
des questions liées à de grandes considérations morales. »
Aussi beaucoup d'affaires importantes furent-elles confiées
au talent consciencieux et au zèle chaleureux de Billecocq.
Celles qui signalèrent avec le plus d'éclat ces précieuses et
rares qualités furent : la défense du marquis depuis duc de Ri-
vière, impliqué dans la conspiration de Georges Cadoudal et
Pichegru; la cause de Toninges, ancien négociant, accusé
de complicité dans un faux testament, et le patronage des
enfants de la veuve du duc de Montebello ( le général Lan-
nes ). Le plus touchant comme le plus remarquable des suc-
cès qui couronnèrent les efforts du courageux défenseur
dans ces grandes causes fut sans doute la grâce du marquis
de Rivière : l'éloquence de l'orateur, homme de bien, sup-
pliant à chaudes larmes, l'arracha au cœur de l'offensé tout-
puissant. »
Le retour des Bourbons, salué par celui qui leur était dé-
voué de cœur et par principes religieux, le trouva fidèle à
son caractère de compatissante modération et de désinté-
ressement. Il crut toujours à la bonne foi et à la droiture
d'intentions du pouvoir deux fois rétabli. Créé chevalier de
l'ordre de Saint-Michd en 1819, admis, seul parmi les avo-
cats, au conseil des prisons; nommé en 1S21 bâtonnier
de l'ordre, et, par continuité, en 1822, il fut bientôt con-
traint par les fatigues de l'âge et de la santé à se restreindre
aux consultations et aux travaux littéraires. Parmi ceux de
ses écrits qui appartiennent au barreau, nous citerons sa
Aoticehistoi-iqiie sur M. Bellart. Trois autres écrits de Bil-
lecocq, qui appartiennent à la morale et à la politique, ont
■droit à une attention spéciale : 1° Quelques considérations
sur les tyrannies diverses qui ont précédé la Restaura-
tion, sur le gouvernement royal et la dernière tyrannie
impériale {V^ris, 1815, in-8°); 2° Un Français à Vho-
norable lord Wellington sur sa lettre dît 23 septembre
à lord Castlereagh (1815); 3° De ta Religion chrétienne,
rc'ativemcnt à l'État, aux familles et aux individus
(S'édit., 1824). Les poésies latines de Billecocq, preuvesd'ex-
cellentes études , peuvent être lues avec intérêt par les ama-
teurs d'un genre de délassement poétique que ne dédaigna pas
le vertueux chancelier L'Hôpital. Après avoir traduit Sal-
luste {Conjuration de Catilina), Billecocq a voulu rendre
un autre service aux lettres latines : il a donné une édition
soignée de Lucain ( la Pharsale), avec la traduction en vers
de Brébeuf en regard , la Vie des deux poètes, et des Ré-
flexions critiques sur leurs poèmes (Paris, 1796, 2 vol. ).
Les traductions d'ouvrages anglais publiées par Billecocq
sont au nombre des meilleures que nous ayons. Ses addi-
tions et ses notes y donnent un nouvel intérêt. Ce sont des
récits de voyages, entre autres ceux de J. Long chez les
différentes nations sauvages de l'Amérique septentrionale;
de John Meares, allant de la Chine à la côte nord-ouest de
l'Amérique; de Bogie au Boutan et au Thibet; de H. Tim-
lierlake chez les Chérokées. Mais celle des traductions de
ce genre qui a obtenu le plus de succès est sa traduction du-
Voyage de Néarque, par le docteur William Vincent ( Pa-
ris, 1800 ). On sait que cette relation, publiée par ordre du
çouverncment , est le journal de l'expédition de la flotte
a'AJexandre des bouches de l'Indus jusqu'à l'Euphrato, ré-
lilCT. DR L,\ C'I.WEnS. — T. III.
— BILLET
217
digé sur le journal original de Néarque, son anural, journal
que nous a conservé Arrien. Billecocq mouixit à Paris, le
15 juillet 1829. AuBEKT de Vitry.
BILLET. C'est un de ces mots qui reviennent à tout
propos dans les conversations et les lectures , et dont les
acceptions varient à l'infini. Nous l'examinerons plus bas au
point de vue du droit. Le billet, dans l'acception primitive,
n'est qu'une petite épître, un diminutif de la lettre. Les fem-
mes y excellent. Sous une plume masculine, la concision
qu'il exige a presque toujours un peu de sécheresse ; chez
elles, au contraire, la grâce et la finesse s'accommodent bien
de cette brièveté.
Les billets de naissance, de mariage, de décès, sont
maintenant désignés sous le nom commun àe billets de fa ire
part , quelle que soit la spécialité de leur destination. Les
billets doux jouentun grand rôle dans les romans et dans
les premiers rêves d'amour du jeune âge. La Châtre était
de bonne foi quand il exigeait de Ninon l'engagement de
lui rester à jamais fidèle. Elle riait en le signant. La Châtre
avait plus d'amour, Ninon plus de raison. Elle riait encore
en s'écriant à quelque temps de là dans une circonstance dé-
cisive : Ah! le bon billet qu'a La Chdtre! On peut sans
grave inconvénient laisser protester un billet d'amour; il
en est tout autrement d'un billet de commerce.: il y va de
l'honneur, souvent de la liberté. Les billets decon/ession
ont eu une certaine importance : ils se»^lblaient, à une époque
qui n'est pas bien loin de nous, devoir conduire aux hon-
neurs et à la fortune. L'époque suivante préféra les bil-
lets de banque. Les jeunes gens aiment toujours les billets
de bal, de concert, de spectacle ; mais qui peut nous dire
quels sont aujourd'hui les billets à la mode?
Nous aurions dû commencer par indiquer l'étymologie du
mot billet. Les savants varient , et ne vont pas au delà des
conjectures. Ce mot n'est-il que la traduction de libellas,
petit écrit ? Le mot latin est un peu long ; il y a là une syl-
labe de trop. Billet vient-il de bulletin, ou bulletin vient-il de
billet ? Cet autre problème n'est pas moins embarrassant; mais
personne ne se méprend sur sa véritable signification, et
c'est là le point important. Dufey (de l' Yonne ).
Un mot à présent sur les billets de faveur et sur les
billets d'auteur. Les premiers, signés d'une autorite quel-
conque du théâtre, sont ou distribués gro^is aux amis delà
direction, aux chefs de claque, aux familles des acteurs et
actrices, ou donnés et vendus au public moyennant un impôt
plus ou moins élevé que le théâtre prélève à l'entrée sur le
porteur. Ils portent toujours cette indication sournoise : Le
présent billet sera refusé s'il a été vendu , leurre gros-
sier, puisque le théâtre n'a souvent dans les mauvais jours
d'autre recelte que le trafic de ces billets à moitié prix.
Les billets d'auteur, signés par ces grands hommes à tel
nombre pour la première représentation de la pièce, tel
pour la seconde, tel pour la troisième, tel pour les autres,
passent généralement les trois premiers jours entre les mains
du personnel nombreux de la claque, qui trouve pourtant
encore à trafiquer d'une partie. Le reste est offert à quel-
ques amis intimes, qui s'en servent très-souvent pour sifller
l'ami intime dont ils les tiennent. Le succès consolidé,
gardez-vous bien d'en demander aux auteurs. Ils en font
argent pour augmenter leurs recettes, et en établissent des
dépôts à commission chez les marchands de vin et les cafés
borgnes des environs du théâtre, dont les clercs de notaire,
les comniis de nouveautés, les modistes et les lorettes savent
toujours l'adresse sur le bout du doigt; et pourtant on lit
aussi sur ces chiffons de papier : Le présent billet sera re-
fusé s'il a été vendu.
BILLET {Droit). Ce mot, pris dans le sens d'obliga-
tion, signifie un acte par lequel on s'engage envers quelqu'un
à lui payer une somme d'argent ou d'autres valeurs ; il a les
formes diverses du billet simple, du billet à domicile, du
billet de change, du billet au porteur, du billet en viar-
218
BILLET
c/t(iiidises, du billet de grosse, du billet de prime, du
billet de rançon.
Le billet simple renferme une obligation , qu'on appelle
unilatérale, parce qu'il n'y a d'engagement que d'un seul
côté.
On a assujetti le simple billet à quelques règles faciles à
observer : il <loit Ctre écùi en entier de la main du souscrip-
teur, ou du moins il laut qu'outre la signature il ait écrit
de sa main la somme ou la quantité de la chose qu'il s'en-
gage à remettre. Mais si ce billet est souscrit par des mar-
chands, des artisans, des laboureurs, des vignerons, des gens
(le journée et de service, il suflit, pour sa validité, qu'ils y
aient apposé leur signature. La loi ne pouvait exiger davan-
tage de cette classe de personnes sans restreindre considé-
rablement le nombre des transactions civiles et commer-
ciales. Le billet simple doit être daté, comme toutes les obli-
gations ; mais il n'en serait pas moins valable si la date
était omise; le créancier se ti'onverait alors dans la iiéxe.s-
sité de faire fixer un délai par les tribunaux pour déterminer
l'époque du payement. Quant à la cause de l'engagement, ce
billet doit la contenir; elle est toutefois suffisamment expri-
mée par ces mots : Je reconnais devoir la somme de...
Le billet simple diffère des billets de commerce ordinaires
sous plusieurs rapports : en premier lieu , il n'est pas sus-
ceptible d'être négocié par la voie de l'endossement. Si
l'on veut en céder la propriété à un tiers, un autre acte est
nécessaire : cet acte s'appelle cession ou transport ; le ces-
sionnaire doit le faire signifier par un huissier à celui qui a
consenti le titre. En second lieu , le billet simple n'est pas
susceptible d'être protesté à son échéance, comme le billet
à ordre, dont le porteur fait constater le non-payement par
un acte appelé /)ro^(?^
Cependant le billet simple peut être soumis à la juridic-
tion commerciale et entraîner la contrainte par corps s'il
a été souscrit par des commerçants ou pour des faits de
commerce.
Les billets simples offrent le même avantage que les
actes sous seing privé; ils peinent procurer une hypo-
thèque à celui qui en est porteur ; et voici comment : Si le
créancier conçoit des craintes sur l'avenir de son débiteur ,
il peut faire vérifier et reconnaître en justice le billet simple,
même avant l'échéance, mais à ses frais si l'écriture n'est
pas déniée; le jugement qui intervient sur la vérification
et la reconnaissance de l'écriture ou de la signature du
billet donne le droit de prendre une hypothèque , qui aurait
bien pu être prise après une condamnation obtenue ; mais
.souvent il est alors trop tard, parce que d'autres inscriptions
hypothécaires grèvent et au delà les immeubles du débiteur.
Le billet à domicile est un billet payable en un lieu et
dans un domicile autre que celui où il est souscrit; il peut
être à ordre ou au porteur, ou à une personne désignée. Il
ne faut pas confondre le billet à domicile avec la lettre
dechange : dans celle-ci, c'est un tiers qui est charge de
payer, tandis que dans le billet à domicile c'est le souscrip-
teur lui-même qui s'oblige au payement , mais dans un autre
lieu que celui de son domicile. Ce billet peut, comme la lettie
de change, avoir pour objet une remise d'argent de place en
place; c'est dans ce sens que la loi le répute acte de com-
merce, et qu'il donne lieu à la contrainte par corps. Il est
bien essentiel de savoir que le billet à domicile peut avoir
un effet commercial ; sans cela on pourrait s'exposer à des
conséquences bien rigoureuses. C'est donc à tort qu'un poète,
du reste fort ingénieux, a fait dire à l'un des personnages
d'une très-amusante et très-spirituelle comédie :
.... Je souscris, cher Dorlange,
Dcsbillcta laol qu'un veut, poiut de leltres de change.
Il voulait faire entendre par là que les billets n'exposaient
pas, comme les lettres de change, à la contrainte par
corps; on vient de voir que c'est une erreur, et que si
le billet à domicile, ce qui d'ailleurs est son caractère,
constate réellement une remise de place en place, il a le
même effet que la lettre de change, celui d'entraîner la con-
trainte par corps. Peut-être aussi le poète a-t-il voulu
ajouter, comme un trait de plus, cette erreur aux saillies de
l'un des étourdis qu'il met en scène dans la comédie qui
porte ce titre ; mais enfin le public a besoin d'être averti.
Le billet à domicile peut aussi avoir la forme de billet à
ordre; et dans ce cas il est soumis à toutes les règles de
forme et de poursuite relatives à ces sortes de billets.
Le billet de chawje est la promesse que fait le preneur
d'une lettre de change d'en fournir la valeur à une époque
déterminée , ou bien encore la promesse de celui qui reçoit
une somme d'argent de fournir une lettre de change d'une
somme égale dans un temps fixé.
Le billet à ordre est l'engagement de payer à une personne
dénommée ou à son cessionnaire , par voie d'endossement,
une somme déterminée ; il se fait ordinairement sous seing
privé. Mais il peut avoir lieu devant notaire. Ce billet doit
être daté; il doit énoacer la somme à payer, le nom de celui
à l'ordre de qui il est souscrit , l'époque à laquelle et le
lieu où le payement doit s'effectuer, la valeur qui a été
fournie en espèces , en marchandises , en compte ou de
toute autre manière. S'il ne réunit pas ces conditions , il est
assimilé à une simple promesse; et s'il n'est pas écrit en en-
tier de la main du souscripteur, il faut que celui-ci exprime
en toutes lettres l'approbation de la somme pour laquelle il
s'est obligé, à moins qu'il n'émane, ainsi que nous l'avons
déjà dit pour le simple billet, de marchands, artisans, la-
boureurs, vignerons, gens de journée et de service.
Le billet à ordre est, pour ainsi dire, la monnaie courante
du commerce; il est tellement répandu dans la circulation,
qu'il nous semble de la plus grande importance de faire con-
naître en détail les règles légales auxquelles il est assu-
jetti.
La transmission ou cession de ce billet se fait par la voie
derendossement.Cetendossementdoitêtredaté,exprimer
la valeur fournie, et énoncer le nom de celui à l'ordre de qui
il est passé. Si l'endossement ne réunit pas ces conditions,
il n'opère pas le transport ; il n'est qu'une procuration ; c'est,
en un mot, un endossement irrégulier. Tel est surtout celui
qui ne porte qu'une simple signature , et qu'on appelle en-
dossement en blanc. La loi n'exige pas que l'endossement
soit écrit de la main de l'endosseur ; il suffit qu'il soit signé
de lui, et dans ce cas l'endosseur n'est pas tenu d'approuver
l'écriture. Il peut comme le souscripteur indiquer un tiers
pour payer uu besoin l'efiet endo.ssé.
Outre l'endossement, le payement d'un billet à ordre à
l'échéance peut être garanti par un aval, qui est fourni
sur le billet même ; celui qui cautionne écrit sous la signa-
ture ces mots : Pour aval. Ce cautionnement peut môme
résulter d'une simple signature sans autre énonciation,
pourvu qu'elle soit apposée au bas de l'effet, ou que, mise au
dos après un endossement, elle ne soit pas celle de la per-
sonne à qui cet endossement transmet le titre , car dans ce
cas elle ne serait qu'un endossement en blanc.
Le relus ou l'impossibilité de payer un billet à ordre à
son échéance est constaté par un acte appelé protêt; il est
fait à la requête de celui qui est porteur du titre; c'est par
ce seul acte qu'il peut conserver le droit de recourir, en cas
de non-payement, contre son cédant ou les endosseurs anté-
rieurs; la dérogation à l'usage du protêt s'exprime habituel-
lement par ces mots : Retour sans frais, ou simplement
Sans frais, apposés sur l'effet par le souscripteur ou l'un
des endosseurs; le porteur n'en a pas moins les mêmes,
droits.
Le billet à ordre diffère de la lettre de change en ce qu'il
ne contient pas de remise d'argent de place en place, et
qu'il n'est pas un acte commercial par essence ; il n'a en effet
ce caractère qu'autant qu'il est sousciit par un commerçant
i
BILLET — BILLON
011 pour affaii-es commerciales. Quant aux intérêts résultant
de la somme portée dans un billet à ordre, ils courent à
dater du protêt.
La durée de l'action à laquelle peut donner lieu un billet
à ordre est de cinq ans pour les billets à ordre souscrits par
des commerçants ou qui émanant de non-commerçants ont
pour objet des dettes de commerce : il s'ensuit que les billets
à ordre qui ont été consentis par des non- commerçants,
lorsqu'ils n'ont point pour objet des actes de commerce, se
prescrivent par le laps de temps ordinaire de prescription ,
c'est-à-dire par trente ans.
Les billets ou mandats au porteur sont des effets qiii
sont payables à quelque personne que ce soit qui s'en trouve
porteur lors de l'échéance ; le billet au porteur diffère du
billet en blanc en ce que dans ce dernier le nom du créan-
cier est laissé en blanc de manière à pouvoir être rempli à
toute heure du nom que l'on veut y mettre ; il ne peut être
confondu avec le billet à ordre, puisque dans celui-ci il est
indispensable d'énoncer le nom de la personne à l'ordre de
qui le billet est souscrit. De ce que le Code de Commerce
est muet sur les billets au porteur, il ne faut pas conclure
qu'ils soient prohibés, et par conséquent non obligatoires :
en effet, on se trouve toiyours sous l'empire des lois qui en
reconnaissent l'existence légale.
Le billet en blanc est le billet fait au profit d'une per-
sonne dont le nom est laissé en blanc , et qu'on peut rem-
plir d'un nom quelconque. Comme la législation actuelle re-
connaît la validité des billets au porteur, il en résulte que
les billets en blanc sont aujourd'hui valables.
Les billets en marchandises sont des billets par les-
quels le souscripteur s'engage , en échange de l'argent qu'il
reçoit, à remettre des marchandises dans un lieu déterminé
et à une époque convenue.
On appelle billet de grosse le billet souscrit par suite d'un
prêt à la grosse ou contrat par lequel une somme d'argent est
prêtée sur des objets exposés aux dangers de la navigation.
Le billet de prime est le billet par lequel l'assuré s'o-
blige à payer la prime ou le coût de l'assurance.
Le billet de rançon est celui que souscrit un capitaine de
navire capturé au profit du capteur, afin d'obtenir sa liberté.
Les billets de banque, créés en France par la loi du 24 avril
1803, ne peuvent être émis que par les banques publiques;
ce papier, qui fait la fonction du numéraire, peut être consi-
déré en quelque sorte comme une dépendance du droit de
battre monnaie, droit qui n'appartient qu'au pouvoir sou-
verain. Le crédit des banques publiques a sa base dans la
confiance que le public accorde aux billets qu'elles répan-
dent dans la circulation. La moindre coupure de ces billets
était autrefois de 500 fr. ; depuis uu décret rendu en 1848,
cette coupure a été réduite à lOO fr. Voyez Banque.
J. DE LassiME, avocat à la cour impériale de Paris.
BILLEVESEE, balle soufflée et remplie de vent, mot
composé de bille ou boule, et de vèse, nom que l'on
donne en plusieurs provinces de France à l'instrument que
nous appelons musette ou cornemuse. — Le nom de bille-
vesée a été appliqué h tous les discours frivoles et inutiles,
aux sottises , aux folies , aux niaiseries , à toutes les paroles
vides de sens.
Tous les propos qu'il tient sont des billevesées,
a dit, dans les Femmes Savantes, Molière, qui s'était servi
dans les Précieuses ridicules de l'expression sottes bille-
vesées, en parlant des vers, des romans et des chansons.
Le mot de billevesée est donc synonyme de baliverne, de
fadaise, de sornette; mais il exprime mieux le vide, l'en-
lUire d'un discours, d'un ouvrage littéraire. Baliverne
s'applique plus spécialement à un discours, à un ouvrage
dont l'inutilité résulte de son obscurité, de son style am-
phigourique. Le mot fadaise a plus de rapport à tout ce
qui se dit ou s'écrit de fade, de niais, de plat et d'insipide.
219
Quant au mot sornette , il signifie plus spécialement un
discours ou un ouvrage frivole, qui trompe, qui ment sans
le vouloir, et sans autre but que d'amuser celui qui le fait,
un peu aux dépens de ceux qui l'entendent ou qui le lisent,
mais sans tu-er à conséquence. Le conteur de sornettes est
l'homme qui fait des contes en l'air. H. Audiffret.
BILLIIVGTOIV (ÉLiSABETn WEICHSEL), célèbre can-
tatrice, née à Londres, en 1769. Son père, pauvre mu-
sicien ambulant. Saxon, bon violon du reste, profitant des
rares dispositions d'Elisabeth, lui fit donner des leçons paF
Thomas Billington, contrebassiste, qui eut la satisfaction
de voir son élève jouer un concerto de piano au théâtre de
Hay-Market à l'âge de sept ans. Quatre ans après, elle exé-
cutait en public des pièces qu'elle avait composéos. Sa
voix, sa beauté précoce comme son talent, aveuglèrent
l'infortuné Billington ; Elisabeth n'avait pas atteint sa quin-
zième année , qu'il l'épousa, et la fit débuter au théâtre de
Dublin en 1786. Peu de temps après, mauvaise épouse,
écolière ingrate , Elisabeth , ne gardant que le nom de son
mai-i , s'enfuit avec un séducteur. Ses désordres nuisirent à
ses succès : ce ne fut qu'après avoir pris à Paris des leçons
de Sacchini qu'elle ramena le public de Londres. A cette
époque Catherine II lui fit proposer par son ambassadeur
un engagement pour le théâtre de Saint-Pétersbourg. La
prima donna demanda une somme si exorbitante, que
l'ambassadeur se permit de lui dire : « Mais l'impératrice
de toutes les Russies ne donne pas davantage à ses mi-
nistres! — Eh bien ! qu'elle fasse chanter ses ministres, »
répondit la positive mistriss Billington.
En 1794 elle alla se perfectionner à Naples, où son mari ,
qui l'avait suivie, mourut si brusquement qu'on le crut em-
poisonné. Florissant, jeune Franç^iis, épousa sa veuve, et la
conduisit à Venise. Elle y excita le plus grand enthousiasme,
mais ne put jamais empêcher la foule de déserter chaque
soir le théâtre où elle chantait Y opéra séria, pour aller en-
tendre la cavatine de la Capriciosa corretta, air bouffe et
favori delà Morichelli, qui avec un reste de voix, un laid visage
et quarante-cinq ans , l'emportait sur la plus célèbre et la
plus belle cantatrice de son époque. Ce triomphe d'un quart
d'heure , dû au jeu de la Morichelli, déplut extrêmement à
mistriss Billington, qui manquait d'expression et sentait
qu'elle ne pouvait devenir actrice ; elle repartit pour Lon-
dres (1801), et y devint l'objet d'une telle faveur qu'on
l'engagea à la fois pour les théâtres de Covent-Garden et
de Drury-Lane , sur lesquels elle jouait alternativement.
VAlien-bill ayant forcé son mari à quitter l'Angleterre, mis-
triss Billington se retira à San-Arziano, près de Venise , où
elle mourut le 26 août 1818. C"' de Bradi.
BILLOIV {Monnayage), mélange de substances métal-
liques pour la fabrication de menue monnaie, d'un titre in-
férieur à l'argent et supérieur au cuivre. Le billonnage,
considéré comme altération des monnaies ayant cours par
un mélange au-dessous du titre légal , est puni comme criiue
de fausse monnaie.
Les gouvernements , dans les crises financières où le tré-
sor ne peut suffire aux dépenses, ont eu souvent recours à
la fabrication de pièces d'or ou d'argent au-dessous du litre
légal. L'opinion en a fait bonne et prompte justice.
Dans le style figuré , on appelle billon tout ce qui n'est
pas de bon aloi. Lorsque, sous l'ancien gouvernement, on
soumit à une révision générale les titres de noblesse , on dé-
couvrit une foule de titres ''aux ou usurpés; on disait alors
que la noblesse avait été mise au billon.
On a , dans le sens positif, appelle billonneurs les hommes
préposés par Charles Yl , en 1385, pour retirer de la circu-
lation les pièces démonétisées et les mettre au billon. On a
depuis donné le nom de billonneurs à ceux qui faisaient un
trafic illicite sur la valeur des espèces. Les anciennes or-
donnances les assimilaient aux faux monnayeurs.
DtFEY ( de rvoDtic).
2».
236
BILLON — BIMBELOTERIE
Toutes les mounaics de billon n'ont pourtant pas été frap-
l)ées daas le but coupable de tromper sur la valeur. Le prix
du cuivre étant en général trop faible pour permettre de fa-
briquer avec ce métal une monnaie commode, et aucun autre
métal ne se présentant jusqu'ici pour le remplacer, on a quel-
quefois essayé de mêler au cuivre quelque métal précieux ,
comme l'argent, afin de rapprocbcr, dans des monnaies d'ap-
point légères, la valeur intiinsèque de la valeur nominale.
Partout, d'ailleurs, on admet un alliage dans les pièces de
monnaie fabriquies avec des métaux précieux , et quelque-
fois cet alliiige est assez considérable pour constituer du bil-
lon : c'est ainsi que les pièces de Prusse laissent apercevoir
en quelque sorte à l'œil le cuivre qui les altère. Mais la con-
trefaçon de ces pièces est tellement facile et tellement avanta-
geuse, que les gouvernements devront renoncer à émettre des
pièces de bas aloi. Lorsque nos sous seront refondus, comme
une loi récente vient de l'ordonner , la France n'aura plus
que des monnaies d'or, d'argent et de bronze. Il y a quelques
années, nous avions, en billon : des pièces de six liards,
comprenant toutes sortes de pièces , de tous les pays et de
toutes les provinces, la plupart complètement effacées et
fabriquées en général de 1705 à 1794; des pièces de dix cen-
times portant une lettre N couronnée, mises en circulation
en vertu de la loi du t5 septembre 1807; des pièces de
quinze et de trente sous, créées en vertu du décret de l'As-
semblée constituante du 11 janvier 1791. Une loi du 11 avril
1845 ordonna la démonétisation de la monnaie de billon.
Cette mesure fut exécutée à la fin de 1845 pour les pièces de
six liards et de dix centimes , et au milieu de 1846 pour les
pièces de quinze et de trente sous. Des commissions moné-
taires reprirent au pair les monnaies en question. A chaque
fois il se présenta un certain nombre de pièces fausses dont
les porteurs ne purent tirer que la valeur intrinsèque. Avant
cette opération on évaluait la circulation des pièces de six
liards et des petits décimes à 10 millions de francs; le retrait
n'en fit retrouver que pour 5,500,000 fr. On savait qu'il
avait élé émis des pièces de quinze et de trente sous pour
25 millions de francs, on supposait qu'il devait en rester
pour 20 millions en circulation : 18 millions seulement ont
été retirés. Celte déltionélisation du billon coûta 5,250,000 fr.
Le gouvernement remplaça cette monnaie par une émis-
sion nouvelle de petites pièces d'argent de 20 centimes.
Malheureusement nous avons trop peu de types de monnaies
«l'argent ; des pièces de 20 centimes il faut sauter aux pièces
de 50 centimes, puis de 1 fr., de 2 fr. et de 5 fr. La Bel-
gique a déjà des pièces de 2 fr. 50 cent. Si , comme Gay-
Lussac le demandait avec tant d'autorité à la Chambre des
Pairs, nous avions des pièces de 30 centimes, de 60 centimes,
de 75 centimes, de 1 fr. 25 cent., de 1 fr. 75 cent., etc., nous
aurions besoin de bien moins de pièces de cuivre, puisque
la plupart des appoints pourraient se faire par des échanges
de pièces d'argent de valeurs diverses. L. Louvet.
BILLOIV (Agriculture). On nomme ainsi les bandes
de terre plus ou moins larges, formées par la réunion de deux
ou plusieurs traits de charrue, et pratiquées dans les champs
par le labour. Les billons sont plus ou moins bombés
dans leur n\ilieu et ordinairement bordés des deux côtés par
des sillons ou rigoles qui servent à l'écoulement des eaux.
Les billons sont dans la grande culture ce que sont les plates-
bandes dans le jardinage. Généralement parlant, labourer
en billons est l'opposé de labourer à plat.
Le bïllonnage est usité dans les terrains humides, et en
général dans tous les sols qui ont peu de profondeur; on
obtient cette disposition en labourant le terrain avec une
charrue à deux versoirs , qui rejette la terre à droite et à
gauche, et forme ainsi, quand toute la surface est labourée,
une suite d'ados plus ou moins larges, et qui sont séparés
par des raies profondes. Le billonnage est un bienfait pour
des pays entiers qui, sans son secours, ne connaîtraient
pas le blé. Labourer en planches ou labourer en billons est
presque synonyme ; la seule différence e<;t que la planche a
plus de superficie que le biîlon : elle peut avoir jusqu'à
trois mètres de largeur, et ce dernier en a tout au plus un.
Il ne faut pas perdre de vue que la méthode du billonnage
doit être interdite pour tous les champs où l'on ne craint
pas la submersion. Dans tous les sols qui sont d'une nature
sèche et exposés à manquer d'humidité, il faut semer à
j)lat, parce que toute culture à raies tendrait à faciliter l'é-
coulement des eaux , et serait par conséquent plus nuisible
qu'utile. Dans les autres, elle fait obtenir des produits
qu'on aurait difficilement sans cela.
Le mot billon est aussi usité en Bourgogne par les vigne-
rons pour indiquer un sarment taillé court, à trois ou quatre
doigts seulement Cette taille est particulière à toute espèce
de plant de vigne qui porte ses raisins près le cep, et non
sur l'avant du sarment. Le meunier, par exemple, dont les
feuilles sont blanches en dessous et le grain plus long que
rond , a besoin d'être taillé court ; tandis que le vionnier,
raisin blanc, cultivé au territoire de la Côte-Rôtie, exige
une taille longue, parce qu'il ne charge bien qu'à l'extrémité
du sarment.
BILLOT, grosse pièce de bois faite le plus ordinaire-
ment d'un tronc d'arbre gros et court, sur laquelle les bou-
chers découpaient autrefois leur viande, et qui sert aujour-
d'hui dans les cuisines, et à différents autres usages, dans
divers arts et métiers. Ainsi, l'on appelle billot la pièce de
bois sur laquelle les boisseliers et les tourneurs travaillent,
celle sur laquelle repose l'enclume des maréchaux et des
serruriers, celle que l'on met sous les pinces ou leviers pour
mouvoir quelque fardeau. Le billot servait aussi autrefois
pour la décollation par la hache.
BILLUi\GEl\ ( Les), nom générique donné aux princes
de la dynastie de Dillung, qui régnèrent dans le duché de
Saxe de l'an 961 à l'an 1106.
BIL08É. On nomme ainsi les parties des végétaux qui
offrent deux lobes ou des divisions élargies séparées par un
sinus obtus , plus ou moins arrondi à son fond. Cette épi-
thète, attachée à la graine, signifie la même chose que di-
coty lédone.
BILOCULAIRE. On appelle ainsi, en botanique, les
organes qui ont deux loges : telles sont la baie du troène ,
la capsule du lilas, les anthères des orchis, etc.
BWI A]\ES. Buffon s'est servi le premier de ce mot, que
Blumenbach et, plus tard, Cuvier choisirent pour désigner
le premier ordre de la classe des mammifères, renfer-
mant l'unique genre Homme. Le mot émanes (formé de
bis, deu^, et de manus, main) exprime, en effet, l'un des
attributs les plus remarquables et les plus éminemment ca-
ractéristiques de l'homme, savoir : la diversité des types
sur lesquels sont construites ses deux paires de membres ,
l'une spécialement affectée à la station et à la progression ,
l'autre à la préhension et au tact.
Cuvier a aussi donné le nom de bimanes aux reptiles du
genre chirote, qui ont seulement deux membres antérieurs ,
et forment, avec les hystéropes, le passage des sauriens
aux ophidiens.
BIMBELOTERIE (du vieux mot bimbelot, jouet
d'enfant). Cette branche d'industrie se rattache à une foule
d'autres, et il serait difficile d'assigner des limites fixes aux
ouvrages qu'elle produit. Les ateliers qui s'occupent de l'a-
musement des enfants reproduisent en petit, d'une manière
plus ou moins grossière, une foule d'objets divers dont les
types appartiennent à des arts très-variés, tels que ceux du
sculpteur, du mouleur, du tourneur, du tailleur, de la cou-
turière, de la modiste, de l'ébéniste, du menuisier, du car-
rossier, etc., etc. Que de ressources il faut déployer pour
amuser les enfants et tenter les parents! Mais comme tous
ces produits doivent peu durer, le point capital pour le bim-
belotier est de produire à bon marché. Et cependant com-
bien de jolies choses vont périr dans ces mains enfantines.
BIMBELOTERIE — BINAIRE
221
pour qui rien n'est sacré, et qui briseraient une statuette
de Dantan avec autant d'amour qu'une figurine d'Italien
ambulant!
Il y a cependant dans la bimbeloterie quelques parties
mieux caractérisées. Ainsi nous trouvons d'abord toutes
ces pièces en étain de bas aloi et en pjomb, coulées dans
des moules et quelquefois colorées et vernies, dont on com-
pose les ménages et les régiments : il y a là des soldats de
tous les grades à deux liards, qui, comme le vieux soldat
de 31. Scribe, savent
souffrir et se taire
Sans murrniiror;
des plats, des gobelets , des chaises , des chandeliers , des
s-aiuts-sacrements , quesais-je! Tout cela, c'est l'affaire du
potier d'étain. "Viennent ensuite les jouets en bois, imitation
de toutes espèces de meubles ; puis, encore en bois, des grands
chevaux de bataille, des sabres, des fusils, des poupées dites
à ressort; des bons-hommes mécaniques, exécutant toute
.sorte de tours et d'exercices; des martinets de forge, etc. ;
des tambours avec leurs baguettes; puis des ménageries
avec des maisons, des arbres, des houmies et des animaux
peints et sculptés : toutes les variétés de la nature.
Le cartonnage fournit beaucoup à la bimbeloterie. C'est
avec du carton que l'on fabrique ces poupées, ces chiens,
ces chats, ces oiseaux, qui parlent, aboient, miaulent et
chantent comme des personnes naturelles, à l'aide de quel-
ques ressorts ou de quelques lames métalliques et de souf-
llels. Ces animaux charmants ont le bon esprit de ne pas
manger. Mais ce n'est pas tout; outre les comédies et les
pantins, la bimbeloterie fait des instruments de musique,
des violons , des accordéons, des trompettes, des flageolets.
Et des mirlitons donc ! voilà son triomphe, lille en a à tout
prix, et de toutes les grandeurs. Elle fait des cannes de
tambour-major de deux pieds , des fouets de postillon avec
des lanières de martinet. Puis la mercière donne de îa gaze
et de la dentelle pour habiller les poupées , qui malheureu-
sement ont besoin d'être empalées pour se tenir debout. Y
en a-t-il des poupées ! poupées en carton , poupées en peau,
poupées en toile, poupées en son, à tète de carton, à tète de
porcelaine, avec des yeux d'émail, avec des cheveux, etc.
Dans ce petit monde l'habillement fait le moine, et le hasard
préside aussi à la destinée. Pourquoi cette petite tète de-
vient-elle une vivandière, celle-ci une bergère, celle-ci une
grande dame? Elles sortent toutes du même moule pourtant ;
elles se ressemblent à peu près, et la plus laide n'a pas tou-
jours l'habit le plus grossier. Enfants , c'est que ces petits
êtres sont aussi les enfants des hommes, et à défaut de pas-
sions personnelles, nous leur donnons les nôtres.
Voici encore des chariots, des canons, des tonneaux, des
charrettes, des équipages, des carrosses, etc. Tous les rôves
de la vie, quoil L'optique fournit aussi sa part. N'oublions
pas l'intéressante toupie d'Allemagne, le sabot, et ces jolies
petites pièces de poterie qui durent peu, hélas! dans les
mains de cea ménagères futures. Enfin nous n'en finirions
pas si noua voulions passer en revue tous les produits de
îa bimbeloteije. C'est en quelque sorte la représentation de
toute l'industrie humaine; ce qui prouve, dirait un plus sa-
vant, que nous ne sommes que de grands enfants!
On range par analogie dans la bimbeloterie des objets
qui ne sont pas particulièrement à l'usage de la marmaille,
.omme les petits étuis, les dés à coudre, etc. Mais, enfants,
tirez vos mouchoirs! une ordonnance de M. Carlier a dé-
fendu la vente des objets de bimbeloterie sur le pavé de
Paris. Pour acheter des joujoux il faut entrer dans des bou-
tiques. Adieu la tentation : vous n'aurez plus de jouets
qu'aux jours de fôte. Je le crains, du moins.
Les jouets se fabriquîuent autrefois exclusivement en Al-
lemagne, principalement dans la ville de Nuremberg; mais
c'est une branche importante dont l'industrie française s'est
emparée. Notre bimbeloterie est à meilleur marché que cella
des Allemands , et elle participe jusqu'à un certain point au
caractère d'élégance et de bon goût qui distingue tout ce
qui se fabrique à Paris. Cependant la capitale n'est pas le
principal siège de cette fabrication , qui se fait surtout à Va-
lenciennes. Quant aux petites figures sculptées en bois , nos
produits sont encore inférieurs à ceux de Manheim. Ce qui
en approche le plus en France, c'est l'article dit de Saint-
Claude (Juta). L. LOUVET.
BINAGE, BINER, BINETTE. En agriculture, le binage
est un second labour donné aux terres déjà labourées une
première fois. Le but de cette opération est non-seulement
d'ameublir de plus en plus le sol, mais aussi d'enterrer les
fumiers ou autres engrais que l'on a eu soin de répandre sur
les champs entre les deux labours. Par extension, on
nomme aussi binage une opération qui n'est pas un labour,
et qui n'a pas été faite une première fois : tel est le her-
sage des prairies artificielles, et même des céréales, que
certains cultivateurs font au printemps, et que les agro-
nomes les plus dignes de confiance recommandent.
En horticulture, le binage est un béchottage , expression
usitée et descriptive qui devrait être généralement adoptée.
Il y a cependant entre les deux opérations, dont le but et
le résultat sont absolument les mômes, une différence, qui
consiste dans les instruments avec lesquels on les exécute :
on bine avec une binette, et on béchotte avec un béchot.
Le premier instrument est une petite pioche en fer, armée
d'un long manche; un des côtés est à deux pointes, et
l'autre est tranchant. L'autre outil est une petite bêche,
comme son nom l'indique. Ainsi , le binage ou béchottage
est un travail léger et superficiel pour diviser et ameubfir la
terre autour des plantes cultivées, arracher et détruire les
plantes adventices, etc.
La culture en grand emploie très-fréquemment le binage
horticole : le travail du sol autour des vignes, des pommes
de terre, du mais et de [)lusieurs autres plantes ne diffère
point de celui qu'on exécute dans les jardins. Les cultiva-
teurs anglais sont parvenus à le rendre plus facile et plus
fructueux en semant en rangées parallèles et équidistantes
non-seulement les céréales et les prairies artificielles, mais
presque toutes les plantes qu'ils cultivent. C'est ainsi qu'ils
sont parvenus à avoir des blés toujours exempts de mau-
vaises herbes.
Le mot biner a dans notre langue une autre acception :
un prêtre bine lorsqu'il dit deux messes le même jour, dans
deux églises différentes. La permission de biner doit être
obtenue de l'évêque. Ferry.
BIIVAILLE. Voyez Bisaiixe.
BliXAlRE ( Composé ). Voyez Composés.
BINAIRE (Système). C'est un système de numéra-
tion qui exprime tous les nombres avec deux chiffres seu-
lement représentant l'un le zéro, l'autre l'unité. Dans le sys-
tème décimal , qui emploie dix caractères , tout chiffre placé
à la gauche d'un autre représente des unités dix fois plus
fortes. Dans le système binaire, la position d'un chiffre à la
gauche d'un autre ne lui (ait acquérir qu'une valeur double.
Ainsi les signes 1, 10, 100, 1000, etc.. dans notre ma-
nière habituelle de calculer, valent respectivement wn, dix,
cent, mille, etc., tandis que ces mêmes signes, dans le
système binaire, ne représentent que un, deux, quatre,
huit, etc. Les nombres que nous désignons ordinairement
par 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, t), 10, etc., s'écrivent, dans
le système binaire, 1, 10,11, 100, 101, 110, 111, 1000,
1001, 1010, etc. 11 va sans dire qu'on pourrait employer
d'autres signes , pour éviter l'équivoque.
Pour hre un nombre écrit dans le système binaire, il
faut se rappeler que le premier chiffre à droite représen-
tant 1 , le second représente 2 , le troisième 4 , et ainsi de
suite, en doublant toujours. Par exemple, 10,111 peut se
décomposer en l-flO-flOO-l-tOOOO, ou bien, dans le sys-
222
BINAIRE — BINGEN
tème dédmal, 1+2+4+16, c'est-à-dire 23. L'opération
inverse n'offre pas plus de difficulté.
Leibnitz donna quelque célébrité au système binaire. Le
père Bouvet, savant missionnaire à la Chine , à qui il avait
fait part de diverses observations que lui avait suggérées
l'étude de ce système, lui écrivit que l'arithmétique bi-
naire donnait très-probablement l'explication d'un sym-
bole attribué à Fo-Hi , et dont les lettrés avaient depuis
longtemps perdu la clef. Cette opinion fut partagée par Leib-
nitz , qui , avec ses tendances mystiques , vit dans l'énigme
nouvellement déchiffrée une image de la création tirée du
néant par la volonté de Dieu , de même que , disait-il, tous
les nombres sont engendrés dans le système binaire par le
zéro et l'unité.
Comme application usuelle, disons que le système bi-
naire démontre à première vue que l'on peut faire toutes les
pesées possibles avec une série de poids dont chacun est
double du précédent. Ainsi , avec des poids représentés par
les nombres 1, 2, 4, 8, on pourrait faire toutes les pesées
(qui n'exigeraient pas de poids fractionnaires) jusqu'à 15;
avec un poids de plus, on irait jusqu'à 31 ; etc.
E. Merliecx.
BINEAU (Jean-Martial), ingénieur en chef des mines,
ciiargé de l'inspection du matériel et de l'exploitation des
chemins de fer, puis député, représentant du peuple, ministre
des travaux publics, et aujourd'hui ministre des finances et
sénateur, est né le 19 mai 1805 à Gennes (Maine-et-Loire).
Ayant eu le prix de mathématiques au grand concours de
1821, il entra à l'École Polytechnique. Admis à l'École
des Mines le 15 novembre 1826 , il passa ingénieur le 4 juil-
let 1830 , et devint ingénieur en chef en 1840. Ses connais-
sances en métallurgie le firent choisir pour diriger la partie
des chemins de fer près du ministère des travaux publics ,
spécialité que quelques années auparavant il était allé étu-
dier en Angleterre. C'est à la suite de ce voyage qu'il pu-
blia un ouvrage remarquable ayant pour titre : Chemins
de fer d'Angleterre ( Paris, 1840 ). En outre, il a fait im-
primer dans les Annales des Mines, en 1833, un Rapport
sur l'emploi de la tourbe pour le puddlage de la fonte
et le travail du fer au four à réverbères dans les forges
d'Ichoux (Landes); en 1838, un Mémoire sur les di-
vers procédés mis en usage pour remplacer dans les
hauts fourneaux et les feux d'affinerie le charbon de
bois par le bois vert desséché ou torréfié; en 1841, \ Ex-
trait d'un rapport sur les divers procédés qui ont été
imaginés pour franchir à grande vitesse les courbes de
petit rayon.
En 1841 , M. Robineau , député du 2« collège d'Angers,
pour complaire à son neveu M. Bineau , donna sa démis-
sion , et les électeurs , non moins aimables , élurent en effet
le neveu à la place de l'oncle. A la Chambre , M. Bineau
s'assit au centre gauche , et parla sur les rail-ways, sur les
travaux publics, sur le roulage, sur les établissements fran-
çais de rocéanie, sur la police des chemins de fer, sur les
brevets d'invention , sur la réforme postale , sur la conver-
sion des rentes, sur la navigation intérieure, etc., etc. Fonc-
tionnaire public , quoique membre de l'opposition, candidat
déclaré pour le portefeuille des travaux publics, il nageait
généralement dans les eaux de M. Thiers, ce qui explique
comment il ne prit aucune paît aux fameux banquets réfor-
mistes de 1847.
M. Bineau accepta néanmoins , comme tout le monde , la
révolution de Février, et se garda bien de bouder la répu-
blique. Aussi le 30 mars un décret du gouvernement pro-
visoire le chargeait, lui et son collègue Didion, en qualité de
commissaires extraordinaires, de résoudre les difficultés
graves qui avaient surgi dans le service des chemins de
fer d'Oriéans et du Centre. Sept jours après, un nouveau dé-
cret lui donnait la chaire d't'coHomie générale et statis-
tique des mines , usines, arts et manufacttires dans l'in-
saisissable École d'Administration créée par les fantaisiste? .
du gouvernement provisoire.
En même temps le département de Maine-et-Loire, fidèle
à ses premières amours, l'envoyait à l'Assemblée consti-
tuante. 11 y fit partie du comité des finances, appartint par
ses votes à la fraction modérée de l'Assemblée, et prit une
part activée ses travaux. Réélu à l'Assemblée législative, il
devint ministre des travaux publics le 31 octobre 1849, à la
chute du cabinet de M. O. Bar rot. C'est à lui que Paris
doit la conversion de la chaussée pavée des boulevards et
de quelques grandes rues en chaussée empierrée. Ennemi ,
lorsqu'il était de l'opposition, du monopole des compagnies
financières, il en devint, étant ministre, le panégyriste et le
défenseur. Il eut du moins le bon esprit, lui ancien élève
de l'École Polytechnique, de protéger la proposition de
MM. Charras et Latrade qui donnait aux conducteurs des
ponts et chaussées le droit de devenir ingénieurs lorsqu'ils
faisaient preuve suffisante de capacité.
Remplacé le 9 janvier 1851 par M. Magne, et nommé
commandeur de la Légion d'Honneur, M. Bineau défendit la
proposition de révision de la constitution dans les bureaux.
Au mois de décembre de la même année il fit partie de la
commission consultative créée par le président après son
coup d'État; puis, le 22 janvier 1852, il remplaça M. Fould
au ministère des finances. La rente 5 pour 100 dépassait
alors le pair, M. Bineau, fidèle aux principes qu'il avait dé-
fendus autrefois, n'hésita pas à en proposer la conversion
en 4 1/2 pour 100. L'opération ne se fit pas sans difficulté;
mais, grâce à l'intervention des grandes maisons de banque
et au secours de la Banque de France, elle a pu arriver a
son terme. Peu de demandes de remboursement ont eu lieu.
Une partie des rentes rachetées ont été converties en 3
pour 100, mais elles devront s'écouler lentement sur la place
pour ne pas produire de perturbation. M. Bineau a d'ailleurs
une tâche bien lourde. Nos budgets se soldent continuelle-
ment en déficit depuis longtemps. Parviendra-t-il à rétablir
l'équilibre entre les recettes et les dépenses dans nos budgets .'
Ce serait bien beau ; mais cela nous parait bien difficile. En
tout cas, la voie des nouveaux impôts qu'il a proposés est
loin de nous paraître la meilleure.
BIIXET ( Jacques-Philippe-Marie ), de l'Académie des
Sciences, mathématicien et astronome distingué, est né à
Rennes, en 1786. Reçu comme élève à l'École Polytechnique
en 1804, il y fut plus tard répétiteur, puis examinateur, et
enfin professeur de mécanique et inspecteur général des
études jusqu'en 1830. Il fut destitué par le gouvernement
de Juillet, qui ne pouvait conserver un fonctionnaire aussi
dévoué aux principes de la Restauration. Cependant on lui
laissa sa chaire d'astronomie au Collège de France, qu'il oc-
cupe depuis 1823.
Les ouvrages de M. Binet consistent en mémoires sur des
parties élevées des mathématiques et de la mécanique cé-
leste. Ces recherches ont été imprimées, pour la plupart,
dans le Journal de l'École Polytechnique, ainsi que dans
le Journal des Mathématiques de M. Liouville. Diverses
notes de M. Binet ont été insérées dans la Correspondance
sur l'École Polytechnique, dans les Bulletins de la So-
ciété Philomatique de Paris, et dans les CompteS'Re.ndus
de l'Académie des Sciences.
En 1843 M. Binet a succédé à Lacroix dans la section de
géométne de l'Ac^idémie des Sciences.
BI]\GEI\ (Fond de), en allemand Binger-Loch. Point
remarquable sur le cours du Rhin, près de la petite ville
de Bingen, dans le grand-duché de Hesse, à une trentaine de
kilomètres au-dessus de Mayence.
Le Rhin, qui depuis Bàle coule dans la riche et belle vallée
qui sépare les Vosges de la Forêt- Noire, élargit encore
son lit, et ralentit son cours au milieu des plaines fertile*
et variées qui s'étendent de Mayence à Bingen. Ici l'aspect
change subitement ; plus de rives verdoyantes et unies ; des
BINGEN - BIOGRAPHIE
223
masses effrayantes de rocs escarpés s'avancent dans le fleuve
et se resserrent tellement qu'elles semblent l'arrêter et l'en-
gloutir. C'est même une opinion assez accréditée que dans
les teiiips anciens ces montagnes arrêtaient complètement
son cours, et que les eaux formaient un vaste lac du pays
compris entre Manheim, Spire, Francfort , Darmstadt, etc.
Les couches de sable qui couvrent cette plaine, et surtout
des coquilles et des arêtes de poissons découvertes sur les
hauteurs environnantes, confirment cette hypothèse. Une
grande convulsion de la nature, provoquée par le lent tra-
vail des eaux, aurait ouvert ce passage.
A Bingen le tableau est effrayant et admirable. La mon-
tagne de Riidesheini cache sa cime dans les nues ; aux som-
mets voisins, aux flancs des hauteurs, l'œil découvre d'an-
tiques châteaux forts suspendus comme des nids d'aigles. Le
Rhin était jusque là majest\ieux et calme; resserré ici et ra-
pide, il se lance avec impétuosité contre les masses qui se
dressent devant lui et le défient; il se brise avec un fracas
dont résonnent sourdement les échos d'alentour , tourbil-
lonne avec force , et , rejeté brusquement au nord, il tombe
entre deux gigantesques lignes de rochers qui l'encaissent
jusqu'à Bonn.
Sur l'un des rochers qui s'avancent au milieu du fleuve et
contre lesquels il se brise, s'élève le Maûse Thvnn (Tour
des Rats), aujourd'hui en ruines, qui rappelle la mort de
l'archevêque Hatto, dévoré par des rats affamés ; tradition
qui a inspiré ime belle ballade au poète anglais Southey.
Il n'y a pas longtemps que les rochers, traversant le
Rhin dans toute sa largeur, ne laissaient aux bateaux qu'un
passage fort étroit. Les récifs se montraient à nu au-dessus
des flots lorsque les eaux étaient basses ; ils causèrent des
accidents nombreux. Le gouvernement prussien, pour fa-
voriser la navigation, a fait exécuter des travaux qui ont
rendu le passage très-praticable et sans danger aujourd'hui.
BINGER-LOCH. Voyez Bingen.
BINGLEY, le Garrick de la scène nationale hollan-
daise, naquit en 1755, à Rotterdam, de parents d'origine
anglaise et qui possédaient quelque fortune. Après avoir
achevé ses études, il fut destiné au commerce et placé im-
médiatement dans un comptoir. Mais bientôt se manifesta
en lui un penchant irrésistible pour le théâtre. En 1779 il
débuta sur le théâtre d'Amsterdam. Il avait alors vingt-quatre
ans, et fut fort mal accueilli parce qu'on le croyait Anglais
de naissance, et que les Hollandais avaient dans ce temps
de graves sujets de mécontentement contre l'Angleterre, qui,
sans déclaration de guerre préalable , faisait saisir tous les
vaisseaux hollandais. Mais bientôt il sut vaincre tous les
préjugés, qui s'élevaient contre lui, et devint l'acteur favori
du public. Bien que la tragédie fût le genre le plus favo-
rable à son talent, il ne créa pas moins avec grand succès
plusieurs rôles comiques. Il possédait la langue française
presque aussi bien que la sienne propre, et des comédiens
français étant venus en tournée à Amsterdam et à La Haye,
il prit plusieurs rôles dans leur répertoire , qu'il joua fort
souvent .sur les théâtres français de ces deux villes avec
un succès très-remarquable ; principalement, en 1811, ceux
de Philoctète et de Léar. Depuis 1796 il était directeur d'une
troupe qui donnait des représentations surtout à Rotterdam
et à La Haye. 11 mourut dans cette dernière ville, en 1818.
BINOCLE (du latin bimis, double, et oculus, œil). On
a d'abord donné ce nom aux lunettes à branches ou 6e-
sicles; aujourd'hui on appelleencore ainsi les lorgnettes
jumelles.
BIA'OIR ou BINOT, sorte de charrue légère, destinée,
comme son nom liudique , à donner à la terre un second
labour avant les semailles. Le binot-bascule de Dassaux est
muni de trois socs, qui, dans une terre légère, ouvrent trois
sillons parfaitement égaux occupant une largeur de 1™,354
sur 0"',2t7de profondeur. Le binot simple, travaillant com-
parativement moins vile, ouvre trois sillons sur une lar-
geur de l'°,33 et une profondeur de 0",16 ; mais les flancs
et arêtes des sillons sont inégaux, attendu que le soc porte
la terre dans le sillon voisin, ce qui n'a pas lieu dans les
labours du binot à trois socs. Ce dernier exécute avec plus
de perfection , et sans une augmentation de force bien sen-
sible, trois fois plus d'ouvrage que n'en fait le binot simple,
et en trois fois moins de temps. Le binot à trois socs s'em-
ploie avec avantage dans toutes les terres crayeuses , ainsi
que dans les terrains dont l'argile est peu compacte. Voyez
Scarificateur.
BliVOME (de bis, deux, et voii:^, part). C'est le nom
général de toute expression algébrique composée de deux
termes réunis par l'un des signes -^ou — : a-\- b, a — b
sont des binômes.
On appelle binôme de Newton une formule importante
que le célèbre géomètre découvrit vers la fin de 1663.
Elle permet d'élever immédiatement un binôme donné à
une puissance quelconque, entière ou fractionnaire, posi-
tive ou négative. Elle consiste dans l'égalité
, _i_,v»» "*<_ m— I, , mim — 1) m— a a
(a'ZZb) =o nzma bA a b
^ ' '1.2
_, w(m— 1) (m — 2) m-iz ,
1.2.3 '
dont la loi est facile à saisir et dont on trouve la démons-
tration dans tous les traités d'algèbre.
Les équations binômes sont des équations qui ne
renferment qu'une seule puissance de l'inconnue : telle est
ax"^±b=0
Ces équations sont toujours susceptibles d'être abaissées,
et dans tous les cas on exprime facilement leurs racines à
l'aide des fonctions circulaires.
Les propriétés des équations binômes ont servi de base
au célèbre théorème de Cotes. E. Merlieux.
BIOGRAPHIE , BIOGRAPHE ( du grec pio; , vie , et
Ypâçio), j'écris): La biographie est la description de la vie,
ou, pour mieux dire, l'histoire particulière d'un individu. Elle
prend les formes les plus diverses. Tantôt c'est une sèche
nomenclature des faits qui ont signalé l'existence d'un
homme, tantôt c'est un morceau d'histoire où l'on juge, à
propos de celui dont on écrit la vie, l'époque où il a vécu
et les hommes avec lesquels il a été en relation ; tantôt ce
n'est qu'un cadre pour s'élever à des considérations morales
d'une haute portée, par l'exposition des vertus ou des vices
d'un homme; tantôt c'est un panégyrique dans lequel un
écrivain habile ou maladroit fait ressortir les qualités de
son héros en en cachant les défauts; tantôt, au contraire,
c'est une violente diatribe contre l'homme dont on se fait le
juge. C'est ainsi qu'on peut regarder comme des biographies
les Parallèles de Plutarque, les Vies de Cornélius Népos
et d'autres auteurs anciens et modernes , les Éloges acadé-
miques , les Notices historiques , les Nécrologies, etc., etc.
Les Mémoires et les Autobiographies se rapportent encore
à ce genre de littérature; mais ici c'est l'individu lui-même
qui écrit sa vie, en mêlant à son récit plus ou moins de l'his-
toire de son temps.
Le biographe qui veut intéresser ne doit pas se borner à
l'exposition des faits extérieurs de la vie qu'il retrace, il doit
encore s'attacher aux faits intellectuels et moraux. Il doit
prendre pour sujets des personnages dont la vie se lie aux
destinées de l'humanité , c'est-à-dire des personnages qui se
sont tout particulièrement distingués par leurs aventuras ,
leur position et leurs actes, ou au moins par les circons-
tances morales ou psychologiques de leur existence. Dans
tous les cas, une connaissance parfaite de la vie de son hé-
ros, un grand amour de la vérité, et une impartialité qui
ne doit pas exclure la fermeté, sont nécessaires au bio-
graphe , s'il veut s'élever à la hauteur de l'historien. La bio-
graphie de personnages historiques suppose en outre chez
l'écrivain une connaissance approfondie de l'épo(|iie dans la-
224
BIOGRAPHIE
quelle le héros a vécu et des influences, des relations au
milieu desquelles il a parlé et agi. Les ouvrages qui revê-
tent d'ornements poétiques, romanesques ou merveilleux
la vie d'un homme considérahie, ne peuvent pas être comp-
tés au nomhre des biographies.
Variété de l'histoire, la biographie a dû suivre les progrès
de cette science ; et si l'on s'accorde à chercher maintenant
dans l'histoire des nations les lois du développement de l'hu-
manité, on peut aussi trouver dans la vie des hommes l'his-
toire des progrès des peuples au milieu desquels ils ont vécu.
IMais à C(Mé de cette grande biographie historique, il y
aura toujours place pour une biographie plus individuelle,
plus anecdotique, une biographie pour ainsi dire privée,
comme à côté des tableaux d'histoire il y a place pour des
portraits de famille.
Quoi qu'il en soit de ces deux manières d'écrire la biogra-
phie , quand le personnage dont on retrace la vie l'a illus-
trée par ses talents ou par ses vertus, et que l'iiistorien sait
le peindre sans flatterie et sans haine, il est peu de livres
qui soient plus attachants et plus riches en leçons pour la
vie publique ou pour la vie privée. Ce genre de littérature
était pourtant moins cultivé chez les anciens que chez les
modernes , sans doute parce que l'individu, le moi, a acquis
dans nos sociétés une importance ignorée des anciens. De
nos jours la biographie est tellement goûtée, qu'il est im-
possible de publier les œu^Tes de qui que ce soit sans les
faire précéder d'une notice sur l'auteur, comme on ne saurait
se dispenser de la faiie entrer dans les Encyclopédies , où
elle semble cependant un hors-d'œuvre , mais utile et néces-
saire ; et son attrait est tel, que les recueils où l'on ne trouve
que de la biographie se succèdent rapidement sous toutes
les formes. En même temps le public, afl'riandé, accourt à ces
séances académii^ues où quelque savant plus ou moins disert
prononce l'éloge d'un de ses collègues, avec autant d'empres-
sement que la cour en pouvait mettre autrefois à aller en-
tendre les oraisons funèbres d'un Bossuet , d'un Fléchier ou
d'un Massillon.
La littérature biographique est e.'itraordinairement riche.
On peut la diviser en biographies individuelles, biogra-
phies spéciales, biographies colleclives et biographies
universelles.
Biographies individuelles. Tacite, dans sa Vie d'Agri-
cola, a donné en ce genre un modèle qui n'a pas été souvent
surpassé. V Histoire d'Alexandre par Quinte-Curce,
quoique se rapprochant de temps à autre du roman , a sur-
vécu à l'antiquité. Certains livres de la Bible, comme ceux
de Joseph et de Tobie, peuvent être rangés dans les bio-
graphies.
Parmi les biographies modernes, nous citerons en France :
les Vies de Descartes , par Baillet ; de Voltaire, par Condor-
cet; de Théodose, par Fléchier; les Histoires de Fcnclon
et de Bossvct, par le cardinal de lîausset; les Vies de La
Fontaine et de Madame de Scvigné, par Walckenacr; de
Molière et de Corneille, par M. Tascheieau ; de Monck et de
Wushi)igton,par M. Guizot; de Napoléon, par M. Laurent
(de l'.\rdèche); en .\nglelerre, les Vies de Cicéron, par
Widdielon; de Laurent de Médicis et de Léon X, par W.
Roscoc; en lloliinule, les Fies de Ruhnkenitis , par Wit-
tenhacii, et de Wittenbach , par Mahne; en Alleniagne, les
Vies de Hegnr, par Henren; du prédicateur Reinhard, par
Pa'litz, et de Dorothée, duchesse de Cour lande, par Tiedge;
aux États-Unis, celle de Christophe Colomb, par Washing-
ton Irving, etc., etc. Nous en passons des plus curieuses et
des meilleures; car c'est surtout en biographies indivi-
duelles que les littératures modernes sont riches.
De nos jours, en dehors de toute littérature, Paris a vu
naître de nomhicuK atelieis biographiciues, dont, grâce à la
concurrerice, les entrepreneurs peuvent vendre, sans les sur-
faire, aux grands et auv petits hoinuics vivants (quelles
que soient leurs spécialités) de la gloire à toute dose et
à tout prix. Comme de raison, le blAme et la critique,
même la plus bienveillante, sont sévèrement exclus de ces
recueils, dont les entrepreneurs et les commanditaires ont
l'habitude de distribuer les produits à leurs amis en guise
de cartes de visite. Et pourtant ces biographies ne sont
pas tout à fait inutiles à quiconque veut écrire l'histoire
contemporaine : à défaut de critique impartiale, on y trouve
au moins le calque de nombreux faits curieux, souvent iné-
dits, qui n'y sont pas toujours trop défigurés.
Biographies spéciales. Les ouvrages que nous rangeons
dans celte catégorie sont innombrables, et embrassent le do-
maine entier des sciences et des arts , l'histoire entière an-
cienne et moderne, civile, religieuse, guerrière, politique, ar-
tistique, littéraire. Diogène-Laerce écrivit dix livres des Vies
des Philosophes ; Denys d'Halicarnasse , un Traité des an-
ciens Orateurs ; Cicéron, des Entretiens sur les Orateurs
ilhistres; Suétone, les Vies des douze premiers Césars et
un Catalogue biographique des grammairiens et rhéteurs
illustres ; Cornélius Népos, les Vies des grands Capitai-
nes; Eunapius, celles des Philosophes et des Sophistes;
saint Jérôme, celle des Pères du désert et un Traité de
la vie et des écrits des Auteurs ecclésiastiques morts
avant le cinquième siècle.
Depuis la Renaissance nous possédons les Acta Sancto-
rwm des Bollandistes (53vol.); les Vies des Saints,
par Baillet et Alban Butler ; les Vies des Pères du Désert,
par Arnaud d'Andilly; celles des Papes, par Platine et
F. Bruys ; ï Histoire générale des Auteurs sacrés et ecclé-
siastiques, par D. Cellier, 25 vol.; la Bibliothèque des
Auteurs ecclésiastiques, par Ellies du Pin (61 vol.); les
Vies des Philosophes, par Fénelon, par Savérien, par >ai-
geon; des Grands Capitaines, par Brantôme et par Chas-
teauneut ( le Cornélius-Népos français ) ; des Marins Cc'.è-
bres par Kicher; des Illustres Favoris, par P. Dupuy ; des
Femmes Galantes, par Brantôme ; des Femmes Célèbres,
par Boccace, par Ménage, par le P. Lemoyne, par M"* de
Kéralio, par M™^ Fortunée Briquet; des Enfants Célè-
bres, par Baillet , par Fréville ; des Poètes Grecs, par Le-
fèvre ; des Poètes Grecs et Lutins, par Yossius, par J. Al-
bert Fabricius, par Lanleires, etc. ; des Poètes Provençaux,
par Jehan de ^■ostre-Dame ; des Troubadours, par Fauchet,
par La Cume de Sainte- Palaye et par Millot; des Poètes
Français, par l'abbé Goujet ( Bibliothèque française), par
Sautreau de Marsi, par Auguis, par Crapelet, etc.; les
Vies des Historiens Grecs et Latins, par Vossius; des An-
ciens Minéralogistes de France, par Gobet; des Méde-
cins et des Jurisconsultes; Les trois Siècles Littéraires
de l'abbé Sabatier, etc., etc.
La Restauration avait vu naître le Dictionnaire des Gi-
rouettes, dont le véritable auteur est inconnu et qui a été
plusieurs fois refait avec moins de succès que la première.
Puis, il y a eu depuis à Paris une avalanche de petites bio-
grapiùes spéciales, à la publication desquelles l'esprit de parti
resta rarement étranger, mais où par contre l'esprit faisait
souvent défaut, tellesque celles rfes Ministres, des Conven-
tionnels, des Députés, des Pairs, des Généraux, des Pré-
fets, des Commissaires de police, du Clergé contempo-
rain, des Quarante de V Académie Française, des Jour-
nalistes, des Hommes de Lettres, des Représentants de
184S et 1849, des Sénateurs, etc., etc. Une seule se distin-
gua dans la foule par sa grâce caustique et son imperti-
nence de bon ton : c'était la Biographie des Dames de la
Cour et du Faubourg Saint-Germain, qui eut maille à
partir avec la justice, et dont l'auteur vrai ou supposé ex-
pia par une longue détention le tort d'avoir oublié que
tojites les vérités ne sont pas bonnes à dire.
La France possède encore des Biographies des Pères de
l'Eglise, des Prédicateurs, des Hérétiques ( par Pinchi-
nat et Pluquet); des Hommes utiles, par la société Mon-
thvon et Franklin. M.M. Haag lord paraître la France pro-
BIOGRAPHIE
32S
testante, qui contient de consciencieuses recherches sur la
■vie des profeslants célèbres de notre pays. Nous avons en-
core des biographies des Romanciers, des Auteurs dra-
matiques, par les frères Parfait, par le duc de la Vallière,
par de Laborde, etc. ; des Musiciens, par de Laborde, par
Choron , par Fayoiie , par Gerber ( en allemand ) ; des Ar-
tistes, par Fontenay, par Fuessly (en allemand) ; des Pein-
tres, par Vasari, Bellori, Orlandi (toutes trois en italien),
Pilkinton (eo anglais), Houbraken (en hollandais), Félibien,
Descamps, de Piles, d'Argenville, LaFerté, Quillet (en
français ), Zea Bermudez, Palomino, Velasco (en espagnol) ;
des Graveurs par Gori, Basan, Walpole; des Architectes
par Milizzia, Pingoron, d'Argenville, etc.
Peu de nations manquent de biographies spéciales de
Jeurs hommes célèbres : Rossi a publié V Histoire des Au-
teurs Hébreux et celle des Auteurs Arabes; d'Herbelot,
la Bibliothèque Orientale; Hassan Tcheleby, des Notices
sur les Poètes Turcs; Graberg de Hemsoë, Ise Vies des
Scaldes Scandinaves; Johnson, des Biographies de Poètes
Anglais ; Eguia, une Bibliothèque Mexicaine, etc., etc.
Presque toutes les anciennes provinces de France ont
leurs Biographies spéciales, telles que celle de Lorraine, par
dom Calmet et Chevrier ; de Bourgogne , par Papillon ;
du Poitou, par Dreux du Radier; du Dauphiné, par Al-
lard ; du Maine, par Ansart, etc. , etc. L'Italie en possède
aussi un grand nombre : générales par Mazzuchelli et Fa
broni, etc.; /oca^es, pour Bologne, Crémone , Modène , le
Piémont, la Toscane, Venise, Naples, etc. L'Espagne' cite
Nicolas Antonio, Rodrigues de Castro , Ximenez ; le Portugal,
Machado; l'Allemagne, Meusel, Mùller, Balbini; la Hol-
lande et la Belgique, Foppens, Paquol, Burmann, etc. ; l'An-
gleterre, enfin , Johnson, Walton , Ballard, Mackensie, etc. , etc.
H est peu de congrégations monastiques qui n'aient eu
des Biographies spéciales de leurs écrivains. Depuis, on a
publié, sous le titre de Galeries , des biographies de femmes
célèbres, de gens de lettres, d'artistes dramatiques, de
médecins, des protestants célèbres, etc., avec ou sans gra-
vures, lithographies, notices, portraits, facsimilés, etc.
Biographies collectives. Cette catégorie se distingue de
]a précédente en ce qu'elle ne s'astreint pas, dans le choix
de ses sujets, aux hommes d'un certain pays ou d'une cer-
taine profession, mais elle adopte des hommes de tous les
états et de toutes les nations, sans cependant vouloir nom-
mer tous ceux qui ont un nom célèbre, ce qui est le propre
des Biographies universelles. L'ouvrage le plus justement
célèbre à inscrire en ce genre est la Vie des Hommes II-
bistres de Plutarque , reproduite d'âge en âge dans toutes les
langues et admirablement traduite chez nous par Amyot. C'est
le bréviaire des grands capitaines et des hommes d'État; c'est
le livre de prédilection de deux puissants génies, Montaigne
et Jean-Jacques Rousseau. Hesychius de Milet composa en
grec et en latin ime Biographie Be ils qui eruditionis
fama claruerc; Pline le jeune, un recueil Be Viris Illus-
tribus , attribué aussi à Aurélius Victor , et traduit en fran-
çais par Savin. Enfin Valère Maxime et Élien peuvent être
comptés parmi les biographes de cette catégorie.
Elle s'est tellement agrandie, que l'embarras est immense
pour citer seulement quelques exemples. Mentionnons en
passant : Begli l/omini i^omosi, par Pétrarque; £i6/io/Aeca
Illustrium Virorum, par Boissard ; la Bibliothèque Fran-
çaise de La Croix du Maine, celle de Du Verdier; les Hommes
Illustres de Perrault; les Mémoires de Niceron (44 vol.),
ceux de Palissot; l'Eujope Ilhistre de Dreux du Radier,
les Vies des Hommes Illustres ded'Auvigny (27 vol.), le
Plutarque Anglais , 12 vol., le Plutarque Français, le
Plutarque Brésilien, de Pereira da Silva, la Galerie
des Contemporains illustres, par un homme de rien ; V An-
nuaire Nécrologique , de Mahul, eties Éloges prononcés et
publiés par l'Académie des Sciences , l'Académie Française,
l'Académie des Inscriptions et les Académies étrangères.
DICT. DE I.A r.ONVKIiS. — T. Ml.
Biographies unixter selles. Il n'y a pas d'exemple chez les
anciens de ce genre d'ouvrage, dans lequel tous les hommes
célèbres ou seulement fameux , anciens et modernes, doivent
se donner rendez-vous , et dont la vogue chez les peuples mo-
dernes tient au désir, au besoin de trouver réunies en corps
des notices historiques sur les personnages illustres de tous
les pays et de toutes les époques. La première pensée d'un
Bictionnaire Historique remonte à 1545; il fut publié à
Zurich par Conrad Gessner, surnommé le Pline de V Alle-
magne. Juigné de la Boissinière en fit paraître un en France,
dont la 8^ édition est de 1645. Il fut suivi du fameux Bic-
tionnaire de Moreri, d'abord en 1 vol. ( 1673), puis en 10 à
sa 19^ édition de 1759; du Bictionnaire de Bayle, qui date
de 1697, et eut six éditions, plus une, refondue en 1820 par
Beuchot, eu 16 vol.; du supplément de Chaufej)ié (1750),
4 vol. ; du Bictionnaire de Prosper Marchand ( 1758), 2 pe-
tits vol. ; du Bictionnaire portatif àe. Ladvocat, dont les édi-
tions et contrefaçons sont innombrables; du Dictionnaire de
l'abbé Barrai (1758), 6 vol. ; de celui de Chaudon, continué
par Delandine, 9^ édition (1810-12), 20 vol.; du Biction-
naire Historique de l'Abbé Feller, qui a eu plusieurs édi-
tions, et enfin de la Biographie Universelle des frères Mi-
chaud , en 52 volumes, sans compter le supplément.
Cette vaste publication , une des plus importantes du dix-
neuvième siècle, adroit à quelques détails. Entreprise en
1811 , elle parvint en 182S à son 52* volume, et fut bientôt
suivie de trois vol. consacrés à un Bictionnaire Mytholo-
gique, ç&r M. Parisot. Un supplément était indispensable
pour enre{;islrer les contemporains illustres morts dans une
période de trente années et combler d'inévitables lacunes.
Le dernier volume qui a vu le jour est le 84®. En 1843 une
nouvelle édition en a été entreprise; elle est arrivée à son
huitième volume. La plupart des savants et des littérateurs
qui depuis le commencement du siècle se sont fait un nom
en France ont coopéré à la rédaction de la Biographie
Universelle. Citons Chateaubriand, Daunou, Letronnc,
Auger, Silvestre de Sacy, Suard, Clavier, Féletz, Benjamin
Constant, Fiévée, Walckenaer, M'"® de Staël, Sismondi, Gin-
gueiio, Malte-Brun, Delambre, Esménard, Dupetit-Thouars,
Beuchot, le chevalier Artaud, Weiss, MM. Guizot, ViHe-
main, Cousin, de Barante, Boissonade, Tissot, Biot, etc., etc.
Auger s'était chargé du Biscours préliminaire. Cependant
la Biographie Universelle n'est pas sans reproche, il s'en
faut. Faite avec passion, souvent avec de la haine et du fiel,
presque jamais avec impartialité, elle n'a pas de justes pro-
portions : des articles importants sont trop courts, tandis que
des articles sans importance sont d'une longueur extraordi-
naire. On y découvre des méprises, des inexactitudes, de
doubles emplois. C'était inévitable dans une publication
aussi gigantesque. La diversité d'opinions dans un personnel
de rédacteurs souvent renouvelé a conduit aussi à d'étranges
divergences d'appréciations en politique et en philosophie ;
mais, en somme, l'ouvrage est resté anti-hbéral et jésuitique,
et l'histoire y trouve surtout des matériaux amassés par l'es-
prit de parti. Quelques articles sont cependant des livres.
M. Barbier, le savant auteur du Bictionnaire des Ano-
nymes, publia en 1820 le r' vol. d'un Examen critique
des Bictionnaires Historiques , qui forme un utile com-
plément à la Biographie Universelle. De 1822 à 1831 il a
paru à Venise une traduction de ce dernier ouvrage en
65 vol., qui renferme d'utiles augmentations et des correc-
tions sur les hommes célèbres de l'Italie.
La Biographie tiniverselle des frères Michaud, de-
venue royaliste à la chute de l'empire, fut suivie, de 1816
à Î819, d'une Biographie des Vivants, en 5 volumes, exé-
cutée dans le même esprit, à laquelle le parti libéral
répondit en Belgique parla Galerie Historique des Contem-
porains (1817-1819), 8 volumes, et à Paris par la Bk}-
graphie des Contemporains, de Jay, Jouy, Amault, Nor-
vins, etc. ( 20 volumes); celle-ci tut suivie d'un recueil plus
29
220
BIOGRAPHIE — BIOLOGIE
jeune, plus littéraire, plus progressif, la Biographie Uni-
■ verselle et portative des Contemporains , par Rabbe, de
Boisjolin, Sainte-Preuve, etc. (1826), malheureusement
imprimée en caractères microscopiques. Citons encore le
Dictionnaire Historique rédigé par le général Beauvais et
Al. Barbier ; le Dictionnaire Historique, Critique et Bio-
graphique du libraire Desenne, en 30 vol. ; le Dictionnaire
de l'Histoire de France de M. Pli. Lebas, 12 vol. ; le Dic-
tionnaire d'Histoire et de Géographie de M. Bouillet,
1 vol.; en Allemagne, le Lexicon de Jœcber, continué par
Adelung et autres ( 1 1 vol. ) ; les dictionnaires de Hirscliing
etErnesti, etc.; en Angleterre, le Biographical Dictiona-
rij, de Chalmers(32 vol.); \e General Biography d'Aikin
(10 vol.), et comme complément de toutes les biographies
universelles l'excellent journal allemand intitulé : les Con-
temporains (Zeitgenossen), 18 volumes, 1816-1841. En ce
moment MM. Didot font paraître une Nouvelle Biographie
Universelle, dirigée par M. le docteur Hoefer, et d'où la
science ne doit bannir ni l'urbanité ni l'impartialité.
[ La biographie, dans le sens collectif où ce mot se prend
aujourd'hui, est d'invention moderne. L'utilité devait s'en
faire sentir vivement à une époque où l'histoire , chargée de
faits, est, pour ainsi dire, obligée de se résumer en tables de
matières. Toutes les idées , à force de se disséminer en ex-
pressions diverses, plus ou moins confuses, ont fini par se
formuler en noms d'hommes. De notre temps surtout, quand
les grandes théories sociales qui animaient les compositions
des Thucydide et des Tite-Live, des Froissart et des de Tbou ,
semblent s'être écroulées sans espoir de se relever jamais ,
l'histoire offre l'aspect de ces constructions cyclopéennes qui
se bâtissaient par le seul artifice de la juxtaposition et qui
n'avaient point de ciment. Les notices biographiques sont
les pierres de l'édifice. Finira Babel qui pourra !
Il en était autrement chez les anciens, où le fait moral de
la société prévalait sur toutes les considérations particulières.
Dans notre civilisation matérialisée , c'est le nom de l'homme
qui fait la valeur de l'action. Dans la civilisation grecque ou
romaine , un service rendu au pays absorbait ce nom indi-
viduel. Quand on nommait Capitolinus ou Coriolan, on
rappelait plutôt un acte qu'une personne. Le vieux Caton
avait fait une histoire de la République où il ne se trouvait
pas un seul nom propre. Il disait simplement : « Le consul
lit adopter telle loi , le général gagna telle bataille. « Cela est
touchant et sublime, à la vérité; mais ce n'était pas à Paris
que cela se faisait, c'était à Rome : on n'obtiendrait pas
chez nous, à ce prix, la plus légère manifestation de la
moindre des vertus civiles.
<3'est le sentiment du fatal égoïsme des peuples usés qui
a donné naissance aux biographies; la presse dut se faire
rémunératiice et vengeresse quand elle eut dénié ses titres
à la Providence. Les biographies à venir seront le Panthéon,
le Tartare et l'Elysée des nations athées. C'est là ce qu'on
appelle le progrès.
Malheureusement, la presse est un instrument passif au
service de toutes les opinions. Un recueil de notices biogra-
phiques , formé sous l'inspiration des partis , est un registre
de mcuso.nges. L'histoire impartiale et consciencieuse sera
un jour fort embarrassée de choisir entre ces liaines contra-
dictoires qui font horreur et ces apothéoses contradictoires
qui font pitié. Un des écrivains les plus ingénieux de notre
époque a spirituellement comparé le travail du biographe à
celui de l'habitant des pays volcanisés, qui fait des meubles
ou des bijoux avec les laves qu'il ramasse brûlantes.
Et pourtant elle est fausse la maxime de Voltaire : « On
doit des égards aux vivants; on ne doit aux morts que la
vérité. » C'est juste le contraire qu'il fallait dire. L'his-
toire a besoin , avant tout, du témoignage des oreilles et des
yeux. La tradition écrite est encore moins suspecte que la
tradition orale, et la plume a plus de pudeur que la parole.
D'ailleurs je ne demande au biographe des conlcmporaips
qu'une conscience droite, une âme douce et tolérante, ce
qu'il faut de méthode pour classer les faits avec exactitude ,
ce qu'il faut de talent et de style pour les raconter avec
simplicité. Je n'exige de lui ni éloquence ambitieuse, ni
prétentions philosophiques. L'histoire s'en passe fort bien.
Qu'il me donne le vrai, dépouillé des artifices du romancier,
des controverses du publiciste, de la morgue du juge ; ses per-
sonnages n'auront d'autre juge que le temps. Ch. Nodieh.]
BIOLOGIE (de pîo;, vie, et ),6yo;, discours). C'est la
science de la v i e ; mais ce dernier mot a des sens si divers,
que le domaine de la biologie peut être singulièrement étendu
bu restreint suivant les auteurs. Par exemple, la Biologie
de G.-R. Treviranus est uu traité sur la vie, les facultés et
les fonctions des animaux et des plantes. C'est de toutes les
questions la plus compliquée par l'immense variété des
causes et l'obscurité des principes qui ont pu concourir à
produire tant d'êtres différents à la surface du globe, et
jusque dans les profondes entrailles des mers. Sans doute,
par l'impossibilité où nous nous trouvons d'expliquer avec
nos sciences les phénomènes de la formation des êtres or-
ganisés, une sorte de nécessité existe de recourir à l'in-
tervention divine. La création dans la Genèse s'explique
par l'acte ineffable de la toute-puissance et de la sagesse
suprême ( voyez Cosmogonie). Les merveilles de l'organisa-
tion du i)lus chétif insecte prouvent des rapports de causes
et d'effets tellement inexplicables par les lois du hasard
que l'iiypothèse des épicuriens sur la production spontanée
des êtres vivants ne peut aucunement satisfaire l'esprit hu-
mam; elle n'a conservé que peu de partisans. On admet un
concours de circonstances heureuses, une nature intelli-
gente pendant une suite de longs siècles pour parvenir à
développer, soit des moisissures , soit des animalcules , des
expansions gélatineuses , des ébauches d'organes , dans les
eaux croupissantes et la fange des marécages. Amsi , Tel-
liaraed (ou Demaillet ) , héritant du système de Thaïes , qui
fait sortir tous les êtres vivants de l'eau et des mers , nous
représente la longue série des animaux comme émanée d'es-
pèces aquatiques, s'élevant par des degrés successifs de
perfectionnement jusqu'au faite de la plus haute élabora-
tion organique , qui est l'homme.
Cette généalogie assez ridicule des carpes ou des requins
pour atteindre le rang d'un Homère , d'un Newton ou d'un
Voltaire, n'a pas pris une grande faveur. Toutefois ce ro-
man a été repris avec beaucoup plus de science en fiistoire
naturelle par Lamarck, dans ce siècle. Ce naturaliste
suppose que dans l'origine des choses une matière gélati-
neuse, informe, soumise aux influences de la chaleur, de
l'électricité et d'autres agents impondérables, en des eaux
stagnantes , élabore peu à peu des formes convenables aux
circonstances dans lesquelles elle se trouve placée; qu'il
s'y établit des courants électriques, des mouvements de
fluides, des contractions et des dilatations; que ce corps
tend à s'accroître par intussusception ; qu'il s'opère ainsi
une nutrition ou réparation. Ensuite il y a possibilité de
reproduction par division ou boutures , comme chez les zoo-
phytes. Bientôt , ce corps tendant à maintenir l'intégrité de
ses parties, ou son individualité, aspire à se coordonner
convenablement avec les choses environnantes : l'huitre se
colle au rocher, elle enveloppe sa chair mollasse d'un test
calcaire, afin d'échapper à la fureur des vagues; le poisson,
éprouvant le besoin de s'avancer à travers les ondes , tend
à déployer ses nageoires, à se renfler pour se rendre plus
léger, et pour remonter à la surface des mers ; l'oiseau na-
geur, élargissant les doigts de ses pattes, y étend, par ses
efforts, des membranes natatoires sous la forme de rames;
enfin , d'après ce système de Lamarck , il se créerait au sein
des animaux des tendances, des besoins instinctifs cai)ables
de former, de développer les organes nécessaires à l'individu,
comme les cornes au front des ruminants, les griffes, les
becs aux oiseaux de proie, etc.
<
BiOLOGrE
On reconnaît ici un constant paralogisme de ce savant ,
puisqu'il faudrait admettre avec lui que l'animal le plus in-
forme , le plus dépourvu de tout intellect , se créât par de-
grés ces instincts inventifs, cette intelligence prévoyante
pour toutes les circonstances ; ce qui ferait supposer le plus
iiaut génie dans la matière la moins organisée. En effet , les
plantes elles-mêmes sont constituées relativement aux lieux
où elles croissent spontanément. On ne peut supposer que
ce soit par l'effet d'une savante industrie , résidant , comme
une dryade, dans les troncs de ces végétaux. Qui expli-
querait encore les fonctions reproductives , chez les fleurs
dioiques surtout? Enfin, les merveilleuses structures de
l'œil, de l'oreille, etc., si bien appropriées aux rayons lu-
mineux , aux ondes sonores de l'air ( ou de l'eau pour l'o-
reille des poissons ) , sont au-dessus de tous nos moyens
d'investigation.
La biologie renferme donc une foule infinie de problèmes
insolubles à notre intelligence dans l'état actuel des sciences.
Nous voyons, à la vérité, cette échelle ou cette série d'a-
nimaux et de végétaux de plus en plus compliqués ou per-
fectionnés , depuis l'hydre ou polype jusqu'à l'homme. On
a pu en conclure que le mouvement organique, d'abord
très-simple chez des races inférieures et imparfaites , se
complique, se perfectionne de lui-môme, et crée des races
mieux conformées, jouissant de facultés plus étendues à
mesure que leurs sens se multiplient et que leurs fonc-
tions deviennent plus composées ; mais ce perfectionnement
graduel n'est-il pas le résultat d*iine puissance intelligente ,
supérieure ou hyperphysique, dont la sage prévision sait
ordonner de nouveaux rapports entre toutes ses produc-
tions ? En effet , tel insecte est prédisposé pour telle espèce
de plante sur laquelle il vit en parasite; tel quadrupède,
comme la gerboise sauteuse, est formé pour s'élancer du
milieu d'un sol sablonneux, et le chameau est constitué pour
l'aridité des déserts , comme le phoque pour les rivages des
mers glacées. S'il y a prédisposition harmonique des êtres
les uns par rapport aux autres , ou appropriation aux lo-
calités , sans qu'on puisse raisonnablement en faire honneur
à l'industrie et à la sagesse de l'individu , il faut donc re-
connaître qu'une plus sublime intelligence organisa l'aile
emplumée de l'aigle et la trompe du papillon qui pompe le
nectar des fleurs. Dès lors, il y a providence ou prévoyance
supérieure sur ce globe , et il n'est point déshérité de la Di-
vinité.
Mais notre dessein est bien moins de discuter ici les hy-
pothèses établies par des physiologistes sur les causes de
l'existence, que d'exposer quelques-unes de ses lois prin-
cipales.
La force vitale, en effet, est toujours en rapport avec l'or-
ganisation qu'elle attribue aux êtres. Dans les tissus simples
des végétaux, deszoophytes ou animaux-plantes, la vitalité
n'est guère développée et guère apparente; mais si elle agit
lentement, obscurément, elle est par cela même plus tenace,
plus inhérente chez ces êtres ; elle peut se partager, se sub-
diviser dans leurs parties : c'est ainsi qu'un arbre se multi-
plie de boutures, de surgeons, et qu'un polype coupé, taillé
en morceaux, recompose autant d'individus de chacune de
ces pièces séparées et semble être plus indestructible que
l'hydre de la Fable. Au contraire , chez les êtres formés de
tissus différents ou très-compliqués , tels que l'homme ou les
quadrupèdes, sans doute la puissance vitale est bien autre-
ment complète , active et sensible, mais elle n'est plus inhé-
rente ni tenace dans l'organisation : aussi un seul coup peut
tuer l'homme, le quadrupède, l'oiseau ; la sensibilité, la con-
tractilité musculaire s'éteignent chez eux plus tôt encore
que dans les reptiles, les poissons, les animaux à sang froid,
chez lesquels la vie était déjà moins intense et moins im-
pétueuse. Ainsi , la force vitale se dépense d'autant plus
qu'elle s'exerce avec plus de viguem-, et elle manifeste d'au-
tant plus d'énergie et d'activité que l'organisation est plus
227
compliquée, plus centralisée; mais aussi elle devient sus-
ceptible alors d'une destruction rapide, instantanée.
Depuis le végétal, en remontant jusqu'à l'homme par tous
les degrés successifs de complication d'organes des animaux,
on voit la force vitale devenir de plus en plus énergique, où
active et sensible au dehors , mais diminuer en même pro-
portion pour sa ténacité ou son adhérence particulière à
chaque portion intérieure du corps. En effet , en descendant
la série des animaux, de l'homme jusqu'au polype, on voit
que le système nerveux diminue dans son étendue et ses
fonctions , en sorte que la sensibilité décroît dans la même
proportion : alors s'élève, au contraire, l'irritabilité ou la
faculté contractile, qui prend la place et tient lieu de cette
ardente sensibilité ( voyez Animal). Les animaux à sang froid
jouissent de cette contractilité plus que les animaux à sang
chaud , et enfin on voit parmi les insectes et les vers la con-
tractilité et diverses actions vitales survivre longuement
après la destruction partielle de ces animaux.
Il en sera de même d'une autre propriété de la force vi-
tale, celle de la génération et de la fécondité des êtres. Dans
l'espèce humaine, il n'y a pour l'ordinaire qu'un individu
produit à chaque gestation ; chez plusieurs mammifères et
les oiseaux , chaque portée, déjà plus nombreuse , peut sller
à une vingtaine d'individus ; chez les reptiles, le nombre
peut s'élever à une ou deux centaines, ou même davantage;
chez leS poissons , à des milliers. Parmi les coquillages , les
insectes , les individus produits sont presque incalculables;
enfin, dans les zoophytes et la plupart des végétaux, outre
leur génération d'œufs ou de graines sans nombre , chaque
partie séparée , chaque bourgeon , chaque branche ou scion
peut reproduire un nouvel être par une fécondité incompa-
rable. Il semble que moins un être organisé présente de vi-
talité active au dehors, plus il la ramasse, la concentre dans
lui, de manière à multipHer ses germes de vie , à devenir tout
entier une collection de graines innombrables.
La quantité biotique peut donc se mesurer par la force
de reproduction ou de génération. Il suit encore de là que
plus les animaux présentent de simplicité dans leur organi-
sation, plus la vitalité s'y montre inhérente, et plus ils sont
féconds ou capables de se multiplier, de se propager, môme
par bouture et par division de leurs parties. Aussi, l'homme
et les animaux perfectionnés, étant les plus sensibles, les plus
actifs, deviennent amoureux, libidineux, lascifs ; ils consom-
ment souvent en pure perte , dans les transports de la jouis-
sance, leurs facultés vitales; mais les espèces d'animaux
des classes inférieures sont plus tempérées, plus indolentes
aux plaisirs, plus rebelles aux émotions, plus disposées à
l'indifférence et à l'ennui. Pareillement nos maladies se met-
tent à l'unisson de nos facultés vitales ; elles étaient éminem-
ment rapides et aiguës, pour la plupart, dans l'enfance; elles
deviennent de plus en plus lentes avec la vieillesse. Ainsi ,
un catarrhe , dont le caractère est très-inflammatoire dans
le jeune âge , deviendra languissant , inexpugnable , hors d'é-
tat de parvenir à une crise ou à une solution complète, clicï
le vieillard caduc, faute d'énergie biotique.
Les oiseaux et les poissons, parmi tous les animaux, ont
une longue durée de vie; cependant les premiers sont
excessivement ardents , amoureux , et dépensent beaucoup
de facultés; les seconds sont froids, apathiques à la vérité,
mais ils prodiguent surtout leurs forces par une immense
fécondité , et l'on sait que tous les êtres très-féconds sont
peu vivaces. Il semblerait donc que la longévité des oiseaux
et des poissons devrait être raccourcie par ces sortes de pro-
fusions vitales, ou que la règle établie ici par nous est sujette
à de grandes exceptions. Mais divers auteurs , et Buffon en
particulier, ont montré que l'uniformité presque toujours
constante du milieu habité par les poissons, que l'absence
des grandes variations atmosphériques, desquelles ils sont
en effet exempts , que la mollesse, l'apathie, l'inertie même
de leurs facultés , devaient beaucoup prolonger leur exis-
2J.
228
tence , s'ils en dissipaient une grande partie par la généra-
tion. Il n'est donc pas surprenant de voir des brochets et
d'autres poissons vivre quelquefois plus d'un siècle, bien
que tous ne subsistent pas aussi longtemps d'ordinaire. A
l'égard des oiseaux, le milieu dans lequel ils existent est
( quoique dans un sens opposé aux précédents ) la source
de leur longévité. On sait combien leur respiration est vaste
et fréquente; que l'air s'étend jus(iue dans des sacs abdomi-
naux , outre leurs larges poumons, qui ne sont jamais bornés
par un diaphragme; que cet air pénètre jusque dans les ca-
vités de leurs os, jusque dans les tuyaux de leurs plumes,
en sorte qu'ils sont pour ainsi dire tout i)oumons, ce qui
les allège aussi pour le vol , et ce qu'on remarque à peu près
de môme parmi les insectes. Or, cette grande respiration ,
loyer perpétuel de chaleur, qui rend leur sang plus chaud,
plus animé que le nôtre, augmente extrêmement en eux
l'excitabilité vitale; leur circulation est plus rapide, leurs
muscles sont plus mobiles et plus forts, effets qu'on retrouve
pareillement chez les insectes ailés ou volants.
Nous voyons combien l'oxygène atmosphérique contribue
à la vigueur, à ractivité chez tous les êtres ; combien, au con-
traire, les hommes deviennent pâles, flasques, inertes, dé-
biles en tout, dans ces lieux étouffés, ces caves, ces mines,
ces antres obscurs, remplis d'un air méphitique ou vicié;
combien , en revanche , ils deviennent vifs, colorés, ardents,
secs et tendus, sur les montagnes, dans les lieux exposés à
l'air pur et agité. Ainsi, l'air est véritablement le pabulum
vitse, l'aliment de l'existence, comme le disaient les an-
ciens.
Mais il est encore d'autres causes qui , fortifiant ou dimi-
nuant la puissance vitale , rendent un homme plus robuste,
plus vivace, plus énergique qu'un autre. Il faut mettre sans
doute au premier rang une bonne constitution. A cet égard
encore , l'on peut errer lorsqu'on établit comme la meilleure
complexion celle qui paraît la plus vigoureuse, la plus soli-
dement construite; car ces hommes s'usent bientôt, pour la
plupart , dans les excès et toutes les jouissances. En effet ,
on peut, chez certains êtres, prolonger indéfiniment la vie
en ne la consommant pas. Par exemple, chez les insectes,
les mâles périssent d'ordinaire aussitôt après avoir engendré ,
comme s'ils léguaient leur vitalité tout entière dans l'acte
génital ; mais on peut les conserver très-longtemps vivants
lorsqu'on les empêche de s'accoupler. 11 en est de même
des herbes annuelles , dont on retarde la floraison , et que
l'on fait ainsi durer une seconde année; car, généralement
parlant, tous les êtres animés astreints à la continence sont
plus vivaces. De plus , l'existence se prolonge en diminuant
son mouvement. Ainsi , Haller observe que les personnes à
pouls languissant, ou ayant une circulation naturellement
lente, vieillissent plus tard. De même, le froid, concentrant
les facultés vitales à l'intérieur, en diminue la dissipation et
retarde les périodes du développement. C'est ainsi qu'on
peut conseiTcr par le froid les insectes à l'état de chrysa-
lides pendant un ou deux ans, sans qu'ils se développent;
tandis que , suivant le cours ordinaire, ils achèveraient dans
l'année leur période vitale, et que plus la chaleur est vive,
plus ils se hâtent d'éclore et d'engendrer, comme les végé-
taux , dont une température élevée précipite la floraison et
la maturation des graines. Pareillement, les animaux que le
froid engourdit en hiver, comme les loirs et les marmottes,
les serpents et les lézards, etc., pourraient prolonger leur
existence par la continuité de cet état d'hibernation et de
torpeur. Une tortue ne dissipe presque rien pendant six mois
d'engourdissement , sans manger en hiver.
Enfin, il est des intermissions parfois complètes de la vie
cliL'Z les êtres les plus simples, et des ressuscitations de son
mouvement. Jos. de Necker a vu des mousses desséchées
pendant près d'un siècle dans de vieux herbiers, reprendre
vie l't repousser à l'ordinaire dans l'eau; la tremelle-nostoc
peut a volonté se dessécher ou mourir, puis reprendre sa
BIOLOGIE
verdeur, sa faculté v«golalivc, dans l'humidité ; les lichens
se dessèchent , et reprennent la végétation par les pluies
cent (ois par an ; mais ce fait s'est remarqué même chez des
animalcules. On connaît le vorlicelle rotatoire ou le rolifère
observé par Spallanzani. Cet animal, aussi bien que de pe-
tits polypes d'eau douce , se dessèche pendant des années
même , et peut ressusciter dans l'humidité. La vie ne semble
être chez eux qu'un simple mouvement organique facilité
par l'eau et déterminé par une douce chaleur. Sans ces
conditions, il se suspend, comme on voit une montre s'ar-
rêter par le froid , ou faute d'être remontée. 11 y a pareille-
ment une vie en puissance, non en acte , capable de se con-
server très-longuement, dans des semences de plantes et des
œufs d'animaux. On a semé des haricots tirés des herbiers
du célèbre ïournelort, et ayant au moins un siècle; ils ont
germé à l'ordinaire. Cependant , d'autres graines contenant
des huiles capables de rancir, comme celles du café, du
thé, etc., ne germent pas si on ne les sème bientôt. Pa-
reillement des œufs conserveraient longtemps la faculté
d'éclore s'ils étaient soustraits exactement aux influences de
l'air et de la chaleur, qui peuvent les faire gâter. L'on a vu
du frai de poisson se conserver .sous la boue des étangs des-
séchés pendant quelques années, puiséclorede lui-même aa
retour des eaux.
Chez les animaux à sang chaud , la vie est ordinairement
trop intense pour éprouver ces intermissions qui la prolon-
gent, et l'on ne voit guère d'Épiménides dormir pendant qua-
rante ans, puis se réveiller comme du soir au lendemain ; mais
la consonnnalion générale de la vie n'est pas uniforme pen-
dant toute sa durée active. Depuis l'époque de la naissance
jusqu'à l'extrême caducité, parmi les végétaux, comme
dans tous les animaux, \a force biotique marche constam-
ment vers son décroissement. Chez les enfants , en effet , le
pouls est très-rapide, la croissance prompte; la réparation
par les aliments a lieu presque à chaque instant; ces in-
dividus sont toujours en action, en excitation; ils sentent
avec vivacité, ils sont bouillants, téméraires, même fou-
gueux et emportés, jusqu'à ce que, avançant en âge, ou
après avoir joui , senti , expérimenté de toutes choses et dé-
pensé une grande partie de leurs facultés, ce qui leur reste
ne se prodigue plus avec autant de profusion. Alors la rai-
son commande des ménagements et une sage économie; en
même temps , nos organes , devenus moins sensibles aux
stimulants, restent lents, inertes, froids, comme chez les
vieillards. Les animaux peu sensibles , froids et inaclifs, ont
d'autant plus de fécondité qu'ils éprouvent ou manifestent
moins de volupté ; ils ne dépensent rien en plaisirs sans
but, mais font tourner tout au profit de la reproduction , de
même que chez les végétaux. On voit pourquoi les facultés
vitales seront moins consommées chez l'homme froid , tran-
quille, passant des jours uniformes, comme les anachorètes,
évitant les passions et les excès , les grands plaisirs et les
grandes peines , ainsi que les philosophes le recomman-
dent ; la carrière de l'existence devra être alors, toutes choses
d'aifleurs égales, plus prolongée. C'est ainsi que vivent long-
temps encore les êtres insouciants ou toujours contents et
gais, réfléchissant peu , sentant peu , tels que les hommes
apathiques, endurcis par un froid modéré, les montagnards,
tous ceux que la médiocrité , qu'une pauvreté satisfaite de
son sort, écarte des excès du luxe, de l'intempérance ou
des délices qui accompagnent l'opulence. Aussi , les climats
modérément froids retardent non-seulement la puberté, mais
l'écoulement de la vie, tandis que l'ardeur des climats du
midi et delà zone torride en développe rapidement toutes les
phases. De même, dans la vieillesse nous sentons moins; le
mouvement organique étant ralenti, l'excitabilité moins ac-
tive, la chaleur presque éteinte , le sentiment moins cxpan-
sil ou i)lus concentré par l'égoisme et l'avarice (qui aug-
mentent alors), on dépense moins l'existence, on retarde
le i»lus qu'on peut la cluite fatale. Les femmes, après l'à^e
BIOLOGIE — BIOMETRIE
22«)
crilique «urtout, ayant une constitution plus langoureuse,
plus débile, plus molle que l'homme, subsistent par cela
seul très-longuement dans la vieillesse. C'est pour elles que
répitliète de sempiternelle (qu'on me passe cette expres-
sion ) semble avoir été créée. Ainsi , à mesure que l'éner-
gie vitale sera plus active et plus intense, moindres seront sa
ténacité, son adhérence et sa durée dans l'organisation.
Les athlètes, les hercules, étant pour l'ordinaire portés
à faire abus de leur puissance en tout genre, défiant même
les autres à diverses vaillantises (par exemple, en excès vé-
nériens, ou de boisson, ou de table, ou d'efforts musculaires),
se ruinent, se brisent, pour ainsi parler, la santé ; et plu-
sieurs périssent tout cassés des suites de ces extravagances.
Mais quand môme ils vivraient dans une sage modération ,
cette plénitude de vigueur et de santé athlétique , parvenue
surtout à l'extrême, est toujours redoutable, comme l'avait
déjà remarqué Hippocrate. Les maladies que l'on peut alors
éprouver déi)loient une affreuse énergie : par exemple , les
fièvres se développent avec une impétuosité extraordinaire
dans tous leurs symptômes; elles attaquent avec une vi-
gueur digne de l'individu auquel elles ont affaire. Dans ces
corps robustes, le choc devient terrible , le combat mortel ;
résultat impitoyable , parce que leur constitution mâle, ré-
sistante , ne cède pas à l'effort morbifique, comme ces cons-
titutions grêles, délicates, toujours subjuguées, toujours sou-
mises ou se pliant à tous les empires. Voilà donc pourquoi
les constitutions les plus énergiques ne sont pas les plus
vivaces , mais bien les faibles et les languissantes, pourvu
que celles-ci ne soient pas minées sourdement par quelque
vice organique, et pourvu qu'elles ménagent leurs forces en
évitant tout excès.
De plus, la longévité ou la force vitale inhérente dépend
principalement de l'énergie native qu'on a reçue de ses pa-
rents. Il est d'expérience que certaines familles sont beaucoup
plus vivaces que d'autres ; et parmi les recueils de cente-
naires, on voit d'ordinaire que ceux-ci étaient nés la plupart
de parents qui vécurent longtemps. Certaines constitutions
se développent naturellement plus tard ou plus tôt que d'au-
tres; elles ont par là des périodes d'existence ou plus ra-
pides ou plus prolongées.
On peutajouterde plusque si la viede beaucoup d'hommes
se trouve raccourcie ou débilitée si fréquemment chez les
citadins opulents et dans les hautes classes de la société, ce
n'est pas toujours parce que ces individus ont prodigué leurs
forces dans les jouissances; au contraire, plusieurs se mé-
nagent, non par sagesse, mais par crainte. La débilité ne
vient pas d'eux ; ils payent les péchés de leurs parents. Ainsi,
un homme vieux et à moitié épuisé se marie en vain à une
jeune épouse, saprogéniture se ressentira de la faiblesse pater-
nelle. Si les deux époux sont trop âgés ou trop jeunes, les
fruits de ces époques n'auront ni la vigueur natale ni la
ferme constitution des enfants nés pendant la fleur des an-
nées de leurs parents. Ce fait se remarque pareillement dans
les races d'animaux qu'on multiplie, comme dans les haras
des chevaux.
Tout tempérament d'ailleurs ne manifeste point au
niêmedegré des forces biotiques naturelles. Voyez cet individu
llasque, épais et blond, ayant une chair mollasse et pâteuse,
le teint blême, des membres lourds, un ventre tombant, une
structure grossièrement maçonnée ; il parle, il se traîne pé-
niblement ; on dirait que l'esprit et la vie ne peuvent pas se
déiiétrer chez lui de cette masse stupide et inerte d'anima-
lité; il est bientôt accablé du moindre travail , soit corporel ,
soit intellectuel : aussi est-il souverainement paresseux, dor-
meur; celte inertie ajoute encore à lamassede ses humeurs,
à leur stase, à la langueur de ses fonctions. Quoiqu'il dé-
pense lentement sa vie, on peut dire qu'il est comme mort
avant de mourir. Tel est le lymphatique ou le pituiteux : il
se trouve plus fréquemment dans les pays humides et bas,
où trouiiit un air épai.s, nébuleux, tels que la Hollande;
il est entretenu dans cet état par des nourritures trop débi-
litantes, le laitage, le beurre, les pâtisseries, les farineux
gluants, comme les bouillies, et par les boissons mucilagi-
neuses, telles que la bière. Voyez, au contraire, ce mince
et sec individu , noir de cheveux et d'un teint brun ; toute
sa structure est allègre, toutes ses fibres sont tendues, mo-
biles ; SCS muscles, solides, ont des formes anguleuses, mai-
gres et comme décharnées en comparaison du précédent ; il
n'a point de ventre; ses pieds et ses mains sont dans une
inquiétude et un mouvement perpétuels; il parle toujours
avec feu et volubilité; il est turbulent, agile, ou plutôt il
ne saurait vivre en repos. Son esprit s'élance toujours au-
delà du présent, et son corps n'est bien que là où il n'est
pas. Il se dessèche , il se ronge pour la moindre contrariété ;
constamment fougueux et passionné dans son inconstance,
à peine s'il peut dormir et s'arrêter longtemps cpielque part.
Voilà le bilieux; et cette chaleur qui le dévore, qui stimula
incessamment son esprit et son caractère, mine son corps ,
le détruirait bientôt si elle ne changeait pas d'un instant à
l'autre le sujet de son enthousiasme ( t de sa haine. Ainsi ,
cet être impétueux ne se repose que par la diversion qui
laisse du répit à quelques facultés, tandis que les autres sont
tour à tour exercées. Les pays secs et chauds , les terres
arides et montagneuses exposées au midi , à un air vif, aux
vents piquants; des aliments secs, épicés; des spiritueux ,
des échauffants, des salaisons, et autres substances acres ou
stimulantes, entretiennent, exaltent cette constitution, qui
vit avec une prodigieuse intensité en peu de temps et qui
s'use rapidement.
Entre ces deux extrêmes, on comprendra toutes les nuances
intermédiaires. L'homme tient davantage du tempérament
sec, actif et bilieux; la femme, de la complexion molle et
lymphatique : ainsi, leurs forces vitales éprouveront les
mêmes relations que ces tempéraments. Aussi la femme
vit généralement plus longtemps que l'homme.
Enfin, nulle constitution n'est également active en tout
sens, et n'emploie pareillement en tout ses puissances vi-
tales. Le savant ou l'homme de lettres, le philosophe, exer-
çant beaucoup leur intelligence, s'useront principalement
par le cerveau; le gourmand ou gastronome, l'ivrogne,
fatiguent surtout la capacité et l'énergie de leur estomac,
de leurs viscères digestifs; le voluptueux, le libertin,
épuisent sans cesse leurs organes sexuels; des hommes
de peine , des manouvriers robustes , employés à de fa-
tigants travaux du corps, se cassent; ils énervent enfin
leur contractilité musculaire. Voilà donc des pertes diffé-
rentes relativement à la force vitale, et des dissipations di-
verses auxquelles elle s'accoutumerait par des habitudes
plus modérées. Ainsi , la vie se répartit ou s'écoule surtout
dans les organes les plus employés; elle les fortifie, les
agrandit, les développe, elle en facilite l'action; mais
en même temps elle diminue d'autant les autres organisa-
tions , et néglige à proportion les autres fonctions. Le gas-
tronome ramasse tout son esprit dans son estomac, pour bien
digérer, pour bien savourer d'excellents morceaux; le vo-
luptueux attire tout à l'organe de ses jouissances, c'est là
son centre; aussi tout le reste languit : il survit aux plus
nobles fonctions de l'âme; il n'est plus désormais qu'un
cadavre attendant le cercueil. J.-J. VmEv.
BIOMÉTRIE, BIOMÈTRE (du grec pioc, vie,
et [AÉTpov , mesure). On a fait de la biométrie l'art d'éva-
luer la quantité de vie d'un être, soit en intensité, soit en
durée. Notre article BroLociE montre combien de circons-
tances peuvent pliysiologiquement faire varier cette quantité
bioinétrique. On a aussi appliqué ce nom à celte partie du
calcul des probabilités qi'i recherche par l'expérience la du-
rée ordinaire de la vie des hommes. D'autres, enfin, en ont
voulu faire cet art pratique de la vie d'après lequel l'homme
calcule avec soin l'empioi de son temps, de ses forces phy-
siques et morales, en raisou de son âge, de sa position, etc j
230
BIOMETRIE — BIOT
de manière à vivre ou plutôt à se mouvoir avec la régularité
d'un pendule. Qu'il soit nécessaire , qu'il soit sage pour
cliacun de régler prudemment sa vie , personne n'essayera
de le nier; mais vouloir formuler systématiquement ces
règles de conduite , c'est une ridicule pédanterie.
BION, poète grec qui cultiva surtout le genre de l'idylle,
natif de Smyrne,mais sur la vie duquel les écrivains de
l'antiquité ne nous fournissent aucun renseignement. Tout
ce qu'on peut conclure d'une élégie composée à l'occasion
de sa mort par Mosclius, son contemporain et son ami, c'est
qu'il florissait en môme temps que Théocri te (de l'an
284 à l'an 246 av. J.-C. ), qu'il passa la dernière partie de sa
vie en Sicile, et qu'il mourut empoisonné. De tous les ouvrages
de Bion qui sont parvenus jusqu'à nous le plus important
est son Élégie sur la mort d'Adonis. Nous ne possédons que
des fragments de ses autres œuvres ; et elles brillent plus par
la finesse de l'expression et la délicatesse du sentiment, que
par la peinture vraie et simple de la vie pastorale. C'est
Henri Estienne qui le premier sépara les poésies de Bion de
celles de ïliéocrile ; et van Metkerke en donna ensuite une
édition ii part (Bruges, 1565). Les œuvres de Bion réunies à
celles de Tliéocrite ont en outre été publiées par Walckenaër,
BruncketSchœfer (Leipzig, 1809); par Gaisford , dans sa
colleclion des Poetx grxci minores et par Meinecke (Leip-
zig, 1825). Bion a été traduit en français par Longepierre,
dont la traduction, à peine lisible, contient le texte grec en
regard et d'excellentes remarques critiques. Le même travail
fut entrepiis par Poinsinet de Sivry, par Moutonnet de
Clairfons, et enfin parGail ( Paris, 1795).
BIOIV de Borystbène, pbilosoplie qui vécut à la cour
d'Antigone Gonatas et qui mourut à Chalcis. Il était af-
francbietavait étudié la philosophie à Athènes sousCratès le
Cynique, puis sous Théophraste et surtout sous ïhéodore-
l'Athée. Il a composé beaucoup d'ouvrages sur la morale,
dont quelques fragments nous ont été conservés par Stobée.
Comme son maître Théodose, Bion faisait ouvertement
piofession d'athéisme. Diogène de Laerte rapporte de lui
une pensée d'une grande vérité : « Le plus malheureux des
hommes est celui qui désire le plus ardemment le bonheur. »
Quoique Bion de Borystbène eût composé un traité de mo-
rale, il parait qu'il était plus célèbre par ses bons mots
«t par ses reparties que par son système de philosophie.
Quelqu'un lui ayant demandé quel était de tous les hom-
mes le plus inquiet, « Celui qui veut être le plus heureux
et le plus tranquille , » répondit-il. Un envieux lui parais-
sant avoir l'air triste et rêveur, il lui demanda « si sa tris-
tesse venait de ses propres malheurs ou du bonheur des
autres ». Il disait aussi, en parlant du mariage, qu'une
femme laide était un supplice pour son mari, et que si une
belle était un sujet de plaisir, c'était moins pour lui que pour
ses voisins. » Il avait coutume de dire à ses disciples :
« Quand vous écouterez avec une égale indifférence les in-
jures et les compliments, vous pourrez croire que vous avez
fait des progrès dans la vertu. — Honorons la vieillesse,
puisque c'est le but où nous tendons tous. «
Parmi les personnages célèbres de l'antiquité du nom de
Bion, on cite encore: un poète tragi(|ue, qui vivait pro-
bablement au premier siècle de l'ère chrétienne ; un ma-
thématicien, natif d'Abdère, qui vivait dans le quatrième
ou dans le troisième siècle avant J.-C, et dont il ne nous
reste aucun ouvrage, mais qui avança le premier qu'il y a sur
la terre certaines régions où l'anni'e se partage en un jour
de six mois et une nuit d'égale durée, idée qui suppose de
sa part des notions assez positives sur les régions hyperbo-
réennes; enfin, deux rhéteurs, l'un natif de Syracuse,
auteur d'un livre sur l'art de la rhétorique; l'autre, dont
on ignore l'origine, auteur d'un ouvrage sur le même sujet
en neuf livres , dont les noms, connue ceux du livre d'iié-
rodole, sont empruntés aux neuf Muses.
iilOIV (Jean), prêtre catholique, <iui embrassa le pro-
testantisme, naquit à Dijon, en 168S, et fut d'abord curé à
Ursy, en Bourgogne. Par la suite il fut nommé aumônier
de la galère La Superbe où l'on retenait les prisonniers
protestants ; et ce fut le spectacle de la pieuse résignation
avec laquelle ils enduraient leurs souffrances qui le décida,
dit-on, à embrasser une religion capable d'inspirer de tels
sentiments. 11 s'en alla donc abjurer le catholicisme à Ge-
nève, en 1704, puis en Angleterre, où on le nomma recteur
d'une école. Il quitta plus tard cette position pour devenir
chapelain d'une église anglaise en Hollande. On a de lui :
Relation des tourments que Von fait souffrir aux protes-
tants qui sont sur les galères de France (Londres, 1708);
Essai sur la Providence et sur la possibilité de la ré-
surrection (La Haye, 1719) , ouvrage original, bien qu'an-
noncé comme étant une simple traduction de l'anglais ;
Recherches sur la nature du feu de l'enfer et du lieu où
il est situé, traduit de l'anglais de Swinden ( 1728 ) ; Traité
des Morts et des Ressuscitants, traduit du latin de Burnet
(1731); Histoire des Quiétistes de Bourgogne (1709);
Relation du sujet qui a excité le funeste tumulte de la
ville de Thorn ( 1725) ; Traité dans lequel on approfondit
les funestes suites que les Anglais et les Hollandais ont
à craindre de rétablissement de la compagnie d'Osten-
de (1726), traduit de l'anglais.
BION (Nicolas), ingénieur, mort à Paris, en 1733, à l'âge
de quatre-vingt-un ans , faisait le commerce des globes et
des sphères, et obtint le titre d'ingénieur du roi pour les
instruments de mathématiques. On a de lui : De l'usage des
Globes et des Sphères ( 1699 ) ; Traité de la Construction
des Instruments de Mathématiques (1765).
BIOT (Jean-Baptiste), astronome et physicien, profes-
seur au Collège de France, membre de l'Institut, du Bureau
des Longitudes, etc. On doit le compter parmi les hommes
de ce siècle qui ont donné une forte impulsion à la science.
Né à Paris, en 1774, il se distingua comme élève au col-
lège Louis-Ie-Grand , et entra fort jeune dans l'artillerie;
inais peu de temps après il se fit admettre à l'Écoie Poly-
technique, où son désir de tout embrasser et son aptitude
à tout apprendre ne tardèrent pas à fixer sur lui les re-
gards. Nommé professeur à l'école centrale de Beauvais , il
y brilla par la facilité de son élocution. Cependant, il fallait
un plus vaste théâtre à M. Biot : revenu à Paris dans l'an-
née 1800, il obtint la chaire de physique au Collège de
France, puis une place à l'Institut, où quelques expériences
ingénieuses et la protection de Laplace le firent asseoir.
D'où venait l'intérêt si vif que portait Laplace à M. Biot.'
Empruntons à ce dernier quelques passages d'une commu-
nication par lui faite en 1850 à l'Académie Française, dans une
de ses séances particulières, où il raconte comment, « il y a
quelque cinquante ans, un de nos savants les plus illustres
accueillit et encouragea un jeune débutant qui était venu
lui montrer ses premiers essais : »
« Je savais, dit M. Biot, que M. Laplace travaillait à réunir
un magnifique ensemble de découvertes, dans l'ouvrage
qu'il a très-justement appelé La Mécanique céleste. Le
premier volume était sous presse; les autres suivaient à de
bien longs intervalles au gré de mes désirs. Une démarche
qui pouvait paraître fort risquée m'ouvrit un accès privilégié
dans le sanctuaire du génie. J'osai écrire directement à
l'illustre auteur pour le prier de permettre que son libraire
m'envoyât les feuilles de sou livre ii mesure qu'elles s'impri-
maient. M. Laplace me répondit avec autant de cérémonie
que si j'eusse été un savant véritable. Toutefois, en fin de
compte, il écartait ma demande, ne voulant pas, disait-il,
que son ouvrage fût présenté au public avant d'être terminé,
afin qu'on le jugeât dans son ensemble. Ce déclinatoire poli
était sans doute très-obligeant dans ses formes, mais au
fond il accommodait mal mon affaire. Je ne voulus pas l'ac-
cepter sans appel. Je récrivis immédiatement à M. Lapla< e
pour lui représenter qu'il me faisait plus d'honneur que je
n'en méritais et que je n'en désirais. Je ne suis pas, lui dis-je,
du public qui juge, mais du public qui étudie. J'ajoutais que,
voulant suivre et refaire tous ses calculs en entier pour mon
instruction , je pourrais , s'il se rendait à ma prière , décou-
vrir et signaler les fautes d'impression qui s'y seraient glis-
sées. Ma respectueuse insistance désarma sa réserve. 11 m'en-
voya toutes les feuilles déjà imprimées, en y joignant une
lettre charmante, cette fois nullement cérémonieuse, mais
remplie des plus vifs et des plus précieux encouragements.
Je n'ai pas besoin de dire avec quelle ardeur je dévorai ce
trésor. Depuis , chaque fois que j'allais à Paris, j'apportais
mon travail de révision typographique, et je le présentais
personnellement à M. Laplace. Il l'accueillait toujours avec
bonté, l'examinait , le discutait, et cela me donnait l'occa-
sion de lui soumettre les difficultés qui arrêtaient trop sou-
vent ma faiblesse... »
Au mois d'août 1804 , M. Biot accompagna Gay-Lussac
dans sa première ascension aérostatique. Le ballon ne s'é-
leva ce jour-là qu'à 3,400 mètres. Gay-Lussac fit seul
une seconde ascension qui eut les résultats les plus pré-
cieux pour les sciences physiques et chimiques. Le Bureau
des Loii^tudes chargea en 1806 M. Biot et M. Ara go d'al-
ler contmuer en Espagne les opérations géodésiques destinées
à prolonger la m^éridienne. Les deux jeunes savants prirent
ensemble plusieurs miUiers de hauteurs de l'étoile polaire
et de l'étoile 6 de la Petitè-Ourse pour déterminer la lati-
tude de Formentera ; ils observèrent beaucoup de passages
du soleQ et des étoiles à la lunette méridienne, et mesu-
rèrent en même temps la longueur du pendule à secondes
pour connaître l'intensité de la pesanteur à cette extrémité
australe de l'arc ; enfin ils observèrent l'azimuth du dernier
coté de la chaîne des triangles , c'est-à-dire l'angle que ce
côté forme avec la ligne méridienne , résultat nécessaire
pour orienter leurs opérations. Revenu seul , M. Biot fit à
l'Institut le rapport de cette mission, rapport qui en 1821
servit de base à un ouvrage qu'il rédigea avec M. Arago sous
le titre de Recueil d'observations géodésiques , astrono-
miques et physiques exécutées par ordre du Bureau
des Longittides de France, en Espagne, en France, en
Angleterre et en Ecosse , pour déterminer la variation
de la pesanteur et des degrés terrestres sur le prolonge-
ment du méridien de Paris. Deux ans après, M. Biot, que
la Société royale de Londres avait admis au nombre de ses
membres associés, alla en effet aux tles Orcades faire des
observations astronomiques. La réputation qui l'avait de-
vancé engagea plusieurs savants écossais à l'accompagner
et à le seconder dans ses travaux scientifiques, dont le
succès intéressait toutes les nations. En 1809 il devint pro-
fesseur d'astronomie à la Faculté des Sciences.
Quand Bonaparte, premier consul, voulut cacher ses
lauriers d'Italie sous la couronne impériale, M. Biot,
comme membre de l'Institut , lui refusa son adhésion ; et
en 1815, lors de l'acceptation demandée pour l'Acte addi-
tionnel, son vote fut également négatif. Ce sont là deux actes
courageux de la vie politique de M. Biot, qui plus tard,
sous la Restauration , se rangea parmi les savants du parti
bourbonnien ; et alors son infiaence fut plus d'une fois fatale
à l'enseignement public en protégeant de notoires incapacités.
Le talent de M. Biot s'est constamment plié avec bonheur
à une foule de questions ; l'énoncé seul de ses mémoires en
serait une preuve suffisante. Il a une très-grande facilité
réunie à beaucoup d'esprit et de sagacité. Dans sa chaire,
M. Biot est très-élégant, mais un peu diffus ; dans ses livres,
il fait preuve de qualités de style incontestables, mais il
est prolixe et aime trop à s'étendre longuement sur chaque
objet; ce défaut est si sensible chez lui que les dernières
éditions de ses ouvrages sont réputées les moins bonnes.
Le temps pour lui est un moyen , non d'abréger et d'éclair-
cir, mais d'allonger et d'embrouiller. Cependant, pour lui
rendre la justice qui lui est due , nous devons ajouter que
BIOT 231
la vie de M. Biot a été laborieuse entre celles de tous l'.'s
savants de notre époque ; il aime la science pour elle-même,
et c'est là un de ses grands mérites.
Une appréciation ou seulement la liste complète des ou-
vrages de M. Biot serait trop longue pour trouver place
ici. Nous nous contenterons de citer ses principaux travaux :
1° Analyse du Traité de Mécanique céleste de Laplace
( 1801 , in-8°), hommage rendu par M. Biot à son illustre
protecteur; 2" Traité analytique des Courbes et des Sur-
faces du second degré ( 1802 , in-8" ), ouvrage très-estimé,
et qui serait sans doute plus suivi dans l'enseignement si
son auteur était examinateur pour l'admission aux écoles
du gouvernement ; 3° Essai sur V Histoire des Sciences de-
puis la Révolution française ( 1803, in-8°); 4° Traité élé-
mentaire d'Astronomie physique (1805, 2 vol. in-S"),
dont la réimpression a eu lieu en 1845 avec de notables
augmentations, renfermant un exposé complet des nouvelles
métliodes géodésiques ; 5° Recherches sur les Réfractions
ordinaires qui ont lieu près de l'horizon ( 1810, in-A");
6" Tables Barométriques portatives, donnant les différen-
ces de niveau par une simple soustraction , avec une ins-
truction contenant l'histoire de la formule barométrique et
sa démonstration complète par les simples éléments d«
l'algèbre, à l'usage des ingénieurs ( 181 1, in-8'' ) ; 7° Recher-
ches expérimentales et mathématiques sur les mouve-
ments des molécules de la lumière autour de leur cen-
tre de gravité (1814, in-4°); 8° Traité de Physique
expérimentale et mathématique (1816,4 vol. m-8''),un
des meilleurs ouvrages qui aient été écrits sur cette matière,
et qui se recommande surtout par l'application du calcul
aux phénomènes et aux expériences ; 9" Précis élémentaire
de Physique expérimentale ( 2 vol. in-8°, 3* édit., 1825);
10° Physique Mécanique de E. G. Fischer, traduite par
madame Biot , avec des notes et un appendice sur les an-
neaux colorés, sur la double réfraction et sur la polarisa-
tion de la lumière, par M, Biot; 11" Recherches sur plu-
sieurs points d» l'astronomie égyptienne, appliquée aux
monuments astronomiques trouvés en Egypte.
La p olarisation est surtout redevable en grande partie
à M, Biot des immenses progrès réalisés dans sa théorie.
Depuis 1813 il a publié sur la lumière une suite presque
non interrompue de mémoires où il a ex,aminé cette partie
de l'optique sous toutes ses faces. Outre leur importance
scientifique, ces travaux ont eu souvent d'heureuses ap-
plications : tel est le Mémoire sur un caractère optique
à Vaide duquel on reconnaît immédiatement les sucs
végétaux qui peuvent donner des sucres analogues au
sucre de canne, et ceux qui ne peuvent donner que
du sucre anatogue au sucre de raisin. C'est en poursui-
vant ses études sur l'application des propriétés optiques à
l'analyse chimique, que M. Biot est parvenu depuis à me-
surer exactement les proportions de sucre cristallisable quf
restent dans les mélasses , résultat d'une haute importance
pour le commerce.
Quelque nombreux que soient les ouvrages et les travaux
scientifiques de M. Biot, il n'en a pas fait son occupation
constante; il a rédigé pour la Biographie universelle d'im-
portants articles , entre autres Descartes, Francklin, Gali-
lée, etc., articles qui sont pourtant moins complets qu'on
n'aurait dû s'y attendre; en 1812 il publia un Éloge de Mon-
taigne, qui obtint une mention au jugement de l'Académie
Française.
BIOT (ÉD00ARD-C0NSTA.NT), fils du précédent, naquit à
Paris le 2 juillet 1803. Après avoir terminé ses études avec
distinction au collège Louis-le-Grand, il fut reçu en 1822
à l'École Polyteclmique. De retour d'une mission scientifique
dans laquelle il avait accompagné son père en Italie, Edouard
Biot s'associa à MM. Séguin frères, d'Annonay, pour la cons-
truction du chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon. L'ua
des premiers, il démontra en France l'immense avantage
235
BIOT — BIRAGUE
que l'on devait retirer de ce nouveau moyen de communi-
cation. C'est dans le môme but que, en 1833, il traduisait
l'important traité de M. Babbage, et que l'année suivante
il faisait paraître, sous le titre de Manuel du Constructeur
de Chemins de Fer, un livre élémentaire tendant à popu-
lariser leur mécanisme.
Vers cette époque, Edouard Biot commença à étudier la
langue chinoise. Admis en 1835 dans le sein de la Société
Asiatique, il s'en montra bientôt l'un des membres les plus
zélés. Il appliquait ses vastes connaissances à des recberclies
historiques. 11 avait surtout fait une étude approfondie de
l'organisation et des statuts de la corporation des lettrés ,
cette institution fondamentale du Céleste-Empire. Ses mé-
moires^ur divers points de l'Iiisloire des sciences de la Chine
avaient aussi secondé utilement les travaux mathématiques
et astronomiques de son père et d'autres savants. Edouard
Biot fut élu en 1 847 membre de l'Académie des Inscriptions
€t Belles-Lettres. Affaibli par des labeurs incessants, il est
mort en mars 1850, emportant les regrets de tous ses
collègues.
On doit encore à Edouard Biot ; 1° De V abolition de
V esclavage ancien en Occident, etc. (Paris, 1840), ouvrage
auquel une médaille d'or a été décernée par la cinquième
classe de l'Institut; 1° Dictionnaire des villes et arrondis-
sements de l'empire chinois, avec une carte de la Chine par
Klaproth (Paris, 1845, grand in-8") ; 3° une foule de Mé-
moires d'un grand intérêt pour la science, et qui ont été pu-
bliés dans le Journal Asiatique, le Journal des Savants, etc.
BIPARTI. Voyez BmENTÉ.
BIPÈDE (de bis, et de pes, pied ) , nom par lequel les
naturalistes désignent en général tous les animaux qui sont
munis de deux pieds seulement. Les bimanes, les ger-
boises, les kangourous, les oiseaux sont bipèdes.
Lacépèdc, d'après Pallas, avait appliqué ce nom de bi-
pèdes à certains reptiles munis de deux pieds seulement, qui
font partie de l'ordre des sauriens et de la famille des uro-
bènes ; le nom tVhystérope , proposé par M. Duméril , a été
préféré.
BIPENNE (de bis, deux, et penna, pointe), sorte de
liacheà deux tranchants dont se servaient surtout les anciens.
Voijez Hache.
BIPINNATIFIDE (de bis, deux fois; pinna, aile;
findo,ie divise). Les feuilles des végétaux sont dites bipin-
natifides lorsque , étant partagées en lobes latéraux qui at-
teignent presque jusqu'à la nervure moyenne, chacun de ces
lobes est de plus divisé en segments profonds, de manière à
simuler une feuille p in natif i de. On voit de nombreux
exem])les de cette dis])osition dans les fougères.
BIPINNÉ ou BIPENNE (de bis, deux fois , et pinna-
tus onpennatus, ailé). Une feuille est bipinnée lorsque son
pétiole principal porte de chaque côté un certain nombre de
pétioles secondaires, sur lesquels les folioles sont rangées
comme dans une feuillç pin née. Telles sont les feuilles de
beaucoup de mimeuses.
BIQUE , BIQUET , noms vulgaires de la chèvre et du
chevreau, que le P. Thomassin fait dériver, ainsi que bojic,
du mot grec péxï], qu'on trouve dans Hésychius, pour dé-
signer une chèvre.
BIRAGUE (René de), chancelier de France, car-
dinal, était né à Milan, le 3 février 1507, d'une famille dis-
tinguée, qui avait montré beaucoup d'attachement pour la
France dans les guerres d'Italie. Galéas de Birague, son père,
était patrice à l'époque où Louis XII et François l" occu-
paient le duché de Milan. Pour éviter la vengeance de Louis
Sforcc, René de Birague se réfugia à la cour de Fran-
çois !*■■ lorsque les Français abandonnèrent le Milanais. Le
roi de France le fit conseiller au parlement de Paris. Lorsque
la paix rendit le Piémont au duc de Savoie, François I*"",
qui avait nommé Birague surintendant de la justice et pré-
sident an sénat de Turin , lui donna le gouvernement du
Lyonnais. Le même prince l'envoya au concile de Trenfe.
Birague obtint toute la confianc* de Catherine de Mé-
dicis, à laquelle il se dévoua corps et àme. Il savait que
rien n'est à négliger pour gagner la faveur des princes : il
était tout à tous ; c'était l'homme indispensable pour les af-
faires et les plaisirs. Il avait introduit à la cour la mode des
bichons; les dames et les courtisans portaient partout de
petits chiens de Malte et de Lyon. Henri III en avai/t tou*
jours quelques-uns dans une élégante corbeille suspendue à
son cou avec des nœuds de ruban. Aux bichons succédèrent
les confréries de pénitents et les processions. Toutes ces fo-
lies , que partageait Birague , moins par goût que par spé-
culation, n'étaient pour lui qu'un moyen de parvenir au
pouvoir et de s'y maintenir. Il ne reculait devant aucun
crime nécessaire à son ambition ; la Ligue n'eut point de
chef plus audacieux et plus effréné.
En 1570, Charles IX le fit garde des sceaux. Ce fut lui
qui provoqua et organisa le vaste massacre de la Saint-
Barthélemi. Michel L'Hospital avait donné pour la
dernière fois sa démission de chancelier en 1568. Sa retraite
était une bonne fortune pour le parti des Guise. Birague
partageait à l'égard de cette famille la haine et la faiblesse
de Catherine de Médicis ; tous deux tremblaient devant les
Guise , et les détestaient. Aussi, dans le plan de massacre,
les Guise et les Montmorenci étaient destinés à périr ; et de
leur côté les Guise ne voyaient dans la reine-mère et dans
son confident intime, Birague, que des instruments néces-
saires et dociles. Les chefs de la Ligue n'avaient pas osé
braver l'opinion au point de donner à Birague, si décrié
pour ses mœurs , et dont l'ignorance était notoire, la charge
de chancelier, vacante par la démission de Michel L'Hos-
pital. Les sceaux avaient été provisoirement donnés à Jean
de Morvilliers, évoque d'Orléans, qui n'avait accepté que
dans l'espoir de les remettre à L'Hospital. La qualité d'é-
tranger était un obstacle à ce que Birague exerçât une
grande charge en France; on avait pris la précaution de le
faire naturaliser par Charles IX. Morvilliers ne garda le.t
sceaux que deux ans. La Ligue avait pris une grande con-
sistance; tout était disposé pour l'entière extermination de»
huguenots. MorvilUers n'était plus qu'un obstacle. Il reçut
l'ordre de remettre les sceaux à Birague, et s'estima heu-
reux de quitter un ministère qu'il ne pouvait plus garder
sans se rendre complice des attentats que l'on méditait, et
dont il prévoyait la prochaine exécution. La charge de chan-
celier était avant le règne de François l" une grande ma-
gistrature élective et vraiment nationale; elle était à vie.
Aussi Morvilliers et Birague avaient la garde des sceaux ,
mais non le titre de chancelier. Birague ne prit ce titre qu'a-
près la mort de Michel l'Hospital , en 1573.
Henri III, dévot et libertin, passait sa vie avec ses mi-
gnons et en processions. Il avait, dans un voyage à Lyon,
assisté aune procession de pénitents appelés // agellants .
Il s'était fait initier à ces confréries, et de retour à Paris,
il en avait fondé de semblables. Le 25 mars 1583 la capi-
tale eut le spectacle d'une de ces processions. Birague, alors
chancelier, y parut couvert d'un sac et armé d'une discipline.
Henri III avait cru se concilier le respect public par ces
fastueuses démonstrations, il n'obtint que le mépris. Birague
avait la réputation de savoir se servir du poison pour se dé-
barrasser de ses ennemis ou de ceux de la reine-mère. Lorsque
Henri III, à son passage à Turin, en 1574, eut la folle génér
rosité de promettre au duc de Savoie la restitution des villes
de Pignerol , Savillan et autres, Birague refusa de sceller
les pouvoirs qui devaient autoriser cette remise impolitique;
on le vit aux états de Blois, en 1576, haranguer après
Henri 111. « Le monarque, dit L'Étoile, parla disertement et
fort à propos. » On dit que Jean de Morvilliers avait fait sa
harangue; « mais celle du chancelier fut ennuyeuse et ridi-
cule , car il s'excusa sur sa vieillesse et son ignorance des
affaires de la France. De quoi donc se mêlait-il? ajoute nai-
BIRAGUE — BIREN
233
Tement Mézerai. « 11 enfila, dit-il, un long discours sur la
puissance du roi , lassa tout le monde des louanges de la
reine-mère, et conclut par demander de l'argent, à quoi
on n'était guère disposé. »
Birague, devenu veuf, embrassa l'état ecclésiastique, et
fut nommé é\'^que de Lavaur. Le saint-siége ne fut point
ingrat envers lui , et récompensa ses services par le chapeau
de cardinal. Birague vivait en prince, et sans souci de l'a-
venir. 11 lui eût été facile de se faire donner de gros béné-
fices; il n'y songea pas : le trésor public n'était-il pas celui
des ministres? Mais depuis qu'il avait remis les sceaux au
comte de Chiverny , son successeur , le trésor lui avait été
fermé. 11 n'avait plus qu'une grande dignité ecclésiastique
sans profit. L'autorité royale était pour lui une sorte de culte.
Il répétait souvent qu'il était chancelier du roi, et non pas
chancelier de la France. Envoyé par Henri III au parlement
de Paris pour y faire enregistrer de nouveaux éditsbursaux,
il s'embrouilla dans son discours , et répéta souvent : « Les
impôts demandés sont injustes, mais nécessaires, et tout
le monde sent cette nécessité. » Il s'arrêtait à cette phrase
comme à une idée fixe. S'il eût montré un dévouement aussi
exclusif aux prétentions du saint-siége, il en aurait obtenu
des faveurs, et aurait pu soutenir sa dignité de cardinal.
Quelque temps avant sa mort , il disait qu'il était cardinal
sans titre, prêtre sans bénéfice et chancelier sans chancel-
lerie. Dans le temps de sa prospérité , il avait fait réparer
et avait richement doté l'église Sainte-Catherine du Val des
l-xoliers. On lui devait aussi l'érection d'une grande fontaine
monumentale dans le même quartier. Elle devait perpétuer
son nom ; mais elle fut démolie par la population du quartier,
en haine de son fondateur. Cependant on la rebâtit sur un
nouveau plan en 1627. Le magnifique tombeau qu'il avait
fait élever à Valencia Babiani, son épouse, dans l'église
Sainte-Catherine, avait été respecté : Birague y (ut inhumé.
Le cardinal de Birague mourut à Paris, le 6 décembre 1 583,
âgé de soixante-seize ans ; ses obsèques furent magnifiques ;
le parlement y assista en corps. Il n'avait eu de son ma-
riage avec Valencia Babiani qu'une seule fille, qui fut mariée
trois fois, et mourut dans l'indigence. Depuis la mort de son
troisième époux , elle n'avait vécu que des secours qu'elle
recevait de quelques personnes de la cour qui avaient eu
des relations d'intérêt ou d'affection avec son père.
DuFEY (de l'Yonne).
BIRD-GRASS ( c'est-à-dire herbe d'oiseau, de l'anglais
fcird, oiseau, et grass, herbe ). Cette espèce du genre agros-
tis , de la famille des graminées, est cultivée aux États-
Unis, principalement dans les terrains humides et tourbeux,
où elle produit en abondance un fourrage de bonne qualité.
Des cultures faites pour la propager en France ont très-
bien réussi dans d'autres terrains, môme dans de bons sables
profonds. Malheureusement l'extrême finesse de la graine
et la lenteur du premier accroissement delà plante rendent
difficile le succès complet des semis ; souvent le jeune plant
est étouffé par les mauvaises herbes ; il faudrait alors rem-
placer le semis sur place par la plantation , méthode qui
demande beaucoup trop de soins.
BIREME ( de bis, deux, et ramtts, rame), vaisseau qui
avait deux rangs de rames. Voije::. Galère.
BIREN (Eknest-Jean') , duc de Courlande, né en 1687,
était, à ce qu'on prétend, petit-fils d'un valet d'écurie du
duc Jacques de Courlande, et fils d'un propriétaire courlan-
dais, nommé Biibreu. 11 étudia à Kœnigsberg, et sut par
son élévation rapide faire oublier la bassesse de son extrac-
tion. Son extérieur agréable et son esprit cultivé lui méri-
tèrent les bonnes grâces de la duchesse de Courlande Anne
I wanow na, nièce de l'empereurde Russie, Pierre le Grand.
Lorsque Anne monta sur le trône des c/.ars, en 1730, elle appela
Biren auprès d'elle à Saint-Pétersbourg, malgré l'engagement
qu'elle avait pris de ne point l'amener en Russie, et le combla
U'honneurs. C'est alois qu'il prit le nom cî les armes des
DlCr. Dt LA CO.NVEKS. — T. 111.
ducs de Biron de France , et il ne farda i>as à être l'arbitre
souverain des destinées de la Russie , grâce à l'ascendant
illimité qu'il exerçait sur l'impératrice. Plein d'orgueil et
du caractère le plus despotique, il s'abandonna sans frein
à toutes les passions haineuses qu'il nourrissait contre les
rivaux de son ambition. Les princes Dolgorouki et leurs
amis devinrent ses premières victimes. Plusieurs milliers
d'individus furent mis à mort par ses ordres , et un plus
grand nombre encore frappés d'exil. On assure que l'im-
pératrice se jeta plusieurs fois à ses pieds pour le supplier
d'adoucir sa fureur, sans que jamais prières ni larmes pus-
sent l'émouvoir. On ne saurait contester toutefois que l'é-
nergie de son caractère imprima une activité utile aux dif-
férents rouages administratifs de ce vaste empire.
En 1737 , Anne contraignit les Courlandais à l'élire pour
leur duc; cinq ans auparavant il avait épousé une Courlan-
daise du nom de Treyden et de la famille Trotta. Sur son
lit de mort, l'impératrice , à sa demande, le désigna comme
régent de l'empire et comme tuteur du prhice Iwan encore
mineur, qui devait lui succéder sur le trône. Anne moumt
le 28 octobre 1740, et le régent se comporta d'abord avec
prudence et modération ; mais bientôt une conjuration se
forma contre lui. De concert avec la mère du jeune empe-
reur, le fcld-maréchal Munnichle fit arrêter pendant la
nuit dans son lit , et conduire sans désemparer à la forte-
resse de Schlusselburg , où on instruisit son procès et où
on le condamna à la peine de mort. Mais comme il avait
été impossible de fournir la preuve qu'il eût conçu le projet
de s'emparer du trône pour lui et sa famille, la peine de
mort fut commuée en une détention perpétuelle avec con-
fiscation de ses biens.
On le déporta en Sibérie avec toute sa famille, destinée ,
ainsi que lui , à habiter une prison construite à Pelim , sur
un [)lan qu'avait fourni lui-même le feld-maréchal Mun-
nich ; mais dès l'année suivante , Elisabeth , fille de Pierre
le Grand, étant montée sur le trône par suite d'une révolu-
tion, Biren fut rappelé le 20 décembre 1741 , et Munnicli
alla prendre sa place dans la prison qu'il avait fait biktir à
l'intention de Biren. A Kazan les deux traîneaux se ren-
contrèrent; Munuich et Biren se reconnurent, et continuè-
rent chacun sa route sans échanger une seule parole. Biren
vécut alors avec sa famille , pendant tout le règne d'Elisa-
beth, à laroslaw, et dans les conditions les plus agréables.
A son avènement au trône en 1762, Pierre 111 fit cesser son
exil en même temps que celui de Munnich ; et quand Cathe-
rine II ceignit la couronne impériale, le duché de Courlande
fut restitué à Biren. 11 le gouverna dès lors avec justice et
humanité, et mourut le 28 décembre 1772, trois ans après
avoir abdiqué le pouvoir en faveur de son fils aîné, Pierre.
BIREIM (Pierre), duc de Conriande et de Sagan, comte
du Saint-Empire, fils aîné du précédent, né à INIittau, le 1 5 fé-
vrier 172'*, partagea la disgrâce et la captivité de son père ;
mais en 1762 le tsar Pierre III lui conféra le grade de géné-
ral-major de cavalerie. Son règne ( qui dura du 24 novembre
1769 au 28 mars 1795) fut des plus orageux. Pendant les
années 1784 à 17S6, qu'il était allé passer à l'étranger, il
suigit entre son gouvernement et les états des difficultés
qui l'entraînèrent dans de nombreux procès, qu'il lui fallut
soutenir à Varsovie , et par suite desquels il se trouva con-
traint, le 28 mars 1795, de signer un acte par lequel il céda
en foute souveraineté la Courlande à l'impératrice Catherine,
tout en se réservant pour lui et sa descendance les honneurs
et les privilèges inhérents au titre de prince souverain. U
n'eut point d'enfants de ses deux premières femmes. La
troisième, Anne-Charlotte- Dorothée, comtesse de Medeh
( née le 3 février 1761, morte le 20 août 1821, dans la terre
de Lœbichan, au pays d'Altemburg), femme aussi remar-
quable par su beauté que par la grâce toute particulière »lo
son esprit et par la noblesse de tous ses sentiments, (lu'il--
avait épousée le 6 novembre 1779, lui donna quatre filles,^
M.
234
BIREN — BIRMAN
dont les deux plus jeunes vivent encore : Jeanne, née
le 24 juin 1783, mariée le 18 mars 1801 à François Pignatelli
de Bclmonte , duc d'Acerenza, aujourd'hui veuve; et Doro-
thée, née le 21 août 1793, mariée le 23 avril 1809 à Edmond
de Talleyrand-Périgord , duc de Talleyrand et duc de Dino
en Calabre, créée duchesse de Sagan par investiture royale,
le G janvier 1845.
Après son abdication , le duc Biren de Courlande vécut
tantôt à Berlin, tantôt dans ses terres, la principauté de Sagan,
achetée eu 178C au prince Lobkowitz, et le domaine de Na-
chod, acheté en 1792 ; il mourut le 12 janvier l800,àGellenau
en Siiésie. Il fut la souche de la famille de Biren-Sagan,
tandis que son frère , Charles-Ernest de Biren, né le 30
septembre 1728, fils cadet du duc Ernest-Jean, fonda la
ligne de Birfn-Wartenberc. Celui-ci mourut le 10 oc-
tobre 1801, laissant deux fih. — L'aîné, le prince Gustavc-
Calixte de Biren, né le 29 janvier 1780, avait d'abord été
destiné par Catherine II à devenir un jour duc de Courlande.
Quand ce duché eut été incorporé à l'empire de Russie, il
fut nommé oflicier dans la garde impériale et chambellan.
Plus tard il entra au service de Prusse, et acheta en 1802 la
seigneurie de Warteniberg, située en Siiésie. Après avoir
pris part aux dernières campagnes des coalisés contre la
France, il mourut le 20 juin 1821, avec le grade de lieutenant
général et le titre de gouverneur de Glatz. Sa femme , fille
du comte de Maltzan, lui avait donné trois fils : Calixte,
prince de BikexN-Courlande, né le 3 janvier 1817, proprié-
taire des seigneuries de Polnisch-Warteniberg et delMielecin ;
Charles, né le 13 décembre isll , mort le 21 mars 1848,
auteur d'un ouvrage sur le nouveau système de prisons
(Breslau, 1847), et Pierre, né le 12 avril 1818 , olficier au
service de Prusse.
BIRIBI, nom d'un jeu de hasard, qui nous est venu
d'Italie, et dont les instruments sont un grand tableau qui
contient soixante-dix cases numérotées, et un sac dans le-
quel sont soixante-dix petites boules , contenant chacune
un numéro du tableau. Chaque joueur tire à son tour une
boule du sac , et si le numéro du billet répond à celui de
la case du tableau sur laquelle il a mis son argent, le ban-
quier lui paye soixante-quatre fois sa mise. On conçoit que
l'avantage du banquier est toujours de 6 sur 70. Le biribi
n'est autre chose que la loterie en miniature.
BlUKADEJVl, village de la province d'Alger, créé
spontanément par la population, vers 1841 , dans le Fàhs
ou banlieue d'Alger, autour de la belle fontaine de Birka-
dem. L'administration est resiée étrangère à cette œuvre
des colons , dont l'industrie toute seule a su ériger ce vil-
lage. 11 a suffi d'en régulariser le développement par un plan
d'alignement. On a aliéné les terres que le domaine y pos-
dait ; on y a construit une église, un presbytère, une école
et une caserne de gendarmerie. La route d'Alger à B 1 i d a h ,
qui traverse Birkadem, lui donne de l'importance ; les Maures
y possèdent des vignes superbes , dont ils ont un soin par-
ticulier.
BIRKEIV (SiciSMOND de) , poète allemand du dix-sep-
tième siècle , qui , avant d'être anobli , s'appelait Betulhis ,
naquit en 1626, à Wildenstein , près d'Eger, où son père
était pasteur protestant. A Nuremberg, où il était venu s'é-
tabfir avant même d'avoir complètement terminé ses études
académiques , les conseils d'Harsdœrffer et de Klaj donnè-
rent une sage direction à ses remarquables dispositions
poétiques, et bientôt il fut admis dans la célèbre société litté-
raire dite Ordre des Fleurs. Chargé en 1646 et 1647 de
l'éducation des deux fils du duc Auguste de Brunswick-
Wolfenbuttel, Antoine- Ulrich et Ferdinand-Albert , et
plus tard de celle d'une princesse de Mecklembourg, il revint à
Nuremberg, où se tenait une diète impériale chargée de pour-
voir à l'exécution de la paix de Westphalie. Le prince Oc-
tave Piccolomini l'ayant prié de composer un poëme sur
celte circonstance, il s'acquitta de cette tAclic avec tant de
bonheur, que l'empereur Ferdinand III, pour lui témoigner
sa satisfaction, lui accorda des lettres de noblesse. En 1658
VOrdre des Fleurs \e nomma, à la moit de Harsdœrffer,
président des bergers de la Peignitz, honneur littéraire
auquel il ne laissa pas que d'être très-sensible , quoique la
grande joie de sa vie fût l'amitié qu'avait conservée pour lui
son ancien élève le duc Antoine-Ulrich de Brunswick, qui lui
demeura tendrement attaché jusqu'à sa mort, arrivée, à Nu-
remberg, le 16 juin 1681.
Birken s'essaya, à diverses reprises, dans le genre drama-
tique, et composa quelques-unes des pièces allégoriques qui
faisaient alors le fonds obligé de toutes les grandes fêtes ou
cérémonies. Il y fait preuve d'un vrai talent , de même que
dans ses poésies lyriques, qui brillent par l'imagination et le
sentiment, bien qu'une certaine afféterie pédantesque trahisse
tout de suite l'école à laquelle appartenait l'auteur.
Cet écrivain n'occupe pas une place moins distinguée
dans l'histoire de la prose allemande. Son Miroir des Gloires
de la maison d'Autriche , ouvrage composé par ordre de
l'empereur Léopold 1*"^, est resté , en dépit des entraves de
tout genre imposées à l'auteur par le cabinet de Vienne, un
des bons ouvrages historiques allemands du dix-septième
siècle.
BIRKEIVFELD, principauté faisant partie du grand-
duché d'Oldenbourg, auquel elle a été adjugée en vertu
des stipulations du congrès de Vienne , et par un traité
conclu à Francfort, le 8 avril 1817, avec la Prusse, à titre
d'indemnité de territoire, comme compensation de divers
arrondissements faits à ses dépens par le Hanovre et la
Prusse. Elle est située dans le ci-devant département français
de la Saar, et compte une population d'environ 30,000
âmes. Cette enclave est bornée au nord par le grand bail-
liage hessois de Meisenheim , et renfermée de tous les autres
côtés dans les cercles prussiens de Trêves et de Coblentz.
La superficie totale de la principauté de Birkenfeld, dont le
territoire s'étend entre le Rhin, la Saar et la Moselle, est
d'environ 7 à 8 myriamètres carrés , et est divisée en trois
bailliages : Birkenfeld, Oberstein et Nohfelden. Malgré la
présence d'un grand nombre de forêts, de montagnes et de
rochers , la bonne terre arable n'y lait pas défaut , et on y
cultive même la vigne. Cependant la culture des céréales n'y
donne pas des produits en rapport avec les besoins de lu
population. Sous le rapport religieux , la principauté est di-
visée en douze églises luthériennes, deux églises réformées,
et sept cures catholiques placées sous l'autorité hiérarchique
d'un doyen et relevant de l'évêché de Trêves. Birkenfeld ,
ville de 2,900 habitants, chef-lieu de la principauté, est
située au centre même du pays.
BIRMAN (Empire) ou BIRMANIE, l'empire des 3/ran-
mas, ainsi que s'appellent eux-mêmes les habitants de
cette contrée, est le pays le plus important et le plus vaste
de la Péninsule indienne, dont il couvre la quatrième partie.
On ne possède encore que des renseignements fort incom-
plets sur son état intérieur; et il n'y a guère que les rap-
ports récents des Anglais avec les Birmans , l'ouvrage de
San-Germano et les recherches de Crawfurd qui aient jeté
quelque lumière sur ces régions. Ses limites sont au
nord les contrées montagneuses et inconnues du Sive-
Schân et du Bor-Khamti; à l'est, les frontières occiden-
tales de la province chinoise de Younnan, et le Salouan ou
Thalouan, cours d'eau qui les sépare du royaume de S i a m ;
au sud , le golfe de Martaban , et à l'ouest les chaînes de
l'Arakan et les frontières assez mal déterminées du pays de
Kadjar. Ce n'est qu'approximativement qu'il est possible
de préciser la superficie comprise entre ces diverses déli-
mitations, c'est-à-dire entre le 16" et le 24" de latitude sep-
tentrionale; et nous l'évaluerons ici à 5,500 myriamètres
carrés, dont 4,400 pour l'empire Birman et 1,100 pour les
différents territoires qui en relèvent plus ou moins direc-
tement. L'empire Birman proprement dit n'en comprend
BIRMAN
d'ailleurs que le quart , puisqu'il faut encore citer comme
faisant partie «le l'enstniiblc <l<^signt5 sous cette dénon.i-
nalinn générale le pays de Koscliàn-Pri ou Kasi-Chàn
et (le Mrelap-Cliàn, placé dans des rapports de sujétion
médiate, les parties de Cassay ou Moitay, l'Io-Pri au nord,
le Pégu, et les derniers débris de Martaban au sud, et,
comme provinces défensives et tributaires, les territoires
des Bor-Khamti, de l'Albors et du Mischmis au nord, et
Kliiaen ainsi que Kongkys au nord-onest , vers les sources
de l'Arakan.
Toute cette vaste contrée n'est, à bien dire, que le bassin
de rirawaddi, qui au-dessous d'Ava reçoit à sa droite
le Kienduen, et à sa gauche alimente le Panlaun, cours
d'eau qui dans un immense delta forme divers embranche-
ments, tant avec le lleuve principal qu'avec le Setaîig ou
Zittang et avec le Solouan. A partir de l'extrémité du del-
ta du Pégu, dont les contours indécis s'élèvent au-dessus
des eaux du golfe de Martaban , toujours soulevées et bat-
tues par la tempête, le territoire de l'empire Birman forme
au nord une succession déterrasses de plus en plus hautes.
L'étranger qui arrive par le midi est frappé de surprise à
l'aspect d'un sol bas et plat, où la terre et l'eau semblent en
lutte continuelle. Il découvre , entre les deux grandes em-
bouchures de rirawaddi, celle de Bassein à l'ouest, et celle
de Rangoun à l'est, un grand delta de i75 myriamètres car-
rés, dont la superficie se trouve encore doublée si on la
prolonge à l'est jusqu'au Salouan. C'est un territoire plat, à
peu près complètement inondé, couvert dans presque toutes
les directions de veines d'eau, de lagunes, de lacs et de fo-
rêts marécageuses; patrie amphibie des peuplades du Pégu,
dont le chef-lieu, la ville de Pégu, se mire dans les im-
menses plaines liquides qui l'entourent; dépassant le delta
du Xil par l'importance naturelle et par l'ampleur des pro-
portions, mais non sous le rapport des grands et imposants
souvenirs historiques qui s'y rattachent.
A l'extrémité septentrionale de ces basses terres s'élève
insensiblement, entre les rives du Sétang et celles de rira-
waddi, un pays de montagnes désigné sous la dénomination
générale de plateau de Pégu , servant comme de transition
au cours moyen de rirawaddi, que l'on peut suivre depuis
son point de partage jusqu'à Bahmo, où il commence à de-
venir navigable. Cette gradation moyenne comprend, dans la
courte vallée transversale qui se dirige de l'ouest à l'est ,
d'importantes plaines cultivées où s'élèvent de grandes villes.
Cette vallée est bordée de hautes contrées montagneuses
<;onduisantau plateau s*ipérieurdunord, pays encore presque
complètement inconnu, et où des pics couverts de neiges
éternelles protégeront probablement pendant longtemps la
virginité d'un sol que le pied de l'homme u'a point encore
foulé. ApartirduLang-Tau (l'un des contreforts du système
del'Hiiaalaya du côté du sud-ouest), s'étendent dans la
direction du méridien des montagnes parallèles qui sépa-
rent rirawaddi des fleuves voisins, à l'est les montagnes de
la Binnanie et du pays de Siam , à l'ouest les montagnes de
l'AraUau. Les unes et les autres enserrent à l'aide de leurs
nombreuses ramifications le territoire de l'empire Birman, et
elles le diviseraient orographiquement si le système de rira-
waddi n'en faisait point une unité hydrographique. Les phé-
nomènes naturels de l'empire Birman présentent tous le ca-
ractère particulier à l'Inde orientale. Dans les hautes icgions
montagneuses du nord dominent les froids rigoureux qui
sont le propre de tous les pays élevés, offrant ainsi le con-
traste le plus frappant avec la douce et bienfaisante tempé-
rature qui règne dans les vallées profondes et abritées du
centre, tandis que la chaleur ardente, étouffante de l'Inde,
règne au midi dans les basses terres.
L'empire Birman abonde en forêts où l'on trouve les plus
belles et les plus dures espèces d'arbres qu'il y ait dans
l'Inde. Le magnifique bois de teak , entre autres, constitue
un de SCS principaux articles d'exportation. On y récolte
toutes les céréales de l'Inde, notamment le riz , principale
alimentation des populations, les plus beaux, fruits des tro-
piques, la canne à sucre , l'indigo, le coton , les épices , li»
tabac et jusqu'au thé dans les vallées du nord. On y ren-
contre le rhinocéros et le tigre royal de l'Indoustan. L'élé-
phant s'y développe dans toute sa force, et y fonctionne
comme animal domestique concurremment avec le boeuf, le
buffle et le cheval. On y élève les grasses volailles de l'Inde,
le ver à soie et l'abeille ; on y pêche tous les poissons par-
ticuliers à l'Inde. Si le mouton y manque, en revanche , le
chakal, le loup et l'hyène y font aussi défaut. Les mines,
exploitées par des Chinois, produisent d'immenses richesses.
Outre l'or, l'argent, le fer, le plomb, le cuivre et autres
métaux, indépendamment aussi des plus magnifiques dia-
mants, oa y trouve encore du platine, depuis que ce métal
y a été découvert en 1830 par le marchand anglais Lane.
Le sol, fréquemment ébranlé par des tremblements de terre,
fournit en abondance du soufre et du pétrole.
La Birmanie est habitée par plusieurs nations différant
sans doute entre elles par les mœurs, la langue et la religion,
et cependant réunies au total par un type commun qui les
place à une distance égale des Indous et des Chinois. Elles
sont bien en arrière de ces deux peuples sous le rapport do
la civilisation, aussi bien au point de vue intellectuel qu'au
point de vue industriel. Des étoffes de soie et de coton, des
verreries et des porcelaines, tels sont les principaux objets
que leur industrie manufacturière founiit au commerce
d'exportation. Les Birmans sont d'ailleurs d'habiles tisse-
rands, et ils font preuve d'une adresse peu commune dans
la fabrication de leurs œuvres de sculpture , des idoles de
marbre, par exemple , qui constituent un article d'exporta-
tion, et aussi dans leurs travaux d'or et d'argent. Us font
avec la Chine un commerce très-actif, que facilite l'Irawaddi,
dont les rives sont bordées de populeuses cités.
La noblesse se dislingue des autres classes de la popula-
tion par ses vêtements, ses habitations et ses ameuble-
ments. Elle est aussi divisée en diverses classes hiéiarchi-
([ues, et le souverain, dont l'autorité est illimitée, la consulte
cependant dans les atTaires importantes.
Le colonel Symes, envoyé en ambassade à la cour d'Ava ,
en 1795, à la suite de la conquête de l'Arakan par l'An-
gleterre , estima le chifi're total de la population à 14 millions
d'âmes. Trente-deux ans plus tard, Crawfurd , autre ambas-
deur anglais, ne l'évaluait plus qu'à 4,500,000 âmes. Si alors
on accusa la relation du colonel Symes d'exagération , sans
tenir compte de ce q'.ie les rigueurs et les extravagances du
despotisme, jointes aux autres causes dévastatrices dont
l'action est quelquefois si terrible dans les régions équato-
riales de l'Asie, avaient pu détruire depuis 1795, il semble
qu'à son tour Crawfurd ait donné dans l'exagération con-
traire, et que son évaluation soit trop faible. En effet , la
superlicie de l'empire Birman, réduit aux royaumes d'Ava
et de Pégu , équivaut au moins à la moitié de la France ;
en sorte que sa population ne serait guère que le quart de la
population moyenne de nos départements , ce qui est peu
vraisemblable, car tout semble concourir à multiplier les
habitants de la Birmanie : la terre y est si fertile, et l'homme
y consomme si peu !
A va est la résidence de l'empereur, qui jouit du pouvoir
despotique le plus absolu. Nulle part l'orgueil du despotisme
asiatique ne s'est montré avec autant d'arrogance que sur
le trône des Birmans. Voici, d'après Crawfurd , le protocole
officiel des titres de l'empereur : « Des lieux où le soleil
se lève, et de la contrée orientale nommée Chabuda, le
maître de la terre et des eaux , l'empereur des empereni-s
( et si l'un d'eux était assez insensé pour oser l'attaquer,
mieux vaudrait pour lui que le feu du ciel l'eût anéanti) ; le
seigneurie plus humain et le plus heureux , l'espoir de tontes
les nations, le possesseur des éléphant? , des chevaux et de
tous les héros , roi du palais d'or , le plus grand et le plus
oJ.
23G
BIRMAN
puissant des souverains , le seul dont les pieds dorés repo-
sent sur la tête du peuple. »
Les Birmans se rendirent indépendants du Tégu au sei-
zième siècle. Mais en 1740 ils furent de nouveau subju-
gués par cet État; et ce ne fut qu'en 1753 qu'ils recouvrè-
rent leur liberté, à la voix d'Alompra, chef courageux qui
les appela aux armes, délivra Ava et conquit même le
Pégu. A sa mort, arrivée en 1760 , il eut pour successeur
son fils Namdodji , qui continua l'œuvre d'amélioration in-
térieure commencée par son père. Vers la fin du dix-hui-
tième siècle, Arakan, et même en 1793 une partie du
royaume de Siara , furent subjugués par les Birmans. Min-
deraschi Praou, qui monta sur le trône en 1819 et mourut en
1832, fit la conquête des contrées montagneuses et septen-
trionales qu'on appelle l'Assam. Il en résulta qu'une par-
tie des vaincus, faisant cause commune avec des Birmans
révoltés, se réfugia sur le territoire britannique, d'où elle fit
d'incessantes incursions dans l'empire Birman. Le gouver-
nement anglais les fit désarmer , mais refusa de les livrer ou
de les expulser de l'île de Cliapouri , où ils s'étaient fixés.
Les Birmans s'efforcèrent alors d'exciter les Mahrattes et
tous les peuples de l'Inde à prendre les armes contre l'An-
gleterre. Ils en vinrent à exiger que celle-ci leur abandon-
nât la partie septentrionale du Bengale, et en 1824 ils en-
vahirent le Kadjar , pays qui s'était placé sous la protection
britannique. Lord Amherst , alors gouverneur général , com-
prit la gravité des dangers qui menaçaient la puissance an-
glaise dans l'Inde, et déclara la guerre aux Birmans. Elle
fut conduite par le général-major Archibald avec un succès
tel, qu'au mois de décembre 1825 les Birmans étaientréduits
à accepter une paix désavantageuse. La cour d'Ava ayant
refusé de sanctionner le traité conclu 'en cette occasion , la
lutte recommença dès le mois de janvier 1826; mais ce
ne fut que pour un mois : les Birmans durent cette fois
se courber sous la nécessité. Le gouveinement birman
prit l'engagement de céder à la Compagnie une grande par-
tie de son territoù-e , l'Assam entre autres , et lui reconnut
le droit de nommer des chefs chargés d'administrer sous ses
ordres les régions du nord, déclarant port franc Rangoun,
importante ville commerciale. De nouvelles difficultés se
sont élevées dans ces derniers temps entre les Birmans et
la Compagnie des Indes, et dans ce moment même une armée
anglaise envahit le pays d'Ava. Déjà Martaban, Rangoun et
Kemmendine sont tombées au pouvoir des Anglais (5 et 12
avril 1652). Consultez Symes, ^ccomw^ ofan embassy to
ihe kingdom of Ava (Londrc?, , 1800); Snodgross, iN'flrra-
tive of ihe Burmcse war (Londres, 1827); Crawfurd,
Journal of an embassy from the governor in India to
the court of Ava in theyear 1826-1827 (Londres, 1829);
et surtout A Description of the Burmese (Rome, 1830),
par le père San-Germano.
[En 1827, lorsque sa majesté aux pieds dorés fut con-
trainte à se soumettre aux conditions de paix qui lui avaient
été imposées à Yamtabo, ville de ses États occupée par
l'armée anglaise, M. Crawfurd fut chargé par le gouver-
neur général de se rendre à la cour d'Ava, et de faire ac-
cepter un traité de commerce, en exécution du traité de
paix qui mettait enlie les mains des Anglais ime grande
partie du pays, les côtes dans toute leur étendue, et par
, conséquent toutes les places de commerce maritime, outre
le tribut annuel que le monarque birman devait payer.
Le traité de paix d'YamIaho avait été conclu à 48 kilom.
delà capitale, en présence d'une armée victorieuse prête à
couronner sa conquête par l'incorporation de toute la Bir-
manie aux possessions anglaises ; mais sa majesté aux pieds
dorés n'en tenait pas moins à l'observation scrupuleuse de
l'étiquette de sa cour. Mille chicanes furent faites à M. Craw-
furd, parce qu'il avait choisi pour son logement à Ava une
maison plus élevée que le palais impérial. D'autres scrupules
sur les formalités interrompaient souvent les discussions les
plus importantes; toutes les clauses du traité de co.nmcrc»
furent débattues par les négociateurs birmans avec une obs-
tination dont le plénipotentiaire anglais eut souvent à se
plaindre. De vingt-deux articles qui composaient le projet
qu'il avait apporté, il ne put en faire admettre que quatre;
encore furent-ils tronqués et rédigés d'une manière incom-
plète. Il crut cependant devoir pousser la complaisance aussi
loin qu'il était possible sans compromettre les intérêts qui
lui étaient confiés : il savait que les ministres birmans
tomberaient dans la disgrâce de leur maître , et cette dis-
grâce est ordinairement suivie du supplice. Les courtisans
avaient persuadé au monarque que l'ambassadeur anglais
était chargé d'implorer la clémence de Sa Majesté, de désa-
vouer les victoires remportées par les armées de sa nation,
de restituer les provinces conquises, de le décharger du
tribut stipulé par le traité d'Yamtabo , en un mot de tout
remettresur l'ancien pied. Lorsque le résultat des conférences
lui fut présenté, il se mit en fureur, accusa ses ministres
de haute trahison, et, la lance à la main , sortit pour punir
lui-même ces grands coupables.
Les Birmans seraient les meilleurs soldats de l'Asie s'ils
étaient exercés à l'européenne , et organisés suivant les prin-
cipes d'une tactique moins ignorante que celle des Asia-
tiques. Le simulacre d'empereur que les Anglais ont laissé
sur le trône d'Ava , pour le malheur de son peuple , n'entre-
tient plus d'autre force militaire que celle qui est indispen-
sable pour sa garde , la police des villes et la perception des
impôts. La cavalerie est peu nombreuse, quoique son ser-
vice soit le plus actif et le plus utile.
Quoique la Birmanie ait été entourée dans tous les temps
de voisins industrieux, les arts utiles y ont fait moins de
progrès que dans aucune autre contrée de l'Asie méridionale.
Le faible Hindou sait tirer plus de produit de ses rizières
que le robuste Birman , quoique la nature ait tout fait en
faveur de celui-ci. Quant aux arts exercés par les hommes,
ils se sont arrêtés à ce que les besoins exigent en tout cfe
qui est d'un usage commun , et n'ont reçu quelque perfec-
tionnement que pour ce qui a trait au luxe.
Les sciences et les lettres n'ont pas été moins négligées
que les arts utiles; et cependant presque tous les Birmans
savent lire , écrire et compter, sorte de contradiction qui ne
peut être expliquée que par la funeste influence du despo-
tisme. Pour écrire on se sert généralement de feuilles de
palmier, et on emploie à cet effet des styles de fer. Peu de
livres sont rédigés en langue birmane : la littérature de ce
pays consiste principalement en chansons , hymnes religieux,
chroniques envers, compositions confiées à la mémoire, et
qui peuvent être conservées sans qu'on les écrive. Le
théâtre , où le discours alterne avec la danse et la musique,
constitue l'un des divertissements principaux de ce peuple.
La langue birmane est un mélange de chinois et de pâli ;
le bouddhisme mêlé de quelques dogmes hindous est la re-
ligion dominante du pays.
Une (les croyances de ce peuple e-.l, en quelque sotte,
le système des compensations, agrandi et généralisé. L'uni-
vers, dit-il, est rempli, de toute éternité, d'âmes qui s'u-
nissent aux corps vivants, et qui durant ces réunions suc-
cessives éprouvent une somme de biens et de maux
inégalement répartis dans le temps, mais qui est la môme
pour toutes, suivant la loi d'une justice immuable. Une âme
qui aurait traversé des siècles de félicité constante devrait
s'attendre à des souffrances d'une aussi longue durée. Celle
qui jouit des faveurs célestes éprouvera plus lard les tortures
de l'enfer; mais, pour chaque âme, cette existence mêlée
de douleurs et déplaisirs a un terme que chacun atteint plus
ou moins promptement, pour aller habiter un monde doré
où elle jouit d'un calme parfait. Cette croyance, comme on
voit, porte plutôt à la résignation qu'à la vertu ;«ie despo-
tisme s'en accommode très-bien, et ne s'avisera pas de la rem-
placer par des opinions plus conformes à la raison et plus
BIRMAN — BIRMINGHAM
237
favorables à la morale. Les prêtres sont des espèces de
moines qui habitent des couvents , ne mangent qu'une fois
par jour, font vœu de célibat et de chasteté , et jouissent
d'une grande considération, à cause de leur piété et de leur
savoir.
Les Anglais établis dans l'Hindoustan attachent beaucoup
«te prix à la conquête de la Birmanie; ils pensent que leurs
établissements dans la rade de Marlaban , joints à celui de
Singapore, dont la prospérité va toujours croissant, leur as-
sureront le commerce de la Chine , en dépit des efforts de
toutes les nations rivales. La rade de IMartaban est assez
vaste pour contenir à la fois toutes les flottes de la Grande-
Bretagne. Trois fleuves, leSaluan,le Kaïn etl'Ataxum, y
portent leurs eaux , après avoir formé un grand lac semé
d'Iles verdoyantes, et se réunissent sous les murs de la ville.
Le cours entier de l'Ataxum est sur le territoire ancienne-
ment acquis par les Anglais ; c'est le moins large, mais le plus
profond des trois, et les vaisseaux peuvent le remonter jus-
qu'à quatre-vingt-dix kilomètres de son embouchure. Ses
bords sont tellement escarpés et chargés d'une végétation
si luxuriante, que les vaisseaux, ayant toutes leurs voiles
déployées, peuvent y manœuvrer sous des berceaux de
verdure. Des forets s'étendent au loin sur ses rives , et sont
remplies de bois propres aux constructions navales. Le
Saluan, fleuve mitoyen, est aujourd'hui l'une des limites
du territoire concédé. Quoique tout son bassin soit d'une
admirable fertilité, il était presque entièrement inhabité;
mais dès que la cession en fut connue dans les pays ad-
jacents, des familles birmanes traversèrent le fleuve par
centaines avec leurs bestiaux et leur mobilier, et vinrent s'é-
tablir sur la rive opposée. Des lois très-sages leur garantis-
sent une sécurité, une liberté, un bonheur, dont elles
n'eussent point joui sous le sceptre de sa majesté aux pieds
dorés.
A l'imitation de sir Stamford Raffles, qui a formé le bel
établissement de Singapore , M. Crawfurd a fondé la ville
d'Amherst, dans une ciiarmante position, sur un cap qui do-
mine la rade de Martaban. Celte ville nouvelle est destinée
à devenir l'entrepôt d'un commerce très-important et la
succursale de l'établissement de Singapore.
La Birmanie n'offre d'autres objets nouveaux aux natu-
ralistes qu'une espèce de perruche qui n'est pas plus grande
qu'un moineau, dont la tête, le dessus du cou, le dos et le
dessus des ailes sont d'un beau vert, ainsi que le dessus
de la queue , tandis que le dessous des ailes est d'un bleu
brillant, et tout le reste du plumage du plus beau cra-
moisi. Ce gentil oiseau ne peut être une acquisition pour
l'Europe; il ne supporte pas la captivité. On doit aussi faire
mention des sources de pétrole duRenan-Khyaung, les plus
abondantes que l'on connaisse, dont le produit suffit à l'é-
clairage de tout l'empire, et dont on enduit les bois de
charpente pour les préserver des attaques des insectes. Ces
sources ou puits occupent un espace de plus de 5 kilom.
carrés; leur profondeur moyenne est d'environ 65 mètres,
et leur ouverture n'a pas plus d'un mètre et demi carré.
L'huile qui en sort est recueillie dans des bassins dont le
fond est un tamis qui laisse passer l'eau , tandis que le pé-
trole se coagule en se refroidissant. On l'extrait des bassins
pour la mettre dans de grandes terrines que l'on transporte
sur des chariots jusqu'aux bords de l'Irawaddi, oii des ba-
teaux s'en chargent pour la" distribuer dans tout l'empire.
M. Crawfurd estime que le produit annuel de ces deux
sources s'élève à 466,552,000 livres d'huile.
Comme le climat de cette contrée est très-humide, les
'nsectesy abondent et sont fort incommodes. Six à sept se-
maines avant la saison des pluies , la lumière des apparte-
ments attire des légions de fourmis ailées, de punaises
vertes et d'une multitude d'autres insectes qui couvrent les
tables, les meubles, les personnes. Les Birmans font pro-
vision de fourmis ailées, comme d'autrC'? peuples de l'Asie
profitent de l'arrivée des sauterelles. C'est une manne que
la Providence leur envoie; mais en Birmanie les fourmis
ailées sont un luxe gastronomique, et non un aliment popu-
laire. On dit que certains gourmets européens trouvent co
mets délicieux , et leur jugement est sans appel.
Un autre fléau de ces contrées , c'est la multitude pro-
digieuse de corneilles, qui , perchées sur les arbres , les ro-
chers, les édifices, vous étourdissent par leurs cris, et y guet-
tent sans cesse l'occasion de piller. La poule la plus vigilante
ne réussit point à en préserver ses poussins. Si ces brigands
ailés s'introduisent dans une maison , ils n'y laissent que ce
qu'ils ne peuvent emporter. Laisse-t-on les fenêtres ou-
vertes pendant que l'on est à table, des corneilles viennent
enlever effrontément ce qu'il leur convient , sans être ef-
frayées par le nombre des convives. Ces incommodités,
jointes à l'insalubrité du climat pour les Européens , sont
un grand obstacle à la prospérité des établissements qu'on
y formera, jusqu'à ce qu'on puisse les peupler de créoles
acclimatés. La race vigoureuse des Birmans prouve que
cette acclimatation est possible, et môme facile; ces peu-
plades, sorties de régions extrêmement sèches, jouissent
aujourd'hui de la santé la plus florissante dans un pays
où pendant la saison des pluies on ne peut quitter une
paire de bottes sans l'exposer h pourrir en peu de jours.
La bonne constitution des Birmans est surtout remarquable
aux environs de Tavoi, contrée plus humide qu'aucune
autre partie de la presqu'île de l'Inde. Le teint de ces i)cu-
ples est moins basané que celui des Hindous, et ils esti-
ment beaucoup la blancheur des Européens. Lorsque des
dames anglaises arrivèrent pour la première fois à ïavoi ,
les habitants de cette ville les prirent pour des anges des-
cendus du ciel, et ne furent désabusés que lorsqu'ils virent
que ces créatures étaient soumises aux besoins et aux infir-
mités de la nature humaine. Ferry.]
BIRMINGHAM, après Manchester la plus impor-
tante cité industrielle de l'Angleterre, à environ 130 kilo-
mètres de Londres, est située dans la partie nord-ouest du
comté de Warwick et bâtie sur les flancs d'une suite de
collines longeant les bords de la Nea , et dominant une vaste
plaine. Quoique cette ville , désignée dès le commencement
du quatorzième siècle comme bourg à marclié, ait eu de
bonne heure une certaine importance, puisque Henri Vlil
et Guillaume III y faisaient fabriquer des armes à feu , ot
qu'elle était déjà aussi célèbre pour la fabrication du fer et
de l'acier que pour celle du cuir, elle est surtout redevable
de son immense prospérité actuelle à John Watt et à Boul-
ton, qui y firent leur premier essai de construction d'une
machine à vapeur; invention puissante, qui ne contribua pas
peu à l'immense parti que l'industrie put bientôt tirer de>
inépuisables mines de houille et de fer situées aux environs.
En 1700 on ne comptait encore à Birmingham que 15,032 ha-
bitants. En 1801 le nombre en était de 73,670, en 1831 de
146,986, et en 1841 de 182,092. Il doit très-certainement
dépasser aujourd'hui le chiffre de 200,000. Le bill de la ré-
forme parlementaire, rendu en 1832, a donné à cette impor-
tante cité le droit d'être représentée au parlement, dont jus-
qu'alors elle était demeurée privée, en même temps qu'une
loi absurde en investissait les bourgs -pourris, composes
souvent d'une douzaine de masures au plus, appartenant à
un seul et môme propriétaire :
L'aspect de Biruiinghani est au total assez peu agréable,
surtout dans les parties vieilles et basses. Les maisons sont
construites en briques d'un rouge foncé , que jamais on ne
cherche à dissimuler à l'aide du badigeonnage; de sorte que
la ville a une physionomie triste et monotone, qu'accroît
encore la fumée de machines à vapeur qui s'échappe in-
cessamrnent d'innombrables cheminées. On y voit vingl-
deux églises et chapelles, parmi lesquelles il faut cilcr
surtout, à cause de sa belle architecture, l'église Saint-Phi-
lipjjc, située sur le point culminant de la ville; deux syna-
•238
gogiies.deux écoles de Bell etLancaster , indépendam-
ment de plus de six cents établissements d'instruction de
tout genre destinés à l'éducation du peuple; deux biblio-
thèques, contenant environ trente mille volumes; de remar-
quables institutions de bienfaisance; un beau palais pour
les sessions du comté; un théâtre; un magnifique liôpital,
construit de 1776 à 1778, uniquement avec le produit de
souscriptions volontaires; un hôtel de ville aux proportions
grandioses, construit sur le modèle du temple de Jupiter
Stator à Rome et entouré ile colonnes, et sur la place du
marché une statue en bronze de Nelson , indi'pemlamment de
laquelle il faut encore mentionner le monument élevé à la
mémoire de John Watt. De môme que la ville ne se com-
pose que de vastes édifices publics et de maisons particu-
lières très-petites, sa population se divise en deux classes
bien distinctes : celle des patrons et celle des travailleurs ,
qu'on ne peut pas évaluer à moins de 60,000 âmes.
La plaine que domine la ville offre l'aspect d'une stérilité
profonde. Le sol en est entrecoupé par des mines de houille.
Les routes qui la traversent sont pav^^es de scories et comme
ensevelies sous une poussière noire, qui , s'attachant aux vê-
tements, au linge et à la peau des habitants, donne à leur
extérieur quelque chose de cyclopécn. Aussi l'a-t-on sur-
nommée la plaine des Cyclopes. Mais des fosses énormes
qu'on rencontre là de distance en distance, Birmingham tire
le puissant mobile qui donne la vie à ses machines , le char-
bon , ou plutôt la vapeur dont il est le principe.
Birmingham est le grand centre de la fabrication des ar-
ticles de quincaillerie fine et commune, des boutons , boucles ,
éperons, épingles, covjteaux, ciseaux, aiguilles, objets de
laiton , articles de bijouterie, objets en laque, verroteries
de couleur, etc. , dont on estimait déjà la valeur annuelle au
commencement de ce siècle à plus de 3 millions de liv. sterl. ;
industrie spéciale, dont tous les produits sont marqués au
coin du bon goût et de l'élégance. Aussi Burke a-t-il eu rai- i
, son de dire de cette ville que c'était le magasin de joyaux j
de l'Euroiie ( the toij-shop nf Europe ). Parmi les usines les |
plus importantes qu'elle renlerme, il faut citer : VEtking- 1
ton's electro-plating-manufacture , la Britannia nail-
inanujaciure,q[n consomme quarante-deux tonnes de fer
par semaine, et livre à la consommation des clous dont il |
faut six mille pour peser un demi-kilo ; la belle manufacture !
de papier mâché de Jennens et Bettridgc, qui emploie plus |
de deux cents ouvriers, et surtout des jeunes filles ; la grande [
fabrique de boutons de Turner et Comp'«; la fabrique d'é- 1
pingles de Pbipson et fils, enfin parmi les énormes manu- I
factures d'armes à feu, celle de Seigeant et Comp'*, qui peut !
livrer à elle seule mille fusils par semaine. [
Dans le voisinage, mais déjà dans le comté de Stafford , î
on trouve Soho , gros bourg industrieux , remarquable par ;
les ateliers que Watt y créa pour la construction des ma- !
chines à vapeur, qu'on établit de la force de six à quatre i
cent cinquante chevaux, surtout pour les navires, et qu'on ;
expédie au loin , grâce à un canal qui passe devant cet endroit. ■
On y voit aussi une immense fabrique d'objets en laque, ainsi {
qu'un vaste établissement de monnayage mù par la vapeur,
qui est chargé de frapper la monnaie de cuivre circulant en
Angleterre et celle que la compagnie des Indes émet dans
l'Inde. 11 n'y avait encore là en 1764 qu'une plaine aride et
déserte ; mais comme tous les environs, cet endroit a parti-
cipé aux développements énormes de Birmingham.
Birmingham , à la vérité, n'est pas bâti sur un cours d'eau
navigable qui puisse faciliter l'exportation des immenses
produits de son industrie; mais des canaux, notanunent le
canal de Worcester et celui qui porte son nom , la mettent ,
en communication avec HuU, Liverpool, Bristol,
Londres, Oxford, Mancheste r et Glasgow. Des
voies de fer la relient également aux quatre dernières de ces
villes, où elle peut non-seulement expédier ses produits,
avec une facilité et une rapidité extrêmes , mais en tirer do
BIRMINGHAM — BIRON
même les matières premières nécessaires à son industrie.
BiROAT (Jacques) , né à Bordeaux , mort vers 1666 ,
entra d'abord dans la compagnie de Jésus et passa ensuite
dans l'ordre de Cluny. Il devint prieur de Beussan , abbaye
relevant de son ordre , et eut le titre de conseiller et de pré-
dicateur du roi. On a de lui plusieurs volumes in-S" de Pa-
négyriques et de Sermons , qui eurent de son temps une
grande vogue et qui sont complètement oubliésaujourd'hui,
et à bon droit, car le style en est aussi plat que la pensée
en est vulgaire. Sans doute , c'était un théologien instruit ;
mais alors, au lieu de vouloir prêcher, que ne composait-il
des traités de théologie!
BIRON ( Arjiand de GONTAUT, baron de), issu d'une
ancienne famille du Périgord , né vers 1524, mort le 26 juil-
let 1592, fut d'abord page delà reine M a r g u e r i t e de Na-
varre. Il se distingua ensuite dans les guerres du Piémont
et eut tout à son début l'honneur d'être choisi parle maréchal
de Brissac pour porter le guidon de sa compagnie. Une bles-
sure qu'il reçut au siège du fort Marino le rendit boiteux
pour le restant de ses jours ; malheur que François I*"^ es-
saya d'adoucir en le nommant à cette occasion gentilhomme
de sa chambre. Quoique penchant en secret pour les doc-
trines de la Réformation , il ne laissa pas que de combattre
rudement les huguenots dans les guerres de religion. Ses bril-
lants faits d'armes furent récompensés, peu de temps après
la bataille de Moncontour (1569), par les fonctions de
grand-maître de l'artillerie. Il fut ensuite, avec de Mesme,
chargé par la cour de négocier avec les chefs des réformés
la paix de Saint-Germain (1570), paix dite boiteuse et
mal assise, parce que Biron , comme nous l'avons dit , boi-
tait depuis ses campagnes en Piémont, et parce que de
Mesme était propriétaire d'un domaine appelé Malassise.
Lors de la Saint-Barthélémy (1572), il se tfnt renfermé à
l'Arsenal , où il demeurait en sa qualité de grand maître de
l'artillerie, et fit repousser ceux qui tentèrent de s'y intro-
duire pour égorger les protestants qui étaient venus y cher-
cher un refuge. La même année Charles IX l'envoya à la
Rochelle pour faire rentrer les habitants de cette ville dans
le devoir; mais ils refusèrent de le recevoir. Il fut plus heu-
reux en Guienne, oii il fit éprouver maintes défaites aux
Calvinistes. Il en fut récompensé en 1577 par le bâton de
maréchal de France. Il conserva en outre le gouvernement de
Guienne jusqu'en 1580, époque où le nouveau roi le rap-
pela à Paris, et lui conféra l'ordre du Saint-Esprit. On rap-
porte qu'à cette occasion il affecta de ne produire qu'un très-
petit nombre de parchemins comme titres de noblesse, allé-
guant que ses services militaires étaient bien de nature à
lui en tenir lieu. Il n'apporta, rapporte Brantôme, que cinq
ou six titres fort antiques, et les présentant au roi et aux com-
missaires, « Sire, dit-il , voilà ma noblesse ici comprise » ,
puis mettant la main sur la garde de son épée; « mais.
Sire, ajouta-t-il, la voici encore mieux ». En 1583 Henri III
l'envoya dans les Pays-Bas au secours du duc d'Alençon; mai*
il fut à plusieurs reprises battu par le duc de Parme. Cinq ans
après il essaya, sans y réussir, d'empêcher la journée des
Bar ri cad es. Après l'assassinat de Henri 111, il fut un
des premiers à reconnaître Henri IV, à qui il rendit un
service signalé en déterminant les Suisses à demeurer dans
son armée. A la journée d'Arqués, au premier siège de
Paris (1589), à la baUulle d'Ivry (1590), il se distingua
par sa bravoure et par ses habiles dispositions stratégiques,
et souunt au roi la plus grande partie de la Normandie.
Deux ans après il eut la tête emportée par un boulet de
canon au siège d'Épernay. Il était âgé de 68 ans , avait com-
mandé en chef dans sept batailles et avait été blessé sept
fois en sa vie. Aux quafités qui font le bon militaire, Biron
joignait quelques connaissances littéraires. Il portait tou-
jours avec lui des tablettes , où il notait jour par jour . tout
ce qu'il voyait faire ou entendait dire de remarquable. De
I Thou regrette fort la perte de ces espèces de Mémoire» t
Bmo.x
qui plissent sans aucun doiile jeté nne vive lumière sur l'é-
poque si dramatique et si agitée où vécut l'auteur. Biron
tenait à honneur d'avoir successivement passé par tous les
grades avant d'obtenir le bâton de maréchal; et sa devise
était une mèche allumée, avec ces mots : Périt, sed in
ARMis. Une circonstance qu'il ne faut pas oublier de rap-
porter, c'est que Biron (ut le parrain de l'entcint qui fut plus
tard le maître de la France sous le nom de cardinal de Ri-
chelieu, et que ce fut lui qui, sur les fonts du baptême, lui
donna sou nom d'Armand.
BIROIV (Cn.uiLES de GONTAUT, duc de) , fils du
précédent , pair et amiral de France, maréchal général des
camps et armées du roi, gouverneur de Bourgogne et de
Bresse, né en 1562, fit ses premières campagnes dans les
armées de la Ligue. Et cependant il professait une égale
indifférence pour les deux religions, causes alors de guerres
cruelles. Dès sa jeunesse il montra un goût décidé pour
les armes, et l'ut obligé de s'éloigner quelque temps de la
cour à la suite d'un duel qui eut beaucoup d'éclat. Attaché
à Henri IV dès l'avénemeut de ce prince, il devint son
ami, son favori, et obtint uii avancement rapide, qu'il justifia
par ses talents et son intrépidité à Arques, à Ivry, aux
sièges de Paris et de Rouen , au combat d'Aumale. Il était
colonel des Suisses dès l'âge de quatorze ans ; il fut bientôt
maréchal de camp, puis lieutenant général. En 1592, après
la mort de son père , le roi lui donna le titre d'amiral de
France. Biron était d'une activité effrénée, brillant à la cour
et sur les champs de bataille, prodigue, magnifique, sans
aucun [)rincipe de morale, vain, léger, opiniâtre , présomp-
tueux, ii'opaignaut pas même dans ses propos Henri IV,
qui en 1594 lui donna le titre de maréchal de France, en
échange de celui d'amiral , qu'il rendit à Yillars. En 1595 il
fut nommé gouverneur de Bourgogne ; Henri lui sauva la
vie au combat de Fontaine-Française.
Mais Biron avait toujours besoin d'argent; il s'irritait de
ce que le roi n'épuisait pas pour lui son trésor. Il devait
bientôt passer du mécontentement au crime. Son ambition
le perdit. Henri IV lui avait conféré le commandement de
l'armée envoyée par lui contre le duc de Savoie, qui s'obs-
tinait à se maintenir en possession du marquisat de Salu-
ées. Biron s'empara de la capitale de cette principauté. Ce
tut pendant cette courte campagne que le roi d'Espagne et
le duc de Savoie hasardèrent une négociation avec Biron.
Ce ne fut qu'un premier essai. Henri érigea en duché-pairie
la baronnie de Biron , et envoya le maréchal en ambassade
auprès de la reine Elisabeth. Mais le roi d'Espagne n'avait
point renoncé à ses prétentions à la couronne de France, il
n'avait soutenu la Ligue que pour l'obtenir; il avait échoué
sous les derniers Valois. Henri, qui leur avait succédé,
n'avait point d'enfant légitime ; à sa mort le trône se trou-
vait encore vacant. On promit à Biron la main de la fille
du duc de Savoie et la principauté d'une province de France.
On lui persuada que la politique avait eu plus de part que
la reconnaissance aux dernières libéralités d'Henri, et que
l'ambassade de Londres n'était dans le fait qu'un véritable
exil. Lalin , gentilhomme attaché à Biron, était l'agent se-
cret de cette perfide et mystérieuse négociation. Il révéla à
Henri IV le complot, et lui remit toute la correspondance
de Biron. Le maréchal était de retour de son ambassade de
Londres. 11 était allé rejoindre Henri IV à Lyon. Ce prince
lui fit l'accueil le plus amical, lui rendit, ou parut lui rendre
toute sa confiance, et lui remit le gouvernement de Bour-
gogne.
Cependant Henri et son conseil ayant décidé de faire ar-
rêter et juger Biron , l'exécution de ce projet fut ajournée
au retour de la cour à Fontainebleau. Tout fut concerté
entre le roi et Sully. Celui-ci fit préparer un bateau couvert
pour conduire le maréchal à la Bastille, où il se rendit lui-
/lu'ine afin de tout disposer pour le recevoir. Henri avait
239
après un court entretien, il sortit. Vitry, capitaine des
gardes ( le même qui, sous le règne suivant, fit assassiner
le maréchal d'Ancre), l'attendait dans l'antichambre, et
portant sa main gauche à la droite de Biron, et de l'autre
saisissant son épée : « Mon.sieur, lui dit-il, le roi m'a dit de
lui rendre comi)te de votre personne; baillez votre épée! —
Tu te railles, Vitry? dit le maréchal, étonné. — Monsieur,
le roi me l'a commandé. — Eh ! je te prie, que je parle au
roi! — Non, monsieur, le roi est retiré. « Biron remit son
épée en s'écriant : « Ah! mon épée, qui as tant de fois fait
de bons services ! » Il resta sous la garde de Vitry, et fut
conduit au bateau, qui le transporta à la Bastille. Le comte
d'Auvergne, son coaccusé, fut en même temps arrêté par
Praslin, autre capitaine des gardes, et conduit à la même
prison.
La double opération terminée, Henri TV partit pour Pa-
ris, où il entra par le faubourg Saint-Marceau. Il était à
Saint -Maur-des-Fossés quand la famille du maréchal vint
se jeter à ses pieds, et implorer sa clémence. Le duc de La
Force parla au nom de tous. D'autres seigneurs, amis de
Biron, se joignirent à ses parents. La réponse d'Henri IV
leur laissa peu d'espérance. « J'ai toujours reçu, dit-il, les
requêtes des amis du sieur Biron en bonne part, ne faisant
pas comme mes prédécesseurs, qui n'ont jamais voulu que
non-seulement les parents et les amis du coupable parlassent
pour eux, mais non pas même les père et mère, ni les
frères. Jamais le roi François ne voulut que la femme de
mon oncle, le prince de Condé, lui demandât pardon.
Quant à la clémence dont vous voulez que j'use envers le
sieur Biron, ce ne serait miséricorde, mais cruauté. S'il n'y
allait que de mon intérêt particulier, je lui pardonnerais
comme je lui pardonne de bon cœur; mais il y va de mon
État, auquel je dois beaucoup, et de mes enfants que j'ai
mis au monde, car ils pourront me le reprocher, et tout mon
royaume. Je laisserai faire le cours de justice, et vous ver-
rez le jugement qui en sera donné. J'apporterai ce que je
pourrai à son innocence ; je vous permets d'y faire ce que
vous pourrez , jusqu'à ce que vous ayez connu qu'il soit
criminel de lèse-majesté. Car alors le père ne peut solliciter
pour son fils, le fils pour son père, le frère pour le frère.
^'c vous rendez pas odieux à moi pour la grande amitié que
vous lui portez. Quanta la note d'infamie, il n'y en a que
pour lui. Le connétable de Saint-Pol, de qui je viens, le
duc de Nemours (Jacques d'Armagnac), de qui j'ai hérité,
ont-ils laissé moins d'honneur à leur postérité.? Le prince
de Condé, mon oncle, n'eùt-il pas eu la tête tranchée la
lendemain, si le roi François II ne fût mort? Voilà pour-
quoi, vous autres, qui estes parents du sieur Biron, n'aurez
aucune honte, pourvu que vous continuiez en vos fidélités,
comme je m'en assure; et tant s'en faut que je veuille vous
ôter vos charges , que s'il en venait de nouvelles, je vous les
donnerais. Voilà Saint-Angel , qu'il avait éloigné de lui
parce qu'il était homme de bien. J'ai plus de regret à sa
faute que vous-mêmes. Mais avoir entrepris contre son
bienfaiteur, cela ne se peut supporter. » Le frère du maré-
chal insista sur ce que Biron n'avait rien entrepris contre la
peisonne du roi. « Faites ce que vous pourrez, répondit
Henri, pour son innocence ; je ferai de même. »
La suite de cette déplorable affaire prouvera s'il se rap-
pela cette promesse. Biron comptait beaucoup sur l'ancienne
amitié du roi et sur le crédit de sa famille. Cette confiance
l'abandonna lorsqu'il vit qu'on entrait dans sa chambre
sans armes , et qu'on le servait avec des couteaux sans
pointe. « Ah! je vois bien, dit-il alors, qu'on veut me faire
tenir le chemin de la Grève. » Il circula à cette épo(iue une
longue lettre de Biron au roi ; il demandait à être exilé en
Hongrie, pour y combattre encore et y rétablir sa fortune;
il affirmait que là , comme partout ailleurs , il serait et pa-
raîtrait toujours Français. Il terminait ainsi : « Laissez»
mandé le maréchal, qui était au jeu de la reine; il vint, et, j vous toucher, sijc, à mes soupirs, et détournez de votre
210
règne ce prodige de fortune , qu'un maréchal de France serve
de funeste exemple aux Français , et que son roi , qui le
voulait voir combattre dans les périls de la guerre, ait per-
mis durant la paix qu'on lui ait ignominieusement ravi l'hon-
neur et la vie! Faites-le, sire, et ne regardez pas tant à la
conséquence de ce pardon qu'à la gloire d'avoir pu et voulu
[tardonner un crime punissable; car il est impossible que
cet accident puisse arrivera d'autres, parce qu'il n'y a per-
sonne de vos sujets qui puisse être séduit comme j'ai été par
les malheureux artifices deceux qui aimaient plus ma ruine
que ma grandeur, et qui, se servant de mon ambition pour
corrompre ma (idélité , m'ont conduit au danger où je me
trouve. Voyez cette lettre , sire , de l'œil que Dieu a accou-
tumé de voir les larmes des pécheurs repentants , et surmon-
tez votre j\iste courroux pour réduire cette victoire à la grâce
que vous demande, sire, votre très-humble, etc. Biron. »
Le maréchal avait été arrêté dans la nuit du 13 au 14
juin 1G02. 11 avait été interrogé le 17 par les présidents
Ilarlay et Rlancraesnil et les deux plus anciens conseillers ,
Fleury et ïhurin. Le parlement s'assembla le 6 juillet , et
s'ajourna au 1 1 pour assister à la confection du procès. Les
pairs ne se présentèrent point, quoiqu'ils en eussent reçu
l'ordre exprès du roi , qui était venu de Fontainebleau à Paris
pour leur ôter tout sujet d'excuse. La plupart alléguèrent
que la cour ne les avait point appelés au procès du ducd'Au-
male; d'autres, qu'ils étaient alliés ou amis de l'accusé.
Lafin , dénonciateur de Biron , arriva à Paris le 13 ; il ne pa-
raissait dans les rues qu'accompagné de quinze à vingt ca-
valiers, tous armés; le roi l'avait autorisé à se faire ainsi
escorter pour sa sûreté. Le 15 il fut confronté avec le ma-
réchal , gjti lui dit pouille. Le parlement ne procéda à
l'instruction que le 23. Le conseiller Fleury, rapporteur,
communiqua une requête de la maréchale de Biron , tendant
à ce que son fds fût assisté d'un conseil, attendu qu'étant
homme de guerre, il était peu versé en telles affaires;
mais, sur les conclusions des gens du roi, la cour rejeta sa
demande , et continua l'examen du procès. Les audiences
des 24, 25 et 26 furent employées h cet examen. Le chan-
celier était au palais à six heures du matin. Le 27 le ma-
récliai y fut conduit dans un bateau couvert, avec quinze ou
vingt soldats à bord ; suivait un autre bateau rempli de gar-
des du corps et du chevalier du guet ; d'autres détachements
marchaient sur les quais jusqu'à l'île du Palais, où le maré-
chal descendit, et fut conduit à la grand'chambre , où il
subit un interrogatoire de deux heures, assis sur une basse
et petite sellette. A neuf heures, il lut ramené à la Bastille,
couune il était venu , et avec la môme escorte. Le Palais,
les quais , les rues , étaient remplis de troupes.
Le 29, à six heures du matin , le chancelier ouvrit la der-
nière séance , composée de cent vingt-sept juges. Le maré-
chal fut condamné à estre décapité en place de Grève,
comme atteint et convaincu d'avoir attenté à la personne
du roi, et entrepris contre so7i Estât; tous ses biens con-
fisqués, sa pairie réunie à la couronne, et dégradé de
tous honneurs et dignités. Le 30 une foule immense était
réunie sur la place de la Bastille et à la Grève , et ne se sé-
para que le soir. On s'attendait que l'exécution aurait lieu ce
jour-là. « Le lendemain , le roi adressa des lettres patentes
par lesquelles il déclarait qu'aux instances et prières des
parents du sieur de Biron, et pour l'amitié qu'il lui avait au-
trefois portée, et pour plusieurs autres grandes considéra-
tions, son plaisir était qu'il fût exécuté dans la Bastille,
quoique l'arrêt portât qu'il le serait dans la place de Grève,
voidant par ce moyen l'exempter de l'infamie d'un spectacle
public. « La cour néanmoins délibéra si elle adresserait au
roi des remontrances sur les changements apportés à son ar-
rêt ; mais comme ces changements ne concernaient que le
lifi) de l'exécution, les lettres patentes furent enregistrées.
I,a principale question du procès n'était pas, (piant à la
culpabilité, de savoir si Biron avait conspiré, mais s'il avait
BIRON
renoncé à son projet. Or, il résultait d'une de ses lettres pro-
duites au procès et adressées à Latin , qu'il avait tout à fiit
abandonné son dessein. « Puisqu'il a plu à Dieu, lui écri-
vait-il , de donner un fds au roi , je ne veux plus songer à
toutes ces vanités : ainsi, ne faites faute de revenir! » l't
depuis, rien n'indiquait qu'il eût agi dans le sens de la cons-
piration. Aucun fait nouveau ne l'accusait. Il avait vu depuis
le roi à Lyon, et en avait été bien accueilli; il avait con-
servé son rang, ses grades, son gouvernement de Bourgogne.
Il hésitait cependant à revenir à la cour. Il ne se détermina
à s'y rendre qu'après plusieurs conférences avec le président
Jeannin, qui lui avait été envoyé par le roi; et sans doute
il n'était parti que sur la garantie de n'être point inquiété
Il y avait eu de sa part tentative de crime, mais le crime
n'avait pas été consommé , l'exécution en avait été sus-
pendue par une circonstance dépendante de sa volonlé.
11 n'était donc pas coupable. Il y avait eu abolition de fait
en sa faveur; mais cette abolition n'avait pas été sanctionnée
dans les formes d'usage , et ce fut ce défaut de forme qui
entraîna sa condamnation. Cette grave question de droit
n'avait pas subi l'épreuve d'une discussion contradictoire,
parce qu'on lui avait refusé l'assistance d'un conseil.
11 entendit à genoux la lecture de l'arrêt , et entendant
les mots avoir conspiré contre le roi et son Estât, il s'é-
cria : « C'est faux ! c'est faux! ôtez cela! » Après les mots
en Grève, il répéta : « En Grève! voilà une belle récompense
de mes services, de mourir ignomiiiieusement devant tout
le monde ! » Le chancelier l'avertit que le roi lui faisait la
grdce d'être exécuté à la Bastille. « Est-ce là la grâce qu'il
me fait.' dit Biron. Ah ! ingrat, mesconnoissant, sans pitié,
sans miséricorde, qui n'eurent oncques de lieu en lui, car
si quelquefois il semble en avoir usé, c'a été plutôt par
crainte qu'autrement Eh! pourquoi n'use-t-il pas de
pardon envers moi, vu qu'il l'a fait à beaucoup d'autres
qui l'ont beaucoup plus offensé que je ne l'ai fait? » il
nomma d'Épernon et Mayenne. « La reine d'Angleterre,
ajouta-t-il, eût pardonné au comte d'Essex , s'il l'eût voulu
demander. Et pourquoi non à moi , qui le demande si hum-
blement , sans mettre en ligne de compte les services de
feu mon père et les miens , mes plaies , qui le demandent
assez d'elles-mêmes Il (le roi) a regardé à peu de
chose, tant sa haine est grande contre moi. Eh quoi ! on me
fait donc mourir sur la déposition d'un sorcier et le plus
grand négromancien du monde, qui s'est servi à la malheure
de mon ambition , m'ayant souvent fait voir le diable en
particulier, et même parlant par une image de cire, qui au-
rait bien articulément prononcé ces mots : Re.x impie, pe-
ribis ; et sicut cera Uquescit , morieris. ^ — Et après il
se desborda en injures contre M. le chancelier, l'appelant
« homme injuste, sans foi, sans loi, statue, image plâtrée,
grand nez, qui seul l'avait condamné à mort iniquement,
sans aucune raison, et tout innocent et nullement coupable. »
Aveiti de mettre ordre à sa conscience et à ses affaires,
il dit qu'il devait 30,000 écus , et que pour s'acquitter il
en avait 50,000 au château de Dijon; que le roi disposerait
du reste ; qu'il laissait une fille grosse de son fait (Sebillolte,
fdle du procureur du roi de Dijon), à l'enfant de laquelle
il laissait une maison qu'il avait achetée près de Dijon,
et 6,000 écus. Il chargea un des secrétaires de Sully d'as-
surer son maître qu^il avait toujours été son bon ami , et
qu'il mourait tel; que ceux qui lui avaient fait entendre
qu'il avait eu dessein de le tuer, l'avaient trompé. Il recom-
manda son enfant à ses deux frères. 11 donna ausecréiaire-
de Sully une bague qu'il le pria de remettre à sa sa-ur, la
comtesse de Roussi; il en donna une autre au capitaine de la
forlercsse.L'échafaud avait été élevé au niveau d'une chambre
<Ie la Bastille. L'épouse de M. de Rumigny, concierge de la
prison, le voyant passer pour aller au supplice, se mit à
pleurer ayant les mains jointes , et, s'adressant au chan
cclicr, Biron s'écria : « Quoi, monsieur! vous 'lui avez li
BTRON —
visage d'un homme de bien , avez souffert que j'aie été si
misérablement condamné ! Ah ! si tous n'eussiez témoigné
devant ces messieurs que le roi voulait ma mort, ils ne
m'auraient pas ainsi condamné. Vous avez pu empêcher ce
mai , et ne lavez pas fait : vous en répondiez devant Dieu ,
oui , devant lui , où je vous appelle dans l'an, et tous les
juges qui m'ont condamné. » Parvenu sur l'échafaud , il se
banda les yeux , en ôta deux fois le bandeau , se leva en
protestant de son innocence ; il se relevait pour la troi-
sième fois, quand le bourreau l'invita à dire son In manus ;
et tandis qu'il priait , il lui (it sauter la tête, qui tomba eu
bas de l'échafaud; elle fut jetée avec le corps dans un cer-
cueil qui fut porté à Saint-Paul. Ceci se passait le 31 juil-
let 1602. Le maréchal n'avait que quarante ans.
Biron était de mojenne taille; il avait le visage d'un brun
très-marqué , les yeux enfoncés , le regard sinistre. Son or-
gueil égalait son ambition; il avait foi à l'astrologie judi-
ciaire; mais il était brave jusqu'à la témérité, et son corps
était tout sillonné de blessures. Dcfey (de l'Yonne).
BIROiV DE COURLANDE (Famille). Voyez Biren.
BIS, mot latin, depuis longtemps francisé au théâtre, et
par lequel les spectateurs demandent à entendre une se-
conde fois la phrase ou le couplet qui a excité vivement
leur approbation. Très-ambitieux autrefois de ce genre de
succès, les vaudevillistes avaient créé pour le désigner le
mot bisser, qui n'a pas encore reçu la sanction de l'Aca-
démie. Quelques-uns d'eux obtinrent même les honneurs
du ter; mais une seule fois la flatteuse demande du quater
eut lieu pour un couplet d'une pièce de Désaugiers , qui se
terminait par ces deux vers :
Le Français a su Taincre, il le saurait encore,
11 le saura toujours.
C'était en 181G, époque où les armées de la coalition occu-
paient encore notre territoire; ce qui explique facilement
le témoignage éclatant de la sympathie nationale pour cet
avis à l'étranger. Plus tard, l'emploi continuel, dans les
vaudevilles, des inévitables rimes de guerriers et lauriers,
de la gloire et de la victoire , entraîna un abus fastidieux
du bis approbateur. Maintenant , on ne le demande plus
dans nos théâtres que pour un trait saiilunt, un couplet in-
génieux, un air bien chanté : c'est dire qu'il est beaucoup
moins prodigué. — Dans la même circonstance où le Français
crie bis en latin, l'Anglais crie encore en français. Ocrry.
IîIS(Hippolvte), auteur dramatique, est né à Douai (>'ord),
on ne dit pas en quelle année. Il était en 1816 attaché à
la direction des droits réunis à Lille, lorsqu'il fit paraître
dans le journal du département un article qui fut, dit-on,
la cause de quelques collisions entre la garde nationale et
les officiers d'artillerie en garnison dans cette ville. A cette
époque, où les opinions politiques étaient fort animées, un
pouvoir persécuteur n'aurait pas manqué de sévèrement
punir l'employé qui, par l'aigreur de ses sentiments et l'in-
candescence d'un écrit dangereux pour la tranquillité de la
cité, donnait lieu à une agitation qui pouvait devenir grave.
La jeunesse et l'inexpérience de M. Bis plaidèrent en sa fa-
veur auprès de ses supérieurs , et il tut seulement changé
de résidence. Ce changement servit même sa fortune litté-
raire. Sans abandonner la carrière administrative, il s'a-
donna plus viven^ent à la culture des lettres. Dès 1817
il avait composé, en société avec M. Jay, une tragédie
intitulée : Lothaire, qui fut reçue, mais non représentée.
En 1822 il fit jouer à l'Odéon une autre tragédie , Attila,
qui eut quelque succès, et publia un poème, le Cimetière,
que nous ne connaissons pas et qui eut peu de retentisse-
ment. C'est peut-être avec les débris de Lothaire que
M. Bis composa et fit représenter, en 1827, une troisième
tragédie, Blanche d'Aquitaine, ou le Dernier dcsCarlo-
vingiens, tout empreinte de cet esprit d'hostilité politique
qui devait aboutir à réaliser au profit de la maison d'Or-
niCT. DE LA cd.WERS. — T. III.
BISANNUEL 241
léans les vœux à peine déguisés de ]\L Bis contre la bran-
che aînée des Bourbons, et en faveur d'une dynastie nou-
velle. Bien que cette pièce, qui ne manquait pas de quelque
mérite littéraire, n'ait obtenu qu'un succès médiocre et
promptement oublié, elle servit à entretenir l'esprit public
dans ses sentiments d'opposition, exploités alors générale-
ment au théâtre. Cette tendance se retrouve dans le poème
de Guillaume Tell, que, cette fois en compagnie de M. de
Jouy, ]\I. Bis fit jouer au grand Opéra en 1829. Il serait dif-
ficile d'exprimer la nullité de cette o'uvre sous le rapport
de l'action et des effets scéniques. Elle est pourtant deve-
nue un chef-d'œuvre..., chef-d'œuvre lyrique, bien entendu,
entre les mains de Rossini, à qui la partition en avait été
confiée, et qui, dans son inexpérience des conditions d'un
véritable poème français, se laissa éblouir et entraîner par
la vieille réputation que M. de Jouy avait encore comme
auteur d'opéras. C'est à lui, en bonne conscience, et non à
ûl. Bis , son triste complice dans cette occasion , qu'il faut
attribuer l'étrange naïveté du plan et du style, qui ont pour-
tant presque disparu sous la splendide magnificence , sous
l'expression énergique et charmante des accords divins de
Rossini. A. Delaforest.
Après la révolution de 1830, M. Bis obtint la décoration
de la Légion d'Honneur. Il la méritait sans doute, ne fût-ce
que pour ces vers d'Attila :
Juge pour les Français si ma haine est profonde :
Ils osent conspirer la liberté du monde!
En 1845 M. Bis se réveilla avec une quatrième tragédie,
qui fut reçue au Théâtre-Français, et qui était intitulée
Jeanne de Flandre. Cette pièce, qui manquait d'bitérêt
dans l'action , de clarté dans l'exposition, de précision dans
les caractères , de noblesse dans le style , n'eut qu'une seule
représentation. Et pourtant on avait parlé de cette tragédie
comme devant ouvrir à M. Bis les portes de l'Académie
Française! O fi agilité des choses humaines! Et M. Bis n'a
pas encore pris sa revanche.
En attendant , il est vrai , l'auteur d'Attila continue à
joindre plus fructueusement à son titre de poète tragique
celui de chef de bureau à l'administration des contributions
indirectes et des tabacs. Dieu le bénisse !
BISACRAJMEIXT AIRES, hérétiques qui ne recon-
naissaient que deux sacrements, le baptême et l'eucharistie.
BISAILLE ou BINAILLE. La bisaille est un mélange
de pois des champs (pisum arvense) et de vesce commune
( vicia saliva ) pour la nourriture des animaux. Ce mélange
est ainsi nommé, selon les uns parce que sa farine est bise,
et selon d'autres parce que les pigeons bisets s'en nourris-
sent. Cette composition binaire est annuelle et se sème sur
les jachères : c'est un mélange excellent et très-productif,
qui se consomme en vert et en sec , et dont on ne peut
trop recommander la culture dans les terres à blé et même
dans les terres à seigle.
Les combinaisons binaires de plantes propres à la nour-
riture des animaux s'étant multipliées avec les progrès de
l'agriculture, on a proposé d'étendre le mot bisaille non-
seulement aux plantes annuelles autres que le mélange
de pois et de vesce , mais encore à toutes les autres combi-
naisons de plantes bisannuelles et vivaces cultivées deux à
deux pour la nourriture des animaux. D'autres ont projtosé
avec plus de raison encore de remplacer le mot bisaille
par celui de binaille, qui est évidemment meilleur, comme
indiquant la composition binaire du mélange : c'est ainsi
qu'on dit binaille de pois et de vesce, binaille de trèfle et
de luzerne, binaille de vesce et de mélilot de Sibérie, etc.
ToLLARD aîné.
BISANNUEL , terme de botanique, qui sert à qualifier
Jcs plantes qui accomplissent tous les degrés de la végéta-
tion jusqu'à la mort en deux ans -. tels sont le persil, le
salsifis, etc. Dans les ouvrages hotiun'ques, les piaules bis-
31
242
mS ANNUEL
annuelles sont indiquées par le signe cJ , qui est celui de
Mars , planète dont la révolution autour du soleil est de
deux ans. __
BISCAÏEN, mot d'abord employé comme adjectif, et
qui se retrouve dans les mots mousr/uct biscaïen ou de
Biscaye, c'est-à-dire mousquet à fort calibre ou fusil de
rempart. On a, par abréviation, nommé biscaïen la balle
du mousquet biscaïen, et elle est devenue, depuis l'invention
du fusil ordinaire, le plus petit des boulets de canon, qu'on
lance de 400 à 600 mètres. Dans le siècle dernier, on tirait
les biscaiens par grappes de mitraille. Aujourd'hui les bis-
caïens sont exactement rangés par couches dans les boites
à cartouches : on met au fond des boîtes un culot de fer
l)attu qui donne beaucoup de portée aux biscaiens , parce
qu'il leur communique toute l'action de la charge , qui
sans cela s'échapperait à travers les balles et les ferait écar-
ter davantage. G"' Baudin.
BISCAYE, en espagnol Vizcaya, la plus septentrionale
des trois anciennes provinces basques, et dont en 1833 on
a composé, avecdes parties de l'Alava et de la Vieille Castille,
la province de Bilbao, comprenait autrefois 3,280 liilo-
mètres carrés. Elle était bornée au nord par le golfe de Bis-
caye, à l'ouest parla Vieille Castille, au sud par l'Alava et h
l'est par le Guipuzcoa. Elle embrasse les versants septen-
trionaux de la chaîne orientale des monts Cantabres, acci-
dentés de la manière la plus sauvage , s'élevan! en terrasses
couvertes d'épaisses forêts, et s'avançantsi près de la mer,
(pie souvent un étroit àéMé seulement les en sépare- Indé-
pendamment de l'ibaizabal, de l'Ansa, de la Mundaca, du
Salado et du Queytis, qui se jettent dans l'Océan, elle est ar-
rosée par un grand nombre d'impétueux torrents, qui vien-
nent des forêts. La température est un peu humide et ce-
pendant salubre, à l'exception des gorges étroites de cer-
taines vallées, où il règne parfois une chaleur étouffante. Le
sol est montueux, peu fertile, et le blé qu'on y moissonne ne
sufiit pas au besoin des habitants. En revanche, on y re-
cueille beaucoup de maïs, de légumes, de chanvre et de noix.
Le vin n'y est pas de garde, mais les fruits y sont excellents.
Le cerisier y atteint la hauteur de l'oime. On y élève beau-
coup (le châtaigniers. Les pèches et les poires y sont sa-
Toureuses, le cidre délicieux; le pommier y semble être
dans son pays natal. Vers la côte, la température, adoucie
par la mer, permet la culture des orangers et des citronniers.
Les montagnes , hautes et boisées, sont couvertes de chênes,
de hêtres, de noyers. Le gros bétail y est moins abondant
que les moutous et les chèvres. Près du littoral la mer est
très-poissonneuse. On exploite aussi en Biscaye des carrières
(le marbre, et on tire des montagnes de Somorostro et de
Mondragon du plomb, du soufre, de l'alun et du fer de la
meilleure qualité.
Les habitants, au nombre de 140,000 environ, vivent soit
sur les côtes , où ils forment une population de pêcheurs
infatigables et de matelots intrépides ; soitdans l'intérieur, où
ils se livrent avec succès à l'agriculture, à l'exploitiilion des
mines, au rude travail des hauts fourneaux, à la confection
des cordages, au tissage de grossières étoffes de laine, à la
préparation des cuirs, qui, avec les fers bruts, les châtaignes
et le cidre, donnent lieu à un commerce très-actif. Le chef-
licu de la provmce est Bilbao.
Tout est riant en Biscaye. C'est le dernier asile de l'indus-
trie et de la liberté espagnoles ; les vallées sont cultiv(!es ,
les coteaux couverts de villages etde hameaux. LesBiscayens
sont robustes, actifs, gais, ouverts, hospitaliers. Descendants
des Cantabres, ils ont conservé beaucoup de traits caracté-
risti(iues de ce peuple brave, indépendant, et ils parlent en-
core sa langue. Les femmes sont jolies, grandes, bien faites,
et leurs tresses de longs cheveux noirs, leurs beaux yeux,
leur sourire, offrent un mélange de volupté impossible à
décrire.
La Biscaye a eu ses seigneurs parlitiiliers depuis la lin
— BISCUIT
du neuvième siècle jusqu'en 1479. Philippe II anoblit tous
les Biscayens, et leur octroya de nombreux privilèges. C'r*
peuple, exempt de régie et d'intendance, reconnaissait les
monarciues d'Espagne non pour ses rois, mais pour ses sei-
gneurs, et affecte encore d'appeler ses communes respubUcas.
Chargé lui-même de la (léfense de ses foyers, il ne tirait
point à la milice , n'était point passible du logement d(>s
troupes, et ne connaissait, en vertu de Re&fueros, d'autre loi
que celle du grand juge de la province. Il ne devait au roi
que ce qu'il devait à ses anciens seigneurs, et ne payait
d'autre impôt que quelques cens, des droits sur le fer, la
dîme dans quelques villages, et des contributions locales.
La puissance législative y était partagée entre le seigneur
et la junte des députés du peuple, qui se réunissait réguliè-
rement chaque année, et plus fréquemment, dans les gran-
des circonstances, à l'ombre du vieil arbre de Gucrnica.
Elle était élue par tous les citoyens a/orados, à l'exceptioa
des bouchers, des crieurs publics et des étrangers , qui no
pouvaient exercer en Biscaye que les professions les phis
humbles. Le pouvoir exécutif était exercé par un corrégidor
à la nomination du seigneur, et par un conseil de deux (!■ -
légués choisis pour deux ans par la junte. Les villes et les
bourgs élisaient leurs muuicipalités. Les fueros de cette
province furent en grande partie la cause de la vive répu-
gnance que ses populations témoignèrent pour la constitu-
tion unitaire des Cortès de Madrid , et de leur empres-
sement à suivre l'étendard insurrectionnel de don Car-
los, ainsi que l'origine des sanglants conflits qui en résul-
tèrent. E. G. DE MONCLAVE.
BISCOTE ( de bis, deux fois, et coctus, cuit ). Les b/s-
coles sont des tranches de pain coupées très-minces et sc-
ellées au four. Elles constituent un aliment très-bon pour
les enfants et les convalescents. Pour les premiers surtout,
elles sont recommandées par tous les médecins, de préfé-
rence aux potages farineux, dont les biscotes n'ont pas les
inconvénients.
BISCUIT ( du latin 6Js, deux fois, et coctus, cuit ), pA-
tisserie délicate faite avec de la farine ou de la fécule de
pomme de terre, du sucre et des œufs (le blanc et le jaune ).
On les fait cuire au four, dans des moules de ferblanc ou
de papier. Il faut au four une chaleur modérée, et on y laisse
les biscuits vingt minutes au plus. Ceux qui sont cuits dans les
moules de papier y restent, ctse nomment biscuits en caisse.
Les biscuits dits à la cuiller se font de 8 centim(;tres de
long sur 3 de large, se placent sur des feuilles de papier, se
cuisent sur de minces feuilles de cuivre, et se détachent du
papier lorsqu'on veut les vendre ou les servir. Les biscuits
(le Reims sont cuits dans des moules chauds et passés dans
l'étuve. Pour faire des biscuits de Savoie, on prend de la
fine farine ou delà fécule de pomme de terre, du sucre, des
jaunes d'œufs bien frais; on fouette ensuite le blanc des œufs
avecun peu d'eau, eton le mêle aux jaunes. Si on veut que
les biscuits soient à la lleur d'orange, on r;\pe sur le sucre les
zestes de deux oranges, ou bien on met de l'eau de fleur d'o-
ranger; on les lait à la vanille avec de l'essence de vanille;
si on veut qu'ils soient aux amandes amères ou douces, ou
aux avelines, on les torréfie, les pile et les môle aux jaunes
d'œufs et au sucre. On amalgame ensuite la fécule ou la fa-
rine avec les œufs et le sucre en la laissant tomber douce-
ment et en remuant le tout à mesure (ju'elle tombe. Lors-
que le tout est bien amalgamé, et qu'il coule lisse de l'instru-
ment avec lequel on remue, on verse dans le moule, que
l'on beurre légèrement : deux heures suffisent pour la cuis-
son. — On fait aussi des biscuits de carême sans œufs.
On fait habituellement usage des biscuits pour Ja nourri-
tiu'e desenfanis et des convalescents, parce qu'on les regarde
comme étant d'une digestion facile; mais les blancs d'œufs
battus qui entrent dans la composition de ces pâtisseries
nous semblent de nature à combattre cette opinion.
Ou appelle encore biscuit un ouvrage de porcelaine qui
BISCUIT — HÏSCUITS MEDICAMENTEUX
reçoit deux cuissons, et qu'on laisse dans son blanc mat,
sans peinture ni couverte.
BISCUIT DE MER. C'est le nom que l'on donne à
nne espèce de pain employé particulièrement dans la navi-
gation, à cause de la facilité qu'on a de le conserver des an-
nées entières. On le nomme biscuit ( cuit deux fois ) pro-
bablement parce qu'il est plus cuit que le pain ordinaire.
L'usage d'un pain qui peut se garder longtemps sans altéra-
tion remonte bien haut dans l'antiquité ; les Romains le con*
naissaient, Pline le nomme panis naiiticus; mais il ne pa-
raît pas qu'ils le fissent cuire deux fois. Il est évident que la
première condition à observer dans sa préparation, c'est
qu'il soit très-dur, très-sec, et mis sous une forme qui le
rende facile à emmagasiner. Pour sa conservation, il doit
être renfermé dans des endroits qui soient à l'abri du con-
tact de l'air et surtout de l'humidité.
Le biscuit dont on se sert dans la marine mQitaire est fait
de farine de froment épurée à 25 ou 30 pour 100 ; celui
qu'on emploie dans la marine marchande est ordinairement
plus délicat, sans doute parce que les armateurs ont à l'é-
gard des matelots plus de ménagements à garder que le gou-
vernement. Quatre-vingts kilogrammes de farine pétrie dans
vingt kilogrammes d'eau ne fournissent, après l'évaporation
produite par la cuisson, que 133 rations de chiquante-six
décagrammes chacune, la ration d'un homme étant évaluée
à cinquante-six décagrammes par jour. Aujourd'hui on se
sert pour le biscuit d'un levain plus jeune que pour le pain
ordinaire, et on en met une plus grande quantité; ce levain,
d'ailleurs, doit être de pûte de biscuit : la levure de bière
et tout autre levain semblable sont proscrits. L'eau des-
tinée à le pétrir doit être bien chaude : c'est un moyen de
faire sécher la pâte plus aisément. Le pétrissage est très-
difficile , et exige des boulangers forts et adroits , et quel-
quefois on emploie un levier en bois pour briser la pâte. La
pâte pétrie et ramenée à une consistance ferme, ou la bille
avec des rouleaux en bois; on l'aplatit jusqu'à n'avoir plus
que trois à quatre centimètres d'épaisseur ; puis on la coupe
en galettes de dix-huit décagrammes environ, à l'aide d'un
instrument armé de pointes en fer, qui façonne le biscuit en
même temps qu'il le perce de plusieurs trous , afin de faci-
liter l'évaporation de l'eau et d'éviter les boursouflements.
Ces galettes sont jetées dans un four plus chaud que les
fours à pain ordinaire, car moins il y a d'eau dans une pâte,
et plus difficilement elle cuit. Après les avoir laissées envi-
ron deux heures, on les en retire pour les mettre à ressuer
dans une étuve et achever de les priver de toute humidité :
peut-être est-ce le ressuage , qu'on a pris pour une seconde
cuisson , qui lui a fait donner le nom de biscuit. On sent
combien il est important, pour le maintenir sec, de ne pas
mettre de sel dans l'eau qui sert à le pétrir.
Le biscuit ainsi préparé peut se conserver un an et sou-
vent davantage ; on reconnaît qu'il est bon à sa cassure bril-
lante et à son odeur suave; en vieillissant il perd de ses
qualités, et se réduit en poussière. On l'embarque ordinai-
rement dans des barriques ou des soutes enduites de goudron
jiour le préserver de l'hmnidité ; mais comme le goudron com-
munique une certaine amertume aux galettes avec lesquelles
il est en contact, et que d'ailleurs il est très-difficile d'obtenir
dans ces soutes une sécheresse parfaite , on a proposé Tu-
sage des caisses en fer, daris lesquelles il se conserve très-
bien : les Anglais les premiers ont fait usage de ces caisses
quand ils destinaient du biscuit à des missions éloignées.
L'avantage que présente le biscuit dans la navigation ,
c'est qu'il permet d'embarquer une quantité considérable de
pain sous un petit volume. Quand il est bon , les matelots
s'en accommodent volontiers ; néanmoins, ainsi que les pains
azymes ou mal levés, il est d'une digestion difficile, et fa-
tigue à la longue l'estomac : aussi est-on oblige souvent de
substituer le pain frais au biscuit dans les rations des ma-
telots malades, d surtout de ceux qui sont afiectés du scorbut ;
2-43
car cette maladie , qui attaque les gencives , ne laisse [las
de force aux dents pour broyer le biscuit. Tl est évident que
ce n'est que l'impossibilité oii l'on se trouve à bord d'avoir
toujours du pain frais qui a fait adopter l'usage du biscuit;
par conséquent on devra suspendre cet aliment dès que les
circonstances permettront de donner du pain ordinaire aux
matelots. A cet égard on a introduit de grandes améliora-
tions dans notre marine : dès que nos navires arrivent dans
un port, les équipages reçoivent des vivres frais, et l'on
embarque aujourd'hui à bord de nos bâtiments une certaine
quantité de farine , qui permet de distribuer aux matelots
quatre rations de pain frais par semaine à la mer. Tout en
regrettant qu'on ne puisse encore leur en donner davan-
tage , nous devons nous féliciter d'être ici en avance sur les
Anglais, dont les matelots ne mangent presque jamais de
pain frais, et qui n'ont pas adopté l'usage d'embanjuer des
fours à pain à bord de leurs bâtiments.
A Portsmouth, dans les magasins du gouvernement, on
a remplacé les bras des hommes par la vapeur pour le pé-
trissage et la manutention de la pâte destinée à faù'e du bis-
cuit. Une machine met en mouvement un pétrisseur méca-
nique composé d'un cylindie armé de plusieurs rangs de
lames, lesquelles opèrent l'union de l'eau et de la farine; la
pâte qui en résulte est brisée par des cylindres qui roulent
horizontalement sur de forts madriers en bois , et ou la fait
passer et repasser sous ces cylindres jusqu'à ce qu'elle ait
atteint le degré d'homogénéité nécessaire. La di\ision en
biscuits se fait au moyen d'un réseau de petits moules à
bords tranchants et affilés , qui la coupent par un mécanisme
fort simple et fort ingénieux. Le biscuit est ensuite mis au
four, et un quart d'heure suffit pour le cuire; de là il est
placé pendant trois jours dans un séchoir échauffé à 32° cen-
tigrades.
Le biscuit d'Amérique est plus blanc, plus affriolant et
d'une pâte plus fine que le biscuit français , m.ais il se con-
serve moins longtemps. Nous ne dirons rien du biscuit de
pommes de terre ; il ne pourrait être employé que dans le cas
où il y aurait disette de blé. Th. Page, contre-amiral,
BISCUITS aiÉDICAMENTEUX. La pâle légère
des biscuits, le goût agréable qu'on leur communique au
moyen du sucre et de différents aromates, ont induit à
croire que ce comestible pourrait servir d'euveloppe sédui-
sante aux substances médicinales qu'on a de la peine à faire
prendre aux enfants. Ce sont principalement des médica-
ments vermifuges qu'on a voulu associer aux biscuits.
La poudre de santoline, semen contra vcrmes, a sur-
tout été mélangée avec les biscuits , parce qu'elle expulse
énergiquement les vers des voies digestives, principalement
les lombrics, ceux dont la forme est pareille à celle des
vers de terre. Les épreuves qu'on a faites de cette prépara-
tion n'ont pas réalisé les résultats qu'onen espérait. L'a^
mertume de la santoline n'était point assez masquée dans le
biscuit pour que les enfants s'y trompassent deux fois : en
fait de goût, ils sont de grands docteurs, et ils découvrent
instinctivement le chicotin dans la dragée. Aussi toute la
rhétorique des mères ou des nourrices ne peut les engager
à prendre ainsi le scmen-contra , pas plus que dans le pain
d'épice, où on avait aussi imaginé de l'introduire. Déplus,
le sucre, employé à grandes doses, pour détruire eu grande
partie l'amertume des médicaments , en anéantissait par ce
même effet l'efficacité. Ces désavantages ont fait à peu près
abandonner les biscuits préparés avec la santoline. Cepen-
dant les biscuits vermifuges ont paru si nécessaires pour les
personnes chargées d'élever les enfants, qu'on s'est ingénié
à chercher d'autres médicaments dont la saveur n'altérât
pas le goût agréable de l'appât. Le mercure doux, autrement
appelé calomel, ayant tes propriétés désirées, a été choisi,
et il sert à préparer les biscuits anfi-vermineux qui sont
aujourd'hui en usage : chacun contient à peu près trois déci-
grammes de calomel.
31.
241
On a aasst imaginé de confectionner des biscuits purga-
tifs, et toujours pour tromper les enfants dans leur propre
intérêt : c'est avec le jalap en poudre qu'on pn'pare ceux-ci,
en incorporant huit décigrammes de cette résine éminem-
ment purgative dans chaque biscuit.
On a allié encore Tart du pharmacien à celui du pâtissier,
pour composer <les biscuits propres à guérir les accidents
que le culte de la Vénus cloacine engendre trop communé-
ment, et dont plusieurs enfants sont affligés en recevant la
vie. C'est encore le mercure doux qui sert à préparer ces
biscuits anti-syphilitiques, inventés par M. Ollivier.
Si les biscuits qu'on vient de faire connaître sont utiles
pour administrer aux enfants des médicaments qu'ils re-
poussent avec une opiniâtreté d'autant plus grande qu'ils
sont beaucoup plus dominés par l'instinct dans l'état de
maladie qu'ils ne le sont étant en santé, ces préparations
sont reprocliablcs sous le rapport de leur composition et
surtout sous celui des substances pharmaceutiques qu'elles
renferment. Comme aliment, le biscuit met en jeu les or-
ganes digestifs; comme médicament, il trouble leur action,
il rend ainsi la digestion pénible : aussi les enfants témoi-
gnent-ils très-souvent du malaise après cette médication.
L'expérience n'est pas perdue pour eux ; l'appât employé ne
les séduit pas longtemps. Les médicaments qu'on admi-
nistre sous cette enveloppe exposent les enfants à des
dangers plus grands. Le jalap est un purgatif qui irrite vio-
lemment les intestins ; le calomel , qui n'est appelé mercure
doux que par sa comparaison avec d'autres combinaisons
mercurielles, qui sont des poisons violents, est aussi une sub-
stance irritante et déterminant des coliques vives , comme on
en voit trop d'exemples depuis qu'on fait en France un abus
déplorable de ce sel, à l'imitation des Anglais. Si les per-
sonnes étrangères aux connaissances de l'anafomie et de la
physiologie pouvaient comprendre combien les organes de
la digestion sont impressionnables chez les enfants, elles se
garderaient bien de leur administier des purgatifs tels que
le jalap et même le calomel , comme elles le font trop com-
munément sans avis de médecin et avec une détermination
prise aussi légèrement que pour les moindres affaires de la
■vie. Plusieuis mères creusent ainsi le tombeau de leurs en-
fants; car c'est dans les irritations de l'estomac et des intes-
tins qu'elles font habituellement usage des purgatifs qui at-
tisent un feu qu'il faudrait éteindre. D' Charbonnier.
BISE, vent sec, pénétrant, qui règne dans le fort de
l'hiver, et souille du nord-est. C'est un vent très-dangereux
sur la Méditerranée. La bise suspend l'action de la sève dans
les plantes , sèche les fleurs et fait geler les vignes.
BÏSEAU, extrémité ou bord coupé en biais, en talus.
Il se dit surtout du bord des glaces de miroirs, des glaces de
Toitures, etc., et du tranchant (le certains outils; puis, par
extension, de certains outils dont le tranchant est en biseau.
En joaillerie, il s'emploie en parlant des principales faces qui
environnent la table d'un brillant. — En termes d'impri-
merie, les biseaux sont des morceaux de bois entourant les
pages de caractères, et dont un côté est taillé en biais pour
recevoir les coins qui servent à serrer la forme.
Eniin, biseau se dit, dans une acception toute difOrcntc,
de l'endroit du pain où la croûte ne s'est point formée; ce
qui provient du contact et de la réunion des pains dans le
four, partie que l'on appelle plus communément baisure.
BISEAUTÉES (Cartes). C'est là un terme technique
dont se servent les fabricants de cartes et les joueurs pour
désigner des cartes qui, par maladresse ou volontairement,
ont été coupées en trapèze au lieu de l'être en parallélo-
gramme parfait. On sent bien qu'en coupant la carte avec
des ciseaux ym^i à la boîte nommée coupcau, si l'ouvrier
ne présente pas la carte bien perpendiculairement, elle se
trouve un peu plus étroite par un bout que par l'autre, ce
qui forme un angle ou biseau. Cette maladresse de l'ouvrier
doit faire jeter la carte au rebut; mais celte imperfection a
BISCUITS MÉDICAMENTEUX — BISHOP
donné des facilités à ceux qui font des tours de cartes , et
aux joueurs de mauvaise foi qui veulent frauder leur adver-
saire : aussi les cartes biseautées sont-elles défendues, et
occasionneraient des punitions à ceux qui en vendraient ou
seraient convaincus d'en faire usage sciemment. Nous ter-
minerons en disant que cependant les faiseurs de tours ont
quelquefois, des cartes biseautées de différentes manières, afin
de reconnaître dans un jeu , soit toutes les cartes d'une même
couleur, soit toutes les figures. Quand ils veulent recon-
naître une seule carte dans un jeu , ils ne h font pas bi-
seauter, mais ils font changer sa dimension; alors on la
nomme carte large ou carte longue. Il n'est pas besoin de
dire que ces différences, peu sensibles à l'œil de tout le
monde , le deviennent pour celui qui a les yeux et les doigts
exercés. Duchesne aîné.
BISELLIAIRE. On appelait ainsi celui qin' avait le
droit de siéger sur le bisellium, prérogative que les usages
de Rome accordaient à ceux qui s'étaient distingués.
BISELLIUM, siège d'honneur, à deux places, qui était
réservé à certaines personnes aux spectacles et dans les as-
semblées publiques, chez les Romains. Le bisellium était
aux Augustaux , dans les municipes et dans les colonies , ce
qtie la chaise curule était à certains magistrats de Rome.
BISEURULE (de bis, double , et serrula, petite scie,
par allusion aux fruits de cette plante qui ressemblent à une
double scie). Ce genre de la famille des papilionacées ne
renferme qu'une seule espèce, le biserruln pelecinus , qui
croît au midi de l'Europe et en Orient, dans les lieux pier-
reux. C'est une plante herbacée, annuelle, à feuilles irapari-
pennées, et à fleurs bleuâtres disposées en un épi ovale.
BISET, espèce de pigeon sauvage, plus petit que le
ramier, dont la chair est plus noire que celle des autres
pigeons, et qui a été ain*i nommé de la couleur de son
pennage, tirant sur la rouille. Il vient de la Flandre et des
pays septentrionaux, et l'automne est la saison où il abonde.
Le biset ne fait des petits qu'une fois l'an. Il a le bec entière-
ment rouge, de la longueur de celui du pigeon privé, et pointu
par le bout. Sa tête , son ventre et ses ailes sont cendrés , mais
ses grandes pennes sont noirâtres ; le sommet de la première
est verdâtre et mélangé de plumes noires. Sa queue, à son
origine , est cendrée , et noire vers .ses extrémités. Ses pieds
sont rouges , raboteux et munis d'ongles noirs. Sa femelle a
le bec et les pieds d'un rouge moins éclatant. Le biset fend
l'air avec une grande vitesse. On fait cas de sa chair, qui
est plus délicate et plus serrée que celle du pigeon.
On a aussi appelé bisets les citoyens qui , par goût ou
par nécessité, font leur service de garde national sans por-
ter d'uniforme. L'origine de ce sobriquet semble indiquer
qu'il a d'abord été appliqué à ces prudents et timides bour-
geois, coiffés à l'oiseau royal on à ailes de pigeon, qui ne
figurent dans la grande armée de l'ordre public qu'à leur
corps défendant. Toujours de l'opinion de Figaro : Qui sait
si cela durera trois semaines? pour ne pas compromettre
leur avenir ou leur bourse en cas de licenciement imprévu,
ils font leur station au cori)s-de-garde en habit marron et
en chaussons de lisière. Edme Hi^;reau.
Depuis longtemps déjà les lois sur la garde nationale
n'admettent plus de bisets dans les rangs de la milice ci-
toyenne. Cependant on en voit de temps à autres reparaître.
Un charmant conteur donnera d'ailleurs au mot Oizet une
autre origine de ce nom, dont l'orthographe n'est pas encore
fixée.
BISHOP, nom d'une agréable boisson artificielle qu'à
l'imitation des peuples du Nord on prépare au moyen dune
infusion d'oranges amères parfaitement mûres, coupées en
rond ou divisées par quartiers, dans du vin ronge chaud ou
froid (médoc, pontac, bourgogne), et à laquelle on ajoute
du sucre et quelques épiées. On la boit chaude ou froide.
Pour la préparer avec plus de promptitude, on se seit aussi
d essejàce ou d'extrait de bishop qu'on obtient en faisant
EISHOP — BISMUTH
245
mac<?rer de Técorce d'orange dans de Tesprit de vin et on y
ajoutant des épices. La bonté du bishop dépend d'ailleurs
de la qualité du vin. Il faut aussi avoir soin de ne se servir
que de bons fruits et de leur enlever le blanc qui se trouve
entre la cliair et l'écorce. Quand on emploie du vin blanc ,
la boisson en question prend le nom de cardinal ; nos voi-
sins les Allemands distinguent le prélat, ainsi appelé quand
c'est le vin de Bourgogne qui en est la base. Pris modéré-
ment, le bishop est ime boisson saine et stomachique; mais
si on en abuse, l'huile volatile contenue dans l'écorce d'o-
range provoque fréquemment des céphalalgies. Quoiqu'il
n'en soit guère mention sous ce nom qu'à dater du dix-sep-
tième siècle, cette boisson était en usage en Allemagne dès le
moyen âge, et y avait été introduite de France et d'Italie.
BISKARA , chef-lieu des agglomérations groupées dans
les oasis du Ziban. Cette petite ville fortifiée, oîi les Turcs
tenaient autrefois garnison, est située à 220 kilomètres de
Constantine, près du grand lac El-Schott.
Aussitôt après l'occupation de Constantine, toutes les
peuplades de cette cx)ntrée tombèrent dans l'anarchie, et
l'autorité qu'avaient jusque là exercée sur elles les chefs
investis par le bey H adji-Ahrned, que nos armes venaient
d'expulser, leur fut disputée dès ce moment soit par des
chefs revendiquant le pouvoir au nom du gouvernement
français, dont ils recherchaient l'appui , soit par des khali-
fats, qui tenaient leurs titres d'Abd-el-Kader.
Au mois de janvier 1839 le maréchal Valée nomma
Bou-Aziz-ben-Ghannah chéik-el-Arab; mais les klialifats de
l'émir, sans cesse en guerre avec lui, combattirent avec
aciwrnement son influence, et, d'accord avec les habitants, le
contraignirent à abandonner Biskara, dont il avait été maître
im instant. Une expédition fut résolue. Dans le courant de
février l S44, 2,400 hommes et 600 chevaux, quatre pièces de
montagne et deux de campagne, se réunirent à Bathna, sous
le commandement du duc d'Aumale , et partirent pour Bis-
kara avec un mois de vivres. Des razzias vigoureuses prépa-
rèrent peu à peu la soumission des tribus rebelles. El-Kantara
nous accueillit avec empressement; Biskara fit de même :
débarrassée depuis cinq jours du joug tj'rannique de Moha-
raed-Seghir, khalifat d'Abd el-Kader, qui s'était enfui dans
le mont Aurès avec ses réguliers, cette ville nous ouvrit ses
portes le 4 mars. Dix jours furent consacrés à l'organisation
du pays. Ben-Ghannah demeura investi du pouvoir. On ins-
titua une compagnie de tirailleurs indigènes pour le soutenir,
et (les goinns choisis parmi les tribus environnantes com-
plétèrent cette organisation militaire délensive. Puis on
courut à l'attaque de 3Iehounech , où l'on prétendait que
Mohamed avait caché ses richesses. Au bout de quatre heu-
res de combat, les trois petits fortins dominant cette oasis,
défendus par .3,000 hommes exaspérés, furent escaladés de
vive force, et le village livré aux flammes avec ses magasins.
L'ennemi s'enfuit dans les montagnes. Les Ouled-Zian et les
Beni-Hamed vinrent demander ïaman , en nous apprenant
que le khalifat s'était réfugié sur le territoire de Tunis.
Rassuré désormais sur la tranquillité du Zlban, le duc
d'Aumale retourna à Bathna, soudainement attaquée par
Hadji-Ahmed-Bey. Il laissait à Biskara une petite garnison
composée de quelques officiers et sous-ofiiciers , de cin-
quante tirailleurs indigènes de Constantine, destinés à
servir de noyau pour la formation d'un bataillon sea^blable.
11 y avait avec les Français une jeune fille de dix-neuf ans,
Marianne Morati , dont le père était sergent au 2* de ligne.
Le bataillon des tirailleurs s'accrut rapidement des déserteurs
de Mohamed, de quelques réguliers d'Abd-el-Kader et d'un
certain nombre d'Arabes du pays, battus à Mehounech. Le
marabout de Sidi-Okba, dans la famille duquel la charge
de chéik était héréditaire , n'eut pas grand'peine à nouer
des intrigues avec des hommes qui lui avaient longtenips
obéi. Dans la nuit du 12 au 13 mai, vers deux heures du
matin, le chirurgien Arcelin se réveille en sursaut; il a cru
entendre des coups de fusil dans la plaine... Bientôt quelques
coups retentissent dans la casbah même; un grand tumulte
se fait dans la ville. Il s'habille à la liàfc. A peine a-t-il mis
le pied sur le seuil de sa porte qu'un coup d'yatagan l'at-
teint au cœur. Les conjurés avaient ouvert les portes au
khalifat, dont le premier mouvement avait été de se portera
la casbah pour égorger les officiers. Le lieutenant Petitgaud
fut percé de coups de baïonnette dans son lit, par un an-
cien zouave préposé à sa garde personnelle. Le sous-lieu-
tenant Crochard fut surpris également dans son sommeil, et
déchiré à coups de poignard par un factionnaire. Le reste
des tirailleurs de Constantine , fidèle à notre cause, fut im-
pitoyablement massacré. Le fourrier Fischer avait reçu un
coup de baïonnette dans l'aine; il mourut après trois jours
de souffrances et de tortures. Le sergent Pelisse , échappé
seul au carnage, grâce à un burnous blanc dont il s'était cou-
vert et à la facilité avec laquelle il pariait l'arabe, sauta par-
dessus les murailles de la casbah, et s'enfuit à Touaigha,
d'oïl il fit passer l'affreuse nouvelle du désastre à Bathna.
Pendant que le duc d'Aumale préparait de terribles repré-
sailles aux traîtres de Biskara, une scène horrible se passait
dans la mosquée de cette ville , où ."Marianne Morati , qui y
avait été traînée avec les trois cadavres de nos officiers as-
sassinés, s'était vue condamnée pendant une heure , presque
sur leurs corps, à subir l'ignoble brutalité des vainqueurs.
Le 16 mai, le drame changea d'acteurs; nos chasseurs
chargèrent dès le matin dans la vifle ; le sergent Pelisse ,
avec une avant-garde de volontaires , reprit la citadelle , et
s'y vengea cruellement sur tous les Arabes qu'il rencontra.
Le pillage fut permis pendant deux jours; vingt prisonniers
furent fusillés; un grand nombre d'habitants fut incarcéré.
Sidi-Okba, où le marabout Mohamed s'était caché, fut pris,
pillé , incendié et rasé. La casbah , restaurée et fortifiée ,
reçut une garnison de 400 zéphyrs du 3*^ bataillon d'Afrique,
et depuis cette punition exemplaire , l'autorité de la France
à Biskara n'a pas été un seul instant méconnue.
BISMUTH. Ce métal, qui est employé dans plusieurs
arts, et qui entre principalement dans la composition des
caractères d'imprimerie, est d'un blanc argentin , à peu près
aussi fusible que l'étain, et d'une pesanteur spécifique
( 0,82 ) un peu moindre que celle de l'argent. Quoiqu'il soit
très-oxydable, on le trouve natif dans quelques mines en
Bohème, en Saxe, en Suède et dans la Transylvanie; il se
rencontre dans les filons arsénifères, argentifères et cobal-
tifères à Bieber, dans le Hanau; à "NVittichen, en Souabe;
à Joachimsthal , en Bohême; à Schnéeberg, en Saxe; à
Bispberg et à Bastnaës , en Suède. On en trouve aussi des
traces dans la raine de plomb de Poullaouen , en Bretagne ,
et dans la vallée d'Ossau (Pyrénées). Mais les mines les
})!us abondantes sont celles de bismuth sul/tiré ( bismu-
thine, Beudant), où ce métal est quelquefois allié au cuivre,
au plomb et même à l'argent. En Sibérie , les mines d'or
contiennent ordinairement du minerai de bismuth sulfuré ,
avec un alliage quadruple de plomb, de cuivre, de nickel
et de tellure. Quant au bismuth oxydé, il est très-rare ;
on ne l'a trouvé jusqu'à présent que disséminé , quelque-
fois en couches ou en masse. Ainsi, le bismuth répandu dans
le commerce provient presque en entier des sulfures de
ce métal. 11 existe cependant encore trois espèces minéra-
iogiques du genre bismuth , savoir : le bismuth tellure ,
qui n'est autre chose qu'un sulfo-tellurure de bismuth avec,
traces de sélénium, et qui se trouve principalement dans un
conglomérat trachytique, près de Schemnitz, en Hongrie;
le bismuth carbonate, dont l'analyse laisse beaucoup à
désirer; et le bismuth silicate phosphorifère, qu'on ne
rencontre jusqu'ici qu'à Schnéeberg.
Le bismuth est tellement oxydable, qu'il perd très-promp-
tenient son éclat métallique lorsqu'il est exposé à l'air. Tous
les acides le réduisent plus ou moins promplement à l'état
d'oxyde; 100 parties de métal absorbent 22 parties d'oxy-
248
BISMUTH — BISSEN
gène. L'oxyde de bismuth est volatilisé à une haute tempéra-
ture. De quelque manière (lu'on l'ait obtenu, il est «l'un
beau blanc , et a mérité le nom de blanc de fard, quoiq-.'.e
l'antimoine puisse le lui disputer à tous éganls, et surtout
en faisant valoir les droits d'une très-ancienne possession.
On sait, en effet , que l'une des femmes de Job, après l'é-
preuve à laquelle ce serviteur de Dieu fut soumis, portait
un nom que l'on a traduit en latin de la Bible par celui de
cornu stibil.
Le bismuth est le plus dur des métaux après le tungstène,
le fer, le manganèse, le titane, le nickel et le platine.
11 augmente la dureté des métaux auxquels il s'allie, tels
que l'étain , qu'il rend en môme temps plus sonore ; le
plomb, qui devient plus solide et plus tenace par l'addi-
tion d'une petite dose dr; bismuth ; le cuivre, qui est déco-
loré et rendu cassant. Il entre dans la composition de la plu-
part des alliages fusibles.
L'oxyde de bismuth donne une couleur jaunâtre aux
verres dans lesquels on le fait entrer. Comme cet oxyde est
très-fusible, et vitrifie aisément ceux des autres métaux
oxydables , on regarde le bismutii comme plus propre que le
plomb à opérer la séparation de l'étain dans la coupellation.
L'antimoine et le bismuth sont encore en rivahlé pour la
composition des caractères. Le premier de ces deux mé-
taux eut longtemps la possession exclusive de cet emploi ,
comme de servir à la toilette des femmes qui ne se con-
tentent pas de la blancheur naturelle de leur visage. Il est
probable que le bismuth finira par l'emporter, parce que
ses mines sont plus abondantes , qu'il n'est propre qu'à
l'art du fondeur, au lieu que l'antimoine peut être réservé
pour plusieurs autres destinations. Ferry.
BISMUTH ( Blanc de). Voyez Blanc de bismlth.
BISON, nom que les auteurs latins donnaient à une
espèce de bœuf sauvage qui nous paraît être Vaurochs.
Voyez Boeuf.
Le bison cV Amérique {buf/alo des Anglo-Américains;
bos bison, Linné ; bos americamis, Gmelin) a la tête os-
seuse, très-semblable à celle de l'aurochs et couverte de
même , ainsi que le cou et les épaules , d'une laine crépue,
(pii devient fort longue en iiiver; mais ses jambes et sur-
tout sa queue sont plus courtes. 11 habite dans toutes les
parties tempérées de l'Amérique septentrionale, et produit
avec nos vaches. G. Cuvieiî.
Le bison porte basses ses cornes noires et courtes ; il a
une longue barbe de crin ; un toupet pareil peiid éche-
velé entre ses deux cornes jusque sur ses yeux; son poi-
trail est large, sa croupe effilée, sa queue épaisse et courte ;
ses jambes sont grosses et tournées en dehors ; une bosse
(cette bosse, qui n'est formée que d'une masse graisseuse,
comme celle du zébu, varie en grosseur dans les dif-
férents individus selon leur embonpoint) d'un poil rous-
sàtre et long .s'élève sur ses épaules; le reste de .son corps
est couvert d'uneliiinenoire, que les Indiennes filent poiiren
faire des sacs à blé et des couvertures. Cet animal a l'air
féroce, et il est fort doux. 11 y a des variétés dans les bisons,
ou, si l'on veut, dans les buffaloes, mot espagnol anglicisé.
Les plus grands sont ceux que l'on rencontre entre le Mis-
souri et le Mississipi. Dans cette espèce, le nombre des fe-
melles surpasse de beaucoup celui des mâles. Le taureau
fait sa cour à la génisse en galopant en rond autour d'elle.
Immobile au milieu du cercle, elle mugit doucement. Les
sauvages imitent , dans leurs jeux propitiatoires, ce manège,
qu'ils appellent la danse du bison.
Le bison a des temps irréguliers de migration : on ne
sait trop où il va; mais il paraît qu'il remonte beaucoup au
nord en été, puisqu'on le retrouve aux bords du lac de l'Es-
clave , et qu'on l'a rencontré jusque dans les îles de la mer
Polaire. Peut-être aussi gagne-t-il les vallées des monta-
gnes Rocheuses à l'ouest et les plaines du Nouveau-Mexi-
que au midi. Les bisons sont si nombreux dans les steppes
verdoyants du Missouri que quand ils émigrent leur troupe
met quelquefois plusieurs jours à défiler conune une immense
armée : on entend leur marche à plusieurs milles de dis-
tance, et l'on sent trembler la terre. Les Indiens tannent
supérieurement la peau du bison avec l'écorce du bouleau ,
l'os de l'épaule de la bête tuée leur sert de grattoir. La
viande du bison , coupée en tranches larges et minces , sé-
chée au soleil ou à la fumée, est très-savoureuse; elle se
conserve plusieurs années comme du jambon ; les bosses •
et les langues des vaches sont les parties les plus friandes à
manger fraîches. La fiente du bison brûlée donne une braise
ardente; elle est d'une grande ressource dans les savanes,
où l'on manque de bois. Cet utile animal fournit à la fois
les aliments et le feu du festin. Les Sioux trouvent dans sa
dépouille la couche et le vêtement. Le bison et le sauvage,
placés sur le môme sol , sont le taureau et l'homme dans
l'état de nature : ils ont l'air de n'attendre tous les deux
qu'un sillon, J'un pour devenir domestique, l'autre pour se
civiliser. Cn\TE\L'BRiANn.
BISOUTOUIV, BÉHISTUN, ou encore BIHSUTUN ,
nom d'une montagne du Kourdistan persan , aux environs
de Kirmanschah, à trois journées de marche du mont Zagros,
et particulièrement célèbre par l'inscription en caractères
cunéiformes que le roi de Perse Darius P"" fit sculpter sur l'un
de ses côtés qui s'élève perpendiculairement à 1700 pieds
de hauteur. Il y rappelle avec des termes pleins de gratitude
pour Dieu les victoires qu'il a remportées dans dix-neuf ba-
tailles livrées contre des rebelles dans diverses provinces de
son empire. Cette montagne est célèbre depuis bien long-
temps. Diodore en fait mention sous le nom de BayîffTavov ,
mot qui dans l'ancienne langue des Perses voulait dire séjour
des dieux , de même que de la tradition encore aujourd'hui
existante suivant laquelle les ouvrages de sculpture qu'on y
voitseraientl'œuvredela reine Sémiramis. Une tradition perse
plus récente les attribue au siècle postérieur des Sassanides ,
de la première période desquels datent effectivement les ins-
criptions de Tah-i-Rostdn et de Tacht-i-Rustem qui s'y
trouvent. Mais le monument historique le plus important
de rindo-Perse est toujours ce grand relief représentant une
figure mythologique , un roi avec deux grands et neuf cap-
tifs,demême que les seize inscriptions cunéiformes achx'mé-
nides de première espèce (l'inscriptton dite des mille lignes )
qui en dépend, avec leurs traductions si compliquées. C'est
le major anglais Rawlinson qui a eu le mérite de découvrir
ce monument et de prouver qu'il provenait du grand roi
perse Darius. Consultez Benfey , Viiiscription cunéiforme
persane (Leipzig, 1847).
BÎSQUE, terme de jeu de paume, qui sert à expri-
mer l'avantage qu'un joueur fait à un autre en lui donnant
un quinze, que celui-ci peut prendre dans le cours de la
partie , quand il le juge à propos.
On nomme aussi bisque une sorte de potage ou coulis
fait d'écrevisses et de divers ingrédients.
BISSAC. Voijez Besace.
BISSE, nom que l'art héraldique 'donne au serpent.
Voyez Meubles.
BISSEIV (Wilhelm), célèbre sculpteur danois contem-
porain, est né en 1798, à Gilding, près de Schleswig, et se
forma dans la pratique de son art sous la direction de son
illustre compatriote Thorwaldsen pendant un séjour de
dix années à Rome. A son retour dans sa patrie, il exécuta
d'abord les quatre anges qui décorent la chapelle du château
de Christiansborg à Copenhague , et un grand nombre de
bustes remarquables, entre autres celui d' Œ r s t e d ; deux sta-
tues, le Chasseur Ccphale &i\xxi& Atalante à la chasse, qu'il
avait déjà commencés à Rome, et qui appartiennent aujour-
d'hui à M. Baur, négociant à Allona. En 1841 cet artiste
se rendit pour la seconde fois à Rome , à l'effet d'y exécuter
dix-huit figures de grandeur surnaturelle que lui avait
commandées son gouvernement. Indépendamment des es-
BISSEN — BITAURÉ
quisses de ces figures, il y fit aussi une Vénus , et son plus
cliarniant ouvrage, l'Amour aiguisant son trait. A son
retour à Copenhague on le chargea de la sculpture d'une
(rise longue de plusieurs centaines de pieds pour la grande
salle du château , et qui doit représenter le développement
du genre humain d'après la mythologie grecque. Outre cette
grande composition, M. Bissen a fait encore une statue
à' Apollon ( propriété de M. Vernus du Fay, à Francfort),
le modèle d'une statue de Minerve pour la grande salle de
l'université à Copenhague, et divers autres ouvrages. Dans
son testament Thorwaldsen le désigna pour terminer les
travaux qu'il laissait inachevés et pour être chargé de la di-
rection artistique de son musée. La Société des Amis des
Arts de Copenhague a commandé une statue de Tycho-
Brahe à cet artiste, qui depuis le mois d'avril 1850 est prési-
dent de l'Académie des Beaux-Arts de Copenhague. — Son
frère, fixé depuis longues années en France, et chef de
l'une des maisons d'horlogerie les plus importantes de la
capitale , est bien connu des amateurs par les belles collec-
tions de fleurs et d'oiseaux exotiques qu'il a réunies dans la
charmante villa qu'il possède aux portes de Paris.
BISSEXTILE (Année). Voyez Année, tom. I", p. 625.
BISSOIV (Henri), jeune officier de marine célèbre par
son dévouement et sa mort héroïque, était né en 1796, à
Guéraénée ( Morbihan ). Entré dans la marine royale en 1815,
en qualité d'élève, il se trouvait en 1827, avec le grade d'en-
seigne de vaisseau, à bord de la flotte française chargée de
surveiller les mers du Levant, infestées alors par des pi-
rates que tolérait le nouveau gouvernement établi à Égine,
à la suite de l'insurrection des Grecs contre le sultan Mah-
moud. Les réclamations adressées au gouvernement provi-
soire d'Égine contre l'existence de ces pirates, qui ne ran-
çonnaient pas seulement les vaisseaux turcs , étant demeu-
rées sans résultat, l'amiral français résolut de donner lui-
même la chasse à ces pirates. C'est à la suite d'une de ces
expéditions que fut capturé par la frégate la Lamproie,
sur les côtes de la Syrie, le brick grec le Panaijotis, dont
Bisson fut nommé commandant avec un équipage composé
de quinze Français et de six matelots grecs faits prisonniers
à bord de ce même brick. Bisson reçut l'ordre de diriger
cette prise sur Smyrne, où se rendait la Magicienne, fré-
gate avec laquelle il devait naviguer de conserve. Un coup
de vent sépara les deux bâtiments dans la nuit du 4 no-
vembre 1827, et força le Panayotis d'aller chercher un abri
sous les rochers de l'de de Stampalie. A peine l'ancre eut-
elle été jetée que deux des pirates prisonniers se sauvèrent
à la nage et gagnèrent la terre. Bisson ne douta pas dès
lors qu'ils ne revinssent bientôt avec un grand nombre des
leurs pour profiter d'une circonstance si favorable et re-
prendre le navire confié à sa garde. Aussi fit-il promettre à
son lieutenant, le pilote Trémentin, que si leur vaisseau
venait à être attaqué, dans la situation critique où il se
trouvait, par des forces supérieures, celui des deux qui sur-
Aivrait ferait sauter le Panayotis, plutôt que de le laisser
tomber aux mains des pirates.
L'intrépide Bisson avait deviné juste. A dix heures du
soir, deux grands misticks attaquent avec furie le brick ;
il est abordé par l'avant; quinze hommes luttent avec une
admirable intrépidité contre cent trente ; le nombre seul
peut l'emporter : neuf Français tombent; le pont est en-
vahi. Bisson, blessé, couvert de sang, s'échappe de la mê-
lée; il n'a que le temps de dire à ses amis : Sauvez-vous ,
jetez-vous àlamer! Puis se tournant vers Trémentin, il
ajoute : Adieu, pilote, voilà le moment d'en finir. Aus-
sitôt Bisson se précipite dans la chambre où d'avance il
avait tout disposé ; il prend la mèche, il met le feu aux pou-
dres : le navire saule, le sacrifice de l'honneur et du pa-
triotisme est consommé; un noble cœur a eessé de battre,
et la France compte un héros de plus. Le gouvernement
accorda une pension de quinze cents lianes à la sœur de
247
Bisson. Le pilote Trémentin, qui avait été assez heureux
pour gagner le rivage à la nage avec quatre matelots fran-
çais, fut récompensé par le grade d'enseigne et par la croix
de la Légion d'Honneur. Un monument a été élevé à Lorient
pour perpétuer le souvenir de cette action éclatante.
BISSUS. Voyez Bysscs.
BISTIV AOUS, secte de Banians, qui croient en un Dieu
unique et marié, qui vivent de légumes et de laitage, et dont
les femmes jouissent de l'heureux privilège de ne pas être
obligées de se brûler sur le corps de leur mari.
BISTORTE,espèce de renouée, ainsi nommée parce
que ses racines sont tortues et repliées en forme d'S.
BISTOURI , instrument de chirurgie qui sert à couper
et à faire des incisions dans les chairs. Selon Huet, son nom
viendrait de celui de la ville de Pistoie ou Pistori, renommée
autrefois pour la fabrication des instruments de chirurgie. Le
bistouri a ordinairement la forme d'un petit couteau, composé
d'une lame et d'un manche ou châsse. La lame , qui est le
plus souvent mobile sur le manche, peut être assujettie
par un bouton , un ressort , un anneau coulant ou tout autre
moyen , et quand elle est fixée sur le manche , elle donne
au bistouri le nom de bistouri à lame fixe ou dormante.
Les dimensions, la forme et les usages du bistouri sont fort
variables; il y en a de grands, de moyens, de petits, de
plats , de courbes , qu'on emploie suivant les cas.
♦ BISTOURNAGE , sorte de castration usitée à l'é-
gard des anmiaux. Cette opération consiste à serrer et
tordre les vaisseaux qui aboutissent aux testicules , de ma-
nière que ces vaisseaux se déchirent ou se bouchent au point
qu'il n'y passe plus d'humeur prolifique. Par le bistoïtr-
nage les animaux sont à la vérité plus vigoureux que ceux
que l'on châtre; mais ils sont moins dociles, moins tran-
quilles ; ils de\iennent moins gros et moins gras, et leur chair
est moins délicate.
BISTRE , couleur d'un brun roussâtre, que l'on tire or-
dinairement de la suie broyée et dissoute dans le vinaigre
puis mélangée avec de l'eau gommée. On en faisait autrefois
beaucoup usage. Les peintres s'en servaient habituelle-
ment pour faire leurs croquis, et les architectes leurs des-
sins; mais le bistre a été remplacé depuis plusieurs an-
nées par la sépia, dont la couleur un peu rougeâtre est
plus agréable, et l'emploi plus facile. Lorsque l'on commença
à faire usage de la gravure au lavis, ou à Vaqua-tinta, on
imprima souvent les planches avec une encre bistrée, pour
leur donner davantage l'apparence d'un dessin ; c'est ainsi
que furent publiés les croquis de Le Prince sur la Russie, et
le Voyage de Houel en Sicile.
BISULCE ou BISULQUE ( de Us et de sulciis, fente),
nom collectif de tous les mammifères ruminants à pied four-
chu , tels que les cerfs , les bœufs , les moutons , etc. Les
Hébreux n'osaient manger que des animaux bisulques; les
Russes , au contraire, ont été fort longtemps avant de per-
mettre qu'on servit sur leurs tables ces animaux , qui leur
paraissaient, par la conformation de leurs pieds, être un pro-
duit de l'enfer.
BITAUBÉ (Paul-Jérémie), né à Kœnigsberg, en 1732,
d'une famille de protestants que les persécutions de LouisXIII
avaient forcée de fuirleBéarn, sa patrie, s'annonça dans le
monde littéraire par une traduction française de V Iliade et de
VOdyssée. Il futreçu membre de l'Académie de Berlin, fondée
par Frédéric; ce prince l'avait admis dans son intimité, et
lui avait assuré une existence honorable et indépendante.
Sa mort priva, en 1786 , les savants et les artistes de leur
puissant et unique appui. Bitaubé vint alors se fixer à Paris.
11 publia successivement son Examen de la Profession de
foi du Vicaire savoyard de J.-J. Rousseau, son Traité de
l'influence des lettres sur la philosophie, etc.
Bitaubé fut le créateur et le modèle d'un nouveau genre
littéraire, aujourd'hui oublié, dans lequel il s'efforçait d'unir
jusqu'à un certain point h la vérité historique le charme et
24S
l'intérêt de la poésie épique. 11 intitula son Joseph, poëtne, et
le divisa enncnf ciiants. Ce premier ouvrage réussit complè-
tement. En 1790 parut Guillaume de Tfassau, ou les Ba-
taves,m dix chants. C'est le tableau animé du grand drame
politique de la première révolution de Hollande. Le succès
ne fut pas douteux, il surpassa les espérances de l'auteur, et
lui assura une place distinguée parmi les écrivains de l'é-
poque. Il lui eût été facile d'obtenir de grands emplois;
ses relations avec les hommes les plus distingués par leurs
talents et les plus influents par leur position politique lui
permettaient de prétendre à tout. l\Iais il n'avait qu'une am-
bition , celle d'être utile ; ses vœux étaient pour le triomplie
de la révolution. Il fournit d'excellents articles à plusieurs
journaux, notamment au Patriote françcns, dirigé par Cris-
sot. Tolérant par caractère et par principes , il voyait le
succès de sa cause dans la marche progressive de la civili-
sation. Il ne comprenait point de liberté durable pour un
peuple sans instruction, et ses vœux comme ses efforts
étaient d'arriver à une régéuération politique et morale par
les bienfaits d'une éducation vraiment nationale.
Bilaubé ne se plaisait qu'au milieu de ses livres et de sa
famille ; on ne le rencontrait que dans la réunion de queUjues
amis. Il fréquentait régulièrement la maison de Julie, pre-
mière femme de ïalma. li parlait peu, mais toujours
bien , et je l'ai aperçu souvent entre Jlirabeau et Chéuier,
les étonnant tous deux par la justesse et l'élévation de ses
pensées. Les députés de la Législative, devenus plus tard
les chefs de la Gironde, étaient liés avec Bitaubé; ils se
donnaient souvent rendez-vous dans le joli pavillon de
Talma et dans les salons , non moins modestes , de madame
Roland. Bitaubé et sa famille n'avaient d'autres revenus
que ceux de ses biens en Prusse, et ses pensions comuie
académicien de Berlin. Aussi, dès que la guerre eut éclaté
entre la Prusse et la France, ses biens furent-ils séques-
trés, et ses pensions supprimées. Tous ses ouvrages publiés
en France avaient réussi ; mais alors un succès littéraire
n'était pas un succès de fortune. Dans une circonstance
grave, son libraire, M. Lami, se montra plus que généreux ;
il ne se borna pas à pom'voir à ses besoins , il ne recula de-
vant aucun péril pour acquitter la dette de la reconnaissance
et de l'amitié.
La Convention dès les premiers jours s'était divisée en
deux partis très-prononcés. Les girondins ou fédéralistes
seniblèrent d'abord dédaigner leurs adversaires. Leur imi)ré-
voyance leur cofila la vie. Malheur à qui avait eu des rela-
tions avec eux ! Un ami offrit aux époux Bilaubé un asile à
Saint-Germain ; ils acceptèrent, et y passèrent toute la belle
saison. Mais un comité révolutionnaire s'y établit, et dès lors
Bitaubé et sa femnie durent revenir à Paris. Un mois après
ils furent arrêtés et conduits au Luxembourg; ils étaient
aimés, respectés de tous leurs voisins : leur section adressa
plusieurs pétitions en leur faveur ; elles restèrent sans réponse.
On envoya alors aux comités de salut public et de sûreté gé-
nérale plusieurs députations. La liberté de Bitaubé et de sa
femme leur fut promise; mais une main invi^ible s'opposait
à leur délivrance. Us restèrent en prison jusqu'au 9 ther-
midor. Le chevalier Pougens et le libraire Lami ne les
avaient pas abandonnés un seul instant; ils leur avaient fait
parvenir pendant leur longue détention des vivres, du linge,
de l'argent. Leur vieux domestique Leclerc et sa nièce Julie
se chargeaient de toutes leurs commissions, et stationnaient
tour à tour devant la grille du Luxemboiu'g.
Leur mise en liberté fut un jour de fé!e. Bitaubé vit enfin
cesser sa détresse. La paix lut signée entre la réi)ubli(pie et
le roi de Prusse ; le séquestre mis sur ses biens en Prusse fut
levé, et l'arriéré de ses pensions lui parvint. Cette affaire
avait été terminée par Sieyès, alois ambassadeur de la ré-
publique à Berlin, et le ministre prussien llardenberg.
Bitaubé, qui avait été membre de rAcad('niie rojalc des
Inscriptions et Belles Lettres, (ut nommé mem])rc de l'insli-
BITAUBÉ — BITHYNIE
tut dès sa formation. Chaque année ce corps savant devait
rendre compte de ses travaux à l'Assemblée nationale : eo
l'an \'I, Bitaubé, à la tête de ses collègues , vint s'acquitter
de ce devoir à la barre du conseil des Cinq-Cents. L'empereur
Napoléon le nomma membre de la Lég'oa d'Honneur, et lui
assura une forte pension. Il mourut en novembre 1S08, du
chagrin d'avoir perdu sa femme. .Ses ouvrages ont été sou-
vent réimprimés. Il termina sa carrière littéraire par une
traduction d'Hennann et Dorothée, de Goethe. Cette tra-
duction vit le jour en 1802. Les oeuvres complètes de Bitaubé,
en 9 volumes, ont paru en 1807. l.Ues ne sont pas encore
aujourd'hui, tant s'en faut, exemptes de mérite, quoiqu'on
y regrette souvent des expressions impropres qui décèlent
un écrivain étranger. Dlfey (de rvoone).
BITCHE, petite ville du département de la Moselle,
place de guerre de (juatrième classe, située à l'extrême fron-
tière, près du revers occidental des Vosges, entre Weissen-
bourg et Sarreguemines. Elle domine d'étroites vallées , et
est entourée d'immenses forêts et de montagnes couvertes
de bruyères. La ville est bàlie en partie au pied d'un rocher
près d'un grand étang d'où sort un ruisseau. Elle a î.f.fio
habitants. On y fabriciue de la porcelaine , de la faïence et
de la poterie.
L'ancien château, qui sert de citadelle et de prison mili-
taire, s'élève sur un rocher de cinquante mètres d'élévation.
Le fort de Bilclie, qui n'est placé sur aucune grande voie
de communication, n'a plus aujourd'hui l'importance qu'y
attachaient les ducs de Lorraine. A une époque oii les
guerres se passaient sur un théâtre peu étendu, cette place
offrait un refuge assuré à des partis qui pouvaient agir des
deux côtés des Vosges : elle était importante, dès le onzième
siècle, comme chef-lieu d'une seigneurie ayant titre de comté,
et appartint tour à tour au duché des Deux-Ponts, à la Lor-
raine et à la France.
Dans les guerres entre la France et l'Allemagne , Bitche
soutint plusieurs sièges'. Celui de 1793 occupe une page
glorieuse dans les annales du siècle dernier. Les alliés ve-
naient de s'emparer des lignes de Weissembourg , quand,
dans la nuit du 16 au 17 septembre, un officier français
émigré conduisit une division prussienne sous les murs de
la place , et un bataillon se glissa dans le chemin couvert.
La ville n'avait pour garnison qu'un bataillon du Cher, de six
à sept cents hommes, et une compagnie de canonniers ; mais
tous coururent à leurs postes. L'obscurité favorisait l'enne-
mi. Le propriétaire d'une maison en bois, située du côté de
l'attaque, proposa lui-même aux assiégés d'y mettre le leu.
A la lueur de l'incendie , on put voir les mouvements des
Prussiens; déjà ils étaient entrés dans la ville, et avaient
abattu un pont-levis; mais l'artillerie foudroya les colonnes
qui descendaient des hauteurs, et l'infanterie chassa les
Prussiens, à l'exception de deux cent cinquante hommes,
qui restèrent prisonniers. I. Favé, coli>riel d'anillerie.
BITESTACÉS. On donne ce nom à des animaux arti-
culés de la classe des crustacés, dont le dos est recouvert
par un (est divisé en deux pièces latérales.
BITÏÏIES, sorcières célèbres chez les Scythes. Elles
avaient, dit-on, à l'un des yeux la prunelle double, à l'autre
la ligure d'un cheval, et le regard si dangereux qu'elles
tuaient ou ensorcelaient ceux sur qui elles l'attachaient.
BITIIYIVIE, contrée du nord-ouest de l'Asie Mineure,
appelée aussi quelquefois Bcbrtjcie, à cause des Bébryces
qui l'habitaient, et séparée de l'Europe par la Propontidcet
le Bosphore de Thrace, était bornée au nord par le Pont-
Euxin, à l'ouest par la Paphlagonie, dont elle é(ait séparée
par le fieuve Parthénius; au sud-ouest par la Mysie, dont
elle é(ait séparée parle Ueuve Rhyndacus; au sud par la
Phrjgie et la Galatie où des montagnes formaient ses li-
mites naturelles. Les villes les plus célèbres de la Bidiyme
éttiient les colonies grecques Chalcédoinc, 1/ éraclée,
Mijdée (appelée plus tard .4;;rt?« .v'),et Aslaque. Quand
BITHYNIE — BITUME DE JUDEE
249
celte dernière eut été détruite par Lysimaque, Nicomède l"
fonda non loin delà Nicomédie , qui ne tarda pas à de-
veuir la résidence des rois de Bithynie et Tune des villes
les plus considérables de l'Asie Mineure. Les villes de Ni-
cee et de Pruse ou Brousse étaient aussi florissantes.
Les liabitants de la Bithynie étaient, à ce qu'il semble,
originaires de la Thrace. L'an 560 avant J.-C, le roi C ré-
su s lit passer leur pays sous la domination des Lydiens, et
à la chute de l'empire lydien, en 555, il passa sous celle de
ta Perse. Après la bataille livrée en 334 sur les bords du
Granique, la Bithynie, comme tout le reste de l'Asie
Mineure, tomba au pouvoir d'Alexandre; le Grand.
Toutefois, Bias ou Bas, prince indigène, réussit à se main-
tenir dans les montagnes , et après la mort d'Alexandre sou
lils Zipœtes parvint à arracher la Bithynie à Lysimaque. Isi-
comède P"^, successeur de Zipœtes, sous le règne duquel les
mœurs et la langue des Grecs s'introduisirent à la cour, ré-
sista aux essais de conquête tentés par le roi de Syrie An-
tiochus r'', en appelant à son secours, l'an 27S avant J.-C,
des bandes de Gîiulois errants. Son petit-fils , Prusias F'' ,
agrandit sa domination à la suite de la guerre heureuse
qu'il fit en l'an 196 aux Grecs d'Héraclée. Il s'allia à Phi-
lippe III de Alacédoine contre les Romains. Prusias II, son
.successeur, accéda également à cette ligue; et Annibal,
(jui avait fui d'Antioclia pour venir se réfugier à sa cour, se
donna volontairement la mort en 183, afin de ne pas être
livré par lui à ses implacables ennemis. A partir de cette
époque, la Bithynie, quoiqu'elle continuât à avoir ses pro-
pres rois, ne cessa plus d'être sous la dépendance des Ro-
mains. Elle fut érigée en province romaine à la mort de M-
comède III, qui, l'an 75 avant J.-C, institua les Romains
héritiers de son royaume, que ceux-ci toutefois durent en-
core disputera Mithridate. Parmi les gouverneurs ro-
mains qui furent chargés d'administrer la Bithynie, il faut
surtout mentionner Pline le jeune sous Trajan. L'an 260 de
notre ère, sous le règne de Valérien, cette contrée fut en
proie aux dévastations des Golhs. Sous Dioclétien, Kicomé-
die devint le séjour habituel de l'empereur. Au onzième
siècle, la Bithynie fut pendant quelque temps ( 1074-1097)
au pouvoir des Seldjoukides, auxquels on la reprit dans la
première croisade. Nicée, qui dans cet intervalle avait été
la résidence des sultans seldjoukides, devint aa treizième
siècle (1204-1261), pendant la durée de l'empire latin à
Constantinople, le siège d'un empire grec. En 1298 Osman
envahit la Bithynie, et Pruse, tombée en 1325 au pouvoir
des Osmanlis, devint en 1328 la capitale de leur empire.
BITOME. On désigne sous ce nom ( formé de bis et de
xo\i.r\ , section , par allusion aux deux articles de la massue
des antennes) un genre de l'ordre des coléoptères, section
des tétramères, qui a été établi par Herbst. Les bitomes ne
diffèrent des lyctes de Fabricius que par des antennes plus
courtes, et par des mandibules cachées ou peu découvertes.
Latreille a i)roposé de substituer le mot ditome à celui de
bitome, pour plus de correction dans l'étymologie.
Une espèce de bitome ( le bitoma crenata ) , qui sert de
type à ce genre , se trouve sous les écorces d'arbre des en-
virons de Paris. L. Laurent.
BITON et CLÉOBIS étaient fils de Cydippe, prê-
tresse de Juhon. Un jour qu'il fallait, pour un sacrifice,
qu'elle fût menée au temple sur un char, et qu'on manquait
de bœufs, ils s'y attelèrent eux-mêmes , et le traînèrent ainsi
l'espace de quarante stades jusqu'au temple. Touchée de
cette preuve de piété filiale , leur mère pria Junon de leur
accorder le plus grand bien que les moi-tels pussent rece-
voir des dieux. Quand elle sortit du temple, elle les trouva
endormis, pour toujours dans les bras l'un de l'autre. Les
habitants d'Argos leur élevèrent des statues à Delphes.
BITORS. Voyez Corde.
IBITTAQUE, genre d'insectes de l'ordre des névrop-
tères, faïuillo des planipennes, tribu des panorpates, dont
DICr. UF. l\ CONVtliS. — T. III.
le bittacus tipularius {panorpa tipularïa, Linné) est
le type.
BITTERSPATH. Voyez Dolouie.
BITUME (ùepitus, pin, ou depitta, poix). On donne
ce nom collectif à des matières de consistance liquide, moUo
ou solide, que l'on trouve toutes formées dans le sein de la
terre. Les bitumes, avec lesquels on confondait autrefois plu-
sieurs autres substances, comme la houille, le jayet, le suc-
cin , mais que les minéralogistes en ont séparés depuis avec
raison , sont électrisables par le frottement , très-odorants ,
d'un poids spécifique généralement plus léger que celui de
l'eau , et susceptibles de brûler avec flamme, en répandant
une fumée épaisse , accompagnée d'ufle odeur toute particu-
lière, à laquelle on a donné l'épithète de bitumineuse.
Les caractères par lesquels ils diffèrent essentiellement des
trois autres corps indiqués plus haut sont les suivants ;
1° frottés ou exposés à une légère chaleur, ils exhalent une
odeur qui se rapproche de celle de la poix ; ce qui ne se
rencontre ni dans la houille , ni dans le jayet ou le succin ;
2° ils n'ont pas besoin d'être isolés pour acquérir l'électricité
résineuse par le frottement, comme il est nécessaire de le
faire pour la houille: 3° le plus compacte d'entre eux est
ordinairement facile à briser entre les doigts, ce qui n'airive
pas avec les pseudo-bitumes ; 4" enfin , ils ne donnent point
d'ammoniaque à la distillation, tandis que la houille eu
fournit.
On connaît cinq variétés de bitumes : 1° le bitume liquide
ou n aphte, source des Jeux perpétuels de la Perse ; 2" le
bitume oléagineux ou péti'ole, qui fournit un excellent
goudron; 3° le bitume glutinezix ou pissasphalte,
qu'on emploie sous le nom à^asphalte au dallage de nos
trottoirs; 4° le bitume résinoïde noir ou bitume de
Judée , qui est le véritable asphalte des minéralogistes;
5° le bittcme élastique ou élatérite, dont les usages
sont assez restreints.
Les auteurs qui se sont occupés de l'origine des bitumes
sont loin d'être d'accord sur ce point. On les a considérés
comme des produits de l'organisation , et spécialement des
végétaux ; Patrin les a regardés comme résultant de la com-
binaison de certains gaz , et de réactions opérées dans le
sein du globe ; d'autres , enfin , ont cru que le naphte et le
pétrole étaient dus k une distillation de la houille par des
feux souterrains; mais toutes ces opinions sont hypothé-
tiques, et ne reposent sur aucun fait positif : il est donc
préférable d'avouer franchement que nous ne savons rien à
cet égard. ^ P.-L. Cottereau.
BITUME DE JUDÉE. Cebitume, que l'on connaît
encore sous les noms de bitume résinoïde noir, karabé de
Sodome, gomme des funérailles , poix de montagne,
baume des momies, asphalte, etc., est solide, très-fragile
et à cassure vitreuse; examiné en masse, il paraît complè-
tement opaque et d'une couleur noire ; mais vu en fragments
très-minces, on remarque parfois qu'ils sont translucides
vers leurs bords, et que leur couleur est le rouge obscur. On
le tirait anciennement du lac Asphaltite ou mer Morte de
Judée , d'où lui viennent plusieurs dénominations qu'il a re-
çues ; et à cette occasion il convient de faire observer que ,
bien qu'il y surnage, il est cependant d'une pesanteur spé-
cifique plus grande que celle de l'eau pure. On en trouve la
raison dans la quantité considérable de sel que ce lac con-
tient , ce qui augmente la densité du liquide.
Des mines d'asphalte ont été découvertes en Suisse , près
de Neucliâtel , et en France, dans les départements de l'Ain
et du Bas-Rhin. On vend aussi sous ce nom le résidu char-
bonneux et huileux qui résulte de la distillation du succin.
Un des usages les plus remarquables du bitume dont
nous parlons est celui qu'en ont fait les anciens Égyptiens
pour embaumer et momifier les cadavres. Du reste, il est
probable qu'ils le dissolvaient préalablement dans le n a ji h t e ,
afin de le rendre assez fluide pgur pouvoir l'injecter dans
:v2
250
BITUME DE JUDÉE — BIVOUAC
les différentes caviti^s du corps, où il était nécessaire de le
jaire pénétrer, et que c'est au temps et aux combinaisons
qu'il a pu former avec les substances animales qu'il est re-
ilevable de la dureté qu'il possède dans les momies qui nous
sont envoyées. On en retire, par distillation, une huile d'un
blanc clair, regardée comme anti-spasmodique par les mé-
/lecins allemands, qui la prescrivent quelquefois , mais inu-
sitée chez nous.
Dans les arts, les usages de l'asphalte sont assez étendus ;
et il n'est pas douteux qu'ils ne le deviennent davantage
encore parla suite. En Arabie et en Judée on n'a pas d'autre
ciment pour joindre les briques des maisons. Mélangé avec
lin dixième de poix noi5e, il donne un mastic complètement
impénétrable à l'eau, et dont on^e sert avec le plus grand
succès pour luter les joînlures des pierres et des dalles dans
la construction des bassins et des terrasses. Uni à des ma-
tières grasses, on l'emploie pour oindre les rouages des ma-
chines et les roues des voitures , pour goudronner les ba-
teaux et bâtiments de toutes sortes, ainsi que les portes des
écluses ; pour enduire les charpentes , le fer, les pierres , et
pour lecouvrir les lenasses. On le fait entrer dans la com-
position des vernis servant à imiter les laques de Chine, ou
destinés aux ouvrages en fer employés dans l'intérieur des
maisons, comme les serrures, les tringles, les espagnolettes,
les rampes d'escali«rs , etc. Enfin , les artificiers l'emploient
pour la préparation des pièces pyrotechniques qui doivent
brfiler sur l'eau. P.-L. Cottereau.
BITUMINEUSES (Fontaines ). Voyez Naphte et Fon-
taine.
BITURIGES5 nom d'un ancien peuple de la Gaule, qui
occupait ce qu'on a appelé ensuite le diocèse de Bourges,
c'est-à-dire le Ijerry,etune partie du Bourbonnais, et dont
Bourges était la capitale. Lorsque le premier Tarquin était
roi de Rome, Ambigat, l'un des Bituriges, était roi des
Celtes. Ce prince, pour soulager le pays, qui était trop peu-
plé, envoya un très-grand nombre d'hommes, de femmes
et d'enfants, sous la conduite deSigovèse et deBello-
vèse, enfants de sa sœur. Le sort donna à Sigovèse la foret
Hercynie, dont une partie a été appelée depuis la forêt
Noire. La colonie de Bellovèse se partagea en deux bandes,
doni l'une tourna vers les Pyrénées et l'autre vers les Alpes :
tous les peuples voisins s'enfuirent devant eux. Quelque
temps après , les Toscans, ayant voulu s'opposer à ces Gau-
lois, fiweni. défaits, et les vainqueurs se rendirent maîtres
de toute la partie occidentale de l'Italie, qu'on a nommée
depuis Gaule Cisalpine.
BiVAC. Voyez Bivouac.
B3VALVE, c'est-à-dire qui est composé de deux valves
ou ballants. C'est, en conchyliologie, le nom que l'on donne
aux coquillages qui sont formés de deux pièces, pour les
distinguer des tinivalvcs , coquillages à une seule pièce, et
des mnliivalves, coquillages à plusieurs pièces. L'huître,
la moule, et un grand nombre <rantres mollusques acé-
phales sont bivalves. Votiez Coquilles.
On qualifie également du nom de bivalves, en botanique,
les végétaux ou parties des végétaux qui ont deux capsules,
tels que le lilas, le noyau de la pèche, etc., et l'on appelle
bivalvulées les anthères, qui ont deux pores fermés par des
valvules qui s'ouvrent au moment de l'émission du pollen :
telles sont celles du berberis.
BIVOUAC ou BIVAC , campement des troupes en plein
air, sans tentes, chaque homme se couchant tout habillé
et conservant près de lui ses armes. L'orthographe de ce
mot est fort équivoque. Pierre Borel écrit bivoie, Court de
Gebelin bihouac, Grassi bivonacq, Boiste et bon nombre
d'ordonnances bivouac; mais l'Académie, contre l'avis des
militaires , incline pour bivac. Ménage emprunte ce mot à
rallemand,\^t le fait dériver de bcy, auprès, et wac/U, garde,
veille, parce qu'autrefois dans les campements les j;ardes
saules restaient exposées à l'inclémence de l'air : la masse
(Us troupes reposait sous la toile ou dans des huttes. Jus-
qu'aux grandes guerres de la révolution, bivouac ne fut donc
en ce sens qu'un terme de service, et non. l'indication d'iiu
gîte à la belle étoile. On disait monter, descendre le bi-
vouac. Cependant, il s'était vu maintes fois que la veille
d'une bataille , ou à la suite d'une action , on avait fait bi-
vouaquer Varméc , et qu'en des circonstances dangereuses
elle avait passé ainsi la nuit, les tentes à bas. On a cité
comme une merveille la résolution que prit l'armée fran-
çaise de coucher au bivouac pendant plus de quinze nuits
lorsqu'on 1734 le prince Eugène s'approcha des lignes cTe
Pliilipsbourg. On aégaiement fort e.xaltfi en cette même année
la conduite de la garnison de Dantzig bivouaquant sans re-
lâche en attendant l'assaut des Russes.
En 1793 le mot bivouac avait perdu dans l'armée fran-
çaise son ancienne signification ; il était bien convenu qu'il
n'exprimait plus qu'un établissement en plein air. Les tentes
avaient disparu de toutes les armées de l'Europe , l'année
anglaise exceptée, et les troupes les remplaçaient par des
abris, des huttes en paille, en branches d'arbres, etc. Mais
comme passer les nuits en piein air n'est pas moins con-
traire à la santé des hommes qu'aux propriétés dans les-
quelles ils bivouaquent, comme c'est la ruine des forêts,
comme il en résulte des déprédations de toute nature, on a
fini partout ]iar reprendre les tentes. Noire orddniwnri'
du 5 avril 1792 disposait que lorsque les troupes couche-
raient au bivouac, les officiers généraux y demeureraient avec
elles. Cette obligation , si l'on s'y fût conformé , aurait rendu ^
les bivouacs plus rares et les généraux plus soigneux du
bien-être de leurs soldats.
Le général Rogniat , Xilanrler et M. Ch. Dupin se sont
élevés avec raison contre l'usage immodéré du bivouac; ils
l'accusent de ces énormes consommations de fantassins qui
ne duraient pas plus de deux campagnes. On a beau faire
néanmoins, quels que soient les inconvénients des bivouacs,
la pratique actuelle de la guerre ne permettra jamais de s'en
passer complètement, parce qu'ils offrent le moyen le plus
simple de tenir de grandes masses en état d'entrer toujours
en ligne, et qu'en raison de la rapidité des marches, qui est
aujourd'hui une des conditions de la victoire, il serait cxlrê-
mement difficile ae traîner constamment à la suite d'un corps
d'armée un nombre de tontes considérable. (Voyez Camp.)
BIVOUAC (Scènes de). A des choses nouvelles, des
mots nouveaux. Celui-ci s'est étendu des gardes de nuit,
qui étaient son véritable sens, aux plus grandes armées ; et
de l'établissement volant de postes perdus, naturellement
sans abri , sans provisions , couchant sur la dure et à la
belle étoile, quels que fussent les temps, au régime perma-
nent, et en quelque sorte régulier, des armées de l'Empire,
dans leurs plus glorieuses époques : dur régime, né pour
elles de l'iminensité surhumaine des entreprises et de l'é-
puisement absolu de toutes les ressources humaines.
Les anciens, dans leurs marches militaires, allaient de
viile en ville, ou de campement en campement. Les carnps
dos Romains étaient les forteresses et les places d'armes
des légions ; ceux des barbares étaient des cités mobiles ,
les seules qu'ils connussent. Dans les temps féodaux , la
guerre , étant partout , n'entraînait que peu de grands dé-
placements d'hommes. Caravanes d'exacleurs ou de pèle-
rins formidables, les compagnies trouvaient dans les
abbayes et les châteaux leurs principaux quailiers. 11 avait
fallu une grande cause, la querelle de Jo?us-Cliri.st, ctle génie
des croisades , pour soulever deux ou trois fois les masses
populaires comme les Ilots , et les jeter sur l'Orient.
Avec la guerre régulière, c'est-à-dire la guerre taclicienne
et savaHte des deux derniers siècles, les camps reparurent,
véritables séjours de j)laisance de l'armée. Tout le luxe de
la cour et de la ville suivait dans la carrière, sous la con-
duite des Condé, desTurenne, des Luxeinlwurg, des Villars,
des Richelieu , les importants de Paris et les petits-mai-
I^IVOUAG
très de Versailles , transformés , à la vue du péril et à la
voi\ du roi, en héros.
Vinrent nos guerres désordonnées de la Révolution, nos
guerres géantes de l'Empire. Adieu le luxe des tentes innom-
brables et rapi)areil des camps méthodiques ! C'étaient les
soulèvements guerriers du moyen âge, avec quelques cent
mille hommes de plus, et Dieu de moins; c'étaient les in-
vasions de Bcllovèse et de Crennus , en pleine civilisation ,
par les enfants armés du peuple le plus policé de l'univens.
Qui pouvait songer à mettre des tentes dans nos bagages,
alors que nous étioi* cinq cent mille , et qu'on pouvait partir
du pied de Lisbonne ou de Cadix pour les confins des Tar-
tares ? Le moyen de planter des tentes quelque part au temps
de nos prospérités, quand nous courions comme la vic-
toire ! Le moyen encore, dans nos revers, quand nous ne
cheminions que de bataille en bataiOe, et couchions sur un
sol détrempé de notre sang et de nos sueurs ! D'un autre
côté, quelles villes, quels villages eussent contenu ces masses
formidables.' A de telles armées il fallait pour couche la
terre, et pour tente le firmament. Les temps barbares étaient
revenus, avec leurs vastes déplacements d'hommes, leurs
profondes misères, leurs duretés inévitables, leur fataliste
insouciance de soi et des autres, i^à régnait cette double indif-
férence, tout ensemble aveugle et stoique, d'un peuple brave
et d'un temps incrédule. Alors on ne s'inquiète plus de cette
vie , on ne pense pas à l'autre ; l'homme , instrument dé-
voué, multiplie, sans compter, les destructions et les vic-
toires, les ravages etles prodiges. Lorsque nous serons courbés
sous le poids des années , et que les jeunes générations re-
garderont comme des monuments extraordinaires les der-
niers témoins de la longue Odyssée des campagnes impé-
riales, nous raconterons à nos enfants étonnés cet abri,
ce repos, ces joies du bivouac , quand , à la fin de journées
remplies par des marches surhumaines , et charmées seule-
ment par des périls inépuisables, un signal du héros de notre
épopée nous permettait de faire halte où nous étions, de nous
jeter sur un sol défoncé par les pluies ou durci par les frimas,
de fermer la paupière sous le ciel brûlant des CastiUes ou
sous les neiges de la Moscovie! On avait cheminé tout le
jour, tantôt pour atteindre l'ennemi qui fuyait, tantôt pour
dépasser sas colonnes dispersées, quelquefois en combattant,
la baïonnette au bout du fusil , mèche allumée, au pas de
course des canons , comptant les bataillons prisonniers et
non pas les lieues francliies ; d'autres fois aussi, car toule mé-
daille a un revers, toute conquête une réaction, d'autres fois,
les aigles repliées , le cœur brisé , ayant derrière nous l'é-
tranger, devant nous la patrie! « Allons, conscrits, disait le
vieux sergent, vous n'allez pas? Tu tires la semelle, enfant,
parce que tu es venu de Lisbonne à \N ilna , en passant par
Moscou! Belle misère! c'est pour ton bien ce qu'il en fait
cet autre. Au moins avec lui on ne moisit pas. » Le conscrit,
Venfant marchait douloureusement. C'était un enfant en
effet ! il n'avait pas vingt ans sonnés, et on voyait ses yeux
se remplir d'une gi'osse larme quand il lui fallait, pliant
sous le poids de son sac et de son fusil , courir une demi-
lieue durant afin de suivre le mouvement de la colonne qui
se serrait. « Hé bien! conscrit, reprenait le vétéran, qu'est-
ce qui t'arrive? tu fais le rechigné , parce que tu as couru,
quatorze lieues aujourd'hui pour n'en pas perdre l'habi-
tude. Tu sauras , mon ami, qu'un Français ne compte pas
les étapes de la gloire. » Le conscrit répondait souvent
pour son excuse qu'il était blessé ; et si on lui demandait
pourquoi il ne restait pas à l'hôpital à se faire guérir : « Ah
bien ! oui ! répondait-il sans se douter d'être un héros : pour
qu'on dise que je suis un falgnant! » Puis, la colonne refor-
mée entonnait quelques chants de guerre, quelques airs de
caserne, qu'officiers et soldats répétaient en cha'ur, en s'in-
terrompant par un long éclat de rire, si le refrain iiarlait
à nos soldats des ennemis ou des belles en langage par trop
fait pour eux. Les officiers, (rais émoulus du collège, s'é-
tonnaient d'une littérature à laquelle leurs études ne les
avaient pas préparés; ils faisaiciit chorus par respect hu-
main , tout en pensant aux sœ.urs et aux mères qui pour-"
raient les entendie. Ainsi allait la grande armée d'iéna à
Friedland, ou de .Mojaisk à Chaaipaubert.
Cependant, qu'est-il arrivé? Un fitniissement a couru d'une
extrémité à l'autre des colonnes. Les rangs se sont ouverts
pour faire passage. Une voix ciie au conscrit affaissé, qui se
débat dans la boue profonde, sans rien voir et rien entendre :
« Gare donc, ami ! « Cette voix , d'un mot elle remplit le
monde : c'est l'Empereur ! Il fend au galop les lignes de son
armée. Ses officiers ont un air affairé ; on a vu des aides de
camp courir en avant ; d'autres étaient allés et vei'.us ; un ma-
réchal s'installe déjà, avec son état-major, dans le château
prochain, et voilà deux, généraux qui vont se loger dans une
abbaye qu'on aperçoit plus loin. « C'est bon ! dit le sous-
officier blanchi sous le harnais : nous ne sommes pas au sep-
tième jour, car nous ne sommes pas près de nous reposer,
comme Dieu le Père. Mais celui-ci toujours est fini : c'est
un de moins! Allons, conscrit, ton lit de plume et ton
traversin sont-ils prêts? Tu peux faire ta prière, mon ami,
et dire bonsoir à madame ta mère : nous allons nous cou-
cher. » Et comme il raillait, on traversait une vilie, un ha-
meau , un bourg , suivant les temps. Ici , à la fenêtre du plus
beau des hôtels, là, sur la porte de la plus humble des
chaumières, la troupe voyait déjà arrivé, déjà établi, déjà
liabillé, avec son uniforme de chasseur à la place de la re-
dingote grise, et la culotte courte, les bas de soie blancs, les
souliers à boucles, toute la toilette des Tuileries enfin, l'em-
pereur, qui prenait son tabac, montrait sa blanche main,
donnait ses ordres au prince de Neuchàtel pour les opéra-
tions suivantes, et souriait à la grande armée. « Tiens!
reprenait le vétéran, il n'a pas été long, le Tondu! Dis donc,
conscrit, ton valet do chambre ne t'habille pas si vitement;
c'est un maladroit, mon ami. Je te conseille de mettre sous
la remise ce drôle-là. » Et, ce disant, il se retournait vers
son peloton, rép' tait les commandements, et, prêt à défiler
devant l'empereur, il criait avec toute la troupe, en regar-
dant son général d'un air attendri : Vive Vempereurl
Vive l'empereur, en effet! L'avant-garde a pris parles
champs, sur la droite : elle a devant soi une belle et vaste
plaine , où on ne voit pas un village, pas un arbre, pas une
\igne, à trois lieues a la ronde. Le bon Dieu les bénisse!
Nous, au contraire , nous tournons vers la gauche. — « Ca-
marades , vive l'empereur ! voilà quatre clochers bien comp-
tés; un peu loin , mais c'est égal : il y aura du vin dans
les caves... — Parbleu oui, du vin* comptez-y! ces Alle-
mands, ça n'en a jamais bu : ils auraient peur de se fêler
la voix. C'est des virtuoses. Leur vendange est là, sergent,
pendue à ces pommiers. — Hé bien , nous les brûlerons,
les pommiers, pour leur peine : cela ferale mêm.e effet... Oh !
voyez donc ce joli bois de sapins! on se chauffera, vous
dis-je. Vive l'empereur!... Et un vignoble encore, un vrai
vignoble de vignes. 11 y aura des sarments, et de plus les
échalas, de bon bois sec. Allons, conscrit, la broche ira bien.
Tu peux lécher tes barbes. Vive l'empereur ! »
Cependant , on passait tour à tour devant les eldorado
qu'on avait convoiîé's : c'était l'autre division du corps d'ar-
mée, l'autre brigade de la division, l'autre régiment de la
brigade , qui avaient les bonnes fortunes qu'on venait de se
promettre, k chaque mécompte, les rangs devenaient mornes
et silencieux. Puis, un aide de camp apportait un ordre; on
faisait halle. «■ Vive l'empereur! >'ous ne sommes pas mal-
heureux tout de même! Voilà trois chaumières qui ont de
fiers toits , de bonne paille fraîche. Qu'est-ce qui est de
corvée? Ah çà, soyez lestes, les bons enfants! Arrivez là-
dessus vivement, avant les dragons, qui regardent d'un air
tendre les trois chaumines, et que cette toiture soit enlevée
proprement, comme il convient à des grenadiers de la...
Suflit. Notre colonel aura le meilleur lit de l'armée. Cela
32.
252
BIVOUAC
fera plaisir au bon bourgmestre qui habite là-dedans , et
ça nous fera honneur. »
C'étaient là les bonheurs de l'armée. Il me souvient
qu'une fois , en France , aux derniers jours de la campagne
de 1S14, au terme de la rapide marche qui commencée
à Vitry ne se termina qu'à la Cour-de-France et à Essonne,
nous eûmes la fausse joie d'un séjour en deçà de la jolie et
vieille petite ville de Moret. Le temps était effroyable : il
pleuvait d'une façon horrible. Nous fûmes établis le long de
la grande route. Je pus m'emparer d'un de ces lits de cail-
loux qui garnissent le bord de la chaussée. Ce me fut un
triomphe. Je jouissais de mon sort : je n'aurais de l'eau que
d'un cùté! Des cailloux pour couche au lieu de boue, ce
sont là de ces fortunes qu'on ne peut comprendre dans les
habitudes uniformes de la cité ; dans les camps , il n'en faut
pas plus. Il y a un luxe relatif de toutes les situations
de la vie. L'existence des armées , pleine d'émotions et de
troubles , entourée de périls , est une longue ivresse. On
porte en soi-même une exaltation oîi les peines ne sont plus
mesurées, où les jouissances , par cela même, le sont fidè-
lement. TemjJS heureux après tout ! drame terrible, qui ne
menace la trame fragile de notre vie d'un redoublement et en
quehjue sorte d'une fièvre de fragilité, qu'en l'agrandissant
sans mesure par toutes les facultés nouvelles qu'il développe
(!n nous ! De ces facultés, la première est l'instinct univeisel
([ui fait sentir non point les sacrifices , mais les biens ; qui
fu't voir non point la mort, mais le devoir, la nécessité, la
gloire!
Si cet instinct héroïque fait le soldat, le Français est plus
soldat que tout autre. Nulle part ailleurs on ne trouve
comme dans ses rangs la vivacité des saillies dans les souf-
Irances et les périls. Sa résignation ingénieuse et altière défie
le sort. Sa gaieté insouciante et moqueuse oppose un sar-
casme à tous les maux ; elle salue d'une folie les moindres
cliances favorables, rit de la mauvaise fortune, croit à la
bonne, fronde la discipline sans cesser de s'y asservir, res-
pecte les chefs tout en les aimant beaucoup et les raillant un
peu ; elle est enfin mobile, variée, inépuisable ; elle renaît sans
cesse d'elle-même, et fait, on peut le dire, le génie, l'âme, la
force de nos armées. Les rangs rompus, les armes mises
en faisceaux et les emplacements fixés, il fallait voir ces
quokiues cent mille hommes, oubliant joyeusement, pour un
moment de repos, et quel repos ! les fatigues du jour, celles
du lendemain , l'Europe en armes qui les pressait à deux
lieues plus loin ! Déjà la corvée est partie dans tous les
sens. Ceux qui restent ont promené l'œil de tous côtés, et vu
tout ce qui peut se conquérir, sur cette terre qui leur est
donnée pour demeure. Les arbres tombent , les haies sont
coupées , la vigne court de grands hasards. Il faut du feu à
tout prix : la 50if;;e l'exige. Que serait d'ailleurs la nuit, sans
la ilanune du foyer qui réchauffe et console le soldat? Les
misères des populations, la ruine et le désespoir chez ces
paisibles habitants, étrangers à tous les jeux de la politique
et à toutes les chances de la gloire, qui y songe? Qui peut
y songer? Les généraux pas plus que les soldats , et le der-
nier des sous-lieutenants pas plus que l'officier de fortune
couronné qui a mis en branle le monde pour la satisfaction
de son orgueil et jusqu'à l'épuisement de ses grandeurs ! La
grande affaire est de pourvoir au salut de l'armée : qu'im-
porte le reste? Comment n'être pas blasé sur les misères
passagères des populations , quand on l'est sur les siennes
à perpétuité? D'ailleurs , il n'y a pas là un défenseur offi-
cieux des infortunés, un modérateur des âmes, qui tente de
plaider, contre les cris de la soif, du froid et de la faim, la
cause des droits de l'humanité. Le génie du dix-huitième
siècle n'a que trop aidé les fléaux de la guciTC à fermer les
âmes à ces vaines pensées, à ces impuissants sciupules !
Cependant, voilà les feux allumés! chaque compagnie a
le sien. Quelquefois elle en a plusieurs , dans les temps de
luxe. Dans les temps d'indigence, malheur à la contrée!
Tout y passe. Qui n'a vu, et cela dans nos bivouacs de France
comme dans ceux de l'Allemagne ou de la Pologne, les
meubles du paysan, employés, après les barrières de sa cour
et les portes de sa chaumière, à faire les frais de la cuisine
des régiments? C'était pitié d'entendre les vantaux ciselés
et luisants de l'armoire séculaire pétillant dans l'àtre impro-
visé; pitié surtout de voir la douleur, d'écouter les cris des
habitants dévastés. Les hommes en général se regardaient
ruiner silencieusement. Mais qui dira les cris des femmes ,
leurs sanglots, leurs malédictions? Cruel pour autrui à son
insu, parce qu'il l'est pour lui-même, le soldat, dans sa
détresse, plaisante jusque sous l'orage de ces Xantippes
révoltées. Il parle gaiement à la vieille qui l'outrage, pour
s'étourdir lui-même, et poursuit sa course en disant, afin
de s'affermir dans sa dureté forcée : « Bah ! la mère, on traite
comme ça ma cabine à l'heure qu'il est. Quand je retour-
nerai chez mon père , je n'y trouverai , pour récompense
de mes services à la patrie , que ce que les Cosaques y au-
ront laissé. Chacun son tour! Il faut bien que le soldat vive.
Vive l'empereur! »> Et il courait, laissant derrière lui la rage
et le désespoir.
Comment oublier jamais que dans les plaines de la Cham-
pagne, près de Méry-sur-Seine, nous avions pu, quelques
officiers exténués de fatigue, nous jeter sur un lit dans une
vaste ferme encomhrée de soldats. Tout à coup des cris, les
flammes, la fumée, nous réveillèrent : c'était la fermière, qui,
dans l'ivresse de sa douleur et de sa vengeance, avait elle-
même mis le feu à son propre toit. Quand on voulait sortir
du milieu de l'incendie, on trouvait celte malheureuse, la
fourche à la main , essayant de fermer les passages et de re-
jeter dans l'incendie les coupables de ses malheurs. Les cou-
pables! elle se trompait; il aurait fallu chercher ailleurs :
ses coups ne pouvaient pas porter jusque là!
Au milieu donc de tant et de si tristes scènes, l'insoii-
ciance militaire n'était pas ébranlée des désolations du pays
plus que des propres maux de la troupe. Ce qui l'attristait
un moment, c'est quand la pluie, tombant à torrents, étouf-
fait le feu du bivouac. Contre ce malheur, on était sans dé-
fense; alors on traitait la gloire comme peut-être elle le mé-
rite, et l'empereur quelquefois n'était pas mieux traité que
la gloire. 11 t^iut le dire : (lans les temps ordinaires, c'était un
beau spectacle, à la nuit tombante, que ces lignes de feux
sans nombre, qui couraient d'un bout à l'autre de l'horizon
comme des festons de lumière, s'élevant sur les collines, re-
descendant à travers les vallées, et renvoyant au ciel les clar-
tés qu'il verse à la terre. Les feux une fois allumés dans chaque
bivouac, deux pieux plantés à terre en portaient horizonta-
lement un troisième auquel pendait la marmite. Le cuisinier
de service la remplissait comme il pouvait : d'abord l'eau
du niisseau , du puits, de l'étang voisin ; puis , le bœuf et
le pain, quand il y avait distribution ; autrement, le pain
grossier du paysan, les légumes qu'on lui avait arrachés, la
pomme de terre des cantines, enfin le salé dont, le matin, à la
jiàte , le vieux soldat avait eu la précaution de charger vic-
torieusement son sac. Quand tout manquait, on attendait
une heure ou deux la picorée. « Ah! vous voilà! vous y
avez mis le temps. Vous êtes donc allés chercher le ma-
caroni chez les Napolitains et le piment chez les Espa-
gnols? — Soyez tranquilles, mou officier; il n'y a pas de
misère. Quand vous allez voir ce qui sortira de cette bottfc
de paille, vous nous en direz des nouvelles. Vous ne dî-
niez pas mieux chez votre comtesse de Canifurshtein. » On .
se pressait. Quelquefois des miracles : poules, canards,
moutons tout entiers, qui criaient encore. « Mille bombes!
vous aurez ruiné la compagnie, vous autres. Toutes ces
têtes de gibier ont dO coûter un argent fou. — Ne t'inquiète
pas, mon vieux; c'est moi qui régale. «Quelquefois rien,
ou peu s'en {allait. D'autres partaient aussitôt , se croyant
plus habiles. Ou bien la lassitu<le l'emportait, et on en
passait par où le sort avait voulu. 11 se trouvait bien tou-
BIVOUAC
jours , dans l'arrière -fond des cantines , iiu quartier de veau ,
ou de porc , ou de mouton , qu'on suspendait sur le foyer
comuieon pouvait, et qu'on regardait rôtir avec recueillement.
C'était le moment du silence pour la troupe; elle contem-
plait d'un air religieux le palladium de la compagnie.
Dans cette attente, on procédait à d'autres soins : on net-
toyait les armes , on préparait la toilette du lendemain , on
réparait les ravages de celle du jour, on faisait les lits. « A
l'ouvrage! criait le sergent. La paille est belle et bonne.
Nous aurons une nuit de rois. Voyons ! la chambre du ca-
pitaine. » Une ligne d'échalas était établie à l'entour du
foyer, marquant les limites du nouvel État, plus haute du
côté du vent et de la pluie , opposant aux intempéries le
rempart débile d'une étroite cloison de paille ou de bran-
chages. Souvent on allait , s'il y avait abondance de maté-
riaux, jusqu'à surmonter la place réservée pour le capitaine
et les officiers, d'un toit ni plus ni moins solide, haut de trois
pieds et appuyé à la haie commune. Alors la paille fraîche
était étendue sans tarder sous l'abri protecteur. Et déjà le
capitaine , ou du moins ses jeunes lieutenants, sortis la veille
des écoles et plus ardents que robustes , goûtaient un pre-
mier sommeil , quand tout à coup : « Alon lieutenant , la
soupe ! vous n'entendez pas la cloche du château de M. votre
père? Vous êtes servi. » Alors , tout le monde est sur pied.
Joie universelle. C'est un coup de feu , un assaut de quoli-
bet,s , de dictons , de réminiscences. — « La soupe ! mon
capitaine , à vous l'attaque. » — Il se trouvait souvent une
assiette , toujours une cuiller pour lui ; cuiller de bois ou
d'étain , qui voyage attachée au shako des chefs d'escouade.
L'assiette est de bois, de faïence, de porcelaine , suivant la
statistique du voisinage ou la fortune de la compagnie.
Quoi qu'il en soit, le capitaine et les officiers ont donné le
signal. iMais on s'arrête : la dîme doit être levée en faveur
des sentinelles , car à l'armée les absents n'ont jamais tort.
Leur part faite, à chacun la sienne! l^lus heureux que les
chefs des cuisines opulentes , le cuisinier de la troupe as-
siste à son succès. 11 est témoin de l'appétit qu'il excite et
qu'il satisfait. 11 entend ses louanges; il en jouit. Son con-
frèie des cités est obligé de se complaire seul dans son ou-
vrage, d'imaginer à part lui tout ce qui se jiasse à l'autre
étage, dans l'àme charmée de convives qui l'ignorent ; il ne
peut que s'enivrer des fumées de son amour-propre, aliment
peu substantiel, dont il (aut bien qu'il se contente , faute
de mieux. Ici ce sera autre chose : des réalités seront of-
fertes au cuisinier du bivouac. L'un ressemble à l'auteur
inconnu dont l'œuvre reste ignorée de sou vivant , et qui
est réduit à rêver les admirations lointaines de la posté-
rité; l'autre, au contraire, est le poète qui assiste à la re-
présentation de sa tragédie et à son succès. Le succès est
toujours grand au bivouac, quelles que soient les censures
dont la malignité des convives l'assaisonne. Car rien ne
reste ; la marmite est vidée. Le rôti a la même fortune. Les
bouteilles qui courent à la ronde , quand il y a des bou-
teilles, donnent au succès l'éclat bruyant de ces cinquièmes
actes romantiques où il ne reste sur la scène que des débris ,
où il n'y a plus que le public qui soit vivant : ce qui vaut
sans doute à ces ouvrages les transports des spectateurs ,
comme s'ils étaient heureux d'avoir seuls échappé au car-
nage. Tels sont les assistants des banquets du bivouac. Eux
aussi ont échappé à bien des périls. Leur drame, dont iis
sont les héros à la fois et le parterre , leur promet par ha-
sard quelques heures de repos. C'est par de bienfaisantes
libations qu'ils y préludent, comme pour se distraire de plus
en plus des cruelles péripéties de cet étrange spectacle de
la guerre pour la guerre , et de la conquête pour la con-
quête, que la révolution est venue donner au monde! Le
vin manque-t-il, l'eau-de-vie ne manque jamais. Paraissez,
cantinières, avec vos tonneaux de poche, qui tiennent
enfermée la moitié de l'âme et de l'esprit de l'armée ; parais-
sez, vous qu'on ne peut oublier quand on parle de ces
guerres , de ces marches , de ces batailles terribles ! Venez
à la ronde verser les joyeux propos, les vivants souvenirs ,
les mémoires improvisés, les récits de l'Espagne et de
l'Egypte, les parallèles entre tous les soldats et entre toutes
les beautés de l'univers ! Versez , par-dessus tout, l'oubli
de cette destinée faite à un grand peuple : combattre sans
repos et vaincre jusqu'au suicide !
La eau fini ère est aimée de tout le monde, aimée dans
le sens sérieux du mot. Elle n'est pas seulement la vivan-
dière, elle est aussi, si on ose écrire le mot, la sœiu" grise
de l'armée. Son ambulance mobile ne l'abandonne jamais.
On trouve toujours de la charpie dans ses paniers et de la
commisération dans son cœur. Le conscrit, quand il se traîne
sur les chemins , boiteux et malade , sait qui aura pitié de
lui , qui lui prendra le fusil et le sac pour en charger ses mu-
lets , qui , au besoin, l'y établira lui-même , raillé par ses
camarades , mais porté au terme de sa course , et sur d'as-
sister, malgré tout, à la bataille du lendemain. La cantinière
mêle une femme à cette société de célibataires armés. C'est
l'Eve des régiments. Elle a mêmes allures que le soldat , et
même langage; mais sous son langage grossier, sous ses al-
lures guerrières, se cache un cœur de femme. L'esprit dessé-
chant du siècle où nous sommes n'a pas agi sur elle aussi pro-
fondément que sur l'âme des hommes. Ses quahtés natives
ont résisté, détournées de leur but quelquefois , mais exal-
tées par cette vie d'émotions et de sacrifices. Son dévouement
inépuisable s'accroît parle péril. Son courage reste tout en-
tier quand celui des soldats mollit, et qu'il lui en faut pour
le bataillon comme pour elle. Les hommes entre eux se
secourent; ils ne se plaignent pas. Elle plaint en secou-
rant. Elle ranime par ses exemples, par ses discours, par
ses chansons. Elle a toutes les intrépidités , celle de la re-
traite de Russie, comme celle de la mêlée d'Eylau jçt de
Friediand. Les hommes n'en ont qu'une souvent, celle du
danger ; les soldats puisent toutes les autres dans son as-
sistance. Fleurange disait : « Si ma belle me voyait! » le
grenadier est plus heureux : sa belle le voit. Aussi sait-elle
les exploits de chacun. Elle ne provoque pas seulement des
hauts laits nouveaux ; elle se rappelle ceux qui ont illustré
le régiment. Elle était là , elle a tout vu. Il y a quelqu'un
qui se souvient des morts , qui parle d'eux, qui redit leur
nom oubhé, et leur histoire digne de ne pas l'être. Les faits
de guerre ne sont pas seuls restés dans son souvenir; elle
sait d'autres exploits; elle les dit ; elle s'en amuse vaillam-
ment. Et ce n'est pas qu'elle ne sache s'honorer, sous son
habit et ses formes mihtaires, des véritables vertus de son
sexe. Bien souvent elle voue une intrépide fidéUté au vieux
brave dont elle porte le nom, de qui elle est fière, et qui est
son porte-respect devant le régiment. Mais si sévère qu'il ait
le visage, il n'empêche pas les propos galants autour d'elle;
il n'y prétend même pas , ni elle non plus. Elle va au-
devant, quand il le faut, pour pemonter, comme on dit, le
moral affaissé de la troupe. Alors, elle est Brantôme comme
Joinville, et Dieu sait les bravos qui accueillent ses rémi-
niscences héroïques ! Sous la pluie , sous les frimas, sa verve
est plus animée que jamais. « Ils ont froid , eux autres.
Moi, c'est comme à la journée des Pyramides. La terre me
brûle, et c'est comme cela qu'il faut être. Qui faiblit pour
une averse peut faiblir partout. Qui tremble au froid peut
trembler devant l'ennemi. » Et, ainsi disant, elle verse son
breuvage heureux. La souffrance s'oublie. On pense à trouver
le sommeil, comme on pourra, une fois de plus, pour vivre
encore un jour, et, selon le mot du tambour mourant,
pour en voir encore une ! On répartit ce qu'on a de paille
autour du foyer. On met le havre-sac sous la tête, les pieds
au feu; le silence s'établit de foyer en foyer, de bataillon
en bataillon. Dans la cavalerie, les chevaux s'avancent
au-dessus des héros , leur tète sur la tête du compagnon
de leurs travaux ; intrépides combattants, qui donnent leur
vie avec la même ardeur que le soldat, et en échange
254 BIVOUAC —
n'ont point ce bniit que nous appelons la gloire. Gloire,
péril, fatigue, voilà tout oublié.
... Tout dort, et rariiice, et les vents, et Ni'[)tunc.
Oui , mais Napoléon ne dort pa^;. 11 s'est levé du lit de
camp où il s'était jeté. « A cheval, a-t-il dit, à cheval! »
Son état-major vole par tous les chemins. Sa parole est arri-
vée aux trois cent mille hommes dont il est l'âme et la vo-
lonté. Les tambours, les trompettes, remplissent les airs.
« Allons, conscrit, dit le sergent, lu as assez dormi, mon
enfant; prends garde que le sommeil t'engraisse comme un
chanoine. Allons, te dis-je, mets ton cas(iue à mèche dans
l'armoire. Prends ta (lûle d'acier : nous aurons encore à en
jouer un air aujourd'hui. » Le conscrit n'entend pas. Le
bruit des tambours n'ébranle pas ce sommeil de plomb.
Mais voilà le canon q^i gronde. « Une, deux, trois; oh! oh !
cela va bien, dit la cantinière, en rechargeant son mulet;
nous allons rire, les bons enfants. La chasse aux Cosaques
doit bien se faire la nuit. Celui qui m'en rapportera un... «
Voilà l'empereur! les sacs sont repris, les faisceaux sont
rompus; le régiment est en bataille. Le conscrit, autant son
schako au bout de sa baguette, cric plus haut qu'un autre :
Vive Vempereur ! On rompten colonne. Toute l'armée se pré-
cipite sur les pas de son chef. Elle court à Lutzen , à Baut-
zen, à la victoire. Les feux continuent à éclairer au loin la
nuit profonde. Il ne leste de l'armée que ces feux décevants,
les abris abattus, la paille que le vent emporte, la terre dé-
vastée , une ruine de bivouac au milieu de tant d'autres
ruines C'est toute l'image de l'ère impériale : ces débris
représentent ses créations d'un jour, ses royaumes , son
empire, si tôt élevés, sitôt emportés par la fortune; cette
paille, que l'ouragan disperse et brise, ses armées éparses
à travers tous les champs de bataille; ces feux, qui bril-
lent après elles sans profit comme un incendie , sa gloire
guerrière, si brillante , si terrible et si vaine! (1835).
N.-A. DE SaLVANDY, de l'Acad. Frnnrnise,
BIZARRERIE. Jadis on disait bigeare ce qu'on a
depuis appelé bisarre, ou bizarre, car ces termes dérivent
du mot bigarré et de bis variare, appellation qui leur
convient comme à ces étoffes changeantes qui miroitent et
varient d'aspect à la lumière. La bizarrerie diflère du ca-
price en ce que celui-ci veut ou ne veut pas, suivant une
disposition instantanée résultant de réflexions ou d'impres-
sions rapides, telles qu'il en survient dans l'inconstante
sensibilité des êtres délicats, des fenmies ou des enfants,
tandis que la bizarrerie est une sorte de désordre ou même
de dépravation dans les idées et les actions, se manifestant
tantôt par une légère folie, une monomanie partielle,
tantôt par une espèce d'orgueil visant à l'originalité ou qui
cherche à se distinguer : il est des génies fantasques ou
vaniteux qui se croient neufs et ne se rendent que bizarres
parleur accoutrement , leur démarche, leur tournure, etc.
Uiogène avait ses prétentions, non moins que le fastueux
Aristippe.
Néanmoins, la plupart des bizarreries de l'esprit qui ne
sont pas de commande peuvent naître d'une espèce de ma-
ladie, c'est-à-dire d'une dépravation dans l'état ou le mode
de la sensibilité. Elles tiennent souvent à de vraies idio-
syncrasies de la constitution. Elles résultent parfois de
vices d'organisation, d'inégalité d'action d'un sens interne ou
externe par rapport à d'autres sens : de là des impressions peu
justes ou des idées fausses. On comprend, par exemple, que
de jeunes personnes dont la menstruation n'est point encore
régidière, éprouvent desplélhores partielles de sang qui bc
porte sur diverses régions de l'économie, l'utérus, le système
de la veine-porte, le foie, les poumons, le cerveau, etc. Il
en résulte de profondes anomalies dans la sensibilité, counne
on en observe chez les fdles chloroticpies atteintes d'hystérie.
Les hypocondriaques manifestent de même d'étonnant&s irré-
gularités dans leurs fonctions, par les spasmes, les laborieuses
BIZARRERIE
digestions, accompagnées de flatulences, de constipation, de
coliques, de tensions, de battements de cœur, de resserre-
ments de la gorge, d'agitations inquiètes pendant le som-
meil, etc. Alors l'ennui fermente dans l'esprit, la vie déplaît
jusque dans les plaisirs; on se tourmente, on aspire même
aux douleurs pour sortir de cette position insupportable qui
tourne la cervelle. C'est alors que le goût se dégrade; on
voit des fdlcsaux pâles couleurs et des négresses, atteintes
du mal d'e-stomac, dévorer du plâtre, des cheveux, ronger
de la cire à cacheter, avaler de la terre ou du charbon , ou
des poignées de sel. Ces bizarreries sont involontaires,
comme les appétits de certaines femmes grosses. P>ien de
plus extravagant que certains goûts pour les chairs in-
fectes, etc. Plusieurs empereurs romains poilèrent jusqu'au
délire la passion de la gourmandise. Rien , en effet, ne dis-
pose davantage aux bizarreries que la facilité de satisfaire
tous ses désirs, puisque les jouissances assouvies amènent
le dégoût avec la recherche des nouveautés les plus inusi-
t;''es. Il en résulte des vices infâmes, hideux, surtout dans
les climats ardents, où les passions s'allument avec plus de
fureur, et où la fertilité du sol multiplie les plaisirs.
On ne doit accuser de bizarrerie que les actes résultant
de volontés dépravées, soit par quelque affection de nos
organes , soit par le délire îles passions. Le sexe masculin ,
dit-on, paraît moins sujet aux bizarreries, parce que, doué
d'une sensibilité moins vive et moins délicate que la femme,
ses nerfs obtus jouent faiblement et n'éprouvent point ces
élans d'agacement qui exaltent à un si haut degré des êires
plus impressionnables. La colère devient impétueuse chez
les personnes remuantes, maigres, sujettes à l'exaspération.
Ainsi , l'on voit des enfants , des jeunes fdles , pleurer et
rire presque à volonté; d'autres, non moins flexibles, peu-
vent s'endormir ou s'éveiller sous l'influence de l'imagina-
tion, ou du magnétisme animal. Rien n'égale les bi-
zarreries qu'on peut susciter en quelques têtes légères ou
folles , tandis qu'une forte et constante volonté rafl^ermit le
caractère et dompte même les perturbations les plus pas-
sionnées. On a vu des hommes résolus surmonter la douleur
du corps et commander à des maladies, arrêter avec viri-
lité les affections spasmodiques , suspendre les accès ou
paroxismes fébriles, etc. Au contraire, toute bizarrerie, toute
habitude maladive qu'on laisse' pénétrer , qu'on accueille
avec complaisance, par mollesse, finit par se loger obstiné-
ment dans l'économie animale, de même que les vices.
N'avons-nous pas adopté la bizarre coutume des sauvages
de fumer une herbe narcotique? Un fakir s'accoutume à
tenir ses mains croisées au-dessus de sa tête; après des
mois et des années , ses bras , ainsi suspendus , deviennent
paralytiques, et sa bizarre manie est une nécessité.
Que dira-t-on de bizarres rétroversions de la sensibilité?
Ou a connu des iiersonnes ayant pris en aversion la mu-
sique, et préférant le coassement des grenouilles ou les bruits
discordants. On en voit d'autres qui pleurent, comme les
chiens hurlent, quand on joue du violon. On sait quels
bizarres mouvements suscitent plusieurs genres de specta-
cles. La [tuissance d'imitation transmet les douleurs comme
les voluptés. Il est enfin des esprits tellement organisés
que le bizarre, le grotesque, le laid, l'absurde même, ont
seuls le don de leur plaire.
Cette dis])osition fantasque à des boutades, à des saillies
extiavagantes qu'on nomme des bizarreries, est plus souvent
remarquée encore que la mobilité instantanée du caractère,
dans les tempéraments grêles et légers, soit chez les femmes,
soit chez les hommes doués d'une complexion émiiu;mment
hypocondriaque. Le caprice n'est pas folie, mais la bizarre-
rie y touche souvent. Tel homme qui vise à l'originalité ne
rencontre d'ordinaire que le baroque, s'il mamiue d'une
intelligence un peu supérieure au commun. L'houuue bi-
zarre par caractère peut être timbré, par rai)port à sa ma-
rotte ; il a son genre de manie. C'est la débilité du moral ou
i
BIZARREIUE — B.TŒRISSTJERNA
celle lie l'r.npareil nerveux ct^rébral qui le rend susceptible
de ces agitations soudaines et vives comme des agacements
désordonnés. Telle impression, à peine capable d'ébranler
les muscles épais et robustes d'un athlète , d'un guemer
endurci aux fatigues et aux conibats, va terrasser de con-
vulsions et lancer dans les idées bizarres une femmelette.
Toujours dominée ou plutôt tyrannisée par la sensibilité,
Vimpressionabilité de ses sens, cette complexion délicate
est exposée à ces tiraillements étranges. La femme , l'en-
fant, sont précipités dans leucs penchants et succombent aux
émotions. Il ne faut pas leur en vouloir. Il y a peut-être
plus d'esprits désordonnés parmi le sexe faible que parmi
les hommes. Les femmes même qui montrent le plus de vi-
gueur dans le caractère subissent nécessairement , par cer-
tains états du physique , comme aux approches des règles
ou dans la première période de la grossesse, et surtout par
l'hystérie, une multitude d'idées disloquées ou de senti-
ments empreints d'irrégularités extravagantes. S'émouvant
de tout avec force, les plus petits chocs doivent paraître dou-
loureux ou révoltants à ces organisations frêles. De là nais-
sent également et l'ardente curiosité , et ce goût si violent
pour tout ce qui est singulier, éclatant, spécieux; de là
ce besoin d'émotions, cette exagération de sensibilité qui les
précipite sans cesse vers des démarches immodérées.
Il serait cependant injuste d'attribuer aux femmes seules
le monopole de la bizarrerie, ou de n'en voir que les effets
nuisibles et déplaisants dans la société. Disons, au contraire,
que cette mobilité du système nerveux en atteste souvent les
plus brillantes qualités. Vous ne trouverez jamais un grand
poète, un nmsicien subUme, un artiste supérieur au vul-
gaire, qui ne soit pas doué de cette exquise sensibilité et
qui n'éprouve pas de ces agacements involontaires. Qu'est-ce
que l'inspiration, ou cet état d'exallation morale qui tout
à coup se montre et improvise quelquefois de sublimes pen-
sées ? Croyez-vous l'obtenir par une froide volonté et à point
nommé? 11 faut que la machine intellectuelle et sensible
éprouve cette mobilité vive , capricieuse , qu'Horace recon-
naît être l'apanage du poëte et du musicien ; il faut être tour-
menté de celte divine flamme qui embrase lorsqu'on s'y at-
tend le moins. Telle est aussi cette fureur inspiratrice des
grands acteurs, non moins que des héros dans tous les genres.
On ne peut jouer d'entraînement si l'on ne possède pas ces
cordes tendues et mobiles qui vibrent à l'unisson de l'âme
et qui transportent les c(i>urs. Pour cet effet une heureuse
sensibilité est une condition admirable; elle annonce l'élan
poétique et allume le feu sacré, et, comme la Sibylle, on s'é-
crie : Ecce Deus ! Cependant on peut dire que c'est une
maladie, puisque le parfait équilibre de la santé est une as-
siette tranquille, froide, imperturbable. L'artiste, inconstant
ou bizarre, n'est qu'un malade liévreux , pétri de passions,
comme Yoltaire et le Tasse. Les poètes lyriques, comme
les nmsiciens, semblent être surtout les plus extravagants,
les plus impressionnables des mortels ; ils s'enflamment ai-
sément de colère, et presque tous crachent le sang, comme
Grétry, après avoir fait des efforts de composition dans leurs
inspirations les plus ravissantes.
La bizarrerie est une disposition commune également aux
personnes menacées de phthisie, maigi'es, vives, irritables,
disposées aux plaisirs , ou qui consument trop ardemment
leur jeunesse. Les personnes âgées, au contraire, plus froiiles
et plus constantes, se voient bien moins exposées à ces iné-
galités d'humeur, qui sont comme d'utiles décharges d'électri-
cité vitale pour le jeune âge. Ces extravagances en effet
deviennent parfois un besoin pour l'économie, en la dé-
barrassant d'une pléthore de sensibilité qui l'oppresse. On
sait que des femmes éprouvent l'inévitable besoin de pleurer
ou de rire, même sans motif; elles étoiiffent si elles sont con-
traintes de renfermer ces débordements de leur sensibilité.
La vie cherche à s'épancher au dehors; il y a des personnes
qui aiment mieux souffrir de la douleur que de subsister dans
l'apathie; à l'un il faut la guerre, à l'autre l'amour, à cha-
cun sa folie. J.-j. Vuiey.
BîZET. Ce substantif est resté dans la langue , et il
faudra bien que le Dictionnaire de l'Académie se décide à
l'adopter et à le consacrer officiellement dans l'acception du
garde national faisant son service militaire en costume civil.
Mais si le mot est admis, si l'usage, plus puissant que l'A-
cadémie, lui a déjà donné ses grandes lettres de naturalisa-
tion , en revanche, son origine est peu connue, et nous le
rappelons, afin de ne pas laisser ce document historique
tomber tout à fait dans l'oubli.
A l'époque où les armées étrangères occupaient Paris, le
général russe qui commandait la place avait décrété que les
rondes de nuit seraient faites par des patrouilles composées
moitié de gardes nationaux , moitié de soldats moscovites
ou prussiens. Un tel ordre devait exciter et souleva sans
doulebien des murmures dans la milice citoyenne ; un garde
national nommé Bizet fit plus que murmurer. La première
fois que, se trouvant de garde, on voulut le foire marcher
côte à côte avec un soldat russe, il s'écria que jamais il ne
consentirait à cet odieux accouplement, et, déposant les
armes , il quitta le poste avec indignation. C'était un cœur
chaud, ce brave I^L Bizet, plein de susceptibilité patriotique;
de plus, très-bonapartiste, et beau-frère du secrétaire de l'em-
pereur, de Bourienne , qui avait épousé sa sœur. On voulut
d'abord étouffer l'affaire. Requis bientôt pour un nouveau
service, M. Bizet s'y refusa, déclarant qu'il ne voulait plus
faire partie de la garde nationale , et qu'il ne rentrerait pas
dans ses rangs tant que les soldats étrangers s'y trouveraient
mêlés. Cette résistance hautement accomplie et vaillamment
soutenue eut un grand retentissement; le garde national
rebelle fut traduit devant un conseil de guerre, et il eût payé
cher sa généreuse révolte si la clémence royale n'était in-
tervenue pour le tirer de ce mauvais pas. Ainsi M. Bizet
n'eut que le bénéfice et la gloire de son action un instant
menacée des plus fâcheuses conséquences. Il fut prôné, ap-
plaudi , et son nom eut l'honneur de devenir un substantif
dans la langue française. Dès lors, on donna le titre de bizet
aux gardes nationaux récalcitrants, et, par extension, ce
nom s'appliqua plus tard à ceux qui refusent de prendre
l'uniforme et qui font le service en habit bourgeois.
Peu de temps après l'aventure que nous venons de citer,
1\L Scribe, qui en était alors à ses premières armes dans la
carrière d'auteur dramatique, fit représenter un vaudeville
intitulé Une Nuit de la garde nationale, qui eut un im-
mense succès. Dans cette pièce, figurait un soldat-citoyen
rebelle à l'uniforme ; les convenances défendant à l'auteur
de donner à ce personnage comique le nom de RL Bizet , il le
nomma M. Pigeon , ce qui est en quelque sorte un syno-
nyme dans le vocabulaire de l'histcire naturelle (voyez
Biset). Eugène Guinot.
B JCffiRKST JERNA ( M acnus - Frédéric-Ferdinand ,
comte), écrivain et homme d'État suédois, naquit le 10 oc-
tobre 1779, à Dresde, où son père remplissait alors les fonc-
tions de secrétaire de légation. Élevé en Allemagne, il vint
en Suède pour la première fois en 1793, à l'effet d'entrer
dans l'armée. Déjà parvenu au giade de capitaine au mo-
ment où éclata la guerre de Finlande , la bravoure dont il
fit preuve dans cette campagne lui valut le grade de major.
Après la paix, il fut envoyé en 1809 avec une mission secrète
auprès de Napoléon, qu'il rejoignit la veille de la bataille
d'EckmiihI. En octobre 1812 il alla négociera Londres la
vente de l'île de la Guadeloupe, et en 1S13 il accompagna
l'armée suédoise en Allemagne comme colonel. Chargé alors
d'occuper Hambourg, il dut battre en retraite et assista en-
suite aux affaires de Grossbeeren et de Dennewilz. A la prise
de Dessau, il eut deux chevaux tués sous lui, et fut griève-
ment contusionné par un boulet de canon; mais il n'en prit
pas moins part à la bataille de Leipzig. Plus tard ce fut lui
qui conclu' avec le général Lallemaud la capitulation relative
256
à Lubeck ; et il négocia également la reddition de Maestriclit.
Après la prise de Paris , il agit encore contre le corps fran-
çais reste à Hambourg sous les ordres de Davoust, et fit
ensuite partie du corps d'armée expéditionnaire chargé de
faire passer la Norvège sous les lois de la Suède. Ce fut lui
qui conclut avec le prince Cliristian-Frédéric de Danemark
la convention de Moss, qui mit fin à la lutte. En 1815 il passa
adjudant général et fut créé baron. Nommé lieutenant géné-
ral en 1820, il fut promu en 1826 à la dignité de comte, et
envoyé en 182S en Angleterre avec le titre de ministre plé-
nipotentiaire. Il conserva ces fonctions jusqu'en 1846, époque
où il revint à Stockholm, où il mourut, le 6 octobre 1847.
Comme publiciste, le comte Bjrenisfjerna appartenait h
l'opinion libérale mod-^rée. Dans les écrits intitulés : Om
tUlxmpnlng af fond-eller stochs-sijstemet pa Svcrige
(Stockholm, 1829); Om bcslmttningcm grimdcri Sverige
(1832; 2"= éilit., 1833) et Englcska Statsskulden (1833), il
recommandait à ses compatriotes l'adoption du système an-
glais de crédit [Miblic. Mais quand la question se présenta
devant la diète , c!!e y fut assez mal accueillie par les états.
Dans ses Gnindcr/err rrprescntntionensmœjliga ombyg-
gnad och fœrenlUing ( Stockholm , 1835 ), il avait déjà pro-
posé d'apporter des améliorations au système suivi pour la
représentation nationale. Lors delà diète de 18'ÎO, il défendit
avec beaucoup de talent dans une brochure le principe du
f-uffrage universel conjme base de la représentation.
On a encore du comte de Bjœrnstjerna : Fœrslag till
jury i trych-frihetsmal (18.35); Dct BriUisha riket i Os-
f Indien ( 1839) ;et Théogonie, Philosophie et Cosmogonie
des Hindous ( en allemand et en suédois, 1843).
BLACAS (Blacas de), seigneur d'Aulps, surnommé
le grand Guerrier, et l'un des neuf preux de la Provence,
naquitau milieu du douzième siècle. Sa naissance était il-
lustre; caries chartes du temps prouvent qu'il tenait le rang
(le haut baron. Sa valeur, su!i esprit et sa magnificence lui
donnèrent un grand crédit à la cour d'Alfonse II et de Rai-
inond-Bérenger, comtes de Provence. Les contemporains
(le Blacas , éblouis par ses grandes qualités , ont peut-être
cru qu'il manquerait quelque chose à sa gloire s'ils n'inscri-
vaient pas son nom parmi ceux des troubadours. Mais le peu
de tensons qu'on a recueillis de lui ne donnent pas une idée
fort avantageuse de son imagination poétique. Sa renommée
guerrière était assise sur des fondements plus solides; aussi
6on caractère est-il passé à la postérité comme le type de
la générosité et de la vaillance. Les vieux historiens nous
en ont transmis le portrait suivant : « Noble baron, riche,
généreux, bien fait , il se plaisait à faire l'amour et la guerre,
.'i dépenser, à tenir des cours plénières. Il aimait la magni-
ficence, la gloire, le chant, le plaisir, et tout ce qui donne
de l'honneur et de la considération dans le monde. Personne
n'eut jamais autant de plaisir à recevoir que lui à donner.
]l nourrit toujours les nécessiteux; il fut le protecteur des
délaissés, et plus il avança en âge, plus on le vit croître en
générosité, en courtoisie, en valeur, en richesse et en gloire,
j)lus aussi il se fit aimer de ses amis et redouter de ses en-
nemis. Il fit les mêmes progrès en esprit, en savoir, en
habileté à composer et en galanterie. » Ces derniers traits,
s'ils ne sont pas outrés, peuvent faire supposer que les
chansons les plus remarquables de Blacas ne sont pas par-
venues jusqu'à nous. Blacas mourut dans un voyagea Rome,
en 1235.
Bertrand d'Alamanon , Richard de Noves et Sordel (pocfc
du Mantouan), ses amis et ses frères d'armes, ont célébré
sa mémoire par plusieurs chants funèbres. Celui de Sordel
est surtout remarquable par la hardiesse d'une apostrophe
(lu'il adresse nommément à tous les princes delà chrétienté,
en les conviant à venir manger du cœur de Blacas, s'ils
veulent être animés de son courage.
Blacas eut deux petits-fils , également célèbres dans les
armes, Blacassct </eI3i-ACAS, qui composa le poème De
BJOERNSTJERNA — BLACAS
la manière de bien guerroyer, et Guillaume de Blacas,
l'un des preux que Charles d'Anjou, comte de Provence,
choisit pour le combat en champ clos que ce prince, à la tête
décent chevaliers, devait soutenir contre Pierre III, roi d'A-
ragon, dans la ville de Bordeaux, le 1^"' juin 1283 , mais où
l'Aragonais ne jugea pas à propos de paraître. Laine.
BLACAS (PrEiuîF,-LoL'is-JEAN-CASiMiR,duc de), marcjuis
d'Aulps et des Roîands, grand maître de la garde-robe,
naquit en 1770, à Aulps, d'une noble famille illustrée par le
précédent, et qui était devenue une des plus pauvres de la
Provence. Le duc de Blacas , qui n'était d'abord que comte,
qui devint ensuite marquis, puis enfin duc, a prouvé d'une
manière éclatante, par l'exemple de sa vie, qu'on peut être
à la fois un grand seigneur spirituel, môme lettré, et le plus
inepte des ministres. Capitaine de cavalerie au moment où
éclata la révolution de 1789, il émigra, servit dans l'armée
des princes, puis dans la Vendée. Plus tard, à Vérone, en
Italie , il gagna la bienveillance du marquis d'Avaray, con-
fident de Louis XVIII , et fut bientcJt honoré de la faveur
particulière de ce monarque, qui le chargea de diverses
missions qu'il remplit avec succès. Ce fut lui qui, lorsque
la petite cour de Vérone dut s'éloigner devant les armées
républicaines, obtint pour elle de l'empereur Paul 1" un
asile en Russie. Lorsqu'en 1800 l'auguste exilé fut expulsé
des Étals moscovites, Blacas le suivit à liartwell, en An-
gleterre, et devint son ministre de la guerre. En 1814
Louis XVllI ramena avec lui en France Blacas , que le mar-
quis d'Avaray, en mourant, lui avait en quelque sorte
légué. Il le nomma ministre de sa maison , secrétaire d'État,
intendant des bâtiments et grand maître de la garde-robe,
bien que l'ancien titulaire, le duc de La Rochefoucault-Lian-
court, fot encore vivant. Enfin, sans avoir le titre de pre-
mier ministre, le comte de Blacas le devint de fait ; mais ni lui
ni ses collègues n'étaient à la hauteur de leur situation.
Ce cabinet trouva, dès les premiers mois de son existence,
le moyen de mécontenter les émigrés, et surtout les roya-
listes de l'intérieur, sans se concilier les partisans de Bona-
parte et de la république. Inintelligent des ressorts du gou-
vernement représentatif, il ne fit rien pour se former une
majorité dans les deux Chambres. Aussi la session de 1814
elfaça-t-elle le prestige de la Restauration. De la part du
gouvernement , aucune loi ne répondit aux intérêts réels du
pays, les deux Chambres ne furent qu'un ressort impuissant.
Blacas et ses collègues ne voulurent pas comprendre que
pour rétablir la monarchie française il fallait autre chose que
les débris d'un empire tombé, et que la Charte appelait immé-
diatement une législation nouvelle. Loin de là, ce ministère
laissait percer dans ses discours qu'il ne regardait la Charte
que comme une œuvre de transition. Dans sa présomption,
Blacas repoussait tous les conseils. Dès que quelqu'un avait
à lui faire tenir un avis salutaire, il disait avec une impertur-
bable suffisance : « Qui?... cet homme-là! Ah bah! c'est
un intrigant, un alarmiste, un frondeur. Je ne veux pas en
entendre parler. » Ce n'était pas en conseil des ministres que
se traitaient les affaires ; Blacas servait d'interprète entre
ses collègues et le roi , qu'il rendait inabordable. Les choses
allèrent même si mal que l'abbé de Montesquieu, ministre
de l'intérieur, fut bientôt en inimitié ouverte avec lui. L'abbé
de Montesquiou était l'homme des affaires; M- de Blacas,
l'homme de l'intimité. De là ces altercations animées qui
troublèrent plus d'une fois le conseil, et amenèrent ce mot
adressé à M. de Blacas : Jm France peut supporter dix
maîtresses et pas iin seul favori. On sait comment finit
ce gouvernement, qu'on a qualifié â' anarchie paternelle.
Jusqu'au dernier moment , aveugle par son incurable pré-
somption, Blacas envisagea la tentative de Napoléon comme
l'acte d'un insensé. Les avis les plus précis donnés par Fou-
ché , par Barras , qui devaient être bien instruits , l'opinion
même de Louis XVIll, ne purent lui dessiller les yeux.
11 suivit le roi jusqu'à Ostende, et se jeta aux pieds du no
BLACAS — BLACK
257
narque pour le détourner de se réfugier en Angleterre,
comme certains conseillers en avaient ouvert l'avis. A Gand,
il continua de diriger les aflaires ; mais à la fln des Cent-
Jours, lorsqu'il parut certain que le roi allait être rendu à la
France, une clameur universelle s'éleva contre Blacas. Le
monaixjue résista longtemps. Mais Blacas lui-même tinit par
sentir qu'il était un ministre impossible ; ses amis en con-
vinrent ; les puissances étrangères exigèrent formellement
son renvoi; le vieux roi était inflexible. Enfin Blacas prit le
parti de s'éloigner volontairement. Ce fut à Mous qu'il an-
nonça au roi Louis XVIII sa résolution : « Je ne veux pas ,
dit-il , que l'impopularité de mon nom devienne un obstacle,
ni que le moindre murmure se mêle aux acclamations du
peuple qui vous attend. » Le jour même il partit pour l'An-
gleterre; mais cette espèce d'exil ne fut pas long; nommé
pair de France , il fqt quelques mois après chargé de l'am-
bassade- de Naples. Certains journaux étrangers publièrent
alors sur lui une note apologétique, que répétèrent deux ou
trois feuilles parisiennes. Cette apologie était si outrée qu'elle
ne produisit d'autre effet sur l'opinion que de raviver le
souvenir des torts de celui qui en était l'objet. On rappe-
lait surtout qu'environné d'une foule de fripons, d'agents
d'affaires, d'agioteurs, qui mettaient à profit sa profonde
ignorance des hommes, il laissa mettre à l'encan les croix
de Saint-Louis et de la Légion d'Honneur. Les places , les
pensions , tout se vendait alors au ministère de la maison
du roi. On récompensait des services qui jamais n'avaient
été rendus, de prétendues vieilles fidélités qui ne faisaient
que de naître; on était digne des grâces royales dès qu'on
avait de l'argent pour les payer.
A Naples, le marquis de Blacas fut le négociateur du
mariage du duc de Berr y avec la princesse Caroline, fille
du roi des Deux-Siciles. Jamais ambassadeur ne déploya
plus de magnificence dans ses fêtes : telle était la volonté de
Louis XYIII , dont les bienfaits furent la source de l'opu-
lence de Blacas. Ce ministre se rendit ensuite à Rome , où
il arriva dans le mois d'avril 1816. Secondé par l'ambassa-
deur de France , Courtois de Pressigny, évêque de Saint-
Malo, il signa le concordat de 1817. A la suite de cette
transaction , qui fut si mal reçue chez nous, et à laquelle le
gouvernement finit par renoncer, Blacas vint h Paris. Son
retour fit passer plus d'une mauvaise nuit fi celui qui était
alors en possession de la faveur du monarque ; mais M. D e-
c az es l'emporta, et, aprèsune seule audiencedeLouisXVllI,
avec lequel il eut l'honneur de déjeuner, Blacas retourna à
Rome , où il continua de représenter sa cour avec magnifi-
cence. En 1S20 le roi le créa duc , et lui conféra le cordon
bleu. On prétend qu'il assista invisible au congrès de Lay-
bach, en 1821. Quoiqu'il en soit, il retourna en 1822 à son
ambassade de Naples , ne revenant à Paris que périodique-
ment pour y exercer les fonctions de premier gentilhomme de
la chambre; du reste, sa présence n'y produisit plus aucune
sensation. En 1830 il réalisa tous ses biens pour les offrir
au roi Charles X, qu'il suivit dans son exil. Après la mort
de ce prince, il continua d'habiter l'Allemagne, et mourut
à Vienne, au mois de novembre 1839.
Archéologue distingué , le duc de Blacas était membre de
rinstitut en quaUté d'associé libre de l'Académie des Ins-
criptions et de celle des Beaux -.\rts. Il fut le protecteur zélé
de Champollion jeune, qui lui a adressé ses Lettres
sur les antiquités égyptiennes. 11 avait formé ce riche ca-
binet d'antiquités que M. Reinaud, de l'Institut, a décrit en
partie dans un ouvrage intitulé : Description des vionu-
ments musulmans du cabinet de M. le duc de Blacas
(Paris, 182S, 2 vol. ). Ch. Du Rozom.
BLACK (Joseph), chimiste et physicien anglais, qui
a mérité que Fourcroy l'apixilàt l'illustre Nestor de la
révolution chimique, est un de ces hommes de talent qui
font époque dans l'histoire des sciences, moins par le nom-
bre que par l'à-propos de leurs découvertes. L'école de
DICT. DE LA CONVEUS. — T. 111.
Boy le avait légué à ses successeurs, avec les germes d'una
chimie toute nouvelle , un excellent esprit d'observation.
Plusieurs savants étaient à la poursuite du nouvel ordre
de vérités que laissaient entrevoir les aperçus donnés par
Boyle et Haies. Black eut le bonheur de rencontrer un des
premiers la riche veine qui a produit la chimie moderne.
Mais à l'habileté qui découvre il ne joignait pas le génie
qui féconde; cette gloire fut celle de Lavoisier.
Ké en 1728, à Bordeaux, de parents écossais, Black fit ses
études à l'université de Glasgow , et y apprit la profession
de médecin sous le docteur CuUen. Des discussions s'étant
élevées entre divers professeurs sur quelques points de la
médecine lithognostique, et particulièrement sur l'eau de
chaux, Black fut conduit à rechercher les causes de la caus-
ticité de cette terre. Déjà Van Helmont avait reconnu que
les pierres calcaires laissent dégager quelquefois un air au-
quel il donna le nom de gaz. Haies vit ensuite que cet air
faisait une partie essentielle de ces pierres. Black vint bien-
tôt après (1752) annoncer que ce gaz était capable d'être
absorbé par la chaux et les alcalis, de les neutraliser et de
leur donner la propriété de faire effervescence avec les
acides. Enfin il prouva que la calcination de la chaux lui
donnait de la causticité, parce que la chaleur en expulsait
l'air fixe, et que la chaux amène les alcalis du commerce à
l'état caustique, en leur enlevant ce gaz (aujoiu-d'hui l'a-
cide carbonique).
Frédéric Hoffmann avait entrevu la magnésie en 1722 ;
mais ce fut Black qui en 1755, ayant examiné avec le plus
grand soin la base du sel d'Epsom , démontra que c'était
une substance particulière, qui devait être rangée parmi les
terres.
Ces découvertes étaient importantes ; mais elles avaient
bien moins de portée que celle à laquelleil parvint en 17()2,
étant professeur de médecine à Glasgow, Il essaya de me-
surer la quantité de chaleur qu'arbsorbe la glace en se li-
quéfiant, et cette simple expérience fut une grande décou-
verte. Quand les corps passent de l'état solide à l'état li-
quide ou gazeux, ce changement est accompagné d'une ab-
sorption de chaleur que le thermomètre ne révèle pas : c'est
ce phénomène que Black a découvert , et qu'il a nouuiié
calorique latent. Sa théorie ne fut pas plus tôt connue
dans le monde savant qu'elle reçut un grand nombre d'ap-
plications importantes. Black lui-même s'occupa de déler-
mhier la chaleur latente de la vapeur d'eau ; mais ses ex-
périences ne le conduisirent pas à des résultats précis; la
solution de ce problème était réservée à James Watt, son
illustre disciple.
Ce qu'il y a de singulier dans l'histoire de ces découvertes
de Black, c'est qu'il combattit pendant dix ans la doctrine
que les chimistes français avaient en grande partie fondée
sur ses travaux. Ses recherches sur l'air fixe avaient ouvert
la voie aux expériences de Priestley, Cavendish et Lavoi-
sier ; sa théorie de la chaleur latente, en expfiquant la haute
température qui se développe au moment de la combustion
par le calorique latent contenu dans l'oxygène , coupait
court aux objections que les partisans de Stahl élevaient
contre la chimie pneumatique. Ainsi , les découvertes de
Black avaient grandement contribué à la connaissance des
fluides élastiques, connaissance qui venait de changer la
face de la chimie, et l'on ne peut que s'étonner de voir
Black, professeur de chimie à Edimbourg depuis 1765, en-
seigner à ses élèves la doctrine du phlogistique de Stahl. 1!
finit cependant par se rendre aux preuves que chaque jour
accumulait en faveur des chimistes français; et si la durée
de son erreur fait peu d'honneur à son génie, la franchise
avec laquelle il la reconnut en fait beaucoup à son caractère.
11 ne démontra plus dès lors dans ses cours que la chimie
pneumatique. Jamais professeur ne sut mieux faire aimer
la science qu'il enseignait ; aussi ses leçons contribuèrent-
elles beaucoup à répandre en Angleterre le goût de la chimie.
.13
2-8 BLACK —
Black mourut en 1799. Il était associé de l'Académie Jcs
sciences. On a de lui : Lectures on tlie Eléments of C/ie-
jnî5<jv/{1803) ;deuxmétiioiresdaHslesP/ii/oso;;/i«ca/ ïnm-
saclions (1774 et 1701), et deux lettres sur des sujets de
chimie nul)liées par Creilet Lavoisier. A. Des Geneviz.
BLACK-DROPS, c'est-à-dire gouttes noires i-répa-
ration d'opium par l'acide acétique, très- usitée en An.le-
e e où elle passe pour jouir de propriétés supérieures
aux autres com osés d'opium, parce qu'elle tend mo.ns a
occasionner les phénomènes nerveux ^^^'^^Z'tuThf^
l'administration des opiacés. On en donne de deux à s x
gouttes dans une potion : six gouttes contiennent un dem.-
déci"ramme d'opium. . .
BLACKSTOi\E ( William ), célèbre jurisconsulte ne
à Londres le 10 juillet 172.'i, était le lils d'un tisserand en
oie OiTl eiin de bonne heure, il fut élevé par les soins .l'un
r mit qui en 1738 l'envoya à Oxlbrd, où il se distingua par
on rdeur et son assiduité au travail. Il annonça, beaucoup
r«o, t it de dispositions pour la littérature et la poésie;
cependan iUe décida à suivre la carrière de la jurispru-
icpce ets' tahliten 1746 comme avocat. Décourage par
on peu de talent pour l'improvisation, il quitta le barreau
lie la capitale après sept ans de pratique , pour aire a 1 u-
niver.ité d'Oxford, comme agrégé, <les leçons publiques sui
Ir. constitution et les lois anglaises. Son cours le premier
n„i eut lieu en Angleterre sur ce sujet, fut s. généralement
api.laudi, et l'on en sentit si bien l'utilité, malgré la preoc-
* l 1 ' . ■ i_- :*. ^i...ir> irtc £tf/\\tic. Ternir
eu nation u-esoue exclusive qu'on avait dans les écoles pour
les études classiques , qu'un savant jurisconsulte , du nom de
Viuer, laissa par testament, en 1758 (cinq ans après 1 ou-
verture de cet enseignement), une somme destinée à la
fondation d'une chaire spéciale de droit commun, que
niackstone fut aiipelé à occuper à la mort du (ondaleur, ar-
rivée en 1758. Toutefois, il ne la garda que peu de temps,
mué au parlement dès l'année 1761 , il fut nomme en 1703
solicilor gênerai et assesseur de Middlc-Temple. En 17(;G
il renonça à la chaire d'Oxford. Elu de nouveau au parle-
ment en 1768, il fut alors nommé recorder de Wallengford ,
et en' 1770 juge à la cour des common pteas , hautes fonc-
tions dans l'exercice desquelles il mourut, le 14 féviier 1780.
11 a résumé les leçons qu'il faisait à Oxford , dans un ou-
vrage resté classique sur cette matière et intitulé Commen-
tâmes on Ihe Laws of England , dont on ne compte plus es
édition'^ Il ne s'y borne pas à une simple explication des
lois il s'efforce ou outre d'en bien faire connaître 1 esprit ;
travail d'autant plus utile qu'il était sans analogue. Black-
stono cependant cherche hen moins à y présenter une ex-
position philosophique des principes de droit qu a bien faire
connaître le système existant et à le déf.-ndre. Saut quelques
maximes générales favorables à la liberté, il s'y montre au
total l'ardent délenscur des droits de la couronne et j.resque
illibéral dans ses principes en matière de tolérance reli-
Rieuse Aussi se vit-il à cet égard entraîné dans les discus-
sions les plus vives, notamment avec Bentham , dont 1 ou-
vrage intitulé Fragment on government était la réfutation
des "idées politiques de Blackslone. On a encore de lui Law
Tracts (1762) ; Analijsis ofthe laws of England (1754),
espèce d'encyclopédie et de méthodologie du droit anglais.
Son fils Hennj Blackstone , est l'éditeur des Reports of
cases in thc court of common pleas in the 28th year
of George ///(1789). • . »u ♦ •♦
BL\CKWELL ( Alexandre) , économiste et botaniste
anglais, né à Aberdeen, en Ecosse, mort décapité, en Suède,
le 9 août 1749 , était le fils d'un prêtre écossais. Il termina
à Leydeses études médicales, commencées à Edimbourg, et
s'y (it recevoir docteur. Il se rendit alors à Londres, ou, la
clientèle ne venant pas, il fut réduit, pour vivre, a se faire
correcteur d'imprimerie. Mais plus tard le mariage qu i
contracta avec la fille d'un riche négociant, à laquelle ilctail
parvenu à inspbvr le plus vif attachement, répara sa for-
BLACQUE
tune, queson inconduite availheancoupcontribuéàdéranger.
Sa prospérité ne fut pas d'ailleurs de longue durée. Il man-
gea la dot de sa femme, s'en alla se promener sur le con-
tinent, visita les Pays-Bas et l'Allemagne ; puis à son re-
tour à Londres essaya d'y créer une imprimerie. Redmt a
faire banqueroute , il passa deux années dans la prison pour
dettes; pendant ce temps-là sa malheureuse femme-lui pro-
digua les soins les plus assidus, et à force de travail lui
fournit les movens de désintéresser ses créanciers. Ayant
pris'un logement vis-à-vis du jardin botanique de Chelsea,
elle fit un recueil de plantes médicinales, qu'elle dessina,
grava et coloria elle-même. Ce travail , d'une exécution par-
faite fut publié sous ce titre: A curions Herbal, contai-
îiinabQO cuts ofthe most useful plants (2 vol. in- folio;
Londres, 1737-1739 ). Le texte en a été rédigé par son mari ,
qui y a ajouté la synonymie et une descviption succincte de
chaque plante. Traduit en latin et en allemand , cet ouvrage
futpubhé par les soins de Trew (qui mourut pendant 1 en-
treprise), et continué par Ludwig, RoseetBœhmer (C vol,
in-fol.; Nuremberg, 1750-1773).
Blackwell ne gagnant qu'à grand'peine sa vie tant comme
médecin que comme imprimeur, accepta la proposition que
lui fit le duc de Chandos de diriger les travaux d'améliora-
tion entrepris dans les terres de ce seigneur; mais il s eu lira
assez mal , quoiqu'il eût composé sur la manière de faire
valoir les terres incultes ou stériles et de dessécher les ma-
rais un traité que l'ambassadeur de Suède fit passer a sa
cour, comme le dernier mot de la science à cette époque sur
cet important sujet; et on conçut à Stockholm pour 1 auteur
de ce livre une si haute estime, qu'on l'attira en Suède.
Blackwell accepta les propositions qui lui lurent faites et
se rendit à Stockholm. Il s'y occupa tout à la fois de des-
sèchement de marais et de médecine. Le roi étant venu à être
atteint d'une maladie grave, on appela en consultation le mé-
decin anglais, qui guérit le monarque. Après un tel succès,
sa fortune paraissait assurée ; mais impliqué en 174. dans
une conspiration ayant pour but de changer l'ordre de suc-
cession au trône, il subit la question, lut condamne a mort
et exécuté en dépit de ses i,rotestations d'innocence. Outre
le texte explicatif du Ctirious Herbal , on a de lui : Mw
Methodofimprovingcold, tvet and barren land, parti-
cularly clayey ground, praclised in Great-BritamiLon.
dres 1741 ) C'est l'ouvrage dont nous avons parlé plus haut,
et dont ensuite il fit paraître à Stockholm divers extraits,
traduits en suédois.
BLAClîWELLIA, nom donné par Commerson en
l-honneur de l'intéressante mistress Blackwell, femme d Alex.
Blackwell, et auteur du Curions Herbal,^ un genre
1 la famille des homalinacées , et adopté par Jn^sieu qu.
renferme environ huit espèces, indigènes des îles de Ma-
dagascar et de Bourbon , de l'Asie tropicale et du Nepauh Ce
sont des sous-arbrisseaux ou arbrisseaux à leui les alternes
: ipulées,courtementpé.ioIées, dentées ou plus raremen
très-entières, glabres ou pubescentes en dessous; a fieurs
WancE pdites, disposées en épis terminaux ou ax.l-
lairps simules ou paniculés.
BLACQUE (ALEXANDRE), né à Paris, en 1794, mor
à Malte en 1837, se rendit en Orient dans les première»
Ss delaRestai'iration ,et fonda à Smyrne, sous le titre de
Courrier de Smyrne,im journal destine tout a la fois a
servir les intérêts de la civilisation, ^^T J et à dé
pénétrer nos idées européennes parmi le* Ju;^^ • «;^ ^s
fendre les intérêts de nos nombreux nationaux engagés
da" s le commerce des Échelles du Levant. Les événements
Sont rori^nt devint le th.-âtre à la suite de l'insurrection
g?ecqe donnèrent bientôt une grande i-P- t-^^-^J^^^^ <
denotre compatriote, bien placé en effet pour être lenM •.
gné sur une foule de faits que la diplomatie eu a, me à « ;
nir sous le boisseau. Dans sa poléimque , il «« ™<>"î J °^^^
tamraent l'ennemi de la Russie, dénonçant sa cauteleus-
BLACQUE
ambilion el sa perfide politique , conduite qui lui valut l'ini-
mitié déclarée de tous les agents du czar dans le Levant.
Après la bataille de ^'avarin, Blacque ne craignit pas de
heurter de front les préjugés de ses nationaux él de signaler
la destruction de la (lotte turque comme une faute énorme
commise par la France , dupe dans cette circonstance des
manœuvres de la Russie. Cet article, écrit au même point
de vue que celui où se plaça le gouvernement anglais, lors-
qu'il qualifia en plein parlement la bataille de Navarin de
malheureux événement {untoward evcnt), irrita singuliè-
rement la diplomatie russe, qui en demanda justice au cabi-
net français. M. de Rigny , commandant la (lotie française dans
les eaux de Smyrne, négocia d'abord avec Blacque pour
obtenir de lui une rétractation de l'article dont s'était of-
fusquée la susceptibilité moscovite ; puis , sur le refus du
piibliclste , il le fit conduire prisonnier à son bord , et donna
ordre de briser les presses du Courrier de Smyrne.
Après avoir protesté contre cet abus de la force et placé
son journal sous la protection du gouvernementturc, Blacque
revint en France demander justice aux tribunaux, et l'ob-
tint. Appelé ensuite à Constanlinople par la confiance du
sultan Mahmoud , il fonda dans cette capitale \e Moniteur
ottoman, et devint le conseiller intime et souvent l'inspira-
teur du gouvernement turc. S'il eût cédé aux instances des
ministres du sultan, et qu'il eût consenti à se faire musul-
man, on ne sait où se serait arrêtée la fortune de notre com-
patriote, qui fut chargé en 1837 , par le sultan, d'une mis-
sion secrète auprès des cabinets de Londres et de Paris.
C'est en touchant à Malte dans le voyage qu'il fit alors pour
remplir cette mission, qu'il mourut empoisonné, à ce que
l'on croit généralement , par un domestique qui entretenait
de secrètes relations avec l'ambassade de Russie. La diplo-
matie du czar tut débarrassée par la mort mystérieuse de
Blacque d'un des hommes qui gênaient le plus ses manœu-
vres en Orient. J. Mlller;
BLADAGE. C'était un droit qui s'exigeait dans l'Albi-
geois en forme decensive, et par-dessus la censive. Cette
redevance consistait en une certaine quantité de grains que
l'emphytéote était tenu de payer pour chaque bête employée
au labour du fonds inféodé.
CL/EUW ou BLAUW (eu latin Cecsius), nom d'une
célclire faniiiie d'imprimeurs et d'érudits hollandais, qui
n'a pas rendu à l'art et à la littérature de moindres services
que les Aide, les Giunti, les Etienne et les Elze-
vir, et qui pendant près d'un siècle enrichit sans interrup-
tion l'Europe des fruits de sa savante activité.
Guillaume Bl^euw, mathématicien, ingénieur-géographe
et éditeur de cartes géographiques, était né en 1571, à Alk-
mar; et comme son père s'ap;ielait Jean, il piit, suivant
l'usage des Hollandais , le nom de Janson Blœuw (en laiin
Jansonius Casius), ce qui l'a souvent fait confondre avec
un autre imprimeur d'Amsterdam, du nom de Janson, et,
comme lui aussi , éditeur de cartes géographiques. Élève de
Tycho-Brahe , et mathématicien consommé non moins que
géographe et astronome distingué, Janson Blœuw rendit de
grands services à la science par la confection de globes célestes
et terrestres surpassant en précision et en beauté tout ce qui
avait été fait jusque alors, et par la pubUcation de cartes
dressées avec un soin infini. Si comme typographe il n'at-
teignit ni à l'élégance ni à la perfection des Ehevir, on peut
dire que la plupart des livres sortis de ses presses se recom-
mandent par une grande correction et par une exécution
soignée. Parmi les ouvrages dont on lui est redevable , nous
citerons Zeespiegel (in-folio, 1G27 et 1G43); Onderwijs
van de hemelsche en aerdsche globcn (m-4", 1634);
Kovus Atlas, c'est-à-dire description <le l'univers, avec
de belles cartes nouvelles (6 vol., dont on possède différentes
éditions 1C34-1GG2); et Theatrum Urbium et Munimen-
torum (in-folio, 1C19). 11 mourut le 21 octobre ^638, lais-
sant deux fils, Jean et Cornélius , qui jusqu'à la mort de ce
BLAGUE
2.^)9
dernier, arrivée en 1650, continuèrent en commun le com-
merce de leur père.
Jean Bl/Euw, fils du précédent, né à Amsterdam, dans
les premières années du dix-septième siècle, reçut une édu-
cation des plus soUdes , et, après avoir terminé ses éludes
classiques, fut reçu docteur en droit. Il entreprit de grands
voyages, en Italie surtout, et, à son retour à Amsterdam,
fonda une maison de commerce qu'il réunit plus tard à celle
de son père. On a de lui un Atlas major ( il vol., 1GG2;
édition française, 12 vol., 1GG3; et édition espagnole,
10 vol., 1669-1G72), magnifiquement exécuté et aussi com-
plet que le permettait alors l'état de la science. Il publia en
outre une série de planches topographiques et de vues de
villes où une exactitude minutieuse n'exclut pas le luxe de
l'exécution , et qui sont encore recherchées de nos jours :
la Belgique (2 vol. in-folio, 16^9), l'Italie (2 vol. in-fol.,
1663), Naples et la Sicile (2 vol. in-fol., 1663), ta Sa-
voie et le Piémont (2 vol. in-folio, 16S2). Indt'pendam-
ment de ces grandes entreprises , il fit aussi , tout bon pro-
testant qu'il fût, mais à l'aide de divers prête- noms, de
grandes spéculations sur la fabrication et la vente d'ouvrages
catholiques, ayant à cet effet d'importants dépôts en diffé-
rentes villes et même à Vienne. Il mourut en 1680. Huit
années auparavant , il avait eu la douleur de voir ses ate-
hers et ses magasins complètement détruits par un effroyable
incendie; sinistre qui interrompit et arrêta même complé-
teinent quelques-unes de ses entreprises.
Le second de ses trois fils , nommé Guillaume , fut
membre du conseil de la ville d'Amsterdam. Les deux autres,
Jean ou Pierre, reprirent l'établissement typographique
de leur père et continuèrent ses affaires depuis 1682 jus
qu'en 1700, avec la distinction qui s'attache à cette profes-
sion lorsqu'elle est honorablement exercée. Parmi les bonnes
éditions d'auteurs classiques sorties de leurs presses, on doit
citer les Orationcs Ae Cicèvon (6 vol., 1699), qui ont encore
aujourd'hui leur valeur.
BLAGUE. Que veut dire ce mot? d'où vient-il? pour-
quoi sa {orinwe.l Blaguer, c'est mentir, c'est parler la langue
que parlent les charlatans sur les places publiques, debout
dans leurs cabriolets, au son des cymbales et de la trom-
pette. Ces arracheurs de dents n'ont pas disparu; leur élo-
quence; sert môme de moule à la blague, nouveau genre de
parler et d'écrire, dans lequel grands et petits vont tous
les jours se surpassant. Les femmes repoussent encore le
mot blague de la conversation, l'Académie de son Diction-
naire. Il a besoin d'être décrassé, et les grammairiens y tra-
vaillent, non sans succès, comme vous l'allez voir. En 1789
les grands seigneurs mettaient leur tabac dans une poche
de pélican, une blague. En 1793 le troupier républicain
renfermait son tabac dans une vessie d'une autre nature, et
l'appelait sa blague. Aussi, hier encore populaire et trivial ,
définissait-on le mot blague : propos de peu de valeur,
comme une vessie vide ; mais aujourd'hui cette expression
prenant faveur, atteignant tout le monde, on commence à
lui chercher, ainsi qu'à un parvenu, une plus noble origine.
Déjà on lui a déterré dans l'antiquité d'admirables racines :
en latin blatio, blatire, qui signifie crier comme le cha-
meau, la grenouille, le bélier; et en grec pXâ|, Liche, pol-
tron, mou, sans cœur. Où la blague va-t-elle se nicher?
Toujours est-il que l'Académie ne saurait tarder maintenant
à enregistrer parmi les mots français un mot aussi latin et
aussi grec que celui-là. Qu'attendrait-elle encore? n'est-il
pas passé dans nos mœurs ?
Les savants apprennent tout à coup, il y a quelques an-
nées , qu'Herschell , ayant choisi pour observatoire le cap
de Bonne-Espérance, s'est enfin armé d'un si prodigieux téles-
cope qu'il a vu, ce qui s'appelle vu, tout ce qui se jiassaiî
dans la lune, les hommes, les femmes, les enfanls et las
bonnes d'enfants , et les tourlourous, et le veste. Et que di-
sent les savants , après un mois de réilexion : « C'est um
r 33.
260
BLAGUE — BLAINVLLLE
blague! Une magnifique boutique s'ouvre plus tard dans
le plus beau quartier de Paris, rue Richelieu, pour l'ex-
ploitation du chou colossal. En France il ne manque d'ar-
gent pour aucune graine de niais. Chacune cette fois se
vend un franc. Tout Parisien d'accourir et de planter des
choux : va-t'en voir s'ils viennent! c'est une blague! Ci-
gît une vieille mine de charbon épuisée; le propriétaire lais-
sait chômer l'exploitation. Un spéculateur la lui enlève à
tout prix, et la paye 30,000 francs. Alors il appelle autour
<le lui des actionnaires; il leur divise sa houillère; des
;50,000 francs il fait G, 000 parts de 500 francs, délivre les
trois millions de titres, encaisse l'argent, et passe en Bel-
gique, en attendant que la vérité sorte de son puits. Lors-
qu'ensuite vous demandez : « Qu'était-ce donc que la houil-
lère do Saint-Bérain? » on vous répond : « Une blague. » —
Lt le Montet-aux-iMoines? — Une autre. »
A certains jours , les abords du Théâtre-Français sont
encombrés de gens qui frappent à toutes les issues, récla-
mant à grands cris l'ouverture des bureaux, la distribution
des billets : ils sont de tous côtés écoriduits par les em-
])loyés, malmenés par les gendarmes. La salle entière est
louée jusqu'aux combles pour les trois pjemières représen-
tations de la trilogie. Le public de ces trois jours-là applau-
dit avec fureur tout ce qui se présente : la toile, quand
elle se lève; les acteurs, avant qu'ils aient ouvert labouche,
«•t surtout, quand la pièce est finie, l'auteur. A la quatrième
soirée, le drame tombe sous les coups de sifilets. Mais les
applaudissements? Que voulez- vous 1 les amis de l'auteur ont
remis leurs mains dans leurs poches : c'était une blague.
Depuis plus de soixante ans, entre hommes d'État, cette lo-
cution est acquise à la politique. Le maréchal de l'empire n'a-
t-il pas dit à l'ex-repiésentant du peuple : La liberté, c'est
une blague! et le vieux marquis à l'ex-soldat de l'empire :
La gloire, c'est une blague! et le capitaliste de 1830 au
vieux marquis : La légitimité, c'est une blague! Et l'ou-
viier de 184s n'a-t-il pas dit au capitaliste : Votre ordre pu-
blic, c'est une blague ! Vmi les vainqueurs de Juin ont dit
aux ouvriers: Votre égalité, c'est une blague!
Sur ce fond , un grand acteur avait taillé sous la royauté
de Juillet, dans un bloc informe de comédie, un des rôles
les plus complets, les plus saisissants et les plus extraordi-
naires de notre théâtre. La pièce est morte, mais Robert
Macaire reste debout comme un type vivant de démo-
ralisation. Aujourd'hui, plus de don Juan, de commandeur,
<le dona Anna; plus de passion, d'honneur ni de vertu,
mais Robert Macaire entre Éloa et le baron de Wormspire,
avec cette apostrophe cynique du gendre au beau-père :
« Mon beau-père, vous êtes un vieux blagueur ! » Mais tai-
sons-nous ! que le lecteur n'aille pas nous renvoyer l'épithète
mortifiante que lui fournirait notre snjet! Jules Paton.
BLAINVILLE ( Hçnri-Marie DUCROTAY ne) naquit
à Arques, le 12 septembre 1777. Comme cadet de famille
noble , il fut envoyé de bonne heure à l'école militaire de
Beaumont-en-Auge. Mais les événements de la première ré-
volution le firent renoncer à la carrière des armes, et il
quitta subitement l'école vers 1792. Poursuivi ainsi que sa
mère , il alla , au dire de quelques biographes , chercher un
refuge à bord d'un bâtiment qui était en croisière dans la
Manche, sur lequel il passa quelques mois et prit part à
plusieurs combats sérieux. Le danger passé, Blainville se
livra pendant les premières années de sa jeunesse, et avec
l'enthousiasme passager et variable d'une imagination ar-
dente et d'un caractère impétueux , à l'étude de diverses
branches de la littérature et des arts , et aussi quelque peu
aux dissipations et aux égarements du monde , à ce point
que pendant assez longtemps sa famille ignora ce qu'il était
devenu. Un jour même, et lorsque Blainville avait obtenu
des succès dans les sciences, un ami de la famille demanda
» M. Ducrotay de Blainville aine, (pii n'avait pas quitté le
manoir paternel, ce qu'il savait de son jeune frère. « Rien de
bien, répondit-il. — Mais apprenez, lui dit son ami, qu'il
est à Paris, et qu'il sera sans doute un jour l'une des gloires
de son pays! — Impossible, reprit M. Ducrotay; car il n'a
jamais voulu rien faire , et il était toujours le dernier de sa
classe. »
Pendant son séjour à Paris , Blainville avait été élève de
Mars sous les tentes de la plaine des Sablons, musicien au
premier Conservatoire de Paris , peintre dans les ateliers
du célèbre Vincent. A vingt-sept ans il flottait encore incer-
tain sur son sort et son avenir, lorsqu'un jour le hasard dé-
termina sa vocation d'une manière irrévocable : il entra au
Collège de France , et entendit une leçon de Cuvier. Frappé
tout à coup de l'intérêt du sujet traité et de la parole entraî-
nante du célèbre professeur, il sortit de l'amphithéâtre avec
la résolution arrêtée de se vouer désormais aux sciences
naturelles et de devenir professeur. Et en effet il rompit
iramédi<itement avec ses précédentes habitudes ; trois ans
après il faisait un cours d'anatomie humaine , et deux ans
plus tard, en 1810, il était docteur en médecine. En 1812,
après avoir déjà suppléé Cuvier au Collège de France et au
Muséum , il obtenait, au concours, de monter dans la chaire
de zoologie , d'anatomie et de physiologie de la Faculté des
Sciences; et lorsqu'en 1832 son maître nous fut enlevé,
Blainville, membre de l'Académie des Sciences depuis 1825
et successivement de tous les corps savants de l'Europe,
déjà depuis quatre ans successeur de Lamarck au Muséum,
pour l'enseignement de l'histoire naturelle des animaux sans
vertèbres, fut le seul que l'opinion publique et le choix de
ses confrères désignèrent pour remplacer Cuvier dans la
chaire d'anatomie comparée.
Cuvier avait d'abord accueilli Blainville avec bonté; mais
quand le grand naturaliste mourut, il n'en était plus ainsi déjà
depuis longtemps, car vers 1817 une série de circonstances
diversement interprétées amenèrent entre ces deux hommes
une rupture éclatante. C'est alors que Blainville dit à Cuvier :
« Je m'assiérai un jour à l'Institut et au Muséum d'Histoire
Naturelle à côté de vous , en face de vous et malgré vous, »
prédiction que l'événement réalisa. Ces paroles ont donné
lieu de supposer que Blainville était dès lors disposé à une
opposition systématique ; c'est sans doute elles qui ont pu
faire dire que pour connaître son opinion sur tel ou tel
point de la science il suffisait de prendre une conclusion
diamétralement opposée à celle de Cuvier. Cependant Blain-
ville disait en parlant de l'illustre savant dont une première
leçon l'avait acquis à la science : « Quel bien Cuvier m'a fait
en me retirant sa faveur et sa protection ! je lui dois ce re-
doublement d'ardeur pour le travail, ce feu dévorant, qui
me permettront , je l'espère , de m'élever à sa hauteur, et me
donneront peut-être des droits à lui succéder! Sans celte
rupture qui m'afflige , je me serais engourdi , et je ne serais
qu'un protégé. »
Il est facile de s'expliquer pourquoi la doctrine de Blain-
ville offre tant de dissidences avec celle de Cuvier. Celui-ci
s'arrêta en zoologie après avoir formé ses groupes , comme
il s'était arrêté en anatomie comparée après avoir form;ilé
sa double loi physiologique de la corrélation et de la sub-
ordination des organes. Il déclara hautement qu'il n'en-
tendait pas décider de la place des groupes qu'il décrivait
successivement, que leur ordre de succession dans son livre
n'impliquait point un ordre de supériorité ou d'infériorité
relatives , un ordre de succession dans la nature : c'est ce
que le mot embranchement, choisi pour ses types généraux,
disait au reste également. Mais Blainville alla plus loin; il
aborda sans hésiter cette question de la coordination des
animaux, qui lui parut être la grande question de la zoolo-
gie ; il ne doutait pas, a priori, qu'une fois admis ce principe
de corrélation proclamé par Cuvier, qui fait de chaque es-
pèce une combinaison définie d'organes et démontre l'im-
possibilité des associations désordonnées, le règne animal ne
dût offrir un dessein régulier et susceptible lui-même d'être
i
BLAINVILLE — BLAIREAU
2G1
défini. Pour Blainville, ce devait être l'ordre sériai, ordre qui
se démontrait de lui-mênae à l'aide du système des groupes
convenablement établi. Ce qui fait donc l'originalité et la
supériorité de ses travaux zoologiques , c'est bien moins ce
qu'il a changé à la classification proprement dite que sa doc-
trine sur la coordination des groupes, sur la série animale.
Sans être correct et toujours aussi disert, abondant et fa-
cile qu'on aurait pu le désirer, Blainville était néanmoins
éloquent , parce que , naaître lui-même de son sujet, il savait
communiquer à son auditoire les inspirations de son génie.
Dans son enseignement , il s'efforçait de donner des bases
solides à l'édifice scientifique pour l'érection duquel il avait
réuni d'immenses matériaux pendant une vie en quelque
sorte doublée par une incroyable activité et une facilité non
moins grande. Il y exposait les principes de cette classifica-
tion nouvelle {voyez Ammal, t. I, p. 609 ) dont on trouve
déjà le germe dans quelques-unes de ses premières publica-
tions, entre autres dans son Mémoire sur la place que
doit occuper Vaye-aye dans la série des mammifères, et
dans son Prodrome d'une nouvelle distribution systéma-
tique du règne animal ( 1816), publications dont le cou-
ronnement fut VOstéographie, ou description iconogra-
phique comparée du squelette et du système dentaire
des cinq classes d'animaux vertébrés , récents et fossiles
(in-4*', 1839-1850 ), gigantesque entreprise , que la mort de
son auteur laisse malheureusement inachevée, et à laquelle
il travaillait encore une heure avant d'expirer.
« Par la publication de ce grand et important ouvrage,
a dit M. Constant Prévost, il voulait non-seulement démon-
trer que les détails de l'organisation annoncent dans la série
des êtres actuels une conception dont toutes les parties sont
intimement enchaînées , mais il se proposait encore de faire
voir que les êtres de toutes les époques qui se sont succédé et
ont vécu depuis les plus anciens temps géologiques jusqu'au
moment présent appartenaient également au même plan. En
effet, si ces êtres anciens présentent des différences spécifiques
plus ou moins grandes en raison de leur ancienneté, ils n'an-
noncent aucune différence importante d'organisation ; bien
mieux, parmi ces êtres perdus de l'ancien monde, ces gen-
res, ces familles qui ne sont plus représentés, dit-on, dans
la nature vivante , le naturaliste ne trouve rien de fonciè-
rement étrange, rien qui lui annonce d'autres conditions
d'existence , rien qui puisse enfin lui faire raisonnablement
supposer que les trilobites, les plésiosaures, les ptérodac-
tyles, pas plus que les anoplotheriums et les mastodontes,
n'auraient pas pu vivre en communauté avec les crustacés,
les crocodiles, les tapirs , les éléphants de notre époque
VOstéographie, loin d'être une copie ou un complément
des ouvrages de Cuvier, est une œuvre nouvelle, originale,
indispensable , et demandée par les besoins et les progrès do
la science; elle est destinée à fournir des documents positifs
non-seulement pour éclairer des questions depuis longtemps
controversées faute de preuves , mais encore pour aider à
renverser des préjugés déjà trop fortement enracinés. »
Nous ne pouvons indiquer tous les travaux de Blainville,
notamment cette foule de mémoires, d'articles, de rapports
d'un grand intérêt, qu'il fit successivement paraître dans di-
vers recueils scientifiques; bornons-nous à citer : De
l'Organisation des Animaux, ou principes d'anatomie
comparée ( 1822), résultat de quinze années de travaux as-
sidus, dont on regrette que le premier volume ait seul paru ;
Manuel de Malacologie et de Conchyliologie (1825);
Cours de Physiologie générale et comparée professé à
la Faculté des Sciences de Paris en 1829-1832, publication
restée inachevée ; Manuel d'Actinologie ou de Zoophyto-
logie (1834); Sur les Principes de la Zooclassie (1847).
Blainville, qui ne s'adonnait pas exclusivement aux sciences
naturelles, a laissé en outre parmi ses papiers des mémoires
sur plusieurs questions politiques et sociales.
Une vie aussi laborieuse n'avait en rien affaibli la robuste
constitution de Blainville. Cependant, le 1" mai 1850, à dix
heures du soir, encore plein de santé et de vie, au moins
en apparence , il se fit conduire à l'embarcadère du chemin
de fer de Rouen, dans l'intention de se rendre à Dieppe pour
y passer quelques jours. Mais, frappé sans doute d'une at-
taque d'apoi»le\ie dans le wagon où il venait de monter,
tout ce qu'on put faire lorsqu'on s'en aperçut fut de le
porter dans une des salles d'attente et de courir chercher
un médecin, dont les soins furent inutiles ; quelques minutes
après , Blainville expirait. Rien n'indiquait dans ses traits
qu'il eût éprouvé la moindre douleur. E. Merlieux.
BLAIR (Hugh), ecclésiastique et littérateur écossais, dont
les sermons sont encore aujourd'hui considérés comme les
modèles de l'éloquence de la chaire en Angleterre, naquit
le 7 avril 1718, à Edimbourg. Après avoir fait de brillantes
études au collège et à l'université de cette ville, il entra
dans les ordres à vingt-trois ans, et ne tarda point à se faire
une réputation comme prédicateur. En 1758 il fut nommé
pasteur de l'église cathédrale d'Edimbourg. En s'attachant
moins aux discussions métaphysiques qu'au développement
des vérités morales , il opéra dans l'éloquence de la chairo
une véritable révolution. En 1755 il avait fait paraître dans
YEdinburgh Journal un extrait raisonné de la philosophie
morale d'Hutcheson, et il transporta dans ses préceptes
littéraires ce sage éclectisme philosophique et ce sens psy-
chologique qui sont le caractère distinctif de l'école écossaise.
En 1759 il commença à faire des cours publics de rhéto-
rique et de belles-lettres, dans lesquels il communiquait à
son auditoire les fruits de son expérience personnelle , et
qui obtinrent un immense succès. Il en publia le résumé
en 1783, sous le titre de Lectures on Rhetoric and Belles-
Lettres, ouvrage depuis longtemps connu et jugé , dont le
succès fut européen, qui abonde en sages préceptes, en
remarques judicieuses, en vérités utiles, et qui a été suc-
cessivement traduit dans notre langue par Cantwell ( 1797),
par P. Prévôt de Genève et par Quenot ( Paris, 1821 ). L'au-
teur nous apprend lui-même qu'il a mis à profit pour le
composer des notes d'Adam Smith. Son cours charma tel-
lement son auditoire, que le gouvernement ne fit qu'obéir à
l'opinion publique en créant, en 1762, une chaire particu-
lière de rhétorique et de belles-lettres à Edimbourg , et en
la confiantà l'habile professeur qui venait de faire ses preuves
de bon goût et d'érudition. Ses Sermons, dont la première
édition parut en 1777, ne furent pas moins bien accueillis;
et le gouvernement récompensa l'éloquent orateur par une
pension de 200 liv. st. ; ce sont d'ailleurs plutôt des disser-
tations morales et philosophiques, il faut le reconnaître, que
ce que nous entendons en France par sermons. On n'en compte
plus les éditions , et dès 1784 le pasteur Frossard les avait
traduits en français. Blair encouragea et seconda de sa
bourse Macpherson pour la publication des poésies d'Os-
sian. Il croyait fermement à leur authenticité, et en 1763
il écrivit une dissertation pour la démontrer. Ce digne minis-
tre de l'Évangile mourut à Edimbourg, le 8 janvier 1801,
à l'âge de quatre-vingt-trois ans.
BLAIR (James), théologien écossais, mort en 1743,
abandonna l'Église épiscopale d'Ecosse, et vint en Angle-
terre dans les dernières années du règne de Charles II. Après
avoir pendant longtemps résidé en Virginie, d'abord comme
missionnaire, puis comme commissaire, il revint en An-
gleterre solliciter l'autorisation et les ressources nécessaires
pour fonder au chef-lieu de cette colonie , Williamsburg,
un collège, qu'il dirigea pendant près de trente ans. Il rem-
plissait en même temps les fonctions de membre du conseil
colonial. On a de lui : Explication du divin sermon pro-
noncé par notre Sauveur sitr la montagne { 1742).
BLAIREAU , genre d'animaux mammifères, apparte-
nant à l'ordre des carnassiers et à la section des planti-
grades. Leur système dentaire présente les caractères sui-
vants : ils ont une très-petite dent derrière la canine, puis
262
BLAIREAU — BLAISE
deux molaires pointues , suivies en haut d'une que l'on re-
connaît pour dent carnassière au vestige de tranchant qui
se montre sur son côté externe ; derrière elle est une grosse
tuberculeuse carrée ; en bas , l'avant-dernière commeflce
aussi à montrer de la ressemblance avec les carnassières
inférieures ; mais comme elle a à son bord interne deux
tubercules aussi élevés que son tranchant, elle ne joue que
le rôle de fuberculeuse. La dernière dent d'en-bas est très-
petite.Les blaireaux sontdes animaux nocturnes,dont la queue
est très-courte, les doists très-en^jagés dans la peau, et qui
se distinguent particulièrement par une poche située sous la
queue , et d'où sort une humeur grasse et fétide. Leurs on-
gles de devant , très-allongés, les rendent habiles à fouir la
terre ; leurs poils sont longs et soyeux.
On n'en connaît avec certitude qu'une seule espèce : c'est
le blaireau d'Europe , vulgairement aussi nommé le tais-
son , qui a la taille d'un chien de médiocre grandeur et la
physionomie du mâtin, mais qui est beaucoup plus bas
sur jambes. Ses poils, longs, rares et durs, présentent
dans leur longueur trois couleurs différentes, du blanc, du
noir et du roux , et c'est l'étendue relative de ces trois cou-
leurs sur chaque poil qui produit la coloration diverse de
chaque partie du corps. 11 est grisâtre en dessus, noir en
dessous. La tête est blanche en dessus, avec deux taches noi-
râtres sur les côtés, qui naissent entre l'extiémité du mu-
seau et l'œil , et vont en s'élargissant de manière à enve-
lopper l'œil et l'oreille, derrière laquelle elles se terminent.
Le blaireau est un animal solitaire, qui passe la plus
grande partie de sa vie au fond d'un terrier oblique et tor-
tueux, qu'il tient toujours très-propre, et dont il ne sort
guère que la nuit, pour chercher sa nourriture, ou pour se
réunir à sa femelle au temps des amours. Il vit à la lois de
viande et de fruits , comme l'indique la conformation de ses
dents , à la fois propres à diviser la chair et à mâcher des
substances végétales. La femelle met bas en été trois ou
quatre petits, pour lesquels elle a soin de préparer d'a-
vance , au fond de son terrier, un lit d'herbe et de mousse ,
et qu'elle nourrit, à l'époque où ils cessent de teter, de la-
pereaux , de mulots, de lézards, et de miel, quand elle en
peut découvrir. Ces animaux pris jeunes s'apprivoisent fa-
cilement ; ils s'habituent à suivre, comme les chiens, la per-
sonne qui les nourrit. On en trouve dans presque toutes les
contrées de l'Europe , en France , en Ilalie, en Angleterre ,
en Allemagne; mais ils sont partout assez rares. Leur chair
n'est pas désagréable à manger, et leur peau s'emploie
comme fotirruregrossière. Démezil.
« Le blaireau est carnassier, dit M. Boitard, mais moins
cependant que son système dentaire ne devrait le faire
supposer. Il ne vit guère de proie que lorsqu'il ne trouve
plus de baies et autres fruits charnus. Dans ce cas il chasse
aux mulots, aux grenouilles, aux serpents: il déterre les
n-ds (le guê|)espour en manger le couvain; il tàcljp de sur-
prendre la peidrix sur sou nid; il creuse dans les garennes
pour s'emparer des lapereaux; enfin, quand toute-; ces
ressources lui manquent. Il se contente de sauterelles, de
hannelous et de vers de terre, qu'il aime beaucoup. Plein
d'inlelligeuce, rusé, déliant, le blaireau ne doime que très-
rarement dans Içs pièges qu'on lui tend. Si l'on a tendu un
lac t autour de son terr'cr, il s'en aperçoit aussitôt, rentre
dans >a demeure, et y re>te renfermé cinq à six jours, s'il
ne |>eut , à travers des rochers, se creuser une autre issue*
mais, pressé par la f.iim, il finit par se déterminer à sortir.
Après avoir longtemps sonde le terrain et examiné le piège,
il tr:iversp, se roule le corps en boule aussi ronde que pos-
'sible; puis, d'un élan, il traverse le lacet en faisant ainsi
trois ou quatre culbuli s sans être accroché, laute de donner
piise au l;ital nœud coulant Ce fait , tout extraordinaire
qu'il est, est regardé counne constant par tous les chasseurs
fillemands. Si l'on veut forcer un blaireau à sortirde son terrier
pn l'enfumant, ou en y faisant pénétrer un chien , le mali-
cieux animal ne manque jamais de faire ébouler une partie
de son terrier, de manière à couper la communication eniro
lui et ses ennemis. Les Allemands ont pour la chasse du
blaireau la même passion que les Anglais pour celle du re-
nard ; mais ils satisfont leur goût avec plus de simplicité.
En automne, trois ou quatre chasseurs partent ensemble, à
nuit close , armés de bâtons et munis de lanternes ; l'un
d'eux porte une fourche , et les autres conduisent en laisse
deux bassets et un chien courant bon quêteur. Us se ren-
dent dans les lieux qu'ils savent habités par des blaireaux ,
et à proximité de leurs terriers ; là ils lâchent leur chien
courant , qui se met en quête et a bientôt rencontré un de
ces animaux. On découple les bassets, on rappelle le cou-
rant, et l'on se met à la poursuite de l'animal qui ne tarde
pas à être atteint par les chiens , et qui se défend vigoureu-
sement des dents et des griffes. Le chasseur qui porte la
fourche, la lui passe au cou, le couche et le maintient à
terre, pendant que les autres l'assomment à coups de bâton. Si
on veut le prendre vivant, ou lui enfonce, au-dessous de la
mâchoire inférieure, un chochet de fer emmanché d'un bâ-
ton ; on enlève l'animal, on le bâillonne et on le jette dans un
sac. Sa graisse passait autrefois pour avoir de grandes vertus
médicales ; aujourd'hui on ne se sert plus que de sa peau,
qu'on emploie pour couvrir les colliers de chevaux de trait. »
Buffon , qui se trompait .si rarement toutes les fois qu'il
pouvait voir par ses propres yeux , a tracé du blaireau le
portraitque voici : C'est, dit-il, un animal paresseux, défiant,
qui se relire dans les lieux les plus écartés, dans les bois les
plus sombres, et s'y creuse une demeure souterraine. Il
semble fuir la société , même la lumière , et passe les trois
quarts de sa vie dans ce séjour ténébreux , dont il ne sort
que pour chercher sa subsistance. Comme il a le corps al-
longé, les jambes courtes, les ongles, surtout ceux de de-
vant, très-longs et très-fermes , il a plus de facilité qu'un
autre pour ouvrir la terre, y fouiller, y pénétrer et jeter
derrière lui les déblais de son excavation, qu'il rend tor-
tueuse, oblique, et qu'il pous.se quelquefois fort loin. Le
renard, qui n'a pas la même facilité pour creuser la terre,
profile de ses travaux : ne pouvant le contraindre par la
force , il l'oblige par adresse à quitter son domicile , en l'in-
quiétant, en faisant sentinelle à l'endroit, en l'infectant de
ses ordures; ensuite il s'en empare, il l'élargit , l'approprie
et en fait son terrier. Le blaireau, forcé à changer de manoir,
ne change pas de pays; il ne va qu'à quelque distance tra-
vailler sur nouveaux frais à se pratiquer un autre gîte, dont
il ne sort que la nuit, dont il ne sécarte guère, et où il
revient dès qu'il sentquelque danger. Les chiens l'atteignent
promplement lorsqu'il se trouve à quelque dislance de son
trou ; cependant, il est rare qu'ils l'arrêtent tout à fait et qu'ils
en viennent a bout, à moins qu'on ne les aide. Le blaireau a
les poils très-épais , les jambes , les mâchoires et les dents
très- fortes , aussi bien que les ongles ; il se sert de toute sa
force, de toute sa résistance et de toutes ses armes, en se
couchant sur le dos, et il fait aux chiens de profondes bles-
sures. Il a d'ailleurs la vie très-dure; il combat longtemps,
se défend courageusement, et jusqu'à la dernière extrémité.
BL.'VIRIE ( Droit de), droii sur les pâturages.
BLAISE (Saint), patron de la république de Ragusc,
fut, à ce qu'on croit , évêque de Sébaste en .Arménie, où il
souffrit le martyre, vers l'année 3 1 6, sous le règne de Licinius
Licinianus II eut les côtes déchirées avec des peignes de fer;
d'où les cardeurs de laine l'ont pris pour patron. L'opinion
qu'il guérissait les maladies des enfants et des bestiaux ré-
pandit rapidement son culte dans tout l'Orient. Ceculle passa
ensuite en Occident, où on lui consacra une nmltitude de cha-
pelles. On se disputa ses reliques à tel point (lu'on se trouva
réduit, nous dit Baillet, pour ne pas contrister les peuples,
et sans doute aussi pour satisfaire aux demandes toujours
croissantes de reliques , de supposer l'existence de plusieurs
saints du même nom.
BLAISE — BLAKE
263
BLAISE (Ordre de SAINT-). C'était un ordre militaire ,
que les rois d'Arménie de la maison de Lusignan élablirent
à l'honneur de ce saint, comme étant le patron de leur
royaimie. Cet ordre était composé d'ecclésiastiques et de
laïques ; l'emploi de ces derniers était de s'opposer à main
armée aux hérétiques, et les premiers devaient faire l'office
divin et prêcher la foi. La marque de cet ordre était une
croix rouge, au mil'eu de laquelle était une image de saint
Biaise. Ils la portaient sur une robe de laine blanche toute
simple. On ignore l'époque de la création de cet ordre; on
croit seulement qu'elle eut lieu en même temps que celle
des Templiers et des Hospitaliers. Les profès de l'ordre de
Saint-Biaise faisaient vœu de défendre la religion catholique
et l'Église romaine , et leur règle était celle de saint Basile.
BLAISOIS ou BLÉSOIS, pays d'environ 90 kilomètres
de longueur sur 50 de large , borné au nord par le Vendô-
raois , le Dunois et l'Orléanais propre , au sud par le Berry,
à l'est par la Sologne et à l'ouest par la Touraine. Ce pays,
qu'on divisait en haut et bas Blaisois, et dont Blois était la
capitale, fait aujourd'hui partie du département de Loir-et-
Cher. Situé dans la contrée la plus heureuse et la plus fer-
tile de France, il est arrosé par la Loire, le Beuvron, la
Saudre, la Cisse, la Raire, etc. A l'époque où Jules-César
entreprit la conquête des Gaules, environ soixante ans
avant l'ère chrétienne, le Blaisois faisait partie du territoire
des Carnutes. Les habitants prirent part aux diverses con-
jurations formées par les Gaulois pour secouer le joug de
la puissance romaine. Incorporé à la quatrième Lyonnaise
lors du dénombrement des provinces de l'empire fait sous
Honorius, le Blaisois, soumis par les Francs, échut en par-
tage (511 ) à Clodomir, roi d'Orléans, second fils de Clovis.
Ce pays suivit la destinée du royaume d'Orléans , et devint
ensuite province neustrienne. Sous les rois carlovingiens,
des comtes furent établis dans la capitale du Blaisois pour
administrer la justice et les finances et commander les
troupes. Kous leur consacrerons un article particulier.
Voijez Blois (Comtes de). Laîné.
BLAKE ( Robert ) , célèbre amiral anglais , naquit
en 1599, à Bridgewater, dans le comté de Sommcrset. Les
honneurs que les rois et les nations elles-mêmes rendent à
certains hommes donnent rarement la mesure du mérite de
ceux-ci; mais on est heureux de voir la reconnaissance des
peuples payer en distinctions les services qu'on leur a ren-
dus. L'amiral Blake eut ce bonheur. Doué d'une imagina-
tion forte et d'une âme ardente , il aima par-dessus tout la
gloire et la patrie , et c'est cette noble passion qui , en exal-
tant sa valeur, l'a placé si haut parmi les hommes illustres
de son pays.
Fils aine d'un commerçant, il passa de l'école de sa ville
natale à Oxford , où il resta plusieurs années. Dès sa jeu-
nesse il accueillit avec enthousiasme les idées d'affranchis-
sement qui se répandaient dans toutes les classes de la so-
ciété. Bientôt son amour pour la liberté se tourna en haine
contre la royauté, et jusqu'à sa mort il conserva les principes
pui-s d'un fier républicain des beaux temps de Sparte et de
Rome. Membre de la législature en 1640, il ne fut pas réélu
au Long Parlement; mais dans la lutte que le parlement en-
gagea contre les rois , Blake fut un des premiers à soute-
nir les Indépendants ; il leva nne compagnie de dragons à
ses frais, et vint appuyer de son bras une cause qu'il avait
toujours adorée dans son cœur. En 1649 il fut improvisé
amiral après la mort du comte de Warwick; et dès 1650,
quand l'escadre du roi Charles se retira à Lisbonne , il fut
nommé commandant de la flotte parlementaire. Dans cette
position , si nouvelle pour lui , il déploie une vigueur extraor-
dinaire; il fait voile vers les côtes de Portugal, somme le
roi Jean de lui remettre entre les mains la flotte royale, qu'il
réclame au nom du gouvernement de son pays, et, sur le
refus et les menaces de ce prince, il va croiser à la hauteur
des Açores, attaque une riche flotte portugaise qui revenait
du Brésil, prend quinze navires et retourne passer l'hiver
en Angleterre.
Les années suivantes présentent le tabîeau d'une lutte san-
glante entre les deux premières puissances maritimes du
siècle De i)ai1 et d'autre on soutint vaillauîmcnt l'honneur
national, et Blake, qui commandait la Hotte britannique,
trouva dans Tromp un digne rival de gloire; il serait diffi-
cile en effet de décider entre ces deux grands honîuies. Cette
époque est surtout remarquable dans les annales de la ma-
rine par l'immense développement que prit tout à coup l'art
des combats sur mer. Blake y contribua considérablement,
et, en le suivant dans les divers engagements où il s'est
trouvé , nous essayerons de lui assigner le rang qu'il mérite
comme marin.
En 1651 Blake se trouvait avec vingt-six vaisseaux de
guerre dans la rade de Douvres, lorsque Tromp vint parader
devant la ville , à la tète d'une escadre de quarante-deux
bâtiments. Le parlement anglais, désirant la guerre avec la
Hollande, avait donné l'ordre à ses amiraux de faire baisser
pavillon à tous les navires hollandais qu'ils rencontreraient.
Tromp refusa de se soumettre à cette humiliante formalité,
et un combat furieux s'engagea. Blake, q\ioique inférieur en
nombre , non-seulement résista avec courage au choc de son
ennemi , mais encore il sut lui faire plus de mal qu'il n'en
reçut lui-même, et c'est à lui que revint l'honneur de la
journée. Cependant on ne trouve ici aucune manœuvre qui
annonce un grand génie de la guerre dans l'un ou dans l'autre
de ces deux amiraux : les escadres s'attaquèrent navire à
navire , et le courage résista au courage. Comme Tromp ne
sut pas tirer parti de sa supériorité numérique, les Anglais
durent avoir l'avantage, car leurs navires étaient d'une cons-
truction plus forte que ceux de leurs ennemis.
Une expédition de quarante vaisseaux, qu'en 1652 Blake
dirigea contre les pêcheries hollandaises, lui acquit alors
beaucoup de réputation ; l'Angleterre en tira de grands avan-
tages : les pertes de l'ennemi furent immenses; mais aux
yeux de la postérité ce ne peut être un titre de gloire,
puisque l'amiral n'eut qu'à détruire avec des forces consi-
dérables des marchands presque sans défense.
Au mois de février 1652 Tromp convoyait, avec soixante-
seize bâtiments de guerre, une flotte de trois cents navires
marcliands qu'il ramenait en Hollande; Blake l'attaqua
dans la Manche avec cent cinquante voiles, et Tromp,
trop engagé pour reculer, accepta le combat; il fut long et
sanglant ; pendant trois jours on se battit avec acharnement.
Des deux côtés on essuya des pertes considérables; celles
des Hollandais furent les plus grandes, et néanmoins l'hon-
neur de la bataille appartient à Tromp , car Blake laissa
échapi^ier toute la flotte marchande , quoiqu'il eût pu à la
fois lui couper le chemin avec une partie de ses nombreux
vaisseaux, et avec le reste écraser la flotte hollandaise; mais
cette manœuvre, simple de nos jours, eût été dans ces temps
d'ignorance une inspiration de génie.
Au mois de décembre de la même année, Blake essaya de
nouveau le sort d'une bataille contre Tromp. Là encore au-
cune combinaison savante pu hardie ne vient tout à coup
donner à l'un ou à l'autre une supériorité marquée; la for-
tune seule et de petites circonstances imprévues décident du
succès. Blake fut malheureux; blessé lui-môme, il vit le
désordre se répandre dans sa Hotte; mais il se retira à temps,
et, malgré des pertes considérables, il parvint à rallier une
grande partie de ses navires , soit aux Dunes , soit dans la
Tamise. Tromp triompha cette fois avec un insultant orgueil ;
il fit planter un balai au haut de son grand mât, pour indi-
quer qu'il avait nettoyé les mers des pirates d'Albion; mais
sa victoire n'était pas de nature à soutenir l'excès de cette
fanfaronnade, et dès l'année suivante il fut vaincu à son
tour : Blake était un des amiraux qui commandaient l'es-
cadre anglaise.
Mais si dans les combats d'escadre à escadre à la voile
264
BLAKE
Ulakc ne déploie pas les ressources d'un talent supérieur, il
n'en est pas ainsi des attaques contre les forts élevés à terre ;
c'est là qu'est sa véritable gloire. Blake, le premier, apprit
aux marins à mépriser les forteresses, qui jusque alors
avaient été leur épouvantail ; c'était un préjugé adopté en
principe que le bois ne peut avoir raison contre les pierres.
En détruisant cette prévention, Blake étendit la terreur des
expéditions navales. A cette époque les châteaux qui pro-
tégeaient les forts n'étaient pas, comme de nos jours, au ni-
veau des batteries des vaisseaux , et couverts par des plans
de délilcment , mais bâtis sur le rivage et souvent même
avancés jusque dans la mer; et alors ou ils dominaient à
une grande hauteur , et leurs boulets passaient par-dessus
les navires , et ils pouvaient être détruits par le feu supérieur
d'une flotte nombreuse ; ou bien les navires eux-mêmes do-
minaient les forts, et le feu de leur mousqueterie et leurs
grenades empêchaient les batteries de terre de tirer. Malgré
les préjugés de son siècle , Blake sentit tous ces inconvé-
nients lorsqu'il fut envoyé dans la Méditerranée pour châtier
l'insolence des puissances barbaresques. Tunis était pro-
tégée par deux châteaux , Porto-Farina et le foit de la Gou-
lette. Blake fit avancer successivement sa flotte sous les deux
forts , les écrasa du tonnerre de son artillerie , et , opérant
un débarquement dans ses chaloupes et quelques barques
longues qu'il avait fait construire à dessein , il incendia tous
les navires ennemis qui s'étaient réfugiés dans le port; puis,
se rappelant son premier métier d'officier de l'armée de
terre , il lit une charge sur un corps de douze cents Turcs
campés près du rivage, et lesdispersaen un instant. Son au-
dace lit sa force : l'ennemi, épouvanté, ne résista nulle part ,
et le succès ne lui coûta que peu de monde. Cet exploit eut
du retentissement dans tout l'univers. La marine anglaise
y gagna beaucoup de considération , et les puissances bar-
baresques fléchirent hmnblement devant le pavillon de la
Grande-Bretagne.
Dans l'année 1655 il satisfit à sa haine invétérée contre
les rois en attaquant une flotte française qui portait des mu-
nitions à Dunkerque. Outré de ce que la France laissait au
roi Charles une place pour reposer sa tête, il outrepassait
les ordres de son gouvernement , et fut cause que la ville
tomba entre les mains des Espagnols , qui l'assiégeaient.
L'année 165G mit le comble à la gloire de Blake. Il com-
mandait avec Montagu une flotte anglaise, et croisait sur les
côtes d'Espagne , lorsqu'ils rencontrèrent près de Cadix huit
navires espagnols revenant des Indes avec une riche car-
gaison; ils les attaquèrent, en prirent deux, en firent
échouer quelques autres et expédièrent leur capture à Ports-
mouth. L'arrivée de ce trophée d'une victoire facile fut ce-
pendant reçue en Angleterre avec des transports de joie; le
peuple célébra le nom de Blake , et le Protecteur, qui voyait
que la gloire et }a puissance de son lie reposaient sur sa force
navale, donna un éclat extraordinaire à ce triomphe. Il fit
transporter avec la plus grande pompe sur des chariots l'ar-
gent et les marchandises de Portsmouth à Londres ; il in-
vita le parlement à voter des récompenses publiques au
brave marin, et les représentants, unanimes dans leurs
vœux , et d'accord avec Cromwell , lui adressèrent des re-
mercîments, et lui envoyèrent un diamant de grand prix,
en témoignage de la reconnaissance nationale. Quel homme
ne se fût pas senti embrasé soudain d'un iinmense amour
pour la gloire , quand sa nation lui votait d'enthousiasme
tant d'honneurs? Aussi Blake chercha-t-il tous les moyens
de les mériter, et l'occasion ne lui manqua pas longtemps.
Une flotte espagnole, forte de seize navires, et beaucoup
plus riche que la première, avait relâché aux Canaries;
Blake l'apprend, et sur-le-champ il fait voile pour ces lies
( avril 1657 ). 11 trouve l'escadre ennemie dans la baie de
Santa-Cruz, où l'amiral don Diego Alvarez, qui craignait
une surprise, n'avait négligé aucune précaution pour se
mettre^à couvert contre toute attaque. La baie de Santa-
Cruz était défendue par un château fort et sept redoutes
élevées à peu de distance les unes des autres, et disposées
de manière à croiser leurs feux ; elles élaicnt liées en outre
par une ligne de communication qu'on avait pris soin de
garnir de fusiliers ; de sorte que la côte semblait hérissée de
canons. De plus, l'amiral avait fait amarrer ses petits na-
vires au rivage; quant aux galions , qui liraient plus d'eau ,
il les avait embossés le travers au large. Cette double ligne
de défense était réellement imposante : la mort menaçait de
tous les côtés. Blake ne vit que la gloire; il résolut de
vaincre. Le vent soufflait au large et portait en rade ; il ran-
gea rapidement sa flotte en ligne serrée , força de voiles , et
en un instant se trouva au milieu des ennemis. Alors un ter-
rible combat s'engagea ; de part et d'autre on se battit avec
acharnement, et pendant quatre heures ce ne fut qu'horreur
et carnage; enfin , les Espagnols furent détruits, leurs vais-
seaux brûlés, et les trésors qu'ils renfermaient consumés avec
eux. Mais le danger devint encore plus grand pour les An-
glais quand la flotte fut anéantie ; les forts et le château ,
qui jusque alors avaient ménagé leurs feux dans la crainte de
foudroyer à la fois amis et ennemis, commencèrent une ca-
nonnade extrêmement vive, et la position des assaillants
fut très-critique. Les éléments les favorisèrent : après l'ins-
tant de calme que produit ordinairement un combat, la
brise, qui précédemment avait régné du large, changea de
direction et souffla de terre. Blake avait compté sur ce se-
cours , qui parut inespéré et miraculeux à ceux qui igno-
raient les localités : il appareilla sur-le-champ, et bientôt il
fut hors des atteintes de l'ennemi.
Dans les exploits, si glorieux, de Blake nous ne cherche-
rons pas des leçons de tactique navale; il ne fit pas de .sa-
vantes combinaisons pour disposer son escadre et attaquer
la ligne ennemie ; toute sa gloire consiste dans sa valeur et
dans l'audace de l'entreprise. Il osa croire, encore une fois ,
contre l'opinion de son siècle, qu'une escadre bien embossée
n'était pas invincible; il brava le feu d'une ligne de fortifica-
tions soutenue d'une ligne d'embossage. La fortune couronna
son intrépidité, et néanmoins ce n'est pas par le succès
seul que nous jugeons son action , il s'est conformé en cette
circonstance aux principes naturels de l'art; sa combinaison
fut hardie , mais il avait mesuré ses moyens , et ses efforts
furent supérieurs aux obstacles. Voilà le vrai talent de l'a-
miral. Blake, pour cette raison, sera toujours un modèle.
La tactique navale a fait un grand pas depuis son siècle ;
mais, sans entrer dans le détail de ses manœuATCs, nous
devons admirer l'habileté avec laquelle il sut mettre à profit
toutes les circonstances qui lui étaient favorables.
La nouvelle de ce beau fait d'armes fut accueillie en
Angleterre avec de nouveaux transports; car dès lors la
marine élevait ce pays au premier rang parmi les nations.
Blake, attaqué d'hydropisie et tourmenté depuis quelque
temps par le scorbut, résolut de hâter son retour dans sa
patrie, où le peuple se préparait à le recevoir avec des
acclamations. Quoique abattu et souffrant , il était arrivé en
vue des côtes de la Grande-Bretagne, et il espérait au
moins rendre le dernier soupir sur le sol de cette patrie
qu'il avait si tendrement chérie et servie avec tant de va-
leur; mais ce bonheur ne lui fut pas réservé, et il expira,
le 17 août 1657, comme Moïse, en contemplant la terre pro-
mise.
Blake se fit toujours gloire de ses principes républicains.
En vain le Protecteur le combla-t-il de caresses et d'hon-
neurs , en vain inventa-t-il pour lui des illustrations incon-
nues jusqu'alors, tout le monde resta persuadé que l'amiral
répugnait aux dernières usurpations. Mais le sol et l'hon-
neur du pays furent toujours sacrés pour lui. Quel bel
ordre du jour que celui-ci pour une armée navale, quand
les troubles civils déchirent la terre natale 1 « Marins, nous
devons combattre jusqu'à la mort pour notre patrie, en
quelques mains que soit le gouvernement. » Aussi, quoique
BLAKE
26.^
animé d'un zèle ardent pour le parti qu'il avait embrassé ,
fut-il toujours estimé et respecté des partis opposés. Du
reste, désintéressé, généreux, libéral, il n'eut d'autre am-
bition que l'amour de la gloire, et sa valeur ne fut terrible
qu'aux ennemis de la patrie. On lui fit de pompeuses funé-
railles. Ses cendres furent déposées dans les tombeaux des
rois, d'où la restauration les exclut plus tard; mais les
larmes de ses compatriotes l'honorèrent bien davantage en-
core que tout l'éclat de ces cérémonies. Qu'on s'étonne main-
tenant que l'Angleterre possède la plus glorieuse marine du
inonde, quand à chaque pas un monument, un trophée,
apprend aux enfants mêmes que la patrie décerne une
apothéose à ceux de ses fils qui ont assuré son triomphe
sur les mers ! Théogène Page, contre-amiral.
BLAKE (William), graveur, peintre et poète anglais
d'une étonnante imagination, poussant l'enthousiasme de
l'esprit jusqu'à l'illuminisme, naquit le 28 novembre 1757,
à Londres, d'un père bonnetier, fort entêté de son commerce,
et qui voulut, bon gré mal gré, y dresser son fils dès sa
plus tendre enfance. Le digne père ne lui épargna point
en conséquence les maîtres de calcul , d'arithmétique et de
tenue ,de livres; mais l'enfant n'en profita guère. Son goût
était ailleurs, et il s'était de lui-même choisi d'autres maîtres
moins coûteux, et avec lesquels il se plaisait davantage. C'é-
taient quelques figures de Raphaël et de Reynolds, qui lui
étaient tombées sous la main , et qu'il se mit à copier avec
une inctoyable ardeur et à varier de cent façons. Le blanc
des factures, les planches de la boutique, les marges
des livres de comptes, reçurent de fréquents témoignages de
cette passion du petit AVilliam pour le dessin. Son père
s'en ainigea d'abord ; mais enfin , après quelques vains
efforts, il eût consenti, au gré de l'enfant, à le mettre en
apprentissage chez un peintre en renom alors , si le haut
prix que celui-ci exigea pour ses leçons n'eût été au-dessus
de la portée de sa fortune. \N"illiam en cette circonstance
fit preuve de bonne volonté et de déférence filiale en en-
trant jusqu'à un certain point dans les idées paternelles :
il se borna à vouloir être graveur, et il entra comme ap-
prenti chez Bazire , graveur en grande réputation à Lon-
dres à cette époque. Il y fit bien vile des progrès tels que
beaucoup de clients préféraient les ouvrages de l'élève à
ceux du maître. Quand il le pouvait, il allait prendre des
leçons de dessin et de modèle chez Flaxman et Fuseli.
Il trouva encore le temps de s'adonner à la poésie et de
composer des chansons , des odes, des ballades et des son-
nets, qu'il publia plus tard.
Au sortir de son apprentissage, qui avait duré un peu
moins de sept ans, Blake fit deux parts de son temps : la
première , par esprit d'ordre, il la consacra religieusement
à la gravure, qui lui rapportait de quoi vivre dans une hon-
nête aisance; la seconde, il la donnait avec effusion à la
peinture ou au dessin et à la poésie , qu'il cultivait simulta-
nément. Il était près d'atteindre vingt-six ans, lorsque, saisi
du vague désir de trouver une âme qui répondît à la sienne,
il vint à rencontrer une naïve jeune fille, d'une naissance fort
humble, et d'une grande beauté, Catherine Boutcher, dont sa
plume et son crayon retracèrent mille fois depuis le nom et
les traits, et qui devint la compagne de sa vie.
Peu après la mort de son père, auquel ce mariage n'a-
vait pas été agréable, notre artiste vint s'établir avec sa
Catherine dans la maison paternelle, où il ouvrit un ma-
gasin de marchand d'estampes. Ce commerce, quoique fort
du goût de sa femme, qui s'y adonnait volontiers, ne lui
réussit point. 11 y renonça, quitta de nouveau la maison de
son père, et se retira dans un quartier tranquille pour s'y
livrer tout entier et avec abandon à ses travaux de prédi-
lection. Dès lors les productions de tous les genres sorti-
rent en foule de ses mains.
Peu d'artistes ont mené une vie intérieure aussi douce que
celui-ci. Dans cette retraite qu'il s'était choisie, ayant tou-
rner. DE LA CONVERS. — T. lU.
jours sa femme à ses côtés, qui l'inspirait, qui l'encourageait,
qui prenait part à tous ses travaux , à ses joies infinies, à
ses rares ennuis, il s'oubliait de longues heures, ou, pour
mieux dire, du matin au soir, auprès d'elle, à graver, à des-
siner, à peindre , ou à composer des vers , faisant parfois
même de la musique d'un tour singulièrement heureux , au
dire de ceux qui furent admis au secret du foyer de l'artiste.
Il conçut vers ce temps l'idée d'une publication originale,
qu'il intitula : les Chants de l'Innocence et de V Expérience,
et qui fit sa réputation de peintre et de poète. Cette œuvre
se compose de soixante-cinq pièces : poésie et dessin y sont
réunis , selon l'habitude que l'artiste avait contractée dès ses
premiers essais. Le même sujet se trouve ainsi traité de deux
façons , au moyen de deux arts différents , bien qu'étroite-
ment liés , et qui se ressemblent comme les deux sœurs
dont parle Ovide. Ces sujets sont des scènes diverses où
l'auteur peint les hommes comme il les voyait au moment da
l'inspiration. L'enfance joueuse y est surtout représentée
avec une simplicité qui charme. Joies et soucis domestiques,
pleurs et ris , toute la Aie intime , avec ses alternatives da
peines et de plaisirs, tout cela y est retracé avec une grand»
vérité et une singulière énergie d'expression.
On dit que dès lors Blake éprouvait, dans la contention
d'esprit où le jetait la composition, une sorte d'illuminisme
qui le tourmentait jusqu'à ce que l'œuvre fût faite, et où sa
raison se perdait. 11 se croyait alors sous l'influence toute-
puissante d'esprits supérieurs. Dans ces moments il voyait
les figures, il écoutait les voix des héros de l'histoire etdfl
la religion ; le voile qui dérobe à nos yeux vulgaires les
choses du passé et de l'avenir se levait devant lui , et il lui
semblait parfois même entendre cette voix terrible qui
appela Adam parmi les arbres du jardin. D'une imagi-
nation ardente et aventureuse, il avait des hallucinations et
des visions fréquentes, qu'il traduisait sur le papier indiffé-
remment à l'aide de la plume et du crayon avec une mer-
veilleuse force de réalisation. Il dut sans doute à la fréquence
d« cet état d'abstraction rêveuse ses défauts, et aussi peut-
être ses qualités. Il y tombait régulièrement à certaine*
heures. Dans les intermittences entre les paroxismes, pour
ainsi parler, de cet état fiévreux de l'esprit, le matin d'or-
dinaire , Blake se livrait avec un grand calme et une exem-
plaire assiduité à ses travaux de graveur. Puis, ce travail fait,
il se retirait en quelque sorte dansson monde idéal et fantas-
tique. Blake avait foi, et toujours, dansses propres fantômes.
« Avez-vous jamais vu les funérailles d'une fée? demanda-t-U
un soir à une dame assise près de lui dans un salon. — Ja-
mais, monsieur. — Pour moi , je les ai vues, pas plus tard
que la nuit dernière. Je me promenais dans mon jardin ; il y
avait un grand repos parmi les branches et les fleurs, et dans
l'air une douceur peu commune. J'entendis un son bas et
agréable ; j'ignorais d'où venait ce son. A la fin , je vis se
mouvoir une large feuille de fleur, et au-dessous je vis une
procession de créatures de la grosseur et de la couleur verte
et grise des sauterelles. Elles portaient un corps étendu sur
une feuille de rose; elles l'enterrèrent avec des chansons ,
puis disparurent. C'étaient les funérailles d'une fée. » — C'est
ce commerce de visionnaire avec des êtres d'un ordre sur-
naturel, créatures de la fantaisie, qui a empreint ses œu-
vres d'un caractère et d'une couleur qui leur sont propres,
sans exemple jusque là, et qui se reproduisent plus ou moins
dans tout ce qu'il fit depuis l'époque où il commença à s'y
laisser entraîner, vers trente ans. C'est évidemment aussi
à ces emportements extatiques qu'il faut attribuer les fré-
quentes obscuiités qu'on rencontre dans la plupart de sei
compositions ultérieures , obscurités parmi lesquelles la plus
forte intelligence humaine se perd et ne voit rien.
Il serait trop long de donner ici la nomenclature exacte
de tout ce que l'infatigable artiste a successivement publié
pendant sa longue carrière ; nous mentionnerons seulement,
outre les Chants de l'Innocence et de l'Expérience, les
■àk
2GG BLAKE —
Porics dit Paradis, en seize dessins; ses gravures pour
l'édition (les Nuits d'Yoxing ((ue publia le libraire Edwards;
(les Illuslrations du tombemi, de Blair; les Inventions
du livre de Job, et les Prophéties sur l'avenir de l'Eu-
rope et de l'Amérique. Ces Prophéties, VUrizen et la
Jérusalem, sont de tous les ouvrages de Biake les plus
entacliés de ses dc'fauts habituels. Lesnoml)reuses peintures
qu'il exposa, en 1809, dans une salle de la maison de son
Crère, ne sont pas plus exemptes que ses dessins de cette
étrangeté dont on lui reprochait vivement l'abus, surtout
dans les derniers temps. Dans presque toutes, et principale-
ment dans le Pèlerinage de Cantorbéry, on retrouve la
même main qui traça les scènes bizarres et indéfinissables de
VUrizen et de la Jérusalem, impossibles à décrire, et dont
on ne saurait se faire une idée sans les avoir vues. Quoi
qu'on pOt lui dire cependant, il faisait toujours selon sa fan-
taisie, s'inquiéfaut peu du public, et eu appelant à la posté-
rité de la sévérité de quelquiis jugements contemporains.
11 parvint ainsi à un âge très-avancé, n'ayant peut-être
jamais passé un seul jour sans produire quelque chose.
Enfin, plus que septuagénaire, il sentit que la vie allait
lui échapper , cette vie si active , que l'ail avait toute con-
sumée. Plein de force d'âme et artiste jusqu'au bout, il
voulut peindre encore sur son lit de mort. Son dernier ou-
vrage, qui est remarquable par une expression de tête naïve
et mélancolique fortement saisie, est le portrait de sa
femme, encore belle et respirant, malgré l'âge, un grand
air de jeunesse, de Catherine, que seule il regrettait au
monde, et qu'il reconnaissait à cette heure suprême avoir
été toujours un bon ange pour lui. Et ce fut dans ces der-
nières préoccupations d'une ineffable tendresse, dont il y a
malheureusement de si rares exemples, que Blake mourut
à Londres, presque sans douleur, le 12 août 1828, dans
la soixante et onzième année de son âge. Ch. Romby.
BLAKE (Joachim), l'un des généraux espagnols qui
défendirent le plus vigoureusement l'indépendance de leur
patrie contre les Français dans la lutte qu'amena l'invasion
de la péninsule par Napoléon (1808-1813) , descendait d'une
famille irlandaise depuis longtemps établie à Malaga , et
était né dans cette ville, en 1759. Entré au service comme
cadet, il s'éleva de grade en grade jusqu'à celui de briga-
dier; et lorsque éclata l'insurrection, il fut nommé tout aus-
sit(jt commandant des forces insurgées réunies à la Corogne,
puis commandant en chef de l'armée de Galice. BattuàRio-
Seco par Bessières , il réorganisa son armée à Benavente ; et
quand Castaiios eut, par la prise de Madrid, forcé les
Français de se concentrer sur l'Èbre, il occupa Bilbao, et se
dirigea, avec les renforts que La Romana lui amena alors du
Danemark, vers la frontière de France. L'arrivée de Napoléon
en personne sur le théâtre des opérations militaires changea
la face des affaires. L'empereur sut enijiécher la jonction
de l'armée de Blake avec celle de Castaùos ; mais Blake ,
repoussé jusqu'à Espinosa , fit alors une retraite que tous
les hommes (lu métier ont admirée.
Élevé, en récompense de ce fait d'armes, au grade de
lieutenant général, il remit au marquis de La Romana le com-
mandement de son corps d'armée pour aller prendre celui
des trois provinces d'Aragon , de Valence et de Catalogne.
Malgré ses efforts et quelques succès partiels, l'Andalou-
sie ne tarda cependant pas à être envahie. En 1810, les
cortès , sentant le besoin de s'appuyer sur une illustration
militaire, l'appelèrent à faire partie de la régence; mais à
ireine quelques mois s'étaient-ils écoulés qu'on eut lieu de
regretter son absence du théâtre des opérations actives; et
alors , faisant en sa faveur une exception au règlement des
cortès , qui s'opposait à ce qu'un commandant militaire fit
partie de la régence, on le nomma capitaine général. Tou-
jours malheureux, Blake, complètement battu à Murviedro,
lut obligé de se jeter dans Valence,' place mal fortifiée, où
Ù lit toutefois encore une vigoureuse résistance, mais où
BLANC
force lui fuf , à la fin, de capituler, le 9 janvier 1812. Fait
prisonnier de guerre avec toute la garnison , il fut conduit
en ï'rance, où on l'enferma à Vincennes.
Les événements de 1813 et de 1814 lui rendirent la liberté
et lui permirent de rentrer dans sa patrie, qu'il n'espérait
plus revoir. Le roi Ferdinand le nomma directeur général du
génie ; mais la part que prit ensuite Blake à la révolution
de 1820, qu'il consentit à servir, effaça aux yeux du mo-
narque restauré par Louis XVIII, en 1823, dans la pléni-
tude de son autorité despotique, le souvenir des services
rendus à sa cause pendant la lutte de l'indépendance par le
vieux général, qui se vit en butte aux persécutions des
absolutistes , et (jui mourut pauvre et délaissé, en 1827 , à
Valladolid.
BLÂME. Dans l'ancienne législation, le blâme était une
peine infamante d'un degré immédiatement inférieur à ce-
lui de la peine du bannissement à temps. Elle consistait dans
une réprimande adressée au coupable, en vertu d'une sen-
tence judiciaire, et celui qui devait la recevoir était obligé
de se mettre à genoux devant les juges. Le blâme se pro-
nonçait avec cette formule : Un tel, la cour te blâme, et le
rend infâme.
On fit un tel abus de cette pénalité, qu'elle cessa d'être
efficace. Un cocher blâmé par le parlement de Paris osa de-
mander au premier président, après avoir entendu la sen-
tence, si cela l'empêcherait de conduire ses chevaux?
Beaumarchais ayant été blâmé dans son procès contre
le conseiller Goezman, reçut aussitôt la visite de toute la
cour, ce qui fit dire que le blâme mettait en honneur. Le
Code Pénal de 1791 abolit le blâme, et nous ne retrouvons
plus aujourd'hui qu'une faible et incomplète imitation de
cet usage ddus Vavertisseîuent ou la réprimande d.u\-
(juels condamnent quelquefois les conseils de discipline de
la cliambre des avoués et des notaires, de l'ordre des avocats,
et de la garde nationale.
Dans la langue du droit féodal, le blâme était l'action
ouverte en faveur des seigneurs suzerains pour faire réfor-
mer l'aveu et dénombrement qui leur était pré.senté
par leurs vassaux. D'après la coutume de Paris, qui accor-
dait au seigneur pour blâmer le dénombrement un délai de
quarante jours à partir de sa présentation, le vassal était
tenu iValler ou d'envoyer quérir ledit blâme au lieu du
principal manoir dont était mouvant le fief .
En morale, le blâme est un sentiment généralement ex-
primé, par lequel on désapprouve un acte, une opinion, une
personne. Avant d'exprimer un blâme contre cpielqu'un on
doit bien peser les actes cpi'on désapprouve ; et cependant
tous les jours, avec la plus grande précipitation , on jette
le blâme sur des hommes d'État dont on connaît à peine
les projets; on flétrit des actions qu'on ne comprend pas,
et des démarches qu'on n'a pas étudiées; enfin, on déverse
à pleines mains le blâme sur des ouvrages qu'on n'a pas
lus. 11 n'y a peut-être pas au fond grand danger à tout cela :
mieux vaut dans bien des cas une certaine témérité de ju-
gement qu'une indifférence profonde : la contradiction qu'on
éprouve force à recourir aux preuves; on s'éclaire, et l'on
finit quelquefois par admirer sincèrement ce qu'on avait
d'abord poursuivi avec toute la légèreté d'un blâme irré-
fléchi.
BLANC , adjectif souvent pris substantivement, et qui,
dans le style vulgaire, est considéré comme une couleur,
tandis qu'en physique le blanc est le résultat de la lumière
la plus éclatante ; c'est-à-dire que les corps blancs sont ceux
qui réfléchissent la lumière sans lui faire subir aucune dé-
composition, taudis que les corps colorés ne Tédéchissent
que tels ou tels rayons, suivant leur nature.
Le blanc réfléchit aussi le calorique avec beaucoup de
perlection, tandis que le noir absorbe avec plus de facilité
les rayons de la chaleur. On commet donc une grande er-
reur en peignant en noir ou en gris l'intérieur d'une chemi
;iui- I
1
BLANC
2G7
n<*o. L'expc^rience a démontré que peinte en blanc elle donne
bien plus de chaleur.
Considéré matériellement sous le rapport de la peinture ,
le blanc est une couleur, et c'est celle qui est la plus em-
ployée, puisqu'on la mélange avec toutes les autres, suivant
que l'on veut qu'elles aient plus ou moins d'intensité. C'est
avec le blanc que l'on produit le mieux l'éclat le plus bril-
lant delà lumière, lorsqu'elle se réfléchit sur quelques points
d'une surface extrêmement lisse, telle que l'eau légèrement
agitée, l'acier, ou quelques autres substances dures et po-
lies ; mais ce blanc ou cet éclat de lumière, loin d'être pro-
digué dans la nature, ne s'y montre que rarement ; et lors-
qu'un artiste veut imiter ces sortes d'effets, ce n'est qu'a-
vec bien du ménagement qu'il doit employer des touches de
blanc pur qui rappellent l'idée de la lumière. Si, au con-
traire, croyant rendre son tableau plus lumineux, l'artiste
prodigue trop sa prétendue lumière, c'est-à-dire le blanc
de sa palette, son coloris devient fade et blafard.
Parmi les animaux dont le poil varie de couleur, il s'en
trouve qui sont habituellement blancs, tels que les moutons.
Les chevaux blancs sont assez communs; les bœufs blancs
sont au contraire assez rares ; on voit très-peu de biciies
blanches, et les daines le sont presque toutes. On a cru
quelquefois que les animaux à poil blanc étaient plus faibles
que les autres individus de la même espèce : c'est une er-
reur ; mais on doit faire remarquer que dans l'état sauvage
les quadrupèdes à poil blanc sont assez rares, tandis qu'il
s'en trouve fréquemment parmi les animaux domestiques.
Dans une portée de dix ou douze lapins, il s'en trouve sou-
vent un blanc; quelques mères offrent même la singularité
d'en avoir habituellement un de cette couleur. Dans le Nord,
on voit quelques animaux dont la fourrure devient blanche
en hiver : c'est ainsi que l'on trouve des lièvres blancs, des
renards blancs. Il n'en est pas ainsi de l'ours blanc, qui est
une espèce tout à fait distincte de l'ours noir. Le cygne, ori-
ginaire du Nord, est remarquable par sa blancheur; il est
pourtant gris dans la première année. On trouve aussi quel-
ques autres oiseaux blancs dans le Nord ; dans la zone tem-
pérée, ils sont habituellement gris ; ce n'est que dans la
zone torride que l'on voit des oiseaux de couleurs variées
très-brillantes; cependant les kakatoès sont entièrement
blancs. Dans la vieillesse, les poils de l'homme et de plu-
sieurs animaux deviennent blancs. Us sont blancs aussi chez
les albinos.
Dans la peinture d'impression, c'est-à-dire dans celle que
l'on applique sur les parois d'un appartement , le blanc est
encore la couleur le plus en usage : l'emploi en est si fré-
quent que les autres couleurs réunies n'entrent que pour
4 ou 5 pour 100 dans la masse du poids général.
Dans l'imprimerie, les blancs sont, en général, toutes les
pièces qui, fondues plus bas que la lettre, ne reçoivent pas
d'encre du rouleau et laissent après l'impression le papier
blanc à la place qu'elles occupent. Les fondeurs en carac-
tères disent qu'une lettre a blanc dessus et dessous, comme
la lettre m, ou bien blanc dessus, comme un p, ou blanc
dessous, comme un d.
En termes de pratique , blanc se dit de l'endroit d'un acte
qui est resté non écrit. C'est en ce sens que l'on dit qu'on
a laissé deux ou trois lignes, le nom, e» blanc. — On donne
improprement le nom de blanc à une sorle de brûlure.
Blanc a été aussi le nom d'une petite monnaie dont l'exis-
tence se trouve rappelée par l'expression de sia; 6/fl??c5, em-
ployée pour exprimer deux sous et demi ou trente deniers,
ce qui indique que le blanc valait cinq deniers.
Blanc est encore la marque que l'on fait pour s'exercer à
tirer l'arc ou le fusil. De là l'expression : tirer au blanc,
pour dire tirer à la cible. — Dans les fabriques de faïence , on
dit passer au blanc, donner le blanc : cette opération con-
siste à passer dans une eau chargée d'émail blanc la pièce
sur laquelle on veut mettre une couverte avant de la faire
passer au feu. — Enfin les doreurs eur bois emploient, comme
préparation pour recevoir l'or, un blanc , qui n'est autre
chose que du plâtre broyé et passé dans un tamis très-fin
et ensuite séché et mis en pain. Ducnr-SNE aîné.
BLANC ( Botanique ). On appelle ainsi un état maladif
des végétaux, dans lequel leurs feuil'es sont couvertes d'une
sorte de poussière blanche. Cette maladie a été regardée à
tort comme contagieuse. On en distingue deux sortes, sa-
voir : le blanc sec , qui est général ou partiel , et qui ne fait
pas mourir les plantes. Bosc croit avec raison que cette pous-
sière blanche et sèche n'est autre chose qu'un champignon
parasite voisin des urédos et des érésyphies. On a remarqué
que quelques végétaux , entre autres les rosiers et l'absinthe,
sont les plus sujets au blanc sec. Le deuxième état maladif,
souvent nommé lèpre ou metinier, est le blanc mielleux,
qui se montre depuis juillet jusqu'en septembre sous forme
d'une substance blanchâtre, un peu visqueuse, transsudant
à travers les pores des feuilles. Cette substance, qui, vue au
microscope , est composée de petits filaments enlacés , est
probablement une mucédinée. Elle est très-nuisible , sur-
tout lorsqu'elle détermine l'avortement des boutons des ar-
bres fruitiers. L. Laurent.
BLANC (fleuve) ou BAHR-EL-ABIAD. Voyez Nil.
BLANC (Mont). Foycs Mont-Blanc.
BLANC ( Jean-Joseph-Louis ), né à Madrid , le 28 oc-
tobre 1813, appartient à une famille du Rouergue. Son père
et son grand-père furent arrêtés pendant la Terreur. Sou
père parvint à s'échapper de prison ; mais son grand-père ,
transféré à Paris, et jugé par le tribunal révolutionnaire,
porta sa tête sur l'échafaud. Le père de M. L. Blanc entra
plus tard dans l'administration , et il devint inspecteur gé-
néral des finances en Espagne , sous le règne de Joseph
Napoléon. Sa mère, Corse d'origine, se rattache, dit-on , à
la maison de Pozzo di Borgo. A la Restauration , M. Blanc,
de retour en France, obtint pour ses fils deux bourses au col-
lège de Rodez. En 1S30 Louis Blanc 'quitta le collège, et
vint rejoindre son père à Paris. La révolution de Juillet l'a-
vait ruiné. Louis Blanc chercha longtemps une place sans
en trouver. C'est alors que les idées socialistes germèrent
dans sa tête. Plein de bonne volonté, il était exposé à mille
privations dans cette ville de Paris, où les ressources ne
manquent pourtant pas. Il se prit à regretter que la société
ne se chargeât pas de diriger elle-même chacun dans la voie
du travail et de la nourriture.
Néanmoins le jeune homme ne se découragea pas. Aidé par
une petite pension que lui fit son oncle, M. Ferri-Pisani ,
conseiller d'État et gendre du maréchal Jourdan, il trouva
enfin à donner quelques leçons de mathématiques. En 1831
il entra chez un avoué à la cour royale, en qualité de troi-
sième ou quatrième clerc. En même temps M. de Flau-
gergues, ancien président de la Chambre des Députés et ami
de sa famille , se plut à l'initier aux secrets de la politique.
En 1832, sur la recommandation de M. Corne de Brille-
mont, Louis Blanc fut chargé de l'éducation du fils de
M. Hallette , mécanicien d'Arras. Il resta deux ans dans
cette ville, où il fit insérer des articles dans le Propagateur
du Pas-de-Calais , et écrivit trois ouvrages : un poème in-
titulé Mirabeau, un poème sur l'Hôtel des Invalides, et
un Éloge de Manuel, qui furent couronnés par l'Acadcmie
d'Arras.
Revenu à Paris en 1834, M. L. Blanc s'aventura dans les
bureaux du Bon Sens , et fut assez bien accueilli par Rodde
et Cauchois-Lemaire. Une place de douze cents francs lui
fut provisoirement offerte. Au bout de quinze jours ses ap-
pointements s'élevaient à deux mille francs, plus tard à
trois mille, et enfin la rédaction en chef de ce journal lui fut
confiée.
C'est par erreur qu'on a dit que Carrel l'avait généreuse-
ment fait entrer dans la rédaction du National. Il le con-
gédia, au contraire, fort sèchement, selon son habitude , ta
268
BLANC
lui déclarant qu'il n'y avait pas de place vacante dans sa
rédaction. Les successeurs de Carrel n'eurent pas beaucoup
plus de sympathie pour l'auteur de V Organisation du
Travail. » Caractère ombrageux et envahissant à la fois ,
dit le peintre des Profils révolutionnaires, L. Blanc
ne put jamais s'introduire dans la rédaction du National
ou dans la direction de la Réforme. Deux hommes lui fu-
rent toujours sourdement hostiles : Marrast et Flocon, à qui
il portait justement ombrage, et qui le lui prouvèrent depuis
dans son exil du Luxembourg. Une circonstance , la mort
de Godefroy Cavaignac, lui avait déjà donné l'occasion
de se venger d'eux en leur faisant sentir sa supériorité.
Quand Marrast , Flocon , Ledru-Rollin , Joly , Martin ( de
Strasbourg), Arago, Trélat, étaient réunis autour de la tombe
de Godefi-oy, Louis Blanc vint à son tour. Ce petit bonhomme
composa son visage : fermant à moitié les yeux, se tirant
les deux coins des lèvres pour que les saccades de sa voix
servissent à simuler les larmes et impressionnassent l'au-
ditoire devant sou air contristé , il s'écria : « Si Godefroy
« eût été appelé par les circonstances à la tète des affaires
« de son pays, il eût été capable de les diriger mieux qu''au-
« cun autre de ceux que nous connaissons. » Les illustres
assistants, piqués d'une telle sortie, tournèrent la tête vers
L. Blanc : il les avait écrasés du titre d'incapables , il avait
sondé leur faiblesse , il leur avait porté le plus rude coup
dont leur orgueil pût se ressentir, il les avait humiliés les
uns aux yeux des autres ; ils ne lui pardonnèrent jamais. Se
complaisant lui-même dans l'eftet de sa pantomime, quand
ce petit comédien eut prononcé ces paroles, la tristesse s'éva-
nouit de sa figure ; ses traits reprirent leur place ; sa voix
s'éclaircit , et ce petit manège de son extérieur étudié ne
servit qu'à démasquer la jalousie qui rongeait les coryphées
du parti, u
En 1834, L. Blanc publia dans la Revue républicaine
divers travaux, entre autres un article sur la vertu con-
sidérée comme moyen de gouvernement , et une appré-
ciation de Mirabeau. Il contribua ensuite à la rédaction de
la Nouvelle Minerve. A la fin de 1835 il donna au National,
à propos du livre de M. Claudon, intitulé Le baron d'IIol-
bacli, une appréciation du dix-huitième siècle, dans laquelle
il se prononçait pour J.-J. Rousseau conlre Yoltaire : ce-
lui-ci ayant produit 89, qui n'était qu'une révolution po-
litique; le premier ayant amené 93 , qui était une révolu-
tion sociale. Cet article n'était pas dtms les idées du journal
qui l'imprimait ; cependant on prétend que Carrel le dé-
lendit. Rodde étant mort, les propriétaires du Bon Sens
firent choix d'un autre rédacteur en chef que Louis Blanc,
qui avait succédé à Cauchois-Leniaire comme rédacteur
en chef adjoint. Tous les collaborateurs se révoltèrent contre
celte décision , et menacèrent de se retirer. Et pourtant il
était le plus jeune de tous. Les propriétaires cédèrent,
et il fut proclamé rédacteur en chef le r*" janvier 1836.
Quelque temps après , se trouvant en opposition avec
les actionnaires à propos de la question des chemins de
fer, dont il voulait conserver la propriété à l'État, il donna
sa démission le 10 août 1838; ses collaborateurs le suivirent,
et le journal tomba. « Sous sa direction , dit M. Sarrans ,
le Bon Sens exerça une remarquable intluence sur le parti
démocratique, en rapprochant et associant dans un but
commun l'école politique et l'école sociale, l'une comme
but, l'autre comme moyen. » En 1838, Louis Blanc fonda la
Revite du Progrès politique, social et littéraire , àans
laquelle il rendit compte ôes Idées napoléoniennes duprince
Louis-Napoléon. Quelques jours après la publication de cet
article, M. Louis Blanc tombait dans un guet-apens. Laissé
pour mort à la porte de son domicile , il ne se relevait de
son lit qu'au bout de vingt jours, sans qu'on ait jamais su
sur qui rejeter la responsabilité de ce lâche attentat.
Mais l'ouvrage de M. Louis Blanc qui captiva le plus
l'attention publique, cest son Histoire de Dix Ans, « Plutôt
chroniqueur que véritable historien , Louis Blanc , dit en-
core l'auteur des Profils révolutionnaires, sema ce livre de
tant d'esprit , de tant de vues profondes, d'aperçus nou-
veaux et de documents intéressants , qu'il eut un succès de
popularité et qu'il fut regardé non-seulement comme jour-
naliste de mérite-, mais aussi comme publiciste de premier
ordre, comme écrivain économiste plein de science, a C'é-
tait à la vérité un livre d'opposition ; et c'est là ce qui fit
surtout sa fortune à une époque où la presse périodique était
enchaînée par les lois de septembre. On aimait à suivre les
personnages du jour dans leurs actes antérieurs ; beaucoup
aimaient à se rappeler les luttes des partis contre l'établisse-
ment de Juillet, et, grâce aux ménagements pris par l'auteur
envers les légitimistes, le pouvoir de 1830 gardait dans ce
livre tous les mauvais rôles.
Le succès populaire de V Histoire de Dix Ans détermina
M. Louis Blanc à écrire Y Histoire de la Révolution. Deux
volumes de cet ouvrage avaient paru avant la révolution de
1848, le troisième aparu en 1852. Dans une longue introduc-
tion , M. Louis Blanc a exposé en tête de ce livre ses idées
comme historien. Suivant lui, trois grands principes se par-
tagent le monde et l'histoire : l'autorité, V individualisme,
\a fraternité. L'autorité a élémaniée par le catholicisme;
l'individualisme a été inauguré par Luther, développé par les
philosophes du dix-liuitième siècle et introduit dans la vie
publique par la révolution de 1789; la fraternité, entrevue
par les penseurs de la Montagne, est encore dans les loin-
tains de l'idéal , mais tous les grands cœurs l'appellent, et
elle doit finir par régner sur la terre.
Avant d'écrire ces livres d'histoire, M. Louis Blanc avait
fait paraître un petit volume sur Y Organisation du Tra-
vail, livre d'aspiration idéale vers un autre monde social,
dans lequel la société actuelle est attaquée avec éloquence ,
mais où l'on chercherait en vain quelque idée applicable à
des hommes aussi imparfaits que nos contemporains et que
nos ancêtres. M. Louis Blanc a dit que le jour où il s'était
trouvé sans pain et sans travail malgré sa bomie volonté , il
avait renouvelé contre la société actuelle le serment qu'avait
fait Annibal contre Rome. Mais , avant de tenir un pareil
serment, il fallait au moins apprendre l'industrie, connaître
les choses et les hommes, s'enquérir des vœux et des be-
soins de ceux qu'on prétend servir ; autrement , on risque
de faire beaucoup de mal aux hommes qui vous suivent, et
on ne détruit pas Rome.
Quoi qu'il en soit, disons ce que demandait ce livre déjà
bien oublié. Partant de cette donnée , que la misère en-
gendre la souffrance et le crime, M. L. Blanc veut que le
travail soit organisé de manière à amener la suppression de
la misère. Pour cela il faut affranchir les travailleurs, en
leur fournissant ce qui leur manque : les instruments de
travail. C'est l'État qui doit se charger de ce soin. L'État,
pour M. L. Blanc, doit être le banquier des pauvres. Ce--
pendant, comme il ne voulait déposséder personne , il de-
mandait seulement l'organisation A' ateliers sociaux libres,
lesquels devaient amener l'anéantissement de la concurrence,
en absorbant petit à petit les ateliers particuliers. A ces
ateliers il donnait une organisation nouvelle. Pour stimuler
l'homme au travail il n'admettait plus que le point d'hon-
neur. « Tout homme qui ne travaille pas est un voleur, «
écrivait-il sur des poteaux, et cela devait suffire pour exciter
l'émulation fraternelle. D'abord chacun devait toucher une
journée égale, et laisser une grande part des bénéfices pour
agrandir l'œuvre , rembourser à l'État ses avances , secourir
les malheureux ; mais plus tard il revint sur l'égalité des sa-
laires, qui ne consacrait pas assez la fraternité, et il adopta
alors comme idéal la formule de M. Vidal : Que chacun
produise selon son aptitude et ses forces, que chacun
consomme selon ses besoins. M. L. Blanc ne s'arrêtait donc
pas au droit écrit dans les institutions depuis 1789; mais
il voulait pour le peuple le pouvoir d'améliorer sa position.
BLANC
269
La société, disait-il, doit à chacun de ses membres et l'ins-
truction, sans laquelle l'esprit humain nepeut se développer,
et les instruments de travail, sans lesquels Tactivité humaine
ne peut se donner carrière. Le livre de M. L. Blanc avait
d'abord été saisi ; mais la chambre des mises en accusation
fit cesser les poursuites. Il était moins connu cependant que
l'auteur lorsque la révolution de Février éclata.
Quand le gouvernement provisoire nommé à la chambre
des députés le 24 février arriva à l'hôtel de ville , il y trouva
déjà installés, en forme de pouvoir populaire, quatre liom-
mes représentant les deux nuances opposées de la presse
radicale, MM. Marrast , Flocon , Louis Blanc et Albert. Le
IS'ational, qui ne désirait qu'un changement politique, avait
tenté, pendant la lutte, de former un gouvernement ; mais il
avait fallu compter aussitôt avec la Rd/onne , qui admettait
la discussion des questions sociales , et M. L. Blanc avait
proposé en outre l'adjonction d'un ouvrier de l'Atelier,
M. Martin, dit Albert. Les grosses tètes du Palais-Bourbon
n'admirent d'abord les quatre intrus que comme secrétaires ;
mais ils furent bientôt débordés , et le gouvernement provi-
soire compta quatre membres de plus. L'éditeur de M. L.
Blanc devint en outre seul secrétaire. Dès le 25 février le
gouvernement provisoire, pressé par des démonstrations ex-
térieures, déclarait que l'État garantissait du travail à tous,
et M. Louis Blanc, dit-on, obtenait l'abolition de la peine
de mort en matière politique. Enfm l'établissement d'ate-
liers nationaux était décrété, mais tout à fait en dehors
de l'influence de M. L. Blanc, et peut-être bien dans une
pensée hostile à ses théories : on espérait, en payant les ou-
vriers désœuvrés avec les fonds de l'État, les éloigner des
discussions sociales.
Cependant, d'un autre côté, M. L. Blanc avait fait créer
une comn)ission permanente, dite coinmission de gouverne-
ment pour les travailleurs, dont il avait la présidence,
et M. Albert la vice-présidence, et qui devait siéger au
Luxembourg. Peu sûr peut-être de l'application possible
de ses théories , ou plutôt craignant de les compromettre
par quelque essai intempestif, il appelait à la discussion les
hommes qui s'étaient occupés des questions sociales, se
proclamant souverain pontife, et s'entourant de délégués
nommés par les ouvriers. On s'aperçut du premier coup
qu'un élément manquait à ces réunions, et des délégués
des patrons furent invités. Mais avant aucune discussion
les ouvriers exigèrent la diminution des heures de travail et
l'abohtion du marchandage, ce qui fut décrété. L'augmen-
tation de salaire, demandée aussi, dut rester un point à
débattre.
L'ouverture des conférences du Luxembourg, le 1^' mars
1848 , révéla un fait dont on ne se doutait guère : l'existence
d'un parti sociaUste; et M. L. Blanc l'annonça en disant :
« Ce n'est pas seulement une monarchie qui s'en va , c'est
une société. » Ce devait être le dernier coup porté à l'indus-
trie, qui tentait de résister. Les atehers se fermèrent de toutes
parts; et comme M. L. Blanc voulait substituer les ouvriers
aux maîtres, des offres ne tardèrent pas à être faites par les
patrons : les théories allaient enfin pouvoir se frotter sur la
pierre de touche de la pratique. Quelques essais se firent :
aucun ne présenta de résultat satisfaisant. Le plus célèbre
est celui de l'atelier de Clichy. On sait comment M. Proud-
hon a qualifié depuis cet essai , où les frères , qui reçurent
une grande commande de l'État, et qui furent exonérés des
frais de loyer, ne craignirent pas de faire des bénéfices sur
les sœurs employées à la confection des pantalons de la
garde nationale mobile. L'égalité des salaire-s, préconisée par
le chef des conférences du Luxembourg, blessa les ouvriers
sans profit pour les maîtres. Pressé par la logique , on lui
demanda un jour s'il se contenterait pour lui des quatre
francs qu'il promettait à tout le monde. « Certainement,
répondit-il, quand tous ne recevront que le prix de la jour-
née égalitaire, je me glorifierai d'êtie le premier ouvrier
de France. » Mais en pareil cas, il faut montrer l'exemple,
et non pas accepter le dernier ce qu'on a tant prêché, pour
se proclamer le premier encore! Qui donc alors aurait pu
refuser? Les ouvriers ne comprenaient guère non plus que
l'intelligence, l'habileté de main, le courage au travail, dus-
sent être comptés pour rien sous le régime de la fraternité.
Par une singulière coïncidence, les ateliers nationaux
avaient dû adopter les principes de M. Louis Blanc ; là
dominait le principe de l'égalité du salaire sur la plus large
échelle : ouvriers de tous états, artistes, gens de lettres,
chacun avait le même salaire. On sait ce que produisit
cette immense agglomération de travailleurs : il est vrai
qu'on avait oublié de planter les fameux poteaux de M. L.
Blaac dans les chantiers.
Néanmoins M. L. Blanc posa jusqu'à la fin sa petite per-
sonnalité. R'>n ne put lui dessiller les yeux. Chaque jour le
mal devenait plus grand, et il discutait encore; il ne pouvait
trouver aucune application, et il discutait toujours. Tout
tombait autour de lui , ses idées n'engendraient que |a niine
et la misère, et il croyait plus que jamais en lui. D'abord
il avait attaqué la concurrence avec une éloquence entraî-
nante ; mais il ne pouvait rien mettre à la place , et il n'en
crut pas moins au principe qu'il avait proclamé. 11 avait
beau rencontrer tous les esprits rebelles : il ne doutait pas
d'atteindre son but. C'était la société actuelle qu'il fallait
accuser, et non lui. On disait partout que les ouvriers
avaient trois moisde souffrancesau service delà république :
c'était trois mois d'agonie pour la vieille société. M. L. Blanc
espérait sans doute qu'elle n'en reviendrait pas, et qu'un
nouveau système serait plus facile à implanter sur des
ruines. Cependant le découragement dut le gagner aussi
dans ces discussions stériles où il ne put convertir à ses
idées aucun chef d'école socialiste. Beaucoup même, con-
naissant l'infatuation du président des conférences, refu-
sèrent d'aller discuter avec lui, aucun ne l'épargnait dans la
presse ni dans les clubs; mais s'ils agitaient les clubs, c'é-
tait au moins en leur nom personnel et sous leur propre
responsabilité, ils n'agitaient pas la société, comme M. L.
Blanc, au nom d'un gouvernement impuissant qui se disait
chargé de la défendre. Une réaction se manifesta bientôt.
Lameimais attaqua le communisme du Luxembourg dans de
chauds articles , où il moijtra le despotisme et l'esclavage
inhérents à ces théories, puisque le droit au travail en-
traîne pour corollaire le devoir du travail, c'est-à-dire la
servitude. M. Michel Chevalier attaquait le système de
M. L. Blanc dans des Lettres où il montrait le développe-
ment du capital social comme la source la plus féconde et la
plus sûre de l'affranchissement des travailleurs; Bastiat écri-
vait des petits traités mordants dans le Journal des Écono-
mistes; enfin M. Wolowski allait combattre les nouvelles
doctrines au Luxembourg même, et ralliait les défenseurs
épars de l'école libérale.
Lorsque l'Assemblée nationale se réunit , le 4 mai, M. L.
Blauc, élu par la Seine et j)ar la Corse, n'avait donc effecti-
vement rien fait au Luxembourg; rien fait, sinon que de
donner un corps à des aspirations, et formulé sa haine
contre l'ancien monde. On avait découvert que l'homme
exploitait l'homme, et pour faire cesser l'oppression on
avait imaginé un système dans lequel une minorité directrice
saurait bien aussi exiger le travail, même par la force,
quand le ressort moteur du besoin serait brisé. M. L. Blanc ,
comme tous les membres du gouvernement, vint rendre
compte de ce qu'il avait fait à l'Assemblée nationale. Ce fut
une apologie vaniteuse contre laquelle s'élevaient bien des
réclamations; des accusations même se firent jour; mais un
membre en détruisit l'effet en s'écriant : « Est-on coupable
quand on n'a rien fait? » C'était le mot. La commission du
Luxembourg avait montré encore plus d'impuissance que
de vanité. Pour continuer ses recherches, M. L. Blanc, qui
avait préalablement donné sa dénùssion de président de la
270
commission du Luxembourg , et qui accusait ses collègues
de sa faiblesse , se déclarant le défenseur du peuple , pro-
posait la création d'un ministère du progrès et du travail.
Cette demande fut bien vite repoussée. Mais pour effacer le
passé, un décret déclara que le gouvernement provisoire en
masse avait bien mérité de la patrie.
Le rôle politique de M. L. Blanc n'avait pas été moins
nul dans les conseils du gouvernement provisoire. Ses|)ré-
dications, en jetant la panique dans l'industrie, avaient fait
refluer une foule immense dans les ateliers nationaux. Les
délégués du Luxembourg finirent naturellement par se
réunir aux délégués de ces ateliers; mais là des mains plus
puissantes agissaient, et l'influence des meneurs révolution-
naires se faisait plus sentir au Luxembourg que celle des
théoriciens du Luxembourg ne pesait sur la place publique.
Cependant on mit M. L. Blanc en avant plusieurs fois dans
des circonstances difficiles , et ce fut lui, par exemple, qui se
chargea de congédier la démonstration guidée par MM. So-
brier et Blanqui , le 1 7 mars ; il est vrai que le gouvernement
accorda aussitôt tout ce que les clubs demandaient. Fidèle
au système d'appui mutuel que se donnaient les membres du
gouvernement provisoire, M. L. Blanc espérait se maintenir
en équilibre; mais son influence baissait sensiblement. Les
clubs n'avaient plus confiance en lui , et les modérés l'ac-
cusaient d'être la cause de toutes les faiblesses du pouvoir.
Le 15 mai vint jeter du trouble dans l'existence de
M. L. Blanc. L'Assemblée nationale ayant été envahie, il fit
des efforts pour se faire entendre, proclama le droit de pré-
senter des pétitions à la barre, s'offrit à lire à la tribune
celle dont les envahisseurs s'étaient chargés. Enfin on le vit,
porté par quelques hommes du peuple, haranguer la foule,
proclamer les droits du peuple; il alla même, dit-on, jus^
qu'à l'hôtel de ville. Tout cela paraît avéré; mais il avait été
sollicité par le faible président Bûchez lui-même de s'in-
terposer vis-à-vis de la foule pour obtenir une fin. Le soir
M. L. Blanc fut retiré des mains des gardes nationaux par
MM. de La Rochejaquelein et Arago. Dès le 1*'' juin le pro-
cureur général Portalis demanda l'autorisation de poursuivre
M. L. Blanc. Celui-ci se défendit avec force, et la demande
du parquet (ut lepoussée. Mais, après les événements de juin,
la fameuse enquête dont M. Bauchart fut le rapporteur signala
de nouveau M. L. Blanc à la vindicte des lois , et dans la
nuit du 25 au 26 août les poursuites furent autorisées contre
lui et contre M. Caussidière pour leur participation à l'at-
tentat du 15 mai. Les deux représentants se sauvèrent
aussitôt à Londres. La haute cour siégeant à Bourges les
condamna par contumace à la peine de la déportation, au
mois d'avril 1849.
Le rôle de M. L. Blanc avait donc été nul encore à l'As-
semblée. Il avait dû songer bien plus à se défendre qu'à
obtenir quelque chose ; et pourtant toujours il posait sa
personnalité comme liée au bonheur de sa patrie : c'était
toujours le môme homme, monté sur un escabeau , frappant
son cœur de sa main droite, broyant de son petit poing la
tribune , puis menaçant le ciel de son petit index avec la
régularité d'un balancier ou l;f prestesse d'un chef d'or-
chestre qui bat la mesure, lançant de sa bouche des
phrases vides mais sonores, et ne doutant jamais qu'il ne
fût le seul représentant vivant de la révolution et qu'il ne
comprit seul les intérêts des masses. Cet orgueil immense
a suscité à M. L. Blanc de nouveaux embarras même dans
l'exil , où les chefs des réfugiés ont donné au monde le spec-
tacle d'excommunications réciproques analogues a celles que
s'étaient déjà lancées les thels d'écoles socialistes dans les
journaux et les livres qu'ils rédigeaient.
De Londres M. L. Blanc fonda un journal mensuel, inti-
tulé Le Nouveau Monde, où il continua ses attaques contre
la société actuelle, et oii l'on trouve quelques détails d'his-
toire contemporaine assez curieux. Ce journal mourut sous
la nécessité des cautionnements. Puis l'auteur écrivit trois
BL.\NC — BLANC DES CARMES
brochures politiques et sociales, intitulées : Plus de Giron-
dins! La République une et indivisible, et Un Biner
sur Vherbe. En diverses circonstances, il se montra encore
dans les réunions publiques; mais a-t il t'ait faire quelques
progrès à la science sociale? Le communisme ne voudrait
pas de lui pour chef, et les hommes qui tiennent quelque
compte de la liberté humaine, de la valeur individuelle, re-
nieront toujours ses principes.
CAa?/eiBLANC, frère aîné du précédent, graveur et homme
de lettres, né à Castres, rédigea d'abord des comptes rendus de
Salon et des articles de beaux arts dans Le Bon Sens, dirigé
par M. L. Blanc. Il écrivit ensuite dans Le Courrier français
et dans L'Artiste, puis dans le Journal de Rouen, et il de-
vint en 1841 rédacteur en chef du Propagateur de l'Aube.
Les lauriers de son frère le ramenèrent en 1842 à Paris, où
il publia sous le titre ô'Almanach du Mois, un pamphlet
mensuel peu apprécié. Enfin, la révolution de Février, en
faisant de son frère une puissance, fit de lui un directeur des
beaux-arts au ministère de l'intérieur, place que M. Ledru-
Rollin ôta à M. Garraud , son ami intime , dont il fit à la vé-
rité im inspecteur des beaux-arts. M. Ch. Blanc ou Blanc II,
comme on le nommait dans un certain monde, sut conserver
sa position jusqu'à l'an de grâce 1852, malgré les change-
ments de ministres et même de gouvernements ; tous tenaient
sans doute à prouver que les fautes sont personnelles , aussi
bien que les talents. Il serait difficile de reconnaître les ser-
vices qu'a pu rendre M. Ch. Blanc aux beaux-arts; car de
bien mauvaises productions de l'art sortirent des comman-
des de TËtat pendant sa longue administration. M. Ch. Blanc
est auteur d'une histoire des Peintres au dix- neuvième
siècle, qui n'eut pas de succès et ne fut pas continuée. L'His-
toire des Peintres de lotîtes les écoles , dont il est devenu
le directeur et l'un des auteurs, grâce à de belles gravures
sur bois a été plus goûtée du public et a mérité des récom-
penses aux expositions. L. Louvet.
BLANC AUNE, nom vulgaire de l'ai izier.
BLANC BOIS. Voyez Bois blanc.
BLANC DE BALEL\E- Voyez Cétine. ^
BLANC DE BISMUTH. Ce blanc métallique, désigné
aussi sous le nom de blanc de perles, est quelquefois em-
ployé comme fard ; mais son usage peut être dangereux, à
cause de la portion d'arsenic qui se trouve dans cette com-
position. Ce composé a encore l'inconvénient que la présence
la plus légère de gaz hydrogène sulfuré dans les apparte-
ments lui fait à l'instant acquérir une couleur jaune, et en-
suite noirâtre. Le blanc de bismuth n'est autre chose qu'un
oxychlorure de ce métal. On peut l'obtenir directement en
projetant du bismuth en poudre dans du chlore gazeux. La
combinaison est accompagnée de chaleur et de lumière.
BLANC DE CÉRUSE, BLANC DE PLOMB, BLANC
D'ARGENT , BLANC D'ÉCAILLÉS, BLANC DE KREMS.
Voyez CÉRLSE.
BLANC DE CHAMPICNON ou FRAI DE CHAM-
PIGNON. C'est une espèce de terre blanchâtre qui contient
de longues fibres, lesquelles paraissent être autant de
germes, et qui, placée dans un fumier humide, acquiert
promptement une végétation d'où naissent successivement
pendant cinq ou six semaines des champignons que l'on
recueille tous les trois ou quatre jours.
BLANC DE HOLLANDE, variété du peuplier
blanc.
BLANC DE L'M:IL. Voyez Œil et Sclérotique.
BLANC DE PERLES. Voyez ^L^^c de Bismuth.
BLANC D£S CARMES ou BLANC DE SENLIS.
Cette couleur n'est autre chose que la chaux fort blanche
réduite en poudre très-fine, qu'on délaye claire comme
du lait, et que l'on applique à cinq ou six couches l'uuc sur
l'autre, puis que l'on frotte ensuite, soit avec une brosse,
soit avec la main , pour lui faire prendre un luisant qui est
j son seul mérite. Voyez Déthempe.
BLANC D'ESPAGNE — BLANCHARD
2:1
BLANC D'ESPAGNE , BLANCS DE MEUDON, DE
TROYES, D'ORLÉANS, etc. Le blanc le plus commun est
celui que l'on désigne dans le commerce sous le nom de blanc
d'Espagne : c'est une craie très-soluble dans l'eau. Sa fa-
brication est des plus simples : il suffit, lorsqu'elle a été bien
renmée dans une grande quantité d'eau, de la laisser reposer
quelques instants pour que le gravier et les matières hété-
rogènes tombent au fond de la cuve ; après quoi on tire celte
eau blanche pour la laisser reposer dans un autre vaisseau.
Lorsque l'eau est d evenue parfaitement claire, on l'enlève avec
soin sans troubler le sédiment déposé au fond du vase; puis,
lorsque cette matière est devenue une pâte assez épaisse, on
la met en pains , qu'on laisse sécher à l'air. Il s'en fabrique
beaucoup à Bougival, à Meudon(d'où le nom de blanc de
Meudon ) , et dans d'autres endroits des environs de Paris.
Le blanc de Troijes , blanc de craie ou craie est plus
dur et plus compacte que le blanc d'Espagne. Voyez Craie.
On trouve aussi à Cavereau, à neuf lieues d'Orléans, sur
les bords de la Loire, une espèce de craie que l'on vend sous
le nom de blanc d'Orléans. — On tire encore de Bourgogne
et de Rouen une craie qui porte les noms de blanc de Bour-
gogne et de blanc de Rouen. Toutes ces espèces de blanc
sont d'un prix assez modique ; ils se vendent de 2 fr. 50 à
4 fr. 50 les 100 kilogrammes, mais ils ne peuvent servir
que pour peindre à la colle ou à la détrempe. Cependant on
eu introduit aussi dans le blanc de cérase, mais cette fraude
est facile à apercevoir.
BLANC DE ZINC. Depuis longtemps on faisait des
et forts pour remplacer par une autre substance la céru se,
à c;nise des maladies auxquelles elle expose les ouvriers qui
la fabriquent et qui l'emploient. Un des produits qui rem-
plissent le mieux ce but est Voxyde de zinc.
lin 1780 Guylon Morveau présenta à l'Académie de Dijon
un travail de Courtois, attaché au laboratoire de cette com-
pagnie, sur la substitution de cette substance au blanc de
plomb. Plus tard Guyton Moneau s'appliqua , à plusieurs
reprises, à l'étude de cette question, et réclama même en
faveur de Courtois la priorité de cette invention contre un
Anglais, nommé Atkinson, qui prit en 1796 une patente pour
le même objet. Quoique Courtois eût entrepris cette fabrica-
tion dans le but d'en livrer les produits aux artistes et aux
peintres en bâtiments, le prix du zinc était trop élevé à celte
époque, et l'industrie qu'il avait créée ne put se soutenir.
En 1844 M. Leclaire, enticpreneur de peinture, appela de
nouveau l'attention sur les avantages que cet oxyde présente
sur la céruse. Profitant de l'abaissement du prix du zinc, il
parvint à fabriquer ce produit par un procède économique.
Ce procédé consiste à chauffer au rouge blanc des cylindres en
argile réfractaire : ces cylindres, à demi fermés par un obtu-
rateur, reçoivent des morceaux de zinc métallique qui se
fond, rougit , et s'oxyde en brûlant sous l'induence d'un
courant d'air déterminé par un ventilateur , qui produit une
aspiration à l'extrémité de l'appareil ; la flamme et le cou-
rant gazéiforme entraînent mécaniquement l'oxyde formé
dans des chambres où un repos relatif permet à l'oxyde de
, zinc de se déposer. On le recueille facilement, et un broyage
à l'huile suffit pour l'employer.
Au nombre des avantages qui résultent de l'introduction
de cette substance dans la peinture, on doit placer au pre-
mier rang linnocuité de sa préparation et de son emploi
pour la santé des ouvriers. L'oxyde de zinc se recommande
par une autre propriété, bien précieuse : il résiste parfai-
tement à l'action de l'air chargé de gaz sulfliydrique. Sa
couleur blanche n'est point altérée dans les conditions qui
donnent à la céruse une coloration en noir plus ou moins
*"oncé. Ainsi les peintures au blanc de zinc exécutées dans
les cabinets d'aisance, dans les établissements d'eau sulfu-
reuse, dans les laboratoires de chimie, dans les locaux
exposés à des fuites de gaz, souvent mal lavés, etc., con-
servent toute leur blancheur primitive. En outre, le blanc
de zinc supporte parfaitement le mélange arec les autres
matières colorantes.
La fabrication du blanc de zinc pour les besoins de la pein-
ture est aujourd'hui confiée à une société anonyme , dont
l'usine , établie à Clichy, près du pont d'Asnières, livre au
commerce plus de 50,000 kilogrammes de blanc de zinc
par mois.
BLANC D'OEUF. Voyez Albumine et Œuf.
BLANCHARD, nom vulgaire de la h ou que lai-
neuse. — C'est aussi le nom d'une espèce d'aigle-autour.
BLANCHARD (Jacques), peintre estimé de l'an-
cienne école française, né à Paris, en 1600, mort d'une
fluxion de poitrine , en 1 638 , illustra sa courte carrière par
un grand nombre de belles productions, qui le firent surnom-
mer le Titien français. Pendant son séjour en Italie,
Blanchard s'était en elfet appliqué à étudier la manière du
Titien, et il était ainsi devenu excellent coloriste. « Aussi,
dit d'Argenvifle, ne peut-on lui disputer d'avoir rétabli le
bon goût de la couleur en France, de même que Vouët y
avait fait renaître le vrai goût du dessin. »
Plusieurs tableaux de Blanchard sont encore conservés à
Venise. Il exécuta à Paris deux galeries ( dont l'une était
celle de l'ancien hôtel de BuUion), un plafond à Versailles, etc.
On lui doit aussi plusieurs Vierges à mi-corps. Mais son
meilleur tableau , celui qu'on regarde comme son chef-
d'œuvre, est une Descente du Saint-Esprit , qu'il peignit
pour la cathédrale de Paris.
Sot frère Jean Blanchard, et son fils Gabriel BLANcnAnn,
se livrèrent aussi à la pratique de la peinture, mais sans
grand succès.
BLANCHARD (Jean-Pierre), aéronaute, né en 1753,
aux Andelys, en Normandie, était fils d'un tourneur. Son
imagination vive et son application aux travaux mécaniques
lui inspirèrent dès sa jeunesse l'idée de s'élever dans les
airs. 11 construisit une machine en forme d'oiseau, et dans
laquelle il pouvait s'enfermer , y voir à travers des vitrages
et renouveler l'air par une soupape. Tout le monde put voir
cette machine en 1782 ; mais comme il éludait toujours ses
promesses d'en faire usage, parce qu'il en reconnaissait
l'impossibilité, il essuya des épigrammes et de mauvaises
plaisanteries. L'expérience du marquis de Causans, qui, à
l'aide d'un appareil de son invention, s'élança du Pont-
Royal dans la Seine, n'avait donné que de vaines espérances
à Blanchard , lorsque la découverte des ballons par Mont-
golfier vint le tirer de l'oubli où il était tombé. Le 2 mars
17S4 il devait faire une ascension dans un aérostat auquel
il avait adapté sa machine et un parachute ; mais le jour
fixé un élève de l'École Militaire, qu'on a faussement dit
être Bonaparte, et qui était peut-être bien un compère de
Blanchard , voulut faire le voyage aérien , et, furieux d'être
refusé, il tira son épée, et causa de graves avaries à la ma-
chine, ce qui n'empêcha pas l'aéronaute de s'élever, de tra-
verser la Seine et d'aller descendre à Sèvres. Blanchard fit
sa seconde ascension à Rouen, et sa troisième à Londres,
où il se servit des ailes de sa machine.
Enfm, le 7 janvier 1785 il s'enleva à Douvres, avec le doc-
teur anglais Jefferies , traversa la Manche, et descendit , au
bout de trois heures, après avoir couru les plus grands dan-
gers , à une lieue de Calais. Ce voyage valut à Blanchard le
sobriquet de don Quichotte de la Manche; mais il en fut
amplement dédommagé par les honneurs , les présents et
la pension qu'il reçut de la ville de Calais, par la colonne
en marbre qui fut érigée sur le terrain où il était descendu,
et plus encore par une gratification de 12,000 francs et une
pension de 1,200 francs que le roi lui accorda.
Nous n'entrerons pas dans le détail des soixante ascen-
sions qu'il fit tant en France qu'en Angleterre, en Hollande,
en Allemagne, en Belgique, aux États-Unis , dont queW
ques-unes furent très-brillantes , et quelques autres péril-
leuses, ou suivies de désappointements plus ou moiAa,
272
BLANCHARD — BLANCHE DE BOURBON
cruels. Nous mentionnerons seulement la quinzième, qui
eut lieu à Franc(ort-sur-Mein, et qui lui valut des hon-
neurs extraordinaires. L'ambassadeur de Russie, deux
flambeaux à la main, le montra au peuple sur son bal-
con; sa voiture fut traînée par des hommes jusqu'au spec-
tacle, où on le porta de loge en loge; il y reçut des boîtes
d'or, des montres, des bourses, des médailles; son buste
fut couronné sur un trône, et il le fut lui-même dans sa loge
par les Amours et les Grâces. Malgré ces triomphes, il ne put
obtenir de l'empereur Joseph II ni du grand Frédérie la
permission d'aller faire ses expériences en Autriche et en
Prusse. Au mois de mai 1793, il fut arrêté dans le Tyrol et
renfermé dans la forteresse de Kufstein, comme soupçonné
d'avoir propagé les principes de la révolution française;
mais il recouvra bientôt sa liberté. Il employait quelquefois
plusieurs petits ballons dans ses ascensions, et le nombre
de ses compagnons de voyage fui porté une lois jusqu'à seize.
Blanchard n'était ni physicien ni chimiste, bien qu'il se
vantât d'avoir découvert une sorte de gaz. Il était absolu-
ment illetlié, et ne savait pas môme l'orthographe : aussi
montrait-il souvent son ignorance dans ses réponses aux dis-
cours et aux compliments qu'on lui adressait. C'était un
Irès-pelit homme, dont le ton, la tournure et la figure, fort
communes, n'annonçaient rien de plus qu'un simple méca-
nicien. Ce fut lui cependant qui inventa le parachute;
mais il ne l'employa que pour faire descendre des animaux.
Ayant appris que Garnerin s'était approprié cette décou-
verte, il revint d'Amérique en 1798, et, après avoir souéenu
dans les journaux, contre son rival, une polémique qui oc-
cupa les Parisiens, il fit à Tivoli, en juillet 1799, une des-
cente en parachute. Le 26 du même mois il y exécuta avec
Lalande ime ascension sans résultats pour l'astronomie ni
pour la direction des aérostats. Ayant fait sa dernière as-
cension au château du Bois, près de La Haye, en février 1808,
Blanchard, frappé d'apoplexie, tomba de vingt mèlresde haut,
et reçut de Louis Bonaparte , alors roi de Hollande, des
secours qui permirentde letransporterà Paris, où il mourut,
le 7 mars 1809. Cet homme, plus charlatan que savant, et
qui, n'ayant fait de l'aérostatique qu'un métier, y avait gagné
des sommes énormes, ne laissa pourtant que des dettes.
BLANCHARD ( Marie - Madeleine - Sophie ARMANT ,
femme), épouse du précédent, vit le jour à Trois-Canons, près
deLa Rochelle, le 25 mars 1778. Elle se familiarisa de bonne
heure avec les dangers des voyages aériens. Elle avait envi-
ron vingt-six ans lorsqu'elle (it avec son mari sa première
ascension; mais elle accomplit seule la troisième à Tou-
louse, en mars 1805. La mort de Blanchard l'ayant laissée
sans enfants, mais dans le dônument le plus absolu, elle
multiplia tellement ses ascensions, qu'elles dépassèrent le
nombre de celles de son mari ; et elle s'y était si bien ac-
coutiunée, qu'elle s'endormait souvent dans sa nacelle, bra-
vant tous les périls avec autant d'intrépiiiité que lui. On la
vit à Rome et à Naples en 1811. A Turin, en 1812, le froid
lui causa une forte lunnorrhagie, et les glaçons s'attachè-
rent à son visage ainsi qu'à ses mains. Rivale de M '" Gar-
nerin, elle redoublait d'ardeur et d'activité. A Nantes,
en 1817, elle serait tombée dans un marais, si son ballon
ne se fut accroché à un arbre. Enfin, leO juillet 1819, ayant
fait, à l'ancien Tivoli de Paris, sa soixaiitc-sej)fième asien-
sion dans une nacelle brillamment illuminée, d'où elle lan-
çait des fusées romaines, le fiu prità son ballon, etelletoiuha
morte sur le toit d'une maison , au coin des rues Chauchat
et de Provence. H. Audiffret.
Bf^Ai\CnE ( La reine ). Voyez Blanche de Castille.
BLAIXCIIE (Mer), en russe Bjeloje-More, grand golfe
de la mer Glaciale du Nord, qui pénètre au sud entre la
presqu'île Kanin et la presqu'île de Laponie, autrement dite
presqu'île Kola, dans le gouvernement russe d'Arkiian-
pelsk, jusqu'au 64° de latitude, ayant à son entrée, entre le cap
lUnin et Siviatoi-Nos, 16 myriamètres, et partout ailleurs
10 myriamètres de largeur, et 62 myriamètres dans la di-
rection du sud-ouest; iloccupe une superficie de 1565 my-
riamètres carrés. Il se partage au sud en trois grands goKes,
les golfes Kandalaskaja, Onega et Dwina, dont le premier,
qui pénètre profondément en Laponie au nord-ouest, tire
son nom de la petite ville de Kandalask, et les deux autres
des deux fleuves auxquels ils servent de décharge , l'Onega
et la Dwina. Il faut encore y joindre à l'est la baie où vient
se jeter le Mesen, au-dessous de la ville du même nom.
Les côtes en sont montagneuses au nord et à l'est, mais
ailleurs généralement plates, uniformes, couvertes de lacs
communiquant pour la plupart avec la mer, et traversées
par un grand nombre de petits cours d'eau. Parmi les
nombreuses îles de cette mer, la plus grande est celle de
Solowezk ou Saloivesk^ avec un monastère fortifié. Située à
l'entrée du golfe d'Onega, à l'est du port de Kem, elle est-
hérissée de rochers nus et habitée par un grand nombre
d'animaux à fourrure et d'oiseaux aquatiques.
Cette mer, qui reste gelée et couverte de neige pendant la
plus grande partie de l'année, circonstance à laquelle elle
doit son nom, n'est navigable que pendant cent cinquante
à cent soixante-dix jours, de mai à septembre, et même
le plus souvent à partir des premiers jours de juin seule-
ment; ce qui est une grande entrave pour le commerce
considérable de ces contrées. Au moyen de deux ca-
naux qui relient la Dwina au Volga et au Dnieper, la na-
vigation a lieu sans interruption entre la mer Noire,
la mer Caspienne et la mer Blanche. Les habitants du
littoral sont des Lapons, des Finnois et des Samoyèdes,
qui s'occupent de pèche et de commerce. Le principal centre
commercial est lagrandevilied'Arkhangelsk. Les expor-
tations consistent en chanvre, huiledebaleine, poix, planches,
graines de hn, seigle, avoine, froment et farine; les impor-
tations, en denrées coloniales, sucre, vin, poissons, huile
d'olives, tabac. Les ports de moindre importance sont
Onega, Sumsky-Possad et /^em; Kola est aussi compris
dans la direction de douanes d'Arhhangelsk. Les exporta-
tions de ces petits ports consistent en grains et en articles
de l'industrie locale, et surtout en bois. Ils entretiennent en
outre des relations fort importantes avec Hammerfest et
Tromsœ, ports et places de commerce de la Norvège. Le
commerce n'a guère lieu qu'avec des bâtiments russes; il
est favorisé par un grand nombre d'immunités en matières
de douanes et d'impôts; mais il a singulièrement souffert
du blocus général et rigoureux des côtes russes dont la
guerre d'Orient a été le résultat, pendant les années 1854 et
1855, de la part des marines anglaise et française.
Ce fut l'Anglais Richard Chancellor, parti en 1553 avec
une expédition envoyée àla recherche d'un passage au nord-
est, sous les ordres de Hugh Willoughby, qui découvrit la
route conduisant à celte mer. Un fait qui prouve bien toute
Timportance que les Anglais attachèrent à cette découverte,
c'est que tout aussitôt ils entreprirent les recherches les
plus exactes sur l'étendue , la grandeur, la largeur, la pro-
fondeur et les diverses positions de la mer Blanche, et qu'ils
construisirent ensuite à l'embouchure de la Dwina, dans le
golfe de Dwina, le foit d'Ar..hangelsk, pour en faire le grand
entrepôt de leur commerce avec la Russie; et jusqu'à la
fondation de Saint-Pétersbourg il continua d'en être ainsi.
BLANCHE DE BOURBON, reine de Castille, née
vers 1338, morte en 1361, élait fille de Pierre, duc de
Bourbon. A quinze ans, elle épousa Pierre le Cruel, roi de
Castille. Celui-ci la soupçonna d'avoir eu des relations cou-
pables avec don Frédéric, son frère naturel, qu'il avait
chargé d'aller la recevoir à Narbonne. Le lendemain nîôme
de ses noces, Pierre l'aiiandonna pour Marie de Padilla, sa
maîtresse. Blanche, ainsi délaissée par son mari, chercha à
s'en venger en prenant part avec les frères du roi à des in-
trigues qui fournirent à Pierre un prétexte pour la faire
arrêter, et en 1354 elle fut enfermée à l'Alcazar de Tolède.
BLAiNCHE DE BOURBON — BLAKCHET
Ce lui en vain qu'elle réussit à s'échapper de sa pi ison et
à se réfugier dans la eatliédrale, que le peuple se déclaia
en sa faveur, et que don Frédéric fit tout pour la sauver.
Tolède fut prise d'assaut , et Blanche, transférée au château
de Medina-Sidonia, y périt empoisonnée par ordre de Pierre.
Suivant quelques chroniqueurs, elle ne serait morte que de
chajjrin. Quoi qu'il eu ait été, sa mort fut le prétexte de l'ex-
pédition de Dusuesclin contre Pierre le Cruel, laquelle eut
pour résultat l'élévation de Henri de Transtamareau trône de
Castilie, en même temps que pour la France la destruction
des bandes militaires qui la ravageaient.
BLANCHE DE BOURGOGAE, fille d'Othon IV,
comte palatin de Bourgogne, et de Mahaat, comtesse d'Ar-
tois, fut mariée en 1307, à Charles, comte de la Marche,
le plus jeune des trois fils de Philippe le Bel, roi de France.
L'histoire de cette princesse se lie intimement à celle de
Marguerite de Bourgogne, sa belle-sœur, par la
complicité de leurs débauches et de leurs amours adultères
avec les frères Philippe et Pierre Gauthier de Launoy ou
d'Aulnay, écuyers de leurs époux. La jalousie d'une filie
d'honneur, séduite et trompée par Philippede Launoy, ayant
amené la découverte des intrigues galantes dont le couvent
de Maubuisson était le théâtre mystérieux, Blanche fut en-
ferméeau Château-Gaillard d'Andely s. Kilo en sortit après que
son mari l'eut répudiée, sous prétexte de parenté, mais
ce ne fut que pour prendre le voile à l'abbaye de Maubuis-
son, où elle expia, dans l'austérité de la pénitence, les dé-
sordres scandaleux de sa jeunesse. Elle v mourut en 1325.
BLAXCHE DE CASTILLE, reine de France, mère
de saint Louis , née en 1187, morte en 1252, était fille
d'Alphonse IX, roi de Castilie, et d'Éléonore d'Angleterre.
Le mariage de cette princesse avec le prince Louis, fils aine
de P II i 1 i p p e- A u g u s t e , fut une des clauses du traité qui
mit lin aux luîtes séculaires de l'.^ngleterre et de la France,
après la conquête et la réunion à la couronne par Philippe-
Auguste de la plupart des provinces contestées. Il eut lieu
à Pont-Audemer; et rarement ou vit une union plus heureuse:
plusieurs enfants eu furent le fruit. Le second fils de Blanche,
saint Louis, naquit à Poissy, l'année même de la bataille de
Bouvines. Par sa beauté, par son esprit, la princesse faisait
l'ornement de la cour; et elle sut inspirer à son beau-père
une telle estime, que ses conseils étaient pour beaucoup
dans les déterminations qu'il prenait. Blanche était déjà
âgée de trente-six ans, lorsque son époux monta sur le
trône en 1223. On sait que le règne de Louis VI II dura peu.
Ce prince mourut trois ans après son avènement, sans avoir
eu le temps de réaUser les espérances qu'il avait fait con-
cevoir à ses peuples. Par son testament il instituait la reine
sa femme régente du royaume pendant la minorité de son
fils Louis IX, alors âgé seulementde treize ans. Blanche eut
à triompher de l'opposition de divers seigneurs, qui re-
fusèrent de reconnaître le testament de Louis VllI et l'au-
torité de la régente. Dans cette coalition figurait, contre toute
attente, Thibaut, comte de Champagne, prince galant et
poêle, auquel on supposait des sentiments moins hostiles
pour la reine. Par sa prudence et son habileté, elle écarta
tous les périls qui la menaçaient. Son premier soin fut de
se iiàter de faire sacrer à Reims le jeune roi, dont elle confia
l'éducation au connétable de Montmorency. Ensuite elle
marcha résolument contre les révoltés, et fit cruellement
ravager les terres du comte de Champagne, qui vint bien-
tôt à résipiscence. D'habiles négociations aciievèrent de dis-
soudre la ligue; etlorsqu'en 1235 elle remit le pouvoir à son
lils, qui venait d'atteindre sa majorité, la France se trouvaità
peu près pacifiée. Louis, arrivéàlatête des affaires, conserva
toujours pour sa mère la plus tendre et la plus respectueuse
déférence. Quand en 1244, à la suite d'une grave maladie,
Louis IX fit vœu de prendre la croix. Blanche fit tout
pour l'en dissuader, quoique la conséquence du départ de
son fils pour la croisade dût être de lui faire encore une
d:ct. de la coNVEiis. — X. m.
l'7 3
I fois confier la régence, le roi annonçant hautement l'inten-
I tiou de se faire suivie en Orient par la reine sa femme, par
' ses trois frères et par l'élite de la chevalerie de Fiance
I Elle accompagna le roi jusqu'à Marseille, et perdit couuais-
I sance au moment où elle le vit s'embarquer. De retour à
} Paris, elle prit la direction des affaires, et sembla alors re-
trouver toute l'activité et toute la feiineté de sa jeunesse.
De cruelles épreuves lui étaient réservées cette fois dans
l'eïercice du pouvoir. Il lui fallut faire rendre à l'impôt
tout ce qu'il était susceptible de produire, aliu défaire passer
au roi les .sommes énormes dont il avait besoin; et les exi-
gences toujours croissantes du fisc répandirent un vif mé-
contentement parmi les populations. Le désastre de la Mas-
soure, où l'armée fut taillée en pièces, le roi fait prison-
nier, et le comte d'Artois, son frère, massacré par les in-
lidèles, mit le comble aux amertumes dont elle était abreu-
vée. Blanche, au milieu de la désolation générale, ne faillit
pas ; elle redoubla au contraire d'activité et d'énergie pour
recueillir les sommes qu'il fallait envoyer en Egypte pour
la rançon de Louis IX et de ses frères. Le roi s'obstinant dans
son entreprise et réclamant de nouveaux envois d'hommes,
la régente dut menacer de la confiscalion de leurs biens
ceux des seigneurs qui hé.siteraient à aller rejoindre leur sou-
verain dans le pays des intitièles. Puis, quand les paysans
se révoltèrent, sous prétexte de vouloir venger leur roi, il
lui fallut armer contre les bandes d'insurgés, qui, sous le
nom de pastourea u x etau nombre de plus de cent mille,
portaient le fer et le feu dans toutes les parties du royaume.
Elle mourut à Mtlun , à l'âge de soixante-huit ans.
Ses restes mortels furent déposés à l'abbaye de Maubuisson,
qu'elle avait fondée dix ans auparavant. Les seigneurs de
la cour tinrent à honneur de les y porter eux-mêmes. Elle
a lais.sé dans l'histoire le renom d'une grande et sage reine,
alliant à toutes les qualités nécessaires sur un trône les
vertus obscures et plus douces de l'époui^e et de la mère
BLAACHE DE NAVARRE (Les). Deux reines de
Navarre ont porté le nom de Blanche. La première, morte
en 1441, était fille de Charles III, dit le A'oble, auquel elle
succéda, en 1425. Elle avait épou.sé, en l402, Martin d'Ara-
gon, roi de Sicile, et en secondes noces, en 1420, Jean
d'Aragon, fils de Ferdinand 1", qui, du chef de sa femme,
devint roi de Navarre, en 1425. Blanche, dans son testament,
léguait bien sa couronne a don Carlos, son fils ; mais elle
lui recommandait en môme temps de ne monter sur le trône
qu'avec l'assenliraent de Jean d'Aragon. La seconde, fille
aînée de Jean d'.\ragon et de la Blanche de Navarre dont il
vient d'être question, épousa, en 1440, Henri IV, surnommé
rimptiissant, roi de Castilie, avec lequel elle divorça en
1453, en vertu d'une autorisation spéciale, accordée par le
pape Nicolas. Elle se retira alors à la cour du roi son père,
où elle se trouva en butte à la haine et aux persécutions de
sa belle-mère, Jeanne Henriquez. La mort de son frère
utérin don Carios, arrivée en 1481, la rendit héritière du
trône de Navarre; mais alors son père, pour se débarrasser
des prétentions qu'elle pouvait faire valoir, la livra à la
comtesse de Foix, sa sœur cadette, qui avait pour elle une
haine ardente et qui, après l'avoir d'abord incarcérée dans
le château d'Orthez, la fit empoisonner.
BLAACHET (Pierre), poète français, né à Poitiers,
vers 14G0, mort en 1519, commença par suivre le Palais,
composant des poésies, lais, rondeaux, etc., et des Farces,
que les élèves de la Bazoche représentaient et dans lesquelles
l'auteur jouait lui-même. Jean Bouchet, son ami et son
compatriote, nous apprend dans l'épitaphe qu'il lui a con-
sacrée, qu'il reprenait hardiment les abus et les scandale»
publics, avec un tel succès,
Que gens notés de vice
Le craignoient plus que les gens de justice.
Ne que prescheurs et que concinoateurs,
Qui n'estoient pas si grands déclaioateurs.
274
BLANCHET
A quarante ans, Pierre Blancliet entra dans les ordres,
mais sans pour cela renoncer à la culture des lettres et de
la poésie, et il mourut à Tâge de soixante ans environ.
On l'avait jusqu'à ce jour généralement tenu pour l'auteur
de la célèbre farce de L'Avocat Palhelin; mais M. Génin
a démontré par des faits, par des dates, que c'était <à tort ,
et (lue le nom du véritable auteur de cette farce est un pro-
blème, qui reste encore tout entier à résoudre.
ULANCIIET (Alexandhe-Paul-Louis), chirurgien,
est ni- en 1817, à Saint-Lô. Reçu docteur en médecine en
Is/iO, il s'est attaché au traitement des maladies des yeux,
des oreilles et de ta surdi-mutité, pour lesquelles il a fonrlé
une clmiqne spéciale. Pendant [)lusieurs années il adressa au
gouvernement des réclamations sur l'abandon dans lequel
languissaient les malheureux enfants admis à titre d'incu-
rables dans les établissements de souids-muets et d'aveu-
gles. Énm de ces plaintes, le ministre de l'intérieur lui confia,
en 1846, la mission de traiter dans les institutions (jui leur
sont consiicrécs tous ceux qu'il jugerait susceptibles de
guérison. Les succès qu'il obtint lui valurent l'année sui-
vante le titre de chirurgien en chef de l'Ecole des Sourds-
Muets de Paris. Aussitôt il créa dans cet établissement une
division d'élèves à qui il entreprend de rendre l'ouïe et la
parole, et par la musique, qu'il a eu le premier la pensée
d'employer au développement de l'audition et de l'appareil
vocal, il a ajoutéau traitementmédical un auxiliaire puissant.
En 1849 le gouvernement chargea M. Blancliet d'aller
étudier dans les établissements étrangers de sourds-muets,
notanmient dans ceux de Belgique et d'Allemagne, les divers
modes d'enseignement qui y sont en usage.
On a de lui divers ouvrages, parmi lesquels nous nous
bornerons à citer son traité De la Surdi-Muiitc.
BLANCIIIMEIVT. L'art du blanchiment a pour but
de donner la couleur blanche aux matières (pu ne ront*pas,
ou qui ne l'ont qu'imparfaitement. On peut le diviser en
deux parties principales bien distinctes, le blanchiment
pouvant s'opérer : 1" en séparant des substances blanches
par elles-mêmes les matières qui les colorent, but que l'on
atteint le plus souvent par des moyens chimiques, comme
lorscpi'on blanchit le linge, les toiles, la soie; 1° en appli-
quant des substances blanciiissantes sur des corps ternes :
par exemple, les enduits que l'on étend sur les murs, les
vernis dont on enduit certaines poteries, etc.
Nous ne parlerons ici que de la première sorte de blanchi-
ment ; et encore nous ne l'envisagerons que dans ses appli-
cations aux tissus végétaux, car le blanchiment des tissus
animaux, tels que la soie et la laine, est l'objet d'une opéra-
tion particulière, qui a reçu le nom de dessulntage.
Le célèbre Bertho llet est auteur d'un procédé remar-
quable pour blanchir les toiles au moyen du chlore. On
commence par dépouiller les toiles de la colle ou parement
dont elles se trouvent imprégnées quand elles sortent de la
main du tisserand : on les met à cet effet macérer dans
des cuviers pleins d'eau tiède; puis on achève de les décras-
ser en les lavant dans un courant d'eau fraîche. On lessive
ensuite les toiles plusieurs fois avec une dissolution de po-
tasse ou de soude, et à chaciue lessivage on les lave dans
l'eau courante; on les passe dans vme eau légèrement aci-
dulée avec l'acide sulfurique, et ensuite dans une dissolution
de chlore ; on réitère ces deux opérations en lavant les toiles
à chaque fois, et en les exposant sur le pré pendant quelques
jours. Enfin, on les passe au savon noir et à un dernier la-
vage, après quoi on les apprête et on les fait sécher.
Les procédés de blanchiment sont à peu près les mêmes
pour toutes les sortes de toiles ; cependant les toiles de co-
ton n'ont pas besoin d'être lessivées autant de fois que les
autres, parce que la matière colorante du coton est plus fa-
cile à détruire que celle du lin et du chanvre. Le blanchi-
ment par le chlore est aussi employé dans la papeterie, où il
a produit les plus heureux résultats.
BLANCHISSAGE
BLANCHISSAGE. Il y a cette différence entre le
blanchiment et le blanchissage, que dans la première de
ces opérations on se propose de dépouiller des tissus d'une
matière colorante inhérente à leur nature, tandis que dans
la seconde il n'est question (jue de les purger d'un corps
gras ou de toute autre nature accidentellement et mécani-
quement additionnel. Ainsi, par le mot blanchiment on
peut entendre l'art de rendre blanc, et par celui de blan-
chissage l'art de reblanchir ce qui était blanc. De cette dé-
finition il résulte qu'une foule d'objets, tels que le papier,
l'albûtre, l'ivoire, le marbre blanc, etc., sont susceptibles de
blanchissage; maison ne trouvera dans cet article que quel-
ques considérations générales sur le blanchissage du linge.
La sueur et surtout la transpiration continuelle du corps
produisent les matières grasses qui forment ordinairement
la presque totalité îles saletés dont le linge de corps est im-
prégné. Le linge de table n'est pas moins exposé a être ta-
ché par des corps gras. Un simple lavage dans de l'eau pure
ne pourrait donc suffire pour détacher ces matières, attendu
que les graisses, les huiles, ne se combinent pas avec l'eau.
Mais les graisses se combinent aisément avec les a l c a 1 i s ,
et forment des composés, appelés sfflî;o?is,solubles dans
l'eau. Or, les cendres de tous les végétaux contiennent de
la potasse : voilà l'origine des lessives.
Les meilleures cendres sont celles qui proviennent de.s
plantes et des bois neufs ; celles que produisent les bois
flottés n'ont aucune vertu, par la raison que le sel que con-
tenait le bois s'est dissous dans l'eau. On ne se sert plus
guère de cendres dans les blanchisseries, mais bien de sel de
soude, et la [wtasse d'Amérique n'est môme employée que
pour le plus gros linge. Une lessive trop forte altère les fils
du linge et les ternit; si elle est trop faible, le blanchissage
est imparfait. La lessive réussit encore mal si elle est trop
chaude : les impuretés s'altachent alors au tissu avec pics
de !or<»'. La chaleur convenable est celle que la main peut
supporter. En général, on cssangc le linge avant de le lessi-
ver, c'est-à-dire qu'on le fait passer dans de l'eau pure : ce
lavage enlève toutes les impuretés qui sont solubles dans
l'eau sans le secours des alcalis; la lessive est moins dispen^
dieuse, et les effets en sont plus satisfaisants.
Le blanchissage à la vapeur est bien supérieur, et pour
l'économie, et pour la perfection d*i résultat, à la manière
ordinaire de blanchir le linge; il n'est pas cependant encore
adopté généralem.ent, tant s'en faut, il est vrai qu'il ne peut
être pratiqué qu'au moyen d'appareils particuliers. Le blan-
chissage à la vapeur a été connu de temps immémorial chez
les Orientaux, qui l'emploient au blanchiment du coton.
Chaptal est le premier qui l'ait pratiqué en Europe, et qui
ait conseillé de l'appliquer au blanchissage du linge. L'ap-
pareil qu'on emploie se compose d'une chaudière dans la-
quelle se produit la vapeur par la chaleur (lui se développe
dans un foiu-neau placé dessous. Après avoir trempé le linge
dans la lessive, on le dispose dans un cuvier placé sur la
chaudière, avec laquelle il communique par une ouverture
pratiquée dans son fond ; puis on feruie l'ouverture supé-
rieure du cuvier avec un couvercle : la vapeur monte de la
chaudière dans le cuvier, pénètre la masse de linge, et au
bout de huitheuresl'opération est terminée; on retire le linge
pour le rincer dans l'eau claire. Le blanchissage est aussi
parfait qu'il est possible de le désirer. ïevssèdp.e.
On a fait beaucoup d'essiùsdans ces derniers temp> pour
perfectionner l'art du blanchissage. Différents appareils mé-
caniques ont été imaginés sans grand succès (économique-
ment parlant du moins), et l'on en est toujours réduit à /aire
la lessive au cuvier, puis à savonner et battre ou brosser le
linge, en le passant dans l'eau, puis à le tordre et à l'étendre
en plein airou dans des séchoirs à air libre ou à air chaud. Le
linge blanc estauparavant mis au bleu. Ensuite on le plie, on
lepresse, onl'empè.sc, onle repasse. Pour enlever certaines
taches, comme le chancis ( moisi.ssure ), il faut recourir;
BLANCHISSAGE — SLANGS ET NOIRS
275
'"eau Je Javcl, de même qu'on enlève les taches d'encre avec
'e sel d'oseille ; mais trop souvent les oumères mêlent de
l'eau de Javel à leur eau de lessive pour rendre le linge
l'Ius promptement blanc et ménager le savon. Il en résulte
une détérioration du fil qui ne peut se comparer qu'à l'ac-
tion pernicieuse du battoir et du chien. Les blanchisseurs
prétendent à la vérité que rien de ces drogues ou de ces ins-
iriunents ne fait de mal au linge, quand on sait les employer
ou s'en servir ; mais il faut se garder de les croire. Quelquefois
aussi les taches de fruits résistent à la lessive; des oxydes
mêlés au sel de soude laissent leur empreinte sur le linge;
les taches de sang, et surtout de sang de poisson, font dus
taches jircsque indélébiles lorsqu'on met le linge à la les-
sive sans l'avoir cssangé; les cheveux , les poils, marquent
plusieurs piècesdu luigeque traverse la lessive ; enfin certains
métaux font tourner la lessive. Au lieu de tordre le linge, on
a imag-né, pour l'essorer, de lui imprimer un mouvement
rapide de rotation dans un sphéroïde en cuivre percé de
trous, mis en branle à la façon des toupies d'Allemagne. La
force centrifuge chasse l'eau qui s'échappe par des trous ,
et après quelques tours le linge n'est plus qu'humide.
BLAJVC-MANGER, aliment qui a ordinairement pour
base une gelée provenant de substances animales et rendue
blanche et opaque au moyen d'une addition de lait d'a-
mandes. C'est en général un composé de corne de cerf,
de sucre, d'amandes douces, d'eau de Heur d'oranger,
d'huile essentielle ou de zeste de citron, fort agréable au
goût ; il n'est pas de facile digestion , à cause de la corne de
cerf et des amandes. Madame de Maintenon rapporte, dans
l'une de ses lettres, que Fagon, le médecin du grand roi ,
ordonnait cette gelée dans les cas d'affections ou de dispo-
sitions inflammatoires. Néanmoins , on ne doit en manger
qu'avec modération, et seulement après avoir consulté les
forces dig&stives de son estomac. Le sucre employé dans sa
confection ne sert pas seulement à (latter le goût, il a aussi
jjour but de corriger en partie la tendance du blanc-manger
à l'alcalescence. — On fait aussi un blanc-manger avec de
la mie de pain. Voije::, Gelée.
BL AIXC-IMEZ , nom vulgaire d'une espèce de singe du
genre gxienon, qui est Yascagne d'Audehe;t, ou le simia
petaiirista de Gmelin. G. Cuvier le caractérise ainsi : brun
olivâtre en dessus, gris en dessous, visage bleu, nez blanc,
touffe blanche devant chaque oreille, moustache noue.
BLAXCQUE. Voyez Llanqle.
BLAJVCS. En parlant des hommes , on emjjloie ce nom
pour désigner ceux de race blanche, notamment dans les
colonies transatlantiques , par opposition aux indigènes, aux
nègres et aux races mêlées. Aux Antilles on nommait j^dits
blancs, par opposition aux grands planteurs , tous les
blancs qui n'avaient que des caféries. Plus tard on comprit
sous la même dénomination les blancs qui travaillaient
comme manœuvres, journaliers, ou qui exerçaient quelques
métiers, autrement dits blancs manants. Les petits blancs
étaient ceux qui affectaient le plus de mépris pour les classes
de couleur, qui de leur côté le leur rendaient avec usure.
Ces hommes ont amené par leur obstination et leur despo-
tisme la perte pour la France de la colonie de Saint-Do-
mingue. Voyez Haïti.
Sous la première république française on a donné le nom
de blancs aux hommes qui pendant les guerres de la Ven-
dée osèrent faire la guerre à leur patrie en arborant le
drapeau blanc de la royauté, et seconder ainsi les efforts
de l'étranger. Les patriotes étaient, par opposition, appelés
bleus : cette couleur était celle de l'habit des soldats répu-
l)licains. Sous la nouvelle république, alors que les assem-
blées se divisaient en tant de fractions, le peuple qualifiait
de blancs tous les hommes qui paraissaient par leurs actes
ou leurs discours" tendre vers le rétablissement d'une royauté
quelconque.
A r.omc on a appelé blancs des espèces de pén'teiits qui.
à l'approche de l'an 1400, dans la crainte de la fin du
monde, se mirent à faire des processions de ville en ville.
Le pape condamna ces courses pieuses , comme contraires
à la discipline de l'Église. Tous les historiens ne sont pas
favorables à ces pénitents. Pour quelques-uns ce sont des
sectaires et des imposteurs, qui portaient des robes blanches
ou qui s'enveloppaient dans des draps , et montraient des
croix sur lesquels le Christ suait le sang. L'un d'eux se
disait le prophète Élie, descendu du ciel pour annoncer
aux hommes la fin du monde, qui allait arriver prochai-
nement par un tremblement de terre. Des gens de tout sexe
et de toute condition, prêtres, clercs, laïques, et jusqu'à des
cardinaux , se revêtirent de sacs ou chemises blanches , et
parcoururent , à la suite de ces nouveaux prêcheurs , les
villes et les campagnes, chantant des vers arrangés en lita-
nies. Ces pèlerinages duraient treize jours, pendant lesquels,
dépouillant et dévastant tout ce qui se rencontrait sur leur
passage, les pèlerins se livraient à des désordres d'une autre
nature; car ils couchaient pêle-mêle dans les églises et
les monastères , et comptaient dans leurs rangs un grand
nombre de femmes et de jeunes filles. Suivant Bruys le
scandale fut poussé si loin que la cour de Rome se décida à
sévir. Un des prophètes fut saisi et appliqué à la torture, où
il confessa ses fourberies. Condamné à la peine du feu , sa
mort effraya ses complices, qui s'éloignèrent et disparurent
en peu de temps.
BLANCS et NOIRS, factions opposées, qui, nées à
Pistoia, s'étendirent jusqu'à Florence, qu'elles remplirent
de troubles au commencement du quatorzième siècle.
L'histoire des républiques anciennes, si fécondes en agita-
tions, n'offre rien de comparable aux orages qui signalèrent
l'existence des républiques italiennes du moyen âge. Quoi-
que tranchée par le traité de Constance en 1188, la querelle
entre les guelfes, qui soutenaient la cause des papes,
c'est-à-dire l'indépendance de la Péninsule, et les g i b e 1 i n s,
défendant les droits des empereurs, ne cessait de désoler
la Lombardie et la Toscane. Pistoia, ville située au pied des
Apennins, avait été déchirée durant le treizième siècle par
deux familles, les Cancellieri et les Panciatichi. Les pre-
miers étaient guelfes; ils chassèrent leurs adversaires. Quoi-
qu'exclus par un décret, ainsi que tous les nobles, du gou-
vernement de la ville, ils n'en étaient pas moins puissants
par leurs richesses, leurs alliances, et le grand nombre de
forteresses qu'ils possédaient, lorsqu'une rixe amenée par
le hasard fit éclore tout à coup une importante révolution.
Plusieurs jeunes gens de la famille des Cancellieri jouaient
dansime hôtellerie; comme ils étaient pris de vin, l'un d'eux,
Carlino, fils de Godefroi, insulta et blessa un autre Cancel-
lieri, Amadore ou Dore, fils de Guillaume. Dore pensa qu'il
ne devait pas se borner à punir l'agresseur, mais que l'injure
ayant atteint un innocent, il fallait que la punition retombât
sur un innocent. En conséquence , le soir du môme jour , il
se mit en embuscade , et, voyant passer un frère de celui qui
l'avait attaqué, il se jeta brusquement sur lui, le frappa au
visage, et lui abattit la main d'un coup d'épée. Loin d'ap-
prouver cette action , Guillaume livra son fils au père du
blessé, qui, peu touché d'un procédé si loyal, fit saisir Dore
par ses domestiques, et ordonna, en signe de mépris, de lui
trancher la main sur une mangeoire , en disant : Retourne
vers ton père, et appreuds-lui que les blessures se guéris-
sent avec le fer et non avec les paroles ! » Guillaume, saisi
de rage, assembla ses amis, arma ses vassaux, et courut as-
saillir son ennemi.
Toute la ville se partagea entre les deux adversaires. Le
premier ancêtre des Cancellieri avait eu deux femmes, dont
l'une s'appelait Blanche ; les descendants de cet'e dernière
prirent alors le nom de blancs ; les autres, par opposition,
se nommèrent les 7ioirs. On se battit avec acharnement
dans les maisons, dans les rues ; un juge, môme, fut assas-
siné sur son tribunal. N'ayant \n\ réussir à calmer ces aC-
35.
276
freux désordres, le podestat, magistrat chargé de rendre
la justice, posant à terre sa baguette en présence du con-
seil des Anziani, abdiqua ses fonctions, et quitta la ville.
Ceux-ci, qui formaient le pouvoir exécutif, rendirent un dé-
cret, lequel confiait pendant trois ans la seigneurie de la
ville aux Florentins, afin qu'ils avisassent aux moyens d'y
rétablir kl paix Cet usage, particulier à presque toutes les
lépubliques d'Italie , de confier la souveraine puissance à
<les étrangers, n'atteignait pas toujours, son but, et ne ser-
vait souvent qu'à créer une tyrannie pire encort- que celle
♦les lactious. L'Iiistoire de ces temps en offre de nombreux
exemples. Quoi qu'il en soit, les Florentins envoyèrent à Pis-
toia un podestat et un capitaine du peuple, qui ordonnèrent
aux cliefs des d(!ux partis de s'éloigner, en leur assignant
riorence jwur lieu d'exil.
Parmi les familles les plus riches de la ville et les plus dis-
lin"uéespar la naissance, les Donati et les Cerchi occupaient
le j)remier rang. Les noirs de Pistoia , alliés avec les Do-
nati, furent accueillis avec bienveillance par Corso Donato,
chef de cette puissante maison. De leur côté, les blancs se
mirent sous la protection de Veri de' Cerchi, qui ne le cé-
dait en rien à Donato sous le rapport de l'opulence et de
l'ancienneté de sa race. Cet incident accrut la haine qui
existait déjà entre eux.
Le gouvernement de Florence, purement démocratique ,
divisait les citoyens en corps de métiers ou arts majeurs et
mineurs, armés et commandés par des capitaines de leur
choix. Six prieurs, présidés par un magistrat suprême, le
gonfalonnier de justice , exerçaient le pouvoir : ils étaient
remplacés tous les deux mois. Mais les nobles, quoique ex-
clus de ces emplois, n'en conservaient pas moins une grande
influence, surtout les Donati et les Cerchi, qui se dispu-
taient la direction des affaires. Prévoyant qu'une crise allait
éclater, les prieurs s'adressèrent au pape, pour qu'il mandât
près de lui Veri de' Cerchi. Le pontife le conjura d'entrer
en accommodement avec son rival ; mais Veri répondit que
jjuisqu'il n'y avait pas de guerre il ne voyait pas la nécessité
de faire la paix. Peu de temps après son retour de Rome ,
quelques jeunes Donati, se promenant à cheval dans une fétc
publique , accompagnés de leurs amis , s'arrêtèrent , pour
voir danser des paysannes ; des Cerchi survinrent et pous-
sèrent par mégarde les Donati, qui se trouvaient au premier
rang de la foule. Une querelle violente s'éleva ; les épées
furent tirées , et il y eut un grand nombre de blessés des
deux côtés. Ainsi qu'à Pistoia, toute la ville prit parti. Une
foule de bourgeois, quelques nobles et tous les gibelins alors
à Florence soutenaient les Cerchi , qui étaient à la tête des
blancs. Aussi, tenant entre leurs mains le gouvernement ,
ils avaient un avantage marqué sur les Donati , dont les par-
tisans appartenaient pour la plupart au corps de la noblesse.
Sur ces entrefaites , le pape Ijoniface VIU envoya à Flo-
rence en qualité de légat le cardinal Matthieu d'Acquasparta,
qui, traversé dans ses vues par les blancs, s'éloigna bientôt
en frappant la ville d'un interdit. Après son départ, les Cer-
chi et les Donati en vinrent aux mains de noiivcriu ; mais
Donato, reconnaissant que son parti était le plus faible, tint
v.n conseil avec ses amis, où il fut convenu de demander au
pape un prince étranger, que l'on chargerait d'opérer une
n-forme dans l'État. Informés de ce projet, les O/aucs le
dénoncèrent aux piieurs comme une conspiralion contre la
liberté. La seigneurie, excitée par le célèbre Dante, qui
(tait un des prieurs , appela aux armes le peuple de la ville
et de la campagne, et bannit par un décret Corso Donato,
ainsi qu'un grand nombre de noirs. Quelques blancs furent
aussi exilés, mais ne tardèrent pas à se faire amnistier.
Corso se rendit à Rome, et supplia le pape d'envoyer en
Toscane comme son vicaire Charles de Valois, frère de
Philippe le Bel. Boniface venait d'attirer ce piinceen Italie,
en lui olirant le royaume de Sicile, alors possédé par Fré-
«iéric d'Ar,?gon, à qui le ponlifc voulait l'arracher. Autorise
BLAJ\CS ET NOIRS
par le saint-sit'ge , Valois consentit à servir les projets de
Corso, et se mit en marche, à la tête do huit cents cavaliers.
Les noirs restés à Florence rassemblèrent une somme de
70,000 florins pour payer les troupes , el introduisirent dans
la ville douze cents gendarmes à leur solde. A peine reçu dans
Florence, Charles fit rentrer les exilés en leur livrant une
des portes; puis il exigea que les chefs des noirs et des
blancs se remissent à sa discrétion. Dès qu'il les eut en son
pouvoir, il relâcha les noirs et jeta les blancs dans les ca-
chots. En vain les prieurs sonnèrent la cloche du palais pour
appeler le peuple aux armes , le peuple resta immobile.
Les 7ioirs livrèrent au pillage pendant six jours les maisons
de leurs adversaires, les massacrant sans pitié, et mariant
de force les plus riches héritières à leurs partisans. Ils élu-
rent ensuite pour podestat un étianger, le comte Gabrielli
d'Agobbio , qui, appuyé par Charles de Valois , avec lequel il
partageait le fruit de ses exactions , exila plus de six cents
personnes , en les soumettant à des amendes de G à 8,000 flo-
rins. Parmi les bannis , on compte plusieurs illustres per-
sonnages, tels que Guido Cavakanti, et surtout le Dante.
Leurs biens furent confisques et leurs maisons démolies.
Cette horrible tyrannie dura cin(j mois , jusqu'au départ de
Charles pour la Sicile, dont il fut chassé par son rival, qui
trouva le moyen de s'accommoder avec le pape.
Corso Donato , qui avait été l'àme de celte révolution ,
voulait seul en recueillir les fruits , et ne tarda pas à se
brouiller avec les chefs de sa faction, jaloux de la puissance
qu'il s'attribuait. Pour les abattre plus silrement , il se dé-
clara contre le parti de la noblesse, et s'associa avec les Bon-
doni et les Medici. Ces derniers, les Medici, commençaient
à figurer dans les affaires , et jouissaient déjà d'un grand
crédit auprès du peuple. Corso s'attira promptement la fa-
veur de la multitude par ses déclamations contre la vénalité
de ceux qui administraient la république; mais ces derniers,
profitant de son mariage avec la fille d'Ugguccione della Fug-
giola, l'accusèrent d'aspirer à la tyrannie par le moyen de
son beau-père, seigneur puissant delà Toscane, et chef des
gibelins et des Sio^cs. Cetteaccusation, soutenue avec a.lressc,
perdit Donato. Cité devant le podestat par le capilaine du
peuple, il refusa de comparaître, et fut déclaré rebelle par
contumace. Deux heures seulement s'écoulèieat entre l'ac-
cusation et la sentence. Corso prit le parti, en attendant
d'être secouru par Ugguccione, de fortifier sa maison et les
rues qui y conduisaient. Attaqué avec furie, il se défendit
vaillamment : il fallut s'emparer des maisons voisines pour
pénétrer dans la sienne. Alors il se fit jour à la tête de quel-
ques amis, et parvint à sortir de la ville par la porte della
Croce ; mais , atteint à Rovezzano , par des cavaliers cata-
lans envoyés à sa poursuite par la seigneurie, il fut ramené
sur ses pas, et massacré en chemin par un de ses conducteurs.
Ainsi périt Corso. Sa mort, arrivée en 130S, porta un coup
mortel au parti dont il avait été si longtemps le chef le plus
influent.
Cependant un nouvel empereur, Henri VII, venait de des-
cendre en Italie, el menaçait Florence de ses armes, pour
la punir de s'être déclarée contre lui. il avait promis aux
exilés de les faire rentrer dans leur patrie. Les chefs du gou-
vernement résolurent de le prévenir, et rappelèrent un grand
nombre de bamiis, à l'exception de quelques-uns, parmi
lesquels se trouvaient les fils de Veri de' Cerchi , et l'auteur
de la Divine Comédie ; puis ils offrirent à Robert, roi de
JVaples, la souveiaiiieté pendant cinq ans .s'iî s'engageait à
les défendre contre les attaques de l'empereur et d'Ug-
guccione.
En 13?.3, Castniccio Castracani, tyran de Lucques et chef
des gibelins, envahit la To.scane et mit le siige devant Prato.
La seigneurie, redoutant un pareil ennemi, non moins
entreprenant qu'habile , fit publier que les guelfes bannis
qui vienilraicnt au secours de la patrie .seraient rétablis dans
leurs droits 11 s'en présenta quatre mille, et Castruccio se
relira. Mais les exilés ayant refusé de poursuivre l'ennemi ,
le l'cuple, qui les crut d'intelligence avec lui , se souleva,
et oblit^ea la seigneurie de retirer la promesse faite aux ban-
nis. Ceux-ci essayèrent plusieurs fois de s'introduire dans
la ville par ruse ou par force, mais ils furent toujours repous-
sés. A partir de cette époque, les blancs et les noirs ces-
sent d'occuper l'attention et de paniître dans Tliistoire; ils
se fondirent dans les rangs des guelfes et dos gibelins , qui
continuèrent encore longtemps à ensanglanter l'Italie au nom
de l'Église et de l'Empire. L'une des plus illustres victimes
de ces funestes dissensions, le Dante, erra loin de sa patrie,
sans pouvoir jamais y rentrer; de magistrat d'une répu-
blique qu'il avait été, il cessa môme d'en être citoyen. Triste
condition, qui a inspiré à sa muse ces vers si touchants : « Tu
quitteras les objets de la plus chère tendresse; c'est le premier
trait qui part de l'arc de l'exil ; tu sentiras combien est amer
le pain de l'étranger, et combien il est dur de descendre et de
monter l'escalier d'un antre. »
BLAKCS-BATTUS. Voyez Flagellants.
BL AiVC-SElIVG. Dans la pratique, un blanc-seing est
un papier blanc, signé et remis à un mandataire dans lequel
on a confiance, tt qui devra le remplir des conditions qu'il
jugera convenables , sans avoir besoin de recourir à celui
i|ui le lui a confié. C'est toujours le témoignage d'une haute
conliance, qui ne doit être que rarement accordé, mais qui
est indispensable lorsqu'on ne peut fixer à l'avauce ni les
démarches à faire, ni l'étendue des ressources dont le man-
dataire peut avoir besoin.
BLAKCS-MAiNTEAUX. Des religieux mendiants,
qu'il ne faut jias confondre avec les servîtes de Florence,
mais qui, de même que ceux-ci, suivaient la règle de saint
Augustin , et qui avaient pris le nom de serfs ou serviteurs
delà Vierge ;Varie, institués à Marseille en 1223, vinrent
s'établir à Paris en 1252 on 1238. Comme ils étaient vêtus de
blanc, ou que leur manteau était de cette couleur, le peuple
leur donna le nom de blancs manteaux, ainsi qu'à leur
couvent et à la rue oii il était situé, laquelle avait ju.sque-là
porté le nom de rue de la Vieille- Parcheminerie. Quoi-
qu'on attribue à saint Louis la fondation de c«t ordre, au-
quel il accorda une protection marquée, il survécut peu à
la mort de ce monarque : il fut compris dans l'abolition de
plusieurs ordres mendiants prononcée en 1297 parle second
concile de Lyon.
Philippe le Bel, en 1298, donna le monastère des Blancs-
Manteaux aux guillelmites ou ermites de Saint-Guil-
laume , établis à Montrouge, et qui suivaient la règle de saint
Benoit. La maison conserva le nom de Blancs-Manteaux ,
<luoique ses nouveaux hôtes fussent entièrement habillés de
noir. En 1618 les guiifelmites furent incorporés aux béné-
dictins de Cluny , qui cédèrent depuis cette maison à la
congrégation du même ordre dite gallicane et de Saint-
Maur, Ce monastère fut rebâti en 1G85 : la première pierre
fut posée par le chancelier Le Tellier et sa femme, qui don-
nèrent 3,000 francs. L'église, construite à côté de l'ancienne,
est de mauvais goût et de mauvaise architecture. On y voit
im tableau d'Audran.
La maison des Blancs-Manteaux, possédée jusqu'à la révo-
lution de 1789, avec le titre de prieuré, par les bénédictins,
est une de celles qui ont produit le plus de savants et
d'hommes de mérite, tels quedom Morice, dom Clémencet,
dom Poirier, dom Cloment, dom Brial, etc. Il en est sorti
aussi pluMenrs ouvrages fort estimés et fort utiles : V Art de
vérifier les Dates, la Nouvelle Diplomatique, la Collec-
tion des Historiens de France, etc. Leur bibliothèque, qui
contenait des matériaux précieux pour Tiiistoire de France,
et surtout pour celle de Bretagne, a été réunie en grande
partie à la Bibliollièqne Impériale.
BLAIVDIIV (PniLippE-FRÉDÉKic), chirurgien d'un grand
mérite, naquit à Âubigny (Cher) , en décembre 1798, et
mourut à Paris, le 16 avril 1840. Son père, contrôleur des
BLAKCS ET KOIRS — BLANDÎN 277
contributions directes , était un homme d'ordre et de pré-
voyance , qui donnait à son fils beaucoup plus que sa légi-
time en le dotant par ses épargnes d'une éducation libérale.
Au collège de Bourges , où il fit ses études, il remporta des
couronnes qui le préparèrent à eu ceindre de plus éclatantes
et de plus mémorables. Ses compagnons d'étude ont gardé
de lui les plus vifs souvenirs, et sa haute position n'a pas
dé])assé leurs présages.
Se destinant à la médecine , si parfaitement assortie aux
dispositions investigatrices de son esprit, Blandin vint à
Paris en 1816. Il y choisit avec prédilection pour maîlres
trois l'.ommes vers qui l'entraînait l'aimable ascendant de
leur caractère affectueux, MM. Roux, Marjolin et Béclard,
qui lui montrèrent le l'Ius serviable attachement, ne fût-ce
qu'en éloignant de lui les découragements de l'injustice.
Doué d'une grande mémoire, mais s'exprimant avec len-
teur et difficulté, Blandin figura courageusement dans dix-
sept concours , soit pour les hôpitaux, soit pour la Faculté.
Ces luttes nombreuses accrurent peu à peu sa réputation,
mais non sans préjudice pour sa santé , qui ne réfiondit ja-
mais pleinement à son énergie morale. Pour prix envié de
tant de tentatives persévérantes, Blandin obtint dix postes
graduels, depuis l'emploi d'élèvedes hôpitaux jusqu'aux fonc-
tions de chef des travaux analomiques , puis de professeur
à la Faculté, sans parler des récompenses accessoires n'in-
téressant que l'émulation. Un grand nombre de ses années se
comptèrent ainsi par des victoires , succès progressifs à la
suite desquels vinrent comme d'eux-mêmes les honneurs,
des places élevées et lucratives , des litres recherchés, l'es-
time publique, et naturellement aussi le lot ordinaire d'une
constance inébranlable, je veux dire la fortune, laquelle est
bien moins capricieuse et moins aveugle que ne se l'imagi-
nent ceux qui , s'étant bornés à la désirer et à l'attendre,
n'ont rien fait de grand pour la conquérir.
Blandin était depuis plusieurs années professeur de mé-
decine opératoire à la Faculté, où il avait succédé à Riche-
grand; chirurgien de l'Hôtel-Dieu après Breschet; membre
de l'Académie de Médecine, où ses opinions commençaient à
faire autorité; officier de la Légion d'Honneur, et chirurgien
consultant du roi Louis-Philippe. « Également chéri de sa
famille et de ses élèves , disions-nous sur sa tombe, il jouis-
sait dans ce double entourage de toute la félicité compatible
avec sa situation et son caractère. Jours de satisfaction et de
sécurité, purs instants de bonheur, pourquoi si tôt finir!
pourquoi si peu durables ! «
Anatomiste du premier ordre, Blandin a publié des Corn,'
mentaires sur VAnatomie générale de Bichat, une ^na-
tomie des Régions, et enfin nm Anatomie descriptive qui
renferme un assez grand nombre de recherches délicates et
nouvelles, particulièrement sur des glandes etsur des nerfs,
soit sur le ganglion nerveux sublingual, qui portera vraisem-
blablement son nom ; soit sur les glandules de Pacchioli, dont
il constate l'absence dans les premiers âges delà vie, etc. ;
travaux qui ne sont pas de ceux qu'on récuse , et encore
moms de ceux qu'on oublie. Il était disposée attribuer les
synergies respiratoires et expressives à l'anastomose mutuelle
des nerfs du diaphragme, du larynx et de la langue, intime
alliance qu'il reconnaissait n'être pas également expresse
en de certaines personnes privées d'élocution. 11 a eu outre
public plusieurs thèses ou mémoires : 1" Sur le systèmeden-
taire; 2^ Sur Vautoplastie, qui lui a dû ses premiers pro-
grès; 3" Sur la phlébite et la résorption purulente;
4" Sur les dangers inhérents aux opérations de chi-
rurgie. Il a inséré quelques bons articles dans le Diction-
naire de Médecine et de Chirurgie pratiques. Mais où
Blandin a le mieux montré les ressources de son intelli-
gence, la solidité de sa dialectique et de son savoir, ce fut
sans contredit à l'Académie. Nous citerons, pour en louer sa
mémoire, les discussions sur les causes des difformités con-
géniales, sur l'inlroductton de l'air dans les veines pendanj
278
les opc^'rations , sur l'oithopédie , sur les (umeurs fibreuses
faisant confusion avec le cancer, sur la litliolrilic mise en ba-
lance avec la taille, sur la distinction des deux ouvertures
provenant d'une balle qui traverse les chairs , sur les acci-
dents terribles attribués au chloroforme; mais surtout la
discussion sur les nerfs rachidiens à double racine , dont les
propriétés sont contrastantes. Ici , Blandin étayait la décou-
verte de Charles Bell par des prenves décisives témoignant
<le sa sagacité. Le Bulletin de V Académie de Médecine
compte beaucoup de pages qui lui font honneur.
Déjà riche de ses places, de sa clientèle et de ses épargnes,
la révolution de 1848 le surprit chargé d'acquisitions non
libérées, qu'une panique universelle avilit tout à coup dans
ses mains, empêchées de s'en dessaisir. Ces mécomptes eu-
rent un déplorable eflet sur sa santé , qui en fut bientôt pro-
fondément altérée. Cet homme fort, qui avait su résister à
vingt-cinq années de veilles et de travaux , qui excellait dans
les grandes opérations, qui avait tant de fois envisagé la
mort sans frémir et vu le sang couler sans môme s'éraou -
voir, se laissa déconcerter par une révolution inopinée qui
affectait des recettes prévues et faisait un embarras de ce qui
avait pu sembler des richesses. 11 mourut dans le marasme, à
Tûge de cinquante ans et quatre moi&, lui qui aurait pu four-
nir une longue et brillante carrière. D'' Isid. Douudon.
BLAIXDRA.T A (Giorgio), fondateur delà secte des
unitaires en Pologne et en Transylvanie, étaitun Italien,
natif de Saluées, et mcdecinà Pavie, qui dut, en 1556, se
réfugier à Genève , à cause des persécutions que lui avaient
values ses opinions favorables au protestantisme, et qui
d'abord s'y rattacha à Calvin et à ses doctrines. Il se rendit
en 1558 en Pologne ; mais y étant devenu suspect en raison
de ses opinions unitaires, il passa, en 1503, en Transylvanie,
où il devint le médecin du prince Jean Sigismond, qu'il gagna
à ses idées religieuses , et où par sa prudence et sa circons-
jiection il fit aussi de nombreux prosélytes parmi le peuple.
Il périt assassiné, en 1590, par son neveu, qui était resté
lidèle à l'Église catholique. — Henke a publié (Hclmstaîdt,
1794), sa profession de foi anti-trinitaire, avec la réfutation
])ar Flaccius.
BLANGINI (Joseph -Marc-Marie-Félix), né à Turin, le
H novembre 1781, fit ses études sous la direction de l'abbé
Ottani, maître de chapelle de la cathédrale de cette ville.
î)ès l'âge de douze ans il accompagnait sur l'orgue le chœur
de cette église ; à quatorze ans il y lit exécuter une messe
à grand orchestre. Chanteur et compositeur, il réussit dans
cette double carrière. Il vint à Paris en 1799, et fut chargé
de terminer La fausse Duègne, opéra en trois actes, que
Della-Maria avait laissé inachevé. Il écrivit ensuite plusieurs
opéras, parmi lesquels on distingue Nephtali, en trois actes,
représenté avec beaucoup de succès à l'Académie Royale de
Musique.
Blangini s'est signalé par ses pièces fugitives : ses ro-
mances, ses nocturnes à deux voix, ont eu longtemps un
succès de vogue. Appelé en 1805 à Munich, il y fit exécuter
Trajano in Dacia; le roi de Bavière lui confia la direction
de sa chapelle. La princesse Pauline Borghèse le nomma
<lirecteur de sa musique et de ses concerts l'année suivan'e.
Kn 1809 il passa au service du roi de Wesiphalie, en qualité
de maître de musique de la chapelle, du théâtre et de la
chambre. La révolution de 1830 enleva à Blangini les places
(lu'il avait à la cour de France; il était compositeur et ac-
compagnateur de la chambre du roi et de la duchesse de
Berri.
Blangini a com])osé dix-huit opéras. Les Gondoliers fu-
ient représentés en 1833 sur le théâtre de l'Opéra-Comique.
Il a publié plus de deux cents romances ou nocturnes, dont
\m grand nombre ont été adoptés par les auteurs de vau-
devilles.
— Sa Sd'uraînée, maîtresse de chant de la reine de Bavière,
s'est signalée par un talent très-rcmarquablc sur le violon.
BLANDIN ^ BLANQUE
Elle a composé pour cet instrument, et n'a publié qu'un trio
pour deux violons et violoncelle. — Sa sœur cadette brillait
dans les concerts , et chantait fort agréablement les jolies
productions de son frère. Castil-Blaze.
BLANKEI\BURG, nom de l'extrémité sud-ouest du
duché de Brunswick, séparant la partie du Harz appar-
tenant au Hanovre de celle qui relève de la Prusse, et bor-
née au sud-est par le territoire d'Anhalt-Bernburg. A l'ex-
ception de l'ancienne abbaye de Walkenried , le pays de
Blankcnburg, qui jusqu'au douzième siècle s'appela VHar-
tinggau, formait un comté qui à la mort du dernier comte,
Jean-Ernest, en- 1599, échut au duché de Brunswick, et qui,
transmis, en 1G90, à Louis-Rodolphe, second fils d'Antoine-
Ulrich de Wolfenbuttel, fut élevé, en 1707, au rang de prin-
cipauté, et forma jusqu'en 1731 un litat indépendant. Mais à
cette époque il fit retour au duché de Brunswick.
Aujourd'hui le cercle de Blankenburg se compose des trois
bailliages de Blankenburg, Hasselfeld et Walkenried, dont
la superficie totale est de 440 kilomètres carrés environ et
la population de 20,000 âmes. Le chef-lieu est Blanken-
burg , jolie petite ville de 3,500 habitants, située au pied du
versant septentrional du Harz, et contenait d'importantes
brasseries. Elle (ut entourée de murs dès le dixième siècle,
saccagée à deux reprises, en 1182 et en 1386 , et eut beau-
coup à souffrir, en 1625, du siège que Wallenstein mit
devant elle. Pendant la guerre de Sept Ans, sa complète neu-
tralité offrit un refuge assuré à la cour de Brunswick ; et plus
tard, depuis le 24 août 1796 jusqu'au 10 février 1798,
Louis XVIII, après sa fuite de Dillengen, y trouva un asile
sous le nom de comte de Lille.
Auprès de Blankenburg s'élève le château, d'un style noble
et simple , qui sert de résidence temporaire aux ducs de
Brunswick , et qui a été récemment décoré avec beaucoup
de goût. Il renferme de précieuses collections, et l'on y jouit
d'une vue ravissante. En général, les environs de iJlanken-
burg sont romantiques , et rappellent des souvenirs histo-
riques fort intéressants. Au sud , le Luisenhaxis , bâti sur
le sommet du Calvinusberg , domine un panorama enchan-
teur. A l'est s'étendent une série de rochers escar[»és ap-
l)elés dans le pays la Muraille du Diable, et au sud-est les
roches granitiques du Rosstrappe; au nord, enfin, l'on voit
le romantique Regenstein ou Rocher-Pluvieux , et les cé-
lèbres cavernes de JSieiet de Baumann.
BLANIf ENBURGest aussi le nom d'une jolie ville de la prin-
cipauté de Schwarzbourg-Rudolstadt, pittoresquement située
dans la Vallée-Noire de la forêt de Thuringe, et comptant
environ 1200 habitants. Elle possède des fabriques impor-
tantes de papier et de cuir, fait un commerce considérable
de lavande, et voit depuis quelque temps beaucoup d'étran-
gers aflluer dans ses murs, attirés par l'établissement by-
dropatbique qui s'y est établi dernièrement. Au nord de la
ville, sur un rocher calcaire haut de plus de cent cinquante
mètres , s'élève le château de Greifenslein ou de Blanken-
burg, l'une des plus vastes et des plus admirables ruines de
la Thuringe. Bâti par Henri \" , détruit dans la guerre de
Trente Ans, inhabité depuis 1G71, dépouillé de son plus bel
ornement, en 1800, par un ouragan qui renversa sa grosse
four, ce château est célèbre pour avoir vu naître l'empereur
Gunther de Schvvar/.bourg.
BLANQUE ou BLANCQUE, espèce de loterie intro-
duite en France du temps dePasquier, et dont il a donné la
description. Après avoir désigné les lots qui formaient l'objet
de la blanque, on émettait, comme dans les loteries actuelles,
m\ certain nombre de billets numérotés. Le jour du tirage,
on plaçait dans une urne autant de numéros qu'on avait émis
de billets. Une seconde urne contenait autant de bulletins
que la première : un certain nombre de ces bulletins por-
taient écrit le nom d'un des objets à gagner; les autres
étuieiit en blanc. Les premiers étaient nommés bénéfices;
ceux sur lesquels rien n'était écrit s'appelaient blancs ou
BLANQUE
blancijttes , et la rc^pétition fréquente de ce dernier mot
amena le nom du jeu. Un aveugle ou un jeune enfant, placé
entre les deux unies, tirait à la fois un bulletin de chacune
d'elles, et le propriétaire du numéro contenu dans l'un
avait droit au lot désigné par Tautre, si toutefois c'était un
bénéfice. La blanque ne différait donc de nos loteries que
par le mode du tirage, qui devait être d'une lenteur à la-
quelle on a suppléé dans les entreprises gigantesques de ce
genre qu'on réalise aujourd'hui.
BLANQUETTE, sorte de vin blanc, assez renommé,
que l'on fait dans la Gascogne et dans le Bas-Languedoc
avec une espèpe de raisin qui a reçu le même nom, à cause
du duvet blanc et cotonneux qui recouvre sa feuille par-des-
sous; c'est le même que le malvoisie du Lyonnais et le
mexhiier àe$ provinces septentrionales; son grain est petit,
plus long que rond, arrondi à ses deux extrémités; lorsqu'il
est mùr, sa couleur tire sur le roux. La chair de ce raisin
est cassante, et chaque grain renferme communément deux
pépins, son suc est doux, sucré, assez aromatisé; mais il
faut attendre sa complète maturité avant de le couper pour
faire la blanquette. Ce vin, du reste, est doux, assez spiri-
tueux, et de l'espèce de ceux qu'on nomme vins de femme;
il s'éclaircit difficilement, et par conséquent a besoin d'être
collé et fouetté. La blanquette de Limoux est en réputa-
tion auprès des gourmets.
La blanquette ou le blanqtiet est aussi une espèce de
poire d'été, musquée, de forme ronde, un peu courbée et
allongée vers la queue, dont la peau, fort lisse et fort blanche,
se colore faiblement au soleil, et dont la chair, cassante et
fine, contient en grande quantité une eau sucrée et fort
agréable; mais cette poire a le défaut de la plupart des poires
d'été : elle devient pâteuse quand on la laisse trop mûrir.
Elle réussit également bien en buisson et en tige.
On appelle encore blanquette un mets ou espèce de fri-
cassée laite ordinairement de veau ou d'agneau découpé par
tranches, et accommodée d'une sauce blanche.
BLAKQUI ( Jérôme-Adolphe ) était l'aîné des fils du
député Jean-Dominique Blanqui, envoyé par l'ancien dé-
partement des Alpes-Maritimps ( chef-lieu, Nice ) à la Con-
vention nationale, l'un des soixante-treize incarcérés pour
avoir protesté contre la révolution jacobipe du 31 mai 1793,
réintégré le 8 juillet 1795, élu membre du Conseil des
Cinq-Cents, investi d'une sous'-préfecture après le 18 bru-
maire, et mort à Paris, à l'âge de soixante-quinze ans, en
juin 1832.
Né à Nice le 21 novembre 1798, Blanqui aîné com-
mença dans sa ville natale, sous les auspices de son père,
homme éclairé et instruit, d'excellentes études, qu'il vint
terminer à Paris avec beaucoup de distinction. Il suivit d'a-
bord la carrière de l'enseignement, s'adonnant aux sciences
médicales, à la chimie, et remplissant dans un pensionnat
renommé ( l'institution Massin ) les fonctions de répétiteur
d'humanités. Ces fonctions le mirent en rapport avec J.-B.
Say, qui désira l\ivoir pour disciple. Sa bienveillance et ses
conseils inspirèrent à son jeune ami l'amour des études éco-
nomiques; et le patronage du professeur français le plus
renommé, en procurant au jeune Blanqui la chaire d'his-
toire et d'économie industrielle à l'École spéciale du Com-
merce, dont il devint directeur en 1830, lui ouvrit une car-
rière à laquelle il devait consacrer ses travaux et sa vie.
Cette carrière, Blanqui la parcourut avec un zèle infa-
tigable, et, ce qui est assez rare, il sut concilier un mérite
réel avec des vues saines et utiles.
Un cours à l'Athénée, sur Vhistoire de la civilisation in-
dustrielle des nations européennes, cours qui fut liès-
suivi; d'autres cours, soit à l'École du Commerce, où il
prononça plusieurs discours remarquables, soit au Conser-
vatoire des Arts et Métiers , où il succéda comme profes-
seur, en 1833, à J.-B. Say; de nombreuses publications,
ayant toutes pour objet les progrès de l'industrie et du com-
- BLANQUI 279
merce; plusieurs voyages entrepris dans les mêmes inten-
tions, ont signalé le zèle de cet écrivain, accru et mûri son
savoir. Il a pris rang parmi les plus habiles économistes
contemporains. Peu d'écrivains et de professeurs ont mon-
tré autant d'ardeur, d'activité, un travail aussi facile et
aussi fécond. En outre, il n'a presque pas cessé de concou-
rir , par des articles, fruits de la verve la plus abondante,
à des journaux et à des recueils où l'économie publique, les
vues et les débats politiques trouvaient accès, depuis le
Producteur , où l'on arbora le drapeau de Saint-Simon,
jusqu'au Figaro , au Courrier français , et au Diction-
naire des Marchandises.
Entre les publications dues à sa plume on a distingué :
1° un Eésîimé de l'Histoire du Commerce et de l'Industrie
(1826); 1° un Précis élémentaire d'Éco7iomie politique
(même année); 3" un Voyage à Madrid (même année);
4" celui-ci avait été précédé, en 1824, d'un Voyage en An-
gleterre; 5° une Histoire de l'Exposition des Produits de
rindustrie française en 1827 ( in-8'', 1827), collection
d'articles insérés dans les journaux pendant cette exposi-
tion ; 6° un Rapport sztr l'état économique et moral de In
Corse, en 1S3S, lu à l'Académie des Sciences morales et
politiques, à laquelle l'auteur avait été appelé le 2 juin de la
même année ; 1° Algérie. Rapport sur la situation écono-
mique de nos possessions dans le nord de V Afrique, lu à
la même Académie en 1839 ( in-8'' ; Paris, 1840 ), le premier
écrit qui ait fait connaître au vrai , avec une courageuse
franchise, l'état des choses dans ce pays ; 8° Notices sur le
minlstreanglals Huskissonct sur saréformeéconomlque ;
sur la vie et les travaux de J.-B. Saij, etc., lues à l'Acadé-
mie ; 9" Considérations sur l'état social des populations de
la Turquie d'Europe ( voir le Journal des Économistes,
fondé en 1841 par Blanqui et ses amis).
Mais son ouvrage capital, celui qui fait le plus d'honneur
à son savoir ainsi qu'a sa plume, celui qui lui assigne un
rang éminent parmi les meilleurs écrivains qui se soient
voués à cette spécialité, c'est son Histoire de l'Économie
politique en Europe, depuis les anciens jtisqu'à nos
jours, suivie d'une bibliographie raisonnée des principaux
ouvrages sur cette matière ( Paris, 1837 et 1842, 5 vol.
in-8°). Ce livre, inspiré par de généreuses pensées, révèle
dans son auteur de fortes études, un jugement sain, des
aperçus lumineux et des vues souvent profondes. Ce n'est
point de la scolastique, ce ne sont point des logogriphes éco-
nomiques, à la manière de Bicardo et de son école ; ce sont
des idées nettes, exposées avec clarté : mérite rare quand
il s'agit de l'une de ces études où n'être pas compris passe
pour le maximum de la profondeur. On lui doit enfin un
travail en deux volumes in- 18 sur les Classes ouvrières
en France, publié en 1848 par MM. F. Didot, et faisant partie
de la Collection des petits traités mis au jour par l'Acadé-
mie des Sciences morales et politiques.
Blanqui aîné siégea avec distinction, de 1846 à 1848,
à la Chambre des Députés, comme représentant de Bordeaux.
Il parcourut presque toute l'Europe pour y étudier les pro-
grès de l'industrie et les questions économiques. En 1851
il se rendit à Londres , chargé par l'Académie d'examiner
l'exposition universelle et de lui en faire un rapport. Il pré-
parait un grand et important travail sur les Populations
rurales de la France, à la suite d'une enquête de près de
trois ans exécutée par ordre de l'Académie, au moment
où la mort est venue le frapper le 28 janvier 1854.
Blanqui appartenait à i'école économique qui a inscrit
sur son drapeau la liberté commerciale. En 1847 ses dis-
cours furent très-remarques au congrès des libre-échan-
gistes tenu à Bruxelles. On les trouva seulement trop anec-
dotiques et trop spirituels, si toutefois c'est là un défaut.
Sous la monarchie déjà, Blanqui s'était fait le défen^^eur
de l'enseignement industriel; il attaquait l'enseignement
universitaire, qu'il trouvait ne })as répondre aux besoins de
280 BLAÎ^QUI
siècle. On se rappelle une séance de l'Académie des Sciences
morales et politiques où , argumentant ad hominem, il de-
mandait où l'on trouverait un liomnic capable de suivre par
la pensée le long chemin qu'a parcouru le tapis qui couvre une
table, depuis la laine du mouton jusqu'au palais de l'Insti-
tut. On ne pouvait mieux ouater l'épigramme. Aussi , conti-
nuant, lilanqui reprit : « Savt'Z-vous seulement par quel
procf^dé on prépare les plumes d'oie à l'aide desquelles écri-
vent tant de gens d'esprit ? » Les académiciens sourirent agréa-
blement à cette question, et prirent le compliment pour eux.
BLAJXQUl (Louis-Auguste), frère du précédent, est né
à Nice, en 1805. Lors des élections de 1827, Paris vit les
troubles de la l'ue Saint-Denis dégénérer en combat ; les fu-
sillades de la garde royale répondirent aux acclamalions
de joie de la foule. Au nombre des quelques jeunes honunes
qui prirent les armes pour riposter aux coups de feu de la
troupe, se trouvait Auguste Blanqui; il paya de son sang
cette première prise d'armes : une balle lui traversa le cou,
et il fut relevé mourant. En 1830, Blanqui, étudiant en
droit . prit une seconde fois les armes contre la dynastie de
Charles \; il combattit au cri de Vive la liberté! et reçut
plus tard , comme récompense nationale, la décoration de
Juillet. Blanqui n'avait pas supposé que la lutte de l'esprit
de liberté contre l'ancien régime , représenté par la branche
aînée des Bourbons , dût se borner à la substitution d'un
trône à un autre; il était de ceux qui pensaient qu'au
triomphe matériel des masses armées devait succéder la
lutte des intelligences pour la réalisation des principes dé-
mocratiques. Pénétré de tout ce qu'avaient de poignant
les souffrances des classes laborieuses, il désirait ardcnnnent
qu'on y remédiât; et, voyant la résistance passive qu'op-
posait la bourgeoisie à l'amélioration matérielle du sort des
masses, pour laquelle d'ailleurs on ne formulait alors aucun
plan , Blanqui se posa d'une manière exclusive , comme
tous ceux qui se préoccupent vivement d'une idée, en an-
tagoniste de cette bourgeoisie. Loin d'appeler les bourgeois,
ou les oisifs, comqie il les nommait, à travailler en commun
à l'œuvre de régénération qu'il enh'evoyait , il ne négligea
aucune occasion de les froisser , les accusant de n'avoir ni
l'intelligence de leur position ni celle de l'avenir.
Blanqui était entré à la Société des Amis dît Peuple,
ce club dont l'existence, assez courte, fit renaître en France
l'école républicaine , en groupant les hommes , peu nom-
breux d'abord, qui avaient conservé les traditions de
89 et de 93. Avant le premier anniversaire de Juillet, il fut
nommé membre du comité de rédaction du journal que
cette société publia pendant quelques semaines : cet hon-
neur et ses opinions bien connues lui valurent une longue
détention préventive et l'amenèrent sur les bancs de la cour
d'assises, dans le procès dit des Treize. Blanqui présenta
lui-même sa défense ; il exposa ses doctrines, et fut acquitté
par le jury. Dans son discours, Blanqui avait violemment
attaqué ceux qu'il appelait les bourgeois, les riches privi-
légiés. « Qui aurait pu penser, s'était-il écrié, que les bour-
geois appelleraient les ouvriers la plaie de la société? Les
privilégiés vivent grassement de la sueur du peuple.
Qu'est-ce que votre Chambre des Députés? Une machine im-
pitoyable , qui broie 25 millions de paysans et 5 millions
d'ouvriers pour en tirer toute la substance, qui est trans-
vasée dans les veines des privilégiés. » La cour vit dans
son discours et surtout dans ces paroles un délit d'audience,
et elle le condamna à un an de prison et 200 francs d'amende,
comme coupable d'avoir cherché à troubler la paix publi-
que en excitant le mépris et la haine des citoyens contre
plusieurs classes de personnes.
L'esprit de Blanqui jeune n'était pas de ceux que l'on
mate par la prison : après avoir passé sous les verrous le
temps de sa condamnation, nous le retrouvons pour la
premièt^e fois , en 1835, devant la cour des pairs en qualité
de défenseur des prévenus d'avril. 11 avait été rendu à la
liberté, mais non au repos et à l'indifférence. La loi sur les
associations avait brisé dans les mains du parti républicain
une arme puissante; cette loi avait fait naître les sociétés
secrètes, machines non moins dangereuses, maisque, grâce
au grand jour et aux facilités des réceptions, le pouvoir
neutralisait facilement ; la loi sur les armes de guerre avait
rendu difficiles les approvisionnements que nécessite la
perspective d'une lutte populaire. Blanqui organisa néan-
moins la Société des Familles, association secrète dont
chaque membre jurait de prendre les armes au premier or-
dre et d'obéir à toute réquisition de ses chefs. Dans la for-
mule de réception de cette société, on établissait que les
droits des citojens étaient le droit d'existence, le droit
d'instruction pubUque, le droit de participation au gouver-
nement ; que leurs devoirs étaient le dévouement envers la
société et la fraternité envers leurs concitoyens. Ces prin-
cipes étaient bien ceux de Blanqui. On peut donc supposer
que ce formulaire était son œuvre. Pépin , le complice de
Fieschi, au moment de monter sur l'échafaul, crut sau-
ver sa tête en dénonçant vaguement Blanqui connne l'or-
ganisateur et le chef de la Société des Familles, et en di-
sant qu'il avait été prévenu du rôle de destruction que la
machine infernale allait jouer le 23 juillet 1835. Blanqui,
arrêté sous la prévention d'association illicite et de fabri-
cation de poudre (affaire de la rue de Lourcine), comparut
devant le tribunal correctionnel ; interrompu dans sa dé-
fense, il fut condamné à deux ans de prison, 3,000 francs
d'amende , et placé sous la surveillance de la pohce. L'am-
nistie abrégea la durée de sa peine, et il vint se fixer à
Anneau , puis près de Pontoise , la résidence de Paris iui
étant interdite.
Blanqui était sorti de prison tel qu'il y était entré,
ennemi implacable de la monarchie, et jugeant son ren-
versement facile par un coup de main mystérieusement
combiné. La Société des Familles était tombée dans des mains
subalternes. Blanqui prit le parti de la réoiganiser sous le
nom de Société des Saisons. Raisant, Martin Bernard,
Barbés, Lamieusseas en étaient les chefs principaux. Le
calcul de cette société était de ne pas bouger et d'éclater
tout à coup. Vers le commencement de mai 1839, la
France était sous le coup d'une longue crise ministérielle ;
les débats de la coalition avaient singulièrement afiaibli
l'action du pouvoir ; Blanqui comptait alors sur mille hom-
mes bien déterminés, bercés depuis longtemps dans l'espoir
d'entendre sonner l'heure du combat. Une société colla-
térale, mais affiliée, connue sous le nom de Montagnards,
menaçait de dissoudre l'association ; la désaffection gagnait
la bourgeoisie : Blanqui crut que le moment d'agir était venu.
Il fixa , avec I\Iartin Bernard et Barbes , pour les deux
premiers dhuanches de mai des revues des groupes de la
société. La seconde de ces revues fut passée le 12 mai, vers
deux heures et demie. C'était un dimanche : tous les ouvriers
chômaient ; les courses du Champ-de-Mars avaient attiré de
ce côté une grande quantité de curieux ; les membres de
la famille royale et les principales autorités s'y trouvaient.
Le pouvoir allait donc être surpris au moment où il s'y
attendait le moins.
Entrant dans un lieu où l'attendaient Martin Bernard ,
Barbés et plusieurs chefs en sous-ordre de l'association,
qui ignoraient encore le but de leur réunion , il s'écria :
« Ils sont pris en flagrant délit! — Qui donc? aurait ré-
pondu Martin Bernard. — Eh , parbleu ! les hommes du
pouvoir. Marchons! » Et alors, tirant de sa poche un mou-
choir louge à carreaux , au bout duquel était attaché un
pistolet d'arçon, il descendit dans la rue, où les section-
naires débouchaient de toutes parts, et monta à leur tête
dans les magasins de l'armurier Lepage, où les insurgés se
munirent de fusils de chasse, i)endant qu'au milieu de la
rue Bourg-l'Abbé des caisses de cartouches étaient défon-
cées et le contenu réparti à raison de deux ou trois car-
fouclies par homme. Huit cent cinquante sectionnaires
prirent part à cette levée de boucliers; guidés par Barbes
et Rlanqui , ces hommes, ayant deux ou trois coups de feu
à tirer, attaquèrent sans hésiter un gouvernement qui dis-
posait de quarante à cinquante mille hommes de troupes ,
et de soixante à quatre-vingt mille gardes nationaux. En
route, cette poignée de sectionnaires se recrutad'un nombre
au moins égal de combattants ; mais les armes manquaient.
Les cartouches de différents calibres se mêlèrent maladroi-
tement. On comptait s'emparer de la préfecture de police,
garder et barricader les ponts, établir une espèce de camp
retranché , de quartier général à la préfecture , faire de la
Cité le centre de l'insurrection, et pousser de là des co-
lonnes dans diverses directions. Barbes partit de la rue
Quincampoix avec quarante hommes en avant du gros de
la troupe. Il ne fut pas suivi , et après son échec il ne sut
que laire. On changea de plan , et on résolut une attaque
sur l'Hôtel de Ville ; puis on se rabattit sur les mairies des
septième et huitième arrondissements. Repoussé partout, on
se mit à faire des barricades. Blanqui suivait la colonne;
mais il avait peu de confiance dans les barricades; et après
la prise de celle de la rue Grenétat on perdit sa trace.
Pendant six mois il échappa à toutes les recherches ; il allait
quitter enfin Paris le 14 octobre, et était déjà monté sur
l'impériale de la diligence qui devait l'emmener en Bour-
gogne, quand il fut arrôté-par des agents de police auxquels
le secret de son départ avait été livré.
Traduit devant la cour des pairs en janvier 1840, il refusa
de répondre, et protesta seulement contre les accusations
d'assassinat lancées par le rapporteur contre les insurgés ,
au sujet de l'attaque du Palais-de-Justice. Condamné à mort
ainsi que Barbes, Blanqui vit, comme celui-ci, sa peine com-
muée en celle de la détention perpétuelle. Après quatre années
de réclusion cellulaire au IMont-Saint-Jlichel , qui avaient
altéré sa santé, il en sortit mourant, et fut transféré au
pénitencier de Tours. Napoléon Gallois,
A la révolution de Février, Blanqui , qui avait refusé sa
grâce , se trouvait cependant libre. La république une fois
proclamée, il vint à Paris, et bientôt son activité le rame-
nait au premier lang de l'agitation. Président, on pourrait dire
chef; d'un club auquel il a laissé son nom, et qui ?e réunissait
rue Bergère, dans une des salles du-Conservatoirede Musique,
il lança plusieurs fois les masses contre le gouvernement
provisoire. << Diie ce que ce petit être chétif, maigret, plié
en deux , a remué d'hommes dans ce Paris si violent , si
tourmenté, ce serait écrire une histoire immense, lisons-nous
dans les Profils révolutionnaires. Il fallait le voir tous les
soirs à son club, animant les débats, leur donnant des
aperçus hardis, des proportions effrayantes... Les veilles,
les prisons, les souffrances, ont plié son corps; mais ce
corps de fer résiste à tout : il est trempé pour la lutte. Sa
laise profonde et son inllexible audace n'ont pas de bornes. »
Rendu tout entier à sa haine contre la bourgeoisie par ses
souffrances et ses échecs, Blanqui soufflait le fiel et l'impré-
cation. Dans son extravagance, il allait jusqu'à prêcher l'abs-
tinence la plus complète au peuple entier; « Vous faites
vivre le commerce , disait-il aux masses : cessez de con-
sommer, vous verrez combien de temps les boutiquiers
pourront se passer de vous I « Mais 'cette abstinence n'était
pas dans les mœurs ; et d'ailleurs la ligne de démarcation
entre le peuple et la bourgeoisie est impossible à trouver dans
notre société : tout ouvrier aspire à être bourgeois, et compte
le devenir ; tout bourgeois peut être ouvrier demain. Ces
prédications ne firent donc qu'un petit nombre d'adeptes,
iauatiqucs, il est vrai; mais elles initèreut la bourgeoi-
sie, qui se prépara à se débarrasser de ces hôtes incom-
modes.
Un beau jour il parut dans le premier numéro de la Revue
Rétrospective, recueil fondé par M. Tascliereau , une pièce
curieuse, non signée, adressée au ministre de l'intérieur du
niCT. DE Lv roNvi;i!s. _ T. m.
BLANQUI 281
roi Louis-Philippe, datée du mois d'octobre 1839, et conte-
nant des détails circonstanciés sur les événements de mai
de cette année. C'était un coup de foudre pour Blanqui ; car
on ne pouvait attribuer cette pièce qu'à lui. « Vous seul, lui
dit plus tard Barbes , pouviez savoir les détails contenu»
dans ce rapport. » Blanqui promit de répondre, et ne fit qu'at-
taquer les publicateurs de cette pièce, qu'il prétendit fabri-
quée dans les conseils du gouvernement provisoire. On l'at-
tendait à son club ; il ne fit que des promesses d'explications,
qu'il oublia. Sommé par Barbes de venir s'expliquer dans le
club que celui-ci présidait , Blanqui refusa de s'y rendre ;
un jury républicain offrit de s'interposer : Blanqui prétendit
n'avoir besoin que de la publicité pour se défendre , et la
publicité ne vint jamais.
Cependant il organisait les démonstrations du 15 mars et
du 16 avril; mais l'attitude de la garde nationale , réunie à
l'appel du général Changarnier, montrait à Blanqui la
peine qu'il aurait à monter au pouvoir; et pourtant M. de
Lamartine avoue avoir eu à compter avec lui et lui avoir
fait offrir une place à l'étranger. Blanqui aurait répondu
qu'il n'hésiterait pas à servir son pays à l'étranger quand il
aurait un gouvernement à sa convenance. A la fin d'avril
Blanqui avait été l'objet d'un mandat d'amener; mais on
avait ajourné l'exécution de cette mesure.
La pensée de l'attentat du 15 mai se développa dans le
club de Blanqui. Le 13 mai un membre proposa d'aller en
masse à l'Assemblée proposer une série de décrets. Blanqui
répondit que le peuple ne comprenant pas encore le commu-
nisme, il fallait s'adresser à des idées auxquelles il fût plus
sensible. La Pologne étant un mot magique, c'était au nom de
la Pologne qu'il fallait entraîner le peuple; mais il se réser-
vait de fixer le moment. Le lendemain, à l'ouverture de la
séance, Blanqui fit décider que la Société centrale républi-
caine (c'était son club) se joindrait aux corporations qui
devaient porter à l'Assemblée nationale une pétition en fa-
veur de la Pologne. On ne se rendit pas néanmoins à la place
de la Bastille , mais on se réunit à la colonne sur le boule-
vard du Temple. Blanqui prit place en tête avec les délégués,
et il entra un des preniieis dans l'Assemblée. Après l'en-
vahissement de la salle, après la lecture de la pétition par
Raspail , Biancjui monta à la tribune, et demanda un vote
immédiat sur les conclusions de la pétition; il réclama jus-
tice au nom du peuple à l'occasion des événements de
Rouen, et, parlant de la misère du peuple, il somma l'Assem-
blée de s'occuper sans désemparer des moyens de donner de
l'ouvrage aux milliers de citoyens qui en manquaient. Enfin,
il se plaignit qu'on écartât pour ainsi diresystématiquement
des conseils du gouvernement les amis du peuple. Ce dis-
cours porta l'effervescence au comble. Bientôt H ube r pro-
nonça la dissolution de l'Assemblée. Le nom de Blanqui
figurait en tête des listes du nouveau gouvernement provi-
soire. Cependant on ne le trouva pas à rhôlcl de ville, lors-
que la garde nationale y arriva. Il échappa pendant quelques
jours encore aux recherches de la police; mais le 26 mai il
fut arrêté rue Montholon, dans une mai -on où il avait
reçu asile. Traduit devant la haute cour qui siégea à Bour-
ges, il rompit enfin en audience publique le silence qn'i'.
avait gardé pendant l'instruction ; il déclina la compétence
de la cour, qui n'avait été formée qu'en vertu d'une loi voter;
après les événements qui amenaient les accusés devant la
justice , et soutint qu'il n'y avait aucune preuve qu'il eût pris
part à un complot contre l'Assemblée. Il n'y avait eu, suivant
lui, le 15 mai, qu'une réunion d'hommes poussés par lesévc-
nements à faire beaucoup plus qu'ils n'avaient prévu. Dans
la dernière séance, Barbes l'attaqua vertement pour le fameux
rapport publié par la Revue Rétrospective , et lui reprocha
d'avoir obtenu sa grâce , quand tant d'autres étaient mort'5
en prison. Blanqui répondit encore d'une manière embai-
rassée, et en appela à l'opinion publique. Le haut jury ayant
admis en sa faveur des circonstances atténuantes , la cour
36
£82 lîLANQUI -
le condamna en dix années de détention, qu'il su!)it encore
aiijourd'liui.
BLAPS ( de ^liàia, action de nuire). Ce genre d'insectes
de l'ordre des coléoptères, est de couleur noire, niardie
lentement, vit dans les lieux obscurs , hutr.idos et sales des
habitations, et répand quand on le toiiclic une odeur tort
désagréable.
BLASEMEIMT ( de p).âî;£tv, être hébété ). Le blase-
ruenldilïïre de l'agacement en ce que l'ôtre blasé voit sa
sensibililé i» demi éteinte par l'abus épuisant ou les débau-
ches. Ainsi l'homme qui (ait excès de boissons alcooliques
sent à peine la saveur de l'eau-de-vic. Nous en avons vu qui
savouraient l'alcool à 40", poivré encore par du piment. Les
peuples affaissés par la chaleur sous les tropiques sont
moins sensibles que nous aux impressions fortes sur la peau ;
de là vient sans doute l'usage des supplices atroces infligés
aux ÎNègres, aux Orientaux et Asiatiques, et dont le seul
récit nous fait frémir. Ainsi, l'on ajoute du vinaigre, du
poivre, etc., aux enlamures de la peau chez les criminels
iouetlés au sang, pour aigrir des tourments qu'ils sentent
à peine, dit-on. En effet, la sensibilité, d'abord vive et ex-
citée dès la jeunesse parmi les nations nées sous des cieux
ardents, finit par s'amortir. Un vieillard à peau flasque, usé
par l'emploi journalier des impressions les plus poignantes,
lies jouissances les plus acres, devient bientôt incapable de
les éprouver; il mûclie du poivre bétel avec la chaux; il
ravive sa langue avec du sublimé corrosif, dit-on ; il a be-
soin dès l'âge de trente ans des stimulations les plus
luxurieuses, et sollicite des aphrodisiaques de tous les mé-
decins pratiquant dans l'Orient. Sous une atmosphère chaude
et humide toutes les membranes se relâchent , tous les tis-
sus se détendent ; l'individu épuisé végète désormais, par un
bienfait de la nature, qui prolonge ainsi l'existence, mais avec
riiïsensibilité et l'ennui.
Tel est le soit qui attend l'homme affaissé, le riche abu-
sant de sa fortune pour s'enivrer de toutes les délices. 11 ne
sait p:is que peu est assez pour notre nature, que le milieu
setil nous garantit de ce blasement destructif de tout plaisir,
ou de cet état de débilité qui rendait Saidanapale, rassasié
do voluptés dans son opulence et entouré de ses femmes, le
plus infortuné des humains.
Le blasé n'a qu'une voie pour revenir à l'ordre natuiel :
c'est désormais de s'abstenir et d'attendre du bénéfice du
temps la restauration de sa force, si son âge lui en laisse l'es-
pérance. On a vu même des vieillards retrouver après tant
d'années de modération une vigueur inespérée. La femme,
toujours plus près de la nature que l'homme et moins
emportée par ses passions ( si l'on excepte les races des mes-
salines et des mégères), se blase moins que lui, quoique
ses nerfs soient plus impressionnables et plus délicats"; mais
elle craint davantage les excès, quoiqu'elle ne les haïsse pas.
C'est qu'ils sont souvent mortels pour sa constitution. Ainsi,
les abus des jouissances d'amour peuvent déterminer des
cancers, etc., tandis que l'homme blasé tombe dans l'éner-
vaîion ou l'impuissance.
Le biasenicnt n'a lieu que sur trois organes de sensation:
1" la peau pour le tact; 2" le goût; 3° les fonctions sexuel-
les. Cependant on peut fatiguer par des excès aussi la ■v'ue,
l'ouïe et l'odorat, au point d'énerver la vigueur de ces sens.
Le sentiment moral du cœur humain peut-il se blaser ?
Ceci se rapporte plutôt à la perversion des sentiments in-
times par suite des mauvais exemples ou des habitudes cri-
minelles. D'ailleurs, la vue fréquente des atrocités endurcit
même les femmes accoutumées à faire cliàlier des esclaves
ou des nègres dans les colonies, comme ces Romaines qui
voyaient tuer les gladiateurs dans les amphithéâtres.
J.-J. ViREV.
BLASON ou ART HÉRALDIQUE, connaissance et ex-
plication méthodique des armoiries. C'est à l'amour de
la gloire, à la galanterie, passions chères à nos aïeux, et
BLASPHÈME
qui tiennent une si grande place dans notre histoire , que
la science héraldique doit son invention et ses emblèmes ;
c'est au besoin de rendre intelligibles aux yeux les gages
de l'amour et les signes de la valeur que se rapporte l'ori-
gine du blason.. Les étymologistes ne sont pas d'accord sur
ce mot. Les versions les plus vraisemblables sont celles
qui le dérivent de l'anglais 6/a5(«(7, publication, ou de l'alle-
mand blason, sonner du cor. En effet, lorsqu'un cheva-
lier se présentait â la barrière d'un tournoi, son écuycr on
son page sonnait du cor pour avertir les hérauts d'armes
de son arrivée. Ceux-ci allaient alors reconnaître les armes
du champion ; ensuite, rentrant dans l'enceinte, ils sonnaient
de la trompette jiour obtenir un moment d'attention et de
silence, et décrivaient à haute voix ses armoiries, sans
omettre le nom ou le surnom du chevalier ni les faits
d'armes à sa louange. Cette formalité remplie ( elle «'appe-
lait blasonncr), le chevalier était admis. Celui qui avait as-
sisté deux foisii un tournoi solennel était suffisamment bla-
sonné et publii-, et l'on assure ( c'est ce que nous ne garan-
tissons j»as ) qu'il pouvait alors mettre en cimier deux
trompes sur son casque.
L'origine du biasou se confond avec celle des armoiries j
car le premier qui, par de simples iignes ou hachures, ima-
gina d'exprimer les diverses couleurs des emblèmes em-
preints sur les boucliers, sur les cottes d'armes et les ban-
nières des preux, peut être considéré comme l'inventeur des
armoiries et le législateur du blason. Les principes de cette
science ont eu leur longue enfance, comme toutes les au-,
très institutions. Consacrés par l'usage et transmis par la
tradition , ce ne fut qu'après un lajis de temps considérable
que le désir d'en rendre l'interprétation fixe et plus géné-
rale les fit réunir en une espèce de code, qui eut son voca-
bulaire spécial, et devint l'une des bases de l'éducation de
la jeune noblesse. Depuis lors, il se fit des milliers d'ar-
moriaux, de registres de tournois et de carrousels, et de
méthodes héraidi(iues; et aujourd'hui encore, quoique dé-
pouillé du prestige que lui donnaient les mœurs et les pré-
jugés du temps, le blason n'a pas cessé de captiver cette
sorte d'intérêt et de curiosité qu'excitent toujours les choses
extraordinaires.
Trois éléments concourent à constituer le blason : l'éc u ,
qui repré.sentc le bouclier, les émaux (métaux, couleurs
et fourrures), et les j)ièces et meubles.
Les brisures servent à distinguer les branches d'une
môme fandlle.
Les ornements extérieurs de l'écu sont : le casque, les
lambre (juins, le cimier, la couronne, les tenants
et supports, le cri de guerre ou la devise, le man-
t e a u , les i n s i g n e s et les ordres de chevalerie.
En blasonnant, on observe de désigner d'abord le champ
de l'écu , ensuite les pièces honorables ou meubles princi-
paux, et, en dernier lieu, les autres meubles qui les char-
gent ou les accompagnent. Quoique le chef soit la première
des neuf pièces honorables, on ne le nomme qu'après tout ce
qui peut indistinctement charger l'écu , excepté dans le cas
où il se trouve des pièces on meubles brochant à la fois
sur le champ ou sur le chef : dans ce cas seulement, les
pièces brochantes sont énoncées les dernières. Laîné.
BLASPÏÎÈ^IE (en grec pXocTçrifiia). Ce mot signifiait
d'abord injure, diffamation, atteinte à la réputation. Les
Septante lui ont donné un autre sens : ils appelèrent blas-
phème l'injure contre Dieu. Les lois canoniques ont classé
le blasphème au rang des plus grands crimes, en s'apjtuyant
d'un texte de la loi des Juifs : « Tu ne prendras pas le nom
de Dieu en vain. » jMais ce texte ne s'appliquait qu'au par-
jure. Et puis, qui donc oserait suppléer à la justice divine.!*
«.La gravité du péché, dit Beccaria, dépend de l'inextri-
cable malice du cceur. Des êtres bornés ne peuvent sonder
la profondeur de cet abîme sans le secours de la révélation ;
ou trouveraient-ils une règle pour punir quand Dieu par-
BLASPBEMK
donne, panlonner quand Dieu punit? S'ils ne peuvent sans
l'olTenser se mettre en contradiction avec Dieu, s'arroger
le droit de le venger serait un sacrilège plus grand en-
coie. »
Les ordonnances des rois, comme les lois canoniques, ont
qualifié le blasphème crime capital ; elles en ont distingué
trois espèces : la première, appelée énonciation, c'est
quand en affirmant ou niant quelque chose on fait injure à
Dieu , soit qu'on lui attribue ce qui ne lui convient pas , soit
qu'on s'efforce de lui ôter ce qui lui convient ; la seconde
est le blasphème avec imprécation ou exécration contra
Dieu, en le maudissant : c'est le péché du démon et des
désespérés ; la troisième , quand on parle de Dieu et de ses
attributs avec outrage , mépris ou moquerie. Ces trois défi-
nitions ont été érigées en principe aux conférences d'Angers.
Ainsi , suivant l'esprit et la lettre des définitions canoniques,
c'était blasphémer que d'appeler une maîtresse divine, ado-
rable, et un roi divin ou tout-puissant , elle pape sa sain-
teté. Jeanne d'Arc fut déclarée coupable de blasphème au
premier chef pour avoir dit, suivant l'accusation, que Dieu,
sainte jCatherine et sainte Marguerite haïssaient les Anglais,
et que son étendard avait un caractère divin, qui assurait la
victoire aux guerriers qui le suivaient.
L'inquisition n'a été en France qu'un fléau passager, elle
n'a pu y dresser ses bûchers qu'à de rares intervalles ; mais
ses attributions impies, son code de proscription et de sang,
ont passé dans notre législation criminelle et dans nos juri-
dictions ordinaires; les parlements, les tribunaux subal-
ternes, les officialités se sont substitués aux inquisiteurs de
la foi. C'est sous le poids d'une accusation de blasphème,
dénuée de preuves et môme de vraisemblance, que le jeune
de Labarre périt sur l'échafaud, en 17G6.
La législation qui punissait le blasphème fut introduite en
France par le successeur de Charicmagne; elle avait été em-
pruntée aux Novelles de Justinien. Un capitulaire de Louis
le Débonnaire porte que les blasphémateurs du saint nom
de Dieu seront condamnés au dernier supplice par le prin-
cipal magistrat de la ville, et que celui qui, connaissant le
coupable, ne l'aura pas dénoncé sera également puni de
mort; que le magistrat qui aura négligé de poursuivre et de
faire punir le coupable encourra l'indignation du prince et
en sera responsable au jugement de Dieu. Philippe- Auguste,
dès le commencement de son règne, avait aussi publié une
ordonnance contre ceux qui auraient prononcé les mots
tête-bleu, corbleu, ventre bleu, sang bleu. Les coupa-
bles, s'ils étaient nobles, devaient être condamnés à une
amende , et à être mis dans un sac et jetés à la rivière s'ils
étaient roturiers.
Louis IX n'est donc pas l'auteur de la première loi contre
le blasphème ; il n'a fait que maintenir les ordonnances de
ses prédécesseurs. Sa mère , avant qu'il s'embarquât pour la
Palestine, avait fait écheller, nu en chemise , un orfèvre de
Saint-Césaire, accusé d'avoir juré. On plaçait alors le con-
damné sur une échelle , c'était la forme du pilori de l'é-
poque. A son retour en France , Louis IX fit publie- une
ordonnance portant que tous ceux qui proféreraient quelque
blasphème seraient marqués d'un fer chaud au front, et, en
cas de récidive, qu'ils auraient la lèvre et la langue percées
aussi d'un fer chaud. Cette ordonnance, peu de mois après
avoir été rendue, fut appliquée à un bourgeois de Paris. Il
importe de remaniuerque le pape Clément IV, par un bref
du 12 juillet 1264, en félicitant le roi de son ordonnance,
l'exhorte à modérer les i)énalités qu'elle prescrit, et de
n'imposer aux blasphémateurs condamnés que des peines
corporelles, s&m mutilation ou flétrissure des membres.
Le pape adressa les mêmes conseils au comte de Champagne,
roi dei\avarre. Louis IX, par une nouvelle ordonnance, sub-
stitua aux mutilations une amende au profit du roi, du sei-
gneur, de l'Église et du dénonciateur. Philippe le Hardi , au
parlement de l'Ascension (127'i), accorda aux juges !a fa-
283
culte de substituer les peines corporelles aux amendes pres-
crites par la dernière ordonnance de son père.
Philippe de Valois lut plus sévère que ses prédécesseurs,
et, par lettres patentes du 22 février 1347, il ordonna que
celui ou celle qui proférerait le vilain serment, ou qui dirait
des paroles injurieuses contre Dieu et la sainte Vierge , se-
rait, pour la première fois , attaché au pilori depuis prime
jusqu'à none, avec permission aux assistants de lui jeter
aux yeux des ordures , qui néanmoins ne pussent le blesser;
qu'ensuite il jeûnerait un mois au pain et à l'eau ; que pour
la seconde fois il serait remis au pilori un jour de aiarché,
où la lèvre de dessus lui serait fendue d'un fer chaud ; la
troisième fois, celle de dessous; la quatrième fois, que les
deux lèvres lui seraient coupées, et en cas de cinquième ré-
cidive, la langue entière lui serait coupée , ayù2 que doré-
navant il ne pilt dire de Dieu ni d'aucun autre. Celui
qui entendrait proférer des blasphèmes sans venir sur-le-
champ le déclarer en justice serait condamné en l'amende
de six Uvres, et, au cas qu'il ne se trouvât pas en état de
payer celte amende , tiendrait prison en jeûnant au pain et
à l'eau jusqu'à ce qu'il eût satisfait par cette pénitence à la
faute par lui commise , au lieu de ramende qu'il aurait dii
payer s'il eût été en état de le faire.
Ces pénalités furent modifiées parCharies VI, ChariesVll
et Charles VllI. Ce dernier ne pouvait cependant pas avoir
oubUé que le roi son père jurait vingt fois par jour par la
Pâque Dieu et Notre-Dame de Saint-Là. Louis XII , par
un édit du 9 mars 1510, réduisit les pénalités à l'amende et
à l'emprisonnement. Le pilori ne devait être infligé que dans
le cas de récidive. On remarque une disposition spéciale qui
assujettit aux mêmes peines les ecclésiastiques séculiers et
réguliers, qui étaient renvoyés devant les juridictions épis-
copales ; en cas de récidive , les coupables devaient être
privés de leur bénéfice.
François V renouvela ces dispositions par une ordonnance
du 30 mars 1514. Le parlement de Paris, par arrêt du
8 août 1523, condamna un ermite clerc à être conduit au
parvis Notre-Dame dans un tombereau servant à l'enlève-
ment des immondices de la ville, pour y faire amende ho-
norable, et de là au marché aux pourceaux, où il fut brûU
vif. Ce malheureux , accusé de blasphème , avait vainement
demandé, en sa qualité d'homme de clergie, à être renvoyé
devant l'autorité ecclésiastique. Le même prince, dans le rè-
glement qu'il fit pour les huit légions qu'il venait de former,
défendit « aux soldats et à tous gens de ses légions de blas-
phémer le nom de Dieu et de la sainte Vierge , à peine d'être
mis au carcan pendant six heures pour la première fois, et,
en cas de double récidive, d'avoir la langue percée d'un fer
chaud et d'être chassé des légions ».
Henri II confirma les lois de ses prédécesseurs contre le
blasphème , par une déclaration du 5 avril 1546 ; et en 1558
Maurice Plessard , portefaix , fut dénoncé au Chàtelet par le
commissaire de police de son quartier. Il avoua avoir juré
dans un accès de colère; il fut condamné à deux jours de
prison , au pain et à l'eau , et banni de la ville. La peine qui
lui fut infligée était au-dessous du minimum àe celles que
prescrivaient les ordonnances. Les juges se montrèrent alors
plus huuiains que la loi. L'année suivante, le 27 juillet 1559,
un cabarelier pour le même fait fut condamné à 16 sols
parisis d'amende. On voit que les mutilations , les flétris-
sures, la peine capitale, prescrites par tant d'ordonnances,
maintenues de règne en règne, n'étaient plus appliquées.
Trois autres ordonnances furent rendues sous le règne de
ChariesIX, qui, formé à l'école de Gondi et de Duperron,
« avoit , dit Brantôme , appris d'eux ce vice, et s'y accous-
tuma si fort qu'il tenoit que blasphémer et jurer estoit plu-
tôt une forme de parole et devis de braveté et de gentillesse
que de péché ». Aussi ce roi à tout propos répétait-il son
juron ordinaire : Par la mort Dieu ! Henri III et Henri IV,
par diverses ordonnances, modifièrent les pénalités; ils
36.
284
BLASPHEME — BLASTODERME
ne inainlinrfnt les peines corporelles que pour le cas de ré-
cidive. Mais les juges ne tenaient aucun compte de ces or-
donnances, et prononçaient arbitrairement. Le parlement
de Paris était plus que sévère Ainsi , sous l'empire de deu\
ordonnances qui ne prescrivaient qu'une amende, et l'em-
lirisonnement en cas de récidive , il condauma , le 27 jan-
vier 1.590, N. Lemesle, pour avoir blaspliémé le nom de Dieu
et de la sainte Vier:;e, à faire amende iionorable, et à avoir
la langue percée avec un fer brûlant, les dcu\ lèvres fen-
dues, et au bannissement. On cite deux autres ordonnances
de Louis XIII, des 10 novembre et 7 août 1631. Louis XIV
termine cette longue série pénale contre les jtireurs et blas-
p/iémateurs par les ordonnances de 1666 et 1681 , qui dis-
posent que « ceux qui seront convaincus d'avoir juré et
Maspliéuîé le saint nom de Dieu, de sa très-sainte mère
et de ses saints, seront condamnés pour la première fois,
h une amende; pour la deuxième, troisième et quatrième fois,
à une amende double; pour la cinquième au carcan; pour la
sixième au pilori et à avoir la lèvre supérieure coupée; en-
fin , pour la septième , la langue coupée tout juste. » Le
temps a fait justice de cette législation , qui confondait les
jurements et les actes d'impiété. De pareils faits ne sont jus-
ticiables que du tribunal de la pénitence; ils sont en dehors
du droit commun. Dufey (de l'Yonne).
BLASTE (de pXaaTÔç, germe). Le professeur Richard
appliquait le nom de blaste à toute la partie d'un embryon
susceptible de se développer. Dans ces derniers temps ,
M. Dunal , professeur de botanique à Montpellier, a étendu
la signification du mot blaste en l'appliquant à tous les corps
générateurs des végétaux , et il réunit sous ce nom commun
les bourgeons, les anthères et les ovules. Il admet
ainsi trois sortes de blastes.
BLASTÈME (de pXafftéç, germe). Leblastème, dans
le langage actuel des organogénistes , est la substance orga-
nique encore à l'état amorphe avant de s'individualiser et
d'avoir pris la forme primordiale du nouvel être, c'est-à-
dire celle du germe d'un nouvel individu. M. de Mirbel, ayant
divisé le corps embryonnaire des végétaux en deux pallies ,
s'était déjà servi du terme blastème pour désigner celle
qui comprend la radicule, la gemmule et la tigelle, l'autre
étant le corps cotylédonaire. L. Laurent.
BLASTEUX (Tissu). Lorsqu'on compare la substance
organique amorphe demi-solide, que M. Dujardin a nommée
sarcode, avec celle des autres soUdes ou tissus vivants de
l'économie animale ou végétale , on est naturellement con-
duit à lui donner le nom de solide ou de tissu primordial du
germe, et la dénomination de tissu blasteux le caractérise
exactement et le différencie du tissu muqueux de Bordeu ,
avec lequel la plupart des physiologistes l'ont confondu.
L. Laurent.
BLASTOCYSTE (de pXaaTÔç, germe, et de y-Oanç,
vessie , vésicule ) , terme d'embryogénie signifiant vésicule
du germe. Ce nom a été proposé par le traducteur du mé-
moire de M. Eauer sur la formation de l'œuf de l'espèce hu-
maine et des mammifères et du commentaire sur ce mé-
moire, pour remplacer celui de vésicule de Purkinjé, nom
qui rappelle celui de l'anatocoiste bohème qui a fait la dé-
couverte de cette vésicule.
Libre primitivement dans la masse de la matière jaune de
i'œuf, la vésicule du germe, ou le blastocyste , s'en dégage
par l'effet de l'acte fécondateur, et se place sur un point de
la surface du jaune ou vitellus, pour y devenir, dit-on, le
siège de tous les phénomènes subséquents. La sortie , ou
plutôt le déplacement de celte vésicule , détermine , selon
M. Bauer, sur le disque proligèrc une ouverture, au tra-
vers de laquelle on aperçoit le jaune de l'œuf. « Il paraît ,
dit ce savant physiologiste , que tous les œufs vrais ont
dans les prenners temps la vésicule qui a été décrite par
Purkinjé dans l'œuf de poule. J usqu'icijel'ai trouvée dans tous
les animaux, excepté dansrt'c/«no/-A j/Hcws j7/(7rts et l'ascaride
lombricoïde ; mais comme dans plusieurs insecteset annélides
elle se dérobe de très-bonne heure à l'observation , et que je
n'ai pu examiner ces entozoaires qu'une seule fois à l'état
frais, ce résultat négatif ne peut pas être considéré comme
une exception à la règle commune. Il est vraisemblable que la
vésicule du germe est la première partie de l'œuf. En ce qui
concerne les animaux inférieurs , je crois pouvoir soutenir
cela en toute assurance. Cela est également vraisemblable
pour les animaux vertébrés ; mais il est très-difficile de
constater la chose par l'observation. Dans les premiers temps,
elle est toujours située vers le milieu de l'œuf, d'où elle se
porto ensuite à sa surface. L'époque à laquelle elle se montre
à la surface de l'œuf varie considérablement ; cela se fait
de bonne heure dans les oiseaux, plus tard dans les lézards
et les serpents , et plus tardivement encore chez les écre-
\isses et les batraciens. Elle disparaît vers l'époque de la
maturité de l'œuf, sort tout à fait du vitellus (comme j'en a:
fait la remarque particulièrement sur les grenouilles), et
crève alors sans doute, puisqu'on n'en trouve plus de traces
par la suite. Dans les animaux inférieurs, cette vésicule m'a
paru être simple, formée d'une membrane unique, le plus
souvent absolument diaphane, et renfermant un liquide trans-
parent, qui contient néanmoins de très-potits granules. Chez
les oiseaux eux-mêmes, cette vésicule ne m'a offert égale-
ment qu'un feuillet, quoiqu'il semble , comme Purkinjé en a
fait aussi la remarque, que la masse qu'il avoisine soit retenue
par unemembranule. Dans les lézards et les serpents au con-
traire il y a une membrane granuleuse, obscure, qui est située
àl'inténeur d'une tunique externe, entièrement transparente.
Dans l'eau, ces deux lames se séparent, et l'interne s'affaisse
sur elle-même. La masse qui entoure la vésicule du germe
diffère presque toujours du reste de la masse du vitellus ;
ordinairement elle est moins colorée ; quelquefois elle l'est
davantage. Je dois dire que je n'ai pas pu reconnaître cette
masse environnante dans quelques œufs d'animaux infé-
rieurs; mais comme elle est très-grande dans beaucoup
d'helminthes (vers), dans des mollusques acéphales et gas-
téropodes ainsi que dans les crustacés, je ne puis m'em-
pêcher de croire qu'elle soit une partie constituante de
l'œuf vrai , d'autant plus que pendant la maturation de ce-
lui-ci elle semble subir des changements qui font qu'on ne
la reconnaît plus par la suite d'une manière distincte. Je ne
doute pas de l'existence générale d'une masse parliculière
qui entoure la vésicule du germe. Je suis moins certain des
rapports que cette masse peut avoir avec la formation du
blastoderme. »
M. Bauer compare ensuite la vésicule du germe avec l'o-
vule dans les animaux inférieurs et chez les vertébrés ovipares,
avec les mêmes parties dans les mammifères ou vertébrés
vivipares, et conclut que dans ces derniers c'est la vési-
cule du germe qui se convertit en <.'uf et devient le berceau
de l'embryon , tandis que , dans les ovipares, cette vésicule
disparaît dans WvuL L. Laurent.
BLASTODERME (de p),a'7xô;. germe, et de ôifiia,
peau, membrane : c'e?t-à-dire membrane du germe). Ce
nom, introduit dans la nomenclature de l'embryogénie par
Pander, désigne une partie de lacicrt<rjc«/e. Celle-ci est
dans le langage ordinaire la tache blanche dans laquelle le
poulet se forme. Pander y distingue deux parties : 1° un
disque rond , dans lequel se développe le fœtus , et qu'on
peut par conséquent appeler blastoderme , 1° la petite masse
située au-dessous de celte membrane, qui subit cirtaines
métamorphoses comme toutes les [)arties contenues dans
l'œuf, et que j'appellerai désormais noyau de lacicatricule.
D'après les dctcrnunations que cet auteur a données sur
le blastoderme , cette membrane est formée dans l'œuf non
couvé d'une couche de grains adhérents les uns aux autres;
son tissu est par conséquent globulineux. Mais, après que
l'œuf a été exposé à la chaleur de l'incubation , le blasto-
derme ne reste pas dans cet état de simplicité. Vers la
I
BLASTODERME — BLAYE
285
douzième lieure de Tincubatiou , il se compose de deux
lamelles tout à fait distinctes : Tune interne, plus épaisse,
grenue et opaque; Tautre* externe, plus mince, unie et
transparente. Pour les distinguer, Pander désigne la pre-
mière sous le nom àe feuillet miiqueux, et la seconde sous
celui àe feuillet séreux. Il prétend ensuite avoir constaté
par l'observation la plus minutieuse un fait qui avait écbappé
h Wolf : c'est qu'il se forme entre les deux feuillets du blas-
toderme une troisième membrane moyenne , dans laquelle
se développent les vaisseaux, et qu'il nomme membrane
vasculaire. Par l'effet des changements. que l'incubation
produit de bonne heure dans le blastoderme , et principale-
ment dans son feuillet muqueux, on aperçoit deux zones :
une intérieure , dite champ transparent, aire transpa-
rente, aire du germe; une extérieure, qu'on a nommée
champ opaque. L'aire du germe, d'abord petite, circulaire,
grandit ensuite , devient ovale, puis insensiblement pyri-
forme; enfin ses extrémités s'allongent encore; elle prend
au bout d'environ dix-huit heures la forme d'un biscuit.
La transparence de l'aire du germe permet d'apercevoir au-
dessous de lui les premiers rudiments de l'embryon, que l'o-
pacité primordiale de cette partie du blastoderme cachait
primitivement. La zone obscure ou le champ opaque du
blastoderme est partagée en deux autres zones, concentri-
ques, par un cercle blanc, qui forme la limite de la mem-
brane vasculaire, en sorte que celle-ci n'est pas aussi grande
que les. feuillets séreux et muqueux entre lesquels elle est
placée. Pander fit remarquer encore que pendant que le
blastoderme s'agrandit la membrane vasculaire s'étend pro-
portionnément , mais qu'elle est toujours dépassée par les
bords larges des feuillets séreux et muqueux.
Après avoir indiqué la composition du blastoderme et les
aspects sous lesquels il se présente, l'auteur de ces recher-
ches a cru devoir dériver de cette membrane du germetrois
sortes de plis: les uns primitifs, destinés à envelopper les
rudiments de la moelle épinière; les autres secondaires,
formant les parois de la grande cavité splanchnique ou vis-
cérale, et les troisièmes, qui par leur convergence finis-
sent par envelopper le fœtus. Ces trois sortes de plis , d'a-
bord libres, se développant progressivement, se réunissent
sur les lignes médianes. Les deux premières sortes de plis
circonscrivent le corps du nouvel individu. Les plis de la
troisième espèce formeraient les enveloppes de l'embryon.
Cette détermination très-contestable est bien loin de pa-
raître un fait positif aux yeux même de Pander, qui s'ex-
prime à ce sujet dans les termes suivants : " On peut consi-
dérer sous deux aspects différents la manière dont l'animal
vivant et ses diverses parties naissent du blastoderme : ou
ce dernier produit les germes du système nerveux et du
système sanguiu, qui se chargent ensuite de continuer l'opéra-
tion vitale, devenue alors individuelle; ou bien hii-même
forme seul le corps et les viscères de l'animal par le simple
mécanisme du plissement. Un filament délié, qui représente
la moelle épinière , s'applique à cette membrane ; et à peine
ce phénomène a-t-il lieu que le blastoderme, produisant les
premiers plis destinés à envelopper ce précieux filament et
à lui assigner sa place, jette ainsi le premier fondement du
poulet, il donne ensuite de nouveaux plis, qui, opposés
aux premiers , produisent les cavités pectorale et abdomi-
nale, avec tout ce qu'elles contiennent. Pour la troisième
fois, enfin, il jette de nouveaux plis , destinés à envelopper
le fœtus (orme par lui et tiré de sa propre substance. »
L. Laurent.
BLATIER ou BLADIER. C'est proprement celui
qui va acheter du blé dans les campagnes, pour le trans-
porter et le revendre sur les marchés des villes et gros
ijourgs. Il y avait à Paris du temps de saint Louis une
conununauté do blatiers, à qui ce prince donna des statuts.
Ceux qui composaient cette communauté furent restreints
par la suite à ne vendre des grains qu'à la petite mesure,
et furent nonunés dans les règlements revendeurs de grains,
regrattiers ou grainiers, et ceux qui avaient reçu le droit
de faire le conmaerce en grand prirent le nom de mar-
chands de grains. Ainsi le nom de blatier est resté aux
petits marchands forains, qui vont chercher le blé dans le?
campagnes , et le transportent sur les marchés de proche
en proche , jusqu'à ce qu'il soit arrivé aux lieux où il s'en
fait une grande consommation, ou bien sur le bord des ri-
vières, où ils le vendent aux marchands qui chargent pour
l'approvisionnement des grandes villes.
BLATTE (de pXdcTtTw, je nuis). Genre d'insectes or-
thoptères, dont plusieurs espèces, établies dans nos habita-
tions, y causent des dégâts considérables, dévorant les ali-
ments , le sucre , les étoffes , les cuirs , le coton , etc. Le?
blattes répandent une odeur fort désagréable ; elles sont lu-
cifuges, c'est-à-dire qu'elles fuient la lumière, et font leurs
expéditions dans le calme de la nuit. Elles ont le corps
ovale ou orbiculaire, aplati , et sont d'une très-grande agilité.
La blatte orientale ( blatta orientalis ), blatte des cui-
sines ou des greniers, est de couleur brune, comme brûlée;
ses antennes, longues et unies, surpassent d'un tiers la lon-
gueur du corps, et sont composées d'une infinité d'anneaux
courts. La tête est petite et presque entièrement cachée sous
la platine du corselet, qui est large et ovale. Les étuis, qui
ont la même couleur que le reste du corps, sont transpa-
rents, membraneux, et plus courts d'un tiers que le ventre;
du haut de chacun partent trois stries piincipales, presque
toutes trois du môme point. La femelle n'a ni étuis ni
ailes, mais seulement deux moignons au commencement
des uns et des autres. Aux deux côtés du dernier anneau
du ventre sont deux appendices vésiculaires, débordant le
ventre, longs d'une ligne, qui paraissent striés transversa-
lement, à cause des anneaux dont ils sont composés. Leurs
jambes sont velues ou épineuses. Cette variété de la blatte,
qui est la plus commune, se trouve surtout autour des che-
minées et des fours de boulangers. Sa larve se nourrit de
farine et de pâte, et occasionne un très-grand dégât, ce qui
l'a fait nommer dans beaucoup d'endroits la panetière.
On lui a donné quelquefois aussi les noms de cafard et
de béte noire.
Outre la blatte orientale, M. Guérin-Méneville a récem-
ment reconnu, parmi les animaux qui attaquent les cigares
et généralement le tabac, plusieurs autres espèces de blattes,
savoir : la blatte indienne {blatta indica), la blatte cen-
drée (blatta cinerea) et la blatte américaine (blatta
americana). Cette dernière, originaire de l'Amérique mé-
ridionale, a suivi l'homme dans tous les pays, et infeste plu-
sieurs de nos villes et presque tous nos vaisseaux. Elle est
connue plus particulièrement sous le nom de kakerlac, et à
la Havane sous celui de coucaracha. Sa voracité est telle
qu'elle ronge la peau des pieds des hommes pendant leur
sommeil; ce qui, comme le remarque M. Guérin-Méneville,
leur procure un réveil très-désagréable quand ses dents sont
arrivées au vif.
Les moyens préservatifs employés avec succès contre ces
insectes destructeurs sont les odeurs fort&s et pénétrantes ,
telles que le camphre ; les huiles acres et volatiles produisent
le même effet. Mais le procédé qui paraît le plus sur pour
détruire les blattes des cuisines consiste à prendre un peu de
suie de poêle, que l'on mêlera avec une égale quantité de
pain émié, ou avec une poignée de pois cuits, dont les
blattes sont très-friandes : cet appât est un poison pour les
blattes, ainsi que pour les grillons, et tous ceux qui en
mangent périssent presque instantanément.
BLAUDE ou BLIAUD, espèce de blouse, surtout de
grosse toile que les charretiers portent par-dessus leurs au-
tres vêtements.
BLAVET , BL.\VÉOLE. Voyez Bixet.
BLA\E, l'ancienne Blavia ou Blaventum des San-
tons , dans la Guienne, est le chef-lieu d'un anondisseinent
28G
BLAYE — BLAZE
du déparlemcut de la Gironde , et est située à trente ki-
lomètres nord-ouest de Bordeaux , sur la rive droite du
fleuve , qui en cet endroit a 4 kilomètres de largeur.
Cette ville est ancienne ; la citadelle renferme un vieux
château, où mourut le roi Caribertl", qui y fut enterré, en 574.
Elle tomba plus tard au pouvoir des Anglais, et fut reprise
parles Français en 1^39. Les calvinistes s'en emparèrent
en 15G8 , et en détruisirent toutes les églises. Elle se rangea
ensuite du côté de la Ligue, et fut assiégée par le maréchal
de Matignon, qu'un secours envoyé par les Espagnols obligea
à lever le siège. En 1814 les Anglais essayèrent inutilement
de s'en emparer; et après l'avoir assiégée pendant quelque
temps, ils se virent forcés de renoncer à leur entreprise.
C'est dans le château de Blaye que fut détenue, en 1832
et 1833, le duchesse de Derry, qui vint y terminer, en don-
nant le jour à une fille, son aventureuse entreprise en Vendée.
Blaye est divisée en deux parties : la ville basse, plus spé-
cialement habitée par le commerce et l'industrie, et la ville
haute, qui occupe la cime d'un rocher où s'élèvent quatre
grands bastions. En face de la citadelle , sur la rive opposée
de la Gironde, s'élève le fort IMédoc. Le fort du Pâté, situé
"dans une petite île au milieu du fleuve , en combinant ses
feux avec ceux de la citadefle de Blaye et du fort Médoc ,
commande et intercepte le passage de la Gironde.
Il y a à Blaye un tribunal de commerce , un tribunal de
première instance, une bourse, une société d'agriculture,
une école d'hydrographie, une station de pilotes, et une po-
pulation de 3,961 âmes. On y fait un commerce assez actif
en vins et eaux-de-vie, huile et bois ; on y construit aussi
beaucoup de navires de commerce. .
BLAZE (Famille). Elle adonné plusieurs écrivains dis-
tingués à la France contemporaine.
BLAZE (Henri-Sébastien), chef de cette famille, né
en 1763, à Cavaillon ( Yaucluse ), fut successivement avocat
au barreau de cette ville, administrateur du département
après le 9 thermidor , et notaire à Avignon. Grand amateur
de musique, il reçut ses premières leçons de piano de l'or-
ganiste de sa paroisse. Conduit à Paris pour y achever son
éducation , il y arriva juste au fort de la lutte des gluckistes
et des piccinistes. Aidé des conseils de plusieurs maîtres,
et surtout de Séjan, organiste de Saint-Sulpice, il fit de ra-
pides progrès dans la composition musicale; mais obligé de
se faire avocat et plus tard notaire, il ne put se livrera son
penchant que dans ses moments de loisir. Il écrivit pourtant
plusieurs messes à grand orchestre, d'autres avec accompa-
gnement d'orgue seulement; l'Héritage, opéra mis à l'étude
au théâtre Favart; une Sémiramis, qui né fut pas représentée
à cause de sa grande ressemblance avec un opéra de Catei,
déjà reçu.
De retour dans le midi, Blaze alla s'établir à Avignon, où
il partagea son temps entre le notariat et la musique. La
Terreur vint troubler ses plaisirs et le forcer momentané-
ment à prendre la fuite. En 1799 il fit un second voyage à
Paris, et profita de son séjour dans la capitale pour y pu-
blier quelques-unes de ses œuvres. Il s'y lia avecMéhul,
avec Grétry , dont il était enthousiaste , et qui le fit recevoir
en 1800 correspondant de la classe de l'Institut que remplace
aujourd'hui l'Académie des Beaux-Arts. Outre ses composi-
tions musicales, on lui doit un roman en deux volumes, in-
titulé Julien , ou le Prêtre, publié en 1803, à Paris. 11
mourut à Cavaillon , le 11 mai 1833.
BLAZE (Fkançois-Heniu-Joseph , dit CASTIL), son fils,
qui passe pour un théoricien musical habile, quoiqu'il soit
plutôt mosaïste et littérate'jr, naquit à Cavaillon, le l*"" dé-
cembre 1784, dans un noble, antique et vaste manoir ,
Palais-Cardinal de &oni)kve, qu'il a complaisamment décrit
dans la Revue de Paris. Destiné au barreau, il étudia le
droit dans sa jeunesse; mais il uiontrait déjà plus de goût
pour la nuisique que pour la profession d'avocat. Arrivé à
Paris en 1799, il négligea d'abord les cours de la FacuW,
pour ceux du Conservatoire, recevant de Pernc des leçons
d'harmonie après avoir achevé l'étude du solfège. Mais la
raison vint le forcer de sacrifier ses penchants à son devoir,
et il devint successivement employé , puis chef de bureau
h la préfecture de Vaucluse, et enfin inspecteur de la
librairie.
Toutes ces charges impériales n'empêchèrent pas M. Castil-
Blaze d'accueillir avec de grands transports de joie le retour
de l'antique famille des Bourbons. Ses travaux administra-
tifs lui laissaient toutefois peu de temps pour la culture de
son art favori. IL jouait de plusieurs instruments; il avait
composé bon nombrede romances, publiées depuis ; fl s'était
surtout occupé de musique dramatique. En 1818 il fit re-
présenter sur le théâtre de Nimes les Noces de Figaro,
opéra-comique en (]uatre actes d'après Beaumarchais, pa-
roles ajustées sur la musi(iue de Mozart, pièce qui depuis
fut jouée au théâtre de l'Odcon , en 182G. Efle avait paru
dès 1793 au Grand-Opéra, traduite par M. Notaris, arran-
geur bien moins habile que M. Castil-Blaze.
Le succès que cette pièce obtint tourna la tête à notre
grand homme de Cavaillon ; il renonça au barreau , à la
carrière administrative, et prit la route de Paris avec sa
femme et ses enfants. En passant à Lyon, il y fit recevoir le
Barbier de Séville , O'péTa-comique en quatre actes , d'après
Beaumarchais et le drame italien , paroles ajustées sur la
musique de Rossini, qui ne fut représenté qu'en 1821 et
repris à l'Odéon en 1824. Dès 1820 il avait fait paraître à Pa-
ris deux volumes intitulés De V Opéra en France. Homme
d'esprit, écrivain plein de verve, M. Castil-Blaze attaquait vi-
goureusement dans ce livre certains préjugés qui s'oppo-
saient en France aux progrès de la musique dramatique.
Cette œuvre remarquable lui ouvrit les portes du Journal
des Débats , où il fut admis comme rédacteur de la chro-
nique musicale. Ses articles signés XXX, tout empreints
d'originalité méridionale, fondèrent sa réputation. Il im-
posa silence au bavardage des littérateurs incompétents , et
initia rapidement le public au langage technique dont il se
servait.
En 1821 il publia ses deux volumes du Dic^jonnaire cfe
musique moderne, lambeaux de son Opéra en France,
dont il fit une seconde édition factice en 1 825. On regrette
dans cette œuvre bizarre trop d'attaques inconvenantes
contre les grands compositeurs français du dix-huitième
siècle, contre J.-J. Rousseau, entre autres, à qui l'auteur
cependant n'emprunte pas moins de 342 articles. Un cri-
tique de mérite , Charles d'Outrepont , dans un écrit inti-
tulé Jean-Jacques Rousseau à M. Castil-Blaze, prit avec
bonheur la défense du philosophe de Genève. '
En 1821, Don Juan, ou le Festin de pierre, opéra en
quatre actes d'après Molière et le drame allemand, paroles
ajustées sur la musique de Mozart par M. Castil-Blaze, fut re-
présenté à Paris, tandis que les représentations du Barbier
de Séville commençaient presque en même temps à Lyon.
M. Castil-Blaze rédigea, pendant plus de dix ans, lachrouique
de musique du Journal des Débats, adulant Rossini et les
compositeurs italiens et allemands , auxquels il devait ses
succès, mais fustigeant sans pitié Gluck, Piccini, Grétry
surtout, qui pourtant avait fait nommer son père correspon-
dant de rinstitut.
Le succès de la musique de Rossini à cette époque le
détermina à continuer ses travaux de traduction et de cou-
pure, afin de faire jouir les villes de province des œuvres
principales du Cygne de Pesaro, recueillant de ses travaux
non-seulement de la gloire, mais surtout de l'argent, et
vendant comme siennes pièces et partitions dont il n'était
pas précisément l'auteur. Après les tiois libretti que nous
avons cités vinrent la Pie voleuse, opéra en trois actes
d'après le drame de Caignez et d'Aubigny et d'après le texte
italien , paroles ajustées sur la musique de Rossini , joué
sur le théâtre de Lille en 1822 , puis h Paris au Gymnase et
BLAZE
à ro.léon; Othello, ou le More de Venise, opéra en trois
actes d'après les pièces anglaise, française, italienne, ajus-
té sur la mueiqiie de Rossini, représenté sur le grand théâtre
de Lyon en 1S23 et à l'Odéon en 1825; les Folies amou-
reuses, opéra-bouffon en trois actes, d'après Regnard, ajusté
sur de la musique de Mozart, Cimarosa, l'aër, Rossini, etc.,
représenté à Lyon en 1S23, à l'Odéon en 1825; la Fausse
Agnès , opéra-bouffon en trois actes , d'après Destouches ,
musique de Cimarosa, Rossini, ÎSIeyer-Beer , etc., représenté
au Gymnase en 1S24, puis à Lyon, et enlin à l'Odéon ; Ro-
bin des Bois, opéra-féerie en trois actes, imité du Freischut:^,
traduitpar M. Sauvage, arrangé parM. Castil-Blazesurla mu-
sique de Weber, pièce qui tomba le premier jour à l'Odéon,
y obti'nt ensuite un succès sans exemple , et fut reprife en
1S35 à rOpéra-Comiquc; la Forêt de Sénart,ou la Partie
de Chasse de Henri /l'Vpièce de Collé, réduite à trois actes,
musique de divers auteurs allemands et italiens, représentée
à l'Odéon en 182G; l'Italienne à Alger, opéra-bouffon en
quatre actes , imité de l'italien, musique de Rossini (1830) ;
Euryanthe, trois actes, d'après le livret allemand, musi(}ue
de Weber, représenté à lOpéra en 1S31. Plus tard la tra-
duction de Don Juan, retouchée par M. Henri Blaze, son
fils, et M. Emile Descliamps, obtint un grand succès à l'O-
péra. On doit en outre à ce fécond arrangeur la Marquise
deBrinvilUcrs, drame lyrique en trois actes, de M. Scribe,
composé d'une réunion de morceaux puisés dans les parti-
tions de plusieurs grands maîtres.
En 18.32, M. Castil-Blaze quittale Journal des Débats pour
le Constitutionnel, oii il séjourna peu, la question finan-
cière ne permettant pas aux. propriétaires de s'entendre
avec le critique. De là il passa à la Revue de Paris, pour
laquelle il rédigea , pendant plusieurs années , la pailie mu-
sicale, et où il fit paraître la Chapelle des rois de France
et la Danse et les Ballets depuis Bacchus jusqu'à Ta-
glioni (deux œuvres imprimées plus lard séparément), des
notices sur les compositeurs et chanteurs célèbres, une
Histoire de l'Académie Royale de Musique et une His-
toire du Piano ( 18^0 ). Déjà, en 1834, il avait commencé
à participer à la rédaction du Ménestrel, journal de mu-
sique. A la même époque il fournissait au Magasin Pitto-
resque des articles rentrant dans la même spécialité. Quand,
en 1834, Fétis chercha des collaborateurs pour sa Gazette
Musicale, le critique nomade porta ses pas vers la nouvelle
administration ; et lorsqu'en janvier 1838 la France Mu-
sicale s'éleva pour lui faire concurrence , il cessa de parti-
ciper à la rédaction de la première pour aller s'établir dans
la seconde, car nous ne comptons pas pour une infidélité
réelle sa petite excursion dans la Galerie des Artistes dra-
matiques de Paris, en 1840. Notre Dictionnaire de la
Conversation lui doit une foule d'articles sur la musique et
sur les musiciens.
M. Castil-Blaze a encore en portefeuille une Anne de
Boulen, en trois actes , d'après le drame de Romani , mu-
sique de Donizetti, et trois autres ouvrages, arrangés d'a-
près le même procédé, la Flûte enchantée, le Mariage
secret et Moïse. 11 s'est fait connaître comme compositeur
original par quelques morceaux de musique religieuse, des
quatuors de violon, et un recueil de douze romances, parmi
lesquelles on remarque le Chant des Thermopyles et la
jolie Chanson du roi René.
BLAZE (Henki), ait de Bury, fils du précédent, littérateur
singulièrement vaporeux, né à Cavaillon, en 1816, vint à Pa-
ris lorsqu'on 1819 sa famille y transporta ses pénates. Il n'a
publié que trois ou quatre volumes ; le reste de ses écrits est
éparpillé dans la Revue des Deux Mondes, dans la Revue
de Paris et dans d'autres recueils. Il avait commencé par
écrire sur la musique sous le pseudonyme de Hans Wer-
7ier. Admirateur passionné de Gœlhe, il lit plusieurs
voyages en Allemagne. En 1840 il a donné au théâtre, avec
M. Emile Deschamps , un opéra de Don Juan, qui n'est
BLE
287
autre que celui de son père refait de fond en comble. En
1841, dans un volume portant le titre prétentieux de la
Pléiade, on a imprimé de lui Rosemonde , légende. M. Bu-
loz, directeur de la Revue des D&uj; Mondes, a épousé
une sœur de M. Henri Blaze.
BLAZE (Elzéar) , frère de Castil-Blaze et oncle du pré-
cédent, l'un des théreuticographes les plus distingués de ce
siècle, ancien capitaine de l'Empire et des premières an-
nées de la Restauration, né à Cavaillon, vers 1786, s'enrôla
vers 1804, dans les vélites de la garde impériale, entra à
l'école militaire de Fontainebleau, et en sortit en 1806
comme sous-lieutenant d'infanterie. Devenu officier d'état-
major, il fit les campagnes d'Allemagne, de Pologne et d'Es-
pagne. Capitaine en 1814, il fut conservé par les Bombons
et admis dans le 6^ de ligne, qui était en garnison à
Avignon lors du retour de l'empereur de l'ile d'Elbe. Ce
régiment, après avoir hésité , s'était rallié aux aigles impé-
riales ; M. Elzéar disparut, et l'on présuma qu'il était allé re-
trouver Louis XVIII à Gand. Ce qui confirma ce bruit, c'est
qu'à la seconde Restauration il fut, dès la formation de
la garde royale, nommé capitaine dans le 1" régiment.
Ce corps en novembre 1818 était en garnison à Valen-
ciennes lors de l'évacuation du territoire français par les
troupes étrangères. La ville donna une brillante fête à la
garnison, et iM. Elzéar s'y fit remarquer parson esprit, sa voix
et de délicieux couplets de circonstance , qui lui valurent
un duel avec un noble comte , capitaine dans son régiment,
mais aussi par compensation la main d'une riche veuve.
Il donna alors sa démission, et alla habiter les propriétés de
sa femme à Chenevières-sur-I\Iarne , dont il a été longtemps
maire. Là il put se fivrer à une passion qu'il a toujours eue,
celle de la chasse , et préparer des ouvrages que le public
devait plus tard accueillir avec faveur. En 1834 il fit pa-
raître la Loterie royale dans le Livre des Cent-et-un, et
deux ans après, son premier ouvrage sur la chasse, le
Chasseur au chien d'arrêt, qui a eu cinq éditions. En
1836 il prit part à la rédaction à\x Journal des Chasseurs,
créé par Léon Bertrand , et fonda lui-même un recueil pé-
riodique avec Guyot et Debacq, intitulé l'Album des Théâ-
tres. En 1837 parurent ses deux volumes de la Vie mili-
taire sous l'Empire. A ces publications ont succédé le
Livre du roi Modus, le Chasseur aux filets, VAlmanach
des Chasseurs, le Chasseur conteur, l'Histoire du
Chien, etc., etc.
En 1840 il perdit sa première femme, âgée de soixante-
seize ans, et en épousa une autre, dont l'âge était mieux
assorti au sien. Il alla se fixer alors à Hennebon; mais il s'y
ennuya, et revint bientôt à Paris. Il est mort en octobre 1 848.
Il y eut peu de grandes chasses en France où il ne se vît
convier, et un prince allemand, ravi de ses ouvrages, l'enga-
gea en 1840 à venir chasser dans ses États. Il possédait ime
riche bibliothèque sur la chasse.
BLAZE (Sébastien), frère du précédent , ancien phar-
macien des armées, né en 1785, publia en 1828 un livre
qui eut un grand succès : ce sont les Mémoires d'un Apo-
thicaire sur la guerre d'Espagne pendant les années
1808 à 1814. Il est mort à Apt(Vaucluse), le 12 octobre 1844.
BLE. C'est surtout au froment que le nom de blé s'ap-
plique. Cependant ce nom a encore été donné à d'antres
céréales, qui pour les botanistes constituent des genres
différents. Les économistes confondent le blé dans ce qu'ils
appellent communément les g r a i n s.
L'agriculture di%ise les blés en blés d'hiver et blés de
printemps ou de mars, désignations qui rappellent le
temps des semailles des diverses espèces. Les blés d'hiver
sont le froment, \& seigle, l'épeautre, et le mélange
appelé méteil. Les blés de mars sont Vor ge, Yavoine
et quelques espèces de froment qui se sèment après les gelées.
[Il faut être pyrrhonien outré pour douter (\\i& pain
vienne de panis. Mais poui' faire du pain il faut du blé»
288
BLE - BLÉMYES
Les Gaulois avaient du blé du lemps de César, où avaient-
ils pris ce mot blé ? On prétend que c'est de bladum , mot
employé dans la latinité barbare du moyen âge par le chance-
lier Des Vignes. Mais les mots latins de ces siècles barbares
n'étaient que d'anciens mots celles ou tudesques latinisés.
iUadum venait donc de notre blead, et non pas notre blead
de bladum.
On serait curieux de savoir où les Gaulois et les Teutons
avaient trouvé du blé pour le semer. On vous répond que
les Tyriens en avaient apporté en Espagne , les Espagnols
en Gaule et les Gaulois en Germanie. Et où les Tyriens
avaient-ils pris ce blé? Chez les Grecs probablement, dont
ils l'avaient reçu en écliange de leur alphabet.
Qui avait fait ce présent aux Grecs ? C'était autrefois Gé-
rés sans doute ; et quand on a remonté à Cérès, on ne peut
guère aller plus lia ut. Il faut que Cérès soit descendue ex-
près du ciel pour nous donner du froment , du seigle , de
l'orge, etc. ]\Iais comme le crédit de Cérès, qui donna le blé
aux Grecs, et celui d'Isbeth ou Junon, qui en gratifia l'E-
gypte, est fort déchu aujourd'hui, nous restons dans l'in-
certitude sur l'origine du blé.
Sanchoniaton assure que Dagon ou Dagan, Tua des pe-
tils-fils deThaut, avait en Phénicie l'intendance du blé.
Or, son Thaut. est à peu près du temps de noire Jared. 11
résulte de là que le blé est fort ancien , et qu'il est de la
môme antiquité que l'herbe. Peut-être que ce Dagon fut le
premier qui fit du pain, mais cela n'est pas démontré. Chose
étrange! nous savons positivement que nous avons l'obli-
gation du vin à Noé, et nous ne savons pas à qui nous
devons le pain...!
Un juif m'a assuré que le blé venait de lui-même en Mé-
sopotamie , comme les pommes , les poires sauvages , les
chûtaigniers, les nèfles , dans l'Occident. Je le veux croire
jusqu'à ce que je sois sûr du contraire, car enfin il faut
bien que le blé croisse quelque part. Il est devenu la nour-
riture ordinaire et indispensable dans les plus beaux cli-
mats, et dans tout le Nord.
On prétend que les Éthiopiens se moquaient des Égyptiens
qui vivaient de pain. iMais enfin, puisque c'est notre nour-
riture principale, le blé est devenu un des plus grands ob-
jets du commerce et de la politique. On a tant écrit sur
cette matière que si un laboureur semait autant de blé pe-
sant que nous avons de volumes sur cette denrée, il pour-
rait espérer la plus ample récolte, et devenir plus riche
que ceux qui, dans leurs salons vernis et dorés, ignorent
l'excès de sa peine et de sa misère.
On dit proverbialement : « Manger son blé en herbe; être
pris comme dans un blé; crier famine sur un tas de blé. »
Mais de tous les proverbes que cette production de la na-
ture et de nos soins a fournis, il n'en est point qui mérite
plus l'attention des législateurs que celui-ci : « Ne nous
remets pas au gland quand nous avons du blé. » Cela si-
gnifie une infinité de bonnes choses, comme, par exemple :
Ne nous gouverne pas comme on gouvernait du temps d'AI-
boin, de Gondebald , de Chlodewig. Ne parle plus des lois
de Dagobert. Ne nous cite plus les miracles de saint Ama-
ble. Distingue toujours les bonnéles gens qui pensent, de la
populace qui n'est pas faite pour penser. Affaiblis peu à
peu toutes les superstitions anciennes, et n'en infroduis au-
cune nouvelle. Les lois doivent être pour fout le monde;
mais laisse chacun suivre ou rejeter à son gré ce qui ne peut
être fondé que sur un usage indifférent. Si les imbéciles
veulent encore du gland, laisse-les en manger; mais trouve
bon qu'on leur présente du pain. En un mot, ce proverbe
est excellent en mille occasions. VoLTArnE. ]
BLE (Chambre à ). Elle doit être placée dans la maison
fermière, et plutôt planchéyée que carrelée, avec des fe-
nOtres au nord et au midi que l'on puisse ouvrir et fermer
à volonté.
On ne doit «ioiinor au blé en couche dans la chambre
que 30 à 50 centimètres d'épaisseur, et l'oi doit le cribler
continuellement. On le rafraîchit ainsi par l'air nouveau qui
dissout et emporte une partie de l'humidité. Jl ne faut pas
que la main introduite dans le tas éprouve de la chaleur.
Il faut passer le blé à la pelle tous les jours en été et le
cribler tous les deux uiois. Il faut que l'hiver ail passé sur
le blé avant de le consommer. La plupart des maladies pro-
viennent d'un blé trop nouveau. Le blé humide se comprime
au moulin au lieu de se moudre, il reste attaché aux meules
et rend peu de farine. Dès que le blé est coupé et réuni en
gerbes , il faut le laisser plus ou moins longtemps sur le
champ, afin qu'il perde son humidité superflue. Il faut at-
tendre le ressuiement, et que le blé ait jeté son feu. Il de-
vient alors plus piopre à être gardé au grenier. Quand on
a battu, vanné et criblé le blé, on le remet dans la petite
paille, chaque grain se trouve alors recouvert d'une matière
sèche et lisse qui ne s'humecte pas à l'air.
Pour le préserver des charançons, il faudrait tenir la
température de la chambre à blé au-dessous de dix degrés ;
ce n'est qu'à cette chaleur que les charançons se forment.
Quelques agriculteurs, qui donnent peut-être dans le ro-
mantisme, prétendent que la bergeronnette qui se nour-
rit d'insectes à deux ailes , comme tipule , cousin , mou-
che, etc., est essentiellement destructrice des charançons à
mesure qu'ils se forment, et ils proposent d'entretenir plu-
sieurs nids de celle espèce de fauvettes dans les greniers
à blé. Comte Français ( de Nantes ).
BLÉ D'ESPAGIVE, DE TURQUIE, D'INDE. V. Mais
BLÉ MOUCHETÉ. Voyez Carie.
BLE DE VACHE. Voyez Mélabipyre.
BLÉ JVOIR. Voijez Sakrazin.
BLEGIVE, genre de plantes cryptogames , composé de
fougères à feuilles allongées, une seule fois pinnatifides, nais-
sant d'une tige ordinairement rampante ou à peine redres-
sée. Les diverses espèces de biègnes appartienMent à des
régions très-différentes , mais plus spécialement a la zone
équatoriale.
BLEICUART ou BLEICHERT, nom d'une excellente
sorte de vin du Rhin, l'Ahrwein ou vin del'Ahr, que l'on
récolte dans la vallée de l'Abr, entre Andernach et Ronn,
sur la rive gauche du Rhin. C'est un vin paillct , dont les
qualités ordinaires ont un goût de terroir. Les meilleurs
crus sont ceux d'Ahrweiler et d'Alternaar.
BLEIME, meurtrissure ou rougeur qui survient quel-
quefois à la sole ou au talon du cheval , et qui est suivie
d'épanchement de sang ou de formation de pus. On en dis-
tingue deux espèces, l'une naturelle et spontanée, l'autre
accidentelle.
La bleime naturelle et spontanée se montre sous des for-
mes diverses,qui se rapportent à cinq variétés, dont la première
prend le nom de bleime sèche, et les quatre autres se réu-
nissent sous rapj)eIlation commune de bleime encornée.
La bleime accidentelle est produite par un défaut de la
ferrure, soit que les talons bas portent sur le fer et en soient
meurtris, soit qu'un caillou s'introduise entre l'éponjie du
fer et le talon.
BLEKIIVG. C'est une des provinces les plus agréables
de laSuède, avec ses îles pittoresques et le caractère de sa
nature , moins sévère là que partout ailleurs. Ses bois s'a-
niment sans cesse du chant du rossignol. Les habitants sont
d'une belle race, et les femmes renommées dans toute la
Suède pour leurs charmes. Le chef-lieu de la province de
Bleking est Carlscrone, station de la grande flotte, dé-
fendue par deux énormes rochers qui commandent le pas-
sage et sont garnis de balteiies formidables , dont les feux
secroisent. Carlsliamn, ville commerçante, aeuunegranda
impo) tance pendant le système continental ; Soelfvitsborg\
el Ronnebij ne sont que des villages.
BLÉMYES ou BLEMMVES, ancien peuple de l'É-
Ihioiiic, sur lequel on a fait plusieurs contes, el dont on a j
BLÉMYES — BLElNNORRHAGIE
?8y
dit entre autres qu'ils étaient sans t(He et qu'ils avaient les
yeux et la bouche placés sur la poitrine. Quelques auteurs
ont trouvé la raison de cette fable dans l'habitude qu'ils
avaient de s'enfoncer la tête entre les deux épaules, qu'ils
élevaient beaucoup, et Cochard prétend que leur nom vient
dedeux mots hébreux, dont l'un signifie 7îé(;fl^Jon,pj-ir«<20?!,
et l'autre cerveau ; d'où il croit pouvoir tirer la conclusion
rigoureuse que les Blémyes étaient au moral des gens
sans cervelle et sans tête. Ce qu'il y a de certain , c'est qu'ils
habitaient les déserts voisins des frontières de l'Egypte, et
qu'ils commencèrent à se faire remarquer pendant le troi-
sième siècle de l'empire. Ils servaient en Egypte le tyran
Firmus; et Aurélien, après les avoir vaincus, les fit pa-
raître à son triomi)he. Sous Probus ils se répandirent dans
riigypte méridionale, et prirent Coptos et Ptolémaide;raais
ils furent domptés par Florus , lieutenant de l'empereur
Marcien, l'an de J.-C. 450. Edme Héueau.
BLENDE, minerai, autrement appelé sulfure de zinc;
substance de couleur jaune ou brune, très-éclatante , tendre
et lamelleuse, remarifiiable par son clivage sextuple, qui
donne pour noyau un dodécaèdre rhornboidal ; elle accom-
pagne presque constanmient la galène dans les minesi
de plomb.
BLEIVHEIM ou DLINDSHEIM , village du bailliage
d'IIochstaedt, dans le cercle bavarois de Souabe et de Neii-
bourg, qui est demeuré célèbre dans l'histoire par la victoire
que le duc de Marlborough y remporta le 13 août I7o4
sur l'armée française , dans la gnene de la succession d'Es-
pagne. Les drapeaux français pris dans cette journée , et
qui étaient demeurés suspendus dans l'église de l'endroit,
en commémoration du triomphe des armées alliées, furent
rapportés à Paris en 1805 {voyez l'article HocnsT^Dx [ Ba-
taille d']). La reine et le parlement, pour témoigner leur gra-
titude au duc de Jlarlborough , lui firent présent d'un riciie
domaine dans le comté d'Oxford , dont on changea le nom,
ainsi que celui du bourg voisin, en celui de Blenhcimiiouse.
BLENKER (Louis), révolutionnaire badois, né vers
1815. Après avoir porté les armes en Grèce, Blenker éta-
blit un commerce de vin à Worms ; mais il fit faillite. Élu
colonel de la garde bourgeoise de Worms , à la suite des
événements de 1848, il prit une part active, l'année suivante,
à la révolution du pays de Bade. A la tète d'un corps de
volontaires de la Hcsse rhénane et du Palatinat, il s'empara,
le 10 mai, de Ludwigshalen, fit prisonniers quelques offi-
ciers bavarois , et admit dans sa troupe ceux de leurs sol-
dats qui voulurent s'engager sous ses drapeaux. Le 17 mai
il se rendit maître de Worms, dégarnie de troupes ; mais, me-
nacé sur son flanc, il l'abandonna bientôt. Dans la nuit du
19 au 20 mai , il dirigea contre Landau une attaque fort
mal préparw, et échoua. Après une seconde expédition contre
Worms, le 25 mai, il retourna dans le Palatinat, laissant dans
cette ville une garnison d'environ trois cents hommes, qui en
furent chassés le lendemain par les troupes hessoises. Lors-
que les Prussiens entrèrent dans le Palatinat, il leur livra
un combat d'avant-postes près de Bobeuheim ; et après l'é-
vacuation de cette contrée, il prit part à la lutte qui se con-
tinua dans le pays de Bade. Le Polonais Twinski s'étant
retiré à Strasbourg avant le combat de Waghseusel, Blenker
prit le commandement supérieur de toute la milice du Pala-
tinat destinée à couvrir Carlsruhe et à protéger la retraite
de Mieroslawski. Peu de jours avant l'affaire de Dur-
lach, il fut chargé de la défense de Mùhlburg et de Knie-
lingen, par Becker, qui, outre le commandement de la cin-
quième division, avait reçu celui des troupes palatines du
général Sznaida. Cepondant il se retira sans en venir aux
mains. Au combat sur la Murg, il défendit l'importante
position de Gernsbach avec trois faibles bataillons de mi-
lice et deux pièces de canon. Chassé de ce poste, il se re-
plia sur Sinsheim, sans essayer de défendre les positions
d'Lbcrsteinhurg, de Baden-Baden ou d'Oos, qui couvraient
BICr. Dr. I.A CONVEItS. — T. III.
les derrières des insurgés. Sigel ayant repris le commande-
ment en chef après l'éloignement de Mieroslawski, Blenker
suivit à Donaueschingen les débris de l'armée insurgée ;
mais, par ordre de quelques membres du gouvernement
provisoire, il dut se retirer aussitôt en Suisse avec sa troupe,
Expulsé en septembre 1849 , il s'embarqua avec sa femme
pour les États-Unis. En plusieurs circonstances Blenker a
fait preuve de courage personnel ; mais il manquait des qua-
lités nécessaires à un chef militaire.
BLENIVIE on BAVEUSE, genre de poissons «le l'ordre
des acanthoptérygiens et de la famille des gobioïdes. On les
nomme ainsi à cause de la mucosité qui couvre leur corps.
Il y en a un très-grand nombre d'espèces, mais ils sont trop
petits pour servir d'aliment. Ils vivent en petites troupes le
long des rivages de la mer. Les yeux des blennies sont placés
de chaque côté de la tête, et non à la face supérieure ; leurs
ventrales ont deux rayons ; leur corps est aplati de haut en
bas, et ils n'ont qu'une seule dorsale.
BLEI\i\ORRÎIAGIE, BLOXORRHÉE (de pXtwa,
miicus , et 6-'(o , je coule ). La blcitnnrrhagie a été ainsi ap-
pelée par Swêdiaur, qui substitua avec raison ce nom à celui
degonorrhce (de yovo;, semence), employé jusque alors.
C'est une affection aiguë, caractérisée par un écoulement
nmqueux ou puriforme des parties sexuelles, écoulement
qui résulte le plus souvent d'un contact intime avec un in-
dividu déjà atteint d'une affection analogue. Cependant il est
des écoulements blennorrhagiques qui semblent tout à fait
spontanés, et qui se dt'clarentsans qu'aucune cause irritante
ait manifestement agi sur l'urètre. Ces écoulements se lient
alors à un état général , et sont sympathiques de la souf-
france d'un organe plus ou moins éloigné. C'est ainsi qu'on
a vu l'urètre devenii' tout à coup le siège d'un flux muqueux
ou puriforme pendant le travail de la dentition, et plus
souvent chez les adultes affectés de rhumatisme, de goutte,
de dyssenterie, ou qui présentent des signes d'inflammation
de quelque autre membrane muqueuse. Ces sortes de blen-
norrhagies catarrhales ont régné quelquefois épidémique-
ment. D'autres fois, la blennorrhagie reconnaît une cau.se
toute mécanique : l'introduction répétée de sondes, de
bougies, la masturbation, etc. L'ingestion de certaines sub-
stances peut produire le même effet chez des individus pré-
disposés : ainsi il paraît constant que des hommes ont eu
des blennorrhagies pour avoir bu en abondance certaines
espèces de bières. Toutefois les faits de ce genre sont ex-
cessivement rares, et la presque totalité des blennorrhagies
sont contractées dans des rapports sexuels impurs.
Tout le monde comprendra combien il serait important
de pouvoir distinguer la nature des divers écoulements. Mai.s
ce diagnostic différentiel est reconnu à peu près impossible
par les hommes les plus expérimentés. Les caractères dis-
tinctifs que quelques personnes ont cru trouver dans la cou-
leur, la consistance et l'abondance de l'écoulement , dans l»
douleur plus ou moins vive qui accompagne l'émission des
urines, dans la marche de la maladie, dans le temps plus
ou moins long qui s'écoule entre l'action qui l'a engendrée et
la manifestation de la blennorrhagie, n'ont point la valeur
qu'on leur attribue. On devra toutefois se méfier des blen-
norrhagies qui ne débutent qu'après plusieurs jours d'incu-
bation , qui .suivent pendant quelque temps une marclic
progressivement ascendante et s'accompagnent d'inflamma-
tion assez intense. On se méfiera également de celles qui se
compliquent d'accidents étrangers à la blennorrhagie simple.
Mais il n'y a dans la réunion de toutes ces circonstances
rien qui puisse caractériser une blennorrhagie d'origine vé-
nérienne.
Le traitement de la blennorrhagie varie suivant le tempé-
rament et l'état du malade. Le pins efficace des antibien-
nonhagiques est sans contredit le copah u , auquel on unit
souvent le cubèbe. Les injections d'acétate de plomb, de
.sulfate do zinc, de nitrate d'argent, etc., sont égalcmeul
37
2;)0
cmploy/'es avec sucras. Kn certains cas, les antiplilogistiqiies
sont prescrits, et dans tous le malade doit suivre un r(''gimc
sévère. Lorsqu'on se trouve atteint de cette maladie, qui,
(^tant néglig(''e, pei:t donner naissance aux accidents les plus
fâcheux, en supposant niômc qu'elle ne puisse pas dégf-nérer
en affection syjiliililique, la prudence conseille d'avoir im-
médiatemrnt recours aux soins d'un praticien éclairé.
La bleiinorr/ice n'est autre cliose que la blennorrliagie
clu-oniqne; elle peut être primitive , mais presque toujours
elle succède à l'état aigu. Cette affection est sérieuse, et ne
doit jamais être négligée. Il est fAclieux que la plupart des
malades regardent comme à peu près insignifiants les suinte-
ments qui constituent la blennorrliée. Cette sécurité a sou-
vent de déplorables résultats; car ces simples suintements,
ces gouttes, conservent parfois le caractère contagieux pen-
dant des années entières, et il est fréquent de voir des in-
dividus qui en sont atteints perpétuer l'infection dans leur
(amille. Il est impossible de lixer une époque où les écoule-
ments cessent d'être contagieux. On ne peut pas toujours se
fier aux qualités des liquides; car on voit quelquefois un
suintement muqueux, transparent, liquide, fdant, glai-
reux, avoir des propriétés contagieuses comme celui qui
est laiteux et purident.
BLÉPIIAUITE (de pxéçapov, paupière), inflammation
des paupières , qui peut être occasionnée par l'impression
brusque du froid, la suppression de la transpiration cutanée,
des piqi'ires d'abeille ou d'autres insectes, des contusions,
dos érisypèles de la face ou du derme chevelu , etc., causes
auxquelles il faut encore ajouter les scrofules, les rbuma-
tisiiies et la syphilis.
Chez le sujet atteint de bk"i>harite, les paupières sont
gonflées, luisantes , le globe de l'aiil est tout à fait recou-
vert, la paupière supérieure ne peut se soulever; en écar-
tant linférieure, le globe de l'œil est reconnu sain, mais
larmoyant. La tuméfaction œdémateuse des paupières est
d'une coloration variant du rouge pAle au rouge écarlale
et livide; elle disparaît sous la pression du doigt, comme
cela arrive partout où il y a un érysipèle simple; le malade
éprouve une sensation de chaleur gradative, et qui devient
lancinante au toucher. Des phlyctènes se forment, se crè-
vent, laissent écouler un liquide séreux, limpide ou lactes-
cent. La caroncule lacrymale, les points lacrymaux, la
conjonctive, prennent part à l'inflammation ; on voit se dé-
velopper au devant du sac lacrymal, dans le tissu cellulaire
fjui le recouvre , une tumeur qui ne communique point avec
ce conduit, et qu'on peut inciser sans donner lieu à une
lislide lacrymale, en prenant toutefois les précautions né-
cessaires pour éviter de parvenir jusqu'au sac.
Les évacuations sanguines génorales et locales, en rapport
avec la force du sujet et l'intensité phleginasique , les pédi-
liives irritants, les boi.ssons délayantes et laxatives, la
diète, constituent la base du traitement de la bicpharile.
liCs applications de sangsues doivent être faites aux tempes,
à la joue, derrière les oreilles, mais jamais aux paupières,
dont le tissu trop relâché donnerait heu à une augmen-
tation de l'épanchcment et à des ulcérations succédant aux
morsures des .sangsues. Les cataplasmes de fécule de pomme
de terre, de farine de graine de lin , etc., ne doivent jamais
être continués longtemps; ils seront h la fin rem|)lacés par
des applications astringenles, résolutives, à mesure que les
douleurs , la tension et la chaleur diminuent.
Une violente inflammation des paupières amène souvent
des abcAs, surtout à la paupière supérieure. Ces abcès doi-
vent toujours être ouverts de bonne heure , par une simple
ponction avec la lancette.
L'existence de plaques gangreneuses ne doit pas faire re-
jctiv les antiphlogisliques; mais cette grave complication
exige qu'on les combine avec les préparations de quinquina.
IILESITE. On donne le nom de blésite à ce vice de la
piuoli; par lequel sont radoucis à conlre-tomps certains mots
BLE.NNORRHAGIE — BLESSE
que l'5, le^" et le g concourent à former. Cest, an reste, |-i
manière de parler des peuples méridionaux, Espagnols, lt.>
liens. Portugais ou Brésiliens, (pii iinnrgrent chez nous. L«»
personnes dont nous parlons prononcent z'a'nne, Zulie, ;d-
ranium , Zalomon. Cette piononciation vicieuse est par-
ticulièrement familière aux jeunes enfants , dont les nuis-
cles ont encore trop peu d'énergie pour faire vibrer l'air
entre la langue et le palais. Il n'est pas non plus très-rar»*
de rencontrer des femmes délicates, et ce qu'on appelait du
temps de Condé des petites -maîtresses ( par analogie aux
pel Us-mai très qui entouraient ce grand homme à son glo-
lieux retour de Rocroi), conserver cette prononciation en-
fantine, soit dans la crainte de déformer une jolie bouche ,
soit pour mieux jouer la faiblesse et l'ingénuité. C'est un
défaut que les précieuses de Molière et les dbbés de IJour-
saiilt et de Sédaine ont accablé de ridicule, sans le corriger
entièrement. Il était assez commun dans les commence-
monts du règne effectif de Louis XIV, moins cependant
que sous les ministères de Richelieu et de Mazarin. On
avait alors la fureur de la poésie et des romans espagnols ,
tendance littéraire que la jeune reine, épouse de Louis XIV,
ne lit (pi'accroître : c'est à cette épocpie que parurent et le
Cul de Corneille et la Zaïde de madame de Lafayette. De
l'espagnol on passa bientôt à l'ittilien , que Catlierine de
Médicis avait déjà en d'autres temps mis à la mode : on
citait l'Arioste, on admirait le Ta.sse, malgré le courroux
de Boileau ; et, tout en enrichissant notre idiome, ces nou-
velles études corrompaient le langage de quelques beaux es-
prits contemporains. Alademoiselle de Scudéri, ainsi que
Ménage et Pélisson, prononçait le française! l'italien comme
Boccace et Guarini auraient pu faire. Cette petite mademoi-
selle Duplessis, dont madame de Sévigné , qu'elle ennuyait,
se moquait si agréablement aux Roc/iers, avait aussi cette
manie, qui heureusement a presque disparu de nos jours.
C'est maintenant vers l'Angleterre que nous inclinons, et
notre prononciation s'en ressent déjà. Remarquons, au reste,
que les n^èmes personnes qui substituent le s au jr et au
j ont souvent le défaut de mettre des / où il faudrait des r,
et de ne point prononcer Y h de certains mots : elles disent
décire pour déchire, et Sarles pour Charles. Voyez Jota
cisME et L\i.i.ATi()N. D"" Isidore Bourdon.
BLÉSOIS. Voyez BtAtsois.
BLESSÉ, n^ot qui, suivant Voltaire, serait dérivéde l'ao-
riste du verbe grec ^XânTO), origine au moins douteuse. Au
quinzième siècle ou écrivait blécé, comme le témoigne Bon-
nor, en 1431. Dans les siècles un peu plus anciens du moyea
âge, on ne se servait, au lieu de ces termes , que des e\-
press\ons7néhaig>ié, navré. Les bouges, les coutelas, les
mails, les masses, ont en jadis pour principale destinatioa
le massacre des blessés; cela s'appelait les achever. Le mot
blessé donne quelquefois l'idée d'éclopé, mais il s'applique
plus communément aux militaires blessés les jours d'action;
il désigne aussi quelquefois, en langage d'hôpital, des mili-
taires auxquels un événement, quel qu'il soit, a occasionmi
une blessure, ou bien qui sont affectés d'une maladie chirur-
gicale spontanément survenue.
Le nombre des blessés à la guerre se serait autrefois, s»
l'on en croit Chennevièies, qui écrivait en 1750, supputé,,
après une campagne vive , à raison d'un homme sur dix;
mais une estimation si positive n'a jamais été possible.
On a dirigé, dans le siècle passé, contre un grand prince,
une accusation bien grave, mais probablement calomnieuse :
on a prétendu que, par des procédés occultes et concertés
avec les chefs de ses hôpitaux , il dévouait à une mort cal-
culée ceux de ses blesses que la gravité de l'accident ren-
dait à jamais ou pour longtemps impropres au service. Ce
Iirince, qui suivait le culte pioleslaiil , s'imposait du moin»
des formes et un mystère qu'avait dédaignés un prince ca-
tholique et mftré. Nous voulons parler de l'évêque Vangalen,
qui, forcé de lever le siège de Groninguc en 1G72, fit éj:'^p-
BLESSI-: — HLESSINGTON
291
per sous ses yeux tous les Utesi s nue sa propre armée aban-
donnait sur le clianip de bataille.
Henri IV a laissé d'autres souvenirs : depuis son règne,
les soldais estropiés ont trouve secours et asile. Ils n'étaient
|>as réduits, après leur gnérison, à solliciter, comme on
d'autres milices, la laveur de mendier par brevet. Henri 1\'
a fait faire un grand pas à l'adminisfrafion militaire en
créant les ambulances. Louis XIV a institué lliôtel des
Invalides. Cet établissement n'a pas été fermé de nos jours
aux mutilés (pii ont survécu à Waterloo.
A la guerre, les premiers secours sont administrés aux
blessés par le cliirurgien-major du corps, par les officiers de
santé des ambulances volantes, par les cliiriupens des am-
bulances ordinaires. A cet effet, les uns et les autres doivent
être accompagnés de caissons d'ambidance, et pourvus des
appareils nécessaires. Les commissaires des guerres étaient
cliarg;''s d'y veiller ; cette fonction de surveillance est main-
tenant confiée aux officiers d'intendance.
La disposition où sont les soldats d'abreuver de liqueurs
spiritueuses leurs camarades blessés et laissés sur le cliamp
de bataille est cliaritable dans ses motifs et pernicieuse par
ses effets, car leau-de-vie allume en eux une fièvre sou-
vent mortelle.
Des règlements et dilfércnts ordres du jour ont défendu
aux soldats de (piitter la combat pour transporter les blessés.
Ces! une pensée sage et surannée, renfermée dans un ordre
ridicule et barbare.
La formalité des billets d'entrée à l'bôpital étant incom-
patible, les jours d'action , avec la promptitude des secours
que réclame l'état des blessés, ils sont admis aux bôpitaux
sur le vu de leurs blessures; mais, dans l'intérêt de l'état
civil, non moins que dans l'intérêt de l'administration des
corps, il doit être pris par les administrateurs et les cbi-
rurgiens d'hôpitaux toutes les mesures propres à suppléer
les renseignements qu'eût procurés un billet d'entrée, et à
constater les noms, le corps, etc., du malade entrant. Un cas
de capitulation conclue à l'issue d'un siège , les soins que
réclame l'état des blessés, des jambes de bois, des estropiés,
la quantité d'officiers de santé et d'infirmiers laissés près
d'eux , le nombre des chariots couverts destinés au trans-
port des hommes incapables de marcher, doivent être l'objet
de conventions et d'arrangements soigneusement débattus.
Une loi de lan III (14 fructidor) voulait que les blessés
pniisaut devant les postes ou sentinelles y reçussent le salut
du peut d'arme. Ce genre d'honneurs n'a pas été maintenu
et ne pouvait l'être, puisqu'il oùt fallu, pour «lue la dispo-
sition fi'it raisonnable, qu'un signe <listinctif annonçât que
les blessures étaient du fait de. l'ennemi.
Dans plus d'une milice, la manière d'administrer à la
guerre les premiers soins aux blessés est restée une des
parties les moins avancées de l'art militaire. A la bataille de
Francfort-sur-l'Oder, dans la guêtre de 175G, le major prus-
sien Kleist, renversé par deux blessures, et dépouillé par
les maraudeurs, resta nu sur le champ de bataille et s'y dé-
battit pendant vingt-quatre heures , au milieu de quehpies
aumônes jetées par des cosaques que sa position avait émus
de pitié. Poète célèbre, il justifia le lendemain ce vers d'une
de ses odes : Peut-être , un jour, mourral-je pour la
put rie! Les universités voisines accoururent relever et ho-
uoier son cadavre.
Le sort des blessés sur le champ de bataille , le dépouil-
lement, les mutilations qui les y attendent, les insultes
qu'ils ont à redouter des coureurs, les améliorations vaine-
ment proposées, ont été exposés par Colombier (1772),
par Saucassini , et décrits dans la relation de la bataille
tl'.\iisterlitz {Journal des Sciences milllaires, tome XXII,
p. 227) , où aprè.s quaiante-huit heures les blessés n'étaient
' pas encore pansés; les amputés de Smolensk, quinze jours
après l'action n'étaient pas encore tous relevés du cliamp
de bataille. Le général Philippe de Ségur {'l'^ octobre 1812)
a peint ce malheureux qui , privé de deux cuisses à Boro-
dino, et se traînant sur un lit de cadavres, avait vécu de-
puis cinquante jours sans secours d'aucune espèce. 11 s'est
vu de nos jours mille événements aussi inouïs que les faits
rapportés par Feuquerolles dans Y Encyclopédie Métho-
dique , mais il ne s'est jamais tracé de peinture plus atten-
drissante que celle d'un guerrier qui se réveille nuet aveugle
sur un champ de bataille abandonné et silencieux. On ne
pourrait y comparer que le récit des aventures d'un soldat
( Sy'vain Dubois) devenu sourd-muet sur le champ de ba-
ti.îlle de Leipxig : le récit s'en trouve dans le Spectateur
vtiittaire, VI' volume, 31' livraison. G* Uardin.
BLESSEBOIS (Pierue-Cokneille de), écrivain du dix-
septième siècle dont les ouvrages, très-peu dignes d'estime
à tous égards, ont acquis auprès^ des bibliomanes une valeur
extraordinaire. Ce que l'on sait sur le compte de ce per-
sonnage se borne à ce qu'il en dit lui-môme. Originaire de
la Normandie, son inconduite l'amena à se réfugier en Hol-
lande. Ch. Nodier, dont la vive imagination aimait les pa-
radoxes, a voulu établir que Blessebois n'avait jamais existé,
si ce n'est sur des fiontispices de livres, et que c'était un
pseudonyme adopté par quelque auteur de l'épotiue. Un pri-
vilège accordé à M. de Corneille de Blessebois pour l'impres-
sion d'une tragédie publiée en 1C75 à Chàtil Ion-su r-Seine
atteste cependant la réalité de l'individu. Deux genres
d'ouvrages très-différents ont paru sous ce nom : des tragé-
dies morales, même dévotes, dans le goût des anciens mys-
tères, ayant pour, sujets : les Soitpirs deSifroi,ou l'Inno-
cence reconnue; la Victoire de la glorieuse sainte Reine
sur le tiran Olibrius ; ôcs poésies libres réunies sous le
nom d'Œuvres Satyriques, et dont les exemplaires, plus ou
moins incomplets, toujours très-rares ( ils ne le seront ja-
mais assez), se sont parfois élevés dans les ventes publiques
à Paris jusqu'au prix de quatre à cinq cents francs. Divers
bibliographes ont discuté avec grand détail , sans réussir à
se mettre d'accord, les questions qui se présentent à l'égard
de ce problématique et très-peu recommandable auteur;
nou6-même avons entrepris quelques recherches spéciales ,
mais nous les condamnons à l'oubh ; car il faut bien , se-
lon la judicieuse remarque de Ch. Nodier, laisser quelque
chose à faire aux heureux désœuvrés qui ont assez de temps
pour s'occuper de Blessebois et assez peu de solidité d'esprit
pour s'imaginer que,, de toutes les questions dans l'étude
desquelles on peut user sa vie, il n'y en a point de plus utile
et de plus raisonnable. Gustave Br.u.xET.
BLESSIXGTOIV (Margueuite POAVliR, comtesse de),
Irlandaise célèbre par la grâce, la finesse et l'éléi^ance
de son esprit, naquit le 1'^'' septembre 17S9, à Curraglieen,
dans le comté de Waterfoi-d, qu'habitait son père, Edmond
l-o\ver. Elle avait à peine quinze ans lorsqu'elle épousa le
capitaine Léger Farraer, et elle était déjà veuve en 1817.
Unie en secondes noces, l'année suivante, à Charles-John
(iardiner, comte de Blessington, elle fut introduite par lui
dans le grand monde, où elle ne tarda pas à se faire un nom.
Us entreprirent ensemble plusieurs voyages sur le continent,
et réunirent partout, comme à Londres, la société la plus
biillante et la plus choisie. A Gênes elle se lia d'une inti-
mité tout intellectuelle avec lord Byron, et séjourna à Pa-
ris jusqu'en 1829, époque où son mari y mourut.
Ce dernier lui ayant laissé une fortune considérable, elle
put se livrer sans contrainte à ses penchants littéraires, et
fréquenta les cercles aristocratiques, qu'elle a surtout peints
dans ses romans. Elle-même tenait sa petite cour souve-
raine dans l'hôtel patrimonial de son dernier époux, à Gore-
Ilouse, dans Kensington, bourg du West-Eud de Londres.
Ses célèbres soirées littéraires étaient fréquentées (lar tous
les contemporains anglais en renom, Dickens, Bulwer, etc.,
par le comte d'Orsay et par beaucoup d'auires étrangers à
la mode. Elle était liée avec tous les membres de la famille
Bonaparte. Ou lu vit arriver en toute hâte à Paris à la non-
2^2
velle «le l'nvénenicnt à la présidciu-e «lu prince Louis-Napo-
léon et louer un liôîcl près «le l'Elysée. C'est là qu'elle est
morte, le 4 juin 1849.
Durant l'exposition universelle de Londres de 1S51 , le
célèbre cuisinier français Soyer eut l'heureuse idée d'éta-
blir ses fourneaux et ses somptueux salons dans l'ancien
hôtel de lady Blessington à Gore-House. Il n'en fallut pas
davantage pour y attirer la foule des gens comme il fout ou
qui voulaient passer pour tels. Bientôt le Symposion lit fu-
reur.
I Parmi les œuvres de l'illustre Irlandaise , on remarque :
la Lanterne Magique, scènes de la métropole ( 1829 ) ; des
J'Jsqnisses de Voyage en Belgique (1832); des Pensées et
Réflexions insérées dans le ^'ew Monthly Magazine, et
MHtout ses Conversations avec lord Byron (1834). Le pé-
ché le plus grave de la société britannique y est attaqué
avec une spiiituelle et brillante audace. Depuis cette épo-
que, plusieurs romans du môme écrivain : les Confessions
d'îine Dame sur le retour (1837) ; les Partisans du Rap-
pel; les Deux Amis; les Loisirs d'une Femme en France
et en Italie (1840); la Gouvernante (1840); les Vic-
times de la Société (1837) ; les Confessions d'un Gentle-
man sur le retour ; le Flâneur en France ; le Flâneur
en Italie; la Loterie de la Vie; Mercdilh ; Strathern ;
Marmaduke-Uerbert ; les Mémoires d'une Femme de
chambre ; Country-Quaters, et beaucoup d'articles dans les
magazines et les revues, témoignent à la fols de la fécon-
dité de lady Blessington et de celte inspiration contraire
aux hal)itudcs puritaines de la société britannique que nous
avons déjà signalée. La dissidence qui exista toujours entre
elle et la haute société britannique «;xplique, si elle ne jus-
tifie pas, l'espèce d'injustice dont elle fut la victime; les cri-
tiques anglais pailaient d'elle rarement , et la place subal-
terne qu'ils semblaient lui assigner parmi les romancières
de troisième ou quatrième ordre était tout à fait indigne de
l'élégance sans affectation et de l'ingénieuse nouveauté d'ob-
servation et de style qui distinguent ses écrits. Malgré la
position isolée que s'était faite à Londres lady Blessington ,
et l'opposition constante dont elle s'était armée contre les
conventions sociales du pays le plus rigide sous ce rapport,
ses soirées , comme on l'a dit , furent constamment très-
suivies. Comme talent, on doit reconnaître chez elle plus de
finesse et de grilce que chez mistriss Trollop, un goût plus
pur que celui de lady Morgan, l'absence de ce pédantisnie
subtil et statistique qu'on peut reprocher à miss Martineau ;
et, en dépit de la résistance opposée par la société anglaise
aux progrès de sa réputation , le nom de lady Blessington
nous semble devoir se placer avec honneur |)armi les noms
littéraires de l'Angleterre au dix-neuvième siècle.
PliilarèleCu\SLES.]
BLESSURE. Ce mot dans le langage commun est sy-
nonyme (le plaie; mais envisagé sous le point de vue de
la médecine h'gale , il s'applique à tous les désordres occa-
sionnés dans les organes par des agents extérieurs ; ainsi, les
brûlures, les contusions, les fractures, les luxations, .sont
des blessures aussi bien que les incisions et les piqûres. Infini-
ment variées dans leurs degrés de gravité comme dans
leurs formes ; les blessures peuvent être légères, dangereuses
ou mortelles : celles-ci sont distinguées en blessures mortel-
les de nécessité, et en celles qui ne le sont que par acci-
dent. On conçoit combien cette appréciation exige de science
et de jugement, suilout si l'on considère que des décisions
«le l'expert dépend la comlanmation ou l'absolution de l'ac-
cusé , innocent ou coupable.
D'après le Code pénal fiançais, l'auteur de blessures vo-
lontaires avec piénu'ditalion on guet-apens, et qui entraînent
une inciipacitti de travail de plus de vingt jours, est passible
de la j)eine des travaux forcés à temps (art. 310) ; les mêmes
blessures commis<!s volontairement, mais sans pninédita-
tJun , entraînent seulement la rétlusion (art. 300); lorsque
BLESSIISGTOIN — BLÉTIE
les blessures n'entraînent pas une incapacité de travail de
plus de vingt jours, elles sont punies dans le cas de pré-
méditation ou de guet-apens, d'un empiisonnement de deux
à cinq ans, et d'une amende de 50 à 500 fr. (art. 311 ); et
dans le cas où la préméditation n'existe pas, d'un empri-
.sonnement d'un mois à deux ans, et d'une amende de 10
à 200 fr. (même article); les blessures ou les coups résul-
tant de défaut d'adresse ou de précaution sont punis d'un
emprisonnement de six jours à deux mois et d'une amende
de 16 à 100 fr. (ait. 320). Il est des circonstances acces-
soires qui aggravent ou atténuent la peine. Ainsi toutes ces
peines sont augmentées d'un degré , à l'exception de celle
des travaux forcés à perpétuité, quand les blessures ont été
commises sur la personne d'un ascendant. D"" Forget.
Lorsqu'un accident fait craindre ou produit la mort du
fœtus pendant la grossesse, on dit que la mère s'est
blessée ( voyez Avoî;temlnt). Yulgairenient aussi on appelle
blessure les pertes de sang qui surviennent pendant la Â
grossesse. f
Au moral, les blessures sont une atteinte profonde poitée
à l'homme, soit dans ses afiections les plus tendres, soit
dans ses sentiments les plus délicats : on en guérit sans
doute , mais il est rare qu'il n'en reste pas quelque trace.
Un père reçoit une cruelle blessure de la mauvaise conduite
de ses enfants, surtout lorsqu'elle devient publique; le cœur
d'une mère saigne si sa fille bien aimée ne récompense tous
ses soins que par l'ingratitude la plus noire. Après des sa-
crifices sans nombre et des promesses sacrées, celle «pie
nous aimons nous trompe-t-elle , c'est une blessure qui ne
se referme plus. On se console des perles d'argent au
moyen de certaines privations qu'on s'impose , l'élude pro-
cure quelquefois des instants délicieux à l'ambition trompée
ou déchue ; mais il est des blessures que tout aigrit , la so-
ciété comme la solitude, parce qu'on man(jue de force pour
s'isoler de ses souvenirs. Aux époques où tous les rangs
entrent en rivalité , les plus terribles blessures sont celles
que l'on fait à l'amour-proprc ; alors ce n'est pas une per-
sonne, une famille que l'on d('sole, c'est souvent une classe
entière ; mais la vengeance voit tôt ou tard se lever le jour
de son triomphe , et elle est impitoyable , parce qu'elle
mesure ses coups à la longueur de ses .souffrances. Dans les
capitales, où l'on ne se rencontre qu'en passant, on est
froissé dans son amour-propre; c'est une sensation pénible,
sans doute, mais on l'oublie vile au milieu du tourbillon qui
emporte tout. Dans les petites villes , au contraire, comme le
rapprochement est contiimel, les rivalités sont toujours
en présence, c'est à désespérer l'amour-propre, que de part
et d'autre on prend sans cesse pour point de mire , car
l'on se connaît trop bien pour ne pas frapper juste, et tout
coup occasionne une blessure. Saint-I'rosi-eu.
BLET, BLETTE, ces mots se disent d'un fruit de-
venu mou par excès de maturité. Quelques fruits , connue
les nèfles, les alises, ne se mangent «ju'en cet éta!.
D'autres, comme les poires, sont encore mangeables lorsqu'ils
sont blets; enfin la plupart, comme les ponunes, acquièrent
alors «Jes propriétés repoussantes.
BLÈTE (en latin blituni) est un genre de la famille
des atriplicées et delà monandriedigynie, qui renferme des
herbes annuelles qui croissent en Europe et «lans les régions
fem|)érées de l'Asie. On emploie «;n médecine comme émol-
licnt le blitum capitatum , dont les fleurs, ramas.sées en
pelotons tout le long de la plante, deviennent en mûrissant
d'une couleur rouge qui fait ressembler chaque peloton à
une fraise.
BLÉTERIE (La). Voyez La Bléterie.
BLÉTIE, genre de la famille des «)rcbidées, tribu des
épidendrées, dont les espèces sontas.se/. nombreuses. Ce
sont des plantes herbacées et terreslies , à racine tubéri-
fonne et renflée, à feuilles allongées, ensiformes et plissécs
suivant loin longueur. Les fleurs, ordinaiiemcnt disposées
J
BLÉTIE — BLEU
3&3
en grappe simple ou rameuse , sont quelquefois de couleur
très-vive , et dans quelques-unes elles sout fort belles.
Une vingtaine d'espèces composent le genre blette ; pres-
que toutes sont originaires du Pérou ou du ISIexique; un
petit nombre croissent aux îles australes d'Afrique.
BLETTE. Voyez Poiuée.
BLEU. Cette couleur si douce à l'œil est une de celles
dont la nature aime le plus à revêtir ses productions. L'at-
mosphère lui emprunte ses nuances délicates , la mer ses
reliefs inconstants , l'arc-en-ciel quelques-unes de ses har-
monies, lille donne à plusieurs minéraux un brillant qui les
fait rechercher; nous l'admirons dans un grand nombre de
(leurs, dans les |)lumes des oiseaux, les écailles des pois-
sons, les ailes et la tunique des insectes, les coquilles des
mollus(pies. Mais l'homme exclusif voudrait l'engendrer à
volonté , et il cherche avec fureur un dahlia bleu , une
rose bleue! Elle se montre souvent dans l'iris de l'œil hu-
main , et y caractérise ou une bonté touchante ou l'instmct
des molles voluptés. Dans l'œil de quelques animaux, et prin-
cipalement parmi les espèces du genre /élis, elle prend au
contraire un éclat menaçant. Les peintres ont peine à re-
produire sa grâce lorsqu'elle court en rameaux déliés sous
une peau transparente. Les médecins redoutent son appari-
tion sur la face humaine, comme un symptôme de souf-
france et de mort. Les sociétés et les partis en ont fait un
signe de ralliement. On en a fait reml)lème de la constance,
de la tendresse. H n'est pas jusqu'à la cuisine où son nom
ne soit en honneur. Enfin , son emploi pour l'embellissement
de nos demeures et de nos vêlements , son extraciion de ses
gangues naturelles et sa production par des agents chimi-
ques , constituent des branches intéressantes de la techno-
logie.
Le bleu est une couleur simple , un des sept principaux
rayons du spectre solaire. Quoique parmi toutes les
couleurs, dont la réunion forme la lumière blanche, les rayons
bleus ne soient pas les plus rél'rangibles , ils ont cependant
la propriété particulière d'être rélléchis de préférence à tous
les autres par la seule résistance mécanique des molécules
des corps qui peuvent transmettre la lumière. On remanjue
ce phénomène dans les grandes masses de fluides trans-
parents comme l'air et l'eau ; dans les corps opaques de
petite dimension demi-transparents, comme les opales;
enfin dans les corps opaques, blancs ou colorés,. réduits eu
lamelles très-minces , comme la peau ou l'ivoire. Mêlée au
jaune , elle engendre le vert ; alliée au rouge, elle forme le
violet. Peu de couleurs ont autant de nuances, depuis l'a-
zur le plus tendre jusqu'au bleu presque noir.
C'est au mélange des vapeurs d'eau avec l'air que le ciel
doit sa couleur bleue. La teinte varie avec la nalute et la
densité des vapeurs; et moins il y en a de suspendues dans
l'atmosphère, plus elle se fonce. Aux yeux du voyageur
((ui s'élève dans une montagne , le bleu du ciel va se rem-
brunissant, et le firmament a paru noir aux observateurs qui
sont i>arvenus sur les plus hautes souiuiités du globe. C'est
aussi par suite de la moindre quantité de vapeurs que dans
les pays méridionaux et dans les saisons chaudes le ciel
paraît bien plus bleu que dans les pays septentrionaux et
pendant les saisons (roides ou humides.
Les eaux limpides, lorsqu'elles ont assez de profondeur
po\u' que la réfîexifta du fond n'altère pas leur couleur, of-
frent une belle teinte bleue, que les poètes ont célébrée dans
leurs chants. Mais le plus souvent le miroitement de la sur-
face masque complètement la couleur intérieure. Cette cou-
k'ur est plus sombre que celle du ciel, parce qu'elle n'est
pas mêlée de lunnère Islanche. Ainsi le l\liône, à sa sortie
du lac de Genève, ressemble à une forte teinture d'indigo.
On peut également citer l'eau rassemblée dans les crevasses
des placiers, et smloutla fameuse grotte de Caprée.
I.a couleur bleue dans le règne minéral a ))0ur base un
petit nombrede corps; les minéraux la doivent presque lous
au fer, au cuivre el au sodium. Les arts rempruntent soit iit
ces métaux, soit au cobalt , au molybdène, au bismuth.
Son origine est moins connue dans les végétaux. Elle pa-
rait se former soit par la combinaison d'une substance par-
ticulière incolore avec l'oxygène de l'air, comme dans l'in-
digo et le pastel , soit par laction d'un alcali qui neutralise
un acide libre sous lequel était masquée la couleur bleue ,
comme dans le tournesol. A ce dernier mode de formation
on peut rapporter certains huits qui passent du rouge au
bleu en mûrissant, c'est-à-dire à mesure que la quantité
d'acile libre diminue. D'après ces faits , quelques chimistes
disent que le bleu des végétaux est une couleur désoxydée.
On trouve cette couleur principalement dans les feuilles ,
les fleurs et les fruits , quelquefois dans le bois et l'écorce,
et très-rarement dans les racines. Les couleurs bleues végé-
tales sont plus communes dans les pays méridionaux que
dans le Nord.
On ignore quelle opération organique amène des nuances
bleues plus ou moins vives à la surfoce de certaines parties
des animaux. Sur le corps humain, la présence du bleu
caractérise presque toujours un état de maladie. Il en est
une qui a reçu spécialement le nom de maladie blette
ou ictère bleu. Tout le monde sait que la mort causée par
asphyxie, par strangulation ou par l'action de poisons nar-
cotiques , laisse sur le corps humain une teinte bleue hor-
rible. On a pu remarquer aussi que dans les affections ca-
tarrhales les accès de toux amènent sur la face un bleu pas-
sagei'. Enfin , dans cette maladie dont le cours torrentueux
a dans ces derniers temps balayé tant d'hommes de la
surface du globe, une période, la plus terrible, est deve-
nue célèbre sous le nom de choléra bleu.
On a fait du noir le signe du deuil, le signe de la mort,
mais certes le bleu aurait plus de droits à ce triste privilège.
Voyez dans les végétaux la mort, la décomposition, produire
la coideur bleue : témoin l'indigo, le pastel. La fleur de l'a-
conit est bleue. De la décomposition des matières animales
naît le cyanogène, élément du bleu de l'russe.Dans
les animaux, dans l'homme, le bleu est en quelque sorte la
condition et le cachet du trépas. Et si nous considérons la
vie sociale des hommes, n'a-t-il pas aussi trop souvent
rempli de fatales fonctions? Tantôt il colore l'étendard bleu
qui conduit les nations au combat, tantôt l'uniforme qui
désigne leurs soldats aux coups de l'ennemi. « Les bleus!
les bleus! » c'était le cri des chouans quand ils aperce-
vaient les citoyens de la république ou les soldats de Louis-
l^hilippe. Malheur au bleu qui s'écartait un instant du gros
des bataillons! il périssait sous les coups d'iKUiunes qui lui
auraient tendu une main amie et hospitalière si la couleur
de son vêtement eût été différente!
Le bleu, il taut le dire, n'est pas toujoiirs consacré à
ces cruels usages. Dans les solennités religieuses, il ras-
semble sous sa bannière de beaux essaims déjeunes filles
ou de pacifiques processions de pénitents. Le bleu fait par-
tie de notre drapeau tricolore. L'écharpe des officiers de
paix est bleue. La livrée des Bourbons de la branche abiéo
était bleue. Le cordon bleu éta't l'insigne de l'ordre du
Saint-Esprit. Pour récompenser une cuisinière savante en
son art, on la nomme encore un cordon bleu {voyez Coii-
don). Une secte un instant fameuse, aujourd'hui presque
oubliée, mais dont les apôtres , qui regardaient fort bien ce
monde comme leur royaume, ne manquent pas. Dieu merci,
dans nos administrations, avait arboré le bleu pour la cou-
leur de ses vêlements symbolicpies.
Les femmes savent merveilleusement en accommoder
toutes les nuances aux besoins de leur teint ou de leur
âge. Qu'une peau blanche lessort avec avantage dans une
robe ou sous un chapeau bleu ! Mais qu'elles se gardent
bien de chausser les bas bleu»! car c'est sous le nom de
bas bleus que les Anglais désignent ces coteries de femmes
qui asuiient à régenter la liîléralure, coteries où l'on prend
2fl4
BLEU
BLEU Dl- PBUSSE
la prf^tcntion pour dti savoir, la pédanterie pour du bon
jîoùt. Lord Hyroii les a fouettées en Angleterre de son vers
aicliilociuicn, et Molière les a monétisées en France sous
li's titres célèbres (le Prccieuses ridicules et de Femmes
sdiTintes. Avant eux déjà, Juvénal s'était pris d'indignation
contre un travers cpii dé[)lacc les conditions de la vie so-
ciale , en Atanl aux femmes les vrais organes de leur in-
lluencc, la modestie et l'amabilité.
AiMès les grands noms <pie je viens d'invoquer, le tien,
6 l?nllat-.Savarin, a tlroit encore h l'attention des lecteurs.
Que n'ai-je ton génie pour clianter la gloire du bleu culi-
naire et pour dire comment la truite du lac d.; Genève et
le broclu't du lUiône , après avoir bouilli dans nos vins
blancs de France, an milieu des épiées de l'Inde et des Mo-
Inques, peuvent satisfaire les exigences du palais le plus
délicat et le plus aristocratique! Ton livre vivra autant que
la goiM'mandisc, autant «pie la civilisation des liommes.
l"aut-il (pie la postérité puisse lui reproclicr d'avoir omis,
jKirmi les moyens de victoire que la natine et l'art mettent
«ux mains de nos bommes d'État dans les luttes parlcmen-
1a-res, le poisson au bleu! A. Des Geni;m;z.
illLEU (lleuve). Voi/ez Yanc-tsé-Ki.vng et Nil.
lîLIùU ( .Mettre au). Dans le blancliissage, on appelle
ainsi l'opération qui consiste à faire passer le linge lavé dans
une ean tenant (lu bleu en suspension de façon à lui donner
»uje petite teinte azurt^e, qui le fait paraître d'un blanc plus
pur. L'industrie est encore à la recbercbe d'une substance
1 lieue économi(pie se rcpartissant facilement et également
<lans une certaine masse d'eau. Souvent, en effet, la matière
colorante tombe au fond du bassin ou reste en quantité dans
certaines parties du liquide, et le linge qu'on y plonge en
sort taciié. L'indigo, le bleu de Prusse, dissous au moyen de
l'acide muriatiqne, sont les substances le plus géntSralement
employées pour la mise au bleu, soit en boule, soit à l'état
liquide.
BLEU DE BERLIN. Voyez Bleu de Ptiusse.
BLEU DE COBALT. Le bleu de cobalt est une des
ricliesses (pie la cliimie a livrées aux arts de coloration.
■N'au(pielin avait reinar(|ué que les oxydes et les sels de
cobalt soumis à une douce cbaleur prenaient une teinte
l)leiie très-brillante. M. Tbénard, poussant plus loin cette
observation , parvint à f.d)ri(|ucr un bleu qui pendant iong-
leuq)s a tenu lieu aux peintres du bleu d'outren.ier. 11
l'obtenait en calcinant légèrement de l'arséniate ou du
jibospliate de cobalt avec do l'alumine; on l'a rendu plus
motîlleux en remplaçant l'alumine par du pbos[iliate de
cliaux. Ce bleu a l'avantage de résister à tous les agents
<|ui peuvent altérer les couleurs. 11 est jtlus solide cpie l'in-
«ligo et le bleu de Prusse, plus facile à diviser que le smalt.
A\ec l'buile il se comporte coumic l'outremer, mais avec
la gomme il a moins d'intensité. On lui reprocbe de prendre
des teintes violettes, surtout aux lumières. A. Di;s Gknln ez.
BLEU DE CUIVUE, IJLIiU DL: 1M0NTaGM£. Le
riiivre est la matière colorante de plusieurs minéraux :
tels certains spinelles et ([uelques turciuoises, le bleu
de montagne, l'azur de cuivre, U'.s pierres d'Arménie.
Le bleu de montagne est l'objet d'une exploitation légn-
lièie dans un grand nombre de lieux ; on le trouve dans la
plupart des luiiies de (uiivre. Fn France, les mines de Cliessy
«'t (le IJaigori enricbissent les cabinets de minéralogie de
bwiux groupes de cristaux bleus. C'est une combinaison
d'oxyde de cuivre et d'acide carbonique, quelquefois unie
i> la silice et à la cbaux , et presque toujours mélangée de
«piaitz et de calcaire. Pour extraire la couleur des pierres,
il sulïil de les broyer à l'eau et do l(;s soumettre à une
suite de lavages et de décantations qui (inissent par entraîner
(outcs les inqiuret('s. La peinture et les aits font grand usage
<ie ce bleu, h cause de sa douce nuance cl de son bon mar-
rlié; mais il a rim-onvénient d'èlre facilement altérable et
*le passer au vert et au noir. \. Des Genevi.z.
BLEU D'EM.'VIL. Vo/jez Azrn.
BLEU DE PRUSSE ou ULFU DU BERLIN. Les
arts ne tirent du règne anima! «prune seule couleur bleue :
c'est le bleu de Prusse, matière doublement intéressante,
et par les services qu'elle rend aux arts, et par les progrès
que son «'tude a fait faire à la cliimie. On doit sa découverte
au basard. Fn 1710, un fabricant de couleurs de I5erlin ,
nommé Diesbacli, ayant jeté dans sa cour des eaux sales,
vit avec étonnemcnt se développer sur les pavés une ma-
gnilicpic couleur bleue. Il en recliercba les éléments, et par-
vint à la re|)roiiuiic. Mais il se ri'serva le secret de cette fa-
brication, et ce ne fut qu'en 1724 que l'Anglais Woodwart,
après de longues recberclies, publia un procédé qui réussit
bien, mais qu'on a beaucoup modifié depuis sous le rap-
port de l'économie et de l'avivage de la couleur. Cependant
c'est toujours en calcinant des matières animales, telles
que le sang de bœuf dessécbé, les cornes, les sabots, les
peaux, les cbiffons de laine, avec un sel de potasse et un
sel de fer, (pi'on obtient le bleu de Pi-usse. Le sang est eui-
jiioyé de préférence, à cause de la grande quantité de fer
qu'il contient. Dans cbaque atelier, on le prépare i>ar une
métbode particulière. Et qu'on ne s'étonne jias de la di-
versité des procédés : l'incertitude dans l'application t«'-
moigne ordinairement du vague de la tbéorie, et il faut
dire que, malgré des hypotbèses et des expériences nom-
breuses, les circonstances de la formation du bleu de Prusse
sont encore imparfaitement conimes. Mais si les travaux
des cbimistes n'ont pas conduit à connaître la manière dont
les éléments du bleu de Prusse se groupent entre eux, au
moins leur doit-on deux des plus belles découvertes de la
cliimie moderne, celle de l'acitle prussique par Scbeele, et
celle du cyanogène par M. Gay-Lussac. Aujourd'hui il
Cit constant «pie le bleu de Prusse est essentiellement formé
de cyanogène et «le fer combinés en diverses proportions.
L'alcali, qui est, ainsi qu'une haute température, nécessaire
à la formation du cyanogène, est enlevé ensuite par le la-
vage. Cependant, les bleus les mieux lavés retiennent tou-
jours une petite quantité de cyanure de potassiimi.
Il paraît qu'en France nous sommes encore inférieurs à
l'étranger pour les bleus de belle qualité. Presque tous nos
bleus deviennent verdàtres par la dessiccation; inconvé-
nient que n'ont pas les beaux bleus de Berlin. Au.ssi la
l'russe est-elle en possession d'en exporter de grandes
«piantilés en France, dans le Nord et en Italie; l'Angleterre
parait se suffire à elle-même et même alimenter les ateliers
d'Amérique. La consommation du bleu de Prusse est im-
mense. On l'a d'abord appli«pié sur les papiers, la peinture
à l'buile s'en est également emparée ; mais il faut éviter de
le mêler à des couleurs où entrerait la chaux , car elle le
détruirait promptement. Le beau bleu d'Angleterre nommé
platl-'tndigo n'est qu'un mélange de bleu de Prusse et de
mucilage de riz ou de quelque autre substance gommeuse.
Maintenant on emploie avec succès le bleu de Prusse à tein-
dre les étoffes de toute nature , surtout depuis la belle dé-
couverte de 31. Baimond, qui a eu l'heureuse idée défor-
mer la couleur sur l'étoffe elle-même.
Le bleu de Pnisse n'appartient pas seulement à la techno-
logie, il fait aussi pailie de l'organisation animale dans cer-
taines circonstances. Les anciens avaient remanpié (pie
l'urine a parfois une couleur bleue ; ils la désignaient .sous
le nom d'/.v/iHf'c. Fonrcroy, ayant eu occasion d'examiner
le sang d'une femme atteinte d'une affection nerveuse,
qu'accompagnaient de fréquentes et fortes convul.sions, y
trouva le bleu de Prusse. En 1824, M. Julia-Fontenelle
constata la présence du même corps dans certaines urines.
M. Fîraconnot vint après, qui attribua cette coloration à
une substance particulière, qu'à cause de ses propriétés al-
calines et colorantes il appela cijunourine. M. Mojon
plaida de nouveau pour le bleu de Prusse. Enfin la question
fut résolue en 1832 par le pharmacien Cautii , qui dixou-
vril ilatis une urine la présence siiiiuriaïu'e du I)kni de Prusse
».'t d'une substance bleue sucrée. Il reste à spécifier dans
ipieile^i cil-constances morbides et par quelle opération or-
ganique ces substances prennent naissance. A. Des Ce.nevez.
BLRU D'INDIGO. Voi/ez Indigo.
BLEU D'OUTREMER. Cette couleur, célèbre par
son emploi dans la plupart des chefs-d'œuvre de la peinture,
a reçu son nom du voyage transméditerranéen que fait pour
venir d'Asie en Europe la pierre d'où on l'extrait. Cette
pierre, les anciens la connaissaient sous le norn de sapliir,
eties minéralogistes modernes l'ont api>clée lapis-laznli .
Pour séparer la précieuse couleur de sa gangue, on broie
le lapis, on le mêle avec de la cire et des substances rési-
neuses en fusion , et l'on verse le tout <lans l'eau , oii se
dépose une poussière (pi'on al'lsne pai' plusieurs lavages, et
qin', selon son degré de ténacité, constitue diverses qualités
d'outremer. Les peintres donnent en général la préféience
à ce bleu sur tous les autres ; ils aiment le moelleux et la
vigueur de ses tons. Aussi était-ce un des plus grands ser-
vices ([ue la cliimie pût rendre aux arts que de reproduire
artilitiellement et à bas prix une couleur trop chère [lour
être beaucoup employée. Longtemps les matières nombreuses
toujours mêlées à l'outremer dans le lapis-lazuli ont donné
le change sur sa véritable composition. Vauquelin attribuait
.sa coloration à la présence du fer. Cependant , comme on
en avait trouvé plusieurs fois dans des fours à sonde, on en
était venu avec raison à penser que l'outremer pourrait
bien n'être qu'une combinaison du soufre avec le sodium,
lorsque la Société d'Encouragement, toujours prompte à
pourvoir aux besoins des arts, ouvrit, en ls'27, uu con-
cours pour la fabrication de l'outremer, et couronna M. Gui-
n)et , qui se réserva l'exploitation de sa découverte. Depuis,
MM. Gmelin, Robiquet et Persoz se sont occupés de la môme
(piestion, et en ont donné des sohrtions qui laissent peu de
chose à désirer. Essayé dans les plafonds du Louvre, l'ou-
tremer factice a offert sous le pinceau de M. Ingres des Ions
plus riches encore que celui du commerce : c'est donc un
nouveau gage d'éclat et de durée donné par la chimie aux
travaux de nos artistes. A. Des Ge.nevez.
lîLEU MARTIAL FOSSILE, ou BLEU DE PRUSSE
iN'ATll'. C'étaient les noms qu'on donnait autrefois à un
minéral qu'on appelle maintenant à meilleur droit phos-
phate de fer. Cette substance est d'un bleu foncé , quel-
quefois cristallisée , plus souvent en masses compactes , en
grains, ou terreuse et mêlée d'argile : dans ce dernier cas,
on la nomme aussi ocre bleue. On s'en sert conune couleur
d'émail. A. Des Genkvez.
RLEUES (Cendres). Voijez Cendues Ui.eues.
lîLEUES (Montagnes). Ce nom est commun à plusieurs
importantes élévations du sol, situées, par exemple, dans
l'ile de Mciville, au milieu de la mer Polaire d'Amérique;
dans l'ile des Indes occidentales dite la .lamuique, dans
les Etals-Unis de l'Amérique septentrionale, et sur la cote
orientale du continent australien.
Les montagnes Bleues de l'Amérique du Nord {Elue-
llhhjc) sont la chaîne la plus orientale des monts Apala-
ches, s'étendant depuis les sources du grand Catawba, dans
la Caroline du Nord, jusqu'à la moitié du cours de la Delà-
ware, sur les limites qui séparent la Pensylvanie du JNew-
Jersey. Leur versiint sud-est est plus abrupt, plus vivement
inanpic, que leur versant nord-ouest; et c'i Otterpik leur
sommet le plus élevé atteint une hauteur de 1300 mètres.
Voyez Ai.iEGiiANVs (Monts).
Les montagnes Bleues du continent australien , qui
.s'rlè\ent à l'extrémité occidentale de la plaine de Sidney,
entre les plateaux d'IliiwUcsbury, dans le district monta-
gneux d'Aig\le et du lluntcr, ramilicaiion septentrionale
des chaînes du l.iverpool , forment une chaîne élevée d'cn-
\iron 1000 mètres et très-escarpi'e , et bornant à l'est le
plateau de Mllnirst. Le i)csoin de cemnnmications actives
BLEU. DE PRUSSE — BLiDAIÎ i>i.',
entre Sidney et Bathurst , ce contre tle fa production des
troupeaux en Australie, a fait mieux connaître les mon-
tagnes Bleues que tout autre plateau de ce continent. Deux
routes traversent ces montagnes : l'occidentale, ou le défilé
du Mont-York, découverte en 1S13, est plus praticable
que celle de Bell , plus au nord , ainsi nommée du nom de
celui qui la découvrit en 1&22. — Ce nom de montagnes
Bleues sert quelquefois à désigner toute la chaîne qui s'é-
tend depuis le cap Howe jusqu'à Loukout.
BLEUET. Voyez Bluet.
BLEUS et VERTS (en latin Veneti et Prasini). C'é-
taient à Byzance les compagnies de conducteurs de chars
qui avaient succédé aux gladiateurs de Rome, et qui, distin-
guées par ces deux couleurs, se disputaient le prix de l'a-
dresse dans les jeux du Cirque. La capitale elle-même
s'était divisée entre les deux factions, et Justinien s'étant
déclaré pour les Bleus, le débat prit subitement un carac-
tère politique. En 532 les Verts , profitant avec habileté du
mécontentement du peuple, froissé par les exactions du
préfet du prétoire Jean et du questeur Tribonius, se révol-
tèrent, proclamèrent en plein cirque le prince Hypatius
empereur, et assiégèrent Justinien dans son palais. Celui-ci
eût péri sans le courage de Bélisaireet du gouverneur
d'^IUyrie Mundus, qui écrasèrent les révoltés, dont plus de
30,000 restèrent sur le terrain. Hypatius ayant été pris et
décapité , son coi-ps fut jeté dans le Bosphore.
BLIDAII, ville de la province d'Alger, située au pied du
petit Atlas, à 48 kilomètres sud-ouest d'Alger, jtresqu'à
l'extrémité de la Métidja. Siège d'une sous-préfecture,
d'un tribunal de première instance et de tout ce qui com-
pose un arrondissement administratif, celte ville possède
quatre belles mosquées, une église catholique, et renferme
aujourd'hui, indépendamment des indigènes, une jtopula-
tion européenne d'environ 3,071 habitants.
Sa position, à l'entrée d'une vallée profonde, à cent mè-
tres au-dessus du Mazafran et à 185 mètres au-dessus de la
mer et de tous les marais de la plaine, en fait une des
villes les plus salubres et les plus saines de la contrée. Des
eaux abondantes y alimentent de nombreuses fontaines et
arrosent les jardins et les bosquets d'orangers qui l'environ-
nent et la dérobent aux regards. L'ancienne ville n'existe
plus. Détruite par un tremblementde terre qui avait renversé
le 2 mars 1825 ses édifices les plus élevés, elle avait rem-
placé ses vieilles constructions par des maisons n'ayant en
général que des rez-de-chaussée. Ausitôt que les Français
en sont devenus maîtres , tout y a revêtu une physionomie
nouvelle. A l'enceinte en pisé , liante de quatre mètres, en
partie formée par les nnus mêmes des maisons et percée de
quatre portes communiquant par une large me prolongée
le long des nmrs, a été substituée une enceinte en maçon-
nerie flan(|uée de deux tours placées, l'une vis-à-vis du
Parc-aux-B(r'ufs , l'autre à la porte Bab-cl-Sebt. Devenus
acquéreurs des ruines de la ville arabe , des spéculateurs les
déblayèrent pour élever à leur place une ville Irançaise. De
larges rues tirées au cordeau et des maisons de deux ou
trois étages se construisiient alors comme par enchantement ;
mais l'empressement de la po[)ulation fut loin de répondre
à cette fièvre de construction, et des travaux considérables
demeurèrent inachevés. Blidah pourrait, si les fondements
semi's il celte époque sur son sol avec une exagération in-
croyable étaient terminés , renfermer plus de trente mille
âmes! aussi la solitude qui résulte d'un pareil encombren>ent
de murailles désertes et sans emploi donne àla ville un as-
pect assez triste.
Il y a cependant à Blidah des germes de richesses qui ne
demandent qu'à se développer, et qui semblent assurer soi*
avenir commercial. La nature l'a heureusement dotée. Les
eaux que l'Atlas laisse échapper dans la plaine fertilisent soo
sol , et arrosent ses massifs d'orangers et de citronniers. Lî
figuier, le cognassier, l'abricotiçr, y produisent des fruilA
290 %
cxquLs; la vigne, des raisins énormes. On peut y cultiver
avec un égal succès les produits des zones les plus tempé-
iiies et les plus chaudes. Ses montagnes recèlent à quelques
pas les riches mines de cuivre de la Jlouzaïa. Toutes les
tribus environnantes fréquentent son marché ; les importa-
tions consistent en bestiaux, chevaux et bétes de somme,
céréales, peaux, laines, chai'bon, bois à brûler, etc. On en
exporte des fers bruts, delà mercerie, de la quincaillerie,
et des tissus de coton.
Blidah est, à ce qu'on croit, l'ancienne Sîifasar, qui
figure sur V Itinéraire d'Antonin. Elle était au temps des
Romains ce qu'elle est encore aujourd'hui, tm nœud de com-
munication dans le Petit-Atlas, un point de réunion, de re-
traite ou de passage, d'une certaine valeur stratégique. Avant
d'avoir été dévastée par le tremblement de terre dont nous
afons parlé plus haut, elle était la ville des fêtes et des plaisirs.
Celait aussi le foyer d'une industrie active, utile et assez
perfectionnée. Une quinzaine de moulins à blé , de nom-
breuses tanneries et teintureries, la préparation du maroquin,
son horticulture, étaient autant de causes de richesse et
de prospérité pour sa population indigène, dont le chiffre at-
teignait 7,000 Ames. Mais lors de l'occupation française on
en comptait à peine 3,000, mélange confus de Maures,
de Juifs, de Turcs, et surtout de Nègres libres. Les Arabes
habitaient de préférence des cabanes en bois et en roseaux,
aux alentours de la ville.
La première reconnaissance dirigée du côté de Blidah
fut commandée par le général de B on r m ont, le 22 juil-
let 1S30; mais le bey de Titery, avec ses Kabyles embus-
qués , nous empêcha de rester dans la ville , dont les habi-
tants nous avaient cependant accueillis avec cordialité. Le 19
novembre 1831 un corps de 7,000 hommes, commandé
par le général Clauzel, s'avança jusqu'aux portes de Bli-
dah, que les Arabes ne livrèrent qu'après une vigoureuse
résistance. Le colonel Rulhières y fut laissé avec deux ba-
taillons et deux pièces de canon. Pendant six mois entiers ,
il résista, sans château, et avec un mur ouvert snr plusieurs
Iioints, à toutes les forces de Ben-Zamoun. Mais le général
Clauzel , craignant avec raison les sacrifices qu'exigerait
cette nouvelle occupation, y renonça, et rappela sa garni-
son. Le 20 novembre 1832 le duc de Rovigo fit marcher
contre Blidah une colonne, à l'approche de laquelle les Bli«
dicns prirent la fuite, emportant leurs richesses. La ville,
prise et pillée, fut abandonnée de nouveau.* Le général
Drouet d'Erlon, engoué de Ben-Omar, avait résolu de
l'établir à Blidah. On envoya cet équivoque représentant de
la nation française, avec un fort détachement de cavalerie,
aux Blidiens. Mais ceux-ci n'en ayant pas voulu , son es-
corte ne servit qu'à le ramener à Alger. Le 29 avril 1837
le général de Damrémont, pénétrant dans Blidah avec
trois brigades , châtiait les habitants, qui avaient envoyé os-
tensiblement une députation à Abd-el-Kader, pendant
que celui-ci cherchait à soulever la province de Titery. Les
chefs firent leur soumission. On leur prescrivit d'organiser
«ne milice urbaine , d'établir des postes de sûreté , et d'in-
terdire leur ville aux maraudeurs qui venaient sans cesse
s'y réfugier. On reconnut, dans cette excursion, le cours de
la Chiffa, Coléah, l'embouchure du Mazafran, et toute la
ligne qui marqua plus tard les limites du territoire réservé
par le honteux traité de la Tafna. Ce fut le 3 mai 1838
qu'on prit définitivement possession de Blidah, afin de com-
pléter l'occupation depuis l'Oued-Kadara jusqu'à la Chiffa.
Le maréchal 'Valée fut reçu aux portes de la ville par le
hakem de Blidah, le kaïd des Béni-Salah, et l'ancien kaïd
des Hadjoutes, qui l'accompagnèrent dans la reconnais-
sance qu'il fit autour des murs d'enceinte. Deux camps furent
établis : l'un, dit camp supérieur, à l'ouest, sur la rive
gauche du ravin , que la tradition désigne comme l'ancien
lit de rOued-Sidi-el-Kébir, et dans l'enceinte duquel a été
créé depuis le village de Joinville; l'autre, camp inférieur,
BLlD.\ii — liLIiNDAGE
à l'est et à l'entrée même des jardins couvrant la route qui
conduit du blockhaus de Méred au camp supérieur. Le vil-
lage de Montpen.sier a été fondé dans son enceinte. L'oc-
cupation de la ville ne fut effectuée que petit à petit, afin de
prévenir les accidents, les collisions avec les habitants, et
la dévastation des jardins. L'enceinte fut réparée et crénelée.
On établit un poste à la porte Bab-el-Dzair. On construisit
dans le lit de l'Oued-el-Kébir un barrage en maçonnerie, afin
d'assurer à la garnison la possession de l'eau, quillui était si
souvent disputée par l'ennemi. Les hauteurs de Mimich et
de Mesroui furent garnies de blockhaus. Enfin , d'immenses
travaux entrepris dans la ville la mirent à l'abri de toute
surprise, et les habitants, rassurés, rentrèrent peu à peu, et
reprirent avec confiance leurs travaux si longtemps inter-
rompus et qui n'ont plus été troublés.
BLIND (Charles ), révolutionnaire badois, né à Man-
heim, vers 1826. Pendant qu'il faisait ses études à Heidel-
berg , Blind avait déjà participé à tous les mouvements po-
litiques dans le sens du radicalisme le plus absolu. Au mois
d'août 1847 il fut arrêté à Neustadt-an-der-Hardt comme
coupable d'avoir répandu un pamphlet intitulé la Famine
allemande et les Princes allemands ; mais on lui rendit la
liberté au mois de novembre. Il se retira alors à i"\Ianheim,
où il prit part à la rédaction des feuilles radicales qui s'y
publiaient. Après la révolution de février, il fut mêlé à
tous les événements de Carlsruhe. Au mois de septembre,
lorsque fut connue la résolution de l'assemblée de Franc-
fort touchant l'armistice de ]Malmœ, il se joignit à l'expé-
dition de Struve, et exerça les fonctions de membre ou
d'agent du gouvernement républicain. A l'alTaire de Stau-
fen, il combattit sur les barricades, et fut arrêté immé-
diatement au village de Wehr par la milice bourgeoise.
Le discours qu'il prononça lors du procès des conspira-
teurs, qui se jugea à Fribourg du 20 au 30 mars 1849,
ne manque pas d'une certaine emphase révolutionnaire;
mais c'est moins une défense qu'une attaque contre ses
adversaires politiques. Condamné avec Struve à huit an-
nées de travaux forcés , il fut, après huit mois de détention,
remis en liberté, à l'explosion de la révolution badoise , par
suite d'une délibération de l'assemblée populaire d'Offen-
bourg. Ennemi de Brentano, Blind fut envoyé à Paris
par le gouvernement provisoire, qui n'avait en vue que de
l'éloigner. Il s'y mêla aux luttes des partis , fut arrêté , dé-
tenu en prison pendant quelque temps, et expulsé au mois
d'août 1849. Il a fini par passer en Amérique.
BLINDAGE, BLINDES (de l'allemand ft;i;jrf, aveugle,
ou blenden j aveugler), travail de siège ayant pour but
de mettre à l'abri des feux de l'ennemi les magasins ou éta-
blissements militaires. On blinde surtout avec soin, crainte
d'explosion , les magasins à poudre. Le blindage varie sui-
vant la nature des matériaux qu'on a sous la main. Quand
le bâtiment qu'il s'agit de blinder est solidement construit et
pourvu de murs assez épais, les planchers en sont mis à l'ér
preuve de la bombe au moyen de poutres transversales,
supportées par des pieux , et en établissant en travers , sur
les solives , d'autres pièces de charpente , recouvertes de
fascines, de terre, de fumier, d'une épaisseur d'un mètre en-
viron. On blinde aussi les constructions qui renferment des
munitions, des vivrqs, des malades, ou seulement des hommes
qui ne sont pas de service. En campagne, le blindage d'un
corps de garde, d'une église, d'une ferme, d'un moulin,
peut en faire un poste susceptible d'une assez longue résis-
tance.
En tenues de marine, blinder un vaisseau se dit quand
on l'embosse pour soutenir une batterie ou défendre une
passe. Ce blindage est fait de ballots de laine ou d'étoupe
de câbles. On blinde aussi les ponts des vaisseaux, dans un
port où l'on craint un bombardement , en les couvrant de
câbles et d'étoupe jusqu'à une certaine épaisseur pour amor-
tir l'effet de la chute d'une bombe.
BLINDAGI-: -
T,cs fithidos , employées é-^alemcnt dans la défense par
terri- cî p;ir mer, sont des inoireaux (!e bois dont on cou-
vre les trancliées, ou des morceaux de vieux câbles dont on
couvre les flancs d'un vaisseau pour les préserver des bou-
lets. Les blindes dont on se sert sur terre sont ordinairement
laites de bois ou de branches entrelacées , qu'on enferme
entre deux rangs de pieux debout ou de claies. Ces pieux
sont de la hauteur d'un iiomme et distants de l'",ZO à l^jGO.
On les emploie principalement à la tête des tranchées ,
quand on veut les pousser de front vers les glacis, ou lors-
qu'elles sont enlilées, pour mettre à couvert les travailleurs.
BLOC. La Fontaine, dans sa fable du S^a^wairc, dit :
Un bloc de inaibre était si beau
Qii'un statuaire en fît emplette.
Qu'en fera, dit-il , mou ciseau?
Sera-t-il diiu, table, ou cuvette?
Il sera dieu, etc.
Un bloc est en effet un morceau de pierre ou de marbr.i
dont la forme et la dimension sont souvent l'effet du ha-
sard , lo!S(]iie le canicr le détache du banc auquel il appar-
tient. C'est iiinsi qu'on les emploie maintenant dans les Ion-
dations des grands monuments. Pour ne rien perdre de la
matière, on change très-peu leur forme primitive, ayant
seulement soin de les réduire à une hauteur uniforme pour
chaque assise, tandis que dans les constructions hors de
terre les pierres sont toujours équarries bien régulièrement.
Les blocs sortent donc ordinairement de la carrière
sans aucim travail; quelquefois cependant ils sont é(iuarris
grossièrement, ou bien enfin on leur donne une forme de-
inan<lée , et dans ce cas ils reçoivent la dénomination de
blocs d'Échantillon; mais ou ne fait usage de pareils blocs
tpje pour procurer plus de solidité à certaine partie d'un
monument, et seulement dans des cas assez rares, à cause
delà difiiculté qu'entraîne le placement de blocs d'un grand
volume, et aussi pour éviter la dépense que cela occasionne.
C'est ainsi que à la Madeleine à Paris les chapiteaux de
la colonnade ont tous été faits d'un seul bloc qui en place
a coûté 3,000 fr. Au Panthéon les angles du fronton du pé-
ristyle, qui sont d'un seid bloc, ayant plus de 15 mètres
cubes, pesant 25,000 kilogramaies , reviennent chacun à
10,000 francs. Le fronton de la colonnade du Louvre est
aussi recouvert par deux pierres tirées des carrières de Meu-
don ; chaque bloc avait K;"', 8!) de long sur 2"*, 59 de large
et 0'", 4s d'épaisseur. Enlin on cite ericore les blocs de gra-
nit destinés au tombeau de Napoléon.
Le plus extraordinaire de tous les blocs pour son volimie
ol pour son poids est celui qui a été employé pour la base
<le la statue de Pierre V" , élevée à Saint-Pétersbourg \)àY
ordre de l'impératrice Catherine II , et exécutée en bronze
par le statuaire Falconnet. Ce bloc immense était tme roche
de granit trouvée dans un marais de la Finlande , à cinq lieues
de Saint-Pétersbourg; il avait 13"* ,65 de long, 8'",75 de
large et 6™, 80 de haut, ce qui donnait un poids d'environ
deux millions de kilogrammes. On le transporta dans toute
son intégrité; mais lorsqu'il fut arrivé à Saint-Pétersbourg,
on en retrancha quelques parties, qui diminuèrent son poids
d'un quart environ. Ce travail se fait ordinairement dans la
carrière uièmc, pour diminuer le volume et le poids du bloc,
afin d'économiser les frais de transport.
A côté de cette masse immense que paraîtraient notre obé-
lisque de Louqsor et son piédestal, qui ne pèsent chacun que
400 milliers? Encore ce piédestal est-il composé de cmkj
blocs, dont le plus considérable est le dé, qui a 5 mètres
de haut sur 3 de large et pèse 200 milliers.
On donne aussi le nom de bloc à vine forte pièce de bois
qiii dans les vaisseaux sert de support aux mâts.
La même dénomination s'emploie également pour dési-
gner une pièce de fer ronde et creuse dans laquelle les gra-
veurs Mir m<'taux fixent , au moyen de quatre vis , le coin
DICr. 1)L LA CO.NNMls i. u,.
BLOCKHAUS 2î)r
ou le cachet qu'ils veulent graver, ef qui serait trop petit
pour être tenu seulement à la main.
Dans le commerce, on dit aussi vendre en bloc, lors-
qu'une partie de marchandises est vendue dans son inté-
grité , sans avoir rien déballé, et même sans donner aucune
désignation de poids ou d'aunage. Dlchesne aîné.
BLOCAGE ou BLOCAILLE, diminutif de bloc; nom
donné en maçonnerie à de petites pierres brutes, irrégu-
lières, qu'on emploie sans préparation pour la construc-
tion de certaines fondations ou dans l'eau. On les jette pêle-
mêle avec le mortier. On les emploie aussi pour garnir le milieu
des murs et des gros massifs.
En termes d'imprimerie, blocage se dit de l'emploi d'une
lettre retournée sur son œil, et mise à la place d'une autre
qui manque dans la casse.
BLOCII (Marc-Eliézek), ichtiiyologiste célèbre, né en
I72;{ , était le lils de pauvres juifs établis à Anspach , et qui
ne lui donnèrent presq'.îc aucune éducation. Placé en qualité
d'in-^tituteur chez un chirurgien juit établi à Hambourg , il
acquit quelque connaissance des écrits des rab!)ins, et ap-
prit l'aUemand , ainsi que le latin et les premiers éléments
de l'anatomie. Le désir de pousser plus avant l'étude de cette
science le conduisit à Berlin, où, grâce au secours de quel-
ques parents, il put étudier la médecine. L'ardeur avec la-
quelle il se livra alors au travail lui eut bientôt fait rega-
gner le temps perdu , et acquérir des connaissances aussi
variées qu'étendues. Reçu docteur en médecine à Francfort-
sur l'Oder, il vint pratiquer son art à Berlin , où son rare
savoir et la noblesse de son caractère lui méritèrent l'estime
générale, et où il mourut le 6 aoiit 1799. La base de sa grande
et juste réiuitalion comme naturaliste fut son Histoire
uiiicersclle des Poissons (12 vol. in-4", Berlin, 1782-1795,
avec 432 ]ilanches coloriées), qui fut pendant long!enq)s le
seul ouvrage complet sur la matière, et qui aujourd'hui
encore oflre à la science des ressources précieuses, à cause
de ses gravuies, ma'gré la complète révolution opérée dans
l'ichtli'yologie. Pour la publication de cet ouvrage, dont les
frais immenses eussent de beaucoup dépassé ses ressources
personnelles, B'och fut aidé par la libéralité de plusieurs
princes et de riches personnages. Il a laissé inachevé son
Sijslcnui Ichthijoiorjix iconibus CX illustraium , publié
par Schneider à Berlin en 1801. Le gouvernement prussien
acheta, ;i sa rnoit, sa belle collection de poissons, qui fait
aujourd'hui partie du Muséiun zoologique de Berlin.
BLOCÎînAUS (de l'allemand AaH.$, maison, et block,
bloc, billot, tronc d'arbre). C'est une pièce détachée, ua
pâté, uire redoute, un fort, uîi fortin, ordinairement construit
eu bois, n'ayant point d'issue apparente, et conummiquant
sous terre à un ouvrage principal dont le blockhaus est un poste
avanc" Sa garnison, pourvue, commedans un poste avancé,
de vivies et de munilions de guerre, est cliargée de se dé-
fendre jusqu'à la dernière extrémité. Les Allemands, qui s'en
servent beaucoup en campagne, s'attribuent l'invention de
ce genre de forts détachés; cependant ces constructions
sont fort anciennes en France : Chai les VI, ayant projeté
une descente en Angleterre, fit dresser en 1385, à l'Ecluse,
une grande ville de bois, pour mettre l'armée française à
couvert dès qu'elle aurait débarqué. Celte ville se couiposait
de pièces de cb.arpente qu'on chargeait sur les vaisseaux et
qui (levaient être aisément dressées et assemblées sur les
côtes d'Angleterre.
En 1778 , Gassendi appelait blocJihans un corps de garde
palissade et blindé. Le général ISIarion rattache à cette
môme année l'usage des blockhaus couverts : le premier
aurait été construit en Silésie, à Schedelsdorlf. Aujourd'hui
le bloclihdus est une palanque à ciel ouvert. Les murs en
sont percés d'un ou de deux étages de créneaux, et couverts
d'une plate-forme armée de queUpies pièces de canon. Cette
forme de conslmction est très-commode, pouvant être
disposée «i l'avance, transportée et ihossée promptemciit si r
3b
29S
BLOCKHAUS — BLOCUS
lin point menacé. Au siège de D.tntzig en 1807 un block-
haus exigea, presque à lui seul, les efforts d'un sic^ge.
On en avait construit h Paris un assez grand nombre p(jur
l'expédition d'Alger en 1830; et quand le débarquement eut
eu lieu , on fit usage de ces blockhaus avec le plus grand
succès pour mettre les avant-postes à l'abri de toute sur-
prise. Aussi continue-t-on de les employer en Afrique dans
la plupart des opérations militaires. On en a construit sur
place à mâchicoulis et sans fossé. 11 a été traité théorique-
ment des blockhaus par Hauser, Meciszenski, C.-F. Pes-
chel , Louis 151esson , N. Rouget. Leurs ouvrages sont en
allemand. Le colonel suisse Dufour, dans son Traité de
Fortification, donne aussi des détails étendus sur les block-
haus. G"' Bardin.
BLOCKSBERG, nom donné à plusieurs montagnes
du iMccIdeuibouig, de la Prusse, et particulièrement au
J5rocken, la plus haute cime des montagnes du Hartz et
de l'Allemagne septentrionale.
Le IJIocksberg est célèbre sous un autre rapport ; là ,
suivant une tia'ilion probablement très-ancienne, les sor-
cières viennent se réimir chaque année , dans la nuit du
1"' mai ; là se tient l'assemblée générale de tous les êtres
qui, dans le nord de l'Allemagne, sont en rapport avec les
esprits surnaturels; cette fête infernale s'appelle la nuit
de Valpurrje. Presque toutes les montagnes théâtres des
ébats des sorcières , comme le Schwarzwald en Souabe , le
Kandel ou le Heuberg en Brisgau , le Horselberg ou Tln-
selberg en Thuringe, le Bechteisberg dans la Hesse, étaient
célèbres parmi les Germains, avant leur conversion au chris-
tianisme, par les fêtes qui s'y célébraient le l*"^ mai, le plus
saint (les jours de l'année. Lorsque la religion nouvelle eut
(létri comme de dangereuses magiciennes les aimables sui-
vantes de la déesse Holda, les anciennes fêtes religieuses se
changèrent dans l'imagination du peuple en abominables
sabbats de sorcières. De cette tradition confuse, Goethe
a fait le sujet d'une de ses ballades {La première Nuit de
Valpurge); c'est également sur la cime du lilocUsberg qu'il
a placé les scènes les plus faiitasticpies de son Faust.
BLOCS ERRATIQUES. C'est le nom donné par
notre célèbre minôralogisle Ale\. Brongniart à ces masses
granitiques , à ces énormes cailloux (jui se trouvent à la
surface du sol, sur difléreiits points de notre continent, et
souvent à des distances de plus de so et môme de 100 my-
riamèîres des montagnes aux flancs desquelles une force
inconnue a dû , à une époque antérieure, les arracher pour
les rouler et les rejeter ainsi au loin , sans doute à la suite
de quelque cataclysme semblable à celui dont le souvenir
s'est trop fidèlement transmis parmi nous de génération en
génération, sous la dénomination de déluge universel,
pour n'y voir qu'une tradition erronée ou allégorique.
On rencontre une immense quantité de ces blocs erra-
tiques en Hollande, en Danemark, dans le nord de l'Alle-
magne, en Plusse, en Livonie, en Pologne, qui provien-
nent évidemment des montagnes du nord de la Suède et de
la Russie ; et sur le versant du Jura qui regarde les Alpes,
on en trouve qui , évidemment aussi , ont dû être jadis ar-
rachés des l'.ancs de ces montagnes.
La grandeur de ces blocs erratiques est quelquefois im-
mense : on en rencontre souvent qui ont jusqu'à 20 mè-
tres de longueur sur 5 ou 6 d'épaisseur. L'imagination reste
confondue quand on rélléchit à la force qui a été nécessaire
l>our soulever ces masses gigantesques et les projeter ainsi
a des distances énoimes. Aussi ce phénomène a-t-il ap-
pelé de bonne heure l'attention des physiciens et des géo-
logues.
Pendant longtemps on regarda quelque immense érup-
tion volcanique, dont rien de ce qui .se passe aujourd'hui sur
1-1 terre ne peut donner une idée, connue pouvant seul» e\-
l>li(liier rationnellement l'evistence des blocs erratiques.
CVpeu.lant on fut porté à pinser (pie ceux qu'on trouve
dans certaines contrées de l'Allemagne avaient bien pu, dan»
([uelque grand cataclysme, avoir été entraînés là sur des
masses de glaces descendues du Nord. Mais cette idée était
encore si peu généralisée que L. de Buch expliquait les remar-
quables amas qu'on a rencontrés dans la vallée du Rhône
à l'aide d'une théorie particulière : il supposait l'existence
de courants d'une force énorme relativement à IVtat de M
calme où se trouve aujourd'hui notre globe, courants qui ■
tout à coup s'étaient élancés dans toutes les vallées des
Alpes, entraînant avec eux ces blocs gigantesques et venant
les déposer presque intacts au pied des montagnes.
L'élude des glaciers de la Suisse , devenue nécessaire en
raison de leurs i)rogrès, vint de nouveau signaler ce fait
important, que ces masses de glaces entraînent et poussent
constamment devant elles de grands amas de ces blocs de
pierre. Venetz et Charpentier signalèrent les premiers la
glande chaîne de blocs erratiques accumulés en couches
assez semblables à des remparts jusque dans les plaines de
la Suisse; et ils en conclurent pour la vallée du Rhône l'exis-
tence d'un immense glacier local, s'étendaiit autrefois jusque
là et ayant abandonné ces débris en se retirant. C'est alors
que M. Agassiz transforma ces conjectures en une théorie
générale qu'il ne limita pas à la Suisse, mais dont, au contraire,
il démontra la parfaite api)lication à l'Ecosse, à l'Angleterre
et à l'Irlande.
BLOCUS [Art militaire). Dans la langue gauloise, bloc
signifiait à la fois une masse de forme ronde, et une figure
circulaire. Le verbe bloquer, qui en dérive, désignait ainsi
l'action de resserrer, comprimer, entourer circulaiiement.
C'est dans ce sens qu'il est employé dans l'art militaire. On
bloque une place , un fort , un camp , un port ennemi , lors-
qu'on Ta entouré, qu'on en resserre les déleuseurs dans le
plus petit espace possible, qu'on leur ôte toute communi-
cation avec le pays environnant. Le mot technique blocus
indique la situation réciproque des défenseurs d'une place
forte, d'un camp, etc., et des ennemis qui les entourent.
Faire le blocus est synonyme de bloquer.
Le blocus diffère du siège en ce que ce dernier est une
opération active , par laquelle on attaque de vive force les
letranchements dont lennemi est couvert , afin de hâter le
moment de sa reddition; tandis que le blocus est une opé-
ration inerte et quasi défensive , par laquelle on cherche à
empêcher l'ennemi de recevoir aucun secours d'hommes,
de vivres , de munitions , afin de l'obliger à se rendre lors-
qu'il aura consonnné toutes ses ressources de délense ou
(le subsistance. Cette définition indi(iue déjà, d'une manière
générale, quelles sont les mesures qu'on doit prendre pour
former un blocus. Vouloir donner pour tous les cas pos-
sibles toutes les règles de détail relatives an placement des
troupes destinées au blocus serait une entreprise puérile :
d'un côté , il faut su|)poser que le général qui en sera chargé
connaît assez les éléments de lart de la guerre pour n'avoir
pas besoin d'une instruction qui prévoie jusqu'aux cas les
plus ordinaires ; de l'autre, ceux qui se présentent étant le
résultat d'éléments variables , tels que la configuration du
terrain, la force et la position des troupes qui peuvent
chercher à inquiéter le blocus, etc., les combinaisons en-
sont tellement multiples (pic l'esprit humain ne saurait les
embrasser toutes à la fois.
Il est cependant (piehiues règles générales qui trouvent
leur aiiplication dans tous les cas , et que nous croyons
utile (le rapporter aussi brièvement que possible. Kous
prendrons pour exemple une ville fortifiée de quelque
étendue, ayant par conséquent une garnison assez nom-
breuse.
Le blocus d'une place forte peut avoir deux objets difi'é-
rents : il jieut arri\er que le but de l'armée assaillante soit
de détruire d'abord l'aimée qui lui est opposi-e, et de C(un-
mencer à ein.ihir le pays contre Icfiuel elle est employée,
on dipassaiit Ils places fortes, afin de remplir ce but. Alor»
BLOCUS
299
i\ hii surfit (le paiulyser les ganii'întis «ies |i!aces qu'elle
laisse derrière elle, alin <le les eniptUlier de lui nuire. Kl!e
(loU mOine employer à cette opération le moindre nombre
{M)ssible de troupes, afin d'en conserver assez pour assurer le
succès de son opération principale. Le blocus alors est moins
resserré, et son objet unique est d'empècber que les garni-
sons fassent des sorties à une distance un peu proiongi e.
Cette manière de bloquer s'appelle masquer, parce que les
troupes qui en sont chargées forment par leur disposition un
ma<(iue derrière lequel les mouvements de l'armée principale
et de ses accessoires peuvent s'effectuer sans être reconnus,
ni par conséquent empêchés. C'est ce qui a eu lieu pi-n-
<lant les deux invasions de la France, en 1814 et en 1S15.
Il peut également arriver que, par des circonstances qui
tiennent à la force de l'armée assaillante , à la difficulté de
réunir les moyens nécessaires pour un siège, à la situation de
la place, etc., l'armée soit obligée de se contenter de bloquer la
place dont elle veut se rendre maîtresse. Son but doit être alors
d'empêcher que la garnison reçoivedu dehors des moyens de
prolonger sa défense, afin de la forcer à se rendre lorsqu'elle
aura consommé ceux que la place renferme dans son sein,
Dans ce cas, le blocus doit être aussi resserré que pos-
sible; et il faut y employer assez de troupes pour que les
efforts que pourrait tenter la garnison afin de se procurer des
subsistances puissent constamment être déjoués. C'est ainsi
qu'en 1796 le mouvement de Wurmser ayant fait perdre à
l'armée française d'Italie toute l'artillerie employée au siège
de Mantoue, le général en chef Bonaparte , revenu devant
cette place après la bataille de Castiglione, se contenta de
la tenir étroitement bloquée, et la prit six mois plus tard.
Le nombre de Irouiies qu'on doit employer au blocus d'une
place est en raison combina c de la force de la garnison et
de la disposition du terrain. Il faut que chacun des points
qu'il est important de garder afin de couper toutes les
conunnnicalions extérieures de la place, soit occupé par un
corps suflisant, par sa lorce et sa position, pour résister aux
efforts de l'ennemi pour l'en chasser. 11 faut au moins que
cette résistance soit assez prolongée pour donner le temps
aux corps de blocus les plus voisins de secourir celui qui
est attaqué. Les grandes sorties que peut faire la garnison
d'une place située sur un terrain où la communication entre
les quartiers des troupes employées au blocus est facile, et
où la sortie peut elle-même être attaquée en flanc ou coupée,
ne doivent guère employer plus d'un quart de la garnison.
Ces sorties ayant besoin d'être échelonnées par une ou deux
réserves, et étant exposées à de grandes pertes d'hommes,
un revers affaiblirait trop la garnison si elles étaient plus
fortes. Il faut donc, dans ce cas, que le corps employé au
blocus soit assez fort pour avoir, à chacun des points qu'il
lui importe de garder, un détachement au moins égal au
quart de la garnison , soit par le nombre d'hommes qui le
composent, soit par les défenses naturelles ou artificielles
dont il peut se couvrir. Dans ce cas, le corps du blocus s'é-
tablit à une assez grande distance de la place pour que les
sorties de la garnison aient à craindre de se voir couper la
retraite; et on détruit ou enlève tous les moyens de subsis-
tance qui se trouvent entre la place et le cordon du blocus.
Si la (ilace qu'on veut bloquer n'a qu'un petit nombre de
communications extérieures par lesquelles elle puisse rece-
voir du secours, il est é\ident que la force relative du corps
de blocus peut être diminuée sans danger. Elle peut alors
être égale et quelquefois môme inférieure à la garnison de la
place. La place de Mantoue, en Italie, ollre sous ce rapport
une combinaison mixte qui tient des deux cas que nous ve-
nons d'indiquer. Elle n'a que cinq coinnumications exté-
rieures par lesquelles elle puisse être secourue : ce sont les
portes de Pradella, de Cérèse, de Pietoli, de Saint-Georges
et de la Citadelle. Les trois premières sont séparées par des
obstacles naturels, par des marais, par l'inondation qui peut
couvrir les abords de la place de ce côté. 11 suffit donc
d'occuper par ime }>osili()n retrandiée les lètes des iligues
qui aboutissent à ces trois points , pour en empêcher toutes
les sorties. Le village de Saint-Georges est situé à la tète d'un
pont fort long, qui traverse le lac inférieur. Dès que le corps
du blocus en est maître, il peut, eu le couvrant de retran-
chements, opposer une petite forteresse à la gramle, et
rendre toute sortie impossible par là. 11 ne reste donc plus
que la citadelle, qui rentre dans le premier cas, et du côté
de laquelle doit être la force principale du corps de blocus.
C'est ce qu'on a vu dans la cauq)agne de 1796.
Si la place forte, assez étendue par elle-même , et ayant
une garnison nombreuse, est située sur une grande rivière,
ou au confluent de deux, le blocus devient plus difficile, et
exige des forces bien plus considérables. Telle est la situation
de Metz , dont la périphérie extérieure , agrandie par l'île du
Polygone, le fort de Belle-Croix, l'inondation et les ou-
vrages de la plaine de Montigni , est coupée en trois grandes
sections par la Moselle et la Seille. Un blocus complet
exigerait un corps cinq on six fois aussi fort que la gar-
nison.
Dans les blocus accidentels et temporaires , qui n'ont pour
objet que de s'opposer à ce que les garnisons d'une ou plu-
sieurs places ne nuisent aux mouvements ou aux communi-
cations d'une armée qui passe entre elles, on a besoin d'un
moins grand nombre de troupes. Le but qu'on se propose
en effet n'étant pas d'affamer la garnison , ni de faire obs-
tacle à l'entrée des secours, qu'elle ne peut plus attendre de
l'armée à laquelle elle appartient , et qui se trouve trop éloi-
gnée, tout doit se borner à empêcher que ses sorties ne de-
viennent nuisibles. Il suffit, pour cela, qu'à six ou huit kilo-
mètn s de la place , les trou[)es de cordon du blocus puissent
se réunir en assez grand nombre pour arrêter les sorties. Il
importe peu qti'elles soient forcées de quitter leur première
posit on |iour se retirer plus en arrière, jusqu'à ce que la
sortie soit repoussée.
Tels sont à peu près les préceptes généraux relatifs au
blocus des places fortes , et qui s'appliquent également au
blocus des camps ou des positions occupées par l'ennemi.
Leur application rencontre un nombre infini de combinai-
sons, que le génie du général et son habitude de la guerre
peuvent seuls modifier. 11 nous suffisait d'en donner une
idée générale ; de plus grands détails appartiennent aux ou-
vrages didactiques. G"' G. de VAunoNCounr.
BLOCUS (Droit international). Le droit de bloquer
une place, un port, une ville, c'est-à-dire de les cerner de
telle sorte qu'il n'y puisse entrer aucun secours d'hommes
ni de vivres et qu'ils soient privés de toute communication
avec le dehors, est reconnu par les publicistes comme con-
forme au droit des gens , et comme dérivant logiquement du
droit de la guerre. Des adoucissements se sont toutefois in-
troduits avec la civilisation dans les usages internationaux.
« On admet aujourd'hui en principe, dit M. Garnier, dans
les guerres de terre, que l'armée qui bloque une place a
droit de saisir tout ce que le gouvernement ennemi cheichc
à y introduire, mais qu'elle doit se borner à repousser les
simples particuliers et les marchandises qui leur appartien-
nent. Dans les guerres maritimes, le droit du blocus est loin
d'être aussi restreint en ce qui concerne les ports , les côtes
et la mer elle-même. On admet que les simples citoyens du
pays mis en état de blocus peuvent être faits prisonniers, et
que leurs marchandises et leurs navires peuvent être saisis.
Mais on est convenu que les propriétés des citoyens appar-
tenant à des puissances neutres peuvent entrer dans le
port bloqué : on ne fait exception que pour les objets ré-
putés de contrebande , comme les ustensiles et les munitions
de guerre, et généralement tout ce qui peut servir à pro-
longer la défense, comme vivres, combustibles, etc. On re-
garde comme neutre tout bâtiment dont le capitaine ou la
I moitié au moins de l'équipage sont citoyens d'un État non
j belligérant et portant un pavillon neutre. Pour constater
38.
300
RLOCUS -^ Rf.OIS
cette neiilialU<?, on a créiî le droit de visite par l'Étal qui
établit le blocus, et qui l'exerce au moyen de navires croi-
seurs, qui ont droit de saisie lorscjue la visite montre que
les lois de blocus sont violées; mais il faut que le blocus
soit réel, c'est-à-dire qu'il soit fait par une force suffisante.
La visite n'a pas lieu lorsque les navires commerçants des
neutres sont escortés par des bâtiments (!e la (lotte ofiicielle
de la iMi''iiie nation , censés faire une police suflisante. »
Pour qu'une place soit réellement bloquée, il faut qu'elle
soit investie par, des forces suffisantes et assez rapprochées
[lour (pi'on ne puisse y entrer ni en sortir sans un danger évi-
dent. C'est dans ce cas seulement que la puissance belligé-
rante a le droit d'interdire tout commerce avec le lieu blo-
m\(', et de confisquer, en cas de contiavention, le navire et la
cargaison. Il fout de plus pour que cette confiscation puisse
av'oir lieu d'une mauicre légale, que le blocus ait été notifié,
soit colleclivement à la nation à laquelle le navire arrêté
appartient, dans la personne des agents diplomatiques ou
consulaires, soit individuellement au navire lui-même, p;'.r
une déclaration inscrite sur les papiers de bord.
Tels sont h peu près les ]>rincipes adoptés dans les traités
d'Utreclit en 1712 et de Westplialie en 1742 entre los
natious maritimes, puis dans les traités de neutralité armce
signés par les puissances neutres sotis l'inspiration de la
lîussie en 1780 et en 1800 , et acceptés par la France, partie
belligérante. Mais ces principes n'ont pas été toujours ob-
servés par r.\ngleterre, qui à la suite de ses longues guerres
maiiliiuesen était arrivée, au commencement de ce siècle,
a soiilenir que la iner api)artient au plus fort ; à ne plus res-
pecter les droits des neutres; à prétendre qu'un blocus réel
n'élait pas nécessaire pour amener l'interdiction du com-
ïucrce, et qu'il suffisait pour cela d'un blocus déclaré, d'un
blocus fictif ou de cabinet, ou, comme on a dit, d'un blùciis
sur le papier; et à décréter en effet un blocus maritime gé-
néral , (]ui consistait dans l'interdiction de commercer avec
des places, des ports et des côtes tout entières, devant les-
quelles elle n'envoyait pas de forces suffisantes pour y faire
un blocus effectif. En même temps cette puissance maritime
se prétendait le droit de visiter partout les bùtiments de
commerce, escortés ou non, afin de s'assuier de leur natio-
nalité et de la qualité des marchandises qu'ils contenaient.
C'est pour répondre à ces prétentions que Napoléon ima-
gina le blocus, dégénéré bientôt en système continental,
à l'aide duquel il espérait ruiner l'Angleterre, en lui inter-
disant tout commerce avec le continent tant qu'elle n'aurait
pas reconnu le droit des neutres. Mais il imposa ainsi inu-
tilement de vives souffrances à l'Europe entière, et prépara,
par l'absence du commerce , l'explosion qui devait le ren-
verser.
BLOCUS CONTINENTAL. Voyez Continental
( Syslènie).
iiLOEMAERT(ABnAnAM), peintre de l'école flamande,
<]ui se lit aussi quelquefois appeler Blom , naquit à Gorkum,
en 15GÔ, et mourut à Utrecht, en 1647. 11 reçut ses pre-
mières leçons de dessin de son père, (jui était à la fois in-
génieur, architecte et sculpteur, et eut ensuite pour maîtres
Floris et Franck , dont il abandonna la manière pour s'en
créer une en propre. Après être venu compléter ses études
artistiques à Paris, il fut nommé architecte de la ville d'Ams-
terdam, puis alla s'établir, comme peintre, à Utrecht. On
a de lui plusieurs grandes toiles historiques : par exemple,
la Mort des fils de Aiobe; des animaux, des coquillages,
et surtout des paysages. 11 réussissait mal dans le portrait,
cl on lui reproche des infidélités envers la nature, tant dans
le nu que dans les costumes; toutes ses toiles portent d'ail-
leurs des traces visibles d'actes «l'impatience. Toutefois, sous
le rapport du coloiis et du clair-obscur, on peut le mettre à
côté des meilleurs peintres de son temps, il était aussi gra-
veur en taille-douce et en bois.
De «es quatre fils, Vornvhus Bi.op.MAcr.T, né à Utrecht,
en 1003, est celui qui eut le plus de talent. D'abord pc'irtn»,
il ne s'occupa guère, plus tard, que de gra\ure en taille-
douce. Il résida quelque temps à Paris, alla ensuite à Rome,
où il mourut, en 1680. Son burin se distin;;uait tellement pr
la pureté et la beauté des traits, par la douceur des tran-
sitions de la lumière à l'ombre, par la diversité et la mol-
lesse (les tons, (jifon peut le considérer comme le créateur
(lune nouvelle école, de laquelle sont sortis iiaudot, Poilly,
Cliastenu, Speier, Roullet, etc.
Des trois autres frères , Adrien , qui vécut quelque temps
à Home, et qui mourut h Salt/.bourg, à la suite d'un duel,
Fc distingua comme peintre et comme graveur. Henri ne
fit que le portrait, et Frédéric gra\a sur cuivre avec succès.
BLOEHIEN (JulksFkançois), surnommé Or/ ^on/e, né
à Anvers, en 1656, mort à Rome, en 1748 ou 1749. Parmi tous
les peintres de l'école flamande de cette épo(|ue, liloemcn
fut, avec J. Glauber, le plus heureux émuh; d«;s deux
Poussin, si célèbres l'un et l'autre comme peintres de pay-
sages. 11 mérita le surnom qui lui fut donné par la beauté
de ses horizons. Ses tableaux qui représentent des vues de
'l'ivoii et de ses environs , des ca-cades, etc., se rencontrent
en très-grand nombre dans les palais de Rome. On y admire
la grikce de l'invention et la légèreté du pinceau, il a sur-
tout réussi à rendre les transitions des sentiments, le pas-
sage d'une émotion à une autre. En 1742 il fut nonnnc
membre de l'Académie de Sain!-Lnc. Il a aussi gravé à l'eau
forte quelques-uns de ses paysages.
Pierre van Yiuiv.yi?.s, frère aine du précédent, surnonunc
Standaert (1649-1719), n'a guère peint quedesbalaillfs.dcs
marchés aux chevaux , des caravanes , etc. Les gahrries de
Berlin, de Dresde et de Munich possèdent de ses toiles. Il
resta auprès de son frère à Rome jusqu'en 1699, aimée où
il fut nommé directeur de l'Acadéuiie d'Anvers.
BLOIS, ancienne capitale du Bl ai soi s et résidence des
comtes de Blois, aujourd'hui chef-lieu du département de
Loir-et-Cher, à 145 kilomètres sud-ouest de Paris. Cette
ville est fort ancienne : Grégoire de Tours en parle à pru|H)ii
d'une querelle qui s'était élevée entre ses habitants et ceux
de Chartres. IMle est bûtie en amphithéâtre, sur le penchant
d'une colline baignée par la rive droite de la Ivoire, qu'on
y i)asse sur un beau pont en pierre, commencé dès 1711, et
ornéd'une pyramide légère de cent pieds de haut Ses rues sont
étroites, tortueuses et très-escarpées, ce qui l'a fait appeler
par un poète contemporain un escalier de rues. Ou y
remarque ])lusieurs monuments curieux. D'abord l'ancien
chûteau, célèbre par la naissance de Lou's Xll et par la ré-
sidence de François 1^', de Charles LV et de Henri 111; il
est aujourd'hui converti en caserne en partie, l'autre forme
un musée. Imposant par sa masse et d'un aspect saisissant ,
ce château serait un monument historique du premier ordre
s'il n'était déparé par un mélange de tous les styles, depuis
le gothitpie pur jusqu'au pastiche grec. L'escalier h jour est
une des merveilles de l'architecture. Citons ensuite léglLse
des jésuites, construite sur les dessins de Jules Mansard;
l'église gothique de Saint-Nicolas ; l'hôpital ; un superlns
aqueduc, ouvrage des Romains, qui traverse la ville, dont il
reçoit toutes les eaux ; enfin , l'hôtel de la préfecture , jadis
palais épiscopal, le plus bel édifice moderne de Blois, bâti
sous Louis XIV, par Gabriel , avec des jardins en terrasse.
Parmi les maisons particulières , nous nommerons l'hôti;!
d'Alluye et l'hôtel de Poutances.
Blois compte 15,900 habitants. Siège d'un évêclié suf-
fragant de l'ai chevêche de Paris, d'une cour d'assises, d'un
tribunal de commerce , d'un tribunal de première instance,
elle est le chef- lieu de la ;{" subdivision delà 1 s'' division
militaire. Elle possèJe en outre une bibliothèque, un ca-
binet d'histoire naturelle et de physique, un collège coni
munal, un séminaire, un dépôt d'étalons, une société d'é-
conomie nu aie , un théAtre et de belles promenades. I/in-
dustrie de cette ville consiste en liotmeteric, ganterie, roi>«
I
BLOÎS
301
totlt'rio , faïence , corroierie , et son commerce principal en
evre'.lcnt vinaigre, en vins, eaux-de-vie, bois et merrain.
IJlo's faisait autrefois partie du diocèse de Chartres; mais
le pape Innocent XII l'érigca en t^vCcliéen 1094, à la sol-
rcilatioii de Louis XIV. Cette ville, qui avait été nommée
lf( ril/e (les rois, parce que l'air pur qu'on y respire l'avait
fait choisir plusieurs fois pour y élever les enfants de
l'rance , a été deux fois le siège des états généraux sous
Henri III, en 1577 et en 1588; ce fut pendant celte dei-
•lière réunion que le duc de Guise et le cardinal , son frère,
furent massacres par les ordres du roi. Marie-Louise s'y re-
tira momentanément lorsque les alliés menacèrent Paris en
1814 , et c'est de cette ville que furent datés et expédiés les
derniers actes de la régence et du gouvornemenl impérial.
lîLOlS (Comtes de). Le plus ancien de ces comtes fut
GLiLLALMii, tué vers l'an 8:54, dans les guerres de Louis
le Déhonnaire contre ses fils révoltés. Eudes, son succes-
seur, gouverna le Blaisois jusqu'en 865. A sa mort, ce comté
fut donné à Rohert le Fort , comte d'.\njou , bisaïeul de
Hugues Capet. Ulichilde, fille de Robert, ayant épousé Thi-
baud, comte de Tours, proche parent de Rollon, premier
duc de Normandie, le rendit père de TuinAUD, premier
comte héréditaire de Blois et de Chartres, à qui la fourberie
et la duplicité de son caractère ont inérilé le surnom de
Tricheur. Il fut le premier comte de Rlois qui fit revivre le
litre de comte palatin (comte du palais), tombé deptiis
longfen;ps en désuétude, et qui passa sans interruption à
l'ainé de ses descendants.
liuDES 1", son fils et son successeur dès 978, réunissait
sur .sa télc les comtés de Blois , de Chartres , de Tours ,
de lîcauvais, de Meaux ( ou Brie ) et de Provins. Aussi se
qualilie-t-ii lui-même de très-riche comte, dans une charte
(le cette année. Eudes fit la guerre avec succès contre
Adi'lhcrt, comte de la Marche, et Foulques Nerra, comte
d'Anjou.
TiuBAUD 11 et Eudes II , ses fils, gouvernèrent les comtés
de Blois, de Ciiartres et de Tours, le premier depuis 5)93
jus(pren 1004, le second jusqu'en 1037. L'ambition de c«lui-
ci l'entretint dans une guerre continuelle avec ses voisins.
Sa puissance était telle que Richard II, duc de Norman-
die, n'osant pas se mesurer avec lui , appela à son secours
les Danois. Mais le roi Robert, alarmé pour lui-même de la
tournure que prenait cette (pierelle, parvint h l'apaiser.
En 1019, Eudes réunit à son domaine la Champagne et la
Brie, comme héritier du dernier comte, Etienne. Cet accrois-
sement de territoiie ne tarda pas à réveiller ses projets de
conquêtes. En 102G il reprend les armes contre le comte
d'Anjou. Attaqué à l'improviste par Herbert, comte du
Maine , et mis en déroute le 0 août , comme il revenait triom-
phant dans ses États, il ne reste pas moins possesseur des
places qu'il avait conquises, et dont le nombre s'accrut par
la continuation active de cette guerre. Celle qu'il entreprit
contre Henri l*^' eut pour résultat de lui obtenir la cession
dc^ la moitié de la ville de Sens. Débarrassé de toute in-
quiétude du côté de la France , Eudes hâta les préparatifs
d'une guerre plus juste et plus importante. Rodolfe 111, roi
d'Arles ou de la Bourgogne Transjurane, était mort sans
enfants, le G septembre 1032. H avait eu deux sœurs, Ber-
the, mère du comte de Blois , et Gerberge, mère de Conrad
le Salique, roi de Germanie. Celui-ci s'était mis en posses-
sion du royaun-e de Bourgogne, non pas au droit de sa mère,
puisqti'elle était cadette, mais en vertu d'une donation de
RodoKe, de l'année 102'i. Eudes, prétendant qu'une dona-
tion arrachée ir la faiblesse de Rodolfe ne pouvait éteindre
ni primer le droit que lui avait transmis sa môie, leva une
armée, et se fil reconnaître roi de Bouigogne. Ébloui par
ses prenn'ers succès, il marche aussitôt à la conquête de la
Lorraine, échoue devant Toul, et répare cet écliec en prenant
Bar-lc-Duc. Mais Golhelon 1*', ducde la Basse-Lorraine, réuni
au comte de Namur, vient à sa rencontre, et lui livre ba-
taille. Mis en déroute après avoir longtemps di-puté la vic-
toire, Eudes fut tué dans sa fuite par un chevalier lor-
rain, qui lui coupa la tête.
Euiies laissa deux fils, Etienne TI, comte de Champagne
et de Brie , et Thicald IH, comte de Blois. Ces deux comtes
s'unirent dans le but de détrôner le roi Henri et de placer la
couronne sur le front du prince Eudes, son frère. Ils débu-
tèrent par un refus de prêter serment de fidélité à Henri.
Celui-ci se ligue avec le comte d'Anjou, qui bat complète-
ment les deux frères à Noet, près Saint-Martin-!e-Beau, le 21
août 1042. Fait prisonnier et enfermé au château de Lo-
ches, Tbibaud n'en soilit qu'après avoir fait l'abandon de
Tours, Chinori et Langea's au comte d'Anjou. Après la usort
du comte Etienne 11 ( vers 1047 ), Thibaud dépouilla Eu-
des, fils légitime de ce prince et son neveu, des comtés de
Champagne et de Biie> Dès que Tbibaud III vit son auto-
rité reconnue et affermie dans toutes ses possessions, il
recommença la guerre contre Geoffroi Martel , comte d'An-
jou. Ellene fut remarquable que par les ravages et les cruau-
tés qui la signalèrent , sans autre satisfaction pour les deux
partis. Thibaud vécut jusqu'en 1089.
Son fils, ETIENNE, appelé quelquefois Henri, avait porté
du vivant de son père le titre de comte de Meaux et de
Biie. 11 recueillit, avec la majeure portion de son héri-
tage, le titre de comte palatin, et devint si puissant que les
anciennes chroniques, pour en donner une idée, disent
qu'il possédait autant de châteaux qu'il y a de jours dans
l'année. Élieiuie eut aussi quelques démêlés avec le roi de
France. Fait prisonnier par Philippe V, il se réconcilia
avec ce monarque, jura de lui être dévoué et fidèle, et tint
loyalement cette promesse. Ce fut lui qui dissipa cette con-
juration de plusieurs grands du royaume, formée par Bou-
cliard II, comte de Corbeil, qui n'aspirait à rien moins
(pi'au titre de roi de France, et qu'Éliennetua de sa propre
main. Parti pour la croisade en 1096, il se distingua au
siège de Nicée ( 1007 ). Nommé par les princes croisés chel
du conseil de guerre chargé de la direction de toutes les opé-
rations de l'armée, il fut accablé sous le fardeau d'une pareille
dignité, déserta l'armée chrétienne sous les murs d'An-
tioche, deux jours avant la prise de cette ville, et détourna
l'emjiereur Alexis de secourir les croisés, à leur tour assiégés
dans leur conquête. Cette conduite inexplicable excita une
telle surprise et une telle indignation, même dans sa famille,
qu'Adèle d'Angleterre, sa femme, ne cessa de le pour.suivre
de ses reproches et de ses prières jusqu'à ce qu'il eût consenti
à retourner en Orient (1101) pour effacer la honte attachée à
son nom. Ce comte et Raymond de Saint-Gilles, auquel il
sauva la vie dans une bataille, ayant vu décimer par le fer
et par le feu des infidèles une armée de plus de cent raille
combattants qu'ils avaient conduite en Asie, s'en revinrent
à Constantinople, d'oii Etienne passa à la Terre Sainte. Fait
prisonnier à la bataille de Ramla(27 mai 11 02) et conduit
à Ascalon, il y périt, criblé de flèches par les Sarrasins. Ce
prince était aimé pour sa libéralité et estimé comme poète.
Il laissa plusieurs fils, dont l'un, Etienne , comte de Mor-
tainet de Boulogne, devint roi d'Angleterre en 1133.
Thibaud IV, surnommé le Grand, fils d'Etienne, comte
de Blois, lui succéda dans ce comté, à l'exclusion de Guil-
laume, son frère aîné, deshérité de son droit par les artifices
de sa mère. Il partagea pendant près de vingt ans avec sa
mère le gouvernement de ses États, H ne fut pas heureux dans
la guerre qu'il fit en 1108 et lill au roi Louis le Gros, qui
le força à lui demander la paix. En 1124 Thibaud secourut
ce prince contre l'empereur Henri V, qui menaçait d'enva-
hir la C ha m pagne. Cette province échut l'année suivante
à Thibaud par vente ou cession du comte Hugues, son oncle.
H y eut deux nouvelles ruptures entre le comte de Blois et
Louis le Gros en 1135 et 1142. Toujours vaincu, mais in-
domptable de caractère, ce comte reparai.s.sait toujours plus
1 dangereux à la tête de toutes les ligues qui se foiiuaieut
302
BLOIS — HLOMFFELD
■contre son souverain. Ce fut durant ces troubles et dans la
dernière expédition de Louis le Gros en Champagne, que
l'église de Vitry fut livrée aux flammes par les troupes
du roi. Treize cents habitants y avaient cherché un asile
pour se soustraire à la fureur du soldat ; tous périrent par le
feu. Les libéralités de Thibaud envers les moines, l'amitié
de saint Bernard et la protection qu'il accorda à l'illustre et
malheureux amant d'IIéloïse contre ses puissants ennemis,
ont plus contribué que ses actions politiques et ses exploits
à faire honorer sa mémoire. Elle est restée chère a la ville de
Troyes, dont il créa en quelque sorte les manufactures
et le commerce. Ce fut lui qui, pour la commodité des ma-
nufacturiers , fit partager la Seine en mille petits canaux
qui conduisaient les eaux dans tous les ateliers. Thibaud IV
mourut le 8 janvier 1 153. Il laissait quatre fils : l'aîné, Henri,
continua la branche des comtes de Champagne et de Ikie.
TniBAUD V, second fils de Thibaud IV, eut en partage
les comtés de Blois et de Chartres, à la charge de l'hom-
mage envers le comte de Champagne, son aîné. Cette dis-
position est assez remarquable, car jusqu'à celte époque
(1152) le comté de Blois avait relevé immédiatement de la
couronne. La reine Éléonore, répudiée par Louis le Jeune ,
passant à Blois pour se rendre en Guienne, Thibaud V
l'attira à sa cour. Mais cette princesse ne tarda pas à devi-
ner son dessein, et sut échapper par la fuite à la contrainte
de l'épouser. D. Estiennot cite une charte de ce comte de
Blois, de l'année ll&C, dans laquelle il se qualifie régent de
France , quoique alors le roi Louis le Jeune eût trente-six
ans. En 1164 , Thibaud épousa Alix, fille de ce monarque
et de cette même liléonore dont il avait convoité la main.
Ce fut à l'occasion de ce mariage que le comte de Blois fut
établi grand sénéchal héréditaire de France, cliarge qui lui
fut confirmée en 1IC9, par le comte d'Anjou, dans la mai-
son duquel elle avait existé jusque alors, et qui s'éleigiiH
à la mort de Thibaud V, tué au siège de Saint-Jeau-d'Acre,
en 1191.
Louis I*"^, son fils, comte de Blois, échappa au ressenli-
ment de Philippe-Auguste, contre lequel il s'était révolte-
en 1198, en prenant part à la croisade. Il se signala ai:
siège de Constàntinople. Le duciié de Nicée en Bitliynie lui
échut dans le partage que les croisés firent des fiefs de Tem-
pire. Au siège d'Andrinople , méprisant les conseils de la
prudence et les ordres exprès de l'euipereur Baudouin, sa
biavoure impétueuse le fil sortir du camp pour tomber sur
l'armée de Joannice, roi des Bulgares. Cette témérité ayant
été fatale aux chrétiens, il voulut périr les armes à la main,
et racheta sa faute par une mort héroïque.
TuutAuo VI, comte de Blois et de Chartres, succéda au
comte Louis, son père, sous la tutelle de Constance, com-
tesse de Clermont en Beauvaisis, sa mère. Étant décédé
sans enfants en 1218, sa succession échut à sa tante Mar-
guerite, qui régna concurremment avec son mari Gauthier
d'Avesnes. Marie d'Avesnes , leur unique enfant, succéda à
sa mère en 1230, avec Hugues de Chastillon, comte de Sainl-
Pol, son époux. Jean de Chastillon, un de ses fils, eut en
héritage le comté de Blois, qui à la mort de sa fille, Jeanne,
passa au cousin germain de celle-ci , Hugues de Chastillon,
lequel servit Philippe le Bel dans la guerre de Flandre.
Son fils, Gui 1" de Chastillon, son successeur en l'M3,
beau-frère, par Marguerite de France, sa femme, du roi Phi-
lippe de Valois, rendit des services importants contre les An-
glais. De lui naquirent Charles de Blois, duc de Bretagne
en 1341, du chef de sa femme, et Louis II de Chastillon,
qui parvint au comté de Blois en 1362, et qui trouva une
mort glorieuse en I36G, à la bataille de Crécy. Ses trois
fils, Louis 111, Jean II et Gf i II de Chastillon, ont gouverné
successivement les comtés de Blois, de Dunois et de, Sois-
sons, le premier jusqu'en 1372 (mort célibataire), le second
jusqu'en 1381. Celui-ci, aux droits de sa feuime, Malhilde
de Gueldre, avait été proclamé duc de Gueldre par la l'ac-
tion desHckerains (1371). Celle de Bronckhorst lui opp.^a
Guillaume de Juliers, l\U île Marie de Gueldre, cl apivs
bien des combats elle finit par l'emporter. Le comte Jcitn II
n'eut que des enfants naturels, «lui , sous les noms de Blois-
Trelon et de Hœflen, ont fait souche aux Pays-Bas.
Longteïnps avant son avènement au pouvoir. Gui 1 1 avait
signalé sa valeur contre les Lithuaniens et les Russes i\ la
bataille de Rndau ( 1370), ensuite contre les Anglais dans la
Guiiniie.'Clii 1 île l'arrière-garde française àRoseb ec, il
contribua parliciiliètemeiit h cette éclatante victoire ( 1382 ',,
puis l'année suivante à l'expulsion des Anglais de la Flandre.
Ce comte est dé[teint par les historiens du temps comme un
modèle de générosité et de vaillance; sa libéralité poussée
à l'excès porta même un grand préjudice à sa famille, car,
ayant perdu son fils ( Louis de Chastillon , comte de Dunois,
mort sans enfants, en 1391 ), il vendit sous réserve d'usu-
fruit, et sans égard à ses bériliers , les comtés de Blois et
di; Dunois à Louis de France, duc d'Orléans. Gui de Chas-
tillon mourut le 22 décembre 1393. Un seul trait eût suffi
pour honorer sa mémoire : il fut le protecteur de Froissart,
et c'est sous ses auspices que fut faite l'immense et précieuse
compilation de cet historien.
Louis de France, duc d'Orléans, comte de Valois, de
Blois et de Dunois, eut pour successeur après .<;a moit tia-
gique(1407) son fils aîné Charles, duc d'Orléans, père du ,
roi Louis XII. La réunion du comté de Blois à la couronne »
date de l'avènement de ce dernier prince (1498). Cependant
elle ne fut délinilive qu'eu 1515, sous Henri II, fils de Claude
de France, à laquelle le roi Louis Xll avait donné le comté
de Blois en dot, en la mariant au comte d'Angoulême (de-
puis François l"). Lainé.
BLOMFILLD (CiiAr.Lis-JArfirs), lord-évêqiie de Lon-
dres, l'un de?, prélats les plus savants et les plus iniluents J
(lu clergé anglican, naquit , on 1785 , à Bury Saint-Ednumds, ^
dans le comté de Sullolk, où son père, également homme
d'une grande et solide instruction , était maître d'école. \\
dut aux excellentes leçons de son père la connaissance des
lettres grecques et latines, et alla terminer ses études à Cam-
bridge, où il reçut à diverses ie[irises des distinctions lio-
noriliqucs. Il avait déjà, depuis 1810, administré diverses
paroisses, lorscpie l'évéïiue de Londres, appréciant son pro-
fond savoir en Ihéologie et en philologie, le nounua, en 1819,
chapelain de sa maison; i)eu de temps après, il fut pourvu
de la prébende de Saint-Botolph, et enfin, en 1828, pronm
au siège de Londres. Il jeta les fondements de sa réputation
d'érudit par son édition de Callimaque ( Londres , 1815) el
de plusieurs pièces d'Eschyle, notamment du Promcllnc.
(Cambridge, 1810), des Sept chefs contre Thèbcs (Cam-
bridge, 1812), des Perses (Cambridge, l'è\i),i\esCo('p/iorts
(Cambridge, 1824 ),et de r/ly«»(e»i «on (Cambridge, 182.",).
Il a aussi publié, en collaboration avec Reunel, les Musx
Cantnbrtgenses ; avec Monk, en 1812, les Posthumous
Tracts of Porson , et, en 1814, les Adversaria Porsom.
Dans ces dernières années, .soupçonné de penchant pour le
puséysmc, Blomfield a eu à .soutenir beaucoup d'attaques,
auxquelles il a répondu victorieusement en se déclara:il
hautement contre la bulle du pape en 1850, et en desti-
tuant le pasteur de Saint- Barnabas, Bennett, suspect de
crypto-catholicisme. Cependant, il a de nouveau soulevé
l'opinion publique contre lui en détendant à M. Merle d'Au-
bigné , à l'époque de l'exposition de l'Industrie, de prôchei
à Londres dans une église du rite anglican.
BLOMFIELD ( tnouAun-VALENTiN) , frère du précédent,
honorablement connu aussi comme philologue, naquit en
1788, fit ses études à Cambridge, et visita, en 1813, l'Al-
lemagne, où il se lia, à Berlin, avec Wolf, et à Breslau
avec Schneider. A son refour eu Angleterre, il fit paraître
dans le Muséum crilicum, or Cavibridge ctassicul Rese.ar-
c/ie5, d'intéressantes observations sur la littérature allemande.
Nommé prédicateur à l'église de Sainte-Marie , à Cambridge,
BLOMFIELD — BLOOMÉRISME
305
il entreprit la traduction du Dictionnaire grec-allemanit
(le Scimeider, et de la Grammaire grecque de Matthia*, et
mourut en 1816, au retour d'un voyage en Suisse.
BLOMMAERT( Philippe), un des écrivains flamands
les plus éminents, né vers 1809, vit à Gand , comme un
riche particulier, des revenus d'une fortune considérable.
Dès 1S34 , il s'est fait connaître par l'insertion dans le jour-
nal hollandais LeKeroe/eminijen de poésies dont on peut
louer la simplicité et la gravité, mais dont les formes trop
rudes déi)lurent au public. Il a rendu de plus utiles services
à la littérature llainande |)arla publication de vieilles poésies
(lainandt's du douzième, du treizième etdu quatorzième siècle,
couune T/icop/iilas (Gand, 1830 ) et Onde viaemische (jc-
dicliten (Garni, 1838-41, 2 vol.), qu'il a enrichis de glos-
.saires et de savantes annotations. Les sarjua sont aussi une
de ses études de prédilection. L'intérêt qu'il prend à la lit-
tt'raliuc allomar.de a été révi'ié ;)ar une traduction des Ni-
bclaii'jcii on vers ïambiques. Cependant son ouvrage capital
est VAluudc fjesc/iieiteiii.t der Jitdyen of Scdcrduilscliers
(Bruxelles, isiO), oii il défend l'opinion que les Pays-Bas
allemands, bien que .soparos politiquement de l'Allemagne,
sont appelés a poursuivre le même but que ce dernier pays
sous le rapport de la culture historique. Blommaert a écrit,
en outre, dans plusieurs journaux belges, entre auties
dans le Messager des Sciences Historiques. Il a été aussi
avec Willems un des principaux promoteurs de ces péti-
tions en faveur de la langue îlamande, qui ont tant occupé
le i)ublic belge en 1840.
BLOAÎD , mot dérivé à'abhinda , qui signifie paille , cou-
leur de paille, ou plus directement encore , selon Ménage ,
de blodum , blé, s'applique à une couleur de cheveux qui
appioohe de celle des épis de blé , et qui est en général celle
des poujjles du >"ord.
liLOXDE,. sorte de dentelle en soie, le plus souvent
noire ou blaiiolio, mais quelquefois aussi rose, ^erte et
bleue. Les blondes sont ordinairement travaillées par des
femmes et des enfants. Les grands morceaux, destinés ù faire
des écharpcs, des voiles, des robes, etc., sont fabrifpiés par
bandes, et ensuite réunis par un point pareil à celui duréîcau,
et conséqueniuient iuqioroeplible. Cette opération délicate
constitue un travail dont la bonne ou la mauvaise exécution
détermine, non moins que le fini des dessins et la régularité
du réseau, le prix des grandes pièces. C'est ce que l'on
nomme en terme de fabrique raccroc.
Le dé|)artement du Calvados est le centre de la fabrica-
tion des blondes. On porte de quatre-vingt à cent mille le
nombre des ouvrières, tant au métier que raboutisseuscs.
La iManohe prend aussi part à cette fabrication; mais ses
métiers produisent beaucoup moins que ceux du Calvados.
Les blondes île Chantilly sont assez estimées; mais elles
sont généralement moins bien rnbouties, it leur blanc tire
un peu sur le verdàtre. Viennent ensuite les produits des
fabritjues de iMirecourt (Vosges) , (jui sont inférieurs aux
blondes de Caen et de Chantilly, et les blondes du Puy
{ Haute-Loire); c'est dans cette dernière ville qu'on en fa-
brique le plus de basse qualité et a bon marché.
On fabrique aussi des blondes en Suisse et dans la Saxe ;
mais quelques maisons seulement s'en occupent, et les pro-
duits que l'on en tire ont moins de blancheur et de fermeté
que les nôtres , et ne sont presque toujours que des copies
de ni'^ dessins.
BLO.\DEL ou BLONDIAUS, surnommé de Neesles, du
lieu de sa naissance, fut un dos plus célèbres trouvères du dou-
zième siècle. Étant allé en .\ngletcrre, il ne tarda pas à de-
venir le favori de Richard Cœur de Lion, qu'il accompa-
gna en Palestine. Ce prince ayant été arrêté à son retour
par le duc d'Autriche Léopold, Blondel, s'il faut en croire
un chroniqueur anglais fort ami du merveilleux, parcou-
rut .sdus un déguisement toute r.\llemagnepour chercher son
maître clicri. Arrive daiu les enviions du château de Lœ-
vonstein en Autriche , il apprit qu'un prisonnier de distinc-
tion y était enfermé. Après d'inutiles efforts pour le voir, il
se plaça en face d'une tour grillée dans laquelle gémissait
le prisonnier, et se mit à chanter un air qu'il avait composé
avec Richard. A peine eut-il terminé la première stroi)he,
qu'une voix lui répondit du fond de la tour et acheva la
chanson. Ce fut ainsi que Blondel découvrit le roi. 11 se hâta
de retourner en Angleterre. Une ambassade envoyée à l'em-
pereur obtint la liberté de Richard moyennant une rançon
de '250,000 marcs d'argent. Cette tradition a servi de texte
à maint poème, et fait le sujet d'un joli opéra-comiijue de
Sédaine dont Grétry composa la musique. De toutes les
poésies de Blondel, il n'en est venu jusqu'à nous qu'un petit
nombre, qui se conservent manuscrites à la Bibliothèque
Impériale et à la bibliothèque de l'Arsenal à Paris.
BLOJVDEL (François), littérateur, architecte et ingé-
nieur, né à Ribemont, en Picardie, en 1617, et mort le
21 janvier 1686, était fils d'un professeur de mathématiques
qui, n'ayant pas de fortune à lui laisser, voulut du moins
lui donner des moyens de s'en faire une par ses connaissances,
et prit grand soin de son éducation. Après avoir voyagé
plusieurs années comme gouverneur du jeune comte de
Brienne, fils du ministre Loménie, Blondel fut employé
dans diverses négociations , visita l'Kgypte, et en 1659 il
se rendit à Coustanlinople , en qualité d'envoyé extraordi-
naire, au sujet de la détention de l'ambassadeur français.
Le succès qu'il obtint dans cette affaire lui valut un brevet
de conseiller d'iiltat, et il ftjt chargé d'enseigner au premier
dau|)hin les lettres et les mathématiques.
Ce n'est que vers l'année 1665 que Blondel dirigea son
esprit vers l'architecture. Il rétablit un pont sur la Charente
à Saintes, et le décora d'un arc de triomphe. En 1069 il
fut admis à l'Académie des Sciences, et Louis XIV ordonna
que les travaux publics qui se feraient à Paris seraient exé-
cutés d'après ses plans. C'est alors que Blondel dirigea la
restauration des portes Saint- Antoine et Saint-Bernard , et
fit élever la porte Saint- Denis. Ce dernier ouvrage a suffi
pour lui faire un grand nom. C'est un monument du plus
beau style, et qui ne nous laisse rien à envier dans ce genre
aux anciens {voyez Akc de triomphe, t. I*"", p. 748). Ce
travail valut à son auteur la place de directeur et de pro-
fesseur à l'Académie d'Architecture, dont il avait obtenu la
fondation.
Blonde! fit preuve de goût et de hardiesse dans son pa-
rallèle d'Horace et de Pindare, eu élevant le premier au-
dessus du second. Pour apprécier le mérite de cette opinion,
il laut se rappeler que la littérature en était à une époque
deservilisme aveugle pour l'antiquité, et surtout pour l'an-
tiquité grecque. Chose singulière! tandis que Blondel et les
Perrault s'inspiraient dans leurs monuments des plus beaux
modèles de l'antiquité grecque et romaine , ils se consti-
tuaient en littérature les défenseurs de la liberté de penser
et d'écrire.
Blondel était lecteur de mathématiques au Collège de
France; il les avait étudiées dans toutes leurs applications,,
et surtout dan& leurs rapports avec l'art de la guerre. 11
pensa qu'il serait utile à son pays en composant deux trai-
tés, l'un sur l'art de tirer les bombes, l'autre sur l'art do
fortifier les places [Nouvelle manière de fortifier les pla-
ces, 1683), et les présenta à Louis XIV, qui applaudit à
leur mérite, et récompensa Blondel par le grade de maréchal
de camp.
Son neveu Jean-François Blondel, qui éleva le palais
archiépiscopal de Cambrai, le portail delà cathédrale de
I\letz, etc., a aussi écrit sur l'architecture. Né en 1705, il
est mort en 1774.
BLOOMÉI\!SME. Il n'y a pas encore un an que
quelciues lilles d'Eve s'avisèrent, de l'autre côté de la iMan-
che , de mettre ce que la pruderie anglaise appelait autrefois
le vêtement nécessaire. Cela fit quelque scandale. Ce»-
S04
BLOOMERTSME — BLUCHER
«Inincs (lomandèrcnt à sVxpliqiior dans des clubs , et elles
nous apprirent qu'elles s'api)elaient blooméristcs , du nom
de M"'* Aniélla IMoomer, laquelle avait inventé et répandu
leur costume. Ce costume consistait en un pantalon sans
jupon, et en une casaque avec tunique. KUes ajontaient,
ces dames, que madame Bloomer était une très-excellente
femme, épouse d'un avocat émincnt de Boston (États-Unis)
et colonel de la milice, fto plus, madame Bloomer était
bien faite, disaient-elles; et loin de répudier les lois de la
(judcur, c'était au contraire parce qu'elle croyait le costume
actuel des femmes trop mondain qu'elle avait imaginé de
rapprocher celui <le son sc\e des liahits des hommes. Les
Ani;lais, peu ^'alants, huèrent les novatrices, et il leur fallut re-
noncer à montrer leurs charmes enfermés dans le gracieux
costume des hussards. Depuis, les journaux, sans doute pour
mettre lin au bloomcrisme, nous oniannoncé que M'"® Bloo-
mer avait été tuée par son mari.
BLOOMFIELD (Roueut), poète ouvrier anglais, né
le 3 décembre ITOO , i'i Honington, était fds d'un tailleur de
campagne, (pii l'envoya, en 1781, à Londres pour apprendre
l'état (le cordonnier chez son irère. La fréquentation de
quelcjues chapelles , des visites au théâtre de Covcnt-Gar-
<icn , la lecture de quelques livres , l'introduisirent bientôt
<lans un monde nouveau , où il trouva peu à peu les élé-
ments de sa véritable vocation. Ainsi , il devint poète prcs-
(|iie sans le savoir. Un jour, il récitait devant son frère une
chanson populaire, qu'il avait composée sous une forme an-
cienne; celui-ci lui proposa de l'offrir à l'éditeur du London
Magazine, qui l'accepta. Ce petit poème était intitulé la
Laitière. Le suivant, le Retour du Navigateur, fut éga-
lement bien accueilli du public. Les Saisons de Thomson ,
le Paradis perdu de Milton, et d'autres bons ouvrages,
étaient la lecture favorite et habituelle de Robert, et en
tirent le créateur d'un genre de poésie que les Anglais met-
tent pour l'ensemble à côté de celle de Thomson, mais bien-
au-dessus pour les détails. Il conçut à la campagne, où il
fi'arrôta pendant quelque temps en 1780, l'idée de son poème
ie Valet du Fermier, «pii porte le cachet de l'humeuraimable
et gaie de l'auteur. 11 n'y travailla cependant pas dans des
circonstances très-favorables, car il était encore compagnon
coidonnier, et habitait une petite chambre sous les toits. Un
docteur en droit, nommé Capel Loflï, qui lut ce poème
en 179!), en fut tellement satisfait qu'il résolut de le faire
imprimer, en société avec un de ses amis nommé Gill. L'im-
pression eut lieu en effet l'année suivante, en 1800. On a
«ncore de Bloomfield un recueil de poésies pastorales , qui
ont été traduites en fiançais, sous le titre de Contes et c/ian-
so)is cliampctrcs, par i:. de Lavaisse, et publiées à Paris
en 1802. JNous avons une traduction du Valet de Fermier
par li.F. Alk'.rd ( i'aris, isuo ), et une autre, par T. -P. Ber-
lin, de r Histoire du e.hapeau neuf du petit Davij (Pa-
ris, 1S18). lîloomlield n'abandonna jamais son métier de cor-
■«.îonnier. Sur la (in de sa vie, il perdit par trop de bonhomie
tout ce qu'il possédait. Devenu aveugle, il mourut à Slief-
ford , le 19 août 182.'î. Ses Poems ont souvent été réimpri-
més à Londres, notanmwnt en I8'i5.
liLOUSE. Ce vêtement est le saijon des Gaulois. Il a
conservé son nom originaire dans quehjues contrées de la
l'rance méridionale. Depuis vingt siècles, le sayon ou blouse
lia pas cessé <rètrc l'habillement ordinaire des voittiiicrsct
lies hommes de peine; setdcmcnt il se composait do jicaiix
<hez les Gaulois : il est maintenant d'étoile; et les monta-
î;nards des Pyrénées, les villageois du Médoc, le portent en-
tore tel que le [tortaient les Gaulois. L'usage de la blouse
s'est beaucoup étendu depuis que!<pies années : c'est le vê-
tement de travail des ailistes , et les ouvriers appellent bor-
çerons des demi-blouses qui ne descendent qu'aux reins. La
blouse est l'uniftirme national des milices citoyennes dans
les campagnes.
Pendant l'hiver, U est dans l'usage ordinaire que les vil-
lageois, les voituriers, remplacent la blouse de toile jtar une
limousine , espèce de manteau d'étoffe de laine coMuiume ,
froncé dans sa ])artie supérieure, et sans autre liiçon. La li-
mousine, moins ample que le manteau, ne diflëre de la
blouse que parce qu'elle est ouverte dans toute sa longueur
par devant.
Le plus simple, le plus commode et le moins coûteux des
vêlements, la blouse, ne semble pas l'apanage de la fortune;
cependant elle ne dénoie pas toujours la misère. Elle est
I>lutôt le symbole du travail. Il y a aussi la blouse des
touristes, la blouse des chasseurs, la blouse des enfants.
Après la révolution de Février, la blouse joua un très-grand
rôle dans les événements. Chacun voulait être ouvrier; et
pour le prouver encore mieux , beancouj) endossèrent la
blouse. Vanité des vanités! La fi)rce était alors avec le
nombre, et on ne pouvait pas penser qu'elle l'abandonnerait
si tôt. Que de getis, siMiihlables à ces cruches qui ne se baissent
que pour se remplir, se faisaient petits dans l'espoir de
grandir plus vite! Partout on entendait dire aux démocrates
(pie l'on ne voulait pas changer les habits en blouses, mais
les blouses en habits; et cependant c'était tout le contraire
qui arrivait : les blouses augmentaient en nombre Mais lui
jour la blouse se retourna contre la blouse, sous la conduite
des habits brodés , et bientôt ce qui resta de blouses ne fut
plus regardé que comme une vile multitude. La blouse
a repris son rang. Les événements de décembre lui ont
rendu ses droits.
BLOUSES {Géologie). Voyez BEnouzKs.
BLUC^IIER (Gecuard Lebeiuxut de), de la maison de
Gross-Reusow, dans le Mecklenbourg, prince de Wahl-
staJt, feld-maréchal de Prusse et chevalier de presque tous
les ordres militaires d'Europe, naquit à Rostock, le IG dé-
cembre 174'/!. Son père, capitaine de cavalerie au service de
Hesse-Cassel , l'envoya à l'ûge de quatorze ans à file de
Piugcn, où la vue des hussards suédois lui inspira le désir
d'embrasser l'état militaire. En vain ses parents cherchèrent
à l'en détourner. Le jeune Blucber, ne prenant conseil que
de sa passion naissante, prit du senice en qualité de cadet
dans le régiment dont l'aspect avait décidé de sa vie entière.
11 (itsa première campagne contre la Prusse, et fut fait pri-
sonnier par le même régiment de hussards prussiens qu'il
commanda dans la suite avec tant de distinction. Le colo-
nel lîelling, alors chef de ce régiment, le détermina à en-
trer au service de la Prusse, et, par suite d'un échange de
prisonniers, Blucber fut nonuué lieutenant dans ce môme
régiment. Victime d'un passe-droit , le jeune Peutenant
donna sa démission en 177'2; et a!ors, prenant, suivant l'u-
sage établi dans les armées du nord de l'Europe, le titre du
grade immédiatement supérieur à celui qu'il avait rempli ,
il se retira dans ses foyers comme capitaine de cavalerie en
retraite, pour se vouer désormais exclusivement à l'écono-
mie agricole. Il acheta, avec la dot de sa fenuue, la terre
de Gross-Raddow en Poméranie, et devint en 17u4 conseil-
ler provincial.
Après la mort de Frédéric H, il reprit dn service comme
capitaine dans son ancien régiment. 11 en fut nommé colonel,
et se distingua en cette (pialité, en 179:J et 1794, sur les
Ijordsdu Rhin. Orchies, Luxembourg, Franckenste'n , Op-
penlieim (IG janvier 1794), Kirrweiler, Edesheim, dans le
Palatinat, furent tour à tour témoins de sa bravoure. Après
l'aflaire de Leystadt ( 13 septembre 1794), si glorieuse pour
lui , il passa à l'armée d'observation du Bas-Rhin en qualité
de général-major. En 1802 , il prit possession d'Krfnrt et de
Miilhausen au nom ihi roi de PiTJSse. La guerre qui éclata
en 1806 le conduisit sur \i champ de bataille d'Auer>lae<!l
( 14 octobre ). 11 accompagna, avee la plus grande |iartie de
la cavalerie, le prince de llohenlohe, dont il formait le
flanc gauche , dans sa retraite en Poméranie. La distance
qui féparaitles deux corps d'armée étant devenue trop con-
sidéralile pour pouvoir être franchie, même par des marches
BLUCHER — BLUETv
305
f,»rcéos (le jour et de nuit, le prince de Hohenlohe se vit
lorcé de mettre bas les armes à Prenzlau. Bluchcr, à qui par
là la route de Stettin se trouva coupée , fut obligé de se je-
ter dans le Mecklenbourg , où il opéra, près de Dambeck,
sa jonction avec le corps d'armée du duc de Weimar, que
commandait le prince Guillauiiic de Brunswick-Œls ; mais
toutes ces différentes troupes étaient trop fatiguées pour
tenter rien de décisif. Ayant sur son flanc gauche le corps
du grand-duc de Berg, en face la division du prince de
Ponte-Corvo, et sur sa droite celle du maréchal Soult, Blu-
cher ne vit rien de mieux à faire que de se retrancher der-
rière la Trave pour garantir aussi longtemps que possible
roder de l'approche des troupes françaises. C'est ainsi qu'il
envahit le territoire de la ville libre de Lubeck ; mais cette
ville , fortifiée à la hâte , fut emportée d'assaut par l'armée
française, et Blucher, contraint de se retirer promptemeut
avec ses troupes , n'ayant aucun moyen de se détendre et
de faire une plus longue retraite , fut contraint do capituler
le 6 ouïe 7 novembre, aux environs de Ratkow, village près
de Lubeck. 11 n'en vint toutefois à celte extrémih; qu'après
avoir obtenu, non sans peine, que la capitulation contiendrait
la clause expresse : « qu'il n'avait accepté la capitulation
qui lui était offerte par le prince de Ponte-Corro que ré-
duit à la dernière ex (rémité par le manque absolu de vivres,
de fourrages et de munitions ».
Blucher fut donc fait prisonnier de guerre, mais il fut
bientôt échangé contre le général Victor, et nommé, aus-
sitôt après son arrivée à Kœnigsberg, au commandement
d'un corps d'armée qu'on embarqua immédiatement pour
aller défendre Stralsund, et seconder les entreprises de la
Suède. Après la paix de ïilsitt, Blucher fut employé au
département de la guerre. 11 obtint ensuite le commande-
ment supérieur de la Poméranie, mais fut bientôt mis à la
retraite, ainsi que d'autres hommes de mérite, sur la de-
mande expresse de Napoléon. Il ne prit aucune part à l'ex-
pédition du corps d'armée auxiliaire prussien envoyé contre
la Russie pendant l'été de 1812; mais lorsque la nation
iirussienne se leva en masse pour combattre l'oppression de
Napoléon, Blucher, déjà âgé de soixante-dix ans, fut l'un
des instigateurs les plus ardents de cet élan patriotique. 11
obtint le commandement général des troupes prussiennes
et du corps d'armée russe du général AVinzingerode, corps
qui, dans la suite, fut détaché de son commandement.
Alexandre récompensa la rare valeur dont il fit preuve à
la bataille de Lutzen, le 2 mai 1813, par la décoration de
l'ordre de Saint-Georges. Les journées de Bautzen et de
Haynan ne furent pas moins glorieuses pour lui ; Blucher
battit à la Katzbach le maréchal Macdonald, et fit
évacuer aux Français la Siiésie. Son corps d'armée prit dès
lors le nom d'armée de Siiésie. Napoléon chercha vaine-
ment à arrêter dans ses succès le vieux général de hus-
sards, comme il l'appelait. Le 3 octobre, Blucher passa
l'Elbe près de W'artembourg, et par cette manœuvre har-
die força la grande armée de Bohême, aux ordres du
prince de Schwarzemberg, et l'armée du Nord, commandée
par le prince royal de Suède , à déployer plus d'activité.
Les journées mémorables de Leipzig approchaient. Le
16 octobre 1813 Blucher remporta des avantages signalés
sur le maréchal Marniout, près de Mœckem, et s'avança
jusqu'aux faubourgs de Leipzig. La défaite des Français
dans la journée du 18 est due en grande partie à ses efl'orts
réunis à ceux du prince royal de Suède , et le 19 ce furent
les troupes du général Blucher qui entrèrent les premières
dans la ville. La promptitude remarquable et l'art particu-
lier avec lesquels il dirigeait ses attaques lui avaient déjà
valu de la part des troupes russes, au commencement de
la campagne, le surnom de maréchal Vonvxrls! (en avant!)
Dès lors, ce fut son glorieux surnom dans toute l'Allemagne.
Le l*"" janvier 1S14 il se porta sur le Rhin, à la tête de
l'armée de Siiésie, composée do deux corps prussiens, deux
LICT. Dli LA r,ONYF,!;S. — T. III.
corps russes, un corps liessois, et d'un corps de troupw de
différentes nations. Jl occupa Nancy le 17 janvier; rem-
porta le l"^"" février un avantage marqué à la Rothière, et
marcha audacleusement sur Paris. Cependant les corps
d'armée qu'il commandait furent momentanément repoussés
par Napoléon ; et ce ne fut pas sans des perles considé-
rables qu'il opéra sa retraite sur Châlons. Il traversa en-
suite l'Aisne près de Soissons, opéra sa jonction avec l'ar-
mée du Nord, gagna la bataille de La on sur l'empereur
en personne, et vint prendre position devant Paris avec
Schwarzemberg. La journée de Montmartre ( ."50 mars 1814 )
couronna cette mémorable campagne, et le 31 mars 1814
Blucher entra en triomphateur dans la capitale de l'empire
français.
Le roi de Prusse lui donna alors le titre de prince de
Wahlstadt en mémoire de la victoire qu'il avait remportée
près de la Katzbach, et accompagna cette nomination d'une
riche dotation. Il suivit les monarques alliés, au mois de
juin suivant , en Angleterre , et y fut reçu avec enthou-
siasme. L'université d'Oxfoid le nomma solennellement doc-
teur en droit; ridicule honneur, que le vieux général accepta
naïvement, et qu'il partagea d'ailleurs avec Platof, l'hetman
des Cosaques.
En 1815, l'empereur ayant reparu à la tête d'une armée,
Blucher conduisit rapidement ses troupes dans les Pays
Bas. Le 15 juin Napoléon l'attaqua avec vigueur, et le len-
demain Blucher perdit contre le grand capitaine la célèbre
bataille de Ligny. Il y fut en grand danger de perdre la
vie , ou tout ou moins la liberté , par la chuie de son che-
val , sous le corps duquel il se trouva comprimé un instant.
Au moment le plus décisif de la journée du 18, Blucher se
présenta sur le champ de bataille avec ses Prussiens, et
tomba sur les derrières et le flanc de l'armée française, que
Grouchy était chargé de couvrir. On peut dès lors lui assi-
gner la plus grande part de la victoire de Waterloo.
Après l'entrée des alliés dans Paris, Blucher montra contre
les vaincus une animosité qui a beaucoup nui à la justice
que tôt ou tard les Français lui eussent rendue comme gé-
néral. Ils ne virent en lui qu'un chef de hordes barbares,
l'emportant encore sur ses suhoivlonnés par son ignoble fé-
rocité et sa ridicule arrogance; et c'est justice que de re-
connaître qu'il sembla prendre plaisir lui-môme à justifier
ce jugement sévère et partial en affichant hautement les
sentiments les moins nobles et les moins généreux. Afin de
lui témoigner sa reconnaissance , le roi de Prusse, Frédéric-
Guillaume III, créa uniquement pour Blucher, déjà en pos-
session de tous les honneurs, un ordre particulier, dont
les insignes consistaient en une croix de fer entourée de
rayons d'or.
Après la paix de Paris , le prince Blucher se retira dans
ses terres. Il mourut le 12 septembre 1819 , à la suite d'une
courte maladie, dans son domaine de Kriblowitz, à l'âge
de soixanle-dix-sept ans. Le roi de Prusse lui a fait ériger
à Berlin une statue de douze pieds de haut, modelée par
Rauch , et fondue par Reisinger et par un Français nommé
Lequine. Le piédestal qui la supporte a quatorze pieds de
haut, et est orné de bas-reliefs représentant ses principaux
faits d'armes. Une statue a été pareillement érigée en sou
honneur à Breslau , en 1827.
BLUE-RIDGE. Foyes Alleghanys et Bleues (Mon-
tagnes ).
BLUET, BLEUET, BLAVET, BLAVÉOLE ou BAR-
BEAU , mot fait de la basse latinité , blaveus ou blavits ,
ou de l'allemand blau , qui signifient bleti ; genre de la in-
mille des cynarocéphales et de la syngénésie polygamie
frustanée. Le bluet commun , auquel Toumcfort a donné le
nom de cyanus segctum, et Linné celui de centaurea cya~
nus, est une plante annuelle à fleurs bleues, qui pous»»
naturellement et se ressème d'elle-même parmi les blé»,
qu'elle étouffe souvent. Le seul moyen de la détruire esl da
33
306 BLUET
faire succéder à la culture des cér(^aies une récolte de lé-
gumes , qui permet de l'arracher à mesure qu'elle paraît, ou
d'y semer du trèlle , qui Tétouffe à son tour.
Le bluet n'est pas sans agrément dans les jardins , où
la culture et les soins en augmentent la beauté naturelle. On
en faisait autrefois un grand usage en médecine; on en
tirait une eau distillée , qu'on employait pour les mahidies
des yeux (d'où le bluet avait reçu le nom de casse-luneltcs),
mais qui passe, près des praticiens éclairés, pour n'avoir
pas plus de vertu que^ l'eau pure.
BLUET D'ARBÈRES (Bernard), personnage ex-
centrique , dont le nom est bien connu des bibliomanes ,
et dont Nodier a parlé dans un travail spécial sur la bi-
iiliographie des fous. Dès VlntHulation et Recueil de
toutes ses auvres , Bluet vous avertit qu'iZ ne sçait nij
lire ivj écrire, et n'y a jamais apprins. Né près de Genève,
en 1566, dans une famille de paysans, Bluet, d'après le
récit qu'il a tracé de son existence, garda les moutons
dans son enfance, fut ensuite charron, et joua, auprès de
quelques gentillàtres savoyards très-oisifs et peu délicats
dans leurs amusements , le rùle d'un fou en titre d'oiïice.
L'ambition lui monta un jour à la tôte ; à l'âge de trente-
quatre ans , il vint à Paris; il s'octroya ii lui-même les titres
de comte de Permission et de chevalier des ligues des \\n
Cantons Suisses. 11 imagina de faire imprimer quelques
feuillets où il consignait des rêveries amphigouriques; il les
colportait dans les rues; il montait dans les maisons ])oiir
les vendre. Il dédiait chacun de ses livres ou fragments à
quelque personnage de la cour, obtenant , en échange de
ses flatteries hyperboliques , un peu d'argent ou des objets
de diverse nature. Il nous apprend qu'il reçut du duc de
Bouillon six écus , de Jacques le Roy une rame de papier,
d'une duchesse de Flandres un double ducat, de madame
de Puyenne une aune de toile blanche, du prince d'Orange
nn écu , du comte de GroUay une pistole fausse. Henri IV,
quoique assez peu généreux , se montra libéral à l'égard de
Bluet d'Arbères ; il lui accorda trois cent quarante écus en
diverses fois ; il lui fit cadeau d'une chaîne d'or valant cent
écus ; il finit par le gratifier d'une pension de cent livres
tournois. Ce fou, qui n'était peut-être pas aussi insensé qu'il
voulait le paraître, récolta, de son propre aveu, plus de
quatre mille écus, somme fort considérable pour l'époque.
L'œuvre de Bluet se compose de 173 ou de 180 livres;
mais ils ont eu le môme sort que ceux de Sophocle et d'Es-
chyle , de Tite-Live et de Tacite : il n'en est venu jusqu'à
nous qu'une partie; on connaît les livres 1 à 85, 91 à 113,
141 à 173; le reste semble perdu sans retour. Il est à
propos d'observer que divers livres ont été réimprimés
avec des différences notables. On ne connaît que quatre ou
cinq exemplaires de ce recueil, et il faudrait les réunir tous
pour obtenir un exemplaire complet des 137 livres connus et
des livres doubles. Le prix que les amateurs donnent d'un
volume de Bluet, lorsque se présente (et elle n'arrive pas
tous les vingt ans) l'occasion d'en faire l'emplette, suffirait
pour se rendre propriétaire de tous les chefs-d'anivre de la
littérature française. A la vente Mac-Carthy , en 1816, un
exemplaire fut adjugé à 500 fr., et passa en Angleterre ;
remis aux enchères quinze ans plus tard , il trouva acqué-
reur à 20 livres sterling.
Ce fut en 1600 que le comte de Permission commença
rim|iression de ses extravagances , où le vulgaire cherchait
des prophéties cachées. Un très-rare opuscule en vers, in-
titulé : Tombeau et testament du feu comte de Per-
mission, nous fait savoir qu'en 1606, la peste faisant des
ravages à Paris, il voulut s'abstenir de toute nourriture
pendant neuf jours et
par sa prière
Chasser la fureur en arrière
De Dieu, justiincnl irrite
Contre cette grande cité.
- BLUIM
Mais le sixième jour, s'étant rendu dans le cimetière Saint
Etienne , il tomba en défaillance ,
Et la mort lui silla les yeux,
Son âme s'envolant aux cienx,
Gustave Brunet.
BLUETTE. Au propre, c'est une étincelle. Au figuré ,
on appelle ainsi une légère et petite composition dont l'es-
prit seul fait tous les frais; on doit donc n'y chercher ni
abondance d'idées ni chaleur de sentiment; un plan, quel
qu'il soit , n'est pas même indispensable : il ne s'agit que
d'amuser ou d'éblouir un instant. A la naissance d'une lit-
térature, les blucltes ne sont pas entièrement à dédaigner;
si elles ne contribuent pas à donner au goût une direction
élevée, elles piquent, elles éveillent du moins la curiosité;
elles mettent enfin sur la route des plaisirs intellectuels. On
cite quelques binettes qui , venues à propos , ont ime place
imperceptible dans les bibliothèques et se sont conservées
pendant quelque temps dans la mémoire des amateurs. Les
femmes aiment les bluettes; souvent elles les inspirent. Les
jeunes gens partagent ce penchant, mais ils s'en corrigent
plus tard. A une époque comme la nôtre, les bluettes i)ro-
prement dites n'ont aucun prix : le public ne saurait les
comprendre ; son attention est trop vivement préoccupée par
de plus hautes questions. Les écrivains, de leur côté, qui
sont forcés d'obéir au goût général, ont perdu l'habitude
des bluettes, pour composer de volumineux romans. La
bluette pétille même de moins en moins sur les scènes de
vaudeville où naguère elle faisait merveille. La France s'en-
nuie et s'endort. Saint-Prosper.
BLUM (Robert), non moins connu par le rôle qu'il a
joué comme agitateur politique que par sa triste fin , naquit
à Cologne, le 10 novembre 1807 , de parents plongés dans
la misère. Il apprit le métier de ceintmier, et entra plus lard
dans une fabrique de lanternes , où il fut employé comme
commis et où il commença à se livrer à quelques études,
à l'instigation de son patron. Après un court service mili-
taire en 1830, il sollicita, pour vivre, une place au tliéA-
tre de Cologne , et l'obtint du directeur Ringelhardt , qu'il
suivit, en 1831, à Leipzig en qualité de secrétaire et de
caissier.
Cette nouvelle position lui laissant le temps de s'occuper de
travaux littéraires , il se mit à écrire dans divers journaux ,
composa une pièce de théâtre sous le titre de la Délivrance
de Candie (Leipzig, 1835), et rédigea le Dictionnaire
Théâtral {KM&nhomg et Leipzig, 1839-42, 7 vol.)en colla-
boration avec Herlossohn et Marggraff. En même temps ses
opinions libérales le jetèrent dans les sociétés politiques, où
son talent oratoire et son esprit d'opposition lui acquirent
bientôt de l'influence. En 1840 il fonda à Leipzig l'Asso-
ciation de Schiller, dont les anniversaires prirent sous sa di-
rection une couleur politique ; il s'occupa également avec
activitéde l'organi-ation de l'Association des Littérateurs. Ce
fut à celte époque qu'il entreprit avec Stegcr la publication
dun Almanach politique sous le titre de Vorwxrts! ce qui
veut dire, En avant! (Leipzig, 1843-47, 5 vol. ) , et il fut
un des principaux rédacteurs des Feuilles patriotiques
Saxonnes.
Lorsque le mouvement catholico-allemand éclata en 1845,
il s'en déclara le zélé partisan, et il fonda la communauté
de Leipzig, qu'il fut appelé à présider. Après la journée du
12 aoiU qui ensanglanta Leipzig, il empêcha le peuple de
se livrer à des actes de violence, et il s'acquit comme ora-
teur une grande popularité; aussi fut-il nommé député aux
États. En 1847 il donna sa démission de la place qu'il oc-
cupait au théâtre, et établit une librairie qui publia son
Arbre de Noël, biographies des libéraux allemands, et son
Dictionnaire politique pour le peuple allemand.
Lors des événements de 1848 , Bluia déploya une grande
activité révolutionnaire, et il ne tarda pas à devenir le chef
de la démocratie saxonne. 11 contribua au renvoi du minis-
BLUM — BLUMEiXBACH
307
tère Kœnneritz , ressuscita les Feuilles patriotiques , qui
avaient été supprimées, et fonda l'Association Patriotique,
dans laquelle entrèrent les esprits les plus exaltés. Élu vice-
président par la première assemblée de Francfort , il do-
mina ses turbulents collègues par sa présence d'esprit et sa
voix de stentor. Il fut ensuite de la commission des cin-
quante, et fut envoyé par Leipzig à l'Assemblée nationale,
où il devint ie chef do la gauche, et ss fit remarquer par l'a-
dresse et ie patlios de ses discours , comme aussi par son
ardeur dans la lutte; mais son talent oratoire ne pouvait lui
tenir lieu des connaissances de l'homme d'État. Après les
événements de septembre, il était difficile qu'il se fit plus
longtemps illusion sur la désunion, l'indiscipline, la dissolu-
lion de son parti , et qu'il conservât quelque espérance de
vaincre; cependant les événements de \ienne le vemplirent
d'enthousiasme, et il partit avec Frœbel pour porter aux
Viennois , au nom de la gauche , une adresse de félicitation.
La députalion fut reçue le 17 octobre, et dans le discours
qu'il prononça à cette occasion Bluni peignit la révolte
des faubourgs de Vienne comme une nouvelle ère histo-
rique.
Depuis le 26, à la tête d'une compagnie d'élite, il prit
part à la lutte ; mais le 29 il se retira dans son hôtel, où il fut
arrêté le 4 novembre avec ses collègues. Bien qu'il fît va-
loir son inviolabilité comme député de l'Assemblco natio-
nale, il fut traduit, le 8 novembre, devant un conseil de
guerre et condamné à être pendu , supplice qui fut commué
en une exécution militaire. Il fut fusillé le lendemain matin
dans la Brigittenau , sans avoir manifesté, jusqu'à la fin , un
seul instant de faiblesse. C'était un homme d'un caractère
ferme, de beaucoup d'esprit naturel, et d'une éloquence
liropre à émouvoir les esprits. H avait assez d'adresse et
d'ambition pour jouer le rôle de chef de parti, mais il n'a-
vait pas assez de fanatisme pour le soutenir jusqu'au bout.
La nouvelle de sa mort indigna la démocratie allemande.
D'autres virent dans son exécution une rupture violente de
l'Autriche avec l'Assemblée nationale, parce que, d'après la
loi du 30 septembre 1848, la sentence ne pouvait s'exécuter
sans la sanction du pouvoir central. De tous côtés s'élcvè-
-ent les propositions les plus violentes, de tous côtés on cé-
lébra des services funèbres en son honneur, et tout se ré-
duisit à assuier par des souscriptions l'avenii' de sa femme
et de ses enfants.
BLUMAUER (Aloys), poète satirique, fort distingué
lans le genre burlesque, naquit à Steier, en Autriclie, le 21
décembre 1755. Après avoir terminé ses études dans sa ville
natale, il vint à Vienne, où il entra dans la compagnie de
Jésus. A la suppression de l'ordre îles jésuites, il fut obligé
de gagner sa vie en donnant des leçons; on lui confia en-
suite les fonctions de censeur, qu'il abandonna plus tard
pour se mettre à la tète d'une librairie. — Le principal ou-
vrage de Blumauer, celui qui fonda sa réputation, est l'É-
7mde travestie (3 vol.. Vienne, 1784). C'est une poétique
caricature, pleine de piquants contrastes, étincelanlc d'une
verve satirique que l'ex-jésuite exerce souvent aux dé-
pens du clergé de son époque, mais dont les brillantes qua-
lités sont trop souvent déparées par des trivialités du plus
mauvais goût. On peut adresser les mômes reproclies à ses
poésies diverses, qui parurent d'abord pour la plupart dans
l'Almanach des Muses, fondé par lui et Rasciiky. La ma-
nière de Blumauer approche souvent de celle de l'auteur de
Lénore , dont il est cependant loin d'égaler la simplicité et
l'élégance. Les pièces les plus estimées de ses iioésiesdéta-
cliées sont : l'Imprimerie, l'Éloge de l'Ane, l'Adresse au
Diable, etc. Plusieurs ouvrages publiés sous son nom lui
ont été faussement altribui's; ce sont : les Titans , épopée
satirique; /Tercu/e travesti, poëme; productions au-des-
sous du médiocre, et le quatrième volume de l'Enéide,
indigue en tout point de ses aîné-, fac'uim saus esprit ni sel,
vrai péché liticrairc coiiunis jiar u;i certain Schaber. —
Aloys Blumauer mourut à Vienne, le 1,6 mars 1798, âgé de
quarante-quatre ans. IIoertel.
BLUMEIMBACH (Jean-Frédéric ), l'un des plus cé-
lèbres naturalistes des temps modernes, naquit à Gotha , h
11 mai 1752, et mourut à Gœttingue le 22 janvier 1840.
Reçu docteur en médecine en 1775, il fut nommé l'année
suivante professeur extraordinaire à l'université de Gœt-
tingue, et inspecteur de sa collection d'histoire naturelle ;
puis , en 1778 , professeur ordinaire. Depuis lors , jus-
qu'en 1835, époque où la faiblesse inséparable de son grand
âge le força de renoncer à l'enseignement oral, il fit cons-
tamment chaque année des cours publics sur l'histoire na-
turelle , l'anatomie comparée , la physiologie et l'histoire de
la médecine, et vit successivement réunis, attentifs autour
de sa chaire, les personnages les plus considérables de son
siècle, et jusqu'à des rois. Il excellait en effet à donner de
l'intérêt aux matières les plus sèches, les plus ardues, et à
captiver son auditoire par le charme tout particulier de son
débit.
Le premier, en Allemagne, Blumenbach éleva l'histoire
naturelle au rang de science positive , tandis qu'avant lui
une foule de gens ne la regardaient encore tout au plus que
comme un amusement scientilique. Dès 1785, par consé-
quent bien avant Cuvier, il l'avait rattachée à l'anatomie
comparée, et avait démontré qu'on ne peut avoir de claires
perceptions et des idées arrêtées sur la nature et les affi-
nités des animaux que par l'étude approfondie de leur struc-
ture intérieure. Son principal titre de gloire est d'avoir
créé en Allemagne l'étude de l'anatomie comparée, soit par
ses leçons, soit par des ouvrages qui ont été traduits dans
toutes les langues de l'Europe, et notamment par son Ma-
nuel d'Anatomie et de rhysiologiecompai-éesiGœU'ingae,
1804). L'histoire physique de l'homme fut de bonne heure
son étude de prédilecirou, connue le prouve sa thèse inau-
gurale intitulée : De generis humani varietate nativa
(Gœttingue, 1775). Dans l'intérêt de ses études anthropolo-
giques, il commença dès lors à faire une collection de
crânes humains ; entreprise dans laquelle il fut secondé de
toutes parts, et qui lui permit de créer en ce genre le musée
le plus nombreux et le plus riclie qu'il y eût au monde, à
la formation duquel contribua jiisqu'au roi de Bavière lui-
même, lequel envoya à notre savant vieillard un crâne grec
d'une beauté sans pareille.
C'est cette collection qui a fourni les modèles des figures
de crânes comprises dans la Colleclio Craniorumdiversa-
rum gentium (Gœttingue, 1790-1828, in-4°, avec une
nova p>entas collectionis su^x craniorum, clc, Gœttingue,
1828, in-4"), qui conservera toujours de la valeur, bien
que dans celte [)arlie de la science d'autres idées aussi aient
[)révalu. Avant Blumenbach un voyageur français avait
divisé le genre humain en quatre races distinctes, système
auquel Leibnilz' crut devoir ensuite faire subir de légères
modifications. Pownal ne reconnaissait que trois races d'hom-
mes, la blanche, la rouge et la noire. Buffon en admet six,
Hanter sept, Linné quatre; d'autres naturalistes enfin, de
onze à quinze, et même davantage. Blumenbach n'eu compte
que cinq : la caucasienne, la mongole, la nègre, l'améri-
caine et la malaise, fixant d'ailleurs avec précision les dif-
férences qui les séparent et les similitudes qui les rappro-
chent.
Comme physiologiste, il n'attira pas moins sur lui l'atten-
tion de l'Europe savante par sa dissertation sur l'acte de la
génération (Gœttingue, 1781), travail où il émit des idées
tout à fait en contradiction avec celles qui étaient alors la
plus généraleînent admises , et aussi par ses Institutiones
Phgsiologicœ (Gœttingue, 1787). Son i»/«nMe^ d'Histoire
Naturelle a eu les honneurs de douze éditions successives
(Gœttingue, 1780-1830), mais ne convient plus à l'étal ac-
tuel de la science.
L'ardeur de Blumenbach pour l'étude était grande, et la
:3.
j(08
BLUMENBACIl — BOA
besoin incessant d'activité scientifique qui le tourmentait
trouvait à se satisfaire dans les vastes ressources que met-
taient à sa disposition les collections de l'université de Gœt-
tingue, ainsi que dans les continuels envois que ses dis-
ciples lui faisaient des diverses parties du monde , à l'effet
d'augmenter les richesses de son cabinet. A la (in du siècle
dernier, il avait fait un voyage scientifique en Angleterre,
où il avait été accueilli avec une grande distinction par le
TOI Georges III, et où il s'était lié d'amitié avec Joseph Banks,
avec Solander et autres savants éminents. C'est grâce à leur
intervention qu'il obtint alors la faveur toute particulière
d'être autorisé à disséquer une momie du British Mu-
séum , ce qui produisit une grande sensation dans le monde
scientifique.
BLU^TSCULI (Jean-Gaspard), jurisconsulte suisse,
né à Zurich, en 1808, lit ses études préparatoires dans sa ville
natale , et alla les continuer dans diverses universités d'Al-
lemagne, notamment à Berlin. De retour dans sa patrie, il
trouva bientôt l'occasion d'employer ses talents et ses connais-
sances. Lors de la création de l'université de Zurich, en 1836,
H V fut nommé proiesseur de droit. Bluntschli , qui avait
semblé d'abord s'associer au mouvement libéral qui suivit
la révolution de 1830, ne tarda pas à se placer dans les rangs
des ennemis de la réforme, soit à cause de ses relations avec
beaucoup de membres du paili conservateur, soit qu'il se
fût laissé entraîner par sa prédilection pour le droit histo-
rique ou par une ambition maladive. Une fois sur cette
pente , il la descendit rapidement, en sorte qu'il se mit
hientôtà haïr ses adversaires politiques aussi passionnément
qu'il était prôné par ses partisans. IMembre depuis long-
temps du grand-conseil , où il brillait par son éloquence , il
devint, le 6 septembre 1839, membre du conseil de gou-
vernement. Ce fut en cette qualité qu'il fit sur les com-
munistes en Suisse (Zurich, 1843) un rapport oflicid qui
contient une foule de jugements erronés sur les affaires de
la Suisse. Au reste , il ne tarda pas à s'apercevoir qu'avec
l'ivresse réactionnaire disparaissaient la considération et
l'importancç de son parti.
Cette circonstance explique peut-être son admiration
pour les frères Rohmer, qui se rendirent dans ce temps à
Zurich. Il se jeta h corps perdu dans le formalisme d'une
prétendue nouvelle doctrine, et se considéra comme le chef
en Suisse d'une école conservatrice et libérale qui n'existait
guère que dans son imagination. Comme fruit de ses travaux
il fit paraître des Études psychologiques sur l'État et
l'Église (Zurich, 1844), parallèle étrange et grotesque entre
les fonctions de la vie publique et celles du corps humain ,
OÙ la politique et la psychologie ou plutôt la physiologie sont
également maltraitées. A l'apparition de ce livre, la stupé-
faction des partisans de Bluntschli ne fut pas moins grande
que la joie de ses ennemis politiques, car il ne prétait pas
moins ^ la critique qu'à la satire.
Lorsque la question des couvents et des jésuites fut agitée,
et même avant la formation du Sonderbund , le peuple de
Zurich s'était déjà séparé si ouvertement du pyrli qui domi-
nait depuis les affaires de septembre , que Bluntschli crut
devoir donner sa démission. Cependant il resta encore quel-
que temps président du grand-conseil et membre du con-
seil de rinstruction publique. On sait peu de chose sur la
part qu'il prit à la guerre du Sondorbund. Lorsqu'elle fut
terminée, il accepta une chaire dans l'université de Munich.
l'our le juger, il faut séparer en lui l'homme politique du
Jurisconsulte. Comme professeur, il possède des qualités
éminentes, el ses ouvrages de droit sont écrits avec une
science et une clarté qui ne rappellent guère l'auteur des
Études psychologiques. On doit reconnaître aussi les ser-
vices qu'il a rendus à sa patrie par la publication d'un Pro-
jet du Codede Droit privé pour le canton de Zurich. On
ciJc encore, parmi ses ouvrages : Développement de la
succession contre les derniàcs volontés (Zurich, 1S29);
Histoire politique el juridique de la ville ^^l du canton
de Zurich (Zurich, 1838 et suiv. ); les Nouvelles Écoles
des Juristes allemands {Zurich, 1841 ) ; Les trois cantons
d'un, de Schwytz et d'Untcrwald, et leur première et
éternelle alliance (Zurich, 184g); Histoire de la Repu
blique de Zurich ( 2 vol., Zurich, 1847). On lui doit en
outre un livre intitulé : Bnoit politique universel, dont le
premier volume a paru à Munich, en 1850.
BLUTAGE ( sans doute du latin volutare, vanner).
On nomme ainsi l'opération qui consiste à séparer le son de
la farine au moyen d'instruments appelés bluteaux ou blu-
toirs. Le lieu où elle se fait prend le nom de bluterie.
On a d'abord employé simplement au blutage un sas de
crin , d'étamine ou de toile ; puis on y a ajouté un cylindre
composé de feuilles de fer-blanc , trouées comme des rApes,
et de fils de fer placés circulairement les uns à côté des
autres et à une distance assez rapprochée pour ne pas
laisser écouler le grain , mais donner seulement passage aux
ordures.
Les blutoirs tournants ont succédé à ces outils imparfaits ;
ce sont des cylindres inclinés, placés dans des coffres entiè-
rement fermés et divisés en autant de cases qu'on veut avoir
d'espèces de farine. A cet effet , le cylindre est garni d'une
enveloppe d'étamine dont la finesse va en diminuant par
certains intervalles depuis le haut jusqu'au bas du cylindre.
Ordinairement on le dispose pour avoir trois qualités de
farine , et en conséquence, le premier tiers de sa longueur
est couvert d'une étainine fine et serrée qui ne laisse passer
que la fleur. Le second tiers est garni d'une étamine moins
serrée , qui donne la seconde qualité de farine ; et enfin le
dernier tiers est enveloppé d'un canevas très-clair qui
laisse passer les recoupes, tandis que le son tombe au
bout du cylindre, qui fait environ vingt-cinq tours par
minute.
Un premier perfectionnement apporté à ces machines
a été de remplacer les ctamines par des toiles métalliques ,
dont les mailles, bien plus régulières, donnent une farine
plus égale. Ensuite , comme l'obstruction des mailles ralen-
tissait le blutage et empêchait le son de sortir entièrement
dépouillé de farine, on a rendu le blutoir fixe , et on a éta-
bli sur son axe un système de brosses tournantes, qui agitent
continuellement la farine en la rejetant à la surface de la
toile , et qui dégagent les mailles obstruées , tout en net-
toyant complètement le son par leur frottement non inter-
rompu.
BOA. Les Romains désignaient ainsi certains grands ser-
pents d'Italie, probablement la couleuvre à quatre raies ou
le serpent d'iipidaure , et ce nom leur avait été donné, se-
lon Pline, parce qu'ils venaient sucer le pis des vaches pour
se nourrir de leur lait; opinion populaire, qui,malgré sa faus-
seté évidente , subsiste encore dans plusieurs pays. Aujour-
d'hui les naturalistes comprennent sous la dénomination
de boas tous les serpents dépourvus de crochets veni-
meux , ainsi que d'éperon ou de sonnette au bout de la
queue , et qui se distinguent d'ailleurs par leurs mâchoires
très-dilatables , leur tète couverte de petites écailles , au
moins à sa partie postérieure , leur occiput plus ou moins
rende, leur langue fourchue et très-extensible, le crochet
qu'ils ont de chaque côté de l'anus, les bandes écailleuses,
transversales et d'une seule pièce qui garnissent le dessous
de leur corps et de leur quei:e; leur corps comprimé, plus
gros dans son milieu, et terminé par une queue prenante,
c'est-à-dire susceptible de s'enrouler autour des objets, de
manière à soutenir tout l'animal.
Quoique déjjourvus de venin, les boas n'en sont pas moins
redoutables, à cause de leur force extraordinaire, qu'accom-
pagne une agilité non moins remarquable. C'est parmi eux
que 1 on trouve les plus grands de tous les serpents : cer-
taines espèces atteignent dix et qnin/.e mètres de longueur,
et parviennent, d'ai)rèsles récils des voyageurs, à avaler de*
BOA — BOBÈCHE
Z09
rtiiens , lies cerfe , et môme des bunifs, après les avoir écra-
M^s dans leurs replis, les avoir enduits de leur salive, et
sY'tre énormément dilaté la gorge et le gosier. Tantôt ils
poursuivent leur proie , tantôt ils se cachent pour la guet-
ter et la saisir à l'improviste. Tapis sous l'herbe, suspendus
par la queue aux branches des arbres, ils attendent, comme
h raftùt, sur le bord des fontaines, ou dans quelque autre
lieu de passage , que l'occasion leur amène quelque animal
jiropre à satisfaire leur appétit, et dès qu'ils en aperçoivent
lin qui passe à leur portée, ils s'élancent sur lui, lentourent,
le pressent de leurs replis tortueux , l'écrasent et le broient
pour ainsi dire , puis l'engloutissent après l'avoir enduit de
leur salive muqueuse et fétide. Conuneleur proie est souvent
très-volumineuse, et qu'ils ne la mâchent point, la déglu-
tition d'abord, et ensuite la digestion, sont pour eux des
oi)érations longues et pénibles. Quand on surprend un boa
occupé à introduire dans sa gueule, énormément distendue,
un corps qu'elle peut à peine recevoir, il est facile alors de
lui donner la mort , car il ne peut ni fuir dans l'état où il est,
ni se débarrasser de cette masse, qui , retenue par ses dents
recourbées en arrière et par la disposition même des mâ-
choires, ne peut plus cheminer que dans le sens où elle est
entrée. Une fois la déglutition achevée, les boas se retirent
dans un lieu écarté, où ils demeurent presque immobiles,
jtisqu'à ce que leur estomac soit déchargé ; et comme leur
digestion dure fort longtemps, la putréfaction qui sempare
de leurs aliments avant qu'elle soit achevée, et qui concourt
même à la faciliter, répand autour d'eux une odeur épou-
vantable, qui révèle au loin leur présence.
Parmi les espèces de boas , qui sont encore assez mal
distinguées par les naturalistes, nous nous bornerons à en
signaler trois, qui atteignent une très-grande taille, et qui se
trouvent dans les lieux marécageux des parties chaudes de
l'Amérique, savoir : i° la boa devin {boa constrictor, Lin-
né ) , ainsi nommé par les voyageurs de ce qu'on lui a mal
à propos attribué ce qui est dit de certaines grandes cou-
leuvres, dont les nègres de Juida font leurs fétiches. Sa tète
est en forme de cœur ; sa lève supérieure est bordée d'é-
cailles imitant des dentelures; son corps est élégamment
varié de gris , de blanc , de noir et de rouge , et on le recon-
naît surtout à une large chaîne régnant tout le long de son
dos, formée alternativement de grandes taches noirâtres, ir-
régulièrement hexagones , et de taches pâles, ovales, échan-
crées aux deux bouts; 2° le boa anacondo {boa scytale et
boa murina, Linné), brun, avec une double suite de taclies
rondes et noires le long du dos , et des taches brunes œil-
lées de blanc sur les flancs; 3° le boa aboma ou boa à an-
neaux { boa cenchrys , Linné), fauve, portant une suite de
grands anneaux bruns le long du dos , et des taches variables
sur les flancs. Démezil.
BOABDIL ou ABOU- ABD ALLAH , dernier roi maure
de Grenade, fils de Muléi-Hassem, se révolta contre son
père en 148 1 , le chassa de sa capitale , et prit le titre de roi ;
le malheureux père en mourut de douleur. Boabdil, vaincu
et fait prisonnier par les troupes réunies de Ferdinand d'A-
ragon et d'Isabelle de Castille, n'obtint la liberté qu'à con-
dition qu'il se reconnaîtrait vassal de l'Espagne. La division
s'étant mise entre ses sujets par suite de ce traité honteux,
Ferdinand et Isabelle en profitèrent pour assiéger Grenade,
qui succomba en 1492. Boabdil accompagné de sa famille
et d'une suite peu nombreuse, ayant gravi le mont Padul,
<roù l'on découvre la ville, se mita fondre en larmes :
« Pleurez, monfds,lui dit sa mère Ayescha, pleurez cor: me
une femme le trône que vous n'avez pas su défendre en
iiomme et en roi. » Ce malheureux prince, ne pouvant se
résoudre à vivre en sujet dans un pays dont il avait été roi,
passa en AlVique, et se (it tuer dans une bataille en servant
les intOrêls du roi de Fez, qui voulait détrôner le roi de Maroc.
La prise de Grenade mit lin à la puissance des R'aures en
t>ii;igne, sqitccnt quatre-vingt-deux ans après leur invasion.
BOAÎSTUAUou BOISTUAU (PjEKne), dit Launay ,
natif de Nantes, mort à Paris, en 1565, auteur assez super-
ficiel , qui a pourtant la gloire d'avoir été un des premiers
écrivains qui aieiit recommandé aux mères d'allaiter leurs
enfants. « Boistuau, dit Lacroix du ÎNIaine, a été homme
très-docte et des plus éloquents de son siècle, lequel avoit une
l'açon de parler autant douce, coulante et agréable qu'autre
duquel j'aye lu les escrits. » On a de lui 1" le Théâtre du
Monde sur les misères humaines et la dignité de l'homme
(6 vol., 1534 et suiv. ) ; on assure que ce livre, qui contient
des faits très-singuliers et qui avait été primitivement composé
en latin, a eu plus de vingt éditions; 2° les Histoires tragi-
ques, extraites des œuvres italiennes de lUindel (voyez
Baxdello) et mises en langue française (7 vol., 15fis
et suiv. ) ; les six premières nouvelles du 1'"' vol. ont été tra-
duites par Boaistuau et le sont beaucoup mieux que celles
dont s'était chargé Beilcforest, quia continué l'ouvrage
et y a ajouté plusieurs histoires de son invention. L'une de
celles que Boaistuau a traduites est l'original de Roméo et
Juliette , et a pour titre Histoire de deux Amants morts
l'un de venin, l'autre de tristesse. Tous les détails, tous
les personnages sont les mêmes que dans Shakspeare. La
sixième histoire, traduite du latin de Valentino liarruchio,
a servi évidemment à M'"" de Fontaine de canevas pour son
roman de la Comtesse de Savoie, et à Voltaire pour sa tra-
gédie d'Artémise, qui n'eut pas de succès, mais à laquelle il
emprunta quelques épisodes pour celle de Tancrède; 3" His-
toires prodigieuses, e\trsi\{ei dedivers auteurs (6 vol., 1561
et suiv. ) ; ces histoires étaient primitivement au nombre de
quarante; Claude de Tesseranten ajouta quinze, et R. Heyer,
Jean de Marconvelle et Belleforest complétèrent l'ouvragi^
BOARD OF CONTROL. On appelle ainsi eu Angle-
terre le 62<re«« des affaires des Indes. Ce bureau, qui
faisait autrefois partie du ministère des colonies, forme au-
jourd'hui un département complètement séparé. La cour
des directeurs de la compagnie des Indes est obligée
de lui communiquer toutes les mesures qu'elle prend et
toutes les instructions qu'elle envoie au gouverneur géné-
ral en ce qui concerne l'administration de l'Inde anglaise.
Le board of control est composé d'un président ministre,
de huit commissaires, qui sont : le président du conseil privé,
le garde des sceaux, le premier lord du trésor, les trois sc-
crélaires d'État et le chancelier de l'Échiquier. Enfin deux
secrétaires y sont adjoints.
BOBÈCHE. Il est des célébrités de tous les genres et
des renommées de toutes les tailles. Un farceur de boule-
vard, n'exerçant même qu'à l'extérieur, un simple pura-
diste, obtint à Paris, sous l'Empire et pendant les premières
années de la Restamalioa, une de ces illustrations populaires
dont plus d'un acteur de nos grands théâtres, et même
des personnages plus importants , sans doute, ont pu être
jaloux. Bobèche avait paru d'abord sur les tréteaux de Ver-
sailles et de quelques fêtes publiques des environs de Paris.
On le remarqua dès qu'il vint y débuter en plein vent de-
vant un spectacle de funambules. Un masque précieux pour
son emploi, un jeu empreint de la plus naïve bêtise, l'eurent
lait bientôt sortir de la foule des bienheureux niais qui en-
combrent notre capitale. Aussi , sans avoir besoin , comme
plus tard Debureau, d'un conï oc spirituel pour appeler sur
lui l'attention. Bobèche vit-il son nom beaucoup plus répan-
du. Sa vogue s'augmenta encore par quelques traits d'une
sublime naïveté, sur lesquels la censure impériale et celle
de la Restauration avaient grand'peine à passer l'éponge.
C'est sous ce dernier régime qu'il disait, dans une de ses
improvisations : «On piétend que le commerce ne va pas :
j'avais trois chemi.ses, j'en ai déjà vendu deux. » Croyez-
vous que nos auteurs dramatiques ne lui auraient pas em-
prunté ce mot et plusieurs autres, s'ils eussent espéré les
sauvi'r du veto censorial?
Bobèche aus.?i ctait auteur, et presque toujours il coJiipo-
310
sait lui-même ses rôles. Je lui ai vu joiici telle scène où il y
avait plus de comédie que dans maint ouvrage en cinq actes.
Donnons-en un exemple en passant : Le maître ou le com-
père arrive une lettre à la main : « IJobèclie, voici «ne
lettre de l'un de tes amis que je vais te lire, attendu que tu
as oublié de l'apprendre. Écoule (il lit) : « Mon cher ami, je
'< dois vous annoncer (|ue votre S(«'ur a depuis votre dé-
« part commis quelques incousécpiences : elle en est depuis
« six mois à son douzième amant. » — Ali! la misérable!
interrouqjt Bobèche; je pars sur-le-cliuiiip, je vais la tuer
jiour l'honneur de la fiimillc. — Attendez un instant, lé-
poiid le mnltre, et il continue de lire : « Far cette conduite
« lo;^ère, elle a gagné une dizaine de mille francs, et vous
« en a destiné la moitié. » (Bobèche soinit.) — Dans le
Coud, c'est une bonne liile, et qui a des qualités. — Atten-
dez encore, mon ami (le maître lit) : « Par malheur, des
•> voleurs ont pénétré chez elle en son absence, et ont cn-
« levé toute la somme. » — Ah! la scélérate ! ah! rinlùiuel
Monsieur, ne me retenez plus! il faut (juc j'aille la punir...
— Écoutez donc encore... ( il ht) : » Heureusement, les bvi-
« gands ont été arrêtés le lendemain , et on a retrouvé sur
« eux la soumieentièie.... » — Au fait, répond Bobèche, on
l'a peut-être calomniée, cette pauvre lille. — (Le maître
continue de lire) : « 11 est vrai que les dix mille francs ont
« été déposés au greffe, et qu'on ne sait trop quand ils en
« sortiront. >> — Tenez, monsieur, pour former mon opi-
nion, je vois que le plus sur est d'attendre. » Molière, qui
ramassa plus d'une fois quelques traits comiques des bouf-
fons italiens, n'eilt peut-être pas laissé échapper une scène
si vraie dans sa trivialit(^. Au reste , les parents de la Fille
d'Honneur de M. Duval le sont un peu aussi du person-
nage principal de cette parade. Étonnez-vous après cela de
la réponse laite, sous l'Empire, par un directeur général ,
homme d'esprit, à l'un de ses employés qui s'excusait
d'arriver tard au bureau , parce qu'ayant à traverser le
boulevard du Temple, il s'arrêtait souvent à écouter les
lazzis de Bobèche : « Vous me trompez , monsieur, je ne
TOUS y ai jamais vu. »
Parvenu sous Louis XVIII à l'apogée de sa gloire, Bo-
bèche fut appelé fréquemment à jouer ses parades dans les
fêtes de Tivoli, qui réunissaient encore une brillante société,
et il ne manquait pas de prendre sur l'afliche le titre à^premier
bouffon du gouvernement. Jinivré de sa renommée, il vou-
lut malheureusement, comuie nos comédiens de première
ligne, aller donner des représentations en province. Un épou-
vantable échec l'y attendait. Dans une ville du nord, à Douai,
je crois, il avait lixé le prix des places au taux des représen-
tations extraordinaires , ce qui indigna les spectateurs
contre lui. Les Normands se seraient peut-être contentés
d(! lui jeter des jv^mmes, cuites ou non ; les riamands vou-
lurent tout simpiement l'assommer. Bobèche se .sauva; j'i-
guore s'il sauva aussi la recette. Atterré .sans doute de ce re-
vers, il s'rélipsa entièrement depuis cette époque, laissant
le champ libre à son rival Galimafré, qui ne put jamais le
faire oublier. Mais s'il n'est i)lus vivant, son nom l'est en-
core dans le souvenir des Parisiens de cinquante à soixante
ans et de beaucoup de provinciaux, de la même époque, qui
souvent à leur arrivée dans la capitale couraient voir JJo-
bèclie avant de se régaler du Palais-Royal et de VOpéra.
Je dois avouer que, malgré toutes mes recherches, je n'ai
pu découvrir le non» de famille et le lieu de naissance de
cet honnue illustre. On doit s'en consoler en songeant qu'il
n'est pas encore bien certain que le chantre de VIliade
s'appelât Homère, et que des sept villes qui se le dispu-
tèrent, on ne sama jamais au juste celle qui lui donna le
jour. OuuRV.
BOBINE, sorte de fuseau, petit morceau de bois tourné
en rond, cylindrique, avec des rebords à chaciue bout,
percé, et que Ton rend mobile en le plii(,anl t^ur une verge de
fer; il sert à liler au rouet ou à dévider du lil, de la soie, de
BOBÈCHE — BOCAGE
la laine, elc. Ce mot est fait, selon les uns, du latin bom-
byx, ver à soie; et .selon d'autres du verbe volvere, tourner.
On appelle bobineuses , dans les manufactures de laine,
les femmes ou (illes qui dévident sur des bobines le lil des-
tiné à former la chaîne des étoffes.
La bobinière est la partie supérieure du rouet à filer l'or.
BOBOCABDI (Uvacintue). Foyfis Céi.estin 1M.
BOBOIJNA ou B0UI50ULINA appartenait à une riche
famille albanaise, et elle était, en 1812, mariée depuis plu-
sieurs années h un jeune chef iVarmatoles au service de la
Turquie. lors(|ue, à celte époque, son époux, accusé d'avoir
entreteim des liaisons avec le célèbre Ali, pacha de Janina,
fut massacré par ordre du sultan. Bobolina jura de le
venger, et, retirée dans la solitude, à Si)ezzia, elle y éleva
ses deux lils dans la haine des Turcs. Lorsque l'insurrection
fut proclamée, en 1S21 , la riche Bobolina arma à ses frais
trois navires, dont elle prit le connnandement en chef, avec
le titre de navarque, et dans ce grade étrange et inoui pour
une femme, elle déploya une habileté au moins égale à son
courage. En outre , elle envoya à l'armée de terre ses deux
lils, dont le second atteignait à peine sa quatorzième année.
L'héroïne participa au siège de Tripolitza, dont elle fut
chargée de faire le blocus jiar mer. Mais de déplorables dis-
sensions s'élevèrent entre les chefs de l'armée de terre et
les navarques , et Bobolina reçut l'ordre de se retirer et
d'abandonner le siège de Tripolitza. Cependant, les querelles
s'apaisèrent, et un peu plus tard on retrouve Bobolina au
siège de N a poli de Rom a nie. Ayant repris ses fonctions
d'aïuiral , elle bloc^ua par mer, quatorze mois durant, cette
ville importante. Napoli se rendit le 12 décembre 1822, et
Bobolina, qui avait refusé de signer aucune capitulation,
exigeant impérieusement que les Turcs se rendissent à dis-
crétion, ne se montra pas sans pitié lorsque les vaincus, à
geuoux devant elle plus que devant les autres chefs, bai-
sèrent, en l'implorant, le bas de sa robe. La vie fut laissée
sauve à mille prisonniers et au pacha, qui eut la permission
d'emmener son harem et d'emporter ses richesses. C'était
le premier exemple de moil jiation qui eût été donné dans
celle guerre sans merci, où les Grecs, aigris par les longues
tortures de l'esclavage, se montraient presque aussi cruels,
aussi impitoyables que les Turcs, corrompus, eux, par l'ha-
bitude du despotisme.
Après celte importante conquête, Bobolina ne cessa pas
de prendre part aux opérations militaiies des Grecs , et elle
se distingua particulièrement dans celles dont l'Argolide fui
le théâtre. On dit que pendant le siège de Monembasie, un
de ses neveux ayant été tué d'un coup de canon , elle éten-
dit sur lui son manteau, et, sans s'abandonner à d'inutiles
regrets , ordonna de venger sa mort en bombardant la ville
avec ])lus de vigueur. C'est avec la môme apparence de ré-
signation stoique qu'elle parlait de la perte de son mari et
de son lils aîné, morts les armes à la main. Cette femme
extiaordinaire, au teint bronzé, aux yeux brillants et pleins
de feu , à la démarche guerrière , objet des louanges et quel-
quefois des épigrammes de ses compatriotes , excitait vive-
ment la curiosité des étrangers. Us étaient accueillis avec
une cordiale hospitalité dans sa belle maison de Spezzia,
qu'en 1824 elle était venue de nouveau habiter avec ses
frères pendant les dissensions cpii divisaient les Grecs.
En 1825 celte maison fut assaillie par les parents et les
amis d'une jeune personne, séduite, dit-on, par quelqu'un de
sa famille. Des paroles peu mesurées de Bobolina augmen-
tèrent l'exaspération, et un coup de fusil parti des groupes
tumultueux termina la vie de l'héroïne.
BOCA<iE. C'est un bouquet de bois planté dans la
canqiagne et non cultivé, en quoi il diffère du bosquet.
Le Boc.vcE est le nom particulier d'un petit pays de la
basse Normandie, dans le diocèse de Lisieux , qui avait au-
Iri'fois Vire pour capitale, et qui fait aujourd'hui partie du
département du Calvados. C'est do ce pays tiue le linge ou-
BOCAGE
SU
vr«Ç qui se fait en basse Nonnamlic, paiticulièreraent aux
(•m irons de Caen, a recule nom de bocage.
On ap])elle encore Bocage une ancienne contrée de la
France, célèbre dans les malheureuses guerres civiles de la
Vendée; elle est sur les linntes des départements de la
Vendée, de la Loire-Inférieure et de Maine-et-Loire.
BOCAGE, artiste dramatique. Avant de monter sur
la scène, Bocage avait été obligé, pour obéir aux supplica-
tions de sa famille, de faire quelques pas dans des carrières
bien diverses. Mais partout il s'était arrêté avant môme
d'avoir accompli le noviciat que réclament toutes les pro-
fessions, tous les métiers. Ses grands-parents avaient rêvé
qu'il pourrait devenir nn des premiers manufacturiers de
Rouen, et il renonça à la rouennerie alors qu'il n'était qu'ou-
vHer cardeiir, gagnant cinquante centimes par joiw. On
voulait qu'il fût avoué, et il rompit avec le Code dès qu'à
force de protections, de patience, de travail et d'intelligence,
il eut obtenu le grade de quatrième clerc d'huissier. Échappé
à la cléricature, il entra dans les buraux du ministère de
la guerre, où il fut quelque chose comme sous-chef, rédac-
teur, expéditionnaire ou garçon de bureau. Du ministère de
la guerre il retomba dans la maison paternelle, où, vive-
ment chapitré à propos de l'inconstance de ses goûts, ser-
monné d'importance à cause de son antipathie pour la car-
rière commerciale, — la seule qui lui convînt, disait sa vieille
grand'mère, — il prit une énergique résolution, et déclara
qu'il allait se jeter dans les denrées coloniales. Le lende-
main il élait... — le croiriez-vons, femmes charmantes, qui
avez si ardaîin)ent applaudi le bel Antong? — il était gar-
çon épicier! Hàfons-nous de dire que Bocage ne lit que
passer dans la cassonade, d'où il s'élança sur les tréteaux
ambulants de je ne sais quelle troupe nomade. Il réussit peu.
Ses camarades le trouvaient gauche, mal planté, disgracieux ;
?I public était du même avis que ses camarades.
Après dix années de courses vagabondes, il revint à Pa-
ris, et s'en alla solliciter des débuts à i'Odéon. Ils lui furent
accordés. Comme il n'était pas précisément tombé, comme
rodéon a été de tout temps l'asile du malheur, on admit le
débutant, et il eut le droit de végéter dans les troisièmes
rôles , qu'il jouait comme le premier venu, ni mieux ni plus
mal. Un jour cependant il se révéla : ce fut, si ma mémoire
ne me trompe pas, dans une pièce de M. Ancelot intitulée
V Homme du Monde. On trouva que cet acteur, qui ne sa-
vait pas marcher, avait une physionomie pleine d'expres-
sion, un beau regard, de l'élan, du cœur... On l'applaudit !
Bocage n'attendait que ce premier bravo pour montrer ce
qu'il pouvait. A dater de cette époque il ne fit aucune dif-
ficulté d'initier le public aux rares et précieuses qualités
qu'il tenait de la nature et de l'étude; il laissa jaillir au de-
hors des trésors, longtemps comprimés, de sensibilité, d'é-
nergie, de passion. 11 prouva qu'il savait pleiu-er, frémir,
aimer. Alors , comme pour le récompenser de l'avoir si
longtemps méconnu, le public s'enthousiasma pour cet ac-
teur que jusque là les sifllets eux-mêmes avaient dédaigné;
il s'exalta pour ses qualités et ne voulut plus voir ses dé-
fauts. Bocage, sous les traits A'Antonij, fut proclamé non
pas seulement le plus intelligent, le plus chaleureux, mais le
plus beau, le plus élégant, le plus distingué des amoureux de
théâtre. Il y a mieux, il fut décidé, reconnu, établi, qu'on
ne pouvait être beau qu'à la condit'on de ressemlder à Ho-
cage dans Antony. Les salons furent tout à coup inondés
de jeunes hommes pâles et blêmes, aux longs cheveux noir.'?,
à la charpente osseuse, aux sourcils épais, à la parole ca-
verneuse, au lorgnon d'écaillé, à la physionomie hagarde et
désolée. Ces jeunes hommes portaient des gants parfaite-
ment jaunes, et jouissaient d'un regard prodigieusement
mélancolique. Ils ressemblaient beaucoup à des malades
sortis d'un hôpital sans ïexeat du médecin. Ces jeunes
hommes étaient des séides de V>ocdL^Q- Antony. Et comme
à l'époque où ces choses se passaient (1831) on faisait
chaudement toutes choses, de maladroits amis entrcprirtHjt
de démontrer que Bocage était plus qu'un artiste de talent,
qu'il était la personnification de l'Art, que l'Art était en lui
et non ailleurs, etc., etc.
Ces exagérations assez ridicules eurent le résultat que re-
doutaient les hommes sages. La partie raisonneuse du pu-
blic, celle qui n'accepte pas les opinions toutes faites, celle
que le tapage irrite, s'insurgea contre la renommée étour-
dissante de Bocage. Comme il lui parut qu'on voulait faire
d'une question d'acteur une question d'école, une question
de littérature, elle se retira dans ses préjugés, et nia l'acteur
comme elle niait l'école, comme elle niait la pièce. Cette
crise, il faut le dire, ne fut pas favorable à l'acteur. On avait
crié à la perfection, la critique eut à cœur de savoir à quoi
s'en tenir sur cette hâtive glorification; elle examina, et son
examen fut d'auUmt plus sévère que le fanatisme des ado-
rateurs s'était montré plus ardent. On louait l'originalité de
l'artiste , la critique proclama que cette originalité n'était
que bizarrerie; on vantait la distinction aristocratique de sa
personne, la critique accusa racteiu' d'afféterie etde préten-
tion; on s'extasiait sur la vivacité de sa pantomime, la
critique ne consentit à voir dans ce luxe de jeux de phy-
sionomie que contorsions et grimaces. A ceux qui remar-
quaient combien la voix de leur acteur favori avait de puis-
sance émouvante , la critique répondait que la plujjart du
temps cette voix était toute nasale, et que toujours elle était
étrangère à la pratique de l'articulation. Enfin, peu s'en fal-
lut que, grâce à d'imprudentes admirations, cette gloire
qu'un jour avait fait éclater ne retombât en un jour dans
le néant.
Par bonheur, le mérite de l'acteur, s'il n'atteignait pas
précisément les hauteurs hyperboliques au niveau desquelles
on avait prétendu l'élever, était de taille à ne pas se laisser
étouffer dans la lutte. 11 triompha des attaques de la critique,
et, ce qui est plus remarquable, des adulations de ses amis.
La Tour de Nesle, Thérésa , Shilock , Angèle , L'Incen-
diaire, Les Sept Infants de Lara, Riche et Pauvre, Ango,
Christophe le Sxiédois, etc., etc., prouvèrent victorieu-
sement que Bocage est un des acteurs de notre temps qui
entend le mieux la composition générale d'un rôle, qui en
saisit le plus minutieusement toutes les nuances et les dé-
tails les plus divers, que personne plus que lui ne connaît
l'art de donner du ton et de la couleur à un personnage,
que nul n'exprime avec plus de force et de vérité la rési-
gnation, le désespoir, l'amour et le dévouement.
Plus tard, la Main droite et la Main gauche, Lucrèce
et Antîgone furent pour Bocage des occasions de triom-
phes bruyants; mais pour les amis de l'artiste — j'entends
les amis , et non les sectaires — ses deux plus admirables
créations restent celles de Delaunay dans Thérésa, et du
vieux curé dans l'Incendiaire. Edouard Lemoine.
D'acteur, M. Bocage se fit un jour entrepreneur de spec-
tacles. Au mois de mai 1845, il obtint la direction de I'O-
déon. Le théâtre rouvrit à l'arrière-sa^son par la résurrec-
tion du Saint Genest de Rotrou, et un prologue en vers do
M. ïh. Gautier. Sa troupe était faible, bien faible; M. Bo-
cage n'avait guère recruté que des talents naissants, q.ii de-
vaient à la vérité se développer sous son inspiration. Les
pièces se succédèrent avec la rapidité dévorante qui carac-
térise cette malheureuse scène. Cependant on remarqua le
Diogène, de M. F. Pyat, dans lequel M. Bocage jouait le
principal rôle; Agnès de Méranie, de M. Ponsard, etc.
M. Bocage avait cédé la direction de son théâtre à M. A'i-
centini, lorsque la révolution de Février le ramena à la tête do
I'Odéon. Appelé au sein de la commission chargée de prépa-
rer un projet de loi sur les théâtres, il se prononçA énergi-
quement contre la censiire, et développa un système do
théâtres ambulants qui parcourant les campagnes porte-
raient paitont des idées civilisatrices.
Une des plus brillnntos campagnes de I'Odéon fut celle ({«©
Sî2
BOCAGE — BOCARD
fournit François le Champi. George Sand , dans k.» jir(''-
lace, adressa les plus flatteurs remcrcîrnents à l'iiabile di-
recteur qui par rexccllence de sa mise en scène n'avait pas
peu contribué au succès de l'ouvrage. L'auteur nous apprend
môme que c'est sur les vives instances de M. Bocage qu'il
s'aventura h ressusciter sur la scène le genre rustique et
naïf. Le Chariot d'enfant, d'après le roi indien Soudraka,
fut une des dernières pièces jouées à l'Odéon sous la di-
rection de M. Bocage. Les billets de/amille, qui réduisaient
d'une inanière indirecte le prix d'entrée, devinrent un pré-
texte de révocation, et son privilège lui fut enlevé. Vaine-
ment il en appela au conseil d'Klat. Son pourvoi fut rejeté.
Cependant George Sand avait écrit pour lui Claudic, qui
fut représentée à la Portc-Saint-Marlin , et où U joua avec
succès le rôle du père lîémy. Depuis cette création il a
quitté la scène , et il se propose , dit-on , d'offrir bientôt au
public quelques essais dramatiques.
BOCAL, vase en verre, long, cylindrique et sans tube,
à col court ou sans col , et à bouche large , qui sert à mettre
du vin, des liqueurs et toute espèce de liquide; à conserver
des fruits dans de l'eau-de-vie , ou des matières animales
dans l'esprit-de-vin , ou enfin des poudres et des matières
sèches dans les laboratoires des chimisteset des pharraacieas.
On a donné le nom de bocal électrique k la bouteille
de Leyde.
Les bijoutiers et quelques autres ouvriers se servent d'une
grosse bouteille ronde de verre blanc, remplie d'eau et mon-
tée sur un pied de bois, pour rassembler sur leur ouvrage
la lumière d'une bougie ou d'une chandelle placée derrière ,
et qui s'a])pflle aussi bocal.
BOCAJ\E , ancienne danse grave et figurée , ainsi ap-
pelée de son inventeur, Bocan , maître à danser de la reine
Anne d'Aulriclic, qui l'inlroduisità la cour en 1645, et dont
il ne reste aujourd'hui que le nom.
BOCARD, BOCAUDAGE. Le bocard est un appareil de
cassage ou de pilage des substances trè^-dures. Son emploi
principal est pour le cassage des minerais et des scories des
hauts fourneaux ou autres. Le bocardnge se fait à sec ou
à l'eau. Dans ce dernier cas , l'opération est une combinai-
son du cassage et du lavage. On nomme bocqueurs les ou-
vriers qui travaillent au bocardage.
La bonde du bocard est un morceau de bois qui sert à
boucher l'ouverture par laquelle le minerai sort du bocaid.
La huche du bocard est une auge ou cuve demi-circulaire
qai reçoit le minerai au sortir du bocard. Les jumelles
d'un bocard sont deux pièces de charpente qui s'élèvent
perpendiculairement, et qui sont séparées par un intervalle
entre deux lignes parallèles, l^e mentonnet du bocard est
tomposé de pièces de bois fixées sur les poteaux des pilons ,
et que soulèvent les cames. Les pilons du bocard sont de
grands pilons de bois ferrés et mus par des cam;s. La se-
melle du bocard est une pièce de bois qui en fait la base.
Le plus simple de tous les bocards, mais celui dont les
inconvénients sont trop évidents pour qu'il soit nécessaire
de s'y arrêter, consiste en un gros marteau, ordinairement
en fonte de fer , qui tombe sur une grande masse ou las
également en fonte, entourée de planches, et en forme de
caisse. Ce marteau est mu à l'aide d'une roue hydraulique
à laquelle, selon les localités, on pourrait substituer tout
autre moteur que l'eau. L'expérience a fait connaître qu'un
marteau de cette espèce, fonctionnant dans des circons-
tances très-favorables , sous l'action d'un cours d'eau puis-
s;uit, ne peut guère casser en vingt-quatre heures qne
vingt-cinq mille kilogranunes de min^-rai médiocrement dur.
]1 faut pour la conduite de l'opération un homme de jour
et un autre de nuit.
Le bocard le plus généralement en usage est composé de
plusieurs pilous ; suivant la puissance du moteur que l'on
a à sa disposition , on peut en varier le, nombre depuis deux
jusqu'.'i six, et plus. Ces pilons consistent ordinaii'Ciucnt en
une pièc^ de bois d'environ 3 mètres de long sur 12 on 13
centunètrcs d'équarrissage, ferminée par une grosse bolto
de fonte, qui reste fixée sur l'extrémité inférieure, et est
taillée en pointe de diamant. Ainsi garnis, ces pilons pèsent
chacun de 30 à 40 kilogrammes. On les place entre des li-
teaux et on les y maintient verticalement. A 1"',30 de hau-
teur environ , on fixe sur ces pilons un mentonnet, sous ■
lequel passe une came pour les enlever. Ce mécanisme est I
très-analogue à celui du moulin à eftiiocher, dit kviaillo- ■
ches , de nos ancieimes pa])eteries. Les pilons tombeut dans
une auge de bois , sur le fond de laquelle , dans le sens de
la longueur, courent de puissantes bandes de fer forgé de la
meilleure qualité. On faitclioix pour cela du fer le plus dur
et le plus élastique. On place au-dessus de l'auge, vers le
milieu de son prolongement, une caisse que l'on entretient
constamment ])leinc du minerai à bocarder. Cette caisse
porte sur ses côtés des échancrures par lesquelles un choc
un peu violent peut faire passer du minerai , qui vient tom-
ber dans l'auge; et cela arrive toutes les fois que l'auge
s'élant vidée il s'exerce une action sur un levier, qui com-
munique au pilon par un mentonnet; le choc imprimé agite
la caisse, et le minerai s'échappe. Sur le devant de l'auge se a
trouve un grillage formé de plusieurs barreaux triangulaires 1
de fonte, éloignés entre eux d'environ 3 centimètres pour
donner passage au minerai bocardé.
Voilà la forme du bocard le plus généralement usité en
France , en Allemagne et eu Suède. Mais ni en Angleterre,
ni môme dans les États-Unis , on ne s'en est tenu à celte
forme consacrée par la routine. Divers moyens plus cx-
péditifs , et susceptibles surtout de procurer plus d'égalité
dans la grosseur des fragments (ce qui est essentiel pour la
fusion), ont été tentés avec plus ou moins de succès. Nous
citerons seulement le bocard que nous avons vu en usaga
aux forges de Springfield (État de Massachusetts ). Cet aj»-
partil , mil à la vérité par un cours d'eau puissant et très-
favorable, donnait par heure, terme moyen, cinq mille ki-
logrammes de minerai cassé avec une égalité de grosseur
assez grande.
La machine consiste en un gjillage de 2'",75 de diamètre,
ajusté sur un plan circulaire de bois placé sur un arbre ver-
tical. Les pilons, au nombre de dix, sont alternativement
soulevés par des cames fixées sur un arbre horizontal, et
retombent sur ce grillage, où ils écrasent le minerai. Le plan
de bois dont nous venons de parler reçoit un mouvement é
circulaire, afin que la chute des pilons s'effectue successive- "
ment sur tous les points de la surface couverte de minerai.
Les fragments, réduits généralement à la grosseur d'un petit
Q'uf de poule, passent au travers des ouvertures pratiquées
à cet eflet entre les grilles. Une roue à aubes, mue par
l'eau, fait tourner un arbre sur lequel sont emmanchées
deux lanternes ; la seconde lanterne engrène dans une roue
horizontale très-grande , portée par un arbre vertical , qui
communique le mouvement circulaire au grillage; la pre-
mière lanterne engrène aussi dans une roue dentée qui fait
mouvoir un autre arbre vertical. Une seconde roue dentée,
liée <i cet arbre , engrène dans une autre lanterne , et com-
munique le mouvement à l'arbre porteur des cames qui
soulèvent les pilons.
Le plus grand inconvénient qu'offre le bocardage à l'aide
de mécaniques quelconques est la quantité de poussier ou
fragments trop petits qui se forment par leur action. Dans
quelques cas cet inconvénient est peu senti , tels , par exem-
ple, que pour les minerais dont la fusion n'est pas retardée,
et souvent môme est avancée ou rendue plus facile par leur
pulvérisation; mais il est d'autres cas, malheureusement
trop fréquents , où cette pulvérisation est un obstacle consi-
dérable à la fusion , et nuit même à la qualité des fers. Klle
a presque toujours l'inconvénient de causer des enroche-
ments ou chambrîires dans les fourneaux, et principalement
quand ils ont mio grande élévation.
BOCARD — liOCARMÊ
813
Le bocardage peut avoir lieu dans deux cas différents :
1" on soumet le minerai à l'action du bocard uniquement
pour favoriser la séiiaration des substances étrangères, et
te avant le grillage ; 1° après le grillage, et dans la vue seu-
lement de réduire les fragments à un volume peu considé-
rable, etrapprocbé autant que possible de l'uniformité, con-
ditions qui toutes deux accélèrent et régularisent considéra-
blement les fondages. Pelouze père ,
aucien directeur des forges et fouderies du Crciizot.
BOCARDO, mot barbare par lequel on désigne, en
logique, une sorte d'argument ou de syllogisme dans le
genre du suivant : Quelque animal n'est pas homme; tout
animal a un principe de sentiment : donc, quelque chose
quia un principe de sentiment n'est pas homme.
Dans un syllogisme en bocardo, la première proposition
est particulière et négative, la seconde est universelle et at-
(irmative, et le moyen terme est sujet dans les deux pre-
mières propositions.
Que de bons esprits ont été faussés par toutes ces subti-
lités de l'école, et combien il faut savoir gré à tous ceux
<iui ont eu le courage de nous en débarrasser, pour nous ra-
mener à l'observation des simples lois du sens commun et de
la logique naturelle !
BOCARMÉ (Affaire). Le 20 novembre 1850, un jeune
liomme, nommé Gustave Fougnies, mourait à Bury, dans ie
vieux manoir de Bitremont, où il était arrivé le matin même
pour rendre visite au comte et à la comtesse de Bocarmé, son
beau-frère et sa sœur, et dans la salle où il venait de diner
avec eux. Cette mort ne pouvait guère paraître naturelle.
Une information judiciaire fut commencée, par suite de la-
quelle le comte et la comtesse furent mis en état d'arres-
tation.
Le comte Hippolyte Visart de Bocarmé, appartenant par
sa naissance à l'une des premières familles du Mainaut, avait
épousé, en 1S4;J, Lydie Fougnies, fille d'un ancien épicier.
Lydie n'avait qu'un frère, et ce frère, amputé de la jambe
droite, annou(,^it une constitution faible et délicate. M. de
Bocarmé avait donc pu fonder sur cette santé débile et
cbancelanle des espérances d'iiéritage dont il avait spéculé.
En eflet, quoique issu d'une famille autrefois fastueuse et
riche, quoique possesseur d'un château entoure de fossés,
antique et féodale demeure de ses pères, le comte, au mo-
ment de son mariage, était loin de se trouver dans une po-
sition opulente. Un simple revenu personnel de 2,400 Irancs
joint à une pension de 2,000 francs , de la dot de sa femrue ,
formaient tout l'avoir du nouveau couple. D'aussi faibles
ressources s'accordaient mal avec un grand train de maison ,
et surtout avec les mœurs déréglées de i\L de Bocarmé. En
épousant Lydie, dont on avait exagéré lo patrimoine, il avait
d'abord pu caiesser l'espoir de réparer le fâcheux état de
ses affaires ; mais ce patrimoine insuflisant ne tarda pas
à être dissipé par le comte, et il lui fallut bientôt, pour sub-
venir à ses dispendieux désordres, contracter chez son no-
taire des emprunts journaliers : ces emprunts atteignirent en
peu de temps le chiffre de 43,000 francs. Aussi la ruine des
époux de Bocarmé était imminente lorsque Gustave mourut.
Si l'éventualité d'une fin précoce que l'état soulfreteux
de Gustave faisait pressentir avait été pour le comte un motif
déterminant de l'union qu'il avait contractée avec Lydie
Fougnies, on conçoit combien grande devait être son im-
patience en voyant que cette mort n'airivait pas assez vite
au gré de ses désirs. On conçoit surtout combien dut le
contrarier le projet de Gustave d'unir son sort à celui d'une
épouse. Ce mariage, qui risquait d'anéantir toutes les espé-
rances de M. de Bocarmé, était ;\ la veille de s'accomplir
entre le jeune Fougnies et une demoiselle de Dudzeele.
Aussi Gustave n'eut-il pas plus tôt rendu le dernier soupir,
que la comtesse chargeait en termes inconvenants un de
tes domestiques d'aller dire à la famille de la fiancée de
son frère que celin-ci était mort d'apoplexie.
wor. ui: L\ co:>Vhti5, — r. m.
Cependant l'état du cadavre indiquait une mort toute dif-
férente; car l'autopsie avait constaté, indépendamment de
plusieurs contusions, égratignures et coups d'ongles, le pas-
sage sur la langue, dans la bouche, la gorge et l'estomac,
d'un caustique liquide, et l'analyse chimique, de son côté',
ne tarda pas à démontrer que Gustave Fougnies était mort
empoisonné par la n i c o t i n e. L'instruction acquit la preuv«
que le comte de Bocarmé faisait depuis dix mois une étude
particulière de ce poison ; qu'après avoir cultivé des plantes
vénéneuses en 1849, il s'était présenté au mois de février 1850,
sous un faux nom , chez un professeur de chimie à Gand,
afin de connaître les instruments propres à extraire les
huiles essentielles des végétaux. Il avait particulièrement
consulté ce chimiste sur la manière de distiller l'huile essen-
tielle du tabac, et il avait commandé à un chaudronnier un
appared distillatoire propre à ses expériences. Après plu-
sieurs essais imparfiiits, il avait réussi à obtenir le 10 no-
vembre deux fioles de nicotine qui disparurent le 20 , jour
de l'empoisonnement de Gustave. D'autres charges acca-
blantes demeurèrent acquises contre les deux accusés. Ainsi
toutes les précautions avaient été prises par les époux de
Bocarmé pour éloigner les domestiques de la salle à manger
pendant le crime ; cependant on avait entendu des cris pro-
férés par la victime ; enfin la femme de chambre avait presque
assisté à la perpétration du crime, et le parquet en avait
conservé des traces.
Les époux Bocarmé furent donc renvoyés devant la cour
d'assises du Hainaut. Les débats s'ouvrirent à Mons, le 27
mai 1851. Agé de trente-deux ans, le comte de Bocarmé
était d'une taille grande et svelte; ses cheveux étaient blonds
et abondants ; sa figure, quoique légèrement marquée de pe-
tite vérole, ne manquait ni de noblesse ni de distinction;
ses yeux bleus avaient une certaine timidité dans le regard.
Sa femme avait vingt-huit ans ; sa figure régulière, encadrée
par des cheveux noirs comme l'ébène, était plutôt belle que
jolie; ses yeux noirs, surmontés d'épais sourcils, n'avaient
pas l'expression de douceur qui caractérise en général les
femmes du Hainaut. Au banc de la défense s'asseyaient deux
avocats belges et un avocat de Paris.
Le système de défense adopté par les accusés ne fut point
solidaire. S'accusant récii)roquement de la mort de Gus-
tave, mais l'attribuant, l'un à un accident involontaire
causé par un déplorable effet du hasard, l'autre, au con-
traire, à une intention préméditée, ils essayèrent de faire
retomber l'un sur l'autre le poids de la catastrophe. La
comtesse accusa formellement son mari d'avoir empoisonné
son frère ; de l'avoir, après le dîner qu'ils venaient d'ache-
ver ensemble, soudainement terrassé, et, tandis qu'elle s'é-
tait sauvée pleine d'effroi , d'avoir violemment administré
au malheureux Gustave le poison qu'il lui destinait. Llle
n'avait pas vu consommer l'acte lui-même; mais le soir,
après le crime, le comte lui en avait avoué toutes les cir-
constances, et du reste, dès la veille, lui annonçant pour te
lendemain la visite du jeune Fougnies au château , il lui
avait déclaré qu'il votdait en finir.
De son côté , IM. de Bocarmé expliquait tout autrement
l'événement fatal. Ce que racontait sa femme n'était, d'après
lui, que mensonge et pure invention. Après tout, un pa-
reil langage était dans son plan de défense, et elle faisait
très-bien, disait-il, d'y persister, si elle espérait de cette
façon se sauver. Mais, pour son compte, il se défendait éner-
giqueinent du crime qu'on rejetait sur lui, et c'était, au
contraire, la comtesse, qui, sans le savoir, innocemment,
avait empoisonné son frère, en lui versant à boire comiie
il venait de demander du vin, ce qu'elle croyait être du
vin, et qui n'était autre chose que de la nicotine que cette
bouteille contenait. Lui-même d'ailleurs, ayant porté ce li-
quide à sa bouche, en même temps que Gustave, croyant
aussi boire du vin, avait failli s'empoisonner, et n'avait
échappé au triste sort de son beati-frère que par la promg"
■ïO
314
titude avec laquelle il avait rejeté el vomi ce qu'il venait
d'avaler.
Ce qui étonna surtout dans le cours de ces débats, ce fut
le caractère singulier de la comtesse, la froide et cruelle im-
passibilité de celte femme qui ne se démentit pas un seul
instant, l'indllférence profonde qu'elle ne cessa de témoi-
gner pour le sort de son mari. L'impression qu'une telle atti-
tude laissa dans les esprits lui fut en général peu sympathi-
que, et chacun éprouva contre cette absence complète de
cœur et de sensibilité un profond sentiment de répulsion.
Qu'attendre en effet d'une femme qui avouait elle-même
savoir que son mari allait tuer son frère , et qui , au lieu
de prévenir celui-ci, au lieu d'appeler les domestiques et de
rendre le crime impossible , déclarait s'être éloignée pleine
<reflioi, mais sans bruit , de la salle où son frère expirait ?
Après dix-huit jours de débats, le jury rendit enfin, le 14
juin, au grand étonnement de tous ceux qui avaient suivi
cette affaire, un verdict de culpabilité pour le mari et de
non-cujpabiiité pour la femme. La comtesse fut, en consé-
quence , rendue ;'i la liberté, et le comte condamné à la peine
de mort.
M. de Bocarmé, dont le pourvoi en cassation fut rejeté,
subit sa peine à Mons, le ').0 juillet. Le roi n'avait pas cru
pouvoir arrêter le cours de la justice pour vn crime d'au-
tant plus grand que l'auteur appartenait aux classes les
plus élevées de la société. L'énergie que le comte avait ma-
nifestée pendant toute la durée du procès ne l'abandonna
pas un seul instant, et l'accompagna jusque sur l'échafaud.
La comtesse est allée s'installer à Kœnigswinter,où elle vit,
dit-on, dans la retraite, et le château de Bury est resté dé-
sert. Puisse-t-elle éteindre dans une vie obscure la triste
célébrité qui s'attache à son nom!
liOCCACE (Jean) naquit à Paris, dans l'année 1313.
Il était fils naturel d'un marchand llorentin, originaire de
Certaldo, appelé Boccacio dï Ckellino, qui était venu à
Paris, autant à cause des affaires de son commerce que par
suite de liaisons d'amour qu'il y avait formées. On condui-
sit l'enfant à Florence , où il fut confié aux soins d'un cer-
tain Giovanni da Strada, célèbre grammairien de cette
époque, qui commença son éducation. Buccace annonça de
bonne heure ce qu'il serait un jour. Dès l'âge de sept ans,
bien qu'il n'eût encore aucune connaissance des règles de
la versification, il composait déjà des fables et des récits en
vers pour amuser ses camarades , ce qui lui valut de leur
part le surnom de Poëte.
Ces brillantes dispositions auraient dû flatter l'amour-
propre de son père; mais il les trouva si contraires aux
plans qu'il avait formés pour l'avenir de son fils, qu'il songea
à en arrêter l'essor : marchand , il voulait que son fils le
fût aussi. 11 le mit donc, à l'âge de dix ans, dans le comp-
toir d'un négociant à Paris, pour y apprendre la tenue des
livres et les quatre règles de l'arithmétique. Celte première
contrariété, loin de décourager le jeune Boccace, ne fit qu'ir-
riter son génie , et lui rendre plus chers ses livres poétiques
et ses études. H employa les six années qu'il resta chez ce
négociant non à se mettre au fait du commerce, il s'en
souciait fort peu , mais à travailler à connaître les hommes.
Ces six années écoulées, son maître, voyant que ses efforts
étaient inutiles, et qu'il ne pourrait jamais rien en faire, le
renvoya à la maison paternelle.
Cependant le père de Boccace ne se découragea pas en-
core. Croyant que si on lui faisait envisager le commerce
d'un point de vue plus élevé, on finirait par lui en inspirer
le goût , il le fit voyager dans les différentes villes de l'Italie,
et surtout dans le royaume de Naples. Cet expédient eut un
résultat fort différent de celui (lue le bon Boccacio di Chellino
en attendait. Envoyer un jeune homme doué, comme son
fils, d'une imagination ardente, à Naples, sur cette terre
c)assi(iue de la poésie, au milieu des ruines de tant de mo-
uuàiicnts célèbres, sous un ciel insiuraleur, au pied de la
BOCARMÉ — BOCCACE
tombe de Virgile, le mettre en présence du Vésuve et de
tout ce qu'une nature toujours jeune et puissante a de plus
enivrant, n'était-ce pas le rendre cent fois plus poëte qu'au-
paravant, n'était-ce pas le rendre poëte jusqu'à la folie? On
conçoit qu'un pareil voyage puisse poétiser jusqu'à l'âms
d'un marchand;... mais qu'il puisse matérialiser l'âme d'un
poëte,... c'est bien difficile à croire. Aussi que fit Boccacef
Il planta là toute idée de commerce et d'atlaires , et se mit
à étudier Virgile , Horace, Ovide et le Dante. Il lut surtout
ce dernier poëte tant de fois , il s'en empara si bien, que
la Divine Comédie devint, pour ainsi dire, la propre sub-
stance de son âme, qu'il se l'incorpora, et que plus tard
il emprunta presque toujours, quoique involontairement, à
ce grand maître la forme et l'expression dont il habilla ses
pensées.
Le père de Boccace , convaincu à la fin de l'inutilité de
ses efforts, lui permit de continuer ses études, mais à la
condition qu'il y joindrait celle du droit canon, moyen
presque certain à cette époque d'arriver aux emplois et à
la fortune. Mais les décrets de l'Église n'avaient guère plus
de charmes pour Boccace que le commerce. Après quelques
tentatives pour prouver sa bonne volonté et son obéissance,
il abandonna cette nouvelle tâche, pour reprendre ses oc-
cupations littéraires. Fixé, depuis huit ans, à Naples, il y
fut témoin d'un spectacle bien fait pour exciter son enthou-
siasme : ce fut à cette époque qu'eut lieu la visite de Pé-
trarque au roi Robert. Boccace assista à l'examen que
subit le grand poëte en présence de toute la cour du roi
Robert ; il se retira émerveillé de la manière éloquente avec
laquelle il avait fait l'éloge de la poésie, et exposé les règles
de cet art divin.
L'amour, qui d'ordinaire joue son rôle dans l'existence
terrestre du génie, devait occuper une large place dans le
talent et la destinée de Boccace. H vit dans une église la
jeune princesse Marie, fille naturelle du roi Robert. Elle
était aussi belle que spirituelle et instruite. Lui , de son côté,
était beau, jeune et séduisant. H aima la princesse, et en fut
aimé;... ce qui était fort naturel assurément , mais fort peu
édifiant, attendu que Marie avait épousé depuis huit ans un
gentUliomme napolitain. C'est elle qu'il a souvent chantée
sous le nom de l'iammelta, et c'est pour elle qu'il a composé
le poërae de ce nom et celui qui a pour titre Filicopo. Au
reste , les amours de Boccace avec la fille du roi Robert
aboutirent à un dénoûment trop prosaïque pour qu'ils aient
conservé le parfum céleste qui l'ait le charme de ceux de
Dante et de Pétrarque. Fiammctta ne pouvait inspirer comme
Laure et Béatrix; elle avait trop accordé aux sens pour
laisser place à la rêverie et à l'imagination.
En 1342, le père de Boccace, devenu vieux et infirme, le
rappela auprès de lui. Florence gémissait alors sous la ty-
rannie du duc d'Athènes ; mais notre poëte ne prit aucune
part aux agitations populaires qui en furent la conséquence ;
pour s'arracher aux préoccupations du présent, il composa
même un roman mêlé de prose et de vers, connu sous le
titre d'Admète. Après un nouveau voyagfe à Naples, il revint
se fixer dans sa i)atrie , où son père avait tout récemment
exhalé le dernier soupir. Cette année fut marquée dans sa
vie littéraire par un grand événement, son étroite liaison
avec Pétrarque, auquel il fut chargé par ses compatriotes
d'aller porter la nouvelle de sou rappel et de la restitution
des biens de son père. Boccace s'empressa de renoncer à la
poésie et de jeter au feu tous ses sonnets quand il eut lu
ceux de l'amant de Laure. Si cet excès de modestie nous a
fait perdre un versificateur, qui selon toutes les apparences
n'aurait jamais été que très-médiocre, il nous a valu un
grand écrivain , un orateur du premier ordre ; il nous a valu
la découverte de la langue italienne.
En ellët, la publication du Décaméron, qui eut lieu
l'année suivante, prouva que Boccace avait eu raison de re-
noncer à la poésie, et de s'idtacher à écrire dans l'idiome
BOCCACE
Sf5
national , dans la langue vulgaire , car dès lors cette langue
ùit Itxcc, son génie et ses ressources furent connues; la
langue vulgaire fut ennoblie. Sous ce rapport on ne saurait
assez louer Boccace : le service qu'il a rendu à son pays est
inappréciable. Les poésies de Pétrarque ont exercé moins
d'influence sur cette régénération de la langue italienne que
la prose de son ami. Aussi , tous les écrivains du seizième
siècle en parlent-ils avec une admiration qui va jusqu'au
fanatisme. Un autre service que nous a rendu la publication
des Conter de Boccace, c'est qu'à part le mérite du style,
qui est immense, ils ont celui de peindre fidèlement les
mœurs et les habitudes du peuple llorentin à celte époque.
Le Dicam&ron fut commencé à Naples , et terminé à Flo-
rence. Il est précédé du tableau delà peste, qui achevait de
«iésoler cette dernière ville. C'est le portique majestueux d'un
édifice immortel.
Mais continuons la biographie de Boccace. La préférence
qu'il avait pour la langue vulgaire ne l'empêchait pas de
payer à la science et à l'érudition le tribut de son temps et
de ses "recherches. Il joignit ses efforts à ceux de Pétrarque
pour exhumer d'anciens manuscrits, et en transcrivit de sa
main un si grand nombre qu'il est à peine croyable que sa
vie tout entière ait pu y suffire. Son admiration pour le Dante
l'engagea à faire lui-même une copie de la Divine Comédie,
qui sous le rapport de l'art calligraphique et la perfection
des dessins et des enluminures nivalise avec les plus beaux
manuscrits. Cette copie, que Boccace avait offerte à son ami
Pétrarque, est maintenant précieusement conservée dans
la bibliothèque publique de Florence. La langue grecque
était alors une nouveauté : ceux qui pouvaient la comprendre
étaient regardés comme des hommes précieux , et recher-
chés par tout ce qu'il y avait de riche et de puissant. C'est
ce qui explique la vogue qu'eut un moment une espèce de
pédant, nommé Léonce Pilate, fort malpropre et fort laid,
mais qui pouvait lire Platon et Xénophon. Boccace se servit
de cet habile interprète pour apprendre le grec. 11 sacrifia
même tout son patrimoine à la science ; et lorsqu'il n'eut plus
lien, ce fut en vain que Pétrarque lui offrit généreusement
de l'aider de sa fortune.
Cependant la santé de Boccac* se ressentait des privations
qu'il avait été obligé de s'imposer, et, il faut bien le dire
aussi , des excès de sa jeunesse ; sa tète n'était plus aussi
forte. Un religieux , nommé Pétroni , crut que le moment
était venu de convertir notre nouvelliste , tant soit peu li-
bertin. 11 y réussit au delà de ses espérances : notre conteur
eut peur de la damnation étemelle ; il se confessa , se con-
vertit, et, chose qu'on ne croirait pas si l'on ne connaissait
jusqu'où peut aller notre faiblesse, il prit l'habit ecclésias-
tique. Cette conversion fut , au reste, de peu de durée, et
son amour pour la théologie se calma aussi vite qu'il était
venu. Profitant <!u conseil de Pétrarque, il reprit le cours
de ses travaux. Mal reçu à Naples par le grand sénéchal du
royaume, il alla à Venise se consoler de ce dédain de la sot-
tise dans les bras de son ami. De retour à Florence, il vint
chercher dans le ^^llage de Certaldo, berceau de sa famille,
un refuge contre les importuns et un air plus pur. C'est là
qu'il composa un grand nombre d'ouvrages latins, qui lui
valurent pendant deux siècles l'admiration des érudits de
Florence et de tout le monde savant. On visite encore avec
intérêt la petite maison qu'il habita, et qui est pour ce coin
de terre un monument précieux, qu'on montre avec orgueil
aux étrangers. Quelques siècles plus tard, la famille de Mé-
dicis fit sculpter sur une tour, dernier débris de cette habi-
tation, l'inscription suivante :
lias ollm c\ij;iias coluit Boccaciiis a?des,
Nomioe qui terras occupât, astra, polum.
Une maladie intérieure, qui menaçait depuis longtemps
son existence, lui laissait peu de forces. Cependant il en eut
encore assez pour faire nn dernier effort en l'honneur du
Dante. Une chaire spéciale venait d'être fondée pour la lec"
ture de la Divine Comédie. Elle appartenait de droit à Boc-
cace. 11 consacra à l'étude de ce divin maître les restes d'une
vie qui s'éteignait. Les derniers accents de sa voix furent
comme un hommage suprême rendu au poète dont les écrits
avaient charmé son existence. Sa fin fut précipitée et at-
tristée par la nouvelle de la mort de son émule de gloire ,
de son ami , du vénérable Pétrarque. Il expira sous cette
fatale impression, le 9.1 décembre 1375, à l'âge de soixante-
deux ans. Son fils naturel, qu'il paraissait avoir oublié, pré-
sida à ses funérailles , et fit inscrire sur son tombeau une
épitaphe dont le dernier vers mérite d'être conservé :
Patria CcrtalHum , sludium fuit aima pocsis.
Les ouvrages de Boccace qui lui valurent le plus de gloire
et de réi)utation sont précisément ceux que nous estimons
le moins, et que nous ne lisons pas. Son Traité de la Gé-
néalogie des dieux obtint de son vivant un succès pro-
digieux. Toutes les bibliothèques en eurent des copies. Ce
pliénomène s'explique facilement lorsqu'on se reporte à l'é-
tat des connaissances humaines à cette époque, et lorsqu'on
réfléchit à l'avidité avec laquelle les savants s'emparaient
alors de tous les débris de l'antiquité. L'empressement que
nous mettons à être témoins de l'ouverture d'un sarcophage
égyptien, du dépouillement d'une momie ou de l'arrivée sur
nos rivages d'un obélisque couvert d'hiéroglyphes, peut
seul donner une idée approximative , quoique bien affaiblie,
do l'émotion et de l'avide curiosité avec lesquelles le peuple
florentin accueillait, à cette époque de renaissance et d'ex-
huir.ation, les ouvrages qui traitaient de l'antiquité grecque
et romaine.
Boccace composa plusieurs traités, sur le modèle de ceux
de Plutarque, dans le but de mettre la science à la portée
du plus grand nombre : il y en a un De montibus, aylvis,
fontibus, etc., etc.; un autre sur les infortunes des fem-
mes illustres, etc., etc. On a conservé de lui encore seize
églogues en vers , qui ne méritent guère d'être lues. Son
poème de la Théscide, composé à Naples, dans sa jeunesse,
pour plaire à sa chère Fiammetta, sera toujours lu avec
quelque intérêt, parce qu'il offre le premier exemple de
l'application d'un rhythme dont Boccace est regardé généra-
lement comme l'inventeur : nous voulons parler de Yottava
rùHo, forme plus harmonieuse et plus délicate que celle qui
avait été employée jusque alors. La priorité de cette invention
lui est cependant contestée ; on l'attribue à un auteur fran-
çais, à Thibaut, comte de Champagne. Un autre mérite de
la Théséide, c'est d'avoir le sens commun , mérite qui était
assez rare dans les poèmes publiés à cette époque. Il Fi-
lostrato est plein d'anachronismes choquants, et de rémi-
niscences homériques du plus mauvais goflt. Le style, qui
seul rappelle parfois celui du Décameron, lui valut l'hon-
neur d'être compris par l'Académie de la Crusca dans les
li\Tes classiques de ce temps. Deux autres poèmes, Ninfalc.
Fiesolano, ['Amorosa Viscone, participent des mêmes dé-
fauts et des mêmes qualité-s; si la conception en est mauvaise,
le style en est assez bon. Son roman de Filicopo, farci de
citations mythologiques et rempli d'aventures romanesques,
obtint un grand succès , et fut regardé par Boccace lui-
même comme le meilleur de ses ouvrages : on ne pourrait
de nos jours en lire dix pages. Dans la Fiam.metta, autre
roman, en sept livres, vous ne trouverez qu'un long et en-
nuyeux récit des amours de Fiammetta et de Pamphile. C'est
sous ce nom que l'auteur se désigne. Corbaccio, a sia Lobe-
rinto d'amore, est une satire allégorique dirigée contre une
veuve dont il était devenu amoureux à l'âge de plus de
quarante ans, et qui s'était moquée de sa passion. L'Ameto,
l'Admète, grossit inutilement la masse des pastorales mêlées
de prose et de vers, qui étaient alors le genre à la mode. Il
fut imité depuis par Sannazar dans son Arcadic , et par
Bombo dans son Asolani. L'Vrbano est un roman qui,
•'lO.
316 BOCC
à (l'.'faut d'autre m(5rila , a au moins celui dVtre court.
La vie du Uante par IJoccace {Origine, vila e costutiii
di Dante Aliyhieri), bien qu'entachée do quelque décla-
mation, excite un vif intértH,par le grand nombre d'anec-
dotes qu'elle renferme sur la vie de l'illustre poète et par
quelques passages empreints d'une haute éloquence, celui,
par exemple, où l'auteur reproche aux Florentins leur in-
gratitude envers la mémoire de leurs grands hommes. C'est
un monument précieux de la littérature italienne du qua-
torzième siècle. Les lectures de Boccacc sur la Divine Co-
médie ne furent rtCiieillics et publiées qu'en 1724, à Naples,
sous le titre de Commentaires des seize premiers livres
de l'Enfer du Dante. Elles eurent sans doute alors un
grand succès; mais ce qui en faisait le mérite principal
lorsque le professeur les improvisait devant le public flo-
rentin est précisément ce qui nous empêcherait de les lire
aujourd'hui. Les observations, les critiques, qui pourraient
nous rendre certains passages du Dante plus intelligibles,
sont tellement noyés dans un fatras d'érudition pédantesque,
que nous croirions les acheter trop cher en prenant la
peine de les y chercher. Boccace, il faut bien le dire, s'é-
vertuait moins dans ses leçons sur le Dante à vulgariser les
beautés du poète qu'à faire parade de son érudition et à
flatter le mauvais goût de son auditoire. Cependant elles
prouvent que le commentateur était un grammairien pro-
fond , el qu'il n'était étranger à aucune connaissance de
son époque.
Le Décaméron est de tous ses ouvrages celui qui de
son vivant lui valut le moins de réputation, et c'est pour-
tant aujourd'hui le seul qui justifie à nos yeux l'admiration
de ses contemporains, le seul que nous regardions comme
son véritable titre à l'immortalité. Boccace partageait telle-
ment le goiit de son siècle , bien qu'il lui tût supérieur,
qu'il attachait lui-môme très-peu d'importance à un livre
en apparence aussi futile qu'un recueil de contes, et que
s'il revenait au monde, il serait probablement fort surpris
de le voir unanimement préféré à ses autres ouvrages. Le
Décaméron est le seul en elfet que nous nous plaisions
encore à lire. Il a été pour tous les conteurs une source
abondante, où ils ont largement puisé. En France La Fon-
taine et Voltaire, en Angleterre Cliaucer, Shakspeare et
Dryden , lui ont emprunté le sujet de leurs plus gracieuses
compositions, quoique rarement ils aient pu égaler l'élé-
gance et la pureté de son style. Qu'on ne s'y trompe pas ,
les contes de Boccace, comme les drôleries de Rabelais,
cachent sous une apparence de frivolité un sens philoso-
phique très-profond, une satire très-incisive des mœurs
du temps, une connaissance très-intime du cœur humain.
Une observation frappe en lisant tant de récits ingénieux,
oii le clergé n'est pas épargné. On se demande comment
l'Église catholique romaine , alors toute-puissante et armée
du glaive de l'inquisition , a pu permettre qu'on l'attaquât
aussi effrontément , aussi impunément. La cour de Rome
elle-même n'est pas ménagée dans ces piquantes satires , et
plus d'un trait d'une mordante ironie, décoché contre elle,
aurait encore de nos jours le mérite de la hardiesse. Et ce-
pendant ce livre fut publié sans obstacle. Ce ne fut qu'a-
près une succession de vingt-cinq papes qu'il fut mis à
V index , et qu'on se crut obligé d'en publier des éditions
purgées de toute impureté. La raison de cette anomalie
est facile à trouver. Au temps de Boccace, les mœurs dont
il fait la peinture , les abus qu'il critique, étaient choses si
naturelles, si vulgaires, que personne n'y faisait attention,
et , d'un autre côté, l'Église , forte et puissante , dédaignait
ces piqûres d'épingle qui aujourd'hui lui font grand'peur.
L'occasion qui donna naissance au Décaméron n'était
rien moins que gaie, et ne semblait pas devoir fournir matière
à des contes badins. En 1348 une peste terrible dévasta
l'Europe, et exerça particulièrement ses ravages sur Florence ;
, la ville était jonchée de cadavres. Dans cette silu.ition cr»-
(VCE
tique, trois jeunes gens el sept jeunes dames, sages el de bonne
maison, se rencontrèrent à l'église de Santa-Maria-^ovclla,
où ils s'étaient réfugiés , et, après s'être entretenus du fléau
qui ravageait la ville, ils proposèrent de se retirer toi:s
ensemble dans la campagne pour y fuir la contagion et s'y
distraire du spectacle de tant de calamités. Les préparatifs
furent bientôt faits. Le lendemain, au point du jour, notre
caravane se dirigeait vers une charmante villa, située à
Poggio-Gherardi , à quatre kilomètres environ de F-lorencc.
Là , on ne pensa qu'aux moyens de tuer le temps et de jouir
en francs épicuriens d'une existence qui menaçait d'être
sans lendemain. Il fut convenu que la bande joyeuse serait
tenue de se choisir chaque jour un roi ou une reine qui gou-
vernerait arbitrairement, dresserait le programme des fêtes,
des repas, des concerts, des amu.sements de la journée,
et réglerait l'emploi des heures, le genre et l'ordre des his-
toires à raconter. La société étant composée de dix persoimes,
chacune devait payer son tribut chaque jour; or, comme elles
étaient censées avoir à rester dix jours à la campagne, l'ou-
vrage se trouve naturellement divisé en dix journées, dont
chacune contient dix nouvelles : c'est ce qui a fait donner
au livre le titre de Décaméron, formé de deux mots grecs
qui signifient dix journées, cadre simple et ingénieux
adopté depuis par presque tous les conteurs de nouvelles.
On a prétendu, pour disputer à Boccace le mérile de l'o-
riginalité de SCS contes, qu'il les avait empruntés à nos an-
ciens fabliaux. Il est plus juste de dire que, comme tous l&s
grands auteurs, il a pris son bien oii il l'a trouvé, et s'est
approprié ses emprunts par la forme dont il les a revêtus.
Quand l'ami de Pétrarque entreprit d'écrire ses nouvelles
pour plaire à la princesse Marie , il recueillit toutes les tra-
ditions, et puisa à toutes les sources. Les mœurs de son
siècle et la vie licencieuse des moines lui fournissaient d'a-
bondants matériaux. Sa description de la peste, l'un des plus
beaux morceaux de la littérature italienne, égale, si elle He
surpasse, celle de Thucydide. Il avait été lui-môme témoin
du spectacle affreux que présentait alors F'iorence. Son styl(!,
dans cette admirable préface , a été comparé au style de
Ciceron : il nous semble supérieur à celui du grand orateur
I romain, et se rapprocher plutôt de la manière de Tacite. La
fin du Décaméron, la dernière journée, et surtout la der-
nière histoire de cette journée, sont dignes du préambule.
La nouvelle de Titus et Gisippe et celle de Griselidis , qui
la suit, passent généralement pour les chefs-d'œuvre du
genre , et ont été imitées dans toutes les langues.
Comme nous l'avons dit , la publication du Décaméron
n'éprouva aucun obstacle à sa naissance; les copies s'en
répandirent de toutes parts, et se multiplièrent à l'inflni.
Chacun voulait avoir le livre dans sa bibliothèque. L'impri-
merie, qui vint bientôt après, s'en empara. Venise, Flo-
rence et Mantoue en publièrent différentes éditions. Mais
la colère des moines, jusque alors endormie, se réveilla et
s'accrut avec le succès de l'œuvre. En 1497, le fanatique
Savonarole échauffa si bien les têtes des Florcjitins qu'ils
apportèrent à l'envi sur la place publique leurs exemplaires
du Décaméron, du Dante ei de Pétrarque, et les bi-ùlèrent
avec tout ce qu'ils avaient de tableaux ou de dessins un
peu libres. Cependant l'ouvrage continuait à s'imprimer;
mais d'édition en édition il était devenu méconnaissable,
tant le texte original avait élé peu respecté. En 1527 quel-
ques jeunes lettrés de Florence, ayant rassemblé les moins
incorrectes , publièrent , après de grandes recherches pour
rétublir les passages altérés, celle qui est connue sous l«
titre Addition des héritiers des Juntes. Les censures el
prohibitions du concile de Trente et des papes Paul IV et
Pie V ne se firent pas attendre, et il fallut que Cosme T' en-
tamftt avec le dernier de ces pontifes une négociation en
règle pour faire lever l'interdit qui pesait sur ce livre. L'af-
faire fut traitée avec tonte la gravité d'une affaire d'Etal.
Une commission , composée d'académiciens et de lettrés flo-
I
BOCCACE —
rcnlins, fut diaigée crexaniiner l'ouvrage et de lui faire su-
bir les corrections nécessaires. Le maître du sacré palais et
le confesseur du pape devaient présider aux débats, et sou-
tenir les intérêts du clergé. On envoya à Rome un bel
exemplaire de l'édition d'Aide Mamice , sur lequel devaient
être indiqués les passages à retrancher ou à changer. Pen-
dant quatre années et plus on batailla sur ce sujet. Les
comniissaires florentins défendirent pied à pied les passages
de leur grand écrivain , comme s'il se fût agi des limites de
leur territoire, La correspondance qui eut lieu à cette occa-
sion, et qui est conservée à la bibliothèque Lanrentienne,
est un des monuments les plus curieux de l'époque. Elle
montre avec quelle passion , avec quel esprit de nationalité,
le petit peuple de Florence combattait alors pour sa gloire
littéraire. Le livre fut enfin imprimé sept années après, en
1573 : c'est l'édition dite des Députés; elle ne contenta pas
encore la nation toscane , qui demanda à grands cris une
nouvelle révision, que le pape Sixte V lui accorda en 15S2,
mais qui ne la satisfît pas davantage. Heureusement les
nombreuses éditions imprimées depuis lors librement, et
sans retranchements aucuns, en Hollande, en Angleterre
et en France, l'ont dispensée pour toujours de solliciter du
bon plaisir papal la faveur insigne de lire son divin prosa-
teur dans une édition un peu moins revue, corrigée et sur-
tout diminuée que les précédentes. F. Ddbief.
BOCCAGE ( Marie-A>xe LEPAGE, M""" FIQUET DU),
femme poète dont les œuvres sont bien oubliées aujourd'hui,
était née à Rouen, le 22 octobre 1710, et mourut à Paris,
le 8 aofit 1802, âgée de près de quatre-vingt-douze ans.
Élevée à Paris, au couvent de l'Assomption, la jeune Le-
page avait montré des dispositions précoces pour la poésie.
Toutefois , ce fut seulement plusieurs années après son re-
tour daus sa ville natale qu'elle hasarda un premier essai. Son
début fut un poème sur les Sciences et les Lettres , que
couronna l'Académie de Rouen. La mort de son mari , re-
ceveur des tailles à Dieppe , la laissa, jeune encore, en pos-
session d'une assez belle fortune, et h'bre de se livrer en-
tièrement à son goût pour la littérature. Encouragée par sa
première réussite, la muse neustrienne entreprit des tra-
vaux qui avaient plus d'importance et d'étendue : elle tra-
duisit en vers le poème de Gessner, la Mort d^Abel, et ne
craignit pa» d'aborder une composition d'une tout autre
portée, le Paradis Perdu de Milton. Mais elle rapetissa
à sa taille cette haute conception , et n'en donna qu'une
iuiitation abrégée en six chants. Assez fidèle à la grâce de
l'original dans la peinture des amours de nos premiers pa-
rents, comme elle avait assez bien rendu dans l'autre tra-
duction celle des mœurs pastorales des premiers temps, son
pinceau reproduisit bien faiblement tous les détails em-
preints de force et d'énergie , et surtout cette grande figure
de Satan, admirable création du génie, dont plus d'un ou-
vrage de Byion n'est que le commentaire. Le poème de
madame du Boccage n'en fut pas moins accueilli avec une
faveur marquée , et cette miniature considérée comme un
tableau. Belle, riche, affable et bonne, comment n'aurait-
elle pas exercé sur ses juges une puissante séduction?
La scène, cependant, lui fut quelque temps après moins
favorable -. sa tragédie des Amazo7ies, représentée en 1749,
fut accueillie avec froideur. Le sujet était ingénieusement
choisi pour être traité par une femme; mais l'action et le
style manquaient de cette énergie virile, de cette vigueur
cornélienne, de ces qualités enfin qu'exige la tragédie. Le
zèle de ses amis poussa pourtant l'ouvrage jusqu'à onze re-
présentations, et cet échec, déguisé sous le nom de succès
d'estime, ne l'empêcha point d'entreprendre plus tard une
œuvre d'une plus grande importance, un poëme épique.
Certes, il n'en était guère qui pût offrir un champ plus
vaste au génie que la découverte de l'Amérique restituée
à son véritable auteur, sous le titre de la Colombiade.
i^iais le génie ne fut pour rien dans le plan et l'exécution
BOCCHERIM
317
de cet ouvrage. Sorti de la plume d'une femme , on le piôna
comme une œu'STe extraordinaire. La critique eût été répu-
tée malveillance ou jalousie si elle eût osé prétendre que
\e sexe ne faisait rien à V affaire. Fontenelle appelait l'au-
teur sa fille; La Condamine quittait un travail scientifique
pour liù adresser un madrigal; Voltaire, en la recevant à
Ferney , la couronnait de lauriers ; des admirateurs enthou-
siastes plaçaient au-dessous de son portrait ces mots flat-
teurs : Forma Venus, arte Minerva, que Guichard tradui-
sait dans ces deux vers :
Ce portrait te séduit, il te charme, il t'abuse :
Tu crois voir uoe Grâce, et lu vois une Muse.
mais ce fut un bien autre concert d'éloges quand elle visita
l'Italie : un volume entier put à peine contenir tous les
sonnets et les vers qui furent récités à sa gloire lors de sa
réception solennelle à l'Académie des Arcades de Rome. Bo-
logne et Padoue la nommèrent également à leurs acadé-
mies; Lyon et Rouen leur en avaient donné Texeinple; et,
sans la loi salique littéraire, qui exclut les femmes des
trônes académiques fondés par Richelieu, nul doute qu'elle
n'eût siégé aussi sur un de ceux-là. Dans la froide Hol-
lande , dans la dédaigneuse Angleterre , où elle voyagea
ensuite , la Sapho française recueillit également des hom-
mages poétiques, trop complaisamment reproduits dans ses
Lettres sur les trois pays qu'elle avait parcourus ; mais
cet enthousiasme, qui n'avait aucune base solide, ne tarda
pas à décroître , et finit par s'éteindre. La plupart de ses
œuvres ont pourtant été traduites en anglais, en espagnol,
en allemand et en italien. Oukrv.
BOCCA-TIGRIS , en chinois Humen, ou Fumen
dans le dialecte de Canton, c'est-à-dire la Bouche ou la Porte
du Tigre, nom donné par les Chinois à une partie de l'em-
bouchure du Tschukiang ou fleuve des Perles, sur les
bords duquel est bâtie la ville de Canton ou Kuangton.
La Bocca-Tigris , dont les nombreuses îles sont couvertes
de fortifications, f^orme, dans l'opinion des Chinois, un point
important de séparation des eaux. Au nord , sont les eaux
intérieures; au sud, les eaux extérieures, qui sont censées
appartenir à la mer méridionale. Le rivage est hérissé de
falaises nues, et bordé d'îles élevées , peu fertiles, qui n'of-
frent pas un coup d'œil agréable aux navigateurs qxii arri-
vent du sud-ouest dans l'empire du milieu.
BOCCHERIA'I (LuiGi), né à Lucques, le 14 jan-
vier 1740, reçut les premières leçons de musique et de
violoncelle de l'abbé Vannucci , alors maître de musique de
l'archevêché. Dès son enfance, il montra les plus heureuses
dispositions. Son père, contrebassiste, les cultiva et l'en-
voya à Rome suivre le cours de ses études. Il y acquit bien-
tôt unegrande réputation ; la fécondité de son génie, l'origina-
lité de ses productions , le firent également remarquer. Peu
d'années après il revint à Lucques, et voulut donner un
témoignage éclatant de sa reconnaissance à Vannucci, son
maître , et au séminaire , où tant de moyens d'instruction
lui avaient été offerts, bien qu'il n'eût point embrassé l'état
ecclésiastique. Il y fit entendre ses plus belles compositions.
Filippino Manfredi, élève de Nardini , compatriote de Boc-
cherini, était à Lucques en ce moment; ils jouèrent en-
semble les sonates de violon et de violoncelle qui forment
l'œuvre VII, et l'auditoire fut émerveillé de la beauté de
l'ouvrage et de la perfection des exécutants. Ces dei;x maî-
tres se lièrent de l'amitié la plus ten(b-e , et quittèrent l'Ita-
lie pour se rendre en Espagne, où le roi se plaisait à réu-
nir les premiers talents. Devancés parla renommée, il.s
furent accueillis avec distinction. Leur caractère n'était pas
le même : Manfredi était venu à Madrid dans l'unique in-
tention de s'enrichir , tandis que Boccherini , plus occupé de
sa gloire, consentait à se faire entendre des grands qui le
sollicitaient. Boccherini resta en Espaj;ne . admis chez le
roi, il -s'en fit aime.". Bientôt apiùs, il fut attaché à !'Ac:iilé-
3,5î BOCCHERINI
mie royale de ce prince, cl comlilé (riioniicins et de \né-
senfs. La seule obligation qu'on lui imposa fut de donner
chaque année neuf morceaux de sa composition à l'académie.
Doccherini accepta les conditions du traité, et les remplit
avec exactitude. Il est mort à iMadrid, en 1806.
T.es compositions qu'il a fait graver forment cinquante-
huit œuvres: symphonies, sextuors, quintettes, trios, duos,
sonates, pour le violon, le violoncelle, le piano avec ac-
compagnement de violon. Il existe des quintettes de Boc-
cheriniet des morceaux de musique vocale entre les mains
de quel(iues amateurs. Son Stabat Maler est le seul œuvre
de n)usique sacrée qu'il ait publié. Comme Durante, il n'a
point travaillé pour le théâtre. lîoccberini s'arrêta à Paris,
en I7GS, lorsqu'il se rendait en Espagne, et y reçut l'accueil
que méritaient sa personne et ses talents. On l'entendit sou-
vent aux concerts que donnait le fermier général La Po-
plinière, à Passy. Il y faisait les délices de la société brillante
qui s'y réunissait.
Boccherini a précédé Haydn. Le premier il a fait des
quatuors ; Haydn, Mozart, Beethoven, ont donné des formes
plus grandes à ce genre de composition, ils ont suivi une
autre route ; mais Boccherini brille encore auprès de ces no-
bles rivaux. Sa musique est naïve, mélodieuse, simple dans
ses modulations, d'un caractère suave et religieux.
Castil-Blaze.
BOCCUETTA (La), célèbre et étroit défilé des Apen-
nins, conduisant de la Lombardie vers Gênes, et protégé par
trois redoutes. C'est la limite de l'Apennin septentrional, dont
la cime atteint là une élévation de 800 mètres. Par sa situation,
qui commande la route de Novi à Gênes, ce passage, que
les Français nomment Col de la Boquelte, est la clef de la
ville de Gênes du côté du nord-est, et en môme temps celle
du Milanais du côté du sud-ouest. Aussi, pendant la guerre
de la succession d'Autriche, en 1746 et 1747, de même
qu'en 179G, dans les grandes guerres de la révolution, la pos-
session en fut-elle vivement disputée. La route qui conduit
par ce défilé de Gênes à Alexandrie est presque aban<lon-
née. La vue dont on jouit du haut de la Bocchetia sur la Mé-
diterranée C'-t une des plus belles de l'Italie.
liOCCIÎORlS ou BOCCHYRIS, roi et législateur d'E-
gypte, monta sin- le trône l'an 781 avant J.-C, et régna qua-
rante-quatre ans. Selon Diodore de Sicile, il imita Salomon par
son incorruptibilité, qui donna même lieu au proverbe: C'est
le jugement de Bocchoris {Bocchyridis judicium), dont on
.se servait quand on voulait indiquer un jugement intègre.
On conservait encore du temps de Diodore de Sicile plu-
sieurs de ses décisions et de ses jugements. Il régla les
droits et les devoirs du souverain et tout ce qui regardait
la forme des contrats. On lui attribue plusieurs lois sages,
une entre autres qui portait que « lorsqu'il n'y aurait
point de titres par écrit, le défendeur serait cru sur son ser-
ment ». Ayant voulu réformer les mœurs de son peuple ,
comme il avait réformé ses lois, il fut victime de son zèle :
les Égyptiens a|)pelèrL'nt Sabacus, roi d'Ethiopie, qui lui li-
vra bataille, mit ses troupes en fuite, se saisit de sa per-
sonne, le fit brùlpr vif, et s'empara de sou royaume. On croit
que Bocchoris est le même que le Pharaon qui permit
aux Israélites de quitter l'Egypte; car tout ce que ïiogue-
Porapée, Tacite, Diodore et Eutrope nous apprennent de
Bocchoris s'accorde avec ce que la Bible dit de ce Pharaon.
BOCCH US, roi de Mauritanie, vivait dans la dernière moi-
tié du deuxième siècle avant J.-C. Il donna sa fille en mariage
à Jugurtha, et consentit à faire la guerre aux Romains
de concert avec ce prince, qui lui avait promis le tiers de la
Kumidie, à condition de contribuera leur expulsion du ter-
ritoire africain. Deux fois vaincu par Marins, Bocchus
finit par prêter l'oreille aux propositions de transaction
que le général romain chargea son questeur Sy 1 la de lui
faite; et feignant de ^ouloir livrer ce dernier à Jugurtha,
ce fut son beau-père Juginlha lui-même qu'il fit tomber
— ROCKSAI
entre le* mains de Sylla (an 106 av. J.-C). Rome .se mon-
tra reconnaissante envers Bocchus de lui avoir livré le plus
implacable de ses ennemis ; et elle paya sa trahison avec Jj
ce môme territoire des Numides que Jugurtha avait promis f
à son beau-père pour prix des secours qu'il sollicitait de
lui dans sa lutte contre le peuple-roi.
BOCCOIVE, genre de la famille des papavéracées , ne
renfermant que deux espèces, qui, originaires du Pérou, sont
cultivées avec succès dans nos jardins. Par ses caractères
botaniques, le genre boccone se rapproche beaucoup du
genre chélidoine. Son nom lui vient de Paul Bocconi ,
botaniste sicilien.
BOCHART (Samuel), né à Rouen, en 1599, célèbre
pasteur de l'Église réformée, était fils d'un ministre de ce
culte et de la sœur de Pierre Dumoulin, si connu parmi les
pasteurs de la même communion. Bochart alla acJiever à
Leyde ses études théologiques, commencées a Sedan et à
Saumur , et il fut nommé, à son retour en France, en 1628.
pasteur de l'Église réformée de Caen. C'est vers cette é|)oque
qu'il eut avec le jésuite Véron ces célèbres conférences aux-
quelles assista le duc de Longueville, et dans lesquelles les
deux docteurs luttèrent d'adresse et de dialectique pour
faire prévaloir l'excellence de leurs dogmes respectifs. La
grande réputation qu'y acquit Bochart attira sur lui l'atten-
tion de Christine, reine de Suède, qui, par une lettre au-
tographe, l'engagea à se rendre auprès d'elle à Stockholm.
L'éloquent défenseur de la foi protestante entreprit ce loin-
tain voyage; mais son absence fut de courte durée, et il
revint bientôt à Caen reprendre ses fonctions. Il y mourut
subitement, en disputant dans l'académie contre Eluet, en
1667, laissant à juste titre la réputation d'un des plus grands
érudits et d'un des plus beaux esprits du siècle. Profondé-
ment versé dans la connaissance des langues orientales ,
l'hébreu, le syriaque, le chaldéen et l'arabe, il s'était dans
les dernières années de sa vie occupé de l'éthiopien, et pré-
tendait que toutes ces langues avaient toutes pour origine la
langue phénicienne. Bochart a laissé de nombreux ouvrages.
On estime surtout sa Géographie sacrée, écrite en latin, et
son Histoire naturelle des Animaux dont il est fiiit
mention dans la Bible (Londres, I6G3, in-folio). L'ne
édition complète de ses œuvres a paru à Leyde, en 3 vol.
in-folio (1712).
BOCHNIA, cercle de Gallicie (ancien royaume de Po-
logne), entre celui de Sandre au .sud et la Pologne au nord.
Séparé de ce dernier pays par la Vistule, il a 18 myriamè-
très carrés et 237,200 habitants. Son chef-lieu est Bochnia,
sale petite ville de 6,250 habitants , presque entièrement
construite en bois, située à 28 myriamètres à l'ouest de
Lembergetà2 de Cracovie. Elle estentourée de montagne.s
et de collines, où l'on exploite, depuis le milieu du treizième
siècle, d'abondantes mines de sel. Elle possède aussi un gym-
nase et un hôpital.
BOCHOLT (François de), un des plus anciens graveur.»
connus, sur la vie duquel on ne sait absolument rien, si-
non qu'il vécut vers le milieu du quinzième siècle. Il appar-
tient à ces graveurs originaux à la manière de l'école de
Van Eyck. Ses principaux ouvrages sont le Jugement de
Salomon, Jcsus-Chrisl et les douze apôtres (en 13 feuilles),
V Annonciation, etc.
BOCKOLD. Voijez Jean de Leyde.
BOCSKAÏ (Etienne), chef de l'insurrection hongroise
de 1604 à IG06, avait été d'abord commandant de la for-
teresse de Grosswardcin , place dont les commissaires im-
périaux l'avaient destitué en 1598. Accusé, en 1604, d'in-
telligences avec les insurgés de la Transylvanie, il s'était tu
attaqué dans son propre château par les Impériaux. Bien
que pris à l'improviste, il réussit bientôt à gagner une par-
tie des troupes de l'empereur, et à leur tête il tomba, le
14 octobre 1604, sur le général J. Pecz, qu'il battit et fit
prisonnier. Fortifié par celte victoire, il forç<i l'armée im-
BOCSKAl — BODELSCHWIiNGH-VELMEDE
SIO
luiriale, sous les ordres de Barbiano, à battre en retraite
devant lui , et fut accueilli comme un libérateur à Kas-
diau, à Éperies, à Leutscliau et dans d'autres villes de la
Haute-Hongrie, non seulement par le peuple, mais par la
noblesse protestante, qui le soutenait ouvertement. Le général
Lasla le défit, il est vrai, le 29 novembre 1604; mais il ne
put profiler de sa victoire, les villes hongroises refusant
de lui ouvrir leurs portes et une mutinerie ayant éclaté
\iarmi ses propres soldats : en sorte qu'il dut se retirer à
Tresbourg. D'un autre côté, les comtes de la Hongrie, les
Hongrois de la Transylvanie et les Szeklers se joignirent à
IJocskaï , qui fut proclamé prince de la Hongrie à la diète
de Szerencse, le 27 avril 1603. Le sultan Achmed 1^"^ l'ap-
pela à Ofen, qui était alors entre les mains des Turcs, lui
posa une couronne sur la tête, et le salua du titre de roi hé-
réditaire de Hongrie ; mais Bocskaï ne voulut accepter la
couronne que comme un présent, et refusa le titre de roi. Le
nombre de ses partisans croissant sans cesse , l'empereur
Rodolphe se vit forcé de traiter avec lui. Par la médiation de
son frère Matthias, il conclut, le 23 janvier 1606, la paix
de Vienne (sanctionnée comme loi de l'État par la diète
de Presbourg de 1608) , par laquelle il fit droit aux plaintes
du pays, assura aux protestants la liberté du culte, et re-
connut Bocskaï comme prince héréditaire de Transylvanie
et de plusieurs coraitats hongrois. Bocskaï ne jouit pas long-
temps de sa dignité; dès le 29 décembre il mourut d'hy-
dropisie. On le regarde comme le fondateur de la liberté des
cultes en Hongrie.
BODE ( Jean-Elert ) , astronome , né à Hambourg ,
le 19 janvier 1747, montra de bonne heure du gcùt pour
les sciences mathématiques, qui lui furent enseignées par
Bon père, puis par le célèbre Busch. La première preuve
qu'il donna de ses connaissances au public fut une brochure
qui parut en 1766, à Berlin, sous le titre de Calcul et Élé-
ments de l'éclipsé de Soleil du 5 août 1766. L'accueil que
ce petit écrit reçut encouragea Bode à entreprendre des
travaux plus considérables. Dès 1768 il publia une In-
troduclion à la connaissance du ciel étoile (9* édit.,
Berlin, 1S22) , manuel populaire d'astronomie, qui a beau-
coup contribué à répandre des notions astronomiques plus
justes. Oltmans y a ajouté un supplément (Berlin, 1833).
En 1772 Bode fut nommé astronome de l'Académie de
Berlin , et en 1782 il devint membre de cette société sa-
vante. Depuis un an il avait obtenu sa retraite, lorsqu'il
mourut le 23 novembre 1826. Il avait fondé, en 1776, les
Annales ou Éphémérides astronomiques (Berlin, 1776-
1829, 54 vol.), qui ont été continuées par Encke sous le
litre ^''Annales astronomiques de Berlin. Cet ouvrage
renferme beaucoup de renseignements qui sont encore utiles.
h Explication de l'Astronomie (Berlin, 1778, 2 vol.) est
également un livre qui a de la valeur. Son atlas céleste en
vingt feuilles, intitulé Vranographia, sive Astrorum Des-
criplio (Berlin, 1801), oITre 17,240 étoiles, c'est-à-dire
près de 12,000 de plus que les atlas publiés antérieuiemenl.
Bode est auteur, en outre, d'un grand nombre d'ouvrages,
parmi lesquels nous mentionnerons plus spécialement les
Éléments des Sciences astronomiques (Berlin, 1793), et
lesConsidérations générales sur l' Univers (Berlin, isoi).
BODE (Loi de). I,es astronomes ne connaissaient
encore du système solaire que six planètes. Mercure, Vénus,
la Terre, Mars, Jupiter et Saturne, lorsqu'on remarcjua
que leurs distances respectives au soleil étaient sensiblement
proportionnelles aux nombres 4, 7, 10, 16, 52, 100, nombres
qui, diminués de 4, donnent la série 0, 3, 6, 12, 48, 96.
Dans cette série chaque terme à partir du troisième serait
double du précédent , si on introduisait entre le quatrième
eî le cinquième le nombre 24, ce qui supposerait l'existence
du terme 28 entre les nombres IG et 52 de la première
série. Cette considération porta Dodo à supposer entre
Mars et Jupiter l'existence d'une planète dont la distance au
Soleil serait représentée par 28 , en prenant pour les dis-
tances des autres planètes les nombres 4, 7, 10, etc.
La supposition de Bode fut vérifiée la première nuit de
notre siècle par Piazzi, qui découvrit Cérès, découverte
bientôt suivie de celles de Pallas (1802 ), de Junon (1803)
et de Vesta ( 1807 ). On trouvait donc déjà quatre planètes,
au lieu d'une seule qu'avait annoncée Bode. Olbers fut
porté à penser que ces quatre petites planètes n'étaient que
des fragments d'une plus grande- brisée par quelque cata-
clysme tel que le choc d'une comète. Cette hypothèse ne
résolvait pas toute la difficulté ; car, en représentant la
distance de Mercure au soleil par 4, les distances de Vesta,
Junon , Cérès et Pallas n'étaient représentées que par 24,
27, 28 et 28, dont la moyenne se trouvait inférieure à ce
nombre 28 qui devait combler la lacune. Mais la découverte
successive d'Astrée, d'Hébé, d'Iris, de Flore, del\Iitis,
d'Hygie, et d'une infinité d'autres petites pliinètes qu'on
peut faire rentrer aussi dans l'iiypotlièse d'Olbers, vint
confirmer la loi de Bode; car, par exemple, la distance
d'Hygie au Soleil se trouve représentée par 32, ce qui
rapproche la moyenne de 28.
La découverte de Saturne avait aussi vérifié la loi de
Bode, en donnant une distance qui peut être représentée
approximativement par 196, nombre qui, diminué de 4,
donne bien le double de 90. Quant à Neptune, il semble
s'éloigner de la loi , et ne donne que 301 au lieu de 388.
Hâtons-nous donc de dire que, bien que l'analogie ait fait
soupçonner à Bode l'existence d'une planète entre INIars et
Jupiter, il ne faut pas prêter à sa loi plus d'importance
qu'elle n'en a réellement. Nous devons principalement la
considérer comme un moyen mnémonique très-sinqjle de
retenir les rapports des distances des planètes au soleil.
La loi de Bode peut s'énoncer ainsi : En retranchant de
la distance de chaqtce planète au soleil la distance de
Mercure {qui est la plus rapprochée de cet astre), vn
obtient une série de nombres dont chacun est double du
précédent à mesure que l'on s'éloigne du soleil. Si, dans
cet énoncé , on remplace le soleil par Jupiter, les planètes
par les quatre satellites de Jupiter, et Mercure par celui de
ces satellites qui est le plus rapproché de sa planète, la loi
se vérifie encore. H en est de môme pour Saturne et ses
sept satellites, sauf une lacune qui en ferait soupçonner un
nouveau entre le sixième et le septième. Il en est de même
encore pour Uranus. Cette loi de Bode est donc au moins
remarquable par sa généralité. E. Merlieux.
BODELSCHWL\GH-VELMEDE (Ernest de),
homme d'État pnissien , est né le 26 novembre 1794, à
Yelmede, près de Hamm, dans le comté de Mark, Bo-
delschwingh reçut sa première instruction dans sa famille
et au gynmase de Hamm. Il se rendit ensuite à l'awi-
démie de Dillenbourg avec l'intention d'étudier l'économie
forestière; mais dès l'automne de 1812 il quitta cette aca-
démie pour aller suivre à Berlin les cours de droit et de
science financière. Lorsque Frédéric-Guillaume 111 appela
les Prussiens aux armes, au mois de février isl3, Bodel-
schwiniih entra comme chasseur volontaire dans le 8^ régi-
ment d'infanterie. Il ne tarda pas à s'élever au grade de
sous-lieutenant , et la bravoure qu'il déploya à la bataille
de Liiizon lui mérita la croix de Fer de secon;ie classe. 11 ne
combattit pas moins vaillamment à Leipzig, et obtint la croii
de For de première classe. Une grave blessure qu'il reçut au
combat (le l-ribourg surrL'nstrudt,le2l octobre 1813, lerelint
huit mois au lit, et en 1814 il prit son congé avec le grade
de lieutenant. 11 se rendit alors à Gœttingue pour continuer
ses études; cependant, en 1813 il reprit les armes, et la
guerre terminée, il passa connue lieutenant dans la laud •
wehr. Nommé major en 1832, il y fut créé colonel en 1842,
Après la campagne de 1813, Bodelschwingh, qui avait achevé
ses études à Beriin , entra, en 181", dans l'administration
civile. Befcrcndiiire auprès de la régence et du tribiinalpra--
S20
\incial sypérieui' sit'geaiit à Munster, assesseur de la ré-
frénée à Cièves et à Arnsberg, il fut employé pendant quelque
temps aussi au ministère des thiances. En 1822 il fut
nonnné conseiller provincial du cercle de Tccklenbourg en
Wcstphalie; en 1831, conseiller de la régence supérieure à
Cologne; et la même année, au mois de novembre, prési-
dent (le la régence de Trêves; en 1834 il fut appelé au poste
de président supérieur des provinces rhénanes, poste qu'il
occupa jusqu'en 1842. Si les rapports de ces provinces avec
le reste du royaume sont aujourd'hui plus favorables, et si
l'impopularité de la bureaucratie prussienne a diminué dans
les provinces rhénanes, c'est à son administration qu'on
!e doit.
Dès l'anni'e 1840 lîodclscliwingb avait élé nommé con-
seiller privé par Frédéric-Guillaume IV; en 1842 il entra
dans le cabinet avec le portefeuille des finances. Lors des
discussions relatives à l'octroi d'une constitution, il se rangea
du côté du roi contre les exigences du conslitutionalismc
moderne, et se prononça pour le développement du système
des états. Au reste, dans ce cas et dans tous ceux où il fut
appelé à agir comme ministre, il ne fut que rinstriimcnt
d'une volonté supérieure. Dans le cotuité des états, en 1842,
ainsi qu'à la chand)re de 1847, il ne répondit aux violentes
attaques de l'opposition qu'en se mettant à l'abri derrière la
volonté de son maitre : aussi les courtisans l'accusèrent-ils
de faiblesse. Au printemps de 1844 il fut appelé à rem-
placer le comte d'Alvensleben , et quelques mois après, à la
retraite du comte Arnim-lioitzenbourg , il fut chargé par
intérim du ministère de l'intérieur, dont le portefeuille lui
fut confié délinitivement dans le courant de l'hiver de la
même année. Le 18 mars 1848, sa démission, qu'il avait
offerte huit jours auparavant, fut acceptée; mais avant de
quitter son ministère, il signa encore la fameuse patente
du 18 mars, qui contenait de si belles et si trompeuses pro-
messes. Jlse retira alors dans ses terres, où il resta jusqu'au
mois de janvier 1849, époque où il fut élu député à la se-
conde chambre. Après la modification arbitraire de la loi
électorale de 1849, il fut renvoyé à la chambre, et plus tard
à rassemblée d'Krfurt , où il se montra un zélé soutien delà
poIiti(pie du ministère prussien. Au mois de septembre il
fut choisi pour président du conseil administratif de l'Union.
Dans la session de 1850 à 51, il fut à la tète d'une fraction
du centre qui, tout en désappioiivanl la politique du gou-
vernement, lui fournit les moyens de persister dans les
mômes voies. — Un aulre, Charles ne Bodelschwingii,
entra le 23 juillet 185l dans le cahiiict présidé par M.Man-
teuffel comme niinistie des finance.s.
BODEl\SÉEouBODMAi\SÉE.I%.CoNSTANCE(Lacde).
BODENSTEIIX (André). Voyez Karlstadt.
BODIN (Je\n), publiciste du seizième siècle, naquit à
Angers, en 1530, étudia le droit à Toulouse, puis l'enseigna
dans celle même ville, et se rendit ensuile h Paris, où il
exerça la profession d'avocat. Ne pouvant réussir à se faire
un nom dans une carrière qu'illustraient les lirisson, les
Pasquier, les Pithou , il se consacra à des travaux littéraires.
La renommée que lui avaient acquise son érudition, son es-
prit, sa gaieté, ses bons mots, le lit appeler à la cour de
Henri 111; mais des rivaux l'ayant supplanté dans la faveur
du prince, il s'attacha à François, duc d'Alençon et d'Anjou,
frèreduroi. Leduc le prit pour secrétaire intime, et l'emmena
dans ses voyages d'Angleterre et de Flandre. Ajuès la mort
du duc, se voyant déçu dans ses espérances, il se i-elira à
Laon , où il se maria, et obtint la place de procureur du roi.
iin 1579 il fut député aux étuis de lîlois par le tiers état du
Vermandois. 11 y défendit les droits du jieuple et la liberté de
conscience, ce «pii lui fit un grand nombre d'ennemis à In cour.
A .son instigation la ville de Laon se prononça en I5k9 pour
la Ligue, car il soutenait que le soulèvement de tant de villes
et de tant de parlements en faveur du duc de Guise ne dtj-
Yait pas s'appeler une rcroKc, mais une rcvolulion. fcpcn-
BODELSCIIWINGII-VELMEDE — BODIN
dant il finit par se soumettre lui-même à Henri IV, et
mourut à Laon , de la peste, en 1596.
Jean Bodin a publié un grand nombre de livres, parmi les-
quels on distingue : .sa Démonomanie, ou Histoire des Es-
prits; sa Méthode pour faciliter l'étude de l'histoire,
et son Thealrum universx Naturse. Il avait aussi fait
paraître une Iradiiclion des livres de la Chasse, d'Ojtpien,
avec des commentaires. On a prétendu que dans son Col-
loquium heptaplomeron de abdilis sublimiumrerum ar-
canis , ouvrage qui n'a jamais vu le jour, la religion catho-
lique et toutes les sectes chrétiennes étaient terrassées.
Mais son œuvre pnncipale est sans contredit son traité
De la R&publique. L'auteur y passe en revue les diverses
sortes de gouvernements de la chose publique, s'efforce de
fixer leurs principes etleurs caractères, n'en condanme aucun,
si ce n'est ceux qui tombent dans l'excès, tels que la ty-
rannie et l'anarchie , et laisse voir son penchant pour ce qu'il
appelle la monarchie royale. H ne fut pas peu fialté, en ar-
rivant à Cambridge avec le duc d'Alençon, d'y entendre inter-
préter sa République par les plus savants professeurs. JMon-
tescpiieu, Jean de IMuUer et d'autres ont fait une étude .sé-
rieuse de cet ouvrage, qui a eu un grand nombre d'éditions.
K0Ï3IIV (Jean-François), né à Angers, en l77fi, fut pen-
dant la révolution administrateur du district de Saint-Florent
( Maine-et-Loire ) et payeur à l'armée del'Ouest. Lors des é\ é-
nements de 1815 il était receveur particulier à Saumur. La
Restauration le destitua. 11 niourutle 5 lévrier 1829. Avant
d'entrer dans l'administration, il avait fait une étude spéciale
de l'architecture. Son goût pour les arts et pour les tra-
vaux historiques nous a valu deux ouvrages consciencieux ,
pleins de faits intéressants, dans lesquels il s'est plu à élever
un monument à sa province natale. Ce sont : 1" Recher-
ches historiques sur Saumur et le haut Anjou (2 volu-
mes in-s°, avec planches); T Recherches historiques sur
Angers et le bas Anjou (2 volumes in-S", avec gravures).
Pendant la Restauration, de 1820 à 182.3, Bodin siégea à la
Chambre des Députés comme représentant du département
de Maine-et-Loire, et vota toujours avec les amis d'une sage
liberté. Champacnac.
BODIN (Félix), fils du précédent, naquit à Saumur, en
1795. Heureusement doué, passionné pour les arts et pour
l'étude , il se fit d'abord remarquer parmi les élèves com-
positeurs de l'école de musique française , où ileutLesueur
pour maître. Il remporta le grand prix de Rome; puis, sui-
vant le torrent des idées libérales, il quitta la musique pour
les lettres, et fut un des propagateurs les plus ardents du
mouvement politico-historiqueet littéraire delà Restauration.
La littérature, la science elle-même était devenue une
arme politique , la plus puissante du temps peut-être , et
Félix Bodin se montra parmi les plus ardents des com-
battants. Ce fut lui qui eut la première idée des Résumée his-
toriques , et il fit paraître successivement dans cette col-
lection une Introduction à l'histoire ziniverselle , un Ré-
sumé de l'histoire de Frojicc et un Résumé de l'his-
toire d'Angleterre , œuvres de parti encore plus que de
science. Celui de l'Histoire de France eut plus de succès
quêtons les autres ensemble, ayant été réimprimé sept
fois à très-peu d'années de distance ; celui de l'Histoire d'An-
gleterre eut quatre éditions, lùilin sa réputation était
telle, que lorsque 31. Thiers eut achevé son Histoire de la
Révolution , l'éditeur ne se chargea de cette œuvre d'un
jeune homme alors obscur, qu'à la condition que le nom
de Folix Bodin figurerait sur le titre. Le père des Résumes
donna une préface qu'on peut voir en tête de la première
édition de l'ouvrage qui commença la haute fortune po-
lili(iue de M. Thiers. 11 devait y joindre, en outre, une!
Histoire des États Généraux sous le roi Jean, dont il nej
publia que quelques fragments.
Fi'lix Bodin fut l'un des collaboiateiirs les plus actifs desj
divers recueils périodiques ipie publiait l'opposition a»!
BODIN — BODONI
321
temps de la Restauration : le Constitutionnel, le Miroir,
les Tablettes, le Diable Boiteux, la Revue Encyclopédi-
que, le Mercure du dix-neuvième siècle, le Globe, etc.,
reçurent de lui tour à tour, et souvent simultanément,
des articles de politique, d'histoire, de littérature. Romans,
scènes historiques , à la manière de M. Vitet ; dissertations
d'art, tombaient de la plume de F. Bodin avec ime facilité
prodigieuse; et si une grande partie de tout cela pouvait
passer pour médiocre , ce n'était du moins jamais décidé-
ment mauvais.
Après la révolution de Juillet, Félix Bodin fut nommé
membre de la Cliambre des Députés , et pendant un ou
deux ans il n'y eut sorte d'ovations qu'il ne reçût dans
son département. Jlais les choses ne tardèrent pas à chan-
ger de face : trop fuible, ou déjà trop mûr pour suivre le
mouvement révolutionnaire, Bodin prit rang parmi les
hommes du juste-milieu; et bien que sa transformation
fût sincère et désintéressée, qu'il n'acceptât ni places ni pen-
sions, qu'il ne reçût pas même la croix dans cette curée gé-
nérale qui suivit 1830, il n'en fat pas moins durement ac-
cusé d'apostasie. 11 fut charivarisé, comme on disait alors.
La dernière publication littéraire de Félix Bodin fut, si
nous ne nous trompons, un livre assez étrange, qui parut
vers 1825 sous le titre de Roman de V Avenir. Dans cet ou-
vrage l'auteur avait cherché à montrer toutes les amélio-
rations que devaient apporter dans l'ordre social les décou-
vertes matérielles, chemins de fer, ballons, etc. C'était une
nouvelle utopie; mais, comme il arrive pia-que toujours,
quand dans une œuvre d'art on veut prouver quelque chose,
c'était une lecture ennuyeuse, et le livre tomba dans l'ou-
bli. Jadis adepte fervent du magnétisme, Félix Bodin avait
fait'iui roman dans lequel il s'était attaché à prouver la
réalité et rhnportance des expériences faites sur le som-
nandjulisme. Peut-être, au lieu d'éparpiller ainsi son talent,
eût-il mieux fait de se livrer complètement à la musique,
dont il avait le goût et le sens d'ime manière exquise.
Félix Bodin, dont la santé avait toujours été débile, mou-
rut à Paris, le 7 mai 1837. Enlevé ainsi prématurément, il
laissait un grand nombre de travaux littéraiies commencés,
et aussi plusieurs œuvres musicales inédites, parmi les-
quelles un opéra de Dante et Béatrix. Dans les dernières
années de sa vie, son activité s'était tournée presque en-
tière vers la philanthropie, et la plus grande partie de son
temps se passait dans les comités et sociétés de bienfaisance,
où il déployait toute la bienveillance de sa nature, toute la
bonté de son âme.
BODLÉiEIXNE (Bibliothèque). Voyez BmLioxnÈQUE
( t. III, p. 157 ), BODLEY et OXFOUD.
BODLEY ( Sir Tuomas) , homme d'État et savant an-
glais, né le 2 mars 1544, à Exeter, dans le Devonshire, mort
à 0.xford,le 28 janvier 1612. Bodley n'avait que douze ans
lorsque les persécutions exercées contre les protestants par
la reine Marie forcèrent sa famille à se réfugier en Alle-
magne. Il commença ses études à Genève; mais Elisabeth
étant montée sur le trône , il alla les achever à Oxford, ville
pour laquelle il conserva toute sa vie une tendre aifection.
De 1576 à 15S0 il voyagea sur le continent, et à son re-
tour il se présenta à la cour d'Elisabeth , qui lui confia di-
verses missions, en Danemark , en France et en Hollande.
Moins propre à la vie des cours qu'à l'étude des sciences,
Bodley, sans se laisser éblouir par les offres brillantes de la
reine, prit son congé en 1 597, et se retira Oxford, où il donna
tous ses soins à la bibliothèque de l'Université qui porte son
nom, bien qu'elle doive sa naissance, dans la première moi-
tié du quinzième siècle, à Humphrey, duc de Glocester. Par
ses ordres, des émissaires parcoururent l'Allemagne, la
Hollande, la France , l'Espagne, l'Italie, et en rapportèrent
environ 24,000 ouvrages, rares pour h plupart, dont il (ît
cadeau à la bibliothèque. Outre ce don, d'une valeur de
^00,000 livres sterling , il laissa par son testament un legs
uicr. i!i-. i.\ co^\tlls. — t. ni.
desîiaé à payer les bibliothécaires. Chaque année, le 8 no-
vembre, l'Université d'Oxford célèbre sa mémoire par un
discours pubUc. Dans son Statistical View of the princi-
pal Libraries of Europa and America (Londres, 1850)
Edwards porte à 218,300 le nombre des ouvrages imprimés
et à 17,000 celui des manuscrits de cette riche bibliothèque.
La vie de Bodley, écrite par lui-môme, se trouve dans les
Reliquiœ Boalejanx (Londres, 1703) de Thomas Hearne.
BODAÎER (Jean-Jacques), célèbre poète et littérateur
allemand , naquit à Greifensee , près de Zuricli,le 19 juillet
1698. Son père, qui était pasteur, le destina d'abord à l'é-
tat ecclésiastique, puis au commerce; mais ces deux car-
rières ne purent fixer le jeune Bodmer, qui se livra tout
entier à son penchant pour la poésie et pour les études his-
toriques. 11 avait fait connaissance de bonne heure non-
seulement avec les poètes grecs et latms, mais encore avec
les chefs-d'œuvre littéraires de la France , de l'Angleterre et
de l'Italie. Cette étude lui fit sentir encore plus vivement
toute la pauvreté, toute la fadeur de la littérature allemande
de son époque, et il pensa que ce qu'il avait de mieux à
faire, et pour son pays et pour sa gloire , c'était de se char-
ger du rôle de réformateur. A cette fin, il se ligua avec
Breitinger et avec d'autres jeunes savants, et débuta,
en 1721, par un écrit périodique, qui avait pourtitre : En-
trelien des Peintres, et dans lequel plusieurs poètes alle-
mands, qui jouissaient alors d'une très-grande considéra-
tion , se virent cités devant le tribunal d'une critique toute
nouvelle. Tout d'abord, Bodmer rejeta complètement la
poétique alors en vogue, qui n'ostimait guère que la régu-
larité des formes et leur poli , n'attachant lui-môme de prix
qu'à l'idée poétique. Sous ce rapport , il se laissa quelque-
fois entraîner trop loin , comme dans sa grande dispute avec
Gottsched, où il alla jusqu'à proscrire entièrement la
rime et à vouloir juger la poésie uniquement d'après les lois
de la morale.
Gottsched , qui prétendait donner le ton en littérature ,
se prononça d'abord pour les jeunes Suisses; mais bientôt
après, lorsqu'il sévit lui-même en butte à leurs coups, il se
mit à la tête de leurs adversaires. De là ces deux partis ,
l'école de Gottsched et l'école suisse, qui luttèrent ensemble
avec une sorte d'acharnement depuis 1740, où Bodmer pu-
blia son traité Du Merveilleux en Poésie, et Breitinger
deux écrits d'esthétique critique. Les deux camps eurent à
se reprocher bien des chicanes et des puérilités; mais pour-
tant cette guerre eut des suites fort utiles , et prépara les
voies à l'époque brillante de la littérature allemande. L'école
suisse surtout exerça une influence très-heureuse et très-
efficace par son goût décidé pour la poétique anglaise , par
ses appels incessants à la littérature classique, et par son
retour aux anciens poètes allemands.
Eu 1725 Bodmer fut chargé dans sa patrie d'enseigner
l'histoire de la Suisse. En 1737 il fut nommé membre du
grand conseil de Zurich. Après la mort de sa femme et de
ses enfants , il se retira dans une de ses propriétés , et se
démit, en 1775, de ses fonctions de professeur. 11 mourut à
Zurich, le 2 janvier 1783.
Ecrivain infatigable, ses travaux furent très-variés. Non
content de paraître sur la scène comme critique et comme
littérateur, Bodmer voulut encore y paraître comme poète.
C'est dans ce dernier genre qu'il s'est le moins distingué,
comme le prouvent suffisammcut sa Noachide , ses œuvres
dramatiques et ses traductions. Il s'est fait beaucoup plus
d'honneur en publiant plusieurs anciens poètes allemands ,
en particulier une partie des Nibelungen , la collection des
Minnesinger de Manesse , de Boner, d'Opitz. Les mœurs de
Bodmer étaient sévères et patriarcales ; mais on lui repro-
che de n'avoir pu voir sans jalousie le mérite d'autrui.
BODOiVI (Jean-Baptiste), habile et savant imprimeur,
qui revoyait lui-même les épreuves de ses belles et solides
éditions des classiques grecs et latins , si recherchées des
41
322 BODONI
amateurs des clicfs-a'œuvie do la typographie, naquit à
Saluées, le 16 février 1740, d'un père imprimeur, qui, le
destinant à sa profession , ne négligea cependant rien pour
son éducation. Il s'était déjà fait une certaine réputation
comme graveur sur bois, lorsqu'à dix-huit ans il fut en-
voyé à Rome, où il travailla pendant quelque temps comme
compositeur dans la célèbre imprimerie de Propaganda
fuie. Le directeur, qui avait conçu pour lui de l'affection ,
lui conseilla d'étudier les langues orientales et de s'appli-
quer surtout à l'impression des livres orientaux. Bodoni se
disposait à passer en Angleterre , lorsque le duc Ferdinand
de Parme lui offrit, en 1768, la direction de l'imprimerie
qu'il venait d'établir dans sa capitale sur le modèle de celles
de Paria , de Madrid et de Turin , et qui eût mérité quel-
ques anni^cs plus tard, ajuste titre, d'être appelée l'm-
primerie bodonienne de Parme. C'est delà que sont sortis
ces magnifiques livres , où la beauté et l'éclat du caractère,
l'élégance dans la distribution des pages et des matières ,
la pureté du papier le disputent aux meilleures productions
de la typographie anglaise et française, auxquelles l'Italie
n'avait eu, sous ces divers rapports du moins, rien à com-
parer jusque là. Les éditions des Aides, en effet, si belles
et si nettes avec leurs admirables italiques, et malgré la
qualité du papier, sont inférieures néanmoins et ne peuvent
soutenir la comparaison quant à la régularité de la com-
position. Codoni surveillait lui-même la fonte des caractères
employés dans son imprimerie. Actif et instruit, artiste aussi
à sa manière , il souffrait des moindres imperfections de
son œuvre; une faute d'impression dans un livre sorti de
ses presses et qui devait porter son nom était pour lui
un sujet de douleur. Son Iliade ( 1808 , 3 vol.), dédiée à
Napoléon, qui le protégea, est un véritable chef-d'œuvre;
amais on n'avait encore aussi bien réussi à donner aux
caractères grecs les formes des lettres manuscrites. On peut
citer aussi parmi ses plus élégantes impressions le Virgile
(1793, 2 vol.).
Bodoni fut décoré des ordres de la Réunion et des Deux-
Siciles; il obtint une médaille d'honneur, sur laquelle il est
fait mention de l'inscription de son nom sur la liste des
gentils-hommes de Parme. 11 reçut en outre le titre d'impri-
meur du roi d'Espagne. Toutes choses qui ajoutent fort
peu à sa gloire, établie sur des titres plus solides. Il mou-
rut à Parme, le 29 novembre 1813, âgé de soixante-quatre
ans. Sa vie, accompagnée d'un catalogue des ouvrages qu'il a
imprimés, a été publiée par J. de Lama (Parme, 1816,
2 vol.). Ch. ROMEY.
BODONITZA, appelée par les chroniqueurs du moyen
âge la Jlondenice, est une ville située sur un plateau au
milieu d'un vallon qui clôt le défilé ou passage de mon-
tagnes que les auteurs grecs nomment Clisoura, et les
chroniqueurs français la Closiire, et à travers lequel on
se rend, par le mont Callidrome, de la Locride dans la val-
lée de la Doride , et de là, en franchissant le Parnasse, dans
la Béotie. Lorsqu'en 1203 Boniface de Montferrat aban-
donna à Guillaume de Ciiamp-Lilteet à son jeune ami Gcof-
iroi de Ville-Ilardouin la souveraineté des terres à concjuérir
au midi des monts Othrys, Bodonitza, qui se trouve au
débouché des Thcrmopyles , sur le flanc oriental du Calli-
drome, éUiit déjà occupée par un seigneur franc, auquel les
chroniqueurs donnent le surnom de Palvoisin, ou descen-
dant de la famille Pallavicini. Ce chef franc avait, dès sa
première conquête , fait bâtir sur le point culminant du
plateau un château gothique, dont on voit encore les ruines
imposantes. Le seigneur de Bodonitza, en vertu de sa pos-
session sur les marches de la principauté d'Achaie, prit le
titre de marquis, et devint un des hauts barons de la prin-
cipauté de Rlorée. Une lettre d'Honorius III , de l'année
1221 , fait mention d'un Guillaume, marquis de Bodonitza,
comme bail ou régent du royaume de Tliessalonique après
la mort du comte de Biandrate. Zurila, à l'année 1372 , et
- BOECE
Jauna, à l'année 1378, font mention d'un François-George?,
marquis de Bodonitza, qui fut nommé gouverneur du duché
d'Athènes et de Néopatras au nom du roi de Sicile. On voit
encore dans les dénombrements de 1391 que le marquis de
Bondenicc est cité parmi les barons laïcs qui devaient
hommage au prince de Morée. Bcchon.
BODRUCHE. Voijez Baudruche.
BOËCE ( Anictus Manlius Torquatus Severinu s BOE-
TIUS ou ) , naquit à Rome , en 470 , d'une famille noble et
riche. Il reçut dans cette ville une éducation Irès-soignée ,
dont ses dispositions naturelles assurèrent le succès, et alla
ensuite à Athènes , qui était encore le centre du goût et du
savoir. De retour à Rome, il fut l'objet de la bienveJUance
et de la confiance de T héodori c, roi des Ostrogoths, qui
régnait alors en Italie , et qui l'éleva en peu de temps aux
premières dignités de l'État. Son père avait été trois fois
consul ; il fut aussi trois fois revêtu de cet honneur, la der-
nière en 510 , sans qu'on lui désignât de collègue , et il vit
ses deux fds, jeunes encore, désignés consuls pour l'année
522 , honneur réservé aux fds des empereurs. Théodoric
estimait beaucoup les lumières de Boëce , et, au rapport de
Cassiodore, il le loua dans une lettre de s'être enrichi dans
Athènes des dépouilles des Grecs , et d'avoir fait connaître
les livres de Pythagore le musicien , de Ptolémée l'astro-
nome, de Nicomaque l'arithméticien , d'Euclide le géomètre,
de Platon le théologien, d'Aristote le philosophe, et d'Ar-
chimède le mathématicien, par des traductions si fidèles
qu'elles valent les originaux.
Son inlluence sur le gouvernement de Tliéodoric fut telle
qu'elle assura le bonheur des nations soumises à ce prince.
11 fut longtemps l'oracle du roi et l'idole du peuple. JVIais
lorsque Théodoric fut devenu vieux , les Goths , à la faveur
de son caractère sombre et soupçonneux , firent souffrir
toutes sortes d'oppressions au peuple vaincu. En vain Boëce
employa son crédit pour les adoucir et mettre un terme à
leur injustice ; il ne parvint qu'à augmenter la haine que
lui portaient des rivaux jaloux de sa gloire , et irrités de sa
probité. Théodoric, ayant soupçonné le sénat d'intelligence
avec l'empereur d'Orient Justin , fit arrêter Boëce , qui
avait eu le courage de prendre la défense de ce corps , et
son beau-père Symmaque , comme ses plus illustres mem-
bres. Boëce fut renfermé à Pavie, où l'on montre encore la
tour qui lui servit de prison. Après une captivité de six mois ,
qu'il subit avec une admirable patience, il périt, le 23 oc-
tobre 526 , dans d'affreux tourments , par ordre du prince
qu'il avait fidèlement servi. Les cathoUques enlevèrent son
corps , et l'enterrèrent rehgieusement à Pavie. Les bollan-
distes, savants jésuites d'Anvers, qui se sont occupés d'é-
claircir plusieurs faits de l'iiistoire ecclésiastique , lui don-
nent le nom de saint. 11 est honoré comme tel dans quel-
ques églises d'Italie, le 25 octobre.
Les ouvrages de Boëce sont nombreux et savants. Us
se composent de quelques dialogues et de plusieurs livres
de commentaires sur divers fragments de Porphyre, tra-
duits, soit par Boëce lui-même, soit par d'autres. Il y
examine tout ce qui concerne le genre, la différence, l'es-
pèce , le propre et l'accident , d'après la méthode aristo-
télique, avec une subtilité souvent minutieuse , mais qui
montre un esprit profond et exercé. Ces mêmes qualités se
retrouvent dans ses quatre livres de commentaires sur les
célèbres catégories d'Aristote. Quels que soient les progrès
que nous ayons pu faire sur ce sujet, un pareil travail ne
saurait être sans importance dans l'histoire de la philoso-
phie , depuis que les Allemands ont, à commencer par
Kant, attribué une grande valeur aux catégories , et consa-
cré beaucoup de travail à en donner un système compïet.
Mais la sagacité de l'esprit de Boëce est moins heureuse dans
ses autres commentaires siu- différentes parties de la doctrine
d'Aristote, et en particulier sur le syllogisme, où elle dégé-
nère en subtilité pédantesque et sans profondeur véritable.
BOECE — BŒHME
323
Ses ouvrages de dialectique et de rhétorique sont : un
livre sur la division , et un autre sur la définition ; la tra-
duction des huit livres des Topiques d'Aristote , et de deux
livres Elenchorum de ce philosoplie , de six livres de com-
mentaires sur les Topiques de Cicéron , et quatre livres de
Boëce lui-môme sur les mêmes questions. Dans un frag-
ment sur l'unité de personne et la dualité de la nature du
Christ, contre Eutychès et Nestorius, il appuie l'opinion
orthodoxe sur une philosophie qui n'est pas à mépriser ; il
est beaucoup moins rigoureux dans son fragment sur l'u-
nité et latrinité de Dieu ainsi que dans quelques autres sur
divers sujets moraux et religieux. Mais le Uvre qui lui fait
le plus d'honneur, et dont la forme élégante et le style varié
le placent au rang des écrivains les plus distingués de Rome
chrétienne, c'est le Traité de la Consolation , en cinq livres,
qu'il écrivit dans sa captivité de Pavie. Cet opuscule, com-
posé alternativement de vers et de prose , est l'expression
d'une âme éclairée par une saine philosophie, qui supporte
les maux avec patience , parce qu'elle a mis son espoir dans
une providence qui ne saurait la tromper. « Ce n'est pas en
vain que nous espérons en Dieu , dit Boëce en terminant ,
ou que nous lui adressons nos prières. Quand elles partent
d'un cœur droit , elles ne sauraient demeurer sans effet.
Fuyez donc le vice, et cultivez la vertu ! qu'une juste es-
pérance soutienne votre cœur, et que vos humbles prières
s'élèvent jusqu'à l'Éternel! Il faut marcher dans la voie
droite, car vous êtes sous les yeux de celui aux regards
duquel rien n'échappe. » Ce petit traité a été souvent réim-
primé. La meilleure édition est celle de Leyde , cum notis
variorum, 1771 , in-8°. Il a été souvent traduit. La plus
ancienne version française est attribuée à Jean de Meung,
auteur du roman de la Eose, Lyon , 1483. Elle passe pour
la première traduction du latin en français. La meilleure
édition et la plus complète des œuvres de Boëce, parmi
lesquelles se trouvent, indépendamment de ce que nous
avons indiqué, des traités d'arithmétique, de musique et
de géométrie, est celle de Bâle, 1570, in-fol., donnée par
par H. Loritius Glareanus. L'abbé Gervaise a publié en 1715
une Histoire de Boëce. H. Bocchitté.
BCŒCKH (Auguste), un des plus célèbres archéologues
vivants , membre de l'Acadénfe des Sciences de Berlin , as-
socié étranger de l'Institut de France (Académie des Ins-
criptions et Belles-Lettres), etc., est né à Carlsruhe, le 27
novembre 1785. Après avoir fait de brillantes études prépa-
ratoires dans le gymnase de sa ville natale , il se rendit .
en 1803, à Halle, où l'influence prépondérante de Wolî
l'ayant détourné de la théologie , il étudia les langues an-
ciennes. Le premier fruit de ses recherches philologiques
fut Commentatio in Platonis qui vulgofertur Minoem,
qu'il publia à Halle en 1806, et la même année il partit
pour Berlin, où il entra au séminaire pédagogique.
Les troubles de la guerre l'ayant déterminé à retourner
dans sa patrie, il s'établit, dans l'été de 1807, à Heidelberg,
comme professeur particulier. Peu de temps après il fut
nommé professeur extraordinaire, et en 1809 il fut appelé
à Kœnigsberg en qualité de professeur ordinaire. Ses écrits
sur Platon , notamment son édition des Dialogi JT de Si-
mon le Socratique (Heidelberg, 1810), ses recherches cri-
tiques sur les tragiques grecs ( Grœcx tragœdix Principum,
yÊschyli, Sophoclis, Euripidis , num ea qux supersunt
et germina omnia sint, 1808), et son traité Du Mètre pin-
darique (Berlin, 1809) lui acquirent une si grande réputa-
tion, qn'en 1811 il fut nommé professeur d'éloquence et de
littérature ancienne à l'université de Berlin , fonctions qu'il
cumula plus tard avec celles de directeur des séminaires
pédagogique et philologique de la même ville.
Doué d'un esprit éminemment philosophique, M. Bopckh
a dédaigné ces vaines subtilités grammaticales qui ne font
que rapetisser la science en lui enlevant l'intérêt et la vie.
U ne s'est point borné, comme la plupart des pliilologucs, à
entasser de savantes et laborieuses recherches dans le seul
but de faire parade d'érudition ; mais il aborde, dans ses inté-
ressantes leçons , les antiquités, l'histoire de la philosophie
et de la littérature ; il sait en tirer des résultats qui ont puis-
samment contribué à éclaircir quelques-uns des points les
plus controversés de l'histoire politique et morale des peu-
ples anciens.
Parmi ses nombreux ouvrages , nous nous contenterons
d'indiquer les suivants , dont la réputation est européenne :
1° une édition de Pindare {Leipzig, 1811-1822 ), accompa-
gnée de toutes les scolies, d'une traduction latine, d'un
commentaire et de nombreuses notes : à la fin du premier
volume, se trouve un Traité de la Métrique grecque;
2° Économie politique des Athéniens (Berlin, 1817; tra-
duit en français par M. Laligant, Paris, 1828); S" Recher-
ches métrologiques sitr les poids, les mesures et le titre
des monnaies dans l'antiquité (Berlin, 1838); 4" Docu-
ments sur la marine de la république d'Athènes (Ber-
lin, 1840); 50 Corpus inscriptionum grxcartim (vol. 1-3,
Berlin, 1824-50). Cet ouvrage, commencé en 1815 et publié
sous les auspices et aux frais de l'Académie des Sciences de
Berlin, est continué par Franz. Toutes les inscriptions, sou-
vent inédites, y sont accompagnées de notes et de commen-
taires qui révèlent dans M. Bœcbh une érudition , un zèle
et une patience dont les temps modernes n'offrent malheu •
reusement que de trop rares exemples.
Outre ces ouvrages capitaux, on doit à M. Bœckh plu-
sieurs traités d'une étendue moins considérable, mais fort
remarquables néanmoins, tels que le développement des
doctrines du pythagoricien Philolaus {BerVm , 1819), une
édition de VAntigone de Sophocle (Berlin, 1843), des
recherches sur Manetho et la période sothiaque ( Ber-
lin, 1845), sans parler des savantes dissertations sur la
poésie pindarique (1825), sur Leibnitz et les académies
allemandes ( 1835 ) , etc., qu'il a insérées dans les Mémoires
de l'Académie, dont il est membre depuis 1814, et où il rem-
plit les fonctions de secrétaire de la classe de philosophie
et d'histoire depuis la mort de Schleiermacher, non plus
que des excellents discours dont ses fonctions de profes-
seur d'éloquence lui font un devoir chaque année. Parmi
ces discours, aussi remarquables par le fond que par la
forme, on ne peut se dispenser toutefois de mentionner
spécialement celui qu'il prononça en 1850, à Berlin, à l'occa-
sion de l'ouverture du congrès philologique, parce qu'il y
exposa ses idées particulières sur la philologie et l'archéologie.
BOÉDROMIES5 fêtes qu'on célébrait à Athènes, et
pendant lesquelles on courait en jetant de grands cris ( du
grec P01Î, cris, et 5ç6\i.o!;, course ) . Elles se célébraient vers le
moisd'aoiit, dans le mois nommé par les Grecs boédromion.
Cette fête selon Plutarque, fut établie pour rappeler la
victoire de Thésée sur les Amazones. Selon d'autres, elle
avait été instituée en mémoire du secours qu'Ion fournit aux
Athéniens contre Eumolpe, qui avait envahi l'Attique sous
le règne d'Erechthée. Ces fêtes se nommaient aussi Boïdia;
du moins Démosthène les appelle ainsi dans une des Philip-
piques.
BOBHME ou BŒHM (Jacob), célèbre Ihéosophe et
mystique de l'Allemagne, naquit en 1575, dans une petite
ville de la haute Lusace nommée le Vieux-Seidenburg,
près de Gœrlitz, d'une famille de pauvres paysans. Jusqu'à
l'âge de dix ans il resta sans aucune instruction , occupé à
garder les bestiaux. La contemplation d'une nature riche,
bien que sans attraits cmprimtés , élevant son imagination,
développa dans son cœur un profond sentiment religieux , un
enthousiasme calme et réfléchi pour les choses mystérieuses,
au point que dans l'influence de la nature sur lui il
trouva une révélation de Dieu, et crut participer à unti
inspiration particulière. Ses parents, pour cultiver ces dis-
positions peu communes, l'envoyèrent à l'école, où il ai^
prit à lire et à écrire, et fut instruit dans le christ ianisiae
41.
324
BŒHME
selon la doctrine Ju la communion luthérienne. Ils lui firent
ensuite apprendre le métier de cordonnier. Son apprentis-
sage fini, il voyagea, l'endant son voyage, la tranquille
contemplation à kiquellc il aimait à s'abandonner fut sou-
vent troublée par les disputes sur le crypto-calvinisme, qui
(Imninait alors en Saxe; mais il sut s'élever au-dessus de
rc-prit orgueilleux et querelleur des sectaires de son temps.
11 revint à Gœrlitz, où il était maître cordonnier, tn 1594;
il y épousa la fille d'un boucher, avec laquelle il vécut trente
ans dans une union sainte et heureuse.
Sa vocation au profond mysticisme, qui caractérise ses
écrits, avait précédé son établissement. Voici comment un
de ses contemporains rappoite le fait : « Il me raconta lui-
môme , dit-il , que pendant qu'il était en apprentissage, son
maître et sa maîtresse étant absents pour le moment, un
étranger vôtu très-simplement , mais ayant une belle figure
et un aspect vénérable , entra dans la boutique, et, prenant
une paire de souliers, demanda à l'acheter; mais Bœhme
n'osa pas les vendre : l'étranger insistant, il les lui fit un
prix excessif, espérant par là se mettre à l'abri de tout re-
proche de la part de son maîtie , ou dégoûter l'acheteur. Ce-
lui-ci donna le prix demandé, prit les souliers, et sortit. Il
s'arrêta à quelques pas de la maison, et là, d'une voix haute
et ferme , il dit : Jacob, Jacob, viens ici ! Le jeune honmie fut
d'abord surpris et effrayé d'entendre cet étranger, qui lui était
tout à fait inconnu , l'appeler ainsi par son nom de baptême ;
mais, s'ctant remis, il alla à lui. L'étranger, d'un air sérieux,
mais amical, porta ses yeux sur les siens, fixa sur eux un
regard étincelant, le prit par la main droite, et lui dit : « Ja-
« cob, tu es peu de chose, mais tu seras grand, et tu devien-
« dras un autre homme, tellement que tu seras pour le monde
« un objet d'étonnement. C'est pourquoi , sois pieux , crains
« Dieu, et révère sa parole! Surtout, lis soigneusement les
« Écritures saintes, dans lesquelles tu trouveras des consola-
« tions et des instructions , car tu auras beaucoup à souf-
« frir; tu auras à supporter la pauvreté, la misère et des
« persécutions ; mais sois courageux et persévérant , car
« Dieu t'aime et t'est propice. » Sur cela, l'étranger lui serra
la main, le regarda encore avec des yeux perçants, et s'en
alla sans qu'il y ait jamais eu d'indices qu'ils se soient jamais
revus. » {Notice sur Bœhme , T^ar le baron Abraham de
Frankenberg. )
Le premier de ses écrits fut rédigé en 1610, et a pour titre :
L'Aurore naissante. Dans cet ouvrage, il essaya de faire
connaître ses révélations et ses intuitions sur Dieu , l'huma-
nité et la nature. Le clergé de Gœrlitz se déclara contre lui,
et Georges Richter, pasteur de la cathédrale, sous les yeux
duquel une copie de son ouvrage était tombée, le persécuta,
le traîna devant le juge et confisqua son livre , ne pouvant
rien trouver de punissable dans sa personne, j. Bœhme re-
commença à écrire, et rédigea successivement, en 1C19 :
les Trois Principes , avec un appendice de la triple vie de
l'homme; en 16'20 : De la Triple Vie de V Homme, Bcponse
aux quarante questions de l'âme ; De l' Incarnation du
Christ , de sa Passion , de sa Mort et de sa Résurrection ,
et de l'Arbre de lafoi; Des sixpoints; Du Mystère céleste
et terrestre; Des derniers Temps. En 1621 : De l'Em-
preinte des Choses {De Signatura Rcrum); Des quatre
Complexions ; Apologie de Balthazar Tilken ; Réflexions
. aur les bottes d'isaïe. En 1622 : De la Vraie Repentance ;
De la Vraie Résignation ; De la Régénération ; De la Péni-
tence. En 1623, De la Providence it du choix de la grâce ;
Le grand Mystère, sur la Genèse; Une Table de Prin-
cipes; De la Vie sursensuelle {sur-céleste); De la Con-
templation divine ; Des Deux Testaments du Christ; En-
trelien d'une dme éclairée et d'une dme non éclairée;
Apologie contre Grégoire Richter; De cent petits Livres
de prières; Table de la Manifestation divine des trois
Mondes ; De l'Erreur d'Ezéchiel Meth; Du Jugement der-
nier; des Lettres adressées à plusiculs personnes.
Les idées qu'il expose, dans cette suite de traités, sur
Dieu, la création, la nature, la révélation, le péché, sont
fondées sur la Bible et les écrits des Apôtres. Ce sont les dif-
férents dogmes du christianisme, tels que la chute d'Adam,
la rédemption, l'incarnation, la résurrection, etc., présen-
tés sous une forme instructive , dont les diverses parties
sont fortement liées, et avec la vivacité de l'imagination la
plus pittoresque , la plus féconde et la plus élevée. C'est sans
doute cette dernière quaUté qui l'a fait considérer par quel-
ques littérateurs allemands comme un des plus grands poètes
de leur patrie. Il emploie souvent la manière et les termes
des écrits mystiques et alchimiques, et l'on reconnaît dans
son style des traces de l'étude qu'il avait faite de Paracelse,
de Valentin Weigel et d'autres auteurs de ce genre. L'obs-
curité que l'on rencontre fréquemment dans les écrits de
Ba'lime, et qui en rend la lecture très-laborieuse, lient à la
solitude en quelque sorte de la pensée de l'auteur , h cette
habitude de voir en lui-même et pour lui-môme, jointe à
l'inexpérience du talent d'écrire , résultat de son défaut d'é-
ducation. Ses ouvrages sont en général assez mal composés;
les mêmes idées y sont fréquemment reproduites, les mêmes
principes répétés assez longuement, lorsque l'auteur veut en
tirer de nouvelles conséquences. Mais ces défauts disparais-:
sent devant la profondeur sublime des idées, la grandeur et
la puissance des images.
Les auteurs de la Biographie Universelle ont répété sur
Bœhme le jugement de Mosheira : « qu'on ne saurait trou-
ver nulle part plus d'obscurité qu'il n'y en a dans ces pi-
toyables écrits », En Allemagne, où la profondeur d'un ou-
vrage n'empêche pas de l'examiner consciencieusement,
l'opinion des savants est bien différente sur les écrits de
Bœhme. Il a eu surtout pour admirateurs tous ceux des par-
tisans de la philosophie dont Schelluig a posé les bases qui
apportent dans leurs études plus d'imagination que d'esprit
systématique. L'opinion des esprits élevés sur Bœhme eu
Allemagne est unanime, et ceux-là même qui croient qu'il
n'a pas ouvert la véritable route aux vérités nécessaires à
la vie de l'humanité reconnaissent la supériorité de son gé-
nie , et applaudissent à la poésie religieuse de ses ouvrages.
Toutes sortes de haines troublèrent les dernières années
de Bœhme : on eut recours à la calomnie pour le poursuivre
jusqu'à sa mort. La principale occasion en fut vraisembla-
blement un livre sur la pénitence, que ses amis firent im-
primer à son insu. Il éveilla tellement l'attention générale
que, d'après le désir de quelques personnes de la cour et
à la prière de ses amis , Bœhme alla à Dresde pour y faire
examiner ses principes. Ce voyage eut lieu en 1624. Bœhme
trouva à la cour et même dans le consistoire beaucoup d'ap-
probateurs et de protecteurs. 11 en sortit à son honneur, et l'é-
lecteur lui-même, qui eut plusieurs conférences secrètes avec
lui, le congédia comblé de bontés. A son retour, Bœhme
mourutdans la foi chrétienne, le 13 novembre de cette même
année. Il avait eu de son mariage quatre garçons, à l'un
desquels il enseigna son métier de cordonnier.
Abraham de Frankenberg , son biographe et son admira»
leur, a publié et éclairci ses écrits. La première édition com-
plète a été imprimée en Hollande, 1675, par les soins de
Henri Betke. La plus complète est celle d'Amsterdam, 1682
(10 vol. in-s"). L'éditeur, G. Gichtel, était un de ses dis-
ciples les plus avancés, et c'est de lui que les sectateurs de
Bœhme prirent le nom de gichtéliens. Ses écrits furent ad-
mirés en Angleterre aussi bien qu'en Hollande et en Allema-
gne. William Lawcn en donna une traduction en 2 vol. in-8".
On a aussi de ce traducteur une exposition en dialogues de
la doctrine de Bœhme , traduite en français sous le titre de
La Voie de lu Science divine. Il se forma aussi en Angle-
terre une secte selon la doctrine de Bœlime, en 1697. Jeanne
Lead , admiratrice de Bœhme, fonda une société dans le but
d'éclaircir ses ouvrages. John Pordage, médecin anglais,]
s'est fait connaître comme commentateur de Bœhme. Le fa»
BŒHME — BOÉMOND
meux thi'osoplie français Claude de Saint-Martin, mort au
f oiniuencemcnt de ce siècle , a publié les traductions de l'Au-
rore naissante, des Trois Principes, de la Triple Vie,
des Quarante Questions. On a encore deux traductions
françaises : une de la Clef de liœhme, et l'autre des deux
livres de la Vraie Repentance, et de quelques autres petits
^,.ajtés. H. BoUCniTTÉ, ancien recteur.
BOEHMERWALD, c'est-à-dire Forêt de Bohême.
On appelle ainsi cette portion des montagnes de l'Allemagne
centrale qui s'étend , dans la direction du nord-ouest au sud-
est, entre la rive gauche du Danube, depuis Linz jusqu'à
Passau , et le pied méridional du Fichlelgebirge , sur la
limite de la Bohême et de la Bavière et des bassins de la
mer du Nord et de la mer Noire. Le squelette de ces mon-
tagnes est formé de granit et de gneiss. Les rivières qui y
prennent leurs sources se rendent les unes dans l'Elbe , les
autres dans le Danube. Les sources de la Moldau et le
ravin de 470 mètres creusé par le Chambach les divisent en
trois parties. La partie méridionale forme, sous divers noms
particuliers, comme Donauberg , Karlsberg , etc., un
groupe de montagnes non continu dont les pentes escarpées
s'élèvent sur la rive gauche du Danube. Sa hauteiw, de
600 à 800 mètres en moyenne, atteint 1,200 mètres avec le
Dreisesselberg, 1,310 avec le Plœckensteiu ; et après avoir
paicouru une étendue de 44 à 52 kilomètres, elle se ter-
mine brusquement dans la plaine de Budweis avec le
Blauskerwald , haut de 1,050 mètres. La partie moyenne,
qui est aussi la plus élevée, porte sur son dos escarpé les
plus hautes cimes de toute la chaîne, le Kr.bani 1,330 mètres,
le Schwarzenbcrg (1 ,070 mètres), le Rachelberg ( 1 ,400 mètres)
et le Gross-Arber (1,460 mètres). Elle forme au sud-ouest
un plateau à pente roide qui s'incline vers la rive droite
du Regen et les plaines du haut Palatinat, tandis qu'à l'est
des rameaux de 22 à 30 kilomètres de longueur sillonnent
les plaines de la Bohême.
La Forêt de Bavière, qui offre le caractère âpre et sau-
vage des montagnes , projette au sud-ouest, entre le Regen
et le Danube , une pointe dont les vallées ne sont pas moins
escarpées sur les bords que celles du reste de la chaîne. La
troisième partie, la plus septentrionale, présente des ana-
logies avec la seconde dans ses pentes occidentale et orien-
tale; mais elle ne forme pas une suite non interrompue de
montagnes , elle se compose plutôt de petits groupes imis
par des colhnes aplaties. Au nord-ouest, les cùnes de
ïiischenreuth au pied du Fichlelgebirge s'abaissent jusqu'à
500 et même 375 mètres, tandis qu'au nord-est , le Kaiser-
wald et la Herrenhaide atteignent à une hauteur bien plus
considérable. Cette configuration prouve combien est erronée
l'opinion de ceux qui prétendent que la forêt de Bohême se
rattache à la forêt de Franconie et à l'Erzgebirge dans le
Fichlelgebirge , dont elle ne serait qu'une ramification.
Toute la chaîne est sauvage, âpre , presque inaccessible ;
ses sonnnets laissent voir la roche nue, avec ses formes ra-
boteuses; ses flânes, jusqu'à la hauteur de 1,160 mètres,
sont couverts d'épaisses forêts; ses eaux mugissent comme
des torrents dévastateurs au fond de crevasses sombres ,
étroites , creusées dans le roc ; ou bien elles tbrraent au
milieu de vastes plaines des marais croupissants. Sur une
étendue de 1 85 kilomètres cette chaîne ne présente qu'im
petit nombre de passages fort difficiles , savoir : 1° plusieurs
passages entre Eger et Tirschenreuth ; 2° le défilé de Fraueii-
berg, entre Pilsen et Nuremberg; 3° celui de Waldmun-
clien, sur la route de Pilsen à Ratisbonne ; 4" le passage de
Neumark, entre Klattau et Ratisbonne ; 5° le défilé d'Ei-
senstein, sur la route de Pilsen et Klattau à Passau ; 6" celui
de Philippsreuth, entre Prague et Passau , et T au sud-est
quelques petits défilés jusqu'à la tranchée du chemin de
fer de Lin/, à Budweis.
La nature a donné ainsi à la Forêt de Bohême une im-
])Oîiauce hlsloriquo que n'ont jamais eue des chaînes de
325
montagnes plus élevées. Elle posa une linuîe naturelle aux
conquêtes des Slaves vers l'Occident , et ses sombres forêts
ses ravins profonds, offrirent pendant les guerres qui déchi-
rèrent l'Allemagne un siir asile aux fugitifs , comme ils ser-
virent aussi cpielquefois de retraite à des malfaiteurs. Le sol de
ces montagnes est peu fertile. Elles ne produisent que de l'a-
voine et du lin à filer ou tisser ; quelques fruits mûrissent
sur leurs flancs ; mais leur véritable richesse consiste dans
leurs excellents pâturages et leurs forêts , dont les bois sont
mis en oeuvre sur les lieux mêmes, transportés au loin par le
moyen du flottage, ou consommés dans les verreries, les forges
etlesdifl'érents établissements industriels. Les habitants sont
robustes , sobres, hardis , mais grossiers , rusés , opiniâtres
et fort attachés aux usages de leurs pères. Le langage de
ces montagnards est l'allemand , mais un allemand sonore,
riche en voyelles et fort différent du dialecte de la Bavière.
Au sud-ouest de l'ancien cercle de Prachin , un grand dis-
trict est habité par ce qu'on appelle les paysans libres ,
descendant en majeure partie de prisonniers de guerre ba-
varois, et jouissant encore aujourd'hui de plusieurs privi-
lèges. La ville la plus importante de la Forêt de Bohême est
Cham, à l'embouchure du Chambach, dans le Regen, à
359 mètres au dessus du niveau de la mer. La peinture la
plus exacte de la vie de ces montagnards nous a été donnée
par Rank , dans son livre intitulé De la Forêt de Bohême
(3 vol., Leipzig, 1851).
BOEIITLIIXGK ( Othon ) , un des savants les plus versés
dans la coimaissance des langues orientales, notamment
du sanscrit, naquit à Pétersbourg,le 30 mai 1815, d'une fa-
mille originaire de Lubeck. Il fit ses premières études à l'é-
cole allemande de Saint-Pierre et Saint-Paul et au gymna.se
de Dorpat, puis, en 1833, il entra à l'université de Péters-
bourg, avec l'intention de se livrer à l'étude des langues
orientales. Il avait déjà acquis une certaine connaissance de
l'arabe et du persan, lorsqu'il se lia d'amitié avec Bollen-
sen , qui l'engagea à apprendre le sanscrit. Il partit donc
pour Berlin en 1835 , et la même année il se rendit à Bonn ,
où il resta jusqu'en 1842. De retour dans sa patrie, il fut
nommé conseiller impérial et membre de l'Académie des
Sciences. Dès lors il n'a pas cessé de s'occuper de travaux
littéraires. Tous ses écrits , tant sur le sanscrit que sur le
turc et les dialectes de la même famille, se font remarquer
par une exactitude et un soin extraordinaires. Parmi ses
nombreuses publications nous citerons plus particulièrement
les huit livres de Règles Grammaticales de Panini ( 2 vol. ,
Bonn, 1 840) , la Grammaire de Vopadeva ( Pétersb., 1846 ) ,
la traduction de Sakuntala de Kalidasa, publiée avec le
texte ( Bonn , 1842 ) , une Chrestomathie sanscrite ( Péters-
bourg, 1845), le Dictionnaire de Hémacandra ( Péters-
bourg, 1847), une dissertation sur la Langue des Ya-
koutes (texte, grammaire et dictionnaire, 3 vol., Péters-
bourg, 1849-51 ). On lui doit encore plusieurs traités pleins
d'érudition, entre autres, stir l'Accent dans le sanscrit
(1843), qui ont été insérés dans les Mémoires de l'Acadé-
mie des Sciences, et quelques articles, moins considérables,
publiés dans le Bulletin de la même Académie et dans d'au-
tres journaux. Il s'occupe actuellement de l'impression d'uu
Dictionnaire Sanscrit.
BOEKEL ( Guillaume ) , appelé aussi Buckelings , et
plus exactement £ei<AeZ52, c'est-à-dire fils de Beukel, était
un pêcheur de Biervliet, dans la Flandre maritime, qui a
rendu les plus grands services à sa patrie par la découverte
de la manière de saler le liareng. On ne sait rien de sa vie.
Il mourut très-vraisemblablement vers 1397, dans son lieu
natal , où l'empereur Charles-Quint visita son tombeau avec
sa sœur Marie. B.-G. Camberlyn a célébré l'invention de
Bœkel dans un poème latin intitulé De Bukelingi Genio
(Gand,^ 1827).
BOEMOXD. Sept princes de ce nom, et de la même
famille, ont régné sur Antioche, au temps des croi-
32G
BOEMOND
sades. Le premier avait élé le fondateur de cette principauté.
BOÉMOND ( Marc ) , prince de Tarente , fils de l'aventu-
rier normand Robert G uiscard, qui devintduc de Fouille
et de Calabre, vainquit , à la tête de l'armée d'Illyrie, l'em-
pereur Alexis à Janina, et alla mettre le siège devant Larisse ;
mais Alexis ayant réussi à débaucher une partie des sol-
<lats de Boémond, celui-ci fut forcé de battre en retraite.
Sur ces entrefaites Robert léguait en mourant la Fouille et
la Calabre à Roger, fils de sa seconde femme, au préjudice
de Boémdnd, fils de la première. De là une guerre sanglante
entre les deux frères , à la suite de laquelle la principauté
de Tarente fut cédée par le cadet à l'aîné. Celui-ci assiégeait
Amalfi en 1095, lorsqu'à la nouvelle de l'approche des pre-
miers croisés il déchire son manteau, dont U fait une croix,
qu'il attache à son épaule , en distribue des fragments à
ceux qui veulent l'imiter, et se trouve à la tête de dix mille
cavaliers, vingt mille fantassins, nobles de la Sicile, de la
Fouille , de la Calabre , seigneurs normands , dont le plus
brave est son cousin Tancrède. Bientôt ils ont traversé
l'Adriatique et rejoint Godefroy de Bouillon. Alexis en-
toure alors Boémond de caresses, l'attire à Constantinople,
ui fait accepter un fief, et reçoit son hommage.
Ce sacrifice fait à la prévoyance plus qu'à la vanité , Boé-
mond , marchant de \ ictoire en victoire , prend Nicée et ,
après huit mois de siège, s'empare d'Antioche, grâce à
la trahison de l'Arménien Zara, qui, pour satisfaire une ven-
geance personnelle, lui livre la tour dont la garde lui est
confiée. C'était lui en définitive qui avait négocié cette per-
fidie. Aussi les croisés le proclament-ils d'une voix unanime
prince d'Antioche, où il fonde une principauté chrétienne,
qui subsiste cent quatre-vingt-dix ans. Ayant à lutter contre
l'empereur Alexis et contre Raymond de Toulouse , qui
essayèrent en vain de lui disputer sa conquête , il ne put
accompagner les croisés à Jérusalem; mais il y alla plus tard
recevoir du patriarche l'investiture de sa principauté. Après
être resté deux ans chez un émir qui l'avait fait prisonnier
dans un combat, il revint en Occident exciter contre Alexis
tous les princes d'Italie, de France et d'Espagne. Pour
arriver en Europe il avait fait courir le bruit de sa mort, et
s'était fait embarquer dans un cercueil percé de trous pour
respirer. C'est ainsi qu'il avait passé à ûavers la flotte im-
périale. En France il épousa Constance , fille de Fhilippe l^"".
De retour en lUyrie, il assiégea , pendant un an , Durazzo,
et y perdit une partie de son armée. Après avoir accepté des
conditions qui humilièrent sa fierté, il revint en Italie ras-
sembler de nouvelles forces. Prêt à se rembarquer pour la
Grèce, il tomba malade à Canosa , où la mort le frappa en
lut. Il avait eu de Constance deux fils , Jean , mort en
bas âge, avant son père, et Boémond II , qui lui succéda.
BOÉMOND II régna d'abord sous la tutèle de sa mère
et sous la régence de son oncle Tancrède , qui malheureu-
sement mourut au bout d'un an , léguant ses fonctions à
son neveu Roger, beau-frère de Baudouin II, roi de Jéru-
salem. Roger, attaqué, en 1119, par une armée de Turcs
et d'Arabes, appela à son secours son beau-fière ainsi que
les comtes d'Édesse et de Tripoli , et Baudouin II donna sa
fille Alix en mariage au jeune Boémond , qui s'était brave-
ment comporté ; ce qui n'empêcha pas les confédérés d'être
battus par les infidèles. Boémond ayant ensuite porté la
guerre en Arménie et signalé sa valeur dans plusieurs sièges,
engagea témérairement une bataille contre le sultan d'Alep,
et fut tué à l'âge de vingt-quatre ans.
BOÉMOND III succéda, en 11G3, à sa mère Constance,
femme de Renaud de Châtillon. Après s'être confé-
déré avec le comte de Tripoli , le prince d'Arménie et
d'autres seigneurs, il poursuivit l'èpée dans les reins l'a-
tabeck Noureddin, qui, poussé à bout, lit volte-face, et
amena prisonniers au ciiâteau d'Alep ceux qui avaient
compté sur sa capture. La prise des plus fortes places de
Boémond fut la suite de ce désastre.
En 1187 , après la prise de Jérusalem, le prince d'An-
tioche et son peuple se déshonorèrent par un trait de férocité
inouï. Saladin , pour qu'ils ne mourussent pas de faim avec
leurs enfants, avait fait conduire sur les terres de Boémond
un grand nombre de prisonniers , hommes et femmes , qu'il
avait faits sur lui. Au lieu de se voir accueillis par leurs
compatriotes, ils trouvèrent les portes de la capitale fer-
mées; on les chassa les armes à la main , on leur enleva jus-
qu'à leurs vêtements, et, sans égard ni pour l'âge ni pour
le sexe, on les laissa nus dans la campagne. Indigné de ce
procédé , Saladin ravagea , l'année suivante , la principauté
d'Antioche, et y prit vingt-cinq villes.
Frédéric 1" étant mort en Cilicie, Boémond vint avec le
patriarche chercher son fils, et l'amena solennellement dans
ses États. Plus tard , il s'embarqua , avec le roi de Jérusa-
lem, pour aller en Chypre à la rencontre de Richard d'An-
gleterre, qui avait conquis cette île sur le despote Isaac Corn-
nène. Richard , après avoir fait lier Isaac avec des chaînes
d'argent, chargea Boémond de le conduire à Tripoli. Des
contestations s'étant élevées entre le prince d'Antioche et le
roi d'Arménie , ils cherchèrent à se tendie mutuellement
des pièges. Ce fut le premier qui tomba dans ceux du se -
coud, et il n'obtint sa liberté qu'à des conditions dures et
humiliantes. Plus tard, cependant, le fils aîné de Boémond
épousa la nièce de l'Arménien. Ce fils étant mort, Boé-
mond désigna encore pour son successeur Rupin, né de
ce mariage. Mais Boémond , fils puîné du prince d'Antioche
et régent de Tripoli , réussit un instant à chasser son père
de ses États avec l'appui des chevaliers du Temple et des
hospitaliers. Toutefois ce succès ne fut pas de longue durée.
Boémond 111, rétabli sur son trône, mourut en 1201 , après
avoir épousé et répudié trois femmes.
BOÉMOND IV. Ce fils rebelle, surnommé le Borgne,
parce qu'il avait perdu un œil dans une affaire près du mont
Liban, s'empara de la principauté d'Antioche après la mort
de son père, au préjudice de Rupin, son pupille et son ne-
veu. Le roi d'Arménie lui enleva sa capitale, qu'Une con-
serva que trois jours. En 1204, Marie de Flandre étant allée
rejoindre Baudoin, son époux, Boémond lui apprit qu'il
venait d'être élu empereur de Constantinople, et lui prêta foi
et hommage pour sa principauté. Il espérait ainsi détourner
un nouvel orage; il se trompait : le roi d'Arménie, aidé par
le patriarche et les bourgeois, se rendit maître encore une
fois d'Antioche, en 1205, et Boémond lY mourut déchu et
humilié.
BOÉMOND V, son fils, lui succéda dans les États d'An-
tioche et de Tripoli; mais les Kihrismiens , les ayant enva-
his , en 1244 , l'obligèrent à se rendre leur tributaire. 11 eut
ensuite une guerre longue et opiniâtre à soutenir contre l'Ar-
ménie. Heureusement, saint Louis, descendu en Palestine
en 1250, réconcilia les puissances belligérantes. Boémond V
mourut l'année suivante.
BOÉMOND VI , son fils, lui succéda , sous la tutelle de
sa mère, comme prince d'Antioche, comte de Tripoli et sei-
gneur de Tortose. Il n'avait que quatorze ans , lorsqu'on
1253 la mère et le fils allèrent ensemble trouver saint Louis
à Jaffa. Saint Louis arma le jeune prince chevalier. Boé-
mond se plaignit de ce que sa mère le laissait sans argent :
le monarque lui en fit donner, et le prince d'Antioche, par
gratitude, écartela ses armes, qui étaient vermeilles, avec
celles de France. En 1257 il reparait à Saint-Jcan-d'Acre
avec la reine de Chypre, sa sœur, prend imprudemment
parti pour les Vénitiens contre les Génois, et fomente des dis-
sensions qui entraînent la ruine des affaires de la Terre
Sainte. En 1268 il perd Antioche, qui est emportée d'assaut,
le 29 mai, par !e sultan Bibars. On dit que le vainqueur em-
mena cent mille captifs, et qu'il fit massacrer sur la grande
place de la ville dix-sept mille habitants. Boémond était
alors à Tripoli, qu'il venait de défendre contre ce môme
Bibars. Ce fut par une lettre pleine de railleries cruelles, que
BOÉMOND — BOERHÂAVE
327
lui écrivait le sultan lui-même, qu'il apprit cette perte. Il n'y
survécut que six ans, et finit ses joiirs à Tripoli, le 20 mars
1774.
DOÉMOND VII, fils du précédent, lui succéda de bonne
lieure, sous la tutelle de sa mère Sibylle et de l'évêque de
Tortose. Il établit sa résidence à Tripoli , dont il fit hom-
mage à Charles I*"", roi de Sicile et de Jérusalem. Puis il eut
de fréquents démêlés avec les chevaliers du Temple et avec
l'évêque de Tripoli , qu'il chassa de la Terre Sainte. Après
avoir perdu Laodicée, qu'un général du sultan d'Egypte prit
et rasa, il mourut sans postérité , le 19 octobre 1287. Avec
lui s'éteignirent les princes latins d'Antioche.
BOENIIVG (Georges) , un des chefs de l'insurrection
badoise en 1849, naquit en 1787 à Wiesbaden. Il suivit
quelque temps la profession de son père, qui était horloger ;
puis il fut nommé, en 1813, officier dans la landwehr du
pays de Nassau, poste qu'il occupa jusqu'en 1815. De 1820
à 1820, il prit part à la guerre de l'indépendance grecque.
De retour dans sa patrie, il se mêla à tous les mouvements
politiques, surtout à ceux qui agitèrent Bade au printemps
de 1848. Obligé de fuir en Suisse, il rentra en Allemagne
avec Struve, et fut nommé colonel de la légion suisse. Dans
les combats de Hirschhorn, Durlach et Federbach, il se fit
remarquer par son courage personnel. Pendant le siège de
Rastadt, il reçut le commandement en chef de tous les vo-
lontaires, à la tête desquels il prit part à la sortie du 8 juil-
let. La place s'étant rendue malgré son énergique opposi-
tion, il fut traduit, le 16 août, devant un conseil de guerre,
qui le condamna à mort à l'unanimité, bien qu'il représen-
tât que , n'étant pas sujet badois et n'ayant pris du service
qu'en 1849 sous le gouvernement provisoire , il devait être
regardé comme prisonnier de guerre. Il fut exécuté le len-
demain, à cinq heures du matin , et il reçut la mort avec
beaucoup de fermeté ; son air respectable, ses longs cheveux
gris, éveillèrent la sympathie même de ses adversaires poli-
tiques.
BOERHAAVE (Hersianw ) , l'un des princes de la mé-
decine , et le plus célèbre des médecins modernes , fut l'es-
prit le plus vaste et le plus influent (je ne dis pas le plus pro-
fond) des savants de son siècle. Contemporain, à deux
années près , de l'Académie des Sciences de Paris , fondée
par Louis XIV , Boerhaave eut pendant un temps plus de
renommée qu'elle : le nom de Fontenelle, si célèbre en France,
n'était pas aussi européen que le sien. Il eut l'immense avan-
tage de venir après Galilée , après Descartes et Bacon , avant
Voltaire, Buffon et d'Alembert : les premiers l'avaient éclai-
ré, les autres l'eussent peut-être éclipsé. Il vécut dans un
temps où il aurait pu profiter de la découverte de la circu-
lation du sang sans en abuser , et sa mort arriva assez tôt
pour qu'il ne vît pas sa doctrine chimique renversée par la
science nouvelle de Lavoisier et de Priestley. On le comprit
plus promptement que le grand Newton lui-même , trop
profond et trop vrai pour faire école de son vivant. Ce fut
lui qui termina l'âge des croyances dociles, et qui commença
l'époque, non encore finie, de la philosophie interprétative.
Il eut cet autre avantage d'avoir pour maîtres des hommes
médiocres , comme Drelincourt et Grono vins, qu'il lui fut
facile de surpasser, et pour disciples des esprits supérieurs,
tels que Haller, Van-Swiéten et Linné, dont les premiers
travaux et les hommages ajoutèrent à sa gloire.
Boerhaave naquit le dernier jour de 1668, àWoorhout,
petite bourgade de Hollande, presque aussi rapprochée de
Leyde queNeuiliy l'est de Paris. Son père, homme érnditet
ministre protestant du lieu, s'occupa avec sollicilude de la
première éducation de ce fils, qu'il destinait .\ lui succéder,
de sorte qu'à dix ans Hermann comprenait le grec d'Hippo-
crate et le latin de Celse presque aussi bien que le français de
Descartes, et ce succès des leçons paternelles rendait en lui
l'obéissance plus méritoire. Boerhaave le père avait un autre
fils, nommé Jacques : celui-ci devait être médecin; mais les
dispositions de ces deux jeunes gens trahirent les vœux do leur
preinier maître : le médecin devint ministre , et le ministre
médecin. On raconte que notre Hermann fut atteint , à l'âge
de dix ans , d'un ulcère qu'aucun remède ne pouvait gué-»
rir : il garda cette plaie maligne durant sept ans , et ce fut
la puberté qui seule l'en délivra. Cet insuccès de l'art per-
suada Boerhaave non de l'impuissance de la médecine , mais
de l'inhabileté des médecins de son temps , et lui fit augu-
rer pour lui-même un brillant avenir. D'ailleurs, une mala-
die de sept ans , à un âge si tendre , disposa nécessairement
Boerhaave à l'investigation, et renditson esprit plus recueilli ;
elle le protégea du moins contre le premier élan de ces pas-
sions qui énervent souvent les plus heureux génies avant la
maturité.
Boerhaave pouvait d'autant mieux suivre ses goûts qu'il
eut le malheur de perdre son père dès l'âge de quinze ans ;
mais le juste respect qu'il conservait pour sa mémoire le re-
tint encore longtemps dans la carrière que ce bon père lui
avait choisie. Resté alors sans fortune , Van Alphen le pro-
tégea avec noblesse et pourvut à ses besoins ; de manière
que le jeune Hermann put reprendre ses études, et il les con-
tinua à l'université de Leyde, vers le but assigné par sa fa-
mille. Au latin et au grec, qu'il avait appris de son père, il
joignit bientôt beaucoup d'hébreu, un peu de chaldéen,des
études historiques diversifiées, mais surtout des mathéma-
tiques , et un cours complet de métaphysique. Ses thèses
ou discours de philosophie eurent l'orthodoxie qu'on pouvait
attendre d'un homme destiné à un ministère sacré. Après s'être
habilement servi des arguments de Cicéron contre la doc-
trine d'Épicure, il combattit de lui-même, avec sa vive lo-
gique de vingt ans, le système, alors si fameux, de Spinosa.
Sa réfutation fut assez brillante pour que la ville de Leyde
se crût obligée de récompenser ce solide plaidoyer contre le
panthéisme par une médaille d'or expressément frappée à
cette occasion ; et même il est permis de penser que Louis
Racine et de Bernis ne consultèrent pas infructueusement
pour leurs poèmes le discours dont nous parlons. Docteur en
philosophie à vingt ans ( 1688), et livré ensuite à des études
de théologie , Boerhaave n'échappa à la misère qu'en don-
nant des leçons de mathématiques. Sa fière intelligence dut
ensuite s'abaisser à collationner les catalogues de la riche
bibliothèque de Vossius, que la ville de Leyde venait d'ac-
quérir. Enfin , ce ne fut qu'à vingt-deux ans qu'il put com-
mencer l'étude de la médecine , sans renoncer encore à la
vocation sacerdotale , tant il conservait la mémoire des pro-
messes et des bienfaits.
Sorti à peine de la métaphysique (par laquelle il aurait
mieux valu finir), mais de plus déjà physicien instruit, on
doit croire que Boerhaave ne débuta pas à la manière des
étudiants ordinaires. Les leçons de ses maîtres , il les suivit
peu : il se sentait distrait en les écoulant ; son esprit allait
plus vite que leurs paroles , et toujours au delà. C'étaient des
cours fastidieux dont on aurait pu retrouver la tradition
dans des cahiers contemporains des préjugés , et que les
professeurs de Leyde s'opiniâtraient à répéter d'après leurs
maîtres. Boerhaave eut donc raison de ne point perdre
l'habitude d'étudier seul. Il aurait dû disséquer, car quoi de
vrai, quoi de certain en médecine sans l'anatomie? Cepen-
dant, Û s'abstint de ces études, d'abord si repoussantes, de
l'amphithéâtre ; il lut Vésale , consulta les admirables in-
jections de Ruysch , assista à quelques dissections de Nuck,
à peu près comme Buffon , cinquante ans après , assista de
loin aux explorations de Daubenton et aux expériences de
Needham. Peu soucieux des minces détails, qui cependant
sont les seuls qui puissent suggérer une science durable et
certaine, il ne vit que le but final, et il se hâta d'y courir.
Présageant bien que son advention dans l'art de guérir de-
viendrait pour la postérité une des époques les plus mémo-
rables de la médecine, il fit précisément ce qu'a fait par-
mi nous G. Cuvier, à cela près qu'il procéda d'une manière
S28
BOERHAAVE
opposée : loin de négliger, comnMî Bicliat, les auteurs an-
ciens, il résolut de les parcourir tous l'un après l'autre.
Commençaut par les écrivains les plus modernes , il redes-
cendit (car il faut bien supposer que la science est progres-
sive) jusqu'aux auteurs de l'antiquité. Il ne négligea sur sa
route ni Sydenham, ni Van Helmont, ni Paracelse, ni les
Arabes, ni Galien, les découvertes d'Érasistrate non plus
que les opinions d'Héropliile ; et lorsque enfin il arriva à Hip-
pocrate, il se sentit moins d'estime pour beaucoup de mé-
decins modernes, ou plutôt il proportionna cette estime au
respect que chacun d'eux avait montré pour les préceptes si
sages de ce grand médecin philosophe. Jl procéda de môme
quant à la botanique et à la chimie, ce qui n'avait plus à
beaucoup près le même degré d'utilité , puisque ce sont là
des sciences nouvelles ou renouvelées. Après trois années
de ces recherches d'érudition , il se fit recevoir docteur en
médecine , non pas à Leyde , il s'en garda bien ; il n'aurait
pas voulu tenir son diplôme de ceux-là mômes qu'il se sen-
tait prédestiné à faire oublier : ce fut à Harderwijk qu'il prit
ses degrés. Le sujet seul de sa tlièse prouvait assez que la
médecine était l'état de son choix , et qu'il l'aimait avec
passion : cette dissertation avait en cfiet pour titre : Dis-
jmtatio de utilitate explorandorum excrementorum in
xgris, etc. (1693).
Médecin à vingt-cinq ans, Bocrhaave était encore trop
jeune pour pratiquer son art avec le succès et la distinction
qu'il ambitionnait; il reprit en conséquence, durant huit
années , ses recherches d'érudition et ses études de piiysique
et de chimie, et ce ne fut qu'en 1701 qu'on le nomma
adjoint ou répétiteur de Drelincourt, son premier maître,
dont plus tard il édita les œuvres, comme Bichat plus ré-
cemment a publié celles de Dcsault. 11 lui fut aussi facile de
surpasser son chef d'emploi , qu'il le fut depuis à Cuvier
d'effacer l'anatomiste Mertrud , qui , après avoir eu la sim-
plicité de lui donner accès dans sa chaire , s'imaginait avec
bonhomie que Cuvier n'était que son remplaçant ou son ad-
joint. Remaïquons à ce sujet qu'il est des hommes auxquels
le destin semble réserver toutes ses faveurs. Si Boerhaave
fût venu du temps de Bergman et de Linné, ou du temps
de Fourcroy et de Bichat; si Cuvier eût trouvé au Jardin
des Plantes Buffon au lieu de j\îertrud, et Vicq-d'^Vzyr au
lieu de Portai, pense-t-on que ces hommes, quoique d'un
savoir éminent, fussent parvenus d'un vol aussi rapide à la
renommée, à la fortune? Non, certainement; il est même
probable qu'ils auraient dû changer de dessein , et peut-être
même de carrière.
Boerhaave débuta par un discours remarquable, dans le-
quel il préconisait l'étude assidue d'Hippocrate , qu'il élevait
judicieusement au-dessus de tous les médecins ; après quoi,
il professa d'abondance, et ce fut avec éclat. Sa figure ex-
pressive et majestueuse, le ton imposant de ses manières
et de sa voix, sa parole rapide et puissante , la pureté sou-
tenue de sa diction , la sûreté comme l'étendue de sa mé-
moire, la précision de ses opinions et la fécondité de sa
pensée , l'exact enchaînement des faits , et l'abondance
autant que la nouveauté des aperçus, et, plus encore que
tout le reste, l'immense trésor de son érudition, joint à
l'universalité des connaissances contemporaines ; ce don pré-
cieux de caractériser cliaque auteur par ses opinions, chaque
idée par une image saisissante ou par une définition nette
et vive, chaque mot par un accent, par un geste assorti,
fir.ent de Boeriiaave le professeur le plus accompli de l'Eu-
rope et le plus brillant médecin du temps.
Les étudiants de Leyde se rendirent tous aux leçons do
Boerhaave, comme à un lieu de plaisir autant que d'instruc-
tion ; chaque élève ensuite en renvoya vingt de sa ville ou
de sa province, tant l'enthousiasme est contagieux; et ces
premiers succès ne firent qu'accroître en Boerhaave ce ta-
lent magique qui les lui méritait. Bientôt il neut plus de
simples élèves, c'étaient plutôt des prosélytes et des apô-
tres fervents ; sa réputation dès lors se répandit dans l'Eu-
rope entière. Non-seulement il fallut agrandir son amphi-
théâtre, mais on se vit obligé d'élargir (et à plusieurs
reprises) l'enceinte môme de Leyde, alors trop étroite pour
l'atfluence des auditeurs et des consultants. Cette ville avait
encouragé les premiers efforts de Boerhaave ; Boerhaave en
retour fut cause de son agrandissement, et il lui donna part
à son illustration et à ses richesses.
Enfin, titulaire d'une chaire de médecine théorique,
Boerhaave y joignit successivement la botanique, la chimie,
puis la médecine clinique ou d'hôpital ; à lui seul il composait
presque une faculté entière. Chaque fois qu'il inaugurait
une chaire ou qu'il quittait le rectorat, qui lui échut deux
fois , il prononçait un discours d'apparat ; et ces brillantes
oiaisons se trouvaient souvent en plein désaccord avec la
substance du cours. 11 vantait toujours les médecins grecs
dans ses prologues éloquents , et il y rendait hommage à la
méthode d'observation; mais on pense bien que Boerhaave,
nonobstant son profond respect pour Ilippocrate , ne put
professersimultanémentla médecine spéculative et la chimie
sans que bientôt l'un de ces cours n'influençât l'autre. Il
était naturel, en eflct, que les sciences mathématiques,
qu'il avait longtemps étudiées dans sa jeunesse , lui suggé-
rassent des hypothèses mécaniques et hydrauliques. D'ail-
leurs , la réflexion suivante dut souvent se présenter à son
esprit : Tout admirables que soient la simplicité et la can-
deur d'Hippocrate , il faut convenir que son naturisme
n'apprend pas grand' chose, si ce n'est cette sage réserve
qu'il a lui-même consacrée par son exemple. Son Enormon
et son Phusis ne rendent pas mieux raison des actes de la
vie que les faux Éléments de Galien , V Archétype de Para-
celse ou le Bios de Van Helmont. Dire que tel phénomène
maladif est dû à la nature , qu'il est le produit de son gé-
nie, un attribut de sa puissance, c'est comme si l'on expli-
quait sérieusement les événements du monde par l'aveugle
pouvoir du destin ou par l'intelligente intervention de la
Providence. Cette philosophie de résignation peut sans
doute conduire au ciel comme au bonheur, mais non pas à
la vérité. Harvey, certes, a eu besoin d'une curiosité plus
efficace et moins soumise pour découvrir le cours du sang ;
de telles lumières laisseraient pour toujours à la médecine sa
profonde obscurité. Respectons donc Hippocrate, et suivons
la route qu'indiquent ses traces, mais marchons par delà
les limites qu'il s'est prescrites ! Partageons son culte pour
l'observation , mais sachons enchaîner les faits observés , et
fécondons-les par les sciences accessoires.
Malheureusement, Boerhaave abusa beaucoup de ces
sciences accessoires. Il tenta de rattacher les actes de la
vie tantôt à la science, déjà faite, de la mécanique, tantôt aux
lois, alors mal établies, de la cliimie ou de la physique. Les
premiers chimistes avaient renversé la doctrine de Galien ,
en détruisant les éléments sur lesquels elle était fondée;
Boerhaave résolut de la remplacer. 1! avait étudié les ou-
vrages de Bellini, médecin-poëte autant que mécanicien,
dont la Dissertation sur les reins et la filtration des
urines exerçait à son insu une grande influence sur son
esprit; il connaissait aussi trop bien Sylvhis, et il fit de mal-
heureuses applications de ses opinions au sujet des dcretés,
des halitus et des acides.
Boerhaave créa donc des hypothèses hydrauliques pour
expliquer le libre cours ou le cours entravé des liquides vi-
vants, et des hypolhèses chimiques pour rendre raison de
l'altération des humeurs. Il supposa dans nos liquides des glo-
bules approprii's aux vaisseaux qui les renferment ou leur
livrent passage; et lorsqu'il survenait une fluxion, une in-
flammation ou tumeur quelconque, Boerhaave expliquait ces
anomalies en disant qu'il y avait eu erreur de lieu, voulant
dire par là qu'un globule , s'étant appareuunent trompé de
vaisseau, avait passé dans un conduit destiné à des globules
d'une autre espèce. S'agissait-il par exempled'unc ophthalraic,
I
BOERilAAVE
329
Docihaave attribuait cette inflammation de l'œil au passage
malencontreux des globules rouges dans des vaisseaux à
globules incolores. D'ailleurs, LeeuwenboeU s'empressa
de venir au secours de ces idées systématiques, si peu dignes
du grand Boerhaave. Comme on peut voir à l'aide du mi-
croscope tout ce que rêve l'imagination de l'observateur,
Leeuwenhoek découvrit aisément dans le sien des globules
incolores pour les vaisseaux incolores, des globules blancs
pour les vaisseaux blancs, des globules rouges pour les vais-
seaux rouges , etc. ; il eût de même découvert des globules
bicolores s'il eût existé des vaisseaux de cette sorte , car le
microscope a toute la docilité et la com^toisie des ambitieux
du second ordre et des flatteurs.
Ce fut aussi Boerhaave qui inventa les acrimonies , les
obstructio7is , les attractifs, \q?, fondants, et tous ces
termes ambigus qu'on ne prononce déjà plus dans nos éco-
les, mais qu'on trouve encore dans quelques livres, et qui
surtout se rencontrent fréquemment dans le langage plaintif
des hypochondriaques . aussi bien que les vices d'humeurs
de Sydenliam, la tension des nerfs de Macbride , les esprits
vitaux de Vieussens ou de Morton , le fluide neiteux
d'Hoffmann, les nerfs irritables de Glisson, Ydcreté de
la bile ou le sang calciné de Sylvius, le sec et Vhumide
de Galien , et raille autres mythes de différents siècles , tou-
jours accolés à quelque nom célèbre, qu'on aurait peut-être
oublié sans ce cortège d'erreurs.
Ces systèmes de Boerhaave , aujourd'hui si dédaignés ,
concoururent puissamment à ses éclatants succès. Ses
élèves s'applaudissaient de trouver réunis dans un même
cours de médecine le résumé ainsi que l'utile application de
toutes leurs études; cela soutenait leur ardeur et avivait
leur enthousiasme. 11 faut remarquer que Boerhaave ne se
pressa ni de professer ni d'écrire. 11 avait trente-trois ans
lorsqu'il fut nommé répétiteur de Drclincourt, et il en avait
quarante quand il publia ses deux principaux ouvrages de
médecine , résumant tous ses autres travaux : je veux dire
les Instilulions et les Aphorismes, ouvrages savamment
commentés , le premier par Haller et le second par Van
Svviéten , deux de ses disciples les plus célèbres. Chacun de
ces livres eut plus de douze éditions en Europe dans l'es-
pace de quarante ans.
L'histoire naturelle et la botanique participèrent aussi de
cette grande activité de Boerhaave. A la vérité , il concou-
rut peu par lui-même à leurs progrès, mais son seul assenti-
ment excita une émulation générale, et servit d'encourage-
ment aux savants. Quant à lui , il distribua les plantes du
jardin de Leyde, moitié par caprice ou par routine, à l'exem-
ple de son prédécesseiu- Herman, et moitié d'après les idées,
alors si répandues et si applaudies, du célèbre Pithon de
ïournefort. 11 eut d'ailleurs le mérite de tenir compte des
étamines des fleurs dans la description des végétaux et leur
arrangement par familles , cinquante ans avant que Linné
envoyât à l'académie de Pétersbourg son beau Mémoire
sur les sexes et les mariages des plantes. Il connaissait,
à ce qu'il paraît , les découvertes antérieures de l'Anglais
Millington et de l'Italien Malpighi (1675). ÎNon-seulement
il publia plusieurs catalogues des plantes du jardin de Leyde,
qu'il avait agrandi et beaucoup enrichi, mais il décrivit et
tit figurer quelques plantes nouvelles , et créa de nouveaux
genres. Le botaniste Vaillant , qui lui avait dédié un genre
nouveau , qu'on nomme encore le Boerhaavia, lui adressa
de son lit de mort , comme au seul légataire méritant con-
liance , le manuscrit de sa Botanique parisienne ; et Boer-
haave , noble soutien d'une science en deuil , fit religieuse-
ment imprimer cet ouvrage, auquel il joignit des planches
magnifiques d'Aubriet, qu'il confia au burin de Van der
Laawe. Boerhaave eut aussi le bonheur de protéger le jeune
Linné et son ami Artédi , studieux et pauvres tous les deux,
comme lui-même il l'avait été trente années auparavant. 11
leur donna pour patrons, Clifford à Linné (qui depuis a
DICT. DE LA CONVEliS. — T, III.
illustré le nom de son hôte), et Séba à Artédi, qui peu de
temps après se noya par étourderie dans le Zuyderzée. En-
suite, les puissantes recommandations de Boerhaave accom-
pagnèrent Linné dans ses voyages en d'autres pays. Sa gé-
nérosité était infatigable : il fit imprimer avec magnificence,
à ses frais, Y Histoire physique de la mer, par le comte
de Marsigli , auquel il succéda à l'Académie des Sciences de
Paris , aussi bien que le célèbre ouvrage de Swammerdam ,
Biblia Naturœ , qu'il enrichit d'une éloquente préface.
De toutes les parties de la médecine , l'anatomie fut la
seule qu'il négUgea véritablement ; elle ne lui dut ni dé-
couvertes ni accroissement notables ; et toutefois , tel était
l'ascendant de ses ouvrages , de ses leçons et de sa doc-
trine , qu'il exerça une influence réelle sur les analomistes
de France et d'Itahe qui florissaient de son temps. Ses
explicalious mécaniques et hydrauliques portèrent Winslow,
Valsalva , Morgagni et plusieurs autres à décrire et à repré-
senter plus précisément qu'on ne l'avait fait la forme des
organes , la direction des muscles, leurs insertions, le ca-
libre et les orifices des vaisseaux, leurs éperons et valvules.
11 donna d'ailleurs d'exactes éditions des ouvrages d'anato-
mie de Vésale , d'Eustachi et de Bellini , et il prit parti dans
une discussion entre Ruysch et Malpighi sur la structure
des glandes , donnant tort , comme de raison , à son com-
patriote Ruysch , qu'au reste il dédommagea par une lettre
affectueuse.
Quant à ses travaux en chimie , ils auraient suffi à la gloire
comme à l'activité d'un autre savant. Le premier, il sut
donner à cette science une allure vive et franche , l'asseoii-
sur des faits évidents , sur des expériences précises , en ex-
poser le? principes avec méthode et clarté, la dégageant
des mystères et des préventions puériles des alchimistes , ses
devanciers. Bien qu'il ignorât la doctrine du phlogistique
de Stahl et de Bêcher , ainsi que la théorie de la combustion,
déjà plus d'à moitié trouvée par Boyle, et qu'il ait eu l'in-
concevable malheur de méconnaître la pesanteur de l'air,
ses Éléments de Chimie n'en eurent pas moins le succès
le plus brillant et la plus grande influence. Cet ouvrage,
tout suranné qu'il nous paraisse aujourd'hui, n'en fut pas
moins le plus remarquable du temps ; il fut le précurseur et
apparemment aussi le promoteur de la nouvelle révolution
chimique. Les analyses de Boerhaave sont étonnantes pour
le temps, et ses expériences ont souvent beaucoup d'exac-
titude et de finesse. Après Scheele et Bergmann, ses auteurs
favoris , Vauquelm prisait mfmùnent Boerhaave ; je lui ai
souvent vu aux mains l'édition de 1732 , qui est la meilleure.
Plusieurs opuscules sur la chimie , entre autres trois Mé-
moires sïir le Mercure, furent insérés dans les recueils
de l'Académie des Sciences de Paris et de la Société Royale
de Londres ( 1734 ) , et cela même le porta à étudier pro-
fondément les maladies dont le mercure est le spécifique
par excellence. Ces sortes d'affections étaient alors et plus
vives et moins bien conndes que de nos jours ; le traite-
ment en était non-seulement plus mystérieux, mais moins
parfait. Il y eut donc à propos de la part de Boerhaave à
publier un ouvrage sur les Maladies vénériennes l'année
même qui suivit ses mémoires chimiques sur le mercure. Il
faut même remarquer que la première édition de ce traité
parut à Londres et en anglais , ce qui dut servir encore à
la haute fortune du médecin de Leyde.
Sa chaire de médecine cfinique ajouta beaucoup à son
expérience et à sa réputation ; il y fit voir une grande sa-
gesse. Jamais Bidioo, son pndécesseur, n'avait montre au-
tant d'éloignement pour les idées systématiques que Boer-
haave en montra lui-même au lit des malailes. 11 oubliait
alors toutes ses théories et sa chère chimie , pour ne voir
que les symptémes des maladies, leurs différents caractères,
leur tendance vers la guérison ou la mort; il s'attachait
aussi à en découvrir le siège, et il en discutait le traite-
ment avec une rare prudence. D'ailleurs, Boerhaave pos-
42
330
Ft'dait pour robscrvation une lieureuse aptitude. Il n'a mal-
lieureusement laissi^ que deux histoires pratiques tracées
de sa main : Tune d'elles est relative à la rupture soudaine
de l'œsophage sur un personnage éniinent; mais il serait
difficile de concevoir rien de plus hippocrati(iue ou de plus
achevé. Boerhaave était cj^alement doué d'une grande sa-
gacité, à laquelle il savait joindre, quand il en était besoin,
une volonté ferme et un caractère très-décidé. Un jour il
s'aperçut, en traversant une salle d'hôpital remplie de
jeunes tilles, qu'un grand nombre d'entre elles avaient des
convulsions, à l'exemple d'^ine malade, leur voisine, qui
était réellement atteinte d'épilepsie. Boerhaave vit aussitôt
<|u'il ne pourrait maîtriser ce déplorable effet de l'imitation
qu'en frappant d'une terreur soudaine l'imagination de ces
jeunes filles : il se fit donc apporter au milieu même des
malades un fourneau rempli de charbon ardent; lui-même
y fit rougir de ces tiges de fer dont se servent les chirurgiens
pour cautériser des caries ou des plaies , et, saisissant en-
suite la poignée d'un de ces métaux brûlants, il dit aux
convulsionnaires : « Vous voyez ce fer rouge ; la première
d'entre vous qui aura le malheur d'avoir des convulsions,
je le lui applitpieiai sur la figure. » L'effet fut subit : aussitôt
les convulsions cessèrent ; on aurait pu se croire à l'un de
ces enchantements si familiers dans les siècles d'ignorance
et de crédulité. Voilà de la médecine morale ; et c'est assu-
rément la meilleure.
Une attaque de goutte força Boerhaave d'interrompre
pour la première fois ses travaux en 1722. Deux nouvelles
rechutes, en 1727 et 1729, lui firent abandonner les chaires
de botanique et de chimie. Enfin en 1738 les symptômes de
son mal s'aggravèrent , et après quelques mois de souffran-
ces il mourut, le 23 septembre de cette année. Un monument
lui fut élevé dans l'église de Saint-Pierre. On y voit son
image entourée de sa devise chérie : Simplex sigillum veri.
Quelle vie que celle de Boerhaave ! quatre chaires diffé-
rentes , glorieusement remplies par le même homme , n'oc-
cupent encore qu'une faible partie de ses instants. Dans l'es-
pace de vingt années, vous le verrez composer 10 discours
fameux , plusieurs dissertations , 5 mémoires originaux ;
attacher son nom à 27 ouvrages remarquables, dont quatre,
quoiqu'en latin, sont traduits en divers idiomes , même en
arabe, et plus de cinquante fois réimpriiné.s durant un
quart de siècle. Cependant, il trouve encore assez de loisirs
pour publier onze ouvrages antérieurement connus, entre
autres ceux de Prosper Alpin et d'Arétée, et il a la générosité
de tenir lieu de Ubraire à trois, auteurs trop peu célèbres pour
en trouver d'accessibles , ou trop pauvres pour pouvoir s'en
passer. Remarquez pourtant que Boerhaave sait six langues,
qu'il est bon mathématicien , physicien ingénieux , savant
naturaliste, métaphysicien subtil; il sait la théologie, il
sait l'histoire. Il passe ses matinées à l'hôpital, et son labo-
ratoire de chimie obtient les plus belles heures de chacun
de ses jours ; il expérimente , il piofes.se , il observe ; en-
suite il compose, ensuite il traduit, il consulte, il converse,
il herborise, et il no <lédaigne pas même d'inventer des
recettes nouvelles. Il instruit des milliers d'élèves , traite ou
conseille des malades venus vers lui, leur dernier espoir, de
toutes les contrées de riùirope; correspond avec dix acadé-
mies qui voudraient se le concilier, et avec autant de rois
qui songent à le séduire. Quel est donc le génie qui multiplie
ainsi le même homme , et qui concentre dans vingt années de
sa vie l'ample matière à cent existences communes , qui le
rend propre à tout et supérieur en toutes choses à chacun de
ses rivaux ? Quel est ce savant qu'attirent à elles les plus célè-
bres académies, malgré des jaloux qui voudraient les en dis-
suader , pour qui l'indifférent Fontenelle devient tout à coup
chaleureux, que l'illustre Haller n'hésite point à commenter,
et à l'occasion duquel on agrandit des villes, trop resserrées
pour la foule de ses admirateurs? Quel est cet homme que
vieuueut visiter de cin(i cents lieues des empereurs puissants,
BOERHAAVE
à qui l'on écrit de la Chine : « A Boerhaave, médecin en Eu-
rope; » pour lt'(iuel ses compatriotes illuminent spontané-
ment leurs édifices et leurs demeures en apprenant qu'une
attaque de goutte vient de le quitter , et qui , nonobstant
l'existence la plus noble, la mieux remplie de louables ac-
tions et de pensées généreuses , laisse encore à sa famille
plus de quatre millions de fortune, afin sans doute d'obtenir
son pardon pour cette vie studieuse et cette renommée qui
lui inspira tant de déplaisir et tant de courroux !
Si nous recherchions les causes de cette grande destinée
de Boerhaave, nous en découvririons plusieurs dans les cir-
constances de sa vie : sa maladie d'entance le rendit chaste ,
appliqué, prématurément réfléchi ; .son indigence le préserva
de la dissipation et des plaisirs : elle lui enseigna de bonne
heure le prix du temps et les bienfaits du travail et de la
vigilance ; son apparente désobéissance aux vœux d'un père
vénéré lui prescrivit d'expier son insoumission par de la re-
nommée; son intelligence pleine d'ardeur féconda l'érudi-
tion paternelle ; les mathématiques lui suggérèrent l'habi-
tude de l'ordre et de la précision , et les leçons qu'il en donna
si jeune lui apprirent à surmonter les difficultés de l'ensei-
gnement et à s'insinuer par degrés dans l'esprit d'un audi-
toire. Il n'y a pas jusqu'à l'exiguïté de la ville de Leyde qui
n'ait été propice à Boerhaave : outre que cette circonstance
concentra mieux ses devoirs comme ses études , elle dut le
rendre plus soigneux de sa conduite , plus esclave de l'opi-
nion et plus certain d'obtenir en confiance le. prix dû à son
application et à sa ponctualité. C'est même pour des raisons
semblables que les villes d'une médiocre étendue sont géné-
ralement fécondes en bons médecins : Leyde, Halle, Lau-
sanne, Pavie , Genève, l'île de Cos et Montpellier ont fourni
proportionnellement plus de grands praticiens que Londres ,
Rorne, Moscou, Paris ou Madrid. Voilà pour l'aptitude.
Quant aux succès , Boerhaave joignait à une science précoce
une mémoire aussi prompte qu'intarissable, un discerne-
ment judicieux , la connaissance des hommes et l'habitude
du monde , une physionomie comme celle de Desgeneltes
ou de Bioussais, des moyens d'expression admirables, et,
comme pour combler la mesure de tant de dons célestes,
une santé à l'abri des infirmités et plus forte que les fa-
ligues. D'ailleurs , Boerhaave écrivit tard et toujours briève-
ment, par sommaires, réservant le surplus pour des leçons
orales et pour ses commentateurs.
Sa réputation une fois établie , sa nation , alors reine des
mers, la répandit avec enthousiasme parmi tous les peu-
ples civilisés, outre qu'il habitait un pays que les étrangers
ont toujours fréquenté avec une sorte de prédilection , à rai-
son de sa liberté et de ses lumières. Toutefois , Boerhaave ,
si glorieux pendant sa vie, n'est plus admiré de nos jours que
par tradition et sur parole ; personne ne lit ses écrits. No-
tons à ce sujet une observation assez importante pour ceux
dont la vie se dévoue au culte de l'esprit : c'est qu'il n'y a
que trois sortes d'ouvrages que le temps respecte , que l'on
ne cesse de lire, et que l'on pri.<e d'autant plus qu'on les a
lus davantage : ce sont d'abord les grandes conceptions de
poésie destinées à vivifier des scènes historiques ou à émou-
voir les passions humaines par des tableaux créés à leur
ressemblance sous leur inspiration ; c'est , en second lieu ,
l'exacte notion des choses ainsi que le récit fidèle des faits
intéressants, joint à leur sincère et judicieuse interpréta-
tion, sans le faux alliage des suppositions ou du mensonge;
c'est enfin l'histoire morale de l'homme, dont. on puise les
matériaux essentiels dans sa conduite et dans son coîur.
Hors de là, tout passe , et voilà pourquoi les livres de Boer-
haave sont , non pas oubliés, mais délaissés. 11 décrivit peu,
et ce fut un malheur; il expliqua tout arbitrairement,
comme par improvisation , et embrassa trop d'objets pour
les étreindre. 11 eut le tort de négliger l'anatomie, sans la-
quelle il faut renoncer à bien concevoir la nature de l'homme
et son liistoire ; il ignora les faits les plus importanU de la
BOERHAAVfi — COERS
331
cl/imfe, Texlstence des gaz et le principe de la combustion.
Enfin, les sciences depuis lui sont totalement changées,
et il serait possible d'en dénombrer consciencieusement et
les fondateurs et les richesses sans mentionner le nom de
Boerhaave dii fois. Sa réputation comme professeur fut gi-
gantesque et pourtant méritée ; mais ce n'est presque qu'une
gloire traditionnelle , comme celle d'un avocat ou d'un ac-
teur, et dont il serait même permis de douter après plu-
sieurs générations, puisque rien alors ne l'atteste, ni témoins
ni monuments.
Lavoisier a donc ôté à Boerhaave le sceptre de la chimie;
Linné, ainsi que Jussieu et Lamarck , celui de la botanique ;
lîordeu , Barthez , et surtout Bichat , ont remplacé avec bon-
heur ses théories médicales ; Corvisart , praticien incontes-
tablement moins érudit , fut en revanche plus exact et plus
infaillible ; enfin , quant à l'universalité des connaissances ,
quant à l'activité , quant au travail , Cuvier a été son digne
et très-heureux rival. Ajoutons toutefois que ce n'est pas
une gloire médiocre pour Boerhaave que de voir ainsi par-
tagé entre tant d'illustrations modernes, dans le siècle qui
suivit sa mort , un vaste État qu'il gouverna seul pendant
trente ans sans contestation ni partage. D"^ Isid. Bourdon.
BCffiRNE ( LuDwiG ), le plus célèbre écrivain pohtique
de l'Allemagne et l'un de ses meilleurs écrivains littéraires,
naquit à Francfort, le 22 mai 1786, d'une famille d'Israé-
lites. Il étudia à l'université de Halle les lettres, la philoso-
phie et la médecine, sous les plus célèbres professeurs.
Jin 1818 il embrassa la religion protestante, et, poussé par
une vocation irrésistible, il se jeta dans la carrière litté-
raire. Rédacteur libéral de la Balance, de l'Essor et du
Journal de Francfort, en butte aux persécutions du pou-
voir, il céda, et se retira. On remarque beaucoup dans cette
polémique un morceau intitulé : Histoire curieuse de la
Censure de Francfort. Ce morceau satirique est admirable
de verve et d'esprit. Bœrne y fustige la tyrannie absurde de
la censure. Las de toutes ces tracasseries , Bœrne fit un
premier voyage à Paris, en 1819, et un second, en 1822. Il fit
paraître ses Tableaux de Paris, livre original à l'égal de
celui de Mercier. En 1829 Bœrne donna une collection de
ses œuvres en 8 volumes. Il y en eut trois éditions. Depuis,
et en 1830, il pubUa ses Lettres sur Paris, qui firent en
Allemagne une si vive impression. A son retour, il fut l'ob-
jet, passager il est vrai, des ovations les plus étlatcntes et
d'une espèce d'enthousiasme. Mais les doctrines du pou-
voir absohi, un moment ébranlées par le coup de foudre de
Juillet, ne tardèrent pas à reprendre le dessus sur les théo-
ries de la propagande révolutionnaire; les écrivains pa-
triotes étaient poursuivis et menacés. Bœrne s'en vint,
après avoir visité deux fois la Suisse, chercher un refuge en
France, qu'il ne devait plus quitter. Là, retiré dans sa mo-
deste habitation d'Auteuil, il traduisait les Paroles d'un
Croyant, et il s'occupait d'écrire une Histoire de la Révo-
lution française, qu'il n'eut pas malheureusement le temps
d'achever. Ses derniers travaux furent des articles publiés
dans le Réformateur Gi dans la Balance, feuille piquante
éditée à ses frais, et dont quelques numéros seulement paru-
rent. Enfin, il mit au jour Menzel der franzosenfresser,
le plus parfait de ses ouvrages, et que les Allemands ont
appelé le Testament de Bœrne. Bœrne mourut à Paris,
le 12 février 1837. David d'Angers, avec le concours de
ses amis, éleva un monument à sa mémoire.
Depuis la mort de Jean-Paul, aucune perte n'excita en
Allemagne des regrets plus vifs et plus universels. A ses
qualités de grand écrivain et de démocrate ferme et sincère,
Bœrne- joignait une âme ardente et sensible, une lare pro-
bité, un caractère désintéressé, ime modestie charmante.
Allemand par la naissance, mais Français par l'esprit et par
le cœur, il rêvait l'union intime des deux pays. 11 n'était pas,
lui, pour les barrières du Rhin.
[ Boemc est l'un de ces rares esprits qui prospèrent en
quelque lieu q>ie leurs pensées poussent et se répandent ,
pareils à ces belles fleurs exotiques qui , transportées dans
nos doux climats, y brillent presque du même éclat, y
exhalent presque le même parfum que nos roses naturelles.
Le génie de Bœrne, quoique allemand par sa profondeur et
l'universalité de sa poésie , ressemblait néanmoins par la
forme à celui de Voltaire : vif, léger, fin, original, il ne se
perdait pas dans ces abstractions métaphysiques, dans ces
définitions nébuleuses où les philosophes de l'Allemagne se
jettent, soit par habitude, soit par une sorte de courbure de
leur esprit , soit pour se dérober eux-mêmes la vue des mi-
sères politiques qui les affligent. Bœrne , impétueux , ar-
dent, véridique, intrépide, ne composait pas avec les pré-
jugés. Il abattait sous le tranchant de sa plume acérée les
institutions féodales, les courtisans, les flatteurs et les abus.
Il y a, même en politique, un côté poétique, comme en
tout le reste. C'est ce côté poétique, ce côté fleuri, que sai-
sissent plus volontiers les Allemands ; mais la fleur des
pommiers, la fleur de la vigne, la fleur du blé, tombent au
premier souille du vent; c'est le raisin seul qui donne le
vin, l'épi seul qui donne le blé, le noyau seul qui donne le
fruit. De môme, pour bien connaître les choses, il faut al-
ler au fond des choses. C'est là ce que savent faire admira-
blement les Français. Avec leur esprit positif, exact, mé-
thodique, pénétrant, arrangeur, ils ont bien vite réduit
chaque matière à sa plus simple expression : il ne faut pas
croire, parce qu'ils dansent et qu'ils chantent à ravir, que ce
soit un peuple qui danse et qui chante toujours. Ce sont,
au contraire, les Allemands qui, en politique, chantent
toujours. Je ne les en blâme point. Ils font comme fit ja-
dis Hésiode, comme firent les bardes écossais, les enfants
d'Odin, et les druides, nos aieux.
Avant d'éclairer les esprits , il faut toucher les cœurs,
et il n'y a que les poètes qui sachent bien toucher les cœurs.
11 faut parler à l imagination des peuples par des figures ,
et il n'y a que les poètes qui sachent bien attaquer, ébran-
ler, séduire l'imagination. Bœrne a donc suivi la marche
naturelle des choses ; il s'avance par bonds , comme les
poètes lyriques ; il sème, il prodigue toutes les fleurs de
son biillant esprit; il a de soudaines aspirations vers un
avenir meilleur; il s'afflige, il se console, il croit, il doute,
il espère, et l'on sent que son âme déborde et que ses en-
trailles remuent. Il se berce dans ses pensées, il cesse d'ê-
tre Français, il redevient Allemand ; il va, revient, flotte et
suit dans ses calmes, ses agitations, ses progrès et ses re-
tours, le flot ondulé de Juillet. Sa manière est un mélange
d'ode, d'élégie et de satire \ l'homme de lettres domine, et
le publiciste est quelquefois absent. Or, ce qu'il faut à l'Al-
lemagne, ce sont des logiciens et des publicistes plutôt que
des poètes et des philosophes.
Eœrne était aussi grand par le sentiment que distingué
par l'esprit. Il aimait la France comme sa seconde patrie,
il l'aimait dans l'intérêt de l'Allemagne. Il avait raison.
L'Allemagne a besoin du secours de la France , non pas de
la France militaire, mais de la France intellectuelle, pour
secouer le joug féodal de ses aristocraties et de ses monar-
chies. Depuis longtemps, au milieu de tous les bruits du
siècle, il se fait, dans le sein de l'Allemagne, comme un
travail lent, mais continu, de décomposition, et la loi du pro-
grès s'y accomplira. La Providence a ses voies, qu'elle seule
connaît, et nous aurions, avec Bœrne, préféré toujours les
plus douces. Bœrne est mort dans cette sainte espérance, et
les Allemands régénérés le béniront un jour comme l'un des
précui'seurs de leur émancipation. Timon. )
BOEUS, c'est-à-dire paysans, nom donné dans la colo-
nie du cap (le Bonne-Espérance aux possesseurs du sol
d'origine hollandaise. On distingue les Boers en trois classes,
d'après les trois principales productions du pays : les ^oer.s
vignerons, la classe la plus riciie, qui trouvent beaucoup
do commodités dans le voisinage des villes, surtout du Cap ;
42.
332
BOERS — BQETTIGER
les Boers agriculteurs, qui sont à leur aise , quelquefois
riches, malgré l'état arriéré de l'agriculture, principalement
dans le voisinage des villes; les Boers pasteurs, qui sont,
il est vrai, assez riclies pour vivre indépendants, mais que
leur vie nomade à travers les déserts de l'intérieur a rendus
sales et grossiers. Le caractère des Hollandais, froid, fleg-
matique, tenace, persévérant, luttant contre les difficultés
avec un redoublement d'énergie, s'est conservé chez leurs
descendants à cette extrémité de l'Afrique, et s'est incul-
qué petit à petit chez ceux des réfugiés français qui allèrent
chercher un asile au Cap , après la révocation de l'édit de
Nantes, et y introduisirent la culture de la vigne. La langue
des Boers est le hollandais; très-peu d'entre eux compren-
nent l'anglais, môme dans les environs des villes. Bien qu'en-
nemis des Anglais, ils les accueillent avec hospitalité, mais
sans leur faire d'avances. Leur vie, au reste, est tout à fait
patriarcale, simple, religieuse; la discipline domestique
est extraordinairement sévère dans les familles, et tous pra-
tiquent assez régulièrement leurs devoirs religieux. Pres-
que tous savent hre et écrire. Le Boer se distingue par une
structure robuste et une très-haute taille; mais il est lourd
et sans grâce, et la beauté est rare parmi les femmes. Mé-
contents depuis longtemps de l'administration de la colonie,
un très-grand nombre de Boers ont émigré, à différentes
époques, au delà du fleuve Orange, et y ont défriché une
étendue de terrain considérable quç l'on regaide aujour-
d'hui comme une dépendance de la colonie. D'autres allè-
rent fonder la colonie de Port-Natal, qui est soumise à l'An-
gleterre.
JÎOÉTIE ( Etienne de La). Voyez La Boétie.
BCffiTTCÏIER (Jean-Fhédéric), nommé aussi BŒTT-
GER ou BQiTTlGER, comme il signait quelquefois, inven-
teur de la porcelaine de Saxe, était né à Sclileiz, dans le
bailliage delîeuss, en 1681 ou 16S2. Son père, qu'il perdit de
bonne heure, avait été directeur de la Monnaie à Magdebourg
et à Schleiz. A l'âge de quinze ans Bœttcher entra comme
apprenti chez un pharmacien de Berlin, nommé Zorn. Il an-
nonçait de grands talents, unis à une louable persévérance,
surtout dans l'étude de la chimie; mais il employait tous
ses loisirs à essayer de faire de l'or. Il avait été poussé à la
vaine recherche du secret de la transmutation des métaux par
l'apothicaire Copke d'Heymersleben, qui lui avait prêté un
manuscrit sur la pierre philosophale, qu'il tenait , disait-il ,
d'un moine de Saint-Gall. Bœttcher passait des nuits en-
tières dans le laboratoire de Zorn, travaillant aux dépens de
ce dernier, car il n'avait aucune fortune par lui-même et
néghgeait les travaux de son état. Cette conduite lui attira
de violents reproches de la part de Zorn, et il dut quitter son
laboratoire vers le mois de septembre 1699. Tombé dans la
misère la plus profonde, il rentra cependant chez le même
pharmacien à I>âques 1700, en promettant d'être plus cir-
conspect ; mais il n'en continua pas moins en secret ses es-
sais d'alcliimie. Pour convaincre de la réalité de son art ses
camarades, qui se moquaient de lui, il consentit à leur don-
ner des preuves de ses talents en alchimie, et en effet, en 1701,
il retira de l'or fin d'un creuset.
Quoique Bœttcher priât qu'on lui gardât le secret, son pré-
tendu succès n'en fut pas moins prôné ; ce qui lui valut les
encouragements des gens les plus distinguos, entre autres
du célèbre Haugwitz, en présence de qui il répéta ses expé-
riences. Mais Bœttcher, ayant appris qu'en sa qualité d'a-
depte du grand art on voulait le faire arrêter, disparut tout
à coup, et vécut caché dans une mansarde du marchand
Bœbcr. Il s'échappa ensuite à la fin d'octobre 1701 , et se
rendit à \Vittembei"g, où il feignit de vouloir étudier la mé-
decine. Instruit du lieu oii il s'était retiré, le gouvernement
prussien envoya un commissaire, qui essaya d'abord par de
bonnes paroles de le décider à retourner en Prusse, et, ce
moyen n'ayant |)as réussi, il (ut arrêté comme déprédateur ;
mais la cour de Dresde prit le fugitif sous sa protection.
voulant éclaircir la conduite mystérieuse de cet homme et
pénétrer le motif des offres nombreuses, publiques ou se-
crètes, qui lui étaient faites de la part de l'étranger. Bœttcher
fut donc emmené à Dresde. Le gouverneur Égon de Fiirs-
temberg le reçut dans son palais jusqu'à ce qu'on lui ertt
préparé un logement commode dans le Hofgarten. Bœttcher
y était traité en personnage de distinction, mais il y était en
quelque sorte prisonnier, et il ne lui était permis de voir
personne. De temps à autre on lui donnait de fortes sonunes
pour ses essais d'alchimie.
Bœttcher sut pendant trois ans tenir le prince de Fiirstem-
berg en haleine. Remarquant enfin que la patience de son
protecteur était à bout, et qu'il n'y avait plus moyen de
pousser la supercherie plus loin , il disparut par une belle
nuit de l'étéde 1704, et prit sa course à travers la Bohême et
la Hongrie. Mais on se mit à sa poursuite : on l'arrêta à
Ems; on le ramena à Dresde, et à force de menaces on lui
fit promettre, sinon de continuer ses essais, au moins de
donner par écrit son secret. Dans l'automne de 1705, Bœt-
cher remit donc au roi Auguste II un rapport fort long , dont
l'original se conserve dans les archives de Saxe. Ce rapport
est plein de rêveries mystiques ; mais il est écrit avec tant
de bonne foi apparente, qu'on pourrait croire que l'auteur
était sur de son fait. Le roi cependant, mécontent et du raj)-
port et du résultat de nouveaux essais, finit par déclarer que
l'arcane de Bœttcher ne reposait pas sur une bonne base. Le
comte de Tschirnhausen conseilla alors à Auguste II, qui
désirait depuis longtemps d'établir en Saxe une manufacture
où l'on pût mettre en œuvre les matières premières qui exis-
taient dans le pays , telles que terres , pierres , etc. , de ti-
rer parti dans ce but des connaissances incontestables de
Bœttcher en chimie.
En effet, à la fin de l'année 1705, Bœttcher parvint à ti-
rer d'une espèce d'argile rouge qu'on rencontre aux envi-
rons de Meissen , une porcelaine qui surpassait de beaucoup
en beauté et en solidité celle de Tschirnhausen. L'heureux
inventeur fut comblé de présents ; il ne fut cependant pas
mis en liberté , soit qu'on voulût tenir secrète la fabrication
de cette porcelaine, soit qu'on espérât encore parvenu" à la
découverte de la pierre philosophale , ne considérant la por-
celaine que comme une chose accessoire. Lors de l'invasion
des Suédois en 1706, le laboratoire de Bœttcher fut trans-
féré dans la forteresse de Kœnigstein , au miheu de la nuit ,
sous l'escorte d'un détachement de cavalerie et avec les plus
grandes précautions. Tschirnhausen allait seul le visiter de
temps en temps, afin de surveiller les travaux. Après la re-
traite des Suédois, on fit revenir Bœttcher à Dresde, et on
lui donna un vaste laboratoire. Dès lors la fabrication de la
porcelaine prit un tel développement que ses produits, qui
avaient d'abord été offerts en présents aux cours étrangères,
parurent, en 1709, sur le marché de Leipzig. En 1710 le
laboratoire fut transporté dans l'Albrechtsbourg à Meissen ,
et en 1711 on y établit un atelier particulier pour la jiorce-
laine blanche, qui était encore fort rare. Après la mort du
comte de Tschirnhausen , en 170S , Bœttcher fut nommé di-
recteur de la fabrique; mais sa vie irréguiière le rendait peu
propre à remplir cette place, et des vues d'intérêt personnel,
à ce qu'il semble , le portèrent à entraver, autant qu'il dé-
pendait de lui, les progrès delà fabrication. Dès Tannée 1716
il noua avec des Berlinois une correspondance dans le but
de leur vendre son secret; mais elle fut découverte en 1719
et sa mort, arrivée le 3 mars 1719, put seule le soustraire
au châtiment qu'il avait mérité. Quoiqu'il eût reçu du roi,
à plusieurs reprises , plus de 1 50,000 thalers , il ne laissa
que des dettes. On a dit qu'il avait été créé baron en récom-
pense de ses services; mais c'est une fable. Consultez En-
gelhards, J.-F. Bœttger, inventeur de la porcelaine de
Saxe (Leipzig , 1S37 ).
liOETTIGER (Ciiari.fs-Aucuste), un des jdus sav.int.s
et des plus ingénieux arthéologues et littérateurs de l'Aile-
BCETTIGER - BŒUF
333
magne, naquit le 8 juin 1760, à Reichenbach, dans le Voigt-
land saxon. Après avoir terminé ses études à Leipzig, il
entra comme gouverneur dans une famille de Dresde. Appelé
comme recteur à Guben, en 1784, puis à Bautzen, en 1790,
il ne resta que fort peu de temps dans cette dernière ville,
la recommandation de Herder lui ayant fait obtenir, en 1791,
la place de directeur du gymnase de Weimar. Si, d'un côté,
la société de Scbiller, Herder, Wieland et Gœthe, si des
études communes avec le savant artiste H. Meyer furent
utiles à Bœttiger, en développant en lui le goût de l'archéo-
logie , de l'autre , les travaux littéraires qu'il entreprit pour
le comptoir industriel le détournèrent d'études sérieuses.
De 1795 à 1803, il publia seul le Journal du Luxe et de la
Mode, sous le pseudonyme de Bertuch; de 1797 à 1809, il
travailla à peu près seul au Nouveau Mercure Allemand,
Wieland n'ayant jamais donné que son nom ; pendant six ans,
il rédigea seul le journal Londres et Paris, et expliqua lui-
même les gravures. Collaborateur de la Gazette universelle
depuis sa fondation par Posselt, en 1798, il fut exclusive-
ment chargé jusqu'en 1806 des revues httéraires, des né-
crologies, des nouvelles anglaises, des annonces des foires.
On comprend qu'au milieu d'occupations si variées, sans
parler de son active correspondance et des devoirs de sa place,
il n'ait pu écouter les conseils de Heyue , AVolf , Jean de
Millier, ni de ses amis de Weimar, qui le pressaient sans cesse
d'entreprendre mi ouvrage sérieux et durable. Les seuls
travaux un peu importants qu'Q ait publiés pendant son
séjour à Weimar sont Sabine, ou la Matinée d\ine dame
romaine (Leipzig, 1803; 2^ édit., 1806), &i Peintures de
vases grecs, avec des explications archéologiques et artis-
tiques et des gravures originales (1797-1800); encore ce
dernier est-il resté inachevé. Il publia aussi en collaboration
avec H. Meyer les Cahiers Archéologiques, le Musée Ar-
chéologique (Weimar, 1801 ) et Ze Masque des Furies dans
la tragédie et la statuaire des anciens Grecs.
En 1804 , Bœttiger fut appelé à Dresde en qualité de con-
seiller de cour et de directeur des études de la maison des
pages. Dès 1805 il commença des cours publics .sur quel-
ques branches de l'archéologie et de l'art antique, cours à
la suite desquels il publia : Sur les Minées et les collections
d'antiques (Leipzig, 1808); les Noces Aldobrandines
(Dresde, 1810); Idées sur l'Archéologie de la Peinture
(Dresde, 1811) et la Mythologie de l'Art (Dresde, 181 1).
La maison des pages ayant été réunie en 1814 à celle des
cadets, Bœttiger fut nommé directeur des études à l'école
militaire et inspecteur en chef des musées royaux des anti-
ques et de la collection des plâtres de Mengs. C'est à cette
période de sa vie qu'appartiennent les Leçons sur la Ga-
lerie des Antiques de Dresde ( Dresde, 1814 ), Cours et J/e-
moires d'Aixhéologie ihe\i)iig, 1817), et Éclaircissements
cosmographiques sur le monde ancien ( Leipzig, 1818).
Lorsqu'il perdit sa place, en 1821, à la suite de la réorga-
nisation complète de l'école militaire , il renonça à l'ensei-
gnement, pour ne plus s'occuper que de travaux littéraires. A
partir de ce temps il publia successivement un Journal des
Notices artistiques ; Amalthée, ou Musée de la Mythologie
de FArt et de l'Archéologie plastique (Leipzig, 1821-1825),
qu'il continua depuis sous le titre : L'Archéologie et l'Art
(Breslau, 1828). La mort ne lui permit pas de terminer la
publication des Idées sur la Mythologie de l'Art; le second
volume, resté manuscrit, a été édité par Sillig (Dresde, 1836).
Bœttiger mourut le 17 novembre 1835. Depuis 1832, l'Ins-
titut de France l'avait admis dans son sein.
BŒUF. « Ce mot, dit Cuvier, désigne proprement le
taureau châtré ; dans un sens plus étendu, il désigne l'espèce
entière, dont le taureau, la vache, le veau, la génisse et le
bœuf ne sont que différents états; dans un sens plus étendu
encore, il s'applique au genre entier, qui comprend les es-
pèces du bœuf, du buffle, du yak, etc. Dans ce dernier sens
le genre bœuf est composé de quadrupèdes ruminants à
pieds fourchus et à cornes creuses , qui se distinguent des
autres genres de cette famille , tels que les chèvres , les mou-
tons et les antilopes , par un corps trapu ; par des membres
courts et robustes ; par un cou garni en dessous d'une peau
lâche, qu'on appelle /«?îo??; par des cornes qui se courbent
d'abord en bas et en deh.ors , dont la pointe revient en des-
sus, et dont l'axe osseux est creux intérieurement, et com-
munique avec les sinus frontaux. »
Les bœufs ne vivent que d'herbes, ainsi que tous les ani-
maux de leur ordre ; mais , loin d'être timides et fugitifs ,
comme les cerfs et les antilopes , ils se défendent contre les
carnassiers de la plus grande taille, résistent à l'homme , ou
même l'attaquent lorsqu'il s'offre à leur vue , le percent de
leurs cornes et le foulent aux pieds. Dans l'état sauvage, ils
vivent par troupes; ils sont polygames, et ne produisent
qu'un petit à chaque portée. Plusieurs espèces de ce genre,
réduites à la domesticité , servent à l'homme pour le trait et
le portage , et lui fournissent leur lait. Il n'est presque au-
cune de leurs parties qui ne soit utile. Leur chair est bonne
à tous les âges ; leur suif , leur peau , leurs cornes , leurs os,
sont employés par les différents arts : et ce sont sans con-
tredit de tous les animaux, ceux dont l'homme a su tirer le
plus grand parti.
Dans la classification du genre bœuf la plus généralement
adoptée aujourd'hui, on reconnaît huit espèces principales :
le bœuf ordinaire ( dont se rapfprochent le zébti, le
gour, et quelques autres variétés, moins importantes).
Vaurochs ,\e bison d'Amérique, le buffle,\e gnyalou
bœuf des jongles, \e yak on buffle à queue de cheval, le
b uffl eduC ap, et le bœuf musqué oab uffl e musqué
d'Aviérique.
Le bœitf ordinaire (bos taurus, Linné) a pour carac-
tères spécifiques un front plat , plus long que large , et des
cornes rondes , placées aux deux extrémités de la ligne sail-
lante qui sépare le front de l'occiput. Il n'est personne qui ne
connaisse cet animal, sans lequel la société humaine aurait'
peine à subsister, au moins dans nos climats. On le trouve
dans toute l'Europe , dans la plus grande partie de l'Asie et
de l'Afrique , et il s'est prodigieusement multiplié en Amé-
rique depuis que les Européens l'y ont transporté ; car il
n'existait pas dans cette partie du monde lorsque les Espa-
gnols y abordèrent. Ses races ont été prodigieusement mo-
difiées , tant par l'influence de la domesticité que par de si
grandes diversités de climats. Aussi le bœuf varie-t-il con-
sidérablement pour la taille et la couleur ; les cornes même
varient en grandeur ou en direction, et manquent tout à fait
dans quelques variétés. Il paraît que la couleur naturelle
à l'espèce est le fauve ; et c'est, en effet, la plus commune ;
mais elle passe quelquefois à d'autres nuances , tantôt plus
ou tantôt moins vives : il y a des bœufs rouges et bais; il
y en a aussi de noirs, de bnms, de blancs, de gris, de pom-
melés et de pies.
On distingue sous le nom particulier de bœufs à bosse ou
zébus ceux qui portent sur les épaules une loupe de graisse.
Le bœuf a douze dents molaires à chaque mâchoire, six
de chaque côté , point de canines , et , à la mâchoire infé-
rieure seulement huit incisives , dont celles du milieu sont
minces et tranchantes. Sa langue est toute hérissée de petits
crochets plus ou moins fermes, pointus, dirigés en arrière ,
et qui la rendent très-rude. Il mange vite et prend en assez
peu de temps toute la nourriture qu'il lui faut ; après quoi
il cesse de manger, et se couche (ordinairement sur le côté
gauche ) pour ruminer et digérer à loisir.
On appelle mugissement la voix des animaux de cette
espèce. Ces mugissements sont plus forts dans les mâles en-
tiers, ou taureaux, que dans les autres individus. « Le tau-
reau, dit Buffoa, ne mugit que d'amour; la vache mugit
plus souvent de peur et d'horreur que d'amour; et le veau
mugit de douleur, de besoin de nourriture et de désir de sa
mère. » Les mamelles sont an nombre de ouatre. Quelques
334
vaches ont nn cinquième et mCme un sixième mamelon ; mais
CCS parties surabondantes sont dépourvues d'usage , puis-
qu'elles n'ont ni conduit ni ouverture.
Dans nos climats, la chaleur de la vache commence d'or-
dinaire au printemps ; mais elle n'a point d'cpoque constante,
et l'on voit des vaches dont la chaleur tardive n'a lieu qu'en
juillet. Toutes sont en état de produire à l'âge de dix-huit
mois , au lieu que le taureau ne peut guère engendrer qu'à
«leux ans. Tous deux, éprouvent avec une extrême violence
les désirs de l'amour : le mâle devient indomptable et sou-
vent furieux, toujours prêta disputer à ses rivaux , par un
combat à mort, la possession d'une femelle. La femelle
mugit très-fréquemment et plus violemment que dans les
autres temps; elle saute sur les autres vaches, sur les bœufs,
et môme sur les taureaux. Il faut profiter du temps de cette
forte chaleur pour lui donner le taureau. « 11 doit être choisi ,
dit Buffon , comme le cheval étalon , parmi les plus beaux
de son espèce ; il doit être gros, bien fait et en bonne chair;
il doit avoir l'œil noir, le regard fier, le front ouvert, la tète
courte, les cornes grosses, courtes et noires, les oreilles
longues et velues, le mulle grand , le nez court et droit, le
cou charnu et gros, les épaules et la poitrine larges, les
reins fermes , le dos droit , les Jambes grosses et charnues,
la queue long\ie et bien couverte de poil, l'allure ferme et
sûre, et le poil rouge. » Dès que la vache est pleine, le
taureau refuse de la couvrir. Elle porte neuf mois, et met
bas au commencement du dixième.
Ces animaux sont dansleur plus grande force depuis trois
ans jusqu'à neuf. La durée naturelle de leur vie est de qua-
torze à quinze ans ; mais ordinairement on les engraisse à
dix , pour les livrer au boucher. C'est à dix-huit mois ou
deux ans qu'on doit couper le mâle. « La nature a fait cet
animal indocile et fier, dit encore Buffon; mais parla cas-
tration l'on détruit la source de ces mouvements impétueux,
et l'on ne retranche rien à sa force; il n'en est que plus
gros, plus massif, plus pesant, et plus propre à l'ouvrage
auquel on le destine; il devient aussi plus traitable, plus pa-
tient, plus docile. »
On connaît l'âge des bœufs par les dents et les cornes.
Les premières dents de devant tombent à dix mois, et sont
remplacées par d'autres, qui sont moins blanches et plus
larges; à seize mois , les dents voisines de celles du milieu
tombent, et sont aussi remplacées par d'autres, et à trois
ans toutes les dents incisives sont renouvelées; elles sont
alors égales, longues et assez blanches ; à mesure que l'ani-
mal avance en âge, elles s'usent, noircissent et deviennent
inégales. Ses cornes croissent toute la vie ; on y distingue
aisément des bourrelets ou nœuds annulaires qui indiquent
les années de croissance, et par lesopiels l'âge peut se comp-
ter, en prenant pour trois ans la pointe de la corne jusqu'au
premier na^ud , et pour un an de plus chacun des intervalles
entre les autres nœuds. Ces cornes sont des armes puis-
santes et redoutables : lorsque l'animal veut en faire usage,
il en présente, en baissant la tète, la pointe à son adver-
saire, le perce, le déchire, et, s'il n'est pas de trop grande
taille, le rejette au loin en le lançant en l'air. Les bœufs
donnent aussi de violents coups de pieds. Si un loup vient
à rôder autour d'un troupeau de vaches , elles forment une
enceinte au-dedans de laquelle se tiennent les veaux et les
jeunes taureaux dont la tête n'est point encore armée ; l'ani-
mal féroce n'ose approcher de ce rempart hérissé de cornes,
et s'il ne s'éloigne pas , on voit souvent un taureau sortir des
rangs et lui donner la chasse. Quoique massifs , les bœufs
courent assez vite et nagent assez bien. Ils reconnaissent
très-bien l'habitation où on les nourrit et les personnes qui
prennent soin d'eux.
Vaurochs des Allemands, szi&r des Polonais, bison des
anciens naturalistes {bos urus, Gmelin), passe d'ordinaire ,
mais à tort, pour la souche de nos bètes à cornes. Il s'en dis-
tingue par son front plus bombé , plus large que haut; par
BŒUF — BŒUF GRAS
l'attache de ses coi nés au-dessous de la ligne occipitale , par
la hauteur de ses jambes , par une paire de côtes de plus,
par une sorte de laine crépue qui couvre la tète et le cou
du mâle, et lui forme une barbe courte sous la gorge; par
sa voix grognante et analogue à celle du porc. L'aurochs
est le plus grand des quadrupèdes propres àl'Europe : le mâle
a jusqu'à 3'",25 de long sur 2 mètres de hauteur au garrot;
la femelle n'a guère que 2"',25 de longueur. Le poil est d'un
brun plus ou moins foncé. C'est un animal farouche, qui a vécu
longtemps dans toutes les forêts de l'I'^urope tempérée, où il
a diminué à mesure que la population humaine s'est accrue :
on le tro^l^•ait en Allemagne du temps de César ; on ne le
rencontre plus aujourd'hui que dans la forêt de Bialow icz
et dans les marais boisés du Caucase, où il vit par trou-
peaux de trente à quarante individus. On ne peut guère
s'expliquer la disparition de cette espèce, dont les individus
vivent ordinairement trente ans , que par la stérilité assez
fréipicnte des femelles : en effet, l'aurochs, grâce à sa vigueur
extraordinaire et à son courage, n'a rien à redouter des at-
taques des loups , pas même de celles des ours. Dès le dix-
septième siècle , il n'en existait plus en Allemagne que dans
une seule forêt voisine de Dantzig; et malgré les soins tout
particuliers pris pour y conserver l'espèce, ils en avaient
complètement disparu au dix-huitième siècle. Le dernier in-
dividu y fut, dit-on, tué par un braconnier en 1775.
La chair de l'aurochs , exempte de l'odeur de musc qu'ex-
hale sa peau , tient le milieu pour le goût entre celle du
chevreuil et celle du bœuf ordinaire , et était servie jadis
comme une rare délicatesse sur la table des rois de Pologne.
La chasse à l'aurochs faisait un des plus magnifiques diver-
tissements de ces monarques.
BOEUF GRAS. La religion chrétienne n'a pas si bien
détruit le paganisme qu'il n'en soit resté des traces dans nos
mœurs et dans nos usages; les fêtes populaires surtout n'ont
fait que changer de nom et d'objet , car il faut toujours que
le peuple s'amuse , et les plus graves législateurs n'ont pas
dédaigné de tolérer ses plaisirs les plus fous. C'est ainsi que
les Parisiens jouissent encore annuellement de la procession
du bœuf gras.
Cette coutume singulière, qui mêle, pour ainsi dire, la
mascarade de la brute avec celle de l'homme , est suscep-
tible d'une foule d'explications également probables ou in-
génieuses. Il sufiit de passer en revue les difTérentes opi-
nions des savants , qui dépensent volontiers tant de lumières
en pure perte , pour éclaircir ce qui n'a pas besoin d'être
éclairci. Ceux qui voient dans le bœuf gras une allégorie ne
se trompent point ; mais ils ont peine à en trouver le véri-
table sens. Les uns ont vu dans le bœuf gras im reste du
culte astronomique, parce que cette fête a lieu ordinaire-
ment à l'équinoxe du printemps, et sous le signe du Tau-
reau , époque vénérée dans les religions antiques , à cause
de la nature qui entre en sève. Le zodiaque a joué en effet
un grand rôle chez les anciens peuples , et les Gaulois , nos
pères , adoraient , parmi leurs divinités , le taureau revêtu
de l'étole sacerdotale , et surmonté de trois grues prophé-
tiques , comme on le trouve représenté sur une des pierres
druidiques découvertes à Notre-Dame. On peut alors remon-
ter au bœuf Apis, symbole de la fécondité de la terre, et
chercher notre bœuf gras dans les temples de l'Egypte des
Pharaons. Par malheur, la ressemblance n'est pas complète,
car tuer le bœuf Apis était un sacrilège, que se permirent
seuls les soldats de Cambyse à Memphis. Il est aussi raison-
nable de rendre le bœuf gras aux Chinois , qui dans la fête
du printemps promènent un bœuf et l'immolent après pour
le dépecer en morceaux, que l'empereur envoie à ses man-
darins. Les bœufs n'étaient pas moins estimés dans la my-
thologie grecque , car Jupiter se métamorphosa en taureau
pour enlever Europe; Cybèleet Triptolème attelaient leurs
chars avec des taureaux. Les Romains inventèrent même
une déesse des bouchers , nommée Bovina.
BŒUF GRAS — BOGDANOWITCH
33,'
En France, les bœufs furent eii honneur sous les rois de
la première rate, qui adoptèrent Tattelage de Cybèle et de
Triptolème; ces princes fainéants estimaient la lenteur en-
dormante des bœufs de leurs écuries. Saint Marcel, évêque de
Paris, dompta par ses prières un taureau furieux , et le sou-
venir de ce miracle fut consacré par un bas-relief en pierre
qu'on plaça dans l'église dédiée sous lïnvocalion de ce saint.
L'église de Saint- l'itrre aux Bœufs , dans la Cité , offrait
pareillement deux bœufs sculptés sur le portail.
Le bœuf gras nie paraît figurer le carnaval, temps où
l'ou niange de la chair, et, si je puis m'exprimer ainsi, le
triomphe de la boucherie. La mort de ce bœuf, qu'on tue la
veille du mercredi des Cendres, se rapporte bien à la fin
des jours gras, auxquels va succéder le carême , qui était
autrefois si rigoureux que les boucheries étaient fermées.
N'est-il pas vraisemblable que les garçons bouchers aient
célébré la fête de leur confrérie , de même que les clercs de
la basoche plantaient le mai à la porte du Palais de Justice?
Ensuite, les bouchers de Paris ayant eu jadis plusieurs que-
relles et procès avec les bouchers des templiers , il est fort
naturel qu'ils aient témoigne leur reconnaissance des privi-
lèges que le roi leur accorda en dédommagement, par des
réjouissances publiques qui se sont perpétuées jusqu'à nous.
Cette idée est d'autant plus admissible que le bœuf gras par-
tait de l'Apport-Paris , ancien emplacement des boucheries
liors des murs de la ville, et qu'il était conduit en pompe
chez les premiers magistrats du parlement.
Toujours est-il certain que cette fête existe depuis des
siècles : on nommait le bœuf gras bœuf ville , parce qu'il
allait par la ville; ou bœuf vielle, parce qu'il marchait au
son des vielles; ou enfin bœuf violé , parce qu'il était ac-
compagné de violes ou violons. Les enfants avaient imaginé
un jeu de ce nom, qui consistait à couronner de fleurs un
d'entre eux , et à le conduire en chantant comme au sacri-
fice : ce jeu-là, cité dans plusieurs vieux auteurs, s'appe-
lait encore le bœuf mori.
Les premières descriptions qui s'étendent sur les détails
de cette cérémonie sont à peu près telles qu'on les ferait
encore. La procession de 1739 est la plus mémorable dont
les historiens fassent mention : le bœuf partit de l'Apport-
Paris, la veille du jeudi gras, par extraordiuaire ; il était
couvert d'une housse de tapisserie , et portait une aigrette
de feuillage, à l'instar du bœuf gaulois. Sur son dos on
avait assis un enfant nu avec un ruban en écharpe ; et cet
enfant , qui tenait dans une main un sceptre doré , et dans
Pautre une épée nue, était appelé l&.roi des bouchers. Jus-
qu'alors les bouchers n'avaient eu que des maîtres, et
sans doute ils voulurent rivaliser avec les merciers , les bar-
biers et les arbalétriers , qui avaient des rois. Le bœuf gras
de 1739 avait pour escorte quinze garçons bouchers vêtus
de rouge etde blanc, coiffés de turbans de diverses couleurs ;
deux le menaient par les cornes, à la façon des sacrificateurs
païens ou juifs. Les violons , les fifres et les tambours pré-
cédaient cette marche triomphale , qui parcourut les quar-
tiers de Paris pourse rendre aux maisons des prévôts, éclie-
vins, présidents et conseillers, à qui cet honneur appartenait.
Le bœuf fut partout le bienvenu, et ses gardes du corps
largement payés. Mais le premier président du parlement
n'étant pas à son domicile , on ne le priva pas de la visite
du bœuf gras, qui fut amené dans la grande salle du palais
par l'escalier de la Sainte-Chapelle, et qui eut l'avantage
d'être présenté au président en plein tribunal. Le président,
en robe rouge , accueillit bien le pauvre animal , qui s'éton-
nait de cette promenade dans les salles du Palais, au mi-
lieu des procureurs et des avocats : c'était outre-passer la
licence du carnaval.
Lo révolution de 1791 ne respecta pas plus le bœuf gras
qu'elle ne respecta le trône et l'autel; avec le carnaval dis-
l)arurent le bœuf, la musique et la gaieté. Tout était déguisé
en deuil, et on égorgeait des victimes humaines. Napoléon,
qui avait à cœur d'occuper le peuple, pour que le peuple
ne s'occupât point de lui, rétabUt par ordonnance le car-
naval et le bœuf gras ; mais longtemps la police seule fit
les fiais de ces bacchanales de rues et de places. Le roi des
bouchers s'était changé en Amour, et avait quitté sceptre ,
épée , pour un carquois , pour un flambeau. L'empire, qui
rajeunissait la noblesse, ramassait les friperies mythologi-
ques. La pohce devint philanthrope : après la mort de plu-
sieurs enfants qui s'étaient enrhumés à la pluie et au froid,
on supprima le roi du bœuf gras, c'est-à-dire qu'on le relégua
dans un char olympique, à la queue du cortège. Mais les
Égyptiens, les Chinois, les Gaulois, recouriaîlraient-ils
dans cette parade pitoyable l'emblème commémoratif de la
fécondation de la terre ?
Depuis celte rénovation d'une coutume nationale, le
bœuf gras se promena tous les ans, pendant la Restauration
et le gouvernement de Juillet, le dimanche et le mardi gras,
visitant, dans sa tournée, entouré de la cour de Jupiter, sale
et crottée, à cheval et en voilure, les fonctionnaires pu-
blics , les pairs, les députés et le roi. La révolution de Fé-
vrier fit échec au bœuf gras. Il n'y en eut ni en 1848 ni en
1849. En 1850 le préfet voulut bien autoriser les prome-
nades de bœuf gras , mais il refusa la subvention que l'ad-
ministration municipale était dans l'usage d'accorder.
Aucun boucher de Paris n'osa acheter le bœuf gras dans
ces conditions; un boucher de la banUeue s'en rendit ac-
quéreur, et le bœuf César fit les délices des autorités et
de la population suburbaines. Le cortège n'en fut pas moins
magnifique. Rien n'y manquait, et la cavalcade avait autant
de fraîcheur. Paris rougit de sa défaite, et dès l'année sui-
vante le bœuf gras se repromena dans la capitale , rendant
visite à de riches particuliers autant qu'aux autorités cons-
tituées. Sans doute la société rassise est destinée à revoir
les beaux jours du bœuf gras, et le cortège sera chaque
année plus riche. P. L. Jacob, bibliophile.
BOG, nom de Dieu chez les Slaves.
BOG, BUG ou BOUG. Deux fleuves appartenant en
majeure partie à l'empire russe portent ce nom.
Le Bog occidental prend sa source dans de petits lacs
du cercle de Lemberg (Galicie autrichienne), traverse des
marais, où il forme un grand nombre d'îles, baigne, après
un cours de 128 kilomètres, la frontière russe, entre en
Pologne près de Nurez, devient navigable dans le gouverne-
ment de Bialystock, reçoit la Narew près de Sierock, et
ei:lin, après un cours de 730 kilomètres, se jette au-dessus
de Varsovie, près de la forteresse deModlin, danslaVis tule,
dont il est le plus grand affluent. Le Bog occidental n'a pas
un cours rapide; dans l'été , sa profondeur varie de 0"\4G
à 3'", 10; ce n'est qu'au printemps et en automne qu'il
atteint à une hauteur de 3"" ,70 et devient navigable. Dans
son tours inférieur cependant il ne manque pas de passes ,
et le gouvernement ne néglige rien pour le rendre propre à
la navigation. Ses autres allluents sont, en Autriche, la
Biala, le Ssoloki , la Chutschawa, la Krschna; en Russie,
le Lug, le Muchawez, le Nurez, la Lssna; eu Pologne, le
Liwiec et le Brock.
Le Bog oriental, \Hypanis des anciens , a sa source
dans la Podolie, près de la frontière du gouvernement de
VoIhynie,et, après un cours de 800 kilomètres, se jette
dans le liman du Dnieper. H est navigable jusqu'au-dessus
de Wosnessensk , même pour de petits navires, chaigés
principalement de sel.
BOGARMITES. Voyez Bogomiles.
BOGDANOWITCH (Hippolyte FÉnoRCWiTCH), sur-
nommé l'Anacréon russe, naquit en 1743, à Péréwoloczno ,
dans la Petite-Russie. Il était fils d'un employé, qui le
destina d'abord au génie : c'est dans ce but qu'il vint à
Moscou en 1754, et entra dans l'institut mathématique de
cette ville ; mais les poésies de Lomonossoff et une brillante
représentation théâtrale à laquelle il assista éveillèrcnl en
336
BOGDANOWITCII — BOGOTA
lui la passion de la poésie. Il voulait d'abord se faire ac-
teur; mais Cheraskofi', directeur du théâtre, Ten dissuada;
bien plus , frappé des dispositions extraordinaires et touclié
de l'amabilité du jeune Bogdanowitcli , il le prit chez lui,
et l'envoya à l'université. Bogdanowitcli se mit à étudier
les règles de l'art et plusieurs langues étrangères. Son ca-
ractère, plein de candeur et de bonté, lui attira des protec-
teurs et des amis, dont le plus distingué fut le comte Mi-
chel Ivanovitch Dachkof. En 1761 il fut nommé inspec-
teur à l'université de Moscou, puis attaché en 1765, comme
traducteur, au collège des affaires étrangères. En 1766 il
accompagna le comte Bjeloselski à Dresde , avec le titre de
secrétaire de légation, et s'y consacra tout entier jusqu'en 1708
à l'étude des arts et de la poosie. Les chefs-d'œuvre de
peinture du musée de celte ville lui inspirèrent le poëme
tic Psyché (Douchenka), qui parut en 1775, et commença
à établir sa réputation sur de solides fondements. C'est une
espèce de traduction du poëme de La Fontaine, Il vécut en-
suite dans la retraite à Saint-Pétersbourg, tout entier à la
littérature, s'occupant d'une traduction de l'histoire rfes
Révolutions de la République Romaine par Vertot(Péters-
bourg, 1771-75) et de quelques autres ouvrages, entre
autres du poëme adressé par Gianetti à l'impératrice Ca-
therine II. 11 entreprit ensuite la Peintiire historique de
la Russie {1111), et rédigea pendant dix-huit mois l'/?!f/î-
catcurde Pétersbourcj (1778). Déjà en 1763 il avait pubhc
un journal périodique sous le titre du Passe-temps innocent.
Catherine, qui avait appris à le connaître par sa traduction
de Gianetti, le tira de sa solitude. Alors il fut chargé de
composer divers ouvrages dramatiques. On lui doit aussi
un précieux recueil de Proverbes russes (Pétersbourg,
1735, 3 vol.). En 1780 il fut nommé membre du conseil
des archives de l'empire, et en 1788 président de ce nit'mc
conseil. En 1795 il se démit de ses fonctions, et vécut
sans emploi dans la Petite-Russie. Il mourut en 1803, dans
une terre qu'il possédait près de Kursk. Sa modestie égalait
son talent , et à la candeur la plus naïve il alliait toute la
bonté , toute la loyauté d'une belle âme.
BOGDJA. Voye:^ Ténédos.
BOGHAR, ville de l'Algérie, à 15 myriamètres de Mé-
déah. La montagne deBoghar, que le Cbélif contourne aux
deux tiers environ de sa base, forme sur le Petit Désert une
espèce de cap avancé d'où l'on aperçoit le Sahara , au delà
du Djebel-Amour. Ses environs sont couverts de sapins,
de genévriers, de thuyas, de hautes futaies. L'eau jaillit de
toutes parts d'un sol composé de roches calcaires tellement
friables qu'au moindre souille du simoun l'atmosphère est
obscurcie d'une poussière malsaine.
Boghar était un des établissements fondés en juillet 1839
par Abd-el-Kader, sous la surveillance de son kalifat
El-Berkani. En 1841 le général Baraguay-d'Hilliers , opérant
sur le Bas-Chélif , détruisit son fort et l'incendia. Mais comme
c'était une position qu'il importait de conserver, les ruines
en furent relevées ; on y construisit une caserne , des forti-
iications , et bientôt une nouvelle ville naquit comme par
enchantement des cendres de la ville arabe. Boghar s'agrandit
chaque jour; son marché est un des plus importants de
l'Algérie, et il s'y fait des opérations considérables dans le
commerce des laines. C'est de Boghar, où il avait établi un
poste provisoire, qu'était parti le duc d ' A u m a 1 e lorsqu'il
surprit la smala d'Abd-el-Kader. Après cet audacieux fiiit
d'armes , le prince rapporta à Boghar quatre drapeaux , un
canon , et le trésor de l'émir.
On remarque à Boghar une vaste grotte naturelle au fond
de laquelle croît un énorme figuier.
BOGOMILES ou BOGARMITES (de deux mots bul-
gares, Bog, Dieu, et niilvi, avoir pitié), noms d'une secte
d'hérétiques qui parurent à Constantinopleau commencement
du douzième siècle, sous le règne d'Alexis Comnène. Us
niaient le mystère de la Trinité, et disaient que le monde
avait été créé par les mauvais anges ; que Jésus-Christ n'a-
vait eu qu'un corps fantastique, et que l'archange Michel
s'était incarné ; ils rejetaient les livres de Moïse, et ne recon-
naissaient que sept livres de la sainte Écriture. Ils ms pri-
saient les croix et les images, soutenaient que- l'Oraison do-
minicale, qui était leur seule prière, était aussi la seule
eucharistie; que le baptême de l'Église catholique était celui
de saint Jean, et que le leur était celui de Jésus-Christ;
que tous ceux de leur secte concevaient le Verbe comme la
sainte Vierge ; enfin , qu'il n'y avait point d'autre résurrection
que la pénitence. Ces gens, qui se confiaient à la miséri-
corde de Dieu, ainsi que le constate leur nom même, ne
pouvaient payer trop cher des erreurs aussi coupables, et
Basile, un de leurs chefs, médecin de profession, ayant refusé
de les abjurer, fut brûlé publiquement à Constantinople.
Cette secte des bogomiles existe encore aujourd'hui en
Russie , où elle est une des nombreuses divisions des rasliol-
niks, ou hérétiques grecs. Ses adhérents sont accusés de se
livrer à tous les excès de la sensualité et de se dispenser du
travail, comme les messaliens, pour être plus aptes à re-
cevoir le Saint-Esprit, qui doit venir les éclairer.
Edme Héreau.
BOGOTA ou SANTA-FÉ-DE-BOGOTA, chef-lieu du
département de Cundinamarca et de la république de la
Nouvelle-Grenade, est située sous le 4° 36' de latitude sep-
tentrionale, sur un vaste plateau de 370 kilomètres de long
sur 148 de large, à 2,542 mètres au-dessus du niveau de la
mer, sur le versant occidental des Cordillières orientales ou
chaîne de Suma-Paz. Elle est bâtie sur la rive gauche du
Rio de Bogota, qui se jette dans le fleuve Magdalena au pied
des monts Montserrat et Guadeloupe , qui portent à leurs
cimes des couvents d'où l'on jouit d'une vue magnifique, et
dans le voisinage du lac Satarita. Bogota est le siège du gou-
vernement, du congrès, de l'administration centrale et d'un
archevêché ; c'est incontestablement la plus belle ville de tout
le pays. Exposée à de fréquents tremblements de terre,
dont l'un , celui du 16 novembre 1827, la détruisit en grande
partie , elle doit à ces catastrophes de s'embellir sans cesse
en se reconstruisant. Ses maisons étant entourées de vastes
jardins , elle occupe un emplacement considérable. Ses rues,
larges et tirées au cordeau, sont pavées, garnies de trot-
toirs, ornées d'arbres et éclairées la nuit; mais elles ne
sont pas très-propres , quoique la ville soit traversée par des
cours d'eau. La plus grande et la plus belle est la Cal le de
la Republica, débouchant sur la place du Marché, la plus
magnifique des sept qui décorent Bogota, et qui toutes sont
très-vastes et ornées de fontaines. C'est sur cette place que
s'élèvent le palais du Gouvernement, bâti en 1825 ; la Douane,
et la cathédrale, reconstruite en 1814, où l'on voit une
statue de la Vierge célèbre par la richesse de sa parure.
Bogota renferme, en outre, vingt-neuf églises, douze cou-
vents, quatre hôpitaux , une université très-fréquentée , qui
date du seizième siècle , une bibliothèque publique, un ca-
binet d'histoire naturelle, une académie nationale, une aca-
démie de médecine et une de droit , un jardin botanique, un ,
observatoire, plusieurs collèges, une école des mines, plu-
sieurs écoles élémentaires, quelques écoles supérieures poui
les filles ( les premières qui aient été établies dans l'Amé-
rique espagnole ), un hôtel des monnaies et un théâtre. On
évalue la population à 50,000 habitants, vivant dans une
grande aisance, due au commerce considérable qu'ils font et
à l'exploitation des mines. Ils sont au reste fort avides de
plaisirs, et ne se piquent pas, dit-on, de mœurs exem-
plaires. On vante, d'ailleurs, leur politesse et la beauté de
leurs femmes.
Le port de Bogota est la bodega de Bogota, sur la Magda-
lena. La Meta, affluent de l'Orénoque, offre aussi un dé-
bouché au commerce vers l'orient. On projette une route qui
mettra Bogota en communication avec Buenaventura sui
l'océan Pacifique, et qui sera d'une grande importance poui
I
BOGOTA — BOHÈME
les relations commerciales de cette ville. L'industrie y est
encore peu avan(;ée.
Fondée en 1538 par Quesada, Bogota ne tarda pas à s'a-
grandir. Elle devint le chef-lieu de la vice-royauté de la
Nouvelle-Grenade, et plus tard, en 1811, le siège du
congrès qui proclama la république le 12 novembre. Re-
prise, au mois de juin 1816 , par les Espagnols sous les or-
dres de Morillo, elle fut délivrée de leur joug par Bolivar,
le 10 août 1819, et festa la capitale de la Colombie jus-
qu'en 1831.
Dans le voisinage, sur la route qui conduit à la Magdalena,
on admire l'affreux abîme d'Icononzo ou de Pandi , qui doit
vraisemblablement son origine à un tremblement de terre.
Il ressemble à une large tranchée au fond de laquelle mugit
un torrent entre des roches à pic réunies par deux ponts
naturels, l'un d'un seul bloc de 13 mètres 65 de long sur
I mètre 86 de large, aune élévation de 93 mètres; l'autre,
19 mètres plus bas, composé de trois blocs s'appuyant l'un
sur l'autre et formant une voûte solide comprimée par les
parois des rochers. Le Rio de Bogota ou Paijti , qui prend
sa source dans le lac de Guatavila et se jette dans la Mag-
dalena, après un cours d'environ 222 kilomètres, forme, à
22 kilomètres de Bogota,-près de la Hacienda Tequendama ,
dans une contrée sauvage, hérissée de rochers, une des plus
magnifiques cascades du monde. Une masse d'eau de plus
de 20 mètres 85 cubes se précipite perpendiculairement
d'une hauteur d'environ 155 mètres avec une fureur indi-
cible dans une vallée encaissée où le soleil ne pénètre quel-
ques instants qu'à midi.
Le lac où le Rio de Bogota prend sa source est extrême-
ment profond et remarquable par la transparence de ses
eaux. Il est sihié dans une vallée tout entourée de monta-
gnes. Sur ses bords s'élève le village de Guatavita, qui
était avant la conquête une des plus riches et des plus fortes
places de l'Amérique, et le siège du cacique des Muiskas.
Ces Indiens, qui savaient fondre les métaux et travailler l'or
et l'argent, avaient un temple sur les bords du lac, au fond
duquel avant l'arrivée des Espagnols ils jetaient, dit-on,
de l'or, des pierres précieuses et des vases en l'honneur de
leur divinité.
Enfin l'on trouve dans les environs de Bogota, outre des
miues d'or et d'argent, une mine de sel gemme, et une mine
d'émeraudes, qui a fourni, avec celle de la vallée de Muzo,
la plus grande partie de ces pierres précieuses qu'on ren-
contre aujourd'hui en Europe.
BOGUSLAWSKI ( Adalbert), un des principaux au-
teurs dramatiques polonais , de la fin du dix-huitième siècle.
De cruels revers le forcèrent à se faire acteur en 1778; et,
bien qu'il n'eût d'abord que peu de goût pour la carrière
dramatique, il finit par se faire. à sa position et fut comiité
parmi les artistes les plus distingués du théâtre de "Narsovie.
II traduisit plusieurs pièces étrangères en polonais , et monta
le premier opéra italien à Varsovie. Après la dissolution du
théâtre de celte ville, en 1780, Boguslawski fut sur le point
de renoncer à la scène; sur les instances du comte Moszynski,
il continua cependant à s'occuper de travaux dramatiques.
Nommé, malgré lui, en 1783, directeur du théâtre alle-
mand-polonais fondé par le prince Lubomirski, il joua avec
sa troupe alternativement à Grodno , à Wilna , à Dubna , à
Lemberg. Il jouait de nouveau à Grodno, lorsqu'en 1789
un ordre royal le rappela à Varsovie, et lui confia la direction
du théâtre national. Il contribua puissamment à relever cette
scène de la décadence où elle était tombée; et nul doute
qu'il ne l'eût amenée à une régénération complète , si les
troubles intérieurs qui, depuis 1794, agitèrent la Pologne,
n'eussent anéanti les résultats de ses glorieux et pénibles
efforts. Le théâtre fut fermé , et Boguslawski se rendit à Cra-
covie, et de là à Lemberg, où il réorganisa la scène. En 1799
il retourna à Varsovie , et il obtint pour dix ans le privilège
de jouer la comédie polonaise à Kalisth; il y resta jus-
DICT. DE LA CONVEPiS. — T. III.
337
qu'en 1807 , puis vint à Posen , y donna des représentations ;
mais, ne pouvant soutenir la concurrence avec une troupô
de comédiens français fort goûtés du public, il quitta celle
ville, et revint à Varsovie, où, après toutes sortes de vicissi-
tudes, il reprit la direction du théâtre en 1810. La campagne
de 1812 le força de nouveau à cesser ses représentations"; il
se démit de sa charge de directeur, se retira de la scène, et
dès lors la culture des lettres l'occupa sans partage jusqu'à
sa mort, qui arriva en 1829. Comme écrivain, Boguslawski
a le mérite d'avoir conservé à la langue polonaise toute sa
pureté, et d'avoir lutté vigoureusemeut , soit par de bonnes
traductions, soit par des compositions originales, contre le
mauvais goût qui de toutes parts tendait à envahir la litté-
rature dramatique de son pays. Le nombre de ses pièces de
théâtre s'élève à quatre-vmgts ; la plupart ont été publiées sous
le titre de : Dziela dramatijczne (9 vol., Varsovie, 1820).
BOGUSLAWSKI (Louis de), astronome de mérite,
na(iuit à ISIagdebourg, le 7 septembre 1789. Élevé à l'école
du chapitre, il montra de bonne heure du goût pour les
sciences , et particulièrement pour l'astronomie. Après avoir
fait la campagne de 1806 , il se hvra , à peine âgé de dix-sept
ans, aux observations astronomiques; la comète de 1807 lui
en fournit la première occasion. En 1809 il vint à Beriin,
et, après y avoir passé de brillants examens, il fut nommé'
en 1811, lieutenant d'artillerie. Il resta dans cette capitale
pour y suivre les cours de l'école militaire et pour perfec-
tionner ses études astronomiques sous la direction de Bode.
Ses relations avec ce savant lui procurèrent, pendant les
campagnes de 1812 à 1815, l'accès des principaux observa-
toires de l'Europe et la connaissance des hommes les plus
distingués. Blessé à la bataille de Culm, Boguslawski fut
conduit prisonnier à Pirna; mais il brisa ses liens, s'enfuit
en Bohême, et rejoignit son corps à Erfurth. Une maladie des
yeux, accompagnée d'une grande faiblesse de vue, le força
de quitter le service après la bataille de Waterloo et de re-
noncer pendant quelque temps aux observations astrono-
miques.
Boguslawski s'occupa dès lors d'économie rurale avec
autant de zèle que de succès. En 1829, ses yeux ayant repris
leur vigueur première, il s'établit à Breslau, où il fut nommé
en 1831 conservateur, et en 1843 directeur de l'observa-
toire. Malgré l'insuffisance des télescopes dont il disposait,
il parvint à observer des phénomènes peu lumineux, tels
que la comète de Biéla à son retour en 1832, dont il suivit
la marche jusqu'au mois de décembre de cette môme année ,
l'cclipse du sixième satellite de Saturne pendant les mois do
janvier, avril et mai 1833, la comète d'Enke en juillet 1835.
Boguslawski s'attacha particulièrement à suivre la comète do
Halley, qu'il observa plus longtemps qu'aucun autre astro-
nome. Cependant, le plus grand service qu'il ait rendu est la
découverte, en 1834, de la comète qui porte son nom.
En 1836 il fut nommé professeur à l'université de Breslau;
déjà , avant sa nomination , il avait su réunir un nombreux
auditoire à son cours public d'astronomie populaire. 11 est
mort le 5 juin 1851. Comme écrivain, Boguslawski s'est fait
connaître^par une édition de l'£/ra?3tM (Glogau, 1846-1848).
£OOÊ]\îE , royaume auti-efois indépendant , aujourd'hui
réuni à l'empire d'Autriche.
Géographie et statistique.
Située entre le 48° 30' et le 51° de latitude septentrionale,
et du 30° au 34° 30' de longitude orientale, la Bohême forme
un grand quadrilatère de 518 myriamètres carrés de super*
ficie, borné au sud-ouest par la Bavière, au nord-ouest par
le royaume de Saxe, au nord-est par la Silésie prussienne
et au sud-est par la Moravie et l'archiduché d'Autriche. Sur
les trois côtés qui ne touchent pas aux possessions de lu
maison d'Autriche, ses limites politiques sont 1rs «iêm«s
que ses limites naturelles, savoir : la Forêt de Bohême,
l'Erzgebirge et les ramifications des Sudètes; cependa^ice
43
338
n'est pas un pays encaissé de toutes parts, car il n'est pas
«''•parc de la Moravie par une chaîne de montagnes bien
marquée: mais il forme plutôt avec celte province un seul
plateau à terrasses, borné d'un côté par l'iiger, l'Elbe et le
DAnube , de l'autre par la March et la Naab, offrant seule-
ment, dans la direction du sud au nord, un petit nombre
d'enfoncements. C'était un chemin tout tracé par la nature
aux conquérants slaves et autrichiens. La Bohème n'appar-
tient que par quelques points de son territoire, au sud-est et
au nord-ouest, aux bassins du Danube et de l'Oder; elle fait
presque tout entière partie de ceux de l'Elbe et de la Moldau,
qui se jette dans l'Elbe, près de Melnik. L'Elbe, qui devient
navigable depuis cette dernière ville, reçoit dans la Bohême,
à droite la Cydlina, User et le Pulsnitz ou le Polzen, à
gauche l'Aupa, la Métau, l'Adler, l'Éger et la Biéla. Les
affluents de la Moldau sont, à droite la Luschnitz et la Sa-
zarva , à gauche la Wottarva et la Bcraunka.
Les principales vallées de la Bohême sont : au nord celle
de Laun-Saaz sur l'Eger, haute de 155 mètres; celle de
Tlieresienstadt au confluent de l'Eger, dont l'élévation n'est
pas moins considérable, et celle de l'Elbe, au sud-ouest de
Kaniggrletz, plaine coupée de lacs et d'étangs et haute de
200 mètres. Au centre s'élève, à 250 mètres, le vallon encaissé
de Pilsen. Au sud s'étend la plaine de Budweis-Wittingau ,
également coupée par un grand nombre de petits lacs, et
haute de 340 mètres. Les terrasses qui bordent ces vallées au
sud, en inclinant vers l'orient, s'échelonnent de telle ma-
nière que les montagnes de la rive occidentale de la Moldau
sont toujours plus hautes de vingt-cinq à trente mètres que
celles de la rive orientale. Au nord, les terrasses de la Bohème
présentent des bords escarpés et quelques éminences très-
saillantes , comme le mont Engelhaeuser C30 mètres, le Pur-
berg 600 mètres et le Georgenberg 385 mètres, la hauteur
moyenne étant de 310 à 380 mètres. Au centre elles atteignent
de 350 à 500 mètres; la Badywald arrive même à 560 et le
Trzemczinberg à 785 mètres. Au sud leur hauteur moyenne
est de 560 à 620 sur le versant septentrional, par où elles se
rattachent au Bœhraerwald et au Greinerwald. Dans la
partie septentrionale de la Bohême, sur la rive droite de
l'Elbe et de l'Adler, cl sur la rive gauche de l'Eger, la lorme
du sol est déterminée par le voisinage des monts Sudètes et
des montagnes de la Saxe. A l'est et au nord-est du bassin
de l'Elbe, dans la contrée parcourue par les alfluents gauches
de l'Elbe supérieur, on s'élève par degrés, en franchissant
des montagnes assez bien caractérisées, jusqu'aux hautes
chaînes du district de Glatz (Crête Bohémienne, Crête d'Ha-
belschwerdt, Roches de Pcelitz , Roches de grès d'Adersbach)
ou aux crêtes escarpées du Riesengebirge. Au nord et dans
la contrée arrosée par les affluents droits de l'Elbe, de larges
plateaux , comme ceux de Gitschin et de Dauba , conduisent
aux chaînes de l'Iser et aux montagnes de la Lusace. En
avant de ces dernières , au sud-ouest , se groupent des mon-
tagnes nombreuses, à travers lesquelles l'Elbe se fait un pas-
sage entre Leimeritz et Aussig. A l'est s'élèvent les groupes
isolés du Kleisberg et du Geltschberg; à l'ouest, les masses
basaltiques des montagnes de la Bohême centrale , parmi les-
quelles se distingue la Donnersberg (Milleschauer), haute de
«20 mètres, et qui sont séparées, au nord, de l'Erzgebirge
*axon par le lit profond de la Biéla. Les flancs escarpés de
l'Erzgebirge bornent au nord le cercle d'Eger; ses larges
sommets en forme de plateaux forment les limites de la
Bohême et s'abaissent graduellement à l'ouest jusqu'aux
collines des environs d'Eger et au plateau du Fichtelgebirge.
La conformation géognostique du pays varie fréquemment
avec la forme extérieure du sol. Les parties méridionales,
plus élevées que celles du nord, sont composées de masses
primitives de granit, de syénite et de gneiss. La Bohème
centrale présente à l'occident, entre Prague et Kiattau, le
porphyre à base de quartz, le quartz mêlé de schiste et de
mica, l'argile schisteuse de calcaire primitif; et à l'orient,
BOHÈME
dans le bassin de l'Elbe, des masses de craie. Les produits
rninéralogiques de la Bohême septentrionale sont encore plus
variés. Le grès prédomine à l'est de l'Elbe, tandis qu'il
alterne, à l'ouest, avec un sol rouge et une couche tertiaire
supérieure de molasse. Partout les produits volcaniques
percent au travers des masses basaltiques et autres sembla-
bles. A l'ouest, au contraire, dans la Fichtelgebirge, repa-
raissent les formations primaires du sud mêlées de schiste
micacé.
Le climat de la Bohême se rapproche de celui de l'Alle-
magne centrale; la température moyenne est de 7°, 5 centigra-
des. Cependant la configuration du sol contribue beaucoup
à produire des phénomènes particuliers. Le froid est plus
âpre dans la partie montagneuse du sud que dans le nord.
Comparée aux autres pays qui forment l'empire d'Au-
triche, la Bohême se trouve dans des rapports avantageux
relativement à la population. On y compte 4,522,000 habi-
tants, c'est-à-dire 91 habitants par kilomètre carré, pro-
portion qui lui assigne le troisième rang parmi les provinces
de la monarchie, et le premier parmi les États allemands
soumis à l'Autriche. En 1780 elle n'avait que 2,500,000 ha-
bitants; en 1800 elle en comptait plus de 3,000,000; en 1824
plus de 3,500,000, et en 1834 4,000,000; c'est un accrois-
sement annuel d'environ 1,5 pour cent. La masse de la po-
pulation est d'origine slave; mais avec le temps il s'y est
introduit d'autres éléments. Les Czèches ou Tchèques, dont
le nombre s'élève à 2,700,054 , d'après le recensement
de 1850, occupent principalement le centre et l'est du pays ;
ils ont gardé leur dialecte slave. Les Allemands , dont on
comptait plus de 1,730,000 en 1850, habitent sur les fron-
tières, principalement au nord-ouest, et leur langage se
rattaciie aux dialectes des peuples voisins. Plus de 700,000
juifs sont dispersés dans tout le pays. Une petite colonie d'I-
taliens existe encore à Prague , où elle s'est établie sous
Chartes IV. La loi communale de 1850 a réparti toute la
population en 6,196 communes indépendantes, formées de
12,646 lieux habités, parmi lesquels on compte 289 villes, soit
une ville par 187 kilomètres carrés. Ainsi la Bohême, par le
nombre de ses villes et de ses villages, occupe le premier rang
parmi les provinces de l'empire. Cette position avantigeuse,
elle la doit aux rapides progrès de sa civilisation dans ces
derniers temps, progrès qui ont été sans doute favorisés par
la fertilité de son sol.
Les productions du règne minéral sont aussi variées qu'a-
bondantes. Les mines de Joachirasthal donnent annuelle-
ment, outre une petite quantité d'or, 8,400 kilogrammes
d'argent, c'est-à-dire plus qu'aucune autre province de l'em-
pire , la Hongrie exceptée. Après les mines de Joachiras-
thal, les plus productives sont celles de Przibam. Le district
de l'Erzgebirge est le plus riche en étain; on en extrait an-
nuellement 490 quintaux métriques. La Boh(!Sie livre, en
outre, à l'industrie 13 quintaux de cuivre, plus de 8,000
de mmerai de plomb, 1,570 de plomb de commerce, 991 de
carbure de fer, 9,500 de litharge, 17,500 de fer brut, 90,000
de fer de fonte, 17 de cobalt, 000 d'arsenic , 2,375 d'alun ,
2,700 de sulfate de cuivre, 16,000 de sulfate de 1er, 3,500
de soufre, plus de 4 millions de quintaux de houille, et
11,500 quintaux de graphite, surtout dans la seigneurie de
Knmiau. On exploite aussi une certaine quantité de cala-
mine, de cinabre, de manganèse, de la terre de porcelaine,
de belles pierres de taille , des meules de moulin , des
pierres à aiguiser; plusieurs espèces de pierres précieuses,
et principalement les célèbres grenats de Bohême (pyropes),
des rubis, des saphirs et des hyacinthes, beaucoup de to-j
pazes.de chrysolites, de chrysoprases, d'améthystes, dej
cornalines, de chalcédoines , de jasjMîs et d'agates. La con-
sommation toujours croissante du bois a appris à tirer meil-
leur parti des mines de houille et des couches de tourbe.
La Bohême manque absolument de sel; mais elle possède,!
I par contre, un grand nombre de sources minérales salutaireaj
BOHÊME
chaudes et froides , plus ou moins cliargées de sels par la
lixiviationdes roches. On compte ces sources par centaines;
mais quelques-unes seulement sont employées à des usages
curatifs. Les bains de la Bohême sont renommés parmi les
plus célèbres de l'Europe. Ils doivent leur réputation non-
seulement à la nature de leurs eaux et à leur température ,
mais surtout à cette circonstance que depuis longtemps leurs
propriétés ont été analysées par des médecins et des chi-
mistes habiles , comme aussi aux améliorations qu'on y ap-
porte chaque année pour la commodité des visiteurs. Les plus
connus sont : 1° Carlsbad, source chaude, chargée de sul-
fate de magnésie, alcalique, saline; 2" Marienbad , source
froide de même nature; 3° Eger-Franzensbad , source
froide de môme nature et saturée de fer; 4° Tœplitz, source
alcaline (natron) chaude et tiède. On doit mentionner en-
core les eaux ferrugineuses de Stecknitz, Sternberg , Tet-
schen, Mariaschein, etc., ainsi que celle de Liebwerda
appartenant aux monts Sudètes , et les établissements hy-
drothérapeutiques d'Élisenbad, Dobrawitz, Letmeritz,
Kuchelbad , etc. On exporte les eaux de Giesshùbel près
de Carlsbad, qui ressemblent à l'eau de Selter; celles de ^i-
lin, près de Tœplitz, acidulés, ferrugineuses et alcalines;
celles de Seidckiitz, Sedlitz eiPiXUna, eaux amères qui se
préparent artiliciellement par la lixivialion des basaltes ef-
fleuries.
L'activité des habitants de la Bohême sait multiplier les
productions du règne végétal. Des 473 myriamètres carrés
qui sont mis en culture, 248 appartiennent aux céréales,
55 sont en prairies et en jardins, 33 en pâturages, 132 en
forêts et 2,535 hectares en vignes. La Bohême récolte plus
de 24 raillions d'hectohtres de grains, dont plus de 3 de fro-
ment, plus de 8 de seigle, environ 5 d'orge et plus de 7
d'avoine; aucune province de l'empire ne lui est comparable
sous ce rapport. C'est encore elle, avec !a Hongrie, qui pro-
duit le plus de plantes légumineuses et potagères ; et l'on y
cultive beaucoup de colza. Les fruits forment uue branche
importante du commerce d'exportation. Le lin se récolte
partout ; le chanvre est plus rare ; la production du tabac est ■'
considérable; cependant, de toutes les cultures de ce pays,
aucune n'est plus productive que celle du houblon ; elle oc-
cupe une superficie de 495 kilomètres carrés , et fournit une
récolte magnifique de 150,000 quintaux. La vigne ne donne
guère que 29,000 hectolitres de vin ; on ne la cultive que dans
la vallée de l'Elbe, depuis JMelnik jusqu'à Aussig et dans les
environs de Prague. Le produit des forêts s'élève annuelle-
ment à plus de 18 millions de stères de bois. Si l'agricul-
ture est surtout florissante dans le district d'Egeret dans la
partie occidentale du cercle de Leippa, c'est dans la partie
nord-ouest du cercle de Prague qu'elle occupe le plus grand
nombre de bras; mais nulle part elle n'est plus négligée que
dans la partie montagneuse du nord-ouest du cercle de Bud-
weis ( les anciens cercles de Prachin et de Tabor). Afin d'en
favoriser les progrès, on a fondé en 1850 deux écoles d'a-
griculture, l'une à Tetschen, sur l'Elbe, pour la population
allemande, l'autre à Libingitz, dans le cercle de Budweis,
pour les Tchèques.
Les bêtes sauvages disparaissent à mesure que le pays se
cultive, et font place aux animaux domestiques. Ce serait
en vain qu'on chercherait l'ours et le loup, même sur les
sommets des plus hautes montagnes; mais on rencontre en-
core beaucoup de chats sauvages. Le blaireau est répandu
partout; le hamster devient de plus en plus rare à mesure
qu'on avance vers le sud-est. Les forêts sont peuplées de
gibier; leg lièvres se sont tellement multipliés qu'on exporte
annuellement près d'un demi-million de leurs peaux , et les
faisans, que l'on élève surtout à Krzinec, dans le cercle de
Gitschin , jouissent d'une réputation méritée. Depuis quelque
temps, on s'applique avec plus de soin à l'éducation des
bestiaux. Marie-Thérèse et Joseph II ont favorisé, dans l'in-
lérCt de l'armée, l'éducation des chevaux. Outre le haras mi-
339
litaire de ^^cmoschit7. , il en existe plusieurs dans des proprié-
tés particulières , comme à Pardubitz et à Nimburg ; il j
en a aussi un à Kladrup, sans parler du haras impérial de
Sellmitz. On évalue le nombre des chevaux du pays à plus
de 156,000 ; la meilleure race est celle des cercles d'Eger et
de Pardubitz ( autrefois Chrudim ). Celui des têtes de bétail
est porté à 1,050,000, chiffre bien élevé pour la quantité
de fourrage : aussi, à peu d'exceptions près, le bétail, qui est
chétif, donne-t-il fort peu de lait et de bonne viande. Grâce
encore aux encouragements de Marie-Thérèse, l'éducation
des bêtes ovines est dans l'état le plus florissant. Environ
1,545,000 brebis, presque toutes de races améliorées, four-
nissent au commerce d'exportation 20,000 quintaux de
fort belle laine. La Bohême nourrit 400,000 porcs, dont
50 à (io,000 s'exportent chaque année ; c'est principalement
dans les parties méridionale et occidentale qu'on s'occupe
de ce commerce, tandis que dans les contrées montagneuses
on élève de grands troupeaux de chèvres, qui s'exportent
aussi au nombre de 50,000 environ chaque année. Dans le
sud, on engraisse des milliers d'oies, dont le duvet four-
nit la matière d'un commerce considérable : on en exporte
annuellement 1,000 quintaux. La ville de Neucrn, dans le
cercle de Pilsen, est le centre de cette industrie. La culture
du mûrier , bien que fort encouragée , n'a pas réussi jus-
qu'ici d'une manière remarquable. L'éducation des abeilles
li\Te au commerce une cire aussi estimée que celle de la
Moravie. La pêche est trùs-pioductive dans les nombreux
étangs du pays : les carpes et les brochets sont envoyés en
grand nombre à Vienne et dans d'autres villes. On trouve
enfin dans la Moldau supérieure et la Wottawades huîtres
dont les perles rivalisent en beauté avec celles de l'Orient.
Sous le rapport agricole, la Bohême peut donc soutenh- sans
désavantage la comparaison avec beaucoup d'autres contrées,
et sa situation à cet égard serait bien plus favorable encore si
elle savait tirer meilleur parti de quelques-unes de ses pro-
ductions naturelles.
Sous le rapport industriel , elle se place parmi les pre-
miers États manufacturiers de l'Europe. Ses fabriques de
lin livrent au commerce extérieur plus de produits que tout
le reste de la monarchie autrichienne, c'est-à-dire pour une
valeur d'environ 13 millions de francs, des toiles de toutes
sortes, des damas, des batistes, des linons, des dentelles,
des indiennes , des coutils. Cette industrie a son siège prin-
cipal dans les districts du nord, et occupe environ 400,000
filaleurs, plus de 50,000 tisserands, et plusieurs milliers
d'ouvriers dans de nombreuses blanchisseries. La fabrication
de la dentelle, dans la contrée du nord-ouest, faisait vivre
autrefois plus de 40,000 individus; elle en nourrit aujour-
d'hui 15,000 à peine; cependant ses produits sont toujours
recherchés. Après la Basse-Autriche , c'est la Bohême qui
possède le plus de manufactures de coton ; elle en entrete-
nait 227 en 1848. Dix-huit filatures, avec 1944 machines et
plus de 445,000 broches, produisent annuellement 35,000
quintaux de fil. Le tissage occupe plus de 50,000 métiers;
l'impression sur étoffes livre au commerce près d'un mil-
lion et demi de pièces imprimées de toutes sortes, et de
nombreuses teintureries, surtout de rouge de Turquie, se
rattachent à ces fabriques, qui se sont élevées principalement
dans les cercles de Leippa et d'Eger. Ce dernier se dislin-
gue aussi par sa production de bas de laine. Reichenbcrg
et ses environs forment le centre des manufactures de
laine, qui s'élèvent en Bohême à 146. Cinquante fabriques
de cuir livrent des produits remarquables, parmi lesquels
se distinguent les gants de Prague, dont 20,000 douzaines se
vendent chatiue année. Une des branches les plus impor-
tantes de l'industrie nationale est la fabrication du papier,
qui occupe 18 fabriques et 108 moulins, principalement
dans les environs de Prague, sur le Haut-Elbe, à Knunau,
à Le(letsch,àrrautenau ; cependant elle cède le promiur ran,'?
à celledu verre, dont les produits .sont sans rivaux en Europe.
4'J.
340
BOHEME
Intro'.liiifa en Bohème dans le treizième siècle par des ou-
vriers v(^iiiiicns, et favorisée par la richesse du pays en
toutes sortes de minéraux, surtout en quartz, par l'ahon-
dance (hi (ombiislihlc, par le bas prix de la main-d'œuvre,
cette industrie ne tarda pas à devenir très-fiorissante. On
compte dans les montagnes frontières IGI verreries, dont
22 ne s'occupent que du raffinage des produits des autres.
De puissantes maisons, qui se livrent exclusivement à
cette spécialité, principalement dans le cercle de Leippa,
ont des entrepôts dans les principales villes de l'Europe, et
font des affaires importantes avec l'Amérique et le Levant.
Les fabriques les plus renommées sont celles de Haïda
dans le cercle de Leippa, de Steinschœnau , de Kreibitz et
de Georgeiitlial dans celui d'Eger, de Wintcrberg et de
Silherherg dans celui de Pilsen, de Gratzen et de Josephs-
llial, dans celui de Cudwcis, et surtout la fabrique deNeu-
waiii dans le cercle de Gitschin, qui livre les oeuvres d'art
les plus maguiliqucs. Dans la fabrication des pierreries arti-
licielles , des perles , des pûtes , des coraux , Turnau , dans
le cercle de Leippa , n'a pas d'égal ; viennent ensuite Ga-
blouz et Neuvvalil , tandis que Neuhurkenthal dans le cercle
de Pilsen , et Burgstein dans celui de Leippa , possèdent les
fabriques de glaces les plus célèbres. Depuis le commence-
ment de ce siècle , la concurrence de l'Angleterre et de la
France a diminué de près de moitié la valeur de la produc-
tion, qui s'élève pourtant encore à plus de 15 millions de
francs. La Bohême livre aussi au commerce extérieur pour
des sonuucs considérables de porcelaines , de faïences , de
vases degrés, déterre, de terralithe,de sidérolitlie, qui se
fabriquent principalement et le mieux dans les environs de
Carisbad. Le bois , de qualité excellente , reçoit les formes
les plus variées entre les mains d'ouvriers habiles : les cas-
settes de Carisbad ont une réputation universelle, et les
jouets d'enfants qui se fabriquent dans les environs de Fried-
Jand et de Rotlieniiaus, disputent la palme à ceuxdu Tyrol
et de Derciitesgaden.
La fabrication des métaux, dans toutes ses branches, est
florissante en raison de l'abondance des produits bruts des
mines. La partie sud-ouest des cercles de Pilsen et de Pra-
gue renferme un grand nombre de mines de fer, dont le mi-
nerai était mis en œuvre en 1S48 dans 131 forges, parmi
lesquelles celle de Ilorschowitz se distinguait par l'excel-
lence de ses fontes et de ses fers forgés. Pour la coutellerie ,
"Jarlsbad et Nixdorf, dans le cercle de Leippa, méritent sur-
lout d'être citées; cette dernière ville possède la meilleure
fabrique d'acier de toute la monarchie. Nulle part le fd d'ar-
chal ne se confectionne en plus grande quantité que dans
le cercle d'Eger ; la plus importante manufacture de ce genre
se trouve à Schœ,nbiihel. L'étain et la tôle se travaillent
piiiicipalement à Carisbad ; cependant Prague et les environs
«riîgcr et de Numburg fabriquent aussi des ustensiles d'é-
tain et de tôle dont la réputation s'étend au loin. Neudeck
mérite d être mentionnée pour ses instruments de mathé-
matiques, comme Biirgsteiu pour ses verres d'optique. Aces
différentes branches d'industrie on pourrait en ajouter plu-
sieurs autres, qui contribuent à alimenter le commerce,
telles que la fabrication du sucre de betteraves, qui en
18'is occupait déjà 3C fabriques, et celle des produits chi-
miques, qui en occupait 93.
Le conmierce de la Bohème exporte pour 47,457,800
francs de produits, et n'en hnporte que pour 39,204,100. II
est favorisé non-seulement par la fertilité du pays et par sa
position centrale entre le nord et le midi de l'Allemagne
orientiile , mais aussi par un grand nombre d'institutions et
de sociétés de toutes espèces (chambres de commerce et d'in-
dustrie, sociétés d'industrie, etc.), ainsi que par l'excellent
état des chemins. Prague est le centre d'im réseau déroutes
qui s'étendent dans toutes les directions, sur une longueur
totale de plus de 450 myriamètres, et de diverses ligues im-
jJ^rlautes de chemins de fer. Depuis 1845 une voie ferrécmet
cette ville en co.mmunication avec Vienne, et une autre avec
Dresde depuis 1851. Le chemin de fer de Budweis à Lini
est un des premiers qui aient été construits sur le continent
européen. Celui qui relie Prague aux montagnes boisées de
Piirglitz fut achevé peu de temps après. Un embranchement
qui joindra Aussig à Tœplitz est en voie de construction ,
et dernièrement une concession a été accordée pour deux
autres embranchements dans les districts riches en houille
de Bustielirad et de Weyhipka.
L'état de civilisation de la Bohème est en grande partie le
résultat de la lertihté du pays et des qualités des habitants;
cependant les soins de l'administration y ont également
contribué, ainsi que le voisinage de l'Allemagne. La popu-
lation allemande était naturellement disposée à subir l'in-
fluence de la civilisation allemande, et les Tchèques, la plus
intelligente des nations slaves, n'y restèrent pas étrangers.
Le Tchèque a l'esprit vif, docile, poétique, comme le prouve
son goût pour la musique; mais il est moins laborieux et
moins patient que l'Allemand. La grande majorité de la po-
pulation bohème appartient à l'Église catholique; le nombre
des protestants ne dépasse pas 88,600. L'autorité supé-
rieure ecclésiastique, qui comprend 1800 paroisses, est entre
les mains de l'archevêque de Prague et des trois évêqucs
de Leitmeritz, de Ko^niggrœtz et de Budweis. On compte,
en outre, 76 couvents d'hommes et de femmes. L'ins-
truction publique aurait besoin de nombreuses réformes;
cependant elle est sur un meilleur pied que dans la plupart
des autres parties de l'empire. Indépendamment de l'uni-
versité et de l'Institut polytechnique de Prague , et sans
parler des séminaires établis dans les villes épiscopales , la
Bohème possède 22 gymnases, réorganisés presque com-
plètement depuis 1850, et 3,500 écoles primaires. On tra-
vaille activement à multiplier les écoles spéciales , dont on
ne comptait encore que trois dans ces derniers temps. La
Bohême est riche aussi en sociétés savantes, en associa-
tions économiques, industrielles, artistiques, etc., la plu-
part fondées et soutenues par des particuliers.
Depuis que l'administration a été séparée de la justice,
l'ancienne répartition en seize cercles a été supprimc'e. Le
pays est aujourd'hui divisé, sous le rapport administratil ,
en sept cercles seulement : ceux de Prague, d'Eger, de
Leippa , de Gitschin, de Partubitz, de Budweis et de Pil-
sen, qui se subdivisent en 79 capitaineries de district. Le
centre de l'administration et le siège du gouvernement sont
à Prague. La justice est rendue par une cour suprême, avec
la procuraile générale siégeant à Prague; 13 tribunaux
provinciaux (qui sont en môme temps cours d'assises ) éta-
blis à Prague, Budweis, Tabor, Kuttenberg, Hohenmauth,
Ko'niggrœtz, Gitschin, Relchenberg, Leippa, Briix, Eger,
Pilsen et Pisek , 43 tribunaux correctionnels de district ( ou
collégiaux), et 210 tribunaux de cercle. .\ la tète de l'admi-
nistration militaire est un général, qui réside à Prague. Sous
le rapport des fortifications, les places du premier rang, Tlie-
resieustadt , Josephstadt et Kœniggrictz , sont remarquables
comme autant de boulevards de la ligne de défense natu-
relle tormée par les montagnes qui entourent la Bohème.
Depuis les journées de juin 1848, on travaille aussi avec
activité aux fortifications de Prague, qui doivent être termi-
nées en 1858.
Histoire.
La Bohême a reçu son nom des Tîoïcns, qui en furent
expulsés par les Rlarcomans vers l'époque de la naissance
de Jésus-Christ. Les Marcomans subirent le même soit, et
dès le cinquième siècle de notre ère on trouve établis en Bo-
hême les Tchèques, peuple slave qui s'y est maintenu jus-
qu'à ce jour. A cette époque la Bohême était divisée en
une foule de petites principautés, que Samo réunit de 627 à
602 pour en former avec les pays slaves avoisinants une mo-
narchie, qui se rendit redoutable même aux Franks ; mais
i
BOHÊME
ta
après sa mort son oeuvre Ait détrtiite. Les campagnes de
Cliarlemagne contre les Bohèmes, en 805 et 806, n'eurent pas de
résultat durable, et l'armée de l'empereur Louis fut presque
anéantie par eux en 849. Entre les années 871 et 894 , la
Bohême tut soumise au roi morave Swatopluk. Ce fut vers
ce temps qu'elle embrassa le christianisme. Les ducs de
Prague , qui descendaient de Libussa, célèbre dans les tra-
ditions du pays, et de son époux Przemysl, acquirent peu à
peu la suprématie, et, après la mort de Swatopluk, que sui-
vit de près la ruine de son empire, hâtée par une invasion
des Maggyares, ils entrèrent volontairement, le 15 juil-
let 895, à la dièîe de Ratisbonne, dans la Confédération
Germanique, dont la Bohême n'a plus cessé de faire partie.
L'ambitieux et énergique Boleslas 1" (936-967), que la
passion de régner avait poussé au meurtre de son frère
aîné, saint Wenceslas, chercha en même temps à sou-
mettre à son autorité tous les autres princes bohèmes et
à se rendre lui-môme indépendant de l'Allemagne. 11 ne
réussit que dans son premier projet. Son fils Boleslas II
(967-999) étendit son pouvoir sur la Moravie et jusqu'à la
Vistule et au Bog. Ce fut lui qui fonda en 973 l'evèché de
Prague. Les querelles de ses (ils leur firent perdre toutes
ces conquêtes que le bravo Boleslas Chrobry de Polojjne
leur enleva ; cependant Brzeti.slas I" ( 1037-1055 ) réussit à
reprendre la Moravie, qui resta dès lors unie à la Bohême.
L'empereur Henri IV accorda le titre de roi au duc Wra-
tislas II (1061-1092) en 1086, et l'empereur Frédéric l" le
confirma, en 1158, à son petit-fils Wladislas II ( 1140-1173),
en récompense des services qu'ils avaient rendus à l'em-
pire. De 1173 à 1197 on vit jusqu'à dix piintes de la fa-
mille régnante se disputer un trône chancelant , et la Bo-
hême était près de sa raine lorsque, instruit à l'école du
malheur, Przemysl Ottokar I" (1197-1230) changea l'an-
cienne loi de succession, rendit la couronne héréditaire et
l'affermit sur sa tète par sa poltique et son épée.
Sous son petit-fils Przemysl Ottokar II la Bohème s'éleva
à un haut degré de puissance. A l'exception du Tyrol et
de Salzbouig , elle conciuit tous les pays allemands de la
monarchie autrichienne ; mais Ottokar perdit ses conquêtes
et la vie en combattant Rodolphe de llabsbourg. Son fils
Wenzel II réussit, au contraire, à se faire élire roi de Po-
logne, et son petit-fils Wenzel 111, roi de Hongrie. Ce der-
nier fut assassiné à Olmiitz, le 4 août 1306. En lui s'éteignit
la maison des Przemysl.
De 1310 à 1407 la Boliôme fut gouvernée par des princes
de la maison de Luxembourg. Le roi Jean (1310-1346),
s'étant désisté de ses prétentions au trône de Pologne,
obtint en dédommagement la Silésie. Charles I" , empereur
d'Allemagne sous le nom de Charles IV ( 1346-1378), rendit
de plus grands services à son royaume en provoquant, en
favorisant la civilisation, et en réunissant à ses États la
Lusace, une grande partie du Haut-Palatinat et de la Marche
de Brandebourg , conquêtes que ses fils, dégénérés, et ses
neveux ne tardèrent pas à se voir enlever presque en tota-
lité. Sous Wenceslas IV ( 1378-1419), des idées de réforme
se propagèrent en Bohême par les travaux de Jean Huss
et de ses partisans, et la mort du réformateur, condamné
au feu par le concile de Constance, en 1415, amena une
séparation complète d'avec Rome. Cependant ce fut seule-
ment aprè:-- la mort de Wenceslas, en 1419, que les me-
sures imprudentes de l'empereur Sigismond firent éclater
la guerre des hussites, qui dura seize ans. La supériorité des
armes des hussites , fortifiée par l'esprit national énergique
qui caractérisait ce parti politico-religieux , fit de la Bohême
un royaume électif ( 1420-1547 ). Après la mort de Ladislas
le Posthume (1453-1457), George de Podiebrad, le sage et
vigoureux administrateur du royaume, qui professait la re-
ligion des hussites, fut élevé, en 1458, sur le trône de
Lohême, et s'y maintint en dépit des excommunications du
pape et malgré la traiiison de son gendre, le roi Matthias
de Hongrie, et d'une grande partie de ses principaux vas-
saux. Son successeur, Wladislas (1471-1516), fut élu, en
1 490 , roi de Hongrie, et établit sa résidence à Ofen , que
son fils et successeur Louis (1516-1526) continua à habi-
ter. Louis ayant été tué, en 1526, à la bataille de Mohacz,
la Bohême avec la Hongrie échut à l'archiduc Ferdinand
d'Autriche, qui voulut forcer les Bohèmes à prendre les
armes contre l'électeur de Saxe dans la guerre de Smal-
kalde.
Les Bohèmes s'y étant montrés peu disposés , et ayant
semblé, au contraire, vouloir favoriser l'électeur, l'ar-
chiduc , après que l'empereur Charles-Quint eut remporté
la victoire de Miihlberg, les traita très-rudement, et déclara
la Bohème royaume héréditaire à la diète de 1547, qu'on
a surnommée la diète sanglante. Son fils Maximilien lui
succéda en 1564 ; il eut pour successeurs ses fils Rodolphe
en 1576, et Matthias en 1611. Sur la fin du règne de ce
dernier, de nombreuses atteintes portées à la liberté des
cultes occasionnèrent des troubles qui faillirent enlever la
Bohême à la maison d'Autriche. Sans tenir compte des
droits de Ferdinand II, qui avait été couronné roi du vivant
même de son père, les Bohèmes donnèrent, en 1619, la
couronne à l'électeur palatin Frédéric V. Mais à la bataille
de la montagne Blanche, livrée près de Prague, le 8 no-
vembre 1620 , la balance ayant penché du côté de Ferdi-
nand, vingt-sept des auteurs de l'insurrection furent exécutés,
seize bannis ou condamnés à une prison perpétuelle, et les
biens de tous confisqués. La confiscation fut également
prononcée contre ceux qui étaient morts avant la défaite
de leur parti , contre vingt-sept contumaces et contre
sept cent vingt-huit gentils-hommes. Le culte protestant,
que professaient plus des trois quarts des habitants, fut dé-
fendu, la constitution abolie en 1627 , et la Bohême con-
vertie en une monarchie catholique , absolue et héréditaire.
Ces mesures arrêtèrent immédiatement le développement
intellectuel et politique provoqué et favorisé par la guerre
des hussites. 3(i,000 familles, dont 1,088 d'origine noble,
tous les pasteurs et tous les instituteurs protestants, une
foule d'artistes , de négociants et d'ouvriers , ne voulant pas
changer de religion , émigrèrent dans la Saxe , le Brande-
bourg, la Pologne, la Suède, la Hollande, etc. Cette émi-
gration, jointe aux ravages de la guerre de Trente Ans , qui
commença et finit en Bohême , dépeupla ce royaume. Des
colons allemands s'établirent sur différents points du terri-
toire, protégi'S et favorisés par le gouvernement aux dépens
de la population bohème.
Après la mort de Charles VI, en 1740, l'électeur de Ba-
vière Cliarles-Albert éleva des prétentions à la couronne,
et se fit proclamer roi par les états assemblés à Prague;
cependant INlarie-Thérèse maintint son autorité sur le pays.
Le même fait se reproduisit dans la guerre de Sept Ans ,
lorsque les Prussiens s'avancèrent jusque sous les murs de
Prague. Sous Joseph II la Bohême fut une des provinces
de son empire auxquelles ce prince appliqua de préférence
ses plans de réforme. Si son absolutisme éclairé ne fut pas
favorable à la résurrection nationale et politique de la Bohème,
il contribua du moins aux progrès de la civilisation, et dé-
posa dans le pays des germes dont le règne, moins libéral,
de son successeur put bien aiTêter le développement, mais
sans parvenir à les étouffer. La Bohême, qui fournissait des
einployés civils et ecclésiastiques à la moitié de la monar-
chie, conserva néanmoins chez elle un noyau d'hommes
habiles qui réveillèrent graduellement dans son sein la vie
publique.
La révolution de Juillet, dont le contrecoup se fit sentir
jusque sur les frontières de l'Autriche, n'émut pas la
Bohême; c'est plus tard seulement qu'il s'y forma une espèce
d'opposition très-modérée , qui ne s'attaqua guère au sys-
tème oppressif de Melternich que dans des détails secon-
daires. La révolution de Février, au contraire, y fit éclr-ler
342 BOHÊME
un violent mouvement politique. A peine apprit-on la chute
de Louis-Philippe, qu'une nombreuse assemblée de bour-
geois de Prague signa une pétition à l'emperenr pour de-
mander la liberté |)olilique et nationale. Dans l'intervalle
curent lieu à Vienne les événements de mars, et l'Autriche
se proclama État constilulionnel. L'oppression sous laquelle
la Uohi^uie gémissait depuis des siècles fut brisée; mais
l'élément national, en se manifestant avec énergie, provoqua
la résistance de l'élémont allemand. La population allemande
dans son enthousiasme considéra l'Assemblée nationale de
Francfort comme le boulevard de ses libertés, tandis que les
Tchè(iues n'y virent qu'un danger menaçant pour leur na-
tionalité. Alin d'o[)poser un contrepoids à l'assemblée de
Francfort, ils convoquèrent à Prague un congrès slave,
qui se réunit en effet le 31 mai I8'i8, mais qui ne termina
pas sa session ; car un conflit entre le |)euplc et l'armée, qui
é<;lafa le 11 juin, amena une lutte sanglante, suivie, le 15,
du bombardement de Piague et de la dissolution du con-
grès. L'harmonie toutefois ne se rétablit pas entre les deux
parties de la population. Dans la première diète constitution-
nelle de l'Autriclie, les députés tchèques soutinrent tous la
politique du gouvernement , tandis que les députés alle-
mands, à bien peu d'exceptions près, votèrent avec la gauche.
A la révolution d'octobre, les premiers s'enfuirent de Vienne,
et travaillèrent à faire translérer la diète à Ivremsier en
Moravie. Ils appuyèrent aussi le gouvernement dans sa
lutte contre les Maggyares, et exercèrent une grande in-
lluence sur la marche des événements. La dissolution de
la diète et l'octroi de la charte de mars 1840 brisèrent cette
iunuence, et mirent un terme aux querelles des nationalités
en Uohéme; mais la pacification n'est (ju'apparente, et la
Ijohémeest certainement appelée à jouer un grand rôle dans
les destinées futures de cette agrégation d'États qui forme
l'empire d'Autriche. Consultez Pelzel , Hisloire des Bo-
hèmes ( 2 parties, Prague, 1772 ) ; Palacky, Histoire des
Jio/icmes (vol. 1-3; Prague, 183G-1847); Jordan, His-
toire du peuple et du royawne de Bohême {3\o\., Lei-
pzig, 1845-1847 ); Sommer, Tableau statistique et topo-
graphique du royaume de Bohême ( vol. 1-15, Prague,
1838-47).
Langue et littérature.
De tous les peuples slaves, ce sont les Bohèmes ou Tchè-
ques qui possèdent la plus ancienne littérature; les monu-
ments de leur activité littéraire remontent au dixième siècle;
mais les débris les plus remarquables n'en ont été retrou-
ves que dans ces derniers temps. On cite dans le nombre le
fragment découvert par Hanka, en 1817, à Kœniginhof,
d'un recueil de chants épiques et lyriques composés dans le
treizième siècle, recueil qui a d il être très-considérable,
puisque les titres de ce (jui s'en est conservé indiquent les
chapitres 2G à 28 du 3* livre. Ces chants, au nombre de
quatorze, surpassent peut-être en force, en noblesse, en dé-
licatesse, en grûce, tout ce que nous a Ui^wé le moyen âge.
Outre le manuscrit de Kœniginhof, la littérature bohème
de l'époque antérieure à Jean IIuss nous olfre vingt ou-
vrages en vers et au delà de cinciuantc en prose plus ou moins
étendus, parmi lesquels se distinguent la Chronique e?i
vers de Dalinnl, depuis 13t4; le Livre d'Instruction, com-
posé en 137G, par Thomas de Stitny, pour ses enfants, et
un recueil de fables anonyme intitulé le Conseil des Ani-
viaux, (pii date du même temps. L'ouvrage du juge supé-
rieur André de Duba sur l'organisation judiciaire de la
Bolième en 1402, et le poème politico-didactique encore
inédit du baron Smil Flaschka de Richcnburg ( moil en
1403), ne pn-sentent pas un moindre intérêt. La spirituelle
satire le Charlatan, comédie du commencement du qua-
torzième siècle; un grand nombre de chants historiques, tels
{\\'.K celui sur la bataille de Crécy en 1376, où le roi Jean
tJc Uohême fut tué; des satires, des fables, etc., sont au-
tant de preuves de l'état florissant de la littérature bohCnae
à cette époque reculée. A côté de la longue élégie de Louis
Tkadleczek sur la mort de son amante, qui remonte à la se-
conde moitié du quatorzième siècle, et dont de llagen a
donné une traduction libre dans le Laboureur de la Bohême,
se placent un grand nombre de traductions d'ouvrages étran-
gers, comme YAlexandréide, du treizième siècle; la Table
ronde du roi Arthur, Tristan , les Voyages de Marco
Polo, etc.
Avec Jean Huss commença une nouvelle période littéraire.
Le célèbre réformateur composa beaucoup de poésies en
vers hexamètres, revit et améliora la traduction de la Rible
bohème, et écrivit une vingtaine d'ouvrages plus ou moins
étendus ; toutefois il exerça sur la littérature de sa patrie
une influence indirecte plus puissante encore. 11 serait dif-
ficile de compter la multitude de traités dogmatiques , polé-
miques, ascétiques, publiés par les diverses sectes de hus-
sitesà partir du quinzième siècle; les plus mauvais ne sont
pas ceux qui sont l'œuvre d'ouvriers, de paysans, de femmes ;
beaucoup néanmoins furent bien vite oubliés, après avoir
joui d'une certaine réputation. La poésie dégénéra rapide-
ment en pitoyables bouts rimes; quelques chants religieux
des hussites se distinguent seuls encore sons le rapport poé-
tique. Ceux du prince Hynek de Podiebrad, tils du roi
George, qui ne sont pas tous arrivés jusqu'à nous, ne sont
pas sans mérite, bien que diffus. La prose, au contraire, se
perfectionna considérablement dans le quinzième siècle, la
langue nationale étant seule emjjloyée dans les actes publics.
Les pièces officielles et les lettres des honmies d'État de cette
époque sont de vrais modèles de style concis, clair, nerveux,
énergique; mais dès la fin du quinzième siècle la chancel-
lerie bohème sort de cette voie, en s'appliquant de plus en
plus à imiter les formules obséquieuses et prolixes des chan-
celleries allemandes. Au reste, l'usage diplomatique de la
langue bohème n'était pas restreint à la Bohême et à la
Moravie. L'influence de l'université de Prague et de la cour
de Bohême tendait à en taire la langue générale de la civili-
sation slavo-catholique; on s'en servait même fréquemment
dans la chancellerie des grands-ducs de Lithuanie. Mais deux
circonstances lui firent perdre ses avantages : d'une part
l'hostilité du clergé slave-catholique contre l'influence dos
doctrines de Huss, et de l'autre la translation du siège du
gouvernement à Olen, eu 1490. Toutefois, on continua à la
cultiver avec ardeur dans la Bohême.
Le nombre des écrivains nationaux de cette période est
très-considérable. Ziska lui-même a écrit non-seulement
un chant de guerre, mais une instruction militaire pour ses
troupes. Ce dernier ouvrage fait moins Lien connaître la
tactique de ce temps que celui du sous-intendant Hajek de
ilodetin, lequel est pourtant lui-même moins complet que le
petit traité de stratégie de l'expérimenté capitaine Wenzel
Wlczek de Czenow. Ce dernier livre, qui date de la seconde
moitié du quinzième siècle, et qui vient d'être retrouvé, jette
un grand jour sur l'art militaire des hussites. Cultivée avec
moins de soin, l'histoire ne fournit quun petit nombre d'é-
crits, qui ont été publiés par Palacky dans les Scriplores Re-
rum Bohemicarum ( vol. 111, 1829 ). Les voyages d'Albrecht
Kostka de Postupic en France ( 1464 ), de Rosznutal ( 14G5}»
à travers l'Europe , du frère bohème Martin Babaknik eu
Orient et en Egypte (1491), de Jean de Lobkowitz en Pales-
tine (1493), renferment d'intéressants détails sur la géogra-
phie et les mœurs des habitants de ces divei"s pays. Parmi
les écrits politiques on doit mentionner principalement ceux
du capitaine de la Moravie Etil)or de Cimburget de Sobits-
chau, mort en 1494. Us élincellent d'esprit et d'éloquence
naturelle. Ceux de Victorin Cornélius de Wschelird , mort
en 1520, qui, par leur style élégant, précis et coulant, ne se-
raient pas indignes de l'antiquité classique, ont été imprimés
dans la Bibliothèque Bohême moderne (vol. I, 1842).
12 Art de Gouverner, du clianoinede Prague PaulZidck, cA,
j
au contraire , un livre de peu de valeur, de même que sa
grande Encyclopédie. La littérature bohème de ce temps
ne manque pas non plus d'ouvrages d'économie , d'hygiène
populaire , ni d'autres écrits de ce genre.
La période de 1526 à 1620 est regardée par les Bohèmes
comme l'âge d'or de leur littérature. C'est en effet durant
ce siècle, et principalement sous le règne de Rodolphe II
( 1576-1611), que toutes les branches delà science et de l'art
furent cultivées avec plus de succès dans tous les rangs de
la société. Il serait ditîicile, il est vrai, de citer un Boliême
qui, par l'essor hardi de son génie , eût ouvert de nouvelles
routes à la science; car Kepler, quoique directeur de l'ob-
servatoire de Prague , n'était pas né en Bohême. Il serait
également difficile d'en trouver un qui ait imprimé un puis-
sant élan aux beaux-arts ; cependant le soin que l'on prit de
répandre l'instruction dans toutes les classes de la population
mérita des éloges, et ne resta pas sans influence sur la
prospérité publique. La Bohème possédait alors des écoles
florissantes. Indépendamment de deux universités, Prague
seule comptait seize établissements d'instruction , entre au-
tres, plusieurs écoles de filles , et dans tout le royaume il y
avait un nombre sulliisant de gymnases et de séminaires. La
langue bohème, employée seule dans toutes les transac-
tions, acquit alors le plus haut degré de perfection, et l'a-
bondance des ouvrages mis au jour sur toutes sortes de
sujets s'accrut considérablement. Toutefois il faut avouer
que la valeur intrinsèque de ces publications ne répondit
pas à leur nombre. Durant toute cette période la Bohème
n'a pas un poète à opposer au poëte polonais contempo-
rain Kochanowski , bien que son influence sur lui soit sen-
sible. Les poètes les plus remarquables de ce siècle sont
George Streyc , le psalmiste bohème , et Simon Lomnicky
de Budecz, le poëte de la cour de l'empereur Rodolphe H.
Par contre, l'éloquence politique et judiciaire a fait de
notables progrès. Les Mémoires du capitaine de INIoravie
Charles de Zerotin (1594-1614) et ses Lettres bohèmes
peuvent passer pour des modèles de style épistolaire. A la
tète des écrivains qui consacrèrent leurs veilles à l'histoire
se place un homme d'une valeur équivoque , Wenzel Hajek
de Liboczan, mort en 155.3, dont la Chronique de Bohême
n'est qu'un roman historique. Cinq autres historiens, dont
les ouvrages sont encore inédits, méritent plus de confiance,
savoir : le notaire Bartosch de Prague (1544 ), qui peignit
^ sous de vives couleurs les troubles de la Bohême en 1524 •
Sixte d'Oltersdorf , le chancelier de la vieille ville de Pra-
gue, mort en 1583, qui raconte en détail avec beaucoup
d'exactitude les événements précurseurs de la diète sanglante
de 1547; Jean Blahoslaw, mort en 1571, écrivain formé
par l'étude de l'antiquité classique, qu'on regarde comme
l'auteur probable d'une Histoire des Frères Bohèmes et
Moraves ; un anonyme, auteur d'une Histoire générale de
Bohême, dont le premier volume, le seul qui existe, se
trouve à Stockholm, et Wenzel Brzezan (au commence-
ment du dix-septième siècle), excellent généalogiste et bio-
graphe, dont les ouvrages se distinguent par leur clarté, leur
intérêt, leur profondeur et leur concision. Parmi les histo-
riens de cette époque dont les ouvrages ont été imprimés ,
nous nous bornerons à citer le laborieux et patriote Dan,
Adam de Weleslawin, mort en 1599, et le Polonais Barthé-
lémy Paprocki. Les voyages et aventures d'Ulrich Presat
de Wlkanowa (1546), de Wenzel-Wratislas de Mitrowic
(1599) et de Christophe Harant de Polzic ( 1608), fournis-
sent de curieux documents de géographie et de statistique.
On peut compter encore au nombre des écrivains remar-
quables de ce temps Nicolas Konec de Hodiskow, mort
en 1546; Tévêque des Frères Bohèmes, Jean Augusta,
mort en 1572 ; le chanoine Thomas Baworowsky, qui
vivait vers 1560; le sénateur Paul-Christian de Koldin, mort
en 1.589; le philologue Matthieu Beneschowsky, vers 1587;
l'antiquaiie Abraham de Ginterrod, mort en 1609; le pré-
BOHÊME 343
sident de la cour d'appel Wenzel Budowec de Budowa ,
mort en 1621; les écrivains religieux Martin-Philadelpiie
Zamrsky, mort en 1592, et Gallus Zalansky, vers lovo II
n'est pas permis non plus de passer sous silence les huit
savants éditeurs de la Bible de Kralic, publiée par les Frères
Moraves : Jean de Zerotin les logea dans son château de
Kralic, où pendant quinze ans ils travaillèrent sans re-
lâche à traduire toute la Bible sur les originaux , à la com-
menter et à l'imprimer en 6 volumes in-4° (1579-1593). Cette
traduction est un modèle de pureté, de correction et d'é-
légance.
La guerre de Trente-Ans et la bataille de la Montagne-
Blanche portèrent un coup fatal à la littérature bohème.
Jamais peuple ne tomba plus rapidement d'un haut degré
de civilisation dans la plus profonde barbarie. Tout ce qu'il
y avait d'hommes distingués périrent sous la hache, dans
la guerre ou de la peste ; d'autres, qui se faisaient remar-
quer par leur esprit et leur instruction, émigrèrent, les ec-
clésiastiques et les professeurs d'abord, les bourgeois en-
suite, et enfin la noblesse, en 1628. Les biens des bannis
furent distribués à des aventuriers italiens, flamands, espa-
gnols, irlandais, qui accoururent en foule dans la Bohème et
s'emparèrent de toutes les places, de toutes les dignités. La
nationalité bohème disparut ainsi, sinon politiquement, au
moins moralement ; Bohème et hérétique rebelle devinrent
deux expressions synonymes, en sorte que beaucoup d'ha-
bitants du pays, renonçant à leur nationalité, germanisèrent
leurs noms. Les monuments de l'ancienne littérature furent
proscrits; des jésuites, accompagnés de soldats, allaient de
porte en porte saisir les livres suspects et les livrer aux flam-
mes. Or, on avait établi en principe que tous les ouvrages bo-
hèmes composés entre 14l4 et 1635 étaient suspects d'héré-
sie. En vain des jésuites instiiiits, comme Balbin, élevèrent-ils
la voix contre ce vandalisme. La chasse aux livres continua
jusque dans les dernières années du dix-huitième siècle, et
en 1760 le jésuite Antoine Konias pouvait se vanter d'avoir
brûlé 60,000 volumes. N'est-ce pas merveille que tant de
monuments de l'ancienne littérature bohème soient encore
arrivés jusqu'à nous? 11 est vrai qu'ils étaient presque tous
enfouis dans les archives et les bibliothèques, où ils res-
tèrent pendant deux siècles com|)létenient ignorés.
Le pays tomba ainsi dans l'ignorance la plus grossière,
à part quelques hommes, qui devaient leur instruction à 1&
période précédente. De ce nombre furent le comte Slawata,
mort en 1652, et qui a laissé manuscrite une longue his-
toire de son temps en langue bohème, formant 15 vol. in-r*,
et l'émigré Paul Skala de Zohr, qui s'établit d'abord à Lu-
beck, puis à Freyberg en Saxe, et composa avec de bons
matériaux , la plupart inédits , une histoire universelle de
l'Église en dix gros vol. in-f°. Cette histoire , qui n'a pas
été imprimée , traite plus spécialement de l'Église de Bo»
hême jusqu'à l'année 1624. Jean-Amos Coménius, le der-
nier évêque des Frèjes Bohèmes , fut aussi le dernier écri-
vain qui jeta quelque éclat sur la littérature de sa patrie.
Son style latin est presque barbare; mais rien de plus pur,
de plus vif, de plus énergique, de plus élégant que ses ou-
vrages en langue bohème ; ce sont des modèles qui n'ont pas
été surpassés. Ses œuvres, imprimées à Lissa en Pologne,
ont paru de nouveau à Amsterdam. Beaucoup de livres
desiifiés aux émigrés se publièrent également à Pirna , à
Dresde, à Berlin, à Halle. La littérature bohème se conserva
pendant cette période chez les Slovaques de la Hongrie, où
Tranowsky, Masnik, Pilarik, Hermann, Hruschkowic, Do-
lezal, se firent un nom par leurs publications religieuses.
Dans la Bohême même et la Moravie, à l'exception des Es-
sais de Rosa en vers hexamètres, de la Chronique de Be-
zowsky et des Chants de Wolney, on ne trouve pendant un
siècle et demi aucun ouvrage qui mérite d'être cité.
Le 6 décembre 1774 parut un décret qui introduisit en Bo-
hème le système d'instruction adopté en Allemagne, et sup»
344 BOHÊME
prima ou réorganisa les écoles latines des couvents. Un
nouveau décret de 1784 ordonna inCnie aux professeurs des
écoles supérieures d'employer la langue allemande dans'leurs
cours. Dès lors un Tchèque put à peine apprendre à lire, à
écrire, à compter dans sa langue maternelle. Le coup était
d'autant plus funeste à la langue et à la littérature boliômes,
que les décrets avaient pour but d'introiiuire dans le
royaume la civilisation germanique, et de substituer l'usage
de l'allemand à celui du bohème dans l'administration. Son
effet immédiat fut de réveiller Tesprit de nationalité chez
les Tchèques. Des hommes de cœur se dévouèrent à sauver
leur langue maternelle. Le premier qui éleva la voix fut le
brave général François Kinsky, dans ses Souvenirs relatifs
à un objet important (1774). L'historien Pelzel (1775)
marcha sur ses traces. Le gouvernement se vit donc forcé
de permettre, en 1775, l'enseignement en langue bohème,
au moins dans les écoles militaires supirieures. La culture
des sciences, que rien n'entravait, en établissant des relations
plus fréquentes avec les savants étrangers, contribua aussi
à la restauration de la langue nationale. On vit presque dans
le même temps se produire plusieurs auteurs d'ouvrages
originaux ou de traductions. On rechercha avec amour, pour
les publier, les restes de l'ancienne littérature. Si l'on ex-
cepte Pelzel, dont la ISoioa Kronyka Czeska{3 vol., 1791-
1796) est encore aujourd'hui un des meilleurs manuels d'his-
toire de Bohème, personne ne rendit plus de services dans
c^tte œuvre de régénération que le moine François-Faustin
Prochazka ( 1777-1S04); Wenzel-Malth. Kramerius, mort
en 1808, excellent écrivain populaire, connu depuis 1783;
Alex.-Vinc. Parizek, auteur ou traducteur de plusieurs ou-
vrages d'éducation, mort en 1823; Jos. Dobrovvsky, le plus
célèbre étymologiste des Slaves; François Tomsa, qui, après
avoir publié d'estimables écrits populaires et de bons dic-
tionnaires, mourut en 1814; Wenzel Stach, J. Rulik et les
frères Thain. Les travaux de Leska, Rybay, Tablic, Palko-
wicz, Roznay, etc., provoquèrent aussi chez les Slaves hon-
grois un redoublement d'ardeur pour l'étude de la langue
et de la littérature bohèmes. Dès 1795 le savant curé Ant.
Puchmayer, mort en 1820, mit au jour des vers d'un tour
vraiment poétique; il fut aussi le premier qui fit connaître
à ses compatriotes la littérature polonaise et russe. 11 eut
pour émules plus ou moins heureux les deux frères Adal-
bert et Job. Negedly; Jos. Rautenkranz, mort en 1818 ; Franc.
Stepniczka, mort en 1832; Sébastien Hnjewkowsky, mort
en 1847; Franc. -Jean Swoboda, etc., qui furent eux-mêmes
de beaucoup surpassés, depuis 1805, par Jos. Jungmann,
né le 16 juillet 1773, à Iludlitz, en Bohême, mort le 14 no-
vembre 1847, préfet des études au gymnase de Prague.
Toutefois, les efforts de ces écrivains n'obtinrent d'abord
que i»eu de succès , la noblesse et la classe éclairée de la
bourgeoisie ayant déjà presque entièrement oublié la langue
maternelle et restant indifférentes à leurs travaux. Mais
les difficultés qu'ils avaient à vaincre ne refroidirent pas leur
zèle; et leur persévérance, favorisée par les événements
politiques, finit par triompher. L'année 1818 ouvrit donc
une ère nouvelle pour la littérature bohème. La publi-
cation du manuscrit de Kœniginhof réveilla le sentiment
national ; la création d'un Musée à Prague par les soins
du comte Kolowrat lui imprima une grande énergie;
et plusieurs décrets rendus de 1816 h 1818, en permettant
l'enseignement du bohème jusque dans les collèges, accélé-
rèrent les progrès de la culture de la langue et <ie la littéra-
ture nationales. Dès que la sagacité de Dobrowsky eut
découvert l'ensemble de la construction organique de celle
langue et révélé son étonnante aptitude à revêtir toutes
les formes, il fut possible d'établir une terminologie fixe,
claire, régulière, pour la plui)art des branches de la .science,
en s'aidant des monuments trop longtemps négligés de l'an-
cienne littérature et en s'appuyant .sur le.s autres dialectes
«laves. C'est à J. Jungmann et à Jean Swat. Presl qu'ap- |
partient l'honneur d'avoir déblayé cette route difficile. T.«
manuscrit de Kœniginhof a également ennobli la langue
poétique; et en recommandant les antiques formes métriques
Schafarik et Palacky ont contribué, dans ces derniers temps,
à l'essor de la poésie bohème. La nation entière ne se
montra pas sans doute également satisfaite de la rapide
métarmoiphose de la langue et de la littérature; les parti-
sans des vieilles traditions, entre autres les professeurs
J. Negedly, de Prague, mort en 1835, et Palkowiczde Pres-
bourg, opposèrent à la réforme une violente résistance, et
engagèrent un combat qui dégénéra bientôt, il est vrai, en
de puériles discussions orthographiques, mais qui menaça
de devenir dangereux en excitant la méfiance du gouver-
nement. L'amour de la littérature bohème, au contraire,
se répandit dans toutes les classes, et l'on se mit à cultiver
avec plus ou moins de succès toutes les parties du vaste
champ de l'intelligence.
Parmi les poètes et les littérateurs qui se sont fait le plus
remarquer dans ces derniers temps, nous citerons J.-L.
Czelakowsky, Jean Kollar, Jean Holly, né, comme Kol-
lar, en Hongrie, dont les poèmes épiques, entre autres Swa-
topluk et la Cijrillo-Métiiodiade , sont fort goûtés; Jean
Langer, connu par ses contes en vers et ses satires;
K.-A. Schneider, dont les chansons et les ballades sont
partout dans la bouche du peuple. A ces noms se rattachent
une fouie de jeunes talents , qui défrichent avec plus ou
moins de bonheur le domaine de la poésie lyrique ou élé-
giaque, de la ballade et de la nouvelle. Le drame est moins
cultivé. Stiepanek, ancien directeur du théâtre de Prague,
les professeurs Klicpera de Prague, Charles Machaczek de
Gitschin, et plus récemment Kaj. Tyl, Georges Kolar, etc.,
ont bien publié un assez grand nombre de comédies et
de tragédies; Machaczek et le professeur Swoboda, mort
en 1849, ont même composé des opéras; mais la plupart
de leurs travaux n'ont qu'une valeur très-relative. Si la lit-
térature dramatique n'a pas fait jusque ici plus de progrès,
malgré les encouragements qu'on lui accorde, cela tient
uniquement à ce que la Bohême manque d'un théâtre na-
tional permanent et bien dirigé.
Sous le point de vue des sciences, les écrivains qui ont
le plus contribué à enrichir et à perfectionner la langue
sont Jos. Jungmann, Paul Schafarik, Wenzel Hanka, Jean-
Swat. Presl, professeur et directeur du cabinet d'histoire
naturelle de Prague. Dans ses nombreux ouvrages d'histoire
naturelle , ce dernier a ouvert une voie toute nouvelle à la
langue bohème ; car pendant son sommeil de deux siècles
cette langue n'avait pu suivre la marche de la civilisation,
et chaque auteur spécial avait dû inventer une terminologie
à son usage. Aucune branche des sciences n'a été culli\ée
avec plus de bonheur que l'histoire. Palacky a conservé
le premier rang; mais il a trouvé un digne rival en Wlad.
Tomek , professeur d'histoire à Prague. L'archéologie a été
cultivée par Schafarik et Wocel, professeur d'arcliéologie
à Prague; la géographie, par Schadek, Zap, etc.; la phy-
sique, la technologie, etc., par Sedlaczek, Smetana, Stauitk,
Amerling , etc. La philosophie n'a pas été non plus tout
à fait négligée, sans avoir cependant produit aucun ouvrage
remarquable.
Depuis 1848, que l'égalité de foutes les national'tés a
été proclamée dans la constitution de l'Autriche, et que
l'enseignement de la langue bohème dans les écoles, comme
son usage dans l'administration, n'éprouve plus d'ob.stacle ,
la littérature a pris une nouvelle direction. Les belles lettres
ont cédé le pas au journalisme ; néanmoins des innombrables
journaux qui s'étaient établis en Bohème et dans d'autres
pays slaves, beaucoup ont disparu. En 1851 on n"en
comptait déjà plus que vingt-deux en langue bohème,
«iont onze en Bohême, cinq en Moravie, quatre en Hon-
grie et deux à Vienne. Dans ce nombre se|)t seulement
étaient purement politiques. Depuis 1831 il existe auprès
BOHÊME — BOHÉMIENS
du Musée Bohême de Prague un institut particulier, qui se
voue à l'encouragement de la littérature bohème. Le nom-
bre de SCS membres s'élevait en 1849 à quatre mille, et il
disposait d'un fonds de 65,000 florins. Il a publié les^H^i-
qiiités Slaves de Schafaiik, le grand Dictionnaire de Jung-
mann, son Histoire de la Littérature, et d'autres ouvrages
scientifiques.
Le bohème est un des principaux dialectes du slave oc-
cidenlal ; c'est une langue sœur du polonais et du serbe. On
la parle, non-seulement en Bohème, mais en Moravie, et avec
de légères altérations parmi les Slovaques de la Hongrie,
r.llc l'emporte sur les autres idiomes slaves par la richesse
de ses racines et sa grande flexibilité , par son incompara-
ble clarle et sa précision, par la délicatesse de sa structure
grammaticale, par la liberté de sa syntaxe et de ses cons-
tructions. Ce qui la distingue encore est la concision et
l'abondance; elle est la plus énergique, la plus mâle, mais
aussi la plus dure des langues slaves. Elle se fait remarquer
encore par l'orthographe précise et conséquente que J. Huss
introduisit dans le quinzième siècle, orthographe qui, tout
en einpioyant les caractères latins, donne à chaque son un
signe propre. Cependant elle présente un autre caractère
qui la distingue plus particulièrement de la plupart des
langues de l'Europe; elle affecte la quantité des langues
anciennes , tandis que l'accent tonique domine toutes les
langues modernes : aussi est-elle plus propre qu'aucune
autre à rendre le rhythme du grec et du latin. Aucune
non plus ne se prête aussi facilement à la traduction des
classiques. Ces qualités rendent pourtant sa granmiaire
beaucoup plus difficile et plus compliquée que celle des
autres langues. On peut consulter à ce sujet la Grammaire
détaillée de la Langue Bohême à l'usage des Allemands ,
par Burian ( Kœniggraelz , 1840), et V Introduction à l'É-
tude de la Langue Czecho-Slave, par Koneczny (Vienne,
1842). Ce dernier écrivain a publié dernièrement un fort
bon Dictionnaire de poche Allemand-Bohême. Le Dic-
tionnaire Allemand- Bohême et Bohème- Allemand de
Tranta-Schumansky , qui n'a été achevé qu'en 1851, est
beaucoup plus complet et plus volumineux. Nous citerons
encore \e Dictionnaire Technologique àe SpâXny, spéciale-
ment destiné aux agriculteurs , aux ouvriers , etc.
BOIIKME (Forêt de). Voyez Boeumerwald.
BOHÊME (Guerre des filles de). Une ancienne tradi-
tion , que les recherches les plus récentes ont prouvé être
dénuée de fondement historique, raconte qu'après la mort
de la reine Libussa , son amie Wasta ( environ l'an 740 de
notre ère) avait tenté de donner à son sexe la donn'nation
en Bohême. Pendant plusieurs années, retranchée dans son
château de Dewin, situé en face de Wschehrd, elle avait .
régné sur les environs ; nfiais les hommes avaient réussi à
se rendre maîtres du château par la force et la ruse, et
avaient mis fin au règne de Wlasta. Si celte tradition, qui
a reçu successivement beaucoup d'ornements romanesques,
se rattache à un fait historique, ce ne peut être tout au
plus qu'à une tentative de révolte de Wlasta et à sa défaite
après un combat opiniâtre. Van der Velde a traité ce sujet
dans une^de ses Aouvellcs.
BOHÈMES (Frères) ou FRÈRES MORAVES, noms
donnés à une communauté chrétienne qui se forma à Prague,
vers le milieu du quinzième siècle, des débris de la secte
des hussites rigides. Mécontents des concessions au
moyen desquelles les calixtins avaient su acquérir la
prépondérance en Bohème, les hussites rigides refusèrent
d'accepler les Compactata, c'est-à-dire les conditions de
l'union des calixtins avec le concile de Bàle , et se retirè-
rent, en 1453, sur les frontières de la Silésie et de la
Moravie, où ils s'établirent en majorité dans les domaines
de George de Podiebrad. Ils s'y constituèrent, dès 1457, en
communautés dissidentes , sous la direction du pasteur Mi-
chel Bradacz , et adoptèrent le nom de Frères de la Loi de
DI8T. DE LA CtNVEÎlS. — T. 111.
34.
Christ, de Frères de l'Unité, pour se distinguer dtra au
très hussites. Leurs ennemis les ont confondus souvent avec
les vaudois et les picards, et leur ont donné l'épithète de
Grubcnheimer (habitants des cavernes), parce que pen-
dant les persécutions ils se cachaient dans les cavernes et
les solitudes. Malgré les violences de toutes espèces qu'ils
eurent à subir de la part des calixtins et des catholiques,
violences auxquelles ils n'opposèrent jamais de résistance,
leur constance dans leur foi et la pureté de leurs mœurs
leur gagnèrent un grand nombre de partisans, surtout en
Moravie ; et ils ne tardèrent pas à élever, sous la protec-
tion des grands propriétaires , plusieurs maisons de prière.
Leur confession de foi , fondée uniquement sur l'Écriture
sainte , rejetait la transsubstantiation, et n'admettait qu'une
présence spirituelle, mystique, du Christ dans la Cène. Cette
opinion , qui se rapprochait de celle des réformateurs du
seizième siècle, et plus encore la forme presbytérienne de
leur église et leur discipline, les firent considérer comme
des frères par les protestants. Leur constitution ecclésias-
tique était calquée sur celle de l'Église apostolique. Ils es-
sayèrent, autant que possible, de restaurer parmi eux le
christianisme dans sa pureté primitive, en excluant les
pécheurs de la communauté, en admettant une triple ex-
communication , en séparant soigneusement les sexes, et en
classant les membres de leur Église en novices , progres-
sifs (progredientes) , et parfaits. Afin de mieux atteindre
le but , ils établirent parmi eux une surveillance sévère, qui
s'étendait jusque sur la vie privée, et qui était exercée par
une foule de fonctionnaires de divers degrés , comme évo-
ques ordiuants, anciens, co-anciens, prêtres ou prédica-
teurs, diacres, édiles et acolytes, entre lesquels l'admi-
nistration des intérêts ecclésiastiques , moraux et civils des
communautés était répartie d'une manière fort judicieuse.
Leur premier évêque fut sacré par un évêque des vaudois
de Bohême , avec lesquels d'ailleurs ils évitèrent de se con-
fondre. Leurs principes religieux leur défendant de porter
les armes, ils refusèrent, dans la guerre de Smalkalde , de
combattre contre les protestants; et pour les punir le roi
Ferdinand leur enleva leurs églises. Ils émigrèrent donc, en
1548, au nombre de mille, dans la Pologne et la Prusse,
et se fixèrent d'abord à .Marienwerder. L'union que ces
émigrés conclurent à Sandomir, le 14 avril 1570, avec les
protestants et les réformés de Pologne, et surtout l'édit
rendu par la diète de 1572 en faveur des dissidents, leur
permirent de vivre en paix jusqu'au règne de Sigismond III.
Ce prince , en les persécutant , les força à se rapprocher
encore davantage des réformés, avec lesquels ils sont restés
unis jusqu'à ce jour, en conservant toutefois quelque chos&
de leur constitution primitive. Ceux de leurs frères qui
étaient restés en Bohème et en Moravie obtinrent un peu
de liberté sous l'empereur Maximilien II. Leur principale
résidence était alors Fulnek en Moravie. Une partie de
ceux qui habitaient la Bohême émigrèrent au commencement
du dix-septième siècle en Hongrie, s'établirent dans les
palatinats de Presbourg, Trentschin, etc., et prirent le nom
de habanes; mais sous le règne de Marie-Thérèse ils du-
rent embrasser le catholicisme. La guerre de Trente- Ans, si
fatale aux protestants de Bohême , amena la ruine com-
plète des églises des frères bohèmes, qui ne purent plus
dès lors se réunir qu'en secret. Leur évêque Coménius, qui
a rendu des services à l'enseignement par la publication d'un
catéchisme, s'enfuit en Pologne. Une nouvelle émigration
des frères bohèmes et moraves, vers 1722, donna nais-
sance à de nouvelles communautés qui se fondèrent en
Lusace, et créa la colonie de H er m h ut. Consultez Loch-
ner : Origine et Histoire de la Communauté des Frères de
l'Unité en Bohême et en Moravie (Nuremberg, 1832).
BOIIÉMIEIVS, peuple nomade dont la constitution
physique, les mœurs et surtout le langage révèlent l'origine
asiatique. Les Bohémiens paraissent pour la première fois
44.
34 G
dans riiistoire de la Hongrie au riuinzi^ir.e siècle, sous le
ïioiii lie Zlf/ari ou Zirigani , nom qui leur est aussi donné
jjur les Italiens, les Portugais, les Vnlaques, les Russes,
cl uu^me i>ar les Turcs, avec une Irgère ditTi-rcnce d'orllio-
j;raplie et de prononciation. Leur nom allemand de Zifjetiner
n'est donc pas dérivé de Zteh-Gauner, comme on l'a pré-
tendu. L'opinion émise par Hasse {Les Zigeuncrs dans
Jf&rodolc, Kœnigsberg, 1803), qui veut que ce nom
vienne des Sigunncs, n'est pas mieux fondée. Il est beau-
coup plus probable que la peuplade en question a une
origine indienne; car, au rapport de Pottinger, on trouve
encore aujourd'bui sur les bords de llndus une tribu , ap-
pelle Tschnigancs , dont les mœurs offrent beaucoup d'a-
nalogie avec celles des Bohémiens. Selon Griselius et d'au-
tres écrivains, leur patrie est l'Ethiopie, l'Egypte et la
Colchide. Les Hollandais nomment les Zingari des païens;
les Suédois et les Danois, des Tatars ; les Anglais, des Egyp-
tieus (Gypsics); en France on les appelle J>oliémicns,
parce qu'on les regardait comme des hussitcs expulsés de
leur pairie ; en Espagne, entin , on leur a donné le nom de
Gitauos, pour désigner leur caractère rusé. Ils s'appellent
eux-mêmes J'hamons ou Sintes (appellation où il est facile
de reconnaître le nom indien de l'indus). En Angleterre
ils prennent le nom de Romeitschal , c'est-à-dire hommes
nés de la femme.
Les Bohémiens sont répandus dans toute l'Europe; ils
sont même très-nombreux en quelques contrées; mais il
y a cerkdnement de l'exagération à porter le chiffre de celie
population nomade à plusieurs millions et mèine à 70U,000.
De sévères mesures de police et les efforts de la civilisation
en ont porté un certain nombre soit à adopler des de-
meures (ixcs, soit à émigrer ; en sorte que dans ces derniers
temps surtout ils ont beaucoup diminué en Europe. C'est
à peine si l'on y en compte aujourd'hui 2S0,000, dont 80,000
dans la Moldavie et la Valachie, 50,000 dans le reste de la
Turquie euroi)éenne, 35,000 en Hongrie et en Transylva-
nie, 30,000 dans le reste de l'Autriche, 40,000 eu P.ussie
et en Pologne, 18,000 dans la Grande-Bretagne, 20,000 en
Italie, 3,000 en Belgique et en Espagne, 1,500 en Prusse, 2,000
dans le reste de l'Allemagne, 500 en Suisse, 200 en Grèce et
dans la Scandinavie. Les r;ohémiens parcourent en troupes
beaucoup plus nombreuses les steppes de l'Asie et les déserts
de l'Afrique. Il y vivent presque toujours en grandes hordes,
ainsi que dans la Moldavie, la Bessarabie, la Crimée, les
environs de Constanlinople , la Hongrie, la Transylvanie ;
mais en Allemagne et en France on ne les rencontre que
isséniinés en {)etite5 familles.
Nous avons dr-jà dit qu'ils ne sont connus en Europe nue
depuis le quin/ième siècle. A celte époque, chassés de l'Inde
par les armées de Timour, ils émigrèrent en trois grandes
colonnes, qui se dirigèrent vers l'Occiilent, l'une par la llussie,
l'autre par l'Asie Mineure, la troisième p;ir l'Egypte. Us
parurent dans la Moldavie en 1416, dans la Hongrie ou la
Bohème en 1417 , dans la Suisse en 1418, en Halie en 1422,
en France en 1427 , plus tard en Espagne , puis en Angle-
terre sous le règne de Henri YHI. il n'est pas question
d'eux en Allemagne avant l'année 1417. La première émi-
gration , venue sans aucun doute de la Moldavie, était forte,
dit-on, de 14,000 hommes, et était conduite par un chef que
les écrivains contemporains appellent le duc de la Pctite-
l.gypte. En se donnant pour les descendants de ces Égyp-
tiens condamnés par le Christ à errer éternellement , parce
qu'ils n'avaient pas voulu le recevoir lorsqu'il fuyait devant
llérodc , ils surent émouvoir la compassion d'un peuple
crédule; et en se présentant comme des pèlerins chassés de
la Palestine, ils réussirent à obtenir quelquefois des sauve-
gardes, par exemple, de l'empereur Sigismond en 1423.
Les 12ohémiens offrent tout à fait dans leur extérieur les
caractères des peuples orientaux : une taille moyenne, grèle,
iwco prise; un teint brun-jaune, fresque olivâtre; des
BOHÉMIE^'S
dents d'une blancheur éblouissante, des cheveux et ces
yeux d'un noir de jais. Les femmes ont le teint un i)e;j
moins foncrt, et les (illes passent, surtout en Espagne, pour
des beautés, à cause de leurs belles proportions. Les hom-
mes , au contraire, qnoicpie bien faits également, ont un
aspect repoussant et hideux; leur physionomie annonce la
légèreté et la bienveillance. Rarement les Bohémiens ont
des demeures lixcs; ils errent çà et là en bandes de deux à
trois cents, sous la conduite d'un capitaine et d'une mère;
et si le climat le permet, ils vivent de préférence dans les
bois et les solitudes, se couchant sur la terre, l'été , autour
d'un feu au-dessus duquel est suspendu un chaudron qui
leur sert à la fois pour préj)arer leur nourriture, et pour
rassembler la troupe en cas de besoin , en le frappant avec
une tige de métal. Rarement ils sont munis de tentes;
l'hiver, ils cherchent un refuge dans les grottes et dans les
cavernes , ou bien ils se construisent des huttes enfoncées
de quelques pieds dans la terre et recouvertes de gazon
supporté par des chevrons.
Katurellement paresseux et ennemis de toute contrainte ,
ils ont horreur de toute occupation suivie et régulière; ils
aiment mieux gagner leur vie par la tromperie et le vol.
Cependant ils exercent divers métiers peu fatigants en Es-
pa.:ine , et même en Hongrie et en Transylvanie. Quelques-
uns sont aubergistes, vétérinaires, maquignons, forgerons,
chaudronniers , drouineurs , etc. ; d'autres font des cuillers
de bois, des fuseaux, des auges, etc., ou aident les la-
boureurs dans leurs travau.v. On vante surtout leur talent
pour la musique ; mais ce talent se borne à la musique ias-
trumentale, qu'ils exécutent presque toujours d'ai)rès l'ouïe.
Leurs instruments sont le violon, la trompe, le cor de chasse,
la (lùte et le hautbois. Leurs airs de danse sont générale-
ment gais et pleins de sentiment ; ils jouent aussi i)ar-
faitement bien les airs des danses nationales de la Hongrie
et de la Pologne. Dans leurs danses nationales, on admire
surtout la vérité des poses et des gestes. Dans leur jeunesse,
les femmes sont danseuses, principalement en Espagne.
Dès qu'elles deviennent un peu vieilles , elles se mettent
diseuses de bonne aventure , talent qui leur est pro[)re dans
toute l'Europe et qui constitue leur principale industrie.
Elles jouent aussi très-volontiers le rôle d'entremetteuses,
et dans l'occasion elles volent des enfants. Au reste, elles
savent tisser de grossières étoffes de laine et tricoter le (ilet.
Jusqu'à Tûge de dix ans les enfants vont nus. Passé cet
âge , ils sont vêtus, les garçons d'ime chemise et d'une cu-
lotte, les fdles d'une robe, d'un corset et d'une ceinture
rouges ou bleu-clair; la tète et les pieds ne sont jamais
couverts; cependant les premiers portent quelquefois uu
bonnet hongrois ou un chapeau à larges bords, et les
lilles ont le plus souvent aux pieds des sandales, et au-
tour de la tète un mouchoir dont elles laissent pendre le
uout. Chez les Bohémiens qui vivent dans des demeures
fixes on remarque, au contraire, une grande passion i)our
la toilette. Leurs ustensiles de ménage se composent d'un pot,
d'un plat, d'un ch.audroa, d'une poêle, et toujours d'une
coupe en argent; un cheval et un cochon sont leurs seuls
animaux domestiques. Leur nourriture est dégoûtante. Hs
.mangent avec plaisir l'oignon et l'ail ; ils aiment toute espèce
de chair, sans en exccptiir celle des chiens, des chats, des
rats , etc. On les accusa en Hongrie , à la fin du dix-huilième
siècle, d'avoir égorgé des hommes pour les dévorer, et on
exeiça sur eux les |)lus sévères chi\timents , sans que le l'ait
eût été jamais prouvé. Leur boisson favorite est l'cau-de-
vie. Le tabac fait leurs délices; hommes et femmes, tous
chiquent ou fument avec tant de passion qu'ils donneraient
tout ce qu'ils possèdent pour du tabac.
Les Bohémiens n'ont pas de religion particulière : en
Turquie, ils sont mahométans; en Espagne et en Transyl-
vanie, ils suivent les rites de l'Église chrétienne, mais sans
s'inquiéter de se faire instruire. Outre leur langue mater-
dohe?.îie:vS
nrllo, ils pailcnt couranin-icnt celles des pays qn'lU Iiabi-
teiit. Dans la Transylvanie, il arrive Irès-Fouvcnt qu'ils font
b;!ptiser plusieurs fois les enfimts, afin de recevoir dos pré-
Fents de baptême d'autant plus nombreux. Les mariages se
concluent parmi eux de la manière la plus simple. Sans se
soucier du degré de parenté, le jeune Boliémien arrivé à
l'âge de quatorze ou quinze ans prend pour femme qui lui
plaît , même sa sœur. En Hongrie , le mariage est célébré
par un Bohémien qui remplace le prêtre. Jamais ils ne se
marient qu'entre eux. Le mari esl-il las de sa femme , il la
chasse. On comprend que chez un pareil peuple il n'est pas
question d'éducation. Un amour presque brutal pour leurs
enfants empêche les parents de les chàîier jamais; et ils
les laissent s'habituer à la paresse, au vol, au mensonge.
La corruption des mœurs y est si grande, qi;e les Bohémiens
éprouvent une véritable volupté à coiiunelîre des actes de
cruauté : aussi choisissait-on ancienneiî;ent parmi eux les
bourreaux et les écorcbeurs. Du reste, ils sont excessivement
lâches, et ils ne volent qu'autant qu'ils pctnent le faire avec
sûreté. Jamais ils ne pénètrent de nuit par effraction dans
une maison. On ne peut d'ailleurs leur refuser quelques
talents. Non-seulement ils sont extraordinairement adroits
dans leurs entreprises, mais en Transylvanie ils .s'emploient
avec beaucoup d'habileté au lavage de l'or. Leur lâcheté
naturelle les a fait dispenser du service militaire , au moins
en Espagne ; car en Hongrie et en Transylvanie on lésa
(luelquefois incorporés dans les armées ; mais jamais ils
n'ont donné des preuves particulières de bravoure.
Leur irréligion les ayant rendus suspects aux gouverne-
ments peu de temps après leur innnigratiou, autant que
leurs larcins, leurs fraudes les rendaient odieux aux habi-
tants, on chercha de bonne heure en Erirope à se débarras-
.ser de ces hôtes incommodes ; et dès le .seizième siècle on
édicta contre eux des lois suvères en E^pagne, en France,
en Allemagiie et en Italie. Le Danemark et la JN'orwége dé-
fendirent, sous peine de confiscation du bàfiment, d'en
transporter un seul dans le royaume. Cependant la persé-
cution cessa bientôt, et ils ne tardèrent pas à se glisser de
nouveau dans les contrées méridionales, dont le climat leur
convient mieux. Comme ils sont très-no.mbreux dans les
litats de la m.aison d'Autriche, où ils ont une espèce de cons-
titution et des chefs appelés troieuodcs , Warie-Théièse
conçut le projet d'en faire des hommes et des citoyens.
En l'GS parut une ordonnance qui lei-r prcfcrivait de
s'établir dans des demeures fixes, de se livrer à des travaux
industriels, d'habiller leurs enfants et de les envoyer à
l'école. Cette ordonnance n'ayant rien produit, on recourut,
en 1773, à des mesures si sévères, que l'on allait jusqu'à
enlever les enfants à leurs parents pour les mettre dans
des écoles chréliennes. Cette sévérité fut aussi peu efficace
que les moyens plus doux employés par le gouvernement
russe. Les sages ordonnances )endues par Joseph II de-
puis 17S2 pour l'amélioration morale et civile des Bohé-
miens conduisirent seules à un résultat. Quelques hordes
se fixèrent en Hongrie, en Transylvanie et dans le Banat,
nommément dans le village dalmate de Karasitza, où les
Bohémiens reçurent le nom de Nouveaux Paysans. En
Angleterre, il existe depuis 1827 à Southarapton, une so-
ciété pour la civilisation des Bohémiens, et depuis 1845
on a établi dans la paroisse de Farnham une maison d'é-
ducation pour les enfants bohémiens qui sont restés orphe-
lins ou qui appartiennent à une famille tiop nombreuse.
] Is y ont leur propre roi. Un de ces princes mourut en 1 «3(5.
Outre Wal ter Scott, qui a peint de main de maître les mœurs
des Bohémiens dans son Astrologue , on peut consulter
Gil nias et Prcciosa deW'oUf; voir aussi VEssai Instori-
que sur les Jio/iémiens de Grcllmann (2^ édit., Gœtiingue,
1787);r/7is/oi/-e(/e5Z?o/^6';«/f'7;A-deTeÎ7.ner{\Veimar, lh;;5);
les Notices ethnographiques et historiques sur les JId-
liémieris dallehler (Kœnigsherg, isi2), et l'ouvrage caj'itul
5KUS
ZA'
de Fort, Les Bohémiens en Europe et en Asie (2 vol..
Halle, 1844-15).
Dans la langue des Bohémiens , la plupart des mots sont
d'origine indienne , et se retrouvent légèrement modifiés
dans le sanscrit , dans le malabar et dans le bengali ;
mais depuis leur immigration en Eiirope ils ont adopté un
grand nombre de mots des peuples parmi lestjuols ils
vivent. Leur grammaire aussi est tout à fait orientale, et
s'accorde principalement avec 1rs dialectes indiens. Voir la
Dissertation sur l'analogie de la langue bohémienne avec
rhindostani, dans les Transactions de la Société Littéraire
de Bombaij , et les Remarques de Staples Harriot sur
l'origine orientale des Bohémiens, dans les Transactions
de la Société Asiatique (1»31 ). La langue des Bohémiens
est en général très-pauvre; elle manque complètement de
mots pour exprimer les idées abstraites.
BOÎÎÉAÎOXD. Voyez Boémond.
BOÎlLEîV (PiEunE de), orientaliste, naquit 5 \\Ï!p-
pels, en Oldenbourg, le 13 niars 179(5 , de parents pauvres,
qu'il perdit de bonne heure. Après avoir passé sa jeunesse
dans la misère, il entra en 181 1 au service d'un général
français, vint à Hambourg en 1814, et y gagna sa vie comme
domestique, jusqu'à ce que, grâce à quelques hommes gé-
néreux qui avaient été frappés de ses heureuses dispositions
et de son zèle pour la science, il obtint les moyens de se
vouer à l'étude. Reçu en 1817 au gymnase de Hamboiirg, il
y prit un tel goût pour la poésie de l'Orient , qu'il résolut de
s'y consacrer exclusivement. Il visita en 1821 l'université
de Halle, puis en 1822 celle de Bonn, où il prit ses degrés
et fut nommé en 1825 professeur extraordinaire, et cinq
ans après professeur ordinaire des langues orientales à l'u-
niversité de Kœnigsherg. En 1831 le gouvernement lui ac-
corda une subvention pour faire un voyage sciaiitifique eu
Angleterre. Y étant retourné une seconde fois, en 1S37, le
mauvais état de sa santé le força à séjourner quelque tenqis
dans le midi de la France. Mais le mal avait déjà fait trop
de progrès pour céder à l'influence d'un ciel plus doux; il
revint en Allemagne condamné par les médecins, s'établit à
Halle, et y mourut le G février 1S40. Bohlen était un de ces
hommes rares qui , partis de bien bas , savent s'élever par
leur seul mérite. La douceur et l'affabilité de son caractère
le faisaient aimer, et il restait fiiièle à ses amis. Doué d'un
heureux talent poétique, il sut, par le charme de la forme
qu'il leur donna, familiariser l'Allemagne avec les beautés
des poésies orientales. Son savoir était vaste, mais il man-
quait de profondeur. Sa vie, écrite par lui-même avec une
aimable franchise, a été publiée après sa mort par Yoigt
[Autobiographie, Kœnigsherg, 1841). Parmi les écrits de
Bohlen, ceux qui méritent une mention particulière sont:
Commentatiode MotenaObio {lionn, iS2i) ; l'Inde antique
(2 vol., Kœ-nigsberg, 1830-1831); les Sentences de Bhar-
trihari, accompagnées de scolies et d'un commentaire
latin; l'imitation en vers allemands de ces Sentences (Ham-
bourg, 1835) ; la Genèse éclaircie sous le point de vue de
l'histoire et de la critique (Kœnigsherg, L^.îs). Son der-
nier travail fut l'édition des S«(5o«5, poème didacti<iue da
Kalidasa, sous le titre de Uitusanhûra , i. e. Tempesta-
tum Q/c/iï.'S ( Leipzig , 1840).
ïiOîiUS ou BOilUS-L.îN (appelé aussi Cœlaborgs--
Lxn, du uom de son chef-lieu, Gotheuburg), province de la
Gothie occidentale , s'étendant sur les côtes de la mer du
Nord (sur le Skager-Rack) depuis la Gœta-Elf inférieure au
nord jusqu'au Swiuesuud .sur les frontières de la Norvège.
Ou évalue la superficie de cette province à 40 myriamètrcs
carrés, et sa population à environ 180,000 âme.s. Dans les
temps les plus reculés, le Bohus-Lten formait une partie de
Vveiken ou \Yigen, nommé aussi V«'igsidea ou Allheim, et
était habité par les Wikmans ou Elfinans , lenommés par
leurs actes de piraterie. Vers la lin du moyen ûge, i! f;.t
soumis aux r-vonégiens, puis aux Danois; mais les Suédoiâ
44.
348 BOIIUS -
ne cessèrent Je réclamer leur droit de suzeraineté sur le
poys et le château. Conquis en 1523 par Guslave-Wasa, il
fut repris en 1532, par le roi de Danemark Frédéric l", et
dérmitivemcnt cédé à la Suède en 1658 , par la paix de
lUfslulde.
La forteresse de Jiohus-Slot, importante autrefois comme
lieu (le péage , ne forme plus aujourd'liui qu'un monceau
de ruines, à i:J mjriamètres au nord de Gotlienbourg, sur
le rocher d'L Ifvvebakka, dans la Gœta-Elf, et dans le voisi-
nage de la ville de Kongelf. Bâtie en bois, en 1308, par le
roi de Norvège Ilakon VII, elle (ut hypothéquée, en 1361,
à la Hanse germanique par le roi Magnus. C'est dans ce
château que la reine Marguerite fit appliquer à la torture le roi
Albert, fait prisonnier près de Falku'ping, le 24 février 1389.
Les rois Christian 1" et Christian IV le firent reconstruire en
pierre, en 14'i8 et en 1605. lin 1502 le prince Christian l'en-
leva aux Suédois après la défaite du roi Knutson, et en 1531
Christian II leur livra sous ses murs une bataille décisive.
En 1534 un général suédois de Christian III se rendit maître
de I5ohus-Slot. Les Suédois l'assiégèrent en 1564, 1505 et
1566. Charles XII laissa la forteresse tomber en ruines. Le
9 octobre 1788 un armistice y fut signé avec les Danois,
ipii se retirèrent le 13 novembre.
BOÏAR ou BOJxVR. Dans son acception primitive, ce
mot était synonyme de cijech, Icch etèo^r/f/r/», et signifiait
propriétaire libre du sol. Dans l'ancienne Russie les Doïars
formaient après les Knjazes ou Knjèses régnants le premier
ordre de l'Etat; ils étaient les entours du prince, avaient
leurs propres partisans, qui leur constituaient une espèce de
garde, se mettaient au service du prince qui leur plaisait, et
le quittaient selon leurs caprices : aussi les grands-ducs leur
accordèrent-ils de grands privilèges, dont ils abusèrent sou-
vent. Les plus hautes dignités militaires et civiles leur étaient
exclusivement réservées, et ils jouissaient parmi le peuple
d'une considération extraordinaire, à tel point que les grands-
ducs, sans en excepter Ivvan le Cruel, faisaient toujours pré-
céder leurs ukases de la formule : « L'empereur a ordonné,
les Bojars ont approuvé. » Le rang parmi les Bojars eux-
mêmes était déterminé par le temps qu'ils avaient passé au
service de l'État , et on l'observait strictement. 11 passait par
héritage du père au fils. On appelait cette hiérarchie micst-
îiiczestoiv; c'était une institution particulière aux peuples
slaves , aussi éloignée de la féodalité que de l'aristocratie
moderne, une constitution purement nationale. Dans leur
intérieur, les Boiars aimaient à l'excès le faste , et leur or-
gueil à l'égard de leurs inférieurs était sans bornes. Ils
avaient même fini par emprunter beaucoup de choses au
cérémonial officiel de la Chine. Leur pouvou- et leur consi-
dération servirent souvent de frein aux excès des grands-
ducs, qui, voyant en eu\ des ennemis, essayèrentà plusieurs
reprises de briser leur autorité. Pierre le Grand y réussit; il
abolit la dignité de boiar, et la remplaça par des titres et
des honneurs qui ne donnèrent ni puissance ni privilèges. Le
dernier boiar, Knjaz Iwan Jurjewicz Trubeskoj, mourut le
16 janvier 1750. De nos jours on trouve encore des boiars
dans la Moldavie et la Valachie, où ils siègent dans le conseil
du prince et où ils exercent quelquefois, Tliistoire de ces
dernières années l'a prouvé, l'influence la plus décisive sur
les alfaires de l'ttat.
BOÏELDIEU(ADniF.N-FRA>çois), néàBouen.le fO dé-
cembre 1775, apprit la musique et la composition d'im orga-
niste de cette ville nommé Broche. Boicldieu devint très-
habile sur le piano ; il écrivit d'abord pour cet instrument :
ses concertos de piano, ses duos pour piano et harpe,
obtinrent un succès de vogue, riusietus lomances, qu'il
publia peu de temps après son arrivée à Paris, en f7'J5,
le firent connnitre dans it; monde musical, où le ciièhre
chanteur Garât l'avait produit. Garât aflcctionnait beau-
coup les compositions de Boieldieu; il chautsit ses ro-
mances; les personnes qui l'ont entendu ont gardé le sou-
BOIELDIEU
venir du Ménestrel , da S'il est vrai que d'être deux, eft.
Le virtuose avait ciioisi BoïcKlicu pour son accomitagnateur.
Nommé professeur de piano au Conservatoire , Boieldieu y
forma un grand nombre d'élèves d'un grand talent.
Il débuta à l'Opéra-Comique par La Famille Suisse, opéra
en un acte, qui fut bientôt suivi de Zoraïme et Zulnar,
ouvrage en trois actes , qui le plaça au premier rang parmi
les compositeurs français. La Dot de Suzette, Le Calife de
Bagdad, Bénioiosky , Ma Tante Aurore , et plusieurs au-
tres opéras avaient encore accru sa renonunée. Lors(iu'il fit
le voyage de Saint-Pétersbourg, en 1803, l'empereur de
Russie, Alexandre r', le nomma maître de sa chapelle ,
chargé de composer pour le théâtre et les fêtes de la cour.
Après un séjour de luiit ans environ , pendant lesquels il
avaitfait représenter Aline, Abder-Kan,La Jeune Femme
colère, Les deux Paravents, Amour et Mystère, les
chœurs d'^l^^rtZie, Télémaqiie , Les Voitures versées, plu-
sieurs pièces de circonstance et beaucoup de musique mili-
taire, Boieldieu revint à Paris en isil. Les deux Paravents,
La Jeune Femme colère. Les Voitures versées, parurent
bientôt sur le théâtre de l'Opéra-Comique, pour lequel il
composa de nouveaux opéras , tels que Jeco? de Paris, La
Fête du Village voisin. Le nouveau Seigneur de Village,
Le Chaperon Rouge, La Dame Blanche, son chef-d'œu-
vre, en 1824; Les Deux A'uils, en 1829. Depuis lors, at-
teint d'une affection au larynx , Boieldieu, forcé de sus-
pendre ses travaux, entreprit un voyage dans le midi delà
France et dans l'Italie. Rentré à Paris en juillet 1833,
il mourut dans sa terre de Jarcy, en Brie, le 9 octobre
1834.
Boieldieu n'a point travaillé pour notre grande scène ly-
rique ; mais plusieurs de ses ouvrages pourraient y figurer
avec honneur. Il a réussi dans le genre comique : Ma Tante
Aurore, Jean de Paris, l'attestent; il s'est élevé jusqu'à la
hauteur de la tragédie lyrique dans Béniowskij, Télémaque,
les chœurs dWlhalie. Dans le demi-caractère, ses succès
n'ont pas été moins éclatants : témoin Zoraïme et Zulnar,
Le Chaperon Rouge, La Dame Blanche. L'opéra-comique
français, traité comme l'a fait Boieldieu , est une œuvre d'art
et d'imagination; la phrase de ce compositeur est d'une mé-
lodie gracieuse et distinguée; son style est clair, d'une rare
élégance , et les forces de son orchestre se sont accrues sui-
vant les exigences de chaque époque. Ce maître a suivi les
progrès de la musique. Il s'est montré d'abord rival de
Grétry, et c'est au moment des plus beaux triomphes de Ros-
sini que sa Dame Blanche a fait une innnense explosion.
Musicien spirituel , il sait donner aux paroles l'expression ,
le coloris qu'elles réclament, sans s'attacher à jouer sur les
mots, à faire des rébus, comme plusieurs de ses prédéces-
seurs, rébus que les hommes de lettres du temps prenaient
pour des traits de génie. Il a déclamé sans dégrader les con-
tours de la mélodie. L'air du page de Jean de Paris : Lors-
que mon maître est en voyage, et le trio de La Jeune femme
colère : La clef! la clef! sont des chefs-d'œuvre de déclama-
tion musicale. Celui du Sénéchal, dans le premier de ce»
opéras : Qu''à mes ordres ici tout le monde se rende! est
le plus bel air que l'on ait écrit pour Martin. Le finale de La
Dame Blanche, le quatuor de Ma Tante Aurore, le chœur
de Béniowsky : Jurons ! jurons! et beaucoup d'autres, que
je pourrais citer, sont des morceaux concertés du premier
mérite. Boieldieu est un des plus illustres maîtres dont notre
école puisse s'honorer. Ses opéras ont réussi pariout : l'Al-
lemagne, l'Angleterre, l'iispngne, les ont traduits et repré-
sentés; l'Italie même, (jui adopte si diflicilement les com-
positions étrangères, a reçu La Donna Bianca de la manière
la plus llatteuse. Castil-Blazr.
Un fils de Boieldieu, nommé aussi ADr.iic.N, marche .sur
ses traces. On a déjà joué de lui quelques opéras-comiques,
•îota.'nmejit Le Bouquet de f Infante, et La Butte dts
Moulins.
BOIEiNS - EOILEAU
S49
BOIENS, peuple d'origine celte, qui habitait vraisembla-
blement le raidi de la Belgique , d'où il émigra vers les con-
tréi.-?; méridionales de l'Europe. Cinq siècles environ avant
noire ère , une colonie de Boïcns s'établit dans la haute
Jlaiie. Après avoir lutté longtemps contre les Romains, ils
Unirent par être soumis, vers l'an 193 avant J.-C. , leur
prince Bojorix ayant été tué dans un combat. Une partie
des vaincus alla se fixer au sud du Danube , une autre ren-
tra dans la Gaule ; mais ni les nns ni les autres ne conser-
vèrent longtemps leur indépendance. Les premiers furent
détruits par les Daces , les seconds par Jules César. L'émi-
gration la plus considérable des Boïens et la plus importante
au point de vue historique est celle qui se dirigea vers les
pays situés au nord du Danube, où ils fondèrent un puissant
empire nommé Bojofiemum , qui ne fut renversé qu'au
conunencement de l'ère chrétienne par les Marcomans, sous
la conduite de Marbod , mort trente-sept ans après J.-C.
Leur nom resta néanmoins au pays où il s'étaient établis :
c'est de Bojoheimim qu'est venu plus tard le nom de Bo-
hême.
liOILEAU OÉTlE^^E), ou Boyleaux, Boileaue, Boy-
lesve {Step/ianus Bibens aquam), chevalier et célèbre
prévôt de Paris au treizième siècle, a pris ce dernier nom
latin dans un compte des baillis de France de 1266. 11 était
d'une noble famille d'Angers, dont plusieurs branches se
répandirent dans l'Ile-de-France, l'Anjou, la Touraine, et
môme en Angleterre. Etienne Boileau épousa, en 1225, Mar-
guerite de la Guesle, et lit, en 122S, avec Geoffroy et Ro-
bert Boileau , ses frères, un partage loyal de la succession
de son père, qui lui appartenait par droit d'aînesse. « C'é-
tait, est-il dit dans un manuscrit de la Vie de saint Louis,
un bourgeois de Paris bien renommé de prudliomie, que le
roy saint Louis mit en 125S à la teste de la cour et audi-
toire du Chastelet de Pjiris; et alloit souvent le roy au dit
Chastelet se seoir près le dit Boileaue, pour l'encourager et
donner l'exemple aux autres juges du royaume. »
« Sachez, dit Joinville, que du temps passé l'office de
la prévosté de Paris se vendoit au plus offrant. Les prcvosts
étoient alors prévosts fermiers ; dont il advenoit que [tlu-
sieurs pilleries et maléfices s'en faisoient, etétoit totalement
justice corrompue par faveur d'amys et par dons ou pro-
messes, dont le commun n'osoit habiter au royaume de
France, et étoit lors presque vague, et sou ventes fois n'y
avoit-il aux plaids de la prévosté de Paris que dix per-
sonnes, pour les injustices et abusions qui s'y faisoient; et
fist enquérir le roi par tout le pays là où il trouveroit iiue'tiuc
grant sage homme qui fust bon justicier, et qui piinist étroi-
tement les malfaicteurs , sans avoir égaid au riche plus que
au pauvre; et lui fut amené ung qu'on appeloit Estienne
Boyleaûe , auquel il donna l'office de provost de Paris,
lequel depuis fit merveilles de soy maintenir audit office.
Tellement que désormais n'y avoit larron, meurtrier ni
autre malfaicteur qui osast demeurer à Paris , que tantost
qu'il en avoit connoissance qui ne fust pendu ou puni à ri-
gueur de justice, selon la qualité du malfuict, et n'y avoit
faveur de parenté , ni d'amys , ni d'or, ni d'argent qui l'en
eust pu garantir, et grandement fist bonne justice. »
En effet, le prévôt Etienne Boy les ve exerça une justice si
sévère « qu'il fist pendre un sien tilleul, parce que la mère
lui dit qu'il ne se pouvoit tenir de lober. llem un sien com-
père, qui avoit nié une somme d'argent que son hoste lui
avoit baillé à garder. »
C'est à ce magistrat qu'on doit l'établissement de la po-
lice de Paris. 11 se montra aussi inlègie et actif que zélé
pour le bien public; rétablit la discipline dans le com-
merce et dans les aits et métiers, dans la perception des
droits royaux, qui était alors de sa compétence, et lixa celle
des justices seigneuriales enclavées dans sa prévôté; il mo-
déra et régla les impôts, qui se levaient arbitrairement , sous
les prévôts fenniers, sur le commerce et les marchandises.
11 exerça enfin une grande influence sur les divers corps,
communautés, confréries, corporations de marchands et ar-
tisans. C'est, en effet , de son administration que datent la
réunion et la publication des règlements d'arts et métiers de
la ville de Paris. On a représenté Etienne Boileau comme
l'auteur de règlements parfaits et même connue le fondateur
et l'organisateur des communautés d'artisans. Ce n'est pas
là le mérite qui recommande son nom à la postérité : les
communautés existaient avant Louis IX, et elles avaient
des règlements, des us et coutumes auxquels leurs mem-
bres se conformaient ; d'ailleurs , la législation du moyen âge
consistait moins à prescrire des règles nouvelles qu'à donner
une satisfaction légale aux usages pratiqués depuis longtemps
et éprouvés par l'expérience.
« Voici en réalité, dit M. Depping, ce que fit Etienne
Boileau à l'égard des comnmnautés d'arts et métiers de
Paris : il établit au Chàtelet des registres pour y inscrire les
règles pratiquées habituellement pour les maîtrises des ar-
tisans, puis les tarifs des droits prélevés au nom du roi sur
l'entrée des denrées et marchandises, puis les titres sur les-
quels les abliés et autres seigneurs fondaient les privilèges
dont ils jouissaient dans l'intérieur de Paris, Les corpora-
tions d'artisans, leprésentées par leurs maîtres jmés ou
prud'hommes, comparurent, l'une après l'autre, devant lui,
au Cliàtelet , pour déclarer les us et coutumes pratiqués
depuis un temps immémorial dans leur communauté, et
pour les faire enregistrer dans le livre qui désormais devait
servir de régulateur, de cartulaire, à l'industrie ouvrière. Un
clerc tenait la plume et enregistrait, sous les yeux du prévôt,
les dispositions des traditions et pratiques du métier. Aussi,
dans la plupart des règlements, on diclare, au début, qu'on
va exposer les us et coutumes; et plusieurs se terminent par
une adresse au prévôt pour lui signaler des abus à redresser
ou des vibux à exaucer. Tous ces règlements sont brefs et
dégagés du verbiage qui enveloppe et embrouille les règle-
ments des temps postérieurs. A Etienne Boileau est peut-être
due la forme de ces règlements; en magistrat habile, il a pu
veiller à ce qu'ils fussent rédigés d'une manière claire, pré-
cise et à peu près uniforme. Ce type est si prononce, qu'il
n'est pas difficile de distinguer un règlement des registres
d'Élienne Boileau de ceux qui ont été faits sous la prévôté
de ses successeuis. »
Tel est le Livre des Métiers d'Etienne Boileau. Ces ordon-
nances, qui montrent quelle était la droiture des intentions
du prévôt de I>aris et la grande étendue de son autorité,
avaient été primitivement écrites sur des peaux entières,
cousues et roulées suivant l'iisage du temps. Un de ses suc-
cesseurs les fit copier en cahiers et relier ensemble \ers
l'an 13U0. L'original, conservé à la cour des comptes, fut
détruit en'1737 lors de l'incendie qui consuma lesaicliives
de cet établissement ; mais il en existait encore quelques
copies : on en avait à la Sorbonne un exemplaire qui était du
temps même de Boileau, et qui fut transporté à la Bbliollièque
luip riale. C'est d'ajjiès ces diverses copies que le comité des
chartes, chroniques et inscriptions a pu faire imprimer, pour
la première fois, en 1837, jmr les soins de M. Depping, ce
document, l'un des plus curieux , à coup sûr, de la collection
publiée sous les auspices du ministère de l'instruction pii-
blitliie. L'éditeur a fait précéder son travail d'une curieuse
introduction.
Etienne Boileau suivit saint Louis en Egypte. Il tenait un
rang si énn'nent dans l'armée chrétienne, qu'ayant été pris
au siège de Damielte, les infidèles exigèrent pour sa rançon
deux cents livres d'or, somme considérable pour ce teuips-là.
C'est seulement après lui que la charge de prévôt de Paris
devint annuelle. H l'avait exercée dix années environ. On ne
sait rien depositif sur l'époque de sa mort. Suivant l'opinion
la ()lus générale, elle arriva de' 126!) à 1270. On a des motifs
de croire qu'il survécut longtemps à ses fonctions de pré-
vôt, et qu'il mourut dans un âge fort avancé. Sa statue est
350
eoili:au
une (le celles qui décorent la façaJc de rilôlel de Ville de
Pari'^.
B03LEAIJ (Giu.Es), frère a!né du c(-\bhre poëte sati-
rique de ce nom, naquit à Patis, en 1G3I. Ce fut le premier
enfant que son père, {greffier à la grand' chambre du parle-
ment, eut (le son mariage avec Anne de Nielle. Gilles I]oi-
leau, tout jeune encore, occupa les fondions de payeur de
renies à Phôtel de ville, qu'il quilla bientcH pour une cliarge
de contrôleur de l'argenterie du roi. Comme son frère, il
était né avec un penchant i)our la poésie, et même pour la
poésie satiriipie; mais il n'avait pas comme lui ce sentiment
du beau langage qui a fait de rsicolas Boileau l'un des poètes
les jihis éli'ganls, les plus classiques de notre langue. Gil-
les Boileau débuta dans la carrière par quelques lettres en
vers, qui sont de véritables satires, mais dont le style est
faible et sans vigueur. Il attaqua plusieurs écrivains connus,
Scarron , Costar et Ménage entre autres , et soutint contre ce
dernier une guerre de plume qui manqua de le jiriver du
plus grand honneur qu'il ait eu dans sa vie, celui d'entrer
à l'Académie Française. Ménage ayant appris que Gilles Boi-
leau était proposé pour obtenir une des places vacantes
dans cette compagnie, vint trouver ]M"'^de Scudéry, et l'en-
gagea à traverser cette élection par l'entremise de Pelllsson.
Chapelain, dans une lettre à Huygens, explique fort au long
toute celte trame. Enfin, l'intrigue ourdie par Ménage fut
découverte, et Gilles Boileau l'emporta.
C()lletct , dans son mémoire sur les gens de lettres con-
temporains, dressé par ordre de Coibert, s'exprime ainsi
au sujet de Boileau : « Il a de l'esprit et du style en prose
et en vers, et sait les deux langues anciennes aussi bien que
la sienne. Il pourroit faire quelque chose de fort bon, si la
jeunesse et le feu trop enjoué u'empCchoient point qu'il s'y
assujettit. »
Gilles Boileau n'a pas écrit beaucoup , puisqu'une mort
jirémalurée vint le ravir aux lettres à l'Age de trente-sept
ans. Ses principaux ouvrages sont des traductions, au sujet
des(p:clles l'abbé d'Olivet s'exprime ainsi, dans son His-
toire de l'Académie : « Nous en avons deux considérables,
celle d'iipictètc, (jui a été fort approuvée, et celle de Dio-
gène Laerce, ((ui e^t demeurée presque inconnue. Dev;nt-il
se (lotter qu'une compilation informe et obscure, car Uio-
gènc Laerce n'est pas autre chose, \)ùl réussir en françois,
à moins que d'être éclaircie et redressée par de savantes
notes, qui embrasseroicnt toute la philosophie des anciens et
\aud; oient mieux que l'original? il a traduit en vers le qua-
trième livre de L' Enéide; quantité d'endroits qu'on y admire
font regretter qu'il n'y ait pas mis la dernière main , ou
p!iit(il qu'il ne fût pas capable de limer assez ce qu'il fai-
.soit [>our en venir à une certaine précision , qui contribue
Litiniment à la vi;;ueur du style... »
Au moment oii Giiles Boileau mourut, il travaillait à une
traduction de la Poédque d'Aristofe, dont il laissa le ma-
nuscrit prescpjc terminé. Boileau, son frère, la remit, en
1700, à M. de Tourcil, qui désirait compléter cet ouvrage,
et s'engagea à écrire une préface dans laquelle il exalterait
le mérite de son aine. Ce fut la plus grande marque d'amitié
•pi'il lui donna : soit rivalité, soit toutautre motif, les deux
Boile.îu ne furent jamais d'accord et ne témoignèrent pas
l'un i)iiur l'autre beaucoup de sympalhie; bien plus, Boileau
le saliriiiue décocha contre son frère plusieurs de ses trails,
et l'on trouve dans ses œuvres uue épigramme ([la se ter-
mine ainsi :
En lui je reconnais tin cvrcllpiit .intciir,
Ln [loctc aj;rt'.ibk', un Ircs-lxiii cir.itcur,
Mais je u'y trouve (ii)iiildc frcrc.
Celte rivalité entre les deux Boileau inspira ce qiiatraia au
poète Linières :
Vciit-f)M s.ivoir pour (pirllc nfC^iire
boileau, le rentier ai!jouid'liiii,
Fn veut .i r)cs|/r('jiix, son frère?
C'est qu'il fait des vers luieiix que lui.
Gilles Boileau mourut en 1GG9. Le Roux de Linct.
lîOÎLEAU (Jaciices), docteur en Sorbonne, frère
puîné de Gilles Boileau, et frère aine de Nicolas Boileau-
Despréaux, naquit à Paris, le 10 mars 1C35. Il fit de bonnes
études au collège d"Harcourt, re(;ut le grade de docteur
en théologie et se fit agréger à la compagnie de la Sor-
bonne. 11 avait dès sa jeunesse composé une bibliothèque
nombreuse , riche surtout en livres rares et curieux. Ule
fut consumée par un incendie qui dévora le pavillon de
la Sorbonne où il était logé. 11 ne s'en émut pas, et se mit
à en former une nouvelle , qui dans la suite surpassa la
première. Nommé doyen, grand-vicaire et officiai du dio-
cèse de Sens, il remplit ces diverses fonctions pendant vingt-
cinq ans. Il fut pourvu en IC'Ji d'un canouicat à la J
Sainte-Chapelle de Paris, et mourut le 1" aoiit 1710, dans 1
sa quatre-vingt-deuxième année, doyen d'ûge de la faculté
de tliéologie. C'était un homme de beaucoup d'esprit et d'une
vaste érudition. Il est auteur d'un grand nombre d'ouvrages
latins, la plupart i)eu volumineux, en général sur des ques-
tions curieuses de théologie , parmi lesquels on remarque
ses histoires de la Confession auriculaire et des J'ia/jcl-
lanls. Ils sont presque tous anonymes ou pseudonymes, et
l'auteur se cache sous les noms de Marccllus Ancijranus ,
Claudius Fonteiits, Jacques Barnabe , etc.
Uespréaux disait de son frère que s'il n'avait pas été doc-
teur en Sorbonne, il se serait fait docteur de la Comédie
Italienne. Voltaire représente Jacques Boileau comme v.n
esprit bizarre qui a fait des livres bizarres. Quei(ju'un lui
ayant demandé pourquoi il écrivait de préférence en latin :
« C'est, répondit-il, de peur que les évoques ne me lisent ;
ils me persécuteraient. » Comme son frère, il n'aimait pas les
jésuites : « Ce sont, disait-il, des gens qui allongent le
Symbole et raccourcissent le Décalogue. »
BOILEAU- DESPRÉAUX (Nicolas). Nicolas Boi-
leau, que, pour le distinguer de ses frères, on surnomma
Despréaux, naquit selon quelques-uns à Cosne, et selon la
plupart à Paris, dans une maison qui du temps de Henri fV
faisait le coin du quai des Orfèvres et de la rue du liai lai ,
le 1^'' novcnd)re 1036 , trois ans avant Bacine. Il était !e
plus jeune des enfimts de Gilles Boileau, greffier de la grand'-
chauibre du parlement de Paris. Son père, devenu veuf un
an après .'^a nassance, négligea beaucoup la jiremière édu-
cation de Nicolas, qui eut tout d'abord à loisir sous les yeux
le spectacle de la vie bourgeoise et de la vie du palais, étant
livi'é à lui-même et logé dans une guérite au grenier. Sa
santé en souffrit, sentaient d'observation y gagna; il re-
marquait tout, nialadif et taciturne qu'il était ; et comme il
avait la tournure d'esprit rêveuse, et que son âge n'était
pas enviroimé de tendresse , il s'accoutuma de bonrte
lieure à voir les choses avec du bon sens , de la sévérité et
une brusquerie mordante. Son père, lui, ne s'en apercevait
pas le moins du monde, et il avait coutume de dire de son
fils : Pour Colin, c'est un bon garço)i, qui ne dira jamais
de mal de personne. Il achevait sa quatrième au collège
d'Ilarcourt lorsqu'il fut atteint de la pierre et obligé de sus-
pendre quelque ten;ps ses eliules. On le tailla , mais l'opé
lation fut mal faite, et il s'en ressentit toute sa vie. Ce fut
là, dit-on, la cause de son humour chagrine; et il lui dut
sans doute cette expression remarquable de mélancolie qui
parait sur sou visage dans les bons portraits que nous ont
laissés ses contempoiains.
Au collège, Boileau lisait, outre les auteurs classiques,
beaucoup de poèmes modernes, de romans; et bien qu'il
composât lui-même, selon l'asage des rluloriciens, d'assez
mauvaises tragédies , son gortt et son talent pour les vers i
étaient déjà connus de ses maîtres. A peine sorti des bancs, \
où il s'était fait remarquer par son ardeur au travail, noaj
BOILEAU
351
moins que par son goût pour la lecture, goût qu'il appelait lui-
inôiHC une lureur, il étudia le droit, montra peu d'inclination
i:our celte élude, si barbare à cette époque, et l'abandonna
pour se touiner vers la théologie Le voilà donc suivant un
cours en Soi bonne. Mais, dégoûté bientôt de cette lourde sco-
lastique , il abandonne la théologie , n'en ayant retiré qu'un
bénélice de 800 livres, qu'il résigne, après quelques années de
jouissance , à une demoiselle Marie l'oncher de Eretonville,
qu'il a aimée, dit-on, et qui se fait religieuse. A part cet at-
tachement, qu'on a même révoqué en doute, il ne semble
pas que la jeunesse de Despréaux ait été fort passionnée, et
lui-même convient qu'il était très-peu voluptueux.
Dès lors il ne fit plus que des vers. Il avait trouvé sa vo-
cation : Son astre, en naissant, l'avait formé poète.
11 en fallut subir la loi. Aussi grilfonnait-il des vers jusque
sous les yeux de son père , qu'il aidait dans ses trayaux de
greflier.
La famille en pâlit, et vit en frémissaol
Dans la poudre du greffe un poète naissant...
Elle en prit cependant son parti de bonne grâce , et souffrit
ce qu'elle ne pouvait empocher.
« Les circonstances extérieures étant données , l'état poli-
tique et niorul étant connu, on conçoit, dit JL Sainte-Ceuve,
i|ue!!e dut être sur une nature comme celle de Boileau l'in-
fluence de celte première éducation , de ces habitudes do-
mestiques et de tout cet intérieur. Rien de tendre, rien de
maternel autour de cette enfance inlirme et stérile; rien
jiour elle de bien inspirant, de bien sympalliique, dans ces
couvcrsalions de chicane a\iprès du fauteuil du vieux gref-
lier.... Sans doute, à une époque d'analyse et de retour sur
soi -môme, ime àme d'enfant rêveur eût tiré parti de cette
gêne, de ce refoulement; mais alors il n'y fallait pas songer;
et, d'ailleurs, l'ànie de Boileau n'y eût jamais clé propre.
Il y avait bien, il est vrai, la ressource de la moquerie et
du grotesque : déjà Villon et Régnier avaient fait jaillir
une abondante poésie de ces mœurs bourgeoises, de. cette
vie de cité et de bazoche; mais Boileau avait une retenue
dans sa moquerie, une sobriété dans son sourire, qui lui in-
terdisait les débauches d'esprit de ses devanciers. Et puis
les mœurs avaient perdu en saUlie depuis que la régularité
de Henri IV avait passé dessus : Louis XIV allait imposer
le décorum. Quant à l'effet hautement poétique et religieux
desmonumentsd'alentoursur unejeune vie commencée entre
>'otre-Danic et la Sainle-Chapelle, comment y penser en ce
temps-la? Le sens du moyen âge était complètement perdu ;
l'ûmc seu'.e d'im Miiton pouvait en retrouver quelque chose,
et lîoileau ne voyait guère dans une cathédrale que de g;as
chanoines et un lutrin. Aussi que sort-il pour premier essai
de cette verve de vingt-quatre ans, de c^tte existence de
poète si longtemps misérable et comprimée? Ce n'est ni
une cliarge vigoureuse dans le ton de Régnier sur les orgies
nocturnes, les allées obscures, les escaliers en limaçon de
la Cité , ni l'onctueuse poésie de famille et de coin du feu ,
comme en ont su faire La Fontaine et Ducis ; c'est Damon,
ce grand auteur i)renant congé de la ville d'après Juvénal ;
c'est une autre satire sur les embarras des rues de Paris;
c'est encore une raillerie fine et saine des mauvais rtmeurs
en renom qui fourmillaient alors. »
En attendant qu'une ère véritablement modenie com-
mençât pour la société et pour l'art, la France, à peine
reposée des agitations de la Ligue et de la Fronde , se créait
lentement à cette époque une littérature, une poésie tardive,
artificielle, quoique d'un méluuge assez habilement fondu,
quoique assez originale même dans son imitation. Le draine
écarté, on peut regarder Malherbe et Boiieau comme les
représentants officiels de cette révolution poétique. Tous
deux se distinguent par une opposition .«ans pitié contre
leui"s devanciers immédiats. j\îal!ierbc est inexorable pour
Ronsard, De'^porles et leurs disLiplcj, coumie Boile;ui !e sera
(et très-souvent avec raison) pour Colletet, Chapelain, Saint-
Amand, Scudéry. 11 est à regretter seulement que l'un et
l'autre ne soient que des médecins empiriques, s'attaciuant,
il est vrai , à des vices réels , mais ne sachant pas remonter
au siège du mal pour tenter la régénération du malade.
En 1G66, à rage de trente ans, il publie, pour la pre-
mière fois , un recueil de huit satires que jusqu'à sa mort il
augmentera successivement de nouvelles œuvies. 11 est reçu
dans les meilleures compagnies, chez M. de La Rochefou-
cauld, chez mesdames de Lafayette et de Sévigné; il connaît
les Vivonne , les Pomponne , et déjà partout en matière de
goût ses décisions font loi. Présenté à la cour en 1669, il est
nommé historiographe du roi en 1677. A cette époque, par
la publication de presque toutes ses Satires et de ses É pitres,
de son Art poétique et des quatre premiers livres du JaI'
trin, il a atteint à quarante-un ans l'apogée de sa réputation.
Durant les quinze années qui suivront, jusqu'en 1693, il ne
mettra plus au jour que les deux derniers chants de son pnème
héroï-comique; et jusqu'à l'année 1711 , terme de sa vie,
c'est-à-dire pendant dix-huit années, il ne fera plus paraître
que sa Satire sur les Femmes , son Ode sur la prise de
Namur, ses Épitres à ses Vers, à Antoine et sur V Amour
de Dieu, ses Satires sur l'Homme et sur l'Équivoque.
Cherchons la cause de ces irrégularités dans les diverses
moissons de sa vie littéraire.
A lépoque de sa renommée croissante, Desprcaux de-
meurait chez son frère Jérôme, qui avait succédé à leur
père dans sa charge de greffier. Cet intérieur devait avoir
pour lui peu d'attrait; car sa belle-sœur était, à ce qu'il
parait, grondeuse et revêche. Mais les distractions du monde
ne lui permettaient guère de ressentir le contre-coup des
chicanes domestiques qui troublaient le ménage de son
frère. En 1679, à la mort de Jérôme, il logea quelques an-
nées chez son neveu Dongois, qui était aussi greffier à sou
toiu-; mais après avoir fait en carrosse les campagnes de
Flandre et d'Alsace, il parvient à acheter des libéralités du
roi une petite maison à Auteuil, et on l'y trouve installé
dès 1G87. Sa sauté, si délicate, s'était considérablement dé-
rangée ; il se plaignait d'une extinction (îe voix et d'une sur-
dité qui lui interdisaient le monde et la cour. Aussi est-ce
en suivant Boileau dans sa retraite d'Auteuil qu'on apprend
à le mieux connaître; est-ce en remarquant ce (ju'il fit ou
ne fit pas alors, durant près de trente années, livré à lui-
même, faible de corps, mais sain d'esprit, au milieu d'une
campagne riaute, qu'on peut juger avec plus de certitude ses
productions antérieures et déterminer les limites refiles de
ses facultés. Qui le croirait? pendant ce long séjour au
grand air dans cette jolie maisonnette à un étage, aux murs
tapissés de vigne, oii nous avons voulu tous aller en pèleri-
nage, en proie aux infirmités du corps, qui, laissant l'àme
entière, la disposent à la tristesse et à la rêverie, pas un
mot de conversation , pas une ligne de correspondance ne
trahit chez Boileau, dit I^I. Sainte-Beuve, une émotion tendre,
un sentiment naïf et vrai de la nature et des champs.
Que fait-il donc à Auteuil ? Il y soigne sa santé, il y traite
ses amis Racine, Molière, La Fontaine, Chapelle, et surtout
les abbés Rapin, Bourdaloue, Bouhours ; il y joue aux quil-
les ; il y cause, après boire, nouvelles de la cour, Académie,
abbé Cottin, Quinault, Scudéry, Perrault, comme Kicolc
cause théologie sous les ombrages de Port-Royal; il écrit à
Racine de vouloir bien le rappeler au souvenir du roi et do
madame de Maintenon : il lui annonce qu'il compose une,
ode dans laquelle il hasardera des choses fort neuves,
comme de parler de la plume blanche que le roi porte au
chapeau. Quand il se sent en verve, alors il rêve et récite
aux échos de ses bois sa terrible Ode sur la prise de A'anmr.
Ce qu'il a fait de mieux sans contredit à Auteuil, c'est
son ingénieuse iV;5îVre à Antoine. Certainement il y a peu de
passion dans ces vers, si l'on entend par passion un grand
eiau désordonné vers un but quelconque; mais il y a da
Sô2
tliarnie, delà grâce, de la naïveté, de l'abandon, autant
qu'il peut y en avoir dans Doileau, bien que nous n'aimions
pas à voir son honnùte liorticultcur, transformé en goxt-
verneur de son jardin , ne point planter, mais diriger l'if
et leclièvreleuiile, et CJ^e/xr/- sur les espaliers Vart de La
Quintinie. Comme on le voit, il y a encore du Versailles à
Auteuil.
Cependant Despréaux vieillit, ses infirmités augmentent,
ses amis meurent : La Fontaine et Racine lui sont enlevés.
A ces chagrins se joignent un procès désagréable à soute-
nir elle sentinient profond des maux qui accablent la France.
Depuis la mort de Racine il ne remet plus les pieils à Ver-
sailles ; il juge trisleinent les hommes et les clioses de son
pays; même en matière de goût, la décadence lui paraît
si rapide, <iu'il se prend à regretter le temps des Honne-
corse et des Pradon. Ce qu'on a peine à concevoir, c'est qu'il
ait vendu sur ses derniers jours sa maison d'Auteuil.et qu'il
soit venu mourir, le M mars 1711, au cloître Notre-Dame,
chez le chanoine Lcnoir, son confesseur. La vieillesse du
poëte-liisloriographe ne lut pas moins trisle et moins mo-
rose que celle de son roi. En somme, pourtant, sa vie s'était
écoulée douce et unie, sans qu'elle fût marquée ni par une
profonde misère et de romanesques aventures comme celle
du Tasse ou de Camocns, ni par une foilune éclatante
comme celle <le Voltaire ou d'Allieri.
Depuis près d'un siècle et demi que Doileau est mort, il
n'a cessé de fournir le sujet de continuelles discussions.
Tandis que la postérité acceptait avec d'unanimes acclama-
tions la gloire de Corneille, de IMolière, de La Fontaine, on
révisait rigoureusement les titres de Boileau au génie poé-
tique; et il n'a pas tenu à Fontenelle,àD'Alembert, à Ilel-
vétius, à Condillac, à Marmontel et, par instants, à Vol-
taire lui-même, que cette grande réputation classique ne fût
sérieusement entamée. On sait le prétexte de presque toutes
ces hostilités, de presque toutes ces antipathies : Boileau
n'était pas né sensible. On ne se rappela pas que douze vers
d'une de ses savantes épîtres lui avaient coûté plus de temps
et de travail qu'à tel ou tel tout un poëme épique; on ne se
rappela pas que douze vers ainsi faits le sont pour toujours
et ne périssent plus. Il se trouva un critique pour lui re-
procher d'avoir fait de la campagne, des vers, de l'étude
des anciens , son délassement , sa sérieuse occupation , ses
délices et ses amours... ses seules amours, et de n'y avoir
point ajouté le véritable amour, l'amour des femmes, l'a-
inour physique, l'amour sentimental, quesais-je?
Salirons-nous ces pages de l'anecdote par laquelle on pré-
tendit expliquer l'éloignement du poète pour les femmes?
Dirons-nous à quelles basses idées descendirent ses détrac-
teurs pour rendre raison de sa prétendue insensibilité? Qui
croirait qu'une haine systématique ait pu égarer à ce point
des hommes d'ailleurs estimables et graves? Ils en vinrent à
avancer, sans appuyer leur assertion d'aucune preuve, sans
apporler le moindre témoignage contemporain, que si
Boileau avait fait sa dixième satire contre les femmes, c'était
paice qu'un coq d'Inde l'avait mutilé dans son enfance.
Helvétius s'empara de cette anecdote, dont on n'avait jamais
entendu parler jusque là, et que, par parenthèse, ÏAnnée
Littéraire eut l'insigne honneur de publier la prcmièie,
comme une bonne fortune. Kt comme au dix-huitième siècle
le sentiment se mêlait à tout, à une description de Saint-
Lambert, à un conte de Crebillon (ils, ou à V Histoire p/ti-
losop/iique des deux Indes, les belles dames, les philo-
sophes, les géomètres prirent 15oileau en i;rande aversion. VA
pourtant, rien de moins prouvé que cette anecdote; nous
la soupçonnons même d'être un mensonge prémédité et ac-
crédité à plaisir. 11 est facile d'en juger à l'ardeur avec la-
quelle elle fut propagée depuis Helvétius '^usiprà iMercier
par tous ceux qui \oulai:'nl l'ostracisme du poète.
La manie de déi.i^rer IJoilcau n'est pas, comme on voit,
liicn nouvelle, .tlle prit, nous l'avons vu, dans la première
BOILEAU
moitié du dernier siècle à quelques gens de lettres, que le
Normand Fontenelle, qui avait été plus d'une fois en butte
aux traits malins du poète , soutenait dans cette entreprise ,
par un vieil esprit de rancune contre le satirique qui l'avait
cruellement harcelé. Ce fut dès lors comme une mode que
ne craignirent pas de suivre quelques esprits d'un ordre
élevé. Voltaire lui-môme eut le tort d'y prêter les mains.
Mais, parmi les hommes de lettres du temps, celui qui se
signala le plus dans cette guerre par un zèle d'une inconce-
vable âcreté, dont ne lui sut pas toujours très-bon gré son
illustre maître, ce fut Marmontel. Voltaire en fut fàthé.
Voltaire en effet, esprit si éminemment judicieux en ma-
tière dégoût, quelque sévère qu'il se montrât envers Boi-
leau , dans ces vers si souvent cités :
Boileau, correct aulcur de quelques bons écrits,
Zoïle de Quiuault, et flaUeur de Louis;
Voltaire s'est plu mille fois à rendre au poète du Ltitrin de
sincères hommages ; et même dans cette épître, dont nous
venons de citer les deux premiers vers, se hàte-t-il d'ajouter
ceux-ci, qui adoucissent sa pensée :
Mais oracle du goùl dans cet art diriirilc
Où s'égayait Horace, où travaillait Virgile.
On le voit. Voltaire, jusque dans ses accès de mau-
vaise humeur, finit toujours par être juste envers Boileau.
Quant à Marmontel, ni reproches ni raisonnements ne
purent le ramener. 11 persista dans son système de déni-
grement. En vingt endroits de ses Éléments de Littérature,
dans son Epitre aux Poètes, partout enlin il ne cesse
de l'attaquer et d'insister sur son peu de penchant à l'a-
mour et sur son défaut de sensibilité. Sur ce grief cepen-
dant, il n'a pas plus raison que sur les autres. Boileau,
sans doute, se livra peu aux sentiments tendres; mais
qu'en faut-il conclure? S'il ne lut pas très-sensible à l'a-
mour, il le fut à tout ce qu'il y a de bon , de beau et de
grand dans l'àme humaine. Son art lut sa passion , une
passion vraie et forte : cette passion lui inspira dès quinze
ans la haine d''un sot livre, et remplit sa vie entière. Dans
son invincible répugnance pour ce qui sort de la nature , il
souffrait de toute recherche , de tout clinquant ; il n'aimait
que le vrai. En vain Marmontel le traite de poète
Sans feu , sans verve, et saas fécondité.
En vain il prétend que :
Jamais un vers n'est parti de son cœur.
Il est vrai, répondrons-nous à cet éternel reproche, que
Boileau n'a chanté aucune femme en particulier. Mais est-ce
donc une indispensable obligation pour un poëte de parler
d'amour ?
Pourtant, malgré toutes ces épigrammes, malgré tous
ces sarcasmes, la renommée littéraire de Despréaux tint
bon et se consolida. Le poète du bon sens , le législateur
de notre Parnasse garda son rang suprême. Le mot de
Voltaire : Ae disons pas de mal de iMcolas! cela porte
malheur, lit fortune et devint proverbe; les idées positives
du dix-huitième siècle et la philosophie de Condillac sem-
blèrent, en triomphant, marquer d'un sceau plus durable
la renommée du plus sensé , du plus logique et du plus
correct des poètes. Jlais ce fut surtout lorsqu'une école nou-
velle s'éleva en littérature, lorsque certains esprits, bien jieu
nombreux d'abord, commencèrent à mettre en avant des
doctrines inusitées et les appliquèrent à des œuvres lit-
téraires, qu'en haine des innovations on revint de toutes
parts à Boileau comme à un illustre ancêtre et qu'on se rallia
de toutes parts à son nom.
Au milieu de ces querelles, un habile critique, qui, dans
la chaleur d'un zèle d'école, s'échappait pourtant parfois en
vives et pittoies(]ues saillies contre quelques-unes de nos
vieilles gloires littéraires, rendait néanmoins cette justice à^
Boileau : <■ Boileau, selon nous, écrivait alors M. Sainte-
Beuve, est un esprit sensé et lin, poli et mordant, peu f^J
BOILEAU — BOiNDIxX
363
rond, d'une agréable linisqnerie, religieux observateur du
vrai goût, bon écrivain en vers, d'une correction savante,
d'un enjouement ingénieux, tel qu'il fallait pour imposer aux
jeunes courtisans, pour agréer aux vieux, et pour être estimé
de tous : lionnCle homme et d'un mérite solide. »
On s'est demandé si Despréaux était un poëte, à sup-
poser qu'on réserve uniquement ce titre aux «"très forte-
ment doués d'âme et d'imagination. Cependant Le Lutrin
seul ne nous révèle-t-il pas un talent capable d'invention et
surtout de grandes beautés de détail? En somme, il fut
l'oracle delà cour et des lettres d'alors, te! qu'il le fallait
pour plaire à Patru et à Bussy, à d'Aguesseau et à M™^ de
Sévigné, à Arnauld et à M™^ de Maintenon, poëte auteur,
sachant converser et vivre, mais véridique, irascible à
l'idée du faux, prenant feu pour le juste, et arrivant quel-
quefois par sentiment d'équité littéraire à une sorte (l'atten-
drissement moral et de rayonnement lumineux, comme
dans son Épitre à Racine. Il était pourtant injuste aussi
lui-même souvent, comme lorsqu'il oublie la fable dans
VArt poétique, parce qu'il aurait fallu rendre hommage au
génie de La Fontaine. On sait encore avec quelle facilité il
traînait dans ses satires des noms à sa convenance, outre-
passant ainsi les droitsd'une critique impartiale. Cependant,
il réforma la poésie. Ce qui le tuait, disait-il. dans sa .Satire
des Femmes, c'était la difficulté des transitions; il faisait
le vers à la Vauban. « Les transitions valent les circonval-
lations, ajoute M. Sainte-Beuve; la grande guerre n'était
pas encore inventée. Son Épitre sur le passage du Rhin
est un tableau de Van der Meulen. On a appelé Boileau le
janséniste de notre poésie; c'était le gallican qu'il fallait
dire. Son style est sensé, soutenu, élégant, grave; mais
cette gravité va quelquefois jusqu'à la fatigue, ce bon sens
jusqu'à la vulgarité. L'un des premiers il introduisit dans
les vers la manie des périphrases, dont nous avons vu sous
Delille le déplorable triomphe, et quÉmile Deschanips ap-
pelle spirituellement des logogriphesen huit alexandrins. Ce-
pendant , il est et restera un de nos modèles. En général ,
Boileau atlache trop de prix aux petites choses. Sa théorie
du style , celle de Racine lui-même, n'est guère supérieure
aux idées que professait à cette époque le bon Rollin. Sa
timidité de bon sens est telle que de son vers la métaphore
ne jaillit presque jamais, une, entière, indivisible, tout ar-
mée; il la compose , il l'achève à plusieurs reprises, il la fa-
brique avec labeur, et l'on aperçoit la trace des soudures.
« Quoi qu'il en soit, tout le monde est d'accord à rendre
i)ommai;e à la multitude de traits fins et solides, de descrip-
tions artisteineiit exécutées, à cette moquerie charmante,
mais trop rarement modérée , à cette causerie plaisante et
sérieuse qui brillent dans presque toutes les pages de Boi-
leau. M. Cousin le met à la suite de Corneille, de Racine,
de Molière et de La Fontaine. I' vient après eux , il est
vrai , dit-il, mais il est de leur compagnie : Boileau manque
d'imagination et d'invention; il n'est grand que parle senti-
ment énergique de la vérité et de la justice. Il porte jusqu'à
la passion le goût du beau et de l'honnête; il est poëte à
force d'âiiie et de bon sens. Plus d'une fois son cœur lui
a dicté les vers les plus pathétiques. »
BOILEAU (Jacqces), membre de la Convention natio-
nale, né à A valon, en 1752, mort guillotiné, le 3 1 octobre 1 793,
fut d'abord juge de paix dans sa ville natale, puis député de
r"!i"onne à la Convention, où il prit place parmi les Giron-
dins . Après avoir, dans le procès de Louis XVI, opiné pour
la mort, il fut envoyé en mission à l'armée du nord. A son
retour à Paris, il dénonça la Commune de Paris, et surtout
Marat, qu'il appelait un monstre, et demanda que la tribune
nationale lût purifiée toutes les fois que ce représentant du
peuple y monterait. C'en était bien assez assurément pour
être signalé aux vengeances du parti de la terreur. Aussi
fut-il compris dans le décret de proscription rendu contre la
DICT. «E LA CONVERS. — T. III,
Gironde. 11 n'essaya pas de fuir, se laissa incarcérer et
condamner, et sut mourir avec courage.
BOILLY(LOLIS-LÉOPOLD), peintre, néen 174S, àLa Bas-
sée, département du Nord, mort à Paris en 1845.11 peignait le
genre et le portrait, et était doué d'une remarquable fécon-
dité. Tresca, Petit et Chaponnier ont gravé d'après lui plus
de cent feuilles. Ses œuvres se font remarquer par la verve
et la légèreté du pinceau; et dans le nombre on cite surtout
ses Scènes du Boulevard , sa Lecture des Journaux et
son Théâtre de Polichinelle.
BOIX (Astoixë) , médecin et député du Cher, naquit à
Bourges, le 19 janvier 17G9. Il fut pendant les premières
années de la révolution de 1789 attaché aux armées du nord
et de la Hollande. On le retrouve en 1810 faisant partie du
jury médical, du conseil des hospices, du conseil général
et du collège électoral de son département. Eu 1815 il re-
çoit la décoration de la Légion d'Honneur des mains du duc
d'Angoulême, et figure la même année à la chambre introu-
vable, où il vote d'abord avec l'opposition et soutient le
droit de pétition, mais où, dans la même session, il parle
en faveur du projet de loi contre les cris séditieux et fait
imprimer son opinion sur la loi dite d'amnistie, qu'il
adopte sans restriction.
Réélu en 1816, il paraît se mouvoir décidément dans la
sphère ministérielle. En 18'>0, lors de la discussion de la loi
électorale, il attache fatalement son nom à un déporahle
amendement qui accorde le double vote aux électeurs
des collèges de département, et qui enfante ainsi une nou-
velle chambre, d'où sortiront les lois funestes de Vindem-
nité, du sacrilège, du droit d'aînesse, etc. Le prix de ce
dévouement aveugle ne se fit pas attendre : quelques mois
après Boin recevait la place d'ins[)ecteur général des eaux
minérales de France, aux appointements annuels de 1 2,000 fr.,
et en 1823 la croix d'olncier de le Légion d'Honneur. Cette
double faveur le maintint dans la voie ministérielle jus-
qu'en 1827, où il abandonna la carrière politique et donna
sa démission de toutes ses places. Depuis ce temps personne
ne s'est plus guère occupé de lui, et nous ignorons l'époque
de sa mort.
Médecin médiocre, on lui doit, entre autres opuscules ,
une Dissertation sur la chaleur vitale; un Coup d'oeil
sur le Magnétisme; un Mémoire sur la maladie qui régna
en 1807 chez les Espagnols prisonniers à Bourges ; un
autre Mémoire sur le Choléra de 1832, etc.
BOIXDI>J (Nicolas), littérateur estimable, né à Paris, le
29 mai 1676, mort le 30 novembre 1751, était le fils d'un
procureur du roi au bureau des finances. 11 était venu au
monde avec une constitution si chétive qu'on n'aurait pas
pu croire qu'il fournirait une si longue carrière. Il en fut
très-probablement redevable à la sages-e d'une vie qu'il
consacra tout entière à la culture des lettres. Lorsque après
une enfance et une ado escence valétudinaires, la force vi-
tale prit en lui le dessus, on le fit entrer dans les mousque-
taires. Il était alors âgé de vingt ans ; mais il ne tarda point
à reconnaître qu'avec une aussi débile santé la nature ne
l'avait évidemment pas destiné à la rude carrière des armes.
Il y renonça donc, et prit le parti de se vouer désormais à
l'étude.
Esprit fort, il faisait ouvertement profession d'athéisme;
aussi plus tard le cardinal de Fleury mit-il .son veto absolu
à ce qu'il fût élu membre de l'Académie Française, où ce-
pendant, comme littérateur, il avait bien autrement de droits
à être admis que tels ou tels de ses contemporains qui avec
un bagage des plus légers virent s'ouvrir devant eux, à deux
battants, les portes du sénat académique. Boindin dut donc
se contenter d'un fauteuil à l'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres, où il avait été admis dès 1706. Quelques di.s-
sertations intéressantes imprimées dans les Mémoires de
cette compagnie justifient le choix dont il avait été l'objet
de sa part. Kous citerons, entre autres un Discours su*'
354
BOIINDIN — BOINVILLIERS
les tribus romaines, où l'auteur examine leur origine,
l'ordre de leur établissement, leur situation, leur étendue et
leurs divers usages suivant les temps; un Discours sur les
masques et les habits de théâtre des anciens; et im
Discours sur la forme et la constncction des théâtres
des anciens, qui témoignent de profondes et sagaces re-
cherclies archéologiques. Des travaux si sérieux n'empê-
chaient pas Boindin de cultiver en môme temps la littéra-
ture légère et même d'écrire pour le théâtre. Lié d'amitié
avec Saurin et Lamotte, il composa en collaboration avec
ce dernier Les Trois Gascons, comédie en un acte, où l'on
trouve quelques traits fins et tigréables, et au sujet de la-
quelle les deux auteurs se disputèrent plus tard relativement
la mesure des droits de paternité que chacun d'eux pouvait
revendiquer dans l'œuvre commune; et Le Port de mer
(1704). II donna seul, en 1702, Le BaUV Auteuil, comMhm
trois actes et en prose, avec un prologue. Le roi chargea le
marquis de Gôvres de réprimander les comédiens d'avoir re-
présenté une comédie aussi libre, et qui fut retirée du théâtre
après quelques représentations. C'est à l'occasion de cette
pièce que fut instituée la censure dramatique, dont le besoin
ne s'était pas fait sentir jusque alors. Très-maltraité dans les
fameux couplets attribués à J.-J. Rousseau, Boindin refusa
de croire que celui-ci en (ùt l'auteur, et écrivit un mémoire
pour gratifier de cette infamie son ancien ami Saurin. Du-
dos, qui dans sa jeunesse l'avait souvent rencontré au café
Procope, le rendez-vous des beaux-esprits au dix-huitième
siècle, rapporte que c'est à Boindin que Fontenelle dit un
jour, dans le cours d'une discussion, ce mot si célèbre : «J'au-
rais la main pleine de vérités, que je ne l'ouvrirais pas pour
le peuple. » Il en coûta à Boindin d'avoir été moins discret
que Fontenelle. A sa mort, on lui refusa les honneurs de
la sépulture; et il fallut l'inhumer secrètement. Laplace
raconte qu'il disait à un homme qui partageait ses opinions
en matière de religion, et qu'on inquiétait : «On vous tour-
mente parce que vous êtes un FAXxéç. janséniste ; moi, on
me laisse en paix parce que je suis un athée moliniste. »
Cette piquante distinclion peint bien la politique des jésuites.
BOINVILLIERS (Jeais-ÉtienneJcdith FORESTIER,
dit), ayant nom aussi Desjardins, naquit à Versailles, le
3 juillet 1764. Ses études à peine ébauchées, il ne craignit
pas d'ouvrir un cours public de belles-lettres dans la capitale,
en concurrence à celui que La Harpe faisait au Lycée; de
nos jours il eût probablement discouru de omni re scibili
et quibusdam aliis dans le feuilleton de quelque journal en
crédit. Le peu de succès de son enseignement ne lui ins-
pira pas, du reste, la moindre rancune contre une généra-
tion ingrate; on le vit, au contraire, embrasser avec en-
thousiasme, voire avec une certaine exaltation, les pi incipes
de notre grande révolution, que des erreurs et des excès
ne devaient pas tarder à déshonorer; erreurs et excès que,
pour sa part, Boinvilliers désavoua un peu tardivement dans
une pièce de vers recueillie en 1807 par VAlmanach des
Muses. Ce fut en effet sous l'influence des idées les plus
avancées que notre grammairien tenta, à cette époque de
transformation , d'aborder la carrière dramatique. En 1 792
il composa une comédie en deux actes et en vers : Mon-
sieur le Marquis, et en 1793 Condorcet en fuite, fait his-
torique en trois actes. La scène, moins accessible pour lui
que ne le fut plus tard VAbnanach des Muses, ce constant
asile du malheur, ne s'ouvrit point aux drames d'un rimeur
tout au plus doué de l'esprit d'analyse, et qui se consola
de cet échec en pensant qu'il était appelé à devenir le Mon-
tesquieu du nouvel ordre de choses.
En 1794 il publiait, mais avec un insuccès au moins égal,
le Manuel du Républicain, ou le Contrat Social mis à
la portée de tout le monde. Désappointé et désillusionné,
Boinvilliers eut enfin le bon sens de comprendre qu'il lui
serait plus profitable de traduire le De Viris ilhistribus du
P. Uiomond, les Fables de Phèdre, d'abréger le Diction -
naire de Poudol , d'annexer un petit lexicon à des édi-
tions classiques de Cornélius Nepos, de Phèdre, et de VAp'
pendice du P. Jouvency, et de composer un double recueil
de Cacographie et de Cacologie, mots barbares, qui n'on*
point de cordes à eux sur la lyre. Une fois engagé dans
cette voie modeste, mais productive, il ne s'arrêta plus, et
se mit à entasser volume sur volume. Compilateur infati-
gable, il faisait et refaisait incessamment des ouvrages
déjà fafts et refaits cent fois avant lui. C'est qu'il avait de-
viné tout le parti qu'on peut tirer d'un nom devenu ^ tort
ou à raison populaire dans les classes; et admirablement
servi à cet égard par l'absence de toute concurrence, il
réussit bientôt à attacher le sien à cotte foule d'ouvrages,
(Wla classiques, qui font le désespoir et le tourment des
écoliers; compilations le plus souvent informes, et cepen-
dant mille fois plus productives pour l'industriel universi-
taire que ne le seraient les chefs-d'œuvre de l'esprit humain.
Successivement professeur à Beauvais, censeur à Rouen,
inspecteur de l'académie de Douai, il n'y a pas d'exagé-
ration à dire que Boinvilliers fut pendant toule la durée de
l'empire le véritable grand-maître de l'université, laquelle
n'eut garde, au reste, de ne pas s'rgréger plus intimement
une si notoire capacité, et le fit recteur d'académie. Pendant
longtemps il n'y eut pas de bonne distribution de prix si
elle n'élait présidée par Boinvilliers, pas d'exercice littéraire
propre à servir de prospectus à un établissement particu-
lier, s'il n'était honoré de la présence du grand faiseur.
Nous nous rappelons l'avoir entendu , dans une solennité
de ce genre, interroger un petit bonhomme sur VEpitome
Historiœ Sacrx. Il s'agissait de traduire en bon français
la première phrase de cet utile abrégé : Deus creavit cœlum
et terram intra sex dies. Le pauvre enfant, tout troublé
d'avoir à parler en public, balbutiait la phrase que son pro-
fesseur lui répétait chaque matin depuis six mois : Dieu
créa le ciel et la terre en six jours... « Ce n'est pas là
du bon français, » interrompt avec emphase l'éloquent
président; puis, après quelques instants de recueillement, il
ajoute d'une voix sonore et d'un air inspiré : « Voici comment
il faut dire, mon petit ami : DeM5, l'Être suprême; creavit,
fit jaillir du néant; cœlum, la voûte éthérée, etc., etc.; »
et tout l'auditoire charmé d'applaudir...
Tant de succès devaient naturellement porter Boinvilliers
à croire qu'il était destiné aux suprêmes honneurs litté-
raires. En 1819 il .se présenta donc pour remplacer l'abbé
Morellet à l'Académie Française ; mais il n'obtint pas môme
l'aumône d'une voix. Frappé au cœur par cette injustice, il
se retira à Ourscamp, dans le département de l'Oise, où il
rendit le dernier soupir, en 1830, oublié depuis longtemps
déjà, après avoir eu le chagrin de voir une foule de spécu-
lateurs unirersitaires se partager ses dépouilles classiques
bien avant sa mort.
BOINVILLIERS ( Ernest-Éloi) , fils du précédent, né à
Beauvais, le 28 novembre 1799, fut reçu avocat au barreau
de Paris en 1827, et devint même en 1848 bâtonnier de
l'ordre. Dans les dernières années de la Restauration ce
jeune nourrisson de Thémis, comme eût dit son j/ère, s'était
fait remarquer par l'ardeur de ses opinions libérales, etavail
même été l'un des fondateurs de la Charbonnerie fran-
çaise. Nommé depuis la révolution de Juillet avocat de la
ville de Paris, il dut faire à cette lucrative clientèle le dou-
loureux sacrifice de ses premières convictions politiques.
Ainsi (]ue son confrère Barth e et tant d'autres, le farouche
carbonaro de 1823, l'austère républicain de 1827, dès qu'il
eut .sa part<iu gâteau, découvrit et plaida que nous vivions
sous le meilleur des régimes possibles; preuve nouvelle de
la vérité de l'axiome de Basile : Gaudeant Bene nanti.
Candidat des libéraux dans le 1^"^ arrondissement de Paris
lors des élections générales de 1842, il échoua contre le
général Jacqueminot. Aussi six ans après ne fut-il pas
«les derniers à se rallier à la république; et patroné par
J
BOINVILLIERS — BOIRE
3à5
l'Union électorale, qui était, on se le rappelle , fort peu ré-
publicaine, il passa, le onzième et dernier, aux élections com-
plémentaires de Paris du S juillet 1849, à la Législative, avec
un contingent de 110,875 Toix. 11 brilla peu à cette as-
semblée, et accueillit, comme de raison, avec enthousiasme,
l'événemeut miraculeux du 2 décembre 1831, auquel il est
jedevable d'une place de conseiller d'État (section des
linances). E semprè benè!
BOIRE (en latin bibere). Ce verbe, que l'on emploie
aussi substanlivemeut , en disant le boitx , comme on a fait
de i)lusieuis autres verbes le manger, le diner, le sou-
per, etc., exprime l'action d'avaler un liquide. La nature,
qui a voulu, ajouter un plaisir à la satisfaction de chaque
besoin , a fait de celui-ci le plus vif et le plus universelle-
ment répandu, plaisir que ne peut émousser la jouissance,
et qui se renouvelle fréquemment, comme le besoin auquel
il répond. Mais comme il n'est rien dont l'homme n'abuse,
il a transformé la satisfaction d'un instinct salutaire en un
acte de sensualité souvent funeste, et, selon l'expression du
barbier philosophe, boire saiis soif est un des caractères qui
nous distinguent des autres bêtes. Si certains peuples dif-
fèrent entre eux sur la préférence à donner à telle ou telle
boisson, moins sans doute par divergence de goût que par
l'impossibilité ou la difficulté de se procurer celle qui eût
fixé leur choix , ils sont tous d'accord sur le plaisir qu'ils
trouvent à étancher leur soif et à la voir renaître pour l'a-
paiser de nouveau , et tous l'ont célébré dans leurs chants ,
depuis Anacréon qui disait: « La terre boit l'onde, l'arbre
boit la terre , la mer boit les airs , le soleil boit la mer, et
la lune le soleil : amis, pourquoi me reprocher de boire? »,
jusqu'à Panard qui chantait :
Comme les fleurs de muo jardin.
Je prends racine oii l'on m'arrose.
Mais si cet auteur voulait qu'on gardât
La grande mesure pour boire,
El la petite pour l'amour,
l'Anacréon moderne dit avec plus de modération :
... Même dans un grand verre
11 faut boire à petits coups.
Cependant l'excès de cette jouissance a pour résultat iné-
vitable d'énerver l'homme et de l'abrutir, en le rendant es-
clave d'un besoin qui , de naturel qu'il était , devient fac-
tice, et, sans pouvoir jamais être satisfait, finit par user
toutes les facultés physiques et par altérer les facultés mo-
rales. Néanmoins, il s'est généralement opéré dans les mœurs
un changement notable à cet égard : nos aïeux buvaient
plus que nous. Est-ce à dire qu'ils buvaient mieux? il est
permis d'en douter; du moins, on peut affirmer que l'on
exalle beaucoup moins aujourd'hui le triste mérite de tenir
autant de vin qu'une cruche. Sans se restreindre absolu-
ment à ne boire , à l'exemple des dames , qu'y» doigt de
vin à ses repas, sans refuser de boire tin rouge bord, ou
de boire rasade, dans l'occasion, avec ses amis, et surtout
A& boire frais, ce qui, bien certainement, centuple le
plaisir ; si l'on permet même de boire à longs traits ou de
boire sec à celui qui n'en est pas incommodé , personne
n'est plus jaloux de boire comme un trou, comme un
chantre , comme toi sonneur, comme un musicien ,
comme un templier, qualifications synonymes, fort con-
testables et fort contestées. Quelques étymologistes soutien-
nent qu'au lieu de templier, il faudrait dire temprier, qui
est l'ancien nom des ouvriers employés à la fabrication du
verre; ce qui donnerait plus de fondement au proverbe, à
cause de la grande chaleur à laquelle ces ouvriers sont ex-
posés , et qui^doit exciter plus fréquemment et plus violem-
ment leur soif; raison qui a également enfanté le proverbe
(lu peui)Ie de Paris : boire comme rin pompier ; et celui
des Italiens, boire comme un moissonneur.
On dit aussi boire à tire-larigot , c'est-à-dire à longs
traits, comme un homme qui souflle dans le larigot, espèce
de flûte, dont les verres à patte ont imité depuis la forme;
et d'oii est venue l'expression Jhiter, employée quelquefois
dans le langage vulgaire pour exprimer l'action de boire.
Quelques étymologistes font dériver larigot du grec
XâpuY? dont nous avons fait larynx, pour désigner la partie
antérieure du gosier, vulgairement le nœud de la gorge.
Boire à tire-larigot signifierait, d'après cette origine , boire
de façon à se distendre le gosier. Encore une interprétation!
En 1282 fut fondue une cloche donnée à la ville de Rouen
par l'archevêque Odo Rigault; et coname elle était d'un
poids énorme, on buvait largement toutes les fois qu'il
fallait la mettre en branle; d'où vint le proverbe boire à
tire la Rigault. A l'appui de cette opinion, rappelons-nous
un des vaux de Vire d'Olivier Basselln, poète populaire
Normand du quatorzième siècle, dont voici le second cou-
plet :
Il n'est pas encor temps de sonner la retraite;
Quand on s'en Ta sur soif, ce n'est un bon écot.
En rinçant uos gosiers, avalons nos miettes :
Et vide le pot!
Tire la Rigault/
On dit aussi communément boire comme iin Allemand,
comme un Suisse; et l'on trouve dans les Proverbes et
Dictons populaires du moyen âge, que /i buveor d'Au-
cerre étaient signalés par la voix publique, ainsi que H
mieldrc (les meilleurs) buveor en Engleterre. Pour les
premiers, on conçoit que la qualité du vin que produit
l'Auxerrois ait pu leur valoir dès le treizième siècle cette
réputation ; quant aux Anglais , ils apprécient sans doute
nos vins de France , mais comme la cherté de ces vins ne
peut permettre au peuple d'en faire sa boisson , et qu'il
doit s'en tenir à la bière, au porter ou à l'aie , on ne con-
çoit pas trop pourquoi on l'aurait choisi comme type des
meilleurs buveurs. D'autres peuples encore ont eu la ré-
putation de bons buveurs : les Polonais, par exemple,
chez lesquels plus d'un prétendant au trône a, dit-on,
échoué pour n'avoir pas su tenir tête aux palatins dans les
banquets d'élection ; c'est pour eux qu'a été fait ce ver.« de-
venu proverbe :
Quand Auguste avait bu, la Pologne était ivre.
Disons, à la louange de nos ouvriers et de nos hommes
de peine, qui sont dans l'usage de demander un pour-
boire après quelque travail achevé ou quelque service
rendu , que bien rarement aujourd'hui cette gratification
presque obligée reçoit la destination que semblerait indiquer
son étymologie. Cette pratique, du reste, se retrouve dans
tous les usages de la vie : entre gens de commerce ou d'af-
faiic», on boit le vin du marché, quand on l'a conclu;
entre voyageurs , on boit le vin de l'étrier, ou le coup de
l'étrier, quand on se sépare.
La coutume de boire à la santé remonte à l'antiquité
la plus reculée. Les Anglais , grands amateurs de celte poli-
tesse, en ontfiiit le substantif toast.
Boire s'emploie aussi , poétiquement ou dans un sens
figuré, en une foule de phrases. On dit d'abord que la terre
boit l'eau. Le papier boit , lorsqu'il offre assez peu de corps
ou qu'il est assez peu collé pour que l'encre le pénètre. En
poésie, ceiixqui boivent le Gange, l'Indus, le Rhin ou la
Seine , ce sont les peuples qui habitent sur les rives de ces
fleuves ; boire le Styx , ou boire le fleuve d'oubli , c'est
dans la vieille langue classique quitter la vie. Boire de l'eau
de la fontaine de Jouvence exprime une idée toute con-
traire : c'est rajeunir, secret que les femmes aimables trou-
vent quelquefois bien plus sûrement que les coquettes avec
tous leurs cosmétiques. Boire, avaler le calice jusqu'à la
lie, boire une folie, une injure , un affi'ont , une raille-
rie, taie honte, etc., sont toutes choses foit peu agréables,
45.
35 i
mais auxquelles nous exposent parfois la h'ijèieté , l'iné-
(lexion ou le manque de Cd'ur et de courage : dans la pre-
iiiièie de ces acceptions, on fait allusion aux souffrances
«le Josus-Christ. Knlin, un proverbe que nous avons eu be-
r.oia de nous rappeler plus d'une fois en rédigeant cet ar-
ticle, dit que quand le vin est versé, il faut le boire, c'est-
à-dire que quand une ciiose est commencée il faut l'achever.
Et pourtant ici ce n'était pas la mer à boire.
Au sujet de cette dernière acception, onen trouve, croyons-
nous, l'origine dans une particularité bien connue de la
Vie d'Ésope par Planude. Un jour que son maître faisait
débauche avec ses disciples, l'esclave Ésope, qui les servait,
■vit que les fumrcs du vin leur échauffaient déjà le cerveau,
aussi bien au maître qu'aux écoliers. « L'excès du vin, leur dit
le fabuliste , a trois degrés : le premier de volupté , le second
d'ivrognerie, et le troisième de fureur. » On se moqua de son
observation , et on continua de vider les pots. Xantus s'en
donna juscpi'à perdre la raison, et il se vanta r/w'i/ boirait la
iner;ii l'appui de ce qu'il avançait, il offrit déparier sa mai-
son , et déposa en gage l'anneau qu'il avait au doigt. On sait
comment l'esclave phrygien lira encore une fois son maître
d'embarras dans cette diflicile conjoncture. Le jour pris pour
l'exécution de la gageure, tout le peuple de Samos accourut
au rivage de la mer, pour être témoin de la honte de Xan-
tus. Déjà celui des disciples qui avait parié contre lui triom-
phait, lorsque le philosophe, sur le conseil d'Ésope, dit qu'il
s'était engagé à boire la mer, mais non pas les fleuves qui
entrent dedans; qu'il demandait donc qu'on commençât
par les détourner, et qu'il achèverait son entreprise. Voilà
comment se tirer d'un mauvais pas n'est pas toujours la mer
à boire. Edme Héreau.
Diverses manières de boire. Quand même nous ne par-
lerions que de l'homme, nous aurions sujet de remarquer
qu'il ne boit pas toujours de la même manière, ni selon le
même mécanisme. L'enfant qui tette exerce sur le sein ma-
ternel une sorte de succion à la manière des sangsues et
des chauves-souris vampires ; le lait n'est attiré dans sa
l)0iiclie qu'en vertu du vide qu'y fait sa langue en jouant le
rùled'un piston de pompe. lien est de même des animaux
qui, comme le cheval et la vache , font entendre en buvant
une sorte de claquement sonore, chaque fois que l'air trouve
accès dans la cavité oii se fait le vide. L'enfant fait entendre
un bruit semblable quand le lait vient à manquer ou à tarir
Jl est des adultes qui, par une vicieuse habitude, continuent
de boire comme le nouveau-né. On s'en aperçoit aisément en
ce qu'ils font entendre en buvant cette sorte de clapotement
dont j'ai parlé ; on en juge aussi à ce qu'ils respirent en bu-
vant comme les enfants mêmes, et ternissent en consé-
<pience la limpidité du cristal renfermant leur boisson. Les
personnes qui boivent ainsi sont ])resque toujours des gour-
mets timides, qui savourent avec volupté des liqueurs que le
commun des hommes déguste avec indifférence et souvent
.sans y penser. Le fait est que quiconque boit par succion ne
perd aucune saveur, et peut plus facilement rester sobre
sans diminuer la sonmie de ses jouissances. Les liquides
avali's de la sorte sont pour ainsi dire passés à la fdière et
dépouillés goutte à goutte de tout ce qu'ils renferment de sa-
voureux ; ils sont aussi plus facilement digérés. 11 est vrai
dédire qu'à volume égal, ce mode de boire exposerait da-
vantage à l'ivresse ; mais ceux qui le pratiquent sont ordi-
nairement très-tempérants.
Cette manière de boire est exceptionnelle ; la plupart des
lioinuies boivent en versant dans la bouche des liquides dé-
.«alléiants : alors la respiration est instinctivement suspen-
due, de sorte que, le larynx se trouvant clos, le liquide n'y
saurait faire fausse route. Cela n'arrive que si l'on rit en bu-
vant, ou dans ce qu'on nomme veine Nazareth, cas dans
lequel la liqueur, pénétrant vers le larynx, en est chassée
brusquement dans les fosses nasales, où elle produit une
impression douloureuse. C'est pour éviter de pareils désa-
BOIRE — BOIRE A LA SANTE
grémcnts que les gens bien élevés ne regardent personne
en buvant et ne boivent que lorsqu'ils ont tout leur sang-
froid. Les enfants et ceux qui boivent comme eux sont fré-
quemrucut exposés à l'accident dont je parle.
Les hommes qui versent ainsi les liquides dans la bouche,
et qui les avalent à la manière des aliments, ressemblent en
cela aux oiseaux qui, comme quelques gallinacés et quel-
ques palmipèdes, remplissent d'eau leur bec, pour ensuite
relever la tête par un mouvement de bascule qui fait tom-
ber le liquide dans le pharynx. Mais il est beaucoup d'au-
tres oiseaux qui , à la manière des pigeons, plongent leur
bec dans l'eau pour en boire de longues gorgées par succion.
Je ne sais môme si pendant cela la respiration* reste com-
plètement étrangère à l'ascension du liquide ; au moins est-
il certain que les chiens, les renards et les chats ne boivent
que par une sorte d'aspiration bruyante et saccadée qui
porte le nom de laper. Dans cette dernière manière de
boire, qui de toutes est la plus curieuse, l'animal fait une
inspiration chaque fois qu'il plonge sa langue dans le liquide,
de sprte que la boisson monte dans la gorge en vertu de la
contraction du diaphragme, qui fait le vide de proche en
proche, à peu près comme la langue l'effectue dans la bou-
che par la succion. Il suffit d'ouvrir largement la trachée-
artère d'un chat ou d'un chien pour l'empêcher de boire.
Quant à la manière de boire tout à fait insolite qu'on
désigne sous le nom de sabler, elle consiste à verser rapi-
dement dans la gorge, en relevant le voile du palais, le li-
quide que l'œsophage transmet à l'estomac sans dégustation
et sans apprêt. C'est certainement la manière la plus dérai-
sonnable de consommer en masse des breuvages délicieux
sans en jouir ni les savourer. Cette façon de boire est sur-
tout usitée pour le vin de Champagne mousseux, en raison
sans doute du gaz acide carbonique dont la piqtiante saveur
remonte alors jusqu'aux narines. Isidore Bourdon.
BOIRE À LA SAINTE. D'où vient cette coutume ?
Est-ce depuis le temps qu'on boit? II paraît naturel qu'on
boive du vin pour sa propre santé , mais non pas pour la
santé d'un autre. Le ;jro79iHO des Grecs, adopté par les Ro-
mains, ne signifiait pas : Je bois afin que vous vous portiez
bien, mais : Je bois avant vous, pour que vous buviez : je
vous invite à boire. Dans la joie d'un festin on buvait |)our
célébrer sa maîtresse, et non pas pour qu'elle eût une bonne
santé. Voyez dans Martial :
Six coups pour .Névia ! sept au moins pour Justine 1
On buvait à Rome pour les victoires d'Auguste, pour le
retour de sa santé. Dion-Cassius rapporte qu'après la ba-
taille d'Actium le sénat décréta que dans les repas on
lui ferait des libations au second service. C'est un étrange
décret. Il est plus vraisemblable que la flatterie avait intro-
duit volontairement cette bassesse. Quoi qu'il en soit, vous
lisez dans Horace ( liv. IV, od. V ) :
Sois le dieu des festins , le dieu de l'allégresse •
Que nos tables soicut les autels!
Préside à nos jeux solenui-ls ,
ComiDe Hercule aux jeux de la Grèce!
Seul, tu fais les beaux jours, quêtes jours soieutsans fiu !
C'est ce que nous disons en revoyant l'aurore.
Ce qu'en nos douces nuits nous redisons encore ,
Entre les bras du dieu du vin.
On ne peut, ce me semble, faire entendre plus expressé-
ment ce que nous entendons par ces mots : « Nous avons
bu à la santé de Votre .Majesté. » C'est de là probablement
que vint parmi nos nations barbares l'usage de boire à la
santé de ses convives, usage absurde, puisque vous vide-
riez quatre bouteilles sans leur faire le moindre bien.
Tous les whigs buvaient après la mort du roi Guillaume,
non pas à sa santé, mais à sa mémoire. Un toi7 , nommé
Rrown, évoque de Cork, en Irlande, grand ennemi de Guil-
laume, dit qu'il mettrait un bouchon à toutes les bouteilles
I
BOIRE A LA SANTÉ — BOIS
qu'on vidait à la gloire du monarque , parce que Cork en
anglais signifie bouchon. Une s'en tint pas à ce fade jeu de
mots : il écrivit, en 1702, une brochure (ce sont les ma)i-
(lements d\i pays) pour faire voir aux Irlandais que c'est
une impiété atroce de boire à la santé des rois , et surtout à
leur mémoire; que c'est une profanation de ces paroles de
Jésus-Christ : » Buvez-en tous ; faites ceci en mémoire de
moi. » Ce qui étonnera, c'est que cet évêque nétait pas le
premier qui eût conçu une telle démence. Avant lui, le pres-
bytérien Prynne avait fait un gros livre contre l'usage impie
de boire à la santé des chrétiens.
Enfln, il y eut un Jean Géré, curé delà paroisse de Sainte-
Foy, qui pubha : La divine Potion pour conserver la
santé spirituelle par la cure de la maladie invétérée de
boire à la santé, avec des arguments clairs et solides
contre cette coutume criminelle, le tout pour la satis-
faction du public ; à la requête d'un digne membre du
parlement, l'an de notre salut 164S. Voltaire.
La coutume de boire à la santé est si ancienne, qu'Ho-
mère et d'autres écrivains de l'antiquité en font mention.
Le terme dont les anciens se servaient à cet égard était un
signe d'amitié pour s'exciter à boire : philotésie en grec si-
gnifie amitié et salut. Les auteurs qui sont venus après Ho-
mère ont pris ce terme dans la même acception. A l'arrivée
d'un ami, en le recevant dans la maison, on réptindait du
vin en l'honneur des dieux, et on lui présentait à boire
avec une certaine formule consacrée, pour le féliciter de son
heureuse arrivée. On congédiait les hôtes avec les mêmes
cérémonies, afin que les immortels les accompagnassent
dans leur voyage, et le leur rendissent heureux. Cette cou-
tume, si Ton en croit Athénée, ne se pratiquait qu'à la fin
du repas et quand on était prêt à se lever de table ; alors ou
sacrifiait au bon génie, à Jupiter conservateur, aux dieux
qui présidaient paiiiculièrement à l'amitié , et l'on entonnait
des chansons toutes pleines de choses aimables , et surtout
d'heureux souhaits pour les assistants. En buvant les uns
aux autres, les Grecs et après eux les Romains prononçaient
ces paroles : « Je souhaite que vous et nous, ou toi ou moi ,
nous nous portions bien ! » Cette formule variait quelquefois :
ainsi, nous voyons dans le £an(yî{eMe Lucien qu'Alcidamus ,
après avoir bien bu, demanda quel était le nom de la mariée,
et qu'il but à sa santé en disant : « Je bois à vous, Cléan-
lhis,au nom d'Hercule dominant. « Au reste, il n'était pas
permis de boire à la santé de tous ceux qui étaient à table;
il n'y avait que les étrangers et les hôtes qui pussent boire à
la femme d'un autre, et cette permission s'étendait aux seuls
parents de cette femme. Si quelqu'un sortait d'un repas sans
qu'on eût bu à sa santé, et sans avoir été provoqué à boire
par son ami, Pétrone dit qu'il regardait cet oubli comme un
affront et qu'il se croyait dégradé du nom d'ami ; c'était le
signe d'une amitié singulière que de présenter la coupe à
quelqu'un après l'avoir approchée de ses propres lèvres.
Des Grecs et des Romains la coutume de boire à la santé
passa chez presque tous les peuples de la terre, à com-
mencer par les Celtes et les Germains, qui lorsqu'ils se met-
taient à table avaient auprès d'eux une cruche d'hydromel,
de vin ou de bière , qui circulait bientôt de main en main.
Celui qui buvait saluait son voisin et lui remettait la cruche;
celui-ci en usait de même. Ainsi, les convies ne pouvaient
boire que lorsque la cruche , qui faisait le tour de la table ,
parvenait jusqu'à eux , et quand elle leur était présentée ,
ils ne pouvaient refuser d'en humer leur part.
Les premiers chrétiens pratiquaient quelque chose desem-
blable en recevant leurs liôtes , ce qui résulte d'un passage
, de saint Ambroise sur le jeûne et sur Élie : « Que dirai-je ,
s'écrie ce Père de l'Église, des protestations que se font
ceux qui boivent ensemble? Buvons, répètent-ils, buvons
à la santé de l'empereur, et que celui qui ne boira pas soit
regardé comme un homme peu dévoué à son prince! car ce
n'est pas aimer l'empereur que de refuser de boire à sa
3Ô7
santé. Buvons aussi à la santé de l'armée, à la prospérité
de nos parents et de nos amis ! et ils croient que Dieu est
touché de ces sortes de vœux. » On ne voit pas trop si
par ces paroles saint Ambroise approuve ou improuve cette
coutume, ou bien si son but unique est d'en constater l'exis-
tence. Quoi qu'il en soit, longtemps universelle, elle a insen-
siblement disparu de France, où elle est aujourd'hui presque
exclusivement abandonnée au peuple , avec la gaieté qu'elle
excitait et la cordialité dont elle était le gage. A une cer-
taine époque de l'année, principalement le jour des Rois ,
on le voit fêter par de nombreux vivat , et par ce cri ré-
pété : Le roi boit! une royauté éphémère et improvisée,
mais bien réellement de son choix, la seule, selon Béran-
ger, qui soit restée populaire {voyez Fève [Roi de la]).
Cependant, on retrouve encore des traces de la coutume de
boire à la santé A^m. certaines provinces, dans certains
pays, où l'exquise politesse n'a pas encore pénétré et où
la cordialité dégénère souvent en importunité fâcheuse,
en violence tyrannique. Là il n'est pas rare de voir un
maître de maison, pour faire honneur à ses hôtes, boire à
leur santé , les exciter à boire à la sienne jusqu'à ce qu'ils
succombent à l'ivresse , et regarder comme une marque de
mépris, comme un outrage, le refus de boire ainsi à la
santé de tout l'univers, au détriment de la sienne propre.
De pareilles gens devraient bien dire à la lettre, à ceux qui
ne peuvent leur tenir tète, ce que les Anglais ont coutume
de dire par pure ellipse : / drink tjour health. — Je bois
votre santé.
A propos d'Anglais, nous devrions parler du toast qui se
pratique chez eux dans toutes les occasions un peu solennel-
les, et dont on a fait le verbe toster, deux mots, deux choses
populaires aujourd'hui sur toute la surface du globe ; mais
le toast aura dans ce Dictionnaire un article spécial, et ii le
mérite. C'est, en effet, une santé à part, verbeuse, politique,
parlementaire, relative à telle personne ou à telle chose,
favorable ou contraire à tel ou tel acte, etc., etc.
BOIS {Économie domestique et industrielle), he. mot
bois a deux significations distinctes : d'abord il s'entend des
lieux plantés d'arbres {stjlvse), et nous en traiterons en ce
sens dans l'article suivant; puis il s'applique à la substance
dure, compacte et ligneuse de l'arbre {lignum). C'est sous
ce rapport seulement que nous en parlerons ici. Nous avons
donc à envisager les bois : 1° comme matières de construc-
tion ; 2° comme moyens de chauffage ; 3° comme employés
dans l'ébénisterie , la marqueterie, la tabletterie , le tour;
4° comme sources de parfums ; et 5° comme ingrédients de
teinturerie.
I. Bois de constriiction. Les bois sont d'un usage aussi
fréquent qu'indispensable dans l'art de bâtir. Ils sont em-
ployés comme partie intégrante des constructions dans les
ponts en charpente, les estacades, les combles et planchers
des édifices, etc.: ils servent comme moyen d'exécution seu-
lement dans les échafauds , les cintres , les ponts de ser-
vice, etc.; enfin ils forment la base des constructions
navales.
Le chêne est de tous les bois celui qui réunit au plus
haut degré les qualités nécessaires à la durée et à la solidité
des constructions, et qui par cette raison y est le plus em-
ployé. Dans quelques circonstances on fait aussi usage de
l'orme, du h être et du sapin. Ce dernier bois est préfé-
rable pour les constructions légères et économiques.
Deux questions intéressent vivement l'architecture et la
marine : ce sont l'évaluation de la résistance et la conser-
vation des bois; nous allons les examiner successive-
ment.
Les bois employés dans les constructions sont soumis à
des efforts destructifs, qui agissent sur eux transversalement
ou dans le sens de leur longueur, soit par traction, soit par
compression; et leurs dimensions doivent être telles qu'ils
puissent résister à ces efforts aussi longtemps que doivent
358 BOIS
durer les constructions dont ils font partie. Les bois ne se
rompent que quand leur élasticité a été détruite par un ef-
fort excessif. Mais ils sont élastiques à divers degrés ; et les
forces qu'il faut employer pour déterminer les ruptures
n'ont aucune relation avec celles qui produisent la flfexion.
Ainsi, quelques espèces, telles que le hêtre, l'orme, le
noyer, le sapin, etc., opposent très-peu de résistance à la
flexion et beaucoup à la rupture. D'autres , au contraire ,
présentent beaucoup de résistance à la llexion , et i)ropor-
tionnellement beaucoup moins à la rupture : ce sont le cy-
près, l'acajou , etc. D'autres , enfin , opposent tout à la fois
beaucoup de résistance à la flexion et à la rupture : ce sont
le pin de Corse et le cliêne, le plus rigide et le plus fort des
grands végétaux de nos contrées. Ces propriétés diverses
sont de la plus haute importance dans les arts : car ce sont
elles qui déterminent l'usage et l'emploi des différentes es-
pèces de bois suivant les conditions à remplir.
Les bois les plus pesants à volume égal sont toujours
les moins flexibles. Pour une même espèce de bois, et dans
les mêmes dimensions , la flexion est proportionnelle à l'ef-
fîirt transversal , qui peut être mesuré par la flèche de l'arc
de courbure imprimé à la pièce. La résistance à la flexion
est proportionnelle au cube des épaisseurs et aux simples
largeurs. Quand l'effort est accumulé au milieu d'une pièce
libre simplement posée sur deux appuis, la flexion pro;luite
est à ce qu'elle serait si l'effort était également réparti sur
toute l'étendue de la pièce, co.mmc huit est à cinq. Ce rap-
port est également à l'avantage de l'encastrement immuable
des extrémités de la pièce. Enfin, la flexion pour des pièces
d'égal équarrissage est proportionnelle au cube des dis-
tances des points d'appui.
La résistance à la rupture, toujours dans le même cas
d'un effort transversal, est proportionnelle à la distance
entre les points d'appui, aux simples largeurs et au carré
des épaisseurs. On tire parti de celte dernière propriété en
employant , au lieu de poutres et de chevrons carrés , des
madriers minces horizontalement et très-larges verticale-
ment. En effet, si on a deux poutres de même longueur entre
les appuis et ayant pour largeur et pour épaisseur l'une 3 et 3,
l'autre i et 9, bien qu'elles offrent un même volume, la ré-
sistancede la première ne sera représentée que par 3 X 3^=27,
tandis que celle de la seconde atteindra 1X9"=8(.
La résistance des bois à l'écrasement, ou à la rupture par
compression , est proportionnelle à la surface de la section
transversale des pièces , et en raison inverse de leur lon-
gueur. Quand on les soumet à un effort perpendiculaire au
sens de leurs fibres, ils s'aplatissent en se fendillant; mais
quand l'effort agit dans le sens de leur longueur, les fibres
se refoulent d'abord aux extrémités des pièces , où elles s'in-
fléchissent vers le dehors en donnant lieu à un renflement
latéral qui augmente jusqu'à ce qu'elles se séparent en se
brisant en morceaux ordinairement très-courts. Cela a par-
ticulièrement lieu quand les pièces sont courtes relativement
à leur épaisseur; car lorsque leur hauteur surpasse de beau-
coup leur épaisseur, de huit à dix fois par exemple , il ar-
rive ou qu'elles se fendent en plusieurs éclats dans le sens
de leur longueur, ou qu'elles s'infléchissent d'un même côté,
vers la moitié de leur hauteur, comme si elles étaient posées
contre deux appuis et soumises à un effort transversal qui
les pressât en leur milieu.
La théorie de la résistance des bois a été l'objet d'un
grand nombre d'expériences. Nous rapporterons seulement
les résultats suivants consignés par HassenfratZi
Les expériences étant faites sur toutes solives de cinq
mètres de long sur un décimètre carré de base, les poids
que supportent ces pièces avant de rompre sont, suivant l'es-
pèce du bois : pour le prunier, 1447 kilogr. ; orme,
1,077 Kil.; if, 1,037 kil. ; charme, 1,0.14 kil.; hèlre, 1,032 kil. ;
chêne, 1,020 kil.; noisetier, 1,008 kil.; pommier, 976 kil.;
chàlaignier. 957 kil. ; marronnier, 931 kil. ; sapin, 91S kil. ;
noyer, 900 kil.; poirier, 883 kil.; bouleau, 853 kil.; saule,
850 kil. ; tilleul, 750 kU. ; peuplier d'Italie, 580 kil.
Jetons maintenant un coup d'œil sur les tentatives qui
ont été faites pour augmenter la durée des bois de cons-
truction.
La promptitude avec laquelle les bois employés se détrui-
sent, comparée à la lenteur de leur reproduction , avait déjà
au siècle dernier attiré l'attention de Haies, de Duhamel et
de Buffon. Les observations de IM. Biot, les recherches de
MM. Knowles, Kyan , Bréant, Moll, amenèrent la décou-
verte de divers procédés de conservation qui , bien que sa-
tisfaisants sous le rapjiort scientifique, étaient d'une applica-
tion trop coûteuse pour être employés dans l'industrie.
Cependant on avait reconnu que les tissus végétaux ren-
ferment une grande quantité à" albumine végétale, de nature
azotée et analogue aux matières animales, et que c'est cette
albumine qui communique aux cellules ligneuses qui com-
posent le bois le défaut d'éprouver la putréfaction sèche.
11 fallait donc désorganiser cette matière albumiueuse, ou
réliminer des cellules ligneuses, ou en faire un compose
inaltérable.
C'est en se basant sur ces données que 1\I. Boucherie est
arrivé à une complète solution du problème. Pour pénétrer
de substances préservatrices un arbre tout entier, l'auteur n'a
recours à aucun moyen mécanique : il prend toute la force
dont il a besoin dans la force aspiratrice du végétal lui-même,
et elle suffit pour porter de la base du tronc jusqu'aux feuilles
toutes les liqueurs que l'on veut y introduire, pourvu qu'elles
soient maintenues dans certaines hmites de concentration :
ainsi , que l'on coupe un arbre en pleine sève par le pied ,
et qu'on plonge sa partie inférieure dans une cuve renfer-
mant la liqueur que l'on veut faire aspirer, celle-ci montera
en quelques jours jusqu'aux parties les plus élevées. Il n'est
pas même nécessaire que l'arbre soit garni de toutes ses
branches et de toutes ses feuilles; un bouquet résené au
sommet suffit pour déterminer l'aspiration. Il est inutile que
l'arbre soit conservé debout, ce qui rendrait l'opération sou-
vent impraticable ; on peut l'abattre , après en avoir élagué
toutes les branches inutiles , et alors sa base étant mi.se en
rapport avec le liquide destiné à l'absorption , celui-ci pé-
nètre comme à l'ordinaire dans toutes les parties. Enfin , il
n'est pas même indispensable de couper l'arbre ; car une ca-
vité creusée au pied, ou un trait de scie divisant celui-ci
sur une grande partie de la surface, suffisent pour qu'en
mettant la partie entamée en contact -avec un liquide , il y
ait une absorption rapide et complète de ce dernier.
Pour augmenter la durée et la dureté des bois , pour
s'opposer à leur carie sèche et humide, M. Boucherie fait ar-
river dans leurs tissus du prjroUgnite de fer brut : cette sub-
stance est parfaitement choisie, parce qu'il se i)roduit de l'a-
cide pyroligneux brut dans toutes les forêts par la fabrication
du charbon ; (ju'il est facile de le transformer en pyrolignite
de fer, en le mettant en contact, même à froid, avec de la fer-
raille, et qu'enfin le liquide ainsi préparé renferme beaucoup
de créosote, substance qui, indépendamment du sel de fer
lui-même , a la propriété de durcir le bois et de le garantir
des pourritures qui l'attaquent, ainsi que des dégâts causés
par les insectes dans les bois employés aux constructions.
La découverte de M. Boucherie a obtenu la sanction de
l'expérience, et en 1S^7 il préparait 60,000 traverses de
hêtre destinées au chemin de fer de Creil à Saint-Quentin.
Depuis, l'administration des télégraphes .s'est adressée à
M. Boucherie pour la préparation des poteaux qui supportent
les fils des télégraphes électriques; elle a pu ainsi employer
des pins indigènes , au lieu de poteaux en chêne , qui sont
sept fois plus chers.
II. Bois de chauffage. Comme bois de chauffage agréa-
ble et commode, les avis se partagent entre le hêtre, le
charme, l'orme, le noyer, le châtaignier. Ces diverses es-
sences se disputent la i)référence. Quant au chêne, qui
BOIS
SSQ
offre (l'aille jrs beaucoup Je matière combustible sous un
égal volume, ceux qui recherchent avant tout Tagrément
le relèsuent assez généralement pour rarrière-bùche ou
soutien du feu, car la combustion n'en est pas réjouissante
à la vue. L'opulence manque en France d'un bois que peut-
Cire on pourrait y propager avec avantage, et qui procure
dans les États-Unis d'Amérique le combustible le plus gai
pour les salons : c'est le hickory ou pecan nui {juglans
olivxformls); la flamme qu'on eu obtient est vive, claire,
étendue, et de plus parfumée; il s'allume avec facilité,
bride sans presque laisser de résidu terreux, n'a qu'un lé-
ger pétillement, peu dangereux pour les parquets et la toi-
lette des dames, et il développe énormément de chaleur.
Les différentes espèces de bois se divisent généralement
en f o/n/ères et en bois (yili, feuillus. Les conifères compren-
nent le pin, le sapin rouge, le sapin blanc, le mélèze; les
bois feuillus nous offrent le chêne, le hêtre, le charme,
l'aune, le bouleau, le tilleul, le peuplier, le saule, l'orme
et le cliàtaignier. D'après leur degré respectif d'inflamma-
bilité et celui des charbons qui en proviennent, on les
désigne encore en bois tendres et eu bois durs.
Chacun connaît l'altération que le flottage fait éprouver
aux bois; cet effet nuisible se fait surtout sentir quand le
bois n'a pas été préalablement d.'pouillé de son écorce. Le
bois auquel on l'a laissée, et qui plonge longtemps dans
l'eau, est exposé à une espèce de fermentation du cam-
bium, et cette fermentation en bâte la dissolution, ce qui
nuit considérablement à ce qu'on appelle le nerf du com-
bustible. Quand le bois , au contraire, a été écorcé avant de
le faire traîner en rivière, la superficie de son aubier, prin-
cipalement quand après l'écorçagc il est resté quelques jours
exposé au grand air, et mieux encore au soleil, se raccornit,
se durcit, de manière que chaque bûche est comme envelop-
pée d'un étui qui la défend jusqu'à un certain point de l'ac-
tion dissolvante de l'eau. Ces bois écorccs avant le llottr.ge
sont en général connus à Paris et ailleurs sous le nom de
pelard des chantiers.
Le bois de chauffage se distingue à Paris et dans beau-
coup d'autres lieux par les dénominations de bois ne^iftt
bois flotté. Celui-ci se subdivise en bois lavé et bois traîné.
On connaît à Paris le bois dit de gravier, parce qu'il croît
dans des endroits pierreux; il arrive de la Bourgogne
par l'Yonne, qui se jette dans la Seine, et du Nivernais; le
meilleur est celui de Montargis. Ce dernier a ordinairement
toute son écorce, qui y est presque aussi adhérente que celle
du bois neuf. Comme il ne nous arrive que des départements
voisins , il n'a pas encore subi d'altérations bien sensibles
dans sa texture ; l'eau n'a pas eu le temps d'en dissoudre les
substances solubles. C'est, en général, un bon chauffage.
L'autre espèce de bois flotté se tire des départements éloi-
gnés. A cause de son long séjour dans l'eau , il a abandonné
presque toute sa sève et les sels qui augmentaient primiti-
vement sa pesanteur spécifique. Néanmoins , cette sorte de
bois, après avoir subi une dessiccation plus ou moins longue
dans les chantiers, donne une flamme abondante et assez
étendue; ce sont principalement les boulangers, les rôtis-
seurs, les pâtissiers, qui en font usage, et ils s'en trouvent
bien. 11 convient en général pour le chauffage des fours sans
tirage et sans cheminée.
Tous les bois quand ils ont subi une parfaite dessiccation
(à la température de 36° cent.) contiennent à peu près 95
pour cent de leur poids en ligneux , qui est identique dans
tous. Et cependant ( ce qui est dû sans doute, du moins en
majeure partie , à la texture particulière et au degré de po-
rosité) on remarque une bien grande différence entre leurs
caractères physiques; ce qui se manifeste surtout à l'égard
de la pesanteur spécifique. En effet, les uns sont beaucoup
plus lourds que l'eau, et de ce nombre sont plusieurs va-
riétés de chêne, et les autres pèsent comme ce liquide ou
Gont môme beaucoup plus légers. Aussi , ces derniers , h
raison du plus grand écarteraent de leurs fibres , qui admet
l'afflux de l'oxygène sur une plus grande surface de contact,
brûlent-ils plus facilement et avec plus de rapidité que les
premiers.
Les différentes essences de bois fournissent des quantités
très-variables de matières charbonneuses, qui sont loin d'être
rigoureusement proportionnelles à la chaleur que ces diffé-
rents bois développent dans leur combustion. En effet, les
charbons produits par les divers bois jouissent eux-mêmes
de pesanteurs spécifiques diverses , et dont la variation ne
saurait être exclusivement attribuée aux quantités de ma-
tières solides terreuses qu'ils contiennent; car dans un
grand nombre de cas on ne trouve pas que l'effet soit pro-
portionné à la cause. Cela bien conçu , il est facile de dé-
duire qu'il ne faut pas a priori conclure la valeur vénale
d'une essence par son poids spécifique , ni même par la quan-
tité de charbon qu'elle fournit , encore moins par les quan-
tités de cendres qui résultent de l'incinération complète,
car l'hydrogène qui fait partie des bois a une propriété ca-
lorifique fort différente de celle du carbone. Quoi qu'il en
soit, en attendant qu'on ait complété une longue suite d'ex-
périences encore nécessaires pour pouvoir conclure avec
certitude , les limites dans lesquelles paraissent se renfermer
les anomalies nous permettent d'établir, comme précepte
pratique, qu'il faut avoir principalement sous les yeux,
dans le calcul qu'on peut faire de la valeur vénale, la pe-
santeur spécifique des bois , pourNTi qu'ils soient tous, dans
la comparaison , ramena à un égal point de dessiccation;
car telle essence retient l'eau avec plus d'opiniâtreté et s'en
imbibe avec plus de facilité que telle autre. C'est ainsi que
sans <;ette précaution on s'exposerait aux plus graves er-
reurs, principalement pour ce qui est des bois blancs, po-
reux et légers, comparés, par exemple, au chêne, au frêne,
et surtout à l'orme.
Nous sommes donc forcés de conclure que l'épreuve par
l'ébullition ou la vaporisation de l'eau, faite avec les pré-
cautions et l'identité de circonstances requises, est jusqu'ici
le critérium le plus sûr qui nous soit offert. En effet, la
meilleure manière de se rendre compte de la valeur calo-
rifique des bois semble être celle qui consiste à comparer
la quantité d'eau pure prise à une température constante
qu'un poids ou même un volume également constant de
bois peut porter, soit à l'ébullition, soit à la complète évapo-
ration, en se servant d'appareils identiques, ou bien de
comparer le poids ou le volume de ces bois qu'il faudra
consommer pour porter à l'ébullition un volume d'eau dé-
terminé.
Il faut bien se garder aussi de confondre la facile inflam-
mabilité avec la richesse du combustible en moyens de ca-
loricité. L'inflammation en est, en général, une source puis-
sante , mais elle n'est pas toujours commode ni applicable
sans inconvénient. Nous ne voyons guère que l'économie
domestique, dans laquelle, au moyen d'appareils appro-
priés , on puisse dans presque tous les cas apprécier la va-
leur du combustible d'après la flamme qu'il produit. Mais il
est bien loin d'en être ainsi dans un grand nombre d'industries
et de manufactures.
Nous ne savons pas encore d'une manière bien positive
si les quantités du produit de l'incinération (les cendres)
restent les mêmes , soit qu'on brûle le bois immédiatement,
ou en lui faisant subir une carbonisation préalable avec les
précautions convenables. Ce point serait bien intéressant à
éclaircir. Il paraît résulter des recherches du comte de
U u m f 0 r d que le carbone se combine avec l'oxygène à un
degré de température bien inférieur à celui où il brûle d'une
manière visible. Ce point de vue n'est pas moins essentiel
que celui qui précède immédiatement; car si Rumford est
fondé dans son assertion, il devient évident que dans beai>-
coup d'opérations il y a perte de combustible, puisque la
lenteur de la combustion frustre du bénéfice de cette con-
360
BOIS
sommation. En général, en effet, il a été observé que pour
produire !e plus grand effet calorifique possible, il faut que
les charbons brûlent dans un temps détermine. On n'a pas
davantage constaté jusqu'ici le rapport qu'il y a entre l'effet
que les charbons peuvent produire et leur degré de com-
bustibilité, ou leur pesanteur spécifique, supposé que cette
propriété soit relative à la première. Il a été , à la vérité , de-
puis longtemps observé, mais sans mesure précise, et seu-
lement comme donnée générale, qu'à volume égal les
charbons pesants développent plus de chaleur que les char-
bons légers. Mais à poids égaux quelles sont les condi-
tions de ce problème, qui reste encore indécis? On peut
même déjà assurer que l'effet calorifique n'est pas exacte-
ment proportionnel à la pesanteur spécifique ; ce sont les
charbons légers qui dans ce cas paraissent dégager le
plus de chaleur. Nouveau sujet d'examen et d'importantes
observations. C'est cette vue aussi qui nous a fait dire qu'il
nous semblait qu'on s'était trop hâté de conclure de la pe-
santeur spécifique de ces bois à leur valeur relative ; car
pour les bois non carbonisés il peut bien se passer un
effet analogue à ce qui a lieu pour certains charbons.
Si la quantité de chaleur développée par le bois était ri-
goureusement proportionnelle au carbone qu'il contient,
et si, d'ailleurs, le carbone était proportionnel à la pesan-
teur spécifique du bois (ce qui cependant est assez pro-
bable), on pourrait en conclure qu'à volume égal le bois le
plus dur et le plus pesant , le plus difficilement inllammable
par conséquent, serait celui dont il'faudrait attendre le plus
d'effet calorifique ; mais jusqu'à présent on n'a pu que soup-
çonner le rapport entre les effets des bois d'égale pesanteur;
il est d'ailleurs extrêmement difficile d'en déterminer la pe-
santeur spécifique réelle avec une certaine précision, à
cause de la quantité variable d'eau que les bois contiennent
toujours.
Les bois, comme les hydrates du règne minéral, con-
tiennent toujours , à l'état de combinaison chimique intime,
une certaine quantité d'eau qui n'en peut être chassée que
par un degré de chaleur bien supérieur à celui de l'ébulli-
tion. Cette eau de composition est totalement indépendante
de celle d'imbibition , qui cède à une température bien
plus basse et avec beaucoup de facilité. Voilà pourquoi les
observateurs de ces sortes de phénomènes ont tant varié dans
le résultat de leurs expériences sur un sujet aussi délicat.
Rumford a incontestablement prouvé que pour un poids
déterminé le bois développe d'autant plus de chaleur qu'il
est dans un état plus parfait de siccité ; et en effet il ne
pouvait guère en être autrement , si la vapeur d'eau dégagée
dans l'acte de la combustion ne se condense qu'à l'extéiieur,
et loin des appareils, comme cela a lieu, en général, à l'issue
des cheminées. Dans ce cas, c'est emploi de combustible
perdu que de se servir de bois humide. On voit donc com-
bien est funeste et coûteuse cette notion qui porte souvent
le vulgaire à faire usage de bois encore vert , parce que la
combustion en est moins rapide. L'inconvénient de produire
trop de chaleur dans le même instant fait prendre ce parti ;
mais si l'on avait des appareils appropriés , dans lesquels
le feu pourraitêtre alimenté proportionnellement aux besoins,
il y aurait incontestablement un avantage immense à n'em-
ployer que du bois complètement privé de toute humidité.
11 est un fait avéré, au surplus, c'est que les bois vieux, hu-
mides, en dépérissement, ne produisent comparativement
que peu de charbon et d'une moindre qualité que les bois
sains, jeunes et vigoureux. D'après les expériences dellielni,
le bois nouvellement abattu donne du charbon plus léger,
plus friable, et qui développe moins de chaleur; mais les
quantités peuvent être égales pour ce bois et pour celui qui
a été préalablement desséché.
in. Bois pour Vébénist crie , la marqueterie, la ta-
bletterie et le tour. Ces bois sont colorés naturellement ou
arliliciellemcnt. La liste des bois exotiques naturellement
colorés, non-seulement telle que l'ont donnée nos anciens
auteurs, mais telle même qu'on s'étonne de la trouver dans
des ouvrages modernes et plus exacts , a été ridiculement
allongée. Cette hste offre une foule de doubles emplois et
d'erreurs, dus principalement à des récits de voyageurs écri-
vant en différentes langues, et à ce que de simples accidents
individuels dans les échantillons ont fait admettre des es-
pèces imaginaires.
Ces bois, dont la plupart ont des articles particuliers dans
cet ouvrage, sont : Y acajou; un autre bois importé en
France depuis quelques années, sous le nom d'acajou m
d'Afrique , quoiqu'il ne soit pas certain qu'il appartienne ■
à cette famille ; Vacajou femelle ( cédrel odorant), dont les ■
Anglais font un grand usage, mais qui a l'inconvénient d'être
mou, poreux et ordinairement fort léger; le bois d'ama-
r an t/ie; le buis jaune du Levant ; la cèdre; lu bois de
Chatousieux ; le bois citron; le bois de corail
dur ;\(t bois de cornefétide;\e bois de Cour baril; J
ï'ébéne;lc bois de fer ; le bois de Fustet; le bois de J
Grenadille \ia\; \e palissandre; \c faux palissan-
dre; le bois violette, qui se rapproche du palissandre;
le bois perdrix; le bois de rose; le bois de santal
citrin; le bois de sassafras et le bois satiné.
Quant à nos bois indigènes , nous avons tort de n'en pas
faire un plus grand usage ^ et les meubles plusieurs fois
exposés avec les autres produits de l'industrie nationale ont ■
prouvé tout le parti qu'on peut tirer des bois produits de m
notre sol. Peu de nos bois se refuseraient à cet emploi , si ■
on savait en tirer tout le parti convenable , comme le font
principalement les Hollandais, en variant les plans de section
au sciage. Nous n'aurons pas besoin de nous étendre en des-
criptions. Il suffit de citer notre acacia, notre buis de
France, et surtout sa loupe; le charme aux couches on-
dulées; plusieurs variétés de nos chênes de Picardie et des
Ardennes. Le cormier bien coupé n'est-il pas magnifique?
le cornouiller en vieillissant n'acquiert-il pas du lustre et
une belle couleur brune? l'érable, d'un grain si beau
et si uni , blanc d'abord , ne se moire-t-il pas en jaune avec
le temps? la loupe du frêne n'est-elle pas très-belle?
le hêtre même n'offre-t-il pas d'agréables variétés de cou-
leur en vieillissant? Notre olivier égale la plupart des bois
exotiques. L'orme est admirable, quand on a su en tirer
tout le parti possible. Nous avons vu surtout du placage en
poirier sauvage qui surpassait peut-être tout ce qu'il y a de
plus beau en pa'issandre. Le pommier vieux n'est pas non
plus à dédaigne ; son grain est fin et moelleux. Depuis long-
temps on a procn é , en exposant chez les marchands d'es-
tampes des cadres exlrêmement joUs, que le sapin bien
choisi est un véritable bois à meubles, qui a d'ailleurs l'a-
vantage d'être de tous celui qui se déjette et se tourmente
le moins : aussi les géomètres et les dessinateurs le recher- .
chent-ils pour leurs règles. Le bois de tilleul conserve un
blanc pur ; son grain est fin et uni : il peut figurer' avec
avantage dans la marqueterie. Il y a un giand parti à tirer
aussi du p'alane, elc, etc.
Ici encore nous retrouvons le nom de M. Boucherie, qui
au moyen de ses procédés de pénétration communique au
bois des cou'ears et des odeurs variées. La coloration peut
être produite par des substances minéralesou par des matières
végeta'es. Dans'e premier cas, ce n'est point une substance
déjà colorée qu'on introduit ; on présente successivement à
respiration deux corps dont la réaction réciproque détermine
la foiniPliou d'un troisième corps coloré : ainsi l'on obtient
du noir en faisant passer dans le bois une dissolution de
pyioligniie de plomb , puis une dissolution de sulfure de
sodium. Quand on le pénètre successivement de prussiate
de potasse et de sulfate de fer, on obtient un bleu de Prusse
magnifique. Le sulfate de cuivre et l'ammoniaque donnent
une teinte bleu-céleste des plus lielles. Le vert est [uoduil
par l'acide arsénieux et l'acétate de cuivre , etc.
I
BOIS
3GI
Avant cette découverte, on coloiait déjà les bois d'ébé-
nisterie par des procédés encore employés aujourd'hui, et
par lesquels on imite tant bien que mal les nuances des bois
exotiques. Ainsi , le sycomore et l'érable soumis à l'action
d'une infusion de bois de Brésil acquièrent une couleur aca-
jou loncé avec reflet doré ; l'infusion de garance et <le bois de
Drésil agissant sur le tilleul d'eau donne le même résultat.
L'acajou rouge-clair s'obtient d'une infusion de bois de
Brésil sur le noyer blanc, ou (5e roucou et de potasse sur le
sycomore. On obtient également : l'acajou fauve, par une
décoction de campêclie sur l'érable et le sycomore ; l'acajou
foncé, par une décoction de Brésil et de garance sur l'aca-
cia et le peuplier, ou par une solution de gomme gutte sur
le châtaignier vieux, ou encore par une solution de safran
sur le châtaignier jeune; le bois citron, par une dissolu-
tion de gomme gutte dans l'essence de térébenthine siu- le
sycomore; le bois jaune, par une infusion de carcuma sur
le hêtre, le tilleul d'eau ou le tremble ; le bois jaune satiné,
par une infusion do curcuma sur l'érable ; le bois orangé,
par une infusion de curcuma et de sel d'étain sur le tilleul;
le bois orangé satiné foncé, par une solution de gomme
gutte ou une infusion de safran sur le poirier ; les bois
de courbaril et de corail, par une infusion de Brésil et
de campôche sur l'érable, le sycomore, le charme, le pla-
tane ou l'acacia, en altérant la dissolution par un peu d'a-
cide sulfurique; le bois de gayac, par une décoction de
garance sur le platane, ou une solution de gomme gutte ou
de safran sur l'orme; le bois brun veiné, par une infusion
de garance sur le platane, le sycomore et le hêtre, avec
une couche d'acide sulfurique; un bois imitant le grenat,
par une décoction de Brésil appliquée avec alunage sur le
sycomore, en altérant ensuite le bois teint par une couche
d'acétate de cuivre; des bois bruns, par une décoction de
campêche sur l'érable, le hôtre ou le tremble, le bois étant
aluné avant d'être teint; les bois noirs, par une forte décoc-
tion de campêche sur le hêtre, le tilleul, le platane, l'érable,
le sycomore, en ayant soin d'altérer le bois teint par une
couche d'acétate de cuivre; etc. Ceux qui ont foi en ces
merveilleux procédés recommandent l'apprct préalable des
bois, qui consiste à les bien dresser d'abord et à les polir
à la pierre ponce, afin que, dit-on, ils prennent la couleur
d'une manière uniforme. Avant de les mettre en couleur, il
est utile de tenir les bois pendant vingt-quatre heures dans
une étuve à la température de 30 degrés environ. Quand le
bois teint est bien sec, on polit à la proie et on vernit.
Mais l'art de colorer ainsi les bois est, à notre avis, l'art
de les gâter. 11 n'y a pas là une véritable teinture du corps
ligneux, mais un simple barbouillage. Les couleurs qui d'a-
bord semblaient avoir le mieux réussi passent bientôt après
au brun sale, quelle qu'ait été la nuance primitive. On ne
peut, jusqu'à un certain point, les conserver qu'en les dé-
fendant de l'accès de l'air par un épais vernis, et on sait
quel triste effet font les meubles ainsi couverts.
IV. Des bois de senteur. Il ne peut entrer dans nos
vues de parler ici des procédés d'extraction des parfums ;
nous devons nous borner à rappeler les espèces de bois qui
les fournissent. Tous, moins un, ont déjà été nommés ci-
dessus, comme servant également dans l'ébénisterie, la mar-
queterie et la tabletterie ou les ouvrages de tour. Ce sont :
le bois de rose, qui répand l'odeur de la fleur dont il porte
le nom; le bois de Santal citrin, fortement aromatique
et suave; le bois de Sassafras; le bois de Rhodes,
le plus odorant de tous les bois exotiques ; le bois violette,
qui, comme le bois de rose, tire son nom de la douce odeur
<iu'il exhale.
Nous avons ^^l qu'on peut rendre odorants les bois ino-
dores. Les substances odorantes doivent, avant l'aspiration,
être dissoutes dans l'alcool et dans diverses essences.
V. Des bois tinctoriaux. Nous nous contenterons d'en
donner la liste, en renvoyant pour les détails aux articles
bICr. Ï>E LA CONVEr.S. — T. III.
particuliers. Les principaux bois tinctoriaux sont : le bois
de Brésil, hBrésillef, le Caliatotir, le bois de
Californie, le bois de Campêche, le bois de Fer-
nambouc, le bois de Fustet, le bois de Sainte'
M art h e (probablement le même que celui qui dans le com-
merce porte le nom de bois de Nicaragua), le bois de Ja-
pon ou brésillet des Indes, et le bois de Terre-
Ferme.
BOIS ( Sylviculture ). L'aménagement des bois
ayant été l'objet d'un article spécial, nous nous bornerons ici
à donner quelques considérations sur les diverses essences,
ainsi que sur l'exploitation et les semis des bois.
A la tête des bois durs est sans contredit le roi des fo-
rêts, le chêne, qui ne trace ni nedrageonne, mais qui,
par l'abondance de ses fruits , est très-propre à remplir les
vides des bois; qui pousse plus vigoureusement peut-être
qu'aucun autre arbre sur les vieilles cépées, dont la vie est de
près de deux siècles, qui offre la première des charpentes
et le plus parfait des tans. Quoiqu'il pivote, il pousse mieux
les premiers années en mauvais terrain qu'eu bonne terre;
mais cette fécondité n'est pas de longue durée. Il offre l'in-
convénient d'être sujet à la gelée; c'est pour cela qu'il a be-
soin de société pour l'en garantir; et il lui faut, pour mon-
ter aussi haut qu'il peut s'élever, l'aide d'un taillis ou d'un
gaulis de trente à quarante ans, qui le fasse filer en détrui-
sant les branches basses , et le contraigne à porter sa tête
fort haut.
Le frêne est le second arbre de la première classe. Il est
plus difficile que le chêne sur la qualité du terrain ; il lui
faut un sol profond et un peu humide; sa tige s'élève beaucoup
plus en massif qu'isolé. Il ne drageonne ni ne pivote ; mais
il pousse de grandes racines latérales, avec lesquelles il
détruit plusieurs espèces de bois blancs, et il ne sympa-
thise qu'avec le tremble et le peuplier, dont la végétation
est hâtive.
Le hêtre ne prospère pas sur un mauvais terrain comme
le chêne. Il lui faut un sol profond , limoneux, ou composé
de sable mêlé avec de la terre franche. Son bois convient à
la boissellerie , parce qu'il a la fibre souple et qu'il est sus-
ceptible de prendre un beau poli. La tête du hêtre se des-
sèche ordinairement à 13 mètres de hauteur, mais il se forme
bientôt une nouvelle tête par-dessus la première. Les hêtres
ne pivotant pas comme le chêne , leurs racines s'entendent
si bien entre elles , qu'on voit quelquefois ces arbres s'ac-
coler l'un contre l'autre , et élever leurs tiges comme si elles
sortaient de la même cépée.
L'orîrtedétrait les bois blancs, et il finirait par faire périr
le chêne s'il était en grand nombre dans un tailhs. Son ins-
tinct est de pivoter en bon terrain; mais, si le sol n'est pas
profond , il trace à de grandes distances. Il se reproduit par
des milliers de graines , et finirait par s'emparer de toute une
forêt si on le laissait faire. On doit le considérer comme
arbre d'alignement , et il vient à merveille au milieu des haies
et des buissons. On compte beaucoup de variétés dans cette
espèce : la plus commune est l'orme auquel la science a
donné le nom de pyramidal. Son grand avantage dans le
charronnage provient de ce que sa fibre se resserre lorsqu'il a
1"',60 de tour. Plus vieux et plus gros, il est moins recher-
ché. 11 produit beaucoup de graines ; mais on le multiplie par
les drageons et les marcottes.
Le châtaignier ne doit pas être admis en plein bois :
il ne convient qu'en taillis, pour former les meilleurs cercles
que l'on connaisse ; il est plus sujet que les autres essences
à la gelée ; il lui faut un terrain limoneux et sablonneux : il
veut croître en pleine liberté. Eu [deinbois, il acquiert ra-
rement 2 mètres de circonférence , tandis qu'abandonné à
lui-même sa circonférence acquiert jusqu'à i) mètres. Cent
vingt ou cent cinquante châtaigniers d'une belle venue peu-
vent couvrir un hectare, produire chacun quinze francs de
revenu par année, et payer, en ime seule récolte de fruilSj,
46
3G2 BO
la valeur du sol. Le ciiâtaignier est meilleur comme bois de
charpente que le chêne, parce que les vers ne l'attaquent
point.
Voici quels sont les inconvénients du charme • il trace
beaucoup trop , il pousse une grande quantité de rejetons
depuis sa racine ; il fait périr tous les bois blancs qui vien-
nent au milieu de ses rejets, et méuie les bois durs. L'ypréau*
et l'orme lui résistent seuls. Ses racines ne poussent pas de
drageons , mais ses cépées sembleraient impérissables si les
mulots ne l'attaquaient pas. 11 n'y a que les souris qui soient
avides de ses graines.
Ce n'est que depuis fort peu d'années qu'on trouve l'y-
prémi en plein bois. 11 n'est bien que là, ou dans les friches
Planté en avenue , et le long des terres arables , il couvre les
terres de ses drageons, et il Unirait par les envahir et détruire
toute culture. 11 s'empare de toutes les clairières de bois
comme les trembles. Coupe à quatre ou cinq ans , les rejets
d'une seule cé[)ée couvrent un cercle de 8 mètres de dia-
mètre. Quatre-vingt-dix arbres ainsi coupes suffisent pour
|)L'uiiier un hectare. 11 lui fa\it un lerr<iin un peu humide;
son bois vaut mieux que celui du tremble et du tilleul; il
synipalhi>e fort bien avec les bois durs.
Le bouleau ne se reproduit ni par ses racines ni par ses
drageons, mais il rend une immense quantité de graines
([ue les vents dispersent , et qui conservent leur vitalité du-
rant bien des années. Planté avec le tremble et l'ypréau, il
est très-utile pour repeupler un bois en décadence. Il vit
(luarante-huit à cinquante ans; mais il est toujours utile de
couper le taillis à vingt ans; il donne beaucoup de bois à
i'éclaircie.
Les saules sont fort utiles dans le nord : outre le chauf-
fage qu'ils procurent, ils y donnent du tan, des écorces
avec lesquelles on fal)rique des filets et même des étoffes.
La monographie de cet arbre est très-difficile à faire , parce
qu'il y eu a beaucoup d'espèces. Le salix cuprea, ou mar-
saule, vient dans les bois. 11 est réputé arbre forestier de
la troisième grandeur; il s'élève jusqu'à 10 mètres, et il
vit trente à quarante ans. Il produit beaucoup de graines ;
il vient de boutures, de drageons, de racines, et en consé-
quence il est très-bon pour repeupler avec le bouleau des bois
humides; il repousse très-bien en cépée, mais non en têtard
comme les saules des prés; sa feuille est plus large, plus
cotonneuse en dessous , plus lisse en dessus et d'un vert
plus tendre; son bois est rougeàtre, plus dur, plus plein,
meilleur pour le chauffage et pour le charbon, et pour former
des échalas, que le saule ordinaire. La seconde espèce de
marsaule ne s'élève que de 2 à 3 mètres; ses racines pous-
sent et tracent comme les ronces. Cette espèce, appelée /wî<r-
pre, est très-vivace, et elle est une teigne dans les bois.
Le tilleul est très-nuisible dans les taillis. Il détruit les
bois blancs et les bois durs, il graine et drageonne beaucoup ;
on doit toujours chercher à le détruire , ainsi que le charme
et le coudrier ; il offre cependant l'avantage d'un beau poli
dans son tissu, et d'un cordage médiocre dans ses écorces.
Le tremble vient moins grand que l'ypréau; il dépérit
à cinquante ans , et il donne beaucoup de chablis durant son
existence ; l'orme et le charme le font périr ; il vient partout,
excepté sur les sols brûlants.
Vauii e, qui est très-pittoresque, ne vient qu'en aligne-
ment le long des rivières , des étangs et des mares.
LepcM^/ier indigène ne prospère pas sur les glaises et
les marnes. 11 ne vient bien qu'en terrain frais et humide; le
peuplier suisse et le peuplier d'Italie n'apii.lrtiennent pas
aux forêts : ce sont des arbres d'alignement. Le peuplier
d'Italie , ou pyramidal , est le i)his mauvais de tous les bois,
soit pour le sciage, soit pour le chaufliige ; il ne vaut pas le
saule, qui pèse, le mètre cube sec, 392 kilogrammes, ni le
peuplier suisse, qui pèse 550 kilogiammes, tandis que le
poids de celle preudcre esitèce est de 300 kilogrammes,
i'at lui les arbres à fruit, on distingue \Qmerisie r comme
IS
étant de secon<le grandeur, et s'élevant jusqu'à 10 et mêm*
13 mètres de hauteur. Il entrait jadis comme partie essentielle
dans la menuiserie ; mais depuis (ju'on a trouvé le moyen
de débiter l'acajou en feuilles, et de l'appliquer sur le chêne
avec une colle plus adhérente encore que les libres du bois
entre elles, le merisier a beaucoup déchu de sa valeur.
h'ali zier est un arbre de seconde grandeur : les oiseaux
aiment beaucoup son fruit , et il se transporte partout ; son
bois est très-dur, et l'on en fait des vis de pressoir.
Vérable, qui résiste aux plus fortes gelées, et qui se
défend contre les arbres les plus exigeants , deviendrait le
tyran et l'envahisseur des bois , si la nature lui avait accordé
plus de moyens de reproduction qu'il n'en a.
On a donné le nom de teigne des bois au coudrier,
qui détruit toutes les essences, tant ses racines sont fortes
et nombreuses , et tant ses cépées sont abondantes en reje-
tons , qui étouffent toutes les essences.
On voit encore dans les grandes forêts des pruniers, pom-
miers, poiriers, néfliers, amelanchiers , azéroliers, guiniers,
griotticrs; et parmi les arbrisseaux on trouve l'aubépine,
l'épine-noire, l'églantier, la bourdaine, les cornouillers, fu-
sains , nerpruns , sureaux , troènes , chèvrefeuilles , épine-
vinettes, framboisiers, groseilliers, houx, viornes, genévriers,
bruyères et genêts. Tous les arbres et arbrisseaux désignés
ci-dessus doivent être rigoureusement arrachés.
On ne doit jamais couper les vieux arbres en pivot ni
en pot , ni les jeunes taillis en bec de flûte. La taille en
pivot consiste à fouiller jusqu'à la racine et à couper le
tronc à ra naissance, afin de gagner quelques pieds ou
quelques pouces sur la longueur de la pièce. La taille en
forme de pot consiste à pousser la hache verticalement,
au lieu de la porter horizontalement, et à former ainsi
dans le tronc qui demeure en terre une cavité qui retient
l'eau, pourrit les racines, et arrête la pousse des rejetons.
L'abattage du taillis en bec allongé, au lieu de la coupe
transversale, rend la plaie de l'arbre plus étendue . et con-
séquemment plus difficile à cicatriser, ce qui nuit considéra-
blement à la reproduction des rejets. La meilleure manière
de couper les futaies sur taillis , c'est la coupe entre deux
terres, immédiatement au-dessus du collet , parce que celte
enveloppe terreuse empêche le tronc de pourrir trop rapi-
dement. Les plaies du tronc, soumises alternativement à
l'action du soleil, de la pluie , du gel et du dégel, guérissent
difficilement. Le tronc se gerce , se fendille, et donne lieu à
une si grande déperdition de sève qu'il n'en reste plus a.ssez
pour alimenter les rejets. Il serait à désirer qu'il fût pos-
sible de couper dans le moment qui précède la sève du
printemps, parce que cette sève, qui s'extravase, forme
sur les plaies une couche qui se coagule, cicatrise la bles-
sure et favorise le développement. Les bois coupés l'automne
ou l'hiver se gercent; l'écorce se sépare du liber; les pluies
ou les neiges altèrent le tissu cellulaire , et font souvent
mourir les racines. Il faudrait, s'il était possible, imiter les
jardiniers , qui placent du niastic sur les tiges qu'ils ont
attaquées avec la serpe. 11 faudrait les imiter encore
dans les opérations de léclaircie, et détruire les dra-
geons et brins inutiles. La beauté des rejetons sur les
vieilles cépées est toujours en raison inverse de leur nombre.
Ne laisser sur chaque cépée qu'un ou deux rejetons les
mieux venants est une opération utilement pratiquée par
quelques propriétaires forestiers qui vivent sur leur domaine.
C'est lorsqu'on exploite un bois qu'il faut purger le sol
de tous les bois traînards et parasites , et notamment des
coudriers et des charmes; réduire le nombre des ormes,
qui, en se multipliant par leurs racines et leurs graines,
finissent par s'étouffer les uns les autres. On doit abattre
de préférence ceux d'entre les anciens qui ont pris tête
trop tôt, qui sont fourchus ou pommiers, ou bien trop
rapprochés les uns des autres, o»i percés à la bifurcation
du tronc par des pics qui y pratiquent des ouvertures,
I
BOIS
3n3
Ie-<;quelles , on se remplissant ireaiix pluviales, carient la
pièce d'un bout à lautre. Parmi les baliveaux de lage,
on doit choisir les arbres les plus droits , les plus vigou-
reuv, ceux qui viennent de brin , et non pas ceux qui pous-
sent sur les vieilles cépées , alors môme qu'ils paraissent
plus vigoureux au moment de la coupe. 11 est évident que
cet état de vigueur ne sera pas de longue durée, et que le
brin qui a sa racine propre aura une plus grande longévité
que celui qui se reproduit sur une souche déjà affaiblie par
plusieurs coupes. Les rejets de cépées ne sont bons que pour
former un taillis bien fourré. Les baliveaux de l'âge et les
anciens sont fort utiles, comme porte-graines , remplissant
les vides, et propres à repeupler une forêt déjà vieillie. Dans
un langage moitié forestier, moitié vétérinaire, on donne
à ces arbres le nom d'étalons.
Durant la coupe et les quatre ou cinq années qui la sui-
vent on ne doit jamais souffrir l'enlèvement des glands, des
faînes , des châtaignes , avec quelque abondance que la
nature les prodigue. Quand le taillis a pris de la hauteur,
cet enlèvement n'a pas de grands inconvénients, parce que
les plants qui pourraient naître seraient étouffés par les
branches.
Je dois signaler, comme les plus grands ennemis des
taillis , les troupeaux de bctes à laine et à cornes , et les
chevaux de labour et de charroi. Un bois n'est pas une
prairie destinée au pâturage. Le propriétaire qui permet le
parcours dans les allées de ses bois bordées de taillis ,
quelque larges qu'elles puissent être, perd toutes les parties
les mieux venantes d'un bois, parce qu'elles prennent mieux
l'air. La permission accordée aux propriétaires des che-
vaux ou mules qui voiturent les bois et les charbons , de
faire paître dans les coupes de bois est la source de grands
dommages. Toutes les bêtes ruminantes préfèrent les bour-
geons aux herbes , et les chevaux particulièrement affectes
au service des bois ont un instinct semblable à celui des
chèvres. La permission de couper de l'herbe dar-. les bois,
ou de la faucher dans les clairières un peu étendues , en-
traîne toujours avec elle de grands dommages, parce que
en coupant l'herbe on détruit les jeunes plants et les brins
naissants de bois blanc et de bois dur.
Tant que l'exploitation de vos bois durera, il est de votre
devoir de veiller à ce que les bûcherons ne renversent pas
les vieux arbres sur les baliveaux et sur les autres arbres
réservés; à ce qu'ils dirigent leur chute sur des taillis
destinés à être coupés; à ce que les voituriers de charbon,
qui fréquentent vos bois durant six mois, n'y mettent pas
leurs chevaux en pâture ; à ce que les charrettes passent
dans les routes usitées et battues, n'en frayent pas de nou-
velles et n'endommagent pas les lisières ; à ce que la char-
pente soit promptement équarrie et débardée sur la route ,
ainsi que les tas de fagots et les bois d'industrie qui,
demeurant invendus, ne peuvent être enlevés durant la
belle saison ; à ce que les bois et bourrées de bûcheron
soient , ainsi que les copeaux d'cquârrissage, enlevés avant
la moisson , ou immédiatement après ( car si ces charrois
sont renvoyés au printemps prochain , qui est ordinai-
rement pluvieux dans tout le nord de la France, ces mar-
chandises passeront l'hiver et la belle saison suivante dans
votre bois, et vous serez obligé d'attendre les beaux jours
d'été pour opérer une évacuation complète); à ce que les
grands fossés de pourtour et d'écoulement , les sangsues
et rigoles, les ponceaux et les gargouilles, soient prompte-
ment relevés durant l'automne aux frais de l'adjudicataire,
et que les nouveaux moyens d'écoulement que l'expérience
vous aura montrés nécessaires soient faits à vos frais
dans le même délai; à ce que tous les troncs des jeunes
taillis et les cépées des vieux arbres soient recouverts d'un
on deux pouces de terre; à ce que les baraques en terre
ou en torchis élevées par les charbonniers, les abris desti-
nés aux ouvriers qui travaillent les bois d'industrie, les
demeures passagères bâties par les garde-bois et les garde-
ventes , soient démolis et rasés, la terre disséminée sur les
jeunes taillis , les ramées, bardeaux et solives enlevés et
portés hors du bois. Avec ces moyens employés durant
le printemps, l'été et les premiers jours d'automne, vous
aurez gagné un an, et même deux ans.
Le principe est qu'il faut planter en lignes régulières, et suf-
fisamment espacées, des plants de deux années, enlever avec
beaucoup de précaution les parties endommagées des racines,
leur laisser la totalité de leur chevelu , faire le moins de
plaies possible, et étendre de la terre sur les plaies comme
on met de l'onguent sur une blessure, rejeter les plants dont
les racines sont sèches ou chancies, placer la terre de la
superficie et la plus meuble au fond du trou, et ensuite plom-
ber la terre extérieure à coups de sabot, afin que l'air n'y pé-
nètre pas, donner un labour deux fois par an durant trois
ans, sarcler, biner, buter, etc.
Quant au semis de graines, on doit faire stratifier celles-ci
durant tout un hiver, et les semer durant les premiers jours
du printemps, parce qu'en terre humide elles courraient le
risque de se pourrir ou d'être mangées par les pies, les cor-
beaux et les petits quadrupèdes granivores ou fructivores. La
grosseur de la graine est la juste mesure du degré de
profondeur auquel on doit l'enterrer. Les glands et les
châtaignes doivent être couverts de 2 à 3 centimètres de
terre; les graines de bouleau, orme, platane, tilleul, peu-
plier et saule, de un centimètre et demi. On sème quelque-
fois à graine perdue dans les clairières des bois; mais il faut
semer sur les herbes et avant qu'elles tombent, afin que les
graines ne soient pas étouffées sous leur poids. On sème
aussi des glands, des faînes et des graines de bouleau au
milieu des épines, des genêts et des bruyères, qui garan-
tissent les jeunes plants de la gelée et du hâle; et quand le
terrain est bon, il arrive ordinairement que les plants, en
grandissant, étouffent les mauvaises essences qui les ont abri-
tés; mais la croissance de ces bois est beaucoup plus leule
que celle qui est opérée sur planches avec de bons labours.
En terre légère, on peut planter dans des trous de 30
à 60 centimètres de diamètre , sans qu'on soit obligé de dé-
fricher la totalité du terrain ; mais si le sous-sol est argileux,
le trou se remplit d'eau et les racines poumsseut. On peut
former aussi une forêt de bois blanc en plantant cent bou-
tures de tremble et cent racines d'ypréau par hectare. On
les laisse se développer pendant quatre ans, après quoi on
les recèpe pour leur donner une vigueur nouvelle.
L'automne est l'époque la plus favorable pour les planta-
tions en terre légère, et le printemps en terre humide.
Comte FRA^•çAIs ( de Nantes ).
On ne peut trop insister sur les avantages que les semis
procureraient aux propriétaires des bois, à lagriculture et
aux arts, dans les pays où cette méthode serait suivie avec
persévérance. Les forêts se peupleraient peu à peu d'ar-
bres plus utiles que plusieurs de ceux qui les composent ac-
luellement. La liste des acquisitions que l'on peut faire
presque partout est bien plus longue qu'on ne le jtense com-
munément : voici l'indication de quelques espèces qui s'ac-
commoderaient très-bien du sol et du climat de la France.
La famille des conifères n'a pas encore fourni tout ce
qu'on peut lui demander. Le pin de Corse ( pinus loricio ),
dont l'accroissement est si rapide, est plus répandu dans les
parcs et les jardins d'agrément que dans les forêts , où il
rendrait de si grands services à la marine et aux constiaic-
tions civiles. 11 n'est pas moins à désirer que le pin sil-
vesire, mieux recommandé par la dénomination de pin
de Riga, soit semé abondamment partout où il [leut réussir,
et aucun arbre n'est moins difficile sur le choix du terrain;
on en sera convaincu dès que l'on saura qu'il pousse avec
vigueur dans les craies de la Champagne et dans les sa-
bles de la Sologne.
Veut-on réunir l'agréable à l'utile, que l'on sème àe&pin$
S64
du lord Weymoulh
BOIS
pinus strobus des botanistes ).
Quoique sa végétation soit moins rapide que celle du pin
de Corse, il fait un si bel effet dans les jiaysages, ([u'on re-
gretterait de le voir remplacé par aucun de ses congénères.
Enfin , trouvons une place pour Valviez, pin cimbrot, ou
cembro. On lui reproche avec raison l'exlréme lenteur de
son accroissement ; mais sa beauté, sa longue durée et la sa-
veur de ses fruits le recommandent assez pour qu'on lui
livre les sols tourbeux et marécageux , où il semble se
plaire, et où très-peu d'autres arbres peuvent subsister.
L'ancienne renommée du cèdre du Liban assignait à
cet arbre une place remarquable dans les plantations d'a-
grément; il est temps de l'élever à des fonctions plus im-
portantes. Il semble que les soins de Iboinmc lui sont né-
cessaires pour qu'il puisse quitter le sol natal, et se répandre
assez promptement dans les lieux où l'on veut l'établir. Ses
fruits ne mûrissent pas dans le cours d'une année; ils res-
tent longtemps sur i'atbre après leur maturité, et lors-
qu'enfin ils ont touché la terre , des années s'( coulent en-
core avant'que les cônes puissent s'ouvrir et que les aman-
des réunissent toutes les conditions nécessaires i)our la
germination. Ces délais multiplient les chances défavora-
bles, et donnent à d'autres végétaux plus de temps qu'il ne
leur en faut pour s'emparer de tout l'espace autour des cè-
dres, dont les semences viennent toujours trop tard, et quel-
quefois hors de saison. Il n'est donc pas étonnant que ces
arbres aient été confinés dans les montagnes où la nature
les avait placés, et que môme ils n'aient pu s'y maintenir;
€ar on assure que le Liban n'en conserve presque plus. L'art
du jardinier viendra très-efficacement à leur secours; les
cônes seront cueillis à l'époque de leur maturité ; les aman-
des en seront extraites malgré l'extrême dureté des loges
ligneuses où elles sont emprisonnées ; on les déposera dans
une terre préparée pour les recevoir, et on les distribuera
convenablement pour que les germes se développent libre-
ment , que les plantes grandissent et se disposent à dominer
un jour les arbres inférieurs qui auront protégé leur en-
fance. Sans cette application de l'industrie humaine, le cèdre
du Liban aurait probablement disparu, comme beaucoup
d'autres végétaux gigantesques dont le monde fossile nous
révèle aujourd'hui l'ancienne existence.
Les sapins ont autant de droits que les pins à être ré-
pandus dans les bois, au milieu des arbres dont la verdure
se renouvelle. Employés autrefois exclusivement dans la
construction des édifices , ils obtiennent encore aujourd'hui
la préférence, lorsqu'on peut s'en procurer facilement. Les
deux espèces indigènes ne sont pas les seules qu'il faille faire
descendre des montagnes, et contraindre à vivre d;ins les
plaines, dont il est bien prouvé que l'air et le so! ne leur
sont pas défavorables : nous appellerons au.^^i les Iiaurniers
(nbics bnlsamea), tant celui d'Amérique, déjà transporté en
France, que celui du nord de l'Asie, encore peu connu, et
sur lequel Pallas lui-niême s'est trompé dans sa Flora ros-
sicn. L'arbre que les Russes nommexii piclita , et qu'ils pré-
fèrent à tous les autres sapins pour les plantations d'agré-
ment, n'est point, comme le dit ce naturaliste, Vabies
excelsa, qui couvre les Vosges et plusieurs autres monta-
gnes de France et d'Allemagne, mais un baumier peu dif-
férent de celui de Giléad, bien caractérisé par son odeur,
son feuillage, ses fniits très-courts, et dont les écailles
tombent en automne avec les semonces, tandis que l'axe du
cône reste seul sur les branches. Rien de plus agréable ,
au printemps , que ce sapin lorsqu'il est chargé de ses jeunes
truitsd'un jwurpre brillant, répandus avec profusion sur un
feuillage d'un vert sombie.
L'Allemagne, toujours attentive à ce qu'une grande uti-
lité recommande , possède déjà de grandes plantations d'é-
rables à sucre, tandis que chez nous le même arlwe n'est
pas encore sorti des jardins des curieux , ou de ceux qui
jont consacrés à l'étude de la botanique. Au reste, com-
mençons par multiplier les sapins indigènes dans toutes !i;9
stations où ils peuvent se plaire : quand nous aurons ter-
miné ce travail, l'œuvre de la régénération de nos forêts
sera déjà loit avancée.
On a presque tout dit sur le mélèze, et cependant les
éloges (ju'on lui a prodigués demeurent stériles. A l'excep-
tion de quelques forêts dans les Alpes, aucune partie de la
France ne pourrait fournir assez de mélèzes pour des cons-
tructions de quelque impoilance. Cependant rien ne serait
I)lus facile que de les propager partout, dans les landfs
aussi bien que dan ; les forêts , en se conformant aux con-
seils que Malesherbes a donnés pour assurer le succès des
semis de ces arbres.
L'Amérique du îSord est la pépinière qui a fourni jusqu'à
présent à l'IJirope le plus grand nombre d'arbres forestiers,
et ses envois continueront encore longtemps. Quand lisse-
ront terminés, on pouiTa s'adresser à l'Australasie , où tant
de nouveautés ont étonné les botanistes, où l'immense
eucalyptus surpasse le géant des arbres d'Afrique, l'énorme
baobab.
En introduisant les conifères dans les forêts qui en sont
dépourvues, on les embellit en même temps qu'on les
rend plus utiles et plus productives. En été, le vert sombre
des sapins contraste agréablement avec le feuillage des au-
tres arbres ; l'œil est satisfait d'une plus grande variété de
formes et de couleurs. Dans plusieurs forêts de monta-
gnes, les chênes et les hêtres, le châtaignier môme, sont
associés aux sapins; pourquoi les plaines n'offriraient-elles
pas aussi ce mélange, qui réunit si bien ce qu'il faut pour
nos besoins et nos plaisirs? Dans les jardins d'agrément ,
les pins et les sapins forment la plus grande partie des bos-
quets d'hiver; il ne tient qu'à nous de multiplier indéfini-
ment cette verdure que l'on recherche en l'absence de touio
autre, qui adoucit l'austérité d'un paysage dépouillé de
presque tous ses charmes, qui fixe dans nos contrées quel-
ques habitants des forêts qui n'y sent plus privés d'asile et
de subsistance pendant la saison rigoureuse. Mais afin de
pourvoir encore mieux aux besoins de ces aimables hôtes,
semons avec profusion des noyaux et des pépins d'arbres
tniitiers. Parmi les sauvageons qui naîtront en foule, quel-
ques variétés précieuses viendront un jour enrichir les ver-
gers : on sait que la pomme d'a])i subsista longtemps
ignorée dans les bois avant d'attirer l'attention et d'obtenir
les soins du jardinier. Plus on aura semé, plus ces trou-
vailles deviendront fréquentes , et les forêts seront de vastes
pépinières oii l'horticulture viendra faire de fructueuses in-
vestigations.
Mais en ne considérant les arbres fruitiers que par rapport
aux qualités de leurs bois, en les réduisant à n'être que des
arbres forestiers, nos intérêts bien compris nous engageront
encore à étendre la propagation de ces précieux végétaux.
Tous sont recherchés, soit pour les arts, soit pour le chauf-
fage, ou pour l'un et l'autre emploi. L'acajou a trouvé dans
le merisier un dangereux rival; le noyer commence à s'in-
troduire dans les ameublements somptueux ; le prunier et le
poirier seront toujours travaillés par les tourneurs , etc.
Nos arbres fruitiers transportés dans le Nouveau-jMonde
y ont été plus que l'équivalent de tout ce que la Flore de
ce continent a donné à l'Europe et de ce qu'elle lui promet
encore. Accoutumés, comme nous le sommes, aux jouis-
sances que ces arbres nous procurent annuellement, la con-
tinuité du bientait le dérobe , en quelque sorte , à notre re-
connaissance. Pour estimer équitableinent le mérite du
produit de nos vergers, ce sont les Américains qu'il faut
interroger. L'a.miral Anson porta la guerre sur les côtes du
Chili et du Pérou, il pilla la ville de Paita, prit un galion
espagnol richcitient cliargé; mais en relâchant à l'île de
Juan-Fernandez il y planta quelques noyaux d'abricots :
cet arbre y prospéra, se réi)andit dans les forêts de l'île, et
les Espagnols estiment eux-mêmes que ce service , dont ils
BOIS — BOIS COULEUVRE
365
so it redevables à un ennemi , ne fut pas payé trop cher,
si les propriétaires des forêts s'occupaient du soin de les
améliorer par des semis , ils parviendraient bientôt à les dé-
barrasser des arbrisseaux épineux, qui y tiennent tant de
place, au préjudice de productions plus utiles. Un semis
est préfiaré par un défrichement, et lorsque les jeunes
plants commencent à lever leur tige , il faut les préserver
de l'invasion d'une foule d'ennemis qui viennent leur dis-
puter la possession du sol nourricier. Ainsi , la forêt reçoit
une culture dont ses produits payent bientôt les frais, non-
seulement par l'accroissement de leur valeur, mais aussi
parce (ju'ils deviennent plus abondants.
La méthode des semis impose aux propriétaires l'obliga-
tion de se mettre en état de se passer de coupes trop fré-
quentes ; elle tend à substituer les futaies aux taillis, et par
conséquent à les rapprocher du maximum de produit : c'est
encore un sei"vice qu'elle rendrait aux pays où elle serait
généralement pratiquée , et celui-ci n'est pas le moins di-
gne d'attention. Ferry.
BOIS (Zoologie). Le bois chez les animaux est une
substance qui diffère essentiellement des cornes, non par le
mode de formation, qui est le même, en ce sens que ce
sont toujours des prolongements de l'os frontal , dont les
matériaux sont versés par les vaisseaux sanguins, mais par sa
nature et par ses accidents. Les cornes, dont la substance est
analogue à celle des ongles , sont persistantes et ne tom-
bent que par accident ; le bois est une véritable végétation
animale, et il tombe dans une saison régulière, celle du rut,
pour repousser chaque année au printemps. Le cerf, l'élan,
le daim, le renne, etc., ont la tète ornée de bois ; les antilo-
pes , les chèvres , les moutons et les bœufs sont armés de
cornes.
[Voici comment s'opère la formation des bois en zoo-
logie : Les vaisseaux sanguins du front versent, au lieu
où l'os doit se prolonger en bois, des fluides qui , soulevant
la peau, ne tardent pas à passer à l'état cartilagineux, et
qui s'ossifient bientôt. A mesure que ce travail s'opère , la
peau s'élève et couvre les ramifications du bois, qui, dans
son état parfait, finit par se dépouiller; l'animal facilite
ce dépouillement en frottant son front , désormais armé ,
contre les troncs des arbres. Trois semaines ou un mois suf-
fisent pour que le bois ait atteint toute sa hauteur ; celte hau-
leur «t le nombre des ramifications varient selon l'âge de l'a-
nimal. Chaque année augmente ce nombre de ce qu'en ter-
mes de vénerie on appelle un andouiller. >
Les organes destinés à la reproduction de l'espèce dans
les animaux qui portent des bois ont une influence consi-
dérable sur ces bois , qui paraissent même en dépendre en-
tièrement : si l'on retranche au cerf, par exemple, les
attributs de son sexe pendant que son front est dégarni, ce
fiont ne revêt plus sa parure ; si l'opération est faite tandis ijuc
le bois décore la tête, il ne tombe plus, et l'animal conserve à
jamais comme caractère de son impuissance ce qui aupara-
vant prouvait en lui le développement des facultés généra-
trices. BORY DE SaINT-VlnCENT, (ic l'Acad. des Scieuros. ]
BOIS (Gravure sur). Foj/e- Gravure.
BOISACOTON. Nom vulgaire dujoe m;) /«er de Vir-
ginie et de quelques autres arbres dont les graines sont
surmontées d'une aigrette soyeuse et semblable à du coton.
BOIS À ENI'VREB ou BOIS IVRAÎNÏ. Dans les co-
lonies françaises , on donne ces noms à Yeupliorbia fru-
lescens, au phyllanthus virosa, au galega serica, à
d'autres plantes encore, parce que leur suc laiteux ou leurs
fruits jetés dans l'eau exercent sur le poisson une action
stupéfiante analogue à celle que proiluisent la noix vomi-
que et la coque du Levant.
BOISARD ( Jf,\s-Jacqi!es-François-^I.u;ie ) , le plus fé-
cond des fabulistes, né à Caen, en 1743, y est mort, à la
fin de 1831. Il publia ses quatre premières fables dans le
Mercure de France en 1709, et entra en 1772 dans la mai-
son du comte de Provence, dont l'émigration le réduisit à
l'état de gêne. Depuis 1773 il publia divers recueils de
fables ; et enlin il les réunit toutes sous le titre de 3Hlle et
une Fables ( Caen, 1S06, in-12 ). Dans le prologue d'une
de ses fables , Boisard parle ainsi de l'indifférence du pu-
blic:
J'écris beaucoup, et mon salaire est mince :
II se réduit à rien. Les muses de province
Ne font pas fortune à Paris.
Dans ces divers recueils, Boisard a inséré d'autres pièces.
Palissot , Marmontel , La Harpe , n'ont fait aucune men-
tion de Boisard; mais VoUairc, dans sa correspondance
avec Diderot, donne des éloges à ses premières fables.
Quoique Grimm les préfère à celles de Dorât , de Lamotte,
et même de l'abbé Auberl, il ne les trouve pourtant pas
sans défauts; mais il leur reconnaît de l'originalité, et il
pense que l'auteur est celui de tous les fabulistes qui a le
moins cherché à imiter La Fontaine. Le style de Boisard est
naturel , mais négligé , et beaucoup de ses fables, ne.laissant
pas deviner leur moralité , peuvent passer pour des contes.
Elles sont presque toutes de son invention.
On a quelquefois confondu Boisard avec son neveu , Jac-
ques-François Boisard, né aussi à Caen, vers 1762, peintre
et poète médiocre, toujours maltraité par la fortune, et
mort probablement dans la misère. Celui-ci a publié trois
cent quatre-vingt-douze fables, divisées en deux recueils
imprimés à Paris, 1817 et 1822 , et toutes au-dessous de la
médiocrité. H. Audiffret.
BOIS BALAIS. On donne ce nom aux végétaux dont
les rameaux sont employés à l'usage qu'il rappelle : en Eu-
rope, ce sont le bouleau et les bruyères; dans nos colonies
de l'Inde, plusieurs érythroxijles, \cfresnelier ; etc.
BOIS BÉIXIT. Nom vulgaire du buis, provenant de
son usage dans certaines cérémonies du culte catholique.
BOIS BLA1\CS. U ne faut pas croire que le langage
forestier applique ce nom à tous les arbres dont le bois est
de couleur blanche : on entend simplement par bois blancs
ceux dont le tissu ligneux a peu de consistance. Ainsi , le
hêtre et le charme, malgré la couleur de leur bois, ne sont
pas de la catégorie des bois blancs. Celle-ci renferme le
peuplier, le saule, le bouleau, le tilleul, le sapin, le
frêne, le châtaignier, etc. U serait donc préférable de
classer les différentes sortes de bois en bois durs et bois
'7nous.
On désignait autrefois sous le nom de blanc bois, dans
les ordonnances des eaux et forêts, le charme, le tremble,
le bouleau , l'érable.
BOIS CHANDELLE. Nom commun à Vagave /e-
lide, à Vamyris élcmi/ère, à diverses espèces de pins et à
d'autres végétaux , dont les rameaux, susceptibles de brfiier
aisément, fournissent des moyens déclairage aux habitants
des pays où ils croissent.
BOIS CITiîON. On <lonne ce nom à différents arbres,
mais plus particulièrement à un laurier des Indes, qui croit
aussi dans les Anlilles. C'est un bois pesant, compacte, dur,
résineux , odorant , susceptible d'un beau poii ; d'une belle
couleur citrine, et quelquefois d'un blanc jaunâtre? moiré
de jaune vif; il s'en trouve d'uni, de veiné, de saline, de mou-
cheté, etc. A une température un peu élevée, et par ua
temps sec , il est malheureusement sujet à se fendiller. On
l'emploie dans la marqueterie, les ouvrages de tour, et même
Fébénistcric
BOIS COULEUVRE. Aux Antilles, en nomme ainsi
le dracontium-pertusum, le rhamnus colubrinus et le
strychnos colubrina; àAmboine, c'e^t Vophixylum ser-
pentinum, et sur la côte du Malabar, Vamelpo. Ces dif-
férents végétaux sont ainsi nommés parce que, à tort ou
à raison , les naturels des pays où ils croissent attribuent à
quelques-unes de leurs parties des i)iopriélés spécifiques
contre la njorsuit; des serpents.
BOIS D'AIGLE — BOIS JAUNE
3GG
BOFS D'AIGLE. Ccst une variétédcragalloche. Ce
Lois est caractérisé par sa couleur noire , due à une résine
particulière qui lui donne l'aspect de l'ébène noir, dont il se
rapproche en môme temps par la compacité et la pesan-
teur.
BOIS D'ALOES.Cenomdel'agallochc lui vient de
ce que ce bois a une saveur amère analogue à celle du suc
de l'aloés.
BOIS D'AMABANTE. Voyez Amarante (Bois d').
BOIS DAMIER. Vo>jez B,vdamier.
BOI'S D'ANIS. Voijez Badiane.
BOIS D'ASP ALATII. Ce bois, susceptible d'un très-
beau poli, est pesant et très-compacte. Il est rouge violacé,
avec des veines d'un rouge plus franc, mais plus pûle. Il seil
un peu dans rébénisterie , mais principalement pour la mar-
queterie. On ne connaît pas exactement l'arbre dont provient
ce bois, qui nous est apporté des Indes Orientales.
BOIS DE BRÉSIL. Voyez Brésil (Bois de).
BOIS DE BRÉS8LLET. Voyez Brésillet ( Bois de).
BOIS DE CALL\TOUR. Voyez Caliatour (Bois de).
BOISDECALÏFORNIE. I'oî/c-Caui-ornie (Boisde).
BOIS DE CAMPÈCIIE, BOIS d'INDE. Voyez Cam-
pêche.
BOIS DE CIIATOUSIEUX. Voyez Cuatousieux
(Boisde).
BOIS DE CORAIL DUR ou BOIS DE CONDORI.
Ce bois mérite bien l'épitliète de dur. C'est , dit-on , le pro-
duit de Vadenant fiera (Linné), arbre de la décandrie mo-
nogynieet delà (amille des légumineuses fausses, qui croît
dans l'Inde. Ce bois est pesant, d'une extrême dureté, com-
pacte, d'un grain fin et prenant bien le poli. Les bords sont
ordinairement d'un rouge clair tirant au jaune, mais l'inté-
rieur est d'un rouge plus foncé. Son extrême dureté le fait
beaucoup rechercher pour certains ouvrages. Il en est fait
usage dans la tabletterie principalement et pour les ouvrages
de tour. Il nous arrive en bûches.
BOIS DE CORNE FÉTIDE ou BOIS PUANT, BOIS
CACA. C'est le produit d'un arbre de la famille des cappa-
ridées qui croît à Cayenne ; on en connaît une autre espèce
qui provient du stercuUer balanghas, famille des malva-
cées de la décandrie monogynie. Celui-ci croît dans l'Inde, où
il est connu sous le nom de cavalam. Il nous arrive privé
de son aubier. Il est d'un brun rougeàtre moiré de jaune; il
est dur, compacte, pesant, d'un giain fin et susceptible de
poli ; il exhale une odeur d'excréments humains , d'où lui
vient son vilain nom. Il est d'usage dans l'ébénisterie, la
tabletterie, la marqueterie, etc. Celui de Cayenne nous ar-
rive en bûches de toutes grosseurs.
BOIS DE COURBARIL. Foy. Coi)RBARiL(Boisde).
BOIS DE FER, BOIS DE JUDA , BOIS DE NAGHAS.
Voyez Feu (Bois de\
BOIS DE FERNAMBOUC. Voyez Fernambouc
(Bois de).
BOISDE FUSTET. Voyez Fustet (Boisde).
BOIS DE GRENADILLE. Voyez Grenadille
(Bois de).
BOIS DE NATTE. Nom de i)lusieurs grands arbres,
et particulièrement d'un mimusops , dont on taille des plan-
chettes qui , disposées en manière d'ardoises , servent à
cou\Tir les maisons dans nos colonies à l'ouest du cap de
Bonne-Espérance.
BOIS DE RHODES, BOIS DE CHYPRE. Voyez
Rhodes (Bois de).
BOIS DE RONDE , D'ARONDE ou DE ROIXGLE.
C'est un êryt/iroxyle, dont les branches brûlent avec une
grande facilité et en répandant assez de lumière pour four-
nir d'excellents (lambeaux naturels , dont les patrouilles de
nos colonies s'éclairent pendant leurs marches nocturnes.
De cet usage est venu le nom de bois de ronde.
BOIS DE ROSE. Voyez Rose (Bois de).
BOIS DE SAINTE-LUCIE. C'est le prunus mnhn-
Icb. Voyez Cerisier.
BOIS DE SAINTE-MARTHE, BOIS DE NICARA-
GUA. Voyez SAiNTE-.'^lAnTiiE ( Bois de).
BOIS DE SANG. Nom qu'on donne quelquefois au bois
de Cam pèche.
BOIS DE SANTAL. Voyez Santal (Boisde).
BOIS DE SASSAFRAS. Foye= Sassafras (Bois de).
BOIS DE TERRE-FERME. Voyez Terre-Ferme
( Bois de).
BOIS DURS. On nomme ainsi, par opposition aux
bois blancs, les bois d'une contexture serrée, tels que
le buis, Yorme, \e chêne, etc.
BOISGELIN (Famille de), l'une des plus anciennes
de la Bretagne, doit sa moderne illustration au cardinal de
ce nom, qui occupa le siège archiépiscopal de Tours
de 1802 à 1804.
Jean-de- Dieu-Raymond de Boisgelin de Cucé, né à Ren-
nes, le 27 février 1732, mort à Tours, en 1804, avait été des-
tiné dès l'enfance à l'état ecclésiastique. Après avoir été
grand vicaire à Pontoise, évèque de Lavaur, dans le Haut-
Languedoc, archevêque d'Aix, député à l'Assemblée des
Notables, il émigra en Angleterre, d'où il ne revint qu'a-
près la signature du concordat, pour être appelé à l'arche-
vôché de Tours, et recevoir peu de temps après le cha-
peau de cardinal. Plusieurs membres de sa famille avaient
péri sur l'échafaud révolutionnaire. Ses devoirs pastoraux
ne l'empêchèrent pas de s'occuper des affaires publiques.
Nommé président des états de Provence , il fit décréter par
cette assemblée la fondation de plusieurs établissements
utiles. Député du clergé d'Aix aux états généraux , il y
vota l'abolition des privilèges féodaux. Élu président de
l'Assemblée nationale le 2.3 novembre 1790, il prit une part
active à ses travaux aussi longtemps qu'il demeura sur le
territoire de la France.
Dans ses moments de loisir , le cardinal de BoLsgclin cnl-
tivait en outre les lettres; doué d'un goût fin et délicat, et
d'un esprit brillant, il y obtint des succès qui le conduisi- _
rent à l'Académie Française, où il succéda à l'abbé de Voi- ■
senon ( 1776). Il reste de lui différents écrits sur les ques- m
lions débattues pendant la période révolutionnaire, des tra- ,
ductions, en vers français, des Psaumes et des Héroïdes
d'Ovide. Ce fut lui qui prononça l'orai.son funèbre du Dau-
phin, fils de Louis XV, celle de Stanislas, roi de Pologne,
de madame la dauphine en 17G9, ainsi que le discours du
sacre de Louis XVI.
— Le chef actuel de cette famille est le marquis Édouard-
Raymond-Marie de Boisgelin. Né à Paris, en 1801 , il en-
tra au service en 1817, et fit la campagne d'Espagne,
en 1823, comme aide de camp du marquis de Lauriston.
Appelé par la mort de son père à la dignité de pair de France,
en 1831 , il fit son entrée à la Chambre le jour même où l'on
discutait la loi sur l'hérédité, et vota avec la minorité. Plus
tard il se prononça contre les lois de septembre , et contre
ks fortifications de Paris. Partisan éclairé des libertés na-
tionales, il saisissait avec empressement l'occasion de les dé-
fendre contre les empiétements du pouvoir. La révolution de
Février l'a rendu à la vie privée. C'est par le mariage de son
père avec M"* de IMortefontaine que la terre de Saint-Far-
geau, l'une des plus considérables de France, et dont le
château, bâti par Jacques Cœur, a été habité par la grande
Mademoiselle, est passée dans la maison de Boisgelin.
BOIS JAUNE. Ce bois e.st dur , pesant , compacte,
jaune à l'extérieur quand il est de coupe fraîche, et passe
au noirâtre en vieillissant. L'intérieur est jaune, parsemé de
filets rougeàtre orangé. On fait peu de cas de celui qui est
d'une couleur serin ou jaune pûle.
On en connaît dans le commerce de deux espèces, celui
de Cuba et celui de Tampico. Ce dernier est de couleur moins
1
BOIS JAUNE — BOISROBERT
3G7
vive que l'autre, fournit moins de naatière colorante, et par
conséquent est moins estimé.
Le bois jaune de Cuba nous vient en biicbes, généralement
rondes, du poids de quinze à cent cinquante kilogrammes.
Quelquefois ces bûches sont fendues en deux, et la plupart
sont coupées à la scie. Les bûches de Tampico sont plus
longues et coupées à la Imche, présentant à leurs extrénutés
une section cunéiforme.
On ne sait quel est l'arbre qui pro luit le bois jaune. Les
uns pensent que c'est le lauriis ochroxylon , qui porte en-
core le nom de bois verdoyant ; d'autres l'attribuent au bi-
gnonia leucoxylon , aussi appelé bois vert, ou encore au
liriodendron tulipifera , au r/iits cotimis, etc.
BOIS-LE-DUC (en hollandais Hertogenbosch ou lin-
Bosch), capitale de la province néerlandaise du Brabant
septentrional, au confluent de la Dommel et de l'Aa, qui
forment par leur réunion la Dlest. Cette ville, qui compte
une population de 13,000 habitants, en majorité catholiques,
est le siège d'un évêché, et possède un lycée, plusieurs fa-
briques, entre autres, de toile, une saunerie, etc.; elle fait
un commerce important en grains. La cathédrale , une des
plus belles églises des Pays-Bas, a 53'°,32 de large sur
llS^jTS de long, et est soutenue par cent cinquante piliers.
Les fortifications, en forme de triangle, consistent en sept
bastions qui se flanquent l'un l'autre, et en fossés qui peu-
vent être complètement inondés par l'Aa et la Dommel. Les
forts Papenbril (aujourd'hui Guillaume et Marie), Sainte-
Isabelle et Saint- André complètent le système de défense de
la place.
Simple rendez-vous de chasse des ducs de Brabant, Bois-
le-Duc s'agrandit successivement jusqu'à devenir tm bourg,
que le duc GottfiiedlII entoura de murailles, en 1184,
et éleva au rang de ville. En 15S5 les Hollandais tentè-
rent de le surprendre; un hasard seul fit échouer leur en-
treprise. Assiégé inutilement en 1001 et en 1603, il finit
cependant, après un siège de cinq mois , par tomber au pou-
voir du prince Frédéric-Henri de Nassau, en 1629.
En 1794 une place forte était nécessaire à l'armée du Nord
pour poursuivre les Anglais au delà de la Meuse. Ce fut
Bois-le- Duc que l'on choisit ; mais ce n'était pas chose facile
que de s'en empar?r. Cette place était environnée de forts
bien entretenus et bien armés, et des inondations qui s'é-
tendaient à plus de 600 mètres de ses remparts , en faisaient
comme une lie au milieu d'un vaste lleuve. Tant d'obstacles
ne rebutèrent pas l'armée française. On n'avait point d'ar-
tillerie de siège, mais la garnison était faible. On se fia à
la fortune. On attaqua tout à la fois la ville et les forts d'Orten
et de Crèvecœur, dont la prise devait priver la ville de
toute communication avec la Meuse. Le ville fut investie
le 23 septembre. Dès le lendemain on entra dans le fort
d'Orlen , évacué par les Hollandais. On établit quelques
batteries d'obusiers et de canon à 160 mètres des ouvrages
extérieurs ; on ouvrit la tranchée devant le loit de Crève-
cœur, et on le bombarda avec tant de persévérance, qu'il
se rendit, le 29 septembre, au général Delmas. L'occupation
de ce fort, en affaiblissant les moyens de défense de Bois-
le-Duc, ouvrait en outre le passage de l'île de Dommel,
position décisive pour l'invasion de la Hollande. On s'em-
para môme du fort de Saint-André, mais on ne pensa pas à
en réparer les fortifications et à les mettre en état de dé-
fense; de sorte que les Hollandais, qui connaissaient l'im-
portance de cette position, purent la reprendre et la mettre
à l'abri d'un nouveau coup de main. Cependant le siège de
Bois-le-Duc traînait en longueur. On commençait à avoir
des inquiétudes sur l'issue de cette entreprise. Les pluies
avaient étendu les inondations; les tranchées près des ou-
vrages extérieurs n'étaient plus praticables; l'artillerie de
siège était arrivée , mais il fallait pour l'établir de grands
travaux, que le sol, inondé, rendait longs et difficiles. Les
forts isolés qui environnaient la ville en empochaient les
approches. Cependant, les batteries de pièces de campagne et
les obusiers avaient incendié plusieurs parties de la ville;
et l'opinion , plus forte dans la guerre que les armes elles-
mêmes , y combattait pour les Français. Au moment où
on s'y attendait le moins, le gouverneur, qui s'était case-
maté et qui môme avait blende sa demeure avec des bois et
du fumier pour la mettre à l'abri des bombes, demanda à
capituler. On se hâta de lui accorder les honneurs de la
guerre; et le 10 octobre 1794 il retourna en Hollande avec
sa garnison prisonnière de guerre sur parole. On s'étonna
de trouver sur les remparts 146 bouches à feu , et 130
milliers de poudre dans les magasins.
Le 14 janvier 1S14 Bois-le-Duc fut pris par le général
prussien de Hobe, qui commandait une division du corps
du Bulovv.
BOIS MARBRÉ. T'oj/e; Bois satiné.
BOIS MORT. Voyez Mokt-Bois.
BOIS IVOIR. Par allusion au vert foncé de leur feuil-
lage, on donne ce nom à différents arbres , tels que la mi-
me use Lebbek, etc.
BOIS-PERDRIX. Ce bols est Vheisteria coccineay
de la décandrie-monogynie, famille des hespéridées. H
croit aux Indes ; on en trouve aussi à la Martinique et à
Cayenne, d'où il nous vient principalement. Le bois-perdrix
est nuancé de couleurs diverses ; il a quelque ressemblance
avec le gaïac. On l'emploie surtout dans la tabletterie.
BOIS PUANT. Leur mauvaise odeur a fait donner à
plusieurs bois ce nom, que portent surtout le 6 ois de
corne fétide et la mi me «se de Far ne se.
BOISROBERT(FRANÇ0isLEMÉTELDE),néàCacn,en
1592 , mort le IC mars 1662, membre de l'Académie Fran-
çaise, commença par être avocat, mais renonça bientôt à
une profession qui n'allait guère à son humeur enjouée et
bouffone. Dans un voyage qu'il fit en Italie, le pape
Urbain VIII, à qui il se fit présenter, le trouva si amusant,
que pour lui donner une marque de sa bienveillance , il lui
procura un bon prieuré en Bretagne. Jusque alors Boisro-
bert ne s'était senti aucune vocation pour l'état ecclésiastique.
Le don de ce prieuré le fit changer d'avis. Il entra dans
les ordres, et ne tarda point à être pourvu d'un canonicat à
Rouen , d'un meilleur produit encore que son prieuré. L'ha-
bit ecclésiastique ne lui ôta rien de sa gaieté. Ayant été in-
troduit un jour chez le cardinal de Richelieu , il se surpas sa
lui-même en esprit et en bons mots. Dès lors le cardinal
viulnt absolument que Boisrobert fût à lui. Le joyeux
bouffon devînt de plus en plus nécessaire au ministre pour
lui faire oublier, à ses instants de loisir , les fatigues et los
soucis àcji affaires politiques. Richelieu s'était tellement
habitué à lui, que l'ayant disgracié pour certaines plaisan-
teries qui lui avaient paru aller au delà des convenances ,
il ne riait plus depuis son éloignement, et ne put résister
à la requête de l'exilé, au bas de laquelle le médecin du
cardinal avait ajouté en forme d'ordonnance : Recipe Bois-
robert, voulant dire par là que la gaieté de Boisrobert était
plus utile à la santé de son client que tous les remèdes qu'il
pourrait lui prescrire.
Boisrobert contribua beaucoup à la fondation de l'Aca-
démie Française , dont il fut l'un des premiers membres.
Richelieu ne pouvait faire moins à l'égard d'un littérateur
qu'il admettait à travailler à quelques-unes de ses pièces de
théâtre. L'humeur caustique de Boisrobert ne ménageait
pas plus ses confrères que d'autres , et on trouve partout
cette spirituelle boutade qui lui échappa un jour sur la len-
teur avec laquelle marchaient les travaux de la rédaction
du Dictionnaire entrepris par la docte compagnie:
Mais tous ensemble ils ne font rien qoi vaille.
Depuis six mois dessus l'F on travaille ;
Et le Destin m'aurait fort obligé
S'il m'avait dit : Tu vivras jusqu'au G.
Au reste, lo cardinal le combla de faveurs, et notamment
868
BOlSROBhRT — BOISSEUÉE
le fil nommer à la riche abbaye de Cliâtillon-siir-Seiae. Il
le pouiTul en outre d'une place de conseiller d'État. On con-
naît le joli rondeau dans lequel Malleville s'égaya sur la
lortune de Boisrobert :
Coiffé d'un froc bien rafliné,
El rcvêlti (l'un dovciint',
Qui lui rapporte de quoi frire,
Frère René, etc.
Après la mort de Riclielieu, Boisrobert (ut exilé de la
cour. Uf^tait grand joueur, et avait le défaut de jurer sou-
vent en jouant. On trouva qu'il n'avait pas la décence de
mœurs nécessaire à un ecclésiastique, et on l'envoya faire
pénitence à son abbaye de ChiUillon-sur-Seine. C'est IPi
qu'il mourut. 11 avait composé dix-huit pièces de théâtre,
tant tragédies que comédies , des poésies disséminées dans
divers recueils, et un roman: Histoire indienne d'Anasandre
et d'Orasic (Paris, 1629^.
BOIS SACRÉS. Les bois ont été les premiers lieux
destinés au culte des dieux. Dans les temps primitifs', où les
liorames ne connaissaient ni villes ni maisons, lorsqu'ils ha-
bitaient les forêts ou les cavernes , ils choisirent dans les bois
les lieux les plus écartés, lesplusimpénétrablesauxrayonsdu '
soleil, pour y faire leurs sacrifices religieux. Dans la suite,
on y bâtit de petites chapelles et enfin des teniples ; mais on
continua à les environner d'épaisses plantations d'arbres, et
ces forftts devinrent aussi sacrées que les tem[)les mêmes.
On s'y assemblait aux jours de fête, et après la célébration
<les mystères on y faisait des repas publics , accompagnés
de danses et de toutes les autres marques de la plus grande
joie. On y consacrait particulièrement aux dieux les arbres
les plus beaux et les plus grands, qu'on surchargeait d'of-
frandes, et qu'on ornait de bandelettes, comme les statues
des dieux mômes; usage qui plus tard fut sévèrement
proscrit par l'empereur Théodose, saint Grégoire, et plu-
sieurs rois de France et de Lombardie. Couper des bois sa-
crés était un sacrilège ; il n'était permis que de les élaguer,
de les éclaircir, et d'abattre les arbres qu'on croyait attirer
Je tonnerre.
A Claros , il y avait un bois consacré à Apollon ; Élien dit
qu'on n'y rencontrait pas un seul animal venimeux. Les cerfs
y trouvaient un refuge inviolable quand ils étaient poursui-
vis; chiens et chasseurs abandonnaient leur proie sur le
seuil de la forêt. Esculape avait près d'Épidaure un bois
où il était défendu de laisser entrer les moribonds et les
femmes en mal d'enfant ; c'était une profanation que d'y lais-
ser naître ou mourir une créature humaine. Le bois que
Viilcain avait sur le mont Etna était gardé par des chiens
sacrés , qui caressaient de la queue ceux que la piété y con-
duisait, et déchiraient, au contraire, ceux qui y étaient atti-
rés par des pensées impures.
Rome était entourée de bois sacrés : les plus célèbres
étaient ceux d'Égérie et des Muses , sur la voie Appienne;
de Diane , sur le chemin d'Aricie ; de Junon Luciiie , au bas
des Esquilles; de Laverne, près de la voie Salaria; en£n^
de Vesta , au pied du mont Palatin.
BOIS SAIX. Co nom appartient à la fois Aune espèce
ôe lauréoleo» daphné, dont l'écorce caustique est quel-
quefois employée comme vésicant, et au gaïac, qu'on ap-
pelle aussi boli saint.
BOIS SATINÉ, BOIS DE FEROÉ ou DE FÉROLE,
BOIS DE CAYENNE, On désigne sous ces différents noms
le bois qui provient de plusieurs espèces de /ero/?fl, grands
arbres qui croissent à Cayenne et dans la Guyane. L'aubier
est blanc et fort épais ; à l'intérieur, le bois est dur, pesant,
d'un grain fin, avec des rayons qui imitent le satm : d'où iui
vient son nom. Ce bois prend un poli magniiique ; il en est
de plusieurs nuances; on en trouve même de rouge écar-
late, qui est admirable; il yen a de rouge panaché de
jaune, marron, brun, jaunâtre, verdAtre.etc. On en fait des
meubles magnifiques ; il nous vient de Cayenne sans aubier,
en billes rondes de douze à quaranle-huit ccnlimèfres ds
diamètre.
C'est au ferolia d'Auhlot que s'applique aussi le nom de
bois marbré.
Enfin, on ap(ielle quelquefois bois satiné le bois du
prunus domesticus.
BOISSEAU, ancienne mesure usitée pour les corps
secs et les corps solides , tels que grains , farine, fruits, char-
bon, sel, etc. Le boisseau, qui valait treize de nos litres ac-
tuels, se divisait à Paris en quatre (piarts ou seize litrons;
c'était le tiers du minot, le sixième de la mine , le douzièmu
du setier et la cent quarante-quatrième partie du muid. il
contenait à peu près un tiers de pied cube, et pesait environ
20 livres. Il devait avoir 8 pouces et 2 lignes et demie da
haut, et 10 pouces de diamètre. Du reste, le boisseau,
comme la plupart des autres mesuies anciennes, variait de
contenance et de valeur selon les divers pays. Nous avons
donné celle de Paris; il était plus petit d'un huitième à
Chàlons, et il en fallait treize et demi pour faire le setier de
Paris , tandis qu'il n'en fallait que six de ^'ogent pour égaler
la même mesure.
Les boutonniers appellent boisseau une machine de bois
de la forme d'un demi-globe, et longue d'environ 50 cen-
timètres , fort légère, qui se met sur les genoux pour tra-
vailler, et dont ils se servent pour faire des tresses , des
cordonnets , oii autres ouvrages qu'on dit faits au bois-
seau, pour les distinguer de ceux qui sont faits au métier.
Suivant une expression évangélique, on ditqu'il ne faut par.
mettre la lumière sous le boisseau, pour dire qu'il ne faut
point cacher la science ?t la vérité; qu'il ne faut pas vou-
loir les réserver pour soi seul ; qu'il faut, au contraire, con-
tribuer de toutes ses forces à réjjandre le plus possible le*
lumières de l'intelligence, sans jamais regretter, comme trop
de gens, qui ne sont pas to-is jésuites pourtant, qu'elles
puissent aller trop loin.
BOISSELÉE. C'était une ancienne mesure de terre
usitée dans quelques provinces, et qui s'entendait de la quan-
tité de terre que l'on pouvait ensemencer avec la quan-
tité de grain contenue dans un boisseau : d'où il suit que
le boisseau variant souvent de contenance , selon les di-
verses localités , la boisselée , comme la bicherce , était une
mesure assez vague et assez indéterminée. Huit boi»selées
de Paris faisaient environ un arpent de Paris; c'est-à-dire
qu'il fallait huit boisseaux pour ensemencer un champ dô
cette contenance ou de cette étendue.
BOïSSELlER. Ou appelle de c« nom l'artisan qui fa-
brique ou le marchand qui vend des mesures de capacité
en bois, telles que des décalitres , des litres, etc., ains*
que des cribles, des tamis, des caisses de tambour , etc.
La construction de ces mesures est des plus simples : le
fabricant emploie des planches de chêne, de liêlre ou de
ncyer, débitées à la scie, et amincies au rabot au degré
convenable. Ces planches sont roulées conune le serait un
ruban qui ferait plusieurs tours sur lui-même aulour d'une
bobine. On roule ainsi ces planches sans les casser, après les
avoir fait bouillir dans de l'eau. L'ouvrier assujettit ensuite
chaque planche à un fond de bois rond , en ayant soin da-
mincir les bords de la jointure afin que la cavité soit par-
faitement cylindrique. Une bande de bois clouée extérieu-
rement donne à son ouvrage plus de solidité.
La boissellerie se fabrique principalement dans les forêt»
de Saint-Gobain , de Coucy-le-Châleau et de Prémontré
(arrondissement de Laon), à Villers-Cotterets , à Troyes,
à Laigny (Côte-d'Or), à Calais, à Fréjus (Var) , à Gérard-
mer et à Rothan (Vosges), etc.
«OISSERÉE (SuLi'iCE), né à Cologne, en 1783, a
rendu de grands services à Ihistoire de l'art en Allemagne,
ainsi que son frère MtLCHmR, né en 17S6, et son ami Jean-
Baptiste Beutkam. Un voyage que, dans l'automne de 1803,
les trois amis furent à Paris, où ils passèrent neuf mois, leur
t
BOISSERÉE
300
donna la première idée de consacier leur temps cl leur for-
tune à rectierclier et à tassemblcr les antiquités artistiques
<le rAllemagne. L'étude des chcfs-d'u'uvre .le l'art antique
et de l'art chrétien réunis par Napoléon dans les salles du
Louvre forma leur goCit, que perfectionnèrent encore les le-
çons de Frédéric Sclilegel, leur hôte. Schlegel s'étant alta-
clié, dans son Eiiropa, h attirer plus spécialement l'attention
puhiiqne sur les ouvrages des anciens peintres allemands
reunis dans le Musée du Louvre, les trois amis se souvin-
rent d'avoir vu dans leur ville natale de vieux tableaux du
même genre, et ils tirent un éloge si pompeux des richesses
enfouies dans les églises des Pays-Bas et des bords du Rhin,
qu'ils déterminèrent Schlegel à les accompagner dans cette
contrée au printemps de 1804. Les nombreuses églises et les
couvents supprimés dans les départements riverains du Rhin
réunis à la France venaient précisément d'être évacués, et
beaucoup de tableaux anciens étaient tombés entre les mains
d'amateurs qui n'en connaissaient pas le prix. Les trois
amis éprouvèrent le désir bien naturel de les sauver de la
destruction ; ils se mirent donc à leur recherche, firent l'ac-
quisition de ceux qu'ils purent découvrir, et, le succès éten-
dant leurs vues, ils résolurent, dès 180S, de faire de l'his-
toire de l'art l'unique aflaire de leur vie et de donner à leur
collection une importance plus qu'ordinaire.
Cette année môme, INIelchior eut le bonheur d'acquérir
quelques-uns des plus curieux tableaux de leur collection ,
et Sulpice , après avoir préparé son grand ouviage sur la
cathédrale de Cologne , en levant le plan de ce beau mo-
nun>ent , entreprit un voyage artistique sur les bords du
lîhin en passant par Mayence, Heidelberg', Spiie, Stras-
bourg, Fribourg, liâle et la Bavière. Ce fut à cette époque
qu'il conclut avec le baron Arctin un traité pour la publi-
cation des planches iithographiées de son ouvrage, et qu'il
engagea le peintre d'architecture A. Quaglio à l'accompagner
à Cologne pour l'o écution des vues perspectives. Ses re-
cherches sur l'ancienne architecture le convainquirent que
la cathédrale de Cologne était un des édifices les plus parfaits
qu'il yeiUen Europe, tant .sous le rapport du plan que sous
celui de l'exécution, et qu'il convenait éminemment à servir de
modèle du style le plus pur et le plus noble. Le désir d>;
reproduire ce chef-d'uuvre de l'art allemand tel que l'avait
conçu le génie du premier architecte , enflamma le jeune
homme; et dans son enthousiasme, il fit un travail qui attira
sur ce monument l'attention de tous les gens de goût.
En ISIO les trois amis se rendirent à Heidelberg, empor-
tant avec eux quelques-uns de leurs tableaux. La môme
année , le libraire Cotta leur offrit de faire les frais des
planches de l'ouvrage sur la cathédrale de Cologne, les li-
thographies n'ayant [>as aussi bien réussi qu'ils l'espéraient.
Les dessins furent exécutés principalement par A. Quaglio ,
Fuchs de Cologne et le conseiller supérieur des bâtiinents
îiîolla. Unttenhofer de Stuttgard et Darnstedt de Dresde fu-
rent chargés de la gravure. En 1811 Sulpice Boisserée vi-
sita la Saxe et la Bohème. Dans ce voyage il eut la bonne
fortune de nouer avec Goethe des relations qui durèrent
jusqu'à la mort du grand écrivain. Dans l'intervalle , la ma-
jeure partie des tableaux de leur collection fut transférée à
Heidelberg. Vers le même temps Melchior Boisserée alla
parcourir les Pays-Bas, où il acquit encore plusieurs tableaux
importants, entre autres quelques-uns des chefs-d'œuvre de
Hemling. Non-seulement il travailla avec Bertram à enrichir
la collection, mais il s'occupa aussi avec activité à en
restaurer et classer les tableaux. Sulpice, de son côté, fit
venir de Paris plusieurs graveurs, entre autres Leisnier, et
avec leur concours, secondé aussi par Geissler de Nuremberg
et Rauch de Darmstadt, il fit paraître en 1823 la première
livraison de son magnifique ouvrage intitulé : Histoire et
Description de la Cathédrale de Cologne. La 4* et der-
nière livraison parut en 1831.
Les événements de 1813 à 1815 ayant attiré à Heidelberg
DICT. UE LA CO.>VEUS. — T. IJl.
les hommes les plus distingués, la collection des troi.*. amis
acquit une réputation européenne sous le nom de Collec-
tion de Boisserée. Elle comptait alors '200 tableaux, et
bientôt il n'y eut plus à Heidelberg de maison assez vaste pour
la contenir. En conséquence, le roi de Wurtemberg offrit aux
propriétaires la jouissance d'un bâtiment spacieux à Stutt-
gard; et ils purent enfin exposer dans son entier leurcollectinn,
dont ils classèrent les tableaux d'après leur plus ou moins
d'importance. On reconnut alors qut> dès le treizième siè'le
l'Allemagne possédait une école de peinture formée, comme
celle d'Italie, sur les traditions de l'école byzantine , et (|u';'i
cette époque cette école avait pris un développement propre
avec une supériorité incontestable, en ce (jiii est de la com-
position et du coloris, sur l'école italienne coiitem|>oraine.
Cette collection révéla les noms d'un grand nombre de
maîtres flamands jusque là inconnus , et fit dignement aj)-
précier le mérite de Jean Van Eyck, créateur de la pein-
ture allemande proprement dite.
Les tableaux rassemblés par les frères Boisserée offrent
réunis , à un plus haut degré qu'on ne pouvait s'y attendre ,
l'esprit, le sentiment, le naturel et la vérité, la beauté et la
clarté. Comme dans ceux de Durer, de Holbein et de U
plupart des artistes du quinzième siècle , on y admire dans
toute leur originalité le caractère et le talent des Allemands ;
c'est .seulement avec les œuvres du seizième siècle que l'in-
fluence de la peinture italienne se fait sentir, et que l'on com-
mence à apercevoir la transition graduelle à l'école llamande
moderne, devenue dominante à la fin de ce même siècle.
La collection se divisait en trois sections, d'après les trois
grandes périodes de la peinture allemande. La première
comprenait les ouvrages du quatorzième siècle, appartenant
tous à l'ancienne école de Cologne , alors la plus célèbre de
l'Allemagne. La seconde se composait des ouvrages de
Jean Van Eyck et de ses disciples plus ou moins immédiats,
tels que Hemling ou Rîemling, Hugues Van der Goes, Israël
de Meckenen , Michel Wohlgenmth , Martin Schœn , etc. La
troisième , enfin , comprenait les œuvres des peintres alle-
mands qui se distinguèrent à la fin du quinzième et au
commencement du seizième siècle, comme Durer, Luc de
Leyde , Mabuse , Schoreel , Patenier, Bernard Van Orley ,
Cranach, Holbein, et celles de leurs élèves et de leurs suc-
cesseurs chez lesquels l'imitation de la manière italienne est
sensible, comme Jean Schwarz , IMartin Heemskerk, Michel
Coxcie, Charles Van Mander, les peintres de Cologne Jean
de Melem et Barthélémy de Bruyn , etc.
Désireux de s'assurer que leur collection , à laquelle ils
avaient consacré , pendant plus de vingt années , leur temps
et leur fortune, ne serait pas disséminée après leur mort,
les trois amis la cédèrent en 1827 au roi Louis de Bavière
au prix de 120,000 thalers. Ce prince la fit transférer,
en 1828, à Schleissheim, et de là, en 1836, dans la Pina-
cothèque de Munich, à l'exception d'une quarantaine de
tableaux qui furent donnés à la chapelle de Saint-Maurice à
Nuremberg.
La collection Boisserée , qui occupe presque à elle seule
les huit premiers salons de ce musée , forme avec les tableaux
de la salle voi.sine la galerie la plus complète qui existe des
œuvres des anciens peintres allemands. Si de nouvelles re-
cherches n'ont pas confirmé de tous points le système de clas-
silication de MM. Boisserée, c'est là nn fait naturel dans le
développement do la science, et qui ne diminue en rien le
mérite d'hommes qui ont acquis des titres légitimes à la re-
connaissance de leurs contemporains et de la postérité.
Les trois amis suivirent leur collection à Munich , où
Melchior continna à en lithographier les tableaux, avec
Strixner, et publia en 1834 son œuvre, en 38 livraisons.
Sidpice y fit aussi paraître, de 1831 à 1833, ses Momanents
de P Architecture dans le Bas-Rhin du septième au
treizième siècle, avec 72 lithographies iu-fol. Ses travaux,
sur les antiquités chrétiennes ont donné naissance à deu»
370
ROISSERÉE— BOISSONS
traités Sur le temple de Sa'mt-Granl ( 18:54) , et sur la
Dalmatique impériale dans l'Église de Saint-Pierre à
Rome ( 1842) , l'un et l'autre ornés de gravures et insérés
lians les Mémoires de C Académie des Sciences de Bavière,
dont il est membre. En 1835 il fut nommé conseiller sn-
périenr des bâtiments et conservateur général des monu-
ments plastiques du royaume, jjlace à laquelle sa santé af-
faiblie le força de renoncer au bout de dix-buit mois pour
aller habiter un climat plus doux. Il passa l'hiver de 1»36
à 1837 dans le midi de la France, et voyagea pendant deux
ans en Italie. A son retour il eut la joie d'apprendre que le
roi de Prusse entreprenait la réédilicationdela cathédrale de
Cologne incendiée. Son ami Bertram fut moins heureux; il
mourut au printemps de 1841 ; mais avant sa mort il avait
eu la satisfaction de voir réussir les essais de Melchior Bois-
serée pour parvenir à peindre sur verre avec le seul pinceau.
Ce nouvel art fut immédiatement appliqué par l'inventeur
à la reproduction sur verre des meilleurs tableaux de son
ancienne collection, et il forma ainsi, en y ajoutant quel-
ques tableaux de l'école italienne , une collection unique en
son genre, qu'il transporta en 1845 à Bonn, lorsqu'il alla
s'y établir avec son frère, sur l'invitation du roi de Prusse,
qui voulait faire profiter leur patrie des connaissances pra-
tiques qu'ils avaient ac<iuises. Il fut à cette occasion créé
conseiller privé ; mais il ne jouit pas longtemps de sa nou-
velle position. En 1846 il éprouva une attaque de paralysie,
des suites de laquelle il mourut, le 14 mai 1851.
BOISSIEU (Je\n-Jacques de) naquit à Lyon, en 1736.
Son goût pour le dessin , contrarié d'abord par les vues de
sa famille , qui voulait faire de lui un magistrat , se mani-
festa de bonne heure avec tant d'éclat qu'on dut céder de-
vant une vocation qui paraissait invincible. Son premier
maitre fut Frontier, peintre d'histoire, alors en réputation.
Le jeune de Boissieu fit des progi'ès si rapides , qu'il fut
bientôt en état dimiter, dans ses compositions , le style des
plus célèbres paysagistes de l'école llamande, tels que Ruys-
daél, Van den Velde, etc. Il avait vingt-quatre ans lorsqu'il
vint à Paris , où il se lia avec Vernet , Souftlot, Greuze , et
autres artistes célèbres. De retour à Lyon , la préparation
des couleurs ayant altéré sa santé, il se livra exclusivement
à la gravure à l'eau-forte, pour laquelle il se sentait une
aptitude particulière. Il joignit par la suite à l'eau-forte,
avec beaucoup de succès, un mélange de pointe sèche et de
roulette. Ses productions étaient déjà fort recherchées lorsque
le duc de La Rochefoucauld l'emmena en Italie. 11 se lia
pendant son séjour à Rome avec Winckelmann, dont les
conseils achevèrent de développer son talent. Ce voyage
faillit le détourner de la gravure; l'étude assidue qu'il fit des
chefs-d'œuvre de la peinture réveilla sa première ardeur pour
les pinceaux, et il se plut à reproduire sur la toile les rui-
nes des monuments antiques. Mais sa santé le força de nou-
veau à reprendre le burin ; et dès lors il se consacra tout en-
tier à la gravure à l'eau forte. Il y acquit un tel talent qu'il
peut être regardé comme un des plus habiles graveurs en ce
genre. Son œuvre gravé se compose de cent sept pièces,
parmi lesquelles un bon nombre sont excellentes , et à la
hauteur du Charlatan de Karl Dujardin, tant cité. Ses es-
tampes dans la manière de Rembrandt ont beaucoup de
couleur et d'effet; la composition de ses dessins est abon-
dante, sa touche moelleuse et toujours sûre. On doit encore
remarquer que Boissieu, dans ses moindres fantaisies, ne
s'est jamais écarté des règles sévères du goût. H mourut
en 1810. B. DE CoRCY.
BOISSONADE (Jean-François ), un des savants les
plus spirituels et l'un des érudils les plus exacts de l'époque
actuelle, naquit le 12 août 1774, à Paris. C'est un de ces
esprits fins et délicats auxquels le travail de la pensée est
nécessaire comme l'air qu'ils respirent, et qui, dans une
prison, continueraient avec délices leurs lectures favorites,
leurs analyses ingénieuses et leurs investigations |uquan'cs.
Quelque chose de la sagacité de Bayle se joint chez M. Bob^
sonade à une sobriété fine de style et à une j)rofonde con-
naissance de ta littérature grecque. C'est là, comme on la
dit aujourd'hui , sa spécialité, et il a publié beaucoup d'édi-
tions remarquables des auteurs grecs et latins. Journaliste
et savant, tout en commentant Lycophron, Thucydide ou
Achille Tatius, il trouvait encore moyen d'approvisionner
le Mercure, le Magasin Encyclopédique , la Biographie
Universelle , et surtout le Journal des Débats , des plus
spirituels articles. Un moment, il avait passé par la carrière
administrative en qualité de secrétaire général de la préfec-
ture de la Haute-Marne , situation que n'eût pas dédaignée
une ambition d'un autre ordre , mais qu'il ne tarda pas à
répudier pour se livrer sans réserve à ses goûts. Sa renom-
mée et son progrès furent rapides dans cette carrière, qui
était réellement la sienne. Nommé en 1809 professeur ad-
joint de littérature grecque à la Faculté des Lettres, profes-
seur titulaire en 1812, membre de l'Académie des Inscrip-
tions en 1813, chevalier de la Légion-d'Honneur en 1814,
professeur de littérature grecque au Collège de France en
1828, il travaille, dit-on, depuis longtemps, à un diction-
naire de la langue française , spécialement consacré à la re-
cherche et à l'étude des étymologies. 11 est fort à désirer
que cette promesse se réalise. Aucune intelligence n'est plus
naturellement prédisposée à ce difficile travail, et nous avons
été si souvent les dupes de l'hallucination étymologique,
que ce sera une bonne fortune pour les philologues que
l'apparition d'un tel ouvrage. Ménage, Brossette, Delillede
Sales, ont embarrassé de mille décombres l'étyîiiologie
française. M. Boissouade aura fort à faire de déblayer tant
de ruines et de matériaux inutiles ou dangereux ; mais c'est
à lui spécialement qu'appartient une telle œuvre, et sa con-
naissance approfondie des langues mères de la langue fran-
çaise le lui rendra plus facile qu'à tout autre.
Philarète Chasles.
M. Boissonade a donné des éditions de Philostrate (Paris,
1819), du rhéteur ïibérius ( Paris, 1815), de Nicétas Eu-
genianus (2 vol., Paris, 1819), d'un commentaire de Pro-
clus sur le Cratyle de Platon (Leipzig, 1820 ), d'Eunapius
(Amsterdam, \'i11),A\x Syntipas (Paris, 1 823 ), des f ai'/e.s
de Babrius ( Paris, 1844) , du Sylloge Poelaium Grœcorum
( 24 vol., Paris, 1825-1826), du A'o«j;eaM Testament (2 vol.,
Paris, 1 824), des i4Hec(/o;aGra'ca( 5 vol., Paris, 1829-1840),
des Anecdola JSova (Paris, 1844), qui sont d'une grande
importance pour l'histoire byzantine et pour l'élude des
grammairiens grecs; des ^'pisfote de Philostrate (Paris,
1842), etc., etc.
A tant de services rendus à la littérature il faut ajouter
les Lettres inédites de Voltaire à Frédéric le Grand
( 1802 ) ; le recueil des Œuvres de Berlin ( 1824 ) , l'édi-
tion du Télémaque qui fait partie de la collection Lefèvre
(même année); les Œuvres choisies de Parny, même col-
lection ( 1827), et le Goupillon , poème héroïque , traduit
du portugais de Diniz da Cruz (1828).
BOISSOIVS. L'homme a presque autant besoin de bois-
sons que d'aliments véritables : outre qu'il est des boissons
qui nourrissent, la plupart sont des dissolvants nécessaires
à la digestion. Absorbées dans le canal digestif, et portées
de là dans le torrent circulatoire par des vaisseaux, les
boissons réparent les pertes continuelles du sang. Puisque
c'est du sang que proviennent les humeurs et les transpi-
rations des poimions et de la peau, il est indispensable que
d'autres lluides remplacent ceux que la vie dissémine ainsi à
toutes les surfaces du corps et par ses issues. Aussi ne faut-
il pas se montrer surpris si la privation de breuvages est
presque autant ressentie par le sentiment de la soif que la
privation d'aliments par la faim. Il est même certain que
le manque de boisson amaigrit comme l'inanition véritable.
On cite un homme qui perdit près de six livres de son
poids total pour être resté cinquante jours sans boire. Ce
BOISSONS
371
gcr.fe de privation a souvent tlétciminé la rage en plusieiirs
espèces d'animaux. Bien que la soif ne soit peut-Ctre jamais
aussi vive chez les herbivores que chez quelques carnassiers,
il n'en est pas moins vrai que les animaux carnivores se
passent plus aisément de boisson que ceux qui se nour-
rissent d'herbes. Il existe , à la vérité , quelques exceptions,
ne fût-ce que pour le chameau et pour quelques rongeurs;
mais toujours esl-il que l'homme sobre, qui se nourrit de
viandes, a moins besoin de boisson que s'il s'alimentait
uniquement de végétaux.
Les excès en lait de boisson ruinent la santé, en con-
duisant à une obésité maladive ou à une extrême maigreur.
Ce genre d'abus trouble surtout les digestions, les liquides
étant ordinairement d'une digestion plus difficile que les
aliments solides. L'absorption vitale est d'ailleurs entra-
vée par l'excès de boisson. Le cœur et les vaisseaux,
alors comme encombrés de liquides , accomplissent péni-
!)lemcnt la circulation du sang , tandis que les poumons ,
dont une enceinte étroite limite le jeu , éprouvent une gône
qui peut aller jusqu'à l'oppression. L'ivrognerie produit
fréquemment des hydropisies , des paralysies et des suffo-
cations nocturnes; en sorte que l'intérêt seul de la conser-
vation et l'amour de la vie doivent inspirer lasobriété tout
aussi efficacement que ces clubs de tempérance où les néo-
phytes trinquent en sortant du prêche, quelquefois môme
pendant le sermon.
Les boissons peuvent être distinguées en celles qui sont
aqueuses, celles qui sont fomentées , les alcooliques pro-
prement dites, et les aromatiques. Au moins la plupart
des boissons rentrent-elles dans ces divisions.
L' eau est la plus saine des boissons pour quiconque
éprouve peu de fatigue et vit sous un ciel tempéré. Elle
doit toutefois, pour être salubre, dissoudre le savon, ren-
fermer de l'air, et cuire les légumes secs. L'eau de pluie et
l'eau de rivière sont ordinairement les plus saines, comu'.e
plus aérées que celle de source, et moins salines que celle
de puits. L'eau stagnante est malsaine; l'eau distillée, trop
privée d'air; l'eau de mer, trop salée et nauséabonde, même
quand on la distille. L'eau minéralene convient qu'aux
malades, et l'usage n'en peut être que temporaire, sans
quoi elle déterminerait des dérangements d'estomac et des
bouffissures. L'usage même de l'eau de Seltz ne sauiait
être longtemps continué sans inconvénient ni même sans
danger. Si l'eay est impure , on la filtre ; si elle parait fade ,
on l'aromatise ou on la sucre; on peut l'aciduler si la soif
est vive, l'aviver par de l'alcool si l'on transpire, la mêler
au vin si elle est cnie ou qu'on craigne la faiblesse. On peut
l'aérer, la rendre gazeuse , la paner, la rendre amèie en y
faisant macérer ou infuser quelques substances toniques.
On peut aussi la prendre glacée, ou même à l'état de glace,
ce qui fait un devoir de discerner les conjonctures. L'eau
est certainement la boisson la plus saine pour l'homme
adulte, non fatigué, valide, énergique, bien nourri, surtout
si le climat n'est ni ardent ni rigoureux. Il est avéré que la
plupart de ceux dont la longévité fut exceptionnelle étaient
des buveurs d'eau et des hommes vigilants et tempérants.
Il n'est pas de boisson qui pénètre mieux les aliments , qui
i-ende la digestion plus facile, le sommeil plus calme, l'hu-
meur plus égale, la Iratcheur et la santé plus durables, et
plus accessibles les voies du bonheur et de l'innocence ,
sinon celles de la vertu, qui peut-être suppose plus d'énergie
que le régime aqueux n'en comporte.
Quels que soient les avantages de l'eau, on lui préfère
presque toujours les boissons fermentées, de sorte que même
pour les plus sages elle n'est en réalité qu'un pis-aller
imposé par la pénurie, par le médecin ou le mauvais état
de la santé. C'est un breuvage bienfaisant , mais qui ne fait
que des ingrats. Il en est de l'eau comme de la modestie :
on la vante volontiers, mais personne n'en veut pour soi.
Quant aux boissons fermentées, où l'eau se retrouve à
l'état de mélange, elles supposent toujours le concours d'un
principe sucré et d'un ferment. Toute boisson fermentée est
plus ou moins alcooliqtie; et ce qui prouve qu'il en est
ainsi, c'est que toutes fournissent de l'alcool à l'alambic,
et que toutes peuvent enivrer. Heureusement que, tempéré
par un véhicule abondant, l'alcool ainsi combiné se borne
à exciter modérément le corps et l'esprit. Les principales
boissons fermentées sont le vin, le cidre, le poiré, la bière, etc.
Le vin est la plus salubre et la plus recherchée de ces
boissons. On l'obtient du moût ou suc doux de raisins qu'on
a préalablement foulés. On fait avec le raisin noir tout aussi
bien du vin blanc que du vin rouge, selon qu'on laisse cuver
la pellicule rouge ou qu'on l'isole du moût avant toute fer
mentation. Il y a les vins rouges , qui sont ordinairement
plus toniques et plus sains; et les vins blancs, qui sont
plus excitants, plus insinuants, plus apéritifs ; il y a les vins
mousseux, qui égayent et qui enivrent, comme le Champagne
et beaucoup d'autres qu'on peut champaniser artificielle-
ment; il y a les vins doux, comme leLunel et le Fron-
tignan; les vins de liqueurs, comme le Madère et leXé-
rès; les vins cuits, comme le Malaga et r.-Uicante, dont
Montpellier tient fabrique, et Celte magasin. Ces vins sucrés
contiennent beaucoup d'alcool et conviennent peu à la santé,
bien que les femmes les préfèrent. Les vins véritables sont
ceux de France que l'univers célèbre sous les noms de
Bourgogne et de Bordeaux, du Dauphiné, du Rous-
sillon, du Rhône et du Rhin. Ceux de l'Anjou ont peu de
distinction, mais beaucoup de force. La Champagne n'a
de vraiment remarquable que son vin mou-.seux, blanc ou
rosé, si célèbre sous les noms d'Aï, d'Avisé et d'Épernay, etc.
Quant à ses vins rouges, ils sont faibles et pûles; ils vieil-
lissent mal, et ont la saveur courte. Ceux des Riceys et
de Boussy sont les plus connus ; mais la complexion en est
trop frêle pour qu'on les expose à de longs voyages. Les
vins de la Loire ont peu de renom, mais beaucoup d'ache-
teurs. Tandis qu'on baptise les vins du Rhône, on débap-
tise ceux de la Loire.
A doses pareilles, le vin rouge est plus fortifiant , le vin
blanc plus excitant, plus indigeste. Le vin de Bordeaux est
le plus léger et le plus froid, le moins enivrant ; le vin de
Bourgo.gne, le plus généreux : l'essentiel est qu'on en modère
la dose. Le vin de Bordeaux permet quelques familial ités ,
le Bourgogne veut plus de discrétion. Avec le premier, ou
peut 'frayer tête à tête et sans défiance ; à l'autre, il faut
plus de cérémonie , de plus petits verres et quelques con-
vives. Ou fait aussi avec des grappes de rebut et du marc
de raisin une boisson faible et aigrelette qui désaltère sans
enivrer : je parle de la piquette et du râpé.
Le cidre gWq poiré sont deux autres boissons qui rem-
placent le vin dans quelques provinces privées de vignobles.
On fabrique le cidre avec des pommes qu'on écrase et qu'on
pressure, et avec des poires le poiré. Ce sont là des boissons
lourdes et malsaines tant qu'elles n'ont pas fermenté. Si
alors on met ces liquides doux en bouteilles, on obtient , au
bout de quelques semaines, une liqueur piquante, pétillante
et agréable, principalement si c'est du poiré. Le poiré qui
commence à fermenter ou à se parer (à cause de la mousse),
a souvent été pris pour du vin blanc, auquel même il est
souvent préférable. Mais cette boisson si agréable et si pé-
nétrante est peu salubre; et même quand la fennentation en
est achevée, le poiré devient lourd et flasque au point de
n'être plus propre qu'à la distillation. Le poiré est une bois-
son incisive et apéritive , qui convient à quelques asthmar
tiques. Le cidre est moins agréable au palais, mais plus
nourrissant, plus tonique et plus sain, moins enivrant sur-
tout. S'il est maître, c'est-à-dire sans eau ou de première
cuvée, il est essentiel de le baptiser pour l'usage ordinaire.
I Les compatriotes du cidre ont ordinairement les dents mau-
vaises et souvent douloureuses, et ils paraissent sujets au
I bégaiement et au grasseyement beaucoup plus que les
47.
372
peuples des contr<^eR à vignobles. Le cidre paraît disposer
a reiiiiionpoiiU , mais non le poiré. Quiconque n'a pas sé-
journé en Normandie ne connaît pas le vrai cidre : le cidre
artificiel de Paris n'en est qu'un indigne simulacre. Malheu-
reusement celte boisson ne supporte pas les voyages : elle
se tue ou noircit, elle se trouble, se décompose ou s'aigrit
par le mouvement et par le temps. Les vases oii le cidre se
conserve le mieux sont les barriques ayant contenu de l'huile
d'olive; également, une couche d'huile répandue à sa sur-
face peut empêcher le cidre d'aigrir. Le petit cidre ou
de deuxième cuvée compose la boisson presque exclusive
de six à sept millions de Français; le maître cidre est
presque uniquement consommé dans les cabarets et les au-
berges. Les buveurs de cidre sont rouges et écoqiietés ,
comme les buveurs d'ale et de gin.
Quant à la bière, on sait qu'elle résulte de la fermen-
tation de l'orge ou d'une autre céréale, et que c'est le hou-
blon qui la rend amére, odorante et tonique. C'est une bo'i;-
-son moussante, ralraichissante en tant qu'elle désaltère,
mais réellement échauffante an point de troubler le som-
meil. Elle donne à la distillation presque autant d'eau-de-
vie que le cidre, et de leau-de-vie tout aussi désagréa!i'e.
Elle a souvci\t cnnsé des coliques et des gondements, sur-
tout si Ton en fait usage aux repas. Il ne convient d'en user
que pour calmer la soif ou la faim : elle nuit aux digestions
et ne convient qu'à des estomacs vides et nus. Les buveurs
de bière, comn)e les compatriotes du cidre, font presque
foiijours abus des alcooliques, pensant remédier ainsi aux
gonflements qui résulteut de leurs excès.
Nombreuses sont les espèces de bière. La bière blnncfie
désaltère mieux et est plus agréable que la bière ronge,
précisément parce qu'elle renferme peu de houblon et qu'on
la f;\brique avec du malt peu torriHié; \?^ petite bière calme
ia soif sans ôter l'appélil; le porter est une grosse bière
([u'aromatiseiit de la coriandre et du genièvre ; Vale est une
bière blanche moins chargée de houblon que d'alcool; le
quass des Russes est une bière de seigle; et ce que les
Arabes boivent sous le nom d'ara cA, une boisson vineuse
qu'on fabrique avec du riz fermenté. On compose aussi
avec le maïs une sorte de bière qui porte le nom de pilo.
Le breuvage que les Polonais nomment inelt est un hy-
dromel vineux et aromatisé, qu'ils fabriquent avec du miel
fermenti'. Il prend le nom de méthcglin quand les épices y
domiurnt.
On compose aussi d'autres boissons comnie ■vineuses, sort
avec le fruit du cocotier, soit avec le cassis, des primes ou
des pèches. Le vin de Strasbourg est de cette dernière
espèce ; c'est un suc de pèches fermenté.
Les alcooli([ucs proprement dits sont d'un usage souvent
funeste : outre que leur vive saveur peut induire à des ha-
bitudes ignobles, ils exposent à des paralysies et des trem-
blements, à di^s attaques d'apoplexie et aune imbécillité ir-
rémédiable, qui n'est guère qu'une ivresse chronique. Prise
à jeun ou ii grandes doses. Veau-de-vie, mais princi-
palemiMit l'eau-de-vie de grain ou la gin, et l'eau- de-vie
de pommes de terre, conduit à l'abrutissement, outre
qu'elle expose aux gastrites, aux squirrhes du pylore, etc.
L'eau-de-vie de vin , surtout si elle vient de Cognac, d'Ar-
magnac ou d'Angoulème, est moins dangereuse que l'eau-
de-vie «le cidre, de lie ou de jioiré. Le 3/6 de IMontpcllier,
ou rikilii, t'eut à peu près le milieu entre les unes et les
autres. Le kirsc h , ou cau-de-vie de cerises noires, est un
breuvage agréable (pie son arôme d'acide prussique ou d'a-
mandes rend siivouieux. C'est un breuvage qui amaigrit et
qui peut troubler l'esprit après avoir agité le sommeil. L'oan-
dc^vie de sucie ou r/nnn est plus tonique (pie les autres
alcools; il en est de même du tafia ou eau-dc-vie de cas-
sonade. Quant aux litpieurs sucrées, que lesf(Mnmes préfè-
rent, celles de curaçao, de marasqui'n et de rosolio
sont les plus sapides et les plus saines, l^abaintlic ne con-
BOISSONS
vient qu'à des gastronomes sans appétil. Le wermon f h de
Hongrie, qui souvent sert d'escorte au v-n de Tokai, son
compatriote, est une liqueur d'absinthe moins forte et plus
agréable que celle de France. Pour ce qui est de Xcait-de-
vie de Dantzig , dans laquelle on plonge épar.ses des
paillettes d'or, cet or n'est pas toujours tellement purgé
de parcelles cuivreuses qu'il ne puisse causer des acci-
dents.
L'abus des alcooliques n'est presque jamais le fait des
femmes; le simple usage serait un vice en elles : elles y
perdraient leurs plus attrayantes qualités. Cependant, et
surtout au bal, on peut faire exception pour \q punch,
liqueur faiblement alcoolique qu'aromatise le citron, et
dont le thé fait la base. Il répare les fatigues et modère la
transpiration.
On doit convenir qu'il est des circonstances où l'usage des
alcooliques est non-seulement tolérable, mais utile : je veuK
parler des circonstances oii la chaleur est excessive, des
cas oîi une transpiration abondante se joint à h fatigue
qu'elle accroît. Aucun breuvage ne reboit plus utilcwi^-nt 'a
sueur et ne rafraîchit mieux la peau qu'un mélange de deux
tiers d'eau et d'un tiers d'eau-de-vie (le Cognac ou de rlium.
Il en résulte une sorte de révulsion dont l'estomac assume
sans danger toute la responsabilité. Les alcooliques réussis-
sent aussi très-bien à ceux qui se livrent à de grands exer-
cices et qui éprouvent de vraies fatigues ou une sorte d'é-
puisement passager; mais il est nécessaire qu'une abondante
nourriture précède ou suive de près l'usage de ces breuvages
excitants. Enfin, les alcooliques conviennent quand il s'a-
git de remonter passagèrement les forces, soit corporelles,
soit morales, l'énergie musculaire ou le courage; ils sont
utiles pour affronter une maligne infiuence ou un danger,
uu air malsain ou une contagion. Ce genre de stinmlant sioil
surtout aux manœuvres, aux soldats et aux voyageurs.
Mais, comme je l'ai dit dans mes Notions d'Hygiène pra-
tiqiie (1844), l'usage même en est dangereux pour ceux qui,
oisifs et sédentaires, n'ont besoin ni de remonter leurs forces
ni de remédier à des fatigues. C'est surtout chez les désœu-
vrés que les alcool-ques ont des effets terribles sur l'esprit et
le caractire, aussi bien que sur la santé. On les a vus, en
pareilles rencontres , abrutir les plus heureuses natures, ins-
])irer des habitudes de taciturnité, d'isolement et de misan-
thropie, et jeter dans l'hypochoncirie et le mépris de l'exis-
tence des sujets nés avec les plus riches dons... Il n'est pas
d'inclination plus avilissante ni de vice plus honteux.
Nous ajouterons que l'éther, dont font journellement
usage des femmes vaporeuses, a des effets non moins per-
nicieux que les alcooliques. C'est un breuvage (jui n'éveille
un moment les sens que pour causer bient(it de l'abattement,
l'inertie de l'esprit, clés tremblements et une sorte d'ivresse.
D"" Isidore I5ourdo\.
Souvent les boissons comportent elles-mêmes des proprié-
tés alimentaires : telles sont le i ai f, les bouillons, de. La
nK'decine emploie sous forme liquide une foule de niédi-
caments, particulit'rement les tisanes, soit pour tempérer
la chaleur et l'irritation locale ou générale, soit pour sti-
muler certains organes frappes d'atonie, soit enfin i)our
faire pénétrer dans l'économie certains agents spéciaux qu'on
veut faire agir par voie d'absorption.
Les autres boissons aqueuses consistent dans l'addition h
l'eau de certains principes doux , rafraîchissants ou savou-
reux , tels que le sucre, les mucilages, les acides végétaux,
les ('-nudsions, les divers sirops, tels que ceux d'orgeat, de
vinaigre, etc. Enfin, l'eau constitue la base ou le véhicule
principal des li(piidesque nous buvons.
Les / J7 uett rs sont de l'eau de- vie à laquelle sont ajou-
tés d(!s aromates, des fruits et du sncre, qui tempèrent «es
(pialités stimulantes. Prises comme moyen digeslif , les e?ux-
de-vip sini()les «ont préféialiles aux rKpieiirs; mais à jeun
les litpioiu's sont moins nuisibles que l'eau-dc-vie.
BOISSONS
373
r.nfin parmi les boissons aromatiques on distingue le
Cii/e elle thé. Le café,
celle liqueur au po5te si chère,
Qui mauquait à Virjjile, et qu'adorait Voltaire,
suivant Delille; le café, boisson intellectuelle par excel-
lence, engendre un sentiment de bien-être accompagné de
plus de liberté dans les mouvements et de lucidité dans les
idées. Bien que son effet soit fugace, il occasionne chez les
personnes irritables un malaise qui se prolonge et peut les
priver de sommeil pendant toute une nuit : s'il est vrai que
ciiez certains individus, au conlraiic, il favorise le sommeil,
cela peut s'expliquer par l'état de coliapsus qui su't la pé-
rio<le de stimulation. Le lait et la crème en modiiient les
propriétés excitantes ; mais chez quelques-uns ils provo-
quent lerelàcliement du ventre.
Le thé agit coirune délayant des aliments et stimulant de
l'estomac; c'est la providence des grands mangeurs et des
estomacs débiles; c'est le dessert obligé de quelques nations
du Nord, qui corrigent ainsi les elTets d'une constitution lâche
et fl'un ciel froid et brumeux. D"^ Fouoet.
BOISSONS (Impôts sur les). En France, les boissons
sont soumises à divers droits, savoir :
1" Droit de circulation. C'est celui qui est perçu, sauf
quelques exceptions, à chaque enlèvement ou déplacement
de vins en cercles et en bouteilles, cidres, poirés, hydro-
mels, par quantités de vingt-cinq litres et au-dessus, et
pour une quantité quelconque d'eau-dc-vie, esprits, et li-
queurs composées d'eau-de-vie ou d'esprits. Sa quotité se
détermine par le lieu de destination , conformément à un ta-
rif dans lequel les départements sont partagés en quatre
classes , et la perception s'en opère, soit lors du départ , soit
au terme du transport. L'acquittement en est constaté par
la déclaration préalable faite au bureau de la régie par l'ex-
l)éditeur ou Tacheteur, et par Vexpédilion dont le conduc-
teur est obligé de se munir. Cette expédition s'appelle co77(;c,
lorsqu'il s'agit des vins, cidres et poirés, dont le droit est
payé au moment même de la mise en circulation ; acquit à
caution, lorsqu'il s'agit d'esprits, eaux-de-vic, ou liqueurs,
et que le droit ne doit être acquitté qu'au lieu de destina-
tion; passavant , lorsqu'il s'agit d'mi simple transport de
boissons qu'un propriétaire opère d'une cave à une autre. Le
laissez-passer est un papier imprimé , valable seulement
jusqu'au premier bureau de passage, et que les propriétaires
récoltants etrnarchands en gros sont autorisés à se délivrer à
eux-mêmes, à défaut de bureau de régie dans le lieu de leur
résidence.
Entre autres cas d'exemption de ce droit dont jouissent les
boissons, nous mentionnerons celui où un propriétaire, co-
lon partiaire ou fermier, effectue des transports dans l'éten-
due du canton où la récolte a été faite et des communes li-
mitrophes de ce canton, que ces communes soient ou non
du même département.
2" Droit d'entrée. Ce droit, qu'il ne faut pas confondre
avec le droit d'octroi, dont nous allons parler plus bas , se
perçoit au profit du trésor dans les communes ayant au
moins quatre nu'lle âmes de populat'on, sur les boissons
(pii y sont fabriquées ou introduites , et qui doivent y être
coiisonunées; car lorsque les boissons doivent seulement
traverser les villes , y séjourner quelque tcniîis , ou y être
entreposées, elles ne sont point sujettes au droit. Au cas
de simple passage ou de séjour n'atteignant pas vingt-quatre
heures, on consigne le montant du droit à l'entrée, et on
se munit d'un passe-debout ; quand leur séjour se prolonge
Hu (ieià de vingt-quatre heures, on dit que les marchandises
sont en transit , et pendant toute la durée du transit la
consignation est retenue.
La quotité du droit d'entrée pour les vins repose sur une
double base : elle croît en pro|)ortioii de l'éloignemcnt i]^^
lieux de production, et de l'importance de la population ; ii
cet effet, les déparlomenls sont divisés en cpurtre classes,
et les villes en sept classes , sans compter Paris, l'our les»
autres boissons , le tarif ne varie que suivant la popula-
tion.
La perception s'opère, pour les \io\%ioni introduites ,
aux barrières des villes , ou à un bureau central ; et quant
aux hohson?, fabriquées à Vintérieur, la régie est autori-
sée à faire faire, après la récolte, l'inventaire des vins et ci-
dres fabriqués chez les propriétaires récoltants, qui, lorsqu'ils
ne veulent pas jouir de l'entrepôt, sont admis à payer chaque
mois leurs droits par douzièmes.
3" Droit d'octroi. C'est celui qui est perçu au profit des
communes. L'article 14 du décret du 17 mars 1S52 porto
que les taxes d'octroi qui sont ou demeureront, après l'exé-
cution de la loi du 11 juin 1842, supérieures aux droits
d'entrée dont le tarif est annexé audit décret, seiont de
plein droit réduites au taux de ce tarif, dans un délai de trois
ans à partir du 1^'' janvier 1853. Une prolongation de délai
pourra être accordée aux seules communes qui , en vertu
de stipulations d'emprunts antérieurs au décret, auront af-
fecté le produit de leurs taxes d'octroi sur les boissons au
service des intérêts et de l'amortissement de ces emprunts.
C'est le cas de presque toutes les grandes villes.
4" Droit de vente en détail. Ce droit est perçu après la
vente en détail des boissons, que cette vente ait été opérée
par les débitants ou considérés comme tels, ou par les mar-
chands en gros ayant vendu des quantités au-dessous de
vingt-cinq litres , ou par les propriétaires récoltants. Ces der-
niers jouissaient, sur la vente eu détail des vins de leurs
crus, d'une remise de 25 pour 100, en vertu de l'art. 85
de la loi du 28 avril 1816, tandis que l'art. 66 de la même
loi n'accordait aux autres débitants que 3 pour 100 pour
tout di'chet et pour consommation de famille; mais la loi du
25 juin 1841 a abrogé la disposition de l'art. 85 qui accor-
dait cette remise.
I-a perception de ce droit, qui s'élève à 15 pour 100 du
prix de vente sur les vins, cidres, poirés et hydromels,
s'opère après la vente; la vérification que font les employés
de la régie pour s'assurer des quantités existantes et de celles
qui ont été vendues, s'appelle exercice.
L'exercice peut être remplacé par un abonnement que
la régie fixe suivant la consommation des années précédentes
et les circonstances présentes qui influent sur le débit de
l'année. En payant d'avance l'équivalent du droit de délai!
dont on est de cette façon estime passible, on se soustrait
aux visites des commis.
A l'aris, le droit de détail et celui d'entrée sont réunis et
remplacés par une taxe unique aux entrées.
Touîes les villes qui ont une population agglomérée de
4,000 âmes et au-dessus peuvent, sur le vœu émis par le
conseil municipal, convertir également en une taxe uni(iue
aux entrées les droits d'entrée et de détail sur les vins ,
cidres, poirés et hydromels. La loi du 21 avril 1832 avait
accordé la même facilité pour les droits de circulation et
de licence, mais cet avantage a été retiré par la loi du 25
juin 1841.
Le décret récent du 17 mars 1852 a ordonné la révision
du tarif de cette taxe uu'que, en raison combinée des dis-
positions réduisant le droit d'entrée et augmentant le droit
de détail.
5" Droit de consommation. Un droit général de con-
sommation, remplaçant le droit de circulation et celui de
vente eu détail, est perçu à raison de 34 fr. j)ar hectolitie
sur toute quanlité d'eau-de-vie, d'esprit, ou de liqueur com-
posée d'eau-de-vic ou d'esprit, reçue par les consomma-
teurs, quels qu'ils soient et quelle que soit leur résidence.
La i)ercei)tion en est faite à l'arrivée, suivant la décharge
de Tacquil à caution; elle peut néanmoins être acquittée au
lieu de l'enlèvement, par l'expéditeur, qui se munit <lans ce
cas-la d'un congé au lieu d'un acquit à caution. Ce dioil
S74
BOlSSOxXS
n'rtst {VIS dû pour les eaux-de-vie , esprits el licjueurs expor-
tés h l'étranger.
Les eaux-de-vie vcrsi^îs sur les vins sont affrancliies du
droit de consoinmalion dans les dt^parlenients des Pyré-
nées-Orientales, de VAude, du Tarn, de V Hérault, du
Gard, des Rouches-du- Rhône et du Var , à la condition
que la quantité ainsi employée ne dépasse pas un maximum
de cinq litres d'alcool par lieclolitrc de vin, et qu'après la
mixtion, qui ne peut être faite qu'en présence des préposés
delà régie, les vins ne contiennent pas plus de 1 S centièmes
d'alcool. S'ils en contiennent plus de 18, et pas au delà
de 21, ils sont imposés comme vins, et payent en outre
les doubles droits de consommation , d'entrée et d'oc-
troi pour la quantité d'alcool comprise entre 18 et 21
centièmes. Mais les vins contenant plus de 21 centièmes
d'alcool ne sont pas imposés comme vins, et sont soumis
pour leiu- (piantité totale aux mômes droits que l'alcool pur.
— Les vins destinés à l'exportation peuvent dans tous les
départements recevoir en franchise des droits une addition
il'alcool supérieure à cinq litres par hectolitre, pourvu que
le mélange soit opéré sous la surveillance de la régie, et au
moment même de l'embarquement.
6" Droit de licence. La licence, valable pour un seid
établissement et pour l'année où elle a été délivrée, est le
droit imposé à tous les débitants de boissons , brasseurs,
bouilleurs, distillateurs, et marchands de boissons en gros.
Ce droit se perçoit par trimestre.
7° Droit de la fabrication de la bière. Ce droit, qui est
le seul, du reste, avec celui de licence, auquel les bras-
seu rs sont soumis, est perçu lors de la fabrication, à rai-
son de 2 fr. 40 cent, par liectolitre sur la bière forte , et de
60 cent, par hectolitre sur la petite bière.
A Paris, et dans les villes de 30 mille âmes et au-des-
sus, la régie peut convenir de gré à gré d'un abonnement
général pour le droit de fabrication; il n'est valable que pour
une année.
Le produit des trempes données pour unbrassin peut, en
vertu du décret du 17 mirs 1852, excéder de 20 pour 100 la
contenance de la chaudière déclarc'e pour la fabrication du
brassin. La régie des contributions indirectes est autorisée à
régler, en raison des procédés de fabrication et de la durée
ou de la violence de l'ébuUition, le moment auquel le pro-
duit des trempes devra être rentré dans la chaudière.
Dans une note publiée en 1849, M. Achille Fould a mis
en avant quehjucs chiffres d'où il est parti pour prouver l'é-
quité de rinqjôl sur les boissons, son caractère inoffensif eu
égard au développement de la production et du commerce
des vins, et l'impossibilité d'y renoncer, vu l'état de nos
tinances.
Le vin exporté chaque année, disait M. Fould, s'élève à
1,200,000 hectolitres, et le vin consommé par les proprié-
taires , à 9 millions. Ces deux quantités réunies, qui ue sont
pas soumises aux droits, formant environ le quart de la
production totale de la France, il résulte de cette statistique
que les trois quarts scnlenient, sauf la partie qui échappe
par la fraudé, |)ayeut rin)j)*it indirect. Cet impôt n'est donc
payé que par le consouunateur, et M. Fould en conclut qu'il
n'est pas inique. En 1788, la superlicie plantée en vignes
représentait 1,5G7, 700 heclares, et 1,9C0,75.> hectares en
1840; d'où M. Fould constate l'extension de la culture de
la vigne dans lUie proportion régulière.
On évaluait, dit-il encore à l'appui de cette prétendue
prospérité progressive, la quantité de vin pioduite en tû!9
à 42 millions d'hectolitres, et en 1849 à 4G millions; il ajoute
que 1 uiij>ôt a altehit en 1840 près de 10 millions d'hecto-
litres, deux millions de plus qu'en 1829.
Ainsi, de l'aveu de M. Fould , sur un total de 45 millions
d'hectolitres, 10 millions elant exempts des droits et l(i ies
acquittant, il y en a dix-neuf qui s'y dérobent par des
ïnoyens frauduleux.
De plus , les comptes de l'octroi ont été tanl pour les vins
en cercles qu'en bouteilles :
lin 18.-Î2, de 6,887,9:55 francs.
En 1841, de 11,281,046 »
En 1847, de 12,205,925 »
Ces résultats établissent suffisamment, d'après M. Fould,
que la production s'est développi'c , et l'activité du com-
merce accrue sous l'empire de la législation attaquée.
Le nombre des débitants soumis à la licence n'était en IS.I^
que de 2" 5,000.
En 1847, il a atteint 380,000 : nouvelle preuve de l'inno-
cuité de l'impôt.
]\Iais eu acceptant ce chiffre de 235,000 débitants soumis
à la licence en 1832 , nond)reque d'autres élèvent à 331,000,
on a fait remarquer que l'année 1832, prise pour terme de
comparaison , ne peut pas être plus mal choisie : année d'é-
pidémie et de guerre civile , elle a été exceptionnellement
désastreuse, et les octrois y ont rendu un quart de moins que
dans les six dernières années de la Restauration : c'est ce
qui explique la progression signalée par M. Fould dans les
recettes de l'octroi , progression qui, anormale d'abord,
pour la raison que nous venons de dire, est de plus contes-
table, vu l'exagération donnée à la recette de 1847, qui n'a
pu atteindre 12,205,000 fr., à en juger par le contingent du
Trésor pour cet exercice.
Au temps du bon plaisir, les boissons étaient soumises
comme aujourd'hui à l'impôt : c'était d'abord le curé, qui ré-
clamait sa (lime; puis le roi, qui prélevait le droit de détail :
» Et le samedy 3 aoust 1465, est-il dit dans V Histoire de
Louis XI , le roy, ayant singulier désir de faire des biens à
sa ville de Paris et aux habitants d'icelle , remit le qua-
triesme du vin vendu à détail en ladicte ville au huic-
tiesme ; » puis l'octroi, qui exigeait l'entrée (en 1788, un
inuid devin payait là son entrée dans Paris 67 livres 1 1 .sols);
puis le seigneur, qui, en vertu de la banalité du tonnage, du
vinage, de l'afforage, et d'une multitude d'autres droits sei-
gneuriaux , venaieat puiser à pleins brocs dans la tonne du
vendangeur.
L'Assemblée constituante, au lieu de modérer les tarifs
et d'adoucir les formes employées pour la perc«plion,
abolit en masse les droits de consommation, et alfrancliit
ainsi les boissons de l'impôt : c'était tarir l'une des sources
les plus importantes des revenus de l'État; mais la Cons-
tituante lit ressource des biens du clergé, la Convention
battit monnaie sur les échafauds , le Directoire vécut de
banqueroutes; et pendant quelques années on apprécia
mal les résultats de la suppression des droits de consomma-
tion.
Quand l'ordre se rétablit dans l'administration , lorsque
le gouveruement renonça à chercher dans la violence et la
spoliation les moyens de faire face aux dépenses de l'État,
il fallut revenir aux droits de consommation, et les boissons
furent imposées <ie nouveau. Napoléon organisa alors les
droits-réunis , vaste machine fiscale, fortement constituée,
largement conçue, mais dont les rouages sont trop nom-
breux, dont l'entretien est trop cher. L'Empire donnait à
tout une impulsion vigoureuse : celle que reçurent les droits-
réunis imprima à la machine un mouvement qui froissa tel-
lement le peuple, qu'en 1814 il demanda avec autant de cha-
leur la suppression des droits-réunis que l'abolition de la
conscription. Le comte d'Artois répondit aux clameurs du
peuple : «' Oui, mes amis, plus de droits-réunis! » mais le
ministre des finances ne put ratifier cette promesse; les
droits-réunis rapi)ortaient plus de 150 millions, et occupaient
une armée de 20 mille commis; on ne pouvait se passer de
l'argent, on ne savait que faire des commis : on sortit d'em-
barras en supprimant les droits-numis et en organisant les
contributions indirectes : la chose était à peu près la môme,
le nom seul était changé.
Parmi les diverses dispositions législatives qui niodifièrent
BOISSONS
la loi organique des droils-iéunis cJti 5 ventôse an XII,
mais qui curent moins pour but d'en changer les bases que
d'en mieux approprier les formes aux temps et aux mœurs,
nous mentionnerons comme la plus méthodique , la plus
complète, la plus clairement rédigée, la loi du 28 avril 1816.
Llle vint adoucir sensiblement les formes fiscales des lois
de l'Empire, et c'est à elle que se réfèrent la plupart des
lois de finances postérieures qui ont trait aux boissons.
révolution de 1830 renouvela les réclamations du
375
La
peuple- contre les contributions indirectes. Le moment n'é-
tait pas opportun. Ce n'était pas en face de l'Europe en
armes que la France pouvait tarir les sources de son budget.
Cependant les réclamations étaient pressantes, et un dégrè-
vement de 40 millions, c'est-à-dire d'environ deux cin-
quièmes, fut accordé en décembre 1830. L'administration
financière ne fit ce sacrifice qu'avec regret, et constamment
depuis elle protesta contre cette mesure.
Cette loi du 12 décembre 1830 supprima le droit d'entrée
dans les villes au-dessous de 4,000 âmes, réduisit à 10 pour
100 du prix de vente le droit de vente en détail, abaissa
conformément à un tarif nouveau les droits de circulation,
de consommation, d'entrée, de remplacement aux entrées
de Paris , et de fabrication des bières, et consacra la sub-
stitution de l'abonnement à l'exercice, qu'avait déjà autorisée
la loi transitoire du 1 7 octobre de la même année. La loi
du 21 avril 1832 vint permettre de remplacer l'exercice par
une taxe unique aux entrées dans les villes de 4,000 âmes
et au-dessus, lorsque le conseil municipal en émettrait le
vœu ; autorisa à remplacer, toujours sur le vœu du conseil
municipal, l'inNentaire des vins nouveaux et le douzième
du droit sur les vendanges par un abonnement, et donna
la faculté d'entrepôt, moyennant caution solvable, aux dis-
tillateurs et aux marchands en gros.
Plus tard, dans le but de donner moins de latitude à la
fraude, la loi du 25 juin 1841 restreignit aux cantons limi-
trophes de l'arrondissement de la récolte l'exemption du
droit de circulation, que les lois de 1816 et de 1819 éten-
daient pour certains cas spéciaux aux arrondissements li-
mitrophes. Elle excepta de la taxe unique , dont les con-
seils municipaux étaient autorisés à voter l'établissement,
le droit de licence des débitants et celui de circulation, et
elle abrogea la disposition de l'art. 85 de la loi du 2S avril
1816, qui accordait aux propriétaires vendant en détail les
boissons de leur crû une renuse de 25 pour 100 sur les
droits de détail. Enfin, la loi du 11 juin 1842 arrêta que
les taxes d'octroi ne pourraient excéder les droits perçus
aux entrées des villes au profit du trésor, qu'il ne pourrait
être établi aucune taxe d'octroi supérieure au droit d'entrée
qu'en vertu d'une loi; tandis qu'une simple ordonnance
royale avait pu jusque alors étabUr cette surtaxe, et que les
surtaxes existantes à ce moment, et dont la durée était illi-
mitée, cesseraient de plein droit au 31 décembre 1852.
Tel était l'élat des choses lorsque survint la révolution de
1848. Le gouvernement provisoire , par son décret du 31
mars, arrêta que la perception des droits de circulation et
de détail sur les vins, cidres, poirés et hydromels, ainsi
que celle du droit de détail sur les alcools, esprits et li-
queurs, serait supprimée à partir du 15 avril suivant ; qu'en
conséquence, les exercices cesseraient d'avoir lieu dans le
débit des boissons , et qu'un droit général de consomma-
tion serait perçu en remplacement d'après un nouveau ta-
rif. Le 13 avril, un second décret enjoignit au ministre des
finances et au maire de Paris de présenter dans le plus bref
délai un règlement modifiant le droit d'octroi sur le vin, et
détruisant l'inégalité choquante des droits perçus sur les
boissons comnuines et sur les vins de luxe. Mais l'Assem-
blée constituante vint bientôt étouffer ces élans. Déjà, dès
le 10 juin, M. Duclerc, ni'nistre des finances, avait présenté
un projet de décret avec un tarif pour l'application duquel
ladivision desdépaitcmenls était portée à huit classes au lieu
de quatre ; ce tarif abaissait de 25 cent, le minimum réglé fwr
le décret du 31 mars, et relevait de 50 en ."io cent, jusfju'à
5 fr. ; mais il reportait à 66 fr. pour Paris le taux de l'impôt
sur l'alcool, et à 50 fr. partout ailleurs. Douze jours après,
l'Assemblée constituante adoptait un décret qui abrogeait en
entier celui du 31 mars à partir du 10 juillet, et remettait
en vigueur les lois antérieures à la- révolution de Février. Il
est vrai que, pour faciliter la perception, il accordait à tous
les débitants qui en feraient la demande l'abonnement basé
sur les produits de 1847 atténués d'un dixième. Chose
étrange! un an plus tard, cette môme assemblée, touchant à
l'expiiation de ses pouvoirs, et tourmentée du besoin de
ressaisir quelques miettes de la popularité qu'elle avait per-
due, décida, par une proposition additionnelle à la loi des
finances, que l'impôt des boissons serait aboli à partir du
1*' janvier 1850, et que le gouvernement serait tenu de pré-
senter avant celte époque à la Législative un projet de loi
sur le remplacement de la taxe supprimée. En l'état de pé-
nurie où se trouvait alors le trésor public, diminuer brus-
quement les recettes de 100 millions, alors que le budget se
soldait déjà par un énorme déficit, et que l'Assemblée elle-
même augmentait encore les dépenses prévues d'une cin-
quantaine de millions, c'était, déclara M. Passy dans la
séance du 18 mai, » amener wie perturbation immense
dans les ajjaires du pays , et la désorganisation com-
plète du système financier ». Ces considérations furent
impuissantes sur l'esprit des constituants, qui votèrent l'abo-
lition le 19 mai 1849. Le 4 août 1849, M. Passy, ministre
des finances, déposa un projet de loi par lequel il propo-
sait de maintenir rim[)ôt des boissons, et, tout en reconnais-
sant la possibilité de faire subir quelques modifications au
mode de perception, aux règles et aux tarifs, il déclarait
qu'aller plus loin, c'était commettre une imprudence qui pou-
vait entrahier pour l'avenir et l'honneur du pays les plus
graves conséquences. Ce projet fut renvoyé à la commission
des finances. Sur ces entrefaites survint un changement de
ministère. M. Fould , nouveau ministre des finances, en
modifiant le budget de son prédécesseur, maintenait l'impôt
des boissons pour l'année 1850, et demandait à l'Assem-
blée de nommer une commission pour procéder à une en-
quête sur l'assiette et le mode de répartition de cet impôt.
L'impôt fut maintenu; une commission d'enquête fut nom-
mée, et rien n'était temiiné quand le coup d'État du 2 dé-
cembre mit fin à l'existence de l'Assemblée nationale.
Enfin, le 17 mars 1852, dans son rapport pour le budget
général de l'année courante, M. Bineau, ministre des finan-
ces, soumit au président de la République un projet de
décret destiné à apporter certains changements dans l'im-
pôt des boissons. Après la diminution de l'impôt de 1831,
le dégrèvement, disait M. Bineau, fut de 28 millions et de-
mi, et en ce moment il coiTCspondait pour le trésor à une
perte de 43 millions. La commission d'enquête , lionuiiée
par l'Assemblée Législative, était arrivée, après de longs et
sérieux travaux, à reconnaître la nécessité de maintenir
cet impôt; mais elle avait conclu à l'utilité de diverses mo-
difications destinées à en améliorer l'assiette et la percep-
tion. Les propositions soumises par M. Bineau comprenaient
celles que la commission avait formulées; elles en compre-
naient, en outre, quelques autres, qui les complétaient.
Leur ensemble se composait de quatre dispositions princi-
pales :
1" Le droit d'entrée réduit de moitié;
2° Le droit de détail élevé de moitié;
3° La limite de la vente en gros abaissée de 100 litres
à 25;
4° La zone de franchise dont jouissaient les producteur»
restreinle de l'arrondissement au canton.
M. Bineau faisait découler de ces changements les consé-
quences suivantes : Consommation du cabaret gi'evée d'una
augmentation de droit ; consommation 'Je la famille dégre-
370 BOISSO.NS — BOISSY-DAi\GLAS
Vie. D'aiilrc paît, l'impôt devenait plus proportionnel à la
valeur des objets frappés.
Outre ces dispositions principales, il en proposait de se-
condaiies, dont la plus importante avait pour objet de pré-
venir les fraudes nuisibles au trésor et à la santé publique
dans la fabrication des vins artiliciels. M. Bineau cstiniail
enlin que, compensation faite entre les augmentations et di-
minutions devant résulter de ces changements, il en résul-
terait, tout calcul fait, une augmentation de produits de
'J,GUO,000 francs par an; mais la suppression d'un dixième
faite en une autre part du budget, daus le prélèvement sur
le produit net des octrois , prélèvement où les boissons se
trouvaient comprises pour près de 3 millions, ne devait, en
définitive, surcharger l'impôt des boissons que d'environ
fi millions. Le ministre était d'avis que cette augmentation,
insensible, d'ailleurs , dans un impôt rapportant plus de
100 millions, serait plus que compensée par les améliora-
tions considérables apportées dans l'assiette et surtout par
l'accroissement de consommation devant nécessairement ré-
sulter de la réduction des droits d'entrée. Ce projet, adopté
dans sa teneur par le président de la République, forme au-
jourd'hui la législation qui régit la matière.
BOISSY (Louis de), né en 1694, à Vie en Auvergne, fut
d'abord destiné à l'état ecclésiastique |)ar ses parents sans
fortune, et en porta quelque temps l'habit; mais, sentant
que sa véritable vocation était la littérature, 11 vint publier
dans la capitale des premiers essais, qui ne furent pas heu-
reux. 11 débutait par des satires, et il s'aperçut bientôt que
c'était un méchant métier, surtout quand on ne le faisait pas
comme iioileau. Se trompant encore une fois sur son genre
de talent, il fit alors une pâle tragédie, Admète et Alceslc,
qui n'eut aussi qu'un faible succès. Se relournant enfin vers
la comédie, cette fois il prit une meilleure route. Ce ne fut
toutefois ni celle de Molière ni même celle de Regnard. Le
meilleur ouvrage de Boissy, les Dehors trompeurs, le
place bien au-dessous du grand peintre des mœurs et des
caractères, de même que le Babillard et le Français à
Londres, bluettes agréables par l'art de reproduire la verve
et la franche gaieté de l'auteur du Légataire universel. La
caricature de Jacques Rosbif fit la réussite de la seconde.
Le personnage ressemblait à un Anglais à peu près comme
l)ouvaient représenter nos compatriotes les Français que
l'on montrait alors sur les théâtres de Londres , habillés de
satin rose, et faisant leurs dîners de pattes de grenouilles.
L'avantage sous le rapport du goût et du bon ton était
même encore de notre côté.
Boissy composa pour les scènes française et italienne un
grand nombre d'autres ouvrages souvent inspirés par une
anecdote ou un travers du jour , et auxquels pouvait s'appli-
quer ce vers connu :
Ciianlez la circonstance, et mourez avec elle.
Même dans ses pièces d'un genre moins éphémère , il ne fit
guère la comédie qu'avec de l'esprit, et l'on sait qu'il faut
bien autre chose pour accomplir, comme l'a dit Voltaire,
cette œuvre du démon. Les rétributions accordées aux au-
teurs dramatiques étaient alors si faibles que, malgré sa fé-
condité, Boissy se trouva dans un dénùment accru par un
/nariage d'inclination imprudenunent contracté. Il faillit aug-
njenter la liste des hommes de talent morts de besoin , et des
voisins secourables sauvèrent seuls les deux époux de la fu-
neste détermination qu'ils avaient prise de se tuer. Des
jours plus heureux vinrent cependant luire pour eux. Ln
1701 Boissy fut nommé à l'Académie, moins sévère dans
celte circonstance que pour l'auteur de la Mélrotnanie et
de certaine ode trop fameuse; car le nouvel élu avait bien
aussi quelques peccadiles de cette sorte sur la conscience,
telles que le roman des Filles-Femmes et deux ou trois
autres passablement obscènes , mais publiés sous le voile de
l'anonyme.
Bientôt 'il fut chargé de la direction de la Gazette de
France, espèce de sinécure lucrative dans un teini)s où la
politique de celle feuille consistait à enregistrer les présen-
tations à Versailles, les deuils de cour, et les noms des per-
sonnes qui avaient eu l'honneur de monter dans les car-
rosses du roi. Plus tard, il obtint encore le pri\ilége du
Mercure de France, qui, à cette époque lillciaire, était
d'un très-bon rapport. Mais il scniblait que la fortune enviât
ses faveurs à un homme qu'elle avait longtemps persécuté.
Boissy en jouit peu d'années, et mourut en 1758, à peine
ûgé de soixante-quatre ans. — Un reflet de sa destinée peu
prospère s'étendit sur celle de son fils, auteur de quelques
ouvrages d'érudition , et qui , tombé aussi dans une gène
cruelle, mit fin à ses jours en se précipitant par une fenêtre.
Un autre BOISSY (L\us df), qui n'était point de la même
famille, eut quelques succès dramatiques dans le conunen-
cement du règne de Louis XVI. C'était un de ces singes de
Dorât qui outraient le précieux et l'afféterie de leur maître.
La chronique scandaleuse du temps prétendit môme qu'il
lui avait succédé dans les affections d'une femme de lettres
alors assez célèbre, et qui, suivant le satirique Lebrun, tie
faisait pas ses vers. Ce bruit, vrai ou faux, donna lieu à
l'une des meilleures épigrammes d'un malin poète:
Durât mourant dit à sa belle uiiiic, etc.
On en fit courir uneautre, plus connue et non moins maligne,
en remplaçant le nom du pauvre Laus de Boissy par celui
de Bos de Poissij. 11 ne ne s'en releva pas. Oukky.
BOISSY-D'ANGLAS (François -Antoine) naquit à
Saint-Jean-Chambrc, petit village du cantoa de ^'e^nhoux ,
département de l'Ardèche, le 8 décembre 1756, d'une famille
protestante. 11 fit ses premières études à Annonay, et fut en-
suite reçu avocat au parlement de Paris; mais il n'en exerça
jaiuais les fonctions. Il avait acheté une charge de maitre-
d'hôtel ordinaire de Monsieur (depuis Louis XVIII ), dont
il se démit plus tard, vers la fin de la session de l'Assemblée
constituante. D'ailleurs, il s'occupait à peu près uniquement
de littératiire. Avant la révolution, il était associé de plu-
sieurs Acaoemies ue province, et correspondant de celle des
Inscriptions et Belles- Lettres de Paris. Boissy d'Anglas fui
élu député du tiers état de la sénéchaussée d'Annonay aux
éiats généraux de 178'J : il n'avait pas encore trente-trois
ans. Dès les premières séances, il se déclara en faveur de
la cause populaire. Cependant il ne joua qu'un rôle secon-
daire dans cette première assemblée, où des orateurs nom-
breux et brillants rendaient l'accès de la tribune diflicile.
Mais il publia quelques brochures politiques, qui furent re-
marquées. C'est à tort qu'on lui a reproché, dans certaines
biographies, d'avoir fhit l'apologie dos journées des 5 et G
octobre 1789: cttte assertion, répétée sans examen, a été
démentie par Boissy-d'Anglas lui-même. Il a parlé une scide
fois de ces tristes journées, et il a ajouté à ce qu'il a dit pour
les blâmer ces mots célèbres du chancelier l'Ilospital : Fx-
cidat illa dies!
En 1790 Boissy-d'Anglas demanda que des mesures fus-
sent |)rises contre le rassemblement du camp de J aies, où
s'organisait un plan de guerre civile pour le midi ; il dénonça
comme contre-révolutionnaire un mandement de l'arche-
vêque de Nienne. Élu secrétaire en 1791 , il réclama contre
l'insertion de son nom dans un libelle intitulé : Liste des
députés qui ont volé pour V Angleterre dans la question
des colonies, et déclara qu'il se faisait gloire d'être du
nombre de la minorité, (jui voulait conserver les droits des
hounues de couleur. Après la session, Boissy-<rAnglas fut élu
juucuieur j;énéral syndic du département de l'Ardèdie : il
remplit cette magistlature importante, que les circonstances
rendaient très-diliicile, avec une fermeté et une impartialité
qui commencèrent à jeter les fondements de la belle réputa-
tion dont son nom est environné. On doit remarquer surtout
le courage avec lequel le magistral protestant couvrit de son
(Torps peiulanl plusieurs heures la porte de la prison d'An-
nonay, qu'une force militaire, étrangère au pays, voulait
\ioier pour égorger des prêtres catholiques qui s'y trou-
vaient reiiforinés, et qui furent rendus à la liberté la nuit
suivante. Ce fut à la réquisition du procureur général syndic
qiio l'adaùnistration centrale du (léparlement de l'Ardèclie
prit un arrêté pour demander à TAssemblée législative une
loi sur les formes civiles des actes de naissance et de décès
<les citoyens.
tn septembre 1702 Boissy-d'Anglas fut élu député de l'Ar-
dèclie à la Convention nationale; il eut dabord une mis-
sion à Lyon , où il fut envoyé avec ses collègues Vitet, an-
cien maire de celle ville, et Legendre, de Paris, pour y
rétablir l'ordre, que la rareté des subsistances menaçait de
troubler. Il fut envoyé de nouveau dans la même ville
avec Vitet et Alquior. Ces commissaires étaient chargés do
vérifier les api)ruvisionnemcnts de l'armée des Alpes; mais
ils n'achevèrent pas celte opération, ayant appris qu'on était
au moment de prononcer sur le sort de Louis XVI. Tous
trois volèrent do manière à ce que leur voix fût comptée
pour l'absolution. Quant à Boissy-d'Anglas, il vota pour tous
les partis les plus l'avorables à l'illustre accusé , c'est-à-dire
pour la détention jusqu'à ce que la sûreté publique permit
le bannissement; en faveur de l'appel au peuple, que l'in-
fortuné monarque considérait lui-même comme l'unique
et dernier moyeu de saint sur lequel il lui fût encore permis
de compter ; enfin pour le sursis à l'exécution , quand la
peine de mort eut été prononcée. Boissy-d'Anglas ne parut
point à la tribune durant la lutte entre les montagnards
et les girondins ; mais il vola constamment avec ces derniers.
Après les fatales journées des 31 mai et 2 juin 1793, il
écrivit au vice-président du département de l'Ardèclie
( Dumont ) une lettre qui fut imprimée et distribuée suivant
ses intentions , et dans laquelle , après avoir peint sous les
couleurs les plus énergiques et les plus vraies l'oppression
de la représentation nationale, il expliquait les motifs qui
le décidaient à rester encore à son poste, et provoquait de
la manière la plus formelle ses concitoyens à la résistance
contre la tyrannie de la Montagne. Il est vraiment surpre-
nant que cette pièce n'ait point coulé la vie à son auteur.
Durant plus d'une année, chaque fois qu'un représentant
du peuple en mission dans l'Ardèclie revenait à Paris, il ne
manquait pas de déposer des exemplaires de la lettre de
Boissy-d'Anglas au comité de sûreté générale. Le péril fut
sans cesse écarté par VoullanJ , membre île ce comilé, qui,
ayant conservé pour son collègue de bons sentiments ,
malgré la dissidence de leurs opinions , avait toujours soin
de soustraire la pièce accusatrice. Cependant elle n'était
point entièrement inconnue, puisque, quelque temps après
le 31 mai, ayant voulu prendre la parole, Chabot l'inter-
rompit par ces mots : « Tais-toi, coquin! nous savons ce
<iue tu as écrit; tu devrais être déjà guillotiné. » Une autre
fois (pic Boissy-d'Anglas traversait les Tuileries avec sa
famille, il fut aperçu par Legendre, qui, venant à lui avec
fureur, lui dit : « Eh bien! scélérat, tu as osé dire que tu
n'élais pas libre, et cependant te voilà ici ! — Non, je ne suis
pas libre , répliqua Boissy ; car si je l'étais, je pourrais te ré-
pondre. » — Cette situation périlleuse explique suffisamment
le silence que garda Boissy-d'Anglas à une époque où tout
ce qui restait d'hommes raisonnables et modérés dans le
sein de la Convention se voyait forcé , sous peine de la vie,
d'observer la même conduite; mais après le ii thermidor il
ne négligea aucune occasion de réparer les nouibreuses in-
justices commises par le i)ouvoirqiii venait de finir.
Klu secrétaire de la Convention le 16 vendémiaire an m
(oclohre 17'J'i), Boissy-d'Anglas appuya la demande laile
par David, arrêté à la suite des événements du 9thçrmidor,
d'être gardé dans son domicile pour y finir un tableau.
Nommé le 15 du même mois ( 5 décembre) membre du co-
mité de .salut public, il (ut principalement chargé de la [i.irlie
DlCr. liK LV CJSVEKS. — T. III.
BOISSY-D'ANGLAS g::
des subsistances et de rapprovisîonncmnnt de Paris, dans un
temps où le discrédit des assignats y apportait les plus grands
obstacles. Le peuple, à qui le pain manquait, ou à qui l'on
faisait croire qu'il allait manquer, se persuada aisément que
l'auteur de rapports si nombreux sur les blés et sur les
vivres était le premier auteur de la disette. Des panq)hlets
séditieux le lui désignaient sous la dénomination de £oissij-
Famine, et l'aveugle fureur de la nmltitude s'exhalait en
horribles menaces contre lui. Le 27 ventôse an m (17
mars 1795), plusieurs sections vinrent se plaindre avec me-
naces à la barre de la Convention d'un décret rendu deux
jours auparavant, qui avait restreint les distributions de
vivres. Boissy-d'Anglas répondit que sept cent quatorze
mille livres de pain avaient été distribuées le jour même : il
parla des rassemblements qui se formaient dans le faubourg
Saint- Marceau, et accusa les pétitionnaires de malveillance.
Enfin, l'orage qui grondait depuis longtemps éclata une
première fois sur la Convention , le 12 germinal an m
( l'"" avril 1795). Boissy-d'Anglas était à la tribune, et ve-
nait de commencer un rapport sur le système de l'ancien
gouvernement relativement aux subsistances, lorsqu'une
foule immense d'individus de tout sexe et de tout âge, pré-
cédés de bannières faites avec des haillons, sur lesquelles
étaient écrits ces mots : Du pain et la constitution de 1793,
ayant forcé la garde , pénétra dans la salle , et s'empara, en
redoublant de cris et de menaces, des tribunes et des
sièges des députés, dont le plus grand nombre leur céda la
place. Bientôt, revenus de leur première terreur, ceux-ci
rentrèrent dans l'assemblée, où le peuple semblait déli-
bérer avec eux. Au bruit de ces événements, les sections
de Paris, qui s'étaient réunies, marchèrent vers la Conven-
tion, dans le dessein de la délivrer. Cependant le président,
Pelet (de la Lozère), invitait vainement la multitude à st-
retirer et à faire connaître ses vœux par une députation ,
lors(|u'après quatre heures du plus effroyable tumulte, la
générale battant dans toutes les rues de Paris, et le tocsin ,
placé depuis trois jours sur le princi|)al pavillon dos Tui-
leries, alors nommé le pavillon de l'Unité, venant à se faire
entendre, la terreur s'emjiara en un instant de la mHltiti!<!f:,
qui, se précipitant pêle-mêle sur les bancs, cherchait d.
toutes parts des issues que le désordre oi'i elle était lui per-
mettait à peine de tiouver. Dans peu de minutes, il no rest;».
plus de traces de cette sédition terrible, qui pouvait bou-
leverser la France. A peine la salle fut-elle évacuée, que
Boissy-d'Anglas, qui, au milieu dos dangers que sou nom
seul rendait si fort imminents pour lui , s'était tenu coii.-,-
tarameut le dos appuyé contre le bureau du président, re-
parut à la tribune, et continua son rapport, a la suite du-
quel la Convention reprit la discussion sur les subsistances.
Mais bientôt éclata un complot plus grave encore. C'était
le l" prairial de l'an ni (20 mai 1795 ),journée célèbre dans
les fastes révolutionnaires. Dès le matin, l'immense pojiula-
tion des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau, soulevée
par ses agitateurs accoutumés, se met en marche sous les
mêmes bannières qu'au 12 germinal, et en poussant les mêmes
cris; elle se répand dans les quartiers de Paris qui condui-
sent aux Tuileries, où siège la Convention. Vernior était
président; il garda quelque temps le fauteuil pendant l'hor-
rible scène qui ne faisait que de commencer; enfin, accablé
do fatigue, et ne pouvant plus résister à la violence de l'orage,
il céda la place à André Dumont, ancien président. Celui-ci,
voyant dans une tribune des femmes qui poussaient dhor-
libles vociférations, aut devoir sortir de la salle pour les
faire chasser. Boissy-d'Anglas, dernier président après lui,
vint alors prendre le fauteuil. Cet honneur l'exposait à une
mort qui semblait certaine; car la fureur pojuilaire élait
depuis longtemps dirigée contre lui. Environné d'hommes
et de femmes ivres de vin et de colère, armés et menaçants,
Boissy-d'Anglas resta impassible au milieu dos périls de tous
genn.s qui l'environnaient. Sourd aux iinj^écations de celle
43
378
BOISSY-D'
afTreuse populace, dont ([uelques (ft'piili'S montaf;nai(ls di-
rigeaient les mouvements , Boissy-d'Aiij^Ias paraissait ne pas
entendre qu'on lui demandait à grands cris <le mettre aux
\oix le rétablissement de toutes les lois rt'volutionnaircs. Cent
fois couché en joue, menacé de la baïonnette, du sabre et des
noinl)reii\ instruments de mort dont les insurgés étaient
armés, il semblait ne rien voir et ne rien entendre; son
immobilité môme commandait le respect. Lorsque la tôte du
député Féraud fut apportée au bout d'une pique jusqu'au
pied de la tribune, et i)lacée sous les yeux du président, le
courage de celui-ci n'en fut point abattu. H salua religieuse-
ment cette tôle sanglante ; et comme il voulait en détourner
ses regards, plusieurs canons de fusil forent de nouveau di-
rigés vers lui. Quelques monients auparavant, un adjudant-
général , nommé Fox , qui était de service auprès de la Con-
vention, était venu annoncer à Boissy-d'Anglas que les at-
troupements augmentaient d'une manière inquiétante , et lui
<Iemander ses ordres. 15oissy-d'Anglas les lui avait donnés
par écrit et de sa ma/ii : ils portaient de repousser la force
parla force. Il est probable que si, pendant cet affreux dé-
sordre, les ciicfs des insurgés , au lieu de perdre du temps à
discourir dans l'Assemblée, se fussent emparés des comités
d(! saint public et de sûreté générale, le règne de la Terreur
était de nouveau proclamé.
Deux fois Boissy-d'Anglas voulut se faire entendre , mais
des cris alTreuK étouflèrent sa voix. Enfin, vers neuf heures
du soir, plusieurs sections réunies pénétrèrent dans la Con-
vention , sous la conduite de quelques déi)ulés, à l'instant où
le tocsin du pavillon de l'Unité se faisait entendre. La nuit
<iéjà sombre, le pas de charge des sectionnaires , et surtout
le bruit du tocsin , qui semblait annoncer aux factieux que
la capifcile tout entière était en armes pour marcher contre
eux, |»ro(luisircnt en un moment sur cette multitude, étonnée
de ses propies excès, un effet non moins prompt que lors de
la première insmrection du 12 germinal. Cette foule naguère
si menaçante s'évanouit comme une fumée; en une demi-
heure la salie de la Convention fut libre; la garde nationale,
qin' venait de la sauver, en occupait tous les postes, et les
délibérations avaient lepris leur cours. Boissy-d'Anglas a
souvent raconté à sa famille et à ses amis qu'au moment où
il était le plus entouré tic ces brigands, qui lui ordonnaient
impérieusement de mettre aux voix toutes les mesures atro-
ces que la foule réclamait , un jeune homme , proprement
mis, quoique costumé comme le reste du peuple, lui dit
ironiquement et à voix basse , de peur d'être entendu de ses
compagnons : « Eh bien ! monsieur Boissy-d'Anglas , croyez-
vous que ce peuple mérite la liberté que vous vouliez lui don-
ner? » Etonné de ce langage, Boissy-d'Anglas allait répondre,
lors(iue l'inconnu disparut avec la foule qui évacuait la salle,
et ne s'est jamais retrouvé depuis.
Lorsque le lendemain Boissy-d'Anglas parut à la tribune ,
la Coiivenliou et le public couvrirent d'applaudissements
unanimes le président du 1" prairial; et l'éloquent accusa-
teur de r.obes[iierre, Loiivet, qui venait d'expier sou géné-
reu\ dévouement par dix-neuf mois de la plus horrible pros-
cn[ili(Mi, se chargea d'exprimer la reconnaissance publi(pie.
« Bien ne peut élre placé, a dit M. le manpiis de l'astoret,
même dans la vie d'un tel homme, à côté d'une si grande
action, si grande jiar ses résultats et i)ar tout ce qu'elle sup-
pose d'intrépidité. »
Boissy-d'Anglas prononça une foule de discours remar-
quables durant cette seconile partie de la session conven-
tionnelle, qui vit l'apogée de sa gloire politique. Sincèrement
dévoué à la constitution républicaine, qu'il aurait été facile
de consolider si fous les représentants eussent été aussi purs
et aussi désintéressés que lui, il combattait quelquefois les
menées intérieures du parti de l'ancien régime, en môme
temps qu'il poursuivait avec toute son énergie les complots
des jacobins. Dès le 30 ventôse an m (20 mars I7i)r>), après
un éloquent exposé des crimes de la Terreur et des mallieurs
ANGLAS
de la France sous le gouveinemcnt décemviral, Boissy-
d'Anglas proi)osa l'annulation des jugements rendus par le^
tribunaux révolutionnaires depuis le 22 prairial an ir
( 10 juin 1794 ) , la révision de ceux qui avaient été rendus
antérieurement, la suspension de la vente des biens des con-
damnés, des indemnités enfin pour les héritiers des con-
damnés dont les biens auraient été déjà vendus, u La justice,
s'écriait l'orateur, voilà notre devoir, voilà notre force. Les
siècles passent et s'anéantissent dans l'éternelle nuit <le
l'oubli ; la justice seule demeure et survit à toutes les révo-
lutions. » Toutes ces propositions, accueillies avec des ap-
plaudissements, furent renvoyées aux divers comités, et
reçurent plus tard leur sanction définitive. Son rapport sur
les fêtes nationales et sur la liberté des cultes ( 3 ventôse
an m — février 1795) offre une teinte de déisme qui éveilla
le zèle du clergé constitutionnel ; il fut critiqué dans les
Annales de la religion.
Le comité chargé de présenter le projet d'une constitutioi
nouvelle fit son premier rapport par l'organe de Boissy-
d'Anglas dans la séance du 25 prairial an m ( 13 juin 1795),
Tout ce qu'il y avait de sage dans ce premier travail lui attira
les sarcasmes du parti jacobin. On répandit même qu'il avait
jiroposé dans le sein de la commission, ce qui parut alors
fort audacieux, de contier le pouvoir exécutif à un président
temporaire plutôt qu'à une commission de plusieurs per-
sonnes ; et l'on paitit de là pour baptiser la future constitu-
tion des sobriquets de constitution patricienne de Jloisstj-
dWnijlus, ou encore de constitution babébibobu , par
allusion au léger bégayement de l'orateur. Le crédit dont
Boissy-d'Anglas jouissait dans ce temps-là le lit |>orter pour
la seconde fois au comité de salut public ( 15 messidor an m
— 3 juillet 1795), qui était le gouvernement de l'époque.
C'est comme membre de ce comité qu'il couununiqua à l'as-
semblée la ratilication donnée par le roi de l'russe au traité
de paix de Bâle, et qu'il lit décréter, à la suite d'un ra])port
sur les colonies, qu'elles faisaient partie intégrante de la
républi(iue française. Le 27 juillet il prononça sur la situa-
tion politi(iue de l'Europe, un discours qui lit une grande
sensation , et dont la Convention ordonna la traduction en
plusieurs langues. Il fit renvoyer au comité de législation la
proposition de i apporter la loi du 10 mars contre les parents
des émigrés; il seconda vivement Chénier pour faire pronon-
cer le rappel de Talleyraml. Enfin il proposa que l'anniver-
saire de la fondation de la république fût célébré par une fêle
qui aurait en môme temps pour objet d'honorer la mémoire
des patriotes iuuuolés depuis la journée du 31 mai.
Aux approches de la crise du 13 vendémiaire, Boissy-
d'Anglas se trouva séparé de ceux à qui cette journée trans-
mit le pouvoir; son nom avait été prononcé avec faveur par
les sectionnaires insurgés; des explications lui furent deman-
dées en comité général, ainsi qu'à quelques-ims de ses collè-
gues, relativement à cette circonstance. A la môme époque
il se trouva aussi compromis dans la correspondance du
sieur Le Maître, agent de Louis XVIII , qui s'était amusé à
classer dans ses papiers les hommes iniluents de l'épotpie
d'après les vagues rumeurs de l'opinion, plutôt que sur des
données positives.
Cepcn(lant la Convention nationale atteignait le terme
de sa session Elle avait décidé que les deux tiers de ses
membres seraient conservés; les asseud)lées électorales de-
vaient les nommer : soixante-douze dé|)artemcnlsclioi>irenl
Boissy-d'Anglas, qui, dans le transport de l'émotion <pi«
lui causa un pareil triomphe, s'écria ; « Ils ne savent C(»
qu'ils font; ils me nomment plus que roi. » Entré au Conseil
des Cinq-Cents, qui l'élut aussitôt l'un de ses secrétaires,
il se rangea dans roi>position contre le Directoire, et vota
avec le parti clichien. lise prononça ensuite en faveur de la
liberté la plus étendue de la presse, s'opposa à toute limita-
tion tempoiaire , se bornant à réclamer une législation iiS
pressivc des délits commis par cette voie. A cette oc( asion,
BOISSY-D'ANGLAS
i:9
il accusa le Directoire Je donner lui-même l'exemple de la
licence contre laquelle il paraissait s'élever, en soudoyant des
calomnies contre les députés qui lui étaient opposés. 11 dé-
fendit encore les journalistes , qu'on voulait exclure des tri-
bunes, et attaqua vivement Louvet, qui rédigeait le jour-
nal intitulé la Sentinelle, favorable au Directoire.
Élu président du Conseil des Cinq-Cents le t''"' thermi-
dor an IV (19 juillet 179C), Boissy-d'Anglas combattit le
projet d'accorder une amnistie pour tous les crimes de la
iîévolution , et dit qu'il ne consentirait jamais qu'ils res-
tassent impunis. Il attaqua vivement la loi du 3 brumaire,
(|ui excluait des fonctions publiques les parents d'émigrés-
Ses sorties contre le Directoire se succédaient à mesure
que cette autorité se précipitait dans de nouvelles fautes.
A propos des abus des maisons de jeu, dont il demanda
persévéramment la répression , il dénonça le pouvoir exécu-
tif comme protégeant le vice. En germinal an y (avril 1795)
le corps électoral de Paris réélut Boissy-d'Anglas député au
conseil des Cinq -Cents. Il s'y éleva contre la barbare injus-
tice de mettre hors la loi les émigrés rentrés, et proposa sur
celte matière un projet de loi qui fut rejeté. Le 23 messidor
suivant (11 juillet) il prit la parole en faveur des prêtres
déportés et de la liberté des cultes. 11 continua de criliqner
les actes du Directoire dans un grand nombre de discouis,
rapports, motions, au point qu'il fut accusé par une société
populaire de travailler activement à la contre-révolution.
Le 2 thermidor an v (20 juillet 1797), il se plaignit de la
destitution des ministres , particulièrement de celle de Co-
chon , ministre de la police , qui passait pour dévoué aux
clicliiens. Enfin, il demanda la prompte réorganisation des
gardes nationales , déjà proposée par Pichegru.
Ici finit la carrière démocratique de Boissy-d'Anglas;
elle se termine par une proscription. Le Directoire l'en-
veloppa dans celle du 18 fructidor. Boissy-d'Anglas
évita cependant la déportation à la Guyane en se tenant
caché dînant deux ans. Au bout de ce terme, il vint se
constituer prisonnier à l'île d'Oléron , afin d'éviter la
siwliation qui menaçait sa famille. Il ne sortit de cet exil
qu'après le 18 brumaire, et ce fut pour entrer au Tribunat,
où l'appela le gouvernement consulaire. Boissy-d'Anglas lut
élu président de cette assemblée le 24 novembre 1803; il
fut nommé sénateur et commandant de la Légion-d'Hon-
ncur le 17 lévrier 1805. Après le traité de Presbourg,
en 1806, il prononça dans le Sénat un discours à la gloire de
Napoléon. Comme membre de la troisième classe de l'Insti-
tut, il lui adressa, le fi novembre 1809, les félicitations de
ce corps , à l'occasion de la paix de Vienne. Le 8 décembre
il fut présenté par le Sénat comme candidat à une sénato-
rerie. L'empereur ne lui accorda point cette faveur, mais il
lui donna en 1811 le cordon de grand-olficier de la Légion-
d'Honneur. Au mois de février 1814, quand l'étranger pé-
nétrait à la fois sur tous les points de la France, le comte
Boissy-d'Anglas (ut envoyé dans la douzième division mili-
taire (La Rochelle), avec la qualité de commissaire extraor-
dinaire de l'empereur : celte mission importante et difficile
obtint tout le succès qu'on en pouvait espérer. Outre l'or-
ganisation des moyens locaux de résistance, il empocha les
îles de celte division de tomber entre les mains des Anglais,
qui occupaient la ville de Bordeaux, et sauva de l'anéantis-
sement dont ils étaient menacés les établissements mari-
times de Bocliefort; enfin, il est permis d'attribuer à son
habileté le repos où fut maintenue la Vendée dans un tel
moment de crise ; et tout cela, il le fit sans qu'il en coûtât
la liberté ou la vie ci un seul homme.
La restauration s'étant accomplie dans la capitale, Boissy-
d'Anglas envoya son acte d'adhésion. Le 4 juin 1814 le roi
le créa pair de France. Quoique Boissy-d'Anglas eût cons-
staniment voté avec le parti clichien, il n'en était pas moins
resté fidèle et sincèrement attaché à la constitution de l'an m.
Jl en donna^alors une preuve non équivoque. La première
fois qu'il se rendit aux Tuileries, en 181 i , pour présenter
ses hommages au roi en sa qualité de pair de France, il
dit à plusieurs de ses collègues : « .l'ai été proscrit an
18 fructidor pour avoir conspiré en faveur des Oourbons;
on me croira maintenant quand je dirai qu'il n'en était rien. »
Camille Jordan et d'autres encore ont dit aussi la môme
chose depuis la Restauration , et ces révélations généreuses
sont la condamnation sévère des auteurs du 18 fructidor.
Boissy-d'Anglas était depuis 1803 membre du consistoire
de l'Église réformée et l'un des vice-présidents de la Société
Biblique de Paris. A son retour de l'île d'Elbe , Napoléon
le nomma itérativement commissaire extraordinaire dans
les trois départements de la Gironde, des Landes et des
Basses-Pyrénées, où il réorganisa l'administration au nom
du nouveau gouvernement. Le 2 juin il fut compris dans
la promotion des pairs impériaux.
Après la bataille de Waterloo, Boissy-d'Anglas fut du
nombre de ceux qui jugèrent à propos de séparer la cause
nationale de la personne de Napoléon. En conséquence, il ap-
puya vivement l'adoption immédiate du message de la
Chambre des représentants, contenant la résolution adoptée,
sur la proposition de La Fayette , de déc'arer traître à la
patrie quiconque tenterait de di.ssoudre la Chambre. Le len-
demain il s'opposa à la proposition de proclamer Napo-
léon H, et conclut à la nomination d'un gouvernement pro-
visoire. Il combattit plusieurs dispositions d'une loi de police
concernant la liberté individuelle, que les circonstances où
l'on se trouvait motivaient peut-être suffisamment; obtint
l'adoption de diverses modifications protectrices, et ne
consentit la loi qu'en témoignant hautement ses regrets et
même l'absence de sa conviction. 11 aurait voulu que l'as-
semblée lui accordât un jour pour rédiger une loi complète
sur la liberté individuelle, afin de jeter, disait-il, au milieu
des débris, les restes sacrés de quelques institutions tutélaires.
Boissy-d'Anglas devait être entendu le lendemain; mais,
nommé par le gouvernement provisoire l'un des commissaires
chargés d'aller proposer un armistice au général prussien
Blùciier, il ne put exposer lui-môme son projet; il chargea
le comte de Latour-Maubourg de le présenter en son absence.
Ce projet, en seize articles, se composait d'une suite de
dispositions libérales, qui conciliaient le principe sacré de la
liberté individuelle avec le principe non moins essentiel de
l'ordre public : il est resté enseveli dans les archives du
Luxembourg. Pendant le peu de jours que la Chambre des
Pairs de l'Empire eut encore h siéger, Boi.ssy-d'Anglas con-
tinua à voter avec le parti qui, regardant désormais la résis-
tance énergique comme impuissante, croyait devoir obéir
à la nécessité, et ne voyait plus d'ancre de salut que dans
les négociations.
L'ordonnance royale du 24 juillet t8t5 éliminait Boissy-
d'Anglas de la Chambre des Pairs; mais celle du 17 août
suivant l'y rappela à nouveau titre. Cette promotion, unique
dans son cas , fut attribuée soit au noble caractère public
et aux antécédents de Boissy-d'Anglas, soit au désir de con-
server à la partie protestante de la nation un représentant
de plus dans la Chambre haute. Le noble pair fut pareille-
ment compris dans la nouvelle organisation de l'Institut
(21 mars 1816), auquel il appartenait déjà, et fit partie de
l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Dans sa nou-
velle carrière parlementaire, Boissy-d'Anglas ne déserta
point les rangs où l'opinion publique l'attendait. Il contri-
bua puissamment à pousser le ministère du 5 septembre
dans les voies constitutionnelles. Dès la session de 1818, il
réclama l'application du jury au jugement des délits de
la presse. Il combattit vivement la proposition Barthélé-
my, pour le changement de la loi des élections, du 5 fé-
vrier 1817, dont le but effectif était le changement de la di-
rection ministérielle. Comme autrefois à la Convention et au
Conseil des Cinq-Cents, il défendit à la Chan)bre des Pair»
le jury et surtout U liberté de la presse. 11 retrouva toute
k6.
3S0
BOISSY-D'ANGLAS — BOISSY
rénergic <le sa joimcsse pour alUu|iier la loterie et les mai-
sons (!e jeu. Pariiii les opinions de Coissy-d'Anglas, on peut
liucore citer son rapport sur le droit d'aubaine et de détrac-
tion, à la suite duquel fut aboli ce vestige de la barbarie
des temps anciens.
11 usa noblement de son crédit auprès du ministère Ri-
clielieu, soit pour favoriser les intérêts de ses co-religion-
l'.aires, soit pour faire rappeler de l'exil ceilains de ses col-
lègues de la Convention, d'un caractère honorable sous
beaucoup de rapports , et qu'une interprétation trop sévère
de la loi du 6 janvier 1816 tenait éloignés de la France.
Cette année , ses démarches curent plus de succès sous le
miaisfère Decazes. L'amonr de la justice était tel dans
son cœur généreux qu'il prit nnême la défense de quelques-
uns dont il avait à se plaindre personnellement.
Depuis le calme de la Restauration, IJoissy-d'Anglas était
revenu à la culture des lettres, qui avait honoré sa jeunesse.
Ses écrits, .sans ofirir des beautés du prciJiier ordre, se dis-
tinguent par un style net et facile ; ils attestent une Ame
élevée et pure, aussi bien qu'un es|)rit philosophique et
d'une large étendue : ils sont tournés constamment vers
des sujets graves et utiles. L'affaiblissement de sa santé,
qu'on a reconnu depuis avoir ét(! occasionné par une ma-
ladie au ccKur, lui lit conseiller l'air natal du niidi. Il passa
l'hiver de 1824 à 1825 à Nîmes. Annonay le revit avec or-
i^ueil et avec joie habiter de nouveau la maison paternelle ,
religieusement conservée dans sa rusti(pie simplicité. 11 re-
vint mourir à l'aris, le 20 octobre 182(5, âgé de près de
soixante-dix ans. Conformément A ses dernières volontés,
son corps fut transporté à Annonay.
Le nom de Boissy-d'Anglas reste attaché à une époque de
notre histoire, celle du l*"" prairial , qui l'inscrit parmi les
héros sauveurs des nations. Ceci, c'est de la gloire. Le reste
de sa carrière, qui formerait seul un lot assez beau, fut celle
d'un homme de mérite, d'un homme de bien, enlin d'un
homme courageux : l'élévation du caractère et la généro-
sité du cd'ury dominent surabondamment. D'autres furent
l)!iis véhéments à combattre les premières irruptions de l'a-
narchie; d'autres, plus stoïques devant l'éclat enivrant du
di;.-5i)otisme; d'autres enlin, en ces derniers temps, ont
adopté des doctrines plus absolues ou des règleà de con-
duite plus inflexibles. Cela explique pourquoi la personne
et la fortune de lioissy-d'Anglas obtinrent plus de faveur ou
déménagement à diverses époques que n'en ont obtenu des
personnes d'un courage non moins élevé et d'une vie non
moins irréprochal)le. Mais les périls du l*^"" prairial et la
proscription du 18 fructidor prouvent qu'il sut aussi mettre
<lt' l'énergie dans la lutte sacrée du bien public, et que plus
dune fois il dédaigna de mesurer le danger de la tribune.
La parole de cet orateur avait la puissance de la conviction
cl de la bonne renommée; elle n'échappait point de son
cœur par torrents impétueux , elle en découlait avec une
chaleur douce, accommodée aux circonstances ordinaires :
tel lut son genre d'éloquence. Il avait conservé quelque
chose des formes solennelles et parées propres au premier ùge
de notre tribune politique. Ces formes ne déplaisaient pas
en lui; car ce n'était point faux goût ni stérilité d'esprit;
f'éînit un vestige de première éducation, et le cachet d'une
épt)qne. Tel est aussi le caractère de ses écrits, qui ont été
réunis, en 182.'), en 5 vol. in- 12, sous le titre A'' Etudes lit-
téraircs et poétiques d'un vieillard; ils ne se distinguent
ri par des pensées neuves ou brillantes, ni par l'éclat de
l'imagination ou les enchantements du style; mais ils of-
frent un mélange de l'élégance de Florianetde La Harpe, ani-
mée par la philosoi>hie quelque peu rhéleuse de Thomas, et
tempérée par un reflet de la belle simplicité de Ducis.
Loissy-fî'Anglas avait une physionomie noble, que la vieil-
le.sse rendit vénérable. Sa tête était modelée dans le genre
de r^llede Bernardin de Saint-Pierre, dont le type populaire
jouit d'une grande célébrité; mais elle avait un caractère su-
périeur en énergie et en élévation : de longs cheveux blancs
flottaient négligemment autour de son visage, qui fixait iné-
vitablement l'attention dans les réunions les plus nombreu-
ses. On a un beau buste de Boissy-d'Ani;las sculpté par
Iloudou. Son héroïque conduite dans la journée du t"" prai-
rial an ni a fourni le sujet de deux grands tableaux de
MM. Court et Vinchon. a. Maiiui,.
Boissy-d'Anglas a laissé deux fds : l'ainé, François-An-
toine, comte (le Boissv-d'Anclas, né à Mmrs, le 25 février
1781, ancien conseiller d'État, ancien préfet de la Charente
en 1811, et de la Charente-inférieure en 1815, hérita de
la pairie de son père, et prit siège en 1827. Il défendit à la
Chambre haute les principes constitutionnels avec une consi-
tance inébranlable. Un grand nombre d'associations philan-
thropiques le comptèrent parmi leurs membres, et il ac-
cepta la présidence de plusieurs de ces sociétés , protes-
tantes pour la plupart. La révolution do Février le rendit
à la vie privée. Il est mort au mois d'octobre 1850, dans sa
maison de campagne de Champ-Rosay.
Son frère, Jean-Gnbriel-T/iéop/iile, baron de Boissr-n'AN-
CI.AS, né en 1783, intendant militaire en retraite, a suivi une
autre ligne politique. Élu député en 1828 par l'arrondisse-
ment de l\)urnon (Ardèche), qu'il ne cessa de représenter
jusqu'à la révolution de Février, on le vit presque toujours
dans le camp ministériel. Plusieurs fois la Chambre le prit
pour secrétaire. Sous-intendant de deuxième classe en 1828,
il devint successivement sou.s-intendant de f* classe, in-
tendant le 31 décembre 1830, secrétaire général du mini.s-
tère de la guerre , intendant de la première division mili-
taire , officier, commandeur et grand-officier de la Légion
d'Honneur. Et pourtant il avait proni's aux électeurs de ne
point accepter d'avancement. L'affaire Bénier (1846) vint
lui porter un coup fatal. Cet homme, directeur, pour le
compte de l'État, de la manutention générale des viv.-es de
l'année, faisait acheter et garder en magasin les blés et les
farines employés dans la confection du pain néces.sairc h la
garnison de Paris ; mais, profitant de la confiance qu'avaient
en lui ses supérieurs, il spéculait avec l'argent de l'adminis-
tration. Lorsque, après sa mort, on vérifia l'état de sa caisse
et de ses magasins, on trouva un déficit de plusde 300,000 fr.
Ce qui donnait dans cette affaire à la responsabilité admi-
nistrative une gravité extrême, c'est que Bénier avait été
exempté de fournir son cautionnement. Sur un vote de la
Chambre des Députés, une enquête fut ouverte : elle eut jmur
résultat de faire mettre à la réforme l'intendant militaire
Joinville, comme coupable d'un défaut de surveillance et
d'une négligence impardonnable. M. Boissy-d'Anglas, inten-
dant militaire de la première division militaire, son supérieur
immédia!, dut faire valoir ses <lroits à la retraite.
BOISSY DU COUDRAY (Famille nt). Elle forme
la seule branche existante de la maison de Rouillé, qui, ori-
ginaire de Bretagne, s'est établie au seizième siècle en l'Ile-
de-France et à Paris, où elle a toujours exercé depuis des
charges dans la magistrature.
Jlilaire Rouillé, marquis rf« Coudrai/, né en 1716, au
lieu de suivre la môme carrière que ses ancêtres, embrassa
le parti des armes , et fit sa première campagne en qualité
d'enseigne de la compagnie colonelle du régiment de Bour-
gogne, au siège de Kehl, en 1733. Il se distingua dans les
guerres de la succession d'Autriche, et fut créé maréchal de
camp en 1761.
Hildire Rodillfô, fils du précédent, et ancien officier au
régiment du Languedoc, fut appelé à la pairie le 17 aoiU
1815, à cause du dévouement qu'il avait montré pendant les
Cent-Jours, et de la grande fortune qu'il tenait en partie de
son alliiince avec la sœur du marquis d'Aligre. H est mort
en 1840, laissant un fils, Hilaire-Étienite-Octavc, warqaia
de ItoissY, à qui nous consacrons un article particulier.
BOISSY (Hn.AïuK-ETiENSE-OcTAVE ROUILLÉ, marquis
dk), ancien pair de France, est né à Paris, le 4 mars 179».
BOISSY — BOISTE
381
La France , le département du Cher excepté, ignorait fort
ccrfainemenl l'existence de M. le comte Octave de Boissy,
lorsqu'un beau jour, le 7 novembre 1839, une ordonnance
royale lui donna un siéi^e à la Chambre des Pairs. Jusque
alors en effet M. de Boissy n'avait été politiquement que ce
que tant de petits bourgeois pouvaient tHre comme lui , un
simple membre de conseil général. Son existence officielle en
cette qualité datait de 1828. M. de Boissy était de plus un
opulent propriétaire, une notabilité de gros écus : en voilà
plus qu'il n'en fallait pour motiver sa nomination à la pairie.
Une fois assis dans le fauteuil de législateur, le jeune comte
éprouva une notable démangeaison de parler; dès la dis-
cussion de l'adresse, il ne put plus y tenir, et il se soulagea
enfin en demandant à ses collègues d'insérer dans celle-ci
im bl;\me sur la conduite tenue jusque alors en Algérie. La
Chambre des Pairs ne blâma point et le Moniteur ne lit
point connaître le premier discours de M. de Boissy. L'ora-
teur ne trouva pas moins l'occasion de revenir à la charge,
et le 5 juin 1840, prenant la parole au sujet de nos posses-
sions d'Afrique, il déclara que ce qu'il fallait faire, c'était ce
qu'on n'avait point fait ; et que ce qu'il ne fallait point faire,
c'était ce qu'on avait fait. M. de Boissy posait en principe
qu'il devait y avoir en Afrique un gouverneur général civil,
auquel serait subordonnée l'autorité militaire.
De ce nouveau début de M. de Boissy datent ses luttes
quotidiennes avec M. le chancelier, président de la Chambre
des Paire. M. de Boissy ayant hasardé de dire que notre ar-
mée d'Afrique n'avait pas de confiance en son chef, M. Pas-
quier se lâcha tout rouge, et, à la suite d'un colloque qui
s'établit entre l'octogénaire président et le jeune pair, celui-
ci reçut son premier rappel aux convenances, qui devait être
suivi de tant d'autres. M. de Boissy n'était pas encore en-
durci à la frrule de M. Pasquier. Il demeura coi, et se tut;
mais ce ne fut pas pour longtemps, car dès le 11 juillet il
crut devoir llanquer d'un long discours, encore sur l'Algérie,
son vote en faveur du budget de 1841.
Le 13 avril 18U M. de Boissy appuya la demande des
fonds secrets. C'est de ce jour-là seulement que le nouveau
l)air nuança son opinion conservatrice de celle de ses col-
lègues, accordant au fond tout ce que les ministres deman-
daient, les chicanant un peu dans la forme, imitant en cela
le manège de ces coquettes dont la résistance est si encou-
rageante que ce serait vraiment les aflliger que d'en
tenir compte. Ce jour-là , M. de Boissy demanda qu'il n'y
eût plus désormais de discussion séparée de fonds secrets ;
que le gouvernement eut une presse avouée, payée, dirigée
par lui, et que, de faible et patient, il devînt ferme et sus-
ceptible. La politique étrangère conseillée par M. de Boissy
consistait à s'éloigner de l'alliance anglaise, et à préparer la
restauration de don Carlos en Espagne; enfin, comme deux
fois déjà, M. le marquis demandait la suppression du gouver-
neintnt militaire en Algérie, et la nomination d'aumôniers
pour nos régiments. Telle était la formule du système po-
litique de M. de Boissy. Il est à remarquer que toutes les
fois qu'il est revenu à la charge, demandant au gouverne-
ment de prendre vis-à-vis de l'étranger une attitude ferme
et susceptible, il n'est parvenu à exciter par ses discours que
l'impatience de l'assemblée et la susceptibilité du chance-
lier président. Quoi qu'il en soit, M. de Boissy pendant toute
sa carrière parlementaire ne laissa échapper aucune occasion
de monter à la tribune. Pour se faire la main au geste ora-
toire, pour assouplir et rendre éloquente sa faconde diserte,
le noble pair parla tant qu'il put. On l'a vu discourir du-
rant une heure pour obtenir la distraction d'une commune
du Cher en faveur d'un canton, qu'il représentait sans doute
au conseil général, distraction que M. de Montalivet eut la
petitesse de faire refuser, sans doute parce qu'il représentait
au même conseil le canton voisin.
M. de Boissy est un des hommes qui ont fait le plus de
bruit à la Chambre des Pairs; s'il nous était permis de rap-
peler ici ses interminables dissentiments avec M. Pasqin'er
réprimant ce qu'il appelait ses écarts parlementaires, cet
article ne serait qu'une longue répétition de rappels à l'ordre,
d'aigres admonestations infligées à l'orateur, et contre les-
quelles celui-ci s'était habitué à se roidir impitoyablement.
Le 18 juillet 1843 M. de Boissy fut ainsi gourmande dix
fois dans une seule séance.
Un beau matin, M. le comte de Boissy, devenu mar-
quis , voyant son éloquence sujette aux boutales du chan-
celier et aux murmures du parti conservateur, eut recours à
la publicité de la presse. Voulant donner un organe quoti-
dien à sa politique, il créa la Législature. Les grands sei-
gneurs d'autrefois se ruinaient en entretenant des n)aitresses,
pourquoi la mode ne seiait-elle pas venue d'entretenir des
journaux? Heureusement ce n'était qu'un caprice de M. le
marquis. La Législature ewi le sort de îa fidélité d'une dan-
seuse : du jour où M. de Boissy lui retira sa bourse, la pauvre
feuille succomba. Napoléon Gvi.lois.
M. de Boissy continua tant qu'il put sa verte opposition ;
et en vérité la langue doit bien lui démanger à l'heure qu'il
est. Lui qui parlait de tout, sur tout, à propos de tout, ne
plus rien dire du tout, ce doit être pour lui la plus pénible
des pénitences. Un jour il s'attira un mot assez dur, mais il
y riposta avec beaucoup de présence d'esprit. Le maréchal
Soult, qu'il contrecarrait sans pitié, laissa échapper le re-
gret d'avoir soumis au roi la nomination à la pairie du noble
marquis ; celui-ci reprit avec vivacité que s'il avait su qu'on
voulût nommer des pairs à la condition de ne rien dire, il
n'aurait pas accepté un siège à la Chambre haute. Le chance-
lier voulut faire une distinction entre l'usage et l'abus de la
parole ; mais le marquis de Boissy n'y entendait rien ; aussi
peut-on dire qu'il contribua pour sa bonne part an discrédit
dans Iccjuel tomba la noble Chambre. Rien n'était i)lus co-
mique, en effet, que ces séances où iM. le marquis de Boissy
se faisait retirer et rendre la parole dix fois, parlant de ceci
à propos de cela, défiant le ministère de réorganiser la garde
nationale à propos d'un rappel à l'ordre, sinquiétant peu
de la manière dont on l'écoutait , se moquant des contra-
riétés qu'il causait en disant qu'il en avait l'habitude, sou-
levant des flots de bile dans l'âme du chancelier martyr, et
interdisant la tribune à plus d'un pair qui aurait craint de se
rendre solidaire des incohérences du loquace marquis. Mais
M. de Boissy disait que si peu de pairs parlaient comme
lui , il y en avait beaucoup qui pensaient comme lui.
Cette opposition comico-héroiq\ie devait pousser M. de
Boissy dans une mauvaise voie. Il s'avisa d'être un jour
tout à fait contraire au ministère ; et il se trouva un des trois
pairs qui avaient accepté une invitation pour le banquet dit
du douzième arrondissement. Ce banquet , dont l'interdic-
tion provoqua la révolution de février, lui coûta son fau-
teuil au Luxembourg ; mais il s'en consola en serrant la
main du gouvernement provisoire. Cependant sa fortune ,
déjà fortement compromise par de folles sjiécidations com-
merciales , périt dans ce cataclysme politique. Un moment
il posa sa candidature à l'Assemblée nationale, mais il se
sentit à la gêne dans les clubs. Cette éloquence bâtarde ,
qui faisait rugir le vieux chancelier, n'allait guère au tra-
vailleur en recherche de sa république. Le bout de l'oreille
du marquis sortait sous l'habit musqué. Le peuple ne voulut
pas de lui pour représentant. M. de lk)issy dut s'estimer
heureux de rester membre du conseil général de son dépar-
tement, et là il a sans doute pu continuer sa gymnastique
parolière. Par bonheur ses discours ne sont pas venus jus-
qu'à nous. En 1853, M. de Boissy a été nommé sénateur.
BOISTE ( PiEUKE-CLAUOE-ViCToiitE) uaquit à Paris,
en 1765. Successivement avocat, imprimeur, honune de let-
tres c'est chargé d'une immense moisson de vastes connais-
sances recueillies dans les livres anciens et modernes, qu'il
prépara les éléments de son litre de gloire, de son Diclion-
naire Universel de la Langue Française, que tout le monde
382
BOISTE — BOITEUX
connaît, qui parut en 1800, et eut du vivant de l'auteur
six éditions. Son beau-père Bastien, éditeur instruit et éclaiié,
ne fut point étranger à la première, mais il ne coopéra point
aux autres , et l'on peut affirmer que le laborieux lexico-
graphe n'eut pas d'autre collaborateur.
Boiste a publié plusieurs autres ouvrages d'une bien
moindre importance, tels qu'un Dictionnaire de Géogra-
phie Universelle ancienne, du moijen-âge et moderne
comparées (1806), ouvrage trôs-médiocre ; un Dictionnaire
des Belles-Lettres (i^ll), et V Univers, poème en prose, dans
lequel il combat Tattraclion newtonienne et la tiiéorie phy-
sique de la terre. Mais il n'avait ni les connaissances posi-
tives pour traiter convenablement un pareil sujet, ni surtout
rétendue d'esprit et la haute portée d'intelligence indispen-
sables pour embrasser un horizon si vaste. En somme , c'é-
tait un écrivain laborieux, mais de peu de goût et de juge-
ment. Ses ouvrages supposent une lecture immense; ils
sont utiles, quoique mal rédigés. Son style est commun et
inérne trivial, comme il arrive trop souvent aux grammai-
riens. Boisle mourut à Ivry-sur-Seine, le 24 avril 1824. 11
n'avait pas atteint sa soixantième année; mais les travaux
immenses auxquels il se livrait sans relâche avaient depuis
longtemps altéré sa sanlé. Un an s'était à peine écoulé de-
puis qu'il avait perdu sa femme, qu'il adorait, et qui avait été
l)endant plus de trente ans son unique société. Cette perte
douloureuse le conduisit au tombeau.
L'ouvrage capital de Boiste, son Dictionnaire Universel
de la Langue Française, ne contenait pas d'abord tout ce
que nous y trouvons aujourd'hui. La première édition don-
nait bien le nom latin, mais c'est la sixième seulement qui
ajouta les étymologies. A ses définitions courtes, représentées
par des équivalents, Boiste joignit dès l'origine ses autorités,
les noms des hommes qui s'étaient servis des mots dans un
.sens nouveau. A la sixième édition, il ajouta des sentences,
des maximes, des pensées choisies, où le mot se trouve em-
ployé. Aussi ne peut-on songer sans étonnement aux im-
menses recherches qu'a dû lui coûter ce travail. C'est, on l'a
déjà dit, le Dictionnaire des Dictionnaires de notre langue.
Partout les mots y sont définis avec toutes les variantes
d'orthographe des divers lexicographes français, avec toutes
celles des définitions et des différentes acceptions, sous
toutes leurs faces, dans toutes leurs nuances, recueillies
avec un soin méticuleux, analysées même jusqu'à la quintes-
sence. A côté des locutions à jamais fixées dans la langue
nationale par les Pascal , les Bossuet , les Fénelon , se trou-
vent çà et là les expressions si énergiques , si pittoresques de
Rabelais, de Montaigne, brillantes encore de leur verdeur.
Le livre a pour appendices |»lusieurs dictionnaires et trai-
tés spéciaux qui le développent et le complètent, de sorte
qu'on est sur d'avoir sous la main , dès qu'on les désire, une
foule de mots techniques empruntés à toutes les sciences, à
tous les arts , à tous les métiers , à côté des néologismes les
I»lus acclimatés ou récemment transplantés des langues
étrangères. Chaque mot, enfin, quant à .son emploi, est
toujours accompagné d'une autoiité respectable empruntée
au monde, à la chaire, à la tribune, aux carrefours, à la
.scène, au barreau, etc. 11 est fâcheux seulement qu'il ne
s'y rencontre pas une seule autorité en vers. C'était un parti
pris, im système arrêté chez Boiste, qui trouvait (qui le
croirait ! ) les fables de La Fontaine immorales.
lui somme, et malgré ces critiques, le Dictionnaire
Universel, comme le Lexique grec de Henri Etienne, mé-
rite (pi'on inscrive sur son frontispice : Trésor. Boiste et
Henri Etienne ont eu la même conscience de travail : ils
ont été à la lois les architectes et les constructeurs de doux
beaux et solides monuments philologiques. « Le Diction-
naire de Boiste, disait im homme qui s'y connaissait,
Charles Nodier, est l'encyclopédie de la langue française.
i'\'sl relativement notre meilleur Dictionnaire; c'est un ou-
vrag(; innncnsc, qui mérite toute notre reconnaissance et tous
nos éloges. )i Ses apiicndices contiennent les homonymes,
\cs paronymes, les synonymes , les noms mytholngiqucs ,
historiques, géographiques, biographiques , un traité de
versification, un dictionnaire de rimes , la synopsie de la
grammaire, etc., etc. Les dernières éditions ont clé revues
par MM. Barré et Ch. Nodier.
BOISTUAU. Voyez 15oaistl'au.
BOIS VERDOYANT, BOIS VERT. Voyez Bois
JAl^p..
BOIS VIOLETTE,espèce de palissandre provenant
d'un arbre peu connu, qui croit dans les Indes Orientales.
Ce bois est compacte, pesant, susceptible de poli, d'une
belle couleur tirant sur le violet , parcouru dans son inté-
rieur par des veines longitudinales d'un rouge pâle , et en-
richi de marbrures fort agréables; il exhale une douce
odeur de violette. Il sert à l'ébénisterie, à la marqueterie, à
la tabletterie. Il nous vient en bûches de 10 à 1 5 centimètres
de diamètre.
BOITE. On appelle ainsi tout coffre de petite ou de
moyenne dimension , se fermant au moyen d'un couvercle.
Kien de plus varié aujourd'hui que les formes et les ma-
tières des boites, si ce n'est peut-être l'usage que l'on en
fait : les métaux, l'ivoire, l'écaillé, les bois, le carton,
sont tour à tour employés à leur confection. Les boîtes di
bois, d'ivoire, d'écaillé, rondes, ovales ou carrées, sont
fabriquées par les tourneurs et les table ti ers. Les bi-
joutiers font des boites en métaux précieux. Les éb. nistes
fabriquent de jolies boîtes en bois, quelquefois sculptées ou
incrustées; les bottes de cartonnage sont les plus com-
munes , et leur fabrication concerne le carto nn i er.
On appelle, en anatomie , boite osseuse le crâne, ou
celle boite ovoïde, formée par la réunion de huit os, ayant
pour usage j^rincipal de reiiferuier le cerveau, .ses mem-
branes , et le cervelet.
7;of/e se dit, en général , dans les arts et métiers, de
tout assemblage de bois, de cuivre, de fer, de fonte, etc.,
destiné à contenir, à revêtir ou à affermir d'autres pièces :
les serruriers et les couteliers nomment boîte à foret une
espèce de bobine dans laquelle ils mettent leur foret pour
percer une pièce; la boite de navette du tisserand est la
partie de la navette où se met la trame ; la boîte du vil-
brequin , la partie où l'on attache la mèche de cet instru-
ment , etc.
La boite à pierrier est un corps cylindri(iiie et concave,
fait de bronze et de fer, rempli de poudre et de pierres ,
avec une anse et une lumière qui répond à cette iioiidre.
On met cette botte ainsi chargée dans le p i e r r i e r au-dessu-*
de la chambre, devant le reste de la charge, qui la chasse
aussitôl qu'elle a pris feu.
Les boîtes d'artifice sont de petits-mortiers de fer, longs
de 15 à 20 centimètres, qu'on charge de poudre jusqu'au
haut et qu'on bouche avec un fort tampon de bois pour le»
tirer dans les réjouissances publiques, pendant lesquelles
leur forte détonation s'entend au loin.
Nous ne parierons point de quelques autres boites très-
connues, telles que Va boite aux lettres, restreinte d'a-
bord au service des postes , et dont l'emploi s'est étendu
depuis à tant de services généraux ou particuliers.
On dit vulgairement que dans les petites boites sont les
bons onguents, pour dire que les choses précieuses, au
physique comme au moral , tiennent peu de place. La boite
de Pandore, d'où tous les maux se sont répandus sur
la terre cl au fond de laquelle est restée rcspéraucc , est
une des fictions les plus ingénieuses des anciens.
Ednie IlKiiKAt.
BOITEUX. On appelle ainsi celui qui est affecté de
claudication, celui qui boite, soit par vice de confor-
mation première , soit par l'effet d'une maladie. Boiter est
l'action d'incliner plus d'un côté que de l'autre en iiar-
chant , ce qui arrive aux individus qui ont un i>ied plus
BOITEUX — BOL
un
court que i'natre, on bien une hanche faible, ou bien enfin
à ceux dont les jambes, les cuisses ou les pieds sont affectés
de blessures "U d'incommodités qui paralysent plus ou
moins les fouctions de ces membres.
En ternies de manège , on dit qu'un cheval eit boiteux
de l'oreille ou de la bride quand par ses mouvements de
tête il marque tous les pas qu'il fait en boitant.
BOJADOR (Cap), situé sur la côte occidentale de
l'Afrique, dans l'océan Atlantique, au delà de la frontière
méridionale de l'empire de Maroc , par 16" 48' de longitude
occidentale, et 26° 7' de latitude septentrionale. Ce cap
forme la pointe de la chaîne du Djébel-el-Klial (montagne
Noire ). Le /aux cap Bojador est situé à 18' plus au nord.
A droite et à gauche s'élèvent les collines de sable du Sa-
hara, (pie le vent chasse jusque dans la mer. Pendant long-
temps ce cap fut la limite des voyages maritimes vers le
Sud ; le Portugais Gilianez fut le premier qui osa le dou-
bler, en 14:J5.
tîOJAR. Voyez Boîar.
liOJARDO (Matteo Maria), comte de Scandiano,
l'un des plus célèbres poètes qu'ait produits l'Italie, naquit
en 1430, et suivant d'autres en 1434, à Scandiano. Il des-
centlait d'une ancienne famille de Ferrare, et après avoir
terminé ses éludes à l'université de Ferrare, où il apprit le
f;rec, le latin et plusieus langues orientales, il vint à la cour
du duc Horso d'Esté. Sous le règne du successeur »fe ce
prince, il fut employé dans diverses missions honorables et
iiommé gouverneur de Reggio. Il conserva ces fonctions
jusqu'en 1481, et les changea alors contre celles de capi-
tauo à Moiièiie. Plus lard il revêtit encore la dignité de gou-
verneur de la citadelle et de la ville de Reggio jusqu'à sa
mort, arrivée le 21 <lecembre 1494. Aussi distingué parmi
ses conlemporains par la noblesse de son origine et de se»
.sentiments que par sa bravoure et sa (idélité au service de
la maison d'Esté, Bojardo s'est immortalisé par ses poésies.
Le grand poërae chevaleresque et romantique , Orlando
innnmorato, que le poète laissa inachevé, et qui appartient
au cercle des traditions de Charlemagne, est le plus célèbre
et pourtant le moins lu de ses ouvrages. Il compte soixante-
dix-neuf chants, divisés en trois livres. Le sujet sur IcqutJ
il roule est l'amour de Roland pour Angélique. Le siège de
Paris par les Sarrasins y tient la place du siège de Troie.
L'Iliade est le type d'ajirès lequel Dojardo a modelé sa com-
position ; les caractères des héros chrétiens et mahomélans
ne sont pas sans analogie avec ceu\ des agresseurs d'Ilion
et de ses défense'urs; et le merveilleux homérique est rem-
placé par l'intervention des magiciens et des fées. Les noms
des héros qui remplacent ceux de la fable, Agramante,
Sacripante, Gradasso, Mandricando, etc., sont pour la
plupart ceux que portaient des paysans de ses terres. De
même, les sites qui se trouvent décrits dans son poème sont
ceux des environs de Scandiano ou d'autres lieux voisins.
V Orlando furioso de l'Ari( ste n'est en quelque sorte que la
continuation de VOrlaudo innamorato. Mêmes héros dans
les deux poèmes; leurs aventures, commencées par Bojardo,
sont terminées par l'Ariostc; en sorte (jue la lecture de l'un
est absolument indispensable pour la parfaite intelligence
de l'autre. Tandis (pie les poèmes précédents, qui ont pour
sujet la légende de Rolaud, ne représentaient leur héros que
comme l'un des précurseurs du christianisme, Bojardo,
initié au monde romanticjue des autres peuples et surtout à
la connaissance des poèmes du cycle de la Table ronde,
essaya d'ennoblir ce sujet en y introduisant de suaves ligures
de femmes. Non-seulement il doima dans son poème aux
héros de la légende déjà bien connus avant lui des carac-
tères énergiqiiement dessinés, mais il inventa en outre avec
une remarquable puissance de création des héros, fruit de
son imaj^ination et pourtant pleins de vérité et de dignité.
F.n 15'»4 son ouvrage avait eu déjà quatorze éditions (la
Itreiiiièrc édition complète parut en 1495, à Scandiano). Dès
le seizième siècle il avait été traduit en français par Vincent
(Lyon, 1544) ; en 1619 de Rosset en fit paraître une nouvelle
traduction à Paris. Lesage en donna en 1717 une imitation
libre (2 vol., Paris). La dernière traduction française est
celle de Tressan ( Paris, 1822 ).
Comme Bojardo en écrivant se servit de l'italien qu'on
parlait de son temps à la cour de Ferrare, son poème fut
très -cri tiqué à Florence. C'est pourquoi, après diverses ten-
tatives faites pour en épurer le style, Lo(Jovico Domenichi
(mort en f564), .sans y changer rien d'essentiel, entreprit
au point de vue de la langui une complète Rifurtnazione
de VOrlando innamorato , d(mt il existe un grand nombre
d'éditions, toutes différant l'une de l'autre. La dernière
parut à Venise en 1545. Berni alla plus loin dans son Rifa-
cimento , car il changea tout le ton dii poème en burlesque.
Cependant, son travail obtint un si grand succès que l'Or-
lando innamoi'ato original de Bojardo tomba dans l'ou-
bli; et Panizzi est le premier qui s'avisa d'en publier de
nouveau le texte primitif avec de longues recherches sur
le poète et sur son poème ( !) volumes ; Londres, 1830 ).
Parmi les autres ouvrages de Bojardo , tant en italien
qu'en latin, ceux qui ont le |)lus de valeur sont ses Son-
netti e Canzoni (la première édition est celle de Reggio,
1499) en trois livres, presque tous adressés à sa maltresse,
Antonia Capraca. Viennent ensuite II Timone, drame en
cinq actes, maintes fois réimprimé; un poème latin, Car-
vien BucoUcum (Reggio, 1500); les Cinque Capitoliin
terza rima (Venise, 1523), sur la Crainte, la Jalousie,
l'Espérance, l'Amour et le Monde; et i'Asio d'Oro, d'a-
près Apulée (1518). Il traduisit aussi en italien Hérodote,
ainsi que le Chronïcon Romanorum Imperatonini de
Renobaldi. Venturi a publié un choix des Poésie de Bojardo,
accompagné de notes exphcatives { Modèiw; , 1820). Parmi
les suites données à VOrlando celle de Niccolo degli Agos-
tini .se trouve imprimée dans diverses anciennes éditions
du jxiëme original et dans l'imitation libre de Domenichi.
BOKIIARA, BOKIIARIE. Voyez Bookhakv et
BOLKUAKIE.
BOKIIAKY ( Abol-Abdallah MOHAMED, plus connu
SOUS le nom de), théologien musulman, né en 810, mort
en 870, commença dès l'âge de dix ans l'étude de Ihistoire
et de la jurisprudence, et recueillit de vastes connaissances
dans les voyages qu'il entreprit à diverses époques et dans
les diverses contrées du monde mahomètan. Ses nombreux
ouvrages lui acquirent une immense réputation, celui surfout
qui est intitulé Al-Djami al-Snhy (Recueil exact). C'est
un recueil de seize mille traditions, composées de sentences
ou de paroles empruntées ou attribuées à Mahomet ou à
ses compagnons. Bokhary l'écrivit à La Mecque même; et
l)our attirer sur son œuvre la bénédiction du ciel, il n'y con-
signait jamais une tradition qu'après une ablution au puits
de Zemzem et uric prière à l'endroit appelé Abraham. On
a souvent commenté cet ouvrage, qui parmi les musulmans
jouit d'une autorité presque égale à celle du Coran.
BOL. Ce mot appartient à la médecine et à la minéra-
logie, sans que l'on puisse assigner d'une manière satis-
fiiisaule ce qui a déterminé ces deux fonctions sans aucune
analogie.
En médecine , un bol est un médicament interne, du vo-
lume d'une bouchée au plus, composé d'une matière «xci-
p'tende ( c'est celle qui doit opérer l'effet que l'on attend ),
et d'un excipient, ou liquide, ou mou, de telle sorte que
le mélange soit un peu plus consistant que du miel. L'exci-
pient n'étant destiné qu'a servir de véhicule à la matière ef-
ficace, il suffit qu'il ne nuise pas à l'effet; mais s'il peut
y contribuer, le médecin habile ne manquera pas de le pré-
férera ceux qui se borneraient à n'être pas nuisibles.
En minéralogie, on nomme bol, ou terre bolaire, une
argile ocreuse, dont la médecine fit usage autrefois, et dont
la plus célèbre venait de l'Arménie. A mesure (pie la chimie
«84 BOL —
a rertifié les noincnclalures minéralogiques, on a compris
pariiii les terres bolaires l'argile, siijillce de Lemiios, la
sanguine, tirée de la iirôine île, la terre de Sienne, etc.
Quelques-unes <!e ces nrj^iics conlieniicnt une très-grande
quantité de chaux , et peuvent être cla>sées parmi les
marnes. Ferry.
On donne aussi le nom de bol alimentaire à la masse
que (orment les aliments après avoir été broyés par la mas-
tication, ils sont réunis par la langue et placés sur la base
<le cet orRane, pour ensuite être avalés et soumis à la c li y-
mification.
BOL (FEiinmAND), nn des peintres de portraits les plus
habiles de l'école hollandaise, naquit à Dordreclit, vers
1610, et mourut à Amsterdam, en 1681. Sa vie est pen
connue ; on sait seulement qu'il eut pour maître Rembrandt,
dont il s'attacha à imiter la manière; ce à quoi il réussit si
bien que ses tableaux lurent souvent altribiiés à son maître.
On y retrouve en clfet «luelque chose de la vigueur de ton
et de la délicatesse du clair-obscur de ce grand peintre.
Comme il n'avait pas l'imagination hardie, impétueuse de
Rembrandt, il a su éviter les écarts dans lesquels sont
touillés souvent les imitateurs de ce maître. Ses tableaux
cliarmiMit par leur naliuel ; ils consistent presipie tons en
portrait^. Il y en a quatre au musée du Louvre, un au mu*
sée de Lyon, et cinq dans la galerie de Dresde. Comme Item-
liiandt, Bol a publié une série de planches gravées à l'eau-
forte, qui sont fort estimées. Les plus remarquables sont :
Le Sacrifice dWhra/iam; Saint Jérôme assis sur une
haut pur et tenant un crucifix; Un Philosophe tenant
un Hure et ayant près de lui unesphère ( planche dont les
exemplaires sont devenus extrêmement rares); Agardans le
désert, non moins rare; Le Sacrifice de Gédéon au mo-
ment où l'ange mit le feu à l'holocauste.
BOL ou BOLL (Hans), peintre flamand, né à Malines,
en 1534, mort à Amsterdam, en 1583, connnença dès l'âge
de quatorze ans à étudier son art , puis parcourut l'Alle-
magne pour se perfectionner. Après deux années de séjour
à Heidelberg, il revint dans sa ville natale, oii il peignit des
paysages en détrempe. Ruin(^ par les malheurs <le la guerre
qui ravageait son pays, il fut réduit à se réfugier à Anvers,
où il trouva aide et appui auprès d'un habitant, protecteur
dévoué et généreux de l'art, appelé Antoine. S'apercevant
qu'on faisait de ses grandes toiles des copies réduites, qui se
plaçaient avantageusement, il se borna dès lors à faire de
petits tableaux à l'huile et des ligures à la gouache. Mais les
calamités qui l'avaient forcé d'abandonner Malines le chas-
sèrent successivement «l'Anvers, de Iierg-oi)-Znom , de
Dorilrechl et de Deift, oii il avait espéré rencontrer un asile
plus tranquille ; et à la lin force lui lut de se retirer à Ams-
terdam. Ses princi|)aux ouvrages sont : un Livre d'ani-
maux terrestres et aquatiques, peints à la j^ouacbc d'après
iifiline; un l'etit Livre d'Heures, qui avait été exécuté
pour le duc d'Alençonet d'Anjou , cinquième lilsde Henri 11.
Ce manuscrit, qui lait aujourd'hui partie du fonds de la Bi-
iili(ithè(]ue impériale, contient deux grandes miniatures et
quarante et ime petites, avec des ornements, <ies fleurs et
xfes animaux au bas de chaque page et à la (in des cliapi-
trt's. Il est du format in-24. On a encore de lui : Vena-
finnis, Piscationis et Aucupii tijpi. Johannis Bol de-
p\nqel)(it; f'hil. Gnlleus excudebat ; in-8" oblong.
BOLAIV , déhié ctlcbre dans le Béloudjistan, qui
conduit du Simi sejilentrional à Kandatiaret h Ghasnah, par
Chikarpour et Dadour. Son point culminant s'élève à 1795
mètres; il est situé par le 29" 51' de latitude nord, et
te (w" h' de lon;;itude orientale : c'est là que se trouve la
souice du Bolan, qui donne son n(mi an délilé. L'armée
anglaise qui envahit l'Afghanistan en 1839 mit six jours
(du lii au 21 mars) à franchir ce passage.
BOL5}r^(^, commune de l-'rance, chef-lieu de canton,
Sîéi^e dune église consistoriale calviniste, appartenant jadis
BOLESLAS
au comté d'Eu, aujourd'hui au département de la ScSne-
In férieure, dans l'arrondissement du Havre, à 2H kiloiij.
de ce port ; charmante petite ville, située dans une position
admirable, sur le penchant d'un coteau baigné par la petite
rivière du même nom , à la jonction de (lualre vallées. Peu-
plée de 9,674 habitants et très industrieuse, elle est l'en-
irepAt des toiles cretonnes qu'on lisse aux environs, et
possède elle-même de grandes lilalures et fabriques de
calicots, cotons façon d'Alsace, mouchoirs, draps, flanelles,
serges, couvertures, etc., des imprimeri«is d'indiennes, des _
blanchisseries, teintureries, papeteries et laimeries. Bolhec ■
fut détruite en 1765 par un incendie, qui y eonsiimu huit 1
cent soixante huit maisons.
BOLEBO. C'est mi air de danse ou de chant fort usité
en Lspagne. Il esta tiois iemps et presque toujours eu mi-
neur. Il est ordinairement accompagné par la guitare, au
moyen d'un rasgado redoublé sur la seconde moitié du
premier temps, ce qui produit un rhythme d'un effet char-
mant.
BOLESLAS. Trois princes de Bohême ont poité ce
nom.
BOLESLAS l*^*", de la maison de Przémysl, douzième duc
de Bohême, gouverna cette contrée de 936 à 967. Asser
puissant pour réduire les seigneurs qui opprimaient le peu-
ple, il ne put se soustraire au joùg de l'emiierem- Olhon,
qui le contraignit à lui payer un tribut et à lui fournir nn
contingent de troupes. Malgré cet état de dépendance, lio-
leslas, soutenu par les Allemands, combattit les Magyares, et
contribua largement, en 955, à la célèbre victoire leuqiortée
sur eux à Augsbourg. Son frère, Christiartus, passe pour le
premier historien de la Bohême.
BOLESLAS II, surnommé le /'iewr, succes«eur du pré-
cédent , et treizième duc de Bohêire , gouverna ce pays
de 067 à 1000. Sous son règne les chrétiens et les païens se
livrèrent une bataille sanglante, qui eut pour cause l'esprit
aveugle de prosélytisme des premiers et la dénomination in-
jurieuse de chiens de païens, qu'ils donnaient aux seconds.
La défaite complète des idolâtres fournil à lioleslas il l'c^;-
casion de poursuivre ses projets de conversion religieuse.
BOLESLAS m, fils naturel de Boleslas II, et quatorzième
duc de Bohême, se rendit justement odieux, pendant ses
cinq années de règne (de 1000 à 1005), par les cruautés qu'il
exerça, assassinant ses amis et même son gendre, et se
fit expulser par ses sujets, qui lui crevèrent les yeux.
BOLESL.AS. Cinq princes de ce nom ont porté la cou-
ronne de Pologne, soit comme ducs, soit connue rois.
BOLESLAS I", surnommé Khrolrii (le Vaillant), est
le premier souverain de la Pologne qui porta le litre de roi.
Il régna de 992 à 1025, et succéda à Nielchislaf, son père,
qui avait introduit le christianisme dans ces contrées, et
qui en mourant avait démembré le duché de Pologne en le
partageant entre ses enfants; faute que Boleslas répara,
mais en dépouillant ses frères de leur héritage. Les secours
que ceux-ci trouvèrent à l'étranger fournit à Boleslas un
pn texte pom' envahir les domaines des princes ses voisins
et réunir ainsi la Silésie et la Khrobalie à la Pologne.
Voici, dit-on, dans quelles circonstances il obtint d'Olhon
le litre de roi : Un tvèque de Pmgue, Voicchus, qui était
allé porter les lumières de l'Évangile en Hongrie, en Russie
et en Prusse, fut assassiné, en 997, par des Prussiens. Bo-
l^-slas racheta son corps il ses meurtriers, et bientôt le bruit
se répandit partout que les reliques du pieux é- êque opé-
raient des miracles. i)es fêtes magnifiques furent alors ins-
tituées en son honneur, et attirèrent sur son tombeau, a
Guezuia, un immense contours de lideles et de cuiieux.
Olhon III, qui revenait de Rome, où il avait été visiter ieS
tombeaux des Aprtires, voulut visiter aussi celui de l'évêque
de Prague, et ,«e rendit à cet effet en Pologne. Boleslas «li-
ploya pour h; recevoir une magniliceuce extrême. Les fêhs
se succédèreni sans inlerriqilion ; et sur la lin d'un M-jias
BOLESLAS
385
splenilide, Ollion, dans un nioniciit d'effusion, mit lui-ni?nie
sa couionno impériale sur la liHe de son liote ; c'était le faire
roi, c'était venir au-devant du vœu le plus cher de Boleslas,
à qui son litre de simple duc ne paraissait plus en rapport
avec la grandeur de sa puissance. En effet, toutes les tribus
«les Polènes lui obéissaient alors ; il traitait le duc de Bohême
en vassal, et Kief, la capitale des Slaves-Russes, avait été
obligée de lui ouvrir ses portes. Plus tard , il porta ses
armes jusqu'aux bords de l'Elbe et de la Saale ; et ce fut là,
dit-on, qu'il érigea une colonne de fer pour marquer de ce
cMé la limite de ses États, comme la porte de Kief, qu'il
avait fendue avec son sabre, en déterminait la limite à
l'est. De telles conquêtes, un règne si constamment rempli
d'expéditions victorieuses, rendirent son nom populaire en
Pologne, mais par contre odieux aux populations vaincues,
qui avaient à payer les frais de cette gloire. Pendant le règne
de Boleslas le cliristianisme ne fit d'ailleurs que des progrès
bien lents en Pologne, de môme que dans les contrées con-
quises.
BOLESLAS II, surnommé le Hardi, né en 1042, mort
vers 1090, était lils de Casimir l"^, à qui il succéda le len-
demain même de ses funérailles, quoiqu'il n'eût encore que
seize ans. Touchée de ses grAces et de sa jeunesse, la mul-
titude l'acclama roi malgré l'opposition que la noblesse es-
saya de faire à son élection. Sa cour devint à quelque temps
de là l'asile de plusieurs princes voisins dépossédés ou
citasses de leurs États, par exemple Isiaslaff, duc de Kiovie
et frère du duc de Russie; Jacomir, fds du duc de Bohème;
et Bêla, frère d'André, roi de Hongrie, qui avait usurpé sa
couronne. Le duc de Bohême, pour se venger de l'hospi-
talité que son fils avait trouvée en Pologne, envahit ce pays
à la tête d'une nombreuse armée. Boleslas marcha à la ren-
contre de l'ennemi, et à la suite d'une défaite qu'il lui fit
essuyer, il conclut avec le duc de Bohême un traité avanta-
geux à Jacomir, qui d'ailleurs, se croyant peu en silreté en
Bohême , préféra de continuer à vivre en Pologne. Deux ans
après, Boleslas déclara la guerre à André, roi de Hongrie,
qu'il fil prisonnier, et dont il donna la couronne à Bêla.
Tournant ensuite ses armes contre les Russes, qui avaient
expulsé Isiaslaff, par ses victoires il le rétablit en possession
du duché de Kiovie. Ce succès n'eut pas été plus tôt obtenu
qu'il lui fallut accourir en Hongrie, où Bêla était mort, et où
il fit rendre à ses enfants l'héritage paternel qu'on leur con-
testait. Pendant cette diversion, les Russes avaient de nou-
veau expulsé Isiaslaff. Boleslas revint alors mettre le siège
devant Kiovie, dont les habitants après une longue et vail-
lante résistance durent finir par lui ouvrir les portes. Le
séjour de Kiovie fut cette fois pour Boleslas et son armée
une nouvelle Capoue, et chefs et soldats s'y livrèrent à
toutes sortes de débauches. Apprenant quelle joyeuse vie
leurs maris menaient dans le pays conquis, les femmes
polonaises s'en vengèrent à l'envi en se prostituant à leurs
serfs. A leur tour les guerriers polonais apprirent comment
la loi du talion leur avait été appliquée au foyer domestique;
et ce fut alors parmi eux à qui abandonnerait son souve-
rain pour s'en aller châtier sa trop vindicative moitié, dont
il attribuait l'infidélité aux fautes du souverain. Boleslas,
ainsi déserté par ses hommes d'armes, en leva d'autres en
Russie, avec lesquels il s'en revint écraser tous les mécon-
tents qui avaient profité de son absence pour oser lever la
tête. Le sang conla alors à flots en Pologne, et ce fut en
vain que saint Stanislas, évêque de Cracovie, essaya de faire
entendre la voix delà modération. Boleslas, irrité des re-
montrances du pieux prélat, s'en vengea en allant le tuer de
sa propre main dans la cathédrale de Cracovie. Cet attentat,
qui comblait la mesure des crimes dont Boleslas s'était
rendu coupable, attira sur lui les foudres du saint-slége.
Grégoire 111 délia ses sujets de leur serment de fidélité. Une
insurrection générale éclata alors contre lui. Réduit à prendre
ta hiitc, Boleslas erra longtemps en Hongrie ; piii^ en cachant
nier. DE LA CONVERS. — T. Ml.
son nom il réussit à trouver un asile en Cavintliie, dans le
monastère de Villach , où les moines l'auraient employé
comme marmiton , et où il serait mort en ne révélant qu'.'i
ses derniers moments qui il était. Suivant une autre version,
le suicide aurait été son refuge contre les poignants remords
que lui causait le souvenir de ses crimes.
BOLESLAS III, surnommé Kî'zyu'otisty (botiche de tra-
vers), fils d'Vladislas Herman, monta sur le trône en llO.'i,
mais ne prit que le titre de duc de Pologne, pour complaire
au saint-siége, qui avait aboli le titre de roi en Pologne eu
même temps qu'il frappait Boleslas II d'excommunication.
Pour se conformer aux dernières volontés de son père, il
partagea ses États avec un frère puîné, Sbignée, qui bientôt
conspira, puis se révolta même ouvertement contre lui.
Boleslas, vainqueur, fit grâce au coupable, que cet acte de
mansuétude ne put ramènera de meilleurs sentiments. Sbi-
gnée leva de nouveau l'étendard de la révolte, et cette fois
Boleslas se montra inexorable. Cependant, la mort de ce frère
lui laissa de longs et vifs remords, qu'il chercha à étouffer,
selon les idées du temps, en entreprenant force pèlerinages
et en comblant de présents divers monastères et églises.
Après avoir été heureux dans les luttes qu'il avait eu à sou-
tenir contre l'empereur d'Allemagne, Henri IV, contre les
Hongrois et les Poméranieus, il vit la fortune finir par lui
être infidèle dans une grande expédition contre les Russes,
qui attirèrent son armée dans une embuscade près d'Halicéo
et qui l'y taillèrent en pièces. Boleslas mourut du chagrin qut;
lui causa ce désastre.
B0LESL.4S IV, surnommé le Frisé, ducde Pologne comme
son père Boleslas III, monta sur le trône en 1147, lors de
la déposition de son aîné Vladislas, et mourut à Cracovie ,
en 1173. Ce fut en vain qu'il assigna la Silésie en apanage
à son aîné. Secondé par l'empereur Frédéric Barberousse,
Vladislas essaya de reconquérir sa couronne. Mais habile po-
litique, Boleslas réussit à dissoudre une ligue à laquelle il
n'aurait pu longtemps résister ; et un mariage cimenta bientôt
l'union des deux souverains ennemis.
Sous prétexte d'en convertir les habitants, Boleslas essaya
de se dédommager de la cession de la Silésie en faisant la
conquête de la Prusse; mais les deux expéditions qu'il en-
treprit dans cette contrée furent impuissantes à la soumettre
aussi bien qu'à la convertir, et son armée y fut exterminée.
Il eut encore à se défendre contre ses neveux, les fils de Vla-
dislas, qui voulurent profiter de son désastre pour revendi-
quer la couronne de leur père. Mais soutenu par la nation,
il triompha de leurs prétentions, et mourut paisiblement,
en 1173.
BOLESLAS V, surnommé le Chaste, fut élu duc de Po-
logne en 1220, au milieu des troubles qui agitèrent la Po-
logne après la mort de Lezko le Blanc et de Micislas le
Vieux. Comme il n'avait encore que sept ans, son oncle
Conrad et le duc de Silésie Henri le Barbu se disputèrent
longtemps la régence. Déclaré majeur en 1237, il épousa Cu-
négonde fille de Henri. Cette princesse, déterminée par une
dévotion exagérée , avait fait vœu de chasteté ; Boleslas
imita son exemple , que sa froideur et sa timidité naturelles
n« lui rendaient pas fort pénible. Véritable roi fainéant, au
lieu de songer à repousser une invasion des Tatares, il se
réfugia chez son beau^père, dont il abandonna bientôt la cour
pour aller s'enfermer en Moravie, dans une abbaye de l'ordre
de Cîteaux. Les Tatares purent donc ravager impunément
la Pologne, dont les populations, épouvantées, furent réduites
à se retirer dans les forêts. Heureusement il s'organisa contre
eux une croisade, à la tête de laquelle se plaça Henri de
Breslau , qui eût anéanti ces hordes dévastatrices dans une
grande bataille livrée sur les bords de la Neike, s'il n'avait
pas péri au milieu de l'action. Boleslas ne rentra en Pologne
que lorsque les Tatares l'abandonnèrent; et une autre inva-
sion de ces mêmes peuples lui fournit l'occasion de l'aire
preuve du même manque de courage. Il mourut en 1 27y.
BOLET (ilu grec 0(ï>).o;, moite), genre de plantes cryp-
togames, appartentint à la famille des champignons, et
caractérisé par un chapeau sessile on pédoncule, garni (d'or-
dinaire, à la surface inférieure seulement) de tubes qui ren-
ferment les corps reproducteurs. Ce genre est très-nom-
breux en espèces, et en France seulement on en connaît
plus de cent; mais nous devons nous borner à en signaler
quatre, qui présentent des propriétés remarquables, et sont
emidoyées, soit dans l'économie domestique, soit en mé-
decine, ou dans les arts.
Le bolet onguli/onne ( boUtus ungulalus , Builiard )
se trouve partout dans nos bois, sur les troncs des chênes et
des hêtres : on le connaît vulgairement sous le nom d'agaric
de chêne. Il est sessile, attaché par le côté, et présente à
peu près la forme d'un sabot de cheval : d'où lui est venu
son nom. Sa chair est d'une couleur tannée, d'abord mollasse
et filandreuse, puis dure comme du bois; ses tubes sont
étroits, réguliers, de môme couleur que la chair; sa sur-
face supérieure est grisâtre ou ferrugineuse, quelquefois
marquée de zones brunes; si on frotte la première écorcc, on
en trouve dessous une seconde, lis.se et d'un noir luisant.
Ce champignon continue très-longtemps à s'accroître : cha-
que année il se développe une nouvelle couche de tubes, et
l'on retrouve les anciennes au moyen d'une coupe verticale;
chacune des pousses dont le champignon s'augmente suc-
cessivement tous les ans reste séparée de la précédente par
un sillon annulaire profond ; en sorte que le nombre de ces
.«aillons indique l'âge du végétal. Coupé par tranches quand
il est jeune, et battu, ce bolet forme Yagaric des chirur-
giens , dont on se sert pour arrêter les hémorragies des
petits vaisseaux. Ces mêmes tranches d'agaric trempées
dans une dissolution de nitre , séchées et battues, forment
l'amadou, dont on se sert pour fixer l'étincelle qui s'é-
choppe du silex frappé par le briquet.
Le bolet omadouvier {bolctus igniarius, Builiard; bo-
letus oblusus , Decandolle ) croît sur les saules, les frênes,
les cerisiers, les pruniers , etc. Il est sessile, attaché par le
côté, demi-orbiculaire et obtus. Sa chair est d'une couleur
tannée, d'abord de la consistance du liège, ensuite dure
comme du bois; ses tubes sont courts, étroits, très-régu-
liers , de la même couleur que la chair : il vit longtemps ,
comme le précédent, et produit de même chaque année une
nouvelle couche de tubes : on retrouve, au moyen d'une
coupe verticale, ces couches superposées, dont le nombre
indique l'âge de l'individu ; mais les pousses annuelles du
chapeau ne sont pas séparées par des sillons, comme dans
le bolet onguliforme. Cette espèce est employée aussi pour
fairede l'amadou. Les teinturiers en tirent une couleur noire.
Le bolet du mélèze [bolctus laricis, Jacquin) se trouve
dans les Alpes , où il croît sur le tronc des mélèzes. Il est
sessile, attaché par le côté, d'une consistance molle et co-
riace. Dans sa jeunesse il a une forme ovoïde allongée ; mais
il finit par prendre celle d'un sabot de cheval. Sa chair
est d'un blanc jaunâtre; sa surface supérieure est marquée
de quelques zones jaunâtres ou brunâtres, peu prononcées;
l'inférieure est munie de tubes jaunâtres. Il est variable
dans sa grandeur; mais le plus ordinairement il a dix ou
douze centimètres de diamètre. 11 est employé en médecine
sous le nom d'agaric officinal , et on le trouve dans les
pharmacies dépouillé de son épiderme et desséché; il est
alors blanc, spongieux et friable. C'est un purgatit déjà
mentionné par Dioscoride et Galien sous le nom il'àYaptxév,
et qui entre dans la composition de la thériaque, mais
dont les praticiens modernes font bien peu d'usage, surtout
en France. Les habitants des Alpes l'emploient pour leurs
troupeaux.
Le bolet comestible ( boletus edulis , Builiard ) se trouve
pendant tout l'été par toute la France, dans les bois et les
lieux couverts, où il croît sur la terre. Il atteint jusqu'à
vingt centimètres de hauteur. Il a un pédicule assez gros,
BOLET — BOLINGBROKE
cylindrique ou quelquefois ventru, blanchâtre ou fauve,
avec des lignes en réseau; son chapeau est large, voûté,
d'une couleur ferrugineuse tirant sur le brun, quelquefois
d'un rouge de brique rembruni, ou bien d'un rouge cendré,
ou encore blanc ou jaunâtre; sa chair est blanche, épaisse,
ferme, quelquefois jaunâtre , souvent d'une teinte vineuse
sous la peau ; les tubes sont d'abord blancs , ensuite jau-
nâtres ou verdàtres. Les bneufs, les cerfs, les porcs, le man-
gent avec avidité, et il est très-recherché comme aliment
et comme assaisonnement dans le midi de France; mais
on n'en fait pas usnge k Paris, quoiqu'il se trouve commu-
nément aux environs de cette ville, principalement dans les
bois de Ville-d'Avray et de Meudon. On le connaît dans le
midi sous le nom de ceps, cèpe, girole, giroule, brïcgnet.
En Lorraine on le mange sous le nom de champignon po-
lonais, parce que ce sont des Polonais de la suite de Sta-
nislas Leczinski qui montrèrent qu'on en pouvait manger
sans (langer. Démezil.
BOLEYN (Anne de). Voyez Boulen.
ISOLIDE. Voyez AÉnouTUE.
BOLINGBROKE ( Henry SATNT-JOHN, vicomte de),
célèbre homme d'État et écrivain anglais, né en 1678, à Bat-
tersea (comté de Surrey), d'une famille ancienne et consi-
dérée, marqua déjà à l'université d'Oxford par la vivacité
de son esprit et par ses progrès dans toutes les branches des
connaissances humaines. A son entrée dans le monde, il y fit
sensation par son extérieur séduisant, par ses manières élé-
gantes, enfin par un charme tout particulier de diction au-
quel il était bien difficile de résister. Mais n'écoutant qua
ses passions et tout entier au plaisir, il ne fut jusqu'à l'âge
de vingt-trois ans qu'im débauché de bonne compagnie.
Dans l'espoir de mettre un terme à cette v^ de désordres,
son père lui fit alors épouser une jeune personne charmante,
fille d'un baronet, et qui lui apporta en dot un million.
Henry Saint-John ne fut point corrigé par le mariage; ses
nombreuses et éclatantes infidélités troublèrent bientôt la
paix du toit conjugal; et <lès lors les deux jeunes époux
ne se trouvèrent plus d'accord que pour se séparer à ja-
mais. Son père essaya encore d'un autre moyen pour le ra-
mener à des habitudes plus régulières : ce fut de le lancer
dans la politique, et en conséquence de le faire entrer à la
chambre basse. Ce moyen réussit. L'éloquence peu con)-
munede Saint-John, la sûreté de son coup d'oeil, la sagacité
de ses appréciations excitèrent l'attention générale; et main-
tenant les intrigues de la politique devinrent la grande
préoccupation de son existence. Il y avait pour lui à choisir
entre les whigs et les tories ; son choix fut bientôt fait, et
c'est pour les tories qu'il se décida. Une métamorphose
complète s'était opérée dans toutes ses habitudes ; une infa-
tigable activité avait succédé en lui à l'horreur qu'il avait
naguère pour tonte espèce do travail; et Guillaume III
suivit avec un intérct tout particulier ces débuts parlemen-
taires , qui annonçaient à l'Angleterre un homme d'État de
plus. Dès 1704 Saint-John était arrivé au pouvoir; la reine
Anne lui avait confié le portefeuille de la guerre dans le
cabinet dont lord Harley avait la présidence. C'est dans
l'exercice de ces fonctions qu'il se trouva amené à avoir
des relations directes avec Ma rlboro ugh, qui seconda
du mieux qu'il put son administration, de même que Saint-
John ne négligea rien pour mettre à la disposition du vain-
queur de Blenheim les ressources immenses et inces.santiw
qui lui étaient nécessaires pour mener avec vigueur la
guerre contre la France. Ces deux honunes appartenaient
l)Ourtant à deux partis ennemis; mais l'intérêt de leur pays
les rapprochait, et leur faisait momentanément oublier les
profondes dissidences politiques qui les séparaient. Le mo-
ment vint où, par le jeu naturel de ces institutions repré-
sentatives qui sont la gloire de l'Angleterre, les whigs par-
vinrent à ressaisir le pouvoir et à renverser les tories (170S).
Saint-John suivit dans sa retraite lord Harley. Mais les affec-
4
BOLIINGBROKE
387
tions secrètes de la reine Anne étant tontes pour les tories,
Saint-John, ministre déclin, ne laissa pas que d'entretenir
toujours de mystérieuses relations avec sa souveraine, qui
manquait rarement de prendre son avis dans les affaires
importantes, et cela à l'insu de ses conseillers ofliciels.
Deux années s'écoulèrent de la sorte pendant lesquelles
les whigs, protégés par la gloire de Marlborougb , conti-
nuèrent de diriger les affaires du pays en s'efforçant de don-
ner à la guerre contre la France des proportions de plus en
plus formidables; tandis que Saint-John utilisait les loisirs j
que lui avait faits sa défaite parlementaire pour se livrer à ]
une étude encore plus approfondie des arcanes de la poii- j
tique. On sait que vers ce temps-là Anne se décida à secouer
le joug insupportable que faisait peser sur elle la duchesse
de Marlborough, qui, dans l'enivrement de ses grandeurs,
oubliait trop qu'elle n'était que l'une des premières sujettes
de la reine; et que cette pi incesse la remplaça dans les
fonctions de grande -maîtresse de sa maison par une nou-
velle favorite, lady Marsbam, toute dévouée au parti tory.
Cette petite révolution dans l'intérieur du i»alais ne tarda
point à en amener une grande dans les hautes sphères de
la politique. On sait aussi que la paixd'Utrecht eu fut l'une
des conséquences; mais ce serait ime erreur que de penser
que la pacification de l'Europe ait été le résultat immédiat
de la rentrée des tories aux affaires.
La guerre était alors extrêmement populaire en Angleterre;
elle avait donné de la gloire militaire à la nation en même
temps qu'im énorme développement à sa puissance maritime.
Imprimer à l'opinion un courant contraire, faire comprendre
au paysqu'endéfuiitiveon lui faisait payer sa gloire bien cher,
et l'amener à souhaiter la lin d'une guerre qui avait valu à ses
armes quelques-uns des plus éclatants triomphes dont fassent
mention les annales anglaises, ne pouvait être l'affaire d'un
jour. C'est en 1710 que s'accomplit la révolution de palais
qui amena la création d'un nouveau cabinet, dans lequel Saint-
John eut le département des affaires étrangères, et la guerre
dura encore près de trois années. Mais le second ministère de
Harley (créé alors comte d'Oxford) avait dû se constituer
avec un programme différent de celui qu'il remplaçait; sans
quoi ce brusque changement dans le personnel des gouver-
nants n'aurait pas eu de raison d'être. Dès lors, il y avait pour
lui nécessité de prendre aussi bien à l'extérieur qu'à l'inté-
rieur une attitude autre que les whigs ; et Saint-John en pro-
fita habilement pour faire prévaloir, en dépit des hésitations
de la cour et môme de l'opposition de certains de ses collè-
gues, ses idées personnelles sur la manière de mettre fin à la
crise à laquelle l'Euroiie était en proie depuis si longtemps.
La presse, qui depuis près d'un siècle jouait un rôle si
important dans la constitution anglaise, fut le levier dont il
se servit pour déplacer l'axe des influences. Un journal fut
fondé, TJie Examiner, à la rédaction duquel prirent part
des hommes tels que Prior, Swift et Alterbury, en môme temps
<iue Saint-JoliVi, en dépit de ses occupations, trouvait encore
le temps d'y insérer (réquemment des articles, qui atta-
«luaient la question par son côté pratique et positif. Avec son
bon sens ordinaire, John liull, quand on lui eut démontré,
par exemple, que la prise de Bouchain, le seul exploit qui
«Ut marqué la campagne de 1711, lui coûtait au delà de sept
millions de livres st., comprit qu'il faisait là un métier de
dupe, et qu'il s'épuisait d'hommes et d'argent pour faire la
grandeur de l'Autriche et engraisser les priucipicules de l'Al-
lemagne, alors encore bien autrement nombreux qu'aujour-
d'hui. En parlant i\&prix de revient, Saint-John savait qu'il
serait écouté ; et effectivement il s'opéra alors bientôt dans
l'opinion publique un si complet revirement, que les con-
férences pour la paix purent s'ouvrira Utrecht. A celte époque
il se montra homme d'Etat et politique habile; car [)0ur
amener la conclusion de ce traité si célèbre, resté pendant
la plus grande partie du dix-huitième siècle la base du droit
public européen, il lui fallut ul'i; ;?e;t;leaieal triompher de
l'opposilion des whigs, eten particulier de celle de la chambre
haute, où ce parti avait conservé l'ascendant que des élec-
tions nouvelles et générales lui avaient fait perdre en 17 10 dans
le scindes communes, mais encore entraîner des collègues
imprudents, irrésolus, envieux même, et enlever de haute
lutte l'assentiment de la reine, princesse faible et affaiblie
encore par la maladie.
La paix, d'ailleurs, n'eut pas été plus tôt signée , que la
discorde éclata au sein du cabinet. Le comte d'Oxford , qui
cessa de s'entendre avec Saint-John , créé déjà six mois
avant la signature du traité d'Utrecht vicomte de Boling-
broke, dut donner sa démission des fonctions de premier lord
<le la trésorerie; et la reine le remplaça à la direction des af-
faires par son rival. Mais quatre jours après ce remaniement
ministériel, Anne descendait au tombeau. Il fut impossible
alors à Bolingbroke de se justifier de l'accusation d'avoir
voulu détruire ce qu'on appelait la succession protestante,
c'est-à-dire la succession dans la ligne de la maison de Ha-
novre , et d'avoir travaillé au rétablissement des Stuarts,
que la mort de Jacques II semblait avoir rendu plus facile :
aussi l'un des premiers actes de Georges III, en touchant le
sol anglais, fut-il de renvoyer des ministres qui avaient ou-
vertement travaillé dans les intérêts du prétendant. Les en-
nemis de Bolingbrolie ne s'en tinrent pas là, et annoncèrent
hautement le projet de lui intenter un procès de haute tra-
hison ; et celui-ci, ne se sentant plus en sûreté sur le sol an-
glais, mit prudemment le détroit entre lui et ses adversaires,
qui, réalisant effectivement leurs menaces, le firent déclarer
par contumace coupable de haute trahison et condamner
à la peine capitale ainsi qu'à la confiscation de ses biens.
N'ayant plus rien à ménager, et croyant toujours à l'effi-
cacité de l'appui de la France pour la cause des Stuarts, Bo-
lingbroke se rendit alors à Commercy en Lorraine, auprès du
prétendant, qui se bâta delenouimer sonfrarde des sceaux
et de l'envoyer à Paris pour y soigner ses iidérêts. Mais
Louis XIV une fois mort, Bolingbroke comprit qu'une
pohtique nouvelle allait guider le régent dans ses rapports
avec l'Angleterre, que les Stuarts ne devaient plus compter
sur l'appui de la France, et que dès lors leur cause était ir-
rémissihlement perdue. Son parti en fut bientôt pris; il se
brouilla avec le prétendant, dont il avait reconnu l'impuis-
sance et la nullité, et qui lui ôta sa charge de garde des
sceaux ; puis il chercha, par l'intermédiaiie de lord Stairs, am-
bassadeur d'Angleterre à Paris, à se rapprocher de Georges T'".
Le gouvernement anglais lui proposa de lui acheter les se-
crets du prétendant, dont il av«it dû avoir connaissance. Si
Bolingbroke se refusa à celte trahison, il n'en est pas moins
avéré qu'il agit désormais tout à fait dans les intérêts de la
maison de Hanovre, qui paya ses bons offices patents ou se-
crets en faisant casser l'arrêt qui l'avait condamné par con-
tumace. Toutefois, comme le premier nrtnistre Wal pôle re-
doutait toujours l'influence que Bolingbroke, avec sou esprit
si souple et si délié, pourrait exercer sur les affaires, et que
d'ailleurs on comptait toujours dans la chambre des com-
munes la majorité qui lui avait été si hostile à l'avènement
de nouveau roi , ce ne fut qu'en 1723 qu'il lui fut permis de
rentrer en Angleterre ; et encore lui fallut-il pour cela gagner
à i)rix d'or à ses intérêts la duchesse de Kendale, maîtresse
de Georges l". Ses biens ne lui furent même rendus quedeux
ans plus tard.
Pendant ce long exil, il avait épousé une nièce de M""' de
Maiulenon, la veuve du marquis de Villette.et, comme tant
d'ambitieux auxquels la fortune contraire fait des loisirs dont
ils enragent, il s'était mis à écrire. Ses Réflexions upon
exile et ses Memoirs on the affairs of England , from
1710 to 17 IC, ouvrage qui jette une vive lumière sur l'his-
toire d'Angleterre pendantle premier quart du dix-huit-éme
siècle, datent de cette époque.
De retour dans sa patrie, il vécut d'abord dans une soli-
tude complète, à Dawley, près dUxbiidge, entretenant uçai
3S8
BOLINGBROKE — BOLIVAR
correspondance toute littéraire avec ses anciens amis Pope
tt Swift; mais une opposition ayant commencé enfin à se
'lessiner dans l'une et {'autre chambre contre les ministres
<lu prince, qui, en haine du papisme, avait été aussi bien ac-
cueilli en Angleterre que Guillaume Illen 1688, Bolingbroke
ne put résister à la tentation de se mêler de nouveau aux
affaires de la politique ; et comme l'influence, toujours pré-
pondérante, de Walpole était un obstacle à ce qu'on lui rendit
son siège à la chambre haute, il fit au ministère pendant dix
ans, de 1726 à 1736, une guerre des plus actives de pam-
jiîileiset d'articles de journaux. On cite surtout comme ayant
exercé une grande influence ceux qu'il fit paraître dans le
iHcueil intitulé The Craftsman. C'est à cette époque aussi
«^ii'il écrivait sa célèbre Dissertation on parties , regardée
<!omme son chef-d'œuvre. Fatigué, découragé peut-être de
l'inutilité de ses efforts pour renverser Walpole, il se retira
encore une fois en France, aux environs de Fontainebleau ;
et c'est là qu'il composa ses Letters on the Sttcdy of his-
tory, où, triste précurseur des encyclopédistes, il attaquait
<!e la manière la plus violente les bases même de la religion
chrétienne, que précédemment il avait défendue avec beau-
coup de talent. C'est dans cet ouvrage, qui ne parut qu'a-
près sa mort, qu'il assimile le Pentateuque aux aventures
de don Quichotte. Toute religion révélée n'est à ses yeux
qu'absurdité. Dans le Nouveau Testament il distingue l'É-
vangile de Jésus-Christ de celui de saint Paul : l'un, premier
résumé de la loi naturelle et de la philosophie de Platon;
l'autre, ramas de doctrines impies. La polygamie lui parait
chose désirable, et il nie l'immortalité de l'àme.
L'inquiétude naturelle à sou esprit et peut-être bien aussi
le désir de revoir le sol natal le ramenèrent encore une fois
en Angleterre, où, en 1738, il écrivit sous les yeux du prince
de Galles persécuté par Walpole, et dont il était devenu l'un
(les familiers, Idea of a patriot King. Avant de mourir il
eut la satisfaction d'assister à la chute de son ennemi Wal-
pole. Lorsque la mort vint le frapper, en 1751, à la suite
d'une longue maladie, il avait depuis longtemps recouvré tous
ses titres et dignités , et il mettait la dernière main à des
Considérations sur la situation de la nation. Son second ma-
riage avait été plus heureux que le premier. Il avait ten-
drement aimé la marquise de Villette; et devenu veuf, il la
regretta d'autant plus vivement qu'il n'avait pas la conso-
lation d'avoir des enfants. 11 légua ses manuscrits au poète
écossais Mallet, en le chargeant de publier une édition de
ses œuvres. Mallet s'acquitta fidèlement de la mission qui
lui avait été confiée, et fit paraître les œuvres complètes de
15olingbroke,de 175» à 1754 (5 volumes). 11 était difficile que
dans un pays si religieux la publication des Letters on the
Stîtdtf of history ne produisit pas un vif scandale. Aussi le
grand jury convoqué à Westminster condamna-t-il h l'una-
nimité cet ouvrage comme un livre également pernicieux
pour les mœurs, la religion, l'État et la tranquillité publique.
Goldsmith l'a réimprimé en 1809, et l'a fait précéder d'une
liLographie df l'antpur.
liOUVAR ( Simon) naquit d'une famille distinguée, à
l aracas, en 1785. H fut du [letit nombre des créoles aiixcpiels
h» gouvernement ombrageux de l'Espagne permettait d'aller
faire leurs études à Madrid, et, par une faveur plus spéciale
tuc.ore, il obtint l'autorisation de visiter le reste de l'F.urope.
Durant son séjour à Paris, il s'occupa surtout d'acquérir les
connaissances nécessaires au guerrier et à l'homme d'État ;
il fréquenta les cours publics, particulièrement ceux des
Écoles Normale et Polytechnique, devint Pami de MM. de
Humholdtet Bonpland, et voyagea avec eux en Angleterre,
en Italie, en Allemagne.
De retour à Madrid, la tête pleine des institutions qu'il
;nhit admirées parmi nous, il épousa la fille du marquis
d'IJstarifz, et revint en Amérique. Tout y annonçait uneex-
{-.l.isioii prochaine. De justes plaintes sans cesse réitérées
u obtenaient de la métropole ipic des réjonses cvasivcs.
L'Escurial persistait dans son affreux système colonial. Tonl
à coup on apprend à Caracas qu'une armée française a en-
vahi l'Espagne; bientôt la double abdication de Charles IV
et de Ferdinand VII vient mettre le sceptre de la péninsule
entre les mains de Joseph Bonaparte. Placés entre des ordres
contradictoires, les colons restèrent longtemps fidèles à la
cause du malheur; se voyant enfin méconnus de ceux qu'ils
voulaient servir, ils secouèrent le joug et se constituèrent en
congrès national. Bolivar pouvait jouer un grand rôle dans
cette assemblée; mais, ses principaux membres ne lui ins-
pirant pas une grande confiance, il refusa d'en faire partie.
Ce ne fut qu'en 1812, lorsqu'il vit qu'un tremblement de
terre qui avait englouti une grande partie de la population
vénézuélienne, l'anniversaire même du jour de l'insurrec-
tion, devenait entre les mains des prêtres un moyen deperdre
la liberté au nom du ciel , qu'il renonça spontanément à
l'inaction à laquelle il s'était voué. Il courut offrir ses ser-
vices au général Miranda, qui du temps deDumouriez avait
combattu dans les rangs de l'armée française, et qui consa-
crait les restes de sa vie à la défense de sa terre natale.
Leurs premières tentatives ne furent pas heureuses : Bolivar,
nommé colonel et investi du commandement de Puerto-Ca-
bello, laissa surprendre la citadelle par des prisonniers es-
pagnols qui y étaient enfermés , et fut obligé de se retirer à
la Guayra.
Sur ces entrefaites, Miranda, cerné par des force» supé-
rieures, capitulait à des conditions honorables pour lui et se»
concitoyens. Cette capitulation devait être aussitôt violée
que conclue. Le vieux général, chargé de fers, fut envoyé
à Cadix , où il mourut, dans un cachot.
Cependant, l'échec éprouvé par Bolivar ne lui avait pas
aliéné le cœur de ses soldats. Le congrès de la Nouvelle-
Grenade lui confia un corps de six mille hommes, avec le-
quel il traversa les Andes, battit les Espagnols, et s'empara
des provinces de Tunja et de Pamplona. Son lieutenant Dri-
ccno, moins heureux, tomba dans leurs mains, et fut fusillé
avec sept de ses officiers. Ces froids assassinats indignèrent
Bolivar, qui avait toujouis fait la guerre avec modération.
Les habitants, exaspérés, venaient se ranger en foule sous
ses drapeaux; il se vit bientôt à la tête dune armée assez
nombreuse pour pouvoir marcher sur Caracas. Le général
espagnol Monteverde accourut à sa rencontre avec l'élile de
ses troupes : la victoire fut longtemps disputée; mais,
la cavalerie royale ayant passé du côté des indépendants ,
Monteverde, avec ses débris, alla s'enfermer dans Puerto-
Cabello; Bolivar entra vainqueur à Caracas, et proclama
l'oubli du passé. Tout Venezuela, à l'exception de Puerto-
Cabello , s'était rallié aux indépendants. Leur chef, toujours
magnanime, fit proposer un échange de prisonniers; mai»
Monteverde repoussa avec orgueil une transaction qui
devait accroître ses rangs de deux fois plus d'hommes qu'il
n'en aurait rendu. Il fit plus : ralliant toutes ses forces , il
vint chercher les républicains près d'Agua-Caliente. Le sort
trahit encore sa valeur; son armée fut taillée en pièces , et
lui-même, grièvement blessé, fut reporté à Puerto-Cabello.
Bolivar espéra mieux de .<;on successeur Salomon; il lui dé-
pêcha Salvador Garcia, prêtre vénérable, qui lui semblait
devoir être respecté de tous les partis ; mais le nouveau gé-
néral espagnol le fit charger de fers et jeter dans un cachot.
Bolivar, indigné, cerna la forteresse par torre et par mer;
on l'attaqua avec fureur , on emporta ses principaux ou-
vrages, on la réduisit à une affreuse famine. La fermeté
des Espagnols était à l'épreuve des privations et des dangers.
Décimés par le fer, en proie aux maladies, exténués par la
faim, .sans espoir de secours , ils restèrent inébranlables.
Tandis que Bolivar remiait de si grands services à la cause
de la liberté , il faillit perdre toute l'influence que ses vic-
toires lui avaient acquise. Le congrès de la Nouvelle-Gre-
nade lui avait intimé l'ordre de rétablir le gouverne.Tient ci-
vil dans la province de Caracas; il hésita à déposer respôtK
BOLIVAR
SS9
de tliclatnre qu'on lui avait confiée dans des circonstances
(lirticiles. Des murmures lui apprirent qu'il s'était mépris. Il
s'euipressa de réparer ce moment d'erreur, et convoqua une
assemblée jzénérale pour le 2 janvier 1814. Là , il rendit un
compte scrupuleux de ses opérations et de ses plans, et of-
frit sa démission. Cette démarche raffermit sou pouvoir
chancelant : sa démission fut refusée d'une voix unanime,
et sa dictature continuée jusqu'au moment où Venezuela
IHJurrait être réunie à la Nouvelle-Grenade. Les royalistes,
convaincus de l'inutilité de leurs efforts , soulevèrent secrè-
tement les esclaves, et les organisèrent en bandes irrégnlières.
A la tête de ces malfaiteurs se distinguait le féroce Pny,
(]ui, s'étant emparé de Varinas, y fit fusiller en un jour cinq
cents patriotes. Bolivar, exaspéré de ce crime, sortit de son
caractère, et ordonna de mettre à mort huit cents prisonniers
espagnols; il battit successivement Bovès, le mulâtre Ro-
sette et le chef de guérillas Yanès. Mais ces succès réité-
rés lui inspirèrent trop de confiance; il commit la double
faute d'éparpiller ses forces et de s'aventurer dans de vastes
plaines, où la cavalerie espagnole avait toiit l'avantage,
liattu à son tour, il ne put tenir tête à l'ennemi; il lui
fallut lever le siège de Puerto -Côbello et s'embarquer
pour Cumana , où il n'amena que des débris. Les Espa-
gnols, vainqueurs, rentrèrent dans Caracas et dans La
Guayra.
Toutefois, les désastres de Bolivar ne l'avaient point abattu.
Il reparait à Araguita, dans la province de Barcelone, mais
c'est pour s'y faire battre de nouveau. Plus heureux, il s'em-
pare de Santa-Fé de Bogota ; mais il échoue devant Sainte-
IMarthe. "Voyant l'inutilité de ses efforts, il joint ses troupes
à la garnison de Carthagène, qu'assiégeait Morillo , et s'em-
barque seul pour la Jamaïque, d'où il espère ramener des
f ecours. Le défaut d'argent multiplia les difficultés ; et quand
il revint avec des troupes fraîches, Carthagène s'était ren-
due, après quatre mois de combats et de privations. Cepen-
«lant les Espagnols commençaient à trouver dans leur pros-
périté même le principe de leur ruine. Les colons, humiliés
par eux, se détachaient de leurs drapeaux , et le pays se cou-
vrait de guérillas. Ce fut dans ces circonstances , vers la
tin de mars 1816 , que Bolivar débarqua, à la tête de ses
renforts. Il avait avec lui Brion , à qui son dévouement avait
mérité le litre de citoyen de Carthagène, et deux bataillons
<le noirs, que le président Pétion lui avait envoyés de
Saint-Domingue. L'Écossais Mac-Grégor commandait son
avant-garde. Le chef de l'armée libératrice se faisait précé-
der d'une proclamation où il promettait à tous l'union,
l'oubli, la tolérance, l'affranchissement des esclaves. Qui le
croirait ? cette proclamation , si propre à exciter l'enthou-
siasme, n'eut d'autre effet que d'alarmer la cupidité. En vain
Bolivar avait donné l'exemple en affranchissant ses nègres
et en les rangeant comme volontaires sous les drapeaux de
la liberté ; les colons de Venezuela , qui regardaient leurs
noirs comme une propriété, arimèrent mieux être riches que
libres, et abandonnèrent celui qui venait les délivrer. Il
lut encore obligé de battre en retraite devant les Espagnols.
Réfugié aux Cayes , il faillit y périr sous le poignard des
royalistes. Mais rien ne pouvait altérer son courage et le
faire renoncer à ses projets ; il convoqua un congrès général
à l'île de Margarita, et établit un gouvernement provisoire à
Barcelone. ÎSIorillo vint l'assiéger dans cette place, et obtint
d'abord quelques succès, que Bolivar rendit inutiles en in-
cendiant ses propres vaisseaux. On se battit les trois jours
suivants ; enfin , la victoire se déclara pour les républicains,
qui s'emparèrent du camp espagnol, et reprirent la supério-
rité sur tous les points.
Nommé chef suprême de Venezuela sur la fin de cette
même année , Bolivar établit son quartier général à Angus-
tura, et poursuivit le cours de ses victoùes, secondé par
son lii'ulcnant Paez et par .sa vaillante cavalerie. Les Ks-
ïwgnols, desespérant de le vaincre, essayèrent de l'assas-
siner. Un traître, suivi de douze hommes , ijénétra de nuit
dans la tente du général , qui lui échappa presque nu. Les
deux armées étaient également affaiblies. L'affaire de Seba-
nos de Coxedo, où la victoire resta indécise, termina la
campagne de 1818. Le 15 lévrier 1819 Bolivar ouvrit à
Angustura le congrès général de la républiiiue; il lui pré-
senta un plan de constitution, et se démit du pouvoir su-
prême ; mais on le pressa de reprendre une autorité qui
pouvait être encore utile, et il y consentit. 11 avait réorga-
nisé l'armée , il résolut de tenter le passage des Cordillères;
ses trf^ipes éprouvèrent de grandes fatigues dans cette région
cscaiiiée, stérile, entrecoupée de torrents. Enfin, arrivé
le 1" juillet dans la vallée de Sagaraoso, il rencontra 3,500
Espagnols sur les hauteurs qui la dominent, les attaqua avec
des troupes inférieures en nombre et harassées, les cul-
buta , et le soir même Tunja fut en son pouvoir. La bataille
de Boyaca lui ouvrit les portes de Santa-Fé : il fit prison-
nier le général en chef Barreizo, et s'empara d'un millier do
piastres laissées par le vice-roi Samana. La Nouvelle-Gre-
nade demanda à s'unir à Venezuela, et choisit Bolivar pour
son président. Après avoir confié la vice-présidence à San-
tander, il repritla route d' Angustura , à la tête de ses troupes.
Son arrivée fut une marche triomphale. Le congrès général
réunit les deux provinces, sous le nom de Colombie, en
l'honneur de Christophe Colomb. Bolivar, vainqueur à Ca-
rabobo, le 5 janvier 1820, songeait à poursuivre le cours de
ses travaux , quand la nouvelle de la révolution espagnole
parvint en Amérique. Il fit proposer à Morillo de cesser une
guerre qui n'avait que trop duré pour le malheur des peu-
ples; Morillo accueillit cette ouverture avec empressement,
et un armistice fut conclu à Truxillo. L'Espagne reconnais-
sait Bolivar comme chef suprême de la Colombie ; mais
Bolivar refusa de reconnaître la souveraineté de l'Espagne.
Les prétentions étaient trop opposées pour qu'on juit s'en-
tendre. Pendant ces pourparlers, les deux chefs, égaux en
loyauté , reposèrent une nuit entière dans la même chambre.
Tant que dura la liberté espagnole , les hostilités cessèrent,
et l'on ne songea qu'aux négociations ; mais la destruction
du système constitutionnel en Espagne et le projet avoué de
reconquérir les républiques américaines changèrent la face
des choses. Bolivar se prépara de nouveau aux combats. Le
général espagnol Morales, poursuivi par les forces colom-
biennes réunies , se vit forcé d'aller chercher un refuge dans
les murs de Jlaracaïbo, où il ne tarda pas à être cerné par
les républicains.
Une grande contrée restait dans l'Amérique du Su<l sous
la domination espagnole. Bolivar accepta la glorieuse mis-
sion d'aller aider le P é ro u à reconquérir son indépendance.
Il partit de Popayan le 1 2 mars 1823 , à la tête de 7,000 hom-
mes. La plume essayerait en vain de peindre tout ce qu'il
eut à souffrir pendant vingt-cinq jours qu'il suivit la crête
des Andes, à travers des rochers, des ravins , des précipi-
ces , dont jamais nul pied humain n'avait approché , h tra-
vers des forêts , des buissons , regardés comme impénétra-
bles , parmi des herbes épaisses qui dépassaient la tête de
ses soldats. L'eau manquait souvent. Souvent les sauvages
égorgeaient les traînards. Enfin, les colonnes commencèrent à
se concentrer le 28 mai dans les environs de Pasto , et bientôt
cette ville et Quito avaient arboré l'étendard de l'indépen-
dance. Bolivar fut accueilli en libérateur par les autorités
péruviennes. Ce fut à Lima qu'il apprit que Puerto-Cabello
avait cédé aux efforts réunis de ses lieutenants Paci et
Bermudez , et que la garnison e.spagnole avait été embar-
quée pour Cuba. Les mémorables victoires de Junio et
d'Ayacucho assurèrent la délivrance du Pérou, qu'acheva
la reddition de la forteresse de Callao. Mais le poignard du
royalisme poursuivait encore Bolivar chez le peuple qu'il
rendait à l'indépendance. Le 30 janvier 1825 Bernard Mon-
teagudo, son ami, .son confident, fut a.ssassiné en plein
jour sur i.-nc dc> places de Lima. L'n poignard pareil d
390
celui qui avait servi à consommer le crime fut trouvé sur
un domestique de Bolivar.
La nouvelle de la victoire d'Ayacucho ne parvint à Bogota
que le 8 février. On y reçut en môme temps une dépêche
de Bolivar au président du sénat de la Colombie, dans la-
quelle il déclarait qu'il avait achevé sa mission, et que le
temps était venu de tenir la promesse qu'il avait faite de .se
retirer de la vie publique aussitôt qu'aucun ennemi ne fou-
lerait plus le sol américain. Le congrès tint une séance ex-
traordinaire pour examiner le contenu de cette dépêche. Sa
lecture fut suivie d'un morne silence. Enfin un député , se
levant, déclara que ce serait un déshonneur pour la nation
et un crime pour le congrès d'accepter la démission offerte,
et qu'il votait son rejet. Ce vote entraîna tous les autres.
Le 10 du môme mois, jour anniversaire de la promotion de
*|îolivar à la dictature péruvienne, le congrès constituant
de ce pays se réunit exiraordinuireuient, et le général co-
lombien vint aussi déposer dans son sein la puissance co-
lossale dont il avait été investi. Le président du congrès
répondit au libérateur en le pressant de conserver la dicta-
ture; mais Bolivar persista fermement dans son refus. A
|HMne se fut-il retiré que le congrès vola des remercîments
il l'arniée libératrice, et prorogea la dir.taturejnsqu'au com-
mencement de I8'.>.(i. 11 vuulut élever en outre une statue
é<iuestreau libérateur, qui eut le bon esprit de repousser cette
marque de flatterie. Le 5 août 1825 les provinces du haut Pé-
rou se constituèrent en État 30uverain et indépendant sous
le nom de Bolivïa. L'administration en fut confiée au brave
général Sucre, qui s'était distingué dans la guerre du Pérou.
C'est ici qu'il faut placer cette idée féconde de Bolivar
d'ouvrir un congrès à Panama , dans cet isthme qui joint
les deux Amériques. Il voulait opposer à ces congrès de
rois, où se forge si souvent dans l'ancien monde l'esclavage
ties hommes, un congrès des peuples du nouveau monde
soustraits à la tyrannie des rois. Le Mexique, Guatemala , la
Colombie, le Pérou, accueillirent celte idée avec empres-
sement , et envoyèrent des députés. Le Brésil et les États-
Unis déclarèrent que les leurs n'y siégeraient qu'en spec-
tateurs. L'assemblée devait ouvrir ses séances en octobre
IS25; elles ne commencèrent qu'en juin 1826, et bientôt
l'insalubrité du climat amena la dispersion des membres,
au grand regret de tous les vrais amis de la liberté.
L'absence du libérateur n'empêchait pas ses compatriotes
-d'avoir les yeux fixés sur lui : tous les membres du sénat
et de la chambre des représentants de la Colombie s'étant
réunis dans l'église de Sanlo-Domingo , à Bogota, afin de
procéder au dépouillement des scrutins pour l'élection du
président et du vice-président de la république, la première de
ces dignités lut dévolue à Bolivar, qui avait obtenu .^83 voix
sur 602 , et la seconde au général Santander, qui l'occupait
déjà. Cette nouvelle fut annoncée au libérateur par son
concurrent dans des termes pleins de déférence.
La Colombie semblait jouir d'une paix profonde , les sol-
dats de l'Espagne ne souillaient plus son territoire, lecom-
uierce commençait à relleurir , l'éducation publique était
encouragée, les institutions libérales se dévelop|)aient, quand
soudain la chambre des représentants, consultant moins
la politique que le respect dû aux lois , somma le général
l'aez de venir rendre compte au sénat de sa conduite. Une
accusation est instruite contre ce chef. Elle avait pour motif
<iuelques mesures violentes prises par lui relativement au
tirage de la milice. Paez reçut l'ordre de remettre le com-
mandement au général Escalona ; mais ses troupes s'y op-
posèrent, et déclarèrent hautement qu'elles n'obéiraient qu'à
hii. Les habitants de Venezuela prirent fait et cause pour
les soldats, et manifestèrent l'intention de former un État
féparé , n'ayant qu'un lien fédéral avec le reste de la répu-
blique. Des excès furent commis à Valence, siège principal
(le l'insurrection. Paez fut élu président du nouvel État, et
(e géncial Escalona arrclé avec son étal-majo)'.
BOLIVAR
Cependant les municipalités de Caracas et de Valence, se
séparant de la révolte , avaient écrit au libérateur de hâter
son retour. Paez, accueilli dans la première de ces villes au
cri de Vive la république 1 vive Bolivar! vive Paéz! lui
avait écrit de son côté pour justifier sa conduite et expliquer
les raisons qui l'avaient forcé de désobéir au gouvernement
cejitral ; mais déjà le libérateur était en route pour la Co-
lombie. Tandis qu'il pacifiait sur sa route les provinces de
l'ouest, l'insurrection de Venezuela reprenait un caractère
sérieux ; une assemblée du peuple, fenuele G novembre 1826,
dans le couvent de San-Franciscô à Caracas , considérant
la république de Colombie comme en état de dissolution ,
déclarait la séparation de la province. Cependant Bolivar
entrait à Bogota sous des arcs de triomphe, au milieu des
acclaniations du peuple. Investi dans des formes régulières
de l'autorité dictatoriale , que les départements insurgés lui
avaient déférée, il annonça l'intention de l'abdiquer aussitôt
que la patrie cesserait d'être en danger, et de convoquer
alors une convention qui déciderait de la Ibrme à domier
au gouvernement de la république. 11 revit Caracas, sa ville
natale, sa ville chérie ; confirma Paez dans le commande-
ment civil et militaire de Venezuela ; déclara que , loin d'être
coupable, il le considérait comme le sauveur de la patrie;
proclama enfin un oubli sincère, une amnistie générale, in-
terdisant tout acte d'hostilité, comme fait de haute trahison.
Ces mesures, nécessaires peut-être pour laire cesser la
guerre civile, déplurent au vice-président, Santander, qui
ne pardonnait pas à Paez de lui avoir reprot;hé de détourner
à son profit les sommes destinées au payement de la dette
publique et de l'armée. Il offrit sa démission au président
du s('nat, qui la refusa, ce corps n'étant pas alors assemblé.
Bolivar offrit aussi la sienne. « 11 n'y a plus un Espagnol
sur le continent américain , disait-il; j'ai à cœur d'écarter les
soupçons d'une usurpation tyrannique. L'exemple de Wa-
shington ne peut rien contre rex|)érience du monde entier,
toujours opprimé par les hommes puissants. » Cette démis-
sion fut refusée pour le même motif.
Sur ces entrefaites, le bruit se répand que le Pérou a
aboli la constitution bolivienne, et que les troupes de la Co-
lombie se sont rembarquées pour Guayaquil. Cette nouvelle
blessa d'autant plus Bolivar, qu'elle fut reçue à Bogota avec
des transports universels. Les démissions du président et du
vice-président, portées au sénat, furent rejetées après de
violents débats. Il était facile de s'apercevoir qu'il se formait
au sein du congrès un parti qui repoussait Bolivar, et qui,
dans son ingratitude, l'accusait de vues ambitieuses. A la
tête de ce parti était son collègue Santander, qui ne cessait
de lui susciter des embarras funestes à la marche des affaires.
Bolivar triompha un instant de son mauvais vouloir : il eut
la joie de voir le congrès convoquer sur sa proposition une
grande convention nationale, chargée de décider s'il était ur-
gent de réformer la constitution. Ses séances s'ouvrirent
à Ocana le 9 avril 1828. La réforme de la constitution y fut
résolue ; mais bientôt les semaines se passèrent en intrigues, en
querelles, et l'assemblée, ne se trouvant plus en nombre suf-
fisant pour délibéivj, se sépara. A cette nouvelle l'indignation
populaire fut à son comble et dans plusieurs villes , à Bo-
gota, à Carthagène, a Caracas, des réunions curent lieu où
Bolivar fut supplié de reprendre l'autorité suprême et de
sauver la patrie. Il y conseutit, et Santander fut réduit au
silence.
Tout paraissait se prononcer pour le libérateur, quand
tout à coup, dans la nuit du 25 au 26 septembre, une cons-
piration éclata contre lui au sein de la capitale , auprès de
son palais , dans les casernes. La demeure de Bolivar, at-
taquée avec une rare audace, fui au moment d'être prise;
lui-même, seul, lutta corps à corps contre les révoltés , qui
avaient envahi ses appartements, et il ne dut son salut qu'à
sa présence d'esprit. Les conspirateurs avaient compte siirj
le peuple; !;• peuple se prononça pour Bolivar, et le com-
plot n.'t déjoué; plusieurs des coupables furent traduits de-
vant un conseil de guerre et fusillés. Le vice-président San-
tander, dont le nom avait retenti dans lïnsurrection , fut
banni du territoire de la république avec quelques autres.
Cependant , la guerre avait éclaté entre le Pérou et la Co-
lombie. Bolivar partit de Bogota avec des troupes considé-
rables pour agir du côté de Guayaquil. Il n'en eut pas le
temps : un armistice fut conclu et suivi d'un traité de paix.
Mais les ennemis du libérateur ne renonçaient pas, dans
l'intérieur, à leurs projets d'anarchie. Le général Cordova,
qu'il avait comblé de bienfaits, et qu'il croyait pouvoir comp-
ter au nombre de ses amis les plus dévoués, se souleva dans
la province d'Antioquia. Bolivar fit marcher contre lui trois
forts détachements. Cordova, entouré de toutes parts, sans
espérance de succtîs , réduit à cette extrémité de périr de la
mort des braves ou de celle des traîtres, fit une résistance
liéroï(iue, et tomba percé de coups sur les coips de ses
soldats.
Un nouveau mouvement, qui devait plus affliger encore
le Washington de l'Amérique du Sud, éclata le 25 novembre
1S29 à Caracas, sa ville natale. Plus de cinq cents habitants
réunis, après n'avoir point épargné dans leurs discours le ca-
ractère du libéiateur, décidèrent que Venezuela renonçait h
son autorité et se séparait de la Colombie. Une doputation
alla chercher Paez à Valence, et lui offrit le commande-
ment, qu'il accepta. Cependant, le congrès national se réu-
nissait en janvier 1830 à Bogota. Là, Bolivar renouvela avtc
plus d'instances que jamais sa démission, tant de fois offerte
et toujours refusée. Il se plaignit amèrement d'avoir été
soupçonné aux Étals-Unis, en Europe, dans son pays même,
d'aspirer à un trône. Dès ce moment il abdique, il refuse
pour toujours tout commandement, La nouvelle constitution
était achevée; le congrès, voyant l'inutilité de ses efforts
pour vaincre la résolution de Bolivar, accepta sa démission,
et choisit pour président Joachim Mosquera, qu'il fallut aller
chercher <lans sa retraite de Popayan, comme un autre Cincin-
Hatus. Celte assemlMée, au nom de la nation colombienne,
offrit au libérateur le tribut de sa gratitude et de son admi-
ration, en lui décrétant une pension annuelle de 155,000 fr.,
payable partout où il lui plairait de fixer sa résidence. L'é-
loignement de Bolivar excita dans toutes les classes de vifs
regrets. En arrivant à Carthagène, il eut la douleur d'ap-
prendre que Para avait persisté dans sa révolte, et que la
séparation de Venezuela était un fait consommé. L'assassinat
du général Sucre vint ajouter à son affliction. Abreuvé de dé-
goûts, victime de l'ingratitude des bommes, il succomba aux
attaques d'une maladie de langueur qui le retenait dans une
maison de c;uni)agne à San-Pedro, près de Sainte-Marthe,
et y mourut le 17 décembre 1830. Ses adieux aux Colom-
biens, da'-'s du 10 du môme mois, peignent à nu cette
grande âuie, et font toucher du doigt les angoisses cruelles
sous le poids desquelles il a expiré. C'est Tm morceau d'élo-
quence que doit conserver l'histoire contemporaine. Quinze
ans plus tard , Véué/.uéla envoyait chercher ses dépouilles
mortelles, et leur décernait de pooipeuses obsèques, à
l'exemple de celles dont la France avait honoré la mémoire
de Naj)o!éon.
Bolivar joignait à de vastes connaissances militaires, à
mie rare bravoure personnelle, un esprit gouvernemental
et des talents administratifs plus étonnants peut-cire. Doué
d'une activité infatigable, il dormait à i>eine trois ou quatre
lieures, et ne consacrait ordinairement i|uc quelques mi-
nutes à ses repas. Son instruction était vaste : il possédait
presque toutes les langues et les littératures de l'Europe, et
connaissait leurs meilleurs écrivains. Religieux, mais sans
superstition, sans fanatisme, il lit un pénible sacri.'lce au
sang espagnol de ses compatriotes en proclamant le catho-
licisme religion exclusive de l'État. Bolivar avait toujours eu
deux glands modèles devant les yeux, Washington et Bo-
napaile; ot, quoi qu'on ait du dire ou penser de lui, quel
EOLIVAR — BOLIVIE 391
que soit le sort des États dont il a jeté les fondements, son
nom brillera dans l'avenir à côté de ceux des grands hommes
dont il enviait la gloire. E. G. de Monglave.
BOLIVIE ou BOLIVIA, État de l'Amérique méridionale,
formé de l'ancien Haut-Pérou, dépendant de l'ancienne vice-
royauté espagnole de Buenos- Ayres ; situé entre 9° 30' et 25° 40'
de latitude méridionale, et entre 60° 20' et 73" 20' de longitude
occidentale ; borné au nord par le Pérou , à l'est par le Bré-
sil et le Paraguay, au sud par le Rio de la Plata et le Chili ,
à l'ouest par l'océan Pacifique et le Pérou ; ayant une super-
ficie de 727,000 kilomètres carrés et une population évaluée
à 1,200,000 âmes; hérissé de hautes montagnes à l'ouest,
où il est traversé dans le sens de sa longueur par la chaîne
des Andes, qui s'y bifurque pour former la ceinture du pla-
teau ou bassin du lac de Titicaca, dont la partie sud-est
seulement appartient à la Bolivie. La bifurcation occiden-
tale ou Cordillcra de la Costa, à escarpement abrupt du
côté de l'Océan, en est séparée par le désert de sable d'A-
tacama. La bifurcation orientale , ou Cordillcra Real, des-
cend avec rapidité vers les plaines basses qui la bornent à
l'est, et n'y envoie que quelques contre-forts peu considé-
rables. Le vaste plateau de Titicaca, massif culminant de la
chaîne des Andes, s'élève à plus de 4,200 mètres. Les points
culminants de la Cordillcra Béai, dans la Bolivie, sont aussi
les points culminants des Andes et de toute l'Amérique.
Le Nevado de Sorataa 7,700 mètres; le Nevado d'Ulimani
en a plus de 7,300. Dans la Cordillcra de la Cosia les points
culminants ne dépassent pas 6,700 mètres.
A l'est des Andes, le pays dépend, en grande partie, du
bassin de l'Amazone. Au sud , il appartient à celui du Rio
de la Plata, séparé du précédent par une crête peu élevée.
LeMamoré, l'Ubahi, branches supérieures de la Madeira, et
le Béni ou Paro, sont les principaux affluents de l'Amazone ;
ceux du Rio de U Plata sont le Paraguay et le Pilcomayo.
Toutes ces rivières sont navigables. Le Desaguadero, qui
sort du lac de Titicaca pour se perdre dans les terres , est
le grand déversoir de cette masse d'eau , dont une portion
dépend du territoire bolivien. De petits fleuves torrentiels se
jettent dans l'océan Pacifique, ou disparaissent dans les
sables du désert.
Le climat de la Bolivie ne se recommande pas , en gé-
néral, par la salubrité. Il est très-chaud dans les terres
basses, et surtout dans le désert d'Alacama. Les hivers,
d'ordinaire assez froids, sont très-secs sur le plateau de Ti-
ticaca, où la neige tombe en avril et en novembre. Les
pluies, très-rares partout, sont à peu près nulles dans le
désert d'Atacaina. Seulement, dans les plaines de l'est, elles
deviennent continues d'avril à octobre , et inondent une
grande partie des terres basses. On y est exposé à de vio-
lents orages et à de fréquents tremblements de terre , sur-
tout dans la direction des côtes, où la Cordillière contient un
grand nombre de montagnes volcaniques.
Le territoire de la Bolivie est très-riche en métaux, et cé-
lèbre surtout par ses nu'nes d'argent de Potosi , autrefois si
imi)ortantes. Elles furent découvertes par Hualpa, Péruvien,,
qui, en poursuivant un alpaca, arracha un arbrisseau , et
aperçut sous sa racine cette étonnante veine d'argent qu'on
a depuis appelée la Rica. La montagne, qui a 20 kilomètres
de circuit et 1400 mètres d'élévation, fut percée de plus de
trois cents puits, à travers un schiste argileirx, jaune et dur,
avec des veines de quartz ferrugineux. Elle est d'une cou-
lem' rougeàtre particulière, et ses nombreux fourneaux ont
longtemps formé pendant la nuit un spectacle vraiment ex-
traordinaire ; mais aujourd'hui plusieurs sont éteints. La
Bolivie possède encore de riches mines de cuivre. On a
évalué il 4,000 marcs de Castille ou 920 kilogrammes d'or
et 662,000 marcs d'argent la moyenne annuelle du produit
des mines de 1790 à 1809, et à 4,970 marcs d'or et 290,000
marcs d'argent celles des années 1810 a 1829. L'cx|iloila-
tion, qui avait beaucoup souffert pendant les g'icrres de
392
nOLlVIF.
l'indépendance, a repris depuis quelque ach"\it(^, et des «s:55
on estimait ses produits à 5,000 marcs d'or et 300,000 marcs
d'argent. En somme, on évalue la quantité d'or extraite, dans
une période de quarante ans, de 1809 à 1848, à une valeur
de 87,346,000 francs, et celle d'argent à une valeur de
536,138,000 francs.
Le soi est généralement très-fertile, et couvert en grande
partie de forêts vierges , riches en bois précieux de toutes
espèces. Parmi les produits de la végétation il faut citer les
grains, le riz, le maïs, le café, le coton, la canne à sucre,
le tabac, le cacao, les fruits du tropique, l'orange, la figue,
l'ananas, la vanille, la cascarille, le quinquina, la salse-
pareille, une espèce de cannelle, la gomme élastique, etc.
Sur le plateau de Titicaca, dépourvu de grands arbres et
impropre à la culture des grains d'Europe , on cultive le
quinoa et la pomme de terre, qui y croit spontanément.
Les animaux domestiques sont le bœuf, le cheval, l'âne, le
mulet , et dans les montagnes la vigogne , le lama et l'al-
paca. Parmi les autres animaux , on remarque le tapir, le
jaguar, le léopard, et divers singes; dans les plaines de l'est,
une multitude de reptiles et d'insectes venimeux ou des-
tructeurs.
La population indienne ou indigène , qui parle le quichua
ou l'aymara , forme plus des trois quarts de celle de tout le
pays; le reste se compose d'Espagnols, d'hommes de cou-
leur et de quelques nègres. Parmi les nombreuses tribus
d'Indiens , celles de la côte et du bassin de Titicaca ont été
généralement converties au christianisme ; elles habitent des
demeures fixes et se livrent à l'agriculture; les autres ont
plus ou moins conservé les mœurs et les habitudes des sau-
vages. La principale branche d'industrie du pays est la
fabrication des tissus de coton et de laine de lama, d'alpaca,
de vigogne, le verre, les ustensiles et bijoux d'argent, les
parures et ouvrages en plumes fabriqués par les Indiens.
Le commerce, peu considérable, est rendu de plus en plus
difficile par l'absence de communications entre l'intérieur
des terres et la côte de l'océan Pacifique, et par la difficulté
qu'on éprouve à descendre les affluents supérieurs de l' Ama-
zone et du Rio de la Plata. Les exportations consistent
presque exclusivement en métaux précieux, cuivre, étain,
laine de brebis et de vigogne, peaux de chinchilla, casca-
rille, quinquina, drogues diverses, et guano depuis quel-
ques années. Elles ont lieu presque exclusivement par navires
anglais, français, et de l'Amérique du Nord. Le fer, la quin-
caillerie et les étoffes de laine, de soie, de lin, sont les prin-
cipaux articles importés. Le commerce avec l'Europe se fait
surtout par la côte de l'océan Pacifique, quelquefois par
Cobija ou Puerto-de-la-Mar, le seul port que possède la ré-
publique, mais le plus ordinairement par le port péruvien
d'Arica, de sorte que le commerce de la Bolivie ne figure
que très-rarement sur les tableaux de commerce des États
de l'Europe. Dans la dernière période décennale on suppose
pourtant qu'il s'est élevé à environ 15 millions de francs.
Les revenus publics ne dépassent pas 10 millions de francs,
les dépenses 9 millions à peu près, et la dette publique un
peu plus de 8 millions.
L'histoire de l'indépendance de la Bolivie se lie à celle du
Pérou; elle date du 1*'" avril 1825, jour de la victoire dé-
cisive remportée par les indépendants sur les Espagnols.
buénos-Ayres et le Pérou ayant déclaré qu'ils n'élevaient
aucune prétention sur ces provinces , Boli var, par un dé-
cret du 6 mai , les invita à se réunir en congrès pour adopter
librement la forme gouvernementale qui leur conviendrait
le mieux. Le congrès , assemblé dans la ville de Potosi , se
prononça le 6 août pour une république indépendante, qu'il
appela Bolivie, du nom de son libérateur. L'exercice des
cultes y est libre, piais la religion catholique est la domi-
nante ; il y a trois diocèses : rarchcvèché de Chuquisaca et
les «^véchés de La Pa/ et de Santa-Cruz. L'État possède une
université à Chuquisaca et plusieurs collèges. L'armée ne se
compose que do cinq mille hommes environ. Il j a six dépar*
tements : 1" Chuquisaca (89,000 kil. carrés, 175,000 âmes);
2° La Paz (104,000 kil. carrés, 300,000 âmes); 3° Oruro
(23,000 kil. carrés, 80,000 âmes); 4° Potosi (83,000 kil.
carrés, 200,000 âmes ) ; 5° Cochabamba ( 143,000 kil. carrés,
250,000 âmes); 6° Tarija ou Santa-Cruz de la Sierra (286,000 k.
carrés, 25,000 âmes). Excepté Cochabamba et Santa-Cruz,
dont les chefs-lieux sont Oropesa et San-Lorenzo, tous les
départements portent les noms de leurs chefs-lieux. Chacun
est subdivisé en provinces , et les provinces en cantons.
Voici les principales bases de la constitution : le gouverne-
ment est une république démocratique; la souveraineté ré-
side dans le peuple et est exercée par un corps électoral, un
corps législatif, un corps exécutif et un corps judiciaire; le
pouvoir exécutif est confié à un président à vie, à un vice-pré-
sident et à trois secrétaires d'État. Le corps législatif émane
directement des collèges électoraux nommés par le peuple.
Il se compose de trois chambres , celle des tribuns, celle des
sénateurs et celle des censeurs ; chaque chambre est composée
de trente membres; chaque législature dure quatre ans et
chaque session annuelle deux mois. La constitution garantit
à tous les citoyens la liberté civile , l'inviolabilité des per-
sonnes et des propriétés, et enfin tout citoyen a le droit de
publier ses pensées sans être astreint à aucune censure préa-
lable; seulement il demeure responsable des abus de celte li-
berté.
La Bolivie devait tout au grand homme dont elle s'était
donné le nom. Elle ne fut pas la dernière à se décharger du
poids importun de la reconnaissance. A peine Bolivar fut-il
de retour dans ses foyers, qu'elle abjura ce nom immortel,
brisa sa constitution , éloigna les troupes colombiennes qui
avaient reconquis son indépendance, et déclara la guerre à
la patrie de ses libérateurs. Cette première guerre fut bientôt
éteinte; mais l'ingratitude de la Bolivie ne contribua |t;i.>
peu à la mort de son illustre fondateur. Le grand maréchal
d'Ayacucho (général Sucre), qui avait rendu de grands ser-
vices dans la lutte de l'indépendance, et qui, élu président à
vie, n'avait consenti à accepter cette dignité que pour deu^
ans, fut forcé, en avril 1828, d'évacuer le pays avec les trou-
pes colombiennes. Un nouveau congrès, qui se tint le
3 août 1828, à Chuquisaca, remania de fond en comble la
constitution, et choisit pour président le grand maréchal
Santa-Cruz, qui refusa d'abord cet honneur. Velasco , qui
avait dans l'intervalle usurpé le fauteuil de la présidence ,
fut déposé par le congrès assemblé au mois de décembre de
la même année. On mit à sa place le général Blanco, qui fut
tué dans une révolte dans la nuit du l*' janvier 1829. Un
gouvernement provisoire (ut établi, qui offrit de nouveau la
présidence à Santa-Cruz. Le général l'accepta enfin, se
rendit à La Paz en mai 1829, et pacifia la république.
En 1831 Santa-Cruz promulgua le nouveau code qui
porte son nom; il mit de l'ordre dans les finances, et conclut
un traité de paix et de commerce avec le Pérou. Pour dé-
velopper l'agriculture, l'industrie, les sciences, il chercha
à attirer les étrangers par toutes sortes de faveurs ; et en ( 830
il fonda un ordre de la Légion d'Honneur. Depuis plusieurs
années, la Bolivie jouissait d'une prospérité croissante,
lorsque Santa-Cruz , qui avait nourri longtemps le projet de
former une confédération du Pérou et de la Bolivie, ayant
été pris pour arbitre entre les prétendants à la présidence du
Pérou , saisit cette occasion , et envahit les provinces sep-
tentrionales de ce dernier État. Dans un combat qu'il livra,
le 8 août 1835, près de Cuzco, il battit le général péruvien
Gamarra; et au mois de février suivant, ayant achevé la
conquête de tout le pays, il se fit reconnaître dictateur. Il
donna au Pérou septentrional et au Pérou méridional une
constitution qui laissait à chaque État son indépendance
dans les affaires intérieures , mais qui les soumettait l'un cl
l'aulre à un gouvernement central dont il fut proclamé le
chel' avec le titre de Protecteur. Cependant les progrès «1»
BOLIVIE -
conquérant éveillèrent la jalousie des Étals voisins, surtout
<lii Chili. Dès 183(; éclatèrent de nouvelles liostilités, qui,
longtemps suspendues, recommencèrent en 1837 et 1838, et
qui , après un nouvel armistice , se terminèrent, le 20 jan-
vier 1 839 , par la sanglante bataille de Yungay, où Santa-
Cruz (ut battu par les Cliiliens unis au général Gamarra, que
les vainqueurs appelèrent à la présidence du Pérou. Le gé-
néral Velasco, commandant de la Bolivie, se déclara aussi
contre Santa-Cruz et la confédération , et se fit reconnaître
président provisoire par un congrès assemblé à Chuqui-
saca, le 16 juin 1839. 11 s'empressa de conclure la paix avec
le Chili. Cependant Santa-Cruz s'était embarqué pour Guaya-
quil dès le 13 mars 1839; mais il avait laissé dans la Bo-
livie un grand nombre de partisans, qui ne tardèrent pas à
reprendre le dessus, en sorte que son administration fut
déclarée irréprochable par un décret jiarticulier du congrès.
Quelque temps après, son parti arrêta Velasco dans Co-
chabamba, et invita Santa-Cruz à reprendre la présidence ;
puis, comme il tardait à revenir, ses partisans s'unirent à
ceux du général Ballivian, qui fut élu à l'unanimité. Avide
(le profiter de ces dissensions, Gamarra envahit la Bolivie
dans rautoauie de 1841, occupa La Paz, et alla prendre po-
sition à 40 kilomètres plus loin, à Viacha; mais le 18 no-
vembre, son armée , forte de 5,'200 hommes, était taillée en
pièces par Ballivian , à la tète de 3,800 Boliviens, et il res-
tait lui-même sur le champ de bataille. A la suite de cette
victoire , Ballivian envahit le «^érou. Le 7 juin 1842 la paix
fut signée à Pasco, par la médiation et sous la garantie du
Chili , et les choses rétablies en l'état où elles étaient avant
le commencement des hostilités. Sur ces entrefaites, Santa-
Cruz, qui rêvait à Gunyaqnil aux moyens de ressaisir le
jKJuvoir, après avoir éclioué dans toutes ses tentatives pour
révolutionner le Pérou à son profit, osa, en 1844, entrer
dans la Bolivie; mais il fut arrêté dans les Cordillières et
livré au Chili, qui le soumit à une surveillance sévère. Balli-
vian , à son tour, ne put se maintenir, et se retira à Valpa-
raiso. Velasco, qui le remplaça, n'a pas su non plus jusqu'ici
rétablir la tranquillité. Dès la lin de 1848 l'ancien ministre
de la guerre Bel/.u se révoltait, et son exemple était suivi
par d'autres. Consultez d'Orbigny, Voyage dans l'Amérique
méridionale (2 vol., Paris, 1835), et Descripcion géogra-
pliica y csladistica de Bolivia (Paris, 1845, avec atlas);
r.osch-Spcncer , Statistique commerciale du Chili, de
la Bolivie, du Pérou, etc. (Bmxelles, 1848).
BOLLANDISTES, société de jésuites qui, de 1C43
à 1794, a publié à Anvers, à Bruxelles et à Tongerloo la
collection connue sous le nom d'Acta Sanctorum, et
contenant des renseignements sur tous les saints qu'honore
l'Église catholique romaine. Cette dénomination lui vient de
Jean Bolland (Bollandus), né en 1596,'àTirlemont, et mort
eu 1G65, le premier qui mit en œuvre les matériaux réunis
à cet effet par Héribeit Rosweyd, d'Utrecht. On compte parmi
les Bollandistes beaucoup d'hommes distingués, entre autres
Goltfried Henschen (né en 1600, mort en 1681), Daniel
Papebrock, d'Anvers (né en 1628, mort en 1714), Conrad
Janning (mort en 1723), Pierre Bosch (mort en 1736),
Suyskens (mortenl771), Hubens (morten 1782),Jos. Ghes-
quière (mort en 1802). Les deux premiers volumes de cette
œuvre colossale parurent en 1643. Us contiennent les vies
des saints du mois de janvier.
La suppression de l'ordre des jésuites, en 1773, eut pour
résultat la translation du siège de la société dans l'abbaye
des Augustius de Candenberg à Bruxelles, où elle continua
à travailler aux Acta Sanctorum, jusqu'au moment où les
persécutions de Joseph II amenèrent sa dissolution.
En 1789 l'abbaye des Préraontrés de Tongerloo entreprit
de mener à sa fin le colossal ouvrage. Mais le 53" volume
(6* du mois d'octobre) n'eut pas plus tôt paru, en mai 1794,
que l'occupation de la Belgique par une armée française eut
lK)ur résultat de mettre un terme à ces travaux. C'est tout
DICr. DE LA CONVERS. — T. III.
COLOGNE
393
récemment seulement , et sous les auspices du gouvernement
belge, qui a affecté à ce but une subvennon annuelle
de 6,000 fr., que s'est constituée une nouvelle société de
Bollandistes, qui en décembre 1845 a publié en deux parties
le 54^ volume de tout l'ouvrage (le 7^ du mois d'octobre,
contenant, entre autres, la vie de sainte Thérèse en 671 pages
in-folio). Cette société a pour chefs les Pères Boone, Van der
Moere , Coppens et Vanhecke.
La volumineuse collection des Bollandistes, quoiqu'elle
manque en général de critique, surtout dans les premiers
volumes, jouit dans le monde savant de l'estime la mieux
méritée. Elle a rendu d'éminents services pour l'éclaircisse-
ment et la connaissance d'une foule de points historiques du
moyen âge. Bossuet, qui en faisait beaucoup de cas, gémis-
sait, à son époque, de la voir proscrire en Espagne pour
complaire à la vanité des Carmes.
BOLOGNE (Bologna), en Italie, délégation de l'État
de l'Église, bornée au nord par celledeFerrare,à l'est par
celle de Ravenne , au sud par la Toscane , et à l'ouest par le
duché de Modène. On évalue sa superficie à environ 37 my-
riamètres carrés , et sa population à 366,000 habitants. On
y compte deux villes (Bologne et Cento), 21 bourgs et
371 villages et hameaux. Plusieurs ramifications des Apen-
nins s'élèvent dans sa partie septentrionale ; elle est arrosée
par le Silaro , le Panaro , le Reno , la Savena , et plusieurs
autres petites rivières , et entrecoupée en outre par diffé-
rents canaux qui y favorisent l'agriculture. On y récolte une
grande quantité de riz, du lin, de lliuile, du vin, du chan-
vre , du safran , etc. , et on y élève beaucoup d'abeilles et
de vers à soie. On y trouve aussi quelques carrières de
marbre et de gypse. L'extrême fertilité du pays répand
l'aisance parmi ses habitants , qui sont les mieux nourris et
les mieux vêtus de tout l'État de l'Église. Jusqulà ces der-
niers temps, cette délégation a été gouvernée par un cardinal-
légat chargé de l'administration civile, par un archevêque
dirigeant les affaires ecclésiastiques, par un gonfalonier eln
tous les deux mois et assisté de cinquante sénateurs et de
huit anciens choisis dans la bourgeoisie.
BOLOGNE, chef-lieu de cette délégation , est une grande
ville, riche et bien peuplée (72,000 habitants), située au
pied de l'Apennin, sur un canal auquel elle a donné son
nom , entre le Reno et la Savena. Elle a 95 kilomètres de
circuit et 15 de long, sur 7 de large, et jouit d'un climat
très-sain. Cest la résidence d'un cardinal-légat , d'un arche-
vêque, et le siège d'une cour d'appel. Cette ville, qui est
très-ancienne, offre quelques quartiers assez bien bâtis, des
rues larges, garnies de maisons presque toutes à trois étages,
qui forment des portiques assez sombres , mais très-com-
modes pour les piétons pendant les chaleurs de l'été. En
général , ses édifices publics se distinguent tout a la fois par
leur belle architecture et par leurs ornements. On remar-
que surtout le Balazzo publico, avec de belles fresques;
le palais du prince Eugène de Leuchtenberg , autrefois pa-
lais Caprara; la façade et l'escalier du palais Ranuzzi; les
deux tours inclinées des Asinelli et de la Garisende , dont la
première est d'une hauteur prodigieuse ( 102 mètres) et
d'une structure svelte et élégante, et dont la deuxième, haute
de 40 mètres, et plus remarquable encore, dévie de 2",5
à 2 "',8 de la perpendiculaire, tandis que la déviation de
l'autre n'est que de 1"',55. Viennent ensuite la cathédrale
de San-Petronio, de style gothique, où l'on voit la méri-
dienne tracée par Dominique Cassini; la magnifique église
des Dominicains, avec les tombeaux de Taddeo Popoii et du
loiEnzio; San-Stefano, San-Sepolcro , San-Salvatore, San-
Jlailino, San-Giovanni in Monte, San-Giacomo, qui toutes
possèdent encore des chefs-d'œuvre de l'ail ; la fontaine de
marbre, sur la Piazza Maggiore, ou place du Géant, œuvre
du célèbre sculpteur Jean de Bologne, ainsi que plusieurs
autres monuments. Bologne, de tout temps célèbre dans
. les aiuiales des sciences et des beaux-arts, possède ur.ft
50
394
université fondée , dit-on, en 425, par l'empereur Tliéodose
le jeune. La faculté tle droit, illustrée au douzième siècle
par Iriicrius, jeta longtemps un vif éclat. Aujourd'hui encore
cette université, quoique bien déchue de sa splendeur passée,
est une des meilleures de l'Italie; c'est à peine si elle compte
trois cents étudiants après les avoir comptés par milliers.
Le collège (Ici Dotti tient aussi ses séances à Bologne. On
y remarque encore l'édifice de lo Studio; le musée de l'Ins-
titut, plein de productions rares de la nature et des arts, et
dont la bibliothèque, riche de 150,000 volumes et de 1,000
manuscrits, possède entre autres les autographes de Mar-
sigli, le fondateur de l'Institut des Sciences. Cet institut,
fondé en 1714, tomba dans une décadence complète à la suite
des guerres du siècle dernier; mais Pie VIII, suivant en cela
les intentions de son prédécesseur Léon XII , le rouvrit
en 1829, et depuis 1834 il a déjà publié divers ouvrages.
Marsigli contribua aussi à l'établissement d'un observatoire,
d'un amphithéâtre d'anatomie, d'un jardin de botanique, et
d'autres collections scientiliques. Outre son université, Bo-
logne possède plusieurs acadéuues , une école d'artillerie et
une école d'ingénieurs, un collège espagnol, une école de
médecine et de chirurgie, une Société Philharmonique, une
Société d'Agriculture , et depuis 1816 une Société socra-
tiqtie pour l'avancement du bonheur social , société de-
venue suspecte de carbonarisme en 1821. L'Académie des
Jîeaux-Arts, appelée aussi Académie Clémentine, du nom
de son fondateur le pape Clément XIII, a rassemblé les
chefs-d'œuvre de l'école bolonaise , créée au seizième siècle
par Caracci, Guido Reni, Domenichino, Albano, etc., ainsi
([ue ceux de l'ancienne école byzantine ; on y a joint une école
»le peinture. Indépendamment de cette précieuse galerie , qui
s'est enrichie en 1815 de toutes les richesses enlevées par
les Français aux églises et aux couvents de la ville pour éti c
transportées à Paris et à Milan , Bologne montre encore aux
étrangers plusieurs collections d'objets d'arts, comme les
galeries Marescalchi , Marlinengo, Ercolani, Zambeccaii,
Lambertini, Tanari, Caprara, Baccioclii. Le vénérable
hôtel de ville, situé sur la principale place, contient aussi
de véritables richesses , entre autres la collection des manus-
crits d'Aldrovandi. Des trois théâtres de Bologne, le plus
vaste est le théùtre Zaproni; mais le plus beau est le Nou-
veau Théâtre, sur la promenade du Rempart.
Le macaroni de Bologne, ses saucissons, ses liqueurs,
ses fruits conlits, ses fleurs artificielles et ses savons par
fumés jouissent d'une grande réputation.
Les Bolonais sont industrieux , d'un caractère franc, gai
et tranquille, courageux dans leurs entreprises, aimant les
spectacles, comme tous les Italiens. Les femmes sont ai-
mables et plus gracieuses que belles. La campagne aux en-
virons est fertile, bien cultivée et d'un aspect assez riant.
A une demi-lieue de la ville s'élève sur une colline des
Apennins le couvent de la Madona di San-Luca, lieu de pè-
lerinage fameux, auquel on arrive par une galerie de six cent
cinquante-quatre arcades. Une autre galerie conduit au
Campo-Santo, que ses arcades spacieuses et bien éclai-
rées, ses nombreux monuments funéraires, ses vertes pe-
louses font regarder à juste titre comme le cimetière le plus
magnifique de l'Italie. C'est d'une montagne voisine, du
mont Paterno, que l'on tire la barytine, ou spath pesant
des anciens minéralogistes, vulgairement appelé pierre de
Bologne {voyez Sulfate).
Bologne existait, dit-on, longtemps avant Rome. Elle
joua un rôle très-important sous les Romains. Plus tard ,
elle fit partie de l'exarchat. Les Lombards la conquirent,
puis la cédèrent aux Francs, et Charleniagne la déclara
ville libre. Au douzième siècle elle acquit une si grande puis-
sance qu'elle osait alors braver l'empereur lui-même. Les di-
visions de la noblesse amenèrent dans le treizième siècle la
ruine de la répid)lique. Longtemps les lamillles Geremei,
Lainbtrlaui, l'cpoli, Bentivoglio, etc., s'y disputèrent le
BOLOGNE
pouvoir, jusqu'à ce que, en 1513, les papes, qui n'avaient
cessé de réclamer la suzeraineté sur Bologne , les mirent
d'accord en les soumettant. Devenue le chef-lieu d'une dé-
légation , Bologne resta en possession de nombreux privi-
lèges , qu'elle ne perdit qu'à l'époque de l'occupation fran-
çaise.
Le 19 juin 1796 les Français entrèrent dans Bologne , et le
pape dut la leur c«der par le traité de Tolentino. Elle fut alors
réunie , ainsi que son territoire, à la république Cisalpine.
En 1799 les Autrichiens s'en emparèrent; mais en 1800,
après la bataille de Marengo, elle retomba au pouvoir delà
France , qui en fit le chef-lieu du département du Reno. En
1815 elle rentra sous l'autorité du i)ape. En 1821 , comme
centre de l'Italie confédérée , elle fut le principal loyer de
l'insurrection républicaine qui éclata le 4 février, et s'étendit
rapidement jusqu'à Ancône. Le cardinal-légat s'enfuit, et un
gouvernement provisoire fut installé à sa place. La prompte
intervention des Autrichiens sous les ordres du général
Frimont comprima en peu de jours cette révolte, et remit Bo-
logne sous l'autorité du pape; mais de nouveaux troubles
eurent lieu le 21 décembre 1831 , et renversèrent encoi-e
une fois le gouvernement pontifical. Cette fois encore l'in-
tervention autrichienne rétablit la tranquillité dès le mois de
janvier 1832. En 1843 les vexations des employés de l'oc-
troi ayant excité des murmures et de l'agitation dans la Ro-
magne, on envoya à Bologne une commission militaire ex-
traordinaire, qui ne négligea vien pour édifier une conspira-
tion politique. Une foule de Bolonais furent jetés en prison ,
d'autres s'enfuirent dans les montagnes. Le mécontentement
était à son comble lorsque Pie IX monta sur le trône.
Quoique Rome fût à la tète du mouvement politique dans
les États de l'Eglise, Bologne n'en prit pas moins une grande
part à la révolution de 1848. Aucune ville ne fournit plus de
volontaires à l'armée de l'indépendance italienne ; et , le
8 août, un corps autrichien ayant essayé de s'en emparer par
un coup de main , il fut obligé de battre en retraite avec
perle devant un soulèvement en masse de la population. Mais
plus tard, le 8 mai 1849, lorsque, après avoir signé la paix
avec la Sardaigne, les Autrichiens, du consentement du pape,
se présentèrent de nouveau devant la ville, Bologne, qui
avait résisté pendant huit jonrs et souffert le 16 mai un
bombardement, au total assez peu meurtrier, dut ouvrir ses
portes et recevoir dans ses murs les troupes du général Gorz-
kowsky. Depuis cette époque elle est placée, comme toute
la Romagne , sous le régime de l'état de siège. Le comman-
dant du second corps d'armée, qui occupe les Etats du pape
et la Toscane, y a établi son quartier général.
B0L0G1\E ( Jean de). Ce célèbre sculpteur, naquit à
Douai, en 1524. C'est donc une de nos gloires nationales,
quoique le nom de la ville où il s'était établi , et qu'on lui
donne ordinairement , ait fait croire à quelques biographes
qu'il était Italien. Ce qui a pu contribuer à répandre cette
erreur, c'est que Jean de Bologne s'appliqua à imiter la
manière de Michel- Ange, dont il sut mettre à profit les
conseils et les leçons.
Les ouvrages de Jean de Bologne décèlent généralement
d'exactes connaissances anatomiques. Parmi les plus re-
marquables par la chaleur et l'aisance de l'exécution , on
cite le Soldat romain eiilevaut une Sabine, groupe qui
orne la grande place de Florence. Dans la même \i\h deux
statues colossales, un Aeptune et le Jupiter pluvieux,
attestent la hardiesse du ciseau de l'artiste. Les figures et les
accessoires en bronze de la fameuse fontaine de la place
Majeure, à Bologne, sont encore de lui. Gènes et Venise pos-
sèdent aussi plusieurs de ses ouvrages. On admire encore à
Rome lu statue qu'il y exécuta pour la maison de plaisance
de Médicis : c'est le Mercure, chef-d'œuvre de légèreté, dont
on a fait de nombreuses copies.
La France a aussi sa part des œuvres de ce statuaire :
Meudon possède un Esculape de Jean de Bologne, ut Vw-
BOLOGNE — BOMBARDE
395
«ailles un groupe de VAmottr et Psyché. Enfin, l'ancienne
statue équestre de Henri IV, qui était placée sur le Pont-
Neuf, et qui fut détruite pendant la révolution, avait été com-
mencée par Jean de Bologne , et fut achevée par son élève
Taffa.
Jean de Bologne avait atteint l'âge de quatre-vingt-quatre
ans sans abi.ndonner le travail, lorsqu'il mourut, en 1608.
BOLOGIXESE (II). Voyez Grimaldi.
BOLONAISE ( École ). Voyez École de peinture.
BOLTON , surnommé le Moors , pour le distinguer de
plusieurs autres localités du môme nom , n'était autrefois
qu'un bourg sans importance , situé au milieu d'une contrée
marécageuse , dans le comté de Lancaster , au nord-ouest de
Manchester. Aujourd'hui c'est une ville de fabrique , qui
compte environ 98,000 habitants, La rivière du Croal la
divise en deux parties , le Grand-Bolton et le Petit-Bolton.
Elle est bien bâtie, possède des halles, un théâtre, etc. , et
est mise en communication avec le canal de Liverpool par un
chemin de fer, et avec Manchester, depuis 1791 , par le canal
de Bolton. Les riches mines de houille et les vastes fonderies
qui se trouvent dans le voisinage ont contribué pour leur
part à donner aux manufactures de coton dont cette ville est
le principal centre depuis 1756, un développement tel que
clraque année il s'y fabrique six millions de pièces de mous-
seline. C'est à Bolton que fut inventée par Thomas Highs,
ou, selon d'autres , par James Hargreaves, la machine à hier
( the spinning-jenny ) , qui s'est introduite partout avec les
perfectionnements de sir Richard Arkwright; et c'est là
encore qu'un tisserand, Samuel Crompton, a inventé la
niule-jenny. Les manufactures de laine y furent introduites
en 1337 par des réfugiés flamands, et la population indus-
trielle s'y accrut considérablement depuis la révocation de
l'édit de Nantes par l'arrivée d'un grand nombre de protes-
tants h-ançais. Bolton a joué aussi un rôle dans la guerre
de la révolution anglaise. Le comte de Derby y fut décapité
en 1651 , parce qu'il avait proclamé roi Charles II.
BOLZAIVO. Voyez Botzen.
BOLZAJVO ( Bernard ) , philosophe et théologien , na-
quit à Prague, le 5 octobre 1781. L'étude des sciences ma-
thématiques, auxquelles il s'était appUqué de bonne heure,
exerça une influence notable et sur le développement de son
esprit et sur sa méthode philosophique. A l'âge de vingt-
quatre ans il était déjà docteur en philosophie , prêtre et
professeur de théologie à l'Université de Prague. Il ne man-
qua pas d'ennemis puissants, qui le menacèrent de destitu-
tion, sous prétexte qu'il enseignait d'après le catéchisme
de Schelling. Toutefois, l'archevêque de Salm l'ayant pris
sous sa protection, il conserva ses fonctions jusqu'en 1820,
répandant les bienfaits de ses lumières sur un nombreux et
ardent auditoire. Mais à cette époque de réaction générale
il ne fut pas seulement expulsé de sa chaire , des mesures
adoptées par la police à son égard enchaînèrent en outre son
activité littéraire. On alla même jusqu'à l'inquiéter dans les
relations qu'il entretenait avec ses amis et ses disciples.
Depuis lors jusqu'au mois de novembre 1841 Bolzano
▼écut retiré dans une famille amie, occupé de la révision
de ses nombreux écrits. Il mourut le 18 décembre 1848. De
l'aveu unanime de tous ceux qui le connurent, Bolzano
était un homme aimable et instruit. Maladif dès sa naissance ,
il sut vaincre les obstacles que lui opposait une santé débile
par l'énergie d'une volonté prête à tous les sacrifices; per-
sécuté par un clergé tout-puissant et naturellement hostile
à ses idées , il continua sa route sans laisser échapper un
mot d'amertume contre ses ennemis, dans l'espoir d'être
utile à son église et à sa patrie, en renversant de vieux pré-
jugés pour y substituer des idées plus justes. Son caractère
et son éducation faisaient prédominer en lui la raison ; cepen-
dant, et notamment dans ses Discours d'édification à la
jeunesse académique (2* édition; Sulzbach, 1839, aux-
quels on a ajouté trois livraisons de supplément après la
mort de l'auteur ) , il a prouvé que le sentiment ne lui était
pas étranger.
Nous mentionnerons ici, comme les principaux de ses
ouvrages : Athanasia, ou Preuves de l'Immortalité de
l'Ame (2* édit. , 1838 ) ; Traité de Théologie ( 4 vol. , 1834 ),
publié par ses disciples , ouvrage dans lequel l'auteur exa-
mine la rationalité de chaque dogme et son utilité morale ;
et surtout sa Logique ( 4 vol. , 1837 ). Dans ce dernier ou-
vrage, Bolzano part de la différence entre l'idée en soi et
l'idée conçue. Selon lui , le but de la philosophie consiste à
examiner l'idée en soi, comme principe et comme objet
éventuel de l'idée conçue , et de rechercher la filiation des
idées ou vérités objectives. Il est parti du même principe
dans son Traité d' Esthétique (1 vol., Prague, 1843-1849),
ainsi que dans un petit écrit posthume qui a été publié sous
ce titre : Qu'est-ce que la Philosophie? ( Vienne , 1849 ). A
ces ouvrages nous ajouterons encore le Cçurs abrégé de
Religion chrétienne catholique comme véritable révéla-
tion divine ( Bautzen , 1840 ) ; le Petit Livre d'Édification
(Vienne, 1850 ).
BOMBANCE, expression familière, qui ne s'emploie
guère que dans l'acception de repas , de festin abondant et
plantureux : faire bombance, c'est tenir table ouverte, s'a-
donner aux plaisirs de la table , ne vivre en quelque sorte
que par eux et pour eux. « On peut, disait en 1704 le Dic-
tionnaire de Trévoux , se servir encore de ce mot, pourvu
que ce soit enriant, en goguenardant, ou en imitant le langage
que l'on parlait il y a cent ans. » Il faut bien que ce terme
ait été réhabilité depuis, car il est encore fort usité aujour-
d'hui, cent cinquante ans apiès la restriction faite par les en-
fants de Loyola. Il est même en honneur dans un certain
monde, dans la classe de ceux que l'on a qualifiés ou qui se
sont qualifiés eux-mêmes de viveurs.
Gardez-vous toutefois de confondre la bombance et l'or-
gie. Celle-ci, folâtre et débraillée, pétille de jeunesse et
perd aisément la tête. Celle-là , d'un âge plus mûr, conscn'e
imperturbablement la sienne, sauf à desserrer gravement,
au besoin, la boucle de son gilet. Ce n'est point une bac-
chante échevelée ; c'est un sage de la Grèce , à barbe grise ,
dissertant inter pocula; esprit bien moins gourmet que gas-
tronome, professant à fond la physiologie du goût, et
n'ayant pour bréviaire que le chef-d'œuvre de Brillât-Sava-
rin sur cette transcendante matière.
BOMBARDE (Artillerie), ancienne arme, premières
bouches à feu. Voyez Artillerie et Canon, tome IV, p. 365.
BOMBARDE, BATEAU-BOMBE, GALIOTE A BOM-
BES (JJfflrJne). Depaisles premières bombardes, inventées
par Renau d'Eliçagaray pour réduire Alger, cette merveil-
leuse conception , dont le vieux Duquesne n'espérait pas
grand'chose , a subi bien des modifications et a cessé d'é-
tonner les marins. Aujourd'hui avec im mortier et quelques
planches ils transformeraient aisément la plus mauvaise
barque en bateau-bombe , sans qu'ils s'imaginassent pour
cela exécuter un travail prodigieux. Mais le beau temps des
bombardes, quelque perfection que l'on ait pu donner à ce
genre de navires, est passé sans retour. Le canon seul
semble être devenu assez fort pour réduire les positions et
les places que les vaisseaux de ligne peuvent approcher à
demi-portée de boulet.
Les bombardes, construites spécialement pour recevoir
un mortier, sont des bâtiments à fond plat, doublés en forts
bordages, croisés diagonalement, et non soutenus, comme
dans les autres constructions, par des varangues ou de l.i
membrure. Cette disposition particulière des bombardes a
pour but de ménager à tout le système selon lequel elles sont
construites l'élasticité nécessaire à des bâtiments soumis à
l'ébranlement terrible de l'artillerie. Le fond plat que l'on
donne à la coque a pour but d'assurer à ces navires plus de
stabilité et de leur donner le moins possible de tirant d'eau.
Le puits sur lequel doit êtie posé le mortier s'élève de la
SOrî
BOMBARDE ~ BOMBARDEMENT
calle du navire jusqu'au pont , ou tout au moins jusqu'à
«ne petite distance an-dessous du pont. On a soin pour for-
mer la base de ce puits de placer sur la carlingue, et d'un
bord à l'autre du vaigrage , de fortes pièces de bois ca-
pables de supporter la pesanteur de l'appareil. Le puits,
qui n'est autre chose qu'un prisme rectangle, se constmit
avec de fortes planches de chêne; on le comble dans le sens
de sa hauteur et de sa largeur, en superposant des couches de
tronçons de câble et de feuillards les uns sur les autres ,
afin de donner à tout ce système l'élasticité nécessaire. Une
fois le puits disposé de manière à recevoir la pièce d'artille-
rie, on pose la base du mortier sur la plate-forme. Dans les
petites bombardes, cette plate-forme est quelquefois mobile,
et celte disposition permet à la bombarde de tourner, sans
([u'elle ait besoin de se mouvoir elle-même, la gueule du
mortier vers le point sur lequel on se propose de diriger le
projectile, tandis qu'à bord des frégates ou des gabares ar-
mées en l)()inb;\rdes , le mortier étant fixé invariablement sur
sa plate-forme, il devient indispensable de manœuvrer de
manière à mettre le navire en position de diriger son feu
dans le sens de la position du mortier placé à poste fixe.
Dans quelques bombardes, la plate-forme, au lieu d'être
sontcnne par un puits composé ou rempli de fascines, se
trouve posée tout simplement sur de très-fortes épontilles
croisées, qui n'offrent pas, comme supports, autant d'élas-
ticité ou de jeu que les puits comblés avec des tronçons de
filain et des paquets de feuillards.
Dans le temps des flottilles réunies àFlessingue et à Bou-
logne , on arma un grand nombre d'embarcations en bom-
bardes, et on leur donna le nom de bateaux-bombes. Cha-
cun de ces bateaux portait un seul mortier. Quelques-uns
étaient pourvus d'un mât de misaine à bascule, qui s'abat-
tait à volonté pour donner au projectile lancé parle mortier
la facilité d'ôtre dirigé par l'avant dans le sens de la lon-
gueur du bâtiment. C'est entre le grand mât et le mât de
misaine qu'à bord des forts bâtiments on place le mortier
ou les mortiers qui forment l'artillerie principale des bom-
bardes. Lorsqu'une bombarde de grande dimension est
: pourvue de deux mortiers, l'une de ces pièces donne sur le
côté de tribord, l'autre sur le côté de bâbord; toutes deux
quelquefois donnent sur le même bord, même alors que la
plate-forme ne se trouve pas mobile.
La dénomination àagalïotes à bombes, qui s'est perdue,
indique encore assez quelle fut la construction des pre-
mières bombardes que l'on employa en mer. C'étaient des
galiotes dites hollandaises , bâtiments très -solides et à fond
cntièi«ment plat. Si depuis on a conservé aux constructions
nouvelles une partie des conditions des premières galiotes,
on a du moins beaucoup modifié ce genre de construction.
Les dernières bombardes spécialement destinées à porter des
mortiers étaient faites de manière à manœuvrer et à marcher
très-bien , et môme à entreprendre de longs voyages au mi-
lieu des expéditions auxquelles elles devaient coopérer. Aux
premiers temps de l'emploi des mortiers dans la marine ,
on construisit en maçonnerie les puits destinés à supporter
la plate-forme ; plus tard , on substitua le bois de char-
pente à la maçonnerie.
Les mortiers employés dans la marine militaire pour le
bombardement sont coulés d'un seul bloc avec leur plate-
forme. L'angle fixe formé par la direction du mortier et sa
plate-forme est de 45°. L'âme du mortier a environ deux
fois et demie la longueur du calibre de la pièce. Une plus
grande dimension exposerait la bombe à se briser dans l'ex-
plosion. On emploie jusqu'à 14 a 15 kilogrammes de pondre
à la charge des gros mortiers. La détonation de ces énormes
pièces est si forte et produit à bord une si terrible commo-
I ion , que les gens de l'équipage des bombardes , et surtout
les hommes qui servent le mortier, sont obligés de se bou-
cher les oreilles avec du coton , pour prévenir les homoirha-
^ics ou les effets de surdité qui résultent i^'ielquctois, malgré
cette précaution , de la détonation des mortiers placés à bord
des bombardes. Edouard Corbière.
On donne aussi, mais par abus du mot, le nom de bom-
bardes à quelques bâtiments marchands des ports de la Mé-
diterranée. Cette dénomination s'applique dans le Levant
aux navires que nous désignons dans le Nord sous le nom
de trois-mûls.
BOMBARDEMENT , mot dont l'origine appartient
au mot bombarde, et dont l'emploi se rapporte au mot
bombe. C'est l'opération par laquelle se termine le plus or-
dinairement le siège d'une place qui ne veut pas se rendre.
Elle consiste à lancer une multitude de bombes sur les éta-
blissements militaires de l'assiégé pour le mettre hors d'état
de prolonger sa défense ; mais dans les places dont l'inté-
rieur est habité par une nombreuse population , les maisons
particulières ont souvent à souffrir du jet des bombes, qui
les écrasent et les ruinent : aussi n'en vient-on jamais à cette
extrémité qu'après avoir fait une sommation au comman-
dant de la place et l'avoir averti que tout est prêt pour le bom-
bardement. Le refus de rendre la ville est aussitôt suivi d'untî
nombreuseprojectiondebombes, chargées de poudre et de
matières inflammables qui embrasent les bâtiments écrasés.
Les bombardements des grandes villes sont un moyen
rigoureux et impolitique , puisqu'ils frappent sur des non-
combattants, font la guerre aux citoyens plus qu'aux sol-
dats, exaspèrent les peuples , et nationalisent la guerre; il
n'était cependant que trop commun jadis de voir des assié-
geants ou des forces navales se porter à cette extrémité , en
vue de hâter la reddition d'une place, de désoler un pays.,
d'en châtier la population , d'en ruiner le commerce , les
étabhssements , les approvisionnements. Les exemples des
attaques par bombardement sont heureusement devenus plus
rares dans les guerres modernes : les Français ne sont pas
le peuple qui goûte le plus ce moyen .D'Arçon, qui écrivait
en 179G, pense que militairement un bombardement est
de peu d'effet contre les places fortes; il foudroie des h;:-
bitalions, mais il est bravé par la garnison, si clic est
aguerrie, et elle en évite en partie le danger en recourant
aux blindages , ou en se retirant dans les casemates.
Gênes fut bombardée en 1684 par Seignelay, fils de Col-
bert. Le maréchal d'Estrées, en 1685, bombarda Tripoli :
celte ville éprouva de nouveau le même sort en 1728 et
en 1747. Prague fut bombardée en 1759; mais ce fut sur-
tout le défaut de vivres qui en amena la reddition. En 1793,
Lille, Lyon, Mayence; en 1794, Menin, Valenciennes ,
Le Quesnoy, Ostende, Nieuport, L'Écluse, subirent un bom-
bardement : quelques-unes de ces villes résistèrent , telles
que Lille, Mayence, etc.; d'autres succombèrent, mais ce
tilt par suite d'une complication d'événements secondaires.
A des époques plus modernes, Dieppe, le Havre, Honlleur,
ont été bombardés.
Les Anglais et les Autrichiens ont pratiqué les plus ter-
ribles et les plus nombreux bombardements. Ils sont par-
tisans de ce système. Aussi les fusées de guerre, puissant
auxiliaire du bombardement, ont-elles été remises en hon-
neur par l'un de ces peuples, et perfectionnées par l'autie.
Napoléon n'était point pour ce genre de guerre. Les Français
ne la pratiquèrent point en Espagne ; il ne fut jeté de bom-
bes à Smolensk que sur des points où les troupes russes
statioimaient. La guerre de 1832 n'a consisté pour ainsi dire
qu'en un bombardement, mais ce fut un bombardement i\f
forteresse et non de ville, ce qui est fort différent. Vingt- .
cinq mille bombes furent alors lancées contre la citadelle
d'Anvers, ce qui n'avança pas sensiblement la reddition de
la citadelle. G^' Cardin.
C'est surtoutdans les guerres civiles que le bombardement
est un acte injustifiable , odieux , auquel la raison répugne,
et que riuimanité, d'un commun accord, devrait proscrire
de partout sur la tene, d'autant plus qu'on a surabondam-
ment reconnu que c'était un moyen complètement inutil*;,
à
BOMBARDEME.NT — BOMBE
397
ft que jamais il n'avait réussi à faire capituler cinq minutes
plus liM une ville assiégée. A quoi bon dès lors cette destruc-
tion sauvage de monuments et de chefs-d'œuvre? A quoi
bon ce massacre sans but de tant d'innocentes victimes?
Quel cœur n'a frémi dans ces derniers temps aux récits
lamentables des bombardements de Barcelone , de Vienne ,
de Venise et de Palerme?
BOMBARDIER. Ce mot a signiflé primitivement un
militaire manœuvrant la bombarde (voye^ Artillerie), et
plus tard celui qui manœuvre le mortier. Aussi Furetière
prétend-il que depuis l'invention de la bombe on aurait
dû préférablement employer le terme de bombier ou bom-
biste. Louvois réunit en t668 les bombardiers, jusque là
épars à la suite de Tannée française, et presque tous Italiens.
Il en forma en 1671 deux compagnies régimentaires , qui
furent augmentées en 1684, et formèrent en 1686 le régi-
ment royal des bombardiers, qui était de quatorze com-
pagnies. Ce genre d'arme fut réuni en 1720 à Tartillerie ; et
aujourd'hui tout canonnicr doit être au besoin bombardier.
Dans les batteries de mortiers on distingue les artilleurs en
bombardiers et en servants.
Longtemps, dans les ports de guerre, on a désigné par
le nom de bombardiers les hommes composant les compa-
gnies d'élite de l'artillerie de marine, correspondant à celle
de grenadiers dans l'infanterie de Ugne et de carabiniers dans
l'infanterie légère. Les bombardiers sont des corps spéciaux
plus ou moins ressemblant à notre artillerie dans les milices
autrichienne, prussienne, turque, brésilienne et haïtienne.
BOMBARDIERS {Entomologie). Sous ce nom La-
treille avait réuni quelques genres d'insectes coléoptères de
la famille des carabiqiies, savoir : les brachines, les
cimydes, les tébies, les agrès et les odacanthes, parce
que tous ces animaux ont im moyen singulier de défense ,
qu'ils emploient lorsqu'ils sont en danger : ils font alors
jaillir de leur anus un fluide vaporeux, caustique, en pro-
duisant une détonation.
BOMBASIN , futaine à deux envers , double et croisée,
espèce de basin double, qui est lait de lil et de coton
croisés.
On donne aussi ce nom, dans le commerce, à une sorte
d'étoffe de soie dont la manufacture a passé de Milan dans
quelques villes de France, telles que Lyon.
BOMBAY (en portugais i?oa-i?a/tJa , bonne baie), chef-
lieu de la présidence du même nom et la première place de
commerce des Indes après Calcutta , est bftlie dans un pays
ravissant, mais insalubre. Fondée par les Portugais, à
1680 kilomètres sud-ouest de Calcutta, 1000 nord-ouest de
Madras et 250 sud de Surate, elle compte aujourd'hui plus
de 180,000 habitants, dont les trois quarts sont Hindous. Le
reste de la population se compose de Parses, de Musulmans,
(lui habitent un faubourg appelé la Ville Noire, d'environ
quatre mille Juifs, d'Arméniens, de Portugais , etc. Bombay
possède un bon port, de beaux docks et de superbes chan-
tiers. Bâtie sur l'île du môme nom , qu'une chaussée cons-
tiuite par les Anglais unit à l'ile de Salsette , elle a en face
a'ellc une autre île , du nom de Colabba, qui n'en est séparée
que par un canal étroit. Bombay est défendue du côté de la
mer par une citadelle construite à la pointe sud-est de l'île.
Une grande partie de la ville ayant été détruite par un in-
cendie en 1803 , on l'a rebâtie avec beaucoup de goût. Le
grand marché, appelé Le Vert ( The Green ) , est entouré de
bâthnents magnifiques , parmi lesquels se distinguent par
leur belle architecture l'église anglicane et le palais du gou-
verneur, autrefois collège des jésuites. Le nombre des mos-
quées et des pagodes est considérable, et quelques-unes peu-
vent passer pour de beaux monuments. Bombay possède
une école supérieure, le collège d'Elphinstone, un riche jar-
din botani(|ue, pour l'embellissement duquel le gouverne-
ment fait de grandes déi)enses, plusieurs écoles, une société
asiatique , une société littéraire, une société de médecine et
de chirurgie, fondée en 1835, une société de géographie qui
publie des mémoires , une société des missions , qui entre-
tient depuis 1S14 une imprimerie et des écoles de garçons
et de filles ; enfin plusieurs hôpitaux, non pour les hommes,
mais pour les animaux. Le commerce, dont s'occupent prin-
cipalement les Parses, est très-étendu. Les principales af-
faires se font en coton et en poivre. Les bazars offrent un
assortiment complet de toutes les productions de l'Orient et
de toutes les marchandises de l'Europe.
Bombay est le centre des communications par bateaux à
vapeur entre l'Europe et les Indes , la station des paquebots
réguliers pour Suez et l'entrepôt le plus considérable du
commerce de l'Orient après Calcutta et Canton. C'est après
Madras la plus ancienne possession des Anglais dans l'Inde.
Cédée par les Portugais en 1661, elle fiit donnée en 1668 à
la compagnie des Indes Orientales.
BOMBAY (Présidence de), une des quatre présidences
de l'Inde Britannique, sur la côtn occidentale de la pre,s-
qu'ile en deçà du Gange, comprend, avec ces possessions
immédiates, une superficie de 1770 myriamètres carrés et
une population de 12 millions d'habitants , hindous, maho-
métans, parses, juifs et européens. Elle embrasse toute la
plaine marécageuse qui entoure de golfe de Cambaye, court
au sud sur une étroite lisière de côtes basses , s'élève au
nord sur les flancs escarpés des Chattes occidentales, et s'é-
tend à l'est sur les plateaux de Darwar et d'Aurangabad.
Elle offre au nord le cours inférieur et les embouchures du
Nerbadda et du Tapti , au centre les sources du Godavery, au
sud le cours supérieur du Krischna ou Kistna. Dans ces con-
trées les principales productions de la nature consistent en
poivre , cardamome , riz , coton , arak , bambou , huîtres per-
lières , perles , cornahnes, bois de sandal , ivoire , gomme et
bois de construction. Le siège du gouvernement, qui avait
été établi d'abord à Surate, fut transféré à Bombay en 1686.
La politique des Anglais a pour but de faire de Bombay le
centre de nombreux établissements, nommément dans le
golfe Arabique, où ils puissent mettre à l'abri de petites es-
cadres pour la protection de leur commerce contre les pi-
rates.
BOMBAY (Ile de). Cette île, située par 18° 56' de lati-
tude septentrionale et 90° 38' de longitude orientale, con-
siste en deux couches parallèles de serpentine, et n'e.st sépa-
rée du continent que par un faible bras de mer. Elle est
petite (environ 20 kilom. de long, 35 de circonférence), sté-
rile, et peuplée d'environ 200,000 habitants, qui vivent dans
deux villes et quelques villages. Un des princes indiens qui
régnaient à Salsette la céda aux Portugais en 1530 , et Ca-
therine de Portugal la porta en dot, en 1661, au roi d'Angle-
terre Charles II.
BOMBE , ou boulet à feu , ou pierre à feu. Le mot
bombe est d'une création bien postérieure au substantif boni ■
barde (i;oyei Artillerie); il est maintenant en rapport
avec le verbe bombarder, qui originairement exprimait le
jeu de la bombarde, et non de la bombe : il provient du grec
moderne pô[j.oo;, qui, à ce que prétendent quelques savants,
représente, par onomatopée, la double explosion qui a lien
dans le tir de ces projectiles. Les Chinois connaissent depui.s
fort longtemps l'usage des globes projectiles creux en fer ; ils
les faisaient éclater à une distance de plus de deux mille pas,
suivant le témoignage du père Amiot, qui écrivaiten 1782 :
peut-être obtenaient-ils orginairement cet effet par une ap-
plication ou une modification du système qu'on a nommé
feu grégeois.
La bombe de la milice française, inventée bien dessièck'.>
après celle des Chinois, a de l'analogie avec les aslioches ,
les fabriques, les malléoles de l'antiquité , et surtout de Bj-
zance, et avec certains corps projectiles du moyen âge, qu'où
nommait engins volants. C'est une sphère creuse, en fonte
de fer, percée d'un trou nommé œil, par lequel on intro-
duit la charge de poudre, et qui est destinée à recevoir ui.e
898
BOMBE
fusée remplie d'une composition assez lente pour donner à
la bombe le temps d'arriver au but avant d'éclater. Elle est
garnie de deux anses , placées de chaque côté de l'œil , et
dans lesquelles passe un anneau de fer forgé pour en facili-
ter la manœuvre lorsqu'on la place dans le mortier. La bombe
doit être sans soufflure ni évent; sa paroi est plus mince du
côté de la lumière et plus renforcée en métal du côté op-
posé, nommé cw/o<; cette différence détermine, au terme
de la projection , la chute sur le culot , et non sur l'ampou-
lette ou fusée.
Le bombardier lance sa bombe à l'aide d'un mortier, et
la dirige à tir courbe , conformément à certaines règles de
la balistique. Quelquefois on a lancé des bombes sans le se-
cours d'un mortier : ainsi l'ont fait les Polonais. Les bombes
se brisent en éclats par un résultat de l'inflammation que
à travers l'œil la fusée communique à la charge. On s'est
servi dans les sièges de bombes destinées à éclater, et nom-
mées bombes foudroyantes ; d'autres étaient destinées seu-
lement à éclairer, et s'appelaient bombes flamboyantes. On
a quelquefois lancé , par jet alternatif , des bombes et des
carcasses. Quelquefois des corps attaqués ont employé des
bombes à la défense d'un poste fermé, en les enterrant sur
le front des attaques , et en les faisant sauter comme autant
de fourneaux, à mesure que l'attaquant gagnait du terrain.
Ces fougasses portatives, et les autres manières dont les mi-
neurs emploient les bombes, rappellent tout à fait la mé-
thode des mines chinoises. Des assaillants se sont aussi ai-
dés de bombes d'attrape , chargées de sable ; les assiégeants
les tiraient à l'instant de gravir une brèche , ou quand ils
allaient entreprendre quelque attaque du même genre , afin
que la crainte retînt ventre à terre les assiégés , et para-
lysât longtemps leur résistance.
Il y a incertitude touchant le lieu originaire et l'époque
de la découverte des bombes modernes. Suivant l'opinion
la plus commune, et selon Strada, ce fut en 1588, au siège
de Wachtendook, duché de Gueidres, que les Espagnols,
conduits par Mansfeld, firent pour la première lois usage
de ce genre d'arme à feu, qui venait d'être inventé par un
habitant de Vanloo. Suivant Bloudel, les Hollandais et les
Espagnols les ont fréquemment employées dans leurs lon-
gues querelles. Villaret n'est pas éloigné de croire que les
engins volants dont Charles VII se servait en 1452 au siège
de Bordeaux étaient des projectiles analogues à la bombe.
Valturius ( De Re Militari ) nous autoriserait môme à sup-
poser que les mobiles renfermant de la poudre remontent
au delà de 1457, et sont originaires d'Italie. « OSigismond
Fandolphe ( c'était un Malatesta, seigneur de Rimini, mort
en 1457), c'est à toi, dit-il , qu'on doit l'invention de ces
machines à l'aide desquelles les boulets d'airain, remplis
d'une poudre inflammable, sont lancés par l'impulsion
d'une matière brûlante. » Était-ce des grenades jetées à
l'aide de bombardes ? C'est croyable.
Quant aux bombes ou grenades lancées à l'aide de mor-
tiers, leur primitif emploi est attribué aux ingénieurs ita-
liens qui étaient au service de Mahomet II, en 1481. Quel-
ques auteurs ne font remonter l'essai des bombes qu'à l'an-
née 1495, époque on Charles VIll occupait Naples. Méze-
rai ne les suppose pas plus anciennes que le siège de Mézières,
entrepris en 1521, et le général Cotty pense que le premier
usage en fut fait à Rhodes, en 1522. Il est silr qu'à ce siège,
et plu» anciennement sans doute, on se servit de grenades,
puisqu'on les croit plus anciennes de cinquante ans que les
bombes proprement dites. Celles de très-grand diamètre
n'auraient été employées , à ce qu'affirme Lamartillière ,
qu'en 1558. Bosius, dans son Histoire de Malte, parle des
bombes que les Turcs y jetèrent en 15G5. Cette diversité
d'opinions ne proviendrait-elle pas de ce qu'on aurait con-
fondu sous le nom de pierres à feu les bombes avec les
grenades, tandis que celles-ci ne lurent qu'un essai et que
les bombes ne constituèrent qu'un perfectionnement.' On
voit dans Tartaglia, qui écrivait en 1537, le dessin d'un
boulet enflammé, lancé par un mortier. On lit clairement
V histoire de la Bombe dans Baldinucci , qui a écrit la vie
de Bontalenti, artiste florentin , et qui parle dans le passage
suivant d'événements appartenant à la seconde moitié du
seizième siècle : « Bontalenti employait des pièces de divere
cahbres et de dimensions variées ; il se servait surtout de
l'énorme chasse-diable, dont le boulet creusé en voûte
portait le feu avec lui , et occasionnait par son choc d'af-
freux ravages. »
On pourrait induire du traité d'Andréossy, composé en
1825, qu'il regarde les projectiles creux comme ayant été
lancés pour la première fois par le canon au siège d'Ostende,
en 1602 : un ingénieur français, nommé Renaud-Ville, en
aurait inventé le tir, en aurait proposé l'emploi à l'archi-
duc Léopold, et en aurait fait l'essai avec succès. Par ces
mots, projectiles creux, Andréossy comprend-il les bombes
ou seulement les boulets creux? Dans le premier cas, son
assertion serait évidemment erronée. L'armée française fit
indubitablement usage des bombes en 1634, au siège de La
Molhe, ville de Lorraine, maintenant rasée; Malthus se
vante de les y avoir jetées, et prétend que ce fut les pre-
mières qu'on tira. Le siège de Candie, en 1648, consomma
une prodigieuse quantité de bombes. Le jet des bombes vé-
nitiennes écrasa , en 1687, les Propylées et le Parthénon
d'Athènes. Plus on supposera ancienne l'époque de cette in-
vention, plus on s'étonnera que le tir des bombes n'ait pas
fait des progrès plus rapides; mais cela tient à ce que, sauf
à Candie , on ne les employa jamais qu'avec parcimonie, à
cause de leur cherté. L'usage général des bombardements
ne date que du temps de Feuquières, comme il nous l'ap-
prend ; or, Feuquières servait dans les guerres de Louis XIV.
Ce prince fit fabriquer à l'époque de la guerre de 1688 une
énorme comminge, ainsi appelée du nom de son inventeur,
et que décrit Saint-Rémi ( 1697 ). On avait employé trente
mille briques à la maçonner au fond d'un brûlot ou flûte
destinée à renverser le port d'Alger. Cette machine infer-
nale contenait huit milliers de poudre, avait coûté quatre-
vingt mille francs , et fut ramenée en France sans avoir
servi.
Il y a eu jusqu'en 1 832 des bombes depuisdix kilogrammes
jusqu'à trois cents. Les bombes ordinaires étant de 32 cen-
timètres, on a nommé demi-bombes celles de 16. On appe-
lait comminges les bombes de 250 kilogr. On eût pu appe-
ler double connuinge celle de 500 kilogrammes essayée dans
la guerre de 1832, et inventée par le général Paixhans.
Elle contenait 50 kilogrammes de poudre, et était chassée, au
maximum, par 16 kilogrammes. En général, les bombes de
moins de 10 kilogrammes se sont nommées bombes de fos-
sés, bombettes, bombines, grenades, doubles grenades,
obus, etc. On les jetait à la main ou bien au moyen de
tubes dirigés à ricochets. On tire, au contraire, parabolique-
ment les grosses bombes, et elles servent surtout contre les
cavaliers de forteresse, contre les écluses, contre les voûtes
d'église, etc.
On a commencé à pratiquer à Strasbourg, en 1749 et
1763, le tir de la bombe au moyen du canon, remplaçant
le mortier. En 1784, Duteil essaya, à Anxonne, de faire
partir des bombes sans mortiers ni bouches à feu ; c'était
un procédé d'origine polonaise. On trouve dans le Bulletin
des Sciences Militaires une description de bombes dont
l'explosion a lieu quand on y porte le pied. L'invention de
cet appareil de détonation appartient au lieutenant-colonel
Miller ; cette espèce de fougasse remplace une sentinelle, an-
nonce l'approche de l'ennemi, et est un moyen de défense
des défilés et des ponts, etc. Depuis la suppression des mor-
tiers à bombes de 32 centimètres, les bombes de l'armée
française sont de 27 à 22 centimètres ; les premières pèsent
50 kilogrammes et 'es autres 20, Il y a eu des bomhcsen
marmite, il y en a eu à melon. G*' BAiini.N.
BOMBELLES — BOMBYX
399
BOMBELLES (Famille de). Cette famille, d'origine
portugaise, était connue déjà du temps des croisades. Une
branche s'établit en France, d'où elle passa plus tard en
Autriche.
Henri-François, comte de Bombelles , lieutenant général
au service de France et commandant dans le comté de Bitche,
naquit en 1681. 11 servit d'abord dans la marine; mais en
1701 il entra dans l'armée de terre, et fit avec distinction
les campagnes de la guerre de la succession d'Espagne. Il
alla ensuite, avec le grade de colonel, combattre les Turcs en
Hongrie. En 1718 le régent le chargea de donner des leçons
d'art militaire au duc de Chartres, qui en 1734 le choisit
pour gouverneur de ses enfants. Il mourut à Bitche, en 1760.
Marc-Marie, marquis de Bombelles, fils du précédent,
naquit à Bitche, en 1744. Il entra dans l'armée, et s'éleva au
grade de maréchal de camp. Plus tard il embrassa la car-
rière diplomatique, et fut envoyé comme ambassadeur de
France à la diète de Ratisbonne, puis, en la même qualité,
à Lisbonne et à Venise. Ayant refusé le serment à l'Assem-
blée Nationale, il fut porté sur la liste des émigrés. Après la
dissolution du corps de Coudé, il entra dans les ordres, et
fut fait clianoine à Breslau. Au retour des Bourbons, il fut
nommé aumônier de la duchesse de Berry,et en 1819
évêquc d'Amiens. Il mourut en 1821. Son épouse, née ba-
ronne de Mackau , avait été l'amie de la princesse Elisa-
beth.
Louis- Philippe, comte de Bombelles, ambassadeur
autrichien , fils du précédent, était né le i" juillet 1780, à
Ratisbonne , pendant l'ambassade de son père. Il hérita des
sentiments de sa famille pour l'ancienne dynastie, et reçut
sa première éducation comme cadet autrichien. Plus tard ,
il se rendit à Naples , où la reine Caroline , qui déjà avait
fait accorder à son père une pension de mille ducats , lui
procura une place de lieutenant dans la cavalerie. La révolu-
tion de Naples ramena le jeune Bombelles à Vienne; on l'y
plaça d'abord à la chancellerie secrète ; puis 11 fut attaché à
l'ambassade de Berlin , à la tête de laquelle se trouvait alors
M. de Metternich , et devint successivement conseiller de
légation et chargé d'affaires à la même cour. En 1813 il
suivit le roi Frédéric-Guillaume à Breslau ; et, après avoir
accompagné le chancelier Hardemberg dans les provinces
rhénanes , il fut envoyé à Copenhague pour inviter le roi de
Danemark à rompre son alliance avec Napoléon. En 1814
il vint a Paris, à la suite des alliés , reçut une seconde mis-
sion pour le Danemark, afin d'y diriger les négociations
avec la Suède , et y resta en qualité d'ambassadeur d'Autri-
che. En 1 8 1 6 M. de Bombelles se maria à Copenhague , avec
mademoiselle Ida Brun , fille du conseiller Brun et de ma-
dame FrédériqueMuntcr, connue par ses travaux littéraires,
et aussitôt après il fut nommé ambassadeur à la cour de
Dresde. Là , sa maison devint le centre des arts et de la
bonne société. En 1819 M. de Bombelles accompagna l'em-
pereur d'Autriche en Transylvanie et en Gallicie, et pendant
ce voyage il remplit les fonctions de chancelier. Envoyé au
congrès de Carlsbad, il exécuta strictement ses instructions,
ce qui ne contribua pas à rendre son nom populaire. De la
cour de Dresde, le comte de Bombelles passa successive-
ment en la même qualité à Naples , où la révolution napo-
litaine l'empêcha de se rendre , à Florence , à Modène , à
Lucques, à Lisbonne en 1829, à Turin; enfin, en 1837,
il fut accrédité près la diète helvétique. 11 moinut à Vienne
le 7 juillet 1843. M. de Bombelles joignait à un grand fonds
de connaissances diplomatiques toute l'aisance et le ton
exquis de la bonne société française.
Charles-René, comte de Bombelles, frère du précédent,
chambellan de l'empereur d'Autriche, né le 6 novembre
1785, exerça une grande influence sur Marie-Louise , du-
chesse de Parme, auprès de laquelle il remplissait les
fonctions de conseiller privé et de grand-maltrc de la cour.
De son warii'.gc avec une comtesse Cavanac csl né , le 5 août
1817, le comte Louis , chambellan de l'empereur etlieute*
nant-colonel.
Henri-François , comte de Bombelles, le plus jeune
des frères de l'ambassadeur autrichien, né le 26 juin 1789,
mort le 31 mars 1850, fut gouverneur de l'empereur Fran-
çois-Joseph. 11 a laissé deux enfants, Marc-Henri-Guil-
laume et Charles- Albert-Marie.
BOMBERG (Daniel), imprimeur célèbre par ses pu-
blications en hébreu , naquit à Anvers , dans le quinzième
siècle, et alla s'établir à Venise, où il mourut, en 1549. Dès
1511, après a\ oir appris la langue hébraïque , il avait com-
mencé ses belles éditions de la Bible : la plus estimée est
celle de 1526. Les bibliophiles citent encore avec éloges la
Concordance Hébraïque du rabbin Isaac Nathan, que Bora-
berg imprima en 1524 , et le Thalmud, dont la pubUcation,
entreprise en 1520, lui demanda quinze ans de travail, et
dont il fit trois éditions , qui lui coûtèrent , dit-on , chacune
cent mille écus.
On assure que Bomberg dépensa plus de trois millions en
impressions hébraïques. Ces frais excessifs le ruinèrent, et il
mourut fort pauvre, mais avec la satisfaction d'avoir , dans
le genre auquel il s'était consacré , porté son art à la per-
fection.
BOMBES FULMINANTES. Voyez Pois fulminants.
BOMBET (L.-A.-C), pseudonyme. Voyez Beyle.
BOMBILLE. Voyez Bombyle.
BOMBIQUE (Acide), de bombyx, ver à soie. C'est
ainsi que l'on appelait autrefois la liqueur acide que l'on
trouve dans une cavité du ver à soie , et qui ne diffère aucu-
nementde l'acide acétique.
Par suite, on avait donné le nom de bombiates à des
sels formés de la réunion ou de la combinaison de cet acide
avec une base quelconque ; on sait maintenant que ce sont
des acétates.
BOMBYCE. Voyez Bombyx.
BOMBYLE ou BOMBILLE (de ^o\Lê<iikr\, espèce d'a-
beille ) , genre d'insecte appartenant à l'ordre des diptères.
Les bombyles ont le corps ramassé , large , couvert de poils
denses ; la tête petite , arrondie , armée d'une longue trompe ;
le corselet élevé ; les pattes longues et très-minces ; les ailes
grandes , écartées , étendues horizontalement. Leur vol est
extrêmement bruyant et rapide ; ils planent au-dessus des
fleurs sans s'y poser , et y introduisent leur trompe pour
en tirer la liqueur mielleuse dont ils se nourrissent.
Les bombyles ne se voient qu'en été , et sont plus com-
muns et généralement plus gros dans le midi que dans le
nord de l'Europe On en trouve aussi quelques espèces dans,
les régions du nord et de l'ouest de l'Afrique.
BOMBYX ou BOMBYCE (de p6ix6u5, verà soie). Genre
de lépidoptères nocturnes, dont les caractères peuvent être
ainsi formulés : trompe toujours très-courte et simplement
rudimentaire; ailes, soit étendues et horizontales, soit en-
toit, mais dont les inférieures débordent quelquefois latéra-
lement les supérieures; antennes des mâles entièrement
pectinées( c'est-à-dire en forme de peigne ). Les chenilles
rongent les parties tendres des végétaux, et se font, pour la
plupart , une coque de pure soie. Les chrysalides n'ont point
de dentelures aux bords des anneaux de l'abdomen.
Le bombyx mori de Linné , connu de tous sous le non»
de ve»* à soie, est le type du genre bombyx. Cependant
dans ces dernières années des entomologistes ont voulu
faire de cet insecte un sericaria; mais M. Guérin-Menevillo
a réclamé contre ce nom nouveau. « Si , comme nous eu
sommes convaincu, dit-il, il est nécessaire de subdiviser
cette grande division de lépidoptères, il faut, à l'exemple d»
Latreille et des entomologistes qui tiennent à l'ordre, à la
dignité de la science, conserver le nom de bombyx à la
subdivision, an sous-genre dans lequel se trouvera lever h
soie ou bombyx des anciens. »
Le bombyx cynlhia est élevé en granti da»s j>lusicin;*
400
BOMBYX — BOMILCAR
Itarlies des Indes Orientales et en Chine. Sa ctienille est
connue dans presque tout l'Indostan sous le nom d'arrindy
nrria ou ver à soie eria. On la nourrit avec des feuilles
■de palma-chri&ti , comme nous nourrissons nos vers à soie
avec des feuilles de mûrier.
Le bombyx religiosa de l'Assam , le bombyx myliita
du Hengale , d'autres encore , sont employés à la produc-
tion de la soie dans les pays où ils sont indigènes, et pour-
raient sans douteêtre introduits en Europe ; ainsi M. H. Lucas
«st parvenu à élèvera Paris le bombyx cecropia, originaire
des États-Unis, où ses cocons fournissent une soie très-
«stimée dans le commerce.
Le bomhyx pavonia major, appelé vulgairement grand
paon ou paon de nuit , est le plus grand lépidoptère de
France. Il donne une soie grossière , qu'on a jusque ici vai-
nement cherché à utiliser.
Le genre bombyx renferme d'autres espèces, qui, loin
d'être, comme les précédentes, utiles à l'industrie, sont nui-
sibles à l'agriculture : tels sont le bombyx neustria , ou la
livrée , qui est la chenille la plus commune et la plus nui-
sible au\ arbres fruitiers; le bombyx processionea , ou pro-
cessionnaire des chênes, ainsi nommé parce que les chenilles
de cette espèce vivent en société et sortent tous les soirs en
processions longues et régulières; le bombyx pini, ou
Jileuse du pin , etc.
BOME (de l'anglais boom, barre, mât). Voyez Gui.
BOMFIM (JosÉ-JoAQUiM, comte de), un des chefs les
plus estimables du parti libéral modéré en Portugal , naquit
le 5 mars 1790, à Péniche, bourg de l'Estramadure portu-
gaise, d'une famille ancienne et considérée dans la magis-
trature. De bonne heure il manifesta un goût décidé pour
les études sérieuses, et passait en 1807 pour un des meilleurs
élèves de l'université de Coïmbre. 11 se proposait de suivre
la carrière de ses ancêtres, et tout lui présageait de paisibles
succès dans quelque obscur tribunal de province , quand ,
à la nouvelle de l'envahissement du Portugal par une armée
française, il fit partie de cette vaillante jeunesse qui coui-ut
à la défense de la patrie. A la paix générale, en 1814 , il était
regardé, à vingt-quatre ans , comme un des meilleurs majors
(chefs de bataillon) de ces vaillantes troupes portugaises
qui venaient de faire la campagne de France, et que le ma-
réchal Beresford avait soumises à la discipline anglaise. Co-
lonel en 1828, il entre dans la carrière politique en com-
battant contre dom Miguel. Défenseur des droits de dona
Maria dans l'île de Madère, il succombe après une résis-
tance héroïque contre des forces supérieures. Six ans après,
quand dom Pedro débarque en Portugal, il est un des
premiers à se ranger sous ses drapeaux, et se signale comme
général non-seulement dans la lutte contre l'usurpateur,
mais aussi dans la guerre civile qui suit l'avènement au
trône de dona Maria.
Lorsqu'on 1837 l'extrême droite des Cortès fomenta une
levée de boucliers contre le projet de constitution libérale
qui était alors sur le lapis, les généraux Sa-da-Bandei ra et
Bomlim furent envoyi^s parla majorité contre les insurgés,
que commandaient Leiria, Saldanha et le duc de Terceira. Le
combat de Rio-xMayor, livré le 28 août, resta, il est vrai,
indécis ; mais les rebelles durent se replier sur les provinces
scptentiionales du royaume jusqu'à Kuivaes, où ils furent
complètement battus et dispersés par le général comte das
Antas. A la suite de cette victoire du parti constitutionnel
«u sepiembriste, Bandeira fut nommé président du conseil,
et Bomdn ministre de la guerre et de la marine.
Les circonstances étaient on ne peut plus défavorables.
On touchait à une crise imminente. Des mesures financières
rigoureuses ne purent prévenir la banqueroute ni fournir
les moyens de payer l'armée. Une révolte, qui menaçait
de se propager, ayant éclaté au mois de mars 1838 à Lis-
bonne parmi les ouvriers de l'arsenal , Bomfim et Bandeira
l'éteiguirent dans le sang, malgré l'expresse volonté des
Cortès. Le premier, qui était sorti du ministère, y rentra
alors, et son passage aux affaires fut un bienfait pour sa
patrie : le calme se rétablit, une discipline plus sévère régna
dans l'armée, et la dignité du gouvernement fut sauvegardée
en face des menaces d'Espartero. Ne trouvant toutefois qu'un
faible appui dans les constitutionnels, et attaqué violemment
par les absolutistes et les radicaux, il se vit forcé de dé-
poser son portefeuille, en 1841.
La révolution de Janvier ayant donné la victoire aux
absolutistes, Costa-Cabral choisit de nouveaux ministres
parmi ses amis politiques , abolit la constitution de 18.37, et
rétablit la Charte de dom Pedro. Bomfim , qui avait d'a-
bord appelé les provinces aux armes, se laissa éblouir par
les promesses de Cabrai , et ordonna de cesser toute levée
de boucliers ; mais il ne tarda pas à reconnaître qu'il avait
été joué, et chercha à soulever au moins dans les Coitès une
opposition violente au ministère. Cependant Cabrai en
dissolvant l'assemblée ayant enlevé aux septembristes tout
moyen de résistance légale, Bomfim quitta Lisbonne avec
ses amis , dans l'intention d'appeler aux armes les partisans
de la constitution de 1837.
Trois villes seulement se prononcèrent en sa faveur : Al-
méida, Portalègre et Torres-Vedras. En vain essaya-t-il de
se maintenir dans la citadelle, mal approvisionnée, d'Alméida.
Dès le 28 avril il était forcé de capituler et de s'enfuir en
Espagne. De retour en 1846, il prenait part au soulève-
ment de mai, et obtenait du ministère Palmella le comman-
dement d'une division; mais, la reine ayant, le 4 octobre,
mis Saldanha à la tête d'un nouveau cabinet, Bomfim et
Palmella furent arrêtés dans la demeure royale. Le premier,
remis en hberté au bout de quelques jours, courut dans
les provinces réchauffer le zèle des insurgés, battit, en no-
vembre, l'armée du gouvernement aux environs de Barcellos,
nwis fut à son tour défait , le 28 décembre , par Saldanha, à
Torres-Vedras, fait prisonnier, traduit devant un conseil de
guerre, condamné à la déportation et envoyé en Afrique.
Trompant la surveillance de ses gardiens, il était dans les
premiers jours de mai 1847, cinq mois après, au moment
de s'enfuir sur un vaisseau anglais, lorsqu'il reçut la nouvelle
de l'amnistie qui lui rouvrait les portes de sa patrie. A la
fin de 1848 on le retrouve prenant part aux tentatives in-
surrectionnelles du parti républicain; mais ce ne fut qu'un
éclair passager. L'âge semble avoir enfin calmé l'exaltation
de Bomfmi , homme plein d'audace et d'ambition , ofiicier
d'état-major distingué, qui sur un sol moins capricieusement
agité que celui du Portugal eût pu sans peine aspirer à
d'éclatantes destinées militaires.
BOMILCAR, général carthaginois , à l'aide des alarmes
qu'excitaient les progrès d'Agathocle en Afrique , essaya de
s'emparer de la souveraineté de sa patrie, ciiargé de com-
battre le roi de Syracuse, voyant Hannon son collègue tue
dans un combat , il fit marcher les principaux citoyens
contre les Numides, puis, revenant sur ses pas, avec cinq
cents complices et un corps de mille mercenaires , il entra
dans Carthage vers 308 avant J.-C. , et fit main basse sur tout
ce qu'il rencontra , sans distinction d'âge ni de sexe. Ses
séides l'avaient déjà proclamé roi , quand la population fit
pleuvoir sur eux et sur lui , du haut des maisons , une grêle
de traits et de pierres. Abandonné des siens, il fut saisi,
attaché à une croix, et mourut avec un grand courage.
BOMILCAR, amiral carthaginois , amena quelques
renforts à Annihal après la bataille de Cannes, et vogua
ensuite vers la Sicile pour aller secourir les Syracusains.
Mais, ayant trouvé l'armée carthaginoise presque détruite
par la peste qui régnait dans cette lie, il retourna dans sa
patrie en informer le sénat. Ses concitoyens lui donnèrent
cent trente galères, avec lesquelles il parvint en vue de
Syracuse ; toutefois, effrayé de l'aspect de la flotte romaine
roniinandée par Métellns, il reprit le large, gagna Tarente, et
abandonna Sjracuscau^ Kouiaius, vci'S 209 avant J.-C.
I
BOMÎLCAR — EONACOSSI
401
BOîiîILCAR, favori (le Jugiirtha, assassina, par son or-
dre, en pleine Rome, le jeune .Massiva, petit-lils de Massi-
nissa, el, de retour en Afrique, eut une entrevue avec le pro-
consul Métellus , qui lui promit sa grâce et les faveurs de
son gouvernement s'il réussissait à immoler également ou
à livrer Jugurtha. En conséquence, Bomilcar conseilla au
roi des Numides de se soumettre aux Romains, et essaya
ensuite de séduire son favori Nabdalsa. Mais, la trame
ayant été découverte, Bomilcar fut mis à mort avec ses
complices , vers 107 avant J.-C.
BOMMEL (CoPvMîlius-Richard-Antoine de), évêque
de Liège, naquit à Leyde, le 5 avril 1790, dune famille catho-
lique qui occupait un rang honorable dans cette ville et qui
lui fit donner une bonne éducation, le destinant à l'ÉgUse.
Ses connaissances variées lui méritèrent la confiance de ses
supérieurs ecclésiastiques , qui le chargèrent de la direction
d'une des écoles fondées par le clergé néerlandais. Il fut
ensuite nommé directeur du séminaire de Haegeveld, près
Leyde, et cet établissement ayant été fermé en 1815, il
rentra dans la vie privée. On prétend qu'il se racla d'une
manière active, par la publication de plusieurs brochures,
aux discussions qui s'élevèrent bientôt au sujet de la liberté
de l'enseignement ; cependant il ne cessa pas d'être bien vu
par le gouvernement , qui en 1829 , à un moment où la coa-
lition de l'opposition catholique avec les libéraux faisait pré-
voir une crise décisive , le nonnna évûqiie de Liège. Placé
ainsi entre la confiance du roi et les intérêts du parti ultra-
montain , auquel il appartenait, il chercha avec habileté à
ménager l'un et l'autre. Le roi Guillaume lui proposa, dit-
on , après la révolution belge , de transférer son évéché à
Maestricht ; mais M. de Bommel se prononça alors pour la
cause de la Belgique, et il ne tarda pas à acquérir une haute
influence sur le parti catholique. Il s'occupa avec zèle de
l'organisation de son diocèse, donna des soins tout parti-
culiers au développement de l'instruction publique, fonda
des écoles élémentaires et secondaires , et prit une part ac-
tive à la création de l'université catholique.
Accusé maintes fois d'avoir influencé l'archevêque de Co-
logne, Droste de Vischering, il écrivit au ministre de Theux
une lettre où il protestait n'avoir jamais eu avec ce prélat
de relations ni directes ni indirectes; il fit plus, il défendit
à son clergé par une circulaire de s'immiscer dans les af-
faires des églises voisines. Comme d'ailleurs M. de Bommel
était l'ennemi déclaré de la franc-maçcnnerie , le parti libé-
ral voyait en lui son principal adversaire ; et de fait sa puis-
sante influence se manifesta dans la question de l'enseigne-
ment. Partant de ce principe qu'il n'y a pas d'État sans re-
ligion, pas d'enseignement sans une base religieuse, il en
concluait que le clergé devait intervenir directement dans
l'enseignement donné par l'État. Sa théorie, développée
dans de spirituels pamphlets, prévalut en 1842, sous le mi-
nistère Nothomb, qui accorda au clergé une large part
dans la direction de l'enseignement ; mais en 1850 on ne laissa
plus aux prêtres dans les collèges et les écoles industrielles
entretenues en tout ou en partie aux frais de l'État que l'ensei-
gnement religieux. Après avoir vainement essaye de soulever
le peuple contre la nouvelle loi , les évoques mirent à l'ac-
ceptation du clergé des conditions que le gouvernement n'a
pas encore pu admettre. Le voyage que ce prélat fit à Rome
en 1851 avait pour objet ce différend. 11 est mort le 7 avril
1852, avint de l'avoir vu aplani.
_ BOMOaiQUES (mot grec formé de pwtxôç, autel, et
vîxï] , victoire). C'est le nom qu'on donnait à Lacédémone
à de jeunes enfants qui dans les sacrifices de Diane dis-
putaient à Penvi à qui recevrait le plus de coups de fouet,
et qui les souffraient ({uelquefois pendant tout un jour jus-
qu'à la mort , en présence de leurs mères , qui , dit Plutar-
que , les voyaient avec joie et animaient leur constance.
BOMACE (du latin bonacia), se dit sur mer de l'in-
tervalle de beau temps qui précède l'orage ou qui lui suc-
UlCr, Dt LA LO.\\tUS. — T. lii.
cède : de l'état de l'Océan (pinnd le vent est tombé , que le
ciel est serein , et que les fiots sont tranquilles.
BOIVACOSSÎ (Maison de). La famille Bonacossi était
une des plus puissantes de Mantoue, lorsqu'au treizième
siècle elle parvint à la souveraineté.
Pinamonte Bonacossi et Oitonello Zanicalli furent élus
préfets de la ville en 1272. Quekiue temps après, Bonacossi
fit assassiner Zanicalli , avec lequel il ne s'était réconcilié
que pour arriver au pouvoir. Personne ne soupçonna qu'il
fût l'auteur de ce meurtre; il continua à gouverner la ville;
mais en 1276 il leva entièrement le masque, et se déclara
le maître de Jlantoue. Le peuple, ayant couru s.\i\ armes
pour recouvrer sa liberté, fut dt^fait par les troui)es de
Pinamonte, qui , étant demeuré vainqueur, punit du dernier
supplice les chefs de la sédition , exila les autres et confis-
qua leurs biens. Guelfe d'origine, il embrassa ensuite le
parti gibelin, fit alliance avec les seigneurs de Vérone, de la
maison de la Scala , et régna vingt ans environ, sans avoir
à combattre de nouvelles révoltes. Son règne fut assez
glorieux et signalé par des avantages remportés sur les Bres-
sans, les Padouans et les Vicentins.
Bardellone Bonacossi, (ils du précédent, lui succéda.
Ce prince, d'un naturel méchant, craignant que son père
ne favorisât son frère Taino , s'était emparé, en 1292, de
l'un et de l'autre, et les avait fait jeter en prison, où Pi-
namonte mourut, vers 1293. Use fit alors nommer seigneui
de Mantoue ; et comme son père avait soutenu le parti gi-
belin, il se jeta dans le parti guelfe, rappelant plus de deux
mille exilés, et s'attirant ainsi l'affection du peuple, mais
par cela même excitant contre lui les gibelins.
Bottesclla Bonacossi , fils d'un autre frère de Dardellone,
ayant obtenu l'appui d'Alboin de la Scsla, se'gneur d«
Vérone, surprit Mantoue en 1299 , en chassa ses deux oncies
Bardellone et Taino , qui se réfugièrent à Padoue, se fit dé
clarer seigneur de Mantoue , et associa à sa puissance ses
deux frère licctirone et Passer ino. 11 embrassa vivement
le parti gibelin, et resserra son alliance avec Alboin de la
Scala. Il mourut eu 1310. Quant à Bardellone, son oncie,
qu'il avait chassé, il était mort en 1302, à Padoue, dans
une grande pauvreté.
Passerino Bonacossi, associé au pouvoir par Bottesella ,
son frère, lui succéda seul à sa mort. 11 dut faire d'abord quel-
ques concessions aux gueifes, permettre leur retour, et re-
cevoir de Henri VII un vicaire impérial. Cependant il ne
tarda pas à faire soulever le parti gibehn ; les guelfes furent
chassés ainsi que le vicaire impérial. Henri VJI le nomma
alors lui-même son vicaire, ce qui lui permit d'affermir da-
vantage sa domination et même de l'étendre. Eu effet , il se
fit nommer en 1:51'^ seigneur de Modène. Mais en 131S
François Pic de la Mirandole lui enleva cette ville. Néan-
moins, l'année suivante il parvint à la recouvrer, et fit
enfermer dans la tour de Castellero Mirandole et ses deux
fils, qui étaient tombés entre ses mains, et les y laissa
mourir de faim. Passerino régnait depuis dix-huit ans avec
la réputation d'un habile politique et d'un grand capitaine ;
il passait généralement pour le souverain le mieux affermi
de l'Italie , lorsqu'un événement imprévu vint le renverser.
Son fils François, ayant gravement insulté son cousin, Phi-
lippe Gonzague, celui-ci fit un appel à ses parents et à ses
amis ; il fut même aidé par Cosme de la Scala , qui conser-
vait quelcjuc ressentiment contre Passerino, à cause de l'im-
portance qu'il avait su acquérir dans le parti gibelin. Les
conjurés surprirent Mantoue le 14 août 1328. Passerino fut
tué comme il cherchait à calmer la sédition, et son fils
François , piis et traîné à la tour de Castellero, y fut égorgé
par un fils de ce François Pic de la Mirandole qu'il y avait
fait mourir de taim. La mort des derniers Bonacossi et la
destruction de leur parti permirent à Louis Gonzague de se
fahe proclamer seigneur de Mantoue et de Modène.
De Fumss-CoLONNA.
51
402
BOIVALD (L0U13- Gabriel -Ambroise, vicomte de),
i'nne ancienne famille du Roucrgue ( Aveyron ), né au Mouna,
près deMilhau, dansleRouergue, en 1753, mort au même
lieu, en 1840, avait servi d'abord dans les mousquetaires
sous Louis XV , et n'avait quitté ce corps qu'à sa supjtres-
sion,cn 1776. Maire de sa ville natale, il devint en 1790
président de l'administration de son département; mais
dès 1791 il fit remettre aux diverses municipalités une
circulaire dans laquelle, rompant ouvertement avec le
principe révolutionnaire, il faisait profession du royalisme
le plus ardent. 11 émigra la môme année, et se rendit à l'ar-
mée des Princes, qu'il quitta pour se retirer à Heidelbcrg
et s'y livrer à des travaux politico-philosophiques. Rentré
en France au moment du couronnement de Napoléon, après
avoir st^journé quelque temps à Constance, M. de Ronald ne
retrouva dans sa patrie qu'une très-faible partie des biens
qu'il avait cru devoir, y laisser. Forcé pour soutenir sa nom-
breuse famille de mettre à profit ses connaissances , il écri-
Tit dans des recueils périodiques; puis, sollicité par M. de
Fontanes, son ami , il accepta une place de conseiller titulaire
de l'université impériale. Louis Bonaparte , roi de Hol-
lande, lui ayant proposé de se charger de l'éducation de
son fils , il crut devoir décliner cette offre ; et la place fut
donnée, sur son refus, à l'abbé Paradisi, de Rome. Au mois
de juin 1814, le roi Louis XVIII le nomma membre du
conseil de l'instruction publique et le décora de la croix de
Saint-Louis.
Élu député de son département en 1815 , il fit partie des
assemblées législatives suivantes, sans pour cela négliger
SCS études favorites, auxquelles il n'avait peut-être de-
mandé que des distractions et de nobles plaisirs, et qui,
d'elles-mêmes, y avaient ajouté \in supplément bien mé-
rité de gloire. A la chambre de 1815, il vota avec la majo-
rité, exprima le désir que les biens non vendus de l'ancien
clergé fissent retour au nouveau, s'opposa à tous les projets
de réforme électorale , réclama l'abolition du divorce, de-
manda la suppression de beaucoup de places, parla contre
l'aliénation des forêts, soutint les corps suisses qu'on voulait
retrancher de la garde royale et de l'armée, réclama un
jury spécial pour la répression des abus de la presse et l'éta-
blissement de la censure pour les journaux. Ministre d'État
depuis 1822, il fut président de la commission de censure.
Nommé pair de France en 1823, il se démit volontairement
de cette dignité en 1830, en refusant de prêter serment à
la royauté de Juillet. Il ne conserva que le titre de membre
de l'Académie Française, où il était entré le 21 mars 1816.
[C'est en 1796 que M. de Ronald publia La Théorie du
Pouvoir polUiqzie et religieux clans la société civile,
démontrée par le raisonnement et par l'histoire, ouvrage
plein de recherches savantes , d'une métapiiysique pro-
fonde, auquel on peut reprocher quelques subtilités de rai-
sonnement, qui échappent aux meilleurs esprits intime-
ment convaincus d'une idée première et fondamentale à
laquelle ils rattachent tout un système; il leur faut comme
assouplir leur argumentation aux exigences de cette idée
première, et faire, en quelque sorte, concourir h sa démons-
tration tous les faits physiques et moraux de la création.
Dans ce livre d'une haute portée, M. de Ronald prend place
h côté des penseurs et des écrivains les plus distingués.
Définissant le pouvoir polilicpie nne application exacte et
raisonnée des préceptes de Dieu même à la société civile, il
démontre l'intime affinité qui existe entre le principe reli-
gieux et la bonne administration des États. A l'appui du
raisonnement, il invoque le témoignage de tous les âges
historiques qui ont langui dans un état de législation in-
complet et souvent barbare, tant que le principe chrétien
n'est pas venu féconder la société humaine et la civilisation.
Appliquant cette doctrine au nouvel ordre politique qui
rtignait alors en France, il y trouve la condamnation des
;lii(iii(«j que l'on essayai! de mettre on pratique, et qui,
BONALD
privées des conditions de vitalité que la consécration du
principe religieux pouvait seule leur commimiquer, lui
semblent destinées à prouver, encore une fois, l'impuissance
absolue de l'homme, lorsqu'il se sépare de Dieu. Enfin,
l)ar une de ces prévisions qui n'appartiennent qu'au génie
et aux ûmes qui sentent vigoureusement, il entrevoit le réta-
blissement de la famille des Rourbons comme l'inévitable
conséquence et l'unique remède de l'anarchie et de l'a-
théisme, qui ont tout envahi. 11 paraît que le coup porta ,
puisque le Directoire se vengea de l'ouvrage en le proscri-
vant, faute de pouvoir se venger de l'auteur.
C'est ici le lieu de reconnaître en M. de Ronald un mé-
rite tout personnel et bien grand à nos yeux, c'est de n'a-
voir pas désespéré des grands principes d'ordre et de con-
servation sociale à une époque de scepticisme et d'incré-
dulité où tout était mis en question , même l'existence de
Dieu ! Ce noble apostolat M. de Ronald le partagea avec
M. de Chateaubriand , dont il devint plus tard le collabo-
rateur dans le Mercure de France, en 1806 , et dans le
Journal des Débats et le Conservateur, sous la Restau-
ration. Les divers articles dont M. de Ronald enrichit l'un
et l'autre de ces recueils révèlent les mêmes qualités et
les mêmes taches que sa Théorie du Pouvoir. Avec une
hanliesse de vues dont personne ne saurait contester l'é-
lévation, et une déduction des faits presque toujours logique,
il se laisse parfois aller, par un entraînement excusable dans
un homme aussi spontané, aussi consciencieux, à une argu-
mentation plus systématique que vraie. Dans l'espèce de
proscription (et ceci s'applique à presque tout ce qui esl
sorti de la plume de M. de Ronald) dont il frappe les plii-
losophies et les législations humaines, pour ne laisser debout
que la piiilosophie chrétienne et la législation de Dieu, dont
il lui aurait suffi peut-être d'établir la prééminence, il ne
consi 1ère pas toujours les divers côtés des choses. Trop
absolu dans ses jugements, il lui arrive souvent de voir le
tout dans la partie, et de condamner sans restriction ce
qui , imparfait sous quelques rapports, échappe sous d'au-
tres à toute critique. I\L de Ronald l'a dit lui-même, avec
cette force de raison qui donne tant d'autorité à tout ce
qu'il a écrit : « Un esprit cultivé est juste ou faux, selon
qu'il saisit tous les rapports principaux d'un objet, ou seu-
lement une partie de ces rapports. » Et ne peut-on pas
lui reprocher d'avoir négligé quelques rapports essentiels,
lorsqu'il argimiente contre la philosophie humaine de l'ac-
tion lente et quelquefois inefficace qu'elle a eue sur la so-
ciété? De ce que cette philosophie n'a pas toujours mora-
lisé les hommes, ou de ce qu'elle n'a pas préexisté à leur
moralisation, elle ne mérite pas pour cela le terrible ana-
thème que l'illustre philosophe lance contre elle. Pour n'a-
voir pas fait tout le bien possible, elle n'en a pas moins
fait du bien, et c'est une justice que M. de Ronald éprou-
vera lui-même le besoin de lui rendre lorsque, cherchant
plus tard le principe de toute législation, il invoquera lo
témoignage de la philosophie païenne , et demandera à l'un
de ses plus généreux organes la base môme du principe
([u'il veut soutenir.
Quelques annt'es après la Théorie du Pouvoir, M. de
lîonald publia "Essai anahjtiqiie sur les lois naturcllca
de l'ordre social, qu'il refondit dans son grand ouvrage de
la Législation j>rimitive considérée dans les derniers
temps par les seules lumières de la raison, qui parut en
1802. Dans ce livre, remarquable par la force du raisonne-
ment et la )néthode qui enchaîne toutes ses parties, l'au-
teur, après avoir établi successivement : 1° que l'ordre de
la société est l'ensemble des rapports vrais ou naturels qui
exislent entre les êtres moraux, c'est-à-dire entre les per-
sonnes de la société, 2" que la science de ces rapports est
la vérité morale ou sociale, que la connaissance de la vé-
rité morale forme la raison, que la raison est la perjection
de la volonté , que la volonté est la détermination de ta
BONALD
403
pensée, et que la penstîe n'est connue de Thomme que par
sou expression, 3" que, par conséquent, riionime privé
d'expression eût été privé de pensée, de volonté, de raison,
de la connaissance de la vérité, et qu'il eût vécu dans l'i-
ijnorance des personnes et de leurs rapports , étranger à
toute société, arrive à traiter cette question importante,
que tout naquit pour l'homme avec \& parole, qui est Tu-
nique et la vraie expression des idées. Et remontant à son
origine, il démontre qu'elle n'a pu être d'invention humaine,
qu'elle est, par conséquent, venue à l'homme par révélation
et transmission , et que dès lors la science des personnes
et de leurs rapports, dont la parole est l'unique expression,
lui est arrivée par voie d'autorité. Cette question ardue, que
Condillac avait traitée un peu légèrement, et qui avait
elïrayc le génie si entreprenant de J.-J. Rousseau, M. de
Donald l'approfondit avec une logique si serrée, des déduc-
tions tellement claires et précises , qu'il amène son lecteur
presque invinciblement à admettre comme faits incontes-
tables les principes sur lesquels il va construire l'édilice de
sa législation primitive. « La souveraineté est en Dieu ou
elle est dans l'homme , point de milieu , » dit M. de Donald.
Il n'a pas de peine à établir qu'elle est en Dieu , en mon-
trant la dépendance absolue où se trouve l'homme d'une
inspiration ou révélation divine pour avoir la moindre idée
en morale, dont il ne sait que ce qu'il a entendu par les
oreilles ou vu par les yeux, c'est-à-dire par la parole orale ou
écrite, transmise d'abord par les pères à leurs enfants, plus
tard fixée par l'Écriture, lorsqu'elle commençait à s'effacer
parmi les hommes. Donc le premier législateur a été Dieu ;
car « comment le genre humain eût-il été jusqu'à la
deuxième génération, si la première n'eût eu tous les
moyens nécessaires de conservation, entre lesquels l'art
de la parole, qui donne la connaissance de la parole, est le
premier.' Car l'homme, dit la souveraine raison, ne vit pas
seulement de pain , mais de toute parole venant de Dieu ,
ce qui veut dire que les lois sont aussi nécessaires que les
aliments pour perpétuer le genre humain. » Or, la loi so-
ciale, transmise à l'homme au moyen de la parole fixée au
moyen de l'écriture, par l'autorité de Dieu, doit être vraie,
naturelle, parfaite comme son auteur, et nous devons en
chercher la connaissance entière dans les sociétés les plus
folles et les plus stables, dans la société judaicpie d'abord,
puis dans la société chrétienne, qui en est le complément.
Confirmant ensuite ces diverses propositions par des ar-
piments solides : « C'est un fait, poursuit JNI. de Bonald ,
que le Pentateuque est le livre le plus ancien qui nous so't
connu, celui où l'on trouve le plus de hautes pensées, expri-
mées dans le style le plus simple, et les plus grandes images
rendues dans le style le plus magnifique ; c'est un fait qu'il
n'existe que chez les juifs et chez les chrétiens; c'est un
fait qu'il contient dix lois énonciatives des rapports fonda-
mentaux de la société, lois dont on aperçoit des traces chez
tous les peuples de la terre ; c'est un fait qu'il n'y a jamais
eu de civilisation au monde, c'est-à-dire de raison dans les
lois et de force dans les lé.nslations, que dans les sociétés
juive et chrétienne, les seules de toutes qui n'aient pas eu
des lois fausses, absurdes, atroces, contraires à la nature
des êtres et de leurs rapports. » Examinant ensuite en dé-
tail le Décalogue, il y trouve le germe de toutes les lois sub-
séquentes qui ont été conformes à la raison, puisque la rai-
son même avait dû présider à sa promulgation ; car, comme
dit lîossuet, « Dieu lui-même a besoin d'avoir raison, puis-
qu'il ne peut rien faire contre la raison. » De là cette con-
séquence que la loi est la volonté de Dieu et la règle de
l'homme, que la légitimité des actions humaines consiste
dans leur conformité à la loi générale, venue de Dieu,
comme leur légalité dans la conformité aux lois locales;
que l'état le meilleur de la société est celui où l'état légal est
légitime, où tout ce qui est bon est loi, et où toute loi est
bonne, où enfin, comme le dit J.-J. Rousseau, les lois;>o-
liliques deviennent fondamentales parce qu'elles sont
sages. Approfondissant ces mots de Bossuet, que la loi
chrétienne renferme les principes du culte de Dieu et
de la société humaine, « on peut , continue-t-il , avancer
comme un fait attesté par l'histoire de tous les temps, qu'à con-
sidérer l'univers ancien et moderne , il y a oubli de Dieu et
oppression de l'homme partout où il n'y a pas connaissance,
adoration et culte de l'Homme-Dieu. «
M. de Bonald résume ce vaste système en posant les
principes suivants, qui sont comme la conséquence forcée
de son argumentation : 1° La religion est la raison de toute
société, puisque hors d'elle on ne peut trouver la raison
d'aucun pouvoir ni d'aucun devoir. 2" La religion est donc
la constitution fondamentale de tout état de société. 3" La
société civile est donc composée de religion et d'État,
conune l'homme raisonnable est composé d'intelligence et
d'organes. 4" La société civilisée n'est autre chose que la
religion, qui (ait servir la société pubUque à la perfection
et au bonheur du genre humain. 5° Ainsi, la société la phis
parfaite est celle où la constitution est la plus religieuse et
l'administration la plus morale. 6° La refigion doit cons-
tituer l'État, et il est contre la nature des choses que l'État
constitue la religion. 7" L'État doit obéir à la religion, mais
les ministres de la religion doivent obéir à l'État dans tout
ce qu'il ordonne de conforme aux lois de la reUgion , et la
religion elle-même n'ordonne rien que de conforme aux
meilleures lois de l'État.
Par cet ordre de relations , en effet , la religion et l'État
se prêtent un mutuel appui. Cependant, il faut en convenir,
dans la pratique il n'est pas extraordinaire que ces prin-
cipes aient rencontré une vive opposition, surtout à une
époque où quelques faits particuliers pouvaient sinon al-
térer la confiance que l'on a dans la religion , du moins
celle qu'il est nécessaire que l'on ait dans ses ministres,
pour qu'ils puissent opérer le bien. Et les préjugés sont en-
core trop forts, les passions encore trop actives, les mé-
fiances trop vives , pour espérer que celte union intime de
l'État et de la religion réalise de si tôt tout le bien qu'a rai-
son d'en espérer i\L de Bonald. En attendant, la religion ne
perdra rien de son hifluence sur l'amélioration des hommes
en restant dans le sanctuaire, flïon royaume n'est pas de
ce monde, a dit Jésus-Christ. En continuant de travailler
pour le ciel, le sacerdoce accomplira sa mission céleste, et
tout en communiquant aux choses de la terre cette impul-
sion morale qui est comme le signe constant de sa vocation
de civilisation, il n'éprouvera pas la nécessité de s'immiscer
dans l'administration civile de l'État, puisqu'il sait par ex-
périence que ce serait fournir aux passions un prétexte pour
compromettre les fruits de son apostolat. Plaignons l'État
s'il abandonne la religion, mais espérons encore que, malgré
l'arrêt sévère de 1\L de Bonald, la religion ne le laissera pas
périr. «■ La religion n'abandonne jamais l'État, mais elle
laisse péiir l'État qui l'abandonne. » ( Législation primi-
tive,lir. II. )
i\I. de Bonald publia en 1S14 diverses brochures sur des
questions d'un haut intérêt, et il les traita presque toujours
avec une grande supériorité de talent. Deux surtout méri-
tent d'être remarquées, celles sur le divorce, où il s'établit
l'énergique défenseur de la sainteté du mariage, et où il
démontre que la loi civile doit, dans l'intérêt des mœurs,
être en harmonie avec la loi religieuse, et l'autre, intitulée :
Encore un mot sur la liberté de la presse, où, tout en
admettant en principe la nécessité de cette liberté, il en
restreint un peu trop l'usage par les entraves légales qu'il
croit nécessaires d'opposer à l'abus. Mentionnons aussi avec
distinction ses Mélanges littéraires et politiques, qui of-
frent d'ailleurs le développement constant des doctrines po-
litiques et religieuses de toute sa vie, et arrivons enfin à ce-
lui de tous les ouvrages de M. de Bonald où U senible avoir
poussé jusqu'à ses dernières limites son merveilleux talent
51.
404 TîON
(l'iBvesOgallon philosophique et de raisonncinent , ses 7?e-
Cdcrc/ics philosophiques sw' les premiers objets des con-
iiuissunces morales, qui parurent en I8ts.
Unns ce livre, qui exigeait une critique liabilc de tous les
systèmes philosopiiiques, M. de Bonalil ne reste pas au-des-
sous de la tâche qu'il s'est imposée, et, tout d'aburd, il se de-
mande ce qu'est la philosophie, et comment jusque alors elle
a rempli les conditions mômes de sa dénomination, et jus-
qu'à quel point elle a servi à l'étude de la saj^esse, ou à la
connaissance de la vérité. « L'histoire de la philosophie, dit
M. Ancillon, ne pr(''sente, au premier coup d'oeil qu'un vé-
i-itable chaos : les notions, les principes, les systèmes s'y
succèdent, se combattent et s'effacent les uns les autres,
sans qu'où sache le point de départ et le but de tous ces
mouvements et le véritable objet de ces constructions
aussi hardies que peu solides. » Ce jugement un peu sévère,
t'i qui avait besoin d'être modifié jjour les services incontes-
fables que la philosophie humaine a rendus à la société ,
avant que la loi divine eût pu éclairer et perfectionner les
anciennes constitutions civiles, M. de Bonald l'adopte sans
hésiter, et, dans un rapide examen, qui ne manque ni de
justesse ni d'impartialité, il passe en revue les doctrines de
la vieille Grèce, qui ont créé presque toutes les autres sectes
philosophique?, et dont la diversité n'a fait que s'accroître
avec le nombre des maîtres et les progrès des connaissances,
si bien qu'aujourd'hui môme l'Europe, qui possède des bi-
hliolliéqnes entières d'ouvrages des philosophes , et qui
conq)te |)resque autant de philosophes que d'écrivains,
pauvre au nnlieu de tant de richesses, et incertaine de sa
route avec tant de guides, attend encore une philosophie.
11 examine d'abord les principes de morale enseignés d'ins-
piration par les premiers poêles grecs, qui furent en même
temps les premiers h'gislateurs, et prouve aisément qu'il y
a autant de philosophie dans Isaïe, David ou Salomon que
dans Homère ou Hésiode. Passant ensuite en revue les di-
verses écoles qui se sont partagé l'attention des liommes , il
ne découvre ni dans Thaïes, dont l'ignorance des véritables
causes premières a faussé les doctrines, ni dans Pylliagore,
dont le mysticisme enveloppait de si épaisses ténèbres les
notions les plus élémentaires fie la morale et delà poiilique,
les condilions d'un vrai ■ ystème de philosophie. Il rend jus-
tice au mérite extraordinaire deSocrale, qin le premirr,
par la force de son génie , ou peut-être par la connaissance
des livres des Hébreux, déjii répandus en Orient, trouva
l'unilé de Dieu créateur, conservateur et rémunérateur, et
l'immortalité de l'âme. «Le premier des philosophes grecs,
dit M. de Donald, il fit descendre la moralité du ciel , et sans
doute il l'aurait affermie sur la terre, si le génie d'un homme,
quel qu'il soit, pouvait être une autorité pour l'honmie et
une garantie pour la société. » Platon , fondateur de la pre-
mière Acalémie et disciple de Socrate, révéla au monde la
doctrine de son maître; il proclama les idées innées, c'est-
à-dire les idées universelles, empreintes dans notre esprit
par l'Intelligence suprême, et chercha. à mêler ensemble les
opinions de Socrate et quelques-unes de celles de Pylliagore.
n L'âme , selon ce philosophe , doit juger, et non les sens ,
et nos idées sont des réminiscences, dont le prototype est en
Dieu. » Doctrine, comme on le voit, presque chrétienne, et
qui mérita à Platon ce surnom de divin, que personne au-
jourd'hui même ne songera à lui contester. Mais les esprits
ne purent lester longtemps à la hauteur où Platon les avait
fait monter. Aristoto, chef des piripatéliciens , les en fit
descendre. Il humilia l'intelligence humaine en rejetant les
idées innées et en ne les faisant venir à l'esprit que par
l'intermédiaire des sens. Puis vint le stoïcisme, qui, cher-
chant à léunir des systèmes opposés, admit la Divinité
comme ]iiiiicipe eHicient , mais la soumit au destin, con-
tradiction cho(iuanle, puisque c'était reconnaître pour cause
ce qui ne l'élait pas. On voit par cet exposé rajiide que
sur !e principe des connaissances humaines les anciens phi-
ALD
losophes llottaient entre l'intelligence suprême et la matière
éternelle , comme entre l'esprit de l'hom.me et ses sens. Ce-
pendant la philosophie platonicienne domina dans la pre-
mière école clu-étienne justpi'à l'invasion des barbares.
Lors(pie le christianisme, vainqueur des barbares, eut
renoué le fil qui doit rattacher l'avenir au passé dans l'im-
périssable domaine de l'intelligence , le goût des études phi-
iosopliiques dut nécessairement s'emparer de nouveau des
hommes, et la discussion, devenant à la mode à une époque
où les esprits n'étaient pas encore assez éclairés, dégénéra
bientôt en subtilité, et \ivoAu\ui\dLpItilosophie scolastiqne ,
qui perdit beaucoup de temps à des choses oiseuses, mais qui
néanmoins donna de la sagacité aux esprits, de la concision
aux langues ; et Leibnitz, juste appréciateur de tout mérite,
déclare qu'il y a de l'or caché dans le fumier de l'école. Après
des luttes pénibles, où l'entendement fit peu de progrès,
malgré le renfort de tous les beaux esprits qui , chassés de
Constantinople , s'étaient répandus en Italie, et qui avaient
porté, au témoignage de Condillac, plus de subtilité que de
connaissance dans la philosophie, parut le dix-septième
siècle, fécond en grands réformateurs. Bacon en Angleterre,
Descartes en France, Leibnitz en Allemagne, se partagèrent
le monde intelligent, et, se divisant au point de départ, s'enga-
gèrent dans des routes diverses. « Ces trois grands réforma-
teurs, dit M. de Bonald avec une douloureuse amertume ,
ne se rejoindront plus ! » C'est qu'en effet, comme le prouve
l'illustre écrivain , l'esprit humain même le plus heureuse-
ment disposé à la recherche de la vérité doit nécessairement
payer tribut à la faiblesse humaine, lorsqu'il n'a pour cons-
truire tout l'édifice du monde moral que des moyens hu-
mains; et qu'ensuite les enseignements de la plus haute
sages? j n'ont pas sur les hommes une autorité assez forlc,
lorsque le principe divin ne leur imprime pas le cachet de
l'unité , qui est en même temps celui de la vérité. Aussi Ba-
con et Locke, son disciple, qui, bien qu'attachés au chris-
tianisme, ne furent pas assez pénétrés de son esprit, finissent
par pencher vers ie matérialisme. Descartes, franchement
spirifualiste, réforme Bacon, en adoptant les idées innées,
qn1l explique d'ailleurs de manière à prévenir les fausses in-
teriirétations de ceux qui ont toujours eu soin de ne pas les
entendre comme Descartes, pour avoir beau jeu à les com-
battre. Leibnitz, grand gi'omètre, riche de toutes les con-
naissances humaines, va plus loin que Descartes : il renou-
velle le platonisme, mais un platonisme plus épuré, plus
savant , plus profond , plus méthodique que celui du disciple
de Socrate, et son système, qui peut-être incline un peu
trop à Tilluminisme, est incontestablement le plus juste et
le plus complet : c'est assez dire qu'il est le plus religieux.
Propagé par WoH , il subit bientôt les attaques d'un autre
philosophe, qui commence par rejeter comme insuffisant et
erroné tout ce qui a été enseigné jusqu'à lui depuis trois
mille ans. Mais le criticisme de Kant, ce nouveau réforma-
teur, annoncé avec emphase, reçu avec fanatisme, débattu
avec hneur, n'a produit, en dernier résultat, que des divi-
sions ou même des haines et un dégoût général de toute
doctrine ; et, s'il faut le dire, il a tué la philosophie, et peut-
être tout nouveau système est-il aujourd'hui impossible. 11
est à craindre en elfet que la raison humaine ne soit con-
damnée à déraisonner longtemps, si elle aspire à trouver
un critérium, tellement prompt, tellement simple , qu'il
puisse, au premier coup d'œil, lui faire discerner la vérité de
l'erreur. Jusque là elle doutera, mais douter mène au néant
moral et croire est nn principe de vie.
« Cependant, ajoute M. de Bonald, dans toutes les sciences
physiques il existe un fait a priori, extérieur, primitif, gé-
néial , évident , qui sert de point de départ à tontes les re-
cherches humaines : ainsi, la ligne droite est la plus
courte entre deux points donnés , etc. Pour les sciences
morales, il doit aussi exister un fait a priori , extérieur,
pris dans l'ordre des choses morales, puisqu'il doit seivir
DONALD
fie !)n';c <'i !a «c'cnrc des être? moraux et de leurs rapports
avec la science de Dieu, de i'iiomiue et de la société. « Et
ce fait SI. de Bonald le trouve dans le don du langage ac-
cordé au genre humain. Il existe absolument a priori, puis-
qu'on ne saurait remonter plus liaut; il existe général et per-
pctcel, puisqu'on le retrouve partout où il y a deux créatures
humaines , quoi qu'en ait pu dire Condillac, avec plus d'es-
prit que de vérité. Or, la parole , étant un des besoins de
la société, n'a pu être laissée aux chances éventuelles de
l'invention humaine, et nul doute que ce ne soit un don
immédiat de Dieu , comme fa vie physique et intellectuelle,
dont la parole est l'expression. Dieu, l'homme, la société,
voilà les objets de la philosopliie : or le don primitif du lan-
gage donne une raison suftisante de toutes les questions éle-
vées en philosophie sur Dieu, sur l'homme et sur la société.
« Pour vivre, dit M. de Donald, il a fallu que l'homme, aus-
sitôt que créé, put penser et p-^rler, et reçût d'un être supé-
rieur en intelligence le don merveilleux qui forme l'inexpli-
cable nœud de la parole et de la pensée , de l'esprit et des
organes, dans cet accord si intime et si prompt, qui, rac-
lant, sans les confondre, des facultés si opposées, met la pa-
role dans l'esprit et l'esprit sur les lèvres. » Comment en
effet admettre un principe moral du monde et reconnaître
que l'homme est né pour la société , sans qu'en lui fussent
innés les dons nécessaires à l'accomplissement de cette vo-
cation ? D'ailierirs , comment expliquer l'invention humaine
du langage, si l'on considère que, selon l'expression de
J.-J. r.ouSH'au , la parole a été nécessaire pour (itabiir l'u-
sage de la parole? Le langage est donc un fait a priori et
comme l'expression native des idées qui constituent dès sa
naisf.ance rhomme nioraj. C'est un fait général , j)uisqa'il est
fiarlout le même , bien que les idiomes soient dilférents; car
« dans toutes les langues, dit {'Encyclopédie , on trouve les
nièiîics espèces de mots , et ils sont assujettis aux mêmes
accidents. » « Le langage se modifie, s'étend, se polit, ajoute
M. de Donald, mais le fond, la constitution du langage, res-
tent les mêmes, aussi invariables que la société, la nature
et le temps. » Puis , regardant la parole comme ie premier
mobile de la civilisation , il cherche dans les idiomes qui
ont d'à être l'expression des premières idées, et par consé-
quent des premiers [)rincipes sociaux , l'origine de toutes les
connaissances humaines et la révélation des premières no-
tions morales, et c'est encore danslalangue ht braïque qu'il
trouve ces caractères de primordialité et de perfection ; d'où
il conclut que la civilisation n'est autre chose que les pré-
ceptes de l'ancienne et de la nouvelle loi appliqués à la so-
ciélé civile.
On suivra aussi avec intérêt M. de Bonald dans le déve-
loppement de son opinion sur l'invention de l'écriture , qu'il
n'hésite pas, après un sérieux examen , à ranger de même
parmi Ic^ faits révélés à l'homme de toute éternité, et il
sera curieux de la comparer à celle des philosophes qui
prétendent que l'écriture, n'étant après tout qu'un jnoyen ar-
tificiel et de convention de décomposer les sons , a fort bien
pu être d'invention humaine. C'est d'ailleurs une question
controversée, et qui est loin d'être résolue. Quoi qu'il en
soit, que l'écriture nous vienne de l'Inde ou de l'Éuypte,
ou des Phéniciens, ou des Hébreux, qui turent longtemps
confondus avec les Phéniciens , ou que , selon les rabbins ,
l'ange P>aziel ait enseigné l'écriture au premier homme, c'est
toujours un fait que le type des lois écrites pour la société
se trouve évidemment, de toute antiquité, dans les livres
saints , comme ils renferment tous les principes sociaux
qui ont civilisé le monde, et qu'en voyant ces lois écrites,
dont l'ancienneté se perd presque dans l'obscurité des pre-
miers âges , on peut se demander quel effort humain a pu
opérer, comme d'un seul trait d'imagination , une invention
si miraculeuse, comparativement à la lenteur ordmaire des
invenliiias humaines; et peut-être alors sera-t-on amené à
dire avec Cicéron et avec M. de Bonald : £x hac ne iibl
405
terrenn viorlnliquo. nntura concretiis is videtiir, qui so-
nos vocis, qui infinili videbantur, paucis litterannn
liolis tcnninavit? Dérivant de ces premières données les
règles de la physiologie, qui est pour l'homme vivant ce
que l'anatomie est pour le cadavre, il définit l'homme une
infelligence. servie par des organes , définition conforme à
celle de Cicéron, et réfute la (loctrine erronée et désolante
de Saint-Lambert et de Cabanis, qui ne veulent voir dans
l'homme qu'une masse organisée et sensible , qui reçoit
l'esprit de tout ce qui l'environne et de ses besoins.
Puis, analysant le plus bel attribut de l'homme, la pensée,
il démontre comment les idées sont en même temps innées
quanta leur type, et acquises dans leur expression; que
l'âme n'est pas le résultat de l'organisation cori)orelle, puis-
qu'il serait absurde d'admettre que la partie la plus noble,
et qui doit commander à l'autre, filt, en quelque sorte, sou-
mise à l'organisation de celle dernière : or, comme dit Cicé-
ron , « l'âme commande au corps , comme le roi aox ci-
toyens et le père à ses enfants. » Résumant enfin ce brillant
système , si habilement déduit , il trouve la cause première
de la création dans Dieu, qui, dit-il, ne peut exister sans
être connu, ni être connu sans exister, les causes finales
dans l'harmonie des moyens et des fins , c'est-à-dire dans
le perfectionnement moral et social de l'homme, évidem-
ment créé pour la société, et la cause seconde dans Vhomme,
ouvrage de prédilection de Dieu , qui l'a établi roi de la
nature entière.
Enfin, pour achever le résumé de l'œuvre de M. de Bo-
nald , tout dans l'univers annonce, prouve dessein, inten-
tion, intehigcnce ; l'univers matériel et tout ce qu'il ren-
ferme appartient à l'espèce humaine et est fait pour son
usage. 11 n'y a donc dans l'univers pas plus de hasard qu'il
n'y a de destin. « Le hasard , dit Leibnilz, n'est que l'igno-
rance des causes physiques, « et l'on peut dire aussi que ce
que l'on appelle destin n'est que l'ignorance des causes mo-
rales. « Avec le mot Dieu , dit Cabanis, on ne rend raison
de rien. » « Sans le mot de Dieu, réplique M. de lîonald,
on ne rend raison de rien de général, et ce philoso])he, qui
substitue à ce mot ceux de nature, de matière, ô'cnergic,
de hasard, de molécules organiques, ne donne de rien une
raisen satisfaisante pour ceux qui ne se payent pas de mots. »
iS'ous nous sommes étendu sur les doctrines de M. de
Bonald, parce qu'il nous a semblé que, faute d'être bien con-
nues, elles avaient été attaquées avec trop de partialité, et
c'est un hommage que nous sommes heureux d'avoir pu
rendre à la vérité, en môme temps que nous avons payé
notre tribut d'éloges à l'un des plus profonds philosophes
de nos jours et à l'un des esprits les plus sincères et les
plus consciencieusement religieux. Nous dirons peu de
chose de son style, dont le mérite est moins contesté, et
qui est toujours à la hauteur des matières graves qu'il traite,
tour à tour serré, précis, élégant, grave, majestueux, et
presque toujours assorti par son principal caractère à la
nature des questions qui se succèdent sous sa plume. Quel-
ques personnes cependant ont cru devoir lui reprocher de
l'obscurité, d'autres de la prétention à l'originalité et à
l'effet. Ce dernier reproche pourrait jusqu'à un certain
point être justifié par quelque surabondance de synonymie,
et par l'abus de l'antithèse, défaut auquel M. de Bonald se
laisse quelquefois aller sans s'en apercevoir; mais il serait
injuste de faire de cette légère exception la règle d'un juge-
ment à appliquer au style de l'auteur, presque toujours sage
et mesuré, et dont la gravité, plutôt que l'enflure, est le
principal caractère. Quant au piemier reproche, qui tient,
croyons-nous, à la difficulté de suivre tous les raisonnements
de l'auteur, qui se lient et s'enchainent avec une précisiop
et une rapidité extraordinaires, nous n'hésitons jias à le
déclarer mal tonde. Mais il y a des gens (jui veulent lire un
ouvrage de philosophie sans qu'il en coûte rien à leur csiirit
paresseux, et, faute d'y apporter la dose d'attcntioa suffi*
406
BONALD — BONAPARTE
sai)tc, ils ont peine à lier les parties d'un fout dont ils ont
souvent négligé de suivre et de méditer les intermédiaires;
bientôt ils se perdent dans un labyrinthe dont ils ont oublia
le fil; ils trébuchent à des obstacles qu'ils se sont créés
(Mi\-nir;mes , et leur vanité aime mieux imputer leur décon-
venue à l'obscurité de l'auteur qu'à l'insudisance de leurs
efforts. L'abbé J. Beutin. ]
M. de Donald avait épousé en 1776 Elisabeth de Gui-
hald DE CoMBEScuEE, proche parente du chevalier d'Assas,
morte en 1820. De leur union sont nés quatre lils et une fille,
/fenrielte, mariée à M. de Serres, écrivain religieux et mo-
narchique comme son beau-père.
BONaLD (Auc.uste-IIenri de), l'aîné des fds de M. de
lîonaM, publicistede la même école, secrétaire intime de son
pore, placé au collège de Saint-Charles de Heidelberg du-
rant le séjour de celui-ci dans celte ville, rentra avec lui en
l'iance, et alla continuer ses études au collège de Juilly, di-
rigé par les Oratoriens. Volontaire royal en 1815 , on le vit
eu 1816 et 1817 poursuivre de ses sarcasmes des hommes
qui, grands dans le malheur, n'emportaient dans l'exil que
les regrets de leurs concitoyens. Après 18?.0 il quitta la
l<>ance, pour aller rejoindre à Fribourg les pères de la foi et
les organes du parti légitimiste, et fut dans celte ville un des
rédacteurs de V Invariable, nouveau Mémorial catholique.
En 1835 on le vit déposer ses hommages aux pieds de Ven-
fant du miracle, puis, de retouren France, se rallier, |)oiir
être utile à ses coreligionnaires politiques et ne pas nuire à
son frère Maurice, qui aspirait au chapeau de cardinal. Col-
laborateur des journaux la France et l'Univers, il est au-
teur d'une notice sur son père et de plusieuis brochures, au
nombre desquelles on cite l'apologie la plus hardie dont les
jésuites aient jamais été l'objet. M. Henri de Donald est mort
le 5 septembre 1848.
UOKALU ( VicToii DE ) , fière du précédent, étudia, comme
lui, au collège de Heidelberg, fut nommé recteur de l'Aca-
démie de Montpellier quand son père redevint membre du
conseil royal de l'inslniction publique, et donna sa démission
eu 1830. 11 est auteur de deux ouvrages de l'école de son
père, dont l'un traite de la Géologie de Moïse. Une discus-
sion très-vive s'éleva dans l'année 1852 entre lui et le
P. Ventura. — Son frère René, conseiller général du dé-
partement de l'Aveyron en 1826, avait été nommé précé-
demment, par intérim, préfet de ce département en 1817 et
1818, durant l'instruction du fameux procès Fualdès.
BONALD ( Louis-Jacqces-Maurice de), frère des précé-
dents, né à Milhaud, le 30 octobre 1787, fut destiné dès sa
naissance à la carrière ecclésiastique, et lit ses études au sé-
minaire de Saint-Sulpice. A son début, il s'attacha, comme
secrétaire particulier, à M. de Pressigny, ancien évcque de
Saint Malo, archevêque de Besançon, nommé par Louis XVII l
ambassadeur près le Saint-Siège. IM. de Pressigny ne put
achever le concordat, et l'abbé de Donald, scandalisé de la
conduite des prélats italiens, enchevêtré d'ailleurs dans leurs
ruses peu édifiantes , s'estima heureux de s'enfuir de la ca-
pitale du monde chrélicn, en y laissant pour tout souvenir
un couvent de religieuses fraaçaiscs qu'il y avait fondé du-
rant son séjour. Rentré en France, il fut bientôt le prédi-
cateur à la mode du faubourg Saint-Germain ; la réputation
du père rejaillit sur le fils : il devint vicaire général de
Chartres, aumônierordinairede Jlonsieur (depuis Charles X) ,
aumônier du roi par quartier, et enfin évéque ilu Puy eu 1 823.
Dans un procès intenté au Courrier français et au Cons-
titutionnel, la cour royale de Paris ayant cru devoir si-
gnaler à la France que la plus grande partie de son clergé
professait des opinions diamétralement opposées aux libertés
de l'Église gallicane, l'évèque du Puy adressa sur-le-champ
au roi une lettre par laquelle il protestait contre cet arrêt ,
et attaipia avec violence la liberté de la presse , que venait
de rétablir Charles X. Plus tard, cependant, par une étrange
contradiclion, il signa une aulve lettre au roi, dans laquelle
la plupart des évoques français protestaient en faveur des
libertés gallicanes. Durant sou séjour au Puy, il lança plu-
sieurs lettres pastorales et mandements qui provoquèrent
l'attention publique, et commit, dit-on, dans son diocèse
quelques actes d'intolérance qui firent dire de lui et de quel-
ques nouveaux prêtres à M. de Frayssinous : Ils sont
trop jeunes pour être tolérants.
Sous le règne de Louis-Philippe, en 1839, M. de BonaM
fit un nouveau voyage à Rouie, où il fut accueilli avec la
plus grande distinction par le. pape, qui lui manifesta les 9
meilleures dispositions au sujet du roi des Français et de h
la Franco , et lui exprima le désir de voir le clergé français
s'abstenir de toute démonstration contraire.
Vers cette époque la mort du cardinal Fe-^ch, oncle de
Napoléon, et resté, malgré son exil , titulaire de l'archevêché
de Lyon , mit à la disposition du gouvernement la collation
de ce siège important; et le choix du pouvoir se fixa sur
le cardinal d'Isoard , que M. de Donald fut en même temps
appelé à remplacer en qualité d'archevêque d'Auch. Il n'a-
vait [tas encore eu le temps d'accepter cette insigne faveur,
quand le cardinal d'Isoard, qui était venu attendre à Paris
les bulles du Saint-Père, y mourut presque en mcMue temps
que M. de Quélen; et voilà le siège de Lyon encore une fois
vacant. On l'offrit alors à M. de Donald, qui l'accepta, au
risque de causer de douloureux regrets à ses ouailles du
Puy. Sa nomination porte la date du 4 décembre 1839, et
l'année suivante il obtint le chapeau.
Tant de faveurs ne rallièrent qu'à moitié M. de Donald ; il
fut un des premiers à lancer l'anathême contre l'université
et l'enseignement public. Ses bulles, rebelles aux avertisse-
ments du conseil d'État, étaient pleines d'intolérance et de
menaces ; enfin ce fut presque sous ses yeux que l'abbé Des-
garets publia cet extravagant pamphlet : Le Monopole U7ii-
versilaire, qui amena son auteur en cour d'assises. Jusqu'à
la fin de la monarchie de Juillet, Jî. de Donald se fit remar-
quer parmi les plus ardents à combattre l'université et la
philosophie, peut-être bien dans l'espoir de se faire par-
donner ainsi par les pointus du parti légitimiste ce que cer-
tains appelaient son apostasie politique, c'est-à-dire ses
relations plus qu'amicales avec le Juste-Milieu.
La constitution de 1852, en créant les cardinaux membres
nés du sénat, a appelé M. de Donald à siéger au LuNembourg.
' BOIVAMIE. Ce genre de la famille des convolvulacées
a été établi par Dupetit-Thouars. Il ne comprend encore
qu'un arbrisseau trouvé à Madagascar, et ayant pour carac-
tères : tige dressée, garnie de feuilles alternes, coriaces,
très-entières, ondulé&s; inflorescence en panicule terminale.
BO^IiVPARTE (Maison des). Ce nom s'écrit indiffé-
remment Bonaparte ou Buonaparte. Le père de Napoléon
signait Buonaparte , et son oncle signait à la même époque,
aux mômes lieux et sous le même toit , Bonaparte. Il n'y
a aucune induction à tirer de ces variantes sans importance.
L'empereur dans sa jeunesse écrivait Buonaparte : c'est
plus conforme à l'orthographe italienne; pour franciser son
nom, il s'appela p'.ustard Bonaparte. Quoiqu'ileu soit, cette
famille joue un rôle distingue dans les annales de l'Italie
dès le douzième siècle. A Trévise elle fut longtemps puis-
sante. A Florence, les actes de plusieurs de ses membres
paraissent l'avoir placée parmi les illustrations princières de
cette belle cité : là, de vieux palais et des monuments sont
restés chargés de ses écussons et de ses noins. A Venise
elle était inscrite sur le Livre d'Or. Les anciens titres de
cette famille à Trévise furent présentés à Bonaparte par les
magistrats de cette ville, en 1796, quand il y entra victo-
rieux. A Bologne , Marescalchi , Caprara et Aldini lui pré-
sentèrent aussi de vieux titres qui unissaient sa famille à
d'autres maisons historiques : ses armes, qui consistent en
un râteau, offrent cela de remarquable qu'elles sont accom-
pagnées de fleurs de lis d'or. Bonaparte était premier consul
lorsqu'un généalogiste publia qu'il descendait d'anciens rois
BONAPARTE
407
du Noril. Un Italien , nommé Césaris, a prouvé à Londres,
en ISOO, par des arguments héraldiques complets, les al-
liances des Çonaparte avec la maison d'Est, Welf ou
Guelf , désignée comme tige de la ligne allemande qui gou-
verne aujourd'hui la Grande-Bretagne ; cette giande maison
d'Est a donné aussi plusieurs impératrices à l'Autriche.
Clarke, duc de Feltre, ministre de Napoléon, officier vul-
gaire, mais courtisan adroit, rapporta en France, dans les
jours où son zèle napoléonien était plein de feu , de nou-
velles preuves de ces origines, et entre autres documents
un portrait de la galerie des .Médicis qui représente une de-
moiselle Bonaparte mariée à un illustre personnage de cette
famille. La mère du pape Nicolas V , ou Paul V , était une
Bonaparte. Ce fut un 15onaparte qui rédigea le traité par
lequel Livourne fut échangée contre Sarzane. A la renaissance
des lettres, un membre très-distingué de cette famille,
JSicolo Bonaparte , gentil-homme et professeur à San-Mi-
niato, publia une comédie intéressante, qui mérite d'être con-
nue, intitulée la Vedova (la Veuve). Le manuscrit original ,
im exemplaire imprimé de l'édition de Florence de 1592 et
un autre de celle de Paris de 1S03 sont déposés à la Biblio-
thèque Impériale. Un ministre de la cour de Rome rappela
en 1707, à Tolentino, lors de la paix de la république avec
le pape , que Bonaparte était le premier Français qui eût
marché sur Rome depuis le cardinal de Bourbon, et qu'un
gentil-homme toscan de sa maison, nommé Jacopo Blona-
PARTE , qui vivait dans la première moitié du £eizièn)e
siècle , avait écrit une histoire remarquable de cette ex-
pédition, dont il avait été à la fois témoin et acteur, sous
le titre de Ragguaglio storico di tutto l'occorso, giorno
per giorno, net sacco di Roma dell' anno 1527. En effet
ce livre existe; il a été imprimé pour la première fois à
Cologne, en 1756, traduit en français, à Paris, en 1S09, réé-
dité par Louis Bonaparte , ex-roi de Hollande , à Florence,
en 1830; il renferme une généalogie complète des Bona-
parte, que l'on fait remonter très-haut; on les y désigne
aussi comme étant une des maisons illustres de l'Italie. Le
premier Bonaparte y est inscrit avec la qualification ÔLCJcilé
gibelin; Nicolas Bonaparte, que l'on a confondu avec
Jacopo, est l'oncle de cet historien, savant illustre, fon-
dateur, à l'université de Pise , d'une chaire ds jurispru-
dence.
Les archives de Munich renferment un grand nombre
d'autres preuves de l'ancienne splendeur des Bonaparte.
Cette- famille, comme tant d'autres des petits États d'Italie,
fut victime des nombreuses révolutions qui désolèrent ce
beau pays ; les factions exilèrent les Bonaparte de Florence.
Un d'eux se retira à Sarzane , et de là passa en Corse, d'où
ses descendants continuèrent toujours d'envoyer un de leurs
enfants en Toscane, à la branche qui était demeurée à San-
Miniato. Depuis plusieurs générations le second des enfants
de la famille a constamment port^ le nom de Napoléon.
Elle tenait ce nom de son alliance avec un Napoléon des
Vrsins, célèbre parmi les guerriers de l'Italie. Différentes
fois on essaya de toucher le cœur de Bonaparte en tirant
ces souvenirs de la poussière ; mais toujours il accueillit en
haussant les épaules ou très-légèrement les ouvertures qui
lui furent faites sur ce point ; il ferma à cet égard l'oreille a
tout projet sérieux. Personne ne put y revenir avec succès,
pas même Marie-Louise. L'empereur François s'était fait
représenter tous les titres de la famille Bonaparte avant de
marier l'archiduchesse sa fille à Napoléon. Aussi, disait-il
à quelqu'un qui mettait en doute la noblesse de ce dernier :
• Je ne lui donnerais pas ma fille, si je n'étais convaincu
que sa famille est aussi noble que la mienne. » Déjà , dans
les dernières années du consulat , Napoléon avait dit à pro-
pos (](t vieilles royautés du Nord auxquelles on rattachait
son nom, que tout cela était parfaitement ridicule, et i.l
avait fait jicrsider cette dccouveile dans un journal trè.s-
rei)and:i ; il répondit à cette occasion que sa noblesse ne
datait que de Montcnotte et du dix-huit brumaire. II était
alors âgé de trente-deux ans, préparait le Code Civil des
Français, et avait gagné la bataille de Marengo.
Le pape lui-même, lorsqu'il alla à Paris, en 1804, insinua
plusieurs fois à l'empereur qu'il y avait eu jadis à Bologne
un père capucin Bonavcnture Bonaparte, qui avait mé-
rité d'être béatifié pour ses vertus, mais que sa canonisa-
tion avait été ajournée à cause des frais considérables qu'elle
entraînerait, et qu'il était temps , enfin, que justice lui
fût rendue. L'empereur fit encore la sourde oreille, et ne
parut pas tenir à avoir im saint dans sa famille. Quand
François II lui parla, dans les fêtes éblouissantes de 1812 ,
à Dresde , des anciens titres que nous venons d'énumérer,
Napoléon lui répondit en souriant « qu'il n'attachait pas le
moindre prix à ces choses-là ; qu'au contraire il tenait à être
le Rodolphe de Habsbourg de sa race ». L'étiquette qu'il
faisait observer aux Tuileries , dans son rôle officiel, tenait
à l'ordre avec lequel il lui semblait indispensable, après uno
révolution qui avait anéanti tout esprit de subordination,
de déterminer hiérarchiquement les diverses positions so-
ciales. Il voulait une sorte de discipline civile. Son génie
ne concevait même rien de facile et de grand sans son se-
cours. Frédéric Fayot.
Les témoignages les plus récents de l'ancienneté de la
noblesse de la famille Bonaparte sur lesquels on puisse s'ap-
puyer sont ceux de Bourrienne, qui , dans ?■&$ Mémoires ,
cite des pièces qui prouvent l'illustration de cette famille.
Il affirme même avoir vu sa généalogie authentique , que la
famille de Napoléon dut faire venir de Toscane quand il lui
fallut fournir ses preuves de noblesse pour obtenir son ad-
mission à l'École militaire de Brienne. M. de Las Cases as-
sure avoir souvent entendu répéter à M. de Cetto , ambas-
sadeur de Bavière , que les archives de Munich renfermaient
un grand nombre de pièces italiennes attestant l'illustration
de la famille Bonaparte.
Mais si l'on est bien fixé sur la noblesse des Bonaparte,
on ne l'est pas autant sur l'origine de la famille, que la
complaisance des flatteurs , depuis son avènement au pou-
voir, a fait remonter jusqu'à la nuit des siècles , jusqu'aux
temps fabuleux. Selon l'un d'eux. Napoléon serait un des-
cendant desComnène, empereurs grecs de Constantinople.
Si l'on devait en croire quelques historiens, les Bonaparte se-
raient plus anciens qu'on ne le pensait même à l'époque où
un des leurs tenait le sceptre d'Occident, car ils appartien-
draient à ces familles de Maïnottes qui , quittant la Grèce,
vinrent fonder en Corse une colonie. Nicolas Stephanopoli,
historien corse, a, vers la fin du siècle dernier, cherchu
à fixer répo([ue de l'établissement de cette colonie dans sa
patrie au quatorzième et quinzième siècles; opinion confir-
mée, depuis , par M. Jules Pautet et par M. Alfred Marey-
Monge. Suivant ce dernier, il y aurait eu parmi ces énu'-
grés des Koi.Iq[leç,o , dont le nom, qui en langue romaïque
signifie bon lieu, serait devenu, en s'italianisant, Buona
parte, de n:ême que plus tard on en aurait fait en France
Bon part et Bompart ; et il assure que c'est de la famille
des Calomérides , bien connue duns le Magne, que descend
Napoléon Bonaparte, dont le noble profil confirmerait cetto
origine. Cette tradition problématique rappelle les luîtes des
villes grecques , se disputant l'honneur d'avoir donné le jour
à Homère.
Plus récemment encore, on a voulu domier à Napoléon
des rois de France pour aïeux , et il s'est trouvé quelqu'un
qui a sérieusement débité que Napoléon descendait en
ligne directe de V Homme au masque de fer, frère jumeau
de Louis XIV. Le gouverneur de l'île Sainte-Marguerite,
auquel la garde de ce prisonnier d'État était confiée, se nom-
mait Bonpart. Sa fille se serait éprise de l'inconnu; le père
en aurait référé à la cour, qui aurait décidé qu'il n'y avait
pas d'inconvénient à les unir, et il serait facile, ajoutait-on,
de vérifier ce mariage sur les registres d'une des paroisses
408
BONAPARTE
de Marseille; les enfants issus de cette union anraicnt éti-
t'iandest'nenient conduits en Corse, où ils auraient pris le
nom de leur mère , soit Bonaparte en italien.
D'après un ouvrage de Georges Sand, publié en 1842
( Un Hiver à Majorr/uc), il existerait dans la bibliollièiiue
du comte de Monténégro im armoriai manuscrit, contenant
les principales familles de Majorque, letjuel aurait appartenu
à don Juan Dameto, arctiivistc de celte île, décédé en 1633.
Des documents trouvés dans cet armoriai, qui remonte au
seizième siècle, et de quelques autres nobiliaires majorquins,
il résulterait que les Bonaparte seraient une famille d'ori-
gine provençale ou languedocienne , transplantée en Espa-
gne. Les preuves en seraient aussi consignées à Barcelonne,
dans un nobiliaire avec armoiries, appartenant aux archives
de la couronne d'Aragon, et dans lequel on trouverait, à
la date du 15 juin 1549, les titres de noblesse de la famille
Fortuny, au nombre desquels ligurerait, parmi les quatre
quartiers, une aïeule maternelle issue de la maison liona-
pnrt. En 1411 un Hugo Bonapart, natif de Majorque, se-
rait passé dans l'ile de Corse , en qualité de régent ou gou-
verneur pour le roi IMartin d'Aragon. « Qui sait , ajoute
(leorges Sand , l'importance que ces légers indices, diJcou-
vcrls quelques années plus tôt, auraient pu acquérir, s'ils
avaient servi à démontrer à Napoléon , qui tenait tant à être
Français, que sa famille était originaire de France? »
Cette dernière origine détruirait, au reste, l'établissement
des Bonaparte en Italie en 1411 , tandis qu'un des plus an-
ciens Bonaparte connus vivait à Florence en 1140, et qu'il
en fut exil<' celte année comme gibelin. Pour qu'il n'y eût
pas contradiction , il faudrait qu'une brandie de l'ancienne
famille provençale ou languedocienne eût émigré en Italie ,
tandis que l'autre passait en Espagne, ou que les Zanparto
italiens ne fussent point de la môme source que les hona-
parl de Majorque.
En admettant (}ue ces origines puissent être contestées ,
au moins l'ancienneté de cette famille en Italie est certaine.
Elle joue un rôle éminent dans les annales de la péninsule
dès le douzième siècle. Ses membres apparaissent ;i diverses
époques à Trevise,à Parme, à Rome, à Florence, à San-
Miniatode Tedesco comme dignitaires de ces Éiats, couune
signataires de traités, chevaliers, fondateurs d'ordres, etc.
Quant aux Bonaparte de Sarzane , ancêtres de la branche
de Corse, ils reuiontent, sans interruption pendant [ilus de
trois siècles, au magistrat Bonaparte, (ils de Zanparto,
d'où viendrait le nom de famille Bonaiiarle. Ce magistrat
Bonaparte, qui était gibelin, dut s'éloigner de l'iorence, où
l'on montre sa maison, et se fixa à Sarzane, où l'on connaît
sans interruption ses nombreux descendants jusqu'à Fran-
çois, qui passa en Corse. Ce François ou Francesco partit
de Sarzane pour la Corse en 1512 , avec un couunandement
militaire de la république de Gênes. Au nombre des brillantes
alliances de cette famille à Sarzane, on cite celle d'un Bona-
parte avec Apollonia, tille du marquis souverain iNicolo Ma-
iespina délia Verrucola. La dot était de 400 livres de Gênes,
somme exorbitante pour l'époque. L'acte est du s août 1440.
Parmi les Bonaparte de Florence et de San-Miniato, plu-
sieurs se sont alliés aux premières familles de l'Italie et se
sont illustrés dans l'Église, dans la magistrature, dans la
carrière militaire. Il y a eu, dans le nombre, des podestats, des
chefs des anciens, des ambassadeurs, des gentils-hommes,
des chevaliers , des colonels , des capitaines colèbres et un
clerc de la chambre aposlolitiue, savant professeur de droit.
Un d'eux, Léonard-Antoine , accusé de haute trahison
en Kiil, eut les deux tiers de ses biens conlisqués, et lut
décapité à Florence.
A Trévise , les Bonaparte ont été très-anciennement sei-
gneurs de la ville et investis du souverain pouvoir. Ils jouis-
saient du droit exclusif de porter les armes dans la cité et
au dehors. Il y a eu parmi eux des podestats, des cheva-
liers, syndics , procureurs généraux et pnenrs de l'ordre de
la Vierge glorieuse, un libérateur de sa patrie opprimée
par des tyrans , un signataire du traité conclu en 133S entre
Venise et la Hongrie, etc. D'autres Bonaparte «e distinguè-
rent à Pise, <à Bologne et à Lucqucs.
Le Bonaparte de Sarzane qui en 1512 fut envoyé par
les Génois en Cor.se y eut un lils, qui se maria dans l'île
en 152!), et de cette époque date l'établi-ssement de la famille
dans ce pays. Cette branche , ruinée par les guerres civiles,
vécut pauvre et avec moins d'éclat que les deux autres. Na-
poléon disait à Sainte-Hélène : « Mes succès une fois éta-
blis en Italie firent rechercher partout les circonstances de
notre famille, depuis longtemps tombée dans l'obscurité. »
Jusqu'à la moitié du dix-huitième siècle les Bonaparte de
Corse comptèrent pourtant plusieurs personnages de dis-
tinction. Ils étaient alliés aux Colonna, aux Ornano , aux
Bozi , aux Durazzo de Gênes et aux premières maisons de
l'île. Ils acquirent des propriétés et obtinrent une grande
influence dans le canton de ïalavo, et surtout dans le bourg
de Bozognano. La famille fut encore recoimue noble (juand
M. de Marbeuf devint gouverneur de l'île. Leiu' maison pa-
trimoniale d'Ajaccio fut trois fois saccagée dans les guerres
dont ce malheureux pays fut le théâtre. Parmi les Bona-
parte qui précédèrent Charles-Maiie, père de Napoléon, il
en est qui furent qualiliés de messires, de magnifiques, (;e
chefs des anciens d'Ajaccio. Un se distingua contre les Bar-
baresques, un autre contracta alliance avec une Gondi , un
troisième fut député au sénat de Gênes, un quatrième devint
capitaine de la ville et un cinquième maréchal.
Au dix-huitième siècle les -Bonaparte de Corse n'étaient
plus rei)résentés que par deux descendants mâles, dont nous
allons parler. E. G. de Mo.nclave.
Charles-Afaric Bonaparte, père de celui qui fut em-
pereur des Français, naquit à Ajaccio, le 20 mars 1746. C'était
un beau jeune homsr.e, d'une éducation distinguée, niai.s
d'une santé chancelante. Sa taille était élevée; il avait le
caractère rempli de douceur, bien qu'il fût souvent en
proie à de vives souffrances. Il était venu étudier à Borne
dans sa première jeunes.se, et était allé ensuite apprendre
les lois à Pise. A son retour , il épousa, contre le gré de
ses oncles, la belle Lœtitia Ramolii\;j, d'une famille
patricienne, dont il eut huit enfants : Joseph, roi de
Naples, et puis d'Espagne; Napoléon, enq)ereur des
Français; Lucien, prince de Canino; Marie-Anne, ap-
pelée dans la suite Elisa, princesse de Lucques et de Piom-
bino, épouse du prince Bacciochi; Louis, roi de Hol-
lande, père de l'empeieui Napoléon III; Charlotte, ap-
pelée plus tard Marie-Pauline, princesse Borglièse;
Annnnciate, plus tard Caroline, épouse rie .Murât, roi
de Naples; et Jérôme, roi de Weslphnlie.
La douceur des manières de Charles-Marie Bonaparte
n'excluait pas en lui la chaleur et l'énergie de l'action. Lor.s-
qu'a la consulte extraordinaire de Corse, on proposa (Je
se soumettre à la France, il combattit avec feu cette pro-
l)osition. Ses paroles produisirent un grand effet sur les
esprits. 11 ne comptait que vingt ans.
L'île fut conquise. Il voulut partager le sort de Paoli,
et s'éloigna; mais rarchidiacre Lucien, son oncle, person-
nage trè.s-âgé, qui exerçait sur lui et sa jeune fennue un
très-grand ascendant, le força de revenir dans ses loyers,
Charles Bonaparte était juge. En 1779 il fut nommé par
la noblesse de Corse membre et président d'une d('putation
qui fut envoyi'e à Paris. 11 mena avec lui le jeune Napo-
léon, alors âgé de dix ans, et sa jeune somu", Elisa, depuis
grande-(luch(!sse de Toscane. En venant, il avait pa.ssc par
Florerice, ou la notoriété de .son origine lui valut les égards
particuliers du grand-duc Léopold, et une lellre de re-
commandation pour sa sœur, Mario-Antoinctto, leine de
France.
Lors(|u'il avait quitté la Corse, les deux ofliciers géné-
raux qui commandaient dans l'ile au nom du roi vivaieut
BOiN APARTE
409
fort divisés ; leurs querelles donnaient lieu à deux partis.
M. de Marbeuf gouvernait avec justice; il avait le carac-
tère doux et humain , et voyait son nom entouré de po-
pularité. M. de Narbonne-Pulet , qui était alors en grande
faveur à la cour, se montrait, au contraire, haut et violent
dans ses fonctions. Charles Bonaparte , en conduisant à la
cour la députation de l'île, fut consulté sur le fond des dif-
férends qui entravaient le gouvernement de la colonie. Il
témoigna en faveur de la loyauté et de l'habileté de M. de
RIarbeuf, et ses explications rangèrent le ministère à son
avis. M. de Marbeuf se montra reconnaissant de ce service;
et quand le jeune Napoléon Bonaparte fut envoyé à l'école
de Brienne pour y étudier les mathématiques, le gouver-
neur le recommanda particulièrement à sa famille, qui ha-
bitait la plus grande partie de l'année ce pays, où elle avait
ses propriétés. Le même intérêt de sa part environna les
autres enfants de Charles Bonaparte, qui furent envoyés en
France. M. de Marbeuf était très-âgé. Il y a eu telles su;i-
positions de quelques libeliistes anglais durant la puissance
de l'empereur dont quelques simples positio7is de dates
eussent fait justice complète; mais Napoléon s'y opposa;
on ne doit (ju'une réponse aux infâmes : silence et mépris.
Charles Bonaparte mourut en 1785, à trente ans, d'un
squirre à l'estomac. H avait éprouvé une apparence de gué-
lison dans un voyage qu'il fît à cet effet à Paris ; mais il
succomba à une seconde attaque, à Montpellier, où il fut
enterré dans un couvent. Sous le consulat, les notables de
la ville voulurent faire élever un monument au père du
premier magistrat de la république, mais Bonaparte refusa
son appiobatioa , tout en les remerciant gracieusement :
« Ne troublons pas, leur dit-il, le repos des morts. J'ai perdu
aussi mon grand-père et mon arrière-grand-père ; pourquoi
ne ferait-on rien pour eux? Voyez! ce que vous m'offrez
mène loin. Si c'était hier que j'eusse perdu mon père, je
serais fort reconnaissant que l'on voulût bien accompagner
mon deuil de quelques hautes marques d'intérêt ; mais un
événement qui date de vingt ans est fini , et étranger à la
France. » Cependant, quelques années plus tard, Louis
Bonaparte fit exhumer le corps de son père. Il fut trans-
porté à Saint-Leu, dans la vallée de Montmorenci, où un
monument lui est consacré. Charles Bonaparte avait affecté
l'esprit fort; on a recueilli de lui quelques poésies anti-
religieuses ; au moment de mourir, il revint aux sentiments
les plus pieux, et expira entouré des ministres de la religion.
Lucien Bonaparte, archidiacre, prêtre excellent, très-
pieux, doué de beaucoup de pénétration sous des formes
naïves, connaissait bien les affaires de la vie. Son carac-
tère était aussi sage qu'enjoué. Il est mort très-âgé; la seule
infraction qu'il ait faite à son catholicisme a été de s'a-
donner à celte candide et philosophique tolérance que l'on
distingue dans ceux qui ont longtemps bien vécu, tolérance
qui a sa source dans la bonté du cœur unie à des lumiè-
res. Ce vénérable prêtre exerça une grande influence sur
l'esprit de ses jeunes parents. C'est lui qui dit à Joseph ,
un moment avant de mourir, et après avoir exhorté tous
ses neveux réunis autour de son lit : « Joseph, tu es l'aîné
de la famille, mais souviens-toi toujours que Napoléon en est
le chef. » Il avait entrevu dans son jeune neveu des germes
de grandeur. Napoléon l'aima avec la tendresse d'un fils. 11
avait été son second père. Lucien est resté plusieurs an-
nées le chef de la famille. 11 était archidiacre d'Ajaccio, une
des premières dignités de l'île. Charles Bonaparte avait dé-
rangé les affaires de sa famille par de grandes dépenses et
des habitudes de luxe ; le bon vieux prêtre les rétablit par
une administration plus sage. Le canton d'Ajaccio faisait un
grand cas de sa justice. Les paysans venaient soumettre les
difficultés qui s'élevaient entre eux à sa probité et à ses lu-
mières, et il les réconciliait. Frédéric Favot.
Le traité de Paris du 20 novembre 1815 avait expulsé les
nicmbics de la i'amille Bonaparte de cette belle France,
1)!CT. ne LA CO.VVEKS. — r. 111.
d'où, giandis à l'ombre de la puissance impériale, ils aTaient
pris leur vol pour s'asseoir sur les plus anciens trônes de
l'Europe. Exilés de la patrie, ils trouvèrent un asile les uns
en Suisse, enitahe, les autres en Allemagne, dans la Grande-
Bretagne, et jusqu'en Amérique. La révolution de 1848 est
venue abaisser enfin devant eux les barrières de la patrie,
et ils ont pu revoir encore cette France qu'il a tant aimée,
ce Paris qui lui doit sa splendeur et où reposent ses cendres.
M™^ LœtitiaBoîiSPARTE, mère de l'empereur, dite Ma-
dameMère, retirée àRomedepuis l814,avaiteuladouleurde
survivre à nombre de ses enfants. Devenue aveugle sur la
fin de ses jours, et forcée de garder le lit par suite d'une frac-
ture de la hanche, elle supportait ses maux avec courage
et résignation. A l'exception de son frère le cardinal ï'esch,
qui ne la quittait presque jamais, elle ne voyait que rare-
ment les autres membres de sa famille. Elle mounit à
Rome , le 2 février 1836.
Le fils aîné de Charles Bonaparte et de M*"^ Lfrlitia, Jo-
seph Bonaparte, comte de Survillicrs, ex-roi d'Espagne,
est mort à Florence, au mois d'août 1844, laissant de son
mariage avec Julic-3Iarie Clary, sœur de la reine-douai-
rière de Suède, une fille, Zcnaide-Cliarlotte-JuUe, née à
Paris, les juillet 1802, mariée à Bruxelles, le 29 juin 1822,
à son cousin Charles Bonaparte, prince de C'anino,
né en 1803. Une autre fille de Joseph, la princesse Char-
lotte, morte en 1839, avait épousé, en 1825, son cousin Na-
poleon-Louis, second fils de l'ex-roi de Hollande Louis-Bo
nnparte, et frère de Napoléon lll.
Napoléon Bonaparte, empereur des Français, n'eut, comme
on sait, aucun enfant de sa première femme, Joséphine
Bkaiiharnais; mais celle-ci avait deux enfants de son pre-
mier mariage, Eugène et Hortense, que l'empereur
adojHa. De son mariage avec l'archiduchesse Marie-Louise
naquit le roi de Borne, Napoléon 11, mort ducdeReich-
stadt, dans l'exil.
Lucien Bonaparte, troisième fils de Charles-Marie Bona-
parte et de M""" Laetitia, le héros du 18 brumaire, prince de
Canino depuis la chute de Napoléon, mort à Viterbe, le 29
juillet 1840, fut le père d'une nombreuse famille. De son
premier mariage avec Christine Boyer, fille d'un habitant
de Saint-Maximin , il a eu : la princesse Charlotte, née le
13 mai 1796, dont Ferdinand VII, alors prince des Asturies,
avait sollicité la main, et qui épousa en 1815 le prince ro-
main Gabrielli, dont elle est veuve; et Christine, mariée
au comte suédois Posse , et ayant épousé, après l'annulation
de ce mariage, lordDudley-Stuart, membre du parlement
britannique.
De son second mariage, avec Alexandrine-Laurence de
Bleschamp, veuve du banquier Jouberthon et aujourd'hui
princesse douairière de Canino, il a eu neuf enfants, cinq
fils et quatre filles : Charles-Liicien-Jules-Laurent Bona-
parte , prince de Ca 7iino et Musignano , dont nous avons
parlé ci-dessus ; le prince Paul, son frère, mort le 5 août
1827, à Spezzia, en se rendant en Grèce; Lxtitia, leur
sœur, née le 1"" décembre 1804, épouse séparée de l'Irlandais
Thomas Wyse, envoyé extraordinaire et ministre pléni-
potentiaire de la Grande-Bretagne en Grèce. Mistriss
\Vyse, depuis qu'elle a quitté son mari, a vécu tantôt
à Paris , tantôt à Bruxelles. Elle habite maintenant Rome.
Sa fille a épousé un Polonais. Son fils Alfred, frappé d'alié-
nation mentale, avait été confié précédemment aux soins
d'un médecin dans les environs de Bonn. Son père l'en
ayant retiré pour le mettre dans une maison de fous près
de Nancy, il en fut enlevé par sa mère, à travers une série
bizarre de circonstances romanesques, qui ont fourni au
vicomte d'Arlincourt le sujet de son livre le Pèlerin,
dont la meilleure part revient, cependant, à l'imagination
vagabonde de l'auteur. Jeanne, née àRome, en 1806, épousa
le marquis Ilonorati , et mourut en 1 828, à Jesi , près d'An-
cOne, laissant une fille, C/e/ie. C'était une femme d'une grande
52
•I!0
BONAPARTE — BONASSE
distinction d'esprit. On a d'elle un recueil de poésies pos-
ttiuiiics publié par les soins de sa mère sous le titre de :
luspirazioïii cVafJ'eto di una giovine musa.
Les trois autres fils de Lucien, Louis- Lucien , Pierre-
NnpnUon et Antoine, sont nés, le premier le 4 janvier
1813, le second le 12 septembre 1815, le troisième le
31 octobre 1816. Le second a été membre des Assemblées
constituante et léf-islative françaises; les deux autres, de
l'Assemblée législative seulement.
Pierre, élevé en Italie , où il a fait sa première éducation
militaire, fut entraîné, à quinze ans, par ses sympathies,
vers les patriotes romagnols : il quitta donc la maison pa-
ternelle ; mais Lucien , craignant pour son fils les consé-
quences de cette expédition téméraire, l'empêcha d'arriver
jusqu'à eux. Il s'embarqua à Livournc pour New-York, où
son oncle Joseph lui fit faire la connaissance de Santander,
l'émule de Bolivar, avec lequel il alla i^uerroyer en Colombie,
et gagna, à la pointe de son sabre, les épaulettes de chef
d'escadron. Mais les intrigues de la diplomatie européenne,
dit-on, le forcèrent d'abandonner celte carrière.
De retour aux États-Unis, il s'embarqua pour l'Angle-
t<>rre, et passa de là en Italie, où il résida jusqu'en 1836,
dans les terres de son père , et y menant avec son frère An-
toine une vie très-agitée. Bientôt des rapports de police les
signalèrent à l'autorité comme se permettant de graves excès
à la chasse. On les accusa même de menées révolutionnaires
et de chercher à organiser des bandes de partisans dans les
Rlarcmmes. Le Pape Grégoire XVI donna en conséquence
l'oidre d'arrêter les deux frères , qui un beau jour se virent
cernés à l'improviste par des carabiniers pontificaux. An-
toine parvint à leur échapper Pierre essaya de résister ;
s'armant de son couteau de chasse, il étendit roide mort le
chef des carabiniers et en blessa deux autres. Atteint d'un
coup de baïonnette et d'une balle à bout i)orfant, il fut
transféré à Rome et emprisonné au fort Saint-Ange. Con-
damné à mort, il fut cependant gracié et put aller rejoindre
son frère Antoine, qui déjà était passé en Amérique.
De là il revint en Angleterre, puis à Corfou, dont le gou-
vernement anglais l'expulsa pour diverses infractions à
l'ordre public que lui fit commettre la violence de son ca-
ractère. Il vécut alors tantôt en Italie, tantôt à Bruxelles,
dans un état voisin de la misèi'C ; et le 27 février, trois jours
après le triomphe de la révolution de 1848, il arrivait enfin
à Paris. La Corse l'envoya à l'Assemblée constituante ; il s'y
signala moins par son éloquence que par son imjjétuosité sans
mesure, et montra beaucoup d'énergie dans les journées
du 15 mai et des 23 , 24 , 25 et 26 juin. 11 vota pour le droit
au travail , contre les deux chambres, contre la proposition
Râteau , et contre le ministère lors des interpellations sur les
affoires de Rome. Nommé chef de bataillon dans la légion
étrangère, il quitta sans autorisation son poste en Algérie
pour venir remplir, dit-il, son devoir de représentant, et
perdit ainsi son grade. Rendu à la vie privée par l'événement
du 2 décembre, il s'est retiré en Corse.
Les deux autres filles de Lucien Bonaparte sont : Marie,
née le 12 octobre 1818, mariée au comte Vincent Valentini
de Canino, et Constance, née le 30 janvier 1823, religieuse
du Sacré-Cœur à Rome.
Du mariage du prince Charles de Canino et Musignano,
fils aîné de Lucien Bonaparte , avec Zénaïdc-Charlotte- Julie,
fille de Joseph Bonaparte , sont issus : Joscph-Lucien-Char-
Ics-ÎSapoUon Bonapartf., prince de Musignano, né le 13 fé-
vrier 1824; Lucien-Loiùs-Jospph-NapoU'on Bonapaute, né
le 15 novembre 1828; Julic-Cliarlotte-Zénaïde-Pauline-
Lo titm-lJesiree-Bditholenice Bonapautf. , née le e juin
1830, mariée, le 30 août 1847, à Alexandre DelGallo,
mar(iuis de Roccagioviue ; Charlotte- Honorine- Joséphine
BoNAi'AKTE, née le 4 mars 1832, mariée le 4 octobre 1848
au comte Pierre Primoli; Marie- Désirde-Eugdnlc-Josc-
phine-Phdomène Bonaparte, née le 18 mars 1835, mariée,
le 2 mars 1851, à Paul, comte de CampeJlo, fils unique de
Pompée de Campello, ministre de la guerre delà république
romaine et de la princesse Ruspoli-Esterhazy; Auguste-
Amolle-Maximilienne-Jacqiieline Bonaparte, née le 9 no-
vembre 1836; Napoléon-Grégoire-Jacques- Philippe Bo-
naparte, né le 5 février 1839, et Bathilde-Aloïse-Léonie
Bonaparte, née le 26 novembre 1840.
A Louis Bonaparte , comte de Saint-Leu ,ex-TO\ de Hol-
lande, quatrième fils de Charles-Marie Bonaparte et de
M"'* Laetitia, mort en 1840, à Livourne, n'a survécu, des trois
fils qu'il avait eus de la reine Hortense , fille de l'impéra-
trice Joséphine, que le plus jeune, Louis-Napoléon
Bonaparte, devenu en 1852 l'empereur Napoléon HT.
L'aîné, Napoléon-Charles , né le 11 octobre 1802, mourut
h quatre ans. Le second, Napoléon-Louis , né le 11 oc-
tobre 1804, e\-grand-duc de C lèves et de Berg , épousa
en 1825 sa cousine Charlotte, fille de Joseph Bonaparte
{voyez plus haut), et mourut à Forli, le 17 mars 1831, au
moment où, avec son frère, il était allé combattre en faveur
des patriotes italiens.
Jérôme Bonaparte , dernier fils de Charles-Marie Bona-
parte et de 31""' Lœtitia, ex-roi de 'Westphalie, ex-comte do
Montfort, aujourd'hui maréchal de France, gouverneur de
l'Hôtel des Invalides, président du Sénat, a épousé, en
premières noces, le 27 décembre 1803, Elisabeth Pat-
terson, avec laquelle il divorça en avril 1805, et, en se-
condes noces, la princesse Frédérique-Catherine-Sophie dr
"Wurtemberg, morte à Lausanne, le 28 novembre 1838. Il
se trouvait à Paris avec son fils depuis quelques mois , en
vertu d'une autorisation spéciale, et on annonçait que le
gouvernementde Louis-Phihppe allait proposeraux chambres
de voter une dotation de 150,000 fr., réversible sur la têto
de son fils, au plus jeune et au seul survivant des frères de
l'empereur, quand éclata la révolution de février. Un fils,
issu du premier mariage a épousé, en 1829, à Balti-
more, une compatriote de sa mère. Les trois enfants issus
du second mariage sont Jérôme-Napoléon , né à Trieste, le
24 août 1814, officier d'état-major au service de Wurtem-
berg, mort en 1847 ; Mathilde-Lsetitia-Wilhelmine Bona-
parte, née à Trieste, le 27 mai 1820, mariée, le 12 oc-
tobre 1840, au prince russe Anatole Demidoff, dont elle
estjséparée ; et Napoléon- Joseph-Charles-Paul Bonapabte,
né à Trieste, le 9 septembre 1822.
Napoléon Bonaparte, fils de Jérôme, habita Rome jus-
qu'en 1831, puis Florence, et fut mis en pension à Genève
en 1335. En 1837 il entra à l'école militaire de Lonisburg
( Wurtemberg), et en sortit en 1840 pour ne pas servir contre
la France, avec laquelle le ministère Thiers faisait craindre
une prochaine collision. De 1840 à 1845 il voyagea en Alle-
magne, en Angleterre, en Espagne, et obtint en 1845 l'au-
torisation de venir résider quatre mois en France; autori-
sation renouvelée en 1847, et dont le bénéfice fut alors étendu
à son père.
Le neveu de l'empereur fut nommé représentant du peuple
par l'île de Corse. A la Constituante il parla en faveur de la
Pologne, et refusa de voter la proscription de la famille de
Louis-Philippe. Nommé, à la suite de l'élection du 10 dé-
cembre, ministre plénipotentiaire à Madrid, il fut révoqué
pour avoir quitté son poste sans autorisation. 11 reprit alors
ses fonctions législatives, et alla s'asseoir sur les bancs de la
Montagne, avec laquelle il vota constamment. Depuis l'é-
vénement du 2 décembre , il vit retiré près de son père.
Pour les familles des trois sœurs de Napoléon , L'Usa,
Pauline, Caroline et la nombreuse descendance du prince
Eugène, voyez les articles Bacciocui, Borciiise, Mlrat et
Lelchtenberc.
BOiXAPARTE ( lie ), ou Bolrbon. Voye:i RÉumoM ( lie
d>i la ).
Blfi'VASSE. Ce mot est du style familier, et s'emploie;
urdii'.;...'icuieut pour désigner un caractère doux , simple.
1
BONASSE — BOiNBOINS
4lt
facile {simplex , faciîis) , qui se laisse aisément conduire,
parles autres. Il ne peut jamais être pris en bonne part,
et il est plutôt synonyme àe faible que île bon. La bonté
ne doit pas seulement tenir au caractère, elle doit encore
être le produit de la réflexion , elle doit être raisonnée ,
enfin, pour être utile aux autres et ne pas être nuisible à
elle-même.
BOi\ AVENTURE (Saint) , cardinal, évOque d'Albano,
et docteur de l'Église , naquit, en 1221 , à Bagnarea en Tos-
cane. Il se nommait Jean de Fidanza , du nom de son père.
Saint François d'Assise le rencontrant un jour, s'écria, pré-
voyant ce qu'il devait ôtre dans la suite : « Oh ! l'Iieureuse ren-
contre! » 0 biiona ventural Ce nom lui resta. A l'âge de
vingt et un ans, il reçut l'habit religieux des mains d'Haymor,
général des franciscains. On l'envoya achever ses études à
l'université de Paris, sous le célèbre AlexandredeHales,
auquel il succéda deux ans après, malgré son extrême jeu-
nesse. Il occupait encore cette chaire en 1256, lorsqu'il fut
élu général de son ordre, dans un chapitre qui se tint à Rome.
Sa douceur et sa prudence ne contribuèrent pas peu à apai-
ser les divisions intestines que trop de sévérité d'une part ,
trop de relâchement de l'autre, avaient amenées parmi ses
frères ; en peu de temps le calme fut rétabli , et la régularité
régna de nouveau. Quelques années après , le pape Clé-
ment rv lui proposa l'archevêché d'York , qu'il refusa mo-
destement.
Clément IV mourut en 12G3. Les cardinaux réunis à Vi-
terbe , ne pouvant s'accorder sur le choix d'un successeur,
convinrent, après trois ans de vacance, de remettre leurs
pouvoirs à six d'entre eux et de reconnaître celui qu'ils éli-
raient. Bonaventure , quoiqu'il ne fit pas partie du sacré
collège, sut faire tomber les suffrages sur ïhibaud, archi-
diacre de Liège , qui était alors en Palestine. Le nouveau
pontife, qui prit le nom de Grégoire X, ne fut pas plus
tôt à Rome qu'il nomma Bonaventure à l'évéché d'Albano ,
et qu'il le força d'accepter la dignité de cardinal. Il l'em-
mena ensuite au concile général qu'il avait convoqué à
Lyon pour la réunion de l'Église grecque. L'évêque d'Albano
y prononça le discours d'ouverture. 11 fut chargé aussi de
tenir des conférences avec les députes grecs, pour aplanir les
difficultés de la réunion. Gagnés par l'aménité des manières
du saint prélat, et convaincus par la solidité de ses raison-
nements , les députés acquiescèrent à tout ce qu'on exigeait
d'eux. En réjouissance de cet heureux succès, le pape célébra
lui-môme, le jour de Saint-Pierre et de Saint-Paul , une messe
solennelle, dans laquelle, pour la première fois, l'évangile
et le symbole turent chantés en grec et en latin. Saint Bona-
venture ne jouit pas longtemps du fruit de ses travaux :
il mourut pendant le concile, au mois de juillet 1274.
On compte parmi les œuvres de ce saint docteur des com-
mentaires sui' l'Écriture Sainte, des sermons et des pa-
négyriques , des commentaires de théologie sur le Maître
de^s Sentences , un grand nombre d'opuscules sur divers
sujets de piété. On en a publié plusieurs éditions, entre
autres une à Rome, en 15S8, en 8 vol. in-fol., une autre
à Venise, de 1751 à 1756 , en 14 vol. in-4°. Sixte IV le mit
au nombre des saints. « Les ouvrages de saint Bonaven-
ture, dit l'abbé Trithème, surpassent tous ceux des docteurs
du même siècle par leur utilité, si l'on considère l'esprit de
charité et de dévotion qui y règne. Le saint docteur est pro-
fond sans être diffus, éloquent sans vanité... Quiconque veut
être savant et pieux doit s'attacher à la lecture de ses ou-
vrages. » L'abbé C. Bandeville.
Les tendances mystiques qu'on remarque dans les écrits
de saint Bonaventure l'ont fait suinommer le Docteur
Séraphique. Les Franciscains l'opposent, comme leur plus
grand docteur, au héros scolastique des Dominicains, saint
ï h o m a s d ' A q u i n. Une bonne partie de ses ouvrages est con-
sacrée à la glorification de son ordre. Comme promoteur du
culte de la Vierge, comme apologiste du célibat et des prin-
cipaux dogmes du moyen âge, il rendit d'importants ser-
vices à la cour le Rome, dont il s'efforça de défendre, même
philosophiquement, les doctrines dans un grand nombre
d'écrits. Les plus remarquables, le Brcviloqu'nnn et le Cen-
tiloquhan, sont de vrais manuels de dogmatique. Ses ef-
forts à l'efl'et de donner la philosoijhie pour base à la foi
religieuse et le pieux mysticisme qui constitue le principal
élément de ses œuvres, le rendent parfois obscur, même
dans ceux de ses ouvrages qui s'adressent au peuple. Plus
qu'aucun de ses prédécesseurs, il contribua à faire de la
théologie mystique une science. Dans sa Biblia Pauperum
le texte si simple de l'Écriture est défiguré par de^ allégories
qu'il y ajoute. Une justice pourtant à lui rendre , c'est qu'en
général il évite les subtilités inutiles, et qu'il l'emporte sur
les autres scolastiques par la chaleur du sentiment rehgieux
et la direction pratique des idées. Il combat, du reste, avec
beaucoup de sagacité, dans ce livre, l'éternité du monde,
et prouve par de nouveaux arguments l'immortalité de
l'âme.
BOKBOIMS. Une notoriété publique dispense de cher-
cher ici à définir ces préparations de sucre , si nombreuses
et si variées qu'il faudrait un second Linné pour en classer
méthodiquement les genres , espèces et variétés. L'iniluence
favorable que la rivalité exerce sur les arts s'est manifestée
évidemment chez les confiseurs : ils ont à l'envi l'un de
l'autre combiné le sucre à l'infini, pour lui donner des for-
mes , des saveurs et des couleurs diversifiées. La gomma
arabique a été très-utilement associée à ces combinaisons
saccharines , en beaucoup plus grande quantité qu'autrefois,
depuis que les progrès de la médecine ont appris que cette
substance , qui n'était guère employée que pour les rhumes,
est au moins aussi convenable pour les maladies des oi'ga-
nes digestifs. On aime à reconnaître ici les progrès de celte
branche de l'industrie française, et à convenir que les bon-
bons méritent sous plusieurs rapports la répétition de l'ad-
jectif qui les recommande en même temps quMl les désigne.
Toutefois , il en est des bonbons comme des meilleures
choses : il ne faut point en abuser. On ne prend pas impu-
nément ces sucreries avec excès; elles provoquent dans
la bouche un goût pâteux, une chaleur incommode; e'ieit
excitent la soif, même quelquelois une sensation pénibU
dans l'estomac. Ce sont des indigestions, dont les enfants
fournissent de nombreux exemples à l'époque, si désirée
d'eux , 0.1 Janus ouvre les portes de l'aimée. On doit ajou-
ter que plus d'une personne en âge de raison offre ces
mêmes effets de l'intempérance, et principalement, on le
dit ici i regret, des personnes qui appartiennent au beau
sexe, cédant à la tentation en vrais enfants d'Eve. Dans
l'état de santé , ces incommodités sont ordinairement lé-
gères , mais répétées elles pourraient devenir fâcheuses.
Elles auraient plus de gravité pour les convalescents , aux-
quels on ne doit accorder des bonbons , même ceux à la
gonî'.ne arabique , qu'avec réserve.
Ce n'est pas sans exposer le public à des dangers réels
qu'on a fait emploi de certaines matières colorantes pour
donner aux bonbons l'apparence des fruits , des fleurs ou
autres objets; on a eu recours à des couleurs qui ont causé
de véritables empoisonnements, et qui ont appelé à diffé-
rentes époques l'intervention du préfet de police. On a re-
connu qu'une grande partie de ces préparations de sucre
étaient coloriées avec le vert de Scbweinfurt et le rouge de
Sibérie {arsénite de cuivre et chromale de plomb), deux
poisons fort actifs. On doit à la surveillance do nos édiles
de ne plus rencontrer de ces bonbons dans le commerce.
Cependant les confiseurs font encore trop d'usage de la
ijomme (jiifte, qui n'e<t pas exemjite d'inconvénients.
On a imaginé d'employer les bonbons, comme on a fait
des biscuits, pour médicamenter les enfants à leur insu.
On en a préparé de propres à purger, par exenq>le le sucre
orangé purgatif; c'est encore le jalap qui en fait la base
52.
']I2
BONBONS — BOND
mWiciiiale. Avec des seh mcrcuiiels, on a aussi composé
des bonbons vermifuges et antisypiiilitiqiies. Ces prépara-
tions ont les mêmes inconvénients que les biscuits mé-
dicamenteux : en raison des principes irritants qu'ils
recèlent, il est prudent de ne point les administrer aux
enfants , dont on no saurait trop ménager les organes di-
gestifs , comme aussi parce qu'on peut suppU'er ces sub-
stances par des moyens efficaces et beaucoup moins dange-
reux. Non-seulement on s'est avisé de confectionner des
bonbons pour remédier aux maux causés par une déesse
qui ne mérite pas toujours l'épithète de bonne que les poètes
lui ont donnée, on en a composé, sous le nom d'aphro-
disiaques , qui sont propres à exciter au culte de cette
divinité ou à en donner le pouvoir à ceux à qui la bonne
volonté ne suffit pas. Cette dernière préi)aration est la plus
dangereuse de toutes : sa propriété est souvent due aux
cantliarides , et ceux qui en feraient usage pourraient payer
par leur mort un sacrifice dont le but est si différent.
D'' CUAnCONNIER.
BONCIIAMP (CHARLES-MELCHiOR-ÂRTHun, marquis
de), d'une maison fort ancienne (car en 1218 l'écuyer Bon-
cbamp prétait l'hommage à Philippe-Auguste pour la sei-
gneurie de Pierre-Fite), naquit en 1760, au château du
Crucifix, dans la province d'Anjou : il servit avec distinction
dans la guerre d'Amérique. Malade comme il revenait de cette
expédition , il tomba dans une léthargie si profonde , qu'on
s'apprêtait à lui donner la mer pour sépulture, quand son
domestique obtint à force de larmes et de prières un délai
qui lui sauva la vie. Capitaine de grenadiers au régiment
d'Aquitaine, il quitta le service, ne voulant pas s'obliger au
serment que la révolution imposait aux militaires, et vécut
sans bruit jusqu'au temps où la mort de Louis XVI vint
déchirer son cœur. Le 10 mars 1703 les conscrits de Saint-
Florent-le-Viel refusent d'ohéir au tirage : on pointe un
canon sur eux; mais il est enlevé, la gendarmerie chassée,
et une dépiitafion de celle jeunesse envoyée à Bonchamp.
L'étendard était levé, Bonchamp le soutint, sans espérer
même la gloire en dédoiiimageiaent des maux qu'il pré-
voyait : « Car, disait-il à sa femme (fille du vicomte de Sce-
p{;aux ), les guerres civiles ne la donnent pas. » 11 bat les
républicains en plusieurs rencontres, coulrii)ue;i la prite de
Tliouars, force la Châtaigneraie, gagne la bataille de Fonte-
nai par une manœuvre habile, enit've les postes de Montre-
kiis et de Varades ; Ancenis et lloudans se rendent à lui.
Déjà les Vendéens, animées par le succès, avaient ré-
solu d'attaquer Nantes, contre l'avis de Bonchamp, qui
vouhiit passer la Loire .avec sa division, parcourir la Bre-
tagne, où il avait des intelligences, insurger cette province,
et, marchant sur Rouen, faire éclater la révolte en Nor-
mandie, pensée qui peut-être eût amené des résultats im-
menses. L'attaciue de Nantes échoua; Cathelineau fut tué :
d'Elbée lui succéda au titre de généralissime. Aucun , ce-
pendant , ne méritait mieux ce grade que Bonchamp ; nmis
il vit sans jalousie d'Elbée obtenir la préférence, persuadé
que toute satisfaction particulière devait céder à la cause
commune. Le même sentiment lui avait inspiré déjà cette
réponse, un jour que ses Vendéens voulaient secourir son
château, incendié par les bleus : « Le sang des soldats de
mon roi est si précieux, qu'on ne peut en répandre une
seule goutte pour mon intéi'êt particulier. »
Encore souillant d'une blessure , il s'empara de Champ-
tocé; il décida la victoire à Torfou ; vain(pieur à Monlaigu,
il répara devant Châtillon un échec éprouvé à Sainf-Sym-
( horicn, et rangea l'armée en bataille à la journée de Cholet,
dont le succès ne répondit pas h ses dispositions savantes.
Blessé d'un coup mortel, et transporté à Saint-Florent,
malgré une ardente poursuite, son dernier commandement
fut pour empêcher de sanglantes re|irésailles. Cinq mille
prisonniers républicains étaient renfermés dans l'abbaye, et
les Voiuléens, exaspérés, allaient venger sur cu\ la mort du
général, quand tout à coup un cii : Grâce! grâce! Bon-
champ l'ordonne! fait tomber des mains la nKclie allumé»
et rend à ces malheureux la vie avec la liberté. La clémence
qui avait mis le sceau à sa mort aurait dû protéger la
fosse du Vendéen, et cependant sa tête, exhumée, fut en-
voyée à la Convention, comme un trophée ; en même temps
les représentants écrivaient son éloge dans cette phrase :
La mort de Bonchamp vaut une victoire pour nous.
11 était en effet le meilleur des généraux vendéens , et par
son habileté et par la confiance qu'il inspirait à ses gens.
Néanmoins, on lui a fait un reproche de s'être exposé en
soldat plutôt qu'en général ; mais il commandait à des hom-
mes qu'il fallait animer par l'exemple à braver les dangers.
Au reste, d'un courage supérieur aux préjugés, il répondit
à un cartel de Stofflct : « 13ieu et le roi seuls peuvent dis-
poser de ma vie; quant à la vôtre, elle est trop utile à la
cause que nous servons. » Doux , modeste , pieux, désinté-
ressé , loyal , aimant l'étude, il partageait son temps , avant
qu'il eiU abandonné son existence aux orages, entre la mu-
sique, le dessin, la lecture et les mathématiques.
11 laissa deux enfants en bas âge : une fille, depuis com-
tesse Arthur de Douillô, et un fils , enlevé bientôt par les
fatigues et les misères de la fuite. Les restes de Bonchamp,
confiés à l'église de Saint-Florent , y reposent dans la cha-
pelle de ses ancêtres , et la rue de ce bourg qui porte son nom
passe sur l'emplacement même où il accorda la grâce des
cinq mille prisonniers. La veuve de Bonchamp est morte
à Paris , le 22 novembre 1S45. H. Fauche.
BON-CÏIRÉTIEIV. Il y a deux espèces principales do
poires de ce nom : l'une d'été, qui mûrit au mois d'août,
et l'autre d'hiver, que l'on cueille en novembre, et que l'on
serre pour la conserver et la manger cuite en compote.
Le bon-chrétien d'été est une poire excellente, qui ne
se greffe guère que sur franc. Elle est bien faite, d'une
grosseur moyenne, blanche d'un côté, colorée de l'autre;
sa chair, tendre et cassante , contient beaucoup d'eau, a
beaucoup de saveur, et répand un parfum très-agréable.
Le bon-chrétien d'hiver est l'un des plus beaux fruits
que l'on puisse voir; sa figure est longue et pyramidale, .sa
grosseur surprenante : il atteint huit à dix centimètres dé
largeur, et douze ou quinze de hauteur ; on en voit très-
communément qui pèsent plus de 500 grammes. Cette poire
est d'une couleur jaune , relevée par un incarnat assez pro-
noncé, quand elle est venue dans une bonne exposition;
aussi La Quintinie regarde-t-il comme préférable de dis-
poser l'arbre qui la porte en espalier plutôt que de le laisser
en buisson ou en quenouille. Elle doit y rester très-longtemps,
c'est-à-dire du mois de mai à la fin d'octobre, et plus long-
temps encore si on veut la manger crue ; mais comme elle se
conserve très-bien, et que sa chair d'ailleurs n'est pas très-
fine, on préfère la garder pour la manger cuite l'hiver : elle
donne alors en quantité une eau douce et sucrée, qui est
légèrement parfumée.
BOI\D, réflexion, répercussion, rejaillissement d'un
corps (!oué d'élasticité après qu'il a frappé la terre on un
autre corps; chez les animaux, action de s'élevtr subi-
tement par un saut. Une balle, un ballon, rejaillissent et
font des bonds quand ils sont jetés, frappés contre terre,
ou lancés contre un autre corps qui leur offre de la résis-
tance; il en est de même d'un boulet, d'une pierre, lor.sq ne
la force qui chasse ces projectiles est en rapport avec celle
de la résistance que leur opposent les corps qui s'offrent à
leur rencontre. Les chevaux, les agneaux et les chèvres
font, en marchant , des bonds plus ou moins fréquents, ré-
sultats chez les premiers d'impatience, d'emportement ou
d'un vice quelconque, chez les seconds d'une nature vive,
alerte et graie. Un cheval qui ne va que par sauts et par
bonds est un mauvais cheval, dont il faut s'attacher à vain-
cre, à réformer Pallure. Si le cavalier saisit assez promp-
temcnt l'instant où le cheval se dispose à bondir pour dis •
BOND -
perser ses forces , en faisan- cdder l'encolure de droite et de
gauclie ; s'il le porte assez vigoureusement en avant avec les
jambes, pour qu'il ne puisse rencontrer un point d'appui
live sur le sol, il paralysera l'effet du bond, ou du moins il
le neutralisera en partie, et rendra par là le mouvement
moins violent.
Ce mot a passé du langage direct dans le langage figuré.
On dit d'un discours inégal et plein de saillies, qu'ii va
par saxits et par bonds. Proverbialement |3re?!rfre la balle
au bond , c'est saisir l'occasion favorable de faire on d'ob-
tenir quelque chose ; ces manières de parler sont empruntées,
par analogie, au jeu de paume. La balle imifaux bond
lorsque sa répercussion ne s'accomplit pas selon la règle
ordinaire de l'incidence des corps mus en ligne droite, et
qu'elle rencontre un corps inégal ou raboteux qui la fait
dévier de la ligne ; elle trompe alors le joueur et lui fait
manquer le coup. De là, on dit par analogie, qu'z<ra homme
a fait faux bond , quand il a manqué à ses engagements ,
quand il a trahi les devoirs de l'amitié, quand il n'a pas
tenu une promesse. Faire faux bond à l'honneur chez une
fille, cliez une femme, c'est se laisser séduire ou trahir un
mari. Le cœur bondit de joie ou de colère, ou bondit seu-
lement , lorsqu'une de ces passions l'émeut au point de le
faire déborder. Au propre, bondir se dit de ces danseurs
aériens qui s'élèvent jusqu'aux frises et ne descendent sur
terre , comme disait un plaisant , que lorsqu'ils sont las de
rester en l'air.
Et maintenant d'où vient le mot bond? Roquefort y dé-
couvre nne onomatopée , prise du retentissement de la terre
.sous un corps dur qui la frappe et se relève aussitôt. C'est
possible.... Edme Héreau.
BONDE , BONDON. Une bonde est, à proprement par-
ler, l'ouverture circulaire pratiquée sur le flanc d'un ton-
neau par laquelle on le remplit. On appelle bondon le cône
tronqué avec lequel on bouche la bonde. Les bondons se
fabriquent en bois de chêne , coupé de façon que ses fibres
soient parallèles au diamètre du cône, oti , pour s'exprimer
comme le vulgaire , les bondons sont faits en bois de tra-
vers, car l'expérience a fait connaître que les liquides fil-
trent à la manière de la sève à travers les bouchons qui
.sont en bois de fil. On (ait les bondons avec de vieilles
(louves ou avec des bfiches de chêne que l'on plonge dans
l'eau pour les amollir; on les débite ensuite en petits carrés,
puis ou les ébauche, et on termine le bondon sur ie tour
k points.
On appelle aussi bonde une rigole qui traverse la chaussée
d'un étang et qui sert à en faire écouler les eaux quand
on veut le pêcher; elle se lève avec une vis ou des leviers.
La pièce de bois qui ferme la bonde s'appelle jjale.
BOIVDI (Clément ) , un des poètes les plus estimés de
l'Italie moderne, naquit en 1742, à Mizzano, dans le duché
de Parme, entra dans l'ordre des jésuites peu de temps avant
sa suppression, et devint, fort jeune encore, professeur
d'éloquence au séminaire royal de Parme. Poursuivi par sa
congrégation pour avoir célébré dans une ode la suppression
des jésuites, il fut obligé de chercher un refuge en Tyrol ,
où il trouva un protecteur dans la personne de l'archiduc
Ferdinand, qui le nomma, en 1795, son bibliothécaire à
Drùnn, et lui confia l'éducation de ses fils, dont l'un,
François, est aujourd'hui duc régnant de INÎo.lène. Ces rap-
ports le conduisirent à Vienne, où il devint, en 1816,
professeur d'histoire et de littérature de feu l'impératrice.
Il y mourut en 1821. Soutenu par ses protecteurs. Bondi
se produisit tour à tour comme poète lyrique, didactique,
satirique et élégiaque. La noblesse et la simplicité de son
style, plus encore une versification facile et élégante, le
rendirent l'auteur favori des dames italiennes, l'armi ses
poèmes de quelque étendue, nous mentionnerons ici comme
les principaux : La Giornata villereccia, en trois chants
(Parme, 1773); La Convcrsazione ; La Félicita', Il Go-
BONDY 413
vcrno pnciffo. Sa traduction en vers de YÉnéide est re-
gardée en Italie comme un chef-d'œuvre ; elle parut à Parme
en 1793 (2 vol.)- Les œuvres complètes de Bondi furent
publiées à Vienne en 1808, 3 volumes.
BOIVDRÉE , oiseau de proie de la famille des falco-
nidées, si peu différent de la buse qu'on a souvent con-
fondu l'un avec l'autre, et que les anciens naturalistes les
désignaient tous les deux par le même mot latin buteo, en
ajoutant, pour les distinguer l'un de l'autre, l'épithète api-
vorus, lorsqu'il était question de la bondrée. En effet , cet
oiseau, qui a plus de six décimètres de longueur, et près
de quatorze décimètres d'envergure, subsiste en grande
partie aux dépens des insectes, et n'épargne pas les abeilles.
Les grenouilles et les lézards sont des aliments mieux as-
sortis à sa grandeur, et il en consomme aussi beaucoup.
Son bec est un peu plus long que celui de la buse; la cire
ou peau nue qui couvre la base du bec est jaune, ainsi que
les pieds ; le sommet de la tête est d'un gris cendré ; l'iris
est jaune, et le plumage varie presque autant que celui
de la buse. Les habitudes de la bondrée la placent encore
plus bas, parmi les grands oiseaux de proie, que l'espèce
avec laquelle on l'a confondue; elle se laisse prendre aux
pièges amorcés avec une grenouille, et même aux gluaux;
son vol est toujours bas , d'arbre en arbre ou de buisson en
buisson. Son nid est construit comme celui de la buse,
mais elle s'épargne quelquefois les fatigues de la construc-
tion, et s'installe dans un nid abandonné, où elle dépose des
œufs de couleur cendrée tachetés de brun. La bondrée passe
pour un assez bon mets , ce qu'on n'a jamais dit de la buse.
On a donc fait à la première une guerre de destruction ,
pour satisfaire les amateurs de cette sorte de gibier, tandis
que la seconde n'était poursuivie que rarement, comme les
autres oiseaux de proie : il en résulte que la bondrée est ac-
tuellement rare en France, et que la buse la remplace pres-
que partout.
Dans quelques parties de la France on donne le nom de
goiran à la bondrée. Ferry.
BOIVDUC ou CHICOT DU CANADA. Cet arbre, de vingt
mètres de hauteur, est originaire du Canada. Son bois est
propre aux arts, mais non encore assez multiplié en Europe
pour recevoir en ce moment cette destination. Le bonduc
se trouve néanmoins déjà dans toutes les collections d'ar-
bres exotiques, dans les jardins elles parcs, où il se fait re-
marquer par la beauté de ses feuilles bipinnées, qui ont do
*J ■" , 70 à un mètre de longueur, et qui en font un très-bel
arbre l'été, et un arbre mort en apparence l'hiver, d'où lui
est venu le nom de chicot, parce qu'en effet ses feuilles et
leurs longs pétioles étant tombés et séparés de la tige , il
semble ne rester qu'un tronc mort ou, comme on dit, un
chicot, qui contraste d'une manière très-pittoresque avec
l'élégance et les formes très-remarquables de cet arbre dans
la belle saison. Le bonduc ne craint pas nos hivers. Ce-
pendant, sauf de rares exceptions, il n'atteint généralement
pas en France les mêmes dimensions que dans le pays
dont il est originaire.
Placé par les botanistes dans la famille des césalpinées,
le bonduc, désigné par Linné sous le nom de Guilandina
dioica, a reçu de Laniarck celui de Gymnocladus cana-
densis. Cet arbre se multiplie par ses graines, et plus ordi-
nanement par ses racines , qu'on coupe par tronçons et
qu'on plante. C. Tollard aîné.
BOIVDY ( Pierre-Marie comte TAILLEPIED de ), était
né à Paris, le 7 octobre 1766, d'une famille connue dans
les finances et d'un père receveur général. En 1792 il fut
nommé directeur des assignats, et au 10 août il sollicita sa
démission, que le ministre des finances eut beaucoup de
peine à lui accorder. Il se retira entièrement des affaires,
et vécut loin des orages de la révolution jusqu'à l'Empire,
[ époque où son aptitude pour l'escrime le mit en rapport in-
I time avec le jeune Eugène Beauliainais, passiminé lui-mératt
414
BONDY — DONE
pour cet exercice, et lui valut sa nomination aux fonctions
de cliambellan de Napoléon, qu'il suivit dans la plupart de
ses voyages, et môme à l'armée, pendant la campagne d'Au-
triche, en 1809. Au retour, il fut nommé maître des requêtes,
et ciiargé d'aller présider le collège électoral de l'Indre.
L'empereur le plaça comme chambellan auprès du roi de
Saxe, puis auprès du roi de Bavière, lorsqu'ils vinrent suc-
cessivement à Paris. M. de Bondy avait alors les formes
d'un grand seigneur, la taille élégante, le port d'un cour-
tisan ; il convenait parfaitement à tous ces postes de repré-
sentation. Pour toutes ces importantes qualités. Napoléon,
qui travaillait à reconstruire une monarchie héréditaire, le
nomma comte de l'empire. Lors de son mariage avec une
archiduchesse, il le comprit au nombre des oITiciers de sa
maison qu'il envoya à Carlsruhe recevoir la princesse.
Au retour de ce voyage, en 1810, il l'appela à la préfec-
ture du Rhône. Là il acquit des droits incontestables à la
reconnaissance de la seconde ville de France, dirigea ses tra-
vaux avec une activité sans égale, obtint du gouvernement
des sommes immenses pour desséclier les marais de Per-
rache, et enrichit Lyon d'un de ses plus beaux quartiers,
jusque alors inhabitable. Les négociants de cette ville se
rappelleront toujours la protection dont jouit le commerce
sous son administration, et la prévoyance qui la préserva
en 1812 de la disette qui désolait toutes les autres parties
de la France. Son esprit persuasif et conciliant prévint et
adoucit souvent les effets des mesures rigoureuses qui étaient
dictées par le gouveincment d'alors. En 1814, lors de l'in-
vasion des alliés, il retarda par son courage la prise de
Lyon, et ne se retira avec l'armée française que quand il
eut vu qu'une plus longue résistance devenait inutile et
même dangereuse pour l'intérêt de ses administrés. Après
l'abdication de l'empereur, le prince qui fut depuis Charles X
crut devoir conserver M. de Bondy dans ses fonctions; mais
ce ne fut pas pour longtemps. On dissimula sa disgrâce
sous le cordon de commandeur de la Légion d'Honneur.
Au retour de Napoléon , en 1815, il fut nommé préfet de
la Seine et conseiller d'État ; il avait signé la fameuse pétition
du 20 mars dans laquelle on ne dissimulait point à Napo-
léon ce qu'on attendait désormais de lui , et, en sa qualité de
préfet, il en présenta une seconde, conçue identiqueinentdaus
le même esprit. A la fin de juin 1815, lorsque les alliés s'ap-
prochaient de la capitale, il adressa une proclamation aux
liabitants, et prévint les désordres qui se préparaient. « Les
troupes étrangères, disait-il, ne sont pas loin de la capitale ;
elles pourraient d'un instant à l'autre paraître sous vos
murs : que cet événement ne vous intimide pas! le pouvoii
national écartera les maux que vous auriez à redouter. » M. de
Bondy fut un des trois commissaires chargés de la négocia-
tion du 3 juillet. Presque aussitôt la Restauration l'appela
à la préfecture de la Moselle, celle de la Seine ayant été ren-
due à M. de Chabrol, qui en était titulaire au 20 mars;
mais M. de Bondy était à peine installé depuis quatorze jours,
que sa nomination fut révoquée. En décembre 1815 il parut
à la cour des pairs comme témoin à décharge dans le pro-
cès du maréchal Ney, en sa qualité de commissaire signa-
taire de la convention de Paris. Aux élections de 1814,
1816 et 1818, il fut nommé par le département de l'Indre
membre de la Chambre des Députés, lit partie de l'opposi-
tion constitutionnelle, et se montra constamment le défenseur
zélé des libertés i)ubliques. Réélu en 1827, il ne prit pas
la parole dans les deux sessions de 1828 et 1829, mais
en 18.30 il vota l'adresse des 221 , ce qui fut cause de sa
réélection.
Le gouveiTiement de Juillet l'appela, le 23 février 1831, à
remplacer ]M. Odilon Barrot à la préfecture de la Seine. Il
fit i>artie, le 19 novembre suivant, des trente-six pairs créés
par le ministère Casimir Périer. M. de Bondy avait laissé
<le précieux souvenirs à la préfecture de la Seine; ils ne pu-
rent l'y maintenir contre les lliictualions ministérielles, si fré-
quentes à cette époque : il dut se retirer et céder sa place
à M. de Rambuleau. Conservant son siège au Luxembourg
jusqu'à sa mort, il remplissait, en outre, auprès de la reine
des Français des fonctions analogues à celles dont Napo-
léon l'avait chargé auprès de l'impératrice Marie-Louise.
De plus, le roi lui confia l'intendance générale de la liste
civile chaque (ois que M. de M on t al iv et eut un ministère.
Dans sa jeunesse il était homme à la mode, renommé par
son habileté dans tous les exercices de force et d'adresse.
Brillant, chevaleresque, il n'abusa jamais de sa supériorité
à l'escrime, quoiqu'il fut resté le dernier, le seul homme de
notre temps qui pouvait dire : J'aï touché Saint-Georges.
Il avait avec le célèbre mulâtre un autre point de similitude,
il était de première force sur le violon. Bon, obligeant, ser-
viable, il ne méritait pas les ingrats qu'il a faits. Il est mort
à Paris, le 12 janvier 1847, à l'âge de quatre-vingts ans,
laissant une veuve digne de tous les respects, et un fils,
homme de mérite, qui fut préfet sous le règne de Louis-
Philijipe.
BÔI\E (Bounah), ville d'Algérie, chef-lieu d'une des
deux subdivisions de la province de Constantine ; siège d'nn«
sous-préfecture, d'un tribunal de première instance et
d'une justice de paix , etc. Les Arabes la surnomment
Beied-el-A'neb, la VUle-aux-Jiijiibes. Située par 5** 25' de
longitude orientale et 36" 25' de latitude septentrionale,
sur le versant d'un promontoire qui s'avance assez loin
dans la Méditerranée, entre le cap Rosa et le cap Hamza,
à 95 myriamètres d'Alger, elle fut construite vers l'an 697
de notre ère, sur la côte ouest du golfe de Bône, avec les
débris de l'ancienne Hippone (Ifippo-Regius), célèbre par
l'épiscopat de saint Augustin , une des résidences des rois de
Numidie, et qui joua un rôle important dans les guerres de
César, des Vandales, sous Genséric, et dans la campagne de
Bélisaire.
La plaine de Bône, qui s'étend devant la place, est bor-
née à l'est et au nord par des montagnes qui forment des
ramifications du Djébel-Édough , à l'ouest par les collines
de M'Sour, et au sud par la Boudjimah, rivière dont l'em-
bouchure à la mer n'est ouverte que pendant cinq mois de
l'année, et qui pendant le reste du temps s'écoule à tra-
vers les sables qui forment sa barre. Un ruisseau, nonuné
Ruisseau d'Or, qui se jette dans la Bourljimah, la parcourt
du nord au sud , et reçoit dans son cours plusieurs autres
petits ruisseaux, desséchés en été, torrents en hiver, et qui,
n'ayant alors aucun écoulement vers la mer, inondaient
autrefois chaque année la plaine déjà envahie par les eaux
de la Boudjimah et du Ruisseau d'Or.
On entre dans les rues étroites, tortueuses et non pavées
de Bône par quatre portes : l'une mène à la marine, l'autre
à la porte dite des Arabes , sur la route de Constantine; les
deux dernières regardent le fort. La ville est entourée d'une
épaisse muraille de forme rectangulaire, d'un développement
de 1,600 mètres, sans terrassement, et haute de 8 mètres
environ. Sa Casbah , bâtie à 400 mètres de l'enceinte , sur
une forte colline, commande la place, qu'elle couvre en-
tièrement du côté du nord , et surveille la rade. De nom-
breuses améliorations y ont été introduites à la suite du
malheureux événement dont cette citadelle fut le théâtre en
janvier 1837, l'imprudence d'un garde d'artillerie ayant
amené l'explosion du magasin à poudre qu'on y avait établi.
Les indigènes, en évacuant la ville à l'approche des
Français, l'avaient incendiée et livrée au pillage. On ne
trouva que de misérables masures et un amas de décombres,
au milieu desquels on dut, tant bien que mal, s'établir.
L'air vicié i)ar les immondices qui obstruaient les rues et
encombraient les maisons était (U\jà une grande cause d'in-
salubrité , à laquelle se joignaient les miasmes délétères de
la plaine. Il fallut donc songer à isoler ce foyer pestilentiel ,
l'entourer de digues et de canaux qui le missent à l'abri
d'inondations nouvelles. On y i;arvint en ouvrant un canal
BONE — BONHEUR
415
(le ceinture tracé au pied de ITÎdoiigli , et destiné à contenir
toutes les eaux qui en descendent. Ce canal fut mis en com-
munication avec la mer au moyen d'un second canal émis-
saire de 750 mètres de longueur, tracé au milieu de la plaine.
La Boudjimah fut aussi endiguée sur toute sa rive gauche.
Les plaines de Kharésas, du Bou-Hamza, de Dréan, l'Er-
blya , à l'entrée de la plaine des Beni-Urdjin , vers l'embou-
chure de la Seybouze, l'admirable plaine des Beni-Azis, et
généralement tous les terrains compris entre la Seybouze
et la Mafrag furent successivement desséchés et assainis.
On ouvrit ainsi un vaste champ à l'agriculture européenne ,
qui y exploite à présent quelques fermes importantes. Les
environs immédiats de la ville, cultivés avec soin, furent
convertis en jardins productifs. En même temps les Français
augmentèrent ses travaux de défense.
Son territoire, qui est limité à l'est par la régence de Tu-
nis , et à l'ouest par le pays des Kabyles et le kalifat du
Sahel , lui assigne le premier rôle dans la partie orientale de
l'Algérie, et comme centre de la colonisation, et comme
place militaire. Elle accorde en outre au commerce une pro-
tection eflicace dans sa rade , l'anse du fort Génois étant
pendant l'hiver un abri sîir contre les gros temps. Bône
est de. plus le dépôt de la Calle, le magasin de Guelma
et de tous les camps de l'est , y compris Medjez-Amar.
Nous avons déjà dit à l'arlicle Algérie (t. r% p. 319-
320), comment cette ville était tombée définitivement en
notre pouvoir ; c'est de là qu'est partie l'expédition qui s'em-
para de Constantine. Depuis ce temps une garnison de quatre
mille hommes suffit à sa défense. Elle a, de plus, un ba-
taillon de miliciens qui servit activement à l'intérieur lors
des deux expéditions de Constantine , et accompagna souvent
les convois. Pendant les troubles des montagnes, en 1841,
cette milice fit seule le service de la place, et sortit même
avec le commandant.
Bône compte une population européenne de quatre mille
sept cent soixante-dix-neuf individus. Cetle ville a une
grande importance commerciale, et ses relations, tant
avec l'intérieur qu'avec l'extérieur, ne tendent qu'à s'ac-
croître. L'occupation de 1832 suspendit ses relations de
commerce avec Constantine, Ahmed-Bey ayant menacé de
mort tout individu surpris en trafic avec les Français. De-
puis 1837 ces relations se sont renouées; mais l'impor-
tation des comestibles et des vins a remplacé celle des
objets de luxe. La valeur des marchandises importées par
les négociants français et étrangers était en 1839 de
500,000 fr. environ, et les retours effectués sur Bône, en
laines, cuirs et peaux, ont pu être de 250,000 fr. Il y a à Bône
une école pour les Juifs et les Maures , ainsi qu'une école
primaire supérieure, qui compte une cinquantaine d'élèves ,
tant filles que garçons.
BOIXER (Ulrich) , un des plus anciens fabulistes alle-
mands, vivait à Berne , dans l'ordre des frères prêcheurs,
vers la première moitié du quatorzième siècle. Il écrivit à
l'époque même où les chants des Mïnneslnger et la poésie
chevaleresque cessèrent de se faire entendre, et nous a laissé
un recueil de fables ou, comme on disait alors, à'exemples,
intitulé : La Pierre Précieuse, qui se distingue par la pu-
reté du L'engage et par un style pittoresque, gai et plein de
naïveté. La première édition de ces fables parut à Bamberg,
en 1461, avec des gravures sur bois; c'est un des incunables
les plus rares qui existent, puisque l'on n'en connaît qu'un
seul exemplaire, qui se trouve à la Bibliothèque de ^Vol-
fenbijttel ; c'est en même temps le premier livre imprimé en
Allemagne. Sclierz publia plus tard, dans une suite de dis-
sertations, cinquante et une de ces fables d'après des manus-
crits conservés à la Bibliothèque de Strasbourg. Le recueil
le plus complet est celui qu'ont publié Codmer et Breitinger
Zurich, 1757). Esclienburg en a donné une nouvelle
édition, en remplaçant les mots vieillis par des expressions
plus modernes (Berlin, ISIQ), et Benecke de Gœttingue
a fait paraître un trav^l précieux sur le texte de Boncr,
accompagné d'un vocabulaire (Berlin, 1816).
BOIVET (Théophile). Voyez Bonnet.
BOJXGARE, genre de reptiles ophidiens, dont deux
espèces sont assez réiiandues dans le Bengale , tandis que
la troisième appartient à l'île de Java. Tous ces serpents
sont venimeux, et l'on dit même que leur venin est fort actif.
BOIV GOÛT. Voyez Goût.
BOi\-HEi\RI. Voyez Ansérine.
BOXHEUR. Le bonheur est un de ces objets qui prou-
vent que l'esprit humain , dans ses conceptions et ses croyan-
ces , s'étend bien au delà de la réalité présente. Car si nous
voulons attacher à ce mot l'idée que s'en forme tout le
monde , nous le définirons un plaisir aussi vif que délicieux,
sans mélange, et dont rien ne saurait enlever ou altérer la
jouissance. Or, au seul énoncé de cette définition, que je
crois incontestable , il est facile de Toir qu'un pareil objet
ne peut se rencontrer ici-bas , quoique tous les hommes en
aient une idée bien claire, et qu'il soit incessamment le
terme de leurs vœux, de leurs poursuites et de leur espoir.
Aussi nous n'avons point à nous enquérir où le bonheur ha-
bite sur la terre, car toutes nos recherches seraient vaines :
essayons seulement de montrer ce qui lui ressemble ou s'en
approche le plus, ce qui mérite mieux le nom de Jélicité
htimoine, et commençons, avant de montrer en quoi con-
siste cette espèce de bonheur, par montrer en quoi il ne
consiste pas.
La vivacité et l'énergie des plaisirs qui résultent des mo-
difications de l'organisme sont pour la plupart des hommes
une source d'erreurs bien funestes , en ce que le côté sédui-
sant sous lequel elles présentent ces plaisirs fait oublier ce
qu'ils ont de fugitif, de périssable, de dangereux. Assurément
ce ne sera pas la volupté sensuelle que nous assimilerons
au bonheur, malgré l'intensité des jouissances qu'elle pro-
cure. Car en supposant même qu'on sût régler l'usage de ces
plaisirs de manière à éviter tous les maux qu'ils entraînent
ordinairement à leur suite , ils ne fournissent pas encore une
pâture suffisante aux exigences de la sensibilité. Ces plaisirs
ne durent que peu de temps chaque fois, et si nous laissons
de côté la préparation et l'attente , pour ne compter que la
jouissance proprement dite , nous serons étonnés de voir
quelle faible portion de notre temps ils occupent , combien
peu d'heures sur vingt-quatre ils sont capables de remplir.
En outre, ils perdent de la vivacité par la n'-pétition , et il
n'y en a pas de ce genre qui ne devienne indifférent en de-
venant habituel. Ajoutez à cela que la passion pour les jouis-
sances vives ôte le goût de toutes les autres , dont le peu
de vivacité est compensé par la douceur et la continuité; et
connue les jouissances vives ne se présentent que rarement ,
la plus grande partie de notre temps devient vide et en-
nuyeuse. Enfin, comme notre sensibilité a des penchants
d'une autre nature, et des besoins plus nobles, l'usage ex-
clusif des plaisirs sensuels laisse une lacune dans notre àme,
et de plus nous ôte la plupart du temps les moyens de la
combler.
Plusieurs philosophes ont pensé que le bonheur consistait
principalement dans les affections sociales et dans les rap-
ports de bienveillance avec nos semblables. Mais, indépen-
damment des souffrances que nous pouvons ressentir de la
mort ou de l'absence des personnes qui nous sont chères,
indépendamment des maux qui peuvent les accabler, et
dont nous prenons toujours notre part, à combien de cruels
mécomptes ne sommes-nous pas exposés, soit par la trahi-
son d'un infidèle ami, soit par les vices et les imperfections
que nous venons à découvrir dans ceux que nous nous
plaisions à fréquenter!
D'autres ont placé la félicité humaine dans l'exercice de
nos facultés, dirigé vers la poursuite de quelque but intéres-
sant. Il est bien vrai qu'alors nous sommes soutenus par
l'espoir qui alimente notre cœur et tient lieu de jouissances
4(6
BONHEUR — BONHOMIE
réelles, et que l'occupation continue de l'esprit contribue à
écarter de l'âme mille sujets de tristesse ou d'inquiétude ,
et l'entretient dans un état d'excitation favorable à son bien-
être. Mais est-ce bien là ce que nous pouvons le mieux
comparer au bonbeur? Le plaisir qu'un tel état procure n'est-
il point exposé à être détruit ou troublé à cliaque instant?
Sans parler des infirmités pbysiques ou des peines morales
qui peuvent à toute beure nous enlever notre bien-être, la
poursuite du but auquel nous aspirons ne peut-elle pas par
elle-même devenir une source de cbagrins? Par cela môme
que les cbances de succès entretiennent notre espoir, les
chances d'insuccès, et elles sont nombreuses, n'éveillent-elles
pas aussi notre inquiétude et nos craintes? Ne peut-il point
à toute beure surgir devant nous d'infranchissables obsta-
cles ? L'étude d'un art ou d'une science est assurément l'oc-
cupation qui fournit à l'esprit les jouissances les plus nom-
breuses et les plus variées. Mais d'abord ces jouissances ne
sont réservées qu'à un petit nombre d'indi\idus , et ne nie
parlez pas d'un bonbeur qui ne pourrait être le partage que
du petit nombre et qui serait un [)rivili''ge. IMais ces plaisirs
sont-ils donc sans mélange, et ne portent-ils pas aussi avec
eux ce caractère de fiagile et de périssable qui les empêche
de constituer la véritable félicité? L'artiste, le savant sont,
j)lus que tous les autres, sujets à tous les maux et à tous les
tourments de la vie , dont leur art ni leur science ne sau-
raient les garantir. Si l'on croit que le bonheur du savant
est dans la science qu'il cultive, on ne sait pas que cette
science, qui est en elfet la principale source de ses jouis-
sances, est aussi le principal objet de son anxiété et de ses
peines. Que de problèmes le préoccupent ! que de vérités
qu'il ignore et qu'il sait lui être à jamais cachées ! Peut-il
donc être appelé heureux celui que tourmente le besoin de
connaître, et chez qui ce besoin ne peut jamais être satisfait?
On ne peut non plus appeler bonheur ces illusions d'une
vie idéale et d'une imagination contemplative, quoique les
moments passés au milieu de ces rêveries soient peut-être
les plus délicieux de la vie. Si je refuse le nom de bonheur
à la vie idéale , c'est que les jouissances qu'elle procure ne
peuvent être durables , c'est que plus on se repaît de ses il-
lusions , plus on se prépare de mécomptes pour le temps où
l'on est obligé de porter ses regards sur la réalité , qui ne
permet point qu'on se dérobe à sa présence , qui nous as-
siège, nous presse de toutes parts, et nous apparaît d'autant
plus triste et plus désenchantée que nous sommes moins fa-
miliers avec elle.
N'existe-t-il donc point de ces plaisirs vrais et durables
qui soient à l'abri de toute atteinte, dont l'homme ait tou-
jours la puissance en son pouvoir, qui ne puissent lui man-
quer et au sein desquels son âme se repose avec calme et
confiance ? car ceux-là seuls sur la terre peuvent mériter le
nom de bonheur. Non, leCréateur n'a point refusé àl'homme
cette ressource consolante , ce port assuré contre tous les
orages ; il n'a permis à personne de s'écrier à la vue des
biens fragiles de ce monde : Tout n'est que vanité. Il est un
genre de jouissances qui surpassent toutes les autres en dou-
cetir et en pureté; contre la puissance desquelles tous les
maux de la vie ne sauraient prévaloir; qui ne sont point le
privilège de quelques hommes , mais qui sont également ré-
servées à tous , qui peuvent être de tous les instants , se
retrouver dans toutes les situations de la vie : ce sont les
joies de la conscience, c'est la satisfaction que procure la
pratique de la vertu.
Et en effet si nous considérons d'abord ces sentiments
en eux-mêmes , ils sont infiniment plus ex(iuis et d'une na-
ture plus relevée que tout autre ; à eux seuls il est donné
d'inonder l'âme d'une joie douce et pénétrante, qui la rem-
plit cnlièrement sans laisser de place au moindre désir. Tel
est aussi leur charme et leur force que non-seulement au-
cun sentiment pénible n'est assez puissant pour -les chasser
de noire cœur, mais qu'ils les dominent même et scrver.t
à en corriger l'amertume. Mais c'est surtout soiR le rapport
de la durée et de la solidité qu'ils ont sur les autres un incon-
testable avantage. Ils ne manquent jamais à l'homme, dans
quelque situation qu'il se trouve; toutes les fois qu'il veut en
savourer les délices, il peut exciter en lui ces plaisirs tou-
jours les mômes, toujours nouveaux , sans cesse renaissants,
et dont la source est aussi intarissable qu'elle est pure. Car
le mérite de la vertu ne consiste pas dans le résultat de ses
actes , mais dans la force que l'âme déploie pour accomplir
la loi suprême. Or, cette force est toujours en notre puis-
sance ; nous sonnnes libres d'en faire l'emploi , quelles que
soient les circonstances où le sort nous ait placés, quels
que soient les obstacles qui s'opposent à son développe-
ment ; et du moment où nous avons dépensé pour faire le
bien la sonnne d'efforts qui étaient en notre pouvoir, nous
avons assez fait pour la vertu , et notre conscience , qui
n'exige plus rien, n'attend pas le résultat de ces efforts
pour nous en accorder le prix. Une fois que nous possédons
ce prix glorieux, toutes les misères, tous les tourments de
la vie , glissent sur notre âme sans pouvoir lui arracher sou
précieux trésor. Elle se réfugie avec lui dans l'asile de la
conscience, qui n'est accessible que pour elle, et qui lui est
toujours ouvert; là, elle brave tous les maux, rit de toutes
les tempêtes , et, de môme qu'elle y découvre la base indes-
tructible de toute vérité , elle y trouve aussi la source iné-
puisable de son bonheur. Je me demandais un jour pour-
quoi de toutes les joies qui peuvent gonfler le cœur de
l'homme en cette vie les joies de la conscience étaient les
seules qui fussent capables de survivre à l'idée de notre des-
truction. C'est que la vertu, qui associe l'homme à la pensée
et à l'œuvre du Créateur, est le seul lien qui le rattache sur
la terre à l'infini , auquel il aspire ; c'est que les plaisirs
qu'elle procure sont le commencement d'une récompense
qui doit se prolonger au delà des limites de cette courte
existence, et la jouissance, par anticipation, du véritable
bonheur dont il lui est donné de pressentir ici-bas les délices
sans fin.
En essayant démontrer que c'est dans la vertu seulement
qu'on doit rencontrer le bonheur, ou du moins ce qu'on
peut avec le plus de raison appeler de ce nom sur la terre,
nous n'avions pas assurément la prétention d'arriver à une
conclusion neuve et originale. Mais, quelque gothique qu'elle
puisse paraître , nous n'avons pas dû craindre de la repro-
duire ici ; car pour quiconque voudrait décider la question
en observant seulement la manière dont les choses se pas-
sent en ce monde, et la conduite des hommes de tous les
temps et de tous les pays, nous semblerions moins avoir
répété une vérité triviale que développé un étrange para-
doxe. C.-M. Paffe.
BONHEUR ÉTERNEL. Voyez Béatitude, Para-
dis , etc.
BONHOMIE. On ne peut définir la bonhomie en
deux mots. C'est une nuance de caractère qui , toute fine
et toute délicate qu'elle paraisse, se compose et résulte
d'un certain nombre de qualités morales dont la réunion
lui est nécessaire. La bonhomie n'est point de la bonté, ni
de la douceur, ni de la simplicité, ni de la naïveté, ni de
la bonne foi , ni de la franchise : c'est à la fois tout cela.
On peut être bon sans avoir de bonhomie ; mais la bon-
homie emporte avec elle une certaine disposition à la bien-
veillance, comme l'indique au reste la composition même
du mot. La bonté se manifeste surtout dans les actions, la
bonhomie dans les paroles; elle joint de plus à l'affabilité
une candeur naïve qui lui appartient en propre , et qui n'est
nullement essentielle à la bonté. On peut avoir de la dou-
ceur sans bonhomie. La bonboun'e est toujouis aimable et
douce , confiante , sans malice et sans fiel. 11 y a beaucoup
de simplicité dans la bonhomie ; mais c'est plutôt simpli-
cité de co'ur que simplicité d'esi)rit, et l'on aurait tort de
croire que la boiihomie peut être quelquefois synonyme do
BOiNHOMIE— BO?s'IFACE
417
bôlise. Souvent, au contraire, nous l'avons vue, dans cer-
tains écrivîsins, allii'e à une incroyable finesse d'esprit,
à un l;ict exquis, à une pénétration profonde.
Ce qui fa't qi;e la lioiiliomie peut paraître simple, c'est
qu'elle est iiigi-nue, c'est qu'elle laisse volontiers échapper
son secret, ou plutôt qu'il n'est pas de secret pour elle;
c'est que supposant dans les autres la môine candeur que
dans elle-niônie, elle croit tout le monde et se laisse abuser
sans peine ; c'est qu'elle est sans déguisement et sans dé-
tour, comme sans méliance. Aussi , les qualités qui brillent
au premier rang païuii les éléments de la bonliomie, et qui
semblent ses attributs les plus essentiels .c'est la naïveté et
la bonne foi. Comme elle est en effet le propre d'une belle
âme, elle n'a point intérêt à ne pas se laisser pénétrer ; elle se
livre au contraire avec abandon, et s'expose tout entière aux
regards, sans affectj'.tion et même à son insu. Tout ce qui lui
paraît vrai , elle leiiublie sans liésiter : parler et penser sont
pour elle une mi^iue chose. On ne peut dire qu'elle est l'amie
de la vérité, elle en est plutôt l'organe; le cœur humain n'a
pas d'interprète plus sincère, de miroir plus fidèle.
Veut-on une autre définition de la bonhomie que cette
analyse psychologique, nécessairement froide et incomplète?
Veut-on une définition moins précise, moins générale,
mais infiniment plus complète et plus vraie, qui jette son
objet tout entier et tout \ivant, pour ainsi dire, sous les
yeux du lecteur? La bonhomie, c'est La Fontaine, ce
type d'ingénuité, de bonne foi , de tendresse naïve, de spi-
rituelle franchise; c'est La Fontaine prenant parti pour
Fouquet disgracié contre Colbert et Louis XIV ; c'est La
Fontaine rencontrant M. d'Hervart qui lui offrait de ve-
nir loger chez lui après la mort de sa bienfaitrice, et
lui repondant : « J'y allais » ; c'est La Fontaine disant
très-sérieusement à la table d'un prélat; et quelque temps
après sa conver.>ion : « Vous trouverez encore une infinité
de gens qui estiment plus saint Augustin que Rabelais »;
enfin, c'est La Fontaine écrivant ses fables, où l'on admire
son art de plaire et de )i'y penser pas , comme il le disait
lui-même de madame de La Sablière; fables sublimes, qu'on
ne peut lire sans être charmé et attendri par ces récits
simples et délicieux, par ces causeries si douces, si rêveuses
et quelquefois si éloquentes , d'une éloquence qui s'ignore ;
par ce style où brille tant d'amabilité sans prétention ,
tant de finesse sans recherche , tant de grâce sans afféterie ,
un sentiment si tendre, si bienveillant et si vrai; tant de
candeur, de franchise et d'abandon; en un mot, tant de
bonliomie. . C.-M. Paffe.
BOI\"I (Onofrio), savant archéologue , né en Toscane,
vers 1750, mort en 1820. D'Agincourt, qui avait une grande
confiance dans les lumières de Boni , lui envoya de Rome
les planches devant servir de base à son Histoire de l'art
au mojen âge. Boni avait commencé à en rédiger le texte
lorsque la mort de d'Agincourt vint interrompre l'ouvrage,
qui resta inachevé. Le travail le plus estimé de Boni est
une lettre adressée à Gherardo de Rossi, Sur les antiquités
de Giannuti. il composa l'éloge de sou ami Lanzi (Pise,
1816), et celui de Battoni (Rome, 1787), qui contient, outre
la vie de ce peintre, une foule d'observations intéressantes
sur l'histoire de l'art romain depuis l'époque de Benoit XlV
jusqu'à celle de Pie VL Les autres écrits de Boni com-
prennent des dissertations sur plusieurs sujets de l'art an-
tique et moderne.
IÎO!\'IFACE, général romain àl'époqnedu Bas-Empire,
naquit en Thracc, et mourut en 432. En l'an 4t3 il fHt chargé
de détendre MaiseillecontreAtaulf, roidesGoths, eten422
il se distingua de la manière la plus brillante contre les Van-
dales. Honorius, qui l'avait nommé tribun militaire et créé
comte, lui confia le commandement de l'Afrique. Il y fit
preuve de justice et de modération, et sut tenir en respect
les populations barbares voisines du territoire dépendant de
l'Empire. C'est là que Bouifacc eut occasion de connaître
DICT. DE IJi CONVERS. — T. III.
' saint Augustin , et de se lier avec lui ; liaison qui a peut-ôtru
' plus contribué que les faits de sa vie à le rendre célèbre.
' Après la mort d'IIonorius, arrivée en 424, Coniface lut
I t'ictime d'une intrigue de cour, qui fit un rebelle de Ihonime
; qui jusqu'alors avait rendu de si bons services à l'Empire.
Placidie, qui avait pris les rênes du gouvernement pendant
la minorité de son fils Valenlinien III, avait en Bonif'ace
I une confiance entière et parfaitement justifiée. Aétius et Félix,
qui commandaient en Occident, jaloux du crédit de leur
I collègue, se liguèrent pour le perdre. Aétius écrivit à Boni-
tace que, desservi à la coin-, il y était tombé dans une dis-
grâce complète; que l'impératrice, allait le rappeler; et que
sa mort était certaine s'il quittait l'Afrique. En même temps
j Aétius dénonçait Bonilace à Placidio. et l'accusait de n'avoir
I défendu l'Afrique contre les barbares que pour s'y rendre
I indépendant. 11 ajoutait qu'il n'y avait pas de temps à per-
I dre pour rappeler le traître et déjouer ses projets. Placidie
I donna dans le piège et rappela Boniface. Celui-ci n'eut garde
j d'obéir; et pour se venger d'un gouveruement injrat, leva
des troupes et appela même les Vandales en Afrique. Saint
Augustin lui écrivit d'Hippone, à ce [uopos , une lettre tou-
chante dans laquelle il s'efforçait de le détourner de cette
guerre parricide. Boniface , tout entier à sa vengeance , ne
tint aucun compte des sages avis de son pieux ami. Le*
Vandales commandés par Genseric parurent donc en Afrique,
dont ils dévastèrent les principales citos. Cartilage et Hip-
pone notamment. Placidie, mieux instruite, se réconcilia
alors avec Boniface; mais ce fut en vain que celui-ci essaya
de réparer sa faute en combattant les Vandales et en s'el-
torçant de les expulser de l'Afrique. Ce fut lui, an contraire,
que les victoires de Genséric forcèrent à aller chercher un
refuge en Italie avec les débris de ses légions. Il s'y rencontra
avec le perfide Aétius, non loin de Ravenne, et lui livra uu
combat acharné dans lequel les troupes d'Aélius eurent le
dessous. Mais Boniface blessé de la main même de son rival,
mourut trois ans après des suites de cette blessure.
BONIFACE (Saint). Cet apôtre de l'Allemagne naquit
en Angleterre, dans la petite ville de Kirton, au comté de
Devonshire , vers l'an G80 , et y reçut le baptême sous le
nom de \Ninfrid ou 'Winfreth. Son goût pour la vie ascé-
tique se manifesta de bonne heure; dès Tàge le plus tendrç
son âme, déjà rêveuse, ne voyait pas de vraie félicité dans
cette vie ; il aspirait à la vie céleste. Encore dans l'adoles-
cence, il se confina dans le monastère d'Exeier, où il séjourna
treize années , si bien mises à profit par le jeune solilniie,
qu'il professa ensuite la théologie, l'histoire et la rhéloriijue
dans le monastère de Nutcell; ce fut là qu'à trente ans il fut
promu au sacerdoce.
L'an 716, Winfrid alla prêcher l'Évaugile dans la Frise.
Radbod, roi demi-idolâtre de ce pays, qui était alors en guerre
avec Charles Martel, reçut mal notre pieux missionnaire, qui
retourna dans la Grande-Bretagne, où il fut élu abbé de so»
monastère. En 718 il se rendit à Rome, près du pape Gré-
goire II , qui lui donna des lettres apostoliques pour prêcher
la foi dans la Germanie, dont le cruel Irminsul et la san-
glante Hertha étaient encore en partie les divinités. Accom-
pagné de pèlerins anglais et lomains , il quitta l'Italie pour
répandre les eaux du baptême jusque dans les forêts de»
Druides. A la mort de Radbod , Charles Martel étant matti*
de la Frise, Winfrid repassa dans cette contrée, où il ne
cessa de prêcher pendant trois années ; puis il entra daus
la Hesse, convertissant le peuple. Deux jeunes seigneurs
lui donnèrent leur terre d'Omenburg : Boniface y éleva un
monastère, qui dans la suite devint la ville de Marburg.
Eu 723 Grégoire II l'appela à Rome, où il le sacra
évoque : c'est à cette cérémonie qu'il changea son nom saxon
de Winfrid en celui de Boniface, qui était plus romain.
Grégoire III l'honora du pallium, insigne de la dignité
archiépiscopale. En 738, à son troisième voyage à Rome , il
fut uoinmé par ce pape légat du saint-siége en Allemagne.
53
418
BONIFACE
Sa juridiction apostoii(iue sYteudait sui toute la Germanie :
prélat sans si('j;e fixe , ou eût pu l'appeler f archevêque
du Nord. La IJavicre l'ut ])aiticulièrement le théâtre de ses
prédications ; il divisa ce pays en quatre diocèses, Saltz-
boiirg, Freisingcn, Ratisbonne et Passaii. Ce dernier exis-
tait déjà. 11 étal)lit ensuite Tévéché d'trfurt pour la Thu-
ringe, celui do Burabourg , transféré depuis à Paderboru,
pour la liesse; celui de Wurtzbourg, pour la Tranconie, et
celui d'Eicbstaiilt , dans le palatinat de Bavière. ,
Après la mort de Cliarles-Martel , Carloinan , son fds et
Ron successeur, d'accord avec le pape Zacliarie, confirma
FJoniface dans sa iiuissauce épiscopale. L'arclievcque avait
tant d'empire sur le roi, que ce fut d'après ses exhortations
que, dé;-'(>ùté du trOue, il alla sur les cimes solitaires du
Soracle s'ensevelir dans un monastère qu'il y fonda. Après
la réclusion de Thierry, fils du dernier roi mérovingien,
dans un cloitre. Pépin le Bre f crut ajouter à sa puissance
et à l'éclat de sa couronne en se faisant sacrer à Soissons
par Boniface , qui se rendit à cet argument de Zacliarie, si
commode pour les courtisans, les ambitieux elles traîtres :
qu'il valait mieux reconaaitre pour roi celui en qui
résidait Vautorité suprême. Boniface fut élu archevêque
de Mayence par Pépin; le pape confirma cette élection;
de plus, il assujettit à la métropole de lAîayoncc les évôchés
deTongres, d'Utrecht, de Colnj;ne, de Wornis, de Spire
et tous les évêcliés d'Allenir.i^ne que le saint avait érigés, ou
qui relevaient auparavant de la métropole de Worms. Ses
pouvoirs de légat en Germanie s'étendaient aussi dans les
Gaules; dans le cercle du haut Rhin, il fonda une abbaye
à Fulda; il en établit aussi à Fidislar, à Hamelbourg, et à
Ordorf.
Emporté par sa vocation d'apôtre , avec le consentement
du pape, il céda son évôcbé de Mayence à saint Lulle,
moine de Malmesbury, son disciple, et partit pour achever
la conversion de la Frise, toujours attachée au culte antique
des arbres et des fontaines. C'était en pleine campagne et
sous des tentes qu'il baptisait et confirmait la foule des
néophytes , trop considérable pour tenir dans les églises.
Un jour, à Dockum, près de Leeuwarden, des barbares
t-e cette contrée , alors demi-sauvage, fondirent tout armés
sur la tente de Boniface , et le massacrèrent lui et ses com-
pagnons, ainsi que quarante catéchumènes. Tous, sans se
défendre, tendirent la gorge aux assassins. Ces hommes
avides espéraient trouver dans la tente de l'apôtre de l'or et
des vêtements magnifiques; des livres de piété et une pièce
de toile de lin, que le saint, dans le pressentiment de
son sort , destinait à être son linceul, voilà tout le butin
qu'elle cachait. C'est ainsi que, le 5 juin 755, cet apôtre ter-
mina, à l'ûge de soixante-quinze ans, sa sainte carrière,
lîoniface avait assisté à huit conciles ; on a de lui trente-
neuf lettres, des canons et des homélies; il composa
aussi un livre. De l'unité de la Foi, qui est perdu. Son
corps fut transféré successivement à Utrecbt, à Mayence,
et à Fulda. On conserve dans cette abbaye une copie des
Évangiles écrite de sa main et un volume empreint de son
sang. Nous ne finirons pas cette notice sans citer de lui ces
belles paroles : « L'Église avait autrefois des prêtres d'or,
qui sacrifiaient dans des calices de bois; de notre temps
elle a des prêtres de bois, qui sacrifient dans des calices
d'or. » Denne-Baron.
BONIFACE. On compte neuf papes de ce nom.
BONIFACE F"" (Saint) naquit à Rome. Son prédécesseur,
Zozime, était mort le 26 décembre 418, et dès le lendemain
Symmaque, préfet de Rome et idolâtre, avait exhorté le
peuple , qui jusque alors était intervenu dans l'élection de
révêque de Rome, à laisser le clergé choisir seul et libre-
ment le nouveau pape. Mais le 27, avant même que les fu-
nérailles de Zozime fussent tcrndnées, l'archidiacre Eulalius
ayant r,issend)lé dans l'église de Saint-Jean de Lalran tous
le» diacres de la ville, (pielqucs prêtres et beaucoup do
bourgeois, fit fermer les portes de l'église, et se fit élire
pape. Il reçut le dimanche 29 la consécration de l'évéque
d'Ostie, à qui , d'après l'ancien usage, ce droit appartenait.
Cependant , quelques évêques , presque tous les prêtres
de Rome, et une foule de peuple, reunis dans l'église de
Théodore, déterminés à élire Boniface, ancien prêtre de la
ville , députèrent à l'assemblée de Saint-Jean de Latran trois
prêtres pour engager cette assemblée à ne pas procéder à
l'élection d'Eulaiius sans s'être concertés avec eux. Ces dé-
putés furent fort mal accueiUis. Le préfet Symmaque avait
dès le 28 notifié aux partisans de Boniface de ne pas con-
sommer l'élection projetée ; ils ne tinrent aucun compte de
cette défense. Symmaque écrivit à l'empereur Honorius, qui
confirma d'abord l'élection d'Eulaiius, puis révoqua son édit,
et convoqua un concile à Ravenne le l*^'' mai; il chargea
Achilles, évoque de Spolette, de remplir provisoirement les
fonctions de pape. Des émeutes , des troubles , éclatèrent.
L'empereur annula l'élection d'Eulaiius, et confirma enfin
celle de Boniface. Eulalius se soumit à ce nouvel édit , et
fut nommé évêque de Nepi. Le concile convoqué, devenu
inutile , ne fut pas assemblé. Cette double élection avait fait
couler beaucoup de sang. Boniface, par son opiniâtre am-
bition, doit être considéré comme le principal auteur de
tant de calamités. Eulalius aurait conservé le saint-siége s'il
n'avait enfreint la défense que l'empereur avait faite aux
deux concurrents de rentrer dans Rome avant la décision du
concile. Honorius, blessé de sa désobéissance, se tourna du
côté de Boniface; et pourtant Eulalius, en abdiquant, se
montra meilleur chrétien et fit céder l'ambition à l'huma-
nité. Boniface n'en fut pas moins canonisé. Il mourut
le 20 octobre 422. Saint Augustin lui avait dédié ses quatre
livres contre les erreurs des pélagiens; et saint Jérôme était
mort sous son pontificat.
BONIFACE II (Saint), fils d'un Goth nommé Sigisvult,
fut consacré pape par une partie du clergé romain, le 13 oc-
tobre 530, et succéda à Félix IV. L'autre partie consacra
le même jour Dioscore. Athalaric, roi des Goths, appuya
l'élection de ce dernier ; un nouveau schisme menaça la
chrétienté. Elle en fut heureusement préservée par la mort
de Dioscore, qui décéda trois jours après son élection. Bo-
niface le poursuivit jusque dans son tombeau ; il excom-
munia un cadavre. Mais Agapet, successeur de Boniface, ré-
habilita par une absolution la mémoire de Dioscore. Boni-
face II mourut le 17 octobre 532. 11 a été canonisé.
BONIFACE m, prêtre romain, fils de Jean Candiote,
fut consacré le 19 février G07. Les brigues des prétendants
au trône pontifical en prolongèrent la vacance pendant |tlu.s
d'un an. Boniface, alors archidiacre, avait été nonce du
saint-siége à Constantinoplc. Le patriarche Cyriaque s'était
constamnient refusé à remettre au tyran Phocas la veuve do
Maurice et ses trois filles, réfugiées dans son temple; il n'a-
vait cédé qu'après avoir reçu de Phocas le serment de no
point attenter à leur vie. Boniface, loin de protéger les
quatre victunes, favorisait de tout son pouvoir leur oppres- j
seur, et aussitôt après la mort du pape Sabinianus , il se j
prévalut de son crédit à la cour de Phocas pour se faire élire j
pape. Il y réussit, et obtint de lui que les patriarches ne pour- j
raient plus piendre le titre d'évêque œcuménique ou uni-
versel, et que ce titre serait exclusivement conféré aux
papes. Cédrénus, écrivain du douzième siècle, affirme que
Boniface était ivrogne, brutal, inhumain et sanguinaire. .
Dans un concile romain composé de soixante-douze évê- i
ques et d'un grand nombre de prêtres et de diacres, il I
fit décider que celui qui réunirait la majorité des suf- J
frages du peuple et du clergé serait reconnu comme pontife
suprême, si l'empereur confirmait l'élection. Grégoire 1q
Grand, moins ambitieux qu'éclairé, avait prédit que l'Église
serait mal gouvernée si un seul homme pouvait se consti-
tuer chef suprême et unique de tons les évêqucs. Il donnait
par anticipation à ceponlilc uniq\ie le titre d'Anlcchrisl, elj
BONIFACE
419
plusieurs rois ont en effet qualifié ainsi Bonifacc III et ses
successeurs. Ce pape mourut le 10 novembre de l'année
int"'me de sa consécration.
BONIFACE IV (Saint), né à Valérie, dans l'Abruzzo, fils
d'un médecin appelé Jean , fut élu pape le 18 septembre 608.
Le trône papal était resté vacant pendant plus de neuf mois,
parce que les diacres , administrateurs des revenus de l'É-
{,'lisc, exerçaient une influence sur l'élection, et que l'argent
était à leurs yeux la meilleure des recommandations. Bo-
niface convertit le Panthéon en église sous le nom de Notre-
Dame de la Rotonde. Il vivait fort retiré, et avait fait de son
palais un monastère. Il mourut le 7 mai 615, et fut canonisé.
BONIFACE V, Napolitain, consacré le 23 décembre 617,
après une vacance de plus d'une année , mourut le 22 oc-
tobre 625. Instruit des pieuses instances de la reine de Nor-
lliiimberland (Angleterre) pour déterminer son royal époux
à se faire chrétien , il avait envoyé à cette princesse, au nom
et de la part de saint Pierre , une chemise brodée en or, un
manteau pour le roi, un miroir d'argent et un peigne d'i-
\ oire garni en or pour elle. Ce pape maintint le droit d'asile,
st interdit aux juges toute voie de fait contre ceux qui se
réfugiaient dans les églises et autres lieux réservés.
BONIFACE VI, prêtre romain; son père se nommait
Adrien. Il fut élu deux Jours après la mort de Formose,
/e 10 décembre 896. On lui a contesté le titre de pape,
parce que, déposé déjà du sous-diaconat et de la prêtrise,
son élection aurait été obtenue par des moyens honteux ; du
reste, il mourut quinze jours après. On attrii)ue cette fin
subife à la faction qui s'était opposée à son élection. Le con-
cile de P.avenne, tenu en 1049, avait décidé que son nom
serait rayé de la liste des papes ; mais l'usage contraire a
prévalu.
BONIFACE VII, nommé d'abord Francon, fils deFer-
rotius, et diacre de 1 Église romaine, est qualifié d'antipape
jiar quelques historiens. Il fut consacré par sa faction
en 974. Il fit mourir son comp<jti.teur, Benoît VI; l'autre
faction élut iuimédiatement Benoît VII. Boniface fut
chassé de Borne; il emporta le trésor de l'Église, et se retira
à Constanlinople. Informé de la mort de Benoît VII, il re-
vint en 985. Il trouva le trône pontifical occupé par
Jean XIV, élu après la mort de Benoît VII. Il se débar-
rassa de ce nouveau concurrent, qu'il fit arrêter, dt'poser et
jeter en prison, où il mourut de faim et de misère, et se main-
tint sur la santa-sede pendant quatre mois. Son orgueil et
sa férocité avaient éloigné de lui tous ses partisans : il ne
pouvait avoir d'amis , il n'avait que <les complices. Il tomba
sous les coups d'un assassin. Son cadavre , sillonné de coups
de lance, fut laissé nu sur la place publique devant le cheval
de Constantin. Il y resta jusqu'à ce que quelques prêtres
vinssent l'enlever pour l'enterrer dans quelque coin retiré.
BONIFACE VIII (Benoît CAJÉTAN) , né à Anngni. Sa fa-
mille, d'origine catalane, s'était établie àGaète , et avait pris
depuis le nom de Cajétan. Leuiroi Cajétan, son père, avait
apporté les plus grands soins à son éducation, et l'avait placé
sous les professeurs les plus distingués dans la science du
droit civil et canonique. Benoit reçut très-jeune encore le
bonnet de docteur, débuta d'une manière brillante au barreau
romain, et obtint les charges, beaucoup plus honorables que
lucratives, d'avocat consistorial et de protonotaire du saint-
siége; il s'en démit dès qu'il eut obtenu un canonicat au
chapitre métropolitain de Paris, puis à celui de Lyon. Bap-
pelé à Borne, il s'y rendit utile au pape français Martin IV,
qui le nomma cardinal le 23 mars 1 281. Nicolas IV l'envoya
légat en France. De retour a Rome, il prit un tel ascendant
sur le faible et pieux Céiestin V, qu'il le détermina à abdi-
quer, et se fit élire lui-même le 24 déremhre 1294, sous le
nom de Boniface VIII. Il ne permit pas à son prédécesseur
de se retirer dans son ancien couvent, et le retint prison-
nier dans un château, où il mourut. Boniface fut soupçonné
d'avoir hâlé le terme de ses jouis par le poison.
Bonifiice, dont la vanité et l'ambition ne peuvent ètr«
comparées qu'à celles de Grégoire Vil , aspirait à la souve-
raineté universelle. Il exigea d'abord l'hommage lige du roi
de Naples et des autres princes qui relevaient du saint-siége;
et, après la mort de Charles II , roi de Naples , il disposa de
ce rojaume et de ceux d'Aragon et de Valence en souverain
absolu : non content de placer ces trois couronnes sur la tête
du roi Jacques, il lui promit celles de Sardaigne et de Corse.
Enhardi par ce premier essai, il se flatta de soumettre à la
tiare les rois de France et d'Angleterre. Mais, avant de parler
en maitre, il se présenta comme médiateur aux deux rois,
qui se faisaient une guerre opiniàlre. Sa médiation fut d'a-
bord refusée, attendu qu'il n'y avait rien de spirituel dans la
cause de leur différend. Boniface leur fit répondre par ses
légats que ce n'était point comme pape , mais comme ami
qu'il offrait son arbitrage, et qu'il importait démettre fin à
des dissensions dont les Sarrasins seuls profitaient. Les deux
rois consentirent à accepter ses offres. Si elles eussent été
sincères , Boniface aurait exigé pour première condition la
suspension des hostilités; il n'en fit rien. La guerre continua
avec le même acharnement. Edouard , roi d'Angleterre, qui
avait suscité contre la France Adolphe, roi des Romains,
intriguait encore pour détacher des intérêts de Philippe le
Bel Guy, comte de Flandre, et il y réussit. Philippe, irrité
de ce que ce comte, son vassal, avait, sans sa permission,
disposé de la main de sa fille en faveur du fils d'Edouard ,
manda à sa cour le comte et la comtesse, les retint prison-
niers et ne leur rendit la liberté qu'après qu'ils eurent remis
leur fille entre ses mains. Cette jeune princesse était sa fil-
leule. Le comte Guy, après l'avoir inutilement supplié de
la lui rendre, envoya au pape un homme sûr pour lui dé-
noncer la conduite de Philippe le Bel, puis il entra duHS la
ligne formée contre la France par les rois d'.\ngleterre et
des Romains, les ducs d'Autriche et de Brabant et d'autres
princes. Philippe, obligé de lever de nouvelles troupes et de
nouveaux subsides pour résister à cette formidablecoalition,
se trouvait dans une crise désespérée ; les peuples étaient
épuisés par les guerres précédentes. Edouard se trouvait dans
le même embarras. Le clergé des deux royaumes fut im-
posé, et Philippe, pour dernière ressource, altéra le titre
légal des monnaies.
Boniface avait entendu l'appel du comte de Flandre et de
tout le haut clergé de France et d'Angleterre. C'était plus
qu'il n'avait espéré, en alimentant les divisions entre les
deux royaumes. Il préluda par envojer à Philippe un prélat
chargé de le sommer de mettre en liberté la fille du comte
Guy; en cas de refus, Philippe devait être cité devant le
saint-siége. Le légat du pape, fidèle à ses instructions, ne
mit aucun ménagement dans l'exécution de ses ordres ; il dé-
clara an roi que s'il hésitait à déférer à ses sommations , le
pape était déterminé à l'y contraindre par l'excommunica-
tion. Philippe, étonné de cette audacieuse menace, répondit
« qu'il n'avait à rendre compte de sa conduite qu'à Dieu, en
ce qui regardait les affaires temporelles de son royaume,
qu'il trouvait étrange que le pape lui fit parler d'un ton aussi
haut pour des choses qui ne le regardaient pas ; que c'était
à contre-temps se déclarer pour ses ennemis et entreprendie
au delà de sa juridiction ; qu'au reste il avait sa cour pour
faire justice à ses sujets et à ses vassaux ; que partant il
remerciait Boniface, dont les inquiétudes et les soins étaient
inutiles en cette rencontre. »
Bonniface n'avait offert sa médiation aux rois de Franco
et d'Angleterre que pour rendre leur querelle interminable :
l'état de guerre favorisait ses projets ambilieux. Arbitre des
deux rois, il voulut être leur maître; il fulmina sa bulle
Clericis laicos, et défendit à tout clerc, prélat et religieux,
de payer aux puissances laïques, pour quelque raison que ce
fut, aucune espèce de contribution sans la permission du
saint-siége, sous peine d'encourir les censures de l'Église,
quels que fussent leur rang et leur dignité. Les ffiêmes peiaes
à3.
420
BONIFACE
<^taiciit infligées aux rois et aux princes qui les exigeraient,
aux ministres et à tous ceux qui, directement ou indirecte-
it)ent, auraient participé à ce qu'il appelait des exactions. Il
frappait d'interdiction les universités qui y auraient con-
senti ou qui y consentiraient, les prélats et les ecclésiastiques
<|ui ne s'y opposeraient pas ouvertement. Il qualifiait d'at-
tentat le pouvoir que s'arrogeaient les princes séculiers de
lever des impôts sur les biens de l'Église, lors môme que
les besoins de leuis États leur en imposaient la nécessité.
Cette bulle était spécialement dirigée contre Edouard, roi
d'Angleterre, qui faisait lever des impots sur le clergé
par ses soldats, et contre le roi de France, Philippe le
Bel, qui avait aussi imposé le clergé de son royaume. Oo-
riiface voulait rendre (eudataires du saint-siége tous les
princes chrétiens, comme l'étaient déjà le roi d'Angleterre
rt les princes de l'Italie. Philippe le Bel répondit à cette
I)ulle insolente par deux édits : il défendit aux étrangers
tout commerce en France et toute exportation d'argent, de
pierreries, chevaux, armes, munitions, sans sa permission.
Le saint-siége se trouvait ainsi privé des annales;
Boniiiice ne se dissimula point la portée des édits. Il en-
voya au roi Guillaume de Viviers pour lui déclarer « que ses
prohibitions n'étaient pas appliquâmes aux gens d'église ,
<iue les rois n'avaient aucun droit, aucun pouvoir sur les
ecclésiastiques ; que le droit que s'arrogeait Philippe n'était
qu'une folle prétention, une iunovation injuste et iutolérable,
et qu'il était obligé de s'y opposer. » Il renouvela la bulle
qui avait donné lieu aux édits de prohibition, et, se parant
d'un beau zèle pour le bien public, il déclara au roi de
France qu'il ne s'était attiré l'aversion de ses peuples que
par les charges intolérables dont il les avait accablés. Bo-
nilace terminait ainsi cette allocution paternelle : « Le
jugement des dilférends élevés entre vous et les deux rois
( des Romains et d'Angleterre ) m'a[)partient, en tant qu'il
est question de péché. Il est honteux de votre part de me
récuser, tandis qu'Adolphe et Edouard se soumettent. Avant
d'en venir aux dernières extrémités, je veux bien encore es-
sayer la voie de la remontrance et de la douceur; et dans
cette vue je vous envoie Tévêque de Viviers, u Philippe,
eifrayé, céda à la peur de l'excommunication, et sa réponse
ne fut qu'une hunible justification, que le clergé de France
appuya d'une requête non moins humble. Le roi suspendit
même aussitôt l'exécution de ses édits de prohibition. Qui
n'eût cru que Boniface était satisfait? Mais ses injustes per-
sécutions contre la famille Colonna avaient indisposé contre
lui toute l'Italie. Il ne fit donc qu'ajourner ses projets d'am-
bition et de vengeance contre le roi de France, et modifia
les dispositions menaçantes de sa bulle Clericis laïcos ;
mais lorsqu'il rendit sa sentence arbitrale entre les rois des
Romains et d'Angleterre et le roi Philippe, ce fut au pré-
judice de ce dernier. Bien que cet arbitrage ne lui eut été
déféré que comme simple particulier et non comme pape,
Boniface avait jui;é en suzerain absolu des rois. Le protocole
pontifical ne terminait rien; aussi, de guerre lasse, et pour
sauver au moins l'honneur de leurs couronnes, les rois se
réconcilièrent-ils tout seuls, sans l'intervention du pape.
Toutes les circonstances de ce déplorable conflit occupent
une grande place dans l'histoire du quatorzième siècle. L'af-
faire de l'évêciue de Pamiers ne fut qu'un scandale de plus :
cet évèque, dont le siège était une création récente de Bo-
niface, s'étant rendu coupable de propos injurieux contre la
personne du roi, celui-ci le lit arrêter ci le commit, jusqu'au
jugement du procès , à la garde de l'archevêque de Nar-
bonne. Doniface réclama le prisonnier comme n'étant justi-
ciable que de l'autorité ecclésiastique; et Philippe le Bel crut
prudent de céder à cette injonction. 11 avait convoqué ras-
semblée des états pour prononcer sur les prétentions de Bo-
niface : les états sanctionnèrent l'edit ([ui prohibait la sortie
de l'or et de l'argent du royaume, et maintinrent le roi dans
Je droit de régale, qui attribuait au trésor les revenus des
bi'nt'fices vacants. La fameuse bulle Clerïcis laicos fut brrt-
lée publiquement, et la nouvelle de cette exécution procla-
mée dans tout Paris à son de trompe. Douze jours après,
le roi, dans une assemblée générale de tous les officiers de
sa maison, des princes de sa famille, des grands et des pairs
du royaume, déclara « qu'il désavouait pour héritier de la
couronne son fils et tous ses autres enfants qui pourraient
lui succéder, s'ils reconnaissaient au-dessus d'eux une
autre puissance que celle de Dieu, de qui seul ils dépen-
daient pour le temporel, ou s'ils avouaient tenir le royaume
de France d'aucun homme vivant. » Le roi Philippe, assuré
de l'appui de la noblesse et de la majorité du clergé et du
tiers état, aurait Au s'arrêter à cette protestation solennelle,
mais il n'avait pas le sentiment de sa force et de s-a dignité.
Se laissant entraîner par un mouvement de vengeance va-
niteuse, il parodia dans une déclaration ce qu'on appelait la
petite bulle de Boniface, qu'il avait fort sagement laissée
sans réponse. Elle était ainsi conçue :
« Boniface, etc., à Philippe, roi des Français. — Crains
Dieu et garde ses commandements! — Apprenez que vous
nous êtes soumis pour le spirituel et pour le temporel; la
collation des bénéfices et des prébendes ne vous appartient
en aucune manière. Si vous avez la garde de quelques-uns
de ces bénélices pendant la vacance, par la mort des béné-
ficiers, vous êtes obligé d'en réserver les fruits à leurs suc-
cesseurs. Si vous avez conféré quelques bénéfices, nous dé-
clarons nulle cette collation pour le droit, et nous révoquons
tout ce qui s'est passé dans ce cas pour le (ait. Ceux qui
croiront autrement seront réputés hérétiques. Au palais de
Latian, le 5* jour de décembre, l'an 7 de notre pontificat. »
Cette petite bulle portait pour unique souscription ces mots
déjà mis en tête : « Crains Dieu , et garde ses commande-
ments. »
Voici la déclaration du roi : « Philippe, par la grâce de
Dieu, roi des Français, à Boniface, se prétendant souverain
pontife, peu ou point de salut ! — Sache votre très-grande
fatuité que noas ne sommes sujets de personne pour le tem-
porel ; que la collation des bénéfices et des prébendes nous
appartient; que c'est un droit de notre couronne, et que
les fruits de leurs revenus sont à nous ; que les provisions
que nous avons données et que nous donnerons sont valides
et pour le passé et pour l'avenir, et que nous sommes résolu
de maintenir dans leur possession ceux que nous y avons
mis; que nous tenons enfin pour faquin et insensé quiconque
pensera autrement. Paris, etc. »
La publication de cette parodie royale rendait toute ré-
concihation impossible. De nouvelles bulles furent fulminées
contre le roi Philippe et contre tous ceux qui avaient adhéré
à ses protestations. Les lettres, les députations des trois or-
dres de France au pape, aux cardinaux , compliquèrent le
conflit et portèrent l'irritation au dernier degré d'exaltation.
Les états accueillirent la proposition du chancelier d'accuser
le pape et de le traduire devant un concile général. De son
côte, Boniface et son conseil, après avoir excommunié Phi-
lippe et ses adhérents, opposèrent procédure à procédure.
Ces récriminations, leurs causes, leurs effets, appartiennent
à l'histoire de Philippe le Bel.
Dans cette crise déplorable , si funeste au repos de l'Eu-
rope, si contraire aux sages principes du christianisme, le
fougueux et vindicatif Boniface dut se repentir plus d'une
fois d'avoir, au commencement de son pontificat, canonisé
Louis IX, aïeul du roi Philippe. Ce pape avait d'ailleurs
élevé les mêmes i)rétentions contre l'autorité de tous les
rois chrétiens; la France seule lui opposa une longue et
unanime résistance.
La soumission de toutes les couronnes à la tiare était le
but uni(iue, bâillement proclamé, de Boniface, et cependant
ses actes polilii|ues semblent quelquefois se contredire. Mais
ces contradictions ne .sont qu'a[)pai entes : il sacrifiait aux
exigences du moment. Dans sa longue et orageuse polc-
BO?iIFACE
421
mîque avec Philippe le Bel, s'il paraît parfois battre en
retraite, c'est sans abandonner l'exécution de son plan; ce
n'est qu'un changement de front, pour amener son ennemi
sur un terrain où il reprendra tous ses avantages. On l'a \u
protéger de toute son influence et fortifier par de nouvelles
combinaisons le parti de princes que naguère il avait ana-
tliématisés, et justifier celui qu'il avait accusé des plus
énormes crimes, pour s'en faire un puissant et utile auxi-
liaire contre des souverains auxquels il n'avait pu résister
avec ses propres forces. Bientôt les faits vont prouver que,
loin de s'écarter de son but, il y marche plus directement
et avec plus de chances de succès.
Lors de la vacance du trône impérial d'Allemagne, après
ia mort de Rodolphe , les suffrages des électeurs se parta-
gèrent entre Adolphe, comte de Nassau, et Albert d'Autri-
che, fils de l'empereur défunt. La guerre civile et tous les
fléaux qu'elle entraîne à sa suite furent l'inévitable consé-
quence de cette dissidence. Cependant les princes élec-
teurs, également fatigués d'une lutte désastreuse pour tous
les partis , étaient convenus , afin de mettre un terme aux
communes calamités, de procéder à une élection nouvelle et
de réunir leurs suffrages sur un des deux prétendants. Bo-
niface s'y opposa , et leur défendit de procéder à aucune
élection. A lui seul , disait-il , appartenait le droit de donner
l'Empire à qui bon lui semblerait, et même d'en exclure
Adolphe et Albert. Il somma ces deux princes de compa-
raître devant le saint-siége et d'y exposer leurs droits res-
pectifs. Adolphe de Nassau mourut peu de temps après
cette sommation. Boniface accusa Albert d'Autriche de l'a-
voir fait assassiner. Les princes électeurs consentaient tous
à le reconnaître comme roi des Romains; nouvelle opposi-
tion de Boniface , qui l'excommunia d'abord , mais pour
s'en rapprocher bientôt. Convaincu de la nécessité d'ap-
puyer ses bulles contre le roi de France sur des forces
réelles et imposantes , il leva l'excommunication lancée
contre Albert d'Autriche, confirma son élection, et prit même
avec ce prince l'engagement de l'élever au trône impérial
d'Occident. Albert accepta toutes les conditions qui lui furent
imposées ; il reconnut solennellement que la « translation de
l'empire grec aux Allemands et le droit d'élire le roi des
Romains, pour être ensuite empereur d'Occident, était une
concession du saint-siége ». Il déclara que « tous les rois et
les empereurs qui avaient été , qui étaient ou qui seraient
jamais, recevaient du pape la puissance du glaive temporel;
que les rois des Romains et les empereurs d'Allemagne
étaient spécialement choisis et admis par le saint-siége
pour être les avoués et les patrices de l'cgUse romaine et les
défenseurs de la foi catholique ».
Albert mentait à sa conscience, à ses souvenirs, à la
notoriété historique la plus incontestable ; mais une couronne
accordée, une autre promise, étaient le prix de ce parjure. Il
rendit donc hommage de sa couronne à Boniface, confirma
toutes les donations faites, tous les privilèges accordés au
saint-siége par ses prédécesseurs, prêta serment de fidélité
à saint Pierre et à ses successeurs, et prit l'engagement d'as-
sister Boniface de toutes ses forces pour mamtenir ses pré-
tentions, de défendre les immunités ecclésiastiques, de ven-
ger le pape de tous ses ennemis, et de rompre enfin ses en-
gagements avec la France pour se jomdre à la coalition for-
mée par Boniface contre Philippe le Bel. Pendant ce temps-
là Boniface, secondé par les partisans qu'il avait dans le haut
clergé de France, envoyait dans toutes les parties du
royaume des bulles et des émissaires chargés d'exciter des
soulèvements contre le roi.
Il ne restait à Philippe le Bel qu'un seul moyen d'assurer
sa couronne et d'étouffer les germes d'une guerre civile im-
minente : il convoqua une assemblée des états généraux ;
elle se réunit le 13 juin dans le château du Louvre. Guil-
laume Duplessis, seigneur de Vèzenobre, assisté des comtes
de Saint-Pol et Jean de Dreux , se portèrent parties contre
le pape, et présentèrent contre lui une accusation en forme.
Leur proposition fut accueillie sans difliciilté par les dé-
putés de la noblesse et du tiers état; ceux du clergé de-
mandèrent un délai pour en délibérer, et se retirèrent de
l'assemblée. Duplessis et les comtes de Saint-Pol et Jean de
Dreux revinrent le lendemain à l'assemblée, assistés de
plusieurs notaires et témoins, et articulèrent vingt-neuf chefs
d'accusation contre Boniface; ils lui reprochaient notam-
ment « de nier l'immortalité de l'àme , et par conséquent
tous les mystères de la religion qui ont trait à la vérité de la
vie éternelle; d'avoir commis tous les péchés distendus dans
le Décalogue ; d'avoir corrompu ce qu'il y, avait de plus
sacré dans le commerce que l'homme peut avoir avec son
Créateur et le reste des créatures; d'avoir violé les lois di-
vines et humaines, soit dans sa conduite particulière, soit
dans celle qu'il avait tenue avec la France et avec ceux
qu'il traitait comme des ennemis , etc. » Ils terminaient eu
demandant que tous ces griefs fussent examinés dans un
concile général , et, afin de prévenir de nouveaux actes de
violence et d'arbitraire de la part de Boniface, ou du moins
pour en atténuer les effets , ils déclaraient appeler de tout
ce que le pape pourrait faire « au concile général que l'on
assemblerait, au saint-siége et au pape futur. »
Le roi fit une déclaration conforme. La plainte de Du-
ples.çis et de ses collègues et la déclaration du roi , furent re-
çues et rédigées par les notaires. Les membres du clergé
adhérèrent à la convocation du concile pour faire connaître
Vinnocmce de Boni/ace. Des commissaires furent dépêchés
dans toute la France à tous les dignitaires ecclésiastiques
qui n'avaient pas assisté à l'assemblée , et obtinrent beau-
coup d'adhésions ; tous ces actes enfin furent expédiés à
Guillaume de Nogaret , qui était alors en mission diploma-
tique h Rome pour y faire valoir la première requête du roi
contre Boniface, et qui s'était assuré de l'assentiment d'une
partie de la noblesse romaine et du peuple, voire même de
celui de q\ielques cardinaux.
Le moment paraissait bien choisi pour châtier ce pape
qui s'était aliéné presque tous les princes de l'Europe par
son despotisme. 11 avait excommunié Frédéric, frère de
Jacques II , roi d'Aragon , parce qu'il retenait le royaume de
Sicile ; il l'avait même déclaré incapable de posséder aucune
dignité , et avait frappé la Sicile d'un interdit. Mais les ha-
bitants n'en étaient pas moins restés fidèles à Frédéric, et
avaient refusé de se soumettre à Charles , roi de Naples ,
que Boniface leur imposait. Celui-ci, effrayé enfin des me-
naces de la France, releva Frédéric de son excommunication,
à condition qu'il se reconnaîtrait tributaire du saint-siége
et l'aiderait contre ses ennemis. Il leva également l'ex-
communication fulminée contre Jacques II, aux mêmes con-
ditions, le créa gonfalonnier du saint-siége, et lui donna les îles
de Sardaigne et de Corse. ]Mais il excommunia Éric III , roi
de Danemark, sous prétexte qu'il avait arrêté l'archevêque de
Lund, et cette nouvelle excommunication excita des troubles
graves dans ce royaume. Soutenant que l'Ecosse était la pro-
priété immédiate des papes, il avait excommunié Edouard l",
roi d'Angleteue, qui, en sa qualité de suzerain d'Ecosse, avait
revendiqué ce royaume. Vainement ce prince appuyait son
droit sur des faits et des actes irrécusables, la volonté im-
muable de Boniface n'admettait pas d'opposition. Il s£ jouait
des têtes couronnées , et une double excommunication avait
été lancée par lui contre Wenceslas IV, roi de Bohême, et
contre son fils , Wenceslas V , coupable d'avoir accepté la
couronne de Hongrie que lui avaient librement délérée les
suffrages du pays. De son autorité privée , il avait disposé
de ce royaume en faveur de Charles Robert , petit-fils de
Charles II , roi de Naples. Une guerre civile fut la con-
séquence de ce conflit. Ce même Wenceslas ayant élevé des
prétentions au trône de Pologne, Boniface le somma, ainsi
que les autres prétendants, de soumettre l'examen de ses
litres au saint siège.
4 2-i BOMFACE
11 avaft déposé les cardinaux Jacques Colnnna et rione,
son neveu, en les dt^pouillant de tous leurs biens et béné-
lices , et en étendant la proscription et les confiscations à
tous les membres de cette illustre et opulente faîniile, dont
le crime était d'appartenir au parti des {gibelins, que dttestait
Boniface. La maison Colonna tenait par ses alliances et ses
relations aux familles les plus influcnles de l'Italie. C'est
dans cette maison que Pliili(ipe le I5el, par le conseil de
Guillaume de Nogaret, avait trouvé un redoutable appui
contre le pape. Celui-ci fulminait toujours de nouvelles
bulles, et cliercbait à former une puissante coalition contre
la France , en appelant à son secours les princes et les rois
qui jusque alors s'étaient montrés les dociles instruments
de son ambition; cependant Albert d'Autricbe, qui s'était
résigné aux plus bumbles concessions pour s'affermir sur
le trône qu'il ambitionnait et qu'il avait obtenu, éluda le
premier les nouvelles propositions de Uoniface , et se borna
à garder une prudente neutralité.
Enfin, Guillaume de Nogaret , convaincu de l'impos-
sibilité d'une réconciliation par les voies diplomatiques ,
ne songea qu'à recourir à la force [)0ur mettre un terme
aux menaces, aux violences du pape. Il envoya ses conseil-
lers d'ambassade dans les villes de la Romagne sonder l'o-
pinion publique et disposer les esprits en faveur de la
France; et taudis que ces émissaires agissaient confor-
uiémcnt à ses instructions, il se retira au ciiàteau de la
Slaggia près de Sienne, où vint le rejoindre Sciarra-Colonna,
que l'bilippe le Bel avait fait racbeter à Marseille des cor-
saires qui l'avaient emmené en esclavage. Beaucoup d'au-
tres seigneurs du parti des gibelins se réunirent à lui. Il em-
jirunta des sommes considi'rables au Florentin Petrucci pour
l'entretien de trois cents cbevaux et de compagniesd'infan-
terie levées par Sciarra Colonna , ainsi que de deux cents
cavaliers tirés des troupes que Cbarles, comte de Valois,
frère du roi, avait laissées en Italie; et, pour écarter tout
soupçon , il affectait de n'être occupé que d'un traité de paix
entre le pape et le roi.
Cependant Boniface avait rendu toutes négociations dé-
.sorniais impossibles par une dernière bulle dans laquelle
il déclarait « que le roi, connue excoinnumié, était décliu
de tout droit de confrer aucun bcnéliccet de gouverner ni
par lui ni par d'autres; qu'ainsi ses sujets, n'étant plus obli-
gés de lui garder la foi selon l'autorité des canons, étaient
absous et délivrés du serment qu'ils lui avaient prêté ; qu'en
vertu des mêmes canons, et par l'autorité souveraine qu'il
avait reçue de Dieu en qualité de vicaire de Jésus-Cbrist,
il leur défendait, sous peine d'anatliènie, d'obéir à l'bi-
lippe IV , dit le Bel ; et à toutes autres personnes de dedans
et de dcbors, de recevoir aucun bénéfice de lui sous la même
l)eine et sous celle d'être déclarées pour jamais incapables
d'en tenir aucuns et de perdre ceux qu'elles possédaient. »
Il cassa également tous les traités faits avec les puissances
étrangères, ajoutant <■ que si l'bilippe le Bel ne rentrait pas
dans l'obéissance qu'il devait au saint siège, il lui ferait in-
cessamment sentir toute la rigueur des peines auxquelles il
pourrait justement le soumettre ». Déjà il avait ordonné
que l'acte de celle monstrueuse procédure sciait aflicbé le
5 septembre suivant à la porte de l'église d'Anagni. Il s'était
retiré lui-même dans celle ville, sa patrie; ce fut de sa part
une grave imprudence : il eût été plus en silreté à Rome.
Guillaume de JNogaret et Sciarra Colonna avaient fait
toutes leurs dispositions; ils s'étaient assurés de la garnison
et des principaux liabitanls, auxquels ils avaient fait dis-
tribuer beaucoup d'argent, et , la veille du jour fixé par la
bulle de Boniface pour la publication du premier acte de la
procédure en exconununication , ils se mirent à la tête des
troupes, (^t entrèrent à Anagni à la pointe du jour. Ils étaient
(onveaus d'aller directement au palais du pape pour se
rendre maîtres de sa personne el le forcer à terminer ces
jungs et scandaleux débats par un traitt'', ils avaient pensé
que le seul appareil d'une force imposante suffirait pour
vaincre son opiniâtreté, mais, à peine entré.s dans la ville,
les soldats se mirent à crier Vive le roi de France ! meurt '
le pape !
Bientôt la population est en armes, la foule court au pa-
lais, et se réunit aux nombreux domestiques du marqui.-
Piefro Cajétan, neveu du pape. La troupe de Guillaume de
Nogaret et de Sciarra Colonna est arrêtée dans sa rnarcbe
par une barricade improvisée devant l'bôtel Cajélan, qu'il
faut nécessairement traverser pour parvenir au palais du
pape. Cette résistance les irrite; ils forcent l'bôf cl el les mai-
sons voisines, les pillent et font prisonniers trois cardinaux,
amis particuliers de Boniface. Guillaume de Nogaret, pré-
voyant toutes les conséquences de ce mouvement tumul-
tueux, se bâte de se rendre, avec une faible escorte, sur la
place publiiiue, fait sonner le tocsin, assemble les princi-
paux citoyens, et leur déclare qu'il n'a d'autre dessein (]ue
de rendre la paix à l'Église. Un groupe nombreux se réunit à
lui, et prend l'étendard de l'Église romaine. Le baron Arnulfi,
ardent gibelin, et par conséquent ennemi de Boniface, se joint
à Nogaret avec quelques compagnies , et vient renforcer la
troupe de Sciarra Colonna. Toutes les avenues de la ville
sont bientôt occupées, et le cbàteau papal est envalii. No-
garet a recommandé de respecter la ()ersonne du saint-père
et le trésor de l'Église. Cette recommandation , qui .s'adresse
surtout aux babitants d'Anagni, ne peut les contenir
Boniface, qui n'avait pas voulu croire au premier avis
qui lui avait été donné , ne tarda pas à être abandonné
par une partie des officiers de sa maison. La plupart des
cardinaux se sauvèrent travestis; et de tout le sacré collège
il ne resta auprès de lui que Boccassini et Pierre d'Espagne.
Surpris à l'improviste , Boniface n'avait pu donner aucun
ordre pour sa sûreté; et ce pontife, naguère si audacieux, si
fier, dut descendre jusqu'à la prière pour obtenir de Sciar-
ra Colonna une trêve de quelques beures. 11 tàclia pen-
dant ce court intervalle d'intéresser à sa défense le peuple
d'Anagni ; il lui offrit pour prix de son dévouen)ent des
récompenses considérables. Ses émissaires écbouèrent com-
plclement dans Icuis efforts, et il n'eut plus d'espoir que dans
une capitulation. Il pria Sciarra de lui donner par cciit ses
propositions. Sciaria lui fit répondre qu'il ne lui accorderait
la vie qu'à deux conditions: 1° qu'il rétablirait dans leurs
dignités et dans leurs droits les cardinaux Jacques et Pierre,
son oncle et son frère, et tous ceux de sa famille; 2" qu'il
abdiquerait la papauté.
Boniface, frappé de stupeur, ne put articuler que ces
mots: « Ab! que ces conditions sont dures! » La trêve
expirée, Sciarra fait avancer sa troupe. Les soldats incen-
dient la catbédrale , et s'ouvrent un passage dans le palais
du pape ; le marquis Cajétan , après une inutile résistance ,
se rend à Sciarra et au capitaine Arnulfi avec tous ses
gens, auxquels on ne laisse que la vie. Bientôt les assail-
lants ont brisé les portes de l'appartement de Bonifiice, et
le pontife fond)e au pouvoir de cette soldatesque brutale,
qui l'accable d'injures et d'humiliations. La voix de leur chef
n'est plus entendue, et, malgré les efforts et les menaces de
OuillaïuuedeiNogaret, tout est mis au pillage : l'or, l'argent,
les diamants , tous les meubles et objets précieux que renfer-
ment le |)alais papal et Phôtel du marquis Cajétan, deviennent
la proie des soldats et des babitants d'Anagni. On évalua las
objets volés ou détruits à des sommes énormes. Les hôtels des
cardinaux qui avaient été faits prisonniers le matin subirent
le même sort. Boniface, resté seul dans cet effrayant dé-
sordre;, crut que sa dernière heure allait sonner; il n'avait
plus que le courage du désespoir. « Puisque je suis j^ris
par trahison , s'écria-t-il , et que je suis indignement livré
a mes ennemis, comme le Sauveur du monde, il faut au
moins que je meure en pape. » 11 se fit revêtir du manteau
de saint Pierre, mit sur sa tête la couronne de Constantin ,
et , prenant la croix et les clefs , il alla s'asseoir sur son
BONIFACE
42S
trône. Les soldats s'arrêtèrent à son aspect; mais Guillaume
deNogaret etSciarra s'approchèrent. Nogaretkii répéta tout
te qui s'était fait en l'rance , les décisions des états géné-
raux, les ordres du roi pour mettre un terme à ses usurpa-
tions, et le somma de nouveau de convoquer le concile
général. Boniface garda le silence. Nogaret le fit descendre
du trône, et le menaça de le faire conduire lié et garrotté , à
Lyon , pour y être jugé par le concile qui serait assemblé par
ordre du roi. 11 lui donna toutefois une sauve-garde , l'as-
sura que sa personne serait respectée, reconnaissant n'avoir
aucun droit sur lui avant que l'Église eût prononcé. Sciarra,
moins modéré, insistait sur une abdication absolue, immé-
diate. Ce mot d'abdication rendit à Boniface toute sa fureur.
« J'y perdrai plutôt la vie », dit-il; et, s'avançant vers les
chefs du part! Colonna : « Voici mon cou ,ajoula-t-il, voici
ma tête ; mais j'aurai la satisfaction de mourir pape. » Il
s'exhala ensuite en reproches menaçants contre Nogaret et
le roi de France, qu'il maudit jusqu'à la quatrième généra-
tion. Nogaret, qui venait de lui sauver la vie et d'empêcher
l'entier pillage de son palais , indigné de ces audacieuses
imprécations, répondit avec une noble (ierté : « Chétif
pape que tu es , regarde , et considère la bonté de mon sei-
gneur le roi de France, qui, bien que son royaume soit
fort éloigné de toi , te garde par moi et te défend de tes en-
nemis, ainsi que ses prédécesseurs ont toujours gardé les
tiens!... «Boniface, dans ua dernier accès de frénésie, s'é-
cria : « Je me consolerai aisément de me voir condamné
par des patarins ( albigeois) pour la cause de l'Église ! »
C'était la plus grave insulte qu'il pût adresser à Nogaret,
dont l'aïeul avait été brûlé par ordre des inquisiteurs lors
de la guerre des Albigeois. Alors Sciarra-Colonna , non con-
tent de rendre au pape injure pour injure, le frappa de son
gantelet; il l'aurait tué, si Nogaret ne l'en eût empêché.
Dans une entreprise aussi hardie, le succès dépend de la
rapidité. Nogaret avait perdu beaucoup de temps et com-
mis une faute grave, en ne faisant pas sur-le-champ conduire
Eoaiface en France. 11 se borna à le laisser à Anagiii, sous la
garde de Renaud de Suppino, gentil-homme florentin, en
lui recommandant d'accorder au prisonnier une honnête li-
berté; il s'oppo?a même à ce que l'on marchât contre le
marquis Cajétan , qui s'était retranché dans un château-tort
près d'Anagni. Boniface, craignant d'être empoisonné, re-
fusa les aliments que lui envoyait Suppino, et parvint à s'en
procurer d'autres. Le neveu et les émissaires de Boniface
profitèrent de l'imprudence de Nogaret, et bientôt fout
changea de face : les habitants d'Anagni se soulevèrent
contre les étrangers. Ils ne viient plus dans leurs com-
plices que des ennemis, dans Boniface qu'un illustre con-
citoyen indignement outragé ; ils envahirent le palais , et
tuèrent tout ce qui leur opposa de la résistance. Français
ou Italiens. Nogaret etSciarra furent contraints de s'enfuir;
ils eurent tout juste le temps d'emporter la bannière de
France, qui avait été arborée sur le palais du pape.
Boniface, à peine rendu à la liberté, manifesta le dc'sirde
retourner à Rome. Les Romains envoyèrent à sa rencontre
le cardinal IMatthieu Orsini et quelques compagnies de la
ville pour lui servir d'escorte. Mais Boniface se survivait à
hii-mème , sa raison l'avait abandonné : dans ses accès de
délire, il ne parlait que d'anatlième , d'excommunication
contre le roi de France, Nogaret et tous les Français. Ses
transports épuisèrent ses forces : il lallut le lier pour l'ein-
pécher de se dévorer les bras et de se briser la tête contre
les meubles. Il mourut dans un de ces paroxismesde rage,
le 11 octobre 1303. Ainsi se réalisa la prédiction de Céles-
tin, son prédécesseur : « Tu es monté sur le trône comme
un renard ,tu régneras comme un lion, tu mourras comme
un cliien. » Boniface YIII fut enterré dans la basilique de
Saint-Pierre. A la .sollicitation du roi de France, Clément V
avait commencé l'instruction d'un procès contre la mémoire
de Boniface VllL De nombreux témoins furent entendus ;
Boniface était accusé d'athéisme et de simonie. Clément V
comprit ce qu'une pareille procédure aurait de dangereux
pour le saint-siége et combien elle pouvait compromettre le
dogme de rinfaillibilité pontificale; il obtint du roi de Franco
sa renonciation à cctacte. Mais Boniface VIII n'a pu échap-
per à la censure de ses contemporains et de la postérité.
Dante l'a placé dans son enfer parmi les simoniaques, entre
Nicolas III et Clément V.
BONIFACE IX (Pierre TOMACELLI), Napolitain. Sa
famille était noble , mais obscure et très-pauvre. 11 fut
promu au cardinalat en 1381 , et élu pape le 2 novembre
1389 par une faction de quatorze cardinaux. Le schisme qui
depuis si longtemps divisait l'Église existait encore. Les car-
dinaux qui avaient refusé de concourir à l'élection de Pierre
ïomacelli soutinrent ses concurrents, Clé ment Vil et
Benoît XIII, qui siégèrent à Avignon. Pierre Tomacelli
prit le nom de Boniface : c'était annoncer la conliimalion
du système despotique de son compatriote Boniface VIII,
11 établit les annales perpétuelles , et attribua au salnt-
sicge le revenu de la première année de chaque bénéfice
dont il signait la provision. Oubliant qu'il avait été pauvre,
il exigeait les annales des moindres bénéfices : aussi beau-
coup de prêtres mouraient sans avoir pu s'acquitter et
avant d'avoir reçu rattache du saint-siége. Il est le premier
qui ait porté la tiare à trois couronnes ; ses prédécesseurs
n'en ava ent que deux. La solennité du jubilé du quatorzième
siècle attira dans Rome une foule d'étrangers , dont le plus
grand nombre ne reconnaissaient pour pape que celui qui
siégeait à Avignon. Boniface IX, les considérant comme
schismaliques , les laissa impunément maltraiter et piller
par les fidèles de Rome, et augmenta ainsi la foule de ses
ennemis. Tout entier au désir d'enrichir sa famille, il affi-
cha la simonie, et milles bénéfices aux enchères; il accor-
dait, moyennant rétribution, des indulgences aux chrétiens
qui voulaient les gagner sans faire le voyage de Rome.
L'empereur et les rois de France et d'Angleterre, désirant
mettre un terme au schisme, lui proposèrent d'abdiquer la
tiare. Clément VII, qui siégeait à Avignon, renonçant de
son côté à ses prétentions. Boniface IX rejeta celle proposi-
tion avec la plus infiexible opiniâtreté; et pourtant la paix
de l'Église aurait été assurée par ce compromis. Les princes
renouvelèrent ces propositions d'abdication après la mort
de Clément VU , ils ne furent pas plus heureux. Le règne
de Bonilace IX offre de funestes rapprochements avec celui
de Boniface VIII; il fut moins agité peut-être , mais aussi
scandaleux. Comme son homonyme, Boniface IX mourut
dans un accès de frénésie , le l*"" octobre l4o4 , après un règne
orageux de quinze années. Durev (de rvonne).
DONIFACE. La Toscane a eu trois ducs de ce nom :
BONIFACE l", Bavarois d'origine , était en 812 et 813'
comte de Lucques et duc de Toscane , président aux plaids
publics de Pisloia et Lucques. 11 mourut vers 823.
BONIFACE II, son fils, gouvernait la Toscane en 823.
Après avoir défendu, pour Louis le Débonnaire, la Corse
contre les Sarrasins, il fit, en 828, une descente entre Clique
et Cartilage, contribua, en 824, à faire remettre en liberté
l'impéralrice Judith, que Lolhaire retenait prisonnière à
Tortone , et, s'étant attiré pour ce fait la colère de cet empe-
reui', fut obligé de chercher un refuge en France auprès de
Louis le Débonnaire. Rien ne prouve qu'il ait été rétabli
dans son gouvernement.
BONIFACE m, duc de Toscane, mort en 1052, éfrait filsi
duduc Théobald. Dès l'an 1004 il était marquis de Mantoue,
et sa domination s'étendait sur Reggio , sur Canossa et sui
Ferrare. Dans la lutte qui s'engagea au sujet du royaume
d'Italie , entre Ardoin et Henri 11 , il prit parti pour ce der-
nier. Il ne réunit la Toscane aux États qii il avait possédés
jusque alors, qu'après la mort du marquis Renier. Des as-
sassins, demeurés inconnus, le tuèrent à l'aide de flèches
erap'jisonuées, dans une forêt s-ituée entre Crémone et Man-
4 24 BONIFACE
toue. Ses deux enfants aines, Frédéric et Béatrix, étant
venus à mourir trois ans après lui , son vasle liéritage passa
à sa dernière enfant, qui fut la c<^lèljre comtesse M a t U i 1 d e.
Consultez Si-srnondi, Histoire des RépicbiK/ues italiennes.
BOMFACE (Détroit de), le Fretum Gallicum des
Romains, détroit qui sépare la Corse de la Sardaigne. Dans
sa partie la plus resserrée, entre Cala-Fiumara , pointe mé-
ridionale de la Corse, et le cap Longosardo sur la côte sep-
tentrionale de la Sardaigne , ce détroit n'a que 1 1 kilomètres
de largeur. Ses nombreux écueils le rendent dangereux;
mais, d'un autre côté, ils favorisent la pèche du corail, à
laquelle les habitants des côtes se livrent activement , ainsi
que celle du thon. A l'entrée orientale sont situées les îles
Bucinari ou Madelaine, que les anciens appelaient Insulx
caniciUarix et que les Italiens nomment aujourd'hui Isole
intennedie. Elles sont principalement habitées par des
Corses. Les plus grandes appartiennent à la Sardaigne,
comme celles de Cabrera, Santa-Madalena, Santn-Maria;
les autres , comme Cavallo et Lavezzi , fout partie du dépar-
tement de la Corse. Le détroit a reçu son nom de la ville de
Boni/ace, b;\tie au sommet d'un rocher presque peipendicu-
laire, sur une langue de terre, par le marquis Boniface de
Toscane, le vainqueur des Sarrasins. Elle possède un bon
port, profond et spacieux, et compte environ 3,300 habi-
tants vivant du commerce et de la pêche du corail. Elle a
joué un rôle important dans les guerres des Corses, des Pi-
.sans, des Génois et des Aragonais. Eu 1553, année où elle
tomba après un long siège au pouvoir des Français et des
Turcs alliés, elle passait encore pour la ville la plus impor-
tante et la place la plus forte de la Corse. Les églises de"
Santa-Maria-Maggiora et de San-Francésco , bâties dans le
quatorzième siècle, celle de San-Dominico, de style gothique,
achevée en 1343, et l'hôpital, fondé vers 1300, sont de
beaux restes de son ancienne splendeur. On trouve plu-
sieurs groltes dans les rochers des environs.
BOMFAZIO, peintre de l'école vénitienne, naquit à
Venise, vers 1500. On ne sait jias exactement quel fut son
maître ; mais on trouve dans ses œuvres quelque chose de
la délicatesse de Palme le Vieux et du coloris du Titien.
Notre musée possède trois tableaux de Bonifazio : le plus
remarquable est la Résurrection de Lazare; la figure
principale est d'un bel effet , mais on regrette que l'artiste se
soit laissé aller dans cette toile à quelques détails trop vul-
gaires. On cite aussi comme un des plus beaux tableaux de
ce maître la sainte Famille du même musée; mais l'œuvre
capitale de Bonifazio , c'est sa fameuse composition des
Marchands chasses du Temple, qu'on voit au palais ducal
de Venise. Ce serait aussi sa dernière production, si, comme
tout porte à le croire, il mourut en 1562.
On a souvent confondu avec cet artiste un autre Bom-
lAZio, né à Vérone, et mort en 1553. Mais ce dernier, dont
parle Sansovino, n'appartenait pas à l'école vénitienne.
BOi\llV (Iles), appelées Bonln-Sima ou Munln-Sima,
c'est-à-dire Iles Désertes, par les Japonais, qui en habitent
les principales, forment un archipel de soixante-dix îles et
de dix-neuf écueils. Elles sont situées dans la partie occi-
dentale de l'océan Pacifique, entre les îles du Japon et les
îles des Larrons, depuis 16° 50' jusqu'à 27° 44' de latitude sep-
tentiionale. Les Espagnols et les Hollandais connurent ces
lies; mais ils n'en prirent jamais possession. Les Japonais,
qui les découvrirent en 1 675 , y fondèrent des colonies de dé-
portation qu'ils abandonnèrent en 1725. Elles restèrent ainsi
désertes jusqu'en 1826; à cette époque un matelot d'un na-
vire baleinier résolut de culti\er la plus grande, appelée
Peel. La même année le capitaine Bcechey en prit posses-
sion au nom de l'.^ngleterrc. Depuis celte époque il s'y est
formé une population composée d'émigrés des îles Sandwich
et du Japon, d'aventuriers européens, de matelots déser-
teurs , dont le gouvernement britannique ne prend aucun soin
et qui vivent dans un état à peu près sauvage. Les Iles Bo-
— BONIN
nin sont fertiles pour la plupart; quelques-unes sont cou-
vertes de volcans. Les dix principales, au nombre desquelles
on compte Parrij , au terrain raontueux , Stapleton, Bur-
land, Peel, Vllc-de-Houfre , Saint-Alexandre, les îles
Smith, etc., ont une superticie d'environ 49 myriamètrcs
carrés. L'île Peel, la seule qui ait un bon port, possède aussi
le seul village de tout le groupe; il s'appelle /îoyd. Ces îles
pourraient prendre de l'importance dans le cas où l'Angle-
terre voudt-ait envahir le Japon.
BOIXIN (Edouard dr ), général prussien, connu par les
services qu'il a rendus dans le Schleswig-Holstein, est
né les mars 1793, à Stolpe, en Poméranie. Plusieurs de ses
ancêtres ont rempli de hautes fonctions civiles et militaires,
et son père parvint au grade de lieutenant général dans
l'armée prussienne. Agé de treize ans, lorsque la guerre
de 1806 éclata, il entra lui-même dans le régiment d'infan-
terie du duc de Brunswick-G^ls, avec lequel il lit la cam-
pagne de Saxe. Blessé et fait prisonnier à la prise de Lubeck,
le 3 novembre 1806, il quitta le service pour se rendre au
gymnase de Prenziaw, où il resta jusqu'en 1809. Admis, cette
année, dans le premier régiment de la garde avec le grado
d'enseigne, il fut nommé lieutenant en 1810, et bientôt après
adjudant dans la brigade de la garde. La bataille de Lutzen
lui valut la Croix-de-Fer de seconde classe, la bataille de
Paris celle de première classe. Après avoir passé successive-
ment par tous les grades inférieurs, il fut promu en 184S
à celui de commandant de la 16* brigade d'infanterie. Il n'en
avait pas encore pris possession , lorsqu'il fut chargé, le 26
mars, dé rassembler à Havelberg un corps de troupes pour
protéger le Schleswig-Holstein contre les attaques du Da-
nemark. L'armée danoise ayant envahi les duchés quelques
jours après, il reçut ordre de partir pour Rendsbourg et de
se mettre à la disposition du gouvernement provisoire. Peu
de temps après , le roi de Prusse le nomma major général.
En cette qualité , il prit le commandement des troupes prus-
siennes à la tête desquelles il se distingua aux combats de
Schleswig, de Dùppelet dans presque toutes les rencontres
qui signalèrent cette campagne.
Après la conclusion de larmistice de Malmœ , Bonin fut
placé par la Prusse sous les ordres du pouvoir central alle-
mand, qui lui conféra le titre de général en chef des troupes
de l'Empire dans le Schleswig-Holstein. Le gouvernement
des duchés le nomma en inênie temps commandant , et le
chargea de l'organisation de l'armée. Dans la campagne
de 1849 il commanda les troupes du Schleswig-Holstein
sous les ordres du général prussien Prittwitz, battit les Da-
nois près de Kolding, et fut défait à son tour près de Fridericia.
La conclusion du second armistice et les négociations de la
paix rendirent la position de Bonin très-dilficile. En 1850 il
donna sa démission de général des troupes des duchés, et
rentra dans l'armée prussienne. Nommé commandant de
Berlin, il fut chargé au mois d'octobre du commandement
du corps d'armée qu'on réunit à Wetzlar,sur les frontières de
la Hesse. Plus tard , il prit le conmiandement de la divi-
sion militaire de Trêves, et fut désigné pour les fonctions de
général en chef des troupes fédérales concentrées aux envi-
rons de Francfort au mois d'octobre 1851. Le 15 janvier 1S52
le roi de Prusse l'a nommé ministre delà guerre, à la place
du général Stockhausen. Bonin est un officier d'une grande
instruction, qui pendant son séjour à Beriin a rendu des
services dans les commissions d'équipement militaire. On a
de lui un traité sur les combats de tirailleurs.
BOXl^ (FiŒDÉiiic-CuATiLES DE ), frère du précédent,
conseiller piivé au service de Prusse, est né en 1798. Ses
études terminées, il entra dans l'administration, et s'éleva
successivement jusqu'à la dignité de président de la pro-
vince de Saxe, dont il fut revêtu en 1845. A la révolu-
tion de 1848 il sut contenir à la fois et les réactionnaires
et les démocrates. A la chute du ministère Auerswald-Han-
semann,au mois de septembre 1848, il fut nommé mi-
BONL\ — BONITE
nistre des finances. Sa conduite paisible et parlementaire le
rcni'it aussi agréable que le général Pfuel à l'assemblée na-
tionale; mais la courte durée du ministère dont il était
membre ne lui permit pas de prendre des mesures impor-
tantes. Rentré dans ses fonctions de premier président de la
province de Saxe, il appuya la politique du ministère Bran-
debourg , et plus tard il fut nommé membre de la pre-
mière cbambre. Envoyé en 1S51 dans le duciié de Posen
comme premier président delà province, il s'appliqua à
concilier deux nationalités longtemps ennemies; mais le ré-
tablissement des états de cercle et des états provinciaux
par rescrits ministériels du 18 et du 27 mai 1851 ne lui
laissa pas le temps d'opérer tout le bien qu'il méditait.
Ayant refusé de se prêter à l'exécution de ces mesures , il
fut mis en disponibilité.
BO\IXGTOi\ (Richard PARKES), jeune peintre an-
glais , d'un talent très-remarquable , enlevé trop tôt à l'art ,
jKîut être revendiqué par nous comme Français, quoique né
tic l'autre côté du détroit. C'est cbez nous en effet que sa
léputalion a connnencé ; c'est cbez nous qu'il a passé la plus
grande partie de sa vie et qu'il est mort, à peine âgé de
Aingt-sept ans. Un singulier concours de circonstances l'a-
mena en France tout enfant. Son grand-père, gouverneur
<]ela prison du ^■otlingbamsbire, mourut dans l'exercice de
ses fonctions. Son fds aine , père de notre artiste , fut ap-
pelé à lui succéder; mais, boinme d'e-prit vil et d'opinions
libérales, il se déplut à la garde d'une prison. La révolution
française éclata, et il alficbapourelle un si vif entbousiasme,
qu'il fut destitué. Sans moyens d'existence, il se fit peintre
de portraits pour vivre , et ouvrit une école de dessin à
Nottingham. C'était un artiste médiocre, mais un bon pro-
fesseur. Son école prospéra d'abord. Jliss Parkes, qui, née
comme lui sans fortune, vivait de son pinceau, vint à le
connaître et à l'aimer : ils se marièrent ; elle s'associa tout à
fait à ses travaux, et dirigea plus que lui son atelier dans les
derniers temps de leur séjour en Angleterre; mais la vébé-
mence des opinions politi(jues du mari redoublant à mesure
que la république française triompbait , il se détacha de
plus en plus de tout travail pour fréquenter les meetings ,
et l'assiduité de la femme ne put empêcher la décadence et
l'abandon total de leur école. Les créanciers survinrent, et
les deux époux durent aller chercher fortune ailleurs. L'en-
thousiasme républicain du mari avait fait de lui presque un
Français ; il se tourna naturellement vers la France. Leur
fils, qu'ils emmenaient à Paris, Richard Parkes Bonington ,
était né à Nottingham, le 25 octobre 1801; mistriss Parkes
ouvrit, avec le secours d'un de ses oncles de Nottingham, uu
petit commerce de dentelles, qui fit vivre bien modeste-
ment la petite famille, et le jeune Riciiard put être mis à
l'école. Son goût pour \n dessin s'était manilésté dès qu'il
avait pu tenir un crayon ; il y fit des progrès rapides. Il
entra dans l'atelier de Gros , à qui , à ce qu'on assure , il dé-
plut par son peu d'application à dessiner les académies obli-
gées, et par la vivacité originale de son caractère. Gros
chassa tout simplement Donington de son atelier.
Livré à lui-môme, Bonington travailla arec un zèle ex-
traordinaire; il étudia au Louvre, seul, de dix-sept à vingt ans,
les maîtres de toutes les écoles, et fit en 1821 un court voyage
en Italie, à l'aide de quelques économies que sa mère avait
péniblement amassées dans ce but. Il ne put cependant
aller jusqu'à Rome; mais il vit Venise, cité à demi orien-
tale, et originale entre toutes les cités. Durant le séjour
qu'il fit au milieu de ses lagunes, il étudia dans les singu-
lières et admirables variétés de son architecture tous les ac-
c dents naturels, tous les jeux de la lumière et de l'ombre,
toutes les saisissantes oppositions du clair-obscur, et com-
l>osa des esquisses et des aquarelles finement touchées,
chaudes et éclatanles comme les peintures vénitiennes des
maîtres. La tendresse de sa mère en répandit quelques-unes
4 Paris Mistriss Jîoninglon u'épaigna ni pas ni démarches
CiCI, I)E LA CONVERS. — T. 111,
42%
pour les faire connaître, et elles furent goûtées. Le Boning-
ton ne tarda pas à être coté sur la place, et dès lors notre
jeune artiste put .se livrer à des compositions à l'huile d'un
ordre supérieur. Ses tableaux en ce genre furent payés fort
cher par de riches amateurs français. Voulant se faire
connaître en Angleterre, il envoya en 1824 deux toiles re-
m.arquables à Yexh'tbition de Sommerset-House. Ces ta-
bleaux surprirent étrangement par leur faire large, hardi, na-
turel, contrastant avec l'affectation et la mignardise du faire
des peintres anglais à la mode , Lawrence et Collins. Son
succès fut complot. On ne pouvait se figurer que ce fut là
le début d'un peintre de vingt-trois ans; on crut que ce
nom de Bonington était un pseudonyme, adopté par quelque
peintre en renom pour tenter des voies nouvelles et sonder
sans danger le public. Lorsqu'on vint à savoir que ce Bo-
nington existait réellement, l'empressement fut général.
Chacun voulut avoir de ses dessins ; sa réputation fut faite
en Angleterre comme en France.
Au milieu de ses succès, Bonington fut doublement frappé :
il perdit sa mère chérie et vit mourir miss Forster, fille
d'un ministre anglican qui demeurait à Paris, pour laquelle
il avait conçu un amour profond. Cette double perte l'acca-
bla; il tomba dans une mélancoHe, dans un état de lan-.
gueur, dont il essaya vainement de sortir. Il se remit à voyager.
Avec sa trousse d'artiste, il parcourut le nord et le midi de
la France , prenant la nature sur le fait , reproduisant, dans
leurs aspects les plus pittoresques , les ruines , les sites , les
costumes , les paysages de la France. Sa santé cependant ,
quelque goût qu'il eût repris au travail, ne se rétablit pas,
et un jour que dans cette tournée il s'était oublié, sous un
soleil ardent , à dessiner un paysage qui le captivait , une
fièvre cérébrale le gagna. Il en revint, mais mal, et mourut
peu après, de consomption, le 23 septembre 1828.
Le plus grossier des obstacles , le besoin de vivre , avait
jeté d'abord Bonington dans une voie qui n'était pas la
sienne, celle des vulgaires faiseurs de lithographies, et il
avait perdu beaucoup de temps à travailler ainsi pour les
marchands. Sans cette obligation , à laquelle le condamnait
son manque de fortune, son œuvre d'artiste véritable eût
été plus considérable ; il a fait plus de lithographies que d'a-
quarelles, plus d'aquarelles que de tableaux à l'huile. Ses
ouvrages posthumes ont été vendus en Angleterre jusqu'à
30,000 fr. Parmi ses œuvres capitales, il faut citer ses Vues
de Venise et de Bologne , son Henri III, son Tombeau de
Saint-Omer et son Tiux au repos. Il a fait aussi plusieurs
dessins à la plume, d'un effet charmant, pour le La Fontaine
de M. Feuillet. Nous avons vu aussi de lui une Vue du
Pont-des-Soupirs , peinte sur la tranche d'un magni-
fique Sbakspearc , laquelle ne paraît que quand on dispose
celte tranche d'une certaine façon; c'est plus qu'un jeu
d'artiste, c'est un petit chef-d'œuvre. Charles Rouey.
BOiVîi\I ( G1K01.A.M0 ) , dit V Anconitato , du nom d'An-
cône, sa patrie, florissait vers 1660. Ce peintre de l'école
bolonaise fut un des plus fidèles inutateurs de l'Albane, son
maître et son ami. Il l'aida dans ses peintures de la salle
Farnèse à Bologne et dans d'autres travaux. Nous avons
au musée du Louvre un seul tableau de lui , représentant le
Christ adoré par les anges, par saint Sébastien et par
saint Bonaventure. La galerie Soult possédait de cet ar-
tiste Les Amours endormis.
BOXJTE. Nom donné à plusieurs poissons du genre
dcf,scombres, dont le brpe est le scomber de Linné, c'est-à-
dire le maquereau. Celui auquel les relations de voyages
sur mer ont donné une certaine célébrité est le scomber
pelamys, ou thon à ventre rayé. Il abonde principalement
entre les tropiques, et se plaît, dit-on, à suivre les vais-
seaux. Ces poissons vivent à la surface de l'eau , et s'élan-
cent même dans l'air pour y saisii' les poissons volants, qui
font leur principale subsistance : ils sont donc continueiic-
ment sous les yeux des navigateurs, et viennent en quel-
4 26
BONITE
que sorie s'olTrir d'eux-mêmes au pOcheur, qui en prend
ais<^ment autant qu'il en faut pour la consommation d'un
nombreux équipage. Le nom qu'ils portent dénote sufiîsam-
ment quelle sorte de niorite on leur a reconnu : les gourmets
les estiment à l'égal de leur cong-'-nère , le maciuereau. Leur
taille est ordinairement de plus de CO centimètres; ils sont
d'un bleu noirâtre sur le dos, et cette couleur s'éclaircit
sur les flancs, jusqu'à quatre larges raies brunes, au delà
desquelles commence la couleur blanche du ventre. La tête
est petite, effilée, d'un jaune d'or par-dessous, ainsi que
l'iris de l'œil et la langue. On les prend facilement avec
une ligne volante, à laquelle on attache deux plumes blan-
ches, pour simuler un poisson volant, en agitant cet appât
à quelques pouces au-dessus de l'eau.
Parmi les autres espèces de scombres qui portent aussi le
nom de bonite, on remarque le scomber sarda , connu dans
quelques lieux sous différentes dénominations vulgaires, et
des pécheurs français sous celle de germon. Il fré(iiicnle
les cotes d'Espagne et de France , et s'est répandu dans la
Méditerranée, où Pline l'a observé et décrit sous le nom de
sarda, que Linné lui a conservé. La pêche de ce poisson
donne lieu à des spéculations de quelque importance, parce
qu'on le fait saler comme le thon. Cette espèce est moins
grande que celle des régions équatoriales ; il est rare qu'elle
excède le poids de six kilogrammes. Ferry.
BONJOUR (CAsiMm), auteur dramatique, né le 15
mars 1796, à Clermont en Argone ( Meuse ), fit ses études
au lycée de Reims. Il embrassa ensuite la carrière de l'en-
seignement. A seize ans il était maître d'études au lycée de
Bruges. A dix-huit il fut admis à l'École Normale. Enfin,
trois ans après, il était nommé professeur suppléant de
rhétorique au lycée Louis le Grand. En 1815 la violence
des réactions politiques le força d'abandonner l'instruction
publique; il crut trouver un asile dans la carrière de l'ad-
ministration ; mais une seconde destitution l'atteignit dans
les bureaux du ministère des finances.
Ce fut le 4 juillet 1821 qu'il fit représenter au Théâtre-
Français une comédie en trois actes , La Mère rivale. Ce
premier succès fit penser à M. Casimir Bonjour qu'il avait
reçu du ciel l' influence- secrète, et il travailla avec une
ardeur qui eut sa récompense. Son second ouvrage fui,
en 1823, L'Éducation, ou les Deux Cousines, en cinq
actes et en vers; puis, en 1824, Le Mari à bonnes for-
tunes, en cinq actes et en vers; en 1826, V Argent , ou les
Mœurs du Siècle, en cinq actes et en vers, qui n'obtint pas
le môme succès que les ouvrages précédents. Il est vrai
que celui-ci avait été devancé au théâtre par deux comédies
sur le même sujet. Le Spéculateur , de M. Ribouté, et
V Agiotage, de Picard et Empis.
Le peu de succès de L'Argent ne découragea pas M. C.
Bonjour, qui en 1829 fit jouer, avec moins de succès
encore , Le Protecteur et le Mari , comédie en cinq actes et
en vers, dont il avait trouvé toute l'idée dans Le Mari ambi-
tieux, de Picard , ouvrage qui , longtemps auparavant, n'a-
vait eu que quelques représentations.
Comme M. Bonjour avait pour compatriote et pour pa-
tron M. Etienne, il était fort lié avec tous les hommes du
Constitutionnel, à la rédaction duquel il coopérait lui-même.
11 salua donc avec joie la révolution de 1830 ; non pas qu'il
se fOt activement mêlé aux actes ou même aux questions de
la politique nouvelle : la douceur de son esprit, l'honnêteté
de ses mœurs et ses occupations dramatiques l'avaient éloi-
gné des violences de l'esprit de parti; mais, dans la can-
deur de son inexpérience, il s'était laissé prendre à l'appa-
rence patriotique du libéralisme niais du vieux Constitution-
nel. Pourtant, il faut le dire, son talent et ses triomphes
avaient grandi sous la Restauration , et déjà les hommes de
goût voyaient avec satislaclion que, malgré la décioissance
«le succès de ses derniers ouvrages, le mérite dont M. Don-
jour avait donné des preuves , la pureté de ses doctrines
- BONN
littéraires, l'honorabilité de son caractère, ne tarderaient
pas à lui faire ouvrir les portes de l'Académie Française.
Malheureusement la litté^ature de la Restauration commen-
çait à avoir fait son temps comme celle de l'Empire. 11 y
eut recrudescence de ce qu'on appelait romantisme ajirés
la révolution de Juillet. i\I. C. Bonjour n'en fit pas moins
représenter , en 1831 Naissance, Fortune et Mérite, co-
médie en trois actes et en prose, et on 1833 Le Presby-
tère, comédie en cinq actes et en vers , qui toutes deux
lui prouvèrent que la bonne volonté et même un certain
talent ne suffisent pas toujours. Un roman qu'il publia en 1836
(Le malheur du riche et le bonheur du pauvre) ne dut
que le confirmer dans cette opinion.
Depuis cette époque M. Casimir Bonjour a obtenu la croix
de la Légion d'Honneur et une place de bibliothécaire à
Sainte-Geneviève ; mais il a vainement sollicité jusqu'à ce
jour de l'équité littéraire un siège à l'Académie Française,
où il s'est plusieurs fois présenté. De guerre lasse il sem-
blait s'être entièrement retiré de la carrière théâtrale, quand
il essaya tout à coup d'y rentrer, en 1844. Jusque là tous
ses ouvrages avaient été joués au Théâtre-Français ; cette
fois il descendit à l'Odéon avec le Le Bachelier de Ségovie,
ou les Hautes Études, comédie toujours en cinq actes et
en vers, laquelle a eu quelque succès, mais a malheureu-
sement encouru le sort ordinaire des ouvrages joués à ce
théâtre, qui'n'offre pas même à ses auteurs la triste conso-
lation d'un revers honorable.
Comme dramatiste, les formes classiques de M. C. Bon-
jour sont froides et roides; il n'est ni comique, ni gai; H
est plutôt raisonneur et philosophique; son observation, il
est vrai, manque de justesse et d'étendue ; les traits chez
lui n'ont ni profondeur ni naturel , quoiqu'ils en aient la
prétention et l'apparence; mais, comme homme de lettres,
comme écrivain, M. C. Bonjour a des qualités estimables.
Bien que sans couleur, son style accuse une étude cons-
ciencieuse , un travail digne d'éloges : il est pur, châtié,
comme ses œuvres sont en général , au moins par l'inten-
tion, louables et honnêtes. A. Delaforest.
BON MOT. Voyez Mot.
BONN, jolie ville de la Prusse rhénane, dans le cercle
de Cologne , agréablement située sur la rive gauche du
Rhin, et comptant, non compris la garnison, 17,300 habi-
tants dont les cinq sixièmes au moins professent la religion
catholique. Des quatre églises qui appartiennent à cette
confession, la cathédrale est la plus ancienne et la plus re-
marquable; son architecture appartient en général à la der-
nière période du style roman, et commence déjà à marquer
la transition au style gothique. Les chrétiens évangéliqucs,
dont le nombre s'est accni de 60 à 2,500 sous le gouverne-
ment prussien, n'ont pas d'autre église que la chapelle de
l'ancien château. Bonn est le siège d'un tribunal et d'un con-
seil supéiieur des mines ; elle possède une université, un gym
nase et cinq écoles élémentaires. L'Académie Léopoldine des
naturalistes, fondée à Vienne en 1G52, y a été transférée en
18 18, et il s'y est créé aussi une société des sciences naturelles
et de médecine. Ses fabriques de coton, de faïence, de vitriol
et de savon sont importantes. Le commerce est en grande
partie entre les mains des juifs , dont le nombre s'élève à
cinq cents.
L'université de Bonn, fondée en 1786, supprimée pendant
l'occupation française et convertie en un lycée en 1802, a été
rétablie par un diplôme donné à Aix-la-Chapelle le 18 octobre
1818. Elle jouit d'un revenu annuel d'environ 370,000 fr.
sur le trésor public et de 10,000 fr. provenant de ses pro-
pres ressources. Les traitements des professeurs en absor-
bent par an 222,000, et plus de 92,000 sont consacrés aux
établissements scientifiques et aux collections. Cette uni-
versité a été établie dans l'ancien château par le roi Frédé-
ric-Guillaume III, et depuis les réparations et les embel-
lissements qu'on y a faits, elle peut soutenir la comparaison
J
BONN — BONNECORSE
avec les plus vastes et les plus belles de l'Europe. On
trouve rt'unis dans le même bàlimenl les salles des cours,
une bibliothèque, riche déjà de 1^0,000 volumes, le musée
académique des antiquités, la collection archéologique, le
cabinet de physique, la clinique et le marége. L'université
possède encore un amphithéâtre d'anatomie, ainsi que des
collections zoologiques et minéralogiques, un jardin bota-
nique, une école supérieure d'agriculture récemment fon-
dée, établis dans l'ancien château de plaisance de Poppels-
dort, à un quart de lieue de la ville. L'Observatoire, placé
d'abord sur l'Alte- Zoll, point célèbre dans toute l'Allemagne
à cause de son vaste horizon, a été transporté dans un en-
droit encore plus convenable, entre la ville et Poppelsdorf.
A l'université fut attachée aussi, bientôt après sa réorgani-
sation, une imprimen'e sanscrite sous la direction de A.-W.
Schlegcl. La libéralité du gouvernement a doté cet établis-
sement scientifique d'un grand nombre de bourses. Les deux
confessions ayant chacune sa faculté dethéologie,on y compte
cinq facultés au lieu de quatre, avec plus de quatre-vingts
professeurs et agrégés. En 1851 le nombre des étudiants
s'est élevé à 1,026. Parmi les professeurs qui ont illustré
cette université, on doit citer surtout A.-W. Schlegel et
Niebuhr, Dahlmann et Arndt, qui fut rétabli dans sa chaire
après une suspension de vingt années, Dorner, Rothe,
Oleek, dans la faculté de théologie évangéliqiie, ^Yalter,
Uluhme, Bœcking, dans celle de droit; Harless, Naumann,
dans celle de médecine; Welcker, Piitschl, Lassen, Freytag,
Drandis, Lœbell, Diez, Treviramy, Dischof, Nœggerath,
Plûcker et Argelander, dans les différentes sections de la fa-
culté de philosophie, se sont aussi fait connaître avantageu-
sement par leurs écrits. Bonn a donné le jour à Deetho-
ven, à qui elle a élevé en 1845 un monument, dû au ciseau
du professeur Ilœhnel, de Dresde.
Bonn, appelée Bonna par les Romains, doit son origine à
im château fort bâti par eux en .\liemagne. Détruite dans le
quatrième siècle et reconstruite par l'empereur Julien , elle
eut beaucoup à souffrir dans les invasions des Huns, des
Francs, des Saxons et des Normands. Un grand concile s'y
tint en 942. En 1273 elle devint la résidence des électeurs
de Cologne, qui y habitèrent jusqu'en 1794. En 1G73 les
Français s'y maintinrent contre les Hollandais, les Espagnols,
et les Autrichiens. Après un violent bombardement, elle fut
prise, en 1689, par l'électeur de Brandebourg Fré.léric 111,
et en 1703 elle tomba au pouvoir des Hollandais, comman-
dés par Cohorn. L'électeur de Cologne n'en reprit possession
qu'en 1715. Les fortifications furent en grande partie dé-
truites en 1717, elles pierres servirent à la construction du
château. La paix de Lunévilie céda Bonn à la France, et celle
de Vienne à la Prusse. Celte ville est mise en communica-
tion avec la rive droite du Rhin par un pont volant, et avec
Cologne par un chemin de fer. Dans ses environs roman-
tiques , Godesberg, Roiandseck, Tile de Konnenwerth et le
Draclienfels , sont des lieux de promenade très-fréquentés.
BOXXARD (Bernard, chevalier de), né à Semur, en
1774, officier d'artillerie, mestre de camp, etc. Une conduite
irréprochable, des talents militaires et des poésies agréables
le firent proposer en 1778, par le maréchal de Mailleboiset
par Buffon, au duc de Chartres, depuis duc d'Orléans, pour
sous-gouverneur de ses enfants. Si l'on doit en croire les
Mémoires de madame la comtesse de Genlis, déjà gou-
vernante des filles de ce prince, M. de Bonnard ayant passé
sa vie en province, n'était pas né avec le bon goût qui
peut rectifier promptement les habitudes, et il avait un
mauvais ton. Ce grave motif détermina le duc de Chartres
à choisir un autre gouverneur pour ses deux fils, dont
l'aîné fut depuis le roi Louis-Philippe, et son choix se fixa
sur madame de Genlis. Non-seulement, M. de Bonnard,
militaire et homme de lettres distingué, se sentit humilié de
se trouver placé sous la direction d'un tel gouverneur,
mais encore il ne jugea pas que les principes d'éducation
42T
consignés dans le roman d'Adèle et Théodore dussent être
appliqués par lui à ses élèves. Il se retira , et mourut peu
de temps après, en 1784, objet des regrets de toutes les per-
sonnes qui l'avaient connu. M. Garât, son ami, lit im-
primer, en 1785-1787 un éloge historique de la vie (!.• M. de
Bonnard. Sautreau de Marsy a publié ses poésies diverses,
écrites avec pureté, avec élégance, et pleines de vérité, de
délicatesse, de simplicité et de grâce. Viollet-Ledic
BOXNAY (Famille de). Charles-François, marquis
de Bo.nnay, né en 1750, était issu d'une ancienne maison
noble du Berry, où est située la terre de son nom, sur les
confins du Bourbonnais. Sa mère appartenait à la famille
de Marcellanges. Page de Louis XV en 1765, il entra en-
suite au service, et fut breveté colonel de cavalerie en 1779.
La noblesse du Nivernais le nomma son représentant aux
états généraux, où il se joignit au parti modéré, et donna
souvent à la tribune des preuves de son impartialité coura-
geuse. L'exagération croissante des principes démagogiques
l'obligea, après l'arrestation du roi, à s'expatrier. Il s'attacha
pendant l'émigration à Louis XVIII, qui lui donna la direc-
tion de son cabinet, et le chargea de plusieurs missions diploma-
tiques. Nommé ministre de France à Copenhague en 1S14, il
fut appelé l'année suivante à la pairie, et mourut en 1825.
Joseph- Amédée, comte, puis marquis de Bonnay, fils du
précédent, lui avait succédé à la Chambre des Pairs, d'où il
se retira en 18.30.
BOXAE-AVEXTURE. Ce qui doit arriver de favo-
rable ou de défavorable à quelqu'un, au dire des prétendus
adeptes, qui se mêlent de prévenir l'avenir par la chiro-
mancie, ou partoute autre espèce de divination. Lesdiseurs
de bonne-aventure sont en général de vieux bergers, des
guérisseurs nomades, de vieilles femmes, possédant des re-
mèdes secrets, et qui se font passer ou qu'on fait passer
pour sorcières, des charlatans, des dentistes, des Bohé-
miens et des Bohémiennes dans les villages, des tireurs de
cartes, des magnétiseurs et des somnambules dans les villes.
La plupart de ceux qui exploitent cette branche indirecte
d'industrie, dont ils promettent monts et men-eilles à leurs
dupes, oublient que, pour les affriander, ils ne feraient pas
mal de prêcher d'exemple et de s'adjuger ne fût-ce qu'une
faible portion des trésors qu'ils ont en réserve dans un pro-
chain avenir. Jadis on brûlait impitoyablement les devins
et les diseurs de bonne-aventure. On se contente aujour-
d'hui de les traduire en police correctionnelle et de les en-
voyer réfléchir dans quelque dépôt de mendicité sur les en-
nuis d'une captivité qu'ils n'ont pas su se prédire à eux-
mêmes. Décidément l'humanité marche....
BOXiXECORSE (Balthasar de), né à Marseille, y
fit ses études , et fut ensuite nommé consul de France au
CaireetàSeïde, enPhénicie Ce fut pendant sa résidence dans
ces pays qu'il composa la Montre d'' Amour. C'est une suite
de madrigaux sur les vingt-quatre heures qui composent la
journée, ou de fadeurs sur l'instant du lever , des repas , des
visites, du coucher, etc. Scudéri, à qui l'auteur envoya son
manuscrit, le lit imprimer à Paris en 1666. Bonnecorse pu-
blia en 1671 la seconde partie de la Montre, contenant la
Boite et le Miroir, qu'il dédia au duc de Vivonne. Cet ou-
vrage était alors en prose et en vers. Boileau l'ayant men-
tionné, sans l'avoir lu, dans le cinquième chant du Lutrin,
parmi les projectiles que les chanoines se lancent à la tète,
Bonnecorse s'en vengea en publiant le Lutrigot, poème hé-
roï-comique, qui par ses soins vit le jour à Marseille, en
16Hb. C'est une misérable parodie, empreinte à la fois delà
critique la plus amère et la plus sotte. Boileau n'y répondit
que par cette épigramme :
Venez, Pradoii et Bnnnccorse,
Graads écrivains dt; même force.
L'auteurdeîa Montre d'Amour mourut, baffoué, à Marseille,
en 1706. Ses œuvres ont élé reciicillic-s à Leyde, en 1720.
5i.
428
BONNE-DAME — BONNE-ESPERANCE
liONIVE-DAME. Vouez Akrociie.
BOÎ\II\E-DÉESSE (Fôte de la ). Le nom de la Donne-
Déesse, cliez les anciens, n'était connu que des femmes.
Les ims i)eusent que c'était Cijbèle ou Fauna , fille de Fau-
nus; d'autres croient que c'était Hécate-Clilhonic ou Pro-
serpine. Vairon et Lactance la font tellement pudique, que
selon eux elle demeura toujours enfermée parmi les femmes,
n'apercevant jamais aucun homme, n'étant jamais aperçue
d'aucun, de sorte qu'ils doivent ignorer jusqu'à son nom.
Les Grecs la nommaient Gijnécie, déesse des femmes. Cor-
nélius Labéon, cité par Macrobe, pensait que la lîonne-
Wéesse était la même que la Terre, ou 3faia, et il préten-
dait que tout le prouvait dans les cérémonies secrètes de sa
lôte. Les Béotiens donnaient à Sémélé le titre de Bonne-
Déesse ; d'autres la prenaient pour IVIédée , parce qu'il crois-
sait dans son temple toutes sortes d'herbes dont les prCtres
composaient des remèdes. 11 est très-probable que c'était Gé-
rés ou Proserpine , l'Isis des Égyptiens , et que les Romains
Touluient imiter dans les mystères dé la Bonne-Déesse ceux
de Cérès, et en particulier les Thesmophories.
Ces mystères se célébraient à Rome le 1'^'' mai durant la
nuit, dans la maison du grand prêtre : ils passaient pour très-
licencieux. Les hommes n'y étaient pas admis. On en ban-
nissait même les animaux mules. Le scrupule allait jusqu'à
couvrir les peintures ou les statues qui en représentaient.
On sait que Clodius, épris de Mucia , femme de César, s'y
étant introduit déguisé en joueuse de flûte , en fut honteu-
sement chassé. Cependant il n'en revint pas aveugle, quoi-
que la Bonne-Déesse menaçât de cécité tout homme qui au-
rait l'indiscrétion sacrilège d'essayer d'être témoin de ces
cérémonies. L'eau qui devait servir aux sacrifices était sa-
crée et interdite aux hommes. On dit qu'Hercule, revenant
d'Espagne , demanda à boire à des femmes qui puisaient de
l'eau pour célébrer la fête de leur déesse, et qu'elles lui en
refusèrent impitoyablement. Le héros, pour s'en venger, dé-
fendit à ses prêtres de laisser entrer aucune femme dans son
temple.
Le tableau qu'offre Juvénal des mystères de la Bonne-
Déesse est affreux et dégoûtant. On peut croire que le sati-
rique a chargé ses couleurs ; mais si ces mystères n'avaient
pas été décriés pour leur licence, ils n'auraient pas donné
au poète le droit de les comparer aux mystères infâmes de
l'impudique Cotytto. Du reste, quoique les hommes dussent
être exclus de cette fête, ce que dit Juvénal permet de croire
que souvent les femmes y introduisaient leurs amants , et
que même, dans l'ivresse de la débauche, elles s'y li\Taient
à leurs esclaves. Peut-être Clodius ne fut-il chassé que pour
n'avoir fait part de ses feux qu'à Mucia. Il était défendu de
porter du myrte dans cette fête. Ou n'était pas i)lus d'accord
sur l'origine de cet usage que sur celui de donner le nom de
lait au vin employé dans les libations, et d'appeler mella-
rium l'amphore qui le contenait , et qu'on couvrait d'un
voile. Ceux qui croyaient que la Bonne-Déesse était Fauna
disaient que son père, ayant conçu pour elle de coupables
désirs , voulut lui faire violence, et que n'ayant pu y réussir,
après l'avoir enivrée et fouettée avec des branches de myrte,
il se métamorphosa en serpent , c'est-à-dire qu'il employa
la ruse et la séduction , et finit par réussir. Fauna eut le
myrte et le vin en horreur. Une vigne suspendue au-dessus
de sa tête rappelait qu'elle avait su résister aux eflets de la
liqueur traîtresse. Une autre tradition porte que Fauna ayant
bu du vin, à Tinsu de son mari (crime capital chez les
anciens Romains), celui-ci, qui l'apprit ensuite, la fouetta
avec des verges de myrte, jusqu'à lui faire perdre la vie,
mais qu'après il en fut si affligé, qu'il éleva des autels à Fauna,
et ^idora comme une déesse celle qu'il avait traitée couune
une esclave. Toutes ces versions, qu'il est difficile de con-
cilier, ne donnent pas, selon nous, la véritable origine de ces
fêtes, et n'expliquent guère mieux les désordres licencieux
qui s'y commettaient. Les hommes célébraient aussi les mys-
tères de la Bonne-Déesse; ils étaient habillés en femmes,
avaient la tête couverte de longues aigrettes et le cou orné
de colliers. Ils sacrifiaient une jeune truie, et offraient à la
déesse un grand vase plein de vin. Les femmes étaient alors
exclues du temple.
BOi\i\E-ESPÉRANCE ( Cap de ) , TERRF. DU CAP,
ou tout sin)plement C.\P. C'est la dénomination sous la-
quelle on désigne l'extrémité mnidionale de l'Afrique, pos-
sédée aujourd'hui par les Anglais, vaste territoire qui s'étend
du 35" au 25° de latitude méridionale et du 35° au 4G° de
longitude orientale , sur une superficie d'environ 5,225 my-
riamètres carrés , et borné au nord par les pays des Kama-
quas, des Korannas, des Hottentots et des Boschimans;
au nord-ouest, par celui des Ca'res qui liabitent les rives
du Haut-Orange. Au sud , ses rivages sont baignés par la
mer des Indes , et à l'ouest par l'Atlantique. Ces mers en
pénétrant dans l'intérieur des côtes y forment un grand
nombre de Laies, dont les plus importantes sont : à l'ouest
celles de Sainte-Hélène , de Saldanha et de la Table ; au sud,
la baie Fausse avec celles de Pletteuberg, de Saint-François
et d'Algoa. Les promontoires les plus remarquables qu'on y ,
rencontre sont les caps Castle, de Bonne-Espérance, LaguUas, j
Delgado , Saint-François et Recife. La configuration exté- ■
rieure du sol au cap de Bonne-Espérance re[)roduil assez
exactement la forme en terrasses particulière à l'Afrique; en
effet, on y voit du nord au sud les plateaux, les terrasses
et les mouvements onduleux des côtes se succéder, en cons-
tituant comme une suite de degrés séparés les uns des autres
par les contre-forts de montagnes dont les cîmes altières les
dominent au loin. Au nord, c'est la terrasse de l'Orange, la-
quelle atteint en moyenne une élévation de 1,650 mètres et
relie le territoire du Cap aux plateaux de l'Afrique intérieure.
On ignore encore jusqu'où elle se prolonge au nord. La
chaîne de montagnes venant aboutir au sud commence à
son extrémité occidentale, par 30" de latitude sud, suit alors,
sous la dénomination de Roggeveld , une direction toute
méridionale, puis se bifurque, dans la direction de l'est,
sous les noms de Aieuwcveld et de tinecuicberg (Monts de
neige), et dans la direction du nord-est, sous le nom de
3Iontagnc d'hiver, pour se rattacher, en Cafrerie, aux monts
Amatola, qui s'y prolongent en forme d'arc. C'est dans les
monts Niemveveld que se trouvent les plateaux les plus
élevés du système de l'Ali i(îue méridionale. Us y atteignent
une hautein- de plus de 3,300 mètres ; aussi restent-ils cou-
verts de neige une bonne moitié de l'année. La surface
plane et désolée de ces plateaux [Jlats) , où l'on n'aperçoit
de traces de végétation et de verdwre qu'à l'époque de la
saison des pluies, n'est guère interrompue que par les
crêtes abruptes des groupes désignés sous les noms de Mon-
tagnes de la Table et de Cap des Aiguilles, notamment
au nord par les monts Karree, ou encore par des amas de
rochers dispersés au lom et rompant seuls l'uniformité et la
monotonie des plaines immenses qui se développent à perte
de vue entre les quelques vallées médiocrement fertiles et
boisées qu'y forment de rares cours d'eau. Dans la direc-
tion du sud-ouest, du sud et du sud-est, le terrain s'élève
insensiblement pour former les contre-forts d'une zone mon-
tagneuse dont les diverses ramifications ont chacune leur
nom spécial , par exemple le Roggeveld aux crêtes dénu-
dées, le Bcrgvalley, le Chaud et le Froid Roggeveld. Ce
plateau atteint en moyenne une élévation de 1,000 mètres,
et est désigné sous le nom générique, de Grands Karroo
(mot qui en hottentot signifie dur); l'aspi'ct qu'il présente
au voyageur dépend des saisons. A une époque de l'année
ce ne sont partout que d'épaisses et riches prairies, où vien-
nent paître d'innombrables troupeaux; l'été approche-t-il on
n'y découvre bientôt plus que des plaines desséchées, brûlées,
dont le sol désole, composé d'un mélange d'argile, de sable
et de parties ferrugineuses, a acquis la dureté de la pierre,
les rares cours d'eau qui l'arrosent restifiit complètement
BONNE-ESPERANCE
429
à sec pendant six mois. Le versant occidental de cette se-
conde terrasse porte les noms de cliaînes de Kaynis et de
Tulbagh;\<i versant méridional, sur une étendue de 80 my-
riamètres , celui de Mont Ziuarle; et la chaîne qui court à
peu près parallèlemeut, ceux de monts Zwellcmlum, Ute-
niqua et Zitzikamma. Cette zone de montagnes abruptes
et escarpées, dont les crêtes atteignent quelquefois plus
de 1,700 mètres d'élévation, est caractérisi^e par le nombre
presque infini de défilés (A/ooyi) étroits, souvent impratica-
bles, qu'on y rencontre et qui ont pour origine la violence des
torrents se frayant ainsi un passage pour aller chercher un
niveau à lc>;rs eaux tout en formant les plus ravissantes cas-
cades. Les plus importants de ces cours d'eau sont, à l'ouest,
la livière des Éléphants et le grand fleuve de la Aîontagne;
au sud, le Ureede, le Gauritz, le Gamlos, la rivière du Di-
manche, la grande rivière des Poissons, et sur les frontières
de la CafrerieleKai. Enfin la troisième terrasse, le pays des
côtes, forme une zone tantôt extrêmement étroite, tantôt
de 37 à 45 kilomètres de largeur, riche eu cours d'eau, d"une
grande fertilité , entrecoupée de collines et de petites mon-
tagnes, avec de temps <à autre des soulèvements du sol extrê-
mement abruptes, parmi lesquels on distingue les Montagnes
dclaTable,(\w\, ausuddelavilledu Cap, atteignent 1,197 mè-
tres d'élévation, et le Mont du Diable, liant de 1,103 mè-
tres. Tout ce système se compose de masses de grès sur des
assises de granit. Le climat du Cap de Bonne-Espérance est
très-sain ; aussi les Anglais y envoient-ils un grand nombre
d'invalides de leur armée des Indes-Orientales, dans l'espoir
qu'ils y recouvreront la santé. La température moyenne de
l'année y varie de 18 à 19" R. L'olivier, le bois de fer, l'arbre
à pain d'Afrique, le ricin, l'arbre qu'on appelle sûh*; de
dragon , le corail en arbre, etc., etc., y croissent spontané-
ment. On y a introduit toutes les céréales d'Europe, ainsi que
la vigne, dont les produits sont désignés sous le nom de vins
du Cap. La faune de ce pays est aussi riche en animaux do-
mestiques qu'en gibier de toute espèce et en hôtes fauves ,
telles que antilopes, zèbres, éléphants, hyènes, etc., çu en
oiseaux, parmi lesquels il faut surtout faire mention de
l'autruche, qu'on rencontre partout dans les plaines. On y
\oit aussi des serpents venimeux, des sauterelles et des scor-
pions. Toute cette contrée est généralement fort pauvre en
minéraux ; cependant , circonstance bien importante , on y
a récennnent rencontré de la houille sur divers points.
Les habitants, dont le chiffre peut être évalué à 200,000 âmes,
sont ou des indigènes ou des colons, les premiers, Hot-
tcntots et Boschimans; les seconds, pour la plupart.
Hollandais ou Anglais, avec quelques Allemands. Les mis-
sionnaires envoyés par les Herrnhutes et par la Société des
Missions de Londres ont bien mérité de l'humanité en con-
tribuant par leurs courageux efforts à répandre parmi les
naturels la connaissance de l'Évangile; aussi les Hoiten-
tots fixés sur le territoire de la colonie font-ils aujour-
d'hui presque tous, extérieurement du moins, profession
d'appartenir à la religion chrétienne. Les colons s'occui)ent
de la culture des vignes, de Tagriculture, et noiammeut,
jS-ir la côte occidentale, de lelève du bétail. Leur degré de
civilisation est d'autant plus inlime qu'ils sont établis à une
distance plus grande de la ville du Cap. lis possèdent ijuatre-
vingt-six écoles et cent quinze églises. 11 existe en outre dans
la colonie un nombre assez considérable de nègres et de
Malais libres, faisant profession d'islamisme. Le mélange des
aborigènes avec les Hollandais a produit la classe d'habitants
désignée sous le nom à'Africanders. 11 faut aussi men-
tionner les Fingos, race proclie parente de celle des Cafres.
L'élève du bétail, surtout dans les montagnes, et la cul-
ture des céréales, qui donne d'abondants résultats lorsque les
circonstances atmosphéri(iues la favorisent, constituent les
principales ressources des habitants du Cap de Bonne-Espé-
rance. Dans les provinces de l'est, et dans quelques-unes de
celles de l'ouest, «ne notable partie des propriétaires du sol
se livrent à la production des vins dits du Cap. Les ani-
maux domestiques de l'Europe, entre autres une remarquable
espèce de bœufs, dont les cornes ont jusqu'à cinq pieds de lon-
gueur, des chèvres donnant de riches produits en suif et se
propageant avec une extrême rapidité, y lurent introduits par
les Hollandais dès le milieu du dix-septième siècle. La pro-
pagation de la race ovine anglaise et espagnole, dont la laine
fournit déjà d'abondants articles d'exportation , ne date au
contraire que de nos jours. Les cuirs, les cornes, les suifs,
les viandes salées et les vins constituent encore autant
d'importants articles d'échange. L'importation des divers pro-
duits de l'industrie manufacturière et agricole des Anglais
donne lieu à des transactions tout aussi actives que l'ex-
portation des produits du sol.
La colonie est administrée par un gouverneur général an-
glais, et est divisée en 15 districts ou drosttes, présidés cha-
cun par un commissaire civil , qui remplit en même temps
les fonctions de juge de paix. La puissance législative y est
exercée par un conseil législatif existan t depuis 1 834 , et à côté
duquel fonctionne un conseil exécutif dont les délibérations
sont secrètes. L'administration a été assez heureuse dans ses
résultats ; du moins nous voyons qu'elle est parvenue à équi-
poller les dépenses et les recettes annuedes, lesquelles s'é-
lèvent à 130,000 livres sterling.
Dans la partie occidentale de la colonie on trouve : le dis-
trict de la ville du Cap, au sud-est de celui-ci le district de
Slcllenbosch, au nord celui de Clanwilliam ; au sud-est
de ce dernier, le district de Worccster ; et celui de Ztcel'
lendam a Textrémite méridionale delà colonie. La ville du
Cap, très-favorablement située pour le commerce, est bâtie
dans le premier de ces cinq districts; elle est le siège de
l'administration , le grand di'pôt des forces de, terre et de
mer que la métropole entretient dans la colonie. Le district
de Stellenhosch se distingue par la culture habile dont la
vigne y est l'objet; celui de Worcester par la richesse de ses
pâturages, et Zwellendam par l'élève du bétail.
Quatre districts occupent le centre de la colonie; au nord
DcuitJ'ovl et GntJJ-ReyHcU,-à\x midi Georges et Uilenhagc.
Dans ce dernier se trouve la ville du même nom, peuiiioe
de 2,000 habitants et siège d'un sous-gouverneur, ainsi que
l'orl-EUzabelh, bâtie sur la baie d'Algoa, avec une popu-
lation de 4,000 ûmes, et dont le connnerce prend cUiique
jour plus d'importance.
Les six districts de l'est et du nord-est sont : Albany , où
se trouve Grakamstown , ville d'environ 3,500 habitants ,
peuplée surtout d'Anglais; Somerset, Victoria, Cradock,
Albert et Colesberg , dont les quatre derniers n'ont été ad-
joints à la colonie et organisés qu'eu 1847. On a en outre
encore ajouté plus récemment à la colonie la Cafrerie an-
glaise et le territoire des Hollandais émigrés au deia de l'O-
range.
Le Cap de Bonne-E.spérance, ou, par abréviation, le Cap,
fut découvert en 1486 par le Portugais Bartolommeo û iaz,
et doublé pour la première fois en 1497 par un autre por-
tugais, Yasco de Gaina. Mais les Portugais méprisèrent
complètement l'importante découverte qu'ils venaient de
faire, parce qu'a ce moment c'était sur l'Inde que se con-
centrait toute leur attention. Dans les premières années du
dix-.<eptieme siècle la compagnie hollandaise des Indes
Orientales conlia au chirurgien de vaisseau Van Kisbeck la
mission de fonder au Cap un premier établissement. Toute-
fois, ce ne fut qu'en 1652 qu'ils songèrent à s'assurer la
possession de ce territoire et celle de la ville du Cap, dont la
fondation fut encore postérieure, en y élevant des fortilica-
tions et en y entretenant une garnison. La situation géo-
graphique et le climat de la nouvelle colonie en favori.sèrent
le rapide développement, et, malgré les guerres fréquentes
qu'elle eut à soutenir contre les Cafres, les Hottentots et
les Boschimans, elle parvint bientôt à un remarquable degré
de prospérité. Quelle que fut l'importance d'une telle pos-
BONNE-ESPÉRANCE
430
session Jamais les gouverneurs hollandais n'eurent la pensée
de détruire dans leur source les abus invétérés et toujours
croissants dont soultVait la colonie, ni de cUerclier à en amé-
liorer l'état polilique.
Dès la guerre soutenue pour leur indépendance par les
colonies de l'Amérique du Nord , les Anglais avaient tenté
un coup de main contre la ville du Cap, mais sans succès.
Plus heureux en 1795 , à l'époque des guerres de la révo-
lution l'rançaise, ils réussirent à se rendre maîtres de cette
ville, et la conservèrent jusqu'à la paix d'Amiens, qui resti-
tua aux Hollandais leurs colonies et entre autres celle du Cap
de Bonne-Espérance. Mais les Anglais la leur enlevèrent de
nouveau dès l'année 1S06, et par les traités de 1815 la
Hollande dut en taire cession délinitive à l'Angleterre. Le
gouvernement anglais ne tarda point à suivre à l'égard de
sa nouvelle possession des principes d'administration et de
polithjue diamétralement opposés à ceux du gouvernement
hollandais. H favorisa la création des petites fermes, res-
treignit le droit de vaine pâture primitivement accordé aux
paysans (Boers) hollandais, mais nuisible à tous, à force
d'être étendu et sans limites. Puis en établissant des regis-
tres d'héritage, il organisa la propriété foncière sur les
mêmes bases que dans les auties colonies britanniques. L'ad-
ministration de lord Somerset toutefois fut si déplorable,
qu'il crut devoir donner sa démission en 1827, avant que
sa conduite eût été l'objet d'une enquête. H fut remplacé
par lord Cole. Sous l'administration de ce gouverneur,
les Hottentots et les hoimnes de couleur libres établis sur
le territoire de la colonie furent compléteiueut assimilés pour
la jouissance des droits civils et politiques au reste de la
population. La guerre infructueuse faite aux Cafres dans les
années 1834 et 1835 se termina vers la lin de cette dernière
année par un traité assez peu favorable à la sécurité de la co-
lonie, que conclut le capitaine Stockenstrom. Ce résultat de
la lutte , de même que la suppression de la traite , excita
parmi les Boers un vif mécontentement, qui alla même
jusqu'à prendre le caractère de la haine la plus prononcée
pour la domination anglaise lorsqu'on 1837 il fut question
de l'émancipation des Hottentots et, deux ans plus tard,
de celle des nègres. L'opposition à ces deux mesures fut
presque universelle. Environ 5,000 boers vendirent les uns
après les autres leurs propriétés , et émigrèrent pour aller
s'établir, les uns sur la rive droite de l'Orange , les autres
sur la côte de Noël , dans les États de Dùigaan , prince de
Zoulous; mouvement auquel la colonie de Natal est re-
devable de son origine. Bien que ces émigrés eussent cons-
tamment à guerroyer contre les Cafres, ils refusèrent opi-
niâtrement de revenir sur le territoire anglais. Un beau jour
même ils se déclarèrent indépendants, et implorèrent la pro-
tection du roi des Pays-Bas. Le gouvernement anglais, sans
en avoir réellement le droit , résolut alors de recourir à
l'emploi de la force pour faire cesser un tel état de choses ,
et ne tarda pas à replacer sous l'obéissance de l'autorité
centrale du Cap de Bonne-Espérance les émigrés fixés au
delà de l'Orange, en même temps qu'il prenait possession de
Natal pour en constituer une colonie distincte. Pendant ces
conllits , les Cafres, eux aussi, n'avaient jamais cessé de faire
preuve d'hostilité à l'égard de la colonie du Cap, qu'ils inquié-
taient constamment par leurs incursions et leurs dépréda-
tions. En 1838 et en 1840 le gouverneur G. Napier tenta bien
de traiter du rétablissement de la paix dans diverses confé-
rences qu'il eut avec leurs chefs; mais sous l'administration
de Maitland, qui succéda à Napier en 1844, une rupture
ouverte éclata. La lutte recommença de nouveau en 1846,
et fut continuée, non sans entraîner de pénibles sacrifices,
par le gouverneur en personne et par le colonel Somerset.
Les résultats définitils n'ajoutèrent toutefois rien à la si^reté
des colons. Aussi, au connnencement de 1847, sir Henri
l'otlinger vint-il remplacer ÎMailland, en même temjis que
sir Georges Berkeley était chargé du conmiandement en
BONNET
chef des forces anglaises dans la colonie. Tous deux étaient
fermement déterminés à attaquer les Cafres avec la plus
grande vigueur, et au mois de septembre l'armée reprit
enfin l'offensive. Cependant tous les efforts faits pour forcer
l'ennemi à s'arrêter et à se grouper par masses échouèrent
complètement. Aussi la guerre dégénéra-t-elle bientôt en
une série de combats isolés et pour ainsi dire individuels.
Toutefois, elle eut pour résultat de contraindre au mois de
novembre 1847 le chef cafre Pato, le plus redoutable ennemi
des Anglais dans ces contrées , à se rendre prisonnier au
colonel Somerset. Après le départ de Pottinger pour Ma-
dras , sir Harry Smith , qui déjà avait fait ses preuves per-
sonnelles dans la première guerre contre les Cafres, fut
appelé à lui succéder dans le gouvernement de la colonie.
Par son audace et par sa fierté, celui-ci parvint à intimider
les chefs cafres, qui, dans une grande assemblée tenue le 7 jan-
vier 1848, firent acte de soumission et prêtèrent serment de
fidélité; après quoi ils demeurèrent à la tête de leurs tribus
respectives avec le caractère de fonctionnaires anglais. Smith
assujettit et organisa en môme temps comme Ca/rerie an-
glaise le territoire de? tribus qui venaient de se soumettre,
et le réunit à celui du Cap de Bonne-Espérance. La tran-
quilfité de la colonie , à laquelle la guerre avait occasionné
les plaies les plus cruelles, ne tarda point à être de nouveau
troublée, à cause du projet conçu à ce moment par le gou-
vernement anglais de transporter au Cap une partie des in-
dividus condamnés pour crimes à la déportation par les
tribunaux de la mère patrie. Le mécontentement provoqué
dans la colonie par ce projet en vint à prendre une ex-
pression si naenaçante, qu'en février 1850 les membres du
cabinet se virent contraints de renoncer formellement à le
mettre à exécution. Cette bourrasque politique ne fut pas
plus tôt apaisée qu'on vit se renouveler au mois d'oc-
tobre t850 les révoltes et les irruptions des Cafres; et malgré
tous les efforts faits par sir Harry Smith pour étoulfer ce
péril dans son germe, la lutte recommença avec plus de vi-
vacité môme que jamais. En dépit des énormes sacrifices en
hommes et en matériel qu'elle a déjà coûtés à l'Angleterre,
elle dure encore au moment où nous écrivons ( 1852 ), sans
qu'on ait pu jusqu'à présent mettre la colonie complète-
ment à l'abri des irruptions et des déprédations de ses fé-
roces ennemis. Cependant sir Harry Smith avait réussi à re-
pousser les Cafres, et les tenait en échec lorsqu'il remit le
commandement à son successeur, le général Cathcart, ar-
rivé an Cap le 31 mars 1852.
Ce qui rend la possession du Cap de Donne-Espérance si
précieuse pour l'AngleteiTC, ce n'est pas seulement que cette
colonie est la clé de l'intérieur de l'Afrique; ce n'est pas
non plus parce que l'île Maurice, ce lieu de relâche et ce point
stratégique si importants pour la marine anglaise, tire de là
une grande partie de ses approvisionnements; c'est encore
parce que le Cap est la princi|)ale station et le grand arsenal
des flottes qu'elle entretient dans l'.^tlantique et dans la mer
des Indes. On consultera avec fruit les ouvrages suivants :
Alexander, An expédition of discovery into Ihe Interior
o/AJrica ( Londres, 2 vol., 1838 ); Shavv, Westerjan mis-
sionary Memoriats of South A/rica ( New-York, 1841 );
Arbousset, Relation d'un Voyage d'exploration au nord-
est de la colonie du Cap de Bonne- Espérance ( Paris,
18'i2); Meyer, licisen in Sud-Afriliu ( Hambourg, 1843);
Delegorgne, Voyage dans V Afrique Australe ( Paris, 1847 );
Biinbury, Journal oj a Résidence at the Cape of Good
Jlope ( Londres, 1848) ; Dagverhaul van Jan van Riebeck
ecrste gouverneur van de Cap de Goede Hoop ( L'trecht,
1848 ); ^apier, Excursions in Southern A/rica, inclu-
ding a histon/ ofthe Cape colom/ ( 2 vol., Londres, i«4i» I.
BOi\i\E FOI. Voyez Foi (Bonne).
IÎ()t\l\IOT , pièce de vêtement qui sert à couvrir la têfe.
On ignore si dans les temps anciens l'usage était chez les
peuples d'Asie que les hommes se couvrissent la tête ; on voil
BONNET
431
seulement, dans quelques occasions, les feaimes se voiler.
Les Babyloniens portaient pour bonnet une espèce de toque
ou turban ; les Mèdes se couvraient la tête d'une tiare. Les
Grecs et les Romains allaient ordinairement tête nue; mais
leurs femmes ne paraissaient jamais en public que couveitcs
d'un voile , ou d'une espèce de mante qui se mettait par-
dessus la robe et s'attachait avec une agrafe. Les Atlit^niens,
au rapport d'Élien, frisaient leurs cheveux et y entremêlaient
des cygales d'or. Quelquefois ils portaient une espèce de bon-
net'appelé pilion , d'où les Latins ont fait leur pilcus. Les
Romains, quand il faisait trop chaud ou trop froid, se cou-
vraient la tête d'un pan de leur toge, qu'ils relevaient par
derrière. Ils ne portaient les bonnets ou les capuchons que
pour marcher la nuit. En voyage, ils se couvraient la tète
d'un bonnet ou chapeau , nommé pétase (petasus ) , en
usage aussi chez les Grecs, lequel avait les bords rabattus,
mais plus étroits que ceu\ de nos chapeaux. Mercure, comme
grand voyageur, est représenté par les anciens avec uu pétase
auquel ils avaient attaché des ailes.
On croit généralement que l'introduction des bonnets et
des chapeaux ne remonte pas en France au delà du règne
de Charles Vil, et que l'on s'était jusque alors servi de cha-
perons ou de capuchons. D'autres antiquaires prétendent ,
au contraire que dès Charles V on commença à rabattre
sur les épaules les angles des chaperons et à se couvrir la
tête de bonnets qu'on appela morbiers lorsqu'ils étaient
de velours, et simplement bonnets quand ils étaient faits de
laine. Le mortier était galonné ; le bonnet, au contraire, n'a-
vait pour ornement que deux espèces de cornes peu élevées,
dont l'une servait à le mettre sur la tête, l'autre à se décou-
vrir. Il n'y avait que le roi , les princes et les chevaliers qui
portassent le mortier. Le bonnet était le couvre-chef, non-
seulement du peuple, mais encore du clergé et des gradués; au
moins fut-il substitué parmi les docteurs , bacheliers , etc. ,
au chaperon, qu'on portait auparavant comme un camail
ou capucfe, et qu'on laissa depuis flotter sur les épaules.
Monstrelet, dans sa description du costume des hommes au
commencement du règne de Louis XI , dit qu'ils portaient
des bonnets hauts et longs d'un quartier ou plus. Il ajoute
qu'à la même époque, c'est-à-dire vers l'an 1467, les dames
et les demoiselles renoncèrent aux cornes hautes et larges
qui formaient leur coiffure, pour y substituer des bourrelets,
en manière de bonnets ronds, qui s'amincissaient par-dessus,
de la hauteur de demi-aune. Sur le haut de ces bonnets,
en forme de pain de sucre, était attaché un couvre-chie}
délié, ou voile, qui, par derrière, pendait jusqu'à terre.
Les hauts bonnets de certaines villageoises du pays de
Caux sont une réminiscence lointaine de cette coilfure , en
usage jadis parmi les plus élégantes dames de la cour. Les
hommes, en prononçant le nom du roi, levaient leurs bon-
nets, témoignage de respect qu'ils ne donnaient pas lors-
qu'ils prononçaient le nom de Dieu : ce qui excitait à juste
droit les reproches des prédicateurs.
Dans l'origine, les bonnets eurent la forme ronde; on la
changea ensuite contre le bonnet carré , de l'invention d'un
nommé Patrouillet. Ces bonnets furent appelés aussi bon-
nets à quatre brayettes. Les bonnets, du reste, d'après le
père Hélyot, étaient en usage parmi le clergé dès le neuvième
siècle. Ce n'était d'abord qu'un petit bonnet , en forme de
calotte , que l'on portait sur le capuchon de la chape. On les
fit ensuite plus larges en haut qu'en bas ; puis la coutume
vint de les faire encore plus amples, mais ronds et plats,
à la manière de ceux que portèrent plus tard les novices
des jésuites et qu'ils appelaient birettes. Ils prirent enfin la
ligure carrée.
En 1527 il s'établit une communauté de bonnetiers , dis-
tincte de celle des drapiers.
Le bonnet sur les médailles est le symbole de la liberté :
les anciens Romains donnaient un bonnet à leurs esclaves
quand ils les voulaient aflranchir, ce qui s'appelait vocare
servos adpileum , et ceux-ci avaient grand soin de le garder
sur leur tête sans se découvrir, jusqu'à ce que leurs cheveux
eussent en repoussant fait disparaître la tonsure , marque
particulière de l'esclavage. C'est sans doute à l'imitation des
anciens que dans les universités on a donné depuis le
bonnet aux écoliers , pour montrer qu'ils avaient acquis
toute liberté et qu'ils n'étaient plus sujets à la verge des su-
périeurs; ils recevaient en même temps le nom de maîtres,
comme les avocats , et avaient alors le droit de parler étant
couverts. C'est sans doute aussi par allusion à cet ancien
usage que le bonnet phrygien avait été adopté par les ré-
publicains français en 1793 , et qu'ils en avaient décoré le
front de la Liberté. Voyez Bonnet rouge.
Vinbonnet fut également le signal ou le prétexte de l'établis-
sement de la liberté en Suisse. On sait que le gouverneur de
la Suisse pour l'empereur Albert, le farouche Gessler, avait
fait élever sur la place publique d'Altorf le bonnet ducal
d'Autriche, auquel il prétendait que tout le monde rendit
hommage. Guillaume Tell par son courage délivra ses
concitoyens de cette humiliante obligation , et prépara ainsi
l'ère de leur indépendance.
Le bonnet des Chinois, que la civilité leur défend d'ôter,
diflère selon les saisons de l'année. Celui qu'ils portent en
été a la forme d'un cône, c'est-à-dire qu'il est rond et large
par le bas, court et étroit par le haut, où il se termine tout
à fait en pointe. Le dedans est doublé de satin et le dessus
couvert d'une natte très-fine, ils y ajoutent un gros flocon
de soie rouge qui retombe gracieusement tout à l'entour,
ou bien une espèce de crin, d'un rouge vif et éclatant, que
la pluie n'altère pas , et qui est surtout en usage parmi les
cavaliers. En hiver ils portent un bonnet de peluche, bordé
de zibeline ou de peau de renard ; le reste est d'un beau satin
noir, ou violet, couvert d'un gros flocon de soie rouge,
comme pour le bonnet d'été. Ces bonnets sont si courts
qu'ils laissant toujours les oreilles à découvert , ce qui est
très-incommode en voyage. Le haut du bonnet des manda-
rins dans les grandes cérémonies est terminé par un dia-
mant, ou par quelque autre pierre de prix, assez mal taillée,
mais enchâssée dans un bouton d'or très- bien travaillé; les
autres ont un gros bouton d'étoffe , de cristal , d'agate ou
de quelque autre matière semblable et de moins de valeur.
il serait trop long de décrire tous les bonnets en usage chez
les divers peuples de là terre. Disons seulement que la plupart
des peuples de l'Asie usent de bonnets assez semblables à
ceux des Chinois, bonnets que quelques européens fashiona-
bles ont adoptés pour l'intérieur de leurs appartements, se ré-
servant le chapeau pour le dehors. Vient plus près de nous le
turban, qui a disparu de Constantinople par suite du chan-
gement de costume introduit sous Mahmoud et qu'on ne ren-
contre presque plus qu'en Egypte et en Syrie. Le fessi ou f e z
grec, qui l'a remplacé, ressemble assez au tarbouch, calotte de
laine rouge foncé, terminée par un flot de soie, et autour
duquel le turban s'enroulait autrefois. Seulement il est plus
élevé et cylindrique. On fabriquait jadis ces bonnets à Venise;
on en exporte aujourd'hui de France ; on en fait aussi à Tunis
et en Egypte ; les Arabes du désert ont pour tout bonnet un
fichu carré, rayé rouge et jaune, ou vert et rouge, terminé
aux deux extrémités opposées par une frange de soie torse
dont chaque bri'n finit en petite houppe de plusieurs couleurs.
On replie un des coins de ce fichu appelé caffieh ou couffié
sur le front et en dedans , sans mettre de tarbouch , et une
corde en poil de chameau brune ou noire l'assujettit autour
de la tête en guise de turban.
N'oublions pas non plus de dire un mot du bonnet de
coton , dont l'inventeur, semblable à ceux des découvertes
les plus utiles à l'humanité , est resté inconnu; de ce bonnet
inoltensif, dont on a fait l'ornement obligé du bon bourgeois,
bonnet délicieux, dont Jeanneton décorait ce bon roi d' Y vetot,
plus doux encore au vieillard que le tendre oreiller, mais que
l'ccolier sans pitié traite brutalement de casque à mèch^^
432
BONNET
bonnet qu'idolâtre Jules Janin, attribut exclusif du sexe le
plus noble, excepté dans les villages de Normandie, où, sauf
les dimanches, il enlaidit les plus jolis visages de paysannes.
Ajoutons que le bonnet est resté la coiffure presque g6-
néraie des femmes dans toute l'Europe, et que si, d'un
côté , le chapeau a fait invasion jusque dans les classes les
plus modestes, voire à Paris, dans celle des faiseuses de
bonnets, d'un autre côté, beaucoup de nos grandes dames
se montrent chez elles et aux spectacles avec des bonnets
dont le luxe le dispute aux plus riches coiffures des temps
anciens et modernes.
Quelle admirable variété encore dans les bonnets de toutes
ces délicieuses villageoises de la Pologne, de la Prusse, de
l'Autriche, de la BohCme, de la Hongrie, de la Suisse, du
Tyrol , de l'Espagne, du Portugal , sans oublier surtout celles
de notre belle !• rance , où le bonnet féminin , rond , ovale ,
pointu, large, pyramidal, de toutes les formes bizarres pos-
sibles, a prévalu, à l'exception des seuls villages de Nor-
mandie, que nous avons cités , du Béarn et du pays basque,
où le mouchoir à la créole, gracieusement drapé, est l'unique
coiffure du beau sexe des campagnes! Un Anglais, M. Walker-
Dillwyn, a parcouru pendant dix ans les provinces de France
pour en dessiner tous les bonnets féminins et recueillir des
détails consciencieux sur leur origine. Cette curieuse mono-
graphie a paru enl841 ; elle forme deux magniliques volumes
in-(piarto.
Disons enfin que le bonnet a quelquefois été un ornement
guerrier, comme le bonnet à poil<\e nos gendarmes et
grenadiers ; la marque d'une dignité ou d'un caractère spé-
cial, comme les bonnets de docteurs, cvM de président à
mortier, etc.; ou celle de la honte et de l'infamie, comme le
bonnet vert et le bonnet des forçats aux bagnes.
Enlin, le mot de bonnet était usité autrefois dans cer-
taines académies ou maisons de jeu pour désigner une
somme gagnée par des moyens illicites, et l'on appelait
bonneteurs ceux qui exerçaient leur industrie en ce genre,
pour les distinguer des autres (ilous.
Au figuré, on dit donner, prendre, on quitter le bonnet,
pour exprimer l'action de recevoir quelqu'un docteur, d'en-
trer au barreau ou d'en sortir; de prendre ou quitter la
profession d'avocat. Mettre lu main au bonnet se dit pour
saluer, ou se disposer à mendier. Jeter son bonnet par-
dessus les toits ou par-dessus les moulins, c'est prendre
bravement son parti d'une affaire désagréable ou jeter un
défi à l'opinion et la braver. Mettre son bonnet de travers,
avoir latêtèprès du bonnet, sont des expressions analo-
gues, applicables à tout homme qui se montre chagrin,
quiuleux, colère, opiniâtre, difficile à vivre. On dit souvent
aussi d'un tel homme qu'il est triste comme un bonnet de
nuit, et, dans le sens contraire, (piand on veut parler de
personnes qui sont de facile composition et qui se rangent
volontiers à l'avis d'autrui , que ce sont deux têtes, trois
têtes, etc. , dans un bonnet. Prendre quelque chose sous
son bonnet, c'est se rendre garant d'une proposition quel-
comiue, c'est en assumer la responsabilité, qu'elle vienne
de soi ou d'autrui.
BONi\ET (Guerre du). On appela ainsi, par dérision,
une longue et ridicule lutte entre les ducs et pairs et les
parlements. Cette querelle couuuonçasur la fin du règne de
Louis XIV, et litgrandbruitsous la régence du ducd'Orïéans.
Les ducs et paiis voulaient que lorsipi'ils siégeaient au par-
lement, le premier président ôtât son bonnet lorsqu'il de-
inandait leur avis, et eu même temps ils prétendaient, d'après
une coutume tombée en désuétude , avoir le droit d'opiner
avant les présidents à mortier. Les deux partis souluuent
leurs prétentions avec beaucoup de vivacité ; le duc de Saint-
Simon se distingua surtout par son ardeur à soutenir les droits
do la pairie : il regardait les ducs et pairs connue les héritier.''
directs, sinon des conquérants francs, ainsi que le prétendait
le comte de Boulainvillicrs, du moins comme les successeurs
des pairs de Cbarlemagne cf d'Hugues Capet ; et il s'appuyait
sur la science héraldique des d'Hozier et du père Anselme.
Le parlement résolut d'ojjposerdes armes de mèn'e nature,
et un pamphlet attribué au président de Novion alla scruter
les origines de ces prétendues antiques maisons ducales : il
indiquait que les Crussol d'IJzès descendaient d'un apothi-
cain;, les Villeroi d'un marchand de poissons, les La Ro- ,
chefoucauld d'uri boucher, et les Saint-Simon d'un hobereau, le
sire de Rouvrai, et non des comtes de Vermandois. Ce pam-
phlet, où l'erreur se mêlait quelquefois à la vérité, irrita les
ducs à tel point, qu'ils résolurent de se transporter au palais
et d'y imposer leurs prétentions , fût-ce même par les armes.
Le régent intervint, et les empêcha d'accomplir leur projet en
fai.sant droit à la requête des ducs par un arrêt du conseil
du 21 mai f71G; mais le parlement, à son tour, se déchaîna
avec tant de fureur, que le régent revint sur sa décision ,
révoqua l'arrêt, et renvoya la décision du procès à la ma-
jorité du roi. A. Feillet.
BONNET (Anatomie). C'est le second estomac des ru-
minants, qu'on a aussi appelé réseau. Ces deux noms pro-
venaient sans doute de la ressemblance de cet organe avec
les anciens réseaux que les femmes portaient pour coiffure.
Bonnet est encore le nom de la partie supérieure de la
tôle des oiseaux.
BONNET ( Ichthrjologie ), un des noms de la bonite.
BONNET(TuÉopuiLE),naquità Genève,le 5mars 1620,
et suivit les traces de son père et de son aieul , qui furent
des médecins distingués. Après de brillantes études médi-
cales , il se fixa dans sa patrie, où bientôt il se fit une répu-
tation telle que le duc de Longueville, souverain de Neuf-
chàtel , le prit pour son médecin , à l'exemple du duc de
Savoie, Charles-Emmanuel, qui avait jadis accordé le même
titre à son grand-père. Devenu sourd à l'âge de cinquante
ans, Bonnet renonça à l'exercice de son art, et passa dans
la retraite le reste de sa vie, qu'il consacra à la composition
de ses ouvrages. 11 mourut d'hydropisie à l'âge de soixante-
neuf ans, le 21) mars 1G89.
iîonnet fut en quelque sorte le créateur de l'analonue
pathologique, en réunissant sous le nom pittoresque de
Sepnlchretuni toutes les observations complétées par l'au-
topsie qu'il put rencontrer éparses dans les auteurs. Ce re-
cueil , quelles que soient ses imperfections , est encore la
mine la plus féconde que nous ait léguée le dix-septièmo
siècle , et l'on peut dire que ce vaste ouvrage a donné l'im-
pulsion aux travaux de même genre que le dix-huitième
siècle a vus naître. Si IMorgagni , comme compilateur judi-
cieux , est supérieur à Bonnet , il est douteux que sans Bon-
net Morgagni eût jamais édifié son immortel traité Du Siège
et des Causes des Maladies, auquel le Sepulchretum a
fourni de nombreux et précieux matériaux. A Bonnet ap-
partient donc la gloire d'avoir jeté les fondements de la
science servant de base à la pratique rationnelle, l'anatomie
pathologique , (jui nous fait \oir de la maladie tout ce que
la mort nous permet d'apprécier.
Publié à Genève en 1679, le Sepulchretum, siveAna-
tomia practica , ex cadaveribus morbo donatis, fut aug-
menté et conmienté par Manget(Lyon, 1700, 3 vol. in-fol.).
Bonnet a publié en outre , sous le nom de Pharos Medico-
runi, un excellent abrégé des o'uvres de Bâillon (Genève,
1C68, 1 vol. in-t2); Labijrinthi medici extricati , site
methodus vilandorum errorum (Genève, 1787, in-4'');
Prodrontus Analomix practicœ (Genève, 1G75, in-S°) :
c'est la ])reinièrc partie du Sepulchretum, sur lequel l'au-
teur voulait pressentir le public; Mercurius compilatitis,
sive Index medico-practicusiGenhe, 1082, in-lol.) : c'est
un dictionnaire de médecine pratique; Medicina septen-
trionalis coltatiiia (Genève, 1G8G, 2 vol. in-fol.), collec-
tion tirée de divers recueils; divers autres ouvrages colligés
après sa mort sous le nom de Bibliothèque de Médecine el
de Chirurgie (Genève, 1708, 4 vol. in-4°). D' Fougrï.
BONNET
433
BOIVIVET (Charles), naturaliste et philosophe, naquit
à Genève, en 1720. La lecture du Spectacle de la Nature
par Pluche décida du genre d'études auquel il se livra avec
autant d'ardeur que de succès. A l'âge de vingt ans il avait
déjà fait d'importantes découvertes en histoire naturelle;
mais lorsque sa vue , affaiblie par l'usage du microscope ,
l'empêcha de continuer ses expériences, il quitta la route
étroite, mais sûre, de l'observation, pour parcourir le champ
des abstractions, qui s'ouvrit devant lui d'autant plus vaste
et plus intéressant, qu'il avait déjà recueilli un nombre de
faits considérable. Si le métaphysicien ne fut pas aussi
iieurcux que le naturaliste , du moins faut-il avouer que la
grandeuret l'éclat de ses hypothèses font pardonneixe qu'elles
ont d'aventureux, et commandent au plus haut point l'ad-
miration pour le génie de leur auteur. 11 s'occupa aussi de
psychologie ; car ses regards curieux voulurent pénétrer
les secrets du monde moral en même temps que les
mystères de la nature organisée. Quoiqu'il vécût à une
époque où les idées avaient une tendance prononcée au ma-
térialisme, surtout chez les esprits qui s'occupaientdesciences
physiques , il ne professa jamais ces doctnnes , et tous ses
efforts, au contraire, eurent pour but d'expliquer les lois qui
président à la relation du principe pensant et de la matière,
qu'il regardait comme entièrement distmcts. Malgré la part
très-large qu'il lit aux sens dans l'acquisition de nos connais-
sances , il admit une autre source d'idées, la réflexion , qui
réagit sur les notions acquises , et s'élève par degrés aux
notions abstraites, avec le secours de signes, c'est-à-dire
des mots ; mais, plus jaloux de résoudre des problèmes que
d'observer les faits tels qu'ils se présentent à la réflexion ,
il ne fit faire aucun pas à la psychologie, et se perdit dans
des hypothèses sur la nalure et le jeu des fibres du cer-
veau.
Bonnet fut très-religieux , malgré son siècle et la nature
<Ie ses études. Accordant à l'homme la liberté , qu'il définit
le pouvoir qu'a l'âme de suivre sans contrainte les motifs
dont elle reçoit l'impulsion , et remarquant aussi tous les
maux qui affligent l'humanité, ainsi que l'inégale distribu-
tion des biens du Créateur, il en conclut à la nécessité d'une
autre vie, dans laquelle celle-ci recevra son complément.
Toutefois, regardant les preuves que la raison toute seule
nous suggère de l'immortalité de l'àme comme trop faibles
pour être un motif suffisant à l'homme de faire le bien, il
tire de la faiblesse même de ces motifs la nécessiié de motifs
plus impérieux, c'est-à-dire de preuves plus directes, et
alors il conclut à la nécessité d'une révélation. C'est pour ap-
puyer ce raisonnement qu'il composa son ouvrage intitulé :
Becherches philosophiques sur les preuves du christia-
nisme. Mais il ne s'aperçut pas qu'il était tombé dans un
cercle vicieux , où sont tombés et tomberont, comme lui,
tous ceux qui voudront placer la révélation au-dessus de la
raison , et se servir ensuite de la raison et de tous ses argu-
ments pour prouver la révélation.
Le titre le plus incontestable de Bonnet au souvenir de la
postérité est sans contredit son système palingénésique sur la
nature organisée : ce système futson idée favorite. Ce fut celle
qui servit de but et de lien à toutes ses réflexions; ce fut
celle aussi qu'il développa avec le plus de talent. 11 professa
d'abord la doctrine de l'emboîtement et de la préformalion des
germes, c'est-à-dire qu'il admit que le germe d'une espèce,
une fois créé , contient les germes de tous les individus qui
forment le développement successif de l'espèce. Ce n'est pas
tout : non-seulement le Créateur a placé ainsi, dès le com-
mencement, dans chaque germe tous ceux par lesquels l'es-
pèce doit se multiplier indéfiniment; mais chaque espèce
elle-même est perfectible, et renferme aussi en germe les
éléments et les conditions de son perfectionnement. Ce per-
fectionnement s'accomplira par degrés, et seulement lorsque
le globe sur lequel doivent habiter les espèces sera appro-
prié au nouveau développement de ses Ivôtes. Ainsi notre
DÎCT. DE LA C0^VERS. — T. III.
globe a déjà subi des révolutions successives , à mesure que
les espèces qui y sont placées ont subi efles-mêmes leur
métamorphose, ou plutôt leur développement progressif,
qui consiste dans un plus grand nombre de sens et de fa-
cultés ; car Dieu a préformé originairement les êtres dans
un rapport déterminé aux diverses révolutions que chaque
monde est appelé à subir. Il règne entre tousles êtres vivants
une gradation merveilleuse, depuis la mousse jusqu'au cèdre,
depuis le polype jusqu'à l'homme. La même gradation exis-
tera sans doute dans l'état futur de notre globe; mais elle
n'existera plus entre les mêmes espèces. L'homme, trans-
porté dans un autre séjour, plus approprié à l'émiuencc de
ses facultés , laissera au singe et à l'éléphant cette précaira
place qu'il occupait parmi les animaux de notre i)lanète.
Dans ce progrès universel des animaux , il pourra donc se
trouver des Newton et des Leibnitz chez les singes et les
éléphants, des Perrault et des Yauban chez les castors. Les
espèces les plus inférieures, telles que les huîtres, les polypes,
seront aux espèces les plus élevées de cette nouvelle hiérar-
chie comme les oiseaux et les quadrupèdes sont à l'homme
dans la hiérarchie actuelle , etc.
Tel est à peu près le sens de la palingénésie de Bonnet,
système où l'on remarque malheureusement plus d'imagina-
tion et de poésie que de solidité. C'est à ces lêves brillants
qu'il employa les loisirs d'une vie douce et tranquille, qu'il
passa au sein de l'aisance et sans jamais vouloir sortir de
sa patrie. Il mourut à l'âge de soixante-treize ans. Ses prin-
cipaux ouvrages d'histoire naturelle sont un Traité d'In-
sectolocjie ; un autre Sur V usage des feuilles, qui renferme
ses découvertes sur la physique végétale. Ses ouvrages
philosophiques sont plus nombreux. Il a laissé : un Essai
de Psychologie, ou Considérations sur les opérations de
rdme, sur V habitude et l'éducation ; un Essai analytique
sur les facultés de Vdme; des Considérations siir les
corps organisés; des Contemplations de la Nature; enfin,
sa Palingénésie philosophique. C.-M. Paffe.
liONNET (Louis- Ferdinand), avocat, né à Paris, le
8 juin 1760, mort conseiller à la cour de cassation, le 6 dé-
cembre 1839, a été l'une des illustrations du barreau fran-
çais moderne. Les brillants succès de ses études avaient
été pour lui le présage de succès plus glorieux. Élève du
collège Mazarin , il remporta au concours général des dix
collèges réunis le premier prix de discours français; ses
professeurs lui conseillèrent d'embrasser la carrière du
barreau , et leurs prévisions ne furent pas trompées : le
jeune avocat se distingua de bonne heure par de grandes
qualités oratoires, et dès son début ses plaidoyers fixèrent
l'attention. Admis au stage en 1783, il fut inscrit sur le
tableau en 1787.
Paris, la France entière retentirent avant la révolution
de la fameuse affaire Kornrnann : on y avait vu figurer Ber-
gasse, Beaumarchais, le prince de Nassau et l'élite des
avocats de la capitale. Bonnet avait été chargé de défendre
jyjme Kornmann. Au milieu de tant d'orateurs déjà célèbres,
il avait soutenu glorieusement la lutte, égalant les uns, éclip-
sant les autres ; et M""^ Kornmann ayant gagné son procès,
le talent du jeune orateur, connu et apprécié de tous , lui
avait préparé une foule de nouveaux triomphes. A trente ans
il était à la tête du barreau de Paris. Après la révolution il
se signala dans l'affaire Lanefranque. Il s'agissait du su-
borneur d'une femme mariée , venant , avec effronterie ,
demander à la justice la nullité du mariage de la femme
qu'il avait séduite, et produire impudemment, comme
preuve de ses droits, les fruits de son adultère. Bonnet,
dans une improvisation brillante, l'accabla de toute son in-
dignation, et termina sa plaidoirie par un mouvement ora-
toire des plus remarquables.
Pendant les dernières années du Directoire et au com-
mencement du Consulat il était le conseil judiciaire de la
trésorerie nationale, et il conserva cette clientèle impor-
4 31
BONNET — BONNET A POIL
tante jusqu'au moment où il s'en dMit en favenr de son
fils. Pliais après la révolution de 1830 Bonnet fit place à
M. Teste, et celui-ci à M. Ferdinand Barrot. Ce fut dans
l'affaire du mineur Félix, depuis M. le baron de Saint-Félix,
premier aide des cérémonies sous Louis XVIII et Charles X,
que Bonnet et Delamalle fncnt leur rentrée au palais.
Les codes nouveaux, qui devaient si.niplifier les principes
et les précédents , n'étaient pas encore aclievés. Les débu-
tants ne pouvaient guère plaider qu'au criniinel. « Or tous
les défenseurs of^ficieux , à l'exception de quatre ou cinq,
sont, disait alors Bonnet, des liômmes tellement tarés, que
pour tout au monde je ne voudrais me commettre auprès
d'eux ; jamais de ma vie je ne plaiderai pour un accusé. »
]':t il nonnnait un des défenseurs officieux de l'époque, au-
quel, ajoutait-il, il n'aurait pas permis de décrotter ses sou-
liers... s'il y avait eu des boucles d'argent.
Deux ou trois fois pourtant Bonnet dérogea à l'engage-
ment qu'il avait si énergi(\u(:ment pris. 11 piaula pour le gé-
néral jMoreau : cette défonce, beaucoup moins étendue (pie
ne le serait de nos jours celle d'un accusé de la même im-
juMtancc, était remarquable par la concision autant que par
l'éloquence. On ne saurait s'imaginer combien étaient bar-
dies alors des choses qui il y a quelques années encore
auraient semblé les plus simples et les plus vulgaires.
A la Restauration, comme le plus grand nombre des avo-
cats , Bonnet vit avec joie cesser l'œuvre napoléonienne ;
cependant il passait parmi les ardents amis de la royauté
pour être fort tiède. S'il fut nommé président de l'une des
sections du collège électoral de la Seine , c'est parce qu'on
n'aurait pas pu faire une autre désignation pour obtenir,
par exemple, la nomination de Ternaux à la place de Ben-
jamin Constant. En 1820 il fut nommé d'office défenseur de
Lou vel. Ses raisonnements contre la compétence de la cour
des pairs jusqu'à la promulgation d'une loi spéciale étaient
tellement concluants, que les défenseurs les plus énergiques
des accusés d'avril, en 1835, n'ont pas employé d'autres
arguments. JSommé deux fois de suite bâtonnier de l'ordre
en 1815 et 181G, il fut appelé en 1820 à la Chambre des Dé-
putés par la ville de Paris et réélu on 1824. 11 n'entrait qu'à
son corps défendant dans la carrière politique, ce qui ne
l'empêcha pas de devenir un des \ice-présidents de l'as-
semblée en 1820, de prononcer plusieurs discours remar-
quables, et d'être chargé de plusieurs travaux importants
durant ces deux législatures. En 1822 il fut nommé rappor-
teur de l'une des deux commissions qui se réunirent pour
4)réparcr une loi unique sur la presse. En 1824 et 1825 il
se prononça contre la création du trois pour cent et la con-
version des rentes : c'était assez mal faire la cour aux puis-
sants du jour, qui couraient à leur perte par l'impopularité.
Pourtant, en 1826, il fut nommé conseiller à la cour de cas-
sation, et dans ces fonctions il sut encore se concilier l'at-
tachement et l'estime de ses nouveaux collègues. En 1827,
h l'issue des émeutes ou quasi-émeutes qui suivirent des
élections favorables au libéralisme, il fut signalé à la haine
publique. Les rassemblements formés à la place Vendôme
devant la chancellerie faisaient retentir l'air de cette bur-
lesque exclamation : « Peyroimet ! Peyronnet ! tiens bien ton
Bonnet! »
Après les journées de juillet 1830, Bonnet, qui avait
depuis longtemps prédit une révolution, qu'il regardait
comme inévitable, prêta serment à la nouvelle charte, et
s'abstint désormais de toute espèce de démonstration poli-
tique. Le concours immense d'hommes de toutes les opi-
nions qui se pressaient à ses funérailles prouva qu'il jouis-
sait , comme homme privé , comme jurisconsulte et comme
magistrat , de l'estime universelle.
M. Jules Bonnet, son fils, avocat à la cour d'appel, ancien
avocat du trésor, connu par ses succès au barreau et par plu-
sieurs brochures, a publié en 1826 la traduction des œiivics
complètes de Mackensic en 5 volumes. Breton.
BOIXiVET A POIL, sorte de mitre dont la calotte ob
forme est recouverte en peau d'ours; mais qui diffère du
colback. Son us<age s'est étendu à diverses armes, puis-
qu'en 1767 (25 avril) il en fut donné aux dragons français.
L'usage du bonnet à poil rappelle les temps et les pays
barbares : s'accoutrer de peaux de bêtes était déjà nue mode
chez les anciens Germains. On lit dans l'Iutarque que les
Cimbres et les Teutons ornaient leurs têtes des dépouilles des
animaux féroces; Végècedit que pour se donner un aspect
plus terrible, les porte-enseigne avaient un casque couvert
de peau d'ours garnie de son poil ; le même auteur appelle
pileiis pannonicus , des bonnets de peau comparables à de
lourds bonnets de police, qu'on donna pendant longtemps
à tous les soldats en temps de paix ; on les tenait exprès
volumineux et pesants, pour que le casque repris en temps
de guerre leur ])ariit plus léger. Les Francs s'encapuchon-
naient de la tête de l'animal dont la peau formait leur
sayon , à peu près comme on nous représente Hercule.
La moilc des bonnets à poil , (pie le harnais de fer avait
fait oublier, reparut en Prusse il y a un siècle et demi. Le
père de Frédéric II coiffa d'ours ses géants , afin de les
grandir encore; la forme poinliie de leurs bonnets avait
pour objet de donner la facilité de mettre le fusil à la gre-
nadière, avant de lancer la grenade et de le r(itirer facile-
ment ensuite, pour s'en servir après l'épuisement des gre-
nades. De 1730 à 1740 les grenadiers des gardes françaises
et suisses et les grenadiers à cheval s'affublèrent de même,
en imitation de cette méthotle tudesque. Puységur leur re-
prochait en 1748 cet inutile surcroit de charge, qu'ils
s'iniposaient sans utilité depuis que le jet de la grenade
était passé de mode.
Dans la guerre de 1756, la troupe de ligne prit générale-
ment le goût des bonnets à poil : en cela nous copiâmes nos
alliés les Autrichiens, qui déjà les portaient. Quelques jeunes
colonels , qui étaient de grands seigneurs et de petits es-
prits , introduisirent dans les compagnies de grenadiers do
leur corps les bonnets à poil , et les commis de la guerre
ratifièrent complaisamment cette fantaisie. Le règlement de
17G7 fut le premier qui légalisa dans les troupes de ligne
cette nouveauté; il est le seul des documents du dernier
siècle qui mentionne cette coiffure; il la rendait particulière
aux grenadiers à pied et à cheval ; aussi, bonnet à poil et
bonnet de grenadier étaient-ils synonymes. Le ministre Saint-
Germain, jugeant ces bonnets incommodes, fatigants et peu
militaires, puisqu'on temps de gueiTe on y renonçait, les re-
gardant d'ailleurs comme d'autant plus coûteux qu'il fallait
en verser le prix chez les peuples du Nord , les proscrivit
par l'ordonnance de 1776. Une décision de 1788 les rendit
aux grenadiers , et ils avaient même continué à les porter
malgi'é leur suppression , tant l'uniforme était alors chose
arbitraire.
Une instruction de 1791 donnait un bonnet à poil et un
chapeau à cornes aux grenadiers. Ils entrèrent en campagne
en 1792 en laissant aux dépôts ces bonnets. Un peu plus
tard , la garde consulaire mit à la mode l'usage de les porter
à la guerre. Une décision de l'an X s'occupa la première ,
mais superficiellement , de quelques-uns des détails de cette
coiffure , jusque là de pure fantaisie. La garde impériale
étendit à ses chasseurs d'infanterie un usage jusque là par-
ticulier aux grenadiers, et ses énormes bonnets se dévelop-
pèrent en forme de montgolfière à la manière égyi)tienne ou
valaque. Les bonnets de grenadiers à pied portaient sur le
devant une plaque en cuivre rouge empreinte de l'aigle im-
périale; ceux de chasseurs n'en avaient pas. Ces plaques,
chauffées pendant des journées entières parmi soleil ardent,
occasionnaient de violentes céplialalgie.s, et ridaientde bonne
heure comme des fronts de vieillards ceux des hommes que
la discipline condamnait à en êlreaffublés. Un décret de 1812
retira le bonnet à poil aux grenadiers de la ligne. Le duc de
Feltre motivait sur réuormité de la dépense cette sage siij)
BONNET A POIL — BONNETERIE
435
pression. Ce ministre, n'osant pas touclier aux bonnets delà
giiioe, allégua du moins en partie les dépenses qu'entraînait
te tribut, et il ne s'y assujettit plus que pour les corps d'élite
de la vieille garde, qu'à cette époque on se proposait de fournir
bientôt de peaux d'ours prises en Russiemême. L'ordonnance
de 181 3 ne donnait qu'aux seuls grenadiers de la garde royale
le bonnet à poil ; mais le ministre , soit pour complaire aux
solliciteurs, soit de son plein mouvement, étendit cette
mesure aux voltigeurs , aux fusiliers de cette garde. L'his-
toire du bonnet à poil est curieuse, en ce que l'usage s'en est
conservé longues années en dépit de tous les règlements,
sauf un seul , et en dépit de presque tous nos ministres : ils
étaient unanimes dans le texte de leurs considérants ; ils
proscrivaient cette coiffure, comme ridicule, incommode,
lourde, sans solidité, de nulle défense, se refusant à l'em-
ballage, hideuse en sa vétusté, et redoutant les rameaux
d'un taillis, le feu du bivac, l'alourdissement que prend
l'oursin quand la neige s'y attache et le hérisse de glaçons.
Le pouvoir n'a pas triomphé sans peine de la mode.
La forme du bonnet et le plus ou moins d'abondance de
ses accessoires ont varié non moins que tous nos autres
effets d'uniforme. Les bonnets prussiens et ceux de leurs
premiers imitateurs , Autrichiens, Anglais, Hessois, étaient
en pain de sucre par-devant et plats par derrière, à partir
du haut de la tête jusqu'à la pointe. Les bonnets avaient
encore dans nos régiments étrangers cette forme lors de
la révolution; ils l'avaient encore dans l'armée russe au
commencement de ce siècle. Les régiments français ont
peu à peu modifié cette configuration , et l'ont amené à l'o-
vale, forme qui n'est pas plus ridicule qu'une autre, puis-
que le bonnet pointu cessait d'avoir une signification dès
que les grenadiers ne lançaient plus la grenade. Le bonnet
à poil a été tour à tour, avec ou sans plumet ni pompon,
avec ou sans cocarde, avec ou sans cordon, de telle ou
telle couleur, affectant en tout sens l'ovale au sommet ou y
laissant une échancrure en drap ou en cuir, avec tel ou tel
ornement." La garde royale avait imaginé de petits paniers
sans fond, ou cônes tronqués, qui remettaient en forme
le bonnet quand il n'était pas sur la tète de l'homme. La
garde descendante, à qui l'on apportait au corps de garde
ces paniers, les remportait à la caserne, après les avoir
attachés en dehors du havresac, à l'aide de la courroie
longue. Il n'y a pas de mode ridicule qui n'en amène de
phis ridicules. G"' Bardix.
Quand la garde royale eut disparu en 1S30, le bonnet à
poil ne fut plus en usage dans l'armée française que pour les
sapeurs porte-hache de l'infanterie et les gendarmes à che-
val de la Seine. Il a persisté dans la garde nationale de Paris
(sapeurs , grenadiers et voltigeurs) jusqu'à la révolution de
1848. C'était un contre-sens : il faut être militaire consommé
pour bien ^jorter cette coiffure, et les besicles bourgeoises
surtout se marient pitoyablement avec elle. L'arrêté du gou-
vernement provisoire qui la supprimait désormais dans la
garde nationale provoqua pourtant le 16 mais une ridicule
démonstration ayant pour but de le lui faire rapporter, et
restée à jamais fameuse sous le nom de journée des bon-
nets à poil. Enfin le bonnet à poil vient d'être donné comme
coiffure à la gendarmerie mobile.
BOXA'ET CHLXOIS. Espèce de macaque, ainsi appelée
à cause de la disposition des poils du sommet de la tête
qui, retombant de tous côtés , forment une sorte de calotte.
Les marchands et les amateurs désignent rarement les co-
quilles par des ternies scientifiques. Souvent ils leur don-
nent des noms qui indiquent leur ressemblance avec cer-
tains objets. Ainsi plusieurs coquilles des genres patelle, ca-
lyptric et cabochon ont reçu d'eux le nom de bonnet chinois.
liOXXETDE PRÊTRE [Botanique). Voyez Fcs4in!
liOXXET DE PRÊTRE ou BONXET à PRÊTRE
( Fortification ), sorte de pièce de fortification qui fait par-
tie des dehors d'une place, et est nommée bonnet par al-
lusion à la configuration de son plan. C'est une double te-
naille, à gorge étroite, construite en avant du milieu d'une
courtine, et quelquefois d'un ravelin ; c'est un ouvrage isolé,
présentant quatre faces brisées au moyen de deux angles
rentrants et de trois angles saillants ; c'est enfin une forme
de dent de scie entre deux demi-dents. Le prolongement
des ailes du bonnet de prêtre formerait, si elles n'étaient
coupées, un angle de rencontre avec la courtine, et c'est
surtout en cela que le bonnet diffère de la tenaille double,
dont les ailes sont parallèles , tandis que les siennes se di-
rigent en queue d'aronde. Le bonnet de prêtre, rejeté
par nos meilleurs tacticiens , est peu praU([ué chez nous.
Cependant en 1796 les Français défrndirent Kehl en y
construisant une tête de pont en bonnet de prêtre.
BOA'XET D'HÏPPOCRATE. Les chirurgiens don-
nent ce nom à une espèce de bandage [lour la tête ou de
capeline à deux chefs pourle.> écaitements des sutures.
BOA'XETERIE. On comprend sous cette dénomina-
tion tous les ouvrages tricotés ou faits au métier à bas,
comme bonnets, bas, gilets, gants, pantalons, etc., et
aussi l'industrie qui s'occupe de la confection et de la vente
de ces objets. On peut classer les innombrables prodoits
qui sont l'objet du commerce de la bonneterie en quatre
grandes divisions : la bonneterie de coton, la bonneterie de
laine, la bonneterie défit, et la bonneterie de soie, qui
peut se subdiviser en bonneterie de soie proprement dite
et en bonneterie deflosellc ou bourre de soie.
La bonneterie de coton est la plus importante, à cause
de la masse de consommateurs à laquelle elle s'adresse : sa
fabrication occupe une multitude d'ouvriers, disséminés
dans un grand nombre de villes, dont la plus importante,
sous ce rapport , est Troyes. Les fabriques de Caen et de
Rouen, quoique moins considérables, produisent des ar-
ticles plus recherchés pour la qualité. JN'îmes est renommée
pour ses bas (ins et à jour, auxquels on ne peut reprocher
que leur manque de solidité. Les fabriques de Besançon,
de ^■ancy, de Vitry , de Bar-le-Duc , de Lyon, d'Héricourt,
de Sainte-Marie-aux-Mines , d'Arcis , de Méry , de Romilly,
d'Estissac, etc., ne viennent qu'ensuite.
Dans cette spécialité, la France n'exporte guère plus que
les bas et les gants en fil d'Ecosse ou coton retors. Cet
article mérite une mention spéciale, à cause de l'importance
qu'il acquiert tous les jours. On en fait une grande con-
, sommation en France ; les pays chauds , et notamment les
Antilles , absorbent le reste , et nous sommes encore seuls
pour alimenter ce débouché. C'est le département du Gard
qui se livre à ce genre de fabrication.
Quant à la bonneterie de laine, nous n'en exportons
presque plus à l'étranger. Les produits anglais, qui sont
d'une supériorité bien marquée, nous font partout une
concurrence victorieuse. Cependant notre consommation in-
térieure est assez considérable pour que cette industrie soit
pratiquée dans un grand nombre de localités. Ainsi I\Iont-
didier, GrandviUiers , Roye, Fère-en-Tardinois , Neuilly
Saint-Front , Montolieu , Orléans, Reims, Caen et leurs en-
virons ont des fabriques de bas de laine au métier. Poitiers,
Chartres et toute la Beauce, Chaumont, Vignory et quelques
autres lieux de la Champagne, s'occupent de la fabrication
des bas et des bonnets à l'aiguille. Les principales fabri-
ques de bas de laine nommés bas d'estame se trouvent dans
les départements du Pas-de-Calais et du Calvados. C'est
surtout à Reims et dans le département d'Eure-et-Loir que
se fout les bas drapés. Paris fabiique les calottes et autres
menus articles.
La bonneterie de fil est aujourd'Imi de bien peu d'im-
portance en France. Le centre de cette fabrication est en
Artois, et on n'y compte guère que cinq ou six grandes mai-
sons. C'est qu'aussi nous ne pouvons lutter avec la Saxe,
ni pour le prix, ni pour les qualités du til que ee pays sait
55.
43G
BONNETERIE — BONNETS
produire. Autrefois, nous exportions pour l'Espagne et les
ct)loaies ; maintenant ce sont les Anglais qui approvisionnent
ces débouchés, avec la bonneterie de Saxe.
Si on en excepte les articles de Lyon et de Paris, qui
d'ailleurs jouissent d'une réputation méritée , la bonneterie
de soie provient presque totalement du midi de la France,
où ses principaux centres de fabrication sont : Nîmes,
Romans, Saint- Jean-du-Gard, Uzès , le Vigan , Tours,
Vasselonne , Monlpellicr et Ganges. La moitié environ des
produits fabriqués passe à l'étranger, et nous avons une
véritable supériorité sur la fabrication anglaise. La France
approvisionne de bas, de gants, de bonnets de soie, les
ILtats-Unis et toute l'Amérique méridionale. L'Angleterre
elle-même nous demande beaucoup de gants de soie; et
le bas prix de nos produits la forcerait à nous demander
aussi ses bas , sans le droit d'entrée qui impose nos soieries.
Kniin , la bonneterie de filoselle se fabrique aussi dans
le déparlemcjit du Gard. La Suisse est le seul pays étranger
qui soit redoutable pour notre industrie et notre com-
merce en ce genre. C'est en Suisse que l'Allemagne, la Hol-
lande et la Belgique, s'approvisionnent en grande partie
pour les bas et les gants de filoselle. La consommation in-
térieure suffit à la France pour ce qu'elle produit elle-même.
Depuis quelques années , on remarque dans la bonneterie
un progrés bien sensible, et ce commerce se maintient par
la multiplicité des genres et des articles nouveaux dont il
s'occupe. Toutefois, les exportations ne sont pas plus élevées
qu'il y a quinze ou vingt ans. En effet , nous ne pouvons
jias fournir aux étrangers les articles communs , que les
Anglais peuvent produire à bicji meilleur marché. Kous
leur sommes supérieurs pour le beau et le fini ; mais sans
la mode , dont nous possédons mieux qu'eux l'art de sti-
muler les caprices , nos exportations deviendraient nulles.
BONi\ET ROUGE ou BONNET DE LA LIBERTÉ.
Cette coilfure dont les artistes décorent la Liberté, sans
doute depuis qu'il était la marque de l'affranchissement
des esclaves , devint , avec la carmagnole, le signe dis-
tinctif des masses populaires qu'emportait le flot démago-
gi(jue lors des premiers excès de la révolution de 1789. S'en
coiffer à cette époque, c'était faire acte de civisme, et la
populace qui inonda les Tuileries à la journée du 20 juin
1792 en décora le front de Louis XVI, rebelle à huis
clos , selon sa coutume , à ce grand mouvement d'émanci-
pation générale, auquel il semblait toujours céder de bonne
grâce eu public. Mais d'où venait cet emblème si spontané-
ment , si généralement adopté ? Était-ce une réminiscence
du vieux bonnet phrygien, comme quelques-uns l'ont pré-
tendu? Ou plutôt n'y faut-il voir autre chose que la coilfure
des premières bandes marseillaises aflluant à Paris après
l'avoir piobablement empruntée à leurs voisins les monta-
gnards catalans des Pyrénées-Orientales , qui s'en parent
de temps inunémorial , malgré les ordonnances sévères de
tous les préfets bien pensants ? Une troisième version as-
signe à celte coiffure une autre origine : A l'en croire, des
soldats suisses , s'élant révoltés contre leurs officiers aristo-
crates , auraient été impitoyablement envoyés aux galères;
mais, graciés par l'Assemblée nationale, ils seraient revenus
à Paris décorés du bonnet rouge du bagne, et l'auraient
popularisé parmi la multitude qui les recevait en triomphe.
La dénomination de bonnets rouges s'étendit, plus taid,
aux hommes qui adoptèrent cet insigne, et devint le synonyme
de montagnard.
De France cet emblème est passé dans l'une et l'autre
Amérique; et sur les deux Océans, en Californie comme
aux Étals-Unis; au Mexique, à Venezuela, à la Réiiublique
du Centre, à la Nouvelle-Grenade, à Monlévideo, à Ruénos-
Ayres, au Paraguay, comme au Chili, au Pérou, ;\ Bolivia,
partout enlin sur les monnaies ou sur les sceaux des diffé-
rents États on retrouve notre bonnet plirygien de 1793 com-
pklemcnt dépouillé de cet aspect n'-pulsif qu'il a chez nous.
En Fiance, quelques jeunes gens essayèrent en vain de le
remettre à la mode à l'issue de la révolution de 1830 et
dans les diverses émeutes qui la suivirent. Ils n'y réussi-
rent pas mieux après la révolution de 1848, quoique les
esprits y fussent sans doute un peu mieux préparés qu'en
1830. Mais cette vieille friperie révolutionnaire, renouvelée
de 1793, ne pouvait pas revenir à la mode. On ne refait
jamais deux fois une môme époque. Il y avait danger à faire
revivre ces insignes désormais inséparables, dans l'esprit
des masses, des erreurs et des excès d'une autre époque. Aussi
le gouvernement en reprenant de la force commença-t-il par
éloigner le bonnet rouge du front des statues de la Liberté et
de la République. On lui substitua de pâles auréoles , de
lourdes couronnes d'abondance. Puis ce symbole d'affran-
chissement a fini par redevenir, comme sous la monarchie,
un emblème séditieux.
BONNETS ( Faction des ). Après Charles XII , le gou-
vernement de la Suède était tombé aux mains d'une aris-
tocratie factieuse et turbulente. D'abord, cependant, tous les
partis qu'on comptait dans la diète semblaient n'avoir en
vue que le bien général et n'aspirer qu'à guérir les plaies
de la patrie ; mais cette harmonie ne dura pas longtemps.
La diète de 1738 vit se former dans son sein deux fac-
tions, celle des chapeaux, dévouée à la France, et celle des
bonnets , qui recherchait l'appui de la cour de Saint-Pé-
tersbourg. Les chapeaux, quelques années après, détermi-
nèrent la diète à rompre avec la Russie ; et cette rupture
attira sur la Suède de grands revers , parce que la jalousie
réciproque des deux factions faisait échouer toutes les opé-
rations et déconcertait les plans de campagne les mieux
combinés. Victime de l'égoisme et de l'ambition de ses
gouvernants, la Suède éprouvait à la fois les inconvé-
nients de la démocratie et ceux de l'oligarchie. Les mal-
heureux résultats de la guerre de 1741 et de celle de 1756,
qui toutes deux avaient été entreprises à l'instigation des
chapeaux, altérèrent considérablement la popularité de
cette faction. Pourtant elle parvint, pendant la dicte de 1769,
à s'emparer du pouvoir et à dépouiller les membres du
parti opposé des principaux emplois. Mais lorsque la guerre
vint à éclater entre elle et la Porte, la lîussie, d'accord
avec l'Angleterre , fit tous ses efforts pour relever le crédit
et l'inlluence des bonnets, afin de rester de la sorte en paix
avec la Suède, et de n'avoir pas de lâcheuse diversiou à
redouter de ce côté.
La mort du roi Adolphe-Frédéric, arrivée sur ces
entrefaites (1771), ouvrit un nouveau champ à l'intrigue
dans la diète qui fut convoquée à l'occasion de l'avènement
de Gustave III, son fils et son successeur. Ce jeune
jjiince s'entremit d'abord entre les deux partis pour tâcher
de les concilier ; mais il y réussit si peu , que les animosi-
ti's ne firent qu'augmenter, et que les bonnets, soutenus
par la Russie et l'Angleterre, parvinrent h faire décréter l'ex-
pulsion totale des chapeaux , tant du sénat que des autres
places et dignités du royaume. La licence devint alors ex-
trême, et la réforme du gouvernement de plus en plus néces-
saire. Elle fut accomplie en 1772.
L'Académie Française, sous le règne de Louis XV, eut
aussi un instant ses deux fractions des bonnets et des cha-
peaux. Les bonnets , c'étaient les évêques et le parti dévot;
les chapeaux, c'étaient les encyclopédistes et les philoso-
phes. En ce temps-là , deux places étant devenues vacantes
dans le docte aréopage, grande fut la rumeur entre les deux
factions. C'était une belle occasion de recruter son parti,
et la lutte fut vivement engagée. La ville tenait pour les
chapeaux, la cour pour les bonnets. Les chapeaux prirent
habilement leur temps, et en un seul jour enlevèrent d'as-
saut les deux élections. ?uard et l'abbé Delille obtinrent
la majorité des sulfrages. Tout rouges de colère, les bon-
nets jetèrent les hauts cris dans cette cour étrange, où 1^
dévotion vivait en fort bons termes avec le parc aux Cerfs.
CO.Ni>ETS — BO.NNEVAL
437
Le roi destitua de leur immortalité naissante les deux aca-
démiciens, sur le seul motif qu'ils étaient très-véliémenle-
ment soupçonnés d'être encyclopédistes. Notez que ni l'un
ni l'autre n'avaient écrit une ligne dans V Encyclopédie.
Forcés de céder aux ordres du roi , les chapeaux n'abandon-
nèrent pourtant point la victoire aux bonnets : ils nommè-
rent deux autres académiciens, pris dans la secte dévote, et
dont l'un , Beauzée , avait écrit , depuis la mort de Dumar-
sais , tous les articles de grammaire dans Y Encyclopédie.
Ce choix fut agréé par le roi , tant on était conséquent dans
cette cour-là ! et deux ans après Suard et Delille retrou-
vèrent leurs deux fauteuils, malgré les bonnets, dont la
vogue était en décroissance.
BONNETTE {Fortification), mot dont on ignore l'é-
tymologie, mais qui pourrait être allemande, puisque Jabro
dit que ce que les Allemands appelaient bonnette est nommé
SMrto«<par les Français. La bonnette sert à garantir, contre
le feu d'une éminence trop voisine , une partie saillante de
retranchement, quand on n'a pas le temps d'exhausser
suffisamment tout l'ouvrage. En ce cas , on élève seulement
de quelques mètres , et en forme de cavalier, le parapet de
l'angle; et l'on se garantit ainsi parfaitement des feux à ri-
cochets.
Dans la fortiûcalioQ régulière, une bonnette est une pièce
détachée nommée aussi yfôcAe. C'est un petit ravcliu palis-
sade et sans fossé, à parapet, à angle saillant et à deux
faces ; il est construit soit en avant du glacis , soit au pied
de l'avant-fossé , comme corps-de-garde d'avancée et est mis
en communication avec le chemin couvert, au moyen d'une
tranchée. On fait usage des bonnettes ou exhaussements de
terrain pour se préserver des commandements de revers, et
n'être pas dominé par des éminences. G"' Bakdin.
BOIVIXETTES (Marine). On appelle de ce nom des
voiles légères , en forme de carré long , un peu Irapézoïde ,
qu'on suspend aux extrémités des vergues qui supportent
les autres voiles, dont la surface est à peu près double. Elles
se tendent au moyen d'une petite barre en bois léger, à la-
quelle s'attache le côté supérieur de la bonnette , et la corde
qui sert à la suspendre, en même temps que ses coins in-
férieurs, est retenue par d'autres cordes, dont l'une s'appuie
sur l'extérieur d'un long bout de bois qu'on pousse à vo-
lonté et qui fait saillie à l'extrémité d'une vergue plus basse.
Les bonnettes sont les voiles de beau temps, livrées d'ordi-
naire au souffle d'une faible brise dont la direction est pour-
tant favorable à la route que suit le navire. Les Espagnols
les appellent alas, et en effet ce sont les ailes du navire;
mais par une exagération, plus embarrassante que profitable,
certains capitaines ajoutent des ailes en dehors de ces ailes,
ce qui constitue les bonnettes de bonnettes.
C'est un magnifique spectacle qu'un navire cinglant par
un beau temps avec son appareil de bonnettes, se balançant
sous cette puissante masse de voiles, et se redressant par un
mouvement gracieux sur la courbe des houles. Si le vent le
frappe d'un côté, c'est de ce côté qu'il déploie ses ailes,
qu'il établit ses bonnettes en les obliquant ou les relevant
suivant les capricieuses variations de la brise. Enfin, il en
déjjloie de deux côtés si le vent souffle directement en poupe ;
alors il se dandine fièrement, il roule, et ses bonnettes
basses suspendues tout près de la mer en effleurent la sur-
face. Les bonnettes prennent le nom des voiles près des-
quelles elles sont suspendues. Les bonnettes basses sont
celles qui se placent à côté des basses voiles ; mais généra-
lement le mât de misaine est le seul qui en porte. Les autres
bonnettes sont celles de huniers , de perroquets et de caca-
tois. Elles diminuent d'amplitude à mesure qu'elles s'élèvent.
Les bonnettes sont, en outre, dites grandes ou petites,
selon qu'elles appartiennent au grand mût ou à celui de mi-
saine.
Les bonnettes ne restent pas, comme les autres voiles,
invariablement attachées aux mâts. Quand elles neservent pas
comme voiles, leur place est partout où elles sont à l'abri
partout où elles peuvent être utiles, soit pour exposer au
grand air, sur le pont, du biscuit ou des graines, soit pour
improviser une tente contre les ardeurs du soleil. Une voie
d'eau inquiétante se déclare-t-elle sous le bâtiment, vite pour
en diminuer la gravité une bonnette doublée de filasse et re-
couverte d'une couche de suif est appliquée sur la partie de
la carène où l'on soupçonne qu'elle existe. Sous les chaleurs
de la zone torride, lorsque par un temps calme le navire
dort immobile sur l'Océan, une bonnette plongée dans la
mer et relevée aux quatre coins par des cordes devient une
vaste baignoire pour l'équipage qui s'y ébat sans peur du
requin qui flaire pourtant sa proie à travers la toile protec-
trice. Jules LeCOMTE, ancien officier de marine.
BONNET VERT , coiffure infamante qu'un arrêt de
règlement rendu le 26 juin 1582 imposa aux cessionnaires et
faillis. Cette peine , suivant Pasquier, signifiait que celui qui
était forcé de recourir à la cession de biens s'était attiré sa
ruine par sa folie , et qu'il méritait dès lors d'être signalé à
la risée publique. Son véritable but était de retenir les dé-
biteurs par la crainte de la honte et du ridicule. Ce qu'il y
avait de désagréable dans cette formalité était du reste
compensé par un avantage qui avait bien son prix; car
l'homme coiffé du bonnet vert était sacré pour la baguette
de l'huissier, et les décrets de prise de corps ne pouvaient
recevoir d'exécution contre lui. C'est ce qui explique l'épi-
thète qu'on trouve dans ces vers de Boileau :
Sans altcodre qu'ici la justice ennemie
L'enferme en un cachot le reste de sa vie.
Ou que d'un bonnet vert le salutaire affront
Flétrisse les lauriers qui lui couvrent le front.
Cette peine est tombée en désuétude depuis plus d'un siècle.
Le bonnet vert était, dans les bagnes, la coiffure des con-
damnés aux travaux forcés à perpétuité.
BONNEVAL ( Claude-Alexandre , comte de ), naquit
le t4 juillet 1675, à Coussac, en Limousin, d'une ancienne
et illustie fimiille, qui tenait à la maison de France par celle
de Foix et d'Albret. Sa vie est un roman, qu'il s'est plu à
retracer dans ses mémoires. L'impétuosité et l'inconstance
de son caractère étant incompatibles avec l'étude, il sortit
à douze ans du collège des jésuites, pour entrer dans la
marine royale, où il fut promu peu de temps après au grade
d'enseigne de vaisseau. Dieppe, La Hogue et Cadix furent
témoins du courage de ce jeune officier. En 1698, quelques
mécontentements l'engagèrent à passer du service de la ma-
rine dans le régiment des gardes : ce régiment était alors
une école de plaisir, ou plutôt de libertinage; car le comte
de Bonneval avoue franchement, dans ses mémoires, qu'il
y tira, à l'aide de sa bonne raine, quinze mille francs au moins
d'une jeune dame, épouse d'un riche fournisseur. A l'épo-
que de la guerre de la succession d'Espagne, en 1701, ayant
obtenu le régiment de Labourd, il se distingua à la cam-
pagne d'Italie. Catinat, Vendôme, le maréchal de Luxem»
bourg, et plus tard le prince Eugène, faisaient le plus grand
cas de sa valeur et de ses talents militaires, dont les plaines
de Fleurus, les remparts de Namur et Nervvinde avaient été
le théâtre. 11 contribua au succès de la bataille de Luzzara.
Le prince Eugène lui dit depuis que dans cette affaire il
lui avait arraché la victoire des mains.
Malheureusement pour le comte de Bonneval, sa langue
n'était pas moins tranchante que son épée : efle avait offensé
mortellement M""' de ]\Iaintenon et aussi le ministre Clia-
millard, qui le fit condamner par un conseil de guerre à
la peine capitale, comme traître et concussionnaire. Bon-
neval passa alors d'Italie en Allemagne, où il porta les ar-
mes contre la France, avec le giade de gcnéral-maior, dont
il était redevable à la protection du prince Eugène. Sous les
drapeaux impériaux , il porta le fer et la flamme en Pro-
vence et en Dauphiné, non conlent d'avoir, les années pré-
cédentes, versé le sang français en Italie. En 1703 on lui
438
BONNEVAL — BONNIVET
confia un corps de troupes rliargé de soutenir contre le
pape Clément XI les prétentions de l'arcliiduc Cliarles.
Il fit les campagnes de 1710, 17Hct 1712 sous le prince Eu-
gène. Après la paix d'Utredit, Cliarles VI le nomma, en
récompense de ses services, lieutenant général et membre du
conseil aulique. La guerre étant venue h éclater entre l'Au-
Iriche et la Turquie, le prince Eugène fut mis à la tétc de l'ar-
mée de Hongrie ; et c'est en partie à la valeur de Bonneval
qu'il dut le gain de la fameuse bataille de l'étcrwaradin,
où, le flanc ouvert d'un coup de lance, foulé aux jiieds des
cbevaux, on le vit tenir encore léte à l'ennemi avec dix des
siens, qui l'arrachèrent du milieu des janissaires. J.-B.
Rousseau , à ce sujet, a illustré son ami par une belle stro-
phe de son ode au prince Eugène. Lors de la paix de Ra-
stadt le prince Eugène fit annuler en Trance les procédures
instruites contre Bonneval , et obtint la restitution de ses
biens, dont son frère toutefois refusa de se dessaisir. Dès que
l'état de ses blessures le lui permit, Bonneval vint à Paris,
où il fut reçu avec une grande distinction.
Cependant les mobiles destinées du comte de Bonneval ne
pouvaient jamais se fixer; une circonstance légère les fit
changer encore tout à coup : un soir de juillet, la femme
du jeune roi d'Espagne s'était, dit-on, promeni'e en déshabillé
dans ses jardins avec deux de ses femmes, et, grand scan-
dale pour ces temps, s'était baignée dans une des pièces
d'eau de son palais. Le marquis de Prie, favori du prince
Eugène et vice-gouverneur des l'ays-Bas, sou éiiouse et ses
filles, interprétèrent, commentèrent même malicieusement
cette promenade nocturne d(! la jeune reine. En chevalier
français , Bonneval releva cet outrage fait , comme il le
dit, à une princesse de France et à une reine d'Espagne. De
là liaine mortelle entre le vice-gouverneur et le lieutenant
g€^néral. Un jour il envoya à Prie un défi, et se déchaîna en
injures de toute espèce contre la femme et les filles de celui
qu'il traitait de calomniateur. Une conduite si peu mesurée
déplut au prince Eugène, qui voulait qu'au moins on res-
pectât dans le gouverneur la dignité de sa place. Il priva
Bonneval de tous ses emplois. Cet homme indomptable, loin
de se soumettre à cet arrêt, qui eût été adouci, passa à La
Haye, et de là lança un cartel au prince Eugène. Cette har-
diesse, cet oubli des lois de la discipline et de la hiérarchie,
encore sans exemple en Allemagne, soulevèrent l'indignation
de la cour de Vienne, et le perdirent sans retour. Conduit au
Spielberg, un conseil de guerre le condamna à la peine de
mort, qui fut commuée par l'empereur en une année de dé-
tention dans la forteresse. Sa peine expirée, il fut conduit à
la frontière, et on lui enjoignit de ne jamais reparaître sur
le territoire de l'Empire.
Pour rompre àjamais avec les princes chrétiens, deVeuisc,
où il s'était enfui, il passa en Turquie, où il embrassa la re-
ligion de Mahomet, en 1720. La circoncision, qu'il subit des
mains d'un iman, lui valutunefièvre de vingt-quatre heures,
et, bien contre son gré, la visite et les compliments des hauts
dignitaires de l'empire ; son nom dès lors lut Ac/imct-Pcclu/.
Bien vu dn sultan Mahmoud, il fut investi par lui de plu-
sieurs dignités. ■■ Admis aux pieds de sa llautesse, elle me
dit, écrit Bonneval, qu'elle ne doutait pn.s qve je ne lui
fusse aussi fidèle que je l'avais été partout ailleurs. J'en
fis serment. Quand je l'eus fait, un des secrétaires d'État
mereinitune patente :eliemedéclaraitpachaàtroisqueues. »
Peu de temps après, il fut créé topigi-bachi, c'est-à-dire gé-
néral de l'artillerie. H avait di'-jà formé à l'européenne ce
corps indiscipliné jusque alors. 11 lui apprit à pointer les piè-
ces, à se servir des bombes avec plus de succès ; il enseigna
à la cavalerie turque à se ranger en escadrons; enfin il
commença ce que de nos jours le sultan Mahmoud et
Ibrahim ont en partie achevé. Dans la guerre contre les Mos-
covites, on lui confia un corps de vingt mille honunes; dans
celle contre les Persans, il remporta des avantages .sur Tha-
inaps-Kouli-Kan. Il eut le titre de bégicr-bey. Enfin ayant
])prdu de sa faveur, il fut relégué dans un pacbalick , aux
extrémités de la mer Noire, vers les confins de la petite
Tatarie. Vieux, les souvenirs de la France le tourmen-
taient. Il méditait encore une fuite, quand la mort le sur-
prit, le 22 mars 1747, à l'ûge de soixante-douze ans. Son
fils naturel, Soliman-Aga, auparavant comte de La Tour,
lui succéda dans la place de topigi-bachi.
Bonneval a laissé des mémoires. On y volt un homme
bouillant, fier, d'un caractère inquiet, inconstant, contemp-
teur de l'ordre social, et d'une morale relâchée. Les cir-
constances seules où le jeta son àme de feu atténuent sa con-
duite, quoique cependant il y eût au fond de son creur une
moquerie naturelledes choses les plus respectables de la vie ;
ce qu'on ne saurait lui refuser, c'est une valeur à toute
épreuve, un esprit vif, de la fierté, et un fonds d'honneur
français qu'il ne cessa jamais de porter au sein des cours
étrangères qui payaient son épée. A Péra, dans un cime-
tière de derviches, non loin du palais de l'ambassade de Suède,
on lit encore sur son tombeau cette belle inscription turque :
Dieu est permanent , que Dieu, glorieîix et grand au-
près des vrais croyants, donne paix au déjunt Ac/imct-
Pac/ia , chef des bombardiers. L'an de Vkéyire llco
( 1747 ). DEN>-E-BAnoN.
BONNE VILLE (Nicolas de), publiciste français, na-
quit à Évreux, le 13 mars 1760,et vint à Paris pour y faire ses
études. D'un caractère inconstant , il aborda tour à tour
toutes les branches du savoir. Quelques poésies qu'il publia
dans sa jeunesse ne sont que des effusions d'ime imagina-
tion mal réglée. Mais bientôt il se consacra tout entier à
l'étude des langues et des littératures étrangères, et cela dans
un moment où ce genre de connaissances était encore fort
peu répandu en France. Comme fruit de ses études , il fit
paraître, en collaboration avec l'Allemand Friedel, le Aou-
veau Théâtre Allemand ( 12 vol., Paris, 1782-1785). Ce re-
cueil ayant été reçu favorablement du public, il entreprit de
publier un choix de romans allemands, et le dédia à la reine.
Conjointement avec Letourneur, il pii!)lia ensuite une tra-
duction de Shakespeare, qui n'est pas sans mérite.
En 1780 il fit un voyage en Angleterre, et s'y prit d'un
vif intérêt pour la politique. Au commencement de la ré-
volution , il fonda, avec l'abbé Fauchet, le Cercle social,
et publia successivement le Tribun du Peuple et la Bouche
de Fer. Toute son ambition tendait à devenir membre de
l'Assemblée nationale ; mais, ne pouvant y arriver, il dut en-
fermer son activité dans les bornes du journalisme. Il y dé-
ploya une grande libéralité d'opinions, et se prononça éncr-
giquement contre toutes les mesures violentes. Ces senti-
ments de modération le rendirent suspect aux hommes qui
étaient alors à la tête des affaires. Lors de la chute des gi-
rondins, il fut arrêté, et ne sortit de prison qu'à la suite
du 9 thermidor. 11 reprit alors la plume ; mais ses opinions
s'étaient sensiblement modifiées, et le 1 8 brumaire nele trouva
pas dans les rangs de l'opposition. Sous TEmpiie, il fut de
nouveau incarcéré pour avoir comparé Napoléon à Cromvvell,
et resta jusqu'en 1814 sous la surveillance de la police.
Plus tard , il se fit bouquiniste à Paris, rue des Grès , et y
mourut, pauvre et obscur, le 9 novembre 1823. Outre ses
traductions, on a de lui une Histoire de l'Europe moderne
(3 vol., Genève, 1789-92), et un petit écrit portant pour
titre : De l'Esprit des Religions (Paris, 1791 ).
BOAWIVET (GuiLLALJiE GOUFFIER , seigneur de),
était fils de Guillaume Gouflierde Boisy et de Philippine de
Montmorency. Frère cadet de Boisy, gouverneur de Iran-
çois 1"^, élevé avec ce prince, il gagna son affection, par son
caractère ferme et décidé, la vivacité de son esprit, les grâces
de sa liguie et les agréments de sa conversation. Il se signala
de bonne heure par sa bravoure, et se fit remarquer au siège
de Gênes, sous Louis XII, en i:)07, et à la journée des Epe-
rons, en lois. A la bataille de Marignan ( 1515) il déploya
ime im|)rudente téméiité. Il n'était encore que favori du roi
BONNIYET — BONOSE
439
lorsqu'on 1510 la dignité d'amiral devint vacante. Le roi
confiiUa ie chancelier sur le choix qu'il devait faire. Duprat
fut assez bon courtisan pour proposer Bonnivet. Le roi, qui
ne cherchait qu'un suffrage dont il put autoriser son incli-
nation secrète, se hâta de le non)nier, et Bonnivet sut que
le chancelier l'avait proposé. Ce fut encore par le conseil
de Duprat qu'en 1518 Bonnivet fut nommé à une ambassade
extraordinaire en Angleterre pour obtenir du roi Henri YIII
la restitution de Tournay. Tout dépendait du cardinal Wol-
sey ; on le gagna , et la négociation réussit sans que Bonni-
vet eût besoin de déployer de grands talents diplomatiques.
Lorsqu'en 1519, après la mort de Maximilien, François F""
se mit sur les rangs pour obtenir la couronne impériale
d'Allemagne, il envoya Bonnivet soutenir ses prétentions
auprès des électeurs ; il avait choisi par inclination ce bril-
lant, vif et présomptueux courtisan, et il croyait l'avoir
choisi par raison; il espérait qu'il réussirait en Allemagne
comme il avait réussi en Angleterre; il comptait d'ailleurs
sur les talents de d'Orval , qu'il donna pour adjoint à Bon-
nivet, et sur la connaissance que Fleuranges, autre adjoint de
Bonnivet, avait des affaires de l'Allemagne, dont les États
de Robert de la Marck , son père, étaient voisins ; il comp-
tait enfin sur l'argent, et il donna quatre cent mille écus à
Bonnivet pour les distribuer aux électeurs. Peut-être l'ami-
ral eùt-il assuré à son maître tous les suffrages, s'il avait su
distribuer l'argent avec prudence , au lieu de le prodiguer
avec un éclat indiscret, et si François F"' lui-même n'eiU
coumiis plusieurs fautes irréparables. Bonnivet flatta long-
temps le roi du succès; mais à la nouvelle de l'élection de
Charles-Quint, il sortit du château qui lui servait d'asile
aux environs de Francfort, et s'enfuit plein de honte à Co-
blentz. Il reprit ensuite la route de France; mais il ne parut
à la cour que plus de deux mois après, étant resté en Lor-
raine à prendre les eaux de Plombières. Lorsqu'il revint au-
près du roi, il n'en fut pas moins bien accueilli, et con-
serva toute sa faveur. Mais, pour cela, il lui fallut se rendre
esclave de la duchesse d'Angoulême, mère de François ^^
Eu 1521 il reçut le conmiandement de l'armée de Guienne,
qui devait réparer les fautes et les malheurs de Lesparrc
dans la guerre d'Espagne. Bonnivet obtint tout d'abord des
succès en Navarre, et s'empara de Fontarabie. Des confé-
rences s'ouvrirent pour la paix. Plusieurs historiens ont ac-
cusé Bonnivet d'avoir seul empêché la lin des hostilités ; sans
doute par sa présomption il put contribuer à la résolution
prise de continuer la guerre, mais il ne faut pas oublier que
les plénipotentiaires français eux-mêmes dissuadèrent leur
roi d'accepter les conditions qu'on lui offrait.
Bonnivet et le duc de Bourbon se baissaient. Voici à ce
sujet une anecdote que fournit un manuscrit de la Biblio-
thèque Impériale. « .... L'autre chose qui déplut au roi et
qui toucha le favori, c'est qu'étant à Bonnivet, dont l'ami-
ral portoit le nom , qui est une maison que le roi faisoit ma-
gniliquement bâtir, et le connétable s'y étant rencontré, le
roi lui demanda ce qu'il lui sembloit de ce bâtiment ; il lui
répondit qu'il le trouvoit fort superbe, mais que la cage
éloit trop belle et trop grande pour l'oiseau ; ce qui piqua le
roi, qui lui dit qu'il lui poiloit envie; à quoi il répondit qu'il
n'en pouvoit avoir pour des gens dont les pères avoient été
bien heureux d'être écuyers de sa maison ; ce qui éloit vrai,
car celle de Gouffier étoit originaire du duché de Bourbon-
nois. i> Blessé dans son orgueil, Bonnivet excita et servit l'a-
nimosité de la duchesse d'Angoulême contre le connétable
de Bourbon. Bonnivet eut le commandement de l'armée
d'Italie : en 1523, il pénétra dans le Milanais, mais il fit
plus d'une faute dans cette campagne. Bientôt le Milanais
fut entièrement évacué. En 1524 François 1" reconquit en
personne ce pays. Bonnivet fut cause de la bataille de Pa-
vie. Quand elle fut perdue (24 février 1525), l'amiral,
voyant l'inutilité de ses efforts pour arracher son maître aux
périls qni l'environnaient, leva la visière de son casque, et,
jetant un triste regard sur le champ de bataille : « Non ,
s'écria-t-il , je ne puis survivre à un pareil désastre I » Et il
courut se précipiter au milieu des ennemis. Il y trouva la
mort. Le connétable de Bourbon, alors au service de Charles-
Quint , apercevant le cadavre de son ennemi , s'écria : « Ah !
malheureux ! tu es cause de la perte de la France et de la
mienne! »
Jamais homme , selon Brantôme , ne fut plus aildacicux
dans ses galanteries que Bonnivet. Si l'on en croit cet écri-
vain , la comtesse de Chàteaubriant , maîtresse du roi , ai-
mait l'amiral ; et le roi l'ayant un jour surpris chez elle,
Bonnivet n'eut que le temps de se cacher sous des feuillages
qu'on mettait alors en été dans les cheminées des apparte-
ments. Le roi eut ou feignit un besoin, et, ne voulant pas
sortir, il alla dans la clieminée, où les feuilles cachèrent
bien Bonnivet, mais le garantirent mal. Le roi paraissait
quelquefois jaloux de son fiivori , et la comtesse , pour le
tromper, gratifiait Bonnivet de nombreux ridicules : // est
bon , disait-elle, le sire de Bonnivet, qui pense estre beau !
et tant plus je lui dis qu'il l'est, tant plus il le croit. Je
me moque de lui, et J'en passe mon temps; car il est fort
plaisant et dit de très-bons mots, si bien qu'on nesaicroH
s'en garder de rire quand on est près de lui, tant il ren-
contre bien. Il n'y avait pas trop là de quoi rassurer le
roi. Ce Bonnivet qui se croyait si beau l'était effective-
ment; il était déplus spirituel, plaisant, audacieux, et pou-
vait être réellement à craindre. Il avait même porté ses vues
plus haut : il aimait Marguerite, reine de Navarre, duchesse
d'Alençon, sœur du roi; il le lui avait dit, et n'avait pu lui
plaire. Le monarque , dit-on , savait cette inclination, et ne
s'en offensait point. Le favori, recevant François V^ et toute
sa cour dans son château de Bonnivet , osa s'introduire pen-
dant la nuit par une trappe dans la chambre de la duchesse
d'Alençon , ({ui se défendit avec tant de courage et fut défen-
due si à propos par sa dame d'honneur, que Bonnivet n'eut
d'autre ressource que de s'enfuir. La duchesse, indignée, vou-
lait dire tout au roi et faire punir Bonnivet; mais la dame
d'honneur fut d'un avis contraire , et la duchesse se rendit à
ses raisons. Bonnivet portait sur son visage des témoignages
sanglants de la résistance qu'il avait éprouvée; il n'y avait
pas moyen de paraître en cet état devant le roi, encore
moins devant la duchesse. Il (it dire au roi le lendemain qu'il
avait été malade toute la nuit , qu'il l'était encore, qu'il ne
pouvait même soutenir la lumière ni entendre parler. Le roi
voulut l'aller voir; on lui dit que Bonnivet commençait à
reposer; il ne voulut pas l'éveiller, et partit sans l'avoir vu.
Lorsque Bonnivet put se montrer , lorsque le temps et la
continuation des bontés du roi l'eurent assuré du silence in-
dulgent de la duchesse, il reparut à la cour; mais toute
son audace ne pouvait l'empêcher de rougir et de perdre
contenance quand un regard de la duchesse d'Alençon ve-
nait à tomber sur iui. On conserve à la Bibliothèque Impé-
riale un recueil manuscrit •'n deux volumes in-Iolio de
Lettres de l'amiral Bonnivet , ambassadeur extraordi-
naire en Anrjleterre en 1519. Auguste Savagner.
BOA'OSE, lieutenant de Probusdans les Gaules, com-
mandait la Uottille romaine du Rhin. Les Germains l'ayant
incendiée, Bonose, pour se soustraire aux suites de sa né-
gligence, se révolta, et se fit proclamer césar. Probus le bat-
tit, et le força à se réfugier à Colonia-Agrippina (Cologne),
où il se pendit de désespoir, vers l'an 280 de J.-C. On rap-
porte que Probus, en voyant son cadavre, s'écria : « Ce
n'est point un homme pendu, c'est une bouteille » ; voulant
faire allusion par là au penchant bien connu de Bonose pour
le vin , qu'Aurélien avait déjà qualifié, en disant de lui, par
une espèce de jeu de mots : IS'on ut vivat natus est, sed
ut bibat.
BOi\OSE , capitaine romain, connu depuis dans la légende
sous le nom de saint Bonose , était avec Maximilien chef du
coips dit des Vieux HercuUens, et fut condamné à être dé-
440
BONOSE -~
capité par ordre de l'empereur Julien, sous prétexte de rébel-
f'on , mais en effet pour n'avoir pas voulu ôter du labarum
Va croix que Constantin y avait fait peindre.
BOIVOSE, évêque de Macédoine au quatrième siècle,
qui attaquait , comme Jovinien , la virginité de la Vierge, et
qui prétendait qu'elle avait eu d'autres enfants après Jésus-
Christ, dont il niait la divinité , à l'instar de Piiotin, fut con-
damné par le concile de Capoue, assemblé, sous le ponti-
ficat du pape Gélasc, pour éteindre le schisme d'Antioche.
Il avait donné son nom h la secte des bonosiaques , ou bo-
nosiens , qui succéda à celle des photiniens.
BONPLAND (Aimé), naturaliste célèbre, correspon-
dant de l'Académie des Sciences, naquit vers 1772, à La Ro-
chelle, d'une famille qui a produit des médecins et des
magistrats estimés. En 179'J,en qualité d'élève de l'École
de Pharmacie et du Jardin des Plantes, il suivit Alexandre
de Humboldt en Amérique, où il recueillit plus de six mille
plantes nouvelles. A son retour, en 1804, il fut nommé par
l'impératrice Joséphine directeur des jardins de Navarre et
de la Malmaison, qu'il a décrits dans son ouvrage sur les
plantes qu'on y cuti ive {Paris, 1813-1817 ). En môme temps
que ce magnifique ouvrage, il en publia deux autres, fruits
de ses voyages, les Plantes équinoxiales, recueillies au
Mexique, eic. (2 vol., Paris, i?,0S-iii6),eth Monographie
des iiyé/rt.v/omf'es, etc. (2 vol., Paris, 1809-1816, avec220 plan-
ches). En 1818 il partit pour Buénos-Ayres avec le titre
de piofesseur d'histoire naturelle. Le r"" octobre 1820 il
s'embarquait sur le Parana pour entreprendre un voyage
d'exploration dans l'intérieur du Paraguay. Après avoir
étudié à fond dans ce pays la culture et la fabrication du
mathé ou thé paraguésien , qui forme sa principale richesse,
il en établit en face, à Santa-Anna, sur la rive orientale de Pa-
raguay, une plantation considérable. Le dictateur suprême
perpétuel Francia crut voir dans cette conduite une infrac-
tion au monopole qu'il s'arrogeait et une violation de la re-
connaissance due à l'hospitalité qu'il avait accordée à notre
compatriote ; et un jour, en 1 82 1 , un détachement de huit cents
soldats envahit le territoire de Buénos-Ayres, ruina la plan-
tation de thé de Bonpland, emmena prisonniers les Indiens
qu'il avait attirés dans ce village, et l'enleva lui-môme. Francia
l'envoya d'abord dans un fort comme médecin de la garnison,
et le chargea plus tard de construire une route de commerce,
en lui laissant la liberté de poursuivre dans un cercle borné
ses rechenehes botaniques et d'enrichir ses collections.
En vain Alexandre de Humboldt, appuyé par Canning et
par le résident anglais à Buénos-Ayres, réclama-t-il la mise
en liberté de son ami , Francia ne voulut point le laisser
partir. Cependant, au mois de novembre 1829, quelque temps
avant la mort du dictateur suprême perpétuel, Bonpland put
enfin retourner à Buénos-Ayres. En 1832 il écrivait à M. de
Humboldt qu'il n'attendait plus que l'arrivée de ses collec-
tions pour revenir en Europe; mais il changea d'avis, et
retourna dans le Paraguay. A la fin de 1840 il écrivait de
nouveau de Montevideo qu'il espérait pouvoir continuer ses
recherches sur une plus large échelle maintenant que
Francia n'était plus, et qu'il avait pris toutes ses mesures
pour que, en cas de mort, son herbier et ses manus-
crits fussent envoyés en Europe. Vivant à San-Borja de
l'Uruguay, à Corrientès ou à Montevideo , il est vraisem-
blable que le long séjour qu'il a fait dans ces contrées, les
intérêts qu'il a su s'y créer, et peut-être aussi son mariage
avec une Indienne , lui ont ôlé l'idée de revenir en Europe.
Kunth a publié dans les Nova Gênera et Species Plantarum
(Paris, 1815-23) les remarques de Bonpland sur l'herbier
recueilli dans son premier voyage avec M. de Humboldt.
En 1851 Bonpland a été décoré par le roi de Prusse de
l'ordre de l'Aigle louge de troisième classe.
BONPLANDIA. Voyez Ccspauia.
BOI\S DUTBÉSOU. Appelés d'abord bons royaux,
ces bons Huent créés par la loi des finances du 4 août 1824,
BONS-HOMMES
portant fixation du budget pour l'année 1825. L'article 6 de
cette loi autorisa le ministre des finances à créer pour le ser-
vice do la trésorerie et ses négociations avec la Banque de
France des bons portant intérêt et payables à échéance fixe.
Le but de cette institution fut d'abord de venir en aide aux
opérations de la trésorerie , soit en devançant les rentrées
parfois tardives de l'impôt, soit en comblant les déficits que
les excédants imprévus des dépenses sur les recettes peu-
vent occasionner. Mais, comme il arrive toujours, ce pre-
mier objet a été dépassé , et la faculté donnée au gouverne-
ment d'émettre des bons du trésor par ordonnance toutes
les fois que cela serait nécessaire, fit prendre à cet expédient
financier de considérables proportions. Fixée à un maxi-
mum de 140 millions, par la loi de 1824, l'émission de ces
bons fut portée à 200 millions en 1831, et à 250 millions
l'année suivante. La loi des financesde l'exercice 1853 limite
à 150 millions la valeur totale des bons du trésor. Mais elle
ne comprend dans cette limite ni certains bons délivrés à
la caisse d'amortissement , ni les bons déposés en garantie
à la Banque de France et aux comptoirs d'escompte, ni les
bons qu'il serait nécessaire de créer pour l'exécution du dé-
cret du 14 mars 1852 concernant la conversion des rentes.
Après la révolution de Février les bons du trésor mon-
taient à une somme de 274,533,900 fr., lorsque, le 16 mars
1848, le gouvernement provisoire s'avisa d'en proroger
l'échéance à six mois au delà de leur date.
Dans le compte de l'administration des finances de 1851
le total des bons du trésor, en y comprenant ceux qui avaient
été réunis à la Banque de France, s'élevait à 127,195,993 fr.
52 centimes.
Ces obligations font partie de la dette flottante. L'escompte
en est fait soit par la Banque, soit par la caisse des depuis
et consignations. On les négocie aussi à la Bourse, où ils sont
très-recherchés. Ces bons offrent, du reste, de très-grands
rapports avec les bons anglais de l'Échiquier, à l'imita-
tion desquels ils ont été créés.
BON SEINS. Voyez Sens (Bon).
BONS-FIEUX ou BONS-FILS, anciens frères pénitents
du tiers ordre de Saint-François, dont l'origine remontait à
l'année 1615. A cette époque, cinq artisans fort pieux de ia
petite ville d'Armentières , en Flandre , n'ayant pu être reçus
chez les capucins, formèrent une petite communauté, qui
subsista ainsi jusqu'à 1626; ayant pris alors la règle du
tiers ordre de Saint-François , ils se soumirent au provin-
cial des récollets de la province de Saint- André et au direc-
teur du tiers ordre du couvent d'Arras, puis, en 1670, aux
évoques des lieux où leurs maisons étaient situées. Elles
étaient gouvernées par un supérieur, un vicaire et trois con-
seillers. Les bons-fieux, dit le père Hélyot, ne portaient point
de linge et couchaient tout habillés sur des paillasses.
BOIVS- HOMMES, religieux établis l'an 1259 en An-
gleterre, par le prince Edmond; ils professaient la règle de
Saint-Augustin , et portaient un costume bleu. On donna en
France ce nom aux minimes , à cause du nom de bon
homme, que Louis XI avait coutume de donner à saint
François de Paule, leur fondateur. Les six premiers qu'il
envoya à Paris furent adressés à Jean Quentin, péniten-
cier de cette ville , qui refusa de les recevoir, et les traita
durement. Quelque temps après, le pénitencier revint de ses
préventions contre ces moines , les admit dans sa maison, et
les y garda jusqu'en 1493 , époque oh Jean Morbier, sei-
gneur de Villiers, leur fit don d'une vieille tour près de Ni-
geon. Anne de Bretagne, plus libérale, leur céda son ma-
noir, situé sur les penchants du coteau de Nigeon et de
Chaillot, à l'extrémité du village de ce dernier nom, d'où
ils retinrent celui de minimes de Chaillot ou Bons-
hoiiwies. Elle joignit à cette donation un hôtel contigu ,
qu'elle acheta en 1400, et qui était contenu dans un enclos
de sept arpents , où se trouvait une chapelle de Kotre-Daïue
de toutes grâces. Cette chapelle servit à ces nouveaux
BONS-HOMMES — BONTE
441
moines , en attendant qu'ils eussent une église plus grande,
dont la construction fut commencée du vivant de cette reine,
qui en posa la première pierre. Elle ne fut terminée qu'en 1578.
Le couvent, supprimé en 1790, a, en partie, été remplacé
par un chemin qui adoucit la pente de la montagne dite des
Bons-hommes , et par de nombreuses habitations particu-
lières.
BOIXSTETTEIV (Charles-Victor de), écrivain re-
nommé, né le 3 septembre 1745, à Berne, où son père
remplissait l'emploi de trésorier. Bonstetten reçut sa pre-
mière instruction à Yverdun et à Genève, où il puisa dans
la société de Stanhope , Voltaire , Saussure et Bonnet , le
goût des recherches psychologiques. Après avoir achevé ses
études à Leyde, à Cambridge et à Paris, il partit pour l'I-
talie, qu'il visita depuis à plusieurs reprises. Nommé en 1775
membre du grand conseil de Berne, puis landvoigt de
Sarnen et en 1787 de Nyon, il fut placé ensuite à Lugano
comme grand-juge, bien que sa vie dissipée le rendît peu
propre aux affaires. Matthisson, Salis, Frédérique Brun et
Jean de IM'iller Aivaient avec lui. C'est à cette période de sa
vie qu'appartiennent ses Lettres sur le pays des pâtres
suisses (Bàle, 17S2). Fuyant devant les troubles de sa pa-
trie, il se relira, en 1796, en Italie, d'où, sur l'invitation de
son amie Frédérique Brun , il se rendit à Copenhague. Pen-
dant son séjour dans cette dernière ville, il publia ses Opus-
cules, qui offrent beaucoup d'intérêt sous plusieurs rapports.
A son retour en Suisse, en 1802, il se fixa à Genève. La môme
année il (it imprimer à Zurich les résultats de ses recher-
ches sur Tnistruction populaire. Un nouveau voyage qu'il
fit en Italie l'engagea dans des investigations topographiques
sur la stérilité croissante de la campagne de Rome par suite
du manque de culture et de la propagation du mauvais air,
investigations dont il a consigné les résultats dans son
Voyage sur la scène des derniers livres de l'Enéide, suivi
de quelques observations sur le Latium moderne (Ge-
nève, 1813 ). Ses Recherches sur la nature et les lois de
l'imagination (Genève, 1807) ont été inspirées en partie
par les ouvrages de Muratori et de Bettinelli sur le même
sujet. Dans ses Pensées sur divers objets du bien public
(1815), dans ses Études de l'Homme ou recherches sur
les/acuités desentir et de penser ( 1821 ) et dans L'homme
du Midi et l'homme du Nord ( 1824), Bonstetten a su mettre
à la portée du peuple les enseignements de la philosophie
pratique. Cet aimable vieillard mourut à Genève, le 3 fé-
vrier 1832. Une imagination vive et mobile et une grande
bienveillance formaient les traits distinctifs de son caractère.
Ses Lettres à Matthisson de 1795 à 1827 ont été publiées
par Fùssli (Zurich, 1827); ei sts, Lettres à Frédérique
Brun , qui peignent si bien la gaieté de son esprit, l'ont été
par Matthisson (Francfort, 1829).
BOiXTÉ. La bonté , dans le sens le plus général du
mot, est ce noble sentiment de l'âme qui la dispose à vou-
loir et à faire le bien de tous les êtres sensibles qui sont
en rapport avec elle. Ce brillant attribut du monde moral
se révèle à nous de deux manières. L'homme nous l'offre
d'abord , et quoique le cœur humain soit envahi par une
foule d'autres sentiments qui en ferment souvent l'accès à
celui-là, on peut l'y contempler néanmoins, et avec une
admiration d'autant plus vive qu'on le rencontre rarement,
et que c'est par lui que l'homme semble le plus s'approcher
de son Créateur et refléter quelque chose de la divinité.
Nous pouvons aussi l'envisager dans l'auteur de la nature,
et là il nous apparaît sur une échelle infiniment plus vaste,
bien que nous n'ayons dans ce cas que l'induction pour
l'atteindre , et bien que l'homme lui-même, par l'injurieuse
expression de ses doutes et par d'ingénieux sophismes, ait
essayé d'en obscurcir r('clat.
La bonté , considérée dans l'homme, résume toutes les
affections bienveillantes, ou, pour mieux dire, chacune de
ces affections n'est autre que la bonté elle-même, qui se
DICT. DE LA COKVtKS. — T 111.
déploie dans des circonstances différentes, et qui prend
alors un nom particulier, selon la circonstance particulier*
où elle manifeste son action. Pour faire le bien, dans la vé-
ritable acception du mot, il faut deux choses : vouloir le
faire et en avoir la puissance. Mais il est malheureusement
trop vrai que ces deux conditions se trouvent bien rarement
réunies dans le même individu , et , par une sorte de fa-
talité , il semble au contraire que dans l'état réel de la
société elles sont presque incompatibles, et que ceux qui
auraient le pouvoir de faire le bien laissent à ceux à qui
ce pouvoir manque le soin dé le vouloir. Quand la bouté
est bornée à ce rôle, qui est néanmoins l'essentiel, elle prend
le nom de bienveillance. Dans ce cas, la bonté fait
encore tout le bien qu'il lui est possible d'accomplir dans
les limites qui lui sont assignées. Ainsi , elle témoigne vive-
ment tout le désir qu'elle ressent d'être utile, elle est affec-
tueuse, et s'abstient de toute parole et de toute action qui
pourrait blesser le plus légèrement autrui.
Les maux qui affligent l'espèce humaine sont de deux
sortes : les souffrances physiques et les peines morales. La
bonté essaye également de soulager les unes et les autres ;
car c'est faire le bien que de combattre le mal. IMais comme
les peines morales lui offrent moins de prise, et qu'elle ne
peut que donner quelques consolations, qui sont souvent
inutiles, c'est surtout aux souffrances physiques qu'elle s'a-
dresse, parce que la nature offre plus de ressources pour les
vaincre ou les alléger. La bonté a reçu alors le beau nom
A' humanité. Les vues de l'humanité peuvent être plus
ou moins étendues, selon la portée d'esprit de l'individu
que meut ce noble sentiment. Quand elle ne se borne pas
à venir au secours des maux dont elle est témoin, et qu'elle
embrasse dans son zèle toute l'espèce humaine, dont le
malheur est le partage, on l'appelle/) /iiZan^ A ropie. Le
christianisme avait déjà désigné ce sentiment sublime par
le mot charité, qui dans sa primitive acception a été
remplacé par les mots humanité, philanthropie, pour les
motifs que nous allons indiquer. La religion, œuvre de sen-
timent plutôt que de raison et de calcul , avait admirable-
ment réussi à enflammer riiomme de l'amour de ses sem-
blables, et à transformer le penchant qu'il a à faire le bien
en un sentiment brûlant qui le portait aux actes les plus
sublimes de dévouement et d'humanité. Mais comme les
intérêts de la vie future étaient plus sacrés aux yeux des
clirétiens que ceux de la vie terrestre, ceux-ci furent bienr
tôt sacrifiés aux autres, et la charité finit par s'occuper
beaucoup plus du soin de sauver les âmes que d'apporter
du soulagement aux souffrances de la condition humaine.
Aussi le mot charité ainsi compris et appliqué dut perdre
de sa vogue et s'oublier, pour ainsi dire, du jour où
l'on comprit que les maux physiques et les intérêts ma-
tériels n'étaient nullement à dédaigner, que le malheur
abrutit l'homme, et que ses intérêts moraux ne sont jamais
mieux garantis et ne peuvent l'être que lorsqu'il est affran-
chi de ses misères corporelles. C'est donc à leur soulage-
ment que la philosophie dut s'appliquer d'abord. C'est pour
cette raison qu'elle a rayé le mot charité, qui avait fait son
temps, ou du moins n'était plus bien compris, pour le rem-
placer par les mots humanité, philanthropie, qui sont moins
larges peut-être, mais qui indiquent mieux le but immédiat
que doit maintenant se proposer l'homme sur la terre.
La bonté, considérée sous ce rapport, peut jouer deux
rôles différents; elle peut ne se produire qu'à l'état de
sentiment et demeurer passive : alors elle devient com-
passion, sympathie bienveillante; ou bien elle se
produit au dehors et passe à l'clat actif : dans ce cas , on
l'appelle bien/aisance. S'il s'agit pour elle, non plus
d'accorder des bienfaits et de venir directement au secours
des malheureux, mais seulement de rendre des services qui
n'exigent point de sacrifices matériels de la part de celui
qui les rend, elle prend le nom (^'obligeance. Le bien
56
412
BONTE
(inVlle fait alors n'est pr.s aiissi méritoire ; il a néanmoins
pon prix quand il a sa source dans un sentiment de bien-
veillance et dans une intention droite et désintéressée. Mais
((iiand la bienfaisance est libérale dans ses dons et prodi-
gne de sacrifices, elle revêt un caractère plus élevé encore,
et devient de la générosité.
Il y a une autre espèce de sacrifices qui rend le rOle de la
!)onté plus éclatant et plus sublime encore : c'est lorsqu'il
s'agit, non plus de se priver de quelques avantages matériels
pour les reporter sur ceux qui en ont besoin , mais de sa-
crifier son ressentiment ou sou indignation pour n'écouter que
la voix de la pitié ot de la miséricorde envers ceux dont on a
reçu quelque offense et sur lesquels on pourrait exercer de
justes représailles : la bouté s'appelle alors clémence,
grandeur d'âme; on lui donne aussi dans ce cas le
nom de générosité.
On nous reprocbera peut-être de n'avoir pas , dans notre
définition, qualifié la bonté de vertu. Nous n'aurions pu
la qualifier ainsi sans rendre sa définition inexacte. La
bonté est bien une veitu dans certains cas, mais dans
d'autres aussi elle n'est qu'un sentiment , un pencbant de
l'âme que la nature a mis en nous, et qui nous dispose seu-
lement à faire le bien. Or, un pencbant naturel , quelque
favorable que soit son action, ne mérite pas le nom de
vertu, car il ne nous appartient pas en propre, il n'est point
notre fait, et ne doit être rapporté qu'à la nature. Pour
qu'il y ait vertu dans l'bomnie , il faut qu'il y ait acte ré-
flécbi, lutte, dévouement, sacrifice : c'est pourquoi la bonté
ne devient vertu que du moment où elle est active. Ainsi
h bienfaisance, la clémence, seront des vertus; la bien:-
veillance, la compassion, ne seront jamais que des senti-
ments, dont le mérite appartient uniquement à la nature
qui nous les inspire, dont la ])Ossession ne doit point nous
enorgueillir, et dont nous ne jiourrions étouffer la voix
sans nous rendre coupables. Que l'Iiomme ne s'arrête donc
pas à cette idée de bonté sentimentale qui est toute passive,
car il peut être bon sans être vertueux , et s'il n'est ver-
tueux il n'est rien. Qu'il se méfie de cette qualification de
bon cœur, qui n'implique pas l'idée d'acte, d'effort, de sa-
crifice, et qu'il croie bien n'avoir rien fait pour ses sem-
blables ni pour lui tant que sa bonté ne sera pas devenue
pratique..
Si nous considérons maintenant la bonté dans l'Être su-
prême , nous n'aurons plus à nous occuper de ce qu'elle
est en elle-même, nous ne la verrons que dans les faits que
l'observation nous révélera, car ce n'est que par les actes
nu moyen desquels elle se pioduit que nous pouvons l'at-
teindre, et c'est l'induction seule qui peut nous éclairer en
pareil cas. Si nous jetons les yeux sur la création animée et
.sensible, qui seule peut nous fournir les preuves de la
bonté divine , nous remarquons deux espèces d'êtres bien
distincts : les animaux j)rivés de liberté et de raison, et
l'homme. Comme la destinée des premiers ne s'étend pas
au delà du temps qu'ils passent sur la terre, la somme des
jilaisirs qui leur sont accordés devait dépasser de beaucoup
celle des maux qu'ils y rencontrent. C'est en effet ce que
l'observation nous atteste. En voyant de combien de parties
est composé l'animal le plus petit, combien semblent dé-
licats et compliqués les ressorts d'où dépend sa vie, en
voyant que cette machine si frêle résiste pendant de nom-
breuses années aux causes qui tendent à la détruire, on ne
peut s'empêcher de reconnaître une souveraine bonté pleine
«le sollicitude, sans cesse attentive à la conservation de
chaque être, qui a placé chaque espèce au milieu de tout
ce qui est nécessaire à ses besoins, et qui a attaché à la
satisfaction de ses besoins des jouissances qui sont pour la
I)lupart inutiles à leur conservation; car la nature aurait [ui
conserver les animaux par la seule crainte de la douleur :
file ne l'a pas fait ; elle a au contraire reudu leurs souf-
frances très-passagères, et écarté les maladies oui auia'cnt
rendu pénible le cours de leur existence; de plus, les souf-
frances auxquelles ils sont exposés sont probablement
beaucoup moindres qu'elles ne nous paraissent. Ainsi , on
cite le fait d'une araignée qui avait le corps traversé par
une épingle, et qui n'en savourait pas moins le plaisir de
sucer le sang d'un moucheron qu'on avait placé à sa portée.
S'il est vrai néanmoins qu'ils aient à souffrir quelquefois,
soit de la part des hommes , soit de la part des espèces
ennemies , ces moments de douleur sont compensés et au-
delà par les noiid)reux plaisirs dont ils jouissent pendant
presque toute la durée de leur vie. Sans regret du passé ,
sans intjuiétude de l'avenir, tout entics à goûter le présent,
les aliments dont ils se nourrissent, l'air qu'ils respirent,
la Iwnière qui les éclaire ou les échauffe de sa douce in-
fluence, tout les rend heureux, et ils attestent à chaque mo-
ment du jour, par leurs chants, leurs cris ou leurs mou-
vementr,, qu'ils sont dans un continuel état de bien-être,
dont ils ne doivent le sentiment qu'à la bienveillance de
l'auteur de la nature.
Assurément l'homme ne paraît pas aussi bien partagé, et
les chances de souffrances auxquelles il est exposé semblent
infiniment plus multipliées. On pourrait faire, et l'on a fait
de longues et tristes énumérations des maux qui pèsent sur
l'humanité. Sans vouloir en nier l'existence, nous essaye-
rons pourtant de montrer qu'ils ne sont pas sans compensa-
tion, et nous tâcherons surtout d'en fournir une explication
qui prouvera que, loin d'être un motif d'accusation envers
le Créateur, ils ne servent qu'à attester la sublimité et la
Iwenveillance de ses desseins vis-à-vis de l'homme. D'abord
il est certain que l'imagination et l'horreur que nous ins-
pire la pensée de la douleur nous ont (ait singulièrement exa-
gérer les misères qui affligent l'espèce humaine. Ces fléaux
si terribles dont on se plaint, ces grands désordres de la na-
ture, qui deviennent funestes à des populations entières ,
apparaissent très-rarement, relativement aux mômes indi-
vidus. Ils sont la plupart du temps l'effet de lois générales ,
utiles dans leur tendance ; enfin, ils aboutissent à la mort ;
et sans considérer ici si elle est un mal, ce sont des moyens
comme d'autres d'arriver à ce terme inévitable. On peut en
dire autant des maux causés par les maladies, par les bles-
sures accidentelles, qui sont beaucoup plus rares qu'on ne
pense, surtout pour un même individu, car on le regaMe
comme un état contre nature, c'est-à-dire comme un état
qui n'est point ordinaire ni habituel : de plus , la douleur
qui existe n'est pas aussi cruelle qu'elle le paraît. Dans la
plupart des maladies, surtout dans les maladies graves, le
patient ne sent point son état. On sait d'ailleurs, et plu-
sieurs faits me l'ont prouvé à moi-même, que l'inquiétude
causée par l'idée de la mort n'est jamais plus éloignée de l'i-
dée du malade que quand la mort le menace de plus près.
Il est des maux auxquels on s'habitue, et la plupart du temps
ils inspirent plus de pitié à ceux qui en sont témoins qu'ils
ne font éprouver de souffrance à celui qui les ressent. Les
douleurs trop vives amènent^presque toujours l'évanouisse-
ment, c'est-à-dire un état d'insensibilité complète. Enfin ,
dans ces moments cruels la nature ne s'est point montrée
sans compassion à notre égard , et elle a placé pour ainsi
dire le remède à côté du mal, en nous inspirant cette pitié
secourable qui nous porte comme malgré nous à soulager
les maux dont nous voyons nos semblables atteints.
Je ne parle pas ici des souffrances qui ne sont imputa-
bles qu'à l'homme, c'est-à-dire au mauvais usage qu'il fait
de sa raison et de sa liberté, et qui sont peut-être les pins
nombreuses. Nous y reviendrons tout à l'heure. Il n'est ques-
tion jusqu'à présent que de celles qu'il est hors do son pou-
voir d'éviter. Or, d'une part, elles ne sont pas si multipliées
ni si longues qu'on se [)laît à les présenter. D'une autre
part, pour l'homme qui descend de bonne foi en lui-même,
et qui observe atteiitivement l'état de sa sensibilité aux dif-
férents moments de son existence, il est à peu près cortaia
BONTE -
<Hic CCS maux sont bien compensés par les innombrables
jouissances dont notre cœur est susceptible, et qui s'y croi-
sent en tous sens et pour ainsi dire malgré nous à chaque
instant du jour. Ce qui a (ad dire à l'homme que dans cette
vie la somme du bien n'est pas égale à celle du mal, c'est,
je crois, parce qu'il perd facilement la mémoire des moments
lieureux , et qu'un seul jour de souffrance lui fait oublier
volontiers des années entières de bonheur. S'il était juste, il
avouerait que les plaisirs viennent de tous côtés au-devant
de lui et le cherchent en foule. Sans parler de ceux que la
nature a attachés à la satisfaction des besoins même les
plus grossiers, et qui par conséquent se reproduisent si sou-
vent pour lui , combien en est-il dont l'existence est tout
à fait inutile à sa conservation, et qui ne lui sont évidem-
ment accordés par le Créateur que dans le seul but de lui pro-
curer des jouissances? A quoi servent ces parfums que la
nature exhale autour de nous? A quoi sert cette harmonie
délicieuse dont nos oreilles sont charmées? Pourquoi ces
couleurs vives , ces formes suaves qui réjouissent nos re-
gards? Pourquoi ces arts qui servent à multiplier et à com-
biner à l'inflni les jouissances dont la nature nous fournit
les élémeuts? Il n'est point de facultés dont l'exercice régu-
lier ne soit accompagné d'un sentiment de plaisir : soit que
l'homme travaille à dompter les forces de la nature exté-
rieure et à les plier à son usage, soit qu'il exerce son esprit,
et qu'il l'élève à la contemplation ou à la recherche de la
vérité, soit qu'il règle sa conduite, et la dirige conformé-
ment aux lois du devoir, il n'est pas un seul de ces actes
qui n'ait son retentissement dans le cœur.
La mesure des biens dont il nous est donné de jouir me
paraît en vérité si large que, tout compte fait, et quand nous
ne serions pas destinés à franchir les limites de cette courte
existence, elle me semble dépasser de beaucoup celle des
maux auxquels notre position nous expose. Mais nous ne
devons point nous arrêter à ce calcul, et la considération
de la véritable destinée de l'homme nous fournit d'autres
moyens d'absoudre le Créateur. S'il est vrai que la raison
et la liberté soient les causes les plus fécondes des souf-
frances physiques et morales dont l'homme soit affligé, s'il
est vrai qu'il faille leur attribuer les tourments, l'inquiétude,
les regrets, les passions, les crimes, les vices et toutes leurs
tristes conséquences, il est vrai aussi que l'existence même
de ces nobles facultés atteste qu'elles n'ont point seule-
ment été accordées à l'homme comme un don funeste, mais
qu'elles ont un tout autre but, dont la contemplation nous
révèle la glorieuse destinée à laquelle nous sommes tous
appelés. Si l'on reconnaît la liberté dans l'homme, on doit
reconnaître aussi que celui qui en fait un bon usage, lors
même qu'il en souffrirait ici-bas, acquiert des droits incon-
testables à une récompense, et devient possesseur d'un
mérite dont rien ne saurait le dépouiller. Or,'comme il est
tout à fait déraisonnable de supposer qu'il y ait une rému-
nération suffisante pour l'homme vertueux dans quelques
moments imperceptibles de satisfaction intérieure, et dans
la perspective finale d'un tombeau et des vers qui doivent
l'y réduire en poussière, rien ne me semble mieux démon-
tré que l'insuffisance de cette vie pour récompenser celui
qui a sacrifié à l'accomplissement du devoir toutes les jouis-
sances de ce monde et quelquefois la vie elle-même.
Où nous conduit donc la connaissance de la liberté et du
mérite dans l'homme , si ce n'est à reconnaître aussi que
sa destinée n'est point complète ici-bas, et qu'il faut pour
qu'elle s'accomplisse admettre nécessairement une exis-
tence ultérieure, qui est le but définitif pour lequel il a été
réellement créé. Cela posé, sa condition présente devient
explicable, et les maux qu'elle entraîne avec elle ne doivent
plus nous apparaître que comme une préparation à des biens
véritables, et comme des échelons de sa grandeur future.
Et en effet pour que le bonheur fût mérité dans une autre
vie, il fallait que la vertu existât dans celle-ci; et pour
BONZES 443
qu'il y eût de la vertu , il fallait que nous dussions nous
soumettre à certaines lois, il fallait que nous eussions a
vaincre des obstacles pour nous y conformer; il fallait pour
que la justice s'exerçât, qu'il y eût des droits, qu'on pût res-
pecter ou fouler aux pieds ; il fallait pour la patience et la
résignation des maux cruels à supporter ; il fallait des dan-
gers à surmonter pour le courage, des peines à soulager
pour la bienfaisance, pour la reconnaissance des bienfaits
accordés, des injures à pardonner pour la clémence. Ainsi
tous ces désordres apparents du monde moral deviennent
autant d'occasions de vertus , et ici comme ailleurs le but
évident que s'est proposé l'auteur de notre être est encore
notre bonheur, mais un bonheur qui ne pouvait exister à
d'autres conditions, un bonheur au-dessus duquel il ne nous
est point possible d'en concevoir un autre, un hnnhem mérité.
On pourrait faiie contre la bonté divine une dernière ob-
jection , plus spécieuse que les autres, en disant que si la
liberté peut devenir l'occasion pour l'homme d'une félicité
sans bornes , elle peut par là même devenir aussi l'occasion
d'une chute terrible et de malheurs infinis, et que, mal'^ré
tout l'orgueil que doit nous inspirer une semblable préroga-
tive , l'homme y renoncerait volontiers , à la seule pensée
de l'abîme où elle pourrait l'entraîner. Ce qui fait la seule
force de cette objection , c'est la croyance à l'éternité des
peines. Sans vouloir discuter à fond une question de cette
nature, nous devons cependant nous expliquer à ce sujet
en peu de mots, et avouer que nous ne connaissons aucun
raisonnement solide sur lequel puisse reposer une pareille
croyance; qu'elle ne nous semble que l'effet des craintes
exagérées de l'imagination , et que nous la regardons plutôt
comme un outrage fait à la Divinité, dont la bienveillance
nous est démontrée par tant de preuves qu'il nous paraît
aussi déraisonnable qu'impie de supposer un instant dans
l'auteur des merveilles dé la création la pensée de vouer un
seul être à un malheur éternel. C.-M. Paife.
BON TON. Votjez Ton.
BONZES. Ce mot est le nom générique donné par les
Portugais aux prêtres du Japon , nom dont on ne connaît
pas l'origine, et qui sert aux Européens à désigner les mi-
nistres de la Chine, delà Cochiuchine et du Japon, sans
distinction des sectes nombreuses dans lesquelles ils se par-
tagent. Cette dénomination commune n'est cependant pas
sans fondement. Les bonzes , à quelque secte qu'ils appar-
tiennent, se rattachent tous à une religion dont le fondateur
est unique et dont les préceptes peuvent tous se ramènera
une môme source. Ce fondateur est Xaca, qui , selon plu-
sieurs historiens , appoila les dogmes de l'Egypte dans les
Indes , et leur donna une forme nouvelle, sous laquelle ils se
répandirent promptement dans la Chine, puis dans le Japon.
Ce Xaca, dont l'histoire fabuleuse a beaucoup de res-
semblance avec celle du fils de Marie, prêcha deux doctrines
distinctes, la doctrine extérieure et la doctrine intérieure.
Dans la doctiine extérieure, celle qu'on prêche publique-
ment , il reconnaît un Dieu en trois personnes , qui a établi
des récompenses pour la vertu et des châtiments pour le
vice. Il y est lui-môme présenté comme le sauveur des
hommes, né d'une femme vierge, et envoyé pour remettre
les mortels dans la voie du salut et expier leur péché, afin
qu'après leur mort ils pussent renaître heureusement. Pour
les rendre capables de profiter d'un si grand bienfait , il leur
a défendu : 1° de tuer aucune créature vivante; 2° de com-
mettre de vol ; 3° de se souiller d'aucun vice honteux ; 4° de
mentir; 5° de boire du vin. Il leur a encore donné d'au-
tres préceptes, qui roulent tous sur des œuvres de miséri-
corde, et dont le principal est d'avoir grand soin des mi-
nistres des dieux, et de leur bâtir des monastères et des
temples. Les bonzes ont ajouté à cela bien des pratiques
extérieures qui leur sont très-profitables, comme de se re-
vêtir en mourant de robes de papier et surtout de lettres de
change pour l'autre monde, sans lesquelles on neparvicn-
i)0.
l
4 1 I
<lrait jamais à l'élysée , mais on ne ferait que passer d'un
corps dans un autre. La doctrine intérieure, dont on ne fait
part qu'à un petit nombre de disciples , aux esprits forts ,
aux savants et aux plus grands seigneurs , et dans laquelle
fous les bonzes mêmes ne sont pas initiés, a pour fondement
un matérialisme giossier, et aboutit à un quiétisme absolu ,
sans espoir d'une autre vie.
Cette contradiction entre les deux doctrines ne peut guère
s'expliquer que par des altérations introduites dans le livre
vrai ou supposé de Xaca , altérations faciles à apporter, vu
que ce livre est composé de feuilles d'arbre , dont il se
servait , dit-on , faute de papier. Quoi qu'il en soit, ces
doctrines différentes ont donné lieu à différentes sectes , qui
tontes, quoique soumises à un même chef, sont irréconci-
liabiement ennemies les unes des autres. Il y en a quatre
principales : celle des Xenxiis, qui n'enseignent que la doc-
trine intérieure de Xaca. On appelle Xodoxius ceux de la
seconde , qui enseignent le dogme de l'immortalité de l'Ame,
et suivent à la lettre la doctrine extérieure. Ceux de la
troisième, qui sont les plus zélés partisans de Xaca, ont
pris le nom de Foquexus, de celui du Foquieho, qui est
le livre de leur prophète. On les dit fort austères : ils se lè-
vent à minuit pour chanter les louanges de leur dieu, et
pour méditer sur quelques points de morale. La quatrième
secte est plutôt une congrégation militaire. Les bonzes qui
la composent s'appellent Negores. On dit que l'Orient n'a
point de soldats mieux disciplinés ni plus aguerris. Ils habi-
tent à eux seuls des villes dont l'entrée est même interdite
aux femmes. Ces quatre sortes de bonzes sont les plus ré-
pandues. La plupart des autres ne fréquentent que les bois,
les déserts et les campagnes : les uns font profession de
magie; d'autres se livrent à une vie de contemplation et de
pénitence ; enfin un grand nombre forment une espèce d'or-
dre de mendiants qui se tiennent sur les routes et rançon-
nent les passants au moyen de quelques lignes du Foquieho,
qu'ils récitent à haute voix , et qu'on ne manque pas d'é-
couter avec respect et reconnaissance.
Quelle que soit la conviction intime des bonzes sur l'une
ou l'autre doctrine de Xaca, où l'on ne doit voir en défi-
nitive que les deux grands systèmes philosophiques qui se
partagent le monde, ils ont tous un extérieur très-austère,
et ont toujours de saintes et dignes paroles à la bouche. Ils
ont les cheveux et la barbe rasés, et, quelque temps qu'il
fasse , ne se couvrent jamais la tète. Ils donnent la plus
grande partie du jour à la prière , gardent en public le plus
profond silence, et paraissent toujours dans le recueillement.
Mais ce qui les caractérise presque tous, c'est leur insa-
tiable cupidité. Ils exploitent la superstition des croyants
en leur vendant fort cher une foule de bagatelles, entre
autres ces robes de papier, dont il se fait un débit prodi-
gieux , et dont chacun veut mourir revêtu. Tous leurs ser-
mons finissent toujours par une exhortation pathétique, qui
a pour but d'avertir les fidèles que le moyen le plus assuré
de se rendre les dieux propices est d'orner leurs temples et
de faire à leurs ministres de grandes libéralités. De sorte
que les trésors de ces ministres sont de véritables gouffres
où va s'engloutir une grande partie de la fortune publique.
Il y a aussi dans cette religion des filles recluses , qui
sont chargées de l'éducation des jeunes personnes de leur
sexe. On les nomme Biconis, et les Européens les ont ap-
pelées Bonzïcs. On voit en plusieurs endroits des monas-
tères des deux sexes qui se touchent , et des temples où les
bonzes et les biconis chantent à deux voix, les hommes
d'un côté, et les femmes d'un autre. Les bonzies affectent
beaucoup de pudeur, et prétendent à une haute réputation
de chasteté, quoique les bruits qui courent sur elles ne
leur soient point très-favorables. C.-M. Paffe.
BOi\ZI (Piktro-Paolo), paysagiste habile de l'école
bolonaise, naquit à Cortone, vers 1580, et mourut en 1G40.
Parent et élève d'Annibal Carrache,son infirmité le fit
BONZES — BORA
surnommer il gohho de' Caracci (le b^isu des Carrache).
On l'appelait encore il gobbo di Cortona ou de' frutti,
tantôt à cause du lieu de sa naissance , tantôt parce qu'il
excellait dans la représentation des fruits. Le musée du
Louvre possède de lui un petit tableau de Latone méta-
morphosant des paysans en grenouilles.
BOOTES. Voyez. Bouvier (Astronomie),
lU)OZ. Voyez Ruth.
BOPYRE, genre de crustacés de la classe des tétradé-
capodes de Blainville ou isopodes de Latreille , à corps dé-
primé, ovale, dépourvu d'yeux, d'antennes et de mandi-
bules. Les bopyres vivent en parasites sur d'autres espèces
de crustacés, et donnent souvent lieu à des tumeurs sur le
corps des animaux dont ils sucent les branchies. Les pê-
cheurs croient que ces animaux parasites sont de petites li-
mandes ou soles qui se nourrissent sur les crevettes et les
palémons, et qu'ils ont été engendrés par eux. L'espèce la
plus commune est le bopyre des crevettes. La femelle pro-
duit une énorme quantité d'œufs, qu'elle porte sous son
ventre, et qu'elle dépose dans les lieux habités par les ani-
maux sur lesquels ils devront aller se fixer. Le mâle est très-
petit. On le trouve souvent près de la queue des individus
femelles chargés d'œufs. L. Laurent.
BOQUETTE (Col de la). Voyez Bocciiettx.
BORA (Catuerine ns), épouse de Luther, naquit le
29 janvier 1499, vraisemblablement à Lœben près de
SchweinitzenSaxe,deHansde Mergenthalde Deutschenbora
et d'Anne de Hugewitz ou Haugwitz. Elle sortait à peine de
l'enfance lorsque ses parents la mirent dans le couvent de
Nimptschen, que l'ordre de Cîteaux possédait près de Grim-
ma. La lecture des écrits de Luther lui rendit bientôt son
sort insupportable, et ses parents refusant de la retirer du
cloître, elle s'adressa avec huit de ses compagnes au ré-
formateur, qui les fit évader, dans la nuit du 4 avril 1523,
et les plaça à Torgau , puis à Wittenberg , en leur assurant
des moyens d'existence. En même temps il écrivit à
Léonhard Koppe, qui lui avait servi d'instrument dans toute
cette affaire, une lettre dans laquelle il s'avouait hautement
l'auteur de l'évasion, et engageait les parents de ces jeunes
filles à les recevoir. Cette lettre n'ayant pas produit l'effet
qu'il en attendait , il plaça les plus âgées de ces nonnes
chez de respectables bourgeois de Wittemberg, et maria
les plus jeunes. Catherine trouva un asile dans la maison du
bourgmestre Reichenbach. Luther lui fit proposer un époux
par Nicolas d'Amsdorf , prédicateur à Wittemberg , et par le
docteur Gaspard Glaz, mort pasteur à Orlamunde; mais
elle le refusa , en se déclarant prête à donner sa main soit
à Amsdorf , soit à Luther. Ce dernier avait déposé le froc
depuis 1524, et n'avait aucune répugnance pour le ma-
riage; mais il soupçonnait Catherine d'être encline à l'or-
gueil. La célébration de son mariage, le 13 juin 1525, sur-
prit donc tout le monde, et ses ennemis profitèrent de cette
occasion pour la noircir de leiirs calomnies. Ces bruits n'a-
vaient aucune espèce de fondement; cependant il faut
avouer qu'il ne fut pas en tout et toujours content de sa
Caton; car il parle souvent avec sa sincérité habituelle des
soucis aussi bien que des joies du ménage. Qu'il ait d'ail-
leurs été assez heureux avec elle, c'est ce que prouve son
testament, par lequel il la constitua son unique héritière , à
condition q\relle ne se remarierait pas, parce qu'elle s'était
toujours montrée, dit-il, une femme pieuse, fidèle et ho-
norable. Après la mort de Luther, sa veuve reçut d'abon-
dants secours de Jean-Frédéric, qui se chargea de l'éducation
de ses fils, et du roi de Danemark Christian IIl. \Vittem-
bfrg étant tombée au pouvoir de l'ennemi en 1547, elle se
retira à Magdebourg, d'où elle partit avec Mélanchthon pour
Brunswick dans l'intention d'aller trouver le roi du Dane-
mark ; mais elle renonça à ce projet, revint à Wittemberg,
en fut chassée de nouveau , en 1552 , par la peste, et, déjà
malade, prit la route de Torgau, où elle mourut, le 20 dé-
BORA — BORD
44r>
cembre. On Toit encore aujourd'hui dans l'église de Torgau
son tombeau , sur lequel est sculptée sa statue de grandeur
naturelle.
liORACIQUE (Acide). Voyez Borique (Acide).
BORACITE. Les minéralogistes appellent ainsi le
sous-borate de magnésie, tel qu'on le rencontre dans la
nature. La boraciteou magnésie boratce est une substance
vitreuse, limpide et incolore quand elle est pure, ou gri-
sâtre et translucide et devenant même opaque par altéra-
tion. Sa densité est de 2,9. Elle est fusible au chalumeau et
produit des globules vitreux , qui se hérissent de petites ai-
guilles cristallisées par refroidissement , et deviennent blancs
et opaques. Insoluble dans l'eau , la boracite est soluble
dans l'acide nitrique , et donne un précipité blanc par la
soude ou l'ammoniaque. La boracite ne s'est encore offerte
dans la nature qu'en petits cristaux disséminés dans le
gypse ou l'anhydrite. On la trouve au mont Kalkberg en
Brunswick et au Segeberg dans le Holstein. L'analyse a
donné à Stromeyer pour sa composition 67 parties d'acide
borique et 33 de magnésie.
BORATE , sel produit par la combinaison de Vacide
borique avec les bases. La composition des borates est
telle que l'oxygène de la base est à l'oxygène de l'acide
comme 1 est à 3 dans les sels neutres , et comme 1 est à 4
dans les sels acides. Les borates de soude et de potasse
sont très-solubles dans l'eau ; mais le borate de merciire,
sel sédatif mercuriel , qu'on a essayé d'employer contre les
affections vénériennes , et qui a éie abandonné , l'est peu.
Les sous-borates sont en général peu solubles dans l'eau ;
mais tous les acides forts les décomposent à la température
de l'ébuUition, s'emparent de la base, et mettent l'acide
borique à nu. A la température rouge les sous-borates ne
sont décomposés que par les acides fixes, tels que l'acide
pliosphorique. Aucun des sous-borates n'est employé , à
l'exception du sous-borate de soude ou borax.
BORAX (de l'arabe baurach ), substance saline, formée
d'acide borique et de soude , et que l'on désigne encore par
les noms de tinkal , chrijsocolle , sel de Perse, sel al-
cali minéral , soude boratée, borate de soude avec excès
de base, sous-borate de soude, etc. Ce sel, qui existe en
dissolution dans les eaux de certaines sources et de quel-
ques lacs , et que l'on rencontre aussi en gros blocs , soit
dans le fond, soit sur les bords de ces mêmes lacs, se trouve
au Pérou , en Transylvanie , en Saxe , en Perse , dans la
Tartarie, en Chine, à Ceylan, et particulièrement dans
l'Inde. Le commerce nous l'offre sous trois états : 1" à l'état
brut (c'est celui qui nous vient de l'Inde ou du Thibet);
'1° à l'état de borax demi-rafiiné (c'est celui que les Chinois
nous expédient) ; 3° enlin à l'état de borax purifié (ce der-
nier est fourni par les manufactures de France, de Hollande,
d'Angleterre, d'Allemagne, etc.).
Le borax brut est en cristaux tantôt petits et très-nets,
tantôt très-gros et arrondis sur leurs angles et leurs arêtes :
dans l'un et l'autre cas , mais surtout dans le premier, ils
sont recouverts ou même agglutinés par une matière de na-
ture savonneuse, que l'on s'accorde généralement à consi-
dérer comme le produit de la combinaison de la soude en
excès avec le beurre ou la graisse dont on enduit les cris-
taux pour les empêcher de s'eflleurir.
Pour purifier le borax , pour détruire cette matière grasse
qui le colore et le salit , on le place dans un grand creuset
ou dans un four, puis on le soumet pendant quelque temps
à une clialeur rouge : par ce traitement on le transforme
en une masse vitreuse , que Ion fait dissoudre dans l'eau
bouillante. La solution est filtrée , évaporée et abandonnée à
elle-même pour que le sel puisse cristalliser par le refroi-
dissement. Toutefois, ce raflinagc du borax brut n'est pas
aujourd'iiui le seul moyen d'obtenir le sous-borate de soude
purifié : en effet, il existe en Toscane des lacs dont l'eau
tient en solution de Yaçide borique en proportion assez
considérable pour qu'on puisse l'en retirer avec avantage,
et cet acide sert à fabriquer chez nous le borax de toutes
pièces. Cette fabrication , qui nous exempte d'un tribut que
nous payions à l'étranger, est d'une très-grande simplicité .
il s'agit seulement de saturer l'acide par un excès de sous-
carbonate de soude, à l'aide d'une quantité d'eau déter-
minée et du calorique , puis de faire évaporer et cristalUser
convenablement.
Le borax ainsi obtenu est demi-transparent ; sa forme
est celle d'un prisme hexaèdre comprimé et terminé par des
pyramides trièdres ; il est inodore et d'une saveur styptique
et alcaline. Chauffé, il fond dans sou eau de cristalHsation ;
puis il se boursoufle , et finit par se dessécher ; à une tem-
pérature plus élevée , il éprouve la fusion ignée , et prend
l'apparence d'un verre blanc, transparent, qui, coulé sur
une table de marbre, s'y solidifie, et constitue le produit
particulier connu sous le nom de borax vitrifié. Il s'ef-
fieurit légèrement à l'air ; il se dissout dans six cents parties
d'eau froide , et dans deux cents seulement d'eau bouillante.
Mis en contact avec le sirop de violette, il en fait passer le
couleur au vert.
Ce sel, qui jouit de la propriété de se colorer diversement
lorsqu'on le fond avec certains oxydes, est employé dans
leur analyse et pour leur réduction ; il est surtout mis en
usage pour souder les métaux , dont il facilite beaucoup la
fusion {voyez Souduke). On s'en sert aussi pour fabriquer
les différents borates dans les laboratoires de chimie, et
pour appUquer l'or et les couleurs dans la peinture sur por-
celaine. Enfin , en médecine, on l'a prescrit autrefois comme
réfrigérant ou calmant ; et maintenant on l'emploie avec un
grand succès contre quelques affections cutanées chro-
niques. P.-L. COTTEUEAU.
BORBORITESou BORBORIENS, secte de gnostiques,
dont le nom vient du grec pôpgopoç, boue, ordure , a cause
des sales extravagances de leurs cérémonies. Us niaient la
réalité du jugement dernier. On trouve des détails sur cette
secte dans Philastrus , saint Épiphane , saint Augustin et
Baronius.
BORBORYGME (du grec popêopuyixô- , bruit sourd).
C'est une espèce d'onomatopée , par laquelle on indique en
médecine le bruit que font l'air et les gaz contenus dans
l'abdomen et les intestins ; ce qui a lieu quelquefois chez
les personnes en bon état de santé, mais amve plus fréquem-
ment néanmoins et plus habituellement chez les individus
malades. Les borborygmes sont en général le symptôme
ordinaire des indigestions, des coliques, des affections hy-
pochondriaques et hystériques, et annoncent souvent de
l'embaiTas dans le conduit intestinal ; ils dépendent des
mêmes causes et demandent les mêmes remèdes, paiticu-
lièrement les carminatifs.
BORCETTE. Voyez Burtscheed.
BORD, extrémité d'une chose, ce qui la termine. On
dit le bord d'un verre, d'une assiette, d'un plat, etc.; le
bord d'un ruban , d'un galon , d'une dentelle, etc. ; le bord
de la mer; le bord de l'eau; le bord d'une fontaine; le bord
d'un fossé ; le bord d'un précipice.
Ce mot se prend aussi quelquefois dans le sens poétique
et figuré , comme dans ces vers de Racine :
On ne repasse point le rivage des morls ,
El l'on ne voit jamais deux fois les sombres bords ,
où cette expression est prise pour les rivages du Styx. On
dit qu'un homme est au bord de l'abime ou au bord du
précipice, pour dire qu'il est dans un danger imminent,
qu'il est près de sa ruine ou de sa perte , et d'un homme
qu'il est sur le bord de sa fosse, pour dire qu'il est parvenu
à l'âge qui est le terme ordinaire de la vie humaine. On ap-
pelle un rouge bord un verre plein de vin jusqu'au bord.
Edme HÉREAC.
BORD {Marine). C'est un de ces mots qui ont perdu
44 G
BORD
leur signification primitive en faveur de leur signification
figurée. Je ne crois pas qu'il existe plus d'une douzaine de
cas en marine où Ton emploie le mot bord pour exprimer
le bord du bâtiment, c'est-à-dire pour signifier la partie qui
termine extérieurement à la surface du pont la coque du
navire. On dit cependant en parlant de deux bâtiments qui
se longent, qu'ils sont bord à bord; on dit aussi passer sur
le bord, pour passer sur le côté du navire; mais dans ces
cas-là, et dans quelques autres , le mot bord a conservé à
peine son acception propre.
La signification la plus générale conservée à ce mot est
celle qui a rapport au bâtiment considéré comme le domi-
cile des marins. Le bord, dans le langage maritime, signifie
le navire : se rendre à bord, quitter le bord, rester à bord,
sont des expressions consacrées par le long usage qui a
donné à ces mots la seule acception sous laquelle ils soient
à peu près employés maintenant.
CoKrir un bord, c'est courir une bordée, c'est-à-dire
naviguer sous la môme allure dans une direction donnée.
Virer de bord, c'est changer d'amarres, quitter la direction
que l'on a prise, pour en prendre une autre , en recevant le
vent du côté opposé à celui d'où il venait. Faire passer
sur le bord, c'est ordonner à deux ou à quatre hommes,
selon le grade de l'officier qui arrive , de se placer sur le
côté du navire pour recevoir et aider à monter l'officier à qui
l'on doit rendre des honneurs.
Le mot plat-bord est réellement celui qui a remplacé le
mot bord pris dans sa signification primitive. On nomme
plat-bord le cordon supérieur qui se place à plat sur le bord
du bâtiment, et qui lie entre elles toutes les têtes des allonges
de la membrure venant aboutir au raz du pont.
Un vaisseau de haut bord est un vaisseau de ligne. Mais
on ne dit pas par opposition un vaisseau de bas-bord pour
désigner un navire dont le bord est peu élevé sur l'eau. Quoi-
que les grandes frégates et les petits vaisseaux aient le bord
haut , on ne les comprend pas dans le nombre des vais-
seaux de haut bord. Cette dernière expression est du reste
aujourd'hui peu usitée. Sous l'Empire, on voulut, en divi-
sant la marine en deux classes, affecter la dénomination
f^ équipages de haut bord aux équipages des vaisseaux ,
frégates et corvettes , et celui (Téqîdpages de flottille aux
équipages des petits bâtiments. Mais cette désignation n'a
pas prévalu. Edouard CoRBiÈnE.
BORDA (JeaN'Chakles), physicien illustre, l'un des
auteurs du système métrique, et à qui appartient la gloire
d'avoir fait de l'art nautique un art nouveau, en substi-
tuant une théorie éclairée à l'aveugle routine qui jusque alors
avait seule guidé les marins français, était né à Dax, dans
les Landes, le 4 mai 1733. Ce qui distingue ses travaux,
c'est l'heureuse alliance de la théorie qui devine et de l'ex-
périence qui vérifie, c'est le .soin constant d'employer les
sciences à des applications utiles à la société. Cette mé-
thode, qui l'a conduit aux plus belles découvertes , était une
conséquence de la justesse de son esprit; aussi ses premiers
essais furent-ils empreints de ce caractère. La résistance des
fluides avait donné lieu à divers travaux mathématiques;
Borda, ayant consulté l'expérience, démontra que la
théorie admise pour le choc des fluides était complètement
fausse. Il porta également son attention sur les lois qui rè-
glent l'écoulement des fluides par un orifice, lois essentielles
à connaître pour la construction des moteurs hydrauliques ,
et perfectionna beaucoup cette branche des arts mécaniques.
Dans ces travaux, il s'était appuyé sur l'expérience; ce
fut, au contraire, la connaissance des conditions mathéma-
tiques de la bonne construction des pompes qui le conduisit
à réformer celle des vaisseaux .
Un voyage entrepris par ordre du gouvernement , et en
((iiaUté de commissaire de l'Académie des Sciences pour l'exa-
men des montres marines et des diverses méthodes qui ser-
vent à déterminer la longitude et la latitude en mer, lui
BORDA
fournit une nouvelle occasion d'être utile. 11 apprit aui
marins à se servir des instruments à rédexion pour le relè-
vement astronomique des côtes , et c'est à cette méthode ,
dont il donna lui-même un magnifique exemple dans la
Carte des îles Canaries et de la côte d'Afrique, que
sont dues les belles cartes hydrographiques exécutées depuis
le commencement de ce siècle.
Mais le plus beau présent que Borda ait fait à la navi-
gation est celui du cercle de réflexion , qui , en permettant
aux marins l'observation prédise des longitudes, donnait à
la direction des vaisseaux une certitude toute nouvelle. Les
observations terrestres ne gagnèrent pas moins à l'invention
de cet instrument que les observations nautiques, et le
cercle répétiteur , adopté par tous les astronomes, a
reçu de leur reconnaissance le nom de cercle de Borda.
On doit encore à Borda et l'invention de la boussole pro-
pre à mesurer l'inclinaison du courant magnétique et la pre-
mière méthode exacte pour apprécier l'intensité magnétique
de la terre, méthode qu'a sui\ie Ilumboldt dans tous ses
voyages. On lui doit également l'ingénieuse méthode des
doubles pesées, au moyen de laquelle on peut peser juste
avec une balance fausse ( voyez Balance, t. II, p. 404 ).
Mais c'est surtout lorsqu'il fut , au commencement de la
révolution, chargé avecMéchainet Delarabre, de la me-
sure de l'arc du méridien terrestre de Dunkerque aux Ba-
léares que se déploya toute la puissance de son génie, toute
la richesse de son imagination. Cette opération , d'où devait
sortir le nouveau système des poids et mesures , exigeait la
plus scrupuleuse précision. 11 fallait mesurer la longueur du
pendule : Borda y parvint par un procédé très-simple. 11
fallait pour mesurer les bases trigonométriques des règles
d'une forme commode, d'une nature inaltérable et dune
dilatation connue : Borda fit construire des règles de platine,
dont les moindres dilatations furent appréciées au moyen
d'un thermomètre métallique de son invention, plus sur,
plus étendu que les thermomètres ordinaires.
On le voit, toutes les recherches scientifiques de Borda
étaient dirigées vers les applications. Le savoir à ses yeux
n'avait de mérite que lorsqu'il servait les besoins de la
société. Aussi s'occupa-t-il très-peu de mathématiques pures.
Une seule fois il le fit, et en maître , pour défendre la gloire
de Lagrar^e, dont la théorie des isopérimètres était l'objet
d'injustes attaques.
Tant de travaux avaient marqué sa place à l'Institut, lors
de sa création. Déjà, en 1756, im mémoire sur la Théorie
des Projectiles, en ayant égard à la résistance de l'air, mé-
moire accompagné de tables qui faisaient presque de la
balistique une science nouvelle , l'avait fait admettre parmi
les associés de l'Académie des Sciences.
L'histoire de Borda n'est pan , comme celle de la plupart
des savants , toute dans ses ouvrages. Destiné par sa fa-
mille au barreau, il avait préféré entrer dans le corps sa-
vant du génie militaire, et il fit en 17.'>7 la campagne de
Hanovre. Employé ensuite comme ingénieur dans divers
ports de mer, son mérite éminent le fit distinguer par le
ministre de la marine, qui l'appela dans ce corps en 1767,
malgré l'opposition jalouse des officiers. En 1777 et 177s,
pendant la campagne du comte d'Estaing en Amérique, il
remplit les fonctions difficiles de chef d'état-major de l'es-
cadre, avec une sagesse et une habileté qui furent admirées
de tous. Ayant remarqué combien l'inégale construction des
bâtiments nuisait à la régularité des manœuvres, il fit adopter,
à son retour de celle campagne, l'idée de conner à tous les
bâtiments du même rang une même forme, idée que les An-
glais , bon juges en celte matière, s'empressèrent d'appliquer
à leur marine. En 17S2 il commandait le vaisseau le Soli-
taire, de soixante-quatre canons. Après avoir porté des trou-
pes à la Martinique, il dut établir avec quelques frégates
une croisière dans les mers des Antilles. Mais un brouil-
lard ayant fait tomber sa petite escadre au milieu de huit
BORDA — BORDEAUX
447
vaisseaux de guerre anglais , il se dévoua pour la sauver à
soutenir un combat inégal , et n'amena son pavillon que
lorsqu'il vit ses frégates hors de danger et son vaisseau com-
plètement désemparé. Les Anglais le traitèrent avec toute
la distinction qui devait s'attacher à tant de courage uni à
tant de savoir; mais Borda n'en fut pas moins sensible à son
malheur, et sa santé, dès lors altérée, ne lui permit plus
le service de mer. Toutefois , il fut encore utile à son arme
comme chef de division au ministère de la marine.
S'il honora les sciences par ses talents, il n'a pas moins
honoré l'humanité par ses vertus. Élevé par son mérite à des
emplois qui lui donnaient une grande autorité sur ce qui
l'entourait, il prit toujours autant de soin à dissimuler la
supériorité de sa position que d'autres en auraient pris à la
faire valoir. Pendant la grande opération qui servit de base
au système métrique , quand le trésor public , épuisé par la
guerre que soutenait alors la France contre l'Europe coa-
lisée, faisait troi> attendre aux artistes le salaire de leurs
travaux , il n'hésita pas à leur ouvrir sa bourse. Les grands
services qu'il rendit à cette époque, non moins glorieuse
pour le génie scientiflque que pour le génie militaire de la
France, auraient sans doute trouvé leur récompense dans la
générosité de la nation , comme ils l'avaient déjà reçue de
l'estime publique, si la mort ne l'avait enlevé le 20 février
1799. A. DcsGenevez.
BORD AGE {Marine). Ce mot, fait de bord, indique
les planches qui couvrent les côtes ou les membres du na-
vire en dehors : celles du dedans s'appellent vaigrcs; les
deux planches qui sont des deux côtés de la quille s'appellent
particulièrement gabords. L'épaisseur des bordages va gra-
duellement en diminuant jusqu'à 1 mètre ou 1™,30 au-des-
sous de la flottaison; de cet endroit jusqu'au gabord, l'épais-
seur reste la môme : les premiers sont dits bordages de
diminution, les autres fiorrfflr/es de point. Le bordage qui
se noie dans la rablure de la quille est le gabord, celui qui
(e touche est le rihord. Le bordage , devant se ployer aux
formes du vaisseau, doit être contourné suivant la place
qu'il est destiné à occuper ; on le dompte au feu ou à l'étuvc,
dans l'eau bouillante; le premier procédé est le meilleur
pour les vaisseaux de médiocre grosseur.
BORDAS-DEliOULIN ( Jeax-Baptiste ) , écrivain
philosophe, est né à Montagnac-Ia-Crempse , dans la Dor-
dogne, le 18 février 1798. 11 est du petit nombre de ceux
dont la biographie est tout entière dans leurs œuvres. Car
sa vie n'a été qu'un dévouement absolu et continuel à la re-
cherche de la vérité ; rien ne l'a jamais détourné de ses étu-
des, et aucun saciifice ne lui a coûté pour s'y livrer sans
distraction ni relâche. Orphelin de père et de mère presque
à son berceau , il se priva de son petit patrimoine pour se
consacrer, dès l'âge de seize ans, à l'élude de plus en plus
approfondie de la philosophie, des mathématiques, ainsi
([ue de la théologie et du droit canon, quoiqu'il n'ait jamais
appartenu à l'ordre ecclésiastique. Cette persévérance vrai-
ment héroïque dans de profondes études, qui ne lui pro-
curaient aucune ressource pour les nécessités de la vie , l'a
soumis à de longues privations et à de rudes épreuves.
Déjà M. Bordas-Demoulin avait signalé son savoir et sa
haute capacité comme philosophe, d'abord dans des exa-
mens critiques des systèmes que l'on voulait faire prévaloir
comme un nouvel éclectisme, ensuite dans une série d'ar-
ticles dont s'est enrichi notre Dictionnaire de la Conver-
sation et de la Lecture. Ses qualités ont trouvé, pour se
manifester avec éclat, un champ plus large dans l'éloge de
Pascal et dans YHistoire critique du Cartésianisme, tous
deux couronnés par l'Institut. A la simple lecture de ces
opuvres d'élite, on reconnaît les fruits d'immenses études,
l'esprit supérieur qui a pcnétié les sciences dans toute leur
profondeur, et qui, en signalant les mérites et les erreurs
des maîtres, se montre leur émule et digne de les juger. Nous
ne citerons, comme conquêtes faites par l'auteur dans le
domaine de la métaphysique, que son élucidation parfaite
de la nature et de l'immatérialité de la pensée humaine, et
ses belles théories de l'infini et de la substance, véri-
tables créations, auxquelles il devTa une place à côté de ceux
qu'il a célébrés. Le panthéisme de Spinosa a enfin rencontré
son vainqueur.
Voltaire aussi a trouvé dans l'auteur du Cartésianisme
un digne appréciateur. Jamais la mission de ce beau génie
contre le fanatisme et l'intolérance persécutrice, jamais son
zèle ardent , ses constants efforts en faveur de l'humanité,
la grandeur et la prodigieuse variété de ses talents, n'ont
été caractérisés en traits plus rapides , plus énergiques , et
avec un coup d'oeil plus perçant. Aubert de Vitry.
BORDEAUX, jadis Boxirdeaux, ancienne métropole
de la seconde Aquitaine , du royaume et du duché du
même nom, ancienne capitale de laGuienne, chef-lieu du
département de la G i r o n d e, à quatre cent cinquante-sept ki-
lomètres sud-ouest de Paris, sur la rive gauche de la Garonne,
et à quatre-vingt-seize kilomètres de son embouchure ou
de la tour de Cordouan, l'une des premières et des plus flo-
rissantes villes de France, port de commerce , chef-lieu de
sous-arrondissement maritime, archevêché, ayant pour suf-
fragants les évêchés continentaux d'Agen, d'Angoulêrae, de
Poitiers, de Périgueux, de la Rochelle, de Luçon et ceux
d'outre mer, de Saint-Denis de la Réunion, de la Basse-
Terre et du Port de France , église consistoriale calviniste ,
synagogue consistoriale , cour d'appel pour les départements
de la Gironde, de la Charente et de la Dordogue ; tribunal de
commerce : chef-lieu delà 14^ division mihtaire; de la 10"
légion de gendarmerie , de la 8^ division des ponts et
chaussées, du 29^ arrondissement forestier; direction des
douanes ; académie universitaire ; facultés de théologie, des
sciences et des lettres ; séminaire théologique ; école secondaire
de médecine ; lycée avec cours pour les écoles spéciales et les
professions industrielles; école normale primaire ; école natio-
nale de sourds-muets ; école nationale d'hydrographie; école
de dessin et de peinture; bibliothèque publique ( 110,000
volumes, parmi lesquels plusieurs éditions du quinzième
siècle et quelques manuscrits précieux ) ; musée, renfer-
mant une galerie de tableaux et un cabinet d'histoire na-
turelle et d'antiquités ; jardin botanique et de naturalisation;
observatoire; dépôt de mendicité, mont-de-piété, chambre
de commerce, comptoir d'escompte. Population : 120,203
habitants.
L'industrie de Bordeaux est une des plus importantes
de la France. Cette ville a des chantiers maritimes avec bas-
sins de construction pour toute espèce de navires et même
pour des bâtiments de ligne, quatre hauts fourneaux pour
la fonte du fer, des aciéries, des fabriques de plomb laminé
et de plomb de chasse , des tanneries, des tonnelleries, des
poteries, des tuileries , des faïenceries , des verreries, une
manufacture nationale de tabac, une raffinerie de salpêtre,
un très-grand nombre de distilleries et de fabriques de li-
queurs renommées, surtout d'anisette qui, pour la qualité et
le parfum, n'a pas de rivale ; des vinaigreries, des raffineries
de sucre, des filatures de coton, des fabriques et imprimeries
d'indiennes, des filatures de laine, des corderies, des fabriques
de biscuit de mer, de conserves d'aliments, de produits chi-
miques, de bouchons de liège, de parchemin, de ganterie ;
des fonderies de métaux ; des forges et fabriques de machi-
nes et mécaniques et de toiles métalliques ; des fonderies
de caractères, des salpétreries et treize typographies.
Son port de commerce est le troisième de la France par
son importance et le premier du midi pour les denrées co-
loniales. Son bassin, iormé par la Garonne sur une lon-
gueur de huit kilomètres, peut contenir 12C0 navires de
tout tonnage. Il est accessible même aux bâtiments de cinq
cents tonneaux, à toute heure de la marée. Bordeaux est le
grand entrepôt des produits ^lu bassin de la Garonne et
surtout des vins dits de Bordeaux, de ceux de la Dordogue.
448
tlu Lot, du Gers, de Lot-et-Garonne, et des eaux-de-vie de
Bordeaux, de Marmande, de Cognac, de Saintonge et de Lan-
guedoc. Elle commerce avec toutes les parties du monde,
exporte surtout des vins, des eaux-de-vie et ensuite des es-
sences de térébenthine, des résines, des goudrons, des fruits,
des grains, des salaisons, des produits manufacturés ; et im-
porte des denrées coloniales de toutes espèces, des fers, des
métaux, de la houille, du bois de construction, du merrain,
des huiles, du poisson. Le relevé de la navigation peut être
estimé à l'entrée , non compris le cabotage, à 1000 bâti-
ments, jaugeant ensemble environ 200,000 tonneaux, dont
la moitié étrangers; et à la sortie, à 900 à peu près , jau-
geant 150,000, dont 10 bâtiments pour la pêche de la morue
et 100 pour les colonies françaises, Guadeloupe, Martinique,
Sénégal, Cayenne, la Réunion et l'Inde. Cabotage ; sortie :
5,000 bâtiments, jaugeant 180,000 tonneaux ; entrée : 5,500,
jaugeant 200,000. Tonnage du port : 400 bâtiments de
69,900 tonneaux, dont 10 à vapeur de 1,350 tonneaux. Re-
cette de la douane : plus de douze millions de francs. Com-
munications régulières avec le haut et le bas de la Garonne
par 20 bateaux à vapeur. Lignes de paquebots avec la Ha-
vane et le Mexique. Un chemin de fer doit incessamment
mettre Bordeaux en rapport avec Paris ; un autre est con-
cédé pour unir cette ville à Cette.
Le magnifique port de Bordeaux, œuvre de l'intendant
de Tourny, offre, en entrant par la route de Paris, un vaste
et magnifique panorama. La ville se dessine en demi-lune,
et toutes les maisons qui bordent les quais sont bâties sur
un plan habilement combiné. D'une extrémité à l'autre, des
douze portes au moulin de Bacalan, c'est un horizon varié,
immense, de belles maisons et des navires; tout est animé
dans ce vaste tableau. Les beaux chantiers de construction,
la corderie, l'arc de triomphe de la porte Saint-Julien , la
place Royale, l'hôtel des Douanes, la Bourse, la belle cale
Fenwick et les élégants et riches édifices des Chartrons, se
dessinent successivement sur cette ligne ; et ces navires, ces
édifices , ces scènes si animées , annoncent l'entrepôt des
deux mondes.
Bordeaux n'était sous le régime de la féodalité qu'une
enceinte de murailles crénelées, percée de treize portes et
défendue par trois forts, les châteaux du Ha, de Sainte-
Croix ou de Saint-Louis, et Trompette. Aumilieu deces rem-
parts gothiques s'élevaient les vieilles tours du château du-
cal de rOmbrière. Les deux premiers châteaux ont presque
disparu ; celui du Ha n'estplus qu'une prison, et n'a conservé
qu'une seule de ses tours ; les treize portes, la vieille mu-
raille, ont été remplacées par des maisons et de vastes
magasins, et les pointes des tourelles de l'Ombrière sont
masquées par un arc de triomphe et les bâtiments de la doua-
ne. Le fort du Ha avait été construit sous Charles VIL Le
château Trompette restait seul entier en 1789 ; ses murailles
se baignaient dans le fleuve, et interrompaient la circula-
tion du port ; cette partie de bâtiments avancée a été dé-
molie, et la communication du quartier des Chartrons est
devenue libre. Ce beau faubourg des Chartrons est mainte-
nant réuni à la ville par un superbe quinconce qui a été
planté, en 1818, sur l'emplacement du château Trompette. Du
côté du port, sur une vaste plate-forme , deux colonnes
lostrales servant de phares et ayant vingt mètres d'élévation,
supportent les statues du commerce et de la navigation.
La rue du Chapeau-Rouge, qui conduit du port à la place
Dauphine, est très-spacieuse; elle était avant la révolution
de 1789 fermée du côté du port par une grille placée entre
la partie latérale de la Course et du château Trompette.
Le Grand Théâtre occupe un côté de cette rue ; ce vaste et
magnifique édifice, chef-d'œuvre de l'architecte Louis, est
isolé; il a onze issues; l'escalier du péristyle est gran-
diose. Les corridors sont vastes, tous les escaliers larges et
commodes, les peintures du plafond admirables. Dans le
même édifice se trouve une belle salle de concert, à deux
BORDEAUX
rangs de loges. Cest dans toutes ses parties un théâtre mo-
dèle; aucune salle de la capitale n'en peut donner une
idée. Bordeaux possède en outre un joli théâtre des Va-
riétés.
Indépendamment des quinconces, cette ville a de fort belles
promenades ; entre autres , le cours de Tourny, qui est son
boulevard de Gand. Le beau quartier de la Font-d'Audége
doit son nom à une fontaine qui fournit de l'eau à cette par-
tie de la cité. Non loin de là jailUt celle de Figarol , aussi
utile qu'abondante.
Les monuments romains sont ici fort rares : sauf le pré-
tendu palais de l'empereur Galfien, qui n'est qu'un amphi-
théâtre bâti au temps de la décadence, et dont il ne reste que
quelques pans de muraille et deux arcades, l'ancien Burdi-
gala n'offre plus de traces du peuple-roi. Les débris du vaste
amphithéâtre du quartier Saint-Seurin ont totalement dis-
paru; quelques amateurs y ont fait des fouilles, qui ir'ont
pas été sans résultat; on y a trouvé à peu de profondeur
des patères, quelques vases antiques, des débris d'orne
ments d'architecture. En somme, Bordeaux, dans ses quar-
tiers neufs, est une des villes les plus belles de l'Europe.
Outre les édifices et les constructions modernes que nous
avons cités , on y remarque un magnifique pont , sur la
Garonne; il a dix-sept arches et 486 mètres de long, et
fut bâti de 1810 à 1821 : c'est le plus beau monument de ce
genre que possède la Çrance ; puis la Bourse , la Douane , lo
palais royal, autrefois l'archevêché , bâti en 1778, et l'arc de
triomphe de la porte de Bourgogne. Parmi ses anciens
édifices , on visite l'église de Sainte-Croix , restaurée sous
Charlemagne; la cathédrale de Saint- André, commencée au
onzième siècle ; et l'église Saint-Michel, qui date du douzième,
et dont le caveau du beffroi possède la propriété de conser-
ver les corps : aussi y en voit-on une quantité considérable,
parfaitement momifiés et symétriquement rangés autour des
murs de ce souterrain que les Bordelais appellent leurs
catacombes.
Bordeaux n'était dans l'origine qu'une bourgade, appe-
lée J?i^MrJ^î<ni Viviscorum. Son accroissement fut rapide;
elle dut cet avantage à son heureuse situation topographique.
Fondée par une colonie de Bituriges, venus de cette partie
de la Gaule appelée depuis le Berry, elle se livrait déjà à un
commerce très-considérable, quand les Romains s'en empa-
rèrent ; ils Im donnèrent lenom deBurdigala, quedom Vinet
croit être un mot celtique. Une ancienne inscriptiou du châ-
teau Trompette portait Aiigusto sacrum in genio civitatis
Blturigum Viviscorum. Cette inscription explique l'ori-
gine de cette ville ; mais quant à l'étymologie de son nom ,
sur laquelle les annafistes ont beaucoup varié, l'opinion de
Favin , qui , dans son Histoire de Navarre , la fait venir
du burgum aquarum, bourg d'eau, est la plus naturelle et
la plus simple. Devenus maîtres de cette ville, les Romains
Ini accordèrent les plus larges immunités, et la constituèrent
ville libre et indépendante.
Dès l'établissement du christianisme dans les Gaules, elle
disputa à Bourges la primatie de l'Aquitaine ; mais, après une
nouvelle division des Gaules par les Romains, elle fut pro-
clamée capitale de la Novempopulanie. Bâtie entre des marais
et la rive gauclie de la Garonne, elle s'assainit en s'agrandis-
sant. Bientôt elle occupe un rang distingué dans notre his-
toire ancienne et moderne. L'administration locale y rési-
dait essentiellement dans les mains des magistrats, qui,
sous diverses dénominations , exerçaient le pouvoir muni-
cipal. Cette magistrature était à Bordeaux , comme presque
partout, élective, temporaùre et collective. Ces riches et fer-
tiles contrées avaient passé successivement des Romains,aux
Goths, qui signalèrent leur domination par d'affreux ravages,
et des Goths aux Français, qui en furent expulsés par les
Sarrasins dans le huitième siècle ; elles subirent ensuite l'oc-
cupation non moins désastreuse des Normands. Réunies
sous des ducs indépendants ou feudataires de la couronne
BORDE
de France, elles luiiibèronl sous la (1o;iiiiK!tiiin i:nj;laise par le
mariage d'LleoiiDrc de Guyenne avec Henri roi d'An-
j;!elerre. Les An;^iais s'y maintinrent depuis le milieu du
<louzièuie siècle jus(ju'au règne deCliurlcs VU, qui dut cette
coutjuète à bunoi», auquel était réservie la gloire d'expul-
ser retranjier (le;i provinces de 1- rauce (pi'il occupait depuis
près de trois siècles.
Une des conditions de la capitulation de Bordeaux fut la
création d'un parlement, qui ne fut néanmoins établi que
iieui' ans a|>rès le traité, en 14C0. 11 sié.'eait dans l'ancien
ciii'iteau de l'Umbrière, qui avait éti^ la résidence des ducs
lie CiKVi'nnc. Mais les lîorddais ayant, quelque temjjs après,
n.pi-cioles Anglais, le p.irlenieut fut cassé et sa juridiction
réunie au parlement de i'oitiers, puis rétabli en 1401,
transféré à l'oiliers i'rinnoe suivante, lorS([ue le roi donna la
(Guyenne en apanage à son fière, et enfin reconstitué à lior-
<ienu\ en 1472. La tlivision, les attributions des cbambres
y étaient à peu prés h'.i mêmes que dans les aulies cours
souveraines. lise composait de neuf présidents à mortier et
de (juatre-vingt-dix conseillers. Ce parlement lutta long-
temps, et toujours avec un égal courage, contre les g<ni-
verneurs, les intendants et le despotisme ministériel. Il y
avait ea outre à Bordeaux une cour des aides, un conseil
d'amirauté et un bureau des finances.
L'autorité municipale bordelaiss appartenait à un maire
et il quatre jurats ou éiUevins, qui exerçaient dans toute sa
plénitude la police civile et judiciaire : les collèges, les aca-
démies, tout ce qui tenait au régime intérieur delà ville, élait
dans leurs attributions. L'Académie des Sciences et lielles-
Leltres date de 1712. Elle avait un protecteur liéréditaire :
c'était un privilège de la famille des ducs de la l'orce.
Les écoles de Bordeaux étaient déjà célèbres du temps des
Uomains. L'archevêché fut fondé au troisième s'ècle. Long-
temjis la mendicité y fut inconnue. L'empereur Napoléon
s'élonnant, en ISOs), de n'y voir qu'un seul hôpital : « ÎS'ous
avons, lui dit le maire, peu ùc malades et point de pauvres. »
Cette réponse naïve était le plus bel éloge de la population.
La révolution de 178a fut accueillie à Bordeaux avec un
enthousiasme unanime. On comprit tout ce qu'un régime de
liberté pouvaitajouter aux progrès deson imnicnse commerce.
Les relations d'affections et d'intérêts des négociants bordelais
avec les Anglo-Américains avaient préparé celte population
active et laborieuse aux jirincipes d'indépendance et à des
institutions larges et libérales. Dans les premières années,
aucune dissidence d'opinion bien tranchée ne se lit remar-
quer; tout annonçait l'union la plus intime : la plus légère
manilèstation d'opposition au nouveau régime n'eu tété qu'une
exception , et qu'une exception sans conséquence. Le parle-
ment même avait i)aru s'associer aux vœux de la grande
majorité de la population. Connue tous les autres parle-
ments <;e France, il s'était d'abord llatté que l'assemblée
des états généraux se bornerait à la réformation de quel-
ques abus dans l'administration des linan.es, et qu'il con-
serverait toutes ses hautes prérogatives. Mais l'assemblée
avait trop bien compris l'étendue des devoirs que lui imposait
son mandat pour maintenir l'onlre judiciaire existant. Le
parlement de Bordeaux se fit remarquer dans cette lutte de
mourants. Il essaya de soulever les campagnes par un fac-
tum contre-révolutionnaire. La municipalité dénonça les
magistrats à l'Assemblée nationale, qui manda le président et
le procureur général à sa barre.
Les députés de Bordeaux à l'Assemblée législative Remon-
trèrent les digues représentants de cette grande ville. 1 ous
les Itonmies qui croyaient à la bonne foi de Louis XVI et
à la possibilité d'assurer le bonheur et l'indépendance de la
Franc* par l'exécution sincère et complèie de la constitution
de 17U1 se rallièrent aux députés de la Gironde. Ceux-ci
furent réélus à la Convention; mais accablés par la Monta-
gne, les G i ro nd i ns se virent proscrits et plusieurs périrent
sui réchafau.l à Bordeaux même. L'évéuemeul du 9 ther-
WCT. DE LA COKVEUS. — T. [II.
AUX • 4-13
midor promettait à cette ville et à toute la France un avenir
de bonheur et de liberté ; ce ne fut que l'époque d'une réac-
tion désastreuse , habilement exploitée par le parti contre-
révolutionnaire. A Bordeaux, comme dans tout le midi, des
correspondances royalistes s'établirent, des comités centraux
et particuliers s'organisèrent sous couleur républicaine. On
vit seformer le chià des Jeunes gens, dont le but avouééiait,
dans le principe , de détraire le terrorisme ; mais, devenus
plus nombreux et domines par les partisans secrets de l'an-
cien régime, soldés par l'or de l'étranger, ils formèrent une
ligue puissante et compacte avec d'autres conjurés, dipiiis
les Alpes jus(iu'aux l'yrénées. Bordeaux eut ses Coni[)agnies
du Soleil , et enfin son Institut.
Sous l'Fmpire, la population bordelaise tout entière dé-
sirait la cessation des hostilités. Elle appelait de tous ses
vœux le retour des relations commerciales avec l'étranger
pour l'exportation de ses vins, dont l'intérieur ne pouvait
consommer qu'une trés-faible partie. L'armement en course
avait enrichi quelques maisons, mais en avait ruiné un plus
grand nombre. Pour une ville dont le commerce d'exporta-
tion et d'importation est la principale ressource, la paix était
l>lus qu'un bieal'ait, c'était un besoin, une condition d'exis-
tence. Cambacérès, arrivé à Cordeaux en 180S pour présider
le collège électoral, y lut parfaitement accueilli. L'empereur,
à son tour, vint à Bordeaux dans les premiers jours d'avril
1S08. 11 y resta dix jours. Le commerce et la ville lui don-
nèient des fêtes su|>erbes. Son mariage avec Marie-Louise
et la naissance du roi de Home y turent célébrés avec la plus
gran 'e magnificence.
Cependant les derniers jours de l'Empire approchaient, et
les ()etits conspirateurs de l'Institut de Bordeaux ne savaient
former que de stériles v(eux pour un changement de dy-
nastie. Cette faction, plus turbulente qu'active, ne pouvait
rien jiar elle-même, car elle n'avait point de racines dans les
masses; elle n'exislait même que par la dédaigneuse tolé-
rance du gouvernement dont elle rêvait la chute. Une dé-
fection inattendue vint à son aide, et lui donna quelque
consistance. M. Lynch, inaire de Cordeaux, qui avait
montré jusqu'au 28 février 1814 le plus ardent dévouement
à l'empereur, alla douze jours après au-devant de l'armée
anglaise lui offrir l'entrée de la ville. Les autorités , restées
fidèles au gouvernement, s'étaient retirées à Libourne; les
trou[ics de la division étaient éloignées de Bordeaux; les
conjurés de l'Institut avaient seuls accompagné le maire.
Leur sortie de la ville s'était exécutée avec le itlns profond
mystère, et toute la population fut plus qu'étonnée d'ajjcr-
cevoir le lendemain matin un drapeau blanc au clocher de
l'égli-e Saint-Michel. Des documents, avoués par les auteurs
(le l'événement du 12 mars, con.st aient que dès 1813 M. Lynch
s'était mis en rapport avec le comité royaliste de Paris. Ce-
pendant la victoire était encore incertaine, et l'occupation
fie la ville ne décidait rien. La pré.scnce du duc et de la du-
chesse d'Angoulême n'avait rallié autour d'eux que des indi-
vidualités. L^ province ne montrait aucune synipathie pour
les hommes du 12 mai-s; les nouveaux chevaliers de Marie-
Thérèse et du brassard n'étaient que des factieux sans in-
fluence réelle. On rêva le rétablissement du royaume d'Aqui-
taine ; et un ingénieur, M. l'iérhugue, fut t^iargéde dresser
la carte du petit empire : tout cela s'exécutait le plus sérieu-
sement du monde. Enfin, le général Wellington offrit au duc
d'.\ngoulême, au nom du gouvernement anglais, de faire de la
ville du 12 mars un port franc. Il présentait ce projet comme,
un témoignage de la bonne atnilié «pai all.iil régner entre les
deux nations, et conune un honneur et un avantage pour la
ville lie Cordeaux. Le duc d'.\ngoulème étitit enchante. Mais
la question fut ensuite éludée. Toutefois, il faut conipter pouc
beaucoup dans le sou<lain dévouement des Bordelais aux
Bourbons l'espoir d'une jiaix prochaine el d'un prompt pla-
cement des vins qui encombraient leurs chois depuis lanî
d'années. .Mais l'occasion de mettre à l'épreuve ces grandes
o7
[irolcsialions île dévouement ne se fit pas allcndrc une anni^e.
La (lijcliesse cl'Angoulêine se trouvait à Uordeaux lors
du retour de Pîle d'Klbe : l'entrée de Napoléon à Paris, la
(uite du roi , la défection générale de l'armée, u'abaltirent
point son courage : elle fit prendre les armes à la garde
ualionale, courut aux casernes haranguer les soldats et leur
nippeler ce qu'ils devaient à leur serment, à leur roi. Des
bataillons de volontaires royaux s'organisèrent en un instant,
et furent chargés par ses ordres de défendre les avenues du
port et de la ville, d'intercepter les communications et de
contenir le peuple. iMais le général Clause! n'eut qu'à don-
ner un signal pour faire reprendre les couleurs nationales à la
ville du 1 2 murs. La duchesse pai tit le 2 avril , à huit heures
du soir. Quelques volontaires royaux seulement l'accompa-
gnèrent. Le général Clause! avait dès le matin môme fait son
entrée h Cordeaux.
Une colonne monumentale, appelée Colonne du 12 mars,
avait été élevée à la porte de Toulouse. Elle tomba avec la
dynastie;! laquelle elle avait été consacrée, et le l^'aoùt 1830
ellefut démolie. Eordeauxavaiteualorsses trois jours comme
Paris. Le drapeau tricolore avait remplacé celui de la légiti-
mité avant qu'on piH y être informé des événements de la
capitale. L'insurrection avait éclaté à la première nouvelle
des fameuses ordonnances. La révolution de 1S48 ne trouva
pas plus d'opposition an sein de la ville du 12 mars.
Dans l'intervalle, un Journaliste, Henri Tonfrède, de la
famille du Girondin, avait donné à la i)resse parisienne des
leçons de polémique, lorsqu'il fut prématurément eidevé
dans la force de l'âge. Ce fut lui surtout qui , aidé de Fré-
déric Ijastiat, implantaà Cordeaux la doctrine anglaise du
libre échange, devenue le premier article de foi des négo-
ciants de ce port. En septembre I84ô le duc d'Aumale avait
commandé le camp de manœuvres de cette ville, situé dans
les landesde Saint-Médard-en-Jalle, gros bourg à six kilomè-
tres à l'ouest de Bordeaux, et y avait été accueilli avec les
démonstrations d,' la joie la plus vive par la population.
BORDEAUX (Vins de). Le département de la Gironde
passe, à bon droit, pour un des plus riches de la France en
vignobles. La surface qu'ils occupent n'est pas moindre de
103,513 hectares, soit près du dixième de la superficie du
département. Le produit est, année commune, de deux mil-
lions d'hectolitres de vin.
Le vignoble bordelais est divisé, d'après les caractères
particuliers de ses produits , en divers vignobles particuliers :
le Mcdoc, sur la rive gauche de la Garonne, au-dessous de
Bordeaux et jusqu'à la mer, dont la vendange est évaluée
de 31 à 33,000 tonneaux, et se divise en Ilaut-Médoc , Der-
ricre-Haut-Médoc et Bas-Mcdoc ; les Graves , ^etit terri-
toire graveleux et caillouteux, situé sur la rive gauche de
la Garonne et dont Bordeaux occupe le centre; les côtes,
comprenant tous les coteaux situés le long de la Garonne ,
sur la rive droite, au-dessus de l'embouchure de la Dor.dogne;
les côtes de Saint-Émilion, comprenant les coteaux des en-
virons de Saint-Émilion et de Libourne, sur la Dordogne;
le Bourgeois, ou les côtes de Bourg, pendant longtemps le
vignoble le plus estimé du Bordelais, conqirenant les coteaux
de la rive droite de la Gironde et de la Dordogne, depuis
Bourg jusqu'à Fronsac ; les Palus , comprenant les terres
grasses et alluviales des bords de la Garonne, de la Dordo-
gne et l'entre-deux-mers, ou l'intérieur du pays compris
entre ces deux grands cours d'eau.
Les vignobles de IMédoc et des Graves renferment les
crus les plus célèbres du Bordelais. Les premiers vins rouges
sont ceux de CIiàteau-Margaux , Chdtcau-Lafjite et Chd-
teau-Latour, connnunes de Margaux et de Pauillac dans le
Médoc , et ceux de Château-Haat-Drion dans la commune
de Pessac et dans les Graves. Les vins blancs les plus estimés
sont ceux des communes de Barsac, l'rei'jnac , Sauternes,
^^oîJiWY's et ///aH(7MC/o?<l, toutes dans le vignoble des Graves.
La ville de Bordeaux est l'entrepôt de tons ces vins, au\-
BOÎIDEAUX — BORDEE
quels viennent se joindre les vins de quelques d(=parlnncn(s
voisins , et dont la plus grande partie est destinée à l'ex-
portation par mer. Au quai des Cliartrons on voit de vastes
magasins, ou chais, dans lesquels ils sont préparés et
mêlés suivant le goût des pays pour les(]uels on les expédie
et selon la longueur des traversées; on niv te ou soufre
plus ou moins les tonneaux, on colle les vins en grand,
enfin on les renforce pour les peuples qui préfèrent les vins
forts. Ceux de médiocre qualité sont distillés en eaux-de-vie
ou transformés en vinaigres.
[Tous les vins de Cordeaux ne sont pas d'égale qualité.
Entre le petit iMédoc de la pire espèce , que Bordeaux dis-
tille ou expédie par mi^r aux prix de trois à dix-sept centi-
mes, et les vins de Saint-Émilion, de Saint-Estèphe, de
Pauillac, de Ségur, de Château-Margaux , de Laffitle, qui
se vendent jusqu'à dix francs la bouteille , il y a tout autant
de différence qu'entre l'eau-de-vie de cidre et le marasquin
de Zara. Le vin de Bordeaux, quelle qu'en soit la qualité,
a du moins sur les autres vins de France le très-grand avan-
tage d'être transportable en tout lieu et de se bonifier par
le voyage, sur mer principalement. On le fait quelquefois
voyager, comme un adolescent, uniquement pour le rendre
meilleur. Ces grandes traversées, qui avaient jadis le pri-
vilège d'anoblir tout Français qui en affrontait les périls,
n'ont rien perdu de leurs prérogatives quant à ces vins.
De môme que les viandes blanches , le vin de Bordeaux
convient surtout aux estomacs délicats, aux gens nerveux
et aux convalescents , taudis que le vin de Bourgogne , en
cela comparable au rosbif, sied mieux aux personnes ro-
bustes, à celles qui fatiguent beaucoup d'ailleurs que de la
tète, de même qu'aux septuagénaires valides. C'est princi-
palement de ce dernier vin qu'on doit dire qu'il est le
lait des vieillards. L'essentiel est d'en user avec sagacité
et modération.
Les vins de Bordeaux , plus légers et supportant l'ean
plus difficilement, sont aussi plus froids, si Ircids même,
bien que le bouquet en soit délicat et pénétrant , que les
gourmets ont imaginé de les chauffer doucement avant de
les servir, afin de les rendre plus digestibles et plus savou-
reux. C'est le seul vin pour lequel on suive les vues hygié-
niques de Fr. Bacon à l'égard des boissons. Bacon voulait,
en effet, qu'en toute saison les breuvages eussent la tem-
pérature du sang. S'il n'existait pas de liqueurs plus eni-
vrantes et plus dangereuses que le vin de Bordeaux , jamais
philanthrope n'eût songé à la ridicule institution des sociétés
de tempérance. D"" Isidore Bourdon.]
BORDEAUX (Henri-Dieudonné d'ARTOIS , duc de).
Voj/ez CnxMBORD (Comte de).
BORDÉE. Ce mot a plusieurs acceptions en marine :
d'abord, il exprime la route que fait un vaisseau au plus
près du vent : ainsi , l'on est obligé de courir des bordées
quand on veut s'avancer vers le point d'où souffle le vent.
11 signifie encore la décharge de toute l'artillerie d'un des
côtés dn navire. Pour se faire une id4e claire de l'efTet que
doit produire dans un combat un vaisseau qui tire à la
fois sur l'ennemi toute une bordée , il faut se représenter
la quantité de fer lancée tout d'un coup par ce vaisseau.
Nos grandes frégales, par exemple, armées aujourd'hui de
60 canons de 15 l<ilogrammes de balles, envoient par bordée
à l'ennemi 450 kilogrammes de fer, en supposant qu'on ne
mette qu'un boulet dans chaque pièce; mais si l'on combat
de près, comme alors on met deux et quelquefois trois pro-
jectiles dans chaque canon , elles peuvent lancel- à la fois
plus de 1,000 kilogrammes de fer : la bordée d'un vaisseau
de 100 canons dans cette dernière circonstance serait de
1,800 kilogrammes environ. On conçoit quels affreux ra-
vages doit faire chez l'ennemi une tflle quantité de projec-
tiles animés d'une vitesse cons'derable : les mats et les ver-
gues sont coupés et tombent sur le pont avec fracas; la
muraille du navire, traver.-ée de part en part, est hachée
jar les bouiels, cl ses éclats, laiicvs daus toutes les tîirec-
lioiis , sont quelquefois plus dangereux que les boulets eu\-
luèuies.
C'est surtout quand une bordée est tirée à la poupe d'un
navire que ses effets sont terribles : les boulets , qu'alors
aucune résistance n'arrête, parcourent le bâtiment dans
toute sa longueur, balayent tout ce qui se trouve sur leur
passage, enlèvent les hommes par files, brisent les affûts
ou ricochent sur la volée des canons. Cette bordée se nomme
bordée d'enfilade.
Les bordées sont très-dangereuses encore quand les bou-
lets portent à la flottaison ou un peu au-dessous. En 1664,
un navire hollandais, détaché de la flotte de Ruy ter, fut
attaqué par quatre bâtiments de guerre anglais, qui le ca-
nonnèrent de tous les côtés ; plusieurs boulets frappèrent à
la fois dans la ligne de flottaison , et l'eau se précipita avec
violence dans lintérieur du navire. Les Anglais, ignorant
l'extrémité à laquelle l'ennemi se trouvait réduit, sautèrent
à l'abordage , et l'on combattit avec acharnement sur le
pont , tandis que le vaisseau s'enfonçait lentement. Mais
quand l'eau eut atteint les sabords de la première batterie,
elle entra dans le navire, qui disparut en peu d'instants,
enveloppant dans sa ruine une grande partie des Anglais
qui se trouvaient à bord.
Malgré l'immense avantage qu'un vaisseau de forte cons-
truction et armé d'une artillerie considérable a sur un autre
de moindre dimension, on ne doit jamais désespérer de la
fortune : une bordée heureuse, qui tuerait beaucoup d'hom-
mes à l'ennemi , ou qui lui ferait des grandes avaries, peut
rétablir tout à coup l'équilibre dans le combat. D'ailleurs,
si l'on compare les quantités de fer lancées par des bâti-
ments de forces inégales , on verra que la diflërence de puis-
sance des projectiles n'est pas tellement considérable que
le courage, ou une supériorité de mamruvre, ou une meil-
leure direction donnée au tir des boulets, ne puisse sou-
vent contre-balancer c<t avantage. Enfin , il est encore une
dernière ressource que la bravoure offre aux plus faibles,
c'est l'abordage, illa sains vicUs! Dans le combat du cap
Saint-Vincent, Nelson, se voyant écrasé du feu d'un trois-
pouts espagnol , contre lequel son artillerie trop faible faisait
de vains efforts , osa tenter l'abordage. Il aborde l'ennemi
malgré le feu redoublé de toutes ses batteries , saute à son
Lord, l'enlève à l'arme blanche, y place son pavillon, y
transporte tout son équipage, et tire un nouveau triomphe
do la ruine même de son vaisseau. Théogène P.\ge.
iiORDELAGE, terme de droit féodal, dérivant, d'a-
ji.rès Coquille, de borde ou border le, [letile lérme, était
une sorte de lenure en roture particulièrement eu usage dans
la coutume tiu Nivernais, soumise a certaines charges et
conditions portant, entre autres, que faute du payement de
la redevance, le seigneur pouvait rentrer dans riiéritage par
droit de commise; que le tenancier ne pou \ ait démembrer
les choses tenues eu ùordelage, sous peine vie commise;
qu'il était obligé «l'entretenir l'héritage en bon ttat, etc.
BOPd)ELAIS {Durdigalensls ager) , pays avec titre
de comté compris dans la Guienne, et dont Bordeaux
était la capitale. 11 se composait <lu Bordelais proprement
dit, du Médoc, avec la Flandre du Medoc , des landes de
Bordeaux, des pays de Buch , de Born , de Marensin, du
comté de Benange, du pays entre les deux mers, du pays
de Libourne, du Fronsadais, du Cubzaguès, du Bourges ,
du Bla>ès et du Vitrezai.
BORDEREAU. C'est le relevé détaillé des espètes di-
verses qui composent une somme; on appelle bordereau
de compte un extrait de compte dans lequel on éniimère le
débit et le crédit, alin de les balancer. Les banquiers en-
voient chaque mois un extrait du compte courant aux né-
gociants avec lesquels ils sont en relation d'affaires : cet
extrait s'appelle bordereau. Le ministre des linances reçoit
tous les mois des administialions linanciercs le bordereau
BORDEt: — COLlDi:SOULLE 4h\
de leur situation. Les commis, garçons de caisse et de le
cette, ont un petit livret, nommé to?"derea« , sur leqi>„l \U
inscrivent le détail des sommes qu'ils payent ou quils re-
çoivent. En cas de faillite, chaque créancier doit remetUe
au syndic l'élalde sa créance sur un bordereau timbré.
Le bordereau d'inscription hypothécaire est un acte
fait en deux doubles, dont l'un reste au conservateur et
l'autre au créancier, et qui contient , outre la désignation
des sonmies dues au créancier en principal et accessoires,
foutes les autres indications requises pour que le conserva-
tour puisse opérer l'inscription d'une hypothèque (Cod.
Napoléon, articles 2148 et 2150).
Le bordereau de collocation est un extrait du procès-
verbal d'ordre contenant le prix d'un immeuble et déliMé
par le greffier du tribunal aux créanciers utilement colloques
{voyez Ordre, Collocation, Mandement).
Le bordereau de vente est la déclaration signée du ven-
detir, qui indique la nature de la marchandise, son prix,
l'époque de la vente, et celle de la livraison.
Le bordereau de courtier, le bordereau d'agent de
change , est un écrit que remet l'agent de change ou le
courtier à ses clients après l'avoir signé. Cet acte constate
les négociations par eux opérées. Il est soumis au timbre.
BORDESOULLE (Etienne baron, puis comte, TAR-
DIF DE PO>LMEROUX de), né le 8 avril 1771, à Lizeray
(Indre), entra au service le 27 avril 17&S), comme simple
chasseur à cheval dans le deuxième régiment de cette arme,
j lit toutes les campagnes de la rcNolutioîi, depuis 1792, et
I fut nommé colonel du 22* régiment de chasseurs, par suite
I de sa brillante conduite à Auslerlitz. Le U juin i!507, à la
I fête de soixante hommes de son régiment, il traverse le
I passage de Guttstadt, charge un bataillon insse qui est en-
I tièrement pris et taillé en pièces, et reçoit deux coups de
I baïonuclle a l'avant-bras droit et dans la [)oitrine. Il bc
I dislingue encore à Heilsberg et à Friedland, et est créé ge-
I néral de brigade le 25 du même mois. Le 1*'' août il e.-^t
employé dans le corps d'armée du maréchal Brune, et placé
! en décembre à la tête de la cavalerie légère attachée à ladé-
tense de Dantzig. Chargé, en novembre ISOS, du comman-
dement d'une brigade de la réserve de cavalerie de l'armée
d'ifpagne , il détruit le mois suivant les débris de l'armée
de Castaùos, aux environs de Madiiil, et contribue, le 2»
mars liSO'J, au gain de la bataille- de Médelin, en taillant en
pièces, a la tète des 5* et 10'' de chasseurs, 60,000 hommes
d'infanterie espagnole, au moment où tout le corps du ma-
réchal duc de Bellune opérait son mouvement de retraite et
où il avait lui-même reçu l'ordre de se retirer.
Passé le 25 mai ISOa à l'armée d'Allemagne, il y prit
le commandement d'une brigade de cavalerie du 4*^ corps,
fut employé au corps d'observaiion de la Hollande, en mai
1810, et investi du commandement de la 3^ brigade de ca-
valerie légère de l'armée d'Ailema:;ue, le 2 décembie.
En novembre 1811 il passa au corps d'ob^enation de l'Elbe,
devenu premfer coq)S de la grande armée , et fut appelé en
Juin 1812 à la tête de la 2" brigade de cavalerie légère du
même corps. Le 30 de ce mois il battit, à Soleschuilvi , l'a-
vant-garde du général Barclay de Tolly, et le 23 juil-
let, commandant l'avant-garde du corps du prince d'Eciv-
mulil, composée du 3* regimentdecluisseurs et d'un régiment
d'infanterie,- il s'empara de Mohilow, y lit 900 prisoumers,
se rendit maître de magasins, de bagages considérables, et
de plus de 600 bœufs destinés au princeBagratiou. il com-
battit encore à Smolensk, à la MoNkowa, ou il eut ia uia-
choire fracassée d'un coup de biscaien, et a Krasuco, ou il
s'empara de huit pièces de canon , après avoir cuiijuie un
corps de 1,500 hommes, enfonça un formidable carre d'in-
fanterie, lui fit 300 prisonniers, et dégagea le 9* de lanciers
polonais, gravement compromis.
Ùcvé au grade de général de division le 4 décembre 1812,
il fiU dpjiele *u connuaiidcmeiil de la l"^^ di\isiou de cui-
««.'',2
BOilDESOULLE — BOl.DFU
rasMcrs (^u 1"' corps de cavr.lcrie ^o la j^rancle arm(^e le 15
h'vt'm- isn, et fit, h sa tr-fe, la caiiipa^iie de Saxe. D(^jà
rcvr'iii du titre de baron de IVmpire, avec une dotation, il
lut créé coiiiniandant ()e la I/gion d'Honneur le l^ mai, et
se dislinf^iiii à I.utzen,;» Haut/en, à Dresde, ou il dirigea
avec liabilelé plusieurs <liarges vij;oureuses , enfonça une
douzaine de carrt^s ennemis, fit C.jOOO prisonniers, et con-
tribua à refouler dans les montaj.^nes de la I5oh(^me l'armée
nombreuse f]ui menaçait de nous c^craser; à Leipzig, où,
les k;, 17 et iHodobre, il donna de nouvelles preuves d"in-
tn''pidité; à Hanau, où il soutint une partie de la retraite,
et sut, avec peu de monde, imposer à une nombreuse ca-
valerie cbarpée de rnupiiéter. Nommé commandant des
deux divisions de cavalerie organisc^es h Versailles le 3 jan-
vier 1SI4, il coopéra au succès remporté sur le feld-maré-
rlial lîlùcber à Vauxcbamps le 12 février, culbuta Tenne-
vii au combat de Villeneuve le 17, se trouva à la reprise de
lîeiiiis le t:^ mars, au combat de Fère-Champenoise le 25,
et à la bataille sous Paris le 30.
Après la première rentrée des Bourbons, il fut nommé, en
mai 1814, insjjecteur général de cavalerie, cbcvalier de
Saint-Louis le 2 juin , et grand officier de la Légion d'Hon-
neur le 23 août. Lorsqiie l'empereur revint de l'ile d'Elbe,
d prit, le 12 mars IHI.%, le commandement des neuf régi-
ments de cavalerie de la 2" division militaire, dirigés sur
CliAlons. 11 suivjt Louis XVIIlà Gand.fut nommé chefd'é-
tar-major du duc de lîerry, le 25 juin 1S15, pendant l'émi-
gration, et rentra en France avec ce prince dans le mois
de juillet. Louis xVlll le nomma grandVroix de la Légion
d'Honneur le 15 août, et lui confia le S septembre l'organi-
sation de celte belle cavalerie de la garde royale dont il eut
le commandement. Il lit partie de la cbambre introu-
vable comme député de l'Indre, et fut créé, le 12 octobre,
membre de la irop fameuse couunission diargée d'épurer la
conduite des officiers des Cent-.lours. Le 3 mai ISIG il fut
fait commandeur de Saint-Louis, et écliangea son titre de
baron, conquis sur le cliamp de bataille, contre celui de
comte, que lui doimait la Restatiration. Aide de camp bono-
raire <h\ comte d'Artois le 2 juin ls!7, membre du comité
des inspecteurs généraux le 25 oclobre, il devint gentil-
liomme dlionneur du duc d'Angoidéme le l" juillet 1S20,
reçut la décoration de grand'croix de Saint-Louis le r''n1ai
1H21, et fut nonuné gouverneur de l'Kcole Tolyteclmique,
en conservant sou emploi dans la garde royale, le 17 sep-
tembre 1S22. A(ipelé, le 10 février 1S23, au commandement
en cbef des trou[)es de la garde employées à l'armée des
l'vréuées, il dirigea le blocus et le bombardement de Cadix,
et lut cité, le ."îl août, à la prise du Trocadéro.
Le général Bordesoulle, après la gueire, fut créé pair de
France le !) octobre. Ses opinions étaient francliement pa-
triotiques et constitutionnelles. Ses conseils au duc d'An-
goulème eu avaient obteiui plusieurs actes qui furent agréa-
bles aux ami> de la liberté, entre autres la fameuse ordon-
nance d'Andu jar. Au mois de décembre il reprit le com-
mandement de sa division de cavalerie dans la garde.
Proclamé cbevalier commandeur de l'ordre du Saint-Ksjirit
dans le cbapilre tenu le 21 février Is.TO, il tenta vainement
de conjurer les funestes résolutions du roi en juillet, et de-
meura, pendant les trois journi'es, à Sàint-Cloud, prêta
défendre sa personne. Ce fut à r>ambouillet seideiuent qu'il
le quitta, continuant à exercer son conun;indement dans la
garde dissoute jusqu'au 21 août, qu'il fut mis en disponibi-
lité. Compris dans le cadre de réserve d<i t'état-major géné-
ral le 7 février iK.'îl, il fut admis à la retraite le 1'» niars
1H32. Dciiuisla révolution île .luillet, il vivait à l'écart, bien
ipi'il fit encore partie de la Cbambre des Pairs, où il pa-
raissait à de rares intervalli's. H mourut le 3 octobre is.îS, à
sa terre de l'oiilaine, près de Senlis. F,. G. nr. IMonci.ave,
UOÎljJEU ( Tui.oiMMi.K ), naquit à T-este, près d'Eaux-
Boiiiies, le 22 févriet 1722. Issu d'imc ancienne famille de
médecins, fon père, Antoine Hordeu, voulut que Ini et son
frère le fussent également. II respira dès l'enfance l'air vif
des Pyrénées et le parfum des plantes méridionales ; il se
désaltéra souvent aux sources sulfureuses des montagnes,
et apj)aremment c'est aux Eaux-Bonnes qu'il fut baptisé
médecin. On lui fit faire ses études à Pau, après quoi on
s'empressa de l'envoyer à Montpellier, tant son ardeur pour
la médecine donnait lieu de craindre qu'il ne pratiquât la
profession de ses aïeux avant de l'avoir apprise. L'école de
Montpellier, quand Bordeu y vint étudier, se partageait en
vtfaiistc.i et en mécaniciens; il y trouva deux bannières,
celle de Boerbaave et celle de Stabl. Il fré(iuenta d'abord J
les deux camps, fraternisa, dans les temps de trêve, avec f
les deux armées; mais ce fut dans celle de Stabl qu'il
s'enrôla décidément, et il ne tarda pas à en devenir le clief.
Prenant pour devise une sentence de Sénèque, Doceout
discam, il savait à peine l'osléologie qu'il professait déjà
l'anatomie, science essentielle au médecin, beaucoup j)lus
désagréable que difficile, et pour laquelle les condisciples
de Bordeu se sentaient moins de vocation que pour les
théories spéculatives dont Montpellier fut dans tous les
temps la féconde patrie. A vingt ans ( 1742 ), Bordeu sou-
tint sa première thèse ( alors il en fallait deux ), De Sens^i
generice, etc. , germe fécond <le ses ouvrages ultérieurs. Ce
fut là sa première déclaration de guerre contre l'école de
Boerbaave, sa profession de foi comme vitaliste; et par
vitaUstea il faut entendre ceux qui expliquent la vie par
la vie môme. Bordeu examine dans cet opuscule les esprits
vitaujc , qu'il déclare, sinon illusoires, du moins encore hy-
pothétiques, aussi bien que lesiérje de l'dme, dont la recher-
che lui parait vaine. Il affirme que les nerfs participent à Jj
chaque acte de la vie, et la sensation lui semble donner à I
l'esprit plutôt sa forme que son essence; car lui aussi,
Bordeu, était spirilualiste, comme Barthcz, comme Bi-
chat, comme Bo e r h a a v e , comme i^I a 1 1 e r , comme vingt
autres médecins supérieurs; et je ne .sais où l'on a puisé
l'opinion que les phijsiologisics el les vrais inMecins sont
lotis nintcrinlislcs. Cette dissertation fut remarquée, vi-
vement applaudie par ceux dont elle favorisait l'opinion,
et elle valut à Bordeu la dispense de plusieurs examens ,
superllus pour un homme de son mérite. Après la thèse de
licence , vint celle pour le doctorat. Celle-ci avait pour
sujet le mécanisme de la digestion ( Clujiificationis Itis-
toria, 1743 ). On trouve dans cet écrit toute l'ingénieuse
moquerie qu'on pouvait attendre de l'esprit vif et piquant
de Bordeu, au sujet des explications chimiques et méca-
niques ; car avant lui nos maîtres avaient la faiblesse de
croire (pie la digestion était v.nii fermentation , une putré-
faction, ou xmc macération , ou une trituration, etc. :
quot somnia! Si on osait de nos jours, on nous redon- «
nerait tous ces songes pour des réalités ; car si les hypo- ■
thèses mécaniques sont mortes , les mécaniciens épient le "
moment de régner.
Bordeu n'avait que vingt et un ans, et déjà il avait jeté
les fondements de sa réputation. C'était assurément être
bien précoce ; mais il faut remarquer que ce médecin était
méridional, homme des montagnes, enfant né dans le
t(Mnp!e, el de plus homme de génie : or le feu sacré, pour
luire, a moins besoin d'années que d'occasions propices;
reçu docteur en 1744, on fut étonné de voir prendre ù
Bordeu, avec une sorte d'ostentation, le titre de médecin-
chirurgien, qui n'était guère dans l'esprit du temps et du
lieu. Cela même lui concilia l'amitié diuable (Les chinirgiens,
en faveur desquels le chancelier d'Aguesseau venait de
contre-signer une espèce lYcdit de Aantcs ( 1743 ), qui les
assimilait presipie aux médecins, mais dont ceux-ci sou-
haitaient ardemment la révocalion. Bordeu a vécu moins
que la haine qu'excita ce titre éqiiivocpie parmi ceux de sa
robe, trop épris de leur dignité doctorale et tremblant d'y
déroger.
I
BORDEU
457S
Kndianl»' de sa i(''coi>l'on comme de ses luaîties , encore
éli'ctrisé d'un premier succès , sou esprit ébauchait mille
desseins, sa charmante liumcur lui donnait accès partout,
et son imagination l'y faisait applaudir : ignorant encore et
les soucis de l'ànie et le fiel de l'envie, les tourments le
l'undiition et môme ceux de l'amour, le jeune Théophile , à
<pii son père laissait pour récompense beaucoup de liberté ,
coula alors les jours les plus heureux de sa vie. Son p'.aisir
était d'accentner gaiement avec les paysans des Pyrénées le
charmant patois des montagnes ; d'antres fois , plus orné de
corps et d'esprit, il allait à Eaux-Bonnes et à Baréges
étu<lier les eaux, observer les malades, et toujours il y
confinerait des suffrages et y laissait de nouveaux amis;
d'autres fois il allait à Montpellier faire un cours, éclaircir
un doute, tenter un essai, adresser quehpies arguments
latins à ses maîtres, devenus ses égaux en attendant pis;
puis il revenait à ses eaux pour causer, à sa vallée pour
se réjouir et chanter, dans sa famille pour ôtre heureux,
pour se voir aimé, car c'est là le vrai bonheur. Un jour on
le vit partir pour Paris : hélas! qu'y va-t-il faire? disaient
le.s Béarnais? Bordcu n'avait point le projet de rester à Paris.
Après quelque temps , on l'en vit revenir avec le titre de
surintendant des eaiix viinéralcs de l'Aquitaine , titre
bien fastueux; mais après tout Bordcu était un jeune
homme, il aimait les titres : alors c'était une monnaie cou-
rante qui avait beaucoup de valeur , et qui, on a beau dire,
en a encore aujourd'lnii.
Une fois intendant des eaux, Bordcu appliqua tous ses
soins à étudier et à faire connaître les sources des Pyrénées.
11 rédigea, de concert avec son père et son frère, le Journal
de liaréges , pour les médecins ; une dissertation latine sur
l'usage des eaux thermales des Pyrénées dans les ma-
ladies chroniques , à l'adresse des savants et des étrangers;
et enfin des Lettres vives , diffuses, él incelantes d'exagé-
ration et d'esprit, naïves comme l'ignorance, chaleureuses
comme la persuasion , menteuses et dévergondées eomine
le climat; cl ces lettres étaient adressées à madame de
Sorbério, femme titrée de ce pays-là , qui avait de l'inlluence
par sa fortime et par sa famille, peut-être aussi par son
esprit, et certainement par son sexe seul et ^a beauté,
surtout à cette époque , où tout se faisait en France par
les femmes ou pour elles. Ces lettres eurent un grand
succès parmi les gens du monde ; et c'est principalement à
cet ouvrage que les eaux de nos Pyrénées ont prinu'tivement
dil leur vog'.ie et leur célébrité, au reste si li^gitimes. Bordeu
est le poète des eaux thermales; et c'(^t peut-être le seul
panégyriste qu'on ait cru sur parole, tant son verbe était
entraînant !
Partageant son temps entre ses malades et ses écrits , tan-
lôt à Pau, où il résidait, tantôt aux sources thermales,
ilont la réputation l'occupait autant que la sienne , Bordeu ,
arrivé à trente ans, en 17 J2 , après six années de doctorat ,
quatre de pratique et de surintendance , s'étonna tristement
de se voir avec tant «le zèle et apiès tant de fatigues, presque
aussi inconnu hors du Béarn et du Languedoc qu"il l'était
au jour de sa réception. Lui, qui aimait la gloire et qui se
croyait fait pour elle, lui qui l'avait rêvée grande et i)rompte,
et sans tenir compte ni <ie l'indinérencc du public à tresser
des couronnes, ni du nombre de ceux qui songent à les
ceindre, son obscurité de trente ans l'humilia, et pour la
|)remière fois il pensa à Paris. En elTet , c'est à Paris que se
font les réputations, c'est là que se tient la grande et perpé-
tuelle joute de l'esprit avec ses juges, ses spectateurs, leurs
murmures, leurs froideurs ou leurs applaudissements ; c'est
la qu'on s'éclipse si l'on échoue, qu'on brille et qu'on règne
si l'on est vainqueur; mais là aussi est l'envieuse rivalité et
le sénat permanent des coteries. Bordeu n'y songea point , et
il vint à Paris. Il adressa en patois des Adieux touchants à
la tranquille millée d'Ossau. H aurait dû faire aussi ses
adieux au bonheur.
Arrivé à Taris, il publia ses licc/ierches sur les Glandes,
ouvrage de saine doctrine, dirigé contre les chimistes et
les mécaniciens , où l'on trouve l'origine d'une théorie des
sécrétions , qui règne encore de nos jours. Celte publica-
tion remarquable l'ayant mis en rapport avec les littérateurs
et les savants de l'époque , il composa quelque tem[is après,
pour V Encyclopédie de d'Alembert et de Diderot, dont on
le nomma collaborateur, un grand article sur les Crises,
petit ouvrage plein de faits et de recherches judicieuses.
Bordeu envoya presqu'en môrne temps à l'Académie de Chi-
rurgie un mémoire sur \c?, écrouelles , qui fut couronné.
Quant à la pratique, Bordeu éprouva mille tracasseries. Son
titre de docteur de Montpellier ne lui donnant pas droit
d'exercice dans la capitale, des confrères judicieusement
jaloux entravèrent ses desseins. Bordeu, toujours courageux
et infatigable, prit le parti de subir de nouveaux examens
pour obtenir le diplôme indispensable. Il composa à cette
occasion trois disi^ertations latines, l'une sur la Chasse
considérée comme l'exercice le plus salubre; une autre
sur les Eaux minérales de l'Aquitaine, une autre enfin
pour prouver que toutes les parties du corps concourent
à la digestion. Bordeu voulait dire que toutes y sympa-
thisent ou y compatissent. Quelque temps après il fut
nommé méUecin de l'hôpital de la Charité, avec le titre
d'inspecteur créé exprès pour lui ; car il aimait encore les
titres, ne prenant pas garde que cette innocente puérilité
doublait le nombre de ses ennemis et ne faisait qu'aigrir
et envenimer leur jalousie implacable.
.Maintenant, médecin d'hôpital, humilions bien nos en-
vieux, faisons encore quelque découverte! Douze ans au-
paravant (1743) , Solano de Lucqucs avait fait sur le pouls
les observations les plus importantes et les plus nouvelles.
Bordcu résolut de vérifier ces observations et d'en agrandir
le champ. Il ne voulait ni calculer le pouls, comme Éro-
phile, ni le noter en musique comme les Chinois; il n'am-
biliouQait laéme pas de renouveler ou les miracles d'Éra-
sistrale sur Antiocbus, ou les merveilleux prognostic-à de
Galien; il voulait simplement savoir le vrai , et il avait dé-
cidé de le dire. Solano avait découvert que le pouls dicrote
ou rebondissant indique des hémorrhagies du nez ou de la
poitrine; que le pouls intermittent présage on dénonce des
dérangements du ventre, etc. Bordeu poussa ses recherches
beaucoup plus loin : il prétendit distinguer le pouls des
maladies supérieures d'avec le pouls des maladies inférieures
au diaphragme; il décrivit même le pouls du nez, celui
de la gorge, des poumons, de l'estomac, des intestins , <le
l'utérus, du foie, le pouls des hémorrhoides , etc. Et même,
il faut le dire, il poussa si loin ses reciiercbes, il les ren-
dit si subtiles, si métaphysiques, que c'est à .son bel ouvra^e
qu'il faut reprocher rindilïérenceactiieUc des médecins fian-
çais en ce qui regarde les signes tirés du pouls, nonobstant
la conviction contraire des malades. Toutefois l'ouvrage de
Bordeu fil beaucoup de bruit. On en parla aux bureaux do
VLlicyclopédie; \ti Mercure en donna l'analyse; Voltaire,
concevant de l'inquiétude pour sa santé, restreignit ses énor-
mes doses de café, et fut en conséquence quelques années
sans donner de nouvelles tragédies : la première <pi'il pu-
blia ensuite n'était méi7)e qu'une tragédie en ]irose et traduite
iSocrate). Mais le grand effet qu'eut cette production fut
pour les rivaux de Bordcu. Bouvart, le plus passionné
de tous , lui dont la hideuse figure portait une cicatrice af-
freuse, « qu'il s'était faite, disait Diderot, en maniant mala-
droitement la faulx de la mort , «Bouvart accusa Bordeu
d'avoir volé les bijoux d'un riche malade qu'il conduisait
aux eaux minérales, et qui était mort dans le voyage.
Thierri (dit Richerand) eut assez de crédit pour faire rayer
le nom <le Bordeu de la liste des médecins de la faculté,
et il fallut un arrêt du parlement de Paris pour le rétablir
dans la jouissance de ses droits. Telle était même l'odic^sc
i conduite de ses ennemis, qu'il n'aurait pu visiter ses malade*
404
BORDEU
sans iJanger poin- sa vie, si le prince de Coiiti ne lui eût [)v6h\
pour courir la ville, son 6quipa(;e et sa livrée...
Toutes ces persécutions, loin d'atliéilir le zèle de llonleu ,
ne firent que le rendre |)lus fervent. Il publia successive-
ment des Hecherches sur ta Colique mctuUigue des Pein-
tres, ou du Poitou; les Rcc/ierc/ies snr VHisloire de In
Médecine, -A l'occasion de l'inoculation, dont il était lecliaud
fwrtisan; d'autres Rcclierches sur le Tissu Muqueiix ou
Cellulaire, ouvrage qu'on peut rei;arder comme le premier
mais imparfait modèle At Y Anatomie générale ùq Bicliat;
«nfin, des nechrrches sur les Maladies chroniques , dont
la cinquième [)artie, aussi éloquente que singulière, est
coïKacrée à Vanalijse médicinale du sang.
Les ouvrages de Bonleu sont trè'v-remarquables , non par
la méthode (il en avait peu), mais par les aperçus, par la
ju.'tleté des idées , par la puret,é de la diction , par des pen-
sées ingénieuses. liordeu était contemporain de Voltaire :
il respirait le mémo air que lui , il voyait la même société,
assistait aux mêmes al)US, et de plus il lisait ses œuvres;
aussi peut-on dire qu'il fut Je Voltaire des inéiiecins de son
temps. S'il eilt été moins étourdi, plus ami de l'ordre,
moins surabondant, plus sobre de faits et de citations, plus
réservé dans le choix des idées, moins confus dans ses
plans, on pourrait le placer sans scrupule à la tête des
<icrivains de la médecine. On le lit encore avec plus de
jilaisir et plus de fruit que la plupart des auteurs qui lui
ont survécu ou succédé. Cela tient principalement à ce
qu'il est par-dessus tout historien et philosophe, qualités
qui vieillissent moins que celles de systématique, de sa-
vant ou d'érudit. Si l'on met de côté son antipathie pour
les mécaniciens et les chimistes, Bordeu est de toutes les
i^coles, il s'arrange de tous les systèmes , il trouve à puiser
et à penser dans lous : il est essentiellement écleclique,
c'est-a-dire choisissant.
l'eu d'auteurs sont aussi difficiles à citer que Bordeu ; à
dia(|ue page, c'est un trait qui frappe, une pensée qui
b'empare de l'attention , une expression qui enchante l'esprit
ou qui invite à réiléchir; peu d'écrivains possèdent aussi
bien que lui l'art des allusions. Est-il question de la méde-
cine? C'est, dira-t-il, une coquette qui, à présent qu'elle est
vieille, prend des ornements, des parures; elle était simple
<lans sa jeunesse, et voilà comme l'ainia Hippocrale, son
premier amant. Veut-il blâmer l'abus de la saignée, trop
préconisée par Chirac, trop autorisée par ses idées si exclu-
sives d'inllammalion universelle? J'ai vu un moine, dit
Bordeu , qui ne mellait point de tenue aux saignées :
lorsqu'il en avait fait trois il eu faisait une quatrième, par
la raison, disait-il, que rannée a (]ualre saisons, qu'il y a
quatre parties du monde, (juatie âges, quatre pomts cai-
dinaux. Après la (jualiième , il en fallait une cinquième,
<-;tr il y a vhn\ doigts à la main. A la cinquième il en joi-
HUiiit une sixième; car Dieu créa le monde en six jours.
Six! il en faut sept; car la semaine a sept jours, comme
la Grèce eut se|)t sages. La huitième sera même nécessaire,
parce que le compte cf^i {> lus rond. Kncore une neuvième,
(jiiiii... rwmero Deus impure gaudel.
Ce serait à ne pas liuir si l'on voulait citer de Bordeu tout
ce qui mérite le souvenir, non-seulement des médecins,
iiiiiis même des gens de goût. Sou parallèle de Boerhaave
a\cc AscU'piade, sa criti(iue modérée, mais si judicieuse,
«le LocUe et de Uescartes, ses allusions au sujet de saint
Alhanase, accusé d'avoir bii.>e nu calice de verre; enlin, sa
revue «l'une bibliothèque de ujedecin de campagne , sont des
morceaux d'un grand mérile, «pi'un houuiie du monde lirait
certes avec autant d'agiement et avec plus de fruit que beau-
coiq» (le nos ouvrages de littérature légère. Quand on lit
Bordeu on se surprend faisant desoieilles a toutes les pages,
connue s'il s'agissait des Lettres persanes , ila^ romans de
Voltaire ou de De Aalura Deoruni de Cicéron. En quelijue
ejulroit qu'on ouvre un livre de Bordeu , on est sur de Uou-
BORDO^E
ver une idée et de la comprendre, si inadmissible «u para-
doxale qu'elle soit.
Ses ouvrages, sa nombreuse clientelie, ses querelles et
ses combats, ses courses et ses voyages sans tin, et peut-
être aussi un célibat peu fait pour un houunedeson espèce,
tant d'agitations et tant de labeurs, aflaiblirenl les forces
de Bordeu, et sans doute abrégèrent ses jours.
De bonne heure, on le vit mettre ordre à ses affaires et
réaliser sa fortune. Elle était bien humble pour un médecin
comme lui, qui avait pratiqué dans la plus haute société,
parmi les riches malades des eaux , parmi les personnages
de la capitale : cet homme, accusé d'avoir soustrait des bi-
joux, des diamants, d'avoir vidé desécrins, réunit pour
tout trésor la modicpie somme de 80,000 francs, qu'il dé-
posa à la banipie du célèbre M. de La Borde. Ce n'était pas
la cinquantième |)artie des somptueuses économies de Boer-
liaave, qu'il ne faut pourtant pas juger supérieur à Bordeu
proportionnellement à ses richesses. Peu de temps après,
Bordeu éprouva des attaques de goutte irrégulière, quelques
coups de sang. 11 essaya d'un voyage aux eaux des Pyré-
nées, le seul qu'il eût fait pour sa propre santé. Les eaux
aggravèrent ses maux , et cela devait être : jamais les eaux
sulfureuses ne doivent être employées contre la goutte ni
contre l'apoplexie , dont elles réalisent trop souvent les me-
naces, ou dont elles réitèrent et aggravent les attaques. Il re-
vint donc plus soufflant, plus faible, plus attristé et plus
soucieux de son isolement, et sentant plus vivement que ja-
mais combien les douces joies de la famille sont préférables
aux débats de l'auioiir-propre, au retentissement d'un nom,
aux futiles joies de la renonnuée. Une dernière attaque d'a-
poplexie le surprit i)endant le sommeil, le 23 novembre t77fi.
Bordeu avait vécu cinquante-quatre ans. C'est vingt-trois
années de plus <iue Bicliat, dont il fut l'utile précurseur,
mais seize ans île moins que Boerhaave, dont il abrogea
rein[)ire. A la nouvelle de sa mort, Bouvart couronna ses
calomnies par ce propos infâme : « Je n'aurais pas cm
qu'il/lit mort horizontalement. » D"" Isidore Boi:kdon.
BOilDlEtl. En France, on désignait ainsi au niojen
âge le métc^ver d'une borde ou borderie , petite ferme ou
maison rusliciue soumise à de certaines redevances. Dans
le midi on emploie encore ce nom pour désigner les fermiers
et métayers.
En Auglelerre, où Guillaume le Conquérant établit les
usages féodaux qui régnaient dans son pays natal, il y avait
<les hommes appelés bordarii, formant une classe particu-
lière et tout à tait cfistincte des servi , serfs, et des villani ,
vilains. Suivant le Grand-Terrier d'Angleterre, ces bor-
darii tiraient leur nom de 6orf/,petite pièce de terre, qu'ils
recevaient à la charge d'entretenir d'œufs et de volaille la
maison du maiire.
Jiord ier aiffVilie encore un propriétaire de terres qui bor-
dent le grand cliemin.
BOilDOiXiî) (i'Aiiis), peintre célèbre de l'École véni-
tiiiine, ne a Trevise, vers 1500, mort à Venise, le II) jan-
Nicr i:>70 , quitta l'étude dos sciences poursuivie 1 école du
'i ilien ; mais il fut surtout hnitateurdu Giorgione. Son talent
se développa rapidement, et les nombreux travaux dont le
cjjargèrent Venise et sa ville natale, en répandant son nom
au delà de l'Italie, lui valurent d'être appelé en l'rauce,
les uns disent par iMançois F"", d'autres par KraiK;ois 11.
Quelques-uns prélcn<leut même qu'il resta quelques années
à la cour de Charles IX avant de retourner e:i Italie, el
([u'il y lit beancdiip de portraits , travaillant pour le tliic de
Guise et le cardinal de Lorraine.
Les tableaux de Bordone sont remarquables par la délica-
tesse et l'harmonie d'un coloris tirant en général sur le rose ;
aussi estime-t-on principalement ses portraits de lémmes.
Dans notre collection du Louvre, nous n'avons de ce jieintre
qu'un portrait et un petit tableau représentant Verlunnie el
Pomone. L'Italie, [ilus ritlie que iioas en pioùaclioa.s de cet
aili>t(', ponsètle un Sniii! André courbé sous la croix et
couronne par un ange , tableau peint pour l'église île Saint-
Job, et VAiineau du Pêr/ieur. chef-d'œuvre liii maitre.
IJuitlone eut un (ils qui suivit la môme carrière que lui,
mais sans «uccès.
BOKDUIlE.Ce mot, dans son acception la plus usitée,
est synonyme de cadre, et désigne le châssis, ordinaire-
ment en liois , dans lequel on [)lace un tableau , un dessin
ou une estampe. Les tableaux furent faits d'abord pour or-
ner les autels dans les églises, puis pour décorer les parois
d'une chambre dans un palais ou dans un appartement. La
dimension du tableau était dans ce cas donnée par l'archi-
lecte (jui disposait les panneaux de sa boiserie de manière à
y introduire le tableau , et une bordure analogue à la déco-
ration de l'autel ou de l'appartement venait recouvrir et ca-
cher la jonction de la peinture à la menuiserie. Lorsqu'en-
suite on voulut transporter les tableaux dans d'autres en-
droits que ceux pour lesquels ils avaient été faits primitive-
ment, on sentit qu'ils avaient besoin d'une bordure, et sou-
vent alors, au lieu do la faire chantournée, on lui donna
une forme plus simple et plus raisonnable. Cependant la
mode , qui , pour varier sans cesse , gâte si souvent ce qu'elle
affecte, la mode appoifa des changements fréquents dans
les borduies, qui ont été tantôt surchargées d'ornements
sculptés ou entièrement lisses, ou bien offrant de grandes
lignes, comme les corniches, avec quelques ornements plus
ou moins légers, et dont la grâce dépendait du talent de
l'artiste qui l'ordonnait, ou plutôt encore du goût plus ou
moins pur qui régnait a l'instant où le tableau était embor-
durc. Presque toujours les borduies sont dorées : cepen-
dant, vers IGSO, en Hollande, elles ont été faites en bois
d'ébùne ou en bois noirci; un siècle plus tard, à Paris, on
eut l'habitude de mettre les estampes dans des bordures
moitié dorées, moitié noircies; maintenant les aquarelles
sont souvent placées dans des bordures d'ébénisterie, en bois
de couleurs variées.
Aucun principe reconnu, aucune règle positive, ne déter-
mine les proportions d'une bordure : cependant on doit
avoir l'attention de la faire suivant la grandeur, et nous di-
rons môme le mérite du tableau. Ainsi , la bordure d'un
tableau de moins de 30 centimètres doit avoir au plus 5 cen-
t'mètres; on peut en donner 10 à la bordure d'un tableau
de 1"',25 ; et celle des tableaux de la plus grande dimension
ne doit pas passer 40 à 50 centimètres. Ce serait encore une
faute que de faire pour la bordure une dépense plus forte
que la valeur du tableau lui-même.
Les anciens avaient aussi des bordures à leurs tableaux;
mais elles étaient peintes et analogues au sujet de la com-
position. Ainsi, des pampres entouraient les sujets bachiques,
des fleurs ou des coquillages faisaient la bordure des com-
positions où se trouvaient des nymphes on des naïades. Cet
asage s'est conservé parmi nous pour les tapisseries.
Les tapis de pied ont aussi des bordures , qui ordinaire-
ment sont de couleurs plus foncées que celles du tapis lui-
même. Dans les appartements tendus en soie, ou couverts
en papier, la. bordure doit rappeler la couleur du meuble,
avoir un ton assez intense pour trancher sur le fond de la
tenture ou du papier, et la mode seule en règle la dimen-
sion. Ainsi la mode a cru devoir en augmenter la largeur in-
sensiblement pendant plusieurs années, puis un jour on les a
faites, au contraire, très-étroites. Dlcues.ne aîné.
B0RD\]R¥1( Jardinage ). On donne ce nom aux plantes
qui entourent les plates-bandes d'un jardin : autrefois, on
les faisait presque toujours en buis; maintenant on en fait
en gazon, ou bien avec du thym, de la marjolaine, de la
sauge , de la lavan le , etc. La saxifrage ombreuse fait aussi
une bordure agréable et très-élégante lorsqu'elle est en (leurs.
Dans les forêts, on donne le nom de bordure à la partie
du bois que dans les taillis on a soin de ne pas abattre, afin
de liùàser un peu d'ombrage sur les routes.
BOREE
4à5
^ BORDURE (Blason). C'est la ceinture qui enîoure
l'écu , laquelle est toujours d'une couleur différente et ne
doit jamais èlie de plus d'un sixième de l'écu. La bordure
était, dans les familles nobles, la marque distinctive aiioplée
par les puînés; elle variait ensuite, non de couleur, mais de
forme, et devenait cndentée; engrelée, cantonnée, etc.
lorsque les branches se multipliaient.
BORE, corps simple et non métallique, solide, pulvé-
rulent et très-friable, insipide et inodore, d'un brun ver-
dàtre, insoluble dans l'eau comme dans l'alcool, et qu'on ne
rencontre dans la'nalure qu'à l'état de combinaison, comi:':e
radical de l'acide borique, dans lequel il se transforme
quand on le ciiauffe avec de l'oxygè'ne ou de l'air atmosplie-
rique, et d'où on l'extrait en décomposant cet aci.ie i)ar le
potassium, qui s'empare de l'oxygène et met le bore à nu.
Sa découverte, qui date de 1S09 , est due à },VS\. Gay-Lussac
etThénard, qui obtinrent cette substance dans leurs recher-
ches pour connaître l'action de la pile voltaïque sur diffé-
rents corps.
BOREAL (de Borée). Cet adjectif s'emploie pour tout
ce qui a rapport au Nord ou Septentrion , surtout quant à la
situation uranographique. Ainsi on dit l'hémisphère boréal;
les constellations boréales, par opposition à l'hémisphère
austral, aux constellations australes. Nous avons donné
un article particulier aux auropes boréales.
BOREASMES, fêtes célébrées, en un temple au bord
de rilissus, par les Athéniens en l'honneur de Borée, qui
avait renversé de son souffle les machines d'Agis , roi de
Sparte, lorsqu'il assiégeait Athènes. On nommail boréastes
ceux qui présidaient à ces fêtes; on y donnait des repas
somptueux, où régnait la gaieté, et l'on'y priait Borée de pu-
rifier l'air par son souffle.
Les habitants de Thuriura avaient aussi des boréasmes
en mémoire du senice que le dieu leur avait rendu en dis-
persant et en détruisant par une tempête une partie de la
flotte de Denys le Tyran; ils lui avaient même accordé le
droit de bourgeoisie. Les Athéniens le fêtaient encore pour
lenr avoir rendu un service semblable en dispersant la flotte
des Perses, au pied du mont Athos. Cette divinité avait enfin
un autel à .Mégalopolis d'Arcadie , dont les habitants lui
étaient redevables d'un pareil bienfait.
BOREE (du grec popô;, le dévorateur), nom que les
Grecs et les Romains, leurs imitateurs, donnaient au vent
du Nord. Les Hébreux l'appelaient tsaphon, le caché, le
ténébreux. Les Grecs firent ce vent (ils d'Astréus et de
l'Aurore, ce qui eût mieux convenu au vent d'est. Ils lui
donnèrent pour séjour la Thrace, dont le ciel à la vérité
est généi-aleinent doux et pur, mais qui est situé au nord
par rapporta la Grèce. Ce dieu aux ailes brnyanles, au
souffle violent, n'avait pas des passions moins impétueuses;
il ne soupirait point comme les autres dieux après les belles ,
il les enlevait soudain : il fondit des extrémités de son
empire sur Orithyie, fille d'Érechthée, roi d'Athènes, et
la transporta à travers les airs sur la cime du Pangée; il en
eut cinq enfants, dont l'un fut une fille et s'appela Chioné,
la Neige. 11 enleva Chloris, fille d'Arcturus (le fleuve
Phasis), et la déposa sur le triste sommet du Caucase,
qu'on nomma depuis le lit de Borée, par allusion à la cou-
che de frimas qu'il lui avait préparée, pompe nuptiale
digne d'un tel dieu. De son souffle jaloux il jeta et mit en
pièces sur des roches l'infortunée Pitys, qui fuyait sa vio-
lence. Dans ses caprices bizarres, il féconda les cavales
d'Êrichlbonius, dont naquirent douze poulains, qui couraient
sur la tête des épis sans les courber, et sur l'écume des flots
sans se mouiller les pieds.
La Tour des Vents à Athènes nous a conservé l'iconogra-
phie de ce dieu : il y est représenté sous la forme d'ua
jeune homme, des ailes au dos , des sandales aux [lied:»
et la tête abritée d'une draporio flottante. On ne doit pa-^
s'étonner que Borée, le vent du Nord, ail eu chez les atî-
4.'">n
DOUEE — BORGHESE
riens lin riiltc exclusif, puisque les premiers hommes n'ont
ji.is tardé à ressentir et h reconnaître ses bienfaits : en
effet, n'est-ce pas lui (pii met en fuite les vents du midi,
dont les vapeurs amènent les maladies et les contagions ?
n'est-ce pas lui qui rassérénera le ciel et purifie la terre ?
Denne-Baron.
nORELLI (Jean-Alphonse), savant malliématicien et
[irofesseiir de sciences médicales plutôt i|uc médecin pra-
ticien, était né à >'aples,lc2S jitnvicr 1U08. 11 professa
longtemps les matliémati<iues à Florence et à l'ise. 11 se
rendit ensuite à Messine, au moment où cette ville essayait
de secouer la domination de l'Espagne, et il prit à l'insur-
rection une i)art très-active. Cette tentative ayant éclioué,
BoreUi courut de grands dangers. Cependant il parvint à
prendre la fuite et à se retirer à Rome, où il trouva un
asile dans la maison dee clercs réguliers de Saint-Panlaléon.
11 y vécut avec ces religieux, comme s'il eût appartenu à
leur institut, enseignant les mathématiques aux plu^ jeunes,
et secouru dans sa pauvreté par les largesses de la célèbre
Christine , reine de Suède, qui l'affectionuait. C'est là qu'il
mourut, le 31 décembre 1G79.
Ce savant a mérité que son nom marquât dans l'histoire
du progrès des sciences, comme l'un des chefs d'école
dont les elTorts constants tendirent à l'application des ma-
thématiques à la médecine. C'est à lui qu'on doit la restitu-
tion de trois des quatre derniers livres d'Apollonius de
Perge, qu'il parvintà déchiffrer avec l'aide d'Abraham
Echellerisis, d'après une paraphrase de (}uelques ancien-
nes traductions de l'arabe. A peu près à la même épo(iue ,
il se livrait à des recherches sur les travaux d'Euclide. 11
s'occupa aussi d'astronomie, et il tâcha d'établir la théorie
des mouvements des satellites de Jupiter. On renjarque
dans les principes sur lesquels il s'appuie, un pressenti-
ment des lois de l'attraction. IMais son (cuvre capitale ,
celle qui fait le plus d'honneur à sa science, et qui a été
souvent réimprimée , c'est son livre intitulé : De Molu
Animalium, opusposthumu7n (purs prima, Rome, 1680;
pars secunda, 1681). La renonnnée de Bordli n'est guère
fondée que sur la première partie de cet ouvrage, parce
qu'il y a restreint l'application du calcul à ceux des mou-
vements de l'économie animale qui en sont, jusqu'à un
certain point, susceptibles, c'est-à-dire aux moin cmeuts
musculaires, qui se jjrôtent aux règles de la mécanique.
Des savauts ont signalé cette première partie de l'œuvre
Je Borclli comme ce (jui a été fait de mieux sur la matière.
On a joint à l'édition deLeyde, en 1711, des méditations
mulliématiqucs de Jean iJernouUi sur le mouvement des
umscles.
Voici comment, dans ses Entretiens métaphysiques,
Malebranche s'ex[irime sur l'u'uvre capitale de Borelli :
« J'ai lu depuis peu un livre du Mouvement des Animaux,
(jui mérite qu'on l'examine. L'auteur considère avec soin
le jeu de la machine nécessaire pour changer de place; il
explique exactement la force des muscles et les raisons de
leur situation, tout cela par les i)rincipes de la géométrie
tt des mécaniques. Mais quoiqu'il ne s'arrête guère qu'à
ce qui est le plus facile à découvrir dans la machine de
l'animal, il fait connaître tant d'art et de sagesse dans celui
qui l'a formée qu'il remplit l'esprit du lecteur d'admiration
et de surprise. »
Notre collaborateur, M. Bordas-Demoulin , dans son bel
ouvrage sur le Cartésianisme, a signalé sur un autre point
essentiel le génie pénétrant de Borelli. 11 s'agit de la phy-
sique céleste et de l'application des sciences du calcul aux
lois du mouvement des astres. « Borelli, dit-il, prend l'idée
(le Descartes, de soumettre au calcul le système du monde,
et le premier il la porte dans l'attraction {Theoricw Pla-
nctarum ex causis physicis deduclœ, IGCG)... Borelli
montre que les planètes |)cuveiit se maintenir et circuler
Auis l'espace i)ar le seul elfct d'une force qui les entraîne
vers le soleil et d'une forr « qui les en écarte. Nous voilà
parvenus à la vraie et fondamentale notion de la méca-
nique céleste. Remarquons comme la niatière subtile de Des-
cartes sert de transition. Avant lui on croyait les planètes
portées par des génies ou immédiatement, ou à l'aide de
cieux solides. Descartes supprime les âmes et les cieiix
solides, et met à la place sa matière subtile. Borelli su;i-
prime la matière subtile, et ne veut que des mouvements
ou des forces.... L'idée de force s'ouvre l'intelligence et
le fluide s'élimine de lui-même. i> Aubeht de Vmiv.
«OUGEIIOA'S. Voyez Blouses.
UOilGllCSE (Famille). Cette famille romaine est
originaire de Sienne, où depuis le milieu du quinzième
siècle elle occupe les jilaces les plus importantes. Le pa[)e
Paul V, qui appartenait à celte maison, et qui régna
de 1C05 à 1620, combla ses parents d'honneurs et de ri-
chesses, En 1007 il chaigea son frère, Franccsco Boii-
(uiKSE, du commandement des troupes qu'il envoya contre
Venise. Il donna à Marc-Antoine, fils de Jean-haptisic,
un autre de ses frères, la principauté de Sulmone, lui as-
sura un revenu annuel de 200,000 écus, et lui fit obtenir
le titre de grand d'Lspagtie. Il éleva un autre de ses neveux,
Scipion Cafi AitELLi, à la dignité de cardinal, et lui permit
de firendre le nom de lior/j/ièse. C'est co dernier surtout
qu'il enrichit, en lui livrant les biens confisqués de la mal-
beuro'.ise l'auiille de Cciici. Ce même pontife a fait bâtir la
villa Borghèse, iion loin de la porte (/e^ t'opolo, à Rome.
C'est de Marc-Antoine BoncufesE, mort eu 1G58, que
descend la famille actuelle. Son lils, J can- Baptiste , épousa
Olimpia ALnoBRvNuiM, une des plus riches héritières «le "
l'Italie, qui le rendit possesseur de la i)rincipaiité de Bns-
sano. — Marc-Antoine II, fils du précédent, mort en 172;»,
acquit de giandes richesses , en prenant sa fenune dans la
famille de Spinola; son lils, Camitle - Antoine- Frauçois-
Balthusar, devint son héritier, s'allia, parmi mariage, avec
la maison Colonna, et mourut en 17G3. Le fils aîné do
celui-ci, Marc-Antoine III, né en 1730, devint, en 17;»s,
sénateur de la république romaine, et mourut en 1800. Par
lui se termina, en l7Gi), un procès séculaire existant entre
sa famille et les Pamfili, au sujet de la succession Aldubrau-
dini.
[BORGHfcSE(CA)i!LLE-PuiLii'PE-Louis), né à Rome, le 19
juillet 1775, fils du prince Marc-Antoine 111, adopta dans sa
jeunesse, avec toute la fougue italienne, les principes qui
présidèrent à la première révolution française. A l'arrivée
de Napoléon Bonaparte en Italie, il prit place sous les dra-
peaux du jeune général, que cet enthousiasme frappa, et
qui traita dès ce moment avec la plus grande distinction
ce rejeton d'une des plus illustres tiges romaines. En 1803 .
Napoléon appela Camille auprès de lui , et le 6 novembre ■
de la même année il lui donna en mariage sa sœur Pau- «
line, veuve du général Lcclerc. En 1805 le beau-frère du
nouvel emiiereur reçut le litre de prince et le grand cor-
don de la Légion d'Honneur. 11 fut rapidement et successi
veinent promu aux grades de chef d'escadron dans la garde
impériale, puis de colonel. Nommé duc de Guastalla, il
se distingua par son courage dans la campagne contre les
Prussiens et les lîusses, et c'est sur lui qu'à la même épo-
que Napoléon jeta les yeux pour une mission aussi délicate
que difficile : il s'agissait de provoquer les Polonais à l'in-
surrection contre l'empereur de Russie : le succès couronna
les négociations de Camille , qui promit l'indépendauce à
la Pologne de la part de Napoléon. On sait comment ce
dernier tint parole en 1810, et comment ce peuple mal-
heureux fut sacrifié à l'ambition autrichienne , lors du ma-
riage de l'empereur avec Marie- Louise. Vers la fin de cetl«
année (1810), élevé à la haute dignité de gouverneur gé-
néral des dépaiteuients au delà des Alpes, il alla à Turin,
où il ne larda pas à conquérir raffcction des poimlaliou»
I confiées à ses soins. Les événements de 1814 lui cuicvèreut
J
«>n jînnvcriienu'nl. Aux (enncs (l'une capilulalion conclue
a\«'i' le général coniinandaiit les forces aiitikhiennes, comte
liiibna , il dut lui remettre toutes les places du Piémont;
-liais en quittant ces contrées il y laissa des souvenirs qui
riionorent.
Après Tabdication de Napoléon , il cessa toute relation
avec la famille Bonaparte , et se sépara de sa femme , dont il
avait à se plaindre. Lorsqu'on 1815 le roi de Sardaigne re-
vendiqua les biens nationaux piémontais , avec lesquels le
gouvernement français avait payé les buit millions qui
avaient servi à l'acquisition des objets d'art de la villa Bor-
gbèse, on rendit au duc la plus grande partie de ce «raretés
précieuses, qu'on reprit à la France. Puis, le prince vendit
sa terre de Lucedio , en Savoie , et alla résider à Florence.
Pendant son séjour à Rome, en 1826, le pape Léon XII le
traita avec beaucoup de distinction. Il mourut à Florence
en 1832 , instituant pour son héritier son frère, dont Usera
parlé plus loin.
BORGUÈSE (MAniE-PAULiNE BONAPARTE, princesse),
femme du précédent et sœur de Napoléon , naquit à Ajaccio,
en 1781. A l'âge de treize ans, en 1793, elle suivit sa famille
h Marseille. Peu de temps après son arrivée en France, le
conventionnel Fréron la demanda en mariage, et, sans
l'intervention et les réclamations formelles d'une première
éjiouse, ce mariage aurait eu lieu. Pauline dut ensuite épou-
ser le général Du pliot, qui mourut, comme on sait, à Rome,
fu 1797, victime d'une émeute. Quelque temps après, elle
eut occasion de voir à Milan le général Le clerc, qui, frappé
de sa rare beauté, devint éperdùment amoureux d'elle. Jl
parvint, dil-on, à lui faire partager ses tendres .sentiments,
demanda sa main , et l'obtint. En 1801 , Leclerc, alors am-
bassadeur en Portugal, fut chargé par Napoléon de Tex-
pédilion de Saint-Domingue, et Pauline dut s'embarquer à
Brest sur le vaisseau COcéan, pour suivre son époux. A bord,
on rendait d'éclatants hommages à la belle voyageuse et à
son charmant enfant. C'était, suivant le langage du temps ,
Galathoe ou Vénus Anadyomènc. Ln septembre 1S02 une
insurrection terrible éclata au Cap, résidence de Leclerc.
Christophe, Dessalines, Clairvaux, chef des insurgés, atla-
quèient la ville à la tôte de dix mille hommes. Leclerc, ne
craignant rien pour lui-même, mais tremblant pour les jours
de sou é|)ouse qui habitait en ce moment un des quartiers les
plus menaces de la ville, chargea un de ses ofliciers de la con-
duire à bord sur un vaisseau , pour la mettre à l'abri de la
fureur des noirs, s'ils venaient à triompher. C'est alors que
cette jeune femme prouva qu'elle avait véritablement dans les
veines du sang de Napoléon : elle refusa de quitter la ville,
déclarant qu'elle devait partager les dangers et même la mort
de son époux. Comme quelques dames du Cap se désolaient
autour d'elle , effrayées des progrès de l'insurrection : « Vous
pouvez pleurer, vous, leur dit-elle , vous n'êtes pas, comme
moi, sœurs de Bonaparte! •> Et tant que le danger dura
elle ne versa i)as une larme , ne laissa pas échapper un seul
mot qui trahit de la crainte. Pour la conduire sur un vais-
seau, eu exécution des ordres du général, il fallut employer
la force , et la jeter dans un fauteuil qu'enlevèrent quatre
hommes, qui la portèrent ainsi abord. Cependant Leclerc, à
ia tète de quelques centaines de soldats, mit en déroute les
dix mille insurgés , et l'ordre régna dans la ville. Mais la
mort de ce brave général suivit de près cette victoire , et
Pauline, profondément aOligéc de sa perte, dut retourner
en France, où elle perdit, bientôt après son arrivée, son lils,
unique entant qu'elle ait jamais eu.
Bientôt la politique de Napoléon lui imposa un nouveau
mariage : elle épousa en secondes noces le prince Camille
BoufinibsE. A cette époque, la roideur de son caractère lui
valut souvent des reproches de son frère , qui , jaloux de
ffliie plier tout le monde devant ses volontés , trouvait ridi-
cules et malséantes les velléités d"indépen<lance que Pau-
line se permettait peut-être trop souvent. Un jour, ayant
UK/i. i)t LA cu^vI:I'.s. — t. rii.
BORGHÈSE 4â7
manqué de respect à Marie-Louise , elle reçut l'ordre de
ne plus paraître à la cour. Cette disgrâce ne l'attrista pas, et
n'altéra nullement l'affection profonde qu'elle avait vouée
à son frère. En 1814 elle alla à l'île d'Elbe partager l'exil
de Napoléon. Après le débarquement de Cannes elle se
rendit à Naples, auprès de sa sœur Caroline, puis à Borne,
quelque temps avant la bataille de Waterloo. Après le
grand désastre de cette journée , elle s'empressa d'envoyer
à son frère toutes ses parures de diamants , regrettant de ne
pouvoir faire autre chose pour un si grand malheur : la
voiture qui renfermait ces diamants fut prise par les An-
glais, transportée et exposée publiquement à Londres. On
ignore ce qu'ils sont devenus. En 1815 Pauline, séparée
de son mari , vécut d'abord à Rome , où elle occupa une
partie du palais Borghèse, que lui avait abandonnî^c le
prince. Après 1816 elle Ivabita la Villa Sciarra. Sa maison,
où régnait le goût des arts , éta't le rendez-vons du cercle
le plus brillant de Rome. Elle avait autour d'elle ses deux
frères Louis et Lucien, sou oncle le cardinal Fesch, et
L:rlitïa Bonaparte , sa mère. Quand elle eut reçu la nou-
velle de la maladie de Napoléon, elle sollicita plusieuis
fois l'autorisation d'aller le joindre à Sainte-Hélène. Elle ve-
nait de l'obtenir, lorsqu'on api)nt la mort de l'empereur.
Pauline mourut à Florence, le 9 juin 1825. Outre plusieurs
legs et une fondation dont les revenus sont affectés à dé-
frayer deux jeunes gens d'Ajaccio qui voudront étudier la
médecine et la chirurgie, elle institua ses frères Louis et Jé-
rôme héritiers de sa fortune, s'élevant encore à deux millions.
Son buste en marbre, exécuté par Canova, est un des
chefs-d'œuvre de cet artiste. A. Guy d'AcDi:.]
BOHGHÈSE (François ALDOBR.ANDINI), né à Rome, le
9 juin 1776, partagea dans sa jeunesse les sympathies de
son frère Camille pour les principes de la révolution fran-
çaise. Entré au service comme lui , il eut aussi sa part des
faveurs que Napoléon prodigua aux familles de tous les siens.
Après la bataille d'Austerlitz , il devint chef d'escadron
dans la garde impériale, assista aux cajupagnes de 1806, 1807
et 1809 contre les Prussiens, les Russes et les Autrichiens,
et fut enfin mis à la tête d'un régiment de carabiniers. Na-
poléon lui fit épouser, le II avril 1809, la fille de la com-
tesse Alexanilre de La Rochefoucault , dame d'honneur de
l'impératrice Joséphine, et le nomma général de brigade
en isil. Il devint premier écuyerde l'empereur en 1813,
grand'croix de l'ordre de la Réunion, et eu 1814 grand'croix
de l'ordre de Saint-Louis : il est mort le 29 mai 1839.
11 a laissé trois fils de son mariage : 1» Marc-Antoine ,
prince Borghèse, né à Paris, le 23 février 1814 ; 2" Camille,
piince Al.îobrandiui , ancien ministre de la guerre au ser-
vice des États de l'Église, né le 16 novem'ore 1816 ; 3" Sci-
pion, duc de Salviati, né à Paris, le 23 juin 1823.
BORGHÈSE (Villa). Cette maison de plaisance est située
à Rome, à peu de distance de la Porta del Popolo. L'empla-
cement en fut acquis au commencement du dix-septième siè-
cle par le cardinal ScipioneCaffarelliBorghèsc,quiy lit de
grandes augmentations vers 1605. Le palais principal fut bâti
aux fraisde Paul V, sur les plansde J. Vasanzio ; ses ravissants
jardins furent dessinés par Dominique Savino de Monte Pul-
ciano. Ornée de fresques magnifiques , cette villa était jadis
célèbre par les trésors artistiques qu'y avaient réunis ses pos-
sesseurs. Par un marché qui ne reçut qu'une moitié d'exécu-
tion , Camille Borghèse céda cette riche collection à l'empe-
reur, moyennant ime somme de huit millions , dont partie
payable en domaines nationaux situés en Piémont et revendi-
qués a'iirès la chute de Napoléon par le roi de Sardaigne.
Louis XVlll accéda alors à une transaction en vertu de la-
quelle H ne nous resta que cent quatre-vingt-quinze morceaux
de sculpture, qui d'ailleurs sont tous de premier ordre. On
citeentie autres le Gladialeur A\i de Borghèse, chef-d'œu-
vre du sculpteur grec Agasias d'Éphèse, découvert à Antiuin
avec l'Apollon du Belvcsière, et qui pour l'expression du mou-
63
4i>H
vpmfMt figure au premier niiig parmi les productions de la
statuaire antique V Heniui phroditc ,\^, M(irsyas,e\c., qu'il
Ruftit de nommer pour eu l'aire Tëloge, proviennent égale-
ment (le la villa JSorglièse.
Le jinlais Borghèse , ajiparlenant à la môme famille et ap-
pelé // Cembaèo, à cause <le sa forme, est l'un des plus beaux
qu'il y ait à Rome. Le magnilique portique de sa cour in-
térieure est soutenu par quatre-vingt-seize colonnes de
granit. La collection de tableaux remplit onze salles du rez-
de-chaussée, et se compose pour la plus grande partie d'ou-
vrages des maîtres les plus célèbres, tels que Raphaël, le
Titien , le Uominitiuin, Rubens, Jules Romain, etc.
BORGIA (Famille des). Originaire de Borja, ville
d'Espagne, en Aragon, cette famille, dont le chef, Alfonse
RoRGiA , élu cardinal en 1444, et pape en 1455 ( sous le nom
de C a I i X te 111), avait permis à son beau-frère , Godefroi
liCnziolo ou Lenzuoli, de prendre son nom, que celui-ci
transmit à son fils Alexandre VI, est célèbre en Italie par
les scandales de tout genre dont elle donna l'exemple, et qui
)i'ont pas peu contribué à inspirer aux populations de cette
contrée des sentiments de mépris et de haine pour le clergé,
dont trop souvent la religion elle-même a eu à souffrir.
César Bokgia, duc de Valentinois , et second fils d'A-
lexandre VI, ainsi que sa ?,(f. m Lucrèce, méritent des articles
particuliers , qu'on trouvera ci-après.
Un des cousins de César , Jean Rokcia , fut fait cardinal
en même temps que lui, le 20 septembre 1493, dans une
promotion qui eut lieu une année après l'exaltation d'Alexan-
dre au t:ône pontifical.
François Rougia, prince de Squillace, dans le royaume
de Naples, lils de Jean Rorgia et de Françoise d'Aragon,
arrière-petit-lils d'un pape ( Alexandre VI ), et petit-fils d'un
général des jésuites ( François Borgia ), nommé vice-roi du
Pérou en 1614, y contribua par ses talents à la civilisation
du Nouveau-Monde, et y donna son nom, en 1C18, à la
ville (le Borja sur le Maranon , dans la province de
Maynas, qu'il réunit à la couronne d'Espagne. Après la
mort de Philippe II, en 1G21, il revint en Espagne, où il
s'adonna à la culture des lettres, et mourut dans un âge
avancé, le 2G septembre 1658. Il a laissé, r des œuvres
poéti(iues : Obras en verso ( Madrid , 1639 ); 2° un poëme
épi(|iie, ou plutôt historique, sous le titre de : Nopoles re-
cuperactn por el reij don Alonso; 3" la traduction de
quelques opuscules de Thomas à Kempis , publiés sous ce
litre : Oraciones y medilacioncs de la vida de Jesu Chris-
/o, etc. Aucun de ces ouvrages ne le place parmi les bons
écrivains; mais, à une époque où les Espagnols étaient sé-
duits par la boursoullure et l'affectation de quelques auteurs,
il a eu le mérite de rester attaché aux anciens modèles.
Son père, Jean Boiu;ia, comte de Ficalho, né en 1533,
avait été successivement ambassadeur en Portugal et à la
cour de l'empereur Maximilicn. Il est auteur d'un livre
d'emblèmes, publié sous le titre lYEmpreses morales, dédié
à Philippe II et imprimé eu 1581.
Alexandre Bor.c.iA , de la même famille , mort archevêque
de Fermo, le 14 (ovrier 1764, était né à Velletri, en 1682.
On lui doit plusieurs ouvrages, entre autres une Vie du
pape Benoit XII l , eu latin, jinblii-e à Rome en 1741.
Son neveu, le cardinal /lYic^ne Rokcia, prélat du p'us grand
mérite, est aussi l'objet d'un article à part dans notre livre.
BORGIA ( CÉSAK ), second (ilsdu pape Alexandre VI
et de l'impudique Vanozza ( Julie Farnèse ). L'époque et le
lieu de sa naissance ne peuvent être précisés : les uns le
font naître à Valence eu Espagne, les autres à Venise. Il
est probable pourtant (jue ce fut dans cette dernière ville, où
sa mère .^e retira quand Alexandre VI, qui n'était encore
que )^)deric Rorgia, vint a Rome. C'est donc à peu près
en 1457 que Vanozza le mit au jour. Une éducation bril-
lante développa ses dispoNÎt ous naturelles. Il avait une
iuiaiiUiai,iou Vive, un esprit ^iLuelraut et délié; il y ajouta
BORGIIÉSE — BORGIA
par l'étude une éloquence persuasive et animée, fpii lui
donna par la suite des moyens de séduction irrésistibles.
Mais son penchant pour le crime se fortifia avec l'iige ; il
l'érigea pour ainsi dire en système, le calcula froidement,
et le commit sans scrupule et sans remords
Vanozza et ses enfants n'osèrent paraître à Rome que
sous le pontificat d'Innocent VIH. Ils y vécurent dans une
obscurité profonde jusqu'à l'exaltation d'Alexandre VI.
César Borgia fut mis alors au nombre des princes de
l'Église, promu à l'archevêché de Valence, à la place de
son i)ère, en septembre 1493, et connu dès ce moment
sous le nom de cardinal Valentin. Sa vocation pour
l'Église était pourtant si peu décidée, que son père négociait
pour lui un mariage avec la fille naturelle d'Alfonse, duc de
Caiabre, héritier ])résom|>tit du royaume de Naples. Son
ambition, repoussée de ce côté, se tourna vers les prin-
cipaux barons romains, et ne cessa de les persécuter pour
s'emparer de leurs dépouilles. Aucun attentat ne lui coûtait
pour arriver à son but, et la soif des richesses dont il était
dévoré, l'ascendant qu'il avait pris sur son père, entraî-
nèrent Alexandre VI dans une série de violences, d'exac-
tions, d'assassinats et d'empoisonnements, qu'il serait dif-
ficile d'énumérer. Les trésors de l'I^glise ne pouvaient suffire
à la fastueuse prodigalité de César, et son itnpudicité lui
suscitait sans cesse de nouveaux besoins , que son père
avait la faiblesse de satisfaire. De tels hommes ne pouvaient
manquer d'accepter les trois cent mille ducats que le sultan
Rajazet leur otfrait pour la tétedu prince Zizim, son frère;
et (piand Charles VIII, maître de Rome, exigea que ce
prince nuisulman lui frtt livré , ce fut, dit-on, César Rorgia
qui conseilla au pape de l'em[)oisonner avant de le'rendre.
Il poussa même l'audace jusqu'à se livrer lui-même en
otage au roi de France; mais (|uand le poison lent donné à
Zizim vint à produire son efl'et, le cardinal Valentin eut
l'adresse de s'échapper du camp de Charles, qui marchait
alors sur Naples, et il revint à Rome pour concerter avec sun
père les moyens de couper la retraite au jeune contiuérant.
La haute politique qui occupait son esprit ne lui faisait
point négliger les petits profits de son astucieuse scélé-
ratesse. Le pape Alexandre avait choisi pour dataire un
Modénais, évêque (ie Patria, nommé Jean-Raptiste Fcrrata.
Ce ministre, faisant argent de tout, avait amassé de grands
biens. César Borgia le fit empoisonner, et s'empara des im-
menses produits de ses simonies. Il poussa la barbarie
jusqu'à chercher des victimes dans sa propre famille. Le
duc de Gandie, son frère aîné, avait part comme lui aux
bienfaits de son pire ; ( ésar Rorgia ne put souffrir ce
partage, et devint jaloux de la fortune de son frère, que,
par l'entremise de son père, le roi de Naples avait inxesti
des duchés de IJénévent et de Pontecorvo. César Borgia
vit avec colère ce riche établissement procuré à son frère;
et un motif plus infâme vint mettre le comble à sa jalousie.
Lucrèce, leur so'ur, était en même temps leur maîtresse.
Le cardinal Valenlin le <lécouvnt, et fit assassiner le duc de
Gaudie,dont hî cadavre lut retrouvé dans le Tibre, percé
de neuf coups de poignard. Le pape parut inconsolable de
cette perte, et médita des veng(;ances terribles contre l'as-
sassin , qui lui était inconnu. Mais il apprit bientôt que c'éta'l
son propre (ils; et comme il ne pouvait se résoudre a so
priver de lui, il le rappela de Naples, où le monstre s'était
réfugié, lui pardonna ce fratricide et lui rendit toute sa
faveur. La nécessité de retenir dans sa maison les fiels (pie
le roi de Naples avait accordés au duc de Gandie engagea
le papeà substituer le cardinal Valentin à son frère, en le
relevant des vo'ux ([u'il avait prononcés comme diacre et en
lui faisant épouser la princesse Cliaiiotte, fille du nouveau
roi Frédéric. Une dilliculté se présentait : une flispense de
la même natme avait été accordée par Alexandre VI à une
religieuse, héritière unique <!e la couronne de Portugal. La
maison d'Aragon , qui voulait réunir te royaume aux autre,^
^'.ORGIA
diadèmes de l'Espagne, se plaigiiitit de cette dispense, et
César Borgia ne tarda pas k reconnaître que ce difféiend
nuisait à ses projets de maiiage. Il rejeta cet acte du sou-
verain pontife sur l'archevêque Floride , secrétaire des bref«,
l'accusa de l'avoir flilsifii^, le fit secrètement engager à
s'avouer coupable, en lui ])roniettant sa liberté et son avan-
cement; et quand le mallieureux archevêque eut consenti
à prendre sur lui cette faute du pape Alexandre, César
Dorgia le fit mourir dans un cachot, et s'empara de tous ses
biens. Le mariage qu'il attendait pour prix de ce nouveau
crime fut refusé par le roi de Naples, et le cardinal Valentin
garda pour cette fois sa barrette.
L'avènement de Louis XII à la couronne de France lui
fournit l'occasion de réparer cet échec, et il s'empressa de
la saisir. Ce roi poursuivait en cour de Rome la cassation
rie son mariage avec Jeanne la Boiteuse, fille de Louis XI.
Le pape y consentit , et chargea son fils César d'aller porter à
Taris ie bref qui rendait la liberté à Louis XI l. Ce prince
de l'Église étala dans ce voyage et pendant son séjour dans
la capitale de France le faste le plus impertinent. 11 ne ferrait
ses chevaux qu'avec des fers d'or et les faisait attacher par
un seul clou pour les perdre. Louis XII ne (ut pas ingrat.
Grâce à lui , César Borgia put enfin quitter la barrette pour
l'i pée; il renonça au titre de cardinal Valentin pour celui
de duc de Valentinois , reçut avec ce duché un revenu de
vingt mille francs, ime compagnie de cent lances avec une
rente pareille, et le 10 mai 1499 il épousa enfin une antre
princesse Charlotte , sœur de .lean d'Albret, roi de Navarre.
Uentré en Italie, à la suite de Louis XII, qui revendiquait
les droits de sa grand'-mère Valentine de Milan , le nouveau
duc de Valentinois, enhardi par la protection du grand
monarque, reprit le cours de ses homicides et de ses usur-
pations sur les grandes familles romaines. Le roi de France
lui donna même deux mille chevaux et six mille fantassins
pour assurer son triomphe et sa fortune, et il commença
parla prise d'Imola, de Forli et de Césène, patrimoine de
la famille Riario, alliée du pape Sixte IV. Il n'épargna pas
même son beau-frère , et lui prit la seigneurie de Pcsaro.
Mais, s'étant emparé à la même époque des biens de la
famille Cajétan, il les livra à sa sœur Lucrèce, pour la con-
soler de cette perte, en exigeant toutefois qu'elle payât
80,000 ducats à la chambre apostolique : c'était les donner
à César Borgia lui-même ; car il puisait à pleines mains dans
le trésor de l'Église, où la simonie et l'astuce papale en-
gouffraient toutes les richesses de la chrétienté. Le duc de
Valentinois s'empara bientôt de Rimini surMalatesta, de la
principauté de Piombino sur le seigneur d'Appiano, et se
(it rendre hommage par le peuple de l'île d'Elbe. Arrêté
devant Faenza par Manfredi, il la réduisit par famine, et,
malgré la capitulation de ce seigneur, il le fit mourir avec
son frère. Trop faible encore pour lutter contre le duc
d'Urbin, il eut recours à la plus noire perfidie pour le faire
tomber dans un piège : sous prétexte de conquérir la sei-
gneurie de Camerino sur Jules de Verano, il persuada au
duc d'Urbin, feudataire du saint-siège, de lui prêter ses
canons et ses soldats , en lui promettant le partage de sa
nouvelle conquête, se ser\it de ce renfort pour déposséder
le duc lui-même de ses États, prit ensuite Camerino pour
lui seul, et fit étrangler Jules de Verano avec ses deux fils,
pour être plus sûr d'en conserver l'héritage.
Tant de larcins ne suffisaient pas à son ambition désor-
donnée; il lui fallait la Romagne, la Toscane, l'Ombrie, la
Marche d'Ancône, et son père lui promettait le titre de roi
dès que ces États seraient passés dans ses mains. Il fomenta
des troubles dans Florence pour en chasser les Médicis, et fit
sommer Bentivoglio de lui livrer la ville de Bologne. Mais
Louis XII, qui commençait à rougir de son protégé, lui
défendit de passer outre , et prit Florence et la Romagne
sous sa protection. Cette déclaration du roi de France en-
hardit les ennemis de la maison pontificale ; ils coururent
4i.9
aux armes. Le duc d'Urbin rentra dans son duché; .f(>an de
Verano, frère de Jules, reprit Camerino, et César Borda
eut à se défendre contre une foule de révoltes. Il enrôla alors
trois mille Suisses sous ses drapeaux, contraignit ces deux
seigneurs à lui céder une seconde fois sa conquête, inti-
mida ou séduisit le reste des insurgés, enleva Sinigaglia à
François-Marie de la Rovère, frère du cardinal Julien, et
le .31 décembre 1402, ayant réussi à s'emparer de quelques
barons , il les fit mettre à mort. Le pape , entré dans ce
complot , faisait saisir et tuer en même temps dans Rome
plusieurs chefs de la famille Orsini. Le seul cardinal desUr-
sins fut épargné , mais renfermé dans le château Saint-
Ange ; il n'en sortit qu'après avoir signé la capitulation de
toutes les places qui formaient le patrimoine de sa maison.
César Borgia , rentré dans la capitale , n'y garda plus de me-
sures. Environné de gardes et de concubines, disent les histo-
riens du temps, il soumettait tout à ses caprices. On tuait,
on massacrait, on empoisonnait, on jetait dans le Tibre
tous ceux qui lui déplaisaient; on confisquait les biens et
les meubles de ceux qu'il condamnait; le cardinal François
Borgia, son cousin, devint une de ses victimes; Pandolfe
Petrucci de Sienne, Paul Baglioni de Pérouse, ne luiécluq)-
pèreiit que par la fuite avec une foule d'autres barons.
Tant d'exactions n'avaient assouvi ni son ambition ni sa
cupidité. Il forma le projet d'empoisonner quatre des plus
riches cardinaux dans un festin qu'il leur fit préparer dans
la vigne de Cornetto, l'un d'eux. Mais le ciel parut enfin las
de tolérer les attentats de cette famille, et le crime tourna
contre ses auteurs. Soit erreur, soit trahison, le poison qu'il
avait jeté dans le vin, lui fut servi , ainsi qu'à son père. Le
pape en mourut sui-le-champ , et César Borgia ne fut sauvé
que par sa tempérance, seule qualité de ce misérable. Il
n'avait bu, suivant sa coutume, que de l'eau rougie, et la
dose de poison, ainsi délayée, ne (ut pas a€sez forte pour
en délivrer le monde. Transporté malade au Vatican, il ne
démentit dans cette circonstance ni sa cupidité ni sa pré-
sence d'esprit. Don Micheletto, son lieutenant, obligea le
cardinal Casanova de lui livrer les clefs du trésor pontifical,
et il fit emporter dans ses coffres les cent mille ducats qui
s'y trouvèrent. Ses troupes environnèrent le palais pour le
défendre contre les vengeances de ses ennemis , qui se ré-
veillaient de toutes parts. Les seigneurs de la maison de
Colonne , protégés par Gonsalve de CordoHe , reprirent leurs
terres de l'Abruzze, dont le duc de Valentinois s'était aussi
emparé, et s'avancèrent vers Rome; le duc d'Urbin recon-
quit sa seigneurie, ainsi que François de la Rovère, les fils
de Vitelli, les seigneurs de Piombino, de Camerino et de
Pesaro. Les Vénitiens armèrent en même temps pour ap-
puyer les barons romains, et, sous la protection de leurs
armes, Paul Baglioni rentra dans Pérouse avec le reste des
Ursins et les comtes Petigliano et Alviano.
Mais pendant que les ennemis de César Borgia le dé-
pouillaient au dehors de Rome , il restait maître du Vatican
et du château-Saint-Ange, avec douze mille hommes, et
profitait pour se maintenir des divisions qui se manifes-
taient dans le conclave. La faction espagnole, soutenue par
Gonsalve de Cordoue , par les Ursins et par les Colonne ,
avait à lutter contre la faction de France, qui portait le
caidinal d'Amboise. Gonsalve avançait du côté de Naples,
et Louis XII du côté de la Romagne. César Borgia balança
la force des deux factions qui le sollicitaient avec une ar-
deur égale, et se décida pour Louis XII et le cardinal
d'Amboise, espérant trouver en eux des protecteurs i)ius
puissants. Mais les Ursins ayant rassemblé leurs troupes
dans Rome, et la guerre civile paraissant imminente, les
cardinaux et le peuple obtinrent des deux partis qu'ils sor-
tiraient de la capitale pour laisser plus de liberté àl électi(/u.
Cet accord fut fatal à d'Amboise et à Borgia, qui se \nt
abandonne par une grande partie de ses troupes, l^-n pa|>e
vieux et infirme fut élu , et prit le nom de Pie ML Borgia
460
BORGIA — BORGNE
ficntit (1110 ce vieillard ne pouvait rivrc longtemps, et,pré-
Aoyanl la nécessité d'une élection nouvelle, ayant intérêt à
rassurer à son parti , il obtint un sauf-conduit du pontife , et
rentia dans Rome avec un millier de soldats. Attaqué dans
son palais par les Ursins, il fut assez heureux pour se ré-
fugier dans le cliûtcau-Saint-Ange , et s'y rendit encore as-
sez redoutable pour être ménagé par le plus (ier de ses en-
nemis, lorsque, après un pontificat de vingt-six jours, Pie III
eut laissé le saint-siége vacant, l.'inlluence du duc de Va-
Icntinois sur les cardinaux espagnols de la création d'A-
lexandre VI ayant déj'J repris toute sa force, !e cardinal
de la Rovère, l'un des prétendants à la papauté , crut de-
voir se réconcilier avec lui pour arriver au but de son am-
bition; et il eut recours aux dissimulations les plus in-
fimes. Il poussa la perfidie jusqu'à faire entendre à César
Borgia qu'il était son propre père, que, pendant une absence
d'Alexandre VI, alors cardinal, il avait eu les faveurs de
Vr.nezza , et que lui , César, était né de cet adultère. Borgia
crut on ne crut pas h cette fdiation; mais il feignit d'y
croire, pour se mona^er l'amitié du pape futur, qui lui pro-
ir>it la charge de goul'alouiiier et de général des troupes de
ri:glise.
La perspicacité du fils d'Alexandre VI se trouva en défaut :
tl fut dupe et victime 'de ces artifices. Dès son exaltation
La Rovère ou Jules II eut encore l'air de tenir «a parole
en confiant au duc de Valcntinois le soin de défendre la Ro-
niagne contre les Vénitiens, qui venaient de s'emparer de
I aenza, et qui menaçaient les autres places où ('ésar Bor-
gia avait mis des gouverneurs dévoués. Mais à peine fut-il
embarqué àOstie, sur les galères de l'Église, que deux car-
dinaux s'y présentèrent pour exiger de lui la remise de ces
mêmes places. Borgia, indigné, se refusa vainement à cette
restitution : trahi par ses troupes, il fut forcé d'y consentir.
Cependant les gouverneurs deCésène, de Forli et de Berti-
noro ayant refusé de rendre ces citadelles , J.iles II parut se
relûcher de sa sévérité. 11 négocia avec son prisonnier, le lit
transporter dans le château d'Ostie , sous la garde du car-
dinal Carvajal , en lui promettant la liberté dès que les places
Feraient rendues. Ce traité fut exécuté, non parle pape,
mais par le cardinal, qui ne voulut point charger Jules II
d'une nouvelle perfidie. Borgia se retira enlin auprès de
Gonsalve dcCordoiie,qui, après l'avoir comblé d'honneurs,
le trahit comme les autres, et l'envoya en Espagne, où le
roi Ferdinand le fit enfermer dans le château de Medina-del-
Campo. Il y resta trois ans, et ayant alors réussi à s'échap-
per, il se réfugia en 1506 à la cour de Jean d'Albret, son
beau-frère.
Les historiens varient sur lépoque de sa mort : les uns
la placent en 1507, les autres en 1513 ou 151G ; mais l'évé-
nement auquel ils la rattachent, ayant une date plus cer-
taine, il est probable que c'est le il mars 1513 qu'il périt
d'un coup de feu devant le château de Viane , pendant la
guerre que Jean d'Albret, roi de Navarre, soutenait contre
Ferdinand le Catholique. Cette mort fut trop glorieuse pour
un pareil monstre, dont l'échafaud eût fait justice. Nous
tremblons de faire injure aux lettres en ajoutant qu'il les
cultivait avec succès , et qu'il protégeait les savants et les
poètes. Son histoire particulière a été écrite par Tomazi , et
son portrait existe à Florence. La peinture n'a jamais con-
servé les traits d'un scélérat plus consommé. Il était né, di-
sent les moralistes italiens , pour rendre à son père le ser-
vice d'être plus criminel que lui , et pour épargner au
saint-siége la honte d'être possédé par l'homme le plus mé-
chant de son siècle. Viennet, «le l'Afadémie Française.
BORGIA (LtCRÈcE), fille d'Alexandre VI et sœur
de César Borgia, passe généralement pour avoir été la
maîtresse de son père et de ses deux frères, imputation (pii
a été, cependant, reponssée par Roscoe. Au moins, les
journaux apostoliques eux-mêmes donnent-ils des preuves
iiicont£stableâ de l'excessif déréglcmcut de ses mœurs. Elle
avait été fiancée, dès son enfance , à un gentilliomme Ara-
f;onais, mais Alexandre MI, monté sur le Irônc pontifical,
rompit cette alliance pour lui en (aire contracter une plus
relevée : il la maria, eu 1493, à Jean Sforce, seigneur de
Pesaro, et déclara ce mariage nul pour cause d'impuissance
en 1497. Puis, l'année suivante, il lui en fil contracter un
autre avec Alphonse , duc de Biseglia , fils naturel d'Al-
phonse 11 d'Aragon; mais deux ans a()rès César Borgia
faisait assassiner ce nouvel époux au moment où , embras-
sant l'alliance des Français, il voulait rompre toute liaisoa
entre sa famille elles rois de Naples. Enfin, en 1501, Lu-
crèce épousa Alphonse d'Esté, fils d'Hercule, ducdc Ferrare-,
Elle survécut à toute sa famille, et attira à sa cour les poêles,
notamment, Pierre Bembo , qui l'a célébrée dans ses vers,
mais dont les louanges intéressées n'ont pu contrebalancer
le témoignage unanime des historiens, qui flétrissent sans
pitié l'infamie desa conduite.
ï^OilGLV (Stefano, cardinal), directeur de la Propa-
gande, l'un des plus généreux protecteurs des sciences, au
dix-huitième siècle, naquit à Velléîri , le 3 décembre 1731,
et fut élevé par .son oncle, Alexandre Borgia. Devenu en 1750
membre de l'Académie étrusque de Cortone , il fonda à Vel-
létri un musée d'antiquités, qui devint peu h peu l'une des plus
riches collections particulières de ce genre. En 1759 le pape
Benoit XIV le nomma gouverneur de Bénévent, et Borgia
eut la gloire de préserver, par de sages mesures , cette ville
et ses enviions de la famine qui d.'solait le royaume de Naples
en 1764. En 1770 il devint secrétaire de la Propagande : ces
fonctions , qu'il remplit pendant dix-huit ans , le mirent en
rapport suivi avec tous les missionnaires répandus sur la
surface du globe, il profita de ces relations pour enrichir sa
collection de manusirits rares et d'antiquités de tout genre.
Nommé cardinal par le pape Pie VI, en 1789, et chargé
en même temps de l'inspection supérieure des enfants trou-
vés , il attacha son nom à une foule d'institutions de bien-
faisance, créées par lui dans l'exercice de ces dernières
fonctions.
En 1797, l'esprit révolutionnaire commençant à agiter
les États de l'Église , Pie VI déposa la dictature de Rome
entre les mains de Borgia, auquel il associa deux autres
cardinaux. Mais les Français s'étant présentés devant les
murs de cette ville , le 1 5 février 1798 , le pape s'enfuit, et le
parti répubhcain ayant pris le dessas , Borgia fut arrêtî et
plus tard exilé des États romains. Il se rendit à Venise, de
là à Padoue, où, selon l'usage du pays, il fonda une petite
académie de savants. De retour à Rome avec le nouveau
pape, Pie VII, il y consacra toute son activité à l'améliora-
tion de plusieurs branches de l'administration. Il mourut à
Lyon, le 23 novembre 1804 , en se rendantà Paris, à la suite
du pape.
Généreux et bienveillant, le cardinal Borgia, en vrai pro-
tecteur des sciences, n'estimait aucun sacrifice quand il s'a-
gissait de rendre service aux savants et d'encourager le!;rs
travaux. Ses précieuses collections, dont Adlcr, Zoega,
Georgi et Paulinus, etc., nous ont laissé la description,
étaient à la disposition de tous ceux qui désiraient s'ins-
truire. Comme historien et archéologue, le cardinal Borgia
s'est fait un nom par son Istoria délia città di BeneveiUo
(3 vol. , 1763-1769). Les titres de ses autres ouvrages sont :
Monumento di papa Giovanni XV f (Rome, 1750); Brève
istoria dell'anticacdtàTadinoncli r»i^n«(Rome, 1751);
et Brève Istoria del Dominio temporale delta ScdeApos-
tolica nelle due Sicilie (Rome, 1788).
BORGITES ou CIRCASSIENS, seconde dynastie des
Mamelouks qui ont donné des sultans à l'Egypte.
BORGIVE, celui ou celle qui est privée d'un œil , qui ne
voit que d'un œil ; bonjnesse ne se dit que dans le style bas
et familier.
En anatomie, on appelle borgnes certains conduits dis-
posés en sac : tels sont le trou borgne de l'os frontal, siluè
BORGNE — BORIQUE
▼ers l'extiémitii inf(5rieiiro de la crête coronalc interne , et le
trou borgne ou aveugle lie la langue , petite caviti^ creusée
sur le milieu de la face supérieure <le la langue, proche sa
base, et dont les parois sont garnies de cryptes muqiieux.
On donne, en chirurgie, le nom de fistules borgnes à cer-
tains conduits ulcéreux qui ont beaucoup d'analogie avec
les fistules , mais qui en diffèrent en ce qu'ils n'ont qu'une
ouverture.
Borgne se dit aussi figjirément d'un lieu obscur et mal
éclairé : un cabaret borgne est un méchant cabaret , où vont
d'ordinaire des gens suspects et de mauvaise vie ; une maison
borgne est celle dont on a bouché les vues.
On dit proverbialement faire des contes borgnes, pour
dire réciter des fables, des contes de vieille. On dit aussi
un compte borgne pour indiquer un compte où se trouvent
des fractions, par opposition à ce qu'on appelle un compte
rond. Changer son cheval borgne contre un aveugle, se dit
de ces mauvais trocs, de ces mauvais marchés, qu'on fait
trop souvent. Enfin, un dicton bien connu dit qu'aw royaume
des aveugles les borgnes sont rois, ce qui signifie que les
petits esprits et les gens médiocres trouvent encore à primer
auprès des sots et des ignorants.
BORGOU, grand royaume nègre, situé dans le Soudan
oriental , appelé aussi Wadai ou Dar-Salé par les Arabes.
Les limites n'en sont pas déterminées exactement ; en général
on les fixe au Sahara au nord , au Begharmi et au lac Tchad
au sud-ouest, au Kordofan et au Darfourau sud-est. L'éten-
due et la population de cet État sont encore plus incertaines.
C'est un pays plat, sans montagnes considérables ; la Végéta-
tion , favorisée par de nombreux, cours d'eau et par des
inondations fréquentes , est vigoureuse; on y récolte du riz,
du coton , différentes espèces de dattes , du bois d'ébène. Le
règne animal ne diffère pas de celui de l'Afrique tropi-
cale; il est à peu près le môme qu'à Do mou, royaume
situé sur la môme ligne à l'ouest du lac Tchad. Les habitants,
qui parlent une langue divisée en beaucoup de dialectes et
offrant de grandes analogies avec celle des peuplades de
l'occident de l'Afrique, professent l'islamisme, et font la guerre
à leurs voisins dans le but surtout d'enlever des prisonniers,
qu'ils vendent. Au commencement de ce siècle ils se rendi-
rent redoutables sous leur sultan Abdoulkerim. La capitale
(lu royaume est Wara.
BORIES(Jean-François-Loi)is LECLERC), était en 182 1
sergent au 45* de ligne, en garnison à Paris. A cette époque
le pouvoir aflichait hautement l'intention d'en finir avec les
idées et les intérêts créés par la révolution. La presse était
bâillonnée. Les sociétés secrètes s'organisaient. Bories et
trois de ses camarades, Raoulx, Goubin et Pommier, sous-
oHiciers comme lui au 45* de ligne, tous jeunes et dans l'âge
des passions généreuses, tous pénétrés d'un ardent amour
de la liberté, s'affilièrent à la vente centrale de Paris, pen-
dant le séjour de leur régiment dans la capitale.
L'année suivante fut signalée par diverses conspirations
qui éclatèrent successivement à Béfort, à Saumur, à Toulon,
à Nantes , à Strasbourg , et qui toutes se rattachaient plus
ou moins directement à l'action latente de la charbonne-
rie. Le pouvoir, en répandant l'or à propos, tint bientôt
dans sa main tous les fils de cette trame mystérieuse, et,
ayant acquis la preuve que des individus appartenant à
l'armée faisaient partie de cette vaste conspiration, il résolut
de frapper un grand coup et de faire un grand exemple.
Dénoncés à l'autorité militaire, les quatre sous-officiers du
45* furent arrêtés à La Rochelle, où leur coi-i)3 était allé
tenir garnison, et transférés à Paris; leur procès fut rapide-
ment instruit, et ils se virent traduits en cour d'assises avec
lin instituteur, un étudiant en médecine, un avocat, un
ca|>itaineet quelques autres. Marchangy occupait dans
celte affaire le siège du ministère public, lise montra impi-"
toyahledans son réquisitoire, insérée^arorrfre dans les jour-
naux. Il n'hésita pas à demander la tète des accusés. « Au-
461
cune puissance oratoire ne saurait, dit-il, arracher Bories à la
vindicte publique, » phrase qui fut flétrie parla défense comme
l'expression d'une haine barbare et personnelle. Il représen-
tait le jeune sous-officier comme le chef d'un complot formé
pour renverser le gouvernement, et se liant, disait-il, à ceux qui
avaient éclaté sur divers points. D'après la déclaration d'un
témoin, les séances des ventes se terminaient au cri de vive
la constitution de 1791 ! ce qui expliquait assez le but po-
litique des conjurés. Une charge fatale pour eux fut la dé-
couverte de munitions et d'armes prohibées chez la plupart
et jusque dans le lit de ceux qui étaient militaires ; mais
aucune pièce écrite présentée au procès n'appuyait l'accu-
sation. Bories et Raoulx prétendirent que la société dont ils
étaient membres n'avait qu'un but philanthropique; ils
soutinrent que le général Despinois les avait engagés à des
révélations par des menaces, par des promesses et en se disant
\\}\-mt.iQ& carbonaro. Us furent défend us par MM. Mérilhou,
Berville, Chaix-d'Est-Ange et Coffinières. Le jury rendit
un verdict de culpabilité confre les quatre sergents, qui
furent condamnés à la peine de mort. Les autres accusés
furent ou frappés de peines légères ou acquittés. Avant le
prononcé de l'arrêt Bories eut un beau mouvement :
« Messieurs les jurés, dit-il, M. l'avocat général n'a cessé de
me représenter comme le chef du complot.... Eh bien, j'ac-
cepte, heureux si ma tête en roulant sur l'échafaud peut
sauver celles de mes camarades ! »
Le 20 septembre 1822, à cinq heures du soir, les quatre
malheureux sous-officiers furent exécutés sur la place de
Grève. Le môme soir il y eut grand bal à la cour. On se
ferait difficilement une idée de l'exaspération produite dans
les esprits par cet inhumain oubli de toutes les convenances.
Le disticpie suivant, qui circula bientôt, en fit, du reste, sé-
vère justice :
Pour Louis quel beau jour!
Ou égorge à la Grève, et l'on danse à la cour.
Il tint cependant, dit-on, à bien peu de chose que celte
exécution ne devint le signal d'une lutte qui eût pu avoir
les suites les plus graves. En effet, on assure que tout
ce que la charbonnerie comptait d'hommes ardents , déter-
minés, assistait en armes à celte scène sanglante. Cha-
cun brûlait de sauver ces martyrs de la cause commune,
chacun était prêt à tout tenter dans ce but ; mais l'ordre de
la vente suprême , qui au moment décisif devait faire agir
cette multitude comme un seul homme, n'arriva point; le
mot qui devait faire briller ces épées, ces poignards , faire
détonner ces armes à feu, ne fut point prononcé; et les
têtes des quatre sous-officiers de La Rochelle roulèrent sur
l'échafaud ! Les malheureux s'étaient embrassés avec effu-
sion à la vue de la foule muette et consternée, dans le sein
de laquelle ils comptaient tant de sympathies; ils surent
mourir en soldats au cri de Vive la liberté!
BORIQUE (Acide). Cet acide, autrement nommé acide
horacique et sel sédatif de Homberg , est un corps solide,
blanc, sans odeur et d'une saveur légèrement aigre, très-
peu soluble dans l'eau. Il résulte de la combinaison du
l)ore et de l'oxygène, dans la proportion de 31 parties du
premier contre 6!) du second. Sa densité est 1,5.
Cet acide existe à l'état naturel dans les eaux de cer-
tains lacs de Toscane et de l'Inde. Il est probable, dit
M. Payen, qu'il se trouve à l'état concret dans le sein de
la terre, d'où ces sources l'enlèvent en solution. On re-
marque en effet que celles qui sortent plus bouillonnantes
et semblent avoir été poussées par quelque action volca-
nique sont aussi chargées d'une plus grande quantité d'a-
cide bori(pie. Il suffit d'évaporer les eaux de ces lacs pour
obtenir l'acide qu'elles contiennent, et qu'elles déposent en
cristaux blancs, opaques, par le refroidissement. C'est ainsi
que l'on se |)rociiie tout l'acide borique qui est répandu
aujourd'hui tlaiis le commerce, et avec k'([uol on prépare.
Ji(V2 BORIQUE
en France particulièrement, presque tout le borax em-
ployé dans les arts.
I/aciile borique rougit légèrement la teinture bleue <lu
tournesol. L'eau chaude ( n dissout la treizième partie de
son poids, et l'eau froide seidemciit la trente-cinquième ; aussi
cristallise-t-il par le refroidissement. La forme de ses cris-
taux est celle d'un prisme qui n'a pas été bien déterminé :
lorsqu'on le fait cristalliser au milieu d'une solution de sul-
fate acide de soude, il se présente souvent sous la forme
de larges paillettes nacrées. C'est ainsi qu'on le prépare
en décomposant le borate de soude par l'acide sulfurique
pour l'usage des pharmacies. Il retient toujours une cer-
taine quantité de sulfate de soude et d'acide sulfurique en
excès.
L'acide borique s'emploie encore comme fondant , pour
analyser les pierres qui contiennent de la potasse ou de la
soude. On s'en servait autrefois en médecine comme d'un
sédatif; mais depuis que l'on a su que cette application
dans la thérapeutique était fondée sur une erreur, on ne
l'emploie plus ainsi. On en fait encore usage pour rendre
la crème de tartre soluble.
BORNAGE. C'est l'opération au moyen de laquelle les
propriétaires contigus marquent avec des bornes les limites
de leurs héritages ruraux, opération à laquelle l'article (î4G
du Code Napoléon leur donne le droit de se contraindre
mutuellement. Ces bornes sont en général des pierres plan-
tées en terre aux confins des deux héritages. Comme la loi
ne détermine pas la forme extérieure qu'elles doivent avoir,
on suit à cet égard l'usage des lieux : ainsi, dans certains
endroits ce sont deux pierres réunies que l'on enfonce dans
le sol ; dans d'autres, c'est une seule pierre , sous laquelle
on place une brique cassée en deux morceaux nommés té-
moins que l'on réunit. Souvent, au lieu de brique, on fait
usage de charbon pilé.
Indépendamment de ces bornes qui sont dites artifi-
cielles, il y a les bornes naturelles , telles que les rocs, fleu-
ves, et rivières.
Le bornage peut s'effectuer à l'amiable lorsque les parties
sont majeures et jouissent de leurs droits; il est alors cons-
taté soit par un acte notarié , soit par des actes sous seing
privé. En cas de dissentiment, ou bien s'il se trouve parmi
les propriétaires voisins un mineur ou un interdit, la de-
mande est portée devant le tribunal de la situation des
biens. Ce tribunal nomme des experts-arpenteurs, qui pren-
nent pour base de leur opération les titres respectifs ou la
prescription de trente ans, et à défaut de titres ou de pres-
cription, la possession annale. Les frais sont à la charge
des parties par portions égales, sauf le cas où la séparation
des bois de l'État et des propriétés riveraines est effectuée
par des fossés de clôture : les frais sont pris alors , ainsi
<iue le terrain des fossés , au détriment de la partie qui a
demandé le bornage.
La vérification d'un bornage peut aussi être toujours
demandée; alors les frais restent à la charge de celui qui l'a
provoquée, à moins qu'il n'en résulte la preuve qu'il y a eu
usurpation sur lui.
L'existence d'un mur sur la ligne séparative de deux hé-
ritages est un motif pour un voisin de se refuser au bor-
nage ; mais il n'en est plus de même lorsque la démarca-
tion n'est formée que par des lisières , des haies vives ou
des fossés.
La demande en bornage peut être faite par tous ceux qui
possèdent par eux-mêmes ; ainsi l'usufruitier , l'usager et
i'emphytéote jouissent en cela d'une faculté que n'a pas ,
par exemple , le simple fermier. Cet acte n'excède pas la
capacité du tuteur, qui n'est tenu de consulter le conseil
«le famille que sur les incidents qui feraient naître une
(piestion de propriété.
La <lestructiou ou le déplacement des bornes est puni
d'un emiMisonnemciit iVum mois à un an et d'ime amende
— BORNÉO
qui ne peut être au-dessous de 50 francs (Code Pénal,
art. 45(>). La loi prononce la peine de la réclusion lorsque
l'enlèvement ou le déplacement des bornes a en pour objet
de s'approprier le bien d'autrui. Pour obtenir le replace-
ment des bornes, il faut intenter une action devant le juge
de paix si le délit a été commis dans Tannée , ou devant
les tribunaux civils si ce délai est expiré.
BORNEO, appeléeparlesindigènes J]rmtniou Bourné,
c'est-à-dire Terre, et aussi Dahak-Warouni , Sle d'Asie,
faisant partie des Iles de la Sonde. Elle est bornée au sud
par la mer de la Sonde, à l'est par le détroit de Macassar
et la mer des Célèbes , au nord par la mer de Soulou , au
nord-ouest et à l'ouest pour la mer de Chine, et présente
une étendue de côtes de 496 myriamètres. Elle a 122 my-
riamètres de long sur tOO de large, et 7,000 myriamètre"*
carrés de superficie. Ij'equateur la coupe en deux portions
d'inégale granileur. C'est la plus grande île du monde.
Depuis longtemps les Européens en connaissent les côtes ;
mais c'est dans ces dernières années seulement que les ex-
péditions envoyées de Java et les voyages du major Henne-
rici, du major Miiller, qui y perdit la vie, et d'O. de
Kessel, en 1846, ont répandu quelque lumière sur l'inté-
rieur de Boinéo. Il est probable (jue les montagnes cristal-
lines du nord-est, qui se terminent dans le Kini-Balou,
traversent l'île entière. Des fleuves qui l'arrosent, on ne
connaît que la pailie inférieure de leur cours. Parmi les lacs,
on cite le Danao-Malayou dans la partie occidentale, avec
deux îles, et le Kini-Balou , près des montagnes du même
nom. Le climat est humide sur les côtes, brûlant et par
conséquent très-malsain pour les Européens; la dyssenterie,
les fièvres, l'hydropisie, la jaunisse, les rhumatismes, la
petite vérole, la syphilis, le choléra sont les maladies ré-
gnantes. Sur la côte occidentale, les pluies durent conti-
nuellement depuis novembre jusqu'en mai. La végétation
est luxuriante. Outre d'immenses forêts de bois de fer,
de teak, de tambuse, de gutta-percha , de batu et de bois
d'ébène, les bois de teinture, le muscadier, le sagou, le cam-
phrier, le cannellier, le citronnier, le bétel, le poivre, le
gingembre, le riz, les grains, les patates, l'igname, le
coton, le bambou, etc., sont les produits les plus impor-
tants du règne végétal. Le règne animal n'est pas moins
riche. Il offre l'éléphant, le rhinocéros, le léopard, l'ours,
le tigre, l'once, le buffle, plusieurs espèces de cerfs, le ba-
biroussa, des singes, entre autres l'orang-outang, le
cheval, le porc, la chèvre, la brebis, le chien, etc., la ba-
leine, le phoque, le lamantin, le cachalot, l'aigle, le vau-
tour, le faucon, le perroquet, le hibou, l'hirondelle, la
salangane, l'oiseau de paradis, le flamant et le paon; plu-
sieurs espèces de serpents, de lézards, de tortues, beaucoup
de poissons, de crustacés, même l'huître perlière, des vers a
soie, etc. On trouve presque dans toutes les parties de l'Ile
de l'or, de l'antimoine, du fer, de l'étain et du zinc; des
cristaux et des diamants pesant quelquefois de 20 à 40 ca-
rats. Les côtes nord et sud offrent de riches mines de houille.
La population de l'île est évaluée à environ tiois millions
d'àmes; mais ce chiffre paraît trop élevé. Elle se compose
de Malais, de Dayaks, de Papous, de Chinois et de Bougis,
sans compter un certain nombre de Javanais, d'Hindous et
d'Arabes. Les ISIalais, qui habitent les côtes, forment la partie
la plus nombreuse et la plus civi!i.sée de la population; leur
audace, leur rapacité les rendent très-dangereux. Les ims
sont musulmans, les autres idolâtres; comme leurs compa-
triotes de INIalakka, ils sont gouvernés par des sultans et des
radjas. Les Dayaks, qui habitent plus avant dans l'intérieur
de l'île, sont incontestablement les habitants primitifs de
Bornéo. Ils sont bien faits, ont le teint jaune, et se distin-
guent par leur caractère sauvage et cruel. Ils vivent de la
chasse, de la pèche, et souvent des produits île leurs pira-
teries. Leurs armes empoisonnées les rendent des ennemis
redoutables; mais si l'on gagne leur amitié, ils y restent
BOR^^:o — bornes
483
fidèles. La plus puissante de leurs tribus est celle des
Kiijangs. Les Pai)oiis ou Negiitos sont vraisemlilablement
aussi indigènes; ils vivent au fond des bois et des solitudes,
<ians des cavernes ou sur des arbres, sans vêtements, sans
instruction , sans rapports avec leurs semblables. La colonie
chinoise, au nombre d'environ 250,000 âmes, s'occupe
principalement de commerce et de l'exploitation des nùnes;
ceux qui se sont enrichis l'etournent ordinairement dans
leur patrie, impatients de se soustraire au gouvernement
despotique des Hollandais; les Bougis enfin, venus presque
tous des Célèbes, sont soumis aux Dayaks. Ils forment une
classe con-idérée, à cause de ses richesses , produit du corr-
inerce ou de la piraterie.
La côte seule est bien cultivée. Les Ciiinois recueillent de
l'or dans ie territoire de Sambas et dans la partie orientale
de l'île. Les Dayaks exploitent les mines de diamants et
lavent le sable des rivières pour en retirer de l'or. Les Bougis
se livrent au commerce ; les Malais exportent les productions
de l'île; les iiollandais et les Anglais, comme les Chinois et
les Malais, importent de l'opium, du thé et quelques pro-
duits manufacturés. C'est sur la côte occidentale qu'est situé
le royaume de SamOas , le plus puissant de tous, auquel
appartiennent les mines d'or de ]\Ionlradak et celles de dia-
mants deMatan. Outre les colonies chinoises. Sambas, ré-
.sidencedu sultan et l'entrepôt du commerce do l'opium, et
Pontianak , centre de la puissance hollandaise sur celte côte,
sont les deux villes les plus iiiiportanles. Sur la côte sud-
ouest on trouve le royaume de Succndana, divisé en plu-
sieurs États, sur lesquels les Hollandais n'exercent qii'imc
souveraineté nomitiale. La capitale est Succadana, où les
Ch'uois font un grand commerce, surtout d'opium. Li cote
méridionale est soumise au roi de Bendsclier-massln ou
Jiaujermassing , ville de 4,000 habitants, très-commer-
çante, qui entretient des manufactures de divers genres.
Près de là s'élève le fort hollandais de Talis, et au sud
s'ouvre le port Tibonio. Sur la côte orientale sont situés les
royaumes de Passir, de houti-Lama et de Tiroun; sur la
côte nord-est, les États du sultan de.Soulou, et sur la côle
nord-ouest, le royaume malai de Bornéo ou /;ro«?ii, dont
le sultan tient sous son autorité un grand nombre de radjas
et de pendscherans. 11 s'étend depuis Taudjongdatou , au
sud -ouest, jusqu'au lleuve Kimanis, à l'est; sa capitale est
Bornéo ou Borni, sur le fleuve du mi^me nom, place de
commerce importante, surtout pour Singapour; c'est la ré-
sidence du sultan. Llle compte 30,000 habitants, et contient
plus de 3,000 maisons, les unes bâties sur pilotis, les autres
jiortées sur des radeaux. Les moyens de communication
entre les différentes parties de la ville. sont des canaux, sur
lescpicls se traitent toutes les afiaires de commerce. Les ar-
ticles d'exportation sont les bambous, les nids d'iiiroudtlle,
le camphre et ie poivre.
Il est possible qu'autrefois le gouvernement de Bornéo
se soit étendu sur l'ile tout entière, et même sur une
pariie des Philippines. Les souverains étaient, à ce qu'on
croit, d'origine chinoise. En fôlB les Portugais abordèrent
a born-'o; mais ce ne fut qu'en ItJyO qu'ils purent s'établir
d'abord à Banjermassing, dont ils furent bientôt chassés par
le meurtre et la trahison. Il n'y eut que les Hollandais qui
réussirent à conclure un traité de commerce avec le sou-
verain de Banjermassing, en 1043. Ils bâtirent un fort,
établirent une factorerie [uès le village de Talis, une autre
en 1778, à l*oiUianak, et plusieurs autres depuis en diffé-
rents endroits. Ln 1S23 ils soumirent plusieurs Éiats malais,
indépeudauts jusque alors, «?f par là devinrent maîtres de tout
le pays compris entre les frontières de Banjermassing et
celles de Sambas. Ce teiTitoire contient beaucoup de mineS
d'or et de diamants.
Les Anglais, qui dans les années 1702 et 177i avaient
l.iif d'irmtiles tentatives pour former des établissements à
boiiiLo, ont réussi dans ces derniers temps à s'emparer de
toute la côte sud-ouest et nord-ouest. En 1846 ils bom-
bardèrent Bornéo, et tirent un affreux carnage de la popula-
tion. Le sultan dut se soumettre à toutes leurs conditions
et signer un traité avec eux. Les Américains du Nord , qui
visent aussi à s'établir dans l'archipel oriental, ont également
conclu un traité avec Bornéo. Des vaisseaux anglais croi-
sent sur les côtes, et ils ont déjà détruit un grand nombre
de pirates. Ces mouvements des Anglais excitèrent la jalousie
des HoUand.iis, qui dès 134G réunirent toutes leurs pos-
sessions en un seul gouvernement, envoyèrent des expédi-
tions dans l'intérieur, et renouvelèrent leurs traités d'amitié
avec les différents souverains de l'île.
BORIVES. L'origine des bornes remonte aux Égyptiens.
Leur contrée étant soumise aux crues périodiques du Nil,
les limites naturelles des propriétés disparaissaient souvent
au milieu des ravages du fleuve; de là pour eux la nécessité
«l'établir des limites factices. Les anciens eurent recours à
la Divinité pour protéger les droits de propriété de chacun ;
et les dieux défenseurs de ce droit jouent un grand rôle
dans la mythologie {voyez Termes). Le Deutéronome
n'avait pu (pie prononcer des malédictions contre ceux qui
<hangeaient les bornes des héritages. Aujourd'hui la loi pro-
tège les bornes des champs et punit ceux qui oseraient les
déplacer {voyez Bounage).
Les bornes ne servent pas seulement à marquer les limites
(les propriétés territoriales; on en établit aussi dans les rues
des villes, pour proti'ger les édifices contre le choc des voi-
tures. Quelquefois aussi elles servent à tendre des chaînes;
mais l'usage des trottoirs et des grilles tend à les faire dis-
(uuaître.
Sur les routes, on indique les distances par des bornes pla-
I ces de cinq cents en cinq cents mètres : ellc^; sont en louie
iMi en pierre taillée cylindriqxiement ou rectiingulairement ,
t't portent gravésdu côtéde la route des chiffresqui ilésignent
v\\ kilomètres et demi -kilomètres la distaure du point où
on les tiouve fixées au chel-lieu du département.
Pour laver les rues l'eau coule de bornes-fontaines en
fonte. L'administration des postes a lait placer en différents
endroits d'autres bornes en lonte pour recevoir les lettres.
Au figuré, connue au propre, bornes se prend dans le
.sens de limites. C'est ainsi qu'on |)arle des bornes du droit
et du devoir, des bornes du respect, de la sagesse, du pou-
voir, de la raison, de la bienséance. Tout, dit-on, doit
avoir des bornes. L'infini seul n'en a pas. Mais l'Iionune
peut-il concevoir l'infini? lui dont l'esprit est si borne.
Depuis soixante ans la puissance des hommes dans les
sciences appliquées ne semble plus reconnaître de bornes.
Elle (end les airs, arrache aux cieux ses secrets, pénètre
dans les entrailles de la terre, la dépouille de ses richesses et
la force encore à lui révéler le secret de ses révolutions. Ces
barrières, qui depuis longtemps séparaient le globe en d'in-
nombrables régions, disparaissent : grâce à la vapeur, les
Étals n'ont plus de distances, et les vents, ces des[)otes des
mers, restent désormais domptés. De minute en minute
l'honmie décompose i)onr recréer, et il plane sur l'univers
comme s'il en était devenu le souverain. Alais il tond)e a sou
tour, englouti dans le gouffre de sa prop:e lécondité. Le tra-
vail individuel est sapé à sa base : où il fallait naguère la
longue fatigue de milliers de bras, des machines que meut
l'inspiration des sciences exactes dépassent en quelques se-
condes le chilfre de tous les antiques produits. Ce n'est pas
là l'infini, mais dans un sens c'est ce qui en approche da-
vantage : telle est la dernière n^volntion qui attendait le
globe. Ce qui tempère, du reste, la tyrannie industrielle,
c'est que les sciences exactes ne s'arrêtent jamais dans la
marche de leurs inventions; il ne leur faut pas beaucoup de
temps pour que la dernière découverte dévore celle qui l'a
précé<lce. Aussi reste-t-il à peine de la gloire pour quatre ou
cin*! graurls noms <pii smiiagent; le surplus n'est «ju'iaid
fouie qui passe après avoir élé utile a son heure.
404
BORNES
11 n'en est pas de mCme du génie (lui s'exerce dans la lit-
térature ou dans les arts : là tout est borne; en retour, les
succès légitiniement ac(|uis résistent aux révolutions et se
luainliennent victorieux en face de tous les caprices ou de
toutes les réformes. L'espace est circonscrit, mais l'empreinte
de chaque pas habilement tenté s'> conserve. Un seul homme
peut s'élancer au delà de toutes les sciences exactes , prises
dans leur ensemble : il les liera de nouveau. En littérature
ou dans les arts, il n'est pas inôme possible de réussir dans
tous les genres, parce qu'il faudrait posséder une réunion
de qualités qui se rei)Oussent et s'excluent. Là non-seule-
ineut il faut se défendre de l'universalité, mais il est sage
encore de se tenir juscju'a un certain point dans les bornes
imposées à chaque genre : ce n'est que bien rarement qu'il
est permis de les étendre ou de les franchir. Des beautés
sublimes apportent sans doute leur excuse; mais enfin ce
sont de ces hardiesses où le génie lui-même peut fort bien
se tromper. Dans l'intérêt de sa gloire, certaines bornes lui
sont donc utiles, et les respecter constitue, en général, ce
qu'on est convenu d'ajipeler l'esprit de conduite.
Dans les dernières aimées du règne de Louis-l'hilippe,
par allusion aux bornes qui se tiennent immobiles le long des
grands chemins et regardent impassiblement le mouvement
qui se fait devant elles, on avait donné, au iiguré, le nom de
bornes à ces esjjiits stationnaires, cloués à tous les vieux
préjugés et croyant pouvoir arrêter la marche i\u [irogrès en
lui opposant leur masse inerte. M. de Lamartine, dans une
de ses plus belles improvisations parlementaires, (it justice,
à cette même é|)oque, de ces dieux termes de la politique,
<iui ne se jouent pas moins de toutes les attaques et qu'on
aura grand' peine à déraciner du sol, dans lequel de plus en
plus ils s'enloucetit.
liOllAlIOEVED ou BORNHŒl'T, petite paroisse du
bailliage de Segeberg, dans le duché de Holstein, à 30 kilo-
mètres au sud de Kiel , à la source du lîornbach. C'est à peu
près le point central et le plus élevé du Holstein proprement
dit et du Storuiarn; plusieurs rivières y prennent leurs
sources et se dispersent dans touîes les directions; de là le nom
de Brunnenhmtpt ou Quelloiluiupl, qu'on lui donne aussi.
Autour de l'église de lîurnlKeved ou Zuentiveld, cons-
truite en 1(49, i)ar révoque Yicelin , se réunissait autn^fois
la fleur de la chexaleiie. C'est là (pie jusqu'en 1480 la diète
des prélats, des chevaliers et des villes du Holstein et du
Stormarn tint ses séaiic(^s. Le 22 juillet 1227, le comte
Adolphe IV de Holstein, le coude Henri de Schwerin, le
duc Albert de Saxe, raichevêque Gerhard de Brème et
les Lubeckois y remporlèreul une victoire coinplèle .sur le
roi de Danemark \^aMemar 11, qui fut blessé et fait pri-
sonnier par le duc Olhon de Lauenbourg. C'est là encore
que, le 24 juin i;ii)7, le duc (Jeriiard partagea le Holstein
avec ses frères; la euiin que, le G décembre IHia, les Sué-
dois battirent les Danois, qui opéraient leur retraite.
BOUIVUOLM, île du Danemark située dans la Ikdtique
et dépendante du bailliage de Seeiande; sa superficie est
de GiiO kilomètres cariés, y ciinijiris les petites (les voi-
sines, et sa populali(jii de 27,00(t habitants. Cette ile est
à 140 kilomèlies de celle de Seeiande, 51 de la province
suédoise de Sc;:iiie, e! à la m('iiie «ii<lanc.e de file de
Rugen; elle a :VJ kilo!::élres de ioiig sur 27 de large. Elle
csttrès-montueiise, surtout au nord,(!t enviioiincede rochers
«scarpés, de bancs de sable et de brisants qui en rendent
l'accès fort diflicile. Le sol est assez l'erlile au sud; mais au
nord l'ile n'oflie (ju'uiie laïuK; déserte, ap()elée l.ontjmark.
tTest de lîoriihohu (|ue l'on tire la terre eini)loy(-e dans la
l'abri(pie de porcelaine de Cojienliague. Les habitants, d'o-
rigine danoise, se livrent avec .succès à la iièclie, élèvent
beaiK^oup de gros bétail, de chevaux , de brebis, s'occiii)ent
<|iiel(pie peu d'agriculture et de l'éducation de»s abeilles,
chassent li!S oiseaux de mer et ont (jueUiues •àbri(pies de
laine, do iioleric, d'horlogerie. Le coaiiuerce et la naviga-
■ DOllNOU
tion ont réiiaiulu l'aisance parmi eux; aussi sont-ils de
hardis marins, sobres et robustes.
Le chef-lieu de l'île est Rœnne ou Rottum , sur la côte
occidentale, avec 4,500 habitants, un port protégé par une
batterie, un gymnase et un magasin. Neroe et Svanike sont
des localités moins considérables. Les ruines du château his-
torique Ilammerhuus se trouvent sur la côte septentrio-
nale. En face de la côte orientale sont situées les Exteholm
ou îles Christiansoe , avec un port défendu par un château
qui servait autrefois de prison d'État ; Frederiksholni, avec un
jiliare haut de 28'", 52, etGrœsholm, sur laquelle on recueille
beaucoup d'édredon.
Dans le moyen àgc, Bornliolm, appelée Berongia ou
Burgunderholm , ai)partenait à l'archevêque de Lund, sous
la suzeraineté du Danemark. Lors de la guerre que la Ligue
hanséatique, alliée de Gustave Wasa, lit au roi du Dane-
mark, elle conquit cette lie, qu'elle restitua bientôt. Cédée
à la Suède par la paix deRœskilde, l'île ne resta pas long-
temps sous sa domination. Les habitants se révoltèrent, et a
la paix de Copenhague en lOiiO, ils rentrèrent sous l'auto-
rité du roi de Danemark. Boruholm a une milice dont le roi
est le commandant immédiat.
BORl\OU, puissant royaume du Soudan, qui a pour
limites à l'est le royaume de Begharrai , au sud celui de
Mandara, à l'ouest celui de Houssa, au nord celui de Ka-
nem et le désert. Les données qu'on possède sur son éten-
due manquent de certitude. 11 est probable qu'elle a varié;
aussi en est-il qui veulent que la Nubie forme sa limite
orientale et que le grand lac de Tchad en occupe le centre.
On admet généralement que sur une superlicie de 8,258
à 8,800 myriamètres carrés il renferme une population de
deux millions d'habitants. A l'exception des versants de la
chaîne de montagnes des Fellatahs , qui se prolonge vers le
sud, atteint une élévation assez considérable et est riche-
ment boisée, la contrée est complètement plate et facile-
ment inondée par les débordements des deux grands cours
d'etiu ([ui l'arrosent, le Schary, qui prend sa soiuce dans
les monts Mandara, et l'Yeu, qui provient del'Houssa, sans
compter leurs nombreux petits allluents. Comme caractère
|)articulier du pays, il faut mentionner l'extrême chaleur
((u'on y ressent, et que diminuent pourtant, circonstance
bien remarquable, les vents qui ont traversé le Sahara.
Le sol (le Bornoii possède une suiprenanle lécondlte. Ce-
pendant la végétation est loin d'y présenter de la variété.
Il produit d'ailleurs en abondance les plantes alimentaires
les plus utiles, comme le maïs, le millet, l'orge, le riz et
les lèves, ainsi que beaucoup de coton et d'indigo. Indépen-
damment d(ïsanimaux utiles, tels que les chevaux, les buffles,
les clépliants, les bœuls, les moutons, qui tous y prospè-
rent, le Boniou abonde aussi en bêles féroces <le l'espèce la
jibis dangereuse, comme lions, panthères, etc. Sur les bords
des rivièies, et dans les torèls qui ne croissent qu'aux en-
virons des couis d'eau, on trouve beaucoup d'oiseaux,
mais aussi énormément de serpents et de crocodiles. Les
abeilles sauvages y sont en telle (^uanlili', qu'où rejette leur
cire comme matière complètement sans valeur.
Le majeure pariie de la population, et notamment celle
aux mains de la(iiielle se trouve la puissance, fait profes-
sion d'islamisme. Cependant, à côté des Schououans, des-
cendants d'.-\rabos émigrés, les Nègres indigènes ont encore
conservé bon nombre de prati(p;cs derniers débris du féti-
chisme. Quand on réiléchil qu'il n'y a pas de fer dans le pays
de Bornou, qu il faut le tirer de jM.'.ndara, que le bois même
y est assez peu comiuuu, il est difficile d'admettre que l'in-
dustrie puisse jamais parvenira y iirendre des développe-
ments bien importants. La seule fabrication des étoffes «le
coton, que les habitants excellent a teindre d'une belle cou-
leur bleue, parce que l'indigo croit en abondance sur leur
sol, donne lieu à des transactions commerciales considé-
r.dilc'.;, surtout avec le l'\'z/.an. On y fabriijueausvi avec beau-
BORNOU — BORROMÉE
coup de soin les armures de guerre, tant pour chevaux que
pour cavaliers. En ce qui touche l'agriculture, c'est l'Arabe
qui l'y a introduite, en même temps, dit-on, que la traite des
esclaves qui s'y fait sur une très-large échelle et qui en-
traîne un grand nombre de guerres, notamment contrôles
Abyssiniens. Indépendamment de la langue arabe, qui est
celle delà grande majorité des habitants, on parle encore
dans le Bornou neuf dialectes différents.
Au commencement de ce siècle , le Bornou fut subjugué
p-ir les Fellatahs; mais le chéik El Kanemi parvint à se-
couer le joug qui pesait sur son pays, dont il agrandit
d'ailleurs le territoire par des conquêtes; de sorte qu'il
a aujourd'hui pour tributaires les royaumes de Kanem,
sur la rive nord-est du lac de Tchad , avec Lari, son antique
capitale; de Loggoun, au sud de ce lac, avec une popula-
tion très-industrieuse, et pour capitale, Koiirnouk ou Log-
goun; de Mandara, avec Dilo pour capitale : les uns et
les autres govivernés par des princes vassaux. Le chéik
suprême, qui a nom aujourd'hui Kelam-el-Anûn, tils du
conquérant nnentionné plus haut, réside à Kouka, la nou-
velle capitale, bâtie à peu de distance du lac de Tchad.
Le gouvernement est absolu, et, comme chez tous les peu-
ples mahométans, la justice s'y administre par voie de com-
position. Les forces militaires considérables que cet État
entretient constamment sur pied lui donnent une grande
importance dans l'Afrique centrale.
BORIXOYER ou BORNEYER. C'est une opération de
jardinage, qui consiste à aligner et dresser une allée sur le
terrain au moyen de jalons et du niveau.
En architecture , bornoyer veut dire aussi s'assurer à l'œil
si une chose est droite. Un tailleur de pierre bornoie un
parement de pierres pour examiner s'il est droit et bien dé-
gauchi.
BOROHBUDOR, c'est-à-dire le vieux Boro, nom d'une
ville en ruines, située dans la province de Kadou ou Kedou,
vis-à-vis du confluent de l'Ello et du Progo, sur le versant
septentrional des monts Minoreh , chaîne peu élevée et peu
boisée de l'intérieur de l'île de Java. Ces ruines surpas-
sent de beaucoup en intérêt celles de Brambanan et de
Singasari. On admire, entre autres, un temple de Bouddha,
bâti dans des proportions gigantesques et assez bien con-
servé; c'est une magnifique pyramide de 163 mètres de
large et de trente-six de haut, coupée, à la manière des
pagodes , en six sections et décorée de nombreuses statues
assises dans des niches et portant chacune une couronne
en forme de dagop simple. Le sommet forme une large
plate-forme au milieu de laquelle s'élève une double rangée
circulaire de petits dagops , dont ceux du cercle intérieur
sont plus hauts que les autres. Au centre s'en dresse un
seul , mais le plus grand de tous , qui couronne tout l'édifice.
Cette construction semble remonter au dixième siècle de
notre ère.
BORODINO, yillage de Russie, dans le cercle de Mo-
jaïsk, gouvernement de Moscou, à 115 kilomètres ouest-sud-
ouest de cette ville, sur la Kologa, petit aflluent de la Mos-
kowa. Les Russes ont donné le nom de bataille de Borodino
à la sanglante affaire du 7 septembre 1812, qui ouvrit les
portes de Moscou à la Grande Armée ( voyez, Moskowa
[Bataille delà]).
BOROUGH ( en anglo-saxon byrig), mot anglais si-
gnifiant bourg, et qui désignait à l'origine, comme le burg
des Allemands , un lieu protégé par des travaux de défense
et propre à servir de refuge contre les attaques de l'ennemi.
Quand ils conquirent la Bretagne, les Anglo-Saxons accrurent
encore le nombre, déjà si considérable, de villes grandes ou
petites fondées par les Romains , et donnèrent le nom de
byrig aux localités qui jouissaient des droits de municipe.
Toutes alorsétaieutnécessaircmententourées de murailles, et
elles avaient à leur tête un byrig-geré/a (le Burggra/ des
Allemands ), nommé par voie d'élection, L'invasion nor-
Dir.T. DE LA Cn.NVERS. — T. 111.
46.^
mande détruisitcesinstitutionsdémocratiques, et les remplaça
par le système féodal. Des baiUis, généralement d'origine
française, et nommés par le souverain, remplacèrent les
byrig-gerêfas , avec des pouvoirs illimités et dont ils abu-
saient le plus souvent de la manière la plus cruelle. Il était
dès lors naturel que les habitants cherchassent à s'affran-
chir de l'autorité de ces fonctionnaires ; et moyennant certaines
redevances payées à la couronne , ils obtinrent en effet la
permission de s'administrer eux-mêmes en vertu de chartes
spéciales. Les localités ainsi affranchies prirent le nom de
boroughs, et furent pour les droits politiques assimilées
aux villes ( cities ) investies du privilège de se faire repré-
senter par des mandataires aux assemblées générales de la na-
tion, origine du parlement. Mais il arriva avec la suite
des temps que certaines de ces localités perdirent peu à peu
de leur ancienne importance, tout en conservant le droit de
se faire représenter au parlement, et que les élections s'y
trouvèrent aux mains de quelques individus, qui en vinrent
à trafiquer publiquement de leurs voix. Cet odieux abus fit
désigner les localités de ce genre sous le nom de rotten
boroughs, bourgs - pourris.
BORRAGINÉES, famille de plantes dicotylédones, mo-
nopélales , hypogynes , qui tire son nom de la bourrache
(en latin borrago). Elles sont pour la plupart herbacées,
quelquefois ligneuses, à feuilles alternes, ordinairement
couvertes de poils rudes, ainsi que les tiges, qui sont cylin-
driques. Leurs fleurs forment des épis roulés en crosse à
leur sommet ; elles se partagent en deux sections distinctes,
d'après la nature de leur fruit , qui est une baie dans quel-
ques-unes, ou un assemblage de quatre graines nues dans
d'autres. Les principaux genres de borraginées sont,
parmi les plantes médicinales, la bourrache aux fleurs
bleues ou violettes , à corolle rosacée ou étoilée ; la c y n o-
glosse, la consolide , la buglosse, la pulmo-
naire; parmi les plantes d'ornement, la vipérine, le
myosotis ,eiY héliotrope. Les premières sont en gé-
néral mucilagineuses, douces et émollientes, et leur suc
contient souvent du nitrate de potasse tout formé ; ce qui les
rend diurétiques. L'écorce de la racine de plusieurs d'entre
elles, comme Vprcanette, donne une teinture rouge.
BORROMÉE ( Saint Charles ), naquit le 2 octobre 1538,
au château d'Arone, sur les bords du lac Majeur, dans le
Milanais. Fils de Gilbert Borromée, comte d'Arone, le pape
Pie IV était son oncle maternel. Pourvu dès l'âge de douze
ans d'une abbaye commeudataire, puis d'une autre abbaye
et d'un prieuré que lui résigna ce pontife, il fut élu car-
dinal à l'âge de vingt-trois ans. Pie IV , vieux et infirme, en
revêtant de la pourpre son neveu, jeune et plein de zèle,
avait donné une colonne à l'Église et une âme au Concile do
Trente; car ce fut à la sollicitation de Charles Borromée
que cette assemblée fut convoquée de nouveau.
Son étude favorite parmi les anciens était celle d'Épictèle
et de Cicéron. La nature lui avait refusé le talent de la pa-
role ; il en triompha par des exercices fréquents au sein d'une
académie fondée par ses soins au Vatican. L'Église dut à
cette académie des cardinaux, des évêques, une foule de
savants , et par-dessus tout le pape Grégoire XIII. Arche-
vêque de Milan , Borromée entra dans un diocèse où la cor-
ruption des mœurs était parvenue à son comble et autorisée
par les scandales dont la cour de Rome donnait l'exemple.
Pour couper court à ces désordres, il convoqua six con-
ciles provinciaux et onze synodes diocésains, où les rè-
glements du Concile de Trente furent remis en vigueur et
imposés au clergé et à l'Église. Il créa en outre la congré-
gation des oblats , mot qui signifie offerts , dévoués , parce
qu'ils s'engageaient par vœu à porter aide et secours à
l'Église. Quanta son zèle, il n'y avait point dans les Alpes
de précipices, de roches, d'avalanches, qu'il n'affrontât
pour visiter son diocèse, qui s'étendait fort loin. Ce prélat
fonda des écoles, des séminaires, des couvents, des bôpi-
51
46r>
BORROMÊE — BORROMINI
taux, bâlit ou répara un grand nombre de temples, parmi
lesquels celui de Saint-Fidèle à Milan, qui, par sa magnifi-
cence et son étendue, peut être rais au rang des plus grands
et des plus beaux de l'Italie. Depuis plus d'un siècle les
archevêques de Milan ne résidaient plus dans leur diocèse :
aussi cette église était-elle dans un état absolu de dégra-
dation , et en proie aux caprices du clergé. Saint Charles la
tira de cette anarchie , malgré les efforts de l'ordre des
humiliés et du chapitre de la Scala. Tout était bon à ces
moines odieux pour arriver à leur but. Un jour, au mo-
ment où le pieux archevêque était à genoux au pied de
l'autel, un frère Farina, que ces forcenés avaient aposté, tira
sur lui, à six pas, un coup d'arquebuse : le coup mal as-
suré ne fit qu'endommager la soutane et le rochet de ce
sage de l'Église , qui , sans détourner les regards , continua
sa prière. Malgré l'intercession de l'excellent archevêque.
Farina et ses complices furent mis à mort.
Si l'on veut avoir une idée de la naïveté de cœur et de la
simplicité de mœurs de ce bon prélat, on saura que dans
une maladie grave il se guérit par le moyen de la mu-
sique, qu'il aimait beaucoup, mais qu'il n'usa qu'avec
modération de ce spécifique , dont la mollesse et l'attrait
lui eussent semblé dangereux; qu'il abandonna ses biens à
sa famille, et fit trois parts des revenus de son archevêché,
une pour les pauvres , une seconde pour l'Église , une troi-
sième pour lui ; qu'il rejeta la soie de ses vêtements , bannit
du palais épiscopal tous les objets d'art mondains ou pro-
fanes , et qu'enfin il soumit son corps à des jeûnes et son
esprit à des méditations. Jusque là son zèle religieux ne
passait pas les bornes; mais coucher sur des planches, mais
organiser des processions, qu'il suivait les pieds nus et la
corde au cou , dans les rues de Milan , que ravageait la
peste, et cela pour apaiser la colère de Dieu, c'était mécon-
naître l'essence de la Divinité, c'était être saintement ho-
micide de soi-même ! Sa présence pendant six mois au
milieu des pestiférés , ses consolations , ses dons sans me-
sure , son lit qu'il vendit pour les pauvres , hii , élevé dans
le faste et la pompe de la cour de Rome , voilà ce qui éter-
nisera son nom, voilà ce qui l'a rendu à tout jamais l'objet
de la vénération de l'Italie et de toute la chrétienté. Ce fut
à quarante-six ans, le 3 novembre 1584, qu'usé de jeûnes,
de veilles et de fatigues , il termina sa carrière. ,En 1610
Paul V canonisa ce modèle des archevêques. Parmi ses ou-
vrages on remarque trenteet un volumes de lettres, des ho-
mélies, les Nuits du Vatican, la collection de ses Conciles,
et les Actes de l'Église de Milan. Son style n'a rien de la
sublimité ni de la force de celui des Pères de l'Église, mais
il a de l'onction et de la douceur. La châsse de ce saint
passe pour une merveille d'orfèvrerie. Denne-Baron.
En 1G07 une statue colossale fut élevée auprès d'Arone ,
sur une éminence dominant le lac Majeur, à saint Charles
Borromée. Cette statue est en bronze ; elle a 23",5 de hau-
teur; le piédestal, en granit, a 15 mètres de haut.
Son cousin , le comte Frédéric Boruomée , né en 1 563 ,
cardinal et archevêque de Milan de 1595 à 1631 , fut le fon-
dateur de la bibliothèque Ambroisienne.
BORROMÉES (lies) , nom de plusieurs petites lies
dans le lac Majeur. Ainsi nommées de la famille Borro-
mée , qui depuis des siècles possède les plus riches do-
maines des bords du lac Majeur; ces îles sont aussi appe-
lées quelquefois Isole dei ConigH,haiuse du grand nombre
de lapins qu'elles nourrissent. Ce n'étaient que des rochers
arides, lorsque le comte Vitaliano Borromée entreprit,
en 1671, de les embellir en y faisant transporter de la terre
végétale et construire des terrasses. Elles sont au nombre
de cinq, V Isola Bella, V Isola Madré, V Isola di San Gio-
vanni, San Michèle et Ylsola de' Pescatori; les deux
premières surtout sont célèbres par leur beauté. Sur la côte
occidentale de V Isola Bella s'élève un palais vaste et magni-
fique, qui renferme une superbe galerie de tableaux des
meilleurs 'maîtres. Ce palais communique par les salle
terrcne , suite de grottes revêtues de pierres de diverseê
couleurs et décorées de fontaines , avec des jardins supportés
par dix terrasses qui vont en se rétrécissant de manière à
présenter la forme d'une pyramide tronquée couronnée par
le statue colossale d'une licorne, armes de la famille Borro-
mée. L'Isola Madré , située au milieu du lac , est peuplée
de faisans, et jouit d'un climat encore plus doux ; sept ter-
rasses conduisent à son château. Couvertes de plantes du
midi de toutes espèces, ces îles répandent sur le lac le
plus délicieux parfum. Comme on n'y trouve aucune hôtel-
lerie, les voyageurs qui les visitent doivent passer la nuit
dans les petites villes du voisinage, Intra, Pallanza ou
Baveno. Les habitants de l'/5oZa rfe' Pe^ca^ori vivent princi-
palement du produit de leur pêche, qu'ils portent à Milan
ou dans le Piémont, et des profits de la contrebande.
BORROMIIVI (François), architecte célèbre, né en
1599, à Bissone, dans le diocèse de Côme, en Italie, était
d'une famille dont plusieurs membres paraissent s'être dis-:
tingués dans la même profession. Son père, qui lui avait
donné les premières leçons de son art, l'envoya dès l'âge de
neuf ans, étudier la sculpture à Milan, et de là il vint à
Rome, où Charles Maderno, son parent, alors architecte de
la fabrique de Saint-Pierre, acheva son éducation, et le mit
bientôt en état de le seconder dans les travaux que lui avait
confiés Urbain VIIL Cependant les sept années qu'il avait
passées à Milan, et qui avaient été entièrement consacrées
à la sculpture, avaient décidé de sa vocation, et il y aurait
sans doute persisté si le désir de surpasser le Bernin, qui
avait succédé à Maderno, en 1629, dans la place d'archi-
tecte de Saint-Pierre , devenue vacante par la mort de ce
dernier, ne l'avait porté à redoubler d'elTorts dans la nou-
velle direction qu'il avait prise. Il parvint bientôt, en effet,
et grâce à la protection d'Urbain VIII , à enlever à celui
qu'il regardait comme son rival une partie des travaux qui
devaient être exécutés par lui. Il eut ainsi successivement
à construire l'église de la Sapienza , le couvent de Saint-
Philippe de Néri , son oratoire et sa façade , l'église du col-
lège delà Propagande, une partie du bâtiment de l'église
de Sainte-Agnès à la place Navone , la nouvelle décoration
intérieure de Saint-Jean-de-Latran , et fut chargé égale-
ment , toutefois sous la direction du Bernin , de la conti-
nuation des travaux du palais Barberini. Sa réputation
s'étendit si loin que le roi d'Espagne, ayant résolu d'agrandir
son palais à Rome , lui commanda un projet qui , bien qu'il
n'ait jamais été exécuté, valut à son auteur l'ordre de
Saint-Jacques et une gratification de mille piastres. 11 re-
çut en même temps du pape l'ordre du Christ, avec 3,000
écus comptant et une pension.
Son ambition n'avait plus à redouter de rivalité; cepen-
dant , son humeur envieuse lui faisait toujours voir des dé-
faites dans les succès du Bernin , et un ennemi dans l'homme
qui avait trop de goût pour ne pas blâmer ses caprices.
Bernin, en effet, le regardait comme un novateur téméraire,
destiné à corrompre toute l'architecture. Enfin, Bernin
ayant obtenu la conduite d'un édifice déjà confié à Borro-
mini, qui en avait même donné les dessins, cette préfé-
rence fut pour celui-ci l'occasion d'un ressentiment qui ne
connut plus de terme. Pour se distraire , il résolut d'aller
en Lombardie. Le voyage ne put chasser son ennui , qui
le ramena bientôt à Rome, où son mal devint incurable.
En vain, pour y faire diversion, donna-t-il un libre cours
à tous les caprices de son imagination , dont il projetait de
faire graver le recueil. Il présidait à ce travail lorsqu'un
accès d'hypochondrie fit désespérer de sa vie, et une
nuit d'été, ne pouvant trouver de repos, il se saisit d'une
épéc, et s'en perça d'outre en outre. Ainsi périt, en 1667 ,
à l'âge de soixante-huit ans, cet artiste, victime de la
jalousie qui avait empoisonné sa vie et corrompu son
goût.
BORROW — BOSG
467
BORROVV (George), écrivain anglais, né à Norfolk,
en 1803, montra dès sa plus tendre jeunesse des dispo-
sitions extraordinaires pour les langues el un goût prononcé
pour les aventures. Dans son enfance, il passa quelque
temps au milieu de Boliémiens, et acquit, en vivant avec eux,
une connaissance exacte de leur langue, de leurs mœurs
et de leurs usages. Nommé agent de la société biblique
d'Angleterre, il parcourut presque toute l'Europe ainsi
qu'une partie de l'Afrique, et eut ainsi l'occasion d'apprendre
la plupart des langues modernes, dans leurs divers dialectes.
L'incomm avait pour lui un cbarme invincible, et il le
poursuivait au prix des plus grandes fatigues , des plus
grands dangers. Fidèle aux prédilections de sa jeunesse ,
il fit des Bohémiens l'objet principal de ses études. Son
premier ou>Tage, Les Zincall, ou Description des Bohé-
miens d'Espagne (2 vol.; Lond., 1841) intéresse par la
vivacité dramatique du style; mais c'est à un autre livre,
qu'il publia sous le titre de La Bible en Espagne (2 vol.,
Londres, 1843), qu'il dut surtout sa réputation. C'est une
série d'aventures personnelles aussi variées qu'intéressantes,
môlées de peintures de caractères et de descriptions ro-
mantiques , et rachetant par la force et la vivacité des cou-
leurs le désordre de la composition. Après un long silence,
J3orrow lit paraître Lavengro, écolier, bohémien et prêtre
1 3 vol.; Londres, 1850), espèce d'autobiographie, où la fa-
ble se mêle à la vérité. Annoncé depuis longtemps, cet
ouvrage n'a pas répondu à ce qu'on attendait , bien qu'on
y rencontre des pages attachantes. Le désir de représenter
son Lavengro comme un caractère tout à fait exception-
nel , a entraîné l'auteur dans des exagérations trop fortes,
et l'originalité un peu bizarre qui faisait le charme de ses
premiers écrits semble être devenue chez lui une espèce de
inonomanie.
BORY DE SAINT-VIIVCEXT (Jean-Baptiste-
Georges-Marie), né à Agen, en 1780, prit au sein d'un
magnifique musée d'histoire naturelle existant depuis des
générations dans sa famille le goût des sciences physiques ,
qu'il ne cessa de cultiver toute sa vie. La révolution vint
interrompre ses études , et le jeta avant vingt ans dans l'ar-
mée. Il ne tarda pas à se faire remarquer de ses chefs.
En 1800 il commandait un fortin à Belle-Ue-en-Mer lors-
que, à la demande de Lacépède, il fut appelé à l'emploi de
naturaliste en chef d'une expédition de découvertes , dont
le commandement était confié au capitaine de vaisseau Ni-
colas Baudin.
Bory, demeuré à l'île de France pour cause de maladie,
explora les îles voisines dès qu'il fut rétabli. La Réunion
fixa d'abord ses regards. Sa moisson botanique et géolo-
gique fut immense. On lui doit une relation curieuse de ce
premier voyage, et il y joignit une excellente carte de l'ile. La
paix ayant replacé nos colonies sous l'autorité de la métro-
pole, Bory dut rentrer en France. Peu de jours après son
arrivée à Paris , il fut promu au grade de capitaine et em-
ployé bientôt à l'état-major particulier du général Davoust.
Pendant son séjour à Paris il publia son premier ouvrage
important, intitulé : Essai sur les iles Fortunées et l'an-
tique Atlantide ( 1 vol. in-4'', 1803). Bientôt parut la re-
lation de son Voyage dans quatre iles des viers d'Afrique
(3 vol. in-8°, avec atlas), ouvrage qui lui valut le titre de
correspondant de l'Académie des Sciences.
La guerre ayant recommencé, Bory rejoignit la grande
armée, et fit avec distinction les campagnes d'Autriche et
de Prusse. En 1808 il passa à l'armée d'Espagne, sous les
ordres du maréchal Ney, et resta ensuite attaché à l'état-
major du maréchal Soult, près duquel il se trouvait encore
à la bataille de Toulouse. Rappelé à Paris dès que le ma-
réchal Soult fut nommé ministre de la guerre, il prit rang
parmi les colonels attaches au Dépôt de la guerre.
Durant la première restauration, Bory de Saint-Vincent
£C lança diuis la rédaction des (cuillcs périodiques, cl fut,
avec Etienne , Jouy et Harel , un des principaux auteurs du
Nain Jaune, re\'ue hebdomadaire dont le succès ne fut
peut-être jamais égalé par celui d'aucun écrit de ce genre.
Au 20 mars il continua à faire partie du Dépôt. Nommé
député par la ville d' Agen, il siégea avec distinction dans la
chambre des Cent-Jours , s'y prononçant fortement contre
la déchéance de l'empereur, qu'il appelait le glaive de la
patrie. Aussi son nom fut-il compris dans l'ordonnance du
24 juillet, dite A^ amnistie, qui renvoyait dix-neuf citoyens
devant des commissions militaires et en condamnait trente-
huit à l'exil. Caché dans la vallée de Montmorency, il y
publia celui de tous ses écrits dont il s'honorait le plus , et
qui avait pour titre : Bory de Saint-Vincent , député de
Lot-et-Garonne, proscrit par l'ordonnance du 24 juil-
let , à 5^5 commettants. Puis il se réfugia en Belgique, où
il erra de ville en ville jusqu'à ce que, l'ambassadeur
de France, Latour-du-Pin , l'ayant dépisté, force lui fut
de s'enfoncer dans l'Allemagne. Ayant plus tard obtenu
du gouvernement néerlandais la permission de résider k
Bruxelles, il y fit paraître avec deux savants du pays un
recueil intitulé Annales générales des Sciences Phy-
siques.
Enfin, Bory de Saint-Vincent reçut, vers la fin de 1819,
l'autorisation de rentrer en France. Rayé des contrôles de
l'armée, sans appointements, privé de toutes ressources,
il s'associa à la collaboration du Courrier français, et
subsista du produit de ses travaux scientifiques jusqu'à l'ar-
rivée de Martignac au ministère. Amis d'enfance , ces deux
hommes se rapprochèrent aussitôt. Une commission scien-
tifique ayant été adjointe à l'expédition de Morée , Bory de
Saint- Vincent en fut nommé l'un des directeurs. La Grèce
lui fournit les matériaux d'un ouvrage qui lui valut en 1832
le titre de membre de l'Institut. A son retour en France,
au commencement de 1830, il s'empressa de jeter le plan
d'un grand travail sur la Morée ; et à peine l'eut-il arrêté
que Peyronnet, alors ministre de l'intérieur, qui, comme
Martignac, avait été son compagnon de jeunesse, ordonna
la publication aux frais de l'État de cette œuvre monumen-
tale. Le colonel conduisit cette immense entreprise à bonne
fin en moins de quatre ans, avec le concours d'habiles colla-
borateurs dont on lui laissa le choix.
Rétabli sur les contrôles de l'armée après la révolution
de Juillet , il rentra au dépôt de la guerre , et fut élu député
par l'arrondissement de JMarmande { Lot-et-Garonne) ; mais
il renonça bientôt au mandat qu'il tenait de ses concitoyens :
l'œuvre de Morée terminée, il put disposer encore de son
temps, et n'hésita point à accepter la présidence d'une nou-
velle commission scientifique, formée pour étudier et po-
pulariser l'Algérie. V Encyclopédie Moderne, le Diction-
naire de la Conversation, les Annales des Voyages, et
autres recueils, abondent en articles de lui ; il a été en outre
directeur du Dictionnaire classique d'Histoire Naturelle ;
enfin, parmi ses différentes productions, on remarque un
Essai sur la Matière, un Traité des animaux microsco-
piques; un Essai zoologique sur le genre humain; une
Histoire du siège de Cadix, en 1810, 1811 et 1812 (en
collaboration avec l'auteur de cet article), et un Résumé de
la Géographie de la Péninsule Ibérique, qui offre tout l'at-
trait d'une relation de voyage bien écrite. Bory de Saint-
Vincent est mort à Paris, le 23 décembre 1846 , à l'âge de
soixante-six ans. E. G. de Monclave.
BORYSTHÈNE. Voyez Dnieper.
BOSC (Louis-Auccstin-Guillalme), naquit en 1759. Sa
jeunesse fut médiocrement appliquée, et sans événements ni
succès remarquables; son âge môr fut rempli de vicissitu-
des, l'ils d'un médecin de la cour, Bosc d'Antic, et placé par
lui au collège de Dijon, il ne montra beaucoup de goftt que
pour ia botanique et l'entomologie. L'espèce d'aversion que
manifesta pour lui sa jeune belle-mère (car son père s'était
marié deux fois) communiqua à son caractère une teinte da
4G8
BOSC — BOSCAN-ALMOGAVER
tristesse el de sauvagerie dont la fôclieuse influence s'éten-
dit à son existence entière. Habiter dans les forêts ou voyager
seul fut le genre de vie le plus compatible avec ses goûts
raisanthropiques : on dit même que dans sa première jeu-
nesse il n'était pas éloigné de s'enfermer dans un couvent
de chartreux. Toutefois , Bosc étudia les sciences , et fut
successivement employé, administrateur des postes, puis
disgracié et persécuté, puis consul ou chargé d'affaires en
Amérique, puis voyageur errant, collecteur laborieux d'ob-
jets d'histoire naturelle, continuateur de Buffon, auteur de
dictionnaires et de journaux , administrateur des hôpitaux
jusqu'au 18 brumaire, enfin membre de l'Institut, inspecteur
des pépinières de Versailles et l'un des plus célèbres agrono-
mes de la France. Mais Bosc fut avant tout une de ces ûmes
fortement trempées que le sort ne saurait amollir, qui sen-
tent les malheurs d'un ami plus que des souffrances person-
uelles, qui méprisent la fortune et qui défient l'oubli de l'his-
toire.
Quand la révolution française éclata, Bosc était secrétaire
de l'intendance des postes, et les loisirs que lui laissait sa
charge, il les consacrait à l'étude paisible de l'histoire na-
turelle. Ami de Rolland, à peine celui-ci fut-il ministre
(1792) qu'il s'empressa de le nommer administrateur des
l)ostes. La place était belle pour son âge ( trente-trois ans ) ;
elle dépassait ses besoins comme son ambition. Mais il ne la
devait pas conserver longtemps : la journée du 31 mai 1793
renversa Rolland ainsi que les girondins; et peu de temps
après Rolland paya de sa tête la constance de ses princi-
pes. Sa femme fut renfermée successivement dans plusieurs
prisons de Paris , en attendant que l'échafaud se rougît de
son sang ; et c'est alors, dans l'espace de deux mois, qu'elle
composa ces admirables mémoires , qu'il est impossible de
lire sans une vive émotion. Alors aussi elle connut tout ce
que valait Bosc , et combien son amitié avait de sincérité
et de dévouement.
L'amitié était rare ou timide dans ces temps affreux ! Le
jour même de son arrestation, madame Rolland lui confia
sa fille , sa chère Eudora. Bosc, au risque de sa vie , visitait
souvent madame Rolland durant sa captivité; il lui portait ,
au parloir , non des consolations , mais le tribut de ses
sympathies et l'exemple de son courage , tant le moment
fatal était facile à prévoir. Quand enfin l'heure de la sépa-
ration vint à sonner, lorsque le boiureau manda cette femme
sublime, elle paya Bosc de tous ses soins par les missions
pleines de périls dont elle le chargea. Elle lui confia d'abord
le manuscrit de ses Mémoires, que Bosc a publiés quelque
temps après. Elle le chargea en outre de la tutèle de sa fille,
mademoiselle Rolland , le seul enfant à qui elle léguât des
souhaits de bonheur et de funestes souvenirs. Bosc accepta
tout... Ensuite, pour unique giâce, ou plutôt comme marque
d'estime singulière, comme récompense immortelle, elle lui
demanda, à lui, le seul ami qui ne l'eût point abandonnée,
qu'il voulût l'accompagner jusqu'.'i l'échafaud. Bosc, tou-
jours supérieur aux rigueurs de sa situation , accompagna
madame Rolland jusqu'au lieu du supplice. 11 l'aida même
à monter les degrés de la guillotine, si près des cieux pour
cette femme héroïque. Et quand il fallut se quitter pour tou-
jours, sans larmes d'aucun côté, sans plaintes, sans visible
émotion, le cœur aimant mieux se briser dans son récep-
tacle que de déceler ses déchirements, un regard au ciel,
deux mains serrées, furent les seuls adieux de ces deux
amis, dignes d'être immortalisés par Plularque.
Ce triomphe remporté sur sa sensibilité devait soumettre
Boscàde nouvelles épreuves. Sans fortune, il lui fallut pour-
voir dignement à la subsistance et à l'éducation de made-
moiselle Rolland. Il fallait lui prodiguer les attentions d'un
])ère, la voir souvent, et mêler ses larmes aux siennes sur
l'affreux événement qui la rendait orpheline; il fallait lui
montrer de la tendresse, mais point d'amour; obtenir sa
reconnaissance , mais rien au delà ; et ce noble dessein , si
haut placé par delà toute puissance humaine, Bosc était
digne de l'accomplir. L'avenir trahit sa prudence.
Depuis la mort de madame Rolland jusqu'au 9 thermi-
dor, Bosc resta presque toujours retiré dans une petite mai-
son qu'il possédait dans la forêt de Montmorency. Il y
cacha même plusieurs proscrits , entre autres La Revel-
lière-Lépeaux, qui y resta plusieurs mois dans un grenier.
Bosc partageait avec ses hôtes sa pitance de chaque jour.
C'étaient des racines fraiches, des limaçons trouvés dans
la forêt, et aussi l'œitf delà seule poule qu'il eût, et qu'à
quelque temps de là dévora un oiseau de proie. Le 8 ther-
midor passé, son hôte La Revellière-Lépeaux devint le pre-
mier des cinq souverains de la France d'alors ; mais ce
directeur apparemment tout-puissant eut trop peu de sou-
venir des mauvais jours pour doter Bosc d'une condition
digne de lui.
Durant près de trois années que Bosc passa dans sa forêt,
il ne négligea point de venir à Paris visiter sa pupille. Ces
voyages fréquents, suivis d'un isolement absolu, finirent
bientôt par susciter en lui cette émotion du cœur qu'appré-
hendait sa sagesse. Bosc crut voir que , de son côté , made-
moiselle Rolland l'aimait autrement qu'on n'aime un tuteur ;
et dès ce jour, sans rien lui dire, sans lui rien faire espérer
ou craindre, se croyant peu fait à son âge et dans sa position
pour la rendre heureuse, craignant surtout de ne devoir
son propre bonheur qu'à son titre vis-à-vis d'elle , qu'à la re-
connaissance, et ne perdant point de vue son rôle de père,
il fit ses préparatifs pour un voyage en Amérique (1796) :
mais il la confia avant son départ aux soins d'une femme res-
pectable, à laquelle il déclara qu'on ne le verrait revenir en
France qu'à la nouvelle du mariage de mademoiselle Rol-
land. Avais-jetort de comparer Bosc aux grands hommes de
Plutarque? Ah! sans doute il y a quelque chose de plus diffi-
cile que d'agrandir une science si l'on est savant, que d'as-
servir tout un pays si l'on est guerrier : c'est de se rendre
maître de l'amour.
Nous n'avons pas le courage d'entrer dans les particula-
rités ultérieures de la vie de Bosc : ses plantations de vignes ,
dont il réunit plusieurs milliers de variétés près du Luxera-
bourg, son Cours d'Agriculture, ses excellents articles du
Dictionnaire de Déterville, tout cela serait peu intéressant
en comparaison de ses actions.
Le spectacle de la terreur et ses propres malheurs, ainsi
qu'une longue solitude, avaient empreint le caractère de
Bosc d'une réserve si voisine de la défiance qu'il reste encore
sur plusieurs endroits de sa vie des obscurités telles que les
biographes se sont fréquemment contredits en ce qui con-
cerne les circonstances les plus délicates de son histoire.
Nous devons dire à cette occasion que si nous n'avons point
suivi les versions de M. Cuvier, ce n'a été ni sans molils
plausibles ni sans d'autres témoignages. Bosc mourut le
10 juillet 1828. Isidore Bourdon.
BOSCAN-ALMOGAVER (Juan), célèbre poète es-
pagnol, naquit au commencement du seizième siècle, à
Barcelone, et mourut vers l'an 1543. Ses parents, qui ap-
partenaient à la plus ancienne noblesse , le firent élever avec
beaucoup de soin. Il suivit durant quelque temps la cour
de Charles-Quint, et y demeura pendant le séjour qu'elle fit
à Grenade. La noblesse de son caractère et de toute sa con-
duite lui concilièrent la laveur du prince. Il fut chargé de
l'éducation du duc d'Albe. Après son mariage, Boscan vécut
à Barcelone, où il s'occupait de publier ses œuvres avec
celles de son ami Garcilaso, auquel il avait survécu, lors-
que la mort vintaussi le surprendre. Andréa Navagero, sa-
vant italien et ambassadeur de la république de Venise au-
près deCliarles-Quinl, lavait engagé à essayer en espagnol
divcr.'^es sortes de mètres italiens. C'est ainsi qu'il devint le
créateur du sonnet espagnol , et qu'il fut le premier, avec
Garcilaso, à employer les tercets dans les épltrea poétiques,
dans les clcgics, etc. bi cet auteur a lait époque, c'«J*' »"»-
BOSCAN-ALMOGAVER — BOSCOVICH
4Gy
tout pour avoir introduit les formes métriques de l'Italie
dans la poésie espagnole ; et dans son temps cette innova-
tion rencontra autant de critiques que de partisans. Les
poésies de Boscan sont encore estimées aujourd'luii; mais
ses autres travaux littéraires , qui consistaient surtout en
traductions , sont oubliés.
BOSCH (JÉRÔME de), membre de l'Institut hollandais ,
naquit à Amsterdam, le 23 mars 1740, et y mourut, le 1" juin
18tl, 11 fut sans contredit le poète latin le plus distingué
des temps modernes, et en môme temps un savant philo-
logue. Sans vouloir jamais accepter de chaire d'enseignement,
il vécut dans de doux loisirs, qu'il charmait par l'étude de
la littérature classique; cependant, pour être utile, il con-
sentit à se charger des fonctions de curateur de l'université
de Leyde, et les remplit pendant plusieurs années. Ses
J'oemata ont été publics pour la première fois à Leyde,
en 1803; une deuxième édition en a été donnée à Utreclit,
en 1808. Son principal ouvrage est d'ailleurs V Anthologie
grecque, avec la traduction en vers jusque là inédite de
Grotius, qui parut à Utrecht de 1795 à 1810, en 4 vol.
auxquels Yan Lennep en a ajouté un cinquième (Utrecht,
1822). On a aussi de Bosch des discours et des traités,
presque tous écrits en hollandais, sur des objets de litté-
rature, et qui sont tous autant de preuves de sa profonde
érudition , de l'excellence de son jugement et de la pureté
de son goût.
BOSCH IM ANS, en hollandais Bosjesmans, ce qui
veut dire habitants des buissons (du hollandais bosje,
buisson); dans leur propre langue ils s'appellent Saaôs.
C'est une nation distincte du sud de l'Afrique , quoiqu'elle
se rattache par son origine à la nation hottentote. Les Bos-
chimans habitent une contrée sauvage, située au nord et au
sud du haut Orange, et, au sud-est de ce fleuve, les pro-
longements encore inconnus des Monts de Neige, entre le
territoire de la colonie du Cap et l'intérieur du pays des
Cafres, jusque parmi les Betj ou an s, dispersés à environ
222 kilomètres au nord de Lattakou. Divisés en tribus, ils
errenten formant autant d'essaims différents que de familles,
sans avoir jamais de demeure fixe, et ne se groupent que
lorsqu'il s'agit pour eux de se défendre contre un ennemi
commun ou bien d'entreprendre quelque expédition de bri-
gandage , faisant preuve en toute occasion des dispositions
les plus insociables et d'un penchant inné pour la rapine
Leur taille est généralement inférieure à celle des Hottentots,
dont on peut les considérer comme la tribu la plus dégé-
nérée. Leur nez est encore plus aplati et les pommettes de leurs
joues plus saillantes. L'expression de leurs yeux est aussi
sinistre que féroce, en même temps que tous leurs traits
respirent la paresse et la débauche.
Si chez eux les hommes sont laids et maigres, aussi
sales et aussi tatoués que les Hottentots , les femmes of-
frent l'exemple d'une laideur plus repoussante encore.
Les Boschimans sont doués d'une vue et d'une ouïe très-
fines ; mais leur intelligence est des plus obtuses, et leur
grossièreté lés rapproche de la brute. Paresseux à l'excès ,
la faim seule peut les déterminer à entreprendre quelque
travail. Les produits de leur chasse ne suffisent que fort
imparfaitement à les nourrir. Ils tuent leur proie à coups
de flèches ou bien s'en emparent à l'aide de pièges; et
en simulant la forme extérieure de l'autruche, ils par-
viennent à approcher de cet animal, qu'ils prennent ainsi et
dont ils mangent la chaire toute crue. Faute de mieux, ils se
contentent aussi de sauterelles, de couleuvres, de fourmis,
et de toutes espèces d'insectes ; ils prennent môme à l'aide de
nasses quelques poissons, genre d'animaux pour lesquels les
habitants du sud de l'Afrique témoignent en général l'aver-
sion la plus décidée. Ils peuvent d'ailleurs supporter la faim
pendant fort longtemps , et s'efforcent d'en rendre les at-
teintes moins sensibles en se serrant le ventre. Quand leur
chasse est productive , oti bien s'ils réussisseat à dérober un
bœuf ou quelques moutons , ils se dédommagent de leur
longue abstinence par des repas tellement copieux qu'ils
demeurent ensuite plusieurs jours dans un état d'immobi-
lité complet, pendant lequel s'opère le travail de la diges-
tion. Pour boire ils se couchent à plat ventre comme les
animaux. Ils aiment beaucoup à fumer, et s'enivrent en
avalant la fumée du tabac ; ils témoignent aussi une grande
prédilection pour l'eau-de-vie. Leur costume consiste en une
peau de mouton qui leur sert de manteau, et qu'ils savent
enrouler fort adroitement autour de leur corps. Pour vê-
tement de dessous ils ont une peau de chacal , et ils portent
des bonnets de cuir, avec des verroteries et des sandales.
En fait d'armes , ils ont de petits arcs, avec lesquels ils lan-
cent à de grandes distances, et aA'ec beaucoup de justesse et
de précision, des flèches empoisonnées; quelquefois aussi,
quand ils habitent à la proximité de nations relativement
civilisées, par exemple des Betjouans, ils sont armés ^'î
petits couteaux.
Ils choisissent pour demeure des cavernes, de petits
fossés, ou encore des buissons, au milieu desquels il est
rigoureusement exact de dire qu'ils viennent nicher. On
ne trouve parmi eux aucune trace d'agriculture, et, à
l'exception du chien , ils n'ont pas un seul animal domes-
tique. Leur langue , qui compte un grand nombre de dia-
lectes, est d'une extrême pauvreté, et consiste en un mélange
d'intonations gutturales, nasales et palato-linguales. Elle
diffère beaucoup de la langue des Hottentots , dont elle est
peut-être le dialecte le plus grossier; de sorte que les deux
nations ne s'entendent qu'avec une extrême difficulté,
en même temps qu'il est impossible aux autres peuples de
les comprendre. On ne trouve chez eux presque point de
trace d'organisation politique. Leurs villages, quand il s'en
rencontre , et ils consistent alors uniquemeut en huttes de
paille , ne contiennent jamais plus d'une centaine d'habi-
tants. Toute idée de hiérarchie et d'autorité régulière leur
est étrangère. La force brutale et la ruse sont les seuls liens
sociaux de la nation comme de la famille , si tant est qu'on
puisse dire de cette dernière qu'elle soit connue de ce peu-
ple, puisque aucun lien n'existe chez lui entre parents et
enfants , et que dans sa langue il n'y a même pas de terme
pour distinguer la vierge de la femme. Les Boschimans en-
terrent leurs morts, et recouvrent d'une pierre la fosse dans
laquelle ils les déposent. Cependant ils sont aussi dans l'u-
sage de brûler les cadavres , et si une mère meurt en lais-
sant un enfant hors d'état de pourvoir lui-même à sa sub-
sistance, ils le brûlent en même temps qu'elle. On peut dire,
en résumé , que les Boschimans sont la nation de l'Afrique
méridionale la plus sauvage et la plus pervertie. Ce n'est
que lorsqu'il s'agit de brigandage qu'ils savent faire preuve
de constance, d'adresse et d'audace. Toutes les tentatives
faites jusqu'à ce jour pour les civiliser ont échoué. Aussi
les colons hollandais et anglais leur font-ils maintenant une
véritable guerre d'extermination. L'Évangile n'a encore pu
pénétrer que dans un très-petit nombre de leurs districts;
quoique les efforts tentés dans ce but par la Société an-
glaise des missions remontent déjà à l'année 1799.
BOSCOVICH (Roger- Joseph), célèbre physicien et
philosophe , né à Raguse, en 1711, étudia chez les jésuites à
Rome, et entra de bonne heure dans cet ordre religieux. Il
fit de si rapides progrès dans la philosophie et les mathé-
matiques , qu'il fut chargé d'enseigner ces deux sciences au
collège romain avant même d'avoir terminé le cours de ses
études. Il acquit de bonne heure, par la solidité de ses
connaissances, par les qualités brillantes de son esprit et la
droiture de son caractère, une réputation qui se répandit
bientôt dans toute l'Italie, et il fut chargé de plusieurs miS''
sions scientifiques et diplomatiques, dont il s'acquitta avec
succès. H fut em|)loyé par différents papes pour fournir les
moyens de dessécher les marais Pontins, de soutenir le
dôme de Saint-Pierre, qtii menaçait de s'écrouler, et pliu»
- 470
BOSCO VICH — DOSîO
tard pour mesurer deux degrcl^s du méridien (1750). H fut
«léputé à Vienne pour défendre les intérêts de la république
<le Lucques , dans une discussion qu'elle avait avec la Tos-
cane, au sujet de ses limites et de ses cours d'eau. Il voya-
gea ensuite dans les diverses parties de l'Europe, s'instruisit
en Angleterre dans la philosophie de Newton , qu'il fut un
des premiers à propager en Italie, écrivit plusieurs ou-
vrages , soit pour exposer la nouvelle philosophie, soit pour
publier ses propres découvertes en mathématiques et en
astronomie, et mérita par ses travaux l'honneur d'être
nommé membre de la Société royale de Londres , et cor-
respondant de l'Académie des Sciences de Paris. Après la
suppression de l'ordre des jésuites ( 1773), on le nomma
professeur à l'université de Pavie, et peu de mois après il
fut appelé à Paris, et nommé directeur de l'optique de la
marine. Pendant qu'il occupait cette place, il fit de nom-
breuses recherches sur l'optique, et particulièrement sur la
théorie des lunettes achromatiques. A la suite de quelques
désagréments qu'il éprouva dans l'exercice de ses fonctions ,
il quitta la France, et se retira à Milan , où l'empereur le
chargea d'inspecter la mesure d'un degré du méridien. Il
mourut dans cette ville, en t787,.entouré de la considération
générale.
Les principaux ouvrages de Boscovich sont, une disser-
tation De Maculis solaribus (Rome, 1736); Nova Me-
ihodus adhibcndi phasnim observationes in eclipsibus
lunaribits {l{ome, 1744);Z)e Lunx Atviosphœra (Wcrmc,
174G); nissertatio p/ujsica de Lumine {Rome, 1748);
J)e expcdltïone ad dimetiendos secundi méridiani gra-
dîis (Rome, 1755), traduit en français sous le titre
<le Voyage astronomique dans l'État de l'Église, par le
licre ilugon (Paris, 1770); Journal d'un Voyage de
Constanlinople en Pologne (Bassano, 1772); Opéra ail
vplicam et astronomiam , viaxima ex parte nova et
omnia hucusque inedita (5 vol., Bassano, 1785). On lui
doit en outre plusieurs dissertations sur divers sujets.
Doscovich n'était pas seulement un savant profond , c'était
aussi un ami des lettres et un poète distingué. Il a publié
un assez grand nombre de morceaux de poésie latine pleins
de grâce et de facilité , un beau poëme sur les éclipses. De
Solis ac Lunx Defectibus (d'abord en cinq chants, Londres,
1755-1760; puis en six, Rome, 1767 ). Il a été traduit en
français, par l'abbé de Barruel (Paris, 1779-1784 ). Quel-
ques années auparavant Boscovich avait publié un poëme
latin de Benoît Stay, sous ce titre : Philosophiœ a Bene-
dicto Slay Ragusino versibiis traditx libri vi, ouvrage
où l'auteur expose un système général sur l'univers, et
auquel Boscovich joignit des notes destinées à en développer
les principaux points.
Quoique Boscovich ait exécuté un grand nombre de
travaux utiles sur di\ erses parties des sciences positives, de
l'astronomie, de la mécanique, de la physique et surtout
de l'optique, ce qui recommande principalement son nom
à la postérité, ce sont les idées ingénieuses qu'il conçut sur
ie système de l'univers et les efforts qu'il fit pour expliquer
par un seul principe tous les phénomènes de la nature.
Après avoir exposé dans diverses i)ublications séparées
quelques-unes de ses principales idées sur ce sujet, il réunit
toutes les parties de son système dans un seul ouvrage, sa
Théorie de la Philosophie naturelle réduite à une seule
loi. Il voulait concilier et compléter les systèmes de Leib-
nitz et de Newton, dont l'un lui semblait tout réduire à
des principes purement métaphysiques, les monades, ou
forces simples, et l'autre à des principes uniquement phy-
siques, les propriétés générales des corps, l'étendue, l'im-
pénétrabilité, l'attraction. Pensant que le triomphe de la
philosophie serait de diminuer encore le nombre des pro-
l)riétés des corps admises par Newton et d'exphquer tous
les phénomènes par une loi unique, il supposa avec Lcib-
uitz que toute la matière est comi>osée d'éléments simples,
mais il fit de cee éléments non de pures forces immaté-
rielles, mais des points physiques sans étendue, sans con-
tact, placés à diverses distances les uns des autres ; il admit,
en outre, non pas seulement, comme l'avait dit Newton,
qu'un certain nombre de phénomènes, mais que tous les
phénomènes de la nature sont produits par des forces attrac-
tives et répulsives; bien plus, que ces deux forces, op-
jiosées en apparence , n'en sont qu'une seule , qui d'attrac-
tive se transforme par degrés insensibles en répulsive, et
réciproquement, selon le plus ou le moins de rapprochement
des parties.
Par cette théorie, Boscovich cmt avoir fait faire un pas
imn)cnseà la science et avoir dépassé de beaucoup même les
espérances exprimées par Newton dans son Optic. On
trouve encore dans ses ouvrages des idées fort originales
sur plusieurs des points les plus importants de la philo-
sophie, sur la distinction de la matière et de l'esprit , sur
la nature du temps et de l'espace. Bouillet.
BOSIO ( JEAN-FuANçois-JosEpn , baron ), naquit le 19
mars 1768, à Monaco, où son père exerçait la profession
de serrurier. Jeune encore, Bosio sentit s'éveiller en lui le
goût des arts plastiques , et le peu de ressources que lui
offrait son pays pour s'instruire l'obligea de bonne heure à le
quitter. Ce fut à Paris, qui commençait déjà à recueillir
l'héritage de la vieille Italie pour l'enseignement , qu'il vint
étudier. Son premier maître fut Pajou , sculpteur d'assez
peu de mérite, complètement oublié aujourd'hui, mais qui
jouissait alors d'une certaine faveur. Ses progrès sous cette
direction médiocre n'en furent pas moins assez rapides pour
lui permettre de retourner, à dix-neuf ans, en Italie, sans
autre guide désormais que ses propres lumières , afin d'y
exercer à la fois la sculpture et la peinture, qu'il avait aussi
cultivée pendant son séjour à Paris. Il parcourut successi-
vement Rome, Florence, Sienne, Parme, Venise, Gênes,
laissant partout des preuves de son double talent de sculpteur
et de peintre. Comme peintre, cependant, nous devons
dire qu'il ne s'éleva jamais au-dessus de la médiocrité :
quelques plafonds de sa main , qu'il laissa en Italie, en font
foi. Il le sentait mieux que personne , et il abandonna bien-
tôt la palette pour le ciseau. Dans les dix-sept années qu'il
passa en Italie, il produisit un nombre d'ouvrages consi-
dérable; pour le seul marquis Bevilacqua, il modela vingt
statues en plâtre destinées à être exécutées en pierre sous la
direction de l'ancien maître de Canova.
De retour à Paris, vers 1808, son début au salon fut un
Amour lançant des traits et s'envolant, modèle en plâtre,
dont un marbre reparut au salon de 1812, et lui fit beaucoup
d'honneur. Ce premier succès fut confirmé par une seconde
production du même genre, exposée en 1810 : l'Amour se*-
duisant l'Innocence. Dès ce moment, Bosio avait marqué sa
place, et jusqu'à nos jours il ne s'est plus fait en France de
grands travaux de sculpture auxquels il n'ait attaché son
nom. Ses bustes de l'empereur, de l'impératrice et de la
reine Hortense lui procurèrent la commande de tous ceux
des personnages marquants de l'époque; et dans ce genre
on ne saurait nier que, pour la finesse, l'esprit et la distinc-
tion , il était à peu i)rès sans rival. C'est à Bosio qu'on doit
V Hercule combattant AchéloUs , en bronze, des Tuileries;
l'Aristée, dieu des jardins , placé dans un escalier de l'aile
orientale du Louvre ; le Louis XIV àe la place des Victoires,
le duc d''Enghien de la chapelle de Vincennes; le Mon-
thyon de l'Hôtel-Dieu ; le délicieux Henri W, dont une
fonte en argent se voit au Louvre ; la France et la Fidélité
du monument de Malesherbes, au Palais de Justice; le
Louis XVI et l'Ange de la chapelle expiatoire; le Qua-
drige qui a remplacé les chevaux de Venise, sur l'arc de
triomphe du Carrousel , et vingt bas-reliefs de la colonne
Vendôme. Il fit encore une foule d'autres ouvrages, qui sont
passés en partie à l'étranger ou qui ont été acquis pour les
résidences royales oir pour des cabinets de parLiculiei's. On
BOSIO — BOSNIE
471
a surtout conservé lo souvenir de son Hyacinthe regardant
jouer au palet, œuvre de sa jeunesse, qui contribua
beaucoup à faire apprécier son mérite. En 183S Bosio exé-
cuta sa courtisane romaine f/ora , exposée en 1840.
Les travaux lui revenaient comme sous la Restauration.
Il faut entre autres citer la statue colossale de Napoléon
pour la colonne de Boulogne-sur-Mer. Mais de l'avis général
les dernières productions de Bosio n'ajoutèrent rien à sa ré-
putation; ainsi son envoi au salon de 1844, particulièrement
["Histoire et les Arts consacrant les gloires delà France,
fit regretter aux amis de l'art que la fraîcbeur, l'invention
et la force ne fussent pas, comme certaines autres qualités
encore brillantes de son ciseau , le partage de la vieillesse
aussi bien que de la virilité.
Quoi qu'il en soit , il n'en demeure pas moins incontes-
table que de notre temps personne peut-être n'a poussé
aussi loin que Bosio le soin dans les détails, le goût des
ajustements, l'esprit, la naïveté, la finesse et la grâce. Si
à toutes ces qualités il avait joint un peu plus d'ampleur
dans le style et d'originalité dans l'invention, il aurait pu
passer pour l'un des maîtres de l'art.
Bosio fut du reste l'objet de la faveur constante de tous
tes gouvernements : Napoléon récompensa ses travaux en le
décorant ( 1815 ) et en confirmant sa nomination à la classe
des Beaux-Arts de l'Institut. Louis XVIII le nomma officier
de la Légion d'Honneur, et le créa chevalier de Saint-Michel.
Charles X le fit baron, et le nomma son premier sculpteur,
avec une pension de 4,000 fr. De plus, il était professeur et
recteur à l'Académie des Beaux-Arts , membre de plusieurs
académies , etc. Il venait d'être chargé d'un bas-relief im-
mense, représentant le mariage de Louis-Philippe à Pa-
ïenne, lorsqu'il mourut, le 29 juillet 1845. B. deCorcy.
BOSJESMANS. Voyez Boschimans.
BOSiXA-SERAÏ, chef-lieu de la Bosnie.
BOSNIAQUES, nom donné dans l'armée prussienne à
un corps de cavalerie légère semblable aux hulans et armé
de lances, que Frédéric II organisa en 1745, afin de l'op-
poser aut Cosaques et aux autres lanciers ennemis. Ce
corps, qui ne forma d'abord qu'un escadron, fut porté,
eu 17(;o, à dix escadrons, dont un de Tatares à banderoles
noires. Plus tard, on l'augmenta de cinq escadrons. Après
l'incorporation de la Pologne, les Bosniaques prirent le
nom de Towarszye , et ils ne se recrutèrent que parmi la
population polonaise. A la paix de Tilsit , ils furent remplacés
par les hulans.
BOSNIE, province de la Turquie d'Europe, à l'extré-
mité nord-ouest de l'empire, formant un eyalel gouverné par
un pacha à trois queues, et comprenant, outre l'ancienne
Bosnie, une partie de la Croatie (Croatie turque) ou le Sand-
jak de Bielograd entre l'Unna et le Verbas , une portion de
laDalmatie (Dalmatie turque) elle district de l'Herzégo-
vine. La Bosnie est bornée au nord par la Sau et l'Unna, qui
la séparent desFrontières militaires à l'est, par la Drina, les
monts Joublanik et le rameau nord-ouest des Alpes Argen-
tariques, qui la séparent de la Servie; au sud, par la Scar-
dagh, qui lui sert de limite du côté de l'Albanie ; au sud-
ouest et à l'ouest, par les monts Kosman, Trimor et Steriza,
qui la séparent du littoral autrichien , de la Dalmatie et de
la Croatie. Au sud , elle touche par quelques points à la mer
Adriatique. Sa superficie est de 462 myriamètres carrés, sa
population d'environ 830,000 âmes.
A l'exception de la rive septentrionale de la Sau , c'est un
pays montagneux traversé par des chaînons plus ou moins
élevés des Alpes Dinariques, dont les points cunuinants at-
teignent une hauteur de 1350 à 1170 mètres et sont cou-
verts de neige depuis septembre jusqu'en juin. Les flancs
des montagnes sont généralement bien boisés et couverts
çà et là seulement de pâturages, de prairies cl d'habitations.
Le principal cours d'eau est la Sau, qui reçoit l'Unna , le
Verbas, l'Okrina, la Bosna et la Drina ; viennent on-;ii!lc la
Narenta et la Bojana. L'air est sain , le climat tempéré. L'a-
griculture n'a quelque importance que dans les plaines ; la
blé, le mais, le chanvre, les légumes , les fruits et le vin s'y
récoltent en abondance , et on les cultiverait en bien plus
grande quantité si le despotisme turc n'exerçait sur le pays
son système oppressif dans toute sa rigueur. Partout on
trouve des forêts de châtaigniers, dont les fruits servent de
nourriture aux bestiaux. Le gibier et le poisson abondent.
L'éducation des bestiaux prospère; on élève beaucoup de
brebis, de porcs, de chèvres et de volaille , moins de bœufs
et de chevaux. Les abeilles sauvages ou domestiques don-
nent une grande quantité de miel. Quoique les montagnes
soient riches en métaux , l'exploitation en est complètement
négligée; des Bohèmes et des Jlorlaques exploitent du
plomb, du mercure, de la houille et du fer. La Bosnie
possède plusieurs sources minérales , entre autres celles de
Novibazar et de Boudimir. L'industrie et le commerce sont
confinés dans les villes, et presque exclusivement entre les
mains de Juifs, de Grecs, d'Arméniens, d'Italiens et d'Al-
lemands. La seule branche d'industrie un peu considérable
est la fabrication des armes à feu , des lames de sabre et des
couteaux. Le cuir, le maroqnin et les grosses étoffes de
laine qu'on fabrique, se consomment presque entièrement
dans le pays. Les bonnes routes sont à peu près inconnues.
La population, en majorité d'origine Slave, se compose
de Bosniens, de Croates, de Morlaques, de Monténégrins,
de Turcs, de Serbes, de Grecs, de Juifs , de Bohèmes et de
Valaques , sans compter un certain nombre de Hongrois ,
d'Arméniens , d'Itaheus , d'Allemands, d'Illyriens, de Dal-
mates, etc. Les Bosniens ou Bosniaques, au nombre
de 370,000, professent les uns l'islamisme, les autres la re-
hgion grecque et le catholicisme. C'est un peuple grossier,
rude, opiniâtre, malveillant envers les étrangers , brave,
hardi, voleur et cruel ; mais pacifique et droit dans ses rela-
tions domestiques, laborieux, simple, sobre. Les Bosniens
s'occupent un peu d'agriculture ; ils élèvent des bestiaux et
font quelque commerce de caravane ; mais , excellents ca-
valiers, ils préfèrent à tout la chasse ou la poche. Comme les
hommes, les femmes sont fortes et bien faites; la plupart
sont jolies. Celles qui professent le mahométisme vivent
beaucoup moins retirées que dans les autres provinces de l'em-
pire, et depuis longtemps elles y jouissent de la liberté de se
montrer en public plus ou moins voilées. Les Croates, au
nombre de 180,000, appartiennent presque tous à l'Église
grecque ou à l'Église romaine ; très-peu sont mahomélans.
Ils se livrent principalement à l'agriculture , à l'éducation
des bestiaux et au commerce d'échange. Les Morlaqiies, au
nombre de 150,000, habitent surtout l'Herzégovine; ils
sont polis, habiles commerçants, et extrêmement adroits; en
outre, ennemis acharnés des Othomans. Les trois quarts pro-
fessent la religion grecque , le reste la religion romaine. Le
nombre des Turcs s'élève à environ 250,000, celui des
Grecs à 15,000 et celui des Juifs à 12,000.
La capitale du Sandjak est Bosna-Seraï ou Sarajewo
(en italien Seruglio), au confluent de la Migliazza et de la
Bosna. On y compte 15,000 maisons de bois, construites
presque toutes à la mode turque, avec des fenêtres grillées,
et 50,000 habitants, en majorité musulmans. C'est une ^^lle
ouverte, entourée de montagnes, défendue par un château
assez fort, bâti dans le voisinage. Les minarets et les tours
de ses 1 00 mosquées et de ses nombreuses églises lui don-
nent un charme tout particulier. Ses fabriques d'armes,
d'ustensiles de tôle, de fer et de cuivre, de bijouterie, da
coton, de laine et de cuir, en font une des villes les plus im-
portantes de l'empire Othoman elle centre non-seulement du
commerce de la pruvmce, mais d'un mouvement très-consi-
dérable de caravanes entre Janina et Salonique. Les chefs
héréditaires qui gouvernent la Bosnie résident à Bosnar
Serai, tandis que le pachaturc habite ïrawnik, forteresse :ii>
])ortantc, qui compte environ 10,000 hal'dants. Zwornik, Daiî-
472
BOSNIE - BOSPHORE
jalou'.ia et Gradiska-tnrque sont iVautics places fortes con-
sidérables do cette contrée.
Dans le douzième et le treizième siècle, la Bosnie ap-
partenait à la Hongrie. En 1339 elle passa sous le sceptre
du roi serbe Etienne, à la mort duquel elle recouvra pour
quelque temps son indépendance. Le ban Twartko prit le
titre de roi en 1370. En 1401 le pays devint tributaire des
Turcs, et depuis 1528 il a été réuni à leur empire. Depuis
l'introduction des réformes qui ont enlevé aux chefs héré-
ditaires leurs privilèges et une grande partie de leurs re-
venus, la Bosnie n'a pas cessé , notamment en 1S51, d'être
agitée par des révoltes dangereuses.
BOSOiV, roi d'Arles ou de l'rovence, fondateur de cette
monarchie éphémère nommée par quelques historiens
royaume de Bourgogne cis-jurané, était frère de l'impé-
ratrice Richilde, femme de Charles le Chauve, qui le
créa duc de Milan , dès que lui-même eut été proclamé roi
d'Italie et couronné empereur. Mais ce gouvernement ne sa-
tisfit pas son ambition. Sûr de la protection de son beau-
frère et de l'amitié de Bérengcr, duc et marquis de Frioul ,
il enleva la princesse Hermengarde, fille unique de l'em-
pereur Louis II, la plus riche héritière de l'Europe, et l'em-
mena à Verceil, où il l'épousa au milieu de fêtes splendides,
dont les frais furent faits par l'empereur et l'impératrice
Richilde, qui se trouvaient dans celle ville. Charles-le-Chauve
créa à cette occasion (en 877) Boson duc de Provence,
gouvernement désigné aussi sous le nom de Haute-Aqui-
taine, et qui comprenait en outre le Vivarais, le Dauphiné,
le Lyonnais et la Savoie.
Retiré dans ses États après la mort de Charles, et excité
par Hermengarde, qui , fille de l'empereur et fiancée jadis
au fils de l'empereur d'Orient, voulait au moins être reine,
il se concerta avec le pape Jean VIII pour être nommé
roi d'Italie. Ayant éprouvé de ce côté trop de résistance de
la part des princes de Lombardie, il résolut de profiter des
embarras où les jeunes rois de France Louis et Carloman
86 trouvaient par suite de la guerre que leur avait déclarée
Louis roi de Saxe, convoqua les seigneurs, archevêques et
évoques, et réussit, en leur promettant des bénéfices et
des fiefs, à s'en faire élire et couronner roi. Louis et Car-
loman ne pardonnèrent pas à Boson cette conduite auda-
cieuse; mais son habileté et le courage d'Hermengarde le
maintinrent sur le trône. Les autres ducs, suivant son exem-
ple, se déclarèrent indépendants; et celte insubordination
générale, jointe à l'invasion des barbares, obligea Char-
les le Gros à céder à Boson les terres qu'il avait érigées en
royaume, se contentant d'en recevoir l'hommage. Il mourut
le 11 janvier 888, laissant le trône à son fils Louis, dit
l'Aveugle.
BOSPHORE ou DOSl'ilORE DE THRACE (du grec
Poù;,b(i'nfou vache, etnépo;, passage), détroit ainsi nommé
parce qu'il fut, suivant la fable, traversé à la nage par la
vache lo. On l'appelle plus communément aujourd'hui ca-
nal de Constantinople. Son nom en grec moderne est
Aau|ji6;, et en turc Jioghar bogazin. C'est par le Bosphore
que la mer Noire ou Pont-Euxin communique avec la mer
de Marmara ou Propontide, laquelle, à son tour, com-
munique par les Dardanelles avec l'Archipel grec ou
nier Egée. Plusieurs anciens auteurs ont donné même quel-
quefois le nom de Bosphore à ce dernier détroit, appelé
Hellespont dans l'antiquité. Ces trois parties de mer sé-
parent l'Europe de l'Asie.
La longueur du Bosphore est d'environ 30 kilomètres. Sa
largeur varie d'un à quatre. 11 coule dans un lit sinueux, entre
deux chaînes de rochers qui projettent de chaque côté plu-
sieurs promontoires abruptes. Les seules îles qu'on y ren-
contre sont les deux petits groupes d'îlots situés à l'origine du
canal sur les côtes d'Europe et d'Asie, et dont celui de la
côte d'Europe est le groupe des Cyanécs des anciens. L'un
des golfes les plus remarquables du Bo'^phore est le célèbre
port de Constanlinople ; plusieurs autres en forment de très-
bons sur les rivages de l'Asie et de l'Europe. La force des
courants , qui sur plusieurs points se dévie en se brisant
contre les saillies des deux côtes, peut être quelquefois con-
sidérablement augmentée par l'action delà brise du nord-est,
et former dans ce cas un obstacle à la marche des bâtiments
qui remontent vers la mer Noire. Autrement, la navigation
est partout facile dans le détroit, qui n'offre ni bancs ni écueils
dangereux. Le Bosphore a deux fois par an, au printemps
et à l'automne , un passage de poissons qui descendent de
la mer Noire dans la mer de Marmara, en si grande quantité,
que la pêche qui se fait alors suffit pour approvisionner
abondamment toute la Turquie.
Ses deux rives sont célèbres par leurs beautés pittoresques.
Constanlinople, Bouyouk-Déreh, Thérapia en Eu-
rope et Scutari en Asie, sont les localités les plus impor-
tantes de ces côtes, en partie couvertes, surtout du côte
de l'Europe, de nombreuses maisons de plaisance. Les deux
forts du Roumeli-Hissar , ou château neuf d'Europe, et
de VAnadoli-Hissar, ou châleau-neuf d'Asie, construits,
vis-à-vis l'un de l'autre, au point le plus resserré du canal ,
sont les deux plus redoutables de ceux qui protègent Cons-
tanlinople du côté de la mer Noire. Les autres sont les châ-
teaux ou batteries du Roumeli-Fanar, ou fanal d'Europe ,
du Roumeli-Kavak , ou château d'Europe, de YAnadoli-
Fanar, ou fanal d'Asie, et de V Anadoli-Kavak, ou château
d'Asie , à l'origine du Bosphore.
Tout ce que l'on sait des peuplades barbares semées à
longs intervalles sur ces côtes dès la plus haute antiquité,
c'estqu'elles massacraient lesétrangers et immolaientdes vic-
times humaines. Les conteurs Grecs nous montrent Phryxus ,
fils d'Athamas, roi de Thèbes, fuyant à travers le Bosphore,
l'inimitié d'Ino , sa helle-mère, sur un bélier à toison d'or ;
puis les Argonautes allant à la conquête de cette toison , et
plus tard, Iphigénie, au moment d'être sacrifiée, transportée
par Diane au delà du Bosphore. On croyait alors que les
Cyanées, qui semblent lermer l'entrée du détroit, se sépa-
rant pour ouvrir un passage aux vaisseaux , se réunissaient
ensuite tout à coup et s'entre-choquaient , en fracassant
les navires : aussi les Grecs les nommaient-ils Symplegades,
de a\j[i.rtXriiT(jw,s'entre-choquer. Euripide, avec le chœur des
femmes A' Iphigénie, décrit les dangers qu'Oreste et Pylade
durent affronter pour traverser ces îles , qui trompent l'œil
des voyageurs , et aller aborder dans la Tauride , où tout
étranger était immolé à Diane.
Les Grecs de l'Altique, du Péloponnèse, de l'Asie Mi-
neure et des îles, si actifs, si commerçants, arrachèrent de
bonne heure le Bosphore aux Thraces et aux Scythes.
Des colonies s'établirent, des comptoirs se dressèrent sur
ses rives : elles cessèrent d'être un objet d'effroi. Clwque
petite peuplade grecque eut son port sur le Bosphore ; chaque
dieu y eut son autel, et les Athéniens et les Lacédémoniens
s'y disputèrent l'empire de la Grèce. Les Romains, maîtres
de presque tout le i)ays connu en Europe et en Afrique,
maîtres de la Grèce, et s'avançant vers le nord de l'Asie,
s'emparèrent d'abord d'une des rives du Bosphore, puis de
l'autre , changeant chaque royaume en province romaine
par leurs phalanges, leurs traités, leur protection. Plus tard,
les riches cités des rives asiatiques ouvraient leurs portes
aux doctrines du Christ; les Pères de l'Église faisaient en-
tendre leur éloquente voix à Chalcédoine, à Nicomédie, à
Nicée, etsurtoule la côte d'ionie. Il semblait que la religion
chrétienne, s'établissant sur les frontières de l'Asie et de
l'Europe, attendît les barbares au passage, digue insuffisante
pour arrêter leur marche , pour les adoucir du moins avant
qu'ils inondassent l'Europe.
Plus tard, d'autres barbares, les Croisé*? , arrivent de
l'Occident, semant de royaumes féodaux les côtes et les îles
du Bosphore. Génois, Vénitiens, Français, Espagnols, s'abat-
tent sur ces riches contrées comme une nuée de corbeaux sur
nn cîiaïup de bataille. Depuis Mahomet II , le Bosphore
s'est courbé sous la dominalion turque ; mais ce sont tou-
jours les princes et les évoques grecs qui peuplent ses belles
rives, les négociants de toute la Grècequi continuent à cou-
vrir le canal de riches cargaisons, les matelots des îles
grecques qui fendent ses eaux de leurs rames agiles, des
ouvriers de la Macédoine, de la Thessalie, de l'Épire, qui
entretiennent les forteresses, dont les batteries tonnent ra-
rement sur ses bords, et construisent les lourds vaisseaux qui
dorment à l'ancre dans le port d'Hassan-Pacha.
Pendant son ambassade à Constantiiople , le général A n-
dréossy fit de grands travaux pour l'exécution d'uue caite
du Bospiiore. Il nous en est resté un livre curieux, intitulé :
Voyage à l'embouchure de la mer Noire, ou Essai sur le
Bosphore, etc. (Paris, IS18, in-8°, avec atlas),
BOSPHORE CIIOIÉRIEIV. Cest Tantique nom
d'un détroit et d'un royaume.
Ledétroit apjielédepmsdétroit de Kaffah , àcZabache,de
Taman , et qui sépare l'Europe de l'Asie, tirait son premier
nom de Bosphore de ce qu'en raison de son peu de largeur
un boeuf pouvait le traverser à la nage. Mais, pour le distin-
guer du B 0 s p h 0 r e d e ï h r a c e , qui avait la même éty-
mologie, on l'appela Cinvnérien, du nom d'un peuple éta-
bli dans la presqu'île asiatique à l'est du détroit. Ce détroit a
52 kilomètres de long sur 10 dans sa moindre largeur. 11 joint
ce qu'on appelait autrefois le Palus-Mscotis (aujourd'hui
mer de Zahache ou d'Azof ) , au nord , avec le Pont-Euxin
(la mer iS'oire) au midi. Il est formé du côté de l'Europe
par une longue langue de terre absolument nue , qui fait
partie de la presqu'île nommée Tauride, Chersonèse
Taurique, et depuis Crimée, etk l'extrémité de laquelle
.sont deux forteresses : Kertsch (autrefois Bosporus et
Panticapce , qui fut presque toujours la capitale du Bos-
phore Cimmérien ) , au fond d'une grande rade où les vais-
seaux venant de la mer Noire sont à l'abri des vents con-
traires, et léni-Kalé, ou plutôt Yenghi-Kaleh (nouvelle
forteresse), bâtie par les Turcs en 1703, dans l'endroit où !e
détroit qu'elle domine est le plus resserré. Du côté de l'Asia
est l'île de Taman, avec la ville du môme nom, qui paraît
('tre l'ancienne Corocondama , où le détroit forme une vaste
baie. Ses côtes , généralement plates , sont longées par
des bancs de sable, entre lesquels les meilleures passes
n'ont que 5 mètres d'eau ; aussi les frégates qui viennent
de la mer d'Azof ne prennent leurs canons qu'à Kertsch.
Le froid est assez rude tous les ans pour qu'on puisse tra-
verser le détroit en voiture sur la glace.
Le royaume du même nom , séparé en deux par le
détroit, s'étendait dans la Sarmatie d'Europe et d'Asie, et
comprenait les gouvernements russes actuels de Tauride,
Cherson, Jékatérinoslav , des Cosaques du Don, et des Co-
saques de la mer Noire. Ses villes les plus remarquables
étaient : en Europe, Olbia, colonie milésienne, près de
l'embouchure du Boi7sthène; Carcina ou jSecro-Pilœ ,
qui donnait son nom au golfe Carcinite ; Cherson , bâtie
par les Héracléens , et conservée par les empereurs d'Orient;
Panticapce, ville grecque , capitale du royaume; Théo-
dosie, autre colonie grecque, non moins célèbre depuis sous
le nom de Kaft'ah ; Taphrx , ville ainsi appelée du fossé qui
fermait l'isthme de la presqu'île, et à laquelle a succédé
Pérékop ou Or-Kapi ; dans la partie du Bosphore riveraine
de l'Asie, Phanagoria, qui en devint la métropole; Tanuïs,
à l'embouchure du fleuve de ce nom; Cimméris, la plus
ancienne ville du pays; Corocondama (Taman), Cepï ou
A'e/)j (jardin) , colonie milésienne, aujourd'hui A'epiiSi?i-
dica (Sandjik).
Depuis le cinquième siècle avant J.-C. ce royaume eut
des rois particuhers. Mithridate s'en empara , l'an 108.
Les Romains le donnèrent à Pharnace, son fils, pour prix
lie sa trahison. Plus tard César le lui enleva en trois jours,
l'an 'il. Au troisième siècle de notre ère les Goths le dé-
i>ii:r. w. i..\ (.o.N\tiis. — 1. m.
BOSPHORE — BOSQUIER-GAVAUDÂN 473
truisirent de fond en comble, et son nom disparut pour tou-
jours.
BOSQUET. C'est un très-petit bois planté pour orner
un parc ou un jardin d'agrément. Plus petit que le lîocage,
il en diffère encore en ce que celui-ci est plutôt l'œuvre de
la nature, tandis que le bosquet est un produit de l'art.
L'étendue d'un bosquet ne peut être que relative à la
grandeur du jardin dont il fait partie. C'est un accessoire,
qui dans l'origine était destiné à couvrir quelque irrégula-
rité de terrain ou à empêcher d'apercevoir un mur de clô-
ture. Si l'existence du bosquet n'est pas due à la nature par-
ticulière du terrain , s'il n'est enfin que de pur agrément
on fera choix de la position la plus pittoresque. Nos pères
donnaient jadis aux bosquets certaines formes particuliè-
res : ils leur faisaient représenter des cloîtres, des labyrinthes,
des pattes d'oie; cette mode est passée. Aujourd'hui on
trouve un bosquet d'autant plus agréable, que l'art s'y rap-
proche plus de la nature.
Un bosquet bien dessiné se compose d'un mélange d«
sentiers tantôt droits , tantôt sinueux ; seulement , les uns
et les autres sont rehaussés par des arbustes de choix et à
fleurs odorantes. Avant de procéder à la confection d'un
bosquet , on défonce le tenain depuis 40 jusqu'à 60 et même
80 centimètres , on se met à l'œuvre au commencement de
l'autonme , et , à la fin de l'hiver, on plante les arbres. Tous
ceux qui passent l'iiiver en pleine terre, peuvent être em-
ployés.
Versailles était jadis renommé pour ses bosquets; ils
étaient en harmonie avec la magnificence de ce royal sé-
jour. Le bosquet de Clarens, où J.-J. Rousseau a placé une
des scènes de la Nouvelle-Hélo'ise, est devenu immortel.
BOSQUIER-GAVAUDAN ( Jean-Sébastien-Ful-
chran), neveu, par sa mère, de l'acteur Gavaudan et
fils d'un fabricant de bas de soie de Nîmes, naquit à Mont-
pellier, le 20 juin 1776, et s'embarqua à quinze ans, comme
mousse, sur un vaisseau marciiand qui, après un long
voyage au Levant, ne revint à Marseille qu'en 1793. Les
circonstances n'étaient pas favorables au commerce ; Bos-
quier renonça à la marine, et à dix-neuf ans embrassa,
conune tous ses parents du côté maternel , la carrière dra-
matique. Après avoir joué quelque temps, en province, les
valets dans l'opéra-comique et dans la comédie, il vint à
Paris, en 1798, et entra au théâtre Molière, où il créa,
d'une manière originale, le rôle du normand Valogne, dans
le Diable couleur de rose, opéra de Gavaux. Il débuta
en 1799 au théâtre Feydeau, et fut reçu pour y tenir l'em-
ploi des Trial. Atteint par la loi de la conscription , il partit
pour l'armée dans la musique des hussards de Chamboran,
et obtint bientôt son congé, comme élève du Conservatoire
de Musique. De retour à Paris, il entra, en 1800, au théâtre
des Troubadours, qui avait quitté la salle Molière pour
venir dans celle de la rue Louvois. Ce théâtre ayant été
fermé en 1801 , Bosquier-Gavaudan débuta avec succès au
théâtre Favart; mais comme la réunion des acteurs de ce
théâtre avec ceux de la salle Feydeau lui laissait peu de
chances de devenir chef d'emploi dans l'opéra-comique,
parce qu'il y doublait Dozainville, Moreau, Lesage et Guillet,
il s'en alla à Rouen, où il joua et chanta plusieurs rôles mar-
quants des trois principaux spectacles chaulants de Paris.
De retour dans la capitale, il s'engagea, en 1803, au
théâtre des 'Variétés, qui en 1807 passa du Palais-Royal
sur le boulevard jMontmartre. Il y resta jusqu'à sa retraite,
en 1836 , en étant devenu l'un des propriétaires et adminis-
trateurs, comme gendre de Crétu, qui l'avait été longtemps.
Bosquier-Gavaudan donna quelques pièces à son théâtre :
Cadet-Pioussel chez Achmet, comédie-folie en un acte, 1804
( avec Désaugiers ) ; le Diable en vacances, opéra-séria en un
acte, 1805, suite du Diable couleur de rose, dont il créa
le principal rôle; Cu-tudinet , ou le Premier vemi engrène,
comédie en un acte, en prose, 1803 ( avec Dumersan ); fei
m
474
fréteurs, comédie en un acte, mêlée de couplets (1810);
ut avec Aubertin, un autre opéra-coraique , Trop tôt. Il
donna aussi au théâtre de la Porte-Saint-Martin ( avec Au-
bertin ) Monbart l'exterminateur, ou les derniers Flibus-
tiers, mélodrame en trois actes ( 1807 ).
Comme acteur, Bosquier-Gavaudan partagea longtemps
la vogue de Brunet et de Tiercelin. Il avait du comique,
(le l'agilité, de la rondeur, de la gaîté, de l'aisance sur la
Rcènc; mais la chaleur qui caractérisait son talent était quel-
«[uefois outrée ; et il exagérait aussi un peu trop la niaiserie.
Ces qualités, ces défauts mêmes, lui valurent longtemps la
vogue et la faveur du public. Il avait d'ailleurs la voix
agréable et sonore, du goût, et pouvait passer pour un vir-
tuose parmi les chanteurs de vaudevilles; mais depuis
quelques années l'âge , ayant augmenté son embonpoint ,
avait rendu son talent un peu uniforme; aussi s'était-ii
borné aux rôles de pères, surtout à ceux de généraux , d'an-
ciens militaires , qui lui plaisaient d'autant plus que le ru-
ban de la Légion d'Honneur était toujours partie obligée de
«on costume : il avait tellement pris goût à cette décoration,
prodiguée de nos jours à tant de comédiens de toute es-
pèce , qu'il la portait même, dit-on, chez lui , sur sa robe de
chambre. Le dernier rôle qu'il créa est celui du pape, dans
Carlin à Rome. Bosquier-Gavaudan est mort d'une affec-
tion au cœur, à BatignoUes, près de Paris, le 5 août 1843.
BOSSAGE est, en architecture , le nom général que
l'on donne aux saillies qui débordent le parement propre-
ment dit d'un mur ou d'une pierre. 11 y a des murs, des
bâtiments tout entiers , qui sont hérissés de bossages , dis-
tribués avec un certain ordre : les plus célèbres en ce genre
.sont ceux du palais Pitti à Florence, et du Luxembourg à
Paris ; plusieurs barrières de cette dernière ville , entre
autres celle dite de VÉtoile, offrent un exemple de l'abus du
i)ossage bien fait pour dépopulariser ce genre d'ornement.
11 ne faut pas confondre les bossages avec les refends :
ceux-ci sont creusés régulièrement en lignes droites, les
unes horizontales, les autres verticales^ de façon qu'ils in-
diquent réellement ou en apparence la grandeur des pierres
de taille qui forment la construction ou en déguisent les
joints. Les murs de la Maison-Carrée de Nimes sont à l'ex-
térieur divisés par des refends ; on en voit plusieurs exem-
ples à Paris, au palais du Temple, à l'église de la Ma-
deleine, etc. Teyssèdre.
BOSSE. Il serait difficile de déterminer d'une manière
positive si ce mot a été employé primitivement par la sculp-
ture ou par l'orfèvrerie : maintenant il sert également dans
l'un et l'antre de ces arts. Les ouvrages d'ortiWrerie se di-
visent en deux parties, la vaisselle plate et la vaisselle
en bosse. Les plats et les assiettes composent la première ;
les bassins, les aiguières, les gobelets et les flacons, les
flambeaux , les grandes lampes et généralement tous les
ouvrages qui ont une forte concavité, appartiennent à la
seconde. On dit aussi des ouvrages en bosse ou relevés
en bosse pour désigner les guirlandes de fruits ou autres
ornements qui étaient autrefois si fort en usage dans les
grandes pièces d'argenterie , et qui s'obtenaient en frappant
la pièce avec un marteau de manière à y faire des bosses
que le talent de l'ouvrier amenait à la forme dont il avait
besoin , ou bien qu'il estampait en frappant la pièce sur
un moule en acier trempé. Il n'appartient donc qu'à un bon
ouvrier de savoir bien faire la bosse; et suivant que son
travail a plus ou moins de saillie, on dit qu'il est en ronde
bosse ou en demi-bosse. Dans tous les cas , ce travail est
en relief, et lorsqu'il est terminé on dit que la pièce est
bossue ou bosselée. On peut aussi faire des bosses par acci-
dent à une pièce d'argenterie ; alors elle est détériorée , la
pièce se trouve bossuée.
La sculpture emploie aussi les expressions de ronde bosse
et de demi-bosse suivant que le statuaire a fait un ouvrage
de plein ou de demi-relief. On <lit «[u'im artiste a de belles
BOSQUIER-GAVAUDAN — BOSSE
bosses dans son atelier, qu'un élève est assez fort pour des-
siner d'après la bosse. Dans ce cas, ftosse désigne des figures
en plâtre ordinairement coulées dans des moules pris soil
sur des statues antiques, soit sur la nature même.
Du mot bosse on a fait en architecture le mot bossage.
C'est aussi de ce mot que vient celui de bosselle, applique
aux ornements en or, en argent ou en cuivre qui couvrent
les deux bouts du mors en dehors de la bouche du cheval ,
et qui en effet sont relevés en bosse.
L'expression proverbiale donner dans la bosse, pour dire
être dupe, vient de ce qu'en termes de paume on nomme
bosse la partie de la muraille qui renvoie la balle dans le
dedans du jeu, par bricole ; c'est donc une faute au joueur do
donner dans cette partie; et c'est un talent à l'adversaire
de le faire donner dans la bosse. Duchesne aîné.
BOSSE ( Marine ). C'est un morceau de fort cordage so-
lidement arrêté par l'un de ses bouts à un point résistant,
et amarré de l'autre bout sur un cordage qui fait effort.
Mettre une bosse sur un cordage, ou le bosser, c'est le
retenir contre l'objet qui lui fait résistance.
La bosse dormante ou fixe est celle que l'on met sur
les câbles en avant et en arrière des bittes, pour soulager
cet ajjpareil des efforts continuels des câbles. La bosse de-
bout sert à suspendre l'ancre au bossoir. Il y a encore la
bosse à fouet, la bosse à aiguillettes , la bosse volante,
la bosse à croc, la bosse cassante, qui se frappe sur le câble
à l'instant du mouillage, par un temps fixe, et amortit
par sa rupture la secousse trop violente que le câble pour-
rait recevoir. La bosse du canot sert à amarrer les embar-
cations à la traîne.
BOSSE, BOSSUS. Nous ne parlerons ici ni des bosses
provenant d'un accident, d'une contusion externe ou d'une
lésion des vaisseaux, ni de ces autres bosses du front ou de
la tète qui servent d'indices aux aptitudes de l'esprit , aux
propensions du génie, et qui révèlent une haute vocation
intellectuelle ou une secrète inclination pour des vices déplo-
rables (t'oyesPuRÉNOLOGiE). Nous dirons un mot seulement
de ces défauts corporels qui portent le même nom, et qui
nuisent à la grâce du maintien , altèrent la santé, et qui ne
sont pas toujours sans influence sur le caractère moral.
Les bossus ont la colonne vertébrale déviée , une épaule
grosse, ordinairement le tronc court, les jambes et les
bras d'une longueur quelquefois démesurée, la tète vo-
lumiuQuse, le fi'Ont haut ou incliné, la respiration gênée,
l'esprit incisif et le caractère souvent difficile. Les en-
fants des riches ne deviennent ordinairement bossus que
vers l'âge de dix à quinze ans, époque de réclusion et d'é-
tudes : ici l'altération de la taille dépend surtout des vête-
ments et de l'éducation. On observe également dans les
classes aisées que les filles sont plus souvent déformées
que les garçons, ce qu'il faut attribuer aux corsets dont
on emprisonne à contre-temps le buste délicat des jeunes
personnes. L'habitude de se servir plus communément du
bras droit que du bras gauche fait aussi que l'on trouve
plus souvent l'épine dorsale courbée de droite à gauche , et
que l'épaule droite est presque toujours plus élevée et plus
en 'relief que l'épaule gauche. Du reste, la déviation con-
traire est très-dangereuse, à cause du cœur, qui est à gau-
che, et dont les mouvements pourraient être gênés par suite
delà difformité. La masturbation est, ainsi que les scrofules,
la cause la plus fréquente des diflormités de la taille. 11
n'est pas non plus très-rare de voir des déviations verté-
bralesqui paraissent dues au lait d'unenourrice étrangère : lo
lait est un second sang. L'habitude où l'on est de se coucher
sur le côté droit et d'appuyer la tête sur d'épais oreillers
ou coussins , pont aussi occasionner le même résultat.
Quclfiuefois utiles à la conservation de la vie, ces coussins
sont certainement nuisibles à la stature : une crainte exa-
gérée des coups de sang et des congestions sanguines en-
gendre fréquemment dos diflorn)ilés dangereuses.
Jl
BOSSE
T^s dé%iations vertébrales commencent quelquefois dans
la premiùie enfance, à Tépoqne de Ja pousse des dents, et
à l'occasion des maux divers dont on accuse injustement
la dentition. Les difformités proviennent parfois d'un ra-
mollissement des os, d'une sorte de rachifisnie, et souvent
alors les vertèbres proéminent en arrière. Quelquefois aussi,
muis plus rarement, les vertèbres proéminent en avant.
{voi/ez DiKFouMiTÉs, GiEBOSiTÉ). Le ramollissement ma-
ladif des veitèbres, aussi bien que la maladie de Pott, peut
faire que ces os se laissent déprimer, et toute la colonne du
tronc s'indétliit alors par le simple effet du poids du corps
ou des grands mouvements.
Les déviations vertébrales ou bosses sont, quant à la pre-
mière enfance, d'une fréquence égale dans les deux sexes,
3t c'est tout simple. Filles ou garçons , les enfants ont un
tempérament semblable , un régime pareil , les mêmes vê-
lements, les mêmes habitudes ; mais à la puberté, la dispro-
portion devient très-évidente : pour dix-buit à vingt jeunes
filles bossues , de l'âge de douze à seize ans , on compte
quelquefois à peine un garçon ; et c'est une raison de croire
à la mauvaise influence de l'éducation et du régime des
femmes, de leur vie trop sédentaire, de la vicieuse structure
de leurs vêtements, etc. Ces bosses qui apparaissent à la
puberté, sont presque toujours latérales, dirigées d'un côté à
(autre, de droite à gauche ou de gauclie à droite. Nous de-
vons dire ici qu'on a plus d'une fois faussement attribué à
une première grossesse ou à l'accouchement des diffor-
mités qu'on avait jusque là soigneusement dissimulées.
Il n'existe presque jamais une seule déviation, une bosse
insolite : la première courbure une fois formée, soit au cou,
à l'occasion d'une glande engorgée, d'un torticolis, d'une
fluxion , soit au dos par l'influence fâcheuse de vêtements
trop serrés, il se forme bientôt deux autres courbures qui
alternent avec la première. Si la bosse du dos est convexe
à droite, les courbures du cou et des lombes sont convexes à
gauche , et de la sorte l'équilibre du tronc se trouve exacte-
ment maintenu. Si l'on ne mentionne et si l'on ne remarque
ordinairement que la déviation du dos, cela vient de ce
que la présence de l'épaule eu cet endroit rend cette diffor-
mité plus évidente , nonobstant les secrets raffinements
d'une toilette étudiée. La vraie bosse, ou celle du dos, est
souvent consécutive à une première déviation du cou ou des
lombes. Celle-ci se forme fréquemment la première : toute
claudication peut la produire. Ses causes les plus fréquentes
sont la courbure vicieuse d'une jambe , les gonflements ou
tumeurs blanches d'un genou, les maladies de l'articulation
de la hanche , une luxation imminente de la cuisse , une
entorse, un pied bot, une plaie, une fistule douloureuse,
quelquefois un simple cor. L'extrême faiblesse ou la para-
lysie d'une jambe a souvent déterminé de ces courbures
des vertèbres lombaires ; et comme c'est le membre gauche
qui est le plus exposé à ces paralysies, à cause de la
position de l'enfant dans le sein de sa mère, à raison aussi
de la manière dont il reste incliné en dormant , pour
cette raison, les vertèbres des lombes sont ordinairement
bombées à gauche, parce que l'enfant se porte et se
penche, en marchant, naturellement du côté de la meil-
leure jambe. Bientôt, et par contre-coup, les vertèbres
du dos font saillie à droite, et l'épaule de ce côté devient
proéminente.
Il est rare que les déviations vertébrales commencent par
le dos, si ce n'est chez de tout jeunes eniants scrofuleux
et rachitiques; et alors la difformité ne survient qu'à cause
du ramollissement des vertèbres, devenues flexibles sous le
poids de la tête et du haut du tronc. Mais on voit assez
fréquemment de pareilles déviations chez les malades atteints
d*ime phthisie iistulcuse , d'une pleurésie chronique , d'un
épanchement d'eau ou de sang lentement résorbé : nous
avons observé trois exemples de ce fait. On voit alors le
côté malade de la poitrine s'aplatir et se dé[)iimer, et la
475
colonne vertébrale et les côles, se bomber proportionnelle-
ment à l'opposite.
Les déviations de la colonne vertébrale ont de graves
inconvénients pour la santé ; elles compromettent en effet
les organes les plus essentiels. La poitrine est ordinaire-
ment rétrécie, et même des deux côtés : du côté bombé,
par les vertèbres déjetées ; de l'autre côté, par l'aplatisse-
ment des côtes. Aussi la respiration des bossus est-elle
gênée, courte, haletante; souvent même il y a de la toux,
de l'oppression, et comme des symptômes d'asthme. Le
cœur est souvent comprimé ou moins libre de battre : de
là des palpitations et quelquefois de l'anxiété. L'aorte, dis-
tendue ou plissée ( selon le sens dans lequel a lieu la cour-
bure), est disposée à se laisser dilacérer, élargir, condition
très-favorable aux anévrismes. Le sang rouge parvient dif-
ficilement jusqu'aux surfaces du corps, ce qui détermine
la pâleur de la peau et rend chez les jeunes filles la puberté
incomplète; d'autres fois le retour du sang veineux est
entravé, et alors les bossus ont la figure d'un rouge vineux
comme les ivrognes. Les bronches sont courbées vicieuse-
ment, quelquefois comprimées par l'aorte distendue, aussi
bien que le nerf récurrent gauche, d'où provient cette voix
rauque qu'ont beaucoup de bossus. Le diaphragme est dis-
tendu d'un côté, relâché jusqu'à l'impuissance de l'autre
côté, de sorte qu'il ne concourt plus qu'imparfaitement à la
respiration , par là encore plus gênée. Les muscles sont
amincis et allongés du côté convexe, trop rapprochés de
leurs attaches du côté concave, ce qui les rend pour ainsi
dire oisifs; et d'ailleurs, quand ils agiraient, il existe entre
eux si peu d'accord qu'ils ne pourraient qu'ajouter au mal
qu'eux-mêmes partagent; ils ne feraient qu'accroître la
difformité. Les nerfs se trouvent également compromis par
la déviation : comprimés du côté concave , ils sont , du
côté bombé, distendus et tiraillés à leur issue du canal ver-
tébral , et de là proviennent des douleurs, des élancements,
souvent de la faiblesse, ou même des symptômes de para-
lysie dans les membres inférieurs et du côté de la vessie;
quelquefois même il survient des convulsions ou passagères
ou permanentes ; et comme le haut de la moelle épinière
partage quelquefois ces tiraillements , il n'est pas très-rar«
de voir des bossus devenir louches tout à coup , offrir des
convulsions insolites à la face , et d'autres fois les tics les
plus singuliers. On a vu quelquefois apparaître soudainement
une fièvre cérébrale avec délire, qu'on ne pouvait attribuer
qu'à la cause dont nous parlons.... D'ailleurs, la moelle
épinière elle-même, cet organe si déhcat et l'un des plus
essentiels à la vie, se trouve souvent comprimée chez les
bossus, soit par l'excessive déviation des vertèbres , soit par
le gonflement de ces os et de leurs ligaments intermédiaires ;
et alors il peut survenir de graves symptômes , depuis de
simples concisions ou la paralysie jusqu'à l'oppression
respiratoire et l'affaiblissement graduel du pouls , le cœur
recevant de la moelle l'influence qui fait mouvoir le sang.
Les difformités diverses, tous les défauts corporels,
pourvu qu'ils épargnent les organes dévolus à l'intelligence
ou chargés de l'accroitre, loin de nuire à l'esprit, lui prêtent
secours et l'agrandissent. Un être difforme ou infirme qui
sent ses imperfections et qui s'en afflige, applique toutes
ses facultés à faire pardonner, à force de talents ou de vertus,
les défauts qu'il tient de la nature oii de ses propres fautes.
Aussi voit-on parfois en des personnes d'un physique dis-
gracieux la réunion de ces dons attrayants qui disposent à
l'indulgence, agréments d'humeur ou de caractère qui feraient
pardonner jusqu'à des vices, et qui dissimulent la laideur
sous un voile quelquefois séduisant. Ces sortes de décou-
vertes causent toujoursde flatteuses surprises; nous aimons à
nous imaginer qu'une part nous est due de ces qualités bril-
lantes que nous découvrons ainsi contre toute attente, et
malgré de fâcheuses ])réventions. Une autre cause vient com-
penser chez ces êtres malheureux les torts d'une nature
(.0.
47G BOSSE -
rigoureuse et partiale. L'imperfection même de leur structure
les préserve de la tyrannie des sens et des dissipations du
jeune ùge. Cette chaleureuse adolescence , que le comnuin des
hommes consume en jouissances frivoles, eux ils l'utilisent
en acquisitions solides, qui dans la suite de leur vie feront
leur gloire ou leur bonlieur. l'eut-être que ces premiers sa-
crifices leur sont péniiiles ; peut-être sentent-ils d'abord avec
amertume cette inégalité qu'ils devraient bénir 1 Jlais quand
est venue l'époque de la maturité, cet ûge où la beauté du
corps, fanée pour toujours, remet en apparence tous les
hommes de niveau, c'est alors que commencent pour eux
d'heureuses représailles, où leur vanité se dédommage avec
sufcroSt des privations et de l'insipidité d'une jeunesse sou-
vent humiliée.
Ces remarques ne sont toutefois qu'en partie applicables
aux bossus proprement dits. Et en effet la riche intelligence
dont il n'est pas rare de les voir pourvus, n'est pas seule-
ment occasionnée par des causes morales. Quelques circons-
tances physiques servent ici d'auxiliaires. D'abord il est in-
contestable que plus est entravé l'accroissement de la moclie
épinière, et plus le cerveau a de volume; attendu que la
masse totale du système nerveux est toujours à peu près la
même. Or, un cerveau plus gros comporte une intelligence
plus puissante, plus active ou plus élevée. D'ailleurs, la
torsion et les courbures maladives des vertèbres nuisent à
l'accroissement du tronc , et de là naît une autre influence
propice à l'esprit, puisque la quantité du sang et la force im-
pulsive du cœur restent les mêmes pour un corps plus
exigu. Toutefois , les bossus complètement difformes, les
grands bossus , sont les seuls notoirement spirituels. C'est
qu'en effet eux seuls ont le crâne plus volumineux et plus
rapproclié du cœur, leur tronc ayant plus d'exiguïté. 11 est
vrai de dire qu'on trouve souvent des gens très-médiocres
parmi ceux qu'on pourrait nommer les demi-bossus. Or,
connue ils ont oui dire depuis leur enfance qu'ils auraient
un jour immanquablement beaucoup d'esprit, un esprit
plein de verve et de saillies, ils en simulent , ils s'efforcent
d'en montrer; et cela môme les rend insupportables aux
espriks bien faits. Mais , qu'ils aient beaucoup ou peu d'es-
prit, les bossus sont presque toujours d'un commerce au
moins diflicile. Cette disposition tient à leur excessive sus-
ceptibilité, à d'extrêmes prétentions, à un besoin de médire
insatiable, et à un caractère essentiellement tourmentant.
L'habitude qu'ils ont d'être raillés les tient toujours en armes
et les rend hostiles. Curieux d'un combat où leur grande
expérience leur promet victoire, s'ils ne se défendent, ils at-
taquent. Leur vie entière est uu tissu de méchancetés ingé-
nieuses ou peu s'en faut. 11 n'y a pas jusqu'à leur physique
<iui ne garde l'empreinte d'un pareil esprit ; sans avoir tout
à fait la tête de Thersite, ils participent de ses défiuits.
Passé l'âge de vingt ans, il est bien difficile de redresser
les tailles déviées. La chose est difficile principalement si la
déviation a plus de huit à dix lignes de courbure , et si déjà
il s'est effectué une vraie torsion dans la colonne courbée.
Les difformités ne sont réellement guérissables que lors-
qu'elles sont commençantes , seulement reconnaissables à la
situation disparate des deux seins, et pour ainsi dire encore
"ugitives, ou pouvant disparaître dans certaines postures.
Et même nous ne parlons que des filles; car les garçons
ont ordinairement trop d'indocilité, trop peu de patience
et de coquetterie pour s'assujettir aux traitements néces-
saires en pareille conjoncture. Puisque les difformités com-
mençantes sont seules susceptibles de guérison, on doit
s'appliquer à les reconnaître dès leur début. Or, les dévia-
tions vertébrales s'annoncent oïdinairement i)ar une don-
leur sourde et insobte vers un point limité de l'échiné, par
des douleurs vagues et passagères dans les épaules ou dans
la poitrine, par l'inégalité des hanches et des lianes, par
une épaule qui grossit et s'élève, par le dandinement ou
les oscillations de la marche, par une sorte do claudica-
■ BOSSI
tion, par delà miblesse, des palpitations et de l'oppression.
Si la jeune personne dont la taille commence à se déformer
se tient debout sans marcher, d'ordinaire elle ne s'appuie
que sur un pied , et saisit d'une main, afin de se soutenir,
le bras opposé, au-dessus du coude. Presque toujours la
jambe correspondante à l'épaule proéminente paraît plus
longue, parce que le bassin incline de ce côté. Souvent aussi
le nez ou le menton se déforment, la pureté de la voix s'al-
tère , certains doigts perdent de leur régularité ; il n'y a
pas jusqu'au sourire qui ne prenne alors une expression
caractéristique. Toutefois, s'il s'agit d'une jeune fille de
douze à seize ans , c'est ordinairement par les seins qu'une
mère s'aperçoit d'abord d'une difformité commençante : le
sein qui répond à l'épaule saillante est le plus élevé; il
dépasse souvent de plusieurs lignes le niveau du sein opposé.
Quant au traitement des déviations de la taille, voyez au
mot OiiTuopicmE. D"" Isidore Boludon.
BOSSE (Abraham), graveur à l'eau-foile, naquit à
Tours, en 1611. Sa famille, qui le destinait au barreau, lui
fit donner une brillante éducation ; mais Bosse, étant venu à
Paris, renonça subitement à la carrière qu'on voulait lui faire
embrasser, et entra dans l'atelier de Callot. Grâce à l'appli-
cation qu'il sut faire de ses connaissances acquises à l'art du
dessin, ses progrès furent rapides. Nommé en 1651 pro-
fesseur de perspective à l'Académie royale de Peinture , il
écrivit plusieurs ouvrages remarquables sur cette branche
de son art.
Bosse , dont le caractère ne pouvait se plier aux exigences
de Lebrun, publia plusieurs pamphlets contre celui-ci,
que le fit rayer de la liste des académiciens, il se retira alors
à Tours, où il mourut en 1078.
Les principaux ouvrages de Bosse sont : Moyen univer-
sel de pratiquer la perspective sur les tableaux et sur-
faces irrégulières (Paris, 1053); Traité de la manière de
dessiner les ordres d'architecture [Vâùs, 1664); Traité
des diverses manières de graver en taille-douce (Paris,
1645 et 1701 ) ; etc. Parmi les gravures dues au burin de cet
artiste, il faut citer le Recueil d'estampes pour servir à
l'Histoire des Plantes, exécuté par ordre de Louis XIV,
d'après les peintures originales de Bobert , et ne contenant
pas moins de 3,119 planches en .3 volumes in-folio.
BOSSEMAiV. C'était, dans l'ancienne marine, une
sorte de contre-maître chargé , à bord des vaisseaux, de
veiller aux ancres, aux bouées et aux câbles. Dans le Nord,
le nom de bosse7nan ( homme à la bosse) est encore donné
à certains officiers mariniers de manœuvre.
BOSSI ( Joseph-Chauies-Alirèle, baron de), comte
de Sainte- Agathe, l'un des plus grands poètes lyriques mo-
dernes de l'Italie , naquit à Turin , le 15 novembre 1758 , et
reçut dans sa jeunesse les leçons du célèbre abbé Denina.
Dès l'âge de dix-huit ans, il avait composé deux tragédies,
liea Silvia et I Circassi, qui eurent quelques succès. En
1782 il publia à la louange de Joseph II et de ses réformes un
pocme, dont les idées généreuses et indépendantes déplurent
fort à la cour de Turin, qui prescrivit à l'auteur de voyager
quelque temps hors du pays. Bossi alla résider dans la répu-
hfique de Gènes, mais six mois après il y était accrédité,
en qualité d'abord de secrétaire de légation, puis de charg('
d'affaires de la cour de Sardaigne. De là il fut rappelé à
Turin , où il fut ».ommé sous-secrétaire d'État au ministère
des affaires étrangères. Ce fut pendant cette époque que
Bossi composa son poëme sur la mort héroïciue du prince
IMaximilien de Brunswick, noyé dans l'Oder en 1785, en
voidant sauver de pauvres paysans , et les poèmes d'Elliot
et de la Hollande pocijii'c. Ce dernier olfre un intéressant
tableau des beaux faits de l'histoire de Hollande, depuis la
conquête de l'indépendance jusqu'à l'établissement du sla-
thoudérat, en 1787.
Cependant la révolution française venait d'éclater. La
Savoie et le comté de Nice ayant été envahis par les Fran-
d
BOSSI -
c.'.h, la cour de Turin chargea Bossi de se rendre au quar-
tier général du roi de Prusse. De Francfort Bossi se rendit
à Pétersbourg. 11 s'y trouvait encore au moment où y par-
vint le nouvelle du traité d'alliance défensive et offensive
contracté entre le roi de Sardaigne et la république française,
immédiatement après la prise de Mantoue. Paul l*"^ fit aus-
sitôt signifier à Bossi, puis aux ministres d'Espagne et d'An-
gleterre , l'ordre de quitter la Russie. A son retour à Turin,
Bossi lut envoyé par Charles-Emmanuel lY, comme ministre
résident, près de la république de Venise. 11 avait à peine eu
le temps de s'y installer, que le gouvernement aristocratique
de Venise cessait d'exister. Bossi, nommé alors par le roi
son député près du général en chef de l'armée française en
Italie, resta constamment auprès du général Bonaparte
depuis la signaturedes préliminaires de Léoben (15 avril 1797)
jusqu'au traité de Campo-Formio ( 17 octobre 1797 ). Nommé
ensuite ministre résident près de la république Batave , il
se lia dans ce pays avec le commandant en chef de l'armée
franco-batave , le général Joubert, et cette liaison ir.i faci-
lita plus tard les moyens d'être utile à son pays , lorsque
Joubert y fut envoyé.
Le 8 décembre 1798 Joubert entrait à Turin. Le roi de
Sardaigne , en renonçant à ses États d'Italie pour se retirer
dans son île, déclara délier ses sujets de leur serment de
fidélité. Bossi reçut en môme temps à La Haye la nouvelle
de l'éloignement du roi et celle de sa nomination par Joubert
aux fonctions de membre dii gouvernement provisoire du
Piémont! En passant par Paris, il s'assura bien vite que
l'intention du Directoire était de garder le Piémont jusqu'à
ce qu'il piU le réunir à la France. Arrivé à Turin, il se
prononça pour cetle réunion. Des registres de voles fu-
rent en el'iel ouverts dans toutes les provinces; plus d'un
•million de signatures attestèrent l'universalité de ce vœu
que Bossi , Batton de Castellamare, et Sartoris, furent char-
gés de porter au Directoire. Mais une nouvelle coalition se
préparait, et le Directoire, craignant de fournir à ses en-
nemis de nouveaux prétextes pour chercher dans son am-
bition une cause à la guerre qui était sur le point d'éclater,
refusa d'effectuer la réunion demandée. Nommé, dans ces
circonstances critiques, commissaire du Directoire près de
l'administration centrale de l'Éridan , dont Turin était le
chef-lieu , Bossi avait à peine commencé à exercer ses fonc-
tions, que la retraite précipitée de l'armée française vint
rejeter ce pays dans le chaos. Toute la plaine du Piémont
se trouva occupée par l'ennemi, et la nouvelle administra-
tion piémontaise fui dissoute dans toutes ses parties. Bossi
tint bon dans les vallées vaudoises, retarda l'insurrection
qui s'étendait de tous côtés, et put ainsi faciliter aux dé-
tachements etaux convois de blessés les moyens de passer le
Rhône et de regagner le territoire français.
Pendant tout le temps de l'occupation du Piémont par
l'armée austro-russe , Bossi se renferma à Paris dans la vie
privée, s'interdisant d'agir contre le retour possible du roi
de Sardaigne, qu'il avait servi dans sa jeunesse, mais s'in-
terdisant plus encore tonte idée de retour au service d'un
gouvernement arbitraire. 11 était encore h Paris, lorsqu'on
y apprit la victoire de Marengo. 11 fut alors nommé pléni-
potentiaire près de la république ligurienne, puis membre
(l'une commission chargée par Bonaparte du pouvoir exe-
cutif en Piémont. Les deux collègues de Bossi étaient Botta
et Bavoux. Le sénatus-consulte de juillet 1803, qui proclama
la réunion légale du Piémont à l'ancienne France, mit fin à
la carrière piémontaise de Bossi.
En janvier 1805 il lut nommé préfet de l'Ain. Outre la
statistique de l'Ain, qu'il pubha , et qui a servi de modèle à
celles qui furent exécutées plus tard , il composa à Bourg son
poème iVOromasia , dans letiuel il a resserré en un seul
cadre les principaux événements de la révolution Irançaise.
En 1810 il lut créié baron de l'empire et transféié à la pré-
fecture de la Manche, qu'il conserva jusqu'à la fin dejuil-
EOSSUET
477
let 1815. Lors de la première restauration, en 1814 , il re-
çut des lettres de grande naturalisation ainsi que le grade
d'officier de la Légion d'Honneur, et refusa môme, à cette
époque , l'offre du ministère de l'intérieur, qui lui fut faite
par Louis XVIII. Le second retour des Bourbons devint
le signal d'une violente réaction. Bossi , quoiqu'il eût été
maintenu en place par l'ordonnance d'épuration générale
des préfets, rendue après les Cents-jours, profita d'une dé-
marche illégal? que venait de faire à son égard le commis-
saire extraordinaire du roi dans la Basse-Normandio ,
pour s'expliquer vertement avec les ministres. Le moment
n'était pas favorable pour l'emporter sur un homme attaché
au service personnel du roi. Il apprit peu de jours après,
par le Moniteur, qu'il était remplacé, et rentra dans la
vie privée pour ne plus s'occuper que de la littérature, qui
avait toujours fait ses délices. 11 mourut à Paris, le 20 jan-
vier 1823, au milieu de cruelles souffrances, avec la résigna-
tion et la force d'àme d'un sage. Buchon.
lîOSS! (JosEpn), un des artistes les plus distingués de
la nouvelle école lombarde , naquit à Buffo , dans le Mila-
nais, le 17 août 1777. Après avoir reçu une excellente édu-
cation, il vint à Rome, en 1795, pour y étudier les chefs-
d'œuvre de la peinture, notamment ceux de Rapiiael. Il
n'était âgé que de vingt-trois ans lorsqu'à son retour à Milan
il fut nommé secrétairede l'Académie (^e/Ze Belie-Arli, i^lace
que venait de quitter le vieux Carlo Bianconi. Chargé par
Eugène Beauharnais, vice-roi d'Italie, de copier la Cène,
de Léonard de Vinci , il consacra à ce maître les recherches
les plus approfondies, qu'il publia ensuite sous le titre de :
Delcenacolo di Leonardo (la Vinci (Milan, 1810, in-fol.).
Le grand dessin qu'il fit de celle fresque célèbre est un tra-
vail des plus remarquables. Plus tard, liossi se démit de
ses fonctions de secrétaire de l'Académie. Il fut membre
de l'Institut, et mourut à Milan, le 9 décembre 1815. Son
buste , placé à Bréra , est de la main de Canova.
BOSSOIRS ou BOSSEURS. Ce sont, en termes de
marine, deux pièces de bois placées en saillie à l'avant d'un
vaisseau, qui servent à la manœuvre des ancres , et princi-
palement à les soutenir quand celles-ci sont levées.
IiOSSUET(JACQi]Es-BÉNir.NE) naquit à Dijon ,1e 27 sep-
tembre 1G27, d'une famille de robe. Il fut élevé par les
jésuites, qui eurent l'idée de s'emparer de lui ; car ils avaient
le pressentiment de sa grandeur. Il leur échappa, et vint
faire sa philosophie à Paris. C'était un moment de renou-
vellement dans cette science ; on en faisait encore une occa-
sion de dispute. Bossuet y ajouta d'autres études, celle du
grec surtout, qui le charma ensuite toute sa vie. Il soutint
sa première thèse avec éclat; à l'âge de seize ans il avait
une réputation d'éloquence. L'iiôlel Rambouillet, alors
maître des renommées , voulut l'entendre. Il y alla prêcher
sur un sujet qu'on lui donna à l'instant, et qu'il remplit aux
grands applaudissements de madame et de mademoiselle de
Rambouillet. C'était un mauvais début; il eiit pu être fatal à
un autre : sa bonne et forte nature le sauva de cette gloire.
Il était du très-petit nombre d'hommes à qui il a été donné
d'être précoces et de ne pas périr ensuite d'affaiblissement
et de vanité. Bossuet soutint sa thèse publique : c'était alors
une grande affaire. Condé assista à cette lutte; il sembla
porter envie au jeune théologien, qui sortit des épreuves
avec éclat. Bossuet fut bachelier; puif. il reçut le sous-dia-
conat; puis il continua ses travaux pour la licence; puis
enfin il fut docteur. Ces études durèrent quatre ans; la re-
nommée de Bossuet ne fit que s'accroître; les évoques re-
manjuaient avec plaisir ce sujet brillant. Celui de Metz
chercha le premier à s'en emparer; il le nomma archidiacre
de l'église de Met/, et peu après Bossuet tut fait prêtre (1652).
On continua de courir à lui pour le combler d'honneurs; il
se rétugia dans l'élude. Pendant six ans il se livra à la lecture
et à la méditation des pères de l'Eglise : c'était une heureuse
préjiaratiûu aux grands travaux qui devaient lui faire donner
4 73 BOSSU ET
à )«i-mème ce nom de Père, que son siècle lui décerna, et
que la postérité n'a point contesté.
11 commença à écrire à Metz contre les protestants : il fit
une réfutation du catécliisme de Paul Fcrri. En ce temps-là
la controverse n'avait pas pris le caractère de généralité phi-
losophique que l'incrédulité ou rindiflércncc moderne lui a
donné. Des deux côtés on s'attachait à des dogmes ou à des
débris de dogmes : la dispute devait donc être purement
religieuse.
Bossuet multiplia ses travaux h Metz; il y établit des con-
férences, ayant, comme tout le reste de ses prédications, la
conversion des protestants pour objet. Saint Vincent de Taul
l'encourageait dans ses efforts ; c'était une belle alliance que
celle de ces deux grands hommes : c'était le génie tempéré
par la piété, l'ardeur du jeune prêtre adoucie par la sainteté
du vieillard. Bossuet porta aussi son zèle i Paris. Ses écrits
étaient recherchés avec avidité; la religion était alors une
grande occupation ; les plaisirs étaient secondaires ; elle do-
minait môme au milieu des désordres et des scandales. De
{:;randes conversions eurent lieu : d'abord celles du n)arquis
de Dangeau et de son frère le marquis de Courcillon , qui
fut plus tard abbé de Dangeau. Le beau livre de VExposi-
tion, de Bossuet, prépara cette conquête. Tu renne vint
ensuite : celle-ci eut plus d'éclat. Turenne apportait dans la
recherche de la vérité une simplicité d'enfant, avec une
admirable supériorité de raison. Le peu de sincérité des con-
troverses protestantes avait blessé son âme loyale ; la diver-
sité des sectes l'étonna ; l'unité catholique le domina : il fut
catholique à force de bonne foi et de candeur.
Bossuet commença à prêcher à Paris ; on se pressa pour
l'entendre. C'était une manière nouvelle, une liberté d'allure
inconnue aux sermonnaires , un langage sublime et familier,
des traits d'éloquence comme des coups de foudre, des éclairs,
des tempêtes ; puis , tout à coup, du calme et du repos , un
langage sans apprêt, des vérités simplement énoncées, une
instruction jetée à flots, sans divisions méthodiques, péni-
bles et fastidieuses. Les sermons de Bossuet sont encore ce
qu'il y a de moins connu dans ses œuvres. La Harpe a dit
qu'ils étaient médiocres ; il ne les avait pas lus. Les sermons
de Bossuet sont, au contraire, ce qu'il y a de plus extraordi-
naire en fait d'éloquence. Il y en a peu d'achevés ; mais le plus
médiocre ou le plus incomplet est plein du génie du grand
orateur. Bossuet est savant sans le vouloir être, va libre-
ment, saisissant dans sa marche précipitée tout ce qui peut
éclairer, émouvoir, entraîner; sa pensée sort pleine, abon-
dante, comme d'un seul jet; lorsqu'il veut être régulier, il
l'est sans doute , mais comme un créateur à qui tout obéit.
Son sujet s'arrange de lui-même , son esprit ne fait pas d'ef-
fort , et quand tout est disposé , l'orateur anime cette créa-
tion, puis il plane au-dessus comme un dieu. Ne comparez
pas Bourdaloueà Bossuet; ce sont deux gloires aussi dis-
semblables qu'inégales : le premier est admirable à force de
raison, il ne sort pas de la nature humaine; le second est
inspiré , il est maître de la nature même.
Bossuet prêcha devant les grandeurs, devant la reine,
ilcvant les princes, devant Condé, devant Louis XFV; ce
fut toujours la même fécondité. Cet homme se multipliait
^ivec des formes d'éloquence toujours nouvelles et toujours
inconnues. Cependant il faut dire ici que ces sermons devant
le§ grands accoutumèrent Bossuet à porter dans la prédica-
tion des choses graves et austères de la reUgion un tempé-
rament de flatterie qui pouvait ôter à la vérité son caractère
inflexible , et endormir les vices au bruit des leçons les plus
admirables de l'éloquence. Nous trouvons un certain cou-
rage dans beaucoup de sermons de Cossuct prêches devant
Louis XIV; mais c'est un courage qui n'expose guère; car
la louange le rend inutile. Dans ce mélange de paroles reli-
gieuses et solennelles et de discours insinuants et flatteurs,
le prince prend ce qu'il veut, et il ne veut que ce qui lui
pliait. Ici Bourdaloue l'emporte. Boiirdaloiu; iic loue pas. Il
prêche devant le roi comme devant un autre fidèle, si ce
n'est qu'il redouble de gravité, à cause des scandales de la
colir. Bossuet est plus souple, et sans rien sacrifier de la
religion, il blesse moins la faiblesse ou la vanité; il y a une
certaine parole de courtisan dans son éloquence superbe et
indépendante. Voilà une singulière alliance; elle est réelle,
et je comprends qu'il y ait des gens qui n'aient vu en Bos-
suet que le flatteur des rois. Ces gens-là étaient passionnés ,
mais leur censure n'est pas sans quehpie réalité ; seulement
ils n'ont pas vu tout Bossuet , ils n'ont pas vu Bossuet chré-
tien dans la flatterie , c'est-à-dire gardant toute la grandeur
de la religion dans cette adfesse d'orateur, et louant la
gloire humaine pour mieux faire resplendir la volonté souve-
raine de la Providence.
Du reste, Bossuet ne courut point après les faveurs; pen-
dant qu'il prêchait à Paris, il passait sa vie dans la retraite
et l'étude. Dix ans s'écoulèrent dans ces travaux ; alors on
lui donna le prieuré de Gassicourt , et peu après il lut nommé
doyen de Metz. Ce fut vers ce temps qu'il débuta dans une
carrière où l'attendait beaucoup de gloire. Il prêcha l'o-
raison funèbre du père Bourgoing, supérieur général de
l'Oratoire, et celle du docteur Cornet, qui avait contribué à
la première direction de sa jeunesse.
En ce temps les disputes jansénistes étaient animées;
les religieuses dePort-Boyal jouaient un grand rôle dans
ces controverses. L'archevêque de Paris, M. de Péréfixe,
chargea Bossuet de les amener à la soumission p£fr la con-
ciliation et la douceur. Nous nous imaginons Bossuet do-
minateur, intolérant et emporté, à cause des mouvements
précipités de sa parole; il était, au contraire, bienveillant et
modéré, et ce fut pour cela qu'il fut choisi par M. de Pé-
réfixe, dont l'indulgence était renommée. La bonté et le
génie échouèrent devant l'entêtement de quelques femmes.
D'autres travaux se présentèrent. Bossuet prêcha l'orai-
son funèbre d'Anne d'Autriche, reine qui avait traversé
vingt années pleines de périls avec courage et quelquefois
avec gloire. 11 entra dans les controverses avec les pro-
testants , où déjà l'école de Port-Royal l'avait devancé ; le
penchant de son esprit le portait vers cette polémique, do
préférence à toute autre. Il fut chargé toutefois de corriger
l'édition janséniste du A'oicveau-Testament ; et ainsi, par
des travaux successifs, il arriva à l'évêché de Condom.
Sa carrière s'agrandissait tous les jours ; la mort lui fit des
occasions plus éclatantes de gloire. Il fit entendre sa grande
voix sur le tombeau delIenriettedeFrance, reine d'An-
gleterre. Rien jusque là ne s'était vu dans l'histoire de sem-
blable à cette fortune royale précipitée par le meurtre. Le
souvenir de Charles I^'' était là tout vivant, et il était beau
d'entendre Bossuet faisant planer la Providence sur les ré-
volutions d'empires, et donnant aux rois et aux peuples des
leçons inconnues sur la vanité des grandeurs et sur les cau-
ses qui emportent les États et perdent les trônes. L'oraison
funèbre prenait ainsi un caractère nouveau , et devenait un
genre d'éloquence distinct de tous les autres, où le christia-
nisme apparaissait avec ses enseignements merveilleux et
ses prophétiques inspirations. « Ce n'est pas un ouvrage hu-
main que je médite , criait Bossuet ; il faut que je m'élève
au-dessus de l'homme, pour faire trembler toute créature
sous les jugements de Dieu. » Telle est l'oraison funèbre
conçue par Bossuet. C'est l'éloquence humaine appliquée
aux méditations les plus hautes de la politique chrétienne;
et avec cette pensée souveraine il assiste aux événements qui
troublent la terre, il les maîtrise en quelque sorte, il les
fait servir à l'harmonie générale du monde; il en fait un
cours de morale providentielle; il étonne, il confond l'es-
prit des politiques vulgaires ; cela ne l'empêclie pas toute
fois d'avoir des pleurs et de la pitié pour l'infortune. Son
gémissement a quelque chose de lugubi"»; et de plaintif;
il touche les âmes d'une douleur profonde et mystérieuse;
il lait verser des larmes dans le secret du cœur; il ne les
BOSSU KT
479
provoque pas par de vaincs lamentations; il ne les clierche
[las par un appareil de deuil ; son gémissement est grave et
solennel ; il n'abaisse pas la douleur, il l'élève, au contraire,
puis il la sanctifie et la console par Tespérance; il lui ouvre
le ciel, et, montrant la terre ainsi frappée par les tempêtes,
i! force l'homme à se réfugier dans un autre asile. L'oraison
funèbre, le genre le plus faux, le plus futile et le moins
chrétien, devient ainsi la leçon la plus haute, la plus im-
posante et la plus vraie , et c'est ici que se montre le génie
créateur de Bossuet. Il a (ait cette sorte d'éloquence. Elle lui
«st propre comme une œuvre de sa conception. Après lui il
n'y a plus d'oraison funèbre.
A l'oraison funèbre de la reine d'Angleterre succéda celle
d'Henrietted'Angleterre, sœur de Charles II, et épouse
de Monsieur, duc d'Orléans. La mort allait vite; et on l'ai-
dait aussi par le crime. Cette femme infortunée périt d'une
manière tragique, par la vengeance du chevalier de Lorraine,
élionté favori du duc d'Orléans, qui du fond de l'Italie, où
il était exilé pour des intrigues , trouva le secret de la faire
empoisonner. Il savait apparemment que ce crime servait
.«;on maître. Mais il ne lui confia pas son secret : Saint-Simon
dit que les empoisonneurs eurent peur de son indiscrétion.
Ainsi , on ne peut pas même lui faire honneur de son inno-
cence. Quelque temps après, le chevalier de Lorraine jouis-
sait auprès de lui de son infamie. Tel fut donc le nouveau
.«^ujet d'éloquence pour Bossuet. Louis XIV avait frémi d'hor-
reur à la mort d'Henriette, qu'il chérissait et qui lui servait
do hen politique avec son frère le roi d'.\ngleterre. Mais on
ftait en un temps où il n'était pas permis de soupçonner la
scélératesse autour du trône, et la grande voix de Bossuet ne
put se faire entendre avec toute sa liberté. Jamais on n'eût
oui de tels éclats de tonnerre. L'oraison funèbre d'Henriette
est pourtant un chefd'œuvre. Bossuet fit trembler son au-
ditoire par celte parole restée célèbre : Madame se meurt!
Madame est morte! Il y eut un long silence. L'orateur
même fut troublé. C'était comme une voix tonnante qui
révélait une partie des secrets du sépulcre.
Bossuet fut nommé précepteur du dauphin. Le duc de
Montausier était son gouverneur. C'était trop du génie de
l'un et de l'austérité de l'autre pour former un enfant dont
la nature molle et paresseuse répondait mal d'ailleurs à de
tels soins. Ces choix n'en honoraient pas moins Louis XIY.
11 voulut entourer son fils de tout ce qu'il y avait de plus
grand, de plus renommé et de plus vertueux. Le savant
H uet, évêque d'Avranches, fut sous-précepteur du prince.
11 ne manquait plus à de tels maîtres qu'un disciple digne de
les entendre. L'éducation du dauphin resta sans éclat. Mais
l>ersonne ne songea à en faire un reproche à Bossuet, d'au-
tant que tout le monde put voir l'admirable assiduité d'é-
tudes, de travaux et de recherches avec laquelle il remplit
sa grande et pénible tâche d'instituteur.
En cela, le choix de Bossuet fut heureux. >ous lui devons
des ouvrages admirables sur les objets principaux des con-
naissances humaines. Bossuet se mit à approfondir toutes
les sciences, la philosopliie, l'histoire, la politique, la phy-
siologie même. C'était, encore une fois, trop de profondeur
pour son disciple, esprit lent et inappliqué. Mais tant de
travaux ne furent pas perdus , puisque la postérité en jouit.
En tête de ces ouvrages, La Connaissance de Dieu et de
soi-même, et le Discours sur l'histoire universelle , deux
chefs-d'œuvre, et le premier non moins étonnant peut-être
que le second , parce que Bossuet n'y est pas seulement
écrivain, ou seulement philosophe; il y est anatomiste, et
tellement instruit de la science d'alors qu'il devhie la
science même à venir, et aussi l'anatomie moderne ne lui
reiiroche point de grave erreur. Quant au Discours sur
l'histoire universelle , c'est le chef-d'œuvre des temps
anciens et modernes. Bossuet ramasse les débris du monde
et les pousse pèle-mèle devant lui. Jamais autorité sem-
'olabJe ne s'était vue; il règle le cours de la vie des nations;
il assiste aux révolutions et les modère. Il sait la pensée
qui les fait mouvoir; il sait où elles aboutissent; il semble
assister aux conseils de Dieu. Bossuet n'avait jamais été si
grand , et la seule conception de son ouvrage passe toutes
les limites connues du génie humain. Les écrits proprement
poUtiques de Bossuet n'ont pas ce caractère d'élévation et
de vérité ; même sa politique sacrée manque d'application ;
la pensée en est fausse d'un bout à l'autre. Grand homme '.
pardonnez-moi cette parole.
Bossuet parle d'une théocratie, et passe du gouverne-
ment des Hébreux au gouvernement des États modernes,
ce qui n'a pas d'analogie. Il s'ensuit qu'il fait des rois au-
tant de dieux. Et cependant Bossuet se récrie contre l'ar-
bitraire des rois; mais il ne les rend justiciables directement
que de Dieu même. Il n'y a pas de politique possible avec
ce système. Le moyen âge était plus conséquent. Les rois
étaient sous la main de Dieu sans doute , mais dans l'hy-
pothèse d'une constitution catholique, où le droit des peu-
ples avait sa règle dans la religion , et son recours à l'au-
torité des pontifes. C'est là une organisation que chacun
peut saisir, soit qu'on l'approuve, soit qu'on ne l'approuve
pas. Mais les rois dépendants de Dieu seul, et absolus par
rapport à leurs sujets, de telle sorte que les peuples ne
puissent en appeler à aucun pouvoir vivant sur la terre, c'est
là , il faut le dire , im ordre pohtique impossible à réaliser,
si ce n'est par le despotisme pur. Je sais très-bien que la
souveraineté du peuple est à l'autre bout, et Bossuet a
voulu l'éviter. Mais rien ne l'obligeait de passer d'une erreur
à l'autre, si ce n'est peut-être que le temps n'était pas alors
venu de bien saisir la vérité, et peut-être n'est-il pas venu
môme aujourd'hui. Aussi faut-il dire simplement ce qu'il y a
de faux dans les idées de Bossuet. Il céda au mouvement
universel qui emportait tout vers la monarchie absolue, et
qui semblait faire plier la religion elle-même. C'était la suite
de longues erreurs. La France avait failli s'abîmer dans l'a-
narchie et les guerres civiles. Tous les hommes d'ordre sen-
tirent la nécessité de se réfugier dans le pouvoir. Le pro-
blème politique resta entier, savoir, comment se conci-
lieraient un jour le pouvoir et la liberté.
Le caractère simule et boa de Bossuet ne s'altéra pas à la
cour. Autour de lui se groupèrent tous les liommes graves
du temps; il forma avec eux des conférences philoso-
phiques , d'où sortirent d'utiles travaux. Ces hommes de
méditation se réunissaient dans les jardins de Versailles, et
c'était un touchant contraste que ce spectacle d'études
calmes au milieu des plaisirs, d'entretiens philosophiques au
milieu des passions et du bruit. Les conversions suivaient
leur cours, et Bossuet restait mêlé aux controverses par ses
livres, sans sortir de sa retraite accoutumée. ]Mais une cir-
constance s'offrit où il lui fallut se mettre en présence du
protestantisme par sa parole. Mademoiselle de Duras, dame
d'atours de Madame, seconde femme du duc d'Orléans,
avait été élevée dans la religion protestante par sa mère ,
sœur de Turenne. Déjà la lecture de Y Exposition avait
ébranlé ses croyances, et elle se sentait portée au catholi-
cisme. Pour achever de dissiper ses incertitudes, elle voulut
établir une sorte de lutte de raisonnement entre les deux reli-
gions. Elle demanda une conférence où Bossuet discuterait
contre le ministre Claude les points qui lui paraissaient dou-
teux encore. C'était une méthode de conversion peu usitée,
et même peu chrétienne, il faut le dire, puisque mademoi-
selle de Duras s'établissait juge comme dans une dispute
vulgaire; et ainsi c'était elle-même qui prononçait en der-
nier ressort sur la vérité ou l'erreur. Il y avait là, si je ne
me trompe, quelque peu de vanité, et c'était au moins faire
beaucoup de bruit pour une affaire qui exige beaucoup de
silence. Quoi qu'il en soit, mademoiselle de Duras se con-
vertit, et finit sa vie par une mort chrétienne.
Le nom de Bossuet fut mêlé à l'histoire des amours de
Louis XIY, mais comme pouvait et devait cire mêlé celui
480
«l'un grand et saint évêque. Il ne fut point étranger à la
touchante résolution que prit madame de La Vallière de
cacher sa honte et ses remords dans la solitude d'un cloître,
et il prêcha le sermon de la profession de ses vœux. Peu
après il attaqua avec courage la passion du roi pour madame
de Montespan,et cette lutte, toute entourc'e qu'elle fût de
certaines formes de délicatesse que Louis XIV imposait au-
tour de lui, n'en est pas moins un souvenir de liberlé qui
honore le caractère de Bossuet. Le hardi prélat crut être
maître un instant. Mais au retour de la guerre Louis XIV
donna des ordres pour meubler l'appartement de sa mal-
tresse. I5ossuet courut à huit lieues au-devant du roi. A sa
vue, Louis XIV s'écria : A'e vie dites rien, j'ai donné mes
ordres. La parole de Bossuet faisait peur au scandaleux
monarque.
Après l'éducation du dauphin, Bossuet fut nommé évo-
que de Meaux. C'était au moment de l'assemblée du clergé
(l(;8l). Louis XIV voulut que le père LaChaiseallât porter
cette nouvelle à rarchcvèché, pour qu'elle se répandît aus-
sitôt dans tous les diocèses, tant il y attachait d'importance.
Cetleasseinbléedevint célèbre par la grandeur des questions
<pii y furent résolues, questions depuis longtemps débat-
tues avec animosité, et qu'une décision sembla rendre plus
incertaines encore. L'histoire de ces df^bats est longue et inu-
tile dans cet article. Le siècle présent n'en a retenu que quel-
ques mots vagues, qui suffisent i\ son ignorance. Il sait
qu'il s'agissait dans l'a-^semblée des libertés de l'Église r/al-
licnne; mais il ne sait pas quelles étaient ces libertés. Ces
libertés étaient la faculté donnée au pouvoir de dominer
l'Église : plaisantes libertés ! Après cela vinrent des ques-
tions sur la constitution de l'Église, que le clergé crut de-
voir résoudre dans le sens qui paraissait être le plus favo-
rable à la pensée de domination du monarque, .■^u fond de
tout celi il y avait une difficulté qu'on éludait avec soin,
savoir si le loi était catholique au môme titre que tous les ca-
tholiques du monde. L'union de l'État et de l'Église s'était
alli^ée; la constitution ancienne était détruite, il n'en res-
tait que les apparences. Le roi voulait bien que l'union sub-
sistât, mais à la condition qu'il serait maître. Aussi la coxirti-
snncrie de quelques évêqnes allait loin, et Fénelon nous a
rai)porté les efforts qu'il fallut faiie pour les arrêter. Bossuet
y employa son génie, mais avec l'embarras d'un évêque qui
veut concilier sa foi religieuse et sa souinission mondaine. Il
débuta par le sermon sur l'unité de l'Église, profession de
principes admirable, après laquelle il se crut plus permis
de faire des concessions. Le rôle du grand homme fut un rôle
de juste milieu. Je demande pardon d'emprunter cette ex-
j)ression à l'histoire de nos partis , mais elle est vraie, et la
déclaration du clergé de France eut le double inconvénient
de blesser le pape et d'irriter ses ennemis. Ces sortes de
tempéraments n'ont pas d'autre résultat. Bossuet était digne
d'appliquer sa forte et puissante raison à des disputes plus
chrétiennes et à des questions plus nettes. Son autorité tou-
tefois ne fut pas inutile pour contenir des vs\mls, déréglés,
mais sans servir la liberté de l'Église; et il ne prévit pas cpie
son ouvrage se tournerait plus tard contre la religion qu'il
voulait détendre. Peut-être aussi, car il ne faut point pro-
concer contre un tel homme des jugements inexorables,
peut-être le temps n'était point venu où le pouvoir et l'Église
seraient nettement placés dans une position de mutuelle in-
dépendance. Certes, il n'était plus permis <}« remonter à la
constitution catholique du moyen Age, et il n'eiU été donne
à personne, pas même à l'esprit pénétrant de Fénelon, de
|)rcssenlir une liberté telle que nous pouvons la concevoir
aujourd'hui, et qui encore nous épouvante et nous di con-
certe au moment même où nous la sollicitons. Ainsi, c'(;lait
connue un état de transition que Bossuet avait fait à l'É-lise;
et, chose étonnante ! un siècle et demi a dil .s'écouler avant
qu'il nous iï»t donné de nous avancer vers des destinées nou-
velles ; tant les révolutions sont lentes et rav^iiir mystérieux '.
BOSSUET
Il fallut du temps pour calmer la cour de Rome. Louis XIV
finit par flécliir ; et il promit au pape que la déclaration
de 1C82 serait non avenue. Alors il y eut une réconciliation <
publique, et l'Église de France reprit sa marche accoutu-
mée; mais la déclaration devint par elle-même un objet de
dissension, et c'est à peine si nos révolutions modernes ont
détourné les idées de ces controverses, désormais sans ap-
plication. Bossuet exerça son zèle à d'autres soins. Il fit la
guerre à des casuistes qui déshonoraient le christianisme
par leur morale commode, et il les lit condamuer à Rome.
Puis, ayant pris possession de son évêché, il s'y livra à des
travaux de toutes sottes. Il publia des écrits pour éclairer
les protestants qui se trouvaient dans son diocèse, et qu'il
appelait ses frères et ses enfants ; il surveilla et fortifia les
études de son séminaire, établit des missions, ranima les
conférences ecclésiastiques, multiplia les visites pastorales,
s'occupa avec tendresse du soin des hôpitaux , donna aux
synodes une régularité nouvelle, présidant atout, diri-
geant tout, apportant partout une modération touchante et
une noble dignité.
On ne pourrait tout dire d'un évéque si zélé, dont la
fécondité d'esprit était si prompte. Ses écrits se multi-
pliaient. Il fit pour des religieuses deux de ses plus beaux
ouvrages : les Élévations sur les mystères, et les Médi-
tations sur l'Évangile; dcu\ créations pleines d'enthou-
siasme et de poésie. On a dit Vaigle de Meaux ; on a eu
raison, mais Bossuet est c.igle surtout dans les Éléva-
tions. Il y a dans ces ciiapitres jetés sans plan, à ce qu'il
semble, un ton d'inspiration qui ne se trouve point ailleurs.
C'est un langage libre et presque désordonné, tel qu'il
convient à des élans d'admiration et d'amour ; mais avec
une hardiesse et une nouveauté de parole qui dépasse tous
les effets de la poésie humaine.
Pour produire ainsi sans relâche de si beaux écrits, on
conçoit qu'il fallait à Bos.suet, outre sa facihlé, une vie
toujours pleine et occupée. Le jour ne suffisait pas à l'acti-
vité de ses travaux. Il y employait aussi les nuits. Et ce-
pendant il ne fuyait pas les conversations et les distractions
du monde; il recherchait, au contraire, les hommes savants
et lettrés. Il avait été reçu à l'Académie Française ; c'était
alors une élite des grandes renommées de la France. 11
aimait à s'entourer d'un choix d'écrivains, dont la gravité
répondait le mieux à sa pensée toujours haute. Il s'occu-
pait avec eux de leurs études. Il les encourageait ou les di-
rigeait. La Bruyère, Fleury, Renaudot, d'Herbelot, Galland,
Boileau , Santeuil, et beaucoup d'autres parmi ceux qui
n'étaient qu'académiciens , antiquaires , poètes ou mora-
listes, se disputaient quelques moments de liberté du grand
évêque. Son commerce était doux et facile. Il avait une
gravité modeste, et sa parole , si remuante dans la chaire,
avait dans la conversation une familiarité douce et bien-
veillante.
Celte parole reprit son tonnerre pour parler encore des
vanités des grandeurs humaines. Bossuet prêcha tour à tour
les oraisons funèbres de la reine Marie-Thérèse, de la prin-
cesse Palatine, du chancelier Letellier, et du prince de
Condé. Que de leçons dans la vie de tels personnages!
Bossuet semblait être le prédicateur de la mort. On eût dit
je ne sais quelle puissance qui animait les tombeaux et fai-
sait parler les cadavres. Dans les quatre sujets d'éloquence
que la mort lui lit si précipitamment, il y avait une telle
variété de caraclôrcs et d'événements qu'il fallait une grande
souplesse de génie pour les présenter avec convenance et
vérité. La reine Marie-Thérèse avait passé modeste et peu
aperçue auprès de la gloire de Louis XIV. L'éloquence n'avait
à parler ici que de vertus touchantes. Bossuet sut mettie
dans son langage tout ce qu'il fallait d'onction pour rappeler
cette vie aimable et celte aménité de mœurs. Ft cependant
il sortait (lueiquefois de ce cadre plein d'élégance pour aller
saisir (luchpics-uns des grands accidents qui s'étaient môles
I
BOSSUET
481
à la rie paisible de la reine. Par là l'oraison funi-bie était
animée, et bien que la grâce de la louange y dominât, la
hardiesse de la ;parole y reparaissait, et l'ouvrage, texte
remarquable par une variété d'images et par une flexibilité
d'idées <iui dans Bossuet est plus que de lart , est encore
une inspiration naturelle de son génie. Anne de Gonzague,
princesse palatine , avait été mêlée aux événements si agités,
si variés , si passionnés de la Fronde ; mais elle était restée,
fidèle à la reine et au ministre, et elle avait apporté dans
les intrigues un esprit de finesse propre à déconcerter sou-
vent les ruses des factieux , qui tour à tour attaquaient la
cour ou flécliissaient devant elle , selon leurs pensées de
folle ambition ou <le petite cupidité. La Fronde est merveil-
leusement caractérisée dans cette oraison funèbre , et l'his-
toire d'une femme d'intrigue devient un enseignement de
plus pour la politique des rois, outre que le saint orateur
trouve dans sa vie , longtemps agitée et à la fin rendue à la
foi et à la piété , des exemples plus touchants et des leçons
plus consolantes. La vie du chancelier Lete'.lier devenait un
sujet {>lus grave et plus digne des méditations de liossuet.
C'était encore l'histoire des troubles et des malheurs de la
France, mais avec le triomphe de l'autorité du monarque
et la suite des idées politiques qui l'avaient affermie. Letel-
lier avait suivi la fortune de Mazarin , avec un tenîpérament
d'ambition qui n'aspirait qu'à la seconde place et la tenait
bien. Letellier passa sa vie dans les affaires Bossuet n'em-
ploya pour parler de la vie de Letellier (pi'un langage
profond de politique : c'était la parole de Tacite, élevée
par la foi du pontife chrétien. Cette sorte d'éloquence,
plus calme , plus suivie , plus philosophique , veut avoir
des juges moins passionnés; elle excite moins d'enthou-
siasme; mais elle va plus droit à la raison , elle éclaire l'in-
telligence; elle satisfait l'esprit; elle est plus grave et plus
intime. Bossuet, tel que la plupart de ses admirateurs ai-
ment à le comprendre , Bossuet avec sa parole puissante ,
entrecoupée, inégaie, se répandant à Ilots sur un auditoire
subjugué, reparut dans l'oraison funèbre de Condé. Je ue
fais que rappeler cette étonnaute création, chef-d'œuvre
d'éloquence, dont n'approche aucune harangue ancienne,
et qui seul établirait la prééminence des lettres inspirées
par le christianisme. Bossuet couronna par ce dernier éclat
de sa voix cette longue suite de discours funèbres. Ses che-
veux blancs l'avertissaient déjà, disait-il, de songer à
rendre sa mort sainte, et de réserver à son troupeau ce qu'il
appelait les restes de sa voix et de son ardeur. Ainsi il sem-
blait jeter un adieu aux tombeaux , et il y eut dans cette
dernière parole je ne sais quoi de mélancolique qui ajouta
à la profonde émotion que la mort de Condé avait laissée
dans toutes les âmes. Le siècle de merveilles tirait sur sa
fin. Bientôt il ne resterait plus guère de grandeurs à célé-
brer, et alors il suffirait qu'un autre orateur vînt s'écrier sur
toutes ces ruines ; Dieu seul est grand!
Bossuet survivait cependant avec son génie. Il l'appliqua
à des controverses avec les protestants. Il composa Vlfis-
toire des Variations, et les Avertissements aux Protes-
tants, deux ouvrages admirables : le premier, remarquable
par une dialectique forte et serrée; le second, plus animé,
ce semble , par la résistance qu'il avait rencontrée ; l'un et
l'autre pleins de faits, nourris d'études savantes, et capables
d'ébranler à la fin toutes les oppositions du préjugé ou de
l'erreur. Cette sorte de polémique ne va plus à nos opinions
légères et vagabondes. Jlais dans le siècle grave de Bossuet
tout était sérieux, la foi comme le doute, et les esprits s'ap-
pliquaient avec une attention forte et soutenue aux objets
de leurs disputes. Jamais l'unité du catholicisme n'avait
paru plus ferme que dans cette histoire des contradictions
des sectes indépendantes; Bos.suct embrassait le passé et
l'avenir, et déjà il annonçait au monde l'inlinie variété des
opinions qui, i>assant de la religion dans la politifiue, ébran-
kraient toutes les bases de la société humaine.
niCï. Dli LA COWERS. — T. 11).
Puis vinrent des débals d'une autre sorte, qui eurent
alors de l'importance, et qui seraient oubliés aujourd'hui
s'ils n'avaient mis en présence les deux plus beaux génies
de l'Église, je veux dire les débats du quiet isme. — Qu'est-
ce donc que le quiétisme? va-t-on demander. — Ceci n'est
point un article de théologie. 11 faut bien dire cependant que
le quiétisme était une doctrine de dévotion, d'abord imaginée
par madame Guyon, femme un peu illuminée, et ensuite
embellie par l'imag'uation pieuse de Fénelon. La perfection
de l'amour de Dieu , disait le tendre archevêque de Cam-
bray, était qu'il fiH désintéressé, et qu'il n'eût en vue ni les
récompenses, ni les promesses, ni les menaces. C'était une
perfection au-dessus de l'humanité , et en cela du moins
elle était dangereuse; et d'ailleurs elle semblait conduire à
une sorte de repos indifférent de l'âme; et Bossuet, qui,
avec sa logitiue pénétrante, poussait tous les principes à
l'extrême, s'clTraya des conséquences dont il pressentait la
réalité possible. 11 voyait la religion ruinée, la foi éteinte,
la piété llitrie, à force d'amour, et il se mit à tonner contre
le quictismc , comme il eût fait contre une doctrine qui eût
attaqué de front tout le christianisme. Dans celle longue
dispute , l'intérêt sembla se porter sur Fénelon , à cause do
la tendresse de ses affections et de l'aménité de son langage.
Bossuet parut emporté par un zèle trop ardent , soit que sa
parole fût en effet passionnée, soit que la plupart des hom-
mes ne comprissent pas, même alors, l'importance d'une
telle polémique. Enfin, Borne prononça entre les deux grands
hommes, et Fénelon fut condamné. On sait comment le
vaincu ennoblit sa défaite par sa soumission. Bossuet resta
grand ; mais Fénelon le devint davantage.
Bossuet revint à d'autres travaux. Louis XIV l'avait com-
blé d'honneurs. Il l'avait fait conseiller d'Etat , et il l'avait
nommé aumônier de la duchesse de Bourgogne. L'assemblée
du clergé île 1700 s'ouvrit. Bossuet y parut avec sa supé-
riorité accoutumée. Mais il sembla quelquefois que l'espiit
de domination perçait dans son zèle. On s'occupa de la ?«o-
rale relâchée et des moyens de réprimer la nouveauté des
idées des nouveaux casuistes. Bossuet régla les opinions. 11
fit des discours et des mémoires. Il dirigea les censures. Et
en même temps il arrêta le jansénisme, qui se ravivait. Il
était l'âme du clergé ; et son ardonte activité lui fournis-
sait des ressources pour tous les périls, et des remèdes pour
tous les maux.
Le nom dp Bossuet n'avait point paru dans les mesures
politiques de Louis XIV contre les protestants. Il suffisait à
ce grand évêque de son éloquence pour faire des conver-
sions, et son caractère bienveillant n'eût point sollicité des
rigueurs. Il avait été étranger surtout à la révocation de l'é-
dit de Nantes, mesure jugée dans tout le dix-huitième siècle
et de nos jours avec une implacable sévérité , et qui n'en fut
pas moins imposée à Louis XIV par l'opinion publique de
son temps , comme l'atteste toute l'histoire. Cet acte eut des
suites désastreuses , que les conseils de Bossuet essayèrent
de tempérer. On rouvrit les portes de la France aux protes-
tants qui en étaient sortis , à la condition qu'ils consenti-
raient à se laisser instruire. Jusque là les édits avaient été
impitoyables. On les adoucit par des instructions nouvelles,
dont l'inspiration fut due à la modération de Bossuet. Le
Languedoc avait été le théâtre où les passions s'étaient le
plus agitées ; les conseils de douceur purent paraître ef-
frayants à ceux qui exerçaient l'autorité de cette province.
Les évêqiies, de concert avec l'intendant, M. de Lamoi-
gnon de Ba,sville, qui la gouvernait avec une sorte de puis-
sance souveraine, firent des observations. Ils ne deman-
daient pas des actes d'intolérance cruelle; mais ils voulaient
que l'on pût contraindie les protestants d'aller à la messe
pour y recevoir l'instruction catholique. Bossuet repoussa
leurs demandes. C'était lui que l'on consultait pour tout re
qui se rapportait aux luttes du protestantisme. H répondait
avec autorité, comme un Père de ri':glise. Tonlesses réponses
4S2
furent pleines de tlonccur. U faut le dire à notre siècle, qui
croit peut-être que Bossuet fut despotique et farouctie, parce
qu'il y a dans sa controverse une domination devant qui
tout s'abaissse et fléchit. Bossuet traitait les protestants avec
amour, comme ses enfants égarés , mais qui enfin étaient
ses enfants», Vous l'êtes, leur disait-il, veuillez-le, ne le
veuillez pas. Dans cette circonstance, où l'éli^gant Fléchier
demandait des actes sévères, l'impétueux Bossuet comman-
dait la bienveillance; ce qui montre qu'il ne faut point se
bâter de juger un caractère d'homme par ses écrits. Il y a
quelquefois de l'hypocrisie dans le style, et rien n'est facile
à imiter comme la douceur.
Toutefois , l'indulgence de Bossuet n'eut point de fruits.
Bientôt éclata dans les Cévennes la terrible guerre desCa-
misards , dans laquelle Louis XIV fut obligé d'employer
ses génériiux ; triste épisode d'un règne dont la grandeur al-
lait s'affaiblir par toutes sortes de désastres.
L'esprit de conciliation de Bossuet jtarut encore dans une
affaire qui ne fut qu'entamée, et qui pouvait avoir les plus
grandes suites pour l'Église. Comme toute sa vie avait été
remplie par des controverses avec les protestants , son nom
avait retenti dans l'Allemagne , et y avait remue les cons-
ciences. Alors le protestantisme, malgré ses sectes , gardait
des restes de foi chrétienne , et les hommes graves et pieux
sentaient la nécessité d'opposer au catholicisme autre chose
que de l'indifférence ou de la haine. La lumière qui jaillissait
des ouvrages de Bossuet avait frappé beaucoup de regards ,
et un docteur protestant , Molanus , abbé de Lokkum , avait
été chargé d'examiner s'il n'y aurait pas de rapprochements
possibles avec l'Église romaine. Ce fut à Bossuet que s'a-
dressa Molanus , comme l'interprète de la foi catholique qui
avait acquis le plus d'autorité sur les Églises d'Allemagne.
Cette négociation combla de joie et d'espérance l'évoque de
Meaux. 11 y eut une longue suite de correspondances, où
la modération de Bossuet se fit remarquer. Tout pouvait
faire pressentir un rapprochement qui eût changé la face de
l'Europe. Mais les intrigues vinrent troubler une si noble et
si chrétienne pensée. Molanus, d'un caractère doux et con-
ciliant , fut écarté de la négociation ; Leibnitz , d'un esprit
quelque peu subtil et disputeur, s'en empara. On eut plus de
peine à s'entendre. Les correspondances furent suspendues
pendant cinq ou six ans ; elles furent reprises ensuite ; mais le
monde marchait à ses destinées ; un autre siècle s'avançait, et
bientôt le protestantisme n'allait plus être qu'une philosopliie
de plus jetée dans l'histoire des opinions humaines, et con-
damnée comme toutes les autres à disparaître après avoir
fait son temps, et avoir produit tontes ses conséquences.
Bossuet revint à ses travaux d'évêque, à ses livres, à ses
instructions , à ses luttes publiques avec l'erreur. Dans cette
carrière, qu'il avait remplie pendant plus de trente ans avec
liberté, il fut tout à coup arrêté par un acte ministériel,
qui dut singulièrement étonner son indépendance. Il s'agis-
.sait d'un livre de Richard Simon, écrivain hardi, qu'il avait
déjà eu occasion de censurer (1702). Ce livre était une ver-
sion du Nouveau Testament , remplie, disait Bossuet, de
choses fausses et funestes à la religion. Le cardinal de
Noailles, archevêque de Paris, l'avait condamné; et lorsque
Bossuet voulut le condamner à son tour, il apprit que le
chancelier de Ponchartrain avait fait défense d'imprimer la
censure, à moins qu'elle ne fût approuvée par uu docteur
de Sorbonne. Bossuet apprit ainsi ce que pouvait être la li-
berté de l'Église soumise h la domination de l'État, cl l'on
vit ce grand homme réduit à implorer l'assistance de ma-
dame de Maintenon , à qui wjcwe, disait-il, \l n'osait en
écrire : triste expiation de quehiuc faiblesse , et qui pou-
vait dans ses vieux jours l'éclairer sur la dangereuse inter-
prélalion qui pourrait êtie faite des doctrines de ics^î.
l.ouis XIV entendit toutefois les réclamations de Bossuet,
et le chancelier fut obligé de renoncer à l'élonnaute usurpa-
tion qu'il avait tentée.
BOSSUET — BOSSUÏ
Cependant la vie de Bossuet commençait à s'épuiser. Il
eut à paraître encore dans quelques luttes, soit contre le
jansénisme, soit contre la morale relâchée. Puis il futatteint
d'une maladie cruelle, la pierre, qui le conduisit lentement
à la mort. Bossuet passa par cette dernière épreuve de la
vie avec le courage que donnent la piété et la foi. La reli-
gion , en occupant toutes ses pensées , avait aussi rempli son
cœur. Sa croyance était accompagnée d'une pratique fer-
vente. Il y avait dans son âme une vive sensibilité, qui s'épan-
chait par des expressions d'amour. Il avait souvent éprouvé
aussi , au milieu de ses grands travaux de polémique ,
le besoin de traiter des sujets pieux. On ne saurait croire
tout ce qu'il a mis d'effusion dans ces sortes d'écrits. Sa dé-
votion est pleine de tendresse. Ce fut cette piété qui l'aida à
porter les contrariétés et les misères de la vie ; et ce fut elle
qui le fortifia contre les longues souffrances qui lui ouvri-
rent le tombeau. L'histoire de sa maladie est touchante. A
son dernier synode (1702), il avait annoncé sa fin prochaine,
« Ces cheveux blancs , avait-il dit à ses prêtres, m'avertis-
sent que je dois bientôt aller rendre compte à Dieu de mon
ministère. » Il se mit alors à leur parler avec un redoublement
d'éloquence et d'onction , les sollicitant de se souvenir des
conseils qu'il leur avait donnés , afin que Dieu ne lui fit pas
un reproche d'avoir négligé son troupeau. Toute l'assemblée
fondait en larmes à la voix du vieillard , qui seul gardait sa
sérénité : on le voyait tout prêt au passage de la vie à l'é-
ternité, et il en parlait avec le calme d'un chrétien qui aspire
à jouir de Dieu. Dans l'intervalle de ses douleurs, il put néan-
moins encore s'occuper d'études et de travaux de piété. Il fit
dans cette même année l'ouverture du jubilé par un sermon
qu'il prêcha dans sa cathédrale, et il en suivit les exercices
malgré sa faiblesse et la rigueur extrême de l'hiver. Il eut
aussi la force de revoir ses anciens écrits, s'attachant de
préférence à ceux qui le ramenaient à des pensées de piété.
Il s'exerça, comme pour charmer ses maux, à traduire les
Psaumes en vers français ; et enfin son dernier travail fut la
paraphrase du psaume XXI , Deus , Deus meus , respice
in me. Il regardait ce psaume comme une préparation à la
mort ; aussi son travail le consolait et le fortifiait , et il con-
sentit à ce qu'il fût imprimé , dans l'espérance qu'il pourrait
de môme affermir quelques dirétiens dans cette horrible
épreuve.
Sa maladie était arrivée an dernier degré, malgré tous les
soins et tous les secours. La cour, la ville, les gens du monde,
les prêtres, le peuple, tout s'était ému à la pensée qu'on al-
lait bientôt perdre un si grand homme. Et quant à lui , il
quittait la terre avec calme, proférant des discours touchants,
et .se réveillant du sein des douleurs pour édifier ceux qui
l'encourageaient .^ la souffrance. Bossuet finit sa vie connue
un saint ponlife, le 12 avril i70î, à l*aris, après l'avoir rem-
plie par lescombats d'un apôtre La douleur fut grande dans
toute la France. On sentait le vide immense que laissait
cette mort. De toutes parts ce furent des témoignages publics
de regrets et des hommages solennels à sa mémoire. On lui fit
de magnifiques obsèques ; une foule d'évéques y accoururent
Le père de la Rue prêcha son oraison funèbre. L'Académie
mêla ses (loges à ceux de la religion. Et enfin Rome voulut
aussi proclamer la gloire de ce grand évêque, et son oraison
funèbre fut prononcée devant les cardinaux assemblés. Ainsi
disparaissait Bossuet au début d'un sièclenouveau ; le monde
s'apprêtait à changer de face; et ces longues et savantes
controverses du dix-septième siècle allaient faire place à une
philosophie légère et cynique, devant laquelle son éloquence
même eût été sans autorité. Cependant la renommée de Bos-
suet traversa ces temps de licence. L'impiété fit grâce au
génie; on ne laissa point d'admirer ses chefs-d'œuvre.
Laihentie.
KOSSUT ( Cuari.es ), né le 11 août 1730, à Tartaras,
dans le département du Rhône, et mort k Paris, le 14
janvier isii, lut uu des mathématiciens distingués de son
BOSSUT — BOSTON
4S3
éiioque. Sa longue carrière ne manque ni d'intérêt ni d'en-
seignements. Nous le voyons, encore enfant, s'éprendre, à
la lecture des Éloges deFontenelle, d'une vive passion
pour les mathématiques , demander des conseils à ce célèbre
secrétaire de l'Académie des Sciences, et se rendre sur
son invitation à Paris. Le patronage de la jeunesse est
pour les hommes illustres un devoir, une sorte de resti-
tution à laquelle ils se sont engagés envers la fortune, qui
leur a t«idu la main. Aussi est-on plus charmé que surpris
des encouragements prodigués à Bossut. C'est le géomètre
Clairaut qui lui indique les sources de la science; c'est
D'Alcmbert qui le choisit pour son élève favori et l'initie à
ses puissantes méditations; c'est Camus, examinateur des
élèves du génie, à Metz, qui le présente au comte d'Ar-
genson, ministre delà guerre, et le fait nommer professeur
de mathéjnatiques à l'école du génie. Sous l'inspiration de
si grands maîtres, on conçoit qu'il eût à vingt-deux ans
donné assez de gages de son talent pour être admis parmi
les correspondants de l'Académie des Sciences. Pendant
seize années de professorat assidu, il donna la solution de
plusieurs problèmes difficiles, et publia des ouvrages re-
marquables sur les mathématiques pures, la mécanique,
la dynamique et l'hydrodynamique, fut couronné dans
plusieurs concours académiques, et eut la gloire de partager
des prix avec les Euler et les Bernoulli. Tous ces travaux
le conduisirent à hériter des deux places de son protecteur
Camus à l'Académie des Sciences et à l'École de Metz.
Un des principaux mérites de Bossut est d'avoir rendu
populaires, par des méthodes aussi simples qu'élégantes,
des questions d'abord réservées aux seuls savants. Son
Cotirs de Mathématiques , où l'ordre, la clarté, l'esprit
philosophique, ne laissaient rien à désirer, partagea la
vogue de celui de Bezout, et lui valut une certaine aisance.
Aussi, quand la révolution vint lui enlèvera la fois son
titre d'académicien, sa place d'examinateur et la chaire
d'hydrodynamique, récemment fondée pour lui, il put se
créer une retraite à l'abri des humiliations qu'impose la
misère ; il dut sans doute à son isolement d'avoir échappé
aux coups de la tempête, dont furent frappées tant d'il-
lustres victimes. Il reparut quand le calme se rétablit, fut
nommé membre de l'Institut lors de sa formation, et suc-
cessivement examinateur de l'École Polytechnique et
membre de la Légion d'Honneur.
C'est pendant son exil, au sein de la patrie, qu'il com-
posa sa fameuse Histoire des Mathématiques , ouvrage qui
retrace avec bonheur les progrès des connaissances hu-
maines sur les nombres, les grandeurs, leurs rapports et
leurs applications, et signale au respect des honmies et à
l'émulation de la jeunesse les noms des savants qui ont
agrandi de ce côté le domaine de la pensée. Les géomètres
le trouvèrent superficiel ; mais il était fait pour les gens du
monde, qui le lurent avec avidité; le livre eut deux éditions
en moins de six ans. On a reproché à Bossut, avec une
aigreur qui remplit ses dernières années d'amertume, de
n'avoir pas apprécié avec assez de soin les travaux contem-
porains. Le reproche n'était pas sans fondement; mais c'était
le pousser jusqu'à l'injustice que de mettre en doute l'im-
partialité d'un homme dont la probité et la roideur même,
dans ses délicates fonctions d'examinateur , ont été prover-
biales. Le comte de Muy, ministre de la guerre, signait
sans les lire les tableaux d'examen que lui présentait Bossut :
« Je signe aveuglément , disait-il ; j'ai éprouvé qu'il ne faut
pas regarder apiès vous. »
Ce fut un grand service rendu par Bossut aux sciences
et aux lettres que la publication des Œuvres complètes de
Pascal. Pour la première fois on connut ce grand homme
tout entier. Bossut, dans un discours préliminaire, remar-
quable par l'élévation et la pureté du style , justiiie de son
admiration passionnée pour Pascal. Aussi bien entre ces
deux hommes peut-on saisir plu? d'tmc ressemblance.
Quand Bossut observe avec satisfaction que « Pascal , ce
profond raisonneur, était en même temps un chrétien
soumis et rigide » , il se peint lui-même dans ce peu de
mots. Il avait toute la rudesse et l'austérité de Port-Royal ,
et son caractère ombrageux et défiant , non moins que la
sévérité de ses goûts, l'éloignait du monde; mais quand il
trouvait à qui se livrer, il apportait dans le commerce de
la vie une effusion de bienveillance , une richesse de sen-
timents , qui lui ont valu beaucoup d'amis dévoués.
La création dé l'Institut lui avait rendu ses honneurs et
ses places ; et lorsque , après quarante ans de bons services
et de travaux éminents, il fut forcé par l'âge et les infir-
mités de renoncer à ses fonctions d'examinateur, le gou-
vernement fit acte de justice et de noblesse en lui en con-
servant le traitement. A. Des Ge:hevez.
BOSTAJVDJY, c'est-à-dire, gardiens des jardins,
nom d'un corps d'environ six cents hommes organisé mili-
tairement et chargé de la garde du sérail du sultan. Son
chef, le Bostayidj y-Baschi exerce en même temps une sur-
veillance sur l'extérieur , sur les jardins du sérail, sur le canal
et les maisons de plaisance, et il accompagne le giand-
seigneur dans toutes ses promenades.
BOSTELLES {Bostœllen). Voyez Suède.
BOSTOIV, chef-lieu de l'État de Massachusett s,
situé dans une jolie position , au fond de la baie de Boston
ou de Massachusetts, sur une presqu'île qui ne se rattache
au continent que par l'étroite langue de terre de Boslon-
Neck, en face de l'embouchure de la rivière de Charles.
C'est, après Philadelphie, New- York et Baltimore, la plus
belle ville maritime des États-Unis. Elle se divise en trois
quartiers : le Boston septentrional , le Boston méridional,
et le Boston occidental ou Nouveau Boston, et compte
environ 140,000 habitants. Des ponts de bois mettent en
communication les diverses parties de la ville, ainsi que
Boston avec Cambridge et Charleston. Le Nouveau-Boston ,
où demeurent les plus riches négociants, est régulier et
bien bâti. Le port, défendu par des fortifications, peut con-
tenir plus de cinq cents navires, et est assez profond, même
dans le temps du reflux , pour recevoir les plus grands vais-
seaux. Les nombreuses îles delà baie de Boston le protègent
contre les vents , en sorte que ce serait le meilleur port des
États-Unis si l'entrée en était moins étroite. En dehors
s'élève un phare de vingt mètres de haut. Les chantiers et
le débarcadère sont commodes, vastes et bien tenus ; les rues
propres, pavées et garnies de trottoirs de trass. On ne
compte pas moins de quatre-vingt-dix-huit églises ou ora-
toires appartenant aux différentes communions chrétiennes,
mais aucun n'est remarquable sous le rapport de l'archi-
tecture.
Parmi les édifices publics on cite l'Hôtel des États, vaste
bâtiment de bois, d'un mauvais style; l'Alhénée, fondé
en 1804, avec une bibliothèque de 40,000 volumes ; l'hôpital
Massacliusetts et le marché {Quincy market), consiruHs
tous deux en granit ; le nouveau Palais de Justice (Court-
house); l'hôtel Trémont, dont la façade est ornée de co-
lonnes doriques ; la Bourse et plusieurs banques. Boston
possède trois théâtres, une prison admirablement tenue, et
depuis 1831 un institut pour les aveugles. Au nombre des
établissements scientifiques, il convient de citer principa-
lement l'Académie américaine des Arts et des Sciences , la
société d'Histoire et celle de Médecine. Plus de cinquante
écoles, destinées à l'instruction du peuple, sont parfai-
tement administrées, et la Bowditch-Library, bibliothèque
extrêmement fréquentée, répond sufTisammeiit aux besoins
de la population. Les imprimeries, au nombre de soixante-
dix-sept en 1846, publient de nombreux écrits périodiques,
entre autres la Revue de VAmériqtie du Nord.
Dans le voisinage immédiat de la ville on trouve East'
Boston, dont la fondation ne remonte qu'à 1836, et les
bourgs de Roxbury et de Charleston , ayant ensemble
&1.
liOSTON — BOSTRICHES
4»\
«ne population de plus de. vingt-quatte mille liabitants;
jiliis loin , dans une circonférence de quinze à trente Ui-
ioinètres : la ville de Salem, qui fait un commerce considé-
ralile; celle de f.ij»)i , remarquable par ses fabriques de
souliers; celle de Morblelicad et àa Amttuchet , dont les
habitants se livrent à la pôclie de la baleine; et celle de
Lou-cll, la ville de fabrique la plus importante de toute
l'Union. Governors-island , petite ile appartenant à Boston,
est remarquable, comme le lieu natal de IJenjamin Franklin,
Les trente-quatre banques de Boston sont regardées
comme les plus solides de 1 Amérique ; il en est de même de
ses trente et une compagnies d'assurances. Les premières,
dont le capital s'élève à plus de 195 millions de francs,
n'ont jamais suspendu compktcmcnt leurs payements. Des
cliemins de fer, dont les intérêts sont représentés à Boston
par vingt sociétés, relient cette ville à Lowell, Springlield,
Worccster, Quincy, Providence, Albany et New-York. De
toutes les villes de l'Union , c'est Boston qui fait le com-
merce de cabotage le plus important; l'importation des
])roduits étrangers s'y élève à environ 108 millions, l'expor-
taliDU à Gj millions de francs.
Boston fut l'ondée, en 1G30, par des émigrés venus en
partie de Boston, ville du comté de Lincoln en Angleterre
avec une population de l'i,!)CO habitants. La ville améri-
caine porta d'abord le nom de Trimountain , à cause des
trois collines sur lesquelles elle est bâtie. Au bout de dix
ans, sa population s'élevait à quatre mille âmes, l'iustard,
elle prit le nom de Boston en l'honneur de Cotton, ardent
ami de la liberté, qui, après avoir rempli les fonctions pas-
torales à Boston en Angleterre, fut appelé à desservir la
première église du Boston d'Amérique. Quoique détruite
en partie i)ar un tremblement de terre en 1727 , elle
comptait dix-huit mille habitants au milieu du dix-huitième
siècle. C'est à Boston que le peuple commença la révo-
lution, au mois de décembre 1773, en jetant à la mer le
thé importé d'Angleterre. Le port fut fermé par un acte
du parlement. C'est dans le voisinage que la lutte s'engagea
par le combat de Bunkershill , le 17 juin 1774. Cette affaire,
en mémoire de laquelle on doit élever une colonne de
granit de deux cents pieds, fut suivie du siège de Boston,
«lans les années 177.'j-1776. Boston doit sa prospérité éton-
nante à sa situation, qui y attire de nombreux émigrants ,
surtout de l'Allemagne.
BOSTON (Jeu de). Les idées philosophiques qui fer-
mentaiont dans toutes les tètes vers 1770, et la haine sé-
culniie, et pour ainsi dire innée, des Français contre les
Anglais, haine avivée par le .souvenir récent du honteux
traité de 1703, hrcnt accueillir avec laveur la nouvelle de la
révolte des colons de l'Araérique , <i!ie l'on appelait alors
lusurgcnts ou Bostoniens, de Boston, ville d'oii était
parti le signal de la résistance. Ce fut par suite de cette
sympathie que d'un accord tacite tous les gentilshommes
provinciaux renoncèrent à l'amusement favori du jour, le
whist, jeu d'origine anglaise, et lui substituèrent un jeu
nouveau, ((ue par opposition ou nomma Boston.
Le boston se joue à quatre personnes , avec un jeu de
cinquante-deux cartes, dont la valeur est ainsi réglie : as, roi,
dame, valet, etc.; mais le valet de carreau, qu'on appelle
boston , fait exception ; c'est la carte la plus forte de toutes,
de sorte qu'il y a toujours quatorze atouts dans le jeu , sa-
voir : les treize cartes de la couleur de la retourne et le boston,
qui domine toutes les autres. Quand la retourne est en
carreau, le valet de carreau n'est qu'un atout prenant rang
après la dame, et le valet de cieur est boston.
Les places et la donne se tirent au sort. Chacun ensuite
garde sa place pendant la partie entière , qui est de dix
tours. Les mises étant faites et placées dans une corbeille ,
le joueur qui a la main donne treize caries à chacun, trois
par Irois ou quatre par (pialre , puis une, et il retourne la
Jernitrc, qui annonce la couleur de i'alout, et qui est et
demeure la belle pendant les dix tours : chaque donneur
retourne pourtant aussi la dernière carte, mais celte re-
tourne n'est qu'en petit, c'est-à-dire inférieure à la belle.
Cette retourne reste à découvert sur le tapis, jusqu'à ce
que le premier à jouer ait jeté une carte sur la table ; le
donneur prend ensuite la retourne, qui complète son jeu.
Alors, et alors seulement, le premier joueur à la droite
du donneur dit : Je passe, s'il ne trouve pas son jeu suf-
fisant , ou bien : Je demande en cœur, ou en carreau ,
trèfle ou pique, selon qu'il a beau jeu en une de ces cou-
leurs. Si un des autres joueurs a un jeu suffisant dans la
couleur demandée, il dit : Je soutiens, et dès lors le de-
mandeur et le souteneur ou accepteur, sont associés.
Un joueur ayant demandé en petite, si un autre demande
en belle , la demande en petite est annulée. En général
toute demande est annulée par une demande supérieure.
Les demandes sont classées dans cet ordre , en allant de
l'inférieure à la supérieure : la demande eii petite, la de-
mande en belle, la demande de solo en pttite indépen-
dance, la demande en grande indépendance , la demande
de faire seul neuf levées dans la couleur qu'on désignera,
ta demande de faire neuf levées en petite , la demande de
faire neuf levées en belle et la demande de misère.
Le joueur qui demande et n'est soutenu de personne
joue seul contre les trois autres; alors il lui suffit de faire
cinq levées pour gagner l'enjeu et pour être payé en outre
par les perdants , d'après un tarif annexé à tous les jeux de
Ijoston. S'il fait moins de cinq levées , la corbeille appar-
tient aux trois autres joueurs , et le perdant leur paye en
outre ce qui lui eût été payé s'il eût fait son devoir, c'est-
à-dire cinq levées.
La demande étant acceptée, le demandeur et l'accepteur
doivent faire au moins huit levées à eux deux pour gagner
la corbeille, et être payés selon le tarif. Le demandeur et
l'accepteur qui ne font pas leur devoir, c'est-c»-dire le nom-
bre de levées suffisant pour gagner, payent aux deux autres
joueurs ce qu'ils on auraient reçu s'ils eussent fait huit
levées, indépendamment de la corbeille. Ils mettent en
outre à la corbeille autant de jetons qu'elle en contenait, ce
qui s'appelle /aire la bête. Mais, sur le nombre de lîuit
levées, le demandeur doit en faire au moins cinq et le sou-
teneur au moins trois. Celui des deux qui ne remplit pas ces
conditions , paye seul à ses adversaires ce qu'il eilt gagné
en faisant le nombre voulu et en plus deux fiches de con-
solation à chacun.
Le joueur qui demande Vindépendance ou solo doit
faire au moins huit levées pour gagner la corbeille et être
payé eu outre comme il est dit au tarif. S'il fait moins de
huit levées , il perd ce qu'il eût gagné les ayant faites.
La misère consiste à ne pas faire une seule levée , ce
qui est d'autant plus difficile que trois joueurs se trouvent
alors ligués contre un seul. La demande de misère anéantit
le boston et les atouts. Si le joueur qui a demandé misère
gagne, il prend la corbeille et reçoit de chaque joueur le
prix indiqué au tarif pour ce coup. S'il perd , il paye autant
qu'on lui eût payé s'il eût gagné. En cas de gain , il ne paye
ni ne peut se faire payer boston; mais s'il perd et qu'il n'ait
pas bosfon , il le paye à chacun des trois autres joueurs.
Les levées qu'un joueur qui demande fait en sus de son
devoir lui sont payées d'après le tarif; s'il fait toutes les
levées, ce qui s'appelle faire la vole ou chelem, le devoir
et les autres levées se jiayent double. Au demandeur qui n'est
pas soutenu, ilsullit de faire huit levées pour faire chelem.
En jouant, on doit fournir de la couleur demandée, sans
cependant être obligé de forcer. Bien plus, quand on n'en a
pas, on n'est pas forcé de couper.
BOSTRICHES, nom donné par Geoffroy à un genre
de coléoptères de la famille des xylopliages ou mangeurs
de bois. Ce genre a été pris pour type de la tribu des bos'
tricJiins ou bostricfiiens.
BOSTRICHES -
Lesbostricfies sont ainsi nommés de pôdTpuxo; , boucle de
cheveux , parce que le bostrichus capucinus , qui leur sert-
de type , a le corselet couvert d'aspérités velues qui, jointes
à sa couleur noire et à sa forme bombée, le font ressem-
bler à la chevelure crépue du nègre.
Ces coléoptères sont généralement très-petits. Leur corps
est cylindrique. Les élytres sont tronquées ou plutôt cour-
bées et dentées à leur extrémité. Une tôle globuleuse , s'en-
fonçant dans le corselet ; des palpes très-petits et coniques;
des antennes à funicule de cinq articles , courtes et termi-
nées en une massue solide ; des tarses ayant leurs trois
premiers articles égaux ; tels sont les principaux caractères
qui distinguent les bostriches.
Les larves de ces insectes attaquent les arbres résineux.
Lorsqu'elles sont très-miiltipliées, ce qui n'arrive que trop
souvent, elles causent de grands dégâts dans les forêts en
vivant aux dépens de l'aiibier, qu'elles sillonnent dans tous
les sens , de manière (jue l'écorce linit par se détacher du
tionc.
I{0STRyCI10MAi\CIE(du grec pôdTpvxo; , boucle
de cheveux, (iavTsia, divination), sorte de divination par
l'inspection des cheveux.
BOT (Pied-). Voyez Pied-bot,
BOTA, nom d'une mesure de liquides en usage en
Espagne et en Portugal, et qui équivaut à 30 arrobas mayo-
rcs {voyez Arrobe), ou environ 480 litres.
BOTAL (Trou de). C'est le nom que l'on donne, en
anatomie , à cette large ouverture par laquelle le sang cir-
cule chez le fœtu s ; elle est située sur la cloison commune
des oreillettes du cœur, et fait coinnnmiquer ces deux cavités
ensemble. Le nom de cette ouverture lui vient de Léonard
Uota! , qui écrivait en 15G2; on paraît cependant londé à
croire qu'elle était connue avant lui , et que Galien eu au-
rait parlé.
BOTANIQUE (de potâvri , herbe, plante) est le nom
donné à la science méthodique qui traite de tout ce qui a
rapport au règne végétal. Depuis la plante que le micros-
cope seul peut offrir aux regards jusqu'au chêne majestueux,
tout ce qui végète est du ressort de la botanique. Elle em-
brasse non-seulement la connaissance des plantes , mais
les moyens de parvenir à cette connaissance, soit par la
voie d'un système qui les soumette à une classification artifi-
cielle, soit par la voie d'une méthode qui les coordonne
dans leurs rapports naturels.
La botanique est de tontes les parties de l'histoire na-
turelle celle qui présente en même temps et les objets d'u-
tilité les plus nombreux et les agréments les plus variés ;
envisagée dans ses applications, elle occupe un des pre-
miers rangs parmi les sciences les plus imporlantes à l'exis-
tence de riiomnie; et , par sa liaison avec les autres sciences
physiques, elle reçoit et donne tour à tour des liimières
qui servent à perfectionner l'étude de l'agricuiture, de la
médecine, de l'économie rurale et domestique, et qui pro-
litent môme aux arts qui ont en apparence le moins de
rapport avec elle. » Le premier malheur de la botanique,
a dit Rousseau, est d'avoir été regardée dès sa naissance
seulement comme une partie de la médecine. Cela fit qu'on
ne s'attacha qu'à trouver ou à supposer des vertus aux
plantes ,et qu'on négligea la connaissance des plantes mômes :
car comment se livrer aux courses immenses et continuel-
les qu'exige cette recherche, et en môme temps aux tra-
vaux sédentaires du laboratoire, applicables au traitement
des malades, par lesquels on parvient à s'assurer de la na-
ture des substances végétales et de leurs effets sur le corps
humain.' Cette fausse manière d'envisager la botanique en
a longtemps rétréci l'étude, au point de la borner presque
aux plantes usuelles, et de réduire la chaîne végétale à un
petit nombre de chaînons interrompus. Encore ces chaînons
mêmes ont-ils été très-mal étudiés , pai ce qu'on y regardait
seulement la matière, et non pas l'organisation. Comment se
- BOTANIQUE .fss
serait-on beaucoup occupé de la structure organique d'une
substance , ou plutôt d'une masse ramifiée , qu'on ne son-
geait qu'à piler dans un mortier? On ne cherchait des plantes
que pour trouver des remèdes ; on ne demandait pas des
plantes, mais des simples... Il en est résulté que si l'on
connaissait fort bien les remèdes , on ne laissait pas de
connaître fort mal les plantes. » Rousseau a beaucoup aidé
à faire sortir la botanique de cette voie aride , et il a sur-
tout contribué par ses écrits à la rendre populaire. Aujour-
d'hui ce n'est plus une science cultivée par les savants
seuls ; elle fait partie de l'éducation générale, et les gens
du monde y trouvent un plaisir pur, qui accompagne par-
tout et sans cesse celui qui se livre à ses distractions; un
plaisir que l'ennui ne flétrit point, que le remords ne fait
jamais regretter ; un plaisir surtout que l'on peut avouer,
que l'on partage d'autant plus volontiers qu'en augmentant
le nombre de ceux qui s'y adonnent on multiplie eu môme
temps ses richesses. Il n'est point d'étude plus satisfaisante,
plus intéressante, plus digne enfin de l'homme. Voir, ad-
mirer, suivre la nature pas à pas, être étonné de sa sagesse,
de sa simplicité et de sa fécondité ; étudier, apprendre et
savoir, ou du moins compter sur quelque chose de certain,
car tout dans cette étude est faits , apparence , réalité .
telle est la science de la botanique et sa plus exacte défi-
nition.
Les auteurs divisent la botanique de diverses manières.
Cependant ils s'accordent généralement à reconnaître à
cette science cinq branches principales : Yor g ano gra-
phie, la taxonomie, \a.p//y(ogrophie, la géographie bo-
tanique et la botanique appliquée.
On désigne sous le nom iVorganographie la partie de la
botanique qui traite de la description des organes ou parties
consîitu;mtes du végétal : la pliysiologie végétale s'y
ratlaelie naturellement. La taxonomie est l'application des
lois générales de la classification an règne végétal. L'ait de
décrire les caractères particuliers à une espèce, à un genre,
à une famille , constitue la phytographie. La géographie
botanique étudie la distribution des végétaux à la surface
du globe. Enfin on a donné le nom de botanique appliquée
à cette branche de la science qui s'occupe des rapports utile*
existant entre l'homme et les végétaux : elle se subdivise en
botanique agricole, en botanique médicale, en botanique
économique et industrielle.
Les Égyptiens sont regardés comme les premiers qui .se
soient appliqués à l'étude de la botanique; on veut môme
que dès les premiers temps ils aient composé des traités
sur cette science. Dans le nombre prodigieux des livres at-
trilmés à IMercure-Trismégiste , on prétend qu'il y en avait
plusieurs qui traitaient de la vertu des plantes. « Nous trou-
vons dans l'Écriture Sainte, dit Goguet, un témoignage bien
positif et bien ancien des progrès que la botanique avait
faits dans certains pays. Moïse nous apprend que dès le
temps de Jacob les Égyptiens étaient dans l'usage d'embau-
mer les corps, ce qui prouverait que ces peuples s'étaient
occupés des propriétés des simples. » Presque tous les fa-
meux personnages grecs des siècles héroïques se sont «lis-
tingués par leurs connaissances dans cet art. Dans ce nombre
on compte Aristée, Jason, Télamon, Teucer, Pelée, Achille,
Patrocle, etc. Us avaient été instruits par le centaure Chi-
ron , que ses lumières avaient rendu l'oracle de la Grèce.
Médée n'a dû qu'à la science profonde de la botanique et à
l'usage criminel qu'elle fit de ses découvertes la réputation
de magicienne.
Mais, sans remonter jusqu'aux époques fabuleuses, il
est certain que dès la plus haute antiquité des philosophes
ont occupé leurs loisirs par l'étude des plantes. Peut-être
étaient-ils parvenus même à saisir quelques analogies, quel-
ques rapports de formes sur lesquels ils avaient fondé des
divisions , et par conséquent avaient-ils créé des systèmes ;
mais ceci n'est qu'une conjecture hasardée, car leurs ou-
48f>
vragfs ne sont pas jiarvenus jiis(iu'ù nous, et nous ne sa-
vons qu'ils se sont occupés de l'élude de la l)()tani(iue que
par les citations d'auteurs moins anciens quVux. Les ou-
vrages d'Aristote lui-môuie ne nous sont arrivés, du
moins sur cette matière, que par fragments, et encore
sont-ils tronqués et défigurés par l'auteur arabe qui nous
les a transmis. 11 semble beaucoup plus probable, toute-
fois, que les anciens, comme nous lavons déjà dit, n'ont
cultivé la botanique que dans la vue d'en tirer des secours
pour soulager riiumanilé. Les seules plantes qui étaient re-
gardées comme foiunissant à la médecine des remèdes cer-
tains fixèrent l'attention des Hippocrate , des Cratéras et
des Tbéopbraste. Ces tiois anteius grecs nous ont donné la
description de celles qui étaient connues et en usage de leur
temps. Hippocrate ne nouune et ne décrit la ju-opriété (jue
de deux cent trente-quatre. Cratéras est entré dans déplus
grands détails. l\Iais c'est à Tliéophraste , qui nous a laissé
seize livres sur les phntes, que nous devons l'histoire des
connaissances des Grecs en botanique. Par malheur, il règne
une si grande obscurité dans ses ouvrages, soit par rapport
aux descriptions, soit par rapport aux noms qui ne sont
plus les mêmes à présent , que l'on ne peut en tirer tout l'a-
vantage qu'ils sembleraient promettre.
Les Romains, plus occupés à faire des conquêtes et à
étendre leur empire qu'à acquérir des connaissances, ne
coumiencèrent guère à écrire qu'après les tiiomphes de Lu-
cullus et la défaite de Mithridate. Les ouvrages de Valgius,
Musa, Euphorbius, /Kmilius Macer, Julius Bassus, Sextius
Kiger, ne sont connus que parce qu'ils sont cités par Pline,
et la botanique ne fit pas de grands progrès entre leurs
mains. Caton et Varrou s'occupèrent directement de l'a-
griculture. Dioscoride donna de l'attrait et de l'intérêt à la
botanique en faisant non-seulement l'histoire des herbes,
conune on avait fait jusqu'à son temps, mais encore en
donnant celle des arbres, des fruits, des sucs et des liqueurs
que les végétaux fournissent. Dans son ouvrage, il fait
mention d'environ six cents plantes, sur lesquelles il en dé-
crit quatre cent dix , nous laissant ignorer les noms et les
propriétés des autres. A peu près-dans le même temps, Co-
lumejle, le père de l'agriculture, composait sur cet objet
un grand ouvrage, dont il nous re.4e encore treize livres, et
<pii se rattache à la botanique pour les excellents préceptes
qu'il donne aux cultivateurs, et qui conviennent à tous les
temps et presque à tous les pays. Pline vint ensuite, qui
nous a laissé l'état exact des connaissances des Romains en
hotanicpie; il a décrit les plantes, comme dit Gesner, en phi-
losophe, en historien, en médecin et en agriculteur. Pline
jiorte le nombre des plantes conimes de son temps à près
de mille. Galien, dont la médecine se glorilie à si juste
titre, et que ses ouvrages font jilacer à côté d'Hippocrate,
après un très-grand nombre de voyages dans différents pays,
s'appliqua à donner à ses contemporains une histoire des
l)lantes faite avec le i)lus grand soin. 11 faut mettre les œu-
vres de Palladius avec celles de Caton , Varron et Colu-
melle , et dire que les Romains ont en générai plutôt écrit
sur l'agriculture que sur la botanique.
Après la chute de l'empire romain, la botanique, cette
science si utile, fut absolument négligée, et elle resta dans
l'oubli jusqu'au temps des Arabes. Ce peuple conquérant,
après avoir soumis au Coran la moitié de l'ancien hémi-
sphère, se livra à l'étude des sciences durant les beaux
jours qui distinguèrent le règne de ses principaux califes;
mais se» docteurs embrouillèrent plutôt qu'ils n'expliquè-
rent la botani(}ue des anciens Grecs et Romains. Sérapion,
Rhazès, Avicenne, Averroès, Abenbitar, etc., furent
des commentateurs plus obscurs que les auteurs dont ils
8'érigèrent les interprètes. Cependant, on doit leur savoir
gré de leurs travaux; ils ont tiré de la nuit de l'oubli les
ouvTages qui nous restent. Après eux , l'ignorance étendit
sou voile éjiais, et enveloppa l'univers de ses ténèbres jus-
BOTANIQUE
qu'à la fin du quinzième siècle, où l'on commença à s'occu-
per avec quelque suite de l'étude de la botanique. Insensi-
blement, c« goût s'accrut; la science prit une forme, les
plantes furent examinées et étudiées de plus près , et las
voyages, les veilles et les travaux de Daléchamp, de Bélon,
traducteur de Tliéophraste et de Dioscoride , de Césalpin ,
de Clusius, de Lohel, de Prosper Alpin, des deux frères
Rauhin, de Parkinson, de Magnol, etc., nous ont fourni
ce que la botanique a de plus précieux et de plus exact,
et ont amené les siècles heureux où elle est devenue une
science comjilète et digne de fixer entièrement l'attention
de l'homme qui cherche à s'instruire.
Avec le dix-huitième siècle commence pour la botanique,
sous le rai)poi t de la taxonomie , une ère nouvelle , qui
s'ouvre brillamment par l'apparition du système de Tour-
ne fort, et dès lors l'histoire de cette science est toute ou
presque toute dans l'exposition de cesméthodes de clas-
sification auxquelles se rattachent essentiellement son
existence et son avenir.
En comparant les végétaux les uns avec les autres , on
s'est aperçu qu'un certain nombre offraient des caractères
presque entièrement semblables , et jouissaient de la pro-
priété de se reproduire avec ces mêu-.es caractères. Chacun
de ces végétaux a formé ce qu'on appelle un individu, et
la réunion de tous les individus semblables , considéréo
comme un être abstrait, a constitué une espèce. L'espèce
est donc la collection de tous les individus qui se ressem-
blent plus entre eux qu'ils ne ressemblent à tous les autres,
et qui peuvent, par une fécondation réciproque, repro-
duire de nouveaux individus fertiles et semblables à eux ,
de telle sorte qu'on peut, par analogie, les supposer tous
sortis originairement d'un seul individu. Les individus com-
posant une espèce peuvent offrir quelques différences de
grandeur , de coloration , d'odeur, etc., ( t tous ceux qui
présentent la même modification peuvent être compris sous
le nom de variété. Ces modifications de l'espèce sont ducs
à l'intluence des circonstances extérieures , telles que le
changement de sol et de climat , et à Vhybridité, c'est-à-
dire au croisement des races. Elles diffèrent des espèces
proprement dites en ce que dans l'élat de nature elles ne
se reproduisent point de graines avec tous leurs caractères.
En comparant les espèces entre elles, on a vu que certaines
se ressemblaient beaucoup par tout l'ensemble de leur
structure , sans jamais cependant pouvoir se changer l'une
dans l'autre. On a fait de la réunion de ces espèces sem-
blables une nouvelle association, qui a été désignée par le
nom de genre. Le genre est donc la collection des espèces
qui ont entre elles une ressemblance frappante dans l'en-
semble de leurs organes. C'est surtout dans les organes de
la fructification que se trouve marquée au plus haut point
la ressemblance des espèces d'un même genre; les caractères
qui servent à les distinguer entre elles sont en général tirés
des organes de la végétation, c'est-à-dire des feuilles, de la
tige et des racines.
Les principes de nomenclature universellement admis en
botanique sont ceux que le célèbre Linné a établis le pre-
mier , et qui consistent à composer le nom d'une plante de
deux mots , l'un substantif et l'autre adjectif. S'il avait fallu
avoir un nom distinct pour chaque végétal, le nombre en
eût été prodigieux. Linné eut l'heureuse idée de ne désigner
par des noms substantifs que les genres, beaucoup moins
nombreux que les espèces : ces noms substantifs, communs
à toutes les espèces d'un genre, et analogues en quelque
sorte à nos noms de famille , furent appelés 7ioms gêné-
ri'jues, et pour avou* une dénomination qui fût propre à
chacune des espèces du genre, Linné n'eut besoin que d'a-
jouter au nom générique une épithète qui indiquât quelque
particularité de l'espèce. Ces adjectifs, qui variaient d'une
es|)èce à l'autre dans le même genre , et qui étaient ana-
logues à nos noms de baptême, il les appela ?ic»;n5 spéci-
1
BOTANIQUE
fiques. Par cette ingénieuse combinaison , le nombre im-
mense des noms de plantes se trouva réduit à un terme peu
considérable, eu égard au nombre des espèces. Aujourd'hui
deux mille noms de genres et une quantité de noms spé-
ciliques beaucoup moindre suffisent pour désigner les qua-
rante ou cinquante mille végétaux connus. Il faut remar-
quer que les noms d'espèces, qui sont toujours des adjectifs ,
peuvent être employés plusieurs fois , non dans un même
genre , mais dans des gem'es différents , puisqu'ils sont
joints à des substantifs dont ils ne font qu'indiquer une
qualificalion.
De même qu'en groupant ensembje les espèces qui ont
entre elles une analogie marquée on en a fait des genres,
de même en réunissant les genres qui se ressemblent beau-
coup et qui sont liés par des caractères communs on en
compose des tribus nouvelles, appelées ordres ou familles,
et qui ne sont autre chose que de grands genres. Les ordres,
groupés ensuite d'après un caractère plus général , forment
les classes, qui sont lesdi\isions les plus élevées du règne
végétal.
Mais, quoique soumises à celte marche commune, et
s'accotdant même en général dans l'établissement des genres
et des espèces , les classifications en botanique peuvent dif-
férer beaucoup, selon les principes suivis dans la forma-
tion des divisions supérieures. On peut en effet établir ces
divisions d'après des caractères tirés d'un seul organe ou
d'un petit nombre d'organes, en négligeant tous les autres ;
ou bien on peut les établir d'après les caractères fournis
par l'ensemble de l'organisation étudiée dans ses détails.
Aussi l'on connaît aujourd'hui en botanique un assez grand
nombre de méthodes que l'on peut rapporter aux trois
sortes suivantes : les méthodes anaUjtïqiies ou dicho-
tomiques, les méthodes ou systèmes artificiels, et les
méthodes naturelles.
Les méthodes analytiques ou dichotomiques ne satis-
font qu'à l'une des deux exigences de toute classification,
, à celle de faire arriver aisément au nom d'une plante : telle
est la méthode de Lamarck.
Les méthodes ou systèmes artificiels , qui participent
également du système et de la méthode, mais auxquelles on
s'accorde assez généralement à donner le nom spécial de
systèmes, ont pour but principal de faire trouver avec plus
ou moins de facililé le nom des êtres qu'elles comprennent ;
en même temps elles nous font connaître quelques-uns
de leurs rapports, mais seulement lorsqu'on envisage ces
êtres sous un point de vue particulier. Ce qui distingue
un pareil système, c'est que les caractères des classes sont
tirés tous des modifications d'un seul organe ; tel est le sys-
tème connu sous le nom de méthode de Tournefort , qui
est basé principalement sur la considération des dillëreutes
formes de la corolle, et tel est encore le système de Linné,
dont les classes sont établies sur des caractères tirés uni-
quement des organes de la génération.
Les méthodes naturelles , qui ont pour but principal
de faire connaître les vrais rapports des végétaux, retien-
nent communément le nom spécial de méthode ; mais il
semble qu'on devrait plutôt leur donner le nom de système
naturel, celui de méthode convenant beaucoup mieux aux
classifications qui n'ont d'autre objet que df tracer une route
pour arriver promptement au noni d'une piaule. Leurs di-
visions ne sont point établie* d'après la considération d'un
seul organe; mais les caractères offerts par toutes les par-
ties des plantes concourent à les former ; telle est la mé-
thode de Jussieu.
La méthode ou plutôt le système de Tournefort comprend
vingt-deux classes, dont les caractères sont tirés de la con-
sistance et de la grandeur de la tige , de la présence ou de
l'absence de la corolle, de l'isolement de chaque fleur ou
de leur réunion dans un même involucre, de l'intégrité ou
de la div'ision de la corolle de sa régularité ou de son irré-
487
gularité. Elle se résume dans le tableau suivant, qui en in-
dique les vingt-deux classes :
monopétales
régulières. .
1 Irrégulières.
polypétales
I régulières. . .
1 Campantformes. . , j
I Infundibuliformes.. j
) Personriées «
I Labiées ^
Crucifères \ g
7
8
9
Rosacées
Oinbellifères.
Caryophillées
\ Lill.ncées. . .
irrégulières.. ' r^PJi'°?ff ^"
composées.
Arbres. Fleurs.
• --K = . ... 10
î Anomales u
ÎFIosculeuses j|
Semi - flosculeuses. la
apecaies î^!*!"."'. ! i ! ' " ' j»
dépourvus de fleurs ' ' * ig
dépourvus de fleurs et de fruits '■'.'.'.'.'.'.' ij
aoétales i Apétales proprement dites! '. ig
^•"^'■"^ ♦ Amentacees 19
monopétalcs " jq
(polypétales. • • { ^Snacées.*.' / / / : J ! ! Ii
Tournefort, par l'établissement rigoureux des genres et
des espèces, a rendu de grands services à la sciencef; mais
un grand vice de sa méthode est cette division inutile des
végétaux en herbes et en arbres, d'où résulte la répétition
de plusieurs genres.
De tous les moyens inventés pour coordonner les végé-
taux et faciliter la recherche de leurs noms , le système de
Linné est sans contredit un des plus simples : aussi a-t-il
été presque généralement adopté. Il repose entièrement sur
les caractères que l'on peut tirer des organes reproduc-
teurs , c'est-à-dire des étamines et des pistils. Les classes
sont établies d'après les étamines; les ordres ou subdivi-
sions des classes le sont, en général , d'après les pistils.
Ce système comprend vingt-quatre classes, dont vingt sont
consacrées aux plantes à fleurs hermaphrodites, trois aux
plantes à fleurs unisexuelles , et une seule aux plantes à
IleiH-s nulles ou invisibles. Les dix premières classes ren-
ferment toutes les plantes à fleurs hermaphrodites, dont les
étamines sont libres , égales et en nombre déterminé. En
voici le tableau :
/une Monandrie. . . 1
deux Diandne. . . . î
trois Trianiirie. ... 3
quatre Tetrundrie. . . 4
cinq Pentandrie. . . S
I six Hexandrie. . . 6
sept Heptandrie. . . 7
iiuit Octandrie. . . 8
neuf Enaéandrlc. . . 9
dix Décandrie. . . 10
douze Dodécandrie. . 11
I souvent vingt
adhérant au
calice Icosandrie. . . lî
plus de vingt
Jusqu'à cent,
n'adhérant
pas au calice. Polyandrie. . . 13
rayant deux fi-
I lels plus
I longs Didynamie. . . li
ayant quatre
filets plus
longs Tétradynamle. 15
" /MOHOCLrNES
hermaphro-
dites , uu
étaniines et
pistils silucs
dans la
mèuic fleur ;
Les étamines
n'étant u-
nles par
aucune de
leurs par-
ties, égales
et au uom-
bre de
Les étamines
étant iné-
gales , et
deux fou-
Jours plus
courtes,
par les filets
I
Les étamines
étant réu-
nies par
quelques-
unes de
leurs par-
tics ou avec
le pistil ,
Monadelphie.
Diadelpbie. .
en un corps. .
en deux corps,
en plusieurs
' corps Polyadelphie. ,
par les anthè-
res
en forme de
cylindre. . .
attachées au
pistil Gynandrie.
Syngénésie. . . 19
20
sur le môme pied Monœcie. . . . ?i
sur des pieds différents. . . . Dioecle Jl
sur des pieds différents , ou
sur le même pied avec des
fleurs hermaphrodites. . . . Polygamie. . . 23
U
DlCI-INES
ou iini-
w 1 sexuelles , ou
a: I ctamiQCS et
g I pislils dans
3 \ drs fleurs
— différentes,
Fleurs à orgjncs sexuels non apparents Cryptogainic.
A l'aide de cet échafaudage de divisions et de caractères,
on est conduit pas à pas à connaître le nom , et par suite len
propriétés de la plante que l'on voit pour la première fois.
483 BOTANIQUE —
On clierclie d'abord dans celte plante l'un des caraclères qui
servent à distinguer les \ingt-quatrc classes ; ce caractère
trouvé, on sait dans quelle classe est la plante dont il s'agit,
et on n'a plus à la reconnaître que parmi celles qu'elle ren-
ferme , dont le nombre est seulement de plusieurs centai-
nes , ou au plus de quelques mille. Le caractère de l'ordre,
que l'on cherclie ensuite, réduit bientôt ce nombre à une
ou deux centaines environ, et celui du genre à quelques
dixaincs, parmi lesquelles on parvient aisément à recon-
naître l'espèce à son caractère particulier. Cette opération
présente h peu près la même marche qu'un dictionnaire ,
où, pour trouver le mot donné, on clierche successivement
la première, la seconde, la troisième et les autres lettres du
mot.
Mais une pareille méthode, fondée sur une certaine classe
de caractères choisis arbitrairement, est propre seulement
à faire découvrir le nom des plantes, et non à faire con-
naître leurs véritables rapports. Ce dernier objet est rempli
par la méthode naturelle , dans laquelle les caractères ,
tirés de toutes les parties des végétaux, concourent à former
les divisions successives, dans l'ordre de leur plus grande
valeur ou de leur plus graude généralité. La difficulté d'é-
tablir une pareille méthode tient à l'appréciation de la va-
leur relative des diflérents caraclères comparés entre eux ,
car les différences qui distinguent les êtres organisés ne sont
pas toutes d'égale valeur, et il ne suffit pas de les compter,
il faut les peser pour ainsi dire. Bernard de Jussieu est le
premier botaniste qui ait pose pour principe fondamental
de la niélliocle naturelle la subordination des caractères.
La mi'tiiode de Jussieu a sur toutes les autres l'avan-
tage de conserver les familles naturelles , de rassembler les
planles analogues par leurs vertus , et de présenter un ta-
bleau gradué de l'organisation végétale, depuis la plante la
plus simple jusqu'à celle qui est la plus compliquée. Elle
comprend trois grandes divisions primordiales, subdivisies
en quinze classes ; chacune de ces classes se compose d'un
nombre plus ou moins considérable d'ordres ou de familles
naturelles ; chaque famille est partagée en un certain nom-
bre de genres, et chaque genre comprend un nombre plus
ou moins grand d'espèces. Nous en donnons le tableau gé-
néral :
^cotijlcdonet i
!Hypo(.'ynes 2
l'èrigyiies 3
Epifiyncs 4
'^^i^il • Poriu'vncs 6
'"'"" j Hypokynes 7
' Hypogyne 8
J£ monopétales , à I n'TiSyhe 9
Dicotylédones ( » corolle i Episy'ne, à an- f soudées. . lo
I , tliéres. . . . j distinctes. 11
noivnétales àéta- ( Kplgynes 12
"^ mines Hypogynes 13
Dlclines , ou unisexuellcs vraies 15
Tel est le système qui a prévalu sur tous les autres jusqu'à
ce jour. Plusieurs botanistes, le trouvant difficile pour des
commençants, ont voulu le combiner de différentes ma-
nières pour en rendre l'étude plus aisée; mais leurs efforts
n'ont pas toujours répondu à cette intention. Nous allons
dire un mot du travail de Decandolle et de celui de Lamarck,
qui sont ceux qui nous semblent avoir obtenu jusqu'ici les
meilleurs résultats dans cette tentative épineuse.
Voici la marche que Decandolle a suivie pour la coordi-
nation des familles dans sa Théorie Élémentaire de Bota-
nique, excellent ouvrage, que nous recommanderons à ceux
qui veulent étudier la science sous ses rapports philoso-
phiques. Au lieu de prendre , comme Jussieu , les caractères
des grandes classes dans le nombre des cotjiédons , qui est
variable et assez difficile à reconnaître, il les a tirés de leur
insertion ou position relative; et au lieu de partir des végé-
taux les plus simples pour s'élever jusqu'à ceux qui ont
l'organisation la plus compliquée , il part des végétaux les
BOTANOMANCIE
plus complets, et par conséquent les mieux conn:;s, de ceux
qui offrent le plus grand nombre d'organes distincts, pour
descendre graduellement jusqu'à ces vi gctaux d'une organi-
sation très-simple, qui forment en quelque sorte le passagi
au rèfine animal. Il a établi seize classes de plantes, qu'on
ne doit pas cependant considérer d'une manière rigoureuse.
Ce sont : l" les plantes maritimes ou salines ; 2° les plantes
marines; z" les plantes aquatiques; 4" les plantes des ma-
rais d'eau douce ; 5" les jilantes des prairies et des pâturages
secs ; G" les plantes des terrain? cultivi^ ; 7° les piaules des
rochers; 8° les plantes des sables; 9° les plantes des lieirx
stériles; 10° les plantes des décombres; 11° les plantes des
forêts; 12° les plantes des buissons; 13° les plantes souter-
raines; 14° les plantes des montagnes; 15° les plantes pa-
rasites; 1G° les plantes fausses parasites.
La méthode analytique de Lamarck indépendante de tout
système particulier de classification n'est , à vrai dire, qu'une
sorte de dictionnaire ou de table analytique, dans laquelle on
va chercher le nom générique d'une plante que l'on a sous
les yeux, ou son nom spécifique, quand ce nom de genre
est connu. Lamarck a senti que la marche la plus simple
que l'on puisse tracer à l'esprit, pour lui faciliter la recherche
du nom d'une plante, consiste à partager d'al)ord le règne
végétal en deux grandes divisions tellement tranchées que
l'on voie tout de suite dans laquelle des deux se trouve la
plante en question, en sorte que la difliculté du choix soit
réduite à moitié ; à partager de même chacune de ces divi-
sions en deux parties, puis chacune de ces parties en deux
autres, jusqu'à ce que, par une suite de pareilles bissec-
tions, on arrive à n'avoir plus à choisir qu'entre deux plan-
tes , dont l'une soit celle dont on cherche le nom. Il ne
s'agit alors que d'établir pour chacune de ces divisions di-
chotomiques ou de ces bifurcations, deux caractères con-
tradictoires qui soient présentés en regard et sous forme de
question, de manière à ne laisser de choix qu'entre deux
propositions opposées. Cette méthode est surtout propre
pour l'étude de la botanique. En effet, l'ilève le moins
exercé n'éprouve aucun embarras à choisir entre ces deux
propositions celle qui convient à la plante qu'il a sons les
yeux , et il est conduit par un numéro de renvoi à d'autres
questions, et ainsi successivement jusqu'à ce qu'il parvienne
à celle qui doit lui faire connaître le nom cherché. La-
marck et fie CandoUe ont fait une heureuse applicati.)n de
cette méthode aux plantes de toute la France dans l'impor-
tant ouvrage qu'ils ont public sous le nom de Flore Fran-
çaise.
Après tous ces noms, nous citerons parmi les botaniste»
distingués de notre temps Dupetit-Thouars, Loiseleui-
Deslongchamps et Marquis, RI.M. de Mirbel, Brown,
Humboldt, Desfontaines, Lindley, Endlicher, Ad.
de Jussieu, Brongniart,Gaud i chaud, etc., qui tous
ont rendu des services plus ou moins précieux à la science.
MM. Richard et Mérat ont apporté des modifications au
système de Linné, et M. Guiart à celui de Tournefort.
Aujourd'hui que l'on possède plus de trente mille espèces
de végétaux différents connus à la surface du glol>e et dé-
crits, nombre que l'on peut hardiment porter à cinquante
mille , en réunissant tout ce qui existe de non décrit dans
les diverses collections européennes , et qui s'élèverait sans
doute à plus de cent mille , si toutes les richesses végétales
qui parent les deux continents et l'universalité des Iles
étaient connues , il serait bien désirable qu'une méthode gé-
nérale et unique vînt fondre et remplacer toutes celles qui se
partagent encore le domaine de la science et pût senir de
guide au milieu de ce labyrinthe, de ce dédale effrayant de
nomenclatures qui l'encombrent de toutes parts et qui en
rendent l'étixie quelquefois fatigante.
liOTAIVIQUES (Jardins). Voyez .Iardins noTANiQLES.
liOTAXOAIAXCIE ( du grec poT«vn , plante, •si (.«v-
Tïia, divination), divination par le moyen des ptanl«seld&i
I
BOTAKOMANCIE — BOTRYLLES
489
arbrisseaux. Outre les oracles, qui ne parlaient que dans les
grandes occasions ou seulement pour les riches , les prê-
tres du paganisme avaient inventé d'autres moyens de con-
sulter le sort à meilleur marché, afin que tout le monde y
put atteindre. Ainsi naquit la botanomancie , qui consistait
s écrire sur les feuilles de certains arbrisseaux le nom du
tonsultant et la question adressée par lui à la divinité.
Quant à la réponse , on ignore de quelle façon elle s'obte-
nait ; certains doctes pensent qu'elle était faite de vive voix
par celui qui présidait à la cérémonie. La veiTeine, le
figuier, le tamarin et surtout la bruyère , consacrée à Apol-
lon , père de la divination , étaient seuls employés.
BOTAI\Y-BAY, ainsi nommée par Joseph Banks, à
cause des richesses botaniques qu'il trouva sur ses côtes ,
est une des baies les plus connues et les plus vastes de la
côte orientale de la Nouvelle-Hollande, située sous le 33" 33'
de latitude méiidionnale, et le IGS" 48' de longitude orien-
tale; elle appartient à la province de Cumbcrland dans la
Nouvelle-Galles du Sud. L'entrée, entre les caps Banks et So-
lander, en est commode ; mais elle a peu de profondeur, à
l'exception de quelques endroits creusés par les courants.
Ses côtes sont basses, sablonneuses, marécageuses; elles
sont arrosées par le Cook et le Saint-Georges, qui se jettent
dans la baie. Cook , qui découvrit ce pays en 1770, en avait
fait une description charmante; ce qui le flt choisir par le
gouvernement anglais, en 1787, pour lieu de déportation. En
conséquence, Arthur Philipps partit d'Angleterre en 1788,
avec 1011 hommes, dont 756 déportés; mais n'ayant trouvé
propres à un établissement ni la baie ni les environs , il alla
débarquer plus au nord , dans la baie du Port-Jackson , où
il fonda Sidney-Cove. Depuis cette époque, on a donné
assez souvent le nom de Botany-Bay à toute la côte de la
Nouvelle-Galles du Sud.
BOTII ( ANDiiÉ et Jean), tous deux peintres célèbres,
nés à Utreclit, le premier en 1609, le second en 1610, re-
çurent de leur père , peintre sur verre , les premières no-
tions de l'art du dessin, et se perfectionnèrent plus tard
dans l'atelier d'Abraham Bloemart; ils allèrent ensuite voya-
ger en Italie. André s'y adonna à la peinture de portraits à
la manière du Bamboccio , tandis que Jean , charmé par la
vue des œuvres de Claude Lorrain , prenait ce maître pour
modèle. Mais si leurs goûts particuliers leur firent suivre
une direction différente, l'amitié qui les liait savait réunir
leurs pinceaux pour des œuvres entreprises et achevées en
commun. Ainsi c'était André qui se chargeait de faire les
ligures dans les paysages de son frère. D'ailleurs, ils excel-
laient si parfaitement à se faire valoir l'un l'autre , que per-
sonne ne pouvait jamais soupçonner dans leurs productions
le travail de deux mains différentes. Dans leurs paysages,
ils savaient s'inspirer des beautés de cette nature italienne
au milieu de laquelle ils vivaient. Ce qui les distingue émi-
nemment , ce sont les heureux effets d'ensemble et d'har-
monie générale de leurs compositions ; quant à ces mmu-
tieux détails d'exécution , ils ne s'en préoccupèrent jamais.
Une teinte jaunâtre et d'automne, parfois peut-être un peu
trop prononcée , donne à leurs toiles un charme tout parti-
culier. André se noya à Venise en 1650. Inconsolable de la
perte de son frère, Jean revint alors à Utrecht, où il mourut
la même année. On estime beaucoup les planches que les
deux frères gravaient eux-mêmes d'après leurs tableaux, et
plus particulièrement celles de Jean Both , entre autres ses
Cinq Sens.
BOTHNIE, ancienne province de Suède, bornée au
nord par la Laponie et située sur le golfe auquel elle a donné
son nom, est comprise maintenant, pour la plus grande par-
tie, dans la Suède, et poiH' le restant dans la Piussie (Finlande).
Elle se divisait, d'après sa position par rapport au golfe,
en Bothnie occidentale , ou Wcster-Botn , et en Bothnie
orientale, ou aistcr-Botv. C'est la première qui appartient
aujourd'hui presque en totalité à la Suède, dont elle forme
niCT. lit: LA COiSVLKi. — T. 111.
un comté, compris dans les deux lœn d'Umea , ou Wester-
Botn , et de Piteâ ou Norr-Botn.
BOTHiVIE (Golfe de), formé de la partie septentrionale
de la mer Baltique, au nord des îles d'Aland, et bornée
par les provinces septentrionales de la Suède, la Bothnie
orientale et la Laponie, ainsi que par la Finlande, qui appar-
tient à la Russie. S'étendant du 60° au 66° de latitude sep-
tentrionale, il a 592 kilomètres de long sur 192 de large et
de 20 à 50 brasses de profondeur. Les côtes et l'intérieur
de ce golfe sont semés d'un grand nombre de petites îles ,
de bancs de sable , de roches , d'écueils appelés Skaren, qui
en rendent la navigation très-dangereuse; surtout à son
entrée dans la Baltique. La partie septentrionale est appelée
par les habitants Botten-Viken ; la partie méridionale,
Botten-Ha/vct : elles sont unies entre elles par un détroit
appelé Quarkeristrasse (Détroit boueux), entre Umea et
Nycarleby. L'entrée de la mer Baltique dans le golfe de
Bothnie, entre la Suède et les lies d'Aland, s'appelle le dé-
troit d'Aland, et entreces îles et la Finlande, ÏŒstersjan.
Les nombreuses rivières poissonneuses qui se jettent dans
ce golfe y rendent l'eau moins salée que dans la Baltique.
En hiver, il gôle ordinairement à une telle profondeur, qu'on
peut le traverser en traîneau pour aller de Suède en Fin-
lande. Depuis des siècles , l'eau se retire de plus en plus des
côtes de la Suède et de la Finlande , le sol de la Suède
s'exhaussant graduellement par l'action de volcans sou-
terrains.
BOTIIRIOCÉPHALES (de poOpoî, trou, et xe^iaXT],
tête). Ce nom a été donné par Rudolphi à un genre de vers
parenchymateux,dontle corps, très-long, est aplati en forme
de bandelette, et dont l'extrémité céphalique présente deux
trous ou fossettes latérales qui servent de suçoirs. Les ar-
ticles du corps sont courts et très-nombreux. Ces vers, qui
ont une très-grande analogie avec les tsenias, vivent en
général dans les intestins des poissons. Cependant le grand
tœnia de Phomme , connu sous le nom de txnia lata, est
un bothriocéphale. La longueur de ce ver est estimée ordi-
nairement de trois à sept mètres. L. Laurent.
BOTILIES. Voyez Aérolithes.
BOTOCUDES, sauvages du Brésil, sur lesquels la
prince de Neuwied a donné le premier des renseignements
exacts. Ils vivent au milieu des forêts vierges du Brésil ,
vont tout nus , et ont coutume de se percer les oreilles et
les lèvres pour placer dans les ouvertures de larges cy-
lindres de bois en guise d'ornements. Ils sont habiles à se
servir de l'arc. Leurs besoins sont très-bornés ; ils suppor-
tent avec patience les plus grandes fatigues , môme la faim
et la soif. Leur nourriture ordinaire consiste dans le gibier
qu'ils tuent; pour eux la chair d'un ennemi est une frian-
dise. Ils n'ont des chefs qu'en temps de guerre. Ils vident
leurs querelles entre eux , les hommes en s'assonimant à
coups de bâton, les femmes en s'arrachant les cheveux.
C'est un peuple sans foi , mais hardi , qui s'est montré plus
d'une fois redoutable aux Portugais. Un très-petit nombre
de Botocudes ont consenti jusqu'ici à se soumettre aux
entraves de la civilisation , malgré les trois villages que l'em-
pereur du Brésil a fait bâtir pour eux en 1824.
BOTRYLLES, genre de mollusques de la classe des
tuniciers et de l'ordre des botryllaires , auquel il donne
son nom. Dans ce genre , les individus adhèrent entre eux
au moyen d'une enveloppe commune , gélatineuse , de ma-
nière à simuler un seul animal complexe. Les botrylles
étoiles se présentent ordinairement sous la forme d'expan-
sions membrano-gélatineuses , qui recouvrent des corps
marins de diverses natures, tels que les roches et les plantes
marines ; ces expansions ont une sorte de base qui présente
une multitude de petits plis très-rapprochés les uns des
autres , et sur laquelle on voit de distance en distance des
étoiles saillantes , formées de rayons, dont lo nombre varie
de trois à vingt.
b'2
4rio
liOTRYOÏDE (de pôTfuc , grappe, et ûôo-, forme).
Mot dont on se sert pour désigner les substances minérales
disposées en grains ou en masses mamelonnées, qui ont la,
forme d'une grappe. I.e for hématite, le quartz et la chaux
carbonatée se présentent sous cette forme. La chaux boratée
concrétionnée est aussi appelée pour la même raison bo-
tryolithe.
BOTRYS (de pôrpu;, grappe). On réunit sous ce nom
générique et scieiitilique plusieurs plantes connues sous des
noms plus vulgaires, telles que le tcucrium botrys, qui n'est
autre que la f?e;-manf/rdc, le botrys vulgaire (cfieno-
podiim botrys) et le botrys du Mexique {chenopodium
ambrosioides), qui sont des variétés daVaiisérine.
BOTRYTIS (diminutif de pôtpuç, grappe ), genre de
la cryptogamie par lequel on désigne des plantes ou espèces
de moisissures qui croissent sur les matières animales ou
végrtales en fermentation.
BOTTA (CiiAKLES-JosEPn-GuaLAOTiE), poète et histo-
rien, naquit, le Gscptcmbre 17GG, à San-Giorgio-del-Canavese
(lansle Piémont. Botta étudia la médecine à Turin. Ouver-
tement partisan des principes de la révolution française,
il fut jeté en prison en 1792. Rendu à la liberté deux ans
nprès, il vint en France, et fut employé comme chirurgien
à Tannée des Alpes. Son service le conduisit à Corfou. En
1799 il entra dans le gouvernement provisoire du Piémont
avec £ossî. Après la bataille de Marengo, il fut nommé
membre de la consulta piémontaise. En 1801 il fut élu
député de la Doire au Corps législatif, et il y manifesta une
indépendance qui déplut à Tempereur. En 1814 il vota la
déchéance de Napoléon. Il ne fit pas partie de la Chambre
sous la Restauration. Nommé pendant les Cent-Jours recteur
(le l'Académie de Nancy, cette place lui fut ôlée au second
retour des Bourbons , et dès lors il se livra exclusivement à
des travaux philosophiques et littéraires.
Parmi les ouvrages sortis de sa plume, nous citerons
les suivants : Description de l'île de Corfou ( Paris, 1799 ) ;
Souvenirs d'un voyage en Dalmatie (Turin, 1802); Pré-
cis historique de la maison de Savoie (Paris, 1803);
Histoire de l'Amérique (Paris, 1809). Son épopée en
douze chants , Il Camillo, o Vejo conquistata (Paris,
1816), fut aussi accueilli avec faveur; cependant on re-
garde comme ses chefs-d'œuvre sa Storia d'Italia dat
1780 ai 1814 (Paris, 1824), qui obtint le prix quinquennal
de l'Académie délia Crusca ; son Histoire des périples d'I-
talie (3 vol., Paris, 1825) , où il conteste au christianisme
et à la philosophie le mérite d'avoir civilisé l'Europe pour
l'attribuera la renaissance, et sa Storia d'Italia dal 1490
al 18)4 (20 vol., Paris, 1832), qui comprend l'ouvrage de
Guicciardini avec la continuation par Botta et là Storia
d'Italia citée plus haut. Ce fut seulement en 1830 , à l'avè-
nement au trône de Charles-Albert, son protecteur, que
Botta obtint la permission de rentrer dans sa patrie. Le
roi lui accorda sur sa cassette une pension de 3,000 francs ,
portée plus tard à 4,000. 11 termina cependant ses jours en
France, et mourut à Paris, le 10 août 1837.
BOTTA (Paul-Émiue), célèbre archéologue et voyageur
français, est fils du précédent. Il entreprit, encore jeune,
un voyage autour du monde , et séjourna longtemps sur les
côtes occidentales de l'Amérique, s'occupant avec ardeur
de recueillir des curiosités naturelles. En 1830 il entra
comme médecin au service de Méhémet-Ali , et fit en cette
qualité l'expédition du Sennaar. 11 en rapporta une riche
collection zoologiquc. Nommé consul à Alexandrie , il fit en
Arabie un voyage dont il a i>ublié les résultats dans sa Re-
lalion d'un voyage dans l' Yémen , entrepris en iSZl pour
le Muséuvi d'Histoire naturelle de Paris (Paris, 1844 ).
Le gouvernement l'envoya ensuite à Mossoul connne agent
consulaire. Soupçonnant que les collines de sable qui s'élè-
vent le long du Tigre couvraient des antiquités assyriennes,
il résolut de les mettre au jour. 11 commença ses fouilles au
BOÏRYOIDE — BOTTELAGE
printemps de 1843, d'abord avec peu de succès; mais de»
le mois de juillet , une lettre adressée à M. Jules Mohl , et
publiée dans le Journal Asiatique, promettait des décou-
vertes plus Importantes principalement sur l'écriture cunéi-
forme. Le gouvernement français prit l'affaire à cœur. Un
habile dessinateur, M. Eugène Flandin, fut envoyé sur les
lieux pour copier les sculptures en albâtre faciles à se dé-
grader; et une commission, composée de MM. Raoul-Ro-
chette, Letronne, Lenormant, Mohl, Burnouf, Lajard ,
Guigniaut , Ingres et Lebas , fut chargée de préparer la pu-
blication d'un magnifique ouvrage qui parut sous le titre de
Momnnents de Ninive, découverts et décrits par M. Bot-
ta, mesurés et dessinés par M. Flandin (Paris, 1849-
1850) en cinq vol. in-fol. , dont les deux premiers contien-
nent les planches d'architecture et de sculpture, le troisième
et le quatrième les inscriptions , et le dernier le texte. Les
Inscriptions découvertes à Khorsabad (Paris, I84s) ne
sont qu'un abrégé de ce grand ouvrage. Ce qui a pu se con-
server de ces monuments fragiles a été apporté à Paris et
placé au Louvre. M. Botta ayant vaincu toutes les difficultés,
et le fanatisme mahométan n'en était pas la moindre , il a
été facile à son successeur de pousser plus loin les décou-
vertes. L'Anglais Henri Layard a donc obtenu des résultats
encore plus remarquables ; mais à M. Botta restera la gloire
d'avoir fondé l'aicliéologie assyrienne, dont on soupçonnait
à peine l'existence.
BOTTAGE, ancien droit que l'abbaye de Saint-Denis
levait sur tous les bateaux [bot) chargés de marchandises
qui passaient sur la Seine depuis la Saint-Denis jusqu'à la
Saint-André de chaque année, c'est-à-dire du 9 octobre
au 30 novembre. Il était assez considérable pour que les
marchands, alin de s'y soustraire, prissent leurs mesures
pour devancer l'époque ou pour attendre la clôture du
droit de bottage.
BOTTE , faisceau de plusieurs choses semblables ou
de même nature : on dit une botte de paille , de foin , d'as-
perges,de soie, d'allumettes, etc., et ce mot vient du latin
botulus, par lequel il paraît qu'on exprimait, au contraire,
un assemblage de choses diverses.
Botte , en termes de commerce, se dit des soies non ou-
vrées; quinze onces de soie, par exemple, font une botte.
On vend le fil , la soie , la laine , au poids , en écheveaux ou
en bottes.
Botte, en termes de chasse, se dit de la longe ou du
collier avec lequel on mène le limier au bois.
Enfin, le mot botte s'est dit autrefois d'un vaisseau propre
à contenir du vin , dont la contenance était à peu près
celle d'un muid. La botte était aussi une mesure chez les Ro-
mains. Celte mesure a passé en Espagne et en Portugal, sous
le nom de bot a.
BOTTE (Escrime). C'est un coup que l'on porte
avec la pointe du fleuret en faisant des armes. On appelait
jadis estocade la botte portée avec une épée. Un mot ana-
logue manque à notre langue , depuis que l'épée a cessé de
se nommer estoc. On est forcé de recourir à une périphrase
équivoque et de dire cotip de pointe. Se mettre en garde ,
c'est se tenir couvert contre les bottes de l'adversaire. Par
analogie on dit porter, recevoir, parer une botte.
Porter une botte à quelqu'un, c'est, au figuré, l'embar-
rasser, le vaincre, lui tendre un piège, par analogie avec ce
qu'on nomme une botte en termes d'escrime. Lire ou
faire quelque chose à propos de bottes, c'est agir ou
parler à contre-temps , pai- analogie à une botte mal portée
ou portée à faux.
BOTTELAGE, action de lier en bottes la paille et les
fourrages. Cette opération est nécessaire pour empêcher les
fourrages de s'échauffer lorsqu'ils sont rentrés un peu hu-
mides. Elle se fait ou sur le pré ou dans la grange ; mais le
choix de cette dernière localité paraît préférable pour la
conservation du fomrage , et permet d'ailleurs de l'culasscf
BOTTELÀGE — BOTZARIS
4î)l
en plus grande quantité. On botlelle d'ordinaire à deux
liens, mais il faut en mettre trois quand le fouirage doit
être soumis au transport , ou quand le brin de l'herlie qui
sert au bottelage est court. L'usage est de botteler à cinq
kilogrammes; mais il faut qu'ils soient forts pour se retrou-
ver après la dessiccation. Le bottelage est le moyen le plus
sûr pour évaluer le produit d'une prairie.
BOTTES , cbaussure de cuir dont on s'est servi d'abord
pendant longtemps pour monter à cheval, alin de s'y tenir
plus ferme et de se garantir des injures du temps , et dont
l'usage s'est étendu depuis un demi-siècle seulement. On en
connaît de différentes espèces : les bottes à Vécuyère,
que portent les écuyers , les généraux , la gendarmerie à
cheval, etc.; les bottes fortes, dont se servent les postil-
lons, les pêcheur», les égoutiers, etc.; les bottes molles,
avec lesquelles tout le monde s'habille; les bottes fourrées,
pour les voyages; les bottes à revers, que portaient les of-
ficiers de la garde impériale et que portent aujourd'hui les
domestiques de bonnes maisons; les dandys du Directoire
portaient les bottes à la Soiivarof, plissées et terminées en
cœur ; aujourd'hui les fashionables mettent des bottes en cuir
verni , à tiges de maroquin. On avait imaginé des bottes sans
couture ; pour cela on déchaussait la jambe d'un animal
.sans fendre la peau, on la tannait ainsi, et on la mettait sur
l'embouchoir pour lui faire prendre la forme. Dans ces der-
niers temps on a fait des bottes californiennes , eu caout-
chouc, imperméables et assez légères.
L'invention des bottes parait du reste remonter fort haut
dans l'antiquité. Les Grecs et après eux les PiOmains por-
tèrent des espèces de bottines faites de cuir de bœuf , qui se
mettaient à cru sur la jambe. 11 est parlé de bottes clans la
Vie de saint Richard , évéqne de Cliichester, écrite en latin
par un Anglais au treizième siècle, et rapportée par J. Carp-
gravius dans la Légende anglicane. On trouve aussi dans les
registres de la chambre des comptes, en France, un article
de 15 deniers pour prix du graissage des bottes de Louis XL
Le mot bottes se retrouve dans un certain nombre d'ex-
pressions proverbiales plus ou moins familières : c'est ainsi
qu'on dit qu'un homme a laissé ses bottes en quelque en-
droit, pour dire qu'il y est mort. ; et trivialement graisser ses
bottes, pour se préparer au long voyage, à la mort. Grais-
sez les bottes à un vilain , dit un autre proverbe, il dira
qu'on les lui brûle. Se soucier de quelque chose autant
que de ses vieilles bottes, c'est s'en soucier bien peu. Un
houmie qui a fait une fortune rapide dans les fournitures ,
ou qui fait un gain illicite dans un marché dont il est l'en-
tremetteur, est accusé communément d'avoir mis du foin
dans ses bottes.
BOTTICELLl (Sandro), dont les noms véritables
étaient Alessundro Filipepi, peintre de l'école florentine
du quinzième siècle, vécut de 1447 à 1515. Il fut d'abord
mis en apprentissage «;liez Botticelli, habile maître orfèvre,
dont il joignit le nom au sien. Mais ses remarquables dis-
positions pour la peinture ne tardèrent pas à l'emporter, et
il devint alors l'un des élèves de Fra Filippo Lippi. Il em-
prunta à ce maître l'action passionnée qu'on remarque dans
ses tableaux historiques, et sut l'associer à une certaine
conception fantastique, qui, si elle lui inspira aussi de mau-
vaises toiles, lui fit souvent faire des ouvrages charmants
parleur originalité. On peut voir un exemple de ce caractère
passionné qu'il savait imprimera ses compositions, dans
une Nativité qui fait aujourd'hui partie de la collection
d'Young Oltley à Londres. Les anges y dansent de joie im
l)ranle dans les airs ; ils couronnent de fleurs les bergers, et
les embrassent impétueusement, pendant que trois démons
s'éloignent pleins d'une impuissante fureur. Une autre toile
qu'on a de lui, c'est la Madone couronnée qu'on voit dans
la galerie des Oflices à Florence, et dont on admire la char-
mante tête. Mais c'est surtout dans ses tableaux historiques
que lîotlicelli donne libre carrière au caractère fantasli(iue
de son talent. Il fut l'un des premiers qui introduisirent
dans l'art moderne l'aliégorie et les mythes antiques ; et il le
lit avec prédilection. C'est ainsi qu'une Vénus nue voguont
sur l'onde dans sa conque en même temps qu'elle est poussée
vers le rivage par une pluie de roses que font tomber les
dieux des vents (cette toile se trouve également dans la ga-
lerie des Offices), produit un effet des plus étonnants. Les
fresques qu'il exécuta dans la chapelle Sixtine, au Vatican ,
sont la principale de ses œuvres. Chargé de la surveillance
des travaux , Botticelli y a peint Moïse exterminant les
Égyptiens, la troupe de Korah et la Tentation du Christ.
Par la suite Botticelli devint négligent et maniéré dans ses
travaux. Disciple de Savonarole, il s'adonna en outre
pendant des années à une étude passionnée du Dante , et
laissa là son pinceau pour prendre la plume et écrire avec
assez peu de succès sur ce grand poète. Il exécuta une édi-
tion de V Enfer (Florence, 1481) avec des planches gra-
vées d'après ses dessins , pour la plupart par B. Baldini , et
mêine, suivant Passavant , toutes par lui-même. On estime
beaucoup (ne fût-ce qu'à cause de leur extrême rareté),
certaines planches provenant véritablement de Botticelli ,
par exemple les Prophètes et les Sibylles, le Triomphe de
Pétrarque, etc.
BOTTIIXES, petites bottes. Ce sont aussi des chaus-
sures de femme qui montent au dessus de la cheville , et
se lacent ou se boutonnent.
On donne, en chirurgie, le nom de bottines à des ap-
pareils qui ressemblent à de petites bottes, munis de res-
sorts, de courroies et de boucles, qui servent à corriger les
vices de conformation des membres inférieurs chez les en-
fants, tels que la déviation des genoux en dedans ou ei'
dehors, la torsion des jambes, des pieds, etc.
BOTZARIS, famille souliote, célèbre dans la Grec»
moderne par le rôle qu'elle joua à l'époque de la guerre de
rindi'pendance.
BOTZARIS (Georges) marchait contre Ali -Pacha à la
tètes des bandes souhotes; mais on le soupçonna, non sans
raison , de chercher à se pei pétuer au pouvoir, et dès lors
il devint une cause fréquente de dissensions entre ses com-
pagnons dévoués et ceux de ses compatriotes qui prisaient
moins un homme que la liberté. Tous les partis, du reste,
s'accordaient à rendre hommage à sa bravoure et à celle de
ses deux fils ISotis et Christos.
BOTZARIS (Marcos), fils de Christos et petit-fils de
Georges , né en 1789 , dans les montagnes de Souli , grandit
au bruit des combats terribles qu'éteignit en 1803 la ruine
sanglante de cette malheureuse ville. A travers des périls
inouïs , il réussit à gagner le territoire ionien , où se grou-
l)èrent autour de lui les principaux chefs d'Armatoles qui
fuyaient les atrocités d'Ali et rêvaient l'indépendance de la
Grèce. Avec eux , il prit part en 1806 à une tentative d'in-
surrection fomentée par la Russie , qui était alors en guerre
avec la Poiie. Cet espoir d'une prochaine délivrance ne se
réalisa pas ; et la paix de Tilsitt ramena les Français dans
les Sept-Hes. Marcos Botzaris en profita pour s'engager
comme sergent dans une légion albanaise qui se formait, et
qui comptait son père et son oncle parmi ses officiers supé-
rieurs.
Retiré dans les iles Ioniennes depuis 1815, une douce
union ne pouvait lui faire oublier le sol natal, quand tout
à coup, en 1820, une double commotion vint ébranler la Tur-
quie : Ypsilanti appelait les Grecs à l'indépendance; Ali-
Padia , renfermé dans Janina, bravait les menaces et les
armées du sultan. 800 Souliotes coururent en l'^pire se
ranger autour de Marcos et de son oucle. Ali leur pro-
posa de leur rendre leurs foyers s'ils voulaient opérer une
diversion en sa faveur. IN'otis prit alors position dans les
défilés, tandis que son neveu se chargeait de haiceler les
Turcs à la tèic de 200 Palikares : son coup d'essai
fut l'enlèvement d'un convoi de minutions, escorté par 500
62.
49*2
BOTZARIS — BOUCAGE
hommes , la prise (l'un poste important et , quelques jours
ai)rè8, la défaite de deux pachas et de 5,000 hommes.
Les Turcs, ne pouvant ni se garantir de ses attaques ni
l'atteindre dans ses retraites , mirent sa tête à prix. Il y
répondit par de nouveaux succès, qui dès le printemps
de 1821 avaient généralisé l'insurrection grecque. Il ouvrit
la campagne par la prise du port de Réniassa, qui assurait
les communications de l'Épire avec les autres provinces in-
surgées, obligea un pacha et 1,300 hommes à mettre bas les
armes, dispersa Ismael et 2,000 janissaires, se rendit maitre
de Plaça, et s'y maintint. Blessé, il prend à peine quelques
jours de repos, et déclare qu'il enlèvera la place forte d'Arta,
sa garnison et son beau parc d'artillerie. Il comptait sur
l'appui des Albanais, qui l'abandonnèrent. Il avait déjà
franchi le pont de la citadelle sous le feu de ses batteries ,
lorsqu'elle reçut un renfort inattendu de 6,000 Turcs; mais
il ne perdit pas la tète, et assura par un stratagème le salut
des siens.
Au commencement de 1822, Ali était forcé dans son
repaire. Une tentative que lit Botzaris pour ravitailler Souli
fut sans succès , et la funeste journée de Péta vit périr
l'élite des Grecs et des Philhellènes. Avec 6000 braves il
arrêta tout un jour l'armée turque au défilé de Crioneros, et
courut s'enfermer dans Missolonghi. Par d'heureux strata-
gèmes, il paralysa les efforts de l'ennemi jusqu'à la fin de
la campagne, et, nommé stratarque de la Grèce occidentale,
il mit à proiit l'hiver pour fortifier la place.
Au printemps de 1823, une armée turque de 20,000 hom-
mes descend du nord de l'Épire. Botzaris veut aller à sa
rencontre et la terrifier par un trait d'audace. A la tête de
240 palikares, c'est au milieu du camp turc qu'il promet de
donner le signal de l'attaque aux divers chel's postés dans
les défilés d'alentour. Dans la nuit du 20 août , les Grecs ,
préparés au combat par la prière , fondent sur les avant-
postes ennemis. Le succès couronne leur audace; mais
Marcos tombe atteint mortellement d'une balle. Son frère
Constantin reçoit son dernier soupir, et le venge en complé-
tant la victoire. Le corps du héros revint au milieu des
trophées, et surexcita le courage des Grecs. Constantin Bot-
zaris mourut aussi plus tard les armes à la main.
L'aîné des fils de Marcos Botzaris , qui n'a laissé d'autre
héritage qu'un nom chéri des Hellènes, est maintenant aide
de camp du roi Othon , près de qui il a été élevé.
BOTZEN ou plutôt BOZEN (en italien, BOLZANO),
ciief-lieu de l'ancien cercle de l'Adige , aujourd'hui du dis-
trict de Botzen dans le Tyrol , lequel compte 70,000 ha-
bitants sur une superficie de 17 myriamètres carrés. Botzen
est situé dans un bassin au confinent de l'Eisack et de la
Talfer. Sa population s'élève à 7,700 habitants; elle est le
siège du tribunal suprême du cercle de Brixen, d'une cham-
bre de commerce, d'un gymnase et d'une école supérieure.
Protégée contre les inondations de la Talfer par une digue en
pierres qui sert de promenade publique, la ville, quoique
allemande , est entièrement bâtie à l'italienne. Les rues en
sont étroites, mais foil propres ; et on y trouve de spacieuses
allies de feuillage. Outre la place d'armes et la place aux
Iruits, ornées de belles fontaines, on peut citer la place
Saint-Jean avec la cathédrale, magnifique bâtiment go-
thique du quatorzième siècle, divisé en trois nefs , dont on
admire le somptueux maUre-autel et la tour, construite
en 1519 par Jean Lutz. Derrière l'église s'étend le cimetière,
avec des arcades décorées de belles fresques et d'autres or-
nements d'architecture par Rainalter. Parmi les autres édi-
(icos on remarque encore la halle, le palais de l'archiduc
iîénier, qui habite Botzen <lepuis 1848, l'auberge de la Cou-
ronne Impériale avec un petit théûtre, le palais Sonthein» et
l'hOtel de l'Ordre Teutonique.
Quoique les foires »le Botzen aient beaucoup perdu de
h-ur importance, cette ville est toujours l'entrepôt du corn-
Djercc entre l'Italie et l'Allomai^ne. Les princii>au\ articles
d'exportation sont la soie, le coton, les fruits. L'industrie v
est sans importance. Les habitants s'occupent surtout et
avec succès de la culture du mûrier, des arbres fruitiers, tt
de la vigne. Les arbres du midi se cultivent en plein air, le
climat y étant extraordinairement doux l'hiver, et la chaleur
môme presque intolérable en été.
L'histoire fait mention de Botzen dès l'année 378; elle
fut soumise ensuite aux Lombards (G80) et aux Francs (740).
Plus tard elle devint la résidence des margraves bavarois
de la famille des Guelfes. En 1027 l'empereur Conrad II I»
donna aux évêques de Trente. Elle fut dès lors un sujet de
querelle entre ces derniers et les comtes du Tyrol jusqu'à
ce qu'elle tombât sous la domination autrichienne.
On trouve dans les environs Sigmundskron , aujour-
d'hui magasin à poudre, d'où l'on jouit d'une belle vue sur
la vallée de l'Adige; Maratsch, avec une route romaine;
Neuglstein, avec des fresques exécutées par d'anciens ar-
tistes allemands ; l'abbaye de Grins, avec une des plus befies
églises du Tyrol, ornée de fresques et de peintures par
KnoUer ; Maultasch elGreifenstein, sur des rochers presque
inaccessibles. Des pyramides naturelles de terre hautes de
18 à 31 mètres s'élèvent sur les flancs du Kitterberg près
de Langmoos.
BOUC, mâle de la chèvre.
La détestable odeur du bouc de la race européenne attira
de tous temps à cet animal une malveillance dont il fut
longtemps la victime. Aujourd'hui même le culte des dif-
férentes sectes chrétiennes contribue à propager cette opi-
nion défavorable , en introduisant dans les chants sacrés le
bouc comme un emblème de malédiction , tandis que la
brebis y est traitée avec une prédilection que sa douceur
lui a méritée. Les Grecs immolaient un bouc sur les autels
de Bacchus, non , comme le disent certains commentateurs,
parce que les ravages commis dans les vignobles par cet
animal excitaient le coiirroux du dieu ; car la chèvre n'est
pas moins dévastatrice , et cependant on l'épargnait. La
vache n'obtint pas cette faveur, et partagea constamment lo
sort du taureau. La brebis même était souvent immolée sur
les autels des dieux , et la chèvre laissa toujours cet honneur
au mule de son espèce. Aux (êtes de Bacchus, célébrées
dans toute la Grèce, c'était par le sacrifice d'un bouc que
l'on préludait aux chants joyeux, aux mascarades et aux
autres divertissements auxquels on se livrait aux champs
comme à la ville , divertissements qui furent , comme ou
sait, l'origine très-peu reconnaissable de la tragédie. Ce-
pendant, la proscription du bouc ne fut pas universelle; les
Égyptiens s'en abstinrent, par respect pour le dieu Pan , ses
pieds fourchus et ses cornes. Quelques villes d'Egypte dé-
cernèrent môme des hommages à cet animal , si universel-
lement condamné en Europe, où on ne le conservait que
par nécessité.
Dans le Nouveau Testament, Jésus-Christ emploie le mot
bouc pour désigner les réprouvés (Matth., xxv, 32-33) :
« Toutes les nations, est-il dit, se rassembleront devant
lui, et il séparera les uns d'avec les autres, comme un
berger sépare les brebis d'avec les boucs ; il placera les
brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. »
liOUCAGE, genre de la famille des ombellifères , ainsi
nommé de l'odeur de bouc très-forte qui émane des racines
et des semences d'une de ses espèces. Quatre espèces de
boucages croissent communément en France; ce sont le
boucage majeur (pimpinelta magna), le boucage mineur
(pimpinella saxifraga), Vanis (pimpinetla anisum), et
la pimpinella peregrina. Ces espèces coiffèrent surtout par
la grandeur de leurs tiges et de leurs feuilles; car elles ont
toutes une racine longue, blanchâtre, un peu fibreuse et
fort piquante au goût. Leurs fouilles radicales sont penna-
tiséquées, tandis que les caidinaires sont très-finement la-
ciniées; elles ont nu goût moins piquant et moins désagréa-
ble que leurs racines. Les liges sont brancliucs, hautes de
BOUCAGE — BOUCAN
493
cinquante centimètres dans la grande espèce. Lcnrs fleurs,
communément blanchâtres et quelquefois purpurines, sonten
ombelles; chacune d'elles est composée de cinq pétales iné-
fiaiix , échancrés et disposés comme le sont les fleurs de lis
(les anciennes armes de France. Leurs semences sont arron-
dies, cannelées et menues comme celles du persil. Les racines
du boucage sont fort apéritives et très-diurétiques. A ces
racines sont attachés quelquefois de petits globules ronds
( dans la pimpinella saxifraga ) qui teignent en rouge comme
le kermès. On fait avec les semences du boucage une huile
essentielle, bleue, qui sert dans quelques contrées, à Franc-
fort , par exemple, pour teindre l'eau-de-vie en cette cou-
leur, mais qui lui communique une âcreté désagréable.
BOUCAN, BOUCANER, BOUCANIER. L'histoire de
ces trois mots présente deux époques. La première remonte
à la formation de notre langue. Dans le bas latin qui fut en
usage en France pendant les deux premières races et le com-
mencement de la troisième, le substantif latin hirctis ( bouc)
se trouva remplacé par le mot buccus, dont nous avons fait
le substantif bouc. L'antiquité, en donnant la forme de
demi-boucs à ses satyres , a consacré ce fait généralement
connu, que de tous les animaux les boucs sont les plus las-
cifs. L'odeur qu'ils répandent est forte , mauvaise. Il n'est
donc pas étonnant qu'à l'exemple des Romains , qui ont fait
de Ivpu lupanar, nos pères aient appelé boiccan un lieu
de la plus sale débauche. De là boucaner, c'est-à-dire
imiter les boucs , se livrer à la lubricité , se plaire dans la
puanteur, hanter les boucans; et boucanier, homme qui
boucanne, habitué de boucans. En un mot, depuis la for-
mation de notre langue , jusques vers la fin du quinzième
siècle, constamment l'expression boucan signifia un lieu
de prostitution et de débauche du plus bas étage, et bouca-
nier un coureur de mauvais bouges et de filles de joie. Au
commencement du seizième siècle, ces mots, remplacés par
d'autres aussi énergiques, devinrent beaucoup moins en
usage; bientôt même ils disparurent du langage habituel, et
ne furent plfTs employés, dans cette acception, que siu-
quelques points éloignés de la côte de Normandie : peut-être
y auraient-ils également cédé la place aux locutions nou-
velles, si, vers l'an 1660, l'établissement de quelques ban-
dits dans l'île de Saint-Domingue ne les avait fait revivre
dans un sens nouveau.
Nous arrivons ainsi à la seconde époque historique de
ces mots. Il y avait près de quarante ans que les Esi)agnols
occupaient, sans être inquiétés, les points principaux de
l'île de Saint-Domingue, quand plusieurs aventuriers fran-
çais vinrent s'établir sur la côte septentrionale de celte vaste
possession. D'abord en petit nombre, ils virent successive-
ment accourir vers leurs huttes tous ceux de leurs compa-
triotes de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Grenade,
auxquels la tyrannie de privilèges commerciaux exclusifs
enlevait le libre exercice de leurs bras et de leur industrie.
Dévastes forêts, s'étendant fort loin dans les terres, cou-
vraient tous les points de la côte où ils s'étaient assis ; et
une grande quantité de sangliers, de nombreux troupeaux
de bœufs sauvages, issus de taureaux et de vaches domes-
tiques portés dans l'île par les Espagnols , et que la négli-
gence de ceux-ci avaient laissés échapper, peuplaient ces
immenses solitudes. Privés de tout secours de la mère-patrie,
obligés de pourvoir par eux-mêmes aux premiers besoins de
la vie , les nouveaux colons cherchèrent dans la chasse leur
nourriture et une partie de leurs vêtements. Les produits de
leurs courses devinrent bientôt si abondants, qu'ils puient
songer à faire des animaux sauvages abattus par eux l'objet
d'un commerce lucratif. A mesure qu'un bœuf était tué, on
l'écorchait, on coupait l'animal par quartiers et l'on trans-
portait le tout à l'habitation. Ces intrépides chasseurs occu-
paient une ef.pèce de loge dont l'immense foyer était couvert
par une claie ou gril en bois sur lequel ils rôtissaient ou
liimaienl la viande, ou séchaient les peaux. L'épaisse vapeur
qui remplissait ces huttes , l'odeur Insupportable qu'y ré-
pandait ce mélange de chairs et de peaux soumis à l'action
du feu, la malpropreté inhérente à ces préparations et aux
grossières habitudes de leurs habitants, faisaient de ces loges
de véritables boucans, dans toute la vieille acception du
mot : ce nom leur resta. On appela boucaner le modo
qui y était en usage pour faire rôtir ou sécher les viandes
et les peaux ; et leurs possesseurs prirent ou reçurent le
nom de boucaniers.
L'équipage de chasse des boucaniers consistait : en une
meute de vingt-cinq à trente chiens , parmi lesquels se trou-
vaient toujours un ou deux veneurs chargés de découvrir
et de lancer le gibier ; en un fusil excellent , long de 1", 60,
portant des balles de 30 grammes et fabriqué à Dieppe ou à
Nantes; et en 7 à 10 kilogrammes detrès-bonne poudre, qu'ils
faisaient venir de Cherbourg, et qu'ils plaçaient dans des
calebasses bouchées avec de la cire. Leur habillement se
composait : de deux chemises, d'une casaque et d'un haut-
de-chausses de grosse toile, d'un cul de chapeau en feutre ou
d'une calotte de drap ayant un rebord sur le devant, et de
souliers en peau de sanglier, de bœuf ou de vache ; la jambe
restait nue, et ils avaient pour ceinture une mauvaise cour-
roie où pendait un sabre très-court et quelques couteaux.
Comme leurs courses duraient souvent plusieurs jours, ils
portaient en outre, roulée autour d'eux en bandoulière , une
petite tente de toile très-fine , destinée à les protéger pen-
dant la nuit contre les moucherons et les brouillards hu-
mides des forêts. Tous avaient le même équipage et la même
manière de vivre. Isolés dans la nouvelle patrie qu'ils s'é-
taient créée, sans femmes, sans enfants, ils s'associaient
deux à deux pour se rendre les services qu'on reçoit dans
une famille; il y avait communauté de biens entre les as-
sociés, et l'un mort, tout ce qu'il possédait devenait la
propriété de son compagnon. Les loges restaient ouvertes
à tous venants; et cependant jamais aucun larciu n'était
commis. Ce qu'on n'avait pas chez soi, on allait le prendre
chez le voisin, sans autre obligation que de prévenir ce
dernier lorsqu'il était là ou de l'avertir après coup quand
il n'y était pas. Les querelles étaient rares et facilement
terminées ; lorsque les parties y mettaient de l'opiniâtrcfé,
elles vidaient le différend à coups de fusil. Si une des balles
avait frappe par derrière ou trop de côté, les témoins pro-
nonçaient qu'il y avait perfidie, et cassaient immédiatement
la tête à l'auteur de l'assassinat. Ils ne connaissaient pas
le pain : toute leur nourriture consistait en viande grillée,
qu'ils assaisonnaient avec un peu de piment et du jus de
citron; l'eau était leur seule boisson. L'occupation d'un jour
était celle de toute l'année.
Quand ils avaient rassemblé le nombre de cuirs ou la
quantité de viande fumée qu'ils voulaient livrer aux navires
des différentes nations qui fréquentaient ces mers, ils al-
laient les vendre dans quelques-unes des rades de la côte.
Cette cargaison y était portée par des engagés, espèce
d'hommes qui , séduits par tout ce qu'on leur racontait des
richesses de l'Amérique , consentaient à échanger trois ans
de leur liberté contre l'espérance de revenir chargés d'or et
de diamants. Malheur à ceux qui tombaient entre les mains
des boucaniers! Les rêves brillants des pauvres diables
étaient bientôt évanouis ; ils s'étaient vendus , convaincus
qu'ils allaient saisir la fortune ; ils ne trouvaient que l'es-
clavage le plus rude. Un de ces maliieureux , dont le maî-
tre choisissait toujours le dimanche pour principal jour de
corvée, ose lui représenter que Dieu a proscrit cet usuge
en disant : Tu travailleras six jours, et te reposeras le
septième! Et moi, répond le boucanier, je dis : Six jours
tu tueras des taureaux et les écorcheras! et le septième
tu en porteras les peaux au bord de la mer! Cette seii-
tence fut accompagnée d'un déluge de coups de bâton.
La colonie espagnole, d'abord considérable, s'otait ré-
duite à rien. Le peu d'habitants qui y étaient restés, p.is-
491
fiaient leurs nuits à jouer et leurs jours à se faire bercer
dans des lianiacs par leurs esclaves. LonRtemps, l'existence
des boucaniers fui pour eux un voisinage ignoré. Mais
lorsque ces aventuriers vinrent pousser leurs courses jus-
que dans les prairies et dans les cours des maisons des
léthargiques habitants de Santo-Domingo, ceux-ci se ré-
veillèrent; ils appelèrent du continent et des îles voisines
.i'assez nombreux corps de troupes, qui firent aux bou-
caniers une chasse rude et meurtrière : obligés .de se
séparer pendant le jour, les boucaniers se rassemblaient
chaque soir pour veiller à la sûreté commune. Si quelqu'un
manquait, on concluait qu'il avait été pris ou tué; et les
chasses étaient suspendues jusqu'à ce qu'on l'eût retrouvé
ou que sa mort eût été vengée par le massacre de plusieurs
ennemis.
Cette lutte aurait sans doute fini par devenir faille aux Es-
pagnols, si, désespérant de vaincre des adversaires aussi
aciiarnés, il? ne s'étaient avisés de mettre fin à la dispute en
détruisant l'objet qui l'avait fait naître. Au lieu de chasser
aux boucaniers, ils chassèrent aux bœufs, et, à force de
battues générales bien dirigées, ils parvinrent à anéontir ces
animaux jusqu'au dernier. Les boucaniers se virent alors
réduits à former des habitations et à les cultiver. La France
avait jusque alors désavoué ces intrépides chasseurs ; mais
quand elle les vit élever des établissements de quelque fixité,
elle leur envoya, en 16G5, un gouverneur intègre et intel-
ligent, ainsi que toute une cargaison de ces (èmmes que la
police ramasse dans les carrefours et au coin des rues : ce
singulier chargement fut distribué entre les nouveaux colons.
Je ne vous demande pas compte dupasse, disait chaque
boucanier à celle que le sort lui donnait; vous n^étiez pas
à moi. Mais aujourd'hui que vous m'appartenez, il me
faut répondre de l'avenir : je vous quitte du reste. Puis,
frappant de la main sur le canon de son fusil, il ajoutait :
Si vous me manquez, il ne vous manquera pas. Ce mé-
lange des deux sexes mit fin à l'existence des boucaniers;
ils devinrent colons. Cette nouvelle vie trouva toutefois quel-
ques opposants, qui allèrent chercher dans la petite île de la
Tortue une existence plus conforme à leur caractère et à
leurs habitudes. Cette île voyait alors se rassembler dans ses
nombreuses criques le noyau de ces autres aventuriers si
fiimeux et si connus sous Xenomde flibustiers.
Nous avons vu les trois vieux mots français JoucaH, bou-
caner, boucanier cesser d'être en usage chez nous vers
la fin du seizième siècle. Importés en Amérique au com-
mencement du dix-septième, par des aventuriers normands,
ils furent réimportés en France vers l'an 1650 avec le sens
qu'on leur donne aujourd'hui. Dans son acception actuelle,
boucan ne s'emploie guère cependant au figuré ; on s'en
sert toutefois dans le langage familier pour exprimer du
bruit, du tapage, du tumulte : c'est un boucan à ne pus
s'entendre; faire du boucan. Dans le sens propre, boucan
est le lieu où les chasseurs du Nouveau-Monde font fumer
leur viande; le gril de bois sur lequel ils la posent pour la
faire sécher; le bâti en claie, et rempli de fumée, qui sert
à préparer la cassave. Boucaner, c'est faire sécher de la
viande ou du poisson à la fumée; c'est aller à la chasse des
bœufs sauvages ; boucaner de la cassave, c'est la faire sé-
cher à la fumée; boucaner des cuirs , c'est les préparer
conune le faisaient les boucaniers; enfin le boucanier est
celui qui va à la chasse des boMifs sauvages. Nous ne con-
naissons pas cependant aujourd'hui de boucaniers réunis
en corps, en société; il n'y a plus que des boucaniers iso-
lés, opérant pour leiu- propre compte.
Achille RE Vaui.abelle, anc. miiilstrc de l'instr. publ.
BOUC ÉMISSAIRE (en hébreu bazazel, de haz,
bouc, et d'azcl, qui s'en va). A la fôte de l'Expiation so-
lennelle, qui avait lieu le 10 du mois tizri, où commençait
l'année civiledes Juifs, le grand prêtre, sanséphod, sans ra-
lional , remplaçant par une simple robe de lin sa robe ma-
BOUCAN — LOUCHARDON
gnifique couleur d'hyacinthe , recevait des mains des princes
du peuple deux boucs p^iir le péché. L'un de ces boucs
devait être immolé, l'autre mis en .iherté; c'était le sort
qui en décidait: Hazazel, le bouc libre, \ebouc émissaire,
chargé d'imprécations et des péchés d'Israël , à la porte du
tabernacle, était traîné dans le désert par un homme qui l'a-
bandonnait au milieu des précipices , ou qui , selon d'autres ,
l'y jetait avec violence. A son retour, comme souillé du
contact de l'animal, cet homme se purifiait. Les paiensaussi,
dans les calamités , détournaient la colère de leurs dieux
sur des animaux et même sur des hommes. Les Marseillais,
au rapport de Pétrone , précipitaient du haut des roches
des créatures humaines ; elles Égyptiens, selon Hérodote,
ayant chargé d'anathèmes et de malédictions la tête de cer-
tains animaux , après l'avoir coupée , la jetaient avec hor-
reur dans la mer.
Chez nos peuples civilisés on appelle, au figuré, bouc
émissaire un malheureux, le plus souvent homme vertueux,
mais simple, que des sycophanles accusent de tous leurs
torts et qu'ils sacrifient. Denne-Baron.
BOUCIIARDON (Edme), l'un des statuaires de cette
École française du dix-huitième siècle dont les œuvres ne
sont ni sans mérite ni sans grâce, naquit en 1C98, à Chau-
mont en Bassigni , d'un père qui y exerçait la profession
d'architecte, et avait commencé par être sculpteur. De
bonne heure le jeune lîouchardon s'appliqua , sous la di-
rection de son père , à l'étude du dessin. Il peignit et modela
tout d'abord d'après nature, ce qui est une excellente ma-
nière pour s'initier profondément aux secrets de l'art, et
pour apprendre à en surmonter expérimentalement les diffi-
cultés. Aussi ne tarda-t-il pas à s'en rendre les procédés fa-
mihers. Ses progrès en sculpture fuient rapides, et tels que
sa famille en conçut les plus grandes espérances et l'envoya
se perfectionner à Paris. Il y étudia d'abord sous Coustou
jeune, qui tenait une école de sculpture en grand honneur
à cette époque. En peu de temps il se mit en état de rem-
porter le grand prix, qui valait aux vainqueurs, alors
comme aujourd'hui , d'être envoyés à Rome aux frais du
gouvernement. Ce fut, selon toute apparence , vers 1727
qu'il s'y rendit. Là, ses premières études portèrent princi-
palement sur les précieux restes d'art et sur les chels-
d'œuvre qui abondent dans cette métropole de la chrétienté.
Il se fortifia de la sorte, et se mûrit pour la sculpture, sur
laquelle il fondait avec raison tout l'espoir de sa gloire et de
sa fortune. Déjà plusieurs œuvres remarquables témoignaient
avec éclat de son talent, notamment les bustes du pape
Clément XII et celui de la femme de \\leughcls, directeur
de l'Académie de France à Rome , d'une expression gra-
cieuse et franche. Un ouvrage de plus d'importance allait
lui être confié, lorsqu'il fut rappelé à Paris dans le courant
de 1732.
Dès son arrivée il fut chargé, pour Versailles, Gros-Bois
et autres résidences, de nombreux ouvrages, qui tous lui
firent honneur, malgré la hâte qu'il mettait à les exécuter.
Bouchanlon jicupla ainsi nos jardins publics et plusieurs
parcs privilégiés d'innombrables statues mythologiques ou
allégoriques d'un goût un peu bûtard , mais fort recom-
mandables parles détails et le modelé, et sous ce rapport
di,!!;nes encore de l'attention et de l'étude des artistes. En
17:10, Chaulfournier, dessinateur de l'Académie des Belles-
Lettres, mourut; Bouchardon fut appelé à lui succéder. Il
était très-versé dans la connaissance des pierres antiques, et
il fit en 1750 les dessins d'un traité des pierres gravées,
publié cette même année. Il avait été reçu membre de l'A-
cadémie de Peinture dès 1744.
Bouchardon exagérait l'expression et la grâce dans le
marbre, ve qui le fraisait souvent tomber dans la roideur et
l'afféterie. En général , ses sculptures ne sont pas exemples
de manière. Son dessin est pur, agréable, correct, mais il
manque de naïveté; il n'est pas assez nature, pour nous
BOUCHARDON -
seniid'une expression fort usitée dans les ateliers. Ses formes
d'ordinaire sont rondes et grasses, et trahissent un air de fa-
mille trop prononcé dans tout ce qui est sorti de ses mains.
La fontaine de la rue de Grenelle-Saint-Germain, due
tout entière à Bouchardon , qui en traça le plan et en exé-
cuta lui-même toutes les parties , est son chef-d'œuvre. Elle
est d'un goût un peu lourd peut-être ; mais les marbres
principaux en sont bons, et les détails travaillés avec le plus
grand soin. Ce sculpteur mourut à Paris, le 27 juillet 1762.
Charles Romey.
BOUCHE, mot formé du latin bucca, qui signifie sim-
plement la cavité des joues, quand on les enfle pour sonner
la trompetle.
La bouche de l'homme présente une organisation très-
complexe. Des pièces osseuses forment une enceinte com-
plétée en bas et sur les côtés par des masses charnues ou
muscles destinés à les mouvoir. La conformation des mâ-
choires est disposée merveilleusement : l°pour circons-
crire un espace où se trouve la langue; 2° pour recevoir
par implantation trois sortes dedents; 3" pour être inscrite
dans les cavités que forment sur les côtés les joues, en
avant les lèvres et les parties molles du menton, en des-
sous les téguments sous-mentomiiers. La peau extérieure
revêt ainsi les parois charnues et solides de la bouche. La
cavité buccale est en outre tapissée , tant en dedans qu'en
dehors des arcades dentaires , par une peau interne rouge.
Cette membrane cutanée buccale se modifie dans ses por-
tions qui revêtent le palais, la langue, et dans celle qui
entoure les arcades dentaires ( voyez Gencives ). Un repli
de cette peau interne forme le frein de la langue. La salive
est fournie abondamment pendant la mastication par six
glandes , trois de chaque côté. La cavité buccale commu-
nique avec le pharynx, par une grande ouverture, dont
le contour est formé en bas par la racine de la langue, et en
haut par une partie mobile dite voile dic palais , et offrant
sur chaque côté deux plis nommé?, piliers du voile, entre
lesquels sont placées les amygdales. Des vaisseaux san-
guins, artériels et veineux, des lymphatiques, des nerfs
nombreux et considérables , vivifient toutes les parties de
la bouche.
Dans les animaux supérieurs , la bouche est le plus sou-
vent située à l'extrémité antérieure de la tête , dans la por-
tion inférieure ou antérieure de la face. A son plus liant
degré d'organisation, elle présente six parois, savoir :
une inférieure, qui en forme le plancher : c'est la paroi lin-
guale; une supérieure, qui en est la voûte ou le plafond:
c'est le palais ou paroi palatine, dont une portion est fixe
et solide; l'autre, molle, plus ou moins mobile, se nomme
voile du palais ou valvule des arrière-narines ; deux pa-
rois latérales, formées par les côtés des màclioires, la partie
postérieure des arcades dentaires et les parties molles des
joues. Les glandes parotides versent leur fluide salivaire
sur cette paroi, tandis que les canaux excréteurs des glandes
sublinguale et maxillaire s'ouvrent dans la région inférieure.
Ce qu'on nomme la paroi postérieure de la bouche est l'ou-
verture de cette cavité qui conduit au pharynx ; on la dé-
signe sous le nom d'arrière-bouche ; elle est opposée à la
paroi antérieure foi-mée par la partie antérieure des os
maxillaires, les rangées dentaires incisives et canines, et les
lèvres. L'écartement des mâchoires et des lèvres forme dans
cette paroi l'ouverture antérieure ou avant-bouche. Parmi
les fonctions nombreuses qu'elle exécute, celles auxquelles
elle est plus spécialement affectée, et dont le siège n'est
jamais dans une autre partie de l'organisme, sont la sensa-
tion des saveurs, la mastication, rinsalivation,lal'ormation
du bol alimentaire et le commencement de la déglutition. La
bouclie étant destinée à recevoir l'impression faite sur la
peau buccale par les corps sapides, peut même être consi-
dérée comme l'appareil de la gustation. A ce titre, elle fait
paiîio de l'appareil des sensations externes; mais, en raison
BOUCHE DU ROI
495
de la connexion de ses fonctions avec celles du canal di-
gestif, elle appartient aussi plus intimement à l'appareil de»
voies alimentaires.
La bouche, étant intérieurement tapissée d'une muqueuse,
est exposée à des ulcérations qui peuvent être occasionnées
par une simple inflammation locale, par la maladie véné-
rienne, par l'usage du mercure, et par le vice scorbutique.
Quant à ces petites ulcérations superficielles se présen-
tant sous la forme de points blanchâtres arrondis , répandus
çà et là, elles ont reçu le nom particulier d''aphthes.
Enfin la bouche est encore sujette à une inflammation gé-
nérale appelée stomatite, dont le millet, blanchet ou
muguet, qui attaque si souvent les enfants, n'est qu'un
cas particulier.
Si les bornes dans lesquelles nous devons nous renfermer
nous permettaient d'examiner l'organisation de la bouche
depuis les mammifères les plus rapprochés de l'espèce hu-
maine jusqu'à l'éponge, limite inférieure du règne animal,
nous constaterions facilement la simplification progressive de
la composition organique de cette partie. Nous verrions cet
organe , toujours approprié au genre de nourriture qui con-
vient à l'animal çt au milieu dans lequel il vit, se di'grader
dans la première classe des vertébrés, tout en conservant ses
caractères distinctifs, excepté dans l'ornilhorhynque,
qui sous ce rapport sert de transition entre les mammifères
et les oiseaux. Du bec de ces derniers nous passerions à l'ap-
pareil buccal des deux autres classes de vertébrés , et enfin,
descendant toujours l'échelle animale, nous pourrions cons-
tater au dernier degré l'absence de tout organe comparable
à une bouche. Mais ce travail exigerait des descriptions qui
trouveront leur place dans les articles relatifs aux classes,
aux ordres et aux familles d'animaux. Remarquons seule-
ment que dans la marche descendante que nous venons
d'indiquer la bouche remplit des fonctions de moins en moins
importantes. Sous ce point de vue les mammifères occupent
toujours le premier rang ; mais c'est chez l'homme que la
bouche est appelée à remplir les plus hautes fonctions , en
concourant à l'émission des sons dont l'ensemble constitue
la parole. Chez les oiseaux , c'est à peine si elle sert à la
mastication et à l'insalivation : les perroquets seuls triturent
et goûtent leurs aliments. Dans une partie des reptiles le
voile du palais disparaît, et les fonctions respiratoires of-
frent de grandes modifications {voyez Branchie). Chez les
poissons , la bouche , complètement dégradée sous le rap-
port du goût, montre une langue presque réduite à sa base
osseuse, c'est-à-dire à la pièce linguale de l'os hyoïde, etc. , etc
Arrivant au bas de l'échelle animale, nous trouvons des
animaux chez qui la bouche n'est plus que l'orifice du canal
digestif commençant par l'œsophage , dans lequel sont im-
luediatement introduits les aliments. Enfin, dans les éponges,
d'après les recherches de Grant, l'absence du canal intestinal
entraîne aussi celle de la bouche , qui est remplacée par des
pores nombreux.
Le mot bouche donne naissance au figuré à une multi-
tude d'acceptions qui n'ont pas besoin d'être expliquées. Tout
le monde sait ce qu'on entend , dans les armées de terre et
de mer, par les bouches à nourrir, par les provisions de
bouche, et chez les rois, par le service de la bouche, ou
simplement par la bouche de sa majesté, et par les officiers
de bouche. Autant on fuit l'homme mal embouché, autant
on recherche le cheval qui a la bouche fine. On ferme la
bouche à un médisant; on est à bouche que veux-tu avec
un gai convive. Mais on a tort, dans un fin repas, de garder
tout ce qu'il y a de meilleur pour la bonne bouche, et de
faire la petite bouche devant des plats ou des vins qui font
venir Yeau à la bouche. Le proverbe latin Occidit plus
gula qïiàm gladius (La bouche a tué plus d'hommes que
l'epée) est une vérité qui se confirme tous les jours.
BOUCHE DU ROI. On appelait ainsi autrefois en Franc-e
les divers offices préposés au service alimentaire du roi. Ces
496
BOUCHE DU ROI
offices étaient au nombre de sept : 1° l'écliansonnerie-bou-
clie ou gobelet ; 2° la cuisine-bouche ; 3" la paneterie-bouclie ;
4" l'échansonnerie du commun; 5" la cuisine du commun ;
(;" la paneterie du commun; 7» la fruiterie, puis enfin, sui-
vant quelques auteurs, la fourrière, c'est-à-dire la fourni-
ture du bois. Après le grand maître, chef souverain, le
grand échanson ou bouteiller, le grand panetier et le
grand écuycr-tranciiantétaientà la tête de cette milice
domestique. Mais les privilèges attachés à leurs charges
avaient été successivement abolis par la politique des prin-
ces, qui les avaient réduites à n'être plus que des fonctions
purement nominales.
11 serait historiquement impossible d'assigner Irpoque
précise de l'érection de tous ces offices , qui varièrent d'ail-
leurs à chaque règne. Si l'on remonte jusqu'à Charlemagne,
on voit, que, malgré sa puissance et l'étendue de ses
États , il vivait simplement dans son intérieur. Les femmes
de sa maison filaient ses habits ; et il se nourrissait des fruits
de son jardin , dont il taisait vendre le superflu , ce qui per-
met de supposer que ses repas n'étaient guère plus re-
cherchés que ses vêtements. Quand la féodalité eut détrôné
ses successeurs, les rois de France, choisis par leurs égaux,
n'étaient i)as assez riches pour soutenir les frais d'une cour;
mais à mesure que tour pouvoir s'agrandit , ils s'environ-
nèrent d'un faste en rapport avec leur haute dignité. Au
temps de saint Louis, dans les jours de solennité, les plus
grands seigneurs du royaume remplissaient les fonctions
d'cchanson et d'écuyer. « A la cour plénièrc tenue à Sau-
mur, dit Joinville, en son vieux langage, devant la table li
roy, endroit (vis-à-vis) li comte de Drevez ( Dreux ) , man-
geait monseigneur li roy de Navarre, et jetranchoie devant
li. Devant li roy servoit du mangier le comte d'Artois , son
frère; devant li roy tranchoit du coutel li bon comte Jehan
de Soissons. »
Il est probable que dès lors des officiers inférieurs s'ac-
(piittaient journellement des mêmes (onctions , puisque
Philippe le Bel, dans une ordonnance datée de 1285, nous
apprend que le personnel de sa cuisine se composait de cinq
queux (cuisiniers), quatre iiasteurs (rôtisseurs), quatre
pages, deux soudleurs, quatre enfants (marmitons ), deux
sauciers, un poulailler (officier pour la volaille) , sept frui-
tiers , et trois valets pour la chandelle. Les successeurs de
Pliilii)pe le Bel maintinrent leur cuisine à peu près dans le
môiue état jusqu'à Charles V , qui étala une magnificence
vraiment royale. Possesseur tranquille du royaume, il s'oc-
cupa de régler ce qui concernait le service de sa personne ,
acheta pour son usage une immense vaisselle d'or, d'argent,
de vermeil , et s'entoura d'un grand nombre d'officiers de
bouche.
Louis XI, roi roturier, méprisait le faste par goût et par
l)olitique. Négligeant sa table comme ses habits, il allait
manger sans façon chez les riches bourgeois de sa capitale;
on vivait chez lui frugalement. Parvenu au trône à vingt ans,
iMançois \" se livra à son amour de l'éclat , de la magni-
ficence , et surpassa ses prédécesseurs dans le luxe et la dé-
licatesse de la table; ses grands officiers, ses gentils-hommes
servants et jusqu'à ses valets de chambre , avaient chacun
sa table défrayée par le prince. Mais Charles IX et Henri 111
firent, dit Brantôme, sur leurs maisons et mangeailles
beaucoup de retranchements ; c'était par boutade qu'on
y faisait bonne chère, car le plus souvent la marmite se
renversait. Au milieu des orages de son règne, Henri IV
n'eut pas le temps de i)enserà sa cuisine, et vécut trop i)eu
après son triomphe pour restaurer autre chose que son
royaume. La régence de sa veuve, troublée i)ar raiid)ilion
des grands, soulevés contre un indigne favori, puis l'Iiumeur
triste de Louis XIII, empêchèrent la cour de reprendre sa
splendeur. Anne d'Autriche , établie au Palais Cardinal, ne
put, à travers les dilapidations de Jlazarin, les exigences
des courtisans, les sédilicns de la Fronde , songer à d'autre
soin qu'à défendre son autorité. A cette époque orageuse, le
service auprès de sa personne était fait avec si peu de lar-
gesse et de cérémonie, que les dames, au dire de l'une d'elles,
M"'* de Motteville, soupaicnt le plus souvent des reliefs
de Sa Majesté, et s'essuyaient la bouche et les mains avec sa
serviette.
Lorsque enfin le calme eut succédé à la tourmente, Anne
d'Autriche s'occupa de réorganiser l'entourage de la royauté.
Un règlement, en date de l'année 1652, fixa le nombre et les
devoirs des officiers attachés au service immédiat du jeune
roi. Douze maîtres d'hôtel ordinaires se succédaient par
quartier, ayant sons leurs ordres les officiers infériems de
la bouche ; ce qui n'empêchait pas que l'on ne comptât en-
core jusqu'à cent soixante-dix maîtres d'hôtel tous gagés,
sans en mentionner un nombre infini d'autres non gagés,
entre lesquels le grand maître avait le droit de choisir (jui
bon lui semblait. C'en était assez pour autoriser ceux qui
avaient été ainsi désignés, à prendre le titre de maître d'hô-
tel , à faire appeler leurs femmes , madame, et à se glisser
dans les rangs de la noblesse.
Dès qu'il régna par lui-même, Louis XIV, qui faisait
entrer dans sa politique son goiU pour la représentation ,
créa Versailles, où il s'entoura d'un domestique encore plus
nombreux , dont il régla les fonctions par une ordonnance
en 41 articles, «jui fut dressée par Colbert. On y prescrit
aux officiers de l'échansonnerie-bouche d'aller en personne
quérir l'eau pour l'usage de sa majesté et prendre le vin à
la cave des marchands. On y règle qui doit en l'absence du
grand maîfre donner la serviette au roi, quand il se met à
table ; quel cérémonial doit être obsen'é quand on apporte
le couvert et la viande, précédés de l'huissier de service,
des officiers du gobelet et escortés des gardes du corps ; quel
officier a le droit de servir sa majesté lorsqu'elle demande
à boire étant au conseil , lorsqu'elle prend son bouillon le
matin , lorsqu'elle rend le pain bénit à sa paroisse ou avale
une médecine. Toutefois, en comparant la maison de
Louis XIV avec celle de Charles V , on est fort surpris de
reconnaître que la cuisine de ce dernier était plus complète
que celle de son glorieux successeur, où l'on ne trouve point
de sauciers, chargés spécialement de cette partie si impor-
tante de l'art culinaire.
Quand la première république eut détrôné la royauté, la
bouche du prince fut supprimée en même temps que sa cou-
ronne, mais ce ne lut pas pour longtemps. Dans les communs
du Luxembourg, vous eussiez trouvé, il y a cinquante-six ans,
entre quatre et cinq heures de l'après-midi, trente artistes a
la coquette. veste blanche, à l'ambitieux bonnet de coton,
fonctionnant intrépidementdevant d'interminables fourneaux
sur lesquels on apercevait quatre cents casseroles en activité
de service. Ils préparaient le /rwr/fi/ dîner du. . . Directoire!
Venu modestement en fiacre aux Tuileries avec ses deux
collègues, l'un des consuls délogea ses compagnons pour
jouer plus à l'aise un nouveau rôle, celui d'empereur. Il eut
une cour nombreuse , meubla sa cave et peupla sa cuisine
d'officiers grands et petits. Des piéfets du palais furent mis
à la tête de la bouche impériale, et assistèrent régulière-
ment aux repas du monarque, qui était servi par des pages.
11 eu fut ainsi jusqu'au jour où Louis XVIIl reprit la place
de ses ancêtres. A sa suite reparurent les noms et les sou-
venirs du passé. Des maîtres d'hôtel remplacèrent lès pré-
fets du palais, et présidèrent comme jadis à tout ce qui con-
cernait la table. Un peloton de gardes du corps escorta le
dîner de samajesté,auxquels d'autres gardes du corps, éche-
lonnés sur sa route, présentèrent gravement les armes. Char-
les X maintint et étendit encore l'œuvre de son frère. Sous
Louis-Philippe il n'y eut plus déchanson , plus de panetier,
plus d'écuyer-trauchant. Réduit à l'entourage le plus sim-
ple, le roi citoyen, lorsqu'il traitait dans son palais, s'impw»-
visait des pages, cl prenait à lajournée desofficiers de bouche,
dits extra. Saint-Phosi'ER jeune.
BOUCHE DU ROI — BOUCHER
La république de 1848 a eu quelques velléités de revenir
aux us et coutumes culinaires de la grande royauté de
Louis XIV. Certains grands hommes de cette époque, qui
n'avaient pas de souliers la veille, se sont pavanés dans les
carrosses de la cour; d'autres, qui s'estimaient heureux de
dîner à vingt-deux sous , ont mangé effrontément dans de la
vaisselle plate. Les journaux mal pensants ont enregistré le
splendide menu de cet orgueilleux président de l'Assemblée
constituante , qui avait des cochers poudrés à blanc et des
laquais en bas de soie et grande livrée, qui se faisait pré-
céder de massiers comme au bon vieux temps , et ordon-
nait qu'à son approche on battît aux champs comme lorsque
Napoléon entrait dans une ville conquise. C'était beaucoup
trop désopilant pour pouvoir être durable.
Aujourd'hui que le neveu de l'empereur est au timon de
la République, il semble que nous ne sommes pas éloignés
de voir refleurir la bouche impériale dans tout son éclat et
que les anciens préfets du palais ne sont pas peut-être aussi
passés de mode qu'on se l'imagine. Au fait, il y a longtemps
qu'on l'a dit : Il faut que tout le monde vive.
BOUCHER, BOUCHERIE. Le boucher est celui qui
exerce le métier d'abattre les bestiaux , et d'en vendre la
chair au détail dans des boutiques appelées étaux ou bou-
cheries. Par le mot boucherie on désigne également tout
ce qui concerne le commerce du boucher; et avant la créa-
tion des abattoirs, il servait à exprimer le lieu même où
1 on tuait les animaux destinés à la consommation.
On appelait laniense, chez les Romains, les endroits où
l'on tuait, et macella ceux où l'on vendait. Les bouchers
romains, comme les nôtres, furent d'abord épars en diffé-
rents endroits de la ville; mais avec le temps on parvint
à les rassembler au quartier de CxUmontium, qui prit la
dénomination de Macellum Magnum, après qu'on y eut
transféré aussi les marchés où se vendaient les autres sub-
sistances. Le Macellum Magnum, ou la Grande-Boucherie,
devint, dans les premières années du règne de Néron, un
édifice comparable pour sa magnificence aux bains , aux
cirques , aux aqueducs et aux amphithéâtres. L'accroisse-
ment de Rome nécessita dans la suite la construction de
deux autres boucheries , l'une sur la voie Esquiline et l'autre
sur le Forum.
La police que les Romains observaient dans leurs bou-
cheries s'établit avec leur domination dans les Gaules, où
les villes et métropoles municipales eurent leurs établisse-
ments de ce genre régis par des corporations semblables à
celles de Rome. Dès les premiers temps de notre histoire
nous trouvons déjà la corporation des bouchers de Paris,
organisée suivant les coutumes de l'ancienne Rome, qu'elle
avait conservées sans altération sensible. Un certain nombre
de familles composant une société, qui n'admettait aucun
étranger et transmettait ses droits aux descendants mâles ,
était de temps immémorial chargé du soin d'acheter la
quantité de bestiaux nécessaire à l'approvisionnement de
la ville, et d'en débiter la chair dans les étaux. Elles élisaient
entre elles un chef à vie, qui portait le titre de maître des
bouchers, et auquel appartenait le droit de décider, sauf
appel devant le prévôt de Paris, sur toutes les contestations
qui concernaient le métier et l'administration des biens; la
possession de ces biens était commune à tous les membres,
à l'exclusion des filles, et les familles qui ne laissaient pas
d'héritiers mâles cessant d'appartenir à la communauté,
celle-ci profitait des héritages.
Paris n'eut longtemps qu'une boucherie, située d'abord sur
la place du parvis Notre-Dame, et transportée plus tard
près du Chàtelet , à l'endroit où la tour Saint-Jacques-Ia-
Bouchet'ie en rappelle encore le souvenir; quanta la bou-
cherie du parvis, qui avait été abandonnée , elle fut donnée
en 1222 par Philippe-Auguste à l'évéque de Paris. Les ac-
croissements de la ville engagèrent bientôt des industriels
étrangers à la vieille corporation à s'établir dans les cnvi-
DTT. DE LA COIWERS, — T. III.
497
rons du Châf elet ; mais les anciens, après avoir vouln les
forcer à renoncer à une profession dont ils prétendaient avoir
seuls le monopole, finirent par transiger avec eux, ache-
tèrent leurs étaux, et, les ayant réunis aux leurs, formè-
rent de l'ensemble un vaste bâtiment, qui fut appelé la
Grande-Boucherie. Une charte de Philippe le Haidi auto-
risa plus tard les Templiers à établir une boucherie dans le
voisinage de leur maison ; mais elle maintint dans toute leur
vigueur les usages , privilèges et franchises de la commu-
nauté de la Grande-Boucherie, qui conserva le droit de déli-
vrer des patentes à ceux qui voulaient ouvrir d'autres étaux.
Un autre de leurs privilèges était de ne pouvoir être arrêtés
pour dettes la veille ni le jour des marchés de Sceaux et de
Poissy.
Sous Cliaries YI les bouchers prirent une part active à
la querelle des Armagnacs et des Bourguignons. On sait que
Caboche, un des leurs, devint le chef du peuple parisien.
Les Armagnacs victorieux firent démolir la Grande-Bou-
cherie et celle du parvis, et abolirent tous les privilèges de
la corporation; mais leurs adversaires s'étant, à leur tour,
retrouvés les plus forts, les rétablirent, et relevèrent les
ruines des étaux du Chàtelet.
Devenus riches, les bouchers cessèrent d'occuper eux-
mêmes leurs étaux, et ils y mirent des locataires; le parie-
ment fixa le maximum des loyers, et décida qu'un conseiller
de la cour présiderait chaque année à leur adjudication.
Enfin, Henri HI, par ses lettres patentes du mois de fé-
vrier 15S7, réunit en une seule et unique communauté tous
les bouchers de la ville, qu'il érigea en corps de métier juré,
et leur donna des statuts.
Jusqu'en 1789 la boucherie de Paris resta à peu près
dans cet état. D'après une statistique antérieure du commis-
saire de police Delamare, le nombre des étaux devait s'é-
lever à trois cent sept environ , lorsque la révolution vint
balayer toute entrave et proclamer la liberté de toutes les
industries; mais les perturbations d'alors paralysèrent les
règlements basés sur les lois des leaoùt iTOOet 19 juillet 1791,
et il en résulta les abus les plus pernicieux pour la santé pu-
blique. Une foule de gens se mirent à étaler et à vendre de
la viande sur les places et dans les rues, dans les caves,
les chambres, les allées; aucune airveillance n'était exercée;
le désordre et le gaspillage devinrent tels que l'autorité prit
enfin des mesures, et un arrêté du 9 germinal an VUI porta
que nul ne pourrait exercer la profession de bouclier sans
être commissionné parle préfet de police. Le 8 vendémiaire
an XI un décret rétablit en corporation la boucherie pari-
sienne , institua un syndicat, et exigea de tout boucher, in-
dépendamment de l'autorisation du préfet de police, le ver
sèment d'un cautionnement qui variait de 1,000 à 2,000 ou
à 3,000 francs, selon l'importance des établissements. Le
décret impérial du 8 février 1811 fut plus restrictif encore;
il réduisit à trois cents le nombre des bouchers de la capi-
tale , affecta au rachat des étaux dépassant ce nombre les
intérêts des cautionnements dont le capital alimentait la
Caisse de P oissy, et réorganisa sur des bases nouvelles
celte caisse, sorte de banque chargée déjà depuis plusieurs
années de servir d'intermédiaire entre les bouchers et les
marchands de bestiaux et de faire à ceux-ci l'avance des
payements jusqu'à concurrence du cautionnement des ache-
teurs.
A partir de cette époque il ne fut rien modifié dans l'orga-
nisation de la boucherie jusqu'en 1825. Seulement, pendant
cet intervalle, de magnifiques abattoirs avaient été constiuits,
et dès l'année 1818 toutes les boucheries ou tueries, ef-
frayants foyers d'infection, que l'usage avait jusque là to-
lérés, aux dépens de la salubrité publique, dans les rue»
étroites du centre de Paris, et attenant presque toujours à
l'étal môme du boucher, avaient été obligés de disparaître.
Les rachats ordonnés par le décret de 1811 avaient déj-i
abaissé de cinq cents à trois cent soixante et dix le nombre
408
BOUCHER
ôestitanx, quand l'ordonnance du 12 janvier 1825, provoquée
par les herbagers de Normandie, vint supprimer la limitation >
du nombre, limitation que ces éleveurs considéraient avec
raison comme amoindrissant sur les marchés la concurrence
des acheteurs, et comme lésant cruellement leurs intérêts,
en les mettant pour la vente à la merci de cette poignée
<le privilégiés. Cependant, quatre ans s'étaient à peine
écoulés , que cet état de choses n'avait produit que des mé-
contents; et vivement attaqué à cause du mal incontestable
qu'il engendrait sans contre-poids aucun, il était anéanti à
son tour par l'ordonnance du 18 octobre 1829. Cette ordon-
nance maintint toutes les restrictions , limita à quatre cents
le nombre des bouchers de Paris , autorisa , comme par le
passé, le rachat des étaux qui excéderaient la limite, et
obligea tout aspirant qui voudrait s'établir avant que la ré-
duction fût entièrement opérée, à acheter deux étaux , pour
n'en exploiter qu'un et supprimer l'autre.
La révolution de 1830 ne changea rien à cette organisa-
tion ; mais un relâchement systématique de la part de la pré-
fecture de police annula de fait les dispositions de l'ordon-
nance précitée, et le commerce de la boucherie, sans être
pour cela légalement dégagé de ses liens , ne souffrant pas
non plus de leur étreinte, fut depuis livré à l'arbitraire. Les
bouchers ne furent plus contraints à fréquenter tel ou tel
marché et pas d'autres ; ils purent acheter en gros et à la
cheville, sans être inquiétés; ils n'eurent pas à acquérir
deux étaux pour devenir titulaires de l'un à condition de
sacrifier l'autre. Mais pour cela les i)laintes et les murmures
ne cessèrent pas : les bouchers regrettaient l'ancien régime,
qui avait élevé à des prix exorbitants la valeur de leurs
étaux; les propriétaires fonciers, de leur côté, voulaient de
nouveau la destruction du monopole , le droit de concur-
rence pour les forains , et la faculté de faire abattre et vendre
eux-mêmes leurs bestiaux dans les abattoirs. Divers projets
furent livrés à l'examen de commissions, et quand éclata
la révolution de Février le provisoire et l'arbitraire duraient
encore. Seulement les droits d'octroi perçus par tête avaient
été transformés en droits au poids. Certaines modifications
furent alors apportées : les droits d'octroi et de caisse de
Poissy, abolis d'abord par le gouvernement provisoire , ré-
tablis ensuite par la Constituante, ont été réglementés d'a-
près un nouveau mode de perception. La concurrence des
bouchers forains s'est accrue. Enfin la vente à la criée ,
établie en 1850 au marché des Prouvaires, a amené une
concurrence plus sérieuse, et permet aux éleveurs de faire
vendre eux-mêmes leur viande , sans intermédiaire. De nou-
velles propositions sont en ce moment à l'étude, et un
projet s'élabore sur l'organisation de la boucherie , projet qui
donnera sans doute satisfaction à la liberté de l'industrie,
sans oublier les intérêts des consommateurs.
HOUCHER ( François ), naquit à Paris, en 1704. Il
devait être peintre. L'école régnante inclinait déjà depuis
longtemps aux manières lestes, et Lemoine, l'infortuné
Lemoine, qui mourut pour un désespoir, alors maître de
Boucher, n'était pas un des moins habiles de l'école.
L'élève suivit volontiers le maître et la mode , et commença
sa réputation d'atelier par des ébauches hardies , qui lui at-
tirèrent, comme il arrive toujours, la haine des illustres
de l'époque et leurs intrigues. Alors, ce n'était pas l'Aca-
démie, mais le directeur des Beaux-Arts, qui avait plein
pouvoir, et on ne sait pourquoi il mit tout en œuvre pour
que le jeune Boucher ne fit pas le voyage à Rome, auquel
ses premiers succès lui donnaient des droits. Un ami des
;irts, riche et peu soucieux des querelles de l'école, con-
duisit avec lui Boucher en Italie.
Boucher ne comprit rien aux chefs-d'œuvre que l'Italie
lui odrait à chaque pas : Raphaël lui semblait fade, Car
radie sombre, et Micliel-Ange bossu. Il avait surtout en
grande dérision les merveilles des gothiques , alors moins
estimées que de nos jours. C'était Paris qu'il lui fallait. Il y
revint bientôt, et de nouvelles peintures révélèrent un émulé
du gracieux Watteau. Il peignait vite, et sa peinture,
quoique enflée et souvent terne, était d'une finesse exquise
de coloris et d'une élégance de dessin telle qu'on oubliait
aisément les fautes pour ne voir que les beautés. Sa répu-
tation alla tous les jours croissant à la cour. Les sévères
imitateurs du vieux Poussin étaient alors en grande dé-
faveur ; il fallait pour prospérer faire danser des marion-
nettes sur la toile , comme notre Boucher , ou séduire ga-
lamment , comme tant d'autres.
Carie Vanloo, premier peintre du roi, étant, mort.
Boucher lui succéda dans sa place , et ce nouveau titre ne
fit qu'ajouter à sa grande renommée près des filles de bon
ton. Un biographe dit qu'il gagnait avec la peinture 50,000
francs par an. Il s'était aussi essayé dans une manière plus
grave; mais l'élégance l'y poursuivit encore. Là surtout,
imitateur passionné de Rubens et de Vanloo , il copia leurs
prétentions aux formes larges et rausculeusas; mais il ne
les atteignit pas. Sa Rachel porte paniers et jaquette, ses
vierges sont des impudiques qui baissent les yeux avec
pruderie , ses douze apôtres sont douze bons viveurs. Sou-
vent il s'essaye dans la façon de Philippe de Champagne,
et il le surpasse quelquefois. Le martyre de Jacques Ghisaï,
de Paul Mlchai et de Jeun Gotho, missionnaires dans le
Japon, est une très-belle chose; mais c'est du Rubens
encore.
Il a représenté plusieurs fois les quatre éléments sous les
formes d'anges , ou plutôt d'amours bouffis , enflés et jo-
liets. Il a fait le Printemps, l'Été, l'Automne, l'Hiver ;
la Poésie épique, la Poésie lyrique, la Poésie satirique,
et la Poésie pos^ora/e, charmantes pochades au chique le
plus gracieux , rappelant avec un grand bonheur les ber-
gères de cour dansant au son du tambour de basque et de
la flûte de Pan. L'Amour vioissonneur , auquel on passe
sur la lèvre un épi de blé pendant qu'il dort, est charmant.
L'Amour oiseleur, gravé par Lépicié, est une des gra-
vures les plus gracieuses que j'aie vues. La belle villa-
geoise me plaît plus encore peut-être que les plus belles
toiles de Greuze. Dans la collection des Amours, toilettes,
confidences , pastorales, ainsi que dans le Retour de la
chasse de Diane , tout est charmant. Mais ce qui me plaît
surtout , ce sont les Cris de Paris , sa Quêteuse de grand
chemin , ses paysannes , ses Amours et ses Chinoises aux
yeux lascifs. Une petite femme enceinte, tenant parla main
un petit enfant colère et méchant, égale les plus jolis essais
de Watleau. Elle a la tête pensive et baissée, les yeux
mouillés de pleurs de souvenirs, la pose soucieuse, la
démarche lente. Boucher, malgré la prétention aux formes
grosses et lourdes, fait quelquefois les femmes admira-
blement.
Il mourut au plus beau de sa gloire, le 7 mai 1770, et
n'eut bientôt plus d'admirateurs. Une réaction dans le sens
de l'autorité balaya toutes ces renommées de cour, et le
grave David réhabilita Poussin, \t peintre philosophe ,
oublié depuis longtemps. Barthélémy HAtRÉAU.
BOUCHER ( Alexandre-Jean ), né à Paris, le 11 avril
1770, montra dès son enfance de grandes dispositions pour
la musique et pour le violon. Navoigille l'aîné, professeur
très-habile , l'admit au nombre de ses élèves. Boucher avait
à peine quatoi-ze ans , et déjà son talent était remarqué dans
la capitale ; le jeune virtuose était le soutien de sa famille.
A dix-sept ans il partit pour l'Espagne, et le roi Charles IV,
très-bon musicien, le choisit pour violon solo de sa chambre
et de sa chapelle. Boccherini se plut à donner des conseils
à l'artiste français, et lui dédia même un œuvre de ses ad-
mirables compositions.
Un congé qu'il obtint ramena Boucher en France. Il se
fit entendre à Paris en 1808, aux concerts de madame Gras-
sini, de madame Giaconielli, avec le plus grand surxès.
On le nomma l'Alexandre des violons, mais le parti de
BOUCHER — BOUCHES-DU-RHONE
49G
l'opposition prétendit qu'il n'en était que le Charles XII.
Ce virtuose venait d'obtenir à Mayence une distinction très-
flatteuse. L'impératrice Joséphine voulut l'entendre, et lui
«lit qu'il l'avait réconciliée avec le violon. La reine de Hol-
lande ajouta que le violon de Boucher avait le charme de la
voix, et qu'elle désirait en faire la comparaison avec le chant
délicieux de Crescentini. Lorsque le roi d'Espagne fut
enlevé à Dayonne et conduit à Fontainebleau , Boucher se
rendit à cette maison royale pour y attendre son protecteur
malheureux. Charles IV le serra dans ses bras, et lui dit :
« Je n'ai pas cru les méchants qui voulaient me persuader
que tu m'avais oublié. Tu ne me quitteras plus, ton bon
cicur m'est connu. » Boucher devint le directeur du petit
nombre de musiciens que le roi détrôné réunit pour charmer
les ennuis de sa captivité. Guénin, violoniste de l'Opéra,
et le célèbre violoncelliste Duport s'y faisaient remarquer.
Alexandre Boucher a fait plusieurs tournées en Europe;
en Allemagne, on lui donna le nom de Paganini français.
Boucher a composé beaucoup d'ouvrages pour son instru-
ment, et n'en a publié qu'un très-petit nombre. Il a épousé
M^"* Céleste Gallyot, harpiste et pianiste du roi Charles IV,
et qui se fit entendre avec succès aux concerts de Feydeau
en 1794. 11 n'a eu d'élèves que ses fils, Alfred et Charles
Boucher, qui se sont signalés l'un sur le violon , l'autre sur
le violoncelle. Alexandre Boucher vit aujourd'hui dans une
douce aisance, aux environs d'Orléans.
Je ne finirai point cet article sans parler de l'étonnante
ressemblance d'Alexandre Boucher et de Napoléon Bona-
parte. M. Boucher revêtu de la redingote grise et coiffé du
tricorne, imitant Napoléon du geste et delà voix, produi-
sait une illusion complète. Câstil-Blaze.
BOUCHERIE. Voyez Boccuer.
BOUCHES A FEU. On nomme ainsi , en termes d'ar-
tillerie, toutes les armes à feu non portatives, telles que
canons, viortier s, obusiers, pierriers , etc.,
dont le sen'ice exige le concours de plusieurs hommes.
Quatre choses principales sont à considérer dans une
bouche à feu : les matières employées à sa fabrication, sa
forme ou ses dimensions, son âme et sa chambre, enfin
sa lumière. Les bouches à feu sont soumises aux efforts
qui résultent de l'expansion des gaz produits par la com-
bustion de la poudre ; ces efforts ont une si grande puis-
.sance, qu'ils lancent des projectiles d'un poids considérable
à de grandes distances.
La ténacité, la dureté, l'indissolubilité dans les acides
que produit la combustion de la poudre, l'infusibilité aux
degrés de chaleur qu'elles doivent éprouver , sont les qua-
lités indispensables des matières employées à la fabrication
des bouches à feu. Il faut encore que ces matières ne soient
pas oxydables à l'air ou à l'humidité : autrement les di-
mensions de la bouche à feu s'altéreraient, et l'exactitude
dans le tir en serait diminuée. Enfin, ces matières doivent
être communes, afin qu'on puisse se les procurer en quantité
suffisante. Il est presque impossible de composer avec des
métaux purs des bouches à feu qui soient de bon service : le
cuivre et le fer forgé ont une grande ténacité, et sont peu
attaquables par les acides de la poudre ; mais ils manquent
de la dureté nécessaire, de même que l'or et l'argent, qui
sont d'ailleurs d'un prix excessif; le fer coulé a une grande
dureté, mais sa ténacité est faible; les autres métaux, tels
que l'étain , le plomb , le zinc , etc. , ont tout à la fois peu
de dureté et de ténacité. Il a donc fallu recourir à l'alliage
des métaux purs. Pendant longtemps l'alliage de 1 1 parties
d'étain à 100 de cuivre a été regardé comme la proportion
la plus convenable pour obtenir des bouches à feu très-
résistantes; mais l'expérience ayant contredit cette opinion,
on a dû chercher dans de nouvelles proportions un remède
au peu de durée des boucliGS à feu , surtout dans les gros
calibres. Des expériences faites à Turin, en 1770 et 1771 ,
sur des bouches à feu où il entrait 12 parties d'étain
sur 100 de cuivre et 6 de laiton, qui est un alliage de
cuivre et de zinc, ont prouvé que ces bouches h feu ré-
sistaient à un tir très-prolongé, sans subir aucune altération.
11 est résulté d'autres expériences faites en France, en 1817,
sous la direction de M. Dusaussoy , par ordre du ministre
de la guerre, que les alliages ternaires , composés de métal
à canon, avec un à un et demi de fer-blanc pour loo, ou 3
de zinc, donnent, coulés en sable, de meilleurs produits
que le bronze ordinaire , coulé de la même manière.
Le général Allix pensait qu'il serait convenable d'em-
ployer, en France, pour l'artillerie de terre comme pour
celle de mer , le fer fondu de préférence au bronze ; voici
les principaux motifs sur lesquels il appuyait son choix :
1" la fonte de fer, disait-il, est très-commune en France, où
elle ne coûte pas le dixième de ce que coûte le bronze;
2° la France tire de l'étranger presque tout le cuivre et
l'étain qu'elle emploie à la fabrication de ses bouches à feu
en bronze , ce qui contribue à mettre contre elle la balance
du commerce, et rend incertains les approvisionnements
de ces métaux en temps de guerre ; 3° les bouches h feu
en fer fondu se coulent dans des moules en sable , ce qui,
jusqu'ici au moins , n'a pu être pratiqué pour les bouches à
feu en bronze : d'où résultent célérité, et en même temps
économie dans la fabrication des premières, comparati-
vement à celle des secondes; 4° enfin, le fer fondu pèse
beaucoup moins que le bronze : on peut donc donner aux
bouches à feu en fer de plus fortes dimensions sans en
augmenter le poids , relativement à celui des bouches à feu
en bronze, ce qui, concurremment avec une fabrication
soignée , donne aux premières toute la solidité nécessaire.
Un autre avantage très-grand, ajoutait le général Allix, qui
résulterait de l'emploi du fer fondu dans la fabrication de.s
bouches à feu destinées en même temps aux deux services
de terre et de mer, c'est qu'alors elles auraient dans ces
deux services les mêmes dimensions , et que les mômes
fonderies serviraient à chacune d'elles. L'on pourrait ainsi
en diminrer le nombre avec une grande économie; d'un
autre côté , les deux services pourraient se secourir réci-
proquement, et l'un prêter ses bouches à feu à l'autre,
selon que le besoin pourrait le requérir : secours réciproque
impossible dans l'état actuel des choses , où les bouches à
feu de ces deux services n'ont pas les mêmes dimensions.
On trouvera à l'article Canon , les notions qui se rat-
tachent aux autres conditions de cette fabrication , et tous
les renseignements explicatifs nécessaires sur les diverses
parties constituantes des bouches à feu.
BOUCHES DE CATTARO. Voyez Cattaro.
BOUCHES-DU-RHÔNE (Département des), formé
d'une partie de la Provence, du territoire d'Avignon et du
comtat Venaissin. 11 est borné au nord par le département
de Vaucluse ; à l'est, par l'extrémité sud-ouest de celui des
Basses-Alpes et par celui du Yar; au sud par la Méditer-
ranée, et à l'ouest par le département du Gard. — Son nom
lui vient de ce que le Rhône a ses embouchures sur son
territoire.
Divisé en trois arrondissements, dont les chefs-lieux sont
Marseille, siège de la préfecture, Aix et Arles, il compte 27
cantons, 106 communes, et 413,918 habitants. Il envoie trois
députés au Corps législatif. Il forme avec les départements
des Basses-Alpes, du Var et de Vaucluse, le 26° arrondisse-
ment forestier, constitue la 1" subdivision de la 9* division
militaire, dont le quartier général est à Marseille, ressortit
à la cour d'appel d'Aix, et compose les diocèses d'Aix et celui
de Marseille, suffragant de l'archevêché d'Aix. Son acadé-
mie comprend une faculté de droit , une faculté de théologie
et une faculté des lettres ; une école préparatoire de mé-
decine et de pharmacie; un lycée , 2 collèges communaux ,
3 institutions, 30 pensions et 290 écoles primaires.
Sa superficie est de 512,991 hectares, dont 143,725 en
landes, pâtis, bruyères; 106,415 en cultures diverses;
i3.
600 BOUCHES-DU-RHONE - BOUCHES INUTILES
99,051 en terrée labourables; 63,702 en bois; 39,491 en vi
gnes ; 22,271 en rivières, lacs et ruisseaux ; 10,474 en étangs,
abreuvoirs, mares, canaux d'irrigation; 4,995 en prcis;
3,987 enoseraies, aulnaies, saussaies; 2,139 en vergers,
pépinières et jardins; 1,701 en propriétés bâties; 192 en
forêfs, domaines improductifs, etc. On y compte 64,044
maisons, 718 moulins, 5 forges et hauts iourneaux, 673
fabriques, manufactures et usines. Il paye 1,095,282 fr.
d'imjjôt foncier.
Le département des Boucbes-du-Rhône est divisé en deux
parties par la chaîne des Alpines. L'une, au nord et à l'ouest,
Kiluée dans le bassin du Rhône , a sa pente dans la direction
de ce fleuve ; l'autre est inclinée de l'est à l'ouest dans la
direction des principaux cours d'eau dont cette, région est
arrosée : de la Vienne, qui se jette dans la mer, au sud et
près de Marseille, de la Couloubre et de l'Arc, qui versent
leurs eaux dans l'étang de Berre. La première partie est
bftignée, au nord, par la Durance; et couverte, à l'ouest,
par les diverses branches entre lesquelles se divise le Rhône,
ilepuis Arles jusqu'à la mer. Cette région est principalement
occupée par les plaines basses et alluvionales delà Ca-
margue et de laCrau. La Camargue est renfermée dans
le delta du Rhône. La Crau , comprise entre le bras le plus
oriental de ce fleuve et les étangs de Martigues, les Al-
pines et la mer, offre l'aspect d'un golfe (jui serait comblé
par les alluvions. Cette plaine , dont la circonférence totale
est d'environ onze inyriamètres , est couverte de cailloux
roulés de toutes les grosseurs , ce qui lui a fait donner par
les habitants le nom qu'elle porte, qui signifie en provençal
champ pierreux. Elle renferme un grand nombre d'étangs.
Le plus ancien terrain de cette plaine confmant à la Du-
rance , on est porté à croire que cette rivière y coulait au-
trefois et se jetait à la mer par ce golfe comblé. Le Rhône
et la Couloubre y avaient probablement aussi leurs lits. Con-
sidéré sous un autre aspect, le département des Bouches-
du-Rliône présente, dans la région du nord-est, des collines
et des plateaux élevés , nus et stériles , et , dans la région
du sud-ouest, un pays de plaines couvertes en grande partie
de mares, d'étangs, de terrains marécageux. Les plus con-
sidérables de ces amas d'eaux sont les étangs de Valcarère
et de Berre. Le premier couvre presque la moitié de la
Camargue, et le dernier, qui a environ vingt kilomètres de
long sur huit de large , s'citend , dans la plaine de la Crau ,
entre Marseille et la bouche la plus orientale du Rhône, et
se décharge dans la mer par un passage d'une lieue et demie
environ, appelé le port de Bouc ou canal des Martigties.
Les côtes basses , dans les environs du Rhône , offrent
partout ailleurs des escarpements très-élevés ; elles courent
en général de l'ouest-nord-ouest à l'cst-sud-est.
Le territoire de ce déparlement, fertile et de bonne qua-
lité dans la partie arrosée par la Veaune, devient pierreux
et ingrat dans la partie nord-est , et ne produit qu'à l'aide
d'un travail opiniâtre. Les bords de la Durance au nord
sont également stériles ; mais tout le terrain situé entre
cette rivière, le Rhône et le canal de Crapone est d'une
grande fertilité ; malheureusrment il est cxi)Osé aux inon-
dations. Le département est coupé en divers sens par plu-
sieurs canaux ou tranchées. Le plus considérable est le
canal d'Arles, qui partdu Rhône auprès d'Arles et va aboutir
au port de Bouc ; c'est le seul navigable. Le canal de Cra-
pone , tranchée qui part aussi du Rhône et joint ce fleuve
à la Durance.
Cette contrée renferme peu d'animaux sauvages et de
gibier; mais on trouve sur les côtes et dans les étangs une
grande quantité de poissons de mer et d'oiseaux aqua-
tiques : les rivières sont aussi très-poissonneuses. Les mon-
tagnes abondent en plantes aroma tiq ucs, telles que la lavande,
le thym , l'hysope, le romarin, etc. On voit sons ce beau
fiel croître spontanément les lauriers, les myrtes, les gre-
nadiers, les citres, les pistachiers, et en général tous les
arbres des régions méridionales s'y acclimatent facilement.
Le chêne et le pin sont les essences qui dominent dans les
forêts. Le sol ne renferme aucune mine métallique; mais
on exploite dans la partie sud-est du département des bas-
sins de houille considérables, des carrières de marbre, de
pierre à bâtir, d'ardoise, de plâtre, d'argile, de grès cal-
caire , de pierres à aiguiser, de pierres à chaux et de sta-
lactites calcaires. Parmi les marais salants qui s'y trouvent,
ceux de Berre sont les plus importants. On possède à Aix
un établissement d'eaux minérales et thermales.
L'agriculture de ce pays consiste presque exclusive-
ment dans la culture des plantes industrielles. Les produits
les plus importants sont les vins , tous de bonne qualité ;
mais on estime surtout les vins blancs de Cassis et de la
Ciotat , et les muscats du canton de Roquevaire, qui fait en
outre un grand commerce de raisins secs. La culture de
l'olivier et du mûrier tient le second rang dans l'industrie
agricole , et on s'adonne dans la plupart des communes à
l'éducation des vers à soie , qui sont pour le pays la source
d'un revenu considérable.
Le département des Bouches-du-Rhône est plus commer-
çant que manufacturier; il renferme cependant un assez
grand nombre d'usines , et les produits de ses fabriques de
soude, et surtout de ses savonneries, jouissent d'une grande fa-
veur. Il possède en outre des distilleries, des vinaigreries, des
raffineries , des tanneries , des mégisseries , des teintureries,
des manufactures de bonneterie orientale , des filatures de
coton , des papeteries. La pèche dans la Méditerranée, con-
sidérable surtout en anchois, thon et corail, occupe toute
la population des villages maritimes.
Outre le Rhône , le canal d'Arles et la Durance , ce dé-
partement possède encore en fait de voies de communication,
quatre routes nationales, dix-sept routes départementales,
neuf cent cinq chemins vicinaux , et le chemin de fer d'Avi-
gnon à Marseille qui passe par Tarascon et Arles.
Les principales villes du département des Bouches-du-
Rhône sont, indépendamment de Marseille, Aix et Ar-
les,Tarascon, La Ciotat, L ambe se, jadis titre duno
principauté appartenant à la maison de Lorraine-Brionne ;
Orgou , bâtie au pied d'une colline sur laquelle on voit en-
core les ruines d'un vieux château qui fut pris par Euric,
roi des Visigoths, lorsqu'il allait assiéger Arles, possédé par
tous les souverains qui régnèrent sur la Provence, et dé-
moli en 14S3 par ordre de Louis XL
BOUCHES INUTILES. Nom donné à toutes les per-
sonnes qui dans une ville assiégée ne peuvent être d'au-
cune utilité pour la défense de la place , et qu'on en fait
sortir dans la crainte qu'elles ne poussent trop activement
à la consommation des vivres qui y sont enfermés. Héro-
dote raconte que les Babyloniens assiégés dévouèrent à la
mort toutes leurs femmes , n'en gardant qu'une par maison
pour préparer la nourriture des défenseurs , et que les autres
furent impitoyablement étranglées. César condamna àmourir
de faim les bouches inutiles expulsées d'Alésia. En 1419,
douze mille bouches inutiles repoussces de Rouen et rete-
nues sans nourriture dans les fossés de la place par l'armée
d'Henri V , roi d'Angleterre , y périrent d'inanition , dit
M. de Baraute. Les assit^ges avaient seulement la pitié de
faire monter, à l'aide cre cordes , pour les baptiser, les
enliints qui naissaient au pied des remparts, et qu'on redes-
cendait ensuite à leurs mères. En 1692, Louis XIV assié-
geant en personne Namur , les dames de la ville se recon-
nurent bouches inutiles, et envoyèrent demander un sauf-
conduit au roi , qui leur fit répondre galamment que les
mettre eu liberté serait renoncer d'avance à la plus belle
part du triomphe. Mais elles persistèrent à se rendre à
merci , sans condition , et Louis XIV s'empressa alors
d'envoyer à leur rencontre des valets , des carrosses , des
chevaliers d'honneur. Après un brillant repas sous sa tente,
il les lit conduire dans une abbave voisine.
I
Lorsque le gouverneur ou le commandant d'une place
juge indispensable de renvoyer les bouches inutiles, il
commence d'abord par les vieillards , les femmes et les en-
fants. Si la 1 ésistance continue , sans que la garnison ait été
ravilailiée, l'autre partie de la population est , à son tour,
impitoyablement renvoyée. Cette coutume , qui tient de la
barbarie, est d'autant pluscondamnable, qu'il arrive presque
toujours que les assiégeants refusent , sans motifs légitimes,
de recevoir ces malheureuses victimes de la guerre. Aban-
données alors sur les glacis, sans pain et sans abri, elles se
trouvent en même temps exposées à l'intempérie de l'air, à
la faim qui les dévore , au feu croisé de l'ennemi et des as-
siégés qui les décime.... Hâtons-nous d'ajouter que ces
exemples de cruauté sont devenus fort rares , et ne sau-
raient même se reproduire dans le siècle de lumières et de
progrès où nous vivons.
BOUCUOIV. On appelle ainsi toute espèce de cône
tronqué, en bois, en liège , en verre , dont on ferme Torilice
d'une bouteille, d'un llacon, d'un pot, etc. Tout bouchon
doit avoir non-seulement la propriété d'empêcher le liquide,
comme le vin, l'eau-de-vie , contenu dans le vase, d'en
sortir, mais encore être imperméable aux lluides spiritueux
qui se dégagent au-dessus de ces liquides. 11 n'y a par con-
séquent de matière propre à faire des bouchons possédant
cette propriété , que les métaux , le verre , le cristal. Voilà
pourquoi on est obligé de recouvrir de cire les bouchons de
liège , et de coucher les bouteilles ; car lorsqu'elles sont
dans cette position , le vide où se rendent les lluides spiri-
tueux qui se dégagent du vin se trouve au-dessous d'un
des côtés de la bouteille, tandis que le bout du bouchon est
constamment recouvert de vin.
A l'aris , quand on veut indiquer qu'un objet grossier
est à vendre , on l'expose dans la rue avec un bouchon de
paille. C'est aussi avec un bouchon de paille que l'on essuie
les chevaux et les bestiaux en rentiant à l'écurie.
On appelle aussi bouchon un mauvais cabaret où l'on
détaille du vin à bas prix. Teyssèdre.
BOUCIIOXIMER, celui qui fait et vend des bou-
chons. Il suffit d'examiner un bouchon pour concevoir
sur-le-champ tous les procédés de la fabrication. La ma-
tière que les bouchonniers emploient le plus communément,
c'est le liège. Les bouchonniers débitent les tables de liège
par bandes, qu'ils coupent ensuite en travers, d'où résul-
tent de petits parallélipipèdes , qui étant arrondis forment
autant de bouchons.
Les outils des bouchonniers consistent en une table à re-
bords et des trancliets , ou lames très-minces, larges comme
la main et très-bien affilées ; ils tiennent d'une main ces
couteaux fixes, le dos en bas contre les bords de la table,
et de l'autre main ils tournent le bouchon sur lui-même, et
le font aller et venir contre le tranchant du couteau , de façon
que le parallélipipède se trouve arrondi quand il a fait un
tour sur lui-même, ce qui est facile à concevoir. L'ouvrier
tient à côté de lui une pierre à aiguiser, sur laquelle il re-
passe à sec son couteau chaque fois qu'il a terminé un bou-
chon , car la moindre petite brèche que le fil du tranchet
aurait éprouvée, ce qui peut arriver souvent, produirait
sur le buucnon qu'on taillerait ensuite des imperfections
assez grandes pour le faire rejeter.
Comme les tables de liège ne sont pas de même qualité
dans toute leur étendue , il en résulte que certains bouchons
sont plus ou moins inférieurs à d'autres , ce qui oblige à
les trier en très-fins, en fins, bas fins et communs , que
l'on vend ensuite à des prix proportionnés à leur qualité.
Les marchands bouchonniers vendent encore en liège des
semelles et des encriers, des appareils natatoires, des plan-
ches pom' boîtes à insectes, des roues pour les tailleurs de
cristaux, des patenôtres ou chapelets dont les pêcheurs
tout usage pour tenir leurs filets suspendus dans l'eau.
BOU€IIOTTE (Jean-Baptiste-Noel), naquit à Metz,
BOUCHES INUTILES — BOUCICAUT ôqi
le 25 décembre 1754. Entré à l'âge de seize ans dans la
carrière militaire, il était lentement arrivé an grade de
capitaine de cavalerie , quand la révolution éclata. Il ne
tarda pas à être élevé aux fonctions de colonel. La réputation
de probité, d'ordre et de désintéressement qu'il s'était faite
appelait déjà l'attention sur lui. Après la trahison de Du-
mouriez , il se signala en empêchant la ville de Couitrai de
tomber au pouvoir des Autrichiens, avec lesquels des traîtres
négociaient déjà. Cet éminent service fut apprécié par la
Convention, qui le 4 avril 1793, à l'unaninu'té d'environ
sept cents voix, le nomma membre du conseil exécutif et
ministre de la guerre, en remplacement deBeurnonville,
que Du mouriez venait de livrer à l'ennemi.
Jamais administrateur de la guerre ne fut aux prises avec
des circonstances plus solennelles, plus périlleuses : Bon-
chotte, par son zèle, par son activité, aida puissamment le
comité de salut public à improviser, organiser et approvi-
sionner nos armées. Quand la loi du 28 juillet 1793 l'eut
chargé des nominations, il sut doter la république de géné-
raux instruits et dévoués. Bouchotte conserva le ministère
jusqu'au 1*' avril 1794 , époque où, dans le but de concen-
trer davantage l'action gouvernementale , les six ministères
furent supprimés par décret de la Convention et remplacés
par des commissions executives.
Il avait pris une part trop active à la grande lutte de 1793
pour ne pas devenir l'objet de la haine et de la calomnie.
Arrêté avant le 9 thermidor, comme contre-révolutionnaire,
il fut poursuivi après la chute de Robespierre comme terro-
riste. On le traîna de maison de détention en château-fort, de
château-fort en tribunal. Enfin, il fut rendu à la liberté, l'ac-
cusateur public n'ayant pu, malgré son bon vouloir, trouver
aucime charge contre l'ancien ministre.
Rendu à la vie privée, Bouchotte se retira à Metz, sa ville
natale, et ses concitoyens purent juger, par la simplicité de
sa vie et la médiocrité de sa fortune, si, durant son minis-
tère, il s'était plus occupé du soin d'augmenter son patri-
moine que de s'avancer dans la carrière militaire. A l'avéne-
ment du gouvernement consulaire , il témoigna le désir de
reprendre du service, et signa à sa section, au mois de fri-
maire an VIII, l'acceptation de la nouvelle constitution. Dans
une pétition du 9 ventôse an IX, il sollicite le grade de gé-
néral de brigade et une inspection de cavalerie, ou, à dé-
faut, un traitement en rapport avec ses anciennes fonctions
de ministre, « la république ne pouvant décemment, dit-
il, laisser un ancien ministre exposé à se loger au mois et
à courir pour avoir à dîner «. Le gouvernement ne le tira
pas néanmoins de l'oubli. Au mois de juin 1840, Bouchotte
s'éteignait à Metz , sans autre ressource qu'an fort modeste
traitement de réforme.
BOUCICAUT (Jean LE MAINGRE, dit). La famille
Boucicaut n'était pas fort ancienne, et tirait son origine de
la Touraine. Charles V se plaisait à élever des hommes
d'une naissance médiocre , dans lesquels il remarquait des
talents. En 1366 il porta aux premières charges de l'État
Jean Le Maingre , dit Boucicaut, négociateur habile, gé-
néral expérimenté, qu'il fit maréchal de France. Il mourut
en 1370 , laissant deux fils en bas âge.
L'aîné, Jean, naquit en 1364, à Tours, dont son père était
gouverneur. Florine de Linières, sa mère, ne négligea rien
pour lui donner une bonne éducation. A neuf ans Charles V
le plaça auprès du dauphin, pour partager ses études et ses
jeux. Louis de Clermont, voulant s'amuser de son humeur
belliqueuse, le conduisit, à peine âgé de douze ans, à la con-
quête des places que Charles de Navarre occupait en Norman-
die ; mais l'enfant s'y comporta en vrai soldat. QiKitre années
après, armé chevalier, malgré son âge, il attaquait, à la
journée de Rosebeck, un Flamand d'une taille et d'une force
remarquables : celui-ci, dédaignant sa jeunesse, lui fit lombef
sa hache des mains : Enfant, lui dit-il, va téter! maia
Boucicaut se glisse sous son bras, et lui plonge sa dagu»;.
502
BOUCICAUT
dans le flanc, en s'écrlant : Les enfants de ton pays jouent-
ils à ces jeux-là? L'activité de Boucicaut s'ennuyait du
loisir. Quand la paix désarmait la France, il poursuivait
les combats en Prusse , en Hongrie; il lui fallait des voyages
aventureux, conime un pèlerinage en Palestine ; il lui fallait
des joutes contre les premiers chevaliers de l'époque. Il fit
annoncer dans toute TAllemagnc, l'Angleterre, l'Espagne et
la France, qu'il tiendrait un mois entier contre tout venant,
avec deux de ses amis. Au lieu et an jour fixés, cent vingt
chevaliers anglais se présentèrent. Boucicaut et ses compa-
gnons sortirent avec gloire et sans blessures de ces luttes
périlleuses.
Boucicaut faisait la guerre pour la seconde fois en Prusse
contre les voisins idolâtres des chevaliers teutoniques, lors-
qu'il apprit la mort du maréchal de Blainville, dont la di-
gnité vacante lui était réservée ; il se hûta de revenir. Il
trouva Charles VI à Tours ; et, soit hasard, soit par une
attention délicate, le roi confirma sa nomination dans la
chambre où il était né, il y avait vingt-cinq ans. Il suivit
le roi, et passa l'hiver à la cour, où les dames louèrent sa
magnificence , sa politesse, sa gaieté, son talent à compo-
ser ballades, rondeaux, lais, virelais et complaintes
d'amoureux sentiments. Il conduisait en Bretagne un
corps de mille hommes d'armes, quand la démence impré-
vue du roi arrêta l'expédition. En 1396, Sigismond, roi
de Hongrie, pressé par les armes de Bajazet, réclama une
seconde fois le courage et la piété des Français. Une foule
de nobles répondirent à cet appel, et notamment les jeunes
princes du sang royal, le connétable de France, l'amiral de
Vienne et Boucicaut. Le comte de Nevers, Jean, qui fut
surnommé Sans Peur, fut mis à la tête de cette croisade.
A l'arrivée de ce renfort , Sigismond marcha à l'ennemi ;
mais le sort se déclara contre les chrétiens. Boucicaut tra-
versa deux fois les bataillons ennemis, distribuant la mortj
mais il fallut céder au nombre. Tout ce qui ne fut pas tué
tomba dans les fers. Le jour suivant , Bajazet fit la part
de la vie et de la mort, réserva les princes du sang royal,
et le reste eut la tête tranchée. Quand vint le tour de Bou-
cicaut, ses yeux échangèrent un adieu si touchant avec le
comte de Nevers, que celui-ci étendit les bras vers Bajazet,
s'efforçant d'exprimer que Boucicaut et lui étaient comme
deux doigts d'une main. Ce mouvement sauva le maréchal,
qui partagea la prison des princes dans la forteresse de Eude.
Envoyé auprès du sultan pour négocier leur rançon, il
.s'empara si bien de l'esprit de Bajazet, qu'il le força à y
consentir après de longs refus. L'empereur de Constanti-
nople. Manuel Paléologue, de plus en plus pressé par les
armes de ce conquérant, ayant demandé du secours à la
France, Boucicaut lui fut envoyé (1399). Sa bonne fortune
le conduisit au port de Fera, au moment où cette ville allait
tomber aux mains des Turcs, et entraîner la prise de Cons-
tantinople. Sans presque donner de temps au repos, il se
mit en campagne avec l'empereur, chassa l'ennemi, et ren-
dit un service non moins signalé en réconciliant Manuel
avec un neveu qui aidait les Turcs à précipiter la ruine de
sa patrie. Au bout d'un an, Boucicaut repartit; l'empereur
Manuel , après l'avoir fait connétable de son empire, l'ac-
compagna. Il allait solliciter les puissances chrétiennes, lors-
que la fortune le servit an delà de ses espérances en jetant
Bajazet dans les fers de Tamcrtan. A cette époque, des bandes
armées désolaient la Frince; les dames étaient insultées
jusque dans leurs châteaux. Ce fut pour les défendre que
Boucicaut, avec l'autorisation du roi, créa l'ordre militaire
de la Dame-Blanche à Vécu vert, qui comptad'abord treize
chevaliers , nombre qui fut porté plus tard à soixante. Les
Génois, fatigués de leurs dissensions et désespérant de trou-
ver la paix sous des chefs leurs concitoyens, s'étaient don-
nés à la France; et, après avoir essayé de i)lusieurs gouver-
neurs dont la faiblesse avait été méprisée des partis, avaient
demandé Boucicaut. Celui-ci, instruit de l'état des choses,
se présenta bien accompagné, annonça d'un ton ferme la
paix aux bons, la guerre aux méchants, désarma les par-
ticuliers, défendit les querelles politiques, livra au bourreau
la tête des meneurs, construisit des forts pour dominer la
mer et la ville , et ramena la confiance avec la tranquillité.
Le roi de Chypre assiégeait Famagouste, qui appartenait
aux Génois : Boucicaut, ayant assuré l'ordre intérieur, en-
voya sommer le roi de Chypre d'abandonner son entre-
prise, et s'embarqua sur une petite flotte pour appuyer sa
demande. En môme temps, Venise, jalouse de la prospérité
rendue à sa rivale, fit partir Zani avec des galères en lui
enjoignant d'observer Boucicaut et de l'accabler à la pre-
mière occasion. Le roi de Chypre ayant consenti à lever le
siège, le maréchal tourna contre les infidèles les forces de
l'expédition. Candéloro, Tripoli, Baruth et les côtes d'E-
gypte furent témoins de ses combats, d'autant plus glo-
rieux qu'il trouva un ennemi bien préparé ; car les Véni»-
tiens avaient semé dans tous les ports la nouvelle de son
approche. Au retour, comme il ramenait son armée, con-
sidérablement affaiblie, il fut attaqué par la flotte vénitienne ;
mais il se défendit avec une telle vigueur, malgré la surprise
et l'inégalité du nombre, qu'il força l'ennemi à se retirer.
Venise prévint sa vengeance en se hâtant de négocier sa
paix avec la cour de France. Boucicaut avait conçu un
dessein hardi ; mais il avait besoin que le roi de Chypre
concourtt à l'exécution : il s'agissait d'enlever Alexandrie
aux infidèles. Il envoya donc en Chypre deux hommes
chargés d'instructions secrètes ; mais le roi ne s'étant pas
senti assez de courage, l'entreprise n'eut pas lieu. Non
moins habile au conseil qu'à l'exécution, il disposa le comte
de Padoue et la comtesse de Pavie à reconnaître la suze-
raineté de la France, et reçut aussi l'hommage de Gabriel,
comte de Pise ; mais celui-ci était venu en fugitif, exilé par ses
sujets; avant d'employer les armes pour le rétablir, Boucicaut
offrit aux Pisans de leur ménager une réconciliation avec
leur prince. A leur refus , et comme ils offraient de se don-
ner à la France , le maréchal obtint le consentement de
Gabriel, sur la promesse d'une indemnité égale à son comté.
Néanmoins, avant de jurer la foi du vassal, les Pisans, qui
visaient à s'ériger en république, demandent que la cita-
delle soit évacuée et remise entre les mains de Boucicaut.
Ce point leur est accordé ; mais, sans laisser au maréchal le
temps d'approvisionner la place, et d'y mettre une garnison
suffisante, ils assiègent la forteresse et l'enferment par un
fossé. Ce fut alors que Gabriel vendit ses droits aux Flo-
rentins. Le maréchal y consentit, sous la condition accep-
tée que Florence tiendrait le comté de Pise comme relevant
de la couronne, arrangement qui lui fit beaucoup d'hon-
neur au conseil du roi ; car il maintenait la suzeraineté de
la France , et lui gagnait une alliée. Pise est donc assié-
gée : réduite aux abois, elle se donne aux ducs d'Orléans et
de Bourgogne. Ceux-ci l'acceptent, disposent Charles VI
à leur céder ses droits, et, sans égard au traité qu'ils avaient
signé avec Florence, écrivent à Boucicaut de porter se-
cours aux Pisans ; mais celui-ci respectait mieux la foi jurée ;
et la ville fut prise après im siège qui avait duré deux ans.
Au n)ilieu de ces affaires , la piété de Boucicaut s'occupait
encore de l'Église. 11 voyait avec peine qu'elle fût divisée entre
le pape de Rome et celui d'.Avignon ; il détacha Gênes du
Romain ; il assiégea l'Avignonais dans son palais ; et, n'ayant
pu en obtenir une abdication volontaire, il contribua à la
réunion du concile où furent déposés cesdeux papas rivaux,
et où l'Église fut réunie ( 1409) sous un seul pontilé, Alexan-
dre V. Ce Gabriel qui avait cédé Pise aux Florentins se mit
en rapport avec un fameux chef de bandes, F'acino-Cane,
surnommé la terreur de la Lombardie, et tenta d'enlever
Gènes au maréchal. Facino-Cane devait se montrer devant
la ville au jour fixé, Gabriel s'emparer des portes, et les gibe-
lins se révolter. Boucicaut découvrit la trame, et Gabriel la
paya de sa tête. La crainte que Facino inspirait et le besoin
BOUCICACT — BOUCLES D'OREILLES
d'un appui contre son audace augmentèrent l'influence de '
Doucicauten Lombardie : le duc de Milan offrit l'hommage ,
le comte de Pavie imita son exemple. Boucicaut, ayant
sourtùs en passant Crémone et Plaisance révoltées, fut reçu
avec pompe dans Milan , où , sur la place magnifiquement
décorée, le comte et le duc prêtèrent l'hommage entre les
mains du maréchal, assis sur un trône, et tenant un sceptre ;
mais, en même temps, Spinola et Doria, chefs de la faction
gibeline, soulevaient le peuple dans Gênes, ouvraient les
portes au marquis de Montferrat et à Facino-Cane, tuaient
les Français ou les mutilaient, et forçaient la citadelle à ca-
pituler ( 1409). Boucicaut accourut; il avait demandé un se-
cours que la France n'était plus en état de lui envoyer au mi-
lieu des factions qui l'agitaient ; pour comble de malheur ,
elle fut abandonnée par les principautés de Lombardie , qui
s'étaient déclarées ses vassales. La seule vengeance que
Boucicaut en put tirer fut de passer chez le duc de Savoie
pour l'aider à battre le marquis de Montferrat et lui en-
lever des places fortes.
La France gémissait déchirée par les Bourguignons et par
les Armagnacs. Ceux-ci comptaient Boucicaut parmi leurs
plus zélés partisans. Henri V, roi d'Angleterre, jugeant la
situation de nos affaires convenable à ses projets, débarqua
en Normandie ; mais, suivi de près, il se hâtait d'opérer sa
retraite vers Calais , quand l'armée l'atteignit au village d'A-
zincourt. Si l'on eût cru Boucicaut, on aurait laissé l'en-
nemi continuer sa retraite précipitée, sans le réduire au
désespoir ; mais l'impatience française en décida autrement.
La journée d'Azincourt (1415) doit être inscrite entre les
défaites de Créci et de Poitiers. La veille, on avait armé
beaucoup de chevaliers, dont la plupart avaient voulu rece-
voir Vaccolée du maréchal. Prisonnier dans cette bataille,
où la France perdit la fleur de sa noblesse , il fut amené en
Angleterre, et mourut à Londres, en 1421, à l'âge de cin-
quante-cinq ans ; son corps fut transporté en France, et en-
seveli dans l'église de Saint-Martin deTours. H. Faiciie.
BOUCLE , nom donné à une sorte d'anneau et à tout
ce qui en a la forme. Les anciens employaient comme nous
les boucles à divers usages ; il y en avait chez eux qui ser-
vaient à l'architecture, d'autres à la chirurgie; les plus
communes servaient , comme chez nous , à boucler les vête-
ments, à en joindre une partie avec une autre, à l'aide d'une
ceinture ou autrement, et elles étaient portées également
par les deux sexes chez les Grecs, les Romains et les autres
nations contemporaines. Les femmes portaient principale-
ment des boucles sur la poitrine. Les hommes s'en servaient
pour attacher les tuniques, les chiamydes, les lacernes et
les pénules , qu'ils bouclaient quelques fois à l'épaule droite,
d'autres fois à la gauche.
La forme des anciennes boucles approche assez d'un arc
avec sa corde : de l'une des extrémités de l'arc sort une ai-
guille retournée plusieurs fois sur elle-même, et l'aiguillon
s'avance de l'autre extrémité. A chaque côté de l'habit, à
l'endroit où la boucle s'attachait , il y avait une pièce de mé-
tal de la même matière , c'est-à-dire d'or, d'argent ou de
cuivre. Il y en avait qui étaient ornées de pierres précieuses,
et quelquefois même la boucle était faite d'une seule de ces
pierres.
Les modernes, imitateurs des anciens, ont adopté l'usage
et la forme de leurs boucles , ainsi que le choix des matières
diverses dont ils les composaient ou les ornaient ; de plus, ils
ont donné aux matières les plus viles qu'ils employaient les
apparences les plus séduisantes. On se sert encore de boucles
pour les bretelles, les jarretières, les ganses de chapeaux ,
les pattes de gilets et de pantalons, etc. Les boucles de sou-
liers et de ceintures ont disparu il y a longtemps.
En architecture , on nomme boucles de petits ornements
en forme d'anneaux entrelacés sur une moulure ronde, telles
qu'une baguette ou une astragale.
Mais l'acception premiilîre et naturelle du mot boucle, celle
603
qui a servi sans nul doute de type à toutes les autres , c'est
la plus belle parure des femmes et des adolescents , c'est la
boucle de chevetix , si précieuse à l'amour, dentelle devient
souvent le gage et le souvenir le plus doux , et que Pope a
chantée dans des vers si dignes du dieu qui l'inspirait.
BOUCLES D'OREILLES. Ce genre d'ornement,
qu'on retrouve chez presque tous les peuples sauvages , re-
monte à la plus haute antiquité. Éliézer donna à Rébecca des
boucles d'oreilles et des bracelets. Dans Homère, elles font
partie de la parure des femmes. Junon les fixe aux lobes de
ses oreilles percées avec art. Les hommes, cliez les Grecs ,
portaient aussi quelquefois des boucles d'oreilles. Pline dit
qu'on se plut à incruster dans sa chair des joyaux en pierres
brillantes ou en perles , soit en perçant le lobe des oreilles ,
soit en y attachant ces ornements sans les percer. A Rome,
Alexandre Sévère défendit aux hommes de porter des boucles
d'oreilles. Les femmes à cette époque en avaient de si
lourdes que , suivant Sénèque , leurs oreilles en étaient plu-
tôt chargées qu'ornées : ji y avait des femmes dont tout le
métier consistait à donner leurs soins aux lobes des oreilles
des élégantes de Rome, souvent blessées par le poids do
l'or, des perles et des pierres que l'on y suspendait; ces
fenmies étaient nommées auriciilx oriiatrkes. Chez les
Grecs , les enfants ne portaient de boucles d'oreilles que du
côté droit.
Les perles furent d'un grand usage pour les boucles d'o-
reilles. Lorsque le commerce eut fait connaître ces produits
aux Grecs et aux Romains, le luxe en tira le plus grand
parti, et sous les empereurs les femmes se piment à sus-
pendre à leurs oreilles la valeur de deux ou trois riches pa-
trimoines. On trouve dans les plus anciens tombeaux des
rois d'Egypte des agates, des calcédoines, des onyx, des
cornalines , qui ont la foi-me de perles parfaitement rondes
et d'un très-beau poli; elles servaient à faire des boucles
d'oreilles.
La forme et le nom des boucles d'oreilles étaient très-va-
riés. Les boucles d'oreilles romaines appelées bulles étaient
semblables à des bulles d'eau ; peut-être les nommait-on
ainsi à cause de leur forme et de leur légèreté : elles étaient
faites d'une feuille d'or extrêmement mince. On appelait cal-
laica de grandes boucles d'oreilles faites avec une pierre pré-
cieuse verte, peut-être VémexaMàe, ; caryotides , celles qui
avaient la forme de petites noix vertes ; centaurïdes , celles
qui étaient omées de figures de centaures en or ; connos, des
boucles d'oreilles en forme de quille ; crotalia, des boucles
formées de plusieurs grosses perles réunies et suspendues ,
lesquelles, en se heurtant, produisaient un léger bruit, sem-
blable à celui des crotales ou des castagnettes. On donnait
le nom d^exaliiminalx aux perles les plus belles et les plus
blanches, et à l'eau desquelles on trouvait la couleur de l'a-
lun, et ceux d'hippiscos et à' hippocampes aux boucles
d'oreilles où pendaient de petites figures de cheval ou d'hip-
pocampe, petit poisson connu sous le nom de cheval marin,
très-commun dans la Méditerranée; enfin celui àe pinosis
aux bouclesen forme de pin. Les ro^M^a? étaient des boucles
d'oreilles dont les pendeloques étaient en forme de petites
roues ou de poires. Spathalia et stalagmium indiquaient
des formes en goutte d'eau ou en poire allongée, telles que
celles des stalagmites. La trïglene était célèbre dans l'anti-
quité; elle fait partie de la parure de Junon dans l'Iliade;
c'est dans l'Odyssée le riche présent qu'Eurydannis en-
voie à Pénélope. Mais il n'est guère possible d'expliquer ce
qu'étaient les triglènes : peut-être étaient-ce des onyx on des
cailloux roulés , à plusieurs couches concentriques de cou-
leurs différentes , et qui offraient la forme et les couleurs
de la prunelle de l'œil, le mot YXrjvri signifiant la pupille de
l'œil. Enfin, il y avait des boucles d'oreilles qui avaient la
forme de petits trépieds, et que pour cela on nommait
tripodes.
11 nous reste à parler du ncsim ou nisme. L»'s Hébreux
504
BOUCLES D'OREILLES — BOUCLIER
donnaient ce nom à l'anneau dont ils ornaient leurs narines,
usage qu'on trouve chez plusieurs peuples sauvages et aux
Indes. Il semble avoir été pratiqué en Orient dès le temps
d'Abraham; il en est souvent question dans la Bible. Les
peintures indiennes et chinoises offrent un grand nombre
de figures dont les narines sont orn(''es de perles et de pierres
précieuses. Ces anneaux servaient chez les Juifs aux hommes
ainsi qu'aux femmes, et on les suspendait tantôt aux na-
rines, tantôt aux oreilles. On appelait aussi autrefois nesim,
en Orient, ce fort anneau qu'on employait et qu'on emploie
encore aujourd'hui, en plusieurs pays , comme frein ou ca-
veçon, et qu'on passe dans la cloison des narines des buffles
et des bœufs. Delbare.
BOUCLIER, arme défensive dont les anciens se ser-
vaient pour se couvrir le corps et se préserver des coups de
leurs ennemis dans les combats. Selon plusieurs savants, le
mot bouclier est dérivé de buccularium ou bucctila, parce
qu'on représentait sur les boucliers des tôles ou gueules de
gorgone, de lion ou d'autres animaux. Les Grecs et les Ro-
mains en avaient de diverses formes , tant pour l'infanterie
que pour la cavalerie. Le bouclier rond s'appelait en grec
ianiÇf en latin clypeus ; le bouclier long et rectangulaire en
grec Bupco; (semblable à une porte), en latin sctUum. Le
scutum avait souvent la forme d'une tuile creuse; il était
assez haut pour couvrir le soldat quand il se baissait. Les
boucliers étaient ordinairement munis de deux anses; le
combattant passait le bras dans la plus grande, et saisissait
l'autre comme une poignée. On faisait les boucliers de ma-
tières légères et tenaces, comme osier, bois blancs, cuirs, etc.,
que l'on couvrait quelquefois d'une feuille métalli(iue. Le
milieu du bouclier était couvert d'une plaque de métal ,
et armé d'une pointe. On l'appelait en grec [jieaofAçoiXiov (le
nombril), en latin «môo.
Les Égyptiens s'attribuaient l'invention du bouclier, la
plus ancienne des armes défensives, et la seule, du moins,
dont il soit parlé dans les livres de Moïse; les Grecs le re-
çurent d'eux, avec le casque, elle transmirent à leur tour aux
autres nations. Les premiers boucliers étaient d'une gran-
deur démesurée et avaient presque la hauteur d'un homme.
Au temps de la guerre de Troie, on ne les portait pas en-
core au bras ; ils étaient attachés au cou par une courroie et
pendaient sur la poitrine : lorsqu'il s'agissait de se battre,
on les tournait sur l'épaule gauche et on les soutenait avec
le bras; pour marcher, on les rejetait derrière le dos, et
alors ils battaient sur les talons. Les Cariens, peuples très-
belliqueux, changèrent cet usage, et enseignèrent aux Grecs
à porter le bouclier passé dans le bras par le moyen de cour-
roies faites en (ormes d'anses. Du reste, la fit;ure du bou-
clier parait avoir souvent varié en passant d'une nation à
une autre. Les Grecs se servirent plus ordinairement du ôu-
p£Ô;,ou bouclier long et rectangulaire; mais les Lacédémo-
niens portaient un bouclier qui avait la forme d'une tuile
creuse. L'un et l'autre étaient ordinairement de cuivre. On
gravait sur chacun la lettre initiale du pays de celui qui le
portait : ceux des Lacédémoniens avaient unX, ceux des Ar-
giens un a. Ce dernier, qui était le clijpeus, devint aussi le
bouclier des Romains, qui adoptèrent le 5c«^î<?n après leur
réunion avec les Sabins. Tantôt plat et tantôt courbé, et
ayant la forme d'un carré oblong , ce bouclier fut chez eux
l'arme défensive de l'infanterie, et la cavalerie eut un bou-
clier rond, plus léger, que l'on appelait parma. Chaque lé-
gion avait des boucliers d'une couleur particulière, et ornés
d'un symbole qui les distinguait de ceux des autres légions,
tels que le foudre, une ancre, un .serpent, etc. On y joi-
gnait encore des signes distinctifs pour que le bouclier de
chaque soldat pût être reconnu.
On sait que dans les premiers temps de la monarchie des
Francs les princes ou chefs choisis par la nation étaient
élevés sur un taillevas ou pavois, grand bouclier, et mon-
trés de la sorte au peuple réuni. Derrière ces pavois, teiuis
par d'autres soldats appelées pavescheurs , les archers
s'abritaient les jours de combat ; ce moyen était surtout em- ■
ployé à l'attaque ou à la défense des places, et l'on montre H
un de ces pavois au Musée d'.\rtillerie de t'aris. Les Francs,
à leur arrivée dans la Gaule, armaient leur infanterie de
larges en bois léger, garnis de cuir bouilli. Leur cavalerie
avait adopté le bouclier romain. Vers la fin du onzième
siècle, à l'époque de l'invasion de l'Angleterre par les Nor-
mands , nous voyons la forme de ce bouclier changer com-
plètement. 11 s'allonge en pointe vers le bas , tandis que la
partie supérieure s'arrondit sensiblement. Vornbilic ou umbo
est très-souvent armé d'une pointe comme les boucliers an-
tiques. Au temps des croisades, cette arme défensive, ra- 'Â
menée à de plus étroites proportions, se couvre d'armoiries ; fl
elle change alors son nom contre celui d'^cH , dérivé de
scutum , et qu'on donne plus tard aux pièces de monnaie
sur lesquelles il est représenté. 11 tient aussi une place im-
portante parmi les armes de la chevalerie; et le blason lui
doit le champ où se dessinent ses accessoires.
Puis , cette forme éprouve encore un nouveau change-
ment : on ne voit plus aux hommes d'armes du seizième
.siècle que de très-petits boucliers ronds appelés rondelles,
et de plus grands, également ronds, nommés rondaches,
dernière transformation, qui ne disparaîtra qu'avec l'usage
de l'arnmre elle-même. Les boucliers sont enfin remplacés
par la cuirasse, et ne se montrent plus que dans les trophées
d'armes.
C'était un grand déshonneur chez les Grecs que de perdre
son bouclier dans les combats. Aussi les mères des Spar-
tiates recommandaient-elles à leurs enfants de revenir avec
leur bouclier ou sur leur bouclier. C'était également une
grande ignominie chez les Germains de perdre ou de se lais-
ser enlever son bouclier dans les combats, comme par la
suite chez les nations modernes de ne pouvoir conserver
son drapeau.
On appelait boucliers votifs , chez les anciens , ceux que
l'on consacrait aux dieux après quelque victoire. Cet usage
passa de la Grèce en Italie. Lorsque Titus Quintuseut vaincu
Philippe, roi de Macédoine et père de Démétrius, on déposa
dans le Capitole dix boucliers d'argent et un d'or massif,
qu'on avait trouvés parmi les dépouilles. La coutume vint
ensuite de consacrer des boucliers aux grands hommes de la
république. Le consul Appius Claudius Sabinus fut le pre-
mier (l'an de Rome 209) qui en fit placer dans le temple de
Bellone plusieurs, sur lesquels il avait fait représenter les
belles actions de ses ancêtres. Cet usage, inventé pour flat-
ter la vanité, se soutint, et ces sortes de monuments de-
vinrent si communs, que les murailles de tous les temples en
étaient ch;irgées.
A Rome, les anciles étaient, comme on sait, des bou-
cliers sacrés, confiés aux prêtres sa lien s. Edme Héhead.
Les poètes anciens se sont plu à décrire les emblèmes
qui ornaient les boucliers de leurs héros. Les plus fameuses
descriptions de ce genre sontcelles : 1° du bouclier d'Achille,
par Homère; 2° du bouclier d'Hercule , qui est le sujet
d'un poème d'Hésiode parvenu jusqu'à nous; 3*^ du bouclier
d'Énée, par Virgile; enfin nous savons par Eschyle quel»
emblèmes ornaient les boucliers des sept chefs devant Thèbes.
Le bouclier d'Achille, décrit par Homère, était rond
comme un globe. Vulcain lui donna pour ceinture les flots
de l'Océan, y traça les mers intérieures , et l'environna du
ciel étoile, à l'aide de la fusion des métaux alors connus,
l'airain , l'étain, l'argent et l'or. Les connaissances astrono-
miques de cette époque y sont aussi paifaitement expli-
quées : « Dans le milieu du bouclier, dit Homère , le dieu
figura la terre, le ciel la mer, le soleil infatigable, la lune
en son plein et tous les astres dont les cieux sont couron-
nés, les Pléiades, les Hyades, le géant Orion, l'Ourse,
qu'on nomme aussi le Chariot, et qui tourne toujours aux
uicnies lieux en regardant Orion. la seule des constellations
BOUCLIER
qiii ne se baigne pas dans l'Océan. » Si l'on redescend sur
la terre, là on voit représentées deux villes populeuses,
des fêtes nuptiales à la clarté des flambeaux , et des danses
en rond qu'animent les flûtes et les phorminx, les plus
harmonieuses des lyres ; ici , deux hommes s'échauffant à
plaider- leur cause au milieu d'une place publique, et des
hérauts avec leur sceptre apaisant les murmures de la mul-
titude ; plus loin , deux armées victorieuses disputent sur
le sort d'une ville : attirées dans une embuscade, elles en
viennent aux mains avec les habitants : le carnage est hor-
rible , et la surface du bouclier est couverte de morts et de
mourants. Au milieu de ces scènes de sang, Homère n'au-
rait eu garde d'oublier les riantes saisons , les semailles , la
moisson et la vendange : le printemps , l'été et l'automne
passent sous ses admirables pinceaux.
En considérant le bouclier d'Achille sous le rapport des
progrès de la ciselure et de l'emploi des métaux dans ces
siècles reculés, nous devons croire que l'art de l'émailleur
y était porté à un haut degré. N'en aurions-nous pas même
jusqu'à la certitude par ce passage : « Quoique la terre,
soit d'or, elle se noircit derrière eux comme une plaine ré-
cemment labourée : c'est un prodige ! » Et par cet autre :
« Yulcain y représenta aussi une belle vigne toute d'or,
chargée de grappes pourprées qu'entourait un fossé d'une
couleur bleuâtre. » L'émail seul , ce nous semble , devait
opérer ces nuances merveilleuses sur l'or.
Le bouclier d'Hercule est dû au génie d'Hésiode d'As-
crée. Le bouclier que Thétis commanda à Vulcain pour son
fils est forgé avec le feu du ciel dans l'Olympe, dans le pa-
lais du dieu , et non avec les flammes terrestres de Lcmnos
ou des îles Éoliennes. Le bouclier d'Hercule , don de Pal-
las, également exécuté par Vulcain , eut sans doute la même
origine, quoique le poète se taise sur ce point. 11 est en-
touré de lames bleues d'un éclat éblouissant ; celui d'Achille
est ceint d'un triple cercle d'un radieux métal ; cinq lames
le couvrent, un baudrier d'argent y est attaché. Celui d'Her-
cule , sans compter ses douze serpents accessoires, présente
dans son centre un dragon terrible, aux yeux allumés, à
la gueule béante, aux dents blanchissantes, allusion aux deux
sorpints que ce liércs étouffa dans son l)erceau. Comme
celui du fils de Pelée , il offre une Discorde dont la tunique
est rouge de sang, un combat de lions, deux armées qui
en sont aux mains , des fêtes d'Hyménée avec leurs flam-
beaux, des chœurs de jeunes hommes avec leurs flûtes et
leurs lyres , une plaine qu'on ensemence , des moissons et
une vendange où l'on voit une vigne toute d'or, aux pampres
agités, et soutenue par des palis d'argent, images tout à
fait pareilles à celles d'Homère. Enfin , ce bouclier, ainsi
que l'autre, a pour ceinture les flots de l'Océan. Ce qu'il
présente d'original , ce sont le combat des Lapithes et des
Centaures , les Gorgones et Persée rasant dans son vol la
surface des mers, une chasse aux lièvres, un combat au ceste,
une lutte, un vaste port inaccessible aux vents, la mer
d'alentour couverte de dauphins et un pêcheur observant
leurs ondoMions, et, par-dessus tout, un tableau des Par-
ques, admirable par la terreur qu'il inspire. Ce tableau
sombre est d'une grande vigueur; elle ne se fait point sentir
à ce degré dans le bouclier d'Achille; mais Homère a voulu
ménager tous les jours dans son admirable poëme. Ce n'est
pas dans les accessoires qu'il a voulu user son feu divin
il le réservait pour de plus vastes sujets ; d'ailleurs, son bou-
clier est de beaucoup supérieur à celui d'Hésiode par l'or-
donnance : tout est pêle-mêle dans le poète d'Ascrée.
On voit que ces boucliers sont presque identiques : l'un
a servi de type à l'autre. Certes , ce n'est pas Homère qui
est le copiste , puisque ses tableaux ont tant de supériorité •
le chantre de la théogonie serait donc postérieur au chan-
Ije d'Achille? Ce n'est pas ici la place d'une telle discussion.
Le bouclier d'Énée est un hommage de Vh-gile à Au-
guste : c'est une longue suite d'adulations entremêlées dos
»1CT. DE LA CONVKllS. — T. III.
nos
fastes de Rome. On y voit représentés sur le métal brillant
la postérité d'Ascagne, la louve de aiars, couchée dans un
antre vert, la ville de Romulus, l'enlèvement des Sabines,
le supplice de Métius écattelé par deux quadriges, Porsenna
aux portes de la ville éternelle , l'intrépide Codés, Manlius
et le Capitole , les Gaulois à la chevelure d'or, la danse des
Saliens, le sombre CatiHna, l'austère Caton. La mer d'A-
dria , couverte des flottes égyptienne et romaine, encadre ce
tableau. On y voit surgir au-dessus des vagues la roche de
Leucade et le promontoire d'Actium : Auguste y paraît de-
bout sur la poupe de son vaisseau , regardant fuir Antoine
avec les peuples de l'Aurore , et la reine du Nil , son épouse,
excitant en vain du cistre ses matelots barbares. Plus loin,
couronné des triples palmes du triomphe, ce prince voue à
Apollon Sauveur un temple d'un marbre éblouissant; au-
tour du vainqueur sont groupées comme accessoires les
nations soumises, les Numides, les Africains aux robes
flottantes, les Cariens, les Dahœ, les Gelons aux flèches
aiguës. Le métal offre aussi le Nil et l'Euphrate , le Rhin et
l'Araxe indigné du pont qui l'emprisonne. Il est aisé d'aper-
cevoir dans ces tableaux , d'ailleurs meiTeilIcusement tracés
dans l'original en vers sonores et pompeux , l'absence des
scènes de la nature et de ses charmes , qui se font si vive-
ment sentir dans Homère et dans Hésiode , tous deux imites
par Virgile.
Il ne nous reste plus à parler que d'une espèce de bouclier
symbolique qui remonte à une plus haute antiquité ; c'est
Eschyle , qui alimentera notre érudition sur ce sujet par sa
tragédie des Sept Chefs devant Thèbes. Tydée, nous dit-il,
portait sur son bouclier « un ciel clair et parsemé d'étoiles.
La lune dans son plein, astre vénérable, œil brillant de la
nuit, occupe le milieu. «Celui de Capanée offrait» un homme
nu qui secoue un flambeau avec ces mots en lettres d'or :
Je brûlerai Thèbes. » Celui d'Étéocle « un soldat qui esca-
lade une tour, avec ces paroles : Mars lui-même ne me
repousserait pas. » Celui d'Hippomédon, << Typhée, dont
la bouche ardente vomit des flots d'une noire fumée. « Ce-
lui de Parthénopée , « un sphinx tenant dans ses griffes un
soldat thébain. » Sur le bouclier de Polynice sont représen-
tées deux figures : « un guerrier avec des armes dorées et
une femme qui le précède : c'est la Justice ; on y lit ces
mots : Je le rétablirai dans sa ville et dans le palais de
son père. » Quant au bouclier d'Amphiaraûs, il n'était chargé
d'aucun symbole : ce chef ne faisait pas le brave , il se con-
tentait de l'être. Il est curieux de rapprocher de cette tradition
l'usage de nos preux du moyen âge , qui portaient une de-
vise sur leur écu. C'est le quinzième siècle qui va se fondre
dans la nuit des temps héroïques; c'est la mode, qui, for-
mant le cercle, comme le serpent de Saturne , fait le tour du
monde. Dense-Baron.
BOUCLIER ( Histoire naturelle). C'est le nom donné
aux organes protecteurs résultant de la condensation et de
la grande épaisseur de la peau , qui est plus ou moins en-
croûtée de sels calcaires. On voit l'origine de cette disposi-
tion en boucliers dans la peau rude des rhinocéros, qui
estremarquable par des plis profonds en arrière et en travers
des épaules, en avant et en travers des cuisses; c'est dans
les tatous , les chlamyi)liores, les priodontes, les tatusies,
qu'on observe ces boucliers ( qui ont été distingués en cé-
phalique, scapulaire, dorsal, lombaire et caudal , selon
qu'ils recouvrent la tête, les épaules, le dos , la croupe ou
les lombes et la queue ) , en outre des plaques solides qui
recouvrent la partie externe des membres. On donne quel-
quefois, peut-être à tort , le nom de^es^oudecarrtjoace
à l'ensemble des boucliers de ces animaux. Les pangolins,
dont le corps est recouvert par des écailles, ont une sorte
de bouclier écailleux. Dans les oiseaux et les tortues, il
n'y a jamais de bouclier proprement dit. Les crocodiles, les
caïmans, les gavials , offrent dans le derme de la peau dor-
sale un grand nombre de pièces osseuses dont l'ensemble
50G
BOUCLIER — BOUDERIE
constitue un véritable bouclier. Parmi les poissons, il en
est , tels que les lépisostées , plusieurs espèces de trigles , de
lottes, de silures et ménic de gastérostées , dont les écailles
deviennent osseuses ; chez d'autres , les ostracions ou cof-
fres, quelques diodons, des syngnathes, des hippocampes
et des esturgeons , la peau est solidifiée par la réunion de
pièces complètement osseuses très-dures. Daas ces deux
cas , le corps de ces poissons est recouvert par une sorte
de bouclier général ou armure cou)plèfe.
Dans les animaux articulés, on donne quelquefois le nom
de bouclier au chaperon ou épistome qui avoisine le labre
ou lèvre supérieure chez les insectes. Chez certains crusta-
cés, la pièce supérieure qui recouvre le corps entier forme
un vaste bouclier qui porte le nom de têt ou de carapace.
En zoologie, on a donné, le nom de boucliers : t° à des
espèces de poissons appartenant aux genres cycloptère ,
spare , lépadogastère et centrisque ; 2° à des coléoptères de
la famille des ciavicornes, dont le corps a cette forme.
Ces insectes , essenticUcmeat carnassiers , préfèrent les ca-
davres en putréfaction et les excréments à toute autre
nourriture. Plusieurs espèces de ce genre se trouvent aux
environs de Paris. 11 en est une , le bouclier-àlre (silpha-
atrata , Fabr. ) , qui diffère des autres en ce qu'elle se tient
sur les chênes et se nourrit de chenilles.
Il y a un étrange abus de mots dans les noms vulgaires
donnés à une espèce de patelle {patella testudinaria), tels
que bouclier ou écaille de rocher, bouclier d'écaillé de
tortue, bouclier couleur d'écaillé.
Quelques oursins ont reçu, à cause de leur ressemblance
avec un bouclier, les noms de scutelle et de clypéastre. En-
fin , Paulet a donné encore ce nom à Vagaric brevipes de
Bulliard. L. Lauiœnt.
BOUDDHA, BOUDDHISME. Le mot bouddha en
sanscrit signifie sage ; c'est le titre d'honneur donné à Gau-
tama on Sakja-Mouni (docteur de la famille Sakja), fonda-
teur du bouddhisme, religion indienne, qui compte plus
^le 300 millions de sectateurs répandus dans l'île de Ceylan ,
le royaume de Siam, l'empire Birman, le Tonkin, le Tibet,
la Mongolie, la Chine et le Japon. Sakja-Mouni naquit au
sixième siècle avant notre ère, dans la province de Mâ-
gadha, aujourd'hui Beliar. Profondément ému delà cor-
ruption et de la misère de l'espèce humaine, il se retira
quelque temps dans la solitude; mais il ne tarda pas à re-
|«iraître dans lo monde comme réformateur de la religion,
attaquant les Védas et beaucoup d'institutions de la reli-
gion reconnue. Il transmit ses doctrines à son disciple, le
brahmane Mahakaja, et mourut vraisemblablement vers
l'an 533 avant J.-C. A son tour, Mahakaja se choisit un dis-
ciple , et la transmission de la doctrine bouddhique se con-
tinua ainsi de maître à disciple pendant plusieurs siècles ;
cependant elle avait été de très-bonne heure mise par écrit
en langue sanscrite.
Les bouddhistes se multiplièrent beaucoup dans l'Jnde.
"Voici quelles étaient leurs principales doctrines : un Dieu
suprême régit le monde; il est invisible, immatériel, et ne
peut, par consé(\uent, être représenté par aucune image;
il est sage, juste, bon, compatissant, tout-puissant, et ne
peut être mieux honoré que par une contemplation silen-
cieuse. L'homme arrive à la félicité éternelle par la vertu;
il ne doit ni jurer, ni mentir, ni calomnier, ni tuer, ni voler,
ni se venger; il doit mener une vie chaste et sobre, faire
l'aumône, dompter ses appétits sensuels, et apprendre à
connaître par une contemplation silencieuse sa propre na-
ture et l'essence de la Divinité. En remplissant complète-
ment ces devoirs, il arrivera déjà sur la terre à la dignité
«l'un bouddha ou d'un sage, et après sa mort il sera réuni à
VÈlre suprême. Cette réunion s'appelle ni/fû'Ha, c'est-à-
Oirc repos ou félicité. Les âmes des hommes qui se sont mal
conduits sur la terre transmigrent dans des corps d'animaux.
i^es bouddhistes ont conservé les cosniogonics indiennes,
ainsi que la plupart des dieux de l'Inde, sans leur accorder
toutefois beaucoup de respect; ils n'ont pas rejeté, entre
autres, les incarnations de Vischnou, et ont adopté beaucoup
de cérémonies des brahmanes; mais ils n'ont admis aucune
des prescriptions des Védas. Ils adressent de préférence
leurs prières au fondateur de leur religion, le Sramana ou
l'ermite Gautama, et à d'autres illustres docteurs de leur
secte qui ont obtenu la dignité de bouddhas. Comme les
brahmanes, ils tiennent pour sainte la syllabe mystique
om, et ne mangent pas de chair. Ils sacrifient des fleurs et
des fruits à leurs saints et à leurs demi-dieux , rejettent les
sacrifices sanglants ainsi que le culte impur du phallus, ne
reconnaissent pas de castes, et ne regardent pas le sacerdoce
comme indélébile. Les prêtres bouddhistes se rasent la tête ,
vivant dans le célibat et souvent en communautés dans des
couvents , en quoi ils se distinguent essentiellement des
Brahmanes pour qui le mariage est un devoir.
Bépandu d'abord dans l'Inde, où il a des temples célèbres
à Salsette, à Pandj-Pandou , à Adschanka, etc., le boud-
dhisme s'introduisit , dès le troisième siècle avant notre ère,
dans le Tibet, à Ceylan et à Java. "Vers le temps de la nais-
sance de J.-C, les brahmanes excitèrent une violente per-
sécution contre les bouddhistes, qu'ils chassèrent peu à peu
de toute l'Inde en deçà du Gange; par contre, le boud-
dhisme devint la religion dominante dans l'Inde au delà du
Gange, à Siam, dans le Pégu, l'A va et le Tonkin. C'est à
cette époque qu'il pénétra dans la Chine, où Bouddha devint
Fo, puis dans le Japon, chez les Mongols, les Kalmoukset
plusieurs tribus de la Sibérie. Les livres bouddhiques furent
alors'traduits du sanscrit en pâli, en tibétain, en chinois, en
mongol, etservirentde textes à d'innombrables commentaires.
La littérature sacrée des bouddhistes est extraordinaire-
ment riche en traités cosmogoniques , dogmatiques, mo-
raux , ascétiques, liturgiques. Le canon des livres saints qui
existe en langue tibétaine ne forme pas moins de 108 gros
volumes. Le trente-troisième patriarche des bouddhistes et
le dernier mourut en Chine, l'an 713. Ses successeurs, qui
séjournèrent également en Chine, prirent le titre de princes
de la doctrine ; mais ils en furent dépouillés par Gengis-
khan et ses successeurs. Dans le quatorzième siècle, le
chef de la religion bouddhique transporta sa résidence de la
Chine dans le Tibet, et au lieu de gautama, il se fit ap-
peler lama, c'est-à-dire en tibétain prêtre. Depuis le
seizième siècle il porte le titre de dalaï-lama,ou prêtre
de la mer. Chez les Mongols , les prêtres bouddhistes s'ap-
pellent lama; au Japon, bonzes; chez les Birmans, ra-
hdnen, et à Siam talapoins. Malgré le grand nombre de li-
vres écrits par des Européens sur Bouddha et sa religion ,
ce point historique si important était resté obscur jusqu'à
nos jours, parce que les sources originales, écrites en sans-
crit, n'avaient point encore été rendues accessibles, et qu'on
se contentait de puiser à des sources secondaires. Les ou-
vrages qui l'ont le mieux élucidé sont : V Introduction à
l'histoired^l Bouddhisme l7idien,^aiTBumou({Pms,iSi!i),
et les .dn^/7«i^6^5 Indien)ics, dehassen. Hodgson, Wilson,
Colebrooke et Roth , puisant aux sources sanscrites, Turnour
dans les livres pâli , G. de Humboldt dans les li-tTes java-
nais, San-Germano et Buchanan aux sources birmanes,
Ka;mpfer dans les ouvrages japonais, Abel de Rémusat, Kla-
proth et Schott dans les livres chinois, Csoma, KœrQ\si,
J.-J. Schmidt, Kowalewski et Foucaux dans les écrits tibé-
tains et mongols, ont fourni aussi beaucoup de renseigne-
ments précieux sur Bouddha et sa doctrine.
IîOÙDEIUE, défaut de caractère , qui, sans troubler
violemment les rapports quotidiens, les rend désagréables
et pénibles. On est heureux de vivre ensemble lorsqu'on
s'aime, parce qu'à chaque minute on peut épancher ses sen-
timents et ses idées. L'effet de la bouderie, c'est d'arrêter
tout à coup cette communication si douce; c'est de sus-
I pendre ce qu'il y a de plus délicieux dans lintimité; c'est.
BOUDERIE — BOUE
en «n mot, de murer son cœur. D'un autre côté, comme
le symptôme obligé de la bouderie est un silence froid et
persévérant , il en résulte que toute Toie est fermée aux ex-
plications : c'est une tyrannie de mauvaise humeur que
nous imposons à ceux qui nous entourent. Il est vrai que
0 bouderie dure peu ; mais aussi , comme elle peut se re-
nouveler souvent, elle empreint d'une amertume passagère
la position môme la plus fortunée. Dans l'éducation des
jeunes filles, c'est un des points qui méritent le plus d'atten-
tion ; ce n'est pas asseï d'attaquer chez elles le penchant à
la bouderie, il importe de l'extirper entièrement, et avec
de l'habileté on en vient à bout. Il vaut mieux leur passer
une certaine vivacité de réplique que de les habituer à un
genre de défense qui est d'autant plus dangereux, qu'il dis-
pense de recourir à toute espèce de justification , de sorte
qu'il couvre au besoin les fautes les plus répréhensibles. On
trouve quelquefois remède à certains caprices des femmes ;
on peut a la rigueur les en faire rougir, et par là on les en
délivre; mais la bouderie est-elle ancrée de vieille date dans
le caractère, tout remède est impuissant, puisqu'elle ne veut
ni entendre ni répondre. Saint-Prosper.
BOUDIN, boyau de porc ou de bœuf rempli de sang
dans lequel on mêle de petits morceaux de lard ou de graisse,
du poivre , etc. Le boudin est cuit d'abord dans l'eau ; pour
le manger, on le fait rôtir sur le gril ou dans la poêle. Le
boudin de sang de porc est de beaucoup préférable à celui
qui est rempli en tout ou en partie de sang de bœuf, etc. Le
boudin blanc se remplit avec des blancs de volaille, de la
crème, etc. L'usage de manger du sang en boudins remonte à
la plus haute antiquité; il en est fait mention dans Homère,
Aristophane et autres auteurs anciens.
En architecture, le mot boudin est synonyme de tore :
c'est cet ornement de la base de la colonne qui figure un
gros anneau saillant et arrondi. Un semblable ornement du
canon s'appelle du même nom.
Les mécaniciens appellent ressort en boudin celui qui
est fait en forme de tire-bouchon. — Autrefois on appelait
boudin un enroulement de cheveux formé à l'aide d'un fer
Boudin est encore le nom d'une pièce d'artifice
i07
chaud.
Enfin, on dit au figuré et dans le langage familier, qu'une
affaire a tourné en eau de bouditi, pour signifier qu'elle a
trompé complètement notre attente , par la raison peut-être
que l'eau dans laquelle on a fait cuire du boudin n'est
bonne à rien. Teyssèdre.
BOUDOIR, petite pièce faisant ordinairement suite à
un grand appartement. C'est de toutes les chambres qui le
composent celle qui doit être ornée avec le plus de recherche
et d'élégance. L'ameublement d'un boudoir varie selon la
mode; mais on s'attend à y trouver un jour mystérieux,
beaucoup de glaces, im divan ou un sopha et des sièges de
couleur gaie, des draperies légères, des peintures gracieu-
ses , des fleurs fraîches et rares : c'est l'endroit que les ar-
chitectes et les tapissiers décorent avec le plus de soin , et
c'est toujours le dernier que l'on montre dans un apparte-
ment à buer. Tant de soins ont fait juger qu'un boudoir
n'était pas une pièce sans importance; les romanciers, les
poètes , en ont fait l'asile des Grâces , des Plaisirs , de l'A-
mour, de sorte qu'une femme ayant quelques notions de my-
thologie doit se trouver fort embarrassée de faire les hon-
neurs d'un lieu que l'on prétend consacré à ces divinités, si
elle n'est point dévouée à leur culte. Parler de son boudoir
est pour le plus grand nombre des femmes une preuve
d'innocence; car un air fin, un sourire, une respiration
difficile, un geste affectueux , saisis en même temps que ce
mot , donneraient à l'homme que l'on recevrait dans ce lieu
d'étranges pensées. Cependant ce nom dérive évidemment
de bouder, action peu polie, mais très-pudique, et qui n'a
nul rapport avec les scènes dont, selon tant d'écrivains, les
boudoirs ont été le théâtre. Peut-être qu'observateurs pro-
fonds, ces auteurs ont reconnu que les honnêtes femmes
ne boudaient point , et conséquemment ne se préparaient
pas de réduit destiné à ce genre d'occupation. 11 est sin"ulier
que, les boudoirs étant d'invention moderne, on ne sache
positivement ni leur usage ni quelle fut la dame qui la pre-
mière éprouva le besoin de cette espèce de retraite, et lu!
donna le nom qu'elle porte aujourd'hui.
On lit dans les vieux livres que les reines, les princesses
les simples châtelaines, se retiraient dans letir oratoire^-
mais que voyait-on là? Un prie-dieu en bois d'ébène , et des
parois où étaient suspendus un crucifix, des reliquaires, du
buis bénit , voire même une disciphne : la racine des bou-
doirs n'est pas là. Plus tard , le plan du château de Versail-
les, dessiné minutieusement en 1714, indique le cabinet
des livres, des médailles, des agates, des chiens, des per-
ruques , et ne mentionne point de boudoir. Dans la corres-
pondance de madame de Sévigné, cette incomparable
mère-beauté , jeune si longtemps de visage, d'esprit et de
manières , et qui confesse à sa fille un penchant pour la
mode que sa raison combat vainement, il n'est jamais ques-
tion de boudoirs : ce sont des cabinets que cette dame , qui
ne fréquente que la cour et la plus haute classe de la so-
ciété, cite comme des pièces particulières où l'on reçoit ses
amis intimes , et que l'on décore soigneusement ; c'est dans
le cabinet de M. de Coulanges que le portrait de madame
de Grignan sera placé en perfection , pendant un voyage
de sa mère; c'est dans un cabinet, tout parfumé des jas-
mins du voisinage , que l'on cause les soirs chez madame de
Lafayette : les cabinets ont succédé aux ruelles; et les
boudoirs semblent avoir remplacé les cabinets.
On peut , d'après ces observations , conjecturer que c'est
au temps de la régence que les boudoirs furent érigés; et
c'est aux romanciers, ainsi qu'aux poètes, que nous devons
les idées les plus judicieuses sur leur emploi primitif. De là
dérive aussi l'espèce d'antipathie que manifestaient pour
cette dénomination les femmes qui se piquaient de n'avoir
point le goût de la galanterie ; et madame de Genlis a sou-
vent écrit « qu'une femme de bonne compagnie n'aurait
jamais désigné sous le nom de boudoir aucune pièce de son
appartement; que cela ne datait que de mesdames de Para-
bère, Pompadour, Dubarry, qu'imitèrent les Plirynés du
temps. » Cependant on montrait, avant 1789, dans les
petits appartements de Marie-Antoinette une pièce que l'ou
nommait boudoir de la reine; mais cette princesse dési-
gnait-elle ainsi ce cabinet? ou, étant étrangère, employait-
elle cette expression sans en connaître l'origine et sans se
douter de toutes les idées qui s'y rattachent.?... Marmontel
rend entreprenant jusqu'à l'insolence un financier qui, re-
cevant une jeune femme, la voit gaiement prendre place
dans un boudoir où il la conduit; il ne lui dissimule point
que s'établir ainsi dans im temple dédié à l'Amoxir, c'est
s'en déclarer la prêtresse. Enfin , on ne connaît pas d'au-
torité dont il soit possible de s'appuyer pour faire consi-
dérer les boîcdoirs sous un rapport aussi moral, aussi con-
venable que la mirsery des dames anglaises , chambre qui
manque à tous nos appartements , et qui , ainsi que l'indique
son nom , est destinée aux enfants.
Le boudoir de Cliantilli était célèbre par ses peintures,
représentant les amours de Louis XV et de madame de
Pompadour, sous des figures de singes et de guenons;
celui de Bagatelle , à la même époque, était rempli de glaces
si ingénieusement disposées, que les femmes dont la pro-
fession ne consistait point à poser dans les ateliers de sta-
tuaire n'osaient y pénétrer. Au Palais-Royal, le boudoir
du prince était orné de figures mouvantes et infâmes. Ces
circonstances ont contribué au discrédit des boudoirs, dont
le moindre des inconvénients est un luxe dispendieux et sans
utilité pour les beaux-arts, que le grandiose seul élève à la
hauteur qu'ils doivent atteindre. Comtesse de Bradi.
BOUE, BOUEURS. La bouc est une terre détrempée
avec de l'eau. La bouc des villes et surtout celle de Paris
64.
BOUE - BOUFFÉ
508
est grasse, visqueuse et d'un gris noirâtre. Elle se compose
des éléments les plus hétérogènes et les plus dégoûtants,
cambouis des voitures, débris d'animaux, excréments, pour-
riture de toute espèce.
Dans tous les grands centres de population, l'iiygiène
exige que les boues et immondices soient enlevées chaque
iour de la voie publique, où elles deviendraient sans cela des
causes d'infection. Les hommes chargés de ce soin ont reçu
le nom de boueurs. Autrefois , la police faisait faire elle-
même ce travail. La boue, amoncelée d'abord en tas, le
long des murs, était enlevée ensuite par les boueurs; mais
cet enlèvement se faisait avec négligence. Aujourd'hui le
service , confié à des compagnies adjudicataires, sous la sur-
veillance de l'autorité municipale, est fait avec beaucoup
plus de soin. Disons aussi que l'établissement des bornes-
fontaines et celui des trottoirs ont contribué pour une bonne
part à la propreté et à l'assainissement de Paris. On ne
Toit plus des monceaux de boue au milieu des rues. Ce-
pendant les ordonnances de police qui prescrivent de re-
mettre les ordures aux boueurs quand ils passent le matin,
sans les jeter sur la voie piiblique, n'ont pu recevoir encore
leur exécution. On sait qu'en 1832, lorsque le choléra sévis-
sait à Paris , une émeute éclata parmi les chiffonniers
insurgés contre cette mesure, qui détruisait leur industrie.
Par exagération , on dit qu'une maison est faite de boue
et de crachat, lorsqu'elle n'est pas bAtie solidement; le
soleil ne salit point ses rayons, quoiqu'ils tombent dans
la boue, dit-on pour indiquer qu'on peut être affable et
populaire sans s'avilir. — En parlant d'un objet, d'un être
vil , on dit qu'on n'en fait pas plus de cas que de la boue
de ses souliers; on traîne quelqu'un dans la boue, quand
on le traite publiquement avec ignominie; on dit d'un
homme qui se déshonore par ses vices et sa vie crapuleuse,
qu'il se vautre dans la boue , qu'il est couvert de boue ,
qu'il se plaît dans la boue , et si son inconduite le fait
rîéchoir de son rang, le réduit à la misère, on dit qu'il est
tombé dans la boue, enfoncé dans la boue. On se rappelle
l'énergique apostrophe du général Lamarque s'écriant à
la tribune que la Restauration n'avait été qu'Mne halte de
quinze ans dans la boue.
BOUÉE. On appelle ainsi en mer tout corps llottant qui
marque sur le fond un objet qu'on veut y retrouver ou dont on
veu t se garder. On s'en sert le plus ordinairement pour indiquer
l'endroit oii l'ancre est mouillée, ou les passages difficiles et
dangereux; et on emploie à cet usage des morceaux de bols
ou de liège, et quelquefois des tonnes vides. Les bouées de
liège sont les meilleures, mais elles ont l'inconvénient de pou-
voir être volées facilement. Celles de tonnelage sont bonnes,
mais les vers les piquent ; alors elles font eau, et coulent ; elles
sont d'ailleurs exposées aux abordages des bateaux, qui les crè-
vent. Celles qui sont faites d'un tronçon de mât brut sont très-
bonnes ; mais elles ont le défaut d'être trop lourdes. Les bouées
de fagots réunissent le plus d'avantagesOn fait aussi des bouées
de tôle, qui réussissent très-bien, surtout pour les amarres de
poste. La bouée dite perce-mer est une petite bouée qu'on
amarre sur la grosse quand l'orin est trop court de mer haute.
Quelques bouées sont maintenant pourvues de cloches, que l'a-
gitation des vagues suffit pour mettre en branle. On comprend
de quelle utilité ellesdoivent être pai' desL^nips de brouillard.
La bouée de sauvetage est faite de plusieurs planches de
liégc; elle est de forme ronde et surmontée d'un ou de
plusieurs petits pavillons pour fixer l'attention de ceux
qu'elle est destinée à sauver; elle est environnée de plu-
sieurs rabans volants et à nœuds, pour quelle puisse être
saisie facdement à la mer. Elle doit avoir un déplacement
capable de supporter le poids d'un homme. On la tient sus-
pendue à l'arrière du vaisseau par un petit raban qu'on
peut couper d'un coup de couteau au premier cri un
Iionime à la mer ! Cet appareil a sauvé quelques hommes;-
mais il faut pour cela un concours de circonstances favo-
rables. Il exige de ia rapidité dans la manœuvre , un temps
maniable, et il esc mdispen.sable avant tout que rindi\idu
qui est en danger sache bien nager.
BOUES DES EAUX, ou BOUES MINÉRALES,
sortes de limons que l'on rencontre près de certaines eaux
minérales, et qui sont imprégnés des matières que ces
eaux charrient avec elles. On les prend sous la forme de
bains généraux ou partiels. Les plus connues et les plus
suivies sont les boues sulfureuses de Saint- Amand , près de
Valencicnnes , et celles de Bagnères-de-Luchon , dans la
Haute-Garonne; elles sont toniques, résolutives et propres
à combattre certaines douleurs articulaires chroniques ,
comme à opérer la guérison des anciennes blessures.
BOUFFARIK , village important, situé à 35 kilomètres
d'Alger, au centre de la Métidja, dans le bassin du Ma-
zafran, entre la Chiffa et l'Harach, et créé par arrêté
du 27 septembre 183G, sous l'administration du maréchal
Clauzel, sur l'emplacement d'un marché arabe qui servait de
point de réunion aux rassemblements hostiles. Le village
forme un rectangle de 750 mètres sur 1,100; ses côtés sont
orientés au nord et au sud , et fermés par un tracé bas-
tionné en terre et un grand fossé ; sur la face ouest existe ,
en saillie , un réduit dit Camp d'Erlon , dans lequel loge la
garnison , et où sont enfermés tous les établissements mi-
litaires. Ce camp est un des points stratégiques les plus im-
portants.
Aussitôt après la cessation des hostilités , l'attention des
Européens s'est reportée sur ce village : de nombreuses
demandes en concession furent faites; et comme il avait
été créé en vue d'une assez forte agglomération , il ne tarda
pas à se remplir de colons et à devenir le centre d'une
vaste exploitation agricole. Les pâturages y sont fort beaux;
c'est là qu'on récolte la plus grande partie des foins de la
plaine. Treize cent soixante-dix Européens composent la
population de Bouffarik; les maisons sont solides, à plu-
sieurs étages, et construites d'après un alignement régulier.
Bouffarik possède plusieurs viviers à sangsues. Une colonie
religieuse d'enfants trouvés et d'enfants pauvres y est en
voie d'essai, La paix a fait revivre l'ancien marché , qui est
fréquenté notamment par les tribus de la province de Tit-
tery. Ce sont les Ouamri, les Soumatha, etc.; la grande
tribu des Beni-Séliman , à une journée de marche de Mé-
déah , y amène beaucoup de bœufs , de moutons et de che-
vaux ; les Beni-Othman y apportent des sangsues, des fruits
verts et du blé.
Bouffarik a été le théâtre de plusieurs combats meurtriers ,
où l'astuce des Arabes et le courage des Français se sont
également montrés. L'affaire du 11 avril 1842 surtout
mérite d'être signalée. Vmgt-deux hommes du 26" de ligne,
porteurs de la correspondance, furent assaillis en plaine,
entre Bouffarik et Méred , par trois cents cavaliers de Ben-
Salem; venus de l'est de la Métidja. Dix-sept avaient déjà
succombé après s'être défendus comme des lions , lorsqu'au
bruit des coups de fusil , le lieutenant-colonel Morris ac-
courut de Bouffarik avec une quinzaine de chasseurs
montés à poil et à peine armés; en même temps, un lieu-
tenant du génie qui exécutait des travaux à Méred, parut
avec un détachement de trente sapeurs. Les Bédouins, saisi?
d'une terreur panique, s'enfuirent en abandonnant leurs
morts, et nos cinquante braves restèrent maîtres du champ
de bataille. Une souscription fut ouverte pour ériger sur
le lieu du combat un monument destiné à consacrer le
souvenir de ce f;iit d'armes.
BOUFFÉ (Marie), acteur, est né le 4 décembre iSOO.
Jusqu'à l'âge de vingt et un ans il fut ouvrier doreur. A cette
époque un nouveau théâtre s'ouvrait au boulevard du
Temple, sous le titre de Panorama Dramatique. Bouffé y
fut engagé , à raison de trois cents francs par an , pour
jouer les traîtres de mélodrame. A la façon grotesque dont
il tint son emploi, on devina qu'il excellerait dans les
BOUFFÉ — BOUFFISSURE
A09
comiques. Des rôles de niais, qn'il remplit avec naturel et
ingénuité, le firent remarquer. Bientôt ses appointements
s'élevèrent à 1200 francs, puis à mille écus. Cependant la
réputation ne lui était pas encore venue. Ce fut au théâtre
de la Gaieté, où il entra le 28 fé^Tie^ 1824, que le jeune
artiste appela sur lui l'attention du public. Deux pièces. Le
Pauvre Berger et Le Petit pauvre de l'Hôtel-Dieu, firent
entrevoir qu'il y avait en lui l'étoffe d'un comédien fin,
intelligent et vrai. De la Gaieté, Bouffé passa aux Nou-
veautés, où son talent rencontra plus d'une occasion de
se développer : Jean Caleb, Pierre le Couvreur, et surtout
Le Marchand de la rue Saint-Denis , lui assignèrent un
rang élevé dans l'opinion des connaisseurs. Le Gjmnase
Dramatique, qui déjà possédait la troupe la plus riche de
Paris, résolut de s'attacher ce comédien, dont il était facile
de prévoir les brillantes destinées. Bouffé , qui avait alors
moins d'appointements que de talent, était dans la gêne.
M. Poirson lui olfrit une avance de deux mille francs, s'il
consentait à signer un engagement de dix ans , à six mille
francs par année. L'offre fut agréée; mais comme Bouffé
avait encore dix-huit mois à passer au théâtre des Nou-
veautés, le contrat ne fut signé que pour le 1*'' avril 1831.
Pendant ces dix-huit mois la renommée de l'artiste
grandit encore ; elle devint telle, qu'au mois de mars 1831,
le directeur d'un théâtre de Londres lui proposa trois mille
francs pour venir donner une douzaine de représentations
en Angleterre. Les trois mille francs furent acceptés , et à
la veille d'entrer au Gymnase pour y gagner six mille francs
par année, l'artiste s'estima heureux de récolter en douze
représentations une somme égale à la moitié du revenu
annuel dont il allait jouir. Mais à son retour d'Angleterre
il trouva que ces appointements n'étaient en rapport ni avec
son talent ni avec les bénéfices qu'il venait de réaliser si
promptement. Il regretta la signature qui le liait au Gym-
nase. Par malheur, le directeur avait le droit et la ferme
volonté de faire respecter l'engagement contracté par l'ar-
tiste. De ce conflit de prétentions surgirent entre l'adminis-
tration du Gymnase et son nouveau pensionnaire des hos-
tilités, tantôt souterraines et diplomatiques, tantôt franciies.
et bruyantes. Les choses se traînèrent ainsi pendant plus
dedix ans. Cependant, à la suitede nombreuses transactions.
Bouffé avait quand il quitta le Gymnase des appointements
qu'on peut évaluer à trente mille francs par an, et il jouis-
sait en outre de trois mois de congé, dont le produit était
de plus de vingt mille francs. Disons, du reste, que Le Ga-
min de Paris et La Fille de l'Avare avaient procuré au
Gymnase des recettes d'un chiffre magnifique.
C'est le IG avril 1831 que Bouffé débuta au Gymnase
dans Les Dîners au Cachet : le rôle d'Oscar, dans lequel il
se montrait, avait été primitivement rempli par Gontier.
On fut d'avis que Bouffé ne faisait pas oublier son devan-
cier. De même, dans La Maison en Loterie il ne parut pas
supérieur à Perlet, qui avait créé Rigaudin. Bouffé fut pi us heu-
reux dansZ-e Bouffon du Prince, représenté le 4 mai de la
même année. On ne lui marchanda ni les rires ni les applau-
dissements. Le 16 mai il joua lord Sunderland dans La Fa-
vorite. Pièce et acteur n'eurent qu'un succès très-froid.
M. de Kergalin, du Délit politique, ne racheta pas les
malheurs de La Favorite, au contraire! Mac-Bory, de
L'Irlandais, eut encore moins de bonheur. Décidément
notre artiste n'était pas en veine. Un instant néanmoins , il
se crut désensorcelé : ce fut le jour où MM. Scribe et IMé-
lesville vinrent lire an théâtre Le Soprano. Cette fois
Bouffé conçut les plus charmantes espérances, et l'on ra-
conte qu'il écrivit eu grosses lettres sur la couverture du rôle
de Guimbardini, que lui avaient confié les auteurs : Hom-
mage d'admiration et de reconnaissance. Cet élan de gra-
titude ne suffit pas à sauver la pièce, qui, en ternies de
coulisses, fit un fiasco complet. La mauvaise veine n'était
pas épuisée; elle se manifesta dans Le Luthier de Lis-
bonne, Emmeline, Le Sénateur, Le Savant, Le Choix
d'une Femme, Le Pays latin. Le Premier Président, Le
Paysan amoureux, La Rente viagère, etc. Toutes ces
pièces réussirent peu ou ne réussirent pas du tout. L'acteur
suivit leur destinée. Il se releva médiocrement dans La
Grande Aventure; mais il triompha dans Les Vieux Pé-
chés, où, chargé d'un rôle d'ex-danseur de l'Opéra devenu
maire de sa commune et marguillier de sa paroisse , il dé-
pensa des trésors de verve , de boniiomie et de malice.
Après Les Vieux Péchés, Bouffé fait encore un temps
d'arrêt dans la carrière du succès. L'an 1833 s'écoule sans
qu'il puisse mettre la main sur un rôle à sa taille. Cepen-
'dant. Dieu sait s'il en essaye!... Pacolet, de La nouvelle
madame Evrard; Prudhomme, du Moulin de Javelle;
Louis XI, de Loîiis XI en goguettes; Roger, d'Un trait
de Paul I", et tant d'autres! Enfin, le 19 février 1834,
il joue Michel Perrin ! Dire ce que dans ce rôle d'hon-
nête curé qui remplit, sans le savoir, les fonctions d'agent de
police , Bouffé déploya de candeur, de grâce , de douce
gaieté , de philosophie , est impossible. Constatons seulement
que de ce jour il fut un grand comédien. Ses autres créa-
tions les plus brillantes ont pu consolider sa réputation,
elles ne l'ont pas accrue. Le Gamin de Paris, La Fille de
l'Avare, L'oncle Baptiste, rôles qui sont restés comme
les types les plus complets des qualités propres à Bouffé,
avaient leur germe dans Michel Perrin.
Nous ne poursuivrons pas une nomenclature qui ferait
ressembler cette esquisse biographique au catalogue d'une
librairie théâtrale. Disons seulement qu'en 1842 M. Poirson,
que de fréquents démêlés avec l'association des auteurs
dramatiques avaient exaspéré, entreprit de se soustraire
à ce qu'il appelait « leurs monstrueuses exigences, » et
résolut de se passer du concours de ces messieurs. Cette
guerre eut cela de désastreux que les frais en furent payés par
tout le monde : par les auteurs, qui étaient exclus du Gym-
nase; par les actionnaires, qui ne touchaient plus de divi-
dendes ; par le public, qu'on chassait du théâtre à coups de
mauvaises pièces; par les acteurs, qui ne jouaient plus que
de mauvais rôles. Bouffé subit quelque temps sa part dans
cette calamité commune; mais sa patience fut bientôt à bout ;
et, fatigué de défaites, de sifllets et d'ennuis, il vint ap-
porter à M. Poirson la somme de cent mille francs, montant
du dédit stipulé dans l'engagement qui l'enchaînait encore
au Gymnase pour deux années. M. Poirson reçut sans se
(aire prier les cent mille francs, et Bouffé s'en alla au
théâtre des Variétés. La spéculation fut bonne pour l'acteur et
pour le théâtre qu'il avait ciioisi, quoique sa présence imposât
à la direction des charges telles que la restitution des cent mille
francs, montant du dédit dont l'acteur avait fait l'avance,
neuf mille francs d'appointements fixes, cent francs de feux
par chaque pièce, un minimum de vingt feux assuré par
mois, un congé annuel de trois mois. Au mois de décembre
1849 Bouffé dut, par ordre de la faculté, prendre un repos
nécessaire à sa santé. L'artiste espérait bientôt revenir « re-
demander au public une part dans ses faveurs ». Cet espoir
ne s'est pas encore réalisé.
Bouffé a beaucoup de talent; il compose un rôle comme
Gérard Dow composait un tableau , avec une patience, u»
fini, une préciosité remarquables; il sait l'art d'émouvon",
de faire venir les larmes aux yeux, à l'aide d'un geste, d'un
mot, d'une inflexion ; il possède mieux que personne les
finesses les plus exquises du métier; mais les difficiles re-
prochent à ce talent d'être complètement dépourvu d'élé-
gance et de distinction, et de n'avoir que deux faces , celle
de gamin et celle de centenaire. Edouard Lemoine.
BOUFFES. Voyez Théâtre-Italien.
BOUFFISSURE, sorte d'enflure des chairs, qui leur
donne une fausse apparence d'embonpoint.
Prise au figuré, dans les arts, dans la littérature, la bouf-
fissure est un effort malencontreux qui s'épuise de fatigue
510
BOUFFISSURE — BOUFLERS
pour dépasser le but. c'est l'iiistoire de la grenouille qui
veut se faire aussi grosse que le bœuf. C'est la fièvre de
la médiocrité; elle ne dénonce son exaltation que pour
uiieu\ accuser son impuissance.
BOUFFLERS. Voyez Bouflers.
BOUFFON, BOUFFONNERIE (de buf/o, mot de la
basse latinité, employé jadis pour désigner l'acteur chargé de
faire rire, et qui paraissait sur la scène les joues enflées pour
recevoir des soufflets). D'autres racontent qu'un sacrificateur
grec, nommé Buphon, après avoir immolé un bœuf sur
l'autel de Jupiter Polieus, dans l'Attique , s'enfuit sans motif
et si vile qu'on ne put l'arrêter. Les divers instruments du
sacrifice, qu'il avait laissés , furent mis entre les mains des
juges, qui déclarèrent la Ixache criminelle et acquittèrent les
autres. Le sacrifice eut lieu de la môme manière les années
suivantes. Le sacrificateur s'enfuyait, et la hache était con-
damnée. Comme l'arrêt n'était pas moins burlesque que la
cérémonie, on a depuis , ajoutent ces étymologistes, appelé
bouffonneries toutes les farces et momeries ridicules.
La bouffonnerie fit de plus grands progrès en Italie qu'en
France , tant en raison des localités et du climat que de l'es-
prit et du caractère national. Naturellement gesticulateurs
et grimaciers , les Italiens excellèrent de bonne heure dans
la bouffonnerie, dans le talent de faire rire; et c'est de leur
pays que sont venus les premiers et les meifleurs bouffons.
La scène française adopta aussi les personnages bouffons,
en leur conservant leurs noms et leurs costumes italiens.
Arlequin, Scapin, Pasquin, Mascarille,Sgana-
relle, Crispin, ont diverti longtemps nos aïeux.
Dès l'antiquité la plus reculée on voit les grands et les riches
avoir des bouffons à leur service. C'étaient pour la plupart
des nains , des créatures disgraciées , dont il eût mieux valu
respecter le malheur. Les Grecs les appelaient [Jiwpài;, les
Latins moriones : de là le morus des comédies de Plante , le
viaccus des Atell ânes. De nombreux passages de Sénèque,
de Suétone et de Martial il résulte que les Grecs et les Romains
attaciiaient un grand prix à leurs moriones, sanni,fatui.
Les femmes en avaient de leur sexe qu'elles appelaient
fatux. Plus tard les rois remplacèrent les morions par des
fous, ou plutôt par des bouffons , et ils n'eurent pas tort.
Aujourd'imi encore il est peu de cours qui n'aient au moins
un bouffon en titre. Le roi citoyen avait son/o« ; le fameux
chantre du Maire d'Eu , littérateur dont les calembours et
les calembredaines faisaient pâmer de rire les hôtes si souvent
soucieux de Neuiily et des Tuileries. Le peuple-roi, lui
aussi, a aujourd'hui ses bouffons officiels ; publicistes qui ,
pour lui plaire, se font les émules de Bobèche et de Gali-
mafré et rédigent à son usage ce qu'on est convenu d'ap-
peler les petits-journaux.
Notre littérature ne pouvait donc manquer d'avoir ses
bouffons, tant en prose qu'en vers. Mais les plus célèbres le
furent d'inspiration , et conservèrent leur indépendance. On
peut citer Rabelais, S car r on, Cyrano de Bergerac,
Piron et Vadé. D'autres, moms heureux, en firent une
sorte de profession, etla gêne du travail perce dans leurs écrits.
Les grossières bouffonneries que Tu r lu pin, Raimond
Poisson et d'autres acteurs avaient introduites sur le
Théaire-Francais , en ayant été bannies lorsqu'il se fut
épuré, trouvèrent un champ plus libre et plus vaste à l'an-
cienne Coinédie-Ifalienne, puis à l'Opéra-Comiquè , et plus
tard aux autres spectacles forains. Nous ne passerons pas
en revue les divers auteurs qui ont travaillé pour ces théâtres
parce qu'il en est plusieurs, tels que Regnard et Du-
frcsny, Lesage, Piron, Panard, Marivaux, Se-
daine, etc., pour qui les bouffonneries ne furent que des
concessions faites au genre de ces spectacles et au goût du
public qui les fréquentait. Il n'en fut pas de même de Ta-
conet,de Dorvigni, de Guillemain, et souvent de Collé.
Leurs pièces ont dû principalement leur succès à des acteurs,
qui tous étaient de véritables bouffons.
De la cour et du théâtre la bouffonnerie se glissa partout ;
elle pénétra jusque dans la chaire évangélique : combien n'a-
t-on pas vu de curés de village , de capucins , de mission-
naires, débiter dans leurs sermons les platitudes les plus
triviales et quelquefois les plus indécentes I C'étaient de vrais
bouffons , qui auraient fait rire s'ils n'eussent fait pitié.
C'est dans la société que les bouffons ont surtout étendu
et perpétué leur empire : nous ne parlerons ici de quelques
hommes qui, joignant le goût à l'esprit, se sont fait une répu-
tation par leurs reparties et leurs bons mots , tels que P i -
ron , C h amfo rt , R i var ol , etc., que pour déplorer qu'ils
aient eu tant de froids et ennuyeux imitateurs ! Entre autres,
ce marquis de B i è v r e, qui inventa ou ressuscita les c a 1 e m -
bours. Mais de tous les bouffons, les plus insupportables,
ce sont les bouffons de société, soit qu'ils exercent gratui-
tement le métier d'amuser une assemblée, soit qu'ils en fas-
sent un objet de spéculation ; hommes presque toujours
sans opinion, sans caractère, sans dignité, et dont la pro-
fession est inséparable des rôles honteux de complaisants ,
de flatteurs et de parasites.
A Paris , où les grands repas , les sociétés nombreuses ,
réunissont souvent des gens qui ne se sont jamais vus, entre
lesquels il y a peu ou point de contact, et qui, se com-
muniquant réciproquement leur froideur et leur ennui , les
répandent dans le salon où ils se trouvent, l'usage s'était
introduit avant 1789 chez les grands seigneurs et les fer-
miers généraux , et depuis dans les maisons des parvenus et
des fournisseurs, d'avoir des bouffons à gages pour divertir
la compagnie. C'étaient des mimes, des mystificateurs, des
ventriloques. L'un imitait le bruit d'une mouche qui vole
et bourdonne, d'un pot qui se casse, d'une clef qui tombe,
d'une porte qui se ferme , le cliquet d'un moulin , le claque-
ment d'un fouet; l'autre, les cris de divers animaux, les voix
de plusieurs personnages, filles, femmes, enfants et vieillards,
les accents allemand, anglais, italien, gascon, etc.; un troi-
sième savait à volonté pleurer, rire , sanglotter, éternuer,
tousser; un quatrième avait l'art de décomposer ses traits
et de contrefaire les figures de tous les âges , la maigreur,
l'embonpoint, l'expression de toutes les physionomies;
d'autres faisaient l'ivrogne , le sourd , l'aveugle , le gout-
teux , le moribond , et imitaient les discussions d'une as-
semblée tumultueuse, d'un comité révolutionnaire, une pro-
cession , un enterrement , etc.
Dans les villes de province, et à Paris dans la petite bour-
geoisie, il n'y a guère de société ou de coterie qui n'ait son
bouffon spécial et privilégié : c'est ordinairement un neveu ,
un petit cousin , un ami , un voisin de la maison. Il se met
tout de suite à l'aise; il se croit tout permis; il persifle, il
plaisante à tort et à travers ; et Dieu sait de quel genre sont
ses plaisanteries! Plats calembours, contes saugrenus,
. grimaces , travestissements , gestes familiers et indécents ,
tout cela est de son ressort, et il va toujours jusqu'à la
bêtise ou à l'impertinence.
Servir de bouffon signifie servir de risée, être un sujet
de moquerie : c'est un affront qu'on ne saurait tolérer. Qui-
conque se voit baffoué dans une société doit se retirer
aussitôt. S'il ne s'aperçoit pas qu'on le berne, c'est un sot ;
s'il s'en aperçoit et qu'il reste, c'est un homme sans dignité.
BOUFLERS ( Famille de ). C'est une des plus nobles
et des plus anciennes de Picardie. Son origine se perd dans la
nuit des temps. Son premier nom était Morlaix. Celui de
Bouflers lui fut donné, dit-on, à cause d'un buffle terrassé
dans des temps reculés par Bouflers le Robuste qui en
reçut son nom et son surnom. Longtemps après, ses des-
cendants se signalèrent dans les croisades. En il 33 nous
trouvons Bernard de Bouflers. En 1256 Guillaume ne
Bouflers accompagnelc comte d'Anjou, frère de saint Louis,
à la conquête de Naples. Allcaume de Bouflers était
en 1:504, avec Philippe le Bel, à la bataille de Mons en Puelle.
D'autres Bouflers soutinrent la cause du roi de France ou
BOUFLERS
511
celle du roi d'Angleterre, dans les guerres que se livraient
ces deux puissances pour la possession de notre pays. Des
Bouflers sont faits prisonniers à la bataille d'Azincourt, d'au-
tres se font tuer pour Charles de Bourgogne à la bataille
de Nancy, d'autres assistent, avec François l", à celle de
Pavie, ou figurent aux états de Blois.
La maison de Bouders a produit un maréchal de France
qui se couvrit de gloire à la défense de Lille. Louis XIV pour
en consacrer le souvenir lui accorda le privilège de joindre
à ses armes des drapeaux fleurdelisés. Le chevalier de
Bouflers est demeuré célèbre par l'originalité, la grâce et le
piquant de son esprit. Nous leur consacrerons des articles
particuliers, ainsi qu'à la célèbre comtesse de Bouflers, l'i-
dole du duc de Conti. Enfin ce fut un Bouflers qui donna
à La Fontaine l'idée de sa fable Le Curé et le Mort. Voici
comment M"® de Sévigné raconte le fait dans une lettre
du 26 février 1672 : « M. de Bouflers, dit-elle, a tué un
homme après sa mort; il était dans sa bière en carrosse,
on le menait à une lieue de Bouflers pour l'enteirer ; son
curé était avec le corps. On verse; la bière coupe le cou
au pauvre curé. »
BOUFLERS ( Loijis-François, duc de ), né le 10 jan-
vier 1644, commença sa carrière militaire en 1662, dans le
régiment des gardes, où il entra comme cadet. Sous-lieu-
fenant en 1666, aide-major en 1667, colonel en 1670, ma-
réchal de camp en 1677, lieutenant général en 1681, maré-
chal de France en 1693, il avait gagné tous ses grades sur
les champs de bataille. Il se distingua sousCondé, Turenne,
Créqui, Luxembourg et Catinat, dans toutes les campagnes
de ces longues guerres à peine interrompues par des trêves
de courte durée. Ce fut après la campagne du Nord (1695)
que sa terre de Cagni fut érigée en duché-prairie, sous le
nom de Bouflers. Forcé de capituler, après avoir, pendant
quatre mois, défendu la ville de Lille, le prince Eugène, qui
savait honorer le courage malheureux, lui dit : « Je suis
fort glorieux d'avoir pris Lille , mais j'aimerais mieux en-
core l'avoir défendu comme vous. »
Rien n'aurait manqué à sa gloire s'il n'eût combattu
que les ennemis de la France ; malheureusement son nom
se rattache aux sanglantes expéditions contre les protestants.
Il fut chargé d'entreprendre la conversion des protestants
deMetz. Soumis et timides, ilsn'avaient pas donné le moindre
prétexte à la persécution. Mais, trop fidèle à ses instruc-
tions et aux ordres de Louvois, Bouflers se mit à la tête des
dragons ; tous les habitants, sans nulle exception, furent con-
traints par lui d'aller à la messe , où des places spéciales
étaient assignées aux protestants , afin que les curés pus-
sent constater leur soumission à l'édit royal de révocation.
La confession et la communion pascales furent ordon-
nées sous peine d'amende, et le maréchal mit toute sa
garnison à la disposition du clergé et de l'intendant pour
(aire exécuter les récalcitrants. Le jour de Noël, après avoir
traqué tous les protestants dans les églises, il fit envahir
leur domicile par des dragons ; il avait recommandé la sai-
sie et l'enlèvement de toutes les Bibles françaises, et en fit
un grand auto-da-fé. La communion romaine fut exigée
comme une preuve de conversion. Ceux qui refusèrent
furent condamnés aux galères, leurs femmes à la réclusion ,
et leurs enfants enlevés et renfermés dans des couvents, pour
y être convertis. Les temples furent démolis.
11 est pénible de voir des hommes distingués par leurs
talents , leur bravoure et les services éminents qu'ils avaient
rendus à leur pays, se faire les exécuteurs d'un édit qui fut
plus funeste à la France que les fléaux les plus désastreux.
Le maréchal de Bouflers , hâtons-nous de le dire, ne dut agir
dans cette circonstance que par conviction. Aucun motif d'in-
térêt où d'ambition ne pouvait lui inspirer le rôle ignoble et bar-
bare de convertisseur. Le vieux guerrier était dévot, disent
les historiens contemporains : ce mot explique tout.
M"* de Maintenpn s'empressa d'annoncer sa mort an maré-
chal de Noailles : « Vous avez perdu, lui dit-elle, un bon
ami, mon cher duc, en perdant M. le maréchal de Bouflers,
qui est mort hier, ici (le 21 août 171 1 ). 11 allait se reposer
à Bouflers, et j'avais peine à croire qu'il en revînt; car il
était bien affaibli ; son grand courage le soutenait ; en lui le
cœur est mort le dernier... « — Son fils , Joseph-Marie , né
en 1706, se distingua dans les guerres du règne de Louis XV,
devint maréchal de camp , et lieutenant général , assista à
la bataille de Fontenoi , commanda les troupes envoyées par
Louis XV au secours de la république de Gênes , attaquée
par les impériaux , et mourut dans cette expédition le 2 juil-
let 1747. Ddfey ( de l'Yonne ).
BOUFLERS (M"« SAUJON, comtesse de). Devenue
veuve, elle vécut dans la plus grande intimité avec le prince
de Conti , qui , en sa qualité de grand prieur de l'ordre de
Malte en France, occupait le vaste palais du Temple :
madame de Bouflers en faisait les honneurs. Elle conserva
longtemps l'espoir d'épouser le prince. Madame du Def-
fand , qui haïssait tous ceux qui n'étaient pas ennemis de
J. - J. Rousseau , ne laissait échapper aucune occasion de verser
le ridicule sur madame de Bouflers et sur les familles de
Luxembourg et de Biron. Et cependant elle se faisait in-
viter à toutes leurs soirées ; elle était de toutes leurs fêtes.
C'était toujours avec une dédaigneuse fatuité qu'elle s'expri-
mait sur tout ce qui tenait par le sang ou par les affections
à la comtesse de Bouflers , qu'elle n'appelait jamais autre-
ment que Y Idole du Temple, et le plus souvent Y Idole
tout court. Madame de Bouflers était sa bête noire; elle
cite Yidole à tout propos dans sa volumineuse corres-
pondance. H. Walpole, écrivant sous la dictée et sous l'in-
fluence des préventions de madame.du Deffand, a fait de
la comtesse de Bouflers , qu'il ne connaissait point , un por-
trait hideux de cynisme H de méchanceté.
Deux hommes se partageaient son cœur : le prince de
Conti et Jean- Jacques Rousseau. Si ses rapports avec le
prince furent aussi innocents que ceux qu'eUe eut avec
le philosophe , l'épithète de maîtresse que lui donne Walpole
n'est qu'une calomnie gratuite. Rousseau, qui dans ses
Confessions a montré à nu ses liaisons les plus intimes ,
ses sentiments les plus secrets , et qui dans ses révélations
indiscrètes a bravé toutes les convenances, ne s'exprime
qu'en termes honorables sur madame de Bouflers. Leur
correspondance a duré plus de seize ans. C'était toujours
l'expression chaste et franche d'une sincère et pure amitié.
Cet attachement de madame de Bouflers était souvent mis à de
rudes épreuves. Si elle ne réussit pas à guérir son ami de sa
misanthropie , c'est que le mal était incurable. Elle ne pou-
vait supporter tout ce qui pouvait exciter ses accès. Un jour
qu'elle le voyait prêt à s'emporter et à répondre sérieuse-
ment à d'absurdes sophistes, elle ne put se contenir, et lui
cria tout haut : « Tais-toi, Jean-Jacques ! ils ne peuvent te
comprendre! »
La calomnie aurait dû respecter l'attachement de cette
digne femme pour le prince de Conti, qu'elle n'abandonna
jamais, et qui mourut près d'elle. Aucun motif d'intérêt ne
l'avait si longtemps fixée près de lui : elle seule lui restait.
Les princes d'Orléans et de Condé , et la famille royale même,
ne témoignèrent ni douleur ni regret à la mort du prince
qui n'avait conservé avec la cour que des rapports de
convenance. Sans ambition personnelle, il avait préféré à
une vie toute d'intrigues et d'hypocrisie la retraite paisible
qu'il s'était choisie et la société d'artistes , de philosophes ,
d'hommes de lettres et de femmes aimables et spirituelles
que lui avait faite madame de Bouflers. Elle eût désiré que
le prince s'isolât moins de la cour, pour utiliser son crédit,
non dans son intérêt personnel, mais en faveur de ses amis.
La mort du prince rendit M"* de Bouflers à elle-même ;
elle se retira à Auteuil, et se voua tout entière à sa belles-
fille, madame de Lauzun, qu'un hymen malheureux avai^
condamnée à tous les genres d'infortunes, et dont la lin fu^
512 • BOUFLERS — BOUGAIN VILLE
déplorable. Le nom de la comtesse de Bouners se môle à
tous les noms célèbres ou fameux de sou époque. M"'= de Les-
pinassc l'a peinte telle qu'elle était. M°" du Deffand ne l'a
vue qu'à travers le prisme de la prévention et de la haine.
Les lettres de M"' de Lespinasse et la correspondance de
J.-J. Rousseau font parfaitement connaître le caractère et
les principales circonstances de la vie de la comtesse de
Bouliers. A son retour d'un second voyage en Angleterre,
elle avait été arrêtée, et resta prisonnière à la Conciergerie.
Elle n'obtint sa liberté qu'après l'événement du 9 thermidor,
et mourut sous le consulat. Dufey (de l'Yonne).
BOUPLERS (Marie-Frainçoise-Catiierine de BEAU-
VAU-CRAON , marquise de ) , ayant épousé le marquis de
Bouflers-Remiencourt , capitaine des gardes du roi de Po-
logne Stanislas , joua un grand rôle à la cour de Lunéville,
qu'elle charma par les grâces de son esprit et de sa figure.
Elle mourut à Paris, en 1787 , laissant deux fds, dont le
plus jeune fut l'abbé, chovalier, marquis Stanislas de Bouliers
( voyez plus loin). Voltaire avait adressé les vers suivants
à M"* de Bouflers :
Vos yeux sont beaux , votre àme encnr plus belle ,
Et, sans prétendre à rien, vous triomphez de tous.
Si vous eussiez vécu du temps de Gabrielle ,
Je ne sais pas ce qu'on eût dit de vous ,
Mais on n'aurait point parlé d'elle.
BOUFLERS ( Stanislas, marquis , plus connu sous le
titre de chevalier de), né à Lunéville, en 1737 , fut un des
liommes d'esprit les plus goûtés par la brillante et frivole
société du dix-huitième siècle. Il avait été élevé à la petite
cour que tenait en Lorraine le roi Stanislas , cet hôte ai-
mable des poètes et des philosophes à la mode. Sa mère ,
femme remarquable par son esprit et sa beauté , était la
reine de cette résidence princière , si souvent célébrée par
Voltaire. Bouliers fut le protégé du roi, son parrain, qui lui
assura un bénéfice de quarante mille livres en Lorraine, sa
mère destinant, selon l'usage, son fils cadet à l'étal ecclé-
siastique. C'était de tous les états celui auquel il convenait
le moins : il le prouva bien en composant, dès son entrée au
séminaire Saint-Sulpice, son conte di' Aline , reine de Gol-
conde , œuvre leste , galante et voluptueuse. Cependant il
n'en eût sans doute pas moins fait son chemin dans l'église,
s'il ne s'était dégoiité de l'état ecclésiastique.
Il n'y tenait môme déjà qu'à cause de son bénéfice. Pour
le conserver en jetant le froc aux orties , il se fit chevalier
de Malte, et alla guerroyer dans la liesse, en 1761. Le voilà
donc enfin dans son élément! Au milieu des gentils-hommes
à la destinée desquels la sienne est liée, il se distingue par
sa belle humeur, ses plaisanteries giivoises, ses orgies et ses
petits vers musqués. IMais bientôt la profession des armes
l'ennuie : la manie des voyages le prend , il s'en va par
monts et par vaux courir la Suisse et VAhemagne, séduisant
la brune et la blonde , comme on disait alors, et empor-
tant de tous les lieux où il s'arrêtait des lettres d'amour
de toutes les nuances et des portraits qu'il dessinait lui-
môme; car, pour continuer à parler le langage du temps,
il maniait le crayon aîissi bien que la lyre.
En Suisse , il vit le philosophe de Genève , et descendit
au retour chez le vieux Voltaire, qui le salua d'un de ces
jolis compliments en vers dont il ne fut jamais avare, sur-
tout vers la fin de ses jours. Le chevalier, en échange,
grava le portrait du grand homme à l'eau forte; car il gra-
vait encore aussi bien qu'il dessinait et qu'il chantait.
En 1771 Bouliers s'en revint à rarniée, et toujours ami
du plaisir, toujours étourdi, toujours prodigue , il eut bientôt
achevé de dissijier .son bien. Au bout de quelques années ,
ses affaires étaient dans le plus piteux état. Pour essayer
de sortir d'embarras, il sollicita et obtint la place de gou-
verneur du Sénégal. Là il s'honora par son humanité envers
les esclaves, en délivra bon nombre, en défendit plus en-
core contre la barbarie des traitants , forma le projet do
voyages scientifiques dans l'intérieur de l'Afrique, et envoya
au ministère des plans bien conçus , dont l'exécution eût
été féconde en heureux résultats.
Cependant , son exil commence à lui peser : on le rap-
pelle en France pour l'admettre à l'Académie ; puis, lorsque
sonne à l'horloge du temps la grande date de 1789 , nous ne
savons qui s'avise de l'envoyer aux états généraux , où il
se montre modéré, consciencieux, ennemi de toute mesure
oppressive, s'opposant à ce qu'on surveille les correspon-
dances et faisant rendre, en 1791, un décret important, dont
personne ne lui sait gré , celui qui assure par brevet aux
inventeurs la propriété de leurs découvertes. Mais l'orage
gronde ; sa tôte , comme beaucoup d'autres , est sérieuse-
ment menacée; il passe, après le 10 août, en Prusse, où
Frédéric 11 lui fait une concession de terre pour y établir
une colonie d'émigrés , qui ne réussit pas. Il épouse M""' de
Sabran; en 1800 il rentre en France pour se faire réadmettre
à l'Institut, qui a succédé à l'Académie. Il y prononce avec
succès l'éloge du maréchal de Noailles, et réussit moins
dans le panégyrique de l'abbé Barthélémy. L'ami de Vol-
taire était sublime lorsqu'il demandait au roi de Prusse un
cuin de terre pour ses compagnons d'exil. 11 est mécon-
naissable quand, louangeur sans frein de Napoléon , il lui
demande une préfecture, et la lui demande en vain , malgré
ces jolis vers écrits sur l'album de la princesse Élisa et
adressés au prince Jérôme, de retour d'une croisière
Sur le front couronné de ce jeune vainqueur,
J'admire ce qu'ont fait deux ou trois ans de guerre :
Je l'avais vu partir ressemblant à sa sœur;
Je le vois revenir resseiublaut à son frère.
C'est ainsi qu'il se consolait de l'état fort humble où le
laissait le pouvoir nouveau , en faisant de petits vers , qui
n'excitaient plus le même enthousiasme qu'autrefois, mais
qu'on écoutait encore avec plaisir, par politesse , dans quel-
ques salons , dans ceux de M""^ de Staël , entre autres ,
dont il était un des plus fidèles habitués. Un jour, sous ses
cheveux blancs, il voulut essayer d'être grave, et composa
un gros volume sur le libre arbitre, volume que personne
ne lut. Il fit bien vite retour à ses petits vers. Il y a une
foule de traits charmants dans ses poésies, auxquelles on
reproche, pourtant, avec raison beaucoup trop de jeux
de mots, de fleurs, de fadeurs et d'antithèses. On lui doit
encore des lettrés à sa mère durant son voyage en Suisse ,
des contes et le Cœur, pocme erotique, avec réponse de
Voltaire.
Bouflers termina paisiblement sa vie, à soixante dix-huit
ans, en 1815. Un mot de lui fait son épitaphe :
Mes amis , je crois que je dors.
Sa cendre repose à côté de celle de Delille. Il y a du vrai,
malgré un peu de fiel , dans ce portrait satirique qu'on a
fait de lui : « Il fut abbé libertin, militaire philosophe,
di|)lomate chansonnier, émigré patriote et républicain cour-
tisan. »
BOUG. Votjez Boc.
BOUGALWILLE (Loms- Antoine de). Presque tou-
tes les nations maritimes de l'Europe pouvaient se vanter
d'avoir donné naissance à des navigateurs dont les décou-
vertes étaient utiles à la fois aux sciences , au commerce
et à la civilisation de l'univers. La moitié du dix-huitième
siècle était déjà écoulée que la France ne comptait encore
aucun nom célèbre par ses voyages dans le Nouveau-Monde ;
et cependant plusieurs aventuriers français avaient fait le
tour du globe , mais aucun d'eux n'avait été guidé par le
désir de servir la société tout entière. Dougainville se pré-
senta enfin pour relever sa patrie de l'état d'infériorité où
elle était à cet égard, et en 1766 il proposa de diriger une
expédition scientifique à la recherche de mondes nouveaux.
Il n'était pas marin. Dans sa jeunesse il avait abandonné
l'étude d<i droit poui- se livrer aux mathématiques , qu'il
I.
I
BOUGAINVILLE — BOUGIE
Ê13
ain.ait, et il avait embrassé la carrière militaire. 11 servit
tl'aDord comme secrétaire d'ambassade à Londres , ensuite
comme aide de camp du maréchal de Montcalm. 11 passa au
Canada, où il acquit la réputation de brave officier; et à
la paix de 1762 ses services furent récompensés par le grade
de colonel et le don de deux pièces de canon. Dès J'année
1752 il avait publié un Traité du Calcul intégral, qui
l'avait fait connaître parmi les savants ; mais c'est le voyage
qu'il exécuta autour du globe pendant les années 176C, 1767,
1768 et 1769, et l'excellente relation qu'il en donna, qui
ont rendu son nom illustre.
La géographie du Nouveau Monde était alors un tissu d'er-
reurs : l'immense océan Pacifique n'avait encore été traversé
que par un petit nombre de navires, et les premiers navi-
gateurs avaient fait des récits fabuleux sur les terres qu'ils
avaient découvertes ; quelques-uns plaçaient des îles, de gran-
des terres, des continents là où la mer spule couvrele globe;
oh devait être continuellement en sarde contre les rapports
précédents pour en corrigeriez fautes. Certes, il ne (allait pas
'^tre animé d'une résolution médiocre pour braver les mor-
telles inquiétudes d'une navigation dans des mers inconnue-^,
où l'on était menacé de toutes parts de la rencontre inopinée
de terres et d'écueils , surtout pendant les longues nuits de
la zone torride : c'était à tâtons qu'il fallait cheminer sans
cesse; on tremblait toute la nuit si le soir l'horizon nuageux
avait semblé annoncer le voisinage de quelque terre ; et la
disette d'eau et le défaut de vivres auxquels on était alors
exposé dans l'état peu avancé de la marine étaient encore
de nouvelles causes d'alarme. Sans doute on doit de la re-
connaissance à l'homme qui dans le but d'être utile à son
pays brava tous ces dangers.
La relation de son voyage fut accueillie avec une sorte
d'enthousiasme ; elle fut traduite dans presque toutes les lan-
gues : le mérite transcendant de cet ouvrage et les circons-
tances dans lesquelles il parut devaient en effet lui assurer
ce succès. Tous les esprits étaient alors tournés vers ces
pays inconnus qui jusque là semblaient encore un peu ima-
ginaires. Bougainville en rapportait des détails neufs, précis,
curieux , et il les présentait d'une manière claire , avec l'ac-
cent de la vérité , et un style qui charmait. A chaque instant
on est frappé du tact particulier qu'il avait pour l'observa-
tion. Dès qu'il arrive dans un pays , il l'envisage sous tous
les aspects : le climat, le sol, ses productions, ses habitants,
le caractère de la société , tout est peint avec tant de vérité,
en traits si saillants , qu'on s'en fait sur-le-champ une re-
présentation vivante. Aujourd'hui même nous lisons avec
autant de profit que de plaisir ses descriptions des pays
qu'il a parcourus ; alors chacune de ses paroles était un éclair
au milieu des ténèbres.
Il fitla géographie du détroit de Magellan aussi exactement
que le lui permirent les moyens astronomiques qu'il avait
à sa disposition ; il découvrit Otaïti ; et les détails qu'il donne
sur cette île sont du plus haut intérêt. Nous ne ferons pas l'é-
numération de toutes les terres qu'il découvrit ou visita;
nous dirons seulement qu'il traversa les nombreux archipels
de la mer du Sud, qu'il jeta une grande lumière sur cette
partie de la géographie , et qu'il rapporta de toutes ces con-
trées des documents précieux pour les sciences.
En 1770 il fut nommé chef d'escadre et maréchal de camp
des armées de tene. En 1790 , appelé à commander l'armée
navale à Brest, il fit de vains efforts pour rétablir l'ordre au
milieu de l'agitation extrême qui régnait alors dans tous les
esprits : le peu de succès qu'il obtint le détermina à prendre
sa retraite, après quarante ans de service. L'empereur le lit
asseoir au banc des sénateurs, et l'Institut le compta parmi
ses membres. L'année ISll termina sa longue carrière : il
était né à Paris, en 1729. ïhéogène Page.
BOUGE, que Ducange dérive de bugia, synonyme de
maison fort petite, et que d'autres font venir de l'allomand
bogen, signifie, dans son acception la plus ordinaire, une
1)1CT. Dli L\ CO.WLitS. — T. III.
petite pièce, ou un petit cabinet, dans lequel il n'y a plac»
que pour un lit ; il s'entend aussi d'un réduit pauvre, obscur
et modeste, ou malpropre. On donne enfin ce nom à de pe-
tits cabinets, ordinairement au nombre de deux, placés de cha-
que côté d'une cheminée, et où l'on serre divers objets usuels.
Bouge, en termes de tonnelier, désigne le milieu d'une
futaille, dans sa partie la plus bombée.
En termes de charpenterie, la bouge est une pièce de bois
qui a du bombement ; en termes de charronage, c'est la partie
la plus élevée du moyeu d'une roue ; en termes de potier
d'étain, c'est le demi-cercle qui règne autour du fond de l'as-
siette, ou la partie qui sépare celui-ci de l'arête; en termes
de marine, on appelle ainsi la rondeur des baux et des tillacs
d'un navire.
Villon s'est servi du mot bouges dans le sens de haul-
de-chausses, et Pasquier témoigne, dans ses Eecfierches,
qu'on l'a employé aussi autrefois, ainsi que celui de bottgette,
dans le sens de petit sac, poche ou bourse. On disait alors
d'un homme qui avait lait un gros gain, qîiHl avait bien
rempli ses bouaes.
BOUGIE {Arts économiques). Si l'on en croît liar-
bazan , ce mot n'est usité en France que depuis le dix-sejH
lième siècle. En 1599 on désignait encore la bougie sous le
nom de chandelle de cire. Celui de bougie, qui a été adopté
depuis, est venu de la ville de même nom, située sur la côte
d'Afrique, d'où l'on tirait autrefois beaucoup de cire, et ou
elle était si commune, que les habitants ne connaissaient, dit-
on , d'autre éclairage que celui des chandelles qu'ils en fa-
briquaient.
Il y a deux sortes principales de bougies : la bougie filée,
qui consiste en une mèche revêtue d'une légère couche de
cire, et roulée sur elle-même, et la bougie de table. Nous
parlerons plus loin des chandelles revêtues de cire.
On se sert ordinairement de la bougie filée pour s'éclairer
en rentrant chez soi ou lorsqu'on descend dans les lieux bas
et obscurs pendant le jour : d'où est venu le nom de rat-de-
cave, donné au rouleau de cette bougie qu'on destine à cet
usage.
Quand le filage du coton en général n'avait lieu qu'à la
main , la fabrication de la bougie filée offrait beaucoup de
difficulté et d'irrégularité ; car l'inégalité du fil ne permettait
guère que la mèche conservât la même grosseur sur toute
sa longueur. Cette difficulté , alors insurmontable, a disparu
depuis que les mécaniques ont été appliquées à la filature.
La longueur de la bougie filée est pour ainsi dire indétermi-
née. On prend autant d'écheveaux qu'on veut donner de fils
d'épaisseur à la mèche. Onmetcesécheveauxsur un dévidoir
et tous se dévident ensemble sur une bobine. On procède en-
suite au filage de la bougie. 11 se pratique sur une espèce de
tour, composé de deux cylindi-es ou tambours, montés sur
un pied en charpente , qui est suffisamment lourd pour qu'il
ne bouge pas pendant le travail. Chaque tambour est traversé
d'un axe portant une manivelle. Entre les deux tambours, et
à égale distance de chacun , on place une forte table appelé*
chaise, surmontée d'une espèce de vase eu cuivre étamé,
dans le milieu duquel on met la cire dans un enfoncement
qui sert comme de chaudière ; ce vase s'appelle le péreau.
La mèche passe sous un crochet fixé au fond de ce vase,
afin que cette mèche trempe constamment dans la cire fon-
due et qu'elle en reste recouverte. On place sous le péreau
un réchaud plein de braise allumée; la cire entre en fusion, mais
il faut veiller à ce que le feu ne soit jamais assez grand pour
faire subir à la cire un commencement de décomposition
qui la charbonne et la roussisse. Il y a une filière circulaire,
percée de trous , qui vont toujours en augmentant graduelle-
ment de diamètre. Cette filière doit être maintenue très-fixe
et invariable dans sa position. Tout étant ainsi disposé, un
ouvrier prend un des bouts de la mèche, l'imbibe de cire sur
une longueur de 12 à 15 centimètres, et la colle, pendantque
cette cire est encore toute mQlle, sur l'un des tambours : elle s.'y
514
fige et s'y altache; alors il enroule en entier la nièdie sur ce
tambour; il passe ensuite l'autre extrémité dans le plus petit
trou (le la filitre, où étant encore sans cire, elle peut entrer
très-facilement : l'ouvrier pose la filière entre les tenons du
péreau, du côté du second tambour, de manière que le trou
rer4b en bas ; il engage la mèche sous le crochet, cl la tire à la
main jusqu'à ce qu'elle puisse atteindre au moins la partie su-
périeure de ce tambour. Comme la cire est encore molle, il la
colle sur ce tambour, et l'y maintient jusqu'à ce qu'il ait
achevé à peu près un tour de manivelle. Ensuite il ne tourne
plus que lentement, afin de donner le temps à la cire de se
tiger, et il entretient toujours la cire dans le bassin du pé-
reau a une hauteur telle que le crochet, sous lequel passe la
mèche ne reste jamais à découvert. Quand toute la mèche
a été ainsi transiiortée sur le second tambour, il change la
(ilière a l'autre bec du péreau , passe la bougie ébauchée dans
le trou qui vient innnediutement après pour la grandeur du
diamètre, et recommence sur le premier tambour la môme
()[)éralion qu'il a achevée sur le second, et ainsi successive-
ment, d'un tambour à l'autre, et en passant d'un trou moins
grand à un autre qui le soit davantage, jusqu'à ce que la
bougie ainsi Jiléc ait atteint la grosseur requise. Cette mé-
thode est la même absolument pour toute bougie filée, pour
la jaune connue pour la blanche. Quelquefois pour éco-
nomiser sur l'emploi de la cire blanche, on forme d'abord
la bougie (ilée sur cire jaune, et ce n'est que lors du jjassageau
dernier trou de la lilièi e qu'on substitue dans le bassin du pé-
reau la cire blanche à la jaune.
Quant à la bowjie de table, on en fait de deux sortes :
l'une e>t la bougie coulée ou moulée; l'autre est la bougie
dite à la cuiller.
I^a bourjie moulée se coule dans des moules de verre en
général, et se fabrique ab^ ol umcnt comme la c h a n d e 1 1 e. Les
mèches sont en coton, un peu plus tordu que celui des chan-
delles. On commence par les cirer, pour les égaliser sur toute
leur longueur et ne laisser dcborder aucun poil, qui, sans
cette précaution, pénétrerait dans le corps de la bougie, et
nuirait beaucoup à l'usage. Le cirier se sert, pour couper
toutes les mèches d'une longueur égale, de l'instrument
appelé coupoir ou taille-mèche. Il est composé d'une forte
table , dont le dessus est formé de deux pièces de bois, qui
laissent entreelles une ouverture en forme de rainure dans
laquelle on met le fort tenon d'un plateau de bois, qui peut
anisi rouler dans toute l'étendue de la rainure, connue dans
»ine coulisse, ainsi que la poupée d'un tour. Sur la pièce
mobile s'élève une tige de fer ronde, et à l'autre bout de la
rainure est une pièce fixe, sur laquelle est assujettie une
lame de couteau, placée verticalement. C'est la distance qui
se trouve entre la tige de fer mobile et la lame de couteau
fixe qui détermine la longueur des mèches. On jUacc dans
une boîte ou sur un tamis, à cùlé du taille-moche, les pe-
lotons de coton, on rassen)ble tous les bouts des lils roulés
dessus , on en entoure la tige de fer, on les ramène vers le
couteau et l'on coupe. On jette ensuite la mèche coupée sur
le côté de la table.
On a fait depuis peu , ou plutôt on a renouvelé la fabri-
cation de bougies diaphanes, auxquelles les fabricants ont
été chercher de grands noms, tirés du grec, tels que sclcra-
phijle, etc., etc. Ce n'est autre chose qu'un mélange de belle
cire blanche et de blanc de baleine {voije:, Ci;tim:) épuré.
A parties égales des deux ingrédients, la bougie est très-belle
et a le degré de diaphanéité convenable : il convient de
faire le mélange à très-petit l'eu, dans une bassine de cuivre
fortement étamée. Ou y fait d'abord fondre le blanc de ba-
leine , et on y projette ensuite la cire par petites parties : il
faut remuer constannuent le mélange avec une spatule.
On a beaucoup paiié aussi de l'introduction dans la bougie
de table d'une certaine quantité de marrons d'Inde. Cette
absurdité a passé avec bien d'autres; on a conseillé d'es-
«ajer un mélange de deux parties de marrons d'inde, une
BOUGIE
partie d'huile d'olives , trois parties de blanc de baleine, et
six parties de cire : les marrons figureraient donc dans la
proportion d'un sixième de la masse. Or, nous pouvons as-
surer qu'un tel mélange serait peu combustible, et ne
briderait qu'en se boursoullant et en répandant une épaisse
fumée.* Nous avons essayé l'emploi de l'amidon avec la
cire, dans la proportion d'un quarantième seulement, et
les inconvénients que nous venons de signaler se sont ma-
nifestés avec beaucoup d'intensité. Toutefois, nous ne disons
pas que l'eau dans laquelle on aurait lait bouillir des mar-
rons d'Inde ne put être utile dans la fabrication des bou-
gies ; car il est certain que ce procédé est mis en usage par
quelques fabricants de chandelles, qui parais-sent s'en bien
trouver.
La bougie à la cuillère et les cierges se fabriquent de
môme, et notre description pourra être commune aux deux
fabrications. On se sert d'un fourneau en tôle, appelé caqtie,
dans lequel on place une cassolette en fonte de fer remplie de
braise. La caque est surmontée d'une bassine en cuivre so-
lidement étamée , sur laquelle porte un rebord en fer blanc,
muni d'un goulot, et d'une autre entaille qui permet l'entrée
et la sortie libre des bougies. On place un cerceau suspendu
par une corde à une hauteur convenable. Ce cerceau peut
recevoir sur son pourtour jusqu'à cinquante bougies ou
cierges. Il faut que la suspension de ce cerceau soit faite à
une hauteur telle que les bougies ou cierges ne touchent
pas à la bassine de cuivre. On donne à ce simple ap-
pareil le nom de romaine. Il faut aussi une cuiller d'une
forme particulière, dont l'ouvrier se sert pour couler ses
bougies. Enfin, il y a une plaque de fer percée de trous,
qu'on place sur la cassolette qui est sous la bassine ,
afin de pouvoir, par ce moyen, modérer l'action de la chauffe
à volonté. Tout étant aiiîsi disposé, l'ouvrier accroche les
mèches au cerceau , après avoir placé au bas de chacune un
forret : c'est un petit tuyau de fer-blanc, dans lequel on in-
troduit la tète d'une mèche de bougie, pour l'enipôcher de
prendre delà cire, ce qui la rendrait difficile à allumer. Alors,
à l'aide de la cuiller de fer remplie de cire fondue, que
l'ouvrier puise dans la bassine, il verse doucement cette cire
le long des mèches , en commençant un peu au-dessous de
leur extrémité supérieure, et les accroche ainsi l'une après
l'autre au cerceau; de sorte que la cire coulant de haut en
bas sur ces mèches, elles s'en recou vient entièrement ; le
surplus de la cire retombe dans la bassine. Il faut arroser
ainsi les mèches dix et môme douze fois de suite, c'est-à-
dire jusqu'à ce que les bougies aient le diamètre requis. Le
premier arrosemcnt ne fait que tremper ou imbiber la
mèche; le second commence à la couvrir, et les autres
achèvent successivement la bougie. Pour les cierges, aux-
quels on veut conserver la forme un peu conique, il faut
avoir soin que les arrosements successifs se fassent toujours
en commençant de plus bas en plus bas. Quand les cierges
sont fort longs, il faut au cirier un gradin pour pouvoir
s'élever et avoir du champ pour son opération. Les bougies
ou les cierges ayant ainsi atteint la grosseur convenable ,
on les place encore chauds sous un lit de plumes ou des
couvertures de laine épaisses, pour les tenir longtemps
mous. On les relire l'un après l'autre pour les rouler sur
une table longue et unie, à l'aide d'un polissoir. Quand les
objets ont été ainsi roulés et polis, il reste à façonner la
tète, à l'aide d'un couteau de bois, après quoi on les suspend
sur le pourtour de cerceaux pour les laisser sécher et prendre
de la dureté.
Lçs bougies peuvent être parfumées à volonté par l'ad-
dition d'une huile essentielle quelconque, en très-petite
quantité, dans la cire fondue. Elles reçoivent aussi les
couleurs que la fantaisie peut désirer de leur donner. On se
sert pour cela d'une teinture à l'esprit de vin, également
introduite dans la cire en fusion.
On a fait des bougies économiques en mélangeant des
graisses, du suif et Je la cire. Nous parlerons plus loin des
iiougies sféariqiies. Mais il est encore un procédé adopté
pour imiter la vraie bougie, et dont nous devons nous
occuper ici. Ce procédé consiste à mouler une chandelle re-
couverte d'une espèce d'étui de cire pure , qui lui donne
toute l'apparence, la propreté et l'absence de mauvaise
odeur dont jouit la bougie véritable, mais pas la durée.
Quand le suif qu'on emploie dans cette fabrication est bien
épuré , il brûle dans le bassin où il se trouve contenu par la
croûte de cire qui le revêt , sans percer cette enveloppe, et,
à la durée près du luminaire , il serait difficile de s'aper-
cevoir de sa nature. Voici le procédé de cette fabrication :
on peut y employer toute espèce de moule , comme pour la
bougie vérilaijle; mais ce sont ceux de verre qui réussissent
le mieux, tout comme dans le moulage de celle-ci. Les
bougies un peu fortes sont aussi celles qui viennent le
mieux; et cela se conçoit, puisqii'une même quantité de
cire fera, relativement à la masse de suif, une croûte d'au-
tant plus épaisse qu'elle sera répartie sur un moindre nombre
decylindies. Ce sont donc ordinairement des bougies de huit
au kilogramme qui se fabriquent de cette manière. On
ferme d'abord l'ouverture inférieure du moule avec un
bouchon trempé dans de l'huile ; on y coule la cire , qui ne
doit être que médiocrement chaude. Le refroidissement se
faisant de la circonférence au centre, il doit, sur les parois
intérieures du moule, se former une croûte en forme d'étui,
dont l'épaisseur sera proportionnée au temps donné pour
ce refroidissement. Aussitôt qu'il y a une croûte d'environ
un millimètre , pins ou moins suivant la valeur qu'on veut
donner à cette bougie , on renverse subitement le moule ;
toute la cire restée encore liquide s'écoule et est reçue dans
un vase , après quoi on débouche le fond du moule ; on y
place la mèche comme à l'ordinaire; on laisse un peu re-
froidir, puis on coule dans la cavité du suif bien épuré. Rien
de plus facile ni d'une réussite plus assurée. L'emploi de
cette espèce de bougie est toujours avantageux , si la grosseur
de la mèche a été rigoureusement proportionnée à la com-
bustion du suif contenu dans le bassin ; car si cette mèche
n'était pas dune grosseur suffisante pour pomper à mesure
le suif fondu , celui-ci se ferait issue en s' échauffant et en
pressant contre l'enveloppe de cire ; il coulerait et on per-
drait tout l'avantage de propreté qu'on attend de ce mode
de fabrication.
Toute combustion est due à une décomposition qui, dans
le plus grand nombre des cas , est accompagnée d'un dé-
gagement de lumière : c'est le cas de la combustion des
bougies. Il n'y a de flamme produite qu'autant que la ma-
tière combustible est réduite ù l'état de gaz. Quand celui-ci
est de l'hydrogène pur, la combustion ne produit qu'une
faible lumière, d'un bleu pâle : c'est à la dissolution ou
même au simple mélange d'un autre corps combustible dans
l'hydrogène, que la combustion doit son éclat et sa blan-
cheur. Cest un fait dont on peut s'assurer évidemment en
introduisant dans l'hydrogène en combustion de la poussière
de charbon, tout autre combustible, et môme des limailles
des métaux qui brûlent facilement ; l'ignition de ces sub-
stances procure dans ce cas beaucoup de lumière blanche ;
mais le charbon ainsi ajouté à l'hydrogène a besoin pour
brûler d'un plus grand afflux d'oxygèno qu'il n'en faut pour
l'hydrogène pur. Ces considérations doivent régir la fabri-
cation des mèches pour les bougies.
La combustion complète des corps contenus dans le gaz
hydrogène qui produit la flamme est absolument nécessaire
pour que cette flamme soit acromique ( sans couleur ) : le
problème se réduit à chercher les moyens de produirele plus
de lumière blanche aux moindres frais possibles. Il serait à
souhaiter, pour obtenir constamment cet effet, qu'on pût
ne présenter à la fois à l'air ambiant tout juste que la quan-
tité de combustible qu'il peut brûler complètement ; car si
on souffre que la vapeur combustible se déploie en volume
BOUGIE 515
trop considérable pour la quantité d'air qui l'enveloppe,
une partie échappera à la combustion ; et non-seulement ce
sera du combustible consommé en pure perte, niais la
flamme sera colorée et fuligineuse; d'im autre côté , il ne
faut pas que cette vapeur combustible soit maintenue à une
trop basse température : dans ce cas, la combustion serait
imparfaite et peu nette. Voilà donc deux données contra-
dictoires qu'il faut tâcher de concilier en gardant un juste
miheu. Si la mèche est par trop grosse ou trop peu tordue,
dernière condition qui ajoutera à la capillarité des fdaments
dont elle sera composée, il y aura une absorption superflue
de la cire fondue, refroidissement de la vapeur, défaut de
combustion par conséquent , et volatilisation de cire sans
effet d'éclairage : aussi peut-on observer, surtout quand
on écrit à la lumière des chandelles, qu'une petite flamme
est toujours plus nette et plus vive qu'une plus grande :
voilà pourquoi il devient si souvent nécessaire de moucher
les chandelles de suif pour diminuer l'absorption du com-
bustible. Mais ne tombez pas dans l'excès contraire à l'effet
que vous voulez éviter : que votre mèche ne soit pas non
plus tordue outre mesure ni assez petite pour que la quan-
tité d'air ambiant soit susceptible de la refroidir complè-
tement; car il suffit d'un grand abaissement de la tempéra-
ture pour ralentir et finalement pour éteindre la combustion,
puisque aucun corps ne brûle qu'à un certain degré de cha-
leur. Il y a d'ailleurs un autre inconvénient grave à ne pas
pioportionner la mèche au volume de cire. Si l'absorption
capillaire est trop inférieure à la fusion de la cire, cette
partie fondue forme ce qu'on appelle une fontaine trop
considérable, qui pèse sur les parois solides de la bougie,
les crève , et la bougie coule. Pelolze père.
Bougies stéariques. L'importance commerciale de ces
bougies est aujourd'hui considérable. Leur fabrication a
commencé à Paris, et est due à MM. Gay-Lussac et Che-
vreul, qui dès le mois de juin 1825 prirent aussi un bre-
vet en Angleterre. La bougie stéarique a presque entière-
ment détrôné la bougie de cire. La modicité de son prix
eu a répandu l'usage dans toutes les classes de la société.
La première opération qu'exige la fabrication des bougies
stéariques consiste à combiner les acides gras contenus
dans le suif avec de la chaux, afm d'éliminer la glycérine.
Cette saponification s'exécute dans une cuve en bois légè-
rement conique , que l'on chauffe au moyen d'un tube an-
nulaire placé dans le fond de la cuve, et qui lance delà
vapeur par une multitude d'orifices. La cuve est recouverte
d'un couvercle fermant hermétiquement et munie d'un agi-
tateur qui obéit à un moteur quelconque. On y introduit
d'abord le suif déjà purifié par une première fusion ; puis ,
l'agitateur étant mis en mouvement , on ajoute , peu à peu ,
pour 100 parties pondérables de suif fondu un lait de
chaux formé de 12 parties de chaux vive éteinte dans
100 parties d'eau. Au bout de deux heures, l'eau commence
à se séparer du savon calcaire , qui possède la consistance
d'une pâte molle et graisseuse , et renferme encore une
quantité fort notable de chaux libre et de suif non décom-
posé. On arrête alors ordinairement l'agitateur, mais on
n'en continue pas moins l'ébuUition. Le savon calcaire de-
vient de plus en plus dur, et finit par acquérir une cassure
tout à fait terreuse. C'est à ce moment qu'il faut arrêter le
courant de vapeur, pour laisser reposer pendant quelques
heures , la cuve étant aussi bien fermée que possible. On
soutire ensuite le liquide surnageant qui entraine en disso-
lution la glycérine, et on extrait de la cuve les stéarate , mar-
garate et oléate de chaux sous la forme de savons très-durs.
Après avoir pulvérisé entre des cylindres broyeurs ou sous
une meule veilicale , les savons calcaires obtenus , on pro-
cède à leur décomposition par l'acide sulfurique. On se sert
pour cette opération de cuves doublées en plomb et ayant les
mêmes dimensions que les cuves à saponification. On y
agite les savons pulvérisés avec de l'eau froide, de manière
516
BOUGIE
à en former une bouillie claire; puis, pour une quantité de
savon calcaire provenant de la saponification de 100 kilo-
grammes de suif, on ajoute 25 kilogrammes d'acide sulfn-
rique étendu préalalilement de 100 litres d'eau. On laisse
ensuite reposer le tout : l'acide sulfnrique s'empare de la
cliaux pour former du sulfate de cliaux, et met en liberté
les acides gras. En faisant ensuite arriver dans la cuve un
courant de vapeur d'eau , le sulfate de chaux se sépare et se
précipite au fond , tandis que les acides gras se fondent,
et viennent surnager le liquide. Au moyen d'un robinet
placé au-dessus du dépôt, on soutire ces acides dans une
cuve de bois doublée en plomb et chauffée à la vapeur,
où les dernières traces de chaux sont enlevées dans une so-
lution très-étendue d'acide suifurique. Une seconde chau-
dière , en tout semblable à la première , est destinée à opé-
ler un deuxième lavage à l'eau pure. Enfin , les trois acides
gras , privés autant que possible de chaux et d'acide suifu-
rique, sont soutirés dans des moules en fer blanc, de la
contenance de trente litres à peu près, et légèrement évasés,
a(in que le pain d'acide solidifié en sorte plus facilement.
Ces pains, dont le poids est d'environ vingt-cinq kilo-
grammes, présentent à l'œil une teinte jaune, quelquefois
assez intense, et ont encore une apparence désagréable ; cela
tient à l'interposition d'acide oléique liquide entre les lames
cristallines des acides stéarique etmargarique ; on l'en sépare
au moyen de la presse hydraulique. L'acide stéarique ainsi
obtenu est ensuite fondu au bain-marie, puis filtré dans
une chausse en laine; il ne forme plus que les 0,45 du suif
employé. On le porte dans les cuves d'épuration, chauffées à
la vapeur, où on le lave d'abord avec de l'acide suifurique
très-étendu pour séparer les dernières traces de chaux , puis
à l'eau pure pour enlever tout l'acide suifurique. Il est alors
propre à la fabrication des bougies.
Il faut régler avec soin la température à laquelle doit s'ef-
fectuer le moulage des bougies stéariques : si elle est trop
basse, le refroidissement dans les moules est trop rapide et
les bougies se fissurent aisément; si elle est trop élevée, les
bougies acquièrent une texture cristalline, un aspect désa-
gréable et beaucoup de fragilité. Pour éviter ces inconvé-
nients, on échauffe d'abord modérément les moules, un
peu au-dessous du point de fusion de l'acide stéarique ; avant
de couler ce dernier, on le laisse refroidir jusqu'à ce qu'il
ait acquis une consistance pâteuse; on obtient ainsi des
bougies tout à fait exemptes de défaut.
Les mèches de la bougie stéarique charbonncnt au moins
autant que celles des chandelles, et on serait obligé de les
moucher continuellement, si on n'employait pas des mè-
ches tressées. Par suite du tressage, la mèche, au fur et à
mesure que la bougie brûle, se détourne et se recouibe lé-
gèrement, de sorte que son extrémité va se consumer dans
le blanc de la flamme. Cette précaution de tresser les mè-
ches ne suffit pas ; car la faible quantité de cliaux que re-
tient toujours l'acide gras engorgerait les mèches et dimi-
nuerait leur capillarité, si on oubliait de les plonger dans
ime dissolution d'acide borique ; cet acide forme avec la
chaux un borate qui se fixe dans la mèche, et dont provient
cette perle fusible qu'on voit briller à l'extrémité de celle-ci
après sa complète combustion.
On blanchit ces bougies par Texposition à la lumière. On
tes polit en les frottant vivement avec un morceau de drap
humecté d'alcool ou d'ammoniaque, soit à la main, soit
au moyen d'une machine très-simple. Enfin, on réunit les
bougies en paquets d'un demi-kilogramme, qu'on livre au
commerce.
^ Tels sont les procédés généraux de fabrication de la bou-
gie stéarique. Plusieurs industriels y ont introduit des mo-
difications partielles, dans le détail desquelles nous ne nous
engagerons pas. Mais nous ne pouvons nous dispenser de
citer le mode de fabrication par distillation employé depuis
auflaues années. 11 en est résulté une nouvelle industrie qui
extrait aujourd'iiui les acides gras de matières impures ,
telles que les graisses des eaux savonneuses , les résidus des
graissages et dégraissages des laines, les graisses d'os,
l'huile de foie de morue, l'huile de palme, etc., qu'on ne
I)ouvait traiter avantageusement par les procédés précé-
demment décrits.
Les substances que nous venons d'énuraérer sont d'abord
traiti'es à l'acide suifurique, qui produit un dédoublement _
analogue à celui obtenu à l'aide de la saponification à la ■
chaux. La d(^composition s'effectue dans une chaudière ■
chauffée par la vapeur, et dans laquelle les matières sont
mélangées par une agitation mécanique. L'opération dure
douze à dix-huit heures. Après un refroidissement partiel ,
on place le mélange dans un récipient rempli d'eau qu'on
porte à l'ébullition par un bain de vapeur. Les acides gras
viennent surnager, et ce sont ces acides que l'on soumet
à la distillation. La chaudière contenant les acides gras est
entourée d'une espèce de bain de sable, ou mieux plongée
dans un bain de plomb fondu. Quand la température ap-
proche de 300", ou fait arriver un courant de vapeur qui en-
traine les acides gras , et ceux-ci viennent se déposer dans
un serpentin adapté à la chaudière. Ils sont enfin versés
dans des cristallisoirs , pour être épurés par des pressions
successives.
BOUGIE [Chirurgie), petit cylindre mince , lisse et
flexible, dont la préparation varie suivant l'usage auquel il
est destiné, et que l'on introduit dans le canal de l'urètre,
dans le rectum ou dans l'œsophage, pour ouvrir ou dilater
l'un de ces organes , en cas de rétrécissement ou d'autre
maladie. Quand il s'agit seulement d'obtenir une dilatation
on emploie des bougies simples, faites de cire, de gomme
élastique, ou de cordes de boyau ; mais s'il y a oblitération,
et qu'il faille détruire des obstacles qui s'opposent à la sortie
de l'urine, on rend les bougies plus ou moins actives en
ajoutant à l'un de leurs points, ou dans toute leur longueur,
des matières suppuratives , escharotiques ou autres.
On se sert encore de bowjics emplasdques dites armées
pour détruire les rétrécissements (le l'urètre : ces bougies
sont munies d'un morceau de nitrate d'argent, soit à l'une
de leurs extrémités, soit dans une excavation latérale; mais
cet instrument, dont l'emploi occasionne quelquefois de
graves accidents par l'impossibilité où se trouve l'opérateur
de limiter l'action du caustique aux seules parties malades ,
peut être remplacé avec avantage par le porte-caustique
de Lallemand.
Les bougies diffèrent des sondes eu ce qu'elles sont so-
lides , tandis que ces dernières sont creuses. Cependant on a
fait des bougies creuses , mais sans ouverture à leur petite
extrémité.
L'invention des bougies a été réclamée par Aldereto , mé-
decin portugais ; mais c'est son élève Amatus qui , en 155.4,
décrivit pour la première fois la forme et les usages de ces
instruments. Quant aux bougies emplastiques, ce fut un chi-
rurgien français , Daran , qui commença à s'en servir vers
1743.
BOUGIE ( en arabe Boudjaiah ), ville de la province
de Constantine, bâtie en amphithéâtre, dans un golfe de la
Méditerranée sur le liane méridional du mont Gouraya,
à 45 myriamètres d'Alger. Une inscription qu'on y a trouvée,
portant le nom de l'ancienne Saldx des Romains, est le seul
témoignage épigrapliique de l'existence de cette ville , limite
orientale de la Mauritanie Césarienne, sur l'emplacement
actuel de Bougie. La ville moderne occupe à peu près le
terrain enfermé dans l'enceinte romaine, dont on retrouve
encore des débris. Elle descend jusqu'à la mer, qu'elle horde
de très-près, du fort Abd-el-Kader à l'est, au fort de la
Casbah à l'ouest, sépaiés d'environ 2,000 mètres et proté-
geant la plage de débarquement.
Situé à une égale distance de Doue et d'Alger, cette ville
offie aux navires que les vents du nord poussent à la cole
BOUGIE —
un asile sûr et commode ; sa racle, gracieusement contoi-rnée
en forme de croissant, est abritée par mie chaîne de hauteurs
se dirigeant de l'ouest à l'est, et dont le sommet le plus
élevé est couronné par le fort du Gouraya, vrai nid d'aigle,
situé droit au nord de Bougie, à 671 mètres au-dessus du
niveau de la mer. Cette position sur le versant de la mon-
tagne, ces maisons en brique, d'une teinte brune, ces mas-
sifs verts d'orangers, de citronniers, de grenadiers et de
figuiers de Barbarie qui les entourent, rendent son site
éminemment pittoresque. Successivement numide, romaine,
vandale, grecxjue , arabe , espagnole , maure, turque, ka-
byle, et française, Bougie possède éparses sur le sol, et
entées les unes sur les autres, des ruines qui attestent une
grande importance passée, et une haute antiquité. Tous les
peuples qui depuis vingt siècles l'ont tour à tour occupée,
y ont laissé des traces de leur domination ; mais sa véritable
{,'randeur date de la période musulmane. Marmol assure
(lu'au tempsdesa splendeur elle contenait plus de vingt mille
maisons; ce qui suppose une population de près de 100,000
âmes.
Le territoire qui l'entoure appartient à la tribu des Mouzaïa ;
les montagnes qui la dominent dans un rayon de 12 à 15 my-
riamètres sont boisées , et tnXs peuplées. On y compte jus-
qu'à trente puissantes tribus kabyles disséminées dans d'é-
troites vallées. Leur commerce consiste principalement en
bestiaux, peaux, giains, huile, savons, sel, fruits secs,
cire, étoffes de laine et de coton, fer, acier, et quincaillerie.
C'est là qu'ont été fabriquées les premières chandelles de
cire dites bougies .
Tombée au cinquième siècle au pouvoir de Genséric,
Bougie fut la capitale du royaume des Vandales jusqu'à la
prise de Carthage. Soumise en 70S au joug de l'i-^lamisme
par Moussa-ben-Noséir, elle passa successivement sous la
domination des diverses dynasties musulmanes qui possé-
dèrent l'Afrique. En 1500 elle tut prise par la flotte que
Ferdinand le Catholique envoya pour châtier les pirates
maures. Charles Quint la fortitiaavec soin en 154 1 ; mais sa
prospérité décrut sous la domination espagnole. Harcelée par
les Kabyles du voisinage, elle tomba dans une si complète
anarchie, lorsqu'elle fut devenue le théâtre quotidien de
leurs combats avec les compagnies turques que le dey d'Alger
y entretenait, que ses habitants l'abandonnèrent pour
échapper à la ruine et à l'incendie qui ne cessaient de les
désoler.
Telle était la situation de Bougie lorsque l'occupation en
fut résolue et exécutée. Plusieurs griefs motivèrent cette
expédition; en 1831, l'équipage d'un de nos bricks naufragé
sur la côte avait été égorgé. Plus tard , une insulte ayant été
faite au brick anglais le Procris, îe consul d'Angleterre à
Alger demanda satisfaction, en exprimant l'espoir que la
France saurait sans doute prendre des mesures pour faire
respecter les pavillons amis sur les côtes d'Afrique. Enfin ,
l'on n'en pouvait plus douter, Bougie était devenue le foyer
d'intrigues menaçantes. Et si l'on eût pu balancer en face de
ces considérations, déjà trop graves, les manifestations non
équivoques du bey de Constantine, qui, pour se dédommager
de la perte de Bone , aspirait à prendre Bougie , devaient
mettre un terme à toute hésitation. Le 29 septembre 1834
le général Trézel, parti de Toulon, entra dans Bougie après
un débarquement habilement opéré et plusieurs combats
aussi glorieux pour notre marine que pour nos soldats. Jus-
qu'en 1835 les agressions incessantes des Kabyles rendirent
nécessaire une garnison de 4,000 hommes pour défendre la
place. Mais la contrée peu à peu pacifiée nous permit de
la réduire à 2,000. Ses habitants qui l'avaient d'abord dé-
sertée, soit qu'ils redoutassent les vainqueurs, soit qu'ils y
fussent contraints par les Kabyles , y revinrent. Un quar-
tier spécial leur a été assigné dans la ville haute, et nos re-
lations avec eux sont maintenant tout à fait amicales. La
population de Bougie s'élève aujourd'hui à environ S')0 iiabi-
BOUGUER 517
tants, dont près d'un tiers est indigène et le reste euro-
péen.
BOUGOÎV (Charles-Jacqi;es-Ji;lien), acquit une cer-
taine réputation comme premier chirurgien ordinaire de Char-
les X. Né dans le département de l'Orne, vers 1772 , il se lit
recevoir docteur en chirurgie à l'École de Paris ; après quoi
il pratiqua son art à Alençon , jusqu'à la ciiute de l'Empire.
Ayant eu accès près des Bourbons dès 1814, et surtout
auprès du duc de Berry, il accompagna ce prince à Gand en
mars 1815, et revint avec lui. 11 est donc tout naturel que
Bougon se soit trouvé au chevet du prince, le 13 fé-
vrier 1820, après l'attentat deLouvel.Dupuytren ensuite,
dans" l'appréhension qu'un épanchement sanguin ne vînt à
étouffer le blessé, ayant parlé d'appliquer sur la plaie une
ventouse aspirante, pourquoi reprocher à Bougon d'avoir
aussitôt approché sans délibération ses lèvres d'une plaie
mortelle qui pouvait être empoisonnée.' Je vois là un mou-
vement louable et un dévouement chevaleresque bien plutôt
qu'une action reprochable. La même année , le 20 décem-
bre, le roi Louis XVlll , instituant l'Académie de Médecine,
joint aux noms célèbres des A. Dubois, des Boyer, des
Larrey, des Dupuytren,des Yvan; à ceux de Roux, Ri-
cherand , Marjolin et Béclard le nom de Bougon , « pre-
mier chiiurgien ordinaire, » dit l'ordonnance royale, « de
notre bien aimé frère Monsieur. » Que trouver là d'extraor-
duiaire? L'extraordinaire eut été, de la part du roi, de ne
pas nommer de l'Académie nouvelle le premier chirurgien
de son frère. Enfin, par suite de quelques méchantes épi-
grammes que le baron Desgenettes sème dans un imprudent
discours de rentrée, l'École est dissoute; neuf professeurs ,
illustres pour la plupart, sont révoqués, d'autres les rempla-
cent du choix de M. Frayssinous, et Bougon a le malheur
très-grand d'être nommé en remplacement d'Antoine Dubois.
Assurément, si l'évêque d'Hermopohs eût participé aux
communes sollicitudes des familles, il se serait bien gardé
de réduire à l'inaction un chirurgien dont la savante clini-
que servait de recours suprême dans les accouchements
difficiles. Mais enfin comme ce n'était pas Bougon qui avait
provoqué cette révocation, pourquoi n'aurait-il pas ac-
cepté la place vacante de Dubois, alors que Laënnec ne
mettait aucun scrupule à accepter celle de Leroux et M. Or-
fila celle de Vauquelin.' N'écoutons donc pas cette philo-
sophie fardée qui exige tout du pauvre et très-peu du ri-
che. Au reste, quand fut venu 1830, Dubois put reprendre
très-légitimement sa place , que Bougon laissa libre pour
suivre d'illustres amis exilés auxquels il dévouait sa vie.
Il assista le roi déchu à ses derniers moments, et plus
tard, lorsque le duc de Bordeaux se fractura la cuisse, il
apporta à ce prince son tribut de soins et de dévouement. Re-
marquons d'ailleurs qu'on a beaucoup exagéré la nullité de
Bougon, afin de complaire à des passions. Ce chirurgien si
détestable a eu d'assez longues années pour élève ou pour
aide de clinique M. le docteur Vclpeau , et l'on ne voit pas
que cela ait notablement faussé la main et le diagnostic
de ce dernier. Mais voici le péché irrémissible de Bougon : le
malheureux n'a jamais rien écrit! Voyez, en effet, combien
de nos jours c'est un mérite devenu rare en Europe , que de
noircir sans idées quelques rames de mauvais papier !
Il paraîtrait d'ailleurs avéré que Bougon aurait laissé ma-
nuscrit un grand traité d'anatomie, accompagné çle planches
fort belles. Bougon est mort dans l'exil, à Venise, au mois
d'avril 1851. Isidore Bourdon.
BOUGRAN (autrefois bouqueran), espèce de grosse
toue de chanvre gommée et calandrée, dont on s'est long-
temps servi pour doubler les habits et conserver leur forme,
BOUGRAIVE ou BOUGRAl.NE. Voyez Bugraine.
' BOUGUER (Pierre;, géomètre et astronome dis-
tingué, naquit au Croisic, en Basse-Bretagne, le 16 fé-
vrier 1698, et fit ses premières études dans les sciences»
exactes sous la direction de sou père, Jean Boucueu , pro •
518 BOUGUER -
fesseur d'hydrographie, dont nous possédons un Trailé de
Navigation.
En 1727 Bouguer obtint un premier succès : son Mémoire
sur la Mâture des Vaisseaux remporta le prix proposé par
l'Académie des Sciences. Ses deux mémoires intitulés : Mé-
thode d'observer sur mer la hauteur des astres et Ma-
nière d'observer en mer la déclinaison de la boussole
lui méritèrent encore cette (latteusc distinction, le premier
en 1729, le second en 1731. En même temps il dut à la
publication de son Traité d'Optique ( Paris, 1729) le titre
de pensionnaire de l'Académie, et lorsqu'en 1735 le gou-
vernement français , dans le but de déterminer exactement
la figure de la terre , ordonna deux expéditions scientili-
ques , l'une au pôle , l'autre à l'équateur, Bouguer fut envoyé
au Pérou avec Godin et La Condamine, tandis que Rlauper-
tuis,Clairaut, Camus et Lemonnier allèrent en Laponie..
L'expédition du Pérou eut à lutter contre de grandes dif-
ficultés, et ne revint en France qu'au bout de sept ans. De
retour dans sa patrie, Bouguer fit d'abord paraître sa Rela-
tion du Voyage au Pérou dans ks Mémoires de l'Académie
des Sciences de l'année 1744 ; puis il résuma les résultats
de ses opérations dans une Théorie de la Figure de la Terre.
Ce dernier ouvrage eut un immense retentissement , et son
auteur fut successivement nommé membre de l'Académie
des Sciences de Paris , de la Société Royale de Londres et
des plus illustres sociétés savantes de l'Europe.
Bouguer s'était déjà livré à d'intéressantes recherches sur
l'intensité de la lumière; il leur donna une grande extension
dans son Traité d'Optiquesur la gradation de la lumière,
publié après sa mort par La Caille, et il devint ainsi le fon-
dateur de la photométrie, science jus(iue alors inconnue.
En 175S il inventa l'héliomètre, instrument précieux
pour l'astronomie. Enfin, il enrichit la science par ses recher-
ches sur la dilatation des métaux , sur la densité de l'air à
différentes hauteurs, sur les réfractions atmosphériques, et
par d'excellentes observations sur la longueur du pendule
simple à différentes latitudes. C'est lui aussi qui le premier
constata la déviation que l'attraction des montagnes fait
éprouver au pendule.
Bouguer publia encore plusieurs ouvrages relatifs aux
manœuvres et aux constructions navales, ainsi qu'un Traité
de Navigation, qui parut en 1753. Il préparait de nouveaux
travaux, quand la mort vint le surprendre, le 15 août 1758.
E. Merliecx.
BOUHIER (Jean), naquit à Dijon, le 17 mars 1673.
Issu d'une ancienne famille de robe, il fut destiné à remplir
dans sa patrie la charge de président au parlement , que son
père et son aïeul avaient occupée , et ses études furent diri-
gées vers ce but. Doué d'une grande aptitude au travail, et
capable de cette application soutenue sans laquelle la faci-
lité n'est souvent qu'un vain mérite, il s'attacha à la con-
naissance des langues, et il possédait tout à la fois le grec ,
le latin, l'hébreu, l'italien et l'espagnol. En même temps, il
se livra à l'étude de la jurisprudence; il médita profondé-
ment sur les coutumes de sa province, sur les arrêts du parle-
ment, et ce travail pénible produisit les vastes recueils qui
furent imprimés par la suite. On ne compte pas moins de
cin(juante ouvrages livrés par lui à l'impression ; et si tous
ne sont pas d'une égale importance, il n'en est aucun qui n'at-
teste l'érudition, la sagacité et le talent de l'auteur. A la vue
de ces immenses travaux, on est pénétré d'admiration pour
ces savants magistrats qui, placés dans une situation élevée,
comblés des dons de la fortune et pouvant se livrer à quel-
que repos sans négliger leurs devoirs, ne prenaient de dis-
traction qu'en variant leurs études, et ne connaissaient de plai-
sir que celui de transmettre à la jeunesse le produit de leurs
veilles.
A rSge de trente ans Bouhicr fut reçu conseiller au parle-
ment de Bourgogne, et onze ans plus tard, en 1704, il fut
pourvu de la charge de président à mortier. C'est à In même
BOUHOURS
époque qu'il essuya les premières atteintes de la goutte, ma-
ladie qui depuis ne cessa de le tourmenter, et qui le con-
duisit au tombeau , mais qui ne put cependant l'enipêcher de
remplir les devoirs de sa charge ni de se livrer aux délasse-
ments qu'il cherchait dans la culture des lettres. Sa réputa-
tion sous ce dernier rapport était si bien établie qu'en 1727
r.\cadémie Française élut le président Bouhier au nombre de
ses membres : il fut reçu par un autre magistrat, le prési-
dent Hénault, et il eut pour successeur Voltaire, qui
prononça son éloge, et qui ne manqua pas de relever le mé-
rite littéraire de son prédécesseur : u U faisait ressouvenir la
France, dit le grand écrivain, de ces temps où les plus aus-
tères magistrats, consommés, comme lui, dans l'étude des
lois, se délassaient des fatigues de leur état dans les travaux
de la littérature. » L'abbé d'Olivet, répondant à Voltaire,
ajouta encore à cet éloge, en disant : « Pendant que je parle
do talents universels et de connaissances sans bornes, il est
difficile qu'on ne se rappelle pas l'idée de votre prédéces-
seur. Ce fut un savant du premier ordre, mais un savant
poli, modeste, utile à ses amis, à sa patrie, à lui-môme. »
Tel est, en effet, le portrait que tous les contemporains nous
ont laissé du président Bouhicr; et telle est l'impression
(lue l'on reçoit à la lecture de ses nombreux ouvrages. Par-
mi ceux-ci, il en est un surtout qui jouit chez les juriscon-
sultes d'une grande célébrité, c'est le Commentaire sur la
Coutume de Bourgogne , en deux vol unies in-fol., commen
taire qui au mérite du fond joint celui d'une élégance et
d'une clarté de style qu'on ne rencontre guère dans les traités
de ce genre.
Le président Bouhier avait travaillé toute sa vie à augmen-
ter la riche bibliothèque qu'il avait trouvée dans la succes-
sion de son père. Aucun soin, aucune dépense, n'avaient été
épargnés par le magistrat pour atteindre ce but; et telle était
sa passion pour l'étude et son désir de lendre utiles les col-
lections qu'il avait rassemblées à grands frais, qu'il en dressa
lui-même le catalogue dans les moments qu'il ne consacrait
pas aux affaires : ce travail dura trois ans. Ce long espace de
temps indique limportance de cette bibliothèque, qui était,
en effet, l'une des plus belles et des plus précieuses qu'un
particulier put compo-er. Après Bouhier , elle passa en la pos-
session du président de Bourbonne, son petit-fils; puis, à la
mort de celui-ci, elle fut vendue à l'abbaye de Clairvaux...
Nous ignorons ce quelle est devenue. Telle était , au sur-
plus , la grande réputation dont jouissait la bibliothèque du
président Bouhier, que le roi, par ime ordonnance rendue en
1722, avait ordonné que tous les livres sortant de l'impri-
merie royale du Louvre seraient envoyés au président pour
être ajoutés à sa collection.
Bouhier, philosophe chrétien, mourut en l'année 1746.
Api-ès avoir éciilié ses concitoyens par la régularité de ses
mœurs et la sagerse de sa conduite, il leur donna l'exemple
d'une mort courageuse , et termina sa vie dans les senti-
ments d'une pieté véritable, que, malgré l'esprit du temps,
il n'eut pas honte de rendre publique. Et telle était encore
alors la liberté de son esprit , qu'il composa lui-même son
épitapbe peu d'instants avant sa deaoière heure :
Qui tristeiD coluit Tbcmidern farilcsque Camœnas
Couditur boc Jaous raarmoro Biiiicrius.
U y a eu deux autres Bouhier, parents du président, qui
furent successivement évèques de Dijon.
DUBAUD, ancien procureur général.
BOUHOURS (Dominique), naquit à Paris, en 1G28, et
entra chez les jésuites à l'àgc de seize ans. Après avoir pro-
fessé les humanités dans celte capitale et la rhétorique à
Tours, il fut chargé de l'éducation des jeunes princes de
Longueville, puis de celle du marquis de Seignelai , fils de
Colbert. Il mourut au collège Louis le Grand, à Paris, en
1702. Doué d'une physionomie spirituelle et d'une grande
finesse, poli, affable, sachant garder les convenances de
I
I
BOUHOURS — SOUIDES
51&
son état, et mettre de son côté les procédés dans les que-
relles littéraires, il s'attira néanmoins des ennemis. Ni-
cole, dans un passage de ses Essais de Morale, peint un
religieux bel esprit, qui fait un recueil de mots qui se di-
sent dans les ruelles et dans les lieux qu'il ne doit pas fré-
quenter , et qui paraît plein d'estime pour la galanterie.
Bouhours crut s'y reconnaître, et de là vint, dit-on, son
animos.ité contre Port-Royal. On lui reproche une critique
minutieuse, une reciierche excessive dans son style, un pu-
risme exagéré. Voltaire, dans le Temple du Goût, le place
derrière Pascal et Bourdaloue, qui s'entretiennent du gi'and
art de joindre l'éloquence au raisonnement ; et il le peint
marquant sur ses tablettes les fautes de langage, les négli-
gences qui leur échappent. On ne peut, malgré ses défauts,
lui contester le mérite d'avoir servi utilement la langue et le
goût.
Les Entretiens d'Ariste et d'Eugène, qui eurent en peu
de temps plusieurs éditions, se font remarquer par le clin-
quant du style, par l'agrément et la variété des matières :
cet ouvrage valut à l'auteur beaucoup d'éloges et des cri-
tiques qui n'étaient pas sans fondement; il lit dire qu'il ne
manquait à l'auteur, pour écrire parfaitement , que de sa-
voir penser. DdasV Entretien sur le Bel Esprit , Bouhours
met en question si un Allemand peut avoir de lesprit , ce
qui lit demander par un Allemand si un Français peut avoir
du jugement. Dans sa Vie de Sui)U Ignace , Bouhours ra-
conte sérieusement que lorsque son héros vint suivre à Pa-
ris les cours de l'université, et peudaut qu'il assistait aux
leçons, son esprit entrait en communication directe avec le
ciel et en recevait les inspirations. La Manière de bien
penser dans les ouvrages d'esprit et les Pensées ingé-
nieuses des Anciens et des Modernes ont les mêmes qua-
lités et les mêmes défauts que les autres écrits de l'auteur.
Nous n'avons parlé ni des ouvrages de piété ni des ouvrages
historiques du même écrivain; ils sont assez médiocres.
Nous ne citons pas non plus sa Traduction du Nouveau
Testament, parce qu'elle n'est pas estimée.
BOUÏDES ou BOWAÏDES (c'est-à-dire enfants de
Douïuh onde Bowaïh). C'est le nom d'une des premières
et des plus puissantes dynasties indépendantes qui se soient
élcA'ées en Perse, à l'époque de la décadence du khalifat,
et c'est celle qui a le plus avili et tyrannisé les khalifes. Sa
domination s'étendit sur toute la P e rse, depuis la mer Cas-
pienne jusqu'à l'entrée du golfe Persique; et si elle ne
posséda pas les deux provinces orientales de cet empire,
le Klioraçànet le Séistân, elle en fut amplement dédommagée
par l'acquisition de Bagdad, de Bassora et de l'Irak, qui
lui donnait la plus grande influence non-seulement sur
l'Arabie, mais sur plusieurs autres parties de l'empire nm-
.sulman.
L'origine de la famille Bouïah est obscure et fabuleuse.
Mais comme il est convenu , en Asie aussi bien qu'en Eu-
rope, que les ruis doivent toujours être du sang le plus il-
lustre, les ambitieux, soit en Orient, soit en Occident, sa-
vent fort bien se donner de nobles ancêtres ; et s'ils n'ont
pas, comme chez nous, la ressource des généalogistes à ga-
ges, ils ont pour eux, ce qui vaut mieux encore, le secours
des astrologues et la crédulité des peuples. Un pauvre pê-
cheur, nommé Bouïah, habitait un village sur les bords de la
mer Caspienne. H s'imagina qu'il descendait du fameux
Kosroès, roi de Perse , et rêva que ses trois fils Ali , Ha-
çan et Ahmed parviendraient un jour au trône. L'imagina-
tion enflammée d'espérances chimériques, ces jeunes gens
entrèrent au service de Makan, l'un des ambitieux qui
avaient enlevé aux khalifes les provinces du nord de la
Pei-se. L'an 31G de l'hégire (928 de J.-C. ), un autre ambi-
tieux, Mardawidj, s'étant révolté contre Makan, et lui
ayant enlevé le Ghilàn et le Mazamicràn, les trois tils s'at-
tachèrent au parti de leur nouveau souverain, et l'aidèrent
avec tant de zèle et de courage à poursuivre ses conqr.ôtcs
dans l'intérieur de la Perse, qu'Ali, l'alné de ces braves,
parvint aux premiers emplois militaires.
L'exemple des deux princes pour lesquels il avait com-
battu était séduisant et contagieux. Ali devint ingrat et
ambitieux à son tour : secondé par ses frères, il fit la
guerre pour son propre compte. L'an 320 (932), il battit,
avec des forces très-inférieures, le gouverneur d'Ispahan, et
livra au pillage cette ville, qui appartenait au khalife Caher.
Forcé de l'évacuer à l'approche de l'armée de Mardawidj,
il s'avança dans la Perse méridionale, et ayant vaincu le
gouverneur de Cbiraz, qui venait d'être défait par Marda-
widj, il s'empara de cette place et de tout le Farsistàn, que
ce prince lui abandonna, en 322 (93i). Rien ne manquait
au bonheur d'Ali : une armée envoyée contre lui par le
khalife retourna brusquement à Bagilad, sur la nou\elle de
la déposition de Caber; etRadhy, successeur de ce dernier,
s'empre.^sa de faire la paix avec le prince Bouïde. Il lui con-
féra le titre (Tlmad-Eddaitlah (le sou-lien de l'État), et
lui envoya un vêtement d'honneur avec un diplôme qui lui
accordait tous les droits de souveraineté dans les pays qu'il
avait conquis. La mort de jMardawidj, assassiné l'année
suivante, et les troubles auquels elle donna lieu , fourni-
rent à Imad-Eddaulah l'occasion de s'emparer d'Ispahan
sans coup ferir. Mais, renonçant alors à toute idée d'agran-
dissement, il mit son unique ambition à faire le bonheur
des peuples dont il se réserva le gouvernement. Il ne garda
que le Farsistàn , qui , avec ses annexes , avait des limites
plus étendues qu'aujourd'hui, cédant à son frère Haçaa
{Rokn-Eddaulah, la colonne de l'État), Ispahan, Tlrak-
Adjemi et le Djebal, et à son frère Ahmed ( Mocr-Eddau-
lah, l'honneur de l'empire), le Kermàn et les provinces
les plus méridionales de la Perse ; ou plutôt il leur fournit
des troupes à tous deux pour les conquérir et les garder.
Ces princes furent très- puissants. La province de Farz,
(la Perse proprement dite), celles d'Irak , de Khouzistân, de
Kermàn , d'Ahvas , le Ghilàn , le Mazenderân , le ïaberistàu,
le Djordjàn et les pays qui s'étendent jusqu'à la mer Cas-
pienne, plus tard même le Khoraçàn, furent soumis à leur
domination. Cette dynastie se divisait en trois branches : la
première, fondée par Ahmed, troisième fils de Bouïah, s'é-
teignit en 367 ( an de J.-C. 977 ), dans la personne de Isz-
Eddaulah, fils d'Ahmed, qui fut chassé et tué par son cou-
sin Adad-Eddaulali , prince dont le règne fut long et
glorieux. La seconde branche eut pour chef Haçan , prince
guerrier, qui étendit au loin ses conquêtes. Son vizir Amed-
Aboul-Fasl-Mohammed-Ben-Husséin-Ben-Amid perfectionna
les caractères arabes. Ses successeurs régnèrent quatre-
vingt-seize ans, jusqu'au moment où Mahmoud leGaznévide
s'empara des Éiats de Medjed-Eddaulah , petit-fils de Rokn-
Eddaulah (de l'hrgire 420 , après J.-C. 1029 ). Enfin la troi-
sième branche , qui eut Ali pour chef, régna près d'un siècle
et demi, d'abord à Cbiràz, ensuite à Bagdad. L'an de l'hé-
gire 447 (après J.-C. 1055), Thogrul-Beg, le Seldjoukide,
qui avait déjà conquis la Perse, s'empara de la ville du kha-
lifat, et fit prisonnier El-Malek-Errakliim, qui mourut de
faim, de chagrin et de misère, au château de Rhéi.
Tous les États des Bouïdes étaient successivement tombés
au pouvoir des Seldjoukides , à l'exception du Farsistàn, dont
Fadhlouiali s'était emparé. Abou-Ali-Kaï-Kliosrou, le plus
jeune des frères de Malek-Errakhim , ayant rassemblé tous
ses partisans, reconquit ce lambeau de la puissance de sa fa-
mille, et s'étant rendu maître de l'usurpateur, il lui fit
mettre sur la tête une couronne de fer rouge, et le laissa
expirer dans les toumients. Ce prince régna sept ans à Cbi-
raz ; mais ne pouvant lutter contre les Seldjoukides du Ker-
màn, et dégoûté d'une royauté qui ne lui offrait que des
épines sans roses, il se soumit volontairement en 455 (10G3)
an sulthan Alp-Arslan , neveu et successeur de Thogrul.
Ainsi, la dynastie des Bouïdes, qui avait commencé à Cbiraz,
V finit , au bout de cent vingt-neuf ans. Ce dernier prince
520
liOUIDES — BOUILLE
vécut encore plus de trente ans ; le sulthan lui avait laissé
la jouissance d'une ville et l'iionueur de se faire précéder d'un
étendard et de timbales, vain dédommagement, triste si-
mulacre d'une royauté déchue !
liUUILLAUD (Jean-Baptiste). Né en 17'.)5, dans l'An-
goumois, M. Bouillaud est depuis quelques années un des
professeurs les plus distingués de la Faculté de Jlédecine
de Paris. Ses études furent marquées par un grand zèle et
des succès. Un de ses oncles (Jean Bouillaud) , cUirnrgien-
major des armées, qui avait blanchi au service de l'Empire,
éloigna de sa jeunesse, par la plus admirable sollicitude et
<ie grands sacrifices^ les privations et les soucis. Cet oncle
si dévoué recommença ses études alin de provoquer l'ému-
lation de son neveu et d'être l'instrument et le témoin de
ses progrès, lll'accouipagnait partout, partageait sa modeste
chambre et sa vie sobre et studieuse ; enfin, il le conseillait
et l'encourageait sans cesse , et lui conciliait des protecteurs
et jusqu'à des amis. Jamais on ne vit de parent accomplir
plus généreusement les devoirs d'un père : aussi ne vit-on
jaujais de vieillard plus respecté ([ue ne le fut durant huit
a dix ans Jean Bouillaud par tout ce que l'École de Méde-
cine de ce temps-là renfermait de cœurs nobles et solidaire-
ment reconnaissan'.s.
Les succès du jeune Bouillaud répondirent à des soins si
touchants et à une protection si sainte. Son noviciat dans
les hôpitaux fut marqué par une rare apphcation; ses pre-
miers efforts lui valurent des couronnes, et un zèle plus mùr
des titres, des places, des récompenses et des honneurs,
lieçu médecin le ?3 août 1823, alors que l'École de Paris
venait d'être regrettablement réorganisée par M. Frayssi-
nous, il laissa paraître pour Broussais une admiration si dé-
monstrative, qu'elle ressembla souvent à de l'enthousiasme.
En toutes choses son adhésion à la nouvelle doctrine était
si entière, si passionnée, qu'auprès de lui MM. Boisseau et
Bégin paraissaient des disciples frondeurs, des prosélytes
équivoques. Cependant ayant déjà fait une étude approfon-
die des alfections du cœur, M. Bouillaud s'associa avec
Bertin, un des nouveaux professeurs, pour composer sur
les maladies du cœur un traité plus scientifique que celui
de Corvisart. Bertin apportait à l'ccuvre commune d'an-
ciennes et solides observations qu'il avait à diverses repri-
ses présentées à l'Institut, et M. Bouillaud, pour prix de son
zèle , se réserva de rajeunir au moyen des doctrines nou-
velles des faits déjà anciens et des préceptes éprouvés.
Cet ouvrage obtint assez de succès pour qu'on ait pu en pu-
blier une nouvelle édition quinze ans après, en 1841. A cette
époque Bertin était mort, ce qui donna à M. Bouillaud, alors
plus expérimenté , la liberté plus entière de modifier le plan
de l'ouvrage primitif et surtout les doctrines. 11 y ajouta na-
turellement beaucoup de faits nouveaux, en sorte que cette
2' édition eut deux volumes, au lieu d'un seul, auquel se bor-
nait la première; alors aussi la part de M. Bouillaud devint
plus grande, de sorte que ce médecin honorable , sans doute
par des suggestions étrangères , laissa mettre de côté le nom
de Bertin, et selon nous ce fut un tort. Assurément d'autres
ont eu des torts semblables , mais c'est à un homme de la
loyauté et du mérite de M. Bouillaud à donner de bons
exemples à la postérité.
M. Bouillaud, excellent professeur, médecin profond et la-
borieux,a publie seul beaucoup d'autres ouvrages; i°imTraité
Clinique de V Encéphalite cl de ses suites, etc. (1825);
2° un Traité clinique et expérimental des Fièvres ( 1826 ) ;
3° un Rapport académique sur Vintroduction de l'air
dans les veines (in-8", 1838); 4° une Clinique médicale
de l'hôpital de la Charité (3 vol. in-8", 1837); 5° un vo-
lume Sur la coïncidence du rhumatisme aigu avec l'cn-
do-cardile (1840); 6° un Essai de Philosophie médi-
cale . etc. (1830) ; 7" un Traité Clinique et Statistique du
Choléra ( 1832 ) : 8° son traité de Nosographie médicale, qui
est son principal ouvrage (5 vol. in-8", 18 iG); U" des Recher-
ches pour démontrer que le sens du langage articulé, de
même que le principe de la parole, réside dans les lobes
antérieurs du cerveau ( 1839 et 1848).
Maître d'une clinique fort suivie, oii le paradoxe tient au-
jourd'hui moins de place qu'autrefois, M. Bouillaud occupe
de plus en plus un rang distingué parmi les meilleurs prati-
ciens de Paris, surtout depuis qu'il discute, écrit et saigne
moins. Nous n'en sommes plus au temps où M. Bouillaud
saignait un malade plus de fois dans un seul jour qu'un autre M
médecin n'eût osé le faire dans toute une semaine. ■
Député d'Angoulême de 1842 à 1846 , conseiller de l'Uni-
versité sous Louis-Philippe, M. Bouillaud, homme sûr et
ferme, succéda à M. Orfila comme doyen, eu février 1848.
Il eût conservé plus longtemps ces graves fonctions de doyen,
et sans doute il les aurait encore, s'il avait pu consentir à
apposer sa signature aux comptes peu réguliers de son prédé-
cesseur. A cette occasion il publia un mémoire, qui heureu-
sement pour M. Orfila n'avait pas l'énergique netteté de ses
autres écrits, sans quoi l'Assemblée nationale aurait peut-être
suivi l'exemple de M. Bouillaud. Isidore Boludon.
BOUILLE, en termes de pêche, est une longue perche,
grosse par un de ses bouts, qui a la forme d'un rabot , et _
([u'on emploie pour remuer la vase et troubler l'eau, afin que I
le poisson entre plus facilement dans les filets.
Bouille était aussi jadis le nom de la marque que les
commis des fermes mettaient à chaque pièce de drap ou
d'étoffe de laine au bureau des fermes du roi , et en même
temps le nom du droit auquel cette marque était soumise.
BOUILLE (Famille de). Originaire du Maine, où elle a
possédé des terres considérables et contracté de grandes
alliances, elle est aussi regardée comme une des premières
de la province d'Auvergne , où l'on retrouve ses traces dès
le dixième siècle, et où une de ses branches fut effective-
ment établie depuis le onzième. Elle a donné des chevaliers
de l'ordre du roi sous Louis XI et François l" , de l'ordre
du Saint-Esprit sous Henri III et Louis XVI, des prélats,
des chanoines comtes de Lyon et de Brioude , des comman-
deurs de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem , un général en
chef, des lieutenants généraux , commandants de pro-
vinces , des maréchaux de camp et un pair de France
sous Charles X. ( Foj/es les articles suivants.)
René de Bouille, issu de la branche du Maine, com-
mandait en Bretagne à l'époque de la Saint-Barthélémy , et ,
par une sage résistance aux ordres de la cour, préserva cette
province des horreurs du massacre.
René de Bouille, comte de Créance, fils du précédent,
chevalier des ordres du roi et gouverneur de Périgueux ,
s'était acquis l'estime de Henri IV , qui écrivait au prince
de Conti en parlant d'un avantage que Bouille avait rem-
porté sur Comnène, un des chefs de la Ligue : « Le Man-
ceau a donc été plus fin que le Grec; je l'ai toujours connu
pour aussi advisé que valeureux ; je suis bien aise que vous
l'aimiez et que vous le reteniez avec vous ; il peut bien
conseiller et bien ai;ir. »
BOUILLE (lMtANçois-CLAUDE-.\MOUR, Hiarquis de), ne-
veu de Nicolas de Bouille, ancien doyen des comtes de Lyon,
évêque d'Autunet premier aumônier de Louis XV, naquit au
château de Cluzel en Auvergne, le 19 novembre 1739, et
mourut à Londres, le 14 novembre 1800, à l'âge de soixante
et un ans. .4yant perdu fort jeune encore ses parents, il fut
élevé au collège de Louis-lc-Grand, à Paris, dont la direc-
tion était alors confiée aux jésuites. Après avoir terminé ses
études à l'âge de quatorze ans, il entra d'abord dans le
régiment de Rochefort, puis dans les mousquetaires noirs,
et obtint, à l'âge de seize ans, une compagnie dans le régi-
ment de dragons de La Ferronais , avec lequel il partit en
1758 pour rejoindre l'armée en Allemagne. Il se distingua
dans plusieurs affaires de la guerre de Sept ans, principa-
lement au combat de Grunberg (1761), où, à la tête de
ses dragons , il chargea avec tant d'impétuosité la colonne
ennemie aux ordres du duc de Brunswick, qu'il la culbuta,
lui prit onze pièces de canon et dix-neuf drapeaux ou éten-
dards. Chargé de porter au roi la nouvelle de cette victoire ,
il fit l'éloge le plus flatteur de ses camarades. Le prince
alors, l'interrompant, et s'adressant aux courtisans qui
l'entouraient, leur dit : «M. de Bouille n'oublie ici qu'une
chose, c'est qu'on lui doit, en grande partie, les résultats
de cette brillante affaire ; » et il le nomma au grade de co-
lonel, avec promesse du premier régiment vacant. En 1768
Douille fut nommé gouverneur de la Guadeloupe , et fl ad-
ministra cette colonie avec tant de sagesse et d'habileté, que
le roi , pour le récompenser , le créa , en 1777 , maréchal de
camp, et lui donna le gouvernement général de la IMarli-
nique et de Sainte-Lucie. Il reçut en même temps le pou-
voir de prendre le commandement de toutes les autres îles
da Vent , aussitôt que commenceraient les hostilités entre
la France et l'Angleterre , dont on était alors menacé.
Lorsque , l'année d'ensuite ( 1778 ) , la guerre d'Amérique
éclata, la France s'étant déclarée en faveur de la cause des
insurgés , Bouille reçut l'ordre de s'emparer de la Domi-
nique, qui, par sa position entre la Martinique et la Guade-
loupe , était d'une grande importance. Cette expédition , ten-
tée par le temps le moins favorable, fut couronnée d'un plein
succès. Cinq cents hommes , qui composaient la garnison ,
furent faits prisonniers , et remirent aux vainqueurs cent
soixante-quatre pièces de canon et vingt-quatre mortiers.
Bouille s'empara de même successivement de Saint-Eus-
tache, de Tabago, de Saint-Cristoplie, de Niève et de
Montserrat ; mais son plus beau titre de gloire est d'avoir su
défendre alors et conserver nos nombreuses possessions
dans les Antilles, menacées tour à tour par les Anglais, en
l'absence de l'armée navale, qui était allée en 1781 proté-
ger le siège d'York en Virginie, et malgré les obstacles que
lui suscita la jalousie du comfe d'Estaing.
De retour en France, à la paix de 1783 , ses services fu-
rent récompensés par le grade de lieutenant général et par
le collier des ordres du roi. Non-seulement il avait toujours
fait preuve du plus grand désintéressement dans l'exercice
de ses divers commandements , mais il avait encore con-
tracté au service de la France pour plus de 700,000 fr. de
dettes. Le roi voulut les acquitter; mais il n'accepia point
cette faveur, ou plutôt cette justice , qui eiit été une charge
pour le prince et pour l'État dans les circonstances où ils
se trouvaient. Dans l'intervalle qui s'écoula entre la paix
et les premiers mouvements de la révolution, le roi le nomma
membre des assemblées des notables, qui furent convoquées
en 1787 et 1788, et il fut un de ceux qui se montrèrent le
plus disposés aux sacrifices que le salut de l'État réclamait;
mais il les voulait conformes aux lois fondamentales de la
monarchie. Nommé en 1790 général en chef de l'armée de
Meuse , Sarre-et-Moselle , l'eflérvescence produite par les
premiers événements de la révolution avait rendu son poste
extrêmement pénible. Néanmoins, par sa fermeté, il sut main-
tenir l'ordre et la discipline, que ses troupes respectèrent
toujours. Chargé par Louis XVI de faire exécuter les dé-
crets de l'Assemblée nationale , méconnus par la garnison et
par la plupart des habitants de Nancy, il marcha à la tête de
quatre mille cinq cents hommes contre les séditieux , dont
le nombre s'élevait à plus de dix mille. Il les défit le 31
août 1790, et étouffa par cette mesure rigoureuse une
insurrection qui menaçait l'armée entière , et pouvait deve-
nir le signal de la guerre civile. L'Assemblée nationale lui
vota des remercîments, et le roi lui écrivit qu'il avait sauvé
la France, et avait acquis des droits éternels à son estime
et à son amitié. Ce prince lui offrit le bâton de maréchal de
France; mais Douille crut devoir refuser un honneur qui
eût été le prix du sang de ses concitoyens.
Louis XVI, qui connaissait sa fidélité et son courage, le
choisit pour seconder son départ secret de Paris, et pour
qui assurer une retraite dans son commandement. Bouille s'c-
DICT. DE LA. CONVEliS. — T. III.
BOUILLE 521
tait empressé de répondre aux désirs du monarque; il avait
fait les dispositions nécessaires pour éclairer la route , et réu-
nir autour de lui à ISIontmédi , avec un train d'artillerie de
campagne , douze bataillons et vingt-trois escadrons que l'on
croyait encore entièrement dévoués. Il attendait au milieu
de ces troupes l'arrivée du roi, lorsqu'il fut informé de son ar-
restation àVarennes. Rassemblant aussitôt les troupes qu'il
a sous la main , il les dirige sur cette ville , et s'avance lui-
même à la tête de Royal-Allemand cavalerie. Mais le mo-
narque était déjà parti. Quoique gravement compromis par
cette démarche , il s'empressa de concourir à la fuite de Mon-
sieur ( depuis Louis XVIII ) , et se rendit lui-même à Luxem-
bourg, d'où il écrivit à l'Assemblée nationale une lettre dictée
par son attachement à la personne du roi , mais dont le ton
menaçant produisit un effet tout différent de celui qu'il en
attendait. Décrété d'accusation , et ne pouvant plus rentrer
dans sa patrie , il se réfugia à Coblentz auprès des princes
français , qui l'accueillirent avec distinction , l'admirent dans
leur conseil , et le chargèrent de différentes missions impor-
tantes, dont il s'acquitta avec zèle. Il remit aux princes
070,000 fr., restant d'un million en assignats qu'il avait reçu
de Louis XVI pour le voyage de Montmédi, et dont il est
question dans le procès du roi. Il se rendit ensuite à Pilnitz ,
où l'avaient appelé l'empereur Léopold et le roi de Prusse,
afin d'y conférer sur les moyens à employer pour rendre la
liberté au roi et rétablir la monarchie sur ses anciennes
bases. Il était porteur de pleins pouvoirs de Monsieur. H
eut encore sur ce sujet des conférences à Aix-la-Chapelle avec
le. roi de Suède , et lui fit goûter ses projets. L'impératrice
de Russie était aussi entrée dans ses vues, et avait promis un
renfort de 36,000 hommes, qui devaient, sous le commande-
ment du monarque suédois et du général français, débarquer
sur les côtes de Flandre; mais le roi de Suède, Gustave III,
ayant été assassiné le 29 mars 1792, Catherine oublia ses
promesses , et Bouille, qui voyait s'évanouir ses projets et
ses espérances, se réfugia en Angleterre, où bientôt, accablé
d'infirmités et voué par elles à l'inaction, il ne s'occupa plus
que de la rédaction de ses Mémoires.
Ces Mémoires, qui ont paru à Londres en 1797, d'abord
en anglais, puis en français, ont été réimprimés plusieurs
fois depuis. Ils sont, dit Mallet du Pan , écrits avec la si7n-
plicité d'un militaire et la véracité d'un honnête homme.
En effet, ils peignent la chute de la monarchie, les causes
et le commencement de la révolution , avec une franchise et
une loyauté dont on se plaît à tenir compte à l'auteur, alors
même que l'on ne partage pas toutes ses idées , ou que l'on
n'approuve pas toutes ses opinions.
BOUILLE ( Louis-Joseph-Amour, marquis re ) , fils aîné
du précédent, né au fort Saint-Pierre de la Martinique le
\" mai 1769, servait d'aide de camp à son père, lors de la
tentative faite pour favoriser l'évasion de Louis XVI. Com-
promis, comme son père , dans cette circonstance, il le sui-
vit dans sa fuite, et entra au service de la Suède en qualité
d'aide de camp de Gustave III. Devenu libre par la mort de
ce prince, il joignit l'armée de Condé, et passa, après la dé-
route de Valmy, dans celle de Prusse, avec laquelle il fit le
siège de Mayence , où il fut blessé. Dès qu'il se vit guéri, il
leva un régiment de hulans britanniques, qui le suivit à
Rouez (Sarthe), où il reçut encore une blessure, et à l'Ile-
Dieu. Réformé l'année suivante, il resta dans l'inaction jus-
qu'en 1802.
Profitant alors de l'amnistie, il rentra en France, où il
prit du service, fit la campagne de Naples, se distingua au
siège de Gaète, et joignit la grandearmée sur la fin de 1806.
Il assista aux divers combats qui furent li\Tés en Pologne,
battit le prince d'Anhalt, lui prit son artillerie, et l'empêcha,
à la tête de quelques chcvau-légers, de secourir les places
qu'il voulait dégager. Employé l'année suivante en Es-
pagne, comme chef d'état-major de la division du général
' Sébastian!, il contribua au succès du combat de Ciudad-Real.
ti6
522
Élevé, pour les services qu'il avait rendus en celte circons-
tance, au poste de clief d'état-major général du 4* corps, il
se distingua dans diverses rencontres, et ajouta encore, le
jour de la bataille d'Al m onacid, à la réputation de valeur
et de capacité qu'il s'était fiiile. Cette btillante conduite lui
valut le grade de général de brigade, qu'il obtint en 1810, et
le comniandeiuent d'un corps de dragons, avec lequel il
battit, le 19 avril 1812, le général Freire, qu'il tailla encore
en pièces le 17 mai suivant. Forcé par le mauvais état de
sa vue de quitter l'année d'Espagne sur la (in de cette an-
née, il fut fait lieutenant général à la rentrée des Bourbons
et mis à la retraite. Il est mort en 1850. M"'" de IJouillé avait
été dame du palais de l'impératrice Marie-Louise.
Outre une relation fort curieuse de l'évasion de Louis XVI,
on doit au général une Vie privée et militnire du prince
Henri de Prusse (1809); des Pensées et Réflexions mo-
rales et politiques dédiées à son fils (l89-(i); enfin des
Commentaires sur le Traité du Prince, de Machiavel, et
i«r l'Anti-Macliiavel , de Frédéric II (1H27).
Son fds unique, le comte René de BounxÉ, après avoir
été officier de cavalerie, quitta le service en 1826, et s'oc-
cupa de travaux littéraires. 11 fit imprimer un volume de
fables et de poésies diverses, puis il publia une brocbure
politique intitulée Lettres chinoises, et inséra dans la Revue
des Deux mondes (juillet 1830) un article sur le système
pénitentiaire établi dans la prison de Genève. Entré ensuite
dan» la carrière diplomatique, il remplit successivement des
missions auprès des coure de Dresde, de Hanovre, de Wei-
mar, de Casscl et de Darmstadt, et résida pendant plus de
deux ans à Carisruheen qualité de ministre plénipotentiaire,
suivant la négociation du traité de délimitation entre la
France et le grand-duché de Bade. H est rentré dans la vie
privée en l83à.
BOUILLEURS ( Tuyaux ). Dans la construction des
machines à feu on remplace souvent les chaudières dans
lesquelles se produit la vapeur par un système de tuyaux
appelés bouilleurs ou chaudières tubulaïres. Pour s'en
faire une idée, il faut se figurer un gril formé de canons de
fusil communiquant entre eux par leurs extrémités ; si on
les remplit d'eau, et que l'on place du feu dessous, le liquide
passera plus tôt à l'état de vapeur que s'il était contenu dans
une chaudière unique, attendu que les surfaces chaulfantes
seront plus multipliées. On fait aussi des bouilleurs d'un
seul tuyau contourné en hélice, en spirale, etc. Les loco-
motives qui roulent sur les chemins de fer sont ali-
mentées par des systèmes de tuyaux bouilleurs. Mais
M. Séguin y a apporté un changement important, en di-
sant passer la flamme dans les tubes , ce qui a permis de
rendre les locomotives infiniment plus légères. Voyez Va-
peur ( Machines à ).
BOUILLIE, farine délayée et bouillie dans du lait, nour-
riture grossière et indigeste , qu'une routine aveugle per-
siste encore à donner trop généralement aux enfants, dans
quelques provinces , malgré les avis des gens éclairés et les
résultats funestes de ce mode d'alimentation. Le plus grand
nombre de ceux qui sont ainsi nourris sont effectivement
sujets aux aigreurs, aux vers, aux engorgements et aux ob-
structions des glandes du ventre, au carreau, aux coliques,
au dévoiement et aux convulsions. La farine de froment est
ordinairement celle que l'on choisit pour faire la bouillie,
et c'est surtout celle dont il faudrait s'abstenir en ce cas;
le gluten qu'elle renferme, et qui est si essentiel à la fabri-
cation du pain, donne à la bouillie un caractère qui en fait
un aliment fade et indigeste, que les sucs tic l'estomac ne
pénètrent qu'avec beaucoup de travail et qui i)asse bientôt,
par son poids, dans les entrailles, sans avoir accompli
l'o-iiTre de la nutrition. L'orge, le maïs, l'avoine et surtout
le sarrasin, dont le pain est infiniment plus grossier que
celui de froment, fournissent une bouillie plus délicate, mais
qui n'est pas cucorc sans inconvénients; le riz lui-même,
SOUILLE — BOUILLON
pour devenir digestible , doit éprouver un mouTement de
fermentation.
11 serait bon de remplacer la bouillie par des panades
préparées avec des biscottes de Bruxelles, ou bien
avec du pain trempé ou bouilli d'abord dans de l'eau, m\
puis bien essoré, que l'on môle avec une quantité suffi- ■
santé de lait nouveau légèrement sucré et non bouilli. On *'
peut recommanderencore avec Parmentier, pour la première
alimentation de l'enfance , l'usage de l'orge mondé ou de
l'orge perlé , qui ont tous deux des qualités inappréciables
sous une foule de rapports ; l'enfant le plus faible y trou
vera un aliment aussi salutaire que l'homme le plus robuste;
c'est ce qu'une expérience de plusieurs siècles a constaté,
particulièrement chez les habitants des montagnes, qui en
vivent pendant une grande partie de l'année.
Les papetiers donnent aussi le nom de bouillie à la pâto
liquide avec laquelle ils fabriquent le papier.
Proverbialement , faire de la bouillie pour les chats ,
c'est prendre une peine inutile, se tourmenter I)eaucoup
pour faire une chose dont on ne tirera aucun profit.
BOUILLON, aliment Uquide préparé par l'ébuUition ,
dans l'eau , de la chair des animaux ou de certaines plantes.
Si l'on soumet à cette ébullition la chair de bœuf, les sels so-
lubles, la gélatine et l'osmazôme se dissolvent, l'albumine s'é-
lève à la surface du liquide en se coagulant, la graisse se fond, ■
et , par sa pesanteur s[»écifique , vient également à la surface. w
Darcet avait imaginé de faire des bouillons avec des os seuls;
on traitait ceux-ci par l'acide liydrochlorique, afin dedissoudre
les matières terreuses qu'ils renferment; la gélatine était
ensuite lavée, et cuite avec peu de viande et beaucoup de lé-
gumes. Mais on a constaté que ces bouillons n'avaient rien de
nutritif. 100 kilogrammes de viande en ébullition dans l'eau
ne donnent que 50 kilogrammes de bouilli ; ils procure-
raient C7 kilogrammes de rôti ; par ce dernier moyen on a
donc un cinquième de profit. 100 kilogrammes de viande
donnent 50 kilogrammes de bouilli et 200 litres de bouillon.
100 kilogrammes de viande, dont 25 mêlés à 3 kilogrammes
de gélatine d'os, donneraient 200 litres de bouillon et 12
kilogrammes et demi de bouilli; les 75 kilogrammes restant
donneraient 50 kilogrammes de rôti. De cette manière, on a
une quantité égale de bouillon, 50 kilogrammes de rôti et 12
kilogrammes et demi de bouilli. La gilatine réduite en
tablette constitue le bouillon portatif, qui, uni à quelque
peu de jus de viande et des légumes, improvise un bouillon
passable.
Le veau, le poulet, soumis à l'ébuUition dans l'eau,
constituent des bouillons légers, qui, par cela même qu'ils
contiennent très-peu de molécules nutritives , sont rafraî-
chissants et souvent conseillés dans les affections inflam-
matoires. Les bouillons de tortue et de grenouilles sont
fortifiants, analeptiques; on les conseille dans les maladies
chroniques et surtout dans la phîhisie pulmonaire.
Les bouillons pharmaceutiques sont, ou des décoctions
de jarret de veau , dans lesquelles on fait infuser des plantes
médicamenteuses, ou des bouillons d'herbes , qui sont laxa-
tifs et rafraîchissants, et le plus souvent composés avec de
l'oseille, de la poirée, du pourpier, du cerfeuil, etc. On les
donne souvent pour favoriser l'action des purgatifs.
Le mot bouillon a reçu des acceptions assez nombreuses
dans les arts et dans le style figuré.
En architecture hydraulique il sert h désigner de petits
jets d'eau s'élevant k peine de quelques centimètres au-
dessus du tuyau. Dans la décoration des jardins, oii le.s
eaux forment un des accessoires les plus agréables, on
garnit les cascades, goulots et rigoles avec des jets ou
bouillons, qui paraissent ainsi sortir comme d'une source.
En médecine vétérinaire, on nomme bouillon une excrois-
sance de chair qui s'attache à la fourchette des pieds des
chevaux. Comme cette tumeur parvient souvent à la
grosseur d'une cerise, elle fait boiter l'animal. Les chevaux
BOUILLON
523
de manège , moins exposés que les autres à se mouiller les
()ieils, sont particulièrement sujets à cette maladie, laquelle
s'exprime, en termes de métier, en disant que la chair
soxtfjle sur les fourchettes.
En termes de passementier, le bouillon est une espèce
de cordon d'or ou d'argent , tortillé sur un fil de laiton en
forme de petits anneaux , que l'on place au milieu des fleurs
en broderie. On s'en sert aussi pour en composer des
crépines.
Bouillon est aussi le nom du fil d'or que les boutonniers
roulent très-serré sur un autre fil , qui sert alors comme de
moule. Après l'avoir retiré on le coupe pour en faire des
épis , des roues et autres ornements.
On nomme encore bouillon une bulle d'air qui s'introduit
dans le verre ou les métaux lorsqu'ils sont en état de fusion.
Les poètes se sont aussi emparés de ce mot pour peindre
les grandes agitations de l'àme et pour exprimer une
chaleur d'action portée jusqu'à l'excès.
On dit, par hyperbole, que le sang coule ou sort à gros
bouillons :
Le sang à gros bouillons sort de sa bouche impure.
Le mot bouillon a enfin reçu une dernière acception :
lorsque, par suite d'une spéculation, on fait une perte,
cela s'appelle boire un bouillon. C'est le commerce de la li-
brairie qui a le premier employé cette expression ; elle est
de là passée dans les autres professions industrielles, mais elle
n'en est pas moins tout à fait triviale.
BOUILLOiV (Maison de). Bouillon est une ville du
Luxembourg belge, peuplée de 2,600 habitants, où l'on fa-
brique du tulle et du drap ; on y trouve aussi plusieurs tan-
neries; et il s'y fait un commerce de bétail et de ferronnerie.
C'était autrefois la capitale du duché du môme nom; elle
est défendue par un château fort ( l'ancien château des ducs
de Bouillon).
La seigneurie, ensuite duché, de Bouillon se détacha sous
la seconde race du comté ou de la marche d'Ardennes ; au
onzième siècle c'était une dépendance du duché de Lothiers
ou de Basse-Lorraine. Godefroyde Bouillon, filsd'Eus-
tache de Boulogne et héritier de Godefroy le Bossu, duc de
Bouillon, son oncle, pour se procurer les moyens de partir
à la croisade, vendit son domaine en 1095 à l'évêque de
Liège , qui le transmit à ses successeurs dans le même siège.
En 1482 Guillaume de La Marck, connu dans l'histoire
sous le nom de sanglier des Ardennes , s'empara du pays
de Bouillon , et en investit son frère Robert.
Le fils de celui-ci , nommé également Robert, soutint la
lutte que son père avait entreprise contre l'évêque de Liège,
pour conserver ce que la conquête lui avait donné , et de-
vint par la médiation du roi de France véritablement sei-
gneur de ce pays , considéré dès lors comme une souverai-
neté, sur laquelle toutefois l'Autriche prétemht, à diverses
reprises, avoir les droits régaliens. Ce Robert, célèbre,
comme son oncle, par ses déprédations, surnommé, comme
lui, le grand sanglier des Ardennes, servit la France, et
contribua par sa valeur indisciplinée à la perte de la bataille
de iS'ovarre. C'est lui qui , selon Brantôme, faisant peindre
sa patrone, sainte Marguerite, sur une bannière, lui avait
mis aux mains deux cierges , dont l'un était voué à la sainte
et l'autre à monsieur le diable, avec cette légende impie :
Si Dieu ne nie veut aider, Satan ne me saurait manquer.
RoDEKT m, fils du précédent, fut, comme ses prédécesseurs,
un fidèle serviteur de la France. Il fut pris à la bataille de
ravie , avec François l", qui récompensa plus tard ses ex-
ploits par le bâton de maréchal. Il est plus ordinairement
connu dans nos annales'sous le nom de maréchal de Fleu-
ranges , et il a laissé d'assez curieux mémoires.
Robert IV, son fils, s'attacha également au service de nos
rois. Henri II le créa maréchal de France, et, ayant conquis
la seigneurie de Bouillon, qui était retombée au pouvoir de
l'évêque de Liège, il la lui conféra avec le titre de duc. Ce
prince fut par conséquent le premier duc de Bouillon. Pris
par les Espagnols, en 1552, au siège d'Hesdin , il mourut
empoisonné, dit-on, quatre ans après, alors que, délivré
sur parole, il s'occupait à se procurer la somme de 60,000
écus à laquelle avait été fixée sa rançon.
Ses descendants Henri-Robert et Guillaume-Robert,
conservèrent ce titre, quoique momentanément privés par
diverses vicissitudes de la possession du duché. Guillaume-
Robert en mourant légua à Charlotte de La Marck, sa sœur,
tous ses droits sur la seigneurie de Bouillon; et Charlotte
étant morte sans enfants, en 1594, en elle s'éteignit la pre-
mière maison de Bouillon.
La seconde a pour tige Henri de La Tour d'AuvERCNE ,
vicomte deTurenne, héritier d'une maison déjà célèbre, et
époux de Charlotte de La Marck , qui lui laissa par tes-
tament ses possessions. Attaché depuis l'année 1575 au parti
calviniste et à la cause du roi de Navarre , il devait ce riche
mariage à l'intervention de Henri IV, quilui conféra, en 1592,
le bâton de maréchal. Sa reconnaissance ne répondit pour-
tant pas à tant de faveurs. Depuis la conversion du roi , le
maréchal de Bouillon se regardait comme le chef des ré-
formés. Il s'engagea en 1602 dans la conspiration de Biron,
et se tint prêt à marcher à la tête de ses anciens compa-
gnons d'armes. Pendant le procès de Biron et après son
supplice, le roi invita le maréchal de Bouillon à se rendre
à la cour , lui promettant son pardon , pourvu qu'il avouât
ses torts. Le duc crut qu'il était plus sur de partir pour le
Languedoc, puis pour Genève, et enfin il se retira chez son
beau-frère, l'électeur palatin. En 1606 Henri IV résolut enfin
de le punir ou de le forcer à s'humilier ; il voulut surtout lui
enlever la forteresse de Sedan. Cette résolution sérieuse-
ment manifestée suffit pour déterminer Bouillon à entrer en
composition. Le 6 avril il eut une conférence amicale avec
Henri, et lui remit, en gage de soumission, la garde de Sedan
pour quatre années.
Après la fin tragique de ce prince, son ambition et son
humeur inquiète donnèrent tour à tour de l'ombrage à la ré-
gente et aux réformés; car, dans l'espoir d'être appelé au
ministère, il flotta longtemps entre les deux partis. Après
avoir été le confident du maréchal d'Ancre, il se déclara
contre lui, et devint l'âme de toutes les intrigues de Condé et
des princes. Ses espérances ne s'étant pas réalisées après l'as-
sassinat de Coucini , il se tourna du côté de la reine mère ,
retirée à Blois, déclarant que la Cour était toujours la
même auberge , qu'elle n'avait fait que changer de bou-
chon. Ce fut d'après ses conseils que Marie de Médicis se
détermina à suivre d'Épernon à Angoulème. Ses menées
continuelles inquiétèrent gravement de Luynes, le nouveau
favori; enfin, il mourut à Sedan, le 25 mars 1623. D'Élisa
beth de Nassau, qu'il avait épousée en secondes noces, il
eut plusieurs enfants, et dans le nombre Frédéric-Maurice,
qui lui succéda, et l'illustre Tu renne.
Frédéric-Maurice fit avec distinction la guerre des Pays-
Bas, sous les princes d'Orange, ses oncles maternels , passa
ensuite au service de la France, et fut fait maréchal de
camp ; puis il commanda en 1637 les troupes hollandaises au
siège de Breda. Quatre ans plus tard , partageant la haine du
comte de Soissons contre le Cardinal de Richelieu, il dé-
termina ce prince à accepter les secours de l'Espagne et à
commencer la guerre civile. Il combattit à ses côtés à La
Marfée. Bientôt abandonné des Espagnols, il courut se ren-
fermer dans Sedan, et eut l'adresse quelque temps après de
conclure avec le roi une paix avantageuse. En 1642 il partit
pour l'armée d'Italie comme lieutenant général ; mais, accusé
d'avoir favorisé la conspiration de C inq -Mars, il fut arrêté
à Casai et conduit à Lyon. Trouvant dans le danger que
courait son mari une soudaine résolution, la duchesse de
Bouillon se jeta précipitamment dans Sedan, qu'elle menaça
de livrer aux Espagnols. Cet acte de courage et cette com-
r>'2-i
BOUILLON — BOUILLOTTE
plication imprévue firent taire la liainedu Cardinal et ouvrir
la prison du duc. Toutefois, il dut céder au roi sa princi-
pauté de Sedan pour prix de sa liberté. Il se convertit au
catlioiicisme en 1G34, suivant quelques historiens , en 1C44
selon M. Villcnave; il se rendit à Rome à cette époque, et y
commanda les troupes pontilicales. Il ne rentra en France
qu'en 1649. Ayant inutilement tenté de recouvrer Sedan, le
mécontentement le jeta dans le parti de la Fronde, oîi son
frère, le maréchal de Turenne , était déjà engagé. C'était
l'homme le plus habile du parti des princes, mais il ne son-
geait guère qu'à reconquérir Sedan, et sa femme, qui avait
un grand empire sur lui , était toute dévouée à l'Espagne.
Cependant , n'ayant pas à se louer de Condé , il se décida
en 1651 à faire sa soumission à Mazarin. Par un traité d'é-
change, on lui donna les comtés d'Auvergne , d'Évrenx, et
les duchés-pairies de Château-Thierry et d'Albret, avec d'au-
tres terres considérables en dédommagement de Sedan et de
Raucourt. Tous ses droits sur le duché de Bouillon, en partie
occupé par les Espagnols , en partie retenu par l'évêque de
Liège, étaient réservés à Frédéric-Maurice. Il mourut l'année
suivante, laissant des mémoires intéressants.
Son fils, GoDiii-Kov-AlAuiiiCL^ se signala dans les grandes
guerres do son temps , et rentra en possession du duché de
Bouillon, que Louis XIV conquit en 1676, et qui fut défini-
tivement concédé à cette maison par les traites de Riswick
et de Nimègue. 11 finit ses jours en 1721 ; il avait été revêtu
de la charge de grand chambellan. En 1662 il avait épousé
Marie-Anne M a ncini, nièce du cardinal Mazarin, qui fut
compromise par les révélations de l'abbé Le Sage dans l'af-
faire de la Voisin, et traduite devant la courdespoisons.
Emmanuei^Théodose , cardinal de Bouillon, frère du pré-
cédent, naquit en 1644. Revêtu de la pourpre romaine avant
l'âge de vingt-six ans , puis nommé grand aumônier, il fut
rapidement pourvu de plusieurs riches abbayes. La haute
faveur dont il jouissait, et qui n'était qu'un hommage rendu
par Louis XIV aux services de Turenne , alluma sa vanité
et son orgueil. Convoitant pom: un de ses neveux le titre de
prince dauphin d'Auvergne , il fit avec le duc d'Orléans un
marché pour l'acquisition de la terre du Dauphiné d'Au-
vergne, marché que le roi refusa de ratifier. Dans son dé-
sappointement il écrivit une lettre injurieuse pour le roi, qui
tomba entre les mains de Louvois et lui attira la colère de
Louis XIV. Le crédit du grand chambellan réussit à grand'
peine à la calmer. En 1694 il tenta vainement de se faire
«lire prince-évêque de Liège. L'appui des jésuites lui valut
ensuite l'ambassade de Rome; mais lors des débats qui
s'engagèrent sur le jugement du livre'de Fénelon , les 3faxi-
vies des Saints , il employa tous les moyens pour en pré-
venir la condamnation, malgré les instructions qu'il avait
reçues de France. Cette conduite lui valut son rappel, avec
injonction de se rendre à Cluny ou à Tournus, dont il était
abbé. Mais comme il aspirait à succéder au doyen du sacré
collège, dont la mort était attendue à chaque instant, il s'cbs-
tina à rester à Rome, et le roi, irrité, lui fit donner l'onire
d'envoyer sa démission de sa charge de grand-aumônier,
d'en quitter le cordon bleu et d'enlever les armes de France
de dessus son palais. Le cardinal , devenu doyen du sacré
collège, se crut tellement grandi qu'il n'hésita pas à com-
xaencer asec le roi une lutte ouverte. Ses biens furent saisis;
il lui fallut obéir et se rendre à Cluny, où s'accrurent ses
ennuis et ses ressentiments, malgré la levée de la saisie.
Enfin, après dix ans d'un exil auquel il ne voyait point de
terme, le cardinal prit une résolution désespérée, sortit de
France, et se rendit à Tournai, auprès du prince Eugène et de
Marlborough, qui l'accueillirent avec distinction. Le parlement
le décréta alors de prise de corps , et le séquestre fut mis sur
ises abbayes. Enfin, après avoir longtemps erré à l'étranger,
aiprès avoir envoyé à Versailles de nombreux mémoires pour
se justifier, il obtint la restitution de ses revenus et la per-
jgoig^ion.dc se retirer à Rome, où il mourut en 17)5.
Trois autres ducs de Bouillon , issus en ligne directe de
Godefroy-Maurice, Emmanlel-Tiiéodose, Cuarles-Godefroy
et GoDEFROV-CnARLEs-M.UîiE, se succédèrent jusqu'au mo-
ment où éclata la révolution; à cette époque le duché
souverain de Bouillon disparut. En 1S14 le traité de Paris,
en comprenant ce pays dans le royaume des Pays-Bas, rendit
à un certain Philippe d'Auvergne, capitaine dans la marine
britannique, le titre et les biens que lui avait légués le der-
nier duc de Bouillon; mais le congrès de Vienne l'en dé-
pouilla en 1816, et une partie du territoire fut donnée, à titre
d'indemnité, à la maison de Rohan-Montbazon, qui la céda
en 1822 au roi des Pays-Bas contre une rente annuelle
de 5,000 écus.
BOUILLON BLAJVC, plante du genre molène, de
la famille des solanées , et dont le nom latin est verbascum
thapsus. Le bouillon blanc a la tige simple, droite, haute
de un mètre à un mètre et demi , garnie de grandes feuilles
alternes, molles, ovales , à peine crénelées , cotonneuses aux
deux faces , un peu consistantes à la base. Les fleurs sont
jaunes , presque sessiles , réunies par petits paquets en un
épi cylindrique et touffu. Cette plante croît en abondance
en Europe , dans tous les lieux incultes , et ses fleurs sont
employées , surtout en infusion , dans quelques affections
catarrhales. Les feuilles sont aassi regardées comme émoi-
lien tes et adoucissantes.
BOUILLON NOIR. Cette plante, qui, comme le
bouillon blanc, appartient au genre mo/è«e, présente
les mêmes caractères généraux. Le bouillon noir ( ver-
bascum nigrum, Linné ) se reconnaît à ses feuilles ovales ,
crénelées, d'un vert sombre, et à ses étamines, dont les
filets sont chargés d'une sorte de laine pourpre.
BOUILLONNEMENT, fermentation d'une liqueur,
mouvement qu'éprouvent les liquides à une température
plus ou moins élevée, et qui tient à ce que leur transfor-
mation partielle en vapeurs déplace leur masse. Le bouil-
lonnement dépend principalement de la pression à laquelle
sont soumis les liquides. L'eau , qui ne bout à l'air libre
qu'à 100°, entre en ébuUition à 10° et même à 0" dans le
vide ; l'eau saturée d'acide carbonique bout à 0° pour peu
qu'on diminue la pression de l'atmosphère.
Le verbe bouillonner exprime l'action de sortir avec im-
pétuosité : les eaux minérales bouillonnent en sortant de
leur source. On dit aussi que le sang bouillonne dans les
veines. Au figuré on dit de même bouillonner de colère,
d'impatience , etc.
BOUILLON SAUVAGE , nom vulgaire de la phlo-
mide frutescente ( plilomis fruticosa, Linné ). Cette
plante, de la famille des labiées, se rencontre en Orient et
dans les parties méridionales de l'Europe. Elle forme un
arbuste d'environ un mètre de haut, à«Tameaux nombreux,
longs, revêtus de poils floconneux; les feuilles sont ovales
ou oblongues , arrondies un peu en coin à leur base , ru-
gueuses, vertes en dessus, blanches et cotonneuses en
dessous; ses fleurs sont d'un beau jaune, réunies au
nombre de quinze ou vingt en faux verticilles serrés , ac-
compagnées de bractées nombreuses, presque vertes, ciliées
et velues. Celte plante fleurit pendant tout l'été, et une
partie de l'automne. On la cultive dans nos jardins; mais il
faut la couvrir pendant l'hiver.
BOUILLOTTE. Ce jeu , qui sous le Directoire vint
prendre la place du brelan, doit être regardé plutôt
comme un jeu de hasard que comme un jeu de société. La
bouillotte se joue à cinq personnes , avec un jeu de piquet
dont on ôte les sept, ce qui réduit à vingt-huit le nombre
des cartes. Celles-ci conservent les valeurs et l'ordre hiérar-
cliique qu'elles ont au piquet.
Les places fit la donne sont tirées au sort. Chacun ayant
mis son enjeu, le premier à jouer peut se carrer, ce qui
consiste à déclarer qu'on met autant de jetons qu'il y çn a,
plus une mise. Ce pf/emier peut être décarré par le second,
BOUILLOTTE
qui double la carre tlu premier , et ainsi de suite ; le dernier
qui décarre son voisin reste seul carré. La carre produit cet
effet , que celui qui est définitivement carré emporte les
enjeux , dans le cas où tous les joueurs passent.
Celui qui a la main donne ensuite une par une , trois
cartes à chacun et à lui-même , puis il en retourne ime qui
est la seizième. Le premier à la droite du donneur a la
parole, à moins qu'il ne soit carré, cas où elle passerait au
second. Le premier à parler examine son jeu : s'il ne le
trouve pas bon, il passe; s'il le trouve passable, il dit qu'il
verra le jeu simplement , c'est-à-dire sans augmenter
l'enjeu ; si son jeu est de nature à lui faire espérer un succès
complet , il dit qu'il verra le jeu avec tant de jetons en sus ,
ce qui s'appelle ouvrir le jeu. Si personne ne tient, le
contenu de la corbeille appartient à celui qui a ouvert le jeu.
Le jeu étant ouvert, celui qui a parlé le premier peut
être relancé par un des autres joueurs, c'est-à-dire par un
joueur qui offre de jouer plus que celui qui a ouvert; le re-
lanceur peut être relancé à son tour par un autre qui offre
un enjeu plus fort, et ainsi de suite, jusqu'à concurrence
do va-tout ( somme dont on s'est cave, c'est-à-dire que
l'on a placée devant soi en entrant au jeu ). Ceux qui ont
passé avant que le jeu soit ouvert peuvent malgré cela tenir
ce qui est proposé et même relancer.
Si la somme proposée par le dernier relanceur n'est pas
tenue , le contenu de la corbeille lui appartient , et le dernier
relancé lui donne en outre autant de jetons qu'il y en a
eu au jeu.
S'il y a un ou plusieurs tenants , tous les joueurs abattent
leur jeu. Le tenant qui a un as prend dans les cartes abattues,
celles qui sont de la couleur de son as; à défaut de l'as,
c'est le roi qui appelle, et ainsi de suite. Chacun compte
le point ainsi obtenu , et celui qui a le plus fort gagne. En
cas d'égalité , le premier en cartes l'emporte.
Cependant le brelan l'emporte encore sur le plus haut
l>oint. On nomme brelan trois cartes semblables, comme
trois as, trois rois, etc. Le brelan d'as est le plus fort; celui
de rois vient après , et ainsi de suite. Le joueur qui a
brelan, ou s'il y en a plusieurs, celui qui a le plus fort,
reçoit deux mises de chaque joueur en sus du contenu
de la corbeille. Enfin , lorsque l'on a brelan de la carte
qui retourne, cela s'appelle avoir brelan carré, et ce
brelan l'emporte sur tous les autres. Le joueur qui a brelan
carré reçoit outre le contenu de la corbeille quatre mises
de chacun des autres joueurs.
BOUILLY ( Jean-Nicolas ), était né en 1763, à La
Coudraye ( Indre-et-Loire ). Élevé au collège de Tours , il
vint à Paris, dans un moment où les gens de lettres occu-
paient encore une place importante dans la société. Quel-
ques-uns de ses jeunes amis tenaient au parti royaliste. Il
manifestales mêmes sentiments dans le premier ouvrage qu'il
donna aux Italiens (Opéra-Comique) ,1e 13 septembre 1790,
Pierre le Grand, comédie en quatre actes et en prose, mêlée
d'ariettes, musique de Grétry, pièce à la fin de laquelle il
mit un couplet renfermant une allusion en faveur de la
reine, allusion que le public saisit avec enthousiasme. Ce fut
le dernier témoignage d'affection publique que reçut cette
malheureuse femme. Touchée de cet hommage spontané,
elle envoya à son auteur une tabatière ornée de son por-
trait et de celui du roi. Quelques années après, Bouilly crut
devoir en faire le sacrifice à la société des jacobins de Tours.
Toute la vie dramatique de Bouilly fut comme la suite
de Pierre le Grand. Son début théâtral avait été la mise
en scène d'un personnage illustre, et, à fort peu d'excep-
tions près, son volumineux théâtre a été consacré à la re-
présentation des hommes et dos femmes célèbres, à divers
titres, de toutes les époques. Également, dans sa vie pu-
blique, Bouilly, qui avait été et avait cessé d'être royaliste,
montra les mêmes (luctuations au milieu de tontes les cir-
constances politiques qu'il eut subséqueinment à traverser;
— BOUILLY 525
il adressait ses ouvrages, selon les temps, soit à l'impéra-
trice, soit à la duchesse de Bcrry, soit à la duchesse d'Or-
léans. Reçu avocat, il s'était lié avec Mirabeau et Bar-
nave. Malgré le succès de son premier ouvrage, il n'em-
brassa pas encore exclusivement la carrière des lettres. Il
occupa d'abord dans sa province diverses places adminis-
tratives et judiciaires. Rappelé à Paris après le 9 thermidor,,
il fit partie de la commission d'instruction publique avec:
Arnault, Parny, La Chabaussière, et contribua à la réor-
ganisation des écoles primaires.
Lancé pourtant dans la voie de la biographie dramatique,
il ne s'arrêta plus. En 179111 fit représenter au Théâtre-Ita-
lien, Jean-Jacqiœs Rousseau à ses derniers moments,
comédie en deux actes et en prose ; et successivement, pen-
dant un espace de vingt années environ , on vit jouer d&
lui au Théâtre de la République ou Théâtre-Français : Ren&
Descartes, en deux actes et en prose ( 1796) ; V abbé de l'É-
pée, en cinq actes et en prose ( 1800) ; Madame de Sévigné,
en trois actes et en prose (1805); au théâtre de l'Opéra-
Comique, Favart ou Feydeau : Le Jeune Henri, en deux
actes, musique de MéhuI, et dont il n'est resté que l'ouver-
ture, chef-d'œuvre symphonique; Les deux Journées, en
trois actes, musique de Cherubini (1800); Françoise de
Foix, en trois actes, avec Dupaty, musique de Berton (1809) ;
Valentine de Milan, en trois actes, musique de Méhul; au
théâtre du Vaudeville : Téniers ( 1800 ) , Berquin ( 1801 ) ,
Florian, Fanchon la Vielleuse, en sociétéavec Pain (1803) ;
au théâtre de la Cité , avec Cuvelier : La Mort de Turenne;
Les Irlandais Unis ( 1793 ).
Outre ce répertoire biographique, probablement incom-
plet, Bouilly est auteur de quelques autres ouvrages, qui
n'ont point pour sujet des personnes célèbres, savoir : au
théâtre de l'Opéra-Comique : la Famille Américaine, en
un acte, musique de Dalayrac (1796); Léonore, oîi l'A-
mour Conjugal, en doux actes, musique de Gaveaux (1798) ;
Zoé, ou la Pauvre l'ctile, en un acte, musique de Planlade
(1800) ; Une Folie, en deux actes, musique de Méhul (1802);
au théâtre du Vaude\ille : Haine aux Femmes, en deux
actes ( 1 808 ) ; Le petit Courrier, ou Comment les Femmes
se vengent, en deux actes, avec Moreau ( 1809 ).
Ce bagage littéraire, quelque considérable qu'il soit,
n'est pas le seul dont Bouilly se soit enorgueilli ; il a com-
posé en outre un grand nombre d'ou\Tages, chacun en plu-
sieurs volumes, sous les titres de : Contes à ma Fille , Les
Jeunes Femmes, les Encouragements de la Jeunesse,
Les Mères de Famille, Contes offerts aux Enfants de
France, Portefeuille de la Jeunesse, Contes populaires.
Conseils à ma fille, Contes à mes Petits-Enfants, les
Adieux du Vieux Conteur, etc., etc. Certes, ce n'est point
la stérilité qu'il serait possible de lui reprocher; car il y a
peu d'existences d'hommes de lettres qui aient été plus la-
borieuses, plus remplies que la sienne, et presque tous ses
ouvrages obtinrent à leur apparition un grand succès.
On a peine aujourd'hui à comprendre ce succès. L'étude
fait découvrir, il est vrai, dans ses œuvres une certaine ha-
bileté de combinaison, un mécanisme de dispositions scé-
niques, par lequel les effets et les surprises sont à propos
ménagés; mais celaient ou ce mérite est le résultat de l'ha-
bitude du travail ; qu'en reste-t-il à la lecture?... Rien. Et
ce qui résulte de cette lecture, c'est le vide du cœur et de
l'esprit. Les actions elle langage des personnages de Bouilly
ne présentent que faux caractères, sentiments niais, ou fardés,^
spiritualités prétentieuses, manières et expressions de mau-
vaise compagnie; en un mot, tout l'attirail, tout l'entourage,
toute l'enluminure du faux bel-esprit. Nous n'en voulons-
d'autre preuve que ce quatrain sur Buffon :
Entre le clicnc et l'églantier, ,
BulTon , cac'lié sur la verdure ,
Écrivit son ouvrage entier
Sur les genoux de la Nature,
i20
BOUILLY — BOUKAREST
Les contes et historiettes de Bouilly, dédiés à tous les
pouvoirs qui se sont snccédé en France, ont moins profité
à sa réputation qu'à sa fortune. Ils renferment certainement
une morale pure, et offrent parfois des tableaux touchants ;
mais l'afféterie du style et la recherche systématique des ef-
fets y sont poussés plus loin encore peut-être que dans ses
œuvres dramatiques. Très-inférieur à Berquin sous tous les
rapports, Bouilly avait été qualifié par ses contemporains de
Conteur lacrymal: la postérité aurait ratifié ce jugement,
si ses historiettes n'étaient déjà oubliées. Bouilly, qui était
membre de presque toutes les sociétés littéraires et acadé-
mies de province, ne fut point de l'Institut. Ami intime de
Legouvé, celui-ci lui confia en mourant la tutelle de son
fils unique.
Bouilly est mort à Paris, en 1840. 11 avait publié quelques
années auparavant, en 3 vol., sous le titre de Mes Récapi-
tulations, des mémoires et souvenirs de sa vie littéraire pen-
dant soixante ans. A. Delaforest.
BOUÏOUK-DÉREH. Voyez Bouvouk-Déreh.
BOUKAREST ou BUCHARILST, c'est-à-dire la Ville
de la joie, capitale de la Valachie, siège de l'hospodar et
d'un archevêque grec, est située sur la Dumbovitzan , qui la
divise en deux parties, à huit myriamètres de l'embouchure
de cette petite rivière dans le Danube C'est une ville moderne,
quin'ofireaucun vestige d'antiquités. Une chronique valaque
en attribue la fondation, vers le commencement du treizième
siècle, à Rodolphe le Noir, le plus ancien souverain du pays.
Mais ce ne fut qu'en 1698 que le voïvode Constantin Bes-
saraha y transféra sa résidence et le siège du gouvernement,
abandonnant l'ancienne capitale, Tergowitsch, qui, malgré
l'avantage d'une situation plus centrale et plus salubre,
a toujours été depuis en décadence, et n'est plus aujour-
d'hui qu'un village. Boukarest pourrait aussi passer pour
un grand village. Elle n'a point de nmrailles.
Bâtie dans un bassin de plusieurs lieues de tour, et sur
un sol marécageux, qui, suivant la tradition, était autrefois
un lac, elle occupe une vaste surface, parce que ses maisons
sont éparses , placées sans ordre et entourées de cours et de
jardins. On compte à Boukarest plus de cent églises grec-
ques, en y comprenant celles d'une trentaine de monastères ;
il y existe aussi deux églises catholiques, un temple pour les
calvinistes et un pour les luthériens. Ce mélange de maisons,
d'arbres, de tours et de dômes, vu d'une certaine distance,
est d'un effet pittoresque; et on ne peut nier qu'au printemps
cette ville, avec son atmosphère embaumée par le parfum
d'une multitude de (leurs , ne soit un séjour fort agréable.
Mais on est bien vite désenchanté , lorsqu'on l'habite l'hiver
ou l'été. L'humidité du sol y est entretenue par les fréquents
débordements de la rivière. Ses rues, étroites et tortueuses,
sont constamment couvertes d'une vase profonde et liquide,
ou d'une poussière épaisse et noire , aussi pernicieuse pour
les yeux que pour les poumons. Elles sont pavées avec de
grosses pièces de bois, posées en travers et liées les unes
aux autres. Ces inadriers ont la surface unie dans quelques
quartiers; ailleurs, ils sont à peine dégrossis. Sous ce pavé,
que les naturels appellent assez rationnellement des ponts,
on a pratiqué des canaux qui reçoivent les inunondices des
maisons et les portent à la rivière : mais, comme ils sont
sujets à s'engorger par l'accumulation des matières, ils pro-
duisent des exhalaisons infectes, qui occasionnent des lièvres
putrides et malignes, et rendent plus fimcstes les ravages
des épidémies. Aussi Boukarest a-t-elle beaucoup souffert de
la peste en 1813 et 1814 et du choléra eu 18:50.
IJoukarest est la ville de l'Orient qui pour les mœurs et
les usages ressemble le plus à celles de l'Europe, et diffère le
plus des autres villes de la Turquie. On est frappé de la
diversité des costumes, et surtout de la quantité de voitures
qu'on y rencontre; il est peu de familles, même parmi celles
du second rang |)our la noblesse et l'opulence , qui n'aient
canosse. Beaucoup de ces équipages ne le cèdent en rien
pour la richesse des livrées et la beauté des chevaux à ceux
qu'on peut voir dans les capitales de l'Europe. On trouve
à Boukarest des cafés turcs et des calés européens, des
carrossiers, des tailleurs, des cordonniers, des magasins
d'étoffes , de quincaillerie et de nouvautés , tenus à l'euro-
péenne. L'incendie qui consuma la plus grande partie de
cette ville, en 1802, a contribué à son embellissement. La
plupart des édifices qui étaient en bois ou en terre, recré-
pis de plâtre en dedans et en dehors, et couverts de bardeaux
ou de chaume , furent alors reconstruits en briques et en
pierres, avec des toits en tuiles ou en fiT. Les hôtels de plu-
sieurs boyards se font remarquer par l'élégante originalité
de leur arciiitecture et par leur magnificence intérieure. Ces
maisons, comme celles des gens du peuple, n'ontqu'un étage,
et les rez-de-chaussée sont ordinairement occupés par des
boutiques. L'ancien palais des hospodars de Valachie n'a-
vait rien de remarquable; celui que le prince Alexandre
Morousi fit bâtir, en 1 804, sur une hauteur, à l'une des extré-
mités de la ville, devint la proie des flammes en t8l3, et
n'est plus qu'im monceau de ruines. Les hospodars habitent
depuis lors deux vastes hôtels de boyards réunis en un .seul.
Boukarest, divisée en soixante-dix quartiers, contient qua-
tre-vingt-dix-mille habitants.
La plupart de ses nombreuses églises sont petites, ir-
régulières et si sombres, à cause de leurs fenêtres étroites et
garnies de barreaux de fer, qu'on peut à peine distinguer les
peintures grossières qui les décorent. Plusieurs ont été fon-
dées par des princes ou de riches particuliers, dont on y
voit les tombeaux en marbre et les portraits, ainsi que ceux de
leurs familles. Toutes les sectes du christianisme sont tolé-
rées à Boukarest; on y trouve aussi beaucoup de juifs; les
musulmans seuls y sont privés de l'exercice public de leur
religion. Cette ville, où existent une bibliothèque publique
et deux hô[)itaux , possédait autrefois un collège , où l'on
a compté jusqu'à trois cents élèves, mais fermé aujourd'hui,
parce qu'en 1825 le prince Ghika affecta à d'autres objets le
revenu des fondations à l'aide desquelles on l'avait constitué.
Dans les environs on remarque un château de plaisance ap-
pelé Golontina, et les belles ruines du couvent de Kotocemy.
Le commerce de Boukarest consiste en vins, grains, suif,
cuirs, chanvre, tabac, etc. L'Angleterre, la France et d'autres
puissances y entretiennent des consuls.
Cette ville, cédée à l'Autriche en 17t8, futrendue aux Turcs
par la paix de Belgrade, en 1739. Souvent prise par les
Russes, ils l'ont toujours restituée à la Porte-Othomane. Le
traité de paix qui y fut conclu en 1812 ( t;oye; l'article sui-
vant ) est d meure célèbre dans les annales de la diplomatie.
BOUKAREST (Congrès et Traité de). Deux congrès ont
eu lieu dans cette ville.
Le premier s'ouvrit en octobre 1772, sous le règne de Ca-
therine II en Russie et de Mustapha III à Conslantinople. _
Après des succès divers, les deux puissances belligérantes ■
se virent dans la nécessité de traiter. La révolution que le ™
roi de Suède Gustave III avait faite en 1772 au profit de l'au-
torité royale, et les projets que ce roi manifestait contre la
Norvège annonçaient à Catherine que son influence sur la
cour de Stockholm était détruite; et la crainte d'une guerre
au nord de ses États forçait la tsarine de suspendre ses dif-
férends perpétuels avec la Porte-Olhomane. Le grand vizir
Silikhdar Mohammed-Pacha allait être de son côté aban-
donné par son armée, que l'hiver devait disperser; et il pro-
fita des nouvelles dispositions de la Russie pour obtenir un
armistice de son général Romanzof Abdur-Rezzak-Effendi
ouvrit les conférences au nom de la Porte avec Obreskof,
plénipotentiaire de la tsarine. Les ministres de Prusse et d'Au-
triche essayèrent vainement de s'y faire admettre, et l'am-
bassadeur (le France à Conslantinople employa tout son cré-
dit et ses efforts pour rompre ce congrès, en relevant le cou-
rage des Turcs par la perspective d'une guerre de Finlande,
et par l'assurance de la diversion d'une escadre française
BOUKAREST
627
dans le Levant. Par suite cLe ces intrigues , les conférences
n'eurent aucun résultat ; les négociateurs se séparèrent au mois
de mars 1773, et les hostilités furent immédiatement re-
prises, jusqu'à la paix dite de Kaïnardji.
Le second congrès de Boukarest se tint en 1812, sous le
règne d'Alexandre et de Mahmoud IL
Le général Sébastiani, envoyé de Napoléon à Constan-
tinopie, avait rétabli, en 1806, entre la Porte et le cabinet de
Saint-Cloud la bonne harmonie qu'avait troublée depuis neuf
ans l'invasion de l'Egypte par Bonaparte. Le sulthan , soumis
à cette nouvelle influence , ferma le Bosphore aux vaisseaux
anglais, et refusa de renouveler l'alliance qu'il avait faite en
1799 avec le cabinet de Saint-James. Il retira en même temps
au commerce russe le droit de naviguer sur les vaisseaux mu-
sulmans et de les couvrir de son pavillon. Bientôt le divan
destitua les hospodars de la Moldavie et de la Valachie. L'em-
pereur Alexandre protesta contre ces mesures , qu'il considé-
rait comme contraires au règlement de 1802, et donna l'ordre
au général Michelson d'enUer en Moldavie avec l'armée du
Dniester. Sélira voulut arrêter la maiche des Russes par le ré-
tablissement des hospodars ; mais , soumis encore à l'ascen-
dant du ministre de France, il demanda par compensation
que le tsar renonçât au passage de ses vaisseaux armés par
les Dardanelles. Alexandre ne voulut point consentir à cette
condition humiliante; mais la nécessité où il était de secou-
rir la Pnisse après la bataille d'Iéna, et de faire face à l'invasion
que lui faisait craindre la défaite de son allié , lui laissait peu
de moyens de soutenir la guerre contre les Turcs , et le che-
valier Italinski , ministre de Russie à Constantinople , eut
ordre de négocier le rétablissement des anciennes conven-
tions et de ruiner l'influence du ministre français. Italinski ,
pressé par le divan de justitier l'invasion de la Valachie par
le corps de Michelson, protesta qu'il en ignorait les motifs.
Le ministre anglais Arbuthnot tint le même langage. Mais
l'armée de Michelson n'en poursuivait pas moins ses avanta-
ges, et, après avoir mis les Turcs en déroute, le 23 décem-
bre, au combat de Grodno, était entrée le 27 à Boukarest.
La marche de Czerni-Georges, sur Belgrade, et bien-
tôt après la prise de cette place , coïncidant avec la prise de
Boukarest (31 janvier 1807 ) par le corps russe, justifia aux
yeux du divan l'assertion de l'ambassadeur français, qui ac-
cusait la Russie et l'Angleterre de fomenter les troubles de
\5ervie. En conséquence la Porte déclara la guerre à la Rus-
sie par son manifeste du 7 janvier 1807, où elle étala tous
les griefs qu'elle avait depuis un siècle contre le cabinet
de Saint-Pétersbourg. Italinski fut forcé de quitter Constan-
tinople. Arbuthnot essaya de soutenir l'allié de l'Angleterre
en rejetant sur Napoléon cette levée de boucliers. Mais le
général Sébastiani triompha de ce nouveau rival , et le força
de quitter à son tour la capitale de Sélim. L'amiral anglais
Duckworth força bientôt les Dardanelles, brûla près de
Gallipoli une escadre ottomane, et jeta l'ancre devant Cons-
tantinople, le 20 février, menaçant de venger sur cette ville
l'insulte faite à l'ambassadeur d'Angleterre. Le général Sébas-
tiani s'empressa de calmer les terreurs du Divan. Dix offi-
ciers français, arrivés de la Dalmatie, élevèrent sur la plage
des batteries formidables. Cent mille Turcs prirent les armes,
et Sélim III opposa des réponses énergiques aux prétentions
de l'amiral Duckworth , qui avait perdu le temps en vaines
négociations et laissé à son ennemi tout le loisir nécessaire à
cet armement. Il proposa délai sur délai , rabattit successi-
vement de ses prétentions, toujours repoussées, et, après
avoir dix fois menacé Constantinople d'un bombardement,
il finit par lever l'ancre le l*^*^ mars, et par repasser les Dar-
danelles sans avoir effectué ses menaces. Duckworth se ven-
gea surl'Égyptede cette humiliante retraite. Il s'empara d'A-
lexandrie ; mais, repoussé deux fois devant Rosette, et voyant
son infanterie pressée par le pacha Mohammed-Ali, il fut
forcé d'abandonner sa conquête.
Les Russes furent plus lieureux. Le comte Goudovitch
battit, le 18 juin, le seraskier d'Erzeroum, sur la rivière
d'Aipatschaï, vers les frontières de la Perse, et l'amiral Si-
niavin détruisit le 1^"^ juillet la flotte ottomane dans les pa-
rages de Lemnos. La guerre du Danube était moins active.
L'empereur Alexandre avait besoin de toutes ses forces pour
lutter contre Napoléon; et cdui-ci n'oublia point son allié de
Constantinople dans le traité de Tilsitt. L'évacuation de la
Moldavie et de la Valachie par les Russes y fut stipulée ;
l'adjudant-général Guilleminot se rendit au camp des Turcs
pour négocier un armistice, qui fut signé au château de
Slobosia, le 24 août 1807. Mais la paix qui devait en ré-
sulter fut retardée par les intrigues de l'Angleterre. Musta-
pha IV ayant succédé à Sélim III , l'ambassadeur anglais
Robert Adair fit entendre au divan que Napoléon étant de-
venu l'allié de l'éternel ennemi de l'empire othoman , la
Porte devait se méfier de la France ; et l'or de la Grande-
Bretagne acheva cette révolution diplomatique. Lés anciens
traités furent renouvelés entre le divan et le cabinet de
Saint-James; et l'entrevue d'Erfurt confirma dans l'esprit
des Turcs toutes les préventions que le ministre anglais
leur avait suggérées.
Napoléon ayant effectivement, par une faute inconce-
vable , permis à son ami Alexandre de s'emparer des pro-
vinces du Danube, le ministre russe à Jassy demanda aux
Turcs la cession de la Moldavie et de la Valachie ainsi
que l'expulsion de Robert Adair. C'était déclarer la
guerre. Le divan ne voulut point accepter ces préliminaires
étranges; et l'armée russe occupa de nouveau ces pro-
vinces sous le commandement du prince Prozorovsky.
Le 8 août 1809 celte armée passa le Danube. Ce général
étant mort pendant la campagne, Bagration prit sa place,
s'empara d'ismaïl le 26 septembre, et livra le 3 novembre
la bataille sanglante de Silistrie , où les deux partis
s'attribuèrent la victoire. Kamenskoï 11 succéda, en 1810,
à Bagration , et pénétra dans la Bulgarie. Charkoff et Ka-
menskoï r*^ battirent à Basardjik, le 15 juin, le seraskier
Peliglvvan-Pacha. Le comte de Langeron s'empara le 23 de
Silistrie après un siège de sept jours. Sabanaïef défit le 25
le pacha Terour-Mohammed sur les hauteurs de Rasgard,
prit l'hospodar Callimachi , et s'empara peu de temps après
de cette place. Kamenskoï II fut cependant repoussé par le
grand vizir dans l'attaque des forts retranchements de
Schumla, après une bataille de deux jours, où les Russes
firent de grandes pertes, et la fortune parut rentrer sous
les drapeaux de Mahomet. Mais Kamenskoï II raUia ses
principales forces. Il gagna, le 19 septembre, la bataille de
Bat y ne, et força Moukhtar de chercher un refuge auprès
du grand vizir, avec le faible reste de ses troupes. Les
Russes s'emparèrent de Szistowa, de Gladowa, de Rout-
chouck , de Giurgewo , et restèrent maîtres de toute la rive
droite du Danube. Les secours qu'ils purent diriger alors
sur la Servie assurèrent partout le triomphe des insurgés.
Le vieux Joussouf-Pacha, qui avait contemplé tous ces
désastres de son camp retranché de Schumla, ne songea
plus qu'à négocier. Mais les prétentions de la Rossie ré-
voltèrent le divan. Joussouf fut déposé; le nouveau grand
vizir, Ahmed-Pacha, amena un renfort de 50,000 hommes,
et prit le 12 avril ISll le commandement de l'armée turque.
Une diversion puissante s'opérait en sa faveur dans le
nord de l'Europe. Napoléon avait à peu près rompu avec
Alexandre. Il rassemblait son armée sur la frontière de la
Pologne ; et le tsar avait rappelé à la hâte une grande partie
des divisions qui combattaient sur le Danube. Les effets de
cette rupture s'étaient fait sentir dans le divan , où l'influence
du cabinet de Saint-Cloud reprenait son activité, et des
officiers français dirigeaient l'artillerie musulmane. Les
Russes avaient i)crdu leur général Kamenskoï II, et Kou-
touzof en avait pris le commandement. Trop faible dé-
sormais pour lutter contre un ennemi renforcé, il détruisit
toutes les places de la rive droite du Danube, à l'exceptiou
528
BOUKAREST — BOUKHARIE
<te Roulchouck; il y concentra ses forces, et résolut d'y
attendre Almied-Paclia. Ce nouveau vizir vint l'attaquer
le 16 juillet, et il aurait détruit l'armée russe si Langeron
ne l'eût sauvée par une habile manœuvre. Alimcd jeta de
lorts partis dans la Yalacliie, et passa bientôt lui-même sur
la rive gauche avec le gros de ses troupes. Mais le général
russe Markof, repassant i)lus bas sur la rive droite, le 16
octobre, fondit sur le cani]) et sur les réserves des Turcs,
les mit dans une complète déroute et coupa la retraite
au grand vizir. Celui-ci, forcé de courir à ce nouveau
danger , laissa son avant-garde avec Tchaban-Oglou sur la
rive gauche , et vint au secours de ses réserves. Koiitouzof
l'apprit, et résolut de profiter de son éloignement. Il cerna
Tchaban-Oglou , et le força de capituler le 20 décembre.
Ce fut là le terme des succès de l'armée othomane : une
prompte paix fut son unique ressource, et un congrès
s'ouvrit à Boukarest dans le même mois. En vain Napoléon
essaya-t-il de traverser les négociations en concluant avec
l'Autriche une alliance dont une des conditions principales
assurait l'intégrité de l'empire de Turquie; en vain s'eflorça-
t-il de ranimer le courage des Turcs. La médiation de la
Suède et de l'Angleterre , l'insouciance perfide de l'Autriclie,
l'attitude de Koutouzof et la modération d'Alexandre rem-
portèrent sur la diplomatie française ; le traité de Boukarest
fut signé le 28 mai 1812. Par l'article 2 de cette paix, le
Pruth jusqu'à son embouchure dans le Danube, et le Da-
nube jusqu'à la mer Noire furent assignés conmie les li-
mites des deux empires. Le tiers de la Moldavie et toute la
Bessarabie, les forteresses de Khoczim, de Bender, d'Ls-
maïl et de Kilia furent ainsi données à la Russie, et la navi-
gation du fleuve devint commune aux deux peuples , ainsi
que la faculté de couper du bois dans ses îles. Les stipula-
tions de l'article 4 de la paix de Jassy furent confirmées.
L'article 6 rétablit en Asie les frontières qui existaient avant
la guerre. L'article 8 rendit à la Porte la souveraineté de
la Servie sous la condition d'une amnistie générale et d'une
administration nationale, telle que le sulthan l'avait offerte
en 1807, moyennant un simple tribut annuel. L'article 12
confirma les précédents traités dans ce qui regardait le
commerce; et l'article 13 promit à la Russie la médiation
de la Porte pour terminer ses différends avec la Perse.
Cette paix fut fatale à l'armée française dans sa dé-
sastreuse retraite. L'armée russe du Danube put remonter
vers le nord.; elle vint porter le dernier coup aux soldats
de Napoléon sur les rives glacées de la Bérézina; et la
Porte n'obtint de son éternel ennemi qu'un court intervalle
de repos. Viennet, de l'Acadciiiie Fraaçaise
BOUKIIARA ou BOKHARA , résidence du klian des
Ouzbeks, est une ville très-ancienne, bâtie dans une oasis
entourée de déserts, au confluent du \N'askân et du Zer-Af-
schàn. Elle est entourée de jardins et de vergers, et pré-
sente la forme d'un triangle d'un nayriamètre d'étendue,
ceint d'un rempart de terre d'environ six mètres de haut,
muni de tours et de fossés. Des canaux et des fontaines en
grand nombre fournissent l'eau nécessaire à la consommation
des habitants. Les rues sont étroites, les maisons bâties
la plupart en briques, les mosquées nombreuses, ainsi
que les medressès et les bazars. La population s'élève
à 70,000 âmes.
Le palais du khan, avec deux hautes tours à l'entrée, est
construit sur une colline voisine. Parmi les plus beaux
monuments de la ville on doit citer la mosquée Mirgharab,
qui forme un carré de quatre-vingt-treize mèlies de lon-
gueur avec une coupole haute de trente et un mètres. Elle
est couverte de tuiles enduites d'un vernis bleu de ciel, et
tout [très se trouve un haut minaret en briques représentant
toutes sortes de figures arlistenient exécutées. Dans les
environs s'élève l'école bâtie par le khan Abdullah. La po-
pulation se compose en majeure [)arlie de Boukhares ou
Tadjiks, le reste est formé par des Ouzbeks, des Afghans,
des Persans , des Turcs , des prisonniers russes , des Kal.
mouks, des juifs, etc.
Depuis des siècles Boukhara est le foyer de la civilisation
dans l'Asie centrale , et le grand entrepôt du commerce de
l'intérieur de l'Asie. Les marchandises de toute nature y
affluent de toutes les parties de ce vaste continent. Les
principaux articles de commerce sont les fruits, les che-
vaux, les ânes, les fourrures, surtout les peaux d'agneau
teintes, les tissus de soie, de coton, le verre, le cuir, la
quincaillerie, le papier, le musc, les parfums, etc. Bou-
khara est le centre d'un commerce important avec la
Chine, la Russie, les Indes, l'Iran, Khiwa, les Kirghiz,
Kaboul , Kaschmir et Khokand. C'est aussi un marché con-
sidérable d'esclaves, où les Turcomans et les Ouzbeks amènent
les Persans qu'ils ont enlevés.
BOUKHARIE ou BUKHARIE, c'est-à-dire Pays de
l'est. On désigne sous ce nom différentes contrées situées au
delà de l'Amou, l'Oxus des anciens; vaste territoire appelé
autrefois Sogdiane et Transoxiane , puis par les Arabes du
moyen âge Mawar-en-Nahr , et situé entre 35° et 41" de
latitude nord, et 61"-68'' de longitude est.
La Grande Boukharie forme l'extrémité sud-est du
Turkestan, qu'habitent des peuplades d'origine turque. On la
nomme aussi khanat de Boukhara. Par Petite- Bou-
kharie on entend quelquefois la province chinoise de Thian-
chan-Nanlou , ou le territoire du lac de Lop et du fleuve
Tarim; mais c'est là une dénomination fautive, puisque
elle est complètement inconnue dans la contrée à laquelle
on l'applique. Les Chinois, qui en sont les maîtres, nomment
ce pays Sinkiang, Nouvelles-Frontières. Quelques écrivains
russes le désignent sous le nom de Turkestan oriental^
qui est parfaitement conforme aux données ethnographiques.
Quelques auteurs, comprenant le Kharezme ou Khowa-
razm dans la Grande Boukharie, ont donné à cette étendue
de pays le nom commun de Djagataï; et elle figure encore
sur nos cartes sous celui de pays des Ouzbeks. L'un et
l'autre, à la vérité, ont fait partie de l'empire de Djagataï,
l'un des fils de Djengiz-Klian , et plus tard ils furent re-
coiiViés sur les descendants de Tamerlan par les Ouzbeks,
issus du premier de ces deux fameux conquérants. Mais '
depuis près de trois siècles ils ont formé des États dis-
tincts, qui ont eu leurs souverains propres, leur histoire
particulière , et qui ont été souvent divisés par la politique ,
la guerre et des intérêts opposés. La Grande Boukharie
elle-même a subi de fréquentes modifications dans son or-
ganisation et dans ses limites. La province de Balkh, dé-
membrée du Khoraçân , et incorporée à la Grande Bou-
kharie, en a été souvent séparée, et en est encore tribu-
taire plutôt que sujette. Elle n'a même pas été constamment
soumise aux Ouzbeks.
La Grande Boukharie est bornée , au nord et au nord-est,
par le fleuve Sihoun, ou Sir-Daria ( laxartes des anciens),
qui la sépare des Kara Kalpaks et du Turkestan; à l'est,
par la Petite-Boukharie ; au sud, par le Petit-Thibet et par
les khanats de Balkh et de Badaklischân; à l'ouest, parle
fleuve Amou , qui la sépare de la Perse , et par la mer
d'Aral. Elle peut avoir 110 myriamètres du nord au sud,
et 88 de l'est à l'ouest, dans sa plus grande étendue. Ses prin-
cipaux fleuves sont le Djihoun ou Amou, et le S i hou n
ou Sir-Daria. Le Zer-Afchdn ( l'ancienne Sogd ) est la
rivière la plus considérable qui arrose l'intérieur de la Bou-
kharie. Elle prend sa source dans les montagnes près de
Eani , à 22 myriamètres environ à l'est de Samarkand ,
passe devant cette ville, ainsi qu'à Boukharah, et va se
perdre dans le lac de Kara-Koul, près de l'Amou, après un
parcours d'environ 66 myriamètres.
La partie orientale de cette contrée est entrecoupée pai
plusieurs chaînes de hautes montagnes, dont les sommets
sont souvent couverts de neige. Dans la partie nord, à quelque
distance du Sir-Daria et au centre, on trouve d'assez grandes
1
BOUKHARTE
étendues de terres sablonneuses et de déserts ; mais partout
ailleurs les campagnes etles vallées, surtout celles de la Sogd,
qui donna son nom à Tancienne Sogdianc, sont d'une rare
fertilité. Le climat de la Boukliarie est généralement salubre.
Les saisons y sont très-régulières. Les pluies commencent
dès les premiers jours de l'oTier, et durent jusqu'à la fin de
ce mois. Tout verdit et fleurit presque subitement peu de jours
après. Bientôt la clialeur devient accablante, et l'atmos-
phère n'est que rarement rafraîcliie par des orages. La belle
saison se prolonge jusqu'en octobre, où les pluies reprennent
pendant quinze à vingt jours. En novembre et décembre
surviennent de petites gelées et un peu de neige; janvier est
le mois le plus rigoureu\ ; le froid est alors de 2à 8 degrés,
et la neige reste quinze jours sur la terre.
La Boukbarie produit de l'orge, du froment, du millet,
des pois, des fèves, des haricots, diverses variétés de sésame,
dont on fait de l'huile; le djoîigara, plante de cinq pieds de
haut, dont la graine sert à la nourriture des chevaux et à la
fabrication du pain pour les pauvres, et dont les feuilles
fournissent un excellent fourrage pour les bestiaux. On y
trouve aussi la plupart des légumineuses de J'Europe. Les
rivières sont peu poissonneuses. Les pâturages étant rares,
on y a recours aux prairies artificielles. Le coton y vient
assez bien ; le riz, cultivé seulement dans le Miankal ( la val-
lée de la Sogd), est d'assez mauvaise qualité. Les jardins de
la Boukbarie abondent en fleurs qui offrent peu de variétés,
et en fruits, tels que melons, pèches, abricots, prunes, cerises,
pommes, poires, coings, figues, grenades et raisins. Outre
les arbres fruitiers, on trouve dans ses oasis des saules, des
peupliers, des platanes, des mûriers, des gaîniers. La par-
tie occidentale de ce pays n'a pas de forêts. On n'y brùle
que des broussailles apportées des déserts voisins, et du fumier
sec. Quant au bois de construction , il vient des montagnes
du territoire de Samarkand, et de celles qui sont situées plus
au nord et à l'est. Ces montagnes renferment des mines de
métaux non exploitées, d'alun, de soufre et de pierres pré-
cieuses , entre autres de lapis-lazuli, de grenat et de rubis ba-
lais, notamment dans le Badakschàn. Quelques rivières char-
rient de l'or avec leur sable. La Grande-Boukharie, entou-
rée de déserts et de peuples nomades, est riche en bestiaux;
mais les bœufs n'y sont pas aussi forts que ceux des Kir-
ghiz. On y préfère le mouton, dont il existe une espèce à
grosse queue et une autre à laine très-frisée et à queue
traînante. Les chevaux, sont grands, bien faits, vifs, pleins
de feu.
Toute cette contrée se divise en trois parties principales :
deux au nord de l'Amou, la Boukbarie propre ou khanatde
Boukharab , et le Miankal ou khanat de Samarkand, réuni
depuis longtemps à celui de Boukharah ; et au sud de l'A-
mou, le khanat de Bal k h. Le premier est partagé en quatre
districts, et a pour capitale Boukhara. Ses villes prin-
cipales sont Sam a rAand, Karchi ovl ISakhchab, sur la
principale route commerciale de Kaboul à Samarkand, et
Kara-Koul, ville de 30,000 âme», près du lac de ce nom.
Le Miankal compte sept à huit cités considérables, en
raison de leur situation dans un pays plus fertile; on en
trouve cinq à six autres au sud du mont Nour-Atag, et une
den)i-douzaine au sud de Samarkand.
L'ancienne Sogdiane ou Mawar-en-Nahr était autrefois
plus riche , plus fertile et plus peuplée que la Boukbarie
;i(;tuelle. Les sables empiètent journellement sur ses riantes
oasis, qui, tôt ou tard, deviendront arides et inhabitables,
et le pays éprouve sous le gouvernement des Ouzbeks une
décadence politique analogue.
D;ms la partie orientale de cette contrée, Kkokand, ville
grande , riche et commerçante, à 13 kilomètres du Sir-Daria,
et contenant 6,000 mai.sons, est la capitale d'un khanat qui
comprend aussi K/iod-Jend, forteresse sur le même fleuve,
et entourée de champs et de jardins ; Marghàlan est une
ancienne ville, aussi grande que Khoknnd. Les Ëtats du
liic.T. DE r.\ covrr.s. — t. m.
529
khan s'étendent au delà du Sir-Daria , stir Tasclikend et une
partie du Turkestan. Hissar, ville de 3,000 maisons, dans
une vallée abondante en pâturages, au .sud-ouest de Sa-
markand, est la capitale d'un khanat. Ramidct Abigherm,
situées dans les montagnes, à 110 kilomètres nord-est de
Hissar, sont deux villes considérables, chefs-lieux de deux
khanats. A 70 kilomètres sud-ouest de Samarkand est
Chersabès ou Chehri-Sebz, ville bâtie sur reiiii)lacement
du village de Kecb, où naquit Tamerlan, et sur une rivière
du même nom , qui , par le moyen de digues , peut inonder
tout le pays d'alentour ; cette position et sa forteresse assu-
rent l'indépendance du khan qui y réside, et dont dépen-
dent six autres places.
Dans la partie de la Boukbarie au sud de l'Amou , nous
citerons : Balkh, la ville la plus ancienne, la plus grande
et la pjus opulente de cette contrée; Badaklischdn ou Feyza-
bad, capitale d'un des khanats le plus importants de la con-
trée, sur une rivière du même nom, qui tombe dans l'A-
mou ; Bamiân , ville de 20,000 âmes , près des ruines de
celle qui fut brûlée et détruite par Djenghiz-Khan ; Koulab,
ville de 3,000 maisons; Khoiilm , l'ancienne Tasch-Konr-
ga.n, Ankoi, Talekdn, Anderab , où sont, du côté de l'e-st,
les limites du mabométisme. Tous ces pays appartenaient
naguère à l'empire afghan de Kaboul; ils forment aujour-
d'hui plusieurs souverainetés indépendantes ou tributaires
du khan de Boukharah, et dont les limites varient aussi sou-
vent qu'elles sont arbitraires. A l'ouest de la Boukbarie est
situé le pays de Khi w a h ou Kharezm , dont le khan est fré-
quemment en guerre avec la Boukbarie.
De temps immémorial , le commerce a été aussi florissant
qu'étendu dans la Grande-Boukharie. Les naturels de ce pays
ont le génie essentiellement mercantile, et entretiennent des
relations avec l'Inde, la Chine, la Perse et surtout la Russie,
leur principal et leur plus ancien débouché. Ils y exportent
de la rhubarbe, du coton , soit brut, soit filé ou fabriqué,
des turquoises , du lapis , des fourrures , des fruits secs , du
tlié, des étoffes de soie, des tapis et des châles. Ils pren-
nent en retour des ducats de Hollande , des piastres d'Es-
pagne, des roubles d'argent, de la cochenille, du girofle,
du drap, des cuirs, du sucre, du sandal, de l'étain, du
cuivre, de l'acier, <!u fer, de la cire, du miel, des perles,
du corail, des toiles russes, des mousselines de l'Inde, du
velours , de petits miroirs , etc. Ils portent une partie de ces
marchandises à Kaschgar et à Kaboul, et ils en tirent quel-
ques-unes de celles qu'ils envoient en Russie. Leur com-
merce extérieur emploie six raille chameaux.
La nation boukhare Cst divisée en deux classes princi-
pales : les Ouzbeks, conquérants et dominateurs du pays, et
les Tadjiks, qu'on regarde comme aborigènes et issus des
anciens Sogdiens. Les premiers se partagent en un grand
nombre de tribus, et leur physionomie rappelle celle des
Tartares etdesKalmouks;ils sont essentiellement guerriers.
Les seconds ont généralement la taille ramassée, les traits
européens , et le teint moins brun que les Persans. Ils sont
actifs , laborieux , doux , instruits et civilisés , mais faux ,
intéressés , pusillanimes , sans énergie et sans patriotisme.
La population de la Boukbarie comprend aussi des Turco-
mans, des Arabes, des Kalmouks, des Kirghiz, des Kara-
Kalpaks , des Afghans , des Lesghiz , des Juifs , des Bohé-
miens et quelques milliers d'esclaves, la plupart Persans.
Les Turcomans sont nomades; ils campent près des bords
de l'Amou, pnncipalement sur la rive gauche , et payent
tribut au khan de Boukharah. Les Arabes , reconnaissables
à leur teint très-basané, sont issus des Musulmans qui con-
quirent la Boukbarie sous les premiers khalifes; ils habitent
dans des villages , mais quelques-uns sont nomades ou demi-
nomades. Les Kalmouks et les Kirghiz sont des transfuge.s
qui se sont soustraits à la domination russe. Les Afghans et
les Lesghiz descendent des otages pris par Tamerlaiu
Quant aux Bohémiens ou Zingaris, ils disent la bonne aveoi»
<i7
530
tare, et exercent, ainsi que leurs femmes, les métiers les
plus vils , comme ils font dans tous les pays où ils sont ré-
pandus. On peut évaluer à deux millions et demi le nombre
des sujets du khan de Boukliarah, savoir : 1,500,000 Our-
beks, 700,000 Tadjiks, et 300,000 de diverses nations. On
ignore la population des autres parties de la Grande-Bou-
kharie.
Soumise d'abord à l'empire du Tourûn ou de Turkestân ,
puis à celui d'Iran ou de Perse, la Boukharie fut conquise
ensuite par Alexandre le Grand , enlevée aux Syro-Macédo-
niens par les rois grecs de la Bactriane, puis envahie par
lesTurks occidentaux ou Euthalytes, à qui les Arabes mu-
sulmans l'enlevèrent vers l'an 710 de J.-C, sous le khalilat
de Walid 1". Un peu plus d'un siècle après , elle fut gou-
vernée par les Samanides , et lorsqu'ils parvinrent à la sou-
veraine puissance, elle devint très-florissante et forma la
pins belle partie de leurs États , comme on le voit par des
médailles de cette époque , conservées dans la collection du
cabinet impérial de Saint-Pétersbourg. Depuis l'an 999 , la
Boukhariefut possédée successivement par lesTurks Hoeikes,
par les Khitans , et par les sultlians de Kharezrae , jusqu'en
1220, qu'elle fut conquise par Djengiz-Khan , et comprise
quatre ans après dans l'empire de Djagataï-Khan, le second
des quatre fils entre lesquels il partagea ses vastes États. Cet
empire ne fut que le noyau de celui que fonda Tamerlan en
1370, et ses descendants y régnèrent jusqu'à ce qu'ils en
fussent chassés par les Ouzbeks , en 1498. Ceux-ci en sont
encore les maîtres ; mais en diverses circonstances leur gou-
vernement a subi des révolutions et des divisions.
Le Kharezme, Samarkand, Balkli, Boukliarah et quel-
ques autres villes moins importantes ont eu leurs khans par-
ticuliers, souvent en guerre les uns contre les autres , et ne
s'accordant que pour ravager les frontières de la Perse :
mais Abdallah-Khan , qui régna de 1563 à 1&92, ayant
conquis Samarkand , cette cité et Boukharah ont toujours
appartenu depuis à un môme souverain , qui réside dans la
seconde de ces villes. Abouh-Feyz-Kban , qui y régnait en
1740, fut forcé de se soumettre au fameux Nadir, roi de
Perse , qui vint le visiter à la tête de son armée victorieuse,
et qui lui accorda le titre de chah ou roi. Après la mort du
tyran de la Perse, Rahim-Beig, qui avait commandé un
corps de dix mille Ouzbeks, attaché à l'armée de ce prince,
revint à Boukharah , s'y empara de toute l'autorité , égorgea
Aboul-Feyz-Khan , et mit sur le trône sou fils, encore en-
fant, Ab 1-el-Moumen-Kban. Mais peu d'années après il se
débarrassa de ce jeune prince , et éleva au trône un man-
nequin, qui n'était issu du conquérant tartare que par les
femmes, et qu'on appelait par sobriquet Khodjah-Zadeh
(le fils du Khodjah) , c'est-à-dire un descendant du prophète
Mahomet.
A la mort de Rahim , l'émir Daniel , allié à la famille
royale, s'empara de la personne d'un fantôme de roi, Aboul-
Ghazy-Khan , le môme peut-être que le précédent. Daniel
exerça un pouvoir absolu sur toutes les tribus immédiate-
ment soumises au khan de Boukharah. A sa mort, il dis-
tribua ses immenses richesses à sa famille; mais il déclara
son fils, l'émir Massoum , héritier de sa puissance. Mas-
soum, plus connu d'abord sous le nom familier Baghi-Djdn,
après une jeunesse très-dissolue, donna dans une réforme
complète , et par sa piété , ses privations volontaires, l'aus-
térité de sa morale et la bizarre simplicité de son costume,
s'acquit une réputation de sainteté qui lui senit merveil-
leusement pour parvenir à ses fins. Devenu souverain vers
1784, sous le titre de Chah-Mourad ( le roi désiré ), il conquit
toutes les parties démembrées de la Transoxanc ou Boukha-
rie, depuis l'Amou jusqu'au Sihoun à l'est, et le Kha-
rezme à l'ouest jusqu'à la mer Caspienne et à la mor d'Aral.
11 lit plusieurs invasions en Perse, et joignit à ses Ktats Mé-
rou, avec une partie du Khoraçân. En 178'.) il (it la guerre
avec bVccèsàTiraour-Chah, roi des Afghans. Chali-Mourad
BOUKHARIE — BOULAINVILLIERS
savait trop bien que son père, l'émir Daniel, s'était renda
odieux par la dureté de son administration, pour user du
pouvoir comme d'un droit héréditaire; mais il manœuvra si
adroitement qu'àsa mort, vers 1798, il put être assuré que
son fils aîné Mir-Hader-Kban serait roi de fait et de nom.
Celui-ci monta donc sur le trône, et, sauf les cruautés qu'il
exerça d'abord pour s'y affermir, suivant les principes des
gouvernements orientaux, ce fut au total un prince des plus
pacifiques, qui préféfa les charmes de la tranquillité inté-
rieure au fracas de la victoire, et se contenta de réprimer
et de punir les brigandages exercés sur son territoire. Ayant
conquis, en 1808, Khivah sur le khan de Kkarçzme, en re-
présailles de ses fréquentes hostilités, il lui rendit cette
place quelque temps après. Un chef ouzbek lui enleva Balkh,
qu'il ne put recouvrer, et les Khiviens pillèrent impunément
la ville de Tchardjou. Son extrême dévotion ne l'empôcliait
pas de se livrer aux plus déplorables excès de libertinage,
qui hâtèrent la fin de ses jours, en 1826. .Son fils, Mir-Hoii-
çain, régna à peine quatre mois, et eut pour successeur son
frère Mir-Batyr ou Batkar, qui occupait encore le trône de
Boukharah en 1832. Mais on a appris depuis qu'une révo-
lution le lui avait enlevé. Le khan de Boukharie entre-
tient avec le padichah des Othomans , qu'il regarde comme
le successeur des khalifes, des relations diplomatiques plus
suivies qu'avec le chah de Perse, qu'il déteste, à cause du
voisinage et de la différence des deux sectes. Les Ouzbeks
de Boukharie ne sont pas des pillards et des brigands,
comme ceux du Kharezme. Leurs mœurs ont beaucoup de
rapport avec celles des Osmanlis. Us sont très-superstitieux,
se livrent au plaisir de la chasse, ne fument pas et ne boi-
vent qu'en cachette. L'adultère est puni de mort en Bou-
kharie ; les courtisanes n'y sont pas tolérées, mais on y est
familiarisé avec le vice le plus honteux. Le café n'y est pas
en usage; on y vit de thé, de riz, de mouton et de légumes.
Le persan et le turc sont les langues les plus usitées, et les
bibliothèques rares et fort peu nombreuses, 300 volumes au
plus. Les femmes boukhares sont jolies et coquettes ; mais
elles se défigurent par un anneau qui traverse leurs narines.
BOULAC, BOULAK ou BOULAQ , ville d'Egypte sur la
rive droite du Nil, à deux kilomètres nord-ouest du Kaire,
dont elle forme le faubourg et le port, vis-à-vis de l'île qui
porte son nom, compte une population de dix-huit mille
âmes. Elle reçoit tous les bâtiments qui viennent du Delta
et de la Basse-Egypte , et sa situation entre Alexandrie et le
Kaire la rend très-importante pour le commerce. On y re-
marque la douane, le bazar, les bains, les jardins et les ma-
gasins ; elle a acquis une certaine célébrité depuis le règne
de Méhémet-Ali , qui y a fondé une haute école pour l'ensei-
gnement des lettres et des sciences, une belle imprimerie ,
une vaste filature, et une fabrique de soierie et de coton,
qui occupent au delà de huit cents ouvriers. Ses édifices
les plus beaux avaient été consumés dans l'incendie qu'elle
avait essuyé lors de l'attaque des Français au mois d'a>Til
1800 Voyez Kmbe.
BOULAIIVVILLIERS (Henri, comte de), d'une noble
et ancienne famille de Picardie, naquit à Sainte-Saire en
Normandie, le 1 1 octobre 1G58, et mourut à l'âge de soixante-
quatre ans, le 23 janvier 1722. C'est l'historien de France qui a
le plus écrit sur les annales de son pays, et celui de tous qui
les a comprises et expliquées de la manière la plus neuve, la
plus piquante et la plus philosophique. Nous n'avons pas l'in-
tention de nous appesantir ici sur la liste de ses nombreux
ouvrages, imprimés ou manuscrits, rares pour la plupart, et
qui se trouvent mentionnés dans toutes les biograpliies ; nous
ne voulons envisager ce célèbre écrivain que sous le rapport
de sa critique historique et de la théorie qu'il a appliquée à
l'origine et au mécanisme de notre ancien gouvernement.
Parmi les auteurs qui ont développé quelque lace générale
ou particulière de l'histoire de France, nul n'a émis des doc-
trines plus imprévues, plus originales, plus en dehors des pré-
I
BOULAINVILLIERS
531
jugés littéraires ou politiques que le comte de Boulainvilliers,
et nul aussi n'a trouvé plus de contradicteurs et plus d'incré-
dules. Il y a eu déchaînement des historiens et des publi-
cistes français contre les théories du comte de Boulainvil-
liers, surtout parce qu'il les émit à une époque où bien peu
de gens pouvaient les comprendre. Le président Ilénault
s'écrie qu'il n'aura garde de rien emprunter à cet auteur, et
l'on voit bien en effet qu'il a tenu parole. Montesquieu,
qui jugeait beaucoup mieux les idées hardies des autres
qu'il n'en montrait lui-même, dit que le comte de Boulain-
villiers savait les grandes choses de nos lois et de notre his-
toire; Voltaire le juge comme il se serait jugé lui-même,
en l'appelant le plus spirituel des gentils-hommes de France.
Mais ce qui surprend davantage, c'est de voir un homme
grand de sa gloire d'écrivain, de son expérience de publiciste,
de son habitude de méditation , jeter en passant pour toute
appréciation et toute sentence , l'épithète d'absurde à l'his-
torien qui a le plus remué dans tous les sens la théorie de
nos annales. Chateaubriand se devait peut-être de ne
point souffleter ainsi de son mépris le comte de Boulainvil-
liers , car c'est l'historien qu'il parait avoir le moins étudié , et
celui qui aurait fourni le plus d'aliments à sa haine du pré-
sent et le plus de couleur à la poésie de ses regrets politiques.
Il faut dire aussi qu'il y aura eu peut-être entraînement et
séduction dans la pensée de Chateaubriand ; car la situation
des esprits a été rarement favorable aux études féodales :
avant la révolution de 1789, c'était une espèce de travers;
depuis la révolution , c'en est une autre. Avant , les habitudes
monarchiques s'étaient fortement imprimées dans les mœurs
et les idées depuis François I*""^, et les écrivains, môme les
plus distingués ou les plus républicains , ne purent jamais
s'en distraire. Voyez Amyot, Montaigne, La Boétieet Bos-
suet; ils ont tout monarchisé, à leur insu , jusqu'aux formes
de leur style. Qu'ils s'occupent de l'histoire ancienne ou des
guerres civiles de France, ils. voient et ne voient partout que
roi, cour, };enlilsliommes et chambellans, et ils ne conçoi-
vent de roi qu'un roi absolu, avec fauconnerie, grand queux,
petit lever et pages : c'est la forme sous laquelle les peuples
se manifestent jierpétuellement à eux. Avec cette préoccu-
pation d'esprit , l'appréciation des origines féodales était im-
possible, car ils rapportaient dans les âges passés ce qui
n'était qu'aux âges présents; ils faisaient le roi maître et sei-
gneur souverain, tandis qu'il avait eu seulement l'adresse
de le devenir ; et quand le moment venait de juger l'époque
célèbre où la puissance royale se débattait péniblement con-
tre les grands vassaux, ils applaudissaient à la chute des
seigneurs , non point par sentiment d'amélioration sociale ,
mais parce qu'ils voyaient triompher le principe monarcliique
qu'ils avaient choisi, et qu'ils jugeaient le plus juste parce
qu'il était le leur. Ainsi , on condamnait le passé par amour
du présent; on supposait un droit monarchique antérieur
au droit féodal , on affirmait au lieu d'étudier ; on nourrissait
une croyance dogmatique et tranchante sans en démontrer
un seul élément. Cette croyance , vraie ou fausse , était éga-
lement funeste à l'histoire : vraie , elle détournait de l'étude
de la résistance populaire , en rendant odieuses les tentatives
des vassaux; fausse, elle donnait" le change sur la nature
des éléments sociaux au moyen âge, et prêtait à des théories
erronées sur la source des pouvoirs politiques et le but de la
civilisation.
Après la révolution, il naquit une façon nouvelle de
comprendre les origines françaises ; elle ne partit point de la
I royauté, comme la précédente; mais elle considéra la royauté
et la noblesse comme deux usurpations emportées de force
ou obtenues du peuple en flattant son ignorance ou ses pré-
jugés. Cette théorie considéra donc le peuple comme l'élé-
ment unique, primitif, fondamental, de la nation française;
peuple trompé, asservi par ses maîtres, et qui, mieux avisé,
reprenait, après huit siècles de lutte, ses premiers, sesim-
|)éris6aWes privilèges, par le bienfait de la révolution. Cette
doctrine nouvelle , bien postérieure au comte de Boulainvil-
liers, était la contre-partie de la doctrine royale du dix-sep-
tième siècle ; elle était en germe dans le travail prétentieux
de Mably, et elle fut développée par Thouret, de la Cons-
tituante, dans un petit écrit qui a eu quelque réputation.
On a donc tenté , à deux reprises , de construire l'histoire
de France sur deux idées contradictoires : avant le comte
de Boulainvilliers, en lui donnant la royauté pour base; de-
puis en lui donnant la démocratie. Or, avant comme après
il y a eu erreur, et erreur immense ; car aucun des deux sys-
tèmes n'explique complètement tous les faits de nos origines,
parce que la royauté et le peuple , qui leur servent de base,
sont deux choses fort modernes, et qui n'existaient ni du-
rant la première ni durant la seconde des périodes historiques
qu'on nomme communément races de nos rois.
D'abord , la royauté n'existait pas avant le onzième siècle ;
car chaque propriétaire, noble ou seigneur, était maître ab-
solu sur ses terres , frappait , vendait , mettait à mort ses
esclaves, sans qu'aucune justice pût appeler de sa volonté.
La loi des Allemands définit les fonctions royales : « Monter
à cheval et conduire une armée. » Celte royauté était donc
précaire et fugitive; elle commençait et finissait avec la guerre,
et était sans but durant la paix. Ce qu'on appelait alors un
roi n'était qu'un général d'armée ; sa puissance le quittait
après la bataille, et il redevenait alors ce qu'il était avant,
l'égal de tous les nobles qui suivaient volontairement sa
bannière. Il n'y avait en France ni unité de langue ni unité de
territoire, ni unité de population ; les Visigolhs ne pouvaient
pas obéiraux Francs ni les Francs aux Bourguignons. En 998,
saint Mayeul, abbé deCluny, répondait au comte Bouchard,
qui avait fait trente lieues pour l'aller chercher et le conduire
à Saint-Maur-des-Fossés, qu'il ne voulait pas entreprendre ce
voyage lointain et s'en aller enterres étrangères et inconnues.
La royauté, c'est-à-dire l'unité de puissance appliquée à l'unité
de territoire, est donc un fait très-moderne de l'histoire de
France , et ne peut point servir à expliquer d'autres faits
qui l'ont de beaucoup précédé.
Le peuple, ou la démocratie, est quelque chose de
bien plus moderne encore que la royauté ; car il n'en est
guère question avant le treizième siècle. Il ne faut pas com-
prendre sous le nom de peuple les bourgeoisies des
grandes villes ; car elles ne faisaient point partie des tribus
franques établies dans le plat pays ; elles se gouvernaient par
le droit municipal romain, et étaient d'origine gauloise ou
romaine. 11 faut chercher le peuple français là où il y avait
des Francs , des Visigoths ou des Bourguignons ; et ces tribus
étaient établies dans les campagnes. Or, dans le pays plat,
c'est-à-dire parmi les Francs, il n'y a eu peuple que depuis
l'affranchissement des esclaves ; ces affranchis ont formé le
peuple français, et, comme on peut le voir par les Assises
de Jérusalem, lois exportées de France en Syrie, l'escla-
vage le plus rigoureux existait encore au treizième siècle. Le
peuple est donc un fait historique beaucoup plus récent
encore que la royauté, et les théories qui se sont placées à
ces deux points de vue pour expliquer nos origines sont de
pures abstractions, et n'ont aucun fondement qui les sou-
tienne.
Or, c'est entre l'erreur commise avant lui et l'erreur com
mise après que s'est placé le comte de Boulainvilliers : na
pouvant expliquer les faits des deux premières races avefl
des vérités qu'il savait ne dater que de la troisième, il apri.»»
pour point de départ un fait primitif, générateur de notre
histoire, un fait duquel relèvent tous les autres, un faitévi
dent, incontestable, qui explique tout, rend raison de tout,
et sans lequel tout le reste de nos annales serait un effet
sans cause : ce fait, principe du comte de Boulainvilliers,
c'est la noblesse. La noblesse existait, possédait, com-
mandait, avant qu'il y eût peuple ou royauté. La royauté
naquit parce qu'un noble s'éleva peu à peu ; le peuple na-
quit, parce que les esclaves furent émancipés. Noblesse»,
67.
532
BOULAINVILLIERS — BOULANGER
royauté, peuple, ce sont trois pivots qui ont porté succes-
sivement la société française et qui se sont détruits l'un l'autre.
La royauté brisa la noblesse en se formant, et le peuple a
brisé la royauté.
Voilà où conduisent , quand on les travaille et qu'on les
enchaîne , les idées du comte de Uoulainvilliers. 11 ne serait
pas exact de dire que tous ces points de vue se trouvent con-
signés dans tous ses ouvrages, mais le principal y est clai-
rement et souvent développé, c'est-à-dire l'antériorité his-
torique de la noblesse.
Tout en brisant le système historique qui faisait de la
royauté le principe et la source de tout droit, le comte de
Boulainvilliers ne développa jamais d'une manière explicite
le système qu'il eût mis à sa place : il fut admirable critique
et médiocre organisateur. Mais il ue faut pas oublier qu'il
écrivait son principal ouvrage' par ordre de Louis XIV et
à la sollicitation du duc de Bourgogne. 11 se laissa trop domi-
ner par l'idée aujourd'hui si simple, mais alors célèbre, de
Klézerai , que : « la France , au commencement de la troi-
sième race , était tenue comme un grand fief. » Oui , elle
était alors comme un grand fief, c'est-à-dire pas encore comme
nn royaume; mais, puisque la royauté était alors si faible
qu'à peine on peut l'apercevoir, il avait été une époque où
elle était plus faible encore ; une autre époque plus reculée ,
où elle n'existait pas : alors les nobles étaient donc libres ,
indépendants , maîtres ; alors les nobles avaient précédé la
royauté, qui précéda elle-même le peuple.
C'est en pressant ainsi les idées du comte de Boulainvilliers
qu'on en tire de grandes et de fécondes vérités, que lui-
même n'a pas aperçues, comme la division de la noblesse
en deux parts : la noblesse qui précéda la royauté , ou la no-
blesse de race , et la noblesse qui accompagna la royauté et
périt avec elle, ou la noblesse féodale et d'institution. Cepen-
dant il y a dans les ouvrages de l'illustre écrivain la base
d'une admirable histoire de France. Il est impossible d'ex-
l)liquer les deux premières races sans avoir recours à lui. 11
y a maintenant cent années qu'il écrivait, et nous en sommes
arrivés, en fait de critique historique, au point où il s'était
arrêté lui-même. Montesquieu, Voltaire, le président Hénault,
disparaissent, le comte de Boulainvilliers reste et grandit,
et son nom servira de date à la naissance de l'iùstoire géné-
rale de son pays.
Les principaux ouvrages du comte de Boulainvilliers , sous
le rapport de ses théories historiques , sont : 1" Histoire de
rancien gouvernement de France, avec quatorze lettres
historiques sur les parlements et les états généraux;
T État de la France, ouvrage extrait des mémoires dres-
sés par les intendants du royaume; 3° Recherches sur
l'ancienne noblesse de France.
Granier de CaSSACNXC, député ail Corps législatif.
BOULANGER, BOULANGERIE. La boulangerie est
l'art de fabriquer le pain. C'est aussi le lieu où il se vend
et se confectionne. Les boulangeries de l'armée se nomment
manutentions. Dans un palais, dans une maison de cam-
pagne, dans une communauté, enfin dans.tout établissement
public ou privé, on désigne sous le nom de boulangerie un
bâtiment particulier destiné à faire le pain et composé de
plusieurs pièces, telles que/ournil, lieu où sont les fours,
/arinier, où l'on conserve les {mnes, pétr>ri, où l'on prépare
la pûte, paneterie, où l'on garde le pain cuit, etc. L'ori-
gine du mot boulanger, qui date du douzième siècle, vient,
.selon Ducange, de ce qu'en pétrissant la farine on la tourne
en globe ou en boule, pour l'arrondir en pain.
La profession de boulanger était inconnue aux anciens. Il
y avait trop de simplicité dans les piemiers siècles pour que
l'on apportât beaucoup de Aiçon dans la préparation des
aliuKMils. Le blé se mangeait alors en substance, comme
ÎC8 autres fruits de la terre, et même, lorsque les hommes
eurent trouvé le secret de le réduire en farine, ils se con-
tcnlèrenleiRo.'t; pendant lonjjftmps d'en faire de la boiiilie.
Enfin , parvenus à en pétrir du pain , ils ne préparèrent en-
core cet aliment que comme tous les autres, dans la maison
et au moment du repas. C'était le soin principal réservé aux
mèfes de famille, et dans ces temps, où un prince tuait
lui-même l'agneau qu'il devait manger, les femmes les plus
qualifiées ne dédaignaient pasde7ne///e la main à la pâte.
L'Écriture nous fournit maintes preuves à l'appui de cette
coutume usitée chez les Orientaux. Nous lisons par exemple
dans la Genèse (xviii, 6 et suiv.) qu'Abraham, entrant
dans sa fente, dit à Sara ; « Pétrissez trois mesures de fa-
rine , et faites cuire des pains sous la cendre. «
Cespains des premiers temps, du reste, n'eurent presque
rien de commun avec les nôtres, soit pour la forme, soit
pour la matière. C'était , à peu de chose près , ce que l'on a
appelé depuis des galettes ou des gâteaux ; on y faisait sou-
vent entrer, avec la farine, du beurre, des œufs, de la
graisse, du safran et d'autres ingrédients. On ne les cuisait
point dans un four, mais sur l'âtre chaud , sur des pierres
ou sur une sorte de gril et dans une espèce de tourtière.
Mais pour celte sorte de pain même il fallait que le blé
et les autres grains fussent convertis en farine; ce fut à
ce travail pénible que toutes les nations anciennes , comme
de concert, employèrent leurs esclaves, et il devint pour
eux le châtiment des fautes les plus légères. Cette prépara-
tion ou trituration du blé se fit d'abord avec des pilons dans
des mortiers, ensuite avec des moulins à bras. Quant à
l'usage de cuire le pain dans des fours, il commença en
Orient. Les Hébreux, les Grecs et en général tous les
peuples de l'Asie le connurent; les Cappadociens, les Ly-
diens et les Phéniciens excellèrent même, au rapport d'A-
thénée (liv. m, chap. 13), dans la construction et la di-
rection des fours. Il ne paraît pas qu'il y ait eu véritablement
de boidangers avant ces derniers. Plusieurs auteurs ont
prétendu cependant qu'il y en eut en Egypte du temps de
Joseph , et que ce fut le chef ou le maître des boulangers
de Pharaon dont il expliqua le songe dans la prison. C'est
l'interprétation qu'ils tirent du mot ophim, avec les Sep-
tante et la Vulgate ; mais ce mot désigne moins le pain spé-
cialement que les espèces de mets en général que l'on faisait
alors avec la farine.
Des Grecs, qui les premiers eurent des fours à côté de
leurs moulins à bras, cette coutume passa chez les Ro-
mains , vers l'an de Rome 583. Ils conservèrent à ceux qui
en avaient la direction leur ancien nom de pi7isores ou pis-
tores, dérivé de leur première occupation , celle de piler le
blé dans des mortiers , et ils donnèrent celui de pistorix
aux lieux où ils travaillaient. Sous le règne d'Auguste il y
eut à Rome jusqu'à trois cent vingt-neuf boulangeries pu-
bliques , distribuées en quatorze quartiers différents ; elles
étaient presque toutes tenues par des Grecs j qui étaient les
seuls qui sussent faire de bon pain. Insensiblement ce^
étrangers formèrent quelques apprentis qui se livrèrent à
leur profession , dont bientôt on s'occupa de régler l'exer-
cice. On en forma un corps ou, selon l'expression du temps,
un collège, ainsi qu'on l'avait fait pour les bouchers,
corps auquel eux et leurs enfants lurent attachés à perpé-
tuité. On leur accorda plusieurs privilèges : on les mil en
possession de tous les lieux où l'on s'occupait à moudre au-
paravant, ainsi que des meubles, des esclaves, des animaux
et de tout ce qui appartenait aux premières boulangeries. On
y joignit des terres et des héritages, et l'on n'épargna rien
de tout ce qui pouvait contribuera soutenir et à encourager
leurs travaux et leur commerce ; pour qu'ils pussent vaquer
sans relâche à leurs fonctions, ils furent même déchargés
de tutèles, curatelles et autres charges onéreuses; enfin, il
n'y eut point de vacances pour eux, et les tribunaux leur
étaient ouverts en tout temps. Ils furent soumis, pour tous
ces avantages, à certaines restrictions et obligations, telles
qu'à demeurer ensemble et à s'allier presipie exclusivement
entre eux. Us ne pouvaient surtout se mésallier, c'p.$t-à-dire
BOULANGER
533
marier leurs filles, soit à des comédiens, soit à des gladia-
teurs, sans être fustigés , bannis et privés de leur état. Ils
ne pouvaient encore léguer leurs biens qu'à leurs enfants
ou à leurs neveux , qui faisaient nécessairement paitie de
leur corporation, et si un étranger les acquérait, il lui était
de fait agrégé. La disposition la plus onéreuse pour eux, et
qui impliiquait même contradiction , puisqu'elle portait avec
elle une espèce de réprobation pour un corps qu'on avait
cependant à tâche d'honorer, c'est que l'on continua de re-
léguer dans les boulangeries tous ceux qui furent accusés
et convaincus de fautes légères. Les juges furent tenus d'y
envoyer tous les cinq ans ceux qui avaient mérité ce châti-
ment , et ils eussent eux-mêmes été soumis à la même peine
s'ils avaient manqué à leur obligation. On se relâcha néan-
moins , par la suite , de cette sévérité , et les transgressions
des juges et de leurs officiers à cet égard furent punies d'une
simple amende. Du reste, pour que le corps fût toujours en
nombre suffisant, aucun boulanger ne pouvait entrer dans
un autre sans être toujours tenu des charges de sa première
profession ; il n'en pouvait être dispensé ni par aucune di-
gnité, même ecclésiastique, ni par la milice, les décuries, ou
quelque autre fonction ou privilège que ce fût. Cependant,
les boulangers ne furent pas privés pour cela de tous les hon-
neurs de la république. Ceux qui l'avaient bien servie,
Kiirtout dans les temps de disette, pouvaient même parve-
nir à la dignité de sénateur ; mais dans ce cas ils de-
vaient renoncer à leurs biens et à ceux de la communauté,
qui devenaient la propriété de leurs successeurs. Ils ne
pouvaient du reste s'élever au delà de cette dignité ; l'entrée
des magistratures auxquelles on joignit plus tard le titre
de perfectissimatus leur était défendue.
Cette institution et ces usages des Romains ne tardèrent
pas à passer dans les Gaules; mais il paraît qu'ils par-
vinrent beaucoup plus tard dans les pays septentrionaux :
Borrichius dit qu'en Suède et en Norvège les femmes pétris-
saient encore le pain vers le milieu du seizième siècle.
De même une partie des peuples de l'Amérique ne broyaient
pas encore autr'^ment leurs grains qu'avec des pierres avant
l'arrivée, des aventuriers qui portèrent la civilisation et les
lumières dans ces contrées restées si longtemps vierges.
En France il y eut des boulangers dès le commencement
de la monarchie. Il en est parlé dans les ordonnances de
Dagobert 11, de l'an 630. Leur emploi fut d'abord, comme
à Rome, de faire moudre le blé aux moulins qu'ils avaient
chez eux, qu'ils tournaient à bras , ou qu'ils faisaient tour-
ner à des animaux , ou à quelques moulins bâtis sur de pe-
tites rivières. Ils vendaient ensuite la farine à ceux qui vou-
laient cuire chez eux, et en faisaient du pain pour les autres.
C'est pour cela qu'ils sont appelés, jusque sous la troisième
race, dans quelques titres latins, pisto7'es, oiif en français,
pestors, mais pins souvent néanmoins panelïers, talme-
iiers et boulangers. Il y eut bientôt quatre sortes de bou-
langers, ceux des villes, ceux des faubourgs et banlieue,
les privilégiés et les forains. La maîtrise s'achetait du roi;
mais pour être reçu maître boulanger le prétendant por-
tait au maître des boulangers ou lieutenant du grand pane-
tier un pot de terre neuf rempli de noix et de nieules, fruit
que l'on ne connaît plus, et en présence de cet officier et
des autres maîtres et geindres (mitrons) il cassait ce pot
contre la muraille, et ensuite on buvait ensemble. Le grand
panetier de France avait la maîtrise des boulangers et
talmeliers en la ville et banlieue de Paris , avec droit de
justice. Ce fut saint Louis qui donna cette juridiction sur
eux <^t sur leurs compagnons à son maître panetier, pour
en jouir tant qu'il plairait au prince, comme on l'apprend
du recueil des usages de la polie* des boulangers, fait par
Etienne Boileau. Elle n'a été supprimée qu'en 1711. Les
boulangers privilégiés étaient de deux sortes : 1° les bou-
langers suivant la cour, établis par Henri IV, an nombre
de dix, eu ICO!, et auginonlésde deux par Louis XllI : ils
avaient tous demeure à Paris : 2» ceux qui habitaient en
lieux de franchise. Les boulangers forains étaient ceux qui
exerçaient hors de la ville et des faubourgs.
Pour éviter que, sous le titre de marchands , les boulan-
gers ne se rendissent les maîtres de tous les grains , les lois
romaines leur avaient défendu de servir en qualité de pilotes
sur les vaisseaux qui amenaient des blés à Rome; ils ne
pouvaient être non plus mesureurs de grain En France,
un arrêt du parlement, suivi d'autres ordonnances, leur
défendit également d'être mesureurs de grain ou meuniers.
Nid aujourd'hui encore ne peut exercer la profession de
boulanger sans l'autori^^alion du maire de la ville ; elle ne doit
lui être accordée qu'autant qu'il est justifié par lui qu'il est
de bonne vie et mœurs , qu'il a fait un apprentissage et qu'il
connaît les bons procédés de son art. Chaque boulanger
doit avoir constamment en réserve dans son magasin un ap-
provisionnement suffisant pour pourvoir à la consommation
journalière pendant un mois au moins, et sa boutique tou-
jours garnie de pain. Du reste un syndic et des adjoints
sont élus tous les ans dans chaque localité pour déterminer
laquotitédes approvisionnements auxqnelschaqueboulanger
doit être soumis et le nombre de fournées qu'il doit faire.
11 ne peut quitter sa profession qu'après en avoir fait la dé-
claration au maire six mois à l'avance; celui qui la quitte-
rait sans autorisation est puni par la vente de son approvi-
sionnement de réserve au profit des hospices; il est de plus
frappé de l'iuterdiction de son état.
Les boulangers ne peuvent vendre le pain au dessus de
la taxe légalement faite et publiée, sous les peines de police;
ils doivent peser le pain devant l'acheteur et avoir dans
l'endroit le plus apparent de leur boutique des balances et
poids métriques dûment poinçonnés. Il leur est interdit de
vendre du pain au regrat et encore d'en former des dé-
pôts. Ils doivent en outre se conformer à tous les arrêtés lo-
caux que l'autorité municipale juge convenable de prendre.
Les contraventions par eux commises dans l'exercice de
leur profession sont poursuivies devant le tribunal de police
municipale.
A Paris , tout pain doit être vendu rigoureusement au
poids, sauf convention particulière sur le prix entre les
parties pour ce que l'on appelle pains de fantaisie; mais
cette prescription est difficile à faire observer : on préfère
en général perdre sur le poids ce que l'on croit gagner sur la
qualité, et ne payer que le prix de la taxe. Chaque boulan-
ger doit mettre son numéro sur les pains qu'il fabrique. Au-
trefois, lorsque les pains ne pesaient pas le poids, les boulan-
gers pouvaient être poursuivis ; aujourd'hui toute vente doit
être précédée d'une pesée; la taxe est faite au kilogramme.
Les boulangers ne peuvent se refuser à détailler le pain, et
l'acheteur paye au prorata de la taxe. La taxe est fixée tous
les quinze jours (le l*^"" elle 16 de chaque mois) par le préfet
de police suivant le prix des farines dans les marchés pré-
cédents.
BOULANGER ( Nicolas-Amoine ) , naquit à Paris,
le 11 novembre 1722. Il fit de pauvres études au collège de
Beauvais , où le marchand de papier son père l'avait fait en-
trer. Devenu ingénieur, il se montra animé de l'amour de
ses devoirs, mais médiocre dans ses fonctions. 11 y avait dans
cet homme des dispositions rêveuses qui le rendaient peu apte
à la vie pratique; aussi de bonne heure son imagination
fut-elle frappée des grands bouleversements de la nature.
Un ingénieur vulgaire n'aurait vu dans les bouleversements
du globe que des éléments d'études géologiques; lui, avec
son génie rêveur et poétique, il y vit la cause du boulever-
sement du monde moral. Le déluge et les peintures qui en
sont faites dans la Bible préoccupaient sans cesse son esprit.
L'Apocalypse etses prédictions, la pensée de la fin du monde,
la terreur que cette grande menace inspira de tout temps aux
peuples de la terre, étaient sans cesse l'objet de ses médita-
tions i)rol'ondes. Salsalor \\o<à de la philosophie, esprit soin-
.531
bre et mélancolique, Eoulanger ne voyait dans l'Écriture
Sainte que des symboles astronomiques. L'iiisloire elle-même
nVcliappait pas à cette manière de tout réduire au symbole.
Il avait une grande puissance de volonté pour l'étude , si bien
qu'il apprit le grec, l'hébreu, le syriaque, dans le seul but de
rechercher l'étymologie de certains mots, de certains noms
qui lui donnaient, i tort ou à raison , l'explication d'un grand
nombre de faits. Mais, chose étrange, Boulanger n'avait
pas terminé un seul de ses ouvrages quand la mort le surprit,
à l'âge de trente-sept ans, le 16 septembre 1759. On peut
dire hardiment que deux parts doivent être faites de ses
œuvres , l'une qui est de lui en partie, l'autre qui ne lui ap-
partient en aucune manière.
L'Antiquité dévoilée, publiée après sa mort sur ses notes
nombreuses, rentre évidemment dans la première catégorie;
elle est de lui, sauf quelques points de rédaction ; on y re-
trouve l'empreinte d'une imagination forte et sombre. Il
trouve dans les usages de l'anliquiUi, dans les religions,
les traces du terrible souvenir, de la grandiose teneur du
déluge ; il recherche les liaisons qui existent entie ce phéno-
mène immense et les périodes astronomiques. Rien dans cet
ouvrage n'accuse la tendance de l'époque qui visait à dé-
truire la religion du Christ ; il est enthousiaste , mais modéré. 11
n'en est pas de même des Recherches sur l'origine du des-
potisme oriental; là se montre à nu l'irréligion la plus en-
cyclopédique (qu'on nous pardonne le mot). L'auteur veut
y démontrer comme quoi les gouvernements de l'Orient
n'ont dû leur puissance absolue et despotiijue qu'aux terreurs
qu'inspiraient les terribles souvenirs du déluge. Quant aux au-
tres ouvrages attribués à Boulanger, ils ne sont plus que
l'oiuvre des encyclopédistes, et surtout du baron d'Holbach.
Boulanger en avait sans doute conçu la pensée; mais l'exé-
cution est due à des metteurs en œuvre imbus du philoso-
phisme de l'époque. C'est une Dissertation sur É lie et sicr
Enoch , une Dissertation sur saint Pierre, une Disserta-
tion sur Ésope , et une pauvre Histoire d'Alexandre. Mais
les articles Corvée, Guèbres, Déluge, Langue hébraïque,
Économie politique, dans Y Encyclopédie, sont de lui. Les
ouvrages de ce génie bizarre, mais honnête, ont été publiés
en huit vol. in-8" ou dix vol. in-12. Dans le commerce ordi-
naire de la vie. Boulanger était affable et bon ; fort tolérant
à l'endroit de ses théories, il ne les imposait pas avecdes-
poUsme : il les proposait, et comprenait parfaitement qu'on ne
les adoptât pas, parce que, disait-il, eZ/es sont di/jiciles à
prouver. Jules Pautkt.
BOULANGER ( Mariic-Julik HALIGUER, connue sous
le nom de M"""), naquit à Paris, le 2"J janvier 1786. Elle fut,
dès ses premières années, emmenée en province par son
père, qui y remplissait un modeste emploi. Son talent pré-
coce pour la musique, le lind)re mélodieux de cette voix
encore enfantine, atliièrent l'attention de quelques amis de
sa famille, à laquelle ils persuadèrent, non sans peine,
d'envoyer la jeune personne dans la capitale, pour qu'on y
cultivât ses heureuses dispositions. Reçue le 20 mars 1806
au Conservatoire de Musique connue pensionnaire, elle eut
d'abord Plantade pour maître de chant, devint élève de
tiarat en 1807, et lut formée à la déclamation dramatique
par Baptiste aîné. Ile prouva en remportant tous les pre-
miers prix qu'elle avait su profiler des leçons de ces maî-
tres. Ornement des concerts si justement célèbres dn Con-
.seivaloire, elle avait épousé un artiste qui y figurait dans
la partie instrumentale. Avant de paraître sur la scène, elle
brilla au dehors dans d'autres concerts, oii une belle voix et
une exécution brillante commencèrent sa réputation. Sans
avoir jamais passé sur aucun IhéAtre, sans même avoir joué
dans aucun spectacle de société, elle débuta, le 16 mars 1811,
h rOpéra-Comiquedans Vami de la Maison et Le Concert
interrompu, et elle y obtint un succès tel, qu'après la repré-
sentation elle dut être ramenée sur la scène par Elleviou.
. Ce succès ne lit que s'accroître à chaque nouveau rôle
BOULANGER — BOULAY
abordé par elle , mais surfout dans celui de Colombine du
Tableau Parlant. Grétry, dont elle avait si bien saisi la gra-
cieuse malice dans cette charmante binette, lui fut rede-
vable des plus doux plaisirs de ses derniers jours. 11 faudrait
passer en revue prescpie tout l'ancien répertoire del'Opéra-
Comique pour mentionner seulement les rôles où elle excella.
Son jeu naturel et animé lui faisait avoir surtout la jjalme
dans les rôles de soubrette qui demandent de la finesse et de
la gaieté. Cette réussite constante eut principalement pour
cause l'alliance, en général si rare, et chez elle pourtant si
étroite, de la comédienne et de la cantatrice. Elle jouit pen-
dant vingt-quatre ans de suite de la faveur du public ; mais,
sentant ses moyens s'affaiblir, elle eut le courage de quitter
le théâtre en 1835.
Elle eut un courage plus grand encore, celui d'y rentrer
quelques années plus tard après avoir éprouvé de forte»
pertes, et de s'y résigner aux rôles de mères. Elle reparut au
nouvel Opéra-Comique, sur la place de la Bourse. Comme
cantatrice, elle avait perdu quelques-uns de ses avantages.
Quant à son jeu plein de vérité, d'aisance et de naturel;
quant à Fa gaieté franche, spirituelle et communicalive, elle
était toujours la même, elle ne laissait rien à désirer. Enfin,
dans le mois de mai 1846 elle prit sa retraite définitive dans
le rôle de Ma tante Aurore. Sa voix s'était à peu près
éteinte, il est vrai; mais c'était encore le même goitt, la
même intelligence dramatique, la même aptitude à faire va-
loir les intentions du poète et du musicien. M"® Boulanger
est morte à Paris, le 23 juillet 1850.
Son fils Ernest Boulanger, élève distingué du Conserva-
toire, qui a remporté le premier grand prix de composition,
est auteur de la musique de deux pièces jouées à l'Opéra-
Comique : Une voix ci La Cachette.
BOULAY rfe la Meurthe (Antoine-Jacques-Claude-
JosEi'H ), naquit à Chaumousey , village des Vosges , le li) fé-
vrier 1761. Ses parents étaient cultivateurs, et lui furent
enlevés de bonne heure. Un oncle, curé près de Nancy, re-
cueillit le jeune orphelin, et employa son modeste héritage à
lui donner une éducation dont il sut profiter. Après de solides
éludes au collège de Toul , il se fit recevoir avocat à Nancy,
y exerça pendant quelques années , et vint, en 1786, prendre
place au barreau de Paris. Il commençait à s'y faire re-
marquer quand la révolution lui parut imposer d'autres de-
voirs à son patriotisme. Il quitta la robe pour l'épée, s'en-
gagea comme volontaire, fit la campagne de 1792 dans un
bataillon de la Meurthe, et combattit à Valmy. De retour à
Nancy, il fut élu juge au tribunal civil; destitué en 1793 par
un conventionnel en mission, il s'enrôla de nouveau, fut élevé
au grade de capitaine , et se trouva aux lignes de Wissem-
bourg. Les mesures prises pour la réorganisation de l'armée
le rendirent encore une fois à la vie civile ; mais la perse- «
cution l'attendait dans ses foyers. La Terreur régnait; un ■
mandat d'arrêt le contraignit à fuir et à chercher son salut ■
dans une obscure retraite, au fond des Vosges. Enfin, grâce
aux événements de thermidor, il put reparaître au milieu de
ses concitoyens, et leurs suffrages l'attachèrent de nouveau
au tribunal comme président, et bientôt après lui confé-
rèrent les fonctions d'accusateur public.
Ces fonctions lui méritèrent un témoignage de confiance
plus éclatant : en Tan V il fut élu député au Conseil des
Cinq-Cents. C'est dans cette assemblée que s'ouvrit sa car-
rière politique. Les circonstances étaient délicates. L'anar-
chie, vaincue au 9 thermidor, se tenait toujours prête à
ressaisir sa sanglante dictature. Le parti de l'ancien régime
relevait la tête; ses intrigues, son influence, grandie parles
excès de la révolution , avaient introduit ses affidés dans les
deux conseils législatifs, dans les plus hauts emplois de
l'iitat. Un gouvernemont faible, incertain, déconsidéré, ne
y)ouvait contenir les factions. Enfin, la cause de la révo-
lution n'avait jamais couru de plus grands périls. Boulay
s'en constitua le défenseur courageux et habile; il insista
I
BOULAY
635
pour que tous les ministres Au culte fussent soumis à une
déclaration particulière de fidélité au gonvernement; il fut
un des agents les plus décidés du coup d'État de fructidor,
et consentit à être le rapporteur de la loi qui frappait de dé-
portation un certain nombre de députés et de journalistes ,
mesure révolutionnaire , et qui , si elle ne relevait pas les
échafauds, n'en était pas moins violente et arbitraire. Mais
peut-être la révolution était-elle condamnée à ces énormités
pour échapper à ses adversaires. Quoi qu'il en soit, le Direc-
toire luttait en vain contre des ennemis qu'il n'avait point
la force de détruire. On n'osait plus verser le sang , il est
vrai; mais l'exil, la déportation, la confiscation, étaient
encore des armes familières aux vainqueurs. Les anciens
nobles ne dissimulaient ni leurs haines ni leurs menées cons-
piratrices. On voulut conjurer leurs efforts : leur expulsion
en masse et sans forme de procès fut proposée et appuyée
au nom d'une commission des Cinq-Cents par son rapporteur
Boulay. L'opinion publique se souleva; la commission qui
avait adopté cette proposition s'empressa de la modifier elle-
même, et y substitua une simple exclusion des emplois pu-
blics, et l'obligation de se soumettre à certaines conditions
spéciales pour jouir des droits du citoyen. Une loi sanc-
tionna ces mesures.
Mais ce n'était point à de tels expédients qu'il apparte-
nait de rétablir l'ordre et la sécurité. Le Directoire luttait
en vain par l'arbitraire contre les vices de sa constitution ,
et ceux même qui lui avaient prêté le concours le plus ef-
ficace se trouvèrent dans la nécessité de combattre une po-
litique aussi violente que capricieuse, également dépourvue
de consistance et de dignité. Boulay fut de ce nombre : il
avait acquis une grande influence dans le Conseil des Cinq-
Cents. Organe de l'assemblée dans les circonstances les plus
décisives , prompt au travail , énergique et actif, il avait été
secrétaire des Cinq-Cents et deux fois président. Il résistait à
la fois aux hommes de désordre en s'opposant à ce que la
patrie fut déclarée en danger , formule empruntée aux
jours de la Terreur, et aux excès du pouvoir on défendant
les libertés publiques contre les atteintes du gouvernement.
Il ne tarda point, sans doute, à désespérer des nouvelles formes
constitutionnelles qui avaient été improvisées par la Conven-
tion expirante; et lorsqu'au ts brumaire. Directoire et
conseils furent emportés par un coup de main du jeune
vainqueur de l'Italie, Boulay salua de son adhésion et ap-
puya de son influence le nouveau pouvoir, qui promettait
l'ordre et ne menaçait pas encore la liberté.
Nommé président de la commission intermédiaire qui
avait été créée dans la soirée du 19 brumaire, il refusa,
dit-on, le ministère de la police; mais il se chargea de
développer les bases de la constitution consulaire, à la-
quelle il venait de coopérer. Il ne pouvait rester en dehors
des affaires ; il était de ceux qu'appelait à lui le premier
consul, pour donner à son gouvernement l'appui de tous les
hommes qui s'étaient fait remarquer dans les assemblées ,
dans les diverses carrières publiques. Le conseil d'État ve-
nait d'être organisé; et dans la pensée de son fondateur
l'administration tout entière et à certains égards la di-
rection politique elle-même allaient lui être remises. Le
comité de législation devait prendre part à la plus grande
œuvre législative qui jamais eût été entreprise. Boulay fut
placé à la tête de ce comité, et en dirigea les délibérations
pendant toute la discussion du Code Civil. Il le quitta pour
l'administration du contentieux des domaines nationaux ,
poste important, q\ii avait besoin d'être remis à des mains
pures ; le premier consul à cette occasion dit à Boulay :
« Je vous donne une place où réside toute la politique inté-
rieure de l'État; j'ai été très-indulgent pour les personnes,
et je n'ai presque fait que des ingrats; mais soyez très-sé-
vère pour les bleus. » Boulay maintint toutes les ventes
nationales, fit bonne justice à chacun, et sut se concilier
l'estime de ceux mîir.es que ses devoirs l'cbligeaiont sou-
vent à froisser dans leurs Intérêts. Après neuf ans passé»
dans cet emploi, après avoir instruit plus de vingt milla
affaires, et presque entièrement épuisé cette tâche laborieuse,
il reprit au conseil d'État la présidence du comité de légis-
lation. A ce titre il faisait partie du conseil de régence
formé en 1814. Il y siégeait le 28 mars lorsqu'on délibéra
sur la conduite que l'impératrice devait tenir. Boulay s'op-
posa énergiquement à ce qu'elle s'éloignât de la capitale. Il
voulait que la petite-fille de Marie-Thérèse suivît l'exemple
de son aïeule , et qu'à cheval , son fils dans les bras , elle fît
un appel à la garde nationale et au peuple de Paris. La ma-
jorité du conseil se prononça pour cet avis : on sait trop
qu'il ne fut point suivi.
Pendant la première restauration Boulay vécut dans la
retraite. Le retour de l'empereur lui rendit ses anciennes
fonctions, avec le titre de ministre d'État. Dans la Chambre
des représentants, où l'avait appelé le département de la
Meurthe, il défendit les intérêts de la dynastie impériale;
dans le conseil d'État, il rédigea en grande partie les deux
célèbres déclarations par lesquelles ce grand corps adhéra
au nouveau gouvernement et à ses principes. Enfui, le gou-
vernement provisoire lui confia le ministère de la justice. La
seconde restauration termina sa carrière politique, mais non
les agitations d'une vie si pleine. Proscrit par l'ordomiance
royale du 24 juillet 1815, et forcé de se retirer en Allemagne,
il ne (ut autorisé qu'à la fin de 1819 à rentrer en France, où il
se détermina à rester désormais dans la vie privée. Son esprit
lui offrit des ressources contre l'ennui qui dévore souvent
ceux que les vicissitudes des événements arrachent aux af-
faires publiques; il avait le goût des lettres. Sous le Direc-
toire , il composait un écrit qui occupait vivement l'attenfioa
publique : en y décrivant les causes qui avaient amené en
Angleterre V établissement de la république et celles qui
V y firent périr, il offrait au temps présent de curieux rap-
prochements et des enseignements utiles. Dans l'exil , il
publiait le Tableau politique des règnes de Charles 1/ et
de Jacques II, derniers rois de la maison de Stuart,
et cette composition historique était encore une leçon qu'il
empruntait au passé. Les dernières années de sa vie ont été
employées à écrire des mémoires sur la révolution qui pour-
ront expliquer des événements encore mal connus. Il est
mort le 2 février 1840 , laissant à deux fils, ses dignes héri-
tiers , un des noms les plus honorables parmi ceux que les
événements accomplis en France depuis 1789 ont fait sortir
de l'obscurité pour les recommander à l'estime et à la re-
connaissance publiques. Vivien, de flnsiiiut.
BOULAY de la Meurthe (Henri), sénateur, ex-vice-
président ^e la République, fils aîné du précédent , est né à
Nancy, le 15 juillet 1797. Il embrassa la camèredu barreau,
mais s'occupa bien moins de jurisprudence que de la ges-
tion des propriétés considérables de son père , qu'il admi-
nistrait avec un dévouement plus que filial. Quoi qu'il en
soit, il était inscrit au tableau des avocats à la cour royale
de Paris lorsque éclata la révolution de Juillet. Jeté dans le
mouvement, il obtint après la victoire la décoration créée
pour les combattants. M. Boulay de la Meurthe affectait ce-
pendant d'abord des opinions napoléonistes ; mais il fut
bientôt rallié au gouvernement de Louis-Philippe, et devint
successivement chevalier , puis officier de la Légion d'Hon-
neur, lieutenant-colonel, puis colonel delà onzième légion de
la garde nationale parisienne, membre du conseil général
de la Seine, etc. En 1834 Lunéville l'envoya à la chambra
des députés. Il y siégea au centre gauche , et fit partie de
l'opposition dynastique modifiée , s'occupant spécialement
de la propagation de l'enseignement primaire.
On lui doit en effet, entre autres ouvrages, plusieurs rap-
ports sur les travaux de la société pour l'instruction élé-
mentaire et sur sa situation en France et à l'étranger; d'au-
tres rapports au conseil municipal de Paris sur le même
sujet, sur les livres et méthodes, sur l'organisation du cona-
i3G
BOULAY — BOULE
mercede la boucherie, cl une Histoire du Choléra-Morbus
dans le quartier du Luxembourg. C'est à ses longues
instances que les instituteurs primaires durent une augmen-
tation de traitement votée par la chambre des députés dans
une de ses dernières sessions.
Réélu en 1837, M. Boulay de la Meurthe échoua en 1839.
Plus heureux en 1842 et en 1846, il reparut à la chambre
avec le mandat du collège de Mirecourt. Épris d'un vif amour
postliume pour le grand empereur, il avait ressuscité , en
dépit des règlements, les fifres de la garde impériale dans
sa onzième légion, souvenir qui est resté gravé en caractères
douloureux dans les oreilles du quartier.
L'avènement de la république de 1848 était sans doute
peu du goût de notre législateur-colonel. Le suffrage uni-
versel parisien commença par le dépouiller de ses épaulettes.
Les Vosges lui furent plus fidèles, et l'envoyèrent à la Consti-
tuante. 11 n'y brilla guère que par son attachement au neveu
de l'empereur, qui dut présenter à l'Assemblée constituante,
aux termes de la constitution , trois candidats pour la vice-
présidence. M. Boulay de la Meurthe était entête de la liste.
L'Assemblée, accusée d'être peu favorable à l'élu du peuple,
crut faiie acte de bon goût en choisissant le premier nom
présenté. M. Boulay de la Meurthe devint ainsi vice-prèsi-
denl de la république et président du conseil d'État. On
avait affecté à sa demeure le petit Luxembourg. 11 préféra
rester dans sun hùtel. Outre son traitement, on finit par lui
voter 50,000 fr. de frais de représentation; il n'en usa qu'en
faveur de dilïérentes institutions de bienfaisance.
Le coup d'Etat du 2 décembre 1851 a dépouillé M, Boulay
de ses fonctions de vice-président de la république et de
président du conseil d'Etat; mais il a reçu depuis pour fiche
de consolation l'habit brodé de sénateur. 11 s'était marié
en 1851, à l'âge de cinquante-quatre ans.
Son frère puîné, M. Joseph Boulay, ancien secrétaire
général du ministère de l'agriculture et du commerce sous
Louis-Philippe , est aujourd'hui conseiller d'État, comme il
l'avait été sous la constitution de 1848.
liOULAY-PATY ( Pierke-oébastien ), législateur et
jurisconsulte, naquit àAbbaretzprès de Châteaubriaut (Loire-
Inférieure), le 10 août 1763. Reçu avocat à Rennes en 1787,
il embrassa la cause de la révolution s:ins en partager les
excès ; et il s'honora surtout par sa résistance au proconsul
C a r r i e r. 11 remplit successivement différentes fonctions pu-
bliques , entre autres celles de commissaire civil et criminel
du pouvoir exécutif dans le département de la Loire-Infé-
rieure, et fut élu en 1798 au conseil des Cinq-Cents. 11 prit
une part active à la révolution du 18 juin 1799, qui contrai-
gnit La Revellière-Lépeaux et Merlin à quitter le Direc-
toire, et fit également l'opposition la plus vive à la journée
du 18 brumaire : aussi fut-il placé le 19 sur la liste des
membres exclus. Mais sa disgrâce ne fut pas de longue
durée ; car le gouvernement consulaire le nomma juge à la
cour d'appel de Rennes. Lors de la réorganisation de l'ordre
judiciaire, en 1810, il devint conseiller à la cour impériale, et
fut conlirmé dans ses fonctions, qu'il n'avait cessé d'exercer
pendant la première et la seconde restauration, par ordon-
nance royale, li mourut le 16 juin 1830, à Donges, doyen de
sa cour. On a de lui : Observations sur te projet du Code
de Commerce (1802); Cours de Droit Commerciat maritime
(4 vol., 1821 ), ouvrage qui le place au premier rang des
jurisconsultes; Traité des Faillites et Banqueroutes (1825);
Emerirjon annoté, mis en rapport avec le nouveau Code
de Commerce. 11 avait rassemblé en outre dans les dernières
années de sa vie une foule de matériaux restés inédits pour
une Histoire du Commerce Maritime chez tous les peu-
ples.
Son fils aîné, mort à vingt-cinq ans, fut l'un des signataires
de !a consultation du général Travot. — Le second, Eva-
nA7cBoiJi,AY-PATY,néà Donges, le 19 octobre 1804, a vu cou-
ronner par l'Académie Française son pocmc sur VArc de
Triomphe de V Étoile , et ce succès eut tant d'éclat que le
prix fut doublé, ce qui n'avait jamais eu lieu depuis la fon-
dation de l'Académie. Il a vu couronner encore par l'Aca-
démie de Nantes sa Chute des Empires, et par l'Académie
des Jeux Floraux son ode intitulée Le Charme. Son poëme
sur le Monument de Molière a obtenu une première men-
tion honorable à l'Académie Française. 11 a publié en outre
un volume de Dithyrambes sur les Grecs, Élie Mariaker,
deux volumes d'Orfe* et un volume de Sonnets.
BOULBEIVE) espèce d'argile siliceuse, assez commune
dans le département du Gers, où on la trouve ordinairement
dans le voisinage des rivières. C'est une terre blanchâtre ,
dont les parties sont plus ténues que la cendre de nos foyers,
et qui, par le lavage et la décantation, donne un sable vitreux,
ayant l'apparence du grès pilé. Son épaisseur ordinaire est
de deux décimètres : elle pose sur des bancs d'argile colorés
en noir, bleu et gris, par l'oxyde de fer, et au-dessous
desquels se rencontre ordinairement le tuf. Cette argile con-
serve la forme qu'on lui donne ; elle se dessèche sans se
fendre, et acquiert une très-grande dureté par la chaleur du
soleil. C'est sans contredit la meilleure des terres pour la
composition du pisé, et il est à regretter que sa production
soit bornée à quelques localités.
BOULE. On donne ce nom à tout objet de forme
sphérique.
il y a trois manières de procéder pour tourner tine boule
méthodiquement :
1° On forme sur le tour un cylindre dont la longueur et le
diamètre égaient le diamètre de la boule que l'on se pro-
pose de former. On trace sur le milieu de ce cylindre , en
lui présentant l'angle d'un ciseau, un cercle qui sera l'cqua-
teur de la future boule. Cela fait, on met le cylindre en
travers un mandrin que porte l'arbre d'un tour en Cuir, et
on enlève toute la matière qui excède l'équateur de la boule,
cercle dont l'axe de rotation du tour est alors un des diamè-
tres. Quand celte opération est terminée , la boule est à
moitié faite. On la retourne pour former l'autre moitié, en
procédant de la même manière,
2" Le procède qui vient d'être expose est parfaitement d'ac-
cord avec les principes de la géométrie, mais il est bien dif-
ficile de le pratiquer exactement sans erreur. C'est ce qui
a fait imaginer aux fabricants de globes géographiques le
mécanisme que voici : le diamètre de la boule étant déter-
miné, on forme un demi-cercle en métal d'un rayon égal à
celui de la boule. Le bord intérieur de ce demi-cercle est
coupant. La boule étant formée grossièrement en carton-
nage, etc., on la recouvre d'un enduit qui se laisse couper
facilement et avec netteté , quand il est sec ; la boule tour-
nant entre deux pointes comme sur ses pôles, on lui présente
le demi-cercle : toute la matière qui excède est enlevée et
la boule est tournée.
3° Enfin , des amateurs de l'art du tour ont inventé un
petit appareil à l'aide duquel on termine une boule avec la
plus grande exactitude. Au-dessous du mandrin qui porte
la boule ébauchée est fixé sur le banc du tour un pivot ver-
tical , dont l'axe forme des angles droits avec l'axe de ro-
tation du tour. Sur ce pivot tourne un porte-outil , dans le
plan du cercle qui représente l'horizon de la boule. Pendant
que celle-ci tourne suivant le mouvement de l'arbre qui la
porte, on fait mouvoir le porte-outil sur son pivot , et l'on
avance le fer jusqu'à ce que la boule soit régularisée
partout, à l'exception du point par lequel elle tient au
mandrin. TEYSsÈnr.r.
BOULE (Jeu de). Il y a aujourd'hui deux sortes de jeux
de boules: le jeu de grosses boules elle jeu dit du co-
chonnet. Nous n'avons à parler ici que du premier.
Le jeu de grosses boules se joue dans une sorte d'allée de
jardin encaissée de manière que les boules lancées ne \}vis-
sent dévier ni à droite ni à gauche. A l'une des extrémités de
cette allée est une marque visible sur le sol, puis, à soixante-
BOULE —
quinze ou quatre-vingts centimètres de cette marque, un fossé
appelé notjon. Ciiaque joueur, armé de deux boules, en joue
une à son tour, en cherchant à placer les siennes le plus
près possible du but et à en chasser celles de l'adversaire.
11 doit éviter que la boule qu'il joue tombe dans le noyon,
car elle ne compterait pas.
Toutes les boules étant jouées, celui des joueurs dont les
boules sont le plus près du but marque un point pour
chacune. Le nombre des points qui composent la partie doit
être fixé à l'avance.
Le jeu de boule est sans doute fort ancien. 11 était autrefois
fort goûté dans toute la France. Nos ancêtres s'étaient même
tellement passionnés pour cet amusement que Charles V le
lit défendre, parce qu'il détournait les jeunes Français du
métier des armes, et qu'il avait grand besoin, dit-il, de sol-
dats et non de bouleurs , contre les Anglais. Comme le jeu
de boulesdonne lieu à beaucoup d'erreurs, etque les joueurs
sont toujours disi)osés à s'attribuer l'avantage eu mesurant
la distance des boules, on a fait le mot bouleur synonyme
de trompeur.
BOULE ( André-Cuai'.les), l'ébéniste le plus célèbre des
temps modernes, naquit à Paris, en 1642. Doué par la nature
des plus heureux Instincts , il aurait été à toute époque un
artisan distingué; sous le grand roi, dans le grand siècle, il
devint un grand artiste. Fils d'un ébéniste, il suivit la car-
rière modeste de sou père, mais en l'agrandissant à sa taille.
A propos de meubles, le thème qui semble pour l'ordi-
naire inspirer le moins, il sut montrer tour à tour et à la
fois toutes les qualités d'un architecte de style abondant et
sévère, d'un coloriste harmonieux et varié, d'un sculpteur
lin , élégant et correct. Sans imiter personne , il contribua
puissamment^ fixer le goût grandiose du siècle de Louis XIV,
dont il est un des plus singuliers ornements. Aucun autre
avant lui n'avait su combiner de façons si diverses, avec
autant de bonheur et d'effet , les différents bois des îles, de
l'Inde et du Brésil ; jamais on n'avait su employer comme
lui le cuivre, l'or, l'argent, le bronze et l'ivoire. Il figurait
dans ses ouvrages toutes les espèces d'animaux , de fruits, de
coquillages, de fleurs. Toujours avec les seuls éléments de
Icbénisterie, il composait des tableaux dans lesquels étaient
représentés des sujets d'histoire, de batailles, de chasses
et de paysages. Dans tous les temps, les esprits initiés aux
beautés souvent voilées de l'art, sensibles à ses discrètes
émotions, ont rendu justice au style excellent des composi-
tions de Boule et au rare niL rite de leur exécution ; mais
c'est avec un véritable plaisir que nous devons ici recon-
naître la proportion dans laquelle, pendant ces dernières
années, le nombre de ses admirateurs s'est accru. Son nom,
qui n'était encore, il y a peu de temps , familier qu'aux an-
tiquaires et aux érudits, s'est de nos jours rapidement
popularisé; et la nation française, au moment où nous écri-
vons, s'enorsueillit à bien juste titre de son ébéniste comme
de l'un des moins contestables de la noble pléiade de ses
artistes. Après un siècle d'oubli, après avoir été chassés
des châteaux de nos rois par les caprices sans cesse re-
naissants de la mode et |)ar la tourmente révolution-
naire, les meubles de Boule ont repris aujouid'hui toute
faveur.
Nous terminerons cet article en formulant des vœux pour
que celui qui fut logé au Louvre par Louis XIV , nonmié
par lui graveur ordinaire du sceau; celui ([u'ou qualilia ,
dans le brevet qui lui fut délivré, d'archilecie, de peintre,
sculpteur en mosaïque, inventeur de chilIVes, etc., reprenne
dans nos collections d'art le rang qui lui appartient. Son
nom ne figure pas encore au catalogue du cabinet des es-
tampes. Espérons que, par les soins des savants icouophiles
«lui le dirigent, son a-uvre gravée ne tardera pas à y prendre
la place éminenfe que l'opiuion générale lui assigne.
Après une existence toul entière remplie par le travail.
Boule moui-uta Paris, en 1732. C. ue Cop.cy.
UIGT. LE LX CO.NVtlis. _ T. Ul.
BOULEAU • 537
BOULEAU. L'espèce type de ce genre de la faiiùUe des
amentacées, le bouleau blanc {betula alba), croît natu-
rellement en Europe. Ce bouleau s'élève à 15 ou 20 mètres
et aucun arbre ne jouit autant que lui peut-être de la propriété
de croître partout, excepté (chose paradoxale, et néanmoins
véritable ) dans les sols généreux , où on le voit rarement à
l'état de nature , et où il semble ne pas se comporter mieux
même à l'état de culture que dans les terres arides et brû-
lantes, les sites élevés et infertiles de toutes espèces : par un
contraste digne de remarque, on le trouve encore, à côté de
l'aune, dans les marais fangeux où croupissent des eaux
impures. On voit le bouleau occupant seul des contrées en-
tières dans les dernières et les plus froides régions du nord, où
il est d'une grande utilité dans l'économie domestique. Ainsi
les Grœnlandais , les Kamtchadales , couvrent leurs cabanes
avec son écorce ; ils s'en nourrissent quand elle est nouvelle
s'en font des chaussures quand elle est vieille; les diverses
enveloppes de cette écorce servent à fabriquer un assez bon
papier; enfin cette écorce possède encore des vertus essen-
tiellement fébrifuges. De plus les Russes, les Suédois , savent
tirer du tronc du bouleau une liqueur fermentée.
Le genre bouleau renferme une quarantaine d'espèces :
nous parlerons seulement des plus importantes; la plupart
appartiennent à l'Amérique.
Le bouleau pleureur ou bouleau à rameaux pendants
(betula pendula) croît naturellement en Europe avec le
bouleau blanc, dont il paraît être une variété; il s'élève à
la môme liauteur que ce dernier, et il n'en diffère que par
la souplesse, l'inclinaison et la disposition tombante de ses
rameaux pareils à ceux du saule pleureur. Cette disposition
lui donne une pliysionomie pittoresque très-reaîarquable; et
jointe à ses feuilles , bien faites et odoriférantes , à la cou-
leur blanche de son épiderme, luisant et bnllant , elle fait
de ce bouleau un arbre qui convient beaucoup, et qui n'est
jamais oublié dans les parcs et jardins d'agrément.
Le bouleau à papier du Canada {betula papyracea),
le plus ancien de ceux qui ont été apportés en France, et
qui a l'écorce un peu moins blanche que celle du bouleau
blanc d'Europe , reçut à son arrivée parmi nous, et par op-
position au bouleau blanc d'Europe, le nom de bouleau
noir d'' Amérique, bien que les Français du Canada le con-
nussent sous le nom de bouleau blanc. Il est très-abondant
dans le Bas-Canada, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-
Ecosse, les États de Vermont, de Connecticut et l'État de
New- York, où il est d'une utilité aussi générale que l'est
parmi les peuples septentrionaux de l'Europe le bouleau
d'Europe. Il olfre, eu outre, ce caractère de supériorité,
qu'indépendamment de sa stature plus élevée, son bois est
d'une meilleure qualité , et sa végétation beaucoup i)lus ra-
pide que celle du bouleau blanc d'Europe.
Le bouleau à feuilles de peuplier de Pensylvanie
{betula populi/olia) s'élève moins que le précédent, dont
il diffère par la forme de ses feuilles : il croît dans les par-
ties les plus septentrionales des États-Unis, dans les États
de New-Yorli, de New-Jersey et de Philadelphie, indistinc-
tement dans les terres arides, maigres et sablonneuses,
et dans les lieux humides, où il parvient à la hauteur du
bouleau d'Eiuope.
Le bouleau ruuge de New-Jersey {betula rubra) se
trouve le plus abouJamnient dans le New-Jersey , la Virgi-
nie, aux bords de la Delaware, dans la partie haute des
deux Carolines, et dans la Géorgie. On l'y rencontre
parmi les platanes et les érables , dans les sols graveleux
ou stériles , où il atteint jusqu'à 25 mètres de hauteur. En-
tre autres usages, 'es nègres se servent de son bois indis-
tinctement avec celui du tulipier pour en faire des vases
propres à contenir leurs aliments et leurs boissons.
Le bouleaic de Virginie à feuilles de merisier {betula
lenta) est un des plus recommandables de ceux de l'Amé-
rique, par la beauté et la qualité de son bois, qui lui a valu
538
BOULEAU — BOULEN
le nom d'acajou de montagne. L'odeur snave et la forme
«le ses feuilles , semblables à celles du merisier, lui ont mé-
rité aussi les noms de bouleau merisier et de bouleau
odorant. Il abonde plus particulièrement au sommet des
monts AUegbanys, en Pensylvanie, dans les États de New-
Jersey et de New- York. Les feuilles du bouleau merisier
exhalent «ne odeur extrêmement suave, qu'elles ne perdent
pas par la dessiccation , et dont on fait une infusion théi-
forme d'un arôme délicieux. Les ébénistes américains à
Boston et dans le Massachusets , le Connecticut et le New-
York, en font des tables, des fauteuils, des canapés, des
bois de lits qui ressemblent à l'acajou; cet arbre s'élève
autant que le betula papyraçea, et sou accroissement est
plus rapide encore.
Le bouleau jaune de la Nouvelle- Ecosse {betula
lutea), qui croit dans les forêts du district du Maine et du
Nouveau-Brunswick , où il est très-abondant, a beaucoup
de rapports avec le bouleau merisier, dont il possède les
avantages. Il se fait un commerce considérable de ses plan-
ches. Le bois du bouleau jaune est un des plus estimés dans
la menuiserie. Cet arbre est une utile importation parmi
nous : on le multiplie par couchage, et surtout par la se-
maison , ainsi que presque toutes les espèces que nous ve-
nons de décrire. C. Tollard aîné.
BOULE D'AMORTISSEMEINT, en architecture,
se dit de tout corps sphérique qui termine quelque édifice
ou quelque décoration, telle que la pointe d'un clocher, ou
le haut d'un dôme : la coupole de Saint-Pierre à Rome, par
exemple , est surmontée d'une bouie de bronze avec une
armature de fer en dedans , dont le diamètre est de plus de
deux mètres et demi , et qui peut contenir seize personnes.
BOULE DE MARS ou BOULE DE NANCL On ap-
pelle ainsi un composé que l'on obtient en faisant une pâte
liquide avec deux parties de crème de tartre, une partie de
limaille de fer porphjrisée et de l'eau-de-vie : l'oxygène de
l'air se porte sur le fer, et il se produit du tartrate de po-
tasse et de fer, auquel on donne la forme de boules , qui
ont ordinairement la grosseur d'une noix ordinaire.
On a donné aussi aux boules de mars le nom de boules de
Nanci, et celui de boules de Molsheiin, des deux villes
de France et d'Alsace qui portent ces noms, et où se fabri-
quait principalement ce composé.
La boule de mars en solution dans l'eau convient dans
la chlorose, l'aménorrhée causée par l'impression d'un corps
Iroid, et accompagnée d'une diminution des forces vitales et
musculaires; dans la leucorrhée accompagnée de faiblesse,
principalement lorsque les autres piéparalions ferrugineuses
n'ont produit aucun effet sensible. Pour ces espèces de ma-
ladies, il est essentiel de l'associer avec une infusion de plante
fortifiante amère ou fortifiante aromatique. Extérieurement,
et mise en solution avec de l'eau-de-vie , la boule de Nanci
est indiquée dans les fortes contusions , lorsqu'elles sont ré-
c<>ntes, ou sur les environs d'une plaie nouvelle accompagnée
de violentes contusions. Mise sur les plaies récentes et
profondes, et sur les ulcères, elle s'oppose à la consolidation
des premières et à la cicatrisation des secondes.
Les médecins préfèrent généralement à la boule de mars
d'autres préparations de fer, dont les proportions et le dosage
sont plus connus et plus certains.
BOULE DE NEIGE. On donne ce nom, en bota-
nique, à une variété de la viorne-obier {viburnum opulus),
de la famille des chèvres-feuilies , dont les fleurs blanches
et toutes stériles sont rassemblées en boules. La boule de
neige est un arbuste d'ornement pour les jardins ; il exige
un terrain frais, et néanmoins l'exposition du midi. On le
multiplie de rejetons et de marcottes simple.s, et on le taille
aus-iilôt après la lloraisou.
BOULEX, BOOLEN ou BOLEYN (Anne de), reine
d'Anglelerie. « Il est bien étrange, dit Bayle, qu'on sache
« peu en quel temps naquil, en «picl temps sortit d'Angle-
terre et y retourna une personne qui parvint d'une manière
si éclatante à la royauté. » Les historiens ne s'accordent
presque pas davantage sur les circonstances de sa vie,
jusqu'au moment où le sanguinaire et débauché Henri VIII
la fit mouler sur son trône par un crime, et l'en précipita par
un autre. A cette époque , où le catholicisme et la réforma
partageaient les esprits et pervertissaient aussi les cons-
ciences, les jugements sur Anne de Boulen «levaient porter
le caractère d'une partialité d'autant plus forte que cette
princesse avait abjuré pour devenir l'épouse du roi. Par
conséquent, les catholiques ne lui pardonnèrent jamais une
apostasie qui couvrait déjà si mal celle de son honneur. 11
paraît, quoi qu'on ne puisse l'itfliriner , qu'.\nne naquit en
Angleterre, en 1500. Elle était le dernier enfant issu du
mariage de sir Thomas de Boulen, avec une fille du duc de
Norfolk. Cette famille était devenue l'un des apanages de la
lubricité d'Henri VIII, qui eut un commerce de galanterie
avec lady Boulen, et ensuite avec sa fille aînée. Un certain
chevalier Bryan, l'une de ces âmes damnées de la corruption
des princes, et que le roi appelait pour cette raison son
lieutenant d'enfer, s'était servi de l'amitié qui le liait avec
sir Thomas pour le déshonorer doublement au profit de
son maître.
Telles étaient les relations de ce prince au moins avec
lady Boulen, lorsqu'Anne, sa plus jeune fille, âgée de
quinze ans, accompagna en France la princesse Marie d'An-
gleterre, qui s'y rendait pour épouser Louis XII. Après
deux ans et demi, Marie, devenue veuve, revint en Angle-
terre. H serait difficile de comprendre pourquoi Anne, sa
fille d'honneur, alors âgée de dix-sept à dix- huit ans, n'y
suivit point cette princesse , et passa au service de madame
Claude de France, fille de Louis XII, mariée à François P^"^,
si l'on n'admettait comme motifs Irès-plausibles de cette
conduite, soit les bruits répandus sur elle avant son départ
d'Angleterre, que dès l'âge de quatorze ans Anne avait déjà
passé des bras du maître d'hôtel de son père dans ceux de
son chapelain, soit enfin l'amour qu'elle avait inspiré au
nouveau roi de France. Livrée aux séductions de cette cour
voluptueuse , une fille du caractère d'Anne de Boulen ne
pouvait balancer entre leurs jouissances et l'intérieur mo-
deste de la veuve de Louis XII , bien que Marie, jeune aussi,
ne fût pas ennemie des plaisirs. D'ailleurs, le soin de sa
réputation devait peu toucher une personne que la jeunesse
de la cour de France nommait grossièrement la haquenée
d' Angleterre ou la mule du roi. Aussi, après la mort de
la reine Claude, on vit Anne de Boulen s'attacher encore à
la duchesse d'Alençon, sœur de François I*"^. Sa beauté, son
esprit, sa folle gaieté, ses succès, ses plaisirs en tout genre,
la liaient chaque jour davantage à une cour dont elle faisait
et partageait les délices. Aussi peu chaste, dit-on, dans ses
discours que dans ses actes, elle trouvait au sein de cette
cour licencieuse une satisfaction si complète à se.s penchants,
qu'il est impossible de concevoir quel fut enfin le motif de
son retour en Angleterre. Les historiens gardent le silence
sur cette circonstance très-importante d'une vie qu'elle
semblait avoir consacrée à la France : peut-être Anne de
Boulen, déjà âgée de vingt-cinq à vingt-sept ans quand elle
quitta la cour.de François I*"", y fut-elle avertie que son rôle
était fini.
Quoi qu'il en soit, à son retour à Londres, après une aussi
longue absence et malgré la publicité des désordres de
sa jeunesse, Anne de Boulen entra au service de la malheu-
reuse Catherine d'Aragon, femme de Henri VIII, tant il
était de sa destinée d'être toujours fille d'honneur. L'em|)irs
que l'ancien ami de sa famille, le chevalier Bryan, conser-
vait sur le roi ne contribua pas peu sans doute, en <lépit
des échos de la cour de France, à la faire attachrr à la
reine. De plus, cet ardent entremetteur des débauches du
roi ne voulait pas plus que son maître laisser échapper le
plaisir de compléter dans la personne d'Anne de Boulea la
BOîJ
conquête de toute sa famille. D'après \es exemples de sa
mère et de sa sœur, et sa propre conduite dans les deux
royaumes, le priuce et son lieutenant étaient loin de pré-
voir la moindre résistance de la part de la nouTelle fille
d'honneur de Cattierine. Ce fut cependant ce qui arriva.
L'ambition lui sourit tout à coup comme une volupté nou-
velle. Elle s'y livra avec le stoïcisme de l'amour, lui en
sacrifiant les caprices, et lui soumettant l'empire de ses
charmes. Ambitieuse, elle se fit chaste, comme dans une
cour dévote les incrédules se font dévots pour parvenir.
L'entourage d'Henri Mil était loin d'être dévot , mais il
était alors agité par les intrigues du cardinal Wolsey, qui,
pour se venger de Charles-Quint, travaillait au divorce du roi
avec Catherine d'Aragon, sœur de l'empereur, afin de lui faire
épouser Isabelle de France. Pressée par Henri VIII, Anne
de Boulen osa concevoir le projet de jouer le cardinal , de
supplanter Catherine et Isabelle, et de monter sur le trône
d'Angleterre , bien qu'elle se fût engagée par un contrat à
épouser lord Percy, comte de Northumberland. Cette fille,
à la fois artificieuse et passionnée , parut elle-même aussi
éprise du roi que ce prince l'était d'elle. La résistance n'avait
fait qu'enflammer davantage son royal amant. Elle lui écrivit
qu'elle voudrait être son humble servante sans aucune
restriction, mais lui déclara en même temps qu'elle ne pou-
vait lui appartenir que par les liens du mariage. Cette
condition fut la cause immédiate delà répudiation de la sœur
du plus grand monarque du monde. Ce fut un des crimes
les plus scandaleux de ce règne. 11 produisit d'autres crimes
sanglants, dont Anne devait être la victime la moins inno-
cente.
L'impatience d'un homme aussi fatigué de jouissances que
devait l'être Henri VIII, alors âgé de quarante-cinq ans,
fut telle qu'il ne voulut pas même attendre la sentence de
dissolution de son mariage , qu'il avait demandée au pape
et qui lui fut refusée. Alors il se décida à épouser secrète-
ment Anne de Boulen, le 14 novembre 1532. Elle était dans
sa trente-deuxième année. Un certain C r a n m e r, qui avait
été chassé de l'université de Cambridge pour avoir aussi ,
tout prêtre catholique qu'il était, épousé secrètement la
sœur d'un ministre luthérien, qu'il avait séduite, fut le digne
instrument du mariage de Henri. Ce misérable , alors cha-
pelain de sir Thomas , avait été indiqué au roi par Anne de
Boulen ; et la promesse de l'archevêché de Cantorbéry avait
levé des scrupules qu'il n'avait point. On ne s'arrêta point
à la démission courageuse donnée par l'illustre chancelier
Thomas Mo ru s, qui refusa le sceau royal à cet infâme ma-
riage, et porta depuis sa tête sur l'écbafaud. Anne avait été
créée marquise de Pembroke, et son père comte de Wel-
shire. Le nouvel archevêque de Cantorbéry prononça la
nullité du premier mariage et la validité du second, malgré
leur coexistence. Anne de Boulen était enceinte de cinq mois
quand le roi la fit déclarer son épouse et reine d'Angleterre,
la veille de Pàque 1533 : le 1" juin suivant, elle fut couron-
née à Westminster avec une pompe extraordinaire. Il était
impossible de parjurer avec plus d'impudeur et d'audace les
lois divines et humaines. Le pape excommunia Anne et Henri,
qui se déclara chef de la religion dans son royaume.
Le 7 septembre suivant, la nouvelle reine accoucha d'une
fille, qui fut la fameuse Elisabeth, princesse à jamais
digne de l'admiration de la postérité , si elle n'avait point
souillé son règne par le meurtre de Marie Stuart. Il résul-
tait bien clairement du mariage d'Anne de Boulen , célébré
du vivant même de Catherine d'Aragon, la bâtardise de sa
fille, qui pourtant, à la mort de Marie, fille de Catherine,
monta sans difficulté sur le trône. La fin de Catherine fut dé-
plorable. Henri ordonna pour elle des obsèques solennelles,
et lit porter le deuil à toute sa maison ; mais Anne , non
contente d'avoir dépouillé Catherine du rang d'épouse et de
reine, défendit à ses serviteurs de le prendre, et eut l'indignité
de paraître en public comme en un jour de fêle. Cependant,
LEN 539
enivrée de son triomphe, et se croyant , sur le trône n^ur]>é
par ses artifices, à l'abri de tout danger, Anne avait repris sans
pudeur et sans ménagement les égarements de sa vie passée :
elle ne prévoyait point qu'une fille d'honneur de la reine Anne
serait bientôt choisie par son époux pour punir la fille d'hon-
neur de la reine Catherine. Ce choix était fait : la belle Jeanne
Seymour s'était emparée du cœur de Henri. Le soupçon,
le dégoût minaient chaque jour la coupable union du roi et
de la reine. Anne accoucha d'un fœtus informe , et eut l'im-
prudence d'attribuer ce malheur aux infidélités de son mari.
Peu de temps après eut lieu un tournoi : le roi prétendit avoir
vu l'un des combattants s'essuyer le front sous les fenêtres
de la reine avec un mouchoir qu'elle lui avait jeté : Henri
ne cherchait qu'un prétexte , son parti était pris.
Il sortit furieux du tournoi, et le lendemain, 22 mai 1535,
après deux années de règne , Anne fut arrêtée , et livrée à
une commission d'enquête, qui l'accusa d'avoir souillé la
couche royale par d'infâmes débauches avec des seigneurs et
des subalternes, et même d'avoir commis un inceste avec
son propre frère. Le roi poussa l'infamie jusqu'à reproduire
contre elle des imputations qu'il avait repoussées quand il
s'était décidé à l'épouser. L'enquête depuis le mariage suffi-
sait. Malheureusement pour Anne, les preuves ne manquaient
point aux accusations , et bien qu'à son entrée dans la prison
elle eût hautement pris le ciel à témoin de sa fidélité conju-
gale, un accès de délire s'empara d'elle, quand elle apprit
que son frère, deux de ses gentils-hommes, un écuyer du
roi et un de ses musiciens venaient d'y être enfermés. Hors
d'elle-même, elle passa tour à tour d'une douleur affreuse
à une joie plus affreuse encore : ses sanglots, ses larmes étaient
interrompus par des rires convulsifs : « O ?fovier, s'écriait-
elle (c'était le nom de l' écuyer ) , ô Novier, tu m'as accu-
sée et nous périrons tous deux ! » Il n'avait cependant rieu
avoué , non plus que son frère et ses deux gentils-hommes :
il n'y eut que Smclton, le musicien, qui avoua avoir eu trois
fois les faveurs de la reine. Anne appela vainement à son
secours ses évêqties, et parmi eux Cranmer, qui avait va-
lidé son mariage : le roi avait juré de la sacrifier , comme
il avait sacrifié Catherine, à la brutalité de son nouveau pen-
chant; et, en vertu d'une rigoureuse loi du talion que son
infidélité voulait inexorable, le 1*"" mai 1536 Anne fut jugée
par vingt-six commissaires, tous pairs du royaume, qui la con-
damnèrent à être ou brûlée ou écartelée, selon le bon plaisir
du roi ; le vicomte de Rochefort, son frère, à avoir la tète
tranchée ; les trois gentils-hommes et le musicien à être pen-
dus , leurs corps à être coupés par quartiers et exposés.
Mais cette horrible tragédie fut frappée à son dénoûment
d'un incident qui devait faire ressortir d'une manière plus
éclatante encore le caractère odieux de l'exécrable Henri VIII :
il avait eu la barbarie de comprendre parmi les pairs ap-
pelés à juger la reine, lord Percy, comte de Korthumber-
land , dont il avait connu la passion pour elle quand il
l'avait épousée. Cette passion était loin d'être éteinte dans
le cœur de ce seigneur. Aussi , à peine assis parmi les juges
de celle qu'il aimait encore , il était tombé en défaillance ,
et il avait fallu l'emporter hors du tribunal. Anne saisit avec
ardeur cet espoir inattendu de salut que lui ouvrait la fidé-
lité de son amant, et, bien que condamnée, elle déclara
qu'ayant été autrefois liée par un contrat avec le couite de
is'orthumberland , elle n'avait pu ni épouser le roi ni se
rendre coupable d'adultère envers lui. D'après cette décla-
ration, une cour ecclésiastique fut convoquée sous la pr;'-
sidence de l'archevêque Cranmer. Celui-ci annula le mariage
d'Anne, comme il avait annulé celui de Catherine; et toutes
deux ayant été déclarées, par ce tribunal , déchues de leur
qualité de reines et d'épouses, leurs deux filles, Éfisabeth et
Marie, se trouvèrent illégitimes. Il résultait de ce jugement
ecclésiastique qu'Anne, n'étant plus regardée que comme
la concubine du roi, était hors de procès, et en ceL»
Cranmer l'avait bien servie d'aj)rès les lois d'une véritabk
lis.
540
BOULEN — BOULET
justice. Mais le tyran voulait le sang de celle qu'il avait
nirnée si éperdùment, et à laquelle il avait sacrifié les droits
de la nature, ceux du trône et des lois. Cependant lord
rercy, tremblant pour ses jours, n'avait point rempli l'at-
tente de la reine. Il avait communié dans une église en
présence de plusieuis membres du conseil du roi , et devant
eux il avait juré sur son salut ou sa damnation éternelle
que jamais il n'avait existé entre la reine et lui aucune
union charnelle, aucun contrat qui eût engagé leur foi.
Ce fut sous l'empire de cette terreur que Henri répandait
autour de lui que le supplice ordonné par la première cour
fut fixé au 19 mai. Dès ce moment une juste compassion s'at-
tache aux derniers moments de l'infortunée Anne deBoulen.
A peine eut-elle connaissance de cet irrévocable arrêt de la
IVrocité de son époux que , se jetant aux genoux de la
femme du commandant de la Tour, où elle était enfermée :
« Allez, lui dit-elle, et dans la môme posture où je suis
devant vous , allez de ma part demander pardon à la prin-
cesse Marie pour tous les maux que j'ai attirés sur elle et
sur sa mère. » On prétend qu'elle écrivit au roi une lettre
qui se terminait ainsi, après l'avoir remercléde sa clémence
et de ses bienfaits : « De simple particulière , vous m'avez
faite dame, de dame marquise, de marquise reine, et ne
pouvant plusm'élever ici-bas, de reine dans ce monde vous
allez me faire sainte dans l'autre. » Ce bizarre madrigal
dans une semblable extrémité prouve suffisamment la sup-
position d'une pareille lettre et la platitude du goût de cette
époque. Mais ce qui est hors de doute, c'est l'aliénation
mentale complète qui ne cessa dans sa prison de torturer
son esprit et son cœur. Elle passait des prières les plus
ardentes au rire le plus insensé; elle parlait de la terreur
que lui causait sa moit prochaine, puis, mesurant avec sa
main la petitesse de son cou, elle riait en pensant qu'étant
si mince il serait facilement tranché par la hache du
bourreau. Cependant, au moment du fatal départ, Anne
s'éleva tout à coup au-dessus de son désespoir, et, re-
prenant sa qualité de reino, en traversant la foule, elle
s'irrita de ce que sur son passage, au lieu de recevoir des
marques de respect, elle ne recevait que des outrages :
» Je mourrai votre reine, dit-elle au peuple, dussiez-vous
en crever de dépit. » Sur l'échafaud , elle eut la dignité de
ne parler ni de son innocence ni de ses fautes : « Condamnée
par la loi, dit-elle, je viens subir mon jugement. » Un
sage eût envié ces paroles. Puis elle souhaita de longues
années au roi, implora les prières des assistants, et,
rangeant sa rohe avec la pudeur de Polyxène , elle reçut
le coup mortel.
Ne semble-t-il point, au simple récit de la fin d'une
femme dont la vie avait été prostituée dans les voluptés,
et l'incroyable élévation ainsi que la chute marquée du
sang de tant de victimes , qu'aux derniers moments la vie
entière se purifie dans le châtiment qui la termine, et que
les vertus , refoulées par les passions , reparaissent au
moment où les passions ne sont plus pour servir de cortège
à un être à (|ui le malheur seul est resté? Pendant qu'Anne
de Boulcn expiait si noblement sa vie, qu'avait fait, que
faisait le roi son époux? Il avait froidement réglé la marche
et le cérémonial du supplice; il avait, pour l'exécution,
appelé le bourreau de Calais , dont probablement la dexté-
rité lui était connue; lui-même avait nommé les pairs et les
officiers publics qui devaient être témoins du supplice;
enfin, du haut d'un tertre, que l'on montre encore dans
le parc de Richmond, il attendait de la Tour de Londres le
signal de la mort de celle qu'il avait si tendrement aimée.
Ce n'est pas tout : après avoir livré, par clémence, à la
liache du bourreau les quatre gentils-hommes , à la potence
le nuisicien Smelton , et épargné à la reine le supplice du
feu, le même monstre couronné ordonnait pour le len-
demain la fête de son mariage avec Jeanne Seymour, et
4>assait des voluptés de l'ochafaud à celles du lit nuptial. Le
supplice d'Anne Boulen a fourni à Chénier le sujet d'une
de ses meilleures tragédies, qui est restée au théâtre sous
le titre de Henri VIII. J. Norvins.
BOULET ( Artillerie ), globe ou projectile sphérique,
le plus ordinairement en fonte de fer, dont on charge les
canons. Il y en a de diverses formes, de différents cahbres,
et l'on en varie l'emploi d'après les circonstances. Le poids
d'un boulet détermine d'une manière nominale l'espèce et
la force de ce projectile. Dans l'armée de terre on emploie
des boulets de 4, 8, 12, 16, 24; dans la marine des boulets
de 4, 8, 12, 18, 24, 36, suivant la grandeur des bâtiments
qu'on veut atteindre. Quand on parle d'un boulet de 36, on
entend un boulet du poids de 36 livres ; il en est de même
pour les boulets de 24, 18, 12, etc. Le poids du boulet in-
dique aussi la force du calibre de la pièce à laquelle il con-
vient. Un canon de 36 est destiné à recevoir un boulet de
36 livres, un canon de 24, un boulet de 24 livres; ainsi
de suite.
On se sert pour la défense des côtes , ou pour détruire les
revêtements des remparts , de boulets creux , que l'on
nomme aussi obus. On employait autrefois de ces boulets
creux, doublés en plomb, qu'on appelait boulets mes-
sagers, pour donner des ordres ou des nouvelles dans une
place assiégée ou dans un camp.
Outre les boulets en fonte de fer, il y a eu jadis des
boulets en pierre ou pierres à canon , qu'on appela d'abord
bedaines ou molièrcs. C'étaient des blocs de pierre, de
grès, de marbre, taillés sphériquement; ils étaient lancés
au moyen d'engins à poudre ou de machines névrobalis-
tiques, nommées acquéraux , bombardes , mangonneaux ,
pierrières , ribodequins, sarres, spiroles. Les ouvriers
qui taillaient ces pierres se nommaient artillers , comme
le témoigne Monteil. Les globes de pierre étaient des pro-
jectiles défectueux , parce qu'on les façonnait sur place et
à la hâte , sans être sûr de la coïncidence de leur centre de
gravité avec leur centre de figure , et que par conséquent on
n'en pouvait calculer avec précision ni la portée ni le coup ;
aussi les tirait-on à une grande élévation. On confectionnait
cependant d'avance des boulets dans les carrières, mais
ils s'endommageaient par le transport.
Ce sont les Français qui , suivant Daru , ont substitué les
premiers des boulets de fer aux projectiles de pierre. Cette
innovation eut lieu vers le commencement du quinzième
siècle , ou sous le règne de Louis XI. Des écrivains rap-
portent positivement la date de l'invention des globes en
fer à l'année 1470. En 1478 les Bourguignons se servaient
encore de boulets de pierre, à ce que dit M. de Barante : ils
les taillaient dans les carrières de Péronne. En 1514 il en
était encore fait emploi dans plusieurs places de guerre. On
montrait à Orléans quatre boulets de pierre qui dataient
du siège de 1428 ; la circonférence de deux de ces boulets
était de l", 40, et leur poids excédait 100 kilogrammes. Les
deux autres pierres à canon pesaientde 75 à 90 kilogrammes,
La milice turque a conservé la dernière l'usage des boulets
de pierre; elle a eu des pierriers lançant des boulets doiit
le poids variait depuis 250 jusqu'à 450 kilogrammes , en elle,
même ime pièce, nomiwe ctmon à vis, qui en lançait de 5.'i')
kilogrammes. Le baron de Tott dit avoir vu, en 1770, cette
pièce tirer des boulets de marbre avec 150 kilogrammes de
poudre. Un boulet de 400 kilogrammes, lancé sur le vais-
seau amiral le Standard, quand la flotte anglaise força le
passage des Dardanelles , tua et blessa plus de cent hommes,
démonta le pont, abattit le grand mât , et mit le bâtiment
en danger d'être submergé. L'usage des boulets en pierre
a laissé des vestiges en Allemagne , où l'on ne désigne géné-
ralement le calibre des projectiles creux que par le poids qui
serait celui des projectiles en pierre d'un diamètre égal :
ainsi l'obus dit de 7 livres en pèse réellement 13 ou 14.
Si l'on veut incendier des édifices ou des vaisseaux en-
nemis, on fait chauffer jusqu'au rouge clair, sur des grils cl
BOULET -
dans des fourneaux à rcTerbère, des boulets en fonte de
fer, et ces boulets rouges , lancés par les canons qu'on en
charge à l'aide de carques ou cuillères, pénètrent dans les
charpentes des maisons, ou dans les flancs des vaisseaux,
qu'ils embrasent rapidement , si Ton ne s'empresse d"é-
teindre le feu. Ces projectiles rappellent un usage de l'anti-
quité. Les Tyriens, suivant Diodore, jetaient sur les travaux
d'Alexandre du fer ardent. On trouve dans Nicétas le récit
d'une défense pareille de la part des Arméniens contre l'em-
pereur grec. César (51 ans avant J.-C.) parle des globes
d'argile rougis au feu que les Gaulois lançaient contre ses
troupes à l'aide de frondes à culot de métal. Mézerai, dans
la description qu il fait du siège de Mézières, défendue par
Bayard, en 1321, dit : « Ce n'étaient que canonnades, que
boulets enflammés. » S'agit-il ici de boulets rouges ou de
grenades? Les Polonais assiégeant Dantzig en font usage en
1577 ; ils y ont recours à Polotsk, en 1580. Dans la même
année, le maréchal de Matignon s'en sert contre La Fère.
Il parait constant qu'en 1611 les canons de i'armée com-
mandée par Mathian incendièrent Moscou au moyen de
boulets rouges. Cependant Feuquières et la plupart des au-
teurs prétendent que l'invention du tir des boulets rouges
vient de Prusse, que le premier essai en fut fait en Pomé-
ranie, et que le marquis de Biandebourg y assiégea et y
brûla de boulets rouges, en 1075, la ville de Straisuud.
D'autres écrivains attribuent à l'évêque Bernard de Galen
l'affreux moyen de réduire par l'incendie les places forti-
fiées; ainsi fut traité Bonn en 1G89.
En 1094 douze mille boulets rouges furent lancés contre
Bruxelles par l'ordre de Louis XIV. La guerre à coups de
boulets rouges, tombée quelque temps en discrédit, reprit
faveur au siège d'Ostende, en 1706. Les Autrichiens s'en
servirent contre Lille en 1792. Dans nos premiers sièges du
grand mouvement de 1792, cet exem[)le nécessita malheu-
reusement plus d'une fois de funestes représailles. Les na-
tions civilisées y renoncent , grâce au ciel , de plus en plus.
G»' BAuniN.
On a longtemps employé dans la marine des boulets ra-
mes et des boulets enchaînés. Ces projectiles étaient desti-
nés à couper le gréenientde l'ennemi quand les navires com-
battaient à une petite distance. Mais l'expérience a fait
lenoncer totalement à ce genre de boulets, dont les résul
fats étaient loin de répondre aux calculs de la théorie qui
eu avait créé l'usage.
On appelait boulet ramé une espèce particulière de pro-
jectile composé de deux demi-boulets renversés joints entre
eux par une barre de quelques centimètres de longueur. Ces
b(fu!ets se plaçaient lougitudiualement, et leur portée, con-
liariée par l'air que leur volume trop développé avait à
rei'oiiler, n'était pas assez grande pour qu'on put les em-
jilayer à une certaine distance. Les boulets enchaînés
étaient deux boulets liés entre eux par une chaîne de 50 cen-
timètres de longueur. Ce projectile composé s'introduisait
dans le canon pour en sortir avec un grand bruit sans pro-
duire un effet qui répondît à tout l'attirail du système.
L'usage des boulets enciiaînés a été abandonné bien avant
celui des boulets rames. Quant aux boulets rouges , depuis
plus de quarante ans, on ne s'en sert plus à bord de nos vais-
seaux. Les dangers que présentait ce genre de projectiles le
rendaient aussi redoutable au navire qui l'employait qu'à celui
contre lequel on voulait s'en servir. Dans les dernières an-
nées (le l'Empire, les fours à boulet furent démolis à bord de
tous les bâtiment? de l'État. Edouard Cokbière.
BOULET (Peine du). C'est une peine infligée aux dé-
serteurs à l'intéiieur, quand à leur crmie il se joint des cir-
constances aggravantes. Cette peine consiste à porter un
boulet du poids de 8 attaché à une chaîne de fer qui tient
à une ceinture, laquelle fait partie obligée du costume. Cette
peine rappelle les anciennes galères de terre; elle a été ins-
tituée par l'arrêté du 19 vendémiaire an \ii, et confirmée
BOULEVARD 541
par l'ordonnance du 21 février ISlo. Le mimmum de la
durée du boulet est de dix ans; cette peine est susceptible
d'être prolongée suivant certains cas ou d'être aggravée par
le double boulet, châtiment infligé pour punir les tentatives
d'évasion, et qui consiste à traîner deux bo\dcts. La décision
du 18 février 1817 veut qu'il y ait dans chaque garnison
où réside un conseil de guerre permanent un boulet garni
de ses accessoires ; il est conservé au magasin d'artillerie
et confié aux conseils d'administration en cas de dégrada-
tion de déserteur. G"' Cardin.
BOULET {Art vétérinaire). On appelle ainsi l'articu-
lation ou jointure inférieure de la jambe du cheval, située
entre le canon et le paturon. Un cheval est bien planté
quand la face antérieure du boulet se trouve environ deux
ou trois doigts plus en arrière que la couronne ; s'il avance
autant que cette dernière partie, s'il est sur une ligne per-
pendiculaire au genou et au canon, le cheval est droU sur
ses jambes, et cette situation défectueuse annonce qu'il est
ruiné; dans le cas enfin où le boqlptest sur une ligne per-
pendiculaire à la pince, on dit que que le cheval est bouté
ou bouleté. Dans ces deux derniers cas, qui sont des vices
de conformation, la marche de l'animal est presque toujours
défectueuse : tantôt les pie<ls de derrière arrivent en mar-
chant sur la partie postérieure des pieds de devant et y
font des meurtrissures qu'on nomme atteintes; tantôt ce
sont les pieds de derrière ou môme ceux de devant qui se
touchent, se frottent et se meurtrissent, et dans ce cas l'on
dit que l'animal s'entre-taille ou se coupe, circonstance
qui peut quelquefois aussi être produite par d'autres causes.
BOULEVABD, rempart, forteresse, promenade. On
a fait dériver ce nom, mais peut-être gratuitement, de ce que
les remparts étant couverts de gazon, les habitants des
villes fortifiées allaient y jouer à la boule. Comme terme de
tactique militaire, ce mot ne s'emploie guère qu'au figuré :
Luxembourg est le boulevard de la Belgique, Beig-op-Zoom
de la Hollande, Mayeiice de l'Allemagne; la grande muraille
de la Chine n'a pu servir de boulevard à cet empire contre
l'invasion des Tatars; les Alpes, les Pyrénées, sont des bou-
levards naturels; à deux reprises, en 1529 et en 1683,
Vienne fut le boulevard de la chrétienté , etc. Mais le bou-
levard , qu'il ait été ou qu'il soit encore sur le rempart, n'est
plus airjourd'hui qu'une promenade.
De tous les boulevards, ceux de Paris sont les plus beaux,
les plus étendus, forment la promenade la plus longue et la
plus variée qu'il y ait au monde, l'enceinte la plus digne
d'une grande capitale. Les boulevards de Paris présentent
trois lignes principales: 1° l'ancien boulevard du Nord, ou
vieux boulevard, qui commence sur la rive droite de la
Seine, près du grenier d'abondance et finit à l'esplanade
de l'église de la Madeleine, formant un demi-cercle de 5,500
mètres de long. Il fut commencé vers l'an 1536, dans le
dessein de creuser des fossés pour se défendre contre
les Anglais, qui ravageaient la Picardie et menaçaient la
capitale. Les premiers arbres y furent plantés en 16G8.
2° L'ancien boulevard planté vers 1761 , au midi, et qui va
depuis le quai d'Austerlitz jusqu'à l'esplanade des Inva-
lides, dans une étendue d'environ 7 kilomètres. Ce boule-
vard offre aux promeneurs de larges allées, des arbres su-
perbes, et quelques points de vues pittoresques. ]1 est
néanmoins peu fréquenté. 3° Le iioulevard neuf ou grand
boulevard qui fait tout le tour de Paris, le long du mur
d'octroi. 11 est encore plus désert, excepté les dimanches et
les lundis. 11 a 24 kilomètres de circonférence, dont 15,6 au
nord et 8,4 au midi. Éclairé au gaz, assez bien pavé, mais
toujours poudreux, il a vu disparaître ses grands arbres sur
plusieurs points à la révolution de Février et à l'insurrection
de Juin. Plus tard le mur d'enceinte des fortifications de
Paris donnera sans doute une nouvelle promenade aux ha-
bitants de la capitale.
En ntfendanî, revenons au vieux boulevard du nord, bou-
r>42
BOULEVARD
levarJ classique, liislorique et monumental, moins champêtre,
moins aéré, moins rt'giiiier que les autres dans sa largeur,
dans ses alignements. Ses arbres, à quelques exceptions près,
ne sont pas aussi beaux, parce que les plus vieux, les plus gros,
exposés aux révolutions atmosphéricpies et politiques, pé-
rissent chaque jour par la faulx du temps, par la hache des
liommcs ou par les mauvais traitements des riverains ; et puis
les nouvelles plantations, fatiguées par la foule des passants,
obstruées , éloutl'écs parla hauteur des maisons, ne peuvent
plus prendre un aussi prompt, un aussi bel accroissement
que les arbres plantés à une époque où ce boulevard , for-
mant la clôture extérieure de la ville, était bordé de l'autre
côté par des marais et des champs. Mais s'il est privé de ces
avantages , par combien d'autres n'est-il pas dédommagé 1
Avant 1789 ce boulevard ne commençait qu'à l'entrée de
la rue Saint-Antoine, et les premiers objets qui frappaient
les étrangers quand ils arrivaient à Paris par le faubourg de
ce nom, c'étaient la Bastille et la belle maison de Beau-
marchais avec son vaste jardin. Depuis la destruction de
cette lugubre forteresse, et de l'Arsenal, qui lui était
contigu, le boulevard a été continué jusqu'à la rivière. A l'i-
nutile arsenal ont succédé de vastes greniers d'abondance,
dont la construction fut décrétée enl 807 . Sur l'immense place
où était la Bastille, on a élevé, en commémoration de la révo
lutiondeJuillet,uneco Ion nesurmontée du Géniede la Liber-
té. La maison et le jardin de Beaumarchais ont disparu, pour
faire place à une des branches du canal de l'Ourcq, et à un
grenier à sel, récemment démoli pour faire place, à son tour, à
de jolies maisons.
Les boulevards Beaumarchais et des Filles du Calvaire
sont moins tumultueux que les autres, bien que des cons-
tructions nouvelles y apportent la vie. On j trouve déjà un
petit théâtre, et l'on y bâtit en ce moment un cirque d'hiver.
Le boulevard du Temple est peut-être le plus bruyant,
le plus joyeux , le plus populaire de Paris. On n'y voit que
cafés, restaurants et spectacles. On y est ébloui par des flots
de lumière. Là se trouve le Café Turc, dont le gracieux jar-
din , de plus en plus resserré par des constructions, n'est plus
<jue l'ombre de ce qu'il était il y a quarante ans. Plus loin le
passage Vendôme, triste et désert ; puis les maisons et les bou-
tiques bâtiessur l'emplacement du jardin des Princes, qui,
sous son nom précédent dejarrfmcfePajaAos, avait rivalisé
par ses illun)inations, ses concerts d'harmonie, ses bals et ses
feux d'artifice, avec Idalie, Tivoli, l'Elysée, etc., dans un
temps où les jardins publics et les fêtes champêtres étaient
à la mode. De l'autre côté, nous trouvons une énorme
accinnulation de spectacles. C'est d'abord la salle Lazary,
puis celles des Délassements Comiques, l'ancien théâtre
de madame Saqui, puis le théâtre des Funambules. Vien-
nent ensuite le tliéâtre de la G ai té et celui des Folies-
Dramatiques , construit sur l'emplacement de la salle in-
cendiée de l'Ambigu. Le Cirque-Olympique de Franconi
a été bâti sur un terrain où il y avait autrefois des fantoccini
chinois , une ménagerie d'animaux et un théâtre de Petits
Comédiens Français. On y joue encore des pièces militaires ;
mais il a perdu son manège. Le Théâtre Historique, bâti
pour l'exploitation de l'histoire par Alexandre Dumas et
compagnie, est devenu aujourd'hui l'Opéra national, troisième
théâtre lyrique. En songeant à cette foule de spectacles qu'il
y a eu et qu'il y a encore sur le boulevard du Temple , on
se rappelle ces vers d'un auteur dont le nom nous échappe :
tl ne fallait au fier RomaJD »
Que des spoclacles et dii pain;
Mais aa Français, plus que Udmaio.
Le s|)cctacie suffit sans p.iin.
C'est siir ces Iwulevards que Ficschi fit partir sa machine
infernale en 183.").
Kn entrant sur le boulevard Saint-Martin , on trouve le
Château d'Eati. Au coin des rues de Bondy et de Lancry,
il ne reste |)lus'de traces d'un théâtre qui a eu des phases
brillantes , lorsque, sous le titre de Variétés amusantes, dix
ans avant la révolution, Volange-/eanno^ y faisait _/?orè*
avec son ça en est , puis en 1790, lorsque, devenu Théâtre
Français, comique et lyrique, Juliet y commençait sa ré-
putation dans Nicodème dans la lune. Sous le titre de A
Théâtre des Jeunes Artistes il eut aussi divers succès, et y fl
prépara ceux de Monrose et de Lepeintre aîné. Vis-à-vis est
la nouvelle salle de VAmbiyu Comique. Celle de la
Porte-Saint-Martin , la plus ancienne de toutes celles
qui existent aujourd'hui , quoiqu'elle n'aie pas trois quarts
de siècle, et qui a survécu à tant d'autres, brûlées ou détruit-
tes , rappelle une époque brillante de l'Opéra. Une profonde
trouée faite en 1850, pour niveler le terrain a donné à cette
salle un soubassement. Les portes Saint-Martin et Saint-
Denis sont plutôt des monmnents d'orgueil que de recon-
naissance, et pourtant le peuple les a toujours respectées.
Hors de la porte Saint-Denis était le théâtre de la Tri-
nité, où l'on joua, depuis 1402 jusqu'en 1539, les j»///5-
tères qui furent le début de l'art dramatique en France. Sur
le boulevard de Bonne- Nouvelle, le local où était la ména-
gerie de Martin fut un instant l'église catholique française de
l'abbé Auzou. Voici le bazar Bonne-Nouvelle, avec ses per-
pétuelles loteries de bienfaisance et ses cafés concerts. Le
Gymnase dramatique et son célèbre marchand de
galette sont plus loin, près de la rue Hauteville. Au bout de
cette rue on aperçoit en perspective l'église Saint-Vincenl-
de-Paul.
Sur le boulevard Poissonnière est la rae Saint-Fiacre, où
l'on voyait naguère le Néorama de M. Alaux. Le boulevard
Montmartre avait autrefois deux Panoramas, qui n'existent
plus. Le théâtre des Variétés s'y trouve situé près du pas-
sage des Panoramas. De l'autre côté, le passage Joulïroy
mène au faubourg Montmartre. Le jardin de Frascati , où
les gens du bon ton allaient sous l'empire se promener, s'é-
taler, prendre des glaces, entendre des concerts et voir des
feux d'artifice , a disparu entièrement. Vis-à-vis est l'hôtel
Merci, dont les bals, jusqu'à l'époque du consulat, rivalisaient
avec ceux des hôtels de Richelieu , de la Michaudière, de
Marbeuf, etc. Il est occupé aujourd'hui en grande partie
par \c5 gentlemen du Jockey-club.
Le boulevard Italien avait pris autrefois son nom du voisi-
nage du Théâtre-Italien, qui en est maintenant un peu éloigné.
En revanche l'Opéra et l'Opéra-Comique sont tout près sans
avoir de façade sur ce boulevard. Le passage de l'Opéra y con-
duit à notre première scène lyrique. La partie du boulevard
Italien où s'ouvre le passage de l'Opéra reçut de l'opposi-
tion royaliste, pendant la révolution, le nom de Coblenlz,de
la ville où se réunissaient les émigrés , qui portaient les ar-
mes contre leur patrie. Immédiatement après est le boule-
vardàqui leslégitimistesde 1815 donnèrent le nom de Gawc/,
qui perpétuera le souvenir de la fuite des Bourbons devant
l'épouvantail de l'ile d'Elbe. Sur ce boulevard, au coin de la
rueLaffitie, était le café Hardy, le premier lieu de réunion des
agioteurs , après la chute des assignats , le premier café où
l'on ait donné des déjeuners à la fourchette. Cette rue prit
en 1791 le nom d'un député à l'assemblée législative, l'ex-
jésuite Cerutti, qui venait d'y mourir. A la Restauration on
lui rendit son nom de rue d'Artois ; elle le perdit en 1830,
pour prendre celui de Laffitte, qui y avait son hôtel. Au
bout on voit Notre-Dame-de-Lorette ; au coin est la maison
qu'on appela Dorée, à cause de ses dorures extérieures déjà
à moitié effacées. Tout près est le café Tortoni.
Les bains Chinois, malgré l'empire de la mode, se maintien-
nent dans leur domaine, et sont peut-être aujourd'hui les
plus anciens de Paris : mais l'emplacement qu'ils occupent
représente une valeur telle qu'il est impossible qu'avant
peu on ne voie encore disparaître ce dernier vestige des bou-
Jevardsquenousavaitfaitl'époquedu Directoire. Lejardinqui
joignait le pavillon d'Hanovre à l'hôtel de Richelieu a disparu
depuis longtemps. Là fut établi en 1797, parle frère du corné-
BOULEVARD — BOULGARIE
543
dien Juliet, le premier jardin-café où l'on donna des glaces et
des concerts; deux ansaprès, il fut éclipsé, écrasé par Frascati.
Nous passerons rapidement sur les boulevards des Ca-
pucines et de la Madeleine, noms tirés des couvents qu'ils
avoisinaientau siècle dernier. De belles maisons, de grands
hôtels les bordent; de belles rues y aboutissent, comme la
rue de la Paix ; mais la rue Basse du Rempart les dépare.
Enfin l'église de la Madeleine, couronne noblement la
promenade du boulevard, considérablement embellie par l'a-
baissement de son sol, l'extension de sa largeur sur quelques
points. Klle était devenue plus commode pour les piétons par
le bituminage des contre-allées ; l'empierrement de la chaussée
en 1 849 lui a rendu, pour peu qu'il pleuve, ses fondrières et sa
fange. Peu de promenades offrent cependant autant de charme
par la quantité et la beauté des magasins, des cafés, des bazars
qui la bordent presque d'un bout à l'autre. C'est une sorte
d'exposition permanente des produits des arts et de l'industrie.
Pour achever de peindre le boulevard , il est bon de rap-
peler que c'est là que passent toutes les mascarades du car-
naval ; que défilent les voitures qui sont censées faire le
pèlerinage de Long-Champ. C'est là qu'on est sûr de rencon-
trer tous les cortèges dans les cérémonies religieuses, civiles
et militaires; là se réunirent les vainqueurs de la Bastille;
ce fut par ce chemin que Louis XVI fut conduit à l'échafeud ;
ce fut sur ce boulevard qu'on célébra la pompe funèbre de
Michel Lepelletier, un de ses juges ; là ont défilé toutes les
troupes nationales, royales, étrangères ; là Charles X, à son
avènement , se montra au peuple ; là ont eu lieu déjà bien
des revues de troupes et de gardes nationales ; là ont éclaté
bien des cris d'enthousiasme ; là ont passé toutes les émeutes
populaires, là a coulé déjà bien du sang ; là ont passé les
convois de Louis XVIII , de Casimir Périer, du général La-
marque, et de tant d'autres. Les victimes de Fiesclii y pas-
sèrent pour aller aux Invalides ; les victimes de Juillet et
les victimes de Février y passèrent en sens inverse pour aller
sous la colonne de Juillet. Que de choses n'a-t-on pas vues
sur ce boulevard ! quelles philosophiques réflexions on peut
faire en s'y promenant !
BOULGARES» nom d'une secte de Manichéens,
qui se montra vers le milieu du neuvième siècle, sous l'em-
pire de Basile le Macédonien , et qui s'appela ainsi du lieu
dont ils tiraient leur origine. Leurs dogmes n'admettaient
que le Nouveau-Testament et niaient la nécessité du bap-
tême. Un de leurs articles de foi refusait tout espoir de salut
au mari qui remplissait ses devoirs naturels envers .sa
femme; de là le soupçon du vice infâme imputé à cette
secte et l'épithète de bugari ou bugcri , traduite tous les
jours dans la bouche du peuple, mais qu'aucun diction-
naire n'a osé définir. Dans la suite des temps , on donna
indistinctement le nom de Boulgares à beaucoup d'autres
sectaires, tels que les Patarins, les Cathares, les Joviniens,
les Vaudois, les Albigeois, les Henriciens, etc., etc., parce
que ces différentes sectes reconnaissaient un même chef
spirituel, qui tenait son siège dans la Boulgarie, et se gou-
vernaient d'après ses décisions. Lorsque la rigueur des
conciles et les ordonnances de saint Loin's eurent dispersé ou
anéanti ces hérétiques, le nom de Boulgares fut donné aux
usuriers, qu'on appelait plus communément lombards,
(luand ils étaient de la religion hébraïque. Laîné.
BOULGARIE, province de la Turquie européenne,
d'une étendue de 957 iiiyriamètres carrés, séparée, au nord,
par le Danube, de la Valachie, de la Moldavie et
tte la Russie; au sud, par le Balkan, de la Roumélie
H de la Macédoine ; borme, à l'est, par la mer Noi re , et à
l'ouest par la S e r vi c. Sa population s'élève à quatre mil-
lions d'àmes. Deux caps, le cap Gulgrad et l'Einineh, s'a-
vancent dans la mer Noire^ qui reçoit les deux cours d'eau
les plus considérables de la Boulgarie, la décharge du lac
Ramsin et le Kamesik. Le pn>s olIVe l'aspect d'un plateau
qui des rives escarpées du Danube s'élève graduellement
jusqu'aux contre-forts boisés et impraticables du Grand-
Balkan à l'ouest et du Petit-Balkan à l'est. Le Danube re-
çoit le Timok , l'Isker, le Vid, l'Osma , le Lom et le Taban,
qui coulent dans de profonds ravins et nuisent plus qu'ils ne
servent aux communications. La partie orientale diffère
sous plusieurs rapports de la partie occidentale. Au nord-
est s'étend entre le Danube et la mer une espèce de pres-
qu'île, la Dobroudscha, plaine élevée couverte en partie de
broussailles et de steppes, en partie de vastes champs cul-
tivés. On n'y trouve que quelques forêts peu considérables;
mais elles se multiplient à mesure qu'on approche du Bal-
kan. La partie occidentale est moins uniforme, et ressemble
moins aux steppes; les forêts y sont plus grandes, et plu-
sieurs districts fort bien cultivés. Le printemps amène à
sa suite des pluies qui rendent presque impossibles les com-
munications, mais qui donnent une grande vigueur à la
végétation. La sécheresse de l'été i>rête à tout le pays un
aspect désolé, et tarit quelquefois jusqu'aux sources. Comme
les saisons , le jour et la nuit offrent une température toute
différente ; ces variations endurcissent les habitants, mais
les exposent à de fréquentes maladies. L'agriculture est
assez négligée; toutefois la population est si clair-semée
qu'elle a en abondance les choses nécessaires à la vie. Les
riches pâturages des montagnes et des vallées nourrissent
de nombreux troupeaux de moutons et de bamfs, dont une
partie s'exporte. Les autres articles d'exportation sont les
grains," le vin, le fer, le minerai exploité dans les mon-
tagnes, le bois, le miel, la cire, le poisson, le gibier.
La province est gouvernée par le beglerbeg de Roumélie,
qui a sous lui les quatre sandjaks de Sophie, Nicopoli , Si-
hstrie et Widdin.Le chef-lieu est Sophie oa Triaditza. Les
autres villes importantes sous le point de vue militaire sont
Silistrie, Routschonk, Varna, Schoumia, Bourgas, AViddin,
Nicopoli, qui défendent le petit nombre de points par où
l'on peut pénétrer dans ce pays , théâtre de guerres san-
glantes depuis le temps des Romains jusqu'à nos jours.
La Boulgarie était autrefois habitée par les Mœsiens, qui
lui donnèrent son ancien nom de Mœsie. Longtemps ils
luttèrent avec succès contre les Romains , et plus tard, li-
gués avec les Goths et les Slaves, ils défendirent leur li-
berté contre les empereurs grecs. Pour garantir ses Etats
contre leurs incursions, qu'ils poussaient jusqu'à Constanti-
nople, l'empereur Anastase fit élever une grande muraille ea
507. A leur tour, lesMœsiensdurent fuir devantles Boulgares,
au septième siècle. Cesderniers, d'origine finnoi.se, s'avan-
cèrent des bords du Wolga, où ils s'étaient établi?, vers l'oc-
cident, tombèrentsous la domination des Avares, secouèrent
leur j«ug en 635 , et fondèrent le royaume de Boulgarie ,
qui s'étendait du Don et du Dnieper jusqu'au Danube. Les
Boulgares finnois se mêlèrent peu à peu aux peuplades
slaves établies dans la Mœsie et la Dacie depuis la grande
migration des peuples ; dès l'an 800 ils avaient perdu leur
nationalité et adopté la langue et les mœurs des Slaves ,
ne conservant que leur nom. Gouvernés par leurs propres
rois, sous la protection des empereurs grecs depuis lOl.S, ils
s'aperçurent bientôt que l'Empire avait plus besoin de pro-
tection que la Boulgarie, et dès 1185 leur roi, Asan, rompit
toute relation avec Constantinople. Ce fut un malheur pour
le pays; car les rois de Hongrie prétendirent alors en être
les suzerains. Une longue guerre dépeupla la Boulgarie, qui
ne put résister aux Turcs, et perdit son indépendance en 1392.
Quoique des guerres continuelles aient fort diminué la popula-
tion , on y compte encore quatre ou cinq millions d'habitants.
Les Boulgares n'habitent pas seulement l'ancieime Maisie,
la Thrace et la Macédoine ; ils occupent encore la partie
méridionale de la Bessaiabie russe. Quelques-unes des co-
lonies qu'ils avaient fondées subsistent encore dispersées,
dans le midi de la Russie, la Moldavie, la Valachie, et même-
la Hongrie méridionale. Le i)euple gémit sous la plus dure-
oppression , et dans ces derniers temps ses souffrances ooi
r.u BOULGARIE — BOULGARINE
réveillé en lui le sentiment de la nationalité et de la liberté.
Depuis 866 la majorité des IJo.uigares professe les doc-
trines de rÉj;lise grecque, dont l'adminislration est entre les
mains d'un patriarche et de trois archevcciues.
Langue et littérature.
La langue boulgare est un dialecte de la langue slave;
elle appartient à la grande famille des langues orientales ,
et a de l'analogie avec les langues russe et illyro-serbe.
Des deux dialectes dont elle se compose , le vietix boiil-
gare est la langue des livres saints pour l'Église slavo-grec-
que , et à ce titre elle ne s'est pas seulement propagée dans
tous les pays riverains du Danube, jusqu'en Servie et en
Dalinalie, mais encore dans la Grande Moravie, et jusqu'en
Koliôine (dans le couvent qui s'élève sur les bords de la
Sazavva), et en Pologne (à Cracovie).
Sous le rapport <le la formation et des inversions, elle est
la plus riclie du dialecte slave, et réunit si bien tous les avan-
tages particuliers aux autres dialectes, que ceux-ci ne sem-
blent plus en être que des débris. La littérature du vieux
boulgare (foye; l'article Cvuiluenne [littérature]) est la
plus antique des littératures slaves, et a été autrefois enri-
chie par presque toutes les peuplades slaves. Beaucoup de
documents précieux sur cette liltérature sont enfouis dans
les bihl:otliè(iues des couvents; parmi les plus importants
et les plus connus, on doit citer les travaux de Jean, exar-
que de IJouIgarie, qui vécut dans le dixième siècle, com-
posa une grammaire grecque et fit des extraits de Jean
Chrysorlioas de Damas; le Nomocanon ou Kormtschaja
Kniga, traduction du grec remontant en partie au neuvième
siècle et contenant un recueil de toutes les règles des saints
et des Pères de l'Église, sur lequel le baron Rosenkampf
a publié des éclaircissements critiques ( Moscou, 1829), etc.
Le nouveau boulgare n'apparut qu'à la suite de la chute
de l'empire boulgare , en 1392, au milieu des orages et des
tempêtes politiques qui désolèrent la Boulgarie. Toutes les
langues voisines, mais surtout la valaque et l'albanaise,
exercèrent sur ce dialecte la plus délétère inlluence, et lui
imprimèrent une forme dans laquelle ne se retrouve pres-
que plus la moindre trace de l'idiome parlé par saint Cyrille.
Connue le valaque et l'albanais, il a un article, mais qui se
place après le nom ; des sept cas slaves, il n'a conservé que le
nominatif et le vocatif; les autres sont indiqués par desprépo-
sitions. La conjugaison y est aussi incomplète qu'imparfaite.
Il n'existe point encore, à proprement dire , de littérature
dans le nouveau boulgare, car on ne peut considérer comme
telle un petit nombre de traités religieux en usage dans la
seule Russie. Si cette langue inculte offre quelque intérêt,
c'est uniquement par ses chants populaires, qui ressemblent
cependant beaucoup, et pour le fond et pour la forme, aux
chants serbes. Czelakowsky en a publié un recueil dans ses
Chants populaires de toutes les tribus slaves (3 vol.,
Prague, 1822-27). Depuis que Sofroni a publié, eu 1806,
le premier livre de piété écrit en langue boulgare, on a bien,
à la vérité, vu paraître une trentaine d'ouvrages religieux ou
élémentaires écrits dans ce dialecte, parmi lesquels nouscite-
rons les Évangiles de Sapuroweimi Traité d'Éducation,
par Néofyt; mais tous avaient été inq)rimés à l'étranger, à
Boukharest, à Belgrade, à Ofen, ù Cracovie, à Constanti-
nople, et surtout à Smyrne, oii la Société Biblique anglaise a
fait imprimer, en 1840 sa traduction du Nouveau Testament
en boulgare, et où se publie depuis 1844 une revue men-
suelle, hiliiuléa Philologia. Odessa paraît destiné à devenir
le grand foyer du di'veloppement intellectuel des Boulgares,
et Aprilow y publie depuis 1843 un recueil périodique intitulé :
l'Étoile boulgare. 11 a paru des grammaires de la langue
boulgare, par Néofyt (1835), Christaki (1836) et Wenelin
( 1837) en russe, et par G. Riggs, missionnaire américain à
Smyrne, en anglais. On annonce aussi la prochaine i)ublica-
lion àc dictionnaires par Néolyt et Slojanowicx.
BOULGARÎiVE ( Thadd.els ) , l'un des plus célèbres
écrivains russes contemporains , est né en 1789, en Lithua-
nie, et lut, dès l'année 1798 , élevé à l'école des cadets, 'a
Saint-Pétersbourg , où sa mère avait été obligée de se ré-
fugier par suite du malheureux état auquel l'avait réduite
l'issue de la lutte entreprise en Pologne sous les ordres de
Kosciusko ; lutte à laquelle son mari avait pris part. Une fois
à Saint-Pétersbourg, Boulgarine eut bientôt désappris sa
langue maternelle; mais en revanche il lit de rapides pro-
grès dans l'étude des sciences et des lettres. En I80.j il entra
dans le régiment des hulans du grand-duc Constantin, et fit
la campagne contre la France , puis celle de Finlande contre
la Suède. Des circonstances particulières le déterminèrent
alors à quitter le service russe, et il se rendit d'abord à Var-
sovie, puis en France, où il prit du service. En IStO il
faisait partie de l'armée d'Espagne. Grièvement blessé
au début de la campagne de 1814, il fut fait prisonnier
par les Prussiens ; mais il ne tarda pas à être remis en li-
berté, et se rendit alors au quartier gi'uéral de Napoléon,
qui lui confia le comii)andement d'un détachement de vo-
lontaires.
A la chute de Napoléon , il vint se fixer à Varsovie, et
écrivit en polonais , langue à tous les secrets de laquelle il
s'était bientôt réinitié , plusieurs œuvres poétiques et humo-
ristiques. Un voyage qu'il fit à quelque temps de là à Saint-
Pétersbourg le détermina à se fixer en Russie. Renonçant
alors complètement à sa nationalité , il se livra avec l'ardeur
la plus vive à l'étude de la langue russe; travail dans le-
quel il fut puissamment secondé par son ami Gretsch , dans
le journal duquel parurent ses premiers essais. En 1823 il
commença la publication des Archives du Nord, recueil
d'abord exclusivement consacré à des travaux d'histoire, de
géographie et de statistique, mais qui plus tard accueillit des
articles de littérature proprement dite.
Ses essais satiriques et humoristiques le mirent bien vite
en réputation comme écrivain russe. En 1825 il entreprit
avec Gretsch la publication de V Abeille du Nord, et la même
année il publia le premier almanach dramatique qu'on eût
vu en Russie ; il était intitulé : Ruskaja Talija. Dans une
édition complète de ses œuvres ( Pétersbourg , 1827), il fit
un choix de ses meilleurs articles et contes. On y trouve
aussi ses Souvenirs d'Espagne, qui parurent pour la pre-
mière fois en 1823. Ses esquisses sont quelquefois, il est
vrai , heureusement empruntées à la vie réelle ; mais il y a
quelque chose de vieilli dans sa satire, et son coloris est
plutôt éblouissant que vigoureux. De môme ses descrip-
tions pèchent trop souvent par le maniéré et ses caractères
manquent d'individualité. Après avoir publié les Tableaux
de la guerre de Turquie en 1828, il fit paraître son Jwan
Wuishigin , ou le Gil-Blas russe ( Pétersbourg, 1829), qui
a été traduit dans toutes les langues , puis la suite de cet
ouvrage, Pierre Iwanowitch Wuishigin (lS30)et enfin lîos-
tajle/, ou la Russie en 1812. Dans ces trois ouvrages, son
talent sans doute a pu prendre un essor plus élevé et tracer
un vaste tableau des mœurs et du caractère du peuple russe;
mais son impuissance à comprendre ce que la vie russe
a d'intime et de particulier s'y trahit encore. Dans les deux
romans qu'il fit paraître ensuite, Démétrlus et Màzcppa,
les caractères sout infiniment mieux saisis et développés, et
il s'y sert en même temps avec habileté de l'élément histo-
rique. Cependant ils ne satisfont guère mieux que leurs de-
vanciers les idées qu'on se fait du roman dans le reste
de l'Europe; et ils répondent peu au goût du public
russe.
Indépendamment de Y Abeille du Nord, Boulgarine pu-
blia encore quelques autres recueils périodiques, tels que le
Daguerréotype et les Moucherons. C'est de tons points un
écrivain habile; sa critique est incisive et assez souvent
même passionnée, quand sa vanité blessée s'en môle. 11 a
tout rcceinmeat eutrepris un grand ouvrage : La Russie
I
BOULGARINE — BOULLANGER
515
fniix les rapports historique, statistique, rji'ographiquc et
littéraire (Riga, 1839-1841, 3 vol. in-8°).
BOULIMIE (de Xifiô;, faim, et de la particule augmen-
tatire §ou ), besoin impérieux de prendre une grande quan-
tité d'aliments. Le mot adéphagie est synonyme de bou-
limie. On dit aussi /ai wi canine : cependant, dans le langage
familier, cette dernière expression, comme le mo\ fringale,
ne désigne qu'une très-grande faim purement accidentelle
et n'ayant que passagèrement l'apparence de l'affection mor-
bide qui fait le sujet de cet article.
La boulimie reconnaît différentes causes : tantôt elle est
liée à un état nerveux particulier de l'estomac, et on voit
alors le malade se gorger d'aliments qu'il est bientôt con-
traint de rejeter; tantôt elle n'est que le symptôme d'une
autre maladie (le plus ordinairement l'hystérie ou la
chlorose); quelquefois elle caractérise la présence d'un
taenia dans le tube digestif, ou encore, chez la femme, le
commencement de la grossesse ; quelquefois aussi elle sur-
vient dans des maladies qui ne laissent aucun espoir de gué-
rison , comme le montrent des plithisiques, qui , arrivés au
dernier terme de la consomption , demandent des aliments
à grands cris et les mangent avec avidité la veille même de
leur mort. La boulimie peut tenir encore à un vice orga-
nique : ainsi , à l'autopsie d'un homme mort en proie à cette
affection , on a constaté l'absence de la vésicule du fiel , en
sorte que la bile devait être versée continuellement dans le
duodénum. La boulimie est surtout fréquente dans ces irrita-
tions de l'estomac et des intestins qu'on ne considère générale-
ment pas comme graves , mais qui, bien que n'excitant pas
de fièvre, entretiennent un état valétudinaire. Ces affections
très-communes, seulement accompagnées de malaise, d'é-
touffement, de constipation, de morosité, se compliquent
ordinairement d'une sensation pénible analogue à la faim, et
qu'on appelle vulgairement besoin d'estomac. Les personnes
qui éprouvent cette nuance de la boulimie mangent souvent
et sans ressentir le bien-être qui résulte de la satisfaction
d'un besoin réel ; les aliments aggravent môme leur malaise.
La boulimie D'est donc pas cause, mais seulement effet
de diverses maladies. Cependant, c'est encore une altéra-
tion de la santé à laquelle les personnes étrangères à la mé-
decine prétendent remédier, dirigées par deux opinions
bien plus dangereuses encore que l'ignorance : l'une qui at-
tribue la boulimie à une faiblesse de l'estomac, l'autre qui
considère cette affection comme purement nerveuse. Ces
deux opinions induisent à traiter la boulimie à l'aide de
substances stimulantes, telles que les vins généreux, le café,
les amers , les eaux minérales, les oxydes de fer, le cachou,
l'étlier, etc. On ne saurait croire combien ces traitements
échauffants font de victimes. Aussi conseillerons-nous d'em-
ployer seulement les moyens rafraîchissants en attendant
qu'on invoque le secours d'un médecin. Au lieu de faire
usage de substances excitantes, plus propres à irriter les
nerfs qu'à les calmer, les personnes atteintes de boulmiie
trouveront un avantage réel à se nourrir d'aliments légers,
tels que des viandes blanches , des légumes doux, des fé-
cules; à se priver de vin pur; à refroidir souvei'.t l'esto-
mac avec de l'eau plus ou moins froide , qu'on prendra par
cuillerée, ou mieux avec un chalumeau. Si ces moyens ne
procurent point la guérison prompte et complète des mala-
dies qui causent la boulimie , du moins ils ne les aggrave-
ront pas ; dans un grand nombre de cas ils amenderont un
état souvent très-pénible ; ils n'anéantiront pas les ressources
de lart, celles de la nature, comme aussi celles du temps,
qui peut guérir les malades qu'il ne tue pas.
BOULINE. On appelle ainsi, en termes de marine, la
corde qui sert à tendre et à effacer la voile de telle sorte
que la route faite par le navire se rapproche le plus possible
de la direction du vent.
Faire courir la bouline était un châtiment usité à bord
des bâtiments de guerre. On faisait ranger l'équipage sur deux
niCT. DE LA CONVEliS. — T. III.
haies, entre lesquelles le coupable, nu depuis la tête jus-
qu'à la ceinture, était obligé dépasser, et recevait de chaque
homme un coup de garce tte sur le dos. Nous ferons en-
visager ce genre de punition, aboli au reste depuis 1848, sous
un double caractère : l'atrocité de la peine et la flétrissure
qu'elle imprimait aux hommes qui y étaient condamnés.
C'était un cruel spectacle que la marche du malheureux sous
la volée des cordes qui tonobaient alternativement et en ca-
dence régulière sur son dos : il recevait ordinairement les
premiers coups avec une sombre résignation ; le sentiment
de la honte , de l'indignation et de la rage dominait en lui
le sentiment de la douleur; mais quand chaque coup laissait
sur ses reins une trace noire, quand la peau se déchirait,
que le sang ruisselait, la douleur alors devenait si acca-
blante que souvent la victime tombait sur les genoux avant
d'avoir parcoura toute la carrière de son supplice.
Autrefois, les matelots français recevaient la punition
de la corde comme les malfaiteurs en Russie celle du knout :
la douleur passée , tout était oubhé. Mais depuis que la ré-
volution de 1789 avait commencé à introduire de nouvelles
idées dans les esprits, on regardait les coups de corde comme
une punition dégradante. Les officiers ne l'appliquaient
même que rarement lorsque la révolution de 1848 est venue
la rayer à jamais du code maritime.
BOULINGRIN, terme de jardinage, imité de l'anglais
bowling green, jeu de boule en gazon. Les boulingrins sont
en effet des parties de terrain légèrement baissées et en-
tourées de glacis semblables à ceux qui terminent les jeux de
boule, afin d'empêcher les boules de sortir. La forme de ces
renfoncements et des glacis qui les accompagnent varie sui-
vant le goût de l'ordonnateur du jardin et les circonstances
du terrain. Souvent leur superficie est coupée par de petits
sentiers sablés, ou bien ornée de plates-bandes de fleurs et
d'arbustes formant des compartiments. Cette nature de
boulingrins se nomme coupés, par opposition aux boulin-
grins simples, qui sont tout en gazon.
Il y avait autrefois un boulingrin célèbre à Saint-Germain ;
il en existe encore deux dans le jardin de Saint-Cloud, entre
la grande cascade et la Seine.
BOULLAJXGER ( André), plus connu sous le nom de
Petit père André, né à Paris, en 1577, et mort dans la
même ville le 21 septembre 1657, à l'âge de quatre-vingts
ans, était d'une famille honorablement connue dans la ma-
gistrature. Entré de bonne heure dans l'ordre des Augustins
réformés , il se fit un nom dans l'art de la chaire , que les
grands prédicateurs du siècle de Louis XIV n'avaient pas
encore portée au degré de gloire où il s'est arrêté depuis.
Son style se ressentait donc un peu de ces formes, ordinai-
rement plus triviales que naïves, dont les Menot et les Mail-
lard ont laissé des exemples nombreux. 11 mêlait quelque-
fois des plaisanteries mondaines à la morale évangélique, et
les comparaisons les plus communes aux grandes vérités du
christianisme. On a signalé surtout, dans ce genre, la com-
paraison des quatre docteurs de l'église latine avec les quatre
rois du jeu de cartes : saint Augustin , selon lui , était le roi
de cœur par sa grande charité, saint Ambroise le roi de
trèlle par les fleurs de son éloquence, saint Jéiôme le roi
de pique par son style mordant, et saint Grégoire le Grand
le roi de carreau par son peu d'élévation. Mettant de côté
le peu de convenance et quelquefois même de justesse de
ces es[)èces de comparaisons, surtout dans la bouche d'un
mmistre du Dieu de vérité, nous devons faire la part de
l'esprit qui régnait encore au siècle où vivait le Petit père
André, et reconnaître que les moyens oratoires qu'il em-
ployait, et qui seraient regardés aujourd'hui comme de très-
mauvais goût, avaient une espèce d'à-propos et d'utilité,
puisqu'ils disposaient les esprits à l'entendre ; et c'est bien
injustement, scion nous, que le commentateur de Boileau
(Brossette) en a pris l'occasion de prêter à ce prédicateur
populaire tant de contes ridicules. Du resle, la conduite du
6'J
540
BOULLANGER — BOULOGNE
Petit père André fut irréprochable. On n'a conservé de lui
que l'Oraison funèbre de Marie de Lorraine, abbesse de
Chelles. La reine mère se plaLsait à ses sermons, et le grand
Condé goûtait sa manière de prêcher.
BOULLIAUD(Lsmael), et non Bouiîlaud,ué le 2S sep-
tembre 1C05, à Loudun, mort à Paris, le 25 novembre 1694,
à l'âge de quatre- vingt neuf ans, à l'abbaye de Saint-Victor, où
il s'était retiré depuis 1689. Ce savant , né calviniste , s'était
converti au catholicisme à vingt et un ans, et à vingt-cinq avait
reçu l'ordre de prêtrise. Il s'appliqua fortement à l'étude de
b théologie, de l'histoire sacrée at profane , et principa-
lement aux mathématiques et à l'astronomie. Après avoir
été attaché successivement à Dupuy , garde de la biblio-
thèque du roi , et au président de Tliou , qu'il suivit et se-
conda dans son ambassade en Hollande, il voyagea en Italie,
en Allemagne , en Pologne et au Levant. Parfaitement ac-
cueilli par la reine de Pologne , Louise-Marie de Gonzague ,
il reçut de celte princesse un présent considérable, et depuis
entretint avec elle, par l'intermédiaire de son secrétaire Des-
noyers, une correspondance retrouvée à Lyon par l'abbé
Mercier de Saint-Léger, et que l'on conserve , en 5 volumes
manuscrits, à la Bibliothèque Impériale.
C'est surtout comme mathématicien et astronome que
Boulliaud s'est distingué. Nous citerons parmi ses ouvrages :
1° De Natura Lxicis Z,i&er (Paris, 163S,iu-8°); T Philolaus,
seude vero systemate mundi (Amsterdam, 1639, in-4'');
3° Theonis Smyrnœi Mathematica : le textegrec est accom-
pagné d'une traduction latine et de notes par Boulliaud ;
4" Astronomia Philolaica, etc. (Paris, 1645, in-f°): si
l'on en croit le père Nicéron , le mouvement des planètes
est fort bien expliqué dans cet ou^Tage ; 5° Astronomice
Philolaica; Fundamenta explicata et asserta adversics
Sethi Wardi impugnationem, etc., etc.
Delambre reproche à Boulliaud d'avoir méconnu l'impor-
tance des lois de Kepler et dénaturé les idées de ce beau
génie. Il loue cependant le mathématicien français d'avoir
défendu avec constance le mouvement de la terre , qui avait
encore de nombreux adversaires , même parmi les astro-
nomes, et d'avoir seul jusqu'à présent donné une explica-
tion raisonnable du phénomène du changement de lumière
observé dans quelques étoiles , par une révolution sur leur
axe, qui nous montre successivement des parties obscures
ou lumineuses. Il signale aussi comme singulière l'idée
émise par Boulliaud, dans son traité Sur la Nature de la
Lumière, que celle-ci est une moyenne proportionnelle
entre les substances corporelles et les substances incor-
porelles. Ne^vton rendait plus de justice que Delambre au
mérite de Boulliaud, à qui, en répondant aux critiques de
Hooke, il attribuait la loi du carré des distances, comme à
Borelli celle du mouvement elliptique produit par l'attraction.
Parmi les ouvrages de Boulliaud étrangers aux sciences
exactes, il faut citer deux dissertations composées en 1649
«t 1651 , en faveur des Églises de Portugal, à l'occasion des
différends survenus entre la cour de Rome et le roi Jean IV.
Elles furent mises à V index. Nous citerons encore parmi les
traranx de ce savant la publication au Lou\Te, in-f, de
V Histoire Byzantine de Ducas, en grec, avec une version
latine et des notes de sa composition ; un Catalogue en 2 vol.
in-8"rfe la bibliothèque de Thou (1679), et deux lettres
sur la mort de Gassendi à Albert Partner, imprimées dans
un recueil intitulé : Lessus mortualis, etc. Boulliaud était
un de ces hommes dont la grande réputation ne diminue
point la modestie. Aubert de Vitry.
BOULLOiXGIVE. Plusieurs peintres français ont portéce
nom. Le premier qui nous soit connu est Louis Boulloncne,
ué en 1609, mort en 1674. Peintre du roi et membre de
r.\cadémie, il exécuta plusieurs tableaux pour la cathé-
drale de l'aris.
Mais celui qui jeta le plus d'illustration .sur sa famille fut
Lan BoiixoNcsE, son fils. Né à Paris en 1G49, il mourut Je
16 mai 1717, laissantungrandnombred'élèves qui occupèrent
presque tous un rang distingué dans l'école française. Ayant
commencé l'étude de l'art sous la direction de son père, il
fut envoyé à Rome par Colberl, comme pensionnaire du roi.
Pendant son séjour en Italie , il étudia le Corrège, les Car-
raches, et s'inspira principalement du Guide et du Domini-
quin. De retour en France, il exécuta son tableau (^'Hercule
combattant les Centaures, auquel il dut sa réception à l'A-
cadémie, en 1677. Louis XIV l'employa ensuite à décorer
plusieurs de ses palais. En 1702 Bon Boullongne peignit aux
Invalides les fresques des chapelles de Saint-Jérôme et de
Saint-Ambroise. Dans toutes les œuvres de ce peintre, qui
excella eu même temps dans la peinture historique et dans
le portrait , on rencontre un dessin correct et un coloris
vigoureux.
Son frère, Louis Boullongne, né en 1654, mort, premier
peintre du roi, le 21 novembre 1733, n'atteignit pas à la
môme hauteur, mais compte cependant parmi les bons ar-
tistes de l'école française. On regarde comme ses plus beaux
tableaux ceux qu'il a faits pour la chapelle de Versailles ,
surtout V Aymonciation et V Assomption. On cite aussi avec
éloges sa Présentation de Jésus-Christ au temple, faite
pour l'église Notre-Dame.
Geneviève&i Madeleine Boullongne, sœurs des deux pré-
cédents, se livrèrent aussi à la peinture.
BOULOGNE ou BOULOGNE-SUR-MER.Tillede France,
chef-lieu d'arrondissement, dans le département du Pas-de-
Calais, situéesurlaManche,à l'embouchure de la Liane, où
elle a un port d'un accès diflicile, formé de deux larges bassins.
Siège d'un tribunal de première instance, et d'un tribunal
de commerce, Boulogne possède avec une population de
29,741 habitants, un collège communal, une bibliothèque
de 32,000 volumes, un musée, un jardin botanique très-
riche, une société d'agriculture, sciences et arts, unedirection
de douanes, un théâtre, un magnifique établissement de
bains de mer, un entrepôt réel ; des fabriques de grès et
de faïence , des raffineries de sel et de sucre , des verreries,
tuileries , briqueteries, des métiers à tulle et des fabriques
de filets pour la pêche. On arme à Boulogne pour les voyages
(le long cours, le grand et le i)etit cabotage , et pour la pêche
de la morue d'Islande et de Terre-Neuve, du hareng et du
maquereau. Son commerce consiste en genièvre, thé, vins,
eaux-de-vie, dentelles, toiles fines, bois et chanvre du
Nord, etc.
Boulogne est divisée en deux parties : la basse et la haute
ville. Celle-ci, qui est jolie et très-propre, est environnée
d'une muraille flanquée de tours rondes , et renferme un
château-fort La ville basse, qui comprend le port, est la partie
la plus commerçante et la plus peuplée ; elle renferme à
elle seule les trois quarts de la population totale. Boulogne
est après Calais le passage le plus favorable et le plus court
de France en Angleterre ; aussi un service de paquebots ré-
guliers y est-il organisé pour les ports anglais. Le port, qui se
remplit et redevient à sec deux lois par jour, est vaste,
Il communique avec la mer par deux longues jetées du haut
desquelles ^n aperçoit en mer les forts de Crèche et de
l'Heurt, construits sous Napoléon en 1803. Par un temps clair
on distingue «isément de là les côtes d'Angleterre. A droite
se dresse une falaise dont le sommet est couronné par les
ruines du phare de Caligula, tour que, selon la tradition,
Caïus éleva sur cette côte en commémoration de la victoire
qu'il préfendait avoir remportée sur la mer.
Boidogne est surtout fréquentée par les Anglais ; toutes les
enseignes, toutes les flatteries, sont à leur adresse exclusive.
On ne peut méconnaître, au reste, que Boulogne doit le
développement croissant de sa prospérité à l'invasion des
citoyens de la Grande-Bretagne. C'est aujourd'hui une grande
et très-jolie ville, où le couiort, le bicn-ê're, et la richesse
territoriale font chaque jour d'immenses progrès. Plusieurs
' de ses rues rivalisent pour le mouvement, la beauté des
BOULOGNE
54 7
maisons, et la splendeur des (îtalages ,• avec celles des quar-
tiers élégants de Taris. Les hôtels sont remarquables par
leur luxe. Boulogne possédait avant la révolution une
image miraculeuse de la Vierge , à qui Louis XI fit hom-
mage du Boulonnais; cette image fut brûlée solennellement
en 1793, ce qui ne l'a pas empochée de leprendre depuis sa
place dans son antique chapelle.
L'origine de Boulogne est fort ancienne. Caligula ayant
fait construire un phare dans le fort Bononia situé sur cette
côte, l'établissement de ce phare attira les marins de ce
côté de VElna (aujourd'hui la Liane). La population de
Gesoriacum, bourg qui existait alors non loin de là, les y
suivit insensiblement , et c'est ainsi que se fonda aux pieds
du fort Bononia la ville de Boulogne.
Cette cité, devenue plus tard la capitale du Boulonnais
ou comté de Boulogne , fut assiégée et détruite à diverses
reprises.
Constance Chlore la prit en 292 sur Carausius , dont les
troupes s'en étaient emparées. Les Normands l'ayant em-
portée d'assaut, en 88S , passèrent tous les habitants au fil
de l'épée, et démolirent les édifices et les murailles. Cette
œuvre de destruction ne fut réparée qu'en 912, époque à
laquelle la ville fut rebâtie. Henri VIII, roi d'Angleterre, s'en
empara en 1544, après un siège de six semaines; mais
Henri II, fils de François I^""; la racheta moyennant quatre
cent raille écus d'or. Charles-Quint la réduisit aussi en I5â3,
après un siège assez long.
On trouve encore là beaucoup d'autres souvenirs , comme
une aiguille indiquant l'endroit où périrent les aéronautes
Pilastre th Rosier et Romain. Ville très-ancienne, César,
Charlemague, Godefroi de Bouillon, et Philippe-Auguste ont
habité Boulogne. Notre Lesage, l'auteur de Gil-Blas, y a
terminé sa carrière. C'est à Boulogne que César prépara son
embarquement pour la Grande-Bretagne, et que Napoléon
avait |)rojcté le sien.
C'est à une petite lieue de Boulogne, à Vimereux, que
Napoléon avait formé , au commencement de ce siècle , le
fameux camp de Boulogne {voyez plus loin), où eut lieu la
distribution des premières décorations de la Légion d'Honneu r,
que rappelle encore aujourd'hui une magnifique colonne.
Trente-six ans plus tard, en 1840, débarquait sur ce
même rivage le neveu de l'empereur, le prince Louis-
Napoléon Bonaparte, suivi seulement de quelques
hommes dévoués. Le prince expia, comme on sait, sous
les verrous du fort de Ham cette tentative aventureuse,
qui avait échoué là précisément où l'empereur avait pré-
médité d'une façon si gigantesque la ruine de l'Angle-
lerre. Louis-Napoléon avait compté sans doute sur les
souvenirs impériaux et sur le prestige de la colonne
élevée en ces lieux au souvenir de la Grande-Armée; mais
l'événement lui prouva qu'il n'avait pas fallu quarante
ans pour éteindre dans le cœur des Boulonnais ces sou-
venirs de gloire, à la place desquels, par un revirement
étrange, était venue s'implanter l'anglomanie la plus
outrée.
BOULOGNE (Bains de mer de). M. Versial, négociant
riche et distingué, a créé à ses frais l'établissement actuel
des baips de Boulogne. Cet édifice borde la mer du côté
du port; il a 50 mètres de façade sur 14 de profondeur :
il est d'ordre dorique. Divisé en deux parties, pour les
deux sexes, l'économie intérieure en est parfaite, et la dis-
tribution commode autant qu'élégante. On y trouve diffé-
rents petits salons, salon de danse, salon de musique, de
repos, de bilierd, de rafraîchissements; un beau salon
d'assemblée, décoré de colonnes et de pilastres d'ordre
ionique : à droite et à gauche des couloirs spacieux , des
galeries. Des deux côtés, des escaliers conduisent à de belles
terrasses, et d'autres escaliers sur la plage et aux bains.
L'édifice est surmonté d'une plate-forme gracieuse, qu'a-
britent <le jolies tentes. De là vous découvrez outre le
port, les sites d'Outreau et de Capéeure, les falaises soute-
nant les plateaux où campa la grande armée, les ruines du
phare de Caligula, la partie basse ou neuve de la ville , une
grande étendue de mer, et même, quand le temps est beau,
les côtes d'Angleterre, distantes de Boulogne d'environ neuf
lieues.
La situation de Boulogne est on ne peut plus convenable
pour les bains de mer : la côte est plate, la plage unie, sa-
blonneuse, et la mer, par conséquent, peu protonde. Il n'y a
là aucune embouchure de fleuve ou de rivière, de sorte que
l'eau reste pleinement saturée de tout son sel. Les sables de
la plage, échauffés par le soleil, donnent à l'eau, quand elle
revient les couvrir, une température assez douce pour qu'elle
ne cause aucun frisson. L'air est pur, l'eau de la ville est de
bonne qualité, les environs sont agréables à voir, faciles à
fréquenter; les remparts assez beaux.
Outre son grand établissement pour les bains de mer,
Boulogne possède deux sources ferrugineuses froides :
l'une est à quelques pas de la ville, sur la route de Calais ;
l'autre jaillit à Wières-aux-Bois. D"" Isid. Bourdon.
BOULOGIXE (Camp de). A peine parvenu au consulat,
Bonaparte, convaincu que les plus grands obstacles à la pros-
périté de la France lui venaient de la jalousie du gouver-
nement anglais, reprit le projet de descente dans les îles
Britanniques que le Directoire avait déjà eu après la paix
de Campo-Formio. Cette idée devint le but constant de ses
efforts jusqu'au jour où il en fut détourné par la guerre que
lui suscita l'Autriche vers la fin de 1805.
A cette époque, les baïonnettes françaises paraissaient suffi-
santes pour faire justice des ennemis de l'État. Malheureu-
sement, notre marine, dont les restes avaient péri à Qui-
beron, était moins que jamais en état de soutenir une
lutte avec celle de la Grande-Bretagne. Et pourtant Bona-
parte ne demandait à notre marine que les moyens de
toucher le sol ennemi. Dès lors toutes ses pensées se tour-
nèrent vers la construction d'un nombre considérable d'em-
barcations assez légères , et s'élevant assez peu sur la mer
pour ne pas donner prise à l'artillerie des gros vaisseaux ;
elles devaient être appropriées enfin à leur principale des-
tination, c'est-à-dire au transport des troupes, et, avec un
vent favorable et pendant les grandes marées, trois heures,
espérait-il, suffiraient pour conduire celte (lotte de Boulogne
à Douvres. Mille chaloupes canonnières, bricks, goélettes,
chasse-marées, bateaux plats, —dons patriotiques, en grande
partie des villes et des corps de l'État , — sortirent ainsi, à
sa voix, des chantiers et de toutes les rivières affluentes des
côtes septentrionales de la France, de la Belgique et de la
Hollande, et leur réunion se fit dans la rade de Boulogne.
Une grande partie des troupes nombreuses qui revenaient
victorieuses d'Allemagne et d'Italie formèrent bientôt un
camp retranché sur les côtes de France en vue des rivages de
l'Angleterre. Elles s'élevaient à un cfîectif de plus de 150,000
hommes, distribués par corps et logés dans des baraques
disposées par rangées, entre lesquelles s'étendaient des rues
appelées des noms de nos guerriers les plus célèbres. Dans
cette cité militaire on voyait des places embellies de statues,
d'obélisques, de pyramides; il y avait aussi des jardins, des
allées d'arbres et des fontaines.
L'Angleterre ne pouvait rester spectatrice indifférente de
tous ces préparatifs , qu'elle feignait de tourner en dérision , et
qu'elle vouait au crayon satirique de ses caricaturistes, mais
dans lesquels le génie opiniâtre de Bonaparte lui faisait entre-
voir des suites sérieuses pour elle. Elle ne tarda pas en effet
à montrer à quel point ces tentatives l'alarmaient : le 9 sep-
tembre 1801 l'amiral Nelsonse présenta devant Boulogne
avec une flotte composée de trente vaisseaux de toutes gran-
deurs. Une division de la flottille légère française était
mouillée à un kilomètre de l'entrée du port; elle fit si bonne
contenance, qu'au bout de quelques heures l'ennemi , n'ayant
pu forcer cette avant-garde à rcH'^er dans le pori , pi ;t le paili
69.
548 ^ BOULOGNE
<le se retirer , après avoir jeté inutilement huit à neuf cents
bombes , qui tombèrent toutes dans l'eau sans atteindre per-
sonne. Mais elle ne fit que s'éloigner pour chercher du ren-
fort et des munitions, et cinq jours après (le 14 septembre)
on la vit reparaître plus nombreuse et accompagnée d'une
quantité de frégates, de péniches, de bricks et de chaloupes
canonnières. Elle vint mouiller à six kilomètres de l'avant-
garde de la llottille française. L'attaque commença après mi-
nuit; une chaloupe française d'observation l'annonça. Le
combat s'engagea par un feu d'artillerie et de mousqueferie
bien nourri des deux parts; les batteries françaises de terre
ne purent jouer, crainte de frapper leurs propres chaloupes,
qui se trouvaient dans la direction de leur volée. VEtna,
chaloupe canonnière française, fut attaqué par six péniches
anglaises, et presqu'au même instant les antres bâtiments
des deux pavillons se trouvèrent aux prises. Dans ce combat
à outrance les Anglais eurent partout le dessous, et .se virent
contraints à reprendre le large, après avoir vu couler bas
quatre de leurs péniclics sous le feu de la chaloupe française
la Surprise.
Lors de la rupture de la paix d'Amiens, en 1804, Bona-
parte reprit avec une nouvelle ardeur les projets dont il avait
été détourné une première fois. Bientôt les hostilités recom-
mencèrent. Les Anglais, tenus en observation par les chaloupes
françaises , s'indignaient de voir arriver chaque jour à leur
destination des embarcations venant des côtes de la Belgique,
de la Hollande, de Dieppe et du Havre. Le 13 août, l'amiral
V e r lui e 1 , commandant une division partie d'Ostende, ayant
rencontré une escadre anglaise composée de vaisseaux de
ligne, de frégates et corvettes, reçut un feu terrible, qui n'ar-
rêta point sa marche, et qui ne l'empêcha point, en louvoyant
le long des côtes, de gagner le port, sans avoir éprouvé
aucune perte. On devait donc s'attendre à de nouvelles
et sérieuses tentatives de la part des Anglais. Le 3 octobre,
en effet, l'amiral Kcith se montra en vue de Boulogne, à la
tête d'une flotte de cinquante-deux bâtiments, dont vingt-cinq
bricks; mais, au faible échantillon de ces bricks, l'aniiral
français B ru i x jugea que ce devaient être des brûlots. Les
Anglais, en effet, avaient bien choisi leur temps, et toutes
les circonstances tendaient à les favoriser : il leur était facile
de diriger leurs machines incendiaires vers la côte, où la
marée et les vents les poussaient à la fois. Mais , par une
nianiruvre habile, qui consistait à ouvrir passage à ces brû-
lots aussitôt qu'ils étaient reconnus , l'amiral français sut
éviter le danger; presque tous allèrent aborder la terre, au-
près de laquelle ils firent explosion , tout à fait dans l'inté-
rieur de la ligne des Français : on en compta onze qui sautè-
rent ainsi de dix heures et demie du soir à quatre heures du
matin. Le canon et la mitraillade, qui ne cessèrent de se faire
entendre durant cette nuit terrible, du 4 au 5 octobre, enlevè-
rent beaucoup de monde aux Anglais, qui perdirent ainsi tout
l'effet d'une machination infernale, méditée de longue main.
Napoléon se rendit trots fois au camp de Boulogne : deux
fois en 1803 pour hâter les préparatifs de l'expédition, une
fois en 1804 pour distribuer en grande solennité, en pré-
sence des dignitaires de l'Empire récemment nommés , les
aigles aux régiments et les croix de la Légion d'Honneur
aux officiers, sous-officiers et soldats à la place des armes
d'honneur qu'ils avaient reçues sous le gouvernement ré-
l)ublicain. On crut alors que le moment de l'embarquement
était venu et que le projet de Napoléon, si longtemps mé-
dité et pour lequel on avait fait de si vastes préparatifs, al-
lait recevoir son exécution. IMais les tempêtes qui s'élevè-
rent convain()uirent l'empereur de la dilficulté de faire
réu.ssir une expédition maritime avec une armée aussi nom-
breuse; et dès isoâ, soit que l'Angleterre, pour détourner
le péril , lui eût suscité des ennemis an delà du Rhin , soit
qne Naiioléon n'eût pas été fâché do trouver un prétexte
pour lever le cami» , les troupes .se mirent en route pour
lAilcuiagnc.
A peu de distance de Boulogne, et près du rivage de la
mer, une colonne en pierre, construite de 1803 à 1823, sur
le modèle de la colonne trajane, et couronnée, en 1841, de
la statue impériale en bronze, par Bosio, rappelle seule
aujourd'hni le souvenir de ce camp célèbre.
BOULOGNE (Comté de). Voyez Boulonnais.
BOULOGNE (Village et Bois de ). Situé à quelques kilo-
mètres à l'ouest de Paris, et séparé de Saint-Cloud par la
Seine, le village de Boulogne, sous les premiers rois capétiens,
s'appelait encore Menus-lès-Saint-Cloud. Quelques habi-
tants de ce bourg, revenant d'un pèlerinage à Notre-Dame
de Boulogne-sur-Mer, obtinrent de IMiilippeV, en 1310,
la permission de bâtir dans leur village une église sur le
modèle de celle qu'ils venaient de visiter, et d'y instituer
une confrérie. L'église reçut le nom de Notre-Dame de
Boulogne-sur-Seine, puis de Boulogne la Petite, et ce-
lui de Boulogne resta au village. Cet édifice gothique, ter-
miné en 1343, fut béni par l'évêque de Paris, et agrandi
dans le siècle suivant. Les indulgences accordées à cette
église par les papes en firent pour les dévots parisiens un
lieu de pèlerinage, qu'en raison du voisinage et de la com-
modité, ilirpréférèrent à celui de Boulogne-sur-Mer.
Le village de Boulogne est un des plus remarquables des
environs de Paris. Il est grand, bien bûti, très-peuplé, et
formé principalement de belles maisons de campagne , dont
la valeur est doublée par les charmantes promenades de
Saint-Cloud et du bois de Boulogne.
Qui ne connaît le bois de Boulogne , rendez-vous de fes-
tins et de danses, rendez-vous d'amour et surtout d'affaires
d'honneur, rendez-vous enfin de promenades à pied, à
cheval , à âne, en voiture à deux et à quatre roues, depuis
le modeste cabriolet de place jusqu'au rapide tilbury et à
l'excentrique dog-cart, depuis l'humble fiacre et la modeste
demi-fortune jusqu'à l'américaine et à la calèche décou-
verte; depuis le coupé français jusqu'au cab britannique?
Est-il quelqu'un de nos lecteurs, même parmi ceux qui ha-
bitent la province et les pays étrangers , qui n'ait été , du
moins une fois en sa vie, au bois de Boulogne, comme
gastronome, danseur ou promeneur? qui n'y soit allé avec
sa belle ou pour rêver à sa belle? comme champion ou
comme témoin d'un duel? En est-il enfin qui n'ait pas été
y méditer la charpente d'un mélodrame , y composer quel-
ques scènes de tragédie, quelques couplets de vaudeville?
Ce bois, dont la longueur est de 5 kilomètres sur deux
de large, s'appelait jadis bois de Rouverai, nom sous le-
quel il est désigné pour la dernière fois dans une ordonnance
de 1577. Les Parisiens, obligés de le traverser pour aller à
Boulogne , s'habituèrent à lui donner ce dernier nom, qui
lui est resté. Aujourd'hui le monde élégant l'appelle tout
simplement le bois ; et s'il vous arrivait de demander <> le-
quel ? » on ne manquerait pas de vous prendre pour un
Huron ou un Topinambou. Qu'y-a-t-il d'étonnant? Les
Romains , en parlant de la ville éternelle, ne l'appelaient ja-
mais que Urbs. 11 est enclos de murailles et fermé de onze
portes ou grilles , dont deux au nord , la porte Maillot ,
qui donne sur la belle avenue de Neuilly, et la porte de
Neuilly, qui conduit à ce village. Du côté de l'ouest , il yen
a quatre : la porte Saint-James , près du parc de ce nom
(voyez Smnt-James); celle de Madrid, ainsi nommée du
château de M ad ri d , qu'y fit bâtir François T"^ à son retour
d'Espagne; celle de Bagatelle, qui tire également son nom du
château de Bagatelle qui en est voisin; enfin celle de
Longcharnp, qui le doit à la célèbre abbaye de Long-
champ. Les deux portes situées à l'extrémité méridionale
du bois, sont celles de Boulogne, qui prend son nom du
village, et celle dite des Princes, qui conduit au village de
Billancouil; les trois portes du côté de l'est, donnent sur
les villaces (ÏAutcuil, de Passy et sur le faubourg de
Chaillot. La seconde a pris le nom de la Muette du châ-
teau de la Muette, qui en est proche. Le Ranelagh est
BOULOG.^E — BOULONNAIS
549
sitné tout à côté. Percé par une infinité de routes et de ronds-
points, ce bois n'est planté qu'en taillis , sauf les arbres qui
bordent les allées, et qui remplacent ceux qu'on avait abat-
tus sous le régime de la terreur pour suppléer aux arrivages
de combustible dont Paris manqua alors pendant quelque
temps. D'ailleurs, avant la révolution, il ne présentait guère
que de vieux arbres décrépits. Lorsque Napoléon eut choisi
Saint-Cloud pour résidence d'été, il fit faire de nombreuses
plantations dans le bois de Boulogne. Les armées alliées
qui y campèrent en 1815 lui firent subir des dévastations
dont les traces commencent à peine à s'effacer.
Les fortifications de Paris ont diminué le bois de Boulo-
gne de plusieurs hectares; l'enceinte continue emporta tous
les arbres de l'est au nord , du Point du Jour à l'avenue de
Neuilly, et isola complètement le château de la Muette.
Dans sa séance du 24 juin 1S52, le Corps Législatif a
adopté un projet de loi en vertu duquel le bois de Boulogne
est distrait du régime forestier et concédé à titre de pro-
priété à la ville de Paris. Cette concession est faite à la con-
dilion de conserver aux terrains acquis leur destination ac-
tuelle et à la charge par la ville de subvenir à toutes les
dépenses de surveillance et d'entretien, et de faire dans un
délai de quatre ans des travaux jusqu'à concurrence de
deux millions pour l'embellissement du bois et de ses abords,
sauf soumission préalable des projets de travaux au gou-
vernement. C'est aux mêmes conditions qu'elle avait ac-
quis autrefois les Champs-Elysées. Du reste, le bois de
Boulogne ne rapportait presque rien à l'État.
BOULOGÂE (Ëtienne-Antoi.ne) , évêque de Troyes,
archevêque élu devienne, pair de France, était néà Avi-
gnon, le 26 décembre 1747. Fils d'un tailleur, il reçut son
éducation élémentaire chez les Frères , qui lui procurèrent
les moyens de com[iléter ses études. En 1773 il remporta
le prix d'éloquence proposé par l'académie de Montauban
sur ce sujet : H n'y a pas de meilleur garant de la pro-
bité que la religion. Venu à Paris en 1774, il ne tarda pas
à se faire remarquer par son talent pour la prédication ; mais
des rapports obscurs sur ses mœurs le tirent interdire par
l'archevêque, M. de Beaumont, en 1778. L'année suivante, il
remporta un prix pour l'e/ojre dw Z)nwj9/un, pèrede Louis XVL
Malgré ce succès, avant de lever l'interdit, l'archevêque
exigea que l'abbé fit une retraite à Saint-Lazare, d'où il ne
sortit qu'a la mort du prélat.
Grand- vicaire de Chàlons-sur-Marne, puis chanoine et
archidiacre, Boulogne prononça en 1782 le Panégyrique
de saint Zoiiis devant les Académies, puis il prêcha devant
la cour et devant l'assemblée du clergé. Caché dans une
maison de santé deGentilly après le 10 août 1792, et pendant
les massacres de septembre, l'abbé Boulogne fut ensuite ar-
rêté trois fois; il obtint enfin sa liberté le 7 novembre 1794.
11 se mit alors à continuer les Annales Religieuses, qui s'ap-
pelèrent successivement Annales Catholiques , Annales
Philosophiques, Annales Littéraires et Morales, etc. Ce
jimrnal fut supprimé après le 18 fructidor, et le rédacteur
n'échappa à la déportation qu'en se cachant. Les Annales
reparureutaprès le 18 brumaire, et cessèrent à la fin de ISOl.
Boulogne travailla alors à la Gazette de France, à V Europe
Littéraire, au Journal des Débats. Après le concordat, il
fut nommé grand-vicaire de Versailles, et recommença ses
prédications à Paris. En 1803 il reprit son journal, auquel
il.cessa de travailler en 1807. Il y avait traité peu favora-
blement le Génie du Christianisme de Chateaubriand.
Déjà chapelain de l'empereur, il fut nommé, en 1807,
évêque d'Acqui en Piémont ; mais il refusa d'aller dans un
pays dont il ignorait la langue. Appelé l'année suivante à l'é-
vêché de Troyes, il prononça bon nombre de discours flat-
teurs pour Napoléon ; mais la harangue qu'il fit à l'ouverture
du concile convoqué à Paris en 1811 , et dont le sujet était
Vinjluence de la religion sur la destinée des empires, dé-
plut au grand homme. Le concile fut dissous, et en 1812
l'évêque de Troyes se vit arrêté arec les évoques de Gand et
de Tournay. On les enferma au donjon de Vinceunes, où ils
furent mis au secret. Us n'obtinrent leur liberté qu'en don-
nant leur démission. L'évêque de Troyes eut ordre d'aller
résider à Falaise. Un décret impérial lui donna un successeur
en 1813, ce qui causa un schisme parmi le clergé du dio-
cèse ; ayant refusé de souscrire une déclaration portant qu'il
n'était plus évêque de Troyes, il fut ramené à Vincennes, puis
conduit à la prison de la Force. L'entrée des alliés à Paris
lui rendit son siège épiscopal. Il prêcha aussitôt devant
Louis XVIII , et s'en retourna à Troyes. Pendant les Cent-
Jours il se tint caché à Vaugirard , et parmi les discours qu'il
prononça l'hiver suivant on distingua celui qui roulait sur
ce sujet : La France veut son Dieu; la France veut son
roi ! D'après l'invitation qui en fut faite à tous les évêques, il
se démit de son siège ; mais le pape désapprouva cette dé-
marche, et Boulogne demeura à Troyes, quoiqu'il eût été
nommé archevêque de Vienne en 1817 , par suite du con-
cordat conclu cette année-là, mais qui ne fut pas exécuté.
Appelé à la chambre des pairs en 1823, il y défendit la
cause de la religion et surtout les intérêts du clergé. En 1825
il reçut du pape l'autorisation de porter le pallitim et le titre
d'archevêque-cvêque; mais il mourut le 13 mai de la même
année. Ses œuvres complètes ont été imprimées après sa
mort ( 1820 et suiv. ).
BOULOiVi\AIS. Ce pays, qui a aussi porté le nom de
comté de Boulogne, et qui se trouve aujourd'hui compris
dans le département du Pas-de-Calais, faisait autrefois
partie de la province de Picardie. Boulogne en était
la capitale. A l'époque de la conquête des Gaules par César,
il était habité par les Morini. Incorporé à la fin du qua-
trième siècle daus la deuxième Belgique, dont il formait le
douzième diocèse , il devint après l'invasion des Francs une
petite royauté, qui passa avec beaucoup d'autres de ce genre
sous la domination de Clovis. Le Boulonnais suivit alors les
destinées delaNeustrie, puis il fit partie du Pont h i eu
jusque vers le milieu du neuvième siècle. A cette époque,
Helgaud T'' , titulaire du comté de Ponlliieu , en détacha le
Boulonnais, et le donna comme dot de Berthe sa fille à Her-
nequin, neveu du comte de Flandre. Hernequiu fut donc le
premier comte de Boulogne ; il mourut en 882 , et eut plu-
sieurs successeurs, parmi lesquels Eustache III, frère aîné de
Godefroi deBouillon. Alamort d'EustachellI, en 1125,
ce comté passa à Élienne de Blois, depuis roi d'Angle-
terre, et à ses descendants. Puis, après avoir été transporté
successivement par quatre héritières dans autant de mai-
sons diiférentes , il devint la propriété du comte d'Auvergne
Piobert V ( 1267 ) , dont l'arrière-pelite-fille Jeanne, mariée
en secondes noces à Jcau le Bon, roi de France, le laissa à
Philippe de Rouvres. Une autre Jeanne, petite-fille de oe
dernier, légua les deux comtés d'Auvergne et de Boulogne
à sa cousine IMarit* de Mongascon ; mais à sa mort ( 1422 )
Philippe le Bon , duc de Bourgogne , s'empara du comté de
Boidogne, et le garda en vertu du traité d'Arras ( 1435).
Charles le Téméraire , son fils , le posséda après lui. A la
mort de ce prince, en 1477, Louis XI le reprit, et le rendit
au petit-fils de Marie de Mongascon , Bertrand II , comte
d'Auvergne, qui le lui céda l'année suivante, en échange du
duché de Lauraguais. Louis XI imagina alors un expédient
digne de lui pour l'affranchir de la suzeraineté du comté
d'Artois, dont il relevait. Ce fut de transporter, en veriu de
son autorité royale , l'hommage de ce comté à la Vierge de
Boulogne. Il déclara par lettres patentes la sainte Vierge
seule souveraine du Boulonnais, et se reconnut son vassal par
le relief d'un cœur d'or du poids de treize marcs, que lui et
ses successeurs lui payeraient à leur avènement au trône.
Et effectivement, tous les rois de France, jusques et y com-
pris Louis XV, ont depuis fait acte de vasselage envers l'i-
mage de l'église de Boulogne, en se conformant aux pres-
criptions des lettres patentes de Louis XI.
6&0
BOULONNAIS — BOU-MAZA
La partie geptenfrionale de ce pays, avec les tOIcs de
Calais, Giiines el Ardies , portait particulièrement le nom de
Cal ai sis ou Pays Reconquis.
BOULTOIV (Matthew), célèbre constructeur de ma-
chines, naquit en 1728, à Birmingliam, où son père, proprié-
taire d'une fabrique d'acier, avait acquis une grande fortune.
Une excellente éducation l'avait admirablement préparé
à la carrière qu'il devait suivre. Il était encore très-jeune
lorsque, à la mort de son père, il dut prendre la direction de
sa fabrique, aux travaux de laquelle il donna un vigoureux
élan et qu'il accrut considérablement en 1762, en la transfé-
rant sur des terrains qu'il acheta alors à Soho. En 1769 il
8'associa avec James Watt pour fonder une manufacture de
machines à vapeur, qui fut pendant longtemps en posses-
sion presque exclusive de fournir l'Europe de ses produits.
Tous deux, par l'invention d'un nouveau balancier, contri-
bnèrent singulièrement à améliorer la fabrication des mon-
naies. Plus tard ils fondèrent encore à Smetwick, et en
Bociété avec leurs fils , une fabrique dans laquelle ils appor-
tèrent, au moyen de nouveaux procédés, de notables perfec-
tionnements à la construction des machines à vapeur.
Entre autres inventions ingénieuses dont on est redevable
à Boulton , nous devons mentionner ici un piocédé méca-
nique qu'il indiqua dès l'année 1773 pour imiter à s'y mé-
prendre les tableaux à l'huile. Il mourut à Soho , le 1 7
août 1809. Sa longue vie avait été consacrée tout entière
aux progrès des arts utiles et au développement des intérêts
commerciaux de sa patrie. C'était un homme du caractère
le [)lus noble et du commerce le plus agréable.
BOU-MAZA (Si -Mohammed -BEN -Abdallah, dit),
c'est-à-dire le Père à la chèvre, surnom qui lui vient d'une
chè\Te qu'il emmenait avec lui dans ses expéditions, et
dont le lait devait , selon lui, nourrir tous les croyants qui le
suivraient. Né vers 1820, au milieu des tribus qui habitent
entre Tlemcen et Mascara, il s'était de bonne heure affilié à
la secte religieuse des J/w/ey Taïeb, secte très-répandue dans
l'ouest de l'Algérie , et qui reconnaît pour chef le chérif de
ce nom membre de la famille impériale de Maroc.
Depuis la bataille d'Isly, Abd-el-Kader, réfugié dans le
Maroc, perdait de son influence; et cependant les tribus ne
supportaient qu'impatiemment le joug français. De grandes
thaîncs de montagnes avaient même encore à peine entrevu
notre drapeau ; des tribus entières se groupaient toujours
près de l'émir, à qui l'empereur de Maroc , en dépit du traité
conclu avec la France, laissait toute liberté. Un soulèvement
se préparait. Bou-Maza en donna le signal dans le Dahra , où
ii vivait depuis trois ans de la vie austère des derviches.
Convoquant un jour les Cheurfas, il leur déclare qu'il a en-
tendu la voix d'en haut , qu'il est le Mulcij Saa ( maître
de l'heure) annoncé par les prédictions et envoyé pour
exterminer les chrétiens. La foule le suit. 11 se déclare in-
vulnérable, garantit le même privilège aux croyants irrépro-
chables, le ciel à ceux qui, moins purs, succomberont dans
la lutte , des richesses à tous ceux qui auront combattu ou
contribué au succès.
En peu de temps il a réuni trois ou quatre cents fantassins
et autant de cavaliers. Tout le Dahra se soulève, et le 20
avril 1845 Bou-Maza attaque un camp de tiavailleurs sur
la route de Tenez à Orléansville. Cette ville était menacée
l)ar l'insurrection de toute la vallée : une colonne sort de
Mostaganem. Le chérif ne pouvant pas dès lors rester
dans rirapasse formée par le bas Chélif et la mer, soulève
l'Ouarensenis. Orléansville est attaquée par une foule de fa-
natiques, convaincus que son enceinte va s'écrouler à la
voix du chérif. Cette attaque, repoussée sans peine, nécessite
cependant le retour de la colonne lancée à .sa poursuite.
Après cet échec la guerre fut roporiéc dans le Dahra.
Le 31 mai la petite armée du sultan subit piès de Tenez
une nouvelle et sanglante défaite. Rebuté par le mauvais
succès de ses rencontres avec nos troupes , Dou-Maza les
évita dès lors, et porta ses coups sur les tribus soumises ;
mais le 1 1 juin le kalifa Sidi-Darribi l'atteignit chez les Beni-
Zeroual, et extermina près de 300 de ses fantassins. Les co-
lonnes de Mostaganem, d'OrléansvilIe et de Tenez, imitant
sa propre tactique, négligent un ennemi insaisissable, et font
une guerre sans relâche aux tribus qui le soutiennent. Le
chéril abandonne alors le champ de bataille, traverse le
Chélif, et remonte rapidement la vallée de l'Oued-Riou, vi-
vement pressé par notre agha Hadj-Ahnied, qui lui enlève
son trésor, ses bagages et lui tue plusieurs cavaliers. Le
bruit de sa mort se répand, et le pays recouvre une appa-
rente tranquillité.
On élaitau 17 juillet 1845 ; l'agha Hadj-Ahmed, escorté par
un goum nombreux et brillant, revenait de Mazouna, où
il était allé chercher la fiancée de son fils , lorsqu'on face de
lui se présente un goum semblable. L'agha croit recon-
naître son collègue des Sbeha, qui vient lui faire honneur; il
s'avance sans défiance en disposant sa troupe pour recevoir
et rendre une fantasia, lorsque tout à coup la troupe opposée
s'élance et décharge à bout portant ses armes sur le cortège.
Tout se disperse , l'agha succombe après une résistance dé-
sespérée.
Bou-Maza révélait sa résurrection par cette audacieuse
surprise. Le même jour il essayait de faire enlever l'agha des
Sbeha, qui ne lui échappait, pour périr assassiné deux mois
plus tard, qu'à force de courage et de vigueur. Toutefois cette
nouvelle levée de boucliers présenta peu d'incidents remar-
quables. Les tribus étaient fatiguées, les colonnes de Mosta-
ganem et d'OrléansvilIe faisaient au chérif une poursuite con-
tinuelle. Bou-Maza, après s'être caché quelque temps dans
le Dahra , finit par aller chercher une retraite plus sûre chez
les Cheurfas des Flittas, et ne fit plus sur la rive droite du
Chélif que de rares apparitions. On vit alors paraître dans
diverses parties de l'Algérie différents agitateurs dont les
tentatives furent assez facilement réprimées , mais auxquels
la rumeur publique chez les Arabes, par calcul peut-être et
pour nous induire en erreur, se plut à assigner le surnom
uniforme de Boa-Maza. Plusieurs furent pris ou livrés, et
payèrent de leur vie leurs folles entreprises.
Cependant une tempête plus sérieuse se préparait : des
frontières du Maroc l'émir Abd-el-Kader avait préparé une
insurrection qui devait éclater simultanément dans tout
l'ouest de l'Algérie. Le pays était inondé de ses lettres. Bou-
INIaza , sans accepter la suprématie de l'émir, était d'accord
avec lui pour engager la lutte contre nous , sauf à lui dis-
puter plus tard le prix de la victoire. Le 21 septembre, au
moment où Abd-el-Kader franchissait la frontière pour as-
saillir à Sidi-Brahim le téméraire lieutenant-colonel de
Montagnac, le général de Bourjolly essuyait dans les défilés
des Flittas une attaque furieuse, renouvelée encore avec plus
d'ardeur le lendemain , et dans laquelle succombaient deux
de nos plus braves officiers supérieurs, le lieutenant-colonel
Berthier et le chef de bataillon Clère. Bou-Maza accomplis-
sait une seconde résurrection. A la suite de ces deux con*-
bats , la colonne de Jlostaganem fut réduite à la défensive
derrière la basse Mina. Bou-Maza put un jour se porter
jusque dans les jardins de Mostaganem , qui ne fut préservé
de malheurs sérieux que par l'audace de son commandant
supérieur.
Il domina pendant quelque temps presque sans opposition
dans tout le pays des Flittas et dans le Dahra, non sans
expier toutefois de temps à autre par d'assez rudes échecs la
témérité de ses entreprises. On recommença patiemment à
poursuivre et à réduire une à une les tribus révoltées. De
bons résultats ne tardèrent pas à récompenser la persévé-
rance denos généraux et de nos troupes. Le chérif, battu dans
toutes les rencontres, fut abandonné successivement par
tous ses partisans, et réduit à un petit nombre de cavaliers.
Atteint le 29 janvier 1S46, près deTadjena, par le lieutenant-
colonel Caurobert, il vit périr son principal appui , Lea-
I
HinI, caïd des Beni-Uldjas, et le lendemain «ne bonne pari ie
de ses fantassins fut sabicc par nos chasseurs. Le 15 mars
cependant il avait réussi à relever le courage des Beni-Ze-
roual et autres tribus du bas Dahra, et tenait de nouveau la
campagne avec trois ou quatre cents cavaliers et autant de
fantassins. Atteint sur l'Oued-Ksa par le colonel Saint-
Arnaud, ses troupes furent d Ispersées, et lui-même fut blessé
dans ce combat d'une balle qui lui lit perdre presque en-
tièrement l'usage d'un bras, et qui le mit pour longtemps
hors de combat. Le 24 avril il vit périr son lieutenant Ben-
Naka, qui le suppléait depuis sa blessure. Il fallut se résigner
à la fuite. Couché sur un mulet, dont les mouvements oc-
casionnaient de cruelles douleurs à son bras brisé, Bou-Maza
traversa furtivement le Chélif, et rejoignit dans l'Ouarensenis
le kaiifa El-Hadj-Segluir ; puis tous deux, trompant par
une Causse nouvelle notre agha des Flittas, gagnèrent la vallée
de rOued-el-Tliat, sortirent du Tell aux environs de Fren-
dah, et rejoignirent enfin l'émir à Stittema pour le suivre à la
déira.
La mésintelligence éclata bientôt entre les deux sultans dé-
chus ; sauvé des embûches que lui tendait son rival, et rejoint
à grand' peine par quinze de ses plus fidèles cavaliers , Bou-
Maza à partir des premiers jours de novembre parcourut
toutes les tribus du petit désert; il soutint chez les Ouled
Djellal , le 10 janvier 1847, un combat meurtrier contre la
colonne du général Herbillon; enfin, déçu dans toutes ses
espérances , échappé avec peine à l'attaque inopinée du lieu-
tenant Marguerie près de Teniet-el-Had, il vint se remettre,
le 13 avril, aux mains de son plus constant adversaire, le
colonel Saint-Arnaud.
Amené bientôt en France , il fut interné à Paris. Le mi-
nistre de la guerre lui fit une pension de 15,000 francs, et
loua pour lui un appartement aux Champs-Elysées. C'est là
que Bou-IMazase lia avec la princesse Belgiojoso, une très-
grande dame ma foi! qui se chargea de son éducation, en
môme temps qu'un officier était placé auprès de lui pour le
former à nos idées de civilisation ; et il fut décidément alors
le lion du jour.
Après avoir subi quelques opérations douloureuses , car son
bras le faisait toujours souffrir, Bou-Maza fut bientôt initié
à nos mœurs et à notre langue. On pensa même un moment
à lui donner le coftimandement d'un corps indigène en Afri-
que; mais l'opinion se révolta contre l'idée de faire obéir un
seul de nos officiers à cet aventurier, qui n'avait déployé
dans sa carrière militaire que l'astuce d'un jongleur et la
perfidie d'un chef de brigands, qui avait fait couper par mor-
ceaux une petite fille de sept ans trouvée dans une tente
par les Arabes à l'attaque du camp des Gouges, brûler vifs
onze malheureux soldats tombés entre les mains des Kabyles
à l'affaire des Ouled-Jounès , et dépecer le corps mutilé du
chef du bureau arabe de Tenez, afin que ces tristes débris
promenés de montagne en montagne excitassent l'ardeur des
révoltés.
Dans la nuit du 23 février 184S, Bou-Maza, profitant des
événements , s'enfuit mystérieusement de Paris ; mais il fut
reconnu et arrêté à Brest. Alors il écrivit au ministre de la
guerre pour le prier de faire venir auprès de lui sa femme ,
qui se trouvait à Orléansville. Le gouvernement provisoire,
inquiet de la situation de notre colonie, et craignant avec
raison que la présence de Bou-Maza en Algérie n'y devint
une cause de trouble, crut devoir s'assurer de sa per-
sonne, et le fit renfermer au fort de Ham. De nouveaux Bou-
Maza parurent encore en effet en Afrique. L'un d'eux pré-
tendait même s'être échappé de France dans nnecaisse. Tous
payèrent de leur vie leurs tentatives d'insurrection.
Lorsque le président de la république alla visiter le châ-
teau de Hara , le 22 juillet 1849, il ordonna la mise en liberté
de Bou-Maza, qui dut continuer cependant à habiter celte
ville, avec une (orte pension du gouvernement. Un petit
voyage d'agiément, qu'il fit dernièrement à Compiègne, avec
BOU-MAZA — BOUQUET sâi
la permission du maire de Ham, donna à penser qu'il s'était
encore une fois évadé; mais Bou-Maza nVlama en très-bons
termes, et certifia qu'il n'avait point l'intention de quitter
la France en fugitif. En 1852, il a été rendu à la liberté.
BOUIVDELKOUIVD. Voyez Bundelkund.
BOUPHONIES. Voyez Euphonies.
BOUQUER, vieux mot , dérivé du latin bucca, bouche,
ne se dit au propre que de l'action d'un singe qu'on force
à baiser quelque chose qu'on lui présente.
En termes de chasseur, faire bouquer un renard, c'est le
faire sortir de son terrier, en lançant des chiens à sa pom-suite.
Les marins emploient aussi le mot bouquer pour dire
se rebuter d'un travail long et fatigant , ou se rebuter de la
monotonie des vivres , voir passer son appétit.
BOUQUET. L'acception de ce mot s'est rétrécie gra-
duellement ; il désigna d'abord un petit bois, puis tout sim-
plement un groupe d'arbres, puis enfin, plus coquet, plus
mignon, le mot bouquet, tout frais, tout parfumé, servit à
indiquer un assemblage de fleurs. Maintenant encore nous
appelons bouquet d'arbres quelques arbres réunis, et les
Italiens nomment un bouquet boschetto (petit bois).
Le bouquet, se mêlant aux différents usages des peuples,
s'est associé à presque toutes les époques de la vie , comme
pour la rendre plus riante. Nous devons placer au premier
rang le bouquet de mariée. Une demi-couronne de fleurs
d'oranger, appelée chapeau, et un bouquet semblable, for-
ment la parure distinctive des mariées. Mais souvent la
pauvre couronne est reléguée dans un petit coin de la coif-
fure, et s'aperçoit à peine au milieu du voile et de la guir-
lande. Elles ne savent donc pas, nos jeunes mariées, que
le chapeau de fleurs d'oranger sur la tête d'une jeune fille,
c'est comme l'auréole sur le front de la Vierge ; c'est quelque
chose de pur et de saint. Dans les noces de campagne, ces
belles fleurs ne perdent pas ainsi leurs droits; elles ornent
seules le bonnet de la paysanne. Comme il bondit, ce bou-
quet, sur le cœur de la jeune fille, lorsqu'elle traverse le
village pour se rendre à l'église, entourée de compagnes qui
se font de son bonheur une image de celui qu'elles attendent
pour elles-mêmes ! et le soir, au son du violon criard, comme
ses boutons se mêlent et se croisent! comme il saute, comme
il fait des entrechats, ce joyeux bouquet, large comme la
figure de la mariée ! Ces bouquets de fleurs d'oranger sont
les seuls qu'on ne porte qu'une fois : ils veulent du bon-
heur, un front qui rayonne : une inquiétude, une pensée
amère, une illusion fanée, feraient tache sur ces boutons
blancs; il faut les serrer dans le tiroir encore tout imprégnés
de joie. Ne serait-il pas téméraire de les porter plus d'un
jour dans la vie?
Le chapeau de fleurs d'oranger se place encore sur les
cercueils des jeunes filles. Cet usage nous vient sans doute
des Grecs, qui posaient des couronnes sur les têtes des
cadavres ; car chez eux la Mort était coquette, et mettait des
fleurs pour cacher ses ossements. Les bouquets servent en-
core à parer les tombes; nos cimetières ressemblent à de
larges corbeilles de fleurs : il semble que tous les jours ce
soit fêle chez les morts. Ce sont presque toujours des cou-
ronnes d'immortelles jaunes qu'on pose sur ces mai hres : '
pourquoi des immortelles? Quelques parents prétendent
qu'ils les choisissent comme symbole de l'éternité de leur
douleur : ne serait-ce pas plutôt parce qu'on les renouvelle
moins souvent? Les autres fleurs sont si tôt flétries! le che-
min du cimetière s'oublie si vite ! le front s'éclaircit avant
les vêtements de deuil , et sur bien des tombes les couronnes
d'immortelles elles-mêmes restent longtemps fanées.
Les bouquets ornent aussi les vases de l'église; il semblait
naturel de choisir les fleurs pour fêter Dieu : c'est le luxe de
sa création, et leurs parfums semblent monter à lui avec
la prière et l'encens. Mais les églises n'ont maintenant que
des fleurs artificielles. Les autels n'ont plus de parfums, et
des morceaux de batiste taillés par quelques pauvres ou-
552 BOUQUET
vrières remplacent les bouquets naturels que Dieu lui-même
a nuancés.
Toutes les femmes connaissent ces bouquets ronds et plats,
ornés de beaux camélias , de cercles de violettes et de roses
du Bengale, qu'on nomme bouquets à la duchesse. Ne
serait-ce pas à la duchesse de Borrv qu'ils devraient leur
nom? L'habitude qu'elle avait d'en tenir un à la main cha-
que fois qu'elle paraissait en public, et son goût pour les
camélias n'autoriseraient-ils pas à le présumer?
Après tous ces bouquets, viennent encore ceux des mar-
raines , ceux des fêtes dans leurs cornets de papier blanc.
On en retrouve itartout où il y a du plaisir. Ce n'est pas
leur destination d'orner des cercueils et des tombes. Vivent
les joyeux bouquets de noce, de bal et de fôte! Les (leurs
sont faites essentiellement pour le bonheur; elles sont
fraîches et riantes comme lui, et se fanent aussi vite.
Anais Ségalas.
Les bouquets servent souvent aussi de messages d'amour,
messages d'autant plus discrets que c'est le cadeau qui tire
le moins à conséquence. On peut toujours accepter un bou-
quet. On en donne aux fêles, aux bals; les femmes en por-
tent même aux soirées, en voiture, à la promenade. Ils ornent
la table d'un grand lepas, l'appartement d'une femme comme
il faut aussi bien que la mansarde d'une grisette. Les poètes
en décorent leurs héroïnes.
Pour loi sa main d'albàtrc et choisit et moissonne
La [)àle violette et la riclie aiiciuone.
Joint la fleur du narcisse aux, iiarlurns du muguet
Et d'heureuses couleurs uuauçant ton bouquet.
Entrelace avec art et mollement oppose
L'hyacinte au pavot, les soucis a lu rose. (TissOT.)
On fait aussi, tant pour l'ornement que pour la parure,
des bouquets en Heurs artificielles, bouquets qu'un poêle
appelle :
Des bouquets sans parfums, enfauts de l'iiuposture.
En littérature on nomme encore bouquets de petites pièces
de vers adressées à une personne le jour de sa fôte.
De là sans doute aussi les noms de bouquet à Iris, bou-
quet à Chloris, bouquet à Philis, donnés à tout rondeau,
chanson ou madrigal adressé à quelque beauté imaginaire.
De tous les peuples modernes, ce sont les Français qui ont
dépensé le plus d'esprit dans ce genre ; mais il s'en faut
qu'ils aient toujours été heureux. Les chansons des trou-
badours et des trouvères , pleines de recherche et d'affecta-
tion, ne célèbrent que l'amour, mais ne sont guère propres à
l'inspirer. On devine trop en les lisant que leurs auteurs
chantent pour chanter et n'aiment que pour rimer. Même
chose advint plus tard , lors de la renaissance des lettres ,
sous François ^'^ A l'exception de quelques traits plus na-
turels que passionnés, Marot cl ses successeurs semblent
toujours plaisanter de ce qu'ils éprouvent. Plus tard le génie
espagnol, introduit en France par Anne d'Autriche, nous
apprit à rafliner stu' tous les sentiments, fil école à la ville
et à la cour, et provoqua des avalanches de bouquets qu'on
recueillait avec amour dans cet hôtel de Rambouillet où
régnait Voiture , bel esprit souple et brillant, qui, admis, mal-
gré sa naissance, auprès des grandes dames , ne s'occupait
qu'à anmser leur esprit, n'osant viser plus haut.
Froidement ingénieux, ce langage, adopté par la mode, de-
vint celui de tout le monde. Chacun dut soupirer par air,
et les femmes accueillirent d'autant plus volontiers ce genre
d'hommages que , en flattant leur vanité, il pouvait servir à
cacher sous des sentiments feints un sentiment réel. On ferait
une bibliothèque de tout le fatras portique qui encombra
'tlors les ruelles et le Parnasse sous le nom de bouquets.
/qtrès avoir longtemps fleuri, les bouqîtcts à Iris passèrent
à leur tour, remplacés par l'épltrc badine et les petits vers
des Dorât et des Pezay
société frivole , mais sensible par dessus tout à la finesse des
idées et aux grâces du langage, nous citerons celle-ci, de
Chaulicu, dans le goût marolique :
Ces fleurs s'en vont trouver l'objet charmant
Sur qui d'amour tout le bonheur je fonde :
Si ce bouquet donné d'amour profonde
C'est te donner toute la terre ronde.
Comme l'a dit très-bien raaitre Clément,
Jouis, Iris, de l'empire du monde
Dont tu faisais déjà tout l'ornement;
Car bouquet onc plus amoureusement
Ne fut donné depuis ce doux moment
Qu'on vit sortir l'autre Vénus de l'onde.
Voici un bouquet à Philis de Montreuil :
Pourquoi me demandez-vous tant
Si mes feux dureront, si je serai coustaut,
Jusques à quand mon cœur vivra sous votre empire?
Ahl Philis, vous avM graud tor«(
Comment pourraii-je vous le dire?
Rien n'est plus incertain que l'heure de la mort.
Le mot bouquet a encore différentes acceptions.
En terme d'artificier, on appelle bouquet d'artifice, bou-
quet de fusées , un paquet de différentes pièces d'artilice
qui partent ensemble. La gerbe de fusées ou de girandoles,
la réunion de toutes les pièces , disposées à cet effet, que
l'on garde pour la fin d'un feu d'artifice, s'appelle par ex-
cellence le bouqtiet. Cette expression est passée de là dans
le langage figuré.
Le botaniste Richard a appliqué le nom de bouquet à
une assemblage de fleurs (de même nature et placées sur
la même tige), dont les pédoncules uniflores partent tous
d'un même point, telles que la primevère oflicinale. Dans
l'application générale, il est presque synonyme de thyrse,
et indique la disposition de certaines fleurs , telles que le
lilas , qui sont un composé de grappes pyramidales.
Par extension, on a dit d'abord un bouquet de cerises,
de poires ou d'autres fruits analogues; puis un bouquet do
plumes, de cheveux , de diamants, de pierreries, de perles,
d'émail, etc., de tous les objets et de toutes les matières que
l'art a employés pour imiter les fleurs naturelles et leur as-
semblage.
Enfin on qualifie de bouquet l'agréable parfum d'un vin
de bonne qualité.
BOUQUET (Dom Martin), né à Amiens, en 1685,
entra fort jeune dans l'ordre de Saint-Benoît. Il se démit de
la charge de bibliothécaire de l'abbaye de Saint-Germain-
des-Prés pour se livrer entièrement au travail, concourut à
l'impression de plusieurs ouvrages de son collègue Mont-
faucon , et s'occupa d'une nouvelle édition de Flavius Jo-
sèphe. Déjà son ouvrage était fort avancé, lorsque ayant
appris que Havcrcamp s'occupait du même travail , il lui
envoya tous ses matériaux. En 1676 Colhert avait projeté
une nouvelle collection des historiens des Gaules et de la
France. Lorsque ce ministre fut mort. Le Tellier, archevê-
que de Reims, pria M a bi 11 on de se charger de l'exécution
de ce plan , mais celui-ci refusa ce fardeau , qu'il croyait
trop lourd pour lui. Plus tard, d'Aguesseau confia cette
entreprise à l'oratoricn Lelong, dont la mort, arrivée en
179.1 , suspendit encore une fois ce projet. Alors Dora
Denis de Sainte-Marthe, supérieur général de la congréga-
tion de Saint-Mail r, demanda que ses religieux fussent char-
gés d'une entreprise qu'il regardait, comme abandonnée, et
proposa Doin Bouquet pour l'accomplir. Bouquet fit pa-
raître en 17.38 les deux premiers volumes, de cette belle col-
lection sous le titre de Rerum Gallicarum et Francicartun
Scriptores ( Recueil des Historiens des Gaules et de la
France). Il avait déjà publié huit volumes, lorsqu'il mourut
à Paris, en 1704. Dom Maur d'Antine, J.-B. Haudiquier et
son frère Charles Haudiquier, Dom Poirier, Dom Précieux,
Parmi ces pièces de vers qui faisaient les délices d'une l Etienne Houssoau , Dom Clément et Dom Brial continué-
I
BOUQUET
rent ce travail, que poursuit l'Académie des Inscriptions et
Delles-Lettres. Auguste Satagner.
BOUQUETIN, BOUCTAIN, ou BOUC-ESTAIN. Ce
nom appartie-at à trois espèces du genre bouc : la plus con-
nue est le bouquetin des Alpes [Vïbex de Pline), qui se
distingue de ses congénères principalement par la disposition
de ses cornes.
Chez les'niàles, les cornes sont comprimées latéralement,
et prescpie deux fois moins épaisses de dedans en dehors
que d'avant en arrière. Leurs deux faces latérales , à peu
près planes et parallèles entre elles, sont, ainsi que la face
postérieure qui est arrondie, marquées de stries ondulées;
la face antérieure, plane transversalement, est séparée de
la face externe par une vive arête , et de l'interne par un
filet saillant •. elle présente d'espace en espace des bourre-
lets très-épais , qui se terminent en dehors d'une manière
abrupte , et en dedans par un gros nœud lié au filet longi-
tudinal. Ces bourrelets , au nombre de vingt à trente chez
les individus un peu âgés , sont mieux marqués et plus
gros à la partie moyenne que vers la base. Les cornes d'un
vieux mâle, mesurées en suivant leur courbure, ont quel-
quefois plus d'un mètre de longueur, tandis que les cornes
de Vdlcifjne (c'est ainsi qu'on nomme la femelle) atteignent
à peine quatorze à quinze centimètres.
Sous le rapport de la taille , il y a aussi entre le mâle et
la femelle une différence très-notable, et beaucoup plus
grande que celle qui existe entre nos boucs et nos chèvres
domestiques. Une autre différence entre les sexes consiste
dans l'absence de barbe chez les femelles.
Cette espèce, qui semble aujourd'hui confinée dans un
petit canton des Alpes piémontaises , se trouvait autrefois
dans toutes les parties élevées de la chaîne comprise entre
le mont Blanc et le mont Eisenhut, en Styrie; quelques
naturalistes pensent môme qu'à une époque plus ancienne
elle habitait aussi une partie de la chaîne des Apennins.
Les deux autres espèces sont le bouquetin de Sibérie
et le bouquetin du Caucase.
Les anciens regardaient le sang des bouquetins comme
astringent et diurétique. Le peuple croyait encore naguère
qu'il favorisait l'expectoration, aidait à la résolution de la
pleurésie, etc.
BOUQUIIV, BOUQUINEUR, BOUQUINISTE (de l'al-
lemand Jiucfi, livre). Il y a d'abord les vrais bouquins ,
(|ni sont de vieux livres poussiéreux à la vieille couverture,
aux ornements rococos, au papier jauni, aux vieux ca-
ractères ; mais il y a aussi des livres neufs qui passent à
l'état de bouquins en voyant le jour, et cela malgré leur
riche encolure. Il en est des livres comme des hommes, il
ne faut point les juger sur l'apparence. Malgré les belles
gravures dont elles sont ornées, les œuvres de Dorât se
vendent depuis longtemps comme des bouquins. Malgré
leurs élégantes reliures en veau, en maroquin, en cuir de
Russie, malgré les fers dorés et à froid qui les décorent,
les œuvres de MM. tel et tel sont mises prématurément et
avec juste raison au rang des bouquins. Tout au contraire,
sous leurs modestes couvertures de veau fauve ou de par-
chemin jaunâtre et enfumé, les éditions de Virgile, d'Ho-
race , de Plutarque, de Cicéron, publiées il y a deux, trois
et quatre siècles par les Étiennes, les Elzevirs et les Aides,
loin d'être regardées comme des bouquins, sont toujours
recherchées et chèrement payées par les bibliophiles,
par les véritables connaisseurs. En revanche, beaucoup de
grands seigneurs, de belles dames et d'épiciers enrichis,
n'ayant une bibliothèque que par ton , regardent les livres
uniquement comme des meubles, et ne s'attaclient point au
contenu, mais à la couverture. Les leurs, en rayons bien ali-
gnés (les gros livres en bas, les petits en haut), magnifi-
<|uenient reliés en maroquin bleu , rouge , jaune ou vert ,
armoriés, dorés sur tranche, etc., ne tentent pas le moins
du monde les libraires, ni mêuieles bouquinistes; ils passent
DICT. DE LA CONVERS. — T Ul.
- BOUQUIN Si 3
chez les fripiers, chez les marchands de chiffons, voire
même chez la beurrière et l'épicier, qui en font des cornets
de papier : habent suafata libelli.
De bouquin est venu le verbe bouquiner, qui signifie
chercher et acheter des bouquins. Aimer à bouquiner, s'a-
muser à bouquiner, c'est passer son temps à chercher
dans les vieux hvres pour en trouver de bons , à les par-
courir, à les lire sur les étalages ou dans les échoppes des
marchands. Il y a des curieux qui ne font toute leur vie
que bouquiner. Puis de bouquiner sont venus bouquineur
et bouquiniste. Le bouquiniste est le vendeur de bouquins,
le marchand de vieux livres ; le bouquineur est celui qui
en cherche , qui en achète. Le bouquineur arpente tous les
jours , du matin au soir, les quatre coins de Paris pour dé-
terrer les vieux hvres; il visite les quais, les ponts, les
boulevards , et de préférence les rues les plus sales et les
plus étroites du centre de la capitale; il s'arrête partout,
il entre partout où il aperçoit des hvres noirs ou poudreux;
il bouleverse, il ramasse ceux qui sont étalés pêle-mêle
dans la poussière ou dans V» boue ; il pénètre jusqu'au fond
des plus sombres boutiques. C'est là qu'à force de peines et
de recherches , il trouve des livres rares ou des volumes
dépareillés qui lui complètent quelques ouvrages précieux.
En tout cas, il n'y a pas loin du bouquineur au b i b I i o m a n e.
On le voit rentrer chez lui les poches pleines de ses ac-
quisitions, qu'il entasse souvent pêle-mêle, et qu'il n'est pas
toujours en état de retrouver.
11 y a aussi une autre classe de bouquineurs, qui achète ra-
rement, et qui fait des quais et des ponts son cabinet de lec-
ture ; fouillant dans tous les étalages , ces gens-là passent
leurs journées à lire gratis les volumes du pauvre bouquiniste.
Si les bouquineurs font vivre les bouquinistes , on peut
dire aussi que sans les bouquinistes il existerait peu de bou-
quins. C'est à leur zèle opiniâtre et assidu que les biblio-
thèques les plus précieuses doivent leur origine; c'est aux
soins vigilants des bouquinistes et des bouquineurs que les
sciences , les lettres et même la religion doivent la conserva-
tion d'une foule de livres rares et précieux qne sans eux
l'eau , le feu et les vers auraient détruits dès longtemps. On
ne connaît pas assez les obligations que l'on a envers ces
hommes dont la manie et le fanatisme pour les vieux livres
sont pour les gens du beau monde un objet de ridicule , de
mépris et de dégoût.
Malheureusement, la race des mis et des autres commence
à s'éteindre. Les plus fameux bouquineurs des temps moder-
nes n'existent plus. Il est mort depuis plus de soixante ans
ce marquis de Méjanes qui , après avoir bouquiné dans toute
la France, après avoir formé d'immenses dépôts de bouquins
à Aix, à Arles, à Avignon et à Paris, en avait tellement en-
combré l'appartement qu'il occupait près de la place Vendôme,
que sa femme était obligée de passer avec peine à travers
deux longues palissades de livres , pour aller se coucher dans
une alcôve de bouquins. Ces livres et ces bouquins précieux
forment aujourd'hui la bibliothèque pubUque d'Aix, l'une
des tiois plus considérables de France après celles de Paris.
Il est mort, ce bon et savant Boulard, qui avait renoncé à son
étude de notaire , à toutes fonctions civiles , législatives et
administratives, afin de se livrer à sa passion pour les bou-
quins ; qu'on ne rencontrait jamais sans qu'il en eut les
poches pleines; qui les achetait en bloc, à tant la hotte, à
tant la charretée, sans choix, sans examen et sans compter,
mais souvent aussi dans une intention bienfaisante. Forcé
de donner congé à tous ses locataires, au fur et à mesure
qu'il avait besoin de leurs boutiques et de leurs apparte-
ments pour y loger ses livres , il avait fini par en encombrer
toute sa maison, depuis le rez-de-chaussée jusqu'au grenier.
Il est mort aussi, C.-M. Pillet, qu'on voyait chaque soir dans
les ventes de livres aciieter des lots de bouquins et de bro-
chures, poussant les enchères, sans lever les yeux des
épreuves de làBiographie «wJfc'crseWe, qu'il corrigeait. Pour
551 BOUQUIN
fatisfaire 90 manie de bouquins, il se privait de vêtements et
de nouirilure. Courbé sous le faix, il revenait journellement,
sans chapeau, ajouter son butin à celui qu'il avait entassé
dans son galetas, et sous lequel son grabat était enseveli.
Suivant ses dernièies volontés, deux chargements complets
de voitures de roulage ont porté ses livres et ses bouquins
aux jésuites de Chainbéri , sa patrie. Tous ces bouquineurs
sont morts. M. Corbière, qui durant son ministère entrava
et vexa la presse moderne , comme l'ont fait au reste tous
ses successeurs , n'encourageait que le coaimerce des bou-
<]uins, et donnait ses audiences du haut de l'échelle d'où
il arrangeait sur les rayons de sa bibliothèque ses Elzévirs
et ses Variorum.
Quant aux bouquinistes, il n'y en a plus, à proprement
parler, à Paris depuis que des libraires instruits leur ont
coupé les vivres en se mêlant de ce métier, en accaparant
tous les vieux livres qu'ils rencontrent sur leur route , qui sur-
gissent dans les ventes publiques, et que les amateurs n'ont
pas osé surenchérir. Les étalagistes qu'on veut bien encore
appeler bouquinistes, et qui tapissent les boulevards, les
quais et les carrefours , ne sont que des marchands de livres,
achetant et revendant indistinctement le vieux et le neuf,
sans connaître leurs marchandises , et presque sans savoir
lire, à peu près comme s'ils vendaient des gâteaux de Nan-
terre , des allumettes , de l'amadou. Ils en savent tout juste
assez pour faire la séparation de leurs brochures et de leurs
bouquins , et pour les crier et afficher depuis deux ou quatre
sous la pièce jusqu'à un franc. Il n'existe plus à Paris , que
nous sachions, qu'un véritable bouquiniste, c'est le vieux
Corhet, lequel, depuis cinquante ans , achète ou vend tous
les livres dépareillés qu'il rencontre. Corbet a plus de cent
mille bouquins , parmi lesquels il y a de fort bons livres.
liOUQUI]\ (Cornet à). Toye; Cornet a Bouquin.
liOUllACAN, étoffe non croisée, espèce de camelot
tissu de poil de chèvre, mais d''un grain beaucoup plus gros
que celui du camelot ordinaire, qui sert principalement à
faire des manteaux pour se préserver de la pluie en
voyage.
BOURBE, BOURBEUX, BOURBIER. On appelle
bourbe, une terre molle détrempée d'eau , où la boue pro-
venant des terres grasses , des eaux croupies et des lieux
marécageux. Les tanches et les anguilles sentent ordinaire-
ment la bourbe quand elles ne sont point dégorgées. Le mot
bourbe, comme celui de bouc, vient du grec pôêopo;, qui
a la même signification. 11 a donné naissance aux mots
bourbeux et bourbier, qualification des lieux ou des choses
où il y a un amas de bourbe; on dit un ruisseau bourbeux,
un gué bourbeux : les mares sont toujours bourbeuses.
Ce mot et ses dérivés reçoivent aussi des applications fré-
quentesdans le sens figuré. On dit, par exemple, d'un homme
malheureux, qu'il croupit dans la 6oî<r6e. Enfin, le mot
bourbier s'entend, en style familier, des embarras où un
homme se trouve par sa f;uite , ou d'une affaire fâcheuse
dont on a de la peine à sortir : il aura bien de la peine, dit-
on souvent , à se tirer de ce bourbier.
On qualifie aussi du nom de bourbes ou de boues certaines
eaux minérales qui conviennent à la guérison des douleurs
rhui'natismales. Voyez Boues des eaux.
Enfin, le peuple à Paris donne le nom de la Bourbe à
r hospice d'accouchement, dit de la Maternité, lequel oc-
cupe l'ancienne abbaye de Port-Royal.
BOURBILLON. Voyez Furoncle.
BOUllBOIV (Maisons de). Plusieurs familles ont porté
ce titre emprunté au Bourbonnais, (lu'elles possédèrent
en lief. On sait que la dernière arriva au trône de l'rance,
«lonl clic fut précipitée par trois révolutions successives.
Première maison de Bourbon. Childebrand T'", frère
puîné de Charles Martel, aunil de Chaiieinagne, et tous
dfiix lils de Pépin d'IIéristal, fut père de Nibclong 1*^"', qui
vi\ait en 80 j. Celui-ci laissa deux fils, Théothert, père de
— BOURBON
Robert le Fort, bisaïeul de Hugues Capet, et Childebrand II,
souche de la première maison de Bourbon , dont l'origine se
confondait ainsi avec celle des rois de France de la seconde
et de la troisième race. En 814 le môme Childebrand II
donna aux religieuses d'Yseure, près Moulins, un fonds
de terre qui lui était échu , dit-il dans la charte, de l'héri-
tage de Nibelong, son père. Ce passage prouve que sa fa-
mille possédait déjà patrimonialement une partie du Bour-
bonnais.
Aymar l", un de ses fils, fut père de Nibelong II, dont le
fils Aymar II est qualifié comte dans une charte de l'année
913 , par laquelle le roi Charles le Simple lui fait don de plu-
sieurs terres situées en Berry, en Auvergne et dans l'Autu-
nois. Dans cette donation se trouvait compris le territoire de
Souvigny , sur lequel Aymar fonda un prieuré de bénédictins
en 917. Dans son testament, daté du château de Moulins, le
4 des calendes de mai 923, son fils aîné , Aymon 1"^, est ins-
titué son héritier universel, et c'est le seul qui paraisse
avoir eu postérité. Néanmoins il ne succéda pas immédia-
tement à Aymar II, car la charte de fondation du prieuré de
Saint-Vincent de Chantelle, du 26 mars 936, fut souscrite
par un Guy, comte de Bourbon , administrateur du pays
pendant la minorité d'Aymon 1". Dès que celui-ci fut
parvenu au gouvernement, il révoqua la cession que son
père avait faite à l'abbaye de Souvigny. On le vit même re-
courir à la force pour recouvrer des biens que non-seulement
il restitua bientôt après par repentir ou par faiblesse , mais
qu'il accrut encore par la cession de la terre de Longvé.
Aymon l*"" fit son testament en 953. Il en confia l'exécution
à son cousin le duc Hugues le Grand , père de Hugues
Capet. D'Alsente, sa femme, il laissa, entre autres enfants ,
Archambault, dont nous allons parler, et Anseric, qui fut
apanage du château des Thermes, connu depuis sous le nom
deBourbon-Lanci ( sa postérité existait encore en 1331,
dans la personne de Jean de Bourbon, seigneur de Mont-
péroux ).
Arciiaubault r", sire de Bourbon, vivait en 959, et
mourut en 985. C'est de lui probablement et de quelqu'un
de ses successeurs que le château de Bourbon prit le nom
de Bourbon-l'Archambault, pour le distinguer des
autres lieux nommés Bourbon. Rotliilde , sa femme, l'avait
rendu père du comte Archambault II, qualifié prince dans
la clirgnique de Vezelai , qui fait mention de la guerre que
ce seigneur soutenait en 999 contre Landri, comte de
Nevers.
Archambault II mounit après l'année 1025, ayant eu
d'Ermengarde de Sully Akciiambault III et Aymon, arche-
vêque de Bourges , mort en 1071. Archambault III, sur-
nommé du Montet, sire de Bourbon, lit de grandes libéra-
lités aux églises de Souvigny, de Colombières, de Saint-
Ursin, de Bourges et du Montet. Mais son fils, Archam-
bault IV, surnommé leFort,qai lui succéda peu après l'an-
née 10G6, n'imita point l'exemple de ces pieuses prodigalités.
Il entreprit de restreindre les envahissements des moines
de Souvigny sur la juridiction de ce lieu , et y établit à son
profit de nouvelles coutumes. Cet acte d'autorité était sur le
point de lui attirer les foudres de l'excommunication , lors-
que saint Hugues, abbé de Cluny, parvint à conjurer l'o-
rage, dans l'espoir de rendre ce seigneur plus traitable. Ar-
chambault ne se démentit pas jusqu'au lit de la mort; mais
alors (1078), effrayé par les terreurs d'une autre vie , il con-
sentit à renoncer aux droits de sa maison sur les biens liti-
gieux. Marié avec Philippe d'Auvergne, il en avait eu plu-
sieurs enfants , dont les principaux furent Archambault V,
Aymon II, et Guillaume, seigneur de Montiuçon. Cette
branche a fini dans Béatrix, dame de Montiuçon, qui, par
son mariage avec Archambault IX, son p;u"cnt , fit rentrer
celle terre dans la maison de Bourbon.
Arciiambault V, sire de Bourbon , fut un prince entre-
prenant, querelleur et violent. Il emprisonna le lérgat du
pape, Hugues de Die, archevêque de Lyon , tint longtemps
taplif Hugues , seigneur de Monligny , et donna de vives
inquiétudes aux moines de Souviguy, qui , comme tous les
autres moines, sous le prétexte de défendre les droits du
peuple, ne cessaient de s'arrondir aux dépens des seigneurs.
n fallut que le concile de Clermont s'interposât pour qu'il les
laissât en repos, car la présence du pape Urbain II à Sou-
vigny n'avait fait que suspendre son activité à ressaisir tous
les droits que sa maison avait perdus. Archainbault V finit
ses jours en 1096, laissant un fils en bas âge, nommé Ar-
CHAMBAULT VI, sur lequel Aymoii II, son oncle, surnommé
Vairevache , usurpa le Bourbonnais. Le roi Louis le Gros
ayant inutilement ajourné Aymon à sa cour, pour rendre
compte de sa conduite envers son neveu , lève une armée ,
assiège Aymon dans le château de Germigny (1115), l'oblige
à lui venir demander pardon à genoux ; et, Tayant emmené
à Paris, il le traduit devant le conseil des pairs, qui con-
damne Aymon à restituer à Archambault VI son héritage.
Celui-ci étant mort en ltl6 sans avoir été marié, Aymon II
se remit en possession du Bourbonnais par droit héré-
ditaire.
Son fils et son successeur, ARcnAMBADLT VIT, avait été
marié à Agnès de Savoie , sœur d'Adélaïde , femme du roi
Louis le Gros. En 1137 il fonda Villefranche , à trois lieues
de Montluçon, et lui accorda des coutumes. Dix ans après
il accompagna le roi Louis le Jeune, son neveu, à la Terre
Sainte, d'où il était de retour en 1149. Il mourut en 1171.
Arciiaubault VIII, son fils et son successeur, fut nommé,
parle roi Philippe-Auguste (1200), gardien de toutes les
terres et forteresses que ce monarque avait conquises l'an-
née précédente dans le comté et le dauphiné d'Auvergne.
Archambault VIII mourut la môme année, et ne laissa
qu'une fille, Mathilde, ou Mahaut de Bourbon, qui fut re-
mariée en secondes noces (1197) avec Gui II de Dampicrrc,
seigneur de Saint-Just et de Saint-Di/.ier en Champagne,
avec lequel elle succéda dans la baronnie de Bourbon.
Seconde maison de Bourbon. Gui de Dampierre, reçu
vassal-lige du roi Philippe-Auguste en 1202, fut mis à la tête
de l'armée que ce monarque fit marcher contre le comte
d'Auvergne. Cette guerre, qui dura trois ans, valut au sire
de Bourbon un accroissement de domaine , ainsi que la garde
pour le roi de toutes les conquêtes qu'il avait faites dans
cette expédition. Guy mourut en 1215, laissant plusieurs
enfants de Mahaut de Bourbon , décédée le 20 juin 1218,
entre autres Archambault IX ; ce prince, à qui sa valeur et
sa générosité ont mérité le surnom de Grand, quitta le nom
et les armes de sa famille pour ])rendre ceux de Bourbon.
La comtesse Blanche de Champagne , voulant donner un
ferme appui au jeune comte ïhibaud, son fils mineur,
nomma le baron de Bourbon connétable de ses États (1217).
D'un autre côté , le roi Philippe- Auguste lui transmit le gou-
vernement général des places que son père avait conquises
en Auvergne. 11 paraît qu'Archambault continua la guerre
dans ce pays , car son maréchal conclut une trêve, en 1226,
avec le comte Guillaume. Le baron de Bourbon , ayant ac-
compagné Alfonse , comte de Poitiers , dans une expédition
contre la Guienne, futtuéàlabatailledeTaillebourg, le 21
juillet 1242. Ce seigneur a laissé en Bourbonnais de nom-
breuses traces de sa libéralité et de sa bienfaisance , et ce
fut à lui que la ville de Gannat fut redevable de son affran-
chissement (1236). De son mariage avec Béatrix , héritière
de Montluçon, sa parente, il laissa AKcnAMCAULT X, qui
éleva au plus haut degré, par tme graridc alliance , la fortune
de sa maison , déjà considérablemcint accrue par la valeur
de ses pères. Il épousa Yolande de Chastillon, qui laissa à
ses enfants les comtés de Nevers, d'Auxerre et de Ton-
nerre, les seigneuries de Montjay,de Thorigny, la baronnie
de Donzy, et les terres de Broigny et de Saint-Aignan.
Ayant accompagné saint Louis à son premier voyage d'outre-
mer, il mourut dans l'ilc de Chypre , le 15 janvier 1249, ne
BOURBON 555
laissant d'Yolande de Chastillon , qui l'avait suivi dans ce
voyage , que deux filles, Mahaut, dame de Bourbon , morte
en 1262, n'ayant eu d'Eudes de Bourgogne, son mari, que
des filles; et Agnès, femme de Jean de Bourgogne, seigneur
de Charolais, frère d'Eudes. Il ne provint de ce mariage
qu'une fille nommée Béatrix.
Troisième ?naison de Bourbon. Béatrix de Bourgogne ,
héritière du Bourbonnais en 1283, par la mort de sa mère',
était mariée depuis l'année 1272 à son parent, Robert de
France , comte de Clermont en Beauvaisis , sixième fils du
roi saint Louis. Quoique ce prince, devenu possesseur du
Boifrbonnais, n'ait jamais porté d'autre titre que celui de
comte de Clermont , qu'il avait eu en apanage, cependant,
son fils aîné et sa nombreuse postérité adoptèrent exclusive-
ment le nom de Bourbon. Robert de France n'a laissé d'autre
souvenir mémorable que celui d'avoir été la souche d'une
des plus grandes et des plus illustres maisons qui aient paru
sur la scène du monde. Il mourut le 7 février 1317.
Louis l*"^, surnommé le Grand, duc de Bourbon , appelé
Louis Monsieur du vivant de Robert son père , et le seul
de ses fils qui eut des enfants mâles, héritier de sa mère
en 1310, s'était signalé, dès l'âge de vingt-trois ans, en sau-
vant d'une destruction totale l'armée française , baltue par
les Flamands à Courtrai en 1302. Deux ans après il avait
contribué avec neuf compagnies d'hommes d'armes à la vic-
toire de Mons-en-Puelle. On vit ce jeune prince , secondé
par Jean, sire de Charolais, son frère, remporterions les
prix du magnifique tournoi célébré à Boulogne-sur-Mer lors
des noces d'Isabelle de France avec Edouard II, roi d'An-
gleterre (1308). A l'issue de ces fêtes, le prince Louis fut
choisi, avec le comte de Valois, pour accompagner la jeune
reine en Angleterre, et assister à son couronnement. Au re-
tour de cette mission, le roi l'investit de la charge de cham-
brier de France, l'une des cinq premières de la couronne,
et qui fut comme héréditaire dans sa maison jusqu'à la dé-
fection du fameux connétable de Bourbon. A la mort de
Jean T"" le sire de Bourbon sut faire respecter la loi salique
et affermir la couronne sur la tête de Philippe le Long ,
malgré les efforts que firent le duc de Bourgogne et les
comtes de Valois et de la Marche pour élever sur le trône
Jeanne de France , fille mineure de Louis Hutin. Le sire de
Bourbon, (jui avait succédé à son père dans le titre de
comte de Clermont , fut nommé généralissime de la croisade
projetée en 13l8, expédition qui n'eut pas lieu. Ce fut à cette
occasion qu'Eudes de Bourgogne lui transporta le vain titre
de roi de Thessalonique. 11 en reçut un plus positif, et l'on
peut dire plus éclatant, de Charles IV, surnommé le Bel,
contre lequel il avait défendu la loi salique lorsqu'il n'était
que comte de la Marche, par l'érection du Bourbonnais en
duché-pairie du royaume (27 décembre 1327). Dans le
cours de la môme année le roi lui donna le comté-pairie de
la Marche , naguère son apanage , en échange du comté de
Clermont, mais ce dernier comté fut rendu en pur don au
duc de Bourbon , par le roi Philippe de Valois, après les
services qu'il lui rendit dans la guerre de Flandre, où on le
vit, à la tête de ses neuf compagnies d'hommes d'armes,
contribuer vaillamment au gain de la bataille de Casse 1
(1328). Ce fut ce prince qui, comme ambassadeur de France
en Angleterre, parvint à faire désister Edouard III de la
prétention qu'il élevait de n'être que vassal simple de la
couronne, à raison de ses possessions françaises, et à lui
faire reconnaître qu'il était lié envers le roi Philippe de
Valois et ses successeurs par l'hommage-lige. L'ambition
d'Edouard ayant amené une éclatante rupture, le dnc de
Bourbon accompagna Philippe de Valois dans ses campa-
gnes , et le servit utilement de ses conseils et de son épée.
Plénipotentiaire au congrès d'Anas (1340), il fit tous ses
efforts pour rendre la paix à la France; mais il ne put ob-
tenir qu'une trêve de deux ans, dont il ne vit pas le terme ,
étant décédé en 1342. Du mariage qu'il avait contracté, ea
iii.
656
BOURBON
1310, avec Marie de Hainaut, il laissa deux fils, Pierre 1",
et Jacques 1" de Bourbon, comte de la Marche et de Pon-
thicu, connétable de France, que sa bravoure fit surnommer
la fleur des chevaliers. C'est de lui et de Jeanne de Chas-
tillon Saint-Paul, dame de Condé et de Carenci, qu'il épousa
en 1335, que sont sorties les branches de la maison de Bour-
bon qui régnèrent en France , et qui rt-gnent en Espagne et
à Naplcs , la branche de Parme et celles d'Orléans, de Conde
et de Conti, celles-ci récenunent éteintes;
Pierre 1", duc de Bourbon, comte de Clermont, né
en 1301, accompagna le duc de Normandie, héritier de la
couronne, dans la guerre contre Jean, comte de Montfoit,
compétiteur de Charles de Blois au duché de Bretagne
(1341). Les rapides succès du jeune prince furent en partie
le fruit des sages conseils du duc de Bourbon. Celui-ci ,
nommé capitaine-souverain dans la Guyenne, et parti seul
saas troupes et sans argent, eut bientôt créé une armée res-
pectable et reconquis toutes les places de la Guyenne fran-
çaise que les Anglais avaient envahies. Rappelé en Beauvaisis
l'année suivante, pour tenir tête au roi d'Angleterre, qui,
chargé des dépouilles de la Normandie, dirigeait sa retraite
vers la Flandre, le duc de Bourbon le harcela et le tint en
échec jusqu'au moment où le roi Philippe de Valois put
venir le joindre avec une armée de cent inille hommes. Il
fut témoin, le 26 août 134C, du désastre et de la perte de
cette belle armée dans les plaines de Crée y. Étranger à
des dispositions prises contre son avis, il voulut du moins
réparer par des prodiges de valeur la honte d'une aussi
éclatante défaite. 11 combattit vaillamment à côté du roi, et
fut grièvement blessé. A celle de Poitiers ( 19 septembre
1356), plus funeste encore pour la France, il périt d'une
mort glorieuse, en faisant de son corps un rempart contre
les coups dont le roi Jean était assaiUi. La duciiesse Isabelle,
sœur du roi Philippe de Valois , survécut au duc Pierre jus-
qu'en 13S3. Elle en avait eu Louis II et cinq filles. Les prin-
cipales étaient Jeanne, femme du roi Charies V, et Blan-
che de Bourbon, mariée à Pierre le Cruel.
LoLis II, surnommé le Bon, duc de Bourbon, comte de
Clermont et de Forez, succéda à son père. 11 était né le 4
août 1337. Choisi pour l'un des otages que le roi Jean four-
nit à Edouard pour recouvrer sa liberté, l'inexécution du
traité de Bretigny le retint pendant huit ans en Angle-
terre. Pendant cette longue absence, ses barons et ses che-
valiers eurent continuellement les armes à la main pour
réprimer les brigandages des grandes compagnies, et
non contents de payer de leurs vies , ils prélevèrent en-
core sur leurs fortunes les sommes énormes exigées pour
le cautionnement du duc et pour les engagements qu'il avait
contractés pendant son séjour en Angleterre. A son retour
il institua pour la noblesse de ses États l'ordre de cheva-
loiie de i'Écu-d'Or. Lors delà cérémonie où il leur conféra
celle décoration, Hiifinenin Cliauveau , son procureur géné-
ral, s'agenouillant à ses pieds, lui remit un registre énorme
de tous les délits commis par ses nobles et ses chevaliers
pendant son absence. L'inflexible magistral n'avait pas fermé
les yeux sur une seule infraction, et chacune entraînait la
confiscation des fiefs. « Chauveau, lui dit alors le duc, avez-
vous aussi tenu registre des services qu'ils m'ont rendus? »
et , saisissant ie registre sans l'ouvrir, il le jeta dans un
grand brasier.
Jean de IMontfort, duc de Bretagne, s'était ligué avec les
Anglais, qu'il avait appelés dans ses États. L'armée française,
commandée par Du Guesclin, marcha contre ces alliés, et fit
de rapides conquêtes. Appelé par le roi en Guyenne au secours
du duc d'Anjou, Louis II emporta d'assaut lîrive-la-Gaillarde
sur sou passage, et ayant rejoint le duc d'Anjou, il contribua
par ses conseils et son épée à la conquête de l'Agénais, du
Condomois, du comté de Bigorre et d'une partie de la Ga-^-
cogne. La vie entière de ce prince n'offre qu'une longue con-
liiuiité de services rendus à sa (latrie. Lié d'une étroite
amitié avec Du Guesclin, ce fut lui qui déjoua, par son
crédit sur l'esprit du roi Charles V, les trames ourdies pour
éloigner et perdre ce grand capitaine. Chargé, avec les ducs
d'Anjou , de Bourgogne et de Berry , de la tutèle du roi
Charles VI (13S0) et de l'achninistration du royaume, le
duc de Bourbon fut le seul de ces quatre princes du sang qui
s'acquitta de cette grave mission d'une manière louable et
désintéressée. En 1382 il accompagna le jeune roi dans la
guerre de Flandre, et fit des prodiges de valeur à la bataille
de Rosebecque, où 800 hommes d'armes et 200 arbalé-
triers, levés à ses frais, combattaient sous sa bannière. L'an-
née suivante, il contribua à la prise de Bourbourg.
Cette guerre terminée , une foule de guerriers de toutes
les nations se réunirent pour aller combattre les Sarrasins
d'Afrique. Tous d'une seule voix choisirent le duc de
Bourbon pour leur chef. A son retour, le duc de Bourbon
parcourut les armes à la main le Poitou et la Saintonge,
chassant les Anglais de toutes les places dont ils s'étaient
emparés après avoir rompu la trêve. Au siège de Vertouil ,
où il éprouvait une résistance opiniâtre , il voulut ranimer
le courage de ses soldats par un fait d'armes personnel. Il
change de vêtement et d'armure , impose le silence sur
son nom à quelques chevaliers qui l'accompagnent, et,
s'avançant par une mine qui conduisait à la place, il va
défier le plus brave de la garnison de venir se mesurer avec
lui à la hache et à l'épée. Le gouverneur, Renauil de Mont-
ferrand , vint aussitôt s'offrir pour le combat. Déjà les deux
champions sont aux prises et se portent les plus rudes
coups, lorsqu'au mépris des ordres du duc, un Frani;ais,
effrayé du péril auquel s'exposait le chef de l'armée, s'écria :
Bourbon ! Bourbon Notre-Dame / A ce cri de guerre des
Bourbons, Montferrand recule, baisse son épée, et, trans-
porté de l'honneur que lui fait le prince, il promet de lui
remettre la place s'il consent à l'armer de sa main che-
valier. Ce trait, qui peint les mœurs et les préjugés de œtte
époque, donne une haute idée de la réputation guerrièreduduc
de Bourbon. Lorsqu'en 1390 la république de Gênes implora
le secours de ia France pour mettre Uii frein à la piraterie
des Maures d'Afrique , le duc Louis II fut nommé au com-
mandement en chef de l'armée expéditionnaue, sur sa
demande et celle des ambassadeurs génois. Cette armée,
conduite au rivage africain par quatre-vingts vaisseaux,
débarqua devant Carthage le 21 juillet 1390, et commença
aussitôt l'attaque de cette place. Quatre furieux assauts
repoussés avec une perte considérable , et la mortalité causée
par l'excessive chaleur de ce climat ne permettaient plus
de prolonger un siège qui durait avec des combats presque
journaliers depuis neuf semaines. Le duc de Bourbon , sur
l'avis de son conseil, en ordonne la levée; mais, pour ne
pas perdre entièrement le fruit de cette expédition, il
marche droit à l'armée que les rois de Bougie et de Maroc
avaient envoyée au secours des assiégés , force son camp
retranché , et la bat complètement deux fois dans la même
journée. Intimidé par cette double victoire, le roi de Tunis
consent à mettre en liberté tous les esclaves chrétiens qui
sont dans son royaume; il s'oblige à payer (fix mille besants
d'or pour les frais de la guerre, et promet de ne plus troubler
la navigation des Francs dans la IMéditerranée.
L'état de démence où tomba peu de temps après le roi
Charles VI allait livrer le gouvernement de la France aux
maisons d'Orléans et de Bourgogne. Leur funeste rivalité mit
le royaume à deux doigts de sa perte : elle eût été en-
tièrement consonance sans la médiation du duc de Bourbon.
L'assassinat du duc d'Orléans (1407) et plus encoro peut-
être la lâche impunité de ce crime déterminèrent le duc de
Bourbon à .se retirer dans ses États. ]1 y réprima les entre-
prises de (luelques aventuriers soudoyés par le duc de
iîourgognc et le comte de Savoie, et mourut à Montinçon,
le 11) août 1410, avec la réputation d'un grand capitaine el
du plus honnête homme de son siècle.
BOURBON
»57
D'Anne, dauphine d'Auvergne, qu'il avait épousée en
1371, il laissa un (ils, Jean V, duc de Bourbon etd'Auver-
f;iie, né en 13SI, qui lui succéda au milieu des complica-
tions les plus malheureuses. Le meurtre du duc d'Orléans
n'avait point abattu son parti : il reparut bientôt plus re-
«ioutable sous Bernard, comte d'Armagnac, qui eut la triste
gloire de lui donner son nom. Au défaut des grandes qua-
lités de son père , le duc Jean offrit à ce parti l'appui de
son nom , de son courage , souvent trop téméraire , et un
dévouement que les plus dures épreuves ne purent jamais
ébranler. Mais il fut l'un des signataires du honteux traité de
1412 , qui devait consommer au profit de l'Angleterre les im-
menses cessions territoriales imposéesparceluide Breligny,
et sa fatale présomption lui fit payer par dix-huit ans de
captivité à Londres le malheur d'avoir contribué par ses
conseils et son exemple à la désastreuse défaite d'Azin-
c 0 u r t ( 1 4 1 5 ) . Trompé trois fois dans l'attente de recouvrer
sa liberté, après avoir payé successivement trois rançons de
cent mille écus , le désespoir d'une si longue captivité lui fit
promettre, pour voir briser ses fers, jusqu'à l'infamie : il
s'engagea à livrer aux Anglais les principales places de ses
domaines et à reconnaître Henri VI pour son souverain
légitime. U mourut à Londres, en 1434, couvert de mépris et
renié par sa propre famille , qui ne voulut jamais entendre
parler de ce traité ignominieux.
Son fils, Charles l^"', né en 1401, demeura attaché au
parti des Armagnacs, et fut fait prisonnier avec son frère
Louis lors de la surprise de Paris par le duc de Bourgogne,
le 29 mai 1418. Jean sans Peur, après avoir tenu quelque
temps les deux frères captifs dans la tour du Louvre, fit
rompre à Charles ses fiançailles avec Catherine de France ,
et lui fit épouser sa fille, Agnès de Bourgogne, qui n'était
point encore nubile. Se croyant délié par la mort tragique
de Jean sans Peur, de tous les engagements qu'il avait con-
tractés par force, le duc de Bourbon renvoya la jeune
Agnès au nouveau duc Philippe le Bon, son frèie, et em-
brassa avec chaleur la cause du daupiiin , qui était celle de
la France. Kommé capitaine général en Languedoc et en
Guyenne, la terreur qu'inspirait sa valeur impétueuse et
son inflexible rigueur envers les places occupées par les
ennemis de l'État , Anglais ou Bourguignons , lui en firent
soumettre un grand nombre. Après avoir affermi l'autorité
du dauphin, devenu Charles VII, dans les provinces du
midi, il passa, en 1423, au gouvernement de celles du
Nivernais, Bourbonnais, Forez, Maçonnais, Beaujolais et
Lyonnais. Le mariage de Bonne d'Artois, sa sœur utéiine,
avec le duc de Bourgogne, rapprocha les deux familles,
et le 17 septembre 1425 Charles l" épousa la même
Agnès de Bourgogne qu'il avait renvoyée sept ans aupa-
ravant. Mais cette alliance n'ébranla point son dévouement
envers sa patrie. Il leva dans ses terres un corps de trois
mille hommes, qu'il amena au roi au moment où les An-
glais commençaient le siège d'Orléans (1428). La môme
année il fut battu avec Dunois, dans la fameuse journée
dite des Harengs. Plus tard, il s'empara de Coibeil, de
Saint-Denis et du bois de Vincennes, donnant les plus vives
inquiétudes aux Anglais et aux Bourguignons, qui occupaient
la capitale. En 1434 il se brouille avec le duc de Bour-
gogne, son beau-frère, entre à main armée dans ses États,
et pénètre jusqu'en Franche-Comté, soumettant tout sur
son passage. De son côté, Philippe le Bon envoya des
troupes ravager le Bourbonnais , ce qui obUgea le duc
Charles à revenir sur ses pas pour défendre son propre ter-
ritoire. La paix se fit, et ce fut au milieu des réjouissances
auxquelles cet événement donna lieu que la réconciliation
du duc de Bourgogne et du roi Charles Vil fut heureusement
cntiiinée. Ce service était incontestablement le plus grand
que le duc de Bourbon pût rendre à sa patrie. Mais il le fit
payer cher, par son ambition remuante et ses coupables
intrigues. On le vit avec le sire de La Trcmouille, le duc.
d'Alençon, les comtes de Vendôme, de Dunois, et une
foule de seigneurs puissants, ennemis du connétable de
Richement et du comte du IMaine , ourdir cette dangereuse
conjuration de la P ragu erie ( 1439), qui, sous prétexte de
renverser le ministère , devait assurer le gouvernement de
l'État aux conjurés et réduire Charles VII à une espèce de
tutelle. La célérité du roi déjoua ce complot; le duc de
Bourbon n'en recueillit que la honte d'un humiliant pardon
et la douleur de voir périr du dernier supplice Alexandre,
bâtard de Bourbon , son frère naturel , qui avait enlevé le
dauphin Louis du château de Loches , pour le mettre à la
tète des conjurés. Le bâtard de Bourbon, arrêté à Bar-
sur- Aube, fut enfermé vivant dans un sac de cuir, et pré-
cipité dans la rivière. Le duc de Bourbon oublia bientôt
la grâce que le roi lui avait faite pour se jeter dans une
nouvelle ligue ( 1442 ), formée par le duc d'Orléans. La
sagesse de Charles VII ayant dissipé cet orage sans tirer
l'épée, le duc de Bourbon rentra promptement dans le
devoir, pour ne plus s'en départir. Le roi ne conserva que
le souvenir des services importants qu'il lui avait rendus ,
et lui accorda pour son fils Jeanne de France, sa fille, prin-
cesse d'un rare mérite. Charles 1"^ mourut à Moulins,
le 4 décembre 1456.
Il avait eu d'Agnès de Bourgogne, qui lui survécut vingt
ans, six garçons et cinq filles. Marie, l'aînée de celles-ci,
épousa Jean d'Anjou, duc de Lorraine et de Calabre; Isa-
belle , la seconde , fut mariée à Charles le Téméraire , dernier
duc de Bourgogne; Catherine épousa Adolphe d'Egmont,
duc de Gueldre; Jeanne, le prince d'Orange (Jean de Châ-
lons), et Marguerite, Phihppe II, duc de Savoie. Parmi les
fils, Jean II et Pierre II gouvernèrent successivement le
Bourbonnais. Charles, qui était l'aîné de Pierre, fut pourvu
de l'archevêché de Lyon en 1446, à l'âge de douze ans. Il
fut fait légat d'Avignon en 14G5, cardinal en 1476, évêque
de Clermont l'année suivante, et mourut en 1488. C'était
un prélat guerrier, magnifique et voluptueux; et sa devise,
ni peur ni espoir, peint d'un seul trait son caractère et sa
règle de conduite. Louis de Bourbon, cinquième fils de
Charles I" , nommé évêque et prince de Liège en 1456, fut
égorgé par Guillaume de La Marck (!e sanglier des Ardennes),
lors de l'irruption qu'il fit dans l'évêché de Liège, en 1482.
Louis de Bourbon n'avait reçu les ordres de la prêtrise
qu'en 1466. Avant cette époque il avait eu trois fils naturels
d'une princesse de la maison de Gueldre , Pierre de Bourbon,
Louis, mort sans postérité, et Jacques, grand prieur de
France, auteur d'une Relation du Siège de Rhodes par
Mahomet II. Pierre de Bourbon, l'aîné des trois frères, a
été la souche de la branche des comtes de B o u r b o n-B u s s e t
en Auvergne. Jean II, surnommé le Bon, duc de Bourbon
et d'Auvergne, né en 1426, était déjà renommé par de
beaux faits d'armes et par le gain de la bataille de Formi-
gny (1450), lorsqu'il succéda à son père. Beau-frère de
Louis XI , il se flattait , à l'avènement de ce prince , d'obtenir
la charge de connétable, alors vacante, et que lui avait mé-
ritée la conquête de la Guyenne , qui lui était due en majeure
partie. Non-seulement son espoir fut trompé , mais il se vit
dépossédé du gouvernement de la Guyenne, sans qu'aucun
motif apparent pût justifier cette mesure. Louis XI put ap-
précier l'étendue de cette faute lorsqu'il vit le duc de Bour-
bon devenir l'âme de la ligue du Bien public, contribuer
au gain delà bataillede Mont-l'Héry ( 1465), et s'emparer
de la Normandie pour IMousieur, duc de Berry. Le traité de
CouMau s, sans saiislaire entièrement son ambition, ayant
fait droit à une partie de ses griefs, il s'attacha sincèrement
à Louis XI, et reconquit la Normandie sur Monsieur, pour
la lui rendre. Établi lieutenant général dans les provinces
méridionales, depuis le Lyonnais jusqu'au Poitou (1475),
lors de la dernière ligue, si fatale au connétable de Saint-
Paul et aux d'Armagnacs, ses troupes, sons le commande-
ment du dauphin d'Auvergne, battirent l'armée du duc de
658
Bourgogne à Gy, près Cliâteau-Chinon , et firent prkonnier
«le guerre le comte de Rouci , leur général. Les sanglantes
exécutions dont Louis XI assouvit sa vengeance dégoûtèrent
le duc de Bourbon de la cour. Il s'éloigna, et ne reparut sur
la scène qu'à la minorité de Charles VIIL On le vit alors se
joindre au duc d'Orléans pour disputer à la dame de Beau-
jeu, sa belle-sœur, le gouvernement du royaume. Le bâton
de connétable et le titre de lieutenant général du royaume
qu'elle lui lit obtenir ( 1483 ) ne purent rassasier son ambition ;
mais frustré dans son attente par la décision des états géné-
raux de Tours, dont il avait provoqué la tenue, il reprit les
armes avec le duc d'Orléans. Menacé par l'armée du duc de
Lorraine, il ouvrit l'oreille aux propositions de paix qu'on
lui fit de la part de sa belle-sœur, et alla dans ses terres con-
tinuer de murmurer contre I« gouvernement. Néanmoins ses
intrigues n'ont point fait perdre le souvenir des immenses ser-
vices qu'il avait rendus à sa patrie , et que rappelle le surnom
glorieux de Fléau des Anglais, que l'histoire lui a conservé.
11 mourut à Moulins, le 1" avril 1488, sans postérité légitime.
Mais il laissa plusieurs enfants naturels, dont les principaux
furent Mathieu et Charles. Le premier, appelé le grand bu-
turd de Bourbon, fut maréchal du Bourbonnais et amiral
<'-eGuienne. 11 accompagna Charles VIII en Italie, et mourut
en 1505. De Charles, bâtard de Bourbon, sont provenues
la branche des marquis de Malause, éteinte en 1741, et
celle des barons de Basian, qui existait encore en 1725.
Pierre II , duc de Bourbon et d'Auvergne , succéda au duc
Jean 11, son frère aîné, en vertu de la renonciation forcée que
la dame de Beaujeu, sa femme, imposa au cardinal de
Bourbon, dont il n'était que le puîné. Le duc Pierre II ne
manquait d'aucune des qualités qu'exigeait l'élévation de son
rang; mais, éclipsé par l'ombre gigantesque de sa femme,
sa vie politique n'a laissé aucune trace saillante dans l'his-
toire. Il mourut à Moulins, le 8 octobre 1503. Anne de France,
qui lui survécut vingt ans, avait obtenu du roi Louis XII
(1490) l'annulation de la clause de réversion à la couronne
des riches domaines de son mari dans le cas où il mourrait
sans enfants. Louis XI avait imposé cette clause dans leur
contrat de mariage. Par l'acte d'abrogation, Susanne de
Bourbon , leur fille unique , put succéder à tous leurs biens ,
avec faculté de les transmettre à l'époux qu'on lui aurait
choisi. Charles , duc d'Alençon , était celui auquel on l'avait
destinée. Déjà leurs fiançailles avaient été célébrées à Mou-
lins (1501), lorsque Louis II, de Bourbon, comte de IMont-
pensier, cousin issu de germain de Susanne, mit opposition
à l'enregistrement des lettres patentes. Charles II de Bourbon,
frère et successeur de Louis, renouvela cette opposition, et
rompit l'alliance qu'on avait projetée au préjudice des droits
de sa branche, devenue Paînée de toute la maison de Bour-
bon. Neveu de la duchesse Anne, qui l'avait formé elle-
même, et qui peut-ôtre était secrètement charmée de le
voir, à quatorze ans , déployer tant d'énergie au soutien des
intérêts de sa famille, il ne trouva pas un juge sévère dans
un mentor qui l'aimait comme son fils. Aussi ce différend
fut-il terminé en 1505 par le mariage de Susanne avec le
jeune comte de Monlpensier. Elle lui apporta , soit en dot ,
soit par donation de sa mère, les-duchés de Bourbon, d'Au-
vergne et de Chàtellerault, les comtés de Clermont en Beaii-
vaisis , de Forez, de la Marche et de Gicn, les vicomtes de
Cariât et de Murât, le pays de Beaujolais, la seigneurie de
Bourbon-Lanci, etc. De son chef, Charles possédait, outre
le comté de Montpensier, celui de Clermont en Auvergne,
le pays de Combrailles, la terre de Mercœur et quelques au-
tres seigneuries, de manière qu'après les tètes couronnées
il n'y avait en Europe aucun prince dont l'opulence put
égaler la sienne. Cet homme, que la fortune semblait ac-
cabler de ses dons, et qu'elle précipita dans un abîme de
malheurs, creusé par l'injustice et comblé par la trahison,
est le fameux connétable de Bourbon, à qui nous consa-
crons un article particulier. Ses domaines furent confisqués.
BOURBON
I,a branche aînée de Bourbon finit avec le connétable en
môme temps que l'histoire particuhère de la princi|)auté de
Bourbon , qui fut réunie à la couronne. L\it<L.
Maison royale de Bourbon. La famille qui a régné en
France, et qui règne encore aujourd'hui en Espagne, à
Parme et à Naples, tire son nom, conformément à la coutume
des fiefs et apanages, de Bourbon-l'Archainbaut, dans l'an-
cienne province du Bourbonnais. Le chef de cette race il-
lustre fut Louis !"■, fils de Robert, duc de Bourbon, comte
de Clermont, dont nous avons parlé plus haut.
Elle descend de lui par Jacquks, comte de la Marche, son
troisième fils, connétable, né vers I3l4, pris à la bataille
de Poitiers, et tué en 13GI par les Grandes Compagnies.
Pierre, fils, du précédent, fut tué , à la même occasion,
Je.\n I", fils de Jacques, né vers 1337, mort en 1393, devint
comte de Vendôme, par son mariage avec Catherine de Ven-
dôme; Jacques II, fils de Pierre, mort en 1438, épousa en
1406 Béatrix de Navarre, et en 1415 Jeanne II, reine de
Naples. Louis II, son frère, fut la tige des ducs de Vendôme.
Né vers 1376, il fut pris à la bataille d'Azincourt, en 14 1 5, et
mourut en 1446.
Jean, son fils, né en 1429, mort en 1478, devint seigneur
de La Roche-sur-Yon, par mariage; François, fiJs de Jean,
né en 1470, mourut en 1495; Charles, fils du précédent,
né en 1489, mort en 1537, pour qui le comté de A'endôme
fut érigé en duché par François l^'', en récompense de ses
services, devint le chef de toute la maison de Bourbon, par
la mort du connétable, en 1527. Il fut le père d'Antoine de
Bourbon, à qui nous consacrerons un article particulier.
Devenu roi de Navarre par son mariage avec Jeanne d' Al-
bret, il donna le jour à Henri de Bourbon, devenu roi de
France sous le titre de Henri IV, lequel fut la tige des
Bourbons de France, d'Espagne, de Parme et de Naples.
Bourbons de i^rowce. Henri IV eut pour fils Louis Xlll
marié à Anne d'Autriche, et Gaston, duc d'Orléans. Le
premier laissa deux enfants, Louis XIV et Philippe d'Or-
léans. Le premier continua la branche aînée, par Louis XV,
son arrière-petit-fils, Louis XVI, petit-fils de Louis XV, et
ses frères Louis XVIII et Charles X, ce dernier père du duc
de Berry, qui fut assassiné par Louvel et laissa un fils
posthume, le duc de Bordeaux, comte de Cliambord, main-
tenant en exil. La branche cadette de la maison royale de
France, fut fondée par Philippe 1*", second fils de Louis X II I,
qui reçut de son fière aîné, Louis XIV, le titre et l'apanage
de duc d'Orléans.
Bourbons d'Espagne. Cette branche est issue de Pliilippe
duc d'Anjou , deuxième fils du grand dauphin et petit-fils de
Louis XIV, qui fut plar^ en 1701 sur le trône d'Espagne,
sous le nom de Philippe V . Elle se continue par F e r d i -
nand VI,CharlesIII, Charles IV, Ferdinand VII,
la jeune reine Isabelle, fille de ce dernier et de Marie-
Christine de Naples, ex-régente d'Espagne, et sa sœur
l'infante Marie-Ferdinande-Louise, mariée au duc de Mont-
pensier, le plus jeune des fils de l'ex-roi des Français Louis-
Philippe.
Bourbons de Parme. Cette maison ducale fut formée
en 1748, par Phihppe, fils de Philippe V, roi d'Espagne, et
se compose de Philippe, Ferdinand et Louis, dépo.sé en
'lS02. Sa veuve Marie-Louise, fille de Charles IV d'Espagne,
est remplacée en 1824 dans le gouvernement du duché de
Lucques par son fils le duc Charles II, Louis de Bourbon,
infant d'Espagne, né en 1799, lequel er. 1847 cède Lucques
à la Toscane, succède, un mois après, dans le gouvernement
de Parme, Plaisance et États annexés, à l'ex-impératrice des
Français Marie-Louise d'Autriche, alors récemment décédée,
et renonce en 1849 à ce nouveau trône ducal en faveur de
son fils le duc Ferdinand-Charles III José-Maria-Victorio-
Bulthasar de liourbon, infant d'Espagne, né en 1823. Ce-
lui-ci a épousé en 1845 la duchesse Louise Marie-Thérèse de
Bourbon, née en 1819, fille du fou duc de Berry.
BOURBON
Bourbons de Naples ou des Dcux-Siciles. Charles III,
roi d'tspagne, issu de Philippe V, petit-fils de Louis XIV,
plaça en 1759 sur le trône de Naples Ferdinand son fils,
dont les descendants régnent encore. Le roi actuel Charles
Ferdinand II, roi des Deux-Siciles et de Jérusalem, etc., né
en 1810, a succédé, en 1830, à son père le roi Janvicr-Jo-
seph-François \". Sa famille, outre douze frères et sœurs,
tant consanguins qu'utérins, se compose de neuf princes et
princesses issus de ses deux mariages avec une priacesse de
Sardaigne et une archiduchesse d'Autriche.
A la famille de Bourbon se rattachent encore les deux
branches de Condé et de Conti. La tige des Condé est
Louis de Bourbon, prince de Condé, Irère puîné d'Antoine
de Bourbon, roi de Navarre, et oncle de Henri FV, né en 1530,
tué en 1569. Plusieurs princes de cette branche sont plus
connus sous le nom de ducs de Bourbon. Elle s'est éteinte
en la personne de Louis-Henri- Joseph , duc de Bourbon,
mort suicidé selon les uns, assassiné suivant les autres, en
1830. Il était fils du duc Louis-Joseph de Bourbon, prince
de Cond(>, mort en 1818. La maison de Bourbon-Conti,
branche collatérale de la maison de Condé, qui avait eu pour
tige un frère puîné du grand Condé, Armand de Bourbon,
prince de Conti, né en 1G29, mort en 1666, s'est éteinte en
1814 en la personne de Louis-François-Joseph de Bourbon,
prince de Conli. En novembre 1815 Louis XVIII accorda aux
lils naturels de ce prince, MM. d'Hattonviile et de Remon-
ville, la permission de porter le nom et les armes de Bour-
bon-Conti. On prétend que le prince avait encore eu une
fille naturelle, la comtesse Gabrielie-Louise de Mont-Cair-
Zaïm, née en 1762, morte à Paris en 1825, chevalière de
la Légion d'Honneur, après avoir longtemps servi avec
distinction dans un régiment de dragons. C'est dans les mé-
moires qu'elle a elle-même publiés, en 1798, que Gœlhe a
puisé le sujet de son drame : Eugénie ou la Fille na-
turelle.
BOURBOIV (Charles, duc de Bourbonnais, dit le con-
nétable de). Le nom de ce prince infortuné, l'un des plus
fiers génies qu'ait enfantés ce seizième siècle , si fécond eri
hommes extraordinaires, ne se présente à notre mémoire
qu'environné d'une majesté sombre et fatale, d'une sorte
d'auréole orageuse qui attriste la pensée : l'élévation, la ma-
gnanimité de son caractère, sa supériorité politique et mi-
litaire sur tous les princes français ses contemporains, ses
habitudes austères et taciturnes au milieu d'une cour bruyante
et dissolue, sa constance et son incroyable fertilité de res-
sources dans le malheur, tout, jusqu'au grand problème
historique dont sa mort emporta le secret, frappe vivement
l'imagination. Si le hasard de la naissance lui eût fait faire
un pa-; de plus, s'il leilt fait roi de France à la place de
l'inhabile François 1'"', Charles de Bourbon eût brisé
dans son premier essor les ailes de l'aigle autrichienne, et
mis l'Europe à ses pieds : né sur le trône, il eût été la gloire
et l'idole de la France ; premier prince du sang, il se vit
réduit à en être le fléau.
Charles Monsieur, second fils du comte de Montpensier, ne
semblait point d'abord appelé à un avenir de puissance et de
splenileur ; mais la mort de son père et de son frère, et bientôt
après, celle de Pierre II, duc de Bourbonnais ei d'Auvergne,
comte de Forez, de la Marche, etc., dernier prince de la
branche aînée, ouvrirent devant le jeune Charles une tout
autre carrière. La duchesse douairière de Bourbonnais, la
célèbre Anne de Beau jeu, fille de Louis XI, rompant les
engagements de son époux avec le duc d'Alençon, accorda
au comte de Montpensier la main de sa fille unique Susanne;
et les vastes possessions des deux branches se trouvèrent
réunies entre les mains de l'homme le plus remarquable
qu'eût jamais produit la tige des Bourbons. Étranger à cette
lièvre de plaisir et de galanterie qui enflammait autour de
lui la haute noblesse, rigoureux observateur de ses serments
envers une jeimc épouse dont il estimait la douceur et les
559
vertus, mais dont l'extérieur repoussait des sentiments plus
tendres, rien n'arrachait cet enfant de dix-sept ans à ses
méditations sur l'art de la guerre, qui venait de sortir de sa
longue enfance. La révolte de Gênes contre Louis XII (1507)
lui fournit l'occasion de faire ses premières armes à côté
des Bayard , des La Trémouille , des La Palice , dont il se
montra le digne élève, et bientôt l'égal : dès sa seconde
campagne, dans la guerre de la ligue de Cambrai contre
Venise (1509), on le voit, à peine âgé de vingt ans, décider
par son intrépidité froide et réfléchie le succès de la fameuse
journée d'Agnadel. Sa conduite dans cette bataille et dans
toute l'expédition l'avait mis en si haut renom près des gens
de guerre, qu'on s'attendit généralement à le voir appelé au
commandement général des armées françaises en Italie, après
la mort glorieuse de Gaston de Foix (1512); une sorte de
crainte vague et de prévention, fondée sur le peu de sym-
pathie de leurs caractères, arrêta Louis XII : Rien 7i'estpire
que l'eau gui dort, disait le bon roi du grave et silencieux
Bourbon.
La malheureuse campagne de Navarre, où le roi Jean
d'Albret, allié de France, se vit enlever ses Etats par les
Espagnols, ne fit qu'ajouter à la réputation du duc Charles,
qui avait seul évité les fautes désastreuses des autres géné-
raux, et Louis XII se décida enfin à lui confier l'armée d'I-
talie ; mais les forces qu'il lui mit entre les mains étaient
tellement insuffisantes, que Charles crut devoir refuser le
généralat. Les revers de la Trémouille, qui avait accepté à
son relus, témoignèrent assez de la sagacité du jeune prince,
et bientôt après son énergique activité sauva la Bour-
gogne, ouverte par la défaite de Novare aux inva.sions
des Suisses. De tels services effacèrent tous les nuages qui
avaient pu s'élever contre lui dans l'esprit de Louis XII :
les plus hautes faveurs attendaient le jeune duc, lorsque la
mort enleva le Père du peuple.
Le nouveau règne s'ouvrit sous de brillants auspices :
ami et compagnon d'armes de Charles, François F"" accom-
plit à son égard les intentions de Louis XII, en lui décer-
nant l'épée de connétable. L'ne discipline presque inconnue
jusque alors s'établit rapidement dans l'armée : tous les
moyens d'agir furent préparés en silence, et lorsque l'ran-
çois r'' se précipita vers les Alpes avec 60,000 combattants
la politique du duc Charles avait déjà regagné Gênes à la
France sans coup férir. 40,000 Suisses, les premiers soldats
de l'Europe, attendaient les Français au débouché des seules
routes réputées praticables; mais François l*"" effectue son
passage au travers des rochers impénétrables de l'Argen-
tière, et descend dans les vallées du Piémont ; des négocia-
tions s'ouvrent ; la paix se conclut avec les Suisses ; mais
la perfide éloquence du cardinal de Sion , légat du pape
entraîne les montagnards à oublier la vieille foi helvétique-
ils se précipitent à l'improviste sur l'aimée française. Tout
était perdu sans la vigilance du connétable, qui fut aveiti à
temps de l'approche de l'ennemi ; au lieu du désordre d'un
bivouac, les Suisses trouvèrent une armée qui les attendait
en ligne de bataille.
Nous ne décrirons pas ici ce combat qui dura deux jours
entiers, le plus terrible que nous racontent les annales de
nos pères. Le connétable, qui en dirigea tous les mouve-
ments, s'y montra aussi intrépide homme d'armes que
grand capitaine : enveloppé i)ar un des bataillons Suisses aux-
([uels il venait d'arracher l'artillerie française, il y eût trouvé
la moil sans le dévouement de quelques chevaliers du Bour-
bonnais ; le duc de Chàlelleraut, son frère, fut tué à ses
côtés. La victoire resta indécise jusqu'à la fin du second
jour; l'arrivée d'un corps de Vénitiens au secours des Fran-
çais détermina les Helvéticns à la retraite, et vingt jours
après lu bataille de Marignan le connétable remit aux
mains â-i François I*'', avec- les clefs de la citadelle de Milan,
la domination de toute la Louibanlie.
Bourbon voulait profiler de ses éclatants succès pour
560
BOURBON
marcher snr-le-champ à la conquête du royaume dcNaples;
mais l'adresse du pape Léon X détourna l'orage : Fran-
çois l" se laissa déterminer àr retourner en France, laissant
au connétable le gouvernement du Milanez. Charles eut
bientôt à dél'endre contre des forces bien supérieures ce
fruit de ses exploits. Excité par les intrigues du pape et du
vieux roi d'Aragon , Ferdinand le Catholique , l'empereur
Maxirailien fondit sur la Lombardie, à la tôte d'une nom-
breuse armée allemande et suisse. Trop faible pour livrer
bataille, le connétable ne déploya pas moins d'habileté dans
la guerre défensive que d'audace dans l'agression : il se
maintint, tantôt dans les murs de Milan , dont il écarta les
Impériaux, tantôt sur les bords de l'Adda, vit se fondre peu
à peu (levant lui cette masse formidable qui devait l'écraser,
et finit par en rejeter les débris hors du Milanez ( 1516 ).
Ici s'arrête la prospi'rité de cette carrière si brillante et si
pure; Charles de Bourbon entre dans la seconde période de
sa vie! Au moment où, débarrassé des armées de l'empereur,
il se dispose à exécuter ses projets sur Naples, il est tout
à coup privé de son gouvernement et rappelé en France : on
lui refuse non-seulement le payement de ses appointements et
de ses pensions, mais le remboursement même des emprunts
qu'il a contractés pour solder les défenseurs du Milanez; et
lorsque la guerre vient à se rallumer, lorsque François l""^
marchedans lesPays-Bas contre le nouvel empereur Charles-
Quint, le roi ne craint pas d'enlever au connétable le com-
mandement de l'avant-garde , essentiellement attaché à sa
charge , pour le donner à son beau-frère, le duc d'Alençon
(1521 ). Ces affronts , qui ont déjà ulcéré profondément l'âme
altière du duc Charles, ne sont que le prélude des coups
qu'on se prépare à lui porter. Il avait perdu en peu de temps
son épouse et trois enfants qu'elle lui avait donnés : tout
à coup , en dépit de ses droits , fondés à la fois sur la loi
salique (elle était en vigneur pour les domaines des Bourbons
comme pour la couronne de France), sur le testament de la
duchesse Susanne, et, disons plus, sur l'affection de ses
vassaux , une action en revendication est intentée en parle-
ment contre le connétable, au nom de madame Louise de
Savoie, duchesse d'Angoulême, mère du roi , comme la plus
proche parente et l'héritière légitime de Susanne de Bourbon.
Cette prétention insoutenable ne fut abandonnée qu'en faveur
d'une autre plus inique encore, celle de la réversion à la cou-
ronne des domaines des Bourbons, par l'extinction de la
branche aînée. Après un an de délibération (août 1523), le
parlement appointa les parties au conseil, et ordonna le
séquestre des biens en litige.
Ces inUkmes persécutions partaient d'une cause plus active
et moins générale que l'ingratitude et la mLliance ordinaire
des cours. Quelque odieuse qu'ait été dans ces circonstances la
conduite de François T"", il n'était pas le princi[)al coupable.
La mâle beauté du connétable , la noblesse de ses maniè-
res, son austérité même peut-être, avaient produit depuis
longtemps une impression profonde sur la mère du roi :
Louise de Savoie, toute puissante sur l'esprit de son fils,
spirituelle, intrigante, belle encore, s'était llattée d'enchaîner
à son char le sévèie Bourbon; ce (ut en grande partie à ses
bons oflices qu'il dut l'épée de connétable , mais elle se lassa
promptement de le voir guerroyer loin d'elle en Italie, et
contribua grandement à son rappel : le fier connétable ré-
pondit mal à ce qu'elle attendait de lui, et dissimula peu son
dégoût pour une fcnnne aussi perverse qu'immorale. L'a-
mour méprisé se tourna en haine furieuse, et Louise n'as-
pira plus qu'à la perte du ducCharles ; elle se livra sans réserve
aux avis du chancelier Duprat, le pire des bipèdes, comme
l'appelle un contemporain. De là le fatal procès, de là les
résolutions désespérées où ne tarda pas à se précipiter le
malheureux prince. Les outiages dont il s'était vu l'objet
avaient exercé sur son caiactèrc une influence funeste : aigri ,
poussé à bout, il s'était familiarisé peu à peu avec des idées
qui l'eussent frappe d'horreur quelques annéivs auparavant.
et les propositions de l'astucieux Charles-Quint le trouvèrent
prêt à tout oser pour se venger.
Il conclut un traité secret avec l'empereur et le roi d'An-
gleterre pour la ruine de François 1" et celle de la France.
Il devait recevoir, avec la main d'Éléonore d'Autriche, sœur
de l'empereur, l'investiture d'un royaume composé de ses
domaines et des provinces de l'ancien royaume de Bour-
gogne : le reste de la France devait se partager entre les al-
liés. Une lettre qui ordonnait au connétable de rejoindre le
roi à l'armée d'Italie, sans doute en qualité d'otage, ap-
prit à Bourbon qu'il était au moins fortement soupçonné ;
cependant François l'"^ tenta un effort pour regagner ce
dangereux sujet : il l'alla trouver à Moulins , où il était ma-
lade, et lui promit satisfaction sur tous ses griefs; mais il
était trop tard ; Bourbon ne répondit que par la dissimula-
tion à des offres qu'il croyait peu sincères ; les délais réitérés
qu'il opposa aux ordres du roi, et les révélations de deux de
ses complices décidèrent enfin François 1"^ à commander au
maréchal de Chabannes de le lui amener mort ou vif. Hors
d'('tat de résister, le connétable ne jugea point à propos de
soutenir un siège dans Chantelle, oîi il s'était retiré, et, licen-
ciant sa maison, il se jeta dans les montagnes, suivi d'un
seul gentil-homme. Après avoir erré longtemps en Auvergne,
dans le Gévaudan , dans les Cévennes , il gagna la Franche-
Comté, province impériale, où il fut rejoint par un grand
nombre de ses serviteurs, échappés, comme lui, aux fers de
François l". Celui-ci, effrayé des conséquences d'une telle
défection , envoie offrir par deux fois au duc Charles la res-
titution de tous ses biens, son pardon et celui de ses amis :
le duc hésita sans doute; mais il n'osa se fier aux promesses
d'un prince soumis à l'influence de Louise et de Duprat, et
il refusa. Peu de temps après, il était lieutenant général des
armées impériales en Italie!
Lautrec, successeur de Bourbon dans le gouvernement du
aiilanez, n'avait pas tardé à reperdre cette belle province,
et François 1" venait de charger son favori Bonnivetde
reconquérir de Lombardie , Bonnivet, le plus vain et le plus
arrogant des ennemis du duc Charles. Ce fut avec une joie
farouche que Bourbon se vit opposer un pareil adversaire.
Bonnivet, forcé à la retraite par ses fautes et par la déser-
tion des mercenaires suisses, qui faisaient l'élite de son
infanterie , fut atteint par son rival au passage de la Sechia.
Blessé gravement , le général français fut obligé de quitter
le champ de bataille, et bientôt après le brave Bayard
tomba frappé d'un coup mortel en soutenant le choc à la
tête de l'arrière-garde. Le connétable arriva comme il allait
rendre le dernier soupir. « Ah ! s'écria-t-il , Bayard , que je
vous plains! — Non, monseigneur, c'est vous qu'il faut
plaindre ! » murmura en expirant le dernier des chevaliers.
Bourbon passa outre , la tête baissée et sans répondre.
Le procès criminel qu'on faisait instruire contre lui à Pa-
ris lui rendit toute sa fureur, et il répondit aux sommations
juridiques en se présentant sur la frontière à la tête d'une
armée victorieuse. Son projet était de marcher sur Lyon
pour pénétrei dans le centre de la France et y exciter une
révolution : l'empereur Charles-Quint l'obligea d'entre-
prendre à contre-tnur le siège de Marseille, où il perdit un
temps précieux; la disette, les maladies et surtout la résis-
tance héroïque des habitants le contraignirent enfin de lever
un siège pendant lequel il s'était vu abreuvé de dégoûts par
les généraux de rem|>creur, ses collègues. La mort dans
le cœur, il repassa enfin les Alpes, poursuivi par 40,000
hommes, que commandait François V en personne (1524).
Sa situation semblait désespérée. Tout à coup il quitte se-
crètement son camp, vole à Turin chez le duc de Savoie,
en obtient des valeurs considérables en or et en pierreries,
passe en Allemagne , cette pépinière inépuisable de hardis
aventuriers, et reparaît soudain en Lombardie à la tête de
13,000 soldats d'élite. Réunissant aux troupes espagnoles et
italiennes ce redoutable renfort, il marche droit à Pavie.
BOURBON
561
qtrassit'seait François I" arec le gros de son année. On
sait ce qui en advinJ et quel fut le résultat de la bataille
de Pavie.
Si Chailes-Quint, pour lequel le connétable venait de
vaincre , eut eu le génie et l'audace de son lieutenant , s'il
l'eût mis à môme de réaliser ses vastes projets , il est im-
possible de calculer quelles eussent été les suites de la jour-
née de Pavie ; mais l'empereur perdit le temps à négocier
avec son prisonnier : peu confiant dans les intentions de
Bourbon , il songea moins à profiter immédiatement de la
victoire qu'à soustraire au coiuiétable l'illustre vaincu, dont
la possession rendait le duc Charles l'arbitre des événe-
ments. François T'' fut embarqué pour l'Espagne à l'insu
de Bourbon; celui-ci, dévorant son dépit, suivit son captif
en Castille, où la réception magnifique de Cbarles-Quint ne
dut pas le dédommager de l'animads ersion des Espagnols ,
dont la loyauté repoussait en lui un transfuge. Charles de
Bourbon semblait destiné à être toute sa vie la victime de
l'ingratitude des rois ; Cbarlcs-Quint abandonna presque en-
tièrement les intérêts de son allié dans le traité qu'il accorda
enfin à François F"", et lui enleva la main de sa sœur, si
solennellement promise, pour la donner au roi de France;
on assure même qu'il empêcha le monarque vaincu d'offrir
à Bourbon Marguerite de Valois en gage de réconciliation.
L'empereur s'efforça cependant d'apaiser le juste ressenti-
ment du connétable par la promesse de la souveraineté du
Milanez. Bourbon n'avait d'autre parti à prendre que l'ac-
ceptation ; le traité de Madrid, qui du moins lui assurait la
restitution de ses biens , venait d'être mis à néant par Fran-
çois l", de retour dans son royaume. Il se rembarqua, mais
sa situation devenait de plus en plus difficile : 9 h 10,000
soldats épuisés par la débauche et les maladies, voilà tout
ce qu'il pouvait opposer à .35,000 ennemis qui le pressaient
de toutes parts : il eut recours une seconde fois à l'expédient
qui l'avait déjà sauvé. A son appel se levèrent les plus braves
aventuriers de l'Allemagne, et il se vit de nouveau à la tète
de 25,000 hommes, déterminés à le suivre partout, fiit-ce en
enfer, disaient-ils eux-mêmes. Bourbon commença alors à
se relâcher de sa circonspection , et à se montrer en maître
dans le Milanez, sans attendre l'investiture impériale : les
places les plus importantes du duché de Parme furent don-
nées à des Français, compagnons d'exil du connétable, et il
revêtit ostensiblement de sa confiance le Milanez JMoroni,
l'ennemi le plus implacable de l'Espagne.
11 quitta enfin Milan vers la fin de 152G, et, rassemblant
tous les corps de son armée , il se porta rapidement hors de
la Lombardie, menaçant également Plaisance, Modène et
Bologne. Toute l'Italie était dans l'attente : personne ne
connaissait le but de l'expédition, pas même les comi)agnons
d'armes de l]ourbon, auxquels il avait promis seulement
avec mystère de les mener en un lieu où ils se pourraient
enrichir à jamais. Après plusieurs mois de marches et de
contre-marches à travers les armées papale, vénitienne et
française, beaucoup plus fortes que la sienne, après des sé-
ditions où il courut risque delà vie, et où il n'apaisa ses
soldats, irrités et fatigués, que par l'abandon de tous les
débris de sa fortune, saisissant l'instant qu'il jugea favo-
rable, il ai)piit enfin à son armée où il la conduisait. Le
nom de l'opulente et gigantesque capitale du monde chrétien
fut accueilli avec des acclamations frénétiques; on aban-
donna les bagages, l'artillerie même, et une course d'une
incroyable célérité transporta les aventuriers sous les murs
de Rome. C'était le soir du 5 mai 1527 ; il fallait agir
promjjtement : les armées italiennes n'étaient pas loin ; se
trouver entre elles et Rome, c'était s'exposera une perte
certaine. L'attaque fut donc fixée au lendemain, à la pointe
du jour. Les Romains, excités par le clergé à une vigou-
reuse résistance contre un ramassis de brigands, pour la
plupart hérétiques, couvraient au loin les reniparts de l'im-
uiensc cité. Bourbon opéra ses approches à la faveur d'un
DICT DE LA CONVEKS. — T. Ul.
épais brouillard ; puis, an leVerdu soleil, il fait sonner la
cliarge , et, s'avançant vers une brèche que le hasard lui a
fait découvrir, il plante le premier l'échelle contre l'escar-
pement intérieur, et s'élance à l'assaut; au même instant
un coup d'arquebuse , parti , dit-on , de la main du fameux
Benvenuto Cellini , le renverse mortellement blessé dans le
fossé. Ses dernières paroles furent un ordre de cacher sa
mort à l'armée ; mais cette fatale nouvelle ne tarda pas à être
connue, et, loin de produire l'effet décourageant qu'il redou-
tait , elle ne fit que redoubler la rage du soldat , dont l'im-
pétuosité devint irrésistible, et Rome, emportée d'assaut,
put se croire de nouveau au temps d'Alaric et des Van-
dales.
Ainsi finit Charles de Bourbon, au moment où il allait
peut être poser sur son front la couronne d'Italie, et tour-
ner contre l'Empire et l'Espagne cette épée invincible qui
avait brisé la fortune de François T"". La haine de Fran-
çois 1^"" et de Madame survécut à leur ennemi; ils firent
reprendre son procès au parlement, et lancer contre celui
qu'ils ne craignaient plus désormais un arrêt d'infamie et
de confiscation ; mais Charles-Quint , affectant envers la
mémoire de son dangereux allié une fidélité magnanime ,
exigea de François F"", par un article du traité de Cam brai,
l'annulation de cette procédure et la restitution des biens du
connétable à ses héritiers légitimes. Henri Martin.
BOURBOIV (Antoine de), roi de Navarre , père de
Henri IV et fils de Charles de Boijrbon , duc de Vendrtme,
naquit en 1518. Il fut d'abord nommé duc de Vendôme, de-
vint, de son chef, premier prince du sang de France, et
épousa, en 154S, Jeanne d'Albret, héritière de Navarre,
qui lui apporta en dot la vicomte de Béarn , la Basse-Na-
varre française et le titre de roi. Ce prince, intrépide mais
irrésolu, flotta presque constamment entre les deux reli-
gions et les deux partis qui divisaient la France. Après ta
mort de Henri II, le connétable de Montmorency, pour
balancer le crédit des Guises , le pressa de venir prendre sa
place an conseil du nouveau roi de France ; mais Antoine
n'osa se fier d'abord à Montmorency, qui avait conseillé au-
trefois à Henri II de s'emparer du dernier lambeau de son
royaume de Navarre envahi aux trois-quarts par Ferdinand
le Catholique ; et lorsqu'il se fut décidé à faire le voyage de
Paris, il n'y arriva que pour entendre François II lui dé-
clarer qu'il avait confié les rênes du gouvernement à ses
oncles les Guises. Pour l'éloigner au plus vite, on le chargea
de conduire à la frontière la princesse Elisabeth de France,
qui allait épouser le roi d'Espagne Philippe IL
Rebuté, il se réfugie en Béarn, où, par son irrésolution,
il se perd dans l'esprit des Huguenots, qui n'attendaient
qu'un chef pour prendre les armes. Le prince de Condé,
son frère , plus entreprenant, met tout en œuvre pour l'en-
traîner dans sa révolte. Les deux frères sont mandés à Paris.
Antoine refuse tout secours de la noblesse, et veut se pré-
senter armé de sa seule innocence. Apprenant que les
Guises ont arraché à François II l'autorisation de l'assas-
siner : « S'ils me tuent, dit-il à son genti!hon>me Reinsy,
portez à ma femme et à mon fils mes habits sanglants; ils
sauront ce qui leur reste à faire. » 11 entre calme et intré-
pide dans la salle du conseil , et impose à ses ennemis, qui
n'osent attenter à ses jours. Mais les dangers qui le me-
nacent après la condamnation de Condé le décident à
abandonner la régence à Catherine de Médicis pendant la
minorité de Charles IX, à servir la reine-mère, dont il est
haï, et à se réconcilier même avec les Guises, qui lui pro-
mettent sans cesse la lestitulion de son royaume de Navarre,
ou la Sardaigne en échange.
Détaché dès lors des Huguenots, il ombrasse la religion
catholique, renvoie en Béarn Jeanne d'.^lbret, après lui
avoir enlevé l'éducation du jeune Henri, et forme avec le
duc de Guise et Montmorency ce que les protestants ap-
pelleut le triumvirat. La guerre civile allumée, Condé,
71
£62
BOURBON
< lief des IIii£;ii<>nols, s'approcTie en armes de Fontainebli^au ,
ou se trouvent la cour, son frère Antoine et Catherine, qui,
alors d'intelligence avec Coudé, voulait se remettre entre
ses mains. Antoine, gagné (lar les Guises, force la reine
hésitante à ramener le roi à Paris. Au milieu des hostilités,
les deux frères eurent, en présence de Catherine, à Thourie
(lile-et-Viiaine) une entrevue dans laquelle ils échangèrent
It^s plus sanglants reproches. On rompit la conférence pour
leprendre les armes.
L'amour d'Antoine pour la belle du Rouet , demoiselle
d'honneur de Catherine, le retenait dans le parti catholique.
S'étant mis à la têle de l'armée royale, il fil échouer, à
l'ouverture de la campagne de 15C2, là première attaque de
Coudé, et soumit les villes de Bourges, Blois et Tours. Blessé
dans la tranchée d'un coup de mousqueton au siège de
Rouen, il s'y fit porter sur son lit par ses suisses, et entra
[)ar la bréclie dans la |)lacc. Sa blessure, qui n'était pas
rriorlelle, le devint par son incontinence. Pressé de revenir
à Paris, et remontant la Seine en bateau, une fièvre ar-
dente et des douleurs aiguës l'obligèrent à se faire débar-
quer aux Andclys, où il expira, le 17 novembre I&62, peu
regretté des catholiques et en horreur aux protestants, qu'il
avait.abandonnés. Les Parisiens prétendirent ironiquement
qu'en ouvrant son corps on n'y avait trouvé ni cœur ni fiel.
Il avait dû épouser Marie Stuait, mariage qui, au lieu des
restes, toujours contestés, du royaume de Navarre, lui eût
apporté l'Ecosse et peut-être la Grande-Bretagne.
BOURBOIV (Charles de), fils du duc de Vendôme,
cardinal, archevêque de Bouen et légat d'Avignon, oncle
paternel d'Henri IV, né le 22 décembre 1523, n'appartient
à l'histoire que par le rôle du roi que lui firent jouer les
Guises. Il fut reconnu roi sous le nom de Charles X par la
ligue et par toutes les villes et les provinces qui suivaientce
parti, c'est-àdire par la majorité de la France; et pendant
plusieurs années les actes du gouvernement et les arrêts
«les parlenienis, notamment de celui de Dijon, furent
rendus au nom de Charles X. A ce titre il joignit celui de
protecteur de la religion en France, qui après lui lut con-
féré à Philippe II, roi d'Espagne.
Le cardinal de Bourbon devait tout aux Valois, et il ne
fut qu'ingrat à l'égard d'Henri III ; mais c'était pour lui un
devoir de ne pas compromettre les droits éventuels de son
neveu le roi de Navarre. Le premier acte de son prétendu
règne fut un manifeste qui invitait tous ses sujets à main-
tenir la couronne dans la hr.iudie calholique; et alin que
rien ne manquât à cette parodie, les Guises l'avaient déter-
minée épouser la duchesse douairière leur mère. Jusque alors
le cardinal n'avait manifesté son dévouement à la ligue que
par des processions et des prières de quarante heures ; il
n'avait même signé l'umo7i qu'à la sollicitation du duc de
Nevers.
Il fallait, pour associer les masses à cette singulière ré-
volution dynastique, parler à leurs passions, à leurs inté-
rêts. Les Guises se gardèrent de joindre au nom du vieux
Bourbon sa qualité de cardinal. Une proclamation solennelle
fut adressée à tous les Français par la confédération ca-
tholique; elle promettait le maintien des privilèges de la
noblesse, l'abolition des impôts introduits depuis Charles IX,
le maintien des droits des parlements et de l'autorité des
étals.
Ce manifeste fut le prélude d'une commotion générale,
le duc de Guise, régnant sous le nom de Charles de Bour-
bon, comme il avait régné sous celui du dernier des Valois,
s'empara, au nom de la sainte ligue, de Verdun, de Châ-
lons et d'autres villes. Henri III flottait incertain entre la
ligue elles Huguenots, dont le roi de Navarre était le chef.
Enfin il signa le traité de Nemours, que lui imposèrent les
Guises, et pcndantqu'il acceptait d'eux ces conditions hon-
teuses, le cardinal de Bourbon était reconnu roi à Paris et
dans toutes les cours souveraines de France. En fait- ils ne
régnaient ni l'un ni l'autre. Le cardinal avait quitté la
pourpre et pris la cuirasse, et se couvrait de Tune ou de
l'autre suivant la circonstance; il ne s'occupait nullement
des affaires de l'État, mais beaucoup de processions. Henri III
en faisait autant, et les deux rois se trouvèrent souvent en-
semble aux mêmes processions. La royauté de Charles de
Bourbon datait de 1585.
Cependant le cardinal lui-même ne se regardait que
comme l'héritier présomptif de la couronne, ainsi qu'il le
déclarait à Henri III dans un entretien qu'il eut avec ce
prince au château deGaillon. Le vieux cardinal n'avait que
par moment la velliété de régner, et il s'exprimait tout dif-
féremment dès qu'il se trouvait avec le président de Harlai
et avec ses confidents intimes. « Ne crois pas, disait-il à
l'un deux, que je me sois accommodé sans raison avec ces
gens-ci (les ligueurs) ; penses-tu que je ne sache pas bien
qu'ils en veulent à la maison de Bourbon, et qu'ils n'eussent
pas laissé de faire la guerre quand je ne me fusse pas joint
à eux .'Pour le moins, tandis que je suis avec eux, c'est
toujours Bourbon qu'ils reconnaissent. Le roi de Navarre,
mon neveu, cependant, fera sa fortune. Ce que je fais n'est
que pour la conservation du droit de mes neveux ; le roi el
la reine en savent bien mon inlention. « Il est juste de
faire remarquer que le cardinal écrivait dans le même sens
à Henri IV; mais il était alors prisonnier, et sa monomanie
de royauté ne put tenir contre le besoin d'obtenir sa liberté.
Les Guises persistaient à faire reconnaître le cardinal de
Bourbon pour roi par tous leurs adhérents; ils ne purent
y parvenir qu'en partie. Les Français, quelle que fût leur
croyance religieuse , pouvaient difficilement s'habituer à
avoir pour roi im prêtre, lût-il cardinal. L'incapacité légale de
Charles de Bourbon était encore une chance de succès pour les
Guises. Henri III lui-même se prêtait merveilleusement à la
réussite de leurs desseins; ce pnnce sajis caractère venait
d'exclure Henri de Navarre de la succession éventuelle au
trône, en désignant le cardinal de Bourbon pourson .successeur.
Il lui donna, par son édit du 16 août 1588, droit, en qualité
de son plus proche parent, d'accorder des maîtrises dans
toutes les villes du royaume ; et les officiers et domestiques
de la maison du cardinal furent, comme ceux de la maison
du roi, exemptés d'impôts. Ce droit d'accorder des maîtrises
était une prérogative toute royale. Les ligueurs se préva-
lurent de cet édit pour faire reconnaître le cardinal sinon
comme prince régnant, du moins comme imique et légitime
héritier de la couronne; et lorsque l'édil fut présentée l'en-
registrement du parlement de Paris, François Holuan in-
terpréta l'édit dans ce sens.
Henri III, ayant fait assassiner Henri de Guise, avait
par le même motif fait arrêteret conduire au château de Fou-
tenai-le-Comte le cardinal de Bourbon. Les ligueurs ne con-
tinuèrent pas moins à l'appeler lecardina/-roj.Mendoze, am-
bassadeur du roi d'Espagne, fil déférer an roi son maître le
titre de protecteur de la France avec tous les droits attribués a
la régence pendant la captivité du cardinal-roi, vi le conseil
des Sei-ze donna la plus grande publicité au projet de trailé
qu'il était prêt à souscrire avec le roi d'Espagne. On distri-
buait en même temps dans Paris et les principales villes de
province des médailles à l'effijiie du cardinal avec le nom
de Charles X. Le 21 novembre 1589 un arrêt, rendu sur les
conclusions conformes du procureur général, avait ordonné
à tous les Français de reconnaître pour roi Charles X, héri-
tier de la couronne de Henri III, récemment assassiné par
le moine Jacques C 16 ment, et de consacrer leurs biens
et leurs vies à le tirer de prison. Le même arrêt maintenait
le duc de Mayenne dans la charge de lieutenant général du
royaume, jusqu'à ce que le roi ( Charles X ) jouit d'une en-
tière et pleine liberté. Le cardinal, toujours prisonnier dans
le château de Fontenai-le-Comte, y mourut de la pierre, en
1599, âgé de soixanle-dix ans. « Il fut, dit de Thou, dévot
jusqu'à ia superstition; du reste, libéral, voluptueux, cré-
I
BOURBON
>63
diilc à l'excès; il ajoutait foi aux astrologues, qui en lui
faitant espérer de monter un jour sur le trône devinrent la
cause de sa perte. « Dlfey ( de l'YonDe).
Un autre Charles de Bourbon, dit le jeune, ou encore
le cardinal de Vendôme , neveu du précédent , se fit chef
du tiers parti après la mort de Henri III. Voyant que
Henri IV , malgré tous les avis de ses partisans , hésitait à
embrasser le catholicisme, il se crut appelé à hériter des
droits de son cousin , incapable de monter sur le trône
comme hérétique obstiné. Pierre de L'Étoile ra[)porte dans
son journal que le tiers parti, dont le cardinal s'était fait le
chef, entendait non-seulement se débarrasser de Henri IV et
des princes deConti et deMonfpensier, mais encore faire des
conditions à Charles de Bourbon en le proclamant roi ; et que
sur le trône ce prince aurait joui de revenus bien moins con-
sidérables que ceux qu'il tirait de ses bénéfices. L'intrigue
montée par ce parti, qu'Henri IV appelait en riant les tier-
celets, échoua; et le cardinal de Bourbon, qui en fut pour
la couronne, dont un instant U s'était cru sûr, en tomba
.malade de chagrin. Le roi l'alla voir ; et toute la vengeance
qu'il tira de lui , ce fut de lui adresser en se retirant cette
plaisanterie. « Mon cousin , prenez bon courage ; il est vrai
que vous n'êtes pas encore roi, mais le serez possible après
moi. » Le cardinal mourut le 30 juillet 1594.
BOURBON (Nicolas), l'ancien, né à Vandeuvre, près
de Bar-sur- Aube, en 1503, d'un maître de forges, excella
tellement dans les belles-lettres , et surtout dans la langue
grecque , que Marguerite de Navarre lui confia l'éducation
delà célèbre Je an ne d'Albret, sa fille, mère de Henri IV.
Dégoûté de la cour, après y avoir vécu quelques années, il
se retira à Candé, petite ville sur les confins de l'Anjou et
de la Touraine, où il avait un bénéfice, et y mourut en 1550.
Il avait cultivé avec succès la poésie latine, et Érasme, Paul
Jove, Joachim de Bellay et Sainte-Marthe prisaient ses
Nvgie ( bagatelles ). Scaliger, au contraire, le traite de poète
qui ne mérite aucune considération.
BOURBON (Nicolas), le jetine , petit-neveu du précé-
dent, naquitaussià Vandeuvre, en 1574, fit ses études à Paris,
sous Passerai , et devint successivement professeur de rhé-
torique dans les collèges de Caivi , des Grassins et d'Har-
court. Le parlement ayant supprimé le droit du landij, que
les régents levaient sur leurs écoliers , il s'en vengea par
une satire (Indignatio), qui lui valut quelques mois de pri-
son. Le cardinal du Perron , pour le récompenser de sabelle
imprécation contre les assassins de Henri IV, le nomma
professeur de grec au Collège de France , fonctions qu'il
remplit avec distinction de ICll à 1620 ; il entra alors dans
la congrégation de l'Oratoire. Trois ans après, il fut nommé
chanoine de Langres, et en 1C37 membre de l'Académie
Française, où il alla rejoindre Balzac, avec qui il avait «u de
violentes disputes littéraires. Des amis communs les ré-
concilièrent. En le faisant admettre pamii ses quarante, le
cardinal de Richelieu avait voulu le payer de quelques ins-
criptions qu'il avait faites pour sa galerie. L'auteur, qui écri-
vait aussi bien en prose et poésie latine qu'il écrivait mal en
français, convenait de bonne foi que jamais il n'avait élevé
ses prétentions à l'Académie , et Balzac ne le croyait guère
propre à coopérer au grand défrichement de notre langue.
Bourbon mourutdans la maison de l'Oratoire, en 1644.
BOCRBOi\(Ile). Voyez Réunion (lie delà).
BOURBON (Théàtredu PETIT-). Tout près du Louvre,
du côté de Saint-Germain l'Auxerrois , aux environs de la
Seine , s'élevait jadis un hôtel qui avait appartenu au fa-
meux connétable Charles de Bourbon. Lorsque, par
suite de sa révolte, il eut été déclaré traître et criminel de
lèse-majesté, on y brisa ses armoiries, on y sema du sel,
on en fit barbouiller de jaune les portes et les fenêtres par
la main du bourreau. Cette maison prit alors le nom de
Garde-Meuble du roi. Elle ne fut détruite que vers l'an-
oée 17G0. Vis-à-vis ou à côté, sur le quai, s'éleva le théâtre
auquel, en raison rte ce voisinage, on donna le nom de
Théâtre du Petit-Bourbon. Nous n'avons pu découvrir l'é-
poque précise de sa fondation, mais il existait du temps ds
C ha ri es IX, et c'est d'une de ses fenêtres que ce prince
pendant le massacre de la Saint-Barthélémy, tirait avec
une arquebuse sur les Parisiens huguenots qui passaient
l'eau pour se sauver au faubourg Saint-Germain. Saint-
Foix dit que ce fut d'une des fenêtres de l'ancienne maison
du connétable; mais il aurait fallu que le roi eût traversé
la rue pour se rendre dans cette maison , qui ne touchait
pas au Louvre. Le liu^âtre, au contraire , était contigu à ce
palais. Lorsqu'à la fin de 1792 la Convention nationale fit
placer la fameuse inscription qui rappelait le sanguinaire fa-
natisme de Charles IX, on l'attacha à une fenêtre de la ga-
lerie d'Apollon, parce que le reste n'existait plus.
Ce fut sur le théâtre du Petit-Bourbon que lit son appa-
rition, le 19 mai 1577, une troupe de comédiens italiens,
nommés Gli Gelosi, qu'Henri III avait appelés de Venise,
et qui venaient de jouer aux états de Blois. Comme ils ne
prenaient que quatre sols par personne, ils attirèrent plus de
monde qu'il n'y en avait pour entendre les quatre prédica-
teurs les plus renommés de la capitale. Contrariés par di-
vers arrêts du pariement , malgré la volonté du roi , qui les
soutenait, ils jouèrent encore au mois de septembre; maïu
les troubles qui agitèrent le royaume les forcèrent do pariir.
Ce fut au théâtre du Petit-Bourbon, pour la noce du duc
de Joyeuse, son favori, avec mademoiselle de Vaudemont,
sœur de la reine Louise de Lorraine, qu'Henri III (it e.xé-
cuter,le 15 octobre 1581, le ballet comique de la reine,
composé et dirigé par Baltazar de Beaojoyeulx , valet de
chambre du roi et de la reine mère. Dans la préface de la
description de ce ballet, imprimée en 1582, in-4°, avec
ligures, on dit que la salle contenait ce jour-là 9 à 10,000
spectateurs , nombre exagéré sans doute , car dans la gra-
vure qui représente cette salle on n'aperçoit que deux ga-
leries , au-dessus l'une de l'autre , et derrière l'estrade où
étaient placés le roi, les reines et les personnes de la cour
un amphithéâtre de quarante banquettes. D'ailleurs, il n'y
avait ni scène ni parteiTe; l'enceinte était comme un cirque
ou un manège. Un orateur s'avançait devant le roi pour le
haranguer, et les autres acteurs venaient y jouer leur rôle
et se retiraient ensuite dans le fond. La représentation de ce
ballet où figuraient presque toutes les divinités du paga-
nisme, dura depuis dix heures du soir jusqu'à trois heures
a[irès miniiit,.chose extraordinaire à une époque où tout le
monde soupait et se couchait de très-bonne heure.
Le théâtre du Petit-Bourbon était probablement fermé de-
puis longtemps, lorsque le cardinal Mazarin y fit repré-
senter, le 14 décembre 1645, devant Louis XIV et la reine
Anne d'Autriche, le premier opéra chanté, La Festa tea-
trale delta finta Pazza, de Jules Strozzi. On en joua
d'autres les années suivantes. Mazarin avait fait venir d'Jtalie
les musiciens, les chanteurs, les architectes et les ouvriers
nécessaires. Le machiniste et décorateur Jacques Torelli
métamorphosa la salle en un vaste théâtre, d'une grande
élévation et d'une belle profondeur. Ses décorations et ses
machines furent tellement goûtées, qu'on les grava en taille-
douce. Ce spectacle de 1645 finit par des ballets de J.-B.
Baibi, dans lesquels on vit danser des ours , des singes et
des autruches. En janvier 1650 on y représenta VAndro-
mède de P. Corneille. Torelli fut encore chargé par la reine
de l'agrandissement et de la décoration de la salle. Après la
guerre de la Fronde, Mazarin fit venir une autre troupe ita-
lienne, qui débuta le 10 août 1652 au thrâtre du Petit-
Bourbon, et continua d'y jouer les années suivantes.
Ce théâtre avait été, comme l'on voit , le berceau de l'o-
péra, des ballets et de la comédie italienne en France. S'il
ne fut pas aussi le berceau du théâtre français, honneur
qu'il dut céder autlicâtre de l'hôtel de Bourgogne, il eut
du moinii la gloire de posséder le coryphée des auteurs co-
7.1.
564
BOURIîON — BOURBON-LANCl
miques anciens et modernes , et d'être le champ de ses pre-
miers triomphes. En 1658 Louis XIV, ayant vu à Rouen la
troupe de Molière , en fut si satisfait qu'il la (it venir à Paris,
lui donna le nom de troupe de Monsieur, et l'établit au
théâtre du Petit-Bourbon, pour y jouer alternativement avec
les Italiens. Là furent représentés, de 1658 à 1060, L'Étourdi,
Le Dépit amoureux, Les Précieuses ridicules, et Le Cocu
imaginaire.
Le théâtre du Petit-Bourbon , dont la condamnation avait
été prononcée dès le mois de juillet IG59 , offrit encore aux
Parisiens un spectacle nouveau. Des comédiens espagnols
vinrent avec l'infante Marie-Thérèse, nouvelle épouse de
Louis Xrv. Ils jouaient, chantaient et dansaient. Ils donnè-
rent trois représentations au mois de juillet, la première à
5 fr., la seconde à 3 fr. ; mais à la troisième, il n'y eut per-
sonne, sans doule parce que la langue espagnole n'était pas
assez connue en France , quoiqu'elle le fût alors infmiment
plus qu'aujourd'hui. Le II octobre suivant on commença
la démolition du théâtre ; elle fut achevée à la fin du mois.
Sur son emplacement on bâtit, du côté du quai, la partie de
la colonnade du Louvre dont Louis XJV posa la première
pierre le 17 octobre 1665. Le roi donna aux Italiens et à la
troupe de Molière le théâtre que le cardinal de Richelieu
avait fait bâtir au Palais-Royal. Quant aux comédiens espa-
gnols, ils furent entretenus par la reine Marie-Thérèse jus-
qu'au printemps de 1672, qu'ils repassèrent les Pyrénées.
Mais ils ne jouaient, sans doule, sur aucun théâtre de Paris,
H. AUDIFFRET.
BOURBO:V-BUSSET( Famille de). Pierre deBovvi-
Borc, l'aîné des trois fils naturels que Louis de Bourbon,
mort évoque et prince de Liège ( voyez plus haut, p. 557 )
avait eu d'une princesse de la maison de Gueldre avant de
recevoir les ordres, est la souche de cette maison, qui s'est
continuée jusqu'à nos jours avec le titre de comte. Le té-
moignage des historiens est unanime sur la bâtardise de cette
branche; mais, comme on n'en a pas encore produit de
preuves positives, on s'est prévalu de cette absence de titres
pour prétendre que l'évoque de Liège avait été légitime-
ment marié avec la princesse de Gueldre avant qu'il eût été
promu aux ordres sacrés. Si cette prétention était fondée,
Henri IV et sa postérité auraient usurpé le trône de France,
car si la branche de Busset était légitime, c'était elle que
l'ancienne constitution salique devait appeler au trône, puis-
qu'elle est incontestablement l'aînée de toutes les branches
actuelles de la maison de Bourbon ; mais cette prétention
ne nous paraît pas mériter une réfutation sérieuse. On l'a
risquée dans l'espoir qu'aucun titre ne viendrait la démentir.
Or nous avons eu en communication un acte dans lequel
rierre de Bourbon, fils de l'évéque de Liège , paraît comme
témoin, et se donne lui-même les noms et qualités de Pierre,
bâtard de Bourbon , seigneur et baron de Busset. C'est le
contrat de mariage de Jean d'Albon, seigneur de Saint-An-
dré, avec Charlotte de La Roche-Tornoelle, passé le 22 jan-
vier 1509, devant Pestre, Bordon et Olyvat, notaires, le
premier à Montlèrrand, les deux autres à Cusset. Cet acte
existe en original dans les arcliives du château d'Avanges
près de Tarare. Laîné,
Quoi qu'il en soit, ce Pierre de Bourbon épousa Margue-
rite d'Alègre , dame de Busset, en Bourbonnais, fief dont sa
postérité a conservé le nom. Bien que qualifiés cousins
par nos rois et admis au rang et aux honneurs des re-
jetons naturels de la maison de France, les descendants du
bâtard de Liège restèrent longtemps éloignés de la cour.
François-Louis-Antoine, (.omie de Boukron-Blsset, gen-
til-homme ordinaire du comte d'Artois et lieutenant général
des armées du roi, mourut en 1795.
François- Louis- Joseph, comte de Bourbon-Busset, petit-
fils du précédent, né en 1782, fut nommé, à la Restauration,
aide-major des gendarmes de la garde du roi , gentil-homme
d'honneur de Monsieur et commandeur do l'ordre de Saint-
Louis. Promu maréchal de camp le 18 mars 1815, il accom-
pagna le roi à Gand pendant les Cent-Jours, et fut ensuite
élevé aux fonctions de chef d'état-major de la première di-
vision de cavalerie de la garde royale. Au retour de la guerre
d'Espagne, où il avait escorté Ferdinand VII dans son
voyage de Cadix à Madrid, il fut créé pair de France. De-
puis les événements de 1830, il a vécu dans la retraite
BOURBOi\-COx\DÉ. Voyez Coxdé.
BOURBOi\-COi\TI. Voyez Conti.
BOURBOA'-LANCI ou BELLEVUE- LES -BAINS,
petite ville située à trente kilomètres de Moulins , dans le
département de Saône-et-Loire. Le chmat en est bon,
les environs sont agréables, les eaux fort renommées. Salines
comme celles de Plombières et de Bourbonne, les
eaux de Bourbon-Lanci renferment une assez grande quan-
tité de muriate de soude, différents sulfates, du gaz acide
carbonique et un peu de fer; la température diffère pour
chacune des sources, au nombre de sept, depuis 4l° cent,
jusqu'à 57°, et même la température de chaque fontaine
minérale éprouve parfois des variations de 5 et de 6°, ce
qui dépend sans doute de ce que quelque fissure de leurs
conduits donne accès à de l'eau commune de fontaine ou de
rivière, ou peut-être de ce que leur source originelle la plus
chaude diminue ou tarit par l'effet des saisons , ou se trouve
glacée par la fonte des neiges.
C'est dans le faubourg Saint-Léger que jailHssent les sour-
ces thermales ; près de là est un hôpital où se réfugient les
malades et baigneurs nécessiteux, et c'est à cet établisse-
ment qu'appartiennent les eaux. On les conseille quelquefois
comme celles de Bourbonne, dans les rhumatismes chro-
niques, les fausses paralysies, les catarrhes anciens sans fièvre,
et aussi dans les engorgements d'entrailles, dans les fièvres
intermittentes rebelles au quina, ainsi que dans un grand
nombre de maladies topiques.
Henri III, affaibli par toutes sortes d'abus, et de plus
affecté de ce qu'on nomme dans ce siècle-ci une gastrite,
se trouva bien des eaux de Bourbon-Lanci , près desquelles
il se rendit en 1580. Auquel temps, dit J. Auberi (Aubry ou
Alhencui), commission fut octi-oyée à 7nonseigneur Miron,
conseiller d' Estât et premier médecin de sa majesté, et
seigneur de l'hermitage..., et au sieur Baptiste du Cer-
ceau, premier architecte de sa dite majesté, pour eux
acheminer à Bourbon-Lanci , et remettre axicunement
l'ancienne commodité des bains , lesquels n'étaient que
ruines. Ces eaux ont toujours été très-préconisées contre
la stérilité : Fernel , l'un des plus célèbres médecins qu'ait
produits la France, les avait conseillées précédemment à C a-
therinede Médicis, encore sans enfants après dix années
de mariage. Aussitôt après, cette princesse donna des mar-
ques de fécondité ; elle devint mère de François II (1544 ),
neuf mois après le voyage aux eaux, et plusieurs fois ensuite,
comme on le voit dans l'histoire.
Nous n'avons pas à expliquer comment nous concevons
que les eaux favorisent la fécondité. Il suffit de remarquer
qu'elles rétablissent des conditions indispensables à la mater-
nité (les menstrues), que plusieurs guérissent des maladies ou
des infirmités nuisibles à la conception ( la leucorrhée, etc.),
outre qu'elles redonnent des forces, de l'alacrité, sans
compter ce bien-être et cette douce quiétude si propices aux
passions tendres. Toutefois, il serait curieux de savoir de
quelle cause provenait la stérilité de Catheiine de Médicis,
confidence qu'il ne faut point espérer de l'indiscrétion des
livres d'un homme comme Fernel... ; peut-être même Bour-
bon-Lanci ne fut-il qu'un lieu de représailles contre Henri II
infidèle, vengeance plus efficace dans ces conjonctures que
le simple usage des eaux. D'ailleurs , on ne doit point ou-
blier que Catherine fut mariée dès l'âge de quatorze ans à un
prince de quinze, et qu'elle n'en avait que vingt cinq lors^
qu'elle donna le jour à François II, l'aîné de ses enfants.
Les eaux de Bourbon-Lanci sont désignées scus le nom
BOURBON-LANCI — BOURBON-LARCHAMBAUT
5G5
de Aqux Nisinaii, sur la carte de Pcutinger. L'abbé Huet,
parfois fort distrait en sa qualité d'Iiomme d'esprit , disait
qu'il se pourrait bien qu'on eût écrit Bourbon- Lanci pour
exprimer Bourbon-lMncieM. Cependant Huet n'ignorait pas
que ce surnom de Lanci, qui s'écrivait autrefois VAnsi, tire
son origine du plus jeune des fils d'un Geufroy de Bourbon,
lequel se nommait Anseau ou Anselme, et dont le frère
aîné portait le nom à''ArchamhaitU. C'est avec raison, ce
nous semble, que M. Berger de Xivrey applique à Bourbon-
Lanci plutôt qu'à la ville d'Autun ce passage d'un discours
adressé par le rhi^teur Eumcnius à l'empereur Constantin,
qu'il engageait avec courtoisie à venir visiter le pays des
^Editi : Jam omnia te vocare ad se templa videntur,prx-
cipueque Apollo nosfer, ctijus ferventibns aquis perjii-
ria pnnhtntur, qnx te maxime oportet odisse. M™* de
Genlis était de Bourbon-Lanci. Elle n'aurait même pas été
éloignée de croire que c'était elle que semblait prédire l'i-
polïo noster des flatteurs de Constantin. A ce propos, quel-
qu'un répondit un jour à cette femme célèbre, qu'apparem-
ment cet Apollon avait changé de sexe. « Comment cela?
dit-elle. — Olim Venus, à\i un des interlocuteurs. — N^inc
Minerra, repartit un autre. » Les eaux de Bourbon-
Lanci ne sont guère fréquentées que par des rhumatisants
du pays. D"" Isidore Bourdon.
BOURBON-LARCHAMBAUT (Eaux de). Cette pe-
tite ville, appelée aussi Burgcs, a environ 3,000 habitants;
elle est à 66 kilomètres de Bourges , et à 2S6 de Paris. Si-
tuée dans un joli vallon, assez bien bâtie, les quatre collines
qui l'entourent lui forment comme une sorte de paravent ,
circonstance propice à l'égalité de la température et à l'effet
salutaire des eaux. Le ciel est beau comme le pays, l'air
est d'une douce chaleur, les zéphirs seuls l'agitent, à cause
du rideau circulaire formé par ces montagnes ; les produc-
tions sont variées, pas très-hâtives, mais abondantes; la
vie dans ce lieu est peu coûteuse. Des promenades embellis-
sent la ville ; on distingue, par-dessus tout, celle que fit plan-
ter Gaston d'Orléans , frère de Louis XIIL Le sol est assez
convenablement mitigé ; l'argile, le silex et la terre calcaire
s'y allient dans de bonnes proportions ; on trouve dans les
environs des mines de fer , et peut-être est-ce là l'origine
d'une source ferragineuse froide nommée Jonas , qu'on voit
sourdre à Bourbon-Larchambaut , en dehors des sources
principales du lieu.
L'origine de la grande source thermale est tout à fait in-
connue ; elle jaillit bouillonnante et huileuse , au midi de la
ville , sur la place des Capucins ; des tubes conducteurs la
portent ensuite à l'établissement thermal , où se trouvent
seize cabinets de bains pourvus de douches. Ces eaux sont
claires, parfaitement incolores : réunies en grandes masses,
elles paraissent néanmoins comme verdâtres , de même que
l'air amoncelé paraît bleu. La saveur en est un peu acre ,
analogue à celle d'une lessive légère ; refroidies , elles don-
nent au goût et à l'odorat une impression d'œuf couvé. La
température en est élevée ( -{- 50° cent. ). L'analyse chi-
mique y a démontré : 1° de l'acide carbonique libre , T du
bicarbonate de soude (mais en moindre quantité que dans
l'eau de Vichy ) , 3° du rauriate de soude , 4" du sulfate de
soude, 5° du carbonate de chaux en petite quanlité, 6'' un
peu de fer et de silice , et 7° , comme singularité rare et di-
gne d'être notée , une petite quantité de sel à base de potasse
(qu'on retrouve aussi dans l'eau sulfureuse d'Enghien ). Les
bulles gazeuses qui se voient à la surface de l'eau, et dont le
dégagement la rend bouillonnante, sont formées d'un mélange
de gaz acide carbonique et d'azote. Ces eaux thermales ont
la même densité, la même pesanteur que l'eau distillée. Elles
sont ordinairement couvertes d'une pellicule blanchâtre et
onctueuse , qui provient probablement de la chaux que l'a-
cide carbonique rend insoluble , ainsi que d'un peu de fer,
qui s'oxyde de plus en plus, à mesure que l'acide carbo-
nique abandonne t'eau qui le dissolvait. Un autre effet pro-
venant de la même cause , c'est ce dépôt calcaire et ocracé
qu'on trouve au fond du bassin , ainsi que les incrustation.^
épaisses des conduits. On trouve aussi dans les égoûts du
l'établissement une bo^ie noire et presque aussi hydrogénée
quecelledeSaint-Amand;onla fait servir aux mêmes usages.
C'està tort qu'on a regardé comme merveilleuses et à''outre
physique plusieurs des propriétés de ces eaux. Les œufs fé-
condés qu'on y plonge y éclosent en cinq cent une heures ,
a-t-on dit avec étonnement! Je crois bien ; cela est fort na-
turel : la poule qui aurait couvé ces œufs, a 6 ou 8° de cha-
leur de moins que ces eaux thermales; et l'on sait quels
moyens les Égyptiens et Réanmur nous ont enseignés pour
obtenir des éclosions artificielles. On les boit , dit-on aussi,
sans se cuire la bouche , sans que les entrailles en soient en-
flammées !... Celaest encore tout simple : nos potagesles plus
familiers sont fréquemment à une température plus élevée
que celle des eaux de Bourbon-Larchambaut. D'ailleurs,
ces eaux salines et gazeuses incitent les glandes et les folli-
cules à une telle sécrétion de salive , de mucus et de diverses
humeurs , que les membranes intérieures en sont comme
lubrifiées, et par là garanties de toute brûlure ou souffrance.
Mais , ajoute-t-on , elles n'altèrent ni les fleurs ni les végé-
taux qu'on y plonge!.. D'abord , il faudrait savoir quelles
plantes et quelles fleurs on veut dire : beaucoup de fleurs déjà
fanées rajeunissent soudain quand on les plonge dans de l'eau
un peu chaude. Après cela, quant aux végétaux verts, les
sels alcalins que renferment les eaux de Bourbon-Larcham-
baut aviveraient d'eux-mêmes la couleur verte, loin de
l'effacer. On dit enfin qu'elles sont plus lentes à bouillir que
de l'eau échauffi-e au même degré qu'elles :... oui, si on le»
porte au feu dans un vase froid, tandis que l'eau chauffie
artificiellement demeure dans le vaisseau brûlant qui l'a déjà
soumise au feu.
Nul miracle dans la nature, rien donc de surnaturel dans
les eaux de Bourbon-Larchambaut. Mais elles ont de vraies
vertus : elles soulagent les douleurs externes, les rhumatis-
mes chroniques; elles sont souveraines contre les paraly-
sies et contre plusieurs maladies locales des genoux, des join-
tures. Elles excitent beaucoup, elles échauffent et constipent.
Elles produisent quelquefois tout d'abord un effet opposé,
mais c'est à la manière du café, du quina et des autres toni-
ques, parsuifedela viveimpression qu'elles déterminent, soit
sur l'estomac, soit sur les intestins. On en boit ( un ou deux
litres par jour ), on les prend en bains, on les reçoit en dou-
ches. Les bains remédient aux scrofules, guérissent quel-
quefois la paralysie ; bues, elles rappellent les menstrues
de môme que les hémorroïdes. C'est pendant la durée du
bain que l'on a coutume de boire une partie de la dose pres-
crite pour la journée.
Quand on visite la source, on est frappé du bruit qui ré-
sulte du dégagement continuel des gaz. On observe égale-
ment qu'aussitôt que l'atmosphère devient plus froide, sur-
tout le matin et le soir, il se forme comme un nuage, une
sorte do brouillard épais au-dessus du réservoir des eaux.
Les médecins de Bourbon-Larchambaut ont eu tort d'at-
tribuer ce phénomène à l'émission des gaz : les gaz sont
invisibles par eux-mêmes : personne n'a vu jamais ni de l'a-
zote ni du gaz carbonique. Mais, outre ces gaz, il se dégage
perpétuellement de l'eau minérale des vapeurs aqueuses beau-
coup plus chaudes que l'atmosphère : ce brouillard est donc
tout simplement une conséquence de la tendance à un équi-
libre parf:iit, propriété essentielle du calorique.
Bourbon-Larchambaut a été le berceau de l'ancienne et
si illustre famille de Bourbon ; on y voit encore les dé-
bris du château primitif, et le nom môme de Bourbon, qui
a commencé par la ville, lui est venu de ses eaux minérales.
On a remarqué à la louange de cette source célèbre que les
médecins chargés de l'administrer parvenaient presque tous
à un âge avancé. 11 ne faut donc pas nier absolument l'in-
fluence salutaire des eaux. D'' Isidore Courw)î(.
•GG
BOURBO^JNÂIS — BOURBONNE-LES-BAINS
BOURBOIVIVAÏS {Burhonensis ager ou tractus), an-
cienne province de France, avec litie de siicrie ou de ba-
ronnie, qu'elle a porté jusqu'en Vi'll, épo(|ue de son érection
en duché-pairie. Elle était bornée au nord i)ar le Nivernais,
an sud par l'Auvergne, à l'est par la Bonrgofçne et le Fo-
rez, et à l'ouest par le lîerry. On évaluait sa superficie à
790,000 hectares. IJordé au levant par la Loire et au couchant
par le Cher, qui s'y enclave dans quelques cnilroits , ce pays
est coupé par l'Allier en deux parties inégales, appelées le
//a«^ et le/îaA-i^o;nV;r;,vnr?i5. Il est arrosé parla Sioulequi des-
cend des montagnes d'Auvergne, et vient se jeter dans l'Al-
lier à 17 kilomètres au-despus de ÎSloi'.Uns ; par la Besbre, qui
se jette dans la Loire, jin's de Dampierre; et par plusieurs
autres plus petites. Le sol, plus coujjô et plus varié qu'en
aucune autre partie de la France , est fertile en grains,
vins, chanvres, fruits et pâlurages. 11 y a plusieurs mines de
fer, de cuivre et de charbon de terre, celles-ci très-con-
sidérables, et quelques carrières de marbre. Les eaux miné-
rales abondent lians le Bourbonnais. La plupart jouissent
d'une grande réputation, entre autres celles de Bourbon-
l'Archambaut , de Néris, très-fréquentées par les Ro-
mains; de Vieil y, de Saint-i'ardoux et de la Traulière.
Bourbon-Larchambaut, d'abord clief-lieu de la province,
est désigné sur Irs tables romaines par le nom û''Aqux
Bormonis ou Dorvonis. Au luiilièmc siècle, cette place
passait pour une des plus fortes de l'Aquitaine. Son château,
baii sur des rochers et environné de i)récipices, fut assiégé
et pris par Pépin, après une longue résistance, durant ses
guerres contre Waifre, duc d'Aquitaine (759). Sur les fon-
dements de ce château, les Archambauts, sires deBourbon,
en élevèrent un plus magnifique , qui avant l'usage du ca-
non était réputé imprenable. Quelques anciennes descrip-
tions portent à vingt-quatre le nombre de ses tours ; deux
surtout se distinguaient par leur grosseur prodigieuse , l'une
appelée l'Admirale et l'autre Quicanrjrofjnc , dénomina-
tion significative. Sur les ruines de celle dernière tour on
en a bdti une ronde, qui existe encore, et où l'on a placé
une horloge. Cechùteau abritait une ville peu considérable,
et qui ne serait rien aujourd'hui malgré tout l'éclat histo-
rique qu'une illustre et royale maison a atîaclié à son nom,
si elle n'eût été soutenue par la renommée de ses eaux mi-
nérales. Déjà même les anciens sires de Bourbon avaient
abandonné cette ville pour fixer leur séjour à Souvigny,
devenu dès lors chef-lieu de la province. Ce ne fut qu'à
partir du milieu du quatorzième siècle que Moulins, de-
venu le séjour des ducs de Bourbon , s'(',leva au rang de ca-
pitale du pays, et s'y est maintenu jusqu'aujourd'hui. De
cette ville, autrefois le siège d'un bailliage, d'un siège pré-
sidial et d'une sénéchaussée, dépendaient les dix-huit ciià-
tellenies royales de Souvigny, Bessai, Cannât, Billi, Vichy,
Verneuil, Belleperche, Bourg-le-Comtc, Hérisson, IMontluçon,
Murât, Chantelle, Charroux, Boiubon-Larcbambaut, Rioux,
Ussel et Chaveroche.
Lorsque César pénétra dans les Gaules, le territoire qui
forma depuis le Bourbonnais était partagé ont re les lui u e n s ,
les Arvernes et les Bituriges. A ces trois jieuiiles se joi-
gnit une colonie de Boïens, qui, vaincus par les années
romaines lorsqu'ils allaient porter des secours aux Melvé-
tiens, leurs alliés, étaient venus chertlier un asile chez les
l'^duens, qui les établirent entre l'Allier et la Loire. Dans la
division que César et ses successeurs firent des Gaules, la
portion du Bourbonnais occupée par les lîoiensfut comprise
dans la première Lyonnaise; les autres parties furent incor-
jmrées à l'Aquitaine, connue dépendantes du Berry et de
l'Auvergne. Lors de la décadence de l'empire, les Visigotlis
s'emparèrent du Bourbonnais, du lîerry et de l'Auver-
gne ('174). La grande victoire remportée par Clovis sur
Alaric fit passer ces provinces sous la domination des
J'rancs (507). Le Bourbonnais fit successivement partie des
royaumes d'Orléans. d'AusIrasiect d"Aquitainc. A partir cIo
la mort tragique du fameux duc Waifre (7CS), ce pays, qui
jusque alors n'avait été qu'une annexe partagée entre diffé-
rents États, devint une division politique spéciale, qui dès
ce moment eut ses chefs distincts et son histoire parti-
culière. On prétend que ce fut Cliarlemagne qui érigea
le Bourbonnais en baronnie dès l'année 770. Des Ormeaux
assure qu'elle était la première baronnie de France, et que ce ■
ne fut qu'après son érection en duché (1327) que les Mont- 1
morency ont pris le titre de premiers barons chrétiens '
(c'est-à-dire du roi très-chrétien).
Ce duché fut séquestré en 1523, lors de la disgrâce du
connétable de Bourbon, et réuni à la couronne en 1527.
Enfin, en 1G51, il fut donné par Louis XIV, au prince de
C on dé en échange du duché d'Albret et de quelques au-
tres domaines, et depuis lors le titre de duc.de Bourbon
s'est continué dans celte brandie jusqu'au dernier prince de
Coudé. Lainé.
BOURBONNAISE , nom vulgaire de la lychnis vis-
caria. Voyez Lychnidk.
BOURBONNE-LES-BAINS (oç-Maîiîorvonfs), ville
célèbre pour ses eaux salines et thermales; elle est située
dans le département de la Haute-Marne, à 308 kilomètres
de Pans. Bourbonne est une cité de 3,400 habitants , d'envi-
ron 820 maisons, et pouvant recevoir 1,000 à 1,200 étran-
gers, sans compter les militaires. Bâtie à la fois sur le plateau
d'une colline et dans les deux vallons adjacents , elle occupe
la partie sud -est du Bassigny, pays beaucoup plus exhaussé
que son nom ne le ferait penser. Le vallon du sud contient
les sources thermales. On trouve à Bourbonne un hôtel de
ville, une vieille église, qui menace ruine depuis les ravages
de l'incendie de 1717 ; un hospice civil, un hôpital militaire
contenant cinq cent cinquante lits, et quatre promenades
publiques assez belles , surtout les promenades de Montmo-
rency, d'Orfeuille et de la Place. Le territoire de Bourbonne
n'a pas moins de 22 kilomètres de circonférence , dont en-
viron les deux tiers sont en bois communaux et autres, le
quart en terres à labour, le reste en vignes et prairies.
Bourbonne, avec ses dépendances et ses alentours, forme
comme un vaste bassin borné circulairement par un amphi-
théâtre de monts et de plateaux , donnant à son enceinte
un aspect pittoresque, qui ne guérit point l'ennui , mais qui
le dissipe. Le pays n'est ni beau ni riche; les productions
cependant en sont diversifiées et assez abondantes.
On remarque que la température de Bourbonne est très-
variable. Toutefois, elle est ordinairement de 14° R., terme
moyen, pendant la saison des eaux, c'est-à-dire depuis le
!"■ juin jusqu'au 1*' octobre. L'atmosphère de Bourbonne
est donc moins chaude que celle de Paris. Cette particula-
rité dépend de l'élévation de Bourbonne au-dessus du niveau
de la mer, exhaussement tel que le mercure y descend
quelquefois, dans le tube d'un baromètre, jusqu'à 27 pouces
et même au-dessous. Cette situation de Bourbonne y rend les
jiluies fréquentes, les orages et les ouragans redoutables , et
cependant les montagnes environnantes , très-élevées , le pré-
si'r\entde beaucoup d'orages, qu'elles lui soutirent. Quand
je dis que Bourbonne est un lieu élevé, je parle dans le sens
absolu ; car, relativement aux montagnes qui l'entourent de
toutes parts, celte ville est dans un fond; elle forme connue
le centre d'un entonnoir dont les bords, très-proéminents,
seraient représentés par des monts et des plateaux. Lorsqu'on
arrive de Paris, on n'aperçoit de Bourbonne que son clocher,
qui passe au-dessus des montagnes , et qui trompe le voya-
geur sur la dislance qu'il lui reste à franchir.
U existe à Bourbonne trois .sources thermales distinctes :.
1" \a fontaine Chaude, ou de la Place, ou Malrelle, dont
la temi)érature est de 67° cent. , et la source abondante.
C'est à cette fontaine que se rendent les buveurs. On boit
de cette eau sans la laisser refroidir, et cependant elle
ne cause pas ordinairement de vive cuisson à l'intérieur.
U faut remarciucr néanmoins que l'on ne se plongerait pas
I
BOURBONNE-LES-BAINS
507
impunément dans cette fontaine, non plus que dans la sui-
vante : la peau serait rapidement rubéfiée, puis brûlée : on
cite même de funestes effets de pareilles immersions. L'eau
de cette source durcit un œuf en vingt-quatre heures. 2° le
Puisart ou la source des bciins civils , dont la tempéra-
ture est de 56° cent.; 3° \à fontaine des bains militaires,
50° cent. On la nomme encore dans les vieux livres le bain
Patrice, et nous laissons au\ archéolofiues et aux curieux
le soin de rechercher l'origine de cette dénomination.
Les eaux de Bourbonne sont claires, incolores, d'une
odeur un peu sulfureuse, d'un goût très-analogue à celui du
bouillon de veau salé, et rudes à la peau; un peu plus pe-
santes que l'eau distillée, elles marquent deux degrés sept
dixièmes à l'aréomètre de Baume. La température, si l'on
en juge par le témoignage des auteurs , en varie notable-
ment. Les trois sources réunies fournissent environ 102 mè-
tres cubes d'eau dans l'espace de vingt-quatre heures. Il se
dégage des sources une grande quantité de gaz azote, ce qui
les rend toujours bouillonnantes, dans les temps d'orage sur-
tout. Cela peut aller en de pareilles conjonctures jusqu'à faire
rejaillir l'eauà d'assez grandes distances. Peu d'eaux sont plus
salines que celles-ci : un kilogramme donne à l'analyse chi-
mique 7 grammes 93 centigrammes de sels, savoir : 55"^, '32
de muriate de soude, 0S'",85 de muriate de chaux , OS"",! 1 de
carbonate de chaux, 05'', 85 de sulfate de chaux , os'',85 de
sulfate de magnésie.
En outre, M. A. Chevalier a trouvé dans cette eau une
petite quantité d'arsenic, ce qui d'ailleurs lui est commun
avec d'autres eaux contenant comme elle plus ou moins de
sels carbonates. On y a de même signalé une petite quantité
de brome , un peu de fer, que l'aimant peut manifester et
soustraire aux boues desséchées. Quant au gaz qui s'en dé-
gage, il paraît que c'est de l'azote pur ou à peu près pur. Sa
présence provient probablement des résidus de l'air que l'eau
entraîne avec elle dans les gouffres ou souterrains oii elle se
minéralisé on ne sait comment ; et si l'oxygène en a été sé-
paré, cela paraît tenir aux combinaisons qu'il aura con-
tractées avec les substances minérales , qui , comme on sait ,
ont pour ce gaz une grande affinité.
On pourrait appliquer aux eaux de Bourbonne, ainsi qu'à
beaucoup d'autres , cette légende d'une ancienne famille de
la Normandie : Fotis ignotus, vir tûtes cognitœ. Les eaux
de Bourbonne sont employées avec succès dans les maladies
scrofuleuses, dans les rhumatismes, soit articulaires, soit
musculaires chroniques , à la suite des fractures mal conso-
lidées et des entorses, pour les douleurs qui survivent à
d'anciennes blessures ; mais leur efficacité est surloi*t ma-
nifeste dans les plaies d'armes à feu et dans les paralysies
que l'apoplexie n'a point causées. Elles ne conviennent ni
dans la syphilis, ni dans la goutte, ni contre les maladies de
la vessie ou de la peau , qu'elles aggraveraient au lieu de les
calmer ou de les.guérir. Il est quelques écoulements chro-
niques que ces eaux ont la vertu de tarir ou de modérer, à
cause de l'irritation qu'elles déterminent à la peau. Elles pro-
duisent en quelque sorte l'effet d'un sinapisme imiversel et
inoffensif Les eaux dont nous parlons conviennent princi-
palement aux tempéraments lymphatiques, aux hommes
difficiles à exciter, durs ou peu sensibles. On a coutume d'en
défendre l'usage aux personnes nerveuses, susceptibles ,
maigres, délicates, ou très-sanguines, mais surtout aux
jeunes personnes : ces eaux si rudes ternissent la beauté. On
prend ordinairement dans une saison de vingt à vingt-sept
bains, à la température de 30 à 37" tout au plus. On est obligé
par conséquent de laisser refroidir l'eau des sources, et à
cet effet on élève, la veille, dans des réservoirs en plomb,
toute l'eau dont il sera besoin le lendemain pour mitiger et
tempérer l'eau trop chaude des sources. Chaque bain dure
trente à quarante minutes; il serait souvent dangereux d'y
séjourner beaucoup plus longtemps.
Les douches soulagent les douleurs locales. On a coutume
de les prendre à la température de 47 à 50° cent., et on le»
reçoit de préférence sur la colonne vertébrale, sur le sacrum,
au-dessus de la clavicule, et en général .suivant la direction
des nerfs , évitant toutefois de les faire tomber ou sur la tête,
ou trop immédiatement sur les parties douloureuses. La
durée des douches ne doit guère excéder dix minutes, après
quoi il faut prendre un bain , puis se remettre au lit et se
rendormir. Ces eaux déterminent ordinairement de grandes
transpirations. Quelques personnes se contentent de boire à
la fontaine. Une pinte ou deux tout au plus, telle doit
être la dose de chaque jour; car à doses plus élevées on
s'expose à des coliques, à des gonQements, à des assoupis-
sements , à des dérangements d'intestins et à la perte de
l'appétit. L'essentiel n'est pas de boire des cruches d'eau
chaude, il faut que ce liquide passe sans causer de souf-
france; il faut qu'on puisse, sinon le digérer, au moins se
l'assimiler, l'absorber. Il est vrai qu'un ancien médecin ,
nommé Juy, cite des malades qui de son temps buvaient jus-
qu'à quatre-vingts verres d'eau dans une seule matinée :
c'est à peu près vingt livres ou dix litres ; mais ce sont là
des excès périlleux. On a quelquefois fait usage des boues
de Bourbonne dans quelques maladies locales, à peu près
comme de celles de Saint- Amand ou de Bourbon-Larcham-
baut, mais cela n'est plus de mode aujourd'hui.
Bourbonne est maintenant une propriété de l'État, depuis
que le gouvernement de Napoléon s'en empara en 1812. An-
née commune , il ne vient pas à Bourbonne beaucoup moins
de huit cents malades civils, sans compter quatre à cinq
cents amis des malades ou simples amateurs. Quant à l'hô-
pital militaire, Louis XV le ft-nda en 1732, et Louis XVI l'a-
grandit en 17S5. Six à huit cents militaires y sont traités
cliaque année aux frais de l'État, ce qui accroît d'autant la
richesse du pays.
On trouve à 9 kilomètres de Bourbonne, au village de La
Rivière, une e:iu feri'ugineuse froide, dont on prescrit l'u-
sage aux estomacs faibles , ainsi qu'aux jeunes personnes af-
fectées de pâles couleurs et aux malades qui souffrent de
la vessie. On s'en procure aisément à Bourbonne même,
sans se déplacer.
On a découvert à Bourbonne un grand nombre d'antiqui-
tés, qui toutes attestent et la date toute romaine de la célé-
brité de ces eaux, et le dieu qu'y révéraient nos pères,
comme aussi le nom qu'ils lui donnaient. On y a trouvé des
pierres gravées, des médailles romaines, des inscriptions,
des ex-voto, un bouc en bronze et le tombeau d'un comé-
dien romain nommé, croit M. de Xivrey, Rocabajiis, avec
une épitaphe distincte et une tôte de singe.
On s'est souvent plaint de la vie ennuyeuse de Bourbonne
et de la difficulté de s'y distraire, d'y prendre quelques plai-
sirs. Certains habitants de la ville avaient proposé d'aug-
menter le nombre des promenades , d'acheter le vieux châ-
teau pour y centraliser les amusements ; ils voulaient em-
bellir ce lieu thermal , afin d'en rendre le séjour agréable.
Quelques personnes avaient môme proposé de consacrer à
ces piojets d'un luxe nécessaire le prix d'une belle forêt de
réserve que possède la ville , et dont la valeur peut s'élever
à 200,000 fr. ; mais , quelque dépense qu'on fasse , les plai-
sirs ne seront jamais bien vifs à Bourbonne. Je conçois qu'on
joue à Bourbonne, qu'on y médise, qu'on s'y promène;
mais qu'on y danse! impossible. Il faut de jeunes femmes
pour former des redoutes , pour omer des concerts ; or, les
jeunes femmes ne vont guère à Bourbonne : les eaux de ce
lieu seraient funestes à leur fraîcheur. Si de jeunes per-
sonnes avaient le mallieur de se plonger dans les eaux d«
Bourbonne, leur peau souple et délicate serait pour long-
temps rude et fanée.
Un des médecins de Bour'oonne , le docteur Juvet , moil
en 1789, avait composé pour \a fontaine chaude ce distique:
Auriferas clives jactet Pactolus areiias ;
Dilior hicc offert mortalibus unda salutem.
568
Voici à peu prè» l'équivalent :
Route les sables d'or. Pactole ti ranté !
Plus riclie, aux louliieiireux j'apporte la santé.
L'intendant delà Champagne, M. Rouillé d'Oi feuille, fut
l'un des bienfaiteurs de Uourbonne; on lui doit, entre au-
tres embellissements, une des plus belles promenades de la
ville. D'Holbach, (lui plusieurs fois vint dans ce pays, moins
pour y recouvrer la sanlé que pour la perdre, y a aussi
laissé quelques traces de sa }i;énérosité. Diderot, ami de
d'Holbach, visita plusieurs fois Uourbonne, ijarticuiière-
ment en août 1770; il était accompaj^né de Grimm : il dé-
posa même, à sa mort, entre les mains de ce dernier, un
petit écrit qu'on a depuis imprimé , et qui était intitulé :
Voyage à Bourbonne.
C'est aux cochons de Novelle-Coiffi qu'on attribue la dé-
couverte des sources de Bourbonne; et voilà apparemment
pourquoi les habitants du village de Novelle avant la révo-
lution avaient seuls le droit d'user de l'eau des sources
thermales sans rien payer à l'établissement d'alors.
J'ai dit que les eaux de Bourbonne étaient particulière-
ment efficaces contre la paralysie. On cite à ce sujet un cer-
tain nombre d'exemples de guérisons remarquables. C'est à
Bourbonne que l'abbé Mangenot , merveilleusement guéri
d'une paralysie au bras droit, écrivit ces vers, pas trop
mauvais pour un paralytique , mais fort dépaysés sous une
main tremblante :
Revenez sous mes doigts , instrument que j'aJore,
Plume que je tirai de l'aile de l'Amour!
Trop heureux si co dieu dai-^'nail sourire encore
Comme il sourit au premier jour.
Cet amour avait bfen des raisons pour ne plus battre que
d'une aile, et sans doute il resta fort sérieux. L'Amour au-
rait trop à faire s'il lui fallait sourire à tous ceux qu'il a pa-
ralysés ! D"^ Isidore Bourdon.
BOUllBOiV-VErMDÉE. Voyez Napoléon-Vendée.
BOURDAINE. Voyez Boijkgène.
BOURDAIS (Famille). Foye:: Baptiste aîné et Douval.
BOURDAISIÈRE (Édit de la). Voyez Édit.
BOURDALOUE (Louis), né à Bourges, le 20 août lf.32,
entra dans la société de Jésus à l'âge de seize ans. Les dix-
huit premières années qu'il y passa furent employées à
achever ses études et à occuper successivement des chaires
de rhétorique , de philosophie et de tliéologie morale. Ses
supérieurs , reconnaissant en lui un grand talent pour la
prédication , l'envoyèrent prêcher à Eu, à Amiens, à Rennes,
à Rouen, où il obtint un succès tel, qu'ils le rappelèrent à
Paris. Sur ce grand théâtre, il lutta avec avantage contre
le mauvais goût , les manières ridicules et le style ampoulé
des prédicateurs de son temps : aussi à Paris, comme en
I)rovince, ses succès furent-ils prodigieux, et, plus qu'en
|)rovince, ratifiés par tout ce que la cour et la ville comp-
taient de juges éclairés. « Je n'ai jamais rien entendu de plus
étonnant que le père Bourdaloue , » écrivait à sa lille Ma-
dame de Sévigné. Auparavant elle lui avait écrit : « J'avais
grande envie de me jeter dans le Bourdaloue , mais l'impos-
sibilité m'en a ôlé le goût. Les laquais y étaient dès le mer-
credi , et la presse était à mourir. »
Quelque temps après , Bourdaloue lut mandé à la cour par
LouisXlV. Il y prêcha l'A vent de 1C70 et le Carême de 167'2, et
fut redemandé pour les Carêmes de 1674, 1G75, iGSOet 1082,
])our les Avents de 1G84, IGSG, 16S9 et 1693. Ainsi, il parut
dix lois à la cour, ce qui est d'autant plus remarquable que
le môme prédicateur y était rarement ai)pelé jusqu'à trois
fois; mais Louis XIV disait de lui : « J'aime mieux les re-
«liles du père Bourdaloue que les choses nouvelles d'un
autre. « Aussi le qualiliait-on à la fois de prédicateur des
rois et de roi des prédicateurs. Le maréchal de Gramont,
assistant à un de ses sermons avec toute la cour, s'était levé
BOURBONNE-LES-BAlx\S — BOURDALOUE
un jour en s'écriant : » Mordieu ! il a raison. » El ce cri
parti du cœur avait produit une sensation immense.
Après la révocation de Tédit de Nantes, Louis XIV l'en-
voya en Languedoc pour faire goûter aux nouveaux con-
vertis la religion catholique. « Les courtisans , avait dit le
roi à cette occasion , entendront peut-être pendant son ali-
sence des sermons médiocres, mais les Languedociens ap-
prendront une bonne doctrine et une belle morale. » Dan»
cette mission si délicate , qui mettait en présence les inté-
rêts de son ministère et les droits de l'Immanité, son carac-
tère d'homme et son caractère de prêtre, Bourdaloue sut
concilier tout ce qu'il devait aux uns et aux autres, tout ce
qu'il devait à ses devoirs, tout ce qu'il se devait à lui-
même. Sa douceur, sa tolérance, lui acquirent l'estime des
deux partis. En 1700 il abandonna la chaire, et se voua
tout entier aux assemblées de charité, aux hôpitaux et aux
prisons, et, passant de la chaire au lit des mourants, il sut
les consoler sans les etîrayer, et masquer, par tout le pres-
tige de l'espérance , toute l'horreur de cette transition si
redoutée de la vie à la mort. Il mourut le 13 mai 1704, à
l'âge de soixante-douze ans, après avoir dit la messe la veille.
Dans ses prédications, Bourdaloue, simple et érudit tout
à la fois, insinuant, concis, nerveux, serré sans séche-
resse , et profond sans obscurité , savait se mettre à la por-
tée de ses auditeurs. Il développait ses idées avec rapidité et
netteté, tendant prmcipalement à subjuguer l'esprit; il eût
été le premier des prédicateurs si à sa force et à ses moyens
de raisonnement il avait joint ces mouvements oratoires qui
étonnent, entraînent et subjuguent. Nourri de la lecture des
Pères de l'Église, il avait l'àme, le génie et l'abondance de
saint Jean Chrysostome ou de saint Augustin. Son style,
quoique sévère, n'avait rien de recherché; mais, plein de J
force et d'énergie , il était fleuri, gracieux ou orné sans affec- fl
tation. Bourdaloue excellait particulièrement à traiter les
mystères de la religion. Boileau, qui n'aimait pas les jé-
suites, aimait beaucoup et voyait souvent le père Bourda-
loue.
On l'a souvent mis en parallèle avec Massillon ; éloquents
tous les deux, ils le sont pourtant d'une manière différente :
on pourrait dire avec raison que ce que Massillon dut au
sentiment, Bourdaloue le dut à la profondeur de la pensée.
Les contemporains de Massillon n'ont assigné à Bourdaloue
que le second rang, en disant que Bourdaloue avait prêché
pour les hommes d'un siècle vigoureux, et Massillon pour
les hommes d'un siècle efféminé. Ce qu'il y a de certain,
c'est qu'aujourd'hui on lira peut-être avec plus d'intérêt
JMassillon, parce qu'il joint aux charmes du style l'enthou-
siasme du sentiment; mais ceux qui comptent pour quel-
que chose la force, l'empire de la raison et le talent de don-
ner aux discours de la majesté, de la noblesse et de l'éner-
gie, préféreront lire Bourdaloue. Quelques autres l'ont placé
après Fléchier et Dossuet ; cependant la première parlied'une
de i,t% Passions, dans laquelle il s'attache à prouver que la
mort du fils de Dieu est le triomphe de sa puissance, est re-
gardée avec raison comme le chef-d'u-uvre de l'éloquence
chrétienne. Du reste, Bossuet disait de lui : Cet homme
sera éternellement mon maître en tout. C'était infiniment
trop de modestie pour qu'on y pût croire.
Quoi qu'il en soit, Bourdaloue eut le talent de se faire
goûter également des grands et du peuple, des gens du
monde et des hommes pieux.
« Bourdaloue, dit La Harpe, est concluant dans ses rai-
sonnements, sûr dans sa marche, clair et instructif dans ses
résultats; mais il a peu de ce qu'on peut ai)ppeler les grandes
parties de l'orateur, qui sont le mouvement, l'élociition, le
sentiment. C'est un excellent théologien, un savant caté-
chiste, plutôt qu'un savant prédicateur. En portant toujours
avec lui la conviction , il laisse trop désirer cette onctiou
précieuse qui rend la conviction efficace. » Il y a du vrai
dans ce jugement, qui est néanmoins d'une sévérité excès-
BOURDALOUE — BOURDON
&69
sive. Qu'on relise, en effet, ses sermons sur la Conception,
sur la Passion, sur le Jugement dernier, sur le Pardon
des Injures ! Quelle austérité de style ! et pourtant comme
on est entraîné par cette méthode si calme, si régulière, si
mesurée! Sans avoir la sublimité de Démostliènc ni de Bos-
suet, Bourdaloue est parfois aussi éloquent. 11 semble qu'il
ait sans cesse devant les yeux c^s pensées sur l'art de per-
suader où Pascal, dans ses Provinciales, trace la route à l'o-
rateur avec une précision si simple. Aussi Voltaire a-t-il placé
IJourdaloue et Pascal à côté l'un de l'autre dans le Temple du
Goût. A ce concert unanime de louanges un seul homme
ue s'était pas associé avant La Harpe : C'était Fénelon, génie
pourtant facile, nature douce et passionnée, mais qui répu-
gnait aux. formes exactes et rigoureuses du raisonnement et
n'en comprenait pas la puissance.
« Ce qui me plaît, ce que j'admire principalement en
Bourdaloue, dit l'abbé Maury dans son Essai sur l'Élo-
quence, c'est qu'il se fait oublier lui-môme; c'est que, dans
un genre trop souvent livré à la déclamation, il n'exagère ja-
mais les devoirs du christianisme, ne change point en pré-
cejites les simples conseils, et que sa morale peut être tou-
jours réduite en pratique. Ce que j'admire surtout en lui,
c'est l'art avec lequel il fonde nos devoirs sur nos intérêts,
et ce secret précieux, que je ne vois guère que dans ses ser-
mons, de convertir les détails de mœurs en preuves de son
sujet : c'est la simplicité d'un style nerveux et touchant,
naturel et noble, la connaissance la plus profonde de la re-
ligion, l'usage admirable qu'il fait de l'Ecriture et des Pères.
Enfin je ne pense jamais à ce grand homme sans me dire
à moi-même : Voilà donc où le génie de la chaire peut s'é-
lever quand il est fécondé et soutenu par un travail im-
mense. »
Le père Brefonneau, son confrère, a donné deux éditions
de ses œuvres imprimées à Paris, en l'année 1707 et suiv.
La vie de Bourdaloue a été écrite par madame de Priugi
(Paris, 1705, in-4"' ).
BOURDALOUE. On a donné le nom du prédicateur
fameux dont on vient de lire la vie, d'abord à une étoffe
8imi)le et modeste, que les femmes portèrent quelque temps
après une réforme dans le luxe opérée par ses sermons ;
puis à une sorte de tresse d'or, d'argent ou de soie, large
d'environ un doigt , qui se mettait autour des chapeaux
d'homme , et qui s'attachait à l'aide d'une petite boucle de
métal, comme il est d'usage encore aujourd'hui d'y attacher
un simple ruban.
BOURDE, fausseté, mensonge, plaisanterie, raillerie,
sornette, etc. On a dit bailler des bourdes, pour débiter des
mensonges, des contes à bel argent comptant. Régnier parle
dans une de ses satires de gens
Qui baillent pour raison des chansons et des bourdes.
En termes de marine , on appelait jadis bourde un mât
qu'on employait pour soutenir un bâtiment échoué et em-
pêcher qu'il ne chavirât, et une voile dont on se servait à
bord des galères quand le temps était calme.
Enfin, on appelait bourde des espèces de béquilles, de
potences, et le bâton du pèlerin plus connu sous le nom de
bourdon .
BOURDE AU ( Pierre-Alpinien-Bertrand ) , pair de
France, ministre de la justice, naquit à Rochcchouart,
( Haute-Vienne), le 18 mars 1770. Il était sous l'Empire une
des gloires du barreau limousin. Ses opinions f.ranchement
royalistes le firent nommer adjoint au maire do Limoges ,
lors de la première restauration. Le gouvernement des Ceiit-
Jours crut devoir le destituer. Aussi les Bourbons , à leur
rentrée , se firent-ils une obligation de le réintégrer. Ils le
nommèrent de plus procureur général de son département ,
et le jour de son installation les royalistes de Limoges
vinrent danser des farandoles sous ses fenêtres. Les élec-
teurs de la Haute-Vienne allèrent plus loin : ils le nom-
mer. DE LA C0NVER3. — T. 111.
mèrent député, et Bourdeau siégea en cette qualité dans la
Chambre introuvable. Du siège de Limoges il passa en qualité
de procureur général à celui de Rennes.
Bourdeau fut pendant longtemps compté parmi les ultra-
royalistes; cependant son exaltation bourbonienne finit par
se calmer un peu ; et un beau jour il se trouva dans le
camp de l'opposition royaliste constitutionnelle, ce qui lui
valut en 1824 les honneurs d'une destitution. Dès lors Bour-
deau vota opiniâtrement contre l'administration Villèle et
Peyronnet : aussi sa place se trouvait-elle naturellement
marquée parmi les hommes auxquels le ministère Martignac
offrit une part du pouvoir. L'ex-procureur général fut donc
nommé directeur général de l'enregistrement et des domaines
et conseiller d'État en service extraordinaire, en 1828.
En 1829 Bourdeau devint tour à tour sous-secrétaire d'État
au ministère de la justice et garde des sceaux. Ses circulaires
ministérielles attestaient alors un amour fort médiocre pour
la liberté de la presse. Il ne fit pourtant que passer, ainsi
que tant d'autres; mais, comme. fiche de consolation, on
le nomma premier président à Limoges , et grand - officier
de la Légion d'Honneur. Il était réservé à la révolution de
Juillet de fiùre de Bourdeau un pair de France. Après tout,
député jusqu'en 1835, époque à laquelle il donna sa démis-
sion , il avait bien mérité de la dynastie nouvelle.
Bourdeau serait à peu près oublié aujourd'hui , sans la
jurisprudence à laquelle on a donné assez improprement
son nom ; nous voulons parler de la traduction des jour-
naux devant la police correctionnelle , pour diffamation en-
vers des fonctionnaires. M. Bourdeau , se croyant diffamé
par le Progressif, journal radical de Limoges, obtint contre
lui une condamnation correctionnelle en 10,000 fr. de dom-
mages-intérêts. Le cautionnement du Progressif fut insuf-
fisant à solder cette somme. Bourdeau émit alors la pré-
tention monstrueuse de faire compléter les 10,000 francs par
les rédacteurs en chef qui avaient précédé le gérant con-
damné dans la gérance du journal. En première instance ,
il eut la douleur de voir repousser cette doctrine de com-
plicité rétrospective ; il ne se découragea pas, et en appela
bravement à la cour qu'il présidait autrefois.
Boi.rdeau est mort le 12 juillet 1845. N. Gajxois.
BOURDIN (Maukice). Foye:; Grégoire viii , antipape
BOURDON. On donne ce nom à une espèce de bâton
long fait au tour, orné d'une pomme , ou plus haljituelle-
ment d'une gourde , à sa partie supérieure, muni d'un fer
pointu par en bas , et que portent les pèlerins. Planter le
bourdon en quelque lieu est une façon de parier prover-
biale et figurée, qui veut dire : élire domicile en quelque
lieu , s'y établir.
En termes d'imprimerie, l'omission que le compositeur a
faite dans sa feuille d'un ou plusieurs mots, quelquefois
même de plusieurs lignes de la cojjie ou du manuscrit, s'ap-
pelle aussi bourdon.
On a encore donné le nom de Bourdon à une grosse clo-
che , telle que celle de l'église de Notre-Dame à Paris. Celle-
ci est placée dans la tour du sud , et pèse près de 32 mil-
liers. Fondue en 1682, et refondue trois ans après, l'année
même de la révocation de l'Édit de Nantes (1085), elle
fut solennellement baptisée , ou plutôt bénite , et eut pour
parrain et marraine Louis XIV et madame de Maintenon,
qui lui donnèrent le nom d'Emmanuel-Louise-Thérèse. Le
battant, qui fait retentir des sons graves et lugubres,
pèse 480 kilogrammes. Le bourdon de Notre-Dame, que seize
hommes mettaient en branle avec peine autrefois , a été
descendu lors des travaux de restauration entrepris à la ca-
thédrale de Paris. Après quelques années de silence, il a
annoncé sa résurrection le jour de Pâques 1851. Quatre
hommes seulement le faisaient sonner. Le bourdon ne se fait
entendre qu'aux grandes fêtes et dans les grandes solennités.
BOURDON {Entomologie). On désigne sous ce nom
commun plusieurs insectes hyménoptères, qui forment,
72.
570
BOURDON
dans la famille des mellifères, (rlbu des apiaires, un genre
nombreux, dont les espèces sont répandues dans toutes les
parties du monde. On les a ainsi nommés à cause du bruit
sourd qu'ils font en volant. Mais beaucoup d'autres insectes,
tels que guôpes, oxées, abeilles proprement dites, et un grand
nombre de diptères , sont aussi des animaux bourdonnants.
C'est sans doute parce que le bruit du vol des bourdons se
fait le plus remarquer parmi les mômes sons produits par
les insectes pendant leur mouvement dans l'air qu'on les
a plus spécialement distingués sous ce nom. Quoique les in-
sectes de ce genre aient été considérés comme le type des
animaux bourdonnants, on n'a point encore étudié d'une ma-
nière complète sur eux les organes du bourdonnement.
On appelle aussi bourdons ou faux-bourdons les mâles
de l'abeille proprement dite; mais les insectes qui font
e sujet de cet article ont le corps beaucoup plus gros, plus
arrondi , chargé de poils, souvent distribués par bandes co-
lorées. Les enfants les connaissent très-bien, et les recher-
chent pour avoir le miel renfermé dans leurs corps et le
sucer. On sait que les individus des diverses espèces de
bourdons sont les uns mâles et les autres femelles, et les
troisièmes neutres ou mulets. Les femelles sont plus grandes
(lue les autres individus. Les mulets ou ouvrières sont d'une
faille intermédiaire. Réaumur et Huber fils en distinguent
deux variétés : suivant ce deraier, plusieurs des ouvrières
sont des femelles plus petites, qui s'accouplent et pondent
des œufs d'où proviennent des mâles seulement, tandis que
les autres femelles mettent au jour des individus des trois
sortes indiqués ci-dessus. Les bourdons vivent en société
de 50 , 60 , et quelquefois de 200 à 300 individus , dans des
habitations souterraines. Leurs mœurs , leur industrie , res-
semblent à celles des abeilles. Cependant les femelles des
premiers sont moins fécondes que celles des secondes. Plu-
sieurs bourdons femelles vivent en bonne intelligence sous
le môme toit, n'ont pas d'aversion et ne se livrent pas de
combat. Enfin, suivant Huber, les ouvrières détruisent quel-
quefois les œufs que la femelle pond, pour en sucer la ma-
tière laiteuse. Ce fait extraordinaire semblerait démentir
l'attachement connu des ouvrières pour les germes dont
elles sont les gardiennes et les tutrices. L. LiURENT.
BOURDOiV (Musique), jeu d'orgue composé de
tuyaux bouchés à leur extrémité supérieure, disposition qui,
en vertu des lois de l'acoustique , leur fait produire l'octave
grave du son qui en sortirait s'ils étaient ouverts par les
deux bouts. L'exiguité de la place qu'occupent les bourdons
est un grand avantage pour les petites orgues; mais l'emploi
de tels tuyaux présente l'inconvénient de donner des sons
plus sourds et plus faibles que ceux d'une lliîte ouverte
sonnant à l'unisson.
On appelle bourdon de 32 pieds celui dont le son le plus
grave est à l'unisson d'un tuyau ouvert de 32 pieds; d'où
il suit que le plus grand tuyau d'un tel bourdon n'a que 16
pieds. Les fabricants d'orgues emploient encore des bour-
dons de 16, de 8 et de 4 pieds.
Excepté ce dernier, qui est en étain on en étojfe ( alliage
d'étain et de plomb ou de zinc), les bourdons sont ordi-
nairement en cliène, quelquefois doublé d'étain ou de plomb.
Le plus long tuyau des musettes et des corneînuses a
aussi reçu le nom de bourdon, qui s'applique encore à la
grosse corde à vide de la vielle.
Nous consacrerons un article particulier à la musique en
usage pour le chant des psaumes qu'on appelle fatix-
b 0 H rdon.
BOURDON ( SÉBASTIEN ) , peintre distingué de l'école
française, naquit à Montpellier, en 1C16, de Pierre Bour-
don, peintre sur verre, qui fut son premier maître, et qui
lui donna tout d'abord la leçon la plus profitable, en lui re-
commandant de prendre avant tout la terre et le ciel pour
modèles. Encore enfant, il fut envoyé chez un parent qui ha-
bitait à quelque cent lieues de sa famille, Toulouse, je crois.
ou Bordeaux ; on ignorequel genre dévie il mena près de ce
parent, et par ({uel motif il s'engagea tout jeune en qualité
de soldat. On n'ignore pas moins comment il obtint peu
après de quitter le service ; ce qui est certain , c'est qu'il
n'y fut que très-peu de temps. On n'a au reste presque
point de détails précis sur cette première période de sa vie.
Au sortir du service, Bourdon passa en Italie pour s'y oc-
cuper exclusivement de l'art qui était sa vocation , et dans
lequel il devait tenir un rang inférieur sans doute à celui des
Michel- Ange et dés Piaphael, mais cependant encore éminent.
En Italie il se livra avec une grande assiduité , et on
peut dire avec passion, à l'étude des maîtres ; il s'initia dans
leurs procédés, se pénétra profondément de leur génie, et
réussit en peu de temps à saisir, avec ime merveilleuse ha-
bileté de main, la manière et, pour ainsi parler, le faire
principal de cliacim. Claude Lorrain, Caravage et Bam-
boccio furent cependant ses trois modèles de prédilection ,
et il acquit infiniment dans leur commerce.
A l'âge de vingt-sept ans , il revint en France et se rendit
à Paris. Plein d'imagination, de fougue et de verve , s'é-
tant d'ailleurs beaucoup (orme par la prati(]ue durant son
séjour en Italie, avec un travail facile, il ne tarda pas à de-
venir célèbre dans cette capitale. Le premier ouvrage par
lequel il se fit connaître avantageusement, et qui fut comme
la base de sa réputation, fut le Martyr de saint Pierre,
qu'il composa pour Notre-Dame de Paris. Ce tableau, trans-
porté depuis la révolution au musée du Louvre, n'est pas
un des moins remarquables de Bourdon : il y a queUpies
irrégularités dans la distribution des figures ; le dessin par
endroits y manque peut-être de fermeté et même de correc-
tion ; mais la couleur en est bonne , et le style assez gran-
diose; les tôtes et les poses surtout sont d'une expression
simple et vraie, sinon très-forte, et, à tout prendre, c'est une
des bonnes toiles de l'école française du dix-septième siècle.
Bourdon , qui avait le gortt des voyages et aussi un peu
d'inconstance dans le caractère , après avoir exécuté plu-
sieurs œuvres de mérite à Paris, partit, en 1652, pour
la Suède, où Christine l'accueillit avec empressement
et le nomma son premier peintre d'histoire. On rapporte
que la reine ayant offert à Sébastien une fort belle partie
des tableaux conquis à Dresde par son père Gustave-Adol-
phe , notre peintre les refusa , « voulant , dit-il , que la reine
ne se privât pas de cette précieuse collection , qui était du
plus grand prix. » Christine garda les tableaux, et de-
puis , dans un besoin d'argent , les vendit à Rome.
Le séjour de Bourdon à Stockholm ne fut pas de longue
durée , malgré la faveur dont il jouissait. De retour à Paris,
il se mit de nouveau à l'ouvrage. Porté dès 1648, lors de la
fondation de l'Académie de Peinture, au nombre des douze
premiers membres nommés pour la composer, il en fut suc-
cessivement recteur et directeur; et il remplit ces diverses
fonctions avec un vrai zèle d'artiste. Il peignait aux Tuile-
ries l'appartement du rez-de-chaussée du côté du pavillon
de Flore, lorsqu'il fut atteint de la maladie dont il mourut, à
Paris, en 167}.
Bourdon peignait avec une facilité prodigieuse ; il paria
ime fois qu'/7 peindrait dans un seul jour douze têtes
d'aprh nature , de grandeur naturelle; et il gagna le
pari. On remarque dans ces douze têtes, si rapidement
achevées , ime touche vive et énergique , en môme temps
que des tons chauds et des chairs du meilleur effet. Quand
il voulait trop finir, il énervait en quelque sorte ses chairs,
affadissait son coloris, et tombait dans les tons mous, ce qui
ne lui arrivait jamais quand il laissait courir son pinceau en
toute liberté. Bourdon est surtout louable pour la couleur et
l'expression vraie des figures. On peut le louer aussi pres-
que sans réserve pour le mouvement général de la compo-
sition, qui est du reste d'un excellent goût jusque dans ses
moindies œuvres, un peu bizarre parfois, quant au sujet,
mais jamais sans quelques parties bien rendues. Comme
BOURDON
s:i
tous les grands peintres, il était plein de la nature qu'il vou-
lait reproduire , et il s'attachait à la rendre dans sa force et
sa vérité propres. Mais, bien qu'il voulût que ses toiles res-
pirassent la réalité, toute réalité ne lui était pas bonne , et il
se plaisait particulièrement à la reproduction d'êtres et d'ob-
jets , de paysages et de scènes d'un ordre peu commun ,
ayant quelque attrait par eux-mêmes ou d'une nature choisie.
Nous possédons au musée du Louvre neuf tableaux de
Bourdon , parmi lesquels ceux qui nous semblent satisfaire
le plus complètement aux conditions de l'art sont la Des-
cente de Croix et une Halte de Bohémiens. Ses paysages
sont dans la manière de Claude Lorrain. On voit aussi au
Louvre un fort bon portrait de Bourdon, peint par lui-même :
il est représenté assis , tenant sur ses genoux la tête de Ca-
racal la, moulée sur l'antique.
Bourdon peut être pareillement compté parmi les gra-
veurs : on a de lui un certain nombre d'eaux-fortes très-
estiinées , d'une touche nette et ferme , et pleines de détails
heureux : le jet en est franc et hardi. On les place dans les
collections entre les plus recherchées des maîtres en ce genre,
avec celles de Callot et de Rembrandt. Charles Romey.
BOURDOlVrfe l'Oise (François-Louis), fils d'un culti-
vateur des environs de Compiègne, était né vers le milieu
du siècle dernier. Ayant fait ses études à Paris, il embrassa la
carrière du barreau , et il était procureur au parlement de
Paris lorsque la révolution le jeta dans l'arène politique.
Patriote exalté, il se fit remarquer à la journée du 10 août
1792 dans l'attaque des Tuileries, et fut envoyé peu de temps
après à la Convention nationale par le département de l'Oise,
dont il prit le nom. U siégea sur les bancs les plus élevés de
la Montagne , et ne laissa échapper aucune occasion de ma-
nifester la violence de son caractère et l'exagération de ses
idées. Dans le procès de Louis XVI il deinanda que les
blessés du 10 août appartenant au parti populaire tussent
confrontés avec l'infortuné monarque , à la barre même de
la Convention , pour le rendre solennellement responsable
de la mutilation de leurs membres. Après l'omission de ce
vœu, dont l'assemblée ne tint aucun compte , Bourdon vota
!a mort sans appel au peuple ni sursis. Tout ce qui se rap-
prochait de la prudence et de la modération l'irritait : aussi
devint-il l'un des principaux organes des fureurs de la i'Mon-
tagne contre la Gironde. Il dénonça nominativement Ver-
gniaud , Gensonné, Guadet et Brissot, prit une part active
à l'insurrection du 31 mai et à la proscription du 2 juin,
qui décimèrent la Convention et privèrent la tribune fran-
çaise de ses plus brillants orateurs. Partisan des Apôtres de
la raison , il se déchaîna aussi contre le pieux évoque Gré-
goire, lui reprochant de vouloir christianiser la révo-
lution. Mais, au milieu de cette fièvre démagodque, de ce
dévergondage républicain , Bourdon de l'Oise passait pour
ne pas négliger sa fortune. Robespierre le considéra conune
l'un de ces hommes d'argent , de ces tribuns immoraux que
Sauit-Just appelait les révolutionnaires dans le sens du
crime : aussi le fit-il expulser des Jacobins.
Bourdon se vengea de cet affront au 9 thermidor. Il se
réunit à Tallien, à Billaud-Varennes et à tous ceux qui pou-
vaient craindre comme lui l'application du mot de Saint-
Just. U devint aussi violent réacteur qu'il avait été furieux
révolutionnaire , et demanda la déportation même de ses
alliés du 9 thermidor, tels que Billaud-Varennes, Collot-
d'Herbois et Barrère. Aux journées de germinal et de prai-
rial , il figura parmi les adversaires les plus implacables du
jacobinisme expirant, ce qui ne l'empêcha pas d'aller exercer
des rigueurs nouvelles à Chartres, dans le sens de la ré-
volution, après l'événement du 13 vendémiaire. Nous ne
devons pas omettre que ce démagogue furibond , qui s'était
acharné successivement et s'était moutié impitoyable contre
Yergniaud et Guadet, contre Robespierre et Saint-Just,
contre Romme et Goujon, se fit l'avocat de Carrier et de
Joseph Lebon, c'est-à-dire des deux proconsuls qui avaient
fait couler le plus de san^ dans leurs missions départemen-
tales. Lefort le fit entrer au Conseil des Cinq-Cents, ou,
malgré ses antécédents révolutionnaires , il se jeta dans le
parti de Clichy , qui avait alors la majorité. Il était devenu
fort riche, assure-t-on, en se faisant spéculateur sur les
assignats et les biens nationaux, et ce changement de for-
tune pouvait avoir contribué à le pousser vers la bour-
geoisie royaliste. Mais ce rapprochement ne lui fut pas
profitable; il ne servit qu'à le faire comprendre parmi les
proscrits du 18 fructidor, et à l'envoyer périr sur cette
terre insalubre de Cayenne , oii il avait fait déporter lui-
même ses anciens amis et collègues de la Convention, Coilot-
d'IIerbois et Billaud-Varennes. L'exil abrégea rapidement
ses jours. Laurent (de l'Ardèche).
BOURDON de la Crosnière (Léonard-Jean-Joseph)
naquit à Orléans, vers l'année 1760, d'nn commis des finances
qui avait été mis à la Bastille, sous l'abbé Terray , pour la
publication clandestine d'un plan de réforme. Léonard
Bourdon se voua à l'enseignement, et fonda une maison d'é-
ducation à Paris , quelque temps avant la révolution , dont
il embrassa vivement la cause. Soit amour de la liberté,
soit ressentiment de famille , il fut des premiers à courir au
siège de la Bastille, et figura dès lors parmi les plus chauds
patriotes de la capitale. Après le 10 août, la commune de
Paris le chargea d'aller surveillera Orléans la translation
des prisonniers qui devaient être jugés par la haute cour na-
tionale et qui furent massacrés à Versailles. Ses ennemis
l'ont accusé de ne s'être point opposé et d'avoir même prêté
son assistance aux assassinats de cette époque, et ils ont
cité en preuve ses intimes relations avec le fameux Fournier
l'Américain. L'histoire ne nous fournit pas de documents
assez certains pour accueillir une aussi terrible accusation.
Nommé à la Convention nationale par le département du
Loiret, Léonard Bourdon s'y fit connaître dès les premières
séances par l'exaltation de ses opinions et par la violence de
ses discours. 11 demanda le renouvellement en masse des
employés de toutes les administrations , déclarant que les
lois révolutionnaires seraient illusoires aussi longtemps que
les agents du pouvoir exécutif ne s'élèveraient pas à la hau-
teur des périls et des exigences de la révolution. Pendant le
procès du roi , il fit la motion d'interdire au monarque captif
toute sorte de communication avec sa famille. Il vota en-
suite contre l'appel au peuple et pour la peine de mort avec
exécution dans les vingt-quatre heures. Envoyé en mission
et passant par Orléans , il insulta un factionnaire , à la suite
d'une orgie , et le fit ensuite traduire devant le tribunal ré-
volutionnaire, ainsi que ses paients et tous les hommes de
garde au moment et sur le lieu de la rixe. Léonard Bour-
don voulait faire croire à un projet d'attentat sur la repré-
sentation nationale, violée dans sa personne, et, malgré
le témoignage d'Albitte, son collègue, pré'sent à la scène,
et qui attestait qu'il avait été l'agresseur, la sentinelle et ses
prétendus complices furent condamnés. Présidentdes^'flCoôJTts
et secrétaire de la Convention, il provoqua la formation
d'une armée révolutionnaire dans chaque département et le
décret qui adjugea les biens des condamnés et des prison-
niers suicidés à la nation. Comme Bourdon de l'Oise , Léo-
nard appartenait à cette faction ochlocratique dont la com-
mune de Paris était le siège principal ; comme lui , il se
fit le défenseur des ultra-révolutionnaires , et lutta contre
Robespierre lui-même pour arracher au supplice Vincent et
Roussin. Cette démonstration indiquait ses affinités et ses
tendances. Robespierre l'accusa d'être le complice d'Hébert,
et Léonard Bourdon s'en vengea au 9 thermidor. Ce fut lui
qui assiégea rhôtel de ville en cette journée, comme lieu-,
tenant de Barras , et qui vint ensuite rendre compte de sa.
victoire à la Convention.
Mais la réaction le trouva moins ardent que Bourdon de
l'Oise à abjurer ses précédents. Dans les complots ou les in-
surrections de germinal et de prairial, il suivit les destinée»
72.
572
des débris de la Montagne, et fut enfin enfermé , en 1795, à
la citadelle de Ilara, d'où le tira une prochaine amnistie. Il
fit aussi partie du Conseil des Cinq-Cents, où Boissy d'An-
gias le traita d'assassin , épilliète dont Legendre l'avait déjà
qualifié à la Convention. Le Directoire l'envoya en mission à
Hambourg, d'où il fit expulser les émigrés. Il mourut à Paris,
sous l'Empire, clief d'un établissement d'instruction pri-
maire. Pendant les orages de la terreur, ses agitations
d'homme de parli n'avaient pu lui faire oublier sa vocation
première , et il avait fondé une école des élèves de la pa-
trie. 11 a laissé : 1° un Mémoire sur r instruction et l'édu-
cation nationales; 2" Recueil des actions civiques des
républicains français; 3° Le Tableau des Imposteurs,
sans-culottide en cinq actes. Lalkent (de l'Ardèche).
BOURDON ( Isidore ) , médecin en chef des épidémies
du département de la Seine, membre titulaire de l'Académie
de Médecine, où il siège dans la section d'anatomie et physio-
logie, est né le 2Gaoùt 1796, àMerry ( Orne). Ce fut en 1823
que M. Bourdon revêtit la robe doctorale ; mais il n'avait pas
attendu la consécration du dipliime pour devenir médecin
distingué, et déjà la science lui était redevable de Considé-
rations générales sur les Animaux et de trois mémoires qui
dénotaient une intelligence élevée, une observation exacte
et ingénieuse, un travail consciencieux. Le premier de ces
mémoires : Sur le vomissement , fut publié en 181S. L'au-
teur y démontrait , contre M. Magendie, que l'estomac est
un agent direct du vomissement, et que l'on peut évaluer à
un tiers sa part d'influence dans cet acte. Le deuxième
mémoire avait pour titre : De V Influence de la pesanteur
sur quelques phénomènes de la vie. Le troisième, dont
G. Cuvier accepta la dédicace, et qui fut loué |)ar l'Aca-
démie des Sciences, était intitulé : Recherches sur le Mé-
canisme de la Respiration et sur la Circulation du Sang.
Ces deux derniers mémoires contiennent des aperçus neufs
et ingénieux; mais ce n'était assez ni pour l'auteur ni pour
sa science favorite; et en 1828 il publia, en 2 volumes in-8",
.ses Principes de l'hysioloijie médicale, suivis en 18.30 d'un
volume de Physiologie comparée, le premier ouvrage im-
portant qui eût été publié sur cette science , resté malheu-
reusement inachevé, mais qui sera terminé.
Son stage fini dans les hôpitaux, M. Bourdon publia pour
sa thèse des Considérations sur la Vie et la Mort. Nommé
presque aussitôt médecin des dispensaires de la Société
Pliilanthropique, il consacra près de quatre années ù ce
service pénible et gratuit. Il trouva pourtant encore le
loisir de publier un Ménwu'e sur les affections chroniques
de l'estomac, auquel participa M. Fouquier, et des re-
marques neuves sur l'anévrisme de Vaorte. Quelques an-
nées plus tard il fut nommé inspecteur d'un établissement
tiiermal ; et les études nouvelles dont cette charge lui im-
posait le devoir lui suggérèrent l'idée de publier un Guide
aux Eaux Minérales, dont le succès a pu concourir à rendre
plus général l'usage des eaux thermales de la France.
On doit à M. Bourdon diverses autres publications, parmi
lesquelles il faut d'abord citer les Lettres à Camille sur la
Physiologie, ou\ng^ où l'auteur sait mettre cette science à
la portée de tous. Évitant avec talent ce qui pourrait blesser
le goût le plus délicat , il s'adresse au public sous la forme
abstraite d'une jeune femme, qu'il initie savamment au
jeu de nos organes, sous la magie d'un style agréable et pi-
tpiant. Citons en outre un Essai de Physiognoiuonie ; \ei
Illustres Médecins et IS'aturalistes des temps modernes;
un petit Traité d'Hygiène; un Mémoire sur la non-con-
tagion de la Peste et sur tes Quarantaines (l'auteur, d'ac-
cord en cela avec les Anglais, y combat le système des qua-
rantaines comme puéril et d'une inutilité absolue); un
Mémoire sur le chloroforme et V Éthérisme ; un autre sur
la non-contagion du choléra; enfin un rapport fait à l'Aca-
démie de Médecine sur les Eaux minérales de la France,
avec des instructions pour les médecins inspecteurs.
BOURDON — BOURDONNEMENT
M. Bourdon n'est pas seulement un médecin distingué ; il
occupe une place incontestée parmi les écrivains les plus
brillants de ce temps-ci, et il a pris longtemps une part
importante à la rédaction de divers recueils , journaux et
revues. Le Dictionnaire de la Conversation, entre autres,
lui. doit une foule d'articles, que nos lecteurs n'ont pas man-
qué de remarquer. Pendant le choléra de 1832 , M. Bourdon
se dévoua tout entier au soin des malades. Lorsque l'épidémie
se fut calmée à Paris , il accepta la mission d'aller en province
porter le secours de son courage. En 1849 , l'épidémie ayant
reparu dans la capitale, le docteur Bourdon reçut la mis-
sion d'inspecter les postes de secours établis dans le huitième
arrondissement. Ce dévouement avait été déjà récompensé
par deux médailles, lorsque la ville de Paris choisit en 1851
le docteur Bourdon pour médecin en chef du service des
épidémies.
BOURDO\A'x\IS ( Mahé nE la ). Voyez La BocRDOxxArs.
BOURDOi\XEMEi\T, bruit sourd et confus produit
ordinairement pendant le vol de certains insectes. Ce bruit,
qui a beaucoup occupé les observateurs, n'est point suf-
fisamment expliqué. On a cru qu'il était dû tantôt à la
vibration des stigmates, produit dans la sortie subite de l'air,
tantôt à l'agilalion et à la vibration de l'air par les ailes ,
tantôt à celle des ailerons ou des cueillerons par les balan-
ciers dans les diptères. Car, bien qu'un seul genre de l'or-
dre des hyménoptères ait été appelé botirdon, beaucoup
d'autres insectes pourraient être désignés sous ce nom. Sans
être naturaliste, tout le monde connaît le bourdonnement
des cousins, des mouches , des hannetons, des abeilles, des
guêpes, des sphinx ou papillons-bourdons. Les entomo-
logistes en signalent un nombre bien plus grand encore.
M. L. Dufour a constaté que les trachées de tous les hy-
ménoptères soumis à ses dissections forment un appareil
plus développé que dans les autres ordres d'insectes , et
qu'au lieu d'être constituées par des tubes cylindroïdes et
élastiques, elles offrent des dilatations ou vésicules favo-
rables au séjour de l'air. 11 a décrit avec soin la dispo-
sition de cet appareil, et a remarqué de plus que dans les
xylocopes et les bourdons deux grandes vésicules tra-
chéennes, qui sont dans l'abdomen, ont chacune à leur
surface supérieure et antérieure un corps cylindrique gri-
sâtre, élastique, adhérent dans toute sa longueur dans les
premières , et libre dans les bourdons. Il pense que ce corps
n'est pas étranger à la production du bourdonnement,
puisque celui-ci peut avoir lieu même après la soustraction
complète des ailes. M. Duméril dit en parlant des ailes des
abeilles qu'il présume que ce bruit est le produit de la sortie
ou de l'expulsion subite de l'air par les stigmates. M. Clia-
brier, dans son Essai sur le Vol des Insectes explique aussi
le bourdonnement par l'air qui s'échappe des stigmate3
durant le vol ; mais il en place le siège dans les stigmates
du thorax, qu'il nomme stigmates vocaux eu bouches vo-
cales. C'est à l'existence de lamelles situées à l'orifice de ces
stigmates qu'est dû, d'après cet auteur, le bruit bour-
donnant. Il a pensé aussi que la diminution de ce bruit
produite par la résection des ailes tient à ce qu'il s'échappe
un peu d'air par les trachées ouvertes des ailes qui ont été
coupées.
M. Bumieister, dans un ouvrage sur les sons que pro-
duisent certains insectes, a aussi expérimenté qu'en coupant
sur un diptère {eristalis tenax, Meig) les ailes, les écailles
ou cueillerons et les balanciers , le bourdonnement continue
aussi longtemps que le mouvement des tronçons des ailes
coupées. Pour s'assurer si ce sont les deux stigmates pos-
térieurs du thorax qui en sont les organes, il les a bouchés
avec de la gomme , il a excité l'insecte à faire des mou-
vements , et pendant qu'il les exécutait il n'a entendu
aucun son. Le bourdonnement eut lieu de nouveau quand
des battements d'ailes très-lbrts eurent rendu libres les
orifices des stigmates. Ces expériences lui ayant émontié
BOURDONA'EMEN
qu'à ces parties devait se rattacher un corps que le courant
d'air faisait vibrer , il fit l'extraction de l'un de ces organes,
et il trouva par la dissection que la lèvre postérieure de ce
stigmate s'allonge en dedans en forme de disque semi-lunaire
sur lequel s'élèvent parallèlement neuf lamelles d'une sub-
stance cornée très-tendre , dont il a décrit très-exactement la
'«lisposition. Il pense que ces lamelles sont mises en vibration
par le choc de l'air sortant des trachées , et regarde les
stigmates comme présentant une analogie frappante avec le
larynx, surtout avec celui des oiseaux. Ayant aussi anato-
misé les stigmates antérieurs du thorax du même insecte,
Il n'y a observé aucun vestige des lamelles indiquées ci-
dessus. M. Burmeister ne les a point trouvées chez les
coléoptères qui bourdonnent, comme, par exemple, le
hanneton. Il admet alors que le passage de l'air à travers
le stigmate peut être la seule cause du son. Le bourdon-
nement des coléoptères est proportionnellement beaucoup
plus faible que celui des diptères.
11 faut distinguer le bourdonnement produit pendant le
vol des insectes , des sons ou bruits résultant du frottement
mécanique des différentes parties du corps dans un grand
nombre d'insectes ( cérambycius, reduves, etc. ), et de ceux
exécutés par des organes spéciaux chez les orthoptères ( gril-
lon domestique, grande sauterelle), chez les hémiptères (ciga-
les chanteuses ), et chez un papillon dit tête de mort, qui
pousse un cri plaintif lorsqu'on le touche ou qu'on l'irrite.
Le bourdonnement des insectes les plus communs, tels
que la mouche domestique, la mouche à viande, le cou-
sin, etc., est hnportun, incommode, surtout lorsiiu'il excite
l'idée d'un contact qui répugne et produit des sensations dé-
sagréables, pénibles, ou celle d'une piqûre accompagnée de
douleurs plus ou moins vives, de gonflement et d'inflamma-
tion ; les bœufs, les chevaux, les chameaux, le lion même,
s'agitent dès qu'ils entendent bouidonner les taons, dont
ils redoutent avec raison les blessures. L. Lauiîent.
BOURDOi\IVEMEi\T D'OREILLES. Les organes
de l'ouïe sont souvent frappés chez l'homme par des sons
(jui n'émanent d'aucune des causes connues pour produire
les phénomènes acoustiques : tels sont les bruits compa-
rables au bourdonnement des insectes, au tintement des
cloches, au bruissement, aux sifflements, aux murmures des
vents, etc., qu'on entend dans le silence le plus absolu.
Ces sensations sont ordinairement passagères; elles ne cau-
sent aucune incommodité notable, mais quand elles se ré-
pètent fréquemment, elles deviennent fatigantes, et si elles
persistent avec constance , elles condamnent à un tourment
très-pénible. Ceux qui sont ainsi affligés par des illusions
acoustiques ne peuvent goûter aucun repos, ni se livrer à
quelque application mentale; ils ne trouvent de soulagement
et de distraction qu'en entendant des sons plus intenses :
aussi recherchent-ils avecavidilé le bruit des rues populeuses,
des orchestres, des ateliers bruyants, ou bien ils produisent
eux-mêmes des sons, afin de s'étourdir. Mais cette ressource
manque à ceux qui sont complètement sourds, et qui cepen-
dant peuvent avoir aussi constamment les mêmes halluci-
nations.
Ces bruits imaginaires, et pourtant réels, sont des effets
de différentes causes : ils résultent quelquefois d'une lésion
mécanique de l'appareil auditif, par exemple, d'un obstacle
à l'introduction de l'air dans les cavités auriculaires ; l'irri-
tabilité de cet organe peut être aussi pervertie, diminuée,
ou excessive. D'autres fois ils dépendent des affections de
différents viscères , qui sont tous solidaires les uns des au-
tres, et par conséquent on retrouve ces hallucinations dans
rénumération des symptômes de la plupart des maladies ,
l'hystérie, l'hypochondrie, les fièvres , les affections vermi-
neiises, dans les douleurs de tête, les névralgies faciales et
dentaires; elles sont encore perçues quand les appareils
sanguins et nerveux, intimement unis entre eux, éprouvent
une forte perturbation : ainsi, les hémorragies considé-
T — BOURÈTES 573
râbles sont ordinairement accompagnées de bourdonnements,
de tintements d'oreilles. Quelquefois ces bruits ne sont que
des souvenirs, la mémoire pouvant conserver longtemps
l'impression des sons qui nous ont vivement émus, tels que
des cris arrachés par une passion violente , les accents de la
musique, le bruit d'une tempête, etc. L'observation a fait
connaître les nombreuses maladies dans lesquelles on ren-
contre le bourdonnement ou le tintement d'oreilles; mais
dans le plus grand nombre des cas on n'a pu découvrir
comment ces fausses perceptions sont produites. D'ailleurs,
nous devons avouer que quelques-unes des explications
qu'on en a données ne sont pas beaucoup plus satisfaisantes
que le dicton populaire : « Les oreilles nous tintent parce
qu'on parle de nous. «
Les moyens de remédier à ces illusions acoustiques sont
variés comme les causes dont elles dérivent : ainsi , dans tel
cas il convient d'agir directement sur l'appareil auditif;
dans tel autre, il faut s'adresser à des organes éloignés, qui
affectent l'oreille par sympathie, comme l'estomac, les in-
testins, etc., employant à cet effet des injections d'air ou
d'eau dans les cavités de l'oreille, des saignées générales,
des applications de sangsues, des purgatifs, etc.
Le bourdonnement et le tintement d'oreilles qui se font
entendre dans un grand nombre de maladies sont souvent
les signes avant-coureurs d'une crise. Chez les personnes me-
nacées d'apoplexie par une constitution sanguine, par leur
âge, etc., ces bruits précèdent souvent l'attaque, et ils sont
au nombre des signes qui en décèlent l'imminence : à ce mo-
ment une saignée ou d'autres moyens rationnels peuvent
quelquefois suffire pour détourner un danger très-redou-
table. C'est là un motif qui doit engager ces personnnes
à consulter leur médecin quand ces illusions de l'ouïe se
manifestent à des retours fréquents, surtout si on remarque
en même temps des hallucinations d'autres sens, une alté-
ration notable de la mémoire, de l'hésitation dans l'acte de la
parole, le balbutiement, etc. Tout en signalant l'importance
que les illusions acoustiipies peuvent présenter en certains
cas, nous ajouteronsqu'ellesnedoiventéveiller aucunecrainte
quand elles sont passagères et quand elles ne se rencontrent
pas avec des états maladifs. D"" Charbonnier.
BOURES. Voijez Paysans (Guerre des).
BOURLTES ou BOURIATES, peuplade mongole no-
made d'environ 100,000 têtes, qui se subdivise en diverses
tribus et habite lis rives du Jénisséi, delà Leria, de l'An-
gara et du lac Baïkal, dans la partie méridionale du gou-
vernement russe d'Irkoiitsk, en Sibérie. Ils ressemblent,
en ce qui est de leur conformation physique, aux Kalmouks.
Leur visage est lisse et charnu, leur taille est trapue, un peu
ramassée; leurs membres sont bien découplés, leurs yeux
très-rapprochés du nez, leurs sourcils étroits, noirs et forte-
ment arqués. Ils ont le nez camus, aplati du haut, les pom-
mettes des joues saillantes, de grandes oreilles, des dents
très-blanches et peu de barbe. Ils sont paresseux d'esprit, dé-
fiants, peu serviables, d'ailleurs probes, loyaux, habiles dans
les exercices du corps, bons cavaliers et excellents archers.
En 1644 ils se soumirent au sceptre russe. Ils peuvent mettre
en campagne plus de vingt mille guerriers armés d'arcs, et
choisissent eux-mêmes leurs princes et leurs anciens, sauf
la confirmation du gouverneur d'Irkoutsk, qui remet à ceux-ci
un poignard, insigne de leur dignité. Leur vêtement est
en cuir garni de fourrures. L'été, ils vivent dans des huttes,
dites iourtes, qu'ils recouvrent de cuir; et l'hiver, dans des
huttes de feutre. Ils vivent des produits de leurs bestiaux,
de leur chasse, de leur industrie, et sont notamment d'ex-
cellents forgerons. Us professent une forme particolièro
du bouddhisme , et nomment leur dieu suprême Octorgon
Burkhan ou Tingiri £2«r/i,7i«rt, c'est-à-dire Dieu du ciel.
Ils regardent les planètes comme des dieux inférieurs, et
appellent le chef des mauvais esprits Ockodœl. Leurs idoles,
tantôt peintes, tantôt composées de bois, de plomb, de
574
BOUPvÈTES — EOURGÉNE
feutre et de peaux d'ngneau, sont tiè-;-origiiiales et colorées
en noir avec de la suie. Indépendamment de quelques fai-
bles essais de littérature, ils possèilent des notions assez
remarquables en médecine. La femme est à leurs yeux un
être impur, auquel Papprdche de l'antel des dieux domes-
tiques est interdit dans la iourte. Pour qu'un homme s'as-
soie là où une femme était assise avant lui , il faut que la
place ait d'abord été purifiée au moyen de parfums,
BOUREÏTE (CiiAKLOTTe RENlliR, dame), plus con-
nue sous le nom de Muse- Limonadière. Bourette était le
l'.om de son second mari ; son premier époux s'appelait Curé.
INéfc à Paris, en 1714, elle y tenait un calé, rendez-vous des
Français et des étrangers curieux de contempler de près une
simple bourgeoise qui se mêlait de faire des vers aussi bien,
mieux môme que beaucoup de marquises, et cela à une
époque où jamais la l'rance n'avait encore compté autant de
femmes d'esprit. I^ourquoi le café de la spirituelle et gra-
cieuse limonadière n'aurait-il pas été aussi fréquenté que
le salon de l'anglomane et acariâtre du Dcffandi" L'une, il est
vrai, était une modeste industrielle, et l'autre une grande dame,
en relation intime avec un ministre de S. M. Britanniciue.
Mais la grande dame était vieille, infirme, méchante, fron-
dant toutes les réputations , s'enlhousiasmanl à froid pour
un étranger, qui avait converti la corruption ministérielle en
système. M"" Bourette avait tout au moins le mérite de ne
pas rougir de sa position ; elle avait consacré ses talents à
célébrer les événements qui intéressaient sa patrie. Elle n'é-
tait pas titrée, mais elle était aimable, et cela vaut mieux. Il
n'eùttenu qu'à elle de se faire marquise ou comtesse, car rien
alors n'était plus facile ; elle n'ambitionna que le titre de 7t/«5e-
Limonadicre. Elle mérita l'estime des notabilités contem-
poraines; elle aurait pu grossir son bagage littéraire des
épitres en prose et en vers qu'on lui adressait de toutes parts.
Le ministre du roi de Prusse lui envoya un étui d'or, le
duc de Gesvres une écuelle d'argent , et Voltaire une tasse
de porcelaine. Dorât paya largement eu monnaie de poète
son tribut d'admiration a la M use- Limonadière.
C'est sous ce titre qu'elle publia ses poésies, dédiées au roi
Stanislas, 2 vol., 1755. La Coquette punie , comédie en un
acte et en vers, ne tut représentée que sur un petit théâtre
qu'elle avait dressé dans son café, qu'elle transformait par-
fois en salle de spectacle et en cercle littéraire. C'était en
1779, l'auteur avait alors soixanle-cinq ans. Sa mort eut
lieu en 1784. Les poésies de la Muse-Limonadière ont eu
un succès de vogue, et le méritaient par l'élégance et la puieté
du style, le choix des sujets et la finesse des pensées. Cepen-
dant elles ne se trouvent guère plus que dans les biblio-
thèques des collectionneurs. DuFiiv (de l'Yonne).
BOURG, en Min pa(/us, ou vicus, endroit habité, qui
tient le milieu entre une ville et un village. On entend en
général par ce mot un gros village, avec ou sans murs, mais
possédant un marché. Il parait cependant que dans l'ori-
gine les bourgs étaient entourés de nmraillcs et même for-
tifiés; et c'est ce qu'indiquerait en elïet l'étymologie de ce
mot, d'après Cujas, Nicot et Campden, qui le font dériver
du latin pijrgus, venu du grecnûpyo;, signifiant chez les
anciens un endroit fortifié défendu par des tours. Végèce
emploie le mot burgus comme signification de tom' ou de
petit château. De son côté, Luilprand, en pailant des Bour-
guignons, dit que chez eux burgiim signifie un ainiis ou
assemblage de maisons qui n'est point fermé de miuailles.
Quelques auteurs pensent que notre mot bourg vient tout
bonnement de l'allemaml burg.
Bourgade est l'intermédiaire entre le bourg et le village.
En Angleterre 6 or oit {//*, (jue nous traduisons par 6o«;-j;, a
un sens pailiculier; c"<-,st un lieu moins im[iortant qu'une
ville, plus important qu'un village, mais jouissant de cer-
taines immunités qui le rendent indé|)endant des autorités
du comté. 11 serait plus exact de traduire ce mot par celui
de commune.
BOURG, ou «OURG-EN-BRESSE , ville de France,
ancienne capitale de la Bresse, aujourd'hui chef-lieu du
département de l'Ain, située sur la rive gauche de la Reys-
souse, à 370 kilomètres sud-estde Paris. Peupléede 10,308 ha-
bitants, elle possède un tribunal de première instance, un
collège communal, une société d'agriculture, sciences, let-
tres et arts, un jardin botanique, une salle de spectacle,
une bibliothèque contenant 23,000 volumes, un cabinet de
physique et de chimie, et un musée départemental. Son
évôché fut supprimé en 1536, par le pape Paul IH. Elle est
le chef-lieu de la quatrième subdivision de la huitième di-
vision militaire.
Bâtie dans une position charmante , près de la Veyle, elle
est arrosée par des fontaines, et embellie par de nombreuses
promenades. Il s'y fait un assez grand commerce de grains,
bestiaux, peaux blanches, volailles connues sous le nom
de poutardcs de Bresse; quant à son industrie manufac-
turière, elle est à peu près nulle : on n'y trouve qu'une seule
typographie et une filature. Bourg renferme des monuments
assez remarquables, entre autres celui qui a été élevé au
général Joiibert, l'église de Notre-Dame, la halle au blé, les
boucheries et un magnifique hôpital ; mais l'édifice le plus
curieux de tout l'arrondissement est l'église gothique de
Brou, situ('e près de la ville, et construite en 151 1, par Mar-
guerite d'Autriche, tante de Charles-Quint. On y admire de
riches vitraux et les mausolées de la maison de Savoie.
La fondation de Bourg, qui ne remonte pas au delà du
treizième siècle, est attribuée aux seigneurs de Baugé. Selon
de Thou, e!le occuperait l'emplacement de l'ancien Forum
Sebusionorum. Elle passa des Romains aux Bourguignons,
auxquelsellefutenlevéepar les Francs. Après avoir fait partie,
au milieu du neuvième siècle, du royaume d'Arles et de la
Bourgogne Transjurane, elle obéit aux empeieurs d'Alle-
magne jusqu'au onzième siècle, et fut comprise de cette
époque au seizième siècle dans les États des ducs de Savoie,
qui y construisirent une citadelle. Prise par les Français
en 1536 et en 1600, elle fut en 1001 cédée définitivement
à la France par le traité de Lyon.
BOURG (Antoine et Annk du). Foyec Dubourc.
BOURGELi\.T(CLACDE), né en 1712, mort en 1779,
fut le fondateur des écoles vétérinaires en Europe. Le pre-
mier établissement de ce genre fut créé par lui à Lyon , sa
ville natale, en 1702. Sa famille l'avait d'abord destiné à
l'étude des lois : reçu docteur à l'université de Toulouse,
il suivait môme avec distinctign le barreau du parlement de
Grenoble ; mais ayant un jour gagné une cause qu'il reconnut
ensuite être injuste, il eut honte de son triomphe, et re-
nonça aux brillants succès que lui réservait la carrière qu'il
avait embrassée , pour entrer dans les mousquetaires. Le
goût qu'il avait eu dans sa jeunesse pour les chevaux se
réveilla avec force, et dès ce moment il se livra exclusive-
ment à son étude favorite.
C'est Bourgelat qui a fourni à l'Encyclopédie de Diderot et
de d'.\lembert les articles de ce recueil relatifs à l'art vété-
riuiiire et à Vhippiatrique, ou médecine des animaux do-
mestiques, dont il est considéré conune le créateur. On a
encore de lui plusieurs ouvrages d'une haute utilité, entre
autres : un Traité de Cavalerie (Lausanne, 1747 ); Aozt-
veaux Prin&ipes sur la Connaissance et la Médecine des
chevaux (Lyon, 1750-1752); Anatomie comparée du
cheval, du Inruf et du mouton, etc.
BOURGÈAt:, ou BOURDAINE, grand arbrisseau du
genre des n erpruns , qui croît dans les terrains humides,
et dont le bois fournit un charbon très-léger, le plus estimé
pour la fabrication de la poudre à canon. C'est le rhamnus
frangula de Linné. Bauhin lavait nommé alnus nigra bac-
ci/era (aune noir), sans doute à cause d'une espèce de res-
seud)lance entre ses feuilles et celles de l'aune; mais il y a
une différence notable dans la lleuraison et la fructification de
ces deuv arbres. Les tiges de la bourgène sont unies; son
i
BOURG ENE — BOUFxGEOTS
575
écorce extérieure est brune, l'intérieure jaunâtre, et son t)ois
blanc et tendre; ses feuilles, simples, entières, ovales,, allon-
pcs et terminées en pointe, veinées et portées par des pé-
tioles courts, naissent des aisselles et sont alternativement
placées sur les tiges. Les fleurs sont petites , verdàtres , à
cinq divisions, réunies en petits bouquets axillaires. Les baies
qui leur succèdent , globuleuses et noirâtres , renferment
deux ou quatre semences ; ce fruit possède des propriétés
purgatives. Enfin l'écorce intérieure des tiges passe aussi
pour un violent purgatif, et donne une couleur rougeâtre
assez semblable à celle de la garance.
BOURGEOIS, BOURGEOISIE. Ces mots, dérivés de
hourg, n'apparaissent dans notre langue française que vers
le onzième siècle, pour désigner une c.liose nouvelle. C'est à
tort, en effet, que Ton a prétendu retrouver la bourgeoisie
sous la domination romaine et même dans l'organisation des
villes gauloises avant la conquête de Jules César. La bour-
geoisie naquit sous la féodalité : partout où un cer-
tain nombre de travailleurs purent se grouper, s'armer, s'a-
briter derrière une muraille, on vit s'élever une bourgeoisie,
disputant avec le seigneur, s'affrancbissant de certaines ser-
vitudes, se donnant des lois particulières, souvent avec l'aide
de l'Église , parfois sous l'influence de l'autorité royale.
Avant cette époque l'bistoire ne nous montre rien qui res-
semble à la bourgeoisie telle «lu'elle exista au moyen âge.
Au temps de Grégoire de Tours, les babiiants des villes gau-
loises se partageaient en six classes ou décurics : le clergé ,
les familles sénatoriales, les fonctionnaires publics , les
citoyens vivant de leurs revenus nommés stationnaires ,
les artisans et agents subalternes de l'administration, les
gens de main-morte ou demi-serfs, sans compter les serfs
purs. Quand la race de Cbarlemagne se fut substituée à la
liremière dynastie franque, la nation ne présentait plus que
quatre classes : la noblesse, le clergé, le peuple et les serfs.
Le peuple [populus, ingeimi) se réunissait en assemblées
pour élire les magistrats et les évoques. Cet état de cboses
antérieur à la bourgeoisie dura jusqu'au dixième siècle.
Quand l'asservissement féodal devint universel , le premier
secours qui vint aux populations opprimées , elles le durent
au clergé. Les catbédrales et les autres grands établisse-
ments ecclésiastiques avaient le privilège de s'attacber des
liommes de la cité qui, sous le nom d'avoués de l'Égl'se,
purent se soustraire à la juridiction du seigneur séculier,
et éviter les charges les plus pénibles.
Quoique la bourgeoisie se fût ainsi constituée peu à peu
à l'aide du clergé et par la puissance de l'association, ce n'est
réellement qu'à dater de l'affranchissement des communes
qu'elle coumiença à compter dans l'État. Il faut bien se
garder, du reste, de confondre les chartes de bourgeoisie
avec celles des communes, qui organisaient de véritables ré-
publiques et portèrent bientôt ombrage à la puissance royale.
Au contraire, les bourgeoisies furent constamment favorisées
par nos rois, qui finirent même par s'attribuer uniquement
le droit d'en créer. Mais ce principe ne fut pas admis sur-le-
champ; la tactique delà royauté fut d'opposer à l'ancienne
bourgeoisie reconnue ou concédée par les seigneurs d'autres
bourgeoisies privilégiées, \a. franchise de bourgeoisie par
exemple, qui non-seulement conférait la libre disposition de
la personne, mais encore des privilèges et des prérogatives
spéciales. En 1215 elle fut accordée à tous les bourgeois
de Paris et à trente et une autres villes du royaume. Les
francs-bourgeois renonçaient au commerce et aux arts
industriels, et jouissaient du droit de franc-fief; ils devaient
prêter serment au prince. Tous ceux qui n'obtinrent pas
ce titre furent réputés manants, et de cette manière la bour-
geoisie simple se trouva discréditée.
Une nouvelle institution de la royauté, la bourgeoisie
personnelle, vint couronner son œuvre. Ce fut, entre ses
mains, une arme terrible contre la féodalité. Voici en quoi
elle consistait : l'habitant d'une cité put sans la quitter, et
sans faire partie d'un corps de bourgeoisie , se soustraire à
l'autorité immédiate et à la juridiction de son seigneur, en
acquérant le titre de bourgeois du roi ou du royaume, qui le
faisait relever directement du roi. Une faible redevance en
nature et la possession d'une maison d'une valeur de
soixante sous de rente suffisaient ordinairement pour obtenir
ce précieux titre. Les bourgeois du roi étaient encore ap-
pelés bourgeois du dehors, ou bourgeois forains par oppo-
sition aux bourgeois des corps de bouigeoisie , appelés
bourgeois du dedans, parce qu'ils n'étaient pas astieints,
comme ceux-ci, à l'obligation d'un domicile réel. Les corps
de bourgeoisie eux-mêmes furent souvent l'objet de la faveur
royale, et purent aussi relever directement du roi. Quant
aux seigneurs dépossédés, jamais ils n'étaient indemnisés;
on se contentait de leur notifier l'affranchissement de leurs
vassaux par le ministère d'un sergent.
[Après avoir exposé les origines et la formation de la classe
bourgeoise au moyen âge, il nous reste à la suivre dans ses
développements successifs. Outre l'appui qu'elle trouva
dans la royauté, diverses circonstances lui vinrent en aide :
d'abord les croisades, qui éloignent les seigneurs les plus
turbulents, les forcent à vendre une partie de leurs privi-
It'ges, et quelquefois l'affranchissement complet de leurs
vassaux ; en même temps les rapports avec l'Orient aug-
mentent le dépôt des ronnaissances, ouvrent des débouchés
à l'industrie naissante, créent la marine, et amènent des rela-
tions commerciaiesentre les diverses nations chrétiennes qui,
rangées sous le même étendard, apprennent à se connaître.
L'émancipation des communes est consolidée par l'éta-
blissement des corporations sous saint Louis. La bour-
geoisie dut à ses corporations des moyens de ralliement, de
résistance à l'oppression; armée disciplinée du travail , le
tiers état forma dans la société générale comme une so-
ciété distincte , ayant ses mœurs , ses lois, ses magistrats ,
presque un gouvernement. La commune était surtout une
association guerrière , née de la révolte légalisée des bour-
geois contre les seigneurs : ce fut dans les mains des rois
une arme terrible et toujours prête /qu'ils pouvaient tourner
ou contre leurs barons révoltés ou contre l'ennemi public.
Suivi de ses fidèles bourgeois, tenant en main l'oriflamme, ce
premier drapeau national, Louis VI repousse sans combat l'Al-
lemand et l'Anglais coalisés; c'est par la valeur des bour-
geois qu'à Bouvines, à Saintes, à Taillebourg, Phi-
lippe-.\uguste et saint Louis sont vainqueurs de l'étranger
ligué avec de grands vassaux mécontents. Sous Philippe le Bel
l'affront de la chevalerie française, défaite par les ribauds
flamands à Couitray, est vengé par la glorieuse victoire de
Mons-en-Puelle, remportée par les troupes des communes.
Ce n'est pas seulement sur les champs de bataille que la
bourgeoisie vient en aide à la royauté; elle lui donne son
or pour fournir aux frais del'ad mini stration, institution
nouvelle de saint Louis et surtout de Philippe le Bel. Dans
une circonstance importante , elle ira jusqu'à lutter en fa-
veur de la royauté , corps à corps , avec la puissa-nce la plus
redoutée de l'époque , la papauté. Lors de la querelle entre
Boniface VIII et Philippe le Bel, celui-ci pour ré-
sister plus sûrement convoqua les états généraux, c'est-
à-dire le clergé, la noblesse et le tiers état ou bourgeoisie.
Les deux premiers ordres, hésitant devant une rupture com-
plète avec la cour de Rome, se contentèrent d'envoyer au
pape une lettre de blâme, que tous ne signèrent pas; la
bourgeoisie, plus dévouée et |tlus indépendante, fit une re-
quête expresse au roi dans laquelle elle déclarait « la sou-
veraine franchise du loyaume, qui ne reconnaît sur la terre
d'autre souverain fors que Dieu «. La participation de la
bourgeoi>ie aux affaires était un premier pas; la politique
royale alla encore plus loin dans une autre institution , l'ano-
blissement : c'était en effet l'anéantissement de la puissance
morale de la noblesse, puisque désormais le mérite ou la fa-
veur pouvait conférer un privilège (^ue la naissance seule avait
7G
BOURGEOIS
pu donner jusque là. C'était l'abaissement de la barrière fa-
tale entre la noblesse et la roture ; du reste, les rois n'u-
sèrent dans l'origine qu'avec une extrême réserve de ce
pouvoir, et presque toujours dans des vues fiscales , comme
jors du fameux affranchissement des serfs sous Louis X. La
fiscalité et l'intérêt de leur puissance, on l'a dit avec raison,
ont été la principale règle de conduite de nos rois.
Les Capétiens direcls avaient grandi avec la bourgeoisie.
Durant cette périodeclleproduitSuger, ministre de LouisVI
et régent sous Louis VU, Etienne Boileau, conseiller de
saint Louis pour les Établissements de ce prince, Guillaume
de Nogaret, et tous les membres des parlements sous Phi-
lippe le Hel. Les Valois suivirent une marche complète-
ment différente : leur rt^gne est Tapogée de la chevalerie.
Mais pour subvenir aux dépenses occasionnées par un faste
tout nouveau , il faut accabler le peuple d'impôts; et tandis
que cette brillante chevalerie se fait décimer à Crécy , à
Poitiers, à Azincourt, et ouvre ainsi la France aux
Anglais, le peuple, au contraire, les bourgeois, comme ceux
de Tournay et de Calais ( 1347 ), de Rouen ( 1418 ), en dé-
fendant le royaume, ville à ville, pied à pied, empêchent
seuls la ruine complète de la France.
Cependant la fiscalité continuait à s'implanter, malgré les
réclamations les plus énergiques des peuples et les ser-
ments, toujours violés, des rois; le mécontentement, augmen-
tant, se changea bientôt en rébellion ouverte. C'est l'époque
des émeutes de Paris, de la Jacquerie, des révoltes du
Languedoc, de la Flandre , de la Bretagne, sous Jean le Bon
et Charles V, des Mai Ilot in s, du marchand drapier roi de
Rouen sous Charles VI; ainsi que des assemblées orageuses
de 1355, 1356, 1357, où se distingue cette grande figure d'É-
tienne Marcel. Les innovations de ce prévôt des marchands
ne tendaient à rien moins qu'à déplacer l'autorité ; c'était
presque l'établissement du pouvoir constitutionnel. « On ne
sait, dit Chateaubriand, où des bourgeois émancipés depuis
cinquante ans seulement avaient pu puiser des notions
aussi claires du gouvernement représentatif, au milieu des
préjugés du temps, de l'obscurité et du chaos des lois. »
Soutenu cnergiqueraent par la municipalité de Paris,
Jilarcel fut un instant le vrai roi : mais les temps n'étaient
pas mûrs; l'intèhigence politique du reste de la France n'é-
tait pas éveillée; quelques hommes seuls, Marcel, Robert
Lecoq, Jean de Pecquigny comprenaient la situation. La
mort ou la fuite de Marcel et de ses principaux adhérents
mit fin à cet informe essai de révolution populaire, qui
n'eut pas de résultat sérieux, mais qui laissa dans le peuple
de Paris une profonde impression de sa puissance et de fé-
conds souvenirs de liberté.
Au milieu de toutes ces vicissitudes, la bourgeoisie gran-
dissait en puissance et en influence ; le conuiierce, l'indus-
trie, véritables bases de sa grandeur future, prenaient chaque
jour de plus grands développements. Déjà on comptait dans
la bourgeoisie des fortunes princières : c'était un bourgeois
enrichi par le commerce, ce Jacques Cœur qui prêtait à
Charles Vil 200,000 écus d'or, et entretenait pendant quatre
ans à ses frais une armée pour expulser les Anglais ; on
peut encore citer les An go de Dieppe et les Anffredy de La
Rochelle. La considération et rinlluence de la bourgeoisie
s'accrurent encore sous Louis XI , compère des bourgeois
de sa bonne ville de Paris, qui se plaisait à s'entourer de
petites gens; mais cette inll\ience n'empêchait pas qu'il n'y
eût une ligne de démarcation bien profonde entre la bour-
geoisie et les deux autres ordres. On peut s'en convaincre
par un document emprunte à l'histoire des états de 14S4.
Un d('piilé tlu tiers, avocat de ïroycs, ayant demandé que
cha(pie ordre payât ses députés, en disant que « ce serait
une grande injustice, indigne du clergé et de la noblesse, de
contraindre ainsi les plus |)auvres à faire l'aumône aux plus
riches, » Philippe de Poitiers, député de la noblesse, ré-
pondit, en traitant cette prétention d'insolente, que le privi-
lège le plus beau et le plus Incontesté des deux ordres était ce-
lui qui leur permettait de défendre le peuple avec ses deniers
et non avec les leurs ; que d'ailleurs les devoirs du clergé '
étaient de prier pour les autres, de conseiller et de prêcher;
ceux de la noblesse, de protéger le pays avec ses armes;
ceux du tiers de nourrir et d'entretenir les nobles et les gens
d'église au moyen des impôts et de l'agriculture !
Le seizième siècle ouvre une nouvelle ère pour la bour-
geoisie ; elle brille du plus vif éclat dans la personne de
Michel rilospital et de son noble et savant cortège, Oli-
vier, Dumoulin, Cuj as, Coquille, Amyot, Mal-
herbe, Agrippa d ' A u b i g n é , puissantes individualités qui,
malgré leur obscure naissance, s'élèvent aux premiers rangs.
« Trois causes, a dit M. Augustin Thierry, dans son Intro-
duction aux monuments inédits du Tiers État, concou-
rent à diminuer pour la haute bourgeoisie l'intervalle qui la
séparait de la noblesse : l'exercice des emplois publics, et
surtout des fonctions judiciaires , continué dans les mêmes
familles et devenu pour elles comme un patrimoine par le
droit de résignation ; l'industrie des grandes manufactures,
qui créait d'immenses fortunes, et ce pouvoir de la pensée
que la renaissance des-lettres avait fondé au profit des es-
prits actifs. En outre, la masse entière de la population ur-
baine avait été remuée profondément par les idées et les
troubles du siècle, les hommes de tout rang et de toute
profession s'étant rapprochés les uns des autres dans la
fraternité d'une même croyance sous le drapeau d'un même
parti. La Ligue, surtout, avait associé étroitement et jeté
pêle-mêle dans ses conseils l'artisan et le magistrat , le pe-
tit marchand et le grand seigneur ; l'union dissoute , les
conciliabules fermés, il en resta quelque chose dans l'àme
de ceux qui retournaient alors à la vie de la boutique ou de
l'atelier, un sentiment de force et de dignité personnelle
qu'ils transmirent à leurs enfants. » '
L'année 1014 vit la dernière assemblée des états; la bour-
geoisie s'y distingua encore, par l'ardeur avec laquelle elle
défendit contre les deux ordres privilégiés les prérogatives
de la royauté, et par le désintéressement dont elle fit preuve
dans l'affaire de la Paul et te, et en offrant d'abolir toute
vénalité dans les charges. C'était dignement terminer sa car-
rière politique. A partir de 1615 la bourgeoisie n'eut plus
pour la représenter que les Parlements, qui, malheureu-
sement , ne surent attacher leur nom à aucune réforme so-
ciale sérieuse ; leur courageuse défense des libertés galli-
canes a seule des droits à notre reconnaissance; encore ne
faisaient-ils que continuer la glorieuse tradition de quelques
rois et des états généraux.
L'abaissement de la féodalité sous Richelieu contribua à
l'élévation de la bourgeoisie ; on peut toutefois reprocher
à ce grand ministre d'avoir, en vue de l'unité politique,
trop étouffé les libertés mimicipales , puissance réelle de la
bourgeoisie; mais il lui rendit un service immense en or-
donnant à l'intérieur du royaume la destruction de tous les
châteaux fortifies, véritables nids de la tyrannie seigneu-
riale. Les troubles de la régence d'Anne d'Autriche enhardi-
rent l'audace des parlements et de la bourgeoisie , et plus
d'une fois la cour dut fuir ou accepter les conditions
des Parisiens mutinés. Par sa politique systématique en-
vers la noblesse , Louis XIV, tout en amenant le triomphe
de la royauté, préparait à son insu celui de la bourgeoi-
sie; Colbert, n'est-ce pas l'avènement de la bourgeoisie au
pouvoir? A cette époque, en effet, sous le rapport de l'éner-
gie morale et intellectuelle, la bourgeoisie est parvenue au
plus haut degré de son développement : quelle bourgeoisie
que celle qui produit en un demi-siècle Colbert, Fouquet,
Louvois, Le Tellier, Corneille , Molière, Pascal, Racine,
La Fontaine, Boileau, Rossuet, Bourdaloue, Arnauld, Ni-
cole, Domat, Fabert, Le Poussin, Lesueur, Le Lorrain , Le
Brun, Perrault, Puget, etc. , c'est-à-dire tous les adminis-
trateurs, les écrivains et les artistes! Aussi Saint-Simon, U
I
BOURGEOIS — BOURGEON
flernier des grands seigneurs, croit-il flétrir dans ses nK^moires
le règne de Louis XIV en l'appelant « le règne de la vile
bourgeoisie » . C'était encore en faveur de la bourgeoisie que
Louis XIV créait l'ordre de Saint-Louis, et Louis XV ce-
lui du Mérite Militaire , institutions presque démocratiques ,
puisque la naissance n'était pour lien dans les conditions
d'admission. Ce beau tableau a malheureusement des om-
bres : la révocation de l'édit de Nantes et les odieuses
persécutions qui la suivirent privèrent la France de plu-
sieurs millions de citoyens qui , grâce à la protection éclai-
rée de Colbert , commençaient à donner un rapide essor à
l'industrie, et qui allèrent porter à l'étranger leurs richesses
et leur habileté déjà proverbiales.
La banqueroute de Law, en bouleversant toutes les for-
tunes et tous les rangs, servit encore la cause de la bour-
geoisie : sous Louis XV la marche ascensionnelle continue ;
c'est dans la bourgeoisie que Louis XV va chercher les objets
de ses passions; aux sœurs de Nesle succède M"*^ Poisson,
plus tard marquise de Pompa d ou r, protectrice des gens
de lettres et des économistes, et artiste elle-même ; grâce à
sa protection, les pliilosophes du dix-huiiième siècle mettent à
la cour le ton libéral à la mode, et achèvent l'éducation po-
litique du tiers état. Après la fille du boucher des Invalides
vint la (ilîe du commis aux barrières, M""" Dubarry. Mais
la bourgeoisie est elle-même un corps privilégié : 1789, en
abolissant les jurandes, les maîtrises, et les autres barrières
qui arrêtaient l'élan de la bourgeoisie, lui ouvre une voie
large et nouvelle vers la considération, la fortune, la puis-
sance publique. La république et l'Empire voient de simples
paysans s'élever par leur courage aux grades les plus élevés :
les Kléber, les Hoche, les Moreau, les Augereau, les Ber-
nadette, et tant d'autres, sont des bourgeois ou des plé-
béiens illustrés par la victoire.
Un instant comprimée sous la Restauration, la bourgeoisie
reprend son expansion puissante après les journées de Juil-
let 1830. Des écrivains éraincnts, de grands publicistessont
chargés des rênes de l'rtat : la plupart sortent des rangs de
la bourgeoisie. L'histoire a déjà nommé le règne du dernier
roi, le règne de la bourgeoisie. Mais le pays était encore
privé de ses droits politiques. La bourgeoisie elle-même
sentait ses rangs trop serrés; le gouvernement tentait de
recréer une aristocratie bourgeoise; sourd à de légitimes
et pressantes réclamations, Louis-Philippe voit une révolu-
tion éclater aux cris de Vive la Réforme ! et bientôt la ré-
publique est proclamée de nouveau. Son premier décret, le
suffrage universel, est le résultat naturel et inévitable de la
progression continuelle de la bourgeoisie; l'égalité politique
venait s'ajouter à l'égalité civile, 1848 complétait 1789. Ce
devait être là l'ère d'un nouvel avenir. Dès lors la bour-
geoisie se confond dans la nation. Parce qu'elle en est la
l)artie éclairée, elle pense un moment ressaisir la puissance.
Les discussions du capital et du travail divisent la bour-
geoisie et le peuple ; diverses circonstances amènent son
triomphe. Elle cherche alors à se reconstituer en créant des
catégories d'électeurs; mais le coup d'État du 2 décembre
1851 vient de nouveau porter une grave atteinte à son
influence en rétablissant le suffrage universel . Pour être forte,
qu'elle se souvienne que sa place est à la tête, à l'avant-
garde du peuple, de la nation, et non à la remorque des
vieux partis! A. Feillet. J
BOURGEOISIE (Droit de). On entend par ce mot
la possession de tous les avantages et privilèges attachés au
fait du domicile et de la résidence. Dans les cantons suisses
et les villes libres d'Allemagne le droit de bourgeoisie équi-
vaut au droit de nationalité; quant aux pays où le droit de
Lourgeoisiene comprend que des avantages municipaux, qui,
par la nature même des choses, varient à l'infini suivant les
localités, c'est plutôt l'usage qu'une loi écrite qui le règle.
Cependant l'on accorde généralement sur ce point que ce
droit n'appartient qu'aux nationaux domiciliés d'origine
I»ir,T. DE LA CONVEKS. — T. III.
Ô77
dans la cité; les auti-es nationaux dotvent subir un temps
d'épreuve, qui habituellement est fixé à une année de rési-
dence lorsqu'il s'agit des droits de petite bourgeoisie, et à
dix années lorsqu'il s'agit des droits de gra7ide bourgeoisie,
lesquels appellent à l'administration même de la ville.
Le droit de bourgeoisie a été conféré quelquefois à des
princes sous la protection desquels les villes voulaient se
placer. C'est ainsi que Louis XI reçut le droit de bourj^ieoisie
des Suisses.
BOURGEON. On nomme bourgeons ces petits corps
ovoïdes, arrondis ou coniques, germes ou rudiments vi-
sibles, mais non développés, des branches, des feuilles et des
fleurs, qui naissent sur la tige proprement dite, à l'aisselle
des feuilles, au sommet des rameaux ou bien au collet des
racines d'un végétal. Ils commencent à poindre en été à l'é-
poque delà grande végétation, et portent alors le nom d'yeux.
Ils grossissent un peu en automne, puis ils restent station-
naircs j)endant l'iiiver , et ne reprennent leur végétation qu'au
printemps, oii ils se gonflent et reçoivent proprement le
nom û&bourgeons. Ces organes sont protégés par des écailles
ou des stipules souvent avortés ; dans les climats septentrio-
naux, ces écailles sont en plus grand nombre, et d'autant
plus serrées qu'il s'agit de résister à un froid plus long et
plus intense ; mais dans les contrées méridionales , dans toutes
les circonstances où les végétaux sont soustraits aux intem
péries de l'air, ces stipules ou folioles n'avortent point; ils
se transforment en feuilles, et le bourgeon, complètement nu
s'allonge ainsi et se développe dans toutes ses parties. Par
son allongement , un bourgeon débranche devient une ^ewne
pousse : on nomme ainsi tout jet ou toute production végé-
tale de l'année, qui n'a point encore acquis toute sa longueur.
On distingue trois sortes de bourgeons , selon les pousses
diverses auxquelles ils doivent donner naissance : r les
bourgeons à feuilles ou à bois, qui ne donnent que des
branches chargées de feuilles, et qui sont allongés et pointus ;
2° les bourgeons à fleurs ou à fruits , courts et arrondis,
qui ne produisent que des fleurs , et que l'on désigne com-
munément par le nom à& boutons ;Z'' les bourgeons mix-
tes, qui donnent à la fois des feuilles et des fleurs, et dont
la forme tient le milieu entre celles des deux classes précé-
dentes. Un jardinier tant soit peu exercé distingue sur un ar-
bre fruitier le bourgeon qui doit produire des fleurs de celui
qui ne produira que des feuilles , ou de celui qui produira
tout à la fois des fleurs et des feuilles.
Les bourgeons radicaux , ou qui naissent du collet de la
plante, ont reçu des dénominations particulières : ceux des
plantes vivaces, qui sont placés ii fleur de terre , comme dans
l'asperge, dont on mange les jeunes pousses, s'appellent
turions, et ceux qui sont soutenains et formés d'écaillés
imbriquées, tels que les oignons des liliacées, portent le nom
de bulbes. Il se développe enfin quelquefois sur les tiges
de certains végétaux de très-petits tubercules et des germes
qui se détachent d'eux-mêmes de la plante qui leur a donne
naissance, et qui sont susceptibles de produire de nouveaux
individus quand on les sème ; cette espèce particulière de
bourgeon porte le nom de bulbille. On divise aussi les
bourgeons &n foliacés, pétiolacés, stipulacés eXfulcracés ,
suivant que les écailles qui entrent dans leur composition
sont des feuilles, des pétioles, des stipules avortés, ou des
pétioles et des stipules à la fois.
Dans la taille des arbres fruitiers il faut distinguer un se-
cond ordre de bourgeons, et appeler /«îta: bourgeon celui qui
perce de l'écorce ; ces sortes de bourgeons sont toujours mai-
gres, poreux, ne sont point assez, élaborés, et il convient
de les supprimer à la taille, à moins que la nécessité n'o
blige de les conserver pour garnir des vides. Le mot bourgeon
est ordinairement accompagné aussi d'une épithètequi dé-
signe la manière dont il est placé sur la branche : ainsi on
l'appelle bourgeon vertical, lorsqu'il est perpendiculaire à
la branche; c'est cette espèce de bourgeon qui fait ce qn'oQ
73
578
BOURGEON — BOURGES
nomme bois gourmand, qui emporte l'arbre, et qui absorbe
une si grande quantité de sève que les autres branches en
sont appauvries et exténuées. Il est absolument nécessaire
lia ne pas les conserver, non plus que les bourgeoyis anté-
rieurs et les bourgeons postérieurs, qui doivent être égale-
ment abattus ; on ne conserve ordinairement que les bour-
geons latéraux , c'est-à-dire ceux qui croissent de droite
et de gauche de la branche.
Bourgeons est aussi le nom d'une espèce de boutons qui
viennent principalement au visage, et dont sont affectées
plus particulièrement les personnes qui font abus du vin et
(les liqueurs fortes , comme si l'on voulait faire entendre
par cette expression qu'elles éprouvent les mêmes influences
que la vigne, et que les sucs dont elles s'abreuvent, sem-
blables à la sévc , ont le pouvoir de pousser des bourgeons.
C'est ainsi que Boileau nous représente la Discorde :
Elle prend d'un \ieux chantre et la taille et la forme,
Elle peint de bourgeons son visage guerrier.
De là aussi l'expression de visage bourgeonné , qui répond
à une autre, beaucoup plus familière, celle de rouge-trogne,
et que l'on applique aux personnes que l'on suppose, d'après
(les indices souvent très-incertains , être livrées à la boisson ,
tandis qu'il est, au contraire, des cas où les personnes les
plus sobres, et qui ne font même nul usage du vin et des
liqueurs, sont soumises à ces affections cutanées, pro-
duites souvent par une irritation chronique, dont la cause
peut varier à l'infini ( voyez Bouton ).
BOURGEONNEMENT. Ce nom usuel désigne le
mode de reproduction par bourgeons, que présentent un
ceitain nombre d'animaux inférieurs et la très-grande ma-
jorité des végitaux connus. On sait qu'on le désigne encore
sous les nomsde génération gemmipare ou degenumparité
et de gemmation. Ce mode, bien étudié chez les plantes,
l'a été beaucoup moins sur les animaux. Les considérations
qui se rattachent à l'étude comparative des bourgeons
animaux et V('gétaux sont devenues pour les physiologistes
modernes un sujet de recherches nouvelles, dont nous par-
lerons à l'article Emehyogéme. L. Laurent.
BOERGERY (Marc-Jean), docteur en médecine,
auteur d'un magnifique ouvrage d'anatomie , naquit à Or-
léans, ea 1796. De médiocres ressources lui donnant hâte
d'exercer son art, il se fit recevoir précipitamment officier
de santé, et fut pendant près de dix années médecin ré-
sident aux célèbres fonderies de cuivre de Roniilly ( Eure ).
Le docteur Héclard l'ayant rencontré dans les courses an-
nuelles de président des jurys médicaux, reconnut en lui
un homme distingué, auquel élaient familières les finesses
môme de l'anatomie. Il chercha en conséquence à l'attirer
vers Paris, et d'abord vers le doctorat, afin qu'il devînt
libre d'aller plus loin et plus haut sans intrusion. 11 était
à peine reçu, qu'il s'occupait avec zèle de la publication de
l'ouvrage d'analomie qui a fondé sa réputation. Après avoir
choisi M. H. Jacob pour dessinateur lithographe, il obtint
l'utile appui de Benjamin Delessert, philanthrope curieux
d'encourager des œuvres remarquables et d'un placement dif-
ficile. Le ministère de l'Instruction publique suivit l'exemple
du baron Delessert, mais avec une efficacité croissante, dès
que M. de Sal vandy fut chargé de la gestion des affaires
scientifiqueset littéraires et rendu maîtrcdes encouragements.
L'ouvrage d'anatomie dont nous parlons réunit le double
et rare avantage d'avoir pour auteur un médecin ami des
arts, qui aurait pu diriger un artiste inexpérimenté , et pour
dessinateur un artiste initié dès longtemps à la science ana-
tomi(iue. Pouvant ainsi s'entrc-éclairer et sachant se com-
prendre, les deux auteurs pensèrent en commun et se
prêtèrent un mutuel appui. Voilà ce qui empreint leur
ouvrage d'une perfection relative à laquelle avant eux per-
sonne encore n'avait atteint, "-^i c; n'est Scarpa pour quelques
rcjjions du corps humain.
Non-seulement Bourgery retrace dans son livre des
muscles etdes ligaments récemment découveils ou retrouvés,
mais il montre avec talent comment les organes s'unissent
et s'isolent par des gaines; ce que les opérateurs doivent
craindre et éviter ; et enfin , les formes vraies que les peintres
ont à représenter quand ils restent fidèles à la nature. L'au-
teur expose en outre la texture intime des membranes,
les rapports des vaisseaux sanguins et des nerfs, et il
insiste beaucoup sur la structure des poumons , qui selon
lui ne renferment aucune cellule, mais sont composés de
canaux partout continus, dont les fines ramifications s'anas-
tomosent en formant d'inextricables labyrinthes.
Cet ouvrage, qui a para par hvraisons depuis 1830 jus-
qu'en 1849, époque où l'auteur mourut du choléra, se com-
posait alors de 80 livraisons in-folio. Il devait en avoir 90.
Le même auteur avait interrompu son grand tiavail pour
en publier un abrégé en 20 livraisons et de demi-grandeur,
sous le titre d'Anatomie élémentaire ( Paris, 1834-1842 ).
Bourgery était chevalier de la Légion d'Honneur et on
l'avait inscrit candidat à l'Institut pour le remplacement du
Baron Larrey. Il avait, quelque temps avant de mourir,
épousé la veuve du docteur Félix Thibert, dont il dirigeait
le remarquable musée d'anatomie imitative. Isid. Bourdon.
BOURGES, ville de France, chef-lieu du département
du C her , située sur le penchant d'un coteau entouré d'une
vaste plaine, au confluent de l'Auron et de l'Yèvre, à 232
kilomètres de Paris. Le chemin de fer du centre la met en
relation avec la capitale. Siège d'un archevêché qui a pour
sufTragants les diocèses de Clermont, Limoges, le Puy,
Tulle et Saint-Flour, d'une cour d'appel, d'un tribunal de
première instance, d'un tribunal de commerce, de la 19* divi-
sion militaire, d'une direction d'artillerie, d'un arrondissement
forestier , Bourges possède , en outre , un lycée , un musée
de peinture et d'antiquités, une bibliothèque de 20,000
volumes, un théâtre, une société d'antiquités , d'histoire
et de statistique, et un séminaire diocésain. Aujourd'hui
siège d'une Académie, Bourges avait autrefois une université
fondée par Louis XI en 1463, laquelle dut longtemps sa
grande célébrité au mérite de ses professeurs , et surtout à
celui de l'illustre Cuj as. Sa population s'élève à 21,670 ha-
bitants.
La stagnation de son industrie manufacturière est prin-
cipalement attribuée à plusieurs incendies qui l'ont ravagée
à diverses époques, à celui de 1487, entre autres, qui dé-
truisit plus de trois mille maisons et porta à son commerce,
alors très-florissant, un coup dont il ne s'est pas relevé.
Les fabricants de drap qui y étaient établis en grand nombre
émigrèrcnt ailleurs, particulièrement à Lyon. On y trouve
cependantencore quelques fabriques de drap, de couvertures
de laine, et de coutellerie estimée. Il s'y tient, en outre, des
foires importantes, où les moutons, les laines, les peaux,
les vins et les chanvres deviennent l'objet de transactions
considérables.
Bourges , qui se divise en vieille et nouvelle ville , était
autrefois entourée d'une épaisse muraille, flanquée de quatre-
vingts tours. Parmi ses édifices, trois seulement offrent de
l'intérêt: l'archevêché , la cathédrale et rh()tel de ville. L'ar-
chevêché renferme dans ses jardins un monument élevé à
la mémoire de Béthune-Charost. La cathédrale, commencée
au neuvième siècle, peut être citée parmi les plus beaux
monuments gothiques de l'Europe ; elle est parfaitement
conservée , et l'on admire surtout la richesse de sculptures
qui ornent son portail ; l'iKJtel de ville enfin est l'ancienne
maison de Jacques Cœur, argentier de Charles VII j que
Colbertcéda, en 1079, an maire et aux échevins de Bourges.
Les cheminées représentent des tours et des portes de villes,
gardées par des guerriers, et les murs sont couverts de
coquilles et de cœurs sculptés avec une délicatesse mer-
veilleuse. On conserve dans l'intérieur un portrait de
Bourdaloue, né dans celte ville, que l'on assure avoir été «
i
BOURGES — BOURGOGNE
peint par lui-même. C'est le siège du Palais de Justice. Une
liante cour de justice y tint ses séances en 1849 pour juger
les prévenus de l'attentat du 15 mai 1848.
Si Ton en croit Ïile-Live , cent trente-neuf ans avant la
fondation de Rome et six cent quinze ans avant notre ère ,
cette ville, une des plus anciennes des Gaules, aurait joué
un rôle important sous le nom iVAvaricum. C'est de
Courges que partirent, pendant qu'y régnait Ambigat, les
deux grandes émigrations gauloises, conduites par les chefs
Bellovèse et Sigovèse. Lors de la conquête de la Gaule
par les Romains, elle était la capitale des Bituriges Cubi.
Battu parles légions romaines, Vercingétorix ayant
pris le parti de biiiler les cités et les moissons pour ne lais-
ser aux vainqueurs que des déserts, céda aux prières des
habitants à^Avaricum, et en confia la défense à des hommes
d'élite ; mais leur résistance désespérée ne put empêcher
César de s'en emparer ; les vainqueurs en massacrèrent tous
les habitants. Subjuguéedepuis cetteépoquepar les Romains,
Bourges prit sous Auguste le titre de métropole d'Aquitaine,
et devint la résidence du préfet de cette province. Les Vi-
sigoths s'en emparèrent, en 475; mais après la bataille de
Vouillé elle se soumit volontairement à Clovis. Devenue
alors la capitale de la province désignée depuis sous le nom
de Berry, elle en suivit les destinées, et eut à soutenir
plusieurs sièges remarquables. En 762 Pépin le Bref s'en
rendit maître après une longue résistance. Les Normands à
leur tour la prirent en 878, et la pillèrent. Elle eut sous les
rois francs ses comtes et vicomtes particuliers, qui finirent
par la convertir en fief héréditaire , sous la mouvance des
ducs d'Aquitaine.
C'est dans cette ville que Charles Vil, au commencement
de son règne, pendant que les Anglais étaient maîtres de
Paris, transporta sa résidence et le siège du gouvernement.
En 1562, les protestants, sous les ordres du duc de Mont-
gommery, s'emparèrent de Bourges, et s'y livrèrent aux plus
grands excès ; survint ensuite une armée royale, qui exerça
d'atroces réactions. La Châtre, qui y commandait pour laligue,
se soumit, en 1594, à Henri IV, et lui rendit la ville et la
Grosse Tour. Les protestants s'en emparèrent de nouveau, en
1615 ; et le maréchal de Montigny la reprit l'année suivante.
Lorsque Louis XIV y entra solennellement, il fit, sur la de-
mande des habitants , raser la forteresse de la Grosse Tour.
Cette ville a vu se réunir dans ses murs sept conciles,
sans compter l'assemblée du clergé oii fut décrétée, en 1438,
la Pragmatique sanction. Ellefutaussi le siège deplusieurs
assemblées d'états généraux , en 1316, sous Philippe le
Long, en 1422, sons Charles VII, roi sans royaume , en 1435,
sous le même ; et le dauphin, les princes du sang, les grands
du royaume assistèrent à celle-ci. Sous Louis-Philippe,
Bourges servit de résidence au prétendant d'Espagne don
Carlos, retenu en France par raison d'État. Dès l'époque
gauloise , Bourges était en possession d'un ateUer moné-
taire, qui a été supprimé en 1838.
BOURGES (Armes de). On dit d'un ignorant assis
dans un fauteuil : Il représente les armes de Bourges. L'o-
rigine de ce proverbe se trouve dans un manuscrit latin de
la Bibliothèque du Vatican. On y lit que , pendant le siège
de Bourges, Vercingétorix commanda à un capitaine,
nommé Asinius Pollio, de faire une sortie sur les troupes
de César; celui-ci, ne pouvant conduire lui-même ses sol-
dats au combat , parce qu'il était incommodé de la goutte ,
y envoya son lieutenant; mais une heure après, comme
on vint lui dire que cet officier lâchait pied , il se fit porter
dans une chaise aux portes de la ville, et anima tellement
les troupes par ses discours et par sa présence, qu'elles re-
prirent courage , se retournèrent contre les Romains, et en
tuèient un grand nombre. Une si belle action fit dire qu'A-
siniiis dans sa chaise avait autant contribué à la défaite
de l'ennemi que les armes de ses soldats. Quoique le mot
armes ne signifie point armoiries, et qu'il y ait de la «liffé-
579
rence entre les mots asinius et asimts, on n'en a pas moins
dit asinus in cathedra ( un âne dans un fauteuil ), et l'on
a pris , par dérision , cet âne pour les armes de Bourges.
Mais les véritables armes de cette ville sont d'azur, à trois
moutons d'argent, accomés de sable, colletés de gueules
et clarines ( ayant des clochettes ) d'or, passant sur une
terrasse de sinopie, à la bordure engrêlée de gueules, ayant
de plus, enfin, un chef d'azur, chargé d'abeilles sous l'Em-
pire, et de Heurs de lis sous la Restauration.
BOURGMESTRE , mot composé de deux termes al-
lemands , bûrger, bourgeois , et meister, maître ou protec-
teur. En Belgique , en Hollande, en Allemagne , le bourg-
mestre est un magistrat qui remplit des fonctions analogues
à celles de nos maires ; il est chargé de la police , de l'ad-
ministration des deniers de la commune , quelquefois même
de la justice. En temps de guerre il distribue les logements,
organise et surveille les hôpitaux militaires. Au reste, les at-
tributions de cette magistrature ne sauraient être précises ,
car elles varient presqu'à chaque pas, surtout en Allemagne,
sillonnée d'une foule d'États grands et petits : ici des
royaumes avec ou sans constitution ; là des villes indépen-
dantes , dont les unes sont régies par des lois imprégnées
des idées modernes , les autres par des coutumes nées de la
féodalité : d'où il suit que les attributions des bourgmestres
sont modifiées sans cesse, soit par la forme du gouverne-
ment, 'soit par l'esprit des locaUtés.
La morgue, l'ignorance, la sottise des bourgmestres,
comme celle des baillis, ont souvent défrayé les auteurs co-
miques de tous les pays ; et le bourgmestre deSaardam, sous
les traits de Potier, a fait rire autrefois le public parisien.
BOURGOGNE, ancien pays de France, qui, s'appelant,
suivant les époques, royaume ou duché, a également varié de
limites et d'étendue. Dans sa plus grande extension il compre-
nait tout le-bassin du Rhône ; resserré dans ses bornes les plus
étroites, en 1789, il avait pour limites au nord la Champagne
à l'est la Bresse et la Franche-Comté , au sud le Beaujolais,
et à l'ouest le Bourbonnais et le Nivernais. Ainsi circons-
crite, la Bourgogne correspond aujourd'hui à la plus grande
partie des départements de la Côte-d'Or, de Saône-et-
Loire, et à de petites fractions de ceux de l'Yonne, de
l'A u b e , de l'A i n , et de la N i è v r e. Les pays qu'efie com-
prenait sur un territoire de 2,597,698 hectares , étaient le
Dijonnais, l'Autunais , le Châlonais, le pays de la Montagne,
l'Auxois, l'Auxerrois, leCharolais, le Maçonnais, le Bugey,
la principauté de Dombes et le pays de Gex. La capitale de
cette province était D ij on, et les villes principales Auxerre,
Autun , Auxonne, Châlons-sur-Saône , Màcon et Bourg.
Le sol de cette contrée est fertile, et produit en abondance
des grains, des fruits, et surtout des vins renommés ( voyez
plus loin ). Ce fut, du reste, toujours la principale branche du
commerce de la Bourgogne ; mais la consommation générale
n'en a profité que depuis la vente des biens ecclésiastiques :
jusque là ces vins avaient appartenu à de riches commu-
nautés religieuses , qui ne les livraient point au commerce.
Les laines lurent longtemps aussi une autre branche con-
sidérable de l'industrie bourguignonne ; depuis plus de cin-
quante ans, ce sol si fertile s'est couvert de récoltes de
toute nature, et l'industrie y a fait d'immenses progrès. On
y compte de nombreuses et grandes usines, beaucoup de
forges et de fabriques.
Les anciens Bourguignons, Burgundi ou Burgundiones,
race d'origine germanique, habitaient jadis les rives de la
Vistule et de l'Oder et occupaient le territoire qu'on désigne
de nos jours sous le nom de Nouvelle-Marche, ainsi que la
partie méridionale de la Prusse occidentale. Plus avancés
dans la civilisation que les autres tribus de la même race,
ils s'étaient réunis dans des bourgades ( et c'est de là que
leur est venu leur nom); ils y cultivaient les arts méca-
niques; presque tous les instruments de bois, de fer et de
cuivre dont les Germains faisaient usage, soit dans leurs
73.
580
BOURGOGNE
maisons, soit à la guerre, avaient été fabriqués par les Bour-
guignons. Aussi les autres nations teutoniques les méprisaient,
et protendaient que des gens qui consentaient à passer leur
\ie dans des souterrains, le marteau ou la pioche à la main,
ne pouvaient pas être aussi libres ni aussi vaillants qu'eux.
Malgré cela, les Bourguignons se faisaient respecter de leurs
voisins ; d'après le portrait que nous a fait d'eux Sidoine-
Apollinaire, les Bourguignons étaient des hommes de six à
sept pieds de haut , vêtus de peaux de bétcs et considérant
la liberté comme le bien su[)réine; leurs rois, dès longtemps
électifs, étaient destitués dès qu'ils avaient éprouvé des re-
vers à la guerre.
La grande invasion des peuples scythiques contraignit les
Bourguignons à émigrer à l'ouest, sous le règne de Va-
lentinien ( 36'i-:$75). Ils anivèrent sur les bords do la
tjaaie, où ils rencontrèrent les Alemans , avec lesquels ils
se trouvèrent bientôt en état d'hostilité et en lutte ouverte
pour la possession des mines de sel. Plus tard, ils se répan-
dirent sur les rives du Rhin, du Neckar et du Kocher, et,
entraînés dans le grand courant créé par les migrations des
Alains, des Suèves et' des Vandales, ils pénétrèrent, vers
l'an 407 de noire ère, sous les ordres de leur roi Guudi-
caire, au nombre d'environ 80,000 hommes, dans la Gaule
romaine, où ils se fixèrent entre l'Aar et le Rhône. Un fait
bien remarquable, c'est la rapidité avec laquelle ils se con-
vertirent au christianisme. Après s'être fait instruire pen-
dant sept jours consécutifs dans les dogmes de cette reli-
gion nouvelle, peu de temps après leur entrée en Gaule, ils
furent baptisés chrétiens le huilième, et conformément aux
dogmes do l'arianisme. Lors de leur établissement en Gaule,
qui eut lieu du consentement des Romains, chaque Bour-
guignon, homme libre, reçut la moitié de la ferme romaine
qui lui fut assignée pour demeure , les deux tiers de la terre
mise en culture et un tiers des esclaves qui s'y trouvaient.
Quant aux forêts, elles restèrent indivises. Les Romains, loin
de se plaindre de cette spoliation, surent gré aux Bourgui-
gnons de les avoir traités en frères et d'avoir garanti leurs
l)ersonnes et leurs propriétés. De tous les barbares c'étaient
assurément ceux dont le joug était le plus doux, et, en rai-
son de la douceur de leurs mœurs , ils se coufondirent
pronq)tement avec le peu[)le vaincu.
Le premier royaume de Bourgogne subsista de l'an 407 h
l'an 534, au milieu de guerres extérieures et de luttes inté-
rieures continuelles, tantôt sous l'autorité d'un seul chef,
tantôt en reconnaissant jusqu'à quatre, qui résidaient dans les
villesdeLyon, de Genève, de Besançon etde Vienne, centres
de leur puissance. Leur roi Gundicaire fut le premier, qui, à
la tête d'une armée de 10,000 hommes, essaya d'arrêter
Atlila dans sa marche victorieuse, lorsqu'en 451 il descendit
d'Allemagne dans les Gaules en portant par tout le fer et
le feu. Le Bourguignon fut vaincu, et périt glorieusement
avec tous les siens. La merveilleuse légende des Nibe-
lungen nous fait une magnifique description de ce grand
désastre. Chilpcric succéda à Gundicaire, son père (4G3-
491). Il fut tué avec ses fils par son frère Gondebaud;
mais sa fille C 1 o t i 1 d e épousa Clovis, roi des Francs. Gonde-
baud lit rédigeretpublierdans sesÉtatsuncodcdeloisqui prit
son nom, lex Gimdebdlda, loi Gombette. Il embrassa
l'arianisme à psui près dans le temps oii les iM'ancs se con-
vertissaient à la foi catholique, tandis que ses deux fils, qui
régnèrent successivement après lui, Sigismoud (51c-52;5) et
Gondemar (5?,3-532), acceptèrent la foi catholique. La
guerre qui éclata bientôt après entre les Bourguignons et les
rois fiancs Childebert et Clotaire mit fin au royaume de
Bourgogne.
Il convient de regarder comme une seconde dynastie de
rois Bourguignons les princes de la dynastie mérovingienne
qui obtinient en partage le royaume de Bourgogne. Le |)re-
mier I u t G 0 n t r a n , petit-lils de Clovis, qui établit sa résidence
à Chàlons-sur-Saône, vers l'an.ôG l . Il cessa de régner en 593.
Deux autres princes de la race franque Childebert II et
Thierry U portèrent encore , de 593 à 613 , le titre de rois
des Bourguignons. Pendant toute cette période la nation
n'obéit réellement que de nom aux I^rancs; elle conserva ses
lois, ses usages, ses magistrats et son aristocratie puissante,
(jui contrebalançait le pouvoir du souverain et qui finit par
se substituer à lui quand arriva la domination des maires du
palais et le règne des rois fainéants.
Quand la dynastie des Carlovingiens alla s'affaiblissant
toujours davantage , la Bourgogne reconquit son indépen-
dance. Un comte du pays, Boson de Vienne, beau-frère
de Charles le Chauve, excité par l'ambition de sa femme,
réussit à se faire élire par les seigneurs réunis en diète à
.Montaille, et devint ainsi roi du royaume bourguignon,
qu'on désigna sous le nom de royaume rf'i4r/e5, parce que
cette ville était la résidence habituelle de Bo.son, ou encore
Bourgogne Cisjurane, à cause de sa situation près du Jura.
En 882, Boson, pour régner en paix, reconnut tenir son
royaume à titre de fief de Charles le Gros; mais il ne fut
pas aimé de ses peuples, parce qu'il ne sut pas s'opposer
aux incessantes usurpations de pouvoir des seigneurs. A la
mort de Boson, arrivée en 887, la faible reine Irmengarde se
trouva l'unique appui de son fils mineur, Louis, lorsque
l'empire franc fut partagé après la déposition de Charles
le Gros, et que le seul droit reconnu était celui du plus fort.
C'est ainsi que le duc Rodolphe,, de la maison des Guelfes,
fils du comte Conrad et neveu du roi de France Hugues
Capet, jusque alors gouverneur de la Lorraine etde l'Hel-
vétie jparvint à prendre rang parmi les nouveaux souverains
qui surgirent à cette époque en France, en Allemagne et ea
Italie, et à devenir roi de la Haute-Bourgogne ou de la
Bourgogne Transjurane. Situé à l'est du Jura, ce royaume
comprenait la Franciie-Comté, la Suisse en àeqà de la ileuss,
le Valais et une partie de la Savoie. Rodolphe , lui aussi ,
chercha à se consolider dans la possession de ce nouvel État
en se reconnaissant le vassal de l'empereur Arnoul. Il eut
pour successeur, en 912, son fils Rodolphe II.
A la même époque se constitua sur les frontières de la
Fi anche-Comté un troisième État bourguignon, le dtiché
de Bourgogne.
En 933, Rodolphe II réunit à la Bourgogne Transjurane
le royaume d'Arles , que le comte Hugues lui abandonna
en échange de la souveraineté de l'Italie. Jamais encore le
nom bourguignon n'avait été environné de tant d'éclat;
mais sous le monarque suivant, Conrad le Pacifique, le
royaume souffrit beaucoup des irruptions des Hongrois,
sortis de Rhétie, et de celles des Arabes, venus des côtes méri-
dionales de la France, non moins que des usurpations des
seigneurs, qui mettaient à profit les troubles du temps pour
commettre toutes espèces de brigandage et pour dévaster le
pays dans leurs guerres privées. La crainte et la haine
que lui inspirait la noblesse portèrent Rodolphe III, suc-
cesseur de Conrad, à désigner pour son héritier Henri II,
fils de sa sœur Gisèle, dans l'espoir de trouver en ce prince
un défenseur dévoué. Henri II étant mort sans enfants, en
l'an 1024, le Franc Conrad II, quand il fut devenu empe-
reur, chercha à faire valoir ce droit d'héritage, en invoquant
les rapports de suzeraineté qui avaient constamment
existé entre l'Allemagne et la Bourgogne. Après de nom-
breux combats, livrés auv piu'ssants comtes du pays qui s'é-
taient déclarés en faveur des proches parents de Rodolphe,
le duc Ernest H, mort en 1030, et Odon 11, mort en 1037, il
finit parfaire triompher ses prétentions ; et quand la branche
niAlc de la maison de Bourgogne s'éteignit eu la personne de
Rodolphe 111, en 1032, il les transmit à son fils Henri III,
qui, eu 1()3S, fut élu et couronné roi de Bourgogne à la
diète de Soleure et du consentement des seigneurs. C'est
vers celte époque que les archevêques et les évêques de
Bourgogne, pour pacifier le pays, ravagé et désolé par de
continuelles guerres privées, inslituèient solennellement à
BOURGOGNE
581
Romont, dans le pays de Yaud, la trêve de Dieu, treuga
Dei, qui fixait certains jours où il était absolument délendu
à un chrétien de se servir d'armes quelconques contre «n autre
chrétien , loi dont plus tard Conrad appliqua toutes les dis-
positions à l'Allemagne.
A partir de ce temps la Bourgogne fit toujours partie in-
tégrante de l'Empire, et eut ses propres gouverneurs hé-
réditaires. Les états de Bourgogne reconnurent l'empereur
pour leur suzerain, et prirent part aux assemblées des princes
et des seigneurs allemands. Mais en même temps ils mi-
rent à profit toutes les occasioiis favorables pour affaiblir
les liens qui les rattachaient à TEmpire, et aussi pour ac-
croître leurs droits et leurs privilèges. L'énergique Fré-
déric 1"' parvint bien à rétablir encore une fois la souverai-
neté impériale sur la Bourgogne, et en 1178 il se lit même
couronner à Arles; mais après la chute des Hohenstaufen
l'influence de l'Allemagne sur la Bourgogne alla toujours en
s'affaiblissant davantage, de même que les liens qui ratta-
chaient les unes aux. autres les diverses parties du royaume
devenaient de plus en plus relâchés. Aussi après la mort
de Charles IV, le dernier empereur qui, en 1304, se fit
couronner à Arles , la Bourgogne se divisa-t-elle en un
certain nombre de petits États indépendants; et, à l'excep-
tion de la Savoie et de Montbéliard, qui conservèrent encore
leurs anciens rapports avec l'Empire d'Allemagne, ces divers
Etats ne tardèrent-ils point à être successivement absorbés
par la France.
Le duclié de Bourgogne, fondé par Richard, comte d'Autun,
l'un des frères de Boson, eut les mêmes destinées. Ce beau
pays fut d'abord appe\é Basse-Bourgogne, fuis Bourgogne.
A la mort de Richard, son duché passa à sou fils, Rodolplie,
couronné plus tard roi de France a Soissons , et qui mourut
en 030, sans laisser de descendance, l'ar suite du mariage de
la petite-fille de Richard, Ludegarde, avec le frère du roi
de France, Hugues Capet, Henri, qui déjà possédait une partie
de la Bourgogne , toute la Basse-Bourgogne se trouva de
nouveau réunie sous les lois du même souverain. Après ce
dernier le duché de Bourgogne fut pendant trente ans réuni
à la couronne de France (1002-1032).
La seconde dynastie des ducs de Bourgogne commença
en la personne de Robert, dit le Vieux, fils du roi Robert et
(rère de Henri l", le troisième des Capétiens, qui le lui donna,
non en simple apanage, mais pour en jouir en toute pro-
priété et passer àses successeurs, héritiers et aijant-cause.
Celte seconde dynastie gouverna le duché de Bourgogne
trois cent trente ans avec une autorité presque indépendante
de la couronne. « C'était, dit Sismondi, le temps de la plus
grande puissance de l'autorité féodale , et les rois, mal obéis
dans leurs propres domaines, ne l'étaient point du tout par
leurs grands vassaux. H est «ai que ceux-ci, à leur tour,
ne l'étaient point du tout par leur noblesse. Dijon de-
vint la capitale de la Bourgogne, et c'était dans cette ville
que se réunissaient les états, composés de trois ordres. Dans
celui du clergé siégeaient les quatre évèques d'Autun, Cliâ-
lons , Màcon et Auxerre , plusieurs abbés , dont le premier
était celui de Cîteaux , les doyens et les députés des chapi-
tres ; tous les gentils-hommes possédant fief ou arrière-fief en
Bourgogne entraient dans la chambre de la noblesse; des
députés nommés par les villes, au nombre de cinquante-
huit, formaient celle du tiers état. » Cette dynastie fit jouir
la Boui'gogne d'une grande prospérité, et produisit douze
ducs : Robert l"'! 1032-1075), prince violent et farouche, qui
assassina son beau-père, et fut obligé pour ce crime de faire
un pèlerinage à Rome; Kr.gues r' (1075-1078), qui se fit
moine à l'abbaye deCluny; Eudes l*-"'', surnommé Borel( 1075-
IIOS ), qui alla guerroyer en Espagne et en i'alestine; Hu-
gues il, dit le Pacifique ( 1 108-1142 ) , fidèle aUié de Louis le
Gros contre les Anglais et les Allemands ;Eudesll (1142-1 162),
à qui l'on attribue une expédition en Portugal, très-contes-
table; Hugues Ul (111*2-1 102) : ce prince s'embarqua pour
la Terre Sainte ; mais une tempête le força de renoncer à son
expédition ; il seconda Louis le Jeune contre le comte de Châ-
lons, et reçut en récompense une partie de ses domaines; il
fit ensuite la guerre aux comtes de Nevers et de Vergy ,
prêta secours au jeune Henri Court-Mantel contre le roi
d'Angleterre Henri II, son père, et accorda une charte de
commune à la ville de Dijon en 1187 ; il prit part à la troi-
sième croisade en Asie ; Eudes III (1192-1218), instrument
dévoué de la poUtique de Philippe- Auguste, et qui se croisa
contre les Albigeois ; Hugues IV ( 1218-1272 ), roi titulaire de
Tliessalonique , qui se croisa deux fois; Robert II (1272-
1309); Hugues V (1309-1315); Eudes IV (1315-1349), qui
hérita des comtés d'Artois et de Bourgogne à la mort de la
reine Jeanne, sa belle-mère, et fit la guerre de Flandre ; et,
enfin, Philippe de Rouvre, douzième et dernier duc de la pre-
mière race capétienne ( 1349-1361 ). Celui-ci étant mort sani»
postérité, le roi de France Jean se mit en possession du
duché, en qualité de plus proche héritier dans la ligne mas
culine; mais le comté, reconnu fief féminin, passa de
nouveau à une femme. Ce prince ne tarda point à rétablir
lui-même la dignité de duc de Bourgogne; en 1303 il en
investit son fils cadet ,PhilippeleHardi,en même temps
qu'il lui concédait cette province à titre de fief.
Philippe devint le fondateur de la nouvelle ligne des ducs
de Bourgogne, et c'est avec son règne que commence la
plus brillante époque de la Bourgogne au moyen âge. Le
commerce, l'industrie et les beaux-arts atteignirent en Bour-
gogne pendant cette période un degré de prospérité auquel il
n'y avait rien à comparer dans les autres pays, et la richesse
ainsi que le bien-être des populations en furent le résultat.
En 1369, Phihppe épousa Marguerite, qui avait été fiancée
au duc Philippe, de l'ancienne maison de Bourgogne, la fille
unique et l'héritière de Louis 111, comte de Flandre, et par
ce mariage il accrut encore ses États de la Flandre, de Ma-
lines, d'Anvers et de la Franche-Comté. Lorsque éclata la dé-
mence du roi de France Cliarles VI, Philippe fut nommé
administrateur du royaume, de préférence au propre frère
du roi, Louis, duc d'Orléans, qui conçut dès lors contre
lui une haine implacable. C'est sous ce prince que s'éleva la
faction des Bourguignons, dont le nom signale l'époque
des premières guerres civiles de la France.
Quand Philippe mourut en 1404, laissant des dettes im-
menses, Jean sans Peur, son fds, lui succéda comme duc
de Bourgogne ; mais la régence du royaume fut alors confiée
au duc d'Orléans. Dès ce moment les deux cousins restèrent
ennemis implacables jusqu'au moment où ils se réconci-
lièrent et s'embrassèrent sous les murs de Montfaucon , à la
vue de leurs armées respectives, prêtes à en venir aux mains.
La nuit suivante, les deux princes , en gage de la sincérité de
cette démonstration , couclièrent dans le même lit. Cepen-
dant en 1407 le duc «d'Orléans périt assassiné près de la
rue Barbette à Paris ; et le duc Jean de Bourgogne avoua
avoir été l'instigateur de ce crime, qui provoqua en France les
plus déplorables déchirements. En effet, le parti du duc
d'Orléans ne finit point avec lui : Bernard, comted'Arma-
g n ac , beau-père du nouveau duc d'Orléans, se mit à sa tète ;
et la France se trouva partagée entre les Bourguignons et
les Armagnacs. Le duc Jean obtint bien du roi des lettres de
pardon ; mais il expia le meurtre dont il s'était rendu cou-
pable, en périssant lui-même traîtreusement frappé sur le
pont de Montereau ( 1419), au moment où il s'apprêtait à
donner une nouvelle représentation de la scène d'une récon-
ciliation pubUque avec le dauphin. Philippe, comte deCha-
rolais, surnommé le i?0H , son fils et successeur, réussit à
venger l'assassinat de son père en faisant exclure le dauphin
du traité de paix conclu à Troyes avec l'Angleterre par
la France et la Bourgogne. Nous ne suivrons pas ici les
phases de la conquête anglaise et de la guerre civile; nous
rappellerons seulement que, le 21 septembre 1435, le duc
Philippe se détacha des Anglais. Parle traitéd'Arras il lU
582
une paix particulière avec Charles VII, dont il accepta les
réparations pour le meurtre de Jean sans Peur. Il obtint en
même temps des districts importants du territoire français,
notamment Màcon, Saint-Gengoult, Auxcrre et Bar-sur-
Seine, Péronne, Montdidier, Royes, Saint-Quenlin, Corbie,
Amiens, Abbeviile. l'onlliicii. noiillt-ns, Siiiiit-Riauier Ar-
leuxet Mortagne, ainsi que le comté de Boulogne, pour
lui et ses héritiers. Jl avait eu précédemment avec Jacobée
de Brabant et son second mari , le duc de Gloucester, une
querelle qu'avait terminée un traité en vertu duquel Philippe
était déclaré héritier de Jacobée, si elle ne laissait point d'en-
fants, et qui enlevait à cette princesse le droit de se rema-
rier sans son consentement. Toutefois Jacobée avait enfreint
en 1430 cette dernière clause, et Philippe s'en était auto-
risé pour s'emparer de ses États, le Hainaut, la Hollande et
la Zélande, en lui faisant une modique pension. Après avoir
acheté Namur, en 1429, il devint encore maître du Brabanl et
du Limbourg, à l'extinction de la descendance d'Antoine de
Bourgogne , second fils du duc Philippe le Hardi.
Sonfds, Charles le Téméraire, ainsi que Ta surnommé
l'histoire, lui succéda (1467-1477). 11 fut l'un des princes
les plus puissants de l'Europe. En 1473, il ajouta encore à ses
États les Gueldres et Zutphen; mais il périt, en 1477, dans
«ne bataille qu'il livra aux Suisses sous lesmursdeNancy.
Son héritage , que les historiens ne désignent que sous le
nom de duché de Bourgogne, passa à sa fille unique,
Marie, qui, entre les sept rivaux qui s'étaient disputé sa
main, avait donné la préférence à Max imi lien d'Au-
triche, prince aussi beau que chevaleresque. Le roi de
France Louis XI n'obtint de l'héritage de Bourgogne que
les villes situées en Picardie , ainsi que le duché de Bour-
gogne, à titre de fief tombé en quenouille. Marie mourut dès
l'année 1 482 , âgée de vingt-cinq ans à peine , des suites d'une
chute, après avoir donné à son époux trois enfants, Phi-
lippe , Marguerite et François. Ce dernier survécut peu à sa
mère.
Après la mort de Marie , Maximilien prétendit aussitôt se
saisir des rênes du gouvernement, comme tuteur de ses en-
fants ; mais une partie des provinces dont se composait le
cercle de Bourgogne, nouvellement formé, s'opposèrent à
ce projet. C'est en Flandre surtout que la résistance se
montra vive et opiniâtre ; et Maximilien se trouva même
pendant trois mois prisonnier des Flamands, à Bruges. Ils
finirent cependant par le reconnaître en qualité de tuteur de
son fils Philippe et de régent (1489). Ce fils étant mort
adolescent , la possession de ces provinces passa plus tard
à Charles-Quint. Ce prince organisa le cercle de Bourgogne ,
réserva les droits, privilèges et libertés des villes et des états,
et en confirma la réunion à l'Empire. Il embrassait alors le
Brabant, le Limbourg,le Luxembourg, laGueldre, lal"landre,
'Artois, la Bourgogne ( celle-ci seulement nominalement), le
llainaiit , la Hollande, la Seelande, Namur, la Frise, Utrecht,
Overyssel, Grœningue, Maestricht, etc. Mais la France s'em-
para successivement de différentes portions de ce cercle, en
même temps que les Pays-Bas du nord se rendaient indépen-
dants et agrandissaient leur territoire ; d'où résulta une so-
lution de continuité pour le cercle de Bourgogne, qui forma
dès lors deux parties séparées. Elles échurent à la mort de
Charles II, roi d'Espagne, à la branche allemande de la
maison d'Autriche, et lui demeurèrent jusqu'à la Révolution.
Le cercle de Bourgogne se composait alors du Brabant,
du Limbourg, du Luxembourg et d'une partie de la Flandre,
du Hainaut, de Namur et de la Gueldre ; il forme aujour-
d'hui, avec une portion du territoire hollandais, le royaume
de Belgique.
Quant au duché de Bourgogne, son histoire se confond
avec celle de la France depuis la mort de Marie. Aux termes
<lu traité de Madrid, François 1*"^, pour recouvrer sa h-
herté, céda de nouveau, il est vrai, tout le duché de Bour-
gogne à l'empereur Charlos-Qumt ; mais les états de Bour-
BOURGOG^E
gogne décidèrent que le roi n'avait pas eu le droit de
disposer de leur pays ; et François \" lui-même déclara à
son tour que son engagement était nul, parce qu'il était le
résultat de la contrainte. L'empereur Charles-Quint dut en
conséquence renoncer, par le traité de paix signéàCambrai
en 1529, à faire valoir ses prétentions sur le duché de Bour-
gogne. En 1493, notre roi Charles VIII avait cédé à Maxi-
milien une partie importante de la Bourgogne, la Franche-
Comté , que Louis XIV, aux termes de la paix de Nimègue,
fit restituer à la France. Depuis lors ces deux parties de
la Bourgogne n'ont plus été séparées de la France.
Deux princes de la maison de Bourbon ( voyez ci-après) ont
porté depuis le titre purement honorifique de duc de Bour-
gogne. Consultez Barante, Histoire des Ducs de Bourgogne
de la maison de Valois ( lO vol., Paris, 1824).
BOURGOGIVE (Duc et duchesse de). Louis, duc de
Bourgogne, petit-fils de Louis XIV , né à Versailles , le 6
août 1682, marié en 1697 à la princesse Adélaïde de Savoie,
devenu dauphin de France à la mort de son père, Louis,
connu sous le nom de grand dauphin, mourut la même
année, en 1 7 12. Voltaire a dit peu poétiquement de ce prince :
Ilélas! que n''eût pas fait cette âme vertueuse :
La France sous son règne eût clé trop heureuse;
Il eut cDtrctenu l'aboodance et la paix,
Il eût compté ses jours par ses bienfaits.
C'est ce qu'on a dit de Titus, mort jeune comme le duc de
Bouigogne, avant que l'enivrement de la puissance l'eût
porté à démentir les beaux commencements de son règne ,
lui dont la première jeunesse avait été si terrible. Ce juge-
ment paraîtra peut-être choquant à beaucoup de personnes ;
car toutes les fois qu'on nomme le duc de Bourgogne , c'est
à qui entonnera le tu Marcellus eris , et le proclamera le
plus bel ouvrage de Fénelon. Malheureusement une lecture
attentive de tout ce qui a été écrit sur ce prince ne tarde
pas à prouver le contraire. Bossuet n'avait fait du fils de
Louis XIV qu'un ignare, ennemi des livres, ami du repos,
concentré dans les plaisirs de la matière, en un mot une
médiocrité inerte. Avec une inconcevable vivacité d'esprit,
avec beaucoup de science et de mots dans la tête, l'élève de
Fénelon eût été, de plus que son père, une de ces médiocrités
actives, qui font d'autant plus de mal qu'elles visent à la
capacité. Au surplus , ce n'est ni par les libelles ni par les
panégyriques contemporains qu'il faut le juger. Pour l'ap-
précier convenablement, il n'est pas de meilleure autorité
que Fénelon, son précepteur, et le duc de Saint-Simon, le
premier dans ses écrits et sa correspondance , le second dans
ses mémoires. « Ce prince, dit Saint-Simon, naquit terrible,
et sa première jeunesse fit trembler : dur et colère jusqu'aux
derniers emportements, et jusque contre les choses inani-
mées; impétueux avec fureur, incapable de souffrir la
moindre résistance, môme des heures et des éléments , sans
entrer dans des fougues à faire craindre que tout ne se
rompît dans son corps ; opiniâtre à l'excès, passionné pour
toute espèce de volupté, et des femmes , et , ce qui est rare
à la fois, avec un autre penchant tout aussi fort. Il n'aimait
pas moins le vin, la bonne chère, la chasse avec fureur, la
musique avec une sorte de ravissement, et le jeu encore, où
il ne pouvait supporter d'être vaincu, et où le danger avec
lui était extrême; enfin, livré à toutes les passions et trans-
porté de tous les plaisirs, il était souvent farouche, natur&!-
iement porté à la cruauté , barbare en railleries et à produire
les ridicules avec une justesse qui assommait. De la hau-
teur des cieux, il ne regardait les hommes que comme des
atomes, avec qui il n'avait aucune ressemblance, quels qu'ils
fussent. A peine messieurs ses frères lui paraissaient-ils in-
termédiaires entre lui et le genre humain. ><
L'éducation d'un pareil prince n'était pas facile ; mais le
duc de Beauvilliers , secondé par Fénelon, par l'abbé de
Fleury, et même par Moreau, premier valet de chambre,
<^/ort au-dessus de son état, sans se méconnaître, ob-
BOURGOGNE
583
serve Saint-Simon, travaillèrent sans relâche à corriger cet
etTra^ant naturel ; puis, Dieu aidant, quand le prince eut at-
teint sa dix-huitième année, l'œuvre fut accomplie, et de cet
abîme sortit un prince affable, doux, humain, modéré, patient,
modeste, pénitent, et autant et quelquefois au delà de ce que
son état pouvait comporter, humble et austère pour soi. »
Le cardinal de Bausset, dans la Vie de Fénelon, entre dans
de grands détails sur l'éducation du duc de Bourgogne; il
nous montre combien de patience et d'habileté il fallut à
l'archevêque de Cambrai. Il nous apprend que l'éducation
littéraire du jeune prince fut facile et profitable, trop profi-
table peut-être, puisque Saint-Simon va nous révéler que
son amour pour la science et pour en causer axait fait un
lourd et ennuyeux pédant de l'héritier du brillant et majes-
tueux Louis XIV. Quand à l'éducation morale, ce fut pour
faire la guerre à chacun des défauts de son élève que Féne-
lon composa ses Fables et ses Dialogues, qui offrent une
frappante moralité. « Presque toutes, dit le biographe, se
rapportaient à un fait qui venait de se passer, et dont l'im-
pression encore récente ne lui permettait pas d'éluder l'ap-
plication : c'était un miroir dans lequel il était forcé de se
reconnaître, et qui lui offrait souvent des traits peu flatteurs
uour son jeune amour-propre. » Si l'ingénieux Mentor cher-
che à lui inspirer plus de douceur, il suppose « que le soleil
veut respecter le sommeil d'un jeune prince pour que son
sang puisse se rafraîchir, sa bile s'apaiser ; pour qu'il puisse
obtenir la force et la santé dont il aura besoin, et je ne sais
quelle douceur tendre qui pourrait lui manquer. » S'il
veut l'excfiter à mettre plus de soin dans ses compositions
et dans son langage, il le peint lui-même sous la figure du
jeune Bacchus, dont un Faune moqueur relève toutes les
fautes. « Comment oses-tu te moquer du fils de Jupiter?
dit le dieu enfant. — Et comment le fils de Jupiter ose-t-il
faire quelque faute? répond le Faune. » Enfin, dans la fable
du Fantasque, si connue , car c'est un des beaux morceaux
de notre langue, le duc de Bourgogne était obligé de lire la
fidèle histoire de toutes ses inégalités et de tous ses empor-
tements. Fénelon, dans cette partie de sa tâche, appela par-
fois La Fontaine à le seconder. Quelques-unes des dernières
fables du Bonhomme oni été composées pour l'instruction et
l'amusement du royal enfant. Bien plus, la fable du Chat
et de la Souris fut mise en vers par La Fontaine, après que
le fabuliste de huit ans lui en eut donné le titre. Le duc de
Bourgogne , dans la dernière maladie du vieux poète qui
a-vàit mangé son fonds avec le revenu, lui envoya cin-
quante louis.
Sans doute il est facile de-croire que Fénelon, en ornant
si bien l'esprit de son disciple, parvint, de temps à autre,
à lui inspirer une bonne action, un heureux mouvement;
mais quant à modifier, à améliorer du tout au tout ce cœur
sorti si mal fait des mains de la nature , c'est ce qui est
plus difficile à croire. Il faut se méfier de ces conversions si
promptes, si complètes; elles ne sont plus de mise, même au
théâtre. Si Néron, pour le bonheur du monde et pour son
propre honneur, fût mort au bout de quelques mois de rè-
gne, que de belles choses n'aurait-on pas débitées sur les
prodigieux effets de l'éducation à lui donnée par Sénèque
et Burrhus ! Mais laissons le duc de Saint-Simon lui-même
apporter aux déclamations que plus que personne il a con-
tribué à répandre sur le duc de Bourgogne, un correctif ir-
récusable : c'est un document publié pour la première fois
dans l'édition complète et authentique de ses Mémoires, due
à son descendant le marquis de Saint-Simon. 11 a pour titre :
Discours sur monseigneur le duc de Bourgogne, du 25
mai 1710, adressé à M. le duc de Beauvilliers , qui
me l'avait demandé. Dans ce discours, Saint-Simon, en
relevant tout ce qu'on disait à la cour et dans le public, tant
en i)ien qu'en mal, sur le duc de Bourgogne, fait la part du
vrai et du faux, et montre le fort et le faible de son caractère.
Cette pièce est d'autant plus précieuse, que le prince avait alors
vingt-neuf ans, et qu'il était ce qu'il devaîtêtre toute sa vie.
C'est là qu'on entrevoit le germe d'un monarque bien appris,
sans doute, de religion, de science et de morale, mais à l'es-
prit rétréci par cette même dévotion qui a neutralisé ses
passions vicieuses et ses affreux penchants. Joignez à cela
que, bossu et contrefait sans le croire, le duc de Bourgogne
n'a aucune dignité dans son maintien ni dans ses habitudes,
qu'il répète sans cesse des refrains d'enfant , qu'il aime à
étouffer des mouches dans l'huile, à faire fondre de la cire,
à remplir de poudre des crapauds vivants , pour jouir de
l'explosion du malheureux animal ; en un mot, dit Saint-
Simon , que nous ne faisons qu'extraire , « il lui échappe au
dehors trop de mouvements peu dignes de l'âge et du rang, »
et cela même quand il alla à l'armée. Violemment épris
de la duchesse de Bourgogne, il lui prodiguait en public ses
caresses, soit qu'il ne put maîtriser sa passion, soit que, dans
son orgueil royal, il regardât les gens qui l'entouraient comme
d'une espèce trop inférieure pour se gêner devant eux. Il
ne se plaisait que dans la société de la duchesse et de ses
femmes , jeunes, vives, folâtres comme leur maîtresse , et
qui, dans leurs ébats entre elles, prenaient le prince pour
plastron et pour sujet de leurs plaisanteries irrespectueuses,
ce qui scandalise foit Saint-Simon.
« L'arrangement des journées est tel dans monseigneur,
ajoute le confident du duc de Beauvilliers, qu'on ne peut
pas contester que sa vie ne s'écoule dans son cabinet ou
parmi une troupe de femmes, chose d'autant plus surpre-
nante , qu'il n'y était pas porté par ses plaisirs , assiduité
parmi les femmes qui n'apprend rien et use .cependant un
temps précieux, et sert de barrière à cette connaissance des
hommes si essentielle à un prince. « Plus loin, Saint-Shnon
blâme sa trop grande complaisance pour l'étude des scien-
ces et pour le plaisir d'en parler, ce qui, dans le langage
d'un courtisan respectueux, équivaut au reproche de pédan-
tisrae. Il voudrait que, moins assidu dans son cabinet, il
n'occupât sa solitude qu'à la lecture de l'histoire et des li-
vres qui se rapportent à l'art de gouverner les hommes; il
voudrait qu'il mît plus de grâce et d'abandon avec ses en-
tours; que sous ce rapport il imitât la ducliesse de Bourgo-
gne ; qu'il sût garder un milieu entre la gravité et la bonté,
entre la roideur et la liberté des privautés et des familia-
rités trop usurpées. Mais c'est surtout la futilité des conver-
sations du jeune duc qui inspire à Saint-Simon des craintes
pour son avenir de roi ; « une trop scrupuleuse piété est chez
le prince, dit-il, la source de ce défaut : elle met sa langue
et ses oreilles dans de continuelles entraves, et son es-
prit dans une pénible contrainte. Sa frayeur de blesser son
prochain en quoi que ce soit, ou d'y donner occasion, va jus-
qu'à une terreur que les supérieurs des plus saintes mai-
sons regarderaient comme dangereuse en eux pour le simple
et petit gouvernement dont ils se trouvent chargés. »
A côté de toutes ces citations, relaterai-jelc jugement que
porte du même prince l'auteur inconnu des Caractères de
la Famille royale et des Ministres d'État (1706). « Le
prince, dit-il, paraît d'un air grave, sombre, atrabilaire, d'un
tempérament violent et d'un vif à n'être jamais content de
ceux qui l'approciient. Sa fierté l'emporte souvent mal à pro-
pos. Le temps nous le dévoilera, ce qui nous fait suspen-
dre notre pinceau. » L'histoire nous montre ce jeune prince
dans les camps -. il fut gi'-néralissnne de l'armée d'Allemagne
en 1701, et de celle de Flandre en 1702. Avec ce titre pom-
peux donné à son rang auguste, il recevait les ordres du
général véritablement investi de la confiance du roi. Il prit
part à un combat de cavalerie, près de Nimègue, et n'y fit
pas trop mauvaise contenance : en 1703 on lui fit honneur
de la prise de Brisach par capitulation. En somme, il don-
nait beaucoup plus matière à vanter ses vertus chrétiennes
que ses vertus guerrières : quand il s'agissait de combattre
et d'avancer, on le trouvait à l'église. Il se désola d'être
ol)ligé d'établir son quartier général dans un couventde filles.
!,S4
BOURGOGr^E
Cette dévotion déplacée nuisait au respect qu'il eût dft ins-
pirer aux officiers et aux soldats : aussi un de ses menins
eut-il la franchise de lui dire : « ÏSlonseigneur, je ne sais si
vous aurez le royaume du ciel ; mais pour celui de la terre,
le prince Eugène et jMarlborougli s'y prennent mieux que
vous. » C'est encore dans Saint-Simon qu'il faut lire les dé-
tails des différents séjours du duc de Bourgogne à l'armée.
Au travers de mille réticences, on y entrevoit la vérité, et
sur le courage équivoque, et sur les habitudes inconvenantes
du jeune prince, et sur la cabale puissante que du vivant du
dauphin, son père, il avait soulevée contre lui. Profondément
jaloux de son fils, le grand dauphin était secrètement l'âme
de cette cabale; mais aussi pourquoi Louis XIV , qu'on pré-
tend s'être si bien connu en hommes, donnait-il pour mentor
militaire au légitime, prudent, cliaste et dévotieux dur. de
Bourgogne le caustique, Timlévot duc de Vendôme, petit-liis
piir bâtardise de Henri IV PC'était de la part du grand roi ex-
poser le sien aux mortiJicalions humiliantes dont il fut si
complètement la victime pendant les campagnes de 1703, et
que sa manière d'être, niaise, décousue , inconvenante, ex-
plique en quelque sorte, si elle ne les justifie pas. Depuis lors
Louis XIV n'envoya plus son petit-fils à l'armée.
De retour à Versailles , le duc de Bourgogne parut plus
gauche , plus bizarre, plus renfermé en lui-raôrae que ja-
mais. C'est durant cet intervalle que Saint-Simon l'ha-
billa si bien dans le discours que nous avons cité. A la mort
«lu dauphin, le duc de Bourgogne devint, après le roi, la
première personne de l'État : Louis XIV, qui avait toujours
l«nu son fils à une distance respectueuse, donna à son petit-
liis part au gouvernement ; les ministres eurent ordre de
travailler avec lui : ce fut à la cour une véritable révolution.
On trouve dans la nouvelle édition des Mémoires de Saint-
Simon les détails les plus minutieux et en même temps les
plus curieux sur cette époque du règne de Louis XIV. Dès
ce moment les défauts du duc de Bourgogne disparaissent
aux yeux de ce parti de ducs, dévots, presque jansénistes,
surtout fort entichés des prérogatives nobiliaires : tous ces
intrigants avec prud'hommie entourent le jeune prince , et
s'emparent de sa confiance. Sous les auspices de Beauvil-
liers, Saint-Simon a des conférences fréquentes et secrètes
avec le nouveau dauphin : Saint-Simon devient à son tour
son mentor politique; et il faut voir dans les Mémoires de
ce duc, discrètement ambitieux, combien auraient été inap-
plicables les théories gouvernementales qu'on lui mettait dans
la têtet Au milieu de ces captations, le pauvre prince paraît
plus effrayé du fardeau qui est retombé sur lui, que capable
de le porter avec énergie.
Toutefois, on ne peut nier qu'il ne se fût occupé de pro-
jets estimables : on cite de lui quelques mots populaires :
le pauvre peuple devait , selon lui, être quelquefois con-
sulté. Peut-être, s'il eût régné, eût-il songé à convoquer les
états généraux : il voulait même y joindre des états particu-
liers pour asseoir l'impôt ; des élections libres dans les trois
ordres auraient renouvelé ces différents corps, et des con-
vocations périodiques auraient assuré leur vitalité. Telle est
la substance des projets qu'il méditait, dit-on, que Louis XIV
trouva dans la cassette de son petit-fils, et que, d'une main
chagrine , il livra aux flammes. Sans doute il faut louer ces
vues nobles et pures; mais leur utilité, leur efficacité, eût
dépendu de leur mode d'exécution , et à cet égard une lec-
ture attentive (\(t?, Mémoires de Saint-Simon peut donner à
penser que le duc de Bourgogne eût tout perdu en voulant
concilier avec ces mesures jiopulaires le dessein bien arrêté
<le rendre à la noblesse toutes ses prérogatives. La Provi-
dence , qui devait si cruellement châtier dans l'inoffensif
Louis XVI l'exécution maladroite de projets populaires, la
Providence, qui depuis la révocation sacrilège de l'édit de
Nantes semblait avoir abandonné la France, en laissant
Louis XIV atteindre les dernières limites de la vie, cette
Providence prit du moins en pitié le duc de Bourgogne de-
venu dauphin : il mourut à trente ans, laissant à la France,
qui le jugeait d'après Fénelon , son instituteur, des regrets
qui se sont perpétués depuis cihq générations. Quelques
jours auparavant la duchesse de Bourgogne et le duc de
Bretagne avaient expiré : le même char funèbre traîna vers
Saint-Denis le père, la mère et leur fils aîné. Le duc d'Or-
h'ans, depuis régent de France, et la duchesse de Berri, sa
fille, furent accusés d'avoir réuni ces trois personnes royales
dans un même empoisonnement. L'histoire a fait justice de
ces soupçons; mais on conçoit facilement qu'épouvantés de
tant de morts prématurées, rapprochées, les contemporains
aient pu admettre un moment ces sinistres rumeurs. Saint-
Simon lui-même attribue la mort de la duchesse de Bour-
gogne à une tabatière empoisonnée donnée par un certain
duc, qu'il ne nomme point.
Un mot sur cette aimable princesse, qui a été aussi peinte
à ravir par Saint-Simon. C'est elle qui amusait par ses sail-
lies la vieillesse de Louis XIV, qui déridait la dévotion sé-
rieuse de madame de .Maintenon , et qui s'ébattait avec le
jeune duc de Richelieu, de telle façon que cet adolescent,
prédestiné aux faveurs des altesses royales, fut trouvé sous
le lit conjugal delà princesse. Elle fut aussi regrettée, celle qui
Eut le don d'agréer infus avec la vie,
selon l'heureuse expression de La Fontaine ; et s'il était pos-
sible d'admettre que la bonification du naturel farouche de
son époux eût été aussi réelle que le prétend Saint-Simon ,
on pourrait croire que les charmes de cette adorable femme
auraient eu autant de part à ce miracle que la grâce d'en
haut et les efforts de l'archevêque de Cambrai. Le duc de
Bourgogne l'avait tendrement aijnée. Il lui confiait tout, di-
sent ses biographes, hors les secrets de l'État. Dans une oc-
casion où elle redoubla ses instances pour le pénétrer, il lui
répondit par ces vers d'une chanson en vogue :
Jamais mon cœur n'est qu'à ma femme.
Parce qu'il est toujours à moi.
Elle a le secret de mon âme,
Quand il n'est pas secret du roi.
Les princes sont trop heureux qu'on admire dans leur
bouche de semblables fadaises, ou bien malheureux qu'on
les leur prête! Voltaire, qui ne loue jamais que par esprit
d'opposition , ne pouvait sous Louis XV manquer de faire
l'éloge du duc de Bourgogne, père de ce monarque : il a dit
quelque part : « JNous avons, à la honte de l'esprit humain,
cent volumes contre Louis XIV, son fils, monseigneur le
duc d'Orléans, son neveu, et pas un qui fasse connaître les
vertus de ce prince qui aurait mérité d'être célébré s'il
n'eût été que particulier. » Ce regret était peu flatteur pour
le père Martineau, confesseur, et pour l'abbé Fleury, sous-
précepteur du jeune duc, qui s'étaient chargés, dès 1712
et 1714, de ce soin, dans deux ouvTages, complètement
oubliés aujourd'hui , ayant pour titre l'un les Vertus, l'autre
Portrait de Louis de France, duc de Bourgogne. Si tout
ce qui se trouve dans ces deux panégyriques est vrai , Vol-
taire avait raison sous un rapport : car le duc de Bourgogne
y est dépeint comme un béat plus digne de la couronne de
moine que de celle de roi. Mallieureusement rien n'autorise
s croire que ces ecclésiastiques aient pu faire un portrait peu
ressemblant d'un prince qu'ils avaient approché de si près.
Après eux, l'abbé Proyart a composé dans le même style
une vie très-volumineuse de ce même duc de Bourgogne.
C'est là qu'il (aut voir quelle singulière figure aurait faite ce
prince à côté de souverains tels que Frédéric de Prusse ,
Georges I", I\larie-Théièse, Ganganelli, et au milieu du
siècle littéraire des Voltaire, des Duclos, des Montesquieu ,
des Diderot, des d'Alembert, des Jean-Jacques! Oui, Proyart
et ses devanciers ont fait de ce prince une espèce de roi Ro-
bert. Avec ses passions ardentes et farouches, il eût été
pire encore; car après tout le roi Robert était im bon
homme, et même un fort savant homme ; l'usurpateur Ca-
BOURGOGJNE
5s:
pet, son père, lui avait dcnué pour précepteur uu homme qui,
eu égard au siècle, valait bien Feuelon : c'était le fameux
Gerbert, pape depuis sous le nom de Sylvestre, et si docte
que ses contemporains le réputaient sorcier et fils du diable,
à peu près comme Bossuel et son intolérante cabale répu-
taient Fénelon hérétique et impie.
Pour terminer cet article, qui choquera, il faut s'y at-
tendre, plus d'une opinion reçue , mais qui ne craindra pas
sous le rapport de la vérité une critique consciencieuse,
faut-il résumer toute notre pensée sur le duc de Bourgogne,
qui a trouvé grâce même devant la plume philosophique de
Lemontey? .\nimé dune dévotion sombre, bien diflérente de
celle de son précepteur, sévère à lui comme aux autres, il
n'eût pas sans doute laissé tout aller sous son sceptre, comme
son lils, ce bon Louis XV, qui, doucement enivré de chasse,
de bonne chère et de femmes, disait : Apres moi le déluge!
mais son ngne eut été l'ère des intrigues et des persécutions
de sacristie, des prétenfons nobiliaires, des sacrifices sans
utilité, des économies sans discernement, de la paix à tout
prix. Entendait-il en eflét i'tconomieen prince, celui qui se
refusait un bureau neuf et une tenture propre dans son ca-
binet? Était-ce un homme capable de soutenir avec dignité
le caractère de la France en Europe , celui qui à l'armée
avait souffert que Vendôme lui manquât personnellement.'
Enfm, dans tout ce que nous avons lu sur le duc de Bour-
gogne, et plus encore ciiez ses panégyristes que chez ses dé-
tracteurs, nous avons vu l'étoffe d'un monarque à renver-
ser, tout vilement et tout à plat, l'ouvrage imposant, mais
fragile, de la monarchie de Louis XIV. Quand nous nous
figurons sur le trône le duc de Bourgogne, si pénitent, si
bien rempli de moralités placides et de rêveries poUtiques ,
nous nous rappelons involontairement Voltaire, qui, se riant
des utopies feneloniennes , renvoie à sa ^e/iYe i^^a^'we cet
excellent citoyen, qu'il appelle monsieur du Télémaque.
Nous nous sommes quelquefois demandé pourquoi, dans un
de ses contes leî plus amusants, le naïf Perrault avait choisi
pour héros ce Riquet à la Houpe, qui, malgré sa bosse,
avait je ne sais quel air noble et giacieux qui sentait son
prince d'une lieue à la ronde? C'était encore une flatterie
adressée au duc de Bourgogne.
Le dauphin fils de Louis XV eut également pour fils un
duc de Bourgogne, frère aine de Louis XVI, de Louis XVUI
et de Charles X. 11 mourut à onze ans : c'était un enfant
prodigieux, si l'on en croit les écrits officiels du temps et
son élégant panégyriste Lefranc de Pompignan.
Charles Du Rozom.
BOURGOGNE (Canal de). La pensée première de
cette grande voie de navigation, qui devait faire d'une de
nos plus belles provinces le centre du commerce de la France
avec Fetranger, remonte au seizième siècle. Déjà à cette
époque on avait compris le parti qu'il était possible de
tirer, dans les intérêts du commerce et de l'industrie , des
grands cours d'eau de la Bourgogne qui se déversent dans
le Rhône, la Loire, la Seine et la Meuse. La jonction des
deux mers par la Bourgogne fut arrêtée dans le conseil de
François V , mais lesta à l'état de simple projet jus-
qu'en lOOG. Un arrêt du conseil fixa alors la hgne de navi-
gation : 1° de Dijon à Saint-Jean de Losne pr.r l'Ouche;
2" de Piougemont a FYonne. Ce plan laissait une lacune
entre Rougemont et Dijon. On l'abandonna, et d'autres furent
présentes en 1612 , 1632 et 1G42, ayant pour objet la réu-
nion de la Loire à la Saône par l'étang de Long-Pendu.
Tout semblait promettre une prochaine et rapide exécution ;
des marches même avaient été passés. Le comte de ^ilaillé
on 1G4S, M. de Choiseul en 1665, munis l'un et l'autre d'une
autorisation du conseil pour la construction d'un nouveau
plan absolument différent, furent tous deux écartés par de
nouvelles lettres patentes de Louis XIV, datées de la même
année 1665. Le projet de jonction par l'iHang de Long-Pendu
fut repris. De nouvelles lettres patentes de 1G99 pour le
DICT. DE L\ COSVERS. — T. IIJ.
même objet , mais sur un autre plan , avaient été accordées
au comte de Roussy. Il eut le sort de ses prédécesseurs,
MM. de .Maillé et Choiseul. L'achèvement du canal du Midi,
opéré sur une ligne plus étendue en moins de seize années
et d'une exécution beaucoup plus difficile, était pourtant
déjà en pleine activité. Le projet du canal de Bourgogne
paraissait donc abandonné, quand un mémoire de M. de
La Jonchère le signala de nouveau à l'attention du public et
du gouvernement.
Jamais jusque alors projet d'établissement public n'avait
donné lieu à ime polémique aussi passionnée. Les auteurs de
certains mémoires publiés à celte occasion avaient fait leurs
preuves, quelques-uns avaient même dirigé les travaux da
canal du Midi. L'intervention de Vauban semblait devoir
mettre un terme à ces débats stériles ; il avait appuyé de
toute l'autorité de son talent et de son nom le projet par
l'étang de Long-Pendu. Le grand ingénieur mourut trop
tôt , et le régent chargea Thomassin , ingénieur du roi , re-
commandé par Vauban lui-même, des opérations de détail.
Enfin , l'un des plus habiles ingénieurs du canal de Lan-
guedoc, Abeille, et d'autres non moins distingués, furent
appelés, ceux-ci par l'intendant, ceux-là par le prince de
Bourbon , gouverneur de la province , d'autres enfin par les
ministres. L'.\cadémie de Dijon mit, en 1762, la question
au concours en ces termes : « Déterminer relativement à la
province de Bourgogne les avantages et les désavantages
du canal projeté pour la communication des deux mers par
la jonction de la Saône et de la Seine. » Le prix fut dé-
cerné à Dumorey, ingénieur de la province. Tous ces mé-
moires , tous ces plans , furent demandés par le ministre
Bertin. Il sont restés dans les cartons ; à peine quelques tra-
vaux étaient-ils en voie d'exécution lorsque la révolution
éclata. Cette période orageuse, ces longs débats entre les
ministres , les parlements et les états provinciaux, la guerre
d'Amérique, expliquent, sans la justifier, l'excessive lenteur
des premiers travaux. Un dernier plan de M. Antoine avait
réuni tous les suffrages ; une pétition de ce même ingénieur
à r.Assemblée nationale, en 1791, itour \e parachèvement
du canal de Bourgogne, nous apprend que cet habile ingé-
nieur n'avait pas été plus heureux.
Trois siècles se sont écoulés depuis la conception pre-
mière de ce projet, et le canal destiné à joindre la Médi-
terranée et l'Océan au moyen de la Saône, du Rhône, de
rVoune et de la Seine , a vu vers la fin de 1 S32 reprendre
avec activité ses travaux, qui ont été achevés en 1S34. La
dépense faite peut être évaluée à 40 millions. La longueur
du canal de Saint-Jean de Losne à La Roche est de 242,572
mètres. Il y a 189 écluses, dont douze à deux sas. Le bief
de partage, situé à Pouilly , est de 199 mètres au-dessus du
niveau des basses eaux de la Saône et à 299 mètres 54 cen-
timètres au-dessous de l'Yonne. Ce bief, œuvre d'art re-
marquable, a 6,100 mètres de développement, dont 3,300
en galerie souterraine traversant une montagne. Le canal
de Bourgogne offre maintenant au commerce une Tgne de
navigation intérieure de plus de 1300 Lilomètres, du Havre à
Marseille. Dcfev (de l'Yonne).
BOURGOGNE (Vins de). Les vins de la Bourgogne
sont, si cela peut se dire, d'un tissu moins fin, moins
soyeux et moins transparent que les vins de Bordeaux;^
mais ce tissu a plus de solidité , plus de richesse. Le Bor-
deaux est , si l'on veut , un velours précieux et magnifique ;
l'autre est du pur cachemire. Quant aux espèces, elles sont
peut-être encore plus nombreuses pour la Bourgogne que
pour la Guyenne ; mais toutes soutiennent mieux , par l'in-
contestable'distinction des crûs, la noblesse de leur com-
mune origine. La Bourgogne ne connaît point la médio-
crité ; cependant , là encore on trouve des degrés du bon
au meilleur. Quant au pire, aucun vin de cette contrée ne
peut être ainsi désigné , pas rnème celui de Joigny , d'A-
vallon ou de Tonnerre. Il existe toutefois de grandes diffé'
74
586
rentes entre les vins de l'AuxeiTois , ceux du Maçonnais et
ceux du Dijonnais ou de la liaute Bourgogne. Quoiqu'on dise
et que la chimie semble proiiver que les vins de Cordeaux
fiont plus alcooliques que ceux de la Bourgogne, cepen-
dant «es derniers sont plus généreux , plus corpulents et
plus toniques. Ils ont des effets plus sensibles sous un
même volume , et ils supportCiit beaucoup mieux l'eau du
baptême. Un verre de simple vin de Màcon , s'il est vieux et
d'une heureuse année , s'il provient des crûs de Torrins ou
de Moulin-à-Vent , a certes plus d'action sur les forces vi-
tales, plus d'influence effective sur l'estomac et sur le cœur
qu'une bouteille entière d'un Médoc sans nom patrony-
mique et sans noblesse.
Tout le monde connaît les grands crûs de la Bourgogne.
Les plus célèbres , sans nous assujettir ici à une nomencla-
ture complète et méthodique , sont ceux de Volney , de
Pomard, de Nuits , de Mercurey , de Beaune, de Ri-
chebourg, de la Romanée, de Corton , du Clos-Vou-
geot, de Chambertin, de Vosne, etc. Le Romanée est
en Bourgogne à peu près l'équivalent de ce qu'est le Laf-
litte à Bordeaux , de même que le Clos-Voiigeot d'une con-
trée représente à peu près le Çhâteau-Margaux de l'autre.
Mais il faut remarquer que les qualités du Clos-Vougeot
déclinent depuis qu'on a tenté d'en fertiliser la vigne par
des engrais artificiels. Pour les bons vignobles, une heu-
reuse exposition , un beau soleil et de francs cailloux va-
lent mieux que tous les engrais du monde, vinssent-ils d'une
riche abbaye. Indépendamment du crû et du climat, ces
excellents vins peuvent encore différer selon la culture et
selon l'exposition , selon la beauté du ciel et de la saison,
selon la chaleur et la précocité : la saveur et la sève en
sont tout autres, selon qu'ils sont de première ou de
deuxième cuvée. La prompte et parfaite maturité du raisin
a surtout la plus grande influence sur la qualité des vins.
Il est reconnu que les vins gagnent à vieillir, pourvu que
la vieillesse n'aille point jusqu'à la décrépitude , qui anéantit
toute force et toute vertu. Un vin vert ou jeune est peu
salubre. Mais si à une première année de futaille le vin de
Bourgogne joint une ou deux années de bouteille, alors il
devient sain et bienfaisant. Puis , si l'on veut que la cave
lui confère toutes les qualités que comportent son origine,
son espèce et sa nature, il faut que cette cave soit vraiment
souterraine, qu'elle soit à l'abri des intempéries, loin des
commotions et du bruit; il faut qu'elle soit pleinement
voûtée et à parois inébranlables , afin que le vin , stratifié
dans des cases bien circonscrites et irmaobiles, puisse y re-
poser dans une paix profonde. On doit s'appliquer à em-
piler les vins, principalement ceux de la Bourgogne, plus
amis d'un repos parfait, loin de la rue, loin des portes co-
chères et des remises , si l'on veut donner carrière à ses
facultés si cordiales.
A l'égard des vins blancs , le Bordelais ne possède guère
que ceux de Grave , de Barsac et de Sauterne, tandis que la
Bourgogne compte parmi les siens celui de Meursault (qui
ne doit pas trop vieillir), celui de Montrachet, celui de
Chablis, dont la limpidité est irréprochable et la saveur
pénétrante; celui de Pouilly , dont le bouquet est moins
pur et plus complexe. 11 est d'autres vins blancs, moins re-
nommés, qui, comme celui de Tonnerre, sont malheuren-
gement employés à faire concurrence au vin de Champagne
mousseux, grûce à l'intervention du gaz acide carbonique, ce
grand complice de fraudes innombrables. D"^ Isid. Bourdon.
BOURGOGNE (Bibliothèque de). On appelle encore
ainsi un dépôt de manuscrits conservés à Bruxelles. Celte
bibliothèque est formée d'un grand nombre de manuscrits
précieux et magnifiquement excutés qui ont appartenu aux
princes des maisons de Bourgogne et d'Autriche, et de
beaucoup d'autres, moins somptueux, mais peut-être d'un
usage plus utile, lesquels i)rovieiinent de diverses maisons
religieuses, ou ont été achelés autrefois par l'Académie, et
BOURG OGINE
depuis par le gouvernement, sous le règne de Guillaume 1".
Philippe le Bon avait beaucoup augmenté la librairie de
ses prédécesseurs. Voici ce qu'on lit dans le prologue de la
Chronique inédite de ISaples , écrite en 1443 par David
Aubert , natif de Hesdin : « A cestr.i présent volume este
grosse et ordonne pour le mettre en sa librairie ou autre-
ment et nonobstant que ce soit le prince sur tous autres ,
garny de la plus riche et noble librairie du monde, si est
il moult enclin et désirant de chascun jour l'accroistre
comme il fait; pourquoi il a journellement et en diverses
contrées giands clercs , orateurs , translateurs et escripvains
à ses propres gages occupez » Raphaël de Marcatel, son
fils naturel , hérita de ce goût si digne d'un prince , et la
bibliothèque de Gand en fournit encore aujourd'hui la
preuve. Maximilien , surnommé sans argent, engagea pour
se procurer des fonds ses livres les plus rares et d'autres
joyaux , car alors les livres étaient désignés aussi sous ce
nom. Sa fille Marguerite d'Autriche , la gente damoiselle ,
tâcha de réparer ces pertes. Malgré ses efforts, la librairie de
Bourgogne sous Charles-Quint fut presque réduite à rien.
Ce fut , on le croira peut-être difficilement , le terrible Phi-
lippe II qui , vers l'époque des troubles du seizième siècle,
en ordonna le rétablissement. Après la mort des archiducs
Albert et Isabelle, elle fut de nouveau négligée , et les vic-
toires des Français sous Louis XV et la république ache-
vèrent de l'anéantir. Néanmoins, dans l'intervalle, et sous
l'administration éclairée du comte de Cobentzel , elle était
en quelque sorte sortie de ses ruines. L'année 1815 com-
mença pour l'histoire des lettres en Belgique une ère nou-
velle ; depuis lors cette bibliothèque n'a fait que s'accroître.
Les curieux y admirent un magnifique missel qui a ap-
partenu à Mathias Corvin , roi de Hongrie, et dont l'abbé
Chevalier a donné la description; une traduction en français
de Jacques de Guy-se, La Fleur des Histoires, La Toison-
d'Or de Guillaume Fillastre, ainsi qu'une foule d'autres
manuscrits, enrichis de miniatures superbes, et qui révèlent,
sinon le pinceau, du moins l'école de Van Eyck et de
Memling. Plusieurs hommes célèbres ont rempli les fonc-
tions de gardes de la librairie ou de gardes-joyaux de
Bourgogne : tels furent Jean Molinet, Jean Le Maire,
Agrippa, Viglius, Aubert Le Mire. Cette collection célèbre
n'a fait que s'augmenter sous le nouveau gouvernement
belge, et bien des savants l'ont mise à contribution. La reine
Louise a donné à la bibliothèque de Bourgogne un ma-
nuscrit précieux , qui avait été transcrit pour cette biblio-
thèque, et qu'elle avait perdu depuis plus de trois siècles.
Ce manuscrit est une copie de la traduction française de la
Cyropédie deXénophon, qui était, ù ce qu'on croit, dans
les bagages du duc Charles le Téméraire, lorsqu'il fut tué
devant Nanci, le 5 janvier 1477, et dont on avait ignoré
le sort depuis ce moment. De Reiffenbrrc.
BOURGOGNE (Théâtre de rHotel de). Qui se dou-
terait en passant dans la rue Française et dans la rue Mau-
conseil, devant la halle aux cuirs, que cet édifice, qui
n'offre absolument rien de remarquable, ne laisse pas que
de rappeler les plus grands souvenirs historiques et fit-
téraires? C'est pourtant là, dans une maison qui sans
doute était encore moins belle que celle qui existe aujour-
d'hui, qu'habitaient ces ducs de Bourgogne, princes du
sang royal , qui firent tant de mal a la France par leur am-
bition et leur alliance avec l'Angleterre. La famille des ducs
de Bourgogne s'otant éteinte, François 1*"^ ordonna en 1543
la démolition de cet hôtel et de quelques autres.
Les Confrères de /a ;;(«5/oh, qui depuis 1402 avaient le
piiviiege de jouer des mystères, ctqui.élablishriiôpiîalde la
Trinité, près du lieu où s'ilève la porte .Saint-Denis, s'é-
taient associés les L'u/anls Sa-ns-Souci, jeunes gens de fa-
mille formant une société dont le but était de peindre les
sottises des hommes dans des représentations (pi'ils don-
naient à la halle sur dos trélo'uix, avaient été obligés en 1539
(
BOURGOGNE — BOURGOIN
«le quitter la Trinité. Ils avaient loué alors l'hôtel de Flandre ;
mais cet tlôtel ayant été compris dans les démolitions or-
données par François l", ils aclietèrent, pour 225 livres de
rente perpétuelle , une grande partie du terrain de l'hôtel de
Bourgogne, consistant en dix-sept toises de long sur seize
de large, et ils y Qrent bâtir un théâtre, pour lequel ils
obtinrent privilège, par arrêt du 17 novembre 1548, niais
avec injonction de ne plus offrir au public des mystères sa-
crés, et de se borner aux sujets profanes. Telle est pourtant
l'origine du Théâtre-Français.
On représenta alors des pièces tirées de l'histoire et des ro-
mans , et composées par Jodelle,Baif, Grevin, etc., sur
le modèle des ouvrages grecs et latins , et plus tard des
tragédies de Robert Garnier. jMais les confrères, ne jouant
qu'avec répugnance des pièces dont le genre s'éloignait de
celui de leur fondation , cédèrent leur privilège , et louè-
rent leur salle, en I5SS, à ime troupe de comédiens qui
s'était formée depuis peu. Malgré la concurrence que
leur suscitèrent quelque temps deux autres troupes qui
s'établirent cette année, malgré les interruptions que leur
occasionnèrent les guerres civiles et étrangères , les comé-
diens de l'hôtel de Boui^ogne finirent par jouir paisiblement
de leur privilège en 1593; mais ce ne fut pas pour long-
temps. Ils ne purent s'opposer à l'établissement d'un théàtie
de comédiens de province au faubourg Saint-Germain pen-
dant la durée de la foire , ni à celui d'un second théâtre
français au Marais, en 1600. Ils demandèrent en 1612 l'af-
franchissement du droit qu''ds payaient aux confrères de la
Passion, et l'abolition de cette confrérie. Un arrêt du con-
seil, en 1629, fit droit à leur requête, et les rendit seuls
propriétaires de l'hôtel de Bourgogne. Les principaux acteurs
de ce théâtre étaient alors Robert Guérin , dit Lafleur ou
Gros Guillaume; Hugues Guérin, dit Flechelle ou Gau-
tier Garguille; Boniface; Henri Legrand, dit Belleville ou
Turlupin; Deslauriers, dit Bruscambillc : tous acteurs
comiques et bas comiques; Pierre Lemessier, dit Bellerose,
qui créa les principaux rôles des premières pièces du grand
Corneille, depuis 1626 jusqu'en 1643, et qui fut orateur et
directeur de la troupe ; Alison , qui jouait les servantes et
les nourrices , les femmes n'osant pas encore paraître sur la
.scène ; Jodelet, qui joua le rôle du valet dans le Menteur;
la Beaupré, la première femme qui se soit montrée sur le
théâtre, où elle créa la soubrette dans la Galerie du Palais,
de Corneille , en 1634.
Trois autres théâtres s'élevèrent à cette époque, et n'eu-
rent qu'une durée éphémère, même celui où débuta Mo-
lière, et qu'on appelait V Illustre-Théâtre. Ce grand acteur,
ayant parcouru depuis la province , revint jouer à Paris
en 1658. Mais après la démolition du théâtre du Petit-
Bourbon Louis XIV lui concéda celui du Palais-Royal,
pour y donner des représentations couru rreininent avec
les comédiens italiens. Ce théâtre rivalisa avec l'hôtel de
Bourgogne, mais seulement pour la comédie; quant à la
tragédie, c'est à ce dernier théâtre qu'étaient les meilleurs
acteurs et qu'on donnait les meilleurs ouvrages. Il suffit
de citer Floridor, Mondory, Baron père, la Béjart,
mère de la femme de Molière, la Desœillets, Hauteroche,
Poisson, Brécourt et sa femme, la Thuilerie, et sur-
tout la fameuse Champmê lé et son mari. Là furent repré-
sentés les premiers chefs-d'œuvre du grand Corneille,
depuis le Cid jusqu'à la Mort de Pompée. Là furent ap-
plaudis tous cfeux de Racine , depuis Andromaque jusqu'à
Phèdre, dans l'intervalle de 1C67 à 1677. Les deux théâtres
se lançaient des épigrammes, que l'on retrouve dans quel-
ques pièces de l'époque.
Après la mort de Molière, en 1673, les comédiens du
Palais-Royal , qui formaient la troupe de Monsieur, cédèrent
ce théâtre à LuUy, qui avait le privilège de l'Opéra, et
allèrent , ainsi que les Italiens , au théâtre de la rue Maza-
rine ou Guénégaud, bâti depuis deux ans, et abandonné par
l'Opéra. La troupe de l'hôtel de Bourgogne avait recruté
dans cette circonstance Baron (ils, la Thorillière, Beau val
et sa femme]; mais elle refusa les autres. Le théâtre du Ma-
rais ayant été supprimé et détruit la même année , ses ac-
teurs se réunirent aux débris de la troupe de Molière dans
la salle Guénégaud. L'anarchie régnait à l'hôtel de Bour-
gogne.'jChampmêlé et sa femme quittèrent ce théâtre en 1679,
pour passer à la salle Guénégaud, et ce fut là que s'opéra, en
1680, la réunion complète de tous les comédiens français.
Les comédiens italiens , qui avaient joué successivement
aux théâtres du Petit-Bourbon, du Palais-Royal et de la
rue Guénégaud , abandonnèrent cette salle en 16S0 , après la
réunion de toutes les troupes françaises , et exploitèrent
seuls celle de l'hôtel de Bourgogne ; leurs représentations
eurent lieu jusqu'en 1697 , époque où le roi fit fermer leur
théâtre pour avoir joué la Fausse Prude, pièce dans la-
quelle on prétendit reconnaître madame de Maîntenon.
Dominique, leur fameux arlequin, était mort avant cette
catastrophe. L'hôtel de Bourgogne fut ensuite fermé pen-
dant dix-neuf ans. Il rouvrit le 1*"" juin 1716, et l'on vit une
nouvelle troupe , qui prit le titre de comédiens italiens de
S. A. R. Zerf2<cd'Or^é«?i5, parce qu'il les avait fait venir d'au-
delà les Alpes. Mais après sa mort, en vertu d'une nouvelle
autorisation, ils firent graver sur l'hôtel de Bourgogne les ar-
mes de France , avec cette inscription en lettres d'or sur un
marbre noir : Hôtel des comédiens italiens ordinaires du
roi,entretemispar S. M., rétablis à Paris en l'année 1716.
Outie les anciens canevas italiens, on y joua des comédies
françaises d'Autreau, Delisle, Marivaux, Boissy,
Saint-Foix, etc. En 1762 un y réunit l'Opéra-Comique ,
elle répertoire s'enrichit des ouvrages d'A useaume, F"a-
vart, Sedaine, Monvel, etc., embellis par la musique
de Duni, Philidor, Monsigny, Grétry, Dezaïdes,
Dalayrac. En 1779 on supprima les comédies ilahennes,
et l'on renvoya tous les comédiens italiens, à l'exception du
célèbre Carlin et de Camerani , qui abandonna l'emploi de
Scapinpour les fonctions de régisseur. Les derniers ouvrages
représentés à l'hôtel de Bourgogne furent les drames de
Mercier, des vaudevilles de Piis et Barré, de petites
comédies de Florian, des comédies et des opéras-comi-
ques de Lachabeaussière et Marsollier, La Femme ja-
louse de Desforges, etc. A la clôture de 1783 les comédiens,
alors nommés fort improprement italiens , quittèrent l'hôtel
de Bourgogne , qu'ils avaient occupé soixante-sept ans , et
portèrent leur nom et leurs talents à la salle nouvellement
bâtie, qui prit le nom de Favart. La salle de l'hôtel de
Bourgogne fut détruite , et sur son emplacement fut érigée,
en 1784, la halle aux cuirs, qui offre encore^des traces de
loges et d'escaliers. H. Audiffket.
BOURGOIiV (Tuérèse), artiste dramatique, née le 5
juillet 1781, à Paris, fut élève de la célèbre M"^ Dumesnil ,
qui la fit paraître pour la première fois au Théâtre-Fran-
çais en 1799. Malgré les dispositions qu'elle montra à ce
début, on jugea qu'elle avait encore besoin de quelques
études. Après deux années d'un travail nouveau, elle repa-
rut le 28 novembre 1801, et obtint dès ce moment un succès
qui s'accrut sans cesse et l'accompagna pendant tout le
cours de sa carrière. Selon les règlements du théâtre , elle
débuta, comme jeune première, dans les deux emplois de
la tragédie et de la comédie. Douée de la plus jolie figure ,
d'une fraîcheur, d'une grâce juvénile , d'une mémoire ex-
traordinaire et des charmes les plus attrayants , elle con-
serva toujours ces avantages précieux dans les rôles qu'elle
eut à remplir. Avec Iplugénie, Junie, Zaïre, Palniire,
Aricie, elle jouait Roxelane des Trois Sultanes, Fanchette
de la Belle Fermière, Lucile des Dehors trompeurs , et
tous les personnages de la même catégorie , répandant sur
chacun d'eux un attrait indéfinissable qui lui était propre, et
qui balançait à quelques égards l'incontestable supériorité
de M"^ Mars dans les ingémtes.
588 BOURGOIN — BOURGS-POURRIS
Ses triomphes comme femme ne furent pas moins cé-
lèbres que ses succès comme comédienne. Quoique, dit-on,
elle eût été distinguée par l'empereur, M"" Bourgoin, qui
avait fait partie du voyage d'Erfurlli, quand le chef de
l'État y appela la comédie française, était de l'opposition, et
ne ménageait pas les épigrammes à S. RI. I., à son gouver-
nement et à ses créatures. Elle avait de l'esprit et une
ccrlaine liberté, pour ne pas dire plus, d'imagination, de
traits et de langage, qui la rendait redoutable à ceux qui
avaient le malheur ou la sottise de ne pas accorder à son
talent et à sa beauté toute la justice qui leur était due.
Un auteur de ce temps là, devenu pair de France sous
Lonis-l'liilippe, après avoir été propriétaire et rédacteur du
Constilulionncl, passait sous la Restauration pour un des
chefs du libéralisme, quoique sous l'Empire il eût été cen-
seur, chef de la division de Yesprit public au ministère de
la police et parfaitement dévoué au duc de Rovigo, âme
damnée de Napoléon. Cet auteur, qui alors remplissait
tontes les conditions faites pour le rendre antipathique à
m""-" Bourgoin, et qui en diverses occasions avait eu à son
égard d'assez mauvais procédés de fait et de parole, reçut
de la bouche et de la main de cette spirituelle actrice
quelques algarades qui réjouirent fort toute la société, qui
se préoccupait beaucoup alors des choses de théâtre.
Les bons mots de M"^ Bourgoin, dont plusieurs étaient
qualiliés de gros, étaient spontanés, fréquents, incisifs; elle
ne les épargnait pas plus à la cour impériale et à ses cour-
tisans qu'aux acteurs et aux auteurs; et comme elle avait
en môme temps la réputation méritée d'être aussi bonne,
aussi charitable, aussi dévouée qu'elle était jolie, aimable,
gracieuse, tous ces titres réunis l'avaient en quelque sorte
rendue la favorite du public.
Cette faveur ainsi que ses grâces, son talent, et l'on peut
dire sa jeunesse, car au théâtre elle avait conservé tout le
bénéhce, toute l'apparence d'une complète juvénilité, l'ac-
compagnèrent jusqu'à sa retraite, arrivée en 1829. Elle
mourut le 11 août 1833 ; et cette femme que tout Paris avait
vue pendant longtemps si légère, si brillante dans les
enivrements de tous les genres de succès que le théâtre
peut offrir à une comédienne charmante, cette femme mou-
rut, à la suite d'une maladie longue et douloureuse, dans
les sentiments et au milieu de tous les actes de la résigna-
tion , de la douceur, de la piété, de la réparation chrétienne
la plus parfaite. A. Delafoiiest.
liOURGOIiVG (Jean-François, baron de), agent di-
plomatique au service de France, sous l'ancienne monarchie,
sous la République et l'Empire, naquit à Nevers le 20 no-
vembre 1748, d'une famille noble, qui l'envoya à l'école Mi-
litaire de Paris, en 1760, dans le but de lui faire embrasser
la profession des armes. Pâris-Duverney, fondateur et gou-
verneur de cet établissement, songeait à former une école
de diplomates, dont l'éducation répondit mieux que cela
n'avait eu lieu jusque alors aux besoins des affaires, et parmi
les jeunes gens qu'il envoya dans les universités d'Alle-
magne pour ces études spéciales, il choisit Bourgoing, dont
il avait particulièrcmcut apprécié l'intelligence et l'aptitude.
Ce dernier entra néanmoins quelque temps après au ré-
giment d'Auvergne, en qualité d'officier, et fut vers la même
époque attaché à la légation française près la diète de l'Em-
pire. A dix-neuf ans il correspondait directement avec le
ministre; toutefois, s'étant permis des observations à propos
d'un acte qu'il désapprouvait, M. de Choiseul, qui ne faisait
pas volonliers abnégation d'amour-propre, fit droit à ses
raisons, mais le remplaça.
En 1777 M. de IMontmorin, ambassadeur en Espagne, le
demanda à M. de Yergennes, pour son premier secrétaire.
11 remplit l'intérim en l'absence de l'ambassadeur, sous le
titre de chargé d'affaires, avec autant de fermeté que de ta-
lent, jusqu'en 17S5. A cette époque il revint en Fiance, et
se maria. Il fut promu au poste de ministre plénipotentiaire
de la Basse-Saxe en 17S7, et passa en Espagne en 1792,
pour y exercer les mêmes fonctions. La connaissance qu'il
avait des affaires du pays retarda pendant un an la guerre
qui était imminente entre cet État et la république. Revenu
à Nevers, par suite de la loi qui bannissait tous les nobles
delà capitale, ses concitoyens le nommèrent membre du
conseil nuinicipal. La réaction de thermidor eut pour effet
de le tirer de sa retraite; il fut chargé de négocier à Figuiè-
res le traité de paix avec l'Esjjagne. La nurcbe des choses
ayant enfin été régularisée par l'événement du 18 brumaire,
il recouvra ses fonctions de ministre plénipotentiaire.
Du Danemark , où il fut envoyé d'abord , il passa l'annexe
suivante à Stocliholm (1801); toutefois, de retour à Paris,
en 1803, il reçut des reproches très-vifs du premier consul
pour avoir prononcé à Stockholm, à son audience de ré-
ception , un discours qui semblait annoncer la restauration
du régime monarchique en France. Bonaparte, qui ne voulait
pas encore heurter les idées républicaines , le priva de ses
fonctions; mais il fit cesser plus tard cette disgrâce pour ré-
compenser la bravoure du jeune de Bourgoing fils, alors à
l'armée. Envoyé comme ministre plénipotentiaire en Saxe,
Bourgoing éprouva de nouvelles contrariétés de la part de
l'empereur et en conçut un chagrin qui le conduisit au
tombeau, en 1811. Il laissait un grand nombre d'écrits et do
traductions, parmi lesquels il faut surtout distinguer son
Tableau de l'Espagne moderne.
Ses trois fils, Armand, Paul et Honoré de Bourgoing,
ont suivi la carrière militaire, et se sont distingués dans les
guerres de l'Empire. Le second entra dans la diplomatie
en 1816 ; et depuis il a servi avec un égal dévouement , soit
comme secrétaire de légation ou d'ambassade, soit comme
chargé d'affaires, ministre plénipotentiaire ou ambassa-
deur, Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe et laRépu-
bhque.
BOURGS-POURRIS (en anglais rotten boroiighs),
expression énergique par laquelle, avant la grande révolu-
tion législative accomplie en 1832 dans la Grande-Bretagne,
le peuple anglais flétrissait l'odieuse fiction légale qui mettait
à la disposition de l'aristocratie et du ministère une grande
partie des voix dans la chambre basse.
On appelait borough (bourg) toute localité ayant le droit
d'envoyer des représentants à la chambre des conimuncs,
qui fut séparée de celle des barons vers le milieu du qua-
torzième siècle ; et les circonscriptions électorales fixées à
cette époque si reculée ne furent changées qu'à l'époque où
l'administration libérale de lord Grey réussit à faire adopter
par le parlement un bill qui faisait enfin droit aux si justes
réclamations de la nation et réalisait la réforme électorale
vainement attendue t'epuis si longtemps. Avec les progrès
de la civilisation et de l'industrie, avec les changements suc-
cessifs qu'ils opèrent dans l'ordre social, on avait vu un
grand nombre de localités, importantes au quatorzième
siècle par leur population et leurs richesses, dégénérer in-
sensiblement, et finir par ne plus former que de misérables
hameaux comptant à peine quelques familles , et souvent
même n'appartenant qu'à un seul individu. Par contre, à
quelque distance de ces mêmes localités , s'étaient insensi-
blement formés, dans des lieux auparavant déserts, de
vastes rassemblements d'hommes attirés là par les avantages
d'un sol plus fertile ou d'une situation plus favorable au
commerce. Ainsi s'élevèrent Manchester, Leeds , Dirming-
ham, Shcffield, Salisbury, etc., etc., où aujourd'hui la po-
pulation se compte par centaines de milliers d'âmes, et où
au quatorzième siècle on ne trouvait que des champs ou
des grèves incultes. Ces cités populeuses, théâtre le plus
actif des prodiges de l'industrie moderne, étaient jusqu'en
1832 restées comme étrangères à la vie politique du pays,
et voyaient leurs intérêts les plus chers commis aux mains
d'individus élus par un petit nombre de privilégiés, souvent
même ayant fait à beaux deniers comptants l'acquisition de
I
BOURGS-POURRIS — BOURGUIGNONS
leur siège au parlement, grâce au trafic scandaleux qui s'en
faisait (le la manière la plus patente dans les bourgs-pourris,
et qu'on appelait borougli-jobbing. Tant que subsistera la
mémoire de ce révoltant abus, on ne manquera jamais de
citer à ce propos OUI Sartim, localité de ce genre, où à
l'époque des élections sept propriétaires de misérables
bicoques se réunissaient , et mettaient littéralement à l'encan
deux places au parlement.
Comme les sophistes et les amis du privilège ne manquent
jamais de bonnes raisons apparentes pour soutenir les thèses
les plus absurdes, les abus les plus déplorables, on ne s'é-
tonnera sans doute pas d'api)rendre que Vinstitution des
bourgs-pourris a eu de nombreux avocats. On a dit que
dans un pays où l'aristocratie était l'État, et où on arrivait
avec de l'argent à faire partie de l'aristocratie, il était bon
que l'homme de talent , obscur et sans fortune , trouvât
moyen de se produire tout d'un coup au grand jour, et put
ainsi jclei' dans la balance des destinées publiques son zèle,
ses connaissances acquises et sa capacité. On a cité à l'ap-
pui de ce paradoxe , entre autres exemples célèbres , celui
de Horne-Took, de ce fougueux adversaire du fameux Pitt,
dont la voix n'eût jamais tonné à Westminster pour pro-
clamer les grands principes sociaux au nom desquels s'opé-
rait alors en France une immense et glorieuse révolution,
si par un bizarre caprice du hasard un parent de Pitt lui-
même, aussi zélé pour la liberté que celui-ci l'était pour les
intérêts du despotisme, n'eût fait entrer le tribun du peuple
au parlement par la porte immonde d'un bourg-pourri dont
il était propriétaire. Le bon sens des masses a constamment
repoussé les sophismes avec lesquels on justifiait l'abus par
le bien accidentel qui en pouvait résulter. Il a compris que
lorsqu'il n'y aurait plus de privilège électoral , un Horne-
Took qui se sentirait la poitrine assez forte, le caur assez
haut pour défendre au sem de la représentation nationale
les imprescriptibles droits des peuples et des individus,
arriverait bien plus facilement à son but en confiant le
succès de sa noble ambition aux suffrages populaires , qu'en
se mettant sous le pationage, toujours suspect, de quelque
renégat de l'oligarchie.
Parmi les bourgs-pourris, on distinguait ceux qui appar-
tenaient à l'aristocratie, et ceux dont les élections, en rai-
son de telle ou telle circonstance, étaient à la disposition
des ministres. Les membres du parlement arrivés à la légis-
lature par la volonté de quelque grand seigneur votaient
selon le bon plaisir de leurs patrons , qui de leur côté ti-
raient auprès des ministres bon parti de leur influence dans
les communes. Les membres du parlement nommés par
les bourgs de la trésorerie (treasunj boroughs), comme
on les désignait, étaient en général des hommes beaucoup
plus honorables que les premiers. Il n'étaient pas rare qu'il
se manifestât cfe temps à autre de l'insubordination dans
leurs rangs, et le ministre dont ils étaient les créatures ne
les trouvait pas toujours disposés à transiger avec leur
conscience. Mais ces hommes, se regardant comme liés
d'honneur vis-à-vis de leurs patrons , se seraient fait un
véritable scrupule de faillir à la foi qu'ils avaient jurée au
ministère; et quand la conscience venait à parler chez eux
plus haut que l'intérêt , on les voyait se dévouer stoïque-
ment aux chiltern hundreds, c'est-à-dire accepter une des
quelques places à la disposition du gouvernement , dont
les émoluments étaient si exigus, que jamais on ne s'avisa
d'accuser le titulaire d'en recevoir le montant. Les démis-
sions n'étant pas d'usage dans le parlement , se soumettre
ainsi à une réélection, et par conséquent fournir au mi-
nistère l'occasion de disposer de son treasury borougli en
.faveur de quelque homme à conscience moins timorée, était
pour eux le seul moyen d'accorder les devoirs de la probité
politique avec ceux de l'honneur.
BOUUGUÉPIIXE, nom vulgairedu nerprun purgatif,
\rhamnus catharticus , Linné). C'est un arbrisseau cpi-
589
neux, d'environ trois mètres de haut, à feuilles ovales ou
arrondies, lisses et finement dentées, ayant une odeur et une
saveur désagréables ; cependant , si on en excepte les vaches,
tous les bestiaux les mangent. Les fleurs du nerpnm pur-
gatif sont petites, à quatre divisions, réunies par bouquets
le long des rameaux , souvent dioïques ; les baies assez pe-
tites , deviennent noires à leur maturité. Ces baies sont un
violent purgatif qui ne saurait convenir qu'à de robustes
constitutions. Elles servent avec l'alun à préparer la couleur
dite vert de vessie.
BOURGUIGKOX (Le). Voyez CoimTOTS (Jacques).
BOUUGUIGl\Oi\S. Voyez Bodrgocne.
BOURGUIGNONS ( Loi des ). Voyez Gombettb
(Loi).
BOURGUIGNONS ( Faction des ), opposée à celle des
Armagnacs. On ne peut guère expliquer l'acharnement
qui caractérisa les longues' guerres civiles des règnes de
Charles VI et Charles VII seulement par l'attache-
ment qu'inspiraient des princes peu faits pour inspirer un
tel sentiment. Investis du pouvoir par un fou ou par une reine
indolente, Isabeau de Bavière, qui n'avait d'autres pen-
sées que la toilette et la bonne chère, les princes rivaux
n'avaient point de droits par eux-mêmes; peut-être donc
faudrait-il chercher la cause des événements qui ensanglau-
tèrent cette époque moins dans leurs prétentions rivales que
dans une ancienne animosité de races qui se réveilla alors
dans l'ile de France.
Tous les pays au nord de la Loire, colonisés par les
Francs, n'avaient jamais été parfaitement unis avec les
pays situés au midi de ce fleuve, patrie des Aquitains , et
dont les Visigotiis avaient renouvelé la population. Sous
la domination des rois d'Angleterre l'Aquitaine était de
nouveau devenue hostile à la France. Le comte d'Ar-
magnac tirait toute sa force de l'appui de cette noblesse
pauvre et belliqueuse de Gascogne qui sous les drapeaux
anglais avait vaincu les Français aux batailles de Crée y et de
Poitiers. Lorsque les Armagnacs furent les maîtres à Paris
et dans l'île de France, ils s'y firent détester par leur in-
solence et leurs voleries. Le peuple parisien se sentait beau-
coup plus d'affinité de mœurs et de langage avec les Bour-
guignons qu'avec les Gascons ; des intérêts de commerce
pour l'approvisionnement de Paris les avaient aussi rap-
prochés; la corporation des bouchers, qui était riche,
puissante et courageuse , embrassa le parti de Bourgogne
avec enthousiasme, et souilla son nom par d'horribles mas-
sacres dans les prisons. En même temps la bourgeoisie de
Paris avait, par des vues plus élevées, fait une aUiance
intime avec les bourgeois des villes de Flandre, sujets
bourguignons , 'qui les premiers avaient défendu les droits
du peuple, et les blancs chaperons, signe de ralliement du
parti populaire, avaient passé de Gand à Paris.
L'assassinat deJeansansPeur changea la position des
Bourguignons. Le duc de Bourgogne devint l'allié du roi
d'Angleterre, et son parti se trouva engagé à favoriser une
domination étrangère. Cependant lorsque les Français furent
obligés de reconnaître à Paris des Anglais pour leurs
maîtres , ils commencèrent à les haïr plus encore qu'ils
n'avaient haï les Armagnacs. La décadence de la capitale
était rapide, la population disparaissait, les factions s'é-
teignaient dans la misère universelle; le duc de Bourgogne,
dégoûté et honteux de ses alliés, se retirait dans les Pays-Bas,
et devenait presque étranger à la France. Un mouvement
national d'indépendance commençait à se manifester dans
les provinces même où les Bourguignons dominaient : ce
fut celui auquelJeanne d'Arc communiqua son enthou-
siasme. Le parti bourguignon acheva de se dépopulariser
par le supplice de cette héroïne. Enfin le traité d' Arras mil
fin à la faction de Bourgogne, qui , bien qu'elle couvât long-
temps encore sa haine pour le roi , s'éteignit en silence.
J.-C.-L.-S. SiSMOND!.
VÔO
BOURGUIGNON SALÉ — BOURIGNON
BOURG UÏGIXOiV SALÉ, vieux sobriquet qui s'en
va, mais qui survit encore à sa gloire dans la Bourgogne et
plus encore dans les provinces limitrophes de cet ancien
duché. C'est la préface , l'avant-propos du dicton suivant,
autrefois généralement répandu dans la France :
Bourguignon salé ,
L'épée au côté,
La barbe au lucoton.
Saute, Bourguignon I
Les querelles continuelles que les Bourguignons avaient
eu à soutenir tant contre les Armagnacs que contre d'autres
ennemis motivaient suffisamment les expressions ^é-pée au
côté et de barbe au menton, qui conviennent parfaitement
à des gens de guerre. Quant à celle de Bourguignon salé,
il paraît moins facile d'en déterminer l'origine. Le Duchat
pense que ce sobriquet était dû à la salade ou bourgui-
gnotte , espèce de casque particulier à la milice bourgui-
gnonne. Voici une autre interprétation , qui s'appuie sur un
fait historique arrivé en 1422, et que de doctes person-
nages ont considéré comme ayant acquis force de preuve :
Jean de Châlons , prince d'Orange , s'étant emparé d'Aigues-
Mortes, au nom de son souverain Pliilippe, duc de Bour-
gogne , pendant les troubles du règne de Cliarles VII , y
mit en garnison quelques compagnies bourguignonnes. Les
bourgeois , qui supportaient ce joug avec impatience, firent
un jour main basse sur la garnison , tuèrent bon nombre
de Bourguignons, et jetèrent les cadavres des chefs dans
une cuve , avec une grande quantité de sel , afin de les con-
server plus longtemps , comme un trophée de leur fidélité à
leur roi légitime.
A ce récit, que l'on peut regarder comme apocryphe , nous
opposerons une autre interprétation, que l'on trouve dans
le glossaire alphabétique placé à la suite des Noëls bour-
guignons, imprimés à Dijon en 1720. Suivant le dévot lexi-
cographe, l'expression Bourguignon salé viendrait de
ce que ce peuple aurait été le premier de tous ceux de la
Germanie à embrasser le christianisme, d'où ses voisins,
qui étaient restés païens , leur auraient donné par dérision
cette qualification de salés, à cause du sel qu'on mettait
dès ce temps-là dans la bouche de ceux qu'on baptisait.
BOURGUIGIMOTTE. Vogez Casque.
BOURIATES. Voyez. BouRiiTEs.
BOURIGNON (Antoinette) , naquit à Lille, le 13 jan-
vier 1616, tellement disgraciée de la nature qu'on examina
dans sa famille si cette enfant, qui ressemblait à un monstre,
ne devait pas être étouffée : quelle que fût la supériorité de
son esprit, il ne pouvait faire oublier sa laideur. Ce défaut,
qui l'éloignait de la société , détermina sans doute sa sin-
gulière vocation au mysticisme le plus exalté ; la lecture
d'ouvrages mystiques et d'histoires des premiers chrétiens
échauffa tellement son imaginalion , qu'elle eut des visions,
et se crut appelée à rétablir l'esprit de l'Évangile dans sa
pureté prunitive. La vue du malheur de sa mère , qui souf-
frait beaucoup de l'humeur de son mari , et le désir de se
consacrer tout entière à Dieu , lui avaient inspiré l'horreur
du mariage. Aussi, à l'instant où, d'après la volonté de ses
parents , on allait solenniser le sien , elle s'enfuit sous les
habits d'un ermite. Par l'entremise de l'archevêque de Cam-
brai , elle entra dans le couvent de saint SjTiiphorien. Là
elle répandit ses opinions , attira à elle quelques reli-
gieuses , et se vit à la tête d'un parti. Ayant formé le projet
de fuir avec ses prosélytes , le complot fut découvert par le
directeur du couvent , et elle fut chassée de la ville ; alors
elle se mit à parcourir le pays , et, après avoir recueilli l'hé-
ritage de son père , elle fut nommée supérieure de l'hospice
de Notre-Dame des Sept Plaies , à Lille.
Là ses visions recommencèrent , et elle crut ne voir au-
tour d'elle que des sorciers et de mauvais esprits. Elle n'é-
chappa pas elle-même à l'accusation de sorcellerie, et
mandée devant les magistrats de Lille, elle leur répondit con-
venablement. Ne voulant cependant pas demeurer plus Ion ••
temps exposée à leurs poursuites , elle s'enfuit à Gand, e i
1662. Elle parcourut la Flandre, le Brahant, la Hollande.
Ce fut dans ces courses qu'elle fit à Matines connaissance
avec le supérieur des prêtres de l'oratoire, M. de Cort, qu'elle
enfanta spirituellement : ce sont ses termes. Bayle s'est
beaucoup égayé aux dépens de M"^ Bourignon, en rappor-
tant qu'elle prétendait que cet enfantement spirituel avait
été accompagné de tranchées entièrement semblables à celles
qu'éprouvent les femmes qui accouchent. Elle s'arrêta enfin
à Amsterdam, où se trouvaient alors un grand nombre de no-
vateurs religieux. Le séjour qu'elle fit dans cette ville fut
plus long qu'elle ne se l'était d'abord proposé. Elle y fut
visitée par toutes sortes de personnes. Cela lui fit espérer
que la réforme qu'elle prêchait pourrait porter quelque fruit ;
mais il se trouva peu de gens qui prissent une ferme réso-
lution de s'y conformer. Elle rejeta la proposition de quel-
ques personnes qui auraient souhaité s'établir avec elle dans
le Noordstrant. Elle eut des conférences avec quelques car-
tésiens , qu'elle accusa d'athéisme. Si l'on veut l'en croire ,
ses entretiens avec Dieu furent fréquents dans cette ville.
M. de Cort, qui mourut en 1609, le 12 de novembre, l'institua
son héritière, ce qui l'exposa pendant quelque temps à plus
de persécutions que ses dogmes. La politique s'étant enfin
mêlée aux matières religieuses dans les réunions qui avaient
lieu chez elle, l'ordre fut donné de l'arrêter ; mais elle par-
vint à s'échapper, et s'enfuit dans le Holslein.
Cette vie errante, qui eût présenté de graves dangers pour
toute autre personne de son sexe, n'en avait aucun pour elle.
Non - seulement elle prétendait qu'elle était parfaitement
chaste, mais qu'elle avait la vertu d'inspirer la chasteté à tous
ceux qui l'approchaient. Il ne parait pas cependant qu'elle ait
toujours joui de ce pouvoir ; car, sans parler du danger qu'elle
courut dans sa première fuite de la part d'un officier qui
l'avait devinée sous son habit d'ermite, un certain Jean de
Saint-Saulieu, qui s'était mtroduit auprès d'elle sous des dehors
de piété , finit par lui parler mariage , et , ne l'ayant pas
trouvée disposée à l'écouter, eut recours à la violence. Elle
fut obligée d'invoquer contre ses poursuites le secours de la
justice. Dans sa soixantième année, elle n'avait encore rien
perdu de la force et de l'activité de son esprit. Voulant, quoi
qu'il lui en dût coûter, propager au loin sa doctrine , elle
se pourvut d'une imprimerie , et fit imprimer ses ouvrages
en français, en flamand et en allemand. Elle fut diffamée par
quelques 'ivres qu'on publia contre ses dogmes et contre ses
mœurs , et se défendit par un ouvrage intitulé Témoignage
de vérité, où elle attaqua les ecclésiastiques. La fureur con-
tre elle ne fut que plus vive. On lui défendit de faire usage
de son imprimerie. Elle refusa d'obéir, et s'en alla, emportant
sa presse. Dans son voyage, retirée à Flensbourg, au mois de
décembre 1673 , elle n'échappa qu'avec peine à la fureur du
peuple, qui voulait la massacrer, comme sorcière. Elle se ré-
fugia ensuite à Hambourg, où elle ne resta que peu de temps,
ayant été forcée de se soustraire aux poursuites de l'autorité.
Tranquille d'abord, sous la protection du baronde Lutzbourg,
en Oost-Frise, elle y dirigea un hôpital ; mais son esprit inquiet
l'ayant encore fait renvoyer de ce pays , elle mourut, en re-
venant en Hollande, à Franeker, dans la Frise , le 30 octo-
bre 1680.
Les ouvrages d'.\ntoiaette Bourignon, qui composent
vingt-deux gi'os volumes, sont d'une insupportable diffusion.
Cependant on a tort de n'y voir que des rêveries sans im-
portance. Il y en a beaucoup, il est vrai, mais on ne sau-
rait se dissimuler que l'esprit religieux qui les anime est très-
pur, et que les reproches qu'elle adresse au clergé des diverses
communions sont pour la plupart fondés. La persévérance
qu'elle mit dans une voie qui ne pouvait lui attirer que des
persécutions fait l'éloge de son dévoûment à la vérité. Sans
doute il s'y mêlait un giand amour du pouvoir, et la préoc-
cupation orgueilleuse d'une mission imagin;iire; mais cela
I
BOURIGNON
ne peut qu'affaiblir et non annuler les louanges qui lui sont
dues.
Quoiqu'il soit difficile de trouver une doctrine dans la
prolixité de ses discours et de ses traités, on peut la classer,
par son point de vue , parmi les mystiques quiétistes , tels que
Moiinos et, plus tard, iM™* Guyon, qui eurent pour doctrine
première d'anéantir toute volonté, toute activité de l'esprit,
pour devenir un instrument simplement passif de l'inspira-
tion divine. C'est une tentative assez extraordinaire, de la
part d'un cartésien comme Poiret, d'avoir voulu réduire en
doctrine les ouvrages d'Antoinette Bourignon, qui regardait
le cartésianisme comme la pire de toutes les hérésies qui eus-
sent jamais été dans le monde. Il a fait précéder ce livre,
intitulé de V Économie de la Nature (Amsterdam, 16S6),
d'une vie d'Antoinette Bourignon. Ceu\ des sectateurs de cette
femme singulière qui lui ont survécu n'ont jeté ni un grand
éclat ni de profondes racines dans les diverses contrées où ils se
sont répandus. H. Boicwitté, ancien recteur.
liOURKUAIVS, dieux des Kalmouks et des Bou-
rètes; sont en très-grand nombre , et se divisent en deux
classes , les bons et les méchants. On représente les premiers
avec la figure gracieuse et riante; on donne aux autres une
iiouclie horrible , des yeux menaçants et hideux. Ils sont ordi-
nairement assis sur des nattes, surtout les bourkhans bien-
faisants, et portent d'une main un sceptre, de l'autre une
tloclie. La plupart des idoles sont de cuivre creux fondu et
doré. Elles sont posées sur des piédestaux creux , qui con-
tiennent chacun un petit cylindre, fait avec les cendres du
hourkhan que l'on adore , ou du moins une petite inscrip-
tion thibétaine ou tongute; mais jamais on ne doit porter les
mains sur cette inscription ou sur cecylindre. D'auties images
des bourkhans sont peintes ou dessinées sur du papier de
Chine ou des étoffes.
BOURLIER (Jean-Baptiste, comte), évoque d'Évreux
en ISOl, nommé candidat au corps législatif en 1806, par
ie collège électoral de la Seine-Inférieure , créé pair de France
par l'ordonnance royale du 7 juin 1814, mort àÉvreux,
ii! 30 octobre 1821, était né à Dijon, en 1731. Je remarque
cptte époque, parce que c'est celle i laquelle M. de Voltaire
commençait à s'emi)arcr du siècle dernier, et rendait plus
difficile, et par conséquent plus brillante, la carrière que
Bouriier était destiné à parcourir. Ses parents étaient peu
riches : ils firent de grands efforts pour que sa première
éducation fût bonne. Ils trouvèrent aussi dans quelques
institutions publiques de leur province des secours dont leur
(ils, doué de dispositions heureuses, sut profiter. Après
quelques années passées d'une manière brillante dans les
collèges, la disposition du jeune Bouriier le conduisit à ter-
miner son éducation dans les maisons où l'on se prépare à
l'élat ecclésiastique. Il entra aux robertins, établissement
presque gratuit, (jui dépendait du séminaire de Saint-Sulpice,
et où les maîtres étaient les mêmes ; il y retrouva encore cette
espèce d'enseignement que Fénelon , qui y avait été élevé,
fit tant aimer en France. Presque toutes les congrégations
religieuses ont fui le monde et s'en sont tenues à l'écart;
las Sulpiciens, au contraire, habitaient les villes, et y vivaient
d'une manière assez retirée etassez occupée pour n'en craindre
aucune des séductions; ceux même dont les talents malgré
eux jetaient quelque éclat se couvraient tellement de leur
modestie , qu'il est arrivé à plusieurs d'entre eux de se dé-
rober au gouvernement, qui aurait voulu les appeler à des
places plus élevées. Napoléon, si habile à trouver ce qu'il
chercliait, n'aurait jamais découvert M. Emery, ancien su-
périeur de Saint-Sulpice, sans la clairvoyance de M. de Fon-
tanes, à qui rien ne pouvait échapper de ce qui intéressait
les lettres et l'enseignement.
Ce n'est point parce que j'y ai un plaisir particulier, mais
c'est pour mieux faire connaître l'évèque d'Évreux, que j'ai
di'i parier de Saint-Sulpice, qui avait gravé profondément en
lui les principes de conduite oui l'or.I guidé pendaiilsa longue
BOURLIER
69!
j carrière. Il tenait de ses maîtres de ne pas séparer par de
trop fortes distances la vie ecclésiastique de la vie sociale ;
et cette façon d'être exigeait une manière de parler et même
de se taire qui faisait qu'avec des diversités d'opinions et
de mœurs on pouvait d'abord se trouver ensemble, et
quelquefois arriver à des rapprochements utiles ; et lorsque
l'on y joignait, comme l'évèque d'Évreux, un maintien
simple, tranquille et ouvert, ce langage, car le maintien
aussi est un langage , et c'est le plus imposant , ce langage ,
dis-je, n'était jamais employé sans succès pour contenir
dans les limïtes de la circonspection les conversations les
plus disposées à devenir trop légères. Aussi pourrait-on dire
que l'abbé Bouriier n'entendit jamais un mauvais propos
tout entier car dès qu'on levait les yeux sur lui , les plus
indiscrets étaient forcés de s'arrêter, tant l'ensemble de sa
personne inspirait de crainte de lui faire de la peine.
Tout était en harmonie, ou plutôt tout était harmonie dans
l'abbé Bouriier, sa figure et sa physionomie, les mouve-
ments du corps et les affections de l'àme, l'esprit et le talent :
soit qu'on eût retranché , soit qu'on eût ajouté quelque chose
à quelqu'une de ses facultés , l'harmonie chez lui eût été
détruite, et le tout moins parfait. Il était facile à un naturel
aussi heureux d'être toujours dans les convenances , et cette
précieuse manière d'être lui donnait un charme particuHer,
auquel tout le monde était obligé d'être sensible. Je l'ai vu à
des réunions où se trouvaient des hommes de lettres , des
hommes d'affaires et des hommes du monde se plaisant
ensemble , parce que leurs esprits étaient plutôt divers
quïnégaux : Bulhièrcs, peintre également piquant des
mœurs du monde et des grands événements de nos jours ;
Marraontel, dont les formes contrastaient si bien avec
ime conversation légère ; Panchaud, dont le nom se présente
toujours le premier dans toutes les traditions financières ;
l'abbé Ba rtliélemy , qui avait le bon goût d'avoir l'air de
vous rappeler ce qu'il vous apprenait; le duc de Lauzun ,
qui avait tous les genres d'éclat, beau , brave, généreux et
spirituel ; le chevalier de Narhonne,étincelantde gaieté et d'es-
prit ; le comte de C h o i s e u 1 - G o u f fi e r , qui avait voyagé et
résidé dans le Levant comme ambassadeur à la (ois en quelque
sorte et de nos rois et de nos arts ; des hommes aussi dis-
tingués, tous dans leurs avantages, animés chacun par l'es-
prit des autres , devaient nécessairement laisser et à l'esprit
et à la mémoire des impressions de tout genre; et cependant,
tant est entraînante cette espèce de bienveillance vraie, et
aussi cette gaieté douce que donnent la simplicité de l'esprit
et la sérénité de l'âme, c'était toujours de l'évoque d'Évi-eux
qu'on disait en se séparant : qu'il est aimable l'abbé Bour-
iier ! et c'est probablement à cette simplicité et à cette sé-
rénité, si propres à écarter les regards des méchants, que
Bouriier dut le bonheur et la longueur de sa vie : car s'il
échappa aux fureurs révolutionnaires, on peut dire que la
révolution , qu'il traversa tout entière en France , ne le vit
point.
Ce ne fut que lorsque l'édifice de la république eut croulé
sur ses fondements et sur ses architectes , et que Napoléon
se fut emparé de la révolution et eut commencé à donner à
la France quelques attributs et quelques caractères de la
monarchie, que l'abbé Bouriier se retrouva. Napoléon, qui
n'était encore que sur une marche du trône, était trop ha-
bile pour ne pas sentir qu'il n'établirait l'autorité dont il
avait besoin pour dompter tous les désordres et dissoudre
toutes les deiui-ambitions qu'en appelant à son aide le grand
appui social : il entreprit la réconcihation du ciel avec la
terre; il s'occupa du Concordat. Malgré l'opposition des pe-
tits publicistes de cette époque et malgré des dangers per-
sonnels qu'il n'ignorait pas , il voulut donner la plus grande
solennité à l'exécution de cet acte habile et hardi , qui l'ho-
norera à jamais dans la mémoire des hommes. L'ancien
clergé de France était encore dispersé. On était bien heu-
reux quand on pouvait retrouver quelques personnes faites
592
BOURLIER — BOURMOx>T
pour occuper les sièges épiscopaux devenus si difficiles à
bien remplir. J'eus la satisfaction de faire connaître au clief
âa gouvernement M. Bourlier, M. Maunai, et M. Duvoisin :
il les nomma aux évôcliés d'Évrenx, de Trêves et de Nantes.
L'influence du Concordat se fit bientôt sentir ; le succès que
ce grand acte obtint dans toute la Trance contribua essentiel-
lement à simplifier la position de Napoléon. A cette (époque
tout voulait encore lui réussir ; mais il n'eut pas longtemps
la force de maîtriser tant de bonheur; il se laissa mener
par sa fortune-ct par la gloire de ses armres. Dès lors il ac-
crut en exigence; et il ne lui fallut que trois ans pour que
la résistance d'un pouvoir spirituel lui parût une rébellion.
Aussitôt des gendarmes vont enlever au Vatican le ponlife-
roi, et le traînent à Savone, et plus tard à Fontainebleau ,
comme s'il eût été possible à des moyens de la terre de bri-
ser une âme si forte, ni de ployer seulement une ûme si
haute. Napoléon, étonné de son impuissance, ordonna à
quelques évêques, et particulièrement à l'évêquc d'Évreux,
de se rendre auprès du pape, comme porteurs de proposi-
tions; l'évoque d'Ëvrcux y fit deux voyages, et se vantait
à chaque retour de n'avoir pas réussi dans la mission qui
lui avait été donnée. *
L'évèque d'Évreux depuis qu'il eut été appelé par
Louis XYIII à la chambre des pairs , partagea sa vie entre
fion diocèse et les séances de cette assemblée ; il se trouvait
toujours où il croyait qu'il remplissait plus de devoirs. Sa
maison était ouverte à toutes les opinions. Élevé dans les
idées anciennes, il comprenait les idées nouvelles, et il se
servait habilement de l'influence que donnent toujours la
douceur, un bon esprit, l'indulgence et un grand âge , pour
ramener à de la bienveillance les unes pour les autres des
personnes entre lesquelles les passions politiques avaient
rompu tous les liefls : lorsque, dans la môme chambre, on
n'était séparé que par l'évèque d'Évreux , on était bien près
de s'entendre. Prince-duc de Talleyrand-Péricord,
de l'Acad. des Sciences morales et politiques.
BOURMOIVT ( LoLis-AucusTE- Victor, comte de
GAISNE de), né au château de IJourmont, en Anjou, le 2 sep-
tembre 1773, créé maréchal de France par Charles X en 1830.
La célébrité de Bourraont est dc^à bien vieille. La révo-
lution le trouva à dix-sept ans officier des gardes françaises ;
il suivit le prince de Condé dès le commencement de l'émi-
gration , et devint son aide de camp. On sait que cette pe-
tite armée de gentils-hommes montra, bien que combattant
contre la patrie , une valeur tout aussi française que ces in-
nombrables levées de roturiers qui surent d'abord , sans
matériel et sans généraux, refouler par delà le Rhin les
vieilles armées et les vieux tacticiens de l'empire germa-
nique. Dans les différentes affaires d'avant-garde auxquelles
prirent part les condéens , le jeune Bourmont déploya au-
tant de valeur que d'intelligence (1793). De bonne heure il
parut propre aux affaires, car dès 1790 il avait été chargé
par le prince d'une mission secrète à Nantes. 11 s'agissait de
la première organisation de celte guerre vendéenne que,
quarante-deux ans plus tard, Bourmont devait réveiller
sous les auspices de la duchesse de Bcrry, et au nom du
petit-neveu de Louis XVI. Après avoir fait encore la moi-
tié de la campagne de 1704 sur les rives du Khin, il quitta
l'armée de Condé pour aller se joindre aux royalistes des
provinces de l'Ouest. Le vicomte de Scépeaux le nomma
major général de son armée. 11 était aussi membre d'un
conseil supérieur créé par les cliouans du Maine; les rela-
tions de sa famille lui donnaient une grande iniluence dans
ces provinces. Aussi joua-t-il un rôle tiôs-actif dans toutes
les affaires du parti. Plus d'une fois de son château de Bour-
mont émanèrent des pièces et déclarations oflicielles pour
l'armée catholique et royale.
A la fin de l'année 1795 il fut envoyé par le vicomte de
Scépeaux auprès du gouvernement anglais , pour presser
l'envoi des secours [jromis; mais, quckpie sagacité qu'il
mît à remplir cette mission, elle eut des résultats peu fa-
vorables. 11 alla jusqu'à Edimbourg trouver le comte d'Ar-
tois. Ce prince accueillit le jeune chef vendéen avec cette
affabilité cordiale qu'il devait déployer depuis sur un plus
haut théâtre : il lui conféra, avec dispense d'âge, l'ordre
de Saint-Louis, et l'arma lui-môme chevalier. Bourmont fut
chargé de porter à l'armée de Scépeaux les brevets et déco-
rations qui avaient été accordés. Ce fut lui qui reçut cheva-
lier le vicomte. Ces vains honneurs entiefenaient jusqu'à un
certain point l'enthousiasme et suppléaient, au moins pour
le moment , aux secours réels que Bourmont n'avait pu ob-
tenir. En 1796, lors de la soumission des chefs royalistes au
général Hoche, il obtint la liberté de retourner en An-
gleterre, où il fut créé par le comte d'Artois maréchal de
camp. Loin d'avoir renoncé à la guerre civile , il fit auprès
du cabinet de Saint-James tous ses efforts pour obtenir les
moyens de recommencer la lutte avec avantage. Nommé
par le comte d'Artois commandant des provinces du Perche,
du Maine et de l'Anjou, il débarqua en 1799 sur les côles
du nord, et, après avoir traversé heureusement la Breiagne
sous la protection de dix soldats du général Georges, il
passa dans le Maine, et se mit à la tôte des royalistes , qui
n'attendaient qu'un chef habile et résolu. Dans cette cam-
pagne Bourmont acquit en effet un grand renom mili-
taire; avec des bandes indisciplinées il sut vaincre ces
troupes républicaines qui culbutaient alors toutes les armées
de l'Europe. Si l'on considère encore combien les chouans
du Maine étaient loin de valoir ces Vendéens dont le cou-
rage avait excité l'admiration des républicains eux-mêmes,
on n'en aura qu'une plus haute idée du talent de leur gé-
néral.
Avec de pareilles troupes, montant tout au plus à deux
mille hommes, et sans artillerie, il battit les républicains
à Louverné, et osa marcher sur le Mans. Il s'en empara,
malgré une vive résistance : heureux s'il eût pu empêcher
les excès que ses troupes commirent après la victoire ! Trop
prudent pour séjourner dans le sein de la ville, de peur de
surprise , il se fortifia dans le faubourg de Saint-Jean , au-
delà de la Sarthe ; l'artillerie et les munitions des républi-
cains étaient en son pouvoir. Un corps de huit cents Bretons
vint le joindre, amené par un chef audacieux, La Nouga-
rèdc, dit Achille Le Bnin. Tandis que, par l'ordre du géné-
ral, ces nouveaux auxiliaires s'emparent de Morlaix, lui-
même, devant le gros bourg de Balai, échoue contre l'hé-
roïque résistance des habitants : après avoir perdu beaucoup
de monde, il se voit forcé d'évacuer le Blans. Ce revers /ut
la ruine du parti; la division se mit de plus en plus parmi
les royalistes; quelques-uns d'entre eux parlèrent de négo-
cier. A la faveur d'un armistice conclu avec les républi-
cains, des conférences entre les chefs du parti s'ouvrirent à
Montfaucon. Bourmont s'y fit remarquer parmi ceux qui
voulaient continuer la guerre. Rien n'ayant été décidé, il
retourna à son quartier général , d'où il envoya des ordres
à tous les chefs de division de se tenir prêts à combattre.
Arriva le 21 janvier ISOO; son quartier général était au vil-
lage de Grez , il y lit célébrer en l'honneur de Louis XVI un
service funèbre avec toute la pompe religieuse et militaire
que comportait la situation. L'armistice expiré, il rassembla
toutes ses divisions, marcha sur Morlaix ; déjà il en occu-
pait un faubourg, lorsque la capitulation inattendue du
marquis de la Prévalais vint lui couper toute communica-
tion avec l'armée de Georges. Enfin la soumission du comte
de Chàtillon , battu à Balai par les républicains , acheva de
renverser tous ses plans.
Abandonné successivement de presque tous ses chefs de
division, il capitula, ayant surtout pour but de se soustraire
aux effets de l'indiscipline de ses propres soldats. 11 ne si-
gna point cette pacification sans envoyer un courrier à
Georges pour l'engager à ne plus soutenir une cause déses-
pérée, du moins pour le moment. Si l'on en croit la biogra-
BOURMONT
503
phie de Leipzig, il indiqua au goiiYcrnoment les rivières où
étaient radiés les canons fournis par l'Angleterre. De là
Coiirmont se rendit à Paris, où il épousa mademoiselle i]ec-
ile-Lièvre, d'une ancienne famille de Bretagne. Il se fixa
dans cette capitale, et se \it fort bien accueilli de Bona-
parte, qui, comme on sait, avait un faible très-prononcé
pour les hommes de l'émigration. Bourmont, de son côté,
se montra très-empressé de plaire au premier consul ; il
réussit à lui inspirer de la confiance, et acquit du crédit
auprès de lui. On le voyait trè^.-assidu dans les bureaux de
la police, où se décidait fout ce qui intéressait le sort des
♦unigrés. Le jour de l'explosion de la machine infernale,
Jkitwmont sc rendit dans la loge de Bonaparte, et demanda
la punition des jacobins, qu'il accusa hautement d'être les
auteurs de cet attentat. Comme les événements furent loin
(le confirmer cette assertion, il fat lui-même soupçonné. 11
continua néanmoins à jouir en apparence de quelque crédit;
mais bientôt il donna lieu à de nouveaux soupçons , par la
facilité avec laquelle il fit retrouver à la police, qui s'était
adressée à lui, le sénateur Clément de Ris, qu'une bande de
chouans avait enlevé : on en conclut avec assez de vraisem-
blance que leur ancien chef n'avait pas été étranger à l'en-
lèvement. Sur le rapport de Fouché, qui suivait toutes ses
démarches, Bourmont fut enlevé à la liberté et au rôle équi-
vofiue qu'il avait joué. Il fut d'abord enfermé au Temple et
mis au secret; puis, en 1803, transféré à la citadelle de
Dijon; enfin, à Besançon, d'où 51 s'évada en juillet 1805, et
se réfugia en Portugal, avec sa famille. Par suite des égards
<|ue Bonaparte avait toujours eus pour lui, ses biens ne fu-
rent point séquestrés.
H se trouvait à Lisbonne avec sa famille, lorsque Junot
s'empara de cette ville, en 1810 ; Bourmont, compris par lui
dans la capitulation, rentra en France. Napoléon, qui avait
apprécié les talents militaires de l'ancien chef vendéen, lui
olTrit le grade de colonel. Bourmont accepta, et vit s'ouvrir
devant lui une glorieuse et rapide carrière d'avancement. H
senit comnae colonel adjudant commandant à l'armée de
Naples, d'où il passa à l'état-major du prince Eugène, avec
lequel il fit la campagne de Russie. Nommé général de bri-
gade eu 1813, il mérita d'être mentionné honorablement
dans les bulletins des batailles de Dresde. En 1814, durant
la glorieuse campagne de France, il eut le commandement
d'une brigade de réserve (de 12,000 hommes), à la tète de
laquelle il se signala par sa belle défense de Nogent, où il
fut blessé. Sa conduite héroïque dans cette circonstance lui
valut les éloges de la France et le grade de général de divi-
sion. Après les adieux de Fontainebleau, Bourmont ne fut
pas des derniers à se soumettre aux Bourbons. 11 fut nommé
par Louis XVIII, le 20 mai 1814, commandant de la
sixième division militaire. 11 se trouvait en cette qualité à
Besançon au moment où Napoléon débarqua sur la côte de
Provence. Il reçut l'ordre de se réunir à Ney , auprès du-
quel il se trouvait lors de la défection des troupes. Le débat
qui s'établit entre Bourmont et le maréchal lors du procès
de celui-ci , montre sans doute quelque chose d'équivoque
et de peu loyal ; mais le sort a voulu que, tandis que le gé-
néral déposait comme témoin à charge , son chef siégeât
comme accusé. On sait que Ney était condamné d'avance ,
et que le procès n'était qu'une douloureuse comédie; la dé-
position attendue de Bourmont contribua puissamment à la
condamnation. Les témoins de cette mémorable séance se
rappellent encore combien la figure pâle, indécise, renversée,
du général contrastait visiblement avec le visage calme et
dédaigneux du maréchal.
Lorsque Napoléon eut si rapidement ressaisi le sceptre
qu'il devait garder si peu, Bourmont sollicita et obtint le
commandement de la sixième division du corps d'armée aux
ordres du général Gérard. 0"n a prétendu (jue l'empereur
hésita beaucoup avant de lui donner de l'emploi, et
qu'il ne se i-endit que lorsque le général lui eut répondu de
Kir.T. \)r. i.\ r.oNVF.i'.s. — t. m.
la fidélité de cet officier. Si cette anecdote est vraie, le»
pressentiments de Napoléon ne furent pas tromiiés. Le
14 juin, veille de la seconde bataille de Fleuris, Bourmont
abandonna ses troupes pour se rendre auprès de Louis Wlll.
Ceux qui veulent faire l'aiiolo^ie de celte démarche préten-
dent qu'il n'était lié par aucun serment , puisqu'il avait re-
fusé de signer l'acte additionnel. En supposant vraie cette
allégation, fournit-elle un argument bien puissant? Et Bour-
mont ayant quitté sa division à la veille des combats pour
se retirer dans une de ses terres, et non point en pays en-
nemi, serait-il encore à l'abri du blâme? Quoi qu'il en soit,
ce qui lui a valu de si cruels reproches ne pouvait être ac-
cueilli que comme un acte de dévouement par Louis XVII] :
ce prince le nomma conunandant de la frontière du nord.
Bourmont pénétra en France, le 24 juin, pr Armentières,
et établit son quartier général à Estaus le 25. Sa présence
détermina un soulèvement royaliste dans les cantons d'Haze-
brouck, Bailleul, Armentières, Saint-Pol, Lillers, etc. On
doit à Bourmont la justice de dire qu'il s'opposa constam-
ment à toute réaction , et qu'il parut partout occupé d'arrêter
le zèle réactionnaire. Il marcha sur Lille, dont le général
Lapoypc ne se pressa pas de rendre la citadelle , mais qu'il
remit enfin, après avoir fait sa soumissiau au roi. De retour
à Paris , Bourmont fut nonmié commandant de l'une des di-
visions d'infanterie de la garde royale.
Lorsqu'on 1823 l'armée française entra en Espagne, il fut,
avec cette division, attaché au corps de réserve. Dans cette
guerre, qui n'en fut pas une, mais qui avait pour principal
objet de donner une armée aux Bourbons , il eut sans
doute peu d'occasions de se signaier comme militaire ; mais
sa conduite y fut honorable et utile : il sut faire respecter la
discipline, et montra dans ses fonctions les plus grands mé-
nagements pour riiabitaut. Vint enfin pour Bourmont le
8 ^oùt 1829 , qui le porta au ministère de la guerre. Tous
les journaux de l'opposition , qui alors s'e.vprimaient avec,
une singulière liberté, élevèrent coirtre lui un toile généra!.
Poursuivi par l'opinion , le nouveau ministre de la guerre se
trouva sans crédit; d'ailleurs, l'influence directe du dau-
phin sur toutes les nominations de l'armée diminuait l'im-
portance du titulaire ministériel. Le vieux roi avait, eu
outre, vu et employé Bourmont trop jeune pour que celui-
ci eût à ses yeux encore assez de maturité. Cependant, il
ne se laissa pas plus décourager par ces obstacles ignorés
du public que par les plus poignantes clameurs; au rappoit
de tous ceux qui alors connaissaient le mieux et l'homme et
sa position, il apporta au ministère une grande activité,
qui contrastait avec ses inclinations, portées à l'amour du
repos et des plaisirs. Il voulut se concilier l'armée par sa
justice , par son extrême politesse et surtout par le bien
qu'il avait commencé de faire. Des officiers de la vieille
armée, dont quatorze ans de restauration avaient méconnu
les droits, virent, grâce à Bourmont, arriver pour eux le
jour d'une justice tardive. Il mettait une sorte de coquetteiie
h rappeler qu'il avait été leur compagnon d'armes. RIo'ns
contrarié par les vues mesquines de quelques autres membres
du cabinet, il eût fait davantage.
Cependant l'expédition d'Afrique avait été résolue; le mi-
nistre de la marine (M. d'Haussez) en avait, pour sa part,
improvisé les préparatifs avec une merveilleuse activité. Ja-
loux de trouver une occasion d'obtenir par de grands ser-
vices l'influence qui lui manquait auprès du monarque, et
sans doute aussi de se faire absoudre par la nation, Bor.r-
mont avait sollicité et obtenu le commandement en chef de
l'expédition. 11 jtartit de Paris le 22 avril 1830, accomiiagixi
de ses quatre fils. A Marseille , à Toulon , il précéda le
dauphin, qui passa la revue des troupes. Ce fut pendant le
voyage de IVIarscille à Toulon qu'il s'entretint confidçntieh
lement de son plan de campagne avec le général du génic-
Valazé. Tout ce que la prévoyance en tous genres peut dis-
poser pour le succès avait été réuni ; et l'emploi de ces gramls
76
591
moyens devait Clro diiigé par une prudence et une circons-
[)cction dont on ne s'est pas (Scarté. Bourmont n'avait pas
seulement médité une expédition militaire, il avait conçu le
dessein de coloniser Alger conquis : son esprit fin et délié ,
son caractère doux et conciliant, lui présentaient déjà les
moyens de négocier utilement avec les chefs de tribus. Il
entrevoyait la possibilité d'établir des colonies militaires à
l'instar de celles des Russes dans le Caucase.
Le 18 avril toute l'armée était embarquée; le général en
chef se rendit à bord de la Provence, dans la rade de Tou-
lon. Une suite de vents contraires s'opposa jusqu'au 25 au
soir à ce que la flotte mît en mer. Le '25 au matin on ap-
prit la dissolution des chambres ; Bourmont en parut sur-
pris et affligé. Il dit à ses intimes que M. de Polignac lui
avait donné sa parole avant son départ de ne rien changer
pendant son absence. Le 13 mai la flotte était à l'ancre non
loin d'Alger, dans la baie de Sidi-Ferruch. Pendant les
brillantes actions qui livrèrent aux Français cette position ,
Bourmont , qui à pied suivait tous les mouvements de
ses troupes, vit un boulet passer entre lui et son fils aîné ; un
second, qui vint mourir à ses pieds , le couvrit de terre , et
l'enveloppa d'un nuage de sable : ses officiers, le croyant tué,
accoururent : il secouait tranquillement la poussière de son
habit. Les boulets se multipliaient autour du général; il éloi-
gna de quelques pas son état-major, fit ôter les plumets pour
moins attirer l'attention de l'ennemi, et resta en avant avec
un seul officier, qu'il renouvelait à mesure qu'il l'envoyait en
ordonnance. Il était à pied avec tout son état-major : aucun
cheval n'ayant encore été débarqué, ce qui augmentait
l'extrême fatigue des courses dans un sable brûlant et épais
et sous le soleil du pays. Mais l'enthousiasme faisait oublier
la fatigue. Le soir même du débarquement Bourmont fut
maitre de la position de Sidi-Ferruch. Charles de Bourmont,
l'un des fils du général , entra des premiers dans la batterie
ennemie. Il y eut ensuite, pendant plusieurs jours, une
série de combats pour la prise du fort l'Empereur, qui était
la ciel d'Alger. Si les troupes françaises de toutes les armes
se couvrirent de gloire , le général en chef se montra digne
d'elles. Il passait les journées à l'ombre des boulets , dont,
par miracle , aucun ne l'atteignit; mais un de ses fils ne fut
pas si heureux : Araédée de Bourmont , après avoir reçu,
dans un combat contre les Arabes , trois balles dans son
shako et dans ses armes, eut la poitrine traversée d'un
quatrième coup de feu , et succomba au bout de quelques
jours. Le général en chef ne craignit pas de donner des
larmes à son fils, lui qui montrait tant de sang-froid et de
liberté d'esprit au milieu du péril. Tandis que la sollicitude
la plus éclairée, la plus active, avait pouivu à tous les
besoins des troupes débarquées, Bourmont et ses entours,
tout occupés de leur haute mission, négligeaient leurbien-ôtre.
Durant trois semaines il ne se déshabilla point pour se cou-
cher. Et tout cela au milieu d'une poussière étouffante et
par le soleil d'Afrique.
Enfin, le 4 juillet le fort de l'Empereur était en notre pou-
voir, et le 5 juillet le dey Hussein avait capitulé. Celte ca-
pitulation, dont les articles furent dictés par l'humanilé,
lut scrupuleusement observée. L'occupation d'Alger se fit
avec calme ; le dey put emmener ses femmes , et emporter
ses richesses personnelles. LesclefsdelaCasauba,trésorde la
régence, contenant 50 millions , passèrent dans les mains de
la commission chargée de l'inventorier. Tant que dura l'in-
ventaire, le général en chef ne put disposer que d'une partie
très-resserrée du palais du dey ; et pour sa personne il ne se
réserva qu'une seule pièce, détails peu importants par eux-
inènies sans doute , mais dont la vérité reconnue iéi)ond
victorieusement aux diUamations de pamphlétaires. Il y eut
un moment de confusion et de tumulte à la Casauba , des
bijoux de peu de prix furent enlevés dans la bagarre; mais ce
dé.sordre, promplement réprimé par les chefs, n'eut aucune
«mporlance. A peine maître d'Alger, Bourmont reçut la
BOURMONT — BOURRACHE
soumission du bey de Titleri, tandis que l'un des trois fils
([ui lui restaient, Aimé de Bourmont, allait recevoir celle du
bey d'Oran, et lui conférer le caftan d'honneur, signe d'in-
vestiture, au nom de la France. A son retour, avec quelques
dizaines d'hommes il s'empara du fort de Mers el-Kébir,
entra le premier dans cette petite place, et arracha le pavil-
lon mahométan , qui fut remplacé par le drapeau français.
Cette petite conquête assurait la communication de l'armée
avec Oran. Bourmont avait reçu le 22 juillet une lettre du
dauphin , qui lui annonçait qu'il était élevé à la dignité de
nîaréchal. Cette récompense excita de vives réclamations
de la part de la presse libérale ; la marine d'ailleurs voyait
avec mécontentement que l'amiral Duperré n'avait été
nommé que pair de France. La joie du général en chef fut, du
reste, contrariée par la lenteur que l'on mettait à accorder
les récompenses demandées pour l'armée placée sous ses
ordres.
Le nouveau maréchal poursuivait avec ardeur le cours de
ses succès contre les Arabes ; déjà il avait poussé ses recon-
naissances dans les gorges du petit Atlas , lorsqu'à Paris
trois jours d'émeute renversèrent le gouvernement qui avait
compté sur l'expédition d'Alger pour acquérir une force inat-
taquable. Quelques vagues rumeurs s'étaient répandues dans
l'armée; mais on ne savait rien encore de positif. Bour-
mont crut devoir publier, le 1 1 août, l'ordre du jour suivant :
« Des bruits étranges circulent dans l'armée. Le maréchal
commandant en chef n'a reçu aucun avis officiel qui puisse
les accréditer. Dans tous les cas, la ligne des devoirs de
l'armée sera tracée par ses serments et par la loi fondamen-
tale de l'Etat. » Le 16 août, d;,ms un autre ordre du jour, en
conséquence de la nomination par Charles X du duc d'Or-
léans à la lieutenance général du royaume , il ordonna que
la cocarde et le drapeau tricolore fussent arborés. Enfin ,
le 2 septembre, ordre du jour pour informer l'armée que le
lieutenant général Cl au s cl venait prendre le comman-
dement de l'armée d'Afrique. Si pendant ses succès les
bulletins de Bourmont avaient été fort modestes, le ton
simple et digne de ses dernières publications ofticielles en
font des pièces véritablement historiques.
Il quitta l'Afrique après avoir doté son pays d'une belle
conquête. Que lui restait-il après tant d'efforts? Un titre
de maréchal dont le parti vainqueur devait le dépouiller :
il laissait sur la plage algérienne les ossements de son fils!
Après cela, je ne me sens pas le courage de suivre Bourmont
en Vendée, où le chouan, soufflant une guerre civile in-
soutenable, ressemblait si peu au vainqueur de l'Afrique.
Le suivrai-je encore en Portugal , où , avec des titres bien
sonores , mais de fort mauvais soldats , il s'est, au nom de la
légitimité, fait le champion de dom Aliguel? Là Bourmont
n'avait aucun élément de succès. Aussi, malgré sa haute ca-
pacité, ne fit-il que compromettre sa réputation militaire. Trop
éclairé pour ne pas sentir toute la fausseté de sa position, il s'en
démit et quitta le Portugal, où, toujours malheureux père, il
laissait encore le cercueil d'un fils ! Ch. du Ko/.oui.
En prenant parti dans les bandes de dom Miguel , Bour-
mont avait autorisé le gouvernement de Louis-Philippe à lui
appliquer les dispositions du Code concernant les Français
qui servent à l'étranger sans permission. Il cessa d'être
F'rançais, et telle devait être la fin de l'homme qui avait aban-
donné la Vendée pour la république, Napoléon pour les Bour-
bons, les Bourbons pour iNapoiéon, et qui enfin, n'avait pas
craint de déserter les rangs de ses compatriote^ à l'heure
d'une sanglante bataille. Aussi Napoléon disait-il à Sainte-
Hélène : Bourmont est une de mes erreurs.
Autorisé plus tard à rentrer en France, Bourmont vint ha-j
biter le château qui l'avait vu naître en Anjou : il y mourut»!
le 2!) octobre 184G, à l'âge de soixante-treize ans. Quelquesj
jours après, l'amiral Du perré le suivait dans la tombe.
BOURRACHE. Genre de plantes appartenant à lai
pentanilrie moMoi;\nie *'*' Linné, à la famille des borragi-l
BOURRACiiE
n(^('s (ic Jussieu , et caraclérisc do la nianic^re suivanfe :
Calice étalé, à cinq divisions profondes et aiguës; corolle
inonopétale régulière, en roue, à cinq lobes aigus, et offrant
à l'orKice de son tube une petite couronne composée de
cinq éininences, qui en ferme l'entrée; cinq étamines conni-
ventes; fruit formé de quatre petites coques indéhiscentes,
qui se séparent les unes des autres à l'époque de la maturité.
Ce genre ne se compose que d'un petit nombre d'espèces ,
dont une seule doit nous occuper ici : c'est la bourrache
officinale ( borrago officinalis, Linné ), plante annuelle, qui
croît abondamment dans nos champs et nos jardins. Sa
racine, qui est longue, grosse comme le doigt, blanche,
fendre et garnie de fibies, pousse une tige haute de 50 cen-
timètres, cylindrique, rameuse, épaisse, creuse, succulente,
et hérissée de poils courts et piquants. Ses feuilles sont al-
ternes , larges, ovales-lancéolées, obtuses, ridées, d'un vert
foncé , et hérissées de poils durs , qui les rendent fort ru-
des au toucher ; les inférieures sontpétiolées et couchées sur
la terre; les supérieures sont sessiles et plus étroites. Les
(leurs naissent au sommet de la tige et des branches, portées
sur des pédoncules rameux; elles ont la forme d'une étoile,
et sont ordinairement d'un beau bleu, mais quelquefois cou-
leur de chair, ou môme tout à fait blanches.
11 parait que cette plante est originaire du Levant, et pir-
liculièrement des environs d'Alep. Ce qu'il y a de certain,
c'est qu'elle est maintenant répandue dans toute la France
et dans d'autres parties de l'Europe, où elle se reproduit
.spontanément. Il n'est pas de plante qui soit plus fréquem-
ment employée en médecine. Son suc, exprimé et clarifié,
est un des sucs d'herbes les plus usités. On fait avec les
(eiiilles et les tleurs de la bourrache une décoction que l'on
édulcore avec une quantité convenable de miel, de sucre ou
de sirop , et qui s'administre surtout dans les catarrhes pul-
monaires légers. Elle est adoucissante, diaphorétique et
diurétique , à cause du nitrate de potasse que contiennent
ses organes. On fait aussi avec les fleurs séparées une inlu-
sion simplement émollieate, indiquée notamment dans la
rougeole, la scarlatine, etc. Dans quelques i)ays on cultive
la bourrache comme plante potagère, et l'on mange ses
feuilles comme les épinards. On se sert aussi de ses fleurs
pour orner les salades Démezil.
BOURRASQUE, de l'italien iw/'osca, tempête vio-
lente et soudaine , qui se manifeste soit sur mer, soit sur
terre. C'est une crise de l'atmosphère, une augmentation
dans la force du vent, ou \\\\ tourbillon qui se lève tout à
cou;) dans le calme ; la bourrasque, qui est en quelque sorte
un synon\iiie de grain, est, comme lui, de peu de durée.
Celte expression s'applique aussi, au figuré, à ces émo-
tions populairesou à ces mouvements bruscpies et momenta-
nés de la colère chez un individu qui font d'ordinaire plus
<le bruit que de mai , et passent avec le motif qui les a fait
naître. En politique, comtne en morale, la boun'asquc est
une explosion de maujaise humeur, qu'on ne peut éviter,
p.ace qu'elle éclate à l'improviste.
liOURRE. On donne ce nom au poil de certains ani-
maux, tels que le cheval, le bœuf, etc. 11 y a une très-grande
similitude entre la bourre et le duvet; mais ce dernier ne
se trouve jamais seul sur l'animal qui en est couvert, il est
toujours accompagné de plume ou de poils longs et rudes.
On appelle encore ainsi les déchets de la .soie et les ma-
tières qui proviennent des diaps tondus ou grattés avec des
chardons.
On appelle aussi bourre de l'herbe grossière, à demi
morte, et qui ne se renouvelle qu'imparfaitement au retour
de la belle saison.
C'est encore le nom que les jardiniers donnent aux bour-
geons florifères des arbres fruitiers.
Enfin le mot town-e désigne le petit tampon de papier qui
nt ent la charge d'un fusil dans le canon, et que l'on foule
a '.cela bat'ict'.e. Xt^ssiinRK
— BOURREAU 405
BOURREAU. On appelait ainsi autrefois et encore au-
jourd'hui on désigne vulgairement parce nom l'exécuteur
des arrêts criminels. Ce mot vient des verbes bourrer,
bourreler, maltraiter, tourmenter.
L'office du bourreau parait avoir été inconnu aux nations
anciennes, chez lesquelles les exécutions à mort étaient faites
le plus ordinairement par la foule du peuple, qui lapidait le
coupable, ou par le poison, qui était l'emis au condamné. En
Grèce c'était une charge judiciaire : Aristote range même le
bourreau parmi les principaux magistrats de la république, A
Rome c'était une des attributions des l i c t e u r s : à peine trouve-
t-on dans le cours entier de son histoire quelques rares exé-
cutions faites par un seul homme, les coupables étant d'or-
dhiaire précipités du haut delà roche ïarpéienne. C'est dans
l'histoire du Bas-Empire ou du moyen âge que doit se pla-
cer l'origine de cette institution, qui naturellement appar-
tenait aux temps de la barbarie ; aussi est-ce chose tristement
surprenante que l'importance qu'avaient alors ces odieuses
fonctions, et que la diversité des moyens employés pour les
exécutions. Il fallait que le bourreau fût un liomme uni-
versel, savant dans l'art de tourmenter et de détruire. « On
considère ici, dit Bouchcl, diverses manières d'exécution,
selon les diverses sentences par le juge prononcées; car
communément le bourreau fait son office par le feu, l'es-
pée, la fosse, l'écartelage, la roue, la fourche, le gibet,
pour traîner, poindre ou piquer, couper oreilles, démem-
brer, flageller ou fustiger par le pillory ou eschafaud, par
le carcan et par telles autres semblables peines, selon la
coutume, mœurs et usages du pays, lesquelles la loy ordonne
pour la crainte et punition des malfaicteurs. » C'est aussi
à la môme éiioque que l'infamie .s'est attachée aux fonctions
du bourreau. Jl était pour ainsi dire frappé d'ostracisma
ou comme si on lui avait interdit le feu et l'eau. Ainsi , le
bourreau ne pouvait avoir logement dans la ville de Paris.
En conséquence, un arrêt du paricment, du 31 août 1709,
défendit au bourreau d'établir sa demeure dans Paris, à
moins que ce ne fût dans la maison du pilori, à cause de
l'indignité de son office. Ce fut par le même motif que,
pour subvenir à ses besoins personnels, on lui avait donné
un droit de dîme, dit de havagc, et de rijlerie sur toutes les
denrées apportées à Paris parles forains, tout le monde re-
fusant l'argent du bourreau. Au reste, ses droits, comm«
ceux des hauts et puissants seigneurs, étaient constatés par
des lettres patentes, qui nous apprennent que de chacune per-
sonne qu'il mettait au pilori, il avait à prendre cinq sous.
« Item, ajoutent ces lettres des droits du bourrel, est à noter
que quand un homme est juslicié pour ses démérites, ce qui
est au-dessous de la ceinture est au bourrel, de quelque
prix (jue ce soit. » Plus tard la dépouille entière du pa-
tient fut dévolue au bourreau.
De tels avantages eurent on général pour effet d'assurer
la succession non interrompue des bourreaux, et l'on a ra-
rement manqué de gens de bonne volonté pour remplir
cet oflice , qui de nos jours encore est l'objet de vives sol-
licitations. Cependant quelquefois des villes sont demeurées
assez longtemps sans bourreau , parce que personne ne si
présentait pour en remplir l'office. C'est ce qui arriva à
Rouen en 1312 : à cette occasion ou éleva la prétention,
assez bizarre, que l'exécution devait être faite par la corpo-
ration des huissiers; sur leur refus, l'on en vint à discuter si
ce n'étdit pas là une des obligations légales de leur charge;
et après un mûr examen, un arrêt solennel les condamna,
non pas à exécuter eux-mêmes , mais à trouver un exécu-
teur, en allant, aux frais du roi, de vJIe en ville chycher
un bourreau qui voulût bien les suivre. La ville de Londres
s'est également trouvée dans le même embarras, non qu'ell»
manquât d'un bourreau, mais parce qu'un jour l'on s'avisa
de le faire arrêter pour dettes au moment même où il con-
duisait trois condamnés à la potence; force fut de suspendra
l'iïxéc'uiion et de réintégrer les prisonniers.,
"5.
506
De ce que d'anciunnes ordonnances t'ont mention d'exécu-
tions à faire par des femmes , on en a voulu conclure que
la charge de bourreau avait été érigée en titre d'office
même pour des femmes; mais c'est là une erreur : les exé-
cutions dont parient ces ordonnances se réduisaient au sup-
plice de la fustigation, qui ne devait être infligé aux fem-
mes que par des femmes; celles-ci ne prenaient point pour
cela le titre de bourreau , et n'en avaient ni les droits ni
les privilèges.
Suivant une erreur populaire généralement accréditée, des
Iionunes ont pu être forcés autrefois, soit par le hasard de
leur naissance, soit par la nature de leur profession, à sup-
pléer ou remplacer le bourreau : est-il besoin de dire que
jamais aucune loi n'a poussé à ce point la barbarie?
Joseph deMaislre, avec son sanglant mysticisme, voit dans
le bourreau un être extraordinaire, et il en fait la clef de voûte
de 1 édifice soc al. « Qu'esl-cc donc, dit-il, que cet être inex-
plicable qui a préféré à tous les métiers agréables, lucratifs,
honnêtes et même honorables qui se présentent en fouie à
la force ou à la dexli rilé humaine, celui de tourmenter et
de mettre à mort son semblable ? Cette tête, ce cœur sont-ils
faits coMuneles nôtres? ne contiennent-ils rien de particulier
et d'étranger à notre nature? i'our moi, je n'en sais pas
douter. Uest faitcomuie nous extérieurement, il naîlcomme
nous; mais pour qu'il existe dans la famille humaine, il faut
un décret particulier, un fiat de la puissance créatrice. 11
est crté comme un mondo.
« Voyez ce qu'il est dans l'opinion des hommes, et compre-
nez, si vous le pouvez, comment il peut ignorer cette opinion
ou l'affronter! A peine l'autorité a-t-elle désigné sa demeure,
à peine en a-t-il pris possession, que les autres habitations
reculent jusqu'à ce ([u'elies ne voient plus la sienne. C'est
au milieu de cette solitude et de cette espèce de vide formé
autour de lui, qu'il vit seul avec sa femelle et ses petits, qui
lui font connaître la voix de l'homme; sans eux il n'en con-
naîtrait quelesgiuiissemenls... Unsignal lugubre est donné;
un ministre abject de la justice vient frapper à sa porte
et l'avertir qu'on a besoin de lui. Il part, il arrive sur une
place publique couverte d'une foule pressée et palpitante.
On lui jette un empoisonneur, un parricide, un sacrilège :
il le saisit, il l'étend, il le lie sur une croix horizontale, il levé
le bras: alors ilse fait un silence horrible, et l'on n'entend plus
que le cri des os qui éclatent sous la barre et les hurlements
delà victime. 111a détache, il la porte sur une roue : les mem-
bres fracassés s'enlacent dans les rayons , la tête pend ; les
cheveux se hérissent, et la bouche, ouverte comme une four-
naise, n'envoie plus par intervalle qu'un petit nombre de
paroles sanglantes, qui appellent la mort. Il a iini ; le cœur lui
bat, mais c'est de joie; il s'applaudit; il dit dans son cœur :
i\ul_ ne roue mieux que moi. Il descend, il tend sa main
.souillée de sang, et la justice y jette de loin quelques pièces
4'or, qu'il emporte à travers une double haie d'hommes écar-
tés par l'horreur. Il se met à table, et il mange, au lit en-
suite, et il dort. Et le lendemain en s'éveillant il songe à
tout autre chose qu'à ce qu'il a fait la veille...
« Et cependant toute grandeur, toute puissance, toute
subordination repose sur l'exécuteur; il est l'horreur et le
lien de l'ass^jcialion humaine. Otez du monde cet agent in-
compréhensible; dans l'instant même l'ordre fait place au
chaos, les trônes s','.bîment et la société disparaît. »
UOUimKAU DES ARIiRES, nom vulgaire du cd-
l astre griwpant.
BOCKREE. Ce pas de danse, originaire de l'Auvergne,
est composé de deux mouvements, savoir : un demi-coupé,
ou pas marché sur la pointe du pied , et un demi-jeté, ainsi
nommé parce qu'il n'est sauté qu'à demi. A rencontre des
basses-dun.ses (qui étaient celles où l'on marchait au lieu de
sauter), les gigues et les bourn'es ne peuvent être dan.sées
<5u'avfcdes jupestrcs-comtes. Aussi est-ce Marguerite de Va-
iois qui, ayant les jamk-s fort Lelies, introduisit ces danse» a
BOURREAU — BOURRELET
la cour. Elles commencèrent à prendre faveur lors des fêtei»
qui curent lieu à Havonne, en 1565, à l'occasion de l'entrevue
de Catherine de Médicis avec sa fille aînée Marguerite de
France. La bourrée , restée à la mode depuis le règne da
Charles IX jusqu'à celui de Louis XIII, était encore en
grande faveur sous la régence. Cependant son allure un peu
vive ne lui permit pas de s'acclimater à l'Opéra , oii le genre
noble garda toujours droit de préséance. Maintenant la
bourrée ne se danse plus que dans les villages de certaines
provinces , et si on la rencontre à Paris, ce n'est guère que
le dimanche et le lundi , dans les cabarets où se réunissent
les porteurs d'eau , charbonniers et autres industriels venus
du pays natal de cet exercice chorégraphique.
L'air sur lequel se danse la bourrée port,e le même nom.
Il est à deux temps gais, et commence par une noire avant
le frappé. Dans ce caractère d'air, on lie assez fréquemment
la seconde moitié du premier temps et la première du se-
cond par une blanche syncopée.
BOURRELET. Ce mot désignait autrefois une partie
de l'habillement ou du vêtement de tête, qui servait com-
munément à la coiffure des deux sexes. Plus tard , les ma-
gistrats et les docteurs des universités consersèrent à leur
chaperon un petit tour rond qui représentait l'ancien bour-
relet, et les femmes se servirent également de bourrelets
pour soutenir et arranger leurs cheveux. Longtemps après
que le bourrelet avait totalement disparu de la coiffure des
hommes et des femmes en Europe, il était encore resté ex-
clusivement celle du jeune âge. Ces bandeaux rembourrés et
épais dont on ceignait la tête et le front des enfants avaient
le désavantage de provoquer dans ces parties une transpi-
ration abondante, qui, ne pouvant s'échapper, se concré-
lait et donnait naissance à ces croûtes appelées improprement
croûtes de lait , ou à d'autres éruptions du cuir chevelu
difliciies à guérir. On a enlin compris le vice de cette coif-
fure , et on l'a généralement remplacée par des bourrelets
fort légers, composés de baleines, de branches d'osier ou de
pailles réunies simplement par des rubans, et dégagés de tout
l'attirail dont on les chargeait autrefois pour préserver,
disait-on, du froid, ou prévenir les coups résultant des
chutes de l'enfant. On sait d'ailleurs aujourd'hui que la tète
des enfants est douée d'une sorte d'élasticité qui rend ces
chutes b'en moins dangereuses qu'on ne le croyait.
Bourrelet, en termes de botanique et de jardinage, est
cette excroissance que l'on remarque sur certaines parties
des arlres, surtout aux greffes et aux boutures, et sur le
bord des plaies faites aux arbres, qui après .s'être refermées
s'en recouvrent insensiblement. Dans l'arbre , comme dans
riiomme , il n'y a point de régénération autre que celle de
l'écorce et de la peau : le muscle emporté , détruit, etc., ne
se régénère pas, la peau seule .s'ttend , ses bords se rap-
prochent, et la cicatrice se forme; le bois entailki, coupé,
mutilé, ne végète plus, l'écorce seule recouvre la plaie.
C'est pourquoi on trouve souvent dans le tronc d'arbres
très-sains d'ailleurs des parties de bois desséchées et en-
sevelies sous le bourrelet.
En anatomie, on donne le nom de bourrelets à certains
cartilages fibreux qui entourent les cavités articulaires,
dont ils augmentent la profondeur. Quelques anatomistes
ont aussi appelé bourrelet la corne d'.\nnuon.
Bourrelet, en termes de blason, est un tour de livrée,
rempli de bourre et tourné comme une corde, qiic les an-
ciens chevaliers portaient dans les tournois ; il était de la
couleur des émaux de l'écu ou des couleurs ordinaires des
chevaliers; ceux que les simples gentilshommes mettaient sur
leurs casques portaient le nom de tresque, torque et toride.
En termes de marine, on appelle bourrelets de grosses
cordes que l'on entreUu-e autour du mût de misaine, du
mât d'artimon et du grand n\iU pour tenir la vergue dans
un combat et suppi' er aux m:i!;œ;;\rcs ti elles venaient à
("Ire I oiip-es.
d
En termes d'artillerie, rextréniilt! d'une pièce de canon,
vers la bouche , qui est renforcée de métal pour soutenir la
charge, prend le nom de bourrelet, dont elle a la forme.
Les personnes qui portent des fardeaux sur la tête donnent
aussi ce nom à un cercle ou rond , espèce de couronne d'é-
toffe ou de linge, qu'elles mettent sur leur tête, et sur
lequel elles appuient leur charge; enfin on appelle du même
nom tous coussins de même forme , remplis de bourre ou
de crin, qu'on emploie à divers usages.
BOURRELIER. On appelle ainsi l'artisan qui fabrique
et Tend toutes sortes de harnais pour chevaux, ânes, mu-
lets, etc. : comme brides, licous, colliers, bâts, etc. Il est
très-vraisemblable que le nom de cette profession vient de
l'emploi que l'ouvrier fait sans cesse de la bourre de veau,
de bœuf, de cheval, de inulet , d'âne , etc.
Les bourreliers , comme on peut en juger par les ouvrages
qui sortent de leurs mains, emploient encore le bois et le
fer pour faire les carcasses des bâts et des colliers, le cuir, la
l)eau , la toile. Leur état a beaucoup de rapports avec celui
(!e cordonnier, puisqu'ils taillent et assemblent continuelle-
ment des pièces de cuir; mais ils se servent habituellement
ti'une aiguille pour passer le fil, tandis que le cordonnier
l'ait usage d'une soie de sanglier pour la même opération.
Comme chacun sait, un harnais complet se compose
d'un grand nombre de pièces de matières et de formes très-
difTéientes. Aussi le bourrelier tire-t-il du fondeur les son-
nettes et les grelots, du serrurier les boucles, du passemen-
tier les houppes et autres ornements de même genre ; enfin,
il emprunte le secours du peintre pour décorer les panneaux
qui renforcent les colliers. Les bourreliers joignent souvent à
leur industrie celle desellier. Dans quelques pays du nord,
ils la cuiiiulent même avec celle de tapissier. Teyssèdhe.
COURRI£N1XE(Louis-Antoine FAUVELET de), na-
quit à Sens, le 9 juillet 1769. Il entra fort jeune à l'école de
JJriennc, où il se lia intimement avec Napoléon Bonaparte.
« Il y avait entre nous, dit-il dans ses Mémoires, une de
ces sympathies de cœur qui s'établissent bien vite. » En
17S3 les deux amis partagèrent le prix de mathématiques,
dans une distribution solennelle que présidèrent le duc d'Or-
léans et M"'® de Montcsson. Us se séparèrent en 1784,
époque de l'entrée de Napoléon à l'école Militaire de Paris,
^lais une correspondance active s'établit entre eux. Bour-
rienne ne prévoyait pas le rôle que devait jouer son jeune
camaïade sur la scène du momie; il l'a déclaré lui-même,
en avouant qu'il n'avait pas gardé une seule de ses lettres
d'enfance. Dans l'une d'elles , Napoléon lui rappelait la pro-
messe qu'il lui avait faite à Dricnne de suivre la même
carrière que lui et d'entrer dans l'artillerie. « Mais une
étrange ordonnance, dit Hourrienne lui-même, exigeait
quatre quartiers de noblesse pour avoir des connaissances
et pour pouvoir servir son roi et sa patrie dans l'art mili-
taire. " M"'* de Bounienne eut beau présenter des lettres
patentes de Louis Xill, on lui objecta qu'elles n'avaient
pas été enregistrées au parlement, et on lui demanda, pour
suppléer cette formalité, une somme de 12,000 l'r., qu'elle
refusa de donner. Son (ils fut ainsi empêché de tenir parole
à Bonaparte, et obligé de renoncer a l'artillerie.
Soiii de iirienne en 178S, il fut recommandé par le mar-
quis d'Argcnteuil il M. de Montmorin, qui le fit partir pour
Vienne avec une lettre pour l'ambassadeur français, auprès
duquel il (levait être employé. Bourrienne ne séjourna que
deux mois dans cette capitale. En quittant Vienne, il se
rendit à Leipzig , pour y étudier le droit public et les langues
étrangères , suivant le conseil même de l'ambassadeur qu'on
lui avait donné pour patron. Ses éludes terminées , Bour-
rienne visita la Prusse et la Pologae, et passa une partie de
l'hiver de 1791 à 1792 à Varsovie, comblé, selon ses expres-
sions , des bontés de la princesse Tysziewicz , sœur de Po-
niatowsiii. Il était admis aux soirées intimes de la cour, oîi
il lisait le MoiiUcur au roi , qui prenait un vif pliii^ir à eu ■
BOURRELET — BOURRIENNE 497
j tendre les discours prononcés à la tribuna ft-ançaise, et sur-
tout ceux des Girondins. Bourrienne avait traduit une pièce
de Kotzebue, Misanthropie et Repentir; la princesse po-
lonaise dont il avait obtenu la confiance et la haute protec-
tion fit imprimer cette traduction à ses frais , à Varsovie.
De la cour de Pologne Bourrienne revint dans la capitale
de l'Autriche.
Il était rendu à Paris vers le milieu d'avril 1792, et i! y
rencontra son ancien camarade de Brienne , Bonaparte, qui
était , comme lui , assez incertain et assez inquiet sur son
avenir. Ils assistèrent ensemble à l'orgie démagogique du 20
juin, et c'est à Bourrienne que Bonaparte dit avec indigna-
tion en voyant Louis XVI coiffé d'un bonnet rouge par un
homme du peuple : « Comment a-t-on pu laisser entrer
cette canaille? Il fallait en balayer quatre ou cinq cents avec
du canon, et le reste courrait encore. » Peu de jours après
Bourrienne fut nommé secrétaire d'ambassade à Stuttgard ,
et il partit de Paris le 2 août pour se rendre à son poste. lî
laissa son ami sans emploi et presque décidé à retourner en
Corse. Au mois de mars suivant , il fut enjoint aux agents
français à l'étranger de rentrer en France dans le délai de
trois mois, sous peine d'être considérés comme émigrés.
Bourrienne, qui n'aimait pas la révolution, et qui la crai-
gnait, se tint à l'écart, et resta en Allemagne. Il ne rentra en
France qu'en 1795, et rencontra Bonaparte à Paris avec le
grade de général et en disponibilité. Il se relira quelque
temps après à Sens , où il se trouvait lors des événements
du 13 vendémiaire.
Revenu à Paris, il y fut arrêté, comme émigré, en fé-
vrier 1790, Bonaparte était alors commandant en chef de
l'armée de l'intérieur. Malgré toutes les insinuations de
Bourrienne dans ses Mémoires, l'appui que lui prêta bientôt
après son condisciple de Brienne prouve qu'il ne l'abandonna
pas, en cette circonstance, à la persécution directoriale, et
que la lettre qu'il écrivit pour lui au ministre Merlin ne fut
pas tout à fait infructueuse. 11 est probable, au contraire,
que cette lettre exerça une grande inlluence sur la con-
duite du juge de paix qui mit Bourrienne en liberté sans
caution, et qui seul, suivant ce dernier, aurait mérité toute
sa gratitude. Quoi qu'il en soit, au mois de juin suivant,
Bourrienne reçut une lettre de IMarmont, datée du quartier
général de Milan, dans laquelle il était pressé, au nom
du général en chef, de se rendre auprès de son ancien ca-
marade. Lorsqu'on songe que Bonaparte était alors au faite
de la gloire , et qu'il était possible de prévoir qu'il arrive-
rait un jour au faite du pouvoir, on s'étonne qiie Bour-
rienne ne se soit pas rendu avec empressement à cette
invitation. Mais il était alors retenu à Sens pour une accu-
sation de faux, relative à un certificat de résidence, et il
s'occupait activement de repousser ce soupçon et d'obtenir
sa radiation de la liste des émigrés. D'ailleurs, les triomphes
du général en chef de l'armée d'Italie, quelque prodigieux
qu'ils fussent, ne paraissaient pas encore décisifs; aussi
Bourrienne, qui était toujours sous l'induence d'une arrière-
pensée royaliste, jugea-t-il prudent peut-être d'attendre
eiicore pour attacher sa destinée à celle de Bonaparte.
L'année suivante (22 mars 1797), Marmont réitéra ses
sollicitations, et il y joignit un ordre du g:'néral en chef
ainsi conçu : « Le citoyen Bourrienne se rendra auprès du
moi au reçu du présent ordre. » Bonaparte fut oliéi celle
fois ; Bourrienne vint le trouver à Léoben, et prit aussitôt
auprès de lui les fonctions de secrétaire intime. Toutefois,
leurs relations cessèrent d'avoir le caractère de familiarité
qu'elles avaient eu jusque là.
iîourricnne conserva ce poste pendant plusieurs années,
et l'ut nommé conseiller d'Etat. Mais des rapports d'intérêt
avec une maison de banque dont la faillite eut de l'éclat le
lireut tomber en disgrâce. Ce fut du moins là le motif que
le bruit pu'olic donna à son éloigncment du cabinet de Na-
poléon. Bourrienne in-inuc, au contraire qu'il ne lut exclu du
â98
BOURRIENNE — ROURSAULT
l'intimité de l'einpcrcjir et envoyé à Hambourg, comme plé-
nipotentiaire, que pour des conlidenccs faites par lui ù José-
phine sur quelques circonstances de la mort du duc d'En-
gtiien. Quoi qu'il en soit, Courrienne conserva son nouveau
l)oslc jusqu'en 1813. Rentré en France au moment de l'in-
vasion , il se vengea de son ancien camarade en s'abandon-
nant à ses vieilles tendances royalistes, et il figura parmi
les quelques mécontents de liant parage qui se firent les or-
ganes du peuple français et invoquèrent le retour des Bour-
bons sons les fenêtres ou dans l'entourage de l'empereur
Alexandre. Bourrienne fut récompensé de sa participation
au mouvement royaliste (lar la direction générale des postes,
qu'il céda bientôt à l'un des chefs de la r.'action,M. Ferrand. 11
reçuten échange une place de conseiller d'État, et fut nommé
préfet de police à l'approche de Na[)oléon, en mars 1815.
il suivit le roi à Gand, lit ensuite partie de la chambre
introuvable et de toutes celles qui suivirent jusqu'en 1827,
et se (it remarquer dans toutes ces assemblées par son zèle
ultra-monaichique. Rendu à la vie privée sous le ministère
Wartignac , il en profita pour écrire des Mémoires volu-
mineux, dans lesquels il essaye trop souvent de rapetisser on
d'incriminer Napoléon pour se justifier ou se relever lui-
même. 11 est mort fou, à Caen, le 7 février 1834.
LaUUENT (de l'Ardèche).
BOURRU (Caractère), humeur brusque et chagrine,
dit l'Académie française. Le mot bourru, qui correspond
au Huppé; des Grecs et au burrhus des Latins , s'appliquait
dans l'origine aux hoinmcs roux hérissés , car cette couleur
de feu est le Ttùp des Grecs, et l'on attribuait aux personnes
rousses une disposition colérique , léonine, ardente de tem-
pérament ( voyez Roux). D'un autre côté, les individus
velus à la façon des bêtes fauves passent pour brutaux et
féroces. Et en effet lorsque régnent des passions , telles que
le courage , l'audace guerrière , la magnanimité , un ca-
ractère mâle, bourru se fait mieux respecter. Tel fut celui
de nos vaillants ancêtres, qui s'alliait si bien avec la géné-
rosité et la grandeur. Personne n'ignore que la franchise, la
libéralité sont les attributs ordinaires de ce tempérament
tout en expansion; tel est le bourru bienfaisant de la
comédie de Goldoni. Les marins passent pour bourrus,
mais généreux. En général, pourtant, nos habitudes ac-
tuelles, si polies, si obséquieuses, n'offrent plus rien de
bourru; et la crinière de nos lions bipèdes est une bien
vaine apparence du noble caractère du Burrhus peint
jiar Racine. Mais en perdant cette raideur nous n'avons pas
su conserver du moins la fermeté et la vertu du bourru
Alceste , le misanthrope.
On appelle via bourru un vin âpre et dur , quoique ca-
piteux. J.-J. VlREÏ.
BOURSAIÎ. Voyez Brousse.
BOURSAULT ( Enac ), poète et financier, naquit à
Mussi-l'Evéque, en Bourgogne, en 1G38. Homme de for-
tune et de plaisir, il est du nombre de ces auteurs créés
par la nature que ne peuvent réclamer ces tristes serres-
chaudes connues sous le nom de colh^ges; et ses ouvrages,
pour ce motif même, ont, malgré leur fonds léger, un
cachet d'originalité qui les a sauves de l'oubli. A treize ans
il ne parlait que le patois de sa province. Son père , ancien
militaire, attaché à la maison de Coiidé, et qui sans études
avait assez bien fait son chemin, ne voulut pas que son (ils
en sill plus quelui. Arrivé à Paris, Boursault, jeune ho;iimc
fort précoce, sans négliger ses plaisirs, apprit à parler et à
écrire le français, il y réussit assez pour devenir ce qu'on
appelait alors un lionimede bonne compagnie : sesagrémcnts
le firent rechercher à la cour, et les solides qualités de son
c(eur l'y firent estimer. .Ses protecteurs le chargèrent de
conqioscr un livre pour l'éducation du dauphin. Cet ou-
vrage, intitulé La véritable eslude des souverains
{ Paris Ki/l ), plut tellement à Loins XIV, qu'il nomma
Jioursaull !>ous-précci»leur de son fils. Boiutaul refusa, par
1
la raison qu'il ne savait pas le latin. Ce fut avec la même
modestie que Boursault s'abstint de briguer une place à l'A-
cadémie. Thomas Corneille, qui était fort de ses amis, l'en
pressait : les succès dramatiques de Boursault , sa position
dans le monde, lui garantissaient la réussite de ses dé-
marches. « Que ferait l'Académie, dit-il, d'un sujet ignare
et non lettré, qui ne sait ni latin ni grec? — H n'est pas
question , dit Tlioniss Corneille, d'une Académie grecque ou
latine, mais d'une Acailéaiie française. Eh! qui sait mieux
le français que vous? » — Celte raison, toute bonne qu'elle
était, ne put convaincre Boursault.
Son esprit, son talent naturel, avaient brillé dans une a
Gazette en vers, qui eut un grand succès et lui valut une "
pension de 2000 francs de la part du roi, qu'elle amusait beau-
coup. A la fin, il lui arriva malencontre : une œuvre périodique
dont la liberté fait le succès devait finir par indisposer l'au-
torité. Il s'avisa de rimer une aventure galante arrivée à un
révérend père capucin. Le confesseur de la reine jeta feu et
flamme : la gazette fut supprimée , et sans la protection
du prince de Condé, Boursault aurait été à la Bastille. Quel-
ques années après , il lui fut permis de reprendre sa gazette;
mais deux vers assez mordants contre le roi Guillaume,
avec qui l'on voulait alors faire la paix, engagèrent le poli-
tique Lou'is XIV à supprimer encore une fois ce journal sa-
tirique.
Boursault fui plus heureux au théâtre : plusieurs de ses
pièces y obtinrent un succès qui s'est soutenu jusqu'à nos
jours, entre autres Le Mercure galant et Ésope à la cour,
cadres épisodiques, sans plan, sans régularité, mais tracés avec
une verve, une vérité d'observation, qui à chaque reprise,
depuis plus d'un siècle et demi, font toujours découvrir des
grâces nouvelles dans ces immortelles bluettes. Le Mercure
galant fut à sa naissance représenté quatre-vingts fois. La
plupart des plaisanteries qui étincellent dans les pièces de
Boursault ont passé dans la conversation, et bien des gens
les répètent sans savoir à qui ils doivent leur esprit d'em-
prunt. 11 n'a été surpassé dans ce genre par personne.
Lorsqu'on annonça son Mercure galant, Visé, auteur du
journal qui portait ce titre, réclama auprès de l'autorité; et
Boursault ne vit rien de mieux que d'appeler sa pièce La
Comédie sans titre, ce qui doubla le succès de l'oeuvre.
Le sort d'Ésope à la ville, qui eut quarante-trois re|)ré-
sentations de suite, fut aussi très-brillant; mais cette pièce
ne s'est pas, comme les deux autres, maintenue au réper- ■
toire , et il faut l'attribuer à la médiocrité des fables que 1
débite Ésope, médiocrité d'autant plus sensible, que la
plupart de ses sujets avaient déjà été traités par La Fon-
taine. Ce n'est pas que Boursault ait eu la prétention de
rivaliser avec ce grand poète; loin de là! «Ce qui m'a paru
le plus dangereux , dit-il dans sa préface , c'a été d'oser
mettre des fables en vers après l'illustre La l'ontaine. H
ne faut que comparer les siennes avec celles que j'ai faites pour
voir que c'est lui qd est le maître. Les soins que j'ai pris
de l'imiier m'ont appris qu'il était inimitable. » C'est tou-
jours avec cette franchise modeste et noble que Boursault
s'exprime dans ses préfaces, qui toutes méritent d'être
lues; elles font estimer leur auteur, et prouvent qu'il écri-
vait en prose dune manière beaucoup plus nette et plus
agréable que P. Corneille et Boileau.
On voudi ait qu'après avoir été l'ami de Molière, Boursault
ne fiU pas devenu son ennemi. H se persuada que c'était
lui que l'auteur de VÉcole des Femmes avait eu en vue
dans le rôle de Lisidor, et il lit contre lui Le Portrait du
Peintre , comédie satirique, qui , sans être dénuée d'esprit,
ne fit pas fortune. Dans L'Impromptu de Versailles,
Molière, emporté par son ressenliment, eut le tort inexcu-
sable de nommer Boursault, et, bien qu'il ne ratta((ue que
du côté de l'esprit, ce n'en était pas moins mie violation
des bienséances sociales et dramatitiues. Dans celte que-
relle, Boilea-,! pr'it parti pour .Molière contre Boursault,
BOURSAULT — BOURSAULT-MALHERBE
599
qu'il avait nommé dans ses incinières satires. Celui-ci s'en
vengea noblement. Ayant appris à Moiitluçon, où il était
receveur des tailles , que Boileau , qui prenait les eaux de
Bourbonne, s'y trouvait sans argent, il se rendit sur-le-
champ auprès de l'illustre malade, et lui oiïrit sa bourse de
si bonne grâce , que Boileau accepta un prêt de deux cents
louis. Ce fut l'époque d'une réconciliation sincère et d'une
amitié qui ne linit qu'avec leur vie. Boileau, au risque
d'immoler à sa place un malheureux poète dont le nom
put remplir le vide de l'hexamètre, effaça de ses satires le
nom de Boursault ; mais il est toujours resté dans 1'/?»-
promptu de Versailles.
É^sopeà la cour, qui ne fut représenté qu'en 1701, à la
mort de son auteur, offrait quelques tirades alors bien
hardies , telles, par exemple, que la comparaison que fait le
poète entre le peuple et la cour , et ces vers oîi Crésus dit,
à propos des hommages dont il est l'objet, qu'il soupçonne
Qu'on encense la place autant que la couronne.
Que c'est au diadème uu tribut que l'on rend.
Et que le roi qui règne est toujours le plus grand.
Les comédiens, craignant l'allusion à Louis XIV , substi-
tuèrent ce plat galimatias :
Et que le trône enfin l'emporte sur le roi.
Outre ces pièces connues , notre linancier-poëte composa
une petite comédie assez gaie, sous le titre de Mots à la
mode. De ces mots la plupart ont disparu du dictionnaire,
mais quelques autres ont acquis, par l'usage, le droit d'y
figurer. Comme beaucoup d'auteurs comiques, il s'essaya
dans la tragédie : il en fit deux, Germanicus, représentée
en 1G71, et Marie Sluart, jouée en 1684. Gennanicns
eut un si grand succès, que le grand Corneille dit en pleine
Académie g'tf'i/ n'y manquait que le nom de Racine pour
que ce fût un ouvrage achevé.. Ce jugement parait au
premier abord plus étrange encore que le succès ; mais il
cesse de surprendre lorsque, à la lecture de cette tragédie,
on y reconnaît une imitation de Corneille , à peu près aussi
médiocre que les imitations de Campistron et de Danchet à
l'égard de Racine. 11 était alors naturel que Corneille eût
du faible pour son imitateur. Dans sa Marie Stuart , Bour-
sault , qui apparemment connaissait un peu mieux l'histoire
moderne que l'antiquité, a semé quelques sentences poli-
tiques heureusement tournées, qui prouvent qu'il eût pu
réussir dans le genre tragique s'il n'eiit pas travaillé
trop vite; mais, doué d'une grande facilité, riche, consi-
déré comme particulier, aimé, gâté du public comme au-
teur , avait-il besoin de travailler? On a encore de lui deux
ou trois nouvelles ou romans historiques et les Lettres à
Bahct, productions galantes, qui eurent de sou temps un
succès prodigieux, mais qui déjà du temps de Voltaire n'é-
taient plus lues que des provinciaux. On y trouve pourtant
encore des sentiments délicats, des pages bien tournées,
avec un intérêt et un fonds assez légers. Boursault mourut à
ontluçon, le 15 septembre 1701. Charles Du Rozoni.
BOURSAULT - MALHERBE ( Jt-an-François ),
connu surtout comme directeur des jeux et entrepreneur des
boues de Paris, mérita cependant la célé!:rité à d'autres
litres. Des deux noms illustres et historiques sous lesquels
il vécut, un seul lui appartenait en propre. Il descendait
non de Malherbe le poète, mais de Boursault l'auteur
dramatique. Malherbe est un nom d'emprunt, sous lequel il
exerça pendant de longues années la profession d'acteur.
Fils d'un marchand de draps, fort aisé, du quartier des In-
nocents, il quitta Paris poursuivre ime troupe de comé-
diens ambulants. Plein d'intelligence, do hardiesse, de vi-
vacité, d'esprit, et doué d'un pliysique très-avantageux , il
se (it bien vite une réputation dans les premiers rôles. Con-
liant déjà dans son étoile, il osa prétendre à i'hérilage de
Lekain, et il eût succédé peul-Otre à ce grand acicur, si-
Larive ne se fût trouvé là et n'efit déhidé avant lui sur la
scène française. Mais Malherbe no voulut pas avoir fait
inutilement le voyage de Paris ; l'emploi tragique lui étant
interdit, il offrit de débuter dans la comédie, et le r>
décembre 1778 il se fit applaudir dans le Philosophe viarié
et dans la Gageure imprévue. L'important pour lui était
de planter un jalon pour l'avenir, de laisser un souvenir
qu'il pîlt invoquer un jour. Content de son triomphe, il
retourna en province, et s'associa dans l'exploitation du
théâtre de Marseille. Rien d'extraordinaire ne signala sou
séjour dans cette ville. L'entreprise à laquelle il s'intéressa
fut-elle heureuse? On l'ignore. Suivons-le à Palerme, où il
va diriger un théâtre.
Nul n'est prophète en son pays , dit le proverbe ; soit !
cependant , hélas ! le contre-pied de la sagesse des nations
n'est pas toujours une vérité. Quoique étranger, l'imprésario
IMalherbe ne fut pas heureux en Sicile : voyez plutôt cet
homme qui se jette à la mer!.... c'est le directeur du théâtre
de la ville. Mais il prend bien son temps : la voiture du roi
Ferdinand passe; le tumulte, la foule, intriguent le souve-
rain ; il fait anôter les chevaux ; il s'informe , il apprend
que c'est un homme qui voulait se noyer, et que les flots
ont refusé d'engloutir. Ferdinand ordonne que le malheu-
reux soit amené de gré ou de force au palais. Malherbe fait
des façons; néanmoins il cède. Une fois en présence du roi,
il gémit sur la malheureuse vie à laquelle on a la cruauté de
le rendre ; Ferdinand le console, l'interroge, l'encourage;
enfin Malherbe consent à avouer que son acte de désespoir
est la conséquence de la mauvaise fortune de sa direction
théâtrale , et il finit son pathétique récit par ce mouvement
dramatique : « Oh ! que la Sicile me sera cruelle ! » Le roi
fut ému jusqu'aux larmes, et comme, après tout , le peuphî
était là pour payer les libéralités du souverain , les dettes du
malheureux imprésario français furent acquittées; on lui
donna même de l'argent pour retourner dans sa patrie.
Voilà comme un plongeon exécuté à propos peut faire sur-
nager un homme habile 1 Vraie ou fausse , l'anecdote s'est
accréditée.
L'enfant de Paris rentra dans sa ville natale quand la ré-
volution commençait à gronder. Malherbe se lance à corps
perdu dans le parti révolutionnaire ; il reprend son nom ,
fonde un théâtre dans une vaste cour du passage des Nour-
rices, entre les rues Saint-Martin et Quincampoix. Ou-
blieux de la guerre que son bisaïeul a si malencontreuse-
ment faite à l'auteur de l'École des Femmes , et, que sait-
on? pour obtenir peut-être, pour lui et pour sa race, l'in-
dulgence du grand poète comique , il donne à son théâtre
le nom de Théâtre Molière : les œuvres qui s'y jouent no
rappellent pas cependant celles du dieu sous l'invocation du-
quel il a été placé. Le général Ronsin y fait représenter sea
pièces révolutionnaires ; tout le répertoire est choisi jtour
propager les idées du jour. Ce théâtre exerça une influence
directe sur la population, et Boursault recueillit bientôt le
prix de son intelligente activité. Nommé d'abord électeur
de Paris, il devint, en 1793, membre suppléant à la Con-
vention nationale. Quoiqu'il n'ei'it siégé dans cette assenddée
qti'après la mort de Louis XVI, il fut sous la Restauralioa
rangé, par certains écrivains royalistes, parmi les votants.
Boursault fit redresser par les ti'ibunaux celle erreur volon-
taire ou involontaire, qu'il eût acceptée à l'époque où il fai-
sait jouer sur son théâtre la Ligue des Fanatiques et des
Tyrans.
Membre de la Convention , Boursault eut à remplir plu-
sieurs missions politiques dans divers départements, et il
fut souvent accusé de concussion. Des rapports sur sa con-
duite furent à la vérité demandés par lui-même j l'assemblée
les ordonna , mais les événements allèrent plus vite que les
rapporteurs, et il ne fut jamais absolument avéré que l'eu-
tre|)reneur des charrois militaires eût marché à la fortune
l>ai' des roules tortueuses. La scène politique était bien dan-
gereuse |)our un Iionnne d'une imagination aussi active el
600
B0URSAULT-?iîALl5Eaiifi — HOURSE
aussi variiible; il en descendit , et songoa à reprendre les
lèncs du Théâtre Molière, qu'il avait cédées à son camarade
J.achapelle, auteur-comédien et directeur, qui avait porté sa
tête sur l'écliafaud le 24 mars 1794. Ce théâtre avait pris
le nom de Théâtre des Variclés nalïonales et étrangères;
Boursault entrevit un succès dans l'exploitation des auteurs
dramatiques étrangers, que rentre[)rise de Letourneur avait
mis à la mode. Son esprit révolutionnaire se reporta de la
politique vers la littérature; il effaça le mot nationales du
frontispice de son théâtre, et n'y lit jouer que Lope de Vega,
Caldéron , Schiller, Antonio José, etc. La spéculation ne fut
pas heureuse; mais d'autres jeux que ceux de la scène l'en-
richirent; il trouva des millions dans un autre fumier que
celui d'iinnius. Le balayage des rues de l'aris et l'exploi-
tation des maisons de roulette et de trente et quarante , qu'il
sollicita et obtint successivement, telles furent les sources
de son immense fortune. Il en est encore de moins pures;
il en est aussi de moins bien employées. Boursault était
grand amateur de tableaux; sa galerie a été longtemps re-
nommée; l'horticulture lui doit aussi beaucoup : ses plantes
exotiques, ses magnifiques serres, ses jardins, les mieux
entretenus de l'Europe peut-être , amenaient chez lui tous
les étrangers qui visitaient Paris. Chefs d'œuvre de la pein-
ture, lleurs embaumées, noble et douce purification de tré-
sors venus de la roulette perfide et de l'impôt de Vespasien !
L'activité de cet homme singulier n'abandonna pas plus
son esprit que son corps. En 1 830 il eut un retour de jeu-
nesse : il acheta trois millions la salle Yentadour ; et par
un coup de commerce il gagna quinze cents mille francs à
cette opération ; mais il eut un moment de vertige quand,
(pielques mois après, il ne recula pas, à son âge, devant la
(lirection de l'Opéra-Comique. C'en était fait de ses jardins,
de sa galerie, de sa fortune. Par bonheur pour lui , cette hal-
lucination se dissipa; alors, appréciant d'un coup d'œil sa po-
sition désespérée, il rassemble les artistes et les employés du
théâtre , les harangue, leur montre le précipice que sa fortune
ne pourra combler, puis, soulevant une draperie placée sur
une table, il leur découvre des piles d'or et des billets de
banque : « Vous avez le droit , dit-il , de me forcer à con-
tinuer l'exploitation de mon privilège; mais ma faillite est
au bout de mes efforts, et vous perdrez alors une partie du
temps que nous passerons ensemble. Si , au contraire , vous
voulez rompre immédiatement avec moi , je vous paye à
l'instant même une année de vos appointements. » Long-
temps malheureux sous de précédentes directions, éblouis
d'ailleurs par cet appât inusité d'or et de billets, hommes
et femmes, chanteurs, instrumentistes, contrôleurs, allu-
meurs, garçons de peine, toute la troupe enfin accepte la
proposition, et touche douze mois de solde anticipée.
L'homme du tapis vert avait bien calculé son effet; cette
part donnée au feu sauva une fortune entière, qui eût été
dévorée.
Un nouveau caprice s'empara bientôt du vieillard , tou-
jours vigoureux , toujours inconstant dans ses goûts ou ses
fantaisies. Sa galerie est mise en vente, ses fleurs si rares
sont dispersées par la folle-enchère, son parc est abattu , et
sur l'emplacement s'élèvent deux rangées de maisons paral-
lèles qui prennent le nom de me Doursault. Ce lut sa der-
nière entreprise. Il mourut peu de temps après. Du comé-
dien, du directeur de théâtre, rien ne serait resté dans la
mémoire des hommes; du représentant du peuple, un fait
controuvé et des accusations vagues; du directeur des jeux
et de l'entrepreneur du balayage public, une renommée de
iiasard et un peu bourbeuse; de l'amateur de tableaux et de
riiorlicultctir, un renom peu coloré et effeuillé bien vite; en
se faisant constructeur de maisons, Boursault, l'enfant de
Paris, a inscrit son nom dans les fastes de la grande ville.
Etienne Ai;,\co.
BOURSE, BOUBSIKR. La première, c.'esf-à-diie la plus
aiHiennc (.oiumic la plus communoacccpliondii mot [{nurse,
venu du grec pupaa, qui signi.'ie cuir, est celle qui s'ap-
plique à ces petits sacs dans lesquels on met l'argent dont on
a besoin pour ses emplettes journalières. On en fait en peau,
en toile, en tricot, en crochet, en soie, en cheveux ou eii
matières d'or, d'argent, etc. On les ferme d'ordinaire soit
avec des cordons, soit avec un fermoir en acier poli , qui
s'ouvre en poussant un bouton ; quand la bourse est double,
c'est-à-dire en forme de bissac, on la ferme avec des an-
neaux.
Par analogie, on a donné aussi autrefois le nom de bourse
à cheveux à un petit sac de taffetas , dans lequel les hommes
portaient leurs cheveux.
Le mot Bourse , dans un sens plus étendu , se prend pour
tout l'argent dont un bomnie peut disposer. On dit, au
figuré, qu'un homme a une bonne bourse, pour dire qu'il
est fort riche. Avoir la bourse, tenir la bourse, c'est être
chargé de la dépense commune dans un ménage ou dans _—
une association. On dit que les voleurs de grands chemins ■
demandent la bourse ou la vie à ceux qu'ils attaquent. ■
C'est ainsi du moins qu'on les fait parier au théâtre. On ap-
pelle coupeurs de bourse ceux qui l'attrapent subtilement,
sans user de violence. On dit aussi se procurer quelque
chose sans bourse délier, c'est-à-dire sans être obligé de
débourser de l'argent. Vivre selon sa bourse , c'est ne pas
dépenser plus que son revenu; vivre sur la botirse d^iu-
trui, c'est vivre aux dépens d'autrui ; avoir la bourse bien
ferrée, c'est l'avoir bien garnie ; avoir la bourse plate, c'est,
au contraire, n'avoir point ou n'avoir que fort peu d'argent ;
avoir le diable dans sa bourse, ou , selon La Fontaine, lo-
ger le diable en sa bourse, c'est être absolument dipour\ u
d'argent. On dit encore qu'un homme fait bon marché de
sa bourse , lorsqu'il dit qu'une chose lui coûte moins qu'il
ne l'a payée réellement.
Bourse est aussi une manière de compter dans le Le-
vant. Elle -vaut aujourd'hui 500 piastres , en Turquie.
Bourse, en termes de collège , est une somme annuelle
assignée par le gouvernement, ou par quelque fondateur,
pour l'entretien gratuit d'un étudiant. Il y a aussi des demi-
bourses, dont les titulaires ne payent que la moitié du prix
exigible pour la pension. Ceux qui obtiennent et (jui pos-
sèdent ces bourses ou demi-bourses sont appelés boursiers.
C'est aussi le nom de l'artisan qui fabrique les bourses,
et c'était encore autrefois le nom de ceux qui les vendaient.
Les boursiers, avant la révolution, vendaient, en outre, des
parapluies , des ombrelles , des fallots , des gants , des cu-
lottes de peau , etc. Aujourd'hui , ce sont les gantiers, les
merciers et les marchands de nouveautés qui vendent les
bourses.
Les agents de change, les avoués, les commissaires pri-
seurs, les huissiers et les notaires ont des botirses comnmncs,
c'est-à-dire une mise en commun d'une partie de leurs droits
ou vacations, pour subvenir à des dépenses communes, ou à
leur existence en cas d'infirmité.
BOURSE ( Histoire naturelle). Dans les sciences qui
ont pour objet l'étude des corps naturels , on a donné ce
nom tantôt à des parties de ces corps, tantôt à des indi-
vidus de diverses espèces qui ressemblent à un sac , à ou-
verture unique.
En botanique, on nomme bourse une espèce de poche
adliérente à la base du pédicule des champignons et entou-
rant toutes les autres parties avant leur développement.
Cette bourse se déchire par le haut et laisse passer le pé-
dicule et le chapeau du champignon, qui en emporte quel-
quefois des débris à sa surface.
Dans les mammifères, le sac cutané qui enreloppe l'or-
gane sécréteur du sperme, est appelé bourse scrotale ou
scrotitm. Le repli de la peau du ventre destiné à recueillir
le produit de la génération dans les didclphcs est encore
une bourse abdominale , d'où le nom de nianinn'/ères à
bouis(? ou m a r s u p i a u X .
BOURSE
601
On appelle vulgairement bourse ou gibecière une espèce
d'huître [ostrea 7-«rf(</a)et un peigne {pecten radida).CeT-
tains poissons (diodons, tétrodons , quelques espèces de
balistes), qui sont remarquables par la faculté de se gonfler
comme des ballons, en introduisant une grande quantité d'air
dans leur estomac ou plutôt dans l'espèce de jabot exten-
sible silué dans l'abdomen, ont été nommés boursoujliis ou
bourses. Ainsi gonflés, ils flottent à la surface de l'eau, le
ventre en l'air; les piquants de leur peau sont alors hérissés
et les défendent contre leurs ennemis. L. Lacuent.
BOURSE ( Commerce ). Cest la réunion qui a lieu, sous
l'autorité du gouvernement , des commerçants , capitaines
de navire, agents de change et courtiers; cette réunion a
pour objet la vente de toutes marchandises et des matières
métalliques, l'affrètement des navires, les assurances contre
certains risques, les transports par terre et par eau, la vente
des rentes sur l'État , la négociation des effets publics et de
tous ceux dont le cours est susceptible d'être coté , celle
des billets et papiers commer(,'ables.
Les bourses de commerce ont été instituées pour faciliter
des opérations importantes, qui ne pourraient s'effectuer
que par la voie lente des annonces, des journaux et autres
moyens semblables ; elles mettent en présence et en rapport
direct, immédiat, les acheteurs et les vendeurs, placent
sous la surveillance de l'autorité des opérations qui se rat-
tachent à l'intérêt général , servent à constater réguliè-
rement le cours des marchandises et des etïels publics , et
permettent enfin aux négociants de connaître la mesure de
crédit que méritent la plupart des maisons de commerce par
la nature môme des opérations auxquelles elles se livrent.
Dans tous les pays civilisés on a senti le besoin de con-
sacrer un lieu à la réunion des commerçants , pour rendre
plus faciles leurs transactions.
Les négociants d'Athènes se réunissaient au port du
Pirée. Tite-Live nous apprend que la première assemblée
régulière de commerçants eut lieu à Rome sous le consultai
d'Appius Claudius et de Publius Servilius, 259 ans après la
fondation de cette vilie, et 493 ans avant l'ère chrétienne ; elle
se nommait le collège des marchands.
Si l'on en croit une vieille tradition, c'est à Bruges, en
Flandre, qu'au seizième siècle on s'est sei vi pour la première
fois du moibourse pour désigner le lieu où les marchands te-
jiaient leurs assemblées , lequel n'était autre que la maison
d'une famille de gentils-hommes appelée Van der Beurse.
Suivant d'autres , il proviendrait de ce que la première
réunion de ce genre tenue à Amsterdam avait lieu dans
une maison au-dessus de la porte d'entrée de laquelle étaient
gravées dans la pierre trois bourses, en manièie d'enseigne.
Une ordonnance de la reine Elisabeth donne à la Bourse de
Londres la dénomination de Royal-Exchange ; et les bourses
qui existent aujourd'hui dans les différentes villes d'Angle-
terre n'y sont encore désignées que sous le nom d'ej;-
changes. En France, une bourse fut instituée à Toulouse,
en 1549; une autre à Rouen, eu 1559; cette dernière était
désignée sous le nom de Convention de Rouen. A Paris
et à Lyon on donna le nom de jjlace du change aux as-
semblées de négociants.
C'est dans la grande cour du palais de Justice, au-dessous
de la galerie Dauphine , près de la Conciergerie, (jne se ras-
semblaient les commerçants de Paris; ce n'est que le
24 septembre 1724 qu'un arrêt du conseil créa la première
bourse que la capitale ait possédée; le siège en fut aussitôt
transféré à l'hôtel de Nevers, rae Vivienne. La révolution
de 1789 brisa les entraves qui avaient enchaîné jusque alors
le commerce et l'industrie. Les bourses , et surtout celle de
Paiis , eurent dès ce moment une grande influence sur les
affaires publiques; on peut même dire que la situation de
la bourse de l'aris est aujourd'hui le thermomètre du cré-
«lit ])ui)lic. A la suite des grand.'S agi;alious et des événe-
ments désastreux de I7'j;5, les dilféi entes bourses de France
UICT. M I.A CC'.NiCl.S. — T. UI-
furent momentanément fermées. Un décret du G floréal
an m ordonna qu'elles seraient partout rouvertes. Le con-
sulat, qui s'appliquait à tout reconstruire , ne négligea pas
l'institution des bourses de commerce; une réorganisation
générale eut lieu. Des arrêtés spéciaux ordonnèrent en outre
qu'un grand nombre de bourses seraient établies là où il n'en
existait pas encore. Un décret du 16 avril 1852 en a établi
une à Alger.
Sous l'Empire la bourse ne put que souffrir du système
militaire qui se développait avec tant d'énergie; aussi"fit-ello
sourdement obstacle à la mission régénératrice dont l'empe-
reur se regardait comme l'instrument providentiel. Elle ne
manqua pas de se dédommager sous la Restauration d'em-
barras et d'entraves que les revers de 1813 étaient venus ac-
croître. Sous le gouvernement qui succéda à la Restauration ,
l'agiotage, objet des plus scandaleuses faveurs de la part d'un
pouvoir corrompu et corrupteur, eut la Bourse pour temple.
Les bourses ont toujours été placées sous la dépen-
dance du gouvernement; c'est lui qui les ouvre, lui qui
veille à leur police intérieure, lui en.ln qui les ferme : c'est
donc au gouvernement que pourraient remonter les re-
proches que l'on a adressés à ces institutions, si les abus que
l'opinion publique ne cesse de signaler n'étaient pas ré-
primés. Comme à l'origine, toutes les précautions nécessaires
pour préserver les bourses des excès de l'agiotage ont été
prises par la loi, c'est sur le pouvoir chargé de l'applitjuer
que retombe en définitive la responsabilité des infractions
à la loi qui y sont commises.
Le préfet de police à Paris, les maires et officiers de police
des villes de département sont chargés de l'exécution des
règlements qui concernent la bourse.
L'entrée de la Bourse est interdite aux faillis qui n'au-
raient pas obtenu leur réhabilitation, à ceux qui se seraient
immiscés dans les fonctions d'agents de change et de cour-
tiers, à ceux, enfin, qui auraient été condamnés à des peines
affiictives ou infamantes. Ces individus exceptés, les bourses
sont ouvertes à tout le monde , aux étrangers comme aux
nationaux.
Par unemesure de prudence etde sagesse, qu'on ne saurait
trop approuver, la loi n'a pas permis aux femmes de se mon-
trer dans les bourses.
En résumé, les bourses sont des étaf.lissements fort utiles,
lorsqu'elles sont maintenues dans les limites que la loi leur a
sagement fixées. Lorsqu'elles en sont sorties, des catastro-
phes terribles, suites inévitables du trafic effréné qui s'y fai-
sait sur des valeurs fictives, ont prouvé jusqu'à quel point
les désordres qui peuvent résulter de ces réunions de com-
merçants et de spéculateurs sont de nature à atteindre et
compromettre le crédit général.
11 nous reste à dire un mot des monuments remarquables
qui servent de bourse en différents pays.
La Bourse de Londres , o\\ Rogai-Exchange , recons-
truite après le terrible incendie qui ravagea cette capitale
en 16GG, passe pour avoir été élevée sur les dessins d']-
nigo Jones. Elle a C7 mètres de long , sur 58 de large. L'é-
difice est divisé eu deux parties distinctes : l'une, plus par-
ticulièrement désignée sous le nom de Royal-Exchange,
est consacrée à la vente des marchandises et des lettres de
change; l'autre, appelée Stock-Exchange, est le marché de-i
fonds publics et des actions. 11 existe en outre à Londres
des exchanges pour la vente de différentes matières, par
exemple le Corn-Exchange, bourse aux grains, le Coal-
Exchange, bourse aux charbons, etc.
La Bourse d'Amsterdam, bâtie par Dankers , commen-
cée en 1608 et finie en 1613, est également remarquable.
Cet édifice a 81 mètres de long sur 45 de large. U est sou-
tenu par trois grandes arcades sous lesquelles passent des
canaux. On trouve au rez-de-chaussée un portique qui en-
vironne la grande cour et au-dessus duquel sont des salles
soutenues par quarante-six piliers tous numérotés, et assi-
76
602
BOURSE
giiés chacun soit tt une nation, soit à des marcliaodises de
niôine genre.
La Bourse de Saint-Pétersbourg, terminée en 1811,
d'après les plans donnes par un architecte français, M. To-
mon, et qui ne fut ouverte au commerce que Iel5 juin 1816,
a la formed'un parallélogramme. Sa longueur est de 107 mètres
fiur 80 de largeur et 29 de hauteur; un rang de 44 colonnes
d'ordre dorique, dont 10 à chaque face et 12 sur chaque partie
latérale, forme une galerie ouverte autour du bâtiment. La
grande salle intérieure a 41 mètres de long sur 21 de large ;
elle est ornée de sculptures emblématiques, et reçoit la lu-
mière d'en haut; on y entre par quatre côtés, où sont dispo-
sées hait chambres couvertes d'écriteaux, d'avis, d'annonces
et de règlements. Les marchands russes et les étrangers
s'y réunissent chaque jour, à trois heures après mic.i. La
bourse de Saint-Pétersbourg est isolée de toutes parts ; au
devant de la façade principale, du côté de la Neva, s'étend une
belle place en forme de demi-lune, dont les revêtements, les
trottoirs et les parapets sont en gianit. Les vaisseaux qui ne
tirent pas plus de 5™, 50 d'eau arrivent des pays les plus
lointains devant la bourse mèjiie ; et, pour faciliter le débar-
quement des marchandises , deux rampes circulaires con-
duisent au niveau de la rivière. Sur cette place, aux
deux extrémités du port, s'élèvent deux colonnes rostrales,
ornées de statues, d'ancres et de proues de vaisseaux, et
FuiTOontées de demi-sphères concaves supportées par un
groupe composé de trois Atlas, et destinées à recevoir des
feux aux jours d'illuminations.
Le plan de la Bourse de Paris, le plus grand, et certes le
plus magnifique édifice de ce genre, est celui d'un temple
antique périptère, d'ordre corinthien, ayant 20 colonnes à
rhacun de ses flancs et 14 colonnes à chaque face, en comp-
tant deux fois celles des angles ( elles sont élevées sur un
.soubassement de 2",60 environ, et ont 1 mètre de dia-
mètre et 10 de hauteur). La largeur de l'édifice est do
50 mètres et sa longueur de 72. Ces colonnades procurent
un promenoir ( ou péridrome ) autour des murs, qui sont
percés d'arcades, ce qui, avec l'absence de frontons, dis-
lingue cet édifice des temples anciens périptères. Son éléva-
tion se termine en avant et en arrière par un simple enta-
blwnent, et présente un péristyle parfait, auquel on arrive
par un perron qui occupe toute la largeur de la face occi-
dentale, et qui est composé de 16 marches. Un autre escalier
décore le perron de la face orientale. Deux statues colossales
ornent maintenant chacun -de ccsescahers. Un grand vesti-
bule communique à droite aux salles particulières des agents
de change et des courtiers de commerce, et à gauche au
tribunal de commerce, dont les bureaux sont à l'étage su-
périeur, auquel on arrive par un escalier intérieur.
La salle de la Bourse est au rez-de-chaussée et au centre
de l'édifice. Sa longueur est de 32 mètres et sa largeur de 18.
Elle reçoit la lumière d'en haut, et peut contenir 2,000 per-
sonnes. A l'entonr règne une galerie de 3 mètres «le large,
sur laquelle s'ouvrent d'autres salles, consacrées à différents
services. Cette vaste salle se fait, en outre, remarquer i)ar
une décoration du meilleur goût, et sa voûte est ornée de
peintures en grisailles, de Meynier et d'Abel de Pujol, qui re-
présentent à l'œil, avec une illusion parfaite, des bas-reliefs
réels d'une grande saillie.
On ne peut pas dire que cet édifice ait le caract^ic précis
d'une bourse; il faut l'avouer, ce n'est pas là le type d'un
liareil monument, tel qu'on peut le concevoir dans un port
«le mer ou dans une grande ville commerçante; mais aussi
ce n'est pas la bourse de lîonlcaux, du Havre ou de Lyon
«lue l'on a voulu faire, c'est celle de la France, et en quelque
sorte de l'Europe. La première pensée de ce monument
nacjuit à une époque où l'on voulait justifier par des résul-
tats surprenants un grand mouvement imprimé à l'univers
entier. Tout ce qui appartenait à la capitale du momie devait
porlei l'empreinte du la uuissance, du savoir et du goût.
afin de recueillir, au profit du peuple conquérant, l'obéis-
sance, le re<!pect et l'admiration. Tel était le but qu'il fallait
atteindre avant tout , et Crongniart, bien pénétré de cette
idée, s'attacha d'abord à donner un grand caractère à l'é-
difice qui lui était confié. Personne n'osera nier qu'il ait
parfaitement réussi.
La Bourse de Paris avait d'abord été établie dans une
partie de l'ancien palais Mazarin, puis dans l'édifice qui fut
ensuite occupé par le Trésor; pendant la révolution, elle
fut transférée dans celui des Petits-Pères, et de là au Palais-
]{oyal, dans la galerie de Virginie. C'est le 24 mars 1808 que
la première pierre de l'édifice actuel fut posée sur l'em-
placementde l'ancien couvent des Filles-Saint-Thomas, situé
rue Yi vienne, entre les rues des Filles-Saint-Thomas et
Feydeau. Les travaux, qui commencèrent dès cette époque,
avaient été suspendus en 1314, par suite des événements
politiques; ils ont été repris depuis, la Bourse se tenant
j)rovisoirement sous un hangar voisin, rue Feydeau, et l'in-
auguration du monument eut lieu en septembre 1824.
Brongniart étant mort le 8 juin 1813, M. Labare avait été
chargé de lachèvement des constructions et des détails de
l'intéi leur, dans l'exécution desquels il a fait preuve de beau-
coup d'iiabiielé.
BOURSE ( Opérations de ). Outre les opérations de
conmiei ce qui s'y font , la Bourse représente un véritable
marché où chaque rentier peut chaque jour vendre son
titre de rente ou en acheter un nouveau. Les opérations de
la Bourse s'effectuent par l'intermédiaire d'agents de
change, au nombre de soixante, de soixante courtiers
de commerce et de huit courtiers d'assurance. Un grand nom-
bre d'opérations sont faites aussi par des courtiers qui n'ont
aucun caractère légal, elque l'on appelle coMr^^ers marrons.
Beaucoup d'entre eux jouissent d'un crédit qu'ils ne doivent
qu'à leur moralité. Les agents de change et les courtiers
reconnus par la loi fournissent un cautionnement pour la
garantie des condamnations qui pourraient être prononcées
contre eux, dans le cas où ils transgresseraient les règle-
ments en exerçant leurs fonctions.
Les agents de change furent institués primitivement pour
négocier des lettres de change que les négociants tirent les
uns sur les autres; dans toutes les bourses de France, hor-
mis celle de Paris, ils ont conservé cette fonction d'intermé-
diaires entre les négociants pour le commerce des lettres de
change. A Paris seulement, depuis que le crédit public a pris un
grand développement, les agents de change ont obtenu d'a-
jouter à leur privilège celui d'être les seuls intermédiaires
pour la vente ou l'achat des effets publics : leur signature
est indispensable dans ces transactions-là pour valider les
opérations. Elles sont si considérables aujourd'hui, que les
agents de change de Paris ont totalement renoncé à la né-
gociation des effets de commerce; ils l'ont abandonnée aux
courtiers marrons.
Tous les jours, à une heure, la Bourse de Paris est ouverte.
Aune heure et demie précise une cloche annonce l'arrivée des
agents de change, qui entrent au parquet de la Bourse ; ils s'y
placent autour d'une espèce de balustrade circulaire : aus-
sitôt les affaires commencent, et un crieur annonce le prix
de chaque vente faite au comptant. Ces prix forment les
cours de la Bourse. Les opérations au comptant ou réelles
ne peuvent se faircqu'au parquet des agents de change, d'une
heure à trois heures. Les opérations de vente à terme se
font partout et à toute heure : elles sont fictives pour la plu-
part; ce sont des paris sur la hausse ou sur la baisse des
fonds publics jusqu'à une époque déterminée. Ces opéra-
tions sont très-nombreuses : nous allons les parcourir suc-
cinctement, en commençant par les marchés au comptant.
Un particulier fait un achat au comptant lorsqu'il jilace
ses capitaux sur l'État, moyennant une rente que ce dernier
lui pa^e par semestre, d'une nianii're li\e. L'achat des renies
ne peut se faire que par l'intcrmédiaiie d'un agent de change.
J
BOURS!-:
fi03
anqnel on mmet son capital contre les inscriptions ou cer-
tjlicats de rentes qu'il donne à la place ; le droit de courtage
est d'un huitième de franc pour cent, ce qui fait 12 centimes
et demi par 100 francs. Losqu'une vente est terminée, il
faut opérer le transfert des inscriptions des rentes au bureau
des transferts dans le palais même de la Bourse ; l'agent de
change vient faire une déclaration à cet effet ; elle est trans-
crite sur des registres où le propriétaire vendeur appose sa
signature.
Supposons maintenant qu'un particulier, voyant les fonds
4 i pour 100 à 97, pense qu'à la fin du mois il y aura
baisse, par suite de circonstances politiques qu'il croit pré-
voir; dans l'espérance que sa prévision sera réalisée, il vend
4,500 francs de rente ^n courant, c'est-à-dire pour la fin
du mois, au taux de 97 pour 100. Il est clair que si le
cours de la rente tombe à 95, par exemple, il aura un
grand profit , puisqu'il vendra 97 ce qu'il pourra acheter 95
au moment où il devra livTer. 11 est donc intéressé à ce que
la rente baisse. La plupart de ces marchés à terme sont
fictifs, c'est-à-dire que les spéculateurs qui s'y livrent ne pos-
sèdent 4)as les sommes qu'ite vendent ou qu'ils achètent^?»
courant : ils opèrent alors à découvert, et ne s'occupent
que des différences. C'est ainsi que dans le cas où la rente
que ce particulier a vendue 97 tombe à 95, il réalise une dif-
férence de 2,000 francs, qui lui est livrée par le spécula-
teur qui avait compté sur la hausse à la fin du mois; et, au
contraire, il fait la perte de 2,000 francs si le spéculateur à
la hausse a eu l'avantage sur lui par une hausse de 2 fr.
Les spéculateurs qui jouent à la baisse s'appellent les
baissiers ; ceux qui jouent à la hausse s'appellent les haus-
siers. Quand arrive le terme fixé par les uns et par les au-
tres (et c'est ordinairement la fin du mois), toutes les
manœuvres possibles sont employées par les baissiers
pour effrayer les rentiers, et faire ainsi baisser la rente :
tantôt ce sont de fausses nouvelles politiques extérieuies
tendant à faire croire à la guerre ; tantôt ils supposent et
répandent un changement de ministère en qui les capita-
listes ont peu de confiance; ou bien c'est une émeute qui a
éclaté, et qui peut entraîner une guerre civile; ce sont des
bruits de banqueroute de la part de l'Etat, etc. Les haussiers,
au contraire, cherchent à mettre à profit tout ce qu'ils savent
ou peuvent inventer de probable qui consolide le crédit de
l'État, anime la confiance des rentiers et fasse monter la
rente par de nombreux achats effectués. Tantôt ce sont les
manœuvres des baissiers qui réussissent : la rente baisse, et
plusieurs d'entre eux réalisent des bénéfices immenses,
tandis que les haussiers font des perles considérables , et
même se voient ruinés dans l'espace de deux heures. Tantôt
le contraire arrive, et ce sont les haussiers qui s'enrichis-
sent aux dépens des baissiers.
Le marché fin prochain ne diffère du marché Jïn cou-
rant qu'en ce que ce dernier a pour terme la fin du mois
courant, et le premier la fin du mois prochain. Le droit de
courtage que l'on paye à l'agent de change dans les mar-
chés à terme n'est que de 1 seizième de franc pour 100,
ce qui fait fi centimes un quart par 100 francs.
Toutes les négociations pour j?n courant se règlent gé-
néralement à la quatrième bourse du mois suivant; c'est ce
qu'en appelle la liquidation , et, pour en faciliter la marche,
on est convenu de n'opérer que sur des multiples de cer-
taines sommes rondes.
En parlant des marchés à terme , nous n'avons indiqué
que ceux où le vendeur et l'acheteur sont irrévocablement
tenus de faire face à leurs engagements réciproques. Ces
marchés-là s'appellent marchés /ennes, par opposition à
d'autres appelés marchés libres ou à prime, faits aussi pour
fin courant ou fin prochain, et qui sont obligatoires pour le
vendeur seulement. Voici en quoi ils consistent : un agent
de change vous offre 2,250 fr. de rente fin courant à raison
de 97 portant i -, d'intérêt : l'intérêt de l'agent de change est
que le cours 97 baisse, tandis que votre intérêt, à vous, e*!
que le cours s'élève ; vous ne voulez pas perdre plus de 1 fr.
par 97 fr., c'est-à-dire plus de 500 fr. sur l'opération totale.
Vous donnez alors 500 fr. de prime à l'agent de change,
qui s'engage à livrer fin courant ou fin prochain 2,250 fr.
de rente au cours de 97. Si à la fin du terme le cours bais«e
à 95 , vous abandonnez votre prime, et vous ne perdez
que 500 fr., tandis que vous en auriez perdu 1,000 à marché
ferme; si, au contraire, le cours s'élève à 100, par exemple,
c'est-à-dire au pair, vous faites un bénéfice de 1,500 fr.,que
vous paye l'agent de change.
Le cours de la rente à prime est toujours plus élevé que
celui de la rente ferme; en effet, l'acheteur court moins de
dangers dans les opérations à prime que dans les opérations
fermes. Le vendeur n'a d'avantage qu'autant qu'il est pos-
sesseur d'effets publics et qu'il n'opère point à découvert.
Dans ce dernier cas , il est clair qu'il a une forte chance
contre lui.
Le premier marché à prime fut fait par L a w -. quelque
temps après la création de la Compagnie des Indes oc-
cidentales , les actions en étaient à 300 livres ; pour élever
ce prix, Law engagea les nombreux seigneurs qu'il avait
pour amis à acheter des actions, leur affirmant que c'était
pour eux une bonne affaire ; car , suivant lui , elles ne de-
vaient pas tarder à atteindre le pair, qui était de 500 livres.
Afin de donner plus de poids à ses paroles, il en acheta lui-
même, pour un terme rapproché, deux cents au pair, ru
promettant de payer la différence entre le pair et le tau •;
actuel s'il ne tenait pas son marché au terme convenu. Celte
différence, montant à 40,000 livres, fut livrée d'avance
comme prime. Elle éveilla l'attention des spéculateurs, qui
achetèrent des actions et déterminèrent une hausse rapide.
Les marchés à iJri??ie, aussi bien que les marchés/er»iR.î,
se font par engagements réciproques entre les agents de
change et leurs clients , et sous seing privé. Les agents de
change gardent toujours le plus inviolable secret à ceux de
leurs clients qui ne veulent pas être connus. La chambre
syndicale des agents de change , composée d'un syndic et
de six adjoints, surveille avec la plus sévère attention la
manière dont chacun d'eux «xerce ses fonctions.
A la dernière bourse de chaque mois, les acheteurs don-
nent aux agents de change la réponse des primes : si les
marchés sont réalisés, ils rentrent dans la classe des négo-
ciations fermes. Le premier du mois suivant, on règle les
opérations faites sur les quatre et demi et les trois pour
cent ; le 2 on règle toutes les opérations faites sur les ac-
tions de la Banque et sur d'autres papiers publics. Le 3 les
agents de change s'accordent sur les différences qu'ils ont h
se payer et sur les effets qu'ils doivent se livrer, et le ■'»
toute liquidation se termine. Les opérations sur actions de
chemins de fer se liquident deux fois par mois.
Après chaque bourse, les agents de change et les courtiers
se réunissent pour arrêter les différents cours des négocia-
tions relatives aux actions des diverses sociétés, aux lettres
de change , en un mot , à tout ce qui concerne leur minis-
tère. Ces différents cours sont portés sur un registre par un
commissaire de police. Les agents de change et les courtiers
doivent consigner sur des carnets les ventes et les achats
qu'ils ont consommés; ils sont tenus, en outre, d'en trans-
crire les conditions sur un livre coté et paraphé comme ceux
des commerçants, et de livrer à tout intéressé, au plus tard
le lendemain de l'opération , un extrait de leur journal, re-
lativement à leurs négociations. Ils font, en même temps,
signer aux parties des actes constatant le marché conclu par
leur entremise.
Les opérations de la Bourse reviennent, en définilive, à co
que nous venons de dire sur les marchés au comptant et les
marchés à terme fermes et libres ; mais on conçoit qu'elles
doivent offrir une complication plus grande que les inarchéi
dont nous avons parle. En effet, si un spéculateur fait une
' 70.
604
BOURSE
vente ou un achat fin courant, les fluctuations continuelles
(le hausse et de baisse qui ont lieu chaque jour à la Bourse
le tiennent continuellement tantôt dans l'espérance de voir
des bénéfices se réaliser pour lui, tantôt dans la crainte de
faire des pertes qui amèneraient sa ruine. Aussi , lorsqu'un
marché est conclu fin courant par un spéculateur, il ne se
borne pas à attendre avec anxiété le dernier jour du mois
pour savoir le résultat de cette espèce de loterie , il foit
durant tout le mois des achats ou des ventes au moyen des-
quelles il cherche à contrebalancer les pertes qui peuvent
lui survenir, ou à grossir ses bénéfices. Ainsi, après avoir
vendu une preaiiièrefois4,500 f'r. de rente, supposons à 95 fr.,
si le cours vient à hausser, il vendra 4,500 autres fr. de
rente à 90, pour améliorer sa position, qui en effet est celle
d'un vendeur de 9,000 fr. de rente à 95 fr. 50 cent. Le
mouvement de hausse continuant, il vendra encore 9,000 fr.
de rente à 97, et se trouvera alors en définitive vendeur de
18,000 fr. de rente aux prix moyens de 96 fr. 25 cent. Il
n'aura plus besoin que d'une réaction de 75 centimes sur le
prix imprévu de 97 fr. pour être indemne, ou d'une réac-
tion d'un franc pour être en bénéfice.
Le joueur à la hausse qui s'est d'abord trompé agit de
la môme manière pour échapper aux suites de son erreur; il
fait des aciiats successifs afin de réduire le prix de ses mar-
chés. Ce mode tout naturel d'agir s'appelle faire une com-
mune, et on doit dire que c'est le plus rationnel et le plus
certain de tous.
Souvent les spéculateurs désirent prolonger leurs opéra-
tions au delà du terme indiqué; alors les agents de change
ouïes courtiers-marrons, qui s'occupent spécialement de ces
affaires, les renouvellent moyennant une différence qu'on
appelle report. i
Le rejm-t du comptant à la fin du mois est la diffé-
rence entre le taux actuel de la rente au comptant et le taux
de la rente fin courant ; le report d'un mois à l'autre est la
différence de prix entre la rente fin courant et la rente
fin prochain.
Supposons que je spécule à la hausse, j'achète des
rentes à 9G fr. fin courant; le cours baisse, et se maintient en
baisse, au cours de 95, par exemple; mais j'ai de fortes
raisons de croire à la hausse prochaine; je revends à 95 en
payant la différence , et je rachète sur-le-champ à 95 fr.
25 cent., eu supposant que le report d'un mois à l'autre
soit 25 cent.
Le report est encore une manière d'emprunter sur ses
rentes. Un particulier a 4,500 francs de rente; il a besoin
d'argent tout de suite : il vend ses rentes au comptant, au
cours de 9G, par exemple, mais il les rachète fin courant
à 96 f. 40 c. Au moyen d'un report de 40 c, il peut garder
ses rentes , sauf à restituer le prix convenu à la fin du mois ,
ou fin prochain, s'il reporte fin prochain. Enfin, le report
présente au capitaliste un moyen de faire d'utiles place-
ments de son argent. Ainsi , je suppose que le cours de la
rente 3 pour 100 soit à 69 fr. : un ca[)italiste achète au
comptant .'5,000 fr.de rente pour 69,000 fr., et il les revend
tout de suite à 69 f. 45 c. fin courant; il touchera donc à
la fin du mois une différence de 450 fr. à son avantage. Il
est facile de comprendre que le report est la représentation
de la portion de coupon ou d'intérêt dont la rente s'accroît
chaque mois et que le trésor paye chaque semestre. Sur
le 3 pour 100 il cst"de 25 cent., et de 37 c. Vi sur le 4 'A
pour 100. Mais par l'effet du jeu le report s'élève ou s'a-
bai-se à la Bourse en raison de l'abondance ou de la rareté
de l'argent.
La plus grande partie des opérations qui se font à la
Bourse de Paris reposent sur des marchés à terme. La
moindre somme de rentes sur laquelle on puisse spéculer
est de 1,500 fr., encore lors(iu'il s'agit du 3 p. 100. Mais si
les opérations à terme se bornaient k des sonmies sem-
blables, il serait difficile (jue le jeu de la Bourse put ren-
verser dans quelques jours, dans quelques heures, des for-
tunes h millions. On joue plus souvent sur des 60,000 ou
100,000 fr. de rente. Les opérations ordinaires, celles qui
peuvent arrêter un regard des grands habitués, s'effectuent
sur 600,000 fr. ou 1 million de rente. Alors les petites varia-
tions du cours peuvent entraîner des différences de quelque
valeur, puisque les variations de 5 centimes entraînent
des différences de 10,000 fr., et les variations de 1 franc,
des différences de 200,000 fr. Enfin les opérations qui
excitent l'attention générale ne portent que sur des millions
de rente ou sur des millions d'actions de toutes sortes. Nous
avons vu de nos jours se renouveler presque la fièvre du
jeu qui s'empara des esprits lors de la création de la banque
de Law.
Pour donner une idée plus complète des transactions jour-
nalières de la Bourse , transactions qui valent moyennement
à chacun d^s soixante agents de change un revenu annuel
de 120,000 francs, citons un passage d'une brochure de
M. Emile Péreire, intitulée : Examen du budget de 1832.
« La chambre syndicale des agents de change , dit-il, per-
çoit un droit de cinq francs sur chaque vente ou achat dont
le capital nominal est de cent mille francs : ce droit pré-
levé seulement sur les opérations qui s'effectuent d'agent
de change à agent de change, c'est-à-dire dans le parquet
de la Bourse , produit année moyenne environ douze cent
mille francs , ce qui porte la totalité des négociations ainsi
faites à un capital nominal de vingt-quatre milliards.
Mais , la même opération donnant lieu à une vente et à un
achat, pour obtenir le chiffre de l'opération réelle, il faut
prendre la moitié de cette somme , et dès lors on trouve que
l'ensemble des opérations de l'année s'élève en capital à
douze milliards. Ces sommes réparties sur les trois cents
jours pendant lesquels la Bourse est annuellement ouverte,
on trouve que le chiffre moyen des opérations à terme
s'élève chaque jour eti capital à quarante initiions. Si
l'on ajoute maintenant à cette somme les opérations que
chaque agent de change traite directement de client à
client sans l'intermédiaire de ses collègues, opérations qui,
quoique très-nombreuses , ne sont point soumises au droit
prélevé par la chambre syndicale , et qui dès lors ne peu-
vent être évaluées; si l'on ajoute également les rentes ven-
dues au comptant , iia&i que celles qui sont vendues en de-
hors du parquet, on aura au moins une somme égale à celle
que nous venons d'indiquer. »
Toutes les affaires de fonds, ainsi que la vente des lettres
de change , se traitent généralement à la Bourse entre une
heure et trois heures. La vente des lettres de change se fait
par les courtiers marrons; ils sont les seuls qui fassent des
affaires réelles ; aussi servent-ils d'intermédiaires très-utiles
au commerce, tandis que les agents de change ne sont plus
en quelque sorte que des croupiers de jeu : mais il faut dire
qu'ils y sont forcés , quelque honorable que soit leur carac-
tère privé , par le prix énorme de leurs charges , et par les
frais considérables que nécessite leur clientelle.
D'après la loi , un agent de change ne peut faire pour lui
aucune opération à la Bourse; il doit même rester purement
et simplement intermédiaire entre les particuliers ; mais les
agents de change ont été forcés de ne pas se borner à ce
rôle passif dans les marchés à terme, et il y a ainsi contra-
diction entre la loi et ce qui se passe chaque jour à la Bourse.
Ils sont obligés de répondre vis-à-vis de leurs clients des
opérations dont ils se chargent; les clients ne connaissent
que les agents de change, c'est avec eux seulement qu'ils
traitent : aussi , lorsqu'il y a eu de grandes variations dans
la iiausse et dans la baisse , il n'est pas sans exemple de
voir un agent de change ruiné prendre la fuite pour échap-
per à ses créanciers et à la loi, qui, refusant de lui recon
naître aucun caractère actif, déclare par cela seul qu'il est
en dehors de toute chance personnelle, qu'il ne peut faillir.
Nous ajouterons, à propos des ventes à terme, que la loi ne ^
les reconnaissant pas, le» tribunaux ne peuvent s'interposer
dans les contestations auxquelles elles donnent lieu ; par
suite, le créancier d'un agent de change, ou de tout autre,
pour ce genre d'opération , n'a aucun moyen légal de se
iaire payer.
Les agents de change ne s'occupent pas seuls des opéra-
lions à terme. Il y a des courtiers marrons qui s'en char-
gent aussi; ou les appelle coîilissiers , à raison de la place
qu'ils occupent à la Bourse près de l'entrée du parquet. Ils
traitent les mêmes opérations que les agents de change
moyennant un courtage moins élevé ; mais ils ne présentent
pas une garantie aussi solide que les agents de change;
néanmoins, il font des négociations très-nombreuses, et
qui influent beaucoup sur le cours des effets publics; plu-
sieurs d'entre eux jouissent d'un grand crédit. Si un cou-
lissier manque, on n'a aucune prise contre lui : en effet, il
ne se charge que d'opérations à terme , et la loi , comme je
l'ai déjà dit , ne les reconnaît pas.
A trois heures la cloche sonne à la Bourse; les agents de
change quittent le parquet; alors commence une nouvelle
série d'affaires, ce sont les affaires de marchandises. Les né-
gociants arrivent, et remplacent les capitalistes et les ban-
tpiiers qui jouaient à la rente ; les courtiers de commerce
proposent les afi'aires de leurs clients, et servent ainsi d'in-
termédiaires utiles aux transactions de commerce. Le droit
exclusif d'exercer leurs fonctions leur est accordé par la loi ;
ils forment une corporation comme les agents de change.
Cette nouvelle bourse dure jusque vers cinq heures.
Les opérations de marchandises sont à peu près les seules
dont on s'occupe dans les autres bourses de France ; cepen-
dant, depuis 1819 le baron Louis a créé dans cha(iue dé-
partement un livre auxiliaire du grand-livre de la dette pu-
blique. Là où il se trouve de ces petits graiids-livres , les
agents de change ont aussi le droit exclusif d'opérer les
ventes ou achats des rentes. Les inscriptions sont contrôlées
et visées par les préfets , et signées par les receveurs géné-
raux ; ceux-ci sont chargés de payer les intérêts. Générale-
ment les opérations de ce genre sont assez minimes dans
chaque département, parce que le grand marché est à Pa-
ris ; c'est là que se font presque tous les achats ou ventes
pour toute la France.
Après ce qu'on vient de lire sur la Bourse de Paris , il est
facile de comprendre ce qui se passe à la Bourse de Londres,
car les opérations sont à peu près les mômes dans toutes les
Bourses du monde. Elles diffèrent seulement par quelques
traits originaux tenant au caractère propre de la nation.
Les affaires qui se traitent à la Bourse de Londres sont
immenses ; elles surpassent de beaucoup toutes celles qui
se traitent ailleurs , soit en Europe, soit en .\mérique. On
cote journellement à cette Bourse non-seulement le cours
des fonds pubHcs anglais, des actions des différents canaux,
docks , travaux hydrauliques , comi)agnies des mines , du
gaz , d'assurances , et autres entreprises particulières , mais
encore tous les effets publics étrangers, car la plupart
des États de l'Europe et de l'Amérique contractent leurs
emprunts à Londres.
Lesfonds publics del'Angleterre consistent principalement
en inscriptions de rentes transférables sur les livres de la
Banque. Les rentes à termes ou annuités temporaires, qui
font partie de la dette fondée de la Grande-Bretagne, se di-
visent en longues annuités et annuités courtes. Les pre-
mières ont été créées à des époques diverses pour finir toutes
ensem.ble; les secondes sont créées pour dix, quinze, ou
trente ans, et n'ont pas de terme commun. Ces diverses an-
nuités se cotent journellement à la Bourse de Londres.
Lorsque le gouvernement fait un emprunt, il traite pour
la totalité avec un petit nombre de banquiers, lesquels s'en-
gagent à verser le montant à la Banque, par portions, dans
l'espace de huit ou neuf mois, contre une certaine quantité
d'elfets publics, de différentes natures, évalués à des prix dé-
BOURSE 605
terminés par la souscription. Le tout ensemble des trois ou
quatre espèces de fonds qui entrent dans la composition de
l'emprunt s'appelle omnium , étant négocié sur place indi-
visément; mais s'il ne s'agit que du placement de tel article
de la souscription, alors on se sert du mot scrip, avec la
désignation de l'espèce particulière de fonds à prendre sur
la souscription. V omnium et le scrip ont un prix courant
à la Bourse de Londres. L'acheteur de ces effets acquiert le
droit de se faire mettre, par la Banque, à la place du sous-
cripteur primitif, lequel reçoit de son acheteur le rembour-
sement des payements déjà effectués au compte de sa sous-
cription , et de plus un boni ou bénéfice convenu.
Les divers fonds dont il a été parlé constituent la dette
fondée, parce que les intérêts en sont garantis et payés sur
des impositions votées par le parlement. La dette flottante
se compose d'effets à terme, émis par le gouvernement; ils
portent intérêt et sont payables au porteur : ce sont des
navy-bills (billets de la marine), portant intérêt après six
mois de leur date, et les billets de l'échiquier, portant
intérêt depuis le jour de leur création jusqu'au jour du paye-
ment par l'État. Ces effets se vendent et s'achètent chaque
jour à la Bourse de Londres.
Le jeu est incomparablement i)lus effréné à la Botnse de
Londres que dans les autres Bourses du continent. La vente
et rachat réel des fonds ne sont relativement que peu de
chose. Le local de la Bourse est un vaste édifice, consistant
en trois grandes salles et autres pièces accessoires; là se ras-
semblent chaque jour de mille à douze cents individus cher-
chant à faire fortune, les uns au moyen de la hausse, les autres
au moyen delà baisse. Le haussier reçoit le nom de taureau
{bail), et le baissier celui d'ours (bear); tout spéculateur
qui veut entrer au jeu ne peut le faire que par l'intermédiaire
des agents de change (brokers), en leur payant une com-
mission. La vue intérieure de la Bourse offre un caractère
d'originalité tout particulier : c'est à dix heures du matin
que les portes eu sont ouvertes; le signal est donné par le
plus ancien concierge, qui à dix heures précises agite une
grosse crécelle de xoatclimann. Aussitôt la foule se préci-
pite dans l'immense maison de jeu ; c'est à qui ai rivera le
plus vite pour proposer le cours le plus favorable à ses spécu-
lations ; les uns offrent à vendre , les autres à acheter ; rien
n'égale le tunndte , l'agitation que produisent les partis op-
posés ; les émotions les plus violentes de joie ou de désespoir
se lisent sur les visages altérés des joueurs lorsqu'une nouvelle
importante circule dans la Bourse et cause la hausse ou la
baisse d'une manière rapide : ceux-ci voient en quelques mi-
nutes toute leur fortune disparaître comme dans un gouffre;
ceux-là dans le même temps voient des richesses considé-
rables entrer en leur possession.
Les acteurs du drame quotidien de la Bourse ne pourraient
le continuer toute la journée sans reprendre haleine ; aussi
de temps à autre le jeu s'arrête comme si tous ceux qui y pren-
nent paît s'entendaient , et alors c'est le délire, c'est la gaieté
la plus extravagante qu'ils offrent au spectateur. Chacun fait
sauter en l'air le chapeau de son voisin , relève les basques de
son habit sur sa tête et ses épaules , ou lui jette des bombes
de papier; c'est une cohue où tous se poussent et se boxent
les uns les autres ; enfin ce sabbat diabolique se termine or-
dinairement par une chanson populaire entonnée en chœur
par la foule entière des joueurs. Tous y prennent part, même
ceux dont la ruine vient d'être consommée ; ils dissimu-
lent ainsi leur malheur, afin de pouvoir courir une dernière
chance désespérée. Bientôt après le jeu recommence avec
plus de fureur : les uns veulent réparer leur perte, les autres
augmenter leui" gain ; ils y emploient toutes les lessources
de la ruse et du mensonge, et toute la vigueur de leurs
poumons.
Le chant qui sert à la récréation des joueurs leur .sert aussi
pour pimir les infractions à l'étiquette du lieu. Le coupable
est environné par ime multitude dccliantcurs qui l'assour-
(106
BOUKSE — BOUSAGE
«lissent du God save tJie hing , ou de fout autre refrain.
Les jours où l'agitation est la plus grande sont les jours
de liquidation , c'est-à-dire ceux où les marchés à terme se
rrglent; alors le cours des rentes est modifié presque exclu-
sivement par le combat à outrance que se livrent les ours
et les taureaux. Les premiers ont vendu à terme au taux
de 82, par exemple : ils sont donc intéressés à la baisse,
car si les fonds descendent à 81, ils auront le gain de 1 pour
loo du capital nominal; au contraire, les taureaux ont
acheté à 83 : ils sont donc intéressés à la hausse , car si les
fonds remontent à 84, ils gagneront, en revendant, 1 pour
100 du capital nominal. Aussi les ours n'épargnent-ils rien
pour amener la baisse, tandis que, de leur côté, les taureaux
ont recours à toutes les ressources de l'éloquence persuasive
pour amener la hausse; si l'ours semble fléchir et paraît dis-
posé à arrêter le cours en proposant l'achat des rentes qu'il
a vendues et qu'il doit livrer, le taureau devient plus diffi-
cile encore : il élève son prix; si, au contraire, le taureau
faiblit le premier, l'ours en profite pour lui offrir un prix
plus bas ; et lorsque après une série de manœuvres extrême-
ment multipliées de part et d'autre, manicuvres qui durent
quelquefois jusqu'au lendemain, il est prouvé, je suppose,
que les ours ont à livrer plus de rentes que les taureaux
n'en ont à recevoir, ou, en d'autres termes, que les ours
ont vendu dans le courant du mois plus de rentes à terme
que les taureaux n'en ont acheté, ceux-ci font la loi , et, sans
pitié pour les malheureux ours, ils les ruinent autant qu'ils
peuvent; dans la supposition contraire, les taureaux ne se-
raient pas traités avec plus de ménagement. Lorsque le tau-
reau ou l'ours, après avoir été vaincu, ne peut pas ou ne veut
pas payer la différence qu'il doit , il est déclaré lame duck,
canard boiteux, et exclu delà Bourse.
Les hommes qui jouent un rôle actif à la Bourse de Lon-
dres se divisent en trois grandes classes : les agents de
change (brokers), les agioteurs (jobbers) et les spécula-
teurs (speculators). Les agents de change de la Bourse de
Londres opèrent comme ceux de la Course de Paris, pour
les particuliers , moyennant un huitième pour cent sur les
transactions d'argent.
Les agioteurs (jobbers) portent un nom pris en mauvaise
part, et qui est quelquefois synonyme de voleur : ils sont
censés acheter ou vendre des rentes; mais, par le fait, ils
ne font que parier qu'elles seront à tel ou tel prix le jour
où il leur faudra les livrer, n'ayant ni la rente qu'ils vendent,
ni les fonds pour retirer celles qu'ils achètent; leur gain
ou leur perte réside dans la différence de prix entre le taux
de la rente pariée et son cours au terme, différence qu'ils
recevront ou qu'ils payeront. Beaucoup d'entre eux sont
riches et honnêtes. Les jobbers ont la plus grande analogie
avec les courtiers marrons de la Bourse de Paris; comme
eux, ils sont d'une grande utilité, et facilitent beaucoup les
opérations. Par exemple, je suppose qu'un agent de cliange
soit chargé par un de ses clients d'acheter des rentes pour
une somme déterminée : sans le jobbcr l'agent de change
serait forcé d'attendre qu'un de ses collègues lui offrît de
vendre la même somme; mais \e jobbcr lève toute difficulté :
il est toujours disposé à acheter et à vendre : pour l'achat
il offre, je suppose 83 l/s, et pour la vente il demande un
prix de 1/8 en sus, c'est-à-dire 83 2/8; il accepte la somme
de l'agent de change à 83 1/3 , et la vend le plus tôt pos-
sible à 8.3 2/8. Le 1/8 de différence forme son bén('fice;ceci
explique pourquoi dans les cotes d'une même bourse on
aperçoit toujours une différence entre les cours d'achat et
les cours de vente.
Les spéculateurs (speculn/ors) sont ceux qui cherchent
à profiter des (luctuations de la bourse pour leur propre
compte. Les tiois rôles de broker, de jobbcr et de spccu-
lator sont quelquefois remplis par le même individu ; d'au-
tres fois, il n'en remplit que (]ei\\ ou même un seul.
Auguste CUIA'AI.IF.IÎ.
KOURSE A BERCER, BOURSE A PASTEUR I^Bo-
io)iir/i(p.). Votjez Tiilsspi.
BOURSE A BERGER ou BOURSETTE ( ZocZo^Jr- ).
C'est le nom vulgaire du ccllaria bursaria, polypier marin
bryozoaire ou à deux orifices. Les mers d'Europe en renfer-
ment plusieurs espèces, qui sont communes. Comme toutes
les cellariées, dont ils sont le genre principal, ces polypiers
sont membraneux, divisés en loges articulées ou jointes
entre elles. Il en existe à l'état fossile.
BOURSE DE ]\IER, nom vulgaire d'un corps que
Pallas a rangé parmi les alcyons dans la classe des zoophyle^
ou animaux plantes , sous le nom do alcyonium bursa , <
qui est considéré par Lamouroux comme une plante cryp-
togame aquatique, qu'il a nommée spongodlum bursa.
BOURSETTE ( Botanique), nom vulgaire de la bourse
à berger ou t h 1 a s p i et de la mâche commune.
BOURSETTE ^Zoologie ). Voyez Bourse a berger.
BOURSOUFLE. Composé du substantif bourse et du
verbe sou/Jîer, le mot boursoufler, qui exprime l'action de
faire enfler, comme lorsqu'on souffle dans une bourse ou
dans une vessie, s'emploie au propre, pour indiquer le gon-
flement des pallies molles du corps par suite de quekjue
cause morbilique. En général, on entend par boursouflé
tout ce qui est enflé de vent ou d'humidité.
En littérature, toutes les fois qu'on manque d'énergie , de
talent ou d'inspiration , et qu'on veut frapper fort, on de-
vient boursouflé : c'est une détresse de nature que gonfle le
vent des mots. En général , il ne faut que du bruit pour at-
tirer l'attention ; en retour, tout ce qui est boursouflé ne
supporte pas l'examen. Revenu d'une première surprise, oa
siffle le lendemain ce qu'on a admiré la veille. Les poètes dé-
pourvus de sensibilité pour peindre les passions, ou d'imagi»
nation pour inventer des événements , sont boursouflés. Il
en est de même de certains orateurs qui, impuissants à ren-
contra de véritables effets , tombent dans l'exagération
(xy n'est plus le génie de la parole, c'est l'exploitation du
mi'tier.
Les classes qui n'ont reçu aucune espèce d'instruction ,
comme celles qui n'en possèdent qu'une demie, se laissent
séduire par tout ce qui est boursouflé : elles n'ont pas assea
de discernement pour choisir entre la vérité et la charge;
elles penchent d'instinct vers cette dernière, parce que
dans l'ampleur de ses formes éclate une sorte de fausse gran-
deur, qui saisit et étonne. Les fenmies , lorsqu'efles vivent
dans la solitude, se passionnent pour ce qui est boursouflé,
soit dans les productions de l'esprit, soit dans les senti-
ments du cflpur : alors elles sentent , mais ne réfléchissent
pas. Plus tard, si elles rentrent dans la société, elles re-
viennent à ce qui est naturel et vrai, surtout dans les rap
ports ordinaires de la vie; elles acquièrent à cet égard une
expérience de tous les jours, qu'éclaire encore le tact dont
elles sont douées. Relativement au goût dans la littérature
et les arts , il leur faut des efforts , des conseils , et jusqu'à
des études ; c'est qu'il y a dans le goût , cet ennemi déclaré
de tout ce qui est boursouflé, un fonds de connaissances à
acquérir. Dans ce genre, sentir est peu; c'est sentir juste
qui est tout.
BOURSOUFLU ou BOURSOUFLÉ. Voyez Diodons et
Bourse ( Histoire naturelle ).
BOUSAGE. Cette importante opération de la fabrica-
tion des indiennes succède au mordançage. Elle a pour
but de fixer com|>létement le mordant, d'enlever une partie
des matières employées pour l'épaissir, et de dissoudre le
'bordant non combiné, qui n'étant que mécaniquement a{)-
pliqué sur les libres du tissu , coulerait lors de la teinture,
et donnerait lieu à des taches.
Le bousofje est ainsi nommé, parce qu'il s'opère par l'em-
ploi de la bouse de vache, dont la matière albumincuse
fixe le mordant en formant avec lui une combinaison inso-
luble. 11 s'effectue ordinairement dans une caisse de 2 à ;îm^
BOUSAGE — BOUSINGOT
607
tros de profondeur, l'",50 de large et 4 mètres de lon-
gueur, dans laquelle on verse un bain composé de 30 kilo-
grammes de bouse de vache et de 1,200 à 1,500 litres d'eau,
iiain pouvant servir pour le bousage de 20 à 60 pièces d'in-
diennes. On place près du fond de la caisse une suite de
rouleaux autour desquels le calicot serpente en passant d'a-
bord sur l'un, puis sous le suivant, et ainsi de suite, pour
arriver enfin entre deux rouleaux de pression, placés à
l'une des extrémités et qui lui communiquent le mouvement.
Penot et M. Camille Kœchlin ont publié des notices inté-
ressantes sur le bousage. Depuis , MM. Mercer et Blyte, de
Manchester, ont trouvé le moyen de fabriquer économique-
ment un sel propre au bousage. Enfin, pour des nuances
très-délicates , on emploie du son au lieu de bouse de vache,
qui leur conununiquerait une teinte verdâtre.
BOUSE, mot dérivé du grec poO;, bœuf, et par lequel
on désigne les excréments du bœuf et de la vache. Les gens
de la campagne emploient quelquefois la bouse pour guérir
les piqûres de mouches à miel, ou pour résoudre les apos-
tèmes, et avec plus de succès, pour cicatriser les plaies
des végétaux. On s'en sert dans l'Inde, comme dans une
foule d'endroits et môme dans plusieui-s de nos départe-
ments, pour faire du feu , et cette coutume parait fort an-
cienne en Asie , puisque Tite-Live en fait mention. Mais le
plus grand emploi de la bouse est comme engrais. C'est
à tort que l'on dit communément que c'est un engrais froid,
il faut dire que c'est un engrais /ra/s , très-utile dans les
terrains secs et sablonneux , parce qu'il s'y décompose plus
lentement que le fumier de cheval , et qu'il contient plus
d'eau. L'un et l'autre , du reste , sortis du monceau et je-
tés sur le sol ou enterrés, donnent une chaleur égale, ce
dont il est facile de s'assurer au moyen du thermomètre.
Nous disons sortis du monceau, parce que les excréments
que les animaux répandent sur les prés sont en partie
perdus ; ils sont bientôt desséchés par l'action du soleil , qui
volatilise, dissipe les sels et le principe huileux qu'ils con-
tiennent, et ne laisse plus que la partie terreuse ; tandis que
la bouse, rassemblée en masse, ne perd aucun de ses prin-
cipes. Si l'on veut lui donner plus d'activité , il faut y mêler
de petites couches de chaux réduite en poudre lorsqu'on la
met en monceau pour fermenter.
On emploie aussi la bouse de vache dans la teinture des
toiles peintes {voyez Bousage). Pour pouvoir expliquer l'ac-
tion qu'exerce la bouse de vache dans cette opération , Pe-
not en a fait une analyse qui lui a donné , pour 100 parties :
eau, G9,58; matières biliaires, 0,74; matières sucrées,
0,93 ; chlorophylle, 0,28 ; matière albumineuse, 0,63 ; fibres
végétales, 0,39; chlorure de sodium, 0,08; sulfate dépo-
tasse , 0,05 ; sulfate de chaux , 0,25 ; phosphate de chaux ,
0,46; carbonate de chaux, 0,24; carbonate de fer, 0,09;
silice, 0,14 ; perte, 0,14.
BOUSIIIR. Voyez Abouschehr.
BOUSIER. Dans le langage ordinaire , on désigne sous
ce nom des insectes qui vivent dans les bouses de vache. En
entomologie , on s'est d'abord servi de ce terme vulgaire
pour rappliquer à quelques espèces de coléoptères de la
tribu des scarabéides , famille des lamellicornes. Mais le
très-grand nombre d'espèces bien distinctes de ces habitants
des bouses, qu'on a déterminées au furet à mesure des
progrès de la science , a forcé les entomologistes à constituer
plusieurs genres, et à les grouper sous des noms parti-
culiers.
Les bousiers, qui formaient d'abord un seul genre, ont
été subdivisés par Fabricius en trois, savoir : le genre
bousier proprement dit , le genic cteuchus, et le genre
onite. M. Duméril a conservé le genre bousier, et le sub-
divise en trois sous-genres , savoir : les copridcs, les
ateuches , et les onitcs. Ces trois genres ou sous-genres
renferment un très-grand nond)re d'espèces, qui ont né-
cessité de nuu\ elles divisions et subdivisions.
Lorsque les excréments ont été déposés, soit par des
bœufs ou par des chevaux, ces insectes, attirés par l'odeur,
môme de fort loin , arrivent de toutes parts en bourdonnant.
Ils s'y cachent et y trouvent à la fois leur nourriture et une
habitation. Quelques espèces roulent en boule des portions
d'excrément après y avoir déposé un œuf. Ils traînent en
marchant à reculons cette boule ou pilule ( d'où le nom de
pilulaires, qu'on leur a aussi donné ) jusqu'à ce qu'elle soit
arrondie et assez consistante pour être déposée dans des
trous propres à la recevoir.
Les espèces de bousiers les plus grosses étaient autrefois
employées en médecine. Elles entraient dans la composition
de l'huile de scarabée , de la pharmacopée de Paris.
Deux espèces de bousiers étaient adorés par les Égyptiens.
L'une est le scarabée sacré de Linné ou Vatcuchus d'Oli-
vier. On la trouve dans toute l'Egypte, dans les contrées mé-
ridionales de France , en Espagne , en Italie , et en général
dans tout le sud de l'Europe. L'autre ( Vateuchus des Égyp-
tiens, Latreille ) est de couleur verte, avec une teinte dorée,
tandis que la première est noire. Ces bousiers , ou scara-
bées sacrés, ont été considérés par les Égyptiens comme
des symboles du monde, à cause de leur habitude de rouler
une boule. Ils faisaient partie de leur culte religieux et de
leur écriture hiéroglyphique. Ils sont représentés sur tous
leurs monuments sous diverses positions, dans des dimen-
sions variables, souvent gigantesques. On formait avec
diverses matières portant leur effigie, des cachets, des
bagues et des amulettes que l'on suspendait au cou , et que
l'on ensevelissait avec les momies. L'insecte lui-même a été
trouvé quelquefois renfermé dans les cercueils égyptiens.
L. Laurent.
BOUSIIV ou BOUZIN, matière première et limoneuse
des pierres en carrière. Le bousin est , pour ainsi dire , aux
pierres dures ce que l'aubier est au bois. C'est , en un mot „
une pierre imparfaite; mais on entend plus ordinairement
par ce mot le dessus des pierres qui sortent de la carrière ,
espèce d'enveloppe ou de croûte de terre non pétrifiée, que
l'on enlève en équarissant les pierres, opération que l'on
nomme ébousiner.
Ce mot s'emploie encore trivialement dans le sens de
bouge, et se dit des mauvais lieux que hante le rebut de
la société.
BOUSINGOT. Nous avons cherché des bousingots, et
nous n'en avons point rencontré ; nous avons demandé à droite,
à gauche, à tous les partis, ce qu'ils étaient devenus? Les
bousingots ont complètement disparu de l'horizon politique;
il ne reste plus d'eux qu'un beau caractère tracé dans le
roman A' Horace, par M™* Sand; leur Journal de la li-
berté dans les arts est introuvable, et le Figaro de 1832,
leur plus mortel ennemi, manque au national cabinet de
lecture de la rue Richelieu. A ces divers symptômes,, à,
cette absence à peu près absolue de documents , nous avons,
reconnu que le temps était arrivé d'esquisser leur histoire.
Nous ouvrirons pour eux le chapitre des chapeaux,
chapitre beaucoup plus important et plus sérieux qu'on ne
pourrait le croire. Tout bonune qui de notre temps,
imprime à son chapeau un cachet historique est un grand
homme, témoin Frédéric, Napoléon et Bolivar. Louis XVIH
a failli toucher ce but; mais ce n'était qu'un homme d'es-
prit, et il l'a manqué. Les bousingots ont essayé trois fois,
d'atteindre au sublime par leur coiffure. Ils ont d'abord
mauguré sur la terre ferme le chapeau marin de cuir verni,
que l'on appelle vulgairement un bousingot, et le nom
leur en est resté. On prétend que ce nom servait à lui seul
de texte à leurs hymnes patriotiques, et qu'ils le psalmo-
diaient en parties, avec le plus grand charme, sur l'air de
Frère Jacques. A leur premier couvre-chef se rattachaient
de grands principes d'égalité, de frugalité et de loi agraire.
Quand ils abandonnèrent le bousingot, ils e,ssn\èrent d'un
cliapcau Cil ^ijramiilc» (jui lit sensation au quartier latiu^
608
BOUSINGOT — BOUSSOLE
où le moyen âge était encore en vii^aeur et Notre-Dame
de Paris dans toute sa gloire. Les Migolâtres donnèrent la
main aux bousingots. Ce fut leur beau temps , le temps du
long espoir et des vastes pensées , de la barbe de cbèvre ,
des clieveax plats , de la cravate rouge, du gilet à la Marat,
du Journal de la liberté dans les arts. Ils charmèrent
lout le Paris des estaminets et des bals publics , par l'ex-
centricité de leur costume, leur crânerie vis-à-vis de l'au-
torité , et leur aplomb de personnages politiques. La carica-
ture alors les aperçut, les poursuivit, et, pour s'esquiver,
ils se réfugièrent sous un troisième chapeau, d'assez noble
origine , sous le chapeau gris que Louis-i'liilippe avait arboré
en juillet 1830. Malheureusement, le jour où ils choisis-
saient ce feutre auguste pour aiiri , la royauté le quittait, et
les coups de bâton pleuvaient dessus. Cette averse dispersa
les bousingots.
lisse fondirent presque aussitôt, suivant leurs convic-
tions, leurs passions , leurs rancunes, dans diverses sociétés
populaires qui livrèrent à la monarchie bourgeoise de rudes
assauts; alors on les vit combattre avec une valeur dont
l'héroïsme ne lé cédait en rien à celui des républicains les
plus sérieux et le plus profondément convaincus de la bonté
de leur cause, se taire massacrer sur plusieurs points et ex-
pier h la française leur frivolité par leur sang. On ne leur en
tint aucun compte , on n'alla pas chercher si loin ; et ils res-
tèrent dans la mémoire publique comme des types d'émeu-
tiers de première année et de casse-lanternes. Quand est ve-
nue la République , les anciens bousingots ont fait à la queue
des partis républicains et socialistes exactement la même
figure que les chauvins au dernier rang du bonapartisme et
les voltigeurs de Louis XY à la suite des émigrés, répétant :
vive la république ! à tout bout de champ, comme les autres :
vive l'empereur! vive le roi! et comme ce marquis de la
Critique de V École des Femmes, qui avait trouvé réponse à
tout en criant à tue-tête : Tarte à la crème! tarte à la
crème! Jules Païon.
BOUSSINGAULT ( Jean - Baptiste - Joseph - Dieu-
donné). 11 y a des hommes pour qui le mouvement est un
besoin , le travail un bonlieur, et qui croient n'avoir jamais
lien fait tant qu'ils n'ont point parcouru jusqu'au bout la
route du progrès. M. lioussingault est une de ces natures
carrées par la base, au cœur plus liant que la tête, à l'i»-
telligence toujours active, que les otirai^ans n'ont pu ébran-
ler, dont les menaces des cléments n'ont jamais arrêté la
marche. A l'exemple d'Alexandre de Ilumboldt, aujour-
d'hui son ami , autrefois son protecteur, vous le voyez ,
fort jeune encore, et à peine sorti de l'école des mineurs
de Saint-Étienne , accepter les offres qui lui furent faites
par une compagnie anglaise pour diriger l'exploitation de
quelques mines d'Amérique. On venait de lui préparer une
carrière lucrative : son incessant besoin d'apprendre la lui
fit adopter avec amour, avec enthousiasme. Aussi se livra-
t-il à d'infatigables observations de température et de baro-
métrie dans un pays où tout était encore à étudier pour
l'Europe savante. Analyses chimiques, mesure des hauteurs
des montagnes, géologie, botanique, magnétisme teiTCstre,
M. Boussingault a tout étudié, tout embrassé avec la plus
haute distinction. Vous savez tous les dangers des climats
équatoriaux pour les natures européennes ; vous connaissez
les saisons pluviales de ces régions si bizaires , les phéno-
mènes météorologiques qui viennent périodiquement se ruer
sur une végétation trop puissante, et qui écrasent les tem-
péraments les plus robustes th bien! M. Boussingault
brave les maladies contagieuses, escalade les cimes les plus
élevées, traverse les courants d'eau les plus rapides, al-
tronte la soif, la faim, les attaques des peuples incivilisés
de cette partie du Nouveau Monde, et tout cela au protit
de la science, qui a si bien fait de compter sur lui. Son
herbier s'enricliit, ses calepins deviennent les contidenfs des
iiolcs les plus précieuses, et dans ses letils le fa\aiil n'ou-
bliera qu'une chose , le détail oes dangers qu'il aura bravé».
Pendant la guerre de l'indépendance, il fut attaché comme
colonel à l'état-major du général Bolivar, auprès duquel
il jouissait d'un grand crédit et d'une grande considération.
En sa double qualité de militaire et de savant , il parcourut
non-seulement la province de Venezuela et celles placées
entre Carthagène et l'embouchure de l'Orénoque , mais en-
core le Pérou et la république de l'Equateur. Ici se déroule
une immense série de travaux de tous genres, accomplis au
milieu des plus rudes fatigues et des périls les plus immi-
nents : vous diriez un Institut en masse voyageant au proflt
de la science et de l'humanité.
A son retour en France, M. Boussingault remplit les fonc-
tions de doyen de la Faculté des Sciences de Lyon et de pro-
fesseur de chimie, fonctions qu'il abandonna ensuite, afin
d'avoir plus de loisir pour s'occuper de ses études spéciales.
La récompense ne devait pas se faire longtemps attendre,
car en 1839 il fut nommé membre de l'Institut, en rempla-
cement de M. Huzard, dans le section d'agriculture. Il était
déjà professeur d'agriculture au Conservatoire des Arts et
Métiers.
Avant son entrée à l'Académie et depuis , M. Boussin-
gault a publié un grand nombre de mémoires remarquables
sur la chimie agricole. Un magnifique ouvrage en 2 volumes,
dont la science lui est redevable, semble destiné à donner à
l'agriculture une direction nouvelle : c'est un de ces monu-
ments de l'intelligence et de l'étude que les pays les plus
avancés peuvent citer avec orgueil. Jacques Arago.
Ajoutons que c'est à M. Boussingault qu'on doit en partie
l'appréciation comparative des engrais par le dosage de l'a-
zote. Il a fixé, avec M. Dumas, les proportions exactes
des principes constituants de l'air atmosphérique, et s'est
livré à d'excellentes recherches sur le rôle des différents vé-
gétaux dans l'alimentation des herbivores, et sur l'engrais-
sement des bestiaux. On lui doit aussi une méthode très-
simple de préparation de l'oxygène au moyen de la
baryte.
En 1848, M. Boussingault, directeur co-propriétaire de
l'usine de Béchelbronn, située dans le Bas-Rhin, fut en-
voyé par ce département à la Constituante, où il volait
avec les républicains modérés. Il fut ensuite élu par la
même assemblée membre du conseil d'État , et y fit partie
de la section de législation jusqu'au 2 décembre 1851.
M. Boussingault est né à Paris, le 2 février 1802.
BOUSSOLE. La pièce principale de cet instrument est
une lame d'acier ordinairement en forme de losange, et qui,
ayant été aimantée, jouit de la propriété remarquable de se
tourner constamment vers un même point de l'horizon ,
dans un môme temps et dans un même lieu; c'est-à-dire
que cette aiguille , étant librement suspendue , si on l'écarté
à droite ou à gauche de la position dans laquelle elle était
en repos, elle y reviendra, et s'y arrêtera après quelques os-
cillations. Voyez Aimant.
Dans les boussoles dont on fait usage à la mer, on place'
l'aiguille dans une boite de cuivre appelée cuvette; cette
boîte, de forme cylindrique, est recouverte d'une glace.
L'aiguille, posée sur un pivot pointu et poli, est chargée d'un
cercle de talc ou de carton que, dans son mouvement, elle
est obligée d'entraîner, ce qui modère la trop grande faci-
lité qu'elle aurait à vaciller. Une rose des vents est tracée
sur ce cercle, dont le centre coïncide avec le point de sus-
pension de l'aiguille , et celle-ci est dirigée suivant la ligne
Nord et Sud de la rose. Un cercle gradué est fixé à la boîte,
concentriquement à celui de la rose ; il sert à faire connaître
les angles formés par la direction de l'aiguille et celle du
vaisseau , et permet en même temps de tenir exactement
compte de la déclinaison. La boîte qui renferme l'aiguille
est supportée par deux cercles à pivot dans lesquels elle se
balance de manière à rester horizontale, malgré le tangage
et h- roulis (lu navire.
à
BOUSSOLE — BOUT
G09
T,a bonssolo prcnil le nom de cotyipns de route quand
elle sert à diriger le cap du vaisseau suivant telle ou telle aire
de vent. On la place alors dans une espèce d'armoire, que
l'on nomme A«6i^ac/e, et qui est située sur le tillac, en
a\ant de la roue du gouvernail. Cette armoire, est ordi-
nairement divisée en trois compartiments : celui du milieu
contient une verrine et dans chacun des deux autres se
trouve un compas de route ; on met ces deux instruments à
une distance suflisanle pour qu'ils n'exercent aucune action
l'un sur l'autre.
La boussole prend le nom de compas de variation quand
elle sert à relever les objets, c'est-à-dire à déterminer à
quels rumbs de vent ils répondent; dans ce cas on la gar-
nit de deux pinnules, qu'on place en dehors de la cuvelle.
Pendant qu'un observ..teur aligne les pinnules avec l'objet
qu'on veut relever, un autre examine quel est l'angle que
forme la ligne Nord et Sud delà boussole avec un fil tendu
sur les bords de la boite perpendiculaiiement a la ligne qui passe
par les fentes des deux pinnules. Cet angle est eviiieniaient
égal à celui que forme la ligne Est et Ouest du compas avec
la direction de l'objet. Mais celte méthode de relèvement
n'est suffisamment exacte qu'autant que l'objet qu'il s'agit
de relever esta l'horizon ou peu au-dessus. Dans tout aulre
cas, on doit employer le compas azimuth al.
Le pivot sur lequel porte l'aiguille et eu géuéial toutes les
pièces qui l'entourent sont en cuivre ou en bois; car si on
employait du fer ou de l'acier, la position de l'aiguille se
trouverait altérée. On sait même que les lerrures du navire
exercent sur l'instrument une action qu'on s'est proposé de
détruire. M. Barlowa trouvé qu'eu plaçant couTenablement
un disque de fer dans le voisinage de l'aiguille, on arrive au
résultat cherché. Quant à la |)osition de ce disque, il faut
pour chaque nav're la déterminer par tâtonnements.
En tenant comptede la d éclinaison, l'aiguille aimantée
donne la direction du méridien du lieu. Si donc on sait
l'angle que fait la route qu'on doit suivre avec ce méridien,
on peut parfaitement se conduire au moyeu de la boussole
( voyez LoxoDROMiE ). C'est elle en effet qui dirige les vais-
seaux. On détermine d'abord sur une carte marine par quel
rumb le bâtiment doit aller à sa destination. Le timonier
n'a plus qu'à gouverner ; en sorte que la pointe de la rose
correspondante à ce rumb soit dirigée parallèlement à la
quille du navire; ce que la position de la boîte de la bous-
sole, parallèlement aux parois de l'habitacle, indique suffi-
samment;
On conçoit que l'aiguille aimantée, en vertu de sa pro-
priété de conserver dans un espace et dans un temps li-
mités une direction constante, puisse servir à mesurer des
angles sur le terrain. On voit donc que la boussole joue
encore un rôle important dans le lever des plans.
Si nous cherchons maintenant quel est l'inventeur d'un
instrument si fécond en applications utiles , nous voyons
que quelques auteurs l'attribuent à un Napolitain, Flavio
Gioja, qui vivait à la fin du treizième siècle. Mais deux
textes, l'un de Guyot de Provins (douzième siècle ) l'autre
de Jacques de Vitiy (1225), nous apprennent que la inari-
nière ou marinette ( ancien nom de la boussole ) était
connue précédemment. En 1242 Bailak parle de la bous-
sole aquatique ( simplement composée d'une aiguille aiman-
tée soutenue au-dessus de l'eau par un petit morceau de
liège ), non pas comme d'une chose nouvellement inventée
ou reçue, mais comme d'un appareil généralement connu
des navigateurs de la mer de Syrie. Enfin nos sinologues
ont trouvé dans le célèbre dictionnaire Clioue-Wen, à
l'article qui concerne l'aimant : j\om d'une pierre avec la-
quelle on peut donner la direction à Vaiguille. Ce pas-
sage démontre clairement qu'on connaissait en Chine l'ai-
guille aimantée au deuxième siècle de noire ère; car le dic-
tionnaire auquel il est emprunté lut terminé l'an 121 de J.-C.
Tout porte donc h croire que pendant les croisades les Euro-
DICT. m: l,A CONVKRS. — T. Ml.
péens empruntèrent la marinette aux Arabes, (jui sans .!o;ite
l'avaient eux-mêmes reçue des Chinois. E. MEhi.it.Lx.
BOIJST. Voyez Goust.
liOUSTROPïlÉDO.X (de l'adverbe grec poy(iTpo?r,Sov,
comme tournent les bo'ufs). On donne ce nom à une écri-
ture particulière aux Grecs, et môme, dit-on, aux Étrus(|ues,
laquelle consistait à tracer les lignes alternativement de droite
à gauche et de gauche à droite, imitant ainsi la manière dont
les sillons d'un champ sont tracés par les bceufs qui le la-
bourent. On la considère connue marquant la seconde épo-
que de l'histoire de l'art graphique chez les Grecs : si eu ef-
fet les Grecs reçurent l'usage de l'écriture alphabétique des
Phéniciens, qui traçaient leurs lettres de droite à gauche,
selon la pratique des peuples orientaux, les Grecs durent
d'abord écrire aussi de droite à gauciie; malheureuscuicnt il
ne reste pas de monument original de cette époque, si ce
n'est un petit bas-relief du musie du Louvre où le nom A'k-
gamemnon et ceux de deux autres personnages sont écrits
de droite à gauche. Les lois de Solou furent, dit-on, écrites
en boustrophédon, ce qui ferait descendre l'usage de cette
écriture à plusieurs siècles après Agamemnou et le siège
de Troie.
Il y a deux époques dans le boustropliédon même : la plus
ancienne procéilait de droite à ganclie pour la première li-
gne; la deuxième éiait donc dirigée de gauche à droite.
Dans la seconde époque, la première ligne était tracée de
gauche à droite, la deuxième dans le sens contraire. On
[lense que l'usage de ces deux manières de boustrophédon
cessa d'être général en Grèce dès le septième siècle avant
l'ère chrétienne ; on a des inscriptions de l'an 457 qui
sont tracées selon la manière actuelle , et Fourmont en a
recueilli d'autres , écrites de même , qu'on croit plus an-
ciennes encore de deux ou trois siècles. La célèbre inscrip-
tion d'Amvclee, eu Laconie, qu'il a découverte dans les ruines
du temple d'Apollon Amycléen , est regardée comme le plus
ancien exemple de la première écriture en boustrophédon.
On donne à cette inscription dix siècles avant l'ère chrétienne.
Les quatre dernières lettres ajoutées à l'alphabet grec au
cinquièu.e siècle avant l'ère chrétienne, ne se rencontrant
pas dans les inscriptions en boustrophédon , on peut con-
clure qu'elles sont antérieures à celte date. Peut-être aussi
les inscriptions que nous possédons sont-elles des copies de
monuments plus anciens. J.-J. Cuampoi-liom-Figeac.
BOUT, fin, extrémité, dernier point de l'étendue. Le
plus ou le moins d'étendue d'une chose ne change rien à
l'application du mot bout; on dit le bout de la ville, le
bout du monde, comme le bout d'un bâton. Rigoureuse-
ment néanmoins ce mot ne devrait s'employer qu'à l'égard
des choses qui ont deux oouts opposés; car le bout répond
au bout comme l'extrémité au centre et la fin au conunen-
cement; il faudrait donc tlire le bout de l'allée, l'extrémité
de la France et la./în de la vie.
Bout s'emploie aussi quelquefois, non comme partie ex-
trême et intégrante d'une chose, mais dans le sens de frac-
tion; un bout de bougie, de fil, etc., et, par dérision, \m
bout d'homme, pour dire un homme extrêmement petit
Bout se dit encore dans le sens contraire, c'est-à-dire
non plus d'une chose détachée, mais d'une chose ajoutée :
mettre un bout de cuivre à une canne.
Ce mot fait partie de plusieurs expressions maritim'».'' :
avoir vent de bout, c'est avoir vent contraire ou le vent
par la proue, au lieu de l'avoir en ponpe ; aller de bout
au vent, c'est aller contre le vent ; donner le bout à terre
à wn vaisseau , c'est gouverner droit dessus ; aborder un
vaisseau de bout au corps, c'est l'aborder carrément et par
son travers; liler le câble bout pour bout , c'est le lâcher
entièrement et l'abandoimer avec son ancre. Le bout de
vergue est la partie de la vergue qui excède la longueur de
la voile et qui sert pour prendre des ri. s. Le bout de loj,
ou bout-lof est une pièce de bois ronde, ou à pans, q>ii
,7
nto
BOUT — BOUTARGUE
«i!it à tenir les amures de mHialne, et qu'on raet ordinaire-
ment au-devant des vaisseaux de charge qui n'ont point
iVéperons.
Le bout de l'an est un service qu'on fait faire solennel-
lement pour un df^fnnt au bout de l'année de sa mort, et
que la piété des parents renouvelle quelquefois tous les ans
à la môme époque ( voyez Anniversaire, Obit).
Goûter à quelque chose du bout des lèvres, c'est faire le
délicat, le dédaigneux. Les expressions adverbiales au bout
du compte, pour en résumé, ou à la fin, à tout bout de
champ, pour à tout propos, à tout moment, sont aussi d'un
emploi fort commun. On dit encore venir à bout d'une af-
faire, pour la terminer heureusement, ou d'une personne ,
pour dire la dompter. Avec de la patience on vient à bout
de tout. Pousser quelqu'un à bout, c'est mettre sa patience
à bout , c'est l'obligera sortir des bornes de la modération.
On dit, en termes de manège, qu'un cheval est à bout ,
quand il est usé parle travail; un homme est à bout quand
il ne sait plus que devenir, qu'entreprendre, pour sortir
d'une méchante affaire, ou pour subsister; on dit encore,
dans le même sens, quand cet homme est un fripon, qu'il
est au bout de ses ruses, de ses finesses, au bout de son
rouleau. Avoir une chose sur le bout de la langue, c'est
bien savoir cette chose, mais ne plus s'en souvenir à point
nommé. Un écolier sait sa leçon sur le bout des doigts quand
il la sait assez bien pour la réciter sans trébucher. Tandis
que les dissipateurs brûlent la chandelle par les deux
bouts, c'est-à-dire jettent leur bien par les fenêtres, des mal-
heureux s'exténiient pour procurer un morceau de pain à.
leur famille et ont grand'-peine à joindre les deux bouts.
Kufin, en retournant ce mot par tous les bouts, peut-être
avons-nous encore laissé bien des acceptions au bout de
notre plume.
BOUTADE, impression vive, étourdie, instantanée, qui
nous fait agir sans but et sans raison. C'est une sorte de ca-
price d'esprit, auquel certains hommes sont d'autant plus
sujets, qu'ils sont doués de plus d'imagination. Aussi les écri-
vains, les artistes, les amants, en un mot tous ceux qu'ob-
sède une pensée forte parce qu'elle est unique, ont des
boutades. Ils passent subitement de la joie à la tristesse, de
l'espérance à la crainte, du délire à la stupeur. « Lorsque
je vois ce qui se passe ici-bas, disait un jour Ducis, l'envie
me prend de me sauver dans la lune et là d'ouvrir la fenêtre
et de cracher sur le genre humain. »
Boileau , tourmenté par les sonneurs de cloche, s'écrie un
jour :
Persécuteurs du genre biiinain.
Oui sonnez sans luiséricurHe ,
Que n'avez-vous an cou la corde
Que vous tenez entre vos mains!
On se rappelle l'aventure de ce député qui , sortant de la
Chambre avec un budget, frais éclos, contre lequel il avait
inutilement voté, voulait traverser le jardin des Tuileries.
« On ne passe pas , lui dit le factionnaire. — Eh ! répondit-il
avec humeur, c'est le budget, mon pauvre ami ! Ça passe
toujours. »
Il y a cette différence entre la boutade et le caprice, que
l'une, dans sa fougue, traverse l'humeur sans l'altérer, tandis
que l'autre la subjugue despotiquement. De là vient que le
caorice finit par blesser et lasser quelquefois jusqu'à la
complaisance de l'amour, tandis que la boutade vive, mais
partagée, extiavague sans déplaire, et n'offense presque ja-
mais , même en désobligeant.
lioutade était encore un usage féodal établi dans le Berry,
par lequel certains seigneurs avaient droit de percevoir cinq
pintes de vin par poinçon ou tonneau , ou l'équivalent eu
argent.
150UTÂIV, état situé au nord de l'Hindouslan , entre
le 2G" et le 3S" de latitude septentrionale, et le 86° et
le 92" de longitude orientale; il est bomé au nord par le
Tibet, dont le sépare le faite de l'Himalaya, au i«Bd par
la présidence du Bengale, à l'est par le Sikkim. Sa plu*
grande longueur de l'est à l'ouest est d'environ 560 kilo-
mètres , sa plus grande largeur de 150. C'est un pays très-
élevé et fermé dans presque toute son étendue par les ter-
rasses de l'Himalaya , dont il renferme quelques-uns des
points culminants , entre autres le Chamalari , qui dépasse
8,600 mètres; la seule plaine du Boutàn située à l'extrémité
méridionale du pays n'a pas plus de 40 kilomètres de lar-
geur ; ce ne sont même, à proprement parler, que des maré-
cages couverts de jungles. Les principales rivières de cette
province, tributaires du grand fleuve Brahmapoutra,
sont le Tchintchien , qui se précipite en cataractes majes-
tueuses vers les plaines du Bengale, où il prend le nom de
Gadawar, le Jerdeher et le Banaach.
Les glaciers et les neiges perpétuelles qui couvrent les
régions du nord n'influent pas, du reste, d'une manière sen-
sible sur le climat du Boutàn, qui est celui du midi de
l'Europe. On y exploite des mines de fer, des carrières àa
granit et de marbre ; les productions végétales dans les
hautes vallées sont à peu près celles de nos contrées méri-
dionales ; dans les basses terres , ce sont celles des tropi-
ques ; le riz , le froment , l'orge et quelques autres céréales
sont les principaux produits de l'agriculture. Dans les vastes
forêts du Boutân, on remarque le frêne, le bouleau, l'é-
rable, le pin; les animaux qui les peuplent sont princi-
palement l'éléphant et le rhinocéros, et une espèce de
singe, qui est regardée comme sacrée. On y trouve aussi
le tangoun , cheval indigène très-estimé ; et les moutons ,
que l'on y laisse errer une partie de l'année, donnent
une laine très-fine. L'exportation consiste surtout en tissus
grossiers de laine, soieries, papier, thé, queues de buflle,
cire, ivoire, noix de galle, musc, poudre d'or, chevaux,
et argent en lingots, qui forment le chargement de la ca-
ravane que le gouvernement expédie annuellement dans
le Bengale , car le commerce étranger est monopolisé à son
profit. Les retours se font en étoffes de laine anglaises , in-
digo, poisson sec, noix muscades , clous de girofle, encens,
cuivre, bois de sandal, étain, poudre à tirer, peaux de
loutre et corail.
Le gouvernement est une monarchie, dont le chef nominal
est le Dharma-Rajah , personnage sacré , espèce de souve-
rain spirituel du pays, mais qui reste entièrement étranger
à l'administration; le chef réel de l'État est le Deb-Rajah,
gouverneur séculier du pays, que l'on considère comme le mi-
nistre du Dharma-Rajali ; il réside à Tassisudon, capitale du
Boutàn. La seule Aille importante qu'on puisse citer ensuite
est Ouandipour ; les autres ne sont que des villages , parmi
lesquels Paroest remarquable comme entrepôt de commerce.
Il existe une manufacture d'armes à Perrogung, près de la
capitale ; les principales forteresses sont Buxadeouar ou Pas-
sara et Dellamcotta.
D'après Samuel Davis, la religion des Boutyas est le boud-
dhisme, légèrement modifié : les prêtres doivent garder le
célibat; il existe des ordres monastiques pour les deux
sexes ; les prières sont chantées. Es n'ont point de temples
proprement dits; mais leurs routes sont bordées de petits
édifices carrés offrant des peintures ou des sculptures de
leurs divinités, et qui sont surmontés d'une sorte de gi-
rouette portant le mot Omanipccmehong (sorte d'invo-
cation), laquelle est disposée de façon que chaque passant
peut lui faire faire un tour. La classe des prêtres est la pre-
mière au Boutân ; après elle viennent les Zeencaabs, ou ser-
viteurs du gouvernement. La troisième classe, composée des
cultivateurs, parait jouir de plus de liberté et d'une con-
dition plus tolérable que les deux précédentes.
BOUT ARGUE ou BOTARGUE. Par ces noms les Pro-
vençaux désignent ime préparation faite avec les œufs et le
sang du viuge ( poisson très-abondant dans presque tontes
les mers) confits avec de l'huile et du vinaigre, ou desceuls
BOUTARGUE — liOU
t\v pdissons salis cl sécliés qui tiennent d'Egypte. Comme
un leur a fait siib r un commencement de décomposition
aNanl de les saler, ils ont une saveur et une odeur d'ammo-
niaque prononcées. Cette préparation , très-excitante , est
f mployée comme assaisonnement eu Italie et dans le midi de
la France.
BOUTADE HORS, B0U1"E-DEH0RS ou BOUTE-
HORS. Les marins appellent ainsi les pièces de bois qui
servent à porter les bonnettes.
Boutc-liors était aussi le nom d'un ancien jeu, qui ressem-
blait à celui que les enfants pratiquent encore aujourd'hui
et qu'ils nomment le roi dctrôné. On en a transporté le
sens, au figuré, à l'action de deux hommes qui luttent en-
semble pour une place, une dignité ou des faveurs quel-
conques, el on dit lamilièrement d'eux : Ils jouent au
botite-hors.
BOUTE-EX-TRAIN, qui éveille la joie, l'excite et la
rend coimnunicative. C'est une disposition du tempérament
qui perce dans la physionomie et s'annonce jusque dans les
manières; on n'ose se montrer grave ou réservé à qui
semble se livrer avec tant d'abandon. Aussi le boute-en-
train, par son seul aspect, fait fuir la tristesse et déride la
mélancolie ; il partage avec le vin et la bonne chère le privi-
lège de réjouir ; il est l'àme des bons repas et de toutes les
réunions consacrées au plaisir. Bien plus, il dit môme à la
mort :
Je ne veux pas qu'on nie pleure ,
Moi le boule-en-train des fous.
Mais s'il brille dans un banquet, il s'éclipse au salon, où le
rire franc n'apparaît que par exception et comme par sur-
prise. De là vient que le boute-en-train ne se rencontre
guère dans les hautes classes, car le bon ton repousse toute
démonstration un peu vive. Accueilli dans les cercles de la
bourgeoisie, il n'est choyé que chez le peuple ; c'est là qu'il
faut l'observer, parce qu'il ne s'observe pas ; c'est là qu'il
éclate, qu'il délire, et qu'il s'amuse en amusant. S'il des-
cend jusqu'à la bouffonnerie, il diffère cependant du bouf-
fon, en ce que celui-ci a, pour ainsi dire, une gaieté méca-
nique, qui sent le métier et expire comme elle naît, à heure
lixe, tandis que le boxUe-en-train porte la joie avec lui dans
tous les instants et vous en pénètre, parce qu'il en est pénétré.
Boute-cn-train est encore le surnom d'un petit oiseau,
nommé autrement tarin, facile à ap[>rivoiser, et dont on se
sert, ainsi que d'une serinette, pour faire chanter les autres.
BOUTE-FEU. C'est, dans le sens direct du mot, celni
qui met volontairement le feu à un édifice, à une grange, à
une forêt. Dans l'antiquité, Éro strate brûla le temple de
Diane pour faire parler de lui ; chez les modernes, on in-
civndie la maison d'autrui par vengeance, et souvent la sienne
par cupidité.
Dans le style figuré, boute-feu se dit de ces hommes at-
tisant les passions de la multitude pour la pousser à tous les
excès. Servilius RuUus, à Rome, Danton, à Paris, étaient
des boute-feu : l'un soulevait au Forum le peuple contre les
grands; l'autre, aux Jacobins, insurgeait la populace contre
la bourgeoisie. Séditieux par nature, tous deux semaient le
désordre comme s'ils l'eussent aimé d'instinct , et le culti-
vaient par ambition. Au reste, c'est le propre des révolutions
d'enfanter des boute-feu; mais, on l'a dit bien des fois,
comme Saturne, elles dévorent leurs enfants.
Dans les rapports ordinaires de la vie, on appelle boule-
feu certains hommes qui s'empressent de rapporter à un
tiers une plaisanterie souvent innocente lâchée contre lui, la
dénaturent, l'envcninient, et parvieimentdelasorte à brouil-
ler les meilleurs ajnis. Le tracassier cède à l'intempérance
de sa langue sans dessein de nuire; \c boute-feu, au con-
traire, procède avec rcllexion et dans le but de mal faire.
En politique, le boule-feu détruit l'Étal; dans !a vie privée,
il rotnpt l'amitié el désunit la famille.
TEILLE DE LEYDE 61 1
BOUTEILLE, vase de verre, de terre cuile, de cuir, etc.,
à ouverture étroite, destiné à contenir des liquides. C«
mot vient probablement du verbe bouter, usilé encore dans
les patois du midi, où l'on appelle bout tes les sacs de cuir
dans lesquels ou 7net le vin, que l'on transpoi le à dos d«
mulet.
Les bouteilles de verre sont foit anciennes ; on en trouva
dans les ruines d'Herculanum et de Pompéi. La manière de
les fabriquer est Irès-expéditive et fort simple : l'ouviier
plonge l'extrémité d'un tube de fer, appelé canne, dans lepot,
sorte de creuset où est contenu du verre en état de fusion ; eu
retirant le tube, il en enlève environ gros comme le poing;
il porte cette masse dans un moule cylindrique d'un dia-
mètre égal à celui que doit avoir la bouteille; il souffle dans
le tube; le verre se gonfle en vessie , qui prend la forme du
moule ; cela fait, il retire la bouteille, ainsi ébauchée, de la
cavité, et, l'ayant renversée, il forme, avec une mollet te, la
creux dont la convexité s'élève plus ou moins dans l'intérieur
de la bouteille, ce qui est facile, attendu que le verre est encore
en consistance pilleuse; un filet de verre roulé autour du gou-
lot forme la cordetine, qui empoche la bouteille de glisser
quand on la tient dans la main. Enfin, on touche circulaire-
mentle goulot au-dessus du cordon avecun instrument froid :
la bouteille se détache, el un enfant la porte, au bout d'une
verge de fer, dans un four chaud, où elle se refroidit lente-
ment, car l'expérience a appris que le verre qui passe brus-
quement d'une température élevée à une température froide,
et réciproquement, est beaucoup plus cassant que lorsque
ce changement de température se fait avec lenteur ( voyc:,
Verrekie). Teyssî:ure.
Pris dans l'acception figurée, bouteille s'entend du con-
tenu au lieu du contenant. On dit, par exemple, qu'un
homme aime la bouteille, pour dire qu'il aime le vin, qu'il
est adonné au vin.
A bord des vaisseaux, on nomme bouteilles des saillies
ou compartiments, placées en dehors, sur l'arrière du bâti-
ment, des deux côtés de la poupe, qu'elles allleurent, et
servant de vespasiennes à l'équipage. Elles se terminent en
cul-de-lampe, et supportent autant d'étages qu'il y a de bal-
te.ies au vaisseau ; celles des frégates n'ont qu'un étage. On
nomme fausse-bouteille un placard sculpté dans la même
forme, et dont on décore l'arrière des vaisseaux trop petits
ou trop ras pour avoir de véritables bouteilles.
BOUTEILLE DE LEYDE. La découverte de la bou-
teille de Leyde est , comme tant d'autres découvertes , née
pour ainsi dire du hasard. Elle fut faite à Leyde en 174(i
par Cuneiis et Muschenbroeck. Cette découverte fit beaucoup
de bruit en Europe ; elle donna un nouvel éclat à Té 1 e c t r i -
cité; chacun voulut éprouver la commotion, malgré le récit
effrayant qu'on en faisait. Tous les physiciens répétèrent la
fameuse expérience de Leyde , et en étudièrent les diverses
circonstances. Ce fut surtout parmi les Français , toujours
avides de nouvelles découvertes , que cette expérience ex-
cita une vive sensation. L'abbé Nollet donna en présence de
Louis XV la commotion à un régiment entier.
La forme commune de la bouteille de Leyde est celle d'un
flacon ordinaire. La surface extérieure est recouverte jus-
qu'à une certaine hauteur d'une feuille d'étain. L'intérieur
est rempli de feuilles de cuivre très-minces. La bouteille est
fermée par un bouchon de liège , traversé par une lige de
métal , dont la partie supérieure est terminée par une boule
et dont la partie inférieure communique avec les feuilles de
cuivre. La feuille métallique extérieure porte le nom d'ar-
mure extérieure, les feuilles de cuivre intérieures s'appellent
armure intérieure. Pour charger la bouteille de Leyde ,
on la lient ordinairement dans la main , en même temps
qu'on fait toucher la boule de la tige au conducteur <rune
machine électrique en action. On la retire quand l'élec-
tromèlre à cadran posé sur le conducteur marque que l'iri-
tensitc de i'eleciricité dans l'intérieur de la bouteille, ainsi
CI2
BOUTE[LLE DE LKYDE — BOUTER
que sur le conducteur de la inucltiiic , est ariivte à son
Miaximuni,
Quand la bouteille est ainsi cliarg(^e, si l'on touche la boule
avec l'autre main, on se sent aussitôt (Vappé avec violence
dans les deux bras, surtout auxarticnialions; plusieurs per-
sonnes peuvent recevoir à la fois la cominotion ; il suffit pour
cela rprelles se tiennent par la main pour former une chaîne :
la personne qui se trouve à une extrémité de la ciialne prend
la bouteille dans une main , tandis que celle qui est placée
à l'extrémité opposée touciie la boule. La transmission de
l'électricité se f;tit avec une telle rapidité que toutes les per-
sonnes se sentent frappées au même instant. L'exjilication de
celte expérience, (|ui a dil paraître bien extraordinaire aux
personnes qui l'ont vue à l'origine , est très-simple ; elle est
enliéremeut fondée sur l'attraction mutuelle des deux électri-
cités.
Supposons, pour fixer les idées , que le conducteur de la
machine électrique soit chargé d'électricité positive (vitrée),
ce qui fA le cas dos machines ordinaires. Cette électricité
se. répand également sur le conducteur et dans l'intérieur de
la bouteille. l£lle décompose par influence l'électricité natu-
relle de l'armure extérieure , attire l'électricité négative ( ré-
sineuse), et repousse l'électricité posHive, qui se dissipe dans
le sol parle moyen des organes de la personne qui tient la
bouteille. L'électricité négative de l'armure extérieure attire
à son tour l'électricité positive de l'intérieur, en sorte qu'une
nouvelle partie de l'électricité du conducteur peut pénétrer
dans l'intérieur de la bouteille, laquelle électricité décompose
une nouvelle portion de l'électricité de l'armure extérieure,
et ainsi de suite , jusqu'à ce que la bouteille soit chargée à
la limite, c'est-à-dire autant que possible : pour comprendre
qu'il y a nécessairement une limite à la charge de la bou-
teille de Leyde , on doit se rappeler que l'action de l'élec-
tricité décroît avec la distance ; il faut donc que la quantité
d'électricité positive accumul^^e dans l'armure intérieure l'em-
porte sur la quantité d'électricité négative chassée de l'ar-
mure extérieure dans le sol , et conséquemment sur la quan-
tité d'électricité négative retenue sur cette armure. Il y a donc
dans l'arnmre intérieure une certaine quantité d'électricité
qui n'est retenue que par la pression de l'air. Cette quantité
augmente avec la charge de la bouteille , et lorsqu'elle est
capable de vaincre cette pression , la charge est arrivée à
sa limite, puisque foute l'électricité qu'on fournit dès lors à
l'arujure intérieure s'échappe à travers l'air.
Toutes les circonstances que présente la bouteille de
Leyde se conçoivent aisément d'après ce qui précède ; la
décharge consiste dans la réunion de l'électricité i)Ositive
de l'intérieur à l'électricité négative de l'extérieur. Cette
réunion s'opère quand on établit une communication entre
les deux armures par un corps conducteur. Si l'on éta-
blit celte communication avec les organes , on éprouve
la comnot'on. Nous venons de parler de l'attraction mu-
tuelle iles deux électricités contraires; cette attraction est
si forte qu'une partie de l'électricité pénètre dans l'intérieur
du verre. Voilà pourquoi ime bouteille peut donner plusieurs
décharges successives : à la vérité , la première est beau-
coup plus forte que les autres. VoiJà encore pourquoi sou-
vent la décharge s'opère à travers le verre, ce qui détermine
la rupture de la bouteille. Il estencoie évident qu'il faut que
l'armure extérieure communique avec le sol , afin que l'é-
lectricité ])ositive, repoussée par l'électricité pareille du con-
ducteur, piii-^se se dissiper, parce que si l'électricité positive
et l'électiicité négative de l'armure extérieure restaient sur
cette armiue, elles se ne<itraliscraient ; et il ne serait pas
|>ossil)le d'accumider de l'électr'cité positive dans l'intérieur,
et conséquemment de charger la bouteille.
Piiisquf; les deux électricités s'attirent si fortement, elles
doivent .se trouver sur les faces du verre, et non dans les ar-
irures ; c'est encore ce qu'on vérilic par l'expérience. Si l'on
djargf une bouteille "a arnuues mobiles, et qu'on enlevé
ensuite chaque armure séparément, on verra, en les refila-
çant, que la bouleUle n'a pas perdu sensiblement de sa force.
S'il y a dans l'armure intérieure un excès d'électricité,
qui n'est maintenu que par la pression atmosphérique; on
devra tirer de cette armure une étincelle électrique, quand
on la touchera sans toucher en même temps, bien entendu ,
l'armure extérieure. L'électricité qu'on n'enlèvera point ne
restera qu'en vertu de l'attraction de l'électricité o|)posée de
l'armure extérieure. Il faut qu'il y ait sur celle-ci un excès
d'électricité négative; on pourra donc en tirer une étincelle,
puis une nouvelle étincelle de l'armure intérieure, et ainsi de
suite , en sorte qu'on déchargera de cette manière la bou-
teille par une série d'étincelles, et sans éprouver de com-
motion.
Le carreau fulminant et \e condensateur ne sont
que la bouteille de Leyde sous une autre forme.
Une batterie est une réunion de plusieurs grandes bou-
teilles, dont les armures intérieures communiquent ensemble,
ainsi que les armures extérieures. Chaque bouteille preiul
alors le nom de jarre. Les effets des batteries sont ceux de la
bouteille de Leyde plus ou moins agrandis : c'est par la dé-
charge d'une batterie puissante qu'on fond et volatilise les
métaux, qu'on enflamme la poudre, qu'on tue des animaux ;
c'est en un mot avec cet instrument qu'on donne une idée des
effets de la foudre. C. Despketz, de t'Acad. des Sciences.
BOUTEILLER ( Grand ). C'était autrefois la charge
d'un des cinq grands officiers de la couronne, remplacé
depuis par le grand éc ban son , qui hérita d'une partie de
ses fondions, mais non de ses privilèges. En effet , le grand
bouteitler signait les chartes des rois, siégeait à la CJ)ur
des pairs et exerçait, en vertu de son oflice , l'une des deux
présidences de la chambre des comptes. Il prélevait aussi
cent sols de France sur tous les sièges et bénéfices ecclé-
siastiques de fondation royale, quand les nouveaux titulaires
prêtaient leur serment de fidélité. En l'hôtel du roi , il en-
voyait ses gens traire au tonnel où l'on trayait pour le prince,
<iui défrayait aussi sa table et son luminaire. Aux festins
d'apparat, la coupe ou le hanap du monarque lui revenait
de droit, ainsi que les pièces de vin entamées pour le
banquet. Il prenait encore chaque année vingt livres en la
chambre des deniers pour payer ses manteaux. Le premier
grand bouleiller de France fut Herbert de Serans, qui vivait
au commencement du onzième siècle. Parmi ses successeurs
figurent un Hervé de Montmorency, quatre Guy de Senlis,
un Robert de Courtenay , un Etienne de Sancerre, un Guy
deChâtillon, un Jacques de Bourbon, un Yaleran de Luxem-
bourg, des sires de Coucy, de Tancarville , de Saint-Pol,
de Croi, de Soissons,de lîcaumanoir, etc. Un différend qui
s'éleva en 1:517 entre le sire de Sully, grand bouteiller , et
le sieur la Covyne de Soiecourt, échanson de France, nous
apprend que ce dernier oflice existait alors, mais ne tenait
sans doute que le second rang. Un grand bouteiller, Pierre
des Essarts, fut décapité en 1413. .Antoine de Cliàteauneuf,
sieur du Lau , occupait cette charge sous Louis XI ; elle a dû
être alKjlie après lui, car il n'en est plus question dans nos
annales. Depuis cette époque, le grand échanson fut investi
des fonctions attribuées piécédemmen't au grand bouteiller,
sans autres prérogatives que de vains honneurs attachés à
un vain t'tre.
BOUTER. Ce verbe, synonyme de mettre, (\}i%W. Dic-
tionnaire de Trévoux qualifie déjà de vieux et très mauvais,
a donné naissance à plusieurs mots qui sont restés en usage
depuis qu'on l'a lur-méme abandonné. On dit, en fermes
de marine, bouter de lof, pour dire bouliner, venir au
vent, prendre l'avantage du vent, et bouter à Veau, quand
on fait sortir un bateau du port. En termes de vénerie,
bouter la l>éfc, c'est la lancer. Bouter, en termes d'é-
l)inglier, c'est mettre, attacher des éjungles sur un papier
pour les exposer en vente; on appelle bouleuses les ou-
vrières cha'2'es de ce soin.
I
BOUTEROLLK
BOUTEROLLE. Les praveurs en pierres fines ap-
pellent ainsi un instrument en cuivre, dont ils enduisent
lu t^te de poiitire d'éineii ou de diamant, et qui, monté
sur l'arbre d'un tonret , use par le frottement la p-erre
qu'on lui présente. Les metteurs en œuvre nomment bou-
terolle un morreau de fer arrondi par un bout , qu'on ap-
plique sur les pièces qu'on veut restreindre dans le de à
pmhoiilir. Lc"^ orOvres donnent le même nom a un outil de
fer terminé par une léte convexe, et qui a la forme que l'on
veut donner à rouvras»» sur lequel on frappe cet outil; les
serruriers, à une sorte de rouet [losésnr le palalre (la boite)
de la serrure, à l'endroit on porte l'exlrémitp H»- !n clef qui
le reçoit, et sur lequel celle-ci tourne. BouteroUe est enfin
uiic pièce d'armoirie qui représente la garniture qu'on met
au bout du fourreau d'une epée.
HOUTERWEK { Fkédéric ), ré le 15 avril 17f.6, à
Oker, près Goslar, dans le royaume de Hanovre, est connu
nar plusieurs ouvrages philosophiques et littéraires. La phi-
wsophie n'avait pas été sa première étude; la lecture des
ro;:ians et des œuvres de quelques beaux esprits de l'époque
avait d'abord égaré quelque peu ses idées; puis, voulant re-
venir à des travaux plus sérieux, il entreprit l'étude du droit;
loais au bout de deux années de travail, il y renonça,
convaincu que la poésie était sa véritable vocation. A cette
première période de sa vie, que plus tard il reconnut lu'-
méme avoir été un temps d'erreurs et d'illusions, se rat-
tache la publication d'un assez grand nombre de poèmes
et d'un roman intitulé : Le comte Donamar (3 vol., Gœt-
tingue, 1/91-93). Dans ce roman Bonterwek avait décidé-
ment pris parti pour la litteralure sensuelle, et quelquelois
pi obscène, de Voltaire, ravivée par Wieland, et semblait
avoir déserté les traces du mAle génie de Klopstock.
Quoiqu'il ait déploré le premier ce qu'il appelait les égare-
ments de son jeune âge, il faut reconnaître que cette aber-
ration passagère d'un esprit supérieur reagit fortement sur
la composition de son célèbre ouvrage intitulé : Histoire
de la Poésie et de l'Eloquence modernes ( 12 volumes,
1801-1825). Il est, à la vérité, facile de s'apercevoir qu'a-
près les premiers volumes l'esprit de l'auteur, devenu plus
ferme et plus philosoph-que, imprime aux jugements qu'il
émet plus de justesse et de profondeur ; mais on ne peut nier
non plus que ses appréciations des grands monuments de la
littérature ne soient très-superlicielles , tandis que d'autres
parties de la littérature ont trouvé en lui un appréciateur
habile et ju<liricu\. La littérature qu'il a jugée avec le plus
de bonheur est sans contredit la littérature espagnole.
Mais ce n'est pas seulement comme littérateur que Bou-
te.'wek s'est rendu célèbre : Tliistoire de la pliilosopin'e
moderne en Allemagne doit le compter parmi les écrivains
qui déployèrent le plus d'ardeur à combattre la philosophie
dont les bases avaient été jetées par Schelling, et qui,
après plusieurs transformations, est victorieusement sortie
de la lutle qu'elle avait à soutenir. Lorsque Bouterwek eut
obteiui , en 17'JG, une chaire de ph'losophie à l'université de
Gœtlingue, le premier système qu'il y enseigna fut celui de
Kant ; pins lard il l'inbrassa lesidces de Jacobi , penseurqui
voulait baser tout sur un sentiment immédiat , et qui atta-
quait tous les systèmes par lesquels on protendait fonder la
philosophie sur le savoir et la science, et même sur une
science absolue. L'idéalisme de Fichte avait déjà été l'ob-
jet de quelques attaques de la part de Bonterwek ; ces at-
taques devinrent plus violentes, et sortirent même des con-
venances d'une lutte philosophique, lorsque Schelling essaya
de pousser l'idéalisme de Fichte encore plus loin, ou plutôt
de lui donner pour base son systèn)e de Videntifé abso-
lue. Sans doute Schelling alla un peu trop loin dans l'expo-
sition de ce système de l'identité et de Videntification;
jamais pourtant il ne confondit Dieu avec le monde, l'es-
prit avec la matière ; il prétendait seulement que l'esprit et
la nature sont deux faces analogues de l'absolu , et que,
- BOUTIQUE 613
comme rien n'est en dehors de Dieu, toute véritable exis-
tence ( le mal n'existe pas en soi ), par conséquent la na-
ture, doit être regards e comme quelque chose de saint et de
divin. 11 établissait ensuite une analogie et un parallélisme
ingénieux entre la nature et l'esprit; et tous les rapports de
l'homme avec la nature , avec le corps , prenaient ainsi un
aspect supérieur. Or, c'est précisément ce point de vue, celui
qui sanctiliait jusqu'aux rajiports naturels dtr Tliomme, et
même ceux des sexes, qui porta Bonterwek et d'autres à ac-
cuser le système de Schelling iVimmoralité , de matéria-
lisme et d\it/ieisme. Après élre longtemps demeuré im-
|)assible en présence de ces graves inculpations, Schelling
rompit enfin le silence, en 1812, à l'apparition de l'ouvrage
de Jacobi Sur les choses divines, dans lequel les accusa-
tions élevées contre sa philosophie se trouvaient formulées
avec plus de vivacité que jamais. Le livre qu'il publia, in-
titulé : Monument de Cccrit de Jacobi sur les choses di-
vines,reMerd toujours pour réfuter les sophismes des penseurs
qui croient servir Dieu en l'excluant de son œuvre éter-
nelle, et qui n'arrivent ainsi qu'à perpétuer l'athéisme dans
la société et le monde, en mettant Dieu en dehors des
choses de ce monde. Le coup avait frappé fort et juste :
aussi depuis lors le combat alla-t-il en s'alTaiblissant de
plus en plus; il cessa même dans le champ-clos de la pu-
blicité, et ne se continua que dans les auditoires des dif-
férents adversaires. Bouterwek n'en continua pas moins à
afta(]uer la nouvelle philosophie dans ses cours, très-assi-
dùment suivis par la jeunesse des écoles; la vérité est ce-
pendant que ses attaques, quoique toujours vives, ne dé-
passèrent plus jamais les bornes d'une exacte politesse.
Dans son Apodiclique , dans son Manuel des Sciences
philosophiques, et dans sa Religion de la Raison, Bouter-
wek rejette l'idée de la foi absolue pour défendre la croyance
de la I aison en elle-même. On a aussi de lui une Esthétique
( 2 vol., 3° édit., 1824 ) , dans laquelle on trouve beaucoup
de remarquer judicieuses sur les dilférenles parties de l'art,
quoique la première partie du livre qui traite des principes
du beau et de l'art soit restée vague et superlioielle. Bouter-
wek mourut le '.) aoilt 1828. H. Aurens.
liOUÏE-SELLE, vieux terme de guerre que nous a
légué le moyen âge, avec l'éclatante sonnerie qui le traduit :
c'est le signal que la trompette donne pour avertir les cavaliers
de seller leurs coursiers de bajaille et de se tenir prêts à
chevaucher pour voler de rechef à la gloire.
Il y a quelque chose de niagnitique dans l'excitation fé-
brile que ce signal inattendu jette dans une caserne et surtout
dans un bivouac, une grand'-garde, un avant -poste d'ar-
mée, quand tous ces soldats, tous ces chevaux , endormis
au pied de leurs piquets, «e réveillent en sursaut aux pre-
miers (eux du jour, les chevaux implorant déjà une toilette
qui doit faire ressortir leur valeur, les hommes bouchon-
nant leurs camarades, leur passant le mors aux dents,
ramassant brides et bridons, disposant fontes, selles, scha-
braques, étriers, sangles et croupières. Mais à cette agita-
tion , qui n'est pas bruyante, succèdent bientôt w\ calme,
un ordre, un silence complets dans ces rangs belliiiueux
de carabiniers , de dragons, de cuirassiers, de hussards, de
chasseurs, de lanciers Tous ces naseaux brûlants de qua-
dni])cdes interrogent l'espace; toutes ces figures martiales
d'hommes aspirent la poudre. Hommes et quadrupèdes,
pour s'élancer à de nouveaux exploits, n'attendent plus
que le mot magique : En avant!
BOUTIQUE, liOLTlQUlER. On appelle boutique un
lieu où les marchands étalent leurs marchandises en vente.
Varrièrc-boutique est une pièce qu'on trouve inmiédiate-
ment après la boutique. Aujourd'hui Paris n'a plus une seule
boutique, et cependant, excepté dans quelques quartiers
recules, tous les rex de-chaussée , et même bon nombre de
premiers, sont ce qu'on appelait autrefois des boutiques; lo
mot seul a été change. Le terme g'^acrique maintenant est
614 BOUTIQUE
tiuKjasln , et chaque boutique a un nom particulier, selon
la luarcliaMilise qu'on y débite. Si une boutique en renferme
un grand nombre d'autres, on l'appelle ^a:;ar; si le bazar
s'ouvre à ses deux extiémités , et si on y circule librement,
il prend le nom de passage.
Le mot boutique a pris en France une acception nou-
velle; on dit la boutique pour dire les boutiquiers. La
bouticïue , c'était sous le dernier règne la puissance du jour,
c'était cette partie de l'industrie, souvent bonifie d'orgueil
et d'ignorance, qui ne voyait que soi et le présent.
Le boutiquier, garde national fanatique et ami à tout prix
de ce qu'il appelle Yordre public , voulait autrefois élever
lui et sa famille au rang des autres classes de la société plus
instruites , mieux édtiquées, comme il lui échappait souvent
de dire. Un écrivain spirituel s'était moqué de cet amour
mesquin du confortable, de cette manie d'artiste qui le domi-
naient alors, par un vers devenu proverbe :
Et l'on trouve un piano daos l'arrière-boutique.
Maintenant , au contraire , il voudrait voir tout le monde des-
cendre jusqu'à lui. Il est vrai que de nos jours il a une cer-
taine instruction , et qu'il parle un j)eu de tout ; mais c'est
justement le moyen quelquefois de déraisonner sur tout.
Le boutiquier est avare, peureux, souple, partisan de tous
les gouvernements présents et futurs qui auront Tair de le
compter pour quelque chose; il a tenu ou a cru tenir le
pouvoir, et il se complaît dans cette idée; aussi tous les gou-
vernements nouveaux attachent-ils un grand prix à se con-
cilier ses bonnes grâces. En 1848 le Provisoire lui-même ne
tiédaigna pas ses suffrages, et réussit un instant à lui faire ac-
croire que la république n'était qu'une boutique bien menée.
BOUTO ou CUTO , dans le système mythologique des
I-;gyptiens, l'une des huit divinités du premier ordre, fut
Jdentiliée par les Grecs avec leur Léto, et par les Romains
avec leur Latone; et il est fort probable que dans la suite
des temps les traditions grecques de Lèto se confondirent
souvent avec celles de la déesse égyptienne. Bouto repré-
sente l'éternité, la nuit primordiale, (lui précéda le débrouil-
lemcntdu chaos, et encore l'eau ou Tluunidité primitive, le
limon du Nil, la matière fécondée ou propre à être fécon-
dée, la mère de toutes choses. Elle passe généralement pour
la nourricri d'Horus (Apollon) et de Bubastis (Artémise),
les deux enfants d'Osiris. Tandis que Typhon multiplie les
pièges autour du bienfaisant Osiris, le tue, le mutile, pro-
fane sa tombe et iiersécute sa famille , Isis confie son jeune
lils à Bouto; celle-ci le cache et le nourrit dans une île
llollante appelée Chemmis, dans le lac et au voisinage de
la ville d'Egypte cpii porte son nom. Comme déesse de la
nuit, Bouto avait près d'elle, dans ses temples, la mygale
ou musaraigne, qui, comme la taupe, était censée aveugle,
parce que ses yeux , très-petits , sont prescjuc entièrement
cachés par les replis de la peau. L'ichneumon aussi lui était
consacré, ainsi qu'à Hercule. Chaque année, on venait dé-
votement en pèlerinage à l'oracle et au temple de Bouto ou
Boutas, située sur la rive méridionale du lac du même
nom, à l'embouchure du Nil Sébennytique. Hérodote, qui
donne une description très-délaillée de cette ville popu-
leuse, capitale d'un nome de la Basse-Egypte, vanle surtout
le tem|ile magnilique qu'on y avait élevé a Bouto , et outre
lequel il existait encore îles temples consacrés à Horus et à
Artémise, nolauunent le Portique et une cliapelle d'uuc seule
pierre qui avait quarante coudres de hauteur.
BOUTOIR. Lorsque, connue dans le cochon, le san-
içlier, le phacochoère, le bahiroussa, ies pécaris, la
j)artie antérieure de la cloison des narines est prolongée par
*m os élargi ; lorsipic la peau qui recouvre ce ne/, est plus ou
jnoins nue et reçoit une grande quantité de nerfs; lors-
«lu'enlin cette peau, soutenue |>ar l'os élargi de la cloison et
par les pièces solides des ouvertures nasales , l'est encore
|)ar une couche do tissu cellulaire doii^e et eia.>fiqiio, toutes
- BOUTON
ces particularités d'organisation ont fait donner à ce ne/ le
nom de boutoir ( vulgairement groin ).
Ces sortes de nez sont propres à ouvrir la terre , à fouil-
ler dans le sol pour y chercher la nOi.rriture. Dans toutes les
espèces de la famille des cochons que nous avons déjà citées,
le boutoir est terminé par une surface plane, verticale, où
l'on voit les ouvertures des narines. La peau de cette sur*
face et d'une partie de la circonférence est toujours enduite
d'une humeur visqueuse, qui lui donne un aspect luisant et
contribue sans doute à en augmenter la sensibilité tactile.
Lorsque ces animaux barbottent dans la vase, dans des
amas de fumier, ou remuent un terrain marécageux ou tout
autre sol humide et meuble, leur boutoir agit comme l'ex-
trémité d'un levier représenté par la tèle, qu'ils enfoncent
obliquement. Pendant que l'arête mousse de la partie su-
périeure et de toute la circonférence du boutoir pénètre
dans le sol, la peau nue et visqueuse de la surface plane
sert comme un organe d'un toucher délicat, en môme temps
que l'appareil de l'oKactiou, qui est très-développé , flaire
et recueille toutes les émanations odorantes des corps re-
cherchés pour la nourriture, qui sont situés plus ou moins
profondément dans le sol. C'est en utilisant ces fouilles exé-
cutées par le boutoir du cochon domestique que l'homme sait
s'approprier la truffe, si recherchée par les gourmets.
L. Laubent.
BOUTON ( Technologie ), petite pièce, de forme len-
ticulaire ou hémisphérique , qu'on emploie pour joindre à
volonté les pièces d'un vêtement, ou encore comme orne-
ment. On peut distribuer les boutons en deux classes prin-
cipales : 1" les boutons simples;!." les boutons composés.
Les boutons simples se font en bois, ivoire, os, nacre de
pcile, corne, etc. Leur forme est celle d'un petit disque
percé d'un trou au centre et de quatre autres tout autour.
Ces boutons se fabriquent de la manière suivante ; on pré-
pare des planchettes de bois, d'ivoire, etc., d'une épaisseur
égale à celle que doivent avoir les boutons, puis on découpe
ces planchettes au moyen d'un instrument monté sur un
tour. On se formera une idée de cet instrument en se figu-
rant un compas dont ime des pointes serait coupante et l'autre
perçante : en faisant tourner l'instrument sur cette dernière
pointe, en l'appuyant sur une planchette de peu d'épaisseur,
il est évident (pie la pointe coupante détacherait une rondelle
percée au centre par l'autre pointe du compas. C'est de cette
manière qu'on découpe les moules des boutons. Les quatre
trous qui entourent celui qui occupe le centre des boutons
simples se percent d'un seul coup au moyen de quatre forets
montes sur le même appareil, et qu'une seule roue fait tour-
ner. Une pointe fixe, et qui entre dans le trou central du
bouton détermine la position qu'il doit occuper pour que
les quatre trous soient percés à des distances convenables du
centre. Les boutons simples reçoivent quelques ornement.*»
ciiculaires dont le profil dépend de l'outil qui sert à les
découper.
Les boutons composés se font en métaux, corne fon-
due, etc. Les plus communs consistent en un moule de bois,
d'os, de métal, recouvert d'un le.orceau d'élofl'e de drap, de
toile, de soie, etc. ; quand le moule est en bois et qu'il doit
être recouvert d'une feuille de métal, il est percé, comme
un bouton simple, de cinq trous, dans lesquels est passé un
petit cordon qui sert a fixer le bouton sur le vêtement en le
cousant à l'ordinaire. Quant à l'enveloppe de ces sortes de
boutons, on la découpe d'abord au moyen d'un emporte-pièce
dans une plaque de métal, et l'on emboutit ensuite celte ron-
delle à l'aide d'un mouton ou d'un balancier : celle opéra-
tion lui fait prendre la forme d'un petit vase circulaire. Si
le bouton doit porter des légendes, des ornements, le ba-
lancier est numi de deux pouiçons gravés l'un eu creux et
l'autre en relief, qui s'appliquent exactement l'un sur l'autre;
la rondelle de métal, étxmt pressée entre ces deux poinçons,
y reçoit la copie exacte de leurs reliefs. On fixe les eure-
BOUTON
r>ii
loppes ainsi préparées sur les moules en bois, en métal, etc.,
au moyen du tour; cette opération s'appelle sertir; elle
consiste à fixer le moule sur le mandrin d'un tour en l'air,
à ajipliquer l'enveloppe métallique dessus et à en rabattre
les bords en frottant contre avec un brunissoir.
Les boutons coulés en métal portent un anneau de (il de
fer ou de laiton ; on place cet anneau dans le moule de fa-
çon que son ouverture ne puisse être enveloppée par le mé-
tal qui ne doit saisir que ses deux crampons. Les boutons
en corne fondue portent aussi un anneau de til de laiton.
Les boutons de métal se polissent ordinairement au tour
en l'air ou sur des meules en pierres ou en bois : ces der-
nières sont recouvertes de cuir imbibé d'huile dans laquelle
on a délayé de l'émeri en poudre plus ou moins fine. Les
boutons métalliques unis reçoivent le dernier lustre sur un
tour en Tair dont l'arbre tourne avec une grande rapidité.
C'est avec le brunissoir qu'on exécute cette opération. Les
boutons festonnés se terminent au tour à guillocber.
On fiibrique aussi des boutons en serrant fortement une
rondelle de tissu entre deux rondelles métalliques, dont la
supérieure d'un diamètre un peu plus grand que celui de
l'inférieure, est sertie sur celle-ci de telle sorte que le tissu
reste fortement pressé. La rondelle métallique inférieure est
percée à son centrede façon à laisser passer le tissu du bouton,
que le tailleur peut ainsi coudre avec la plus grande facilité.
On fait encore des boutons en pdte céramique, dont la
matière est analogue à la i)àte de porcelaine. La base de
cette pâte est le feldspath. Une presse puissante moule ces
boutons, qui sont ensuite soumis à la cuisson. On leur donne
la couleur que l'on veut en introduisant dans la pâte divers
oxydes métalliques. Grâce à la rapidité de leur fabrication et
au bon marché des matières premières , le prix de ces bou-
tons est devenu très-modique.
BOUTON (Botanique). On appelle ainsi la jeune fleur
avant son épanouissement. Le bouton renferme donc le germe
de toutes les parties que la Heur présentera plus tard.
Quelquefois le nom de bouton est donné à un bour-
geon liorifère. C'est dans ce sens qu'on dit que le bouton
des arbres à pépins donne plusieurs (leurs, et que celui des
arbres à noyau n'en donne qu'une. H y a des jardiniers qui
appellent ces boutons des bonnes ou des bourses a. (mit.
BOUTOIX (Médecine). On nomme ainsi de petites tu-
meurs arrondies, plus ou moins pointues, qui s'élèvent sur
diflérentes parties de la peau , et dont la forme a quelciue
analogie avec des productions homonymes du règne végé-
tal. On appelle aussi ces tumeurs papules dans le langage
médical, vraisemblablement parce qu'elles ont été attribuées
à un développement des corps papillaires qui entrent dans
la composition du tissu de la peau. Les boulons vaiifiit
sous un grand nombre de rapports : tantôt ils sont de
simples excroissances, qui ne contiennent aucun fluide,
tantôt ils renferment une sérosité transparente, ou bien un
liquide purulent; cependant on ne les considère jamais
comme des foyers de pus, et ils se dessèchent ordinairement
tous sous la forme qu'on appelle croûte. D'après ces diffé-
rences, on les distingue en boutons secs, en boutons vési-
culeux et en boutons pustuleux. Quelquefois les boutons
sont très-petits, et sans alfération notable du coloris de la
peau ; d'autres fois leur base est enflammée et plus ou
inoin« rouge. Souvent ils nesont accompagnés d'aucune sen-
sation insolite ; mais on les rencontre assez communément
avec une démangeaison plus ou moins forte, et en ce cas on
les appelle boutons prurigineux. On les voit naître isolé-
ment ou bien par groupes appelés plaques, et dont les
tonnes sont très-diversi(iées.
Ces affections sont les plus communes et les plus légères
de celles qui composent la liste, aussi longue que variée,
des maladies de la peau; toutefois, elles sont souvent fâ-
cheuses. Parfois les boutons causent des démangeaisons
très-pénibles. Les éruptions papuleiises s'aggiavent surtout
par le grand nombre de médications qu'on tente pour s'en
guérir, et qui sont trop souvent des moyens dangereux.
Les boutons apparaissent dans diverses conditions dépen-
dantes de l'âge, du sexe, de l'alimentation, etc.... Les pre-
mières périodes de la vie humaine sont communément atlli-
gées par des éruptions papuleuses : chez la majeure partie
des enfants , à l'époque de la dentition , on voit apparaître
sur les joues, le front, les épaules, les bras, les avant-bras,
le dessus des mains, les fesses, les cuisses, les alentours
du nombril, etc., des groupes de boutons qui forment des
plaques très-rouges, et diversement figurées, auxquelles on
donne vulgairement le nom de feux de dents. A l'époque
du sevrage des enfants , on voit aussi poindre sur les mem-
bres supérieurs, sur les joues, etc., de petits boutons d'un
rouge vif , tantôt séparés , tantôt mêlés avec des points rouges
ou avec des plaques de la même couleur, quelquefois encore
avec des taches blanches, entourées d'un cercle rougeâtre.
Dans d'autres phases de l'enfance, on voit encore naître des
boutons avant et après des maladies aiguës. A l'époque de
la puberté , les jeunes gens de l'un et de l'autre sexe ont sou-
vent des boutons, surtout au visage. Dans l'âge adulte, il n'est
pas rare de voir des boutons isolés, et d'un rouge vif, appa-
raître sur le visage, les bras, les mains, le cuir chevelu,
après une (ièvTe légère ou des maux de tête : ceux-ci op*
quelquefois l'apparence des boutons de la gale, et sont ac-
compagnés d'un prurit très-incommode ; ils se sèchent or-
dinairement après une durée d'une à trois semaines. C'est
dans la vieillesse que l'homme est ordinairement sujet aux
éruptions des boutons prurigineux, qui excitent des déman-
geaisons intolérables, et qui condamnent à un cruel supplice
ceux qui en sont affectés. Le tribut mensuel auquel les femmes
sont assujetties est une autre cause de boutons; ils nais-
sent encore sur le visage, et ils contribuent à alTliger leur
existence à l'âge appelé critique.
Une trop grande continence ainsi que l'usage de certaines
substances alimentaires, telles que les plantes crucifères, les
moules, les huîtres , etc., concourent également à produire
des boutons. Les crevettes , les poissons que les marchands
de comestibles de luxe exposent à nos regards, ont surtout
cet inconvénient , parce qu'ils contractent une qualité irri-
tante quand ils ont été conservés longtemps dans de la glace,
moyen qui les préserve d'une décomposition putride, mais
qui ne les empêche pasdedeveniralcalescents. Les vins blancs,
quand on n'est point accoutumé à leur usage, produisent en-
core cet effet. Enfin, l'exposition à la chaleur du soleil peut
aussi faire naître des éruptions papuleuses : il en est une à
laipielle il est difficile de se soustraire sous les tropiques.
Toutes les causes productrices des boutons, quoique bien
(liflérontes au premier coup d'œil, peuvent cependant être
réduites en majeure partie à une principale, qui est l'irritation
do la membrane muqueuse du tube digestif, laquelle réagit
au dehors. 11 convient donc de lui opposer des adoucissants,
et non des excitants , comme on le fait trop souvent dans la
pratique vulgaire.
L'éruption de boutons qui accompagne le travail de la den-
tition, par exemple, n'exige qu'un traitement très-simple:
il faut chercher à modérer, autant que possible, l'irritation
gastro-intestinale qui résulte de celle des gencives , et qui en-
tretient un état fébrile. A cet effet, on rendra l'alimentation
très-légère, on donnera aux enlânts de l'eau fraîche et sucrée,
qu'ils appètent ordinairement beaucoup : leur affaiblissement
est un symptôme de la (lèvre, qui ne doit point induire à em-
ployer des préparations de fer ou de quinquina, comme ou
le fait trop souvent ; la constipation, qui est un autre symp-
tômede l'irritation de l'estomac, ne doit pas non plusengager
à employer le caîomel ou d'autiespurgatils : le régime et «le
petits lavements suffisent communément; des bains d'eau
tiède conviennent en même ten)])s, et il faut se garder de te-
nir les enfants trop couverts, ainsi qu'on le lait quelquefois.
Ces moyens sont encore applicables aux boulons qui sur»
«16
BOUTON — BOUTOURLINE
Tiennent.'» l'époque ilu sevrage et des maladies fébriles. Il est
également inulile de recourir aux ressources pharmaceu-
tiques dans le plus grand nombre de cas où les boutons se
manifestent à l'époque de la puberté, et le plus communément
chez les jeunes gens très-sanguins. 11 sullit de rendre alors
l'alimentation peu stimulante, de prescrire un exercice mo-
déré, des bains d'une température peu élevée, quelquefois
«ne saignée. Les jus d'herbes, dont on fait usage pour rafraî-
chir le sang, produisent très-souvent un effet opposé à ce but;
les sirops antiscorbutiques et les purgatifs ont beaucoup plus
d'inconvénients encore : sous l'influence de ces moyens, qui
excitent la muqueuse digestive , les éruptions papuleuses aug-
mentent fréquenunent.
Les boutons causés par l'insolation ou par d'autres causes
extérieures se guérissent par des topiques émollients. Les érup-
tions qui affectent les femmes vers l'âge critique sont rebelles
et difticiles à traiter convenablement. Le vulgaire a recours
pour les attaquer aux purgatifs, et trop souvent aux jjotions
meurtrières cLe Leroi. Les résultats de ces purgations réité-
rées sont communément des maux d'estomac ou des intes-
tins, qui empoisonnent le reste de la vie, et dont il n'est
pas rare qu'une mort prématurée soit le terme. En outre,
comme on néglige de diriger des médications convenables
sur l'organe où est le foyer principal de l'affection , il ac-
quiert souvent un état morbide qu'on ne reconnaît que quand
il est à peu près irrémédiable : les cancers utérins n'ont fré-
quemment pas d'autres causes. Les boutons prurigineux qui
attaquent les deux sexes parvenus à l'âge de retour , et fré-
quemment les gens de lettres , sont souvent rebelles à toute
médication.
En résumé, nous ne saurions trop répéter que les boutons
étant, dans la majorité des cas, le reflet d'une irritation in-
térieure, la sagesse exige qu'on cherche à l'éteindre au lieu
de chercher à guérir le dehors au détriment du dedans.
D' CUAItBO.'^MKH.
BOUTON (Cn,vRLES-MARiE), peintre et directeur du
Diorama, inventé par lui et Daguerre, naquit à Paris,
lelCmai 1781. On ne lui connaît pas de maître. Ses premiers
essais n'en furent pas moins heureux, et en 1819 son
Saint Louis au tombeau de sa mère lui valut la médaille
d'or. Déjà, en 1810, il avait obtenu cette distinction. A cette
épocjue, M. Bouton était tenu pour un peintre d'intérieur qui
n'avait plus aucun secret à demander à la science. 11 avait
donné dans son tableau des Souterrains de Saint-Denys,
et dans celui d'une Vue de la porte Saint-Jacques à
Troyes, toute la mesure du talent qu'il devait avoir. Comme
peintre, M. Bouton n'a pas depuis sensiblement amélioré
son faire, bien qu'il ait continué assez assidûment la pra-
tique de son art. Ceci tient à ce que M. Bouton, qui depuis
longtemps sans doute méditait les projets de peinture à
grand spectacle qu'il a réalisés au Diorama, avait pour
l)réoccupation presque exclusive les procédés matériels de
la peinture, la machine selon l'expression pittoresque de
l'Encyclopédie. Le peintre s'est oblitéré dans le décorateur. Il
est du reste fort honorable de s'appeler Bibiène, quand on
ne peut s'appeler Carrache, et personne ne contestera que les
découvertes de MM. Bouton et Daguerre n'aient laissé bien
loin derrière elles les Fompeo Aldovrandini, les Orlandi, les
'l'esj, les Bibiène, dans l'art de la perspective et la distribution
de la lumière. Outre ses dioramas, faits avec ou sans la colla-
boration de M. Daguerre, M. Bouton a peint un assez grand
nombre de tableaux , parmi lesquels on cite la Salle du
treizième siècle au musée des Petits- Augustins, les bains
de Julien, des ruines, etc., qui ont figuré dans les galeries
de l'impératrice Joséphine, de J. Lallilfe, etc. M. Bouton a
encore envoyé deux toiles à l'exposition de 1842, dont
une, la VueintérieuredeSaint-Étienne-dn-Mont, avait été
commandée par Louis- Philippe. Cet artiste estimable obtint
la croix d'Honneur en 1824, et mourut en juin 1853.
M. Bouton â'titait élevé aux dernières limites de son art
dans ses deux tableaux de la Vue d'un canal en Chintt
et de l'Église Saint-Paul , qu'on voyait en 1849 au Din-
rama. Ces deux chefs-d'œuvre furent détruits lors de l'in-
cendie de cet établissement. B. de Corcy.
BOUTON D'ARGENT, nom vulgaire de la re;j on-
cule à feuilles d'aconit ( ranuncuhis aconitifolius ).
Celte renoncule est originaire du midi de la France. Ses
Heurs nombreuses, très-doubles , d'un blanc pur et dispo-
sées en forme de bouton, sont charmantes et plaisent tou-
jours, autant par elles-mêmes que par l'élégance des rameaux
et pédoncules divergents qui les portent. Comme les racines
du boulon d'argent sont charnues, il est prudent de placer
cette plante dans une terre très-.saine , ou delà lèvera
l'entrée de l'hiver pour la mettre dans le conservatoire, alin
de la replanter au premier printemps. Cette Jolie plante se
multiplie par ses graines et par I? séparation de ses racines,
qui ont im peu de ressemblance avec celles de l'asperge,
mais qui sont plus courtes.
On appelle encore bouton d'argent une variété cultivée
de Vachillée sternutatoire ( achillea ptarmica). C'est
une plante vivace, haute de 60 centimètres à un mètre, dont
les fleurs blanches en corymbes paraissent en juillet, sep-
tembre et octobre , et conviennent extrêmement dans les
grands massifs de fleurs, où on doit toujours voir cette plante,
qui une fois en place reste toujours, tant elle est rustique.
Elle se multiplie par la séparation de ses racines et par la
semaison de ses graines; elle est originaire de la France.
BOUTON D'OR. Trois espèces du genre renoncule
sont connues sous ce nom vulgaire, ainsi que sous celui de
pied de coq. La plus généralement cultivée est la renonctile
rampante {ranunculus repens ), plante vivace, à fleurs
d'un beau jaune et en extrême abondance, qui se voit dans les
jardins d'ornement, au milieu des massifs, ou au second
rang des plaies-bandes, où elle figure toujours bien ; elle se
plaît surtout dans les parties ombragées des jardins, où d'au-
tres plantes refusent de fleurir, et où elle présente la parti-
cularité de donner des fleurs aussi belles et d'un éclat aussi
vif que si elles étaient exposées à l'action bienfaisante de la
lumière et des rayons solaires. Elle existe dans les jardin»
à l'état de fleur simple et à l'état de fleur double; l'une et
l'autre se multiplient par la séparation de leurs pieds ou par
la semaison de leurs graines. Cette plahte est indigène à
la France, et fleurit en juillet.
La renoncule dcre {ranunculus acris) ou bouton d'or
de France est une plante vivace, dont la fleur bombée est
très-belle, .surtout dans la variété à fleurs doubles; elle oc-
cupe très-agréablement une place dans les massifs, où elle
donne au mois de juin, sans efforts et en abondance, .ses
belles fleurs doubles d'un jaune d'or. Ce bouton d'or, lors-
qu'il est à fleurs doubles, se multiplie par éclats et par la
séparation de ses racines, et lorsqu'il est à fleurs simples,
par la semaison de ses graines.
La troisième espèce de bouton d'or est la renoncule bul-
beuse ( ranunculus bîilbosus ), qui, comme la précédente,
est commune dans les prés et les lieux humides.
BOUTOU, espèce d'arme dont se servent les Ca-
raïbes. C'est une massue d'environ l™,!» de long, plate,
épaisse de 0"',05 dans toute sa longueur, excepté à la poi- .
gnée, où son épaisseur est un peu moindre. Elle est faite
d'un bois très-dur, très-pesant et coupée à arêtes vives. Les
Caraïbes se servent de cette arme avec beaucoup d'adressej
et de force ; ils ont l'habitude dy graver plusieurs hachure*]
ou compartiments, qu'il teignent de couleurs diflcrenles.
BOUTOURLINE (Dimitri Pétoowicz), le meilleur j
écrivain militaire de la Russie, né à Saint-Pélersbourg, enj
1790, entra au service dès 1808. L'année suivanti; il fit .sa
première campagne dans les hussards contre l'Autriche, et]
s'y distingua. En 1810 il entra dans la cavalerie de la garde,
et fut attaché en 1812 à l'état-major général. Il y servit d'a-
bord sous les ordres du prince Bagralion, puis sous ceux duj
BOUTOURLIINE — BOUTURE
«17
g<<n6ral Wasilczikoff, à qui fl rendit d'importants services à
i'avant-garde. ta 1819 il fut nommé colonel, et passa plus
tard général.
Jl a écrit la plupart de ses ouvrages en français, par
exemple, sa Relation de la Campagne en Italie, 1799
( Saint-l'ctersbourg, 1810); &on Tableau de la Campagne
de 1813 en Allemagne ( Paris, JS15) , qui parut sans nom
d'auteur, et qu'on attribua longtemps à »m tout autre
écrivain; enfm, son Précis des Événements militaires de
la dernière guerre en Espagne (Saint-Pétersbourg, t8l7;
ouvrage public également en français). Ce ne fut qu'après
s'être entendu maintes fois reprocher d'écrire en français ,
qu'il se décida à employer désormais la langue russe pour
ses ouvrages. C'est en cette langue qu'il publia son Histoire
de la Campagne de Napoléon en Russie (Pétersbourg,
1820 ), VUisloire des Campagnes des Russes au dix-hui-
tième siècle (4 vol., Saint-Pétersbourg, 1820, avec une
foule de cartes et de plans ) et Y Histoire des Temps né-
fastes de la Russie aii commencement du dix-septième
siècle ( 2 vol., Saint-Pétersbourg, 1839 ), où il expose avec
beaucoup de circonspection les faits qui ont amené l'état
actuel des basses classes de la population en Russie.
Boutourline est mort le 21 octobre 1850, dans un domaine
qu'il possédait aux environs de Saint-Pétersbourg. 11 était
sénateur et directeur de la Bibliothèque Lnpéiiale.
BOUTS-RIMÉS. C'est ainsi qu'on appelle tout à la fois
des riifies souvent bizarres, excentriques, choisies et dis-
posées par ordre, que l'on donne à remplir, et la pièce de
vers composée de ces bouts-rimés remplis. Le nec plus ul-
tra du succès consiste à ne pas laisser apercevoir dans
l'exéculion la contrainte qu'on a été forcé de subir. Les
àouts-riinés doivent leur origine à un poète du dix-sep-
tième siècle , les uns disent Duclos , les autres Dulot, lequel
y donna lieu sans y penser par les plaintes qu'il fit au sujet
<le plusieurs centaines de sonnets qui lui avaient, disait-il,
été dérobés , et qu'il regrettait fort , quoiqu'il n'en eût en-
core composé jusque là que les rimes , ayant pour habitude
de les commeucer toujours ainsi; ce qui pamt si singulier
aux auditeurs de ses lamentations qu'ils résolurent de
s'exercer à choisir des rimes bizarres, qu'ils s'amusaient à
remplir ensuite de différentes manières , et sur divers sujets.
On doit a J.-F. Sarrasin, qui vivait dans le même siècle , un
poème intitulé : La défaite des bouts-ri?ncs. Le marquis
de .Moulesquiou s'était fait dans ce genre une réputation à
la cour de Monsieur, frère de Louis XM. On citait surtout
de lui comme trait de force un sixain qui commençait par
ces deux vers :
Un accord synalla^matique
Liait Mars a Véaus. Vulcaio au ^\ciï fourcha. .. elc.
De même que la charade et le logogriphe, les bouts-rimés
étaient alors en honneur dans le Mercure de France. Ce
genre de poésie, ou plutôt cet exercice, ce jeu littéraire,
dont tout le mépte consiste, comme celui de tous les amu-
sements de l'esprit dans la difficulté vaincue, a été
abandonné depuis longtemps aux versificateurs de sous-
prétectures, tomme indigne d'occuper l'attention du petit
nombre d'iionnnes priviUgiés qui sont réellement doués du
feu créateur, et ne mérite point, par conséquent, d'occuper
une place dans nos poétiques.
BOUTURE. Ce mot, dérivé probablement de l'ancien
verbe français bouter, désigne, en eflet, une branche sé-
parée d'un arbre ou d'une plante et mise en terre pour y
prendre racine et (ormer lui nouveau sujet. La bouture <lif-
fère»le la marcotte, eu ce que celle-ci tient à l'arbre jus-
qu'à ce qu'elle ait poussé assez de racines jiour qu'elle en
puisse étrtt séparée sans danger, tandis que la bouture en
est coni()lélement et instantanément séparée pour être mise
en terre connue un être isolé. Dans les circonstances urdi-
naireii , les boutures se fond a l'aide d'un rameau muni d'un
lllUi. DL LA CO.>li.i.:>. 1. m.
ou plusieurs bourgeons, qui se développent plus tard
en lige et en branches , tandis que la partie enterrée du ra-
meau produit des racines.
La bouture en plançon (ou simplement p/onçon ) seit
à la multiplication des arbres aquatiques ou qui reprennent
très-facilement, connne les saules et plusieurs peupliers : ou
prend une branche longue de trois à quatre mètres, on l'e-
monde en ménageant la tète , on l'aiguise du bas afin de
l'enfoncer avec facilité et sans rebrousser l'écorce; cette bou-
ture est ensuite fichée en terre dans un trou fait avec un pieu .
La bouture simple est plus généralement usitée : en fé-
vrier, on coupe des branches de la pousse pn'cédenle bien
aoùtées, on les divise par tronçons longs de o™,12 à 0'",22,
selon les espèces, de manière à ce que la coupe inférieure
soit immédiatement située au-dessous d'un lïa'ud et qu'il y
ait de quatre à six de ces nœuds sur chaque tronçon; on en
fait de petites bottes que l'on enterre verticalement au quart
dans du sable frais placé dans un lieu abrité du vent et do
la gelée ; au commencement d'avril , chaque tronçon se
bouture au plantoir, en laissant deux ou trois yeux au-dessu>
du sol ; il laut avoir soin de tenir le terrain à un degré suf-
fisant d'humidité.
Quand le moyen que nous venons d'indiquer ne réussit
pas, comme cela arrive pour certaines plantes, on a recours
à quelque artifice; on emploie, par exemple, la bouture
avec bourrelet. Pour cela , on pratique en juin une plaie an-
nulaire immédiatement au-dessous d'un nœud, sur la branche
qu'on veut bouturer l'année suivante, ou bien on la serre
assez fortement avec un fil de fer pour déterminer la forma-
tion d'un bourrelet mamelonné ; avant l'hiver, on coupe la
branche ainsi préparée à un ou deux centimètres au-dessus
de l'incision ou de la ligature; on la place en terre; puis,
au printemps, on supprime tout ce qui est au-dessous du
bourrelet, on raccourcit la branche à quatre ou s^ix yeux, et
on la plante comme une bouture simple.
La bouture à talon se pratique avec une branche qu'o;i
éclate en la tirant de haut en bas, de manière à ce qu'elle
emporte avec elle l'empalement qui lui servait de base ; cet
empâtement, formé en grande partie par le parenchymo
cortical , renferme beaucoup de tissu cellulaire qui tient lieu
de bourrelet et favorise le développement des racines, Cett-j
manière d'arracher les boutures nuit aux mères , conmie il
est facile de le comprendre, et ne doit être pratiquée qu'a-
vec circonspection.
La bouture à bois de deux ans s'appelle aussi bouture
à crossette, à cause de la forme qu'on lui donne ordinai-
rement. On la fait avec du bois de la dernière et de l'avant-
demière sève, le bois le plus ancien ne devant former que
le quart de la longueur totale de la bouture. On couche ces
boutures dans des rigoles, ainsi qu'on le voit laire tous les
jours pour la vigne.
Les boutures d'arbres verts et de végétaux d'orangerie
ou de serre chaude ne réussissent pas toujours si l'on ne
prend certaines précautions ; la plus importante est de placer
la bouture sous cloche ou sous châssis, de manière à régler
à volonté la température et l'état hygrométrique du milieu
dans lequel elle se trouve plongée.
De tout ce qui précède , il ne faut pas conclure que la
présence d'un bourgeon soit rigoureusement nécessaire; on
sait aujourd'hui que les boutures peuvent se pratiquer à
l'aide d'organes qui en sont dépourvus : les fragments de
racines et de feuilles nous en fournissent des exemples.
Ainsi, on multiplie avec des feuilles, non-seulement les plante*
grasses, mais les dahlias, les gesnérias , etc. On connaît
encore le mode de multiplication des lis à l'aide des écailles
qui forment leui-s bulbes. On voit donc que, considérc«
dans toute sa généralité , une bouture doit être définie : umi
partie quelconque détachée d'un végétal et placée dans des
conditions telles qu'elle constitue un nouvel individu sem-
blable au piewici-.
7S
018
BOUTURES ANIMALKS — BOUVART
BOUTURES ANIMALES. On désigne sous ce nom
les fragments ou parcelles du tissu des animaux qui sont
Husccptibies de reproduire un nouvel individu entier. L'étude
des boutures animales est un sujet nouveau de leclierches
très-intéressantes , dont les principaux résultats seront pré-
sentés au nii)t KMniiYocF.ME.
BOUVARD (Alkxis ), membre du Bureau des Longi-
tudes et de l'Académie des Sciences , section d'astronomie,
naquit le 11 juin 17(i7, dans une vallée des Alpes, de parents
sans fortune, qui vivaient du labourage, dans un village à
peu près inconnu, non loin de Saint-Gervais et de Chamouny.
Que sera le pauvre enfant? pâtre, laboureur, ou soldat du
roi de Sardaigne? Rien de tout cela : il a appris à lire, à
écrire, à calculer; il se persuade, en se comparant à tous
les êtres qui l'entourent, qu'il est savant , et que Paris le
réclame ; il part, non pas avec la marmotte sur le dos comme
ses jeunes compatriotes, comme plusieurs de ses camarades
d'enfance peut-être, mais avec quelques livres dans un petit
liavre-sac, une très-modeste somme dans le gousset et la bé-
nédiction de ses parents , plus inquiets sur le sort de leur
enfant que ne le sont le père et la mère des petits ramoneurs :
ceux-ci, du moins, ont un état au bout de leurs doigts, leur
râcloirc et la chanson de /a Catarina. Bouvart, hélas ! n'avait
que l'espérance, basée sur des calculs enfantins. Le voilà dans
Paris la grande ville, et il ne tarde pas à y marcher de mé-
compte en mécompte, de déception en désenchantement.
Pas un protecteur d'abord, pas un ami, pas un guide! Jugez
de ses inquiétudes, de ses secrètes terreurs quand il voyait
sa petite bourse se creuser tous les jours et dès qu'il recon-
nut, en écoutant les leçons publiques et gratuites des IMau-
duit, des Cousin, au Collège de P'rance, qu'il y avait l'immen-
sité entre ce qu'il avait appris dans son village alpestre et
la science véritable. 11 ne se découragea pas cependant;
mais il fut ébloui, et il hésita alors entre deux carrières :
celle de la chirurgie et celle des mathématiques. Ce fut le
besoin de gagner vite de l'argent, beaucoup plus qu'une vo-
cation véritable, qui le décida': ayant trouvé à donner des
leçons particulières de calcul, son choix fut arrêté, et il s'as-
sura, en courant le cachet, ce qu'il n'avait pas trouvé encore,
un dîner quotidien.
Une circonstance fortuiie amena un jour Bouvard à l'Ob-
servatoire de Paris, et le fit assister à quelques observations.
Dès ce moment il n'y eut plus d'incertitude dans son es[)rit
et dans ses goûts ; pour surcroît de bonheur, le hasard le fit
connaître bientôt de Laplace. L'illustre géomètre avait be-
soin d'être aidé dans les calculs infinis qu'exigeait son oa-
Mvng&A&la Mécanique céleste ; il jeta les yeux sur Bouvard,
et paya plus tard de sa haute protection l'infatigable zèle,
et on peut ajouter le dévouement sans bornes de son mo-
deste collaborateur. Grâce aux sollicitations, à l'appui de
l'homme de génie, Bouvard arriva au Bureau des Longitudes,
à l'Académie des Sciences et à la direction de l'Observatoire
de Paris.
Il nous est permis, plus qu'à personne, d'emprunter à nn
discours prononcé sur la tombe de Bouvard quelques lignes
qui feront apprécier à la fois l'homme et le savant. « Les
distractions de notre société, Bouvard les connaissait à peine.
Observateur exercé et habile, il passa pendant de longues
années, toutes les nuits sans nuages à côté des grands
instruments de l'Observatoire. La table générale des comètes
présente plusieurs de ces astres dont la découverte lui appar-
tient. Sa spécialité, toutefois, nous la trouverions dans les
calculs nunïériquos, dans les calculs fastidieux qu'un écri-
vain illustre a si bien caractérisés par ces mots : Ils fati-
guent l'attention sans la captiver. Bouvard en exécuta
des masses effrayantes, soit quand il s'occupa de la théorie
de la lime, k l'occasion d'un prix proposé par la prcnn'ère
classe de l'Institut, prix qu'il partagea avec te célèbre Burg,
de Nienne;soit en construisant des tables nouvelles de Ju-
pilei, de Saturne, d'Urauus; soit enfin, cl principalement,
lors(iu'il fallut fournir à Laplace le moyen d'insérer dans s»
Mécaniqr(e Céleste antre chose que des formules purement
algébriques. »
Bouvard avait une passion véritable pour l'astronomie.
Tout le bonheur qu'éprouve un amant à guetter le passage
de l'objet aimé, Bouvard le ressent au passage d'une étoile
au méridien; il a sa Vénus aussi; il correspond avec elle,
mystérieusement et par chiffres. Sa vie amoureuse est
pleine d'alternatives : elle a ses nuages, ses orages, ses tem-
pêtes ; mais les nuits étoilées font ses délices, et le dédom-
magent... Nous nous jetons dans la poésie, et ceux qui ont
connu l'honnête Bouvard pourront s'en étonner. Rien en
effet n'était moins poétique que sa personne, ses idées, ses
discours : empruntons encore cependant, pour notre justifi-
cation, quelques lignes à son savant panégyriste. « Aux ap-
proches d'un phénomène céleste important, M. Bouvard était
dans un état fébrile manifeste. Le nuage qui , dans le mo-
ment d'une éclipse d'étoile ou de satellite, menaçait de lui
dérober la vue de la lune ou de Jupiter, le plongeait dans le
désespoir; à la fin de sa vie, il rapportait encore avec une
douleur naïve les circonstances qui , quarante années au-
paravant, l'avaient empêché de faire certaines observations.
Otez la passion, et dans ^L Bouvard passant, la table des
logarithmes à la main, des journées, des semaines, des mois
entiers , pour découvrir la faute de calcul que tel ou tel
élève astronome avait commise en s'exerçant, vous ne trou-
verez plus qu'un fait sans cause, qu'une anomalie inex-
plicable. »
Bouvard cessa de calculer et de vivre le 7 juin 1843.
Etienne Araco.
BOUVART ( MicurL-PuiLippE), médecin célèbre du
siècle dernier, ne à Chartres, en 17f 1, mort à Paris, en 1787.
Son mérite ne nous est guère connu que par tradition.
Nous savons qu'il étonnait ses confrères par la justesse de
ses pronostics, par cette heureuse alliance d'une ^ive péné-
trat'on avec une sagacité profonde, qui constitue ce qu'on
a appelé le tact médical. Quant à ses titres scientifiques, ils
sont forts légers, quoiqu'il ait occupé des emplois fort im-
portants, et que l'Académie des Sciences l'ait compté au
nombre de ses associés. Absorbé par une innnense pratique,
Bouvart ne pouvait avoir assez de temps à lui pour écrire,
et il a eu cela de commun avec des praticiens fort renommés
de notre époque. 11 ne nous reste de celui auquel nous con-
sacrons cette notice que des mémoires , des discours , des
lettres, monuments d'une polémique ardente, dans laquelle
notre confrère montre plus d'habileté à manier le sarcasme,,
et de dogmatisme tranchant, que d'indulgence pour les opi-
nions opposées aux siennes. Après ce jugement sur le sa^
tant, disons que l'homme fit constamment preuve d'une aus-
térité de principes et d'un désintéressement peu communs
à toutes les époques. Fils d'un médecin de Chartres, il >int
se fixer en 1736 à Paris, où il paraît n'avoir dû qu'à son
mérite , comme praticien , la vogue dont il jouit jusqu'à la
fin de sa carrière. Toujours est-il qu'il n'employa pour y
arriver aucun de ces moyens qui déshonorent trop souvent
une profession dont il savait comprendre la dignité, ainsi
que le témoigne un de ses discours, où il avait pris pour
texte : Medicinam homine dignissimam, dignissimam bono
cive. Il poussa même l'indépendance de caractère jusqu'à
refuser, à la mort de Sénac, la place de n^decin du roi
Louis XV. Enfin, si ses confrères eurent souvent à souffrir
de son humeur altière et de ses procédés francs jusqu'à la
rudesse, ses malades eurent, par contre, à se louer de son
dévouement. Nous ne saurions omettre ici, bien qu'il .soit
devenu vulgairement historique, un trait de Bouvait, qui ^
vaut à lui seul tout un éloge. Appelé chez un banquier, il ^
s'aperçoit que la maladie de cet homme n'est causée que
par la crainte de ne pouvoir remplir ses engagements. Aus-
sitôt, et poiu- toute ordonnance, lîouvait apporta la somme
de vingt mille francs, nécessaire iwur rétablir les affaires
1
BOtJVART ^
de son malheureux client, dont la prompte guérison ne té-
moigna pas moins de la perspicacité que de la générosité de
l'Esculape. D"" SAUCEnorrE.
BOUVERIE , étable à bœufs. Voyez Étable.
BOUVET , outil de menuisier, dont on se sert pour for-
mer des rainures et des languettes. Le bouvet se compose
d'un fût de 2 à 3 décimètres de long , plus ou moins , et d'un
fer. 11 y a trois sortes principales de bouvets : le bouvet à
fer simple , et qui sert à creuser les rainures ; le bouvet à
fer fourchu, propre à former les languettes, et le bouvet dit
de deux pièces , destiné à creuser des rainures de plusieurs
largeurs et à des distances plus ou moins grandes du bord
de la planche. Chacun peut se convaincre de l'utilité des bou-
vets, en examinant le très-grand nombre des joints des ou-
vrages de menuiserie. Teyssèdre.
BOUVET (Joachim), savant jésuite, né au Mans, en-
voyé en Chine par Louis XIV avec mission d'étudier ce pays,
s'embarqua à Brest, en 1685, en même temps que cinq autres
missionnaires, et atteignit en 1687 le but de son voyage.
Appelés bientôt après à Pékmg, les zélés soldats du Christ
obtinrent, à l'exception du P. Bouvet et du P. Gerbillon, qui
durent rester à la cour de l'empereur , l'autorisation de par-
courir tout l'empire chinois. Les deux missionnaires demeu-
rés à Péking ne tardèrent pas à mériter la confiance de l'em-
pereur, l'illustre Kan-Hi, qui les chargea de la direction
d'importants travaux de construction, et leur permit d'élever
dans l'intérieur même de son palais une église et un presbytère,
qui furent tous deux achevés en 1702. L'empereur se trouva
tellement satisfait de leurs services , qu'il renvoya IJouvet en
France avec ordre de lui ramener autant de missionnaires qu'il
pourrait en décider à entreprendre ce périlleux voyage. Le
P. Bouvet revint à Paris en 1697, et présenta à Louis XIV
environ cinquante ouvrages en langue chinoise , qui furent
déposés à la Bibliothèquedu Roi. 11 repartit alors pour la Chine
avec dix autres missionnaires, au nombre desquels se trou-
vait le savant Parennin, et y arriva en 1699. Il mourut à
Péking en 1732, après avoir, pendant cinquante ans, travaillé
avec une infatigable ardeur au progrès des sciences dans ces
lointaines contrées. On a de lui quatre différentes Relations
de Voyage et un ouvrage intitulé : État présent de la Chine,
avec figures gravées par Greffart ( Paris, 1697, in-folio). On
dit que la bibliothèque publique du Mans possède de nom-
breux manuscrits inédits du P. Bouvet , dont un précieux
dictionnaire de la langue chinoise.
BOUVIER , celui qui conduit ou qui garde les bœufs et
en prend soin dans l'étable. Cet honune doit être fort, vi-
goureux même, adroit, patient et doux. S'il brusque ses boeufs,
s'il les maltraite, s'il les bat, il aigrit leur caractère, les rend
méchants, intraitables et souvent dangereux pour ceux qui
les approclient. Les devoirs du bouvier sont à peu près ceux
que le comte Français de Nantes exige du berger; voici
cependant, d'après Rozier, les soins auxquels il convient
d'astreindre plus spécialement les bouviers.
Chaque matin le bouvier doit étriller ses bœufs , les
bouchonner et leur laver les yeux. Il doit également se
lever de grand matin pour leur donner à manger, cribler
l'avoine avant de la leur présenter, les conduire à l'abreu-
voir avant de les mener aux champs, examiner au moins
une fois par semaine si les jougs , les courroies, les pail-
lassons sur lesquels portent les jougs contre la tête de l'a-
nimal sont suffisamment rembourrés. Au retour des champs,
après le travail du matin , il leur donnera une nourriîiire
suffisante pour un repas , et les mènera boire. Ce n'est point
assez de les faire boire une fois par jour, même en hiver,
quoique le temps ne leur permette pas de sortir de l'élable,
et à plus forte raison pendant l'été. A l'approche des cha-
leurs, et pendant leur durée, il leur donnera de temps à autre
des seaux remplis d'eau rendue légèrement acidulé par l'ad-
dition de vinaigre, et qiichjucfois d'eau nif rée. C'est le moyen
'le plus sûr de prévenir les maladies putrides et inilamma-
BOUVIER 619
toires auxquelles les bœufs sont sujets plus que les autres
animaux. L'eau rendue blanche par l'addition du son leur
est encore très-utile. S'ils reviennent des champs le matin ou
le soir couverts de poussière ou de sueur, il doit les bou-
chonner jusqu'à ce que la poussière ait disparu ou que la
sueur soit dissipée , en ayant soin de ne point les tenir ex-
posés à un courant d'air frais pendant ce temps-là. Chaque
soir, il doit remplir les râteliers, afin que l'animal ait suf-
fisamment de quoi se nourrir pendant la nuit, et lui faire
une litière avec de la paille fraîche et propre. Deux fois
par semaine , le bouvier doit faire enlever toute la vieille li-
tière > et la porter au tas de fumier : il serait mieux encore
delà sortir chaque jour de l'écurie pour lui en substituer une
toute fraîche. Laisser accumuler la litière ou plutôt le fu-
mier sous l'animal est le plus grand des abus que l'on puisse
tolérer. Il s'élève de ce fumier une chaleur humide qui est
très-nuisible à l'animal , dont la corne se ramollit aussi par
son contact prolongé. C'est enfin à cette pratique perni-
cieuse que sont dues la plupart des maladies qui se jettent sur
les jambes du gros bétail.
Tous les bouviers en général s'imaginent que les bêtes
confiées à leurs soins doivent pendant l'hiver être renfermées
dans une espèce d'étuve. Presque toujours les étables ne
prennent de jour que par des larmiers ( ouvertures ou
fentes ) si étroits et en si petit nombre qu'il est impossible
qu'ils laissent l'air y pénétrer. On en voit souvent où le
thermomètre monte à 24° de chaleur, quand il fait à l'ex-
térieur un froid de 8 à 10°. Si l'animal sort de son étable,
il éprouve ainsi un changement de température de 32 à 34";
comment n'éprouverait-il pas alors des suppressions de
transpiration? Ces remarques s'adressent encore plus aux
maîtres et aux architectes qu'aux bouviers ( voyez Étable ).
Dès que les bœufs sortent pour aller aux champs ou pour
travailler, le bouvier doit ouvrir les portes et les fenêtres, afin
de renouveler l'air, et lorsque l'animal est rentré, laisser
encore une fenêtre ou deux ouvertes, suivant leur gran-
deur, à moins que la rigueur du froid ne soit excessive.
En été, suivant la chaleur du pays, il convient de laisser
entrer le moins de clarté qu'il sera possible; l'étable en
sera plus fraîche, et les animaux ne seront pas persécutés
par les mouches. Il convient aussi dans cette saison,
surtout dans les provinces méridionales , que les animaux
passent la nuit dans les pâturages , et que le bouvier, logé
dans sa cabane près d'eux, ne les quitte pas un instant. La
chaleur et les mouches sont les deux plus grands fléaux de
ces animaux : les mouches les fatiguent souvent au point de
leur ôter l'envie de manger; la chaleur les accable, et
l'une et l'autre causes réunies produisent leur maigreur dans
cette saison.
Quoique les araignées ne soient point venimeuses, un
bouvier qui aime la propreté aura soin , au moins une fois
par mois , de passer le balai sur tous les murs de l'étable et
sous tous les planchers. C'est encore au bouvier à veiller
sur le fouiTage distribué chaque jour. Il examinera sa qua-
lité , fixera sa quantité , et verra s'il n'est pas mêlé avec des
chardons et autres plantes épineuses qui puissent piquer la
bouche et le palais de l'animal. Si l'on est dans la louable
coutume de donner du sel , c'est à lui à en régler la quantité,
suivant la nature de l'animal, et surtout suivant la saison.
Dans les temps humides et pluvieux, lorsque l'herbe des
pâturages est trop imbibée d'eau, le sel diminue ou détruit
sa qualité trop relâchante. Dans les chaleurs, au contraire,
il faut en user avec modération.
Un bouvier doit savoir saigner et donner an besoin ua
lavement à ses animaux. Cependant , méfiez-vous de ces
hommes qui ont toujours mille recettes toutes prêles pour
tous les cas, et qu'ils administrent le plus souvent sans
connaissance de cause. Une It'gère indisposition peut souvent
devenir une maladie grave par suite d'un remède donné à
contre-temps. Il serait fort à désirer que tout bouvier eût
78.
620 BOUVIER —
vmo eouHaissance cNacle (Ips symptômes des maladies, do
leur marche, de leur teriuinaison , etc. : un pareil bouvier
Rerait un trésor pour une grande métairie ; mais où pourrait-
il acquérir toutes ces lumières, dans l'état d'imperfection
où est encore l'éducation en général? Aucune classe de la
société ne devrait être privée d'instruction, et chacune
d'elles devrait en trouver, dans des établissements parti-
culiers , une qui fût appropriée à ses devoirs et à sa des-
tination dans le monde.
BOUVIER ou BOOTÈS ( Astronomie). C'est une cons-
tellation boréale, qui dans le firmament simule à peu près
un pentagone au nord-est de la queue de la Grande Ourse ;
elle vient après cette dernière constellation en descendant du
pôle. Le catalogue de IHolémée fixait à 23 le nombre des étoiles
qui la composaient, Flamsteed le porta à 55, et depuis on
le fit monter à 70. Celte constellation est remarquable par
une étoile magnifique, A rc fwr «s, c'est-à-dire, la queue de
l'Ourse. On y admire encore une des étoiles appelées doubles
en astronomie , parce qu'en apparence elles sont si rap-
prochées qu'elles semblent jumelles : la plus grande des
deux est d'un rouge écarlate, et la plus petite d'un bleu
mourant ravivé par une teinte lilas. Anacréon se montre
excellent observateur lorsqu'il s'exprime ainsi dans son
Amour mouillé : « C'était l'heure de minuit , lorsque l'Ourse
tourne déjà autour de la main du Bootès. » N'est-ce pas là
montrer aux yeux avec la plus grande précision , en des
vers harmonieux , la main supérieure du Bouvier formée de
trois étoiles de quatrième grandeur, touchant presque à la
queue de l'Ourse? Le poète ici ne peint-il pas admirablement
bien les petits parallèles que ces constellations voisines
dérrivent ensemble autour du pôle?
Quoique fort septentrional , le Bouvier descend sous notre
horizon et se couche pour nous. Son coucher cosmique ,
c'est-à-dire le temps où il se couche au soleil levant, est,
selon Ovide , que Lalande ne contredit pas , au quatrième
jour lie mars. La belle étoile d'Arclurus nous menace de
passer dans l'hémisphère australe, car elle a un mouvement
propre de quatre minutes par siècle vers le midi ; il n'y
a aucune étoile dans le firmament dont le déplacement
soit plus sensible; Arcturus est au nombre des étoiles,
telles qu'Aldébaran et Sirius, qui ont changé de lati-
tude en un sens contraire au changement de toutes les au-
tres.
Aussi connue que redoutée des anciens , cette constel-
lation fut une de celles qui guidèrent les premiers nochers
sur les mers. Job et Amos , dans la Bible, en font mention
sous le nom de Ifascfi, qui veut dire assemblage en hébreu,
nom parfaitement adapté aux astérismes. Homère, Pline,
Horace, Properce, lui donnent de concert l'épithète de
sinistre, parce que son lever et son coucher soulèvent les
tempêtes. Les Arabes appellent le Bootès 41a'' oua et Arc-
turus Al-rameh. Il a beaucoup de noms dans les mythes
grecs : nous ne citerons ici que le plus connu parmi leurs
poètes, celui à'Arctophylux (gardien de l'Ourse,)
Dans l'iconographie égyptienne, le Bouvier tient une
(aucille de moissonneur, parce qu'il se levait au temps où
les peuples du Nil faisaient la moisson , époque qu'a changée
la précession des équinoxes. Les Grecs, qui formulaient la
physique et l'astrononrie dans les moules si variés de leur
imagination , disaient tantôt que le Bouvier était Arcas , fils
de Calisto et de Jupiter , et placé dans le ciel par la faveur
de ce dieu ; tantôt que c'était Icare , le père d'Érigone et
l'inventeur de la vigne; tantôt que c'était Allas, géant
dont la tête touchait au pôle. Volney pense que le Bootès
n'est autre qu'Osiris. Den.ne-Baron.
BOUVIER ou BOUVIÈRE ( Ichlinjologie ). C'est un
nom vulgaire du cyprinus amarus, petit poisson de rivière
du genre cyprin, plat et de la longueur de trois centimè-
tres à p«u près. 11 est couvert de grandes écailles de coii-
imr argeuline , et se tient toujours dans la boue.
BOUVINES
BOUVINES ou BOVINES , village de 500 Ames entr»
Lille et Tournai , où s'est donnée, le 27 juillet 1214, la ba-
taille de ce nom , qui a sauvé la France , la dynastie des
Capétiens et le trône de Philippe- Auguste. Une ligue
formidable s'était formée entre Jean sans Terre et Othon IV, .
empereur d'Allemagne. Le roi de Bohême Przemislas, le
marquis de Misnie, les ducs de Saxe, de Lorraine, de
Brabant, de Louvain, de Limbourg, tous les princes de
l'Empire qui avaient soutenu le parti d'Othon contre la maison
de Souabe étaient entrés dans cette confédération. Ferrand
de Portugal, comte de Flandre, Renaud de Dampmarlin,
comte de Boulogne, et autres grands vassaux de la couronne
de France, s'étaient rangés parmi ses ennemis. Des sis
pairs laïques du royaume, le duc de Bourgogne et le comte
de Champagne étaient les seuls qui lui restassent fidèles. Lb
Languedoc, la Provence et les provinces limitrophes étaient
en proie à la guerre civile; et cette guerre, dite des al-
bigeois, non-seulement absorbait leur population, mais un
grand nombre de seigneurs français oubliaient les intérêts
de l'État pour se croiser contre le comte de Toulouse et se»
sujets. L'Aquitaine, l'Auvergne, le Limousin, le Poitou,
étaient occupés par les Anglais et la maison de Lusignan.
La Bretagne, sous l'autorité de Gui de Thouars, était
l'alliée de Jean sans Terre. Le Maine, l'Anjou , la Touraine
et la Normandie, à peine conquis par Philippe-Auguste,
se soulevaient à chaque instant contre sa puissance mal
affermie, et la plupart de ses chevaliers fidèles étaient
obligés d'y séjourner pour les défendre contre les An-
glais. Le royaume de France n'était réellement composé
que des provinces de Picardie, de Bourgogne, de Cham-
pagne, de Berry, de l'Ile de France, de l'Orléanais; et, dans
toutes ces provinces, un grand nombre de vassaux mé-
contents avaient embrassé le parti de l'empereur. Parmi
ceux qui restaient sous la bannière de Philippe- Auguste, le
duc de Nevers et autres n'attendaient qu'un échec pour
passer dans les rangs de l'étranger. Les entreprises de
Louis le Gros, de Louis le Jeune, de Philippe lui-même,
sur la féodalité et l'autorité usurpée des barons de France,
excitaient toutes ces rébellions et ces perfidies ; et, en comp-
tant les guerriers fournis par les communes picardes, le
roi de France pouvait réunir à peine 50 mille hommes
pour lutter contre tant d'ennemis.
Othon IV arrivait de l'Allemagne avec une armée
de 150 mille combattants, parmi lesquels le comte de Sa-
lisbury , frère naturel de Jean sans Terre , figurait avec ses
bataillons anglais. Ferrand et Renaud leur avaient donné
rendez- vous à Valenciennes , et ces deux instigateurs de la
guerre étaient d'autant plus coupables, qu'ils devaient à
Philippe-Auguste les mariages qui les avaient mis en pos-
session des comtés de Flandre et de Boulogne. Le partage
de la France était réglé d'avance. L'Ile de France et Paris
devaient appartenir à Ferrand , le Vermandois à Renaud ; le
roi d'Angleterre reprenait tout l'héritage de sa mère Éléonore
d'Aquitaine et toutes les provinces d'outre Loire; Hugues
de Boves s'appropriait le pays de Beauvais; Conrad de
Westplialie prenait le^ deux Vexins; le Gâtitiais était adjugé
à Gérard d'Hostman ; le comté de Dreux à l'Anglais Salis-
bnry ; une foule d'autres chevaliers avaient enfin leur part
dans cette distribution des provinces de France. Ce n'était
pas assez de l'intérêt et de l'ambition pour exciter le courage
des principaux confédérés, on avait fait parler les devins :
la vieille Mahaud de Portugal, tante de Ferrand, comtesse
douairière de Flandre, en avait obtenu cette réponse am-
biguë : « En combattant , le roi sera renversé à terre , foulé
aux pieds des chevaux, et il sera privé de sépulture. Fer-
rand , après la victoire , sera reçu on grande pompe par les
Parisiens. » Cette prophétie fut répandue dans l'armée; elle
donnait l'assurance du triomphe. La jactance de cette puis-
sante ligue était à son comble, et le fier Othon, qui s'était
avancé la veille de Valenciennes à Mortagne, repartit au
BOUVINES
i;2i
point ilii jour pour se rapprocher de la ville de Tournai ,
dans l'espoir d'y joindre le rival qu'il était impatient de
combattre.
Pliilippe-Auguste se trouvait ainsi séparé des frontières de
son royaume par l&s confédérés. 11 achevait la conquête de
la Flandre sur le comte Ferrand , et n'avait ce jour-là d'autre
but que de gagner le château de Lille pour y passer la nuit.
Mais le vicomte de Melun et son chancelier Guérin, cheva-
lier de Saint-Jean, récemment nommé à l'évéché de Senhs,
s'étant avancés jusqu'à la vue de Tournai , aperçurent l'ar-
mée d'Othon qui marchait en ordre de bataille vers cette
ville. Frère Guérin courut en porter la nouvelle au roi, au
moment on la moitié de l'armée de France avait déjà passé
la rivière de la Marck sur le pont de Bouvines. Pliilippe-Au-
Ruste la regardait déliler devant lui , assis au pied d'un frône,
quand les rapports de Guérin et les cris de son arrière-
garde, que sabraient les éclaireurs ennemis, vinrent l'ar-
racher à son repos. Il donna l'ordre de repasser le pont à
la hâte poiu- se disposer à accepter la bataille , et entra dans
une rhapelie dédiée à saint Pierre pour implorer le secours
du ciel. C'est là, dit-on, qu'après avoir déposé sur l'autel son
glaive et sa couronne, il se tourna vers ses chevaliers en
leur disant : « Rarons, et vous, braves soldats, si vous
croyez qu'il y a parmi vous quelqu'un qui soit plus digne
que moi de porter et de soutenir la couronne de France, je
lui cède cet honneur, et je suis prêt à combattre sous ses
o dres. » Des acclamations unanimes répondirent à ce trait
de magnanimité : « Vive Philippe! s'écriaient les assistants,
qu'il garde sa couronne! qu'il règne à jamais! Mourons
pour la lui conserver ! »
Son chapelain Guillaume Le Breton, qui nous a transmis
tous les détails de celte bataille, à laquelle il assistait, ne
fait aucune mention de cet incident. Des annalistes posté-
rieurs en ont seuls parlé. Plusieurs critiques l'ont même ré-
voqué en doute; mais, vrai ou faux, il n'est plus permis à
l'historien de le négliger. Le chapelain dit seulement que
Phil'ppe pria dans la chapelle, qu'il en sortit pour s'élancer
sur son cheval, aussi gai que s'il était allé à une noce, et
que toute l'armée (it entendre alors le cri de guerre. L'al-
locution qu'il met dans la bouche de Philippe-Auguste sur
lechamp de bataille est moins un trait de modestie héroïque
qu'une affectation d'humilité chrétienne. Le roi se vante de
)ouir de la communion et de la paiK de la sainte Église, de
défendre les libertés, les biens du clergé, et de mériter ainsi
que la Providence lui accorde la victoire sur des excommu-
niés, qui n'ont d'autre solde que le pillage des temples du
Seigneur. La plupart des chevaliers français devaient sou-
rire à ce reproche, qui leur était aussi applicable qu'aux
barons allemands. Philippe lui-même était alors excommunié,
et celui qu'il appelait le seigneur pape n'était naguère qu'un
fourbe, usurpateur des privilèges de la royauté. C'est au
milieu de la plaine, suivant le chapelain, que les cheva-
liers demandèrent à genoux la bénédiction du roi , pendant
que l'évêque Guérin faisait prendre aux cavaliers et fantas-
sins leur rang de bataille à mesure qu'ils repassaient le pont
de Bouvines ; le danger était si pressant qu'on n'attendit pas
même que l'orillamme fût revenue aux premiers rangs pour
man lier à l'ennemi.
Cependant la présence de Philippe-Auguste, qui s'avan-
çait dans la plaine avec Guillaume Desbarres, Barthélemi
de Roye et autres chevaliers plus spécialement chargés de
sa garde, ralentit la pétulance d'Othon. L'empereur fit
prendre à son armée une attitude plus réservée, et, dans le
mouvement des deux camps, leurs positions respectives se
troiivèrent entièrement renversées. L'armée de France fit
faceaunord, et regagna ainsi l'avantage d'une retraite libre et
assurée vers ses frontières, tandis que les confédérés se mi-
rent dans l'obligation do combattre avec un soleil ardent
sur les yeux , inconvénient faiblement compensé par l'a-
vantage d'occuper la partie la plus élevée du champ de ba-
taille. La ligne des Anglais et des Allemands n'avait pas un
front plus étendu que celle des Français , mais die présen-
tait des masses plus profondes. Au milieu d'elles, sur un
magnifique chariot , traîné par seize chevaux richement ca-
paraçonnés, s'élevait au haut d'une longue perche le symbole
de l'Empire, l'aigle des Césars, tenant un dragon dans ses
serres, et cet emblème était pour les confédérés une sorte
de palladium, comme l'oriflamme pour leurs adversaires.
Pendant tous CCS mouvements, le comte Ferrand, dont
les troupes légères avaient repoussé le vicomte de Mclun ,
attaquait l'aile droite des Français , où combattaient le duc
Eudes de Bourgogne , Matthieu de Montmorenci et Gaucher
de Saint-Paul, qui était soupçonné de favoriser en secret les
ennemis de la France. Là se trouvaient aussi 180 chevaliers
de Champagne et le sage Guérin. Sa qualité d'évèque l'em-
pêchant de tirer l'épée , il les encourageait par ces paroles :
« Étendez- vous ! qu'aurun chevalier ne se fasse un bouclier
d'un autre ! et tenez-vous de manière à combattre tous d'un
seul front! » 1.50 hommes d'armes du Soissonnais s'avan-
cèrent les premiers, et l'orgueil des chevaliers llamands fut
indigné qu'on les fit attaquer ainsi par des vilains. Gautier
deGhistelle, Buridan de Fumes et Kustache de Maquilin,
se jetèrent avec leurs lances à travers ces combattants, et
pénétrèrent jusqu'aux chevaliers de Champagne. « Mort aux
Français! criait Eustache, mort aux Français! » Mais les
Champenois, commandés par Pierre de Reims, enveloppè-
rent ces trois Flamands : Maquilin fut abatlu, mutilé, mis
à mort, et les deux autres furent charges de fers. Gaucher
de Saint-Paul s'i'lança sur le corps de batail'e de Ferrand,
et y sema le carnage et l'effroi. Beaumont et Montmorenci
soutenaient le môme combat. Eudes de Bourgogne y fut ren-
versé de cheval; Michel des Harmes tomba comme un Cen-
taure, avec le sien, sous le coup terrible d'une lance qui tra-
versa son bouclier, sa cuisse et les tlancs du coursier. Hu-
gues de Malaunai et une foule d'autres furent également
démontés et forcés de combattre à pied. 11 fallut faire de
grands efforts pour sauver et remettre en selle le duc de
Bourgogne, dont la corpulence était énorme; mais il se
vengea de ce léger échec par des prodiges de valeur.
Cependant les communes de Picardie et de l'Ile de France
s'avançaient sous l'oriflamme vers l'endroit qu'avait choisi
Philippe-Auguste pour combattre avec sa garde, et que dé-
signait la bannière royale parsemée de fleurs de lis, portée
par Galonde Montigni.Les contingents de Corbie, d'Amiens,
d'.\rras, de Beauvais et de Compiègne se placèrent en
avant de Philippe-Auguste pour souten-r les ellorls d'Othon
lui-même, qui venait à la rencontre du roi de France. Le
choc des deux infanteries fut terrible : les Français lurent
contraints de céder au nombre; les chevaliers de la garde
purent seuls arrêter l'impétuosité des Allemands. Dans ce
désordre, Philippe, entouré par une nuée de fantassins et
de cavaliers, fut désarçonné, renversé sur la terre sanglante
par des crochets de fer, qui le tiraillaient de tous les côtés.
Son armure opposa seule un rempart impénétrable aux ar-
mes de toutes espèces qui s'efforçaient de le déchirer. Galon
de Monligni agitait avec violence la bannière royale pour
appeler du secours, et les mouvements de ce goofalon
d'axur, aperçus enfin par les fidèles chevaliers du roi, en
attirèrent plusieurs vers le lieu de ce combat terrible , où un
seul liomme luttait à terre contre une foule innombrable.
Pierre deMauvoisin, Gérard Scropha et quelques autres se
jetèrent en désespérés sur cette mêlée; ils firent un ef-
froyable carnage des assaillants, et dégagèrent Philippe-
Auguste, qui se releva avec une légèreté surprenante.
Etienne de Longchamps , chevalier normand d'une haute
valeur, fut le seul qui perdit la vie dans cette mêlée; Pierre
Tristan eut l'honneur de parvenir le premier jusqu'au roi , et
de le remettre à cheval.
L'infanterie d'Othon , .Iccablée par tant de biavas et par
Philippe lui-même, ne put plus résister à leur attaque; les
623
BOUVINES — BOUVREUIL
communes ralliées la pressèrent avec une vigueur nouvelle.
L'empereur, forcé de reculer, fut au moment de tomber
ilans les fers de son rival. Pierre de Mauvoisin saisit son
•cheval par la bride, et Gérard Scroplia lui porta un coup
de couteau qui ne rencontra que l'œil du cheval , où il s'en-
fonça de toute sa longueur. L'animal, blessé à mort, se
■cabre, se retourne, et, emportant Ollion dans sa fuite, va
tomber sans vie à quelque pas de la mêlée. Un écuyer lui
l'n amène un antre, qu'il enfourche à la hâte pour éviter la
poursuite de Guillaume de Garlande, de Darthéiemi de Roye
et de tant d'autres, que rappelle enfin la prudence de Phi-
lippe-Auguste, à l'aspect des masses qui viennent secourir
l'empereur. L'intrépide Desbarres s'acharne seul à le pour-
suivre; il le saisit deux fois par la crinière de son casque,
deux fois Othon lui échappe ; et Desbarres , enveloppé lui-
même par une foule de chevaliers germains , luttant contre
cent ennemis avec un courage qui lui avait valu depuis
longtemps le surnom d'Achille, eût fini par succomber sous
le nombre , si Thomas de Saint-Valeri avec ses Picards ne
fût accouru pour le délivrer.
Le combat reprit alors sa première violence. Bernard de
Hostemale, Othon de Tecklembourg , Conrad de Fortmund,
Gérard de Randeradt et autres barons d'Allemagne défen-
dirent avec intrépidité le char impérial, qu'assaillirent les
communes de France. Mais ils furent forcés de céder à la
valeur de nos troupes. Le char fut mis en pièces , le dragon
brisé; et l'aigle apportée aux pieds de Philippe- Auguste. Les
quatre barons déjà nommés furent aussi pris, et, comme le
roi l'avait dit, on ne revit plus la figure d'Othon pendant le
reste de la journée. Cependant Renaud de Boulogne tenait
encore contre l'aile gauche des Français, que commandait
le comte de Dreux. Renaud, instigateur de cette gueire,
avait senti faiblir son courage dès le commencement de la
bataille. L'attitude de l'armée de France l'avait déconc(!rlé.
Il avait conseillé de remettre la partie, et ce conseil lavait
fait accuser de trahison par l'empereur. Mais, dès que le
combat fut décidé, il se conduisit en héros. « Le voilà, ce
combat que tu as provoqué, dit-il à son ami Hugues de
Boves. Eh bien , tu fuiras comme un lâche , et moi je serai
pris ou tué. » Hugues justifia cette prédiction, ainsi que les
ducs de Louvain et de Limbourg, qui s'abandonnèrent à une
honteuse déroute, tandis que Renaud combattit jusqu'à la
fin avec une rare intrépidité. 11 avait même pénétré avant
Othon jusqu'au roi qu'il trahissait; mais il avait rougi de
son ingratitude , et s'était tourné vivement vers Robert de
Dreux pour cherclier un ennemi qui n'eût pas à lui repro-
cher Poubli des plus grands bienfaits.
Renaud avait formé un bataillon carré d'une troupe d'é-
lite. H était là comme dans un fort; il en sortait comme un
lion pour se ruer sur les Français, et y rentrait pour re-
prendre haleine , pendant que ce bataillon impénétrable
faisait tête aux assauts des chevaliers qui le poursuivaient.
Il ne restait plus enfin que six chevaliers au comte de Bou-
logne, et il continuait encore ses sorties meurtrières, quand
Pierre de TourrcUe, chevalier français, qui combattait à
pied, enfonça son épéedans le ventre du cheval de Renaud.
Les deux frères Jean etQuenon de Condune l'assaillirent en
même temps, le renversèrent avec son coursier, qui pesa
sur lui de tout son poids. Jean de Rouvrai , Hugues et Gau-
tier Desfontaines , Jean de Nivelle, accoururent pour dis-
puter une aussi belle proie. Mais l'évêque Guérin ayant paru,
licMiaud se nnilit a lui iiu uiouieul ou iinjL-uiie laiilassiii du
nom de Cornot le blessait à la tête d'un coup d'épée.Arnoul
d'Oudenarde et ses amis arrivèrent trop tard pour le sauver
Ils lurent i)ris eu même temps et conduits à Pliili|)pe-Au-
guste. l-'errand, comte de Flandre, avait succombé comme
lui sous l'effort des chevaliers de Champagne, qui l'avaient
chargé de fers. Salisbury, frère naturel du roi Jean sans
Ten-e, et chef de l'armée anglaise, avait été abattu par l'é-
voque de Beau vais, frère de Robert de Dreux. Cet évéque.
moins scrupuleux que rtinspilaHer Gii '•rin , n'avait cessé da
combattre pendant toute la journée. Mais, pour obéir aux
commandements de l'Église, qui abhorre le sang, il s'était
servi d'une énorme massue <lont il avait abattu le comte de
Salisbury. Il ne restait à la fin sur le champ de bataille
que 700 fantassins brabançons, qui se défendaient avec
une valeur admirable -.50 cavaliers picards et 2,000 hommes
de pied , que commandait Thomas de Saint-Valeri , ayant
été envoyés contre eux parle roi, les massacrèrent impi-
toyablenient jusqu'au dernier.
Philippe-Auguste, vainqueur de cette ligue formidable,
se vit entouré d'illustres captifs, qui , six heures auparavant,
se flattaient de partager son royaume. Othon seul, de tant
de chefs ennemis , manquait à son triomphe. Il reçut Ferrand
et Renaud avec un front sévère, leur rappela les bienfaits
dont il les avait comblés, et leur reprocha leur infâme trahi-
son; mais il leur fit grâce de la vie. Le comte de Boulogne
fut enfermé dans la citadelle de Péronne. Ferrand fut con^
duit à Paris, dans la tour du Louvre; et c'est ainsi que se
vérifia à sa honte la prédiction de sa tante Mahaud de Por*
tugal. Les Parisiens le reçurent avec des cris de joie, en
chantant un couplet qui finissait par ces vers :
Quatre ferrants bien ferrés
Traînent Feirand bien enferré.
Les autres prisonniers furent répartis dans diverses for*
teresses du royaume ; plusieurs, entassés dans le grand et le
petit Châtelet, furent livrés au prévôt de Paris. Guillaume
Le Breton, qui pendant toute la bataille avait chanté VExurr
gat Beus et autres psaumes, nous a donné la liste des pri-
sonniers de marque faits par les communes , et cette hono-
rable nomenclature atteste à la fois l'existence de ces éta-
blissements politiques et les services qu'ils ont rendus dans
cette occasion mémorable. Là figurent les communes de
Noyon, de Montdidier, de Montreuil, de Soissons, de Crespi,
de Bruyères , de Cerni, de Craone, de Vesli, de Corbie, de
Compiègne, de Roye, d'Amiens et de Beauvais. Philippe
récompensa ses plus braves chevaliers en leur livrant les
captifs les plus illustres pour leur rançon. Salisbury fut
donné au comte de Dreux, le comte de Boulogne à Jean de
Nivelle, qui, d'après l'historien chapelain, ne l'avait guère
mérité ; Ferrand, à Barthélémy de Roye ; Gautier de Boves,
à Enguerrand de Couci; Arnoul d'Oudenarde, au comte de
Soissons, qui en retira mille marcs d'argent. Le roi des ri-
bauds eut aussi sa récompense : il reçut Roger de Waffale.
Tous ces captifs n'avaient pas, du reste, été pris le jour de
la bataille. Un grand nombre avaient été poursuivis et re-
cueillis dans les villes flamandes, où ils avaient cherché un
refuge. La joie des Français se manifesta de toutes parts par
des jeux, des fêtes et des solennités religieuses. Les Poite-
vins, les Angevins et les Normands, désabusés de leurs il-
lusions , envoyèrent des députés à Philippe-Auguste pour
protester de leur fidélité. Le roi Jean sans Terre, qui atten-
dait à Parthenai le résultat de la ligue, se hâta de solliciter
une trêve, par l'entremise du comte de Chester et de maître
Robert, légat du pape, et Philippe eut la gér«trosilé de la
signer deux mois après sa victoire. Il céda même aux ins-
tances de Jeanne de Flandre, et lui rendit le comte Ferrand,
son époux, dans le mois d'octobre, à condition que les for-
teresses de Valencicimes, d'Oudenarde, d'Ypres et de Cassel
seraient démolies. Dix-neuf chevaliers flamands se rendirent
garants de cette convention. Une (ouïe de barons français
se portèrent cautions pour d'autres prisonniers, et jouissante
enfin des conquêtes et de la paix qu'il avait données à la ^
France, Philippe-Augnsle fonda près de .Seidis Vabbaye de
la Victoire, en commémoration de la bataille qui avait af-
fermi la couronne Siusa télé. Vif.NNET, de l'Acad. française.
BOUVREUIL, genre d'oiseau appartenant à l'ordre de»
passereaux , et qtii se reconnaît aux caractères suivants :
bec court, arrondi, renflé et bombé en tous sens; luaudi-
BOUVREUIL — BOWLES
623
l)iile snpérieure courbée , narines i)lacees sur les côtés de la
ba.^e du bec, arrondies, souvent cachées par les plumes du
front; quatre doigts, trois devant, dont l'intermédiaire est
plus long que le tarse, et un derrière ; ailes courte-, dont les
trois premières pennes sont étagées et la quatrième est la
plus longue de toutes. Ces oiseaux sont très-agréables, non-
seulement par la beauté de leur plumage, mais surtout par
une sorte de sociabilité avec, l'homme. Pendant Tiiiver, on
les voit, dans les campagnes, répandus sur les routes et au-
tour des habitations, où ils cherchent des graines pour leur
nourriture. Au retour de la belle saison, ils se retirent dans
les iKjis pour s'y livrer à l'amour. Us construisent sur les
arbres ou dans les buissons un nid formé de duvet qu'en-
toure un tissu de mousse et de lichen , et dans lequel ils
déposent quatre à six œufs. Leur chant naturel n'a rien de
remarquable; mais, au moyen d'une éducation facile, on
kur apprend à imiter le ramage de divers oiseaux , et même
à rendre les inflexions de la voix humaine.
Les espèces de ce genre sont assez nombreuses ; mais nous
n'en possédons qu'une en France. C'est le bouvreuil com-
mun (pyrrhula vulgaris, Drisson), long de quinze centi-
mètres ( quelquefois plus petit d'un tiers : c'est alors h pe-
tit bouvreuil), cendré dessus, rouge dessous, à calotte
noire. La femelle a du gris roussâtre au lieu de rouge. Cet
oiseau se trouve dans toute l'Europe ; il niche dans les bois,
et se nourrit de baies et de graines. Parmi ceux de nos cli-
mats , les uns nous restent l'hiver, les autres partent vers la
fin d'octobre pour des contrées plus chaudes, et rexiennent
en avril. La durée de leur vie est de cimi ou six ans. On
peut obtenir des mulets du petit bouvreuil et de la serine.
DÉMEZIL.
BOUYOUK-DÉRÈH ou BUYUK-DÉRÈH, c'est-à-dire
la grande vallée, charmante ville située sur la côte occi-
dentale du Bosphore, à 22 kilomètres de Constantinoplc
et a 13 kilomètres de la mer Noire, à l'endroit où le canal,
dans sa plus grande largeur, forme un coude et une espèce
de golfe arrondi en demi-cercle. Elle tire son nom de la
vallée où elle est située. On lui donne aussi celui de Liba-
dia (la prairie), parce qu'il y a dans la partie la plus basse
une charmante prairie, au milieu de laquelle s'élève un ma-
gnifique bouquet de platanes d'une grosseur extraordinaire,
qu'on appelle yedi-kardasch ( les sept frères ), en raison de
leur nombre. C'est là que le sultan Selinilll allait, pen-
dant l'été, se promener et se divertir. C'est aussi dans cette
prairie que, selon les traditions , campa l'armée des croisés,
sous les ordres de Godefroy de Bouillon, en 1096, quand
l'empereur Alexis Comnène leur interdit l'approche de Cons-
tantinople. C'est la promenade ordinaire des Francs qui ha-
bitent Bouyouk-Dérèh. Les Grecs riches, les ministres et les
négociants étrangers viennent y étaler leur luxe et leur
importance. Rien de plus enchanteur que la position de
Bouyouk-Dérèh et ses environs vus du Bosphore; rien de
plus délicieux que ce séjour.
La ville se divise en haute et basse. Dans la première
.se trouvent les résidences d'été et les jardins des ambassa-
deurs européens , qui, à la suite dn grand incendie arrivé à
Fera en 1832, vinrent s'établir en ce lieu. Le quai où sont
situés ces palais et la prairie voisine forment la promenade
la plus agréable et la plus variée. L'été , au clair de la lune,
c'est un spectacle ravissant. La variété des costumes de di-
verses nations, des groupes nombreux de jolies femmes,
leur air voluptueux et romantique, leurs vêtements pitto-
resques, la fraîcheur du soir, le calme de la mer couverte
de bateaux , les sérénades que les amants donnent à leurs
maîtresses, tout exalte l'imagination et procure à l'âme une
ivresse délicieuse. Dans la basse ville sont les maisons ha-
bitées par les Grecs, les Arméniens et quelques Turcs, et
construites presque toutes dans le goilt européen. Elles for-
mont une rue assez longue qui traverse la vallée.
Bouyouk-Dércli n'est pas seulement le séjour des étran-
gers de distinction et des familles opulentes; c'est encore
lioureux un lieu de refuge, lorscju'une épidémie ou une sé-
dition viennent bouleverser Constantinoplc, Pera ou Galata.
DOWAÏDES. Voyez Bolidks.
BOWDICH (Thomas-Edouard), célèbre par ses voyages
en Afrique, était né en 1793, à Bristol, où son père dirigeait
une manufacture importante. Après avoir terminé ses études
à Oxford, il entra commecommisdans la maison paternelle;
mais il ne tarda pas à éprouver un si vif dégoût pour ce
genre d'occupations qu'il résolut d'embrasser une autre car-
rière. La protection d'un de ses parents, employé dans l'un
des établissements anglais de la COte-d'Or, lui fit obtenir la
place de commis aux écritures au service de la Compagnie
Africaine, laquelle, en 1816, l'envoya à Coast-Castle, où sa
jeune femme , dessinatrice habile, ne tarda pas à venir le re-
joindre. Quand il fut question d'envoyer un ambassadeur
au roi des Aschantis, Bowdich s'offrit pour cette périlleuse
entreprise, qu'il exécuta avec autant de courage que de
succès.
Après deux années de séjour en AIrique , il revint en An-
gleterre pour rendre compte à la Compagnie de sa mission
et pour se procurer les moyens d'entreprendre dans l'inté-
rieur de l'Afrique un grand voyage de découvertes. Les inci-
dents qui signalèrent cette intéressante exploration ont
été consignés jiar lui dans sa précieuse relation intitulée :
Mission J'rom cape Coast-Castle (Londres, 1819, in-4°).
Habitué à exprimer ses pensées librement et sans réticen-
ces, Bowdich s'aliéna la Compaj;nie Africaine par la révéla-
tion des abus qui s'étaient glissés dans son sein, et qui ne tar-
dèrent pas à entraîner sa dissolution ; il s'attira ainsi la haine
d'un personnage influent, membre du comité d'administra-
tion. On lui refusa la juste rémunération des services qu'il
avait rendus, ainsi que les moyens de retourner en Afrique
continuer ses explorations. Résolu de se procurer par lui-
niénie l'appui qu'il ne pouvait plus trouver dans sa patrie, il
se rendit à Paris, ou il reçut beaucoup d'encouragements et
où le produit de quelques travaux littéraires lui permit de
s'embarquer au Havre en 1822, avec sa femme et deux en-
fants , pour gagner le continent africain , but de toute son
ambition. Peu après son arrivée sur les rives de la Gambie,
il succomba, en janvier 1824, à une maladie résultat de ses
fatigues et de ses soucis.
BOWDITCll ( Natuaniei.), le seul astronome de quel-
que célébrité qu'ait encore produit l'Amérique, naquit le 26
novembre 1773, à Salem, dans l'État de Massachusetts, mon-
tra de bonne heure les dispositions les plus heureuses pour
les niathcmatiques, qu'il apprit tovit seul, rien qu'avec le se-
cours deslivTes, et sans jamais suivre les cours d'une univer-
sité. H utilisa d'abord les connaissances scientifiques qu'il avait
aiquises au profit d'une société commerciale, et fit ensuite,
eu qualité de facteur, le voyage des Grandes Indes. A son re-
tour, il devint président d'une compagnie d'assurances. Son
ouvrage sur la science de la navigation, intitulé : The Ame-
rican practical Navigator, et qui obtint un succès géné-
ral, ai^isi que sa remarquable traduction de la Mécanique
Céleste, de Laplace (2 vol. in-4°, Boston, 1829), qu'il ac-
compagna de notes précieuses, lui valurent sa nomination
de membre des sociétés savantes de Londres, d'Edimbourg
et de Dublin, et de professeur de mathématiques et d'astro-
nomie à l'université de Cambridge , dans l'Etat de Massa-
chusetts; mais il refusa ces fonctions pour entrer dans le
conseil exécutif de cet État. Plus tard, il accepta la direc-
tion de la compagnie d'assurances sur la vie de l'Etat de Mas-
sachusetts, devint président de l'Athénée, de l'Institut mé-
canique et de l'Académie des Sciences et des Arts de Boston.
Il mourut dans cette ville, le 1(5 mars 1837.
BOWLES (William LKSLIE), poète anglais, né le 24
septembre 1762, à Kings-Sulton,dans IcNorlhamptonshire»
où son père était vica're, étudia à Winchester, et de-
puis 1782 au collège de la Trinité d'O.xford. Après avoir pris
G'24
BOWLES — BOXER
le grade de docteur en 1792, Il entrn dans les ordres, (!t
obtint une cure d'abord dans le Wiltsliire, puis dans if,
Gloucestersliire. En 18o:} il fut iioiinné chanoine do la
cathédrale de Salishury, et plus tard recteur de Brondjill ,
dans le Wiltsliire. Il remplit cette dernière place jusqu'à
sa mort, arrivée à Salisbury, le 7 avril 1850.
Bowles s'est fait connaître non-seulement comme infati-
gable champion des droits et des privilèges de l'Église
épiscopale , mais aussi et surtout comme poète lyrique. Il
était encore à Oxford lorscpi'il se fit remarquer par un
poëme latin sur le siège de Gibraltar. Cette publication fut
suivie des sonnets (Londres, 17S'J ); des Elegiac Stauzas
(17i)C) ; de Hope, un uUeijorical sketch ( 1796); de Song
ofthe battle ofthe Aile (179!)); de Coombe Ellen (1798);
de Saint-Mic/uiers Mount (1798). Vinrent ensuite Tlic
Picture (1803); The Sorrows o/ SwUzerland (1801); T/ie
Missïonary (1824), etc. On regardecomme sou ciief-d'œuvre
The Spirit of Discuvery by sea ( lb05). Un recueil de ses
poèmes a été publié par lui-même (2 vol., 1798-1801).
Toutes ses poésies, dans lesquelles il se montre le disciple
de Coleridge, sont les créations d'un esprit noble et ver-
tueux, d'un écrivain sage, mais qui semble ignorer Texis-
lence des passions, dont la douce gaieté est parfois attristée
par l'attitude roide, compassée du savant, et qui malgré
tout cela réussit à émouvoir son lecteur, parce qu'il sait
admirablement faire vibrer certaines cordes mystérieuses
aboutissant directement au cœur.
Bowles a attaqué Pope conmie poète dans l'édition qu'il a
donnée de ses œuvres (10 vol., Lond., 180C), entreprise alors
un peu hardie ; et il a inutilement cherché à défendre contre
Brougham et la Revue d' Edimbourg les abus du vieux
système anglais d'enseignement. Parmi ses écrits en prose,
on ne peut guère citer, outre un recueil de sermons (182G),
que sa Vie de Thomas Ken, évêr/ue de Bath et de Wells
(Londres, 1830-31), ouvrage d'ailleurs un peu sec.
BOWUIA'G ( John ), célèbre publiciste et savant an-
glais, est né le 17 octobre 1792, à Exeter, dans le Devon-
shire. Il utilisa dans de nombreux voyages son heureuse
facilité à s'assimiler les langues étrangôies, pour con-
tracter partout d'honorables amitids et acquérir les notions
les plus approfondies sur tout ce qui se rattache au caractère
particulier de chaque peuple. Les poésies nationales ont sur-
tout excité son attention et servi de but à ses travaux ; aussi
a-t-il rendu à la littérature d'importants services par
ses traductions et ses publications de cliauts populaires an-
ciens et modernes recueillis dans presque tous les pays de
l'Eiu'ope. C'est ainsi qu'il a successivement publié : Sjieci-
mens of tke Rassian Pocts ( Londres, 18'21-2:i ); JUilii-
vian Anthology {l>^2'i) ; Spccimcns qf the Pulish l'oels
(1827); Servian poputar Poclry (1827); Cheskian Aiitho-
logy (1832) ; Poelry of the Magyars (1830) ; et Ancient
Foetry and liomances of Spam (1824).
Lié d'une étroite amitié avec Jérémie Bentliam, celui-ci,
après ta mort de Dumont, lui conlia l'exécution de ses der-
nières volontés ainsi que le soin de publier ses œuvres com-
plètes. Issu d'une famille de vieux puritains, et partageant la
foi religieuse des unitaires, M. Bowringse prononça de bonne
heure, dans la presse et dans les assemblées publicpies,
contre les lois qui avaient frappé les dissidents d'incapacité
politique. Soupçonné, à cause de l'énergie de ses opinions
radicales, d'étie un émissaire des révolutionnaires, il fut ar-
rêté le 7 octobre 1822 à Calais, au moment où il se dispo-
sait à entreprendre un voyage en France, et transféré à Bou-
logne dans une étroite prison , d'où l'intervention de Can-
ning le lit enlin sortir. M. Bowring, qui renonça en 1825
aux allaiiescoinmerciales, prouva son dévouement aux idées
de réforme, dans une série d'articles remarquables, jiubliés
dans la Herae de Westminster, recueil fondé en 1824 et
ré<iigé dans l'esprit de l'école de J. Denlham, dont, à partir
dfc lt>25, il prit la rédaclion en chef; foncliuai auxquelles
il ne renonça qu'après la révolution de Juillet. En 1S28 il
visita la Hollande, et fit une série d'articles curieux relaiils
à ce pa>s, qui parurent dans le Morning-IIerald.
L'année suivante, il se rendit à Co|)enhaguepour y recueil-
lir les matériaux d'une anthologie Scandinave. Des voya"es
qu'il entreprit ensuite par ordre du gouvernement dans
plusieurs États continentaux, pour s'y livrer àdes recherches
utiles au commerce, eurent une importance toute politique.
Nommé membre d'une commission mixte qui fut chargée de
concilier les intérêts commerciaux de l'Angleterre et de la
France, les deux rapiiorts qu'il présenta en 1834 et 1835 au
parlement, et qu'il rédigea avec M. Villiers, passent pour
des chefs-d'œuvre dans leur genre, en raison de l'énorme
quantité de faits utiles et exacts qu'ils contiennent. F.e
même esprit présida à son Rapport sur le commerce, l'in-
dustrie et les fabriques de la Suisse , beau et grand tra-
vail, dans lequel il s'est efforcé de défendre contre le sys-
tème prohibitif les avantages de la liberté commerciale. Les
voyages qu'il fit ensuite en Italie, particulièrement en Tos-
cane, dans le courant de 1836, et plus tard en Syrie et en
Egypte, lui fournirent l'occasion de recueillir d'importants
documents pour ses communications au parlement. Son
dernier voyage politique a été exécuté dans la partie de
r.Allemagne soumise au Zollverein.
On trouve dans son Rapport stir l'union douanière al-
lemande une foule d'aperçus précieux ; mais il est facile de
remarquer que, dans l'intérêt des manufactures de son pays,
il s'efforce de démontrer que l'union douanière ne protège
les fabriques de l'Allemagne qu'au détriment de son agricul-
ture. Élu membre du parlement, il a donné, malgré ses
relations avouées avec le ministère, de nombreuses preuves
d'inili'pendance, notamment dans la fameuse question d'O-
rient, en 1840, où il n'hésita pas à so prononcer contre
la politique adoptée par le cabinet whig. Le triomphe du
principe de la liberté de commerce, sous le ministère de
IWbert Peel , et la rentrée des vvliigs dans le cabinet, peut-
être aussi le mauvais état de ses alTaires, le décidèrent à
renoncer à son siige dans le parlement, pour accepter la
place lucrative de consul à Canton.
BOXER ( Art de), espèce de pugilat, qui fait, pour ainsi
dire, partie intégrante du caractère national des .\nglais, et
qui a des règles et des usages dont l'observation est regar-
dée comme sacrée parles individus que leurs mœ.urs ou leur
position sociale intime portent plus particulièrement à se
faire justice eux-mêmes des injures ou des sévices dont ils
croient avoir à se plaindre. Considéré sous ce point de vue,
Vart de bojcer peut être mis sur la même ligne que Vart de
tirer la savate, autre genre de pugilat fort en honneur
parmi la populace de la plupart des grandes villes de
France.
La dissemblance immense des deux arts apparaît toute-
fois dès qu'on compare dans les deux pays la position so-
ciale des individus qui les protègent, et la considération dont
sont environnés ceux qui les pratiquent. Depuis quelques
années m)?: dandys parisiens ont essayé d'établir en principe
que des leçons de savate ne sont pas moins nécessaires
au complément d'une éducation à la mode que des leçons
de danse ou d'escrime. Mais quoiqu'il y ait en ce nio-
luent à Paris tel professeur de savate (\u\ ne donne pas de
leçons à moins de cinq francs le cachet, et (lui, avec son
brillant cabriolet , éclabousse et quelquefois même écrasie
le modeste professeur de pliilosoi)liie s'en allant à pied en-
seigner pour <|uin7.e sous l'art, si dillicile , de mépriser les
richesses, nous doutons (jiie jamais maître en fait de savate
réussisse à devenir parmi nous un iiersonnage tellement
important que nos grands seigneurs en fassent leur commen-
sal, et que nos journaux de toutes couleurs (.si enclins ce-
pendant à la louange, moyennant 2 fr. la ligne) entretien-
ncnt la cour et la ville de ses faits et gestes et annoncent à
l'avance, et avec fiacas, chacune de se? séauccs académiques.
BOXER — BOYAUDERIE
De l'autre cflté de la Manche, au contiaire, un boxetir
de quelque talent , s'il est adroit , s'il se porte bien , et s'il
est heureux, ne tarde pas à avoir des admirateurs aussi fa-
natiques , aussi dévoués que peut en compter en Italie tel
maestro ou tel chanteur. Dans le Journal de sa vie, lord By-
ron a grand soin de mentionner les leçons de boxe que lui
donna le célèbre Jackson. En un mot, en Angleterre le grand
boxeur est considéré au moins autant que le grand artiste.
11 y a plus même : c'est que, la passion du jeu étant un autre
trait distinctif du caractère anglais , il arrive toujours que
le jeu s'engage de part et d'autre sur les chances de succès
plus ou moins grandes du boxeur préféré , et que des som-
mes considérables sont quelquefois perdues ou gagnées par
ses admirateurs , selon qu'il a été heureux ou malheureux,
selon qu'il est sorti de la lutte respirant encore ou qu'il y a
perdu la vie. Trop souvent en effet cest là le triste résultat
d'une stupide coutume que la raison et la philosophie ne
sauraient trop flétrir, car son moindre inconvénient est d'en-
tretenir dans les masses une froide insensibilité en présence
des souffrances les plus aiguës, et d'habituer le peuple à voir
couler le sang sans émotion.
En vain les lois anglaises défendent expressément lés
combats de boxeurs ; tous les jours elles sont éludées, parce
que l'esprit national , plus fort qu'elles en ce point, ne peut
s'habituer à leur obéir. Le ministère public ne pouvant pas
en Angleterre poursuivre d'office, ni connaître légalement
d'un délit, lorsqu'il n'y a pas eu dénonciation expresse, signée
par un certain nombre de citoyens recommandables , les
feuilles publiques annoncent journellement qu'à tel endroit,
à tel jour, à telle heure, il y aura assaut entre deux boxeurs
célèbres, et jamais la police n'intervient pour enjpécher ce
scandale , parce que , de mémoire d'Iiomme , le cas de dé-
nonciation ne s'est présenté. Preuve nouvelle que partout
les mœurs sont plus puissantes que les lois.
«On parle de la barbarie des temps reculés, disait unautcur
de Lettres sur l'Angleterre, on la cite avec effroi, en dési-
rant ne pas y revenir. Les lois anglaises , qui font l'admira-
tion de toute l'Europe, imparfaites cependant, n'atteignent
pas tous les crimes et ne répriment pas tous les abus : je
veux parler d'une coutume atroce , d'un plaisir fait pour
des sauvages , qui ne sont satisfaits qu'en voyant des laïu-
heaux de chair et des ruisseaux de sang. Des seigneurs, l'é-
lite de la nation , élèvent chez eux des hommes qu'ils desti-
nent à des combats à coups de poing. Des viandes succulentes
et choisies , un régime ordonné , rendent ces hommes gras,
forts, et en état de soutenir ce pugilat. Calcul iniiu-
main! horrible sang-froid! Quand ils ont acquis le degré de
force convenable, on en met deux dans une enceinte, et
on les excite à se battre presque jusqu'à ce que la mort
s'ensuive. Tout ce que Londres a de brillant en bommes
assiste à ces boucheries réglées. Il y a des paris considé-
rables. Le petit maître et l'homme sérieux poussent des cris
de joie lorsqu'un coup bien asséné fait jaillir du sang (en
argot de boxeurs, du claret , vin de Bonleaux ). On com-
plète une somme pour le malheureux qui peut succomber
dans cette lutte , ou pour sa veuve. Des hommes font quel-
quefois quinze à vingt lieues pour être témoins de ce spec-
tacle; il va de pair avec les courses de chevaux. L'art de
boxer s'apprend en Angleterre comme chez nous on apprend
l'escrime : ce combat a ses règles, que l'on ne peut en-
freindre. »
Le grand art du boxeur consiste à se tenir constamment
couvert, et à porter d'estoc à son adversaire des coups de
poing à la figure, et surtout à la poitrine. Ordinairement
les boxeurs combattent nus jusqu'aux hanches. Une règle,
dont l'inobservation est presque sans exemple , c'est de ne
point frapper l'adversaire qu'un coup aura jeté à terre , et
d'attendre, pour lui asséner de nouveaux coups, qu'il se
soit relevé. Celui des deux combattants qui exprime le pre-
mier le d(^sir de cesser la lutte s'avoue par cela même vaincu,
DICT. DE LA CO>VERS. — T. lil.
j;2A
S'il était possible que les traditions de l'art de boxer s'ef-
façassent un jour de la mémoire du peuple anglais, les
règles savantes n'en seraient pourtant pas perdues pour la
postérité. Un certain Pierce Egan les a soigneusement colli-
gées et consignées dans son ouvrage intitulé Doxiana , ou
Esquisse du pugilat ancien et moderne (4 vol. ornés de
gravures, Londres, 1824).
BOYAC A , département le plus oriental et le plus con-
sidérable delà république de la Nouvelle-Grenade, tou-
chant à l'est au département de Cundinamarca, apparte-
nant, dans sa partie nord-ouest, aux Cordillères orientales
et au territoire du fleuve Magdalena, dans tout le reste, à
la grande plaine , et arrosé par la Meta, le Guaviare et d'an-
tres affluents de l'Orénoque, qui le borne à l'est. Sa super-
ficie est évaluée à environ 3,190 myriamètres carrés, sa
population à 500,000 âmes. Tunja, chef-lieu de ce dépar-
tement, est située à 51 kilomètres au nord-est de Bogota,
sur un plateau du versant occidental des Cordillères orien-
tales. C'est une ville bien bâtie, qui compte 12,000 habitants
et possède une magnifique église ornée de beaux tableaux ,
quelques couvents, un collège et d'autres écoles. Bolivar, ap-
pelé au commandement de l'armée par le congrès assemblé
à Tunja, le 22 novembre 1814, défit les Espagnols,
le 1" juillet 1819, sous les murs de la ville, puis auprès de
Sogamoso, à 44 kilomètres au nord-est, et enfin, le 7 août,
près du village de Boyaca, situé au sud de Tunja, sur la
route de Bogota. Cette dernière victoire délivra la Nouvelle-
Grenade de la domination espagnole. C'est en mémoire de
cette bataille décisive que le département a reçu le nom de
Boyaca.
BOYARD. Voyez Boï\r.
BOYAU. Voyez Intestin.
BOYAUDERIE, BOYAUDIERS. L'industrie a su tirer
parti des intestins des animaux, qui sont préparés, soit
pour la fabrication descordes dites à boyau et des co.fdes
d'instruments, soit pour la confection de la baudruche»
que les batteurs d'or emploient pour réduire les métaux
en feuilles d'une ténuité extrême. Tels qu'ils sont habituelle-
ment tenus, les ateliers des boyaudiers sont certainement ce
que l'on peut jamais imaginer de plus horrible : des intestins
d'animaux en putréfaction complète jetés çà et là dans des
baquets autour desquels travaillent des hommes, des femmes
et des enfants, qui passent et repassent à plusieurs fois dans
leurs mains les boyaux pour les vider, enlever unemembrane
qui lesrendrait impropres aux usages auxquels on les destine,
et les souffler; les déchets de ces diverses opérations et les ma-
tières fécales séjournant avec des eaux infectes sur le sol de l'a-
telier présentent le spectacle le plus dégoûtant que l'on puisse
supposer. Ces ouvriers mangent au milieu de ce cloaque; de
jeunes enfants jouent aux pieds de leurs parents; et le nour-
risson est souvent déposé auprès de sa mère, occupée à ce
travail rebutant , et les uns et les autres jouissent générale-
ment d'une bonne santé. Les personnes qui entrent pour
la première fois dans une boyauderie ne peuvent qu'avec
peine résister à l'odeur infecte qui en émane.
Les petits intestins d'animaux apportés dans l'atelier sont
jetés dans des baquets avec de l'eau , et un ouvrier les dé-
graisse avec un couteau ; il les remet dans l'eau, où ils restent
quelque temps , et les retourne en les passant entre les doigts
dans toute leur longueur. Il les abandonne ensuite à la pu-
tréfaction dans des baquets pendant six à huit jours l'hiver,
et deux à trois l'été ; une odeur infecte se dégage dans cette
opération , et de grosses bulles viennent crever à la surface ;
cependant si la putréfaction avance trop, on l'arrête en je-
tant dans le baquet un verre de vinaigre : dans tous les cas,
des femmes prennent l'un après l'autre chaque boyau, et le
ratissent avec l'ongle sur les deux surfaces ; on les lave tous
ensuite avec soin , et après les avoir attachés par l'une de
leurs extrémités, on les souffle, et on les fait sécher à l'air.
Pour les transporter facilement , on y fait un petit trou qui.
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BOYAUDERIE — BOYER
permet à l'air d'en eortlr, et on les expose à la Tapeur du
Fonfre qui brûle, pour les blanchir, leur ôter leur odeur et
les rendre moins attaquables aux insccles.
Une très-simple modification dans la manière d'opérer
permet au boyaudier de faire disparailie l'infection du tra-
vail dont nous n'avons donné qu'une bien faible idée ; il lui
suffit de jeter dans ses baquets une petite quantité d'une
substance éminemment désinfectante, le chlorure de chaux,
qui détruit si complètement l'odeur rcpoassante des boyaux
que l'on peut entrer dans un atelier où ce procédé parti-
culier est suivi sans s'apercevoir du genre d'opérations au-
quel on s'y livre. Cette heureuse application est due à La-
barraque, qui a rendu un grand service en s'occupantde
porter dans cette industrie de notables ann liorations ; mais
on sera sans doute étonné d'apprendre que l'introduction
d'un moyen si simple, si facile, et en même temps si peu
dispendieux , éprouve les plus grands obstacles de la part
des boyaudiers, et que l'administration parvient avec peine
à le leur faire adopter.
Les boyaux de mouton , qui servent plus particulièrement
à fabriquer les cordes à boyau et les cordes d'instruments,
sont préparés à peu près de la môme manière, seulement on
en sépare avec soin une membrane qui adhère à leur surface
extérieure, et qui sert à faire du fd et des cordes pour ra-
quettes. On les fait tremper dans une faible dissolution de
potasse, et on les ratisse dans toute leur longueur. Pour les
conserver, on les sale. On les file ensuite sur un métier con-
venable, et la seule différence que présente le travail des
diverses espèces de cordes consiste dans les précautions
particulières que l'on prend pour celles qui sont destinées
aux instruments. Les cordes de Naples conservent tou-
jours une réputation de supériorité , qui n'est plus vraie que
pour les chanterelles; on peut obtenir celles-ci aussi" bonnes
que celles de Naples en se servant d'intestins de très-petits
moutons. , ïL Gaultier de Claubry.
BOYAU DE SIEGE. Ce mot a été employé, depuis
moins de deux siècles, par analogie avec les boyaux des ani-
maux , et pour dqnner une idée d'une tranchée étroite ,
longue, tortueuse, dirigée vers une place assiégée. Jusqu'au
siège de Maëstricht , en 1673, les attaques des sièges offensifs
ne cheminaient qu'à l'aide de venelles presque impraticables
par leur défaut de largeur. Les tranchées se sont élargies ;
les parallèles et demi-parallèles ont été inventées; et les
boyaux sont devenus des branches en zig-zags, qu'on a
surtout perfectionnées de 171C à 1774. En somme, les boyaux
sont des brisures qui établissent une communication entre
la première et la troisième parallèle; ils .servent à lier les
attaques du front de la place et se dirigent sur la capitale
d'un bastion par la ligne la plus droite possible, mais de
manière à éviter, par des crochets de retour, les lignes du
feu de l'ennemi, et à rester libres , conformément aux règles
générales du défilement des ouvrages , c'est-à-dire à être à
l'abri des commandements d'enfilade. Si les boyaux sont
voisins de l'enceinte attaquée, si elle les domine surtout, on
les blinde afin de les garantir de l'effet des pierriers et des
projectiles à tir courbe. Us doivent n'être ob.strués par rien
durant la nuit, pour le service des travailleurs et pour la
facilité du transport des matériaux; en conséquence, les
gardes , à la réserve des détachements qui i)rotègent les tra-
vailleurs, s'établissent jusqu'au jour sur le revers de la
tranchée. G"' Bardin.
BOYAUX DU DIABLE, nom vulgaire aux Antilles
de la salsepareille.
BOYDELL (John), célèbre marchand de gravures et
d'objets d'art, né en 1719, à Dorrington, commença par
exercer l'ait du graveur, puis se fit collectionneur et mar-
chand d'estampes. Le muséum artistique qu'il avait établi
dans Chcapsidc était l'une des merveilles de Londres. Il
mourut le 11 décembre 1804, remplissant les fonctions de
lord maire de celte capitale. La plus importante de ses en-
treprises fut la Shahcspeare-Gallery, à laquelle travaillèrent
les dessinateurs et les graveurs les plus célèbres, et qui fit
en même temps de lui l'un des plus riches marchands d'ob*
jets d'art de l'Europe. Parmi ses autres collections de gra-
vures on distingue surtout sa Houghton-Gallery, dont tous
les originaux furent achetés par l'impératrice Catherine. On
lui est aussi redevable du Liber veritatis (2 vol., Londres,
1777 ), fac-similé du précieux ouvrage dans lequel Claude
Lorrain déposait les dessins de tous ses tableaux. Les deux
premiers volumes de saCollection of Prmts engraved a/ter
the most capital paintings in England ( 19 vol., Londres,
1772 et années suivantes), sont les plus remarquables de
tous. En 1779 il fit paraître le catalogue de son riche magasin.
BOYER de Nice (Guilhf.lm), troubadour, né à Nice et
mort vers l'an 1355 dans une grande vieillesse , ne nous est
connu que par ce que nous en dit Nostradamus , le moins vé-
ridique de nos historiens. Il nous apprend que Boyer de Nice,
amoureux d'une jeune demoiselle de la maison de Berr,
composa en son honneur plusieurs chansons galantes; qu'il
fut attaché au service de Charles II , roi de Sicile et comte de
Provence , et à celui de son fils Robert ; enfin , qu'il dédia à
te dernier, qui l'avait nommé podestat de Nice, un Recueil
de poésies, ainsi qu'un Traité d'Histoire naturelle.
BOYER (Abel), auteur d'un Dictionnaire anglais-
français, dont on ne compte plus les éditions, était né, en
1664, à Castres. Il sortit de France à la révocation de l'Édit
de Nantes , et se retira d'abord à Genève , puis en Angle-
terre, où il mourut, en 1729, après un séjourde quarante ans.
BOYER (Claude), abbé , né à Alby, en 1618, vint de
bonne heure à Paris, et y prêcha avec peu de succès, à ce
qu'il paraît. Furetière assure que personne ne pouvait dire
avoir dormi à ses sermons, parce qu'il n'avait point trouvé
de lieu pour prêcher. Après avoir donné au théâtre plus de
douze tragédies ou tragi-comédies, il fut reçu à l'Académie
Française en 1666, et continua à travailler pour le théâtre.
Il mourut le 2 juillet 1698. Une de ses pièces , Judith, qui
a été immortalisée par l'épigramme de Racine , fut représen-
tée pour la première fois pendant le carême, et eut assez
de vogue. Quand on la reprit après pâques, elle fut sifllée;
la Champmeslé s'étonnant de l'inconstance du public. Racine
répondit : « Les sifflets étaient à Versailles aux sermons de
l'abbé Boileau ; ils sont revenus. » Cependant Boyer a été
loué par Boursault et par Chapelain, oui voit en lui « un poète
de théâtre qui ne le cède qu'au sejf Corneille en cette pro-
fession. » Despréaux semble plutôt dans le vrai lorsqu'il dit:
Boyer est à Piochène égal pour le lecteur.
Content de lui-même, rarement du public, Boyer avait tou-
jours une ingénieuse raison à donner du peu de succès
qu'obtenaient ses ouvrages. Ce travers lui valut l'épigramme
suivante de Furetière :
Quand les pièces représentées
De Boyer sont peu fréquentées,
Chagrin qu'il est d'y voir peu d'assistants,
Voici comme il tourne la chose •
Vendredi la pluie en est cause
Et dimanche c'est le beau temps.
Parmi ses pièces de théâtre on cite : la Porcie romaine,
tragédie, 1646; la Générosité dWlexandre, 1647; Aris-
todème, 1647; Ulysse dansTilede Circé, 1648; Clotilde,
1659; La Mort de Démétrius, 1660; Jupiter et Sémétée,
1666; La Fête devenus, \f>m; Potier aie, 1670; Démarate,
1673; Oreste, 1681 ; Jephté, 1692; Méduse, opéra, 1697.
BOYER (Jean-François), évêque de Mirepoix, place
qu'il obtint en 1730 par le crédit du cardinal deFleury, était
né -à Paris, le 12 mars 1076, et y niouru!, le 20 août 1755.
Reçu membre de l'Aradémiedes Sciences en 1736, et admis
cinq ans après à remplacer le cardinal de Polignac à celle
des Inscriptions et Belles-Lettres, ce fut lui surtout qui em-
pêcha l'élection de Piron ; ce qui lui valut les sarcasmes et
la haine de plusieurs gens de lettres, entre autres de Collé,
I
BOYER
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qui l'appclatt la chouette des honnêtes gens ecclésiastiques.
Il est juste de dire, pour tempérer un peu l'effet de cette
épigramme, que, chargé de l'éducation du dauphin, père
de Louis XVI, qui conserva toujours pour lui le plus tendre
attachement, et pourvu de la feuille des bénéfices après la
mort de son protecteur, le cardinal de Fleury, il vécut sans
faste à la cour, passant sa vie dans la pratique d'œuvres
de bienfaisance et de charité.
BOYER (Jean-Baptiste-Nicolas), né à Marseille, en
1693 et reçu docteur à la faculté de Montpellier en 1717, se
fit une très- grande réputation, particulièrement dans le trai-
tement des maladies épidémiques et contagieuses. ]1 en avait
fait le sujet de sa première thèse, consacrée à l'exposition
du système de l'inoculation, qu'il avait vu pratiquer à
Constantinople, où sa famille l'avait d'abord envoyé étudier
le commerce. En 1720, à l'occasion de l'horrible épidémie
qui désola Marseille, où il avait été envoyé , lui sixième,
f;ar le régent, pour s'opposer au progrès du mal et en étu-
dier la nature, il publia sa Rdfutation des anciennes opi-
nions to7ichant la peste. Le zèle de Boyer ne trouva
malheureusement que trop de sujets de s'exercer encore,
principalement dans les années 1734, 1742, 1745, 1750,
1755 et 1757, où diverses pallies du royaume de\1nrent
tour à tour la proie des plus cniclles épidémies ; et toute sa
vie se passa, pour ainsi dire, à vérifier la théorie parla
pratique, et vice versa. Grandement récompensé par le
gouvernement du roi , qui l'anoblit et le combla de places
et de pensions, il mourut en 17G8, doyen de la Faculté de
Paris et associé de la Société royale de Londres , laissant
après lui une renommée que l'on a cherché depuis à lui
contester en partie, mais qui, cependant, ne fut pas entiè-
rement le fruit des circonstances.
BOYER (Alexis, baron), naquit en 1756, à Uzerche, et
mourut à Paris, en 1833. Premier chirurgien de l'empereur
Napoléon, chirurgien en chef de l'hôpital de la Charité, pro-
fesseur à la Faculté de Médecine, membre de l'Académie
de Médecine et de l'institut de France, il fut célèbre comme
l>rofesseur, comme chirurgien , comme écrivain ; et sa car-
rière, longue et brillante, fut marquée par des travaux assidus
et une probité irréprochable. Né d'une famille pauvre, il
vint dans la capitale sans éducation, sans ressource , et en-
dura, dans le principe, les privations les plus cruelles; mais
son zèle le signala à Desault; il obtint les premiers prix
de l'école pratique, et se mit à enseigner lui-même, rempor-
tant au concours la place de chirurgien à la Charité, occu-
pant successivement à l'École de Santé les chaires de méde-
cine opératoire et de clinique chirurgicale , qu'il ne devait
quitter qu'à sa mort. C'est à ses leçons que s'étaient formés
la plupart des bons chirurgiens de notre époque.
Chirurgien de l'Empereur en 1804, le baron Boyer fit la
campagne de Pologne en 1 806, et reçut en 1807 la décoration
de la Légion d'Honneur; puis il rentra dans sa vie de pro-
fesseur et de savant. Les changements survenus à la Farojlté
en 1823 et en 1830 respectèrent sa position, et ne firent
même que la consolider. Parmi les œuvres qu'il a laissées ,
on cite son Traité complet d' Anatomie (^ vol., 1797-1799),
et celui des Maladies chirurgicales, et des opérations qui
leur conviennent ( 10 vol., 1814-1822 ), véritable encyclo-
pédie chirurgicale , fruit d'une vaste et judicieuse expérience.
Renommé comme praticien , il a laissé une fortune considé-
rable. Il joignait à une grande bienveillance une rare mo-
destie et beaucoup de goût pour la retraite. Sa conversation
intéressante pétillait de bonhomie. Il avait épousé la fille
d'honnêtes artisans , qui l'avaient aidé , lorsque , pauvre et
inconnu, il était arrivé à Paris, et il se plaisait à dire :
« Ma femme m'avait fait chirurgien , je l'ai faite baronne. »
BOYER (Pierre-Dems), abbé, théologien et directeur du
séminaire Saint-Sulpice, né le 19 octobre 1766,à Sévérac-I'É-
glise (Aveyron), mort à Paris, le 24 avril 1842. Il embrassa
de bonne heure l'état ecclésiastique , vécut dans la retraite
pendant la révolution, et s'unit à l'abbé Émery en 1801 pour
relever le séminaire Saint-Sulpice, d'où il fut éloigné en 1811,
ainsi que ses collègues, par ordre de l'Empereur. La Res-
tauration le rendit à la chaire de théologie morale, qu'il oc-
cupa jusqu'en 1818. Son parent et ami l'abbé Frayssinous
se l'associa ensuite dans ses conférences. Boyer se distingua
parmi les plus violents adversaires de M. de Lamennais ; il
a publié un assez grand nombre d'ouvrages. Boyer était gal-
lican et chef de l'école théologique dite des Sulpiciens.
BOYER ( Jean-Pierre ), ancien président de la répu-
blique d'Haïti, né le 2 février 1776, à Port-au-Prince, d'un
mulâtre de cette colonie, alors française, reçut à Paris une
éducation soignée, revint dans sa patrie, y embrassa le parti
des armes et était déjà chef de bataillon dans la Légion
de l'Égalité, lorsque les Anglais s'emparèrent de sa ville
natale. Fidèle au drapeau de la république française , il se
retira à Jacmel , dans le sud de l'île , avec les commissaires
Polverel et Santhonax , et le général mulâtre Beauvau, qui
prit le commandement de la place. A sa mort, Boyer le
remplaça, et fit souvent preuve de talent et de bravoure en
combattant les Anglais au fort Biroton,à la Grande- Anse,
à Léogane. Deux partis ensanglantaient alors la colonie : les
noirs, sous la conduite du fameux Toussaint Louver-
ture, faisaiejit une guerre d'extermination aux mulâtres,
commandés par le général Rigaud. Boyer suivit la destinée
de ce dernier chef, et gagna sur le champ de bataille les
épaulettes de général de brigade. Rigaud, appréciant sa ca-
pacité, lui confia le commandement de Jacmel. Toussaint
fut vainqueur dans cette lutte terrible, et le chef des mu-
lâtres se vit contraint de se réfugier en France, où Boyer le
suivit.
Ils reparurent ensemble dans la colonie à la suite de l'ex-
pédition de Leclerc, dont on connaît la funeste issue. Ri-
gaud ayant été renvoyé en Europe par ce g'énéral , Boyer
s'aperçut bientôt qne la France n'avait d'aiRre but que de
faire rentrer les esclaves affranchis sous la domination de
leurs maîtres, et il conçut le grand projet de délivrer sa
patrie en réconciliant les noirs et les hommes de couleur.
Honorable déserteur d'une cause qui n'était plus celle de ses
concitoyens , il fut un de ceux qui parvini'ent à les soustraire
au joug de la métropole.
A l'avènement au trône du nègre Dessalines, Boyer se
mit avec Péthion à la tête des gens de couleur, et ils
contribuèrent ensemble à renverser ce tyran sanguinaire.
Christophe visant à son tour à la même domination , ils
l'abandonnèrent, et fondèrent une république indépendante
dans la partie occidentale de l'île. Boyer, que ses talents
militaires et ses connaissances administratives rendaient in-
dispensable à Péthion, fut nommé commandant de Port-au-
Prince et créé major général. 11 essaya de discipliner ses
bataillons à l'européenne , battit en plusieurs rencontres les
troupes de Christophe, et sauva Port-au-Prince d'une ruine
complète. Pétliion, sur son lit de mort usant du pouvoir que
lui conférait la constitution, désigna pour son successeur le
général Borgelo , honnête homme , mais d'une faiblesse pro-
verbiale. Le peuple ne ratifia pas ce choix, et les pouvoirs de
l'État assemblés décernèrent la présidence à Boyer. Celui-ci
mit aussitôt de l'ordre dans les finances, améliora l'admi-
nistration , remplit les caisses publiques , protégea les arts et
les sciences. Après la mort violente de Christophe, en 1820,
il réunit ses États à la république. En 1825 il obtint de la
France la reconnaissance de l'indépendance de Haïti moyen-
nant une indemnité de 150 millions de francs. Sous son
gouvernement, la république jouit pendant plus de quinze ans
de la paix la plus profonde; mais sa politique, qui tendait
à l'asservissement des noirs au profit de sa race, lui suscita
beaucoup d'ennemis.
Cette sourde hostilité se fit jour en 1843, dans la seconde
chambre, par l'organe de Dumeille, représentant des Cayes.
Boyer eut recours aux moyens les plus violents pour faire
79.
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BOYER — BOYER-PEYRELEAU
taire celte opposition, et réduisit presque à néant l'autorité
«les cliainbres. Rivière- Hérard, commandant en chef de l'ar-
tillerie et partisan de Dumeille , gagna enfin la troupe, s'em-
para de la ville des Cayes, et marcha, au mois de mars 1843,
contre le Port-au-Prince, dont les habitants ne bougèrent
pas. Comprenant qu'il était perdu, Boyer, accompagné d'une
trentaine de ses adhirents, s'embarqua, le 13 mars, sur la
frégate anglaise le Sylla, qui le transporta à la Jamaïque. De
là il envoya à la section permanente du sénat une adresse
où , après avoir rappelé ses services, il donnait sa démission
et se condamnait à un exil volontaire. La proclamation du
gouvernement provisoire prouva qu'il était tombé victime de
sa politique aristocratique, bien qu'après son triomphe il
eût exercé son autorité avec beaucoup de modération. Après
un long séjour à la Jamaïque, Boyer vint en 1849 à Paris,
où il mourut, le 10 juillet 1850. Il était le vrai représentant
de la race de couleur, patient, persévérant, aux manières
engageantes, mais rusé, et souvent dur et cruel envers ses
ennemis.
BOYER ( Pierre-François-Xavieh , baron ), général de
division , naquit à Belfort ( Haut-lUiin ), le 7 septembre 1772.
Parti, comme volontaire, à l'ùge de vingt ans, dans un des
bataillons de la Côte-d'Or, il commandait, peu de temps
après, comme capitaine, une compagnie du l*' bataillon
du Mont-Terrible, et devenait aide de camp de Kellermann.
En 1796 il faisait la campagne d'Italie en qualité d'adjudant
général; plus tard, il suivait Bonaparte sur les bords du
Nil et en Syrie. Il se distingua à la bataille d'Alexandrie,
où il fut grièvement blessé. Le 8 germinal an IX il était
général de brigade, et allait prendre part à l'expédiliou de
Sainl-Uorainguecommechefd'état-major général de l'armée.
Chargé d'apporter au premier consul la nouvelle de la mort
du général en chef Leclerc, il fut pris dans la traversée,
conduit à Londî'es, et échangé bientôt après. Il se comporta
brillamment en Allemagne, aux batailles d'léna,de Pultusk,
de Friedlaud et de Wagram. Il devint, en Espagne, la
terreur des guérillas; sa division de dragons inspirait par-
tout un elïroi indicible. Le grade de général de division
lui fut conféré en 1814. Placé à la tète du département du
Mont-Blanc, il en fut chassé par la première restauration,
leva un corps franc au retour de l'empereur de l'île d'Elbe,
combattit l'étranger pendant tout le temps de l'invasion, et
fut porté sur la liste des proscrits après Waterloo. Ce-
pendant il ne tarda pas à obtenir l'autorisation de rentrer
en France, où il vécut pauvre pendant plusieurs années, se
livrant aux arts et à la peinture. Réformé sans traitement
en ISIG, il fut admis à la retraite à la fin de 1824, et au-
torisé vers la même époque à passer au service du pacha
d'Egypte. Il s'occupait des moyens de discipliner les troupes
de ce prince, lorsque, deux ou trois ans après, une mé-
sintelligence survenue entre lui et Mohammed-Laz , mi-
nistre de la guerre, le força à quitter l'Egypte.
Rétabli sur le cadre d'activité après la révolution de
juillet, il partit pour l'Afrique, où il commanda une di-
vision lors de l'expédition du général Clauzel dans la pro-
vince de Tittery. Le gouvernement s'étant décidé à occuper
Cran, le coumiandement de celte place lui l'ut confié. Il y
arriva précédé dune grande réputation de sévérité, qui lui
avait valu en Espagne le surnom de ZJoyer le Cruel. On eut
quelque peine à croire que cet homme si doux , si affable
dans son intérieur, instruit, capable, spirituel, ami des arts,
eût jamais mérité une telle épithète. Mais la dureté impi-
toyable avec laquelle il sévit bientôt contre les Maures soup-
çonnés d'avoir des intelligences avec le Maroc, les confis-
cations, les arrestations sans nombre, les exécutions qui
vinrent frapper les habitants d'Oran, ne tardèrent point à
prouver qu'on n'avait nullement calomnié le général Boyer.
Hàtons-nous dédire, toutefois, que noire situation exigeait
peut-être ces manifestations énergiques, implacables. La
main de fer du général Boyer, en i>esant sur la vilie, en y
comprimant la révolte et la trahison, faisait respecter notre
drapeau aux ennemis extérieurs. Dans maints combats, les
Arabes furent terriblement battus, et certes, tout en dé-
plorant la sévérité par trop systématique du commandant
supérieur d'Oran , il n'en est pas moins prouvé que la pro-
vince eût peu à peu regagné toute sa tranquillité s'il avait été
maintenu à son poste. Le général D e s m i c h e 1 s, qui remplaça
le général Boyer, rappelé en France par suite de sa mésin-
telligence avec le duc de Rovigo, détruisit en quelques
jours les eflorts de la vigoureuse administration de son
prédécesseur. Sa bénignité, sa mansuétude envei-s les Arabes
donna naissance à ce déplorable traité du 26 février 1834,
auquel le traité de la Tafna devait servir de pendant.
Admis en 1839 sur le cadre de réserve , le général Boyer est
mort en 1851.
Il ne faut pas le confondre avec le général de division
Pierre-Paul Boyer, né le 1*"^ septembre 1787, ancien
aide de camp du duc de Nemours , ancien membre du comité
de la cavalerie , grand officier de la Légion d'Honneur, mis à
la retraite par le gouvernement provisoire le 17 avril 1848,
et rappelé à l'activité par le décret de l'Assemblée législative
du 11 août 1849.
BOYER D'ARGENS. Voyez Argehs.
BOYER FOAFRÈDE. Voyez Fonfrède.
BOYER-PEYRELEAU ( Ecgè:<e-Édooard , baron ),
né à Alais ( Gard ), en 1776 , a fait toutes les campagnes de
la. révolution. Entré au service comme simple soldat en 1793,
il conquit tous ses grades, le titre de baron et la décoration
de la Légion d'Honneur sur les champs de bataille. Aide
de camp , puis chef d'état-major de l'amiral Villaret-Joyeuse,
il te suivit à la Martinique, qui fut attaquée, peu de temps
après, par les Anglais avec des forces bien supérieures.
Chargé de leur enlever le rocher du diamant qui ferme
l'entrée de la baie du fort Royal , et auquel ils avaient
donné le nom de Gibraltar des Antilles, le chef d'escadron
Boyer, à la tête d'une petite colonne de deux cents braves,
se rendit maître de la place en moins de cinquante-six heures.
Mais la garnison française de la Martinique fut obligée de
céder au nombre et de capituler. Villaret-Joyeuse, malgré
la vigueur de sa résistance , fut accusé de n'avoir pas fait
tout ce qu'il aurait dû. Boyer ne balança pas. Après avoir
partagé la fortune de son général , il voulut partager sa
disgrâce ; il le suivit en France , et l'accompagna ensuite à
Venise.
Cependant en 1812 Boyer-Peyreleau reçut l'ortlre de
rejoindre l'armée en Russie, et devint adjudant com-
mandant , puis chef d'état-major de la garde impériale. Il
entra ensuite dans le corps de cavalerie du général La-
tour-Maubourg, protégea la retraite des troupes françaises
de Leipzig à Mayence, et fut un des officiers qui déployèrent
le plus de bravoure dans les sanglantes affaires des plaines
de Champagne. Nommé par l'empereur général de brigade
après le combat de Saint-Dizier ( 26 mars 1814 ), il ne put
recevoir son brevet par suite du changement de gouver-
nement. 11 fût néanmoins employé à la fin de la même
année à la Guadeloupe, comme commandant en second, et y
arbora le drapeau tricolore à la nouvelle du retour de Tlle
d'Elbe. Impliqué pour ce fait dans le procès intenté à l'a-
miral Lin ois, il fut ramené en France et traduit devant un
conseil de guerre à Paris. Il se défendit lui-même, montra
durant les débats le plus noble caractère, et n'usa pas même
du droit d'opposer à ses délateurs les plus justes récri-'
minattons. Il fut condamné à mort.
Il s'attendait à subir sa peine dans les vingt-quatre
heures; huit jours s'écoulèrent dans cette incertitude. On
lui appiit enfin la commutation de sa peine en un empri-
sonnement de vingt années. Il fut peu de temps après remis
en liberté , mais laissé sans emploi et à la demi-.solde. Ce ne
lut qu'après la révolution de 1830 qu'il reprit dans l'année
le grade que lui avait conféré l'empereur Napoléon sur !•,
BOYER-PEYRELEAU — BOYNE
629
champ de bataille de Saint-Dizier en 1814, et ses conci-
toyens l'élurent leur représentant à la chambre des députés
sous le règne de Louis-Philippe. Le général Boyer a publié
en 1823 trois vol. in-8°, ayant pour titre : Des Antilles
françaises , et particulièrement de la Guadeloupe jus-
qu'au i" novembre 1816.
BOYLE (Robert). Le grand Bacon venait de mourir.
Son génie indépendant avait brisé le sceptre d'Aristote , in-
voqué l'expérience où l'autorité faisait loi, et placé le point
d'appui des sciences dans l'étude, trop longtemps négligée,
de la nature. La philosophie des sciences , qu'il avait mise
en marche, ne devait plus s'arrêter. Boyle, né en 1626,
l'année même où l'Angleterre perdit le chevalier de Vérulam,
hérita de sa mission et de ses talents. Fils d'un pair d'Irlande,
il avait voyagé pendant plusieurs années de sa jeunesse en
France, en Suisse et en Italie. Rappelé dans son pays par
la mort de son père et le désir d'employer sa fortune à l'é-
tude de la physique et de la cliimie , il se réunit à quel-
ques amis des sciences et de la paix pour former la société
des Invisibles, noyau de la Société royale, constituée sous
CharlesII. Lavilled'Oxford leur offrit un asile respecté contre
les orages politiques qui grondaient alors sur l'Angleterre,
et c'est là que Boyle soumit à un sévère examen les doctrines
systématiques des piiysiciens. Là il perfectionna la raaciiine
pneumatique, inventée par Otto de Guericke , et, par de
nombreuses expériences , renversa la théorie des chimistes ,
qui ne reconnaissaient comme principes essentiels des corps
que trois éléments : le sel, le soufre et le mercure. Pour lui,
Ja matière n'avait que des propriétés mécaniques , et il
pensait qu'il existe une matière indifférente à tout , uniforme
et capable de toutes les formes , dont les diftérentes combi-
naisons constituent tous les corps. Cette opinion, qu'a par-
tagée Newton , reposait sur une expérience mal comprise.
Boyle ayant fait tenir longtemps de l'eau dans une cornue à
un feu égal, et n'ayant trouvé qu'un résidu terreux, en con-
clut à tort que l'eau s'était changée en terre ; elle s'était sim-
plement évaporée.
Il avait remarqué l'augmentation de poids des métaux par
lacalcination, et dit lui-même que l'air extérieur entrait avec
violence dans la cornue lorsqu'il l'ouvrait, ce qui lui indiquait
l'absorption de l'air intérieur ; cependant il attribua l'aug-
mentation de poids à la fixation du feu , et admit, par une
conséqucice forcée de cette erreur, que le feu est pesant.
Il étabht, avec plus de raison, que l'air calciné est impro-
pre à la respiration ; et l'on trouve dans l'immense recueil
de ses œuvres, imprimé en 1680, à Genève, la notion certaine,
quoique imparfaite, du gaz produit par la fermentation, que
nous nommons acide carbonique, et des propriétés de l'air
inQammable dans les mines (hydrogène carboné).
Au total , si Boyle a droit au souvenir des hommes , ce n'est
pas qu'il ait doté les sciences d'importantes découvertes ; l'his-
toire de ses travaux est même bien souvent celle de ses er-
reurs : mais te4 est le privilège du génie, lorsqu'il s'allie à l'es-
prit philosophique, que ses erreurs sont encore un progrès
pour la science. En efîèt, Boyle se trompait dans ses déduc-
tions, parce que la science était sans antécédents qui pus-
sent le guider dans l'interprétation de ses expériences ; mais
en faisant adopter par l'ascendant de son génie une opinion
nouvelle, il détruisait d'absurdes préjugés; mais en disci-
plinant son siècle à su ivre avec rigueur la voie expérimentale,
il assurait le triomphe de la vérité dans l'avenir. Sa véritable
gloire est d'avoir été le plus illustre continuateur de Bacon.
On ne connaîtrait pas Robert Boyle tout entier si l'on ne
savait qu'il mit autant d'ardeur à rechercher la vérité en ma-
tière de religion qu'en fait de science. Cette double tendance
tenait à la rare alliance d'un esprit juste et méthodique avec
une imagination vive et inquiète. Tourmenté de doutes cruels
sur les dogmes de la religion, et trop philosophe pour les
admettre sans examen , il résolut de remonter aux sources,
étudia les langues orientales , et se tit aider dans ses investi-
gations par les plus savants théologiens de son temps. S'il ne
parvint pas à une conviction complète, du moins est-il cer-
tain qu'il voulut épargner à d'autres les tourments qu'il avait
subis , en aidant de tous ses moyens à leur donner la raison
pour base de leur croyance. 11 publia plusieurs ouvrages de
morale religieuse, fit servir ses connaissances en histoire na-
turelle à démontrer la toute-puissance de Dieu, fonda, pour
le développement des preuves de la religion chrétienne, des
leçons publiques , où C 1 a r k e prononça ses célèbres discours
sur l'existence de Dieu , fit traduire et imprimer à grands frais,
en plusieurs langues , la Bible et les Évangiles , contribua
de ses deniers à l'établissement des missions destinées à prê-
cher l'Évangile aux Indiens, et par la pureté de ses mœurs,
sa rare modestie , son désintéressement et sa bienfaisance ,
donna toute sa vie l'exemple des vertus chrétiennes qu'en-
seignaient ses écrits. Trois rois , Charles II , Jacques II et
Guillaume, voulurent s'honorer en l'appelant près d'eux et
le comblant de faveurs. Mais il se crut assez récompensé par
leurseule intention, et refusa les plus brillantesdignités qu'un
citoyen put réunir dans sa personne : la pairie et la prési-
dence de la Société royale de Londres. Génie et vertu , voilà
Boyle. Il mourut à Londres, le 30 décembre 1691, et fut en-
terré à Westminster. A. DesGenevez.
BOY'LE (Liqueur fumante de), nom donné au sulfhy-
drate d'à m mo n i a q u e sulfuré à l'état de dissolution aqueuse.
Boyle l'obtenait par la distillation de 100 parties de sel
ammoniac, de 100 parties de chaux, avec 50 parties de fleur
de soufre. Il mélangeait le tout, puis distillait en chauffant
fortement, et recueillait le produit dans un récipient refroidi
convenablement. C'est la vapeur de cette composition que cer-
tains diseurs de bonne aventure emploient pour faire paraître
une écriture noirâtre sur du papier blanc où l'on a tracé d'a-
vancedes caractères avec une dissolution d'acétate de plomb,
BOYXEAU (ETIENNE). Voyez Boileau.
BOY'A'E (Bataille de la). Quoiqu'à proprement parler
l'action qui eut lieu sur les rives de la Boyne ne fût qu'un
combat où la totalité des armées opposées ne fut pas en-
gagée, l'importance de ses résultats, qui firent définiti-
vement perdre la couronne d'Angleterre à Jacques II,
l'a toujours fait désigner sous le nom de bataille.
En 1689, le roi Jacques, qui s'était réfugié en France,
après avoir été détrôné par son gendre Guillaume, prince
d'Orange, ayant reçu de Louis XIV l'assurance d'un secours
de la France dans la tentative qu'il voulait faire pour re-
conquérir son royaume, s'embarqua à Brest sur une flotte
française, et débarqua le 17 mars à Kinsale, dans le sud-ouest
de l'Irlande , d'où il se rendit à Dublin, afin de tâcher d'y
faire réunir un parlement qui pût donner de la consistancî
à son gouvernement. Quoiqu'il résultât des espérances qu'on
avait conçues qu'un soulèvement général suivrait de près
son arrivée , ces espérances furent en grande partie déçues ,
et il s'écoula un laps de temps considérable avant qu'on
put réunir des troupes assez nombreuses pour former une
arm'ée. Une tentative que fit le roi Jacques pour se rendre
maître de la ville de Londonderry , dont il se vit obligé de
lever le siège le 28 juillet , ayant échoué, il fut contraint,
à l'arrivée d'une armée anglaise commandée par le général
Schomberg, de se retirer à Dublin, où il resta tout l'hiver,
n'ayant pu réunir qu'environ 20,000 recrues, assez mal ar-
mées. Schomberg l'y suivit, et s'établit vers Dundalk , au
nord de la Boyne.
Au printemps de 1690 , le roi Guillaume, ayant débarqué
dans le nord de l'Irlande , s'avança vers Dublin. A cette
nouvelle le roi Jacques marcha en avant jusqu'à Dundalk, où,
ne se jugeant pas bien placé pour combattre avec des forces
inférieures, il se retira derrière la Boyne. Le 29 juin les
deux armées se trouvèrent en présence, séparées par la
Boyne : celle de Jacques , à la rive droite et à gauche de
Drogheda , était forte de 23,000 hommes ; celle de Guil-
laume, en face, en comptait 43,000. Le l"^"" juillet le roi
630
BOYNE — BRABANT
Guillaume, décidé à forcer le passage de la Boyne, s'é-
tendit en portant sa gauche à Slbine, où il comptait passer
cette rivière, tandis que sa droite attaquerait le gué qui se
trouve à Old-Bridge, et qui était défendu par la gauche de
l'armée franco-irlandaise. Jacques, voyant le mouvement de
son adversaire, le suivit avec son aile gauche, afin de s'op-
poser au passage de l'ennemi à Sloine ; mais lorsqu'il arriva,
ce passage avait déjà été forcé , après un combat assez vif,
et Guillaume se déployait en potence, couvert par une ligne
de marais, sur le flanc gauche de son antagoniste, menaçant
de lui couper la retraite sur Dublin. Jacques, qui avait éga-
lement déployé ses troupes , marcha alors h l'ennemi pour
l'attaquer et le rejeter au delà de la Boyne ; mais les marais
<lont le roi Guillaume s'était couvert ne permirent pas aux
Franco-Irlandais d'aborder l'ennemi , et les efforts pour y
parvenir furent inutiles. Cependant Guillaume, profitant de
la supériorité de sa cavalerie , s'étendait toujours par sa
droite vers Duleck; en même temps, le gué d'Old-Bridge
était forcé par le général Schomberg, qui y trouvait la mort.
Jacques, se voyant au moment d'être enveloppé par ses deux
ailes et par un ennemi supérieur en forces, crut devoir or-
donner sans retard la retraite , qui se fit sur Dublin. De là
les troupes irlandaises marchèrent sur Limerick, sous les
ordres du duc de Tirconnel ; les Français, commandés par le
brigadier de Zurlauben , se dirigèrent vers Cork et Kinsale,
afin de se rembarquer pour la France. Jacques, ayant éga-
lement quitté Dublin , s'embarqua d'abord près de Dun-
cannon pour gagner Kinsale, et de là revint à Brest, d'où il
était parti. L'affaire de la Boyne ne coûta qu'un millier de
morts à chaque armée. G"' G. de Vaudoncocrt.
BOYRON ( Michel). Voyez B,\r.ON,
BOZ, pseudonyme sous lequel Dickens a publié une
grande partie de ses ouvrages.
BRA (Théophile), statuaire, est né à Douai, le 24
juin 1797. Élève de Story et de Bridan, un bas-relief re-
I)iésentant l'exil de Cléombrote , qu'il présenta au concours
de 181S, lui valut le 2* grand prix. Ce morceau, comme
tous ceux qu'a produits depuis le ciseau de cet artiste, se
faisait remarquer par la composition sévère et correcte du
dessin, par la large et habile disposition des groupes, par
l'irréprochable pureté des lignes. En 1819 il exposa Aris-
todème au tombeau de sa fille, donné par le roi à la ville
de Douai , et qui lui valut une médaille d'or. Depuis il a suc-
cessivement exposé Saint Pierre et Saint Paul, qu'on
voit à l'église Saint-Louis en l'Ile; Ulysse dans l'île de Ca-
lypso; Jean de Bologne; Pierre de Francquevïlle ;
Philippe de Comines; le sire de Joinville; le baron Du-
bois; le duc d'Angoulême; le duc de Berry ; Saint Marc,
à Saint-Philippe du Roule; Sainte Amélie; le maréchal
Mortier, à Cateau-Cambrésis ; le général Négrier, à
Lille, etc. Outre ces statues, on doit à M. Bra un grand
nombre de bas-reliefs et de bustes , entre autres les bustes
du général Foy , des docteurs PincI et Broussais , de Jouy ,
de M. (iuizot, etc. Décoré de la Légion d'Honneur en 1825 ,
M. Bra est retiré à Douai; dont il dirige l'école de dessin.
BRABANÇONNE (La), nom que les Belges ont donné
à une chanson patriotique qui fut faite au mois de sep-
tembre 1830, à l'occasion de la révolution qui relégua sur le
trône de Hollande la maison d'Orange. L'auteur des paroles
était un jeune comédien français, nommé Jenneval, qui faisait
partie du tliéAtie de Bruxelles au moment de l'insurrection,
et qui fut emporté par un boulet à Bcrchem en combattant
les Hollandais. Chaque couplet de la Brabançonne, dont la
musique avait été composée par 1\L Campenhout, que nous
avons vu jouer à l'Odéon dans Robin des Bois, se terminait
par un jeu de mot que nous traiterions de calembour sans le
respect dû à une œuvre consacrée par l'enthousiasme d'une
nation :
La mitraille a brisé l'oraujjc
.Sur l'arbre de la liberté.
Le 23 septembre , pendant qu'on se battait encore à Bruxel-
les, M. Campenhout électrisait par ses accents les patriotes
qui se pressaient autour de lui à l'estaminet de l'Aigle.
Après la victoire, la nation décerna une pension de 2,400 fr.
à la mère de Jenneval. M. Campenhout reçut du roi Léopold
une tabatière d'or et la place de maître de chapelle.
BRABANÇONS. On donnait ce nom dans le moyen
âge à des aventuriers appelés aussi cotlereaux, rou-
tiers, cantatours , écorcheurs , etc. , qui parcouraient la
France, tuant, pillant, et vendant leurs services au plus of-
frant. Le nom de Brabançons leur était donné sans doute
parce que les plus redoutables étaient du Brabant , ou que
le plus grand nombre en provenait. C'est le sentiment du
père Daniel , historien de la milice française, et tout se réu-
nit pour le confirmer. M. Monea publié en 183.3 en Belgique
un texte latin et original du Roman du Renard, lequel ap-
partient évidemment au neuvième siècle, et où le mot bra-
bas est déjà pris dans cette acception défavorable ; et l'abhé
de Cluni écrivait à Louis VII qu'il était difficile de décider
si c'était le Brabant qui dévorait ses habitants, ou les ha-
bitants qui dévoraient le pays. « 11 en est soiti, dit-il, des
hommes plus cruels que des bètes sauvages, qui se sont
rués sur nos terres, n'épargnant ni âge, ni sexe , ni condi-
tions, ni églises, ni villes, ni châteaux. » L'histoire nous a
conservé les noms de quelques chefs de Brabançons. C'é-
taient d'abord, au service de Jean sans Terre, Lupicaire et
Martin Areas, et, au service de Philippe-Auguste, Cadoc,
qui en recevait pour lui et sa bande mille livres par jour,
somme exorbitante pour l'époque.
BRABANT, le Pagus Bracbatensis des anciens ( de
bruch ou brac , boisé, et bant ou band, terre limitée.; con-
trée couverte de bois ) , pays formant le centre du bassin
hollando -belge et occupant une superficie de 204 myria-
mètres carrés , depuis la rive gauche de la Waal jusqu'aux
sources de la Dyle , et depuis la iMeuse et les plaines du
Limbourg jusqu'à l'Escaut inférieur. Il formait au moyen
âge un duché particulier, relevant de la basse Lorraine, et
auquel fut incorporé en 1107 le marquisat d'Anvers, et i)en-
dant quelque temps, à partir de 1347, la seigneurie de Ma-
lines avec celle de Liège, son annexe. Partagé aujourd'hui
entre la Hollande et la Belgique , il forme trois provinces :
1" le Brabant septentrional ou hollandais, avec une
superficie de 92 myriamètres 1/2 carrés et une poi>ulation
de 400,000 habitants; 2° h province d'Anvers, appartenant
à la Belgique, avec une superficie de 41 myriamètres 1/2
carrés et 430,000 habitants; et 3" le Brabant méridional
ou belge, dans une superficie de 61 myriamètres 1/2 car-
rés, sur laquelle se presse une population compacte de
730,000 âmes. Cette contrée forme une plaine s'inclinant
doucement dans la direction du nord-ouest, remplie au
nord de landes et de marais , s'élevant au sud avec les pe-
tites collines qui servent de transition à la forêt des Ardeimes,
et où la forùt de Soigne, située au sud de Bnixelles, est la
plus vaste étendue de terrain boisé qu'on y rencontre. Elle
comprend 8,000 bonniers (arpents du pays). Le sol en est
abondamment arrosé par la Meuse au nord et par l'Escaut
au sud. Des canaux , notamment le canal de Guillaume et
celui de Bréda, contribuent à activer au nord le commerce
intérieur, dont les transactions sont puissamment secondées
au sud par un réseau de chemins de ter ayant Malines
pour centre. Sous l'influence d'un climat humide .'^ans
doute au nord , mais en général sain et tempéré , une ex-
trême fertilité du sol y favorise admirablement l'agriculture
et l'éducation des bestiaux , qui forment la principale oecii-
pation delà population. A ces causes premières de richesse
et de bicn-ètre , il faut ajouter une industrie exercée par-
tout avec le plus grand soin, et dont la prospérité , parti-
culièrement dans le sud, date déjà de fort loin; industrie
source d'un commerce des plus actifs et des plus étendus,
et fournissant à la consommation de remarquables produits
BRABANT — BRABEUTES
63t
en toiles , dentelles , cotonnades, draperies et cuirs. Au nord
la population est de race hollandaise, au centre de race
flamande, et au sud de race wallone. C'est à quelques
lieues au sud de Bruxelles, aux villages de Braine, l'Allend,
Waterloo , Wavre et Jodoigne , que s'effectue la séparation
des langues, et que l'idiome d'origine germaine remplace l'i-
diome français (wallon).
C'est au temps de César que les Romains entendirent pour
la première fois parler du Brabant , pays dont la population
provenait du mélange d'éléments germains et celtes. Parmi
les différentes peuplades dont elle se composait, celle des
Ménapiens , fixée entre le Rhin , la Meuse et l'Escaut , la
plus puissante et la plus belliqueuse de toutes , opposa une
résistance aussi opiniâtre qu'inutile aux projets de conquête
des Romains, qui unirent par incorporer à la province de la
Gaule Belgique cette partie de la basse Germanie. Au cin-
quième siècle les Franks s'emparèrent du Brabant. Au
sixième siècle , lors du partage de l'empire Frank , il fut
adjugé au royaume d'Austrasie. Au neuvième siècle , il fut
réuni à la Lorraine , et après que celle-ci eut été partagée,
en 870, la possession en fut attribuée à la France. Mais au
commencement du dixième siècle il en fut encore une fois
détaché, et réuni alors de nouveau à la Lorraine par Henri l" ;
en 959 il fut adjugé à la basse Lorraine, et fit ainsi partie
de l'Allemagne. Au commencement du cinquième siècle il
se sépara de la Lorraine, quand le duc Othon, fils de Charles
le Gros, à qui l'empereur Othon avait donné en fief la basse
Lorraine, mourut sans laisser d'enfants. Après avoir été
possédé par plusieurs comtes des Ardennes jusqu'à l'année
1076 et par Godefroi de Bouillon, l'empereur Henri V le
concéda à titre de fief à Godefroi le Barbu de la famille des
comtes de Louvain et de Bruxelles , dont la dynastie s'y
maintint jusqu'au milieu du quatorzième siècle. Le titre de
duc de Brabant apparaît dans les chartes et les documents
dès l'année 1190, et finitpar remplacer complètement celui
de duc de basse Lorraine (Lothier). Sous l'autorité de ses
ducs particuliers , le Brabant fit de rapides progrès en puis-
sance et en indépendance ; cependant il eut à soutenir une
foule de querelles avec les États ses voisins , ballotté et hé-
sitant toujours entre les intérêts de la France et ceux de
L'Allemagne.
Parmi les six ducs qu'a eus le Brabant, Henri I^"^, Il et III,
et Jean I^"' II et III, les plus remarquables furent Jean I'"'',
qui, par la mémorable victoire de Wœringen (1288), réunit le
Limbourg au Brabant, et célèbre aussi en Allemagne comme
Minnesœnger ;\lpa\i\iàen 1290 les lois pénales connues sous
le nom de Land-Karten ou Land-Keuren. Jean II, qui donna
en 1312 la fameuse charte de Cortemberg , fondement de
la constitution brabançonne; enfin Jean III, qui, en 1349,
obtint de l'empereur Charles IV, sous le nom de Bulle d'Or
iîraôan^iwe, l'important privilège par lequel ce prince ac-
cordait au Brabant, en forme d'édit perpétuel, une organisa-
tion judiciaire complètement indépendante de toute juridic-
tion étrangère. La descendance mâle des comtes de Lou-
vain s'éteignit en 1335, en la personne de Jean III ; et en
veitu du testament de sa tille Jeanne , qui régna jusqu'en
1406 et épousa Wenceslas de Luxembourg, la souveraineté
du Brabant passa à la maison de Bourgogne , et en premier
lieu au petit-neveu de cette princesse, Antoine de Bour-
gogne, fils cadet de Philippe le Hardi. L'acte inaugural de
Jeanne et de Wenceslas, du 3 janvier 1356, est la première
inauguration proprement connue sous le nom de Joyeuse
entrée, charte constitutive du Brabant, qui se renouvelait à
peu près dans les mêmes termes par tous les souverains de
ce pays. Antoine ayant été tué à la bataille d'Azincourt
(1413), et ses deux successeurs, Jean IV et son frère Phi-
lippe , comte de Saint-Pol , étant venus à mourir sans lais-
ser de postérité, l'un en 1427 et l'autre vers 1430, le Bra-
bant fut formellement reconnu appartenir à la maison de
Bourgogne, à titre d'héritage de Philippe le Bon. Mais cette
maison ne le conserva pas longtemps , attendu que par le
mariage de Marie de Bourgogne avec l'eraperem- Maximi-
lien il passa à la maison d'Autriche, par conséquent à
Charles-Quint , et de celui-ci à son fils Philippe II roi d'Es-
pagne. Le Brabant ne tarda point à se révolter contre l'édit de
Religion de ce prince et contre les cruautés du duc d'Albe •
toutefois, il n'y eut que la partie septentrionale de la contrée
( Bois-le-Duc ) qui réussit à conquérir son indépendance et qui
fut incorporée à l'union des Pays-Bas sous la dénomination
de Pays de généralité, A&néi&qneXQ Brabant méridional
resta jusqu'en 1714 à la ligne austro-espagnole. A l'extinc-
tion de cette ligne , il fit retour avec les autres provinces
méridionales des Pays-Bas à la maison impériale d'Autriche.
Le Brabant autrichien était divisé en trois quartiers , qui
prenaient leurs noms de leurs principales villes , Bruxelles
Louvain et Anvers.
Le quartier de Bruxelles était partagé en pays Flamîn'
gant et en pays Wallon , selon la langue qu'on y parle. Le
Brabant flamingant comprenait Bruxelles, capitale de
tout le pays , Vilvorde et Malines , seigneurie enclavée dans
le Brabant, et qui , avec son territoire , formait une province
particuhère. Dans la partie wallonne se trouvaient Nivelle.
Genape, Gembloux, Jodoigne, Wavre etHannat, le mar-
quisat de Trazégnies, le comté de Tilly, les baronnies de
Rêves et de Sombreffe.
Le quartier de Louvain renfermait les villes de Lou-
vain, Tirlemont, Arschot, Diest,Sichem, Leeuwe et Landen.
Le quartier d'Anvers se composait du marquisat du
Saint-Empire , qui , comme Malines , formait aussi une pro-
vince particulière. Il comptait pour villes principales An-
vers et Lierre. La Campine brabançonne, qu'il faut dis-
tinguer des Campines hollandaise et liégeoise , était comprise
dans le quartier d'Anvers, et avait pour villes principales
Hoogstraten, Herenthals et Turnhout.
La maison d'Autriche ne conserva pas longtemps la tran-
quille possession du Brabant. Sous le règne de l'empereur Jo-
seph II, de vives discussions s'élevèrent à propos de l'inter-
prétation à donner aux droits provinciaux que le pays
possédait dans sa Joyeuse entrée. Les états du Bra-
bant et du Limbourg ayant été supprimés à la suite de ce
conflit, les Brabançons se réunirent sans l'autorisation du
pouvoir, et dans cette assemblée on ne craignit pas d'agiter
hautement la question de se soustraire à la souveraineté de
la maison d'Autriche. A la mort de Joseph II Léopold II
termina ce différend en rendant aux Brabançons leurs an-
ciens privilèges.
En 1746 les Français avaient conquis le Brabant autri-
chien, mais ils avaient dû le rendre, aux termes du traité
d'Aix-la-Chapelle de 1748. Ils s'en emparèrent de nouveau
en 1794, et le traité de Campo-Formio le réunit à la France.
Le Brabant septentrional autrichien devint alors le départe-
ment des Deux-Nèthes, chef-lieu Anvers; et le Brabant
méridional , le département de la Dyle , chef-lieu Bruxelles.
Quand en 1810 Napoléon réunit aussi le Brabant hollandais
à l'empire français , on y adjoignit une partie des Gueldres
pour former le département des Bouches-du-Rhin. En vertu
des stipulations du traité de paix conclu à Paris en 1814 et
des résolutions du congrès de Vienne, le Brabant devint la
principale partie du royaume des Pays-Bas, et forma les
trois provinces : le Brabant septentrional , Anvers, et le Bra-
bant méridional. Cette dernière province, ainsi que Bruxelles,
capitale de tout le Brabant, devint en 1830 le foyer de l'in-
surrection belge, et par suite le théâtre d'événements mé-
morables et de luttes sanglantes , en môme temps que le
berceau du nouveau royaume de Belgique, tandis que le
Brabant septentrional restait sous les lois de la Hollande.
BRABEUTES, mot grec formé de Ppaêeû; , arbitre , et
qui désignait les officiers présidant aux jeux solennels , et
surtout aux jeux sacrés. Cette charge ou magistrature était
tellement en honneur, que les rois ne dédaignaient pas dia
632
BRABEUTES — BRACELET
l'exercer eux-mêmes. Philippe, roi de Macédoine, après
s'en être fait attribuer la qualité , ayant commis ses fonc-
tions à un officier un jour qu'il ne pouvait siéger lui-même,
Démosthène en fit contre lui l'objet d'une accusation, re-
gardant cette circonstance comme un attentat à la liberté
des Grecs. Le nombre des brabeutes n'était point fixé : il
s'est trouvé telle circonstance où cette magistrature était
dévolue à une seule personne ; mais elle était ordinairement le
partage de sept ou neuf membres, choisis parmi les familles
les plus considérables, et nommés athlothètes-époptes ,
juges des athlètes. Les prix qu'ils distribuaient étaient ap-
pelés brabéia, et les couronnes thémiplechtès , pour mar-
quer que c'était 'f lierais elle-même qui les avait tressés de
ses mains.
BRACC ATA et BRACCATI , surnoms qui avaient été
donnés à la Gaule Narbonnaise et à ses habitants, et qui leur
venaientde l'espèce devêtementou traie qui était en usage
chez eux.
BRACCIO DE MONTONE (André), l'un des plus
grands généraux de l'Italie, né le 1*' juillet 1368, dans la
république orageuse de Pérouse, issu de la famille patricienne
et puissante des Fortebracci, fit ses premières armes sous
le comte de Montefeltro , puis dans la compagnie de Saint-
Georges , sous le fameux Albéric de Carbiano. Une révolu-
tion démocratique ayant privé sa famille de sa patrie, de
ses biens et de ses titres, Braccio, forcé par la jalousie d'AI-
bé rie de s'évader de son camp, fit la guerre avec peu de gloii e
pour le compte de plusieurs souverains, et dans la vie aven-
tureuse de condottiere apprit à connaître tous les défilés et
tous les vallons de l'Italie ; mais il lui fallait pour rentrer
dans sa patrie un champ de bataille plus vaste, une guerre
contre le pape, allié des démocrates de Pérouse. Aussi ser-
vit-il avec ardeur contre le souverain pontife et les Floren-
tins, Ladislas, roi de Naples, qui le trahit et menaça ses jours :
entré dans Pérouse par les victoires de Braccio , il promit
aux habitants de n'y laisser entier ni Braccio ni son parti.
Le condottiere passa alors au service des Florentins et de
Jean XXIU , et profita de la mort de Ladislas et de la dé-
position du pape au concile de Constance pour fondre avec
son armée sur Pérouse, dont une victoire lui ouvrit les por-
tes, le 7 juillet 1416. Maître et sage réformateur de son
pays, Braccio, auquel les travaux de la paix ne pouvaient
.suffire, s'empara de Rome , en fut chassé par Sforza , son
rival en gloire et en talents militaires; eut à lutter contre
Martin V , élu par le concile de Constance ; vainquit Sforza
près de Viterbe ( 1420 ), et força le pape à demander la paix
par l'entremise des Florentins, liraccio vainquit encore Sforza
dans une guerre nouvelle, où il combattait pour Jeanne II
de Naples, et son fils adoptif, Alfonse d'Aragon, contre le
pape et Louis d'Anjou , qui renoncèrent à toute prétention
sur Naples.
Mais la paix semblait impossible en Italie comme entre les
deux rivaux : en vain Sforza vint dans le camp de Braccio
lui demander son amitié, en vain Braccio le réconcilia avec
Jeanne, qui lui donna le commandement de ses troupes ; à
peine Braccio , devenu prince de Capoue , comte de Foggia,
et grand connétable du royaume de Naples , était-il parti
pour son gouvernement d'Aquila et des Abruzzes, que Jeanne,
brouillée avec Alfonse d'Aragon , et soutenue par Sforza, re-
mettait les deux rivaux aux prises. Braccio assiège Aquila,
dont les habitants, excités par Martin V, avaient refusé de
lui ouvrirles portes; Sforza vient délivrer cette ville, et meurt
au passage du fleuve Pescara, regretté de son rival. Jacques
Caldora succède à Sforza , avec une armée quatre fois plus
nombreuse que celle des assiégeants , et, secondé par une
sortie des habitants , met en déroute Braccio , qui , vaincu
pour là première fois et blesse, se laisse mourir, en 1424.
Sa perte fut pleurée dans toutes les armées d'Italie. Ses
soldats, les fcraccesc/ii , qu'il avait eu l'art d'attacher à sa
fortune, laissèrent croître leur barbe et leurs cheveux, décou-
pèrent leurs habits en signe de deuil , et longtemps après
sa mort conservèrent une haine implacable aux sforzeschi ,
leurs rivaux.
Après sa mort, son comté de Montone fut possédé par son
fils Oddo, qui lui survécut quelques mois seulement , et qui
périt au service des Florentins; son armée fut commandée
par ses deux élèves, Nicolas Fortebraccio et Nicolas Picci-
nino. Ce dernier, qui devait un jour être si célèbre , avait
contribué à la défaite et à la mort de son maître par une
fausse manoeuvre qui permit aux habitants d'Aquila de faire
une sortie. La vie de Braccio de Montone a été écrite, en
latin du quinzième siècle, par Jean Antoine Campani ,
évêque de Teramo. T. Toussenf.l.
BRACCIOLIJVI (François), célèbre poète italien, né à
Pistoja, le 26 novembre 1566 , mort le 31 août 1645. Le pape
Urbain VIII le combla de bienfaits. Il a laissé entre autres
œuvres : la Croce racquistata , poème héroïque , que Tira-
boschi consent à voir placer le premier après celui du Tasse,
pourvu que ce soit à une longue distance; le Scherno degli
Dei , poëme dans le genre plaisant , qui fut regardé comme
le meilleur après la Secchia rapita de Tassoni.
BRACELET, sorte d'ornement, fort ancien, que l'on
portait au bras , comme l'indicpe l'étymologie de son nom ,
et dont l'usage s'est conservé jusqu'à nous.
Les biacelets furent en usage en Egypte à une époque
très-reculée. Ils étaient de différentes couleurs; il y en avait
beaucoup en or bien travaillé, et où l'on enchâssait des pierres
précieuses de diverses espèces, et des émaux de couleurs très-
fines et très-vives. Plusieurs de ces bracelets remontent à une
époque qui précède de plusieurs siècles les plus anciens mo-
numents grecs. Les bracelets furent plus tard que les bagues
en usage chez les Grecs. Ce lui sûrement le costume do-
rien qui donna l'idée de cette élégante parure. Les brillante?
solennités d'Olympie purent inspirer aux belles Éléennes
l'envie de se distinguer par ce nouveau genre d'ornement ,
que les autres femmes grecques ne tardèrent pas sans doute
à imiter. L'invention et l'usage des bracelets n'ont dû avoir
lieu que chez les peuples qui avaient les bras nus. Les Grecs
tenant en grande partie leurs costumes de l'ionie et de l'O-
rient, et portant des tuniques à manches longues , n'eurent
probablement l'idée de se parer de bracelets que quand ils
abandonnèrent leur ancienne manière de se vêtir.
Les hommes les adoptèrent aussi bien que les femmes.
On voit dans la Vie de Maximin, successeur d'Alexandre-
Sévère, écrite par Capitolinus, que cet empereur, dont la
taille était, dit-il , de huit pieds un pouce, avait les doigts
si gros, qu'il se seiTait du bracelet de sa femme en guise
d'anneau. Les filles n'en portaient jamais, du moins avant
d'avoir été fiancées. Il y en avait d'or, d'argent et d'ivoire
pour les personnes d'un rang distingué , de cuivre et de fer
pour la populace et les esclaves : car c'était tout à la fois un
signe d'honneur ou une marque d'esclavage. On en donnait
aux gens de gueiTe en récompense de leur valeur. Une ins-
cription ancienne, rapportée par Gruter, représente la figure
de deux bracelets, avec ces mots : L. Antonius L. F. Fabius
QUADRATUS DONATUS TORQUIBUS ARMII.LIS AB TlBERlO C.E-
SARE RIS.
Le bracelet ancien a eu difîérentes formes. Les femmes en
portaient qui avaient la figure d'un serpent , ou bien la forme
d'un cordon ou d'une tresse ronde terminée par deux têtes
de serpent. Tantôt ces bracelets entouraient la partie supé-
rieure du bras, et tantôt ils étaient placés sur le poignet :
ces derniers étaient appelés par les Grecs pericarpia. On .
en voit un à trois tours sur une statue de Lucile> femme
de l'empereur Lucius Verus. Les Sabins, au rapport de
Tite-Live, en avaient de fort pesants, qu'ils portaient au bras
gauche. On trouve le bracelet appelé deux fois dextroche-
rium dans Capitolinus; dans la grande inscription d'Isis , il
est nommé lucialium.
Le bracelet a été la parure des deux sexes, non-seulemcntj
\
BRACELET — BRACONNAGE
dans plusieurs régions de l'Orient, mais chez diverses peu-
plades sauvages de l'Océanie, qui emploient à la fabrication
des leurs l'écorce de certains arbres, les plumes, les co-
quilles , la verroterie. Les femmes turques et africaines en
portent souvent aux jambes. Enfin Tusage de cet ornement
ost indique dans plusieurs endroits de la Bible.
En France , ce n'est que sous le règne de Charles YII
que les femmes adoptèrent la mode des bracelets, avec celle
des pendants d'oreilles et des colliers. Cet ornement,
qu'on ne porte plus guère aujourd'hui qu'à l'extrémité infé-
rieure du bras , a reçu des formes aussi variées que la ma-
tière dont on le compose. Tantôt on y voit briller l'or, les
diamants, les perles, ou d'autres pierres précieuses, tantôt
ce sont des camées non moins précieux ; souvent ils sont
ornés d'un portrait ou de gracieuses peintures ; quelquefois
ils se composent d'un simple velours, d'un ruban ou d'une
tresse de cheveux. Enfin il y en a de/awa;, c'est-à-dire qui
»ont faits avec des matières simples et communes ; l'art mo-
derne est parvenu en effet à l'imilation la plus parfaite des
riches inctaux et des pierres les plus fines.
DRACîllAL (du grec ppaytwv, bras) , ce qui appartient
au bras ou ce ([ui en dépend. Plusieurs parties du corps
humain ont reçu ce nom en anaiomie; tels sont : Yaponé-
vrosc brachiale, l'artère brachiale, \&?, muscles brachiaux,
\t plexus brachial et les veines brachiales.
Vaponévrose brachiale forme une sorte de gaine fibreuse,
fine, transparente , celluleuse dans quelques endroits , qui
provient des tendons des muscles grand dorsal , grand pec-
toral et deltoïde, et descend le long du bras , qu'elle enve-
loppe exactement.
Varlère brachiale est placée à la partie interne et anté-
rieure du bras , où elle occupe l'espace compris entre le bas
du creux de l'aisselle et la partie moyenne du pli du bras.
Les muscles brachiaux sont au nombre de cinq, savoir :
deux antérieurs (biceps et brachial antérieur) , qui flé-
chissent l'avant-bras ; im interne (coraco-brachial) , qui
rapproche le bras de la poitrine ; un externe ( deltoïde ) ,
qui élève et porte le bras en dehors ; et un postérieur ( tri-
ceps brachial ) , qui étend l'avant-bras sur le bras.
Le plexus brachial est formé par la réunion et l'entrela-
cement des branches antérieures des quatre derniers nerfs
cervicaux et du premier dorsal; large en haut et en bas,
mais rétréci dans son milieu , il s'étend depuis la partie la-
térale et inférieure du cou jusque sous le creux de l'aisselle,
où il se partage en plusieurs branches qui vont se distribuer
au bras.
Les v(dnes brachiales, au nombre de deux, accompa-
gnent l'artère du même nom ; elles reçoivent un assezgrand
nombre d^ l>r«nc,lies, et se termineiit à la veine axillaire.
BRACHINE , genre d'insectes de l'ordre des coléoptères
pentamères, de la tribu des carabiques. Toutes les espèces
de ce genre (dont une seule, le brachinus crepitans, est
commune aux environs de Paris) se trouvent ordinairement
sous les pierres. Elles ont la propriété singulière de lancer
par l'anus, lorsqu'elles sont inquiétées, une vapeur blan-
châtre ou jaunâtre, qui laisse après elle une odeur pénétrante
analogue à celle de l'acide nitrique. On a reconnu, en effet,
que cette vapeur est très -caustique, rougit le bleu de tour-
nesol, et pioduit sur la peau la sensation d'une brûlure. Les
taches rouges qu'elle y forme passent promptement.au brun
et durent plusieurs jours, malgré de fré(iuentes lotions.
BRACmON, genre d'animaux infusoires , qu'on ne voit
qu'à l'aide du microscope, et qui vivent dans les eaux sta-
gnantes.
BRACHIOPODES (de ppaxîwv, bras, et ttoû,-, pied ),
classe de mollusques qui comprend des animaux sans tête,
munis d'une coquille à deux valves, fixée, qui par consé-
quent ne leur i)ermet pas de se mouvoir, et dont les ])ieds,
, en forme de bras ou de tentacules, sont ciliés et rentrent
dans l'intérieur de la coquille.
MCI. 1)1. l,A COiWMiS. — T. III.
633
BRACHISTOCHROi\E(de ppaxiaro;, le plus court,
et xpôvoç, tem|)s). Ce nom fut donné par Jean BernouUi à
la cycloïde, parce que cette courbe jouit de la propriété
d'être la route que doit suivre dans le vide un corps soumis
à la seule action delà pesanteur, pour arriver dans le temps
le plus court d'un point à un autre (pourvu que ces deux
points ne soient pas sur une même verticale ).
BRACHMANES. Voyez Brahmanes.
BRACHYCATALEPTIQUE ( de ppaxûc, court, ( t
xaraXenTixo? , laissant), terme des poésies grecque et la-
tine, désignant proprement un vers trop court ou auquel il
manque quelque partie, tel, par exemple, que ce vers latin
de trois pieds au lieu de quatre :
Musse Jovis gnatac,
cité par Lacroix, dans son Art de la Poésie latine. Les La-
tins appelaient encore ce vers mulihis.
BRACIIA'CERE (de ppax"î> court, et xe'pa;, corne),
terme d'entomologie, par lequel on désigne un genre d'in-
sectes coléoptères tétramères , dont les antennes sont fort
courtes. Les brachycères ne fréquentent pas les fleurs : on
les rencontre toujours à terre, ou grimpant avec peine contre
les murs et les rochers.
BRACHYCOME ou BRACHYSCOME (de ppaxû;,
court, et y.6(iyi, chevelure, aigrette), genre formé par Cas-
sini pour plusieurs plantes delà Nouvelle-Hollande, qui ont
le port des pâquerettes. Il fait partie des composées-asléroi-
dées. Les brachycomes sont des herbes vivaces, portant des
feuilles pinnatilobées, et des capitules à disque Jaune et or-
nés de rayons blancs.
BRACHYGRAPHIE (de ppaxuç, court, elypâ^jw,
j'écris), art d'écrire par abréviation. Voyez Sténoguapiiie,
Abréviation , Tironiennes ( Notes ), etc.
BRACHYME. Voyez Brachine.
BRACIIYPTÈRES (deppaxuc, court, et TtTspèv, aile).
Dans la classification de Cuvier, c'est une tribu d'oiseaux
plongeurs, à pieds palmés, ou palmipèdes, qui ont les ailes
fort courtes : tels sont les plongeons ou grèbes, les pin-
goîiins ctlcsmanchots. Dans celle de M. Duméril, les
brachyptères forment une famille qui répond à celle des
brévipennes, de Cuvier.
BRACIIYSÈME (de ppaxû;, court, et arnia, sîgiie,
étendard ), genre de la famille des légumineuses, qui ren-
ferme quelques arbrisseaux de la Nouvelle-Hollande. Oiî en
cultive dans les jardins deux espèces, dont l'une (brachy-
sema lati/olimn, Brown) atteint l'",30 à 1"',60 de hau-
teur. Ses rameaux grêles et sarmenteux, dont les feuilles
sont larges, alternes, ovales et entières, donnent en avril
et en mai des fleurs latérales d'un beau rouge, groupées au
nombre de deux ou trois.
BRACHYURES ( de ppaxûç , court , et oùpâ , queue ) ,
nom spécial d'une famille de crustacés à dix pattes, dont
la queue est très-coiute.
BRACONNAGE, BRACONNIER. Le braconnier est
celui qui chasse sans droits et furtivement sur le terrain
d'autrui. Ce mot qui a entièrement perdu sa signification
originaire, désignait dans le principe celui qui s'appliquait
à dresser pour la chasse les chiens braques, lovlow?, en
guerre avec les grands pio{)riétaircs voisins , le braconnier,
pour un intérêt minime , mène la vie aventureuse du contre-
bandier, qu'il surpasse en ruse, en adresse et en audace. 11
n'agit, comme lui, que dans les ombres de la nuit, et trop
souvent aussi il arrive qu'une rencontre avec le garde dé-
testé est suivie d'un assassinat. Les moyens que le bracon-
nier emploie pour exercer sa coupable industrie sont innom-
brables : au fusil, dont il se sert rarement, parce qu'il n'est
point assez destructeur, il joint les lacs, les lacets, les ti-
rasses, les tonnelles, les traîneaux, les bricolles, les rets,
les collets, les ailiers, les filets, les bourses, les jwnnoauv,
et tous autres engins propres à prendre le gibier.
au
63.1 BRACOINNAGE
La loi ancienne condamnait au fouet, à l'amende, à la M-
liissure,au bannissement et môme aux galères pour six ans,
non-seulement les braconniers d'habitude, mais ceux qui leur
aclietaient du gibier, et que l'on considérait comme leurs
complices. A la révolution de i7S9, on passa de cet excès de
rigueur à un excès de mansuétude. Le braconnage ne fut
plus considéré que commeunsiuiple délit dcchasse; mais,
à cause de cette impunité même , il était arrivé i\ un point
d'audace extraordinaire, lorsque fut promulguée la loi du
3 mai 1844. Abrogeant toutes les lois et ordonnances anté-
rieures, même en ce qui concerne les domaines de l'État,
cette loi prononce une amende de cinquante francs h deux
cents francs contre ceux qui auront chassé pendant la nuit ou
à l'aide d'engins et instnmients prohibés , d'appeaux , d'ap-
pelants, de chanterelles, etc. ; ils peuvent, en outre, être punis
d'un emprisonnement de six jours à deux mois. Si à ces
circonstances vient s'ajouter encore celle que le terrain sur
lequel le délit a été commis, est attenant à une maison lia-
l)itée ou entouré d'ime clôture, l'amende est de cent francs
à mille francs et l'emprisonnement, toujours facultatif, de
trois mois à deux ans. S'il y a récidive, c'est-à-dire condam-
nation déjà prononcée pour le môme délit dans les douze
mois précédents, les peines édictées peuvent être portées au
double.
BRACONMERE, BRAGONMÈRE ou TONNELET,
arme oflènsive du moyen âge. On nommait ainsi la partie
de l'armure attachée au bas de la cuirasse des chevaliers , et
qui servait en môme temps, comme les bandelettes des
Romains, de défense et' d'ornement. La braconnière formait
une espèce de jupon ou de panier évasé , ayant beaucoup
de ressemblance avec les tassettes; elle était à plusieurs
lames , couvrait toute la partie du corps depuis le défaut de
la cuirasse jusqu'à mi-cuisses : quelques-unes descendaient
môme jusqu'aux genoux. Les braconnières séparaient la
cuirasse des cuissards. La bordiue en drap écarlale , qui
garnit le bas de la cuirasse des carabiniers et des cuirassiers,
paraît être une réminiscence des braconnières.
BRACTÉ^VTES (du latin braclca, feuille de métal),
nom moderne d'une espèce de monnaie consistant en «ne
feuille d'argent généralement très-mince, et ayant eu cours
en Allemagne depuis la fin du onzième siècle jusqu'à la fin
du quatoi7.ième. Cette monnaie s'appelait alors denier ou
pfennig. Il est difficile d'admettre qu'elle ait été frappée
sur le modèle des monnaies byzantines, qui dans les derniers
temps étaient excessivement minces; il est plus simple de
croire qu'on a successivement diminué le poids des deniers.
Au onzième et au commencement du douzième siècle , les
bractéates portaient une double empreinte assez peu dis-
tincte, à cause du peu d'épaisseur du métal; plus tard, les
pièces devinrent si minces qu'on ne put les frapper que
d'un côté. On accorde en général une très-faible valeur ar-
tistique à cette monnaie; mais c'est une injustice, car
beaucoup de bractéates du douzième et du treizième siècle
indiquent une grande habileté et beaucoup de délicatesse de
burin. Depuis longtemps on a rejeté l'opinion que les brac-
téates avaient été frappics avec des coins de bois. A partir
du milieu du treizième siècle, l'empreinte devient si gros-
sière qu'on se figure à peine avoir sous les yeux une mon-
naie informe.
La grandeur du module varie beaucoup depuis celle d'une
j.ièce de un franc jusqu'à celle d'une pièce de cinq francs,
selon les pays. Cette monnaie était toujours d'argent, plus
ou moins fin , jamais de cuivre, et l'on n'en a trouvé
quelques pièces d'or (jne dans le Danemark. L'opinion la
plus vraisemblable est que les bractéates ont été fiappées
d'abord dans le Thuringc. On n'en fit guère usage que dans
l'Allemagne moyenne , dans l'Allemagne du nord-est et en
Pologne. On en rencontre moins fiéquemment dans l'Allc-
niague méridionale, rarement en Danemark, en Suède, etc. ;
un ne les connut ni en Italie, ni en franco, ni en Espagne.
— BRADLEY
Les grandes bractéates ces.sèrent d'être une monnaie cou-
rante en Saxe au commencement du quatorzième siècle, et
y furent supplantées, ainsi que dans les. pays voisins, par
les gros frappés à Freiberg ; mais les petites ne disparurent
en Saxe qu'au commencement du seizième siècle, et dans le
Brunswick qu'au milieu du dix-septième.
Selon toute probabilité , le nombre des bractéates a été
très-considérable; chaque année on devait retirer de la cir-
culation les vieilles , qui s'usaient et se rompaient si facile-
ment, pour en frapper de nouvelles. Ce n'est que dans ces
derniers temps que l'attention s'est fixée sur cette espèce de
monnaie et qu'on a commencé à faire des collections de
bractéates. Les anciens ouvrages d'Oléarius , Schlegel ,
Leuckfeld, Schmid, Seelander, etc., contiennent quelques
vérités parmi beaucoup d'erreurs ; mais on peut consulter le
livre de Bccker : Deux cents monnaies rares du motjen
âge (Leipzig, 1813), et surtout celui de Mader, Essai sur
les liractdates (Prague, 1308).
BRACTÉE, nom donné en botanique à de petites
feuilles situées dans le voisinage des fleurs, qui les accom-
pagnent ou s'entremêlent avec elles. On les distingue des
feuilles florales (qui accompagnent les fleurs), en ce que
celles-ci ne diffèrent pas sensiblement des autres feuilles de
la plante, tandis que les bractées offrent une grandeur, une
forme, une consistance, souvent môme une couleur parti-
culière. Les bractées naissent d'ordinaire au-dessous du
point d'insertion des fleurs, et les recouvrent avant leur
développement. Certaines sont tachées ou nuancées d'une
autre couleur que la couleur verte , commune aux feuilles
de presque toutes les plantes , comme dans un grand nombre
d'espèces du genre sauge et dans le mélampyre des champs,
dont les bractées sont purpurines. Elles restent adhérentes
plus ou moins longtemps, mais très-peu survivent à la chute
des fleurs et des fruits. Quelquefois elles forment au-dessus
des premières une touffe de feuilles en manière de couroime
ou de chevelure , comme dans la fritillaire connue sous le
nom de couronne impériale. Quelquefois aussi elles se
trouvent placées entre les fleurs, avec lesquelles elles forment,
par leur rapprochement , une espèce d'épi serré : on dit alors
qu'elles sont imbriqiices , comme dans la brunelle et l'o-
rigan.
On appelle bractcifères les individus qui portent une ou
plusieurs bractées, ou qui en sont accompagnés, et brac-
téoles les petites bractées qui viennent sur les pédicelles
dans un assemblage de fleurs où il y a plusieurs rangs de
bractées.
BRADLEY (James), astronome anglais, un des sa-
vants les plus illustres du dix-huitième siècle, naquit en IfiO'.?,
à Shireborn , dans le comté de Glocester. Destiné d'abord à
l'état ecclésiastique, il fit et acheva ses études à l'université
d'Oxford. Bientôt après il fut nommé ministre de Brisdtow
et ensuite de Welfrie, dans le comté de Pembroke. Ces fonc-
tions ne l'empêchèrent point de se livrer avec ardeur à l'é-
tude des mathématiques et de l'astronomie. Cette dernière
science avait toute sa ])rédilection, et pour aller l'enseigner
au collège de Saville à Oxford, où il fut nommé professeur,
il résigna ses deux cures à l'Age de vingt-neuf ans.
Six ans après, en 1727, il découvrit rflfterra^ionf/e /«
lumière, dont la divulgation commença sa haute renommée.
Ce phénomène, une l'ois cxpli(iué, permit d'introduire une
exactitude jusque alors inconnue dans les obsenations as-
tronomiques : la position apparente d'une étoile étant prise
à l'aide d'un instrument convenable, on put la rétablir dan.*
.sa position véritable, ou corriger sadé\iation au moyen des
vitesses connues de la terre et de la lumière.
Cependant la connaissance de l'abenation ne permettait
pas encore d'accorder sans quelques différences les obser^a-
tions faites sur les étoiles. Ces différences , quoique très-lé-
gères, n'échappèrent point à l'esprit scrutateur et profond
de Hrudley ; il les étudia sans relûche pendant plus de dix-
BRADLEY — BRADYPE
huit ans , et parvint en 1747 à fixer leur durée et la loi qui les
régissait ; il découvrit ainsi \!imitatio7i de l'axe terrestre.
Ces deux découvertes de Bradiey ne sont pas les seules
dont il ait enrichi la science, mais ce sont les plus impor-
tantes; elles ont fourni le moyen d'iutroduire une grande
exactitude dans les tables des mouvements célestes, si utiles
à l'astronomie.
Les travaux de Bradiey lui avaient (iiit proraptement une
réputation des plus brillantes . en 1730, trois ans après la
découverte de l'aberralion de la lumière, il avait été nommé
professeur d'astronomie et de philosophie naturelle an mu-
séum d'Oxford. En 1741, on lui décerna la place éminente
d'astronome royal, vacante par la mort de H al le y, et il
vint établir sa résidence dans le riche observatoire de
Greenwich. Ce lieu fut pour lui une retraite profonde, où il
consacra tout son temps atix progrès de la science qui fai-
sait ses délices. Plusieurs volumes in-folio furent remplis
en entier de ses propres observations. A ce zèle ardent pour
l'étude Bradiey joignait une modestie et un désintéressement
des plus honorables : U refusa la riche cure de Greenwich,
que le roi lui fit offrir; plus tard , lorsque la reine, étant ve-
nue à l'Observatoire royal , voulut augmenter le modique
revenu annuel de Bradiey, il la supplia de n'en rien faire,
en ajoutant : « Que si la place d'astronome royal valait quel-
que chose, on ne la donnerait plus à un astronome. »
Bradiey fut membre de la Société royale de Londres , de
l'Académie des Sciences de Paris, de celle de Pétersbourg et
de l'Institut de Bologne. Après deux années de souffrances ,
il mourut le 13 juillet 1762, à l'âge de soixante-dix ans.
Auguste Chevalier.
BRADSHA"VV ( Joira), né dans le comté de Derby, en
15SC, était avocat et jurisconsulte, lorsque éclata la révolution
d'Angleterre. La fermeté de ses principes républicains le (it
choisir pour présider la haute cour de justice chargée du
fMocès de Charles l", roi d'Angleterre; dans l'accusation
il déclara le roi électif et non héréditaire , et à ce titre, jus-
ticiable de la cour souveraine, déléguée parle peuple anglais.
Le roi refusant à plusieurs reprises de reconnaître la com-
pétence de ce tiibunal , Bradshaw déclara que l'accusé ne
comparaîtrait plus que pour entendre son arrêt , et passa
outre aux débats : l'émotion causée dans Londres par cette
grande cause fit hâter les formalités; après une deuxième
lecture de l'acte d'accusation et une délibération d'une
heure , Brads'iaw prononça la sentence en ces termes :
« La cour, convaincue que Charles Sluart est coupable des
crimes dont il est accusé, le déclare tyran, traître, meur-
trier et ennemi du bon peuple d'Angleterre ; ordonne qu'il
sera mis à mort , en séparant sa tète de son corps. » Cette
sentence était signée de soixante membres , sur soixante
neuf présents. Bradshaw, nommé ensuite président du par-
lement, eut une garde pour la sûreté de sa personne , un lo-
gement à Westminster, un traitement de 5,000 livres ster-
ling, avec des domaines considérables; mais, mécontent de
la tournure que prenaient les affaires , il se retira bientôt
du parlement, et mourut dans l'obscurité, en 1659.
Lors de la restauration de Charles II, le 30 janvier 1631,
anniversaire de l'exécution de Charles l'^'', on paya uu maçon
pour déterrer les cadavres de Cromwell, d'Ireton, songendie,
et de Bradshaw, dont les « odieuses carcasses, traînées
t,\n des claies jusqu'à Tyburu, furent pendues , puis décapi-
tées, leurs troncs infects jetés daus un trou profond, au-
dessous de la potence , leurs têtes exposées sur des pieux ,
au sommet de Westminster-Hall. » Quelques historiens pré-
tendent que, prévoyant la réaction qui allait arriver, Brad-
shaw répandit le bruit de sa mort, et se retira aux Barbades
ou à la Jamaïque, et que ce fut à un cadavre étranger que
l'on lit subir ces supplices posthumes. A. Feim.ut.
iîR ADYPE ( de PpaôO;, lent ), nom spécifique d'un genre
de mammifères de l'ordre des édcntés et de la famille des
tanligrades , vulgairement connus sous celui de parcsscitx.
635
On distingue deux espèces principales de bradypes. La
première est \'aï, ou paresseux à trois doigts {hradypus
tridactylus), qui doit le premier nom à son cri , et le second
à la particularité organique que ce nom signale. Cet animal
est de la grosseur d'un chat. Les lon;4s poils qui recouvrent
son corps sont raides, et ressemblent à de l'herbe fanée.
Leur grande quantité donne à l'aï une apparence d'embon-
point qui n'est que factice ; car il est généralement très-
maigre. Ses membres , qui sont presque aussi longs que son
corps, sont eux-mêmes très-grcles , et se terminent par des
ongles d'une extrême longueur, arqués, et dans lesquels
semblent résider toute la vigueur et toute la puissance de
l'animal. 11 n'a que deux sortes de dents : des canines e
des molaires ; les incisives n'existent pas. La tête est à peu
près arrondie, le museau court, les yeux assez éloignés l'ua
de l'autre et dirigés en avant , les narines un peu écartées et
placées à l'extrémité du museau. Les doigts de l'aï sont
soudés entre eux par une membrane qui les recouvre jus-
qu'à la racine des ongles. C'est à la longueur de ses membres
antérieurs, à l'union des doigts qui les terminent et aux on-
gles longs et crochus dont ils sont armés, que cet animal doit
l'extrême difficulté qu'il éprouve à se mouvoir. A ces causes
vient se joindre une conformation intérieure encore plus
bizarre : le bassin est tellement large et les cavités cotyloides
placées si en arrière qu'il ne peut rapprocher les cuisses ; en
outre, ses intestins sont fort courts, et il n'a point de cœ-
cum ; il est muni d'une sorte de cloaque pour la sortie com-
mune des urines et des excréments.
La femelle du bralypc a deux mamelles pectorales. Elle
ne met bas communément qu'un seul petit, qui reste cram-
ponné sur son dos pendant toute la durée de l'allaitement.
Quand il peut se passer de sa mère , celle-ci s'en débarrasse,
et l'inforluué est alors obligé de ramper pour trouver une
nourriture que la nature semble ne lui donner qu'à regret.
U est encore fort heureux pour lui qu'il ne soit pas Carni-
vore; comment ferait-il en effet pour atteindre les animaux
nécessaires à sa subsistance , lui qui met une heure à par-
courir la longueur de deux ou trois mètres?
L'aï ne peut rester à terre , la conformation de ses mem-
bres ne le lui permet pas ; aussi cherche-t-il constamment
à grimper sur les arbres. Ici encore surgissent de nouvelles
difficultés : il ne peut faire avancer son corps, il est obligé
d'y employer toute la force de ses ongles , et souvent il lui
faut trois jours pour arriver jusqu'aux premières branches;
une fois là, il semble renaître, on le dirait animé d'une
nouvelle vie ; cramponné par les pieds de devant , il laisse
pendre son corps, qui décrit alors un arc de cercle, et
reste ainsi suspendu pendant plusieurs semaines à un même
arbre, jusqu'à ce qu'il l'ait entièrement dépouillé de ses
feuilles, sa seule nourriture. Les orages , le bruit, les vents,
la pluie, rien ne lui fait lâcher prise; son épaisse fourrure le
met à l'abri de toules les intempéries des saisons ; et comme
il habite les contrées les plus chaudes du nouveau confi-
nent , il ne redoute point les rigueurs de l'hiver, qui le fe-
raient InfailliLlement périr; car l'extrême lenteur de ses mou-
vements doit le rendre très-sensible au froid. Quand l'aï est
ainsi accroché , la force musculaire qui réside dans ses mem-
bres fait qu'il est impossible de lui faire lâcher la branche
qu'il a saisie ; il faut nécessairement couper cette branche
pour faire tomber l'animal et l'emporter ainsi; la chute elle-
même ne le fait point céder ; les coups ne réussissent pas
davantage : on pourrait le tuer que la contraction musculaire
persisterait encore quelque temps.
Lorsque l'arbre sur lequel l'aï se trouve ne peut plus lui
donner de nourriture, il est bien contraint d'en chercher un
autre ; mais il éprouve trop do peine à descendre pour le faire
sur-le-champ; et ce n'est qu'après avoir enduré la faim
pendant plusieurs jours qu'il se décide, non pointa des-
cendre, mais à .se lai.sser tomber au risque de se briser sur le
sol. Heureusement que la nature l'a pourvu de côtes extrê-
8y.
G3G
CRADVPE
inriueiit solides et Je poils très-serrés et très-nules, qui diiiii-
nuent le choc. Il se roule donc en boule, et se laisse choir,
puis il s'avance lentement vers un autre arbre. C'est dans ce
trajet qu'il rencontre le plus d'ennemis : si l'homme n'est
pas friand de sa chair, il n'eu est pas de même des animaux
carnassiers qui habitent les forêts de l'Amérique; et comme
il n'a pour se défendre que ses grands bras , qu'il ne peut
lever que l'un après l'autre , et encore si lentemerit que l'on
a toujours le tenqis d'éviter le coup , il ne tarde pas à de-
venir leur proie.
L'unau ou paresseux à deux doigts ( bradypus didac-
tylus) est de moitié moins grand que l'aï; ses bras sont
moins longs, son museau plus allongé; il est, en général,
moins dis[iroportionné. Uu reste, ses mœurs ne semblent
pas différer beaucoup de celles de son congénère.
L'aï et l'unau se rencontrent dans l'Amérique méridionale,
depuis le Brésil jusqu'au Mexique. C. Favkot.
BRADYPEPSIE (de PpaSÛ;, lent, et 7T£7itw, je digère),
digestion lente , faible, imparfaite, qui constitue une maladie,
ou plutôt qui est le symptôme de plusieurs désordres ou af-
fections plus ou moins graves.
BRAGA, chef-lieu de la province du Minho (Por-
tugal),est une très-ancienne ville, située sur une hauteur, que
baigne le Cavado, à 300 kilomètres de Lisbonne. Siège d'un
archevêque primat du royaume et d'un chapitre, elle compte
une population de 15,000 âmes. Les environs en sont ra-
vissants, notamment les rives du Cavado. Dominée par un
château fort, elle contient plusieurs vastes places , une église
cathédrale riche en monuments historiques, un grand pa-
lais archiépiscopal , un séminaire et un collège. Ses habi-
tants sont très-industrieux; ils s'occupent principalement
de l'épuration de la cire, de la fabrication de chandelles de
suif et de cire, conlectionnent des couteaux , des aiguilles ,
de la toile , des chapeaux, des armes à feu , et font, en outre,
un important commerce de bestiaux. Parmi les ruines nom-
breuses qui y rappellent l'époque de la domination romaine,
on remarque surtout celles d'un temple, d'un amphithéâtre
et d'un a(pieduc. Non loin de Braga est situé, sur une
hauteur, le célèbre monastère dit Sanctuario do boni Jésus
do Monte.
Sons la domination romaine, Braga portait le nom de
Bracara Augtista. Lorsque les Suèves eurent enlevé la Lu-
sitanie aux Romains, les conquérants en firent la capitale de
leur nouvel empire. Au concile tenu l'an 5C:$, à Bracara, les
Suèves et leur roi abjurèrent solennellement l'hérésie d'A-
rius, qu'ils avaientjusque alors partagée, pour embrasser les
doctrines de l'Église catholique. Quand l'empire fondé par
les Suèves et les Visigolhs s'écroula, Braga tomba au pou-
voir des Arabes, puis, en 1040, aux mains des Castillans;
plus tard , après l'établissement de la monarchie portugaise,
elle passa à la maison de Bourgogne, et conséquemment à
la couronne de Portugal.
BRAGAIVCE (Maison de). Elle est ainsi nommée de
la ville de ce nom , chef-lieu de la province portugaise de
Tras-os-Montes, et qui fut érigée en duché l'an 1442. Cette
ville , siège d'un évêque, sulfragant de Braga, située à 440 ki-
lomètres nord-est de Lisbonne , et peuplée de 4,000 âmes ,
pourrait passer pour une des plus anciennes de l'Europe
s'il était prouvé, comme les chroniques l'assurent, qu'elle
eût été primitivement bâtie sur une montagne, l'an du monde
2015, par Brigo, roi d'Espagne, qui lui aurait donné son nom.
La maison de Bragance eut pour premier auteur Alphonse ,
fils naturel d'Agnès Ferez, et du roi Jean l", qui lui-même
était bâtard de Pierre 1", dit le Cruel ou le Justicier. Al-
phonse fut créé duc de Bragance en 1442, pendant la régence
de sou frère Pierre, duc de Counbre. 11 survécut aux six
enfants k^gitimes de son père, et momut en I4GI , alors qu'Al-
phonse V, son neveu et roi, était complètement allenni sur
le trône.
D'un premier mariage avec Béalrix de Barcelos, Alphonse
— BRAGl
laissa trois enfants, dont i'atné, Alphonse II, fut comte
d'Ourem et deuxième duc tic Bragance. Le troisième, l'i;iiai-
NAND II, fut décapité en 148:5 , sous le règne de Jean 11 , .sou
beau-lrère ; et sa veuve se retira en Caslille , avec ses enfants,
après cette terrible exécution, qui n'avait eu d'autre but que
de couper court aux complots ambitieux de la noblesse,
dont il était le chef.
Jacques, fils aîné du précédent et quatrième duc de Bra-
gance, fut rétabli dans ce titre par le roi Emmanuel, dont
il posséda les bonnes grâces, et qui n'omit rien pour lui faire
oublier la fin tragique de son père. Ce monarque , n'ayant
pas d'enfants , le désigna môme, en 149S, pour son succes-
seur éventuel.
La série des ducs de Bragance n'offre aucune particula-
rité intéressante jusqu'à Jean l""", mort en 1582. Ce prince,
époux de Catherine, petite-fille et héritière du roi Emma-
nuel, du chef de son père, vit, par suite de ce mariage,
changer en droit positif les anciennes prétentions éventuelles
de sa famille à la succession de la couronne. Ce droit s'ouvrit
en 1578, par la mort du roi Sébastien, tué en Afiiquc, et
par l'accession au trône du cardinal Henri, mort en 1580.
Catherine à celte époque revendiqua ses dioils au diadème;
mais ce ne fut que soixante ans plus tard qu'ils prévalu-
rent, quand l'ordre légitime fut rétabfi par la révolution
de 1640, qui enleva le Portugal aux Espagnols.
Tandis que Jean IV, jusque là duc de Bragance, cei-
gnait la couronne, Edouard, son frère, lieutenant général
au service de l'Empire d'Allemagne, était livré par Ferdi-
nand III à la cour de Madrid , qui l'envoyait captif au châ-
teau de Milan, où huit ans après il expirait, dans sa qua-
rante-quatrième année, de chagrin ou de poison.
Depuis Jean IV jusqu'à nos jours, la maison de Biagance a
donné au Portugal sept autres souverains, sans compter dom
Miguel, roi de fait de 1827 à 1832. Aujourd'hui elle se
divise en deux branches régnantes, la ligne masculine au
Brésil, la ligne féminine en Portugal. Dom Miguel, frère
de dom Pedro l", expulsé de ce dernier pays, a fout ré-
cemment encore , du fond de la Hesse , protesté de ses
droits au trône à propos du prochain accouchement de la
princesse qu'il a épousée.
En dehors des têtes couronnées , la maison de Bragance,
avant et depuis son avènement, a produit d'illustres person-
nages. Nous n'en citerons que deux : Conslanlin de Bra-
gance, prince du sang royal , vice-roi des Indes sous dom
Sébastien (de 1557 à 1561), vainqueur de Deacou,de Cam-
baye, de Surate, de Bobyar, de Ceyian, de Manar, guerrier
plein de modération, de bonté, de justice, mort en Por-
tugal, sans postérité; Jean de Buacance, duc de Lafoëns,
né à Lisbonne en 1719, yo dom Miguel, frère du roi
Jean V, longtemps écarté de la cour par suite de son refus
d'embrasser l'état ecclésiastique, excellant dans les belles-
lettres , dans les langues étrangères , dans les exercices du
Cflrps, dans la poésie et l'improvisation nationale, volontaire
intrépide durant toute la guerre de Sept Ans , honoré de
l'estime de Marie-Thérèse et de l'amitié de Joseph II , ayant
visité, pendant vingt ans, à diverses reprises, l'Angleterre,
l'Allemagne, la France, l'Italie, la Suisse , la Grèce, l'Asie
Mineure, l'Egypte, la Pologne, la Russie, la Laponie, la
Suède, le Danemark, membre de la Société royale de Lon-
dres, prem/f/' honneur qu'il eût dû , disait-il, à lui seul,
et président de l'Académie des Sciences de Lisbonne, dont il
était le fondateur, mort dans cette capitale en ISOC.
BRAGES ou BRAGUES. Voye; Braies.
BRAGI , lils d'Odi n et de F r i gga, est, dans la mytho-
logie Scandinave, le dieu de l'éloquence et de la [loésie. Sur
sa langue sont gravées les runes, de soiteque rien d'inepte
ne peut sortir de ses lèvres. Selon l'ancienne Edda, il est le
meilleur de tons les skaldes ou poètes, ou le créateur de
la poésie, appelée d'après lui bracjr. 11 n'est point repré-
senté, tel qu'Apollon, sous les traits d'un beau jeune
BRAGI — BRAHMA
G37
liomme , nigis sous ceux d'un homme fait et portant une
longue barbe comme Odin ; seulement son front, toujours
serein, ne porte aucune ride. Ce cleraier attribut le caracté-
rise mieux que la harpe (telyn) que Klopstocket son école
lui mettent en main. Son épouse estlilunna. C'est lui qui,
iMCc Hermode, est chargé de recevoir les héros qui arrivent
au W a I h a II a. Dans les circonstances solennelles , comme
à l'enterrement d'un roi, on apportait la coupe consacrée à
Uragi , et appelée d'après lui Braga/ull; cliacun se levait
devant elle , taisait un vœu solennel et la vidait.
On a donné récemment le nom de Bragi , Braya, et
Bragur à plusieurs journaux et autres écrits destinés à
réveiller chez les Allemands le sentiment de la nationalité.
BRAGUETTE. Suivant Roquefort, la brague , bra-
guette ou brayette, était ou le devant de la culotte, ou
la fente de devant des hauts-de-chausses, ou un lange dont on
se servait pour envelopper les enfants au berceau. On portait,
dit Voltaire , de longues braguettes détachées du liaut-de-
cliausses , et souvent au fond de ces braguettes on mettait
en réserve une orange, qu'on présentait aux dames. Rabelais
narle d'un beau Uvre intitulé : De ta Dignité des braguet-
tes. C'était la prérogative distinctive du sexe le plus noble;
aussi la Sorbonne présenta-t-elle requête pour faire brûler
Jeanne d'Arc , convaincue d'avoir porté culotte avec bra-
guette. C'est dans ce sens que le chantre de la Pucelle em-
ploie ce mot dans les vers suivants :
A son réveil, Jcanae , cherchant en vain
L'affublcmeut du harnois masculin.
Son bel annet ombrage de l'aigrclle,
Et son haubert , et sa large braguette ,
Sans raisonner saisit soudainement
D'un ëcuver le dur accoutrement , etc.
On disait autrefois braguer pour mener une vie joyeuse.
BRAIIAM ( Maurice ), célèbre ténor anglais , né a Lon-
dres, vers 1770, perdit tout jeune ses parents, qui professaient
la religion juive. Le chanteur italien Leoni se chargea de
l'orphelin , et lui enseigna le chant avec tant de succès,
qu'à l'âge de dix ans Braham se lit entendre avec applau-
dissements au théùtre royal. Il contiima à jouir de la faveur
(lu public, jusqu'à ce qu'une affection d.'î la voix le força à
renoncer, pour quelques années, à la scène. Lorsqu'il fut
heureusement guéri , il donna avec le llùtiste Ashe des con-
certs àUath, puis il entra, en 179G, au théâtre de Diury-Laiie,
et l'année suivante au Théâtre-Italien de Londres, où il ob-
tint beaucoup de succès. Le préjugé qui veut en Angle-
terre qu'un grand artiste ne puisse se former que sur le conti-
nent le força de faire un voyage en Italie. A son passage à
Paris, il donna quelques concerts très-brillants, et dans
toutes les villes d'Italie qu'il visita il se ht entendre. Sa ré-
putation grandit rapidement; en sorte qu'à la fin du siècle
I)assé pas un chanteur ne jouissait d'une renonnnée plus
étendue ni mieux méritée. Ses voyages , les leçons des meil-
leurs maîtres , la société des musiciens les plus célèbres
exercèrent la plus heureuse influence sur son talent. Les
offres les plus honorables allèrent le chercher à Hambourg,
où il se trouvait en 1801 . ]l retourna aussitôt à Londres, et
débuta au théâtre de Covent-Garden. De 1806 à 1816 il fut
attaché au Théâtre-Royal, où il rentra encore plus tard. 11
consacra une partie de la grande fortune qu'il avait gagnée
par son talent, à élever un théâtre à Londres. Quoique
arrivé à un âge avancé , il voulut accompagner ses deux
(ils Hamilton et Georges, qu'il avait formés lui-même, dans
un voyage qui leur rapporta beaucoup d'honneur et d'ar-
gent. Plus tard, il les envoya sur le continent, l'aîné à
Leipzig , le cadet à Milan , pour y achever leur éducation
Muisicale. Georges retourna en 1851 àLondres,oùilfutcouvert
d'applaudissements. Maurice Draham s'est fait aussi con-
naître comme compositeur : ses chansons surtout sont po-
liulaires en Angleterre.
BHAHE. Yoye:. Tycho-Buaue.
BRAHE (Magnus, comte de), lieutenant général sué-
dois, maréchal du royaume, chancelier et grand écuyer du
roi Charles- Jean XIV, dont il fut l'ami particulier, était
né en 1790, et descendait d'une très-ancienne famille, qui a
doimé plusieurs souverains à la Suède, compte sainte Bri-
gitte parmi ses ancêtres, et occupe le premier rang dans la
noblesse suédoise. Au nombre des personnages historiques
ayant appartenu à cette maison , nous devons surtout men-
tionner Pehr Brahe, né en 1602, gouverneur de la Fin-
lande au temps de Christine , et dont l'administration sage
et éclatée a laissé de durables souvenirs dans cette province,
qui lui dut une remarquable prospérité; il mourut en 1680,
entouré de l'estime et de la vénération générales.
Erick , comte de Br-^he , grand-père du comte Magnus ,
né en 1722 , fut décapité par ordre de la diète, comme prin-
cipal fauteur d'un complot royaliste. Le fils de celui-ci,
père du comte Magnus, jouit pendant longtemps de la plus
haute faveur auprès deBernadoUe, faveur dont Magnus
hérita tout entière et qui s'accrut encore ; car Charles-
Jean XIV le promut rapidement aux plus importantes digni-
tés du royaume, aux plus hautes charges de la couronne.
Le comte Magnus de Brahe, qui vécut constamment dans
l'intimité de l'homme que la révolution de 1809 avait donné
pour souverain à la Suède, qui ne le quitla, pour ainsi dire, pas
un seul instant pendant tout son long règne, l'accompagnant
partout, même dans ses moindres voyages, ne fut jamais
accusé d'avoir abusé de son crédit ou profité de son influence
personnelle. Presque exclusivement occupé de ce qui était re-
latif à rarmée,,dontle nouveau roi lui avait confié la direction
supérieure, il évita pendant longtemps, avec soin, d'inter-
venir dans des questions étrangères à son département; et ce
ne fut guère qu'à partir de iS'iG qu'il exerça secrètement une
influence réelle et décisive sur la marche des affaires publi-
ques. Alors seulement quelques voix, dt^Jà jalouses , sans
doute, de la faveur intime dont le comte Magnus de Eralie
jouissait auprès de Charles-Jean , s'élevèrent pour blâmer
amèrement l'omniprésence et l'omnipotence du royal fa-
vori. Mais ces clameurs injustes ne tardèrent pas à cesser,
chacun ayant acquis la preuve que ( chose bien rare assu-
rément, il faut l'avouer) l'ami du prince était cette fois un
galant homme dans toute la force de l'expression , dévoué
de cœur à son pays et à ses intérêts; que sa bienveillance et
son affabilité envers tous n'avaient rien que de naturel , et
provenaient d'un noble cœur, d'un généreux esprit, enfin
que ce n'était pas tant le roi qu'il aimait dans Charles-Jean,
que l'homme qu'il considérait, à tort ou à raison, comme le
bienfaiteur el comme le sauveur de la Suède.
Quand la maladie vint avertir Bernadotte que sa fin appro-
chait, le comte Magnus de Brahe donna tous les signes de
la douleur la plus vraie et la plus profonde; il ne quitta pas,
pendant quarante jours de suite, le chevet du vieu.v maré-
chal de l'empire passé roi , et reçut pieusement son dernier
soupir. Moins de huit mois après , lui-même descendait au
tombeau ( 16 septembre 1844 ) , quoique encore dans la force
de l'âge, mais succombant, on peut le dire, au chagrin
d'avoir perdu son royal ami. Il faut le reconnaître , il y a
dans ce fait, peut-être sans exemple, quelque chose d'aussi
honorable pour le prince qui put inspirer de tels regrets, que
pour le courtisan qui fut capable de les éprouver.
BRAHILOW. Voyez Brailow.
BRAHMA, mot sanscrit servant dans cette langue
à désigner l'Être- Suprême.
Au nom de Brahma se rattache le développement re-
ligieux de l'Inde pendant trois mille ans. A chaque nouveau
progrès de la conscience en recherche de l'essence divine,
ce mot représente une nouvelle idée; aussi emploie-t-on
quel((uefois le mot Brahmanisme pour désigner l'ensemble
du monde intellectuel de l'Inde. Le sens primitif du mot
brahma est prière, et en général tout acte saint par le(iuel
riiommc cherche à se rendre la Divinité favorable. Comme
638
BRAHMA
personnification, Brahma ( dans la forme masculine de ce
mot) est l'un des dieux particuliers des Hindous, formant
avec Vishnou et Siro la triade des divinités supérieures.
Il est le créateur du monde, qui appela le genre liumain à
l'existence et qui fit connaître les saintes écritures des Véd a s
et le code de Manou, pour servir de guides à l'homme
dans la vie On le représente reposant sur un cygne et ayant
quatre visages; ce qui lui permet de voir en même temps
tous les endroits du monde. lîrahma n'étant l'objet d'aucun
culte public, il n'y eut jamais de temples consacrés à son
culte. Le cidte pjiblic a pour objet Siva, "Vislinou et autres
dieux. Quand les écoles philosophiques se développèrent
dans l'Inde, Brahma (dans la forme neutre de ce mot) devint
un terme employé pour désigner la substance divine sans
aucun mélange de personnification ; voilà pourquoi il n'est
que l'objet d'une pieuse et religieuse contemplation. Cet être
<livin est la dernière cause de toutes choses , la base fonda-
n)entale de l'existence, à laquelle revient la seule vérité.
On essayerait vainement de le définir au moyen d'idées
terrestres; mais tout ce qui est n'existe que par cet être
divin, qui lui-même est infini.
■ [ Ces données autorisent à penser que le monotliéisme est
la doctrine antique de l'Inde, quoiqu'il soit également avéré
que ce monothéisme ne tarda pas à être transformé et
défiguré par le polythéisme, qui prit les divers attributs
donnés à la Divinité pour autant de manifestations diverses
do Dieu , et même pour autant de dieux. Ce n'est point là ,
au reste, une supposition gratuite : les savants qui ont le
plus avant pénétré dans l'étude de la philosophie et de la
religion des Hindous ont reconnu que l'antique doctrine est
le monothéisme. Le docte Colebrooke , vieilli dans l'étude
de l'Inde, dit que le monothéisme est formulé dans les doc-
trines des Védas , quoiqu'il n'y soit pas peut-être assez exac-
tement distingué du polythéisme; mais qu'il se manifeste de
plus en plus dans les écrits postérieurs de la nation , qui,
par conséquent, peut prétendre avec raison que l'unilé de
Dieu est sa doctrine religieuse. L'ancien code de Manou dit
expressément que les Védas n'enseignent qu'un seul Dieu,
comme maître suprême de tous les dieux et des hommes ,
et qui devrait être reconnu et adoré dans chaque être. Les
fragments des Védas publiés jusqu'à présent définissent
Dieu un être immatériel , invisible , au-dessus de toute re-
présentation, dont l'éternité, l'omnipotence, l'omniscience
et l'onuiiprésence éclatent dans ses ouvrages; qui est la
lumière divine et incomparable , dont tout provient et à qui
tout retourne.
Un catholique éclairé, qui a longtemps habité l'Inde
( Papi , dans ses Lettres sur l'Inde ), porte un jugement
très-juste en disant : -< Les Indiens ne reconnaissent qu'un
seul Être-Suprême , et ne sont donc rien moins qu'idolâtres,
comme on a voulu nous le faire croire sérieusement. Ils
adorent les images de leurs divinités exactement comme les
catholiques celles de la sainte Vierge, des anges et des saints,
et pas autrement , quoique la sotte et ignorante populace dé
rinde, ainsi qu'en d'autres pays, ne sache ni ce qu'elle
pense , ni ce qu'elle fait, ni ce qu'elle croit. »
Les spéculations sur Dieu, l'univers et les rapports de
l'homme et de l'univers avec Dieu, sont portées cliez les In-
diens à m\ très-haut degré de perfection ; mais la méthode
philosophique y est partout mêlée à la poésie , de sorte
(pi'il devient souvent très-difficile de distinguer le fond spé-
culatif de son enveloppe poétique.
Les anciens livres et la doctrine philosophique des In-
diens n'admettent pas en général une création tirée du
néant, quoique les diverses sectes diffèrent dans leurs
opinions sur la matière primitive : les sivaïstes enseignent
que le feu est la matière originaire, et que le monde périra
dans une conllagration générale; les vishnouistes admettent
l'eau , d'autres encore l'air , ou l'éther, comme matière pre-
mière. Selon les Védas , la force créatrice de l'univers est la
pensée de Brahma, à qui il a suffi de penser qu'il voulait
créer des mondes, pour qu'ils existassent aussitôt, en vertu
de son Verbe créateur. Or, comme dans la mythologie
hindoue tDus les attributs de l'Étre-Suprême sont person-
nifiés , la vdch, ou parole articulée ( loyos ), sort de Brahma,
espèce de déesse, comme la sagesse et la science suprêmes;
alors, pénétrant tous les êtres, elle créa d'abord le brnhman,
comme démiurge , nom identique avec Brahma , l'Être-Su-
prême.
On ne saurait douter que ces idées du logos des Indiens
n'aient pénétré de bonne heure dans l'Occident. Elles se
retrouvent dans la doctrine platonique du logos et dans
les ouvrages hermétiques des Égyptiens, où on lit (pie Dieu
a créé le monde par le logos, qui avait été le fils unique,
étemel et le plus parfait de Dieu. D'après les Védas, la
mâija ou l'imagination formatrice est un autre élément
nécessaire pour la création. Brahma , en jouant avec la
maya, a produit tout, et tient dans l'univers la même place
qu'une araignée dans sa toile ; il est le centre unique, exclu-
sif, d'où tout part et où tout vient aboutir.
Dans un autre endroit des Védas, où l'on traite de la
création, il est dit qu'il n'y avait d'abord ni être ni non-
être ( at et asat ), c'est-à-dire qu'il n'y avait pas encore
d'existence déterminée , mais que l'être général ( Tad ) ou
Brahma se manifesta lui-même pour l'être, tandis que la
maya flottait autour de lui dans un brouillard sans formes.
L'Ètre-Suprême ayant commencé à se contempler lui-même
dans l'éclat de la maya , cette contemplation dissipa les
ténèbres; et l'amour devint dans son âme une force pro-
ductrice de la création. Cette doctrine sur la maya, comme
force productrice, est devenue, par méprise, la base
d'un idéalisme qui nie toute existence matérielle. L'école
philosophique de Vedanti , confondant cette maya divine
avec l'imagination , qui est souvent trompeuse, regarde le
monde comme le produit de la raâya , toute réalité comme
une simple apparence et une illusion. Dans le code de
Manou , on trouve aussi l'idée cosmogonique de l'œuf du
monde, idée qui se reproduit également chez les Chinois, les
Japonais, les Assyriens, les Égyptiens et autres peuples.
H y est dit : Lorsque Tiiternel, l'Invisible, qui ne peut
être approfondi que par la raison, voulut créer des êtres de
sa propre substance divine, il créa d'abord par une pensée
l'eau, et il y mit la semence. Celle-ci devint un œuf brillant
comme le soleil , et ce fut en cet œuf que se <iéveloppa
Brahma, la force créatrice de l'Éternel, qui brisa par la
pensée, après une année d'incubation, l'œuf qui le contenait,
et dont les deux moitiés se transformèrent ensuite en ciel
ou éther, et en terre.
Un point fondamental de la doctrine de Brahma, c'est que
Dieu a créé tout bien, et que l'homme, comme créature
libre, est seul coupable du mal moral qui existe. Quand
l'Éternel, selon la cosmogonie des Védas, eut prononcé le
verbe créateur, aussitôt naquirent les prototypes spirituels
de toute vie, qui résident continuellement dans l'éther. C'est
ainsi que dans la doctrine du Zend des Parses les pensées
du Créateur devinrent les esprits purs et immortels {pei-
■wers) des futurs êtres organiques. Ces divâs oasuvds,
comparables aux anges chez les Juifs , qui en développèrent
la doctrine , surtout après leur retour de captivité , jouirent
longtemps de leur liberté dans le sein de la béatitude,
jusqu'à ce que l'un d'eux, par orgueil et envie, se détourna
de l'Éternel, séduisit d'autres esprits, et causa ainsi la perte
de la béatitude. C'est alors que l'Étre-Suprême résolut de
créer le monde matériel, et d'y bannir les esprits déchus, pour ■
les soumettre à un état d'épreuve et de renouvellement, j
L'âme humaine resta une image ( type, murti ) de la Di-
vinité; car un souffle divm nous anime tous, et nous
sommes tous de la même substance.
Une conséquence de cette chute et de la création du monde
matériel fut la n)élempsyobse ou plutôt metensomaibsis ,
BRAHMA — BRAHMAPOUTRA
G39
c'est-à-dire la migration de l'àme dans des corps différents,
môme dans des animaux et des plantes , selon la valeur des
actions de l'homme. Mais comme la Divinité, dans sa mi-
séricorde pour les hommes, est descendue plusieurs fois
sur la terre pour leur donner une révélation et une loi ca-
pable de servir de règle à leurs actions , elle a fixé la durée
de ce monde matériel à 12,000, et selon d'autres à 432,000
années. Quand ce terme sera expiré , la Divinité apparaîtra
de nouveau, détruira le monde matériel, et établira un
royaume divin , spirituel. La chute des esprits a eu aussi des
conséquences fatales pour la t«rre : les pôles ont cliangé
lie position, les étoiles se sont égarées de leur route, et toute
la terre a été punie par un déluge. Aussi toute vie sur cette
terre est-elle une vie de punition, de combat contre le tnal
et la matière, sans repos, sans stabilité.
La religion et la philosophie indiennes se bornant à in-
diquer les causes et les conséquences de la chute de l'homme
et de tout l'univers, sans insister sur l'indispensable nécessité
de notre spontanéité active pour parvenir à un meilleur
état futur, j'indienaltendinactif le salutdu genre humain,
qui doit venir de l'écoulement paisible des trois âges mal-
heureux du monde. Alors commencera la quatrième ère du
royaume divin, où le monde se renouvellera, où les dieux
inférieurs eux-mêmes disparaîtront , et où Dieu sera tout en
tout. Comme aux yeux de l'Indien la Divinité est répandue
dans toute la nature, chaque être, l'animal, la plante
même , peuvent prétendre à un saint ménagement et à une
vive sympathie de la part de l'iiomme; et cependant, par
une de ces contradictions dont abonde l'esprit liumaiu , ce
même Indien, qui se ferait scrupule de tuer le moindre
insecte, se montrera barbare non-seulement envers le paria,
mais encore envers lui-même. Il détestera et persécutera le
paria, parce qu'il le regardera comme un être impur, qu'il
faut fuir, si on veut éviter sa contagion; il le traitera avec
dureté, pour l'empêcher de transgresser les limites de l'état
d'infériorité auquel il est condamné; enfin, il deviendra
son propre bourreau , dans la conviction où il est que les
soufl'rances physiques de l'homme sont agréables à Brahma.
L'lilre-Suprême,ou Parabrahma, est emblématiquement
représenté par un cercle dans un triangle, et dans le langage,
par la syllabe mystérieuse Om, résultant des lettres A , U
et M, par laquelle commence et finit la lecture de chaque
Écriture sainte. Le nombre des sectateurs de Brahma s'é-
lève de quatre- vingt à cent millions.
H. AuKENs (de Gœttingue ) ].
BRAHMANES, BRAHMES ou BRA.MINES, en hindou
Bnihmana , c'est-à-dire , fils de Brahma, di\ins. C'est amsl
que les Hindous désignent leurs théologiens. Ils forment la
première des quatre castes héréditaires de l'Inde. Leur mis-
sion est de conserver dans tonte sa pureté la religion de
Brahma. Dès lors leur devoir est d'étudier les Védas , de
veiller aux sacrifices et au culte des temples. Ils doivent
aussi servir de conseillers aux princes et d'assesseurs à la
justice, enfin consoler comme médecins l'humanité souf-
frante. Les lois anciennes des Hindous exaltent avec les ex-
pressions les plus enthousiastes leur sainteté et leur invio-
labilité; et la tradition indienne explique leur dignité en
disant que cette caste est sortie de la tête de Brahma, tandis
que les trois autres, celles des guerriers, des bourgeois et
des serviteurs , sont issues des parties inférieures de son
corps. A[)rès avoir été reçu membre de sa caste par Fim-
position solennelle d'une bandelette, le jeune Brahmane
commence l'étude des livres saints et itas&e brafnnatsc/iâri.
Dès qu'il atteint l'âge de puberté, il est tenu de se marier et
de fonder un ménage en qualité de grihastà. Lorsqu'il lui
est né un fils et qu'il l'a élevé sous ses propres yeux jusqu'à
l'âge (le l'adolescence pour le préparer à sa sainte vocation,
son devoir est de fuir désormais le monde et de se retirer
en qualité de Vanapraslhâ dans la solitude de quelque
forêt pour s'y livrer à des méditations sur la Divinité, jusqu'à
ce que, purifié de tout élément terrestre, il parvienne à la
contemplation de Dieu et s'en retourne être pur, comme
Sannyasi, à la source primitive de toute existence.
Aujourd'hui encore les Braminesjouissent dans l'Inde d'une
extrême considération, et remplissent des emplois importants
à la cour des différents princes. Cependant il en est aussi
beaucoup parmi eux qui vivent dans l'indigence et sont
obligés d'embrasser des industries qui ne répondent guère
à leur vocation originelle.
BRAHMANISME, religion de Brahma.
BRAHMAPOUTRA, grand fieuve d'Asie, rival et
affluent du Gange, avec les eaux sacrées duquel il vient
confondre les siennes , au sud de Dakka , dans un de ses
principaux embranchements, un peu avant qu'il aille par
mille embouchures diverses se jeter dans le golfe du Ben-
gale. On ne connaît pas encore, à la vérité, le point précis
où son cours supérieur se rattache à son cours inférieur ; mais
ce qu'il y a de plus vraisemblable, c'est qu'il se confond avec
le Dsang-bo-Tsiou du Thibet, dont les sources sont situées
au nord de l'Himalaya, à l'est du lac Manasa, non loin de
celles de l'Indus. On peut en inférer que dans son par-
cours le Brahmapoutra se divise en trois grands embran-
chements : 1° le Brahmapoutra supérieur, sous le nom
de Dsang-bo-ïsiou, qui arrose le plateau du Thibet, et côtoie
les contre-forts septentrionaux de l'Himalaya dans la direc-
tion de l'ouest à l'est pendant l'espace de 200 myriamèlrcs ;
2° son cours central , à travers l'Assam , de l'est à l'ouest ,
pendant un espace de 75 myriamètres, sous le nom tantôt
de Brahmapoutra, tantôt de Lohitiya, c'est-à-dire fieuve
rouge, ^orj-Zo/ri^, c'est-à-dire vieux fleuve, ou âejleicve
supérieur de l'Assam;3''le Brahmapoutrain/érieur, àoiit
le cours se prolonge sur un espace de 50 myriamètres en
tiaversant la vallée du Bengale dans la direction du nord au
sud, sous la dénomination de Meyna. Ce n'est que par les
renseignements recueillis après la guerre des Birmans, dans
les années 1825 et 1826, qu'on a acquis des notions un peu
précises sur son cours central.
Trois grandes rivières, le Dihong, le Dibong et le Lohit
confondent leurs eaux au-dessous de Sodiya, par 27" 50' de
latitude septentrionale et 90° 30' de longitude orientale, avec
celles du Brahmapoutra, qui traverse alors l'Assam jusqu'à
Goalpara. De ces trois rivières, le Lohit est la mieux connue
et celle qui remonte le plus au nord-est. 11 s'appelle dans
son cours supérieur ra/owAa, prend sa source dans les
montagnes couvertes de neige dites Doung-Djou-Gangri ,
dernier prolongement de l'Himalaya à l'est, et ne tarde pas
à se réunir au Talouding, qui vient de l'est. Après avoir re-
cueilli dans le pays des Mismis, à gauche, \eGouloum-Ti
elle Lat-Ti, et s'être frayé plus loin un passage à travers
les chaînes élevées de Langtân, où il forme une profonde et
sauvage vallée, il reçoit pour la première fois le nom sacré
de Brahmapoutra, c'est-à-dire ^Zst/e Brahma. C'est à ce
point que s'élèvent au-dessus du bassin sacré, désigné sous le
nom de Brahma-Kand, les infranchissables crêtes du Deo-
Bori , c'est-à-dire demeure de la Divinité, et, au sud, le pic
Dupha-Boum des monts Langtân , qui atteint une élévation
de 4548 mètres. A l'ouest s'ouvre la vallée.
Le fieuve se divise encore, en avant de Sodiya et en en-
tourant les plaines de Soukato, en Bar i- Lohit du nord et en
So2fkato-méridional, rivière dont des cataractes et des
rapides rendent la navigation extrêmement difficile. Le
Brahmapoutra entre alors dans le pays d'Assam et reçoit
encore, au-dessus de Sodiya, le Tenga-Pani elle Noh-Di-
hing venant du pays de Sinhphos, et sur sa rive droite la
Kundil-Pani , sur les bords duquel est construite Sodiyn,
résidence du gouverneur de l'Assam supérieur. Au-dessous
de cette ville il se réunit à l'embranchement le plus occi-
dental du Diliong, l'embranchement central du Dibong pré-
sentant une masse d'eau deux fois plus considérable que Iq
Lohit. Le cours inférieur du Brahmapoutra dans la valléa
CIO
BRAHMAPOUTRE — BRAMANTE
du Bengale commence au-dessous de Goalpara, et, après avoir
contourné les monts Garrows, il forme déjà au-dessus de
Siiirpour une multitude d'embranchements qui se dévelop-
pent de la manière la plus capricieuse dans une contrée af-
fectant la forme d'un delta , sujette dès lors aux inondations
et ayant de nombreuses communications avec le Gange. La
Megna , qui avait toujours été jadis le plus grand des cou-
rants [lar lesquels s'éciiapnait cette prodigieuse quantité
d'eau, se rétrécit et dinunue maintenant visiblement de
profondeur, de sorte que du mois de décembre au mois de
juin la navigation y devient toujours plus difficile au-dessus
deDakka; tandis qu'à partir de Shirpour, le Icnèyc, l'un
des déversoirs du Gange , arrive à prendre chaque année
plus d'ampleur et ne tardera pas à constituer l'embranche-
ment le plus considérable du Brahmapoutra.
De même que le Gange est adoré par les Hindous sous la
forme féminine, le Brahmapoutra l'est sous la forme mascu-
line, en sa qualité de fils de Brahma, de la bouche duquel
il soit, dit-on. L'Hindou va en pèlerinage à ses sources, le Tlii-
liélain à ses cmboucluKes; et là où les deux fleuves confon-
dent leurs eaux, s'dève dans l'île de Ganga-Sagar, l'une
des pagodes les plus vénérrîes qu'il y ait dans toute l'Inde.
BRAIIMES. Votjez Brahmanes.
BRAIIOUIS ou CRAHOUÉS, Voyez Béloudjistan.
BRAl. Le braï proprement dit, ou brai sec, qu'on ap-
lielle encore fl/"c«?!.>;o?!, est le résidu que laisse la térében-
thine traitée par la distillation pour en extraire l'huile
volatile dite essence de térébenthine dans le commerce. La
colophane, avant sa purification , n'est elle-même autre
chose que le brai sec. 100 parties pondérables de térében-
thine de France donnent assez communément de 12 à 15 par-
ties d'essence volatile, et de 85 à 88 parties de brai sec ou co-
lopiiane brute , plus ou moins charbonnée.
On a assez improprement imposé le nom de brai gras à
un mélange artiliciel, composé de parties égales en poids,
de goudron , de brai sec et de poix grasse. Ce mélange
s'obtient de la manière suivante : on fait préalablement
chaufler le goudron dans un vase en fonte de fer ; on y ajoute
la poix grasse par portions , et, lorsque ces deux premières
.substances sont bien incorporées et Ikiuéfiées, on finit par la
])rojection du brai sec réduit en poudre grossière ou en pe-
tits fragments. Le tout fond ensemble, s'incorpore, et qiiaiid
la masse paraît bien homogène, on la coule dans des ton-
neaux ou autres moules , pour la livrer au commerce. Une
plus grande proportion de brai sec dans ce mélange consti-
tue ce qu'on appelle poix bâtarde. Pelouze père.
BRAIE, FAUSSE-BRAIE (forii/îca^jon). Voy. Fausse-
BRAIE.
BRAIES, BRAGES ou BRAGUES, vieux mots qui si-
gnifiaient également autrefois ce que l'on a depuis nommé
haut-de-chausses, puis culotte, c'est-à-dire un
^vêtement propre à couvrir le corps depuis la ceinture jus-
qu'aux genoux, et d'où la Gaule narbonnaise avait été ap-
pelée jadis Braccata et ses habitants Braccati. De
bragues ou brages est venu le mot grègves, pris dans la
môme acception, et l'on a donné le nom de braguette
ou brayette à l'ouverture pratiquée sur le devant de ce vê-
tement.
Quoique l'usage des braies fût établi à Rome dès le temps
d'Auguste , Tacite l'appelle une sorte de vêtement barbare ,
parce qu'il venait des Gètes, des Sarmates, des Germains et
des Gaulois, d'où il a passé chez nous, ainsi que chez les au-
tres peuples modernes. Les habitants de THelvétie et de la
Bretagne , moins sujets que les autres Gaulois aux invasions
des peuples étrangers et, par conséquent, aux bouleversements
qui les suivent, n'ont pas encore quitté l'usage des braies.
Le gros de la nation gauloise les conserva même après la con-
(piête des Francs. Charlemagne, fidèle au vêlement de ses an-
cêtres, disait avec humeur à ses Francs : « Voilà nos hommes
libres qui prennent les habits du peuple qu'ils ont vaincu. >.
Braie se dit encore, sur mer, d'une enveloppe de cuir ou
de toile cirée, dont on entoure le pied du mât, ou l'ouver-
ture par où passe la barre du gouvernail , afin d'empêcher
que l'ean ne pénètre à fond de cale par ce passage.
BRAÏLOW, BRAILA ou encore IBRAIL, après Giur-
gewo, la forteresse la plus importante delà Valachie, sur
la rive septentrionale du Danube, est bâtie à l'embouchure
du Sireth dans le Danube, lequel se partage là en six bras
qui entourent un territoire resté neutre entre les Russes et
les Turcs. L'un de ces bras forme le port de la ville, dont la
population selève à 18,000 habitants. On exporte de Braïlow
de grandes quantités de blé de la Valachie pour Constanti-
nople ; et la pêche des esturgeons dans la mer Noire y est
aussi un élément très-actif de prospérité. Pendant les guerres
du siècle dernier contre la Turquie, Drailow fut assiégée et
prise plusieurs fois par les Russes , qui la livrèrent aux
flammes en 1770. Restituée aux Turcs en 1774 par le traité
de paix de Kaïnardji, elle fut alors fortifiée à l'européenne.
Dans la dernière guerre entre la Russie et la Turquie,
Braïlow succomba encore, en l.?28, après une vigoureuse
résistance ; mais la paix d'AndrinopIe la rendit de nouveau
aux Turcs.
BRAIRE ou BRAI!\IENT se dit, par onomatopée, du
son que fait entendre l'âne lorsqu'il crie, et cette action est
indiquée elle-même par le verbe braire, qui, par extension,
s'applique aux accents humains lorsqu'ils proviennent d'une
voix rauque, dure et désagréable; d'où sont venus également
les mots brailler, braillard et braiUeur, pris dans la
même acception , et toujours en mauvaise pai-t.
BRAKENBURG (Régnier) , peintre hollandais, né à
Harlem, en 1G50, fut l'élève d'Adrien van Ostude. L'exemple
de son maître et son propre goût pour le plaisir le portèrent à
peindre des scènes de genre, pleines de gaieté et empruntées
généralement aux mœurs du peuple. Ses tableaux se dis-
tinguent par une exécution soignée comme par la fraîcheur
et la vigueur du coloris. Il a été moins heureux dans le des-
sin. Il travailla longtemps dans la Frise, et mourut à Har-
lem, en 1702.
BRAMANTE, dont le véritable nom était Donato La-
zARRi, né en 1444, à Monte-Asdroaldo , dans le duché d'Ur-
bino , fut l'un des architectes les plus célèbres qu'ait produits
l'Italie, et en même temps peintre distingué. Destiné par
son pèreà la peinture, mais passionné pour l'art de Brunel-
I e s c bi, il alla d'abord en Lombardie admirer le fameux dôme
de Milan , étudia les règles de la perspective et les mesures
de l'antiquité sur les dessins des plus habiles architectes. do
son siècle, et partit enfin pour Rome et pour Naples, qui lui
promettaient de plus grands modèles. L'architecture privée,
dont le luxe est si facile et si naturel aux Italiens, commença
cette réputation que devait achever la basilique de Saint-
Pierre, et le génie de Bramante rencontra celui du pape
Jules I T. L'ingénieux architecte, chargé d'abord de joindre
le Belvédère au Vatican, dont il était séparé par un petit val-
lon, entoura ce vallon de galeries magnifiques, et l'on admira
surfout dans cet édifice un escalier en spirale, décoré des
trois ordres grecs, par lequel un cavalier eût pu facilement
monter. Ces travaux, exécutés avec tant de promptitude,
compromirent la solidité du Vatican, qui bientôt menaça
ruine; aussi plus tard, par un excès de prudence. Sixte V
fit-il détruire les ouvrages encore imparfaits de Jules II.
Devenu scelleur de la chancellerie pour prix de ses ser-
vices, inventeur d'ime machine pour sceller les bulle?, ingé-
nieur dans la guerre de laMir^ndole, Bramante entreprit enfin
la basilique de Saint-Pierre, cette grande épopée architecto-
nique, comme ditGœthe, finie par Raphaël et Julien de San-
Galio, Péruzzi et Michel-Ange. Dès que Jules II eut résolu
d'abattre l'ancienne égli.se et d'en élever une qui fût dignu
de la cni)itale du monde chrétien, Bramante lui soumit plu-
sieurs plans, et se mit en devoir d'exécuter avec sa prompti-
tude ordinaire le plan de l'église aux deux clochers, qui fut
BRAMANTE ~ BRANCHE
641
adopté tel qui fut représenté par Corodasso sur l'une des
inéilailles frappées en son honneur sous les pontificats de
Jules II et de Léon X. Il parait que Timpaticnce du pape
égala celle de l'architecte, car la notivelle église, dont les
premiers travaux de fondation datent de 1506 , fut élevée jus-
qu'à l'entablement avant la mort de Jules II et de Bramante
(1514). Riais pour un pareil ouvrage ce n'était pas trop d'un
siècle et de Mie bel -Ange; d'ailleurs, les plans primitifs en
furent singulièrement modifiés. On a justement reproché au
Bramojite d'avoir, dans sa précipitation à renverser l'an-
cienne basilique , anéanti de curieux monuments, des colon-
nes, des tombeaux de papes, des mosaïques , des peintures.
On a conservé de lui quelques tableaux, finit de ses pre-
mières études en peinture ; on lui attribue quelques fresques
dans le Milanais, et l'on cite, parmi ses nombreux travaux
avant la construction de la basilique, le cloître des pères de
la Paix, la fontaine de Transtevère, celle de la place Saint-
Pierre, le palais de la chancellerie et le palais Giraud (au-
jourd'hui Torlonia). Il (it élever après la basilique le palais
qui appartint à Raphaël d'Urbin, dont les colonnes sont d'un
seul jet et de briques mêlées. En 1756 on a retrouvé dans la
bibliothèque de Milan, et imprimé la môme année, ses ou-
Trages sur l'architecture, sur la pei*spective et sur la struc-
ture du corps humain.
Bramante mourut en 1514, âgé de soixante-dix ans, pleuré
dé tous les artistes qui avaient connu son obligeance, sa gaieté,
et sa bienveillance pour le mérite. Il n'avait jamais éprouvé
cettt; sombre jalousie des artistes italiens, si fougueuse dans
Michel-Ange; il fit venir à Rome, il entretint pendant
quelque temps et il fit connaître à Jules II le fameux Raphaël
d'Urbin, son élève en architecture, qui plaça le portrait
de son maître au Vatican, dans l'École d'Athènes. Son élève
favori fut Barthélemi Suardi, dit iZ liramantino, qui lit à
fresque des portraits si beaux , que Grovio demanda la per-
mission de les copier avant ([u'ils fissent place dans le Vatican
aux fresques de Raphaël. Bramantino est l'auteur du Saint-
Michel qu'on admire à Milan dans la galerie IMelzi, et il a bâti
l'église Saint-Safyre dans la même ville. T. Tocssenel.
BRAMANTIIXO (11). Voyez Bramante.
BRAMER, se dit, par onomatopée, du cri de plusieurs
animaux, plus particulièrement de celui du cerf, et a pour
origine le verbe grec PpsjjLetv, frémir, rugir, dont les Italiens
ont fait leur verbe bramare, par lequel ils expriment aussi
l'action de braire. JîrajJter a été employé autrefois dans
l'acception du cri humain.
BRA5IL\ES, BRAMLXS ou BRAMES. Voy. Brahmanes.
BRANCARD, espèce de civière à bras et à pieds, sur
laquelle on transporte un malade couché , ou des nicubles ,
des objets fragiles, etc.
Le brancard était autrefois une marque d'honneur et de
distinction qui n'appartenait qu'à la noblesse, dont les mem-
bres avaient seuls le droit de se faire porter à l'église le
jour de leurs noces, sur un brancard, avec un fagot d'épines
et de genièvre.
Les brancards d'une voiture à timon et à quatre roues
sont les deux pièces de bois, droites et courbées, qui joi-
gnent le train de derrière à celui de devant. Dans les voi-
tures à deux roues et charrettes, on nomme brancards les
deux pièces de bois qui se prolongent en avant et entre les-
quelles est placé le cheval.
BRAIVCAS (Famille de). La maison de Brancas est
originaire du royaume de Kaples, oii elle figurait parmi les
plus illustres dès le douzième siècle, sous le nom de Bran-
caccio. Les fables qui entourent le berceau de toutes les an-
ciennes races n'ont pas manqué à celle-ci. Plusieurs légendes
et chroniques pieuses racontent naïvement que les saintes
Candide si révérées à Napleset martyrisées l'an 73 de notre
ère étaient des rejetons de la maison de Brancaccio. Cette
tradition a valu aux aînés de la famille le nom de premier
gentilhomme chrétien.
DICT. DE I.A CONVEIIS. — T. III.
Basile de Brancas fut le premier qui vint s'éfnWir en
France sous Charles VII, par attachement pour la seconde
maison d'Anjou. Lorsque cette maison fut obligée de quitter
l'Italie, Branc;as la suivit en Provence, où ses services furent
récompensés par plusieurs grands fiefs, tels que la ba-
ronnie d'Oyse , le marquisat de Villars et le comté de Lau-
raguais.
Son petit-fils, Barthélémy, épousa une fille du comte de
Forcalquier, dont les Brancas prirent quelquefois le titre.
La posSérité de Barthélémy se divisa en deux branches piin-
cijiales. L'aince prenait alternativement le nom de Forcat-
quier-Brancas et de Céresle, avec le titre de duc et de
grand d'Espagne; à la cadette appartenaient les noms de Lau-
raguais et de Villars.
Louis, marquis deCéreste, de la branche aînée, servit
honorablement sur terre et sur mer, sons Louis XIV et
Louis XV. Il était entré au service en 1690, et ne le quitta
que pour exercer à deux reprises les fonctions d'ambassa-
deur à la cour de Madrid. Il fut créé chevalier des Ordres du
roi en 1724, grand d'Espagne en 1730, et maréchal de France
en 1741.
Louis-Paul DE Brancas, fils du précédent, titré duc de
Céreste en 1785, mourut pendant la révolution française.
C'était le dernier rejeton de la branche aînée.
André de Brancas, dit Vamiral de Villars, issu de la
branche cadette , se jeta dans le parti de la Ligue et des
Espagnols, et songea, si l'on en croit le président llénault,
à se faire de la Normandie une seigneurie indépendante. Il
se maintint dans Rouen longtemps après l'abjuration de
Henri IV, et ne se soumit, comme tous les grands chefs ca-
tholiques, qu'en faisant ses conditions. Les négociations de
Sully le rattachèrent à la cause de la France ; mais il tomba,
au siège de Poullens, dans les mains des Espagnols, qui le
massacrèrent de sang-froid pour se venger de sa défection.
Georges de Brancas, frère puîné de l'amiral et gouver-
neur du Havre, obtint, en récompense de ses senices, l'é-
rection du marquisat de Villars en duché-pairie par Uttres
de 1 626, qui ne furent définitivement enregistrées au parle-
ment de Paris qu'en 1712. Il ne faut pas confondre ce du-
ché avec celui qui fut érigé en faveur du maréchal de Vil-
lars, issu d'une famille d'échevinage de Lyon.
Louis-Léon, duc de BK.\i\CAS-LAnRACUAis, pair de France,
auteur de plusieurs ouvrages en vers et en prose, mourut
en 1824; il eut pour successeur à la pairie son neveu, le
comte, depuis duc de Brancas, qui n'a eu que deux filles.
En lui s'éteint la branche cadette; la grandesse passera
à la ligne italienne.
BRANCHE, division du tronc d'un arbre, subdivi,<;ée
ordinairement elle-même en rameaux. Ce mot vient <lu
latin branca, formé de bracliium, parce que les branches
sont comme les bras des arbres.
Toutes les parties qui concourent à former le tronc, dit
l'abbé Rozier, se retrouvent dans la branche. Ainsi, on y
remarque, au centre , un filet de moelle proportionné à la
grosseur et à l'âge de la branche, le bois proprement dit,
composé de fibres et de vaisseaux ; une espèce d'aubier, sur-
tout dans les grosses branches; des couches corticales, en-
fin un épiderme. Comme le tronc, la branche a ses yeux,
ses boutons, ses bourgeons, ses feuilles, et, de plus que le
tronc proprement dit, les fleurs et les fruits, que les
branches paraissent directement destinées à produire.
Quelques arbres seuls font exception à cette loi générale ,
le .'^aînier, par exemple, sur le tronc duquel naissent,
ainsi que sur les branches, des bou<iuets de lleurs auxquels
succèdent les fruits ou graines. La branche est donc
un petit arbre dont toutes les parties sont développ-^es,
enté sur un plus gros, qui lui founiit une partie de sa
nourriture , la sève ascendante ou terrestre. Ajoutons en-
core, pour compléter l'analogie, que les branches sont sus-
ceptibles de pousser des racines quand on les plante «a
81
643
BRANCHE — BRANCHIE
terre («oycs Bouture). Mais, en raison de la place qu'elles
occiipeut , elles n'en ont pas besoin; et les fibres, tant li-
gneuses que corticales, par lesquelles elles sont implantées
dans la tige leur en tiennent lieu et leur rendent le même
service.
De même que les b o u r g e o n s , dont elles proviennent, les
brancbes ont élé divisées par les jardiniers en branches à
bois (qui ne portent que des feuilles) et en branches à
fruits.
Le mot branche s'emploie aussi , par analogie , dans une
foule d'acceptions : on dit une bronche de corail, les bran-
ches d'un chandelier, d'une balance, etc.; on appelle éga-
lement ainsi, en analomie, les rameaux qui sortent d'une
grosse veine, et particulièrement de la veine-cave ; en termes
de chasseur, les branches sont les deux parties du bois d'un
cerf; en termes d'équitalion , ce sont les deux pièces de fer
qui tiennent au mors d'un cheval, et où la bride est attachée;
en termes d'architecture, les arcs des voûtes, des ogives, etc. ;
en termes de géométrie, les branches infinies des courbes
sont les parties qui s'étendent à l'infini : telles sont les bran-
ches infinies de l'hyperbole et de la parabole.
Enfin, on applique la même expression aux familles diffé-
rentes qui sortent d'une source commune , et que l'on dis-
tingue en branche ainée ou branche cadette, branche
masculine ou branche féminine.
Chez les anciens, la branche des suppliants était un
rameau d'olivier sacré, environné de bandelettes de laine
blanciie. Thésée, avant de partir pour l'île de Crète, où il
allait conduire les enfants des Athéniens que le sort avait
destinés à être dévorés par le Minotaure, se rendit au temple
de Delphes, et y offrit pour eux à Apollon cette branche des
suppliants.
Au figuré, être comme l'oiseau sur la branche, c'est être
dans une position incertaine et précaire.
BRAA'CïlELLIOiV, nom donné par M. Savigni à un
genre d'annélidcs, ou vers à sang rouge, rangés parmi les
animaux parasites et pourvus d'appendices saillants qu'on a
pris pour des branchies. De Biainville, de son coté,
leur applique celui de branchiobdelle (de ^çiyyj.a, bran-
chies, et p5£X),a, sangf^ue), parce que ces animaux sucent
le sang de certains poissons; et ce dernier nom a été donné
aussi par M. Auguste Odier à une annélide qu'il a observée
sur les branchies de l'écrevisse.
BRAi\CllE-URSL\E ou BRANC-URSINE, nom vul-
gaire de l'acanthe sans épines {acanthus mollis).
On donne le nom défausse branche-ursine à une espèce
de berce.
BRANCIIIAL. Ce terme d'anatomie et de zoologie si-
gnifieçMJ a trait aux branchies. Toutes les parties qui
entrent dans la composition d'une branchie sont suscep-
tibles d'être spécifiées par cette épithète : tels sont les
vaisseaux et les nerfs branchiaux, les arcs osseux ou
cartilagineux branchiaux. Les parties qui meuvent les
pièces solides en forme d'arcs sur lesquelles se ramifient ces
vaisseaux et ces neris sont aussi désignées sous le nom
de muscles branchiaux. Lorsqu'on groupe naturellement
toutes les parties qui concourent au fonctionnement de la
respiration aquatique effectuée par les branchies, on forme
Y appareil branchial. Cet appareil comprend, l°les parties
qui attirent et servent à l'intioduction de l'eau aérée pour
ce genre de respiration ; 2° celles où se fait l'absorption de
l'oxygène de l'air contenu dans l'eau , et 3" celles par le mé-
canisme desquelles l'eau qui a servi à la respiration est ex-
pulsée. En outre de ce mécanisme pour admettre et rejeter
l'eau nécessaire à la respiration branciiiale, les parties qui
l'exécutent agissent encore comme organes protecteurs de
la partie essentielle de l'appareil , qui est la branchie pro-
|>rementdite. Ces parties protectrices prennent alors les noms
d'operc«/es, Aq pièces branchiostéges. Les ouver-
tures par lesquelles sort l'eau qui a été en contact avec les
branchies prennent les noms de trous branchiaux ou de
fentes branchiales.
Les pièces osseuses ou cartilagineuses qui forment lai
charpente branchiale des poissons étant très-nombreuses,]
on les a distinguées en médianes, dont la série constitue
une sorte de sternum branchial, et en latérales, qui sont]
les rayons, arcs ou cerceaux branchiaux, qu'il ne (^aut pas]
confondre avec les côtes branchiales. L. Lauhent.
BRAIVCIIIALE. Parmi les poissons du sous-genre]
ammocète, de la famille des suceurs de Cuvier, se trouve une
espèce qui porte les noms de pétromyzon branchialis
(voyez LxHrnoiE) et de branchiale, parce qu'elle suce,!
dit-on, le sang des branchies des autres poissons. C'est cette!
espèce qu'on appelle communément 5pp/ œils. Elle s'enfonce
dans le sable, et y respire en attirant l'eau par un mécanisme
particulier. Elle est verte sur le dos, et blanche sous le ven-
tre. Sa longueur est d'environ quinze centimètres. Elle est
d'un goût agréable ; mais sa foime, ressemblant à celle d'un
ver, en dégoûte les personnes délicates. On la nomme encore
lamprillon , lamproyon , chatouille, et quelquefois aussi
civelle, dénomination qui est |ilus souvent employée sur les
bords de la Loire pour désigner les jeunes anguilles.
BRANCIIIDES, famille sacerdotale, originaire de
Milet, ville d'ionie, où elle desservait un temple dédié à
Apollon. Ce temple, appelé Didyméon , était célèbre dans le
monde païen par son oracle. Le dieu y était adoré comme
auteur de la lumière du jour et de celle de la lune. Quand
Xerxès revint de sa honteuse expédition contre la Grèce, les
Branchides lui livrèrent leur temple, dont les riches dé-
pouilles l'indemnisèrent des dépenses de son entreprise. En
butte , pour cette action , aux ressentiments de leurs com-
patriotes , les Branchides abandonnèrent l'Ionie pour se re-
tirer dans la Sogdiane, au delà de la mer Caspienne, où ils
fondèrent une ville à laquelle ils imposèrent leur nom. Mais
le souvenir de la perfidie sacrilège dont ils s'étaient souillés
n'était pas encore éteint lorsque Alexandre aniva devant
la ville des Branchides, poursuivant Dessus, qui venait d'as-
sassiner Darius et de se mettre à sa place sur le trône. En-
tourés de peuples barbares, les Branchides , Grecs d'origine,
avaient conservé les mœurs et le langage de leur patrie. Ils
reçurent le conquérant macédonien avec joie, et se livrè-
rent à lui sans condition. Celui-ci avait dans son armée un
corps de Milésiens portant une haine héréditaire aux Bran-
chides ; il convoqua les principaux chefs, et leur laissa le
choix de sauver ou de punir leurs ennemis. Mais ces der-
niers n'ayant pu s'accorder, le monarque les renvoya, en
disant qu'il se chargeait lui-môme de trancher la question.
En effet, il entra dans la ville le lendemain à la tête de sa
phalange , suivi des Milésiens et d'un corps de cavalerie. Une
fois maître des points les plus importants, il donna le signal,
et ses soldats fondirent sur les habitants, qu'ils égorgèrent
sans distinction de sexe ni d'âge. Le massacre accompli, les
maisons furent détruites, les murs de la ville rasés dans
leurs fondements , les bois sacrés abattus ; on arracha même
les racines des arbres , afin d'effacer jusqu'aux moindres
traces sur cette terre vouée désormais à la stérilité.
BRANCHIE (mot formé du grec ppô^x'»» dérivé de
ppÔYXo; , qui signifie gosier, gorge, parce que les ouïes des
poissons sont placées le plus souvent dans la région dési-
gnée sous ce nom vulgaire ). Les branchies sont des organes
respiratoires aquatiques et correspondant aux poumons, qui
sont les instruments de la respiration aérienne. Leur
forme générale est celle d'une saillie résultant d'un repli ou
pincement de l'enveloppe générale du corps ou peau , soit
inteiTie, soit externe. Quant aux formes spéciales de ces or-
ganes, elles sont si variées, si multipliées, que nous nej
pourrions les énumérer toutes ici. Les plus communes sont!
celles de lames rayonnées, ramifiées ou non, celle.'? de pa-J
naclies et de pinceaux. Leurs dimensions varient aussi beau-J
coup, et les rapports de ces dimensions avec celles du corpsj
BRANCHIE — BRANCHIOPODES
e4s
n'ont point encore été déterminés. Leur situation est fixe
dans les reptiles amphibiens et dans les poissons ; elle est
variable dans les crustacés , dans les annélides- et les mol-
lusques.
Étudions les branchies dans la classe des poissons, où la
présence île ces organes est un caractère constant. Nous les
y rencontrons sous deux formes, savoir : l" celle de lames en
peigne; 2° celle de houppes. Les lames appuient parleur
base sur la convexité des arcs branciiiaux, dont le nombre
est ordinairement de quatre, quelquefois cinq, six et même
sept de chaque côté. Elles sont parcourues par les vaisseaux
artériels qui viennt^t du cœur et par les veines qui se ren-
dent dans l'aorte, et recouvertes par un prolongement de
la membrane qui revêt l'intérieur de la bouche. Les bran-
chies des poissons sont garanties du contact des corps ex-
térieurs , 1° en dedans par des dentelures et des papules qui
hérissent la concavité des arcs branchiaux; 2° en dehors,
tantôt par un opercule et par une membrane et un appareil
de pièces osseuses branchiostèges, tantôt par la peau
externe seule. C'est à l'aide des mouvements combinés de
ses uiàclioii es, de l'appareil hyoïdien (yoyes Couj , des
arcs branchiaux , de l'opercule et de l'appareil branchio-
stége, que le poisson ouvre et ferme alternativement la
bouche et les ouïes pour renouveler sans ces.se le liquide
qui est en contact avec ses branchies, et qu'il établit un
courant d'eau qui arrive par la bouche et sort par les deux
grandes ouvertures latérales qu'on remarque entre l'oper-
cule et l'épaule. Ce sont ces ouvertures que l'on connaît
sous le nom vulgaire d'ouïes.
Tel est le mécanisme général de la respiration branchiale
des poissons. Nous devons nous borner à l'indiquer ici , et
faire remarquer que l'appareil qui l'exécute présente des
modifications très-nombreuses et très-remarquables, qui
sont relatives à l'organisation de la bouche, des narines et
de l'évent. Dans quelques espèces de poissons (l'anguille,
l'anabas et les ophicéphales) , l'ouverture postérieure delà
cavité branchiale est étroite, ou bien il existe quelque ré-
ceptacle pour contenir une certaine quantité d'eau : ces ani-
maux peuvent alors sortir du milieu aqueux où ils vivent,
ramper sur le rivage, et môme, a-t-cn dit pour l'anabas,
grimper sur les arbres. Tous les poissons dont les ouïes
sont très-fendues, tels que les harengs, les maquereaux,
meurent à l'instant même où on les tire de l'eau, parce que
leurs branchies sont promptement privées d'humidité et
môme desséchées.
On avait cru que les poissons décomposaient l'eau pour
en absorber l'oxygène, mais on sait maintenant par les ex-
périences de M. Silvestre , et par celles de M. de HiimboUlf,
que ces animaux respirent l'air contenu dans ce liquide, et
que cet air est plus riche en oxygène que celui de l'atmos-
phère. Les résultats de ces expériences sont applicables à
tous les animaux qui respirent par des branchies. Ces or-
ganes sont composés de lamelles dans les crabes et de tubes
dans les homards et les écrevisses. Ils sont situés sur les
bases des pieds et recouverts par les rebords du corselet ou
de la carapace; dans d'autres crustacés, les branchies sont
situées extérieurement ( squilles ) ; elles sont formées d'un
grand nombre de filaments qui leur donnent l'aspect d'un
pinceau. Chez les crevettes, elles sont placées en dedans des
pieds, et composées d'une lamelle simple. Ces lamelles
branchiales existent à la partie postérieure de l'abdomen
dans les cloportes , et sont distinctes des lames entre les-
quelles ces animaux portent leurs œufs et leurs petits.
UM. Edwards et Audouin ont reconnu que les crabes ter-
restres , qui font de longs voyages dans les pays chauds ,
sont pourvus d'organes particuliers qui maintiennent l'hu-
midité autour des branchies, et les empêchent de se dessé-
cher.
Les vers à sang rouge ou a n n é 1 i d e s sont les uns pourvus
et les autres prives d'organes branchiaux. Dans les pre-
miers , c'est tantôt à la tête , tantôt au dos , et tantôt enfla
au milieu du corps que sont placées ces branchies , d'où les
noms de céphalobranches, dorsibranches et mésobran-
ches. On a cru que dans les premiers ces organes exis-
taient en dedans, et on les a nommés pour cette raison
endobranches (Duméril) ou entérobranches (Latreille);
mais Blainville pense que ces branchies n'existent point, et
qne la peau très-molle de ces animaux les remplace dans la
fonction respiratoire.
Tous les mollusques , excepté les lymnées, les auricnlcs
et les limaces , respirant l'air contenu dans l'eau et vivant
dans ce milieu , sont pourvus de ces organes respiratoires
aquatiques. Les différences très-nombreuses tirées de la
forme et de la situation des branchies ont fourni aux zoolo-
gistes de très-bons caractères pour établir, soit des ordres,
soit des familles dans cette classe d'animaux. Dans certains
coquillages bivalves (anodontes, unio ) , les œufs séjour-
nent plus ou moins longtemps entre les lames branchiales ,
dans un lieu disposé à cet efl'et , qui constitue une sorte de
poche ou bourse marsupiale, et c'est là qu'ils éclosent.
D'autres animaux intermédiaires aux mollusques et aux ar-
ticulés respirent aussi par des branchies : ce sont les ba-
lanes, les anatifes et lés oscabrions.
Enfin , les larves de quelques insectes ( éphémères , etc. ),
ont des espèces de fausses branchies. A travers les lames
qui les constituent, on voit des trachées ou tubes aérifères.
Ces lames ont pour fonction d'extraire de l'eau une certaine
quantité d'air, qui est portée dans les trachées. L'organisa-
tion est ainsi préparée pour le passage de la respiration
aquatique à la respiration aérienne. L. Laurent.
BRA\CI1IFÈRES (du grec ppâyxia, branchies, et
çépw, je porte), se dit des animaux pourvus deôrancAies.
De môme on em[>loie le mot abranches ( composé de ppay-
/ta et d'à privatif) pour désigner ceux qui sont dénués de
ces sortes d'organes respiratoires. De Blainville avait pro-
posé de substituer le nom de branchifcrcs à celui depois-
sons.
BRAA'CIlIOBnELLE. Voyez Brancuellion.
BRAiXCniODÈLES ( de ppay/ia , branchies, et Sïi),0(;,
apparent). On appelle ainsi les animaux dont les branchies
sont apparentes, et, par opposition, on donne le nom
i'endobranches (d'£vûov,en dedans) à ceux dont les bran-
chies sont cachées.
BRANCIÏIOG ASTRES (de ppaYX'a. branchies, et de
Y(xaTr,p, ventre), nom par lequel on désigne lesanimaux dont
les branchies sont situées à l'abdomen, tels que les cre-
vettes , les crustacés, les squilles, etc.
BRAA'Cl.llOPE et BRANCHIPE (de Ppàvxta, bran-
chies, et de TtoO;, pied), termes employés pour dési-
gner des animaux crustacés dont les pieds sont munis de
branchies. Le caractère général de ces animaux microsco-
piques consiste dans la possession de pieds qui servent à la
fois à la natation et à la respiration ; ces pieds sont en
nombre variable , depuis six jusqu'à plus de cent; en re-
vanche, plusieurs n'ont qu'un œil, d'où ils ont été appelés
aussi monocles. Schœffer et B. Prévôt ont donné sur l'orga-
nisation et les mœurs de ces animaux des détails qui sont
pleins d'intérôt. On les trouve habituellement et en grande
abondance dans les petites mares d'eau douce et trouble;
ils nagent sur le dos avec beaucoup de facilité , et le mou-
vement ondulatoire de leurs pattes, qui est très-curieux à
observer, établit un courant d'eau qui suit un canal situé
sur leur poitrine) et porte à leur bouche les petits corpus-
cules dont l'animal se nourrit. Du reste, leurs pieds ou
pattes sont impropres à la marche, et pour progresser ils
frappent vivement l'eau de droite et de gauche avec leur
queue, et se meuvent ainsi comme par bonds et par sauts.
BRANCHIOPODES (de ppây/.ca , branchies , et ttoù;,
TiôSo; , pied). C'est un grand groupe de crustacés, dont
Latreille a fait un ordre , dans lequel se placent une grande
6*1 BRANCHIOPODES — BRANDAM
parlic Je nos crustau^s d'eau douce : les limnadies , les
branchiopes, les daphnies, les pohjphbnes , etc. Ils
doivent ce nom de branchinpodes à la disposition tonte
sfjf'xiale de leurs membres, qui sont à la fois respiratoires et
locomoteurs.
Les brancln'opodes ont un nombre d'anneaux variable ;
leurtôte, ordinairement distincte, porte un œil ou bien
doux ou trois de ces organes; leur bouche a un labre, une
paire de mandibules, une lèvre inférieure, et une seule
paire de pattcs-mâclioires, peu développées ; enfin leur abdo-
men , géniValement assez grand , est terminé par une sorte
de queue biriir(]M<'e.
BRAIVCÏISOSTÉGE (de ppârx^a. branchies, et de
«TTÉYT] , toit, couverture). On appelle branchiostéges, en
anatomie, les parties membraneuses ou osseuses dont l'u-
sage est de couvrir et de protéger les branchies des pois-
sons. La membrane branchiostége est cette partie de la
peau qui est située entre les raûchoires et l'épaule de ces
animaux. Elle renferme dans son épaisseur des pièces carti-
lagineuses ou osseuses servant les unes de support, les au-
tres de rayons. Ces pièces -olides , la membrane qui les unit
et les muscles qui les meuvent forment Vappareil bran-
chiostége. Les mâchoires et les pièces operculaires ( voijez
Opercule ),les côtes branchiales ( raies, squales, lamproies ),
concourent aussi à recouvrir et protéger les branchies. Les
différences des organes branchiostéges proprement dits ont
servi aux ichthyologistes pour distinguer les espèces.
Artédi , Linné , Gouan , ont donné le nom de branchio-
stéges h un groupe de poissons à branchies libres, dont le
squelette cartilagineux est dépourvu de côtes et d'arôtes.
Ce groupe comprend les genres batiste, lophie, ostra-
cion, ajcloptère, diodon, tétrodon, pégase, viormyre,
syngnathe et centrisque. L. Laurent.
IÎÎ\A.\CIÎIURES (de Ppayx'a, branchies, et oùpà,
queue). C'est ainsi que l'on nomme les annélides, qui ont
leurs branchies à la queue. Yiviani en a décrit une espèce
dont les individus, selon Cuvier, ne sont pas assez carac-
térisés, et qui pourraient bien n'être que des larves.
BRAIX'CIIIJ (Alexandrine-Caroline CHEVALIER DE
LAVIT, femme), artiste de l'Académie royale de Musique
née au cap Français, dans l'île de Saint-Domingue, le 2 no-
veml)re 1780, était fille d'un officier de cavalerie, homme
de couleur (quarteron), que l'insun-ection des noirs priva
soudain de toutes ressources, nièce d'un gouverneur du cap
de Bonne-Espérance et filleule du maréchal de Brissac.
Elève distinguée du Conservatoire, et particulièrement de
Carat, elle débuta en 1799 à l'Opéra, qui s'appelait alors
Théâtre de la République et des Arts, et qui, en quittant
la l'orte-Saint-Martin, en 1794, était venu s'installer au
Théâtre des Arts, rue de la Loi (Richelieu ), sur l'emplace-
ment actuel de la place Louvois. Ce fut dans le rôle d'An-
titîone, de l'opéra i]'Œdipe à Colonne, de Sacchini, que
M*"* Chevalier débuta. De taille médiocre, d'un embonpoint
assez marqué, de peau, de nez, de lèvres et de visaue réllé-
tant la race noire, quoiqu'au troisième de:^ré, elle avait à la
scène une apparence qui n'était dépourvue ni d'éclat ni d'at-
trait. Ceux-là même qui ne l'ont point vue peuvent s'en
faire une idée en consultant la liste des rôles qu'elle a joués :
Julia,de la Fe5<rt/e;Hypermnestre, des Danaides; Amazili
de Fcrnnnd Cortez ; Lamea, des Baijadércs ; Bidon, Olym-
pia ;}>\;w[on, dans les Prétendus, rôles (jui n'auraient pas
pu étnî abordés par une actrice dont l'extérieur aurait eu
<iuelquc chose de trop opposé au caractère de gri\ce de ces
jK-rsonnages. D'ailleurs, sa longue liaison avec Kreutzer
aine, compositeur célèbre, premier violon à l'Opéi-a, et les
hommages prolongés qu'elle reçut de Bonaparte, consul et
empereur, sont encore un témoignage de ce que devait être
Ron genre de beauté. En ISO'i, elle avait épousé Branchu ,
médiocre d.uiseur de l'Opéra, mort imbécile, i'iusicurs cn-
ftiiiis naquirent pendant ce mariage.
Au moment où M'"' Branchu débuta , un grand opéra n'é-
tait presque encore qu'une tragédie lyrique, que les ama--
leurs délicats appelaient même la tragédie hurlée. Quelques
ouvrages, bien rares, tendaient à faire exception et à en-
traîner la composition et la vocalisation sur le véritable ter-
rain de l'art musical; Œdipe à Colonne était de ce nombre,
et M"'" Branchu contribua , plus qu'aucune cantatrice de
son temps, à préparer la transition qui, par la Vestale
principalement, amena sur la scène française la révolution
lyrique que Rossini, Ad. Nourrit, Levasseur et M""" Da-
moreau-Cinti et Falcon devaient y consommer plus fard.
C'est qu'en effet M"" Branchu ne fut pas seulement une
tragédienne lyrique, c'est-à-dire une actrice de déclama-
tion psalmodiée, violente et braillarde, comme ses ca-
marades, hommes ettemmes. Laine, Adrien, M"' Mail-
lard, etc. , elle fut aussi une cantatrice, dans le sens
actuel, possédant la méthode, le goôt, l'art d'nne voca-
lisation étudiée et fort avancée relativement à l'époque où
elle occupait la scène. Sans doute ce n'étaient point la lé-
gèreté, la vocalise, Xa. fioriture , qui dominaient dans son
talent; c'étaient la force, l'éclat, l'expression portés souvent
jusqu'au sublime. Chez elle, outre la plus grande, la plus
juste expression, il y avait la connaissance et l'application
de tous ces principes et de toutes ces règles de l'art qui
embellissent, perfectionnent la nature et lui sont même pré-
férables ; c'est avec cette méthodeet ce goût qu'elle parvenait
à varier le style des partitions déclamatoires auxquelles elle
était enchainée, ou qu'elle rendait plus sensibles et plus
agréables les chants que les compositeurs modernes s'ef-
forçaient ou s'essayaient à introduire dans leurs rnuvres.
Relativement aux ouvrages antérieurs, /(/ Vestale était
un progrès ; et ce fut M""* Branchu qui, par son admirable
talent dramatique et sa méthode musicale, amena et réalisa
cette révolution. Que l'on juge alors des transports de la gé-
nération de ce temps et de la célébrité méritée de M""* Bran-
chu ! Voilà tout le secret, toute l'explication de ses succès et
delà réputation de la Vestale. Dans les arts, chaque chose,
chaque artiste a son temps ; et il ne faut les apprécier qu'en
considération des progrès ou de la décadence qui ont signalé
leur marche.
Virginie, tragédie lyrique en trois actes, poëme de Dé-
saugiers aîné, musique de Berton , jouée en 1823, est l'un
des derniers ouvrages qu'elle ait montés à l'Académie royale
de Musique; elle y remplissait le rôle de Valérie, mère de la
jeune vierge romaine, et elle assura le succès de cet opéra
dans lequel, disions-nous alors, elle a merveilleusement
exprimé les douleurs maternelles , chanté , et joué surtout
supérieurement , la scène où elle vient redemander sa fille
au décemvir. Le l*"" juillet 1825 elle reparut dans VAlccste
de Gluck, et y excita les plus vives émotions. Enfin elle prit
sa retraite le 27 février 1826, dans une de ses plus belles
créations, dans le rôle de Statira de la tragédfe lyrique d'O-
hjmpie. Peu de temps après. M"* Branchu , dont les excel-
lentes qualités privées étaient appréciées de ses camarades
et de ses amis, quitta tout à fait le monde pour se livrer
à toute la pieuse et chrétienne simplicité d'une retraite ab-
solue. Elle est morte à Passy, le 15 octobre 1850.
A. Delaforest.
BRANC-URSIi\E. Voyez Branche-Ursine.
BRAî^IDAM ( Antoine), moine portugais, de l'ordre de
Cîteaux et abbé du monastère d'Alcobaça, né en 1584, et
mort en fG37 , fut chargé de continuer le grand ouvrage in-
titulé : Monorquia Lusitana , qui avait été interrompu par
la mort de Bernard de Biitto, moine cistercien, arrivée
en 1G17. Ce fut lui qui publia en 2 vol. in- fol. (1C32) les
troisième et quatrième parties de ce grand ouvrage , le plus
considérable et le plus rare que l'on possède sur l'histoire de
Portugal. Il embrasse les temps com|)ris entre 1137 et 1279.
Son neveu François Bra.ndam, comme lui religieux de
l'ordre de Cîteaux, dans le même monastère, continua
BRANDAM —
TiKUTre jusqu'en 1325. Un troisième Ukandam (Alexandre),
fit imprimer en 1G89, à Venise, en 2 vol. in-4°, l'iiistoire,
en italien , de la révolution qui avait porté en 1640 la
maison de Bragance au trône de Portugal.
BR.\NDE BOURG ou BRANDENBURG, autrefois
Brennaborch ou Brcnnabor, ville qui a donné son nom à la
marclie de Brandebourg, et qui dépend aujourd'hui de
farrondissement de Potsdam ; elle est située sur le chemin
de fer de Berlin à Magdebourg, sur les deux rives de l'Havel,
qui la partage en vieille et nouvelle ville , chacune entourée
de murailles. Un troisième quartier est formé , dans une île
située au milieu de la rivière, par ce qu'on appelle la cathé-
drale ou le château de Brandebourg. La population est de
17,000 âmes, et 19,000 en y comprenant la garnison et les
détenus du pénitencier établi dans la ville. Parmi ses édi-
fices publics on remarque surtout l'hôtel de ville, et parmi
ses nombreuses églises la cathédrale et l'église Sainte-Cathe-
rine. Siégé d'une division militaire, d'un tribunal de cercle,
d'une recette générale et autres autorités supérieures, Bran-
debourg est le centre d'une fabrication assez active en étoffes
de laine, en soieries, en huiles et en cuirs.
BiV AA^DEBOUllG , la iiroviiice la plus importante et en
iTièmt temps le berceau de la monarchie prussienne , compre-
nant une superficie de 403 myriamètrcs carrés avec une po-
pulation de 2,553,000 habitants, répartie entre 138 villes,
27 bourgs, 3,073 villages et 3,220 hameaux, est située entre
le 51" 22' et le 53° 35' delat. nord, et le 2S° 50' et le 33° 52' de
long, est, et confine au nord , au Mecklenbourg , à la Pomé-
ranie et à la Prusse; à l'est , au grand-duché de Posen et à
la Silésie; au sud, à la Silésie et à la Saxe pnissiennes; à
l'ouest, à cette dernière province, au pays d'Anhalt et au
Hanovre. C'est l'extrême contre-fort de la grande plaine de
l'Allemagne septentrionale , qui va toujours en s'abaissant da-
vantage vers la Baltique ; et le sol y est si bas , que le Ha-
velspiegel près de Berlin ne s'élève qu'à 4"',34° au-dessus de
la Baltique. Cette contrée est généralement plate, et ce n'est
que du côté de la Silésie qu'on y rencontre de légères ondu-
lations de terrain. Elle est presque partout sablonneuse
et stérile, notamment aux environs de Berlin et dans la
Basse-Lusace, surnommée la sablonnière du Saint-Em-
pire Romain. Les seules exceptions sont le pays des IMar-
ches et les contrées marécageuses et basses, par exemple sur
les rives de l'Oder, de la Warthe, de la Sprée et de l'Elbe;
ces différentes rivières et de nombreux lacs atténuent l'infé-
condité naturelle du sol.
Le plus important de tous les cours d'eau qu'on y ren-
contre est roder, qui y reçoit la Warthe et la Netze à sa
droite, le Stoberow, la Welse, le Finow, la Neisse de Gœr-
litz et le Bober de Silésie à sa gauche. Elle forme entre
Wrietzen et Oderberg un grand arc qu'on a coupé en 1755
par le canal de l'Oder, dont la longueur est de 22 kilomètres.
Un bon système de canaux ajoute encore aux facilités de la cir-
culation. Le sol produit de la tourbe, de la houille, de l'alun, de
la chaux, du plâtre et de l'argile. Dévastes forêts fournissent
du bois en abondance ; ce qui forme un important objet de
commerce. L'agriculture donne comme produits des cé-
réales de toutes espèces, du froment, du tabac, du chanvre,
du Im, du houblon, des légumes, de la garance et des
fruits. On a récemment découvert de vastes truffières aux
environs de Stolpe et d'Oranienburg , et l'une des trois es-
pèces de truffes qu'on y a rencontrées peut soutenir le pa-
rallèle avec les meilleures truffes de France. La culture des
vignes aux environs de Berlin et de Potsdam ne donne que
de mauvais vins ; celui qu'on récolle aux environs de Guhen
est d'un peu meilleure qualité. Les bêtes à corne , les che-
vaux, les porcs et les moutons figurent parmi les principaux
produits de la province en ce qui est du règne animal. L'a-
griculture y est pratiquée sur une vaste échelle ; et les rivières
aînsi que les lacs contiennent un grand nombre de poissons
délicats et d'espèces particulières.
BRANDEBOURG 645
Les habitants sont généralement Allemands d'origine. On
ne rencontre de Wendes qu'au sud de la province , et les
colons français ou hollandais deviennent de plus en plus al-
lemands. A l'exception de 32,514 catholiques, de 19,761
juifs, de 23 mennonites, de 115 catholiques grecs, toute la
population professe la religion protestante. 11 existe de re-
marquables haras à Neustadt sur la Dosse , à Finsterwald et
à Senftenberg. La culture des pommes de terre et des bet-
teraves s'y fait sur une très-large échelle , à l'effet d'alimenter
de matières premières une infinité de distilleries et raffme-
ries de sucre. De nombreuses fabriques de soieries , de co-
tonnades et d'étoffes occupent en même temps une foule de
bras ; la fabrication des draps surtout empteie beaucoup de
métiers à Luckenwalde, Beeskow, Guben, Spremberg,
Krossen,Zullichau,Iuterbock,Kotbus, Schwiebus,Peitz,etc.
La fabrication des toiles, qui occupe aussi un grand nombre
de bras, a son centre à Reppen, Forste , Vetschau, Sol-
din, etc. La teinturerie de Kaput , fondée en 17G4 , par Fré-
déric le Grand, est renommée par son beau rouge garance.
Les manufactures de cotonnades les plus importantes après
celles de Berlin sont à Potsdam, Straussberg, Zinna, etc.
Luckenwalde, Zinna, Strasburg, Forste sont les grands
centres de la fabrication des cuirs et de la mégisserie; et
Kalau est en possession de fournir à la ville de Berlin une
grande partie de sa consommation en chaussures. L'indastrie
métallurgique a ses usines à Neustadt -Eberswalde, à
Hohenfinow, à Baruth, à Hegermuhle. Des fonderies et
hauts fourneaux existent à Niederfinow, à Peitz, à Neubruck,
à Vietz; des fabriques d'armes, à Potsdam et à Spandau;
des fabriques de faulx à Luckenvsalde. La plus importante
des papeteries esta Spechthausen , près Neustadt; viennent
ensuite celles de Berlinchen, Neudamm, Kœnigswalde, etc. Il
y a des véneries a Zechlin, Rheinsberg, Friedrichshain, etc. ;
une importante manufacture de glaces à Neustadt sur la
Dosse. On fabrique de la faïence et de la poterie à Franc-
fort, à Rheinsberg , et de la porcelaine à Berlin. Les pro-
duits de cette manufacture sont justement renommés.
Le Brandebourg est le centre d'un commerce très-actif,
dont les relations sont facilitées par un grand nombre de
rivières, de canaux et de routes, ainsi que parles chemins
de fer conduisant de Berlin à Kœthen et Leipzig, à Francfort
sur l'Oder, à Breslau, à Vienne, à Prague, à Dresde, à
Stettin, à Hambourg, dans les provinces orientales et occi-
dentales de la monarchie. Des foires importantes se tiennent
à Francfort sur l'Oder. L'immigration de colons étrangers,
notamment de colons français , ne contribua pas peu à fa-
voriser le développement de l'industrie de cette province, qui,
par contre, commence à ressentir de nos jours les désastreux
effets de la manie d'émigration qui entraîne de l'autre côté
de l'Atlantique tant de populations allemandes.
Au commencement de l'ère chrétienne la province actuelle
de Brandebourg était habitée par les Suèves.
Parmi ceux-ci les Semnones occupaient la Marche Cen-
trale, et les Lombards la Vieille-lNIarche ; et il y a quelque
vraisemblance dans l'étymologie qui fait dériver l'ancienne
dénomination de cette contrée, Brennaborg, de Brennus,
nom commun à plusieurs chefs des Semnones. Quand ils
abandonnèrent leurs foyers pour se joindre à la grande mi-
gration des peuples , les Suèves y furent remplacés par des
populations slaves, entre autres par les Hévelles, les Wilzes,
les Vkers , les Rhétariens et les Obotrites. Entraînés dans
de fréquentes guerres avec les Francs et les Saxons de
l'ancienne Marche actuelle (qui faisait autrefois partie de la
Saxe orientale), ils furent, avec ces derniers, soumis à la
puissance de Charlemagne (789); toutefois, ils se rendirent
indépendants sous les successeurs de ce monarque, et in-
quiétèient la Saxe et la Thuringc par de fi'équentes invasions
(902). Enfin, Henri l", roi d'Allemagne, réduisit en 928
Brennaborch, principale forteresse des Hévelles, et deux
, ans plus tard Lebits^ forteresse des Wendes. Après quoi les
646
BRANDEBOURG
llévelles, aussi bien que les Rliétariens de l'Uker-Marche
durent se soumettre à son autorité. Pour les tenir en bride
et pour protéger les frontières de la Saxe, Henri institua, en
030, les Margraves de la Saxe du Nord ou de la ftlarclie du
Nord, contrée désignée aujourd'hui sous le nom de Vieille-
Marche; et Otiion 1", pour y consolider le christianisme,
fonda, en 939 et 946, les évêchés de Brandebourg et de Ha-
velberg.
Quand le christianisme eut pénétré encore plus avant , le
margrave Gero, mort en 963, constitua la Marche Orientale,
appelée aujourd'hui Basse Lusace. Vers le milieu du on-
zième siècle, Gotschalk, prince des Obotrites, réunit plu-
sieurs districts pour en composer un plus grand royaume
des Wendes; mais il fut assassiné en lOGG, parce qu'il avait
abandonné le culte des idoles pour embrasser le christia-
nisme. En 1056 le margraviat de la Saxe Septentrionale
passa sous l'autorité des comtes de Stade; et en 1133 l'em-
pereur Lothaire le donna à titre de fief à Albert l'Ours.
C'est ce prince, aussi brave qu'habile, qui le premier réussit à
mettre fin dans ces contrées à la domination des Wendes. En
1138 il obtint le duché de Saxe à litre de fief; et quand en
1 142 il lui fallut le rétrocéder à Henri, il en fut dédommagé
l'année suivante par la MarcIie Orientale, en môme temps
que pour la Saxe Septentrionale il était lendu complètement
indépendant de la Saxe; après quoi, ayant réussi à expulser,
en 1157, du Brandebourç Jazko , prince des Wendes, qui
s'en était emparé, il prit le titre de margrave de Brandebourg.
Il s'empara de la Marche Centrale, de Priegnitz, de l'U-
ker-Marche, où il attira un grand nombre de familles nobles
de l'Allemagne, et de colons venus des Pays-Bas et des
bords du Rhin pour y remplacer les Wendes turbulents qu'il
en expulsa.
Comme margrave de Brandebourg, il eut pour successeur
son fils Othon /", devenu en 1180 duc de Saxe, et dont il
est pour la première fois fait mention en 1182 avec la qua-
lification d'archi-chambellan de l'Empire, qu'Albert avait déjà
prise. Othon mourut en 1 184, et eut pour successeur son fils,
Othon II, prince faible et complètement placé sous l'in-
fluence cléricale, qui régna de 1184 à 1205. C'est lui qui fit
don à l'archevêché de Magdebourg de toute la Vieille-Marche,
ou du moins d'une grande partie de cette province, ainsi que
de quelques parties de la Marche Centrale, mais sous la ré-
serve de pouvoir être récupérées par le Brandebourg à lex-
piration d'une année comme fiefs relevant de Magdebourg ,
et, en cas d'extinction de la branche mâle de la maison de
Brandebourg , faisant retour à la branche féminine. Il eut à
soutenir de nombreuses mais inutiles luttes centrales Danois;
et il est assez vraisemblable qu'il obtint dojà de l'empereur
que celui-ci le reconnût comme prince souverain. Son frère
Albert II, qui régna de 1206 à 1220, fit preuve de plus
d'énergie. 11 prit une part impoilante aux guerres que se
firent les deux anti-rois Othon IV et Frédéric II , et en fut
récompensé en obtenant pour sa maison l'expectative de la
Poméranie citérieure.
Albert II, qu'on peut regarder avec une grande vraisem-
blance comme le fondateur de Berlin, laissa à sa mort deux
fils, encore mineurs, Jean I" et Othon III, au nom des-
quels leur mère Mathilde exerça la régence jusqu'en 1226.
J.esdeux frères régnèrent collectivement de 1226 à 1258.
C'étaient des princes braves et querelleurs, comme il en
fallait à une époque aussi orageuse que celle des derniers
Hohenstaufen. L'empereur Frédéric 11 leur accorda l'invcs-
llture de la Marche de Brandebourg et de la Poméranie, en
1231 ; en 1236 ils forcèrent le duc de Demmin, et en 1250
le duc de Stetlin, à reconnaîlie leur suzeraineté. Ils enle-
vèrent au piemier le pays de Stargard , au second l'I'ker-
Marclic; de sorte que le duc Mesiwin de la Poméranie Orien-
tale fut obligé de reeonnaître tenir son pays à titre de fief
du Brandebourg. Pendant leur lutte contre le margrave
Henri l'Illustre, les deux frères se maintinrent, en 1244, en
possession des villes de Kœpnick et de Mittenwald. Tena-
pelliof ouTernpIow près Berlin fut fondé en 1241 , par les
Templiers , qui quarante-sept ans plus tard acquirent éga-
lement Zielenzig. Par son second mariage, avec Hedwige de
Poméranie, Jean fit revenir formellement à sa maison l'U-
ker-Marche, déjà gagnée par la force des armes, en môme
temps que son frère Othon recevait en dot de sa femme Béa-
trice, princesse de Bohême , les villes de Bautzen , Gœrlitz ,
Lauban et Lœbau.
Les deux Irères se firent en outre donner, en 1248 , par
l'anti-roi Guillaume de Hollande l'expectative du duché de
Saxe, et en 1250 ils acquirent, moyennant argent, du duc
Boleslas de Liegnitz les droits de souveraineté sur Lcbus.
Jean enleva aux Polonais le pays riverain de la Warthe, où
il fonda, en 1257, la ville de Landsberg. En 1258 les deux
frères opérèrent le partage de leurs possessions , et Stendal
et Salzwedel devinrent les sièges de gouvernements distincts
constitués par les deux lignes. Brandebourg, la capitale, do
môme que la suzeraineté des évêchés de Brandebourg et de
Havelberg , restèrent communes. Le gouvernement des deux
frères fut des plus prospères. Ils fondèrent un grand nombre
de villes nouvelles, telles que Francfort sur l'Oder, Neu-
brandenburg, Ba;rwalde, Friediand, Kœnigsberg dans la
Nouvelle Marche, etc. Sous leur règne, Beriin prit aussi de
grands développements; et dès 1238 il est mention de Co-
logne sur la Sprée, qui en forme la partie principale.
Jean 1", mort en 1266, fut le fondateur de l'ancienua
maison Ascanienne de Brandebourg-Stendal ; Othon III,
mort en 1267, celui de la ligne de Brandebourg-Salzwe-
del. Mais ces deux lignes ne tardèrent pas à s'éteindre ; la
cadette en 1317, l'aînée en 1320. Jean T"^ avait commencé
déjà à prendre insensiblement le titre d'électeur. Les sou-
verains les plus remarquables de cette dynastie, sous laquelle
la souveraineté de la Pomérélie lut acquise en 1269, et la
Rlarche de Landsberg achetée en 12'Jl au landgrave de Thu-
ringc Albert le Dégénéré , furent Herynann et Othon IV, à
la flèche, célèbre aussi comme minnessenger (troubadour),
qui en 1303 acheta la Basse-Lusace au margrave Diez-
mann de Misnie, et, après la mort d'Othon,le belliqueux
Waldemar, qui régna de 1308 à 1319. Ce dernier agrandit
le Brandebourg du côté delà Saxe; mais de son règne date
un point d'arrêt dans la prospérité du Brandebourg. Le der-
nier prince de cette dynastie fut Henri le jeune, qui mourut
sans s'être marié, en 1320, peu après la déclaration de la
majorité de l'empereur.
Pendant les troubles sanglants qui éclatèrent alors,
l'ordre civil, à peine fondé dans le pays, périt complètement.
Le brave Waldemar ne fut pas plus tôt descendu dans la
tombe que, dès 1319, Jean de Bohême s'empara de la Haute
Lusace, et les ducs de Poméranie de diverses parties de l'U-
ker-Marche. La confusion générale augmenta encore quand,
en 1322, l'empereur Louis IV, dit aussi le Bavarois, donna le
margraviat de Brandebourg en fief à son fils, encore mineur,
Louis, qui ne put s'en mettre en possession qu'après de
longues luttes avec les princes voisins et d'orgueilleux vas-
saux. Fn 1331 il fut battu par les Poméraniens, de sorte
qu'en 1338 force lui fut de renoncer à exercer tous droits do
suzeraineté sur ce pays, jusqu'à la mort des princes indigènes.
Dès 1324 les chroniques lui donnent le titre d'électeur et
d'aichi-cliambellan de l'Empire; mais son mariage avec Mar-
guerite de Maultasch, qui lui apporta en dolleTyrol,le rendit
tellement indilïércnt aux intérêts du Brandebourg, qu'en 1352
il céda complètement les Marches à son frère Louis le Rn-
main, que dès l'année 1349 il s'était donné pour co-régent.
Ce qui l'y détermina surtout, ce furent les troubles provo-
qués par ]ejaux Waldemar, qui se fit passer pour le défunt
margrave Waldemar, et qui vraisemblablement serait de-
meuré tranquille possesseur delà Marche Électorale, si l'em-
pereur Charles IV, après l'avoir d'abord soutenu , ne l'avait
ensuite abandonné. Il mourut en 1355, à Dcssau.
li
BRANDEBOURG — BRANDEIS
647
Louis le Romain , à son tour, prit pour co-régent son
frère Ot/ton Vif, ditle Fainéant, qui plus tard devint seul
olecteur, et qui en 1363 conclut avec l'empereur Charles IV
et avec la maison de Luxembourg une convention d'Iiérédité
réciproque, en vertu de laquelle l'empereur obtint le droit
de succession dans la Marche Électorale, et plus tard parti-
cipa directement au gouvernement en mettant à profit la
paresse d'Othon et ses goûts de dissipation. En 1368 Othon
vendit la Basse Lusace à l'empereur, qui la réunit à la
lîohême; et dès l'année 1373, époque à laquelle Cliarles IV
résidait souvent dans la Marche, par exemple à Mitlenwald
sur la Notte, ville à Inquelle il avait accordé d'importants
[iriviléges, il était forcé de céder entièrement à ce prince la
Marche Électorale, que l'empereur promit de lui payer 200,000
florins d'or, outre une pension annuelle et la jouissance de
divers châteaux dans le Haut Palatinat.
Par suite de cette convention, Charles IV donna en fief,
d'abord à son fds Wenceslas, roi de Bohême , puis, quand
celui-ci fut devenu roi des Romains, à son second fûiS'igiS'
inond, la Marche Électorale de Brandebourg, qui sous le
règne de ce prince, âgé de onze ans seulement, lut en proie
aux plus affreux désordres. La noblesse, qui le méprisait,
se livrait à des guerres continuelles de seigneur à seigneur ;
et entre toutes les familles qui commirent alors les plus
grands excès , on remarqua surtout celle de Quitzow. Les
princes voisins se permettaient d'incessantes incursions, ja-
mais réprimées, et toute sécurité publique disparut. Sigis-
mond finit par se trouver tellement accablé de dettes qu'en
1388 il dut engager la Marche Électorale à son cousin le
margrave Jodocus ou Jobst de Moravie. Mais Jobst, pas
plus que son lieutenant , ne put remédier aux désordres
intérieurs du pays. A sa mort, arrivée en 1411 , la Marche
Électorale fit retour à l'empereur Sigismond , qui à la même
époque obtint la couronne impériale.
Dès 1402 Sigismond avait vendu la Nouvelle Marche à
l'ordre Teutonique; et il établit alors le buigrave de Nu-
remberg, Frédéric VI, de la maison de Hohenzollern ,
en qualité de gouverneur dans la Marche Électorale. Celui-ci,
en récompense des senices qu'il avait rendus à l'empereur,
notamment d'un prêt de 400,000 florins d'or qu'il lui avait
fait, reçut de lui, en 1415, la Marche de Brandebourg, la
dignité d'électeur et la charge d'archichambellan de l'Em-
pire, et obtint en 1417, au concile de Constance, la con-
firmation de cette inféodation ; ensuite de quoi il prit dès
lors, comme électeur de Brandebourg, le nom de Frédéric Z*^"".
C'est à proprement parler du règne de ce Frédéric V
«l'Holienzollern que commence l'histoire du développementde
la Prusse, dont la Marciie Électorale et plus tard ce qu'on
appela la province de Brandebourg a toujours déterminé
depuis les destinées, non pas qu'elle exerçât une suprématie
extérieure quelconque sur les autres parties de la monar-
chie, avec une organisation particulière et indépendante,
mais parce qu'elle se trouvait dans le voisinage immédiat
des souverains, constituant ainsi le véritable point décen-
tralisation de la Prusse.
En 1 838 une société s'est formée pour l'étude de l'histoire
du Brandebourg, et les quatre volumes de Mémoires qu'elle
a publiés de 1841 à 1849 témoignent de l'activité qu'elle a
apportée dans ses investigations.
BRANDEBOURG (Frédcric-Guh-lvcme, comte de),
général et ministre prussien, né à Berlin, le 24 janvier 1792,
éla't fils du roi Frédéric-Guillaume II, et issu de son ma-
riage morganatique avec la comtesse de Dœnhoff. Le 28
avril 1794 il fut créé comte en même temps que sa scrur
Julie, morte, le 28 janvier 1848, duchesse d'Anhalt-Kœthen,
était élevée au rang de comtesse. Entn; de bonne heure
dans l'amiée, le comte de Brandebourg, quoiqu'il se fut
distingiié dans les campagnes de 1813 à 1815, n'obtint qu'un
avancement assez lent; et ce ne fut qu'en 1848, époque où
il commandait le premier corps d'armée en Silésie avec le
grade de lieutenant général, qu'une importance politique s'at-
tacha tout à coup à son nom. Dès l'été de 1848, quand tout
annonçait en Prusse un conflit prochain entre l'assemblée
nationale et la cour, ce fut sur le comte de Brandebourg que
celle-ci jeta les yeux pour servir d'exécuteur à ses volontés;
et c'était bien moins sa capacité comme homme politique qui
le désignait pour jouer un tel rôle, que les liens étroits de
parenté qui l'unissaient à la famille royale. Le 3 novembre,
après la retraite du ministère Pfuel, il fut nommé chef du
nouveau cabinet, que l'on désigna sous le nom de ministère
Brandebourg-Manteuffel. Il suivit dès lors avec une loyauté
et une fidélité inébranlables les directions diverses prises par
la politique prussienne, de sorte que son nom se rattache à
toutes les mesures importantes adoptées par ce cabinet
(voyez Prusse), Étranger aux exigences du gouvernement
constitutionnel, son apparition dans la chambre trahissait
toujours un certain embaiTas. Au mois de novembre 1849,
quand le conflit survenu entre la Prusse et l'Autriche fut
soumis à l'arbitrage de la Russie, le comte de Brandebourg
fut envoyé à Varsovie comme négociateur. Si, outrepassant
ses instructions, il fit alors des concessions à l'Autriche au
sujet de la renonciation à l'Union et à l'entrée de tous les
États de cet empire dans la Confédération germanique , il
n'agit ainsi que parce qu'il supposait qu'à l'avenir la Prusse
et l'Autriche auraient chacune alternativement la présidence
de la diète, et que le droit d'Union resterait garanti. Aussi
lit-il de nouveau mention de ces conditions à Vienne alors
que, après la sortie de M. de Radowitz du cabinet, M. de
Manteiiflél [larlait de faire ces concessions sans équivalents.
Dans la séance du conseil des ministres tenue le 2 novembre
le comte de Brandebourg avait voté à la vérité contre la pro-
position faite par M. de Radowitz de mobiliser l'armée; mais
son cœur de vieux soldat prussien se sentit profondément
blessé quand il vit la Prusse entrer toujours davantage dans
la voie des concessions vis-à-vis de l'Autriche. On assure éga-
lement que les impressions personnelles qu'il avait rapportées
de Varsovie et les vives discussions qui en résultèrent au sein
du cabinet exercèrent une puissante influence sur le déve-
loppement de la maladie dont le comte de Brandebourg ne
tarda point à être atteint. Dans les paroxismes de son état
fii'vreux, il se croyait au milieu du tumulte et de la confusion
des batailles, combattant pour sauver l'honneur île la Prusse.
Le comte de Brandebourg mourut le 6 novembre 1850, d'une
fièvre cérébrale, après quatre jours de maladie. Il a laissé
cinq filles et trois fils, dont les deux aînés, frères jumeaux ,
sont officiers dans l'armée prussienne.
BRANDEBOURG (recAHo%je). Lorsque l'électeur
de Brandebourg Frédéric-Guiflaume, dit le Grand Élec-
teur, entra en Alsace, en 1674, les gens de sa suite portaient
une espèce de casaque qui allait jusqu'à mi-jambes et qui
avait des manches plus longues que les bras. Cette mode
passa en France sous son nom, qui fut conservé à tous les
vêtements qui avaient plus ou moins d'analogie avec le pre-
mier modèle, et devint plus tard celui d'une sorte de
boutons faits en olive et ornés d'une espèce de galon ou de
frange, dont la mode existe encore.
BRANDEIS (en langue bohème, BRANXY HRAD),
ville du cercle de Kaurzim, en Bohême, située sur la rive
gauche de l'Elbe, dans une plaine fertile, compte 2,800 ha-
bitants, qui s'occupent principalement d'agriculture. Cette
ville, siège d'un doyenné, possède un gymnase et un vieux
château fort, construit, en 941, parle duc Bole.slas le Furieux.
Pendant la guerre de trente ans la ville eut beaucoup à
souffrir. Elle fut occupée en le.'JI par les Saxons, et en I639
par les troupes suédoises , qui le 30 mai mirent sous ses
murs les Impériaux en complète déroute. En 1775 un in-
cendie la détruisit presque entièrement. Sa position sur la
route de la Silésie et de la Lusace en fait le centre d'un com-
merce assez actif, qui est cependant déchu depuis l'établis-
sement du chemin de ter.
648
BRAKDEIS — BRANDON
Il y a encore en Bohême un autre Brandeis , bourg de
2,500 habitants environ , appartenant au cercle de Kœnigs-
graetz, et dépendant de la seigneurie de Trautmansdorf. Il
s'y tisse beaucoup de toiles de lin. Ce bourg était autrefois
un des principaux établissements des frères moraves ou
bohèmes.
BRAIVDES ( JEAN-CnnÉTiEN), comédien et poète dra-
matique allemand, célèbre par ses aventures, naquit à
Stettin, le 15 novembre 1735. 11 y apprenait le commerce,
lorsqu'une action contraire à la probité l'obligea de s'en-
/uir et de traverser la Prusse en mendiant son pain. Arrivé
" en Pologne, il entra d'abord comme apprenti chez un me-
nuisier; puis la faim et la misère le contraignirent à se
faire successivement gardeur de pourceaux, bateleur au
service d'un dentiste ambulant, marchand de tabac et
enfin domestique d'un gentil-homme du Holstein, qui lui fit
donner quelques leçons, et par qui il eut occasion d'assister
à quelques représentations théâtrales. Elles produisirent sur
lui une si vive impression qu'il résolut dès lors de se con-
sacrer à la profession de comédien et de s'y jiréparer de son
mieux par des travaux assidus. En 1757 il fut admis dans
la fameuse troupe de Schœnemann à Lubeck , où ses débuts
furent peu heureux. Il entra alors dans la troupe de Koch.
Après avoir été ensuite employé pendant quelque temps
dans les bureaux de la Gazette d'Altona, puis domestique
liu général Schenk en Danemark, il remonta sur les planches
en 1760, à Stettin, dans la troupe de Scliuch; et le public
l'accueillit cette fois avec plus de bienveillance. Plus tard
il joua alternativement à Munich, à Leipzig, à Hambourg,
à Hanovre, à Dresde et dans d'autres villes. La mort pré-
maturée de sa femme (1786 ) et de sa fille ( 178S) le rendit
inconsolable.
Sa femme, née en 1746, en Lilhiianie, était une actrice
consommée et l'idole du public. Excellente épouse et mère,
c'est pour elle qu'il composa son Ariadne à Naxos , pièce
dans laquelle elle obtint un succès encore sans analogue. Sa
fille, née à Berlin en 1763, était une cantatrice de pre-
mier ordre.
Brandes vécut dès lors dans la retraite à Stettin , puis
à Berlin, où il se lia avec Lessing, et où il mourut, le 10
novembre 1799, dans un complet état de misère et d'a-
bandon. Comme acteur il ne s'éleva guère au-dessus de la
médiocrité; mais comme écrivain dramatique il fit preuve
d'une grande fécondité. Ses pièces sérieuses, telles que son
drame Miss Fanny , sont dépourvues de mérite; en re-
vanche, dans ses comédies il fait preuve d'une grande
entente de la scène. L'action en est toujours vive, les ca-
ractères vrais et bien tracés, le dialogue facile et naturel;
toutes qualités qui le distinguent de la plupart des au-
teurs comi(iues ses contemporains. Sous ce rapport nous
devons surtout mentionner sa comédie intitulée Trau ,
sc/iau, wem, qui obtint à Vienne un prix offert au meilleur
ouvrage nouveau en ce ^tnre; L'Enlèvement, Le Marchand
anobli; et Le comte Olsbach. Son mélodrame Ariadne à
Aaxos, unitation de V Ariadne de Gernstenberg , dont la
musiciue fut faite une première fois par Benda (1778) et
une seconde fois par Reichardt ( 1780), obtint le plus écla-
tant succès sur toutes les scènes de r.\llemagne.
Brandes publia lui-même une édition complète de ses œu-
vres dramati(iues (8 vol.; Hambourg, 1790). Peu de temps
avant sa mort il écrivit avec autant de naïveté que de sin-
cérité son autobiographie, ouvrage aussi amusant qu'ins-
tructif (3 vol., Berlin, 1800) qui a élé traduit en français
par M. Ph. Le Bas et compris dans la collection des Mémoires
dramatiques.
BII.\Â'D1S (JoAcniM-DiETRicn), médecin du roi de Da-
nemark, né à Hildesheim, le 18 mars 1762, mort à Copen-
hague, le 28 avril 184C, lit ses études à l'université de Gœt-
tiugue. Reçu docteur en 1785, il fut bientôt après appelé
à y occuper une chaire; mais dès la fin de l'année suivante
il prit la résolution de retourner dans ea ville natale pour
y pratiquer la médecine. Nommé en 1790 médecin des
eaux de Driburg, il vints'étabhr à Brunswick, puis à Ilolze-
minden. Sa clientèle très-nombreuse ne l'empêcha pas de
se livrer h des travaux scientifiques. Outre quelques tra-
ductions d'ouvrages de médecine pratique et quelques traités
scientifiques, il publia un Essai sur la Force vitale (Ha-
novre, 1795). En 1803 il fut appelé à Kiel en qualité de
professeur, et chargé en môme temps de la direction de
la clinique. Médecin du roi Frédéric VI et de la reine pen-
dant les trois années qu'ils passèrent à Kicl , il gagna à tel
point leur confiance que ce prince le manda auprès de lui,
en 1809, à Copenhague, et lui conféra le titre de conseiller
d'État.
Sans parler de plusieurs opuscules , Brandis, pendant son
séjour à Kiel, avait publié sa Pathologie; à Copenhague,
il fit imprimer son traité Sur les moyens physiques de
gucrison ( 1818), son Essai sur la Vie humaine ( Schles-
vvig, 1823 ) ; Sur les différences qui existent entre les
maladies épidémiques et les maladies contagieuses (Co-
I)enhague, 1833 ) ; Expériences stir l'emploi du froid dans
les maladies (Berlin, 1833); Nosologie et Thérapie des
cachexies (2 vol., Berlin, 1834-1839); Sur la vie et la
polarité (Copenhague, 1836).
Son fils, Christian-Auguste Brandis, conseiller privé
de gouvernement, et professeur de philosophie à Bonn,
naquit à Hildesheim , le 13 février 1790. Il fit ses études à
Kiel et à Gœttingue, prit ses degrés à Copenhague en 1812,
après avoir soutenu une thèse publiée sous le titre Com-
mentationes Eleaticœ, et fut chargé du cours de philo-
sophie dans l'université de cette ville; mais il quitta bientôt
Copenhague pour Berlin, où il avait à peine commencé ses
leçons, que Niebuhr l'emmena avec lui à Rome, comme
secrétaire d'ambassade, en 1816. Quelque précieuse que lui
fût l'amitié de ce savant, il ne put refuser l'invitation qu'il
reçut de retourner à Berlin pour travailler aux longues et
pénibles recherches exigées par la réimpression des œuvres
d'Aristote que l'Académie royale des sciences de Berlin se
proposait d'entreprendre. 11 se consacra exclusivement, pen-
dant plusieurs années, à cette publication, dans l'uitérèt de
laquelle il visita avec Emmanuel Bekker les principales bi-
bliothèques de l'Europe. C'est en 1821 seulement qu'il entra
dans la carrière de l'enseignement, comme professeur à
Bonn. 11 publia dans cette ville la Métaphysique d'Aristote
(1823), les Scholia in Arislotelem (1836) et les Scholia
grœcain Aristotelis metaphysicam (1837). De 1827 à 1830,
il publia avec Niebuhr le Musée rhénan pour la Philologie,
l'Histoire et la Philosophie grecques. En 1837, sur l'invi-
tation du roi Olhon, il partit pour la Grèce, où il séjourna
plusieurs années comme secrétaire du cabinet du roi. Il a
rassemblé ses souvenirs sur ce pays, et les a fait imprimer
sous le titre de Communications sur la Grèce (3 vol.,
Leipzig, 1842 ). Dans son Manuel de l'histoire de la phi-
losophie grecque et ro»iaJ«e (Berlin, 1S35-1844 ), il a établi
sur une base historique solide la connaissance des systèmes
philosophiques de la Grèce; aussi ses services sous ce rap-
port sont-ils généralement appréciés.
BRANDON. Ce mot vient du verbe brandir, et dési-
gnait dans l'origine ces bouchons de paille indicateurs que
les cabaretiers attachent au-dessus de leur porte, depuis un
temps immémorial. C'était également par des brandons liés
à une perche et fixés en terre que Ton faisait savoir à tous
que le propriétaire du champ oi'i ils se trouvaient n'en avaient
plus la libre disposition , et qu'il en avait affecté la valeur au
payement d'un créancier. Souvent le brandon était placé par
celui-ci, malgré le débiteur, en exécution d'un arrêt de jus-
tice. On disait alors de l'hénlage qu'il était soî<5 le brandon :
or, comme le plus souvent cette saisie n'avait pour objet
que la récolte et non le fonds, c'est la signification qu'en
droit le mot brandon a conservée {voyfs, Saisie-Biiandon).
BRANDON — BRANICKI
fi49
Le mot brandon se prenait encore pour signifier une
torche; ce dernier sens lui est resté. On dit au figuré : Un
brandon de discorde, un brandon de guerre civile.
Le premier dimanche du carême était autrefois appelé le
dimanche des brandons, parce qu'on allumait sur les places
puhliques des feux autour desquels le peuple dansait. Les or-
donnances de plusieurs de nos rois interdisaient cette fite, qui
entraînait souvent de singuliers désordres, ainsi que les ba-
ladoires, les nocturnes, et plusieurs autres danses auxquelles
on se livrait dans les églises lors de certaines solennités.
Mais en beaucoup d'endroits les évêques et les magistrats
firent de vains efforts pour arrêter cet usage, trop fortement
enraciné pour qu'il fût possible de l'abolir d'un seul coup.
Jusqu'au milieu du dix-septième siècle, on s'opiniàtra à le
conserver dans quelques localités. Ainsi, à cette époque , le
jour de la fête de saint Martial, apôtre du Limousin, le peuple
dansait encore dans le chœur de l'église dont ce saint est le
patron. A la fin de chaque psaume, au lieu de chanter le
Gloria Patri, tout le peuple chantait en langage du pays :
San Marceau prdgats per nous, è nous epingaren per
ÔOMS; c'est-à-dire : « Saint Martial, priez pour nous, et nous
danserons pour vous. « Avant 1789 celte coutume avait été
abolie,
■ BRAJVDT ( SÉBASTIEN ) , jurisconsulte et poète satirique,
né à Strasbourg, en 1448 , docteur et professeur de droit à
l'université de Bâle, conseiller de l'empereur Maximilien l",
syndic et chancelier de sa ville natale, où il mourut en 1520,
est l'auteur du premier livre que l'imprimerie rendit vrai-
ment populaire : le Vaisseau des Fous, ou le nouveau Vais-
seau de Aarragonie, imprimé à Bàle, en 1494. Sous un titre
fort trompeur, c'est un recueil de maximes qui servaient de
texte aux sermons d'un prédicateur de Strasbourg, non
moins fameuxdans son temps que Sébastien Brandtlui-même,
Geiler de Keisersberg. Le Vaisseau des Fousful tra-
duit dans toutes les langues. Brandt n'a point la gaieté spiri-
tuelle et indulgente d'Érasme dans son Éloge de la Folie;
il censure tous les vices de son temps, comme chrétien et
comme philosophe. 11 soumet son siècle au jugement sévère
de la sagesse antique , et cite les Anciens plus souvent que
la Bible. Il est poète, d'ailleurs, à la façon d'un jurisconsulte,
écrivain très-fécond, éditeur de Virgile, traducteur des dis-
tiques de Caton en vers allemands. Ses autres ouvrages,
moins célèbres et connus seulement des érudits , Carmina
varia, De Moribus etfacetùs mensx, etc., le rangent parmi
les humanistes du quinzième siècle. Le Vaisseau des Fous ,
le seul ouvrage original qu'il ait écrit en allemand, est le seul
aussi qui marque sa place dans l'histoire politique et littéraire
de l'Allemagne parmi les précurseurs de la Réforme et parmi
les écrivains qui contribuèrent aux progrès de la langue
nationale. T. Tocssenel.
BRANDT. A ce nom se rattache la découverte du
phosphore au dix-septième siècle. L'Allemand Brandt,
mort vers 1692, était un de ces alchimistes qui cherchaient
dans de bizarres mélanges l'introuvable secret de la pierre
philosophale, usant leur fortune et leur sauté à la poursuite
des moyens de transformer en or les plus viles matières.
En distillant avec du charbon le résidu de l'urine éva-
porée, Brandt produisit vers 1609 le phosphore, qu'il ne
cherchait pas, et ne sut môme point tirer parti pour sa gloire
de cette trouvaille. A. Des Geneyez.
BRAIXDT ( Georges ) , un des chimistes les plus labo-
rieux et les plus instruits de son temps, naquit en 1694
dans la province de Westmannie (Suède). Après avoir fait
des voyages en divers j)ays pour s'assimiler toutes les cou-
naissances de l'époque en docimasie, il revint dans son pays,
et lut attaché au département des mines et nommé directeur
du laboratoire de chimie de Stockholm. Jusque alors on
n'avait compté que sept métaux , qui portaient le nom des
planètes, et le rapport de ces nombres avec celui des tons
de la gamme donnait lieu à des absurdités mctaphysi(iiies
OlCl. UE L.V CO.NM.IIS. — T. 111.
sans cesse renaissantes. Brandt démontra, en 1732 , que le
cobalt n'est pas un mélange de divers métaux, mais un
métal particulier. En 1733 il eut encore le mérite de prouver
que l'arsenic est aussi un métal; on ne le connaissait qu'à
l'état d'oxyde blanc. Il a consigné d'autres travaux intéres-
sants dans les Mémoires de V Académie de Stockholm, dont
il était membre. Brandt doit être considéré comme un des
créateurs de la chimie positive; un des premiers, il la tira
de l'ornière des systèmes pour la jeter dans la voie de l'ex-
périence. Il mourut en 1763 , regretté de tous les amis de la
science. A. Des Genevez.
BRANDT (ÉNEVOLD de), ami de Struensée, dont il
partagea le sort, appartenait à une ancienne famille noble du
Danemark, et avait rempli à la cour 'ie Chrétien VII les
fonctionside gentil-homme de la chambre. Ayant écrit au roi
une lettre dans laquelle il lui dévoilait les iniquités de son
favori Holk, il fut exilé à Altona, où Struensée fit sa con-
naissance. Une liaison intime se forma bientôt entre ces
deux jeunes hommes, amis du plaisir. En 1770 Struensée
le rappela à la cour, pour remplir auprès du roi les fonctions
qte Holk occupait auparavant. A ce moment. Chrétien VU
se livrait aux amusements les plus puérils ; et il lui arrivait -
souvent de contraindre les gens de son entourage à lutter
avec lui. Dans un de ces jeux de vilains, il arriva aussi
à Brandt d'être maltraité par Chrétien et en conséquence
de le mordre à la main pour lui faire lâcher prise; il en
était résulté entre eux un échange de dures paroles. Toute-
fois, le roi ne tarda pas à lui pardonner celte incartade , et
en signe de complète réconciliation il le nomma directeur
des fêtes de sa cour. Malgré cela, lorsque après la chute de
Struensée, Brandt fut traduit avec lui devant la même cour
de justice, les juges ne le condamnèrent pas seulement
comme complice de son ami, mais encore comme coupable
d'une voie de fait sur la personne sacrée de son souverain.
Le roi ayant confirmé la sentence , Brandt périt le premier
de la main du bourreau, le 28 avril 1772.
BRANICKI (Je\n-Clément) , grand hetman delà cou-
ronne de Pologne, né en 1088, était, par .sa mère, petit-(ils
du célèbre Czarniecki, et le dernier rejeton de la noble et
puissante famille des Branicki. Au début de sa vie, il servit
dans l'armée française. Revenu en 1715 dans son pays, il
fit partie de la confédération qui se forma contre Aiifiuste 11.
Il vit avec une profonde douleur les désastres toHJours
croissants de sa patrie ; cependant jamais il ne put prendre
sur lui de consentir à l'abolition du moindre des privilèges
qui étaient la cause première des malheurs de la Pologne. A
la mort d'Auguste III, Branicki, alors premier sénateur et
conmiandant en chef de l'armée, se mit avec Charles R ad-
ziwill à la tête du parti républicain, qui en vint même
jusqu'à lui offrir la couronne. Le parti monarchique des
Czarloryiski ayant eu le dessus dans la diète de 17G4,
Branicki , accusé de haute trahison, fut banni et dépouillé
de toutes ses charges et dignités. Son intention était d'abord
de résister à cette sentence; mais, poursuivi par les troupes
russes , il chercha et trouva un asile en Hongrie. Lors de
l'accession au trône de Poniatowski , dont Branicki avait
épousé la sœur, celui-ci rentra en Pologne, et vécut depuis
lors tranquille dans ses biens , ne s occupant plus que du
soin de faire de sa magnifique terre de Biallystock le Ver-
sailles de la Pologne. Il y construisit un château dans le
style italien, et y fit planter et dessiner un parc immense.
Hors d'état de jouer un rôle actif dans la confédération de
Bar, il la servit du moins de ses conseils et de sa bourse, et
mourut le 9 octobre 1771.
BRANICKI ou BRANECKI (François-Xavier ), d'une
autre famille que le précédent, fut aussi grand hetnian de
la couronne. Il marcha contre les confédérés de Bar à la têto
des troupes royales , puis , vingt ans plus tard , fut un des
chefs de la confédération de Targowicz, qui s'opposa à
l'établissement de la constitution du 3 mai 1791, et qui.
Si
650
BRAMCKI — BRAINTOME
protégée par Catherine II , impératrice de Russie , s'efforça
de maintenir les privilèges de la noblesse. Quand Ponia-
towski se fut rattaché à cette confédération, et que toutes
les décisions de la diète constitutionnelle eurent été annu-
lées, X. Branicki se rendit à Pétershour;^, à la této de la dé-
pLitalion qui vint remercier l'impératrice d'avoir contribué
au rétablissement des privilèges de la noblesse. Après le
partage de la Pologne, devenu sujet russe, il passa le reste
de ses jouis dans sa (erre de liialocerkiew. Il Miouri;t eu
1 8 1 9 . La trahison dont il s'était rendu coupable à l'égard doses
concitoyens lui avait valu toutes sortes de faveurs en lîussie.
îiRANLE , sorte de danse , composée de plusieurs per-
sonnes qui sautent en rond , se tenant par la main et se
donnant une agitation continuelle. Le bal chez nos pères
s'ouvrait toujours par le branle simple, suivi du branle gai,
qui consistait à tenir le pied en l'air ; puis le bal se termi-
nait |)ar le branle de sortie. 11 en fut ainsi jusqu'au milieu
du siècle dernier, où le menuet détrôna le branle. Peu de
danses ont joui d'une vogue plus universelle, car on comp-
tait des branles de Boulogne, du Barrois, de Bretagne, du
Poitou, du IJainaut, d'Avignon, d'Ecosse. On inventa aussi
le branle des lavandières, où les danseurs frappaient
dans leurs mains; celui des sabots, autrement dit des che-
vaux, où l'on battait du pied le parquet; le branle de la
torche, parce que le danseur tenait à la main une torche
ou un (lambeau allumé. Il y avait aussi des branles morgues
et gesticules , appelés aussi de la moutarde; mais enfin
tous ces branles se fondirent dans le branle à mener, où
chacun conduit la danse à son tour et se met ensuite à la
<|ueue; d'où il résulte que cette danse semble avoir une
étroite parenté avec la boulangère et le carillon de Dun-
herque, qui se partagent môme aujourd'hui l'honneur de
teruiiner jilus d'une bal de noce.
BRANLE-BAS. C'est un mot terrible en temps de guerre
à bord d'un navire que celui de branle-bas de combat!...
Dès que du haut de la dunette, ou de son banc de quart, le
cominamiaiit a fait retentir ce signal sur le pont, que cent
et c«nt échos l'ont répété dans les batteries , dans l'entrepont
et jusqu'au fond de la cale, et que le tambour a fait un rap-
pel particulier, comme le son du tocsin dans une ville po-
puleuse, tous les matelots se précipitent pour se rendre à
leur poste de combat ; les canons sont disposés à lancer la
foudre ; autour de chaque pièce se rangent en file tous les
servants ; les soutes à poudre sont ouvertes ; tous les hamacs,
décrochés et montés sur le pont , sont placés de manière à
offrir un nouvel obstacle aux boulets de l'ennemi ; les cloi-
sonsdes chambres etdes batteries disparaissent, et le navire ,
naguère brillant des commodités du lu\e, change tout à
coup d'aspect, et se présente comme une sévère arène de com-
bat ; les chirurgiens déploient tous leurs instruments ; les lits
et les tables qui doivent lecevoir les blessés , les linges qui
serviront à bander leurs plaies, funèbre appareil des suites
du carnage , etqui fait sur l'âme une impression plusprofonde
que le carnage même.
Au mouvement bruyant qui vient d'agiter le vaisseau suc-
cède tout à coup un silence de mort : chacun reste immo-
bile à son poste; tous les yeux se tournent avec anxiété vers
le chef, qui va donner le signal du comliat : on échange quel-
ques regards significatifs; c'est \m a-lieu d'amis, c'est un
soupir de tendresse, c'est une derrière (u-nsée à sa patrie, à
tout ce qu'on aime; on n'entend plus (jue le sillage du bâ-
timent ou le bruit de la mer qui se brise contre ses lianes;
c'est connue le roulement du tonnerie cpii prélude aux éclats
d'un orage. Ceux qui sont placés de manière à distinguer les
objets en dehors du navire, examinent attentivement le vais-
seau que l'on va combattre; ils cherchent à deviner le mo-
ntent où les bouches noires {\tis, canons qui sont dirigés con-
tre eux, vomiront le fer et la mort. Quelle poésie sombre et
imposante poiu-r;:it représenter toutes les passions qui s'agi-
teul en ce monieid au tond dos cœurs, alors qu'enlermés
dans leurs murailles, tous les matelots, debout et immo-
biles, menacés de la mort, mais incertains du moment précis
où elle viendra les atteindre, attendent dans une apparente'
impassibilité le signal qui leur permettra de renvoyerle trépas'
à l'ennemi.
Dans cet instant de silence, le commandant fait ordinaire-
ment une allocution courte, et qui manque rarement depro-
duire un grand effet. Gloire, honneur et patrie! voilà les
mots qui réveillent au cœur des matelots des sentiments hé-
roïques. Qu'il est sublime ce signal de Neison à Trafalgar
au moment où toute Parmée était préparée au combat :
« L'Angleterre compte qu'aujourd'hui chacun de ses défen-
seurs fera son devoir! » Et ces paroles furent écoutées avec
un religieux recueillement.
Les ténèbres rendent encore le branle-bas plus imposant :
au milieu d'une nuit sombre, deux bâtiments se rencon-
trent ; l'un d'eux ignore la présence de l'ennemi dans les pa-
rages oii il croise; il s'approche, et le bêle dans la langue
de son pays ; soudain l'autre navire laisse tomber ses man-
telets de sabords : il est prêt à combattre; tous les canon-
niers sont à leurs pièces; deux longues lignes de fanaux
éclairent les batteries, et jettent sur l'eau un lugubre reflet ,
et une horrible décharge de quarante pièces de canon réveille
cruellement le premier navire de son erreur. C'est dans la
Manche que s'est passée cette scène.
Le mot branle-bas vient de ce qu'à ce commandement, tous
les hamacs, autrefois nommés branles , sont décrochés et
mis dans les filets de bastingage. Théogène Page.
BRAJVIVOVICES, BP.a:Ni\0 VIENS ou AULERQUES,
peuples des Gaules qui, selon César, habitaient la première
Lyonnaise , vers l'ouest , le long de la Loire. Il les cite
parmi les clients des Éduens. Davies, qui a donné une belle
édition de César, remarque dans une note qu'il n'est fait ail-
leurs aucune mention des Aulerques-Brannovices. Il ajoute
que tous les manuscrits distinguent ces mots par des virgu-
les, Aulercis, Brannovicibus et Brannoviis ; le grec les dis-
tingue de même, en sorte qu'il paraîtrait que ce sont trois
peuples différents.
BRANTÔME ( Pierre de BORDEILLE ou de BOUR-
DEILLES, seigneur de l'abbaye de), naquit en Périgord, vers
1527. Il obtint très-jeune l'abbaye de Brantôme, un des
plus riches bénéfices du Périgord. Rien de plus ordinaire
alors que de voir des abbayes données à des hommes
d'épée, et même à des dames. Les grands bénéfices ecclé-
siastiques étaient considérés comme des seigneuries amo-
vibles à la disposition du roi , plutôt que comme des char-
ges et des dignités essentiellement religieuses. Homme d'é- '
pée et courtisan par état et par goût, Brantôme ne cessa
point de suivre les armées et la cour; il fut souvent em|)loyiî
dans des missions diplomatiques, et fut gontil-honnne de la
chambre des rois Charles IX et Henri 111, décoré de leurs
ordres et de plusieurs ordres d'Ecosse et d'Italie. « Il avoit
beaucoup d'esprit et de bonnes lettres, dit Le Laboureur; il
e-toit fort gentil dans sa jeunesse; mais j'ai appris de ceux"
qui l'ont connu que le chagrin de ses vieux jours luy fiist
plus pesant que ses armes et plus déplaisant que tous les
travaux de la guerre et les fatigues, tant de mer que de terre,
en Ions .ses voyages. Il regrettoit le temps passé, la perte
de sesaniis , et ne voyoit rien qui approchast de la cour des
Valois, oii il avoit esté nourry. )>
Braidome a hii-même esquissé sa biographie en f'rrivant
celle de Duguat : « Dès lors que je commençai, dit-il, de
sortir de sujcition de père et de mère et de l'école, je me
mis à voyager ft».r voyages quej'ay faits aux guerres cl aux
cours, dans la France, lorsque la paix y esloit, pour cher-
cher advcnture, fust pour guerre , fust pourvoir le monde ;
en Italie, en Ecosse, en Espagne ou en Portugal, dont
jcuii-oitai ïhabi/o (décoration) do Chrislo, (hupiel le roi
de Portugal m'honora, qui est l'ordre de là. Estant tourné du
M>yago du Pignon de Wlezen Harbarie, puis eu Italie, même
BRANTOME
à Malle pour le siège, à la gouIcUe d'Afrique, en Grèce, et
autres lieux estrangers, quej'ay cent fois mieux aimés pour
séjour queceluy de ma patrie, etc. " De Tliou nomme Bran-
tôme parmi les gentils-hommes français qui passèrent à Malte
en 1505. Brantôme avait pris la résolution de s'y faire re-
cevoir chevalier. Strozzi , son ami , l'en empêcha. « Je m'y
laissai aller ainsi, ajoute-t-il, aux persuasions de mon ami,
et m'en retournay eu France, où, pipé d'espérance, je n'ay
reçu d'autre fortune, sinon que je suis esté. Dieu merci,
assez toujours aimé, connu et bien venu des rois mes
maistres , des grands seigneurs et princes, de mes reines, de
mes princesses, bref, d'un cliascuu et chascune, qui m'ont
en telle estime, que, sans me vanter, le nom de Brantosme y a
esté très-bien en grande renommée ; mais toutes telles fa-
veurs, telles grandeurs, telles vanités et telles vanteries,
telles gentillesses, tel bon temps, s'en sont allés dans le vent,
et ne m'est rien resté que d'avoir este tout cela, et un
soubvenir encore qui quelquefois me plaist, queKiuefois me
déplaist, m'advançant sur la maudite chenue vieillesse, le
pire de tous les maux du monde, en sus la pauvreté,
qui ne se peult réparer comme dans un bel âge llorissant,
à qui rien n'est impossible, me re|)entant cent mille fois des
braves extraordinaires dépenses que j'ay faites autrefois. »
L'abbé de Brantôme, comme tous les vieux pécheurs, ne
se repentait pas mille fois de la joyeuse vie qu'il avait
menée dans sa florissante jeunesse, mais il regrettait les
folles dépenses qu'il avait faites, et ne voyait que sa pau-
vreté actuelle et l'impuissance de se livrer encore aux folies
du jeune âge. Marguerite de Valois lui adressa ses œuvres.
11 eut aussi, sans doute, part aux libéralités que cette prin-
cesse prodiguait aux gens de lettres, qui la payaient en
éloges et en encens, et par les beaux noms de déesse et de
Vénus-Vranie. Dans la position élevée où il se trouvait
placé à la cour, Brantôme ne pouvait rester neutre, et il
s'était prononcé en faveur des Guises; il dissimulait avec
plus d'adresse que de succès son antipathie pour la maison
de Bourbon ; il ne voyait rien au-dessus delà cour des Va-
lois , et les Guise seuls lui paraissaient capables d'en con-
tinuer l'éclat et la magnificence : c'était l'opinion de tous les
courtisans, dont il partageait les plaisirs et les vices, et dont
il a tracé les poitraits avec une naive et cynique fidélité.
Initié à toutes les intrigues galantes et politiques de cette
cour si dévote et si corrompue , il se fit le peintre et l'his-
torien de toutes les individualités conteujporaines célèbres
ou fameuses : toutes posèrent devant lui; ses nombreux
portraits sont frappants de ressemblance ; sa manière n'est
qu'à lui. 11 n'eut point de modèle, et n'a point de rivaux :
il peint d'après nature. Le lecteur avide d'émotions vives et
variées le suit dans les camps , à la cour, dans les cabinets
des ministres , sous la tente des généraux , dans les solen-
nités publiques, et dans les orgies des petits appartements.
Des guerriers habiles et valeureux, des hommes d'État
distingués, de grands magistrats, des hommes de cour et de
plaisir, des reines, des princesses, de grandes dames, par-
tageaient alors leur temps entre les pratiques de la dévotion
la plus minutieuse et celles de la plus stupide superstition.
Les Mémoires des illustres capitaines Jfançais et étran-
gers ont presque toujours la gravité et l'intérêt de l'his-
toire; mais ceux des Daines galantes n'appartiennent qu'au
tableau des mœurs privées, et sont, sous ce rapport, très-
intéressants , quoique trop souvent hideux de scandale et
de vérité. Dans ce vaste panorama, si animé, si brillant,
l'auteur nous montre à nu les faits et les personnages les plus
influents de cette époque si féconde en événements extra-
ordinaires. Si pour quelques-uns de ces personnages c'est
un monument de gloire , le plus grand nombre n'en retire
que le stigmate indélébile de l'infamie. Mais à ces der-
niers l'auteur courtisan réserve une fiche de consolation :
le dernier trait n'est qu'un compliment; l'éloge fait passer
' l'épigramme, mais sans en émousser la pointe.
BRAS
651
Brantôme mounit dans un âge très-avancé, le 5juillet l«i4.
Il avait assisté aux grands et déplorables événements des
règnes de Charles IX, Henri III, Henri IV, et avait vu com-
mencer celui de Louis XIII. Ses mémoires, publiés en iciô
à Leyde, en 12 petits volumes, obtinrent un succès prodi-
gieux; ils ont eu de nombreuses éditions en France et à
l'étranger.
On doit considérer comme une suite nécessaire des Mé-
moires de Brantôme ceux de Bordeille de Montrésor, son
petit-neveu, publiés aussi à Leyde, et dans le même format,
en ICOô, 2 vol. in-ls. Les œuvres de Brantôme compren-
nent : 1" Vies des hommes illustres et grands capitaines
français; 2° la Vie des grands capitaines étrangers;
3° la Vie des dames galantes; 4" Zes Rodomontades et ju-
rements des Espagnols. On a donné à Brantôme le nom
de valet de chambre de l'histoire, à cause des détails minu-
tieux et intimes qu'il prodigue dans ses confidences. On l'a
appelé aussi le Plutarque français. Cette qualification est
moins juste : il y a entre l'historien philosophe grec et le
biographe courtisan français du seizième siècle toute la dis-
tance des héros de Salamine et des Thermopyles aux dames
de la petite bande de Catherine de Médicis et aux mignons
de Henri III. Dufey (de l'Yonne).
BRAQUE (de Ppa^û;, bref, court). Les anciens, en
général bons observateurs, avaient fait la remarque que les
individus courtsde taille agissent d'ordinaire par mouvements
brusques, précipités, et sont cassants dans leurs actes ou
leurs décisions. Tels sont la plupart des petits hommes, si
prompts, si volontaires : tel on nous dépeint, dans l'his-
toire de France, Pépin le Bref. Us ont, dit-on, la tête prè.%
du bonnet, et prennent des déterminations trop rapides
pour être toujours prudentes. C'est qu'en eux la circulation
est vive; elle accomplit son cycle en bien moins de temps
que chez les géants, longs corps flasques et indolents pour
la plupart. Rarement on rencontre des braques parmi ceux
ci, tant s'accordent le physique et le morall Aussi une sou-
ris est bien plus mobile qu'un éléphant.
Le tempérament bilieux et le sanguin sont plus souvent
braques, dans la jeunesse principalement, que le moi:
lymphatique ou le méticuleux mélancolique, ceux-ci dans
leur vieillesse surtout. Les individus à complexion sensible,
à fibres grêles, sont exposés à des impressions rapides, pou-
vant les rendre violents , sans leur donner le temps de ré-
fléchir. Aussi se repentent-ils d'avoir fait ou ordonné des
actes très-dangereux ou répréhensibles , comme il arrive à
des princes absolus , dans des moments d'ivresse , par
exemple.
L'homme distrait est souvent braque. C'est un vice orga-
nique qu'on peut corriger, avec beaucoup d'attention, à la
longue. Ce défaut empêche de bien comprendre et de bien
agir. J.-J. ViREY.
BRAQUE, espèce de chien qui diffère du cliien cou-
rant par un museau moins long et moins large, par des
oreilles plus courtes, à demi pendantes, des jambes plus
longues, le corps plus épais, la queue plus charnue et plus
courte. Il est blanc ou tacheté de noir et de fauve. On l'em-
ploie principalement comme chien d'arrêt dans la chasse
aux lièvres, aux faisans , etc. Il est admirable pour décou-
vrir à l'odorat la trace des cailles et des perdrix.
Le braque du Bengale est moucheté : cette race a moins
de nez que la précédente , mais elle chasse bien aussi.
BRAQUEMAR ou BRAQUEMART (de ppaxeïa,
courte, et [Aâyaipa, épee), épée courte et large, qu'on por-
tait le long de la cuisse , à l'époque des premières croisades.
Elle reparut momentanément en France, sous Henri IV.
sans que l'espadon cessât pour cela d'être en usage.
BRAS. Ce mot , qui désigne dans le langage vulgaire la
îotalité de chacun des membres supérieurs ou thoraciques de
l'homme, a un sens plus restreint pour l'anatomiste : le bras
pour lui est la partie comprise entre l'épaule et le coude,
S2.
652
BRAS
où commence Vavant-bras, qui se termine à la main. Ainsi
envisagé, le bras est à peu près cylindrique; sa longueur,
((ui chez le fœtus est moindre (jue celle de l'avant-bras , dé-
passe plus tard celle-ci d'un cinquième environ. Un seul os
en constitue la partie centrale : c'est Yhumérus, dont
l'extréinilé supérieure s'articule avec l'omoplate et contribue
à former l'épaule , tandis que l'extrémité inférieure forme le
coude en s'articulant avec le radius et le cm6 î^ms, qui
sont les deux os de l'avant-bras.
Divers muscles entourent Tbumérus et s'insèrent sur lui ,
mais quatre seulement appartiennent en propre au bras : ce
sont les muscles triceps brachial en arrière, caraco-bra-
chial en dedans, brachial antérieur et biceps en avant.
Parmi les autres muscles qui appartiennent à l'épaule et qui
recouvrent la partie supérieure de l'bumérus, le plus im-
portant cstle deltoïde.
Les muscles de l'avant-bras sont beaucoup plus nom-
breux. Les uns ( muscles rond pronateur, carré prona-
tcur, fjrand et petit supinateur ) servent aux mouvements
de pronation et de supination. Les autres {\& grand palmaire,
\q petit palmaire, le cubital antérieur, \c fléchisseur su-
perficiel et le fléchisseur pro/ond des doigts, le grand
fléchisseur du pouce, l'extenseur commun des doigts,
V extenseur du petit doigt, le cubital postérieur, le grand
adducteur du pouce, \e petit extenseur du pouce, le grand
extenseur du pouce, Vextenseur propre de l'index, le
premier et le second radial ) sont destinés à la flexion et à
l'extension de la main et des doigts. Enfin un seul muscle,
Vanconé , sert à l'extension de l'avant-bras sur le bras.
L'artère principale du bras fait suite à l'artère axillaire
( voyez Artères ) , et porte le nom (Tartèré humérale ou
brachiale. Située d'abord tout à fait en dedans du bras, au-
dessous du creux de l'aisselle, elle descend vers l'avant-bras,
en se dirigeant un peu en avant et en suivant le trajet d'une
ligne qui s'étendrait obliquement du milieu du creux de l'ais-
selle à la partie moyenne du pli du coude; elle est ainsi ap-
pliquée le long du bord interne du biceps. Après avoir donné
naissance aux artères collatérales , et à peu près au ni-
veau du pli du coude, elle se divise en deux branches situées
à la partie antérieure de l'avant-bras, et descendant jus-
qu'à la main , entre les couches formées par les muscles
nommés i)lus haut. La branche interne qui suit assez exac-
tement la direction du cubitus, porte le nom d'artère cubi-
tale. L'autre branche, nommée artère radiale, côtoie le
côté interne de l'avant-bras; en bas, elle n'est recouverte
que par la peau , et c'est sur elle que les médecins tatent Je
pouls.
Parmi les veines du bras, on en voit deux qui accom-
pagnent l'artère brachiale et sont placées au-devant d'elle;
les autres (la basilique et la cépliuUque), sont isolées, et
se continuent dans l'avant-bras, où on trouve aussi deux
veines radiales et deux veines cubitales, qui suivent
exactement le trajet des artères de même nom. A l'avant-
bras appartient encore la médiane, qui se divise à trois
centimètres environ au-dessous du pli du bras en deux ra-
meaux, qui vont joindre en remonlant; l'un sous le nom de
médiane basilique, la veine basilique, l'autre sous le nom
de médiane céphalique , la veine céphalicjue. Il est utile de
connaître ces veines pour pratiquer la saignée du bras; il
faut surtout se rappeler que l'artère brachiale est souvent
très-rajiprochée de la veine basilique, et qu'en piquant celle-
ci on a quelquefois blessé l'ailère , accident assez grave.
Les nerfs du bras et de l'avant-bras sont au nombre de
cinq, savoir : le radial, le musculo-cutané, le cutané in-
Icrnc, qui suit le trajet de la veine basilique et peut être lésé
loi s(]ir()ii saigne celle-ci ; le médian, qui accompagne l'artère
l)rachiale ; et le cubital, qui descend le long de la partie in-
terne du bras et passe au coude, entre deux éminences os-
seuses nommées Vépitrochlée et Volécrâne. Aussi laçons
jircssion exercée entre ces deux saillies est-elle très-dou-
loureuse; de là encore la douleur et l'engourdisseraent que
l'on éprouve souvent après un léger choc au coude.
Le bras et l'avant-bras ne sont pas sujets à des maladies
spéciales : ils peuvent être , comme d'autres parties du
corps , le siège d'éruptions cutanées, d'ulcères, d'alTcès, etc.
Les membres thoraciques , par la longueur des os qui les
composent , sont, ainsi que les membres abdominanx, plus
fréquemment exposés aux fractures et aux luxations
que les autres pièces de notre charpente osseuse. Mais,
dans les cas qui peuvent nécessiter l'amputation , l'avant-
bras offre l'avantage que cette opération se fait le plus bas
possible, tandis que pour la jambe on est obligé de sacrifier
le membre entier. C'est sur les bras que se font communé-
ment les piqûres du vaccin. Ces membres sont aussi le
siège ordinaire des vésicatoires dérivatifs et des cautères.
Quelque nombreux et vaiiés que soient les phénomènes
physiologiques du bras et de l'avant-bras, nous pouvons les
réduire à quatre principaux, savoir : la sensation, la pro-
tection, les mouvements et la nutrition. En effet, la peau,
plus dense et pourvue de poils plus ou moins nombreux en
arrière et en dehors, plus fine, plus délicate et nue en de-
dans et en avant, protège les parties soujacentes. La déli-
catesse de son tissu, qui la rend plus sensible sur les faces
de flexion, est en harmonie avec la direction des mouvements
dans le phénomène de l'embrassement, et réciproquement
la densité du tissu et les poils plus nombreux des faces d'ex-
tension la rendent plus propre à la protection contre l'action
des corps extérieurs. La couche fibreuse { aponévrose du
bras et de l'avant-bras ), subjacente à la peau, enveloppe im-
médiatement les chairs ou mascles, les protège et les bride
dans leurs mouvements, tant au dehors qu'au dedans, au
moyen des cloisons nombreuses qui vont s'insérer jusqu'aux
os. Les chairs ( corps charnus des muscles et leurs tendons )
forment aussi des couches qui enveloppent les os , et les
garantissent des chocs des corps étrangers. Les os, qui sont
les organes les plus solides et qui fournissent à un très-grand
nombre de muscles leurs points d'insertion, concourent à pro-
duire les mouvements dont ils sont les organes passifs, tandis
que les muscles en sont les agents ou organes actifs. Les join-
tures ou articulations du bras avec l'épaule, du bras avec l'a-
vant-bras, et des os de l'avant-bras entre eux, réunissent toute»
les conditions pour l'étendue et la variété de ses mouvements.
Ladiversité, lamultiplicitédeces mouvements, l» d'élévation,
d'abaissement, d'abduction, d'adduction, de rotation et de
circumduction, exécutés par le bras ; 2° de flexion , d'extension,
de supination, de pronation de l'avant-bras; leur combinai-
son, leur succession, leur alternative et leur simultanéité,
enfin leur rapidité et leur énergie plus ou moins grandes,
toujours appropriées aux besoins de l'intelligence, sont les
vrais éléments de la force, de la vigueur et de l'adresse du
bras et de l'avant-bras, en faisant ici abstraction de la main.
Si l'on y joint la sensibilité de la peau des bras, dont l'ha-
bitude perfectionne l'exercice, on ne sera nullement étonné
des travaux exécutés par des m a n c h o t s , soit de naissance,
soit après l'amputation de la main ou de l'avant-bras, ou même
de la partie inférieure du bras. Le balancement des membres
supérieurs pendant la marche, leurs mouvements combinés
avec ceux de tout le corps dans les gestes, leur situation fixe
dans diverses attitudes pendant qu'on fait des eflorts, soit
pour sauter, soit pour repousser, pour retenir ou résister,
leur participation au phénomène de la préhension dc<s cori)S,
enfin la combinaison de tous ces actes ou résultats de la
locomotion et de la sensibilité du bras et de l'avant-bras,!
secondes par l'action de la main, et diriges par le génie des!
arts, sont les phénomènes physiologiques par lesquels se]
manilesie la puissance industrielle de l'espèce humaine.
Les mouvements que nous venons d'énumérer exercent]
une influence remarquable sur la nutrition des deux partie.^]
que nous étudions. L'observation nous apjirend qu'en géné-
ral les maîtres d'escrime, les boulangers, les gabiers ( ma»
rins chargés des plus rudes travaux de la navigation ), ont
habituellement les bras bien nourris et très-forts.
Si, procédant depuis les singes jusqu'aux derniers poissons,
on jette un coup d'oeil rapide sur les parties qui correspondent
au bras et à l'avant-bras de l'homme dans toute la série des
animaux vertébrés qui ont quatre membres ou au moins
deux, on reconnaît tout de suite les modifications nom-
breuses qu'elles ont dû subir pour la variété infinie des
fonctions qu'elles exécutent ou auxquelles elles concourent
( voyez Aile, Nageoire). Les divers genres de station , de
locomotion des vertèbres sur et dans le sol, sur les arbres,
dans l'nir et dans un milieu aqueux, ont nécessité toutes
ces modifications, qui consistent dans des formes très- variées,
dans divers degrés d'organisation et dans des proportions
différentes du bras et de l'avant-bras, soit entre eux, soit
avec l'épaule et la main ou pied antérieur. En général, plus
le vertébré devient nageur, et plus le bras et l'avant-bras
se raccourcissent, au point que dans les poissons on n'en
trouve même plus de vestiges. A l'égard des parties qu'on
pourrait regarder dans les membres des insectes, des arach-
nides et des crustacés , comme des analogues du bras et
de l'avant-bras des vertébrés, nous n'en parlerons pas, et
nous motiverons notre silence sur ce que les anatomistes
les désignent sous d'autres noms.
Bras est souvent synonyme de force, puissance, cou-
rage et protection. C'est dans ce sens qu'on dit le bras de
Dieu et le bras séculier. Se jeter dans les bras de quel-
qu'un, c'est implorer son appui. Malheureusement le pro-
tecteur généreux s'expose parfois à garder longtemps le
protégé sur les bras. Être le bras droit de quelqu'un,
c'est être en tout son principal agent, son confident, son
aide de camp, son acolyte, selon la circonstance et la posi-
tion. Avoir le bras long, c'est avoir du crédit, du pouvoir.
Frapper à bras raccourci, c'est frapper sans mesure et
de toutes ses forces. Saisir (pielqu'un à bras-le-corps , c'est
l'emporter dans ses bras. Les bons bras font les bonnes
lames est un vieux proverbe qui signifie que toute arme est
bonne dans la main d'un homme de cœur. Aux bras ! aux
bras ! était un cri de guerre des anciens Francs ; et Vordre
du bras armé, un ordre militaire du Danemark, réuni
plus tard à celui de VÉlcphant.
Les bras jouent un grand rôle dans notre civilisation mo-
derne. Vivre de ses bras, c'est s'entretenir de ce que leur
travail rapporte , comme rester les bras croisés , c'est ne
rien faire , se tenir dans l'attitude de Napoléon , qui pourtant
ne se servait pas mal des siens. Faire les beaux bras est
le propre des bipèdes qui se donnent de grands airs. Mais
oubliez-vous de les traiter de messeigneurs gros comme
le bras, les bras leur tombent, vous leur avez coupé bras
et jambes, par votre indifférence. Us se jettent accablés
dans le premier fauteuil qui leur tend les bras.
Voiis retrouvez encore le bras dans le Dictionnaire des
Étiquettes. Voulez-vous accompagner une dame à la pro-
menade, dans ses courses, dans ses visites, votre premier
soin est de lui présenter un de vos bras, replié à la jointure
du coude, en le soutenant à une certaine hauteur, afin
qu'elle pose le sien dessus et s'appuie sur le vôtre en mar-
ciiant. Cela s'appelle donner le bras. La manière dont on
l'accepte est pleine de mystères. La légèreté, la pesanteur,
la pression du bras qui s'appuie, signifie, dans la langue des
amoureux, mille petits riens que le vulgaire ne comprend
pas. Se donner le bras se dit d'une paire d'amis cheminant
bras dessus bras rfe.ssoM.î , c'est-à-dire le bras de l'un passé
dans le bras de l'autre, à la façon de Castor et Pollux , ou
de Pylade et Oreste. C'est vieux comme le monde.
BRAS {Ichthyologie), nom vulgaire delà raie bou-
clée.
BRAS (Marine), nom donné aux manœuvres appliquées
à l'extrémitédes vergues pour les faire mouvoir horizonlale-
♦l'.ent sur leur point de contact avec les mâts.
BRAS — BRASCASSAT 653
BRASCASSAT (Jacques-Raymo?»)), membre del'Acadé-
mie des Beaux- Arts, peintre de paysage et d'animaux, élève
de Richard, né à Bordeaux le 30 août 1S05, remporta en 1825
le grand prix de paysage historique, dont le sujet était la
Chasse de Méléagre; et de Rome, où il était allé compléter
ses études, il envoya à l'exposition de 1827 Mercure et Argus,
paysage historique, et trois vues d'Italie. Il e^ posa également
en 1831 quatre autres paysages ; enfin , sept nouvelles pro-
ductions vinrent, en 183.3, consolider sa réputation naissante.
Dès 1831 il avait exposé un tableau avec des brebis; mais
en 1834 son Taureau se frottant contre un arbre et son
Repos d'animaux semblèrent décider sa vocation. Depuis,
il s'est consacré presque exclusivement au genre de peinture
que certains maîtres flamands ont si heureusement cultivé.
On admira encore au salon de 1837 sà Lutte de taureaux.
Enfin un grand nombre d'autres tableaux représentant des
repos , des pâturages avec animaux , des parcs et des
études, exposés depuis quatorze ans, ont prouvé que le ta-
lent de Brascassat n'a fait que croître dans le genre qu'il a
choisi.
Mais pourquoi Brascassat a-t-il entièrement abandonné le
paysage historique? Pourquoi semble-t-il avoir quitté pour
toujours une route où il pouvait devenir l'émule du Poussin,
pour se faire exclusivement dans une autre le rival de Paul
Potter? Nous ne saurions le dire; ce qu'il y a de cer-
tain , c'est que dans ses tableaux vous croiriez entendre
le mouton qui bêle, le chien qui aboie, le taureau qui
mugit ; ses troupeaux marchent avec le berger , courent
avec l'orage, et si deux de ces animaux s'attaquent, vous
devinez leur colère , leur délire , leur violent désir de
vaincre ; vous les croiriez appauvris de toutes les passions
des hommes. Quand Brascassat jette dans un de ses cadres,
autour desquels la foule se presse attentive, émerveillée, le
lièvre , la perdrix , le lapin , la caille , le faisan , abattus par
le plomb du chasseur, vous vous demandez où est le Lu-
cullus moderne dont le palais va savourer ces richesses
culinaires; cela est en refipf, cela vient de mourir, cela
conserve son parfum , son duvet ; vous admirez par tous vos
sens. Il est impossible de colorer plus chaudement, c'est
le coup de pinceau large sans tâtonnement, c'est une pâte
ferme, une transparence dans les ombres que vous cherche-
riez vainement autre part à un aussi haut degré. La plume
de ses volatiles a son duvet, son moelleux, son luisant; elle
se soulève à la brise ; les poils de ses vaches , de ses brebis
de ses taureaux se hérissent, se combattent, en suivant avec
une admirable harmonie l'anatomie del'animal, et vous vous
avancez involontairement pour les flatter de la main ou en
chasser les taches que la terre boueuse vient de leur im-
primer....
Ce qui surprend tout d'abord dans ce poète d'animaux,
c'est la science, mais une science sans recherche, sans
calcul , et pourtant il y a là de l'ordre dans le désordre, de
l'harmonie dans le chaos. Voyez cette masse compacte de
moutons qui bêlent, broutent, folâtrent, se taquinent,
vous diriez une nuée de bambins venant de conquérir leur
liberté menacée. Comme ces derniers , ils cheminent , ils
s'emboîtent, si je peux m'exprimer ainsi; ils vivent, ils
sont heureux , et cependant vous remarquez là-bas , là-bas,
le redoutable abattoir qui s'ouvre et réclame sa pâture. J'ai
appelé poète l'auteur de ces admirables pages, je n'ai point
commis d'erreur. La poésie s'adresse à l'âme, elle la ré-
chauffe au feu de toutes les passions, elle la rend craintive,
elle l'endolorit, elle la brise, elle la torture. Je vous défie
de ne point vous attendrir aux regards inquiets de cette
pauvre petite brebis qui cherche une mère et l'appelle avec
un cri tout imprégné de tendresse.
Est-ce que le berger ne s'arme pas de la fourche et de
son fusil à ras[)ectdc ce loup gtiettezn; qui certes n'a pas
déjeuné , tant son œil fauve cherche la porte de la berge-
rie , tant sa gueule rouge est avide de sang ! On dirait que
654
BRASCASSAT — BRASSE
Krascassat a une cabane bien dose sur quelque cime py-
rénéenne , et qu'il est venu là étudier les mœurs des liôtes
farouches qui peuplent ces lieux solitaires. Qu'il est beau le
parc de brebis! qu'il est amusant! qu'il est vrai ! C'est en
présence de ces pauvres petits êtres chétifs que madame de
Sévigné pourrait bien s'écrier : <• Qui sait? parmi tous ces
drôles, il n'y en a peut-être pas un seul qui soit tendre! »
Le berger n'est pas là , n'importe ; les prisonniers n'ont pas
envie d'aller chercher pûture ailleurs. Us sont fatigués de
leurs courses de la journée, ils viennent de rentrer, ils
vont se reposer et dormir. Tout à l'heure ce sera le calme
et le silence maintenant c'est encore du bruit, c'est l'ins-
tant qui précède le sommeil. Oh ! que je porte envie à
l'acquéreur de ce cadre! Comment ne voulez-vous pas que
le bétail s'engraisse dans ce magnifique pâturage , où vous
croyez voir la rosée pendue en diamants sur chaque brin
d'herbe ? Brascassat a fait ici un vol à la nature. Taureaux
ou lapins, dogues ou lévriers , brebis ou vaches , tous nos
animaux domestiques ont été traduits sur la toile par notre
célèbre peintre avec une variété , avec une poésie , qui nous
faitdire:PaulPottervitencore,Brascassatne mourra point...
Déjà chevalier de la Légion d'Honneur, Brascassat a été
élu en 1846 membre de l'Académie des Beaux-Arts, en
remplacement du vieux Bidault. Jacques Aiiago.
BRASIDAS, l'un des plus célèbres généraux des La-
cédémoniens , et que ce peuple , chez qui il ne naissait point
un lâche, ne craignit pas d'appeler « le plus brave des Spar-
tiates w, était fils de Tabès. L'an 431 avant J.-C, dans la
première année de la guerre du Péloponnèse, il sauva Mé-
thone (aujourd'hui Modon ), près de tomber aux mains des
Athéniens. Bientôt , donné pour conseil à Alcidas , il l'ac-
compagna dans une expédition contre Corcyre, qui n'eut
aucun résultat avantageux , malgré une si redoutable asso-
ciation : la bravoure et l'expérience. Elles ne purent triom-
pher de la marine formidable des Corcyréens. Quelque
temps après, Brasidas fut dangereusement blessé dans un
combat livré aux environs de Pylos, entre l'Élide et la
Messénie. Sitôt sa blessure fermée , il se jeta , à la tète
d'une armée, dans la Chalcidique, portion de la Macédoine
que domine le mont Athos , et où les rivages de la mer
traient peuplés de colonies grecques, toutes sous la puissance
d'Athènes ou dans son alliance. Ce général prit en courant
la plupart de ces villes maritimes , dont plusieurs ouvrirent
leurs ports et d'autres demandèrent l'alliance de Lacédé-
inone. Il ne lui restait plus à soumettre que Potidée, la ville
la plus importante de cette contrée, sur l'isthme de Pallène.
Les Athéniens y envoyaient, en toute hâte, une armée d'élite,
commandée par Cléon. Brasidas marcha contre lui, le
rencontra près d'Amphipolis , dans la Thrace , sur le fleuve
Strymon. Là fut livré un combat acharné ; les Athéniens ne
purent résister à l'impétuosité des Spartiates, que poussaient
et animaient leurs nombreuses et récentes victoires; ils fu-
rent taillés en pièces. Athènes perdit dans les plaines d'Am-
phipolis la fleur de ses combattants; Cléon resta sur le
<:hamp de bataille , et Brasidas , mortellement blessé , fut
porté à Amphipolis, où il expira. Ce combat eut lieu l'an 422
avant J.-C.
Ainsi périrent aux mômes lieux, le même jour, au même
moment, de la môme mort, ces deux hommes si différents,
qui seuls prolongèrent la malheureuse guerre du Pélopon-
nèse. « L'un y trouvait, ditriuturque, des occasions de
faire de grandes injustices, laiitie celle de s'illustrer par de
grands exploits. » La nouvelle de la victoire arriva à Sparte
avant le corps de Brasidas. Les envoyés qui apprirent à sa
mcre la mort de ce brave des braves cherchaient à prévenir
ses larmes en exaltant la valeur et la gloire de son fils ; la
Spartiate, indignée qu'on lui lit la honte de la consoler, leur
répondit : « Lst-ce que Sparte n'est pas pleine de héros? »
Sparte éleva à la mère et au fils un monument public, ne
sachant qui des deux avait eu l'ànie la plus héroïque.
BRASIDEES, fêtes qui se célébraient à Amphipolw,
et qui avaient été instituées en l'honneur de Brasidas,
général lacédémonien , tué devant cette ville, en combat-
tant les Athéniens. Ces fêtes consistaient en sacrifices et en
jeux auprès de sa tombe. Il fallait être citoyen de Lacédé-
raone pour avoir le droit d'y paraître, et l'on punissait d'une
amende quiconque négligeait d'y assister sans avoir pré-
venu les magistrats.
BRASIER. On entend à la fois par ce mot un feu de
bois ou de charbon bien allumé et à demi consumé, et une
espèce de vase portatif, de vaisseau large et plat, où l'on
met de la braise allumée pour chauffer une chambre. Chez
les anciens , qui n'avaient point d'autre cheminée que cdle
de la cuisine, les appartements intérieurs ne se chauffaient
pas autrement qu'avec des brasiers , dans lesquels on met-
tait des charbons allumés ; et comme ils avaient la même
forme que ceux sur lesquels on allumait le feu sacré dans
les temples , et qu'ils reposaient de même sur trois pieds
placés en triangle, on donnait indistmctement le nom de
trépieds aux uns et aux autres. On en fabriquait avec toutes
espèces de métaux; mais on y employait le bronze de préfé-
rence, et les artistes s'appliquaient à en orner les contours.
Quant aux brasiers modernes, usités encore aujourd'hui en
Italie et en Espagne , ils sont de diverses formes , mais ha-
bituellement carrés et d'une grandeur proportionnée à celle
des appartements que l'on veut chauffer; les matières qu'on
y emploie, leur travail et leurs ornements annoncent tou-
jours le degré de richesse et d'aisance des propriétaires.
Dans la plupart des palais ils sont en argent , mais le cuivre
entre dans la composition du plus grand nombre; les plus
communs sont formés d'un bassin en tôle, porté par ua
cadre de bois, revêtu également de plaques de cuivre.
BRASSAGE, opération qui consiste à agiter avec un
brassoir des métaux en fusion dont on veut fonner un
alliage. Sans elle, il est clair que les métaux les plus denses
tendraient continuellement à se précipiter au fond du creuset.
Il y avait autrefois un droit de brassage, qui consistait
dans le pouvoir accordé par le roi au maître des monnaies
de prendre sur chaque marc d"or , d'argent ou de billon ,
ouvré en espèces, une certaine somme modique (3 livres
par marc d'or et 18 sous par marc d'argent), dont il rete-
nait la moitié pour le déchet de la fonte, pour le charbon
et pour les autres frais ordinaires ; l'autre moitié était ré-
partie entre les officiers des monnaies et les ouvriers qui
avaient contribué à la fabrication des espèces.
BRASSARDS D\\R.A1URE, manches qui .s'ajou-
taient aux armes défensives si elles étaient en fer, ou qui y
tenaient à demeure si elles étaient de mailles. L'usage en
était déjà connu des anciens l'erses ; les chevaliers du moyen
âge le firent revivre; les français y renoncèrent depuis
Henri III. Les Turcs n'ont abandonné que fort récemment
les brassards d'armure, qu'ils appelaient colgiac , colgiat ,
ou kollchak. G""' Bardîn.
BRASSE , employé substantivement dans la marine, in-
dique, comme mesure de longueur, l'étendue comprise entre
les deux extrémités des bras qu'un homme tiendrait ouverts.
La moyenne de cette mesure est de i"',C2 (5 pieds) dans
l'usage ordinaire qu'on en fait à bord des navires. C'est à
la brasse que l'on détermine la longueur des manœuvres ,
du filain , des câbles , des lignes de lock. .\insi, un câble qui
a 195 mètres de long, est, pour la marine, un câble de 120
brasses. Une ligne de sonde qui rapporte 102"*, iO de fond
indique, dans le langage maritime, une hauteur d'eau de
100 brasses. La brasse, enfin, est l'unité usuelle de la plu-
part des longueurs que les marins veulent déterminer dans
les usages pratiques du bord.
Les marins des autres nations mesurent aussi à la brasse
les longueurs qu'ils veulent indiquer au moyen d'une unité
qu'il est toujours facile de déterminer; mais chez la plu-
part des marins étrangers la brasse n'est qu'une mesure de
BRASSE —
convention , moins aisée à fixer que dans notre marine. La
brasse danoise a près de l'^jQô , tandis que la petite brasse
hollandaise a à peine 1",60.
Le mot brasse , impératif du verbe brasser, est un com-
mandement que l'on emploie pour ordonner de haler sur le
bras d'une vergue que l'on veut orienter. Brasse tribord
ou brasse bâbord signifie haler sur- le bras de tribord ou
sur le bras de bâbord. Edouard Corbière.
La brasse a été employée aussi comme mesure dans le
commerce, où sa valeur commune était en France de six
pieds de roi , mais c'est surtout en Italie qu'elle était d'usage,
et sa valeur variait selon les différentes localités.
BRAS SÉCULIER. C'était une maxime d'ordre public
en France (lue nulle exécution sur la personne ou sur les
biens ne pouvait se taire en vertu d'une décision ecclésias-
tique : il lallail fintervention du juge séculier. Le juge d'église
n'avait pas le pouvoir- de mettre à exécution ses sentences
sur les biens temporels de ceux qu'il condamnait, ni d'im-
poser des peines (jrièves et allant jusqu'à l'effusion du sang.
Aussi l'Église se contentait-elle par ses condamnations de livrer
au bras .vccif/Jer ceux qu'elle déclarait coupables. Après la ré-
vocation de l'édit de Nantes Louis XIV prononça par édit
que les hérétiques ne pourraient pas implorer le recours du
bras séculier.
BRASSERIE , BRASSEUR. Une brasserie est le lieu
où se fabrique la bière; le brasseur est celui qui se li\Te à
cette fabrication.
L'origine de l'art du brasseur paraît très-ancienne , et
remonte peut-être au delà des temps historirjues. La Fable y
fait intervenir Cérès elle-même, enseignant aux hommes les
divers usages qu'ils peuvent faire de ses dons et la prépara-
tion d'une liqueur qui remplacerait le vin dans les lieux où
la culture de la vigne leur serait interdite. La bière de Péluse
acquit une haute renommée chez les Égyptiens; et lorsque
des relations de commerce furent établies entre la Grèce et
l'Egypte, l'art des Pélusiens traversa la Méditerranée, et vint
défier Racchus en présence de ses coteaux couverts de vi-
gnes. Bientôt les Grecs surent préparer plusieurs sortes de
bières, et à leur tour ils transmirent aux peuples voisins
l'instruction qu'ils avaient reçue d'Egypte, et celle qu'ils
tenaient de leur propre expérience. Peu à peu cette instruc-
tion lit des progrès, et s'étendit jusque dans les Gaules; on
ne l'a pas suivie au delà de la Baltique, où cependant elle
Jut être aussi bien accueillie que chez nos ancêtres.
Quoique cette histoire de l'art du brasseur en Europe soit
appuyée de témoignages imposants, elle n'est peut-être
qu'une hypothèse ingénieuse. Plusieurs arts ont pu naître
spontanément , et à peu près dans le même temps , parmi
des peuplades qui n'avaient entre elles aucune commimi-
cation. La préparation du hwasse des Russes n'est certaine-
ment pas une importation, et cette boisson acidulé, tiiée
de la farine du seigle , paraît être un produit de l'art impar-
fait, tel qu'il put naître chez un peuple encore ignorant et peu
civilisé. Avec quelques manipulations et quelques soins de
plus, le kwasse serait une bière aussi bonne que plusieurs de
celles qui sortent des brasseries belges ou allemandes.
Quoi qu'il en soit, la communauté des brasseurs est une
des plus anciennes qui aient été érigées à Paris en corps de
jurande, car ses statuts datent de 1268. Mais cette commu-
nauté était obscure et peu nombreuse , et tandis que les
brasseurs jouaient un rôle important dans les insurrections
de Flandre (voyez Arteveld), Paris réservait aux bouchers
le privilège de fournir des chefs aux émotions populaires
{voyez Caboche).
Les brasseurs étaient nommés autrefois cervoisiers, du
mot cervoise, qui est le nom qu'on donnait alors à la bière.
Leurs statuts leur défendaient de mettre dans la bière des
baies de laurier franc, du poivre long et de la poix-résine,
soi.s peine de vingt sous parisis d'amende au profit du roi,
et de u>nliscation de leurs bassins au profit des pauvres.
BRAUNFELS Cuyb
Ces statuts, renouvelés en 14S9, en 1515 et en IG.-ÎO, furent
confirmés en 1686, et l'on y ajouta en 1714 quelques nou-
velles prescriptions. Au moment où la corporation fut abolie,
on comptait à Paris soixante-dix-huit maîtres brasseurs,
dont le plus grand nombre habitaient le faubourg Saint-
Marceau.
Aujourd'hui les brasseries sont régies par le décret du
15 octobre 1810, qui résume les lois antérieures. Ce décret
les place, sous le rapport de la police et des précautions à
prendre, dans la troisième classe des établissements dange-
reux et insalubres. Son article 8 porte qu'aucune brasserie
ue peut être établie que sur la permission du préfet de police
à Paris , et sur celle du maire dans les autres villes ; les dif-
ficultés qui peuvent s'élever contre la décision du préfet de
police ou des maires sont jugées en conseil de préfecture. De
plus, le transfèrement d'une brasserie , comme l'interrup-
tion de ses travaux pendant six mois, nécessite une nouvelle
autorisation. Enfin, les lois des 28 avril 1816 et 12 décem-
bre 1830 réglementent la perception du droit de fabrication
des bières ( voyez Boissons). La première de ces lois , par une
de ses dispositions, soumet le brasseur à un droit de licence
qui n'est valable que pour un an et pour un seul établisse-
ment; ce droit varie de 20 à 50 francs.
BRASSIERE, petite camisole ou chemise d'enfant,
destinée à couvrir seulement les bras et le haut du corps , et
surtout à maintenir celui-ci. Les brassières s'attachent par
denière avec des cordons.
BRASSOIR , instrument de fer ou de terre cuite de
creuset, dont on se sert pour brasser le métal lorsqu'il est
en bain (voyez Brassage). Pour l'argent et le billon, les
brassoirs sont des cuillers de fer ; mais pour l'or, si l'on se
.«eivait de brassoirs de fer, l'hétérogénéité qui règne entre
ces deux métaux , ferait pétiller l'or et s'écarter; d'où il s'en-
suivrait des déchets et un embarras dans le travail. On a soio
de bien chauffer le brassoir, même de terre, avant de s'en
servir.
BRASURE. C'est la réunion de deux pièces de fer
opérée au moyen de la soudure de cuivre jaune, c'est-à-dire
en faisant fondre un alliage de cuivre sur le point où les
parties à souder doivent se joindre. On peut aussi braser le
fer sans métal intermédiaire : pour cela, on donne une
chaude suante aux parties à réunir, puis on les recouvre
d'un peu de sable, qui fond et donne naissance à un silicate
ayant pour base l'oxyde de fer formé ; forgeant ensuite les
deux pièces réunies , le silicate de fer est expulsé sous forme
de scories , et la brasure est effectuée.
BRAULIOIV ou BRAULE (Saint) est sans contredit le
plus obscur de tous les bienheureux, quoique, par son mé-
rite et ses talents, il soit digne d'être rangé parmi les plus
illustres. Par suite de cet injuste oubli , nous ignorons l'é-
poque de sa naissance et les diverses particularités de sa vie.
Ce qui paraît certain pourtant, c'est qu'il vécut sous les rois
visigoths Sisenand, Chinlila, TuUja et Cinthasuind. « 11
releva, dit saint Isidore , son contemporain et son ami, l'Es-
pagne tombée en décadence, rétablit les monuments des
anciens, et préserva sa patrie de la rusticité et de la bar-
barie. » Il fut un des plus savants hommes de son siècle et
un des prélats les plus distingués de l'Église d'Espagne. Ayant
glorieusement occupé le siège de Saragosse , et assisté aux
quatrième, cinquième et sixième conciles de Tolède, il mou-
rut en 646, dans la vingtième année de son épiscopat. Son
corps, découvert en 1270, est conservé à Rome dans la ba-
silique de Sainte-Marie-Majeure. Braulion a composé un
assez grand nombre d'oinTages estimés des théologiens ; mais
son premier titre est d'avoir mis en ordre le fameux traité
de saint Isidore, les Origines , répertoire de toute l'érudi-
tion du septième siècle. E. Lavione.
BRAUiXFELS, petite ville de t,567 Ames, située sur
risar, dans le cercle de Coblentz , arrondissement de Welzlar
(Prusse), est la résidence des princes de Solms-Braunlels.
€»6
BRAUNFELS — BRAVADE
On y volt un château fort, bâti sur nn roc, dans lequel on a
|)lacé une belle bibliothèque et une collection d'antiquités.
Brauniels est le siège du gouvernement ; elle possède deux
églises évangéliques et une synagogue. Un aqueduc y amène
l'eau nécessaire à la consommation des habitants , qui se
livrent presque tous à l'agriculture. La seule usine impor-
.tante est une fabrique de pompes à feu. Lors de la guerre de
trente ans, le château fut plusieurs fois pris et repris par
•les troupes de Mansfeld et par celles de Tilly, et, plus tard,
par les Impériaux, puis par les Français commandés par
Turenne.
BRAUROIVIES, fôtes en l'honneur de Diane, ainsi
nommées de la ville de Brauron, en Atliqne, où elles avaient
■été instituées , et où elles se célébraient de cinq ans en cinq
.ans. Toutes les cérémonies y étaient présidées par dix per-
sonnes appelées hieropœi, c'est-à-dire faiseurs de sacri-
fices. On offrait en sacrifice un bouc ou une chèvre,
■tandis qu'un chœur d'hommes diantait un livre des poèmes
■d'Homère, et que de jeunes filles, vêtues de robes jaunes,
Agées de cinq à dix ans, et toutes désignées sous le nom
'd'arctoi (ourses), venaient s'y consacrer à Diane. Les an-
•ciens auteurs se partagent sur l'origine de cette solennité :
les uns disent que les Phlavides , habitants d'uu bourg d'A-
thènes, étant parvenus à apprivoiser un ours, les enfants
jouaient et mangeaient famihèrement avec lui, mais qu'une
jeune fille en ayant été dévorée, ses frères vengèrent sa mort
par celle de l'ours. Aussitôt le pays fut désolé par la peste.
L'oracle consulté répondit qu'il fallait consacrer de jeunes
"vierges au service de Diane , et de là la loi athénienne qui dé-
fendait à toute jeune fille de se marier sans s'être auparavant
'Consacrée à Diane, à la fôte des braiironies. Suivant d'au-
tres, cette fête ne se célébrait qu'en mémoire de la délivrance
miraculeuse d'Oreste et d'Iphigénie ; aussi ajoute-t-on qu'une
■des cérémonies essentielles était d'appliquer légèrement une
épée sur la tête d'une victime humaine, et d'en faire couler
quelques gouttes de sang, par alhision au danger qu'Oreste
avait couru en Tauride d'être sacrifié par sa sœur.
BRAUVVER ou BROUWER (Aduien), peintre de
l'école hollandaise, né en 1608, à Oudenarde, et suivant
■d'autres à Harlem, où son père était peintre en tapisseries,
fut de bonne heure contraint par la pauvreté de ses parents
de gagner sa vie lui-même. 11 l'essaya d'abord en peignant
des fleurs et des oiseaux pour les brodeurs. Le célèbre pein-
tre Hais le prit ensuite dans son atelier, et sut exploiter
à son grand profit le talent du jeune artiste. Tenu en quel-
quesorte enchartre privée dans un galetas, et très-misérable-
ment nourri , Adrien Brauwer était obligé de peindre sans
relâche de petits tableaux, que son maître vendait ensuite
fort cher. D'après les conseils de son camarade d'atelier,
Adrien Van Os ta de, il prit le parti de s'enfuir à Ams-
terdam , où sa surprise fut grande en apprenant que ses
toiles étaient estimées par les connaisseuis. Il gagna alors
beaucoup d'argent; mais, au lieu de s'appliquer avec zèle
à son art , il sembla ne plus avoir d'autre domicile que le
cabaret, n'en sortant jamais que lorsque le cabaretier insis-
tait trop vivement pour être payé. Il poussait, d'ailleurs,
l'amour-propre si loin , qu'il jetait au feu les toiles dont on
ne lui donnait pas le prix qu'il avait demandé.
Étant venu à Anvers pendant la guerre des Pays-Bas, on
l'y prit pour un espion et on l'enferma dans la citadelle. Il
déclara qu'il était peintre, se recommanda au duc d'Arem-
berg , prisonnier comme lui , et qui lui fit donner tout ce
dont il pouvait avoir besoin pour travailler; et alors il se
mit à peindre les soldats chargés de le garder. Il les repré-
senta jouant aux cartes dans leur corps-de-garde, et fit
preuve de tant de vigueur et de vérité dans la composition
de ce tableau, qu'en le voyant Rubens s'écria aussitôt : « Ce
doit être l'ouvrage de Brauwer; il n'y a que lui pour traiter
de i)areils sujets avec tant de bonheur ! » Rubens s'offrit
pour lui servir de caution et le rendre à la liberté. Ensuite
il rhabilla des pieds à la tête , et le recueillit chez lui en lui
faisant partager sa table. Au lieu de se montrer reconnais-
sant de ce généreux procédé, Brauwer s'enfuit secrètement
de chez son bienfaiteur pour pouvoir se livrer sans con-
trainte à la vie crapuleuse. Il ne tarda pas à faire connais-
sance d'un boulanger appelé Craesbeck, qui partageait tous
ses goûts, devint son commensal, et fit de lui un peintre
habile. Mais il noua avec la femme, jeune , jolie et coquette,
de son hôte, des relations adultères qui eurent pour tous les
trois les suites les plus désagréables. Forcé de fuir, Brauwer
se rendit à Paris; mais, n'y trouvant pas de besogne, il
s'en revint encore à Anvers, où il mourut à l'hôpital
en 1649. Rubens, qui respectait le talent dans Brauwer, le
fit honorablement enterrer dans l'église des Carmélites de
cette ville.
Toutes les toiles de cet artiste sont remarquables par la
vigueur et l'harmonie des couleurs, ainsi que par la légèreté
du clair-obscur; elles font d'ailleurs tout de suite connaître
quels lieux et quelles sociétés il devait hanter le plus vo-
lontiers. En revanche, elles respirent une gaieté franche, dont
les peintres de genre de l'école hollandaise offrent peu
d'exemples.
BRAVACHE. On a coutume d'expliquer le mot bro'
vache par ceux de faux brave, fanfaron . Peut-être en
pourrait-on conclure que le bravache est celui-là seul qui
fait le vaillant en société de poltrons, et pourtant il y en a
encore un autre ; c'est celui qui , sur de son œil et de sa
main, pousse les choses à l'extrême , tue son homme , es-
suie son arme , salue avec élégance , et se rettre. Ces deux
caractères sont bien distincts. Le premier parle haut, ra-
conte avec fracas les soufflets et les coups d'épée qu'il a
donnés, les excuses qu'on lui a faites; il a sur la poitrine,
ou ailleurs, maintes blessures que nul n'a jamais vue : si d'a-
venture , dans son enfance , l'angle d'une cheminée ou les
degrés d'un escalier lui ont balafré le visage, il faudrait que
ces accidents eussent laissé des traces bien peu équivoques
pour ne point se convertir avec l'âge en coups de taillant et
de pointe; en un mot, c'est un homme formidable J2is-
qiCau dégainer. Le second a une politesse affectée, qui
laisse poindre une susceptibilité de parade, toujours prête à
s'offusquer du moindre mot. Rarement son sang-froid le
quitte , même dans les cas les plus graves. S'il lui a plu de
prendre pour insulte une parole en l'air, un mouvement
de coude, un sourire, il s'approche de votre oreille, et en
moins de dix secondes, sans bruit, sans éclat, sans colère, il
vous met sur les bras Yaffalre d honneur la plus sotte, la
plus ridicule, et, qui pis est, de toutes la plus inévitable. Du
reste, ce n'est point le courage qui fait la différence des
deux espèces de braves qu'on vient de signaler : l'un a peur
de la mort, l'autre est sûr de la donner. Voilà tout.
BRAVADE , acte par lequel on défie, soit les hommes,
soit les choses, et qui se manifeste, sous diverses formes,
par l'insolence des gestes ou par l'exagération des paroles. A
l'usage des fanfarons, la bravade sert à cacher leur frayeur sou»
un faux air de hardiesse : c'est pour eux que Corneille a dit ;
Les bravades enfin sont des discours frivoles ,
Et qui songe aux effets néglige les paroles.
A l'égard des choses , elle consiste à se livrer à des excès
au-dessus de ses forces, en présence des autres, pour se
grandir dans leur opinion : elle monte alors jusqu'à la
folie , ou descend jusqu'à l'enfantillage. Chez les anciens ,
qui combattaient corps à corps et d'homme à homme , les
guerriers aimaient à se braver : s'exaitanl ainsi jusqu'à la
fureur, ils doublaient leurs forces. Les héros d'Homère nel
manquent jamais de se lancer des railleries , de se piquer^
par des reproches et de vanter leurs propres exi>Ioits avant
d'en venir aux mains. Aujourd'hui que l'on se tue de loin
sur les champs de bataille, les guerriers sont braves sans,
bravade.
BRAVADE
La bravade est un propos de Gascon, une hyperbole, à
laquelle on n'ajoute pas foi.
C'est encore le nom d'une fôte instituée en Provence,
en l'année 1256, par Charles d'Anjou, à son retour de la
Terre Sainte. Elle consistait en un tir à l'oiseau, suivi d'une
procession où tiguraient l'élite de la bourgeoisie et le par-
lement. La cérémonie se terminait par un feu de joie allumé
par le vainqueur sur la place publique.
BRAVE (du grec ppaêîîov, prix du combat). C'est
celui qui affronte le danger, court à sa rencontre, ou l'at-
tend sans crainte, celui qui s'expose à la mort par devoir,
par générosité. Parmi les braves, les uns le sont par fermeté
d'esprit , les autres , et c'est le grand nombre , par tempé-
rament. Ces derniers ne se montrent pas braves tous les
jours : subjugués par l'imagination, qui exalte ou énerve
leurs facultés , ils paraissent fermes ou timides sans mesure.
Que de guemers , intrépides sur le cbaïup de bataille , ont
tremblé devant Véchafaud ! C'est qu'alors le péril est immi-
nent, inévitable, tandis qu'au milieu du (eu, le plus brave
ne désespère pas de son salut , même en voyant tomber tous
ses compagnons. « Montrez-moi un danger que je ne puisse
éviter, disait l'intrépide comte de Peterborougli , et vous
verrez que j'aurai peur comme un autre. » Toutefois , dans
les crises les plus terribles de la guerre , on a vu de grands
capitaines s'isoler si complètement, qu'ils ne songeaient plus
au péril , mais au résultat qu'ils poursuivaient. On deman-
dait au maréchal Ney si dans le cours de sa carrière mili-
taire il avait connu la crainte : « Non, répondit-il, je n'en ai
jamais eu le temps. »
Brave comme un César, ou comme son épée, expres-
sions proverbiales, qui signifient un homme éminemment
brave, par opposition au substantif dépréciateur/aî<x6rfli'e.
Un brave à trois poils est un brave déterminé, qualifi-
cation qui vient de ce que les hommes qui aspiraient à la
mériter avaient l'habitude de porter la moustache à la
royale , à trois pointes , bouquetée , comme on la portait du
temps de Louis XIIL
Brave veut dire aussi par extension vêtu avec recherche ,
paré de ses plus beaux habits. Brave comme un bourreau
qui a fait ses Pâques est un dicton proverbial , sans ap-
plication anjourd'hai, mais qui signifiait jadis qu'on n'avait
pas coutume d'être si bien velu, par allusion sans doute
a l'obligation imposée aux bourreaux de porter toujours sur
leurs habits quelque marque de leur profession , comme une
échelle, une potence, hors le jour de Pâques, où il leur était
hcite d'endosser le costume i&?, âxAxa?, manants owvilains.
Ce mot a vieilli dans ces diverses acceptions , mars il a
conservé toute sa fraîcheur dans la signification familière
d'honnête ou de probe : C'est un brave homme, dit-on;
C'est ime brave et digne femme.
BRAVO, nom qu'on donnait jadis en Italie, à Venise
surtout, à un spadassin , à un bandit, à un estafier à loyer,
à un soldurier domestique, qui faisait métier de tuer pour
de l'argent, et qui ne reculait pas, esclave de sa parole,
devant les entreprises les plus périlleuses pour satisfaire
celui qui l'avait pris à sa solde. « A la fin du quinzième
siècle , dit un auteur italien ( Pier-Angelo Fiorcnlino ), les
bravi, armés jusqu'aux dents, une arquebuse en main,
un coutelas en poche, coiffés d'une résille espagnole,
masqués par une barbe épaisse et d'énormes moustaches à
crochets, n'avaient, quand il leur fallait redoubler de pré-
caution , qu'à rabattre yne longue tresse de cheveux qu'ils
portaient d'habitude sur le devant de la figure. » Le bravo
est une des meilleures productions du romancier Amé-
ricain Feniraore Cooper.
Ce mot avait la même signification en espagnol ; il n'ex-
primait même pas autre chose en France du temps de
Louis XIII et sous la minorité de Louis XIV. Bon nombre
de grands seigneurs entretenaient alois chez nous des
éir«î;i , toujours prêts à maltraiter, à tuer même quiconque
DICT. DE lA CONVF.r.S. — T. IN.
- BRAVO 657
on désignait à leurs coups. Le maréchal d'Ancre en avait
une troupe qni lui servait de gardes du corps, et qu'il ap-
pelait ses co(7^ioHi de mille livres, parce que chacun d'eux
recevait cette somme pour veiller sur ses jours; ce qui ne
l'empêcha pas de tomber sous les coups de Vitry. Le mot
bravo, passant par l'acception de duelliste, s'épura plus
tard, en France, grâce à la puissance du préjugé. Dans les
armées turques , les bravi étaient jadis des cavaliers fana-
tiques, qui, ivres d'opium, le cimeterre au poing, se pré-
cipitaient tête baissi'e dans les rangs ennemis , où ils
trouvaient souvent la mort. En Amérique il y en avait de
<leux sortes , les uns qui , fuyant la civilisation , s'enfonçaient
de plus en plus dans l'intorieur des terres, au risque de se
trouver face à face avec les indigènes; les autres, variété
de l'espèce italienne, et dont l'île de Cuba fut le dernier
asile, étaient en général des nègres; mais quantité de
blancs de la meilleure compagnie exerçaient aussi ce métier
en amateurs , pour leur propre compte. 11 fallut que le
général Tacon, rentré en Espagne sur la fin de 1838, mît
un terme à cette frénésie , qui menaçait de ne plus avoir
de bornes.
C'est une espèce perdue en France depuis que les lois y
ont fait plier toutes les conditions sous le même niveau.
A peine en rencontre-t-on encore, sous un nouveau nom,
mais dégénérés et aussi lâches que leurs prédécesseurs
étaient intrépides, aux abords des repaires des Phrynés de
bas-étage. Quant aux bandits et aux voleurs de grands
chemins , ils ne pillent et n'assassinent plus qu'à leur profit ;
le partage seul du butin les divise , de temps à autre.
BRAVO! BRAVA! au féminin, BRAVI! au pluriel,
exclamations par lesquelles les amateurs enthousiastes té-
moignent, dans les théâtres d'Italie, et dans les théâtres
italiens des autres contrées , leur satisfaction ou leur ad-
miration aux chanteurs et cantatrices. Bravo Lablache!
brava laGrisi, la Garcia! Bravi tutti! Des théâtres ilaiiens
ce terme d'approbation est passé dans tous les autres théâtres
et même en de plus petites salles; dans les concerts, dans
les salons, dans les séances académiques, hsbravo, les bra-
vissimo , éclatent quelquefois ; c'est une manière de dire
trùs-bicn! dans une langue qui n'est pas la sienne.
BRAVO ( Don Nicolas ), général mexicain. Ce nom
de Bravo est demeuré célèbre dans l'histoire des guerres
que le Mexique a dû sontcnir pour assurer son indé-
pendance politique. Lorsqu'on 1811, après l'avortement
d'une première tentative faite par le courageux Hidalgo,
pour secouer le joug de la métropole, le curé Morelos, de
Nocupetejo, leva de nouveau l'étendard de l'insurrection, et
s'empara, par un coup de main aussi hardi qu'habile, de
l'important port d'Acapulco, sur l'océan Pacifique, le gé-
néral de brigade Leonardo Bravo, homme qui jouissait
de l'estime générale. Manuel, son frère, et Nicolas,
son fils, devenu plus tard général et vice- président
de la république, furent des premiers à répondre à son gé-
néreux appel. Leonaido se trouva au nombre des dix-
sept prisonniers qui tombèrent au pouvoir des Espagnols,
lorsque le brave Morelos se fraya un chemin avec sa petite
troupe à travers la nombreuse armée des assiégeants. Leo-
nardo fut condamné à mort par ordre du vice-roi Calléja;.
en vain son fils offrit pour sa rançon 300 prisonniers es-
pagnols, il fut fusillé. Nicolas Bravo consentit cepen-
dant à rendre la liberté à ces pnsonniers , en ne leur im-
j)osant d'autre condition que l'engagement, de leur part , de
se montrer humains à l'égard des champions de l'indépen-
dance que le sort des armes ferait tomber en leur pouvoir;
générosité qu'on ne saurait assez louer, quand on se r;rp-
pelle l'animosité des parties belligérantes , la haine pro-
fonde des colons pour les Espagnols, et la soif de ven-
geance, si commune alors parmi les populations du Mexique.
Son oncle. Manuel, lui aussi, mourut delà main dubour-^
reau, en 1814, après avoir été fait prisonnier.
sa
568
BRAVO - BKAVO-MURILLO
Quand Morelos eut été [iris et fusillé, lorsque le congrès
qu'il avait convoqué, eut été dispersé, et que la plupart
des chefs de Pinsiirrectiou, battus par les espagnols, eurent
accepté une amnistie, le général lîravo , à son tour, déposa
les armes. Mais lorsqu'il) 1821 la révolution éclata pour
la seconde fois à Mexico, Bravo, qui vint rejoindre tout
aussitôt Iturbide et Guerrero à Iguala, se montra l'un de
leurs pjus déterminés partisans. Iturbide ayant été pro-
clamé empereur par l'armée, le congrès , dans le but d'éviter
une guerre civile, lui confirma cette dignité; mais Bravo
et vingt-trois autres membres du congrès , qui avaient ex-
primé librement leur désapprobation de ce qu'ils regardaient
comme une usurpation, furent arrilés et jetés en prison
le 11 août 1822 ; et le même jour le congrès fut violemment
dis.sous. Quatre mois plus tard, la révolte de Sa nt a-Anna
mettait un terme à la durée de l'empire d'I turbide. Le iMexique
se reconstitua en une république fédérative , composée de
dix-neuf États, avec un directoire exécutif, formé do Vittoria,
Bravo et Negrette; et le 24 octobre 1824 fut promulguée
la constitution nouvelle.
Vittoria ayant été élu président unique au mois de sep-
tembre de l'année suivante. Bravo fut placé à la tète de
l'armée. Il appartenait au parti des Escoseces ( Écossais ),
opposé à celui des Yorkinos, et, comme chef de ce parti
autant que comme l'un des hommes les plus considérés du
pays, il était généralement désigné comme devant succéder
à Vittoria dans la présidence. Les Yorkinos, dont les chefs
étaient Vittoria et Guerrero , ayant réussi à arracher à la
législature un décret qui expulsait en masse tous les Es-
pagnols du territoire de la république, Bravo partit de
Mexico, à la tête d'un corps de troupes qui lui était dé-
voué, pour s'opposer à l'exécution de ce décret sauvage,
et attendit dans la plaine d'Apan l'arrivée du général Guer-
rero , que le congrès avait fait marcher contre lui. Complè-
tement défait dans cette rencontre, tels étaient le respect
et l'estime qu'inspiraient généralement sa gloire et sa pro-
bité, que, malgré l'accusation qu'on élevait contre lui
d'avoir voulu établir une république centrale comme achemi-
nement à une monarchie , on ne le condamna pas à mort, et
qu'on se borna à l'exiler du territoire de la république. Bravo
se rendit alors sur la côte orientale de l'État d'Honduras,
dans l'Amérique centrale, où il s'embarqua pour New- York.
Mais lorsqu'au milieu de l'été de 1829, les espagnols
firent une nouvelle tentative pour replacer le Mexique sous
le joug de l'ancienne métropole , Bravo , abandonnant son
asile, courut avec ses compagnons d'infortune offrir ses
services à son pays, menacé dans son indépendance. 11 des-
cendit à la Vera-Cruz, où il fut accueilli avec de grandes
démonstrations de joie. Le débarquement opéré par les
Espagnols avait eu pour résultat de faire cesser pour quelque
temps toutes les luttes intestines; dès qu'ils eurent été re-
poussés, la discorde reparut. Le vice-président Bustamente
se déclara contre Guerrero , qui l'année précédente avait
usurpé la magistrature suprême, et fut proclamé président
par les États confédérés quand il eut triomphé de son ad-
versaire. Le général Bravo fut nommé vice-président. C'est
lui qui avait complètement défait les forces dont disposait
Guerrero, lequel fut fait prisonnier, puis fusillé. En 1831 ,
sous l'administration de ces deux hommes démérite, le
ftlexique jouit quelque temps d'un repos dont il avait tant
de besoin pour réparer les maux de la guerre civile. Mais
ce calme ne fut pas de longue durée, et à la lin de 1833 nous
retrouvons Bravo à la tôte d'une petite arnu'e insurgée
contre le gouvernement , entretenant la guerre civile dans
sa malheureuse patrie. Vers les premiers mois de 1834
il fut battu par le général Vittoria. Depuis lors il a disparu
de la scène politique, et ni l'attaque des Français sur Vera-
Cruz, en 1830, ni la conquête du Me\i(pie par les États-
Unis, en 184 7 , ni les révoltes continuelles dont son pays n'a
cessé d'être le tliéàlrc, ni la révolution française de 1848,
qui a ébranlé le globe, n'ont pu le fane sortir de la retraite
qu'il s'est, dit-on , choisie dans une petite ville centrale de
l'Union-Aniéricaine.
BRAVO-MURILLO ( Don JcA^ ), homme d'État
espagnol, né en juin 1803, à Frejenal de la Sierra, dans la
province de Badajoz. Ses parents, qui n'avaient qu'une for-
tune très-médiocre, le destinèrent à l'état ecclésiastique, et
l'envoyèrent étudier la théologie à srville et à Salamanque.
N'ayant pas de vocation pour cet état , Bravo-Murillo
abandonna la tliéologie pour la jurisprudence. En 1825 il
se lit recevoir avocat à Séville, dont le barreau complaît
alors parmi ses membres les avocats les plus célèbres d'Es-
pagne ; aussi eut-il beaucoup de peine à se faire remarquer.
Renonçant à cette ingrate carrière, il obtint une chaire dans
l'université, et fut en même temps chargé des cours de
philosophie; cependant il ne tarda pas à reparaître au
barreau, vers lequel son goût l'entraînait. Ses talents lui
acquirent bientôt une réputation, qu'accrut considérablement
son habile défense dn colonel Bernardo Marquez, en 1831.
Après la mort du roi Fi-rdinand YII, le ministre di; la
justice Garelly lui olIVil la place de (iscal près de Vau-
diencia de l'Estramadure à Cacères. Bravo-Murillo l'ac-
cepta; c'était un premier pas dans l'administration publique.
Dans ses nouvelles fonctions , il se montra ami d'un progrès
sage et modéré; aussi, lorsque les progressistes arrivèrent
aux affaires, en 1833, le ministre de la justice Gomez
Becerra voulut-il l'envoyer à Oviedo ; mais il donna sa
démission, et redevint avocat.
Comme il avait l'intention de fonder un journal de droit,
il se rendit à Madrid, et, en collaboration avec son ami
Pacheco, il entreprit, en 1836,1a publication du Bul-
letin de Jurisprudence. Son ancien professeur Barrio
Ayuso étant entré comme ministre de la justice dans le mi-
nistère Isturitz, Bravo-Murillo accepta la place de .secré-
taire de ce département; puis, la révolution de La Granja
ayant renversé ce ministère au bout de trois mois, il donna
sa démission, avec l'intention de ne plus s'aventurer sur le
. terrain de la politique; mais son état d'avocat, qu'il exerçait
avec le plus brillant succès à Madrid, l'y ramena forciuienl.
De concert avec Donoso Cortès, Gonzalez Llanos et Dionisio
Galiano, il fonda le journal d'opposition El Parvenir, dont
il fut un des plus actifs collaborateurs. En 1837 la province
de Séville l'envoya aux Cortès. Ofalia lui offrit la place de
ministre de la justice; mais il la refusa. Dans l'assemblée
il ne prit guère la parole que quand on débattait des ques-
tions de droit ; cependant l'occasion ne lui manqua pas de
faire admirer son talent et de mettre au jour ses principes
modérés. En 1838 Ofalia l'engagea de nouveau à entrer
dans le ministère; et lorsque le duc de Frias fut chargé
d'en former un nouveau , le portefeuille de la justice lui fut
offert; mais il refusa d'entrer dans un cabinet qui était sous
l'influence d' Esp artero.
Les Cortès ayant été dissoutes bientôt après, Bravo-Mu-
rillo, en sa qualité de modéré, ne fut pas réélu. Adversaire
du parti dominant , il l'attaqua vigoureusement dans le Pi-
loto, qu'il publiait avec Donoso Cortès et .\lcala Galiano le
père; mais il se sépara de ses deux collaborateurs à l'avéne-
mentdu ministère Arrazola, dont il n'attendait rien de bon
et qu'il ne voulut pas soutenir. Sur ces entrefaites, le.s
Cortès furent dissoutes de nouveau et remplacées i)ar
une assemblée plus modérée, où Bravo-Murillo entra
comme député de la province tKAvila. Dès lors il ne se
contenta plus de discuter les questions de droit; il prit une
partactive aux débats politiques. Le discours qu'il prononça
an sujet de l'abolition des dîmes, mesure qu'il traita d'i(i-
juste et d'impolitique, lui lit beaucoup d'ennemis. D'uh
autre côté, le courage avec lequel il défendit les principes
d'une réforme modérée, lui gagnèrent la confiance du parti
conservateur, qui le lit entrej- dans toutes les commissions, i
même dans celles des linances.
BRAVO-RIURILLO — BRAY
659
Lorsque la révolution du i" septembre 1841 éclata,
Bravo-Murillo , menacé dans sa liberté comme chef des
modérés, s'enfuit dans les provinces basques, et se réfugia à
Dayonne, où il apprit presque en même temps et son ban-
nissement et son rappel par le gouvernement provisoire.
Après un court séjour à Paris, il retourna à Madrid pour se
livrer exclusivement à la plaidoirie. En 1847 il accepta le
portefeuille de la justice dans le ministère transitoire du
«!uc de Sotomayor ; mais il donna sa démission quand Pa-
cIjcco arriva à la tôte des affaires. Un nouveau ministère
s'étant formé au mois de novembre, il y entra comme mi-
nistre du commerce, de l'instruction publique et des travaux
publics. En 1849 et 1830 il fut ministre des finances. En
1851, après la retraite de Narvaez, il fut cbargé de composer
un cabinet. Ses premières mesures eurent pour but des éco-
nomies dans l'administration des finances , le payement des
créanciers de l'État et des réformes dans l'administration.
BRAVOURE. Le courage présente une fermeté de
i-aractère immuable dans les périls : la constance , le sang-
froid , en sont les véritables éléments. La bravoure s'avance
RU delà ; elle affronte les dangers , elle signale l'ardeur de la
jeunes-se et les élans de l'héroïsme. Peut-être le tranquille
courage qui supporte sans sourciller les approches de la
mort est-il une vertu plus difficile que ces transports de
iiravoure qui précipitent dans le feu de la mêlée des soldats
bouillants de valeur. Cependant la bravoure sollicite les
postes périlleux; avide de gloire, elle devient parfois témé-
raire ; c'est la furia francese qui distingue surtout notre
nation ; d'autres montrent autant de courage, aucune ne s'a-
nime d'une plus brillante audace : témoignage que César
rendait déjà aux Gaulois de son temps.
Cette impétuosité du sang qui s'exalte de promptitude et
de colère est comparée à un feu qui éclate avec furie, mais
s'éteint bientôt. Dans les fonctions de l'organisme, c'est
mie sorte de décharge du système nerveux, analogue à un
accès de violence. AusSi n'est-on pas brave à toute heure,
ni tous les jours, tandis qu'un courage plus flegmatique est
toujours préparé. La bravoure convient surtout pour l'at-
taque; le courage sait résister dans la défense. La première
peut vaincre, le second poursuit la victoire et sait en profiter.
Dans les affaires civiles, le courage ou la fermeté persévé-
rante devient une qualité très-essentielle. La bravoure n'est
de mise que dans les actions militaires, ou celles de la vie
sociale qui leur ressemblent. Les hommes d'élan sont braves,
les constants ont du courage, quoique le genre de valeur qui
est propre à chacun d'eux diffère. On peut dire que la bra-
voure projette avec explosion sa vaillance, et que le cou-
rage ne la dépense qu'avec mesure et égalité.
Ces dispositions paraissent résulter des tempéraments ou
des constitutions physiques; car la jeunesse, chaude, san-
guine, est plus fougueuse ou plus disposée à la bravoure,
tandis que l'àge viril, la maturité, présente une valeur plus
calme, plus solide, comme celle des complexions mélanco-
liques et des caractères flegmatiques. Les peuples des pays
froids et humides passent pour constants dans leur courage;
il y a plus de nerf et de feu chez les méridionaux : ainsi,
les Arabes , les Sarrasins , les Maures, déployèrent une bra-
voure furibonde qui leur valut de vastes et rapides con-
quêtes; mais leur empire s'écroula bientôt, tandis que la
domination romaine, due au courage réfléchi, aux calculs de
l'art stratégique et d'une sévère discipline , survécut par ses
lois et ses mœurs à l'invasion des barbares. De même , la
science guerrière des Grecs dompta la rage brutale des peu-
ples moins civilisés, et la férocité musulmane a succombé
sous la tactique régulière et disciplinée des Européens.
Les liqueurs fortes, l'ivresse, l'opium, ont paru des
auxiliaires de la bravoure, en étourdissant sur les périls, en
ar.gmentantia circulation du sang. On punissait, au contraire,
le .soldat romain en le faisant saigner; car on a bien moins
d'ardeur belliqueuse lorsqvi'on a moins de sang; et c'était
une honte pour lui de paraître làclie. Tout le mérite de la
bravoure n'émane donc point de la volonté ; il y faut encore
des disoositions physiques. La chaleur humide de certains
climats amoUit, rclàclie et su|)pnme toute bravoure; on ne
la connaît guère, en elTet, j armi les doux peuples de l'Inde
méridionale, quoiqu'ils montrent tout le courage de la rési-
gnation et de la patience contre les douleurs et la mort, à
laquelle plusieurs s'exposent volontairement.
Les animaux manifestent plus ou moins de force, de cou-
raçLe ou d'audace pour se défendre; on ne peut dire d'aucun
qu'il a de la bravoure , puisque cette qualité suppose le
désir de se distinguer par sa valeur. 11 y a bien une sorte
d'émulation entre les chevaux, comme entre les chiens, à
la course, à la chasse, etc.; les uns sont plus vifs et plus
courageux que d'autres; les femelles préfèrent aussi les
mâles vigoureux aux lâches pour l'anoblissement de la
race : tel est l'instinct de la nature ; mais la bravoure est
une qualité propre à l'espèce humaine , car il y entre aussi
de la vanité et l'orgueil de la supériorité. J.-J. Vire\.
BRAVOURE ( Air de ). Destiné à faire briller l'habileté
et l'organe de quelque grand chanteur, l'aria di braiura
que les anciens maîtres italiens plaçaient dans presque tous
leurs opéras, n'était à proprement parler qu'un exercice de
vocalisation , dont on s'explique la dénomination en se ra{>-
pelant que les Italiens appellent bravura le talent, la har-
diesse de l'artiste. Cette sorte d'air fut introduite en France
par Gluck et Piccini, et avec elle se naturalisa l'expression
qui servait à la désigner. Grétry sacrifia à ce goût , et l'on
cite même un air de ce genre de .Méhul. Mais si la musique
italienne a conservé quelques traces des airs de bravoure,
ainsi que le témoignent plusieurs productions de Rossini, la
scène française se montre aujourd'hui plus sévère à leur
égard , et l'on peut dire qu'ils sont actuellement bannis de
notre premier théâtre lyrique. Le compositeur doit, avant
toute chose , chercher à rendre les passions qui animent ses
personnages ; quant au chanteur, s'il veut montrer la sou-
plesse de son organe, il a la ressource des fioritures,
dont il doit du reste n'user qu'avec réserve.
BRAWER. Voyez Brauwer.
BRAY, vieux mot français dérivé du celtique, dont on
a fait braium dans la basse latinité, et qui signifiait houe,
fange, d'où l'on a tiré le nom de plusieurs lieux, tels que
nray sur Somme, bourg du département de la Somme ; Bray
sur Seine, petite ville du département de Seine-et-Marne;
Vibiaye, Follenbraye, Savigny sur Brave, etc. C'était aussi
le nom d'un petit pays de Normandie, très-mauvais et très-
fangeux dans les temps de pluie, situé autrefois e^itre le
pays de Caux , le comté d'Eu, le Yexin normand , le Yexin
français , les diocèses d'Amiens, de Beauvais , et formant au-
jourd'hui l'arrondissement deNeufchâtel (Seine-Inférieure).
BRAY ( Fraxçois-Gabriel, comte de), homme d'État
bavarois, était né à Rouen, en 1763. Secrétaire de la léga-
tion française à Ratisbonne, il entra au service de la Bavière,
et fut nommé conseiller de la légation bavaroise auprès de
la diète. Plus tard, il fut envoyé à Berlin, puis, en 1808, à
Saint-Pétersbourg. La faveur dont les Français jouissaient
alors en Bavière le fit élever rapidement à la dignité de con-
seiller privé. C'est à cette époque qu'il se fit naturaliser Ba-
varois. En 1817 il entra dans le conseil d'État, et à l'occa-
sion de l'octroi de la constitution, il fut créé pair de Bavière.
Ambassadeur à Paris en 1820 et à Vienne en 18'27, il se retira
de la vie publique en 1831, et mourut le 2 septembre 1832,
dans sa terre d'irlbach près de Straubing. Outre une Expo-
sition de la constitution hollandaise jusqu'en 1795, il a
publié un Voyage aux salines de Salzbourg et de Rei-
chenhall (Berlin, 1807), et un Essai critique sur Vhis-
toire de la iii;oHie(Dorpat, 1817).
BRAY (Otuon-Camille-Hlgues de), fils du précédent,
conseiller d'État bavarois, ministre plénipotentiaire à la cour
de Russie, est né à Berlin, le 17 mai 1807. Élevé à la cour
SJ.
660
BRAY — BRAZIER
auprès de laquelle son père était accrédité, il fut initié de
bonne heure aux secrets de la diplomatie, et il en profita
d'autiuit mieux que la nature Pavait créé diplomate. Attaché
à l'ambassade de Bavière à Vienne, il fut accrédité ensuite
au|)rès de plusieurs petites cours et envoyé à Paris comme
conseiller de lé;j;alion , poste qu'il ne quitta que pour aller
remplir celui d'envoyé extraordinaire à Saint-Pétersbourg.
Rappelé en 18 40, il fut nommé ministre des affaires étran-
gères ; mais il ne tarda pas à déposer son poilefeuille ,
qu'il reprit cependant au mois d'avril 1848, pour le déposer
de nouveau le 5 mars 1S49. Quelques mois après, il re-
tourna à son poste à Saint-Pétersbourg. Élève de la vieille
école diplomatique (iont Talleyrand, MetternichetNesselrode
sont les docteurs, M. de lîray comprend peu les nécessités
des temps modernes; mais il possède cette habileté qui sait
éviter les conllits trop violents. C'est de son premier mi-
nistère que date le scandaleux épisode où la fameuse Lo-
la-Montez a joué un des principaux rôles. Appréciant
Vort bien la situation , il déposa son portefeuille , et se sé-
para de ses collègues, qui nuisirent aux intérêts de leur
parti en tardant trop à suivre son exemple. Il parut ainsi
le vrai représentant du principe aristocratique, il est vrai,
mais fidèle à ses convictions ; et son opposition le rendit as-
sez populaire pour qu'on le vît avec plaisir rappelé aux af-
faires en 1848. L'influence qu'en sa qualité de ministre des
affaires étrangères il a exercée sur la question allemande est
digne d'attention. Il appuya d'abord la politique de la
Prusse, et se montra l'adversaire de toute concession à l'Au-
triche, puis, lorsque surgit la question de l'Empire en 1848,
il fut le premier à provoquer l'intervention de l'étranger
dans les aflaires d'.\lleinagne. On attribua sa démission au
peu de succès de son apologie devajit la chambre des pairs.
BRAYANTS, hérétiques qui parurent en Allemagne
vers 1544. C'était un démembrement de la secte des ana-
baptistes; et ces imbéciles gagnèrent leur nom en soute-
nant que la chose la plus agréable à Dieu était de pleurer
et de brailler dans leurs temples.
BRAYE ou Brayoire. Vo?jez Broyé.
BRAYER, sorte de bandage, qui sert à contenir les her-
ïiîes et ainsi nommé, parce qu'il se mettait sous les. braies.
Brayer se dit aussi, 1° de la partie postérieure (anus)
des oiseaux de proie; 2" du morceau de cuir qui sert à sou-
tenir le battant d'une cloche; 3° de l'espèce de sachet de
cuir où l'on fait reposer le bi\ton de la bannière, quand on
la porte; 4" du petit morceau de fcr<pii pusse dans les trous
qui sont au bas de la chasse du trébuchet et des balances,
et qui sert à la tenir en état ; 5" des cordages qui servent à
élever le bourjiquet ou petit bât avec lequel on porte le
mortier.
BRAYER (A.), médecin qui a rendu de grands ser-
vices à la science par ses observations j)ersonnelles sur la
peste, était né dans le dépaitement de l'Aisne vers 1775,
d'une famille connue dans la magistrature, l'administration
et la médecine. Reçu docteur dans les premières années du
siècle, il entreprit quelques voyages en Italie et en Orient,
nommément à Constantinople, où il pratiqua son art, et où
il retourna plusieurs fois. Il revint en France à l'époque où
finissait la guérie des Grecs , rapportant une fortune suffi-
sante et l'opinion h'wn assise que la peste n'est pas con-
tagieuse, non plus que lalièvre jaune. Complétant ses travaux
par de nouvelles lectures, il (il paraître en Is.'jG un ouvrage
inWivXé r<cuf nn né r.s à Constantinople {•}. volumes in-8°).
Quand l'Académie de Mi'decine ht une enquête sur la peete
et les quarantaines, en 184G, elle appela prés d'elle le
docteur Brayer, qui la renvoya à son livre, mais en insistant
fortement sur ce point qu'il ne croyait pas à la contagion
delà peste. Dès 1S7.2, actionnaire et propriétaire pour une
part de r.\thénée des Arts, il y passait presque tout son
lemps. Jl (init par tomber en enfance, et alla mourir à
îàouen, en 1848. Brayer avait aussi rapporté de ses voyages
une plante de l'Abyssinic, vermifuge qui, jusque alors in-
connu, tue immanquablement le taenia. Kunth l'a dédiée au
savant qui nous l'a fait connaître (voyez BKAYi:uE).
BRAYERE, arbre d'Abyssinie, appartenant à la famille
des rosacées, ainsi appelé du médecin Brayer, qui !e
premier l'a fait connaître en France, avec ses propriété.s
antliclmintiques particulièrement applicables à la destruction
du tœnia. Cet arbre, qui atteint jusqu'à vingt mètres de
hauteur, a pour caractères botaniques : fleurs pédicellées,
entourées de bractées membraneuses ; calice tubuleux per-
sistant, rétréci à son orifice; limbe à dix lobes, dont les
cinq extérieurs plus grands; cinq pétales très-petits, li-
néaires, insérés au limbe du calice, de douze à vingt éta-
mines insérées au môme endroit, à filets libres; anthères
biloculaires, deux ovaires cachés au fond du calice parfai-
tement libres, uniloculaires, monospermes; ovules pendants,
deux styles terminaux, stigmates élargis , légèrement lobés. ■
BRAYETTE. Voyez Braguette et Braies.
BRAZIER (Nicolas), auteur dramatique et chansonnier, ,
naquit à Paris, le 17 février 1783. Son père tenait une école
d'enfants; Brazier ne s'y montra pas assidu : aussi fut-il
placé dans une fabrique de bijouterie. C'était, disait-il, une
chaîne, et, quoique dorée, il ne la supporta pas longtemps.
Plus libre de ses mouvements dans l'administration dos
droits réunis, où il obtint un modeste emploi, il fit comme
l'oiseau auquel on ouvre la cage , il déploya ses ailes, sa
poitrine se dilata, et il se prit à fredonner de joyeux re-
frains. Armand Gouffé , fayant entendu dans une réunion
bachique, applaudit à sa verve; mais il eut la franchise de
lui dire que, même en chansons, il faut non-seulement du
bon sens et de l'art, mais un peu d'orthographe et de gram-
maire. Combien Brazier ne regretta-t-il pas alors de n'avoir
pas môme ouvert une seule fois le Traité analytique de la
Langrie Française de son père? Mais aussi te voilà s'ar-
mant d'une grande résolution , achetant des livres élémen-
taires; et ayant le courage, lui homme dt^à , lui chanson-
nier applaudi , lui auteur joué, d'aller tous les jours en
classe dans une pension de la rue Saint-Antoine.
Nous venons de dire que Brazier était auteur joué ; en
effet en 1803, à peine âgé de vingt ans, il avait fait repré-
senter sur le petit théâtre des Délassements une espèce de
monologue dramatique, comme on en faisait dans ce temps-là.
Le Caveau moderne l'ayant accueilli, il se trouva en rap-
port avec des auteurs déjà connus, qui ne dédaignèrent pas
de s'associer sa gaieté bouillante, son imagination fraîche,
sa facilité à tourner le couplet; et plus d'un ranima de la
sorte sa verve épuisée. Il faut le dire à sa louange, ses
succès ne lui firent pas d'envieux, et ses collaborateurs de-
vinrent et restèrent ses amis. Deux cents pièces pleines de
gaieté , trois cents chansons remarquables par un naturel
charmant, par une mahce pleine de bonhomie, des applau-
dissements sur tous les théâtres de vaudevilles pendant
trente ans, et dans les sociétés chantantes les plus renom-
mées, rendirent assez populaires son nom, son talent et
ses ouvrages.
Auteur dramatique, Brazier avait besoin de collabora-
teurs; il n'avait pour travailler seul ni assez de patience
ni assez de goût. Certes, il ne manquait pas d'idées, mais il
ignorait l'art de les coordonner. En ce sens , Merle lui fut
extrêmement utile. Il n'avait pas, non plus, l'observation po-
pulaire au même degré que Dumersan , avec lequel il tra-
vailla longues années; -mais il égaya toujours le dialogue de
ses collaborateurs par des mots francs, par des saillies
bouffonnes ; et ses couplets, bien tournés et chaleureux, arra-
chèrent souventdes applaudissements au public. Les refrains
de Brazier chansonnier ont trouvé des échos dans toutes les
réunions bachiques , aux veillées du bivouac , dans les ate-
liers, chez les grisettes ; mais rarement ils ont pénétré dans
les salons. La gaudriole le provoque, le vin l'inspire et la
gaieté le soutient.
BRAZIER — BREBIS
6ÔS
Tout bon compagnon que fût Brazier, l'ambition littéraire
lui vint un jour; il eut la prétention des œuvres sérieuses :
c'est ainsi qu'il qualiliait les volumes. Aussi en composa-t-i!
deux à la fin de sa carrière; mais ces volumes, plus lourds
de forme que ses gais vaudevilles, étaient aussi légers de
fond. Avant que l'idée des livres lui arrivât, il avait nourri
une autre marotte, qui ne l'abandonna jamais; l'apôtre fer-
vent du vin et de la gaieté voulut se faire poète politique
comme Déranger, et, prenant sa démangeaison déchanter
pour une mission, il se crut royaliste, et se jugea digne de
ligurer dans ce parti pour avoir fait quelques pièces de cir-
constance et rimé quelques chansons pour les réjouissances
des Chami)S-Élysées. Il publia un recueil de refrains bour-
bonniens, intitulé : Souvenirs de Dix Ans ; mais les mé-
chantes langues remontèrent plus haut, et trouvèrent dans
le bagage politico-poétique de l'auteur une chanson datée
de la naissance du roi de Rome, avec absolument le même
lefrain. Quoi qu'il en soit, les Bourbons ne s'en formalisè-
rent pas, et, par le crédit de M. de Lauriston, Brazier obtint
une place à la bibliothèque particulière de Louis XVIlf. A
cette nouvelle il se rend chez Barbier, alors chef de cette
bibliothènue, et il l'ahorde en ces termes : « Monsieur,
vous savez que je suis votre subordonné; mais vous pensez
bien que la place qui m'est accordi.'c est une récompense de
mes services, et non une obligation de travail : aussi vous
trouverez bon que je ne vienne ;i jieu près ici que pour
émarger. » BarbieraccueiMit fort mal ce discours d'ouverture;
mais M. de Lauriston airangea l'affaire : on nomma un autre
employé, qui remplit les fonctions attachées à la place, et
Brazier obtint une pension que déguisait une sinécure. En
fiomme, il n'était pas instruit, et il l'avouait do bonne
grâce; mais il était plus distrait encore qu'illettré, et parfois
on a mis sur le compte de son ignorance ce «jui n'était que
de l'étourderie. Brazier mourut à Tassy, le 22 août 1838, à
l'âge de cinquante-cinq ans, laissant une modique fortune à
sa veuve.
On a de Biazier deux cent quinze pièces de théâtre, dont
près de cent cinquante imprimi'es. Les plus connues sont :
Préi-ïlle et Taconnet, Le ci-devnnt Jeune Homme, La
Carte à payer, Je fais mes farces. Le Coin de Rue, Le
Soldat laboureur, Les lionnes d'Enfants, Les Cuisi-
nières, etc. Il a publié, outre \e^ Souvenirs de Dix Ans,
deux autres volumes de chansons, où la polititpie et l'esprit
de parti n'entrent ()our rien. Enfin, il mit au jour deux volu-
mes in-8°, intitulés : Les Petits Théâtres de Paris; travail
auquel l'auteur attachait une importance exagérée; qui ren-
ferme, il est vrai, quelques anecdotes, quelques détails cu-
rieux , mais qiii pèche du côté de la critique et môme de
l'exactitude. Etienne Arago.
BRÉBEUF (Guillaume de), naquit en 161S, à Thori-
gny, d'une bonne famille de la basse Normandie, et mourut
à Venoix, prèsdeCaen,en 1661, à i'à:.;e de quarante-trois ans.
Ce poète gentilhomme mérita par ses traductions en verset
par son érudition variée d'être rangé au nombre des écri-
vains en vogue pendant la minorité de Louis XIV. Il débuta
par une traduction du VIF livre de L'Éncide, en vers bur-
lesques, et publia ensuite une traduction dans le môme genre
de La Pharsale de Lucain. Puis il entreprit de traduire
sérieusement ce poëme, et sa traduction obtint le plus
giand succès. On en admira les hyperboles excessives,
l'enflure, les antithèses incessantes, le faux brillant, les
pensées gigantesques, les descriptions pompeuses mais
peu naturelles ; et ébloui comme la cour et la ville par le
clinquant de cet ouvrage, et par quelques étincelles de ta-
lent qu'on y rencontre de loin on loin, Mazarin fit au tra-
ducteur de belles promesses, qu'il oublia d'ailleurs de lui
tenir. Toutefois, La Pharsale de Brébeuf tomba peu à peu
dans l'oubli, à mesure que le goût public, ens'épurant, de-
vint plus_ sévère. Boileau, par ses critiques et ses plaisan-
teries, né contribua pas (leu à faire revenir l'opinion pu-
blique sur un poète qu'elle avait d'abord porté aux nues;
il fit comprendre tout ce qu'il y avait d'inégal, de bour-
souflé et d'emphatique dans son style, et dans son Art poé-
tique il fit de Brébeuf le type de l'enflure et de l'hyperbole.
Nous ne serions pas surpris que quelque bel esprit s'avisât
de nos jours de vouloir en appeler de l'arrêt souverain porté
l)ar notre grand critique, et essayât de réhabiliter sa vic-
time : car, après tout, on ne saurait disconvenir, quand on
a eu le courage de lire Brébeuf malgré l'anathème de Boi-
leau, qu'il s'en faut qu'il soit dépouiTU du sens poétique;
qu'il y a chez lui des alliances de mots hardies et faites pour
frapper l'imagination; que quelquefois, dans les morceaux
descriptifs surtout, il ades traits heureux, et qu'alors il repro-
duit assez fidèlement la vigueur fière et le coloris grandiose
de Lucain. Dans quelques morceaux son style est aussi ferme
que correct, et il trouve des images brillantes. C'est ce que
Boileau reconnaît lui-même, quand il nous dit quelque part:
Maljçré son fatras obscur
Souvent Brébeuf étincelle...
Enlevé aux lettres par une mort prématurée, Brébeuf ne
laisse pas que d'avoir comparativement beaucoup produit.
C'est ainsi qu'indépendamment des ouvrages mentionnés
ci-dessus, on a de lui des Entretiens solitaires , poésies
religieuses, fort inférieures, du reste, à ses productions pro-
fanes ; un recueil d'œuvres diverses, où l'on trouve quelques
jolis vers et 150 épigrammes contre une femme fardée,
fruit <rime gageure; des Éloges poétiques, une Défense de
V Église romaine, enfin des Lettres.
BBEBIS, femelle du bélier. Voyez Mouton, Bétail, etc.
La brebis chez les anciens servait d'holocauste, et on la
.sacrifiait principalement sur les autels des Furies. Les Égyp-
tiens, i)Ius justes et plus conséquents dans leur idolâtrie,
l'avaient, au contraire, en grande vénération, h cause de son
utilité, et ils lui avaient même érigé un culte dans les villes
de Sais et de Thèbes. Dans nos livres saints, le terme de
brebis est souvent cimployé pour désigner le peuple, dont
il peint en effet la douceur et la patience. David dit, dans
ses Psaumes : « Nous sommes votre peuple et les brebis de
votre pâturage. » Le Sauveu'- dit lui-même « qu'il n'a été
envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël qui sont per-
dues. " Les justes sont souvent comparés aussi à des brebis
exposées aux violences des méchants et à la rage des loups.
« C'est pour vous, dit David, qu'on nous égorge chaque jour
et qu'on nous considère comme des brebis destinées à la
boucherie. » Les séducteurs, dans l'Évangile, sont comparés
à dos loups qui se couvrent de la peau de brebis ; Jésus-
Christ a dit : « Gardez-vous des faux prophètes, qui vien-
nent 4 vous couverts de peau\ de brebis, car ce ne sont au
dedans que des loups ravisseurs. » Enfin, il est écrit qu'au
jugement dernier les brebis (c'est-à-dire les justes ), placées
à la droite du souverain Juge, seront mises en possession du
royaume des cieiix.
Le mot brebis, pris au figuré, est refeté dans notre langue
comme qualification du chrétien lidèie. « 11 y a plus de ré-
jouissance dans le ciel, dit l'Évangile, pour une brebis égarée
qui revientau bercail, que pour les nonante-neuf qui ne l'ont
pas quitté. » Les chefs temporels des États sont, eux aussi,
dans l'habitude de regarder les pauvres peuples comme leurs
brebis et de les tondre d'aussi près que faire se peut, en
ayant soin de les faire crier le moins possible. Les patientes
se hasardent-elles à élever un tant soit peu le ton, vite on
les déclare brebis galeuses, qu'il convient de sacrifier le
plus tôt possible, dans l'intérêt bien entendu du troupeau.
Jamais mot ne fut plus fécond en proverbes que celui-là :
La brebis du bon Dieu est l'être inoffensif, patient , ne se
défendant pas, ne se plaignant pas même, quaml on l'at-
taque. Brebis q%ii bêle perd sa goulée, signifie qu'en ba-
vardant trop on perd l'occasion d'agir ; Qui se fait bre-
bis, le loup la mange, qu'avoir trop de bonté, de douceur,
6G2
BREBIS — BBECHES- OSSEUSES
jî'est encoiiiager les tnécliauts à vous nuire; Brebis comp-
tées, le loup les mange, que l'excès de précaution ne ga-
rantit pas toujours du danger; A brebis tondue Dieu vie-
sure le vent, qu'il ne nous envoie pas plus de mal que
nous n'en pouvons supporter; Quand brebis enragent,
elles sont pires que loups, qu'il est dangereux de pousser
à bout les peuples les plus pacifiques , car Dieu combat tou-
jours i)our les faibles.
BRÈCHE ( Art militaire), ouverture faite par une armée
assiégeante dans l'enceinte d'une place, pour offrir une voie
aux colonnes d'infanterie de siège, et leur faciliter le moyen
de donner l'assaut. La manière dont les anciens entamaient
la brèche et se portaient à l'escalade, la manière dont ils
disputaient et défendaient la brèche, ont été traitées par
"Vitruve, Beausobre, Borgsdorf, Folard, Guischardt , Hum-
bert. Juste Lipse, Maubert, Montargues, Montgommeri. Les
assiégeants faisaient brèciie à l'aide du bélier, par lesecours
des sapes, par la puissance des leviers et des tarières , et en
|)erçant des galeries, où ils poussaient des élançons ou des
soutiens de charpente qu'ils embrasaient pour faire crouler
les massifs. Maintenant une brèche est le déchirement d'une
pièce de fortification battue par des salves d'artillerie et par
les feux convergents des batteries de brèche. Une brèche ne
saurait avoir moins de 12 mètres de largeur; ce qu'on ap-
pelle l'élargir, c'est lui donner un front de 50 à 60 mètres.
L'action de battre en brèche se répète plusieurs fois dans
certains sièges, et elle commence dès l'attaque des ouvra-
ges extérieurs. Autrefois on s'y aidait davantage de l'effet
des mines et des ressources de la guerre souterraine. Voici
maintenant la marche de cette opération : Le jeu soutenu
de certaines batteries de siège et les cliocs réitérés qu'exer-
cent d'abord des boulets pleins , ensuite des boulets creux ,
sapent le pied d'un revêtement dans une largeur de 12
à 15 mètres; sa sommité s'écrête; ses débris s'amoncellent,
encombrent le fossé , font rampe. A cet instant , les efforts
de l'assiégé et les ressources de la défense du corps de la
l'iiice consistent ou ont consisté à réparer la brèche à pro-
poition qu'elle s'élargit, à l'escarper à mesure qu'elle se talute,
i' la combler, s'il se peut , avant qu'elle s'aplanisse, à allu-
mer des bûchers au pied de la brèche , ou bien à y enterrer
des caissons d'artifice, des coffres fulminants; à rassembler
sur la sommité des amas de pierres , de la chaux, des ba-
rils pleins d'eau, des barriques et barils ardents ou foudroyants,
des bombes, des chemises à feu, des fascines goudron-
nées , des grenades à main , des orgues à feu ; à embar-
rasser le talus au moyen de chausses-trapes, de cbevaux de
frise, de hérissons, de herses d'attrape, de hersillons, à pra-
tiquer, ou à charger, si c'est un bastion plein, des four-
neaux et des fougasses sous la brèche; à creuser des cou-
pures dans le bastion , à y construire des retirades , et enfin
à la nettoyer vigoureusement si des assaillants tentent de
l'emporter.
Voici l'opération contraire, telle qu'elle s'accomplirait, ou
s'est exécutée. Les assiégeants , ayant exécuté la descente
du fossé pour se porter à l'assaut, reconnaissent le débou-
ché, s'assurent que l'ennemi peut, ou non, voir en brèche,
détournent les obstacles dont la rampe est semée, y font
jouer les batteries de pierriers, la couvrent de fascines et
de sacs à terre, surmontent les chicanes de ceux qui la dé-
fendent, éventent les fourneaux, rendent le taUis praticable
au canon, le gravissent de front , en se remparant, si faire
se peut, de sacs à terre ou de gabions , et établissent un lo-
gement sur la crête de la brèche.
Les assiégeants font brèche ordinairement à deux bastions
d'imc forteresse en dirigeant à la fois, les coups de leur ar-
tillerie contre les faces qui se regardent , et en entamant le
l)i!'(l de chacune vers son milieu , ou vers !e tiers de sa lon-
gueur, à compter de l'angle flanqué ; la continuité des salves
foifensuite crouler la partie supérieure du revêtement , de
manière à former une rampe de 25 h 30 mètres de largeur.
On a quelquefois fait brèche à l'angle saillant des laces d'un
bastion ; mais c'est un usage abandonné , de même que les
assiégés ont renoncé à l'usage de battre lachamade sur le
haut de la brèche , même pour demander viercl.
On a vu des assiégeants avoir recours à une brèche de
courtine dans des cas où les bastions correspondants étaient
eux-mêmes entamés; car, autrement, la rampe d'une telle
brèche serait impraticable. Mais si l'assiégé réussit à élever
des ouvrages à la gorge des bastions ruinés, l'assiégeant frappe
alors une brèche au milieu de la courtine : ainsi fit le princxi
Eugène au siège de Lille en 1707, ce qui contraignit
Bouflers à se rendre. Lorsqu'une capitulation interrompt
ou prévient l'assaut, l'assiégeant, s'il est déjà logé sur la brè-
che, y pose, jusqu'à ce que la reddition s'effectue, un poste
pour garantir la place de tout désordre.
Tel est le résumé des règles et des usages des deux der-
niers siècles. Ajoutons quelques mots sur les coutumes ac-
tuelles. On n'avait jamais fait les brèches aussi considé-
rables que dans les dernières guerres de la Péninsule. L'ar-
tillerie anglaise, tirant à grande distance, pratiqua à Ciudad
Rodrigo, à Badajoz, à Saint-Sébastien, en 1S1;5, des brè-
ches à grande ouverture : elles avaient à l'extérieur 30, 45
et jn.squ'à 100 mètres, et à l'intérieur, 9, 12 et jusqu'à 30
mètres.
On a appelé brèche praticable celle qui entame le corps
d'une place, produit une rampe de 30 à 40 mètres de large, et
est d'un accès assez facile non-seulement pour être gravie par
les assiégeants, mais même pour donner passage aux assiégés
se rendant prisonniers et réduits à évacuer la forteresse qu'ils
défendaient; la possibilité d'en sortir en descendant, mèche
allumée, par une telle route, fut longtemps la seule excuse
que le commandant de la place assiégée put donner pour
justifier sa reddition. Un gouverneur se fût déshonoré en sor-
tant par les portes. Cette vieille coutume en avait produit
une autre; celle d'abattre im pan de muraille pour recevoir
au sein d'une ville un vainqueur revenant de l'expédition où
il avait triomphé; on ne croyait pas pouvoir lui rendre un
plus insigne lionneur.
La langue de la justice militaire a .consacré le mot brèche
praticable dans un décret du 26 juillet 1792, et dans un
arrêté du lemessidoran vi, pour indiquer la criminalité d'un
gouverneur qui capitulerait avant l'extrémité où le réduisent
le perfectionnement de la brèche et l'impossibilité d'y sou-
tenir l'assaut en élevant un arrière-retrancbement. La loi
a consacré aussi l'expression abandon de la brèche, pour
définir le crime du militaire qui, mené à l'assaut, y trahirait
ses devoirs, et s'éloignerait de ce poste pour piller ; c'est
un cas punissable de mort. Dix-huit heures du feu roulant
d'une batterie de six pièces de vingt-quatre avaient rendu
praticable la brèclie de la citadelle d'Anvers, en 1832.
G^'' Bardin.
Vingt-quatre heures suffirent au siège de Rome, durant
le mois de juin 1849, pour obtenir un pareil résultat dans le
flanc du bastion , véritable forteresse, qui communiquait
par des tranchées avec San-Pietro in Montorio. La brèche,
commencée le 28, était praticable le 29. L'assaut fut donné
le 30 dans la nuit. Quand nous filmes maîtres du terre-plain
du bastion, notre mousqueterie balaya de là les abords infé-
rieurs de la porte San-Pancrazio. A six heures du malin le
Janicule était évacué par l'ennemi et toute résistance ces-
sait. Le 3 juillet Boma entière était en notre pouvoir.
BRECHE ( Géologie), espèce de marbre, compo.séde
fragments anguleux de diverses couleurs , réunis par une
pâte calcaire d'une teinte différente. Quand les fragments
sont très-petits, ce marbre prend le nom de brocalelle. Les
fausses brèches sont des marbres veinés, qui ont l'appa-
rence de brèches, ou qui semblentêtre composés de fragments,
à cause de la manière dont les veines s'entrelacent.
BRJÈCHES OSSEUSES. Ce sont des cavités que
l'on rencontre principalement dans les roches calcaires
BRECHES OSSEUSES — BREDOW
gypseuscs, et qui sont remplies de dépôts fragmentaires
provenant en grande partie de débris non roulés de la
roche elle-même, entremêlés d'ossements plus ou moins
brisés de mammifères et souvent de coquilles terrestres. Ces
débris, cimentés par des concrétions calcaires, sont envelop-
pés dans un limon le plus habituellement coloré en rouge
par de l'oxyde de fer. On trouve ces brèches osseuses sur
les côtes de Gibraltar, de Cette, de Nice, d'Antibes, de la
Corse, de la Sardaigne , de la Dalmatie , dans les falaises
de l'Algérie; on les rencontre même à de grandes dis-
tances dans l'intérieur des terres (dans le Jura, la Bourgo-
gne, etc.), et M. Desnoyers en a observé jusque dans le
gypse des environs de Paris, où elles offrent la même phy-
sionomie que sur le littoral de la Méditerranée. Pour l'o-
rigine des Ijrèches osseuses, voyez Cavernes.
BRECHET, terme du langage usuel , dont le vulgaire
se sert pour dénommer tantôt l'os de la partie antérieure
de la poitrine, ou les ^erwwm, tantôt la partie de ce même
os dite cartilage xiphoide, ou bien encore la petite excava-
tion qui correspond à ce cartilage. Emisagé sous le rapport
de ces trois significations , ce mot n'est point usité dans le
langage scientifique de l'anatomie ; mais en ostéologie com-
parée on donne le nom de bréchet à la crête médiane et
plus ou moins saillante du sternum de tous les oiseaux
qui volent et de plusieurs mammifères ( chauves-souris,
taupes, etc., etc. ) qui exécutent des mouvements très-forts
avec leurs membres antérieurs. Le bréchet a donc pour
usage de fournir des surfaces étendues et une base très-so-
lide pour l'insertion des muscles qui sont les agents de ces
grands efforts , soit pour la locomotion aérienne ou le vol,
soit pour fouir et creuser très-rapidement la terre.
Le bréchet manque dans l'autruche, le casoar et dans le
plus grand nombre des mammifères, ainsi que dans tous les
reptiles et les amphibiens, pourvus ou non d'un véritable
sternurn. ' L. Laurent.
BRÉDA, place forte et chef-lieu du district du même
nom dans le Brabant septentrional, au confluent de la Mark
et de l'Aa. Cette ville, bien bâtie, compte 15,000 habitants.
Elle a de nos jours beaucoup perdu de son importance stra-
tégique ; mais elle est encore remarquable par ses belles
places et ses nombreuses églises, parmi lesquelles on dis-
tingue la cathédrale gothique, avec sa tour de 93 mitres de
haut, ses deux orgues et ses tombeaux, dont l'un, celui du
comte Engelbert II de Nassau et de sa femme, est magni-
fique. Le château, vieux bâtiment construit, en 1350, par
Jan van Polanen , seigneur de Bréda, et restauré, en 1536,
par Henri, comte de Nassau, a reçu de Guillaume III,
en 169G, sa forme actuelle. Il a longtemps servi de séjour
àChades II d'Angleterre, et fut converti, en 1828, en une
école militaire à laquelle on a réuni, en 1850, l'école de
marine de Medemblik. Le principal commerce des habitants
consiste en chapeaux, tapis, savon, huile et sel. La ville
passe pour salubre, quoique les environs soient extraordinai-
rement marécageux. Cette qualité de terrain fait sa principale
force. Entourée de murs, en 1534, par Henri de Nassau,
Brédà a été fréquemment assiégée par les Hollandais, les
Espagnols et les Français. Prise par les Espagnols en 1581,
elle fut reconquise par Maurice d'Orange, en 1590, au moyen
d'un bateau de tourbe dans lequel il avait fait cacher soixante-
dix soldats. Spinola s'en rendit maître, en 1625, après dix
mois de siège. Henri d'Orange la reprit en 1637, en aug-
menta les fortifications et y bâtit une citadelle. Dans les
guerres de la Révolution, Dumouriez s'en empara, le 25 fé-
vrier 1793; mais la défaite de Neerwinden le força à l'éva-
cuer le 4 avril. Dans le mois de septembre 1794 l'armée de
Pichegru investit Bréda, qui ne succomba qu'après la con-
<iuête de la Hollande dans l'hiver de 1795. Au mois de
décembre 1813, la garnison française ayant fait une sortie
contre l'avant-garde russe commandée par Benkendorff , la
bourgeoisie, dans son enthousiasme patriotique, se sou- '
6r.3
leva en masse, et empêcha les Français de rentrer dans la
ville.
Deux congrès ont été tenus à Bréda : le premier, en 1575,
entre l'Espagne et les Provinces-Unies , n'eut ancvm résul-
tat, l'Espagne s'obstinant à ne pas permettie l'exercice de la
religion réformée dans les Pays-Bas; le second, en 1746 et
1747, entre la France, l'Angleterre et la Hollande, se sé-
para à la suite de la révolution qui plaça le prince d'O-
range à la tête du gouvernement hollandais. La paix signée
à Bréda, le 31 juillet 1667, entre l'Angleterre, la France,
la Hollande et le Danemark , mit un terme à une guerre
occasionnée par des rivalités commerciales , et assura ses
conquêtes à chacune de ces puissances.
BRÉDA-SÏREET. Voijez Lorette.
BREDE, espèce de mo relie non malfaisante, connue
sous ce nom aux îles de France et de Bourbon," et aux
Antilles sous celui de laman , mais beaucoup plus vigou-
reuse, et à feuilles beaucoup plus larges que celles de la
morelle sauvage, comme il arrive toujours dans les espèces
cultivées. Ces feuilles se mangent en guise d'épinards , et les
habitants des îles susnommées désignent sous l'appellation
collective de brèdes plusieurs espèces de plantes dont ils
font le même usage.
BRÉDISSURE , nom que l'on donne, en pathologie, à
l'impossibilité d'écarter les mâchoires, vice produit par
l'adhérence de la membrane des gencives avec celle qui
revêt la face interne des joues dans rinliammation des mem-
branes contiguës , et auquel il faut remédier par une opé-
ration chirurgicale, quand on n'a pas su le prévenir à temps
par l'interposition de corps étrangers.
BREDOUILLE, terme du jeu de trictrac, par lequel
on désigne qu'un joueur a pris douze points coup sur coup et
sans interruption , c'est-à-dire sans en laisser prendre à son
adversaire.
BREDOUILLEMENT , vice de prononciation , qui a
de l'analogie avec le bégaye ment, et qui l'accompagne
quelquefois. Dans le bredouillement , il y a précipitation , con-
fusion dans l'articulation des mots, qui sont alors souvent
inintelligibles. C'est donc une manière de parler précipitée et
peu distincte, dans laquelle on ne prononce qu'une partie
des mots, dont on altère plusieurs syllabes. Le bredouillement
a aussi quelques rapports avec le balbutiement.
Quoique les mots bredouiller, balbutier, bégayer, soient
tirés de racines qui sont à peu près les mêmes onomatopées,
ils expriment cependant trois défauts différents , qu'il con-
vient de caractériser. Balbutier, c'est parler du bout des
lèvres , laisser tomber en quelque sorte ses paroles , affaiblir
diverses articulations , prononcer avec peine les lettres b
et /, et faire entendre un sifflement exprimé par lier, cier.
C'est une esoèce de bégayement qui peut être habituel ou
accidentel. Le bégayement consiste dans l'hésitation, dans
les suspensions qui divisent par des intervalles plus ou moins
prolongés les syllabes d'un mot ou les mots d'une phrase.
La volubilité et la confusion caractérisent le bredouillement,
dans lequel les articulations des sons semblent rouler préci-
pitamment les unes sur les autres, et sont confondues en un
bruit sourd, exprimé par bre et ouil, d'où le nom donné
à ce vice de prononciation , qui est accidentel et involon-
taire dans l'ivresse, et peut devenir habituel par la répétition
fréquente des excès de spiritueux.
« La vieillesse, en émoussant les organes, dit Roubaud, fait
balbutier ; la sutfocation, en coupant la voix , fait bégayer-,
l'ivresse, en brouillant et les idées et le jeu des organes , fait
bredouiller ; celui qui se méfie de ce qu'il dit bégaye; celui
qui ne veut pas qu'on entende ce qu'il dit bredouille. La ti-
midité balbutie , l'ignorance bégaye , la précipitation bre-
douille. '- L. Laurent.
BREDOW ( GABuiEL-GonEFROY ), célèbre historien al-
lemand , né à Berlin , le 14 décembre 1773 , de parents peu
fortunés , (ut envoyé au gymnase de Joacliimsthal. Il alla
CG4 BREDOW
ensuite <i l'univcisilé de Halle , dans le dessein d'y étudier
la théologie ; mais il ne tarda pas à changer d'idée et à aban-
donner cette science pour l'archéologie. Devenu, en 1794,
membre du séminaire pédagogique, il accepta, en 1796, une
place de professeur au colli-ge d'Iiutin. 11 s'y livra avec ar-
deur à l'étude de la géograi)hic et de rastronomie des anciens,
et, comme résultat de ses travaux, publia son Manuel d'His-
toire, de Géographie et de Chronologie anciennes (Al-
loua, 1803; 6'= édition, revue et augmentée par Ku-
nisch , 1837 ) , que ne tardèrent |)as à suivre ses Recherches
sur quelques questions d' Histoire, de Géographie et de
Chronologie anciennes (Alloua, 1800-1802).
En 1802 Bredow fut élu recteur du collège d'Eutin ; puis,
en 1804, il fut nommé professeur d'histoire à l'université
d'IIelinstaîdt. Il y publia la Chronique du dix-neuvième siè-
cle (5 volumes, Alloua, 1808-1811 ), qu'il fut plus tard
obligé d'abandouDcr à Venturini, par suite des tracasseries
et des difficultés que lui suscita son respect pour la vérité et
son attachement à la cause de la liberté et du progrès. Re-
prenant alors ses études favorites sur l'antiquité , il forma
le projet de présenter une exposition historique de tous les
systèmes géographiques, depuis Homère j usqu'au moyen ilge.
Comme, pour l'exécuter, il lui fallait d'abord entreprendre
la révision critique des petits géographes grecs , il vint à
Paris en février 1807, et y recueillit de précieux matériaux
pour ce travail préparatoire. A sou retour à llelmstaedt, le li-
béralisme de son enseignement et son patriotisme lui ayant
attiré quelques désagréments, il accepta en 1809 à l'univer-
sité de Francfort sur l'Oder une chaire, qui plus tard fut
transférée àBreslau, où il mourut, le 5 septembre 1814,
regretté de tous ses collègues et de tous ses disciples. Ses
ouvrages classiques les plus répandus sont : Evénements
mémorables de l'Histoire universelle (Alloua, 1810;
•il' édition, 1838), Récit détaillé des Événements les plus
mémorables de l'Histoire universelle (Alloua, IslO;
12= édition, 1840).
BUÉE (Mattuieu-Ignace van), directeur de l'Académie
des Beaux-Arts d'Anvers, naquit dans cette ville, le 22 fé-
vrier 1773, y fit une partie de ses études , et alla les achever
à Paris, sous Vincent. En 1798, il débuta par lu Mort de
Caton, toile qui excita à un haut degré l'attention. Vinrent
en?,\x\i& le Tirage au sort des jeunes Athénien}ies consa-
crées au Minotaure , les Adieux de Régulusretour)uint
à Cartilage , le Baptême de saint Augustin, la J'éche mi-
raculeuse, le Duc de Brunswick sur son lit de mort,
l'Entrée àc Bonaparte, premier consul, el de Joséphine
à Anvers. Habitué à esquisser rapidement ses idies. Van
Brée, au bout de quelques heun s seulement, put offrir à
Napoléon un tableau représentant les manœuvres de la flotte
d'Anvers sur l'Escaut, et un autre, exécuté tout aussi vite,
qui représentait l'entrée de Napoléon à Amsterdam au mo-
ment où les magistrats viennent lui offrir les clefs de la ville.
En 1816 il exécuta une toile représentant Van der Werf,
ce bourgmestre de Leydequi, eu 1570, jeta à la foule, ameu-
tée autour de lui et criant famine, cette exclamation su-
blime : « Eh bien! prenez mon cadavre, et p;u1a2,ez-vous-
^e ! » Cette vaste page , qui orne aujourd'hui rime des salles
le l'hôtel de ville de I-,eyde , est remarquahlo par l'habile
disposition des groupes, par la hardiesse du trait, par la
vivacité du coloris, qui rappelle celui de Rubens, et fit le
plus grand honneur à son auteur. On cite encore de Van Brée
sa Jeanne Sebus se précipitant dans le Rhin , son Comte
d'' Egmont , (ju'uu évoque console avant de marcher au
supplice; Rubens mourant et dictant son testament, lo'ûc
peut-être moins remarquable qu'un autre tableau de cet ar-
tiste, représentant Rubens au moment eu la femme de Mo-
ret le présente à Juste Lipsc (propriété du grantl-duc de
Saxe-Weimar) , et enfin son Tombeau de Acron, près de
Rome, avec un groupe de Musiciens ambulants et de la-
zaroni.
— BREGE.^Z
Van Brée a donné aussi des preuves de son talent en li-
thographie et en sculpture. Il est mort le 15 décembre 1839.
BRÉE ( Puilippe-Jacoles van), frère et élève du précé-
dent, célèbre aussi comme peintre d'iiistoire, et né en 1786,
à Anvers, vint de bonne heure à Paris, puis alla se perfec-
tionner à Rome, mais pour revenir se fixer à Paris, en 1818.
Ses principales toiles sont les Voijageurs en Orient (1811);
la Religieuse espagnole (qui ne put pas être admise à l'ex-
position ) ; Atala trouvée par le P. A ubry, d'après Chàteau-
îiriand (1812) ; In Reine Blanche et son fils, le roi de France
saint Louis; Marie Leczinska, fille du roi de Pologne, à
l'ûge d'un an ; Marie de Médicis avec son fils; Louis XIII,
devant Rubens {\9,\.l) ; Marie Stuart à l'heure de la mort ;
Pétrarque surpris par Laxire à la fontaine de Vaucluse;
l'Abjuration de Charles-Quint; l'Albane et sa famille ;
Deux rois Francs jetés aux bétes dans le théâtre de Trê-
ves par ordre de l'empereur Constantin ; le Lever du
soleil à la Nouvelle-Zemble (1828). Van Brée alla s'établir
plus tard à Bruxelles, où il fut nommé conservateur du Musée
royal. Depuis ce temps, il n'a plus rien produit.
BREF , rescrit adressé par le pape à des souverains, des
prélats, des communautés et même (\es particuliers pour
leur accorder des indulgences, des dispenses ou simplcîneut
pour leur donner des témoignages d'affection ou d'approba-
tion. Le bref est d'ordinaire sur papier, écrit en italique,
sans préambule; il n'est scellé qu'avec de la cire rouge et
sous l'anneau du pécheur. Il porte en tête le nom du pape,
et commence par ces mots : Dilecto filio salutem, et apos-
tolicam benedictionem , etc. Le collège des secrétaires pour
les brefs a été établi par le pape Alexandre VI.
Il y a deux espèces de brefs , les brefs apostoliques, c'est-
à-dire ceux qui émanent directement des papes, et les brefs
de /a j»(^ ni ^encerie. Avant la révolution de 1789 on pou-
vait a|)peler comme d'abus des brefs du pape, s'ils étaient
contraires aux libertés de l'Église gallicane et à la constitu-
tion de l'État. Aujourd'hui,d'après les articles organiques du
Concordat, pour avoir autorité en France, les brefs aposto-
liques doivent être soumis à l'examen du conseil d'Etat, ins-
crits sur des registres et promulgués par ordonnance du chef
de l'État.
Le mot bref avait autrefois d'autres acceptions. On appe-
lait ainsi les lettres qui s'obtenaient en chancellerie à l'elfet
d'intenter une action contre queltju'un. Ainsi l'on disait dans
nos anciennes coutumes un bref de restitution , de resci-
sion; on appelait en Normandie bref de mariage encombré
une action que la femme avait le droit d'exercer à l'eflet
d'être réintégrée dans ses biens dotaux ou matrimoniaux, q;ii
avaient été aliénés par le mari. — En Bretagne ce mot avait
un sens tout différent ; il signifiait un congé ou permission
de naviguer. Il y en avait de trois sortes, bref de sauveté,
bref de conduite , et bref de victuailles. Le premier se
donnait pour être exempt du droit de bris et naufrage;
le second pour être conduit hors des dangers de la côte; le
troisième pour avoir la liberté d'acheter des vivres. On disait
également brieux.
BREGENZ, chef-lieu du cercle du Vorarlberg, dans le
Ty roi autrichien ( cercle qu'on désigne aussi quelquefois sous
le nom de cercle de Bregenz) , est situé sur les bords do
lac de Constance, à l'embouchure d'une petite rivière appelée
aussi Bregenz, au pied du mont Gebhard, haut de 300 mètres
et que dominent les ruines d'un vieux château fort d'où l'on
jouit de la vue la plus délicieuse sur le lac et les vignobles
qui l'entourent. Ou y compte 32,000 habitants. Cette ville
est le siège des diverses autorités civiles et militaires du
cercle, et le centre d'un commerce assez actif. C'est aussi l'une
des plus anciennes cités de l'Allemagne, el elle comptait au-
trefois au nombre des places fortes destini'cs à protéj,cr ses
frontières au midi. Au temps des empereurs de la maison de
Hohenstaufen , Bregenz était le chef-lieu de l'important comlo ^
du même nom, dont les titulaires figuraient parmi les sei- '
BREGEPJZ - BREISLAK
665
gneurs les plus influents de la Suisse et de la Souabe. Après
l'extinction de cette famille de petits dynastes, et à la suite
d'une foule de changements et de bouleversements, le comté
ainsi que la ville furent achetés au quinzième siècle par la
maison de Habsbourg.
BREGUET (Abraham-Louis) , horloger célèbre, naquit
le 10 janvier 1747, à Neufchùtel, en Suisse, d'une famille
française et protestante, (lui avait été forcée de s'expatrier
lors de la révocation de l'édit de Nantes. Cet homme, destiné
à introduire de si grands perfectionnements dans l'un des
arts les plus difficiles, n'annonça pas d'abord ce qu'il devait
être un jour. Mis au collège par ses parents , il ne réussit
point dans les études classiques , et ses instituteurs prirent
une assez mauvaise opinion de son intelligence. Pendant qu'il
perdait son temps sur du latin et du grec, son père mourut,
et sa mère contracta un nouveau mariage avec un horloger.
Breguet fut retiré du collège, et commença l'apprentissage
du métier de son beau-père. Il ne s'y livrait qu'avec une
extrême répugnance, et les progrès de l'apprenti n'étaient
pas plus rapides que n'avaient été ceux de l'écolier. Enfin , sa
famille ayant fait un voyage à Paris, le jeune homme fut
mis en apprentissage régulier chez un horloger de Versailles,
et ce fut alors seulement que ses talents et son habileté com-
mencèrent à se manifester. Ce changement tenait sans con-
tredit à ce que l'élève avait enfin rencontré un instituteur tel
qu'il le lui fallait.
Lorsque le temps de l'apprentissage fut expiré , le maître
exprimait à son apprenti combien il était satisfait de sa
conduite et de son travail ; mais le jeune homme se jugeait
lui-même avec plus de sévérité que son bienveillant institu-
teur : il se reprochait de n'avoir pas toujours assez bien em-
ployé le temps dont le produit devait payer l'instruclion qu'il
recevait, et demanda, comme une faveur, de continuer à
travailler encore trois mois sans salaire. Cette délicatesse
ajouta de nouvelles douceurs à l'affection mutuelle du maître
et de l'élève.
A peine sorti d'apprentissage, Breguet perdit sa mère et
son beau-père , et se trouva seul avec une sœur aînée, chargé
de pourvoir par son travail à la subsistance de deux per-
sonnes. Cependant, il sentait que son instruction n'était
pas complète , et surtout il éprouvait fortement le besoin
d'apprendre les mathématiques. Son courage et son assiduité
suffirent à tout; il trouva le moyen de suivre régulièrement
le cours public que l'abbé Marie faisait alors au collège Ma-
zarin. Le professeur remarqua bientôt le jeune horloger
parmi les centaines d'auditeurs que ses leçons attiraient;
ces deux hommes étaient dignes l'un de l'autre, ils se re-
connurent et furent inséparables : Breguet acquit un bien-
faiteur et un ami , et Marie trouva dans son disciple la plus
affectueuse reconnaissance. Il ne fallait rien moins que la
violence des orages de la révolution pour arracher l'un à
l'autre deux hommes aussi étroitement unis : l'abbé .Marie
fut contraint de sortir de France , et ne vécut pas longtemps
sur la terre d'exil.
Plusieurs années avant nos troubles politiques, Breguet
avait formé l'établissement qui a produit tant de chefs-
d'œuvre d'horlogerie et de mécanique , et la renommée com-
mençait à publier son nom. Une montre qu'il avait faite fut
mise entre les mains d'Arnold , célèbre horloger anglais ,
qui, frappé de la simplicité du mécanisme et de la parfaite
exécution de ce produit d'une industrie qui n'était pas an-
glaise, se mit sur-le-champ en route pour la France, sans
autre but que de faire connaissance avec l'artiste français.
Le cœur expansif de Breguet allait au-devant de toutes les
nobles amitiés; l'horloger anglais y occupa bientôt une
place, et lorsqu'il retourna dans .sa patrie, il reçut de son
nouvel ami de Paris le témoignage le plus touchant d'estime
et d'alfection : Breguet lui confia son fils, afin qu'il l'initiât
aux secrets de l'art qu'il exerçait avec tant de distinc-
tion.
DICT. DE LA CONVERS. — T. lU.
Arnold avait rendr son élève à son père après avoir satis-
fait complètement aux devoirs de l'amitié. Breguet trouvait
dans son fils un collaborateur en état de le seconder. Mais
les temps nébuleux de la France approchaient : au milieu de
la crise révolutionnaire , le père et le fils durent pourvoir à
leur sûreté, et des hommes de l'un et de l'autre parti , qui
se faisaient alors une guerre si acharnée , s'empressèrent
également de fournir aux deux artistes les moyens de sortir
de France. D'autres secours les attendaient au dehors : un
ami riche et généreux ( M. Disnay Fytche ) les força d'accep-
ter un portefeuille qui les mit en état de consacrer leur loisir
à des recherches sur leur art. Enfin , après deux années d'ab
sence , Breguet revint à Paris ; il s'agissait de former un nou-
vel établissement, ce qui ne fut pas difficile, en mettant en
œuvre les trésors de connaissances que le père et le fils
n'avaient pas cessé d'accroître de jour en jour. Depuis cette
époque la vie de Breguet fut une continuité de succès , de
jouissances , de bonheur. Il fut nommé successivement hor-
loger de la Marine , membre du Bureau des Longitudes, et
enfin membre de l'Institut.
Le 17 septembre 1823 la France perdit cet homme, qui
avait illustré son industrie. Il nous serait impossible d'énu-
mérer ici tous les services que Breguet a rendus à la navi-
gation, à la physique et à l'astronomie. Ses chronomètres
de poche, ses horloges marines, ses montres perpétuelles ,
ses pendules sympathiques, son compteur astronomique,
son thermomètre métallique, ses timbres pour les
montres à répétition, son parachute, ses échappe-
ments, le mécanisme des télégraphes établis par
Chappe , etc., sont des monuments impérissables du génie
inventif de cet artiste distingué. Ferry.
Le fils de Breguet a continué les travaux de son père , et
le chef actuel de cette maison est devenu à son tour artiste
du Bureau des Longitudes.
BHEHAIGÎVE, ancien mot qu'on applique aux fe-
melles des animaux qui ne conçoivent point, par opposi-
tion à celles qui sont fécondes, dites portières. Une carpe
brclw'iono. n'a ni œufs ni laite. Voijez aussi CfiocnET.
lîUKHAT ( Ile). Voyez Côtes nu Nord ( D.'p'. des).
BREISLAK ( ScipiaN ) , l'un des plus ingénieux géo-
logues des temps modernes , né à Rome, en 17GS, et fils d'un
Allemand, avait d'abord été destiné à l'état ecclésiastique;
aussi dans les œuvres de Spallanzani est-il désigné sous le
titre à''abbé. Professeur de physique et de mathématiques à
Raguse , l'abbé Fortis le détermina à se vouer exclusive-
ment à l'histoire naturelle. Il fut ensuite professeur au col-
legium Nazarenum; puis il alla visiter Naples, et vint à
Paris, où il se lia avec Fourcroy, Chaptal, Cuvier, etc.
Plus tard , Napoléon le nomma inspecteur des poudres et
salpêtres du royaume d'Italie. Il fut aussi membre de l'Ins-
titut et de beaucoup d'autres sociétés savantes. Les premiers
écrits par lesquels il se fit connaître comme naturaliste, par
exemple , sa dissertation sur la Solfatare de Naples , qu'en
sa qualité de directeur des alunières et de professeur à l'é-
cole royale d'artillerie de Naples, il eut pendant longtemps
de fréquentes occasions d'examiner, donnent déjà des aper-
çus des principes sur lesquels il devait plus tard fonder son
système de géologie. Il combattit les idées des Neptunistes,
sans toutefois adopter sans réserve celles des Yulca-
nistes.
Le premier ouvrage important qu'il fit paraître fiit sa Tn-
pografia fisica delta Campania (Florence, 1798). Après
avoir encore continué quelque temps ses recherches sur les
lieux décrits dans cet ouvrage et avoir découvert la com-
munication existant entre les volcans du Latium et ceux de
la Campanie, il revint ensuite à Rome, dont il étudia non
moins soigneusement les environs; et le résultat de ses ob-
servations le confirma dans l'opinion que la plus grande
partie des sept célèbres collines sont les restes d'un volcan
éteiot. Pour fuir les troubles politiques qui survinrent alors
6HC BREISLAK
dans sa patrie, il se rendit en France, où il fit paraître une
nouvelle édition de l'ouvrage mentionné ci-dessus, augmentée
d'une fouie d'additions et de rectifications , sous le titre de
Voyages physiques et lilhologiques dans la Campanic
( 0. vol., Paiis, 1801 ). Breislak utilisa son séjour ai France en
faisant des recherches sur les volcans éteints de l'Auvergne :
\ son retour en Italie, il fit paraître son Introduzione alla
geolofjia (2 vol., Milan, 1811), dont il donna une seconde
édition, complètement refondue, et en français, sous le titre
iV Institutions géologiques (3 vol., Milan, 1818), ainsi que
sa Descrizione délia Lombardia (Milan, 1822). Il fut un
des collaborateurs de la JJihlioteca italiana depuis la fon-
dation de ce recueil. Breislak mourut à Turin, le 15 février
1826. Après sa mort, on publia encore de lui, dans la Me-
inoria Lombardo-Veneta (1838), une longue dissertation
Hopra i tcrreni tra il lago Maggiore e quello dï Lugano.
Il avait légué son célèbre cabinet mincralogique à la famille
ISorromée.
lîUEITEIXFELD, village et terre seigneuriale, situés à
environ 2 myriamètres de Leipzig, et célèbres dans l'histoire
par trois batailles.
La première, livrée le 7 septembre 1631, entre les Suédois
et les Impériaux, ne futqu'un combat ; mais elle eut les suites
les plus importantes, car elle assura l'existence du protes-
tantisn)e et de la liberté en Allemagne. La prise de Magde-
bourg avait porté à son comble l'orgueil de Til ly , lorsque,
dans les premiers jours de septembre 1031, il entra en Saxe
à la tète de 40,000 hommes environ , pour contraindre par
la force des armes l'électeur Jean-Georges \", qui refusait
de se soumettre à l'édit de restitution et négociait avec Gus-
tave-Adolphe, à faire cause commune avec l'empereur.
Jl ne restait plus d'autre ressource à l'électeur que de se
jeter dans les bras du roi de Suède , et c'est aussi ce qu'il fit.
Schiller raconte qu'avant de livrer bataille Tilly tint un con-
seil de guerre à Leipzig, dans la maison du fossoyeur. Les
Impériaux furent complètement battus; leurs trois premiers
généraux, Tilly, Pappenheim etFurstenberg, furent blessés,
et Tilly faillit même être tué par un capitaine suédois. Sur le
point le plus élevé du champ de bataille s'élève aujourd'hui,
entouré de huit pins, un monument consacré le 7 septembre
1831 par le propriétaire du terrain à la mémoire de Gustave-
Adolphe.
La seconde bataiHe, livrée le 23 octobre 1642, bien que
moins importante par ses résultats, fut tout aussi sanglante.
Cette fois les chefs étaient , du côté des Suédois, Torstenson,
qui avait effectué le passage de l'Elbe à Torgau et assiégeait
Leipzig; du côté des Impériaux, l'archiduc Léopold d'Au-
triche et Piccolomini, accourus de Dresde au secours de la
ville. Les Impériaux , complètement battus, perdirent toute
leur artillerie, composée de 46 pièces de canon, 121 dra-
peaux, 69 étendards, et tous leurs bagages. La cavalerie,
poursuivie l'espace de 22 kilomètres environ par les Suédois,
î'épée dans les reins , se réfugia, dans le plus grand désordre,
en Bohême. Aussi l'archiduc, indigné de la conduite de ce
corps, le fit-il juger en masse par un conseil de guerre. Le
régiment de Madlo, qui le premier avait lâché pied, fut
cassé, ses étendards brisés , tous les officiers et soldats dé-
clarés indignes, puis décimés.
La troisième bataille dont Breitenfeld fut le théâtre est
un des épisodes de la grande bataille des Peuples livrée
sous les murs de Leipzig, le 16 octobre 1813.
BREITilXGER (Jean-Jacob), connu surtout par les
efforts que, de concert avec J.-J. Bod mer, il fit pour propa-
i^er les notions d'un goût plus pur dans les productions de
la littérature allemande, naquit le l*^'' mars 1701, à Zurich,
d'une des plus anciennes familles de cette ville, et y reçut
sou éducation. Inférieur à Bodiner sous le rapport de la
rapidité de conception et aussi sous celui de l'étendue et de
la diversité des facultés de l'esprit , il l'emportait sur lui par
vne érudition plus profonde et plus universelle toujours em-
— BRELAN
ployée sans aucune ambition personnelle à la seule recherche
de la vérité. Après sa Diatribe in versus obscurrissimos
a P. Statio citatos (Zurich, 1723) , il fit paraître son édition
des Septante (4 vol., 1730). En 1731 il fut nommé professeur
des Lingues grecque et hébraïque au collège de Zurich et
chanoine. Secondé par les magistrats, il put opérer de nom-
bi euses et importantes améliorations dans les divers établis-
sements d'instruction publique de sa ville natale. Protecteur
du talent naissant , ce fut lui qui lança, entre autres, le grand
llalleret le fit connaître.
On a de Breitinger un grand nombre de dissertations sur
des sujets divers, entre autres sur les antiquités de la Suisse.
11 prit une part active à la rédaction des journaux de cri-
tifpic publiés par Bodmer et à ses éditions de vieux poètes al-
lemands. Sa Poésie critique (2 vol., Zurich, 1740) fut l'o-
rigine de la profonde scission qui survint plus tard entre les
écrivains suisses et les partisans de Gottsched. Il contribua
aussi très-activement à la publication du Thésaurus scrip-
torum historix Helvetix. Breitinger mourut le 15 dé-
cembre 1776.
BREÏTKOPF ( JeanGottlob-Emmanuel), l'un des plus
savants typographes dont s'honore l'Allemagne, naquit le 23
novembre 1719, à Leipzig, où son père, Bernard-Chris-
tophe BuF.iTKOi'F établit la même année, avec un capital
minime, une fonderie de caractères, une imprimerie et une
librairie. Celui-ci ne céda qu'à contre-cœur à l'inclination
de son fils, qui voulait se livrera la culture des lettres. Après
plusieurs années d'études académiques , pendant lesquelles
il n'en avait pas moins dû seconder son père dans la direc-
tion de son établissement industriel, il résolut de faire du
perfectionnement de l'imprimerie l'occupation principale de
sa vie. Il entieprit alors une réforme générale des carac-
tères, et fut pour l'Allemagne le restaurateur du bon goût
en matière de typographie. Ces travaux l'occupèrent jusqu'à
sa mort, sans que les résultats obtenus par lui le satisfissent
entièrement.
On sait qu'il imagina, en 1755, d'imprimer la musique
avec des caractères mobiles. Il y a peu d'utilité à retirer,
dans la pratique , du procédé qu'il inventa pour imprimer à
l'aide de types mobiles des cartes de géographie , des por-
traits, et jusqu'à des caractères chinois. Quoiqu'à l'égard de
cette dernière invention le pape l'ait fait complimenter et
que l'Académie des Sciences de Paris lui ait fait témoigner
son approbation , ces caractères ont si mal réussi , qu'il est
impossible à un Chinois de les reconnaître ; aussi n'a-t-on ja-
mais pu en faire usage. Il chercha en outre à améliorer l'al-
li;igedont on se sert pour la fonte des caractères, à lui donner
la dureté convenable, enfin à alléger le travail du fondeur ;
son infatigable activité s'étendit également jusqu'à la fabrica-
tion des presses. Il consigna le résultat de ses laborieuses
investigations sur l'histoire des origines et des progrès de
l'art typographique dans son Essai sur l'histoire de l'in-
vention de Vimprimerie (Leipzig, 1774), et annonça en
môme temps une Histoire complète de Vimprimerie, qui
l'occupa sans relâche, mais qu'il ne put achever, ainsi
qu'une Histoire des Imprimeurs, qui eut le même sort. En
1784 parut la première partie de son Essai sur l'origine des
cartes à jouer, l'introduction du papier de chiffon et les
commencements de la gravtire sur bois : elle ne traite que
des deux premiers objets, et est rédigée avec beaucoup
d'exactitude. La seconde partie, publiée en 1801 par Boche
sur les papiers précieux, mais sans ordre, de l'auteur, n'offre
qu'un recueil de matériaux et de fragments. Breilkopf mou-
rut le 28 janvier 1784, laissant une des plus importantes im-
pi imcries et fonderies de caractères de l'Allemagne , ainsi
qu'une librairie et un magasin de musique montés sur l'c-
chelle la plus grandiose.
BHELAN,jeu de caries qui se joue à trois, quatre ou
cinq , avec des cartes de piquet, en donnant trois caries à
chaque joueur. Nous ignorons l'époque où ce jeu s'est intro-
BRELAN — BRÈME
diiit en France, mais il y était très-répandu sous le règne
«le Louis XIV, comme on le voit par ces vers de Coileau ;
D'écoliers indiscrets une troupe indocile
Va tenir quelquefois un brelan dcfeuiJu.
Ces vers prouvent que le brelan devait êire connu depuis
longtemps à la cour et dans la haute société , puisqu'il était
déjà prohibé sous les peines les plus sévères par la police,
qui en connaissait les suites funestes. Mais, malgré les dé-
fenses, ce jeu se maintint jusqu'à ce que les spéculateurs,
trouvant qu'il ne leur olfrait pas assez d'avantages, soit parce
que chaque coup était trop long, soit parce que les chances
en étaient trop égales , imaginèrent des jeux de hasard plus
prompts, et où à point égal le bénéfice est pour le ban-
quier. Tels furent leMacao, le Pharaon, et surtout le Trente
et Quarante , qui va plus vite que tous les autres, et qui ex-
pédie plus promptetnent les joueurs.
Le brelan est un jeu commode en apparence , parce qu'on
ne joue (jne quand on veut , mais on n'y est guère libre de
ne jouer que ce qu'on veut; caries joueurs y taisant des en-
chères à l'envi les uns des autres, celui qui s'est engagé
pour la première est obligé de la payer ou de risquer à
[lerdreles enchères supérieures qu'il aura acceptées. Ce jeu
est d'ailleurs assez é^al, lorsque la plus forte enchère est
acceptée de part et d'autre. Le point le plus fort, ou le bre-
lan le plus élevé, l'emporte. On sait que le coup appelé
brelan , et qui a donné son nom au jeu , consiste à avoir
trois cartes de même figure ou de même point ; le brelan
favori ou brelan de valets l'emporte sur tous, même sur
te brelan quatrième ou carré (formé par la carte qui re-
tourne, ajoutée aux trois autres). Du reste, ce jeu offre une
grande ressemblance avec la bouillotte, qui le remplace
aujourd'tiui.
Brelan se dit aussi d'une maison où l'on donne, soit clan-
destinement, soit publiquement, à jouer aux dés ou aux
cartes. H. AtniFntKT.
BRELINGUE ou BRELINDE. Voyez Berline.
BRELOQUE, au propre et au figuré, hochets de peu
de valeur : Cet homme vend bien cher ses breloques, c'est-
à-dire ses fadaises, ses niaiseries, ses billevesées, ses coli-
ticliets. Il se dit plus particulièrement des petites clefs,
petits cachets, menus bijoux, futiles curiosités, qu'on
porte à l'extrémité d'une chaîne de montre. La révolution
de 89 trouva les gentils-hommes français étalant fort bas ,
le long de leurs deux cuisses , deux larges chaînes d'or,
que, à leur tour, les bourgeois, singes des nobles, qu'ils
n'aimaient pas, portèrent bientôt en acier. La jeunesse dorée
de Thermidor essaya de faire revivre cette mode, qui ne prit
pas. Les breloques, importées de Londres, eurent le dessus.
Les deux chaînes se réunirent en une seule, très-courte,
qu'on porta, tour à tour, à droite et à gauche, et à laquelle
il fut de bon goût d'appendre une touffe épaisse de colifi-
chets, les plus variés, les plus bizarres, les plus originaux ;
on y voyait jusqu'à des triangles , des sabres , des bonnets
phrygiens, des guillotines microscopiques. Les breloques
persistèrent sous le Consulatet sous riïmpire. On leur fit subir
seulement une épuration indispensable dans les pièces qui
les composaient, et on ne les suspendit plus à une chaîne,
mais à un beau ruban moiré , rouge , noir, bleu , vert ou
violet, selon le goût et l'opinion du propriétaire.
Les malheurs publics des premières années de la Restaura-
tion exécutèrent une épouvantable razzia sur les breloques.
On cherchait à faire argent de tout. Plus tard , quand revint
la confiance, on ne porta plus qu'une chaîne à gros anneaux,
avec une clef unique, calquée sur les grandes clefs des ser-
ruriers, puis une véritable clef de montre, ornée d'une
monstrueuse cornaline, et enfin, depuis le règne de Louis-
Philippe, une imperceptible chaîne et une imperceptible clet
à la mode anglaise. Nos voisins d'outre-Manciie nous de-
vaient bien ce dédommagement de leurs affreuses breloques
667
thermidoriennes. En tout cas , en dépit des révolutions de la
mode, le vieux roi conserva toujours le goût des breloques.
Cet assemblage, d'un goût détestable, n'apparaît plus, de
nos jours, dans nos grandes villes que de loin en loin
comme complément obligé de la toilette de quelques gros
épiciers ou marchands de bois enrichis, administrateurs de
douanes du Jura ou des Ardennes, juges de paix du Cantal
ou des Landes, sous-préfets en retraite, ourégents de quelque
lointain collège conununal. Là on ne renonce pas si vite au
culte des souvenirs et aux héritages de famille. Quelques
femmes excentriques , d'im âge raisonnable, anciennes maî-
tresses d'hôtel garni , anciennes marchandes de mode , ou
bas bleus incompris, s'honorent encore aussi d'un bouquet
d'imperceptibles breloques à la ceinture. C'est fort bien
porté, disent-elles. Nous le croyons bien. Nous aimons les
caricatures complètes.
L'on appelait autrefois breloques les boutiques portatives
des petits merciers étalagistes ; et l'on traitait au figuré de
hreliques-breloques les travaux qui s'accomplissaient sans
ordre , logique , ni méthode.
Le breloque ou plutôt la berloque, eu style de caserne ,
est une batterie de caisse , brisée , saccadée , appelant les
soldats à la distribution des vivres ou aux repas. Par ana-
logie, au figuré, battre la breloque ou la berloque se dit
d'un pauvre diable qui dans ses discours commence à
donner des signes évidents d'aliénation mentale.
BREME, genre de poisson, appartenant à la famille des
gymnopomes. La brème commune (abramis d'Athénée)
est un poisson de nos eaux douces, dont la chair est blanche
et agréable au goût. Sa forme est à peu près celle de la carpe,
mais plus plate, et ses écailles sont beaucoup plus grandes.
Sa tête est petite, et elle a deux nageoires auprès des ouïes
et deux autres au milieu du ventre. Il vit ime partie de
l'année enfoncé dans la vase et caché sous l'herbe des étangs,
et ne s'élève à la surface qu'au temps de la ponte, vers le
printemps, qui est aussi le moment favorable pour le pê-
cher. Ce poisson, qui est très-abondatit dans les rivières et
les étangs du nord de l'Europe , surtout en Suède , où sa
pêche est un objet de commerce important , est beaucoup
moins commun en France, où cependant il serait très-facile
de le multiplier. Sa croissance n'est pas moins prompte que
celle de la carpe.
BREME, sur le Weser, l'une des quatre villes libres
que l'on compte encore aujourd'hui en Allemagne, avec un
territoire de 275 kilomètres carrés, dont la principale partie,
divisée en seigneurie de la rive droite et seigneurie de la rive
gauche du Weser, renferme la ville, tandis que les bailliages
de Vegesack et de Brenjerhaven, avec les bourgs du
même nom, et situés, l'un à 15 kilomètres et l'autre à 52 ki-
lomètres plus loin au-dessous de la ville, forment des ports
séparés et distincts. D'après le recensement le plus récent,
la population totale est de 72,820 habitants professant la re-
ligion protestante, à l'exception de 1600 catholiques. Sur
ce chiffre, 49,700 habitants appartiennent à la ville pro-
prement dite; le reste est disséminé dans les deux bourgs
de Vegesack et de Bremerhaven et dans cinquante-huit vil-
lages et hameaux.
La villese divise en vieille ville, ville neuve et faubourg.
Ce dernier quartier, séparé de la vieille ville par les fossés
des anciennes fortifications , décrit , avec celle-ci pour cen-
tre, un vaste demi-cercle sur la rive droite du Weser. En
face de la vieille ville, sur la rive gauche du fleuve , est
située la ville neuve, à laquelle on arrive par deux ponts ,
jetés l'un sur le fleuve, l'autre sur un de ses embranche-
ments qui a là son embouchure, et ffu'on appelle le petit
Weser. Les anciennes fortifications ont été depuis le com-
mencement de ce siècle transformées en de délicieuses pro-
menades publiques, qui s'étendent entre la vieille ville et le
faubourg, sur les remparts et les contrescarpes d'un point
à un autre du Weser; rien de plus ingénieux ni de m^ii-
663
leur goût que leur disposition. Les édifices anciens les plus
remarquables de Brème sont : la cathédrale, bâtie vers
l'an 1050 par l'archevêque Adalbert et le sénat, constraction
gothique commencée en 1405,avecses fameuses cares, dont
l'entrée est décorée de la statue, en pierre, de Roland; la
Bourse, la Marine, les deux hospices d'orphelins; et, parmi
les édifices de construction moderne , l'hôtel de ville, la
maison de travail, le muséum avec sa collection d'histoire
naturelle, la nouvelle salle de spectacle, la nouvelle caserne,
le nouvel hôpital, l'embarcadère du chemin de fer et le
grand pont sur le Weser. Brème abonde en instituts cha-
ritables de toutes espèces, en établissements d'instruction pu-
blique de tous les degrés, et en institutions dans l'intérôt
du commerce et de la navigation , qui de tout temps ont
été l'objet d'une sollicitude particulière de la part des au-
torités municipales, attendu que l'existence même de la ville
ainsi que sa prospérité reposent avant tout sur le génie ma-
ritime et mercantile de sa population.
Brème est située au point où commence le Weser infé-
rieur, là où l'on ressent encore faiblement les effets du flux
et du reflux, à 74 kilomètres des côtes et à 111 de la pleine
mer. Aujourd'hui encore elle est accessible pour les bâti-
ments employés au cabotage ou encore pour les bâtiments
larges et plats , par conséquent tirant peu d'eau , com.me il
était d'usage d'en construire autrefois ; mais la plus grande
partie des navires sont obligés de s'arrêter et de jeter l'ancre
à une grande distance au-dessous de la ville. On créa à cet
effet, au commencement du dix-septième siècle, le port de
Vegesack, et les proportions toujours plus grandes données
à la construction des navires firent reconnaître la nécessité
d'ouvrir un nouveau port à Bremerhaven, dont la fondation
date de l'année 1827. Cette création a rendu à Brème sa
physionomie de ville de mer, déjà à moitié effacée, et a con-
sidérablement favorisé le développement de sa grande
activité maritime, qui depuis lors s'y trouve presque toute
concentrée. Cette séparation que la force des choses a établie
entre Brème et ses ports a eu ce résultat naturel que la
ville, quoique lame communiquant l'impulsion au tout, a
plutôt la physionomie d'un entrepôt, et que pour se faire
une juste idée de l'importance de Brème comme place de
mer et comme marché cosmopolite, on doit passer en revue
toute l'étendue de côtes s'étendant depuis la ville jusqu'à
Ijremerhaven.
11 faut d'ailleurs attribuer en grande partie le nouvel et
puissant essor qu'a pris le connnerce maritime de Brème
aux nombreux comptoirs et établissements que ses citoyens
ont fondés dans la plupart des ports del'Amérique etdumonde
accessibles au pavillon allemand , de même qu'aux vastes
proportions et à la notoire habileté de sa marine, qui en 1850
comptait déjà deux cent dix-neuf gros bâtiments, jaugeant
«nsemble 132,918 tonneaux de 1,000 kilogrammes, sans
compter les navires qui ne faisaient que le cabotage non
plus que «eux uniquement employés au service du Weser.
Le commerce direct de Bj'ème l'emporte sur ses affaires
de commission et d'expédition, et de même ses relations
transatlantiques sont bien plus importantes que celles qu'elle
-entretient avec l'Europe. En tète viennent ses relations avec
les États-Unis de l'Amérique septentrionale , puis celles avec
les Indes occidentales et les anciennes colonies espagnoles
et portugaises du continent américain. Dans ces derniers
temps elle en a aussi établi de multiples et très-profitables
avec l'Afrique, les Indes orientales, la Chine, l'.Vustralie, etc.
Et indépendamment des pêches dans les mers du Nord, elle a
également pris une part des plus actives aux pècli€s de la
baleine dans les mers du Sud ; industiie que Brème a intro-
duite la première et qu'elle exerce encore aujourd'hui presque
seule parmi les Allemands. Ses principaux objets d'importa-
tion sont le tabac, l'huile de baleine, le sucre, le café, le vin^
le riz, le coton, les cuirs, les bois de teinture et les grains,
^s exportations consistent en pioduits des manufactures
BRÈME
et des mines de l'Allemagne , verroteries , objets de quin-
caillerie, grains, comestibles, spiritueux, etc. En 1850 l'im-
portation maritime s'est élevée à 1,508,011 quintaux mé-
triques, représentant une valeur de 62,087,372 francs, et
l'exportation maritime à 975,878 quintaux, représentant une
valeur de 63,134,405 francs. L'ensemble des importation»
et exportations par terre et par mer avait formé cette même
année un total de 5,264,690 quintaux de marchandises re-
présentant une valeur de 264,069,835 francs. Le nombre des
navires arrivant à Brèm€ avec une cargaison varie, année
commune, entre 1500 et 1900. Mentionnons en outre que
depuis 1827 c'est Brème qui est devenue le grand point
d'embarquement pour l'émigration allemande. Dans ces der-
nières années le chiffre des émigrés qui se sont embarqués
à Brème pour l'Amérique a varié entre 28,000 et 32,000.
L'activité industrielle de la ville a pour cause et pour li-
mites son commerce maritime ; elle a pour objet principal l.i
fabrication des accessoires de la navigation , tels que cor-
dages, voilures, agrès, poulies, etc., ou encore la construc-
tion même des navires, à laquelle sont consacrés de nombreux
chantiers. Elle consiste aussi en préparations de matières
premières exotiques, ou en fabrication d'objets destinés à
l'exportation maritime , comme machines et moulins à
vapeur, etc., en distillation de genièvre, fabrication de dif-
férentes sortes de bière, etc., deux industries qui y sont
exercées dans dévastes proportions. Mais de tous les genres
de fabrication , c'est celle des cigares qui s'y fait aujour-
d'hui sur la plus large échelle, car elle n'occupe pas moins
de 4,000 ouvriers.
Aux termes de l'acte constitutif de la confédération ger-
manique, la ville de Brème possède avec les autres villes
libres la dix-sei)tième voix dans la diète fédérale. Elle a
à Lubeck, en commun avec cette autre ville libre, un tribunal
supérieur d'appel ; et jusqu'à présent elle a constitué, au
point de vue militaire , une association encore plus étroite
avec les villes de Hambourg et de Lubeck, en tant que faisant
partie intégrante de la 2' brigade de la 2* division du 10* corps
de l'armée fédérale. Outre cette union créée par la confédéra-
tion germanique, il existe toujours entre les trois villes de
Brème , Hambourg et Lubeck , surtout en ce qui touche le
commerce extérieur, l'unité d'intérêts formée autrefois par la
Hanse. C'est ainsi qu'elles possèdent en commun le Stalilhof
( maison d'échantillon) à Londres et la maison delà Hanse
à Anvers , qu'elles passent des traités de navigation en com-
mun, qu'elles entretiennent des consuls communs , etc. Aux
termes de la constitution de 1849, un sénat de seize mem-
bres , dont font partie deux bourgmestres alternant tous les
ans pour la présidence, y est à la tête des affaires publiques.
Ce sénat partage l'autorité législative et administrative avec
la bourgeoisie et des comités, appelés dcpulations , sortis
du sein de celle-ci. Les revenus annuels de la ville s'élèvent
à 900,000 thalers.
L'histoire primitive de la ville de Brème remonte à
l'année 788, époque où Charlemagne y fonda un évêché qui
plus tard fut réuni à l'archevêché de Hambourg, institué seu-
lement en 834. Les titulaires de cet archevêché ayant ensuite
transféré leur résidence à Brème, son évèché fut à son tour
érigé en siège archiépiscopal. Les immunités accordées à
ce siège favorisèrent de bonne heure parmi les habitants le
développement de l'esprit de commune et de cité qui, avec
l'appui de l'Église, put même aller jusqu'à les faire se dé-
clarer indépendants; et en dépit des luttes continuelles que
la ville eut à soutenir depuis le commencement du treizième
siècle contre ses archevêques, elle parvint toujours avec pli!s
de succès à conserver son indépendance; de sorte que dès
la fin du quatorzième siècle elle était reconnue sans conteste
en qualité de ville hbre impériale. Pendant ce temps-là, après
avoir déjà obtenu par elle-même des privilèges particuliers
dcms toute l'étendue de ce qui composait alors le domaine
de sa p.avi"alion, c'est-à-dire depuis les côtes de la l'Iandre
BRÈME — BîlEMERHAVEN
jusqu'à celles de la Norvège , et depuis l'Angleterre jusqu'à
la Llvonie, de même qu'en 1158 elle avait fondé Riga et
contribué également à la Ibndation de l'Ordre Teutonique, elle
était devenue membre de la Hanse, et avait pris part , un
peu mollement d'abord, mais ensuite très-activement, à tous
ses plans et à toutes ses entreprises.
Sortie de plus en plus puissante des luttes civiles du moyen
âge et de guerres continuelles qu'elle eut à soutenir contre
les princes et les seigneurs ses voisins, mais surtout contre
les Frisons, peuple adonné au brigandage et à la piraterie,
maîtresse du Weser inférieur et pendant plus ou moins
longtemps de vastes étendues de territoire sur les deux rives
de ce fleuve, Brème embrassa de bonne heure et chaleureu-
sement la cause de la réformation. De toutes les villes mari-
times saxonnes qui prirent fait et cause pour la ligue de
Smalkade, c'est elle qui déploya le plus de zèle et d'ar-
deur; et par la courageuse constance dont elle fit preuve
après la bataille de AI u hlberg elle ne contribua pas peu à
sauver le protestantisme d'une ruine complète. Mais c'est
de cette époque aussi que date sa décadence politique, qui eut
pour résultat d'empèdier son commerce de prendre de
nouveaux développements. De fréquents troubles ayant la
religion pour cause, et -par suite desquels cette ville , qui
sympathisait avec les idées et les principes de Mélanchlliou ,
fut obligée d'embrasser le calvinisme, ruinèrent sa prospérité
et lui aliénèrent ses voisins et ses alliés parmi les princes et
les villes, tous fermement attachés aux doctrines de Luther.
Ajoutez à cela qu'à l'époque où elle jouissait en fait de sa
complète indépendance, elle avait négligé de se faire repré-
senter aux diètes impériales, et que si elle s'était soustraite
ainsi à la nécessité de contribuer pour sa part aux charges
de l'Empire, elle avait en revanche perdu le droit d'invoquer
formellement les privilèges et la protection assurés aux mem-
bres de l'Empire. Aussi, quand au commencement du div-
septième siècle l'archevêché de Brème passa en des mains plus
puissantes, et lorsque, aux termes de la paix de ^Yestphalie,
elle finit par être érigée en duché temporel sous la souverai-
neté de la Suède, les Suédois menacèrent ses libertés et les
comtes d'Oldembourg entravèrent son commerce, notam-
ment en établissant une douane à Elsfleth. Le Hanovre hé-
rita des prétentions de la Suède, et ne consentit enfin à la re-
connaître en qualité de ville libre impériale qu'en 1731. Ce
ne fut même qu'en 1803 qu'il cessa de lui contester le droit
de complète souveraineté sur sou propre territoire, déjà sin-
gulièrement restreint par diverses cessions antérieures.
Après avoir vu , grâce à la paix de 'N'ersailles de 1783, son
commerce et sa prospérité reprendre un nouvel essor, elle eut
bientôt à supporter les misères de la domination et de l'oc-
cupation françaises , puis finit par être complètement incor-
porée ( 1810-1813) à l'empire français. Redevenue libre au
mois de novembre 1813 , elle se hâta alors de prendre part
à la grande lutte nationale contre l'étranger; et par les ser-
vices qu'elle rendit à la cause commune, elle obtint d'être
rétablie dès le mois de décembre en possession de son ancien
titre de ville libre, en même temps que la reconnaissance
formelle de son antique indépendance.
BREMER (Frédéricra ), Suédoise, qui s'est fait un
nom par la publication d'un certain nombre de romans re-
marquables, est née en 1802, près d'Abo , en Finlande,
d'autres disent dans cette ville même. Elle avait à peine
trois ans, que son père était réduit, par de mauvaises affaires,
à vendre ses propriétés et à aller se fixer en Scanie. Plus
tard, elle passa plusieui"s années en Norvège, chez la com-
tesse de Sonnerhjelm, et elle est aujourd'hui attachée comme
institutrice à un établissement d'instruction publique pour
les jeunes personnes, à Stockholm. Ses occupations ne l'ont
pas empêchée de faire des voyages en Allemagne, eu An-
gleterre et dans l'Amérique du Nord. L'ctude de la littérature
de l'Allemagne, la constante lecture de ses poètes et surtout
du Don Carlos de Schiller, développèrent en elle un talent
669
dont les productions manquent peut-être de maturité , mais
qui témoignent d'un talent remarquable sous plusieurs
rapports. Depuis quelque temps elle a beaucoup écrit , et
c'est peut-être à cette fécondité qu'il faut attribuer le peu
de succès de ses dernières productions, quoiqu'on y remarque
encore les qualités qui distinguent ses autres ouvrages.
Tout ce qui jusqu'à ce jour est sorti de sa plume brille
par une sagesse et une pureté vraiment féminines de pensées,
par une rectitude de jugement qui souvent n'exclut poiut
une douce ironie, par une connaissance approfondie du
cœur humain , par des idées justes et vraies sur le monde,
par un rare talent d'exposition, qui souvent devient drama-
tique, et qui reste toujours merveilleusement simple et lu-
cide. FréJéricka Bremer excelle surtout dans la peinture
des scènes de la vie de famille ; et ses tableaux , quelquefois
un peu minutieux, sont extrêmement attrayants.
Le premier roinan qu'ait publié Frédéricka Bremer pro-
duisit tout aussitôt à Stockholm une vive sensation ; il était
intitulé la Fille du Président ; les Voisins, qui parurent
après , mirent le comble à sa réputation. Vinrent ensuite la
Famille H. et Nina, dont le succès ne fut pas moindre. On
reproche à ses romans les Voisins et la Maison de manquer
d'originalité et d'invention ; on adresse la même critique à
Combat et Paix, œuvre dans laquelle cependant on ne
laisse pas que de rendre justice à quelques fort belles par-
ties, et oii le lecteur trouve les descriptions les plus saisis-
santes et les plus vraies d'une nature et d'un sol générale-
ment assez peu connus. La scène de ce roman se passe en
Norvège, et Frédéricka Bremer, par la magie de son style,
retrace avec un bonheur infini les scènes, tantôt sublimes,
tantôt touchantes , qu'y rencontre l'observateur.
Une collection complète de ses romans a paru à Stockholm
en sept volumes ( 1835-1 S43), sous le titre de Teckningar
itr Hvardafjslifcet (Esquisses de la vie de tous les jours).
Ace recueil se rattache iVya Tecliningarnr HvardacjsUfvet
(Stockholm, 1844-1848), qui comprend Un journal. En
Dalécarlie, Vie de frères et sœurs. Dans son Morgan-
Vxkter (1842), l'auteur a déposé sa profession de foi reli-
gieuse. Elle a publié de charmantes impressions de voyages
dans Lif i JSorden (lS4y) et Midsommar-Resan (1849).
Ajoutons que les romans de Frédtricka Bremer ont obtenu,
non-seulement en Allemagne, mais en France , ea Angle-
terre, en Hollande, les honneurs de la traduction.
BREMERU A VE.\, port construit en 1827 à l'endroit
où la Geeste se jette dans l'embouchure du \Yeser, à
52 kilomètres au-dessous de Brème , sur un territoire cédé à
cette ville par le Hanovre, et qui, n'étant pas encore protégé
par des digues était alors sujet à toutes les inondations cau-
sées par les tempêtes. En 1830 on y creasa un bassin de G20
jnètres de long sur 62 de large, muni d'une écluse de ll'",47,
et susceptible de recevoir et de mettre à l'abri des navires
jaugeant jusqu'à 1500 tonneaux. Dès que ce port fut ouvert
au commerce , il s'établit sur ses bords une population qui
comptait déjà en 1850 3,500 âmes; et Breinerhaven reçut
une organisation ainsi que des institutions mimicipales. De-
puis cette époque, la progression toujours croissante du
commerce maritime de Brème a nécessité la construction
d'un second bassin long de 496 mètres avec une largeur de
124 mètres, pourvu d'une écluse de 23^,56 de large et7'",75
de profondeur, capable dès lors de recevoir les plus grands
navires. Indi^pendamment de ces deux bassins , on trouve
encore à Breinerhaven un grand nombre de chantiers de
construction établis le long des rives de la Geeste, ainsi
que deux vastes docks, où les navires peuvent entrer a la ma-
rée montante. Dans la. 1/«/.soh desEmigrants,tonàiQen\^bQ,
trois mille individus trouvent le gîte et la nourriture. De-
puis 1847 un service régulier de bateaux à vapeur créé entre
New-York et Bremerhaven a établi de rapides et faciles
communications entre l'Amérique du Nord et l'Allemagne.
C'est aussi à Bremerhaven que, pendant sa courte existence.
670
BREMERHAVE?^ - BRENTANO
(^tait venue stationner la fameuse flotte allemande, créée à
la suite des événements de 184S. Un télégraphe aérien et un
télégraphe électrique mettent Bremerhaven en communi-
cation avec Brome.
BRENNER ( Mons Brennius), nom donné à la pointe
des Alpes Rhétiennes dans le comté du Tyrol , entre Ins-
pruck et Sterling, et entre l'Inn, l'Aiclia et l'Adige. Élevé
de plus de 1,984 mètres au-dessus du niveau de la mer, le
Brenner sépare le bassin de l'Adige de celui de l'Inn. 11 est
traversé à une hauteur de 1,348 mètres par une route de
17 kilomètres , qui relie Vienne à Inspruck et à Venise. La
montagne porte un village du même nom , connu par ses
sources minérales. Comme tous les passages qui conduisent
à travers le Tyrol et les Alpes Rhétiennes, le Brenner était
aussi désigné par les anciens écrivains sous le nom de Mons
Pyrenxïis. Dans la guerre de 1809, le Brenner a été la
principale position pour la défense du Tyrol.
BREIVIVUS, nom ou plutôt titre de plusieurs chefs gau-
lois, et qui s'est conservé encore jusqu'à nos jours dans le
mot gallois brennin, qui veut dire roi. Le plus célèbre de
tous ceux qui le portèrent est Brennus, chef des Sennones,
peuplade gauloise de la Haule-ltahe, qui, vers l'an 390,
envahit le territoire romain. Les Romains furent complè-
tement battus sur les bords de l'Allia, et Brennus arriva
lentement sous les nmrs de la ville éternelle. Pendant ce
temps là les trésors et les objets sacrés avaient été déposés
au Capitole, où la population jeune et en état de porter les
armes s'était retirée, tandis que les autres habitants avaient
pris la fuite. Brennus ne rencontra dans la ville déserte que
les femmes, les enfants et les vieillards. Ceux-ci avaient
mieux aimé mourir que d'abandonner leur patrie. Brennus
les trouva assis sur leurs chaises curules , quelques-uns re-
vêtus de leurs ornements sacerdotaux en signe de leur di-
gnité, et d'autres avec le costume de consuls. Ils fuient
égorgés, en môme temps que la ville était livrée aux flam-
mes et au pillage. Cependant une formidable armée ro-
maine se réunissait sur les deirières des Gaulois, tandis
que le Capitole assiégé continuait à opposer, sous les or-
dres du tribun Sulpicius , une vigoureuse résistance. Bren-
nus tenta de le prendre d'assaut. Une nuit il en fit esca-
lader les rochers par ses soldats; et déjà quelques Gaulois
étaient parvenus au sommet sans que les sentinelles eus-
sent rien aperçu. Mais alors les oies sacrées qu'on nour-
rissait dans le temple de Junon, poussèrent de grands cris
et réveillèrent ainsi la garnison qui repoussa les assaillants.
Toutefois les Romains, privés de toutes communications
avec les leurs, désespéraient d'en être secourus, tandis que
de son côté Brennus, dont la peste décimait l'armée, se fa-
tiguait d'un siège long et inutile. Les deux parties résolurent
en conséquence d'en venir à un accoiumodement. Brennus
promit de se retirer si on lui donnait mille livres pesant
d'or. Déjà on pesait l'or, Brennus venait de jeter encore son
épee dans la balance, en s'écriant : Vx vïctisl (Malheur
aux vaincus!), mot qui a passé en proverbe, quand Ca-
mille, rappelé d'exil et créé dictateur, survint à la tête de
l'armée romaine , chassa les Gaulois de la ville et les tailla
en pièces dans la plaine voisine. 11 est vraisemblable que
Brennus périt dans cette déroute ; du moins les historiens
romains ue font-ils plus dès lois uiention de lui. 11 est
évident d'ailleurs que toute cette histoire de Brennus ne nous
est parvenue que fort embellie par la poésie. Nous avons
donné le récit de Tite-Live; mais la critique moderne ne
l'admet pas sans restriction. T'o^e:; notre article Allia,
t. 1", p. 388.
Un autre Brennus envahit avec Psychorius, l'an 280 av.
J.-C, la Macédoine à la tète d'une immense armée gauloise,
évaluée à 150,000 fantassins et 30 ou 40,000 cavaliers. 11
ba:tit et tua le roi l'iolémi'e Ccrauuus, puis Sostliènes;
traversa la Tlicssalie, pénétra en Grèce par lesThermopylos,
et marcha sur Delphes pour piller le temple de la ville.
Mais une armée grecque accourue en toute hâte, et la terreur
que répandit dans leurs rangs un tremblement de terre ac-
compagné d'un orage formidable, contraignirent les Gaulois,
après que Brennus lui-même eut péri dans la mêlée, à re-
gagner la Thrace, où ils fondèrent un royaume qui demeura
longtemps puissant, mais que les Thraces finirent pan
subjuguer. ■
BREIVTAJVO (Clément), connu comme romancier et '
comme poète dramatique, frère de la célèbre Bettina d'A r-
nim, né à Francfort sur le Mein en 1777 , fit ses études à
léna, et résida ensuite alternativement à léna, à Francfort,
à Heidelberg,à Vienne et à Berlin. En 1818, mécontent à
la fois et de lui-môme et des hommes , il renonça complè-
tement au monde, et choisit pour séjour l'abbaye de Dulmen,
dans le pays de Munster. Dans les derniers temps de sa vie,
il vécut à moitié comme un anachorète , résidant tantôt à
Ratisbonne, à Munich et à Francfort, où la nature iro-
nique de son esprit le fit toujours beaucoup remarquer, il
mourut à Aschaffenbourg , le 28 juin 1842. Brentano publia
ses premières poésies sous le pseudonyme de Maria, du-
quel il signa ses Satireset Délassements poétiques (Leipzig,
1800) et son Godvci , ou V Image de pierre de la mère
(2 vol., Francfort, 1801 ), livre qu'il désigna lui-môme en
sous-titre par la qualification de Roman sauvage. Le fait est
que ce roman est passablement échevelé et pousse un peu
loin les bizarreries que se permettait à cette époque la nou-
velle école romantique. On y remarque cependant quelques
belles pages et de ces passages auxquels on reconnaît aisé-
ment le poétique contemplateur. Ses productions drama-
tiques, tantôt originales, tantôt bizarres, brillent quel-
quefois par un genre d'esprit éminemment disposé au sar-
casme, et quelquefois aussi par de nobles accents lyriques.
Ce sont Les Musiciens joyeux, opéra (Francfort, 1803);
Ponce de Léon (Gœttingue, 1804), comédie qui offre les
plus heureux incidents; Victoria et ses frères et sœurs
aux étendards flottants et aux mèches allumées (^^vïm,
1804), où une ironie parfois un peu recherchée s'unit à une
gaieté merveilleusement baroque. Sa Fondation de l'rayue
(Pesth, 1816) est un ouvrage dans lequel la profondeur
de la pensée et la force du style répondent à l'esprit poé-
tique de l'inspiration première, quoique la bizarrerie des
pensées et l'irrégularité de l'ensemble nuisent à l'effet gé-
néral. Brentano écrivit aussi quelques ou^Tages de cir-
constance, parmi lesquels nous mentionnerons la cantate
Universitatis litterarios (Berhn, 1810), et son Pa^sape
du Rhin, ronde populaire (Vienne, 1814). Le genre dans
lequel il semble avoir le plus complètement réussi est celui
des petites nouvelles , et on regarde généralement comme
son chef-d'œuvre Y Histoire dzi brave Gaspard et du bel
Anncrl (2^ édit., Berlin, 1851 ). Son dernier ouvrage, in-
titulé Go^e/, Hinkelxmd Gakeleia (Francfort, 1838), est
une amusante et spirituelle satire, dans laquelle il a flagellé
avec une impitoyable ironie les ridicules de son siècle. On
doit aussi citer avec éloge la nouvelle édition qu'il a donni'o
de l'ancienne histoire de George Wickram de Colmar, sous
le titre -.Le Fil d'Or (lleidclberg, 1809), ouvrage dont
Lessing désirait la réimpression , bien qu'il se soit permis
dos changements arbitraires dans le texte. Ses Contes ont
été publiés par Guido Gœrres (2 vol., Stuttgard, 1848).
Sa lemme, Sophie Schlbvrt, née le 27 mars 1761, à Al-
tenbourg, avait épousé en premières noces le professeur
Mereau de léna. Un divorce lui ayant rendu sa liberté, en
ISO'i, elle se remaria avec Clément Brentano, qu'elle suivit à
Francfort et à Heidelberg, où elle mourut le31 octobre 1806.
Outre ses traductions et beaucoup d'articles insérés dans des
almanachc et des journaux, elle a laissé des Poésies (2 vol.,
Beriin , 1800-1802), ainsi (pie plusieurs romans, tels que
Calathiscos (2 vol., Beriin, 1801-1802), et Amande et
/j'f/oî/arrf (Francfort, 1803 ), en forme de lettres. On a aussi
d'elle une Sifj/e ra7Vfcrf'0/)?«n//cs (Francfort, iso.5). Tout
à
BREiNTANO — BllERA
671
rc qu'ella a icrit se distingue par la pureté et la délicatesse
du style , par une gran.le ricliesse d'imagination, mais aussi
{)ar les défauts qui caractérisent l'école romantique.
BRE!\TAiXO ( Lorenz ) , connu par la part qu'il a
prise à la révolution dont le grand duclié de Bade fut le
théâtre en 184S et 1849, est né en lS10,àManlieim. Bren-
tano Ht ses études en droit à Heidelberg, et depuis 1837 il
fut attaché successivement au barreau de Rastadt , de Bruch-
sal et de Manheim. Mêlé de bonne heure aux luttes des
jiartis politiques, il fut enûn, grâce à l'appui d'Itzstein, élu
député par sa ville natale, en 1846, après avoir vu sa can-
didature échouer auparavant à mamtes reprises ; toutefois il
ne commença à jouer un rôle important qu'à l'époque des
troubles de 1848. Sans posséder des talents éminents ,
Brentano a tout au moins l'habileté à l'aide de laquelle
on parvient à dominer les masses en temps de révolution.
Comme membre de l'Assemblée nationale allemande, il
ne se fît remarquer qu'une seule fois , dans une séance du
mois d'août 1848, où ses paroles imprudentes soulevèrent le
plus furieux tumuLle. La révolte de H e c k e r ayant échoué,
Brentano devint le chef du parti révolutionnaire à Bade ; il
se montra l'orateur le plus fougueux de la chambre, orga-
nisa les clubs, et répandit partout ime agitation qui donna
fort à faire au gouvernement badois en 1 848 et au commen-
cement de 1849. 11 resta cependant étranger aux émeutes
de 1848; mais il se fit le défenseur des émeutiers devant les
tribunaux , à la chambre et dans la presse.
Lorsque, au mois de février et de mars 1849 , la majorité
du parti radical quitta la chambre , il en sortit aussi , et il se
constitua le défenseur de Struve devant les assises de Fri-
bourg. Sur ces entrefaites, l'agitation qu'il avait semée porta
ses fruits. L'assemblée d'Offenbourg amena une catastrophe
plus terrible que Brentano ne l'eût désiré. Un ministère
Brentano était dans les vomix d'un grand nombre de radi-
caux; une régence ou une dictature Brentano les consterna.
Ce fut, au reste, avec un médiocre sentiment de satisfaction
que Brentano prit, le 14 mai, le gouvernement du pays de
Bade, car dès cet instant il fut en butte aux attaques les plus
furibondes. 11 se déclara contre ceux qui appelaient le règne
sanglant de la terreur, condamna les actes de brigandage
commis par des aventuriers étrangers , et entra ainsi en
lutte ouverte avec Stmve et son parti , lutte qui dégénéra
presque en un conflit sanglant, le 5 et le 6 juin.
La révolution ayant succombé , il fut , en conséquence
de l'attitude qu'il avait eue au pouvoir, accusé par les exal-
tés de l'avoir trahie. Il est certain qu'il gouverna plutôt
avec des éléments du parti contraire qu'avec ses anciens
amis politiques. Il conserva, il est vrai, jusqu'à la lin du
régime révolutionnaire la direction suprême dans la con)-
mission executive, dans le gouvernement provisoire, dans
la dictature; mais à mesure que les défaites se succédèrent,
le mécontentement s'accrut, et, après la déroute de Friboiirg,
Struve lança le 28 juin, au milieu de l'assemblée consti-
tuante une proposition que Crentano considéra comme un
vote de méfiance. Au milieu de la nuit, il s'enfuit à Schaff-
house, et l'assemblée l'ayant proclamé traître, il fit pa-
raître un manifeste qui contenait la critique la plus amère de
.son propre paili. En se défendant d'avoir pillé le trésor
public, en se vantant d'avoir empêché le sang de couler, il
accusait la plupart de ses anciens amis d'incapacité, et leur
reprochait de n'être conduits que par des motifs d'intérêt
personnel. Ce manifeste écrasa son parti ; mais il lui ferma
en même temps la carrière politique, en lui attirant la haine
des révolutionnaires , sans lui gagner la sympathie de leurs
adversaires. De la Suisse Brentano s'enfuit en France, d'où
il passa en Amérique. 11 y publiait une feuille allemande et
s'occupait d'affaires contentieuses, lorsqu'il mourut en 1853.
liUÉQUIGiM (Louis-Georges-Oudard FEUDRIX de),
néàGranville, en 1716, mort à Paris, en 1793, chez son amie
M'"* du Boccage, fut reçu en 1759 à l'Académie des Ins-
criptions et Belles-Lettres, et enrichit les Mémoires de cette
savante société d'un grand nombre de dissertations curieuses
et importantes. Toute sa vie fut consacrée à l'étude de l'his-
toire et de l'antiquité. Après la paix de 1763, Bréquigni fut
envoyé par le gonvernemeut en Angleterre, pour y faire le
dépouillement des titres relatifs à la France, dont le catalogue
avait été donné par Thomas Carthe, et que l'on conservait
à la Tour de Londres. Bréquigni partit en 1764. 11 devait re-
chercher et examiner les pièces originales qui ne se trouvent
point dans les recueils de Cambden, de Rymer, ifuane et de
Morthon, et transcrire celles qji avaient rapport à la France.
A son arrivée à Londres , il fut conduit dans un vaste gre-
nier, où il trouva une immense quantité de papiers entassés
sans ordre ; on le mena ensuite dans un cabinet obscur, où il
en trouva une égale quantité, couverts d'une couche épaisse
de poussière infecte et humide. Il travailla trois mois à les
classer , puis il examina les titres renfermés dans les coffres
de Tt chi(iuier, et y recueillit beaucoup de pièces authentiques
relatives à nos anciens rapports avec l'Angleterre. Il revint
en France au bout de trois ans.
Nous ne parlerons i)as de son Histoire de l'établissement
de l'empire et de la religion de Mahomet, de son Essai
sur l'Uisloire de V Yémen , de sa Table chronologique de
rois et chefs arabes , de son Histoire des Révolutions de
Gènes, de ses Vies des anciens Orateurs grecs, ni du premier
volume d'une édition de Strabon- mais nous devons insister
sur ses travaux relatifs à l'histoire de France. Depuis 1754
il continua, d'abord avec de Villevaut , puis seul, la Collec-
tion des Lois et ordonnances des rois de la troisième race,
immense recueil, dont il publia successivement cinq volumes
à pailir du neuvième, où Secousse s'était arrêté. Bréquigni
y joignit des préfaces qui donnent une histoire exacte de
notre législation. Secousse, Foncemagne et Sainte-Palaye
avaient projeté un recueil de tous les titres , chartes et di-
plômes qui n'avaient point été imprimés :ils mourarent avant
d'avoir accompli cette cruvre. Bréquigni fut chargé d'exécuter
ce plan, et s'associa M. lAIouchet. Ils publièrent trois volumes
de la Table chronologique ( 1769-1783). Une partie du qua-
trième volume a été im|)rimée, mais n'a pas été mise en vente.
En 1791 Bréquigni publia avec Laporte du Theil,en 3 vol.
h)-{o\.,Diplomata, charte, epistoLx, et alia monumenta
ad res francicns spectantia. 11 avait encore été chargé
par le ministre d'État Berlin d'achever la collection commen-
cée par Batteux, sous le titie de Mémoires sur les Chinois,
des pères Amiot, Bourgeois, etc. A la mort de Sainte-Pa-
laye, en 1781, ce savant académicien, encore de concert
avec IM. INIouchet, s'occupa de la continuation du Glossaire
des vieux mots français ; mais leur travail est resté ma-
nuscrit. Bréquigni avait été reçu à l'Académie Française
en 1772. A. Savagner.
BRERA ( Valérien-Louis), né le 15 décembre 1772, à
Pavie , professeur de thérapeutique et de clinique médicale à
l'université de cette ville, a laissé une longue suite d'ou-
vrages et de mémoires originaux sur les différentes parties
de l'art de guérir. Il s'est en outre attaché à enrichir la lit-
térature médicale de son pays d'une foule de monographies
et de traités spéciaux , choisis parmi ce que les littératures
étrangères offraient de plus généralement estimé. INlais ce
qui contribua surtout à populariser son nom parmi les mé-
decins français , ce sont ses beaux et importants travaux
sur les V e r s i n t e s t i n a u X. Les savantes recherches aux-
quelles il se livra à ce sujet, les précieuses observations
qu'elles lui donnèrent lieu de recueillir, sont consignées dans
un volume m-4'', publié en 1803, et intitulé : Lezioni me-
dico-pratiche sopra i principali vermi del corpo umano
vivente, e le cause dette matattie verminuse. Ce précieux
ouvrage a été traduit en français, en anglais, en allemand
et en russe. Bartoli et Calvet en avaient enrichi dès 1804
notre littérature médicale par une traduction qui a eu le*
honneurs de plusieurs éditions.
g. 2 BRERA -
A l'âge de vingt et un ans, Brera, qui avait été reçu doc-
teur en philosophie , en médecine et en chirurgie , était drjà
au nombre des médecins du grand hôpital de Milan. 11 alla
ensuite à Vienne (1794) avec le titre de chirurgien raihtaire ;
puis ayant quitté le service, il voyagea en Allemagne, en
Hollande , en Belgique, en Ecosse et en Suisse, visitant par-
tout les hôpitaux, suivant la pratique des plus habiles mé-
decins, et se liant d'amitié avec les hommes les plus cé-
lèbres De retour en Italie (1796), nous le trouvons méde-
cin et ch^urgien des hôpitaux militaires de IMdan. Nomme
en 1798 professeur de clinique à Pavie, des dissidences
scientifiques avec Rasori le forcèrent de renoncer à sa chaire
et de se contenter de la place de médecin de l'hôpital de la
ville En 1806 il fut appelé à occuper la chaire de patho-
logie à Cologne, et en 180S il obtint celle que la mort de
Boidioli rendait vacante à Padoue. Après les événements de
1814 il avait été nommé premier médecin des Ltats véni-
tiens, puis conseiller d'État de l'empereur d'Autriche. En
1830 le grand-duc de Toscane l'appela à sa cour pour y
donner des soins à la grande-duchesse. En 1832, Brera reçut
le titre de professeur honoraire à l'universilé de Padoue. Re-
tiré à Venise, il fonda un journal scientifique, intitulé An-
tolorjia mcdica, qui ne i)arut qu'un an. Sa santé était déjà
affaiblie depuis (pielqucs années, quand il mourut, le 4 oc-
tobre 1840.
BRESCÏIET (Gilbert), naquit à Clermont-Ferrand, le
7 juillet 1784. S'étant livré de bonne heure et avec zèle à
l'étude de i'anatomie , c'est à ses travaux multipliés plutôt
qu'originaux dans cette science qu'il a dû d'être tour à
tour chef des travaux anatomiques de la Faculté, chirurgien
en second de l'Hôtcl-Dieu de Paris, membre de l'Institut et
professeur à l'École de Médecine. Cette dernière et fructueuse
place ne lui fut octroyée qu'après concours , et Breschet put
éprouver à cette occasion combien peu sont compatibles
avec la maturité de l'âge et de l'esprit les concours univer-
sitaires, qui n'ont été institués que pour la jeunesse, tou-
jours sûre d'y briller. Un de ses compétiteurs, M. Broc,
professeur aimé du public enthousiaste , éclipsa tous ses ri-
vaux par son élocution chaleureuse, par la sûreté de sa mé-
moire et la vivacité de ses ripostes et de ses allures. Il en
résulta que les applaudissements et la place n'échurent point
a la même personne , et que l'enthousiasme des opposants
alla jusqu'à l'émeute, dont l'esprit factieux d'alors saisis-
sait avidement fous les prétextes. Breschet n'en fut pas
moins professeur, malgré les clameurs, ni professeur moins
utile pour manquer d'éloquence. Il y a plus , l'embarras de
sa diction et la répulsion de quelques élèves le rapprochè-
rent de plus en plus de Dupuytren, qui lui montra en toute
occasion un bon vouloir dont le grand chirurgien n'était pas
prodigue, qui l'agréa comme adjoint et quelquefois même
comme conseiller.
Excellent anatomiste et travailleur plein de zèle, en cor-
respondance assidue avec l'Allemagne universitaire et in-
formé des premiers des progrès des sciences naturelles,
Breschet a mis au jour, pendant vingt ans, beaucoup de bons
travaux. Ses recherches sur les veines du rachis , sur l'or-
gane de l'ouïe des oiseaux et des poissons , sur les vaisseaux
lymphatiques, sur les anévrismes, sur l'ovologie comparée
des mammifères , et plusieurs autres travaux, méritent et
ont obtenu beaucoup d'estime. Personne no connaissait
mieux que Breschet les productions de l'Allemagne, et il
est de ceux qui ont tiré un utile parti de ce commerce in-
tellectuel entre les deux peuples. Peut-être même l'a-t-on
trouvé quelquefois trop allemand, soit par une érudition inop-
portune ou excessive , soit pour l'édilication de ses propres
ouvrages, où l'originalité ne tient pas toujours assez, de place,
soit même pour l'ordonnance de son plan où se fait pénible-
ment remarquer une certaine confusion d'arguments.
Breschet a concouru à de nombreuses publications ; lui-
même avait fondé un recueil estimé qui portait le litre de
BRESCIA
Répertoire d'Anatomie, etc. Celui de ses ouvrages qui nous
paraît le plus viable est , s'il faut le dire, son Mémoire sur
les veines du rachis. Sa présence à l'Académie des Sciences
aura été peu remarquée , et laissera des traces peu durables.
Sa pensée manquait de cette énergie lumineuse et concise
sans laquelle ne peuvent être suilisamment formulés ce.s
principes abstraits que toute l'Europe savante adopte et
promulgue comme lois. ^M
L'existence du docteur Breschet fut douloureusement abr^ijp
gée par l'émotion que lui causèrent, dans un voyage en Italie,
des voleurs qui le dévalisèrent en menaçant ses jours. Son
corps, à peu de temps de là, prit un volume monstrueux, et
sa raison même en fut affectée. Il mourut à Paris, le 10 mai
1845. Il avait à l'Institut succédé à Dupuytren, et eut lui-
même pour successeur U. Lallemand, de Montpellier. Il n'a
laissé qu'une fille, M""^ Amédée Thierry. Isid. Bourdon.
BRESCÏA, chef-lieu de la délégation du même nom
(superficie, 32 myriamctres carrés; population, 340,000
âmes ) dans le gouvernement de Milan, du royaume Lom-
bardo-Yénitien, sur les rives du Mella et de la Gaiza, qui
traversent la ville, est située d'une manière très-pittoresque,
dans une va'-te et fertile plaine, au pied de quelques collines
longeant les rives de ces deux rivières , et est généralement
bàtre avec assez de régularité. On a transformé eu prome-
nades les remparts de ses anciennes fortifications. Cependant
elle est toujours dominée par un château fort, construit du
côté du nord sur des rochers élevés et escarpés. Cette ville
est le siège des autorités supérieures de la délégation et d'un
évêque; elle possède un tribunal de commerce, deux jus-
tices de paix et un tribunal de première instance. Elle est
ornée d'un grand nombre de beaux édifices publics et de
palais appartenant à des particuliers. Nous mentionnerons
plus particulièrement la vieille cathédrale , monument ma-
gnifique et orné d'une foule de statues ; la nouvelle cathé-
drale, encore inachevée, dont on admire la superbe coupole,
et qui contient <!e précieuses reliques; le palais épiscopal,
avec une importante bibliothèque, dont la ville est redevable
au cardinal Quirini; la maison des jésuites, située sur la
place du marché et célèbre par ses vastes proportions de
même que par son architecture, ses fresques et ses tableaux ;
enfin les palais des familles Martenigo ( construit par Palla-
dio ) , Gambara , Uggeri , Salini , Fenaroli , Barbisoni , Sigola
et Serardi , remarquables également par leurs collections de
tableaux. Outre ses deux cathédrales, Brescia compte en-
core dix autres églises, dont les plus célèbres sont celles de
Santu-.Varia di Miracoli , San-Lazaro oii l'on voit des
toiles d'Alessandro Buonvicino, et de Santa-Afra, plu-
sieurs établissements de bienfaisance , un théâtre construit
avec beaucoup de goût, un Athénée, plusieurs gymnases,
un cabinet d'histoire naturelle, un cabinet de médailles et
un jardin botanique. U y existe aussi plusieurs académies,
entre autres ÏAcademia de Filarmonici , l'une des plus
anciennes de l'Italie , et une société d'agriculture.
La population de Brescia, qui en 1847 s'était élevée au
chiffre de 36,000 âmes, a beaucoup diminué à la suite des
événements qui vinrent l'année suivante bouleverser la pé-
ninsule. Les habitants sont aussi actifs qu'industrieux. On
y trouve des manufactures de soieries , de rubans , de fil , de
fufaine, de bas, de bonnets, de toiles, de couvertures de
laine, de chapeaux , et d'autres objets en soie, hn , laine
et coton, des fabriques d'huile, de papier, etc. Mais les
produits les pins en renom de son industrie sont la quin-
cailleiie, et surtout les armes de tous genres ; aussi cette ville
était-elle déjà surnommée à une époque très-reculée l ar-
ma la On y fait en outre un commerce considérable en soie
crè"e et ouvrée , en vins ( notamment le fameux vino santo),
en chanvre, draps, étoffes de soie et laine, et en affaires de
commission et d'expédition. Il y existe de remarquables
monuments de l'époque romaine, qu'on a reunis, a\ec le
produit de fouilles faites aux environs, dans un musée spe-
J
BRESCIA
6?3
cial élevé sur l'emplacement mt-me où on découvrit le
temple d'Hercule enfoui au centre de la ville.
[Brescia s'appelait autrefois Brixia , et était le clief-iien
de la peuplade des Gaulois Cénomans, passés en Italie en-
viron 600 ans avant l'ère chrétienne, et qui s'étaient éta-
blis entre les Alpes et le Pô, l'Oglio etl'Adige. On attribue
communément aux Cénomans la fondation de Brescia , qui
serait ainsi postérieure d'environ deux siècles à celle de
Rome, attribuée à Romulus. Le nom de Brixia est effecti-
vement gaulois, et on peut, sans être obligé à des suppres-
sions ou permutations de lettres, le dériver de brighscach,
qni signifie, en erse ougallique, au-dessus ou dominant
la plaine. Telle est en etfet, comme on l'a vu plus haut,
la situation de Brescia ; mais les Gaulois qui s'y établirent
peu après Bellovèse en chassèrent les Étrusques , autre na-
tion gauloise taurisque ou cisalpine. Les Étrusques, qui eux-
mêmes avaient expulsé des plaines du Pô les Ombriens,
aulre peuple d'origine gauloise, avaient fondé un empire
puissant, et qui comptait plusieurs villes considérables sur
les deux rives du Pô. Il est donc assez probable que non-
seulement Brescia, mais Vérone, Bergame, Vicence, etc.,
existaient déjà sous la domination étrusque, et peut-être,
avant elle, sous les Ombriens.
Pendant les longues guerres entre les Romains et les Gau-
lois cisalpins , et jilus tard sous la domination romaine ,
Brescia ne fut le théâtre d'aucun événement historique qui
mérite d'être rapporté. Ravagée par les barbares qui vinrent
successivement piller l'Italie , elle fit ensuite partie du
royaume des Lombards, dont elle partagea les vicissitudes.
Elle s'était rattachée à la ligue des villes lombardes confé-
dérées contre l'empereur Frédéric Barberousse, et en-
tra dans toutes les guerres fomentées par l'ambition et la
rivalité des empereurs et des papes. Agitée elle-même par
les factions qui se divisaient l'Italie, elle arbora tour à tour
l'élendard des guelfes et des gibelins. L'empereur
H e nri V I la détruisit presque entièrement, et la démantela
vers le commencement du treizième siècle. Elle passa en-
suite sous la domination des princes de la Scale , seigneurs
de Vérone , auxquels elle fut arrachée par le duc de Milan ,
Galeas Visconti, dans la guerre allumée en 1378 contre
les Vénitiens, dont Galéas fut l'allié. En 1402, Adolphe Ma-
latesta s'en était emparé pendant la minorité du fils de Ga-
léas. Enfin en 1421 Philippe-Marie Visconti l'avait recouvrée.
En 1426, les Vénitiens s'étant alliés aux Florentins contre
le duc de Milan , leur généralissime, connu sous le nom de
Carmacjnola, songea à ouvrir la campagne par la prise
de Brescia, où il avait pratiqué des intelligences, et s'ap-
procha de cette >ilie avec son armée. En effet, le 17 mars,
les conjurés, au nombre desquels étaient àe.% Avogadores ,
lui livrèrent les portes de la ville basse. Mais le gouverneur
de la ville conserva la Aille haute , les quatre forts qui l'en-
touraient et la citadelle. Carmagnola se fortifia dans la partie
de la ville qui lui était soumise , et lorsque le général mila-
nais, Ange de la Pergola , parut devant Brescia avec une ar-
mée au moins aussi forte que celle des Vénitiens, il n'osa
les attaquer, et se retira quelques jours après son arrivée.
Une seconde tentative pour jeter du secours dans Brescia
fut également inutile; les quatre forts et la citadelle se ren-
dirent enfin du 13 octobre au 20 novembre, et la paix con-
clue peu après assura la possession de Brescia aux Vénitiens.
La guerre s'étant rallumée pour la quatrième fois , en 1437,
entre la république de Venise et le duc de Milan, la ville de
Brescia souffrit un nouveau siège, qui fut l'occasion de
quelques faits d'armes qui mériteraient d'occuper une place
qu'on ne leur a pas encore accordée dans les ouvrages
destinés à développer les prmci])es de la stratégie, car ils
prouvent que la guerre de position était déjà connue en
Italie dès le quinzième siècle , et que ce pays possédait
des généraux capables de la bien faire , ressemblant assez
peu au portrait ridicule que les écrivains étrangers se sont
UICT. DE L4 CONVEUS. — T. UI.
plu à faire ces condollieri italiens. On retrouve en effet
dans leurs opérations quelque chose du génie qui a dirig<* les
immortelles campagnes de 1796 en Italie; et le théâtre est
à peu près le même.
Après la bataille d'Agn ad el (14 mai 1509) , les habi-
tants de Brescia s'emparèrent des portes de leur ville , et la
livrèrent aux Français. Le 4 février 1512, pendant que
Gaston de Foix, qui commandait l'armée française en Italie,
faisait lever le siège de Bologne, le général vénitien André
Gritti se porta à l'improviste sur Brescia , et , ayant fait
brusquer un assaut sur trois points différents, enleva lu
place. Dès le lendemain il commença le siège de la cida-
delle et la battit si vivement qu'il y eut bientôt une brèche
ouverte. Mais Gaston avait deviné les projets du Vénitien
sur Brescia, et s'était préparé les moyens d'arriver promp-
tement au secours de la garnison , en faisant jeter un pont
sur le Pô. Dès le 5 février, assuré que les confédérés, qu'il
avait repoussés de Bologne, se retiraient en Romagne, il se
mit en marche, et le 14 février, il aniva devant Brescia.
Ayant laissé une partie de son armée en dehors de la ville,
devant la porte Saint-Jean , qui seule n'était pas murée , il
entra avec le reste dans la citadelle. Il en ressortit presque
aussitôt, rangea ses troupes en bataille sur l'esplanade du
château, et attaqua l'armée vénitienne, qui s'était également
déployée devant lui. L'attaque fut vive et la défense assez
molle ; les Vénitiens se mirent bientôt en retraite de rue en
rue, protégés par les habitants, qui faisaient feu des maisons.
Pendant ce temps, la partie de l'armée française qui était hors
de la ville, ayant enfoncé la porte Saint-Jean , y entra et at-
taqua les Vénitiens è dos. Leur défaite fut entière et le car
nage affreux. 13,000 soldats ou habitants périrent les armes
à la main ; le provéditeur Gritti, le podestat Giustiniani et les
principaux chefs furent faits prisonniers ; la ville fut livrée
à toutes les horreurs de la guerre et pillée pendant sept
jours avec toute l'avidité et la férocité qui caractérisaient
encore les guerriers de ce siècle. Le seul Bayard, griè-
vement blessé, sauva non-seulement les habitants de la
maison où on l'avait transporté , mais refusa même le ca-
deau qu'on voulut lui faire à titre de rançon ou de rachat du
pillage. Cette action fut beaucoup louée et méritait de l'être
eu égard au siècle où elle s'est passée.
Dans cette journée, un enfant de dix à douze ans, fils
d'une pauvre femme du peuple , reçut cinq blessures, dont
une lui fendit les deux lèvres. 11 devint bègue, et on l'ap-
pela du nom de Tartaglia, qui exprimait ce défaut. Cet
enfant fut le célèbre restaurateur des mathématiques, qu'on
ne connaît pas sous un autre nom.
Après la mort de Gaston de Foix , malheureusement tué
à la bataille de Ravenne , l'armé* française fut obligée d'é-
vacuer l'Italie par la mauvaise conduite de ses généraux.
Brescia fut assiégée , au commencement de 1513, par les
Vénitiens et les Espagnols. Le gouverneur français capitula
avec ces derniers , qui gardèrent la place pour leur compte.
Lorsque les Vénitiens furent abattus par les efforts réunis
des princes signataires de la ligue de Cambrai, coali-
tion dans laquelle notre Louis XII s'était laissé entraîner par
les intrigues du cardinal d'Amboise, les alliés de Louis
le quittèrent et se réunirent aux Vénitiens contre lui. Puis ,
quand l'armée française, victorieuse à Ravenne, eut été
obligée, par l'ineptie de ses généraux , la lâcheté d'une no-
blesse incapable de soutenir de longues fatigues, et la tra-
hison des Suisses, de quitter l'Italie, les coalisés reprirent le
projet de dépouiller à leur tour les Vénitiens. Le plus ardent
dans cette nouvelle perfidie, Jules II, plus fait pour être
flibustier que pape, poussa les choses au point que les Vé-
nitiens se trouvèrent obligés de se jeter dans les bras de la
France : cette puissanr* ouvrit les yeux à ses vrais in-
térêts, et le traité de Blois, signé le 14 mars 1513, sanc-
tionna l'alliance entre la France et Venise.
Peu après leur alliante avec la France , le roi d'EspajjMe
.85
G74
BRESCIA — BRËSIL
ryant retiré ses îroiipes dans le royaume de Naples, les Vé-
nitiens rentrèrent à Crescia. La môme annde, après le dé-
sastre de notre armée à Novare , ils la perdirent de nou-
veau. En 1315, après la bataille de Marignan (13 sep-
tembre), les Vénitiens, appuyés par une division française ,
assiégèrent Crescia; mais ils furent bientôt obligés de lever
ce siège. Enfin, en 151G, Tliéo<lorc Trivulzi , général des
Vénitiens, soutenu par une division française sous les
ordres de Lautrcc, reprit le siège de Brescia. La place,
battue par fiuarante-liuit pièces de grosse artillerie, capitula
en peu de jours (24 mai ) , et rentra sous la domination vé-
niliejiue.
Elle y resta jusqu'à la dissolution de la république de Ve-
nise. Clief-licu du département du IMellasous les républiques
cisalpineet italienne et le royaume d'Italie, elle tomba en 1814
sous la domination autrichienne. G"' G. de Vaudo.ncourt. ]
Les Drescians prirent la part la plus vive au soulève-
ment de IS-'iS. Dès le mois de mars , à la première nouvelle
des événements dont Milan venait d'être le théâtre , ils cou-
rurent aux armes, et contraignirent la garnison autrichienne
à capituler. Mais complètement antipathiques aux républi-
cains de Milan, ils appelaient de tous leurs vœux une réu-
nion avec le Piémont. Après la bataille de Custozza et la
capitulation de Milan, Brescia partagea le sort des autres
villes lombardes. Quand, dans les premiers joursde mars 1849,
la guerre éclata de nouveau avec la Sardaigne , elle fut la
seule des grandes villes de la Lombardie qui osa se soulever
contre la domination autrichienne. Rlalgré la défaite essuyée
par l'armée sarde sous les murs de Novare, les Brescians
refusèrent de capituler. Le général Ilaynau vint attaquer
leur ville le 30 mars à la tête d'un corps de 3,800 hommes ,
et la citadelle, qui était toujours demeurée au pouvoir des
Autrichiens, commença en même temps un bombardement
terrible sur Brescia. Les habitants se défendirent héroï-
quement jusqu'au 2 avril à midi , au milieu des ruines fu-
mantes de leur cité à moitié détruite. De toutes les condi-
tions moyennant lesquelles Haynau consentit à accorder aux
Brescians la vie sauve et à garantir leurs propriétés de tout
pillage, la plus dure ne fut pas une contribution de plus de
six millions de francs. Il s'écoulera bien du temps avant que
Brescia puisse se relever de ce désastre; et, comme pour ag-
graver ses malheurs, une trombe vint encore dans l'automne
de 1850 exercer les plus effrayants ravages sur la ville et sur
ses environs.
BRESCOU, îlot situé vis-à-vis d'Agde, dont il n'est
éloigné que de 4 kilomètres , près de l'embouchure de l'Hé-
rault. Un château fort, assez considérable, domine ce rocher ;
Festus Avienus en fait mention dans son poëme intitulé
Ora marUima. En 1632, le roi Louis XIII en avait décidé et
ordonné la démolition; mais, grdce à la sage intervention
de Richelieu, on revint sur une décision prise à la légère,
et une forteresse complétant l'ensemble du système de dé-
fense de cette partie si importante de nos côtes, fut conservée.
Le grand ministre avait même entrepris la jonction de l'îlot
de Brescou à la terre par une chaussée, dont les préoccu-
pations de l'époque ne permirent pas d'achever la construc-
tion , mais dont les débris sont encore visibles aujourd'hui.
BRESIL. Cet empire, composé des anciennes colonies
portugaises transatlantiques, est le plus vaste du globe
après la Russie, la Chine et l'empire Britannique. C'est la
contrée la plus favorisée de la nalui'e parmi toutes celles
du Nonveau-Moude, Elle coinj)rend les deux cinquièmes de
l'Amérique du Sud , avec quelques petites îles de l'Océan
Atlantique, et s'étend depuis l'embouchure de l'Oyapoco, par
4" 17' de latitude nord, jusqu'au lacMirim, sous le 33" degré
de latitude sud, et depuis l'Océan, sous le 37* jusqu'au 74*= de
longitude occidentale , non compris les Iles. Elle est bornée
au nord par les Guyanes française, hollandaise, anglaise , et
par la république de Venezuela ; à l'ouest par celles de la
Nûuvelle-G.-enade, de l'Equateur, du Pérou, de Bolivie,
(lu Paraguay et de la Plata ; au sud par la Banda Oriental
ou rciHibliquc de l'Uruguay ; à l'est par l'océan Atlantique, qui
baigne ses côtes sur un développement de plus de 6,500 ki-
lomètres. Les limites politiques du Brésil ont été déter-
minées par des traités conclus en 1777, 1778 et ISOl avec
l'Espagne; mais comme elles n'ont été fixées par l'arpen-
tage que sur un très-petit nombre de points, la plus grande
incertitude règne sur son étendue réelle, qu'on n'évalue pas
toutefois généralement à moins de 7,516,840 kilomètres
carrés : longueur du nord au sud 4,000 kilomètres; lar-
geur 3,500.
L'aspect du Brésil, vu de la pleine mer, est âpre et
inégal; mais à mesure qu'on approche des côtes, les sites
les plus pittoresques se dessinent à l'envi comme pour sur-
prendre et éblouir les yeux. Ces côtes, par la direction
qu'elles affectent, se divisent en orientale, qui est la plus
longue, et c>»jrt du sud-ouest au nord-est, depuis l'extré-
mité méridionale du territoire jusqu'au cap S5o-Roque, et en
septentrionale, commençant au cap Sâo-Roque pour se di-
riger vers le nord-ouest. Ces côtes, sans sinuosités con-
sidérables, n'offrent, à l'exception de l'estuaire de l'Ama-
zone , que des golfes peu profonds. Des baies très-nom-
breuses forment, principalement sur la côte orientale, qui
est la plus élevée, les plus beaux ports du globe : Bahia,
Rio-de-Janeiro, Porto-de-Seguro, Espiritu-Santo, Pernambu-
co, Angra-dos-Reys, Santos etMaranhâo. En pénétrant dans
le pays, le sol s'élève graduellement à une hauteur de 1,600
à 2,000 mètres. Çà et là s'offrent des vallées remarqnables
par la pente abrupte de leurs berges; celle du Sâo-Francisco
est la plus belle. Au loin s'étend l'immense plaine de l'A-
mazone, qui a plus de 800,000 kilomètres carrés de super-
ficie ; elle comprend toute la partie centrale de l'Amérique
du Sud, la moitié du Brésil, une portion des républiques
de Venezuela, du Pérou et de la Bolivie. La plaine du Rio
de la Plata, qui a près de 600,000 kilomètres carrés de sur-
face, embrasse une paitie du Brésil, du Paraguay, de l'État
de Buenos-Ayres , de la Banda Oriental et de la Patagonie.
Ce sont ces fameuses pampas, dénuées d'arbres et cou-
vertes d'innombrables graminées, qui rappellent les savanes
du Mississipi, tandis que la plaine de l'Amazone, placée
dans un climat plus chaud et plus humide, présente dans
ses immenses forêts ime force de végétation à laquelle
lien ne peut être comparé dans les autres continents. Elle
est traversée dans le nord par le vaste désert de Pernam-
buco, digne d'entrer en comparaison avec ceux de l'Afrique
et de l'Asie pour l'étendue, l'aridité du sol, l'abondance et
la mobilité du sable; il est borné par Pernambuco, le Sâo-
Francisco, Crato, Ceara et Natal. On y trouve quelques
oasis d'une belle végétation , mais elles sont rares.
D'après la nature de son territoire, le Brésil se divise en
trois régions distinctes; la côte , bande de terre de peu d'é-
tendue , le plateau intérieur, coupé de nombreuses chaînes
de montagnes, et la vaste plaine d'alluvion, peu accidentée,
qu'arrosent l'Amazone et ses affluents. Le plateau intérieur se
subdivise en trois fragments remarquables par leur élévation
et leur étendue : ce sont le plateau de la Guyane, le plateau
brésilien et le plateau central. Le premier embrasse lile im-
mense formée par l'Orénoque, lé Rio-Negro, l'Amazone et
l'Atlantique ; sa surface est partagée entre le Brésil , la
Guyane et la république de Venezuela. Sa hauteur est
de 400 à 800 mètres. Le second comprend la partie basse des
bassins du Sâo-Francisco et du Parana, dans Minas-Geraes
et Sâo-Pâolo, et les plus hautes terres de Rio-de-Janeiro,
Espiritu-Sanfo, Bahia, Pernambuco et Piauliy; élévation
moyenne : 300 à 500 mètres. Le troisième enlin se déroule
à travers Matlo-Grosso , Goyaz et Sâo-Pâolo, ontre une
partie du Rio de la Plata et de la Bolivie. Sa hauteur a été
fort exagérée par les géographes ; elle ne dépasse pas 400
mètres.
Le caractère particulier de l'orographie du Brésil y dé-
BRÉSIL
teniiine de grandes variétés dans le système organique,
aussi bien dans le règne animal que dans le règne végétai.
L'aspect des forêts vierges , si bien décrites par Spix et
Martiiis, a de tout temps excité l'admiration des voyageurs.
La plus grande partie de l'intérieur du pays, depuis l'em-
bouchure de l'Amazone jusqu'aux premiers contre-forts des
Andes, surfout dans les latitudes septentrionales, forme une
vaste et impénétrable forêt, dont les arbres sont enlacés jus-
qu'à leur sommet par de fortes lianes, des arbustes et des
plantes parasites. Rien de plus majestueux que ces masses
de végétation colossale qui semblent s'élancer du chaos et
nous la voûte desquelles l'iiomme errant et craintif n'ap-
paraît que comme un insecte , comme un atome. Aussi n'y
séjoume-t-il presque pas. On y trouve fort peu d'habi-
talions , de même que sur les bords du Sâo-Francisco ; et la
côte elle-même est couverte de forêts vierges à une grande
distance dans le sud.
En prenant pour point de départ au sud la pointe d'un
grand triangle dont la base septentrionale serait formée par la
chaîne de montagnes qui court du cap Oriental de Sâo-Roque
à l'extrémité occidentale de Cordùlera gcrnl , sur la Ma-
deira, afilucnt de l'Amazone, on rencontre d'abord, le long
de la côte, la serra do 3 far, d'une hauteur moyenne
de 1,000 à l,tOO mètres au plus, de laquelle se détachent
quelques rameaux isolés et qui sépare du plateau intérieur le
littoral, étroite bande de terre, d'ordinaire extrêmement
fertile, couverte, dans ses parties incultes, de forêts vierges,
comme nous l'avons dit, et descendant par une pente rapide
vers l'Océan. Cette chaîne, depuis le cap Frio, au-dessous
de Rio-de-Janeiro , court au sud-ouest dans une direction
pr^que parallèle à la côte , jusqu'au 26" .30' de latitude sud.
Là elle se divise en deux branches qui embrassent le bassin
de l'Uruguay. Derrière, et presque parallèlement, se dessine
au sud-ouest la Serra de Mantiqncira, dont elle est séparée
par le bassin du Sâo-Joâo-da-Parahyba. Cette dernière, (ju'on
pourrait considérer comme la chaîne centrale du Brésil, et
dont les masses principales sillonnent les provinces deMi-
nas-Geraès et de Goyaz, présente les sommets les plus éle-
vés de tout le système brésilien : le Cuquira, de 3,440 mètres,
et le pic dos Orgaos, de 2,370. A partir de Villa-Rica, cette
chaîne continue à courir presque directement au nord, pa-
rallèlement à la côte. .Jusqu'aux sources du Rio das Contas
et à la ville de Caytete dans la province de Minas-Geraès ,
c'est-à-dire depuis le 20" 30' jusqu'au 14° de latitude sud,
elle porte le nom de serra do Espinhaço. C'est une suite
de montagnes escarpées et déchirées. Dans sa partie mé-
ridionale, elle prend le nom de serra da Lapa. Deux ra-
meaux s'en détachent, la serra de Sân-Gerahlo, dont le point
culminant, l'Itacolumi, atteint une hauteur de 1,680 mè-
tres ; et vers le nord , dans la direction du nord-est au
nord du Rio-Doce, entre ce fleuve et le Belmonte, la serra
das Esmeraldas , fière de son Itambe, qui a 1820 mètres
de hauteur.
Parmi les sommets les plus élevés de la serra do Es-
pinhaço, on doit citer encore la Piedade (1770 mètres) et
an sud-ouest le pic de Itabira (1590 mètres). La partie
septentrionale de cette chaîne porte le nom spécial de serra
Branca. Du 14° au 10° 30' de latitude sud , la cordillère prin-
cipale continue à se diriger vers le nord, sous le nom de serra
Tïuba, n'inclinant un peu à l'est qu'à son extrémité , lors-
qu'elle approche du SSo-Francisco. Parallèlement à cette
chaîne, et formant avec elle le bassin de ce dernier cours
d'eau , s'élance, vers l'ouest, la serra da Tabatïnga, depuis
le 20° jusqu'au 11° 20' de latitude sud, où elle se bifurque.
La branche orientale, dite sota de Piauhy, puis .se?Ta
Ibiapaba, forme un large croissant, qui se déroule presque
jusqu'à la mer au 3° de latitude sud. La branche occiden-
tale, suivant une ligne plus droite vers le nord-nord-ouest,
cesse sur la rive orientale du Tocantin , au 4° 40' de latitude
sud. Elles embrassent toutes deux le bassin de la Parana-
G75
hyba et les provinces de Piauhy et do MaranliSo. De la
branche orientale se détachent , au nord du Sâo-Francisco ,
à la pointe la plus orientale de l'Amérique du Sud, dans les
provinces de Pernambuco , Rio-Grande-do-Norte et Para-
hyba, plusieurs chaînons, tels que la serra Cayriri et la
Borborema, qui s'étendent jusqu'à la côte. Les chaînes iso-
lées de la serra Guamane et de la serra de Botarite appar-
tiennent à la province de Céara. Les chaînes parallèles de la
serra do Espinhaço et de la serra de Tabatïnga sont soudées
au sud, près de Villa Rica, par la serra Negra, chaînon
qui court de l'est à l'ouest et ferme la vallée du Sâo-Fran-
cisco. La serra da Tabatïnga est également unie à la Cor-
dillera-Grande par un chaînon qui en jaillit, à angle droit,
sous le 16° 40' de latitude sud, et qui porte le nom do
Ptjreneos.
La serra de Santa-Marta, qui se détache du nœud de la
Cordiilera-Grande et des Pyreneos, court au sud-ouest, de-
puis le 16° 30' de latitude sud jusqu'au 20", où elle prend le
nom àe serra dos Vertentes. C'est le chaînon le plus méri-
dional de la serra do Espinhaço. Du milieu des affluents de
l'Amazone, de l'Uruguay, du Xingu, du Topajos et de la
Madeira, s'échappent dans la direction du nord, plusieurs
chaînons, peu élevés, tous liés à leur extrémité méridionale
par des chaînes transversales. Aucun d'eux ne mérite une
attention particulière, si ce n'est la Cordillera gérai, qui s'é-
tend au sud-ouest depuis le 14" 10' de latitude sud jusqu'à
la Madeira, dans la province de Matto-Grosso, limitrophe
de la Bolivie. Parmi ces chaînes de montagnes principales et
secondaires on trouve dans les moins élevées du calcaire,
dans les moyennes du granit , diins les plus hautes du cal-
caire et de l'argile schisteuse. Nulle part elles n'atteignent la
limite des neiges ; mais elles sont extrêmement importantes,
à cause des pierres précieuses et de l'or qu'elles renferment
dans leurs vallées et leurs ravins. On les considérait jadis
comme faisant partie du système des Andes, comme en for-
mant, pour ainsi dire, les premiers échelons; mais cette
opinion a élé abandonnée depuis qu'on sait que le plateau
brésilien a une pente très-roide à l'ouest et qu'il est séparé
des Andes par de vastes plaines, surtout dans la partie oc-
cidentale de la province de Matto-Grosso. Les chaînes do
montagnes du Brésil sont presque toutes liées entre elles
par des branches transversales et enserrent de nombreux
vallons , de nombreuses vallées , de toutes formes.
Le résultat naturel de la configuration du sol brésilien est
subordonné au cours très-étendu de la plupart de ses fleu-
ves, qui, bien que prenant leur source à de faibles distances
de la côte, sont forcés de couler au nord ou au sud, paral-
lèlement aux chaînes de montagnes sur un espace de plu-
sieurs degrés , avant d'atteindre l'une de ses deux grande*
artères, l'Amazone ou la Plata, dans lesquelles se déchar-
gent presque tous les cours d'eau qui sourdent entre la
serra do Mar et les Andes. La majeure partie se jette dans
l'Amazone, qui, lui aussi, coule d'abord du sud au nord et ne
prend sa direction vers l'est qu'à son entrée dans le Brésil.
Le premier de ses affluents de droite est la magnifique Ma-
deira, qui descend de la Bolivie. Viennent ensuite le "Topajos
et le Xingu , dont les sources sont voisines. Parmi les af-
fluents de gauche, on cite le Rio-Negro ou Japura, qui des-
cend de la Nouvelle-Grenade. Non loin de l'Amazone, en
deçà de l'île Marajo, se dessine l'embouchure du Tocantin
ou Para, formé de la réunion du Tocantin proprement difc
et de l'Araguay ou Rio-Grande.Le Tocantin proprement dit
reçoit le Parana , et l'Araguay reçoit le Rio dos Mortes. Le
Maranhâo , qui traverse la province du même nom, se jette
dans la baie de Sâo-Luiz , ainsi nommée de cette ville ma-
ritime. Plus à l'est, le Parnahybaou Parahyba arrose la pro-'
vincc du même nom, et se rend dans la mer après un cours
de 150 Kilomètres. Sur la côte orientale, formant la limite
des provinces de Sergipc et de Pernambuco, le Rio Sâo-
Francisco tourne à l'est, aux deux tiers de son cours, après
85.
C76
BRESIL
avoir longé la serra do Espinhaço, qui le sépare de la côte,
et ne se jette dans l'Océan qu'après un cours de 290 kilo-
mètres : c'est le plus grand fleuve du Brésil; il descend de
la serra da Canastra dans la province de Minas-Geraès.
Un grand nombre de rivières, plus ou moins considérables,
s'épanclient aussi des montagnes parallèles à la côte, et
suivent une direction opposée à celle des lleuves de l'inté-
rieur. Les plus remarquables sont : 1° le Rio Grande de
Belmonteou Jiquitinlionha, qui prend sa source dans la serra
do Espinliaço, arrose la province de Baliia, et a son embou-
chure près du Belmonte; 1° le Rio Doce, principal cours
d'eau des provinces de Minas-Geraès et d'Espiritu-Santo,
qui vient de la même chaîne de montagnes ; 3° le Sâo-Joâo
de Parahyba, ou du Snd, qui marqueta hmite entre la pro-
vince de Espiritu-Santo et celle de Rio-de-Janeiro , et dont
la source est dans la serra Mantiqneira; 4° enfin, à l'extré-
mité méridionale de l'empire, le Jacuhi ou Rio-Grande du
sud, qui unit, comme un canal naturel, le lac dos Patos et
le lac Mirim. Parmi les afiluents que nous avons cités, il en
est qui ont un cours égal à celui des plus grands fleuves de
l'Europe, le Volga seul excepté.
C'oet encore dans les montagnes du Brjésil qu'ont leurs
sources plusieurs fleuves considérables qui ne lui appar-
tiennent pas, tels que les deux bras principaux de la Plata,
le Parana, qui descend delà serra Mantiqueira dans la pro-
vince de Minas-Geraès, le Tiète, qui vient de la province
de Sâo-Pâolo , le Paraguay , qui descend des Campos Pa-
reris dans la province de Matto-Grosso, et l'Uruguay, qui
prend naissance dans la province de Rio-Grande du Sud. Les
lacs sont nombreux dans les plaines , surtout dans le bassin
de l'Amazone et lorsque vient la saison des pluies ; mais
aucun n'a ni la surface ni la profondeur de ceux de l'Amé-
rique du Nord. Le lac de Xarayu est même complètement à
sec en été. Dans les provinces méridionales la Laguna dos
Patos et le Mirim sont les plus considérables.
Le Brésil, dans sa configuration, présente peu de caps :
on ne cite guère que celui deSâo-Roque ou Punta Petetinga,
marquant l'angle formé par la réunion des côtes orientale et
septentrionale , le cap Nord au-dessus de l'estuaire de l'A-
mazone, le cap Sâo-Augustin dans la province de Per-
nambuco et le cap Frio dans celle de Rio-de-Janeiro ; mais
il possède plusieurs îles, dont les principales sont : Fernando
de Noronlia , îlot stérile, lieu d'exil pour les criminels , et la
Trinidade, toutes deux en pleine mer; Sainte-Catherine,
dans la province de ce nom, Marajo ou Sâo-Joâo, grande île
alluviale aux embouchures de l'Amazone et du Para, for-
mant à elle seule une comarca (un arrondissement); Ma-
ranhâo, à l'embonchure du fleuve de ce nom; Itaparica, à
l'entrée de la baie de Bahia ; et Ilha Grande, dans la pro-
vince de Rio-de-Janeiro.
Ce pays s'étendant, du nord au sud, dans un développe-
ment de près de 40 degrés, on conçoit que le climat doit y
offrir des variations notables. Néanmoins, elles le sont moins
que sur une étendue égale, sous une latitude plus élevée, le
Brésil se trouvant prcsqu'en entier dans la zone torridc et
ses montagnes n'étant jamais couvertes de neige. Les
nuances de son climat sont donc celles de la zone torride et
des zones tempérées. On n'y connaît que la saison sèche
{tempo de frio) et celle des pluies {tempo de c/iuva), bien
caractérisées surtout dans le bassin de l'Amazone et sur les
côtes, mais qui ne commencent pas partout en même temps.
Le nord , situé dans le voisinage de l'équalcur, est sujet à
des chaleurs excessives, que les pluies, la rosée, l'humidité
du sol ne combattent pas toujours efficacement; souvent le
soleil y embrase l'atnjosphère à un degré funeste pour tout
être exposé à son action; le vent du septentrion bnile le sol,
la végétation s'éteint, les sources tarissent. C'est alors qu'au
travers des plaines sablonneuses , dont les limites fuient le
voyageur, commencent ces émigrations de familles entières ,
dont les membres, hâves, exténués, semblables à des pro-
ces.i!()us de spectres , vont cliercliant avec angoisse dans l'im-
mensité du désert un coin de terre qui leur fournisse un peu
d'eau et quelques fruits. Vers le nord , au-dessus de Baliia ,
on a vu des années s'écouler sans qu'il tombât une goutte de
pluie; et les moissons se perdre, les troupeaux périr faute
d'eau. La température de la partie méridionale est beaucoup
moins brûlante, le froid même s'y fait quelquefois assez
durement sentir, surtout dans les montagnes, et il n'est pas
rare d'y voir le thermomètre descendre jusqu'à 4° au-des-
sous de zéro. Sur les plateaux , dans les plaines , sur les
montagnes, la nature est, en général, d'une prodigieuse
activité; il y règne un printemps étemel, et les arbres y sont
couverts en môme temps de fleurs, de fruits verts et de
fruits mûrs. La brise de mer se lève vers le soir et rafraîchit
le corps abattu par la chaleur du jour ; les nuits sont froides,
et la rosée tombe en abondance , mais jamais la neige. Dans
les campos le climat est assez rude, quoique le froid se ma-
nifeste plutôt par la sensation qu'il produit sur l'étranger
venant des côtes , que par l'abaissement notable du ther-
momètre. Les provinces du littoral , celles principalement
qui longent les serras, sont assez chaudes; nulle part ce-
pendant la chaleur n'y est aussi insupportable que sur les
rivages du golfe du Mexique, à Panama ou à Acapulco.
En général , c'est un pays fort sain ; on n'y connaît pas ces
brusques contrastes de température si fréquents sous la
zone torride. A peine si parfois lèvent d'ouest, passant
au-dessus des vastes forêts et des grands marécages , vient
apporter sa pernicieuse influence dans l'intérieur et y en-
gendrer, surtout dans la saison des pluies , de dangereuses
fièvres putrides, des catarrhes, des dyssenteries, des ophtal-
mies et des maladies de peau. La plupart des fléaux
morbides de notre vieille Europe y sont inconnus ; le choléra
n'y a jamais pénétré. Région privilégiée entre la plupart de
celles des deux Amériques, elle n'avait jusqu'à ces dernières
années connu que de nom la fièvre jaune, cette peste des
Indes occidentales. Malheureusement voilà qu'elle s'habitue
à lui faire de périodiques visites. Ce qu'il y a de certain
pourtant, c'est qu'elle y a jusqu'à ce jour exercé beaucoup
moins de ravages qu'aux Antilles, à Panama, à la Vera-Cruz
et à la Nouvelle-Orléans.
Si le Brésil ne possède pas cette variété de climats qui
distinguent les pays montagneux du Nouveau-Monde , le
Pérou, Quito, Cundinamarca, il n'en est pas moins riche
en productions de la nature. La végétation y est même si
puissante, que souvent elle oppose de sérieux obstacles au
colon; mais en même temps elle lui offre d'inépuisables
ressources de bien-être. Mailius, le savant botaniste, qui
s'est occupé avec le plus de soin de la Flore brésilienne ,
assure avoir observé dans ce pays plus de quinze mille
plantes nouvelles, jusque alors complètement inconnues. Cest
dans ses forêts vierges que vient le meilleur bois de cons-
truction dont la durée égale la force; et de précieux bois
d'ébénisterie, parmi lesquels on compte cinquante espèces de
cèdres et plus de cent espèces de noyers. C'est là qu'on
creuse dans d'immenses troncs d'arbres des pirogues qui
portent jusqu'à .soixante rameurs. On y recueille enfin di-
vers bois de teinture qui sont l'aliment d'un grand com-
merce avec l'Europe, et en tête desquels il faut citer Vïbira-
pitanga ou bois du Brésil, quia donné son nom au pays,
et le bois de Pernambuco ou de Fernambouc.
Les palmiers, ces princes du règne végétal, abondent aussi J|
au Bréfil; ils y offrent une grande variété d'espèces. Les J
cocotiers, importés d'Afrique, comme l'élaïs de Guinée,
y ont réussi parfaitement. Les dattiers poussent d'eux-mêmes,
A côté de ces arbres précieux , fleurissent le bananier, qui
croit encore sans culture et dont on cultive une variété ve-
nue des Indes orientales; l'arbre à pain , l'oranger, le limo-
nier, une multitude d'arbres résineux et beaucoup de fleurs
qui le disputent aux nôtres pour l'éclat de leurs nuances et
le charme de leurs parfums. L'expérience a appris à tirer
BRESIL
677
du règne végétal des baumes , des médicaments , surtout
l'ipécacuanha , la salsepareille, le ricin; il fournit, en outre,
des épices : la cannelle, dont Tarbuste croît à l'état sauvage ,
le poivre, la vanille , le gingembre, le coton, le tabac. Les
foagères , ces plantes si modestes dans nos climats , se pré-
sentent dans ce pays avec toute la majesté des pins. A côté
s'élèvent des forêts ^'araucaria et des milliers de végétaux
devenus nécessaires à l'Europe pour ses arts et ses manu-
factures. Sur les vastes plateaux de Minas-Novas, on trouve
les carascos, ou forêts naines, explorées par M. Auguste
de Saint-Hilaire, immenses agglomérations d'arbustes d'un
mètre à peu près de haut ,-où domine la mimosa dumeto-
rum , mimeuse épineuse , dont le feuillage est d'une déli-
cieuse élégance. Quand le terrain s'abaisse, on rencontre
les cattingas , qui tiennent le milieu entre les forêts vierges
et les carascos, et qui présentent un épais fourré de brous-
sailles, de plantes grimpantes et d'arbrisseaux, au milieu
desquels s'élèvent, comme des baliveaux, les arbres de
moyenne grandeur. La sécheresse dépouille les cattingas
de leur feuillage, et les oiseaux , les insectes, cessent d'y sé-
journer dans la saison des pluies. Le riche sol du Brésil
s'est, en outre, montré favorable à un grand nombre de plantes
exotiques : le café n'y a pas moins bien réussi que la canne
à sucre; le froment , l'orge y prospèreut, au moins dans les
hautes régions , le riï partout , ainsi que les légumes d'Eu-
rope , les pommiers , les poiriers , les figuiers ; mais le climat
y paraît moios propice à la vigne. Une abondance extraor-
dinaire de fourrage permet d'y élever de nombreux trou-
peaux.
Dans les vallées règne une éternelle verdure ; le sol y est
partout d'une étonnante feitilité. Sans charrue, sans herse,
sans piociie, sans bêche, sans même gratter la terre, en y
laissant séjourner seulement la cendre des bois qu'on in-
cendie, on y récolte du mais, des pommes de terre, du
manioc, poison subtil, qui passé au four, râpé, réduit en
poudre, ou délayé, remplace le pain dans l'intérieur du
pays, des patates douces, des melons ordinaires, des melons
d'eau, des citrouilles, du thé de toutes qualités, du cacao, de
l'indigo, du safran, du piment, etc. Les fruits du pays sont
abondants et savoureux. On cite, entre beaucoup d'autres, la
goyave , qu'on rencontre partout sur les côtes , la figue de
Surinam, qui vient sur les ronces et les terrains abandonnés;
l'ibipitanga , qui ressemble à la cerise ; la mangabe , dont on
extrait une espèce de vin , le cajou , l'araça , au goût acidulé,
le sapoti , l'abbio , le cambuca , la jabaticaba , le fruit du
comte , la mangue , le coco , l'ananas , la banane , beaucoup
de limons , enlin, d'oranges , de citrons, etc.
Le règne animal n'y est pas moins riche. Si les animaux
du Brésil et de l'Amérique méridionale, en général, n'offrent
pas les proportions colossales de ceux de l'Afrique, ils se
distinguent au moins par la variété de leurs formes et la
beauté de leurs couleurs. Toutes ces forêts , quand le temps
est beau et la température douce , sont peuplées d'oiseaux
d'une rare beauté; la famille des perroquets s'y diversifie à
l'infini : ce sont les aras au cri rauque, les araras aux joues
nues, les amazones au plumage vert, les tavouas, les criks,
les caïcas, lesguaroubas; puis viennent les jacamars éme-
raudes, les pics, les martins-pêcheurs , les todiers, les
motmots, les manakins rouges, jaunes, noirs, à tèfe de
feu , les rupicoles , les colibris , appelés eu portugais béija-
fiors (boise-flems), les oiseaux-mouches, vrais bijoux de la
nature, les guitguit's azurs, les spatules roses, les fourniers
sombres, les picucules , les sittines, les synallaxes, les ti-
jucas noirs, les bataras, les somptueux cotingas, les ave-
ranos, les grallaries, les caciques, les caronges, les chi-
piùs , les jacarinis , des milliers de colombes au plumage
nuancé, des poules, des pigeons, des canards, des oies sau-
vages, les couroucous dorés et massifs, le sasa, mangeur
d'arum, les anis, les coucouas, les guiras, les basbacous,
lestamatias, les aracaris''à la langue barbelée, le sanamp,
qui rappelle le messager du Cap , l'ema ou nandu , qui est
l'autruche de l'Amérique , le chimango , terrible oiseau de
proie , le héron et beaucoup d'autres échassiers , tels que le
kamichi, le courliri, et le savacou au bec bizarre; enfin
sur l'Atlantique , le pélican au large gosier et la frégate au
vol rapide.
La famille des singes n'est ni moins nombreuse ni moins
variée : ici l'atèle aux longs bras et la gotriche à la queue
prenante se balancent sur les lianes des fleuves ; plus loin l'a-
louate fait entendre sa voix de stentor, le sapajou maraude,
le saki s'endort dans sa barbe , le tamarin , le rosalia et le
ouistiti jouent avec grâce , tandis que l'unau et l'aï se traî-
nent lents et paresseux. On trouve encore au Brésil le coati
au nez mobile , le kinkagou , diverses espèces de tigres ,
l'onça, le jaguar, la jaguarète, le couguar, des loups,
des renards, des cerfs, le margay , le collocola, le pagero,
la paca, l'agouti, lecabiai, le ciiien sauvage, le cobaye, le
moco , le tatou , la capivara, le tamandua, le fourmilier à la
langue extensible, la loutre d'une très-grande espèce, fort
recherchée pour sa fourrure, le tapir ou anta, le pécari,
espèce de porc à glande fétide ; un grand nombre de ser-
pents, dont qnelqnes-uns sont d'une dimension prodigieuse,
comme lesucuri, serpent amphibie le plus gros du Brésil, le
serpent à sonnettes, le boa, le surucoucou, l'iliboca ; des lé-
zards et des vipères de très-grande espèce. Mille papillons
aux plus brillantes couleurs se jouent sur les fleurs et les ar-
bustes ; des myriades d'insectes phosphorescents éclairent la
nuit la plus sombre ; mais à côté volent lourdement des
chauves-souris dangereuses pour les chevaux; les mille-
pieds , les scorpions vous menacent ; les chenilles, les fourmis,
les barates corrompent vos mets comme de nouvelles har-
pies ; les moustiques troublent votre sommeil , et couvrent
votre visage d'enflures et de plaies; enfin, les chiques ou
bichos , s'introduisant dans la plante des pieds à travers la
chaussure la plus épaisse, vous occasionnent presque sans
relâche de cuisantes douleurs. Il faut être habitué à ces
hôtes incommodes pour reconnaître qu'au Brésil la somme
du bien l'emporte de beaucoup sur celle du mal; quelques
semaines de séjour ne suffisent pas pour cela.
Les chevaux, les bœufs, les moutons, les chats, les chiens,
presque tous les quadrupèdes domestiques d'Europe s'y sont
abondamment propagés. Le cheval , de race andalouse, a
perdu de son feu et de sa fierté, mais il est intelligent et
robuste ; on ne l'attèle jamais. Les mulets sont nombreux
dans les provinces méridionales. Le gros bétail donne
moins de lait, mais sa peau , sa chair, sa graisse , ses cornes
sont d'un bon produit. Le porc se multiplie extraordinaire-
ment et s'engraisse avec une étonnante rapidité. Les chè-
vres forment de grandes troupes, et sont recherchées pour
l'abondance de leur lait. On élève moins de brebis. De
nombreux essaims d'abeilles donnent de la cire et du
miel. La cochenille, production naturelle du pays, est peu
cultivée , de même que le ver à soie , qui donne cepen-
dant un fil plus fin et plus solide en même temps que celui
des Indes. Les rivières, les lacs, les côtes abondent en
excellents poissons ; la baleine s'ébat sur les côtes; on ren-
contre de nombreuses tortues dans les parages du Nord.
Les fleuves peu rapides et quelques lacs sont infectés de
caïmans et de crocodiles.
Quelques provinces du Brésil sont renommées pour leurs ri-
chesses minéralogiques ; mais généralement on a évalué beau-
coup trop haut la production en or de ce pays. La première
mine qu'on en découvrit dans Sâo-Pâolo, dès 1577, était si
abondante, que longtemps cette province fût regardée comme
un nouveau Pérou. Elle n'était cependant rien, comparée aux
riches veines de Minas-Geraès découvertes en 1698, et dont
le produit a été pendant quelques années si considérable,
qu'il fut question d'entourer la province d'une enceinte de
murs pour en défendre l'accès. En 1718 on trouva celle de
Yilla-Bella dans Matto-Grosso. Elle est moins riche que
678
LUESIL
celles de Villa-Rica, Campanha, Tejuco et Paracalu, dans
Minas-Geraès , lesquelles ne furent découvertes que posté-
rieurement. Les meilleurs lavages sont ceux qui s'étendent
dans un vaste rayon autour d'Ouro-Preto , autrefois Villa-
Rica, dans cette province. Là est établie la fonderie impé-
riale pour tout ce minerai , là se perçoit le qtiint ou la
cinquième partie pour le gouvernement. On porte aujourd'hui
à cinq millions la valeur déclarée du produit de ces mines. La
quantité d'or exploitée en fraude est évaluée au tiers du
produitdéclaré. Plusieurs rivières, particulièrement celles qui
ont leurs sources dans la serra dos Vertentes, roulent de l'or.
IVon-seuiement ce précieux métal se trouve dans Minas-
Geraès , Goyaz et Matto-Grosso , mais encore le fer et le
cuivre sont répandus à profusion dans les montagnes et le
sel dans les plaines (pii les avoisinent. Avec pn peu plus
d'activité les colons tireraient des prolits plus considérables
de leurs mines de fer de Sâo-Pâolo et de Minas-Geraès ; le
sel marin s'exploite en grand dans les provinces de Rio-de-
Janeiro, Para, et Rio-Grande du >'ord. il existe dans celle
de Sâo-Pâolo une espèce particulière d'aimant (le martile).
On montre dans le cabinet d'Ajuda , à Lisbonne, un frag-
ment de mine de cuivre vierge, extrait d'un vallon du Brésil :
il pèse 1,280 kilogrammes, et a un mètre environ de long
sur soixante-dix centimètres de large et trente centimètres
d'épaisseur; il existe, en outre, dans le pays des mines
d'argent, de platine, de plomb (Abante et Cuyabara), de
soufre, de mercure, de houille, d'ardoises, de pierres meu-
lières et à aiguiser ( surtout dans la province Sainte-Cathe-
rine), etc. Ce fut vers le commencement du dernier siècle
que les premiers diamants furent découverts dans le dis-
trict de la serra do Frio ; beaucoup se cachent sous la croûte
des montagnes, mais il faudrait quelque travail pour les en
extraire; ils sont généralement enveloppés de terre ferrugi-
neuse et de petits cailloux roulés. On en rencontre à Matto-
Grosso, Sâo-Pâolo, Goyaz, Minas-Geraès, surtout dans la
sauvage serra do Frio, à Fajaès, dans la serra Sincura,
dans l'arrayal Diamantino, dans les bassins du Sâo-Fran-
cisco et du Jiqaitinhonha. Le produit, qui s'en élevait à plus
de 50,000 carats par an en 1770, n'est plus aujourd'hui que
de moitié. Une quantité presque égale est exploitée et
vendue en fraude. Les mines du Brésil ont donné le plus
gros diamant connu, celui de l'empereur, qui pèse IGSO ca-
rats et ne vaudrait pas moins de 140 millions de francs
d'après la manière ordinaire de calculer la valeur de ces
gemmes. Ces mines s'exploitent pour le compte du gouver-
nement, sous la surveillance d'une juuta impériale. Les to-
pazes, qui abondent à Capas, sont plus grosses que celles de
Saxe et de Sibérie; leur coideur est jaune paille ou jaune
roux; il y en a aussi d'un bleu verdàtie. Souvent elles de-
viennent électriques à racliou du l'eu. Les toaimalines pren-
nent le nom d'émeraudes quand elles sont vertes, et de sa-
piiirs quand elles sont bleues. H y a enlindes amétliystes,
des rubis , des cymopliaiies et divers cristaux de roche et
aigues-marines.
Pour l'or, comme pour les diamants et les pierres, on
n'exploite en g( ncral que le lit des torrents ; tout le travail
se borne au simple lavage. Là encore, comme dans Pa^ii-
culture, l'homme blanc descend à peine à une légère sur-
veillance, et les nègres sont les seuls ouvriers. INulle part,
malgré leur richesse, l'exploitation des mines n'est aussi lu-
crative que l'agriculture et l'éducation des bestiaux; elle a
été longtemps si inintelligente, qu'une partie du produit se
perdait, et (pi'on abandonnait la m'iie avant de l'cpui-ser. il
n'en est |)lus de même aujourd'hui : il y a dans la proviiue
de Minas-Geraès plusieui's mines exploitées par des compa-
gnies anglaises, où l'on emploie des colons, et où Ton .se sert
d'instruments perfectionnés. Celle de Gongo Socco mérite
détre visitée. C'est un village des plus beaux, des plus in-
dustrieux, habité par plus de huit mille Anglais et Brési-
lien.?, (eus blancs et libres.
Il est impossible d'évaluer d'une manière précise la po-
pulation de l'empire. Le.? chiffres officiels manquent. On
la porte d'ordinaire à 5,120,000 blancs et à 2,312,000 noirs
libres, sang-mèlé libres, esclaves, nègres et mulâtres. In-
diens etc. Ces derniers se composent d'indigènes, vivant à
l'état sauvage ou habitant des demeures fixes, et qu'on
désigne sous le nom de Cabocles. La majeure partie de la
population occupe les villes bâties le long des côtes ; les
immenses provinces de Matto-Grosso , de Goyaz et de Para
sont en grande partie désertes. Les indigènes ont disparu
de presque toutes les provinces du littoral. Un nombre assez
considérable habite, dans un état de demi-civilisation, des
villages de l'inférieur, s'occupant de l'exploitation des pro-
duits brufsde la nature ou bien d'agriculture, mais seulement
pour leur subsistance. Dans les provinces septentrionales,
sur les bords de l'.^mazone, la population consiste presque
uniquement en Indiens, dont rexistencc est paisible, sans
grands besoins , mais aussi sans grande utilité pour l'État.
Des tribus indépendantes parcourent les vastes contrées du
nord et de l'ouest, où les lîuropéens n'ont pas encore formé
d'établissements. Les unes font avec les blancs un commerce
d'échange, les autres vivent en état d'hostilité constante avec
eux et leur ferment autant que possible l'accès de leurs
dé.serts.
On sait que la population indigène de l'Amérique du Sud
est divisée en une multitude infinie de tribus. On en compte
dans le Brésil seul plus de cent qui se regardent mutuelle-
ment comme des races diflérentes ; mais ces petites peu-
plades s'éteignent peu à peu , et l'on ne retrouve plus au-
jourd'hui beaucoup de tribus mentionnées par les anciens
voyageurs. A en juger par leurs langues et leur manière de
vivre, toutes appartiennent à une souche commune, dont l'i-
diome s'est successivement divisé en une foule de dialectes,
parmi lesquels on distingue celui des Tupi. De toutes les
nations indigènes, c'est celle qui s'est le plus ressenti du
voisinage des Européens. Sa ,'angue est la plus répandue}
c'est le brésilien proprement dit : aussi l'appelle-t-on lingoa
gérai, langue générale. Après les Tupi, on remarque les Tu-
pininguinset les Tupinambas, répandus dansla province de
Bahia, et dont le nombre décroît sensiblement, et, à l'autre
extrémité de l'empire, les Guaranis des sept missions, dans
la province de Sâo-Pedro , lesquels, joints à ceux du Pa-
raguay , forment tout ce qui reste du grand empire des jé-
suites; les Oinagoas , aujourd'hui peu nombreux et vivant
le long de l'Amazone ; c'était jadis le peuple navigateur de
l'Amérique méridionale; ]es Aijmoi'es , Jlolocudos, et Co-
roados, terribles anthropophages, qui occupent l'espace pa-
rallèle à la côte, entre le Rio l^ardo et le Rio Doce, et dont
les principales habitations sont le long de ce dernier
fleuve et du Belmonte, dans les provinces de Minas-Geraès,
de Porto-Seguro, d'Espiritu-Santo et de Eahia, races au
corps horriblement tatoué, aux lèvres, aux oreilles, dé-
mesurément agrandies par descjlindres de bois, peuples
effroi des planteurs, dont ils dévastent les champs et brûleiit
les habitations, heureux encore ceux-ci <iuand les barbares
ne teignent pas leurs bras dans le sang humain; les J'uris
d'Espiritu-Santo sur la rive droite du Rio Doce: les J/«h-
drucHS, nation bellicpieuse et féroce, la plus puissante du
Para, entre le Xingu et le Tapajos, en ce moment alliée <les
blancs; les Tanwijos , de la province de Rio-tle-Janeiro,
nation jadis puissante , qui s'éteint et disparaît; les Tcpe-
rivas, qui errent dans le nord; les Carijos, de la province
de Sâo-Pâ';lo; les Giiaycurus, dont la taille dépasse soti-^
vent six pieds, fixés entre les rives supérieures du ParanSB
et du Paraguay, vivant de chasse, de pCclie et de leurs
nombieux troupeaux, se divisant en trois classes, les no-
bles , les guerriers et les esclaves, formant une grande ron-
fédéralion aristocratique, en paix depuis 1791 avec les Bré-
siliens, et appelés aussi Caval/ieiros, parce qu'il font toiitei|
leurs expéditions ii cheval ; les Gnants, de la partie méridio
BRESIL
rnle de Matto-Grosso, dont le plus grand nombre est devenu
agricole; les liororos , autre luilion nombreuse de la même
famille-; les Manitivr'Uanos , Chamacocos , et Ajuacas,
peuples belliqueux et féroces , alliés des blancs, antliropo-
phages autrefois et faisant la cbasse aux bommes pour
fournir des esclaves à leurs nouveaux amis : ils babitent
les limites de Venezuela, ainsi que les Marépizanos et les
Guaipunahis, avec lesquels ils sont souvent en guerre;
enfin les Manaos, nation nombreuse et guerrière du Para ,
dont une grande partie a embrassé le christianisme et vit
mêlée à d'autres peuples le long du Rio Negro, à ïamalonga
et à Thomar. Ils ont joué un grand rôle dans le mythe de l'El
Dorado des Omaguas, et leurs anciennes doctrines reli-
gieuses rappelaient dans leur Manary, on auteur du bien,
et leur Saranha, ou auteur du mal, le dualisme des vieux
Scandinaves.
Les nègres libres forment la portion la plus considérable
de la population, après les esclaves. La multitude de ceux-ci
est, comme dans toute l'Amérique, un fléau pour le pays.
Bien qu'on eût appris depuis longtemps à connaître dans
certaines provinces , comme dans celles de Babia et de
Pernambuco , le danger de leur supériorité numérique , on
ne laissait pas, avant la suppression définitive de la traite,
d'importer sans cesse d'Afrique de nouveaux nègres en si
grande quantité, qu'en 1S41 Pernambuco seul en reçut plus
de 5,000. Heureusement la piujiart vivent dans le célibat et
ne se multiplient pas considérablement. On rencontre sur-
tout les mulâtres dans les provinces du Httoral, et les métis
dans celles de l'intérieur; les uns et les autres tendent de
plus en plus vers la civilisation, et beaucoup envoient leurs
enfants étudier dans les écoles d'Europe, surtout dans celles
de France.
A peu d'exception près , les blancs descendent des colons
portugais. Quoiqu'ils portent à différents égards les traces
de leur origine, l'influence d'un autre genre de vie, d'autres
occupations , d'un autre gouvernement, a développé en eux
des traits de caractère qu'on ne rencontre pas chez le Por-
tugais et qui lui sont même antipathiques. En outre, l'édu-
cation se répand de plus en plus dans les différentes parties
de l'empire. On rencontre dans les hautes régions et dans la
classe moyenne de véritables lumières , un bon ton et des
formes vraiment polies. Les mœurs s'épurent de plus en
plus. Le fanatisme et l'intolérance ne régnent depuis long-
temps nulle part; l'impiété et le mépris de la religion, qui
leur avaient succédé, sont aussi passés de mode. L'éducation
n'est plus négligée , et l'on a eu à se féliciter de l'habitude
prise par certaines familles de faire élever leurs enfants en
France. Il en est résulté une pépinière de jeunes talents qui
peuplent aujourd'hui les administrations, la magistrature,
les chambres, et se distinguent dans les lettres, les sciences
et les arts. Le caractère du peuple varie, au reste, selon les
provinces. A l'extrémité méridionale de l'empire, dans le
Rio-Grande du Sud , se perpétue une race énergique et rude,
qui , comme les Gauchos des Pampas , s'occupe de l'édu-
cation des bestiaux et couve aussi de fréquentes velléités
d'indépendance.
Depuis quelques années le gouvernement central s'est
particulièrement occupé du soin de faire disparaître les dif-
férences qui existaient, sous le triple rapport intellectuel,
moral et religieux , entre les diverses masses disséminées
sur un aussi vaste espace, et il songe sérieusement à com-
battre par la diffusion des lumières les caprices révolution-
naires qui de temps en temps se sont (ait jour sur tel ou tel
point de l'empire. Le salut lui viendra de la liberté de la
presse, qui existe au Brésil plus que partout ailleurs sans
entraves ni lisières. Plus de journaux politiques, littéraires,
historiques, scientifiques môme se publient à Rio-de-Janeiro
que dans beaucoup de nos capitales d'Europe ; et des villes
de moindre importance n'en sont pas même dépourvues ,
tant le pouvoir a à cœur de favoriser le développement com-
679
plet de toutes les connaissances humaines. Rio-de-Janein-,
qui eu 1S20 ne possédait qu'une imprimerie, en compte
aujourd'hui plus de trente. On n'y publiait alors qu'un seul
écrit périodique; elle en voit paraître en ce moment plis
de vingt, dont un français et un anglais. Dom Jean Vf
avait créé l'école des Beaux-Arts en appelant au Brésil plu •
sieurs artistes français de mérite.
La littérature de ce pays peut non-seulement s'enorgueillir
d'un glorieux passé dans lequel brillent les noms de Gon-
zaga, Caldas, Claudio, Durâo,.Basilio da Gama, GusniSo,
Alvarenga, Francisco de Lemos, San-Carlos, Gregorio de
Mattos ; mais on y publie encore des ouvrages littéraires
et scientifiques, qui prouvent que le goût s'y perfectionne;
les poésies de Gonsalves Dias, Magalhaèns, Texeira-Sousa ,
Norberto , Porto-Alegro , Januario , Paramagua , Pedra
Branca et José Bonifacio d'Andrada , les romans populaires
de Macedo , les œuvres littéraires et historiques de Pereira
da Silva, Sâo-Leopoldo, Acioli, Pizarro, Varenhagen et de
beaucoup d'autres encore , en sont la meilleure preuve.
Longtemps la litlérature nationale , par lassitude des Grecs
et des Romains reproduits sans cesse par les Portugais, est
allée chercher ses modèles chez les Français , chez les An-
glais , chez les Allemands eux-mêmes. Le peintre poëte
Araujo Porto-Alegre la guide maintenant de plus en plus
dans une voie complètement indépendante.
Les écoles supérieures existent principalement dans la
capitale, qui possède une université, une école de médecine,
une école des ponts et chaussées , une école d'artillerie ,
uneécole decommerce, un observatoire, etc., etc., et qui par-
tage avec Bahia les écoles de chirurgie, avec Sâo-Pâolo les
écoles de droit , avec Bahia les Académies des Beaux -Arts,
avec Para ( Belem ) les jardins botaniques. Outre la biblio-
thèque impériale, venue de Portugal, le siège de l'empire
en a deux autres , celle des Bénédictins et la bibliothèque
nationale, qui compte déjà 62,000 volumes, non compris
quelques précieux manuscrits. On doit citer encore les bi-
bliothèques de Bahia et de Sâo-Pâolo. On trouve, en outre,
dans la capitale le cercle de lecture brésilien avec une bi-
bliothèque de 12,000 volumes , le cercle de lecture portugais
avec une bibliothèque de 18,000 volumes, un institut anglais
et un institut allemand ( Germania ). N'oublions pas l'Institut
historique et géographique du Brésil, fondé depuis 1839 et
qui publie des mémokes et une intéressante revue trimes-
trielle.
Bahia , Para , Porto-Alcgre ( dans le Rio-Grande du Sud).
Nossa Senhora da Vittoria ( dans l'Espiritu-Santo ) , Sâo-
Pâolo , Yilla-Réal de Cuyaba , Villa do Rio Pardo ( dans le
Rio-Grande ), Caxoeira ( dans le Bahia ), Parahyba,etc., etc.,
possèdent aussi d'estimables écoles , des cours très-suivis
dephilosoplde,des chaires d'études classiques, etc., etc. Mais
c'est surtout pour les sciences naturelles que les Brésiliens
montrent le plus de goût, ce qui s'explique, du reste, par les
magnificences de la nature dont s'enorgueillit à juste titre
leur pays.
L'Église catholique, qui est celle de l'État, mais qui n'en
exclut aucune et laisse à toutes le libre exercice de leur
culte , s'occupe, depuis quelques années, avec une ardeur
digne d'éloges de la civilisation et de la moralisation du
peuple. Elle possède plusieurs temples, digpes d'admiration
à l'extérieur et à l'intérieur, dans lesquels le service divin
est célébré avec un éclat et une pompe qu'on chercherait
en vain dans beaucoup de nos cathédrales d'Europe; et
pourtant le peuple brésilien, bien différent en cela des ha-
bitants des républiques de l'Amérique du Sud, n'a aucun
penchant à la superstition et moins encore au fanatisme. A
la tête des affaires ecclésiastiques est l'archevêque de Bahia,
qui a sous lui huit évêques et un évêque in purtibiis. Les
protestants allemands, anglais et français ont leurs temples
et leurs cnnelières.
i-'agricuUure et le commerce n'ont fait des progrès récJs
C80 BRi^:
iLins le Brésil que depuis les grands changements politiques
qui ont attiré l'attention du gouvernement sur ces deux
sources fécondes de la richesse nationale et amené l'abolition
complète de beaucoup de lois oppressives. Cependant i'im-
luense étendue du territoire de l'empire, sa minime popu-
lation relative , l'habitude du travail des esclaves , le pen-
chant inné et presque traditionnel d'un trop grand nombre
de blancs à la paresse, apportent encore de sérieux obstacles
à la culture du sol ; et il n'est pas rare de trouver, dans les
environs même des grandes villes , de vastes étendues de
terrain fertile laissées en friche. A peine la sixième partie du
sol est-elle concédée et à peine la cinquantième partie est-
elle livrée à l'exploitation ou h la culture. Le commerce,
au contraire, est assez considérable, favorisé par le grand
nombre d'excellents ports qui s'ouvrent sur la côte orien-
tale en face de l'ancien continent. Le commerce en gros se
concentre eji majeure partie dans les mains des Portugais ,
des Anglais, des Français, des Américains du Nord, des
Hollandais, des Allemainds; celui de détail entre celles des
Français , des Portugais et des Brésiliens. La dissémination
de la population et le manque de voies de communication
entravent le commerce intérieur. On n'a pas de chiffres
officiels exacts sur son importance.
Malgré la contrebande , qui , quoiqu'elle ait beaucoup
diminué, se pratique cependant encore sur une trop grande
échelle , les revenus des douanes du Brésil sont considé-
rables. Les principaux articles d'importation sont l'eau-de-
vie, l'huile d'olive (de Portugal et d'Italie ), le savon, le
goudron, les cordages, les cuirs ouvrés , la morue sèche, les
chaussures, la houille, la bière anglaise, le thé, les cha-
peaux , les peaux tannées , la farine , les étoffes de coton ,
de laine , de soie , la quincaillerie , les ustensiles de fer, les
vases^ de grés, le beurre ( d'Irlande et de France ), les
meubles , le papier, la poudre, le jambon , le fromage ( de
Hollande), les vins (de Portugal et de France ). Ces divers
articles sont débarqués dans les ports de Rio-de-Janeiro,
Bahia, Pemambuco, Maranhâo, Para, Parahyba, Rio-Grande
du Sud,Santos,Macayo et Ceara, proportionnellement à la
consommation de ces localités et de celles qu'elles approvi-
sionnent. L'exportation prend surtout la route delà Grande-
Bretagne, des États-Unis, de la France et du Portugal. Elle
consiste en café, sucre, or, diamant; peaux et cornes de
bœufs ; rhum , cacao, tabac , bois de teinture et de droguerie,
coton, vanille, quinquina, plus une petite quantité de thé,
dont la culture a été récemment introduite à Sâo-Pâolo.
La valeur annuelle des importations est d'environ 150 mil-
lions de francs; celle des exportations monte à près de 200
millions. Malgré la fraude, on a exporté en Europe , durant
ces dix dernières années, pour plus de 70 millions de francs
de diamants et d'or. En somme, depuis trente ans , le com-
merce du pays a triplé d'importance.
L'industrie y est longtemps restée plus stagnante encore
que dans l'ancienne Amérique espagnole ; elle ne consistait
qu'en sucreries, distilleries de rhum , tanneries et quelques
fabriques de cotons grossiers. Aujourd'hui elle prend de
tous côtés l'essor , et laisse bien loin en arrière celle des
républiques environnantes , que le Brésil surpasse aussi de
beaucoup en popuUition, en richesse , en commerce, en civi-
lisation. A la suite des maisons anglaises , françaises, alle-
mandes et suisses, dont nous avons parlé, des artisans de
ces différentes nations sont venus s'établir dans le pays. On
y a déjà fondé quelques fabriques importantes ; il s'y en
établira beaucoup d'autres , car le peuple brésilien est en
marche, et rien ne l'arrêtera désormais dans la voie du
progrès.
La douane prélève sur la plupart des marchandises im-
portées 20 pour 100 de la valeur. En vertu d'un traité
conclu en 1827, et qui a expiré en 1844, l'Angleterre jouissait
de l'avantage de ne payer que 15 pour lOO. Les villes an-
séatiqucs, la Prusse, l'Autriche, etc., ont aussi conclu des
SIL
traités de commerce. Ce n'est, du reste, que depuis le 18
février 1808 que les ports du Brésil sont ouverts indistinc-
tement à toutes les nations. La traite des noirs est aujour-
d'hui proliibée. Cependant en 1841 quarante-sept navires
de divers tonnages faisaient encore voile des côtes du Brésil
pour celles d'Afrique, où ils prenaient des chargements d'es-
claves , qu'ils débarquaient secrètement sur le littoral. On a
calculé que depuis la signature du traité avec l'Angleterre
pour la suppression de la traite, eu 1831, il n'avait pas été
introduit au Brésil, dans un espace de dix ans, moins de
300,000 nègres. Enûn en 1850 les chambres ont assimilé le
trafic de chair humaine à la piraterie. Afin d'attirer dans le
pays des colons libres, dans l'intérêt de l'industrie, le gou-
vernement a, par un décret du t8 avril 1818, établi un fonds
de secours destiné à encourager la colonisation , et a pris
lui-môme la direction des anciennes colonies de la couronne.
Les provinces du Brésil sont au nombre de 19 : Rio-de-
Janeiro, Sâo-Pâolo, Sainte-Catherine, Sâo-Pedro du Sud,
Matto-Grosso , Goyaz, Minas-Geraès , Espiritu-Santo , Ba-
hia , Sergipe , Alagoas , Pernambuco , Parahyba , Rio-Grande
du Nord, Ceara, Piauhy , Maranhâo, Para et les Amazones,
dont les capitales et villes principales sont: Rio-de-Janei-
r 0, Sâo-Pâolo, Nossa Senhora do Dcstero, Porto-Alegre, Villa-
Bella ou Matto-Grosso, Goyaz, Villa Impérial do Oiro Preto,
Victoria, Bahia, Sergipe, Alagoas, Pernambuco on
le Récif, Parahyba, Natal , Ceara ou la Fortaleza, Oyeras,
Sâo-Luiz ou Maranhâo , Para ou Belem , etc.
Chacune de ces provinces est administrée par un chef supé-
rieur civil délégué du pouvoir exécutif et décoré du titre de
Président, nommé par le gouvernement central, qu'il repré-
sente et-ayant la surveillancedes autorités inférieures. Chaque
province possède, en outre, une assemblée provinciale élec-
tivede vingt-quatre à trente-six membres, qui vote les impôts
et les dépenses de la circonscription et les lois destinées à la
régir. Outre les attributions de représentant et délégué du
pouvoir central , le Président est le chef du gouvernement
provincial et l'exécuteur des lois provinciales votées par cette
assemblée. Les provinces sont subdivisées en commarcas ou
arrondissements, ayant leurs tribunaux administratifs, judi-
ciaires et de pohce. Toutes ces provinces et commarcas se re-
lient à la capitale de l'empire, qui est Rio-Janeiro, municipe
libre, qui n'appartient à aucune province. H résulte de l'en-
semble de ces rouages une grande centralisation politique
unie à une immense décentralisation administrative, chaque
province ayant sa recette particulière, qu'elle administre elle-
même, et une recette générale qui fait retour au trésor cen-
tral de la capitale de l'empire. C'est la fédéralisation de
l'Amérique du Nord perfectionnée, s'alliant à une royauté
constitutionnelle héréditaire de mâle en mâle.
Les divers pouvoirs de l'Étatsont : le législatif, lejudiciairc,
le modérateur et l'exécutif. Le législatif est confié à un sénat,
dont les membres sont nommés à vie, et à une chambre des
députés, dont les membres élus temporairement reçoivent une
indemnité durant les sessions. Ces deux chambres, élues dans
chaque province par le peuple, concourent à la confection
des lois, mais la chambre des députés a l'initiative de la
proposition des impôts, de la fixation du chiffre de larraée
et de la marine, du recrutement , de la mise en accusation
des ministres et du choix de la dynastie, en cas d'extinction
de la famille impériale. Aucun acte des deux <-.hambres n'a
force de loi sans la sanction de l'empereur. Les chambres sont
convoquées chaque année; chaque session dure quatre moi.>>.
Le pouvoir judiciaire , aussi libre que les autres, est chargé
de l'application des lois. Le pouvoir modérateur consiste dans
le droit qu'a l'empereur de faire grâce, de convoquer \es.
chambres dans l'mtervalle des sessions et de sanctionner les
lois. Le pouvoir exécutif est entre les mains de l'empereur.
Les ministres sont responsables. La constitution garantit aux
citoyens la liberté indi^^duelle , la liberté religieuse, 1 in-
violabilité des propriétés , le libre exercice de l'industrie cl
BRÉSIL
la liberté coraplèto de la presse. La noblesse n^cst pas hé-
réditaire. Les revenus de l'empire, qui n'étaient en 1820 que
de 33 raillions de francs, se sont élevés en 1S50 ù plus de
140 millions, non compris les revenus provinciaux, qui ne
doivent pas atteindre moins de 12 à 15 millions de francs.
L'armée de terre, qui n'était en 1820 que de quinze mille
liommes, en compte aujourd'hui vingt-six mille, et la garde
nationale, près de quatre-vingt mille hommes, parfaitement
armés et équipés. Dans cette garde nationale est enrôlé tout
habitant libre de quinze à seize ans. Elle se divise en mo-
bile et sédentaire. Jean VI avait laissé au Brésil quatre bricks,
deux frégates et un vaisseau délabré ; l'empire possède au-
jourd'hui deux vaisseaux de ligne, 8 frégates et 92 bûtiments
de moindre grandeur.
L'histoire du Brésil remonte peut-être plus haut que celle
du Pérou et du Mexique. La découverte faite en 1845, dans
l'intérieur de ce pays, des ruines d'une ville magnifique,
fort ancienne, avec de superbes édifices et des inscriptions
d'une écriture inconnue, semblerait confirmer cette opinion,
généralement admise. Pour nous. Européens, cette histoire ne
commence cependant qu'au seizième siècle. Ce fut le ha-
sard seul qui, en 1500, y conduisit Pedro Alvarès Cabrai,
navigateur portugais ; mais on a tout lieu de croire que dès
l'année précédente l'espagnol Vincent Yanez Pinson avait
visité les environs de l'embouchure de l'Amazone, ou du
moins les côtes de l'île Maranjo. Toutefois , le Portugal se
borna d'abord à envoyer au Brésil des malfaiteurs, des juifs,
des femmes de mauvaise vie, et d'en rapporter du bois de
teinture et des perroquets. On y déporta plus tard des in-
dividus condamnés par l'inquisition, et ces malheureux
finirent par y cultiver avec tant de succès la canne à sucre ,
transplantée de l'île de Madère, que les produits de cette
culture devinrent bientôt un important objet d'exportation.
Ce ne fut qu'en 1531 que, convaincu enfin des avantages de
la conquête, le Portugal y dépécha connne gouverneur Thonié
de Sousa, qui fonda, en 1549, la ville de Bahia ou Sûo-Sal-
vador. Les jésuites s'efforcèrent de civiliser les naturels, et
le roi dom Jean III autorisa en outre la noblesse de son
royaume à y fonder des fiefs, mesure qui hâta singulière-
ment le défrichement du pays.
Au commencement du dix-septième siècle , la prospérité
de ce pays excita la convoitise de la France, de l'Espagne
et de la Hollande. Cette dernière puissance enleva une grande
partie de la colonie aux Portugais , malgré les efforts d'AI-
buquerque et d'autres chefs. Une révolution ayant renversé
Philippe IV du trône de Portugal pour y placer la famille de
Bragance, un arrangement eut lieu, d'après lequel les
Hollandais consentirent à céder aux Portugais les provinces
du Brésil qui n'étaient pas encore tombées en leur pouvoir.
Cependant, le gouvernement batave ayant, à force d'oppres-
sion, poussé à bout les colons portugais, ils coururent aux
armes, etachevèrent, en 1G54, la délivrancede leur patrieamé-
ricaine. L'importance du Brésil pour le Portugal allait tou-
jours en augmentant; en 1698 on y découvrait des mines
d'or et en 1730 des mines de diamants, et de celte époque
jusqu'en ISIO lacolonie ne rapporta pasà la métropole moins
de 14,280 quintaux d'or et de 2,000 livres pesant de dia-
mants.
Jusqu'en 1808 le Brésil avait été administré comme une
colonie portugaise. Jean VI, chassé par les Français de ses
États d'Europe , y ayant transporté sa résidence , un décret
du 16 décembre 1815 éleva ce pays au rang de royaume
allié du Portugal. Mais ce prince avait en le tort grave d'aug-
menter les impôts, de réclamer, comme droit régalien, la pro-
priété des mines d'or et de pierres précieuses découvertes
même dans des domaines parliculicrs, et de se montrer sans
cesse partial pour les Portugais, ses compatriotes, dans l'ad-
ministration de la justice. Les avantages que le séjour de la
cour avait procurés au Brésil, tels que la réforme de nom-
breux abus, l'établissement de la liberté du commerce, les
l-JCT. 1)F. LA CONVERS. — T. 111.
6S1
progrès de la colonisation et delà civilisation, n'avaie.<t'pu
apaiser un mécontentement qui jetait dans le pays des ra-
cines de plus en plus profondes. L'exemple des colonies
espagnoles ne fut pas perdu, et les idées d'émancipation se
répandirent avec la rapidité de l'éclair. Les troupes brésilien-
nes se trouvèrent en contact avec les insurgés de la Plata
quand Jean VI prit possession de Montevideo. Un soulève-
ment républicain qui éclata à Pernambuco, en avril 1817, fut
le prélude de la révolution. Les troupes révoltées deman-
dèrent qu'on appliquât au Brésil la constitution proclamée à
Lisbonne, en août 1820, et le prince royal dom Pedro, fils de
Jean VI , la jura en son nom et au nom de son père le 26
février 1821. La pénurie du trésor força le roi à suspendre
son embarquement pour Lisbonne qu'il avait ordonné. Le
sang coula dans plusieurs émeutes, et les 21 et 22 avril
Jean VI fit disperser par ses troupes les électeurs qui deman
daienî la Constitution espagnole.
Las d'un pays qu'il n'avait jamais aimé, le roi s'embarqua
le 26 avril pour le Portugal, en déclarant son fils dom Pedro
prince régent. Sourdes à leur intérêt, les cortès portugaises
repoussèrent de leur sein les députés du Brésil, et décidèrent
que ce pays continuerait à être administré comme une colo-
nie. Dom Pedro, qui préférait le Brésil au Portugal, et qui
avait la ferme volonté de préserver de l'anarchie la patrie
de son choix, refusa, le 9 janvier 1822, de retourner à Lis-
bonne, et força les troupes portugaises à s'embarquer pour
celte destination. Au mois de juin il convoqua une assem-
blée constituante, et le 18 décembre il prit le litre d'em-
pereur, qui lui avait été décerné le 12 octobre par la chambre
des députés. Dès le l""" aoCit l'indépendance du Brésil
avait été proclamée. Cependant les idées démocratiques se
propageaient de plus en plus sous l'influence des loges maçon-
niques. Les frères d' A n d ra d a , ministres de l'empereur, es-
sayèrent de jeter les bases d'un gouvernement stable en
fondant le parti républicain et le parti portugais en un seul.
Mais cette tâche était au-dessus de leurs forces , et l'em-
pereur se vit forcé de renoncer à leurs services le 1 1 juillet
1823. Cependant les troupes brésiliennes avaient occupé
Montevideo en décembre 1822, et Bahia en juillet 1823.
Tandis (jne dom Pedro travaillait à faire reconnaître le nou-
vel empire par les puissances étrangères, la restauration du
pouvoir absolu en Portugal par la révolution de mai 1823 ,
roinplissait les Brésiliens de méfiance pour les Portugais
établis parmi eux et qui occupaient des postes plus ou moins
importants dans l'administration et dans l'armée. Il en ré-
sulta des chocs violents entre les individus d'abord, puis
entre les partis, et enfin des luttes dans le congrès.
Le 10 novembre, des troubles sérieux éclatèrent à Rio-de-
Janeiro ; les nouveaux ministres durent donner leur démis-
sion, et l'empereur entoura de troupes son château de Saint-
Christophe, situé à peu de distance de la ville. Le 12 il lit
entrer ces troupes dans la capitale, cerna l'assemblée légis-
lative, et en força les membres à obéir au décret de dissolu-
tion qu'il venait de rendre. Au bout de quinze jours il con-
voquait un nouveau congrès, auquel il'soumettait, le 11 dé-
cembre, un projet de constitution très-démocratique, qui fut
voté et auquel on prêta serment le 9 janvier 1824. Cette
loi fondamentale conférait un pouvoir extraordinaire aux
députés , enlevait à l'empereur le veto absolu et abolissait
tous les privilèges. Cependant le parti républicain se souleva
à Pernambuco, qui fut soumis après un long siège, le 17 sep-
tembre 1824, par l'armée du général Lima et par la flotte
de lord Cochrane.
Après de longues conférences qui s'ouvrirent à Londres
et se continuèrent à Lisbonne, puis à Rio-de-Janeiro, un
accommodement fut enlin conclu, le 15 novembre 1825, entre
le Portugal et le Brésil. Jean VI reconnut l'indépendance du
nouvel empire et la souveraineté de dom Pedro. Une seule
question n'avait pas été résolue , celle de la succession au
trône de Poitug;'.! : elle se présenta à lu mort de Jean Yl,
GB2
BUESIL — BRESILLET
le 10 mars 182u. La constiliilion dcfoîidant à Tcmpereiir de
sortir du lîrésil sans la permission du congrès, dom Pedro,
par acte du 2 mai 1826, alidiqua la couronne de Portugal
en laveur de sa fille, dona Maria da Gloria, après avoir donné
à ce royaume une constitution libérale. Cependant l'intro-
nisation de la nouvelle reine éprouvant en Europe des
obstacles graves par suite de l'usurpation de dom Miguel , la
déclaration que fit l'empereur qu'il soutiendrait au besoin
par les armes les droits de sa lillc mécontenta les Brési-
liens, qui craignirent de Toir les ressources de leur pays
s'épuiser dans un intérêt dynastique. On se plaignait aussi
du nombre toujours croissant d'officiers étrangers. Le Brésil
venait de soutenir deux ans de guerre contre Buénos-Ayres;
le résultat de cette lutte fut rindépendancc de la Banda-
Oriental. Dom Pedro avait épousé en premières noces l'arclii-
ducliesse Léopoldine , belle-sœur de Napoléon ; devenu veuf,
il sollicita et obtint la main de la princesse Amélie de Leucli-
tenberg, fille de notre prince Eugène. La nouvelle impéra-
trice débarqua, avec son frère, à Rio-de-Janeiro le 17 oc-
tobre 1S29. Cette nouvelle union semblait promettre à dom
Pedro un règne long et fortuné ; il n'en fut pas ainsi.
Déjà le congrès de 1829 avait, à plusieurs reprises,
nianilcsté une si vive opposition, que l'emiiereur s'était vu
obligé de le dissoudre ie 3 septendire. A la tin de cette an-
née, il fit une concession à l'opinion i)ulj!ique en composant
son ministère presque exclusivement de Brésiliens; mais il
ne put regagner la confiance publique , et les attaques des
journaux continuèrent avec un redoublement de violence
jusqu'à l'ouverture de la session , le 3 mai 1830, où il pré-
senta, de guerre lasse, «ne loi restrictive de la liberté de la
presse. Un voyage qu'il fit à iMinas pour essayer de le-
conquérir l'opinion n'ayant pas répondu à son attente, il
rentra, le 15 mars 1831 , à Rio-de-Janeiro, au milieu d'une
indiflérence générale, (pii affligea profondément son cœur.
Le 6 avril éclata un soulèvement, à la suite duquel ce prince
si bienveillant et si énergique abdiqua, le 7, en faveurde son
fils; et le 13 il s'embarqua pour l'Europe avec l'impératrice et
le frère de cette princesse. Son rôle était fini en Amérique ;
un autre non moins brillant commençait jiour lui en Por-
tugal, où, après de brillants succès, après avoir foudroyé
l'usurpation et replacé sa fille, dona Maria, sur le trône de ses
ancêtres, il mourut enseveli dans sa gloire, ainsi que son beau-
frère, son compagnon d'armes, le duc de Leucbtenberg.
Quant au Brésil, il a continué, non sans quelques rudes
secousses, à marclier dans les voies de progrès et de liberté
que lui avait ouvertes le fondateur do son indépendance.
La minorité du jeune eiiipercur, dom Pedro II, a été une
époque difficile à traverser, heureusement le Brésil est
arrivé au but. Le congrès de ISS*! a, de sa propre autorité,
apporté une modification importante à la constitution en
accordant à chaque province un corps législatif à l'instar
des États-Unis et en lui abandonnant le maniement de ses
affaires inténeures, administratives, judiciaires, financières
et municipales. Cette modification liardie a sauvé l'unité de
l'empire et l'hérédité du trône. Elle a été généralement ac-
ceptée avec joie, quoiqu'elle soit devenue encore un prétexte
de troubles dans quelques provinces. En 1S3."> la chambre
des députés élut à une grande «najorité Diego Antonio Eeijo
régent de l'empire fédéralif, excluant la reine de Portugal
de la succession au trône , et , ' en cas de mort de dom
Pedro II , encore mineur, appelant à lui succéder sa sœur
dona Januaria. Sous la nouvelle régence les partis con-
tinuèrent à se montrer si violents , que l'eijo dut donner sa
démission en septembre 1837. Les députés élurent à sa
place l'ancien ministre de la guerre Pedro Araujo de Lima.
Celui-ci se maintint jusqu'au mois de juillet ls4o, où il
voulut dissoudre la chambre, (|uî s'en vengea en proclamant
dom Pedro II majeur à l'âge d(! quinze ans.
Depuis que ce jeune prince jouit de la plénitude de son
pouvoir coaslilutiounel , le p^ys a repris sans obstacles sa
marche ascendante et progressive ; et foui porte à penser t[uc
rien désormais ne poilrra l'en faire dévier. Le nouvel em-
pereur, bien que d'un naturel doux et bon, ne manque pas
d'une certaine énergie, et a déjà donné des preuves d'ime
intelligence supérieure. 11 faut reconnaître d'ailleurs que le
Brésil confond dans un môme amour ses institutions monar-
chiques libérales et son jeune souverain. Dom Pedro II a
épousé une princesse napolitaine, dona Theresa, dont il a
deux filles. Les voyages qu'il a laits en 1849 et 1830 dans
les provinces de l'enqiire ont été pour lui une suite d'ova-
tions. L'union de la princesse dona Francisca, sa sœur,
avec le prince de Join ville, fils de Louis-Philippe, a éga-
lement été vue de bon œil par la nation, malgré la belle dot
territoriale qu'on lui a libéralement donnée dans la province
de .Sainte-Catherine.
Depuis longues années une guerre opiniâtre entre Buenos
Ayres et Montevideo ensanglantait les rives <le la Plata ; et
tous les efforts de l'Angleterre et de la l'rauf e pour ar-
river à une pacification de ces contrées avaient échoué contre
des complications et des obstacles incroyables, lorstju'en-
fin, en 1851, un des généraux des Républiques-Unies eut
le coinage d'appeler les riverains à la délivrance. Toutefois,
cette initiative généreuse commençait à retomber languis-
sante, sans avoir produit de grands fruits, lorsque le Brésil,
qui dans ces guerres continuelles voyait souvent son ter-
ritoire violé par les parties belligérantes, prit en main la
c^use des opprimés, et, grâce à l'intelligence supérieure de
son général le baron de Caxias , grâce à l'intrépidité de ses
troupes, obtint par un vigoureux coup de collier ce qu'on
attendait vainement de longues années de négociations et
d'hostilités. Buénos-Ayres céda aux armes brésiliennes vic-
torieuses. Rosas, renversé du pouvoir, dut prendre la
route de l'Europe.
Les institutions libérales conservatrices semblent enfin
décidément enracinées au Brésil. Sa constitution est aujour-
d'hui l'une des plus anciennes parmi celles qui régissent
des nations libres. Les chambres se sont mises résolument à
l'œuvre, et leurs efforts commencent à être couronni's de
succès. Le jeune empire peut citer déjà avec orgueil des
hommes d'État distingués et des orateurs du premier ordre,
tels que MM. Carneiro-Leâo , Paulino , Olinda , Abranles ,
Limpo d'Abreu, Eusebio de Queiroz, Rodrigues Torres,
Paula Sousa, Alves Branco , "Vasconcellos , Pereira da Silva,
Ferraz, Pedro Chaves, Moura Magalhâens, Maciel Mon-
teiro, Kamiro, Victor d'Oliveira, Zaccarias et Marinho;
d'excellents administrateurs, tels que MM. Felisardo, Pe-
dreira, Jcronimo Coelho, Tosta, Boa-Vista, Gonsalves
Martins, Sousa-Ramos et Penna; enfin de remarquables
écrivains politiqiies, tels que MM. Josino, Aprigio, Firmino,
ïorres-HomemetRocha. Deux partis politiques sérieux sont
en présence : le parti conservateur et le parti libéral, tous
deux constitutionnels et ressemblant un peu aux partis
anglais tory et whig ; il existe, en outre, une minime fraction
républicaine, qui, au lieu de s'accroître, perd chaque jour
du terrain, et s'use surtout dans les émeutes qu'elle suscite
de temps à autre. En somme, le Brésil est au moment où
nous écrivons un pays d'un immense avenir, et qui par sa
politique et sa position exerce déjà une influence puissante
sur tous les autres États de l'Amérique méridionale.
Eug. Gakay de Monglavk.
lîRÉSIL ( Bois de ). Ce bois de teinture provient du
avsalpinia brasHiensis, grand arbre de la famille des pa-
pilionacées , qui croît dans l'Amérique méridionale. Ce bois
est dur, pesant, compacte, d'un rouge de brique sur une
franche récente de la scie, mais brunissant par le contact
de l'air , comme il en arrive à presque tous les bois colorés.
Il est susceptible d'un assez beau poli. Il nous arrive en
bûches taillées à la hache et dépouillées de leur aubier.
BUÉSILLET ( Bois de ). Ce bois de teinture provient de
même que le bois de Brésil d'une espèce du genre crsal-
BRESILLET — BRESLAU
pinia, qui croît principalement à la Guiane, et qu'on trouve
aussi, quoique en moindre abondance, dans les Antilles. Le
brésillet nous arrive recouvert d'un aubier blanchâtre; l'in-
térieur est rouge-brun , parsemé de veines trausversales
plus foncées. 11 fournit moins de couleur rouge à la teinture,
et d'une qualité moins belle que le bois de Brésil. Il nous
est apporté en bâtons de cinq centimètres environ de dia-
mètre, dépouillés de leur ecorce.
On donne le nom de brésillet (les Indes au bois de
sapan, qui provient du cœsalpiuin sapan. Cet arbre croît
aux Moluques , au Japon, au Urésil et dans les Antilles. Le
bois de sapan est dur, pesant, compacte, d'un grain fin,
prenant un beau poli. 11 est d'une couleur rouge beaucoup
plus pâle que celle du bois de Fernambouc. Il donne un
beau rouge sur laine et coton. 11 nous arrive en bûches dé-
pouillées de leur aubier.
BRESLAU (en langue slave Wratislmra), chef-Iicude
la Silésie prussienne ainsi que de la régence du mCme nom,
située au centre de celte province et com()rcnant la partie
septentrionale de la basse Silésie et le comté de Glatz , avec
une superficie de 13G niyriamètrcs carrés et une population
de 1,750,000 âmes. Seconde ville de la monarchie prussienne
eu égard au nombre des habitants , et considérée comme la
troisième capitale de la Prusse, Breslau est bâtie dans une
vaste et fertile plaine, à l'embouchure de l'Ohlau dans l'Oder,
qui la traverse en y formant plusieurs bras, et se comi)ose
de la Vieille et de la Nouvelle ville , et de cinq faubourgs eu
partie détruits lors du siège qu'elle soutint en 180G, mais
qui depuis ont été presque entièrement reconstruits d'après
un plan régulier. De nombreux ponts unissent entre elles les
différentes parties delà ville, qui compte aussi beaucoup de
places publiques, entre autres le Grand-Marché ou le Ring,
au milieu du(iuel s'élève l'hôtel de ville et où ou voit une
statue équestre en bronze de Frédéric le Grand ; le Salzriiig,
ou place Bluchcr, où se trouve la statue en bron/e que la
province de Silésie a fait élever au général r.luchcr; le
Marché-Neuf, où existe une fontaine jaillissante dite de
Neptune; la ji lace ïauenzien, ornce d'un monument en
marbre à la mémoire de Ïauenzien, qui défendit héroïque-
ment Breslau à l'époque de la guerre de Sept ans.
Parmi ses nombreuses églises, toutes surmontées de tours
fort élevées, onze appartiennent aux protestants et le reste
aux catlioli(pics. La plus remarquable parmi les premières
est celle de Sainte-Elisabeth, construite par la bourgeoisie
de 1253 à 1257, avec un clocher de 121 mètres d'élévation,
renfermant une cloche du poids de 220 quintaux et plusieurs
autres de moindre volume. On y admire aussi un orgue de
toute beauté ; et elle renfenne beaucoup de tombeaux, ainsi
qu'une bibliothèque riche en m^nuscriLs. Les plus belles
églises catholiques sont : la cathédrale , placée sous l'invo-
cation de saint Jean, monument dont on attribue la cons-
truction à l'évéque Wallher 1*'' (1148-1170), mais qui date
plus vraisemblablement du treizième siècle. Elle est ornée de
deux tours, que des incendies ont successivement dépouillées
deleur llèche, en lô-iO et en 1759, et d'un grand nombre
de chapelles, avec un maître autel en argent massif d'iui
travail remarciuablc et beaucoup d'autres productions de
l'art; l'église de la Croix, bâtie de 1288 à 1295; l'église
Notre-Dame (1330-1369); l'ancienne église des Jésuites et
l'église Sainte-Dorothée, l'édifice le plus élevé de toute la
ville. Il y a, en outre, à Breslau une grande synagogue et
seize autres de dimensions moindres.
La ville de Breslau contient encore d'autres édifices re-
marquables; nous citerons : l'hôtel de ville, monument du
quatorzième siècle, orné de belles sculptures, et surmonté
d'une haute tour dentelée , avec une belle horloge ; la bourse ;
le château royal; le collège des Jésuites, construit sous le
règne de l'empereur Léoi)old 1", et affecté aujourd'hui au
service de l'université ; l'hôlel de la régence ; le palais de
justice; le palais épiscopal ; l'hôpital de Tous les Saints; le
6S3
théâtre de la ville, terminé seulement en 1841 , et apparte-
nant à une société d'amis de l'art dramatique; le palais des
États provinciaux; l'Intendance et la Bibliothèque, etc., etc.
Toute la ville est éclairée au gaz, à l'exception des faubourgs
situés sur la rive gauche de l'Oder. Elle est le siège des
autorités supérieures, tant civiles que militaires, de la pro-
vince, d'un gouverneur général, d'un consistoire évangé-
lique, d'un prince-évèque et d'un chapitre catholique rele-
vant immédiatement du pape, d'un comptoir de la Banque
royale, etc. En y comprenant la garnison, sa popidalion est
de 100,800 habitants environ ; 65,000 professent la religion
protestante, 29,000 la religion catholique, et près de 6,000 ap-
partiennent à la religion juive.
On y trouve un grand nombre de fabriques, dont les plus
importantes sont celles de sucre, de tabac, d'huile, de
quincaillerie, d'orfèvrerie, de toiles peintes, de garance, de
draps, de cuirs, d'épingles, d'aiguilles, d'eau-de-vie, de
poteries, de chapeaux de paille, de cramons de mine de
plomb, de cire à cacheter et de toile. Il y existe également
de grandes brasseries et de grandes fabricpies de vinaigre, et
pendant longtemps la ville a possédé une fonderie de canons.
Le commerce des toiles, des draps, des liqueurs, et en gé-
néral des produits du sol, des mines et des forges, mais
surtout des laines, favorisé par de grands marchés et des
foires importantes, y est des plus actifs ; et la navigation sur
l'Oder , exploitée en grand par deux puissantes compagnies,
met la ville en conununication presque quotidienne avec
Hambourg. Trois chemins de fer contribuent à donner en-
core plus d'activité au mouvement commercial. L'un, celui
de la haute Silésie, conduit d'une part, par Oppein etKosel,
à Cracovie et à Varsovie, et de l'autre à Vienne. Le second,
celui de Breslau-Schweidnitz-Freybourg, conduit à Schweid-
nitz et à Freybourg; le troisième enlin, celui de la basse Si-
lésie et de la Marche , conduit d'une part , par Liegnitz et
Butizlau, à Berlin (avec embranchement sur Glogau), et de
l'autre à Dresde.
Eu fait d'établissements scientifiques existant à Breslau, il
faut mentionner en première ligne son université, fondée
en 1702, à rinstigation des Jésuites, par l'empereur Léo-
pold F'', comme faculté de théologie et de philosophie ca-
tholiques, et nommée d'abord Leopoldina, en l'honneur de
ce prince. Ce ne fut qu'en 1811 , et lorsqu'on lui eut adjoint
l'université de Francfort sur l'Oder, qu'elle devint une uni-
versité complète comptant quatre facultés, dont l'une, celle
de théologie, est divisée en faculté de théologie protestante
et en faculté de tl.éologie catholique. La dotation annuelle
de l'université fut alors portée à 320,000 francs , en même
temps qu'on en augmentait le personnel enseignant ; et bientôt
elle put rivaliser avec la nouvelle université de Berlin. A
l'université sont adjoints une bibliothèque de 300,000 vo-
lumes, un jardin botanique, des collections d'instruments de
physique et de chimie, de minéralogie, de zoologie et d'as-
tronomie , un observatoire, un amphithéâtre et un muséum
d'analomie, deux instituts cliniques et un musée archéolo-
gique. Dans ces dernières années, le nombre des étudiants a
varié entre six et sept cents. Breslau possède en outre quatre
bibliothèques publiques, diverses sociétés savantes, une so-
ciété biblique et une société des missions, une société philo-
matique, l'Académie Léopoldinedes naturalistes, une société
des Arts et Métiers, diverses collections d'archéologie et
d'objets d'arts, un cabinet de médailles, et les archives de la
Silésie.
]l est déjà fait mention vers l'an 1000 de Breslau , sous les
noms de Wracislawa ou Wortizlawa, comme d'une ville
importante. Après que le duc Wladislas eut été expulsé de
la Pologne par ses frères ( 1 148), la Silésie fut séparée de ce
royaume par l'intervention de l'empereur Frédéric 1*"^ (l 160),
et Breslau devint alors la capitale d'un duché indépendant.
En 1241, lors de l'invasiondes Mongols, elle fut brûlée par sa
propre garnison. A la mort du dernier duc, Henri VI (1335),
86.
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BRESLAU — BRESSE
qui ne laissa point de postérité, la ville et la principauté échu-
rent comme licf immédiat au roi Jean de Bohême, et par
conséquent à la maison de Luxembourg. Deux grands in-
cendies, arrivés en 1342 et 1344, détruisirent presque com-
plètement la ville, que l'empereur Charles IV fit ensuite re-
l)lltir d'après ses plans et qu'il agrandit considérablement du
côté de rohlau. Lui et ses successeurs lui accordèrent aussi
d'importants privilèges, do sorte que sa prospérité et son
importance s'accrurent rapidement. En 1418, sous le règne
de Wenceslas , la bourgeoisie se révolta contre le sénat ,
qui affectait des tendances aristocratiques, et beaucoup de
sang fut répandu à cette occasion. Plusieurs séJiatcurs, entre
autres, furent égorgés. En 1420 l'empereur Sigismond tira,
il est vrai , vengeance de ces excès en envoyant au supplice
vingt-trois des meneurs de l'insurrection; mais il décida en
même temps qu'à l'avenir quatre membres désignés par les
différentes corporations de la bourgeoisie feraient partie du
sénat.
Dans la guerre des Hussites , Breslau se déclara contre ces
sectaires, puis contre Georges Podiebrad, lorsque celui-ci
fut proclamé roi de Bohême ; cependant il réussit à se rendre
maitre de la ville. Plus tard , elle embrassa le parti de Ma-
Ihias Corvin de Hongrie, à l'effet d'obtenir de lui aide et
protection contre Georges.' Son ministre Stein entra en Silésie
et en Lusace avec le titre formel de gouverneur; et il établit
en qualité de capitaine de la principauté de Breslau et de
président du sénat un homme entièrement à sa dévotion ,
Henri Dompnig, qui détruisit les institutions municipales et
éduisit presque à néant l'autorité du sénat. Mais celui-ci,
jjuand le roi Mathias vint à mourir, réussit à ressaisir son
ancien pouvoir, et résolutalors de se venger des gouverneurs
qui lui avaient été imposés. Stein fut assez heureux pour
6'échapper; mais Dompnig fut pendu.
Lorsque le roi Louis H de Hongrie eut péri à la bataille de
Mohacs, Breslau et la Hongrie passèrent, en 1527, sous l'au-
torité de Ferdinand d'Autriche, beau-frère du roi défunt.
iQuelques années auparavant, la grande majorité des habi-
iHfltsavaient embrassé le protestantisme; mais l'évêque, le
chapitre, les couvents et les monastères demeurèrent fidèles
à la foi catholique.
Pendant la guerre de la succession d'Autriche, Breslau, à
la suite d'une surprise, tomba, le 10 août 1741, au pouvoir
du roi de Prusse, Fiédéric II, qui lui accorda divers droits et
privilèges. C'est aussi dans cette ville que lut signée, le 4
juin 1742, entre la Prusse et l'Autriche, la paix qui assura à
la Prusse la possession définitive de la Silésie. A l'époque
de la guerre de sept ans, les Autrichiens commandés par le
prince Charles de Lorraine y battirent, le 22 novembre 1757,
les Prussiens, inférieurs en nombre, coDamandés par le duc
Brnnsvsick-Bevern, qui fut fait prisonnier. Mais à la suite de
la victoire qu'il remporta à Leuthen, le 5 décembre 1757, Fré-
déric Il reprit bientôt possession de Breslau, où 21,000 Au-
trichiens durent mettre bas les armes devant lui. En 17C0
Laudon tenta de s'emparer de Breslau par un coup de main
et un bombardement ; mais Tauenzien s'y défeodit si brave-
ment, que l'ennemi dut lever le siège.
A l'époque de la guerre soutenue contre la France par la
Prusse et la Russie, Breslau fut assiégée, du 7 décembre 1806
au 7 janvier 1807, par un corps d'armée aux ordres du gé-
néral Vandaname et composé en grande partie de Bavarois et
de Wurtembergeois. Le commandant de la place, Thiele, fit
alors incendier les faubourgs; mais après avoir soutenu le
feu de l'ennemi pendant plusieurs semaines, força lui fut de
rendre la ville aux Français , qui en rasèrent les fortificalions
et comblèient les fossés. Plus tard on les a transiormés en
promenades magnifiques.
C'est de Breslau que, le 17 mars 1813, le roi Frédéric-Guil-
laume III lança sa fameuse proclamation A mon peuple,
qui avait pour but de soule>'er les populations prussiennes
i»ntre la lyjanniqiie dominat'on de Napoléon. Au mois de
juin suivant les Français occupèrent bien encore une lois
Breslau ; mais aux termes de l'armistice qui ne tarda pas à
être conclu alors ils durent l'évacuer. Le rétablissement de
la paix générale eut pour résultat le rapide développement
de la prospérité de la ville de Breslau , devenue aujourd'hui
la cité commerciale la plus riche et la plus importante de la
monarchie prussienne après Berlin.
il serait assez difficile d'indiquer l'époque précise de la fon-
dation de rèvéclié de Breslau; ce qu'il y a de certain, c'est
qu'il existait déjà en l'an 1000. Jaroslas, fils du duc Bo-
leslas r*", qui en fut titulaire de 1198 h 1201, y adjoignit la
principauté de Ncisse, et l'empereur Charles IV divers villes
et châteaux, tels que Grottkau ; en vertu de quoi, les évoques
de Breslau prenaient le titre de Princes de Aeisse et de ducs
de Grottkau. L'évêché était aussi surnommé proverbialement
VévCchc d'or, à cause de l'importance de ses revenus. Les
troubles provoqués par les Hussites le firent singulièrement
décheoir. En 174? l'évêque de Breslau devint sujet du roi
de Prusse, attendu qu'une très-petite partie de son diocèse
demeura alors sous la domination autrichienne. En 1811,
sous l'administration épiscopale du prince Joseph de Hohen-
lohe Bartenstein , on enleva à l'évêché toute espèce de droits
temporels et de juridiction seigneuriale.
A peu de distance de Breslau on trouve le village de Krie-
belowitz, où Blucher mourut, le 12 septembre 1819,et où
il est enterré sous trois tilleuls. Un magnifique monument en
granit s'élève aujourd'hui sur sa tombe.
BRESSE. Cette province tire son nom d'une grande
forêt qui s'étendait au neuvième siècle depuis le Rhône jus-
qu'à Châlons, et qu'on nommait Brixius saltus. Au mo-
ment de la conquête des Gaules par les Romains , ce pays
était habité par les Ségusiens ou Sébusiens, originaires du
Forez, que les Éduens avaient subjugués. L'étendue de la
Bresse était de soixante-quatre kilomètres en tout sens, et
ses limites : au nord , le duché de Bourgogne et la Franche-
Comté; au sud, le Rhône, qui la séparait du Dauphiné; à
l'est, le Bugey; à l'ouest, le Lyonnais et la Saône, qui la
séparait du Lyonnais. On divisait la Bresse en haute ou
pays de Revcrinont, et en basse, située à l'ouest de la
haute. Au cinquième siècle elle fut conquise par les Bour-
guignons, et passa, avec leur royaume, sous la domination
des fds de Clovis. Elle fit partie du second royaume de
Bourgogne, qui se forma vers la fin du neuvième siècle.
Lorsque les souverains de ce dernier État furent parvenus à
l'empire, plusieurs seigneurs de la Bresse, profitant de leur
éloignement , se partagèrent cette province sous le règne de
l'empereur d'Allemagne Henri 111. Les principaux furent les
sires de Baugé , de Coligni, de ïhoire , et de Villars.
Les sires de Baugé ou de Bagé furent les véritables sei-
gneurs de la Bresse , et y exercèrent des droits de souve-
raineté. Leur État tirait son nom de la capitale, et renfer-
mait, outre cette ville, celles de Bourg, de Châtillon, de
Saint-Trivier, de Pont-de-VesIe, de Cuiseri, de Mirbel, et
tout le pays qu'on appela depuis la basse Bresse, ainsi que
le pays de Dombes, depuis Cuiseri et Baugé jusqu'à Lyon.
Les premiers sires de Bresse sont inconnus jusqu'à Rodolphe
ou Raoul, dont on ignore l'origine. Viennent ensuite Re-
KALD, JoscEKAND OU GAUSCEnAKD, SOU Ijls aîné , ct Ulkic
ou Odalbic, fils de Joscerand, qui régnait en 1 107. Des actes
qui nous restent de lui prouvent que la Bresse reconnaissait
alors le roi de France pour suzerain. En 1120 Ulric partit
pour la Terre Sainte, et avant son départ répandit des lar-
gesses parmi les moines. A son retour, il alla se faire ermite
dans la forèl de Brou, près de Bourg, où il finit ses jours
dans les exercices de la pénitence et la pratique de la règle
de saint Benoit.
RtcNAUO 11 , son fils, qui lui succéda, eut, comme ses an-i
cotres, de.s querelles avec l'évêque de Màcon; son fils, Re-
naud m, ne jouit pas plus paisiblement de l'héritage de son
père ; Girard, comte de Miîco», et son frère Etienne se '
BRESSE — BREST
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guèrent contre lui avec Humbert, sire Je Beaiijeii, et l'ar-
clievêque de Lyon , ramassèrent plusieurs bandes de Bra-
bançons et dévastèrent la Bresse. Ulric, fils de Renaud, fut
fait prisonnier par eux. Alors le sire de Baugé eut recours
au roi de France, Louis le Jeune, qui écrivit au sire de
Beaujeu pour lui enjoindre de mettre Ulric en liberté. Uliiic 11
n'est connu que par ses libéralités envers les églises; Re-
naud IV fut un des bienfaiteurs de la Chartreuse de Mont-
merle. En 1239 il alla combattre en Palestine, d'où il était
de retour en 1247. Après une guerre avec l'abbaye de Tour
nus, à laquelle il accorda de lui-môme des indemnités, il (it
un second voyage à la Terre Sainte (1249), où il mourut.
Gui, fils aîné de Renaud IV, n'était pas encore majeur
lorsqu'il lui succéda. Philippe de Savoie , archevêque de
Lyon , son parent, lui donna un curateur, qui autorisa , en
1251 , la charte d'affranchissement qu'il accorda aux habi-
tants de Baugé, de Bourg et de Pont-de-Vesle. En 1255, se
voyant infirme, il fit son testament, par lequel il institua
pour son héritier l'enfant qui naîtrait de sa femme alors en-
ceinte. Elle accoucha d'une fille, nommée Sybille, qui re-
cueillit la succession de son père, mort en 1268.
Sybille porta ces biens dans la maison de Savoie par son
mariage avec Araédée, prince de Piémont, qui devint
comte de Savoie en 12S5. C'est ainsi que la basse Bresse fut
réunie au comté de Savoie. Des acquisitions successives
furent faites par les comtes de Savoie, qui en 1402 se
virent maîtres de toute la Bresse. Ce fut seulement en IfiOt
que, par uni trait»'' conclu à Lyon entre Henri IV et Charles
Emmanuel, duc de Savoie , la Bresse fut rendue à la France,
avec le B u g e y et la baronnie de G e x , en échange du mar-
quisat de Saluce. Depuis , elle fut enclavée dans le gouver-
nement militaire de Bourgogne, et fait maintenant partie du
département de l'Ain. Foye; Cualonnais.
BRESSOIV (Charles comte), diplomate français, né
à Paris en 1798, fut dès son enfance destiné à la carrière
diplomatique par son père, chef de division au ministère
des affaires étrangères sous Napoléon. Sous la Restauration,
riyde de Neuville le chargea d'une mission auprès de la
république de la Colombie. Après la révolution de Juillet,
il fut envoyé en Suisse en qualité d'ambassadeur extraor-
dinaire pour notifier à la diète l'avènement au trône de
Louis-Philippe, et, à son retour, il fut nommé premier se-
crétaire de légation à Londres. A la fin de 1830, il fut
chargé, avec le secrétaire de légation Cartwright, de commu-
niquer au gouvernement provisoire de la Belgique les ré-
solutions de la Conférence de Londres , et dans cette cir-
constance il déploya beaucoup d'habileté pour faire accepter
aux différents partis les décisions de la diplomatie euro-
péenne. Le gouvernement français eut recours encore à ses
talents en diverses circonstances, notamment lorsque le
trône de Belgique fut offert au duc de Nemours et à l'époque
du mariage de la princesse Louise d'Orléans avec Léopold.
Au commencement de 1833 il fut élevé au rang d'envoyé
de première classe et nommé chargé d'affaires à Berlin , où
en véritable élève de Talleyrand , il mit beaucoup d'adresse,
dans des circonstances fort difficiles, à rétablir les relations
amicales qui avaient existé entre les deux puissances , et
surtout à empêcher une alliance trop étroite entre la Prusse
et la Russie. Louis-Philippe lui en témoigna sa reconnaissance
en l'appelant, le 12 novembre 1834, au ministère des affaires
«'■trangères ; mais Bresson ne voulut point accepter le pot te-
feuille qui lui était offert. Le voyage des princes français à
Berlin, dans l'année 1836, doit être regardé comme le pre-
uiier résultat du rétablissement de la bonne harmonie entre
la Prusse et la France. L'année suivante eut lieu le mariage
du duc d'Orléans avec une princesse alliée à la maison de
Brandebourg. A cette occasion Bresson fut créé comte et
pair de France. Défenseur zélé de la politique du gouverne-
ment , il appuya avec chaleur, en 1841, le projet des forti-
fications de Paris. Quelques années apiès , il fut envoyé en
ambassade à Madrid, et il eut une grande part à la conclu-
sion des fameux mariages espagnols, le 28 août 1846. Rap-
pelé la même année, il obtint, dans l'été de 1847, après un
court séjour à Londres, l'ambassade de Naples; mais à peine
arrivé il se coupa la gorge avec un rasoir, le 2 novembre
1847. Son fils avait été créé par la reine d'Espagne grand de
première classe, avec le titre de duc de Sainte-Isabelle , à
l'occasion des mariages espagnols.
liRESSUIRE, autrefois Bersuria , depuis Bersiiire,
et enfin Bressuire, ville de l'ancien bas Poitou , aujourd'hui
chef-lieu d'arrondissement dans le département des Deux-
Sèvres, serait , d'après quelques écrivains , l'antique Segora,
mentionnée dans l'Itinéraire d'Antonin. Elle est située à
55 kilomètres nord de Niort, sur le Dolo, et sa population
est de 2,440 âmes. On y fabrique des lainages, des coton-
nades , des mouchoirs façon ClioUet , et il s'y fait un grand
commerce de bestiaux et de grains.
En 1371, époque où les Anglais en étaient maîtres, cette
ville était considérable , par le nombre et la richesse de ses
habitants , par la bonté de ses fortifications et surtout par
son château. Elle avait un gouverneur, une garnison, et
Du Guesclin fut obligé d'en faire le siège. U la prit d'assaut,
et en passa la garnison au fil de l'épée ; le château capitula ,
la ville fut pillée par la soldatesque victorieuse, qui y fit
un riche butin. Avant la révolution de 1789, les guerres de
religion et plusieurs autres causes avaient déjà réduit Bres-
suire à un état complet de décadence. Son enceinte ne servait
plus qu'à assurer la perception de l'octroi.
Tel était l'état de cette ville, lorsqu'elle se vit assiégée, en
août 1792, par plus de dix mille Vendéens. Elle n'avait pour
la défendre que quelques compagnies de grenadiers et do
chasseurs; mais Chollet, Parlhenay, Angers, Nantes, Tours,
La Rochelle, Rochefort, Saumur, Poitiers, etc., envoyèrent à
son secours de nombreux détachements de gardes natio-
naux. Les deux partis en vinrent aux mains au pied de
l'enceinte. Le combat ne fut pas long : les Vendéens, mal
armés , pressés de toutes parts , furent entamés , mis en dé-
route, et se sauvèrent dans le plus grand désordre, laissant six
cents hommes sur le carreau. Chaque armée prit plus tard
sa revanche; mais la guerre civile n'en consomma pas
moins la ruine de Bressuire, qui fut un jour entièrement
réduite en cendres, à l'exception de l'Église et d'une seule
maison. Le temps a complètement effacé les traces de ces
calamités, mais il n'a pas rendu à la ville son ancienne im-
portance.
BREST, place forte de l" classe, port militaire le plus
important de la France, à 545 kilomètres ouest de Paris, à
l'extrémité occidentale de la Bretagne, dans une position ([ui
semble l'appeler à la domination de l'Océan, est située
presque au fond d'une rade immense, qui s'étend à plus
de 16 kilomètres de profondeur dans les terres, et dont
la plus grande largeur est d'environ l o kilomètres. L'entrée,
qui en est assez étroite, est défendue sur les deux rives par
de nombreuses batteries. Le port proprement dit peut con-
tenir seize vaisseaux de ligne et plus de cinquante autres bâ-
timents de guerre toujours à Ilot. La rade pourrait abriter
toutes les flottes de l'Europe.
Brest , situé à l'embouchure de la rivière de Penfel qui le
traverse, est une des plus grandes préfectures maritimes de
la France ; il y a un très-bel arsenal et de vastes magasins
de tous les objets nécessaires au service de la marine. Sa
population est de 35,163 âmes. Malgré son importance et
sa population , Brest n'est pas cependant le chef-lieu du
département du Finistère. Il n'a qu'une sous-préfecture et
un tribunal de première instance ; mais les autorités de
terre et de mer y résident. Les établissements de la marine
militaire envahissant la presque totalité du port, le com-
merce de Brest est loin d'être aussi important qu'il pourrait
le devenir.
Brest est le chef-lieu du il' arrondissement marilime ,
686-
BREST — BRET
(le la 3" subdivision de la IG* division militaire, d'une
direction d'artillerie de marine, d'une direction d'artillerie
de ligne, d'une direction de douanes. Klle possède un tri-
bunal maritime, un tribunal de commerce, ime bourse,
une école de médecine , chirurgie et i)liarmacie de la ma-
rine, une école navale à bord d'un bitiment en rade, un
collège communal, une école nationale dhjdrograpiiie, une
école de maistrance pour les ouvriers du port, deux biblio-
thèques, dont une contient 20,000 volumes, un jardin bota-
nique, un observatoire de la marine, un entrepôt réel , un
mont de-piété , un bagne sur le point d'être fermé, d'im-
portants chantiers et arsenaux de construction pour la ma-
rine militaire et marchande , quelques fabriques de toiles
vernies , chapeaux , chapeaux cirés , toiles , bonneterie, et
plusieurs tanneries. Le commerce y a presque exclusi-
vement pour but les a^iprovisionncments de la ville et du
port, et consiste en vins, eaux-de-vie, sardines, denrées co-
loniales, bois du Nord, houille, chanvre, fers, huiles , arme-
ments pour la pêche de la morue. On y remarque l'église
Saint-Louis, l'hôtel de ville, la salle de spectacle, le quar-
tier neuf, la courd'Ajot, les places d'Armes, de Rome, de
Bourbon. Mais il y a aussi , surtout dans le quartier de
Recouvrance , des rues tortueuses, sombres et escarpées.
La situation de Brest et la beauté de la rade indiquent que
ce lieu a dû être habité depuis longtemps. En effet , Pto-
Jémée place chez les Osismiens un lieu appelé Brivates ou
Drivâtes portus. Or les Osismiens habitaient l'extrémité de
la Bretagne , le Finistère ; aussi les géographes et les com-
mentateurs s'accordent-ils à reconnaître Brest dans le Bri-
vates portus des anciens. Ce seul témoignage ne suffirait sans
doute pas, attendu que Ptolémée place le Brivates portus
entre Vannes et l'embouchure de la Loire, ce qui, au reste,
ne doit pas étonner, car il est facile de voir que les posi-
tions géographiques qu'il indique dans son ouvrage n'ont
aucune exactitude. Mais un autre témoignage vient se
joindre au sien : on trouve dans la table théodosienne ou
carte de Peutinger l'indication d'une voie romaine qui ,
partant de Poitiers (Lemunum), et passant par \e portus
IS'amnctum (Nantes), par Vannes (Dariorigum) et par
Vorganium, aboutit à un lieu maritime appelé Gesocribates,
qui est situé au-dessous d'im long promontoire qui repré-
sente le Finistère. Il est évident qu'il faut lire ici Gesobri-
vates, ainsi que l'ont fait les commentateurs, et que ce nom
est un de ceux (en grand nombre dans cette carte) que les
copistes ont mutilés. Le nom de Gcso-Brivaies est parfai-
tement approprié à la rade de Brest. En gallique ou gaulois,
on pourrait le lire Gcis-Briogach ou Briovach, qui signifie
la grande rade.
Avant et pendant la domination des Romains dans les
Gaules , il ne paraît pas que Brest ait été au nombre des
villes de quelque importance. Aucun des anciens monu-
ments historiques ou géographiques qui nous restent, ex-
cepté les deux que nous avons cités, n'en fait mention. Il
y a même lieu de croire qu'elle n'a point participé au com-
merce que les Phéniciens faisaient dans le Nord. Leur en-
trepôt pour la Gaule septentrionale nous est indiqué par
Pythéas sous le nom de Corbilo, et placé à l'embouchure de
la Loire, c'est-à-dire dans les environs de Nantes. C'était, en
effet, le point le plus favorable pourcommuniquer avec l'inté-
rieur des Gaules. Peut-être les îles Cassitéridcs , que les
anciens plaçaient au nord de l'Espagne, étaient-elles les lies
d'Ouessant, Molène, Frielen, Quemenec, etc., situées sur
la côte du Finistère, et dont les habitants allaient chercher
l'étain chez les Bretons pour le porter à Corbilo; mais ce
conmiercc n'a pu avoir aucime influence sur le port de Brest,
privé alors de communications faciles avec l'intérieur.
Brest n'était encore qu'un bourg au dixième siècle. For-
tifié en 10G5 par le duc de Bretagne Conan Mériadec, qui
y fit construire un château très-fort , il devint une place de
guerre cousidérahle dans les siècles suivants. Ce n'est ce-
pendant qu'au quatorzième siècle que l'histoire commence
ci en faire sérieusement mention. En 1341 Jean de Mont-
fort, qui disputait cà Charles de Blois l'héritage du duc de
Bretagne Jean 111, i)révint son rival en s'eraparant de Ren-
nes, de Vatmes et du château de Brest. Dans la guerre que
fit le roi de France Charles V, au duc Jean IV , Dugues-
clin assiégea, en 1373, la ville de Brest, défendue par l'An-
glais Robert Knolle. La vigoureuse résistance des habitants
et de la garnison obligea Dugiiesclin à convertir le siège en
blocus ; bientôt les chances de la guerre l'obligèrent à se
retirer pour se porter ^r d'autres points oii les armes de la
France éprouvaient des désavantages. Les Anglais, que le
duc Jean de Montfort avait appelés à son secours, et qu'il
avait été obligé de faire entrer dans Brest pour défendre la
place, convoitaient déjà-alors la possession de ce point im-
portant, et cherchaient à en rester les maîtres. En 1378 le
duc Jean IV ne put acheter la protection des Anglais qu'en
consentant à ce qu'ils gardassent la ville de Brest jusqu'à la
paix, et leur en assurant le domaine absolu s'il mourait
sans postérité. Les Anglais se refusèrent , en effet , à la res-
tituer après la paix conclue dans l'année 1381 entre la
France et la Bretagne , et ne consentirent à s'en dessaisir
qu'en 1393 , pour la somme de 120,000 francs d'or.
Dans la guerre maritime qui s'alluma, en 1512, entre la
France et l'Angleterre , la duchesse Anne de Bretagne fit
équiper dans le port de Brest une flotte dont le principal
vaisseau, appelé La Cordelière, portait, dit-on , cent ca-
nons et douze cents hommes. L'amiral Primauqûet, Breton,
qui le montait , battit avec une vingtaine de vaisseaux la
flotte anglaise, qui comptait cependant plus de quarante
voiles. Pendant le combat le feu prit à La Cordelière; Pri-
mauqûet, désespérant de la sauver, accrocha l'amiral ennemi
et les deux vaisseaux sautèrent ensemble.
Pendant la guerre de la Ligue , Brest resta fidèle au parti
royaliste, et résista aux elïorts du duc de Mercœur, dont le
projet était de conquérir la Bretagne pour son propre compte.
Après la mort de Henri 111 , les ligueurs de la Bretagne
appelèrent les Espafnols à leurs secours , et leur livrèrent
Hennebond. Henri IV se vit obligé, de son côté , de recourir
à l'alliance des Anglais. Ces derniers envoyèrent cinq à six
mille hommes en Bretagne; mais, fidèles à leur système
d'envahissement, ils demandèrent la place de Brest en
nantissement. Henri IV eut le bonheur d'échapper à cette
exigeance en gagnant du temps. En 1597 , à la sollicitation
du duc de Mercœur, les Espagnols dirigèrent une Hotte de
cent vingt voiles sur Brest pour y faire im débarquement.
Le gouverneur, averti de l'approche de cet armement,
réunit ce qu'il put de troupes et d'habitants sur la plage
du Conquêt pour s'opposer au débarquement. Le 1*^' no-
vembre la flotte était en vue, et on s'attendait le lendemain
à la voir arriver à la côte ; mais la imit suivante une tem-
pête affreuse la dispersa, et détiaiisit un grand nombre de ses
bâtiments.
En 1094 la flotte combinée d'Angleterre et de Hollande
débarqua dans le voisinage de Brest une troupe qui espé-
rait enlever cette place d'un coup de main. Les habitants,
accourus sur le rivage , l'empêchèrent de s'avancer et l'envi-
ronnèrent. Alors, une tempête ayant forcé les vaisseaux à
s'éloigner, les troupes débarquées, privées de leur pro-
tection , furent attaquées et presque toutes passées au fil de
l'épée. Les armateurs de Brest et de Saint-Malo se ven-
gèrent des Anglais en détruisant les établissements de la
Gambie et de Terre-Neuve.
L'importance du port militaire de Brestnedateque de 1631,
époqueoù le cardinal de Richelieu fit commencer les fortifi-
cations et les travaux qui ont été achevés sous Louis XJV
et sous Napoléon. G^' G. ne Vaiponcourt.
liRET ( Antoine ), auteur dramatique et fils d'un célèbre
avocat, naquit à Dijon, en 1717, quitta le barreau pour les
lettres, et vint se fixer à Paris, oii il moiiiut le 23 février 1792.
à
BRET — BRETAGNE
687
C'était lin homme d'esprit, qui s'était fait beaucoup d'amis
par son humeur agréable et par son caractère doux et bien-
veillant. On a de lui : 1° des romans qui se perdent dans la
foule de ceux. qu'on a publiés depuis; 2° des Mémoires sur
la vie de Aino7i de Lenclos{{'bl); 3° des Essais de Contes
Moraux et dramatiques (17C5); 4° des Poésies diverses
(1772, 3 volumes); 5" son Thmtrc ( Paris, 1778, 2 vol. ),
contenant plusieurs comédies, dont neuf ont été jouées au
Théâtre-Français, où les deux premières surtout eurent beau-
coup de succès : V École Amoureuse , en 1 acte et en veis
(1745); la Double Extravagance, en 3 actes, en vers
(1750); le Jaloux, idem (1735); l'Humeur à Pcpreuve,
en 1 acte, en prose, jouée en 17G7, et en 2 actes, sous
le titre les Deux Sœurs, et remise sous son premier litre,
en 1790, au tliéAtre du Palais-Royal; l'Orpheline, ou le
faux généreux, en 3 actes, en vers (1753); la Maison, ou
l'Épreuve Indiscrète, en 2 actes, en vers (1764) ; le Pro-
tecteur bourgeois, ou la Confiance trahie, en 5 actes, en
vers (1763); les Lettres anonymes, en 4 actes, en vers;
les Deux Julies, ou le Père crédule , comédie-farce en
3 actes, en vers ; 6° sept pièces que l'auteur n'a point fait
entrer dans cette édition, et dont deux opéras comiques :
le Déguisement pastoral (1744) ; le Parnasse moderne
(1754); une comédie, le Quartier d'Hiver, jouée à Lyon
en 1744; deux, tombées, au Théâtre -Français en 1747 et
17C5 : le Concert , qui, suivant Sainte-Foix, n'était pas le
Concert spirituel; et le Mariage par dépit; enfin, deux
représentées au Théâtre-Italien en 1758 et 17G1 : rÈntcte-
vient, pièce relative à la guerre musicale deslullistes et des
ramisles ; les Deux Amis, ou le Vieux Coquet ; 1° l'Hôtel-
lerie, drame en 5 actes, en vers (1785), plusieurs fables,
contes et autres poésies dans YAlmanach des Muses, etc.
Quoique les ou\Tages dramatiques de Dret soient écrits
avec facilité , avec beaucoup d'entente de la scène , le style
en est parfois trop naturel, et l'esprit y supplée trop souvent
à la verve. Depuis 1774, l'ouvrage qui contribua le plus à
sa réputation, par sa critique modérée, pleine de justesse et
de goût, fut le Commentaire qu'il joignit à deux éditions
qu'il publia du Théâtre de Molière, en 1773 et 17SS,
C volumes, et qui a été reproduit avec des suppléments dans
celles qu'ont données Auger en Isis, et M. Taschereau
en 1823. H. AODIFFltET.
BRETAGXE, Britannia, étaitle nom que portait dans
la géographie ancienne l'île iormée par l'Angleterre et l'E-
cosse réunies. Ce nom, qui aurait dû plutôt être écrit Brit-
tania, vient des deux mots gaulois brith et tain, et signi-
fie pays des Drilles ou Bretons. L'île de Bretagne et sa
voisine, l'Irlande, ont été visitées par les Phéniciens, qui al-
laient y chercher l'étain, et qui péchaient sur leurs côtes
ime espèce de thon, qu'ils salaient et apportaient en Grèce.
Leur entrepôt pour le commerce de l'ambre et pour celui
qu'ils faisaient à Thulé était la pointe orientale de l'Angle-
terre ou la province de Kent, appelée déjà Kantium. Il est
fait mention de la Bretagne dans les fragments qui nous
restent du voyageur Pythéas, antérieur au siècle d'A-
lexandre.
Dans l'ancienne géographie, non-seulement l'Angleterre
et l'Irlande, mais encore toutes les petites îles qui les en-
tourent, portaient le nom à'iles britanniques. Elles étaient
originairement habitées par des Gaulois, qui furent succes-
sivement refoulés vers TÉcosse et l'Irlande. D'abord les
Cimbres ou Kymres, connus sous le nom de Belges, après
avoir envahi la partie septentrionale de la Gaule, passeront
également en Bretagne, où ils occupèrent la partie méridio-
nale de l'île. Plus tard, les Saxons et les Danois refoulèrent
les Belges ou Kymres dans le pays de Galles et la province
de Cornouailles, et les Bretons Gaulois au delà du retran-
chement d'Adrien.
La quatrième année de la guerre des Gaules César fit
une expédition en Bretagne; il y retourna l'annre suivante,
mais ce ne furent que des reconnaissances sans résultat.
Les Bretons achetèrent la paix , et restèrent indépendants.
Deux fois l'empereur Auguste voulut faire la- guerre aux
Bretons. Il en fut détourné la première fois par les supph-
cations des ambassadeurs que ces peuples lui envoyèrent-
la seconde fois, par les hostilités des Salasses et des Can-
tabres. Lorsque Caligula se rendit dans les Gaules pour
rançonner ce pays, il s'avança jusqu'à Boulogne, menaçant
d'envahir la Bretagne ; mais cette bravade n'eut aucune suite.
Enfin, l'an 43 de l'ère chrétienne, l'empereur Claude passa
lui-même, à la lète d'une armée, dans l'île, qui se soumit
presque sans défense. Toutefois cette soumission ne fut pas
de longue durée : à peine Claude eut-il quitté la Bretagne,
que Plaulius, qu'il avait laissé pour la gouverner, eut à lutter
contre des révoltes partielles. Yespasien, qui lui succéda,
acquit dans ce pays une grande réputation militaire , mais
sans pouvoir en dompter les habitants. La guerre continua
sous ses successeurs. Enfin C. Julius Agricola fut nommé par
Vespasien gouvernenr de la Bretiigne , et ce guerrier, dont
Tacite, son gendre, a immortalisé la mémoire, après avoir
soumis les Silures, les Ordovices et les Brigantes, porta la
guerre chez les Pietés et les Calédoniens, habitants de l'E-
cosse, et les força à reconnaître la domination des Romains.
Agricola profita de sa victoire pour faire faire le tour de la
Bretagne à sa flotte, qui soumit en passant les Orcades. Son
départ, déterminé par la jalousie de Domitien , fit perdre à
Rome le fruit de ses victoires sur les Pietés et les Calédoniens.
Environ trente ans plus tard (en 120 ), l'empereur Adrien
vint visiter la Bretagne, où il s'appliqua à corriger les abus
qui s'étaient introduits dans le gouvernement du pays, et se
préoccupa surtout de s'assurer la possession tranquille de la
partie méridionale. A cet effet, il y construisit une muraille
qui s'étendait, dans un développement de 80 milles romains
( 104 kilomètres), depuis l'embouchure de la Tyne, près de
Newcastle, jusqu'à Vltium œstuarium ( Galway-Firlh ), en
face d'Annan. Ses ruines sont encore appelées le rempart
des Picif5 ( Picts-Wall). LoUius Urbicus, gouverneur de
la Bretagne sous le règne d'Antonin le Pieux , ayant rem-
porté de grands avantages sur les Calédoniens, étendit les
f.-ontières de l'empire de ce côté, et fit construire un nou-
veau retranchement entre la rivière d'Esk et l'embouchure
de laïweede (1G2). La province romaine de Bretagne resta
tranquille pendant les dernières années du règne d'Antonin
et sous celui de iMarc-Aurèle. Mais dès le commencement
de celui de Commode les Calédoniens franchirent le re-
tranchement, battirent les troupes, et ravagèrent la Bretagne
méridionale. Ulpius Marcellus les contint, et la Bretagne
eut près de dix ans de repos sous son commandement ; mais
après que Claudius Albinus, qui lui avait succédé, se fut fait
reconnaître empereur et eut retiré de l'île la majeure i)artie
des troupes pour renforcer son armée, les ravages des Ca-
lédoniens recommencèrent. Le nouveau gouverneurLupus se
vit contraint d'acheter la paix. Enfin l'empereur Sévère, s'é-
tant débarrassé de ses deux rivaux Albin et Niger, se décida
à passer lui-même en Bretagne pour y rétablir la tranquillité.
Il fit aux Calédoniens ( de 208 à 210 ) une guerre sanglante
dans les bois et les marais. L'armée romaine y éprouva de
grandes pertes; mais les Calédoniens, acculés au nord de
ritcosse, se soumirent, et Sévère porta les limites de l'em-
pire un peu au delà d'Edimbourg, et un nouveau retranche-
ment s'éleva de Linsitligow à Glasgow, entre les baies de
Clyde et de Forth.
Peu après. Sévère mourut à York. Son fils Caracalla se
fit ba'.tre par les Calédoniens, et reperdit les conquêtes de
son père. Les limites de la Bretagne romaine reculèieiit de
nouveau jusqu'au mur d'Adrien. L'usurpateur Carausius es-
saya de les franchir, mais il fut également vaincu. Depuis
ce temps, l'aflaissement rapide de la pui.s.sance romaine
ne permit plus aux emfiercurs «le protéger efficacement la
Bretagne romaine contre les Bretons calédoniens, ou pietés.
688
ou scotes. En 421 la nécessité de défendre l'empire contre
les invasions des barbares fit mênrae retirer les légions qui
occupaient la Bretagne. En 446 les Bretons, ne pouvant
' plus résister aux incursions des Scotes et des Pietés, solli-
citèrent un appui que l'empire n'était plus en état de leur
accorder. En 447 ils appelèrent à leur secours les Angles
et les Saxons. Mais leur chef Hengist s'empara du pays
qu'il devait défendre, et contraignit Vortigeme ( Fortighear-
na ), qui régnait depuis le départ des Romains, à lui donner
sa fiîle, et à lui céder le Kantium. Peu à peu, les Bretons-
Kymre's ou Belges furent forcés ou de se soumettre ou de
se réfugier dans les provinces de Galles ou de Cornounilles ;
les Bretons gails ou gaulois s'éloignèrent vers le nord , et
s'unirent aux Calédoniens, et la monarchie Anglo-saxonne
s'établit dans la Bretagne romaine.
Un nombre assez considérable de Bretons-Kymres , qui,
sous les ordres d'un chef nommé Conan, avaient suivi l'u-
surpateur Maxime dans les Gaules, s'étaient établis dans la
partie de l'A r m o r i q u e , qu i est au nord-ouest de la Gaule.
Après l'invasion des Anglo-Saxons, et pendant leurs guerres
avec ces nouveaux dominateurs, plusieurs colonies de Dre-
tons-Kymres passèrent la mer, et s'établirent également dans
l'Armorique, où il s'était formé un État qui prit le nom de
Petite-Brctagne.Ce\\nà& Grande- Bretagne resta à
l'ancienne île Britannique, dont la partie méridionale prit le
nom à' Angleterre.
Dès l'an 284 quelques familles babitant les côtes de la
Bretagne proprement dite, pour échapper aux ravages
des pirates saxons , passèrent dans la Gaule. Dioclétien leur
permit de s'y établir, et leur assigna des terres dans le pays
des Curiosolites et dans celui des Vénètes. En 364 eut lieu
une seconde émigration. Ces deux établissements partiels
furent suivis, vingt ans après, d'une émigration plus consi-
dérable, qui fonda un nouvel État. Maxime, gouverneur
(le la Grande-Bretagne, s'étant révolté contre l'empereur
Gratien , et ayant usurpé la pourpre impériale, passa dans
les Gaules avec toutes les troupes qu'il put réunir. Dans ce
nombre se trouvait un corps assez considérable de Bretons ,
sous les ordres de Conan-Mériadec, neveu d'un prince ou
régent indigène. Maxime débarqua vers le lieu où s'élève
aujourd'hui Saint-Malo. L'empereur Gratien, battu au dé-
baiquen>ent,et ensuite près de Paris, sévit obligé de se ren-
fermer dans Lyon, où il fut assiégé, piis et mis à mort.
Après la bataille de Paris, Maxime avait confié à Conan le
gouvernement de l'Armorique. Ce chef vint s'établir dans le
centre de son commandement, non loin du lieu où il avait
débarqué. Valent! ni en ayant vaincu et tué Maxime près
d'Aquilée, traita ses soldats avec douceur, et permit aux
Bretons qui étaient parmi eux d'aller en Armorique re-
joindre Conan. Celui-ci continua de reconnaître Tautorité
«le l'empire, mais plutôt comme allié que comme sujet.
Les Bretons insulaires ne pouvaient plus résister aux ra-
vages réunis des Calédoniens et des Saxons; beaucoup
d'entre eux passèrent encore en Gaule et se réunirent à Co-
nan. En 410 ce dernier profita de la faiblesse de l'empire
romain, ravagé en tous sens par les barbares, pour se dé-
clarer indépendant et se faire proclamer roi des Bretons ar-
moricains.
Le nouvel État, qui formait à peu près la moitié de la 3*
Lyonnaise, se composait alors de six peuplades : les Redous,
les CuriosoUtes, les O.sismiens, les Corisopites, les Vdnètes
et les Namnètes, dont le territoire embrassait les départe-
ments actuels d'iUe-et-Vilaine , des Côtes-du-Nord , du Fi-
nistère, du Morbihan, delà Loire-Inférieure, et qui avaient
pour villes principales, les Redons : Condate ( Rennes ) et
Aletum (Quidallet, près de Saint Malo) ; les Curiosolites : Cm-
riosolitum (Corseuil près de D'mim) , et Ambiliat es (Lam-
balle); les Osismiens : Vorganium (Carliaix)et Brïvates
(Brest); les Corisopites : Corisopitiim (Quimper-Corenlin) ;
les Vénèlos; Dariorigum (Vannes); cl ksNamnètes : Con-
BRETAGNE
divicnum ( Nantes). Ces peuples étaient des Gaulois propre-
ment dits , distincts des Belges ou Kymres, et que César dit
s'appeler dans leur langue Keltes ou Gails. Mais il se fit chez
eux une révolution importante , sous le rapport du langage et
des mœurs. Les Bretons arrivés en 284 et en 364 , à qui les
empereurs romains avaient fait distribuer des terres, avaient
bien pu les recevoir comme letes ou leudes , c'est-à-dire co-
lons ou vassaux ; mais ceux de Conan-Mériadec n'avaient
pas été établis au même titre. Ils étaient, sous quelques rap-
ports, les conquérants du pays, les compagnons du chef qui
aspirait à la possession absolue des provinces qu'il gouver-
nait. Leur établissement fut, relativement aux Gaulois in-
digènes, à peu près pareil à celui des Francs, des Boui^ui-
gnons et des Gotlis. La langue kymre , qui était celle des
envahisseurs, devint la langue dominante ; mais elle éprouva
elle-même une modification, résultant de l'infériorité numé-
rique des Bretons ; elle se mélangea de gaulois, et s'écarta de
sa pureté primitive. C'est ce qu'on observe en comparant le
kymre armoricain ou langue bretonne avec le kymre de Cor-
nouailles et du pays de Galles. Les règles grammaticales
sont les mômes dans les trois dialectes, mais le premier est
mélangé d'un bien plus grand nombre de mots gaulois, ou
galliques. C'est donc à tort que l'on a voulu voir dans le
breton armoricain le véritable gallois. Ce breton armoricain
se rapproche davantage du kymre dans les départements des
Côtes-du-Nord , du Finistère et du IMorbiban , sans doute
parce que cette extrémité de la Gaule étant plus agreste et
moins peuplée que les départements d'iUe-et-Vilaine et de
la Loire-Inférieure, les Bretons s'y établirent en plus grand
nombre.
Le troisième successeurde Conan, qui prenait également le
titre de roi, et qui s'appelait Audren, se trouva déjà assez
affermi pour pouvoir envoyer des .secours aux Bretons de
Cornouailles, dont les Alains ravageaient les côtes, et yéla-
blir son frère, qui prit aussi le titre de roi. Audren resta l'allie
des Romains , et leur fournit un corps de troupes qui prit
part aux victoires d'Orléans et de Cliàlons, dont le résultat
fut la défaite d'Attila. Les princes ou chefs de la Bretagne
continuèrent à porterie titre de roi jusqu'à Hoël 1", qui
monta sur le trône en 509. Après cette époque, l'usage géné-
ral des princes de ce temps de partager leurs domaines entre
leurs enfants morcela la Bretagne entre plusieurs comtes ,
indépendants les uns des autres, quoique celui qui était
maître de Rennes s'attribuât la suzeraineté et prit le titre de
roi. Cet état de choses dura jusqu'en 799, époque où Charlc-
magne fit la conquête de la Bretagne, qui resta soumise
pendant son règne; mais sous celui de Louis le Débonnaire
elle essaya de reconquérir son indépendance. Deux comtes
de Cornouailles, Morvanet Viomarch, se révoltèrent succes-
sivement, mais sans pouvoir se maintenir. La Bretagne fut
réduite de nouveau, et Louis-le-Débonnaire y établit,
en 824 , pour gouverneur ou lieutenant général un Breton
de naissance obscure, nommé Nomenoé, homme doué de
rares qualités, qui profita des troubles intérieurs de la France
pour consolider son autorité et préparer les moyens de
conquérir son indépendance. Lorsque la bataille de FontCr
nai eut assez affaibli l'empire des Francs pour qu'aucun des
fils de l'empereur Louis ne se trouvât en état d'entrepren-
dre une guerre sérieuse , Nomenoé se déclara indépendant ,
et gagna, en 845, une grande bataille contre remporeur
Charles le Chauve. Deux ans plus tard il prenait le titre
de roi.
La dynastie de Nomenoé régna sur la Bretagne jus-
qu'en 1169. Deux de ses descendants seuls, Erispoé et .Sa-
lomonlll, eurent le titre de roi; les autres prirent indiffé-
remment celui de comtes ou de ducs. La Bretagne, morcelée
par les partages qui recommencèrent à la mort de Salo-
mon 111, ravagée par les Normands jusqu'à leur élabhs-
soment en Normandie ( 912 ) , ne jouissait que d'une indé-
pendance précaire, lorsque'le traité par lc(iud Charles le
I
simple c<^da la Normandie à Kolion \iut encore compliquer
sa position. Le roi de France transmit au nouveau duc de
Normandie son prétendu doit de suzeraineté sur la Breta-
gne, et cet acte, qu'on ne peut expliquer que par les préju-
gés féodaux , alluma entre les Bretons et les Normands une
collision dont le résultai final fut un changement de dynastie.
Conan IV ne put prendre possession du duché de Breta-
gne qu'avec le secours de Henri II, roi d'Angleterre, de cette
même maison de Normandie à laquelle on avait attribué la
suzeriiineté de la Bretagne, et moyennant la cession du
comté de iXantes. La guerre civile n'en continaa pas moins,
et Conan se trouNTi à peu près réduit à la possession du
comté de Rennes. Enfin , après avoir tu pendant dix ans
son pays ravagé par les seigneurs bretons et par les An-
glais ses adversaires, il eut la lâcheté de se mettre à la dis-
crétion de ces derniers, en mariant sa fille unique Constance
à Geoffroi, troisième fils de Henri IL A peine ce mariage
était-il conclu, que Henri H se hâtait de dépouiller Conan ,
et faisait reconnaître duc de Bretagne son fils Geoffroi (11 66).
Mais il éprouva une vive résistance de la part d'Eudes de
Bretagne , son cousin , second mari de Berthe ; et ce ne fut
qu'en 1 169 que son fils put être couronné à Rennes.
Après la mort de Geoffroi (1186), sa veuve Constance fut
reconnue duchesse de Bretagne , et dans le neuvième mois
de son veuvage elle accoucha d'un fils , qui reçut le nom
d'Arthur. La naissance du jeune prince dérangeait les
combinaisons de Henri II ; il se hâta de passer en Bretagne,
et força Constance d'épouser Raoul , comte de Chester. Son
successeur, Ricliard Cœur de Lion , ne se comporta p;is
mieux à l'égard de Constance. D'un autre côté , le roi de
France , Philippe-Auguste , semblait avoir déjà conçu le
projet de réunir la Normandie et peut-être ensuite la Bre-
tagne à la couronne. Richard prétendait disposer de son
neveu et de la princesse Éléonore. Philippe-Auguste offrait
de son côté une protection qui n'était pas plus désintéressée.
Enfin , Constance ayant été débarrassée de son second mari,
chassé par les Bretons, fit reconnaître son fils duc de Bretagne
à l'âge de sept ans, en 1196. Ricliard, irrité, se saisit de Cons-
tance par une perfidie; et les Bretons remirent Arthur au
roi de France. Après deux ans d'une guerre cruelle, Richard
ayant été tué en 1199 , son héritage fut disputé entre son
frère Jean Sans Terre , qui se fit reconnaître en Angleterre,
et Arthur, qui, à l'aide de Philippe-Auguste, s'empara du
l\Iaine , de la Touraine et de l'Anjou. Mais ce dernier aban-
donna bientôt son protégé , fit la paix avec le nouveau roi
d'Angleterre, et Arthur, réduit à la Bretagne, resta vassal de
Jean (1200). L'année suivante la duchesse Constance
mourut. Ayant fait rompre son second mariage, elle avait
épousé en troisièmes noces Gui , vicomte de ïhouars, dont
elle eut trois filles. La guerre s'étant rallumée entre l'Angle-
terre et la France, Arthur prit le parti de cette dernière
puissance ; mais il tomba bientôt au pouvoir de Jean Sans
Terre, qui l'égorgeade ses propres mains, et jeta son cadavre
dans la Seine.
Le parlement, ayant déclaré le meurtrier coupable de
félonie et de trahison, confisqua toutes les terres qu'il pos-
sédait en France. Elles furent conquises par Philippe-Au-
guste, et réunies à la couronne. Cette réunion fut le terme de
la rivalité des Capétiens et des Plantagenets ou princes de
la maison d'Anjou. Il ne restait plus à décider que la suc-
cession de la Bretagne. L'héritière naturelle du duché était
Éléonore, sœur aînée d'Arthur. Mais Eléonore, fille de
Constance et de Geoffroi d'Anjou , était une Plantiigenct.
Philippe fit reconnaître duchesse de Bretagne Alix , fille aînée
de Constance et de Gui de Thouars. Ce dernier fut nommé
régent, mais sous l'autorité du roi de France, qui resta ad-
ministrateur du duché. Quelques années plus tard , Philippe
maria Alii à Pierre de Dreux, arrière-petit-fils de Robert
de Dreux, second fils de Louis le Gros, qui fut reconnu en
1213 duc de Bretagne, vassal de la France.
Dicr. VE LA coNvcr.s. — t. ni.
BRETAGINE C89
Les règnes successifs des ducs de la maison de Dreux,
Pierre l*"", Jean 1", Jean II, Arthur II et Jean III, n'offrent
aucun événement bien important. Ils restèrent dans les in-
térêts de la maison de France, à laquelle ils appartenaient.
L'alliance de Jean II avec le roi d'Angleterre Edouard 1" fut
elle-même de peu de durée. Les fiottcs et les troupes auxi-
liaires anglaises se rendirent odieuses aux Bretons, et le duc
Jean eut le bon esprit de céder au vœu public. Il fut en ré-
compense créé pair de France par lettres-patentes de 1297 ;
mais les Anglais ne perdaient pas de vue la Bretagne : en
1309, à l'occasion du mariage d'Isabelle, fille de Philipp«i
le Bel , avec le roi Edouard , ce dernier eut l'adresse de
faire insérer dans le contrat une clause qui lui transportait
la suzeraineté de la Bretagne. Mais les états de ce duché ,
consultés par Arthur II, refusèrent d'y consentir.
La mort de Jean III, arrivée en 13il , fut le signal d'une
guerre civile qui ravagea la Bretagne pendant vingt-cinq ans,
et la cause des guerres qui suivirent pendant soixante-dix.
Le duc Jean, qui ne laissait point d'enfants, était l'aîné des
trois fils d'Arthur II. Son frère puîné, Gui , comte de Pen-
thièvre, était également mort, laissant une fille, nommée
Jeanne, mariée à Charles de Blois, neveu de Philippe
de Valois. Le frère cadet, Jean, comte de M ont fort, était
encore vivant. L'héritage fut disputé entre Jean de Montfoi't
et Charles de Blois , stipulant pour Jeanne sa femme. Le
premier réclamait l'exécution de la loi salique , et l'exclu-
sion des femmes, qui avait eu heu, disait-il, en Bretagne,
lorsqu'il se trouvait des héritiers mâles; Charles de Blois ré-
pondait que les femmes ayant élé plusieurs fois admises au
gouvernement, le droit de représentation devait exister en
leur faveur; qu'ainsi, Jeanne, représentant Gui, second
fils d'Arthur, devait être préférée au troisième fils. Il n'y avait
point alors de droit public qui fixât l'ordre de successibililé
en Bretagne. Il était donc facile de prévoir que la discus-
sion ne pourrait être vidée que par la force des armes, et il
était inévitable que la rivalité de la France et de l'Angle-
terre ne vînt prolonger la lutte en la compliquant. C'est c»»
qui arriva. Jean de MonUort, dès qu'il apprit la mort de son
frère, se hâta d'accourir à Nantes, oii il se fit reconnaîtra
duc de Bretagne. Il se saisit avec la même rapidité de Rennes,
de Brest, de Vannes et des trésors de son prédécesseur.
Charles de Blois, beaucoup moins actif, en appela au juge-
ment du roi de France, son oncle. Il était assuré du résultat
favorable de cet appel. En effet, un arrêt du 7 septem-
bre 1341 , rendu par Philippe de Valois, en son parlement,
adjugea le duché de Bretagne à Jeanne , à l'exclusion de Jean
de Montfort. Ce dernier appela les Anglais à son secours, et
la noblesse du pays se divisa entre les compétiteurs. Chailes
de Blois , entré en Bretagne avec une armée française, avant
l'arrivée des Anglais , eut , dès la première campagne, le
bonheur de faire prisonnier Jean de ISIontfort dans Nantes.
La guerre aurait été ainsi terminée, sans l'intervention d'une
héroïne qui releva le parti vaincu. Jeanne de Flandre, épouse
de Montfort, se trouvait à Rennes avec son jeune fils, âgé
de trois ans. Sans se laisser effrayer par la captivité de son
époux, elle se mit à la tète de ses partisans, et se retira avec
l'élite de ses troupes à Henncbon, afin de conserver ce point
de débarquement aux secours qu'elle attendait d'Angleterre.
Assiégée dans cette place par Charles de Blois, son couragtî
héroïque et la constance qu'elle sut inspirer à la garnison, en
prolongèrent la défense jusqu'à l'arrivée des secours qu'elle
attendait. Pendant le siège, et au moment d'un assaut furieux,
elle sortit à la tête de trois cents cavaliers, et chargea si bien
les assaillants, qu'elle les força à renoncer à l'assaut. Coupée
de la place, elle gagna Aurai, réunit ce qu'elle put de ses pai -
tisans, et rentra le sixième jour par surprise dans Hennebon.
A l'arrivée des Anglais, Charles de Blois fut obligé de lever
le sié^e : il perdit successivement Guerande, Vannes, Car-
haix,°et éprouva un échec à Quimperlé. En 1342, une se-
conde tentative sur Henncbon n'eut pas un meilleur succ^b,
87
690
BRETAGNE
et, malgré un assez grave échec que Jeanne de Montfort es-
suya sur mer près de Guemescy, elle n'en continua pas moins
la guerre en Bretagne. Cette môme année le roi d'Angleterre
vint en personne à son secours , et s'avança jusque devant
Rennes. Le roi de France accouiiit de sou côté, et pénétra
jusqu'à Ploërmel. Mais au mois de janvier, par la médiation
du pape, une trêve de trois ans fut conclue entre les deux
souverains, et le champ de bataille resta abandonné aux
partisans de Blois et de Montfort.
Deux incidents vinrent renouveler bientôt toute l'activité
de la lutte. Le premier fut la mort d'Olivier de Cl i s son,
seigneur breton, du parti de Charles de Bloisct delà France:
accusé et, dit-on, convaincu d'intelligences avec l'ennemi, il fut
arrêté et décapité àParis ( 1344 ), sans autre forme de procès,
avec plusieurs autres seigneurs normands et bretons. A celte
nouvelle Jeanne de Belleville, sa veuve, ayant réuni quel-
ques troupes , s'empara par surprise de plusieurs places te-
nues par les troupes de Charles de Blois, et les remit avec sa
petite armée à Jeanne de Montfort. Le second incident fut la
délivrance du comte de Montfort, qui , ayant pu s'évader de
Paris, vint se mettre à la tôte de ses partisans (1345); mais il
mourut peu après, à Hennebon, laissant à sa veuve le soin
des intérêts de leur fils. Après la mort de Jean de Montfort,
quelques succès partiels et la prise deQuimper (1346) semblè-
rent donner la supériorité à son compétiteur. Mais la bataille
de Crécy l'ayant privé de l'appui de la France, Charles de
Blois reperdit bientôt ces avantages, et fut complètement baltu
et fait prisonnier à la bataille de la Roche-Derrien ( 1347 ).
Son épouse, Jeanne de Bretagne, imita le courageux exemple
de Jeanne de Montfort : s'étant mise à la tête de ses partisans,
elle profita de la haine qu'inspiraient les Anglais pour soulever
les peuples pendant la captivité de son époux. Ces hostilités
durèrent neuf ans, et Charles de Blois n'obtint la liberté, en
1356, que moyennant une rançon d'environ un million. Pen-
dant ce temps , la guerre , qui n'était presque qu'un brigan-
dage réciproque, n'offrit d'autre événement mémorable que
le célèbre combat des Trente; mais cette bravade de cou-
rage mutuel n'eut aucune inducnce sur les événements.
Deux nouveaux champions, devenus l'un et l'autre cdèbres,
Olivier de Clisson , dans le parti de Montfort , et Bertrand
Duguesclin, dans celui de Blois, avaient déjà paru sur la
scène. Le honteux traité de Londres, stipulé par le roi Jean,
fait prisonnierà Poitiers ( 1359), en abandonnant la Bretagne
aux Anglais, aurait dès lors décidé la question en faveur de
Montfort , si les états généraux de France ne se fussent ré-
servé le droit (le prononcer sur sa validité. Le traité de Bré-
tigny ( 1300) remit la décision à l'arbitrage des deux rois
de France et d'Angleterre ; mais les conférences ouvertes à
cet effet n'amenèrent aucun résultat. En 13C3 les deux ri-
vaux, se trouvant en présence sur la lande d'Evran, entre
Dinan et Béchercl , conclurent un traité qui partageait la
Bretagne entre eux. Jeanne de Bretagne, mécontente de ce
partage, força son époux à rompre le traité, et la guerre
recommença. Enfin, en 1364, les armées se rencontrèrent
une dernière fois à Auray. Charles de Blois, ayant attaqué
l'ennemi contre l'avis de Duguesclin, perdit la bataille et la
vie. Ses fils étant retenus à Londres en otage pour sa ran-
çon, la couronne de Bretagne passa définitivement sur la
tête de Jean deMontfort par le traité de Guérande (1305). Sa
Teuve conserva le comté de Penthièvre. La Bretagne avait
été ravagée vingt-trois ans, et 200,000 hommes avaient péri
pour décider si elle aurait pour duc un imbécile bigot et
superstitieux (Charles de Blois), ou un fou furieux , dont
les caprices troublèrent et compromirent le pays pendant
trente ans.
Le règne de Jean IV de Montfort ne fut remarquable
que par la querelle que son ingratitude et sa perfidie lui
suscitèrent avec Olivier de Clisson , et ses démêlés avec
Ja France, causés par son affection pour les Anglais. Son
lils Jean V lui succé<la en 1390, et n'eut pas une con-
duite plus sage. Le duc Philippe de Bourgogne, régent de
France pendant la démence de Charles VI, s"empara éga-
lement de la régence de la Bretagne , qu'il exerça pendant
cinq ans. Le duc Jean, devenu majeur pendant les trou-
bles qu'allumaient en France les rivalités des deux princes
du sang et l'inconduite d'Isabeau de Bavière, ne se fit
remarquer que par la versatilité avec laquelle il passa d'un
parti à l'autre. Les vingt dernières années de son règne
furent, en outre, troublées par les querelles que lui suscita
la maison de Penthièvre, héritière des prétentions de
Charles de Blois. Son fils , François 1" , qui lui succéda
en 1442, n'occupe de place dans lliistoire que par ses dé-
mêlés avec son frère Gilles , qu'il fit empoisonner et étouf-
fer, et par les remords qui le firent descendre au tombeau
quarante jours après (juillet 1450). Il eut cependant soin
de régler d'avance la succession de Bretagne , en y appe-
lant les mâles, tant qu'il s'en trouverait, à l'exclusion des
filles. Son frère Pierre II , prince bigot et dur , régna obs-
curément jusqu'en 1457.11 eut pour successeur son oncle
Arthur III, comte de Richement, connétable de France de-
puis trente ans. Ce guerrier, affaibli par l'âge et de nom-r
breuses campagnes, mourut à la fin de 1453 ; et la couronne
de Bretagne passa, d'après les dispositions de François 1*', à
son neveu François II de Bretagne , fils de Richard , comte
d'Étampes.
Le règne du duc François II commença par quelques actes
d'une administration sage ; il reconnut l'autorité suprême des
états en matière d'impôts ; il favorisa l'industrie par des traité*»
de commerce et par l'établissement de quelques manufac-
tures. Mais bientôt la faiblesse de son caractère le livra à
l'influence dCvS favoris. Dès 1465 il entra dans la ligue du
bicnpublic. Quelque temps après qu'elle eut été dissoute,
le duc François conclut une paix séparée avec la France.
Mais bientôt il rompit de nouveau avec Louis XI , et s'al-
lia avec les ducs de Berri , d'Alençon et de Bourgogne,
et avec l'Angleterre, la Savoie et le Danemark. Repoussé
de la Normandie, qu'il s'était proposé d'envahir, et menacé
dans la Bretagne même , il se vit obligé de se soumettre de
nouveau et de conclure une paix désavantageuse en 1468.
Cependant il continua à négocier avec les princes fran-
çais et le roi d'Angleterre. Ces menées amenèrent une non-
velle guerre , qui se termina en 1473 par une trêve conver-
tie en traité définitif en 1475. La paix dura jusqu'à la mort
de Louis XI (1483), malgré la méfiance continuelle qui ré-
gnait entre les deux princes. Le roi de France, poursuivant
toujours ses projets sur la Bretagne , avait acheté ( 1479) les
droits des maisons de Blois et de Penthièvre. Le duc, de
son côté , avait resserré son alliance avec l'Angleterre, en
promettant sa fille Anne au fils du roi Edouard IV ( 1481).
Mais la mort du jeune prince (1482 ) rompit ce mariage mena-
çant pour la France. Pendant la minorité du roi Charles VHI,
sous la régence d'Anne de Beaujeu, la politique du duc
François continua à le porter à chercher dans l'alliance
de l'Angleterre un appui contre les dangers dont le mena-
çait la France. Il était alors entièrement gouverné par son
premier ministre Pierre Landais. Après ie supplice de cet
ambitieux, le duc se réconcilia avec la France, et se liAta
de convoquer les états, pour y assurer la succession ducale
à ses deux filles , Anne et Isabelle , à l'exclusion du prince
d'Orange, du sire d'Albret et du vicomte de Rohan , descen-
dants mâles de la maison de Montfort , mais par les femmes.
Peu après (1486) il tomba dangereusement malade. La ré-
gente de France se hâta de faire avancer des troupes vers
Angers pour prendre possession, au nom des droits delà
maison de Blois, de l'héritage qu'elle croyait prêt à échoir;
mais le duc guérit, et, piqué de ces démonstrations, il se liâla
de former contre la régente une ligue, dans laquelle entrèrent
IMaximilien , roi des Romains , le roi de Navarre , les ducs
d'Orléans, de Lorraine et de Foix , les comtes d'Angoulôme,
de Nevers, de Dunois, cl beaucoup de seigneurs français el
BRETAGNE — BRETELLES
691
iMctons. Le duc d'Orléans s'évada de France, et se rendit
cil Bretagne.
Anne de Beaujeu n'en fut que plus ardente à suivre ses
projets. Dès le mois de mai suivant (1487), elle fit entrer en
Bretagne une armée française, qui prit Ploërmel et Vannes,
et assiégea Nantes ; elle eut l'adresse d'écarter l'intervention
de l'Angleterre. Le duc François, ayant renforcé son ar-
mée de coq)s allemands , espagnols, gascons, et de quel-
ques volontaires anglais, soutint la guerre et obligea les
Français à lever le siège de iXantes. En môme temps, il né-
gociait le mariage d'Anne, sa fille aînée, avec le roi des Ro-
mains. Mais en 1438 une nouvelle année française entra
en Bretagne, et cette campagne fut décisive. Les deux ar-
mées se rencontrèrent le 28 juillet à Saint-Aubin du Cor-
mier : le maréclial de Rieux commandait les Bretons, et
Louis de La T ré m oui lie les Français. Ce dernier rem-
porta une victoire complète; Louis d'Orléans lut fait prison-
nier et envoyé à la tour de Bourges. Abattu par ce dé-
sastre, le duc de Bretagne fut obligé de recevoir la paix
que lui dicta la France. La condition la plus importante
fut la défense de marier sa fille sans le consentement du roi.
François II mourut peu après, du chagrin que lui causa cette
clause humiliante (7 septembre 1488).
Anne de Bretagne épousa le roi de France Char-
les VIII, qui l'assiégeait dans Kenjies, et à qui elle fit ces-
sion de tous ses droits et même de l'exercice de la sonve-
laineté. Réciproquement, si le roi décédait sans enfants
avant la duchesse, il renonçait en sa faveur à tous ses droits
sur la Bretagne, mais sous condition expresse que la du-
chesse épouserait ou le nouveau roi ou au moins son héritier
présomptif, qui même ne pourrait aliéner le duché et ses
appartenances qu'entre les mains du roi. 11 est facile de voir
qu'un contrat de mariage pareil consommait la réunion de
la Bretagne à la France.
Charles VllI, pendant les sept ans qu'il vécut encore, gou-
verna la Bretagne en son propre nom et sans aucune inter-
vention de son épouse. 11 laissa en mourant (1498) la cou-
ronne de France et le soin de consommer la réunion de la
Bretagne au duc d'Orléans, qui fut Louis XII. Celui-ci,
quoique marié depuis vingt-quatre ans , se hâta d'épouser
sa veuve ; la dispense du pape ne se fit pas attendre.
Après la mort d'Anne et celle de Louis XII, celui-ci ne
laissant pas d'enfants mâles , la couronne de France revint
au comte d'Angoulème, qui prit le nom de François 1". 11
avait épousé la princesse Claude , fille d'Anne de Bretagne.
Le 22 avril 1515 la jeune reine cédait à son époux l'usufruit
de la Bretagne , et, par un second acte, du 28 juin , elle lui
faisait une cession et donation complète de ses droits et pro-
priétés. A sa mort, en 1524, elle transporta par testament
cette donation au dauphin son fils aîné , en n'en laissant au
roi que l'usufruit. Cette donation fut ratifiée en 1532 par
les états de Bretagne. Le dauphin étant mort en 153C, le
titre de duc de Bretagne passa à son frère puîné Henri. En-
fin, ce dernier étant monté sur le trône de France, en 1547,
il n'y eut plus d'autres ducs de Bretagne que le roi de France.
' Sous le règne de Henri III, et dans la piévision de l'ex-
tinction de sa race, il s'éleva des prétentions au duché de
Bretagne contre Henri IV. Ce dernier, ne descendant pas
d'Anne de Bretagne , les descendants des filles de Henri II
voulurent faire valoir leurs droits contre l'acte de réunion.
Philippe, roi d'Espagne, veuf d'Isabelle, fille aînée de
Henri II, réclamait le duché de Bretagne au nom de sa fille
aînée, qui avait épousé le duc de Savoie. Le duc de Lor-
raine, époux de la princesse Claude, seconds fille de
Henri II , élevait également des prétentions. Enfin , le duc
de Mcrcœur, qui avait épousé Marie de Luxembourg,
descendant par les femmes du comte de Penlhièvre, espé-
rait également raviver les droits de cette maison. Ce der-
nier concurrent s'était trouvé le premier en mesure de faire
valoir ses orctentions. Aussitôt anrès l'assassinat du duc de
Guise , il fît signer la ligue en Bretagne. La province se
partagea entre la ligue et le roi , et la guerre civile éclata.
Après la mort de Henri III, la ligue reparut en Bretagne
contre Henri IV, qui fut cependant reconnu par la ville de
Rennes et par la plus grande partie des royalistes. L'année
suivante (1590), un corps espagnol arriva au secours des li-
gueurs ; mais bientôt après la reine d'Angleterre y fit passer
un renfort au parti royaliste. L'abjuration de Henri IV et
la soumission de Paris (1594) ne mirent point encore fin à
la guerre , que le duc de Mercœur chercha, avec l'appui des
Espagnols , à soutenir pour son propre compte. Cependant
une tentative de débarquement des Espagnols ayant échoué
par la destruction de leur Hotte près de Brest (1597), et le
royaume étant pacifié , le duc de Mercœur sentit la néces-
sité de se soumettre. Ayant obtenu des conditions avanta-
geuses , par l'entremise de Gabrielle d'Estrées , maltresse de
Henri IV, la Bretagne fut pacifiée. Ici finit l'iiistoire de ce
pays, que rien ne tendit plus à séparer de la France^
Les Bretons, comme les dépeint admirablement leur his-
torien Da ru, sont francs, braves , laborieux et économes;
mais, entêtés dans leurs opinions et leurs préjugés, mé-
fiants par un effet de leur opiniâtreté même , ils ont résisté
aux innovations qui pouvaient améliorer leur état moral, et
sont restés en partie étrangers aux frottements qui polissent
les peuples. La principale cause en est dans le défaut de
déveloi)pement des facultés intellectuelles chez les classes
inférieures. L'instruction ne s'y répandra que lentement,
mais elle y arrivera : les Bretons sont aussi susceptibles que
les autres Français de profiter de ses bienfaits. L'agriculture
est imparfaite dans la Bretagne, à moitié couverte de
bruyères ou de landes incultes. Les mines sont négligées.
Les habitants des campagnes, couverts, sur plusieurs points,
de sayons de peaux de chèvre ou de brebis , habitent en-
core trop souvent des cabanes obscures , malsaines et mal
soignées ; leur nourriture est grossière et parcimonieuse.
Ce pays se divisait en deux parties, la haute Bretagneet la
basse Bretagne, subdivisées en plusieurs diocèses. La haute
Bretagne renfermait les diocèses de Rennes , de Nantes , de
Saint-Malo , de Dol et de Saint-Brieuc. La basse Bretagne
comprenait ceux de Vannes, deQuimper, de Saint-Pol-de-
Léon et de ïréguier. Aujourd'hui la Bretagne forme les dé-
partements de l'IUe-et-Vilaine, des Côtes-du-Nord,
du Finistère, du Morbihan et de la Loire-Infé-
rieure. G'' G. DE Vaudoncourt.
BRETAGXE (Toile de). Vojjez Toile.
BUETAGXE ( A la mode de). Voijez Mode.
liUETAGXE (Nouvelle-), l'oye; Nouvelle-Bretagne.
BRETELLES. C'est le nom donné à ces lanières qui ,
s'appuyaut sur les épaules et embrassant verticalement la
poitrine , fixent le haut des pantalons en arrière et en avant.
Avant Bretelle, iniustrielqui lesinventa, le haut-de-chausses
n'était un peu solidement fixé que par l'os des hanches ,
dont la saillie répondait de la décence. Les jeunes gens alors,
mais surtout les enfants , fixaient le vêtement essentiel au
gilet. A cette époque, un cavalier devait surveiller son main-
tien et réfréner sa gourmandise, sous peine de paraître dé-
braillé. Les bretelles favorisèrent peu à peu l'intempérance,
donnèrent congé aux culottes courtes, et introduisirent l'u-
sage des pantalons; sans les bretelles, on n'eût jamais
songé a\ix sous-pieds , cette innovation révolutionnaire, qui
heureusement commence à passer de mode. Un jour,
sous-pieds et bretelles se firent antagonisme et contre-poids.
Chaque mouvement du corps rejaillit sous la botte et sur les
épaules, ce qui enrichit chemisiers et tailleurs, et quelque-
fois aussi nos orthopédistes. Ces pressions fortes et répé-
tées , que le milieu des bretelles exerce sur les épaules, peu-
vent en elfet, au moins chez hs jeunes gens, surtout s'ils
sont scrofulcux et disposés au rachitisme , déranger l'axe du
corps, incliner la tige vertébrale, et causer des déviations
ou môme des gibbosités. Le danger en est plus grand qu»
87.
6<J2
BRETELLKS — BRETON
jamais depuis qu'un caoutchouc trop peu élastiqtie a rem-
placé sans prudence le lil dt; laiton du premier inventeur.
Les spirales métalliques de IJretellc n'avaient qu'un grave
inconvénient, c'était de prendre trop aisément le vert-de-
)iris. Convenons pourtant que les nouvelles bretelles , avec
leurs pattes bifurquées, ont un };iand avantage sur l'ancien
modèle, lequel concentrait sur un trop petit espace les com-
motions du corps en mouvement. Aujourd'hui quelques
jeunes gens affectent même de supprimer les bretelles, au
inoven de la boucle qui assujétit assez imparfaitement le
pajitalon au-dessus des hanches. Cette réminiscence du temps
qui précéda Bretelle n'a guère réussi qu'au Pays latin.
liilEÏESSES ou DUETECHES , se dit, dans la science
du blason , d'une rangée de créneaux sur une lasce , bande
ou pal , ou bien s'entend des côtés d'un blason de plate
iigure. On dit écu bretessé simplement, quand les créneaux
d'une fasce , d'un pal ou d'une bande se rapportent et sont
vis-à-vis l'un de l'autre.
lillETEtJIL ( LoDis-AucusTE LE TONNELIER, baron
DK ), ministre de Louis XVI, naquit, en 1733, à Preuilly en
Touraine , d'une faniille pauvre et de petite noblesse. Son
oncle, l'abbé de Breteuil, chancelier du duc d'Orléans, se
chaigea des frais de son éducation, et le lit successivement
nommer guidon dans les gendarmes, puis cornette dans les
chcvau-légers de Bourgogne. On le lit remarquer à Louis XV ;
et dès la même année il lut envoyé près de l'électeur de
Cologne, en qualité de ministre plénipotentiaire; le roi l'at-
taclw ensuite à la correspondance secrète qu'il entretenait
dans les cours étrangères, et que dirigeait le comte de
Broglie. En 1760 il passa en Russie; et il était absent de
«on poste lorsqu'il apprit par un courrier l'assassinat de
Pierre III et l'avènement de Catherine 11. Il se hâta de re-
tourner à Saint-Pétersbourg, où l'impératrice lui lit le plus
ijracieux accueil. Ambassadeur en Suède, il appuya vivement
le parti français dans la fameuse diète de 1769. Nommé
l'année suivante à l'ambassade de Vienne par le duc de
Choiseul , il fut presque aussitôt remplacé par le i)rince
Louis, cardinal de Rohan; ce fut la première cause de la
haine que se vouèrent depuis ces deux honmies. Envoyé à
Naples, puis à Vienne par Louis XVI, en 1775, il assista,
en 1778, au congrès de Teschen, qui étouffa l'embrasement
près d'éclater en Europe pour la succession de l'électeur
palatin de Bavière, Charles-Théodore , mort sans postérité.
Il revint en France en 1783, et fut nommé ministre d'Etat
avec le portefeuille de la maison du roi et le gouvernement
de Paris : c'était le département des lettres de cachet et
du cabinet noir. Mais on doit dire que sous sou adminis-
tration le sort des prisonniers d'État fut amélioré, et qu'on
commença à user à leur égard de quelque humanité. Cepen-
dant le baron de Breteuil ne recula jamais devant les mesures
les plus arbitraires. On raconte que, pour prévenir les re-
montrances qu'on craignait de la part des parlements au
iiujet de l'enregistrement des édits buisaux de Calonne, il
envoya aux commandants de la province de Languedoc dix-
tuiit cents lettres de cachet en blanc. Heureusement on n'eut
pas occasion d'en fau-e usage. L'affiiire du Colli er lui founiit
une occasion de se venger du cardinal de Rohan : il le (it ar-
rêter à Versailles môme, étant encore revêtu de ses habits
pontificaux. Cependant la mésintelligence ne tarda pas à se
mettre entre Breteuil et Calonne; les deux rivaux our-
<lirent mille intrigues; enfin Calonne fut obligé de remettre
son portefeuille ; mais son successeur LoméniedeBrienne
ne s'entendit pas mieux avec le baron, qui donna sa démis-
sion en 17SS. H continua néanmoins à jouir de toute la
confiance de Louis XVI. 11 s'opposa de toutes ses forces à la
convocation des étals généraux que proposait l'archevôque
de Sens , premier uiiuistre.
Sa rentrée au pouvoir ne fut qu'une orageuse apparition ;
il fut mis le 12 juillet 17S9 à la tête de ce ministère im-
|>rovisé par la peur, que son éiJiémèrc existence a fait ap-
peler m'inislère des cent heures. On sait les immenses
événements qui s'accomplirent alors : le baron de Breteuil
dût se retirer; il émigra à Soleure. Louis XVI avant son
départ lui remit des pleins pouvoirs tels qu'aucun ministre ■!
n'en avait jamais reçu : il était autorisé « à traiter avec les mt
cours étrangères et à proposer au nom du roi tous les
moyens propres à rétablir l'autorité royale en France. »
Bertrand de Molleville l'accuse, dans ses mémoires, d'avoir
abusé de ces pouvoirs en en faisant usage après leur révo-
cation. En 1792 il renonç-a complètement à la politique, et so
retira à Hambourg. 11 rentra eu France en vertu du sénatus-
eonsulte de floréal an vi : il était dans un élat voisin de
l'indigence; mais Joséphine obtint pour lui une i)ension :
Napoléon lui accorda 12,000 francs sur sa cassette. Bientôt
une riche succession vint ajouter aux bienfaits de l'empe-
reur. Le baron devint l'un des plus assidus courtisans de
Cambacérès. Un ministre de Louis XVI faisant antichambre
chez un conventionnel , qui dans le procès du roi avait dé-
claré Vaccuse coupable, cela se voyait pourtant alors! Le
baron «le îireteuil mourut en 1S07, ne laissant qu'une fille.
BIIÉTICIMY ( Traité de ). Le roi de France Jean, fait
prisonnier i)ar les Anglais à la bataille de Poitiers, avait
signé un traité qui faisait passer sous la souveraineté directe
de l'Angleterre un tiers de la France. Si grand que fût alors
l'épuisement de notre malheureuse patrie, l'esprit public se
souleva contre cette lâcheté du monarque, et les états géné-
raux se refusèrent à démembrer le royaume. Aussitôt le prince
Noir repassa sur le continent. Dans l'ctat où se trouvaient les
finances et les ressources publiques le meilleur système de
défense était d'éviter soigneusement toute bataille rangée et
de laisser l'Anglais guerroyer contre les places fortes : ce
système eut bientôt les conséquences que l'on s'en promettait.
N'obtenant aucun résultat sérieux, et voyant croître cha(iue
jour la haine des populations françaises , exaspérées par le
brigandage de ses soldats, Edouard I II, qui manquait aussi
d'argent, se décida à accepter la médiation du pape in-
nocent VI. Ce fut à Bréliguy , près de Chartres, que s'ou-
vrirent les conforeuces , le l" mai 1300. La Guyenne tout
cûlicre, la Gascogne , le Poitou, la Saintonge , le Limousin,
l'Angoumois, avec Calais et le comté de Ponthicu, furent
cédés au roi d'Angleterre, riche dédommagement de l'a-
bandon de ses droits à la couronne de France, qui fut la
seule concession stipulée en échange. La rançon du roi
fut fixée par le même traité. Après sa délivrance, le roi J&'iu
acquiesça à Calais au traité de Brétigny. Mais les provinces
cédées se refusèrent à devenir anglaises ; et leurs plaintes
amenèrent de nouvelles hostilités, en 1370. Le traité fut
d'autant plus facilement rompu, qu'on avait omis une for-
malité importante : un des articles portait que renouciatioa
serait faite publiquement par les deux princes aux droits ou
territoires qu'ils se cédaient mutuellement, et cet échanjjç
de renonciations n'eût pas lieu.
BRETON (JEAN-BA.i'TisTE-JosEpn ), longtemps le doyen ,
des journalistes et des sténographes de France, mort à Paris,
le 6 janvier 1852, était né dans la même ville, le 16 noven»/-
bie 1777. Son père était lils du lieutenant général civil et
criminel de Pont ii Mousson. On ne peut se défendre d'une
sorte de sentiment su[)erstitieux eu se rappelant qu'il était
né eu même temps et «ju'il est mort en même temps que la
gouvernement pailemeiitaire en France. Cette longue exis-
tence, si bien reii!i)lie par le travail, se trouve comprise cntro
deux dates célèbres : entre le 10 août 1792 , où la force passa
des mains d'un seul homme dans les mains d'une assemblée,
et le 2 décembre 1851 , où elle passe des mains d'une assem-
blée dans celles d'un seul homme. Breton assistait, comme
sténographe, à la séance du 10 août, et il était encore à sou
poste le 1*"" décembre 1851. Nous ne croyons pas qu'il
ait été donné à aucun aulie coûtemporaiji d'ouvrir et de
fermer un pareil cycle.
Breton a été le compagnon fidèle et constant de la trjij
BRETON — BRETON DE LOS HERREROS
693
bune ; il s'est élevé avec elle , il est tombé avec elle. Il est
mort dans un ûge avancé , plein de jours et plein de bonnes
œuvres, après une existence des plus laborieuses et des
plus méritantes. Nous ne voulons donc parler ici de Breton
que comme d'un personnage historique à sa manière. Telle
qu'elle est, cette ligure de journaliste sans prétention et de
sténographe modeste a sa place à part dans la galerie des
portraits de ce siècle. Rien n'est plus intéressant, et, si
nous pouvons nous permettre ce mot, rien n'est plus curieux-
que cette vie calme, mesurée et uniforme, accomplissant
régulièrement son cours à travers les temps les plus orageux
qui aient jamais bouleversé l'histoire, et venant tranquil-
lement retrouver sa tombe à la place môme de son berceau.
I! n'y a pas un homme de ce temps-ci qui ait yu plus et
qui ait vu mieux que Brefon. Les philosophes qui écrivent
l'histoire lui donnent leurs systèmes, les poètes leurs cou-
leurs ; les hommes privilégiés qui font les événements sont
trop acteurs pour pouvoir être juges. C'est comme dans les
triomphes et les processions; ceux qui y figurent comme
héros ou comme victimes, qui marchent avec les fais-
ceaux et avec les fanfares, ne voient pas et n'entendent
pas. Il n'y a que ceux qui occupent les fenêtres ou les es-
trades qui peuvent voir et juger successivement le monde
qui passe. Eh bien , on pourrait dire que Breton a été
pendant soixante ans à la fenêtre ; soixante ans pendant
lesquels l'univers a présenté des changements à vue et des
effets de kaléidoscope comme nous n'en reverrcns peut-être
pas. Nous disons peut-être.
La sténographie est en quelque sorte un genre de daguer-
réotypie ; c'est aussi une manière de prendre la nature sur
le fait, dans son passage rapide comme l'éclair, sans l'em-
bellissement de l'art, sans rennoblissoraent de l'idéal , mais
avec l'exactitude cruelle et la crudité impitoyable de la
réalité. Or, Breton a sténographié pendant toute sa vie ;
toutes les célébrités du siècle , en défilant devant lui , se sont
trouvées traduites et reproduites sous sa plume, et pour
ainsi dire plaquées sur sa page blanche, comme si elles
avaient passé sous le rayon de lumière de la photographie. Il
a vu la muse de l'histoiie sans ornements et sans parure,
courant les rues telle qu'elle s'était levée le matin, sans
avoir eu le temps de s'habiller ou de se costumer. On pour-
rait dire de lui qu'il a dressé le procès-verbal de ce siècle.
Il a été le témoin de l'histoire , témoin modeste, impartial,
véridique. Pour nous servir d'une expression un peu spé-
ciale , il ne posait pas, et il ne faisait pas non plus poser les
personnages qu'il avait vus. Les mots de l'histoire , il les
.'savait tels qu'ils avaient été dits, et non tels qu'ils avaient
été faits. Bien souvent sa vieille et malicieuse mémoire a
remis des phrases à leur place : bien souvent il a dit à la
fable ses vérités. Breton était non-seulement le doyen, mais
presque le créateur de la sténographie en France. C'est as-
surément l'homme d'Europe qui a le plus écrit : il a publié
plus de cent volumes de voyages et de romans , traduits de
l'anglais et de l'allemand. Il sténographiait déjà en 1792 ; il a
été pendant trente-quatre ans sténographe au Moniteur et
au Journal des Débats ;\\ a été pendant vingt-sept ans
gérant de la Gazette des Tribunaux , participant à la ré-
daction du journal , aux comptes-rendus des procès et aux
traductions des causes étrangères. Il a écrit les débals des
premières et des dernières assemblées délibérantes, les cours
de Lagrange et de Berthollet, et ceux de Broussais. C'est
quelque chose d'effrayant que de calculer la somme de pa-
roles humaines que cette plume infatigable a versée sur le
monde. On frémit quand on songe à tout ce que ce vieillard
avait entendu pendant plus de soixante années , et quand on
se figure toutes les voix dont il avait recueilli les sons se
mettant à parler toutes ensemble et répétant ce concert à la
fois sublime et monstrueux qui a rempli les échos de ce
siècle.
Mais ce qui donne à Breton une physiono.nie toute parti-
culière, c'est précisément l'ordre et la méthode avec lesquels
tous les événements de son temps se classaient dans son en-
tendement sans le troubler. Spectateur non pas indifférent,
mais impassible de cet immense drame qui se jouait dans le
monde , il n'en faisait pas la critique ; il se bornait à faire ce
qu'on appelle V analyse de la pièce. C'est ainsi qu'il a vu et
raconté cette séance du 10 août dans laquelle le malheureux
Louis XVI, fuyant les Tuileries ensanglantées, se réfugia
avec la reine, avec les enfants de France et Madame Elisa-
beth dans l'Assemblée Législative : « Le roi constitutionnel,
dit Breton , se plaça d'abord sur un fauteuil à côté du pré-
sident ; mais bientôt , dès que le canon et la fusillade reten-
tirent, on prétexta que la présence du monarque nuisait à la
liberté des délibérations. Le roi, la reine, leurs augustes en-
fants , Madame Elisabeth et leur suite furent relégués dans la
tribune du Logographe. « Mais, s'écria un membre, où donc
« placera-t-on messieurs les journalistes? — Ces écrivains, dit
« Thuriol de La Rosière, sont stipendiés des contre-révolu-
« tionnaires et du cabinet occulte des Autrichiens ; ils sont
n payés pour dénaturer nos discours et les rendre ridicules ;
« nous n'avons plus besoin d'eux ! » Telle fut la fin du Logo-
graphe. »
Comme on le voit, déjà dans ce temps-là les orateurs se
plaignaient qu'on rendit leurs discours ridicules. Nous
sommes obligés de croire qu'il suffisait pour cela qu'on les
reproduisit exactement, car jamais il n'y eut d'interprète
plus fidèle et plus probe que Breton. C'est une justice qui
a été souvent rendue au Journal des Débats, et que nous
pouvons rappeler sans scrupule, qu'il s'est toujours fait re-
marquer par l'exactitude et l'impartialité de ses comptes-
rendus parlementaires. Breton avait sténographié le procès
de Babœuf , celui de Georges et de Moreau , celui de la ma-
chine infernale. Ce même homme qui avait assisté à la dé-
chéance de Louis XVI a assisté aussi à la séance du 24 fé-
vrier 1848. Il avait -vTi le 18 brumaire, il y était comme
sténograplie ; et le 1" décembre 1851 , comme nous l'avons
dit , il sténographiait encore la dernière séance de l'Assem-
blée Nationale.
Il était d'une assiduité infatigable et d'une exactitude qui
ne tilt jamais mise en défaut. Comme souvenir personnel ,
je me rappelle qu'à la séance du 15 mai 1848, quand l'As-
semblée Constituante fut envahie par MM. Blan([ui , Ras-
pail , Huber et leurs amis, voyant le bureau escaladé , les tri-
bunes publiques et celles des journaux prises d'assaut, et
ne sachant pas trop ce que pouvait être devenu Breton et
la sténographie dans ce pandémonium , je me mis à prendre
des notes rapides au crayon pour pouvoir raconter tant bien
que mal la séance. Mais Breton avait imperturbablement
sténographié tous les discours, toutes les interruptions, tous
les cris, avec son sang-froid septuagénaire, et le lendemain la
séance paraissait tout entière dans le Journal des Débats.
Breton était d'une obligeance constante et d'une ressource
inépuisable; c'était une mine précieuse de souvenirs et de
précédents. Il était toujours prêt au travail, et après avoir
fait sa propre besogne, il se mettait tranquillement à tra-
duire pour les autres des colonnes de journaux étrangers ,
car il savait à peu près toutes les langues de l'Europe. Il
était interprète près les cours et tribunaux pour l'anglais ,
l'allemand, l'italien, l'espagnol, le hollandais et le flamand.
Il y a , surtout en des temps d'agitation et d'ambition
comme les nôtres, quelque chose qui inspire un véritable
respect dans cette vie detravail honnête, régulier et incessant.
Le Dictionnaire de la Conversation doit à Breton l'article
Sténographie, où il a fait l'histoire de l'art qu'il pratiquait,
ainsi qu'un grand nombre d'autres articles, où cet excellent
vieillard a le plus souvent consigné ses souvenirs personnels.
John Lemoikne.
BRETOIV DE LOS HERREROS (Don Manuel), le
poète peut-être le plus populaire et le plus aimé qu'il y ait
aujourd'hui en Espagne, est né le 19 décembre 1800, à Quel,
694
BRETON DE LOS HERREROS — BRETONS
dans la province de Logrono. Après avoir fait ses études à
Madrid, il servit comme volontaire dans l'armée, de 1814 à
1822. Il fut à cette époque placé dans le déparlement des
finances, puis nommé secrétaire de l'intendance de Jativa ,
et bientôt après de celle de Valencia. Constamment dévoué
à la cause de la liberté, il dut renoncer à cette carrière lors
du rétablissement du pouvoir absolu dans sa patrie. Pour ne
pas tomber entièrement à la charge de sa famille , il demanda
au théâtre des moyens d'existence, et composa des pièces qui
lui ont acquis une r6[)utation durable. Ce ne fut qu'en 1834
qu'on songea de nouveau à lui confier à Madrid des fonc-
tions publiques, qu'il ne sollicitait môme pas; plus tard on le
nomma consenateur delà Bibliothèque nationale, et il perdit
cet emploi en 1840, parce qu'un pocme de circonstance ,
composé par lui en l'iionneur d'Espartero par ordre de la
junte, n'avait obtenu aucun succès. Cependant l'Académie
royale d'Espagne ne l'en admit pas moins, en 1837, au nom-
bre de ses membres.
A Tàge de dix-sept ans Breton de los Ilerreros avait déjà
composé une comédie : A la vcjez viruclas , qui obtint en
1824 les honneurs de la représentation, et dont le succès
fut des plus éclatants. Depuis lors, doué d'une fécondité et
d'une lacilité peu communes, il n'a pas fourni à la scène
espagnole moins de cent cinquante ouvrages, les uns com-
plètement originaux , les autres imités de vieux auteurs na-
tionaux ou bien traduits du français et de l'italien ; et la plu-
part de ces pièces ont obtenu les plus brillants succès, tant
sur les théâtres de la capitale que sur ceux des provinces.
Il a en outre publié des Poesias sucltas [^ld.ànà, 1831),
ainsi que les poèmes satiriques : Contra et Jiiror fUarmo-
nico, 0 mas bien contra los que desprecian el teatro es-
panol (1828 ); Contra los hombres en de/ensa de las mu-
geres ( 1829 ); El carnaval (1833); Contra la mania con-
taijiosa de escribir para elpubllco ( 1833 ) ; La Hipocresia
(1834); Contralos abusas y dcspropositos introducidos en
el arte de la declamacion teatral (1834) ; Recuerdos de nn
baile de mascaras, cuento en verso (1834); Epistola
moral sobre las costumbres del siglo (1841). Tous ces
poèmes se distinguent par l'élégance et en môme temps par
l'énergie de la diction, ainsi que par l'harmonieuse facilité
de la versification. La satire et la comédie, voilà son véri-
table élément : il y est léger, original et complètement espa-
gnol. Mais si ses œuvres dramatiques se distinguent plus
par les effets de scène et par de brillants détails que par
l'originalité de l'invention et la richesse de la composition ,
on peut dire de presque toutes qu'elles amusent le specta-
teur depuis la première scène jusqu'à la dernière. Dans ses
derniers drames, il a su d'ailleurs se défendre de l'influence
des classiques français et se rattacher aux grands modèles du
vieux théâtre national. On publie depuis 1850 à Madrid une
édition complète de ses œuvres en cinq volumes.
BRETONS. Ce nom était un appellatif qui désignait les
peuples de l'Angleterre méridionale; ceux de l'Armorique
gauloise ne l'ont porté que depuis l'établissement de Conan-
Mériadec et de ses compatriotes {voyez Bretagne). Li-
nom de Bretons est dérivé du mot gaulois brith , brit ou
breitk, qui signifie peint, bariolé, tatoué. Encore aujour-
d'hui , les peuples de la petite Bretagne donnent aux insu-
laires de la grande le nom de Breizads. C'était donc une
épithète, un sobriquet, qu'ils devaient, selon César, à l'usage
qu'ils avaient de se peindre ou de se tatouer en bleu avec la
guède ( vitrum ou glastum). Du temps du conquérant romain,
la plus grande partie de ce qui forme aujourd'hui l'Angle-
terre proprement dite, était habitée par des peuplades belges
venues du continent opposé ; le nord de l'Angleterre et de
l'Ecosse l'étaient, par des Gaulois indigènes. Le nom de
Bretons n'a été porté que par les premiers, et ne s'est jamais
appliqué aux Gaulois du nord de l'île. Ces derniers étaient
divisésen deux peuples, les Calédoniens ( Kael-Dun, aujour '
d'hui Kaetdoch), ou Gaiilois montagnards, et les Méates ou l
Majates (de magh, maigh, maith, plaine), ou Gaulois de
la plaine. Ces derniers , plus agricoles , étaient appelés par
leurs voisins montagnards , qui vivaient de chasse, cruit-
nich, ou mangeurs de blé. Les Bretons, au contraire, dont
ils étaient limitrophes, et dont ils ravageaient les terres,
les appelaient Pietés, non parce qu'ils avaient l'habitude
de se peindre, mais du mot biktich ou piktich, qui signifie
larron ou pillard.
Pendant tout le temps de la domination des Romains en
Bretagne, et probablement auparavant, les Calédoniens et
les Pietés firent une guerre incessante aux Bretons pour
reprendre le pays qui leur avait été enlevé. Ce furent ces
ravages continuels qui obligèrent les Bretons amollis, après
que les Romains les eurent abandonnés, à appeler à leur
secours les Anglo-Saxons, qui les subjuguèrent par trahison.
Les Bretons étaient du temps de César plus sauvages et
plus féroces que les Gaulois du continent, à l'exception
toutefois des habitants du Kantium, que leur commerce avec
les étrangers avait rendus plus humains. Ils se peignaient
en bleu, ainsi que nous l'avons vu, se rasaient la barbe, ne
conservant que la moustache, et portaient une longue che-
velure. L'infanterie faisait la force principale de leurs armées ;
mais ils avaient aussi de la cavalerie et des chars de guerre.
Ils s'adonnaient peu à l'agriculture, et vivaient principjdement
de la chasse et des produits de leurs troupeaux. La disci-
pline religieuse des Druides s'était formée chez les Bretons,
et les jeunes Gaulois qui voulaient s'y perfectionner allaient
l'étudier en Bretagne. Les Bretons recueillaient l'étain, que
dans les temps reculés ils apportaient dans le Kantium, où
les Phéniciens venaient le chercher. Plus tard, ce furent les
Gaulois qui l'apportèrent par terre, du Kantium à Mar-
seille. Les Bretons étaient d'assez hardis navigateurs, et
non-seulement ils parcouraient les côtes de leur pays et
celles des Gaules, dans des barques d'osier couvertes de
cuir, mais ils enseignèrent aux Phéniciens le chemin de
Thulé ou de la ^'orvège, par les Orcades et les lies de
Shetland. G"' G. de Vaudo.ncourt.
BRETONS ( Bas- ). Si l'on tire une ligne transversale
de Paimpol à l'embouchure delà Vilaine, au-dessous de la
Roche-Bernard, toute la partie de la presqu'île armoricaine
comprise entre cette ligne et l'Océan forme la Basse-Bre-
tagne. Cette contrée dans les anciens jours a subi plus d'une
invasion , sans que le type de la race primitive et à quel-
ques égards autochthone en ait été sensiblement altéré. Cel-
tique d'origine ( ses Dol-menn et ses Menn-hirs ne l'at-
testent pas moins que sa langue ) , elle en a longtemps
conservé les mœurs, le culte et les habitudes. Transplanté
sur cette terre, le christianisme s'y est teint de quelques
antiques superstitions. Aucun changement, si l'on excepte un
petit nombre de mots empruntés par la nécessité au voca-
bulaire français , ne s'est introduit dans son idiome, dont
la prononciation gutturale et durement aspirée s'apprend avec
une extrême difficulté par toute personne qui ne l'a pas par-
lée depuis sa naissance. Cet idiome n'est pas près de périr,
et cela par une raison péremptoire tirée de la configuration
du sol.
Le pays, si l'on excepte les villes et quelques bourgades,
renferme peu d'habitations agglomérées. Déchiré par des tor-
rents, hérissé de roches qui ont perdu leur terre végétale, il
manque de plaines. Indépendamment des montagnes-noires
( ménèz-du ), dont la chaîne se prolonge de l'est à l'ouest,
sa surface consiste principalement en collines et en vallons,
sur lesquels sont éparses, à de grandes distances l'une de
l'autre, les cabanes des cultivateurs. Une commune formée
de deux cents feux ainsi disséminés n'a guère moins de
ieux lieues carrées de superficie. A travers ce terrain tou-
, (Ours accidenté, circulent des ruisseaux torrentueux en hi-
ver, seule saison pendant laquelle les enfants aient le loisir
d'aller chercher au loin quelque instruction, car les tra-
vaux de l'été les retiennent auprès de leurs familles. Il est
i
J
BRETONS
696
rare qiie le clocher paroissial s'élève au centre de la com-
mune , qui, à parler exactement, n'a pas de chef-lieu. Pla-
cées, comme elles le sont presque partout, auprès du
temple rustique, il est naturel que les écoles soient peu
fréquentées. De retour sous le toit paternel, l'enfant, qui
n'entretient de rapports avec ses auteurs que par la com-
munauté de l'idiome celtique, a bientût oublié des leçons
reçues à longs intervalles. Ainsi , cet idiome triomphe de
la îangue française sous le chaume de la vieille Armorique,
et y régnera longtemps de génération en génération. Ne
croyez donc pas que là on puisse s'entendre sur vos nou-
velles mesures ; ne comptez guère plus sur le respect exigé
en faveur de votre système métrique et décimal. Réfrac-
taire à votre science, le paysan bas-breton calculera comme
ses pères, mesurera comme eux, parlera comme eux; et
tout au plus, subjugué par le succès récent d'un voisin, il
adoptera quelque méthode inusitée d'agriculture. Encore fau-
dra-t-il qu'il s'écoule des années avant qu'il s'y décide.
Le caractère du Bas-Breton n'a pas subi les modifications
remarquées chez le])eu|>le de Paris depuis l'époque où l'em-
pereur Julien le jugeait triste et taciturne. Il est resté tel
en Bretagne que le lui a donné primitivement le culte drui-
dique, sur lequel a été entée une religion sévère; il est tel
qu'il devait résulter d'un ciel inclément, de vents presque
continuels, de tempêtes qui enlèvent les toitures des édifices,
de travaux contrariés par des pluies glaciales ou des sé-
cheresses prolongées, d'une nourriture sobre, céréale en
majeure partie, et qui sous un climat froid et nébuleux
appelle des excitants alcooliques, dont le propre est de
conduire le paysan, comme les classes populaires, à l'in-
tempérance. Celle-ci est trop avantageuse au fisc pour n'être
pas afiligeante pour la morale. De cette lutte contre les au-
tans, de cette culture pénible sur un sol tourmenté, devait
naître une opiniâtreté au niveau des obstacles à vaincre,
une humeur mélancolique , un langage durement accentué ,
une gravité qui ne s'oublie que dans l'ivresse des foires et
des fêtes patronales , une danse monotone , une joie triste,
de la lenteur dans la démarche, de l'hésitation dans les
premiers mouvements; mais une ténacité invincible dans
les déterminations une fois prises, un oubli de tout péril
personnel, et un mépris de la mort calme et sans jactance.
La conformation physique du Bas-Breton est en rapport
avec sa physionomie morale. Vous trouverez en Basse-Bre-
tagne peu de tailles sveltes et élancées. La grande mpjorité
de la population ne surpasse pas pour les hommes la hau-
teur de cinq pieds (ancienne mesure), et pour les femmes
celle de quatre pieds dix pouces. Le corps des premiers est
osseux , la poitrine est large, le cou est court et fortement
musclé ; la tête, généralement plus voisine de la rondeur
que d'une forme ovale, est volumineuse; l'œil, souvent
déprimé dans son orbite, est surmonté d'épais sourcils; la
pensée y réside profondément ; elle n'en jaillit pas de prime
abord : il faut l'interroger, et alors elle se manifeste dans la
fermeté du regard ; l'action marche bientôt à la suite, et quel-
quefois sous l'incitation d'une colère tranquille. Gardez-vous
dans ces occasions de vouloir y apporter aucun obstacle :
vous arrêteriez plutôt le torrent qui descend des monta-
gnes ou le soufde impétueux qui en balaye les gorges.
Napoléon , parcourant les lignes de son armée pendant
que se livrait la bataille de Lutzen,fixa son attention cu-
rieuse sur quelques compagnies de conscrits à figures im-
passibles, que leur chef de bataillon haranguait dans une
langue inconnue : ces figures commencèrent par devenir
soucieuses , ensuite elles s'animèrent ; bientôt la voix du
jeune commandant éclata dans un dernier cri de vigueur;
le fameux Torré-penn ( cassez-leur la tête ) fut prononcé, et
l'on marcha résolument devant une batterie chargée à mi-
traille. La moitié de cette brave jeunesse y périt , mais
l'autre enleva deux canons , bientôt dirigés par elle contre
l'étranger, dont les artilleurs gisaient assommés sur leurs
pièces. C'était le bataillon du Finistère, à peine formé trois
mois auparavant, auquel son chef (M. Pascal Keranvéyès)
adressait des paroles puissantes , empruntées au dialecte cel-
tique , le seul que ces jeunes gens connussent.
Interrogez les officiers de marine : ils vous diront que le
matelot provençal ou bordelais a de l'intelligence , qu'il ne
manque pas d'activité, qu'il est propre à un coup de main;
qu'obéissant au porte-voix , il sera prompt à la manœuvre ;
que dans un grain ou un remous il aura vilement cargué
les voiles, et que pendant un temps donné il résistera à
une bourrasque. Mais parlez-leur d'une tempête prolongée ,
telle qu'on en essuie au cap Horn ou aux approches du cap
de Bonne-Espérance, ils opineront tous pour le matelot de
la Basse-Bretagne, car ils savent bien que celui-ci, dans son
flegme, abordera les huniers sans murmure au milieu des
éclairs ; qu'il tiendra sur la vergue pendant les nuits les plus
orageuses; que trempé d'une pluie glaciale il continuera
son dur service ; qu'avec deux doigts d'eau-dc-vie sur l'es-
tomac et une feuille de tabac dans la bouche , il luttera aussi
courageusement contre l'ennemi que contre la tempête, et
surtout si cet ennemi appartient à la Grande-Bretagne.
Le Bas-Breton en effet a la haine de l'Anglais ; il ne sait
pas pourquoi , il ne saurait le dire : elle est dans son sang,
elle est dans les récits du foyer paternel , elle est dans les
contes des veillées, comme dans les chants populaires, nous
dirions presque dans l'air que l'enfant respire. Voyez ces
visages mornes, ces têtes entourées d'une chevelure épaisse
qui retombe à flots sur de larges épaules , cette stature roide,
juchée sur des sabots qui l'exhaussent de dix centimètres,
ce justaucorps qui recouvre autant de gilets qu'en dépouille
Auriol dans une course du Cirque-Olympique, ces braies
plissées et gonflées comme deux ballons qui, tenant à peine
sur les reins, descendent jusqu'à des guêtres de cuir noir
posées à cru sur la jambe ; voyez cette démarche rendue
lente par l'accoutrement qui la gêne, ces lèvres paresseuses
qui vous font attendre une réponse oii brille l'épargne des
paroles , cette indécision qui semble soupçonner votre véra-
cité, car le paysan bas-breton est naturellement défiant : ch
bien , criez à son de trompe qu'une descente d'Anglais s'est
effectuée sur le littoral de la vieille Armorique, et tout cela
retrouvera de la vie ! Les vieillards redemanderont à leur mé-
moire le souvenir des anciens griefs vrais ou supposés; les
adultes détacheront du manteau de la cheminée leurs fusils
pour les fourbir; les femmes et les enfants crieront; les tra-
vaux agricoles seront suspendus: de tous les animaux qui
composent la richesse de la ferme, le cheval sera seul soigné,
et les hommes valides marcheront. Sur des lèvres naguère
iraniobiles se placera la menace ; l'imprécation retentira dans
les chemins de traverse; les yeux presque éteints auront
des éclairs ; les groupes se formeront à la porte des églises,
sur la tombe des ancêtres ; des messes seront payées aux rec-
teurs ; des ex-voto seront promis aux autels; les bourgs et
les villes offriront le même spectacle d'animation ; et à
tant de haines, qui ne formeront qu'une seule et immense
haine, il ne faudra que des chefs pour les conduire à la vic-
toire! Ce n'est pas une simple guerre qui s'improvisera : vous
seriez tenté de dire que l'on va courir à une vengeance.
La foi du Bas-Breton va jusqu'à la superstition. Pour lui,
il est peu de fontaines ou de grottes qui n'aient un patron
dans le ciel. A chaque bienheureux de la légende armori-
caine est affecté le droit de guérir; à tel mal suffit telle oraison;
de telle rencontre on tirera tel présage : s'il menace un en-
fant, on ira trouver le prêtre, qui récitera les premiers versets
de l'Évangile selon saint Jean, après lui avoir posé un bout
de l'étole sur la tête. Ne mécontentez ni les mendiants ni les
vieilles femmes : vous avez beau appartenir audix-neuvièmô
siècle , vous ne seriez pas à l'abri des mauvais sorts qui vous
seraient jetés. Cependant ces pauvres, ces vieillards, ont leur
part dans la justice distributive du paysan bas-breton. Aucun
ue se montrera à la porte des cabanes sans recevoir son au-
606
BRETONS — BREUILLES
mône : celle-ci consistera en pain, en farineou en menue mon-
naie; on s'entretiendra familièrement avec lui; on en ap-
prendra les nouvelles qu'il recueille ou qu'il promène de
village en village. Dans les repas de noces , dans les danses
dont ils sont suivis, les pauvres ont une place acquise;
assis à table immédiatement après les autres convives, ils
sont servis par les jeunes époux. Bientôt ils ouvriront le bal
champêtre avec eux ; le nouveau marié prendra par la main
une mendiante , dont les guenilles auront été lessivées pour
ce jour solennel, et un vieil estropié s'accostera sans crainte
de la jolie fille qui vient de prononcer le serment de l'é-
pouse.
Le mendiant en effet, dans sa vie errante, jouit, avec
les tailleurs, du privilège de préparer les conventions my-
trimoniales. Ceux-ci, toutefois, ont plus d'occasions que l'autre
de mettre les futurs conjoints en rapport : chargés de con-
fectionner, sans restriction, les vêtements des deux sexes
(ce qui les met en faveur auprès des jeunes femmes),
par bandes, leur grand bâton blanc à la main, ils vont passer
des semaines d'une ferme à l'autre. C'est à qui aura le bon-
lieurde les installer dans la grange qui va devenir leuratelier;
quatre fois, depuis le lever jusqu'au coucher du soleil, on
leur présente une nourriture délicatement apprêtée , et à la-
quelle ils ne manquent jamais de faire honneur. Mais leur
rétribution métallique est minime , une pièce de cinquante
centimes est le salaire le plus large accordé à leur travail ,
sur lequel chaque servante s'est réservé des droits qui font
partie de ses gages. Chose extraordinaire! chose presque in-
croyable! partout bien accueillis, fêtés même, les tailleurs
sont partout un objet de mépris quasi légal. Un enfant natt-il
mal conformé, « on en fera un tailleur, » disent les père
et mère; est-il plus tard atteint de quelque infirmité, on le
réserve à la même profession ; si son intelligence se déve-
loppe tardivement, il n'échappera pas à cette destinée!
Le grand défaut du peuple de la Basse-Bretagne consiste ,
nous l'avons déjà dit, dans l'abus des liqueurs spiritueu;;es ;
enlevez à l'intempérance les campagnes et les villes de la
vieille Armoriqne, et vous aurez un peuple grave, peu dé-
monstratif, mais n'oubliant ni le bien ni le mal qu'on lui a
fait , endurci h la fatigue, soumis aux lois , mais murmu-
rant contre l'impôt du sel et du tabac , chérissant par-dessus
tout son clocher, et mourant quelquefois de nostalgie quand
il s'en éloigne. Kératrv.
BRETOXS (Chevaux). Voyez CaEv kl.
liRETTE, BP.1£TTEUR. La bretle que portaient nos
aïeux était une espèce d'épée longue et étroite , une rapière,
une arme d'estoc. Son nom de birtle lui venait de ce
qu'elle avait été originairement fabriquée en Bretagne. On
appelle aussi quelquefois Brettc, au lieu de Bretonne , une
femme ou une fille née en Bretagne, et Basse-Brette celle
qui est née dans la Basse-Bretagne.
De brette on a fait les verbes brelter et bretaUlcr et le
mot bretteiir, nom pris toujours en mauvaise part, et par
lequel on désigne encore les gens toujours prêts, sur le
moindre prétexte , à tirer la brette du fourreau , pour venger
ime prétendue injure , ou même faisant métier de provoquer
et d'insulter les ^ens honnêtes et paisibles, afin d'avoir l'oc-
casion de se mesurer avec eux, et de faire ainsi, sans
beaucoup de danger et à peu de frais, montre d'un courage
qui n'est pas toujours à l'épreuve de toutes les rencontres.
C'est ce que l'on a également nommé ferrailleur, et ce
qu'on peut appeler, en termes plus relevés, si la chose en
vaut la peine, spadassin.
BREUGHEL (Pierre), chef d'une célèbre famille de
peintres Hamands, dit aussi, en raison du caractère ou des
sujets ordinaires de ses tableaux, Pierre le Drôle ou
Breughel te Paysan , naquit en 1510 suivant les uns, et
en 1530 suivant les autres, à Breughel, village peu éloigné
de Breda, dont il prit le nom, et fut l'él ève de Pierre Kock van
Aelst. Il voyagea en France et «n Italie, recueillant partout
les points de vue ou les sujets naturels qui lui plaisaient"
et à son retour dans sa patrie, il se fixa à Anvers , où il fut
reçu membre de la Société des Peintres , et où il épousa la
fille de son maître. Plus tard il s'établit à Bruxelles, où il
mourut, en 1570 suivant les uns, et en 1590 suivant les
autres. Dans ses noces de paysans , ses fêtes et ses danses
champêtres, il a peint sous de vives couleurs la joie franche
de l'homme des champs, telle qu'il l'avait observée de ses
yeux d'artiste. Une de ses toiles les plus célèbres est celle
qu'on voit dans la galerie de Vienne, portant la date de 15C3
et représentant la construction de la Tour de Babel. Beau-
coup de ses tableaux ont été gravés par d'autres sur cuivre,
mais il gravait aussi lui-même à l'eau-forte.
Pierre Breucuel, son fils, dit Breughel le jeune, ou*
rfn/ernal, parce qu'il traitait de préférence dessujets où il
fallait accumuler les contrastes les plus frappants, comme
les scènes de brigands , d'évocations de démons et de sor-
cières, etc., né à Bruxelles, en 1569, mourut en 1625. Son
Orphée séduisant les divinités infernales par les accents
de sa lyre, qu'on voit dans la galerie de Florence, et sa
Tentation de saint Antoine sont des tableaux de premier
ordre.
Jean Bredchel , frère du précédent , dit Breughel de
velours, parce qu'il ne portait guère que des vêtements de
cette étoffe, naquit suivant les uns en 1508, et suivant les
autres en 1575. Il mourut en 1640, et même dès 1625 à ce
que prétendent quelques auteurs. Ce fut un artiste extrê-
mement fécond, qui excella dans le paysage et dans la peinture
des petites figures, sujets qu'il exécutait d'ordinaire avec la
plus minutieuse exactitude. Il peignit aussi, pour d'autres
maîtres, tantôt des fonds de paysage, tantôt des figures sur
un fond; c'est ainsi qu'il fit un tableau d'Adam et Ève dans
le paradis terrestre dont Rubens exécuta les deux figu-
res principales. Cette toile et ses Quatre éléments, de même
que son Vertumne et Bellone, œuvres également exécutées
en société avec Rubens, sont les productions les plus re-
marquables de Breughel de velours.
Son fils, Jean Breughel, reçu membre de la confrérie de
Saint-Luc d'Anvers en 1629, imita sa manière.
Les autres membres de cette famille qui vécurent en des
temps postérieurs sont : Amb7:otse Brelghel, qui fut doc-
teur de l'Académie de Peinture d'Anvers, entre 1035 et 1670,
et se fit une réputation comme peintrç de fleurs ; Abraham
Breit.uel, dit Rhingraf ou le Napolitain, remarquable
peintre de fruits, de fleurs et d'oiseaux, né à Anvers, qui
résida longtemps à Rome et à Naples, et mourut dans cette
dernière ville, en IG'JO ; son frère, Jean-Baptiste lÎRt.iJGixzLf
comme lui peintre de fleurs et de fruits, mais artiste d'un
talent bien inférieur, mort à Rome, après 1700; enfin GaJi'
pard Brel'guel, fils d'Abraham, qui cultiva le même genre
que son père.
BRElJIL,terrfled'eaux et forêts, qui signifie unbois taillis,
ou buisson fermé de haies et de murs, dans lequel les bêles
ont accoutumé de se retirer. Ce mot, dont M. Hase fait re-
monter l'étymologie au grec uîpiSoXtov, que les Grecs mo-
dernes prononcent brivolion , et qui dans le Levant a si-
gnifié au moyen âge un verger, un jardin cultivé devant
la maison, a formé par la suite plusieurs noms de lieux :
une partie de la place Saint-Marc à Venise a été appelée Brn-
glio, d'un petit bois qu'il y avait autrefois en cet endroit,
et ce nom est devenu aussi celui de plusieurs familles, par
exempiecelicsdesBroglie, des Debreuil,desDubreuil, etc.
BREUILLES. En termes de marine, on appelle ainsi
toutes les petites cordes, telles que martinets, garcettes,
petites cargues, etc., qui servent à carguer ou trousser les
voiles, opération pour laquelle a été fait le verbe breuiller
ou broïiillcr.
On donne encore le nom de breuilles aux entrailles ou
intestins des poissons, et l'on dit, par exemple, qu'avant de
caqucr le hareng , il faut lui arracher les breuilles.
1
BREUVAGE — BREVETS DINVENTION
BREUVAGE. On n'entend pas indistinctement par ce
mot toute espèce deboisson.Ce derniernom est le terme gé-
nérique dont on se sert plus particulièrement pour désigner
les liquides dont l'Iiomme fait usage pour satisfaire sa soif,
flatter ou réveiller le sens du goût. Breuvage s'emploie plus
spécialement pour indiquer les liqueurs préparées , compo-
sées, qu'on destine plutôt à produire quelque effet extraor-
dinaire qu'à servir de boisson habituelle. Quand Homère,
dans son Odyssée, parle d'un breuvage composé de fro-
mage, de farine et de miel détrempés dans du vin de Pramne,
il faut moins l'entendre d'une boisson d'un usage habituel
chez ses héros, que d'une potion qu'on leur apportait
après le combat ou après de longues fatigues afin de répa-
rer leurs forces. Dans le onzième livre de ï Iliade la belle
Hécamède sert un pareil breuvage à jMachaon, qu'on ra-
mène blessé du combat.
Quant aux breuvages ou philtres des anciens, des-
tinés à inspirer de la haine ou de l'amour, leur recette et
lairs effets ne sont pas bien connus. Les breuvages de haine
( |xiar,Tpa) étaient composés, dit Dacier, du suc de l'herbe
appelé promothea, mêlé au fiel de quatre animaux , et l'on
suppose que c'est avec un breuvage semblable que Circé
changea les compagnons d'Ulysse en pourceaux. Les his-
toriens et les poètes nous ont laissé quelques indications
à l'aide desquelles on pourrait recomposer les breuvages dan-
gereux connus dans les différents ûges et chez les différents
peuples, et cet art, depuis Médée jusqu'à la célèbre Brin-
villiers, n'a cessé d'avoir des praticiens. Quant aux breu-
vages d'amour, on ignore absolument leur composition ; on
sait seulement qu'on en présentait aux jeunes mariés , qui
avaient le nom spécial de brou et s, usage qui s'est long-
temps conservé chez les peuples modernes.
A bord des navires, breuvage indique un mélange égal de
vin et d'eau qu'on donne quelquefois pour boisson à l'équi-
page ; mais son acception la plus fréquente est encore celle
de potion , de médicament.
BRÈVE (Prosodie). Voyez Quantité.
BRÈVE (Musique). C'est une note dont la durée
n'est que le tiers de celle qui la précède : la noire est brève
après une blanche pointée, la croche après une noire
pointée, etc. Jl n'en est pas de môme dans le plain-chant,
où la brève vaut la moitié de la longue.
Brève est encore le nom de cette ancienne note qu'on
appelle aussi carrée, à cause de sa figure, et qu'on ne ren-
contre plus que dans le chant d'église : la brève droite ou
parfaite vaut trois rondes dans la mesure triple; la brève
altérée ou imparfaite ne vaut, dans la mesure double, que
deux rondes, qui prennent le nom de semi-brèves. Voyez
Allk Bheve.
BRÈVE (Ornithologie), genre d'oiseaux de l'ordre
des passereaux dentirostres , famille des fourmiliers. Ce
genre a pour caractères : Bec allongé, robuste, crochu;
tarses longs et scutellés ; queue et ailes très-courtes , d'où
leur vient sans doute leur nom.
BREVET (du latin brevis, court), se prend dans le
même sens que bref pour désigner des lettres courtes dont
on ne garde minute que par abréviation. Les brevets sont
délivrés par le chefde l'État pour établir en faveur de chaque
fonctionnaire le titre en vertu duquel il exerce, ou pour
donner à un particulier un titre spécial. Ils sont expédiés
par les ministères ou par la chancellerie, et contiennent
seulement la nomination du titulaire, avec une formule gé-
nérale. Il est interdit d'exercer certaines industries, comme
l'im p r i merie, la li b ra i r ie , sans avoir obtenu un brevet.
On appelait autrefois ducs à brevet ceux chez qui cette di-
gnité, conférée par brevet, n'était que viagère. L'on nommait
aussi brevet de joyeux avènement ou brevet de serment de
fidélité les lettres par lesquelles un prince accordait à un ec-
clésiastique non pourvu de bénéfice la première prébende qui
vic.-uhait à vaquer dans un chapitre, en sorte que le titu-
DICT. nu I.A C0>M.KS. — T. 111.
697
laire était saisi de plein droit de ce bénéfice sitôt qu'il venait
à vaquer. Les brevets d'assurance ou de retenue étaient
des actes par lesquels le roi accordait à une personne la sur-
vivance d'une fonction , à la charge de payer une somme
déterminée au titulaire auquel elle devait succéder.
En droit un acte en brevet se dit de celui que le notaire
remet aux parties sans en garder minute. On peut faire
de cette manière les certificats de vie , procurations , actes
de notoriété , quittances de fermages , de loyers, de salaires,
arrérages de pensions et rentes , et autres actes simples.
Une obligation pure et simple, môme contenant consti-
tution d'hypothèque , peut toujours être délivrée en brevet,
à quelque somme qu'elle s'élève ; l'usage est constant. Les
actes en brevet n'emportent pas exécution : lorsqu'on veut
les faire revêtir de la forme exécutoire , on les dépose chez
le notaire qui en délivre une grosse.
BREVETS D'INVENTION. On nomme ainsi les
titres délivrés par le gouvernement pour assurer à une
personne qui les obtient , le droit exclusif de fabriquer,
vendre ou employer, pendant un nombre d'années déter-
miné , la chose qui fait l'objet du brevet.
Avant la révolution de 17S9 l'industrie en France était
enchaînée par des règlements despotiques, qui défendaient au
génie toute découverte, toute invention, sous peine d'en
voiries résultats confisqués; les privilèges accordés par le
gouvernement étaient tout à fait arbitraires , et donnaient
lieu à une foule d'abus intolérables. La moindre innovation
devenait un motif de poursuites acharnées de la part d«
ceux qui avaient des privilèges. Les inventeurs français pre-
naient le parti de se réfugier dans les pays étrangers, qu'ils
enrichissaient du fruit de leurs découvertes. Les corporations
exerçaient une tyrannie d'autant plus odieuse que les privi-
lèges étaient accordés à perpétuité. L'industrie demandait à
grands cris son émancipation. En 1762 une déclaration de
Louis XV réduisit les privilèges à quinze années. C'était
une amélioration , mais elle était bien insuffisante. On de-
vait attendre de Louis XVI une réforme plus complète;
Turgot s'associa aux généreux projets du monarque. Ce mi-
nistre fit rendre l'édit mémorable de 1776, par lequel étaient
supprimés tous les privilèges et toutes les corporations;
mais cette suppression aurait dû être précédée d'une indem-
nité; des plaintes s'élevèrent de toutes parts : l'édit fut
rapporté , et le ministre remit au roi son portefeuille.
Ainsi l'industrie ne se vit un moment délivrée de ses en-
traves que pour retomber sous l'oppression du monopole.
Cet état de choses se maintint jusqu'à ce que l'Assemblée
Constituante eût brisé toutes les corporations et supprimé
tous les privilèges, pour donner à tous les Français les mê-
mes droits et leur imposer les mômes obligations.
Le gouvernement restitua à l'industrie tous ses titres; le
génie d'invention se livra à son essor, sans avoir à redouter
les obstacles et les persécutions. Toutefois une loi était né-
cessaire pour constater les découvertes, les perfectionne-
ments , les améliorations, et pour en assurer la propriété à
leurs auteurs. C'est dans cette vue que fut promulguée la loi
du 7 janvier 1791 sur les brevets d'invention.
Cette loi portait en principe que tout genre d'indus-
trio , toute découverte ou nouvelle invention est la propriété
de l'auteur , auciuel la loi doit en garantir la pleine et entière
jouissance pendant un temps déterminé. Elle assimile aux
brevets d'invention les brevets de perfectionnement,
et elle définit le perfectionnement : « Tout moyen d'ajou-
ter à quelque fabrication que ce puisse être un nouveau genre
de perfection. » Elle crée des brevets d'importation, et ac-
corde à celui qui importera le premier en France une dé-
couverte brevetée à l'étranger les mêmes avantages que s'il
en était l'inventeur. Elle assure à tout inventeur la propriété
et la jouissance exclusive, mais temporaire, de son inven-
tion , par la délivrance d'un titre ou patente, dont elle fixe
laduréeà cinq, dix ou quinze ans , au choix de l'inventeur;
69 i
BREVETS D'INVENTION
ee dernier terme ne pouvant jamais être prorogé que par
un décret spécial du Corps législatif. Elle prescrit la tenue,
au secrétariat de chaque préfecture, d'un catalogue des in-
ventions brevetées, que toute personne a droit de consul-
ter, môme pendant la durée du privilège. En outre, le minis-
tère de l'intérieur doit conserver pour la même lin le dépôt
général des spécifications ou descriptions des découvertes
brevetées. Elle définit la propriété exclusive et privative que
possède chaque inventeur sur l'exercice et les fruits de sa
tlécou verte, invention ou perfectionnement, lui reconnaissant
le droit de former des établissements dans toute l'étendue
de la France, de céder la propriété de sa patente, en un
mot, d'en disposer comme d'une propriété mobilière , pour
la défense et la conservation de laquelle elle lui donne l'ac-
tion en contrefaçon. Elle déclare qu'à l'expiration ou à la
déchéance de chaque brevet d'invention, la découverte
tombe dans le domaine public , ordonnant d'en publier la
description et le plan, afin d'en rendre la jouissance plus
promptement accessible à tous ; enfin elle déclare la dé-
chéance encourue : 1" si l'inventeur s'est servi dans sa fa-
brication de moyens secrets , non détaillés dans sa descrip-
tion ; 2" si la découverte était avant la demande du brevet
décrite et consignée dans un ouvrage imprimé et publié ;
3" si dans l'espace de deux ans , à compter de la date du
brevet, l'inventeur n'a pas mis sa découverte en activité,
sans avoir justifié des motifs de son inaction; 4° si après
avoir pris patente en France l'inventeur en a pris une pour
le même objet en pays étranger; 5" si l'invention est illicite
et contraire aux lois. Voyez Invention.
Rappelons aussi qu'un arrêté des consuls delà république,
en date du 27 septembre 1800, ordonnait que, pour préve-
nir l'abus que les brevetés peuvent faire de leurs titres , il
devait être inséré , par annotation au bas de chaque expédi-
tion , la déclaration suivante : « Le gouvernement en accor-
dant un brevet d'invention , sans examen préalable , n'en-
tend garantir en aucune manière ni la priorité, ni le mé-
rite, ni le succès d'une invention. » Cependant un comité
consultatif avait été établi au ministère de l'intérieur; et il
était chargé d'avertir officieusement les personnes qui de-
mandaient un brevet de l'existence certaine ou présumée de
brevets déjà pris pour des découvertes analogues.
La loi du 5 juillet 1844 est venue améliorer cette législa-
tion. Elle consacre les mêmes principes que celle de 1791 ;
elle indique aussi ce qu'on doit considérer comme invention
ou découverte nouvelle, et ce qui n'est pas susceptible
d'être breveté; elle conserve aux brevets la même durée de
cinq , dix et quinze ans ; mais elle en augmente la taxe ; ainsi
on doit payer 500 francs au lieu de 300 francs pour un bre-
vet de cinq ans, 1,000 francs au Ueu de 800 francs pour un
brevet de dix ans; pour un brevet dequmze ans le prix est
resté le même, à savoir 1,500 francs. Cette taxe, il est
viai, peut être payée par annuités de 100 francs, sous peine
de déchéance, si le breveté laisse écouler un terme sans
l'acquitter.
Suivant l'ancienne législation , toute personne qui voulait
obtenir un brevet devait acquitter d'abord la moitié de la
taxe variable selon la durée du brevet, plus 50 francs
pour l'expédition de son titre. Quant à laulrc moitié , la
loi de 1791 accordait la faculté de ne l'acquitter que dans
les six mois, à la charge par le requérant de déposer une
soumission de la verser dans ce délai.
Selon la loi du 5 juillet 1844, la demande d'un brevet
d'invention doit être adressée au ministre «le l'agriculture
et du commerce, avec 1° une description de la découverte,
invention ou application faisant l'objet du brevet récla:né;
2" les dessins ou écliantillons nécessaires pour l'intelligence
de la description; 3" un bordereau des pièces déposées. La
demande doit être limitée à un seul objet principal , avec
les objets de détail qui le constituent; il importe -de men-
tiounci la duiée que le demandeur veut assigner à son bre-
vet dans les limites de cinq , dix et quinze ans ; et cela sang
restrictions , conditions ni réserves. La description ne peut
être écrite en langue étrangère; elle doit être sans ratures
ni suicharges. Il fautjoindreà la demande un duplicata de lu
descri[)tion et des dessins ; le tout doit être signé par le de-
mandeur ou par un mandataire. Le dépôt de toutes ces pièces
ne peut avoir lieu que sur la production d'ua récépissé
constatant le versement d'une somme de 100 francs, à va-
loir sur le montant de la taxe du brevet. Pour mieux assurer
sûrement la priorité au véritable inventeur, le procès-ver-
bal, constatant le dépôt des pièces, doit énoncer l'heure de
leur remise.
La durée du brevet court à partir du jour du dépôt;
mais la loi veut que la délivrance des brevets soit faite avec
toute la célérité possible. Ainsi , après l'enregistrement des
pièces qui a lieu dans les cinq jours du dépôt, il n'y a plus
qu'à expédier les brevets dans l'ordre de la réception des
demandes; et cette expédition ne peut être retardée, puis-
que les brevets sont délivrés sans examen préalable.
A défaut de l'observation des conditions et des formalités
exigées par la loi , la demande est rejetée, et dans ce cas la
moitié de la somme versée reste acquise au trésor, à moins
que la demande ne soit reproduite dans les trois mois qui
suivent la notification du rejet de la requête. Alors seule-
ment il est tenu compte de la totalité de la somme versée.
On se hâte ordinairement de faire constater une invention,
une découverte, pour acquérir un droit de priorité; mai»
il n'est pas d'inventeur qui ne sente le besoin de compléter
son œuvre par une foule d'améhoratioiis , de perfectionne-
ments et d'additions que l'usage et la pratique lui révèlent;
la loi de 1844 a sagement réservé à l'inventeur des droits à
cet égard : il peut demander, à peu de frais , des certificats
d'addition, ou des brevets de perfectionnement en obser-
vant les mêmes formalités que pour les brevets d'invention.
La cession des brevets, totale ou partielle, soit à titre gra-
tuit, soit à titre onéreux, ne peut^tre faite que par acte
notarié et après le payement de la taxe.
Comme les brevets sont accordés autant dans un intérêt
public que dans un intérêt privé, toute personne est auto-
risée à prendre communication, sans frais, des descriptions,
dessins, échantillons et modèles des brevets délivrés; les
brevets d'importation ont été supprimés; mais la loi fixe
les droits des étrangers qui peuvent aussi obtenir en
France des brevets d'invention, en se conformant à ses
prescriptions.
Les brevets délivrés dans les cas suivants sont nuls et de
nul effet : 1° si la découverte, invention ou application
n'est pas nouvelle ; 2° si la découverte , invention ou ap-
plication n'est pas, aux termes de l'article 3, susceptible
d'être brevetée ; 3" si les brevets portent sur des principes,
méthodes, systèmes, découvertes et conceptions théoriques,
dont on n'a pas indiqué les applications industrielles; 4° si
la découverte , invention ou application est reconnue con-
traire à l'ordre ou à la sûreté publique, aux bonnes mœurs
ou aux lois de l'Éfat, sans préjudice, dans ce cas et dans
celui du paragraphe précédent , des peines qui pourraient
être encourues pour la fabrication ou le débit d'objets prohi-
bés; 5" si le titre sous lequel le brevet a été demandé in-
dique frauduleusement un objet autre que le véritable objet
de l'invention; C si la description jointe au brevet n'est pas
suffisante pour l'exécution de l'invention, ou si elle n'indique
pas d'une manière complète et loyale les véritables moyens
de l'inventeur; 7° si le breveta été obtenu contrairement
aux dispositions de l'article 18.
Cet article 18 porte que : « Ntil autre que le breveté ou
ses ayant-droits ne pourra pendant une année prendre
valablement un brevet pour un changement , perfectionne-
ment ou addition à l'invention qui fait l'objet du brevet pri-
mitif. Néanmoins, toute personne qui voudra prendre un
brevet pour changement, addition ou perfectionnement à un»
il
i
BREVETS D'I?^VENTION — BREVIAmE
699
«lécouvertc déjà brevetée, pourra dans le cours de ladite an-
née former une demande, qui sera transmise, et restera dé-
posée sous cachet, au ministère de l'Agriculture et du Com-
merce. L'année expirée, le cachet sera brisé et le brevet
délivré. Toutefois" le breveté principal aura la préférence
pour les changements, perfectionnements et additions pour
lesquels il aurait lui-même pendant l'année demandé un
certificat d'addition ou un brevet. »
Il arrive souvent que des demandeurs de brevets s'imagi-
nent avoir inventé une découverte, qui en France ou à l'é-
tranger, et antérieurement à la date du dépôt de la demande,
a reçu une publicité suffisante pour pouvoir être exécutée;
tme telle découverte n'est pas susceptible d'un brevet; en
pareil cas le brevet obtenu est nul.
Pour conserver le brevet qui a été délivré , il est indis-
pensable de remplir certaines conditions : ainsi le breveté
sera déchu de tous ses droits : 1° s'il n'a pas acquitté son an-
nuité avant le commencement de chacune des années de la
durée de son brevet ; 2" s'il n'a pas mis en exploitation sa dé-
couverte ou invention en France dans le délai de deux ans ,
à dater du jour de la signature du brevet, ou s'il cesse de l'ex-
ploiter pendant deux années consécutives , à moins que dans
l'un ou l'autre cas il ne justifie des causes de son inaction ;
3° s'il a introduit en France des objets fabriqués en pays étran-
ger et semblables à ceux qui sont garantis par son brevet.
La loi, pour parer aux fascinations des annonces et pour
rappeler que le gouvernement n'exerce aucun examen des
objets brevetés et ne garantit en rien leur valeur, exige que
tout breveté, sous peine de cinquante francs à mille francs
d'amende, ajoute dans tous ses actes de publicité relatifs à
son brevet ces mots : Sans garantie du gouvernement ;
disposition que les intéressés éludent journellement.en n'a-
joutant que les initiales de ces quatre mots.
Les juges de paix connaissaient autrefois de toutes les
actions relatives aux brevets; mais, par une loi du 25 mai 1838,
celte attribution fut (;hangée dans les termes qui suivent :
« Les actions concernant les brevets d'invention seront
portées, s'il s'agit de nullité ou de déchéance des brevets,
devant les tribunaux civils de première instance; s'il s'agit
de contrefaçon , devant les tribunaux correctionnels. » Ces
dispositions ont été conservées par la loi de 1S44.
En matière de déchéance et de nullité, une difficulté grave
s'était présentée : on s'était demandé par qui les actions de-
vaient être exercées. Les uns soutenaient que toute personne
avait le droit de former une action en nullité ou déchéance
d'un brevet; les autres affirmaient que ce droit n'apparte-
nait qu'à ceux qui y ont intérêt ; cette dernière opinion a
été adoptée, et se trouve consignée dans la loi de 1844.
Dans la matière qui nous occupe, le délit de contrefaçon
est défini : « Toute atteinte portée aux droits du brweté , soit
par la fabrication de produits , soit par l'emploi de moyens
faisant l'objet de son brevet. » La loi établit les peines en-
coiuues par ce délit. L'action correctionnelle pour l'appli-
cation des peines ne peut être exercée par le ministère
public que sur la plainte de la partie lésée. Le tribunal cor-
rectionnel, saisi d'une action pour délit de contrefaçon,
statue sur les exceptions tirées par le prévenu , soit de la
nullité ou de la déchéance du brevet , soit des questions re-
latives à la propriété dudit brevet.
Pour la saisie ou la simple description des objets contre-
faits , la loi prescrit des règles dont on ne peut s'écarter ;
c'est en vertu d'une ordonnance du président du tribunal de
première instance que les propriétaires du brevet peuvent
faire procéder, par tous huissiers, à la désignation et descrip-
tion détaillée, avec ou sans saisie, des objets prétendus
contrefaits. L'ordonnance est rendue sur simple requête, et
sur la représentation du brevet; elle contient, s'il y a lieu,
la nomination d'un expert, pour aider l'huissier dans sa
description. Lorsqu'il y a lieu à la saisie, l'ordonnance du
président peut imposer au requérant un cautionnement, qu'il
sera tenu de consigner avant d'y faire procéder. Le caution-
nement est toujours imposé à l'étranger breveté qui requiert
la saisie. 11 est laissé copie au détenteur des objets décrits ou
saisis, tant de l'ordonnance que de l'acte constatant le dépôt
du cautionnement, le cas échéant; le tout à peine de nul-
lité et dédommages-intérêts contre l'huissier. Mais si, dans
le délai de huitaine, le propriétaire du brevet ne s'est pas
pourvu par la voie civile ou par la voie correctionnelle, la
saisie ou description est nulle de plein droit, sans préjudice
des dommages-intérêts qui peuvent être réclamés.
La confiscation des objets reconnus contrefaits et, s'il y a
lieu, celle des instruments ou ustensiles destinés spécia-
lement à leur fabrication, sont, même en cas d'acquittement,
prononcées contre le contrefacteur, le receleur, l'intro-
ducteur et le débitant. Les objets confisqués sont remis au
propriétaire du brevet, sans préjudice de plus amples
dommages-intérêts et de l'affiche du jugement, s'il y a lieu.
Telle est la loi du 5 juillet 1844 sur les brevets d'invention ;
elle forme à elle seule un code complet, car elle a abrogé
toutes les lois et tous les décrets antérieurs. Les voeux et les
intérêts de l'industrie ont-ils été entièrement satisfaits par
cette loi? Fallait-il, comme le demandaient certains indus-
triels, consacrer la perpétuité de la propriété des inventions
dans les arts ? Mais ce serait retomber dans les abus de l'an-
cien régime et fermer la porte à tous progrés ; car il arrive
presque toujours qu'une invention n'est véritablement per-
fectionnée que par des personnes étrangères à l'invention.
La durée de quinze ans est-elle suffisante pour rémunérer
les inventeurs? Nous le croyons pour la plupart des cas,
surtout lorsque l'invention est vraiment utile. Malheureu-
sement on voit une foule d'industriels prendre des brevets
pour des inventions sans portée et ne pouvant en aucun cas
rembourser les frais des annuités. D'ailleurs, beaucoup d'in-
dustriels ne prennent des brevets que pour le bruit qu'ils
font dans les annonces , et dans l'espoir d'intimider la con-
currence. On peut regretter que, comme le législateur en 1791,
celui de 1844 ait borné la matière des brevets aux décou-
vertes relatives aux arts industriels , et que ces titres soient
expédiés sans examen préalable. Suivant la loi actuellement
en vigueur, l'invention de nouveaux produits industriels,
l'invention de nouveaux moyens ou l'application de moyens
connus pour obtenir un résultat ou un produit industriel
peuvent seuls devenir l'objet d'un brevet valable? La loi
de 1791 était plus favorable à l'inventeur, puisqu'elle re-
connaissait l'invention partout où elle existe réellement en
disant que : « Tout moyen d'ajouter à quelque fabrication que
ce puisse être un nouveau genre de perfection serait regardé
comme une invention. » On reconnaîtra que cette rédaction
a une portée aussi large que juste , si l'on considère com-
bien sont difficiles à saisir les caractères d'une invention qui
ne révèle son utilité que par ses résultats , et qu'il est im-
possible d'embrasser les inventions de toute espèce dans
une simple définition.
On peut aussi, dans certains cas, regretter que les brevets
d'importation ne puissent être pris que par les inventeurs
brevetés à l'étranger; exemple que l'Angleterre est loin de
nous offrir. On peut, en outre, reprocher à la loi actuelle de
multiplier les causes de déchéance; d'ou^Tir par là une
source aux procès ; de faire dépendre la validité des brevets
de la preuve testimoniale ; de mettre des obstacles à l'ob-
tention de ces titres par l'imposition de formalités nom-
breuses et difficiles ; enfin d'augmenter la taxe des brevets
de cinq ans et de dix ans. Il est vrai que, d'un autre côté, le
système des annuités paraît très-favorable aux inventeurs,
et les soustrait aux griffes de l'usure; mais un système d'an-
nuités progressives, augmentant à mesure que l'invention doit
produire ses effets, nous aurait paru oréférable à des anuuJ-
tés toujours égales. J. de Lassime, avocat à la cour impér>
BRÉVIAIRE, livre d'office à l'usage des ecclésias-
tiques, renfermant les heures canoniales qu'on est
83.
700
dans l'usage de lire en public, ou en particulier, dans
l'église catholique. Ce mot vient du latin breviarium, fait de
brevis, court, parce qu'il contient des morceaux détachés
de l'Écriture et des Pères, et qu'il en est, en quelque sorte ,
le résumé, l'abrégé. Il est composé d'antiennes, d'hymnes,
d'oraisons, de versets, de répons, de canons, ouvrages de
l'Église ou de ses évêqucs , et de rubriques qui marquent la
différence des fêtes de l'année et règlent les rites qu'on
doit suivre dans l'office divin. L'obligation pour les ecclé-
siastiques de le lire chez eux , quand ils ne peuvent y as-
sister, était autrefois générale pour les chrétiens. Elle s'est
peu à peu réduite aux seuls clercs. Au quinzième siècle, c'é-
tait un cas réservé au jugement des évoques que d'avoir été
trois jours sans dire leBrévaire. Joly, grand-chantre de Notre-
Dame de Paris, dans une consultation publiée en 1644,
prétend que l'obligation de réciter le Bréviaire en particulier
n'est appuyée que sur une coutume qui sert de loi , et
qu'avant le concile de Bûle on n'en avait fait l'objet d'au-
cune constitution. C'est dans le concile de Latran , tenu sous
les papes Jules II et Léon X, que fut décrétée la consti-
tution qui oblige expressément les ecclésiastiques à réciter
le Bréviaire, sous peine, en cas d'omission, d'être privés
temporairement des fruits de leurs bénéfices, et même
d'être dépouillés de ces bénéfices si, après avoir été avertis,
ils ne s'amendent point.
Le Bréviaire que le clergé grec appelle horloge , ordre
(xà^i;), eiicologe ( eùxoXôytov ), et qu'on retrouve aussi chei
les Arméniens et Slaves orientaux , est composé da Matines,
Laudes, Prime, Tierce, Sexte, None, Vêpres ci Com-
piles, c'est-à-dire de sept différentes heures, conformément
à ce mot du prophète David : Septies in die laudem dixi
tibi. ( Ps. cxviii. ) On y inséra aussi des Vies de Saints ,
telles qu'on les écrivait alors, c'est-à-dire pleines de faits
qui ne sont point avérés. Aussi les papes et les évêques
ont-ils dû , à plusieurs reprises, le réformer, selon le décret
du concile de Trente. Avant ce concile, le Bréviaire n'était
pas uniforme pour tous les diocèses ; il y en avait de distincts
pour chacun d'eux, comme pour chaque ordre religieux.
Le pape Pie V , le premier, fit dresser un Bréviaire pour
l'usage universel de l'Église, intitulé : Breviarmmromanum
ex clecrcto sacro-sancti concilii Tridentini restitutum,
auquel Clément VIII et Urbain VIII apportèrent, àleur tour,
des reformes. Enfin, plusieurs évêques de France firent tra-
vailler également à la réformation des Bréviaires de leurs
diocèses respectifs. Avant Pie V, le cardinal Quignon , du
titre de Sainte-Croix , avait publié , sur l'invitation des
papes Clément VII et Paul 111, un Bréviaire purgé de tout
ce qui lui avait paru fabuleux ou hasardé. Son dessein était,
<;omme il le déclare lui-même dans la préface placée en tête
du livre, qu'on lût principalement l'Écriture Sainte toute
Tannée , et les psaumes en entier cbaque seinaine. Le des-
tinant principalement à l'usage de ceux qui récitent le Bié-
viaireen particulier, il en avait retranché le petit office de
la Vierge, les traits ou versets, les répons, et plusieurs
autres choses semblables que le chant avait introduites dans
l'Église; et les histoires des saints qu'il y avait laissées ,
étaient rapportées de manière à ne rien offrir qui pût
cboquer les personnes graves et savantes. Les papes
Jules III et Paul IV autorisèrent ce Bréviaire, dont il y a
un assez grand nombre d'éditions, principalement en
France. Celle réformation du Bréviaire parut néanmoins
trop libre aux docteurs de la Faculté de théologie de Paris,
ïls en firent, l'an 1535, une critique , en forme de censure,
sous le titre de Notx censurariae in sacrum Quignonis Bre-
viarium; mais, nonobstant celte censure, le Bréviaire du
cardinal Quignon fut réimprimé plusieurs fois avec appro-
bation des docteurs de Sorbonne et privilège du roi. On en
compte au moins quatre éditions sorties dos ivresses de
Lyon. Les docteurs mêmes se servirent de l'autorité de ce
Bréviaire, en 1574 , pour établir la conception immaculée
BRÉVIAIRE — BREWSTER
de la sainte Vierge contre le jésuite Maldonat : ce qui fail
voir manifestement que, quoique supprimé plus tard, il
était alors en usage , au moins parmi les ecclésiastiques de
France, qui le récitaient comme un véritable Bréviaire
romain.
On a prétendu retrouver l'origine du bréviaire dans ces
petits livres dont les moines se servaient en voyage, et dans
lesquels étaient contenus les psaumes, les leçons et les
oraisons qu'on lisait au chœur dans de grands volumes. Le
P. Mabillon dit avoir vu dans le trésor de Cîteaux deux
de ces petits livres , lesquels n'avaient que trois doigts de
large, mais étaient plus longs. Ils paraissaient fort petits
quand ils étaient fermés, mais quand on les ouvrait, ils
semblaient trois fois plus grands, parce que les feuillets en
étaient plies en trois; ils n'étaient écrits que d'un côté, et
le texte en était si fin et si abrégé, que toute une période se
trouvait renfermée en fort peu d'espace. Les feuillets en
étaient allacliés par un fdet , et on enfermait ces petits livres
dans des sacs de cuir.
Les lois canoniques exigeaient, du reste, jadis le con-
cours du chapitre pour les modifications et changements des
bréviaires , et , suivant l'ancien droit français , il fallait de
plus des lettres patentes pour en autoriser la publication.
Les parlements étaient très-exacts à faire observer ces rè-
glements.
BRÉVIPENNES ( de brevis, court, et de penna,
plume ), nom d'une famille d'oiseaux de l'ordre des échas-
siers , qui n'ont point de pouce , et dont les ailes sont trop
courtes pour leur permettre de voler : tels sont l'au-
truche, lecasoar, etc.
BRÉVIROSTRES ( de brevis, court, et de rostrum,
bec ), nom d'une famille d'oiseaux du môme ordre que les
brévipennes, et dont le bec est gros et court : tels sont
l'agami, le flamant, etc.
BREWSTER (Sir David), un des plus savants phy-
siciens d'Angleterre, naquit en Ecosse, vers 1785. Ses pre-
mières études furent dirigées vers la pharmacie, qu'il aban-
donna plus tard pour l'optique. Les services qu'il a rendus
à cette dernière science lui ont valu le titre de baronet. Se-
crétaire de la Société royale des Sciences depuis nombre
d'années, il passe sa vie alternativement à Edimbourg et
dans sa terre d'Allerly sur la Tweed. H doit surtout sa répu-
tation à ses recherches sur la polarisation de la lumière et
à ses découvertes touchant la polarisation elliptique, autant
qu'elle est produite par la réflexion des métaux, décou-
vertes qu'il a publiées en partie dans les Transactions de
la Société des Sciences , en partie dans divers écrits pério-
diques, entre autres dans le Journal Philosophiqtie d'E-
dimbourg,qn'il a fait paraître avec Jameson jusqu'au 10* vo-
lume , et dans son Journal d'Edimbourg, auquel il donna
plus tard le titre de Journal Philosophique et Journal des
Sciences de Londres et d'Edimbourg. V Encyclopédie d'E-
dimbourg, dont il est l'éditeur, et qui a été publiée de 1808
à 1830 en 18 vol. in-4°, lui doit d'excellents articles, princi-
palement sur les sciences naturelles. Il a inséré aussi des
articles remarquables sur les différentes branches de la
science dans la nouvelle édition de la grande Encyclopédie
Britanmque,\}\x\!)Me en 1842. Dans ses Lettres sur la
Magie naturelle (Londres, 1831), il a analysé avec autant
d'esprit que de science la magie naturelle, principalement
les phénomènes provenant d'illusions d'optique; dans son
Traité d'Optique (Londres, 1832), il a exposé avec beau-
coup d'érudition la théorie de la lumière; dans la Vie de
sir Isaac Aewton ( Londres, 1832 ), il a décrit les recherches
de Newton et ses découvertes. L'invention du kaléidos-
cope a rendu le nom de Brewster populaire. En 1850
Brevvster fut appelé à présider l'Association britannique pour
la propagation des sciences , qui celte année s'assemblait
à Edimbourg. Dans son discours d'ouverture, il peignit avec
éloquence, et sous de saisissantes couleurs, les progrès fait»
I
BREWSTER — BRÉZÉ
par les sciences depuis quelques années. En 1851 il pré-
sida le Congrès de la Paix, qui s'était assemblé à Londres.
En 1849 l'Académie des Sciences de Paris, dont il était cor-
respondant depuis 1825, Ta choisi pour associé étranger à
la place de Berzélius.
BRÉZÉ ( Famille de ). Celle famille, qui s'est éteinte et
dont la seigneurie de Brézé, en Anjou , est entrée, au com-
mencement du quinzième siècle, dans la maison de Maillé ,
par l'alliance de Jeanne de l'Estang, dame de Brézé, avec
Péan de Maillé, seigneur de Saint-Georges du Bois, adonné
des grands sénéchaux à l'Anjou, un maréchal à la Nor-
mandie, un grand veneur et un grand aumônier, évêque de
Meaux, à la France.
Le premier membre bien connu de cette famille est Jean
nF, Brézé, seigneur de la Varenne, mort en 1351 ; puis vient
Pierre de Brézé, grand sénéchal de Poitou, d'Anjou, etc.,
qui suivit Charles Vil au secours de la ville de Saint-
Maixent, en 1440, et reçut quatre années après, au mois
de décembre , en considération de ses services , plusieurs
terres confisquées sur le roi de Navarre. Il assista, en 1447,
au siège du Mans et, en 1450, à la bataille de Formigny.
Après la mort de Charles VII , Louis XI le fit enfermer au
château de Loches, d'où il ne sortit qu'à la condition d'aller
servir le duc d'Anjou en Sicile et de consentir au mariage
de son fils avec la sœur naturelle du roi. Il fut tué, le 17
juillet 1465, à la journée de Montlhéry, laissant, entre
autres enfants, Jacques de Brézé, maréchal et grand sé-
néchal de Normandie, mort le 14 août 1494; il avait épousé
Charlotte, bâtarde de France, fille naturelle du roi Charles VII
et d'Agnès Sorel.
Louis DE Brézé, leur fils, grand veneur de François I^'',
fut fait chevalier de l'ordre de ce prince à la cérémonie de
Compiègne, le jour de Saint-Michel 1527. Il épousa en
premières noces Catherine de Dreux , dont il n'eut pas
d'enfant, et ensuite Diane de Poitiers, depuis du-
chesse de Valentinois. Deux filles naquirent de cette union,
Françoise de Brézé, mariée à Robert de la Marck, quatrième
du nom , duc de Bouillon, maréchal de France , et Louise
de Brézé, qui épousa Claude de Lorraine, duc d'Aumale, fils
puîné de Claude, duc de Guise. Gaston de Brézé, frère de
Louis, et dont le fils, Louis de Brézé, évêque de Meaux
et trésorier de la Sainte-Chapelle de Paris, fut nommé
grand aumônier de France par lettres patentes du 1*'' juin
1556 à la sollicitation de la duchesse de Valentinois, as-
sista au concile de Trente. Les deux filles de Gaston épou-
sèrent, Catherine, Nicolas de Dreux, et Françoise, Gilles Le
Roy, seigneur de Chillon, d'où sont sortis les seigneurs de
Breiiil et de Gaignouville.
La famille actuelle de Dreux-Brézc n'a avec l'ancienne
maison de Brézé d'autres rapports que la possession de la
terre de ce nom et quelques relations de parenté fort éloi-
gnées par des alliances prises dans les mêmes familles.
D'après des titres dont l'examen aurait été fait par ordre
du roi Louis XVIII, et qui ont été déposés aux archives
du royaume, elle se rattacherait à Pierre, comte de
Dreux, mort en 1345. Comme elle était fort nombreuse,
on trouve dans les anciennes liistcdres beaucoup de ses
membres simples hommes d'armes et l'un simple auditeur
au Châtelet de Paris en 1378. Dans le seizième siècle, Méry
de Dreux, arrière-petit-fils de Pierre, avait eu deux fils, dont
la postérité subsiste encore. Claude de Dreux, seigneur de
la Maison-Neuve, dont descendent les Dreux de ISancré,
restés dans la carrière des armes, et Thomas de Dreux,
seigneur de la Pommeraye, qui entra dans la magistrature,
et dont les descendants occupèrent des charges aux parle-
ments de Bretagne et de Paris. Ce dernier est la tige des
Dreu\-Bré/é, qui pri.ent le nom de Brczé au dix-septième
siècle, lors de l'échange que Thomas de Dreux, conseiller
au i)arlemcnt de Paris, fit avec le grand Condé du mar-
quisat de la Galissonnière , pour la terre de Brézé; il
TOI
s'appela dès lors marquis de Brézé , la terre de ce nom
ayant été en sa faveur érigée en marquisat par lettres pa-
tentes d'août 1685.
TJiomas de Dreux, baron de Berrye, marquis de Dreux,
seigneur et marquis de Brézé, fils du précédent , lieutenant
général des armées du roi, gouverneur de Loudun et des îles
Sainte-Marguerite, acheta en 1701, de Blainville, frère de
Seignelay, ministre et secrétaire d'État, la charge de grand
maître des cérémonies de France, créée par le roi Henri III,
pour M. de Rhodes, et qui sembla depuis devenir héréditaire
dans la famille de Dreux-Brézé. Il mourut, après s'en être
dérais en faveur de son fils, le 26 mars 1749. Son peti(-fils
aura une place dans l'histoire pour la réponse que lui fit
Mirabeau lorsipi'il vint au nom du roi Louis XVI dissoudre
l'Assemblée nationale. Nous lui consacrons un article spé-
cial , ainsi qu'à trois de ses fils.
BRÉZÉ ( Henri-Évraud, baron de BERRYE, marquis
DE DREUX et de), grand maître des cérémonies, pair de
France, chevalier des ordres du roi, maréchal de camp, etc.,
avait épousé une fille du général de Cu s tine. Né en 1762,.
il succéda, à l'âge de dix-neuf ans, à son père dans la
charge de grand maître des cérémonies. Il dut, peu d'années^
après son entrée en fonctions, pourvoir aux préparatifs des
états généraux : la tâche était difficile. 11 débuta dans ce
rôle délicat le 20 juin 1789, jour choisi par la majorité des
membres du clergé pour se réunir aux députés du tiers état.
Afin de prévenir cette fusion , la cour avait ordonné la fer-
meture des salles , sous prétexte de travaux pour une séance
royale , et le marquis dut notifier l'arrêté du roi au président
Bailly. C'est cet incident qui décida la séance du jeu de
paume. Les dernières paroles du roi avaient été une in-
jonction formelle de se retirer; toute la noblesse et une partie
du clergé avaient obéi ; mais les députés des communes et
l'autre partie du clergé étaient restés immobiles à leur place.
Tout à coup Mirabeau se lève, et, dans une improvisation
entraînante, propose de ne se séparer qu'après avoir donné
une constitution à la France. En ce moment le grand maître
paraît, et s'adressant au président : « Monsieur, lui dit-il,
vous avez entendu les ordres du roi? — Je vais prendre
ceux de l'Assemblée, répond Bailly; elle est ajournée après
la séance royale, et je ne puis la séparer sans qu'elle en ait
délibéré. — Est-ce là votre réponse, et puis-je en faire part
au roi ? — Oui , Monsieur. » Puis , se tournant vers les dé-
putés qui l'entouraient : « Je crois, ajouta-t-il, que la nation
assemblée ne peut recevoir d'ordre. » Ce fut alors que M i -
rabeau, s'élançant vers le marquis, lui adressa la fameuse
apostrophe, sur laquelle on a fait bien des variantes. A l'oc-
casion d'un incident qui s'éleva, le 15 mars 1833, à la
chambre des pairs entre le fils du maître des cérémonies ,,
et M. Villemain, voici comment le premier a prétendu ré-
tabUr le texte des paroles de Mirabeau.
« Je remercie l'orateur d'avoir rappelé un souvenir histo-
rique, qui se rattache à la mémoire de mon père; les his-
toriens du temps ont tous rapporté ce fait'd'une manière
plus ou moins inexacte. Mon père voulut, au retour du roî
Louis XVIII, rétablir la vérité; mais ce prince lui demanda
de n'en rien faire , et il se soumit à sa volonté... Je puis dire
aujourd'hui comment les choses se passèrent : Mon père fut
envoyé par Louis XVI pour ordonner à l'Assemblée natio-
nale de se séparer; il entra couvert : tel était son devoir,
puisqu'il parlait au nom du roi. De grandes clameurs se
firent entendre à sa vue; on lui cria de se découvrir; mon
père s'y refusa énergiquement. Alors Mirabeau se leva, et ne
lui dit point : Allez dire à votre viaître, etc., mais: Nous
sommes ici par le vœu de la nation; la/orce viatérielle
seule pourrait nous faire désemparer. Mon père prit aus-
sitôt la parole, et, s'adressant à Bailly : « Je ne puis re-
connaître , dit-ii , en M. Mirabeau (pie le député du bailliage
d'Aix, et non l'organe de l'assemblée. » Puis, il se retira
quelques minutes après, et alla rendre compte au roi de cet
702
incident. Voilà exactement, messieurs, comment les choses
se passèrent; j'en appelle aux souvenirs des membres de
cette chambre qui siégeaient à l'Assemblée nationale. »
Le marquis de Brézé n'abandonna pas dans le malheur le
prince dont il avait partngé la fortune : jusqu'à la journée
du 10 août, il resta constamment près de sa personne, et
ce ne fut que du moment où il désespéra de le servir en France,
qu'il suivit le cours de l'émigration. Plus tard, par déférence
pour les ordres de Louis XVIII, qu'il était allé rejoindre à
Vérone, il rentra dans sa patrie. A la Restauration, il
courut à Calais recevoir le chef des Bourbons, reprit ses
fonctions de grand maître des cérémonies, et en cette qualité
pourvut avant tout à la sépulture des cendres des rois de
France. Il présida plus tard aux cérémonies du sacre de
Charles X. A la chambre des pairs il suivit la ligne qu'il
crut lui être tracée par son éducation, sa position sociale et
les liens qui l'attachaient à la famille royale. Il mourut
avant sa cliute, en 1S29, laissant plusieurs enfants.
BRÉZE ( SciPioN, marquis de DREUX- ), né aux Ande-
lys, le 13 décembre 1793, fut admis, de bonne heure, à l'É-
cole miUtaire de La Flèche. 11 en sortit avec le grade
d'ofTicier, et fit dans les armées de l'empire les campagnes
de 1812, 1313 et 1814. Au moment de la Restauration, il
entra dans l'une «les compagnies rouges de la maison du
roi, et devint aide de camp du maréchal Soult. Après le
second retour de Louis XVIII, en 1815, il devint capitaine
de cuirassiers dans la garde royale. Il en sortit en 1827,
avec le grade de lieutenant-colonel, sa santé ne lui permet-
tant pas de suivre la carrière militaire.
A la mort de son père, il lui succéda à la chambre des
pairs et dans la charge de grand maître des cérémonies de
la maison du roi. A la chambre , il se montra aussi attaché
au roi qu'aux institutions constitutionnelles. Lorsque éclata
la révolution de 1830, le 31 juillet, dans une séance privée
delà chambre des pairs, où MM. Hyde de Neuville , Guizot
et Sébastiani vinrent faire une communication au nom de
la chambre des députés, M. de Brézé, tout en appuyant,
comme moyen d'ordre public, la lieutenance générale de
M. le duc d'Orléans, soutint que celte charge, pour avoir
toute sa valeur et toute sa légalité , devait être accompa-
gnée de la déclaration publique, par le lieutenant général,
de n'user des pouvoirs qui lui seraient conférés, que dans la
limite de ses devoirs et de la constitution.
Les événements du 7 août ayant dépassé et renversé toutes
les espérances des amis de la monarchie légitime, M. de Brézé
crut devoir rester à la chambre des pairs pour y défendre
les droits de l'autorité et de la liberté réelle. S'opposant
aux violences populaires , il réclama, avec non moins de
courage, l'accomplissement régulier de toutes les promesses
de la charte de 1830. Partisan de l'hérédité de la pairie,
mais sentant que cette institution pouvait dès à présent
manquer par sa base, il préférait pour la formation de la
chambre des pairs un mode d'élections sagement réparties,
à la combinaison qui prévalut d'une nomination royale sou-
mise à quelques conditions de factice indépendance. Dans le
projet de loi d'élection à la cliambre des députés , ainsi que
dans les lois précédentes sur les attributions municipales et
départementales, M. de Brézé réclama le d7-oit commun, la
participation de tous les contribuables, au moyen de degrés
successils, à l'élection des députés; constamment il s'opposa
à l'octroi des fonds secrets ; vingt fois il monta à la tribune
pour faire prévaloir l'honneur et les intérêts de la France
dans toutes les questions de la péninsule espagnole, et pour
combattre l'inlluence et la position que l'on laissait prendre
aux prétentions et à l'orgueil de l'Angleterre. Il combattit les
lois de septembre, et jeta un grand jour sur toutes les cu-
pides obscmités dont on avait entouré l'exécution de la loi
des 100 millions pour les travaux publics, etc., etc. Il serait
aussi long que difficile d'énumérer, même en les abrégeant,
les discours qn'il prononça à la chambre des pairs.
BRÉZÉ — BRI AL
Après avoir, dans la session de 1842 , parlé de nouveau
contre les fortifications et l'embastillement de Paris , pro-
noncé l'éloge funèbre du maréchal duc de Bellune, et dis-
cuté le projet de loi sur la régence, le marquis de Bréié,
dont la santé se trouvait de plus en plus fatiguée de tant
d'efforts, crut devoir suspendre le cours de ses travaux par-
lementaires. Il mourut le21 novembre I845,dans son château
de Brézé.
BRÉZÉ ( EMMANUEL-JoAcnra-MARiE , comte, puis, à la
mort de son frère aîné, marquis te DREUX-), naquit
le 25 décembre 1707 , aux Andelys ( Eure ). Voué, comme
son frère aîné, à la carrière dos armes, il entra, en 1812,
dans les pages de la maison de l'empereur, et fut admis, à
la Restauration, comme lieutenant, dans les chevau -légers. 11
ne prit aucun service pendant les Cent-Jours, et lut nommé,
au second retour des Bourbons, lieutenant au huitième ré-
giment de chasseurs à cheval. Fatigué de l'oisiveté des gar-
nisons, il voulut étudier toutes les parties du service mili-
taire, et après avoir visité nos grands établissements de
guerre, d'industrie et de commerce, continua les mêmes études
en Italie, en Suisse, en Pologne, en Allemagne, en Russie,
en Suède, en Danemark , en Angleterre, et suivit toutes les
glandes manœuvres de nos armées sur les champs de ba-
taille, depuis Lodi jusqu'à la Moskowa. En Russie, l'ambas-
sadeur de France, le comte de La Ferronnays, lui conseilla
d'embrasser la carrière diplomatique, et, tout en conservant
son grade dans l'armée, M. de Brézé fut nommé attaché
à l'ambassade de Russie, et accompagna notre ministre au
congrès de Vérone. La guerre d'Espagne le ramena sous
les drapeaux. 11 fit la campagne de 1823 comme capitaine
d'état-major, en qualité d'aide de camp du maréchal Moncey,
et trouva les occasions de se distinguer. Après la campagne,
il fut nommé aide de camp du maréchal Suchet, fit partie,
en 182G, de l'ambassade extraordinaire du duc de Ragusc
à l'occasion du couronnement de l'empereur Nicolas, visita
toutes les colonies militaires de cavalerie situées près d'O-
dessa, et adressa sur ce sujet un travail important aux mi-
nistres des alfaires étrangères et de la guerre. En 1827 il fut
attaché, dans son grade, à la première division mihtaire.
Après le 9 tioût 1830, il donna sa démission.
BRÉZÉ ( PiEr.nE-SiMOS-Louis-]\[ARiE m DREUX- ), frère
des précédents, né à Brézé (Maine-et-Loire), le 2 juin 1811,
est entré dans la carrière ecclésiastique, où il s'est fait re-
marquer, non-seulement par l'exercice de toutes les vertus
sacerdotales, mais encore par plusieurs bons sermons qu'il
a prêches dans diverses églises de la capitale. Il avait été
l'un des vicaires généraux de M. de Quélen, archevêque de
Paris. Nommé évêque de Moulins par décret du 28 octobre
1849, il a été sacré le 14 avril 1850. Lors du passage du pré-
sident de la république à Mouhns, en septembre 1852, M. de
Brézé le félicita dans une harangue où il sembla un peu prê-
cher pour son saint, en disant au prince qu'il espérait qu'une
parole créatrice tombée de sa bouche ouvrirait dans le dio-
cèse un plus convenable asile au siège principal de la prière.
Il était difficile au reste de se servir d'une plus élégante pé-
riphrase pour signaler au chef du pouvoir exécutif l'état de
délabrement de la cathédrale de Moulins.
BRI AL (Dom MicnEL-jE\N-JosErn), un des derniers
membres de la congrégation de Saint-Maur, naquit à Per-
pignan, le 26 mai 1743. Il embrassait, à dix-huit ans, la
règle de Saint-Benoît et prononçait ses vœux en 17G4, dans
l'abbaye de la Daurade, à Toulouse. Sur l'invitation de ses
supérieurs, il vint, en 1771, à Paris, seconder dom Clément,
resté seul chargé de continuer le Recueil des Historiens
de France, et prit part à la publication des douzième et
treizème volumes, qui parurent en 1780. La suppression
des ordres religieux interrompit bientôt tous les grands
travaux littéraires des bénédictins. Quand il fut question
de les reprendre, dom Brial, qui n'avait pas cessé de se
livrer h l'étude de nos anciens monuments avec nne ardeur
BRIAL — BRIC-A-BRAC
703
infatigable, se chargea de poursuivre seul la publication du
recueil de nos historiens, et en mit au jour les quatorzième,
quinzième, seizième, dix-septième et dix-huitième volumes ,
laissant même, à sa mort, des matériaux pour le dix-
neuvième. Il succéda, en 1805, à Villoison dans la classe
d'histoire de l'Institut national, qui reprit plus tard son nom
d'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Quoique pres-
que exclusivement occupé de rassembler des matériaux
pour le recueil de nos historiens , il ne laissa pas de coo-
pérer aux volumes treize à seize de la continuation de
V Histoire Littéraire, commencée par dom Rivet, ainsi
qu'aux Notices et extraits des Manuscrits de la Biblio-
thèque du Roi. 11 payait encore son tribut à l'Académie par
de savantes dissertations, car nul n'était plus versé que lui
dans l'histoire du moyen âge. Après avoir fondé deux écoles
{gratuites dans les communes de Baixas et Pia, près de
Perpignan , lieux de naissance de son père et de sa mère ,
il mourut à Paris, le 24 mai 1S28, à l'âge de quatre-vingt-
cinq ans.
Dom Brial était membre de la Légion d'Honneur. II avait
formé une bibliothèque curieuse, riche en histoire ecclésias-
tique et littéraire, en iiistoire des villes et des provinces de
France, et où se trouvaient bon nombre de manuscrits, avec
une précieuse collection de ciiartes des onzième, douzième et
treizième siècles. Ge monument national a été dispersé par
suite de la vente publique qui en (ut faite en août 1S28.
BUÏAIVÇOM, ville de l'ancien Dauphiné, aujourd'hui
chef-lieu de sous-préfecture dans le département des llaules-
A 1 pes, à 57 kilomètres nord-est de Gap, avec une population
de 3,277 âmes, est bâtie sur la rive droite de la Durance,
qu'on y traverse sur un pont d'une seule arche de 40 mètres
(l'ouverture. Lllc est défendue par sept forts commandant
les vallées par lesquelles on peut l'approcher, et com-
muniquant entre eux par des clicmins et des voies souter-
raines. L'art et la nature rendent cette position inexpu-
gnable, et en font l'une des places de guerre les plus impor-
tantes que nous ayons en France. Cette ville, fort irré-
gulièrement bâtie, est, après l'hospice du mont Saint-Bernard
et l'auberge constmite sur le Faulhorn, le lieu constamment
habité le plus élevé de l'Europe ; le fort l'inj'crnit n'est
pas situé à moins de 2,458 mètres au-dessus du niveau de la
Méditerranée. Les habitants de Briançon fabriquent quelques
menus objets de quincaillerie et de clouterie, une espèce de
résine connue sous le nom de manne de Briançon, et font
avec l'Italie un commerce de transit assez actif. Les envi-
rons de la ville offrent les points de vue les plus pittoresques
et les plus romantiques. Quant àlastéatite connue sous
le nom de craie de Briançon, elle provient de Fenestrelles
en Piémont.
Appelée Brigantium sous la domination romaine , la ville
de Briançon , pendant le moyen âge , par suite de sa posi-
tion , resta longtemps indépendante , puis elle se rattacha
au Dauphiné, et passa, en 1349, en même temps que cette
province, sous la souveraineté de la France. La paix conclue
à Ryswick, en 1697 , l'adjugea au duc de Savoie ; en 1709,
pendant la guerre de la succession d'Espagne, les Impé-
liaux y furent complètement battus parles Français; enlin,
<n 1713, la Savoie dut la restituer à la France. Briançon
avait pour devise : Petite ville et grand renom.
BRIARE (Canal de). Les travaux de ce canal, com-
mencés sous Henri IV, qui y employa c,000 hommes de
troupes, furent terminés en 1G42, par Louis XllI , et coû-
tèrent 10 millions de francs. C'est, suivant la remarque de
M. de Humboldt, le plus ancien canal à point de partage.
Sa longueur totale est de 55,301 mètres. H commence à
Montargis, sur le Loing, l'un des affluents de la Seine, passe
à Ouzouer, Rogny, ChàtiUon, Conflans, et aboutit à Briare
sur la Loire , mettant ainsi les deux lleuves en communica-
tion directe au moyen du canal de Loing. Ses écluses sont,
dit-on, les preniièics que l'on ait construites en France. On
en compte douze jusqu'au bief de partage, et douze sur
l'autre pente. Le produit annuel de ce canal est évalué à
environ 400,000 fr.
BRI ARÉE , géant célèbre , fds de la Terre et de Titan
ou Cœlus. Les poètes nous le représentent avec cent bras,
opposant à ses ennemis autant d'épées et de boucliers , cin-
quante tètes et autant de bouches enflammées. Cependant il
fut vaincu deux fois: la première par Neptune, qui le pré-
cipita dans la mer d'un coup de son trident ; et la seconde,
lors de la révolte des Titans, auxquels il s'était uni, par
Jupiter lui-même, qui l'emprisonna sous l'Etna. Plus tard.
Jupiter lui pardonna , en faveur du service qu'il en reçut
lorsque Junon , Minerve et Neptune osèrent conspirer
contre le maître des dieux. Assis auprès de lui , Briarée, à
leur approche , leur lança des regards si terribles, qu'ils pro-
duisirent sur eux un effet plus grand que celui de la foudre,
et que, saisis d'effroi, ils se hâtèrent d'abandonner leur
entreprise. Jupiter, en reconnaissance , prit auprès de lui
Briaree , avec Cellus et Gygès , deux autres géants , pour
lui servir de gardes. Les Carystiens lui rendaient des hon-
neurs sous le nom de Briarée, qu'il conservait dans le ciel,
et les habitants de Chalcis sous celui d'Égéou, qu'il avait
pris sur la terre.
BRIBE se dit familièrement des restes d'un repa-s , et
dans le sens figuré, de choses décousues, de peu d'impor-
tance. Par bribes de latin ou de grec on désigne vulgaire-
ment des passages tirés d'auteurs qui ont écrit dans ces
deux langues, passages souvent tronqués par ceux qui leur
font ces emprunts.
BRIC-A-BRAC, très- vieilleexpression, qui nes'emploiô
plus que dans cette locution vulgaire : marchand de bric-
à-brac, c'est-à-dire celui qui acliète dans les ventes publi-
ques, et débite en détail aux amateurs, sur les quais de
Paris, ou dans des boutiques sombres et pleines de pous-
sière, de vieux tableaux , de vieux cuivres , de vieilles fer-
railles, mille choses sans nom, qui n'ont plus de formes, qui
n'en ont peut-être jamais eu ; des objets de hasard, des sculp-
tures en ivoire, des bronzes pompadours, des porcelaines de
Saxe, de Chine, du Japon, des madrépores, des stalactites,
des singes et des oiseaux empaillés. Il suffit qu'une chose date
ou vienne de loin pour exciter sa convoitise et celles de ses
clients habituels. Prouvez qu'une pantoufle a chaussé
Agrippine ou Montézuma, et il vous l'achètera argent
comptant pour l'exposer sous verre avec étiquette dans
sa boutique, où elle fera un excellent effet. Balzac, dans
son roman de La Peau de Chagrin , a inventorié d'une
façon très-originale une boutique de bric-à-brac.
Le goût du bric-à-brac n'est pas, au reste, nouveau dans,
ce bas-monde. Denis le Tyran achetaitles tablettesd'Escbyle.,
On se disputa la flûte de Timothée, qui l'avait achetée lui-
même sept talents à Corinthe. Le (ils du tyran Pittacu»
gagna les prêtres du temple d'Apollon à Lesbos pour échanger
contre une lyre vulgaire celle d'Orpliée, qu'on y conservait
et qui avait eu jadis la puissance de se faire suivre proces-
sionnellcment par les animaux, les arbres et les pierres. Un
contemporain de Lucien paya trois mille drachmes la lampe
de terre d'Épictète. On a tour à tour recherché le bâton
que le philosophe Peregrinus déposa en montantsurson
bûcher, celui sur le(juel s'appuyait Olden Barnevel t en
marchant au supplice, et la canne historique de M. de
Voltaire. On a montré les os de Géryon à Thèbes, la peau du
sanglier de Calydon chez les Tégéens et les cheveux d'Isis
à Memphis. Maintenant, pour peu que la foi vous sauve,
vous pourrez vous procurer, en y mettant le prix, la rob(-
de Rabelais , celle de Jean-Jacques quand il adopta le cos-
tume arménien, le coffre dans lequel se sauva Grotius, le
sabre de Pierre le Grand, les cruches façonnées par Jacque-
line de Bavière, la chaîne de diamants et le fauteuil de
Rubens , la plinne de Juste Lipse et le goljelet de bois dans,
lequel fut portée la première santé des gueux.
704
BRIC-A-BRAC — BRICOiNNET
Den 0 n , le plus graad amateur de bric-à-brac du globe ,
montrait à ses visiteurs une écritoire de Voltaire, des
momies d'Egypte, des raretés de la Chine et du Japon, l'i-
mitation en cire d'une des belles mains de la princesse Pau-
line, des os du Cid et de Chimène, d'Héloise et d'Abaiiard,
de Molière et de La Fontaine , des cheveux d'Inès de Castro,
d'Agnès Sorel et du général Desaix , une partie de la mous-
tache de Henri IV, un fragment du linceul de Turenne, un
morceau ensanglanté de la chemise de Napoléon mourant à
Sainte-Hélène; souvenirs précieux pour les amateurs, amas
de bric-à-brac pour le vulgaire. A ce propos on citera tou-
jours le spirituel concierge du château de Fontainebleau ven-
dant successivement à plusieurs milliers d'Anglais la véi-i-
table plume dont Napoléon s'était servi en 1814 pour signer
son acte d'abdication.
BRICK ou BRIG. C'est par abréviation que cette dénomi-
nation a été employée pour désigner l'espèce de bâtiments à
laquelle elle s'applique. Le mot primitif était 6n5r«?j^in, d'où
l'on a fait d'abord le mot brïg, puis brick. La dénomination de
brick entraîne avec elle l'idée d'un genre particulier de gréc-
ment et de mâture, plutôt que l'idée d'une espèce particu-
lière de construction. On appelle brick un navire pourvu de
deux mâts perpendiculaires ou à peu près , et d'un beaupré
gréé comme celui des trois-mâts ; ou, pour donner une dé-
finition plus complète de ce genre de navires, on pourrait
dire qu'un brick est un trois-mâts auquel on aurait retiré
son mât d'artimon.
Une des voiles principales des bricUs a conservé le nom
qui rappelle la dénomination sous laquelle les bricks étaient
connus primitivement ; c'est la briganline, grande voile que
l'on grée sur l'arrière du grand mât, et dont la partie inférieure
s'étend sur la borne ou le giiy. A bord des trois-mâts, cette
voile, beaucoup plus petite, porte le nom à'artimon, qu'elle
emprunte au mât sur lequelle elle se trouve établie.
Les bricks sont généralement plus petits que les trois mâts.
En France même on ne grée en bricks que des navires d'as-
sez médiocre tonnage. 11 est peu de bricks de trois cents ton-
neaux chez nous. Chez les Anglais et les Américains , il n'est
pas rare d'en trouver de cinq cents tonneaux et plus; mais
la difficulté de manœuvrer des bricks de cette capacité, où
les parties du gréement sont moins divisées qu'à bord des
trois-màls, tend à diminuer de jour en jour le nombre de
ces bricks immenses. On nomme corvettes-bricks dans la ma-
rine militaire les grands bricks de guerre. Mais aujourd'hui
on emploie plus généralement le nom de corvette pour dé-
signer les bâtiments de l'État à trois mâts au-dessous des fré-
gates. Le mot brick s'emploie seul pour indiquer l'espèce
des navires de guerre à deux mâts.
Les bricks-goëlettes sont les navires dont le gréement par-
ticipe à la fois de celui des bricks par leur mât de misaine,
qui supporte une hune , et de celui des goélettes par leur
mât de hunière , qui n'a que des barres au lieu de hune.
Quand on donne le nom d hermaphrodites aux bricks-goë-
lettes, on ne veut pas dire que ce sont des bâtiments de deux
sexes, mais des bâtiments de deux genres. Éd. ConBiÈitE.
BRICOLE. Ce mot, que l'on croit venir de l'espagnol
brincar, qui signifie j'oî^er, exprime, dans le sens propre,
la réilexion d'un corps solide à la rencontre de quelque
autre corps dur. Il est surtout d'usage à la paume et au bil-
lard : à la paume, quand la balle s'écarte de la ligne droite
pour aller frapper la muraille; au billard, quand une bille ne
touche une autre bille qu'après avoir été renvoyée par la bande.
Dans l'acception la plus habituelle , on appelle bricole la
partie du harnais d'un cheval de trait contre laquelle s'ap-
puie son poitrail, lorsqu'il va en avant. On doit avoir soin
«prelle soit toujours soutenue à une hauteur telle, qu'elle ne
puisse gêner sa respiration.
Par analogie, on donne le même nom à un morceau de cuir
très-épais qui sertaux porteurs à soutenir leur fardeau ou à s'at-
teler à une voiture à bras. C'est enfin un filet en forme de bourse
dont on use à la chasse pour prendre les cerfe et les daims.
Au figuré encore signifie une excuse frivole, une espèce de
tromperie adroite, ou bien encore une manière détournée de
posséder un livre, une brochure ou tout autre objet défendu
Petit écrit donne sou» le manteau.
Qu'un se dérobe et qui vient par bricole.
Ou bien moulé par Pierre du Marteau,
Fiit-il mauvais, nous parait toujours beau.
Et pour l'avoir on ne plaint la pistole.
BRIÇOIViVET (Guillaume), connu sous le nom de!
cardinal de Suint-Malo , petit-fils de Bernard Briçonnet,
maître des requêtes de l'Hôtel sous Charles V, naquit à Tours,
et fut d'abord commis à la généralité de Languedoc. Louis XI
le nomma général des finances de cette province. II n'em-
brassa qu'assez tard l'état ecclésiastique , ayant d'abord été
marié. Le roi, en mourant, le recommanda à son fils, qui lo
nomma surintendant des finances. Briçonnet, qui aimait la
guerre, favorisa cette passion chez son maître, et lui fournit
les moyens de la satisfaire. C'est par son avis que Charles VIII
entreprit la conquête du royaume de Naples. Briçonnet, qui
avait perdu sa femme, embrassa l'état ecclésiastique, et de-
vint évoque de Saint-Malo en 1490. Il accompagna le roi
dans les guerres d'Italie, et fonda la grandeur de la maison
de Médicis en couvrant de sa protection Pierre de Médicis,
que les Florentins voulaient massacrer, après avoir pillé son
palais.
La réputation de Briçonnet comme ministre fut toujours
digne d'éloges ; mais comme politique deux fautes lui ont
été reprochées, la première d'avoir, à l'entrée en cam-
pagne, ajouté aux promesses de Ludovic Sforce une con-
fiance qu'elles ne méritaient pas; la seconde, en 1495, d'a-
voir dissuadé le roi, maître de P.ome, de s'emparer de la
personne du pape Alexandre VI et de le faire déposer pour
ses crimes, d'après l'avis de la plus grande partie du sacré
collège. Cette conduite lui valut le chapeau de cardinal.
Au retour d'Italie, le duc d'Orléans, depuis Louis XII,
assiégé dans Navarre par Ludovic Sforce , en sortit à la suite
d'une négociation dont furent chargés le prince d'Orange ,
Philippe de Comines et le cardinal de Saint-Malo.
Après la mort de Charles VIII, Briçonnet dut remettre
les finances au cardinal d'Amboise; mais Louis XII le
chargea de négociations importantes auprès du pape Jules II,
dont il refréna l'humeur belliqueuse, bravant les foudres
du Vatican, assemblant malgré lui le concile de Lyon,
en opposition à celui de Latran , et le maintenant jusqu'à
l'exaltation de Léon X, successeur de Jules II, qui leva
l'excommunication dont il avait été frappé. De l'évèché de
Saint-Malo il était passé à l'archevêché de Reims, où il
fut remplacé par son frère Robert Briçonnet , chancelier
de France. H devint alors archevêque de Narbonne, et fut
en outre gratifié par Louis XII de la riche abbaye de Saint-
Germain-des-Prés et du gouvernement du Languedoc. Les
deux fils qu'il avait eus de son mariage avant d'entrer dans
les ordres furent tous deux cvêques, l'un deMeaux, l'autre
de Lodève, et il officia souvent l'aîné lui servant de diacre,
le puîné de sous-diacre. Il fut un des principaux bienfai-
teurs de l'Hôlel-Dieu de Paris, protégea les arts, les lettres,
les sciences , et mourut fort vieux, à Narbonne, le 14 dé-
cembre 1514.
BRIÇONNET ( Guillaume ), fils du précédent , connu d'a-
bord sous le nom de comte de Montbrun , fut successive-
ment évêquc de Lodève et de ]VIeaux. Avant de se retirer
dans son diocèse, il avait été chargé par Louis XII et Fran-
çois I^' de diverses négociations auprès du saint-siége , avait
assisté aux conciles de Pise et de Latran, et avait été, sur
la démission de son père, pourvu de l'abbaye Saint-Ger-
main-des-Prés. Revenu à Meaux, il attira auprès de lui plu-
sieurs savants, tels que Guillaume Farel, Jacques Faber ou
Lefèvre, Gérard Roussel , François Valable, parmi lesquels
figuraient des docteurs de l'université de Paris, zélés calvi-
I
BRIÇONNET —
nistes, qui lui firent partager leurs opinions. Mais bientôt,
craignant de perdre son évèché et les faveurs de la cour, il
ciiangea de conduite, et se mit à poursuivre avec acharne-
ment le parti qu'il avait d'abord favorisé. Excommunica-
tions, processions, jeûnes, proscriptions, rien ne fut négligé
par lui pourpronversonzèle. Aussi les cordeliers, qui l'avaient
deux fois traduit au parlement pour hérésie , furent-ils trai-
tés de calomniateurs. 11 mourut en 1533, dans son ciiâteau
d'Aymans, près de Montereau. Comme son père , il avait pro-
tégé les lettres et accru la bibliothèque de l'abbaye de Saint-
Germain-des-Prés.
BRIÇOJMNET ( Robert), d'abord conseiller au parlement,
président aux enquêtes , pourvu de la riche abbaye de Saint-
Waast d'Arras, archevêque de Reims et chancelier de
France , oncle du précédent , dut son élévation rapide à la
faveur de son frère le cardinal de Saiut-Malo. Il mourut en
1497, à Moulins.
BRIDAINE (Jacques) , fils d'un chirurgien, naquit à
Uzès, le 21 mars 1701. Il passa du collège des jésuites d'A-
vignon au séminaire Saint-Charles de la même ville. Ce fut là
qu'il perfectionna par des études approfondies les qiuilités ex-
traordinaires dont la nature l'avait doué, et ses supérieurs, en
l'entendant expliquer le catéchisme dans différentes églises,
ne tardèrent pas à pressentir un talent de premier ordre
dans ce jeune novice qui à l'imagination la plus vive joi-
gnait un esprit d'une rectitude , d'une pénétration admirable,
et la conviction la plus profonde. Aussi, à peine Bridaine
était-il revêtu des premiers ordres qu'il fut envoyé en mis-
sion à Aigues-Mortes. Son début dans cette ville aurait dé-
couragé tout autre que lui. Chaque jour il prêchait dans le
désert. Le mercredi des Cendres, fatigué d'attendre son
auditoire, il s'élance de l'église une clochette à la main,
et parcourt toutes les rues de la ville entraînant la foule sur
ses pas , impatiente de connaître l'issue d'une telle singula-
rité. Ce fut au milieu des sarcasmes universels, des éclats de
rire prolongés, que Bridaine monta en chaire. Mais il prend
la parole , et , par une sublime paraphrase sur la mort , il a
bientôt fait succéder à une bruyante dérision le silence et
l'admiration. A partir de celte époque sa réputation alla
toujours en croissant, et le fameux sermon qu'il prononça tn
1751 devant la plus illustre compagnie assemblée pour l'en-
tendre y mit le comble. Le cardinal ISIaury en a retenu et
nous en a conservé l'exorde, et s'il n'a pas eu besoin d'ap-
peler son talent au secours de sa mémoire, il faut convenir
que jamais l'éloquence spontanée des missionnaires no se
signala avec plus de force et d'éclat, et que les discours les
plus estimés des grands orateurs sacrés n'offrent rien qui
surpasse ce morceau sublmie. Le talent de Bridaine aurait
pu le porter aux plus hautes dignités de l'Église ; mais
il voulut rester missionnaire, et tout ce qu'il accepta fut le
pouvoir que lui conféra Benoît XIV de faire des missions
dans toute la chrétienté. Jamais cependant il ne sortit de
France; mais, si l'on en excepte les provinces du Nord, il
n'est point de ville, de bourg, de village, qu'il n'ait fait
retentir des accents de son éloquence. Pendant toute sa
vie il fut à l'œuvre , et il venait d'accomplir sa deux cent
cinquante-sixième mission quand il succomba à Roquemaure,
près d'Avignon, le 22 décembre 1767.
Bridaine était né avec une éloquence populaire, pleine de
verve , d'images et de mouvements. Il avait un si puissant
et si heureux organe, qu'il rendait croyable tous les prodiges
que l'histoire nous raconte de la déclamation des anciens ;
et il se faisait aussi aisément entendre de dix mille per-
sonnes en plein air que s'il eût parlé sous la voûte du temple
le plus sonore. Nul n'a possédé à un si haut point que lui
le rare talent de s'emparer d'une multitude assemblée. Son
art consistait à captiver et à soutenir l'attention par l'attrait
de la nouveauté et de l'imprévu. C'est là le secret de tant de
sensations extraordinaires, de tant de conversions éclatantes
qui furent le fruit de ses efforts. Étant un jour à la tête
DICT. DE LA CONTERS. — T. III.
BRIDGEWATER
705
d'une procession, il prononça une grande exhortation sut
la brièveté de la vie, et finit par dire à la multitude qui le
suivait : « Je vais vous ramener chacun chez vous... » Et il
les conduisit dans un cimetière.
On a du père Bridaine des Cantlqttes spirituels; Lec-
tures et méditations pour le temps de la retraite, ex-
traites des discoicrs inédits du F. Bridaine; Règlement
de vie pour ime pieuse demoiselle , précédé de la mé-
thode pour assister avec fruit au saint sacrifice de la
messe ; Sermons inédits du P. Bridaine, publiés sur ses
manusa-its autographes.
BRIDE, bande de cuir attachée à un mors, et qui sert à
conduire un cheval , à discipUner ses mouvements , à gou-
verner sa fougue. La bride se compose des deux rênes, d'une
têtière et du mors. Le bridon est une espèce de bride lé-
gère, dont le mors brisé n'a point de branches et qu'on em-
ploie quelquefois indépendamment de la bride. Courir à
toute bride, à bride abattue , c'est lancer un cheval de
toute sa force , le faire courir de toute sa vitesse.
Bride s'emploie figurément pour exprimer ce qui arrête ,
ce qui contient nos penchants. 11 faut user de toutes choses
avec modération , et ne point lâcher la bride à nos sens ;
précepte fort sage , mais fort difficile à pratiquer, surtout
dans la jeunesse. Lâcher la bride à son imagination, c'est
s'abandonner au courant de ses pensées , caresser les plus
folles , les plus désordonnées , sorte d'exaltation qui fait
les grands poètes et les grands artistes.
Bride sert encore à désigner plusieurs pièces d'habille-
ment. Mettre des brides à un bonnet, c'est l'assujettir sur
la tête en cousant des cordons à chaque extrémité pour
les nouer ensemble en passant sous le cou. On met aussi
des brides aux boutonnières d'une chemise. Ce sont des
points en travers de la couture destinés à prévenir les dé-
chirures. Les brides sont encore de petits tissus de fil qui ,
dans la dentelle, servent à joindre les fleurs les unes aux
autres.
BRIDGETOWiV. Vojjez B aubade.
BRIDGEWATER (Fuancis-Henri EGERTON, comte
de), naquit le 11 novembre 175G, et descendait du cé-
lèbre Thomas Egerton, chancolicr sous Jacques l". Des-
tiné à l'état ecclésiastique par son père, l'évêque de Dur-
ham, il n'eut pas plus tôt terminé avec succès à Oxford ses
études commencées d'une manière brillante à Eton , qu'il
obtint un bénéfice dans la résidence même de son père ; et
plus tard il y j'oignit deux cures considérables , que , selon
l'usage de l'Église anglicane, il conserva religieusement jus-
qu'à sa mort sans en jamais remplir les fonctions. Huma-
niste distingué, il se fit connaître du monde lettré, en 1796,
par la pubUcation de VHippolijte d'Euripide, et plus tard il
donna des fragments de deux odes de Sapho. En 1798 il
fit imprimer l'histoire de la vie du chancelier Egerton, dont
il parut en 1807 une nouvelle édition, destinée uniquement
à ses amis, et à laquelle il joignit une notice sur son parent
le duc de Bridgewater, mort en 1803, et célèbre par ses en-
treprises de canalisation. Il reproduisit cet éloge dans une
lettre aux Parisiens et à la nation française sur la navigation
intérieure, qu'il publia de 1819 à 1820 à Paris, où il faisait
sa résidence depuis le rétablissement de la paix générale,
et y ajouta une notice sur l'ingénieur Bi indley , qui avait di-
rigé les travaux de construction du célèbre canal de Brid-
gewater.
Ce duc de Bridgewater, dont il a donné la biographie ,
mourut sans enfants, laissant pour héritier de son immense
fortune et de son nom un cousin, le général Egerton ; mais
son titre de duc s'éteignit avec lui , et son héritier ne put
prendre que le titre de comte.
Ce comte de Bridgewater mourut vingt ans plus tard ,
en 1823, et sans laisser non plus d'enfants ; de sorte que ses
titres et ses biens passèrent à son frère puîné, déjà immen-
sément riche, Francis-Henri Ecekton, objet de cet tfi-ticle,et
89
70G
BRIDGEWATER — BRIENNE
qui continua d'habiter Paris. Il s'occupait avec un soin tout
particulier de réunir les matériaux de l'histoire des membres
de sa famille, et fit imprimer à cet effet, en 1S26, sous le
titre de Family Anecdotes, un magnifique volume in-
folio, tiré à un petit nombre d'exemplaires, pour être dis-
tribués à ses amis. Son genre de vie était des plus étran-
ges. Son hôtel (l'ancien hôtel deNoailles, rue Sainl-Honoré,
dont le jardin s'étendait jusqu'à la rue de Rivoli , et sur
l'emplacement duquel on perça après sa mort la rue d'.Mger
et ime partie de la rue Monthabor ) ; son hôtel , disons-nous ,
était rempli de chiens et de chats. Deux de ces ciiiens, af-
fublés de vêtements assez semblables à ceux des hommes,
dînaient à tour de rôle à la table de mylord ; et il n'était pas
rare de rencontrer au bois, aux Champs-Elysées et sur le
boulevard une demi-douzaine de ces fasliionables de nouvelle
espèce, allant à la promenade mollement étendus sur les
moelleux coussins d'une calèche attelée de quatre chevaux,
et accompagnés de deux valets en grande livrée.
Dans sa jeunesse le comte de Bridgewater avait été un
chasseur déterminé ; mais les infirmités de Tâge ayant fini par
lui rendre impraticable ce délassement, il avait imaginé de
réunir dans le jardin de son hôtel quelques douzaines de la-
pins et de pigeons. Traîné dans un fauteuil à roues, notre
vieux Nemrod poursuivait cet innocent gibier dans les allées
et dans les fourrés, en abattait quelques pièces à coups de
fusil, et se les faisait triomphalement servir sur sa table
comme produit de sa chasse.
Le comte de Bridgewater mourut à Paris, le 12 février 1829;
et l'acte de ses dernières volontés portait l'empreinte de l'ex-
centricité de son caractère. C'est ainsi que tous ses do-
mestiques et quelques personnes admises dans son intimité
y figuraient pour des legs plus ou moins considérables, mais
avec cette clause restrictive que s'il mourait assassiné ou
empoisonné ses dispositions testamentairesseraient nulles. Il
n'est pas vrai cependant , comme on le prétendit dans le
temps, qu'il ait fait mention de ses chiens dans ce testament.
Il léguait en outre ses manuscrits et une somme de 5,000
liv. sterling au British Muséum, ainsi qu'une somme
de 8,000 livres sterling ( 200,000 fr. ) pour être décernée en
prix, par la Société royale de Londres, aux auteurs des ou-
^Tages dans lesquels la puissance, la sagesse et la bonté in-
linies de Dieu seraient le mieux démontrées par les mer-
veilles de la création, de môme que pour couvrir les frais de
la publication de ces ouvrages. Cette utile fondation nous
a valu une série d'excellents traités dus à des savants cé-
lèbres, que l'on a traduits dans la plupart des langues de l'Eu-
rope, et dont le plus célèbre, à bon droit, est le Traité de
Géologie et de Mméralogie de Buckland. On cite en outre, de
Whewell, une Physique et une Astronomie ; de Prout, une
Chimie et une Météorologie; de Kirby , les Mœurs et lus-
tincis des Annnaux; de Roget, une Physiologie comparée
des Animaux et des Plantes; de Charles Bell, la Main hu-
maine; de Kidd , Rapports du Monde extérieur à la cor-
poréité de V Homme; de Chalmers, des Considérations
générales sur la révélation de la puissance, de la sagesse
et de la bonté de Dieu dans les rapports du monde exté-
rieur avec la nature morale et intellectuelle de l'homme.
BRIDGEWATER (Canal de ), dans le comté de Lan-
c^ister, un des plus anciens canaux de la Grande-Bretagne ,
a reçu son nom du duc Francis Egerton de Bridgewater
(né en 172G, mort le 8 mars 1803), qui, possédant de riches
mines de charbon de terre près de Worsieymill, à quelques
kilomètres de Manchester, et ne pouvant les exploiter à
caure de la cherté des frais de transport, obtint du par-
lement l'autorisation de faire creuser un canal jusqu'à
Manchester. Le célèbre James Brindiey fut chargé des
travaux, qui durèrent de 1758à 1772. Ce canal franchit des
montagnes, des vallées, des fleuves, perce des rochers, tia-
^erse l'irwell et la Merscy sur des aqueducs d'une grande
hauteur, et porte des bateaux de charbons du poids de 120
à 160 quintaux. Plus tard le duc le fit continuer jusqu'à
Liverpool. Le succès de ce canal encouragea plusieurs so-
ciétés à entreprendre sur divers points des travaux sembla-
bles; le duc lui-même en fit creuser un second, long de 140 ki-
lomètres, qui, au moyen de quatre-vingt-dix écluses, conduit
l'eau à une hauteur de 163 mètres, franchit une montagne
et met en communication Hull et Liverpool, c'est-à-dire la
mer du Nord et la mer d'Irlande.
BRIE , ancienne province de France qu'habitaient les
Meldi du temps de César, et qui lors du dénombrement or-
donné par Honorius se trouvait comprise dans la quatrième
Lyonnaise. Lorsque les Francs eurent conquis ce pays sur
les Romains, ils l'incorporèrent au royaume de >'eustrie.
Dès le neuvième siècle il eut des seigneurs particuliers, qui
prenaient le titre de comtes de Meaux. Herbert de Verman-
dois, étant devenu comte de Troyes ou de Champagne,
en 968, réunit ces deux provinces, dont la destinée depuis
lors a toujours été commune, et qui furent réunies à la cou-
ronne en 13G1.
La Brie se divisait en Brie champenoise et Brie fran-
çaise. Meaux, chef-lieu d'un bailliage et de la lieutenance
générale du gouvernement de toute la Brie , était la capitale
de la Brie champenoise. Celle-ci, bornée au nord par le Va-
lois et le Soissonnais, au sud et à l'est par la Champagne, et
à l'ouest par la Brie française et l'Ile-de-France , présentait
une superficie de 24 myriamètres carrés. Les autres villes
principales de la Brie champenoise étaient Coulommiers ,
Provins, Mon tm irait, Sézanne etC hûteau-Thierri.
La Brie française était bornée au nord par l'Ile-de-France et
la Brie champenoise , au sud par la Seine , qui la séparait
du Gâtinois; ses limites à l'est étaient la Brie champenoise
et à l'ouest la Seine , qui la séparait du Hurepoix. Elle n'a-
vait qu'une superficie d'environ 14 myriamètres carrés.
C'est de cette partie que viennent le beurre et le fromage
de Brie, si estimés par les Parisiens et par les étrangers. La
ville de Brie-Comte-Robcrt était le chef-lieu de la Brie
française. Les autres villes étaient :Lagny, Corbeil, qui
a eu ses comtes particuliers depuis Aymon (946) jusqu'au
fameux Hugues du Puiset, sur lequel le roi Louis le Gros
confisqua le comté de Corbeil, vers 1122 ; Rozoy-sur-Yères ,
Villcneuve-Saint-Georges , Tournans et >'angis. On divisait
aussi la Brie eu haute et basse. Meaux était la capitale de
la première, et Provins, ancienne résidence des comtes de
Brie, le chef-lieu de la seconde. Enfin Château -Thierri
était aussi capitale d'une portion de la Brie champenoise,
appelée la Bric pouilleuse. La Brie fait aujourd'hui partie
des départements de Seine-et-Marne , de l'Aisne et de la
Marne. LaIné.
BRIEIV. Voyez O'Brien.
BRIEX^IVE, petite ville du département de l'Aube, si-
tuée sur la rive dioite de la rivière de ce nom , avec une
population de 2,000 âmes environ , est divisée en ipux ,
bourgades distantes de mille pas environ, appelées Brienne-
la-Ville ou la Vieille et Brienne-le-Chàteau. Cette ville,
qui n'a conservé de vestiges d'aucune fondation remar-
quable, si ce n'est l'école où Bonaparte commença son
éducation militaire , a joui anciennement d'une certaine cé-
lébrité. C'était le chef-lieu et le séjour ordinaire des anciens
comtes de la maison de B rien ne, vassaux immédiats des
comtes de Champagne, dont leur fief formait lune des
sept pairies , et arrière-vassaux de la couronne de France.
BRIEi\.\E (Maison de). Elle eut pour chef Engil-
bert I" , comte de Brienne, qui vivait en 990 , sous le règne
de Hugues Capet. 11 était alors uni à Mansfrède , veuve de
Fromoud 1", comte de Sens. Engilbert II, leur fils, vécut
jusque après l'année 1055. Il fut père de Gauthier I"", comte
de Brienne, marié avant l'année 1068 avec Eustachie, fille
de Milon 111, comte de Tonnerre , et d'Azeka , comtesse de
Bar-sur-Scine. Cette alliance amena le comté de Bar- sur-
Seine dans la maison de Brienne, Eustachie ayant héri!«
1
BRIENNE
707
de ce comlé de son frère , le comte Hugues Renaud , évê-
<iue de Langres. Gautier en avait eu trois fils, qui laissèrent
posti^rité, savoir : Érard 1"", dont nous parlerons plus bas;
]\lilon r*", comte de Bar-sur-Seine, mort en 1125. Gui, son
fils aîné , épousa Pétroniile de Chacenai, dont vinrent Mi-
lon II etManassès, successivement comtes de Bar-sur-Seine,
le premier décédé en 1152, le second promu à la prêtrise
et nommé doyen de Langres vers 1 166. Pétroniile, fille uni-
que de Milon II et de la comtesse Agnès, porta en mariage
le comté de Bar-sur-Seine ( 1168 ) à Hugues du Puiset, vi-
comte de Chartres, père de Milon III, comte de Bar-sur-
Seine. Après la mort de Milon 111 , du Puiset ( 1218 ) , Lau-
rence du Puiset, sa nièce, femme de Pons de Cuiseaux , et
Pétroniile de Brienne, fille de Thibaud, frère de Milon II,
partagèrent entre elles le comté de Bar-sur-Seine, qu'elles
vendirent peu après à Thibaud , comte de Champagne. En-
gilbert de Brienne, troisième fils du comte Gautier F"', eut
en apanage la terre de Conllans en Champagne, dont il i)rit
le nom , conformément à l'usage du temps , en conservant
les armes de Brienne. Il fut le fondateur de la maison de
Conflans, qui s'est continuée jusqu'à ce jour, et dont était
le maréchal d'Armentières , mort en 1774.
Éraud r', comte de Brienne, mort en 1104, n'est connu,
comme ses pères , que par des actes de libéralité envers les
abbayes. Alix de Rouci le rendit père de Gautier II , comte
de Brienne, qui fit le voyage de Jérusalem en 1147, et
laissa d'Agnès de Baudemont Érard II et André de Brienne.
Ce dernier fournit la branche de Rameru , éteinte à la fin
du treizième siècle. Érard II, comte de Brienne en 1156,
laissa d'Agnès de Montfaucon , dite de Montbéliard, Gau-
tier III et Jean de Brienne.
Celui-ci , né avec la passion des armes , était destiné par
son père à l'état ecclésiastique. Il osa résister à la volonté
paternelle , et pour s'y soustraire implora la généreuse hos-
pitalité des moines de Cîteaux. Touché des inutiles efforts
qu'il tentait pour dompter un penchant qui contrariait le
vœu de sa famille, un de ses oncles, le sire de Chàteauvil-
lain, le fit sortir du cloître, et dirigea lui-même ses premiers
pas dans une carrière où sa valeur éleva rapidement sa fa-
mille au faîte de la puissance et de la gloire. La renommée
de ses exploits à la conquête du royaume de Naples, où il
accompagna le comte de Brienne, son frère aîné, ayant retenti
jusqu'en Orient , les chrétiens de la Palestine envoyèrent
une ambassade au roi Philippe-Auguste pour lui demander
la main de ce guerrier pour la jeune Marie de Montferrat ,
reine de Jérusalem , et son épée contre les infidèles. La vie
de Jean de Brienne, couronné roi de Jérusalem en 1210,
offre un long enchaînement de vicissitudes , où la part des
revers ne contribua pas moins que celle des succès à sa
gloire. Dépossédé pendant son absence do la Palestine par
l'empereur Frédéric II, son gendre (1223) , il fut appelé par
le choix des barons français de l'empire d'Orient à gouver-
ner cet État chancelant avec le titre d'empereur, alors atta-
clié à la régence, durant la minorité de Baudouin II de
Courtenai. Dans la guerre terrible qu'il soutint contre les
Grecs et les Bulgares réunis sous les murs de Constantinople,
il sut à quatre-vingts ans rajeunir sa vieille renommée par
de miraculeuses victoires. Parvenu au comble de la gran-
deur, il déposa les insignes de l'autorité souveraine pour ter-
miner une vie de héros sous l'humble habit d'un disciple de
saint François d'Assise ( 1237 ). De Bérengère de Castille, sa
seconde femme, sœur du roi Ferdinand III, il avait eu, entre
autres enfants, Alfonse de Brienne, grand cliambrier de
France et comte d'Eu par son mariage avec Marie de Lu-
signan; Jean de Brienne, grand bouteiller de France, et
Louis !*■■ de Brienne , vicomte de Beauiuont au Maine par
la vicomtese Agnès sa femme ( 1253 ) , qui fut la souche de
la seconde race des vicomtes de Beaumont, dont le dernier,
Louis II, fut tué à la bataille de Cocherel, en 1364.
Gautier III comte de Brienne , s'était signale avec son
frère à la défense d'Acre contre les infidèles, en 1188 , lors-
que Tancrède, roi de Sicile, lui donna, en 1 191, la main d'Al-
bérie, sa fille aînée, sœur du jeune roi Guillaume. Celui-ci
ayant été dépouillé de ses États pendant sa minorité par
l'empereur Henri VI , Gautier, comte de Brienne, à la tête
de soixante guerriers déterminés , passe le mont Cenis et
entreprend la conquête d'un royaume que la valeur de quel-
ques chevaliers normands avait fondé depuis un siècle- la
fortune sourit à la témérité de son entreprise , car en peu
de mois on le vit en possession de la Pouille et des princi-
pales places du royaume de Naples. Il était à la veille d'ex-
pulser entièrement les troupes impériales de ce royaume
lorsqu'une aveugle confiance dans ses succès et dans la bra-
voure de ses soldats vint causer sa perte. Au conseil qu'on
lui donnait de se tenir plus en garde contre ses ennemis, il
n'avait qu'une réponse : ils n'oseraient. Le comte Diépold,
qu'il avait vaincu jusque alors toutes les fois qu'il avait pii
l'atteindre, lui fit expier cet excès de confiance et de présomp-
tion. L'an 1203, assiégé dans un château sur le Sarno, le
général allemand fait une sortie de grand matin , surprend
le camp de Gautier de Brienne, en fait un horrible carnage,
et ramène Gautier dans la place couvert de blessures. On
vint lui offrir de briser ses fers s'il voulait renoncer à la
couronne de Sicile. On se flattait de vaincre sa persévérance
et son courage par les plus cruelles privations , mais il se
laissa mourir de faim plutôt que de renoncer à un trône
qu'il avait si glorieusement conquis.
Gautier IV, comte de Brienne, hérita de la valeur de son
père, mais ne recueillit pas le fruit de ses conquêtes. Appelé
à la Terre Sainte par Jean de Brienne , roi de Jérusalem ,
son oncle , et ci-devant son mentor et son tuteur , il fit sous
lui l'apprentissage des armes, et rendit redoutable aux Sar-
rasins le titre de comte de JaJJ'a , sous lequel il était connu.
11 commandait l'aile droite à la bataille de Gaza (1244) :
apercevant du désordre dans les mouvements que faisait l'ar-
mée karismienne pour se mettre en bataille , il voulut pro-
fiter du moment pour fondre sur les infidèles; mais toutes
les prières qu'il fit pour se faire absoudre par le patriarche de
Jérusalem d'une excommunication qu'il avait encourue no
purent lui obtenir l'honneur de sauver l'armée chrétienne
par une victoire. L'évêque de Rama , indigné d'un refus qui
allait avoir des suites si funestes , s'avança vers Gautier de
Brienne, lui donna l'absolution, et se précipita avec lui dans
les rangs ennemis. INIais ceux-ci avaient eu le temps de pren-
dre les positions les plus avantageuses. Trente mille guerriers
perdirent la vie ou la liberté dans cette bataille, où la vic-
toire fut disputée pendant deux jours. Gautier de Brienne,
fait prisonnier et traîné à la suite des vainqueurs jusque
sous les murs de Jaffa , fut attaché à une croix par les
Karismiens, qui, en montrant les outrages et les tour-
ments dont ils l'accablaient , se flattaient de soumettre cette
ville. Mais Gautier, loin de se laisser abattre, exhorta
de toute la force de sa voix les habitants et la garnison
à ne pas trahir leur religion et leur patrie par une (ausse
compassion ou une indigne faiblesse , et à défendre jus-
qu'à la dernière extrémité une ville chrétienne. Les défen-
seurs de Jaffa, enflammés par ce dévouement sublime, re-
poussèrent les infidèles , et Gautier de Brienne marcha avec
joie au supplice qui l'attendait au Caire, où il avait été con-
duit après la retraite des Karismiens.
Il laissa de Marie de Chypre, fille du roi Hugues I*"", Jean,
comte de Brienne, mort sans postérité, et Hugues, qui lui
succéda avant 1270. L'année précédente , il avait accompa-
gné Charles de France , comte d'Anjou , à la conquête du
royaume de Naples, et en avait reçu en récompense de ses
exploits les comtés de Liches, de Tripazzo et de Tibenrano
dans la terre d'Otraute. 11 devint aussi duc d'Athènes, par son
mariage avec Isabelle de la Roche, fille de Guillaume, duc
d'Athènes et sire de Thèhes. Gautier V, leur fils, comte
de Biicnne et de Liches, duc d'Allièncs, entreprit une guerre
8i).
708
BRIENNE
lieuneuse contre Jean de Diirazzo , duc de Patras , et contre
Thomas, despote d'Acarnanie, qu'il contraignit à faire la
paix, après leur avoir repris plus de trente châteaux qu'iislui
avaient enlevés. Il fut luépar les Catalans, en 1312. Jeanne de
Chastillon, sa femme, fille de Gaucher V, comte de Porcean,
l'avait rendu père de Gautier YI, comte de Brienne et de
Liches, duc d'Athènes.
Élevé à la cour de Robert le Bon, roi de Sicile, Gautier VI
fut nommé par le duc de Calabre, fils de ce prince, son vi-
caire ou gouverneur géni^ral pour l'État de Florence en 132G,
et fut opposé l'année suivante à l'empereur Louis de Bavière,
qui voulait pénétrer dans le royaume de Naples. Après une
tentative infructueuse pour reconquérir son duché d'Athènes,
envahi parles Catalans, il revint en Italie (1331), et de là
se rendit en France, à la cour du roi Philippe de Valois, qui
l'employa dans ses guerres contre les Anglais en 1339 et 1340.
L'année suivante, Piobert, roi de Sicile, appela Gautier au
Recours des Florentins contre les Pisans, qui leur avaient
enlevé la ville de Lucques. Ébloui par l'ascendant que lui
avaient acquis ses services, il aspira au pouvoir souverain,
se fit élire capitaine et conservateur du peuple de Florence,
puis seigneur à vie, le 8 septembre 1342. Cette élection sou-
leva de nombreux mécontentements. Gautier, par une po-
litique aussi atroce que dissimulée, fit périr publiquement
plusieurs Florentins dévoués à sa cause qui lui avaient dé-
Boncé des complots tramés contre lui , pour persuader au
peuple qu'il ne croyait pas que les grands fussent capables
de conspirer sa perte. Ces lâches cruautés n'eurent point le
succès qu'il s'en était promis. Assiégé dans son palais le 3
aofit de la même année, son pouvoir despotique fut anéanti,
et il fut heureux d'obtenir la vie sauve au prix de celles du
provéditeur et de son fds, que la populace mit en pièces
et dont elle dévora les lambeaux palpitants ou à moitié rôtis
sur des charbons. Gautier revint en France, et il fut élevé
la dignité de connétable par le roi Jean, le 6 mai 1356.
II fut tué à la bataille de Poitiers, le 19 septembre de la
même année. Comme il n'avait pas d'enfants, sa riche suc-
cession passa à sa sœur Isabeau, comtesse de Brienne et
duchesse d'Athènes, femme de Gautier IV, seigneur d'En-
ghien. Marguerite d'Enghien, sa petite fille, porta le comté
(le Brienne, avec ses droits sur le duché d'Athènes, à Jean de
Luxembourg, son mari. Leurs descendants ont possédé le
comté de Brienne jusqu'en 1605 ; à cette époque il fut porté
par mariage dans la maison de Béon du Masses, et de celle-
ci il passa, en 1623, dans la famille de Loménie, qui le
possédait au moment de la révolution.
Louise de Béon avait, en 1625, fondé à B r i e n n e, un cou-
vent de minimes, destiné à l'éducation des enfants du pays,
lequel fut, en 1730, converti en collège et, en 1776, en suc-
cursale de l'école militaire de Paris, destinée à recevoir cent
élèves du roi et cent pensionnaires. L'école militaire de
Brienne fut supprimée en 1790; les bâtiments en furent
vendus et démolis; mais le château bâti par Loménie,
comte de Brienne, ministre de la guerre sous Louis XVI,
n'a rien perdu de sa magnificence. Laine.
lîRIENIVE (LOMÉNIE de). Voyez Loménie.
IJRIENNE (Nicf.puore). Voyez Nicépiiore-Bryenne.
BRIENNE (Combat et Bataille de). Les coalisés avaient
passé le Rhin le l*"" janvier 1814 : le centre et la gauche sous
les ordres de Sclnvartzcnberg, au nombre d'environ
317,000 hommes, à Bùie et à Manheim ; la droite, sous
les ordres de Blucher, à Cobleniz. Il n'y avait devant
Schwartzenberg que 9,000 hommes, sous les ordres de Vic-
tor, et devant Blucher que 16,000 hommes, commandés par
Marmont. Macdonald, avec 21,000 hommes, occupait Co-
logne; Maison, avec 13,000, la Belgique; une réserve de
14,000 hommes s'organisait. Le point de jonction des deux
grandes armées coalisées devait être entre Châlons sur
Marne et Bar sur Seine. Refoulés par des forces supérieures,
Victor et Marmont se replièrent derrière la Meuse et les
Vosges. Macdonald , débordé par Blucher, se relira en toute
hâte par les Ardennes, afin de gagner Châlons, indiqué
par l'empereur pour point de concentration de toutes ses
forces. Quelques renforts avaient porté notre armée, non
compris le corps de Maison, à près de 73,000 hommes, qui
furent placés sous les ordres de Mortier, Victor, Mar-
mont, Macdonald etNey. Le 27, Napoléon, ayant réuni
les corps de Victor, Marmont et Ney , marcha sur Saint-
Dizicr, où il espérait prévenir Blucher, et empêcher la jonc-
tion des deux grandes armées des alliés. 11 en chassa facile-
ment l'ennemi ; mais il apprit que Blucher était déjà à
Brienne et Schwartzenberg à Bar-sur-Aube , et que la jonc-
tion qu'il voulait empêcher avait eu lieu. Il comprit dès
lors la nécessité de couvrir Paris, et résolut de marciier
sur Troyes pour se réunir à l'aile droite, commandée par
Mortier.
Le 28 donc, laissant Marmont à Saint-Dizier, il s'avança
par Vassy sur Montierender, avec les corps de Victor et de
Ney. Blucher se concentra autour de Biienne; Schwartzen-
berg entre Bar sur Aube et la Marne. Le 29 l'empereur se
dirigea de Montierender sur Brienne avec les corps de Victor
et de Ney : Marmont étendit sa cavalerie du côté de Vassy.
Vers midi, la cavalerie légère du général Pire rencontra
devant Mézières un corps de l'armée de Blucher, qui l'ar-
rêta. Grouchy déploya peu après à la gauche de Pire les
divisions Lefebvre-Desnouettes, Briclie et Lhéritier. La ca-
valeriiî russe de l'ahlen , vigoureusement chargée , fut alors
obligée de se replier sur Brienne, sous la protection des
carrés de son infanterie. Traversant le bourg à toute bride,
elle rejoignit à trois heuics le gros de l'armée de Blucher, qui
était en position dans Brienne et autour. Une demi-heure
après, le corps de Victor étant arrivé , la division Duhesme
atta(iua le bourg. Au bout d'une heure, le corps de Ney
arrivant aussi, la division Decouz appuya l'attaque delà
division Duhesme. Nos forces s'élevaient à 27,000 hommes,
celles de l'ennemi à 40,000, et pourtant Ney allait le forcer
à évacuer Brienne, quand une faute grave nous fit reperdre
nos avantages.
La cavalerie de Grouchy était restée derrière l'infanterie,
au Heu de couvrir sa gauche. Blucher s'en aperçoit, et fait
charger la division Duhesme par 44 escadrons, qui la culbu-
tent et lui enlèvent une batterie. Cet échec oblige Ney à ré-
trograder. Blucher, croyant l'affaire terminée avec le jour,
donne ordre d'évacuer Brienne à minuit, et se met à table.
Tout à coup, vers huit heures du soir, le général Château,
chef d'état-major de Victor, pénètre dans le château, parle
parc, avec deux bataillons, et Blucher a juste le temps de
s'enfuir. Puis les Français descendent rapidement dans la
ville , tandis que deux brigades accourent soutenir leur at-
taque. Les Russes, serrés de près, mettent le feu à Brienne.
Enfin, l'ennemi, rebuté de ses pertes qui s'élèvent à plus de
trois mille hommes, évacue la ville à onze heures du soir,
pour se retirer sur les hauteurs de Trannes, tandis que
nous restons en position derrière Brienne , en occupant le
château. Nous avions à regretter les généraux Baste et De-
couz et un nombre d'hommes à peu près égal. Tel fut le
combat de Brienne. Passons à la bataille.
Le 30 , l'empereur, voulant couvrir le corps de Marmont,
qui devait le rejoindre, fit un mouvement en avant , cliassant
les alliés devant lui et déployant sa petite armée de Dien-
ville à Chaïuiiesnil. Schwartzenberg, inquiet, suspendit sa
marche sur Troyes. Le 31 Napoléon s'arrêta pour attendre
Marmont. Enfin Marmont rejoignit le 1" février au point du
jour; il avait i)ris la route la plus longue, courant risque
de se faire envelopiier par des forces supérieures. Mais le
but de Napoléon était atteint, il avait donné signe do vie et
réussi à masser ses forces. Dès lors il fit commencer la re-
traite de l'armée par les deux divisions du maivciial Ney.
Mais, vers midi , les rapports de ses avant-postes lui ayant
annoncé de grands mouvements parmi les coalisés , il re
BRIENNE — BRIÈVETÉ
709
connut lui-mi-mc la niarclic ilcs colonnes qui venaient l'at-
taquer, et rappela les divisions de Ney : 36,000 Français al-
laient ùlve assaillis par 123,000 adversaires, que pouvaient
renforcer encore G8,000 hommes.
A deux heures de Taprès-midi le prince de Wurtemberg,
débouchant des bois qui longent la Gibrie, refoula nos
avant-postes sur les hauteurs voisines , et attaqua le village
avec six bataillons, une brigade de cavalerie et du canon.
Nous n'avions là que deux faibles bataillons, qui ne se re-
plièrent sur Petit-Mesnil qu'après avoir tenu bon plus d'une
lieure. Mais Victor, sentant l'importance de ce point straté-
gique , s'en rendit maître de nouveau par une brusque at-
taque. Cependant plus de 24,000 hommes s'avançaient contre
la brigade Joubert, qui , trop faible pour résister avec ses
2,500 hommes , fut refoulée sur Morvilliers et obligée d'a-
bandonner quatre canons dans des chemins défoncés. Mar-
raonl vit enfin qu'il était urgent de combler la lacune qui
le séparait du centre, et la brigade Joubert reçut ordre
d'appuyer sa droite sur Chaumesnil , le reste du corps d'ar-
mée devant suivre ce mouvement.
Malheureusement , sur ces entrefaites, le corjjs de Wrèd e
ayant achevé de déboucher, son avant-garde attaqua les
abattis dont le patriotisme des habitants de .Morvilliers avait
pendant la nuit couvert leur village, qu'un ruisseau séparait
encore des ennemis. Le passage fut forcé , Marmont attaqué
et son mouvement suspendu ; une charge de 1800 de
nos cavaliers, qui tentèrent de le soutenir, échoua contre
9,000 Austro-Bavarois, et le déployement continua sans que
les alliés pussent cependant gagner du terrain. A quatre heu-
res et demie, quatre divisions ennemies étaient déployées de-
vant Morvilliers, lorsque le prince de Wurtemberg envoya
demander du renfort à Wrède. Pendant que ceci se passait à
notre gauche, les autres colonnes des coalisés s'avançaient sur
la Rothière et Dienville. Ce dernier point fut vigoureusement
défendu par le général de brigade Bondier, qui repoussa hé-
roïquement à plusieurs reprises les attaques de deux bri-
gades autrichiennes appuyées de dix canons. A la droite de
l'Aube le général Gérard soutint jusqu'à la fin de la bataille
les assauts réitérés de la division Giulay , malgré sa nom-
breuse artillerie. Au centre , le corps d'armée du général
Sacken, arrivé devant la Rothière, avait engagé un combat
terrible sur toute la ligne, sans pouvoir pendant deux heures
entières entamer les divisions Colbert, Guyot et Pire, qui,
malgré leur infériorité numérique, menacèrent plus d'une
fois de broyer ses masses.
Blucher, voyant la bataille si longtemps stationnaire, ré-
solut d'en finir en renforçant les colonnes d'attaque. A
quatre heures, des réserves russes, celle des gardes, une
division de grenadiers, deux brigades de cuirassiers, s'é-
lançaient vers la Rothière. La faible division Duhesmc, de
4,000 hommes , attaquée par 20,000, perdit la moitié du
village jusqu'à l'église, mais empêcha l'ennemi de passer
outre. Vers cinq heures les divisions Colbert, Guyot et Pire
étaient rejetées sur Brienne par le poids de 15,000 cuiras-
siers, malgré les efforts des divisions Desnouettes et Briche
pour prendre la cavalerie ennemie en flanc. Blucher profita
de ces succès pour balayer le reste du village de la Ro-
thière. Joubert ne put, malgré son héroïque défense, tenir à
Chaumesnil contre des forces si supérieures. Sa retraite
obligea Jlarmont à évacuer Morvilliers. Le prince de Wur-
temberg , appuyé d'une brigade bavaroise et d'une division
de grenadiers russes, attaqua de nouveau la Gibrie, qui
fut emporté après un combat opiniâtre, et Victor se replia
sur Petit-!SIesnil. Après cinq heures, les coalisés étaient ainsi
maîtres de la Rothière, de la Gibrie, de Chaumesnil et de Mor-
villiers.
Napoléon vit bien alors que la bataille était perdue j
mais il s'agissait d'arriver à la chute du jour qui s'appro-
chait, pour assurer la retraite de l'armée. L'essentiel était
d'emi)f'clier le corps austro-bavarois de débmirher par
Chaumesnil , d'acculer l'armée sur l'Aube ou de lui couper
la route de Brienne en culbutant le corps de Marmont.
L'empereur se porta donc en toute hâte vers Chaumesnil;
mais de Wrède y était déjà, couvert par seize bouches à feu.
L'artillerie française fut bientôt démontée, sept pièces furent
perdues, la division Guyot, réduite à cinq cents chevaux, fut
enfoncée par quinze cents chevaux autrichiens et bavarois.
Cependant l'ennemi fut contenu, et la nuit, qui arriva, permit
à Napoléon de commencer sa retraite. Pour la masquer,
Oudinot attaqua de nouveau la Rothière, la cavalerie
Milhaud se développa devant Chaumesnil , et celle de Nan-
souty se maintint entre la droite et le centre. Oudinot pé-
nétra jusqu'à l'église de la Rothière. Blucher, croyant avoir
affaire à de fortes masses, envoya contre le maréchal une
division de grenadiers russes et une brigade autrichienne,
qui forcèrent nos troupes à se replier à 400 mètres en ar-
rière du village, où elles prirent position.
Vers huit heures du soir commençait enfin la retraite.
Ney et Nansouty se mirent les premiers en marche. Drouot
incendia la Rothière pour contenir l'ennemi et couvrir le
mouvement. Victor et IMarmont s'ébranlèrent à leur tour.
Gérard tint bon à Dienville jusqu'à minuit, et la cavalerie
Milhaud occupa la plaine entre le bois d'Ajou et l'Aube. Les
divers corps des alliés conservèrent leurs positions de l'entrée
de la nuit. Notre perte, d'après les bulletins ennemis eux-
mêmes, s'éleva à 4,000 morts ou blessés et 1,000 prisonniers.
Nous perdîmes de plus 54 pièces de canon et les généraux
INIarguet et Forestier. Les coalisés, de leur propre aveu,
eurent 6,000 morts ou blessés, et au nombre de ces derniers
quatre généraux. L'importance de la bataille de Brienne
parut telle à l'Allemagne entière, qu'elle y fut célébrée dans
des relations dignes des Mille et une Nuits. On n'y avait vu en
définitive que 35,000 Français résistant avec un îiéroïsme ad-
mirable à 120,000 ennemis. G"' G. de Vacdoncourt.
BRIEUX (Jacques MOISANïou MOSANS de), littéra-
teur normand du dix-septième siècle et l'un des meilleurs
poètes latins de son temps, naquit à Caen, vers 1614, de pa-
rents nobles, attachés à la réforme. Il fit ses premières études
à l'académie de Sedan ; après avoir passé deux années à l'u-
niversité de Leyde, où il reçut des leçons du célèbre Vos-
sius, il visita l'^Uigleterre, et recueillit, dans les manuscrits des
bibliothèques de ce pays, des notes qu'il devait mettre plus
tard à profit. De retour en France, il se fit recevoir avocat,
et ne tarda pas à occuper une charge de conseiller au par-
lement de Metz. Mais sa santé, qui s'altéra de bonne heure,
l'obligea de revenir à Caen. A dater de ce jour, il cultiva
les lettres, non-seulement poury trouver une distraction à ses
souffrances, mais encore pour obéir à ses goûts les plus chers.
Moisant de Brieux fut le fondateur de l'Académie royale de
Caen , dont les premières séances eurent lieu dans sa maison.
En 1674, âgé deprès de soixante ans, tourmenté de la pierre, il
prit la résolution de se faire opérer; il expira peu de jours après.
Moisant de Brieux était bon poète latin , savant critique et
philologue distingué. Le recueil complet de ses œuvres, au-
jourd'hui fort difficile à se procurer, se compose de quatre
petits volumes, sortis des presses de Jean Cavelier, impri-
meur à Caen. En voici le titre : Origines de quelques cou-
tumes anciennes et plusieurs façons de parler triviales,
avec un vieux manuscrit en vers touchant l'origine des
chevaliers bannerets (1G72); Recueil de pièces en prose
et en vers (1674) ; le Divertissement de M. D. B. (1673);
Poemntum Pars altéra (1669).
Les amateurs de livres rares , et même ceux qui veulent
étudier l'histoire littéraire de notre vieille France, les com-
patriotes de Moisant de Brieux, achètent fort cher l'œuvre com-
plète de ce philologue; le dernier exemplaire, provenant de
la bibliothèque de Ch. Nodier, a été payé 146 francs.
Le Roux de LiîiCY.
BRÎÈVETÉ (en latin bravitas, faitdc brevis, court*
durée d'une chose) , qualification ou plutôt qualité de ce
710
qui est court, car bien rarement la brièveté est regardée
comme un défaut : celle môme de la vie , dont nous nous
plaignons, n'est réellement regrettable que relativement au
bon emploi qu'on fait de l'existence et au bien qu'elle laisse
inachevé. Tantd'liommes l'usent dans Texercice du mal, que,
pour eux et la société, on peut dire trop souvent, lorsqu'ils
arrivent au terme fatal , que leur vie a été trop longue de
moitié. Dans les écrits, dans les discours, la brièveté est
bien plus souvent aussi une qualité qu'un défaut. La langue
française a trouvé le secret de joindre la brièveté à la clarté,
sans nuire à l'élégance : ce sont ces qualités qui ont as-
suré sa prééminence, et qui l'ont rendue d'un usage si uni-
Tcrsel. Il y a une brièveté qui vient de la sécheresse et du
peu d'étendue de l'esprit : celle-là est un défaut ; celle qu'il
faut louer, c'est la brièveté qui est le produit de la réflexion
et du jugement (voyez Concision). Pascal, s'excusant de la
longueur d'une lettre sur ce qu'il n'a pas eu le temps de la
faire plus courte, résume parfaitement et le mérite de la
brièveté et l'opération de l'esprit qu'exige cette qualité. Il
ne faut pas trop presser cependant les conséquences de ce
principe et chercher à atteindre une trop grande iirièveté : on
courrait le risque, comme l'ont dit Horace etBoilcau , de ne
rencontrer que l'obscurité. 11 y a des genres en poésie qui
plus que tous exigent la brièveté, laquelle constitue en
grande partie leur mérite : telle est surtout l'épigramme.
BUIFAUT (CiiAKLEs), membre de l'Académie Fran-
çaise, naquit à Dijon, le 15 février 1781. Son père était un
simple artisan , recommandable dans sa profession. L'abbé
Yollius , en ce temps-là évêque constitutionnel de la Côte-
d'Or, trouvant dans le jeune Brifaut d'heureuses dispositions,
résolut de les faire fructifier en lui ouvrant les portes de
l'école centrale, devenue depuis le lycée de Dijon. Le jeune
homme justifia par ses progrès l'intérêt qu'il avait inspiré
à son protecteur. Fixé à Paris en 1804, le comte Berlier,
conseiller d'État, lui accorda une protection toute particu-
lière. Il travailla pour plusieurs journaux , notamment pour
la Gazette de France. Ses principaux titres littéraires sont
une tragédie de Ninus II, qui fut assez favorablement ac-
cueillie , malgré les critiques méritées qui fondirent sur elle
aux premières représentations , et une autre tragédie de
Jeanne Gray , reçue au Théâtre-Français en 1807, dont le
gouvernement impérial ne permit pas la représentation , et
qui fat fort mal accueillie du public quand elle put être
jouée, en 1814. M. Brifaut donna plus tard, en 1820, une
ti-oisième tragédie : Charles de Navarre, qui réussit mieux
nue Jeanne Gray, quoiqu'elle n'obtint qu'un succès bien
faible.
Les autres ouvrages qu'il a publiés sont : 1° la Journée
de l'Hymen, 1810; 2° une Ode sur la naissannce d%i roi
de Rome, 1811; ces deux pièces ont été aussi insérées dans
le recueil officiel intitulé : L'Hymen et la Naissance, 1812,
donné en prix à tous les lycées de l'Empire ; 3" Rosemonde ,
poème en trois chants , 1813 ; 4° Stances sur le retour de
Louis XVHI, mai 1814; 5° OUjmpie, tragédie lynque, en
collaboration avec Dieulafoi, musique de Spontini, jouée
avec un honnête succès au Grand Opéra, le 20 décembre
1819 : G° Dialogues, contes et attires poésies (2 vol.,
1824). C'est à l'aide de cet estimable bagage que M. Brifaut
a vu s'ouvrir devant lui, en 1826, les portes de l'Académie
Française.
Depuis, il a publié encore : 1° Les Déguisements, ou une
folie de grands hommes, comédie en un acte et en vers,
182i); 2° le Droit de Vie ou de Mort, poëme, 1829; 3° son
discours prononcé, en séance publique de l'Académie Fran-
çaise, le 15 juillet 1841, en réponse au discours de réception
de M. An ce lot; 4" une notice ou préface, en tête d'une
traduction de l'anglais de Laure de Montrcville, ou l'cm-
pire sur soi-même, de M™" Brunton. M. Brifaut a aussi
jilusieuts ouvrages en portefeuille, entre autres : Amour et
Opinion, comédie en cinq actes et en vers. C'est, en somme.
BRIÈVETÉ — BRIGADE
un talent oublié et qui pourtant a bien valu et vaut bien
encore celui de M. Ponsard. Arcades ambot
BR!G. Vo7/e3 Brick.
BRIGADE. Ce mot, qui paraît avoir la même origine
que les mots brigue et brigand, a longtemps signifié une
agrégation tactique d'hommes de guerre , quelle que fût sa
force. Ce terme générique , et non spécial , a été depuis
Henri IV un de ceux que l'art militaire a employés le plus
diversement, puisqu'il a exprimé tout à la fois un ensemble
de deux ou trois hommes et un corps d'armée. Ainsi, la gen-
darmerie de Henri IV se décomposait en brigades de vingt-
cinq maîtres; ainsi, Louis XIII défendait en 1635 aux maré-
chaux de Brézé et de Cliàtillon de partager l'armée en deux
brigades, pour s'en faire à chacun un commandement ex-
clusif. Suivant de La Fontaine, lemot brigadese prenait pour
lignes tactiques. « L'armée, dit-il, est divisée quelquefois
en deux brigades : avant-garde et bataille ; et quelquefois
en trois : avant-garde, bataille, et arrière-garde. Chaque bri-
gade est composée d'artillerie, cavalerie et infanterie. » Ailleurs
ce même écrivain prend le mot en un sens tout différent.
« Quelquefois , dit-il , on sépare les batailles en deux briga-
des, on les espace de trois à quatre cents pas : l'une est
appelée brigade de l'aile droite, l'autre brigade de l'aile
gauche. L'aile droite est commandée par le général et ses
maréchaux de camp ; l'autre par les autres maréchaux de
camp. A présent, on donne à chaque brigade un autre
officier, appelé maréchal de bataille. »
D'Espagnac prétend, sans s'appuyer sur aucune preuve
et sans prendre le soin de nous éclairer par des dates, que
quand la force des compagnies de cavalerie variait de cin-
quante à deux ou trois cents maîtres , elles se partageaient
en brigades, et celles-ci en sous-brigades et quadrilles ; de
même que les compagnies d'infanterie se partageaient en
brigades subdivisées en bigcs, en terses, en escouades. Le mot
brigade prit dans la milice suédoise un sens plus fixe à par-
tir de Gustave-Adolphe; mais dans la milice française il resta
longtemps indéterminé. Depuis Louis XIV il continua à
s'employer quelquefois comme synonyme de fraction quel-
conque : il en était ainsi dans les gardes du corps ; quelque-
tbis il prenait une acception bien plus étendue. La grande
brigade était celle que commandait le brigadier ( sorte de
géaéral ). Montécuculi nomme brigade , ou grand mem-
bre d'armée, une association de bataillons ou d'escadrons.
Puységur, qui servit sous Louis XIV et sous Louis XV, est
celui qui le premier donne de la précision dans notre lan-
gue au mot brigade : il la comprenait dans l'infanterie comme
une agglomération de huit bataillons, dans la cavalerie comme
un ensemble de huit escadrons. D'après Dupain de Montes-
son, ce terme signifierait l'accouplement de deux compagnies
de cavalerie. V Encyclopédie méthodique dit qu'une bri-
gade est une division. Le mot brigade dans les régiments
de cavalerie de IMaiirice de Saxe signifiait compagnie; ail-
leurs le mot brigade de boulangers donnait l'idée de trois
pétrisseurs et de leur chef enfourneur ; le mot brigade de
maréchaussée exprimait un poste de deux cavaliers; la
brigade des grenadiers à cheval était un escadron ou le
tiers d'une compagnie ; la brigade des grenadiers de France
était un bataillon de douze compagnies; la brigade d'ar-
tillerie indiquait un ensemble de vingt bouches à feu avec
leur matériel et leurs servants ; enfin les brigades du génie,
les brigades de la maison du roi, et\c?i brigades de mu-
lets , offraient un sens non moins disparate. Le général de
Cessac dans Y Encyclopédie s'élève énergiquement contre
une pareille aberration, sans que les législateurs se soient
souciés de purger de ces taches la langue militaire.
Le sens commun voulait que les mots brigade et briga-
dier découlassent l'un de l'autre ; mais, tandis que le mot
brigade (escouade) tombait en désuétude, alors qu'on main-
tenait pourtant le mot brigadier (caporal ), la grande brigade
(agrégation tactique) prenait force, alors même qu'on sup-
BRIGADE — BRIGADE DE SÛRETÉ
primait son brigadier (espèce de général). La loi de l'an vii
(23 fructidor), rendue sur le rapport du général de Cessac,
a[>fe\ïebrigadcs d'ouvriers artistes àescorps au nombre de
trente-deux, composés chacun de soixante hommes; elle
appelle demi-brigade des corps composés chacun de plus
de trois mille hommes.
Occupons-nous uniquement de la brigade d'armée, ou
de la brigade active, considérée comme un ensemble de corps
brigades , qu'il ne faut pas confondre avec ceux qui par le
lait de l'embrigadement ont pris, à la fin du dernier siècle,
une forme jusque là inusitée, en s'appelant demi-briga-
des. Dans les usages modernes, une brigade se compose
ordinairement de la moitié d'une division ; elle est une agré-
gation tactique dans un corps d'armée ou dans une armée
agissante. Gustave-Adolphe est l'inventeur des brigades;
il accoupla ses régiments d'infanterie en 1630; telle était sa
terrible brigade jaune et bleue, nommée ainsi parce qu'un
de ses régiments était à habit bleu , l'autre à habit jaune ;
mais dans cette union de deux corps en un ni les batail-
lons ni môme les régiments n'opéraient comme unités tac-
tiques ; aussi la brigade n'était-eile dans son armée qu'une
fusion éventuelle de divers habillements ou armes s'a-
malgamantà raison de l'analogie tactique et de l'armement
des soldats. Cette brigade n'avait encore rien de sem-
blable à celle qu'on mettrait actuellement en ligne par
régiments et bataillons. A l'imitation de Gustave, Turenne
essaya de former dans l'armée française des brigades de trois
àquatre mille hommes; mais cet embrigadement réussit mal ;
ce ne furent que des tûtonnements , parce que les trou-
pes n'étaient assujetties à aucune règle précise de formation,
et qu'elles étaient un composé de régiments, ou plutôt d'a-
grégations régimentaires, dont la force variait depuis quatre
bataillons jusqu'à un demi-bataillon. Quelque imparlaites
qu'aient été jusqu'aux temps modernes les brigades françaises,
on peut les considérer de nos jours, suivant l'expression du
colonel Carrion, comme les instruments de grande tactique,
comme les seuls éléments en grand des armées.
La création des divisions dépouilla les brigades de leur
importance : ce furent les divisions qui devinrent de grands
membres de l'armée; il en fut ainsi jusqu'à la création des
corps d'armée. La force que doivent avoir les brigades fran-
çaises et l'étendue de front qu'il convient de leur donner se
rattachent à des questions jusque ici mal résolues. On n'est
pas beaucoup plus avancé qu'au temps où Y Encyclopédie
voulait vaguement qu'une brigade se composât d'un ou de
plusieurs régiments. Dans les usages modernes , elle n'est
le plus ordinairement que la moitié d'une division. On voit
sous Louis XIV et Louis XV la brigade prendre pour déno-
mination le nom affecté au premier des régiments qui la com-
posaient, c'est-à-dire le nom du régiment chef de brigade ;
elle se formait tantôt de trois, de quatre , tantôt de cinq,
de six, ou de huit bataillons. Les brigades de la milice
prussienne étaient sous Frédéric II de cinq bataillons.
Accompagnées de batteries d'artillerie , et fournies de tout
le matériel de campagne, elles étaient commandées par un
général de brigade. Nos premiers bataillons de miliciens
s'embrigadèrent par cinq, à l'imitation des Prussiens. La
milice anglaise a composé ses brigades de deux, de trois ou
de quatre bataillons, sous un major-général, ou plutôt gé-
néral-major.
Le règlement de 1753 (17 février), indiquant le mode de
rassemblement de l'armée , détermine la formation en bri-
gades. Cette disposition a été recopiée de règlement en règle-
ment, jusqu'en 179? (5 avril), époque où la brigade a élé
confiée à un chef qui de 1793 à 1815 s'^est appelé général
de brigade, de 1815 à 1848 maréchal de camp et de nouveau
général de brigade depuis 1 84 s . La brigade n'a pas encore po-
sitivement detactiqueécrite; il n'existe pasd'écoiede brigade ;
il n'est établi de règles pour l'alignement des brigades que
dans les évolutions de lignes de 1791 , c'est-à-dire dans un
7lt
document vague, dont il faut consulter l'esprit, non la lettre,
puisqu'il n'était pas reconnu tactiquement debrigadeen 1791.
L'ordonnance de composition de 1788 essayait d'instituer en
temps de paix les brigades sous forme permanente ; elle di-
visait l'armée en cinquante-deux brigades. C'était un résultat
de l'opinion de Guibert, qui voulait qu'en guerre on mît ces
brigades à trois mille cinq cents hommes. Cette formation,
alors tant blâmée, a réussi dans divers services étrangers.
Les brigades permanentes et les divisions permanentes y
sont adoptées , et probablement un jour les brigades ces-
sant, en France, d'être temporaires, entreront suivant une
mesure précise dans les divisions d'armée, et auront une
force et une forme constitutives et pareilles pour toutes. En
cela nous imiterons la milice russe, imitatrice elle-même
des théories françaises. Aujourd'hui , celle-ci tient en perma-
nance les brigades d'armée comme nous étions à la veille de
le faire en 1788 , et elle compose ses brigades d'infanterie
de trois régiments de bataille , et d'un régiment de chasseurs
à pied. Une brigade d'armée ne deviendrait alors un cadre
administratif que dans le cas où elle serait détachée loin de
la métropole et livrée à elle-même, ou du moins immédiate-
ment soumise aux décisions qui lui seraient transmises par
la correspondance ministérielle ; dans tous les autres cas
ellene formerait jamais un cadre administratif. En cemomeut
chez nous la brigade se compose de deux régiments, au
moins, soit d'infanterie, soit de cavalerie, sous les ordres
d'un général de brigade. Il faut deux ou trois brigades pour
une division. Lorsque les circonstances l'exigent, on forme
des brigades mixtes d'infanterie et de cavalerie légère : elles
sont spécialement chargées du service d'avant-garde.
Dans un sens plus restreint, brigade e&t une subdivision
de compagnie de gendarmerie, composée de cinq à six
hommes, à pie 1 ou à cheval , sous les ordres d'un brigadier.
Les brigades sont réparties dans les communes de France
pour le service de la police de sûreté. G*' Bardin.
BRIGADE DE SÛRETÉ. Pour apprécier l'utilité
d'une institution, il est quelquefois nécessaire de détour-
ner les yeux de la honte de son origine , comme aussi trop
souvent les plus nobles créations dégénèrent entre les
mains des hommes. Que de choses sublimes dans leur prin-
cipe se sont lentement dépouillées de tous leurs brillants at-
tributs pour tomber enfin dans une dégradation dont il est
difficile qu'elles se relèvent I Par un retour opposé , de la
souche la plus ignoble peut éclore un germe fécond , que la
temps développe et fortifie, en le purgeant peu à peu de
foules les souillures de ses premières années. Ces dernières
réflexions peuvent s'appliquer à la brigade de sûreté. En
effet, il faut bien l'avouer, c'est à Vidocq qu'elle doit sa
naissance. Ce célèbre forçat, évadé du bagne de Toulon ou
de Brest, mais appréhendé de nouveau, était en 1812,
détenu à Bicêtre, où il attendait le moment d'une réintégra-
tion, qu'il voulait éviter à tout prix. Une idée lumineuse le
sauva de ce malheur. Il offrit à la police de la servir loya-
lement, et, par compensation, ne demanda que la liberté.
Quelques défiances, bien légitimes sans doute , vinrent à la
traverse. Cependant , comme le nouveau postulant était de
ces hommes qu'il vaut mieux avoir pour ami que pour ad-
versaire, la police accepta le pacte, et nous ne pouvons que
lui en savoir gré. Après un noviciat de deux mois à la
Force, Vidocq tut jugé digne du bien auquel il aspirait. Une
évasion adroitement concertée le transporta bientôt sur un
théâtre plus digne de son génie. Dans les nouveaux rôles
qu'il y remplit , il s'attira de plus en plus la confiance de
l'administration qui remployait. Enfin il parut mériter d'être
chef de service, et la brigade de sûreté vit le jour.
Ce ne fut d'abord qu'une faible escouade de quatre aco-
lytes , que Vidocq recruta parmi ses anciens camarades.
Autour de ce mince noyau vinrent se grouper par la suite
de nouveaux éléments d'une nature parfaitement homogène.
En 1817 on comptait jusqu'à douze membres dans la corn-
712
pagine. Elle avait déjà rendu quelques importants services;
mais dès cette époque la nouvelle phalange devint vérita-
blement la terreur des malfaiteurs de toutes sortes qui in-
leslaient la capitale. Ces derniers dès lors ne la désignèrent
plus que sous le nom de /a Rousse. Dans le cours des années
1823 et 1824 la brigade de sûreté prit un nouv«l accroisse-
ment; le nombre des agents dont elle se composait fut
porté à vingt-huit, et jusqu'en 1827, époque à laquelle Vi-
docq fut remplacé par son ancien secrétaire Coco-Lacour,
ce nombre fut peu augmenté. Depuis, le service de sûreté
a vu augmenter encore le nombre de ses agents. Son person-
nel a dû subir aussi des épurations. Pendant longtemps il
ne fut recruté que dans les prisons. Aujourd'hui, dit-on, il
ne faut avoir subi aucune condamnation pour en faire partie.
Le service des agents de la police de sûreté consiste prin-
cipalement à surveiller les lieux publics , à procéder à l'ar-
restation des repris de justice, à éclairer les juges sur les
antécédents des individus arrêtés , etc.
BRIGADIER. 11 y avait autrefois des brigadiers dans
tous les corps delà maison du roi, dans l'artillerie , le génie
et «les carabiniers. Leurs fonctions, toutes particulières, ne
s'étendaient pas au delà du corps auquel ils appartenaient ;
il y avait aussi des brigadiers des armées du roi : c'étaient
des officiers généraux qui étaient subordonnés aux lieute-
nants généraux et aux maréchaux de camp. Ce titre était
assez équivoque. II existe encore dans l'armée espagnole, et
a cessé d'exister dans l'armée russe. En France, leur brevet
ne leur donnait aucune autorité particulière, ni pendant la
guerre, ni pendant la paix ; ils tiraient tout leur pouvoir des
lettres de service qu'ils obtenaient. Ce grade répond à peu
près à celui d'adjudant général, qui a existé durant les guerres
de la Révolution et les premières guerres de l'Empire. Il
était intermédiaire entre ceux de colonel et de général de
brigade,
11 y a encore de nos jours dans la gendarmerie à pied et
à cheval des brigadiers, dont le grade correspond à celui
de caporal d'infanterie de ligne, et dont les titulaires com-
mandent des brigades de six hommes à pied ou de cinq
hommes à cheval casernées dans de petites localités.
Ce grade correspond aussi à celui de caporal , dans les es-
couades de la garde de Paris à pied et à cheval, dans tous
les corps de la garde impériale, dans l'artillerie, dans tous
les régiments de cavalerie, et enfin dans tous les bataillons
de chasseurs à piod.
Dans les préposés des douanes, le grade de brigadier
équivaut à celui de sergent et celui de sous-brigadier à
celui de caporal. Les employés de l'octroi , les sergents de
ville et les garçons de la Banque ont aussi des brigadiers.
BRIGAND, BRIGANDAGE, BRIGANDINE. Roque-
fort , dans son Glossaire de la Langue Romane , donne à
penser que le mot brigand est venu de celui de brigandine,
espèce d'armure légère servant de cuirasse et faite de lames
de fer jointes ensemble. Originairement on aurait nommé
brigands les soldats qui portaient cette armure; puis,
comme ceux que la ville de Paris soudoya en 1356, pen-
dant la captivité du roi Jean, commirent une infinité de
vols , on aurait donné indistinctement leur nom à tous les
voleurs. Ainsi en latin le mot lalro, qui signifiait originai-
rement soldat , fut appliqué aux voleurs , par suite des ra-
pines auxquelles les soldats se li\Tèrcnt. Le même auteur,
dans ?,o\\ Dictionnaire étymologique de la Langue Fran-
çaise, a rapporté plus tard une autre origine du mot bri-
gand, qu'il fait venir celte fois de l'italien brigante, sous
lequel on désigna d'abord ceux qui formaient des brigties ,
des partis, et fomentaient des séditions pendant les guerres
civiles , puis les troupes qui exerçaient le pillage à main
armée, puis enfin les scélérats, les voleurs de grands che-
mins, .es assassins ; et il rejette bien loin l'opinion qui
ferait venir cette odieuse qualification des Brigantes , peu-
ple de la Rhétie célèbre par son amour pour la liberté. Ou
BRIGADE DE SURETE — BRIGGS
ne saurait l'appliquer davantage zwa. Brigantes de l'An-
gleterre ou Bretagne septentrionale, qui défendirent si long-
temps leur indépendance contre les Romains.
Quoi qu'il en soit de ces ctymologies diverses et de beau-
coup d'autres encore, on entend d'ordinaire par brigand
celui qui commet des vols à force ouverte sur les grands
chemins , et par brigandage la profession de ceux qui exer-
cent ces vols. Mais ces mots ont reçu dans le monde une
plus grande extension; on les applique aussi aux extorsions
ou concussions dont les particuliers ne peuvent pas se dé-
fendre , ainsi qu'aux individus qui s'y livrent impunément,
à l'abri des lois et des vices de notre organisation sociale ,
qui semble parfois plus favorable aux fripons qu'aux hon-
nêtes gens.
Sous la dénomination odieuse de brigands de la Loire,
quelques Français, ennemis de la Révolution et de l'Empire,
ont voulu flétrir les débris de la vieille armée , retirés der-
rière la Loire en vertu de l'armistice signé sous les murs de
Paris le 3 juillet 1815.
BRIGAJVTES. 11 paraît y avoir eu plusieurs peuples
de ce nom. Ptolémée , Tacite et Crevier, parlent d'un peuple
de l'ile de Bretagne qui portait ce nom et habitait, selon
le premier , au-dessous des Elgoviens et des Otadins, de
façon qu'il s'étendait d'une mer à l'autre. Il possédait d'a-
près ce géographe les villes d'Epdacum, Yinnovie, Ca-
turactanic, Calate, Isurie , Rhigodune, Olicane et Ebora-
cum. La cité des Brigantes passait pour la plus populeuse
du pays. Pctilius Cerealis , général des Romains , étant ar-
rivé dans l'île de Bretagne , jeta partout la terreur en atta-
quant cette cité. Après plusieurs combats, dont quelques-
uns furent sanglants, il soumit et ravagea une giandc
partie de la province. Le canton que possédaient ces Bri-
gantes comprenait les provinces d'York et de Lancastre,
l'évèché deDurhara,le Westmoreland et le Cumberland.
Selon Ptolémée, il y aurait eu en Hibernie (aujourd'hui
l'Irlande) un autre peuple du même nom : c'étaient les
plus orientaux de l'île, et ils occupaient les comtés de Wex-
ford et Kilkenny. Mais on croit qu'il y a dans l'écrivain
grec, le seul qui en parle, un renversement de lettres, et
qu'il faut lire Birgantes, parce qu'ils prenaient indubita-
blement leur nom de la rivière de Birgus , qui arrosait leur
pays, et que Camhden croit être la même que le Barrow
d'aujourd'hui.
BRIGAIXTiJV. Autrefois on appelait ainsi ce qu'on
nomme brick aujourd'hui. Dans le langage actuel, le mot
brigantin désigne un petit brick.
BRIGAi\TIi\E. Voyez Brick.
BRIGANTILM. Voyez Buunçon et Bregenz.
BRIGGS (Henri), mathématicien célèbre, né en 1550,
à W'arleywod, près d'Hahfax, dans le comté d'York, de
parents peu fortunés, put aller suivre, à l'ûge de vingt-trois
ans , les cours de l'université de Cambridge , oii il se fit tout
aussitôt remarquer par ses rares dispositions pour les ma-
thématiques. Ses progrès furent si rapides que nous voyons
qu'en 1588 il professait déjà cette science au collège de
Saint-Jean de cette imiversité. Plus tard, en 1592, il fut
nommé à la première chaire de géométrie qu'on institua au
collège de Gresham , à Londres , et il alla ensuite exercer
les mêmes fonctions à Oxford ( 1619). Personne ne s'occupa
plus que lui du calcul des logarithmes et de la propaga-
tion de cette utile invention , qui était alors toute récente,
et qu'il contribua tant à perfectionner. Neper, son ami et
le véritable inventeur des logarithmes , avait d'abord dressé
en forme de tables les logarithmes appelés aujourd'hui }ia-
turels, ou, de son nom, népériens; mais Briggs remarqua
qu'un autre système serait d'un usage beaucoup plus com-
mode ; il proposa de changer la base choisie par Keper, et
de la remplacer par 10, base du système vulgaire de numé-
ration ; Neper apjirouva cette modification. Vers la fin de
sa vie , Neper se proposait encore de calculer ces nouvelle»
BRIGGS — BRIGITTE
713
tables aTCc Briggs ; mais la mort de son ami laissa à celui-
ci toute cette tâche à entreprendre et à terminer.
11 publia en 1618, comme échantillon du nouveau sys-
tC-me logarithmique, appelé encore généralement aujourd'hui
si/slc)ne ordinaire ou logarithmes de Briggs , les loga-
rithmes des mille premiers nombres naturels calculés
avec huit décimales, sous le titre de Logarithmorum Chi-
iuis prima. Quelques années plus tard parut son Arit/wie-
tica logarithmica (Londres, 1G24), contenant les loga-
rithmes des nombres naturels de 1 à 20,000 et de 90,000 à
100,000, avec quatoi'ze décimales, œuATe qui exigea le
travail le plus assidu pendant plusieurs années. Briggs en-
gagea d'autres calculateurs à l'aider à combler les grandes
lacunes qui restaient encore, tandis que lui-même entrepre-
nait une table des logarithmes des sinus et des tangentes
calculés avec quatorze décimales et de centième en centième
de degré, et une table des sinus, tangentes et sécantes
naturels calcules , les premiers avec quinze décimales , et
les tangentes et les S( cantes avec dix. Ce travail, dont Tim-
niensité effraye quand on se rappelle que les méthodes expé-
dilives inventées depuis n'existaient pas alors, parut après
sa mort , par les soins de Henri Gellibrand , son successeur
au coU ige de Gresliam , sous le titre de Trigonometria
Britannica (Gouda, 1G23, in-folio). Indépendamment
d'une patience et d'une force d'application dout rien n'ap-
proche, Briggs était douéd'une grandepuissance d'invention,
car on trouve dans ses ouvrages les germes de quelques-
unes des plus importantes découvertes qu'on ait faites en
mathématiques , telles que la construction des tables par
différences, l'uiterpolation, etc., etc.
Cet illustre savant mourut à Oxford , le 25. janvier 1630,
et fut inhumé dans la chapelle de Merteu-CoUege. Un de ses
biographes nous le représente comme l'honune de l'accueil
le plus affable, exempt de toute espèce d'orgueil, de morgue,
d'envie et d'ambition. Méprisant souverainement les riches-
ses, il vivait content de son sort, préférant ses calmes
études à l'existence la plus brillante.
BRIGHELLA9 personnage de la comédie improvisée,
qui fait partie du théâtre national italien. Ferrarais gros-
sier , insolent et rusé , tout de blanc habillé, il est assez
semblable au célèbre Pierrot.
BRIGIiT (Maladie de ). Cette maladie était connue sous
le nom vague d'htjdropisie avant qu'elle eût été décrite
par Bright, médecin anglais. On la désigne aujourd'hui plus
spécialement sous le nom de n ép hrit e.
BRIGHTON, et primitivement BRIGHTHELMSTONE,
ville du comté de Sussex , sur la côte méridionale de l'An-
gleterre, communiquant avec Londres par un chemin de fer,
n'était d'abord qu'une bourgade de pêcheurs , visitée seu-
lement par le petit nombre de voyageurs qui gagnaient les
côtes de France par Dieppe; mais depuis une centaine d'an-
nées elle est devenue une ville importante, et c'est mainte-
nant l'un des bains de mer les plus brillants et les plus fré-
quentés de l'Angleterre.
La ville s'étend en partie dans une petite vallée formée
par la Steyne, dans la direction de Lewes, qu'un chemin de fer
met également en communication avec elle, et en partie sur
les deux rives de la mer. On y compte aujourd'hui 54,000 ha-
bitants , qui s'occupent de pêche , de commerce et de na-
vigation. Elle possède un grand nombre de beaux édifices,
et surtout une foule de maisons construites dans le meilleur
style. On y admire notamment le quartier appelé Crescent
ou Kemp-Town, imposant demi-cercle formé par les plus
magnifiques constructions , sur une grande et belle place
ornée d'une statue de bronze, d'assez mauvais goût, mais
d'une grande ressemblance, et représentant Georges IV en
uniforme de dragons. Les établissements de Iwins, surtout
ceux qui sont connus sons le nom de Mohammed Baths, y
sont organisés de la manière la plus grandiose et à la mode
anj/Jaise. Brighton est redevable de son rapide accroisse-
DiCT. CE L\ CO:<VERS. — J- III.
ment à la prédilection que Georges IV avait conçue pour ce
séjour. Il n'était encore que prince régent lorsqu'il eut la
fantaisie d'aller y prendre des bains de mer ; et il s'y plut
tellement qu'il y revint ensuite tous les ans , s'y fit bâtir une
magnifique habitation d'été, dans le genre oriental {Ma-
rine-jmvillon), et donna par-là à tous les seigneurs de
sa cour l'envie d'y fixer leur résidence pendant la belle
saison.
A peu de distance de Brighton on trouve une remar-
quable digue ( Pier ), construite en forme de pont , longue
de 374 mètres , large de 4 mètres 66 centimètres, et termi-
née en 1822. Elle est supportée j)ar de fortes chaînes de fer,
rattachées à chaque extrémité à quatre colonnes creuses
en fonte , et a coûté plus de 30,000 liv. ster. Il existe aussi
à Brighton des sources d'eaux minérales.
Il est possible que ce soit sur l'emplacement où s'élève
aujourd'hui cette ville que César, ainsi que le veut la tra-
dition , vint débarquer quand il quitta la Gaule pour en-
treprendre la conquête de la Bretagne , car de nos jours en-
core les relations sont multiples entre ce point et celui de
la côte opposée, Dieppe. On a même trouvé dans les envi-
rons différentes antiquités romaines , et en 1750 une grande
quantité de médailles de l'époque d'Antonin.
Brighton est célèbre dans l'histoire des rois malheureux.
C'est de Brighton que Charles II, à l'issue de la fatale ba-
taille de Worcester, essaya de s'enfuir en France ; c'est k
Brighton que le roi Louis-Philippe , expulsé de France par
la révolution de Février, passa dans le cercle de sa familla
une grande partie du petit nombre de jours qui lui restaient
encore à vivre.
BRIGITTE (Sainte), naquit, vers 1302, de Birger^
prince du sang royal de Suède et sénéchal d'Upland, sui-
vant les uns , de la famille Brahe , selon d'autres. Élevée par
des parents chrétiens et vertueux , elle épousa , à seize ans,
Ulf Gudmarson, prince de Néricie, et mit au monde huit
enfants, dont le dernier fut sainte Catherine de Suède. Puis,
les deux époux s'engagèrent à passer le reste de leur vie
dans l'état de continence, et firent ensemble le pèlerinage de
Saint-Jacques de Compostelle. A leur retour, Ulf mourut
dans le monastère d'Alvastre , de l'ordre de Cîteaux ; Brigitte
fonda le couvent de Wadstena , d'après celui de Fontevrault.
Soixante reUgieuses et vingt-cinq religieux l'habitaient dans
deux bâtiments séparés ; mais ils célébraient l'office eu com-
mun. Brigitte leur donna la règle de saint Augustin, en y
ajoutant quelques règlements particuliers. L'ordre, dit du
Saint-Sauveur, fut approuvé par Urbain V. Il a fleuri en
Suède jusqu'à la Réforme, possédant encore des maisons
en Allemagne, en Italie, en Portugal et en Flandre.
La fondatrice étant allée visiter les tombeaux des apôtres
à Rome , y établit pour les pèlerins et étudiants suédois
un hospice , qui fut réorganisé sous Léon X. Une dévotion
semblable la conduisit , à soixante-neuf ans , en Palestine.
De retour en Italie, elle mourut à Rome, le 23 juillet 1373 ;
et deux Suédois de sa suite rapportèrent ses reliques à l'é-
glise de Wadstena , où on les voit encore. Elle fut canonisée
par Bonilace IX , et plus solennellement par le concile de
Constance.
Les révélations de Brigitte : Revelationum UbrioctOj
écrites par ses confesseurs Pierre , prieur d'Alvastre , et Ma-
thias, chanoine de Linkœping, furent vivement attaquées
par le célèbre Gerson, mais elles obtinrent l'approbation
du concile de B âl e , (^ui en permit l'impression. Elles ont eu
de nombreuses éditions. Le plus bel exemplaire manuscrit se
conserve dans la bibliothèque du comte de Brahe , au châ-
teau de Skogkloster, près d'Upsal. On les a traduites dans
toutes les langues, et particulièrement en français. On attri-
bue encore à sainte Brigitte un sermon sur la Vierge et
quinze discours sur la passion de Jésus-Christ , précédés
d'un préambule cdndanmé par la congrégation de ïlndex.
Tous ces ouvrages sont en latin.
'M
714
BRIGNOLES — BRILLANT
BRI GNOLES, excellente espèce de prunes sèches, qui
ont reçu leur nom de la ville de Brignoles, dans le départe-
ment du Var, où on les prépare.
BRIGUE , désir ambitieux d'obtenir quelque charge ou
quelque dignité. Ducange dérive ce mot de briga, signifiant,
dans la basse latinité, noise , querelle , contestation, trois
compagnes ordinaires, en effet, de la brigue. Cependant,
nos plus récents dictionnaires la définissent un assemblage
de mesures secrètes et détournées que l'on emploie pour ob-
tenir quelque chose en engageant dans ses intérêts plusieurs
personnes.
Suivant Montesquieu, la brigue, dangereuse dans un sé-
nat , dangereuse dans un corps noble , ne l'est pas dans le
peuple, dont la nature est d'agir par passion. Dans les États
où il n'a point de part au gouvernement, il s'échauffera pour
un acteur comme il aurait fait ailleurs pour les affah-es. Le
malheur pour une république , c'est quand il n'y a plus de
brigues ; et cela arrive lorsqu'on a corrompu le peuple à
prix d'argent. La brigue, du reste, n'est pas née d'hier, les an-
ciennes sociétés l'ont connue comme les modernes. Plusieurs
écrivains du siècle d'Auguste nous ont laissé la peinture
des intrigues et des démarches auxquelles se livraient chez
les Romains ceux qui aspiraient aux honneurs de l'élection.
Ils allaient vôtus de blanc par toute la ville, quêtant des
suffrages sur les places et dans les assemblées publiques. En
ce temps, la brigue se pratiquait ouvertement à Rome,
comme elle se pratique encore en Angleterre, et on y sacri-
liait aussi de grandes sommes d'argent. Cicéron impute à
celte cause le taux excessif de l'intérêt de l'argent, qui de
son temps variait de quatre à huit pour cent. Souvent la
brigue coûtait pour une seule tribu jusqu'à dix mille francs
de notre monnaie. Or, il y en avait trente-cinq; par là on
peut juger des sommes immenses auxquelles revenaient les
charges, bien qu'elles fussent gratuites pour la plupart. Sur
ce point nous pourrions en remontrer aux anciens, car
l'on ne brigue volontiers chez nous que les emplois qui rap-
portent ou qui mettent sur la voie de faire de grands profits.
On n'oubliera pas de longtemps nos premières années
de suffrage universel quand pour une place à la législative,
rapportant vingt-cinq francs par jour, des légions d'affamés
se précipitaient sur la voie publique et se battaient à qui, sur
les murs, resterait le champ-clos pour la profession de
foi et la formule sacramentelle : Aommons le citoyen...!
C'est alors que l'acception du mot brigue ne se borne pas
aux démarches isolées d'un seul individu pour arriver à
la satisfaction d'un désir ambitieux ; il s'entend de la réu-
nion combinée des démarches de plusieurs personnes en
faveur d'une seule, et quelquefois aussi des efforts de tout
un parti pour faire triompher un système ou une opinion :
dans ces deux cas , la brigue peut être honorable : il est
glorieux, en effet, pour un homme d'être porté à des fonctions
publiques par le suffrage indépendant ou par l'estime géné-
reuse d'une partie de ses concitoyens, qui s'honorent eux-
mêmes en protégeant le talent et les vertus civiques ; et il n'y
a rien que d'Jionorable à poursuivre, par des moyens que
ne réprouvent ni les lois ni la morale, le triomphe d'une opi-
nion ou d'un système que l'on croit réellement propre à faire
le bonheur de son pays. Mais employer son crédit à pousser
un vil flatteur ou un bas intrigant à la place que devrait oc-
cuper le mérite modeste; caresser les vices des grands ou
flatter les passions du peuple pour leur faire adopter des
mesures dont on attend sa propre satisfaction; les enivrer du
récit et de la pemture de leur puissance pour les porter à en
abuser davantage ; hâter et provoquer, en un mot, les fautes
d'un pouvoir qu'on ne veut renverseï' que pour s'élever soi-
même sur ses ruines, sont des actes infâmes, pour lesquels
la société ne saurait avoir trop de mépris ni témoigner une
trop grande réprobation. D'un autre côté , se faire petit avec
les petits, humble avec les humbles, vicieux avec les vi-
cieux, emprunter lour à tour, en un seul jour, mille formes
diverses et se dépouiller de son individualité pour vivre mo-
mentanément de la vie de ceux dont on recherche les suf-
frages ou dont on a besoin , c'est une autre lâcheté insigne.
Entre cabale, intrigue et brigue, il y a une dis-
tinction à faire qui est tout en faveur de cette dernière :
uneintrigite est toujours sourde, oblique et tortueuse; une
cabale emploie d'ordinaire les menées couvertes ; la brigue
parle presque toujours haut, agit vivement et à front dé-
couvert. L'esprit d'intrigue suppose de l'adresse et des
dispositions innées pour la ruse et l'astuce; l'esprit de ca-
bale n'est que le goût du bruit et des tracasseries ; la nais-
sance d'une brigtie dépend souvent des circonstances, et
sa conduite du concours de plusieurs personnes qui n'y sont
amenées par aucune disposition spéciale de leur caractère.
En un mot, il faut de la finesse dans une intrigue, de la per-
sévérance dans une brigue , qui peut avoir, quand elle est
puissante , quelque chose d'imposant ; mais il n'y a dans
une cabale que de la petitesse et du ridicule.
BRIL ( Matthieu ), peintre de l'école flamande, né à
Anvers, en 1550, vint très-jeune encore se fixer à Rome,
où il mourut en 1584, à peine âgé de trente-quatre ans. On
sait seulement de cet artiste qu'il peignit à fresque, dans
les galeries et les salons du Vatican, des paysages, qui furent
généralement estimés et lui méritèrent une pension du
pape Grégoire XIII.
BRIL ( Paul ), né à Anvers, en 1556, n'avait encore que
quatorze ans lorsqu'il s'échappa de la maison paternelle
pour aller retrouver à Rome son frère Matthieu, dont il fut
d'abord l'élève et qu'il surpassa ensuite. Après la mort de
Matthieu, qui fut bientôt suivie de celle de Grégoire Xlll,
il fut chargé par le nouveau pape Sixte V de la continuation
des travaux de son frère , et devint titulaire de la pension
que ce dernier tenait de la munificence pontificale. C'est
surtout dans le paysage qu'excellait Paul Bril : tout le
monde s'accorde à reconnaître la légèreté de sa touche et
la vérité de sa manière. Ses tableaux , dans lesquels An-
nibal Carrache ne dédaignait pas de placer quelquefois
des figures de sa main, offrent tous des lointains charmants,
et le seul reproche qu'on puisse faire à Paul Bril , c'est d'a-
voir trop fait dominer la couleur verte dans ses paysages. On
peut en juger par les deux tableaux de cet artiste que possède
notre musée : les Pèlerins d'Emmaùs et Syrinci> changée
en roseau. Paul Bril mourut à Rome, en 1626; on trouve
des ouvrages de lui dans plusieurs églises d'Italie , dans les
galeries de Florence, de Dusseldorf, etc.
BRILLANT, dans son acception la plus générale,
signifie tout ce qui attire, étonne et même fatigue l'œil. C'est
une règle absolue du goût, que le brillant ne doit jamais
constituer exclusivement le fond d'une œuvre littéraire, au-
trement la lecture en deviendrait impossible. L'esprit a
besoin de faire quelques pauses, même pour admirer; il se
lasse bien vite des sensations qui ne lui permettent ni repos
ni trêve. On supporte mieux ce qui est brillant dans l'ira-
provisation , parce qu'au sein d'une assemblée nombreuse
l'esprit est souvent préoccupé ; alors tout ce qui est trait
le réveille. Dans un cercle où les femmes sont nombreuses,
une conversation brillante produit plus d'effet qu'une con-
versation qui n'est que profonde. Il est des écrivains dont le
brillant est populaire ; néanmoins, cette qualité n'a de valeur
que tempérée par d'autres. Voltaire, par exemple, est bril-
lant ; mais il règne aussi dans son style un naturel, une fa-
cilité qui ne se démentent jamais. C'est quand une littéraiure
commence à s'épuiser, que sous mille formes différentes
il n'en jaillit que du brillant. Plus de grandeur! plus d'en-
semble ! On ne cite les écrivains que par fragments ; l'ère de
la décadence est venue.
On dira d'un homme et d'une femme qui ont longtemps
fréquenté le monde, que leurs manières sont brillantes; oa j
ne pourrait en dire autant d'un jeune homme et d'une jeune
fille sans nuire à leur réputation , parce que , considéré sou» j
BRILLANT
cet ai^iiect, brillant emporte l'idée d'une sorte d'assurance
qui ne convient pas à cet âge. La pudeur et la modestie ne
doivent jamais faire défaut à la jeunesse : elles affirment sa
date. Les qualités brillantes ne sont pas de mise dans toutes
les positions : elles supposent de la ricliesse , du pouvoir , de
hautes dignités. Dans les rapports ordinaires , au sein de la
solitude, on se contente de manières nobles et simples.
L'audace brillante caractérise l'officier sur le cliamp de ba-
taille; l'air calme est l'apanage du magistrat sur son siège.
La prodigalité d'un prince, suivant les objets auxquels elle
s'attache , sera brillante ; elle peut mt^me quelquefois être
utile; mais dans toutes ks classes l'ordre est précieux.
Quand, après avoir passé une partie de son existence au
milieu de sociétés d'élite, on les abandonne, soit pour se
renfermer dans sa famjlle, soit pour se livrer à des études
sérieuses , on perd vite tout ce qu'à l'extérieur on avait de
brillant. Sans doute, si l'on est doué de vertus, plus inti-
mement connu alors de tout ce qui nous approche , on en
est mieux aimé ; par de nobles travaux , on atteint aussi
parfois à la gloire , mais on cesse d'être le type de la vogue
ou de la mode; relativement à ce que dans le monde on
appelle la foule , on n'est plus désormais qu'estimable.
BRILLAT-SAVARIN ( Anthelme ) était né le 1"
avril 1755, à Belley ( Ain ). Si , vous trouvant au commen-
cement de l'hiver del825danslesalonde M""" Récamier,
vous aviez demandé : « Quel est cet aimable vieillard, dont
la haute taille est restée si droite , qui conserve sous des
cheveux blancs ce frais visage, cet air souriant, et qui
répand encore tant de grâce et d'enjouement dans la con-
versation? « l'un des invités vous eût répondu : « C'est
M. Brillât-Savarin, un de mes ex-collègues à l'Assemblée
constituante ; » un autre : « C'est M. Brillât-Savarin , l'an-
cien président du tribunal civil du département de l'Ain ; »
celui-là : « C'est M. Brillât-Savarin , que j'ai rencontré à
New-York, en 1794, maître de langue française , et premier
violon dans je ne sais plus quel petit théâtre ; » enfin ,
celui-ci : « C'est M. Brillât-Savarin, l'ex-secrétaire de
l'état-major général des armées de la république en Alle-
magne, aujourd'hui conseiller à la cour de cassation. «
Mais si deux ou trois mois plus tard vous aviez adressé
aux mêmes personnes la même question , elles vous auraient
toutes répondu : « C'est IM. Brillât-Savarin , l'auteur de la
Physiologie du Goût. » A ce mot disparaissent le légis-
lateur, le président , le secrétaire , et même le conseiller à
la cour de cassation. Aussi la publication du nouveau code
caiisa-t-elle une violente rumeur parmi les membres de ce
corps. Ils jugèrent que leur gravité était compromise, et se
tinrent pour non moins offensés que lei sénateurs romains
le jour où l'empereur Claude s'écria, en entrant au sénat :
« Pères conscripts , dites-moi , je vous prie, est-il possible
de vivre sans petit-salé? » Fort heureusement, messieurs
les conseillers ne pouvaient casser les arrêts de leur con-
frère; ils étaient trop compétents dans l'espèce pour n'en
pas reconnaître in petto la sublimité. Comment, d'ailleurs,
se prononcer dès l'abord sur ce fin mélange de sérieux et de
jilaisanterie , qui déconcerte et ceux qui voudraient le
tourner en dérision et ceux qui essayeraient de le prendre
tout à fait au sérieux ?
Faut-il le considérer comme l'Évangile ou la satire de la
gastronomie? Brillât-Savarin ne se moque-t-il pas lorsque,
s'adressant à Richerand ^ « Oui ! je révélerai à tout Paris ,
à toute la France, à l'univers entier, le seul défaut que je te
connaisse. « Richerand ( d'un ton inquiet ) : « Et lequel ,
s'il vous plaît? — Un défaut habituel, dont toutes mes exhor-
tations n'ont pu te corriger, » Richerand ( effrayé ) : » Dis
donc enfin, c'est trop me tenir à la torture. — Tu manges
trop vite! » N'est-ce pas par suite delà même tournure
d'esprit que la PAysio/ojJe est divisée non en chapitres,
mais en méditations , ce qui lui donne un certain air de
parenté avec les poésies de M. deLamaitine( la méditation vu
BRlLLAT-SAVArxIN 715
roule sur la théorie de la friture). Toutefois, en cherchant
à découvrir et à poursuivre la veine satirique de ce nouveau
Temple du GoiU , nous pourrions égarer nos lecteurs et
leur faire soupçonner à tort que le plus léger mépris , le
moindre dédain de la gastronomie perce dans les écrits de
notre professeur. Loin de là , il est impossible de mieux ap-
pn'cier toutes les jouissances dont les gourmets se repais-
sent. Brillât-Savarin corromprait les plus sobres , et il n'est
pas de Spartiate à qui telle description de caille, de bécasse,
de poularde, d'éperlan, ne mît si bien l'eau à la bouche,
qu'on ne le vit courir d'un pied léger j pour tâter de cet
enthousiasme, chez Véry ou aux Frères Provençaux. INo
me parlez plus de vos sciences ni de vos beaux-arts! ni du
charme delà musique! Quel rossignol vaut un bec-figue.' un
bec-figue bien gras! malheureux, iguoreriez-vous le prix
du becfigue? « La nature lui a donné une amertume légère
et un parfum unique, si exquis, qu'ils engagent, remplissent
et béatifient toutes les puissances dégustatrices. Prenez-le
parle bec, saupoudrez-le d'un peu de sel, ôtez-enle gésier,
enfoncez-le adroitement dans votre bouche, mordez , tran-
chez tout près de vos doigts, et mâchez vivement; il en
résultera un suc assez abondant pour envelopper tout l'or-
gane, et vous goûterez un plaisir inconnu au vulgaire ! »
La méditation sur le goût est, au dire des savante, au
point de vue d'analyse et de description scientifiques, une
étude achevée , où l'art n'a rien à reprendre , rien à ajouter,
et pour les ignorants comme nous une lecture aussi pi-
quante qu'instructive. L'esprit y est poussé jusqu'au vis co-
mica. Quelques traits entre mille : « L'odorat et le goût ne
forment qu'un seul sens , mais le nez fait toujours fonc-
tion de sentinelle avancée, et qui crie : Qui va-là? « Et plus
loin : « C'est toujours le nez à bâbord que les professeurs
rendent leurs arrêts. » Il ne faut que consulter la table des
matières de la Physiologie pour comprendre avec quelle
largeur , quelle méthode et quel agrément tout l'ouvrage est
traité. Le but de la gastronomie s'élève : « C'est la conser-
vation des individus ; elle considère l'action des aliments sur
le moral de l'homme, sur son imagination, son esprit, son
jugement, son courage et ses perceptions, soit qu'il veille,
soit qu'il dorme, soit qu'il repose. » Brillât-Savarin étend le
ressort de son sujet jusque dans l'histoire de tous les siè-
cles , et touche chemin faisant à ces graves questions des
sens et de leur perfectionnement, du repos, du sommeil,
des rêves et de la mort ; se défendant avec grand respect du
rôle des Broussais, des Cousin et des Frayssinous, il se con-
naît en assaisonnements, et n'ajoute rien de trop à sa dis-
sertation. Science et morale n'y sont versées qu'à petites
doses , mais suffisantes. Vous allez voir par une seule cita-
tion comment perce l'oreille du lion sous la peau du gastro-
nome : « Le corps humain, écrit-il, cette machine si com-
pliquée, serait bientôt hors de service si la Providence n'y
avait placé un ressoit qui l'avertit du moment où ses forces
ne sont plus en équilibre avec ses besoins. Ce moniteur est
l'appétit. » Tour ingénieux, exactitude, trait incisif, tout est
là, et ces heureuses rencontres ne sont pas rares dans Brillât-
Savarin.
Il eût pu dépenser d'une autre manière son érudition , sa
science et sa philosophie ; il a préféré , avec un tact exquis
pour sa gloire, faire d'une Cendrillon une princesse, de la
cuisinière bourgeoise une dixième muse ,Gasterea , qui pré-
side aux jouissances du goût. BrLllat-Savarin est le grand
prêtre de la gourmandise sociale , de celle qui veut qu'on
réunisse l'élégance athénienne, le luxe romain et la délica-
tesse française. Le vrai plaisir de k table , c'est le choix
du lieu , les apprêts du repas , le rassemblement des con-
vives. Ainsi le comprenaient trois grands hommes , Achille,
Horace, et Brillât-Savarin. Patrocle mettait lui-même sur un
brasier le vase qui renfermait les épaules d'une brebis , d'une
chèvre grasse et le large dos d'un porc succulent ; le divin
Achille divisait les viandes et les perçait avec des pointe»
ao.
716
BRILLAT- SAVARIN -^ BRINDLEY
de fer ; Automédon , semblable aux immortels , soufïlait le
feu ; Patrocle ensuite distribuait le pain autour de la table ,
Achille découpait, Ajax chassait la faim etlasoif au plus vite,
tandis que le sage Ulysse parlait commequatre. Pour Horace,
il dressait sa table sous le portique de sa maison de Tibur ,
située dans le pays des anciens Sabins. Des esclaves api'or-
taient des parfums et des roses ; on se couronnait de myrte,
et Mécène alors souriait à une aile de poulet proprement
découpée, et goûtait jusqu'à trois fois d'un chevreau de haute
saveur, tandis que Virgile, en attendant un coup de ce vin
fameux récolté sous le consulat de Manlius , mangeait à petit
bruit des noix, des figues et du raisin. Quant à Brillât-Sa-
varin, il improvisait : un jour il arrive dans une petite maison
de campagne où Taltendait un magnifique turbot; mais on
ne savait comment le faire cuire. Il aperçoit dans la buan-
derie une chaudière : « Soyez sans inquiétude , s'écrie-t-il
avec cette foi qui transporte des montagnes , le turbot cuira
tout entier; il cuira à la vapeur; il va cuire à l'instant. »
Et il étend sur une claie un lit de bulbes et d'herbes de haut
goût; sur ce lit repose le poisson; la claie couvre la chaudière;
ia chaudière est mise en ébullition', et le turbot , en absor-
bant tout l'arôme de l'assaisonnement, cuit sans rien perdre
de ses principes.
La mort interrompit Brillât-Savarin dans le cours de ses
exploits, le 2 février 1826. Il a laissé après lui la réputation
d'un excellent homme. Tout le prouve dans sa vie et dans
ses écrits. Cependant, nous lui reprocherons d'avoir oublié
dans sa Physiologie du Goût de verser quelques larmes sur la
destinée du gastronome sans argent. A qui devons-nous de
préférence conseiller la lecture de ce livre? Sera-ce à la jeu-
nesse? Non, vraiment : nous ne voudrions pas exciter la gour-
mandise des demoiselles à marier , dans la crainte de voir
grossir ces tailles si fines , si flexibles, et nous serions même
d'avis que jusqu'à la signature du contrat la mère en dé-
fendît la lecture à sa fille. Nous ne le mettrions point non
plus entre les mains de l'âge mûr : les maris et les femmes de
trente ans pourraient y succomber trop tôt, comme aux dé-
lices de Capouc. Mais, avec M. de Cussy, nous en conseille-
rions l'étude aux sexagénaires, parce qu'une table bien servie
est le dernier rayon de soleil qui caresse les vieillards.
Jules Paton.
BRIMBELLE. Voyez Airelle.
BRIMBORIOIV, autrefois Bimborion, jouet d'enfant,
que Roquefort fait venir de bimbelot, et Ménage et Pas-
quier, de brebiarium ou breviarum. Ce mot n'est plus d'u-
sage que pour signifier, au figuré et dans le langage familier,
les choses de peu de valeur, auxquelles les esprits frivoles
peuvent seuls attacher quelqiae prix. Un dicton veut que
ce soit par des brimborions qu'on prenne les enfants et les
femmes.
BRIN. Ce mot signifie , dans son acception la plus gé-
nérale , la première tige des plantes lorsqu'elles commen-
cent à croître, ou les courts et menus jets des herbes, des
joncs , conmie un brin de paille, de foin , etc. , ou des corps
faibles et déliés, comme un brin de fil, de laine, de soie, etc.
On arrache brin à brin les mauvaises herbes d'un jar-
din. Par analogie, on dit, en parlant de gens pauvres,
qu'ils n'ont pas un brin de paille , et familièrement qu'une
personne n'a pas un brin d'amour, d'estime ou d'amitié pour
une autre. On voit que dans toutes ces acceptions le mot
brin est pris comme diminutif. Il reçoit une plus grande
extension dans certains cas : on dit, par exemple , en agri-
culture, qu'un arbre est de brin , loisqu'il n'a qu'ime tige ,
et qu'il provient de semence. Les arbres de brin croissent
plus vite, viennent plus droits, vivent plus longtemps que
les autres, et sont en tout préférables. Aussi est-ce par
analogie que l'on dit d'un jeune homme , d'une jeune fille ,
d'une femme , que ce sont de beaux brins d'homme, de
fdie ou de femme, pour dire qu'il sont droits, grands et
bien venus.
En termes de charpente , on dit que les meilleures plan-
ches se font de brin, c'est-à-dire de troncs d'arbres qui
n'ont pas été sciés dans leur longueur, mais qui ont été
seulement équarris à la coignée. Ce bois est beaucoup plus
solide , parce que le fil n'en est pas rompu , et que le cœur
reste intact.
En termes de corderie, les filaments de chanvre peigné
les plus longs qui restent dans les mains des peigneurs ,
sont dits de premier brin, et ceux que l'on retire des dents
du peigne, et qui sont plus courts , de second brin.
BRIi\DES ou BRINDISI ( Brundusium ) , ville du
royaume de Naples, sur le golfe Adriatique, à 40" 52' de
latitude septentrionale; et à 15° 40' à l'est du méridien de
Paris. Elle fut très-cé'èbre vers la fin de la république ro-
maine, et conserva quelque importance même après la
chute de l'empire, jusqu'à ce que la puissance et l'esprit de
domination des Vénitiens entraînât sa décadence. L'entrée
de son port, autrefois spacieux et très-sûr, fut obstruée
pour forcer le commerce à se concentrer dans les ports que
la république de Venise possédait alors sur les côtes et les
îles de l'Adriatique et dans l'Archipel. Cette violence ne
réussit que trop bien : des atterrissements successifs com-
blèrent une grande partie du port de Brmdes , et en firent
un marais dont les miasmes causèrent souvent des maladies
épidémiques. Le mal était devenu si grave , qu'il fallut y
porter au moins quelque remède , et procurer aux eaux sta-
gnantes une voie d'écoulement. On fit cette ouverture assea
large pour permettre le passage de quelques petits bâti-
ments ; mais ces améliorations ne suffisaient pas pour ra-
mener le commerce. 11 serait cependant important pour le
royaume de Naples d'avoir au moins un bon port sur cette
partie de ses côtes. Aujourd'hui que les moyens de curage
sont plus puissants et moins dangereux qu'ils ne le furent
autrefois , et que l'emploi des machines à vapeur remplace
le grand nombre d'hommes employés dans ces travaux , il
devient possible de remettre les choses dans leur ancien état,
et de faire en sorte que le moderne Brundusium reprenne
l'éclat et l'opulence de l'ancien. Fekky.
BRINDILLES, nom donné en jardinage aux bran-
ches à fruits, minces et courtes , ayant des feuilles ra-
massées et en forme de dard , au milieu desquelles il
existe toujours un ou plusieurs boutons à fruits , qui sont
presque assurés, et qui donnent d'ordinaire les plus gros et
les plus exquis.
BRIIVDLEY (James), l'un des plus célèbres architectes
hydrauliques qu'ait produits l'Angleterre, naquit en 17 IG
à Tunsted , dans le comté de Derby, de parents pauvres.
Après avoir reçu une éducation très-incomplète, il entra, à
l'ùge de dix-sept ans, comme apprenti, chez un constructeur de
moulins. Une machine propre à élever l'eau qu'il construisit
en 1752 pour une mine de charbon de terre commença sa
réputation. Une machine à filer la soie, construite sur un
plan entièrement nouveau , et quelques autres travaux du
môme genre , lui valurent l'amitié et la protection du cé-
lèbre duc de Bridgewater, qui lui confia l'exécution du
plan gigantesque qu'il avait formé d'établir une communi-
cation par eau entre ses propriétés de Worsley et les villes
de Manchester et de Liverpool ( voyez BRmcEWATEn [Canal
de]); et depuis ce moment jusqu'à la mort de Brindley aucun
travail de ce genre n'a été entrepris en Angleterre sans qu'on
eût au moins recours à ses conseils. Entre autres idées fécondes
qu'il avait conçues, nous citerons son plan d'assèchement des
marais du Lincolnshire, ainsi que celui qu'il avait formé
pour débarrasser les docks de Liverpool de la boue qui les
obstrue. 11 avait aussi conçu le projet d'unir l'Irlande à
l'Angleterre au moyen d'un pont de bateaux. Ses inventions
étaient aussi diverses qu'ingénieuses, et il atteignait le but
qu'il se proposait par les moyens les plus simples. Il lui
arrivait rarement d'avoir sous les yeux un plan, un modèle.
Quand il rencontrait une difficulté sérieuse, son habitude
BRINDLEY — BRINVILLIERS
71T
était lie se mettre au lit et d'y rester quelquefois plusieurs
jours sans premlre absolument aucune nourriture, absorbé
tout entier dans la recherche des moyens d'en triompher.
11 mourut en 1772.
BRINDOIVIER, genre de la polygamie diœcie et de la
famille des guttifères, tribu des garciniées. Il comprend le
brindonia indica , arbre pyramidal dont toutes les parties
laissent écouler quand on les entame un suc jaune, qui
s'épaissit et se transforme en une sorte de gomme gutte. Le
fruit de cet arbre est très-estimé dans l'Inde ; son acidité
s'oppose à ce qu'on le mange crû , mais on en fait des gelées
et des sirops très-recommandés dans les fièvres aiguës.
BRIIVKM AN ( Charles-Gustate , baron de ) , homme
d'État et poète suédois, né le 24 février 1764, dans une terre
appartenant à son père , et située aux environs de Brœnn-
Kyrka, dans le gouvernement de Stockholm, étudia d'abord
à Upsal , puis successivement à Halle , où il se lia intime-
ment avec Schleiermacher, à Leipzig et à léna. Il ne revint
en Suède qu'en 1790, et y embrassa la carrière diplomatique.
En 1792 il fut nommé secrétaire de légation à Dresde, et
en 1798 chargé d'affaires à Paris, qu'il dut quitter après le IS
brumaire. Il passa en 1801 en la même qualité à Berlin,
où il fut suspendu de ses fonctions lorsque son souverain
eut renvoyé au roi de Prusse les insignes de ses ordres. 11
ne tarda pas toutefois à être accrédité de nouveau près de
la môme cour, et l'accompagna dans sa fuite, lorsque les
désastres de 1806 la forcèrent d'abandonner Berlin. En 1807
il se rendit à Londres en qualité de ministre plénipotentiaire ;
mais en 1810 il fut rappelé à Stockholm, où on le nomma
membre du conseil d'État. En 1829 l'Académie royale l'ad-
mit au nombre de ses membres. En 1835 il légua à l'u-
niversité d'Upsal sa bibliothèque, forte de 10,000 volumes,
comprenant toute la littérature ancienne et moderne, et
riche surtout en sources historiques relatives aux annales de
la Suède. Brinkman mourut le 10 janvier 1848. Il possédait
des connaissances philologiques très-étendues , et il écrivait
le français , l'anglais et l'allemand avec autant de facilité que
le suédois. Ses premières œuvres poétiques (2 vol., Leipzig,
1789) parurent sous le pseudonyme de Selmar. Il publia
plus tard à Paris un petit volume de poésies pour ses amis ;
puis des Aperçus philosophiques et Poésies (Berlin, 1801)
sous le voile de l'anonyme. Son poème le Monde du Génie
obtint en 1821 le prix de poésie, au jugement de l'Académie
de Stockholm. Lié d'amitié avec M"'* de Staël, il entretint
avec elle une correspondance littéraire et philosophique.
BRINVILLIERS ( Maiue-Marguerite DREUX d'AU-
BRAI, marquise de ) , célèbre empoisonneuse du dix-sep-
tième siècle. La famille d'Aubrai jouissait, comme toutes les
familles de robe du second degré , d'une honnête aisance.
On ne voyait alors de grandes fortunes que dans les pre-
mières familles parlementaires. M"® d'Aubrai ne pouvait donc
prétendre qu'à un mariage bourgeois. Sa taille était petite ,
mais bien prise ; sur sa figure, douce et naïve, respiraient à
la fois l'innocence
Et la grâce, plus belle encor que la beauté.
Le jeune marquis Gobelin de Brinviiliers, fils d'un prési-
dent à la chambre des comptes et mestre de camp du ré-
giment de Normandie, s'éprit du plus violent amour pour
elle ; il était héritier de trente à quarante mille livres de
rente. Ce mariage, qui eut lieu en 1651, était fort au-dessus
des prétentions et des espérances de la famille d'Aubrai.
Le marquis laissait à sa jeune épouse la liberté dont il
voulait jouir lui-même; il eut l'imprudence d'introduire
dans sa maison un aventurier, se disant bâtard d'une noble
famille, natif de Montauban, se faisant appeler le clievalier
Gaudin de Sainte-Croix, et portant rci)aulette de capitaine
de cavalerie. Le marquis, homme de plaisir, n'avait plus
avec sa femme que des rapports de convenance. Sainte-Croix
le remplaça bientôt dans le cœur de celle qu'il avait laissée
sans défense contre la séduction ; la marquise, tout entière »
sa nouvelle passion , ne savait rien refuser à son amant. La
fortune du mari ne put longtemps suffire à tant de dissipa-
tion et de désordre, et la marquise, qui avait sacrifié à son
amant et la fortune de son époux et sa propre réputation,
n'attendait plus qu'une occasion pour éclater. Elle avait
déjà obtenu sa séparation de biens ; elle cessa dès lors de se
contraindre, elle brava l'opinion publique et les remon-
trances de sa famille. Son mari restait témoin impassible et
muet de son propre déshonneur; mais le père de la mar-
quise, justement indigné des désordres de sa fille, fit arrêter
en 1663 Sainte-Croix dans le carrosse même de sa complice
adultère, et le fit emprisonner à la Bastille. Toutefois, il n'eut
pas assez de prudence ou de crédit pour l'y retenir plus
d'une année.
Sainte-Croix se lia, pendant son séjour à la Bastille, avec
un Florentin nommé Exili, habile dans la composition des
plus subtils poisons, qui s'était déjà fait connaître à Rome,
sous le pontificat d'Innocent X , par plus de cent cinquante
empoisonnements, et qui semblait avoir hérité des funestes
secrets de ce Florentin fameux qui s'était mis aux gages de
Catherine de Médicis, et qu'on appelait alors Y empoisonneur
de la reine. La surveillance importune des geôliers, le défaut
d'ustensiles et de matières ne permirent sans doute au maître
que d'initier son élève dans la théorie de son art infernal.
Mais, rendu àla liberté peu après le chevalier de Sainte-Croix^
il s'établit dans la maison de la marquise de Brinviiliers,
qui devint bientôt leur complice. La femme adultère va
préluder dans la carrière du crime parle plus grand de tous,^
le parricide. Elle s'est hâtée de se réconciher avec son père :
il sera sa première victime. Elle n'a rien oublié pour écarter
les soupçons : elle a renoncé aux fêtes, aux spectacles, aux
réunions brillantes ; elle affecte la plus minutieuse dévotion,
ne fréquente plus que les églises, les hôpitaux et les ora-
toires des dévots les plus vantés. Une liaison intime s'établit
entre elle et le financier Penautier, trésorier général du clergé.
Elle a fait sur de pauvres malades les premiers essais des
poisons fabriqiiés sous ses yeux par son amant et l'Italien
Exili : aucun des malades auxquels elle a donné ses biscuits
préparés n'ont survécu à la violence du poison. Elle répé-
tait chaque jour ses terribles essais. « Elle empoisonnait, dit
M"'* de Sévigné , des tourtes de pigeonneaux, dont plusieurs
mouraient qu'elle n'avait pas dessein d'empoisonner. Le
chevaher du Guet avait été de ces jolis repas, et s'en meurt
depuis deux ou trois ans. » Elle fit un autre essai sur sa
femme de chambre, à qui elle donna une tranche de jam-
bon : cette malheureuse n'en mourut point , mais elle fut
longtemps malade et ne put recouvrer sa première santé.
Ce poison était trop faible : la marquise le fit plus violent,
et en donna à son père dans un bouillon, qu'elle lui présenta
elle-même dans sa maison de campagne, à Offemont. La
mort du vieillard n'éveilla aucun soupçon. Son fils aîné,
Antoine, lui succéda dans sa charge de lieutenant civil,
en 1667; le même sort l'attendait. La marquise avait placé
près de lui Hamelin, dit La Chaussée, ancien domestique
de Sainte-Croix, et digne valet d'un tel maitre. 11 tenta d'a-
bord d'empoisonner le nouveau lieutenant civil en lui don-
nant à boire; mais le poison avait rendu le vin si amer que
son nouveau maître n'acheva pas de boire. La Chaussée,
sans pâlir, sans s'émouvoir, improvisa une excuse : il s'é-
tait étourdiment , dit-il, servi d'un verre dans lequel le va-
let de chambre avait pris médecine ; il obtint son pardon.
M. d'Aubrai fut moins heureux en 1670. Il s'était rendu à
la campagne avec son frère, conseiller au parlement, et six
amis : on leur servit une tourte empoisonnée. Depuis ce
fatal repas, le lieutenant civil devint étique ; il dépérissait cha-
que jour, et mourut deux mois après. L'autopsie, faite le 17
j juin, révéla la cause de sa mort ; l'hypocrite La Chaussée ne
fut pas même soupçonné , et passa au service du conseiller,
qui ne survécut que six semaines à son frère. Il légua à La
718
Chaussée une pension de cent écus. Toujours dominée par sa
passion pour Sainte-Croix, la marquise n'iiésita pas à briser le
dernier obstacle qui s'opposait à son mariage avec son amant;
elle empoisonna plusieurs fois son mari, et toujours sans
succès : Sainte-Croix , qui redoutait d'unir son sort à sa
complice, administrait chaque fois un contre-poison, « De
sorte qu'ainsi ballotté , écrivait madame de Sévigné , tantôt
empoisonné, tantôt desempoisonné, il finit par demeurer
en vie. »
Un accident tout à fait imprévu découvrit le mystère de
tant de crimes. Sainte-Croix expira, en juillet 1672, victime
de son art infernal. ]1 travaillait à une composition nou-
velle; le masque de verre dont il s'était couvert la figure
pOur se garantir des vapeurs du poison tomba, et il fut à
l'instant asphyxié. Rien ne révéla la cause de sa mort; mais
étant sans famille connue, et aucun héritier ne s'étant pré-
senté, le commissaire de police mit les scellés dans l'appar-
tement du défunt. On y trouva une cassette sur laquelle
était un billet ainsi conçu : « Je supplie très-humblement
ceux ou celles entre les mains de qui tombera cette cassette
de me faire la grâce de vouloir bien la rendre en mains pro-
pres à madame la marquise de Brinvilliers , demeurant rue
Neuve-Saint- Paul , attendu que tout ce qu'elle renferme la
regarde... Au cas qu'elle fût plus tôt morte que moi, de la
brûler et tout ce qui sera dedans, sans rien ouvrir ni inno
ver ; et, afin qu'on n'en prétende cause d'ignorance , je jure
devant le Dieu, que j'adore, et tout ce qu'il y a de plus sacré,
qu'on n'expose rien qui ne soit véritable. Si d'aventure l'on
contrevient à mes intentions, toutes justes et raisonnables
en ce chef , j'en charge en ce monde et en l'autre leur cons-
cience , pour la décharge de la mienne, protestant que c'est
ma dernière volonté. Fait à Paris, ce 22 mai 1672. De Sainte-
Croix. « On lisait au bas : Paquet qu'il faut remettre à
M. Penautier.
Le commissaire, sans s'arrêter aux énonciations de ce bil-
let, fit ouvrir la cassette : on y trouva treize paquets ayant
chacun huit cachets au moins , sur lesquels on lisait : Pa-
piers à brûler, le tout sans ouvrir le paquet. Un de ces
paquets contenait une quantité considérable de sublimé;
l'on y trouva de plus beaucoup de lettres d'amour avec une
promesse de 30,000 francs souscrite par la marquise au
profit de Sainte-Croix. La marquise, informée de la saisie de
la cassette , la réclama avec les plus vives instances , mais
sans succès. Pour écarter ou du moins pour affaiblir les
soupçons d'intimité avec le défunt , elle donna pouvoir
à un procureur de poursuivre devant les tribunaux l'an-
nulation de l'obligation de 30,000 francs, et se réfugia en pays
étranger. Les papiers trouvés dans la cassette ne prouvaient
autre chose que la liaison adultère qui avait existé entre la
marquise et le chevalier, mais rien quant à sa complicité
dans la composition des poisons et à leur emploi : une
démarche imprudente de La Chaussée révéla l'affreux mys-
tère. Ce valet osa faire une opposition au scellé, sous pré-
texte qu'il lui était dû deux cents pistoles et cent écus blancs
(300 livres) pour prix de ses gages pendant sept ans. La
veuve du lieutenant civil, qui d'ailleurs soupçonnait ce valet
de n'avoir pas été étranger à la mort de son époux , le fit
arrêter. La Chaussée, mis à la question , avoua tous ses cri-
mes : il déclara que Sainte-Croix lui avait donné le poison
pour faire périr les frères de la marquise et que celle-ci
n'ignorait aucune de ces circonstances; il fut condamné
à mort et rompu vif. Glazer, pharmacien qui avait fourni
des drogues à Sainte-Croix, fut aussi arrêté, et déclara que
le chevalier et la marquise travaillaient ensemble; il n'é-
chappa qu'à une faible majorité de voix à la peine capitale;
mais la marquise fut condamnée par contumace à avoir
la tête tranchée.
Retirée d'abord en Angleterre, elle était venue chercher
un asile plus sûr dans les Pays-Bas, et s'était réfugiée dans
un couvent de Liège. Son asile fut découvert, et l'exempt
BRINVILLIERS
de police Desgrais se rendit dans cette ville déguisé en abbé;
il obtint du conseil de Liège l'extradition de la marquise, et
pénétra dans le couvent. Il épuisa toutes les ressources de
la séduction , et réussit : on convint d'une partie de pro-
menade hors ville ; la marquise, arrivée à ce rendez-vous de
plaisir , se vit à l'instant cernée par une escouade d'archers
déguisés ; l'exempt Desgrais leur remit sa prisonnière, et se
rendit au couvent, où il s'empara de tous les papiers de la
marquise. On trouva , dit-on, dans une cassette un cahier de
seize feuillets contenant la confession générale de cette in-
fâme : elle s'y accusait d'avoir cessé d'être fille à sept ans,
d'avoir mis le feu à une maison , d'avoir empoisonné son
père, ses frères et un de ses enfants, de s'être empoisonnée
elle-même. On a peine à croire à l'existence d'un pareil
écrit, surtout dans la situation où se trouvait la marquise,
condamnée par un arrêt et exposée à être arrêtée à chaque
instant. Elle avait changé de nom, d'habitudes, de goûts,
renoncé aux plaisirs de la société ; elle s'était ensevelie vi-
vante dans la solitude d'un couvent , et elle aurait pu créer
elle-même un document capable de rendre tant de sacrifices,
tant de précautions inutiles et de la conduire à l'échafaud !
Tant de prudence à la fois et tant d'étourderie 1 tout cela pa-
raît inconciliable. Elle montra plus d'une fois dans le cours
de l'instruction la même préoccupation et la même impré-
voyance. Elle eût dû se méfier d'elle même; mais il faut con-
venir qu'elle n'avait pas le choix de ses moyens de salut.
Ainsi , tandis que Desgrais visitait ses papiers au couvent ,
et qu'elle était restée avec les archers déguisés, elle tenta
de corrompre l'un d'eux , et elle crut avoir réussi : elle lui
confia une lettre pour un M. Théria. Elle l'invitait à la faire
enlever, à s'emparer de la cassette qu'elle avait laissée au
couvent et à brûler sa confession. L'archer prit son argent,
qu'il garda, et remit la lettre à l'exempt Desgrais. Cepen-
dant, l'arrestation avait fait du bruit , et Théria avait ofl'ert
1,000 pistoles aux archers de Maëstricht pour la laisser éva-
der; il lui eût été plus facile, et au même prix, de soudoyer
une vingtaine d'hommes déterminés, et de la faire enlever
de force à huit archers mal armés.
Arrivée à Rocroi, elle fut interrogée par un conseiller de
la grand'chambre envoyé exprès; elle nia tout. Pendant son
séjour à la Conciergerie, elle écrivit à Penautier, son ami,
l'informant qu'elle avait tout dissimulé et l'invitant à tout
tenter pour la sauver. Sa lettre fut interceptée ; Penautier fut
arrêté et conduit en prison. On les confronta tous deux :
dès qu'ils furent en présence, ils versèrent des larmes; la
marquise déclara qu'il était innocent. Mais comment croire
à l'innocence d'un ami de la Brinvilliers et de Sainte-Croix?
Peu de témoins furent entendus dans l'instruction : la fille
d'un apothicaire déposa qu'un jour que la marquise était dans
un état complet d'ivresse, elle lui avait dit, en lui montrant
une cassette : « Il y a là-dedans bien des successions. » La
marquise s'était rappelé cette imprudente exclamation , et
elle avait recommandé au témoin de brûler cette boîte si elle
venait à mourir. Elle répétait souvent : « Quand un homme
déplaît, il faut lui donner un coup de pistolet dans un bouil-
lon. » Elle recevait dans sa prison les soins et les conseils
de deux prêtres : l'un lui conseillait de tout avouer, l'autre
de nier tout : « Je puis donc , disait la marquise , faire en
conscience tout ce qu'il me plaira. « Ses juges établirent la
preuve de sa culpabilité sur sa confession; l'accusée objec-
tait qu'elle l'avait écrite dans un accès de fièvre. Son avocat,
Nivelle, démontra dans un. mémoire qu'on ne pouvait ad-
mettre comme preuve le seul aveu d'un accusé, suivant la'
maxime Aon creditur perire volenti; mais à cette confes-
sion écrite se joignaient la déclaration de La Chaussée et
d'autres dépositions moms précises , moins directes , mais
dont la combinaison entraîna la conviction des juges. Elle
ne se dissimulait pas le sort qui l'attendait, et n'en paraissait
pas eflrayée: elle demanda un jour à faire une partie de
piquet /?0Mr se désennuyer. Lorsqu'elle entra dans la chana»
BRINVILLIERS — BRIOCHE
719
bre de la question , elle aperçut trois seaux d'eau : « C'est
assurément, dit-elle, pour me noyer; car, de la taille dont je
suis , on ne prétend pas que je boive tout cela. »
Le seul appareil de cette torture l'avait cependant effrayée ;
elle avoua tous ses crimes, et en révéla plusieurs qui avaient
échappé à l'accusation. Elle eut ensuite un entretien d'une
heure avec le procureur général : le sujet n'en a jamais été
rendu public. La lecture de son arrêt de mortl'étonna moins
que l'appareil de la question ; elle paraissait préoccupée
d'autre chose , et pria le greffier de recommencer. « Ce tom-
bereau, dit-elle, m'a d'abord frappée, j'en ai perdu l'atten-
tion pour tout le reste. » Le reste , c'était l'échafaud et le
bûcher ! Elle avait souvent tenté de se suicider dans sa pri-
son, et elle aurait réussi si ses premières tentatives n'eussent
provoqué la plus sévère et la plus active surveillance. Ré-
signée à la mort, elle montra le plus grand repentir, et le
docteur Pirot, son confesseur, assura que « pendant les vingt-
quatre dernières heures de sa vie elle fut si pénétrée de
douleur, si bien éclairée des lumières de la grâce, qa'il au-
rait souhaité être à sa place. » A défaut de l'Eucharistie,
qu'on lui refusa , elle avait demandé un morceau de pain
bénit , comme on en avait donné au maréchal de Marillac ;
celte grâce lui fut également refusée : elle en parut plus af-
fligée que surprise. Elle comptait sur l'intervention des amis
de Penautier et du haut clergé; elle espérait sa grâce; son
mari, lui-même, sollicitait vivement; il lui rendait de fré-
quentes visites dans sa prison ; il y était près d'elle la veille
inôme de l'exécution de l'arrêt. L'espoir ne l'abandonna que
sur l'échafaud ; elle ne fit entendre que ces mots : « C'est
donc tout de bon ! «
Une foule immense se pressait sur la place de Grève et
dans les rues; on y remarquait beaucoup de dames. La mar-
quise en reconnut plusieurs avec lesquelles elle avait été
très-liée, et jeta sur elles un dernier regard d'indignation et
de mépris : « Voilà, leur dit-elle, un beau spectacle à voir ! »
M'"* de Sévigné était une de ces curieuses ; elle raconte ainsi
les principales circonstances de cette exécution : « Le 16 juil-
let 1676, vers les six heures du soir, on l'a menée nue, en
chemise , la corde au cou , à Notre-Dame, faire amende ho-
norable, et puis on l'a remise dans le même tombereau, où
je l'ai vu jeter à reculons sur de la paille , avec une cor-
nette basse et en chemise, un docteur auprès d'elle, le
bourreau de l'autre côté. En vérité, cela m'a fait frémir...
Ceux qui ont vu l'exécution disent qu'elle est montée à l'é-
chafaud avec bien du courage. Pour moi , j'étais sur le pont
de Notre-Dame ( alors couvert de maisons ) avec la bonne
d'Escars ; jamais il ne s'est vu là tant de monde ; jamais Pa-
ris n'a été si ému ni si attentif... Elle dit à son confesseur,
en chemin , de faire mettre le bourreau devant elle , afin de
ne pas voir ce coquin de Desgrais qui Vavait prise. Son
confesseur la reprit de ce sentiment; elle dit : « Ah! mon
« Dieu , je vous en demande pardon , qu'on me laisse donc
« cette étrange vue... » Elle monta seule et nu-pieds sur l'é-
chafaud, et fut en un quart d'heure mirodée, rasée, dressée et
redressée par le bourreau : ce fut un grand murmure et
une glande cruauté. Le lendemain on cherchait ses os,
parce que le peuple disait qu'elle était sainte... Enfin, c'en
est fait, la Brinvilliers est en l'air ; son pauvre petit corps a
été jeté , après l'exécution , dans un fort grand feu et ses
cendres au vent, de sorte que nous la respirerons, et, par
la communication des petits esprits, il nous prendra quelque
humeur empoisonnante, dont nous serons tous étonnés... »
Cette dernière phrase est pénible à lire : pour l'honneur de
AI""* de Sévigné, ses éditeurs auraient bien dû la supprimer,
ainsi qu'une autre lettre écrite à M"'* de Grignan sur le
même sujet. M""* de Sévigné y montre plus que de la lé-
gèreté : elle regrette que la coupable ait été traitf^e si dou-
cement, et qu'elle n'ait pas eu la question. Le peintre Le-
brun se trouva, lui aussi , sur le passage de M""-' de Brinvil-
liers. 11 dessina ses traits, et son dessin, morceau précieux,
offre un mélange presque unique de grâces , de dureté et
d'angoisse.
Madame de Brinvilliers eut-elle d'autres complices que La
Chaussée et Sainte-Croix ? Cette question a longtemps oc-
cupé le parlement, et n'a pas été légalement résolue. Le re-
ceveur général Penautier avait acquis une fortune rapide et
colossale; son intimité avec la marquise et le chevalier
était-elle tout à fait désintéressée ? On peut ne pas le croii^.
Tout le haut clergé, l'archevêque de Paris, sollicitèrent
vivement sa liberté après le supplice de la marquise , et on
assurait dans le temps que le procureur général garda un
officieux silence sur les révélations qui lui avaient été faites
par la marquise dans le long et mystérieux entretien que
j'ai cité. Plusieurs domestiques de madame de Brinvilliers
avaient été arrêtés, et ne furent remis en liberté qu'après la
mort de leur maîtresse. Deux autres personnes , dont on ne
sait que les noms, Bastard et Lemaître, ne furent arrêtés
que le 4 août, vingt jours après l'exécution , et conduits à
la Bastille. Le premier avait été presque aussitôt transféré à
la Conciergerie. Lemaître n'avait été interrogé que par le
lieutenant général de police La Reynie. La veuve de Sainte-
Croix, que celui-ci avait abandonnée depuis longtemps,
avait été aussi arrêtée; elle fut bientôt mise eu liberté sans
jugement. Belleguise, principal commis de Penautier, échappa
aux poursuites de la justice en se réfugiant en pays étranger.
Penautier ne subit qu'une courte détention; le maréchal de
Gramont , l'un des beaux esprits de la cour de Louis XIV,
avait prévu l'issue de cette affaire : Penautier était fort riche
et avait de puissantes protections : « Il en sera quitte, di-
sait le maréchal , pour supprimer sa table. » La chimie, qui
depuis a fait d'immenses et rapides progrès , était alors peu
avancée. Les poisons saisis dans la cassette de Sainte-Croix
furent soumis à l'examen d'une commission de docteurs ,
dont le rapport n'offre aucun résultat satisfaisant. « Le
poison de Sainte-Croix, disent-ils, a passé par toutes les
épreuves ; il surmonte l'art et la capacité des médecins ; il
se joue de toutes les expériences. Ce poison nage sur l'eau ;
il est supérieur à cet élément, et le fait obéir; il se sauve de
l'expérience du feu , où il ne laisse qu'une matière douce et
innocente. Dans les animaux , il se cache avec tant d'art et
d'adresse qu'on ne peut le connaître. Toutes les parties de
l'animal sont saines et vivantes; dans le même temps qu'il
fait couler une source de mort , ce poison artificieux y laisse
l'image et les marques de la vie. «
La marquise de Brinvilliers fut jugée par le parlement;
elle subit son arrêt le 17 juillet 1676, quatre ans après la
mort de son amant, complice de ses crimes. Les empoison-
nements se multiplièrent avec une effrayante progiession
en 1677 et 1678, et ce ne fut que par lettres-patentes du 7
avril 1679 que fut établie la chambre royale de l'Arsenal
qu'on appela c 0 M r des poisons. Dt'FEY( de l'Yonne).
BRIOCHE , sorte de pâtisserie ou de gâteau fait de fleur
de farine , de beurre et d'oeufs. On mêle à la pâte le levain
mis préalablement en fermentation , et lorsque la pâte est
bien levée, on l'expose à un feu doux. Le pain bénit, comme
on sait , est fait de la même pâte. On mange les brioches
chaudes ou froides, mais chaudes elles sont très-indigestes.
On emploie assez souvent, dans le langage vulgaire, le
mot de brioche avec la signification de bévue.
BRIOCHÉ ( Jean), célèbre arracheur de dents du dix-
septième siècle, avait créé, vers l'année 1650, un théâtre
de marionnettes aux foires Saint-Germain et Saint-Laurent.
Après avoir longtemps amusé Paris et les provinces, il passa
en Suisse, et alla s'établir à Soleure avec ses acteurs de
bois; mais la gravité de ses nouveaux spectateurs s'effraya
de la figure de Polichinelle, de son attitude, de ses gestes
et surtout de ses discours, et Brioché, dénoncé comme ma-
gicien , fut anêté et emprisonné. Ce fut à grand'peine qu'un
capitaine au régiment des gardes suisses, nommé Dumont,
qui se trouvait en ce moment à Soleure pour y faire des re-
720 BRIOCHÉ
crues, parvint à le faire élargir, en expliquant aux magistrats
le mécanisme des marionnettes , dont il s'était beaucoup
amusé à l'aris dans leur nouveauté. Brioché, on le pense
bien, se liâta de mettre à piolit son élargissement pour fuir
un sol si peu hospitalier, et revint chercher sur la terre
classique du rire et de la folie des succès et une réputation
qui ne lui faillirent pas plus, à ce qu'il paraît, que la for-
tune, jusqu'au moment où il mourut, regretté de tous les
entants de la capitale, grands et petits, dont il avait fait
longtemps les délices.
Fauchon oa François BiuocnÉ , son fils, lui succéda,
et ne fut pas moins célèbre que lui. Brioché avait un singe
célèbre (jue Cyrano de Bergerac tua d'un coup d'épée,
le prenant pour un honnne qui lui faisait la grimace. Cette
anecdote a fourni le sujet d'un opuscule extrêmement rare,
intitulé : Grand combat de Cyrano contre le singe de
Urioché.
imiOiX. Voyez BnvoN.
lillIOUDE (en Litin Iirwas,Brwata), -ville de France,
chef-lieu de l'arrondissement de ce nom, dans le dépar-
tement de la Haute-Loire, à quarante-cinq kilomètres
nord-ouest du Puy , près de la rive gauche de l'Allier, avec
une population de 4,852 âmes, une belle église sous l'invo-
cation de saint Julien, fondée au neuvième siècle, et autre-
fois collégiale d'un chapitre noble, un tribunal de commerce,
une société d'agriculture, un collège communal, une petite
bibliothèque, une imprimerie, des fabriques de toiles et de
lainages, d'abondantes récoltes de vins passables, et un
grand commerce de grains, vins, chanvre et anthnoiue. Sur
la rive droite de l'Allier, à quatre kilomètres, on trouve
JBrioude la vieille, avec une population de 1,158 âmes et
im beau pont d'une seule arche, qui date de 1454.
L'origine de Brioude est fort ancienne. Le corps de saint
Julien, décapité sous l'empire de Maxime, y fut transporté
en 303. Elle fut assiégée par l'armée de ïhéodoric en 532.
L'église, où s'étaient réfugiés les habitants, fut livrée au pil-
lage. Brioude fut enfin prise et saccagée par les Bourgui-
gnons, par les Sarrasins, par les Normands, par le vicomte
Héraciius de l'olignac, escorté d'une bande de seigneurs
pillards et par le seigneur de Castelnau, roi des Compa-
ynies, qui en fit sa place d'armes. Vinrent ensuite les luttes
des habitants avec les chanoines et de ceux-ci avec les pro-
testants et les ligueurs. Avant la révolution de 1789, cette
ville, chef-lieu d'une élection, possédait une prévoté, une
juridiction de juges-consuls et un bailliage.
BRIQUEBEC, chef-lieu de canton, situé dans le dé-
partement de la Manche, à 13 kilomètres sud-ouest de
Analogue. On y exploite une mine de cuivre, et on y trouve
des eaux minérales qui contiennent de l'hydrochlorate de
fer, et sont employées comme toniques, diurétiques et apé-
ritivcs. Briquebcc compte 4,414 habitants.
BRIQUES. Quelques contrées manquent complètement
de pierres à bâtir; dans beaucoup d'autres leur exploitation
serait trop coûteuse pour qu'elles pussent être employées à
la construction des habitations. On a cherché à y sup-
pléer au moyen de pierres artificielles formées d'une matière
commune et facilement exploitable. L'argile , que la nature
semble avoir placée de préférence et à dessein dans les
pays où manque la pierre , l'argile réunit les conditions les
plus favorables à cette fabrication. Aussi l'a-t-on dès la plus
haute antiquité façonnée en briques. Après avoir profité
<le son humidité naturelle pour lui donner une forme régu-
lière, on lui fait prendre la dureté et la solidité nécessaires
aux constructions en la privant complètement d'eau. Si les
briques ont été séchées au soleil, on dit qu'elles sont crues ;
si elles doivent leur dureté à l'action du feu, ce sont des
briques cuites.
L'usage des briques crues remonte aux premiers âges
historiques. C'étaient d'abord des masses d'argile grossière-
ment façonnées. Le temps apprit à les mouler et à y mêler '
- BRIQUES
de la paille hachée pour augmenter leur consislance. Ex-
posées pendant plusieurs années à l'air, elles acquéraient L
de la solidité. Comme l'humidité les détruit promptement , 1
elles ne conviennent pas aux pays froids; mais dans les cli-
mats chauds elles sont aussi durables que les briques cuites,
témoin les ruines de Babylone. Les murs d'enceinte de cette i
ville et la fameuse tour de Babel ou 15elus étaient probable-
ment construits de briques crues, liées par un mortier de terre
et de bitume, et c'est encore ainsi que l'on bâtit à Bagdad. En
Egypte, à dix lieues au-dessus du Caire, on voit les loiines
d'une pyramide que l'on croit avoir été élevée par Asychis.
Elle est en briques crues formées , suivant les voyageurs,
d'une terre noire et argileuse , mêlée de petits cailloux , de
coquillages et de paille hachée , terre qui n'était peut-être
que du limon du Nil. Chez les Grecs et les Romains, on
sait que plusieurs édifices étaient de briques crues. Mainte-
nant, dans presque toute l'Asie, on construit encore les
maisons en briques crues, et on les protège contre l'action
dégradante des eaux pluviales par un enduit d'argile ou de
chaux et de plâtre mêlés.
Il est probable que la fabrication des briques crues a pré-
cédé dans le développement des arts celle des briques
cuites. Cependant on rencontre dans les ruines les plus an-
ciennes ces deux espèces de matériaux. Là où fut l'immense
Babylone, on trouve des briques cuites couvertes d'un
émail qui indique un très-haut degré de perfection , et par
conséquent une origine déjà très-ancienne de l'art du bri-
quetier. D'après Hérodote, à mesure que l'on creusait les
fossés de cette ville on convertissait la terre déblayée en
briques, et lorsqu'il y en avait un certain nombre de fa-
çonnées, on les faisait cuire dans des fours. Diodore de Si-
cile parle d'un stade immense construit par l'ordre de Sémi-
ramis , dont les murs étaient en briques cuites et ornés de
bas-reliefs représentant toutes espèces d'animaux avec leurs
couleurs naturelles. Il semble qu'il y eut après la destruc-
tion de la civilisation assyrienne une grande lacune dans
l'emploi des briques cuites. On ne les retrouve chez les Ro-
mains que sous les empereurs ; le Panthéon d'Agrippa est
peut-être le plus ancien édifice de ce genre. Cette nation ,
qui inventait peu , n'apprit probablement que par ses cam-
pagnes en Asie toutes les ressources de l'art du briquetier.
Avec l'usage des briques cuites on les voit adopter le
mode de construction des Babyloniens , c'est-à-dire que les
faces seules des murs sont en briques , et que l'intérieur est
en blocages. Ces briques ont la forme de triangles rectangles
et présentent l'hypothénuse à l'extérieur et l'angle droit à
l'intérieur, disposition qui avait évidemment pour but de
donner de l'homogénéité à la maçonnerie. De plus, de
grandes briques carrées, placées de quatre en quatre pieds,
et formant toute l'épaisseur du mur, reliaient solidement
ensemble les deux parements. Hérodote, en pariant des
murs de Babylone , appelle ce genre de maçonnerie aîfxa-
fft'a, mot qui désigne sa couleur rouge (aIjAa, sang). Vitruve
lui donne le nom d'IiATtXexTÔv.
Chez les Romains, beaucoup de murs extérieurs étaient
f;iits de briques polies comme le sont les murs de l'église de la
Madonua di Monti à Rome. Le pavé des bains et d'autres
édifices était souvent en briques très-minces, placées de
champ et faisant entre elles un certain angle; on appelait
cet ou\ra^e opus spicatum,p3iT analogie avec un épi de blé.
Les rues de Sienne et celles de plusieurs autres villes d'Itali
sont encore ainsi pavées , et l'on donne à cet arrangement le
nom de spina pesée, à cause de sa ressemblance avec des
arêtes de poisson. En général , les Romains savaient donner
toutes sortes de formes aux briques , suivant l'usage auquel
ils les destinaient, cintres, voussures, noyaux de colonnes,
ornements d'architecture , etc. Les dimensions en étaient
également variables ; cependant elles ont en général beaucoup
de surface et peu d'épaisseur.
Chez les modernes , la forme et les dimensions des briques
1
BRIQUES — BRIQUET
ont plus d'uniformité. C'est un parallélipipède rectangu-
laire , dont la longueur est double de la largeur et quadruple
de l'épaisseur. En France, on les classe en grandes, mot/en-
nés et petites , les premières destinées à faire des cloisons et
des voûtes , les secondes des murs , des revêtements , des
languettes de ciieminées , et les dernières spécialement con-
sacrées aux tuyaux de cheminées et aux petits foyers. Le
bas prix et la solidité des briques cuites en ont beaucoup
multiplié l'emploi chez les peuples modernes. L'immense
ville de Londres en est presque entièrement construite, et
leur doit l'aspect singulier de ses rues. Péking, la capitale de
l'empire chinois , parait aussi principalement bâtie en bri-
ques. Nous avons en France beaucoup de constructions de
ce genre : telles sont les villes de Lille , Toulouse , etc. A
Paris , on n'en fait usage que pour certaines parties des
édifices. Cela tient à l'abondance des carrières de moellon ,
et surtout à la cliertc des briques. La fabrication aux envi-
rons de notre capitale se fait en petit, et la cuisson a lieu
dans des fours. Dans les pays où l'on en fait grand usage ,
comme l'Angleterre , la Hollande, la Belgique et la Flandre,
on les cuit au moyen de la houille en plein air et en tas
immenses qui en contiennent jusqu'à un million. Aussi ne
reviennent-elles qu'à 9 ou lo fr. le millier en Flandre, et
môme à 6 ou 7 fr. à Anvers , tandis qu'elles coûtent plus de
50 fr. à Paris.
Pour les constructions qui doivent supporter un haut
degré de chaleur, telles que l'intérieur des fours à verrerie
et à porcelaine, la chemise et le creuset des hauts fourneaux,
on fait une espèce de briques particulières connues sous le
nom de briques réfractaires. Les procédés de fabrication
sont les mêmes que pour les briques ordinaires. 11 n'y a de
différence que dans le plus grand soin apporté à la mani-
pulation et dans le choix des matériaux, qui ne doivent
constituer aucune combinaison vitrifiable. Les argiles pures,
étant infusibles, sont recherchées pour cette fabrication;
les argiles magnésifcres y paraissent également propres. Elle
est donc dans les pays qui possèdent ces argiles l'objet
d'une industrie profitable.
On pourrait remplacer avec avantage cette espèce de
briques par celle que Pline appelle briques flottantes. Com-
posées de chaux carbonatée pulvérulente, ou farine fossile,
et d'un peu d'argile , elles sont assez légères pour flotter sur
l'eau ; aussi les anciens les employaient-ils dans certaines
constructions hydrauliques. Elles transmettent si mal la
chaleur, qu'on peut tenir une extrémité entre ses doigts
tandis que l'autre est encore rouge. On en fabiiquait en Es-
pagne et en Italie. Nous avons en France de la farine
fossile en plusieurs endroits , notamment à Nanterre, près
Paris, et surtout en Auvergne, près de Pontgibaut.
A. Des Genevez.
BRIQUET. Tel est le nom vulgaire et générique d'une
multitude d'instruments divers à l'aide desquels on peut
instantanément se procurer du feu et de la lumière. Le bri-
quet le plus anciennement en usage , et qui a précédé les
perfectionnements offerts par la chimie et la physique des
modernes , instrument que le plus grand nombre persiste à
préférer à tout le reste , consiste dans un morceau d'acier
de forme et de dimension appropriées à son objet , dont la
percussion rapide sur un silex fait jaillir des étincelles , qui
reçues sur un corps très-inflammable, tel que l'amadou, le
papier ou le bois pourri, etc., produit une inflammation
instantanée. Chacun sait que cet effet est dû à l'oxydation
complète et rapide des molécules d'acier détachées du briquet
dans l'acte de la percussion ; le combustible léger une fois
enflammé, il ne s'agit plus que d'en approcher une allu-
mette soufrée, à laquelle le feu se communique. Le reste s'en-
tend sans description.
Mais tout s'est raffiné, sinon perfectionné. On connaît
aujourd'hui un grand nombre de briquets, dont la construc-
tion repose sur divers piincipcs scientifiques. Le plus cu-
DICT. DE IJV CONVEKS. — T. \\l.
721
rieux sans doute est le briquet pneumatique , ou briquet
à air comprimé, fondé sur la propriété que l'air a, par
l'effet d'une subite compression, de laisser tamiser du ca-
lorique. 11 consiste le plus ordinairement en un cyclindre
métallique (ordinairement de laiton, ou d'étain) dans lequel
on fait glisser à frottement forcé une tige appliquée sur un
piston. Sur l'extrémité inférieure du piston, on attache une
espèce de petit godet qui contient de l'amadou bien préparé
et bien sec. Le piston , ramené à l'extrémité supérieure du
cylindre , est poussé vers le bas par un mouvement brusque
et instantané; l'air comprimé dégage du calorique, et l'a-
madou prend feu. On retire à soi la tige, et on procède
ensuite comme dans le cas de l'inflammation de l'amadou
par la percussion du briquet d'acier sur le silex.
On a aussi le briquet rotatif. Figurez-vous l'archet d'un
foret. Une petite roue d'acier et un petit cylindre sont fixés
l'un et Vautre sur un axe commun. Ce cylindre est creusé
en gorge à sa surface pour enrouler la corde de l'archet. L'axe
est retenu entre deux appuis placés aux deux extrémités :
par ce moyen il peut librement tourner sur ces points, et il
entraine dans sa rotation la roue qui lui est perpendiculaire.
Pour produire du feu avec ce petit instrument, on fait tour-
ner rapidement la roue d'acier au moyen de l'archet, et on
présente en même temps à la circonférence , c'est-à-dire sur
le limbe de cette roue, un silex auquel est collé en dessous
un morceau d'amadou : il jaillit bientôt de nombreuses étin-
celles et l'amadou s'enflamme. Ce n'est, comme on voit,
qu'une modification de l'ancien briquet.
Le briquet à gaz hydrogène est un instrument plus com-
pliqué, plutôt destiné aux cabinets de physique qu'à l'usage
domestiq\ie. Il consiste en un vase de verre rempli de gaz hy-
drogène, qui peuts'enéchapperparunorificecapiflaire, qu'on
ferme à volonté par le robinet qui y est ajusté. A l'instant
où ce gaz s'écoule, quand le robinet est ouvert, on l'en-
flamme à l'aide d'une étincelle électrique produite par un
appareil spécial.
Le briquet phosphorique est encore ce'.ui dont l'usage
est le plus familier. On en trouve de plusieurs espèces, mais
qui toutes reposent sur les mêmes principes et les mômes
propriétés du phosphore. Assez ordinairement on fait liqué-
fier le phosphore à une douce chaleur. Pour cela, on en
met une très-petite quantité dans un flacon de cristal, allongé
et étroit ; quand le phosphore est fondu , on plonge dans ce
flacon une petite tige de fer rougie au feu : le phosphore
rais en contact avec cette tige s'enflanmie ; il faut alors agi-
ter pendant quelques instants, et quand la couleur de la
masse a passé au rouge un peu foncé, on retire la tige et on
bouche hermétiquement le flacon; puis on laisse refroidir :
le briquet est préparé. Il ne reste plus qu'à adapter le fla-
con dans un étui où, à l'extrémité opposée, on place une
quantité plus ou moins grande d'allumettes ordinaires bien
soufrées, qu'il suffit de presser contre le phosphore, en leur
imprimant surtout un léger mouvement de torsion, pour
les enflammer. Dans cet acte , il se détache quelque parcelle
du phosphore; on retire vivement l'allumette du flacon, et
l'inflammation de la molécule enlevée a lieu rapidement,
surtout si l'on brandit un peu vivement l'allumette dans
l'air, ce qui renouvelle les points de contact de l'oxygène at-
mosphérique.
Il y a encore pour la fabrication du briquet phosphorique
un autre procédé , assez fréquemment en usage, et qui con-
siste à introduire dans un petit vase cylin Irique de cristal
ou de plomb un cylindre de phosphore qu'on y refoule à l'aide
d'une tige du môme diamètre à peu près. Cette opération
exige des précautions pour être exempte de tout danger ; car,
par exemple, si l'on n'avait pas l'attention de choisir des
bâtons de phosphore bien pleins, c'est-à-dire sans creux ni
cavité dans l'intérieur, ce qui n'arrive que trop souvent
quand ils ont été moulés à une basse température, l'air in-
tercepté dans le cylindre pourrait occasionner une déflagra-
91
722 BRIQUET —
fion par surte de la compression exercée. Mais les briquets
ainsi préparés, quand ils ont bien réussi , sont plus dura-
bles que ceux de la variété précédente ; ils s'humectent moins
facilement. Pour se servir de ces briquets , il faut frotter un
peu rudement la surface découverte du phosphore, afin d'en
détacher quelque parcelle qui s'attache au soufre de l'allu-
mette, et l'enllamme en même temps qu'elle brûleelle-môme.
Pour arriver à cet effet , quand l'allumette a été retirée
du flacon, on en frotte l'extrémité sur quelque corps solide
et rugueux, tel que le liège , le feutre, etc.
Il existe une troisième méthode pour la fabrication du bri-
quet phosphoriqiie. Celui-ci est dit à mastic inflammable.
Le moyen consiste à faire enflammer du phosphore dans un
▼ase à très-petit orifice, à y projeter immédiatement de la
magnésie cah-inée, et à bien agiter la masse à l'aide d'une
tige de fer, pour faciliter la combinaison. Le tout devient
pulvérulent et perd sa compacité : alors on bouche le fla-
con, pour s'en servir avec une allumette, comme dans les
précédentes méthodes. On présume qu'il se produit dans
cette opération un phosphure de magnésie excessivement
inflammable. Cependant cet effet n'est pas ceilain : quoi
qu'il en soit, le mélange de phosphore et de magnésie ( si
ce n'est point une combinaison chimique parfaite ) est sus-
ceptible de s'enflammer très-facilement, surtout si l'atmos-
phère dans laquelle on opère est humide, ou si on a préa-
lablement soufflé sur l'allumette.
Enfin, le briqjiet chimique auquel le nom de Fumade
a dû toute sa célébrité a été décrit à l'occasion des allu-
mettes oxygénées. Dans le même article nous avons parlé
des allumettes chimiques, qui tendent à remplacer partout
les briquets phosphoriques, chimiques, etc. Pelouze père.
BRIQUET ou sabre-briquet, mot qui n'a d'abord
été pris comme synonyme de sabre que par dérision : les
•oldats de cavalerie, pour tourner en ridicule une lame très-
courte par comparaison à la leur, avaient trivialement com-
paré le sabre d'infanterie à un briquet à faire du feu. L'in-
attention des commis de la guerre introduisit ce mot dans
notre langue. 11 exprimait l'arme de taille des hommes de
troupe de l'infanterie française ; cette arme avait remplacé
l'ancienne épée, et aété remplacée elle-même par le sabre
poignard en 1831. Les caprices de la mode ont décidé de
ces changements, bien plus que le calcul du raisonnement.
Ce fut vers 1760 qu'on donna aux grenadiers le sabre en
remplacement de Tépée; les autres hommes de troupes qui
portaient cette même arme ne le prirent que depuis l'or-
donnance du 1" octobre 1786. Elle reçut en l'an xi une
forme nouvelle qui l'alourdissait. L'usage du sabre-briquet
avait plus d'antagonistes que de partisans ; Bonaparte l'avait
tour à tour donné et ôté à ses voltigeurs, et il avait même
rendu en l'an xn un décret qui le retirait aux compagnies
de grenadiers, et y substituait un pic-hoyau , décret inédit,
inconnu , parce qu'il est resté sans exécution , mais qui
n'a pas été rapporté.
A l'heure qu'il est, le sabre-briquet n'a été conservé
qu'aux gardes de Paris et aux gendarmes à pied. Il se
compose d'une lame à un tranchant, légèrement cambrée,
«ans gouttière ni pans creux , avec un faux tranchant vers
la pointe. La monture est en cuivre coulé d'une seule pièce
et à poignée ornée en dedans de godrons. G"' Bardin.
BRIQUETTES. On connaît sous ce nom , à Paris et
en divers autres lieux, un mélange de charbon de terre ou
de coke avec de l'argile. Il est superflu sans doute de dire
que l'argile du mélange ne contribue en rien aux propriétés
calorifiques du combustible ; mais elle offre un assez bon
moyen de ralentir assez la combustion, en diminuant le
nombre et l'étendue des surfaces exposées à l'air, pour que
l'émission de la chaleur soit successive, et qu'elle accom-
plisse l'objet qu'on a en vue, celui d'un chauffage très-mo-
déré, mais longtemps continué. Quand la fraude n'est pas
Introduite dans cette fabrication, comme il n'arrive que trop
BRIQUEVILLE
souvent , c'est-à-dire quand au Heu de bouille ou de bon
coke on n'a pas employé dans la façon des briquettes du
mâchefer et autres résidus déjà brûlés, ce qui est assez dif-
ficile à discerner à l'œil , l'emploi de ces briquettes peut être
assez avantageux.
Pour fabriquer les briquettes , on délaye de l'argile dans
l'eau en proportion suffisante pour obtenir une bouillie un
peu épaisse ; on a disposé à part de la houille ou du coke
cassés et passés à la claie ; on verse sur ce tas la bouillie
argileuse, et on en fait le mélange le plus exactement pos-
sible à la pelle. Dans cet état, on en fait des boulettes in-
formes qu'on presse fortement entre les mains; quand la
matière ainsi pressée s'est suffisamment tassée, on l'intro-
duit et on la presse de nouveau dans un moule de bois, en
tout semblable à ceux en usage dans le travail des briques.
Ce moule doit être posé à plat sur une planche unie. On le
remplit à comble à l'aide d'une palette en fer, quand la
boule faite à la main n'a pas suffi à la capacité du moule.
On frappe ensuite sur le petit tas qui excède les bords un ou
deux coups avec la palette, dont le revers est bien uni. Pour
retirer la palette , il faut la faire glisser rapidement et bien
horizontalement, appuyant sur les bords du moule. On sou-
lève le moule entre les deux mains en le faisant glisser sur
la table, et la briquette est posée sur une planche. Pour la
détacher du moule, il ne faut plus qu'appuyer légèrement
des deux pouces sur la surface supérieure de la briquette, en
redressant en même temps les doigts qui étaient recourbés
en dessous pour soutenir la briquette pendant qu'elle était
en l'air.
Les briquettes se rangent , au fur et à mesure qu'elles sor-
tent des moules, sur la même planche; et celle-ci étant to-
talement couverte, on passe à une autre. On a coutume
d'élever ainsi trois , quatre et même cinq rangées de plan-
ches les unes au-dessus des autres. Avant d'employer les
briquettes, il faut qu'elles soient autant sèches que possible.
Cette fabrication a surtout pour objet de tirer parti du gru'
beau et menuise de houille et de coke, principalement de
ce dernier, qui en produit beaucoup. Pelouze père.
BRIQUEVILLE (ARMAND-pRANÇors, comte de), co-
lonel de cavalerie et député, d'une des plus anciennes mai-
sons de la noblesse française, naquit en 1785, à Bretteville,
(Manche). Tombé au pouvoir des républicains, son père
mourut en criant Vive le roi! Cependant, au moment de
marcher au supplice, il dit en embrassant son fils : « Je
donne ma vieau?t Bourbons, mais ne les servez jamais; ce
sont des ingrats. « Briqueville entra à dix-sept ans à l'école
de Fontainebleau , d'où il sortit avec le grade de sous-lieu-
tenant de cavalerie. Depuis ce moment sa vie ne fut mar-
quée que par de brillants faits d'armes et d'héroïques ac-
tions. L'enfant de l'aristocratie , le rejeton des vieilles races,
devint un des plus fermes , des plus courageux , des plus
dévoués défenseurs de tous les droits consacrés par la Révo-
lution. Il aimait la liberté avec enthousiasme , la gloire avec
passion , la France avec idolâtrie. Lieutenant de dragons en
1807, capitaine en 180S, chef d'escadron et officier d'or-
donnance de Napoléon en 1812, lieutenant-colonel des lan-
ciers de la garde impériale en 1813, il n'est pas un de
ces grades qu'il n'eût gagné à la pointe de son épée, pas un
champ de bataille qu'il n'eût rougi de son sang, pas un
combat où sa valeur n'eût conquis les acclamations de
l'armée. En Italie, en Prusse, en Espagne, en Pologne, en
Russie, en France, depuis léna jusqu'à Waterloo et sous
les murs de Paris, il défendit son pays avec un dévouement
digne des temps héroïques.
Après la chute de l'Empire, Briqueville, toujours fidèle à
Napoléon, quitta le service; mais sa retraite fut précédée par
un fait d'une admirable nationalité. Rencontrant Louis XVIK
escorté par des cavaliers prussiens, le jeune colonel s'é-
lance , à la tête de ses lanciers, vers l'officier qui commande
ces étrangers , lui intime l'ordre de lui céder la place, et*
BRIQUEVILLE — BRISANTS
■'adressant au roi : « Sire , lui dit-il , c'est sous la prstection
des Français que votre majesté doit rentrer en France. » Il
eonduisit,en effet, la famille royale jusqu'au château de
Saint-Ouen; mais là il déclara respectueusement que ses af-
fections et sa conscience lui faisaient un devoir de se retirer,
et il donna sa démission , malgré les bienveillantes instances
du monarque. Au retour de l'empereur, Briqueville accomplit
des prodiges à la bataille de Ligny , où il fut mis à l'ordre
du jour de l'armée. Le 17 et le 18 juin, faisant partie du
corps de Grouchy , il fut l'un des officiers qui insistèrent le
plus énergiquement pour marcher sur le canon de Waterloo.
Après ce grand désastre le jeune colonel , frémissant d'in-
dignation et de douleur, se précipita , entre Sèvres et Ver-
sailles , sur une colonne de cavaliers prussiens , dont il fit
un horrible carnage , et du milieu de laquelle il sortit la tête
entr'ouverte par un coup de sabre et le poignet droit à
demi abattu. Criblé de blessures et accablé de souffrances,
il ne fit pas moins partie de plusieurs conspirations ten-
dant au renversement des Dourbons; puis il vécut dans
la retraite jusqu'au moment où la reconnaissance de ses
concitoyens l'envoya à la chambre des députés.
C'était en 1827. La Restauration, à laquelle il reprochait
surtout son origine étrangère, n'eut jamais de plus ferme
ni de plus incorruptible adversaire. Pour Briqueville, le
Palais-Bourbon était un nouveau champ de bataille, où il
combattait sans cesse pour la défense des libertés publiques.
11 salua avec enthousiasme la révolution de Juillet ; mais
ses illusions ne tardèrent pas à s'évanouir, et il revint bientôt
à l'opposition constitutionnelle, dans les rangs de laquelle
il attaqua avec toute l'ardeur de son caractère cette série
d'actes arbitraires, d'humilités extérieures et d'usurpa-
tions hardies ; enfin, ce système funeste qui, disait-il, 5e
masquait toujours avec les mots d'ordre et de devoir.
Une attaque assez vive contre le maréchal Soult amena
entre le fils du maréchal et le colonel une rencontre, à
l'issue de laquelle Briqueville vint déclarer à la tribune qu'il
maintenait tout ce qu'il avait dit la veille.
Vers le milieu du mois de mars 1844, Briqueville, qui
pressentait sa fin prochaine , se traîna mourant à la chambre
des députés , pour demander que les restes mortels du ma-
réchal Bertrand reposassent sous la môme nécropole que
les glorieuses dépouilles de Napoléon. Après avoir payé ce
pieux tribut à la fidélité et à la gloire , le soldat de l'Em-
pire s'alita pour ne plusse relever. Il expira le 20 mars, en pro-
nonçant les mots : patrie, gloire, désespoir. B. Sarbans.
BRIS. Ce mot s'applique généralement au fait de
l'homme, et im|ilique presque toujours l'idée d'un délit ;
cependant il a en droit une tout autre acception quand il
s'agit d'un bris de navire. Voîjez Biiis et Nauihace.
Lcbris de clôture est un délit prévu par l'article 456 du
Code Pénal , et [vuni d'un emprisonnement d'un mois au
moins, d'une année au plus, et d'une amende qui ne peut être
au-dessous de 50 francs. Lorsqu'il accompagne un autre crime,
il en forme Tune des circonstances aggravantes, et prend le
nom d'effraction.
Le bris de porte sort de la classe des délits lorsque l'au-
torité publique, voulant faire une perquisition légale dans le
domicile d'un citoyen , éprouve quelque obstacle et se voit
dans la nécessité d'ordonner le bris des portes au nom de la loi.
Le bris de prison est une effraction faite à une prison
pour faciliter l'évasion d'un prisonnier. Le Code Pénal
( art. 241, 244, 245 ) détermine la peine à infliger à ceux qui
se rendent coupables de pareils actes.
Le bris de scellés est un délit qui consiste dans la rupture
des scellés apposés par un officier publie sur des objets
dont il n'a pu encore être fait inventaire. La loi établit une
différence dans la peine dont ce délit est puni selon qu'il a
été commis par celui à la garde de qui les scellés avaient été
confiés, ou par une autre personne, et selon les circons-
tances dont il e«st accompagné. ( Art. 249 à 256. )
:3»
On a désigné autrefois sous le nom de bris de marché
le délit de coalition ayant pour but soit d'empêcher cer-
taines marchandises d'arriver à un marché, soit de fixer le
prix de certaines denrées de manière à en assurer le mo-
nopole aux parties coalisées.
BRISACH ou BREISACH , que les Allemands appellent
Alt-Breisach ( Vieux-Brisach ), est une ville du grand-duché
de Bade, chef-lieu du district de ce nom , dans le cercle du
Haut-Rhin, à 20 kilomètres ouest de Fribourg et 55 sud de
Strasbourg , sur la rive droite du Rhin, vis-à-vis du fort
Mortier et de Neuf-Brisach , ville de France dans le dé-
partement du Haut-Rhin, à 12 kilomètres sud-est de
Colmar, et 2 de la rive gauche du Rhin , place de guerre de
1"^" classe, bâtie en 1690 par Louis XIV, et fortifiée en 1699
par Vauban ( après la perte du Vieux-Brisach ), avec une
population de 2,000 âmes , une direction d'artillerie, un
arsenal et une grande fabrication de calicot.
Quant au Brisach badois , bâti sur un mamelon de for-
mation basaltique, il fut longtemps ville libre impériale,
et passa pour une des places les plus fortes de l'Allemagne
jusque vers le milieu du siècle dernier, où ses fortifications
furent en partie détruites par ordre de l'impératrice Marie-
Thérèse. On y remarque l'église de Saint-Étienne, monument
d'architecture gothique, qui contient les tombeaux d'un
grand nombre de personnages célèbres. Un pont jeté sur l«
Rhin le met en communication avec la rive gauche. Sa po-
pulation est de 3,200 âmes ; son commerce et sa navigation
sur le fleuve sont considérables; sa douane est une des plus
actives de cette frontière, ainsi que sa fabrication de tabac.
Sa situation , abrupte, isolée, dut en faire de bonne heure
un point stratégique important. Jules César en parle, soua
le nom de mons Brisacius, comme d'une forteresse des
Séquaniens. Après la domination romaine , Brisach , suivant
les destinées des pays voisins , appartint tantôt à l'Empire ,
tantôt à quelqu'un de ses puissants vassaux. Durant la
guerre de trente ans, les Suédois et les Français la mena-
cèrent à deux reprises. Enfin elle dut succomber en 163*
devant l'armée commandée par le duc Bcrnardde Saxe-
Weimar. L'année suivante, l'empereur Ferdinand essaya
vainement de la reprendre , et la paix de Westphalie en
assura la possession à la France, qui la regarda comme un«
des clefs de son territoire jusqu'en 1697, que, par la paix
de Ryswyck, Louis XIV, dont la période de revers avait
commencé, fut contraint de la rendre à l'Empire. Pendant
la guerre de la succession d'Espagne, les Français s'en em-
parèrent par surprise, et s'y maintinrent jusqu'en 1715, où
la paix de Radstadt la rendit à l'Autriche. En 1793 les Fran-
çais s'en rendirent maîtres de nouveau , et en rasèrent le*
fortifications; mais la paix de Lunéville en attribua la pos-
session au duc de Modène, puis elle fut donnée à l'archiduc
Ferdinand , et définitivement annexée par la paix de Pres-
bourg au grand-duché de Bade.
BRISAJVTS, masse de rochers ou de coraux contre
lesquels la mer frappe ou brise. On donne aussi ce nom aux
lames produites par le choc de la mer contre les côtes et
contre les rochers à fleur d'eau ou sous l'eau , et contre les
bancs qui, ayant autant d'inégalités dans le fond du sol qu«
dans leur profondeur, sont assez élevés pour produire de
telles lames. Dans ces deux cas, les brisants sont utiles, en
ce que , d'abord, le mouvement ondulatoire qui se commu-
nique à la surface de l'eau annonce la présence du danger,
et qu'en outre le mouvement rétrogiade que leur choc im»
prime au navire suffit quelquefois pour le mettre hors d«
toute atteinte.
Les brisants, très-dangereux pour les petits navires, qu'ils
tourmentent beaucoup , sont incommodes pour les gros,
qu'ils empêchent de gouverner en amortissant leur air. A
l'abord d'une côte, h l'entrée d'imc baie, d'une rade, d'un
port, leur mouvement ondulatoircdonneaux navires unetelle
levée, que parfois ils ne peuvent passer sans le plus gr««i
91.
724
BRISANTS — BRIS ET NAUFRAGE
danger sur des hauts-fonds où ils auraient eu assez d'eau sans
cette levée. Parfois aussi ils rendent totalement imprati-
cable l'entrée d'un port ou l'abord d'une côte.
BRISE. On entend vulgairement par ce mot un petit
vent (rais et périodique qui souffle dans certains parages.
En termes de marine , c'est la qualilication générique du
Tcnt quand il n'est pas à la tempête. On dit unc/aible brise,
une petite brise, une jolie brise, une bonne brise, une
brise carabinée , une brise de terre, une brise du large.
H ne faut pas confondre la brise de terre avec le vent de
terre, ni la brise du large avec le vent du large. La brise du
large et celle de terre sont des brises régulières qui se suc-
cèdent dans la zone torride, et môme un peu en dehors. La
brise de terre souffle vers le matin ; elle est moins forte
<^ue celle du large. Elle souffle sur la terre refroidie quand
l'air n'est plus raréfié : à ce moment, la chaleur que la mer
a conservée , raréfie l'air qui lui est supérieur, et alors celui
de terre accourt pour remplir la dilatation qu'opère la raré-
faction au large. La brise du large se fait sentir vers midi,
et dure plus ou moins, quelquefois jusqu'à sept ou huit
heures, et quelquefois jusqu'à minuit : elle est régulière
sur les côtes des continents et des grandes îles entre les
tropiques. La brise carabinée est le grand frais; elle fait
riser ( sener ) les huniers au plus près.
BRISÉES. On entend au propre par ce mot, en termes
d'eaux et forêts , des branches que l'on coupe dans un
taillis ou à de grands arbres pour marquer les bornes des
coupt^s. En termes de chasse , ce sont également des branches
que le veneur rompt aux arbres ou qu'il sème sur son clie-
niin pour reconnaître l'endroit où est la bête et où ou l'a
détournée : on ûit/rapper aux brisées pour courre lorsque
le veneur a fait son rapport.
Dans le style figuré , on se sert du mot brisées dans la
même acception, c'est-à-dire pour indiquer la voie pratiquée
})ar quelqu'un, et que l'on veut suivre : aller ou marcher
sur les brisées de quelqu'un, c'est suivre ses traces, c'est
entrer, en quelque sorte, en émulation, en concurrence, en
rivalité avec lui.
BRISÉISou HIPPODAMIE, fille de Brisés, grand prêtre
de Jupiter à Ly messe , capitale de la Cilicic, et femme de
IMynès, roi de cette contrée, tomba, après la mort de son
*'poux et la prise de cette ville par les Grecs durant la
guerre de Troie, dans le partage que les vainqueurs firent
du butin, entre les mains d'Achille, qui en devint éper-
dùaient amoureux , et promit d'en faire sa femme. Mais
Agamemnon, que les conseils d'Achille avaient obligé de
rendre à Chrysès , frère de Brisés, sa fille Chryséis, dont il
avait fait son esclave, fit enlever au héros sa captive, et la
{^aida dans sa tente, où il la traita, du reste, avec toutes
sortes d'honneurs et de respects. Le ressentiment qu'A-
chille conçut de cette action faillit avoir des suites funestes
pour les Grecs, qui se virent privés de l'appui du héros,
retenu durant près d'une année dans sa tente sans vouloir
jirendre aucune part aux combats. Enfin, Agamemnon, ef-
frayé des victoires d'Hector, consentit, à la prière des Grecs,
à rendre Briséisà Achille, et il la lui renvoya avec de riches
jirésents; mais celui-ci refusa de la reprendre. On ignore
ce qu'elle devint après la mort d'Achille, dont la colère et
l'inaction après l'enlèvement de sa captive font le sujet prin-
cipal (\cVHiade.
BRISE "LAMES. On nomme ainsi un ensemble de
claire-s-voies prismatiques, faites en bois et flanquées de
liégc, longues chacune de vin^t mètres , qui dépassent de
deux mètres la surface agitée de la mer, et qu'on amarre
solidement à environ trois Lilomèlres des côtes. C'est une
espèce de digue en bois, à la fois résistante et mobile. Les
sections du brise-lames sont placées en ligne, ou plutôt en
échiquier de manière 5 se prêter un mutuel appui. La lame
qui vient du large passe à travers le brise-lames comme a
travers un crible élastique, cl perdant son clan , la mer reste
calme dans le bassin que le brise-lames enserre et pro-
tège.
Les premiers essais de cet appareil ont été faits à Pen-
zanceet en avant de Brighton. En 1846 on en a construit
un dans le port de la Ciotat ( Bouches-du-Rliône ).
BRISE - MOTTE. On appelle ainsi tout instrument
propre à pulvériser les mottes trop grosses que laisse l'opéra-
tion du labourage. Tels sont les rouleatix compresseurs
de Schattenniann, soit unis soit garnis de pointes , et le
rouleazi scjuelelte, qui, formé de disques de fonte enfilés
dans un axe de fer , offre des tranchants moins sujets à
s'émousser que les dents des rouleaux à pointes.
Après le passage du rouleau, les mottes semblent quelque-
fois encore tout entières ; mais on ne tarde pas à s'aper-
cevoir de l'atteinte qu'elles ont reçue ; car en faisant succéder
à ce travail celui de la herse, elles se brisent, s'émiettent
sans peine, tandis qu'elles résistaient avant le passage du
rouleau.
BRISE-PIERRE, instrument dont on se sert pour
concasser la pierre qui entre dans le ferrement des routes.
En chirurgie, c'est le nom de plusieurs instruments de li-
thotritie employés pour briser la pierre dans la vessie.
BRISER. En termes de blason c'est charger un écu de
brisures, comme lambel, bordure, etc., pour distinguer
les branches et les cadets de leur aîné , auquel appartiennent
les armes pleines.
BRIS ET NAUFRAGE ( Droit de). Ce droit a long-
temps existé en France : c'était la confiscation de ce qui
restait d'un vaisseau qui avait fait naufrage et s'était brisé
sur les côtes. U est vraiment curieux de rechercher l'origine
d'un usage si barbare, qui s'était établi chez les peuples ri-
verains de la mer, et que jusque vers la fin du dix-septième
siècle, au milieu d'une civilisation très-avancée, notre lé-
gislation avait osé consacrer. On en trouve des traces chez
toutes les nations maritimes ; mais c'est dans la barbarie des
premiers âges qu'il a pris naissance. Lorsque les hommes
commencèrent à s'organiser en sociétés , les tribus demi-
sauvages étaient en guerre permanente; la piraterie devait
donc être en quelque sorte le droit des gens de ceux qui
habitaient le littoral des mers ; tout étranger étant un en-
nemi , quelle loi eût pu protéger les naufragés? On trouvait
tout naturel de prendre ce qu'offrait la tempête ; et d'ailleurs,
il était difficile qu'on respectât un malheureux que la colère
des dieux semblait poursuivre.
Mais quand des relations de commerce et d'amitié se
furent établies entre les nations, que des conventions réci-
proques eurent offert une protection aux citoyens de pays
ilivers, il est probable qu'alors on dut considérer les hommes
que la tempête poussait sur les côtes, avec quelques débris
de leur fortune , comme ayant autant de droits que ceux
qui y abordaient tranquillement pour y (aire un trafic avan-
tageux. Alors la féroce coutume de piller les naufragés, de
les réduire en esclavage, de les immoler comme des bétes
fauves, ou même de les sacrifier en holocauste' sur les au-
tels de la Divinité, disparut sans doute, et les naufragés, en
mettant le pied sur le rivage d'une nation civilisée par le
commerce, purent dire comme Ménélas dans Euripide:
Kauayô; èyô) Çsvo;, à(j-j).y;Tov ^évo; (Sum naufragus , spo-
liura quod geniis est ne/as ). Les Égyptiens , ijui , par des
raisons de siirelé intcrieu-re ou ae commerce, fermaient quel-
ques-uns de leurs ports aux étrangers, firent une exception
en faveur de ceux que la tempête contraignait à chercher
un asile dans ces ports réservés. La législation romaine avait
pris toutes les mesures qui étaient en son pouvoir pour
empêcher que les naufrages ne fussent pillés; la loi pro-
nonçait des peines sévèies contre ceux qui élevaient sur la
côte des feux pour attirer les navigateurs dans les écueils,
( ne piscotores, lumine ostcnso, /allant navigantes, qua-
si in port uni uliqurni delaturi, etc. ). Les lois de Cons-
luulin cuiisacrèrcut le principe, qu'il était odicuv que le fisc
BRIS ET NAUFRAGE — BRISSAG
72^
s'enrichît de la misère des marins que les flots mêmes avaient
épargnés.
LMiivasion des barbares dans l'empire romain renversa
ces sages institutions , et l'atroce coutume de s'emparer des
malheureux échappés au naufrage et de voler les débris de
leur fortune fut remise en vigueur. Cependant ce dioit hor-
rible ne fut pas admis partout sans réclamations ; le code
des Yisigoths condamnait à une amende considérable ceux
qui pillaient les naufragés; et l'empire d'Orient au moyen
âge avait fait revivre les belles lois romaines à cet égard.
Mais quand le système féodal eut embrassé la France comme
un réseau de fer , les droits sacrés des naufragés , oubliés
pendant les troubles, ne furent pas rétablis ; les seigneurs
féodaux trouvirent plus agréable de mettre au nombre de
leurs prérogatives le pillage des navires que l'orage poussait
sur leurs côtes; quelques-uns même, ainsi que des chefs de
brigands, s'entendaient avec les locmans ou pilotes pour faire
échouer les navires sur des pointes de rochers ; et c'est dans
ces siècles que l'histoire de la Bretagne nous retrace la bar-
barie de certains habitants des côtes , qui attachaient pen-
dant la nuit des feux à la queue des vaches ou aux cornes
des taureaux pour tromper les yeux des marins c[ui s'appro-
chaient de leurs rivages.
Alors s'organisa ce honteux brigandage , et il fut inscrit
dans nos lois sous le nom de Droit de bris et naufi'age. Il
passa à la couronne quand la royauté se substitua au pou-
voir des seigneurs féodaux, et Louis XI l'énonçait en termes
formels comme faisant partie de l'apanage de son frère.
Quand les prérogatives de l'amiral de France furent fixées,
ce droit lui fut concédé, et il continua ainsi à être en usage
avec quelques modifications, jusqu'à ce qu'enfin Louis XIV
l'abolit entièrement dans tous les pays de son obéissance,
par son ordonnance de 1681. Il fit même des règlements
pour obliger les paroisses voisines de la mer à aider dans le
sauvetage des navires et des marchandises ceux qui feraient
naufrage sur leurs côtes, ^"ous nous abstiendrons de donner
des éloges à cette ordonnance; il est remarquable qu'elle
n'ait pas été faite et mise en vigueur plusieurs siècles plus
tôt, car une loi de Richard Cœur-de-Lion avait déjà rendu
cette justice aux marins qui échappaient au naufrage.
Théogène Page, contre-amiral.
BRISEURS D'IMAGES. Voyez Iconoclastes.
BRISE- VTÎllXT , terme par lequel on désigne , en hor-
ticulture ou en jardinage, un rempart de paille ou de ro-
seaux pratiqué pour mettre des plantes ou des couches à
l'abri du vent. Ces brise-vent ou paillassons doivent être
placés perpendiculairement, et maintenus dans cette position
par le secours de piquets fichés en terre; ils ont communé-
ment de un à deux mètres de hauteur, et leur longueur est
proportionnée au terrain que l'on veut abriter. On se sert
aussi, pour le même objet, de lignes d'arbres rapprochés et
tenus très-courts. Voyez ÂEni.
BRISGAU. Ce pays réuni au bailliage d'Ortenau forme
l'une des plus belles et des plus riches contrées du grand-
dnché de Bade, où il fait partie des cercles du Haut-Rhin et
du Rhin central.
Le Brisgau comprend une superficie d'environ 33 myria-
mètres carrés, et une population de 150,000 âmes répartie
entre dix-sept villes, dix bourgs et quatre cent quarante
villages. Ce pays est généralement montagneux, particu-
lièrement aux environs de Triberg, de Saint-Pierre et de
Saint-Biaise; ilrenferme les pics les plus élevés delà Forêt-
Noire, dont les plateaux vont toujours en diminuant d'élé-
vation , et en formant une suite de teiTasses à mesure qu'ils
se rapprochent davantage du Rhin , avec de fertiles plaines
et de ravissantes montagnes, entre lesquelles serpentent
des vallées étroites , parfaitement cultivées et extrêmement
peuplées. Sur tous les points le sol est arrosé par de petits
aflluents du Rhin, dont les plus importants sont l'Elz, le
Treisam, le Glotter, le Wiesen et le Neumagen. On y tiouve
aussi plusieurs petits lacs, la plupart situés dans les parties
les plus élevées de la montagne. Dans les plaines l'agriculture
est pratiquée avec une remarquable intelligence. On y récolte
d'excellentes espèces de vins, d'excellents grains, et quantité
de fruits, de chanvre et de légumes de tous genres. La culture
des pins dans les montagnes et les riches pâturages des vallées
constituent les principales richesses des habitants de la
Forêt-Noire, qui s'occupent avec succès de l'éducation des
bestiaux , du flottage et du commerce des bois, de la fabri-
cation de toutes sortes d'objets en fer et en bois, et surtout
de celle des horloges et pendules si connues sous le nom
û'^horloges de la Forêt-Noire. L'exploitation de quelques
mines donne en outre d'assez importants produits en fer,
plomb , cuivre et argent.
A l'époque de la domination romaine, que rappellent
encore une foule d'antiquités, le Brisgau faisait partie du
pays des Aleman s et était habité par l'une de leurs tribus,
celle des Brisigarii. Au moyen âge ce gau fut gouverné
par des comtes , et à partir du onzième siècle par les Bes-
tilons, devenus plus tard ducs deZaehringen. A l'extinction
de leur race, en la personne du duc Berthold V, dit le
Biche, mort en 1218, une partie du Brisgau passa sous
l'autorité des margraves de Bade , descendants du duc de
Zœhringen, Berthold l", et une autre partie aux gendres du
dernier comte, les comtes de Kybourg et d'Urach. Hedwige,
fille et héritière du dernier comte de Kybourg, ayant épousé
le comte, devenu plus tard l'empereur Rodolphe T"" de
Habsbourg, cette partie du Brisgau devint la propriété de la
maison de Habsbourg.
Après avoir acheléen 1370au comte d'Urach F ribonrg,
chef-lieu du Brisgau , l'Autriche sut insensiblement s'adjuger
la souveraineté de tout le pays, de sorte qu'en 1386 le duc
Frédéric d'Autriche réunissait déjà sous son autorité presque
tout le Brisgau, à l'exception de Badenweibern et de quelque»
petites parcelles de territoire qui passèrent sous les lois des
souverains de Bade. A l'origine l'Autriche fit administrer le
Brisgau par des baillis; mais en 1470 la mauvaise gestion
du bailli Pierre de Hagenbach fut cause qu'on y convoqua
des états provinciaux à l'effet d'administrer le gau de con-
cert avec eux. Depuis cette époque le Brisgau partagea tou-
jours, jusqu'à la fin du dix-huitième siècle , les destinées de
l'Autriche et des contrées du Haut-Rhin.
Aux termes de la paix de Lunéville, en 1801 , l'Autriche
céda le Brisgau avec l'Ortenau ( à l'exception du Frickthal,
qui comptait une population de plus de 20,000 âmes répartie
sur une superficie d'un peu plus de 275 kilomètres carrés,
et que la France fit réunir à la république Helvétique), au
duc de Modène. A la mort de ce prince, arrivée en oc-
tobre 1S03, il eut pour successeur son gendre, l'archiduc
Ferdinand d'Autriche, qui prit le titre de duc de Brisgau-
Mais la paix de Presbourg le contraignit à faire la cession
de son duché au grand-duché de Bade et au royaume de
Wurtemberg , et celui-ci fit, moyennant indemnité, abandoo
de sa portion au grand-duché.
BRISOIR. Voyez Broyé.
BRISSAG (Famille de). La maison de Cossé-Brissac,
appartenant à l'ancienne chevalerie, et l'une des plus illus-
tres de France, tire son nom de la terre de Cossé dans le
Maine et de celle de Brissac dans l'Anjou. Elle a donné
quatre maréchaux de France , six chevaliers des ordres du
roi , un grand maître de l'artillerie, deux colonels généraux
d'infanterie et plusieurs gouverneurs de provinces. La branche
aînée, devenue ducale en 1611, s'est éteinte le 9 sep-
tembre 1792, par la mort du duc de Brissac, massacré au
château de Versailles.
Nous consacrons un article spécial au maréchal dit le beau
Brissac. Son frère Arthur de Cossé-Brissac fut aussi un
capitaine distingué. Il signala son courage et son dévouement
dans diverses campagnes, de 1551 à 1567, et reçut de
Charles IX le bâton de maréchal de France. Détenu pea-
L
736
BRISSAC — BRISSON
dant dix-sept mois à la Bastille par ordre de Catherine de
Médicis, sur le soupçon d'avoir pris parti pour le duc d'A-
lençon , il ne recouvra sa liberté que sous Henri III , et
mourut en 1582.
Timoléon de Cossé, dit le comte de Brissac, û\s de
Charles, avait déjà mérité par sa valeur les plus hautes dis-
tinctions militaires, lorsqu'on 1569 il fut tué, à vingt-cinq
ans, au siège de Mucidan , en Périgord. Charles //de
Cossé-Brissac, son frère, servit en Piémont sous leur père,
et y resta jusqu'à l'évacuation de ce pays, en 1574. Monté
sur la flotte de Strozzi , lors de l'expédition des Açores
en 1582, il en ramena les débris après la défaite, prit une
part active à la lutte du roi contre les Seize, abandonna le
parti royal, accepta de Mayenne le gouvernement de la Ro-
chelle, et, gouverneur de Paris pour la Ligue, avec le titre
de maréchal, en 1594, en remit l'année suivante les clelâ
à Henri IV, qui lui conserva ses titres et dignités, et l'em-
ploya dans plusieurs affaires importantes. Créé duc et pair
en 1611, il se signala, en 1617, à l'assemblée des grands du
royaume, et mourut en 1621, au siège de Saint-Jean d'An-
gely.
Jean-Paul-TimoUon de Cossé-Brissac , né en 169S ,
soutint glorieusement le nom de ses ancêtres. Il servit d'a-
bord en 1714 sur les galères de Malte, se signala au siège
de Corfou, ainsi que dans diverses actions contre les Turcs,
fut, à son retour, créé mestre de camp, puis, en 1768,
élevé à la dignité de maréchal de France, et mourut en 1784.
JLouis-Joseph-Timoléon, duc de Cossé-Brissac, son fils
aîné, fut tué en 1757 à la bataille de Rosbach, ne laissant
pas de postérité.
Louis- Hercule-Timoléon , dvc de Cossé-Brissac , pair et
grand pannetier de France, gouverneur de Paris, capitaine-
colonel des Cent-Suisses de la garde du roi et chevalier de
ses ordres, né en 1734, fut nommé en 1791 commandant
général de la garde constitutionnelle de Louis XYI. Décrété
d'accusation lors du licenciement de ce corps en 1792, il fut
transféré à Orléans, puisa Versailles, où il fut massacré,
dans les premiers jours de septembre, avec les autres pri-
sonniers.
Timoléon de Cossé , duc de Brissac , de la même branche
que les précédents, né en 1775, servit d'abord comme vo-
lontaire dans la garde constitutionnelle de Louis XVI , et
disparut de la scène politique jusqu'à l'Empire, où il devint
chambellan de madame mère et préfet, d'abord du dépar-
tement de Marengo, puis de celui de la Cùte-d'Or. Lors de
la première invasion , il prit des mesures énergiques pour
arrêter les progrès des alliés. Mais, dégagé, par la mauvaise
fortune de Napoléon , de ses serments et de la fidélité qu'il
lui avait vouée, il envoya son adliésion au rétablissement
des Bourbons. Élevé à la pairie en 1814, le duc de Brissac,
qui avait constamment voté en faveur des principes monar-
chiques, se rallia plus tard à la nouvelle royauté créée par
la révolution de Juillet. La révolution de février lui enleva
son siège au Luxembourg, mais en 1852 il a accepté une can-
didature au conseil général de Maine-et-Loire.
BRISSAC ( CuARLES de COSSÉ-) , marèclial de France,
né en 1506, fut, dès sa jeunesse, attaché au dauphin. Il dé-
buta dans la carrière des armes en 1528, et se distingua au
siège de Naplcs , où il fut fait prisonnier par les Espagnols.
H n'avait alors que vingt-trois ans. Du reste, il déploya de
grands talents dans toutes les guerres que François l" eut
à soutenir, cl rendit à ce prince d'èmincnts services. En 1547
il fut nommé colonel de la cavalerie légère. A peùie Henri II
eut-il succédé à son père, qu'il prodigua ses faveurs à Bris-
sac : il le décora du grand collier de son ordre, et lui donna
la charge de giand maître de l'artillerie. Peu de temps
après, Brissac fut envoyé en ambassade à Charies-Quint, et
joignit la réputation de politique habile à celle de bon ca-
pitaine. La guerre ayant éclaté en Italie, Henri lui confia le
gouvernement du Piémont, et le nomma en môme temps
maréchal de France. Brissac ouvrit la campagne de 1551
par la prise de Quiers et de Saint-Damian ; mais il fut peu
secondé par la cour : on l'abandonna à ses propres forces;
on ne lui envoya ni argent , ni troupes, ni munitions , ni
vivres : il était encore trop heureux lorsque les ennemis
qu'il avait auprès du roi n'augmentaient pas les embarras
de sa position. Brissac, ayant presquetoujours à lutter contre
des forces sujjérieures , n'éprouva jamais d'échecs. Non-
seulement il conserva le pays qui lui était confié, mais il en
recula les limites. Il sut par sa justice , i)ar la sagesse de son L
administration, par ses manières affables, se concilier l'es-
prit des habitants. Pendant plus de dix ans il les maiolint
dans les mêmes dispositions à l'égard de la France. Il fit ré-
gner parmi ses troupes la discipline la plus sévère, cl les
soldats, souvent exposés aux plus rudes privations, n'osaient
commettre ni désordres ni violences.
Après la mort de Henri II, Brissac se vit forcé d'aban-
donner le théâtre de ses victoires. Il revint en France, où il
sollicita le payement de 100,000 livres qu'il avait empruntées
pour la solde des troupes. Ne pouvant l'obtenir aussi proinp-
tement qu'il le désirait, il donna aux marchands piémontais
qui les lui avaient avancées une somme de 20,000 écus,
qu'il réservait pour la dot d'une de ses filles. Cet acte de dé-
sintéressement fit beaucoup de bruit à la cour : on ne put
s'empêcher de l'admirer, mais on l'oublia bientôt. Brissac
combattit les protestants, et se rangea dans le parti mixte
qu'on désignait sous le nom de politiques; mais il ne joua
dans ces troubles qu'un rôle secondaire. On lui avait donné
le gouvernement de Picardie. Sa modération le fil accuser
d'indifférence pour la religion par les catholiques , et les
protestants ne l'en déchirèrent pas moins dans leurs écrits.
il ne changea pas pour cela de conduite. Il contribua bea:j-
coupà la prise du Havre, et ce fut son dernier exploit. Il
mourut en 1563 , à l'âge de cinquante-sept ans. Brissac ne
dut pas sa fortune à ses seuls services : il était doué de tous
les agréments extérieurs. On ne l'appelait à la cour que le
beau Brissac. Il y brilla par les grâces de sa personne , par
son habileté et par son esprit. On prétend même que l'intérêt
tout particulier que lui portait Diane de Poitiers ne fut pas
étranger à son avancement dans l'armée. Boivin du Villars,
secrétaire du maréchal , a laissé des Mémoires qui méritent
d'être consultés. Th. Delbare.
BRISSON (Barnaré), né en 1531 , d'une famille noble,
se distingua de bonne heure par ses grands talents et son
ambition pour les places. Il était encore simple avocat au
parlement de Paris quand Henri III disait qu'aucun prince
de l'Europe ne pouvait se vanter de posséder un homme
aussi savant que son Brisson. Avocat général au parlement
en 1575, et président à mortier en 1583, il ne cessa d'unir
les recherches les plus savantes à l'exercice de ses fonctions.
En 1587 le roi, après l'avoir nommé conseiller d'État,
lui avoir confié plusieurs négociations importantes et l'avoir
envoyé en ambassade en Angleterre, le chargea de mettre
en ordre les ordonnances rendues sous son règne et sous
celui de ses prédécesseurs. Cet ouvrage , connu sous le nom
de Code Henri, fut achevé en trois mois, et mérita de
grands éloges à Brisson, qui avait travaillé avec le coup
d'oeil d'un véritable législateur.
Lorsque, plus tard, par suite de la jou mée des b a r r i c a d c s
( 1588) , le roi se retira de Paris et convoqua le parleiuent
à Tours, un assez grand nombre des membres quittèrent
également la capitale. Brisson fut de ceux qui restèrent , et
la Ligue le nomma premier président , à la place d'Achille de
Harlay, prisonnier à la Bastille. Ce fut entre ses mains
que le duc de Mayenne prêta serment en qualité de lieu-
tenant général de VÉtat et couronne de France. On a
interprété très-diversement la conduite que Bris.son tint en
cette circonstance. Il protesta secrètement devant deux no-
taires contre tout ce qu'il pourrait faire de préjudiciable aux
intérêts du roi, déclarant qu'il ne cédait qu'à la force, et
BRISSON — BRISSOT DE WARVILLE
Tn
que, dans l'impossibilité de sortir de Paris, il se prêtait en
apparence aux Tolontés de la ligue pour sauver sa vie et
celle de sa famille. Il peut aussi être resté au milieu de l'in-
surrection pour rendie service à la cause du roi dans ce
poste périlleux. Achille de Harlay, qui ne le pensait pas,
l'appelait Barrabas, au lieu de Barnabas ou Barnabe.
Mézeray lui reproche d'avoir voulu nager entre deux par-
tis. On peut consulter encore sur ce point Pasquier et de
Thou. Quoi qu'il en soit, le parti que Brisson avait em-
brassé le conduisit à sa perte. Devenu suspect aux Seize
par sa mansuétude envers des partisans du roi traduits en
justice, et probablement aussi par une vague connaissance
que Ton eut de sa protestation, les plus furieux de ses enne-
mis le firent arrêter le 15 novembre 1591, au moment où il
se rendait en toute sécurité au parlement. Saisi à neuf heures
du matin, conduit au Petit-Châtelet et confessé à dix, il
fut pendu à onze à une poutre de la chambre du conseil ,
parce qu'on voulait profiter de l'effervescence du peuple. Il
avait supplié ses bourreaux de lui laisser achever en prison
un de ses ouvrages déjà fort avancé, mais on ne l'écouta
pas. Le lendemain , son corps fut exposé sur la place de
Grève , au milieu d'autres morts , avec un écriteau portant :
Barnabe Brisson , chef des hérétiques et des politiques.
« Miroir, certes (dit Pasquier dans sa préoccupation con-
tre les égarements de la foule), et exemple admirable pour
enseigner à tous magistrats de ne se rendre populaires. »
Brisson joignait à un degré surprenant la connaissance du
droit à celle des littératures anciennes et de l'histoire. Son
émdition nous paraît aujourd'hui fréquemment indigeste, il
est vrai , mais c'était le défaut général de son temps et de
son école. Ses principaux ouvrages sont : 1° le dictionnaire
qu'il composa sur le droit romain sous le titre : Be verbo-
rtim qux ad jus pertinent significatione (Lyon, 1559 , in-
folio), augmenté par Tabor et Itter (1683 et 1721), et re-
fondu avec succès par J.-G. Heineccius (Halle, 1743 ). A. -G.
Cramer a publié en 1815 un Supplément à ce lexique. Il
faut aussi considérer comme tels plusieurs articles impor-
tants du Magasin de Droit civil, par Hugo. 1° DeformuUs
et solemnibus pop. romani verbis (Paris, 1583, in-folio,
dernière édition, par Bach, Leipzig, 1754). 3° De regio Per-
sarum Principatu , ouvrage publié la dernière fois à Stras-
bourg, en 1710, avec des notes. 4° Le Code Henri. — Les
divers traités de Brisson sur des parties isolées du droit ont
été recueillis en un volume, Paiis, 1606, et réimprimés à
Leyde en 1747. Muntz.
BRISSON (Mathurin-Jacques) , né le 30 avril 1725, à
Fontenai-le-Comte (Vendée), censeur royal, membre de
l'Académie des Sciences , et ensuite membre de l'Institut
national , depuis son origine. Il avait montré dès son jeune
âge les plus heureuses dispositions pour les sciences na-
turelles , et il leur consacra sa vie entière. Ami et collabo-
rateur de Du Fay, de Réaumur, il les aida dans leurs plus
importantes opérations , et se fit dans le monde savant une
réputation telle qu'on le désigna pour enseigner aux enfants
de France les éléments de l'histoire naturelle et de la phy-
sique. Successeur de l'abbé NoUet au Collège de France , il
prouva dès l'ouverture de son cours que la perte que venait
de faire la science pouvait être réparée. Il occupa cette chaire
depuis 1770 jusqu'à son décès, arrivé le 23 juin 1806, à
Croissy , près de Versailles. Un fait physiologique fort cu-
rieux se rattache à cette mort. Quelque temps auparavant
une attaque d'apoplexie avait altéré toutes ses idées , effacé
toutes ses connaissances, même celle de la langue française,
et il ne prononçait plus que des mots du patois poitevin
qu'il avait parlé dans son enfance et oublié depuis.
Les nombreux et savants ouvrages de ce savant physicien
sont avec r^ux deNoUet, de Du Fay et de Réaumur, l'histoire
la plus complète de l'état des sciences naturelles à la fin du
dix-huitième siècle. Il publia en 1754 le Système du règne
animal et Ordre des Oursins de mer, traduit de Th. Klein
(3 vol. in-8°); en 1756, le Règne animal, divisé en neuf
classes, avec la division et description des deux premières,
savoir celles des quadrupèdes et des cétacés ; en 176S ,
Ornithologie , ou Méthode contenant la division des oi-
seaux en ordres, sections, genres , espèces, et leurs ra-
riétés (6 y'ol.'m-i" avec planches); en 1781, Dictionnaire
raisonné de Physique (2 vol. in-4°, avec atlas) ; en 1784,
Observations sur les nouvelles découvertes aérostatiques
et sur la probabilité de pouvoir diriger les ballons ; en
1787, Z)e la Pesantetir spécifique des corps (in-4°) ; en 1789
et 1800, Éléments ou Principes Physico-Chimiques, à l'u-
sage des écoles centrales (il avait été professeur à l'école
centrale des Quatre-Xations), 4 vol. in-8°; en 1797, Prin-
cipes élémentaires de Vhistoire naturelle et chimique des
substances minérales (in-8°) ; en 1799, Instructions sur les
nouveaux poids et mesures ( in-8°) , et Réduction des me-
sures et poids anciens en mesures et poids nouveaxix, etc.
On doit encore à Brisson une traduction de VHistoire de
l'Électricité de Priesfley. Dufey (de l'Yonne).
BRISSOT, BRISSOTIENS. Ilnes'agit point ici de Bris-
sot de Warville ni des adhérents à ses principes, qui
partagèrent sa proscription. Pierre Brissot était un méde-
cin du Poitou , au seizième siècle. Chaud partisan de Galiea
et d'Hippocrate, adversaire prononcé de la médecine arabe,
alors dominante au sein de l'école , il soutenait que dans
la pleurésie il fallait saigner du côté où est le mal , et non
du côté opposé, comme le prétendait Avicenne. Les expé-
riences qu'il fit pendant les épidémies de 1515 et de 1516 à
Paris obtinrent, dit-on, le plus grand succès; mais il trouva
un adversaire acharné dans Denys, médecin de Charles-
Quint. Les deux sectes se distinguèrent par les noms de
Brissotiens et de Dionysiens ; mais il n'y eut d'autre sang
répandu que celui des malades. Breton.
BRISSOT DE WARVILLE, député à la Convention
nationale, né à Chartres, le 14 janvier 1754, était fils d'un
traiteur. Une vocation naturelle le porta dès ses plus jeunes
ans vers l'étude et la rédexion; il se formait à l'austérité des
vertus républicaines dans la lecture de Plutarque, ce livre
des nobles âmes , qui fit aussi l'enseignement de Jean-Jacques
et de M"»^ Roland; il se préparait à l'étude des langues et à
celle (les sciences, dont elles sont le plus utile instrument;
il rêvait de Croniwell; il subissait l'influence de la philoso-
phie novatrice et radicale par laquelle le dix-huitième siècle
avait préludé aux grands et terribles événements qui de-
vaient marquer sa dernière période. Paris attira bientôt à
lui le jeune étudiant de Chartres. On le destinait au barreau;
il se fit recevoir avocat. Alors se trouvaient jetés de tous
côtés, dans l'obscurité, sans nom, sans avenir probable,
mais avec la soif de la gloire et la haine d'un gouvernement
sans dignité, tous les hommes auxquels la révolution devait
donner un nom , fatal pour quelques-uns , glorieux pour la
plupart. A Chartres, Brissot avait connu Bouvet, membre
de la Constituante, où il avait siégé sans éclat; Sergent, que
les massacres de septembre ont cruellement illustré; Pétion,
qui devait plus tard partager les destinées politiques delà
Gironde. A Paris , il se trouva placé chez le même procu- ,
reur que Robespierre, livré alors à des études de morale et
de législation ; il se lia avec Rlarat , occupé à des travaux
purement scientifiques. Il prévoyait peu sans doute qu'il
aurait un jour à combattre les infâmes attaques du dernier,
et que l'autre l'enverrait à la mort.
Le barreau , avec ses discussions positives et ses intérêts
étroits , offrait peu de charme à son esprit spéculatif; il se
voua aux travaux plus attrayants des lettres. Ses premières
études lui fournirent l'occasion d'écrire sur les lois criminelles;
et son ouvrage , pour être tombé dans l'oubli , n'a peut-être
pas été sans influence surles réformes qu'a subies cette partie
de notre législation. Il embrassa donc la profession d'homme
de lettres : cette profession offrait peu de ressources à un,
homme nouveau , qui la suivait sans fortune et sans esprit
728
«Vinlrigiie. 11 ne tarda point à s'y trouver dans l'abandon ,
et à recueillir le découragement pour prix de ses efforts cons-
ciencieux et désintéressés. D'Alembert l'avait repoussé avec
froideur; Voltaire avait répondu par quelques mots de bien-
veillance à l'envoi de sa Théorie des Lois criminelles; il
s'était trouvé en relation avec Linguet, La Harpe, Palissot,
Marmontel ; il avait mérité les éloges de Servan , Dupaty,
Condorcet et Mirabeau; mais l'avenir ne s'ouvrait point de-
vant lui. Il se sentait mal à l'aise an milieu de cette vieille so-
ciété, dont il provoquait la régénération sans l'espérer encore.
Le besoin d'un air plus libre le poussa hors de France. L'An-
gleterre offrait alors aux esprits agités par des rêves d'indé-
pendance le spectacle d'un gouvernement constitutionnel. La
littérakire de nos voisins était peu connue de nous, leurs
institutions politiques l'étaient moins encore : Brissot voulut
les étudier. 11 se rendit à Londres , y établit une correspon-
dance suivie, et vint travailler à Boulogne au Courrier de
l'Europe. C'est dans cette ville qu'il épousa la fille d'une
digne femme, qui aimait à se prendre à tous les sentiments
généreux , et de qui l'auteur de cette notice , son petit-fils ,
a pu, il y a quelques années encore, recueillir les traditions
de tout ce qu'il y avait de pur, de simple et de vertueux dans
l'homme qu'elle avait choisi pour son gendre.
Brissot revint bientôt en France ; il ne tarda pas à être
dénoncé etenvoyé à la Bastille. C'était le disposer mal à rester
dans sa patrie. La vie lui était lourde; la prison toujours
menaçante, les libellistes déjà ameutés contre lui , le besoin
même, contre lequel son désintéressement ne l'avait pas mis en
garde, tout devait le porter vers une autre existence. Il passe
en Amérique , admire la noble simplicité de Franklin, reçoit
la bienveillante hospitalité de Washington, et s'enthousiasme
des doctrines de Penn et des quakers. Le voilà enfin au milieu
de ces institutions qu'il a toujours aimées, chez un peuple
riche de bien-être et d'indépendance ; il a trouvé une tene d'a-
sile. Maisbientôt le bruitde nos premières agitations politiques
traverse les mers et le rappelle en France , où il doit aussi
mettre la main à l'oeuvre, et porter la cognée dans le vieil arbre
du despotisme.
Il était de ces hommes nouveaux que les révolutions mettent
sur la scène , et il y apportait une partie des qualités que
réclame un pareil rôle : une grande activité d'esprit, une âme
élevée, un patriotisme sincère. Mais, il faut bien le recon-
naître , les embarras de sa position , les orages d'une jeu-
nesse aventureuse, quelques relations mauvaises, contrac-
tées dans ses travaux littéraires , devaient altérer son in-
fluence , et le désignaient d'avance aux poignards de la ca-
lomnie. Ses travaux du Courrier de l'Europe l'avaient
habitué à la guerre des journaux. Il crée Le Patriote fran-
çais, qu'il soutient avec une infatigable persévérance. Il
fonde ainsi, un des premiers, cette presse périodique, appe-
lée à tenir une grande place dans l'histoire des gouverne-
ments, et qui s'éleva à la puissance d'une autorité politique.
Dans cette œuvre , il était aidé par Roland et sa femme , l'un
des plus mules caractères de notre révolution , par Girey-
Dupré et par Mirabeau lui-même.
Au 14 juillet 1789 il était membre du corps municipal de
Paris : ce fut lui, dit-on, qui reçut les clefs de la Bastille,
dans laquelle il avait été enfermé cinq ans auparavant. Enfin,
en 1791 , après onze ballottages successifs, il fut appelé à
l'Assemblée législative comme député de Paris. Ses connais-
sances politiques , son activité , le destinaient à y jouer un
rôle important. 11 y proposa peu delois; mais il était du comité
diplomatique, et il exerça ainsi une grande induence sur les
déterminations relatives à la paix et à la guerre. Il fut aussi
un des plus ardents promoteurs de la liberté des noirs et des
hommes de couleur. Au mois de janvier 1792 il dénonça
les projets de l'Autriche, et proposa d'en exiger une satis-
faction, se plaignant de la conduite des ministres de France,
surtout de celle de M. Delcssart, contre lequel il solHcita un
décret d'accusation. La guerre était résolue hors de France,
BRISSOT DE WAR VILLE
et déjà même presque commencée; il fut du nombre de ceux
qui pensèrent qu'il convenait de la déclarer plutôt que de la
subir , et fit enfin prévaloir cette opinion dans l'assemblée.
Il prononça le 9 juillet un discours véhément contre le roi
de Prusse et contre Louis XVI et sa cour ; il finissait par dire
que frapper les Tuileries , c'était frapper le mal dans sa
racine.
Cependant, depuis longtemps déjà, des divisions avaient
éclaté entre les divers côtés de l'Assemblée. Dès 1791 Bris-
sot s'était trouvé en opposition avec Robespierre au club des
Jacobins. Le 25 juillet 1792 il déclara à la tribune que les
ennemis de la constitution pouvaient être divisés en trois
classes : les rebelles de Coblentz , les partisans des deux
chambres, et les régicides, qui voulaient une république et
un dictateur. Il invitait les législateurs à réprimer égale-
ment ces divers ennemis. Les girondins, ses amis po-
litiques, qui furent aussi, par l'iniluence qu'il exerçait parmi
eux, désignés sous le nom de brissotins , les girondins
voulaient arrêter le char de la révolution , que les monta-
gnards précipitaient en avant. Étaient-ils assez puissants
pour faire faire halte au mouvement populaire? Avaient-ils
cette fermeté de caractère qui peut seule s'interposer entre
les exigences d'une théorie aveugle et les nécessités de l'ordre
et du gouvernement? Il est permis d'en douter; mais il serait
pénible aussi de penser que la révolution ne put se sauver
elle-même qu'avec le régime de sang et de terreur que la
Gironde tenta de prévenir, et dont elle aima mieux être
victime que complice.
Le 10 août renversa le trône, déjà miné de toutes parts,
et l'influence de Brissot s'affaiblit dès ce jour même , quoi-
qu'il eiit quelques amis dans le nouveau ministère , tels
que Roland, Servan, Clavière et Lebrun ; mais tout le pou-
voir était tombé dans les mains de Danton, homme de vio-
lence et d'énergie, incapable de céder à aucun obstacle,
même à la nécessité du crime. Le jugement du roi marqua
plus profondément encore la division des montagnards et
des girondins. Les deux partis s'accusent réciproquement ;
aux jacobins Brissot, Vergniaud, Lanjuinais, repro-
chent de ne vouloir que du sang. La gironde, au contraire,
est accusée de royalisme. Brissot reste encore à la tête du
comité diplomatique. C'est en son nom qu'il provoque la guerre
contre l'Angleterre et la Hollande, dont les préparatifs hos-
tiles annonçaient assez les projets. Mais la force n'était pas
du côté des girondins; ils sont attaqués dans le sein de la
Convention, suspendus le 31 mai, et mis en accusation le
2 juin, en présence d'une insurrection populaire.
C'était leur arrêt de mort. Brissot tenta de s'y soustraire ;
il s'éloigna de Paris. Son projet était de passer en Suisse,
et il faut dire qu'il ne fut pas de ceux qui songèrent à faire
marcher les départements contre la Convention. Il fut ar-
rêté à Moulins , transféré à Paris , et mis en jugement avec
le reste des proscrits, dans les derniers jours d'octobre. La
défense des girondins ne manqua ni de force ni de courage ;
mais était-il de leur dignité de se défendre? Y a-t-il encore
quelque place pour la justice et la raison dans les jugements
révolutionnaires , qui ne sont qu'un mensonge politique ?
Deux partis seulement se présentaient aux accusés : se taire
et dédaigner de prendre part à un débat hypocrite , ou pro-
clamer hautement leur système, leur doctrine, en se por-
tant accusateurs de leurs bourreaux. Mais pourquoi dis-
cuter sur des laits comme des prévenus vulgaires? pourquoi
accepter le rôle d'accusés, invoquer des alibi, justifier les
intentions personnelles? Dans les procès politiques, la barre
de l'accusé est-elle autre chose qu'une tribune ? Après trois
jours d'inutiles débats , la sentence de mort fut prononcée ;
tous les condamnés montèrent sur l'échafaud le 31 octobre
179?.. On rapportesurleurs derniers instants des détails pleins
d'intérêt et de grandeur. Leur mort fut digne de leur vie.
Brissot n'a laissé aucune foitune ; c'est une gloire assez
commune dans ces temps de disintcressement et de pas-
BRISSOT r,E WARVILLE - BRISTOL
729
gions énergiques , mais elle mérite encore d'tHre citée.
Comme écrivain , il a toujours travaillé avec trop de rapi-
dité pour avoir pu donner à ses écrits la profondeur, la
correction et la maturité qui peuvent seules obtenir les
suffrages de la postérité. Sa Théorie des Lois Criminelles
appartient à l'école de Bentham, et a commencé à poser les
bases du système de modération dans les peines, qui a fini
par prévaloir. Il y a quelques pages bien pensées dans son
Traité de la Vérité. Quant à ses écrits politiques, ils ont
été se perdre dans l'oubli où s'engloutissent tant de talents
et de hautes pensées à nos époques de troubles et de dis-
sensions civiles. On a publié il y a quelque temps des
mémoires composés avec ses papiers. Ils ne sont pas sans
intérêt ; mais l'éditeur n'a pas assez songé que des détails
curieux pour une famille souvent offrent peu d'attrait au pu-
blic. Ses mœurs étaient aussi pures que son âme était élevée.
Ami des quakers , il conservait dans son extérieur, sans af-
fectation pourtant, la simplicité que ces sectaires ont adoptée.
Cette notice ne peut être mieux terminée que par un ex-
trait des Mémoires de madame Roland, .oii elle trace le
portrait de Brissot. « Ses manières simples, sa franchise,
sa négligence naturelle , me parurent en parfaite harmonie
avec l'austérité de ses principes. Mais je lui trouvais une
sorte de légèreté d'esprit et de caractère qui ne convenait
pas également bien à la gravité de sa philosophie ; elle m'a
toujours fait peine, et ses ennemis en ont toujours lire parti.
A mesure que je l'ai connu davantage , je l'ai plus estimé.
Il est impossible d'unir un plus entier désintéressement à
un plus grand zèle pour la chose publique, et de s'adonner
au bien avec plus d'oubli de soi-même. Mais ses écrits
sont plus propres que sa personne à l'opérer, parce qu'ils
ont toute l'autorité que donne à des ouvrages la raison , la
justice et les lumières, tandis que sa personne n'en put
prendre aucune, faute de dignité. C'est le meilleur des Im-
mains, bon époux, tendre père, fidèle ami, vertueux ci-
toyen. Sa personne est aussi douce que son caraclère est fa-
cile; confiant jusqu'à l'imprudence, gai, naïf, ingénu comme
on l'est à quinze ans , il était fait pour vivre avec des sages ,
et pour être la dupe des méchants. Savant publiciste , li-
vré dès sa jeunesse à l'étude des rapports sociaux et des
moyens de bonheur pour l'espèce humaine , il juge bien
l'homme, et ne connaît pas du tout les hommes. 11 sait
qu'il existe des vices , mais il ne peut croire vicieux celui
qui lui parle avec un bon visage; et quand il a reconnu
des gens comme tels, il les traite comme des fous qu'on
plaint, sans se défier d'eux. Il ne peut pas haïr; on dirait que
son âme , toute sensible qu'elle soit , n'a point de consis-
tance pour un sentiment aussi vigoureux. Avec beaucoup
de connaissances , il a le travail extrêmement facile , et il
compose un traité comme un autre copie une chanson.
Aussi l'œil exercé discerne-t-il dans ses ouvrages, avec un
fonds excellent , la touche hâtive d'un esprit rapide et sou-
vent léger. Son activité, sa bonhomie, qui ne se refuse à rien
de ce qu'il croit être utile, lui ont donné l'air de se mêler
de tout, et l'ont fait accuser d'intrigues par ceux qui avaient
besoin de l'accuser de quelque chose. Le plaisant intriguant
que l'homme qui ne songe jamais ni à lui ni aux siens, qui
a autant d'incapacité que de répugnance pour s'occuper de
ses intérêts, et qui n'a pas plus de honte de la pauvreté que
de crainte de la mort , regardant l'une et l'autre comme le
salaire accoutumé des vertus publiques. Je l'ai vu consa-
crant tout son temps à la révolution, sans autre but que
de faire triompher la vérité et de concourir au bien général,
rédigeant assidûment son journal , dont il aurait |)u faire
un objet de spéculation , se contentant de la modeste rétri-
bution que lui donnait son associé. » Des souvenirs de fa-
mille, qu'il nous a été permis de recueillir, confirment en
lous jmints ce portrait. Brissot a mérité ce que dit de lui son
collaborateur Girey-Dupré : Il a vécu comme Aristide, il
est mort comme Sidney. Vivien , de l'Icstiiut.
niCT. DE LA CO.WEnS, — T. Jll.
BRISSOTINS. Voyez Brissot de Warville.
BRISTOL, l'une des plus importantes villes de commerce
de l'Angleterre, constitue avec sa banlieue un territoire à
part dans le comté de Somerset. Elle est située dans une belle
vallée et bâtie -presque circulairement sur les flancs d'une
montagne, aux bords de l'Avon et du Froome, dont le lit a
été considérablement élargi, entouré de quais et rendu navi-
gable pour des bâtiments du port de mille tonneaux, à environ
quinze kilomètres de la mer et à deux cents de Londres.
Elle possède un port spacieux pour les bâtiments de long
cours, à la construction duquel on a employé, de 1803
à 1809, plus de 600,000 liv. steri., ainsi que plusieurs fau-
bourgs, mieux bâtis que la vieille ville, qui est fort irrégu-
lière, entre autres le beau faubourg de Cliton, où l'on re-
marque les places de Royal York-Crescent et de Lower
Crescent.
Cette ville, siège d'un évêché, possède un grand nombre
d'égUses etde chapelles, dont les plus remarquables sontla ca-
thédrale, édifice gothique décent huit mètres de long, l'église
de Sainte-Marie Redcliffe, célèbre par l'histoire de l'infor-
tuné Chatterton, et la chapelle du lord-maire, un magni-
fique palais épiscopal, une bourse construite en 1760 dans le
style grec, plusieurs banques particulières , un théâtre que
Garrick déclarait être le meilleur qu'il eût jamais vu,
sous le rapport de ses dimensions, un palais de commerce
orné d'un portique grandiose, où les négociants se réunis-
sent tous les jours de trois à quatre heures, et où l'on trouve
tous les journaux de la Grande-Bretagne, la liste des na-
vires arrivés dans le port ou en partance, et une petite bi-
bliothèque. Parmi les sept ponts unissant entre eux ses dif-
férents quartiers, séparés par les deux rivières qui viennent y
mêler leurs eaux, on doit plus particulièrement mentionner
le pont suspendu jelé sur l'Avon, haut de 70 mètres et large
de 10, sous lequel les navires du plus fort tonnage peuvent
passer toutes voiles déployées. En fait d'édifices publics, il
faut encore citer le palais de justice, le bazar couvert, cons-
truit en JS27 sur l'emplacement du cimetière Saint-Jacques,
et un hôtel de ville aux proportions grandioses, terminé
en 1826.
On trouve à Bristol un hospice pour les aveugles, une
maison de correction pour les filles perverties, un refuge
pour les pauvres, ainsi qu'un grand nombre d'hôpitaux et
d'établissements de bienfaisance. Il y existe aussi une uni-
versité fondée par souscription et ouverte en 1829, un col-
lège , une école de marine et divers autres établissements
d'instruction publique, un iustitut littéraire et une bibliothè-
que de 15,000 volumes. Les nombreuses fabriques de la ville
livrent à la consommation des tapis, des étoffes de laine etde
coton, de la dentelle, des toiles à voile, des savons, des soie-
ries, des chapeaux, des cuirs, des poteries, des aiguilles,
des ustensiles en laiton et en étain, de l'huile de vilriol,
de la térébenthine et des matières colorantes. On y voit aussi
une grande quantité d'affineries de cuivre, de ralïineries de
sucre, de distilleries, de brasseries, de filatures et de savon-
neries. Le voisinage de houillères importantes y a favorisé
la création d'importantes usines pour la fabrication du verre,
de marchandises en fer, en cuivre, en laiton et en plomb, de
la faïence, etc.
Le commerce de Bristol a surtout pour débouciiés l'Ir-
lande et les Indes occidentales, et emploie environ 2,000 na-.
vires , dont 300 appartiennent à son port. Elle exporte
principalement les produits fabriqués dans les villes voi-
sines, et ses importations consistent surtout en tabac, vins,
cafés, sucres, rhums, térébenthines, qu'elle tire de l'Amé-
rique, de la France , de l'Allemagne et de la Russie. EH©
expédie aussi chaque année de nombreux bâtiments à Terre-
Neuve pour la pèche. Le commerce y est encore rendu plus
actif par le chemin de fer de 260 kilomètres de long qui la met
en communication avec Londres, et {«r im autre de 44 ki-
lomètres de long conduisant à Cheltenham , et qu'on doit
92
730
BRISTOL — BRITANNICUS
continuer jusqu'à Birmingliana. La popidation <le Bristol est
aujourd'hui de plus de 150,000 ftiaes. Les eaiix minérales de
Briatol, HolweUs, situées dans une ravissante contrée entre
Bristol et Clifton sur l'Avon , attirent cliaque année un
grand nombre d'étrangers. Les pierres ou diamants de
Bristol , pierres fausses imitant le diamant , qu'on trouve
aux environs de la ville, sont en grand renom.
On appelle canal de Bristol un golfe de l'océan Atlantique
qui pénètre dans les terres entre les côtes méridionales du
pays de Galles et celles de Devon , et entre Ilartlands et
Saint-Gavers-Point, et où vient déverser ses eaux la Se-
vern, dont la large embouchure forme déjà comme un petit
golfe. La marée y atteint une hauteur de 3 à 4 mètres, quel-
quefois nif me , par les grandes eaux , de 5 à 8 mètres , et
permet aux navires de long cours de remonter jusqu'à
BiistoJ.
La tradition veut que Bristol existât des le quatrième siècle
de notre ère, et il en est déjà (ait mention vers Tan 430
corttmc d'une place extrêmement forte. Vers la (in du dou-
zième siècle elle passait pour une ville aussi riclie qu'im-
portante. La fondation de son évôché date du règne de
Henri VIII. Mais sa grande prospérité commerciale ne re-
monte qu'à l'année 1727, époque où des travaux d'art ren-
dirent l'Avon navigable.
Le 28 octobre 1831 une formidable émeute éclata à Bristol
à l'occasion de l'arrivée dans cette ville de sir Ch. Wethe-
rell, qui venait d'y être nommé recorder après avoir ma-
nifesté dans le parlement une opposition haineuse contre
le billdela réforme parlementaire. La populace assaillit l'hôtel
de ville et les prisons, détruisit la maison de correction
(Brïdewell), les bureaux de la douane, le palais épiscopal,
et pilla diverses autres maisons, qu'elle livra ensuite aux
(lammcs. Ce ne fut que le 31 octobre, et après un combat
des plus vifs, que les troupes envoyées sur les lieux purent
rétablir le bon ordre. On porte à cinq cents le nombre des
victimes de ces déplorables scènes, et on évalue à plus de
300,000 livres sterl. les dégâts commis dans cette occasion.
BRISTOL est aussi le nom de divers districts et villes des
États-Unis, entre autres d'un canton de l'État de Bhode-Jsland
avec la ville du même nom pour chef-lieu, un bon port,
une marine importante et 3,500 habitants ; d'un bourg de
1,900 habitants dans l'État de Connecticut; enfin d'un can-
ton de l'État de Massachusetts, de 15 myriamètres carrés
de superficie , avec une population de 64,000 âmes.
BRISURE, synonyme de fracture, se dit particulière-
ment, dans la plupart des arts mécaniques, d'une forme
donnée à une ou plusieurs parties d'un tout en conséquence
de laquelle on peut les séparer, les réunir, les fixer dans
une direction rectiligne, les disposer en angles, en plier les
parties les unes sur les autres, les raccourcir, les éten-
dre, etc.
En teimes de fortification , on nomme brisure de la
courtine une ligne de huit à dix mètres , en prolongement
de la ligne de défense qui sert à former ce qu'on appelle le
jianc couvert.
En termes de blason, la brisure est une altération de la
simplicité et intégrité de l'écu, par l'introduction de certaines
I>ièces ou figures qui servent à la distinguer des armes pleines
d'un aîné ou d'un descendant légitime, et <]u\ sont propres
à celles des cadets ou des bâtards d'une famille. Tels sont
hlanibel, la bordure, h filière, V engrêlurc,\Q
bâton péri et \e filet en bande ou en barre (dans ce
dernier cas marque de bâtardise). La brisure passe à toute
la postérité, et ne cesse que lorsque le droit ouvert de suc-
cession a rendu le plus proche de la race habile à hériter
du titre d'aînesse et des pleines armes.
BRIÏA^JiM A ( Pont ). Ce pont tubuiaire jeté entre l' A n -
gleterre et l'Ile d'Anglesey, sur le goll'edc Conway et le
canal de Menai , est assurément un des travaux les plus ad-
mirables qui aient jamais été exécutés. Il consiste en un
tunnel de fer assez solide pour permettre le passage des con-
vois de chemin de fer. Les deux ingénieurs Fairbairn et
Stephenson se disputent la gloire de l'invention de ce pro-
jet gigantesque. Fairbairn paraît en avoir conçu la pre-
mière idée ; mais c'est à Stephenson qu'appartient incon-
testablement le mérite de l'avoir développée et mise à exé-
cution. Le tunnel proprement dit est fait de plaques de
fer rivées ensemble et formant une longue caisse dont la
coupe transversale est un rectangle. Le pont ne reçoit la
solidité nécessaire que de tubes de fer carrés, solidement as-
sujettis dans le sens de leur longueur dessus et dessous, au
nombre de huit en haut et de six en bas. Des essais répétés
avec un modèle de près de 31 mètres ayant réussi, on se
mit à l'œuvre, en 1847, et un pont de 121'",84 de long,
sur 4™, 14 de large et ""',31 de hauteur fut jeté d'abord sur
le golfe de Conway. A 31 mètres environ de son emplace-
ment, ce pont fut assemblé sur des pilotis, d'où on l'enleva
à la marée montante au moyen de pontons pour le mettre
en place le G mars 1848. Deux presses hydrauliques mues
par la vapeur l'ajustèrent sur les culées. Le pont du canal
de Menai, construit de la même manière, fut achevé en
1850. Il a 454'",75 de long, et repose, outre les deux cu-
lées, sur trois piles, dont celle du milieu est.construite sur le
rocher Britannia dans le canal. Les deux sections moyennes
ont chacune 143'",85.
BRITANNIA (Métal), alliage fort employé dans la
fabrique anglaise, de couleur blanche, semblable à l'argent,
et composé de parties égales de laiton, d'étain, d'antimoine
et de bismuth, qu'on fait fondre ensemble et auxquelles on
ajoute assez d'étain pour que l'alliage prenne la dureté et la
couleur convenables. On emploie le britannia à faire des
théières, des pots au lait, etc.
BRÎTANNICUS ( Clxudius-Tiberius), né l'an de Bome
794, et de J.-C. 42, de l'empereur Claude et de Messa-
line, reçut, comme son père, le surnom de Britannique ,
dont le sénat avait salué ce dernier au retour d'une expé-
dition dans la Bretagne, où une fois il avait fait preuve
de quelque courage, ("ils de l'imbécile Claude et de l'im-
pudique Messaline , ce uiallieureux prince paraissait réservé
par le sort à être lié, tant par le sang que par les alliances, à ce
que la cour enfermait de plus honteux et de plus exécrable.
Messaline ayant été massaciée par un tribun dans les jardins
de LucuUus, par l'ordre surpris à Claude »!t par les soins
empressés de Narcisse , le seul héritier de l'illustre famille
Claudia, à laquelle Rome devait trois empereurs, passa sous
la tutelle d'une belle-mère digne en tout point du lit qu'elle
venait d'occuper et de celle qu'elle y remplaçait, sous la
tutelle enfin d'Agrippine, mère de Néron. Cette femme,
violente et artificieuse , se hâta, par mille moyens, de fra\er
à son fils une route à l'empire, dont elle convoitait sa part;
elle l'entouraitd'égards, de dignités et d'une garde d'honneur,
l'ayant proclamé ;jri?!ce de la jeunesse, tandis qu'elle lais-
sait dans l'ombre, le caressant en apparence, le jeune Bri-
tannicus. Toutefois, la tendresse de Claude pour cet enfant,
né pendant son règne , circonstance réputée heureuse pour
lui et le peuple romain , offusquait la veuve de Domitius ;
il rélevait dans ses bras , le montrait a^ix soldats dans la
Champ-de-Mars et aux citoyens dans le Cirque; dans son
palais, il le tenait souvent sur ses genoux; enfin, lors(pi'il
eut atteint l'âge de treize ans, il voulut qu'il fût revêtu d«
la robe virile « pour que Bome, disait-il, eût cette fois
un vrai César. » Cependant, par une de ces inconsé(iucnces
qui signalaient chacune de ses actions, il avait adopté, dès
l'âge de sept ans, L. Domitius, l'ambitieuse espérance d'A-
grippine. La présomption à l'empire était déjà si forte dans
ce (ils adoplif, qu'étant encore enfant, lui et sa mère suppor-
taient impatiemment la familiarité de Britannicus, l'appelant
de .son surnom de famille, .Enobarbus {Barbe de Cuivre).,
Agrippine s'en plaignit amèrement à son faible époux, reje-
tant néanmoins toute la faute sur les instituteurs du jeune
BRITANNICUS —
prince : l'exil ou la mort furent le résultat de ces condo- i
iéances préparées à loisir. |
Claude étant mort empoisonné par des champignons que
le fils d'Agrippine, par une horrible arrière-pensée, appela
toujours depuis le mets des dieux, L. Domitius, sous le
nom de Néron, devint César. Déjà trop à l'étroit sur un
trône qu'il devait à sa mère et qu'elle partageait avec lui , il
méditait en silence un second parricide. Quoi qu'il en soit,
souvent les noms de Claude et de Britannicus et le mot de
poison étaient violemment échangés entre le fils et la mère,
et au milieu de leurs divisions cette dernière menaçait l'em-
pereur qu'elle s'était fait, de lever le voile qui cachait à demi
aux Romains leurs communs forfaits et de remettre l'empire
au frière d'Octavie. Ces menaces faisaient une impression
profonde sur Néron, qui dissimulait. Entre temps, arrivè-
rent les Saturnales : dans une orgie qui eut lieu au palais
même des Césars, Britannicus , qui touchait à sa quatorzième
année, taisait partie du festin, dont la royauté était échue à
Néron. Au milieu même de la joie expansive d'une pareille
fôte, la jeunesse, le noble sang du fils de Claude remuèrent
vaguement les poisons de l'envie dans l'âme du nouvel em-
pereur. Pour l'humilier aux yeux des jeunes seigneurs de
son âge , il lui commanda de chanter, croyant embarrasser
sa timidité naturelle , et en faire la risée des convives. Il en
fut autrement : Britannicus se leva d'un air d'assurance , et
déclama, d'une voix émue, des vers d'Ennius , parmi lesquels
se trouvait cette exclamation :
O paler! ô patria! ô Prianii domus!
O mon père / 6 patrie! 0 palais de Priam .'..,
Cette allusion à ses infortunes, à son héritage ravi, toucha
jusqu'aux larmes des convives chez lesquels le vin et le
génie de la fête bannissaient toute dissimulation. Dès lors
un amer ressentiment s'attacha au cc&ur de Néron ; dès lors
il jura la mort du frère d'Octavie. Que fit-il? il ordonna de
suspendre le supplice d'une célèbre empoisonneuse, nommée
Locuste, que Julius Pollion, tribun d'une coiiorte préto-
rienne , tenait sous sa garde , et par l'entremise de ce der-
nier il se procura un poison qui devait être des plus actifs;
il fut servi par ses gouverneurs mômes au confiant Britanni-
cus : de violentes coliques furent les seuls effets qu'il pro-
duisit. Néron , trompé dans son attente , faillit punir de mort
le malentendu du tribun, et rendre Locuste au dernier sup-
plice ; mais sa prudente colère se ravisa. Il fit venir l'empoi-
sonneuse jusque dans le palais d'Auguste ; là il ne rougit
IJoint de l'accabler lui-même de coups, lui reprochant sa
trahison ou son incapacité ; et comme elle s'excusait sur le
dessein qu'elle avait eu de cacher un si grand crime ;
« Crois-tu, lui répartit Néron, que je craigne la loi Julia? »
C'était une loi portée contre les empoisonneurs et les parri-
cides, n Répare ton erreur, ajouta-t-il, fabrique-moi un poi-
son prompt comme le fer! »
Dans les appartements mêmes de Néron , sous ses yeux ,
fut élaboré le fatal breuvage; on l'essaya sur un chevreau
qu'on avait fait venir : il n'expira qu'au bout de cinq heures.
Locuste , toute tremblante de sou demi-succès, combina au-
trement ses substances délétères : la combinaison lui parut
efficace. Un marcassin fut amené; on la lui fit avaler : il
tomba mort comme frappé de la foudre. A cette vue les
yeux de Néron laissèrent percer sa joie. On porta la coupe
empoisonnée à l'heure du festin dans la salle du triclinium.
A une table séparée, placée vis-à-vis celle de l'empereur,
était assis Britannicus, avec la jeune noblesse de Rome.
Comme tous ses mets et sa boisson étaient d'avance goûtés
par un esclave , et qu'on ne voulait ni omettre cette cou-
tume, ni dévoiler le crime par la mort de tous deux, un moyen
fut imaginé; on présenta à Britannicus, après l'épreuve, un
breuvage non encore empoisonné, mais si chaud qu'il fallut
Je renvoyer : ce fut dans l'eau froide qu'on y ajouta que le
poison avait été versé. A peine Britannicus eut-il vidé la
BRITANNIQUE 731
coupe, que tous ses membres furent agités d'horribles con-
vulsions, et qu'il perdit tout d'im coup la voix et la vie.
Les plus jeunes de ses compagnons d'enfance se jettent sur
lui et l'embrassent : « Les imprudents prirent la fuite, dit
le profond historien ùç.% Annales ; mwK les plus pénétrants
restèrent impassibles à leur place , les regards attachés sur
Néron, qu'ils observaient silencieusement. » Lui, sans changer
de visage, négligemment penché sur son lit : « C'est un
accès d'épilepsie, dit-il, auquel il est sujet ; qu'on l'emporte ! »
Après un court et affreux silence, la joie recommença, et,
couronné de roses, Néron fit circuler la coupe du festin. La
terreur et les prévisions d'Agrippine passèrent, malgré elle,
sur son visage, qu'elle s'efforçait de contraindre, et Octavie,
frappée de stupeur, resta immobile et muette. Cependant ,
quelques écrivains ont avancé qu'Agrippine n'était point
étrangère à cet emi>oisonnement.
Cette même nuit, pendant que l'hymne des festins faisait
retentir le palais de Néron , le bûcher de Britannicus se dres-
sait dans le Champ-de-Mars , car il était encore assis à la
table des convives qu'on préparait déjà ses funérailles. Le
corps de cet infortuné rejeton de la maison Claudia , auquel
sa sœur Octavie ne put dire un dernier adieu , l'adieu des
morts, fut emporté sans pompe. Par ordre de Néron, on
avait plâtré son visage : il fut placé en cet état sur le bûcher.
Avant que les torches y missent le feu, une pluie mêlée
de tonnerres effroyables , que le peuple attribua au courroux
des dieux, tomba par torrents, et emportant ce fard, ce
masque du crime , sous lequel le poison avait déjà consommé
ses ravages, montra à la lueur des éclairs, écrit sur sa face
toute noire, le forfait de Néron. Du reste, il paraît que ce
jeune prince annonçait déjà la faiblesse d'esprit de son père,
le seul héritage auquel il lui fût permis d'aspirer. Mais la
dernière goutte du sang de l'illustre maison de Claudia,
tarie par sa mort, mais sa jeunesse, mais ses malheurs et
sa faiblesse même, ne laissèrent pas que de jeter un deuil
véritable dans la ville de Rome. Néron feignit aussi d'y pren-
dre part. Il s'excusait du convoi nocturne et précipité de son
malheureux beau-frère sur la douleur qu'eût ressentie le
peuple romain à l'aspect d'une pompe funèbre plus longue
et plus solennelle. « Les anciens , disait-il avec attendrisse-
ment, jetaient un voile sur les corps de ceux qui avaient été
moissonnés dans la fleur de leurs années, pour les dérober
aux regards. » En même temps il dotait, en récompense de
ses services, l'empoisonneuse Locuste de terres considé-
rables. Il lui donna, comme aux vestales, un collège. Là, elle
formait des disciples qui pussent perpétuer son art sUencieu-
sement homicide.
Ce fut l'an 808 de la fondation de Rome, et l'an 65 de
J.-C.,quemourutle frère d'Octavie. Britannicus ne fut point,
malgré son jeune âge, si tôt oublié dans Rome. Titus, son
ami d'enfance, qui au fatal festin goûta après lui de la
coupe empoisonnée, lui fit élever deux statues, une d'or,
qu'il garda dans l'intérieur de son palais, et une d'ivoire,
qui , selon l'usage des pompes romaines , était portée dans
les fêtes publiques, avec les images des dieux et des
héros. Il nous est parvenu des médailles de Britannicus ,
dont la tête offre encore les traits de la plus tendre jeu-
nesse.
Racine a composé sur la mort de Britannicus une tragédie,
où il y a des scènes admirables et le type d'un caractère qui
ne peut être surpassé, celui d'Agrippine. Cependant, peut-
être n'a-t-il pas th-é de ce sujet toutes les ressources tragiques
et tous les effets dont il était susceptible. Tacite, selon nous,
est resté plus dramatique que le poète. Denne-Baron.
BRITANNIQUE ( Empire ). On désigne sous ce nom
l'ensemble des États soumis au sceptre de la Grande-
Bretagne dans les différentes parties du monde. L'em-
pire romain , l'empire de Charles-Quint, si vaste, que le so-
leil, comme il le disait lui-môme, ne se couchait jamais sur
ses États, étaient peut-être aussi étendus que l'empire Dii-
92.
732 BRITANNIQUE —
tannique, mais n'ont jamais approché de sa puissance et de
sa richesse. 11 se compose :
1° En Europe, de la Grande-Bretagne, qui comprend elle-
même l'Angleterre, le pays de Galles, l'Ecosse avec
ses lies, celles de Jersey, Guernesey, Man, etc.; de
l'Irlande, de Gibraltar, Malte, Gozzo,Helgoland,
avec une population totale de 27,151,935 habitants. Il con-
viendrait peut-être d'y joindre les lies Ioniennes, sur les-
quelles le gouvernement britannique étend un protectorat
qui n'est qu'une souveraineté déguisée.
2° En Afrique, le cap de Bonne-Espérance, Sierra
Leone,laGambie,rileMaurice,Cape-Coast-Castle,
KS forts danois de la Côte- d'Or, achetés en 1850, Accra,
Sainte-Hélène, l'Ascension et les Seychelles
avec une population de 383,318 habitants.
3° En Asie,Ceylan, Hong-Kong en Chine, l'île de
Labuan, plus les vastes possessions de la compagnie des
Indes-Orientales, qui s'accroissent tous les jours, et
qui, en y comprenant les pays soumis à sa protection, ren-
ferment 134,360,071 habitants.
4° En Amérique, le Canada, le Nouveau-Bruns-
wick, la Nouvel le- Ecosse ou Acadie, le Cap Bre-
ton, l'île du Prince-Edouard, Terre-Neuve, la baie
d'Hudson avec les terres Arctiques, l'Orégon avec l'île
de Vancouver, Antigoa, les Bar b ad es, la Domi-
nique, la Grenade, la Jamaïque, Mon tserrat. Ne-
vis, Saint-Christophe, Sainte-Lucie, Saint-Vin-
cent, ïabago, Tortola, Anguilla,la Trinité, les îles
Bahama, les Bermudes, la Guy ane et Honduras,
avec une population totale de 3,022,0:54 habitants.
5" Dans les terres australes , la Nouvel le- G al les du
Sud, la Terre de Van Diémen, la Nouvelle-Zé-
lande, l'Australie occidentale, méridionale et septen-
trionale, les îles Auckland. La population de ces colonies
dépasse un million d'àmes. Il laut y joindre encore les îles
I-alkland ou Maloumes, situées à l'extrémité de l'Amé-
rique méridionale.
On peut voir par ce simple tableau qu'aucune puissance ,
excepté la Chine peut-être, n'atteint le chiffre énorme de la
population que renferme l'empire Britannique. Sans la di-
versité de mœurs , de lois et de races existant parmi cette
masse d'hommes, d'ailleurs si disséminée, le monde ne pour-
rait lui opposer de contre-poids.
BRITANiVIQUES (Iles). On appelle ainsi nn groupe
d'iles situées dans l'océan Atlantique , entre les 50 et 60° 52'
de latitude nord et les 10° 30' et 12" 40' de longitude ouest ,
et qui comprend celles de la Grande-Bretagne, d'Irlande,
des Hébrides, des Orcades, de Shetland, de Man,
d'Anglesey, de Wight, des Sorlingues, etc., dont se
compose le royaume uni de la Grande-Bretagne.
BRITISH MUSEUM , nom d'un des plus vastes édi-
fices de Londres et des plus riclies en collections d'objets
d'arts et de sciences. Sir Hans Sloane, mort en 1753, ayant
laissé par testament sa collection d'histoire naturelle et sa bi-
bliothèque de 50,000 volumes, riche en manuscrits précieux,
à la ville de Londres, moyennant une somme de 20,000 livres,
à répartir entre ses héritiers , le parlement vota la somme,
et le comte d'Halifax acheta, au prix de 10,250 livres , l'an-
cien palais du duc de Montagne dans Great-Russell-Street
pour y déposer les collections de Sloane. Telle fut l'origine
i^yx Brltish Muséum, qui s'accrut rapidement par achats,
donations, etc. Sa première acquisition fut celle des manus-
crits de Harley ; il s'enrichit ensuite de la bibliothèque de
Cotton, puis, en 1801, des monuments égyptiens d'Alexan-
drie ; la môme année, des marbres d'Elgin; en 1805, de
Ja collection de Towuley; en 1823, de la bibliothèque de
Georges 111; mais c'est surtout depuis 1845 que Fellow et
Layard ont accru ses richesses, le premier des monuments
lycions , le second des marbres d'IIalicarnasse et des anti-
quités assyriennes. Cet agrandissement rapide a nécessité
BRITISH MUSEUM
de nouvelles constructions. En 1807 on ajouta une galerie a
l'ancien bâtiment; en 1828 on construisit une aile sur le
côté oriental : on fit aussi quelques changements aux côtés
nord et ouest. On va reconstruire enfin le côté sud d'après
le plan de Smirkc , en sorte qu'il ne restera plus rien de
l'édifice primitif, construit dans le style Louis XIV.
Le British Muséum, dont la façade principale, donnant sur
Russell-Street,estornéedecolonnes,a'estpas à tout prendre
un bel édifice. Les manuscrits, les livres et les collections ar-
chéologiques occupent le rez-de-chaussée. Les manuscrits,
dont on portait le nombre en 1848 à trente et un mille,
sont placés à droite dans l'aile orientale. Un catalogue sys-
tématique en a été dressé en partie par les soins de J. For-
shall et de l'orientaliste Rosen sous le titre : Çatalogiis co-
dicum manuscriptorum orientalium qui in British
Muséum asservantur (part. 1 et 2, Lond., 1838.-1846); il
ne comprend encore que les manuscrits syriens, karchou-
niens, et une partie des manuscrits arabes. Les manuscrits
de Burney ont été également catalogués dans le Catalogus
qf manuscripts in tlie British Muséum : New séries
(Lontl., 1834-40). Après les manuscrits vientla Bibliothèque,
composée de bibliothèques particulières, et riche en 1851
de 400,000 volumes (Consultez Panizzi, Bristish Muséum.
A short guide to that portion of the library of printed
books now open to the public [Londres, 1851]). On y re-
marque surtout le fonds de Gren\ille (20,240 volumes),
le fonds de Georges III (80,000 volumes), et celui de Jo-
seph Banks ( 16,000 volumes). On travaille à un catalogue
général systématique. Les anciens catalogues n'embrassunt
que certaines parties, comme Catalogus bibliothecx Musei
Britannici (7 vol., Londres, 1813); — Catalogue o/prints,
drawings, etc., attachedto the library of King George II f
(Londj-es, 1829) ; — List of additions made to the collec-
tions in the British Muséum in the years 1S31-I840
(Londres, 1833-1843); —Panizzi, catalogue of printed
books in the British Muséum (vol. I, Londres, 1841).
A l'extrémité orientale et dans une partie du corps de
bâtiment du nord se trouvent deux grandes salles de lecture.
Les collections d'objets d'arts remplissent le rez-de-chaussée
de l'aile gauche occidentale. Les parties les plus importantes
en sont décrites dans Ancient Marbles ofthe British Mu-
séum, par Taylor Combe (8 vol., Londres, 1812 et suiv. ),
et dans Description of the collections of Ancient Terra'
rotta in the British Museian {Londres , 1818). Parmiles
monuments de l'art grec, placés dans les deux sa'les exté-
rieures , se distinguent les marbres d'Elgin , les monuments
de Lycie, du style le plus pur et le plus noble. Les salles in-
térieures contiennent la galerie de Townley à l'ouest, et les
antiquités égyptiennes , dont la plupart ont été enlevées aux
Français par Nelson. On remarque, entre autres, la célèbre
inscription de Rosette et le papyrus de Sallier. Consultez
Select j)apyrus in the hieratic character from the collec-
tions of the British Muséum (Londres, 1342). A côté de
la salle égyptienne sont les bronzes, les terres cuites , les
médailles antiques, orientales et modernes, provenant des
collections de Sloane, Cotton, Georges IV, Cracherode,
ICnight, lady Banks, Marsden. Les antiquités assyriennes
ne sont pas encore classées.
Les collections d'histoire naturelle occupent les étages su-
périeurs ; la zoologie , cinq salles ; la minéralogie , classée
d'après Berzélius , soixante armoires ; les fossiles ne sont pas
mis en ordre. Dans l'année 1847-1848 , les recettes du Mu-
sée se sont élevées à 53,999 liv. st. 18 schell.; les dépenses
à 49,845 liv. 2 sch., dont 21,041 liv. 10 sch.pour l'adminis-
tration, 18,707 Uv. 3 £ch. pour acquisitions nouvelles,
6,514 liv. 7 sch. pour travaux de reliure, etc. Le nombre
des visiteurs, de 517,440 en 1842-1843, s'est élevé à 897,985
en 1847-1848. Le public est admis les lundis, mercredis et J
vendredis de dix à quatre heures en hiver, de dix à sept en été. ^
Les étudiants ont accès dans les salles tous les jours de neuf à
I
BRITISH MUSEUM — BROC
733
I
quatre heures. Le musée est fermé du 1*' au 7 janvier, du
1^'' au 7 mai et du l*^"" au 7 septembre, ainsi que les jours
de fête. Consultez, outre les ouvrages cités, Syiiopsis ofthe
Britisli Muséum (Londres, 1827, 44° édit., 1844).
BRITOMARTIS , belle nymphe de Crète, fille de Ju-
piter et de Charmis, passionnée pour la chasse, fut, selon
Pausanias et Diodore de Sicile , l'inventrice des filets , et en
reçut le surnom de Dïctynne (de Sîxt-j, filet). Plusieurs au-
teurs l'ont confondue à tort avec Diane, qui, selon d'autres,
la fit mettre, après sa mort, au rang des divinités, sous le
nom à^Aphea, et lui fit ériger des temples par les Éginètes
et les Cretois. Quelques historiens ont prétendu aussi que le
surnom de Didynne lui vient de ce qu'elle se cacha dans
des filets de pêcheur pour "se soustraire aux poursuites de
Minos, épris de sa beauté. Diodore de Sicile réfute cette
opinion, qu'il qualifie d'erreur grossière, une déesse, fille du
plus grand des dieux, n'ayant besoin d'aucun secours hu-
main pour défendre sa pudeur , et rien dailleurs n'étant plus
contraire à la réputation de sagesse et de justice dont jouit
Minos que de lui imputer un dessein aussi impie. Brito-
martis, du reste, signifiait en langue crête, une vierge
douce, humaine, et Diodore ajoute que les Cretois adoraient
en elle la déesse des alliances.
BRIVES, ou BRIVES-LA- GAILLARDE, viUe du dé-
partement de la Corrèze, chef-lieu d'arrondissement, si-
tuée sur la rive gauche de la Corrèze, à 20 kilomètres de
Tulle, avec une population de 8,332 habitants. Elle possède
un tribunal de commerce, un collège, une petite biblio-
thèque de 3,000 volumes, une imprimerie, des filatures de
coton, des blanchisseries de cire; on y fabrique des lai-
nages et de la bougie. 11 s'y fait un commerce actif de truffes
et de dindes truffées , de marrons, de vins du pays, d'huile
de noix , de bestiaux et de laines.
BRIZARD (Jean-Baptiste BPJTARD, dit), né à
Orléans, le 7 avril 1721 , mort à Paris, le 30 janvier 1791 ,
avait obtenu quelques succès dans la peinture , qu'il avait
étudiée sous Carie van Loo, lorsque le goût du théâtre le
jeta des troupes d'amateurs , où il s'était d'abord exercé ,
sur la scène du Théâtre-Français , oii il débuta le 30 juillet
1757 dans l'emploi des pères nobles et des rois, et où il
remplaça le fameux Sarrasin. Il avait reçu de la nature
toutes les qualités physiques et intellectuelles désirables
pour conserver aux personnages qu'il représentait la dignité
avec laquelle nos auteurs classiques , et principalement le
grand Corneille, les ont traduits sur la scène. Un avantage
qu'il devait moins à l'âge qu'à un accident où il faillit perdre
la vie, avait ajouté encore au prestige de son talent. En voya-
geant sur le Rhône, la petite barque qu'il montait ayant
chaviré, il se saisit d'un anneau de fer des piles d'un pont,
et y resta suspendu jusqu'à ce qu'on vînt le secourir; mais
son angoisse en ce suprême danger fut telle, que ses cheveux
en blanchirent. Ce changement fut, du reste, très-favorable
à son emploi, et quelques critiques ont répété qu'il devait
une partie de ses succès à ses cheveux. La Harpe, qui lui
attribua la chute de sa tragédie des Brames, fut le plus in-
juste de tous ; et il faudrait bien se garder de juger l'ailiste
d'après l'opinion intéressée de l'auteur. Les contemporains
de Brizard lui ont rendu plus de justice : tous ont reconnu
en lui une énergique sensibilité, propre à rendre les passions
de la tragédie, et à les lui faire deviner presque sans le se-
cours de l'étude et de la méditation. Aussi , dispensé de
préparer d'avance ses effets, et d'étudier le ton et l'accent
à donner à ses rôles, n'avait-il besoin que de sa mémoire
hors du théâtre et de son âme sur la scène ; son débit était
une sorte d'inspiration. Toujours noble dans le pathétique,
ce qui est bien plus difficile qu'on ne l'imagine, l'expression
des plus grandes douleurs n'altérait jamais sa physionomie
que pour la rendre plus intéressante, et il déchirait le cœur
sans jamais déplaire aux yeux.
Pendant les vingt-neuf années qu'il resta au théâtre, il
créa plus de vingt rôles dans les tragédies nouvelles, et en
remplit un grand nombre dans des comédies et des drames
anciens ; mais son plus beau triomphe fut le personnage
du roi Lear dans la tragédie de Ducis, qui a consacré une
épitapheà son digne interprète, mort dans la retraite en 1791,
et dont on voyait le tombeau au Musée des monuments
français. Ajoutons un trait à la louange de Brizard : c'est
qu'il ne fut pas moins estimé dans le monde pour ses qualités
personnelles qu'aimé au théâtre pour son talent.
BRIZE , genre de la famille des graminées , connu par
l'élégance de son port, et qui se rencontre dans les pâturages
secs et calcahes, où il procure aux chèvres et aux moutons
un fourrage assez recherché par ces animaux. Il paraît que
les anciens l'employaient aussi dans l'économie domestique,
car Galien attribue au pain fait avec les semences de cette
graminée une propriété narcotique à laquelle sans doute elle
a dû son nom , tiré du verbe grec êp(ÇEiv, qui signifie assoupir.
BRIZEUX ( A. ), poète contemporain, fut longtemps
connu sous le seul vocable de l'auteur de Marie. C'est un
des caractères distinclifs du génie de M. Brizeui , d'avoir
toujours recherché, dans sa vie privée commedans ses écrits,
les voiles , l'ombre et le mystère. Dans ces temps-ci, où
chacun a si grand'soif des regards de la foule, du fracas des
bravos et de l'éclat des auréoles , ce fut à jieine si, après
dix ans de gloire anonyme, il permit à son éditeur d'écrire
son nom sur la couverture de ses li^Tcs. Et s'il y consentit,
c'est qu'il savait bien qu'en le faisant, l'éditeur n'apprenait
plus rien au public. Tous ceux qui lisent les vers savaient
son nom lorsqu'il parut imprimé. Il avait en effet déjà semé
en avant sur sa route , dès 1828, avec Busoni, Racine, co-
médie en un acte et en vers; en 1836, quelques lignes bre-
tonnes intitulées : Barzonek pé Kanaouen ar Vretonad , et
le poème de Marie, dont la troisième édition panit en 1840,
et qu'il publia sous le titre modeste de roman.
Ce poème se compose d'une suite de morceaux détachés ,
n'ayant d'autre liaison entre eux que les impressions gé-
nérales de l'auteur au moment où il les composait : un
même sentiment général, toujours exquis, du calme et du
recueillement que lui inspire sa chère Bretagne. Ce poème
lui fit d'un seul coup toute la réputation dont il jouit. Du
reste, cette composition n'avait pas absorbé tous les instants
de INI. Brizeux ; il travaillait en outre à un grand poème sur
la Bretagne : il avait aussi voyagé en Italie et préparé sa tra-
duction de là Divine Comédie, qu'il pubUa plus tard.
En 1841 il donna les Ternaires; ce fut encore un succès.
Dans les Ternaires, livre lyrique, composé, comme Marie,
de pièces détachées , l'auteur essaya un rhythme nouveau,
quoi qa'en aient pu dire quelques détracteurs, ou, s'il n'était
pas nouveau, tellement oublié au moment de sa résurrection,
qu'il lui doit une vie nouvelle. M. Brizeux, qui avait pro-
fessé vers 1832 un cours de littérature à l'Athénée de
Marseille, a travaillé à la Revue des Deux Mondes , et la
plupart des pièces de vers qu'il y a publiées ont été réim-
primées dans ses œuvres. Enfin, les Derniers Bretons, ce
grand poème qu'il avait fait si longtemps attendre, et dont il
avait donné des extraits dans cette revue, a été publié der-
nièrement, et, chose extraordinaire pour un ouvr;ige défloré
dans les recueils et trop vanté peut-être par ses amis, il à
obtenu un succès plus complet encore que celui qu'on lui
avait prédit.
BRIZO. Les Grecs habitants de l'île de Délos honoraient
sous ce nom , dérivé du verbe ppîijsiv, la déesse des songes,
ou plutôt des prédictions qui se faisaient par les songes, et
ils avaient fait de cette divination un art particulier, sous le
nom de Brizomancie.
BROC, vase à anse fait ordinairement de bois, en forme
de |)oire, garni de cercles de fer et avec un bec évasé, qui
sert surtout à distribuer et à vendre le \in. Il y avait autre-
fois chez les princes et dans les maisons des riches des brocs
d'arrrent destinés au premier de ces usages. Le broc ser-
734 BROC —
vait aussi démesure, et sa valeur variait suivant les localités;
c'était ce qu'on appelait à Paris la quarte, et ailleurs le j9o^ ;
le broc contenait généralement environ deux pintes de Paris.
BROCANTEUR. Ce nom, presque toujours pris en
mauvaise part, sert à désigner certains marchands d'objets
d'artsetde curiosité, dont la valeur réelle est quelquefois très-
minime, tandis que la valeur fictive en est portée à un taux
excessif, qui varie encore suivant les circonstances et le
caprice des amateurs. Cette variation extrême dans le prix
des objets que vend un brocanteur lui donne les moyens de
faire des bénéfices considérables en échangeant des objets
de nature bien différente, telle qu'une tabatière contre une
pierre gravée antique, un tableau moderne contre une paire
de pistolets ou une paire de bracelets. Le brocanteur seul
est apte à apprécier avec justesse des objets de nature aussi
variée, tandis que l'acquéreur ne sait donner une exacte éva-
luation qu'à celui vers lequel son goût le pousse. L'habitude
aussi de faire des opérations hasardeuses met le brocanteur
dans la nécessité de tenter de gros bénéfices; et quelquefois
la cupidité l'amène à se servir pour cela de moyens peu dé-
licats. Le commerce de tableaux a quelquefois pour inter-
médiaires des peintres,et plusieurs l'ont fait honorablement ;
mais souvent aussi, les tableaux passant par les mains des
brocanteurs , il n'est sorte de supercherie et de fraude
dont on n'ait le droit de se méfier. On en a vu faire avec
adresse des copies d'un tableau de mérite, les placer dans
d'anciennes bordures, et les offrir ainsi à la curiosité comme
des originaux de Téniers ou de tel autre maître.
BROCARD, sorte de moquerie plus acérée que la rail-
lerie, et qui participe de l'injure et de la bouffonnerie.
Souvent douce, la raillerie n'attaque d'ordinaire que de lé-
gères imperfections de l'esprit et des manières ; le brocard,
toujours amer, poignant, entame jusqu'à l'honneur. En po-
litique, où il enflamme les passions populaires, il assassine.
En littérature, si plus d'un écrivain usa de cette arme contre
ses rivaux, les victimes , heureusement , ne rencontrèrent
que des rieurs et non des juges : Cotin et Pradon mou-
rurent dans leur lit. Néanmoins, lancé par une main habile,
le brocard blesse mortellement et fait expirer jusqu'à la re-
nommée la mieux accréditée; Chapelain l'éprouva : long-
temps roi du Parnasse, lui, qui distribuait les réputations,
perdit la sienne, immolée par les brocards de Boileau. Pom-
pignan, harcelé par les si, les quoi, les car, qui pleuvaient
sur lui de tous côtés, courut se cacher, en disant :
Je d'j puis plus tenir , de brocards on m'assomme.
Malgré Richelet, qui prétend que le mot brocard est rude
et sonne mal dans le beau style, il a conservé tous ses droits
dans le langage, mais non dans notre société nouvelle, où sa
puissance a beaucoup déchu; c'est que, dans nos gouver-
nements nouveaux, les petits défauts de l'individu s'anéan-
tissent dans la lutte dus intérêts généraux. Alors on ca-
lomnie, on déchire, on perce son ennemi, et, si l'on (ouille
dans la vie privée, c'est pour en tirer moins des ridicules
que des accusations. .Aus-vi le brocard ne règne-t-il plus que
dans certaines localités de province , où le désœuviement
l'alimente. C'est là que dans un couplet il stigmatise la gau-
cherie ou désole la vanité. Dans les grandes villes il s'est
réfugié dans les petits journaux, parce que la bouffonnerie y
tient la place du raisonnement; encore à peine égaye-t-il
plus d'un jour la malignité. SAiNX-Pitosi'En jeune.
On qualifiait autrefois de brocards de droit les éléments
ou les premières maximes de droit : tels sont ceux d'Azo,
intitulés Brocardia Juris. Vossius dérive ce mot du grec
protarchia ( premiers éléments ); mais Doujat pense qu'il
a été formé du nom de Burchard , évéquc de Worms,
auteur d'une collection de canons qu'on appelait Z?roc«rrfia;
et comme son ouvrage était plein de sentences que l'on
citait souvent, brocard signilia par la suite un bon mot ,
une maxime sentencieuse, un trait de raillerie.
BROCHAGE
' BROCART. Ce mot, qui est devenu l'appellation com.-
niune de toutes les étoffes de soie, satin, gros de Naples
ou de Tours , taffetas ouvragés de (leurs et d'arabesques, etc.,
était originairement le nom d'une étoffe tissue d'or, d'argent,
ou des deux ensemble, tant en chaîne qu'en trame, et avait
été appliqué ensuite à celles où il y avait quelques parfilures
de soie pour relever les fleurs d'or.
BROCATELLE. On appelle de ce nom une étoffe de
grosse soie ou de coton, faite à l'imitation du brocart.
C'est aussi le nom d'une variété de brèche.
BROCELIANDE, forêt merveilleuse de la petite Bre-
tagne, où se trouvait une fontaine magique, si l'on en croit
les romans de la Table-Ronde. Quand un chevalier assez
imprudent ou assez confiant en son courage versait de l'eau
sur le perron d'énieraude de cette fontaine, il y éclatait des
prodiges que la voix humaine avait peur de raconter. Un af-
freux orage s'élevait; la pluie, la grêle, le tonnerre, suc-
cédaient tout à coup au calme le plus profond ; puis, le ciel
reprenant toute sa sérénité, les oiseaux les plus rares , au
chant le plus mélodieux, cou\Taient les branches d'un arbre
enchanté qui ombrageait la fontaine. Bientôt un chevalier
aux armes brillantes, à la taille gigantesque, caracolant sur
son grand cheval de bataille, s'avançait pour défier l'im-
prudent qui avait troublé son repos. Du premier coup de
lance il le jetait sur l'arène, et s'éloignait, emmenant avec
lui le coursier du vaincu. Le roman du Chevalier au lion,
celui de Totirnoiement Antéchrist, paLvleni de cette forêt,
dont Wace voulut inutilement voir les prodiges.
La alai jo luerveillcs querre,
Vis la fiprèt et vis la terre.
Merveilles quis, mais n'es trouvai.
Fol m'en revins, fol i alai.
Fol i alai, fol m'en revios.
Folie quis, pri fol me tins. ( Roman du Rou. )
De Reiffenbebc.
BROCHAGE , opération qui consiste à plier les feuilles
d'un livre sortant de l'imprimerie, à les mettre dans leur
ordre de pagination , à les coudre ensemble et à les couvrir
d'une feuille unie ou portant le titre du livre. L'assern-
blage, qui consiste à mettre en ordre les feuilles imprimées
pour en former des volumes , précède le brochage , et s'ef-
fectue de la manière suivante : sur une table longue sont autant
déformes ( tas renfermant chacun un nombre déterminé
d'une même feuille imprimée) rangées de gauche adroite
suivant l'ordre de leurs signatures (lettre ou cliiiïre placé
en bas de la première page de chaque feuille); l'assembleur
lève une feuille sur chacune de ces formes ainsi rangées, de
sorte que la feuille A ou 1 se trouve sur la feuille B ou 2 ,
celle-ci sur la feuille C ou 3, et ainsi de suite; cet amas de
feuilles assemblées forme une pile; les piles étant réunies
en corps, il ne reste plus qu'à plier les feuilles, et après
que le brocheur en a collationné l'ordre on peut procéder au
brochage proprement dit.
Pour cela, on pi end la première feuille et on la renverse
sur une garde, feuillet de papier destiné à être cousu en
même temi>s que la feuille : celte garde est repliée dans
toute sa longueur d'une quantité moindre que la largeur de
la marge intérieure, afin qu'elle ne couvre pas l'impression.
Ayant enfilé une grande aiguille courbe, on en perce la feuille
par dehors au tiers environ de sa longueur; on tire le fil en
dedans, en le laissant déborder à peu près de cinq centime-
mètres , plus ou moins selon le format ; on fait un second
point au-dessous, du dedans au dehors, vers le milieu de la
longueur de cette feuille, et on tire le fil en dehors sans dé-
ranger le bout qui passe. On pose ensuite la seconde feuille
sur la première ; et après l'avoir piquée de la même manière
et aux mêmes hauteurs, on tend le fil et on le noue avec
le bout que l'on a laissé passer. La troisième feuille étant
posée sur la seconde, on opère de même, et on ne coud la
quatrième que lorsqu'on a passé son aiguille entre le point
BROCHAGE — BROCHET
735
qui lie la première feuille arec la seconde ; par ce moyen ,
il se forme un entrelacement que les brocheuses nomment
chaîne/ te , et qui donne de la solidité à l'ouvrage. Arrivé à
la dernière feuille , on ajoute une garde comme on l'a fait
pour la première , mais placée en sens inverse.
Cette opération terminée, on passe avec un pinceau de la
colle sur le dos du volume ainsi cousu; on colle de môme la
feuille qui est destinée à le couvrir; on pose le dos du vo-
lume à plat sur le milieu de cette feuille encollée; on relève
les deux côtés de la feuille sur les gardes en l'y appliquant
légèrement, et on appuie fortement sur le dos pour que la
couverture s'y colle bien. Il ne reste plus ensuite qu'à faire
sécfier le volume à l'air libre ou sous une pression convena-
ble , puis à rogner et à cbarber s'il y a lieu. Si le livre doit être
satiné , on fait passer préalablement les feuilles au satinage.
BROCIÏE. Ce mot désigne généralement un baguette de
bois ou de métal. Mais on appelle spécialement broche la
tringle de fer plus large qu'épaisse dont on se sert pour rôtir
la viande, en la faisant tourner devant le feu. La broche,
toujours pointue d'un bout, se termine ordinairement vers
l'autre en manivelle qu'on tourna d'abord à la main, au
moyen d'un bâton perce , ce qui permettait de se tenir à une
certaine distance du feu ; plus tard , un chiai, enfermé dans
une roue à tambour, fut chargé de ce travail ; enlin, les dé-
couvertes de l'horlogerie à roues dentées donnèrent heu à
l'invention des tour nebroches.
Pris dans sa première et sa plus générale acception, le
mot broche reçoit dans les arts et métiers diverses applica-
tions qui se rapprochent toutes plus ou moins d'une même
origine et delà signification d'outil, instrument, machine, de
figure ou de forme longue et menue, et dont la fonction ordi-
naire est de traverser ou de soutenir d'autres parties. Ainsi ,
broche, enfermes de serrurerie, est la pointe de fer qui fait
partie d'une serrure et qui doit entrer dans le trou d'une
clef forée; on appelle aussi broches rondes ou broches
carrées des morceaux de fer ronds ou carrés dont les
serruriers se servent pour tourner plusieurs pièces à chaud
et à froid. En termes de filature, broche se dit de petites
verges de fer qu'on adapte aux rouets, aux métiers à filer, et
sur lesquelles le fil, le coton , la laine s'enroulent à mesure
qu'ils sont filés. On évalue l'importance d'une filature d'après
'e nombre de broches qu'elle contient. Les escompteurs ap-
pelent broches des effets à ordre de mince valeur. En termes
d'artificier, c'est aussi une petite verge ronda, conique, de
fer ou de bois fort , tenant au culot du moule d'une fusée
volante , pour ménager un trou de même figure dans la ma-
tière combustible dont on la charge. Les broches, en termes
de balancier, sont de petits morceaux de fer ronds qui pas-
s«nt au travers de la virole du peson. En termes de mar-
chand cirier, ce sont de petits morceaux de bois poli, en forme
de cône très-pointu , avec lesquels on perce les gros bouts
des cierges, afin de pouvoir les faire entrer dans les fiches des
chandeliers. En termes de chasse , ce sont les défenses du
sanglier, et l'on appelle aussi de ce nom la première tète ou le
premier bois d'un chevreuil. Broche se dit encore de cer-
taines aiguilles qui servent à tricoter des bas , à faire du
ruban, du brocart et autres étoffes. Enfin on appelle broche
un petit bijou dont la forme et la matière varient à l'infini et
qui sert à attacher sur la poitrine un chàle , une écharpe, un
mantelct , etc.
BROCHER. Ce verbe est employé dans des acceptions
diverses , et où l'on retrouve tour à tour les différentes si-
gnifications du raoibroche, d'où il a été formé. Enfermes
du maréchal ferrant, brocher, c'est enfoncer à coups de
brochoir les clous qui fixent le fer à la corne du sabot
d'un cheval. Mais les acceptions de ce mot qui reçoivent
l'emploi le plus fréquent sont celles qu'il tire du mot broche
considérée comme aiguille. Brocher a signifié d'abord en
ce sens, et en termes d'ourdisseur et de passementier, passer
de l'or, de l'argent, de la soie ou de la laine entre de« bro-
ches ou aiguilles qui servaient à faire une étoffe nommée de
là brocart. On L'a étendu ensuite à l'action ou opération
qui consiste à enrichir une étoffe de clinquant , de chenille ,
de fil d'argent, de canetille, etc., par le moyen de petites
navettes nommées espolms. De là ce mot a été employé ,
par analogie , dans beaucoup d'autres façons de parler.
Brocher et brochant, en termes de blason, se disent
des bandes, cotices ou bâtons et autres pièces, telles que
lions, aigles, etc., qu'on fait passer d'un bout de l'écu à
l'autre , ou qui traversent sur d'autres pièces : on dit que
des chevaux brochent sur desburelles, pour dire qu'ils
passent dans l'écu sur des burelles ; on dit aussi d'une fa-
mille , d'un maison , qu'elle porte d'azur au lion d'or, à la
fasce de gueules brochant sur le tout.
Brocher se dit enfin , dans son acception la plus usuelle,
de l'opération qui constitue le brochage.
BROCHET, genre de poissons de la famille des esoces.
Les brochets ont de très-petits os intermaxillaires au milieu
de la mâchoire supérieure. Ces os , ainsi que le vomer, les
palatins, les pharyngiens , la langue et les arcs branchiaux,
sont hérissés de dents en carde. Leur mâchoire inférieure est
armée de longues dents pointues sur les côtés. Leur museau
est obtus , oblong , déprimé ; la vessie natatoire très-grande.
Le brochet commun (exos lucius) est très-connu; sa vo-
racité est passée en proverbe. Ce poisson a été surnommé
requin des eaux douces; il ravage promptemeut les viviers
et les étangs ; il n'épargne pas même son espèce , dévore ses
propres petits , et ne dédaigne pas les restes des cadavres
putréfiés. 11 se nourrit aussi de grenouilles, et l'on a pré-
tendu avoir trouvé jusqu'à des canards entiers dans de gros
brochets. Lorsque ces poissons en saisissent d'autres dont
les piquants pourraient les blesser, ils ont la précaution de
les retenir quelque temps dans leur vaste gueule , afin de les
tuer et de pouvoir les avaler ensuite sans résistance et sans
danger. Lorsque la proie est trop grande pour pouvoir être
engioutie tout entière , le brochet n'en avale que la portion
qui peut entrer, et pendant qu'il la digère , il attend pa-
tiemment que la fermentation putride du reste lui permette
de l'ingérer. II ressemble sous ce rapport au boa.
Parmi les exemples de longévité de ce poisson, le plus
remarquable est celui du brochet de Kaiserslautern , qui
avait six mètres de long, qui pesait 175 kilogrammes, et
avait vécu au moins deux cent trente-cinq ans. On prétend
que l'empereur Frédéric Barberousse lui-même l'avait jeté
le 5 octobre 1262 dans l'étang où il fut pris en 1497 , et que
cet énorme brochet portait un anneau d'or qui pouvait s'é-
largir, et sur lequel était gravée l'indication de sa naissance.
Son squelette a été conservé longtemps à Manheim.
Les pêcheurs et les marchands de poissons donnent les
noms vulgaires de lançons ou lancerons aux jeunes bro-
chets, de poignards aux moyens brochets, de carreaux
ou loups m\ vieux, Aepansars aux grosses femelles pleines
d'œufs, et de lévriers aux mâles les plus allongés. Les
plus petits brochets sont appelés brochctons.
On ne fait aucun usage en médecine des parties de ce
poisson. On estime beaucoup sa chair, qui fournit une bonne
nourriture, quoique ferme et un peu réfractaire à la di-
gestion. Les brochets des grandes rivières et des lacs sont
les plus estimés ; on les sert, sur les tables les plus somp-
tueuses. Le brochet au bleu et le foie de ce poisson sont
très-recherchés par les gourmands. Ses œufs provoquent
souvent le vomissement et la diarrhée.
Une seule femelle porte jusqu'à 148,000 œufs. La fécondité
n'a lieu qu'à l'âge de trois ans. Les plus jeunes femelles com-
mencent la ponte au printemps ; celles d'un âge moyen la
continuent pendant toute la saison, qui se termine par la
ponte des plus âgées, qu'on nomme grenouillettes ou gre-
nouillées, parce qu'elles pondent à peu près à la même époque
que les grenouilles. L'influence du soleil est nécessaire pour
faciliter l'éclosiou des œufs du brochet , placés peu profon-
I
736
BROCHET — BROCHURE
d(^,mcnt sous l'eau. Les oiseaux , cl surtout les lierons , qui
mangent des œufs de brochet , sont purgés et les rendent sans
«Itération. On prétend que lorsqu'ils les déposent dans des
amas d'eau qui n'ont aucune communication entre eux , ils
propagent ainsi l'espèce de ce poisson, qui est répandue dans
toutes les eaux douces des zones tempérées et froides de
l'ancien Monde. Sur les bords du Volga et du Jaik, on fume
la chair du brochet, en la séchant après l'avoir marinéc dans
une saumure. Ce poisson abonde tellement dans ces contrées,
qu'au dire de Pallas , on en pêche une quantité incroyable.
On les réunit en tas énormes, que la gelée durcit et garantit
de la putréfaction , et on les vend à un prix très-modique.
On nomme rois des brochets les individus dont le corps
parsemé de taches ou marbrures noires présente aussi de
belles teintes jaunes. L. Laurent.
BROCIIETTE, diminutif de broche, petit morceau
de bois ou de fer, long et pointu, qui, dans l'usage le plus
ordinaire, sert h unir, à soutenir ou à rapprocher les parties
dans lesquelles on le passe, et qui trouve des applications
fréquentes dans les arts et métiers. On donne aussi le nom
de brochette à une espèce de petite boucle en or et à jour,
qui sertà passer à la boutonnière diverses croix oudécorations
d'ordres. Enfm , l'on entend par le mot de brochette un
petit morceau de bois mince, au bout duquel on donne à
manger, ou, comme on dit généralement, la becquée, aux
oiseaux que l'on a soustraits au nid de leur mère , et qui se
trouvent ainsi privés deses soins. Par extension, on dit des
enfants qui sont élevés avec beaucoup de soin et d'attention,
qu'ils sont élevés à la brochette.
BROCHET VOLANT. Voyez Istiophore.
BllOCIlURE, léunion de quelques feuilles imprimées,
(]ui dans leur ensemble ne peuvent composer un volume, et
qui se vendent ordinairement non reliées. C'est le livre po-
pulaire par excellence. Il coûte peu, et ménage la bourse et le
temps de celui qui l'achète , ce qui est une double économie.
L'imprimerie et la Réforme donnèrent une grande impulsion
à la brochure. Les premiers livres n'apparurent qu'en petit
nombre et sous la forme gigantesque de l'in-folio. Enchaînés
sur des pupitres, ils ne sortaient jamais du cabinet des
érudits ; il fallait les lire et les étudier sur place. Cependant,
la diffusion des lumières produisit bientôt à cet égard
un salutaire effet. L'in-quarto prit la place de l'in-folio ,
puis Aide l'ancien imagina l'in-octavo, qui permit de faire
du livre un compagnon assidu au lit, au coin du feu, à table,
en voyage. Cette heureuse modification multiplia les écri-
vains et les lecteurs, mais multiplia surtout les brochures,
arme rapide et redoutable par sa légèrelé, pénétrant sans
peine dans les masses et courant de main en main. La
Réforme accrut encore celle avalanche, qui n'épargna ni le
catholicisme dans ses dogmes, ni la royauté dans ses préro-
gatives. Les questions à l'ordre du jour furent agitées avec
une hardiesse et parfois un talent remarquable. La politique
s'en mêla. C'était le temps de la Satire Méni ppée , qui
est moins une brochure qu'un pamphlet, et qui lit plus de
tort à la Ligue que toutes les victoires de Henri IV. Nous
traiterons à part du pamphlet, qu'on peut définir la bro-
chure chargée à mitraille. La brochure est le rail-waij de la
pensée, le pamphlet en est le brûlot.
Attaqué par les brochures et les pamphlets, excommunié
par Sixte-Quint, Henri III trouve îles plumes ardentes pour
le défendre. Eulin, la Ligue meurt d'épuisement. A ces dis-
cussions âpres, hardies, envenimées, succèdent le calme et
l'indifférence. Le temps des brochures est passé, et le goût
de la politique reste le privilège de quelques esprits d'élite.
Dans le siècle suivant, la révolte des princes, les états gé-
néraux de 1G14, les querelles de Louis XHI avec sa mère,
avec son frère, les ministères de Richelieu et de ÎMazarin
{voyez FiiOiNui; et Ma/.akinxdes), font naître de nouveaux
déchaînements, de nouvtjles guerres de plume, plus terribles
encore que celles d'épéc. Les puissants se voient déchiier
sans pitié par des brochures qui distillent ce que la haine a
de plus acre, l'esprit de plus sarcastique, la logique de plus
entraînant. La Ligue avait produit des écrivains pleins de
sève, des publicistes habiles; on les retrouve sous la Fronde,
apportant de plus des idées d'ordre et de liberté pratique
qui manquaient à leurs devanciers.
La guerre des brochures se ralentit sous Louis XIV, à part
les brochures en vers de Boileau, qui, en poursuivant If mau-
vais goût, firent les déhcesde lacour ctde la ville. Quanta la
prose, elle avait passé la frontière, et, des presses de Hol-
lande et des Pays-Bas, baffouait les intrigues galantes de la
cour et les prétentions du roi de France à la monarchie uni-
verselle. Les querelles du jansénisme servirent de texte à
une autre série de brochures, dont la marche fut ouverte
par les Provinciales ou Petites Lettres, comme on les ap-
pelait d'abord (voyez Pascal ), et fermée par les Nouvelles
Ecclésiastiques, qu'un enfant, blotti dans la hotte d'un chif-
fonnier affichait par une petite fenêtre sur les murs de Paris.
En ce temps-là l'attention publique , paresseuse et impa-
tiente, eût craint de s'imposer un long examen ; aussi les au-
teurs, pour lui plaire, jetaient leurs idées ou traduisaient leurs
livres en brochures, dont la brièveté amusait ou instruisait
sans fatiguer. Une brochure, lancée au plus fort de la que-
relle des Gluckistes et des Piccinistes, souleva Grimm, et
ébaucha sa fortune, achevée depuis par son esprit. Devinant
ce que serait entre ses mains la portée d'une telle arme,
Voltaire s'en saisit : on peut même affirmer que la partie de
ses œuvres qui a exercé le plus d'influence se compose de
brochures. Arsenal toujours plein de traits acérés , ses cou|)s
frappaient tantôt les croyances rehgieuses, tantôt les erreurs
de la justice, ou la rouille des lois féodales. C'est ainsi qu'il
réhabilitait Calas , brisait l'échafaud de Sirven et émancipait
les serfs du Jura. Retpanché dans Ferney, durant les trente
dernières années de sa vie, c'est de là qu'il lançait ses arrêts
formulés en brochures et sonnait la réforme.
Celle-ci s'avançait, précipitée par des ministres inhabiles
et violents dans leur faiblesse. Gênés par les parlements,
ils les abattirent pour y substituer une autre magistratuie,
qui succomba, en naissant, sous les brochures de Beau-
marchais. Attaqué dans ses institutions comme dans ses
actes, l'édifice monarchique était encore rainé à sa base par
les économistes, examinant dans leurs brochures les res-
sorts de l'association humaine et proposant de les changer.
Peu compris de la foule , ils enrôlèrent beaucoup d'esprits
distingués, qui, imbus de leurs doctrines, saisirent l'occasion
de les appliquer quand la monarchie essaya de se raffermir
en convoquant les états généraux. L'ouverture decette grande
solennité fut marquée par la querelle des trois ordres rela-
tive au vote des députés. Une simple brochure de Sieyés»
emporta la question. — Qu'est-ce que le tiers-état? disait-
il. Tout ! — Qu'a-t-il été jusqu'à présent? Rien ! — Que
veut-il être? Quelque chose ! La monarchie s'écroula. Nous
passons sur sa chute et sur les brochures nombreuses que la
révolution fit éclore, hardies et raisonneuses sous la plume
des publicistes de la Constituante, cyniques, subversives, di-
gnes du nom de pamphlets sous celles d'Hébert, de Marat, de
Babeuf, etc., etc., n'ayant pas toutefois laissé de traces aussi
profondes que celle de Sieyès, parce qu'elles étaient toutes
dominées par les journaux et plus encore par les événe-
ments de l'époque. Le parti royaliste eut aussi ses brochures,
qu'il continua dans l'émigration.
Parvenu au consulat, puis au trône, Bonaparte s'empara
de la presse , n'en permettant l'usage qu'à ses flatteurs et aux
instruments de ses desseins. IMomentanément la brochure
fut étouffée dans son nid. Mais le colosse, vaincu par les ar-
mes, ne tarda pas à être accablé par la brochure, qui ressu.s-
cita le fiel au cœur et une plume acérée au bout des ongles.
Le canon se taisait à peine, que Chateaubriand publiait
la sienne : De Bonaparte et des Bourbons, dont 80,000
exemplaires, échappés des presses de Lenormant, ne suUi-
BROCHURE — BROCKHAUS
saient pas à l'avidilé des lecteurs; puis, la lutte s'étant en-
gagée entre les partisans de la vieille monarchie et ceu\ des
droits du peuple, Chateaubriand intervint encore. Ennemi
<ies hommes d'État alors au timon des affaires, il se déclara
pour le maintien des conquêtes légales de la révolution, et
La Monarchie selon la Charte fut le fruit de sa conviction.
En même temps, un jeune garde d'honneur, à peine de re-
tour de l'armée, M. de Salvandy, lançait courageusement
a la face des étrangers qui inondaient Paris une brochure
etincelante de verve : La Coalition et la France. Les
hauts alliés se plaignirent avec menace de cette protes-
tation de la patrie écrasée réclamant par une bouche de
vingt ans , et délibérèrent s'ils ne devaient pas répondre avec
toutes les armées de l'Europe coalisée audéfid'un enfant. D'au-
tres publicistes , B o n a 1 d , Benjamin Constant, Fiévée,
Montlosier, montrèrent, sous des bannières différentes, un
talent remarquable, mais aucun n'égala Paul-Louis Cou-
rier, l'ancien canonnier à cheval, le célèbre vigneron, qui,
plus qu'eux tous, joignait à la puissance du raisonnement
le prestige d'un stjle plein de science et de bonhommie.
Cependant une fois Montlosier obtint un succès non moins
universel par sa Dénonciation contre les Jésuites.
La polémique des brochures ne cessa de captiver exclusi-
vement l'attention qu'au moment oii les journaux, conquirent
enfin leur indépendance. Toutefois ce triomphe fut de peu
de durée. La censure , rétablie en 182G , pesa lourdement sur
les journaux, qui commencèrent à paraître avec de longues
colonnes en blanc. Mais toutes les bribes abattues par les
ciseaux des censeurs ne furent pas perdues : on en com-
posa des brochures courageuses , brûlantes, qui se succédè-
rent coup sur coup et furent dévorées par le public. Dans
r«tle guerre de plume, on retrouve JL de Salvandy, devenu
rédacteur du Journal des Débats.
Sans parler du déluge de brochures républicaines , huma-
nitaires, socialistes, etc., etc., qui suivit la révolution de 1830
et surtout celle de 1848, on peut citer encore, après celles
de Paul-Louis Courier, celles que M. de Cormenin a publiées
sous le pseudonjTne de Timon. En résumé, cependant,
lorsque les journaux sont libres, à moins de tourner au
pamphlet ou au libelle, que peut révéler la brochure qui
ne soit su d'avance? Que peut-elle enseigner qu'on n'ait ap-
pris déjà. Les brochures littéraires, frappées du même coup,
se transforment en revues. Mais lorsque la presse périodi(iue
est muselée , la pensée comprimée éclate immédiatement en
brochures. Le gouvernement issu du coup d'État du 2 dé-
cembre 1831 l'a si bien senti, qu'en soumettant les jour-
naux au régime du double avertissement, il s'est bien gardé
d'oublier de frapper d'un droit de timbre toute publication
au-dessous de dix feuilles. 11 est cependant des hommes qui,
an risque d'avoir moins de lecteurs, préfèrent toujours ex-
primer leurs idées dans des brochures, parce qu'ils n'y sont
point gênés par les besoins d'un livre ou d'un journal fait
en commun. Et puis un honuTie d'esprit l'a dit, « Il faut au
moins une idée pour faire une brochure : on peut faire un
livre sans cela. »
Si nous tournons les yeux du côté de l'Angleterre, nous
y verrons l'auteur de Robinson expier par le pilori et une
amende qui le ruina des opinions religieuses antipathiques
au parlement; puis les brochures de l'auteur de Gulliver
faire et défaire les ministres et placer Swift au-dessus d'eux.
Sous Georges III, les Lettres de Junius foudroyèrent les
mandataires du pouvoir et devinrent des Philippiques ri-
vales de celles de Démosthène. Les brochures de Cobbett
préparent les voies au chartisme anglais; colles de Cobden
ont par leur persistance enlevé d'assaut la liberté commer-
ciale.
Parmi les antres peuples de notre hémisphère , les Russes
n'osent pas encore penser, les Italiens n'osent plus penser,
les Espagnols et les Portugais se disposent à penser. En
Suède, en Danemark, en Pologne, en Allemagne, depuis les
nCT. DE LA COXVEnS. — T. III.
737
brochures de Heine, la vie politique circule par cette voie
en attendant qu'elle puisse s'ébattre dans des journaux li-
bres. Chez les Américains du Nord, les brochures, depuis
celles de Franklin, sont les auxiliaires obligés du journa-
lisme , qu'elles appuient et ne gênent pas. Il en est de même
de l'empire du Brésil et des autres républiques américaines.
BROCKEN ( Mons Bructerus, Melibocus), appelé aussi
par le peuple Blocksberg. C'est le nom que l'on donne à la
cime la plus haute du Harz. Situé dans le comté de Stol-
berg-Wernigerode , le Brocken s'élève à 1086 mètres au-
dessus de la mer, et forme le centre d'une masse granitique
qu'a percée l'argile schisteuse et le quartz mêlé de schiste et de
mica, et qu'on appelle le Brockengebirge. Sur son sommet,
arrondi et couvert de tourbe, sont dispersés de gros blocs de
granit, qui semblent être les débris d'une pyramide grani-
tique. Autour de cette espèce de dôme se groupent d'autres
montagnes, aux pentes rapides vers le nord, mais se reliant,
sur les autres faces, aux plateaux de Harz : les Brandklippen
au nord; les Zeterklippen à l'est, avec le Petit Brocken ,
la Heinrichshœhe et les Ilohncklippen , les Feuerstein-
klippen , les Schnarcherklippen, le Wormberg, VAchter-
mannshœhe, le Kœnigsberg et les Hischhœrner au midi;
le Brocken/eld et VAbbensteiner-klippe à l'ouest. Les
nombreux ruisseaux qui prennent leurs sources dans ces
montagnes ou qui s'échappent de leurs marais se rendent
dans les bassins, soit de l'Elbe , soit du Weser, et se réunis-
sent dans les principales artères, le Radau, l'Elker, l'Isle,
rUolzemme, le Kalten-Bode, le \\'armen-Code et l'Oder.
Des routes assez commodes conduisent d'Elbingerode et
d'Ilsenbourg jusqu'au sommet du Brocken. A 125 ou 155
mètres au-dessous de la cime, on quitte les forêts d'arbres
conifères pour entrer dans la région des pins des Alpes, qui
disparaissent à leur tour, bien que le point culminant de la
montagne offre encore des traces de végétation. Outie diffé-
rentes espèces d'orchis, les botanistes y récoltent le lichen
d'Islande, ou motcsse du Brocken , que les gens pauvres ra-
massent pour le vendre, l'anémone alpine, on fleur du
Brocken , et surtout la betula nana , plante rare , qu'on
trouve encore quelquefois dans les environs du Langen-
werk.
La montagne est ordinairement enveloppée de brouillards
et de nuages, qui, tourmentés par un vent presque continuel,
offrent à l'imagination les plus bizarres tableaux, dans les-
quels la tradition populaire veut voir des danses de sor-
cières, etc. ( voyez Blocksberg). Le phénomène da spectre,
du Brocken fait une singulière impresssion : il consiste en
la réflexion d'ombres d'hommes et de maisons sur un voile
de nuages faisant face au soleil couchant. Lorsque le ciel est
serein, on jouit d'une vueravissante sur une contréede 1 25 ki-
lomètres de circonférence, et avec une lunette d'approche
on découvre le cadran de la cathédrale de Magdebourg.
En 1800,1e comte de Stolberg-Wernigerode a fait bâtir sur
la cime la plus élevée du Brocken un grand bâtiment à un
étage qui offre toutes commodités aux étrangers et devant
lequel s'élève une tour en bois d'où l'on jouit d'une magni-
fique perspective.
BROCKHAUS (Ff.édékic-Arxold), célèbre libraire al-
lemand, naquit à Dortmund, le 4 mai 1772. Malgré le pen-
chant qu'il manifesta de bonne heure pour les lettres , son
père le destina au commerce, et le mit dès 1788 chez un
négociant de Dusseldorf. De retour dans sa famille en 1793,
il obtint la permission d'aller suivre pendant deux ans les
cours de l'université de Leipzig; mais en 1795 il fut rap-
pelé et mis, avec un de ses parents, à la tête d'un magasin <!e
marchandises anglaii^es, qu'il abandonna en 1804, dans l'in-
tention de se faire libraire. Il s'associa donc avec Rohloff, et
établit à Amsterdam une maison de librairie. En 1806 il
entreprit la publication du journal de Ster (l'Étoile), que ses
tendances libérales firent bientôt supprimer; VAmsterdamsch
Avond 7o7<n?«^, qu'il publia ensuite, n'eut également qu'une
93
738
BROCKHAUS _ BRODERIE
courte existt'ucc. La réunion Je la Hollande à la France ,
en 1310, ayant porté le coup le plus rutle à son commerce,
IJrockhaus retourna en Allemagne, et s'établit d'abord à Al-
lenbourg, oii il commença, en 1812, une réimpression du
Conversation's-Lexicon, dont il avait aclieté et ter-
miné la première édition, commencée en 179G.Le succès pro-
digieux de celte publication, favorisé par le rétablissement de
la paix en 1815, lui permit de donner le plus grand dévelop-
pement à ses entreprises de librairie.
De 1813 à 1816 Brockhaus publia la Feuille Allemande,
dans un esprit de patriotisme qui ne resta pas sans iniluence
sur l'opinion. En 1817 il transporta à Leipzig sa maison, à
laquelle il joignit une imprimerie. Six éditions du Conver-
sation's- Lcxicon se succédèrent rapidement. Outre ce
grand ouvrage, il a édité YVrania, depuis 1810 ; le Manuel
de la Littérature Allemande d'Ersch, depuis 1812; les
Contemporai7is , depuis 181C; Hermès, depuis 1819; la
Feuillede Conversations littéraires, depuis 1820; le Dic-
tionnaire Bibliographique d'Èhart, V Histoire des Hohens-
taufen de Raumer, etc. Les opinions libérales de Brockhaus
et son admiration pour le gouvernement constitutionnel lui
attirèrent souvent des persécutions de la part du gouverne-
ment prussien, et l'exposèrent aux chicanes de la censure
saxonne. Il mourut le 20 août 1823.
Son fils aîné, Frédéric Bhockuaus, né à Dorlmnnd, le 9.3
septembre 1800 , l'a remplacé à la tùte de la maison qu'il
avait fondée. Secondé par son frère Henri, né à Amsterdam,
en 1804, il a donné à sa librairie et à son imprimerie un
très-grand développement , et y a ajouté une fonderie de
caractères. Avant qu'il quittât les affaires, en 1850, il avait
publié trois nouvelles éà\\\ons>(\\iiConversation''s-Lexicon , et
un grand nombre d'ouvrages importants. Le troisième frère,
Hermann, né à Amsterdam, en 1806, professeur de litté-
rature indienne à léna en 1839, et aujourd'hui à Leipzig ,
s'est fait connaître par la traduction des cinq premiers livres
du Kalhd sarit sdgara (en sanscrit et en allemand, Leipzig,
1839), une édition du Prabodha candrodaija, avec les
scolies indiennes (Leipzig, 1845), une édition de la traduc-
tion persane des Sept Maîtres sages (Leipzig, 1845), une
édition du Vendidad Sade, qu'il a enrichie d'un index et
d'un petit glossaire de la langue zend (Leipzig, 1850). H a
publié aussi un projet, à peu près généralement adopté, sur
l'impression des ouvrages sanscrits en caractères latins
(Leipzig, 1841).
DROCOLI ou CHOU BROCOLI. Cette race de choux
est très- voisine des choux-fleurs, dont elle ne diffère
que par ses feuilles ondulées, par ses dimensions plus grandes
et par ses couleurs. Les variétés préférées du brocoli sont le
blanc, le violet et le violet nain hâtif , tous les trois
pommés ; il y en a aussi de rouges , de jaunâtres, de verts,
les uns pommés, les autres sans pomme. Tous les brocolis
pommes s'assaisonnent comme les choux-fleurs ; les autres
se mangent en salade.
BUODEQUIN, sorte de chaussure en usage chez les
anciens , laquelle couvrait le pied et la moitié de la jambe.
Elle se composait du calceus et de la caliga. Le calceus ,
de cuir ou de bois , était la semelle; elle affectait la forme
quadrangulaire;Ia caliga, d'étoffe souvent précieuse, était
l'espèce de bottine qui la surmontait et qui s'attachait plus
ou moins haut sur la jambe. Le calceus était quelquefois si
épais, qu'un homme de médiocre taille, chaussé du brode-
quin, pouvait paraître de la taille des héros. Les jeunes
filles l'adoptèrent bientôt pour se grandir, puis les chasseurs
et les voyageurs pour se garantir du sable et de l'humidité.
Des anciens le brodequin passa chez les modernes. Marot,
dans une de ses notes sur une ballade de Villon, appelle le
brodequin ime belle chaussure, une chaussure galante, et
dit qu'elle consistait en une sorte de chausses senielées, dont
la tige était faite d'une peau si line, qu'elle se retournait
tomme le cuir d'un gant.
De nos jours le brodequin diffère de la bottine en ce
qu'on le lace sur le cou-de-pied, tandis que celle-ci se bou-
tonne ou se lasse sur le côté. On n'en fait guère qu'en cuir, tan-
dis que les bottines sont presque toujours en étoffes de toutes
couleurs. Les brodequins sont surtout portés par les enfants,
dont ils assurent la marche, en même temps qu'ils empêchent
le pied de se déformer , et qu'ils le préservent de la pous-
sière, du sable et de la boue, contre lesquels le soulier
seul est de moindre défense.
Dans l'application aux choses du théâtre, il faut avoir bien
soin de distinguer le brodequin du cothurne: un poète
comique chausse le brodequin ; un poète tragique , le co-
thurne; le premier est un attribut de Thalie, l'autre un at-
tribut de Melpomène, Mercier a donc eu grandement raison
de dire :
Voltaire, plein d'un feu divin,
Chausse le cothurne tragique;
Ma muse , naïve et comique ,
Ne chausse que le brodequin.
Brodequins s'est dit autrefois d'une espèce de torture on
de question à laquelle on soumettait, non pas toujours les
criminels seuls, mais quelquefois aussi les accusés, les sim-
ples prévenus , pour leur arracher par la douleur l'aveu
d'un crime que souvent ils n'avaient pas commis. Ou la
donnait, disent les anciens auteurs, avec quatre petits ais
forts et épais , dont deux se plaçaient chacun à la partie
extérieure de la jambe droite et de la jambe gauclie, et les
deux autres entre les deux jambes. On liait ensuite tout cet
appareil avec de bonnes cordes , puis l'on prenait des coins
de fer ou de bois , que l'on introduisait, de force, à coups de
maillet, entre les deux ais qui séparaient les jambes, de
manière à opérer une pression si puissante et si terrible
qu'elle faisait éclater les os.
BRODERIE. L'origine de cet art doit remonter à une
haute antiquité , car on en trouve des traces dans les pre-
miers livres de la Bible, et la mythologie grecque en attribue
l'invention à IMinerve. On appelle broderie un dessin tracé
à l'aiguille avec un fil quelconque sur toute espèce d'étoffes.
Les broderies les plus simples se font avec du coton blanc,
dont on fait usage sur de la mousseline, du jaconas, de la
batiste , etc. On en fait aussi avec de la soie ou de la laine
de couleur sur des étoffes <li verses. On fait encore des bro-
deries en or et en argent, soit en fil rond, soit en layne,
soit en paillette. Enfin, on fait des broderies en soies
nuancées, et dans lesquelles on cherche à rendre les cou-
leurs naturelles des objets que l'on veut représenter. Toutes
ces broderies ont des noms particuliers, tirés de l'espèce de
point ou de la matière que l'on emploie. Ainsi, on dit bro-
der en blanc ou en or, broder au passé, au plumetis, au
point de chaînette, au point de marque, au nuancé, à
l'aiguille, au crochet, à la main, au métier, en applica-
tion. Cette dernière broderie consiste à coudre sur l'étotle
des morceaux d'une autre étoffe découpée pour former des
pleins et des clairs d'un agréable effet. Sur les mousselines
ou autres tissus blancs, on brode souvent à la main, ayant
seulement l'attention de bâtir son dessin par-dessous l'étoffe
ou de le dessiner sur l'étoffe par un procédé qui varie. Pour
les broderies en or et en argent, et surtout pour les broderies
en soie nuancée , on trace d'avance le dessin que l'on veut
broder , et ensuite on monte l'étoffe sur un châssis à pie.i,
(jue l'on nomme métier à broder.
Avant la révolution de 1789, les brodeurs sur étoffe foc-
maient une corporation dans laquelle n'étaient pas admises
les brodeuses, qui faisaient seulement des broderies en blanc
sur le linge. Maintenant, toutes les espèces de lirodcries
sont faites par des femmes; mais ce sont ordinairement des
hommes qui font les dessins, soit sur papier, soit sur J
ttofTc. I
Les broderies sont l'objet d'un commerce très-étendu. De •
plus, il est peu de dames qui ne consacrent qucl<iucs-imi
à
BRODERIE - BROEK
739
de leurs loisirs à exécuter de ces charmants travaux d'ai-
guille. Ainsi la broderie dite à l'anglaise, qui se fait an
point de cordonnet allié souvent au point de feston, a oc-
cupe dans ces derniers temps beaucoup de doigts plus ou
moins aristocratiques; aujourd'hui que ce genre de broderie
est à la portée de presque toutes les bourses, l'engouement
passager qui l'a accueilli semble se reporter sur d'autres gen-
res. Mais la broderie en tapisserie, qui consiste à rem-
plir un canevas avec de la laine ou de la soie , de manière à
imiter un dessin donné, est toujours en vogue, comme
élément d'inépuisables paires de pantoufles, ronds de ser
viettes, dessous de lampe, etc., etc., que vous imposent
vos nièces, cousines et arrière-cousines, aux époques so-
lennelles de votre fête ou du renouvellement de l'année.
Au figuré, la broderie, sans être précisément un men-
songe, en approche quelque peu : on brode quand on ajoute
à un récit des détails dont on n'est pas sur, souvent même
dont on sait la fausseté, mais qui ollrent l'avantage de rendre
plus intéressant le fait que l'on raconte.
Broderie , enfin , sert encore à designer en musique de
légères variations que le musicien ajoute à sa partie dans
l'exécution , pour orner des passages trop simples , et par
le moyen desquelles il peut faire briller la légèreté de ses
doigts ou la flexibilité de son gosier.
BRODY,importante ville de la GalicieAulricliipnne, dans
Je cercle de Zloczow, à peu de distance des frontières russes
de l'ancienne Volliynie , au milieu d'une piame maréca-
geuse environnée de forêts , à 8S kilomètres de Lemberg, et
érigée depuis 1799 en ville libre commerciale, est le siège
d'une chambre impériale, d'une direction générale des doua-
nes et d'un 11 ibunal de commerce. On y trouve cinq fau-
bourgs et plusieurs places publiques, entre autres le vieux
Marché et la place du Château ou Marché-Neuf. Les rues
en sont sales et les maisons construites en bois ; on y voit
aussi un château seigneurial avec parc , appartenant au
comte Potocki , un grande église catholique et deux grandes
églises grecques, trois synagogues, une école Israélite, un
collège cathoUque et une école catholique pour les filles ,
enfin un hôpital richement doté.
La population de Brody est d'environ 25,000 ânws , dont
près des sept huitièmes professent la religion juive; le reste
se compose de Polonais , d'Allemands et de fonctionnaires
publics; et après Lemberg, c'est la ville la plus peuplée et
la plus commerçante de la Galicie. Elle constitue le princi-
pal lieu d'échange entre l'empire dUutriche et la Russie, on
pourrait même dire entre l'Orient et l'Occident. Quaraiite
maisons de commerce de premier ordre et deux cents
maisons d'importance moindre, les unes et les autres pour la
plupart entre les mains d'Israélites, y font des affaires im-
menses en bestiaux, chevaux , cires, suifs, cuirs, pellete-
ries, vins de France, du Rhin et de Hongrie, anis, froma-
ges, soies, verres, porcelaines et sels. 11 y existe aussi d'im-
portantes manufactures de cordes et tanneries.
BRODZIXSKI (Casimir ) , l'un des poètes polonais les
plus distingués des temps modernes, naquit en 1791, à
Krolowsko, dans l'ancienne starostie de Lipna. En 1809,
à l'époque du grand-duché de Varsovie, il entra à Craco-
vie dans les rangs des défenseurs de la patrie , et servit, en
qualité de sous-officier, dans un régiment d'artillerie. La pu-
blication de ses premières œuvres poétiques remonte à la
même époque; elles avaient pour titre: Picnia toiejskie (Cra-
covie, 181 1 ), et prouvèrent que la vie intime du paysan po-
lonais offre à la poésie une riche source. On admira surtout
la vérité avec laquelle il savait peindre les mœurs et exjiri-
mer les idées propres au peuple. Après avoir séjourné quel-
que temps à Varsovie et à Modiin, il fit, avec les Fiançais,
la campagne de 1812 contre les Russes. Revenu, en 1S13, à
Cracovie, avec les débris de l'armée polonaise et les épaii-
Jeltes d'oflicier, il fit encore les campagnes d'Autriche et de
Saxe. Prisonnier à la bataille de Leipzig, il fut mis en liiicrté
sur sa parole, et passa alors une année à Cracovie. 11 nWn
ensuite à Varsovie, et devint professeur d'esthétique à l'uni-
versité de cette ville. Bien avant Mickiewicz, il avait tenté
de donner une vie nouvelle à la poésie polonaise par l'imita-
tion de modèles choisis dans les poésies étrangères; il ne
pouvait donc manquer d'être l'un des plus fervents défenseurs
de ce novateur, lorsqu'il commença son apostolat httéraire.
Les poésies de Brodzinski , et surtout les nombreuses dis-
sertations critiques qu'il fit paraître dans des revues et des
journaux, contribuèrent puissamment au triomphe de la
nouvelle école romantique , et l'eurent bientôt classé parmi
les critiques polonais les plus influents.
Depuis la dissolution de l'université de Varsovie , à la
suite des événements de 1831 , il vivait sans emploi à Var-
sovie, soulTrant d'une maladie de poitrine, lorsqu'U obtint
enfin , à grand'peine , la permission d'aller prendre les eaux
en Bohême ; mais il ne lui était pas donné de revoir le sol
natal. Il mourut le 10 octobre 1835, à Dresde, où ses com-
patriotes lui ont élevé un modeste monument. Doux et
sensible , l'amour de la patrie et le sentiment religieux for-
maient le fond de son canictère et le type de son existence.
On a commencé à Wilna une édition de ses œuvres. Brod-
zinski avait aussi traduit Job, les Souffrances dujeuneWer-
tlier et un choix de chants populaires serbes et bohèmes.
liïlOEK (on prononce Brouk), village de 1,100 âmes,
dans la province de Nord-Hollande, à 4 kilomètres nord-
est d'Amsterdam , célèbre par la minutieuse propreté de ses
habitants, dont beaucoup, anciens négociants retirés des af-
faires, sont deux et trois fois millionnaires ,. et qui n'admet-
traient pas chez eux un étranger sans lui avoir fait préala-
blement quitter ses bottes ou ses souliers, pour chausser
des espèces de babouches destinées à garantir de toute es-
pèce de souillure leurs parquets et les somptueux tapis qui
les recouvrent. Cette formalité est tellement de rigueur, que
Napoléon et l'cmpeicur .Alexandre eux-mêmes, quand ils
vinrent visiter ce \illage, furent obligés de s'y soumettre
comme de simples mortels. L'entrée de Broek est d'aillems
soigneusement interdite aux bestiaux, aux chevaux, aux
voitures, aux équipages môme les plus légers, afin que les rues
ne soient Jamais salies ; car vraiment ce serait dommage !
Représentez-vous en elTet, si vous le pouvez, des rues pavées
en marbre à peu près comme le sont les antichambres et les
safies à manger de nos habitations parisiennes , aussi soi-
gneusement entretenues, balayées et lavées. Le long des
maisons de ces villageois miUionnaires règne un espace sé-
paré de la voie pubUque par une balustrade en fer battu
ornée de pommes de cjivre étincelantes de fourbissure. Cette
espèce de trottoir est pavé en mosaïque à la manière de celles
qu'on peut voir dans les ruines de Pompéi. L'aspect exté-
rieur des habitations répond complètement à ce que promet
cette voie publique ; ce sont de véritables palais en miniature,
tout étincelants de dorures et de peintures renouvelées ou
tout au moins rafraîchies chaque année; l'entrée ordinaire
en est placée sur les derrières, oii l'architecte a discrète-
ment ménagé une porte bâtarde. Quant à la porte unique
donnant sur la rue, porte toujours d'apparence somptueuse,
elle ne s'ouvre que dans trois circonstances bien solennelles
de la vie de chacun des propriétaires de ces bijoux : les baptê-
mes, les mariages et les enterrements. A l'intérieur, ce ne sont
que tableaux , marbres , vases et curiosités ; ce ne sont que
bois précieux et luisants, porcelaines d'Asie, cristaux, al-
bâtres , pori)hyres.
Un voyageur français qui a publié une description très-
piquante de la Hollande et de ses mœurs , sous le titre de
Quatre mois dans les Pays-Bas, M. Lepeintre-Desroches,
nous ai)prend que cet opulent village, tout féerique qu'il
paraît d'abord , est d'une tristesse incomparable , et qu'on y
rencontre si [)eii de passants qu'on le croirait désert. Les
prudents habitants de Broek, aussi économes qu'opulents et
aussi Sédentaires qu'économes, se voient rarement entrtj
93.
740
BROEK
eux. Quiconque se présente dans une maison sans venir de
la part d'un ami bien intime , h moins qu'il n'ait quelque
bonne. r.'//"« ire à proposer, se voit imfiitoyahlenient fermer la
porte, comme il arriva, entre autres, à l'empereur Joseph JI.
Le miîme écrivain ajoute en parlant de i3ioek : « Les \)\h-rf,
qui servent aux usages communs, telles que l'anticiiambre
et l'office, sont resplendissantes de netteté. Il n'y a pas jus-
qu'à la cuisine qui ne soit remarquable sous ce rapport, et
les noudjreux ustensiles qui y sont placés, soit en fer, soit
en cuivre, sont d'im éclat ravissant. Quelques-uns sont gar-
nis d'élolTes de coton ou de laine fine aux endroits ou la
main doit les saisir, tant est f^vande l'attention des gens de
cette contrée dans les pins petits détails. »
Notre voyageur ne ilit pas tout. Cette cuisine qu'il décrit
si bien , et qu'on ne peut se représenter (pie comme un ma-
gasin d'orftH iciJe, n'est qu'une cuisine d'apparat ! ces usten-
siles d'un dcla( si ravissant, on ne les touche jamais que
pour en raviver par de savantes frictions le poli qui se ter-
nirait à la longue sans cette précaution; et il y a dans cha-
que maison , mais bien mystérieusement caché à tous les
regards , un réduit dans lequel s'apprêtent les mets destinés
à l'alimentation <fe la famille, réduit dont l'habitant de
fîroek dissimule avec autant de soin l'existence que celle
du cabinet où ce di.ible d'Alccste veut à toute force mettre
le sonnet d'Oronte.
Écoutons encore parler M. Lepeintre-Desroclies : «Mais ce
qui s'y voit de plus merveilleux pnut-être , c'est la laiterie,
c'est retable , qui ne sont pas moins éclatantes de couleur,
de propreté et de clarté que tout le reste. On peut dire que
la Hollande est le paradis des vaches; elles y sont logées
beaucoup plus agréablement que la plupart des bourgeois
de nos villes. A Broek surtout , les nourrisseurs semblent
avoir redoublé d'attention pour elles : ils les ont placées de
manière à ce que chacune a son cabinet séparé , bien verni,
bien peint, bien frotté ; elle-même est soigneusement épongée
et nettoyée ; ses pieds posent sur un plancher bien lavé , et
pendant que sa tête s'allonge dans une mangeoire de bois
bien ciré , sa queue est retroussée artistement et attachée au
plafond par le bout avec un cordon «
Une seule chose nous étonne-, c'est que les habitants de
Broek n'aient pas encore songé à entourer d'une serviette
le cou de leurs vaches quand elles prennent leur nourriture,
ainsi qu'on a grand soin de le faire chez Franconi au cheval
gastronome.
BROEIÎIIUYSEIM ( Jan van), plus connu sous le nom
de Janus Broukusius , poète et philologue hollandais dis-
tingué, né le 20 novembre 1649, à Amsterdam, appartenait à
une famille considérée, et fut élevé au collège de sa ville na-
tale, oiiil composa, à l'occasion de l'installation d'uu nouveau
bourgmestre, un poëmc dont les heureuses pensées et la latinité
d'une remarquable pureté firent grande sensation. Encouragé
I)ar les éloges (pii lui en revinrentde toutes parts, Broekhuy-
sen voulait se consacrer dorénavant à la culture des lettres ;
mais ce projet fut contrecarré par son tuteur, qui avait décidé
dans sa sagesse qu'il ferait de lui un apothicaire. 11 se soumit
d'abord, résigné, aux volontés de cet esprit positif; cependant
peu de temps après il désertait l'olficine du pharmacopole
chez lequel il avait été mis en apprentissage pour s'engager
au service de son pays. En 1674 il partit avec le grade de
eapitaine-lieutenantàbordde l'escadre aux ordres de l'amiral
Ruyter pour les îles des Indes occidentales ; mais ni les
orages ni les tempêtes ne purent lui faire oublier la poésie.
C'est ainsi qu'il se trouvait à la hauteur de l'ile Saint-Do-
minique quand il traduisit en vers latins le 44* psaume de
iiavid, et composa son Céladon ou le Désir de revoir sa
patrie. Revenu dans l'automne de la même année à Utrecht,
il eut occasion d'y nouer des relations avec plusieurs sa-
vants, notamment avec Grevius; et il y fit paraître un recueil
de ses poèmes latins (Utrecht, 1684), qu'il traduisit aussi en
hollandais. A peu de temps de là il obtint un emploi comme
BROGLIE
officiera Amsterdam. En 1697 il prit son congé, avec le
grade de capitaine, et mourut le 1.5 décembre 1707. Ses édi-
tions de Sanna/ar, de l'roperce (1702 ; nouv. édit,, 1726)
et de Tibulle ( 1708 ; 2* édit., 1727 ) prouvent la vaste étendue
de ses connaissances.
BROEMSEDUO, petit village de Suède, dans la pro-
vince de Calmar, resté célèbre dans l'histoire par la paix
qui s'y négocia, en 1645, entre la Suède et le Danemark,
et en vertu de Laquelle celte dernière puissance dut aban-
donner à la première plusieurs provinces. Foye-DANE.MAitK.
BilOEiXDSTED ( Petf.u-Oi.ii- ), si célèbre par l'étendue
de ses connaissances philologiques et archéologiques, était
né le 17 novembre 17sO, à llorsens, en Jutland, d'un
père ministre protestant. Après avoir fait ses études à l'u-
niversité de Copenhague, il vint, en 1806 , passer deux ans
à Paris, d'où il se rendit en Italie. Il en partit en 1810,
avec l'architecte Haller de Hallerstein , Linckh et de Sta-
ckelberg , pour entreprendre en commun un voyage scien-
tili(iue en Grèce, et y faire exécuter des fouilles qui produi-
sirent des résultats immenses pour les progrès de l'archéo-
logie. De retour à Copenhague en 1813, il y fut pourvu
d'une chaire de philologie grecque. Croyant que la publi-
cation du grand ouvrage qu'il se proposait de publier sur
son voyage en Grèce ne pouvait point se faire avantageu-
sement en Danemark, il sollicita et obtint du gouverne-
ment danois sa nomination aux fonctions d'agent accrédité
pi-ès le gouvernement pontifical , et se rendit à Rome
en 1818. Pendant les années 1820 et 1821 il entreprit une
tournée dans les îles ioniennes et en Sicile , puis se rendit à
Paris, avec l'aulorisation de son gouvernement , pour y com-
mencer l'inipression de son livre. Cet ouvrage, véritable
monument élevé à la science et au sol classique de la Grèce,
et imprimé aux frais du gouvernement danois, fut publié
en allemand sous le titre de : Reisen und Untersuc/iun-
gen in Griechenland (2 vol. in-4", Paris, 1826- fsao).
lien parut, en même temps, une traduction française.
On a encore de Brœndsted quelques opuscules archéolo-
giques, entre autres : An Account of some greek vases
found near Vulci (Londres, 1832); les Bronzes de Sirjs
(in-4°, Copenhague, 1837 ), et de précieux essais sur rkis-
toire de Banenturk, d'après les manuscrits français du
moyen âge (Copenhague, 1817-1818). lia en outre publié, sur
les papiers laissés par le major Muller, des Souvenirs d'un
Séjour en Grèce jjendant les années 1827 et 182S (Pa-
ris, 1833 ), qui offrent de l'intérêt sous le point de vue de
l'art militaire. Après son voyage en Angleterre en 1826,
Brœndsted fut nommé conseiller de légation. Revenu en 18.32
en Danemark, il fut nommé directeur du cabinet des anti-
ques de Copenhague, et professeur de philologie et d'archéo-
logie à l'université de cette ville. Lorsqu'il mourut, le
26 juin 1842, des suites d'une chute de cheval, il en était
devenu recteur.
liUOGLÏE ( Famille de). Cette famille, originaire de
Quiers en Piémont, et dont le véritable nom (Brog Ho ou
Broglia, intrigue ) paraît n'avoir été d'abord qu'un simple
sobriquet, a donné à la France plusieurs hommes qui se
sont distingués dans les armes et la diplomatie.
BROGLIE ( Fhançois-Makie, comte de), est le premier
dont l'histoire fasse mention. Il était page du prince Mau-
rice de Savoie, et se signala, en 1639, comme capitaine de
ses gardes, à la prise de Chivasso, de Quiers, de Trino, de
Montcallier et au siège de Coni , qu'il défendit pendant
trois mois contre les Français. Le duc de Savoie le créa,
en 1643, comte de Revel, ce qui ne l'empêcha pas de quitter
bientôt sa patrie pour aller s'établir en France. Broglie
s'attacha à la fortune de Mazarin, et entra dans l'armée fran-
çaise, où il était déjà capitaine dans le régiment de cava-
lerie italienne en 1647. Il se signala en diverses occasions
par une bravoure extraordinaire, et par une souplesse de
caractère qui lui i>eimit de tirer parti des troubles de la
BÎIOGLIE
r-ii
Frontlc. I-cs l)icr.s de plusieurs gentilslmmmes passé-* an
eeivice de l'Kspagne ayant été confisqués en 1651, le
comte deCroglie obtint une partie de leurs dépouilles, dont
le produit lui servit à lever et écjuiper un régiment de ca-
valerie étrangère, qui prit son nom. 11 fut tué au siège de
Valence, en 165C. Depuis six mois il avait reçu des lettres
de naturalisation ; mais elles ne furent enregistrées à la
chambre des comptes qu'im an environ après sa mort.
Sa famille n'en continua pas moins à jouir des faveurs de la
cour; elle compta , en très-peu de temps, trois maréchaux.
C'est qu'il entrait alors dans la politique de la royauté d'élever
les familles étrangères aux dépens des maisons indigènes :
les Schomberg et les Rosen ne furent pas moins bien traités
que les Broglie.
BROGLIE (Victor-Maurice, comte de) , fut pourvu d'un
régiment d'infanterie anglaise dès l'âge de trois ans. Il servit
sous Turenne en Alsace , fut blessé au combat de Mulhouse
en lG74,et passa ensuite dans l'armée du maréchal de Cré-
qui. Il leva à î^es frais, en 1674, un régiment d'infanterie,
et en 1702 un de cavalerie, qui poitèrent son nom. Gouver-
neur du Languedoc , il poursuivit avec cruauté les protes-
tants révoltés des Cévennes, fut créé maréchal de France,
alors que depuis quarante ans il ne comptait plus dans
l'armée active, et inouiiit en 1727, dans son château de
liuliy , trois ans après sa nomination.
BROGLIt (François-Marie, duc de), né à Paris, en 1071,
troisième fils du précédent, fit à partir de 1689 toutes
les campagnes des Pays-Bas, d'Allemagne et d'Italie, se
distinguant par sa valeur, et fut employé souvent dans des
négociations diplomatifjues. 11 passa successivement par tous
les grades, et obtint en 1734 le bâton de maréchal. Ce fut
lui qui dans la guerre de la succession d'.\utriche eut le
commandement en chef des armées de Bavière et de Do-
Iièiiie ; mais obligé de battre en retraite jusqu'aux frontières
de France avec son corps d'armée, il tomba en disgrâce,
et mourut le 22 mai 1745. 11 avait été créé duc en 1742.
BBOGLIE ( Victor-François , duc de), fils aîné du pré-
cédent, naquitle 19 octobre 171S. llservit d'abord, sous les
ordres du maréchal son père, dans la guerre de 1733,
guerre de dynastie, entreprise dans l'intérêt de Stanislas, de-
venu beau-père de Louis XV. De l'armée de la haute Al-
sace, commandée par le maréchal de Coigny , il passa à celle
du Rhin, et se fit remarquer à la bataille de llagucnau et
au siège de Fribourg. En 1757 il assista, sous les ordres
du maréchal d'Estiées, au combat de HastenbecU, s'empara
de Minden et de Reithein , et rejoignit en Saxe le maréchal
• le ï)oulii>e. Api es la iuneste bataille de Rossbacli, il retourna
dans le Hanovre, et prit lirêmeen 1758. Un an après, attaqué
par le duc Ferdinand de Brunswick, dans le camp qu'il avait
établi à Bergen , il se défendit si courageusement , que l'em-
pereur François I"^ lui conféra le titre de prince du saint-em-
pire romain. 11 fut ensuite nommé gouverneur général du
pays Messin, dit les trois Évêchés , et créé maréchal de
France le 16 décembre 1759 , n'ayant encore que qnarante-
<leux ans. Jomini le regarde comme le seul général français
qui se soit montré constamment habile dans la guerre de
Sept Ans.
En 1789 le maréchal de Broglie fut appelé au comman-
dement de l'armée réunie entre Versailles et Paris sous
prétexte de protéger la liberté des états généraux, mais en
réalité pour assurer le succès du plan adopté par la cour
afin de les dissoudre. Le vieux maréchal appréciait mieux
que les habitués de Trianon les obstacles que rencontrerait
une itareille entreprise; il ne partageait pas l'illusion de la
cour sur les moyens de résistance des patriotes ; et à la pre-
mière nouvelle de l'insurrection parisienne , il avait dit à
Louis XVI « que, ne pouvant compter sur la fidélité et
l'obéissance des troupes, il aimait mieux aller se faire tuer
à la tète d"nne armée que d'attendre qu'on vînt l'assassiner
dans son hôtel. » Nommé ministre de la guerre le 12 juil-
let 1789, il ne conserva le portefeuille que quatre jours.
L'armée réunie sous les murs de Paris était désignée sous le
nom d'armée du marécbal de Broglie ; une tête de colonne
s'étant présentée à la barrière d'Enfer dans la nuit du 14
au 15 juillet, toute la population parisienne se prépara à la
plus vigoureuse résistance ; mais l'armée abandonna la même
nuit son camp , ses bagages et ses munitions. Le maréchal
se retira précipitamment à Luxembourg; il avait cru d'a-
bord pouvoir s'assurer des places de la Lorraine, dont il
était gouverneur : mais il courut les plus grands dangers à
Verdun , et Metz lui ferma ses portes.
Broglie encouragea de tous ses moyens l'émigration,
dont il avait le premier donné l'exemple; il fit les plu»
grands efforts pour exciter et armer les puissances étrangères
contre la France. Dénoncé à l'Assemblée constituante, il
n'échappa au décret d'accusation que par le dévouement de
son fils {voyez plus loin ), qui osa prendre sa défense. Mais
le vieux maréchal écrivit de Trêves à l'Assemblée pour dé-
savouer les démarches et les assertions de son fils , repous-
sant comme une injure le décret qui l'avait absous , et dé-
mentant avec une sorte d'indignation l'olficieux mensonge
de son fils, qui pour le justifier avait affirmé qu'il ne s'é-
tait pas réuni aux émigrés, et qu'il était resté absolument
étranger aux négociations des princes pour provoquer une
coalition contre le nouveau gouvernement de la France.
Le maréchal croyait sun honneur et sa conscience intéres-
sés à tout tenter pour rétablir l'ancien régime. 11 se mit à la
tête des premiers corps d'émigrés organisés sous les aus-
pices et par les ordres des princes,ct prit part aux opération»
de la campagne de 1792. Après la mort de Louis XVI, il
fut membre du conseil de régence, et contresigna en
celte qualité la déclaration par laquelle INIonsieur ( depuis
Louis XVIII ) réglait les attributions de cette régence. Passé
en Angleterre en 1794, il leva, au service de ce gouverne-
ment , un corps qui , après avoir été employé dans quelques
expéditions contre la république française, fut réformé
en 1796. Le inaréciial passa l'année suivante au service
de la Russie, avec un grade égal à celui qu'il avait eu en
France lors de son émigration, mais sans activité. Lorsque
Bonaparte fut élevé à l'empire, le maréchal obtint l'autorisa-
tion de rentrer en France. En 1804 il se disposait à revenir
(rans sa patrie et à se soumettre au serment de fidélité à
l'empereur , lorsqu'il tomba malade à Munster en Westphalie,
et y mourut, à l'âge de quatre-vingt-six ans.
BROGLIE (Chaules-François, comte de), frère du pré-
cédent, né le 20 août 1710 fit quelques caiiifiagnes «le la
guerre de Sept-Aiis, mais se dislin£;na plulôl ntmine diplo-
mate que comme militaire. En 1752 il fut nommé ambassa-
deur de France auprès de l'électeur de Saxe, roi de Pologne.
De Varsovie il correspondait directement avec Louis XV.
Prévoyant la catastrophe qui menaçait la nationalité polo-
naise, il mit tout en œuvre pour conjurer ce malheur. Son
crédit s'y usa peu à peu, et il finit par être rappelé. C'est alors
qu'il alla servir en Allemagne dans le cori)s de réserve placé
sous les ordres de son frère. Après plusieurs actions d'éclat,
il obtint le grade de lieutenant général en 1700; et se signala
l'année suivante à la défense de Cassel. A la fin de la guerre,
Louis XV lui confia la direction du ministère secret, chargé
de correspondre directement avec lui et de lui fournir des
renseignements sur la situation de l'Europe. Dans cette po-
sition difficile , il ne tarda pas à se brouiller avec le conseil
des ministres, et finit par être exilé. Rappelé ensuite, il con-
tribua puissamment, à son tour, à la disgrâce du duc de
Ch 01 seu 1. Exilé de nouveau quelque temps avant la mort
de Louis XV, il expira en 1781 , après avoir dirigé la cor-
respondance secrète pendant dix-sept ans.
BROGLIE (Maurice-Jean-Madeleine, abbé de), frère des
deux précédents, né en 1706, émigra en Pologne pendant
la révolution. A son retour en 1803, il fut nommé aumô-
nier de l'empereur, et en 1805 évêtpie d'Acqui en Piémont,
I
742 BROGLIE
A celle époque , il épuisa dans ses mandements les for-
mules de la plus pompeuse adulation envers le vainqueur
d'Austerlitz. Mais son langage et sa conduite changèrent
lorsqu'il devint évêquede Gand. On le vit alors refuser des
mains de Napoléon la croix d'Honneur et manifester une
opposition constante dans le concile national de 1811. Le
lendemain de la dissolution de cette assemblée, il fut en-
fermé à Vincennes, puis exilé à Beaune, et enfin relégué à
l'île Sainte-Marguerite. Après la chute de l'empereur, il
rentra dans son diocèse, compris alors dans les Pays-Bas ,
refusa ses prières au roi protestant Guillaume de Nassau, et,
condamné par contumace à la déportation par la cour d'as-
sises de Bruxelles, vint mourir obscurément à Paris,
en 1821.
BROGLIE (Claude-Victor, prince de), fils du troisième
maréchal de ce nom et neveu des deux précédents , fut
député de la noblesse de Colmar et de Scliélestadt aux états
généraux de 1789. Loin de partager les erreurs paternelles,
il adopta les principes de la révolution , se réunit au tiers
état, et vota presque toujours avec le côté gauche. Déjà
avant la révolution il avait combattu pour la liberté dans la
{guerre d'Amérique. 11 émut l'Assemblée par l'énergie avec
laquelle il défendit son père; mais sa piété filiale ne le mit
pas à l'abri d'un démenti de la part du vieux maréchal, qui
crut s'honorer en avouant, de la terre étrangère, des faits
que son fils regardait comme déshonorants. Claude-Victor
lui en 1791 nommé général de brigade à l'armée du Rhin;
mais son refus de prêter le serment exigé après le 10 août le
fit destituer. Voulant néanmoins combattre encore l'ennemi,
il demanda à servir comme simple volontaire, et vint le
11 mars 1793 haranguer la Convention à la tète de la sec-
lion des Invalides. Menacé cependant dans sa liberté, il
se décida à prendre la fuite , fut arrêté dans le département
delà Saône, traduit devant le tribunal révolutionnaire,
condamné à mort et exécuté le 27 juin 1794.
BROGLIt (Yictor-Ajiédée-Marie , prince de), frère du
précédent, né à Broglie, en octobre 1772, destiné d'abord à
l'Église, éniigra avec sa famille, et s'enrôla dans le régiment
dit des cocardes blanches , commandé par le maréchal son
père. Après la mort du prince son frère , il en prit le titre
et devint colonel du régiment qui portait son nom. En 1796
et 1797 il combattit dans les rangs des alliés contre la
France, et fut en 1799 décoré de la croix de Saint-Louis,
nommé gentil-homme d'honneur du duc d'Angoulême à l'é-
poque de son mariage , et promu au grade de maréchal de
camp. Rentré plus tard en France, il reçut en 1813, de
l'empereur, l'offre d'un régiment de gardes d'honneur, qu'il
n'accepta point. A l'avènement de Louis XVIII, il reaiplit di-
verses missions, fut nommé inspecteur de cavalerie , se reti-
ra dans la Normandie durant les Cent-Jours, et siégea en 1815
au côté droit de la chambre introuvable. Il vivait depuis
longtemps dans la retraite, quand il mourut en janvier 1852,
dans son château de Ranes.
BROGLIE ( Achille- CuARLES-LÉONCE-ViCTOR , duc de ),
neveu du précédent, le plus jeune des quatre enfants deClaude-
Victor de Broglie, né le 29 novembre 1785, n'avait que neuf
ans lorsqu'il perdit son père sur l'échafaud. Le même sort
menaçait sa mère, née de Rosen, petite-fille du maréchal de
France de ce nom, alors détenue dans les prisons de Vesoul ;
mais un domestique dévoué parvint à la faire évader et à
lui fournir les moyens de passer à l'étranger. Revenue en
France après le 9 thermidor, elle épousa en secondes noces
Voyer d'Ar genson, qui devint un autre père pour le
jeune Victor. Il lui fit donner une éducation des plus fortes,
sut lui conserver la belle terre de Broglie, et usa de son
crédit, sous le régime impérial, pour le faire d'abord exemp-
ter de la conscription, puis nommer successivement audi-
teur au conseil d'État, intendant en lllyric et ensuite à
Valladolid, enfin allathé aux ambassades de Varsovie et
de Vienne.
En 1SI3 M. de Broglie accompagna M. de Narbonne au
congrès de Prague, et se lia peu de temps après avec Talley-
rand, qui en 1814 le fit comprendre dans l'ordonnance
royale constiîutive de la chambre des pairs. Vers la môme
époque, M. de Broglie, admis dans l'instructive intimité de
M'"^ de Sfacl, demanda la main de sa fille, et l'obtint ( vo/jez
l'article ci-après ). Ce ne fut qu'après la seconde restaura-
lion qu'il prit le titre de duc, qui n'avait plus été porté dans
la famille depuis le maréchal. Dans les cercles politiques,
dont la charte de 1814 et les institutions qu'elle comportait
amenèrent tout aussitôt la formation, M. de Broglie prouva
combien étaient profondes les études qu'il avait faites de
toutes les branches de la législation et de la politique, ainsi
que des besoins moraux des générations nouvelles, et la
voix publique le désigna dès lors parmi les hommes destinés
à jouer un rôle important sous le régime représentatif dont
la France était enfin appelée à jouir.
Lors des Cent-Jours il accepta les fonctions d'officier
supérieur dans la garde nationale; et après le désastre de
Waterloo, quand la chambre des pairs eut à juger le mal-
heureux maréchal Ney, qu'une capitulation formelle pro-
tégeait pourtant contre toute réaction, M. de Broglie fut du
petit nombre de ses juges qui votèrent pour la non-culpabi-
lité. Ayant atteint sa trentième année, Age fixé pour avoir
voix délibéralive dans l'assemblée, la veille môme du jour
où devait être prononcée la sentence, il se hâta de revendi-
quer l'usage de son droit, afin d'essayer d'épargner à la Res-
tauration un des actes qui la compromirent le plus dans
l'opinion publique, et de conserver à la France un de ses
plus illustres guerriers. A partir de ce moment M. de Broglie
ne cessa de combattre les différentes lois d'exception aux-
quelles le gouvernement royal crut devoir recourir. Pendant
toute la Restauration, il se montra le constant adversaire
des mesures réactionnaires, éleva souvent la voix en faveur
de la liberté individuelle et de la liberté de la presse, solen-
nellement promise et garantie par la Charte, et lut un des plus
ardents promoteurs de l'émancipation des noirs, qui ne ces-
sa de le préoccuper. Depuis longtemps lié à la société Aide-
toi , le ciel t'aidera, il accepta la présidence de celle
pour l'abolition de l'esclavage et de la Société des Amis de
la Liberté de la Presse. Dans les réunions de cette dernière
association politique, il énonça souvent des vues aussi larges
que justes sur la matière qui faisait l'objet spécial de ses
études. Le gouvernement de la Restauration laissa la Soci(>-
té des Amis delà Presse répandre librement ses brochures,
et la seule vengeance qu'il tira de son président fut de le
tenir constamment éloigné des affaires. Il fallut que la révo-
lution de juillet s'accomplît pour qu'on pût voir M. de Bro-
glie descendre enfin des hautes théories dans lesquelles il
avait été jusque alors condamné à planer, pour entrer dans
la carrière positive des faits pratiques.
Le .30 juillet 1830 il fut nommé, par le gouvernement
provisoire, secrétaire provisoire chargé du portefeuille de
l'intérieur. Le 11 aoiH suivant Louis-Philippe le nommait
ministre de l'instruction publique et des cultes et président
du conseil d'État. Mais dès le 2 novembre M. de Broglie
donnait sa démission par raison d'incompatibilité d'humeur
avec un cabinet dont M. Dupont de l'Eure était appelé
à faire partie, et qui lui semblait devoir suivre une politique
trop favorable aux idées au nom desquelles s'était faite la
révolution. Il se posa tout aussitôt dans la chambre des
pairs comme l'adversaire du parti populaire, et se prononça
nettement pour le maintien de l'hérédité de la pairie, fidèle
en cela aux convictions de toute sa carrière politique, car
la constitution anglaise et son principe aristocratique lui
avaient toujours paru le modèle des institutions convenables
à la France; et c'est dans cette persuasion qu'en 1820 ii
avait voté avec le ministère et appuyé la loi constitutive
du double vole. Il ne laissa, d'ailleurs, dans le cours de cette
laborieuse session échapper aucune occasion de manifester
BROGLIE — BROHAN
743
ses principes franchement monarchiques, se prononçant, par
exemple , avec force pour le maintien de la cérémonie fu-
nèbre du 2 1 janvier, commémorati ve de la mort de Louis XVI,
et comliattant, dans la discussion de la loi d'exil rendue
contre la branche ainée de la maison de Bourbon, l'expression
d'ex-roi employée par le projet ministériel pour désigner
Charles X.
Rappelé aux affaires en octohre 1832, lorsque le gouver-
nement issu des harricades se fut décidé à donner la main
aux cabinets étrangers pour faire rentrer le flot révolution-
naire dans son lit, il tut chargé du portefeuille des affaires
étrangères, et le conserva jusqu'au 4 avril 1834. Sous son
ministère, les chambres votèrent le traité relatif à l'em-
prunt grec ; il appuya aussi de son éloquence la demande
des États-Unis qui réclamaient 25 millions. Après un court
intervalle, il reprit encore le même portefeuille, en no-
vembre 1834, et le garda jusqu'en février 1836, en y joignant,
depuis le mois de mars 1835, la présidence du conseil. En
sa qualité de ministre des affaires étrangères, M. de Brog'.ie
négocia et conclut avec le gouvernement anglais la conven-
tion relative à la répression de la traite des nègres, et con-
sacra le fameux droit de visite, dont il a tant été ques-
tion dans les dernières années du règne de Louis-Philippe.
Les stipulations primitives de cette convention de 1836
furent postérieurement aggravées par un acte supplémen-
taire négocié par M. Guizot à son arrivée au ministère des
affaires étrangères. Mais, sur unvoteinfirmatifde la chambre
des députés, M. Broglie lui-môme fut renvoyé à Londres,
et négocia un nouveau traité.
Après avoir été longtemps regardé comme l'un des chefs
du parti doctrinaire , il semblait, quelques années avant la
révolution de Février, s'éloigner de cette coterie d'orgueilleux
et d'égoïstes, et pencher même un peu vers la sphère d'ac-
tion de M. Thiers et de M. Odilon Barrot.
On n'entendit pas parler de lui sous le gouvernement pro-
visoire et laConstituante. Maisil se réveilla lorsdes élections
à la Législative; il était un des quinze membres du comité
électoral de la rue de Poitiers, et le département de l'Eure
l'envoya à la nouvelle assemblée. Au Palais-Bourbon il devint,
sous la république, un des chefs de la droite, un des B u r-
graves, un des protecteurs du journal l'Assemblée natio-
nale. Dans le but de rallier encore une fois les vieux partis,
disloqués par tant de discussions brûlantes, il présenta, au
milieu de 1S51, une proposition pour la révision de la cons-
litntion, qui fut discutée et repoussée le 19 juillet, bien que
448 voix l'eussent adoptée contre 278, parce que cette majo-
rité était insuffisante, aux termes de la constitution de 1848,
pour en déterminer l'adoption. Après le coup d'État du
2 décembre ^L de Broglie s'est effacé de la scène publique.
[ BROGLIE ( Albertine de Staël, duchesse de), naquit à
Paris, vers l'an 1797. Fille de M™' de Staël, qui veilla seule
sur son éducation , on conçoit aisément tout ce que les soins
d'une pareille mère, joints au spectacle des graves événe-
ments dont sa jeunesse fut témoin , durent faire pour cultiver
une heureuse nature. Aussi a-t-elle dignement soutenu l'hé-
ritage de ce beau nom. Mariée en 1815 à M. le duc de Broglie,
elle trouva dans cette union , qui ne fut jamais altérée par
le plus léger nuage, tout ce qui peut contribuer au bonheur
de la vie, et, quel que fût l'éclat de sa haute position , il est
juste de dire qu'elle l'a rehaussée encore par une renommée
sans tache et par l'exemple admirable qu'elle a donné de
toutes les vertus domestiques. A son tour, elle présida elle-
même à l'éducation de ses enfants , et ce n'était qu'après avoir
pleinement satisfait à tous les devoirs de famille, qu'elle
donnait une partie de son temps au monde , dont elle fut
un des plus beaux ornements. Son salon n'était pas seule-
ment le rendez-vous de toutes les illustrations politiques ,
c'était un de ces salons qui deviennent de plus en plus rares
à Paris , et où , comme aux beaux jours du dix-huitième
siècle , la Uaute société venait chercher les plaisirs de l'esprit.
Là se rendait l'élite des écrivains , des orateurs , des artistes ,
et tout ce qu'il y avait à Paris d'étrangers célèbres par le
rang ou par les talents.
M"* la duchesse de Broglie était zélée protestante , et dans
sa religion même elle appartenait à une secte connue par la
rigidité de ses principes et par l'austérité de ses pratiques ;
mais la sévérité du méthodisme n'avait pas réagi sur son ca-
ractère , et en elle la piété se conciliait avec une extrême
bienveillance, avec une affabilité gracieuse et avec des égards,
on peut le dire , affectueux pour tout ce qui se distinguait
par quelque mérite. Sans jamais produire son nom au public,
JI™^ de Broglie a écrit elle-même plusieurs morceaux aussi
remarquables par la délicatesse de l'expression que par la
tendance morale ; ce sont pour la plupart des essais de morale
religieuse. Ils ont été recueillis depuis sa mort, sous ce titre :
Fragments sur divers sujets de religion et de morale
(imprimerie royale, 1840). Le premier de ces opuscules est
une préfaceàla traduction de l'Histoiredes Quakers, ^ubUée
en 1820. Puis les préfaces de deux ouvrages d'Erskine, l'un,
Réflexions sur l'évidence intrinsèque du christianisme ;
l'autre. Essai sur la Foi. On connaît la notice intéressante
que M"'^ de Broglie publia sur son frère, M. Auguste de
Staël , lorsqu'elle donna l'édition complète de ses œuvres.
Un des écrits les plus remarquables de ce recueil est celui
qui est intitulé Sur les associations bibliques de femmes
( 1824). L'auteur y traite du rôle qui appartient aux femmes
dans les associations philanthropiques, et montre la part qui
leur est réservée dans la tâche difficile de moraliser les popu-
lations. A la suite viennent quatre comptes rendus de la
société auxiliaire de femmes , à la société des missions
cvangéliques de Paris. Enfin, ce volume contient encore
trois morceaux inédits, une Introduction à la traduction du
Sahit gratuit d'Erskine; le Caractère du Christ, et une
Paraphrase de la parabole de l'enfant prodigue.
Au milieu des plus brillantes prospérités, jouissant, avec
un calme heureux, de la considération européenne qui entou-
rait son époux. M"* la duchesse de Broglie avait eu elle-
même de pénibles épreuves à soutenir. Peu après la mort
de son frère, enlevé dans la force de l'âge, elle fut cruelle-
ment frappée par la perte d'une fdie accomplie, à peine âgée
de quinze ans. Il avait fallu toute sa résignation religieuse
pour résister à ces douleurs maternelles, de toutes les plus
inconsolables. Toutefois, elle avait marié en 1836 sa se-
conde fille à M. le comte d'Haussonville. Elle venait d'être
témoin des succès de son jeune fils, couronné dans les con-
cours de l'université, lorsqu'elle fut subitement enlevée à
l'amour des siens, au mois de septembre 1838 , dans sa qua-
rante-unième année. Le corps de M"^ la duchesse de Broglie
a été transporté dans la sépulture de sa famille , à Coppet ,
où reposent déjà les corps de sa mère et de son frère, auprès
de ceux de M. et M"' Necker. Artaud.]
BROHAîV. Trois actrices ont illustré ce nom à la Co-
médie française.
BROHAN (M™* S'z.a-nne) , fdle d'un ancien militaire re-
traité dans une petite ville de province, née en 1807, mon-
tra de bonne heure une ardeur si exclusive pour la comé-
die, que sa famille comprit tout dabord qu'il n'y avait pas
à lutter contre un penchant qui avait le double caractère
d'un instinct et d'une passion. On se résigna donc à secon-
der plutôt qu'à combattre la nature, et Suzanne Brohan fut
envoyée à Paris pour y perfectionner par l'étude les heu-
reuses dispositions dont le ciel l'avait douée. C'était en 1819.
Suzanne , alors âgée de douze ans , fut admise au Conserva-
toire, où elle devint bientôt l'une des plus brillantes élèves
de l'excellent professeur Miclielot. En 1820 elle obtint le
deuxième prix de déclamation; en 1821 elle eut le premier,
puis partit pour Orléans, où elle remplit avec grand suc-
cès les rôles de soubrettes. Après deux années de séjour
dans les départements, deux années pendant lesquelles ses
différents essais furent autant de triomphes, clic s'en vint
M4
Bî
débuter au second Tliéâtre-Français. Le premier rôle qu'elle
joua fut celui de Dorinede Tartufe. La nouvelle Dorine avait
des qualités précieuses. Son regard était charmant, sa phy-
sionomie fine, sa bouche riante et moqueuse, sa taille souple
et ronde, satourniire pleine d'aisance et de vivacité; puis il
y avait dans toute sa personne je ne sais quelle séduction
provoquante, à laquelle il était impossible de résister. La
voix était nette et clairement accentuée, le débit intelligent
et vrai, la prononciatiou franche. Le parterre fut conquis ,
et proclama Suzanne Brohan une de ses idoles.
En 1828 le "Vaudeville enleva à l'Odéon la piquante
soubrette , pour qui les vaudevillistes en renom écrivirent
leurs meilleurs ouvrages. Sans rappeler toutes les créations
par lesquelles M'"* Brohan se signala durant les sept années
qu'elle resta au Vaudeville , citons seulement une des plus
parfaites : Marion Delorme de Marie Mtgnot. La Comédie-
Française daigna un jour s'apercevoir que Suzanne Brohan
lui manquait. Des propositions furent faites à la spirituelle
actrice. Suzanne Brohan était comme toutes les comédiennes
<iui ont vécu du temps de M""-' Mars; il lui semblait que le
beau idéal de la vie artistique , c'était de fouler les planches
où trônait la plus illustre des actrices : ce fut avec bonheur
<iu'en 1835 elle fit sa première apparition sur la scène fran-
çaise. Cette fois encore elle prit pour rôle de début Dorine de
Tartufe; elle y joignit Madelon des Précieuses ridicules.
L'une et l'autre tentative furent des plus heureuses ; on
«npprécia ce jeu fin, quoique naturel, cette voi\ un peu
faible peut-être, mais nette et limpide, cette sûreté d'exécu-
tion qui pousse la gaieté, l'entrain jusqu'aux dernières limites
i^.tablies par le goût , mais ne les dépasse jamais. En quelques
mois , M'"* Suzanne Brohan avait pris sa place.
Malheureusement, l'excellente artiste ne tarda pas à s'a-
percevoir là, comme dans la rue de Chartres, que pour
Téussir au théâtre il faut autre chose que du talent, autre
chose que la faveur publique, et que la comédie qu'on joue
à la clarté de la rampe demande moins d'énergie, moins de
persévérance que n'en exige la comédie qu'on joue dans
l'ombre des coulisses. Elle vit, à n'en pas douter, qu'au
Théâtre-Français comme au Vaudeville l'intrigue est plus
■forte que l'esprit ; et comme sur ce terrain , qui n'était pas
le sien, dans ce monde qu'elle connaissait à peine, les pe-
tites dilficultés, les petites haines et les petits complots pre-
naient à ses yeux, effrayés, des propoilions gigantesques,
«lie n'essaya pas de lutter, et s'en revint à son Vaudeville.
De nouveaux succès l'y attendaient. Elle s'y fit remarquer
surtout dans Pierre le Rouge , pièce dans laquelle son ta-
lent souple et ingénieux brilla d'un triple éclat sous trois
aspects divers. Plus tard, elle fit preuve d'une verve mer-
veilleuse dans Un Monsieur et une Dame. Mais, soit que
les applaudissements du public n'aient pas paru à W"" Su-
zanne Brohan une compensation suffisante des tracas-
series du foyer, soit que sa santé, qui n'a jamais été flo-
rissante , réclamât , comme on l'a dit , un repos absolu , une
renonciation complète aux travaux de la scène, l'excellente
artiste prit sa retraite définitive , alors qu'à peine âgée de
trente-cinq ans, elle était dans toute la plénitude de son
talent.
BROHAN (Augustine), fille de la précédente, débuta
en 1841 , à peine âgée de seize ans , sous l'égide du nom ma-
ternel, au Théâtre- Français. Comme autrefois sa mère, soit
hasard, soit superstition, elle choisit le rôle de Dorine de
Tartufe. La critique fit observer que jouer Dorine à seize
ans, c'est beaucoup d'audace, car Dorine est une fille con-
sommée, qui sait les choses sur le bout du doigt, et ne se
gène guère pour les diie : mais chez les Brohan l'audace
est une vertu do famille; et quand elle se vit aux prises
avec ce vert dialogue , M"" Augustine Brohan ne broncha
pas, et, tout comme l'avait fait sa mère en 1S53, elle s'em-
para vigoureusement du personnage, et le joua avec une
vivacité, un nerf, une verdeur qui d'abord donna, puis ra-
OHAN
vit d'aise le vénérable orchestre du Théâtre-Français, peu
habitué à pareille fête. Dans la même soirée elle aborda le
rôle de Lise des Rivaux d'eux-mêmes. Ici, il ne s'agissait
plus d'être franche du collier, il fallait finasser, ruser, avoir
de la grâce, de la chatterie , quelque peu de fine fourberie;
M"° Augustine Brohan eut de lout cela! Aussi dès cette
première soirée le public prit en grande affection ce frais
sourire , ces dents si blanches, toujours prêtes à se laisser
voir, ces yeux tout à la fois vifs , doux et agaçants , cette
taille à facilement envelopper dans les dix doigts, cette phy-
sionomie railleuse, ces gestes sobres, bien qu'aisés, cette voix
mordante, qui ne permet pas à l'oreille la moins atten-
tive de perdre une syllabe de la poésie franche et forte de
Molière.
Dès cette première soirée il fallut convenir que l'héré-
dité du talent n'est pas toujours un vain moL Avec le même
bonheur qui avait protégé ses premiers pas, M"^ Augustine
Brohan parcourut successivement le répertoire de Mari-
vaux, de Regnard , de Destouches, de Lesage, etc. Chose
étonnante ! la Comédie-Française comprit que ce bonheur
était du talent, et du meilleur; elle se hâta (elle, d'ordi-
daire si lente dans ses résolutions, surtout quand ces réso-
lutions sont bonnes) d'enchaîner à tout jamais M"* Augus-
tine Brohan , sa vive et précoce intelligence , son fin regard ,
par une promesse de sociétaire. Cette promesse reçut son
accomplissement, et depuis l'âge de dix-neuf ans à peine
M"'' Brohan fait partie de la société. Mais ce talent, si plein
de sève , d'avenir, est-il bien à sa place au Théâtre-Fran-
çais? Cette exubérance de gaieté, de jeunesse, se déploiera-
t-elle en toute liberté sur cette scène un peu collet-monté ?
Un théâtre de genre , avec ses pièces aux faces multiiilcs ,
aux couleurs variées, avec les hardiesses que sa condition
plébéienne autorise, ne serait-il pas essentiellement favorable
à l'épanouissement complet de cette verve luxuriante .■"
Edouard Lemoike.
Quoi qu'il en soit. M' " Augustine Brohan n'a pas cessé
d'appartenir au Théâtre-Français, d'en gâter le public, et
d'être son enfant gâté. Son talent, ses séduisantes qualités
y font plus que jamais courir la foule , et ses apparitions
sur la scène se comptent toujours par des succès. Huit ans
après ses débuts , au mois de mars 1849 , un proverbe com-
posé par elle et intitulé : ]l ne faut jamais compter sans
son hôte , était représenté dans une matinée dramatique et
musicale à l'hôtel Forbin-Janson. La piquante actrice y joua
le rôle de la duchesse, dans lequel elle déploya de l'esprit
comme quatre Brohan. Cette charmante bluette fut
vivement applaudie, et il est grand dommage, en vérité,
qu'im premier essai aussi heureux n'ait pas encore décidé sou
auteur à en tenter un deuxième. Par malheur M"* Augustine
Brohan n'aime pas le théâtre, et à peine âgée de vingt-six
ans, elle rêve déjà , dit-on , la retraite , le calme et l'obs-
curité de la vie privée.
BROHAN (Madeleine), sœur cadette d'Augnstine, et fille
de Suzanne Brohan, n'est encore qu'une enfant d.e dix-huit
ans, vivant sous l'aile de sa mère. Mais cette enfant est d( jà
sociétair? du. Théâtre-Français; et cette enfant précoce
s'est de prime abord placée au premier rang et révélée conmic
une artiste hors ligne. Née le 22 octobre 1833 , et dès son
entrée dans la vie destinée au théâtre, la jeune élève du
Conservatoire remporta le premier prix de comédie dans lo
concours qui eut lieu le 25 juillet 1850. Le 15 septembre de
la même année, elle débutait au Théâtre-Français dans le
rôle de Marguerite des Contes de la reine de Navarre , de
M. Scribe; ce début fut un éclatant triomphe. On admira cctli
excellente diction, cette tenue parfaite; on se trouva prisi
sous le charme de cette souriante et fraîche jeunesse, à
cette voix charmante , et ce qui étonna surtout de l'aimable
jeune fille, fut cette largeur d'exécution, cette intelligence
du détail, qu'on n'était pas en droit d'attendre d'une artiste
ine.xpérimentéc et novice comme l'était Madeleine. F.lles'e*
le
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el
e
B
1
BROHAN — BROMÉLIACÉES
$.iya ensuite dans Tancien rëperloirc de la comédie, et joua
avec beaucoup de succès les rôles de Célimène du Misan-
tlirope et de Sylvia dans Le Jeu de l'Amour et du Hasard.
En (ait de rôles nouveaux , elle n'a depuis les Contes joué
que Marianne des Caprices de Marianne, et Mademoiselle
de la Seiglière, de Jules Sandeau. Elle a été reçue sociétaire
de la Comédie-Française au mois de novembre 1851.
BROIE. Voyez Brove.
BROMALES. Voyez. Brumales.
BRO1MATES9 sels résultant de la combinaison de
l'acide bromique avec une base. Tous les bromates, ex-
cepté ceux d'argent et de protoxyde de mercure , sont so-
lubles dans l'eau. Us détonnent vivement sous le choc du
marteau. Us peuvent servir aux mêmes usages que les
chlorates, avec lesquels ils sont isomorphes. Ces deux
classes de sels se comportent presque toujours de la môme
manière : ainsi , les bromates soumis à l'action de la chaleur
se décomposent en oxygène et en bromures analogues
aux chlorures qu'on obtient des chlorates dans les mêmes
circonstances. Enliii , comme dans les chlorates , l'oxygène
de l'acide des bromates est à l'oxygène de leur base comme
5 est à 1 .
BROMATOLOGIE (de PpwtJ.a, aliment , et Xôyo;, dis-
cours), science ou traité des aliments. En hygiène, on traite
sous ce nom des aliments, des boissons , de quelques
opérations culinaires et des c o n d i m e n t s ou a s s a i s 0 n n e -
ments; on indique leur action sur l'organe du goût, sur
res.tomac et sur tout l'organisme. Quant à la partie de la
science qui traite spécialement de la description des ali-
ments, on l'appelle bromographie (de ppwjxo;, pour ppw(xa,
et Y?^?-'"'» décrire ).
BROME (deppôfjio;, espèce de graminée,ou de ppwH^a,
aliment , parce que les graines des hromes servent de nour-
riture aux oiseaux), genre de plantes de la famille des gra-
minées, dont les espèces, au nombre denviron quatre-vingts,
sont répandues dans presque toutes les contrées du globe, et
particulièrement en dehors des tropiques. Toutes les espèces
indigènes à la France, et on en compte dix-huit, con^'ie^-
nent plus ou moins pour la composition des prairies. La plus
propre à remplir cette destination est le brome des prés
(bromus pratensis, Lamarck), qui se voit dans toutes les
prairies confondu au milieu des autres herbes. Si ime por-
tion de ces prairies a été fatiguée par un chemin qui y aurait
été pratiqué momentanément, si par toute autre cause, telle
que des meules qui auraient été laissées trop longtemps, ou
des feux que les pâtres auraient établis, l'herbe naturelle au
pré est fatiguée ou détruite , on voit d'abord s'y établir des
poas, des houlques, qui gazonnent ces places d'une l.erbe
serrée et fine, bientôt surmontée d'une herbe plus élevée,
qui est ordinairement un brome et presque toujours le
bromus pratcnsis ou le bromus mollis, ce qui indique
l'utilité d'en répandre les graines dans des circonstances
semblables pour rétablir plus rapidement le niveau dans les
herbes de la prairie. Le brome des prés , croissant sponta-
nément dans les sols les plus mauvais , a fourni tout natu-
rellement la pensée de le cultiver en grand en de pareilles
circonstances; la pratique a justifié cette pensée pour des
sols rélractaires à d'autres graminées, où on obtient une
herbe abondante et du foin , tout en gazonnant d'une plante
vivace des terrains qui se trouvent ainsi améliorés et propres
à la dépaissance ou disposés à recevoir plus utilement d'au-
tres cultures. Mais nous conseillerons de le mêler de quel-
ques plantes qui tapissent la terre ou garnissent les parties
inférieures et moyennes un peu nues du brome des prés ; par
ce moyen , on crée immanquablement une prahie toulliie et
élevée , dont on peut faire du foin ou un iiàturage de bonne
qualité , abondant et permanent. C. Tollakd aîné.
Le brome des prés lleurit en juin. C'est une belle espèce,
d'un vert glauque, dont la hauteur varie de 0"',(j3 à0"',y5;
ses racines dures, épaisses, vivaces, donnent naissance à
DICT. nE LA CONVEKS. — C. lil.
745
plusieurs tiges droites presque nues; les feuilles sont {>arsc-
mées de poils rares , les épillets panachés de vert , de violet
ou de pourpre, et composés de six à neuf fleurs.
Le brome seiglin {bromus secalinus , Linné), ainsi
nommé de ce qu'on le trou\e fréquemment dans les champs
de seigle et d'avoine négligés, a des tiges glabres, hautes
d'environ un mètre ; les feuilles sont planes , à peine parse-
mées de quelques poils courts; les épillets ovales lancéolés,
glabres, un peu comprimés, d'un beau vert, tordes de
blanc , renfennant dix à douze fleurs.
Le brome velu {bromus mollis , Linné) se reconnaît à
l'aspect blanchâtre et pubescent de toutes ses parties , au
duvet mou qui recouvre ses graines et ses épillets. On le
trouve ordinairement le long des chemins et des murs et ,
comme le brome seiglin , dans les prés secs et les terres né-
gligées. Ces deux espèces sont souvent très-communes parmi
les céréales , et leurs semences , mêlées à celle du seigle et
du froment, sont peu nuisibles il est vrai, mais communi-
quent au pain une saveur amère et désagréable. Dans les
années de disette, on a cherché à les employer ; mais on n'en
obtenait qu'un pain noir et pesant. Le meilleur parti qu'on
puisse en tirer, c'est d'en nourrir la volaille. La panicule du
brome velu fournit une couleur propre à teindre en vert.
Le brome rude {bromus squarrosus, Linné), qui habite
le midi de l'Europe et se répand jusque dans l'Afrique sep-
tentrionale, croît sur le bord des champs et lleurit en juin
et juillet. Il est très-remarquable par la grosseur de ses épil-
lets larges, pendants, comprimés, comprenant un grand
nombre de fleurs, dont les valves sont grandes, obtuses, très-
glabres et membraneuses.
Le brome des toits {bromus tectorum, Linné), très-
commun sur les toits, les vieux murs, et dans les heux
stériles, s'étend du midi au nord de l'Europe. Il croît pres-
que toujours par touffes. Les épillets sont rapprochés, d'un
vert blanchâtre et luisant, mollement balancés sur leur
chaume flexible. La panicule est inclinée d'un seul côté ,
presque horizontalement.
Les autres espèces indigènes du genre brome sont le brome
stérile, le brome des buissons, le brome à petites fleurs ,
le brome des bois , etc.
BROME (de ppwfAo; , fétidité). C'est le nom par lecpiel
on désigne un corps simple trouvé, en 1826, dans les eaux
mères des marais salants , où il existe à l'état de combinaiseui
avec la magnésie. Ce corps , dont on doit la découverte à
M. Balard, est de consistance liquide, d'une couleur rouge
hyacinthe ou rouge noirâtre, suivant qu'on le voit par ré-
fraction ou par réflexion : son odeur est suffocante et. offr;i
beaucoup de ressemblance avec celle du chlore et particuliè-
rement de son oxyde; il est très-volatil et répand des vapeurs
rutilantes ; mis en contact avec la peau , il la tache en jaune ,
il n'est congelable qu'à une très-basse température; sa densité
est 2,96.
Le brome a déjà été conseillé dans certains cas de méde-
cine, tels que les scrofules, la phthisie, la chlorose, etc.;
cependant, il est encore peu usité. Espérons qu'il ne tardera
pas à être plus généralement prescrit par les praticiens. Je
l'ai employé (à l'état d'hydrobrômate de fer, etc. ) avec un
succès assez marqué dans quelques cas d'affections stru-
meuses, dans plusieurs maladies chroniques de la poi-
trine , etc., pour qu'il me soit permis de le citer ici comme un
médicament destiné à jouer par la suite un rôle des plus im-
portants dans la thérapeutique. D"^ P,-L. Cottereau.
BROMÉLIACÉES., famille de plantes monocotylédo--
nés, qui a pour type le genre bromelia, dont on a démembré
l'a ï.anas. Les broméliacées ont des fleurs hermaphrodites,
généralement réguhères, disposées en épis, plus rarement
en grappes ou en panicules. Toutes les plantes de cette la-
mille sont originaires, soit des Antilles, soit du continent da
l'Amérique méridionale. Elles se font remarquer par un port
tout paiticulicr; ce sont des plantes vivaces, quelquefoU
.746
des arbustes ramcux, portant des feuilles très-nombreuses ,
épaisses et roides, souvent armées de dents épineuses sur
leurs bords.
BROMUYDRIQUE (Acide). Cet acide, composé
d'hydrogène et de brome, est un gaz incolore, fumant
à l'air comme l'acide chlorhydrique, dont il rappelle
l'odeur et avec lequel il présente une grande analogie, tant
par sa composition que par ses propriétés. Seulement, à une
température élevée , l'acide bromliydrique se décompose en
partie; il est par conséquent moins stable que l'acide chlor-
iiydrique.
Pour préparer l'aciie bromliydrique pur, on met des
fragments de phosphore dans un vase auquel est adapté un
tube; on verse par dessus une couche d'eau, puis on ajoute
du brome. Une vive réaction a lieu aussitôt; il se forme un
bromure de phosphore, qui décompose l'eau et donne nais-
sance à de l'acide hypophosphoreux, qui reste, et à de l'acide
bromhydrique, qui se dégage et qu'on recueille, comme le
chlore, dans un flacon rempli d'air.
BROMIOS (du grec Pp£[X£tv, frémir, résonner, vibrer).
Voyez Bacchus.
BROMIQUE (Acide). Liquide, incolore, inodore, com-
posé de 2 volumes de brome et de 5 d'oxygène, cet acide,
isomorphe avec les acides iodique et chlorique, forme
avec les bases des bro mates analogues aux chlorates et
aux iodates. Il se prépare absolument de la môme manière
que l'acide chlorique.
BROMURES, composé;» binaires résultant de la com-
binaison du brome avec un corps simple. Isomorphes avec
les chloru res, ils peuvent les remplacer parfaitement dans
certains usages. M. Roseleur s'en était servi avec succès
pour la dorure galvanoplastique.
BRONCHES (de ppâv/o;, gosier). On appelle ainsi les
subdivisions de la trachée-artère. Lorsque celle-ci est par-
venue dans la poitrine au niveau delà deuxième ou troisième
vertèbre, elle se partage d'abord en deux rameaux secon-
daires, qui portent spccialeTnent les noms de bronche droite
et bronche gauche. Ces deux rameaux se subdivisent ensuite
en pénétrant dans les poumons en des bronches de plus
en plus ténues, qui se terminent enfin, d'après l'opinion de
la plupart des anatomistes , par de petites vésicules arrondies
où s'opère la revivilication du sang. M. Rochoux , sur des
recherches microscopiques, suppose que chaque bronche n'a
que quinze divisions successives, et porte à 32,7C8 le nombre
de leurs ramifications dernières. 11 suppute que chacune de
ces ramifications aboutit à 17,790 cellules aériennes, ce qui
porte le nombre total de ces cellules à 582,942,720. C'en est
assez à coup sur pour donner une vaste idée du champ res-
piratoire et des innombrables points de rencontre de l'air et
du sang (voyez Respiration). Les bronches, qu'entourent
un grand nombre de ganglions lymphatiques, sont formées
^ans leur partie interne d'une membrane muqueuse , mince
et rougeàtre, qui présente à sa face libre les orifices excré-
teurs d'un grand nombre de follicules muqueux sécrétant
plus ou moins abondamment ce fluide assez épais que l'on
rejette par la toux.
La membrane muqueuse qui tapisse les bronches est
sujette à une inflammation qui porte le nom de bronchite
ou catarrhe pulmonaire. Cette membrane est aussi
le siège du croup, maladie funeste surtout dans l'enfance.
La rupture des dernières ramifications des biouches produit
l'espèce d'hémorragie qui a reçu le nom d'hémoptysie.
Quelquefois enfin on observe la carie du cartilage des bron-
ches dans la phthisie laryngée.
BRONCHIQUE, qui appartient aux bronches. Les
cellules ou culs-de-sacs qui terminent les bronches, les
glandes ou ganglions lymphatiques, les artères, les veines
et les nerfs de ces organes , sont désignés sous les appella-
tions de ganglions bronchiques , artères bronchiques,
veines bronchiques, nerfs bronchiques.
BROMÉLIACÉES — BRONGNIART
BRONCHITE, inflammaiion des bronches. Voyez
CaT.UUUIE PCLMONMl'.E.
BRONCHOCÈLE (de ppôy/.oc, gosier, bronche, et d«
x^Xrj , tumeur), synonyme de goître.
BRONCIIOTOMIE (de p^ôv/o; , gorge , bronche , et
zo\iri, coupure, incision), nom impropre que l'on a donné
à une opération chirurgicale autrement appelée trachéo-
to-viie.
BRONGNIART, nom d'une famille de savants qui a eu
l'heureux privilège de donner un grand nombre de mem-
bres à notre Académie des Sciences.
RRONGNIART ( Antoine-Louis ) , pharmacien du roi
Louis XVI, se fit connaître par des cours particuliersde phy-
sique et de chimie à une époque où ces deux sciences comp-
taient à Paris peu de professeurs. La facilité avec laquelle
il s'énonçait, la clarté de ses démonstrations, le firent nom-
mer professeur au Collège de Pharmacie, et lorsque Rouelle
le jeune mourut, ii fut appelé à la chaire de professeur de
chimie appliquée aux arts, et se trouva collègue de Four-
croy au Lycée républicain et au Jardin des Plantes. Pendant
une partie de la révolution, il remplit les fonctions de phar-
macien militaire, puis fut professeur au Muséum d'Histoire
Naturelle. Il est mort à Paris, le 24 lévrier 1804. Il a pu-
blié un Tableau analytique des combinaisons et des dé-
compositions de différentes substances, ou Procédés de
chimie pour servir à Vintelligence de cette science ( Pa-
ris, 1778). Il a travaillé, en 1792, avec Hassenfratz, au
Journal des Sciences, Arts et Métiers, et à d'autres feuilles
périodiques.
RROXGNIART(ALEXANDnE-TuÉoDouE), architecte, frère
du précédent, naquit à Paris, le 15 février 1739. La cons-
truction d'un grand nombre d'hôtels, le dessin élégant de
plusieurs jardins, enfin son habileté dans les arts d'orne-
ment, lui avaient fait une belle réputation lorsqu'il fut chargé
en 1807 de la construction delaBoursedeParis. Quoi
qu'en ait dit l'auteur de Notre-Dame de Paris, par un
amour un peu trop exclusif du moyen ùge, ce monument
est l'une des gloires de notre capitale. Rien en effet ne
manque à la majesté de l'édifice, qu'une plus noble destina-
tion. Il semble qu'un sanctuaire pour les chefs-d'œuvre des
arts ou les collections de la science serait mieux placé der-
rière cette magnifique colonnade qu'un champ clos pour les
âpres combats de l'agiotage et de la chicane.
Brongniart n'eut pas le bonheur de voir son grand ou-
vrage terminé; enlevé aux arts le C juin 1813, ses restes
furent déposés au cimetière du Père-Lachaise, dont les no-
bles et simples dispositions sont encore son ouvrage, ainsi
queles grandes avenues qui avoisinent les Invalides et r£cole
militaire. Son fils Alexandre Brongniart a publié, en 1814,
ses Plans du portail de la Bourse et du cimetière de
Mont-Louis , en 6 planches avec une notice.
[BRONGNIART (Alexandre), savant naturaliste, fils du
célèbre architecte dont nous venons de parler, naquit à Paris ,
le 5 février 1770. Il termina de bonne heure ses premières
études scientifiques à l'École des Mines, et, à peine âgé de
vingt ans, il visitait les mines du Derbyshire, d'où il rapporta
les élémentsd'un jWmoJre sur l'Artde l'Émailleur, qui, in-
sère dans les Annales de Chimie, fut son début dans la car-
rière céramique. A son retour d'/Vngleterre, choisi pour pré-
parateur par son oncle Antoine-Louis Brongniart, il se hvra à
la pratique de la chimie. Il étudiait également la médecine,
lorsque, la première réquisition appelant tous les Français à
la frontière, il tut attaché comme pharmacien à l'armée des
Pyrénées. Là, pendant un séjour de quinze mois dans les
montagnes, il ne négligea ni la zoologie, ni la botanique,
ni surtout la géologie. C'est au milieu de ces paisibles tra-
vaux que, accusé d'avoir favorisé l'évasion de Brousson-
net, il fut mis en prison. Rendu à la liberté après le 9 ther-
midor, il revint à Paris, oii il lut nommé ingénieur des mi-
nes. Bientôt après il fut appelé à professer l'I'-^toire naturelle
BRONGNIART — BRONKHORST
à récole centrale des Quatre Nations, et en 1800 Ber-
thollet, qui avait deviné tout ce que promettait le jeune
Brongniart, le (It nommer directeur de la manufacture de
porcelaine de Sèvres. Depuis cet instant jusqu'à sa mort, cet
établissement, oii il fit renaître Tart presque perdu de la
peinture sur verre, lui fut redevable d'incessantes amélio-
rations : ainsi c'est Brongniart qui créa le musée céramique
de cette manufacture, magnifique collection de poteries, de
verreries, d'émaux de tous les pays et de toutes les épo-
([ues, classés avec l'ordre et la méthode qui caractérisaient
tous ses travaux.
Déjà en 1S05 Brongniart avait publié son Essai sur
une Classification naturelle des Reptiles, excellent tra-
vail qui sert encore de base à l'erpétologie, lorsqu'en 1807
il fit paraître son Traité élémentaire de Minéralogie, œu-
vre capitale, qui devint le texte assidûment perfectionné des
leçons qu'il fit pendant longtemps à la Faculté des Sciences
comme adjoint de Haijy, et qu'il continua au Muséum
d'Histoire Naturelle lorsqu'il fut appelé à y remplacer cet il-
lustre savant. Le premier de ces ouvrages rapprocha Bron-
gniart et Cuvier : leurs communes recherches les condui-
sirent à des faits d'une immense importance en géologie,
qu'ils consignèrent dans leur Description géologique et
miner alogique des environs de Paris ( 1811; 3* édition,
1835).
Brongniart venait de coopérer à une grande révolution
scientifique. A partir de cette époque sa vie, déjà si iaborieuso,
n'est plus qu'une suite non interrompue de précieux tra-
vaux. Ses nombreux voyages en l'"rance, en Suisse, en Ita-
lie, en Suède, en Norvège, etc., enrichissent la science d'une
foule d'observations utiles et de connaissances nouvelles. Il
analyse la glaubérite d'Espagne et détermine la webs-
térite d'Auleuil. Il publie un Mémoire sur les trilobiles
(1814), où il pose les bases de la classification de ces sin-
gidiers crustacés. Il fait paraître un grand nombre de mé-
moires importants dans les Annales des Sciences natu-
relles et dans les Comptes retidus de r Académie des
Sciences ; il donne de savants articles au Dictionnaire Tech-
nologique et au Dictionnaire des Sciences Naturelles;
il annote, dans la Bibliothèque Latine-Française, la traduc-
tion de Pline, d'.\jasson de Grandsagne, etc.; il publie sa
Classification des Roches, son Tableau des Terrains qui
composent fécorce du globe, etc., et, enfin, en 1844, il
résume les travaux d'une grande partie de sa vie dans son
Traité des Arts Céramiques (2 vol. in-8° ).
Travailleur infatigable, Brongniart remplissait rigoureuse-
ment tous les devoirs que lui imposaient ses fonctions d'in-
génieur en chef des mines, de directeur de la Manufacture
du Sèvres, de professeur au Muséum et de membre de l'A-
cadémie des Sciences ( depuis 1815 ). Comme professeur, il
possédait à un haut degré le don d'instruire, et son cours
de minéralogie recevait un grand intérêt des considérations
géologiques dont il se plaisait à l'enrichir. Affable envers
tous, se faisant un devoir de protéger les jeunes gens qui
aimaient la science, il fut enlevé à l'affection de ses élèves,
le 7 octobre 1847. E. Merlieux. ]
[BRONGNIART (ADOLi'nE-TnicoDORE), fils du précédent.
Né à Paris, vers 1798, il manifesta dès le collège une prédi-
lection prononcée pour la botanique : en soite qu'à elle seule,
la famille Brongniart embrassait il y a quinze ou vingt ans
les principales divisions de l'histoire naturelle : Brongniart
père cultivait la minéralogie et la géologie ; A ud o u i n , l'un
de ses gendres, la zoologie, mais surtout l'entomologie; et
M. Adolphe Brongniait la botanique, prmcipalemcnt la cryp-
togamie. Et môme il y a trente ans M. J.-B. Dumas, autre
beau-frère de "M. Adolphe Brongniart, se montrait un habile
physiologiste et micrographe, direction première qu'il n'eilt
sans doute point quittée, si la chimie ne l'avait pas entouré
de ses séductions irrésistibles.
M. Ad. Biongniart , aujourd'hui professeur au Jardin des
717
Plantes , membre de l'fnsf itut, où il a succédé à Desfontaines
(1834), docteur et agrégé de la Faculté de Médecine, a com-
posé plusieurs ouvrages de botanique, entre autres une Clas-
sification des Champignons (1825), et VÉmimération des
genres de plantes cultivés au Muséum d'Histoire Natti-
relle de Paris (1843); mais le principal lui a été suggéré
par les travaux do Cuvier, l'intime ami et le collaborateur
de son père. Histoire des Végétaux Fossiles , ou Recher-
ches botaniques et géologiques sur les végétaux renfer-
més dans les diverses couches du globe , tel est le titre de
ce bel ouvrage , dont il a déjà paru 24 livraisons formant
2 vol. gr. in-4°, avec 160 planches. M. Ad. Brongniart soumit
à l'Institut dès 1828 les premières vues et comme le pro-
drome de ce grand travail, qui fit sensation et fut utile au
progrès d'une science naissante. L'auteur, frappé devoir
coïncider dans les couches profondes du globe les débris d'é-
normes végétaux cryptogames avec ceux de reptiles et de
poissons gigantesques , en infère avec vraisemblance qu'à
cette première époque , à ce premier cataclysme dont le sein
de la terre offre le témoignage, il n'existait encore ni mammi-
fères, ni oiseaux, ni à plus forte raison aucun individu de
l'espèce humaine. Il fait plus : en cela d'accord avec Buffon,
quand il suppose l'incandescence et le refroidissement de la
terre, M. Ad. Brongniart conjecture que l'atmosphère, à ces
premiers temps de la création, n'avait pas la composition qu'on
lui voit aujourd'hui ; que sans doute elle contenait plus d'a-
zote et moins d'oxygène , plus d'acide carbonique et plus de
chaleur, ainsi que semblent l'attester ces énormes reptiles à
respiration imparfaite et ces grands végétaux cryptogames,
lesquels, en elfet, ne consommaient pas autant d'oxygène,
mais devaient exiger plus de chaleur que les animaux mam-
mifères et les végétaux phanérogames de nos jours. Il est re-
grettable que la faible santé de M. Brongniart ait retardé la
terminaison de ce savant ouvrage , si digne de motiver une
réputation de premier ordre. Isidore Bodrdon. ]
BHONIKOWSKI (Alexanure-Auguste-Ferdinand d'O-
PELN), célèbre romancier allemand, naquit le 28 février 1783,
à Dresde, où son père. Polonais d'origine, remplissait les
fonctions d'adjudant général de l'électeur. Il entra d'abord
au service de Prusse ; mais, fait prisonnier à Breslau en 1807,
il donna sa démission , et habita alternativement Breslau ,
Prague et Dresde. En 1812 il prit du service dans l'armée
polonaise, fut nommé major dans les hulans de la garde ,
et attaché à l'état-major du duc de Bellune. Au réta-
blissement de la paix, il prit sa retraite, et vécut à Varsovie
jusqu'en 1823, époque où il alla s'établir à Dresde. De 1830
à 1832 , il résida à Halberstadt, puis revint encore se fixer
à Dresde, où il mourut, le 21 janvier 1834.
Il était déjà âgé de quarante-deux ans, lorsque le besoin de
vivre fit de lui un écrivain , et il donna bientôt des preuves
d'une étonnante fécondité. Réduit à travailler pour assurer sa
subsistance quotidienne, il était impossible qu'il songeât jamais
à écrire une œuvre sérieuse. Ses romans témoignent du lais-
ser-aller avec lequel il les composait ; il étendait son sujet
le plus qu'il pouvait , au lieu de le resserrer et de le limiter
suivant les préceptes de l'art. Il se pourrait toutefois que ce
fussent précisément ses défauts qui aient fait son succès et
qui aient valu un public si nombreux à ses romans et à ses
nouvelles, dans lesquels on ne saurait sans injustice mécon-
naître une rare habileté à disposer un plan et à exciter l'inté-
rêt. Bronikowski emprunta de préférence ses sujetsà l'histoire
de Pologne , comme on peut le voir d'après la liste suivante
de ses ouvrages : Jlippolyle Boralynski (4 vol., Dresde,
1825-1826); Olgicrd et Olga, ou la Pologne au onzième
siècle (5 vol., 2" édition, 1832); la Pologne au dix-sep-
tième siècle, ou Jean III Sobieski et sa cowr (5 vol.,
1829) ; Les dames Koniapolski {it vol., 1833-1835). Ou
a aussi de lui une Histoire de la Pologne (4 vol., 1827).
BROIVKIIOUST ( Peteu Van ) , peintre hollandais, né
le IG mai lf.8S, à Deiff; réussissait particulièrement à re-
94.
748
BROiNKHORST — BROxNZE
présenter des perspectives de temples et d'églises, et sa-
vait les animer par de petites figures d'un fini admirable.
On voit à l'hôtel de ville de Deift deux grandes et belles
toiles de cet artiste, représentant l'une, le Jugement deSa-
lomon,et VaiUlre, Jéstis-Christ chassant les marchands du
Temple. Ces deux tableaux sont, suivant Descamps, les prin-
cipaux ouvrages de Bronkhorst, qui mourut le 22 juin 1661.
imOA'KIIORST (Jean Van) , né à Utrecht, en 1603,
mort en 1680, est surtout renomraécomme peintre sur verre.
Il existe de lui de précieuses peintures de ce genre à Ams-
terdam , dans la Aieuwe-Kerk. 11 a aussi beaucoup gravé
d'après Pd'Iemburg.
BROMÎIIORST (Jean Van), peintre célèbre, né à
Leyde, en 164S , était pâtissier de son état, et ne faisait de
la peinture , qu'il avait apprise sans le secours d'aucun maî-
tre, que pour se délasser; mais il ne tarda pas à atteindre
dans ses productions un haut degré de perfection. Il pei-
gnait de préférence les animaux, et surtout les oiseaux,
dont il excellait à reproduire le plumage brillant et léger. Il
mourut à IFoorn, en 1726.
BROMTE (CnxuLOTTE), plus connue sous le pseudo-
nyme de Currer Bell, et sumommée à tort la George Sand
d'Angleterre, naquit en 1824, dans le Cumberland, où son
père était vicaire de campagne. Les sites romantiques de sa
patrie firent de bonne heure une profonde impression sur
son esprit, et lui inspirèrent le désir de peindre l'état so-
cial des paysans anglais, d'esquisser les traits caractéristiques
(le la vie de province qui rappellent encore à tant d'égards
la naïveté des mœurs patriarcales. Son premier roman
Jane Eyre (Londres, 1848) fit une vive sensation par la
nouveauté du style non moins que par la hardiesse des pa-
radoxes dont il abonde ; il ne tarda pas à être traduit dans
toutes les langues de l'Europe. Chacun se demandait qui
pouvait être ç,^ Currer- Dell qui avait su tracer un caractère
aussi vigoureux que celui de Rochester, le héros du roman,
et qui connaissait en même temps à fond les mystères du
cœur féminin, lorsque l'apparition deS/iJrZe!/( Londres, 1849)
vint révéler le secret. On trouve dans ce nouveau roman de
si fines nuances dans la peinture du caractère de la femme,
qu'il était évident que l'auteur appartenait au beau sexe.
Jane Eyre est dédié à Thackeray, que Charlotte Bronte a
certainement pris pour modèle, à en juger par son style et
par les traits mordants d'ironie dont elle perce l'hypocrisie
des mœurs modernes.
Ses deux sœurs cadettes, Emily et Amw^ mortes, toutes
deux à la fleur de l'âge, la première le 19 décembre 1848,
la seconde le 28 mai 1849 , se sont aussi fait connaître dans
la littérature sous les pseudonymes à'Ellis et A''Acton Bell,
qu'elles avaient pris , comme leur sœur aînée , parce qu'elles
redoutaient la réputation de bas-bleus et qu'elles n'osaient
cependant se donner pour des auteurs du sexe masculin.
Elles ont publié Wutherïng heïghts et Agnès Grey ( Lon-
dres, 1850), romans qui révèlent autant de talent que de
sensibilité.
iJUOiXTÈS. Voyez Cyclopes.
BRONZAGE. C'est l'art de donner la couleur et l'ap-
parence du bronze à des objets de bois, de plâtre, de car-
ton , etc. Ces objets doivent être d'abord recouverts d'une
couche uniforme de colle ou de vernis , et lorsque celte
couche est sur le point de sécher, on la saupoudre , à l'aide
d'un petit sachet, <ie poudre à bronzer que l'on prépare avec
des feuilles d'étain , d'or, de l'or mussif ou du cuivre ; on
frotte ensuite la surface avec un linge humide. On peut
mêler d'avance la poudre à bronzer avec de l'huile sicca-
tive, et puis appliquer le mélange avec une brosse. Du
reste , il y a un grand nombre de recettes pour former des
couleurs imitant le bronze, mais toutes, ou du moins les
meilleures, ont pour base le cuivre jaune pulvérisé aussi fin
que possible , par la raison que cette poussière s'oxydant à
l'air (c'est-à-dire prenant la couleur de vert-de-gris), il en
résulte que l'objet qui en est couvert prend l'apparence du
bronze.
Le bronzage des canons de fusil et antres objets en fer
s'opère, tantôt en les exposant à l'action de l'acide chlorhy-
drique en vapeur, tantôt en les traitant par de l'eau régal«
très-étendue; le plus souvent, on chauffe légèrement le
canon, et on le frotte vivement avec un mélange d'huile d'o-
lives et de chlorure d'antimoine fondu, dont on renouvelle
l'action à plusieurs reprises. Quelquefois on frotte ensuite
avec un linge imbibé d'eau seconde. Enfin , on lave le ca-
non avec de l'eau pure, on l'essuie, on le sèche, et on le
polit avec un brunissoir d'acier.
On entend aussi quelquefois par bronzage l'art de recou-
vrir d'un enduit métallique par la galvanoplastie de*
objets de matière quelconque.
BROÎVZE. On appelle ainsi des alliages decui vre et d'élaii»
auxquels on ajoute quelquefois un peu de zinc ou de plomb.
Beaucoup plus dur que le cuivre, le bronze était employé
par les anciens pour faire des haches, des épées , etc. ( voyez
Airain). Une toule d'objets divers, comme des rnslrumenl»
aratoires, des lampes, des anneaux, etc., se retrouvcU
encore bien conservés dans les fouilles que l'on fait dans les
pays habites autrefois par les Romains. Sans contredit le
fer et l'acier se façonnent mieux , et peuvent donner des
instruments plus légers et plus conuuodes, mais nous au-
rions à peine une idée de ceux qui étaient en usage dans
les temps reculés , si ces substances avaient toujours servi
à les confectionner; la rouille en aurait à peine respecté
quelques fragments , tandis que le bronze enfoncé dans b
terre s'altère assez fortement , il est vrai , mais de manière
cependant à conserver encore une grande partie de ses
formes.
C'est surtout pour des objets qui doivent retracer quelques
faits importants ou perpétuer la mémoire d'événements qui
font époque pour une nation , que le bronze présente un
incontestable avantage : ainsi , les monnaies des Romains
coulées avec ce métal se sont conservées jusqu'à nos jours,
malgré les vicissitudes extraordinaires . qu'elles ont é(irou-
vées, tandis que toutes celles que l'on a frappées en cuivre
depuis deux cents ans ont déjà éprouvé de si fortes altéra-
tions que leur existence dans quelques siècles est très-pro-
blématique D'ailleurs, le bronze n'a par lui-même qu'ime
très-faible valeur : on a peu d'intérêt à détruire des objets
qui en sont composés , et à l'exception des tourmentes po-
litiques ou des bouleversements des nations, qui anéantissent
.souvent les monuments les plus précieux , le bronze est
beaucoup plus respecté que ne l'est le cuivre, dont il est
si facile de tirer immédiatement parti.
L'art de fondre des statues de bronze était déjà arrivé à
un certain degré de perfection vers l'an 700 avant J.-C. ; mais
il prit un grand développement pendant le règne d'Alexandre.
A cette époque, le célèbre Lysippe parvint, par de nou-
veaux procédés de moulage et de fusion, à des résultats
remarquables que nous a transmis l'histoire. Bientôt après
on coula d'énormes colonnes en bronze. On rapporte que le
consul romain Mutionus trouva plusieurs milliers de statues
à Athènes, à Olympic, à Delphes, etc.
Chez les modernes les usages les plus importants du bronze
sont la fabrication des statues, des bouches à feu, des
cloches, des tam-tam ou des cymbales, des médail-
les, des pendilles et des ornements destinés à la dorure.
Le bronze destiné aux statues ou aux monuments doit être
assez fusible pour couler proinptemeni dans toutes les parties
du moule , quelque délicates qu'elles soient ; il doit être dur,
afin de pouvoir résister aux chocs que les statues peuvent
recevoir par accident; il doit être à l'épreuve de l'influence
des saisons et de nature à pouvoir acquérir à l'extérieur, avec
le temps, cette teinte yt^nVàive on patine, qu'on admire
tant dans les bronzes antiques. La composition chimique de
l'alliage est donc un objet de la première imjwrlance. Les
BRONZE — BROSSAED
740
fiires K cl 1er, fondeurs célèbres du temps de Louis XIV, di-
rigeaient toute leur attention sur ce point : des statues cou-
lées par eux ont été trouvées composés de cuivre, 91 à 91,6S ;
étain, 1 à 2,32; zinc, 4,93 à 6,09, et plomb, 1,07 à 1,61 ;
variations tellement faibles que l'on ne saurait trop admirer
le talent des fondeurs qui les ont exécutées.
C'est toujours dans des fours à réverbère que l'on fond le
bronze ; la température doit être assez élevée pour le faire
Uquéfier promptement , parce que s'il reste trop longtemps
exposé à l'air, une portion considérable du zinc , de l'étain
et du plomb , s'oxyde , et le cuivre se fond plus difficile-
ment, coule mal, et ne peut prendre tous les détails du
moule, ce qui donne lieu à des inconvénients immenses. Le
refroidissement doit être aussi prompt que possible dans les
moules , afin d'empêcher que les métaux ne se séparent entre
eux dans l'ordre de leur densité. Enfin , on a reconnu qu'il
était avantageux d'ajouter au bronze une petite quantité de
fer, pour augmenter sa dureté et sa ténacité.
Les marchands donnent le nom de bronze artistique à
une composition dans laquelle il entre peu de cuivre et qui
est fort peu propre à rendre la beauté des formes plastiques.
BKOMZES ( Industrie des ). Depuis la Renaissance
jusqu'à la fin du règne de Louis XV le bronze, employé
seulement à de grands travaux d'art, n'était pas encore
du domaine de l'industrie. Mais, à l'époque -de la faveur de
madame Dubarry, Goutherie inventa la dorure au mat. Le
bronze, devenu objet de luxe et d'ameublement, prit dès
lors une place importante dans la fabrication parisienne. Ce-
pendant, il y a quarante ans Paris comptait au plus six fa-
briques de premier ordre. Mais le luxe en pénétrant dans
les classes moyennes a popularisé les bronzes et fait surgir
en peu d'années un grand nombre d'établissements dont le
but est de satisfaire à ces nouveaux besoins.
L'industrie des bronzes est aujourd'hui au premier rang
des grandes industries de luxe. Elle produit des pendules,
des candélabres, des lustres, des pièces de surtout, des gar-
de-feu, des statuettes, des garnitures de meubles, etc., etc.
On estime que l'atelier de bronzes de Paris, sans rival et à
proprement dire sans concurrent dans le monde, fabrique,
année commune, pour environ 25 millions de produits, dans
lesquels la matière première entre pour un tiers de la valeur;
le surplus est le prix de l'invention et le salaire de six mille
ouvriers distingués, sculpteurs, fondeurs, ciseleurs et
monteurs, doreurs et metteurs au vert. L'exportation monte
à peu près aux deux tiers de la production.
BROXZIIVO ( A.NCI0LO ), peintre, graveur et poète, né à
riorence, vers 1502, mort dans la même ville, en novembre
] 572, se distingua surtout dans la peinture. Élève du Pon-
tormo, qu'il aida dans un grand nombre d'ouvrages, il ter-
mina ceux de la chapelle de San-Lorenzo, à Florence, que
la mort de son maître laissait inachevée. Quoique Bronzino
ait cherché surtout à imiter le style de Michel-Ange, on re-
jtroche à ses tableaux d'histoire une manière froide et étu-
diée. Il réussissait mieux dans le portrait, et il en existe de
lui qui sont de véritables chefs-d'œuvre; tel est, dans la
galerie électorale de Dresde, celui de la duchesse Éléo-
nore, femme de Cosme l" de Médicis.
Les principales toiles de ce maître, dont s'enorgueillit l'É-
role florenthie, sont à Pise et à Florence. Dans cette der-
nière ville, on remarque surtout unC/irist dans les Limbes.
Le musée du Louvre n'a qu'un tableau de cet artiste, le
Christ apparaissant à la Madeleine, tableau longtemps
attribué par erreur à Alessandro Allori, qui, élève et ne-
veu de Rronzino, se fit appeler du nom de son maître.
BROOKE (Henhv), poète anglais, né en Irlande,
en 1/06. Il suivit quelque temps malgré lui la profession
d'avocat consultant; mais son goût dominant était pour la
poésie et la littérature. Ce goilt, fortifié par la société de
Pope et de Swift, se manifesta par un poëme philosophique
sur la Beauté universelle; sa tragédie de Gustave Wasa,
jouée à Dublin , pièce remarquable par les sentiments de
liberté dont elle est remplie , produisit un tel efiet que le
parlement crut en devoir défendre la représentation; ce
qui augmenta tellement l'enthousiasme que lorsqu'en 1739
la pièce tut publiée par souscription , elle rapporta à l'auteur
beaucoup plus que n'aurait pu le faire un long succès au
théâtre. Il est aussi l'auteur de plusieurs romans, parmi
lesquels nous citerons Le Fou de qualité, ouvrage ingé-
nieux, d'un ton original et un peu bizarre, et qui obtint un
grand succès. Juliette Grenvi^/e, composée dans les der-
nières années de sa vie, indique le déclin de ses facultés.
Il mourut en 1783.
BROOKE ( Françoise MOORE, mistress), morte en 1789,
a composé plusieurs romans, entres autre X Histoire de Ju-
lie Mandeville dans le genre de Richardson; V Histoire
d'Emilie Montague, des poésies pastorales, et une tragédie.
Rosine, drame en musique, est demeurée en Angleterre son
ouvrage le plus goûté.
BROOKE (James), Anglais célèbre par la position qu'il
a su se faire à Bornéo, est né à Londres, en 1803. Il en-
tra de bonne heure au service de la compagnie des Indes
orientales, se signala dans la guerre contre les Birmans, et
fut nommé capitaine. En 1830, dans un voyage qu'il fit en
Chine, il visita plusieurs îles de l'archipel Indien, et ne tarda
pas à reconnaître que c'était un théâtre sur lequel on pou-
vait acquérir un nom immortel. Sans se laisser rebuter par
les difficultés qu'il rencontra, il partit d'Angleterre, en 1837,
et débarqua à Singhapuen, qu'il avait choisi pour son centre
d'opération. Il se mit en relation avec des marchands de
tous genres, et fit voile, en 1838, pour Sarawak, province
du royaume de Bornéo, depuis longtemps déchirée par la
guerre civile. Le radja Mouda-Hassim ayant réclamé son se-
cours contre les rebelles, il consentit à le seconder à con-
dition qu'il lui abandonnerait l'administration du pays. Un
traité fut signé le 24 septembre x846. Brooke sut si bien
profiter de sa position, qu'en peu d'années il devint le maître
du pays, et qu'il força le sultan de Bornéo à lui en accor-
der l'investiture. Dès lors il prit le titre de radja de Sara-
wak, et il donna à sa principauté une constitution qui pro-
clame l'égalité de tous devant la loi , punit de mort la pira-
terie, et déclare libres le commerce et l'industrie. Le sultan,^
ayant essayé de se débarrasser de cet étranger impérieux ,
fut traité comme un traître sans foi, en 1846, et lorcé de
céder l'île de Labouan aux Anglais.
Brooke cependant nagit qu'en son nom ; il ne reçut aucun
secours du gouvernement britannique. Dans un voyage qu'il
fit en Angleterre, il fut reçu avec les plus grands honneurs,
et nommé gouverneur de Labouan , commissaire et consul
général auprès du sultan et de tous les princes indépendants
de Bornéo. Depuis son retour dans l'archipel Indien, en 1847,
il n'a pas cessé de travailler à étendre la domination an-
glaise dans ces contrées. En 1850 il fut envoyé à Siam;
mais sa mission, qui avait pour but d'obtenir de nouveaux
avantages au commerce anglais, ne réussit pas. En 1851
il résolut de faire un nouveau voyage en Europe, vraisembla-
blement pour s'entendre avec le gouvernement anglais sur
l'exécution des plans qu'il a conçus relativement à l'Indo-
Chine et à l'archipel Indien. Consultez Keppel, L'Expédi-
tion de Bornéo pour la suppression de la piraterie, Avecùe&
extraits du Journal de J. Brooke (2 vol., Londres, 1847).
BROSSARD (SÉBASTIEN de), maître de musique de
l'église cathédrale de Strasbourg, et, en dernier lieu grand
chapelain, maître de musique et chanoine de l'église cathé-
drale de Mcaux, né en 1G60, et mort en 1730, est le premier
auteur français qui ait publié un Dictionnaire de Musique.
Cet ouvrage, incomplet aujourd'hui, était néanmoins très-
remarquable pour l'époque où il fut composé , et ren-
dit à l'art des services réels. J.-J. Rousseau , qui n'était ni
aussi savant musicien ni aussi érudit dans l'histoire de la
musique que Brossanl, a constamment attaqué ce dernier.
750
BROSSARD — BROSSES
sans avouer les emprunts qu'il lui avait faits. Il lui reproche
surtout d'avoir donné un vocabulaire italien au lieu d'un
dictionnaire français, mais c'était positivement le but de Bros-
sard, et c'est en cela même que son ouvrage fut utile, puis-
qu'il expliquait la nomenclature des termes latins, grecs et
italiens qui étaient alors d'un fréquent usage dans la musique.
Il existe plusieurs éditions du dictionnaire de Brossard ; la
première est de 1703, in-fol. Il a laissé en manuscrits de
nombreux matériaux pour un dictionnaire historique de la
musique et des musiciens, qu'il se proposait de mettre au
jour. Sa Lettre, en forme de dissertation , à M. Demoz, sur
sa nouvelle méthode d'écrire le plain-chant et la musique,
parut en 1729. Il a aussi composé des messes, des motets,
des cantates et le Prodromus musicalis, imprimé en 1695,
in-(ol. Brossard fit hommage à Louis XIV de tous ses tra-
vaux et de sa belle bibliothèque musicale ; cette magnifique
collection fut placée à la Bibliothèque Nationale ; elle se
compose d'un grand nombre de pièces , parmi lesquelles il
en est de très -rares, et qui sont d'un prix infini pour l'his-
U)ire de la musique. F. Danjou.
BROSSARD ( Amédée-Hippolyte, marquis de ), né le
8 mars 1784 à FoIICny (Seine-Inférieure), s'enrôla d'abord,
en 1795, parmi les Vendéens, et passa l'année suivante a
l'armée de Condé. Rentré en France en 1806, il s'engagea
dans les gendarmes d'ordonnance, après avoir servi en Por-
tugal comme garde de la marine. Au bout de deux ans il
était lieutenant dans un régiment de chasseurs à cheval. 11 fit
toutes les campagnes de la grande armée, et devint sous la
Restauration lieutenant-colonel au corps d'état-major. C'est
en qualité de chef d'état-major de la première division qu'il
fut attaché, en 1830, à l'armée expéditionnaire d'Afrique.
Maréchal de camp en 1833, on lui confia le commondemcnt
militaire du département de la Drôme, d'où il fut envoyé à
Oran en 1837, pour y remplacer le général de L'Etang, rappelé
en France. C'est lui qui fit construire le camp de laChilîa,
établir la redoute d'Oued-Laleg { rivières des Sangsues ) , et
occuper Misserghin. Il bloqua la ville de Blidah pendant
l)lusieurs jours, et refoula vigoureusement dans leurs mon-
tagnes les Béni-Salah, dont les agressions incessantes com-
I)romettaient la tranquillité de cette petite cité. Il donna sou-
vent des preuves de valeur et de capacité. Une accusation
de concussion, de corruption de fonctionnaires publics, d'ex-
citation à la haine et au mépris du gouvernement qui le força
de comparaître devant le conseil de guerre de Perpignan, vint
suspendre tout à coup le cours de sa carrière militaire.
L'arrêt d'acquittement qui le renvoya absous ne parut pas
justifier son caractère aux yeux du ministre, qui en 1839
l'admit à faire valoir ses droits à la retraite.
BROSSE, BROSSERIE. Tout le monde connaît l'ins-
trument dont on se sert pour nettoyer les habits, les souliers,
les voitures, etc. Les brosses se font en soies de porc ou de
sanglier, en crins de cheval, en brins de bruyère, en racines
de riz, etc., que l'on fixede deux manières sur le/«î< ou pa</?e
de la brosse, suivant que celle-ci est percée de trous à
joîir ou de trous foncés. Pour faire une patte de brosse on
prend une planchette de bois dur, débitée à la scie. Souvent
la patte est courbée en arc de cercle ; celles qui sont des-
tinées à faire des brosses communes sont toutes droites. Les
trous des pattes se percent avec une mèche de vilbrequin
montées sur l'arbre d'un tour-en-l'air, que l'on fait mou-
voir avec le pied ; pour que les trous soient aussi bien espacés
entre eux que possible, on fixe sur le fût un calibre de tôle
de même grandeur : ce calibre est percé d'autant de trous
que le fût peut en comporter. Au moyen de cette précaution,
on perce vite, avec régularité, sans tillonnement. Si les trous
ne doivent pas être percés d'outre en outre, on fixe une
virole sur la mèche, qui l'empêche <ravancer au delà d'une
certaine limite, de façon que tous les trous ont la même
profondeur.
Comme nous l'avcns déjà dit, il y a deux manières de fixer
les poils, les crins, etc., sur la patte : quand les trous de
celle-ci sont à jour, on prend un pinceau de poils, on le
courbe en U, on le saisit avec une ficelle que l'on introduit
double dans un trou par le dos de la patte ; on tire cette
ficelle avec force, et l'on oblige ainsi le pinceau à entrer
dans les trous , qu'il doit remplir exactement ; quelquefois
la ficelle est remplacée par un fil de laiton. L'inspection
d'une brosse môme grossière fera concevoir tout de suite la
manière dont les pinceaux de poil et la ficelle sont enlacés
entre eux. Lorsque les trous du fût sont foncés, on lie d'a-
bord les pinceaux avec un bout de cordon , et , après les
avoir trempés dans de la poix ou de la colle forte bouil-
lante, on les introduit avec force dans les trous. Lorsque les
pinceaux sont fixés, soit d'une manière soit d'une autre, on
les égalise avec de gros ciseaux.
La grosse brosserie se fait en province ; les brosses fines
se font dans les grandes villes : leurs pattes sont faites de
bois choisis, travaillés et polis avec soin, et leur dos est
couvert d'une feuille de bois pour cacher les points de la
ficelle ou du fil de laiton.
Les peintres appellent brosses de gros pinceaux qui se
font en serrant fortement, avec un fil de fer ou une corde-
lette des bottes de crins au bout d'un manche en bois. On
coupe ensuite de niveau les crins aux deux bouts, et, pour
assurer la solidité de la brosse, on enduit le haut des crins
d'un mélange de cire et de résine. TEvsstDRE.
BROSSE ( Jacques de ). Voyez Debuosse,
BROSSE ( Pierre et Guy de la ). Voyez Labrosse.
BROSSES (Zoologie). On nomme ainsi des amas ou
faisceaux peu étendus de poils roides ou soies coiules, insé-
rées perpendiculairement à la peau. Quelques espèces de
cerfs et d'antilopes sont pourvues de brosses à la partie
externe et supérieure du métatarse. Plusieurs rongeurs,
et surtout la marmotte , portent un petit pinceau de poils
longs ou soies sur im tubercule situé sur la surface posté-
rieureetinterne de l'avant-bras. On observe aussi des brosses
sur le corps de quelques chenilles, à l'extrémité de l'ab-
domen de certaines larves, et sous les tarses de la plupart
des diptères. Le premier article du tarse des pattes posté-
rieures des abeilles est garni en dedans de plusieurs rangées
de poils, dirigées en travers, qui forment une brosse.
Les brosses doivent être distinguées ea persistantes et en
temporaires. Les premières sont employées à divers usages ,
qui ne sont point encore suffisamment déterminés. On sait
seulement que les diptères (mouches, etc.) peuvent à l'aide
des brosses de leurs pattes marcher sur les corps les plus
polis , et que les abeilles ouvrières s'en servent pour balayer
et recueillir le pollen qui s'est attaché aux poils du corps.
Les brosses temporaires ne sont que des amas de poils ,
dont certaines chenilles se servent, après les avoir détachés
de leur peau , pour en construire leur cocon à l'aide d'une
très-petite quantité de matière soyeuse qu'elles filent pour
les agglutiner. L. Laurent.
BROSSES (Cn ARLES de), premier présidentau parlement
de Bourgogne, naqiut à Dijon, le 1" février 1709. Par son
père, conseiller en cour souveraine, il appartenait à une an-
cienne famille originaire de Savoie, qui avait servi avec
honneur dans les rangs français lors des guerres de Louis XII
en Italie. Charles de Brosses prit ses degrés à l'univer-
sité de Dijon. Reçu conseiller au parlement en 1730, prési-
dent, avec dispense d'âge, en 1741 , puis nommé premier
président quand on rétablit les parlements, après la crise
Maupeou, il était zélé parlementaire, et avait subi un exil
de six mois en 1744, pour avoir opiné contre M. de Ta-
vannes, commandant pour le roi en Bourgogne, à l'occasion
d'une dispute de préséance entre ce grand seigneur et le
parlement. Il rédigea souvent les remontrances de sa com-
pagnie, et refusa, en 1771, de figurer dans le parlement
de la création Maupeou.
Le président de Brosses se recommande surtout par les
I
BROSSES —
services qu'il a rendus aux lettres. Sa prédilection pour Sal-
luste lui fit concevoir de bonne heure le projet de recomposer
V Histoire de la République romaine, ouvrage perdu de
ce grand écrivain. 11 entreprit cette œuvre de patience, en
rapprochant les fragments épars dans les grammairiens
de l'antiquité, cl en les classant à peu près comme Cuvier
recomposait un éléphant fossile à la vue de quelques débris
d'ossements antédiluviens. Dès qu'il fut ébauché , ce travail
parut si remarquable à l'Académie des Inscriptions, qu'elle
s'associa de Brosses comme membre honoraire. Quelques an-
nées auparavant, en 1729, l'espoir de découvrir des manus-
crits précieux pour son œuvre lui avait fait entreprendre le
voyage d'Italie, qu'il exécuta de concert avec Sainte- Palaye,
son intime ami. 11 parcourut pendant une année entière
toute cette contrée , à l'exception de la Sicile. De retour en
France , il recueillit et fit transcrire les lettres qu'il avait adres-
sées à ses amis durant ce voyage. Une copie de ces lettres,
qu'il n'avait pas destinées à l'impression, tomba entre les
mains d'un sieur Seryès, commis à la garde des papiers saisis
dans les bibliothèques d'émigrés. On peut supposer que le
gardien spécula sur le dépôt, car il le fit imprimer en l'an
VII (3 vol. in-8°). Cette édition, désavouée par la famille de
l'auteur , renferme une foule de fautes grossières. Tellequ'elle
est, toutefois, elle donne ridi'e de la verve d'esprit et d'en-
jouement dont de Grosses était doué , de ses connaissances
rares et variées et de la justesse de ses observations.
De Brosses est le premier qui ait fait connaître en France
les fouilles d'Herculauum, par une dissertation lue à l'Aca-
démie des Inscriptions en 1748, imprimée en 1750, sous le
titre de Lettres sur Ilereulée {in-12). L'année 1756 vit pa-
raître un ouvrage plushiiportant encore, YHistoirc des Na-
vigations aux terres australes (2 vol. in-4°). Ce grand tra-
vail fut suivi d'r.ne dissertation d'un genre bien différent :
Bu culte des dieux fétiches ( 17C0, in-12), qui a été réim-
primée AaL\i?>V Encijclopédie Méthodique, et à laquelle Benja-
min Constant a fait de fréquents emprunts dans son ouvrage
sur ta Religion. Il y a de l'érudition dans cet opuscule; mais
la science contemporaine n'en a point confirmé les conclu-
sions , qui tendent à faire considérer le polythéisme antique
comme un matérialisme absolu. En 17C5, de Brosses publia
son Traité de la Formation mécanique des Langues
(2 vol. in-12). Knfin, en 1777, parut à Dijon \ Histoire
du septième siècle de la république romaine (3 volumes
in-4"), chef-d'œuvre des presses de Frantin père, sur laquelle
de Brosses comptait pour lorcer les portes de l'Académie
Française, que Voltaire lui barrait avec un acharnement peu
honorable.
La brouilleriedu président de Brosses avec Xa philosophe
de Ferneij est un des faits les moins bien connus de l'his-
toire anecdotique du dix-huitième siècle. Une correspon-
dance assez longue avait eu lieu entre les deux écrivains. Si
nous sommes bien informé, il résulte de cette correspondance,
où l'esprit étincelle de part et d'autre , que les torts n'étaient
pas réciproques , et qu'ils ne peuvent être imputés qu'à
Voltaire, dont les héritiers ont payé 40,000 fr. à la famille
de Brosses, à titre de dommages-intérêts, pour éviter une
instance juridique. 11 s'agissait de la terre de Tournai, au
pays de Gex, que Voltaire avait achetée à vie du président
de Brosses , et (iont le poète ne jouissait pas précisément en
bon père de famille.
Indépendamment des œuvres dont nous avons parlé, de
Brosses avait composé un fort grand nombre de mémoires
et de dissertations sur plusieurs objets d'art et sur différents
points de l'histoire ancienne. Ils ont été presque tous insérés
dans les Mémoires de VAcad. des Inscriptions. Le président
de Brosses mourut le 7 mai 1777. Dldaisd.
"IJKOSSETTE ( Claude), né à Lyon, en 1671 , et mort
en 1743, était seigneur de Varenncs-Rappetour , avocat,
avocat général, administrateur de l'hôpital de Lyon, fon-
dateur et secrétaire de r.\cadémie de Lyon , bibliolliccaire
EROSSETTE 75,
de Lyon, échevin de Lyon ; mais tous ces titres n'auraient
pas sauvé son uoin de l'oubli s'il ne l'avait associé par un
commentaire à la renommée impérissable deBoileau. Bros-
sette est le type du commentateur servile , enthousiaste et
minutieux. Tout lui est bon pour grossir son commentaire.
Ce qui frappe surtout en lui, c'est l'assurance impertur-
bable , c'est la bonhomie de conviction avec laquelle il res-
sasse les anecdotes les plus niaises, les observations les
plus puériles. Il est encore curieux de remarquer son exac-
titude à relever et à mettre en relief les passages que Des-
préaux a imités des anciens. Drossette est là , son Perse ,
son Juvénal et son Horace à la main , pour défendre pied à
pied, même dans ses i)artics les plus médiocres, l'ouvrage
d'un homme qu'il proclame infaillible. Dans Boileau il n'est
rien qu'il ne cherche à louer ; chaque page et chaque vers ,
chaque pensée , chaque hémistiche, chaque expression a sa
dose égale d'éloges et d'encens.
Mais laissons là ce commentaire , oii se trouvent, au sur-
plus, quelques anecdotes intéressantes au milieu de tant de
fatras. Montrons Brossette dans ses rapports personnels avec
Boileau. Le siècle de Louis XIV était révolu. Despréaux,
après avoir, en 1G99 , recueilli les derniers soupirs de Ra-
cine, ne paraissait plus à la cour; il avait perdu le talent
de louer, il ne le regrettait pas : qu'en eût-il fait durant les
dernières années du grand roi? Célèbre en Europe, admiré
en France, mais consumé d'infirmités et d'ennuis, survivant
à tous ses amis , il s'apercevait à peine de son influence et
de sa gloire. L'iionmie qui s'intéressait le plus à lui dans
ces tristes temps , c'était Brossette ; mais Brossette demeu-
rait à cent lieues de Paris, et il y avait bien d'autres dis-
tances entre ces deux hommes. Aussi leur correspondance
n'est-elle pas celle de la véritable amitié ; le ton de Boileau
est celui d'un maître ordinairement bon , quelquefois cha-
grin, et Brossette, trop peu fait pour être son disciple,
n'est qu'un éditeur futur, qui \\Àprcnd avec respect la me-
sure à'an commentaire. En lisant leur correspondance, on
y voit , moins que cela encore , un valet de chambre béné-»
vole , qui importune son maître des plus humbles prévenan-
ces , qui s'immisce officieusement dans ses moindres af-
faires, qui, sans en être requis, exécute ses commissions,
qui va même jusqu'à se faire le camarade d'un valet que
Boileau a chassé pour surprendre les secrets de leur com-
mun patron. Bien de plus ennuyeux à liie que les lettres de
'Brossette à Boileau , si ce n'est peut-être les lettres de Boi-
leau à Brossette. Despréaux , qui est parfois attachant dans
quelques-unes de ses lettres à Racine, demeure constam-
ment au-dessous de lui-même dans ses missives à son com-
mentateur futur. On n'y trouve qu'une répétition ennuyeuse
d'excuses de sa part, sur sa négligence ou sa lenteur à ré-
pondre à son correspondant, dont l'indulgence intéressée
est inépuisable. Dans toutes les lettres de Boileau , qui sont
au nombre de soixante et une , il en est à peine quatre ou
cinq qui soient d'un intérêt réel pour l'histoire littéraire,
celle entre autres où, d'un ton aigre-doux, Boileau juge le
Télémaque , et établit un parallèle entre son auteur et le
romancier grec Héliodore , qui était évoque comme Féne-
lon. Du reste, Brossette, qui dans sa correspondance s'ap-
pesantit sur les virgules de Boileau, mérita de sa bouche cet
éloge qui dut le combler : « Vous saurez bientôt mieux que
moi-môme votre Boileau. »
Brossette a fait, en outre, un commentaire des œuvres de
Mathurin Régnier. C'est encore une œuvre de minuties.
Cependant on y trouve sur la vie, la mort et la fortune de
Régnier, des documents particuliers, puisés dans des pa-
piers de famille, et qui ne sont pas sans intérêt. Brossette
avait fait aussi un commentaire de Molière, qui n'a jamais
été impiimé, et qu'on croit [leidu. Courtisan empressé de
tous les gens de lettres, il fut en correspondance avec J.-B.
Rousseau et même avec Voltaire, alors ennemi acharné de
Rousseau le poote , comme il le fut plus tard de Rousseau
752
BROSSETTE — BROUCKÈRE
le philosophe. Voltaire, qui possédait si bien la recette du
compliment goguenard , écrivait à Brossette : ■< Vous res-
semblez à Pomponius Atticus , courtisé à la fois par César
et par Pompée. » Il y aurait eu là de quoi faire tourner la
tête au commentateur de Despréaux, si en cette occasion
Voltaire , sans doute sans le savoir, n'avait été le plagiaire
<le Boileau, qui à propos de fromages à lui envoyés par
Brossette lui écrivait : « En comblant ainsi de vos dons
l'auteur que vous avez entrepris de commenter, vous ne
jouez pas simplement le personnage de Servius et d'Asco-
nius Pédianus, mais de ISIécénasetdu cardinal de Riche-
lieu. » La première édition du Boileau de Brossette ( 2 vol.
in-4°) est de 1716. 11 tenait chez lui une assemblée de lit-
térateurs et de savants, qui fut érigée en Académie de Lyon
en 1700, et dont il se fit nommer secrétaire perpétuel. Sa
femme étant morte, il imagina de faire détacher de son cer-
veau la glande pinéale,qne quelques anciens regardaient
comme le siège de l'âme, et il la porta constamment enchâs-
sée dans une bague. 11 avait continué VÉloge historique de
la ville de Lyon, du père Ménestrier, de 1669 à 1711, et
s'était approprié le tout sans façon. Charles Du Rozoir.
BROU. C'est le nom vulgaire que porte le mésocarpe
qui entoure la noix proprement dite et quelques autres
fruits analogues. Le brou de la noix est d'un vert foncé ,
teint les doigts, et s'ouvre plus ou moins régulièrement en
quatre parties quand le fruit est mrtr. Celui de l'amande est
couvert d'un duvet blanchâtre, et sa couleur est d'un vert
clair; il s'ouvre en deux parties. Celui de la noisette laisse
percer le fruit, et alors son sommet est découpé en manière
de frange. Ou pourrait compter au rang des brous celui du
marronnier d'Inde et du marronnier châtaignier, si l'on n'était
pas convenu de l'appeler hérisson, à cause de la ressemblance
de ses piquants avec ceux du hérisson. Le goût des brous
varie suivant les espèces de fruits : celui de la noix est très-
amer et astringent, celui de l'amande est acide et âpre, celui
de la noisette tst très-acide et piquant. Le brou protège le
fruit jusqu'à la maturité.
Les usages (|ue différents arts retirent du brou des noix
ont porté les chimistes à en faire l'analyse. M. Braconnot en
a retiré de l'amidon , une substance acre et amère très-al-
térable, de l'acide malique, du tannin, de l'acide citrique,
du phosphate de chaux , de l'oxalale de chaux et de la
potasse. L'incinération du brou a donné pour produit de la
potasse , de la chaux et de l'oxyde de fer.
Les brous de noix amoncelés pendant quelque temps per-
dent leur couleur verte et acquièrent une couleur brune. Si
dans cet état on les fait bouillir dans de l'eau assez long-
temps pour les réduire en pâte , on aura une eau qui don-
nera au bois de chêne ou de merisier la couleur du bois
d'acajou. On peut s'en servir pour donner aux planchers et
aux carreaux de brique une couleur brune qui tient bien.
Les teinturiers emploient aussi le brou de noix dans les cou-
leurs brunes et communes.
Le brou de noix a encore la propriété de faire périr les
pucerons et autres insectes qui dévorent les plantes, lors-
qu'on les arrose avec de l'eau dans laquelle on l'a fait macérer,
sans que cet arrosage soit en rien nuisible à ces plantes.
Enlin on en fait une liqueur connue sous le nom de li-
queur de brou de noix ou simplement brou de noix, et
que l'on assure être un bon stomachique. Pour obtenir cette
liqueur, il faut prendre quatre-vingts noix déjà un peu
grosses, mais non encore formées, les piler, et les faire
infuser pendant assez longtemps dans quatre litres d'eau-de-
vie; après quoi on les «'goutte sur un tamis , au-dessus d'un
vase, et l'on mêle à la ll(iueur qui en provient la valeur d'un
kilogrannnc de sucre, puis on la laisse reposer encore quelque
temps, avant de la liltrer à la chausse et de la mettre en
bouteilles.
BROU, hameau du département de l'Ain, à quelques ki-
lomètres de Bourg, célèbre par son église gothique, d'une
belle architecture, ornée de vitraux estimés, et qui renferme
des mausolées de princes de la maison de Savoie. Cette
église, consacrée à Notre-Dame, fut construite par les ordres
de Marguerite d'Autriche, fille de l'empereur Maximi-
lien F'', et tante de Charles-Quint. La devise Forhine, in-
fortune, fort une, adoptée par cette princesse, qui eut deux
maris et si mourut pucelle , est répétée de toutes parts
dans l'église de Brou. Commencée en 1511, cette église fut
achevée en 15-36. Le frontispice est couronné par trois fron-
tons; celui du milieu est le plus élevé. Le portail, dont l'arc
est surbaissé, est couvert d'ornements et d'arabesques remar-
quables par la richesse du travail et la perfection des dé-
tails. L'intérieur de l'édilice est généralement simple ; mais
un luxe éblouissant est déployé dans le chœur : une pierre
éclatante de blancheur, le marbre de Carrare, des ^itraux
rehaussés de mille couleurs sur lesquels se jouent les rayons
du soleil , tout rappelle dans ce sanctuaire la richesse des
temples byzantins. C'est dans cette partie de l'église que se
trouvent les mausolées en marbre blanc de Marguerite de
Bourbon, femme de Philippe II, prince de Savoie, celui de
Marguerite d'Autriche, et au milieu celui de Philibert le Beau,
(ils du premier et mari de la seconde. Ces monuments, d'un
style admirable et d'une belle exécution, sont ainsi que l'é-
glise l'œuvre de Colornban , artiste dijonnais, dont on voit
la statue en marbre non loin des tombeaux. On remarque
encore à Notre-Dame de Brou les boiseries du chœur, le jubé,
une cha[)elle gothique revêtue en marbre, un tabernacle
d'autel fait d'une espèce d'albâtre, le tout parfaitement
sculpté. En avant du portail il existe un cadran solaire ellip-
tique azimutal , situé horizontalement devant la porte d'en-
trée. Construit au seizième siècle et restauré par Lalande,
ce cadran présente cela de curieux que c'est la personne qui
veut savoir l'heure qui sert de style : en se plaçant sur une
lettre qui marque, le long de la méridienne, le mois où l'on
est, on voit son ombre se projeter à la circonférence sur le
chiffre qui doit indiquer l'heure.
BUOU ALLE , genre de plantes de la famille des scro-
phularinées , renfermant un certain nombre d'espèces indi-
gènes de l'Amérique tropicale. Les principales sont : 1" la
broualle élevée ou violette bleue ( browallia elata, L. ) ,
dont les tiges, de la hauteur de 0™, 65, sont très-rameuses ,
les feuilles lancéolées, et les fleurs axillaires, souvent au
nombre de trois, d'un beau bleu lilas, et à tube long et
jaune doré; 1" la broualle à tige tombante {browallia de-
missa, L.), de Panama, dont les tiges, de la hauteur de
0'",32 el tombantes , à feuilles entières et ovales, portent
des flems estivales, axillaires, solitaires, à tube cylin-
drique et limbe à cinq divisions, d'un violet bleuâtre, taché
en jaune à la base de la division supérieure. Ces deux es-
pèces demandent une terre légère et substantielle, ainsi
qu'une exposition chaude , et elles se multiplient de graine
sur couche et sous châssis.
BROUCKÈRE (Chables de), l'un des principaux au-
teurs de la révolution belge, né à Bruges, en 1796, descend
d'une famille honorable de la Flandre, anoblie par le roi des
Pays-Bas Guillaume ^^ Son père avait occupé des fonctions
importantes de magistrature sous la domination française.
Au commencement du règne de Guillaume I" il fut nommé
gouverneur de Limbourg, place qu'il conserva jusqu'en 1S28;
et plus tard il devint membre de la première chambre des
états généraux. Élevé à l'École Polytechnique de Paris,
M. Charles de Brouckère annonça de bonne heure les plus
brillantes dispositions, mais en même temps aussi un ca-
ractère impatient de toute discipline. En 1815 il entra en
qualité de sous-lieutenant dans l'artillerie des Pays-Bas,
et cinq ans après il abandonnait le service militaire pour
l'administration. Élu député de la province du Limbourg
à la seconde chambre des états généraux , il y prit place
parmi les plus fermes défenseurs des droits du peuple j
belge , et se signala surtout comme membre de l'opposition
BROUCKÈRE — BROUETTE
dans la se;^iah de 185S par ses efforts heureux pour faire
annuler deux déciets de 1815 restrictifs de la liberté de la
presse et de la liberté individuelle. La même amiée il se pro-
nonça pour la liberté illimitée de l'enseignement, vote qui le
mit fort en crédit dans la coalition formée à cette époque
entre les catholiques et les libéraux, et qu'en sa qualité de
rédacteur de différents journaux influents il n'avait pas peu
aidé à constituer. On remarqua toutelois vers 1830 qu'il
se rapprochait visiblement de la politique gouvernementale,
l>eut-èlre bien séduit par les brillants avantages que le pou-
voir lui lit, dil-on, entrevoir s'il consentait à servir ses intérêts.
Avant la lutte sanglante qui s'engagea en septembre dans
les rues de Bruxelles, il avait eu, ainsi qu'un autre député
de la capitale, une entrevue avec le prince Frédéric, qui se
trouvait à Vilvorde, et lui avait représenté dans les ternies les
plus pressants la situation grave où la couronne et la dynas-
tie se trouvaient placées. Il alla ensuite assister à la session
extraordinaire des états généraux convoquée à La Haye ; et
après les décisives journées de septembre il avait même en-
core hésité alors à se prononcer ouvertement contre la maison
régnante. Mais, habile à s'acconnnuder aux circonstances, il
ne tarda pas à se rattacher complètement au nouvel ordre de
choses ; il vota donc dans le congrès national pour l'exclusion
perpétuelle de la famille de Nassau-Orange, et plus tard aussi
pour l'élection du duc de N'eraours au trône de Belgique.
Adversaire du traité def, dix-huit articles, il se déclara ensuite
contre l'élection immédiate d'un chef suprême de l'Etat , et
repoussa la candidature du prince Léopold. Président du
comité des finances sous le gouvernement provisoire , il fut
par la suite ministre des finances du régent ; portefeuille
qu'il conserva dans le premier cabinet constitué par Léopold.
Après l'insuccès des opérations militaires entreprises
contre la Hollande en août is3l , il accepta le ministère de
la guerre , où il rendit de notables services, par la meilleure
organisation qu"il sut lui donner. Les chambres ayant refusé
d'allouer les crédits qu'il deiaaudait pour son département,
et les débats législatifs relatifs à un marché de fournitures
passé par lui d'urgence menaçant d'attaquer jusqu'à sa pro-
bité, il donna sa démission au mois de mars 1832 ; mais à
peu de temps de là il était nommé directeur de la .Monnaie.
11 s'était démis en môme temps de ses fonctions de repré-
sentant, en déclarant qu'il renonçait pour toujours à la
carrière parlementaire. En 1334 il accepta une chaire gra-
tuite à la nouvelle université libérale créée à Bruxelles ,
et plus tard une chaire d'économie politique à lecole de
commerce de la même \'ille. Son cercle d'activité s'agrandit
singulièrement quand, au commencement de 1835, il conçut
le projet d'une banque nationale de Belgique. Devenu direc-
teur de cet établissement, il contribua beaucoup par là au
développement de l'esprit d'associalioa dans son pays ; mais
en 1S38 une crise , provoquée en partie par la jalousie d'une
institution rivale, portaune atteinte irréparable au crédit delà
banque de Belgique, et entraîna la ruine d'une foule d'entre-
prises industrielles où s'engouffrèrent d'énormes capitaux.
M. de Brouckère donna alors sa démission des fonctions de di-
recteur de ce grand étabhsseraent de crédit, pour ne plus se
consacrer désormais qu'à la direction de la Monnaie et à celle
de la société de la Vieille Montagne, dont il tire des béné-
fices immenses.
En 1840, malgré ses déclarations si positives, les électeurs
de Bruxelles l'arrachèrent à ses occupations , exclusivement
industrielles, pour lui confier de nouveau le mandat législa-
tif. Vers la fin de la même année, le ministère Rogier le
nomma bourgmestre de Bruxelles ; et dans l'exercice de ces
fonctions il a su faùe preuve de la plus louable énergie, no-
tamment lors des crises produites en 1846 par la cherté des
subsistances, et en 1849 par le choléra. Les services qu'il
rendit alors ont fait oubher et ses manières rudes et bles-
santes, et de nombreuses fautes, résultat de son opiniâtreté
et de sa précipitation. Ajoutons qu'il présida le congrès des
niCT. DE LA COXVEUS. — T. IJI.
75»
économistes tenu à Bruxelles en 1847 et le congrès agricola
de 1848 ; enfin qu'il est l'un des membres les plus actifs de li
plupart des commissions nommées pour apprécier la pro-
duction industrielle du pays. Tout dès lors nous porte à pen-
ser que la cariijre politique de M. de Brouckère n'est point
encore définitivement close , et à voir en lui un en-cas tou-
jours prêt pour telle nouvelle combinaison ministérielle
qu'exigeraient les circonstances.
BROUCKÈRE (Henri de), frère du précédent, est né en
1801. Lorsque la révolution éclata, il était procureur du roi
à Ruremonde. Envoyé au congrès national, qui le nomma
l'un de ses secrétaires , il y déploya une grande activité. Il
fut du nombre des commissaires chargés d'aller offrir la
couronne de Belgique au pnnce Léopold. Dans la chambre
des députés, dont il fut membre jusqu'à la promulgation de"
la loi des incompatibilités, en 1848, il ne cessa de com-
battre avec une inébranlable fermeté, et quelquefois avec
talent, les envahissements de l'influence cléricale. Après avoir
occupé pendant plusieurs années le siège de conseiller à la
cour d'appel de Bruxelles, il fut nommé par le ministère Ro-
gier gouverneur d'Anvers, en 1840. Plus tard il fut envoyé
en la même qualité à Liège ; mais il donna sa démission en 1 846,
à l'avènement du ministère de Theux. Depuis 1849 il rem-
plit les fonctions de ministre de Belgique auprès du pape ei
des autres cours italiennes.
BROUET, breuvage qu'on portait autrefois avec solen-
nité aux nouveaux mariés , le lendemain de leurs noces, et
que l'on servait aussi aux nouvelles accouchées , ce qui le
faisait ajjpeler broiiet de V épousée ou de l'accouchée; il
était fait d'œufs, de lait et de sucre : c'est ce que nous avon»
nommé depuis un lait de poule.
Le brouet noir des Spartiates, au dire de Plutarque, était
le plus exquis de tous leurs mets ; les vieillards surtout '.ui
donnaient la préférence sur les viandes , qu'ils laissaient vo-
lontiers aux jeunes gens. On raconte qu'un roi de Pont, qui
avait beaucoup entendu vanter le brouet noir, voulant en
essayer, fit venir exprès de Sparte un cuisinier, qui fut chargé
de lui apprêter ce mets fameux; et comme après y avoir
goûté il s'étonnait de le trouver détestable, un Lacédémo-
nien qui était présent lui dit qu'il y manquait deux choses:
les exercices du Plataniste et les bains de l'Eurotas , ré-
ponse pleine de sens , et qui prouve en effet que la plupart
des choses n'ont qu'une qualité relative au goût, aux mœurs
et aux habitudes d'un peuple. Quant à la composition de
ce célèbre brouet , dont la frugalité des Spartiates n'est pas
faite d'ailleurs pour donner une haute idée, il paraît qu'elle
n'est pas bien connue : les uns prétendent que c'était un
mélange grossier de sel , de vinaigre , de sang et de petits
morceaux de viande; d'autres, de la graisse de porc, as-
saisonnée avec du vinaigre et du sel. Quoi qu'il en soit , il
n'est guère probable que nos gastronomes modernes aient à
regretter de ne pas le mieux connaître, et il est passé dan»
l'usage de dire d'un mauvais potage, que c'est le brouet noir
des Spartiates.
BROUETTE , petit tombereau à bras et à une seule
roue, employé dans le jardinage et dans les travaux de ter-
rassement. Quand il s'agit de faire des transports à une cer-
taine distance, on emploie plusieurs brouettes, dont les rou-
leurs se relayent successivement ; il est important de les es-
pacer de manière à obtenir le maximum d'effet. On a recon-
nu que le travail le plus avantageux est le transport d'une
charge de 40 kilogrammes à une distance de 34 mètres ( c'est-
à-dire qu'il faudrait plusdedépense si on diminuait la charg»
en augmentant la distance , ou si on dijninuait la distance
en augmentant la charçe) : le premier rouleur mène la
brouette chargée à 34 mètres ; là il trouve le second, reve-
nant avec sa brouette vide; il lui transmet la brouette char-
gée et retourne à vide au point de chargement. On peut
établir ainsi une ligne de relais assez prolongée, tandis
qu'avec la civière, par exemple, le changement de por-
9à
764
BROUETTE — BROUGHAM
teura est beaucoup plus incommode; il est plus difficile
encore avec la liotte.
La résistance au roulement dépend de la nature du sol ;
il faut donc préparer avec soin la vole que doit parcourir la
brouette, si l'on veut que l'ouvrage soit fait économiquement :
pour peu que le terrain ne soit pas résistant, il faut môme
le planchéier. Quand la l)rouettc doit franchir des pentes, on
les dispose de manière à ce qu'elles ne dépassent pas huit
centimètres par mètre.
C'est au célèbre Pascal que l'on attribue l'invention de
la brouette , nommée d'abord vinaigrette, dont l'usage est
si simple, si économique et si expéditif.
BROUGILVm AND VAUX ( Henri BROUGHAM
[on prononce ^roMm] , baron), ancien lord chancelier
d'Angleterre, est né à Edimbourg, en 1779, d'une famille ori-
ginaire du Westmoreland. Élève de l'école supérieure, puis
de l'université d'Edimbourg, Henri Brougham y fut le con-
disciple d'une foule d'hommes dont le nom a jeté depuis
de l'éclat, soit dans les soienccs, soit dans la politique. Il
eut l'immense avantage d'être dirigé dans ses études par son
oncle maternel, le célèbre historien Robertson; et, suivant
l'usage des écoles d'Angletei re, il fit partie d'une association
( the Spéculative Club ) au sein de laquelle se discutaient
les plus hautes questions de morale, de religion et de politicjtie.
Malgré ses succès dans ces joutes toutes scolastiques, véri-
tables tournois littéraires où le talentnaissantessaye ses forces
et prélude aux luttes plus sérieuses du barreau ou de la tri-
bune, Henri Brougham poursuivait en même temps des tra-
vaux d'un ordre tout différent. Tandis que MansCeld , son
condisciple, préludait par des vers aux triomphes qu'il lui
était réservé de remporter dans la chambre haute, lui, il se li-
vrait à l'étude des hautes mathématiques , et semblait bien
plus désireux de s'illustrer dans le domaine des sciences que
de parvenir aux honneurs et aux dignités qui dans notre
système politique attendent infailliblement l'homme d'État
et le jurisconsulte éminents. Il n'avait encore que dix-sept
ans quand il composa un Essai sur la Vitesse de la Lu-
mière, qui fut jugé assez remarquable pour obtenir les hon-
neurs de l'impression dans les Philosophical Transactions.
Plus tard, en 1803, il ajouta encore à sa réputation comme ma-
thématicien par un Essai sur les propriétés de l'hyperbole
conique et le rapport de la ligne harmonique aux courbes
de différents ordres; travail qui lui ouvrit d'emblée les
portes delà Société Royale de Londres, au retour d'un voyage
qu'il venait de faire avec son ancien condisciple, lord Stuart
de Rothesay, dans la seule partie du continent alors acces-
sible aux touristes anglais, la Norvège et la Suède.
Pendant la courte trêve qu'on appela Pajj; d'Amiens,
Brougham était venu à Paris, et avait été présenté à Car-
not, non comme homme politique , car rien alors ne faisait
encore pressentir en lui le futur lord chancelier d'Angle-
terre, mais comme savant; et cependant jamais il n'avait
sérieusement songé à faire des sciences l'occupation exclu-
sive de sa vie. Dans cette carrière, en effet, il y a chez nous
trop peu d'honneurs et surtout de trop médiocres émoluments
réservés au talent, pour jamais tenter un ambitieux. Ainsi que
la plupart de ses condisciples, Brougham s'était livré à l'é-
tude des lois, et comme eux il avait débuté au barreau d'Edim-
bourg. Mais là encore la gloire, les honneurs, lui arrivaient
trop lentement au gré de son impatience. Le champ-clos de la
politique et ses luttes retentissantes avaient bien autrement
d'attraits à ses yeux que les joules du prétoire et la défense de
la veuve ou del'orphelin. C'est vers la politique qu'il se sentait
donc véritablement entraîné. Aussi dès cette même année
1803 publiait-il son Inquinjinto the colonial policij of the
european poivers (Londres, 2 vol.). Après un exposé (idèle
des systèmes décolonisation suivis chez les Grecs, les Cartha-
ginois et les Romains, l'auteur, arrivant à l'époque moderne,
montrait l'origine et les progrès de la traite des nègres, ré-
clamait énergiquement non-seulement l'abolition de cet in-
fôme trafic, mais encore celle de l'esclavage lui-même ; grandes
et réparatrices mesures qu'il lui a été donné de voir réaliser
depuis, et dont il peut à bon droit revendiquer l'initiative
pour l'éternel honneur de son nom. Il allait même plus loin
encore dans l'ouvrage précité, puisqu'il y exprimait formelle-
ment l'espoir, « qu'un jour viendrait où dans les îles fertiles
de l'Amérique on verrait les nègres africains, graduellement
civilisés, obtenir la légitime et paisible possession d'un sol fé-
condé jadis par les sueurs et les souffrances de leurs pères. »
C'est à peu près vers la même époque que la pléiade de
jeunes gens de talent au milieu desquels Brougham avait
été élevé conçut un projet à l'exécution duquel chacun
d'eux consacra désormais tous ses efforts , et dont la réali-
sation n'a pas exercé une médiocre influence sur la direction
de l'esprit public dans la Grande-Bretagne. Nous voulons
parler de la fondation de la Revue d'Edimbourg.
Lors de la grande crise de 1790, au moment où la révo-
lution française éveillait si puissamment les sympathies de
toutes les nations, la ville d'Edimbourg n'était pas restée
étrangère à ce mouvement général des intelligences. Une
grande partie de sa jeunesse avait hautement embrassé et
les idées et les espérances de l'époque , mais son imprudent
enthousiasme avait été réprimé de la manière la plus sévère
par des dispositions législatives. Bientôt, en criant à la
trahison contre tous les réformateurs politiques, les tories
réussirent à mettre de leur côté la grande masse de la popu-
lation, à éteindre toute étincelle de libéraUsme en Ecosse,
nous pourrions même dire dans la Grande-Bretagne. Fox
et les autres membres de l'opposition firent bien retentir le
parlement de leurs protestations ; mais ils mettaient dans
leur langage trop d'emportement et d'indignation pour ne
pas compromettre leur infiuence et leur popularité , à une
époque où la nation , dans les paroxismes de sa fièvre an-
tigallicane, paraissait avoir abdiqué sa raison. Les esprits
sages comprirent alors l'inutiUté d'une lutte violente, fût-elle
môme parlementaire, et la nécessité d'amener une réaction
dans l'esprit public sans recourir à des armes autres que
celles du raisoranement. C'est dans une situation absolument
semblable que la France s'est trouvée depuis, à l'époque de
la restauration. Là comme chez nous, désespérant d'être
jamais écoutés par des majorités parlementaires aussi com-
pactes que bien disciplinées , quand même ils parviendraient
à se glisser dans leurs rangs, les amis de la liberté et les par-
tisans du progrès, retranchés derrière la presse, ne visèrent
plus désormais à violenter l'opinion publique, mais à étendre
par le raisonnement seul l'empire des idées libérales, con-
vaincus que lorsque les esprits seraient assez mûrs , une
révolution toute pacifique serait la conséquence de leur pa-
triotique persévérance. Seulement, en Angleterre, la tâche des
novateurs fut plus pénible, de même que le résultat de
leurs efforts devait être plus lent , parce que les masses y
étaient encore tout imbues de préjugés et de bigoterie; en
France, au contraire, le parti libéral, alors même qu'il était
le plus opprimé par le pouvoir, a constamment formé la
grande majorité du pays.
En fondant la Revue d'Edimbourg Brougham et ses amis
ne se proposaient rien moins que la complète rénovation de
la presse périodique ; or, pour opérer ce grand eeuvre il fal-
lait à la fois du talent et du courage. A cet égard nos jeu-
nes écrivains étaient en fonds; et ils firent preuve de tact en
choisissant pour théâtre de leur activité la capitale de l'E-
cosse, ville placée en dehors de l'influence gouvernemen-
tale et des agitations politiques. En effet ils étaient sûrs de
trouver dans son université, antique foyer de science et de
lumière, des intelligences pour comprendre leur entreprise et,
au besoin, des talents pour la seconder. L'apparition de leur
revue eut toute l'importance d'un événement. Jamais en effet
le torysme n'avait encore rencontré d'adversaires si habiles et si
énergiques ; jamais doctrines si libérales, si fécondes, n'avaient
encore été présentées aux méditations du peuple. Et ce ne
CrxOUGHÂM
fut pas seulement par son influence directe que la Revue
d'Edimbourg opéra en Angleterre, dans l'esprit public, une
révolution dont à cinquante ans de distance on retrouve au-
jourd'hui de si nombreuses traces , mais bien encore par
la direction nouvelle qu'elle donna à la presse. Les sciences
politiques, restées pour ainsi dire jusque alors le secret et le
monopole d'une aristocratique minorité, devinrent à partir de
ce moment accessibles à la jeunesse studieuse et à la masse
des citoyens. La critique, demeurée aussi jusque alors un vil
(rafic de calomnies ou de louanges vénales, sortit bientôt
«le cet état de dégradation pour prendre dans les moindres
journaux un ton digne et respectable.
Cependant Brougbam ne négligeait pas pour cela les tra-
vaux de sa profession , et diverses causes importantes lui
fournirent l'occasion de se distinguer aussi bien comme
avocat que comme écrivain. L'une de ces causes, relati\e
au titre et aux biens des ducs de Roxburg , ayant été déférée
par voie d'appel à la chambre iiaute, Brougham se chargea
de la plaider de nouveau sur ce théâtre si imposant; et le
succès qu'il obtint à la barre de la première cour de justice
de l'Angleterre lut si grand, qu'il résolut de quitter le bar-
reau d'Edimbourg pour celui de Londres. Il s'attacha à la
cour du banc du roi, et fut bientôt compté parmi les avocats
les plus célèbres de la capitale.
Les luttes du barreau ne suffisaient pas toutefois pour
absorber l'activité de son esprit, et au plus fort même de
ses succès comme avocat il trouvait encore le temps d'ap-
profondir la grande question de la liberté commerciale, dont
le principe triomphe aujourd'hui , mais qu'il eut la gloire de
proclamer le premier.
Personne n'a oublié cette époque funeste où la France et
l'Angleterre, comme si les champs de bataille leur man-
quassent pour assouvir les haines qui les armaient l'une contre
l'autre , imaginèrent de se faire une guerre de restrictions
et d'exclusions commerciales. Aux décrets de Berlin de Na-
poléon, l'Angleterre répondait par ses orders in council ,
qui déclaraient de bonne prise tout navire neutre qui oserait
commercer avec la France, ou môm^j entrer dans ses ports.
Dès 1806 Brougham s'était élevé avec force, dans la Revue
d'Edimbourg , contre cette politique aussi inhumaine qu'in-
sensée ; il n'avait même pas hésité à se prononcer dès lors
contre la coutrune vraiment barbare qui permet de capturer
les vaisseaux marchands d'une nation ennemie, et à pro-
clamer qu'il y aurait justice à adopter pour la guerre
maritime les principes admis pour la guerre de terre , les-
quels n'autorisent la violation des propriétés particulières
qu'autant qu'un général s'y trouve contraint pour assurer
sa piopre subsistance. Il ne comprenait pas, disait-il, com-
ment le pillage des propriétés d'un industrieux négociant
peut être sur terre un acte entraînant la flétrissure pour
celui qui le commet, et en môme temps licite et honorable
du moment où il a lieu sur mer. Mais il ne se contenta
pas d'appuyer son opinion de considérations emprun-
tées à l'équité naturelle ou à la philanthropie : chargé , en
1808, dans une enquête solennelle, de porter la parole à
la barre de la chambre des communes, au nom des négo-
ciants intéressés dans la question, il prouva clairement (jue
le mépris des droits des puissances neutres était en défi-
nitive beaucoup plus préjudiciable à l'Angleterre qu'à la
France. Le discours qu'il prononça en cette occasion , fort
de dialectique et puissant d'éloquence, produisit au dehors
nue impression profonde, sans toutefois convaincre l'as-
semblée. Deux ans à peine se furent écoulés, que déjà les
faits s'étaient chargés de vérifier ses prévisions ; le com-
merce de notre pays était anéanti et ses ressources épuioées.
Cette triste confirmation donnée À ses doctrines par les
événements ouvrit à Brougham les portes de la chambre des
communes; cependant, il faut le dire à la honte des villes
commerciales dont il avait si bien plaidé les intérêts, au-
cune d'elles ne le choisit pour mandataire. Ce fut à un pair
de l'opposition que Brougham dut son siège à la chambre
basse. Le duc de Bedford le nomma en 1810 membre des
communes pour son bourg-pourri de Camelford. Le
nouveau représentant débuta au parlement par attaquer vi-
vement le ministère au sujet de l'opiniâtreté avec laquelle il
persistait dans la rigueur de sa politique commerciale , au
risque de pousser les Américains à déclarer la guerre à l'An-
gleterre. Le discours qu'il prononça, en juin 1812, pour de-
mander le retrait des orders in council, fut considéré
comme l'un des plus brillants et en même temps des plus
profonds qu'on eût encore entendus à Westminster. L'effet
en (ut tel, que le ministère tory, quoique fort de sa majorité
et de ses victoires sur le continent, dut céder sur ce point,
mais trop tard il est vrai , pour éviter une guerre entre les
États-Unis et l'Angleterre. Après un pareil triomphe parle-
mentaire, Brougham crut pouvoir se porter candidat à la re-
présentation de la ville de Liverpool ; mais son -compéliteur,
Canning, l'emporta. Ce fut là, entre ces deux hommes
d'État, le prélude d'une rivalité à laquelle la mort de Can-
ning seule mit un terme. A la suite de cet échec électoral,
Brougham resta pendant deux ans éloigné du parlement; et
pour y rentrer il lui fallut encore, comme à son début, pro-
fiter d'une fiction de droit constitutionnel et accepter le man-
dat législatif d'un autre bourg-pourri, Winchelsea, pro-
priété du duc de Cleveland.
Pendant les années qui suivirent la conclusion de la paix
générale en 1814, Brougham appliqua presque exclusive-
ment son attention aux intérêts commerciaux et à la détresse
du pays. Les différents discours qu'il prononça à ce sujet
seront toujours précieux à consulter pour quiconque vou-
dra étudier l'histoire du progrès et de la décadence de la
prospérité commerciale de l'Angleterre. La Sainte - Al-
liance et ses projets rétrogrades n'eurent pas dans le par-
lement d'adversaire plus constant , plus redoutable que lui.
Ses énergiques accents retentirent bien au delà du détroit,
et ne contribuèrent pas peu à tirer les populations du conti-
nent de l'état de stupeur dans lequel les avait jetées le triom-
phe de l'oligarchie européenne à Waterloo. Une des ques-
tions dans lesq\ielles il déploya sans contredit le plus de
i?i!înt, d'éloquence et de patriotisme, fut celle de l'instiuc-
lion primaire, soulevée en 1818. Castlereagh lui-même fut
obligé de rendre hommage à la supériorité que déploya Brou-
gham dans cette mémorable discussion. 11 échoua toutefois
dans ses efforts pour donner une application plus généra-
lement utile aux riches fondations des établissements d'ins-
truction supérieure, ou, en d'autres termes, et pour employer
le jargoji naguère à la mode , pour démocratiser l'instruc-
tion publique. Il n'en déploya que plus d'activité en dehors
de la sphère parlementaire à l'effet de propager l'instruction
dans les classes inférieures. C'est ainsi qu'il exposa ses vues
sur cette importante question dans un li\Te remanjuable in-,
titulé : PracUcal Observations vpori (he Education ofthe
People (Londres, 1835), et qu'h seconda de toute son in-
fluence la création de la Société pour la diffusion des con-
naissances utiles, laquelle a publié depuis 1825 une nom-
breuse collection d'ouvrages à l'usage du peuple , dont fait
partie un li\Te de Brougham ayant pour titre : A Discourse
on the objects, advantages andpleasures of Science ( 1 827 ).
En 1 835 il tut nommé lord recteur de l'université de Glasgow,
et il contribua beaucoup vers la même époque à la création
de l'université de Londres.
Peu de temps auparavant, un incident fameux à jamais
dans nos annales parlementaires était venu mettre le sceau
à la popularité de son talent. Nous voulons parler du hon-
teux procès d'adultère intenté en plein parlement pa»-
GeorgesIVà la reine son épouse. Brougham, choisi par
cette princesse pour son défenseur, déploya dans sa plai-
doirie une si noble éloquence, qu'il réussit à enflammer les
passions populaires en faveur de sa cliente.
Broii^ia.m prit la part la plus active aux délibérations
»5.
756
BROUGHAM — BROUGHTON
rdalires à l'émancipation des catholiques ( 182S
et 1829), grande mesure d'équité que le parti des wliigs
avait toujours appelée de ses vœux; acte solennel de répa-
ration, dont, contre l'attente générale, l'honneur revint au
duc de Wellington, hautement renié par son parti dans
cette occurrence. Un autre remarquahlc triomphe de Broug-
ham à la chambre basse fut le discours qu'il prononça à
propos d'une motion relative à l'amélioration de la procii-
<iure civile et criminelle et des lois pénales anglaises, et cette
iliscussion lui (ournit l'occasion de signaler les nombreux
abus qui souillaient l'administration de la justice et des lois.
Cependant l'opinion libérale avait fait insensiblement tant
de progrès dans la nation, que Brougham avait pu résigner
le patronage du duc de Cleveland et obtenir les suffrages
des électeurs d'un grand et important comté, celui d'York.
Une glorieuse révolution s'était accomplie en France, et
avait excité l'admiration de toutes les nations européennes.
Plein de syn)pathie et d'enthousiasme pour la victoire rem-
portée en juillet 1830 par le principe révolutionnaire, le
peuple anglais ne demandait qu'un prétexte pour imiter ses
voisins. Dans cette crise terrible le duc de Wellington, alors
premier ministre, étant venu avec sa légèreté habituelle
déclarer en plein parlement qu'à ses yeux la ré forme par-
lementaire était une mesure aussi inutile que pernicieuse,
Brougham proposa aussitôt sa célèbre motion pour la ré-
forme du parlement; et le duc, abandonné par sa majo-
rité , dut résigner ses fonctions. La formation d'un mi-
nistère whig ne laissait pas cependant que d'offrir de nom-
breuses difficultés ; Brougham refusa longtemps d'entrer au
conseil; mais lord Grey, chargé de la composition du
nouveau cabinet, vainquit ses répugnances en lui offrant la
plus éminente dignité du royaume, la place de lord chan-
celier; et Brougham, créé, au mois de novembre 1830, baron
du royaume sous le titre de Brougham and Vaux , vint
s'asseoir sur le sac de laine et présider la chambre haute.
En cette qualité il lui fut donné de prêter un puissant con-
cours à la réforme parlementaire, grande et juste mesure
politique, qui n'eut pas dans la chambre haute de plus habile
ni de plus opiniâtre défenseur que le nouveau lord chan-
celier ; il faut d'ailleurs ajouter à sa louange qu'il sut prêcher
d'exemple dans son département, en détruisant sans ré-
mission les nombreux et lucratifs abus que l'usage autorisait
dans la chancellerie et dont ses différents prédécesseurs ne
s'étaient pas fait faute de profiler. Crowe, de Londres.
L'une des premières mesures législatives proposées par
lord Brougham fut la réforme de la législation en matière
de banqueroutes , réforme opérée en dépit de la vive résis-
tance de tous les gens de loi , habitués à vivre grassement
v.n eau trouble. En même temps il donnait un remarquable
txcmple de désintéressement et d'abnégation personnelle
en réduisant de 7,000 livres sterling ( 175,000 fr. ) le chiffre
des émoluments attachés à ses fonctions.
Les tories ayant ressaisi le pouvoir à la fin de 1834 , lord
Lyndhurst remplaça en qualité de chancelier lord Broug-
ham, qui par quelques indiscrétions s'était attiré l'inimitié
des chefs du parti whig et celle du roi Guillaume; aussi
quand les whigs revinrent aux affaires l'année suivante, ne
fut-il point appelé à faire partie du nouveau cabinet. Cette
exclusion , sans rejeter précisément Brougham dans le parti
tory, le mit cependant dans une espèce d'opposition à l'égard
des whigs; et il se laissa alors aller à concourir à quelques
actes (par exemple au blâme exprimé en 1 838 par la chambre
au sujet de l'administration de lord Durham au Canada)
qu'on ne peut expliquer que par une irritation personnelle.
Au reste, ildemeura constamment fidèle aux grands principes
<iu'il avait professés toute sa vie, notamment sur la ré-
forme électorale , sur la législation relative aux céréales, sur
l'éducation populaire et l'émancipalion des nègres. Pendant
un séjour qu'il fit à Paris en 183'.), il publia sous le voile de
l'anonyme une broclmrc sur la situation respectiv*; des partis
en France. En 1840 il se prononça contre 0' Connell, et
indirectement contre le ministère whig, dans un remar-
quable discours où il jetait une vive lumière sur l'état de
l'Angleterre, en môme temps qu'il y traitait de la plus dou-
loureuse des plaies dont souffre ce pays : la condition sociale
et politique de ses classes laborieuses. Il indiquait comme
unique remède àla situation l'abolition de la législation restée
jusque alors en vigueur en matière de céréales, et une ex-
tension nouvelle à donner au droitde représentation politique.
En 1842 il se prononça de nouveau pour l'abolition com-
plète de toutes les restrictions apportées au commerce des
grains, sauf à ne procéder que graduellement dans cette
œuvre réparatrice.
Lord Brougham n'est pas seulement l'un des plus grands
jurisconsultes que l'Angleterre ait jamais eus, il possède en
outre les connaissances les plus variées dans presque tous
les autres domaines de la science. L'un des premiers ora-
teurs du parlement en ce qui est de la finesse et souvent du
mordant de l'esprit, de l'éclat du débit, de la vigueur et de
la flexibilité de l'organe, il n'a jamais eu de rival comme
dialecticien. Autant il brille comme homme politique, autant
dans la vie privée il montre d'amabilité et de bienveillance
à tous ceux qui l'entourent. Fidèle en amitié, il est d'un
commerce aussi silr qu'agréable.
Nous sera-t-il permis maintenant d'ajouter, dans l'unique
intérêt de la vérité historique, qu'avec l'àge ce qu'il y avait
d'excentrique dans le caractère de lord Brougham n'a fait
que se manifester avec plus de force et l'a poussé à certaines
démarches en désaccord complet avec tous les principes de
sa carrière antérieure. Ses paroles et ses actes trahissent
trop souvent une certaine irritabilité nerveuse à laquelle, par
exemple, il faut sans doute attribuer l'étrange sortie qu'il se
permit à l'égard du chevalier Bunsen, envoyé de Prusse
à Londres, qui à la séance de la chambre haute du 17 juin
1850 s'était placé dans la tribune attribuée aux pairesses.
Il salua d'abord la révolution française de 1848 de ses plus
sympathiques acclamations, et alla même alors jusqu'à
demander au ministre de la justice du gouvernement pro-
visoire, Crémieux, si en raison de la propriété qu'il possède
aux portes de la ville de Cannes, et où il a l'habitude de venir
passer ses vacances parlementaires , il ne pourrait pas se
faire recevoir citoyen français. Mais il ne tarda point à com-
plètement changer d'idées à cet égard , ainsi qu'on peut le
voir dans sa Lettre au marquis de Lansdowne , où il s'ex-
prime au sujet de la révolution de Février et de ses auteurs
dans les termes les plus amers. Il n'a pas fait preuve d'une
moindre inconséquence à l'occasion de la fameuse exposi-
tion universelle de Londres. Après s'être prononcé de la ma-
nière la plus vive contre ce projet quand il en fut pour la
première fois question, et après avoir déclaré qu'il le regardait
comme dangereux pour le commerce anglais , il en devint
tout à coup l'un des plus chauds partisans.
Lord Brougham a beaucoup écrit depuis qu'il n'occupe
plus de fonctions publiques. Entre autres ouvrages qu'on a de
lui nous citerons, indépendamment du recueil de ses discours
(4 vol., 1838) et d'un Essai sur la Constitution anglaise
(1844) : Sketches qf Statesmen of the Unie qf Georges III
(1839) etZiyes qf Men qf Letlers and Science wfiojlou-
ris/ied in the time qf Georges III. Sur le frontispice d'un do-
maine qu'il possède près de Cannes ( Var), on Ut ce distique :
IiiTcni portura : spes et fortuna valele,
Satme lusistis; liidilc niinc alios.
BROUGHTON (Archipel de), groupe d'Iles ba&rvçs,
situées dans l'Océanie, archipel des Fidgi , à l'est de la Nou-
velle-Zélande, par 44" de latitude sud et 178° de longitude
ouest. Il se compose des iles Cornwallis, Pitt et Chatam.
Cette dernière est la plus considérable de toutes ; sa longueur
peut aller à 4S Kilomètres; le terrain s'y élève graduelle-
ment, et forme, dans l'intérieur, des collines d'un aspect
agréable. Bien que la végétation y ait beaucoup de force, lei
I
BSOUGHTON — BROUILLON
arbres n'y atteignent guère qu'une élévation moyenne. Les
babilants sont des bommes de moyenne taille , vigoureux ,
bien proportionnés. Leur corps n"offre aucune trace de ta-
touage. Une peau de phoque et une natte tressée avec art
forment leur vêtement. Leur teint est d'un brun foncé , et
leurs traits sont vivement accusés. Ils ont des filets et des
lignes fabriqués avec un beau chanvre qui croît probable-
ment dans leur île. Cet archipel tire son nom du navigateur
Krough ton, qui le premier le visita. Le nom du même na-
vigateur a également été donné à un autre groupe d'iies,
situé sur la côte occidentale de l'Amérique septentrionale,
au nord de lîle de Vancouver, par 50° 47' nord et 128°
6g' longitude ouest et découvert pendant le voyage de re-
cherches entrepris par Vancouver.
BROUGHTOiX (Willum-Robert), navigateur an-
glais, ne dans le comté de Glocester,mortà Florence, en 1821,
commandait le brick le Châtain dans la célèbre expédition
de Vancouver. 11 découvrit en 1790 plusieurs lies à l'em-
bouchure de rOrégon , sur la côte occidentale de l'Amérique
du Nord et leur donna son nom. 11 reconnut en outre l'ar-
chipcl du Japon, la côte orientale de l'Asie , et une partie de
rOcéanie. En 1797 il eut part à la prise de Java, en qualité
de Commodore.
BROUILLAMIIVI, terre rouge et visqueuse, espèce de
bol, que l'on a conlomiu avec le bol d'Arménie, et d'où
.«erait venu son nom, selon quelques ctj mologistes. On lui
attribuait autrefois de grandes vertus médicales; mais son
usage le plus réel était celui que les peintres en faisaient
pour appliquer l'or à leurs ornements , et les potiers pour
teindre leurs pots en rouge. On désigne généralement au-
jourd'hui sous ce nom, ou sous celui de bol en bille, en
pharmacie, des masses de bol de la grosseur et de la lon-
gueur du doigt.
Brouillamim se dit, dans un autre sens, et dans une
acception familière ou burlesque, de tout ce qui est obscur,
embarrassé; il est alors synonyme d'<?«6rog'iJo, et tire,
comme lui , son origine du verbe brouiller.
BROUILLARD. Les brouillards, que l'on observe
fréquemment en Europe, paraissent le soir et le matin. Ils
sont la suite du refroidissement de l'atmosphère. Pendant
la journée, la température de l'atmosphère s'élève, l'air peut
retenir la vapeur formée à la surface de la tene ; le soir, la
terre perd par le rayonnement une partie de la chaleur qu'elle
a reçue du soleil , elle se refroidit et refroidit l'air atmosphé-
rique ; celui-ci abandonne une partie de la vapeur qu'il a
dissoute pendant la journée ; cette vapeur se précipite sur
la terre, et il arrive souvent que le brouillard disparaît quel-
ques heures après le coucher du soleil ; quelquefois il dure
toute la nuit. Enfin il arrive que le brouillard ne se mani-
feste que le matin , c'est-à-dire vers le moment où la terre
a perdu le plus de chaleur. La cause des brouillards étant
une fois indiquée, il est facile de se rendre raison de ces di-
verses circonstances. La présence d'un brouillard doit pro-
duire le même effet que celle d'un n u a g e sur le refroidis-
sement de la terre; elle doit le ralentir. Aussi a-t-on remar-
qué qu'en général le froid est peu intense pendant que la
terre est couverte de brouillards.
Les pièces d'eau un peu étendues, les lacs, les riviè-
res, etc., sont souvent couverts, le soir et le matin, de brouil-
lards plus ou moins épais. Voici pourquoi : la surface de
l'eau se refroidit moins que la terre et que l'air, parce qu'à
mesure qu'une couche se refroidit, elle se précipite et est
remplacée par une couche plus chaude , en sorte que, pour
que la surface d'une pièce d'eau soit à la température à la-
quelle elle serait si elle ne changeait pas de position, il faut
que toute la masse d'eau ait subi le même refroidissement
qu'elle a subi d'abord. La surface d'une eau courante ou
tranquille doit donc être, en général, plus chaude que l'air
et que la terre qui l'environnent; mais la couche d'air qui
«st immédiatement en contact avec elle prend sa tempéra-
767
ture et se sature de vapeur. Cette couche d'air chaud et
humide s'élève, se mêle à l'air plus froid, abandonne de la
vapeur et produit un brouillard. Si l'air est agité par la pluie
ou par le vent, la température de l'air est sensiblement uni-
forme ; la couche qui touche la surface de l'eau n'a pas le
temps de se saturer de vapeur, il ne doit pas se former de
brouillard ; c'est ce que l'observation confirme.
Quoique les brouillards doivent généralement leur origine
à l'humidité, ils ne sont pas tous de même nature. Assez
souvent lis répandent une odeur fétide, qui atteste qu'ds
peuvent retenir et entraîner diverses substances gazeuses
autres que la vapeur de l'eau ; parfois même ils semblent
tellement chargés de particules étrangères, qu'ils mouillent à
peine les corps avec lesquels ils se trouvent en contact, et
qu'on a pu les désigner sous le nom de brouillards secs. Ces
brouillards agissent chimiquement sur la végétation : ils fer-
tilisent la terre en la pénétrant à l'époque des labours et des
semailles, et ils ajoutent plus tard à la nourriture que les
feuilles puisent dans l'atmosphère. Mais si leur durée est
trop longue , ils contribuent indirectement , en abaissant la
température , en arrêtant les rayons lumineux et en entre-
tenant une humidité particulière, à facibter la propagation
de la rouille des blés, du charbon, de lacai'ie, l'avorteœent
des lleurs, la coulure des fruits, etc.
BROUILLARD {Comptabilité). Voyez Livres de
COKMERCE.
BROUILLE , niplure momentanée, altération légère
dans le commerce de l'amitié. Diminutif de brouillerie,
brouille n'est usité que dans la conversation et le style fa-
milier : On dit qu'il y a de la brouille dans le ménage ,
qu'après la brouille vient le raccommodement, etc. Ce mot
parait être tout moderne, et ne date peut-être que du com-
mencement de ce siècle.
BROUILLER, de l'italien brogliare, imbrogliare,
s'emploie dans l'acception de mêler, d'établir de la confu-
sion ou du désordre dans les affaires , dans les idées ou entre
les personnes.
En termes d'équitation , brouiller un cheval, c'est le
conduire si maladroitement, qu'on l'oblige à agir sans règle;
un cheval se brouille lorsque par trop d'ardeur, ou par l'in-
habileté de son cavalier, il confond tous les mouvements
qu'on lui imprime.
BROUILLERIE, commencement de discorde, dissen-
sion légère qui divise et menace d'altérer les sentiments dans
la famille ou l'amitié. Les brouilleries les plus légères quand
elles sont fréquentes détruisent à la longue les affections et
usent l'amitié , tandis qu'elles fortifient l'amour. Aussi , les
amants, s'ils cessent d'aimer , ne se querellent-ils pas long-
temps : ils se quittent. Pascal appelle brouilleries des dis-
putes hérissées de chicanes. Toutefois , si le mot brouillerie
a figuré dans le style noble, il n'a pu s'y maintenir, et n'est
guère admis maintenant que dans le style simple ou familier.
Brouillerie , dans un autre sens , était un amas d'objets
de peu de valeur, qui ne méritaient pas d'être décrits sépa-
rément. On dit aujourd'hui broutilles.
BROUILLON, celui qui brouille et confond toutes
choses faute de réflexion ou de discernement. C'est un vice
de tempérament insupportable dans la vie privée et dange-
reux dans les affaires publiqi:es. Dans le premier cas le
brouillon parle sans savoir ce qu'il dit, agit sans avoir la
conscience de ce qu'il fait; il affirme ou dénie au hasard,
comme il place et déplace sans motif ce qu'il touche. En
politique le brouillon est un ambitieux, qui trouble l'État
par amour du changement, par inconstance d'esprit. 11 n'a
point de vues profondes , de plan médité, il s'abandonne à
son penchant et s'élance dans les révolutions par goût ou
pour venger une injure. A Rome, Clodius était un brouil-
lon , César un politique.
Brouillon se dit aussi des premières idées jetées sur le pa-
pier et destinées à être revues , corrigées, transcrites de iwu-
i
758
BROUILLON — BROUSSAIS
veau. Dans la tenue des livres, Brouillon e%t synonyme de
Brouillard ou main-courante (voyez Livres de Commeçice).
BROUISSURE. Voyez Brûlure {Agriculture).
BROlirMISTES, disciples de Robert lîrown, qui se
sépara de l'Église dominante par suite des mesures sévères
adoptées à partir de 1573 contre les puritains. Dans ses atta-
ques passionnées, il ne ménageait pas plus les presby-
tériens que l'Église épiscopale; car, bien (jue partageant
quelques-unes des doctrines des premiers, il condamnait
leur constitution synodale et presbytérale, comme contraire
aux traditions apostoliques. Suivant lui, cliaqiie communauté
devait foiiner une société ou congrégation (d'où le nom de
congrégatïonnalistes)?,VL\)f>h\.M\\. par elle-même et se gou-
vernant elle-raômc, indépendante de toute autorité étrangère.
Cette constitution, dans laquelle chaque membre de la com-
munauté avait les mômes droits et la môme puissance, en-
traînait la nécessité de la suprématie des majorités. Chaque
communauté élisait librement son ministre ou lui ôtait ses
pouvoirs, et ce prêtre n'avait point le privilège de l'ensei-
gnement, car chaque frère avait le droit de prophétiser. En
ce qui touche la liturgie, Robert IJrown condamnait toutes
les formules de prières, ainsi que le mode d'administration
des sacrements et la cérémonie ecclésiastique du mariage.
Après la mort de Brown, ses partisans, dont le nombre aug-
menta plutôt qu'il ne diminua, sous la direction de leur
deuxième docteur, le jurisconsulte Henri Barrow (d'où
le nom de barrowistcs qu'on leur donne aussi quelquefois),
se virent forcés, par suite des persécutions dirigées contre
eux, de se réfugier en Hollande, et de s'établir à Amsterdam,
Middelbourg et Leyde. C'est dans ce pays que John Robin-
son, leur chef à Leyde, mort en 1 026, leur inspira des idées
plus modérées, et transforma leur communauté en celle des
indépendants,<\m plus tard prit une si grande impor-
tance politique. Vers 1643, les uns revinrent s'établir en An-
gleterre, et les autres passèrent dans l'Amérique septen-
trionale. Aujourd'hui , les indépendants ne diffèrent des
autres sectes protestantes que parce qu'ils rejettent toute
formule de foi et ne font point ordonner leurs prêtres.
BROUNISTES {Hist. médicale). Foy. Buowi\ (John),
BROUSSA. Voyez Brousse.
BROUSSAILLES, mauvais bois qui profite peu, tels
que haies, buissons, ronces, épines, bruyères, etc. On a dit
autrefois brossailles.
BROUSSAIS (François-Joseph-Victor), naquit à
Saint-Malo (Ille-et- Vilaine), le 17 décembre 1772. A peine
avait-il terminé ses études classiques au collège de Dinan ,
que la révolution survint. Pendant quinze mois il servit
l'État, d'abord comme simple grenadier, puis en qualité de
sous-officier. Durant les trois premières années de la répu-
blique il fut employé comme chirurgien sous-aide, dans la
marine militaire, à Saint-Malo, dans les différents hôpitaux
de Brest , et à bord des vaisseaux français. Il reçut de son
père les premières notions de chirurgie, et il commença à
étudier l'anatomie sous la direction de Billard et Diiret.
Pendant deux ans il exerça sur une corvette de l'État les
fonctions de chirurgien de seconde classe. Revenu dans ses
foyers en 1798 , Broussais continua .ses études médicales par
l'étude de la botanique , de la matière médicale, et la lecture
des livres de médecine. Muni de tant d'instruction et de con-
naissances pratiques déjà étendues, il se rendit à Paris en
1799, où pendant quatre années il suivit les cours qui
s'y faisaient alors, et fut reçu docteur en 1803, après avoir
soutenu une thèse qui portait pour titre : De la fièvre hec-
tique, considéréecomnie dépendante d'une lésion d'action
des différents systèmes, sans vice organique. Après avoir
exercé la médecine pendant deux ans dans la capitale, Brous-
sais fut nommé médecin militaire, et successivement il exerça
l'artde guérir dans les iiôpitaux de la Belgique, de la Hollande,
de l'Autriche et de l'Italie. Revenu à Paris en 1808, pour refaire
sa santé, que les latigues de la guerre avaient altérée, il publia
son Histoire des P/ilegmasies ou inflammations chroni'
qties , fondée sur de nouvelles observations de clinique
et de pathologie, et presque aussitôt il repartit continuer les
fonctions qui lui étaient confiées. Ce fut le moment où com-
mença pour Broussais une existence nouvelle , le moment
où il entreprit la réforme médicale à laquelle il s'est dévoué
jusqu'à son dernier jour. Pendant six ans il remplit les fonc-
tions de médecin principal à l'armée d'Espagne. La restau-
ration le ramena à Paris, où il fut désigné comme second
professeur à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce , devenu hô-
pital d'instruction.
La publication de F Histoire des Phlegmasies chroniques
avait surpris la France, et en particulier l'école de Paris,
livrée au charme des systèmes de nosologie. On n'y jurait
queparPinel, Sauvages et Alibert; Brown, CuUen et
Sydenhamy recevaient aussi de fervents et aveugles hom-
mages. Broussais , qui avait abandonné son livre à sa propre
fortune, se fiant à l'importance des idées qu'il contenait du
soin de le faire rechercher, fut très-étonné de voir qu'on le
connaissait à peine, et qu'il devait le discrédit où il était
tombé dès son apparition à la critique peu fondée qu'en
avait faite Pinel dans le Journal de Médecine , publié par
Corvisart, J.-J. Leroux et autres. Il sentit aussitôt que sa
vie devait être une existence de lutte pénible, mais néces-
saire au triomphe des opinions scientifiques qui avaient sa
foi. Il accepta donc cette condition attachée à l'œuvre de
tout réformateur, avec l'ardeur que donne une conviction
profonde, la constance d'un homme que rien ne saurait
l'aire dévier, et toute l'habileté d'un tacticien expérimenté.
Dès 1815 il commença à se livrer aux fonctions de l'en-
seignement particulier , et lorsque par la puissance de sa
parole, appuyée de la puissance plus irrésistible encore des
faits, il se fut créé un auditoire disposé à suivre ses traces,
il porta un noble défi à ses adversaires et à cette masse d'in-
différents qui préfèrent le repos de l'ignorance aux inquié-
tudes de la recherche.
Dès 1817 parut V Examen de la Doctrine Médicale gé-
néralement adoptée et des systèmes de nosologie. Le gant
fut aussitôt ramassé qu'il avait été jeté : un haro universel
s'éleva contre le réformateur audacieux qui portait une main
téméraire sur l'arche sainte des systèmes nosologiques. La
première édition de V Examen des Doctrines , devenue si
rare aujourd'hui , est avant tout un livre de critique , entre-
pris dans le but de combattre les systèmes nosologiques qui
régnaient alors , en remontant jusqu'à Brown , qui les ani-
mait de son esprit , comme Sauvages les avait guidés dans
leur fausse et minutieuse analyse. Les jugements passionnés ,
les attaques de l'ignorance et de la mauvaise foi ne manquè-
rent pas à ce livre. Broussais riposta avec autant de courage
que (le résolution. On en trouve des témoignages nombreux
dans les travaux de polémique qu'il inséra pendant longtemps
au Journal universel des Sciences Médicales , ainsi que
dans les articles dogmatiques qu'il publia dans plusieurs vo-
lumes du grand Dictionnaire des Sciences Médicales. Du
reste , le ton qui régnait dans la polémique de Broussais n«
permettait guère à ceux qu'il attaquait de rester impassibles,
A la multiplicité des faits et à la profondeur du raisonnement
il joignait l'ironie, le sarcasme, et des qualifications peu
bienveillantes pour ses adversaires. Logicien rigoureux et
sévère, il ne négligeait aucune Occasion de mettre dans toute
leur nudité les fautes de raisonnement de ses ennemis. Ha-
bile à saisir le point faible d'une discussion, il s'y jetait avec
une hardiesse que rien ne pouvait arrêter. Observateur sa-
gace, analyste sévère, sa polémique devenait formidable pour
ceux qu'il combattait , en raison de la prodigieuse multipli-
cité des faits pratiques qu'il déroulait à leurs yeux.
En 1821, Broussais pul)lia la deuxième édition de l'Exa-
men des Doctrines Médicales, ouvTage tout neuf, relati-
vement à la première édition, depuis longtemps épuisée»
en ce que l'auteur y agrandit son point de vue , et du rôle
BROUSSAIS — BROUSSE
ÎS9
de critique s'élève à la fonction , autrement digne et impor-
tante, d'historien de la science. Mais dans cette édition la
partie critique occupe encore une si large place, que le plan
historique de l'auteur n'y est pas nettement dessiné. Aussi
beaucoup de noms et de systèmes qui eurent une haute in-
fluence sur la marche de la science s'y trouvent-ils négligés
ou à peine indiqués, quelquefois méconnus et mal jugés.
Dans la troisième édition du même ouvrage, qui a paru de
1829 à 1834, liroussais fait de nombreux efforts pour effacer
de plus en plus le critique à l'ombre de l'historien. Mais son
livre, quelque remarquable qu'il soit, n'est point encore une
histoire de la médecine.
En 1822 Broussais fonda les Annales de la Médecine phtj-
siologique, journal qui devint le théâtre de sa lutte avec les
rnédccias, et où il publia par fragments son Traité de Physio-
logie pathologique, et, souslctitrede Commentairedespro-
positions de pathologie, un véritable traité de médecine.
Des efforts qu'il déployait Broussais reçut la plus belle récom-
pense. La doctrine physiologique devint au bout de peu d'an-
nées la théorie k laquelle se rattachèrent la très-grande ma-
jorité des médecins de France et de Belgique ; elle pénétra
en Espagne, en Italie, et dans les deux Amériques; il n'y
eut que l'Angleterre et l'Allemagne qui furent pour elle deux
terres ingrates, où jusqu'ici elle n'a pu jeter de racines un peu
profondes. Nommé en 1820 premier professeur à l'hôpital
du Val-de-Grâce , Broussais fut appelé dès sa fondation à
l'Académie royale de Médecine , en qualité de membre titu-
laire , en môme temps que l'Académie des Sciences et la Fa-
culté de Médecine le repoussaient.
La réforme médicale tentée par Broussais offre deux mo-
.ments bien distincts : leTraité des Phlegmasies chroniques,
la première édition de V Examen des Doctrines Médicales
et les leçons orales en remplissent la première période. Ren-
verser l'hypothèse de l'essentialité des fièvres, combattre ce
que l'auteur a nommé Vontologie médicale, et la poursuivre
jusqu'en ses derniers retranchements , étudier les phlegma-
sies aiguës et chroniques sous toutes leurs formes, dans toutes
leurspériodes, voilà ce que fit Broussais jusqu'en 1821. Avec
la seconde édition de V Examen des Doctrines, et la fonda-
tion des Annales de la Médecine physiologique, commence
une autre phase de la vie scientifique de leur auteur. Il s'agit
moins pour lui de continuer à défendre une cause désormais
gagnée dans l'esprit des médecins, à savoir la non-essentialité
des fièvres et la théorie des phlegmasies aiguës et chroniques,
que de faire reconnaître Virritation comme la loi générale de
la vie, considérée à l'état normal et à l'état anormal. Cette
grande tâche, Broussais l'a remplie de 1821 à 1828. Mais à cette
époque la doctrine physiologique, qui semblait désormais
à l'abri de toute atteinte sérieuse, se crut menacée, sinon dans
son existence , au moins dans ses progrès, par la résurrection
de V éclectisme philosophique, qui engendra presque aussitôt
V éclectisme médical. Laënnec venait de mourir, empor-
tant avec lui cet esprit étroit de polémique sophistique, qui,
avec son talent d'observation , contribua si puissamment à
la grande réputation dont il jouit de son vivant. Il arriva à
la doctrine physiologique que , ne pouvant plus l'attaquer
dans son ensemble, on crut triompher d'elle en lui faisant
quelques concessions, et en mettant des doutes plus ou moins
ingénieux à la place des prmcipes que l'on contestait. M. An-
dral, qui accepta cette mission de pur dévouement (car elle
n'exige ni courage ni puissance de création), fut celui qui
planta en regard de la bannière dogmatique de Brc»jssais
le drapeau pâle et timide de l'éclectisme médical.
Broussais sentit tout ce qu'il y avait d'habilement perfide
dans les concessions qui lui étaient faites, bien que ceux qui
les lui faisaient obéissent tout simplement à leur propre con-
viction. Il sentait aussi que l'éclectisme médical devait né-
cessairement conduire h un scepticisme aussi pénible pour
le médecin que dangereux pour le malade. Déjà les rangs
de ses zélateurs, s'ils ne s'éclaircissalcnt point encore, s'é-
branlaient manifestement : on lui reprochait de n'avoir pa»
découvert une loi générale, puisque tous les phénomènes phy-
siologiques et pathologiques ne pouvaient être expliqués 'par
la théorie de Virritation , lui-môme n'ayant jamais songé à
ramener les fonctions et les désordres du système nerveux
sous l'empire de sa loi générale. Il nous semble que c'est à
cet état de choses que nous devons le livre publié en 1828
sous le titre de Virritation et de la Folie , où son auteur
essaye de rattacher à l'histoire de la science sa propre dé-
couverte ( tant il est vrai que les hommes de génie ont tou-
jours besoin de se sentir liés à la traditioni), et combat
l'éclectisme philosophique et médical avec la même ardeur
qu'il avait mise à poursuivre l'ontologie médicale.
En 1831 Broussais reçut enfin une tardive justice : la
Faculté de Médecine l'admit dans son sein. Lors du rétablis-
sement de l'Académie des Sciences morales et politiques ,
en 1832, il fut appelé à en faire partie. Il était en outre com-
mandeur de la Légion d'Honneur et inspecteur général du
service de santé des armées. D'' Léon Simon.
Le choléra, qui en 1832 vint décimer la population de
Paris, fut pour Broussais l'occasion d'une nouvelle polémique.
Mais Casimir Périe rayant été atteint par le fléau, Broussais
ne put le sauver; ses adversaires s'emparèrent de cette oc-
casion pour critiquer plus que jamais le système de l'irri-
tation.
Parmi les dernières publications de Broussais , une des
plus importantes est son Cours de Phrénologie , qui parut
en 1836.
Broussais mourut à Vitry, près de Paris, le 17 novembre
1838. Ses cendres ont été déposées au Val-de-Grâce, où un
monument lui a été élevé par souscription.
BROUSSAIS ( Anne-Mabie- Casimui ), fils du précédent,
naquit à Saint-Servan ( Ille-et-Vilaine ) , le 10 février 1803.
Il se livra à l'étude de la médecine sous la direction de son
père , et en 1831 il commença à être attaché aux hôpitaux
comme chef de service. En 1833 il entra au Val-de-Grâce
comme professeur. Il fut enlevé à la science au mois de
juillet 1847.
Les principales publications de Casimir Broussais sont ,
outre un grand nombre d'analyses, d'observations et de
rapports de médecine, sa thèse pour l'agrégation sur Vana-
tomie pathologique, publiée en 1829; sa thèse soutenue
en 1833 au concours pour la chaire de clinique interne, sur
cette question : Existe-t-il des maladies générales pri-
mitives ou consécutives? ( in-4° de 28 pages ); Atlas his-
torique et bibliographique de la Médecine ( 1829); Hy-
giène Morale (1837); Lettre sur la Fièvre Typhoïde
(1842); Histoire des Méningites cérébro-spinales qui ont
régné épidémiquement dans différentes garnisons en
France, depuis 1837 jusqu'en 1842 ( 1843); etc.
BROUSSE ou BOURSAH , l'ancienne Pruse, capitale de
la Bithynie, devenue plus tard la résidence des sultans
turcs, dansl'eyalet d'Anatolie, située au pied de l'Olympe
ou Keshish, montagne boisée haute de 1500 mètres, dans
une ravissante situation, à 29 kilomètres de Mundania, sur
les bords de la mer de Marmara, compte 60,000 habitants
dontc.,000 Arméniens, 4,000 Grecs et 2,000 Juifs. La ville pro^
prementdite est en partie construite sur des rochers coupés à
angle droit et entre lesquels s'élèvent de grands arbres. Elle
est entourée de remparts et de fortes murailles ; un château
fort, bâti sur un autre rocher et dont les murs, d'origine cy-
clopéenne, attestent la haute antiquité, la domine. Elle est le
siège d'un pacha, d'un mollah, d'un métropolitain grec et
d'un archevêque arménien. On y voit deux palais impériaux,
un nombre infini de mosquées , entre autres celle des trois
sultans ( Mourad I'^'", Bajazet I" et Mohammed V ) ; la
mosquée du sultan Orkhan et celle de Mourad I*" se dis-
tinguent par leur architectme et leurs proportions gran-
dioses; trois églises grecques et une église arménienne, plu-
sieurs synagogues, de magnifiques promenades, des jardins
760
BROUSSE — BROrSSEL
admirablement dessinés et riches en ombrages, d'excellentes
sources thermales, une foule de fontaines et de nombreux
caravansérails. Les habitants fabriquent de la gaze, du
velours, des étoffes de soie, des toiles, des tapisseries, des
têtes de pipe, des étoffes et des broderies d'or et d'argent,
dont on exporte annuellement de 3 à 4,000 quintaux pesant,
et qu'on expédie, avec du vin, du safran, de la térébenthine,
de la noix de galle, etc., à Sinyrne, à Constantinople et à
Angora. Les Grecs et les Arméniens y vivent très-rigoureu-
sement séparés les »ms des autres dans les deux petits fau-
bourgs situés au bas de la ville et entourés chacun de fossés
et de ponts-levis. Le monument du sultan Othman 1'"", orné
de marbre et de jaspe, est situé en dehors de la ville, dans
le voisinage de laquelle on trouve aussi les bains de Jenni
«td'Eski-Kapiizza. Dans la montagne d'Eskischehir, voisine
de Brousse, et aussi à Kiitshik, on trouve beaucoup d'écume
de mer, qu'on taille en tôtes de pipe à Brousse même, mais
qu'on ne sculpte qu'à Vienne, à Lemgo et dans d'autres villes.
Dans ces derniers temps, Brousse est singulièrement déchue
de son antique prospérité.
Prise, en 1325, par Orkhan, fds d'Othman, pendant la
dernière maladie de son père, Pruse, ou Brousse, devint
alors la capitale des sultans othomans. Ce prince y fonda,
en 1334, avec une magnificence vraiment royale, une mos-
quée, un hôpital et une académie, qui devint si fameuse par
Je mérite de ses professeurs, qu'on y accourait en foule du
fond de l'Arabie et de la Perse. Mou rad F'', s'étant emparé
d'An d ri no pie en 1360, y transporta la résidence des sul-
tans. Bajazet l" fit bâtir à Brousse une superbe djami ou
mosquée, avec une medresseh, ou collège. Cet orgueilleux
monarque ayant été vaincu et fait prisonnier par Tamerlan,
Brousse fut conquise par le vainqueur en 1402. On y prit
la femme et les deux filles de Bajazet; et, quoiqu'un des
fils du sultan en eût enlevé le trésor public, on y trouva
des richesses immenses ; les perles et les pierres précieuses
s'y mesuraient au boisseau. Après avoir brûlé Brousse , Ta-
merlan la rendit à Mousa, l'un des fils du sultan. Bajazet
y fut enterré l'année suivante. Ses fils s'en disputèrent la
possession durant quelques années; elle resta à Mahomet l*"',
qui mit fin à l'anarchie. En 1413 le sultan de Carama-
nie assiégea cette ville, dont il pilla les faubourgs. En 1481
le prince Djem , ou Zizim, disputant l'empire à son frère
Bajazet II, fut proclamé sultan à Brousse, dont les habitants
lui fournirent des sommes considérables. Lorsque après ses
revers et son long séjour en France, ce prince eut été em-
poisonné en Italie, son corps , réclamé par Bajazet , fut
transporté à Brousse pour y être enterré. En 14'J0 un
violent incendie consuma cette ville. En 1693, sous le règne
d'Achmet II, Misri-Effendi , cheik ou mollah de Brousse,
enrôla trois mille derviches sous son étendard, et se rendit
à Andrinople, où il déclama contre le gouvernement dans la
grande mosquée. Le sultan triompha de sa révolte, et s'em-
para par ruse de sa personne; mais il n'osa sévir contre lui,
et le fit reconduire respectueusement dans sa résidence.
BROUSSEL ( PiEKKE ), conseiller à la grand'chambre
du parlement de Paris, joua un rôle important dans les
troubles de la F ronde. Il s'était toujours prononcé contre
les nouveaux impôts , et surtout contre l'accroissement
exorbitant des acquits au comptant, bons sur le trésor, émis
par le roi lui-même, sans être ordonnancés par un ministre,
et sans que le motif en fût indiqué.
Le parlement avait cassé le testament de Louis XIII, et,
sur la renonciation formelle du duc d'Orléans et du prince
de Condé à la régence, il l'avait déférée à la veuve du feu
roi, Anne d'Autriche. Il pouvait dès lors se considérer
comme responsable des actes de la régence, ou du moins
s'arroger le droit et le devoir de contrôler ses actes. Toute
la France avait été aussi surprise qu'indignée de voir que le
pouvoir fût passé de fait entre les mains de deux étrangers :
le cardinal Mazarin avait été fait prcmierniinistrc, et !c
ministère des finances avait été remis à un autre Italien,
Emerio, qui, pour avoir francisé son nom ( d'Émeri ), n'en
était pas moins étranger. Cette double promotion avait con-
trarié de hautes ambitions; l'augmentation des imjjôts ex-
citait de violents murmures. A la tète des frondeurs se si-
gnalait René de Longueil de Maisons, président à mortier.
Le conseiller Broussel partageait ses opinions et ses vœux
pour la réformation des abus; plus que septuagénaire, il
avait encore toute l'énergie du jeune ûge, et manifestait
avec la plus courageuse fianchise sa haine contre le des-
potisme ministériel. La cour, effrayée de l'opposition du par-
lement et de son refus d'enregistrer les nouveaux éditsbur-
saux , après avoir essayé de la violence et des moyens de
séduction, avait été forcée de céder. Le parlement réclamait
1° la diminution des impôts; 2° l'établissement d'une cour
de justice chargée de surveiller l'emploi des revenus de
l'État et de poursuivre les ministres et les autres agents con-
cussionnaires ; 3° la suppression des intendants ; 4° l'abo-
lition des acquits au comptant. La régente, ou plutôt son
premier ministre, avait envoyé au parlement une déclaration
où l'on faisait les plus belles promesses pour l'avenir, et qui
en réalité se bornait à une modique réduction des impôts
existants. On délibéra longtemps si cette déclaration serait
préalablement soumise au rapi)ort d'une commission : la
majorité opina pour l'affirmative. Le conseiller Broussel
oxa se charger du rapport ; ses conclusions ne furent point
favorables au pouvoir.
Le duc d'Orléans s'était constitué médiateur entre la cour
et le parlement ; il insistait pour l'enregistrement. Broussel
persistait , au contraire , à soutenir ses conclusions pour le
rejet ■>• Le nom d'intendant, disait-il, est si odieux et si
suspect au peuple, qu'il faut en abolir et en ôter la mémoire ;
il faut le rayer de nos fastes, comme de mauvais augure et
pernicieux kla.républiq2ie. « Nos pères n'entendaient par ce
mot que Vintérét général du pays. Les délibérations du
parlement sur cette déclaration se prolongeaient ; mais il était
facile d'en prévoir le résultat. La cour fit remettre une nou-
velle déclaration , moins restreinte, et qui ne fut pas mieux,
accueillie. Tout rapprochement devint dès lors impossible ;
le ministère était à bout de voie : la nouvelle de la victoire
de Lens lui rendit le courage et l'espérance; il se hâta d'ex-
ploiter à son profit l'enthousiasme populaire. Le ministère
affecta la modération ; il semblait ne pas vouloir profiter de
ses avantages. Il flattait le parlement. Mais Mazarin méditait
un odieux guet-apens contre les membres qui s'opposaient à
ses usurpations. L'exécution du coup d'Etat fut ajournée
au 26 août (1648 ), jour fixé pour le Te Deum : toutes les
cours souveraines y assistèrent ; le parlement s'y rendit en
plus grand nombre qu'à l'ordinaire, précisément parce que
la cour avait fait répandre le bruit qu'il avait résolu de res-
ter étranger à cette solennité. Toutes les rues , depuis le
Palai.s-Royal jusqu'à Notre-Dame, étaient bordées de gardes
iVançaises et de gardes suisses, qui continuèrent à stationner
après le retour du roi et de son cortège. Cette circonstance
fut remarquée et provoqua dans le public une agitation in-
quiète. Cominges, lieutenant des gardes de la régente, et qui
avait ordre d'arrêter Broussel, le président de Blancménil
et Cliarton , était resté à l'église après la cérémonie : on
s'étonnait qu'un officier des gardes du corps n'eût pas suivi
la cour.
Les membres du parlement étaient encore à Notre-Dame;
on leur donna avis du stationnement extraordinaire des trou-
pes de la garde royale, et on en concluait que leur liberté
était menacée. Tous sortirent en même temps et avec pré-
cipitation; ils s'écoulèrent par toutes les issues. La foule
accourue jiour voir le cortège circulait sur le parvis et dans
les rues voisines; on s'aperçut de ce mouvement : des grou-
pes nombreux se formèrent. Cominges avait envoyé deux
exempts pour se saisir de Blancménil et de Cliarton; celui-
ci, prévenu à temps, s'était évadé. Lui-même s'était réservé
BROUSSEL — BROUSSONNET
761
I
Yexpédition la plus dillicile : la régente attachait la plus
liaufe importance à l'arrestation du vieux Broussel, et avant
<'»' sortir de la calliédraie elle avait réitéré ses ordres à
Cominges, « Allez, lui avait-elie dit; et que Dieu vous as-
siste! » L'officier avait combiné son plan : il avait envoyé
«l'avance son canosse , quatre gardes et un exempt à l'ex-
trémité de la rue Saint-Landri, où demeurait Broussel. Les
portières étaient abattues, les mantelets levés pour pouvoir
donner des ordres en cas d'attaque. Cominges s'empare de
la porte de la maison, y laisse deux gardes, et pénètre dans
l'appartement du magistrat. Le vieillard achevait sondiner;
sa famille était réunie ; il n'était vêtu que d'une vieille robe
de chambre. L'ofticier lui signifie l'ordre de la reine, et pré-
sente la lettre de cachet. Broussel ne demande que le temps
de s'habiller ; sa fanùlle se précipite épiorée ; une vieille ser-
vante se place à une lenôtre , et crie à la foule qu'on veut
enlever son maître. Les groupes grossissent, on se dispose
à briser le canosse : les gardes en défendent l'approche.
Cominges arraclie le vieillard des bras de sa famille, et, le
fer sur la poitrine , il le menace de le tuer s'il ne marche à
l'instant. 11 l'entraîne , et le jette dans le carrosse ; mais au
|)remier détour la foule oppose ses masses compactes , et à
peine est-ou entré dans la rue des Marmousets, que de l'élude
d'un notaire on lance un banc de bois qui barre le passage.
Le carrosse ne franchit cet obstacle que pour aller se bri-
ser sur le quai des Orfèvres, vis-à-vis de l'hôtel du premier
président.
L'officier a perdu l'espoir d'emmener son prisonnier, et ne
songe plus qu'à sa sûreté personnelle : il s'élance de la voi-
ture répée à la main, traverse les premiers groupes. Des
soldats du légimenl des gardes accourent à ses cris, le
[)lacent au milieu de leurs rangs serrés; d'autres courent
pour s'emparer du premier carrosse venu : il s'en présente
un ; ils forcent la dame qui l'occupe d'en descendre, et y font
monter Broussel. Le carrosse de Cominges avait été enlière-
inent brisé; l'autre carrosse se rompt. L'envoyé de la reine
était perdu et son prisonnier déli\Té,si Guitaut,son oiicle,
capitaine des gardes delà régente, ne fût accouru à son se-
cours. 11 se précipite dans ce troisième carrosse avec Brous-
sel, et parvient aux Tuileries, où l'attendait un relais qui le
conduit au château de Madrid et de là à Saint-Germain, où
il fait coucher le vieillard. Le président Blancménilavaitété
touduit sans obstacle au château de Vincenues. D'autres of-
liciers des gardes portaient des lettres de cacheta trois con-
seillers qu'ils étaient chargés de conduire l'un à iSIantes,
l'autre à Provins et le troisième à Compiègne. Aucun de ces
magistiats ne put être arrêté.
Cominges avait conduit à fm sa périlleuse entreprise; mais
Paris était soulevé ; des groupes armés, menaçants, parcou-
idient la ville ; toutes les boutiques se ferment ; bientôt douze
cent soixante barricades s'élèvent comme par enchan-
teiuent. Le maréchal de La Meilleraie marche à la tête du ré-
giment des gardes. Les Ilots du mouvement populaire le pres-
sent et l'arrêtent à chaque pas. Aux cris de Broussel ! lirons-
sel ! Vive le roi seul ! Vive Broussel ! àminerres sont partout
lancées sur le maréchal et sur sa troupe ; dégagé par le coad-
juteur, il arrive au Palais-Royal. La régente était effrayée ;
de nombreux courtisans cherchaient à la rassurer : « Ce
n'otait qu'un feu de paille, disaient-ils. Que pouvait faire une
populace sans chef pour celui qu'elle s'était donné? Le
tribun du peuple, Broussel, était au pouvoir de sa ma^'csté. »
Les rapports du maréchal et du coadjuteur sont considérés
comm.e l'expression de la peur, qui exagère tout, et les
courtisans beaux esprits répondent aux effrayants récits du
coadjuteur et du maréchal par des épigrammes et des éclats
de rire. Bientôt, cependant, l'émeute gronde autour du
palais ; un lieutenant des gardes annonce que le peuple me-
nace de forcer les postes; le chancelier, pâle et tremblant,
à grand'peine échappé aux groupes furieux , confirme l'im-
luiucnce du danger. Le vieux Guitaiit s'écrie : « 11 faut ren-
mer. DE L\ oNiTKS. — r. m.
dre ce vieux coquin de Broussel mort ou vif. « Le cardinal
de Retz appuie cet avis. « Je vous entends, monsieur le
coadjuteur, dit la régente; vous voudriez que je rendisse la
liberté à Broussel ; je l'étranglerais plutôt de mes mains et
ceux qui... >> Et elle s'élance sur le coadjuteur avec un geste
menaçant ; le cardinal Mazarin l'arrête , lui dit un mot à
l'oreille , et sa fureur s'évanouit.
Force était de céder enfin aux Parisiens. On fait publier
que les prisonniers vont être rendus à la liberté; les amis
que la cour compte dans le parlement proposent un arrêt
qui fasse détruire les barricades et cesser les rassem-
blements. Mais les Parisiens veulent voir de leurs yeux
Broussel en liberté, et bientôt le vieux magistrat est tiré de
sa prison et ramené à Paris dans un carrosse de la cour, at-
telé de six chevaux. Son arrivée fut un triomphe : le calme
se rétablit; à sa rentrée au parlement, il fut reçu en au-
dience solennelle et complimenté par le premier président
au nom de toutes les chambres. Ce calme, toutefois, ne fut
qu'une trêve passagère : im cri général s'élevait contre Ma-
zarin; le parlement et le peuple demandaient son renvoi.
La reine , le roi et le cardinal avaient été forcés de s'enfuir
de Paris; les frondeurs restaient maîtres de la capitale. Le
vieux Broussel avait été nommé gouverneur de la Bastille
après la prise de cette foiteresse par le peuple en 1649.
Lorsque la paix fut rétablie entre les frondeurs et la cour, il
fut convenu qu'il conserverait ce commandement et que le
château ne serait pas utimédiatement remis au roi. Il eut
pour successeur dans ce poste son fils, qui donna quelques
années après sa démission , moyennant une indemnité de
90,000 francs. En 1652 les frondeurs, ayant destitué le
prévôt des marchands, mirent à sa place Broussel, leur idole.
Il avait été, avec un grand nombre de frondeurs, excepté
de l'amnistie publiée après la rentrée dti roi dans Paris. Le
tribun du peuple n'était pUis redoutable; il se survivait à
lui-même. Il ne s'était nullement opposé à la capitulation
qui avait mis fin aux troubles. L'exception dont il fut frappé
ji'élait ni juste ni politique : c'était une infraction à la foi des
traités. Le vieillaid mourut en exil. Dufey (de l'Yonne. )
BROUSSOIVNET ( Pierre-Marie-Adcuste), naquit
àI\iontpellier,le28 février 1761. Fils d'un médecin, les riclies
productions du lieu de sa naissance et les collections de sou
père firent de lui un botaniste avant même son entrée au
collège : il connut Linné avant Yirgile, et cela eut la plus
grande influence sur sa destinée. Sa thèse doctorale Sur la
Respiration ( 1778) atteste d'assez grandes connaissances en
histoire naturelle : c'est un bon travail de physiologie com-
parée; on y trouve à la fois de l'érudition et de la sagacité.
Après sa réception, le jeuneBroussonnet vintà Paris. 11 se
lia alors avec les savants de la capitale ; il étudia attentive-
ment les belles collections du Jardin du Roi, et, peu sa-
tisfait des classifications de Buffun et de Daubenton, il con-
çut le projet qu'a depuis réalisé Cuvier, d'appliquer à toutes
les parties de l'histoire naturelle la nomenclature si simple
et si commode de Lmné , qu'il mettait judicieusement au-
dessus des autres arrangements systématiques. Peut-être ne
prévoyait-il pas plus que Linné lui-même ne l'avait prévu, qu'il
arriverait un moment où l'histoire naturelle ne serait plus
qu'une vaine liste de noms barbares, qu'un aride catalogue,
qu'un puéril alphabet, sans idées, sans vues, sans grandeur,
à l'usage de ceux qui, au préjudice de la pensée, distribuent
dans l'ordre le plus parfait des milliers de mots stériles dans
leur vaine mémoire. Cette nouveauté un peu superficielle
attira sur lui l'attention des savants, sans exciter en eux au-
cune sollicitude de rivalité, puisque après tout les idées de
Broussonnet n'étaient qu'un simple reflet de celles de Linné.
D'ailleurs, les zoologistes d'alors n'étaient pas fâchés de rom-
pre indirectement, et comme malgré eux, avec Buffon, dont
le grand nom, perpétuellement répété de toutes parts, avait
quelque chose de blessant pour les contemporains sm-vivanta
du célèbre écrivain.
36
7()2
Pour mieux accomplir son projet, Broussonnet r<^solut de
visiter les principaux cabinets d'histoire naturelle de l'Europe,
espérant y trouver des espèces plus nombreuses que n'en
possédait alors le Muséum de Paris. Sa première visite fut
pour Londres ; la générosité de Ban k s l'y retint longtemps,
et lui rendit le séjour de cette ville aussi agréable que fruc-
tueux. C'est à Londres que Broussonnet publia sa rremlère
décade des Poissons, commencement d'ouvrage qui le plaça
tout d'abord au premier rang des naturalistes et le fit adopter
()ar les deux premiers corps savants de l'Europe : la Société
Royale de Londres et l'Académie des Sciencesde Paris. Il avait
à peine vingt-quatre ans. Broussonnet publia à peu près à la
môme époque une Histoire des Chiens de Mer, un Mémoire
sur les Poissons électriques, les Silures, la Torpille, etc.;
une Description des Vaisseaux spermatiques des poissons,
un mémoire assez curieux touchant les moicvements com-
parés des animaux et des plantes , et un autre mémoire
sur les dents des animaux de tout ordre, etc.
Broussonnet aurait pu fournir une carrière brillante sans
quitter l'histoire naturelle; mais il se laissa aller à l'incons-
tance de son caractère , à la tentation provoquée par un ad-
ministrateur de ses amis, M. Berthier de Sauvigni , qui
l'attira vers l'agriculture en le nommant secrétaire de la So-
ciété Royale nouvellement instituée h Paris. Plus tard il
quitta l'agronomie pour la politique , comme il avait déjà
quitté la zoologie pour l'agriculture, et d'abord la botanique
pour la zoologie.
Membre de l'Assemblée de 1789, il fut chargé plus tard de
l'approvisionnement de la ville de Paris de concert avec
Vauvilliers. 1792 vint ensuite lui faire expier par de vifs
regrets son ambition des trois années précédentes. Retiré
d'abord volontairement dans une campagne des environs de
Montpellier, Broussonnet fut ensuite emprisonné, comme gi-
rondin, dans la citadelle de cette ville, d'où il s'évada, comme
par miracle. Ce fut avec beaucoup de peines, et non sans
(le grands dangers , qu'il se fraya un chemin en Espagne ,
où il eût essuyé les plus mortelles privations si la noble
amitié de Banks ne se fût ingéniée à lui procurer de secou-
rables consolations en lui expédiant 1,000 guinées. Protégé
à ]\Iadrid par cet Anglais généreux, Broussonnet s'en vit re-
poussé par des Français, émigrés et malheureux comme lui,
comme lui expiant des erreurs et fuyant l'échafaud, espérant
comme lui des jours meilleurs , mais autrement que lui. Il
lui fallut donc bientôt quitter Madrid, d'où il passa à Lis-
bonne; et comme la haine ne manqua pas de le précéder
jusqu'au sein du Portugal , Broussonnet fut trop heureux de
devoir à la protection du duc de La Foëns, président de
l'Académie des Sciences de Lisbonne et prince du sang, la
permission de vivre caché dans l'hôtel de cette Académie.
Mais quand l'inquisition du lieu fut instruite par des Français
de Madrid que la bibiiotiièque de Lisbonne donnait refuge
à un franc-maçon de Montpellier, force fut à Broussonnet
«l'aller chercher à Maroc la liberté de vivre inoffensif et
ignoré , qu'il n'avait pu trouver dans la péninsule.
Broussonnet s'était trouvé .si libre et si heureux à Maroc,
qu'au moment où la tranquillité fut rétablie en France il de-
manda instamment le consulat de Mogador, et plus tard
celui des Canaries. Il venait d être nommé consul au cap de
Bonne-Espérance, quand son parent, le célèbre Chaptal,
alors ministre de l'intérieur, l'appela à la chaire de botanique
de Montpellier, qu'il aurait du pour son bonheur occuper
vingtans plus tôt. 11 succomba, en 1807, à une attaque d'apo-
plexie , qui avait d'abord déterminé des effets singulier.s :
après avoir assez promptement recouvré l'usage des sens ,
les mouvements, les facultés de l'esprit et la parole, Brous-
sonnet ne put jamais ni prononcer ni écrire convenablement
les noms substantifs et les noms propres en quelque langue
que ce fût, tandis que les épilhètes et les adjectifs lui arri-
vaient en foule. C'est à Broussonnet- qu'est due l'introduction
en France du mûrier à papier, plante dont il avait observé
BROUSSONNET — BROWN
un individu femelle h Oxford, et à laquelle le botaniste
Lhéritier a doimé le nom de Broussonnelia (voyez Biiois-
SONNETIEU). Isidore BOUIiDOM.
BROUSSOIXiXETIEU, genre de la famille des amen-
tacées, établi par Ventenat en l'honneur du naturaliste fran-
çais Broussonnet. 11 se rapproche beaucoup du genre
mûrier, et le broussonneticr à papier {broussonnetin
papyracea) avait même reçu de Linné le nom de mûrier à
papier. Mais le genre broussonnetier se reconnaît à un pistil
simple et par sa semence que recouvre le calice.
Le broussonneticr à papier, originaire du Japon, est un
grand arbre à tCte arrondie et à feuilles rudes; les unes à
cœur et entières, les autres à deux ou trois lobes; ses fleurs
sont dioiques : les mules sont en chatons et les femelles en
forme de petites tôtes verdàtres. En automne , il sort de leur
calice des filets rouges, saillants, succulents et mangeables.
Son écorce sert au Japon à faire du papier. Il s'accommode
de toute espèce de terrain, et se multiplie de graines et de
marcottes.
Une autre espèce est employée, dans l'Amérique australe,
pour teindre en jaune : c'est le broussonnelia tincloria ,
décrit par M. de Humboldt, et qui se distingue par ses feuilles
hsses et ses branches épineuses.
BROUT. On donne ce nom aux jeunes pousses d'arbre
que les bestiaux broutent au printemps.
BROUTER (de ppÙTteiv, manger), paître, manger
l'herbe ou les feuilles des arbres. L'herbe sera bien courte,
s'il ne trouve de quoi brouter, se dit d'un homme indus-
trieux qui sait trouver à subsister aisément où d'autres
auraient peine à vivre.
BROUTILLES, diminutif de brout, menues bran-
ches, et au figuré petites choses inutiles ou de peu de valeur.
BROUWER (ADKiEjf). Foye; Brauwer.
BROWN (Roreut), fondateur de la secte religieuse des
brounistes, était né vers 15;)0, à Northampton, et avait
fait ses études à Cambridge. En 1581 il devint ministre à
Norwich, où les Hollandais avaient fondé une communauté
anabaptiste, et y fit de nombreux prosélytes, de concert
avec le naître d'école Nicolas Harrison. Jeté en prison par
suite de l'excessive ardeur de sa polémique, il fut remis en
liberté, grâce à l'intervention de son parent Cécil, lord-
trésorier, et continua ses prédications passionnées, d'abord
à Middlcbourg, en Zéelande, où il publia un écrit sur la
prompte réformation (Middlebourg, 1582), et ensuite en
Angleterre , jusqu'à ce qu'il eut été anathématisé par l'évéque
de Peterborough. Il se soumit alors, extérieurement du
moins, à l'Église dominante, et obtint une cure dont i!
dissipa les revenus en menant une vie scandaleuse. A l'âge
de quatre-vingts ans il était encore si vert, qu'il rossa
d'importance un employé du fisc, fait pour lequel il fut mis
en prison; il y mourut en 1G30. Sa secte lui survécut.
BROWiX (John) naquit en 1735, de parents obscurs,
à Buncle, village du comté de Berwick, en Ecosse. Les heu-
reuses dispositions qu'il manifesta dès ses plus jeunes anné(;s
engagèrent ses parents à lui faire faire des études ; mais au-
paravant ils avaient essayé d'en faire un tisserand. Admis
à l'âge de seize ans à l'école latine de Dunse, il y fit de ra-
pides progrès , et au bout de quelques années il obtint une
place de sous-maître dans sa classe. En 1755 sa réputation
de philologue lui fit obtenir une place de précepteur dan^
ime famille de haute distinction des environs de Dunse, place
que ses manières dures et ])édanlesques lui firent perdre
])resque aussitôt. Ce fut alors qu'il se rendit à Edimbourg
pour se livrer à l'étude de la philosophie et de la théologie,
carrière qu'il ne tarda pas à abandonner. De retour à Dimse,
en 1 758, Brown reprit une place de sous-maStre , qu'il occupa
jiisiiu'on 1759, époque où il trouva des moyens d'existence
suffisants en traduisant pour quelques misérables guinées
les thèses des candidats qui allaient .subir leurs examens.
Dès ce moment , il s'abandonna sans réserve aux éfudea
I
BRO\VN
768
médicales, où l'appelaient ses goûts et où il devait tenir un
rang si élevé. Ayant obtenu des professeurs de Tuniversité
la faveur de suivre gratis leurs cours, dont le prix était trop
élevé pour ses foibles moyens , il ne larda pas à se concilier
de la part des professeurs et des élèves une estime égale à
celle dont il avait joui autrefois dans l'école de Danse. S'étant
marié en 1765, il prit des élèves en pension, dans le but
de subvenir aux nouvelles dépenses que nécessitait la tenue
de sa maison , ce qui lui réussit d'abord ; mais le défaut d'or-
dre et d'économie qui régnait dans son ménage et les excès
auxquels il se livrait depuis quelques années amenèrent la
plus grande confusion dans ses alTaires domestiques; Brown
lit banqueroute. On dit que depuis lors sa conduite fut d'une
scandaleuse irrégularité , et qu'il se livra à la débauche sans
mesure comme sans scrupule.
Parmi les professeurs qui brillaient alors à l'université
d'Edimbourg, le célèbre Cullen fut de tous celui qui l'en-
toura de plus de bienveillance. Brown fut admis comme pré-
cepteur dans sa propre maison , et Cullen lui facilita les
moyens de répéter ses leçons aux étudiants de l'université ,
moyennant rétribution. Brown fut sensible à l'amitié dont
Cullen l'honorait, et pendant longtemps il ne laissa échap-
per aucune occasion de lui rendre l'hommage que méritaient
ses travaux et son caractère. Mais au bout de quelqi:es
années une violente inimitié succéda de part et d'autre à
cette intimité si profonde.
Ce fut en 1779 que pour la première fois Brown pubha
son ouvrage intitulé : Elcmenta Medicinœ (éléments de
médecine), et qu'il dosma des leçons publiques dans le but
d'expliquer le système dessiné à grands traits dans son livre.
Bientôt les hommes les plus forts de l'université d'Edimbourg
s'attachèrent à lui : on ajoute que les plus déréglés des étu-
diants se passionnèrent pour son système. La conduite de
Brown et le ton insultant de sa polémique envers les pro-
fesseurs de l'université nuisirent à la hardiesse et à la nou-
veauté de ses idées ; elles furent repoussées , et leur auteur
fut accablé de mépris.
Au dix-huitième siècle trois hommes de génie, quoique
d'un mérite différent, se disputèrent les suffrages de l'Europe
médicale ; c'étaient le vïtaliste Stahl , le solidiste Frédéric
Hoffmann, et le savant ('c/ec^igî<e Boerhaave. Mais de
môme que la philosophie inchnait vers le matérialisme, la
physiologie et la médecine s'engageaient résolument dans
les voies du solidisme. Aussi la victoire rcsta-t-elle à Fré-
déric Hoffmann , que Cullen continuait à Edimbourg. Toute-
fois , les théories mécaniques de Fr. Hoffmann , qui faisait
de l'homme une simple machine, dont tous les actes pou-
vaient être nombres et tous les désordres fonctionnels
soumis aux inflexibles prévisions d'un chiffre, avaient quel-
que chose de trop déterminé et de trop grossier, pour qu'on
s'y arrêtât longtemps. A la machine humaine, si ingénieu-
sement combinée par Hoffmann, il ne manquait qu'une
chose , la vie. Brown se chargea de la lui donner ; il ressus-
cita le vitalïsme.
Selon cet illustre et fougueux réformateur, les êti'es vi-
vants diffèrent des corps inorganiques par la propriété d'être
affectés par les corps extérieurs de manière à ce que leurs
fonctions s'exécutent. Les agents extérieurs et de plus
certaines fonctions de l'organisme, comme les contractions
musculaires, l'action cérébrale dans le double phénomène
de la pensée et des passions, constituent ce qu'il nomme les
influences de la vie. L'/Hci^aiiZiY^ est la propriété ou la faculté
en vertu de laquelle agissent ces deux genres d'influences :
ces dernières sont les puissances incitantes, et l'incitation
est l'effet résultant de l'impression des puissances incitantes
sur Yincitabilité : c'est la vie elle-même. Inconnue dans
son essence, Yincitabilité varie selon les individus, les dif-
férentes espèces d'animaux et selon les âges. Elle a son siège
dans la substance médullaiie du cerveau et des nerfs ainsi
que tlans la libre musculaire : elle est une et indivisible dans
tout l'organisme vivant. Parmi les stimulants ( puissances
incitantes ) , il en est de généraux , qui agissent de manière!
à exciter tout l'organisme ; tandis que d'autres bornent leur
action aux endroits sur lesquels ils sont appliqués, et n'affec-
tent l'ensemble du corps humain qu'après avoir produit un
changement local. L'incitation résultant de l'action des puis-
sances stimulantes sur l'organisme , si l'action de ces der-
nières est en rapport parfait avec la somme d'incitabilité
répandue dans l'économie, la santé sera le résultat de cette
heureuse harmonie. Mais si cette action est trop faible ou
trop forte , la santé est troublée , et dans le premier cas il y
a accimiulalion de l'incitabilité dans les organes ou faiblesse
directe ; dans le second cas , épuisement de l'incitabihté par
la violence du stimulus, ou faiblesse indirecte. D'où, selon
Brown, deux classes de maladies : l'une par défaut, l'autre
par excès d'incitation.
Dans ce système la santé et la maladie ne sont que des
efforts divers du même principe d'action ; c'est-à-dire qu'elles
résultent toujours de la désharmonie qui existe entre l'ac-
tion trop faible ou trop forte de puissances incitantes sur
l'incitabilité. Toute maladie est générale ou locale. Les pre-
mières sont générales dès leur début, et supposent une
opportunité ou diathèse préalable. Elles proviennent de ce
que l'incitabilité a été primitivement affectée. Les secondes
affectent toujours un point déterminé de l'économie , ne dé-
viennent générales que dans leur cours , et ne supposent
jamais l'opportunité. Partant de ces données , Brown n'ad-
mettait en dernière analyse que deux formes générales de
maladie : la forme sthénique et la forme asthénique , en
d'autres termes, par excès ou par défaut d'incitation. Il
niait de la manière la plus positive les maladies spécifiques,
comme la syphilis, la goutte, etc., les idiosyncrasies oa
dispositions individuelles et les maladies héréditaires. Aussi
négligeait-il constamment les caractères qui auraient pu l'é-
clairer sur les différences que peuvent présenter les mala-
dies , c'est-à-dire les symptômes , qu'il déclarait trompeurs.
Pour lui , le rôle du praticien se bornait à reconnaître si la
maladie est générale ou locale, sthénique ou asthénique, et a
quel degré de sthénie ou d'asthénie elle était parvenue.
Cette triple détermination une fois faite, il ne s'agissait
plus que de fixer la médication; chose assez facile, puisqu'il
en était des médicaments comme des maladies ; qu'ils étaient
ou stimulants ou débilitants , selon qu'ils étaient réputés
guérir les maladies asthéniques ou les maladies sthéniques.
Doué d'un esprit éminemment synthétique , Brown releva
le vitalisme , entièrement banni par les théories mécaniques
de Hoffmann. Par lui , la physiologie et la médecine , à
jamais débarrassées du servage des explications physi-
ques et chimiques , ont reconquis une indépendance qu'on
essaye encore, mais inutilement, de leur faù-e perdre. Qu'en-
suite son incitabilité ne soit qu'une hypothèse , qui le nie-
rait? Qu'il ait erré sur la détermination des maladies sthé-
niques et asthéniques , cela se peut, cela est vrai. Mais
pour en avoir fait une fausse application, la donnée n'en est
pas moins juste, et de nos jours on ne conçoit encore
d'autre division rationnelle de la multitude presqu'infinie de
maladies dont le corps humain est susceptible, que la
sthénie et Vasthénic, bien qu'on leur donne d'autre.s
noms et qu'on les comprenne différemment. Dans ces der
niers temps , l'un des principes cardinaux de la théorie
brownienne a été le sujet d'attaques aussi vives que peu
méritées. Nous voulons parler de la diathèse, dont l'école
italienne s'est emparée, que l'école française nie d'une manièie
exclusive , et à laquelle l'école homoeopathique accorde mw
faveur presque absolue, sans la nommer. Dans notre opi-
nion, il en est de la diathèse de Drown comme de la sthénie
et de l'asthénie; elle ne peut être niée sans absurdité , mais
elle demande à être comprise autrement qu'elle ne la été
jusque ici.
Toute féconde que soit la méthode analjlique, à quelque»
7C4 BROWN — BROWWE
brillants résiillals qu'elle nous ait conduits , elle laisse sans
solution aucune les plus hauts problèmes de la science. Si
elle nous a conduits d'une manière sfire à la connaissance
des altérations de chaque organe et de chaque système or-
ganique pris en particulier, elle ne nous a rien appris sur
la vie unitaire de tout organisme humain et sur les mo-
difications que la maladie imprime à l'homme tout en-
tier. C'est dans cette direction, abandonnée mal à propos
parla médecine française, que se feront désormais tous
les progrès que la science médicale attend et désire.
Quoi qu'il en soit de ces réflexions , l'apparition du sys-
tème de Brown fut le signal d'une lutte acharnée. Ses par-
tisans se liguèrent contre les professeurs d'Edimbourg, les
médecins de l'hôpital , et contre la Société de Médecine. On
raconte qu'il s'éleva entre les étudiants des disputes si fré-
quentes et si pénibles que la Société de MédecJne émit im
règlement en vertu duquel tout membre qui en attaquerait
un autre dans une discussion scientifique serait expulsé de
ia Société.
l'ar Ruiie de son inconduite, Brown fut mis en prison
pour dettes. Ses élèves y allaient assister à ses leçons, et là
il lançait l'anathème à ses ennemis avec une énergieque rien
ne pouvait réiréner. Ce fut à cette époque qu'il se livra .sans
aucun ménagement à l'usage des liqueurs spiritueuses.
Eu 1786 il quitta Edimbourg pour se rendre à Londres, où
il espérait que sa situation s'améliorerait. Dès son arrivée, un
charlatan se présente, qui lui propose, moyennant une
somme considérable , de prêter son nom à des pilules qu'il
\<>uU\\i (iébiicrsoiislemtn de pihites excitantes de Broîvn,
r.nlraîné par la pauvreté et les besoins que ses excès et la
négligence de ses affaires créaient autour de lui, il accepta.
Mais sa position n'en reçut aucune amélioration , en raison
du genre de vie qu'il menait. En 1787 il publia, sans se
nommer, des observations qui étaient écrites pour le peu-
pie. Il ne réussit pas mieux auprès de lui qu'auprès des sa-
vants, linfin, en 1788, accablé de misère et de dégoûls,
ruiné par les excès , il périt d'une attaque d'apoplexie, après
avoir bu en se couchant une forte dose de laudanum,
comme il avait coutume défaire tous les soirs. Brown laissa
six enfants, que des secours bienfaisants sauvèrent de la
misère, ainsi que sa veuve, pendant les premiers temps
qui suivirent sa mort. L'aîné de ses deux fils a parcouru
la carrière médicale avec honneur. D' Léon Simon.
BROWN ( Robert ) , un des savants botaniste de notre
temps, est né en 1781. Sur la recommanfialion de sir Joseph
B a n k s , on l'attacha comme botaniste à l'expédition chargée
par le gouvernement anglais, en 1801, d'explorer une partie
des côtes de la Nouvelle-Hollande , sous les ordres du ca-
pitaine Flinders. Celui-ci se vit forcé, par le mauvais état
de son navire, de retourner en Europe, et tomba entre les
mains des Français, qui le retinrent prisonnier pendant plu-
sieurs années à l'Ile de France. Brown, qui était resté à la
Nouvelle-Hollande avec le peintre de fleurs Ferdinand Bauer,
visita d'abord une foule de lieux alors complètement à l'état
de nature, et où .s'élèvent aujourd'hui de florissantes colo-
nies. Il passa ensuite dans la terre de Van-Diémen, puis
aux Iles du détroit de Bass, et revint en Angleterre, en 1805
avec quatre mille différentes es^tèces de plantes de la Nou-
velle-Hollande, Le soin de mettre en ordre et de décrire
cette collection, la plus riche qu'on eût encore apportée en
Europe de ces lointaines contrées , l'occupa pendant plu-
sieurs années.
Choisi par Banks pour être le conservateur de sa collec-
tion d'objets d'histoire naturelle, la plus complète qu'un par-
ticulier ait jamais possédée, non-seulement il eut désormais
un sort agréable et assuré, mais encore les ressources de
travail les plus précieuses. Il imprima alors un Prodromus
Fiorx Novas-Hollandiœ, etc. (Londres, 1810), dont il
supprima plus tard toute l'édition, parce que, malgré l'ex-
cellenre de ce travail, il n'en était pas complètement satis-
fait. Malgré cette précaution, ce remarquable ouvrage n'est
pas demeuré perdu pour le monde savant; car Okeu le pu-
blia dans son Isis, et Mees dEsenbeck le réimprima (Nu-
remberg, 1827) avec des notes et des additions. Ce chef-
d'œuvre adonné une nouvelle direction à la pbylographie.
Dans ses General Remarhs on the Botany of Terra Aus-
tralis (Londres 1814), ainsi que dans une publication
postérieure, relative à la division des familles de plantes
dans la Nouvelle-Hollande , Robert Brown a considéré
le monde végétal du point de vue le plus élevé, et prodigué
une incroyable richesse de remarques ingénieuses et pro-
fondes sur l'histoire delà nature. Par une prédilection qu'on
s'explique facdement pour une contrée qui lui a fourni la
matière de si belles expériences scientifiques, il publia enfin
unSupplementiim pritmim Flora; Aova;-Hotlandiœ {Lon-
dres, 1820) , pour lequel d'autres voyageurs mirent à sa
disposition les herbiers qu'ils avaient recueillis dans ce
pays.
Sa grandeet légitime réputation a engagé plusieurs autres
voyageurs à le charger de la mise en lumière et de la pu-
blication de leurs collections. C'est ainsi qu'il a publié des
appendices botaniques aux relations des voyages entrepris
dans les mers polaires par Ross, Perry et Edward Sabine,
et qu'il a aidé dans la publication de son voyage le chi-
rurgien Richardson , qui en accompagnant Franklin dans
son expédition avait aussi eu l'occasion de recueillir les
matériaux les plus précieux. Il a en outre décrit successi-
vement l'herbier recueilli par Ilorsfield à Java, de 1802 à
1815, et les plantes rapportées de l'Ahyssinie par Sait, de
l'intérieur de l'Afrique par Oudney et Clapperlon, et de
l'expédition sur le fleuve du Congo par Christen Smith ,
compagnon de Tuckey dans son voyage. Sir Joseph Banks,
mort en 1850, l'a institué légataire de ses riches collections
et de sa bibliothèque, qui devront à son décès faire retour
au Br itis h Muse u m.
Brown n'est i)as seulement l'homme qui connaît le mieux
le règne végétal, il fait servir ces connaissances à un plus
noble but. Le système naturel lui doit beaucoup ; car, quoi-
qu'il ait cherché par principe à être aussi simple que pos-
sible dans ses divisions et dans son style, quoiqu'il se soit
abstenu de toute innovation d'une nécessité douteuse, il a
beaucoup contribué à étendre les anciennes familles et à en
établir de nouvelles. U a beaucoup travaillé aussi sur la
physiologie des plantes. Une de ses plus belle découvertes
est celle du mouvement, encore mal expliqué, des particules
moléculaires dans le pollen. Ses Mélanges de Botanique
sont une uune féconde. Eu 1849 11 a remplacé l'évoque de
Norwich dans la présidence de la Société Linnéenne.
BROWNE (Georges, comteDE), feld-maréchal russe,
était né en Irlande, le 15 juin 1698, d'une ancienne famille
noble catholique. Après avoir fait ses études à Limerick, il
entra en 1723 au service de l'électeur palatin, puis en 1730
au service russe avec le grade de capitaine. Une émeute,
dans la répression de laquelle il ne déploya pas moins de
courage que de résolution, lui fournit bientôt Toccasion de
se mettre en évidence, et à partir de ce moment jus-
qu'en 1762 il prit part à toutes les guerres que la Russie
eut a soutenir. Fait |)risonnier par les Turcs à Kroska, il
fut à trois reprises successives vendu comme esclave, et ne
recouvra la liberté que giàceà l'intervention de l'ambassa-
deur «le France à Constantinople. Dans la guerre de Sept
Ans, qu'il fit avec le grade de général major, il fut fait pri-
sonnier par les Prussiens à l'affaire de Zoudorf. Ayant
réussi à s'évader, il fut blessé si grièvement, qu'il ne put
plus rejoindre son corps.
L'empereur Pierre Ut le nomma feld-maréchal; l'intention
de ce prince était de faire sous ses ordres de la guerre
qu'il s'était décidé à déclarer au DancmarK. Browne n'ayant
pas craint de déclarer à l'empereur que cette guerre serait
aussi injuste qu'impolitique, Pierre 111 lui fit donner l'ordre
BROWNE — BROYEUR
de rcisigner toutes ses dignités et de quitter le territoire
nisse. Il n'avait pas encore eu le temps d'obéir, que déjà
reinpereur le faisait rappeler en sa présence pour lui rendre
so^ grades et honneurs, et le nommer gouverneur de la Li-
\im\e , fonctions qu'il conserva pendant trente ans, et dans
l'exercice desquelles il rendit d'importants services à cette
;)iovince. En 1779 Josepii II le créa comte de l'Empire.
«Quelques années avant de mourir, il demanda à l'impéra-
triceCatlieriiie II delui accorder sa retraite : «Non, monsieur
le comte, lui répondit l'impératrice : il n'y a que la mort qui
pourra nous séparer. » Browne mourut à Riga, le IS sep-
tembre 1792. Vingt ans auparavant, il avait lui-même fait
faire son cercueil, qu'il examinait fréquemment. Il avait
aussi riiabitude de se faire lire chaque année l'acte conte-
nant l'expression de ses dernières volontés.
BROWNE (IMaximilien-Ulysse, comte de), cousin du pré-
cérJent et feld-maréclial-général autricliien, était né en 1705,
à Raie , d'un père qui avait été obligé de quitter l'Irlande
comme partisan de Jacques II , pour entrer au service de
l'empereur, et qui mourut en 1721 avec le grade de colonel
et le titre de comte de l'Empire, qu'il avait obtenu en 1716.
Il embrassa jeune encore la profession des armes, se distingua
dans la campagne d'Italie, contre les Français et les Sardes
en 1734, lit de 1737 à 1739 trois campagnes contre les
Turcs , et, en récompense de ses services, fut nommé feid-
maréchal-lieutenant et membre du conseil aulique. Lors-
qu'éclata la guerre de la succession d'Autriche , il opposa
en 1740 une vive résistance à l'invasion de la Silésie par
les Prussiens. Obligé de battre en retraite devant des lorccs
supérieures , il optra sa jonction avec le feld-maréciial
INeipperg, et commanda l'aile droite à la bataille de Jloil-
witz , le 10 avril 1741. L'année suivante, en qualité de plus
ancien desfeld-maréciiaux-lieutenants, il exerça le comman-
dement supérieur à la bataille de Chotusitz près de Czaslaw.
Il lit ensuite les campagnes de Bavière, de Bohême, du
r.hinet d'itdliojusqu'à la mort del'empereur Charles Vil. Eu
17'*6 il commanda l'armée des Impériaux en Italie, con-
tribua puissaumient au gain de la sanglante bataille de Plai-
sance, et se rendit maître des défdés de la Bocchetta, fait
d'ai mes qui entraîna la soumission de Gênes. En récompense
de ses services, il fut, à la paix, nommé gouverneur de la
Transylvanie. En 1761 il reçut le commandement général
de la Bohème, cl fut élevé en 1754 au grade de fetd-maré-
chal général. Lorsque Frédéric le Grand recommença la
guerre, Browne, qui manquait de tout, tant la cour de
Vienne avait été prise à l'improviste , déploya une telle ac-
tivité, qu'il put bientôt entrer en campagne; mais il fut
battu à Lowositz, le 1*' octobre 1756, et ne put dégager
l'armée saxonne enfermée entre Kœnigsteiu et Pirna. Il
contraignit cependant les Prussiens à évacuer la Bohême.
Appelé à Vienne, il opina pour qu'on prit l'offensive, mais il
ne fut pas écouté. Grièvement blessé a la bataille de Prague,
où il déploya la plus grande bravoure (G mai 1757), il
mourut le 2G juin 1757 , à Prague, des suites de ses bles-
sures. En disant que c'était du feld-maréclial Browne qu'il
avait appris la science de la guerre, Frédéric II lit de ce
guerrier la plus belle oraison funèbre qu'il eût pu ambitionner.
BïlOWiXÏNG (Robert), poète anglais moderne, na-
quit vers 1310. Il débuta par un conte en vers, Pauline,
suivi bientôt d'un drame, Paracelse ( 1S35), ou il tenta la
réhabilitation de ce philosophe, en y ajoutant les portraits
de quelques-uns de ces esprits profonds (jui amenèrent la
Réforme. En 1837 Browning lit représenter âtrafford ,
tragédie historique où il peint avec vigueur la vie et le ca-
ractère de l'infortuné ministre de Charles r"". En Is'iS il
pul'iia un recueil d'essais dramatiques sous le titre Bells
and pomerji-anates, où l'on remarque un grand changement
dans son style et une tendance sensible à se rapprocher de
la réalité. Son dernier ouvrage, Clirisimas eve, and casier
daij (1850), est un poème phi'osophico-religicux, rempli
de pensées hardies et riche en descriptions poétiques mais
où l'on trouve encore trop de ces singularités , de ces bizar-
reries, qui déparent les autres créations du poète. — La
femme de Browning, Elisabeth Haurett, s'est aussi acquis
un nom dans la littérature parsa Casa Gj<if/iît;i?!f/oîr.s( 1851)
où elle peint avec éloquence l'état politique actuel de l'Italie'
BROYE, BRAYE ou BRAYOIRE. Cet instrument, que
dans quelques localités on appelle aussi brisoir, maque on
tillottc, sert pour rompre le fd du chanvre à une certaine
longueur, et pour séparer la fdasse de la chènevotte. Cette
petite machine est on ne peut plus simple. Deux pièces de
bois réunies à l'une de leurs extrémités correspondantes la
composent principalement. A cette extrémité elles s'em-
brèvent l'une dans l'autre, le tenon de l'une des pièces étant
maintenu dans la mortaise de l'autre à l'aide d'une cheville
ou axe traversier très-résistant. La pièce inférieure est
montée sur quatre pieds de banc, dont les deux antérieurs
sont plus élevés que les deux autres; l'espèce de table du
banc est donc fortement inclinée : cette disposition procure
plus de solidité, et elle offre en outre de la commodité au
teilleur pour son travail. Assez communément, le banc de la
broyé est formé d'une pièce de bois de 12 à 15 centimètres
d'équarrissage , et de 2", 25 à 2™,50 de long. Cette pièce est
creusée dans presque toute sa longueur par deux grandes mor-
taises, larges de 3 centimètres, qui la traversent dans toute
son épaisseur. Les trois languettes que laissent entre elles
ces mortaises sont taillées en couteau non tranchant dans
leur partie supérieure. Une autre pièce moins large que la
première, qui porte une poignée du bout opposé au chcvil-
lage, et qui a sur son prolongement deux semblables lan-
guettes, taillées pareillement en couteau et par-dessous,- est
attachée sur la première par une cheville de fer qui la tra-
verse, connue nous l'avons dit plus haut, à l'autre extré-
mité , et fait l'oflice d'une goupille de charnière. Les deux
languettes de la pièce supérieure entrent dans les rainures
de la pièce inférieure.
L'ouvrier broyeur, ou plutôt la broyeuse, car c'est presque
toujours une femme , tient d'une main une poignée de tiges
de chanvre, qu'elle engage entre les mâchoires de la broyé,
dont elle élève et abaisse successivement la poignée.- Par
cette manœuvre, les chènevottes sont brisées à plusieurs
reprises ; en réitérant l'opération, et en tirant un peu à elle
sa poignée de chanvre elle force la majeure partie des chène-
vottes à se séparer de la filasse. L'ouvrière secoue ensuite
fortement ce qu'elle tient, pour faire tomber les chènevottes
qui adhèrent encore. Celte filasse, ainsi nettoyée assez im-
parfaitement, et qui retient encore en grande quantité des
fragments de chènevottes, se plie en deux, se tord grossiè-
rement, et, dans cet état, elle attend le sérançage.
Dans ces derniers temps, plusieurs philanthropes et spécu-
lateurs ont rêvé aux moyens de substituer à toute espèce
de rouissage du chanvre un broyage perfectionné qui pût
éviter cette opération insalubre; mais il faut malheureuse-
ment reconnaître que tant de travaux n'ont eu qu'un résul-
tat fort incertain et fort contesté, pour ne pas dire pis. La
filasse donnée par les procédés purement mécaniques s'est
toujours montrée dure, cassée, courte, et les déchets sont
très-considérables.
Les fragments des tiges qui résultent du broyage et du
sérançage servent quelquefois à faire des allumettes, ou
pour chauffer les fours des boulangers. Le chaibon qui en
provient est réputé, dans la fabrication delà poudre à canon,
comme égal à celui delabourgène. Pei.ouze père.
BROYEUIl ( Art du ). Un grand nombre de substances
plus ou moins dures exigent un broyage préalable à leureiu-
ploi. Le plus communément on entend par broyage celui des
couleurs pour la peinture à l'huile ou en détrempe.
L'art du broyeur est en général pénible, quand il s'exerce
sans le secours de moteurs étrangers à la force mécanique
de l'homme, et dans ce cas il ne peut même guère avoir
76G
BROYEUR
pour objet que de petites masses. D'ailleurs, la malpropreté
du métier rebute , et le danger des émanations délétères exige
de grandes précautions pour s'en garantir; car un grand
nombre de couleurs sont tirées du règne minéral, et ce sont
des poisons plus ou moins subtils, qu'il est extrêmement dan-
gereux de respirer. Le mélange môme qui en est fait avec
l'huile, loin de diminuer le danger, ne fait souvent que le
rendre plus difficile à éviter. Si d'une part l'huile s'oppose
à la diffusion des poussières dans l'atmosphère que l'on respire,
de l'autre la dissolution qu'elle opère d'une petite portion
des substances malfaisantes les reml plus ou moins vapori-
sables, et dans ce cas le danger est imminent : c'est ce qui a
lieu principalement dans le broyage des oxydes de plomb.
Aussi les vues des philanthropes se sont-elles depuis long-
temps tournées vers les moyens de substituer le travail des mé-
caniques à celui de l'homme dans le broyage des couleurs
de peinture. Le but qu'on se proposait a été en grande par-
lie atteint. Nous en avons sous nos yeux à Paris un heu-
reux exemple dans le bateau broyeur, qui fonctionne depuis
nombre d'années avec succès et économie en rivière, et qui
est amarré contre le quai de l'Horloge.
Néanmoins, comme ces moyens mécaniques sont malheu-
reusement fort loin d'avoir partout remplacé le broyage à
main d'homme , rappelons que quand on broie à sec il fiaut
avoir soin de se placer dans un courant d'air déterminé par
un feu d'appel dans une cheminée k l'extrémité opposée de
l'atelier. De plus cet art exige des précautions et une grande
propreté. Le broyeur doit fréquemment nettoyer sa pierre
et sa molette, à l'aide de son couteau et d'un peu d'huile; il
ne doit pas souffrir les espèces de couennes qui se forment
par l'action de l'air. Cette propreté devient d'autant plus
indispcDJsable à la fin de chaque broyage, que si l'on a à
changer de couleur, on doit éviter le mélange des teintes.
Quand la pierre et la molette ont été décrassées, il est bon de
les essuyer avec de la mie de pain médiocrement tendre pour
achever le nettoyage ; on peut môme finir, pour plus de pré-
caution, par un lavage avec une dissolution alcaline faible,
une grande affusion d'eau ensuite pour faire disparaître l'al-
cali, et un séchage convenable.
11 serait assez inutile de décrire minutieusement la ma-
nœuvre du broyage : elle consiste principalement à écraser
d'abord avec le coin de la molette la substance qu'on veut
réduire en poudre ou en pâte fine. On travaille ensuite par
un mouvement circulaire imprimé à la molette. On n'hu-
mecte la couleur, soit d'huile, de colle ou d'eau de gomme ,
que graduellement, et à mesure que la sécheresse de la niasse
en fait sentir le besoin. Le mouvement circulaire tend con-
tinuellement à refouler la matière à la circonférence de la
pierre ; il laut donc de temps à autre la ramener au centre ,
à l'aide du couteau ou spatule de broyeur; on rassemble la
couleur en un tas ; on la reprend par parties et successi-
vement; on continue à broyer, et ainsi de suite. Les pierres
à broyer et les molettes sont généralement de porphyre , de
i^rès compacte on de marbre. Pelouze père.
BRUAiVT, genre d'oiseaux appartenant à l'ordre des
passereaux , et qui se distingue facilement à son bec coni-
que, court , droit, sans aucune échancrure, et dont la man-
<lilnile supérieure, plus étroite et rentrant dans l'infmeure,
a au palais un tubercule saillant et dur. Ce sont de petits
oiseaux dont le chant est monotome, qui se nourrissent de
graines pendant l'hiver, de graines et d'insectes pendant
l'été, qui ont peu de prévoyance, donnent dans tous les
pièges qu'on leur tend , et sont recherchés comme petit gi-
bier. Il y en a diverses espèces dans les deux continents;
nous citerons seulement celles que l'on trouve en France.
Le bruant commun ou bruant jaune ( emberiza c'itri-
nella, Linné), long de 0'", 17, a le dos fauve, tachetéde noir,
la tète et tout le dessus du corps jaune, les deux pennes
externes de la queue à bord interne blanc ; il est répandu dans
toute ri'.urope, depuis la Suède jusqu'en Italie. Il établit son
- BRUAIST
nid soit à terre, sous une motte, au milieu de l'herbe, soit
dans un buisson ou sur les basses branches d'un petit arbre.
Ce nid , composé à l'extérieur de mousse , de feuilles et de
paille, est garni en dedans d'un petit matelas de crin et de
laine, sur lequel la femelle pond, plusieurs fois par an,
quatre ou cinq œufs d'un blanc sale, tachetés de brun. Celte
mère a tant d'affection pour sa progéniture, qu'elle se laisse
souvent prendre à la main sur ses œufs plutôt que de les
abandonner. Ces oiseaux ne s'enfoncent guère dans l'épaisseur j
des bois; ils se tiennent sur leur lisière, le long des haies,;
dans les bosquets et les taillis. L'hiver ils se rapprochent |
des habitations en troupes innombrables , et sont alors très •
faciles à prendre.
Le bruant fou {emberiza cia, Linné) habite particuliè-
rement les contrées montagneuses , et n'est que de passage
en France. Il diffère du précédent en ce qu'il a le des-
sous gris roussâtre , et les côtés de la tôte blanchâtres, en-
tourés de lignes noires en triangle. Son nom vient de la
facilité avec laquelle on le prend à l'aide de toute sorte de
pièges; mais cette espèce de folie n'est, dit Buffon, qu'une
maladie de famille, que le bruant dont il s'agit ici a seule-
ment dans un plus haut degré.
Le bruant des haies ou zizi (emberiza cirlus, Linné) est
long de 0", IG. Il a les parties supérieures variées de roux
et de marron, les parties inférieures d'un jaune clair, la
gorge et le haut du cou noirs, les sourcils jaunes, les mous-
taches noires, le plastron jaune, la poitrine cendrée avec ses
côtés roux ainsi que ceux du ventre , la tête et la nuque
olivâtre tacheté de noir. La femelle a les parties inférieures
plus ternes et la poitrine maculée de roussâtre. Ces oiseaux
sont plus communs au midi que dans nos contrées ; cepen-
dant on en voit charpie année quelques individus, au prin-
temps et en automne, dans les environs de Paris. Leur
chant, que l'on a cherché à rendre par les syllabes, zis, zis,
ziSfZis, gor,(jor,gor, a, malgré sa monotonie, quelque
chose d'agréable, surtout quand il se mêle à celui des
autres oiseaux. Aussi recherche-t-on ce bruant pour en garnir
les volières , dans lesquelles on le nourrit avec du chènevis
et de la navette, et où il vit ainsi en captivité pendant
cinq ou six ans.
Le bruant des roseaux { emberiza schœniciilus, Linné),
a chez le mâle, le bec noir ainsi que la tête, la gorge
et le devant du cou , un collier blanc sur la partie supé-
rieure du cou , une ligne au-dessus des yeux et une bande
au-dessous de la même couleur, le dessous du corps d'un
blanc teinté de roux , les flancs un peu tachetés de noirâtre,
les pennes des ailes et de la queue d'un beau noir et fran-
gées de roux, excepté les deux dernières de chaque coté
de la queue , dont la plus interne est toute d'un blanc
de neige et la suivante seulement bordi''e de blanc. Dans la
saison des amours, le bec prend une teinte jaunâtre, les
joues sont d'un roux l)run, la gorge entièrement noire, le
dessous du corps d'un blanc pur avec des taches noires sur
les côtes. Il a 0 "", 15 de longueur. La femelle, un peu plus
petite que le mâle, en diffère d'ailleurs par la privation du
collier et de teinte noire sur la gorge , par la tète variée
de brun et de roux clair, et par les parties blanches de
son plumage , qui sont souvent plus ou moins lavées de
roux. Cet oiseau, que l'on trouve depuis les provinces mé-
ridionales de l'Italie jusque dans les régions froides de la
Suède et de la Russie, niche au bord des lacs, des rivières
et des marais. 11 attache aux roseaux un nid composé de
joncs secs et de mousse, garni de poils intérieurement, et
dans lequel il pond quatre ou cinq œufs, d'un gris foncé, avec
des taches et des raies brunes; à l'automne il quitte les
lieux marécageux pour fiéquenter les plaines et les hautein-s,
où il recherche sa nourriture le long des haies et dans les
champs cultivés. 11 s'élève peu de terre, et ne se perche
que sur les buissons ou les petits arbres. Au printemps le
mâle fait entendre nuit et jour un gazouillement assez re-
BRUANT — BRUCE
tnarquable. On nourrit ces oiseaux en cage avec de la na-
vette, du chènevis et du millet; mais ils supportent difficile-
ment la captivité.
Nous consacrons des articles spéciaux au proyeret à
l'ortolan, qui appartiennent aussi à ce genre. Enfin, le
hritant déneige oa ortolan de neige (emberiza nivalis,
Linné ) est long de 0™,175. Son plumage, composé principale-
ment de blanc, de noir et de roux, varie, quant aux propor-
tions de ces diverses couleurs, selon les époques de l'année :
eu iiiver il devient presque tout blanc ; mais même lorsque
la robe d'été est complètement formée , il reste toujours sur
l'aile une large bande longitudinale blanche, qui fait recon-
naître cet oiseau. Il a pour patrie les contrées les plus septen-
trionales de l'Europe , d'où il descend dans les plus grands
froids, pour se répandre dans le nord de la France et de
l'Allemagne , qu'il ne fait que parcourir, en troupes assez
nombreuses. Démezil.
BRUAIVT ( Libéral), architecte du milieu du dix-sep-
tième siècle , est moins connu aujourd'hui que ses ouvrages
ne pouvaient le faire présumer. C'est à lui que sont dus les
l)lansde riiotel des Invalides, dont il conduisit l'exécution,
à la ré.serve du dôme, ajouté postérieurement à l'extrémité
de l'église; et c'est cette partie, sans doute la plus magni-
fique et la plus brillante de tout l'ensemble , qui a pu contri-
buer à obscurcir le renom de celui qui n'eut à sa disposition
que le côté utile. Architecte du roi , Bruant a encore partagé
avec d'autres architectes la conduite de l'église des Augus-
tins, dite aujourd'hui des Petits-Pères, dont Pierre Le
Muet avait jeté les fondements. Il partage aussi avec Le Van
l'honneur d'avoir donné les dessins de l'église de la Salpé-
trière.
Cet artiste, qui fut un des huit membres fondateurs de
l'Académie d'Architecture , mourut vers 1697.
BRUCE ( RoBEHT ) , roi d'Ecosse. Ce fameux Robert
lîruce, dont les faits et gestes bien avérés ont atteint ou
surpassé les plus romanesques aventures que les poètes aient
prêtées à leurs fabuleux héros , avait à la fois dans ses
veines le sang des rois de la mer (les corsaires normands),
et celui des monarques galliques de l'Ecosse. Son père,
Robert Bruce, comte d'Amiandalc et de Carrick ai Ecosse,
de Cleveland en Angleterre, était né d'un autre Robert
Bruce, surnommé Edel ou le Noble , puissant baron de race
normande, et d'Isabelle d'Ecosse, (ille du prince David,
comte d'Huntingdon.
Après la mort du roi d'Ecosse Alexandre III et desapetite-
fdle Marguerite, dite la Vierge de Norvège , qui le suivit de
près au tombeau , une effroyable confusion s'éleva dans ce
royaume : il ne se présenta pas moins de dix prétendants ,
parents ou alliés à divers degrés de la famille royale qui
venait de s'éteindre : parmi eux figurait le lord d'Annandale,
père de notre héros. Dans une contrée habitée par des races
diverses, hostiles les unes aux autre?, régies partie par le
système féodal, partie par l'aristocratie patriarcale des chefs
de clans , une assemblée nationale ne pouvait résoudre paci-
fiquement la question; les grands écossais eurent donc
recours à la médiation d'Éouard V , roi d'Angleterre , et
le prièrent de décider entre les compétiteurs. Edouard leur
signifia qu'avant de recevoir un roi de sa main , ils eussent à
le reconnaître lui-même comme seigneur suzerain de l'E-
cosse. Chacun des candidats s'étant déclaré prêt à tenir la
couroime du roi d'Angleterre en qualité de vassal , Edouard
choisit .lohn BaUol ou de Bailleul, comte de Galloway.
Plus tard , Bailleul s'étant décidé à recourir aux armes ,
le monarque anglais se rapprocha de Bruce, lui fit espérer
la dépouille du rebelle, et lui persuada de se joindre avec
ses partisans aux ennemis de l'Ecosse. Bailleul fut vaincu et
•létrôné : Bruce vint alors réclamer la promesse du roi
d'Angleterre. « Croyez-vous que nous n'ayons rien à faire
qu'à vous conquérir des royaumes >? lui répondit brusque-
ment Edouard. Bruce s'éloigna, la rage dans le cœur; ce-
pendant ses vaines espérances le ramenèrent encore aux
pieds du tyran.
Ce n'était pas auprès d'un tel père , ni à la cour de l'op-
presseur de l'Ecosse, que le jeune Robert Bruce pouvait
acquérir des notions bien exactes de ses devoirs envers sa
patrie. Aussi, lorsque l'illustre William "\V al 1 a c e eut soulevé
l'Ecosse contre la tyrannie anglaise, et que la reconnaissance
nationale eut^romu ce grand homme à la dignité de n-gent,
Robert suivit le lord d'Annandale dans les rangs de l'arméo
qu'Edouard conduisait contre Wallace, et comballit à Fal-
kirk contre les Écossais ( 1298 ). Ceux-ci succombèrent
après une héroïque résistance : le lord d'Annandale , qui en-
viait la gloire de Wallace, et le soupçonnait de vouloir se
faire roi à son détriment, s'attacha vivement à la poursuite
du régent d'Ecosse. Il arriva sur les bords du Carron à
l'instant où W^allace venait de franchir ce torrent étroit et
rapide : ils se reconnurent , s'interpellèrent l'un l'autre , et
entamèrent un entretien dans lequel Bruce reprocha d'a-
bord à Wallace sa prétendue ambition, et les maux qu'il
causait à l'Ecosse en la jetant pour son intérêt personnel
dans des périls insurmontables ; mais le régent se disculpa
si noblement, et, prenant l'offensive à son tour, fit si bien sen-
tir à Bruce l'indignité de sa propre conduite, que le lord
d'Annandale resta comme altéré , puis partit en silence
sans songer davantage à inquiéter la retraite de Wallace!
Le jeune Robert avait assisté à cette scène ; quelques histo-
riens prétendent même que ce fut lui qui adressa la parole
à W'allace : quoi qu'il en soit, l'entrevue du torrent de Car-
ron fit sur lui une impression ineffaçable. Lord Annandale
mourut peu après , rongé de chagrin et de remords.
Telle est la version la plus accréditée sur l'occasion qui
dessilla les yeux de Robert Bruce ; voici cependant à cet
égard une autre tradition : Robert Bnice , ayant aidé les sol-
dats d'Edouard à remporter le victoire contre les patriotes
écossais, se mita table sans prendre le temps de laver ses
mains, encore ensanglantées. « Voyez, se dirent à voix basse
les lords anglais, voyez donc cet Écossais qui mange son
propre sang ! » Bruce entendit ces paroles ; il seleva de table,
entra dans une chapelle voisine, où, pleurant amèrement,
il demanda pardon à Dieu , et fit vœu d'employer tous ses
efforts à délivrer l'Ecosse du joug étranger. Pendant plu-
sieurs années , il ne laissa toutefois rien paraître des pensées
qui l'agitaient : il retourna môme à la cour d'Edouard , qui
le surveillait avec inquiétude , ainsi que John Cumyn , lord
de Badenoch ( surnommé le ronge Cumyn , à cause de la
couleurde ses cheveux ), cousin germain deBailleul. Edouard
comptait les neutraliser réciproquement. Mais le jeune
Bruce s'assura que Cumyn n'était pas moins las que lui de
se voir le jouet d'Edouard : alors il s'ouvrit sans réserve à
ce rival, qui devint son allié. Ils convinrent que s'ils réus-
sissaient à ravir l'Ecosse aux Anglais , Robert serait roi et
Cumyn lieutenant général du royaume.
Sur ces entrefaites , "^' allace, livré aux Anglais par la trahi-,
son, fut amené à Londres, et périt sur l'échafaud. A ce mo-
ment, Bruce somma John Cumyn de remplir ses engagements.
Il l'envoya en Ecosse préparer les voies à la révolte, tandis
que lui-même, gardant le pofte le plus périlleux, demeurait
à la cour d'Edouard pour prévenir ses soupçons , attendant
son destin avec calme. Tout à coup, un soir, il reçut du
comte Gower une bourse pleine d'or et une paire d'éperons.
Profitant de l'avertissement, il mit l'or dans son escarcelle,
les éperons à ses talons , fit ferrer ses chevaux h rebours, afin
de dérouter ceux qui le poursuivraient, et partit. Il gagna
rapidement la frontière d'Ecosse , altéré de vengeance contre
Cumyn ; car il pensait à bon droit que c'était de lui qu'était
venue la révélation. Cumyn était à Dumfries, sur les confins
de l'Annandale. Robert y courut, et eut avec le traître une.
conférence seul à seul dans une église; ce tête-à-tête fut
très-orageux, et se termina de la façon la plus tragique : ou
ne sait que vaguement ce qui s'y passa; mais deux anciens
I
768 ^^^
frères d'armes de Wallace, qui attendaient Bruce à la porte
de l'église, le virent s'élancer de la nef, pâle, sanglant, dans
une agitation extrême. 11 venait de blesser grièvement Cuinyn.
Eux se précipitèrent dans le lieu saint, et l'aclievèrent à coups
de poignard. Ce fatal événement entourait Robert Bruce de
dangers nouveaux : aux armes d' Edouard allaient s'unir
pour l'accabler, et l'implacable ressentiment de la maison de
Cumyn, toute puissante dans plusieurs provinces d'Ecosse,
et les foudres de l'église, offensée par un meurtre commis au
pied des autels. Robert, à travers toute l'Écos-sc méridio-
nale , couverte de garnisons anglaises, pénétra jusciu'à Scone,
réunit ses plus lianiis partisans dans l'abbaye de cette ville,
où se faisait d'ordinaire le couronnement des rois d'Ecosse,
et la, sans le concours des pairs du royaume, une femme,
Isabelle iMac-Duif , comtesse de Buclian , posa le diadème
sur le front de rau<lacieux prétendant, en vertu d'un privi-
lège réservé aux descendants du fameux vainqueur de Mac-
iieili. Lorsque le roi d'Angleterre apprit l'entreprise de Bruce,
quoique affaibli par l'âge et la maladie, il jura solennellement,
dans un grand festin, d'en tirer vengeance, et entra en
Ecosse avec une puissante armée.
Le règne de Robert connnença sous de lugubres auspices.
11 avait été couronné le 2'J murs i;50G. Le IS mai il était
excommunié par une bulle du pape, qui le retrancbait de
la communion des fidèles , et donnait implicitement à chacun
le droit de le mettre à mort; le 11) juin il était attaqué près
de Metliven par im corps d'armée anglais aux ordres du
comte de l'embroKe : les patriotes furent ( craséspar le nombre.
Robert, abattu sous son cheval fraiii)é à mort, faillit denicu-
rer prisonnier. Forcé d'évacuer les Basses Terres, il se jeta
dans VAtben ( la montagne), avec ses frères Edouard et Ni-
gel, et lejeune lord James Douglas, depuis si célèbre sous
le nom de Douglas le Noir. Là ils errèrent lorgtennps, sans
autres moyens de subsistance que le produit de leur pêche
dans les lacs des vallées ou de leur chasse dans les forêts
des monts Grampiens : réponse de Bruce, la comtesse de
Buchan , et d'autres femmes ou fdies de proscrits parta-
geaient cette vie de fatigues et de périls. Robert, poussé vers
l'ouest par les forces anglaises , voulut se retirer dans le
pays de Lorn ; mu's il y trouva d'autres ennemis, etJan de
Lorn, chef de la tribu des IMac-Dougal, vint fondre sur lui
à Dalry avec toutes les forces du parti de Cumyn. La petite
armée de Bruce fut accablée pour la seconde fois : tous ses
compagnons eussent péri , si lui-même ne les eût sauvés
par des prodiges de valeur. Se postant à cheval dans un
étroit délilé, entre un roc escarpé et un lac profond, il re-
poussa seul l'attaque des ennemis jus(iu'à ce que les siens
eussent achevé leur retraite. Malgré quatre autres échecs,
il continua de lutter contre ses revers avec une constance
inébranlable, relevant par son exemple le courage de ses
compagnons; enlin , lorsque l'hiver couvrit de neige les
Hautes Terres, ne pouvant plus tiaîncr avec lui les géné-
reuses femmes qui s'étaient dévouées à sa fortune, il les
enferma dans le château de Kildrununie sur le Don , la seule
forteresse qui fût encore en son pouvoir, sous la garde de
son f.èreNigcl, puis il alla de colline en (;olline, de lac en
lac, poursuivi et tra(pié comme une hèle fauve, jusqu'à la
pointe du promontoire de Cantjre, d'où il passa dans la pe-
tite ile de Rath-Erin , sur la côte d'Irlande.
Il put reprendre haleine (pielques mois dans cette retraite
fûre, et employa la morfe saison à envoyer des messages
aux chefs des Hébrides et des montagnes du nord-ouest de
rÉcosse, qui , retranchés au fond de leurs déserts, s'étaient
peu inquiétés jusque alors de la guerre nationale; mais il
n'était pas au bout de ses misères. Il apprit bientôt que Kil-
drummie avait été forcé par les Anglais, Nigel Bruce lâche-
ment égorgé , la leine et ses conipagnes emmenées prison-
nières et traitées avec la dernière rigueur, et lady Buchan,
attachée à un gibtt. Ce dernier coup étourdit l'iniortuné : il
scnlit son cceur faillir, et se demanda s'il ne vaudrait pa'--
mieux renoncer à une cnlr^-prise qui attirait de si affreuses
calamités sur tout ce qu'il aima t. Cependant la soif de la
vengeance raffermit son àme. Sur ces entrefaites, Angusog,
chef de la grande tribu des Mac-Donald , à qui le litre de
seigneur des Hébrides ou lord des Iles donnait une sorte de
suprématie parmi les montagnards , renvoya les députés de
Robert avec promesse de foi et d'assistance, et tous les
chefs des clans galliques imitèrent cet excmjde, à l'excep-
tion de Mac-Dougal. Robert quitta Rath-Erin au commen-
cement du printemps de \?,0l, et mit à la voile pour la côle
sud-ouest de l'Ecosse , fort peu accompagné , mais comptant
sur une diversion au nord, de la part de ses nouveaux amis
des montagnes. Il débarqua d'abord dans l'ile d'Arran , et
là il attendit impatiemment des nouvelles de son comté de
Carrick , oii il avait praticiué des intelligences. Tout à coup
il vit briller de loin une flamme. C'était le signal convenu
avec ses affidés dans le cas où les habitants auraient pris
les armes en sa faveur. Aussitôt Bruce vola vers ses barques
avec trois cents braves, et, franchissant le détroit, aborda
près du cap de Turnberry. Mais l'homme qui avait été
chargé d'allumer le feu accourut tout consterné, annonçant
que la terreur inspirée par les Anglais avait empêché tout
mouvement <ians le pays. 11 ignorait absolument qui avait
mis le feu au biicher. « N'importe! dit Bruce, puisque me
voilà sur la terre d'Ecosse , je ne reculerai pas : advienne
ce qui plaira au ciel! » Et il mit le pied <lans ses domaines.
La circonstance singulière qui avait amené le débarque-
ment du roi Bruce frappa vivement l'imagination poétique
des Écossais, et plus tard il passa pour certain que ce-
n'était point une main humaine qui avait donné le signal de
Turnberry. Robert, en attendant qu'il vît autour de lui des
forces suffisantes pour attaquer régulièrement les Anglais,
entreprit une guerre de partisan contre les garnisons qui
occu])aient les forteresses et les détachements qui battaient
la campagne, guerre active, infatigable, de chacpie jour et
de chaque heure. 11 demeura souvent presque seul, et courut
vingt fois le risque de périr ou d'être vendu aux tyrans
comme Wallace. 11 fut poursuivi à diverses repiises avec
des limiers appelés cb.ieus de slol (llair) qui étaient dressés
à courre rhonnne , et qu'on employait d'habitude à la re-
cherche des grands criminels. Une fois il fut assailli par
trois bandits, désireux de gagner la récompense promise à
qiù prendrait Robert Bruce rr.ort ou vif. La force prodi-
gieuse de Robert et la bonté de son armure le sauvèrent, et
il étendit à ses pieds les trois assassins. Bientôt il fut re-
joint par cent cincpiante hommes d'armes (jue lui ramenaient
son frère Edouard et James Douglas : sans prendre le temps
de réparer ses forces, il alla fondre à l'improviste sur les
ennemis qui l'avaient si bien relancé, et les mit en pleine
déroute. Ce succès décida le soulèvement de tous les pa-
triotes du midi de l'Ecosse : Bruce se vit promptement en
état de tenir la campagne contre tous les lieutenants d'E-
douard, et battit les lords Pembroke et Clifford.
Le vieux roi d'Angleterre frémit de rage en apprenant les
succès du rebelle, et il s'avança, suivi d'une armée formi-
dable, jusqu'aux frontières d'Ecosse. 11 ne devait pas les
franchir : la force factice ([ui l'exaltait l'abandonna soudain ;
il fut forcé de s'arrêter à trois milles de la Tweed , languit
peu de jours, et expira le 6 juillet 1307. Di^ lors le parti
national prit une supériorité déciilée dans toute l'Ecosse :
Bruce, son frère Edouard, ses deux fameux capitaines Dou-
glas et Randolph, remportèrent des avantages continuels sur
les Anglais et leurs fauteurs. Randolph , comte de Murray ,
neveu du roi Robert, reprit Edimbourg, la capitale du
royaume, et Robert tira une vengeance terrible des Cumyn.
Tiente seigneurs de ce nom furent pris et décapités en un
seul jour, comme traîtres à la patrie. Les Mac'-Dougal
furent écrasés à leur tour sur les bords du Loch-Awe et
dans les gorges de Cruachan-Ben. Jan de Lorn échappa
presque seul à l'épée de Brute. Lis généraux du roi Edouard
BBUCE
ne tenaient plus dans Tintérieur de l'Ecosse qu'une seule
ville importante, Stirling, sur le Forth. Lorsqu'on sut en
Angleterre ce qui était advenu des conquêtes d'Edouard l",
grâce à l'incurie de son successeur, l'orgueil national se sou-
leva si violemment, qu'Edouard II fut forcé de s'arracher
à ses plaisirs : le puissant royaume des Anglo-Normands s'é-
branla d'une extrémité à l'autre, et tous les aventuriers de
l'Europe furent invités à venir prendre part au pillage de
l'Ecosse.
Mais, de son côté, l'Ecosse s'apprêtait à bien recevoir
ses ennemis : les Gaels descendaient en masse des rochers
à'Alben ; les barons des Basses Terres et les chefs des clans
de la frontière (border) faisaient entre eux des pactes de
fraternité d'armes à la vie et à la mort, pour Robert Bruce
et le pays, contre tout homme. Français, Anglais ou Écossais
( c'est-à-dire Normand, Anglo-Saxon ou Scott d'origine), qui
contesterait le choix du peuple. Bruce convoqua ses guer-
riers sous les murs de Stirling , et l'on ne tarda pas à voir
paraître l'armée d'invasion, qui avait passé la Tweed et
traversé les Lothians sans obstacle. Cent mille soldats inon-
daient au loin la plaine : Anglais, Aquitains, Gallois, Ir-
landais. Robert ne comptait sous sa bannière au lion rouge
que 30,000 combattants . il les disposa entre la ville de
Stirling et le ruisseau de Banuock (Dannock-Burn), et, sans
cherchera leur dissimuler l'infériorité de leur nombre, il
leur fit une harangue pleine d'énergie. Des cris d'enthou-
siasme et de fureur lui répondirent ; bientôt la grande armée
ennemie se déploya en vue des Écossais. Plusieurs cheva-
liers de renom s'avancèrent en éclaireurs à peu de distance
des légions écossaises. Ils reconnurent, à sou heaume sur-
monté d'une couronne d'or, Robert, qui parcourait le front
de ses lignes sur un petit poney de montagne, n'ayant à la
main qu'une courte hache d'armes. Alors un chevalier an-
glo-normand , sir Henry de Bolmn, se trouvant tout près du
roi d'Ecosse, résolut de terminer la guerre d'un seul coup,
et, piquant son dexlrierj il courut ventre à terre , la lance
eu arrêt, sur Robert Bruce. Celui-ci le vit venir, l'attendit
tranquillement , évita son coup de lance en se détournant
un peu , et, se dressant sur ses ctriers , lui asséna un si fu-
rieux coup de hache qu'il fracassa comme du verre le casque
et la tète de Bohun.
Le combat ne s'engagea pas ce jour-là : le lendemain
(24 juin 1314), vers l'aurore, le roi Edouard, voyant les
Écossais se prosterner tous ensemble , s'écria d'un ton
joyeux : « Us se mettent à genoux ! Us demandent grâce !
— Oui , répondit un baron anglais; mais c'est à Dieu, non
point à nous. » L'armée dÉcosse se releva au même ins-
tant, et la charge sonna. Les redoutables archers anglais
commençaient à faire pleuvoir une grêle de traits meurtriers
sur les bataillons de Bruce, quand ce prince lança sur les
archers ses meilleurs hommes d'armes. En un moment les
archers furent criblés de coups de lances ou foulés sous
les pieds des chevaux. Toute la chevalerie anglaise partit
alors d'un élan qui fit trembler la terre ; mais tout à coup
chevaux et cavaliers s'abattirent les uns sur les autres , et
roulèrent dans des milliers de fosses que Robert, la veille,
avait fait creuser et recouvTir de gazon. Les montagnards et
les autres fantassins écossais, fondant sur cette cavalerie en
désarroi, en firent un horrible carnage , puis Robert assaillit
le gros de l'armée ennemie. Bien que la fleur des guerriers
d'Edouard fût anéantie, ses bataillons étaient si nombreux,
que le combat se soutenait encore, lorsque les valets, les
conducteurs de chariots, les vivandiers écossais, que Ro-
bert avait renvoyés derrière une colline, saisis tout à coup
d'un accès de vaillance patriotique, s'armèrent de tout ce
qui leur tomba sous la main , et débouchèrent sur les flancs
de l'ennemi. Les Anglais, les prenant pour un corps d'ar-
mée, perdirent courage, rompirent leurs rangs, et une im-
mense déroule succéda à la bataille. Cette grande multitude
fut presque entièrement exterminée, soit par les victorieux
DICT. DE LA CONVERS. — T. 111.
760
compagnons de Bruce, soit par les populations de la plaine
et des monts Cheviots. Le roi Edouard lui-même, serré de
près par Douglas le Noir, ne gagna qu'avec peine Dunbar ,
d'où il se sauva en Angleterre sur une misérable barque.
L'enthousiasme des Écossais pour leur libérateur alla jus-
qu'à l'idolâtrie. La couronne était désormais fixée d'une ma-
nière inébranlable dans la maison de Bruce , mais peu s'en
fallut que Robert ne trouvât un rival dans son frère Edouard.
Ce prince, aussi ambitieux qu'intrépide, annonça haute-
ment la prétention d'être associé au trône. Robert eijt sans
doute éprouvé bien des embarras de la part de cet esprit
turbulent et inquiet, si d'autres espérances n'eussent détour-
né l'attention d'Edouard ; les chefs des clans irlandais lui of-
frirent le trône de la verte Erin, s'il voulait les aider à chas-
ser leurs oppresseurs anglo-normands. Edouard accepta , au
grand contentement de Robert, et les deux frères s'en al-
lèrent ensemble délivrer l'Irlande, dont ils enlevèrent la
meilleure partie aux Anglais. Cependant, Robert fut instruit
que l'Angleterre , à peine revenue de l'étourdissement où
l'avait jetée la défaite de Bannok-Burn , témoignait quelques
velléités de vengeance : il se hâta de retourner en Ecosse ;
mais ses lieutenants avaient déjà battu complètement les
agresseurs, repris Berwick, la dernière place que les Anglais
eussent conservée jusque alors au nord de la Tweed; puis ils
s'étaient jetés à leur tour sur le territoire ennemi , avaient
ravagé le Northumberland et pénétré jusqu'à York. Robert
continua l'œuvre si bien commencée, et traita si rudement
les Anglais, qu'il les mit hors de combat pour plusieurs an-
nées. Ces avantages furent achetés par la mort du roi d'Ir-
lande Edouard Bruce, devenu victùne de sa téméraire va-
leur, en combattant les Anglais qui lui disputaient son
royaume; cette catastrophe fit rentrer l'Irlande sous la do-
mination anglo-normande.
Quand Bruce se vit enfin possesseur d'un pouvoir incon-
testé, il s'occupa de rétablir l'ordre en Ecosse. 11 rendit aux
légitimes héritiers tous les biens confisqués par Edouard 1"
et donnés à des Anglais; puis il força les détenteurs de pro-
priétés d'une origine suspecte à exhiber leurs titres. Mais
l)ca(icoup de barons se confédérèrent pour ne pasrestiluer
le bien mal acquis, et un jour, entourant le roi Robert, ils ti-
rèrent tous à la fois leurs épées , en lui criant : « Voici nos
titres! » Us conspirèrent ensuite avec les ennemis de leur
pays, et firent des offres de service au roi d'Angletene.
Bruce déjoua ce complot, et les livra tous à un parlement
national, qui fut surnommé le parlement noir, à cause de
la sévérité qu'il déploya contre les traîtres, sans exception
de rang ni de naissance. Un neveu du roi Bruce fut con-
damné à mort, et exécuté comme les autres.
Edouard II, espérant profiler de ces agitations de l'Ecosse,
trouva moyen de réunir une nombreuse armée, malgré
les pertes encore récentes de l'Angleterre. Le roi Robert le
laissa pousser jusqu'à Edimbourg : la disette et les maladies
se mirent dans les troupes d'Edouard, qui voulut alors
songera la retraite; mais Robert le poursuivit , l'aUeignit à
Bylan I , et remporta, de nouveau, sur lui une éclatante vic-
toire (1323). Les fatigues inouïes qu'il avait endurées ac-
célérèrent sa vieillesse : une lè[ire cruelle , qu'il avait con-
tractée durant sa vie errante à travers les bois et les marais,
revint l'assaillir ; devenu peu à peu incapable de conduire
au combat ses vieux compagnons d'armes , il continua de
veiller de loin sur ses amis et ses ennemis, car sa tête ne par-
tageait en rien ralïaibiissement de son corps. La dernière
année de son règne fut signalée par une brillante expédition
que Douglas et Randolpli firent par son ordre en Angle-
terre : leurs succès amenèrent un traité de paix par lequel
le jeune Edouard III, fils d'Edouard II, abandonna toute
prétention de suzeraineté sur l'Ecosse, et donna en marifige
sa sœur, Jeanne Plantagenet, à David Bruce, fils du roi
Robert.
Après que la paix de Nortliampton fut signée. Robert,
y;
L
770
BRUCE
sentant qu'il n'avait que peu de jours à vivre , appela près
de lui ses meilleurs amis et les grands de son royaume : il
leur demanda de garder leur foi à son jeune fils David , et ,
dans le cas où David mourrait sans postérité (ce qui ar-
riva en effet ) , de reconnaître pour roi Robert btevvart
(voyez Stuart) , fils de Marie, sœur de Robert Bruce. Il dit
ensuite que son intention avait toujours été d'aller combattre
les infidèles en Palestine pour expier le crime qu'il avait
commis en tuant le rouge Cumyn au pied des autels, mais
que puisque la mort l'en empêcliait , il priait son grand ami
James Douglas de porter son cœur en Terre Sainte. Le li-
bérateur de l'Ecosse rendit le dernier soupir un moment
après ( 1329). Il était âgé d'environ cinquante-quatre ans; il
y en avait vingt-trois qu'il s'était fait couronner à Scone.
James Douglas ne put accomplir jusqu'au bout le désir su-
prême de son chef : ayant pris sa route par l'Espagne , il alla
combattre les Maures de Grenade. Mais il s'abandonna im-
prudemment à la poursuite d'une troupe d'ennemis , et, sé-
paré des siens , se vit tout à coup enveloppé. Alors , détachant
de son cou le cœur du roi Bruce, qu'il portait embaumé
dans une boîte d'argent , il lui parla comme s'il eût encore
battu dans la poitrine de Robert : « Marche! lui dit-il,
marche le premier, ainsi que tu l'as toujours fait! Douglas
te suivra, ou mourra près de toi! » Et lançant le précieux
dépôt au milieu des assaillants , il s'y précipita après lui. Le
soir de la bataille , les Castillans retrouvèrent son cadavre
étendu sur la boite d'argent. Henry Mautin.
BRUCE (DAvm), fils du précédent, né en 1321, n'é-
tait âgé que de huit ans lorsque la mort de Robert l'^'", son
père, l'appela à recueillir la couronne d'Ecosse, en 1329.
Comme il arrivait toujours dans ces siècles où l'on ne re-
connaissait d'autre droit que celui du plus fort, la mino-
rité de ce prince vit tout aussitôt renaître les troubles que
le bras vigoureux de Robert avait eu de la peine à com-
primer. Quoique fiancé par avance à la princesse Jeanne
d'Angleterre, fille du roi Edouard II, ce fut son beau-frère
Edouard III qui se montra le plus redoutable et le plus per-
fide de ses ennemis. Ce prince lui suscita un rival dans la per-
sonne d'un fils de B a i 1 1 e u 1 , appelé Edouard ; et secondé par
les secours de toutes espèces que lui fournit l'Angleterre, le
prétendant réussit à faire la conquête de l'Ecosse, où il fut
même couronné roi en 1332. Les serviteurs de David ne par-
vinrent pas sans peine à sauver les jours de l'hérilier lé-
gitime du trône , en le faisant passer en France. La politique
constante de la France en ces siècles était de soutenir
les rois d'Ecosse contre les attaques ou les usurpations des
rois d'Angleterre. Pendant ce temps-là, l'usurpateur ne
laissa pas que de voir son autorité contestée par quelques
seigneurs puissants et demeurés fidèles à la dynastie légi-
time. La lutte en vint à prendre des proportions de plus
en plus formidables; et en faisant appel à ce vif sentiment
de la nationalité qui a toujours caractérisé les populations
écossaises, les Murray, les Douglas et Robert Stuart finirent
par faire triompher la cause de David Bruce, qui put ren-
trer en Ecosse en 1342. Sa première pensée fut de tirer
vengeance de l'appui prêté par l'Angleterie à l'usurpation
d'Edouard Bailleul; mais le sort des armes trahit son courage.
Repoussé dans deux invasions successives, il fut fait prison-
nier en 1346. Sa captivité dura onze ans, et ce ne fut que
lorsqu'il eut pris l'engagement d'instituer pour hérilier un
prince de la maison d'Angleterre qu'Edouard III , vaincu par
les larmes de sa sœur, consentit, en 1357, à lui permettre
de rentrer dans ses ittals. Instruit par le maliieur, David
Bruce ne s'occupa plus que du soin de cicatriser de son
mieux les plaies profondes faites à l'Ecosse par les malheurs
des temps. Il mourut en 1370, sans laisser de descendance ;
et les seigneurs écossais considérant le traité qui assurait
à un prince anglais la succes.sion de David comme un abus
de la force, le déchirèrent en proclamant les droits de Ro-
bert Bruce , neveu du roi défunt.
BRUCE ( Jacques-Daniel , comte ), ingénieur russe , d'o-
rigine écossaise , né à Moscou, en 1670 , entra dans l'artil-
lerie, et fut nommé gouverneur de Novgorod. Malheureux
en 1701 dans son attaque contre Narwa , il encourut la dis-
grâce de Pierre le Grand. Toutefois il réussit à se justifier,
et fut réintégré dans son grade. C'est lui qui à Pultawa
commandait l'artillerie. Depuis 1711 il était grand-maître
de cette arme; et en 1721 il fut l'un des négociateurs de la
paix de Nystadt. Peu d'écrivains ont mieux connu la situa-
tion réelle et les ressources de la Russie. Après avoir
été quelque temps en correspondance avec Leibnitz par
ordre de l'empereur, il traduisit en russe divers ouvrages
anglais et allemands relatifs aux sciences, il composa
aussi un traité de géométrie et un calendrier séculaire
connu sous le nom de Calendrier de Bruce ou encore
de Tchornaia Kinga (Livre noir). Il avait réuni une pré-
cieuse bibliothèque, ainsi qu'une riche collection de mé-
dailles, d'histoire naturelle , d'instruments d'astronomie et
de mathématiques, dont l'Académie des Sciences de Saint-
Pétersbourg fit l'acquisition en 1736. Le comte Jacques-
Daniel Bruce mourut en i735.
BRUCE ( James) , né en 1730, à Kinnaird,en Ecosse. Ce
célèbre voyageur n'était pas destiné par ses parents à une
vie aventureuse; car ils l'envoyèrent à Londres chez un ri-
che négociant en vins , dont il devint l'associé en épousant
sa fille. Mais bientôt M™' Bruce, atteinte d'une maladie
de poitrine , mourut à Paris, dans les bras de son mari.
Livré à un désespoir sincère, Bruce chercha des distractions
dans les voyages. Il avait étudié le droit , les mathématiques ,
un peu d'astronomie, et avait acquis' une légère teinture des
langues orientales. Il parcourut, en 1757, le Portugal,
l'Espagne, la France et les Pays-Bas. Vif dans ses enthou-
siasmes, ardent dans ses projets, il voulut à Madrid publier
les nombreux documents arabes qui dormaient à l'Escnrial
sous une épaisse couche de poussière et qui y reposent encore
dans une paix profonde. Le gouvernement espagnol mit
obstacle à un projet dans la réalisation duquel il vit sans
doute un immense péril pour la monarchie. Décidé à en-
treprendre un voyage en Afrique, il accepta en 1761 le
consulat d'Angleterre à Alger, que lord Halifax lui offrit;
Le passage de Vénus sur le disque du soleil était attendu,
Bruce se munit de tous les instruments nécessaires pour
l'observer dans l'Afrique septentrionale, pendant que Cook
recevait la même mission pour les îles de la mer du Sud ,
et que Chappe d'Hauteroche faisait dans ce but le voyage
de la Sibérie. Après un an de séjour à Alger, devenu familier
avec l'arabe vulgaire, Bruce, qui ne cherchait qu'une oc-
casion d'exercer son ardeur de locomotion , abandonna
son consulat , visita Paimyre et Balbec , et entreprit , en
1768 un voyage aux sources du Kil. Déjà un missionnaire
portugais pensait avoir découvert ces sources célèbres ;
mais la relation portugaise n'était pas encore connue dans le
monde savant. Bruce partit au mois de juin 1768. Le
gouvernement anglais recommanda à Bruce de traverser
l'Egypte pour son agrément, et de ne commencer sérieuse-
ment ses travaux que par delà les cataractes. Pénétrant
hardiment à travers les déserts , notre explorateur atteignit
enfin cette mystérieuse Abyssinie , si mal connue avant lui ,
et si imparfaitement appréciée aujourd'hui encore. Il arriva
à Gondar, sa capitale, et fut parfaitement accueilli du roi et
de tons les princes de ces contrées , en qualité de wakil ou de
médecin. Après deux ans de séjour, il reprit, mais lentement,
le chemin de l'Europe ; car il mit près de treize mois à ar-
river au Caire.
En passant par Luxor, l'ancienne Thèbes aux cent por-
tes , Bruce examina le fameux sarcophage de S^SS de lon-
gueur , qui , suivant quelques savants , a renfermé la momie
de Menés, et, suivantd'autres, celle d'Osimandyas. Il admira
dans ce même tombeau plusieurs peintures à l'encaustique,
BRUCE — BRUCKER
771
et notamment deux joueurs de lyre , dont les instruments ,
si l'on s'en rapporte aux dessins de notre voyageur et de son
secrétaire , ont une ressemblance étonnante avec nos liarpes
modernes. C'est une des nombreuses parties de sa relation
dont la véracité a été révoquée en doute. Lorsque, plus tard,
Bruce se vanta chez un ministre de cette précieuse découverte,
un de ses interlocuteurs lui dit en jouant sur le mot anglais
lyre, qui se prononce comme le mot lïar, menteur : « A votre
arrivée il y en avait deux , mais à votre départ il y en avait
un de moins. » Malgré ces critiques, le Voyage aux sources
du Ml, imprimé en 5 volumes in-4°, obtint un grand suc-
cès. Le roi Georges III acheta pour la bibliothèque de Kew ,
moyennant 2,000 livres sterling (50,000 francs) , les dessins
originaux , et fit les frais de la gravure. Cet ouvrage , publié
à Londres en 1790, a obtenu en France les honneurs d'une
traduction complète. Indépendamment de l'intérêt scienti-
fique, les aventures du voyageur sont fort attachantes.
Un des amis qu'il s'était faits, nommé Abd'el-Kader, l'ex-
posa à être assassiné en racontant à tout venant que Bruce
était un prince , qu'il avait beaucoup d'or sur lui , et que le
respect dont il avait été l'objet de la part des voyageurs an-
glais à Sidda était une preuve incontestable de son opu-
lence. Bruce mit fin à ces conjectures périlleuses pour lui
en disant : « Je suis un des moindres serviteurs du roi d'An-
gleterre; cependant, vos correspondants ne vous ont pas
tout à fait trompés. Mes ancêtres ont été rois de l'Ecosse, ma
patrie , et ils méritent d'être comptés parmi ceux qui ont
porté la couronne avec le plus d'éclat ; mais leurs descen-
dants n'ont pas à beaucoup près hérité de leur puissance et
de leurs trésors. » Si Bruce pouvait se vanter d'être issu des
monarques qui ont jadis donné des lois à l'Ecosse, il a
obtenu cet insigne honneur, que dans une circonstance dif-
ficile un de ses petits-neveux a paru fier de porter son nom
et d'avoir suivi ses traces. Michel Bruce , qui fut à l'âge de
vingt-six ans jugé par la cour d'assises de Paris, et condamné
à trois mois de prison, comme le principal auteur de l'éva-
sion deLavalette, ajouta, à l'audience du 23 avril 1816,
quelques explications à la plaidoirie de M. Dupin, son avo-
cat, et prononça ces paroles : « Messieurs, je suis encore
jeune, mais j'ai eu déjà l'avantage de beaucoup voyager
J'ai toujours observé chez les nations les plus barbares ,
môme chez celles qui sont presque encore dans l'état primi-
tif de la nature, que c'était une chose sacrée pour elles que
de secourir ceux qui avaient recours à leur protection... J'ai
cru, homme civilisé, devoir imiter les vertus des barbares. »
Quant à James Bruce, notre voyageur, qui avait revu l'Écoss^
après une absence de onze ans, et y avait épousé une seconde
femme (qu'il perdit en 1785) pour se venger de ses héri-
tiers, qui s'étaient partagé ses biens pendant son absence , il
mourut à Londres, en 1794 , des suites d'une chute sur un
escalier. Breton.
BRUCE A , genre d'arbrisseaux de la famille des téré-
binthacées, ainsi nommé en l'honneur de James Bruce, qui
rapporta d'Abyssinie la première espèce connue, le brucea
antidysenterica, dont le nom indique les propriétés : on
l'emploie en effet avec succès contre la dyssenterie. Dans les
serres, où l'on est forcé de le retenir en Europe, il n'atteint
guère que la hauteur de deux mètres , quoique dans son pays
natal il s'élève jusqu'à quatre ou cinq mètres. De grandes
feuilles ovales rassemblées à l'extrémité des rameaux lui
donnent une assez belle apparence ; mais ses (leurs sont pe-
tites et sans éclat : il n'est donc recommandable que par ses
propriétés médicales , qui résident principalement dans son
écorce , dont on extrait la b r u c i n e. Celte dernière ma-
tière se trouve également dans les écorces des autres espèces
de brucea qu'on rencontre aux îles Sandwich, à Sumatra et
en Chine.
BRUCELLES , petites pinces faites d'une seule pièce,
dont les branches font ressort. Les horlogers et les bijoutiers
se servent de brucelles pour saisir les petites pièces qui en-
trent dans la composition de leurs ouvrages. II y a de ces
sortes de pinces en acier trempé et en cuivre écroui ; on
peut en improviser soi-même au besoin, avec un bout de fil
de fer ou de cuivre non recuit , que l'on ploie en deux en
forme de V.
BRUCHE ( de Pfuxw, je ronge ). Ce genre d'insectes , de
l'ordre des coléoptères, renferme les hôtes habituels des pois
secs , des vesces, des gesses, des lentilles , des fèves, etc.
Gmelin en compte jusqu'à vingt-sept espèces , qui toutes
rongent à l'état de larves la substance intérieure des graines,
et souvent causent par conséquent les plus graves domma-
ges. L'insecte dépose ordinairement ses œufs sur les gousses
encore vertes de la légumineuse à laquelle il s'est attaché ,
de sorte que le petit ver préexiste dans la graine au moment
de la récolte. On conçoit dès lors facilement que la bruche
éclose ensuite et se multiplie de nouveau dans les lieux les
mieux clos , de manière à dévorer de proche en proche tout
ce qui peut alimenter sa voracité. « On est parvenu,
nous apprend Leclerc-'f houin , à limiter le mal à son origine
en enveloppant les semences de sable fin ou de cendres ; ces
deux moyens ne nuisent en rien à leur faculté germina-
native. On peut aussi , quand elles ne sont pas destinées à
la reproduction, conserver ces mêmes semences intactes en
les exposant pendant quelque temps , dans un four, à une
chaleur de 40 à 45 degrés, qui est suffisante pour faire périr
les larves et sans inconvénients ultérieurs pour les usages
culinaires. » Démezil.
BRUCIIVE, alcaloïde découvert, en 1819, par Pelletier
et Caventou, dans l'écorce du brucea antidysenterica.
Quelque temps après, on retrouva de la brucine unie à la
stryciinine dans la noix vomique. La brucine se présente sous
la forme de prismes obliques à base parallélogrammique,
ou en masses feuilletées d'un blanc nacré, ou encore en
champignons ; elle est incolore et d'une saveur amère très-
prononcée. C'est à la brucine que la fausse angusture doit
ses propriétés vénéneuses : elle agit sur la moelle épinièro
en déterminant des contractions tétaniques. Insoluble dans
l'éther, la brucine se dissout dans 850 parties d'eau froide .
ou dans 500 d'eau bouillante. L'acide sulfurique la colore
d'abord en rose; cette teinte passe ensuite au jaune et enfin
au vert jaunâtre. Une solution d'étain la colore en violet.
Ces réactions distinguent la brucine de la morphine et de
la strychnine.
BRUCKER (Jean-Jacqdes), naquit le 22 janvier 1696,
à Augsbourg. Il mit de bonne heure à profit les leçons qu'il
avait reçues à l'université d'Iéna; mais la supériorité de son
talent et les brillants succès qu'il obtint , tout en lui attirant
l'admiration de ses compatriotes, ne furent point récompensés
comme ils le méritaient. Grâce aux efforts de rivaux envieux,
il fut forcé de s'expatrier, et accepta à Kaufl)euern une place
de pasteur. La réputation qu'il ne tarda pas à y acquérir
et surtout la vanité de ses concitoyens le firent enfin rappeler
dans sa ville natale, où il rentra avec honneur dans la car-
rière de la prédication. Mais ce ne devait pas être là son vé-
ritable titre à la gloire. Sa préoccupation favorite avait tou-
jours été l'histoire de la philosophie, et dès l'année 1719,
lorsqu'il était encore à léna, il avait publié son Tentamen
introductionis in historiam doctrinx de Ideis, qu'il com-
pléta ensuite sous le titre d'Historiaphilosophica doctrime
de ideis. U avait aussi fait paraître plusieurs dissertations
relatives à des matières philosophiques.
Ces travaux n'étaient que le prélude du grand ouvrage
qu'il publia longtemps après, et qu'il intitula : Bistoriacri-
tica Philosophix, a mundi incunabilis ad nostram usque
setatem deducta ( 5 vol. in-4", réimpr. avec augraent. d'un
6^ vol. en 1767, à Leipzig). Ce travail, vraiment extraordi-
naire par la patience et les innombrables recherches qu'il dut
coûter à son auteur, est moins, il est vrai, un ouvrage ori-
ginal qu'une compilation; mais c'est une compilation im-
mense, fruit d'une érudiison aussi judicieuse que vaste, ol
772
BRUCKER — BRUEYS
Ront exposés avec fidéiiîé, mais avec trop de détail peut-être,
la vie et les systèmes de chaque philosophe. On reproche à
Brucker d'avoir manqué de méthode, de n'avoir point fait
présider à son ensemble une idée systématique qui en liût
toutes les parties, en un mot d'avoir trop donné à l'analyse
et de n'avoir point établi un ordre qui servît de soutien et
de guide à l'esprit, et lui permît de parcourir ces régions im-
menses sans succomber de lassitude ou d'effroi. IMais ce le-
proche est sans fondement pour qui considère l'époque à
laquelle Brucker accomplissait sa grande tâche, et l'état où
était alors l'histoire de la philosophie, dont on peut dire qu'il
fut le père. 11 était impossible en effet de donner une dispo-
sition régulière à tous ces matériaux avant qu'ils fussent au
moins rassemblés. C'est ce que fit Brucker, et ce qui permit
à ses successeurs d'embrasser plus facilement tant d'opinions
diverses, de les classer, de les ramènera l'unité philosophique,
et de faire un système avec des systèmes. Or le philosophe
d'Augsbourg ne pouvait commencer par une telle synthèse,
et malgré la supériorité de méthode qu'on est forcé de recon-
naître aux historiens de la philosophie qui ont profité de son
œuvre, on ne peut enlever au livre de Brucker le mérite
d'une féconde analyse, qui rivalise par la richesse et l'exac-
titude des faits avec la hardiesse des généralisations plus
brillantes,maisaussi quelquefois aventureuses, des autres his-
toriens , et à laquelle aimeront souvent mieux recourir ceux
qui veulent chercher la vérité dans les faits plutôt que de la
voir à travers les idées systématiques d'un auteur.
Brucker a publié lui-même un extrait de son grand ou-
vrage sous le titre de : Instïtutïones Historix Phïlosophicx ;
et dont Born a donné une nouvelle édition , fort augmentée
(Leipzig, 1790). Brucker a produit aussi plusieurs autres
ouvrages d'érudition. Les principaux sont : Monument élevé
à l'honneur de ^érudition allemande, ou vies des savants
allemands qui ont vécu dans les quinzième, seizième et
dix-septième siècles ( 5 vol. in-4°, en allemand); Disputatio
de Comparatione Philosophix gentilis cum Scriptiira
( in-4°, léna, 1720); Questions sur l'Histoire de la Philo-
sophie depîiis le commencement du monde jusqu'à la
naissance de Jésus-Christ (Ulm, 173G, 7 vol. in-12, en al-
lemand). Brucker mourut en 1770 dans sa ville natale, quel-
ques années après la réimpression de son grand ouvrage.
C.-M. Paffe.
BRUCOLAQUES, nom que les Grecs chrétiens don-
naient aux cadavres des personnes mortes excommuniées,
qu'ils prétendaient être possédés du démon , et dont celui-ci
était censé ranimer les organes à certaines heures de la nuit.
Les brucolaques apparaissaient donc pour effrayer et tour-
menter les vivants. Leurs corps ne pouvaient se dissoudre, à
moins que l'évêque n'accordât l'absolution. Autrement, pour
paralyser l'œuvre du démon il fallait exhumer les brucola-
ques, leur arracher le cœur, le mettre en pièces et les en-
sevelir de nouveau après cette opération , ou bien brûler leur
corps et en jeter les cendres au vent : ce qui a été conseillé
également contre les vampires.
BRUCTERES 5 nation germanique, sur les deux rives
de l'Enis , ayant pour limites la Lippe, la Vecht, le Weser,
et pour voisins les Ansibars , les Chauces et les Frisons. Son
territoire répondait à ceux de Munster ( Prusse rhénane),
d'Osnabruck et de Hanovre. 11 était couvert de marais
( bruch eu allemand ) et de forêts, que les Romains appelèrent
Sylva CcTsia. On divisait cette nation en grands et petits
Bructères, ceux-ci au nord-ouest, ceux-là à l'est et au sud
vers les sources de la Lippe. Ils avaient des flottilles, et
livrèrent un combat naval sur l'Ems à Drusus. Alliés des
Chérusques, ils prirent part à leur levée de boucliers contre
les Romains, contribuèrent à la défaite de Varus, enlevèrent
l'aigle de la vingt et unième légion , reprirent encore les
armes pour secourir les Mavses attaqués par Rome, et furent
battus par Sterninus, qui leur reprit l'aigle qu'ils gardaient
comme un trophée. Sous Yilellius etVespasien, UbùOinouou- j
cèrent pour Civilis. Ve lléda, la prophétesse, était Bructère •
d'origine; elle habitait du moins une tourelle de leur pays.
Battus par les Chamaves et les Angrivars , pillés , brûlés,
dévastés, égorgés par Constantin, forcés de recevoir un chef
qu'ils avaient expulsé, ils entrèrent en grand nombre dans
la milice romaine. Allies des Francs, subjugués par les
Saxons , ils changèrent leur nom en celui de Berthari au
huitième siècle.
BRUEYS et PALAPRAT, « nés tous deux dans le
midi de la France, et qui avaient, dit La Harpe, la vivacité
d'esprit et la gaîté qui caractérisent les habitants de cette
contrée, réunis tous deux par la conformité d'humeur et de
goût, après avoir mis en commun leur travail et leur talent,
sans que cette association délicate ait jamais produit entre
eux de jalousie, nous ont laissé deux pièces d'un comique
naturel et gai : L'Avocat Patelin et Le Grondeur. »
Né à Aix en 1G40, d'une famille ancienne et protestante,
David-Aîigustin de Brueys avait été élevé dans la religion
de ses parents, qui le destinaient au baiTeau ; mais, se sen-
tant peu de goût pour la jurisprudence, il avait préféré l'é-
tude de la théologie, à laquelle il s'était livré avec tant d'ar-
deur , qu'il était devenu en peu de temps un des membres
les plus distingués du consistoire de Montpellier. Bossuet,
frappé du talent qu'il remarqua dans une Réponse que
Brueys avait faite en 1681 à son Exposiiio?i de la Doctrine
Catholique, au lieu de répliquer, voulut voir son antagoniste,
l'accueillit avec distinction, entreprit de le converth-, et y
réussit. Brueys se montra aussi zélé défenseur des doctrines
qu'il venait d'embrasser si subitement, qu'il l'avait été pré-
cédemment des croyances de ses pères, et divers écrits, tels
que Y Examen des raisons qui ont donné lieu à la sé-
paration des protestants (16S2); la Défense du culte
extérieur de l'église catholique ( 1686 ); la Réponse aux
plaintes des protestants contre les moyens qu'on a em-
ployés poîir leur réunion, et contre le livre intitulé : La
politiqîte du clergé de France ( ibid. ); le Traité de l'Eu-
charistie en forme d'entretiens ( ibid. ); le Traité de la
Sainte Messe ( 1683 ), et le Traité de l'Église ( 1687 ),
vinrent successivement témoigner, sinon de la sincérité de
sa conversion , du moins de la merveilleuse facilité avec
laquelle son style et son raisonnement avaient su se plier à
sa nouvelle position.
Ce qui pourtant semblerait annoncer de sa part «ne foi
assez vive , c'est la résolution qu'il prit d'embrasser l'état ec-
clésiastique après la perte de sa femme. Le clergé et le roi
l'avaient comblé de pensions et de bénéfices en récompense
de ses écrits en faveur de la religion catholique, et tout devait
faire penser que sa vocation était dès lors bien décidée ,
lorsqu'un voyage qu'il fit à Paris et la fréquentation du
théâtre éveillèrent en lui une nouvelle faculté, dont l'exercice
devait lui assurer un nom dans les fastes de la scène.
Étranger aux intrigues du monde, et surtout à celles qui
se pratiquent dans les coulisses, il lui fallait quelqu'un qui
facilitât ses premiers pas, fit recevoir ses ouvrages et en
suivît les répétitions ; il trouva ce secours dans un de ses
compatriotes, qui devint bientôt son ami, son collaborateur,
et n'aurait , assurent certains biographes , apporté d'autr©
contingent que celui-là à leur fraternelle association.
C'était Jean de Bigot Palaprat, issu d'une famille de
robe, né à Toulouse, en 1650, fait capitoul en 1675, chef du
consistoire en 1684, qui avait quitté tous ces honneurs pour
se livrer aux lettres et .s'attacher, en qualité de secrétaire, au
duc de Vendôme. Les premiers fruits de cette association
furent le Grondeur et le Itfuet, représentés tous les deux
avec succès sur la scène française la même année (1091).
Le dernier de ces deux ouvrages, au jugement de La Harpe,
est fort inférieur à l'autie; le fond en est emprunté à VEu-
nuque de Térence , et il offre des situations que le jeu seul
du théâtre fait valoir. Nous ne nous étendrons pas sur VA*
vocat Patelin, pour lequel nous partageons la prédileC'^
BRUEYS — BRUEYS D'AIGALLIERS
773
Mon de Fauteur du Lycée, mais que Brueys et Palaprat
n'ont eu que le mérite d'approprier à la scène, sans y rien
ajouter d'essentiel. Le Grondeur restera donc le chef-
d'œuvre des deux amis. Sans doute le troisième acte, tout
entier du genre de la farce , ne vaut pas, à beaucoup près,
celui do V Avocat Patelin ; mais les deux premiers sont bien
faits, et cette pièce, très-remarquable d'ailleurs par l'intérêt
de l'action , la vivacité de l'intrigue et du dialogue , la
verve et le comique du principal caractère, qui est très-
bien dessiné , toujours en situation et parfaitement soutenu
jusqu'au dénoùment, a mérité de rester au répertoire, où
elle occupe un rang distingué parmi nos comédies du se-
cond ordre.
Elle fut le sujet d'une rupture entre les deux amis : elle
avait été composée primitivement en cinq actes ; Palaprat ,
chargé de la faire représenter pendant un voyage de Brueys,
fut obligé, pour la faire agi-éer des comédiens, de la réduire
en trois, et il parait qu'elle eut d'abord un succès assez
médiocre, quoiqu'on ait continué de la représenter depuis
sans le secours des deux autres. A son retour, Brueys se fâcha
sérieusement, et tint, à ce qu'on prétend, le propos sui-
vant , auquel on ne sache pas que Palaprat ait rien opposé
poursajustilication : « Le premier acte du Gro«(/e!«r est en-
tièrement de moi, et il est excellent ;\e second a été
gâté par quelques scènes de farce de Palaprat, et il est
médiocre; le troisième est entièrement de lui, et il est détes-
table! « Le silence de Palaprat, et plus encore iieut-être la
nullité des ouvrages qu'il lit représenter depuis sous son
nom seul {Herculeet Omphale; Les Sifflets; LeBallet Ex-
travagant et La Prude du temps), ont confirmé le soupçon
assez probable que l'on avait déjà de la supériorité du talent
de Brueys. On n'a pas même conservé le souvenir de deux
autres de leurs pièces faites en couimun : le Secret Révélé
et le Concert Ridicule. INIais il est juste de dire aussi que
celles que Brueys fit seul ne valent pas mieux ; ce sont : Le
Sot toujours sot, ou la Force du sang ; L'Important; Les
E uipir iqv.es ; L'Opinidlre; Les Quiproquo et Les Eva-
barras du Théâtre. Elles forment, avec trois mauvaises
tragédies, Gabinie, Asba et Lijsimacus, et une paraphrase
en prose de l'.lr^ poétique d'Horace , qui avait été son pre-
mier début dans la carrière littéraire (1683), la collection
de ses œuvres, réunies en 3 vol. in-12 (Paris, 1735).
On lit dans la Vie de l'auteur, qui est de l'abbé de Lau-
uay , et qui se trouve en tète de cette édition , le récit d'un
■procès assez singulier auquel donna lieu le premier des ou-
vrages que nous avons cités comme étant de Brueys seul. Un
de ses amis, ayant voulu faire jouer cette pièce à la Comédie-
Jtalicnne, apprit qu'on l'avait déjà présentée à la Comédie-
Française comme l'œuvrede Palaprat, dan^ les papiers duquel
on en avait trouvé une copie après la mort de ce dernier;
qu'elle avait été mise sur-le-champ en répétition et qu'on
allait bientôt l'y représenter. Le Ueutenant de police, à qui
cet ami porta sa plainte, décida que la pièce serait jouée le
même jour sur les deux théâtres , et qu'elle reviendrait de
droit à celui où elle obtiendrait le plus de succès. Cet arrêt
fut exécuté; les Italiens l'emportèrent, et la pièce dut rester
à Brueys. Du reste, l'association des deux collaborateurs ne
parait pas avoir été dissoute par les dissentiments qvù s'éle-
vèrent entre eux , mais par le départ de Palaprat , qui fut
obligé de suivre le grand-prieur de Vendôme à la guerre
d'Italie, après l'issue de laquelle il vint mourir à Paris, le
23 octobre 1721. De son côté, Brueys s'était retiré à Mont-
pellier, où il mourut deux ans plus tard, le 25 novembre
1723, à l'âge de quatre-vingt-trois ans, mêlant à ses der-
nières études sur le théâtre de pieuses méditations et de nou-
veaux écrits théologiques, dont voici les titres : Traité de
l'Obéissance des Chrétiens aux puissances temporelles
( 1709); Histoire du Fanatisme de notre Temps (4 vol.,
1692, 1709 et 1713); Traité du Légitime Usage de la Rat-
ion,principalement mr les objets delà foi (Paris, 1717).
Le recueil de Brueys et Palaprat a été publié en cinq vo-
lumes in-12; et ces deux poètes ont fourni à Etienne le
sujet d'une fort jolie comédie.
BRUEYS D'AIGALLIERS (Fr\nçois-Paul), issu
d'une noble famille de Languedoc, naquit à Uzès, en 1753.
Destiné à la marine dès l'âge de treize ans, il fit en 1766 sa
première campagne comme volontaire à bord du vaisseau le
Protecteur. Garde de la marine en 1768, il fut employé dans
l'escadre destinée à agir contre les Barbaresques ; puis, lieu-
tenant de vaisseau en 1780, dans l'armée na^*lle du comte de
Grasse, il participa aux cinq combats qu'il livra aux amiraux
Hood et Graves. JNommé en 1784 au commandement de l'A-
viso le Chien de Chasse, il employa quatre aucées à par-
courir les Antilles, ainsi que la Côte-Ferme , depuis l'ile de
la Trinité jusqu'à Puerto-Cabello , fit de nombreux relève-
ments, leva des plans de forteresses et recueillit de précieux'
renseignements sur le commerce de ces contrées. Fait capi-
taine de vaisseau en 1792, il fut chargé de l'installation du
nouveau pavillon national dans les Échelles du Levant et
dans les ports de l'Adriatique. Les circonstances, plas que
ses talents, l'avaient rapidement porté en 1795 au grade de
contre-amiral. Ce fut en cette qualité qu'il alla établir une
croisière dans la Méditerranée. Bonaparte avait conçu pour
lui une estime particulière , parce que, chargé par le général
en chef de l'armée d'Italie de mettre, avec son escadre de six
vaisseaux, les Ragusains dans les intérêts de la France, il
s'était parfaitement acquitté de sa mission.
Nous parlons de Brueys parce qu'à son nom se rattache
un funèbre souvenir pour notre marine, celui du désastre
d'Aboukir. Mais, tout en blâmant ses fautes, nous sommes
heureux de pouvoir donner un regret à sa mémoire : i]
mourut comme un vrai soldat français , en combattant cou-
rageusement pour son pays. La marine française n'aurait
pas eu tant d'affronts à laver si tous les officiers sous ses
ordres eussent imité sa valeur. Brueys , promu au grade d<j
vice-amiral , commandait la flotte qui porta l'armée fran-
çaise en Egypte. Cette flotte se composait de treize vais-
seaux, quatre frégates , trois bricks et trois bombardes , es-
cortant un nombre considérable de bâtiments de transport.
Après la prise de ]MaUe , il opéra heureusement le débar-
quement de nos troupes à Alexandrie, puis il alla mouiller
dans la rade d'Aboukir. Bonaparte, tout occujié de son
armée et de sa conquête, s'en remit à l'amiral du salut de ,
sa flotte, et celui-ci, soit ignorance de l'art, soit apathie
naturelle, prit des dispositions qui coûtèrent cher à la
France. C'était une faute d'abord que de rester au mouil-
lage dans une rade ouverte à tous les vents, comme celle
d'Aboukir; c'était une faute que de se laisser attaquer à
l'ancre par une escadre à la voile et favorisée par le vent ;
c'était encore une faute que de tenir ses vaisseaux si éloi-
gnés les uns des autres et hors de la protection de tout*
batterie de terre. Nous n'osons pas lui reprocher l'inactivité
de son arrière-garde pendant toute l'action ; il ne lui fut sans
doutfipas possible de donner des ordres au milieu du combat :
l'histoire flétrira l'amiral Villeneuve, qui assista tranquil-
lement sans bouger au massacre de ses compagnons d'armes.
Brueys montait l'Orient, vaisseau de 120 canons; atta-
qué par le vaisseau anglais le Bellérophon, de 74, il l'é-
crasa de son feu, et l'eut coulé bas si celui-ci fût resté en-
gagé quelques minutes de plus. Mais l'Anglais, désemparé,
coupa ses câbles et se laissa dériver vers l'arrière-garde, qui
l'accueillit à coups de canons, et le força d'amener son pavil-
lon. Pendant tout le combat, l'amiral, quoique blessé à la
figure et à la main dès la première heure de l'action, resta sur
la dunette au milieu de son état-major, lorsque après trois
heures de combat un boulet le coupa presque en deux. Les
matelots se précipitèrent pour l'enlever et le transporter au
poste des blessés, mais il s'y opposa: « Laissez-moi, leur dit-
il d'une voix ferme, un amiral français doit mourir sur son
banc de quart. « Quelques minutée après il n'existait plu»j
774
BRUEYS D'AIGALLIERS — BRUHL
( l*' août 1798). Le malheur de Brueys fut d'avoir eu à com-
battre un rival qui possédait le génie de la guerre : Nelson
s'affranchit des vieilles routines de la tactique navale ; il osa
penser, contre l'opinion commune d'alors , qu'une escadre
bien embossée n'était pas inexpugnable ; il attaqua les Fran-
çais, et le génie enchaîna la victoire. Théogène Page.
BRUGES^ chef-lieu de la Flandre occidentale, province
du royaume de Belgique , est située dans une plaine fertile ,
à 12 kilomètres de la mer. Les trois canaux, de Gand, de
L'Écluse et d'Ostende qui viennent converger dans la ville,
sont assez profonds pour pouvoir en permettre l'accès aux
bâtiments du plus fort tonnage. La population actuelle de
Bruges est de 49,600 habitants ; mais telle est l'étendue de
son circuit, qu'elle en pourrait contenir 200,000, comme au
temps de son antique prospérité. On compte dans l'intérieur
de la ville cinquante-quatre ponts , dont douze en bois et
tournants, pour laisser passer les navires. Les édifices
les plus remarquables sont : la halle, bâtùnent carré, qui
s'élève sur la grande place avec un beffroi haut de 170 mètres,
et dont le carillon, composé de quarante-huit cloches, est en
grande réputation ; l'hôtel de ville, de style gothique , cons-
truit vers la fin du quatorzième siècle, et dont les trente-trois
statues, représentant des comtes et des comtesses de Flandre,
furent jetées au feu en 1792 par les Français ; le Palais de Jus-
tice, d'abord résidence des comtes de Flandre, mais qui
aujourd'hui n'offre plus rien de remarquable, que la célèbre
cheminée en bois sculpté qu'on voit dans la salle d'audience
du Franc de Bruges. Elle fut exécutée en 1559, et indé-
pendamment d'une foule d'ornements, d'armoiries et de
portraits , on y voit les statues en pied de Charles-Quint ,
de Maximilien et de Marie de Bourgogne , de Charles le Té-
méraire et de Marguerite sa femme. Citons encore l'église
Notre-Dame avec sa flèche haute de 140 mètres , où l'on
admire une statue de la Vierge par'Michel-Ange, dont Horace
Walpole offrit 80,000 florins, plusieurs toiles remarquables
de Segbert, de Crayer, van Oost, E. Quellyn, ainsi que les
tombeaux de Charles le Téméraire et de sa fille, Marie de
Bourgogne; l'église Saint-Sauveur dont l'extérieur est des
plus simples, mais qui est magnifiquement décorée à l'in-
térieur, et dont la principale richesse, consistant en toiles
de J. van Oost, van Hoek, E. Quellyn, Hemling, etc., a
beaucoup souffert dans un incendie arrivé en 1839 ; la cha-
pelle où, suivant la tradition, Dietrich d'Alsace déposa, en
1150, quelques gouttes du sang de Jésus-Christ. A l'occasion
du 700" anniversaire de ce fait, un superbe jubilé a encore été
célébré à Bruges en 1850, avec toutes les pompes extérieu-
res dont s'entoure la religion catholique. Il faut mentionner
en outre l'église de Jérusalem , construite par Pierre Adornes
d'après le modèle du Saint-Sépulcre j le vaste séminaire épis-
copal, dit abbaye de Durer; l'église de l'hôpital Saint-Jean,
où l'on conserve les reliques de sainte Ursule et sur les
murailles de laquelle Hemling a peint le Martyre des onze
mille Vierges de Cologne, peinture que la ville considère
comme le plus précieux de ses trésors.
Bruges est le siège d'un évéché (depuis 1559), d'une cour
d'assises et des autorités administratives supérieures de la
Flandre occidentale. Elle possède un collège royal, une Aca-
démie des Beaux- Arts, un muséum, un jardin botanique,
une bibliothèque publique contenant 9,000 volumes et 450
manuscrits, un théâtre et de nombreux établissements de
bienfaisance. Les principaux produits de l'industrie des ha-
bitants sont les tissus de fil , de laine et de coton, les tissus
mêlés et les dentelles. La brasserie, la distillerie et la cons-
truction des navires donnent lieu également à d'importan-
tes transactions. L'exportation des produits du sol et des
manufactures belges, de même que l'importation des articles
d'épicerie, des matières tinctoriales, des vins, des huiles et
des fruits secs, alimentent un commerce des plus actils, mais
qui n'approche cependant point de la prospérité dont jouis-
sait autrefois cette ville.
De toutes les villes de la Belgique c'est celle qui a le plus
conservé de la physionomie du moyen âge ; et il est pos-
sible de remonter dans son histoire jusqu'au troisième siècle
de notre ère, époque où, dit-on, saint Chrysole vint prêcher
l'Évangile à ses habitants. Au septième siècle elle avait pris
assez d'extension pour avoir le titre de ville et être considé-
rée comme la capitale de toute la contrée environnante dé-
signée sous le nom de Flandre. Son commerce maritime était
déjà considérable avant la conquête d'Angleterre par les
Normands, et il prit alors un tel essor avec les seigneui-s
normands que les marchands de Bruges formèrent à Londres
une hanse particulière, investie de nombreux privilèges et
qui en vint à acquérir tant d'influence qu'en 1242 le comte
de Flandre s'engagea à ne cliciisir désormais d'échevins que
parmi les membres de cette association. La richesse de cette
ville au moyen âge était extraordinaire, ainsi qu'on en peut
encore juger de nos jours par les nombreux monuments et
édifices qui nous restent de cette époque. Mais l'ensable-
ment successif des ports de Sluys et Damme, auquel les ha-
bitants de Bruges ne purent porter remède, empêchés qu'ils
étaient par des guerres civiles et des émeutes sans cesse re-
naissantes, amena la décadence de leur ville en même temps
qu'il favorisa les développements, toujours plus grands,
d'Anvers, cité rivale. Les événements qui aboutirent à la
captivité de l'empereur Maximilien dans le château de
Cranen ( 1488) exercèrent sur leur commerce la plus délélèie
influence ; et il n'y eut bientôt plus que le monopole des
laines, devenu d'une haute importance pour les Anglais
après la perte de Calais ( 1460), qui le préserva d'un complet
anéantissement. Les émigrations en masses qui à l'époque
du règne sanglant de Philippe II furent le résultat des per-
sécutions religieuses n'eurent pas des suites moins désas-
treuses.
Vers la fin du seizième siècle les tapisseries fabriquées à
Bruges jouissaient d'une immense réputation en Europe,
et les premières tapisseries de haute et de basse lisse qui
sortirent des ateliers de la célèbre manufacture fondée à
Paris par les frères Go bel in étaient l'ouvrage d'un ouvrier
de Bruges, appelé Jans ou Jansen. On prétend que ce fut à
Bruges qu'en 1450 l'art de tailler le diamant fut inventé par
Louis de Berken ou Berquen.
En 1704 les Hollandais mirent le siège devant Bruges, qui
fut prise par les Français en 1708 et 1745. Lors de la
réunion de la Belgique à la France, elle devint le chef-lieu du
département de la Lys. Elle a donné le jour à van Oort, le
peintre célèbre, à l'imprimeur Colard-Mansion (1472) et
au mathématicien Stevin, auquel elle a récemment élevé une
statue. C'est à Bruges qu'en 1429 le duc Philippe le Bon
institua l'ordre de la Toison d'or. Le sang est beau dans
cette ville, et les femmes de Bruges jouissent d'un renom de
beauté justement mérité, qui date de loin, comme on peut le
voir par des vers latins que nous citons plus loin à l'article
Bruxelles, et qui caractérisent les avantages particuliers à
chacune des villes principales de la Belgique.
BRUGES (Jean de). Voyez Eyck (Van).
BRUGNET. Voyez Bolet.
BRUGNON, espèce de pêche, dont la chair est plus
ferme et la peau plus lisse et plus colorée que celle des pê-
ches ordinaires , et qui mûrit à la fin de septembre : le
brugnon violet est le plus estimé; il y en a aussi une espèce
musquée.
BRÙIIL ( Henri, comte de), ministre d'Auguste III, roi
de Pologne et électeur de Saxe, naquit le 13 août 1700 à
Weissenfols, où son père remplissait les fonctions de ma-
réclinl de la cour et de conseiller intime du duc de Saxe-
Weissenfels. Il était le quatrième de cinq enfants, et sa mère,
née Van der Heyde , appartenait aux maisons de Chemnitz
et de Mislareutli. De bonne heure il entra, en qualité de
page, au service de la duchesse Elisabeth, veuve du duc
Jean-Georges de Saxc-Weissenfels, qui résidait alors le plu*
BRUHL
souvent à Leipzig. Son caractère insinuant et la douceur de
ses manières lui concilièrent bientôt non-seulement les
bonnes grâces de la duchesse, mais encore, à peu de temps
(le là, celles d'Auguste II, dont il fut nommé page en 1720.
Par la suite, le roi le nomma chambellan, et se lit accompa-
gner par lui dans tous ses voyages. Bruhl profita de la fa-
veur dont il jouissait près de son maître pour parvenir ra-
pidement aux emplois administratifs les plus importants.
Auguste II étant venu à mourir le 1*'' février 1733 à Var-
sovie, Bruhl partit en toute hâte pour Dresde avec les dia-
mants de la couronne, dont il se trouvait par hasard déposi-
taire à ce moment. Il venait mander cet événement à l'héritier
d'Auguste II , et déploya alors une activité extrême pour lui
assurer la succession à la couronne de Pologne, en dépit des
nombreux concurrents qui devaient la lui disputer. Par cette
conduite , par son manège insinuant à l'effet de se mettre
bien avec le comte Sulkowski , favori d'Auguste III , il
réussit, mais non pourtant sans peine, à gagner la bienveil-
lance de ce prince, qui d'abord éprouvait de l'éloignement
pour lui, et qui finit par le confirmer dans la possession de
ses différentes charges.
A partir de ce moment la fortune ne cessa pas un seul
instant de favoriser Bruhl , qui d'ailleurs possédait merveil-
leusement l'art de dominer son maître, et savait éloigner
avec un art et une adresse infinis tous ceux qui auraient pu
être tentés d'essayer de lui nuire dans son esprit. Aussi bien
jamais prmce ne fut servi d'une manière plus servile qu'Au-
guste III. Briihl faisait constamment partie de sa suite,
passait à ses côtés des journées entières sans lui adresser un
seul mot , tandis que le monarque désœuvré rôdait à droite
et à gauche chassant machinalement devant lui la fumée de
sa pipe, et les yeux fixés sur Briihl sans le voir pour cela.
« Briihl , ai-je de l'argent? » Telle était l'étemelle question
qui revenait sur ses lèvres ; et pour pouvoir lui répondre :
« Oui, Sire! » Bruhl épuisait les caisses publiques, et acca-
blait le pays de dettes.' Afin de mieux assurer sa position,
Bruhl se maria avec la comtesse Franziska-Mariana-Antonia
Kolowrat-Krakowski , dont la mère était grande-maîtresse
de la maison de la reine. Grâce à cette alliance et à l'in-
fluence qu'elle lui permit d'exercer sur l'esprit de la reine,
il obtint en 1738 le renvoi du comte Sulkowski, le seul
personnage de Tintiraité du roi qui lui portât encore ombrage ;
intrigue pour la réussite de laquelle il fut puissamment se-
condé par le directeur de la conscience de ce prince, le P. Gua-
rini , qu'il était parvenu à mettra dans ses intérêts.
Une fois Sulkowski tombé en disgrâce, les plans ambi-
tieux et rapaces de Bruhl ne rencontrèrent plus d'obstacle.
Dès l'année 1733 il avait été chargé de l'inspection générale
des caisses publiques et nommé ministre de cabinet, avec le
département des affaires civiles pour attributions. Quatre
ans après , en 1737, il était appelé à la direction des affaires
de la guerre, et le 7 février 1738 à celle des affaires étran-
gères. Trois jours plus tard , immédiatement après la retraite
de Sulkowski , il était nommé grand chambellan», Enfin ,
en 1747, Auguste III lui accorda le titre de premier mi-
nistre, avec préséance sur toutes les charges de l't'lectorat de
Saxe et sous réserve de cumuler ses nouvelles attributions
avec toutes ses autres fonctions, dont les appointements lui
étaient, comme de juste, conservés. Non content de tant de
faveurs, Briihl, aussi avide qu'ambitieux, se fit encore acca-
bler de dons et de présents. Ainsi , en 1740 il reçut d'Au-
guste III à titre gratuit la seigneurie de Forsta et de Pfœrten,
située dans la basse Lusace, avec le droit de prendre le
titre de baron de Forsta et de Pfœrten; puis, par décret de
donation en date de 1746, le domaine de Gangloffsœmmern,
aliéné jadis par sa famille, avec les quatre villages qui en
dépendaient, et lors de la mort de la reine, tout l'apanage
de cette princesse (la starostie de Zips), à titre d'indemnité
jjour les perles et dommages qu'il avait essuyés pendant la
guerre de Sept ans. En outre , à l'aide de créatures qui lui
775
étaient complètement dévouées , il se livrait sur les certifi-
cats d'impôt (steuerscheinen) , espèce de papier-monnaie
mis alors en circulation , aux opérations d'agiotage les plus
désastreuses pour le pays , commettant ou autorisant cons-
tamment aussi les iniquités les plus révoltantes dans l'admi-
nistration de la justice.
En abandonnant le protestantisme pour le catholicisme ,
et en se fabriquant un arbre généalogique qui le faisait
descendre d'un comte Bruhl , voïwode de Posen , son but
avait été d'acquérir également en Pologne des biens et des
charges de la couronne. En conséquence , aux domaines
qu'il possédait déjà en Saxe il en ajouta d'autres , situés en
Pologne , et plus tard il se fit octroyer par son maître ou fit
octroyer à ses fils diverses charges de la couronne. Les sou-
verains étrangers, eux aussi, semblaient lutter à qui com-
blerait de plus de grâces et d'honneurs le tout-puissant favori
d'Auguste m. L'impératrice Elisabeth lui accorda l'ordre
de Saint-André, et l'empereur Charles VI le créa comte du
Saint-Empire.
Briihl dépensait chaque année des sommes énormes pour
l'entretien de la cour de son maître, mais plus encore pour
l'entretien de sa propre maison. Il avait deux cents domes-
tiques, et ses gardes du corps étaient mieux payés que ceux
du roi lui-même. Sa table était servie avec un luxe, une dé-
licatesse et une profusion inouïs. Sa garde-robe était la plus
brillante et la plus fastueuse qu'on pût voir. « Briihl , disait
Frédéric II, est l'homme de notre siècle qui a le plus d'ha-
bits, de dentelles, de montres, de bottes, de souliers et de
pantoufles. César l'aurait compté au nombre de ces têtes
bien frisées et parfumées qu'il ne redoutait guère. » Le ré-
sultat de tant de folles et odieuses prodigalités fut que
lorsquela guerre de Sept ans vint à éclater, et quand, en 1756,
Frédéric II envahit la Saxe , cette puissance ne put mettre
en ligne que 17,000 hommes, qui ne tardèrent pas à se
trouver contraints de mettre bas les armes dans leur camp
de Pirna , parce qu'ils manquaient d'approvisionnements en
tout genre. Quant au roi et à ses ministres , ils s'enfuirent
à Varsovie, oîi ils demeurèrent jusqu'à la paix d'Huberts-
bourg.
Auguste III mourut peu après son retour à Dresde, le 5
octobre 1763, et vingt-trois jours plus tard Briihl suivait
son maître dans la tombe. Le prince Xavier, qui le haïssait
personnellement, fit, en sa qualité d'administrateur de la
Saxe, placer sous séquestre tous les biens de Brûbl, et
ordonna que sa gestion des affaires publiques fiit l'objet
d'une enquête. Mais comme Bruhl avait eu la précaution de
faire apposer au roi sa signature à tous les actes de son ad-
ministration, cette enquête n'eut aucun résultat, et les fils
de Briihl héritèrent de ses biens.
Après avoir fait justice de la conduite de Briihl , on ne
saurait nier que son goût pour le faste et la dépense n'ait du
moins singulièrement contribué à encourager les beaux-arts
et les sciences en Saxe. Aujourd'hui encore l'hôtel qu'il s'é-
tait fait construire sur la terrasse dite de Bruhl, jadis théâtre
de tant de fêtes brillantes, est un des plus beaux édifices de
Dresde. Sa bibliothèque, qui se composait de 62,000 vo-
lumes, forme maintenant le fonds le plus important de la
Bibliothèque Royale à Dresde.
BRUHL ( Fkédéric-Alovs, comte de ), fils aîné du précé-
dent, né à Dresde, le 31 juillet 1739, fut élevé avec autant
de soins que de prudence par sa mère , femme accomplie
sous tous les rapports, d'un grand sens et de beaucoup d'es-
prit, et fit ses études universitaires à Leipzig et à Dresde.
A dix-neuf ans il portait déjà le titre de grand maître de
l'artillerie de Pologne; et après avoir voyagé dans les di-
verses contrées de l'Europe, il alla assister à quelques-unes
des campagnes des Autrichiens en Transylvanie. A la mort
d'Auguste m, il perdit toutes les charges qu'il occupait en
Pologne; cependant le successeur de ce prince, le roi Sta-
nislas, lui en rendit plus tard quelques-unes. Mais il n'en
\
776
BRUHL — BRUIT
vécut pas moins dès lors dans une pliilosophiqiie retraite ,
à Pfœrten , partageant ses loisirs entre la culture des lettres
et des sciences et un petit cercle d'amis distingués. Il
mourut le 30 janvier 1793, à Berlin, où il était venu rendre
visite à sou frère Charles. C'était l'un des plus beaux hommes
de son temps , et il possédait une force musculaire prodi-
gieuse. En outre, il excellait sur divers instruments , dessi-
nait et peignait avec goût, connaissait les mathématiques à
fond et surtout leurs applications à l'arme de l'artillerie,
dont il était allé étudier pendant un an les secrets dans une
fonderie de canons à Augsbourg. Parlant et écrivant avec
autant de grâce que de facilité la plupart des langues de
l'Europe, c'était le plus brillant causeur qu'on pût rencon-
trer. Le théâtre faisait un de ses amusements de prédilec-
tion ; aussi en avait-il construit un pour son usage particulier
dans son château de Pfœrten , dont il avait peint lui-même
les décorations et composé le répertoire, et où il remplissait
des rôles dans ses propres ouvrages. Les pièces de ce ré-
pertoire et d'autres essais dramatiques de lui ont paru sous
le titre de : Divertissements dramatiques ( en allemand ,
5 vol., Dresde, 1785-1790). Quelques-unes de ces pièces,
entre autres La Contribution forcée , anecdote vraie de la
guerre de Sept ans, accommodéeà la scène, se sont soutenues
avec succès pendant longtemps sur la scène allemande. La
meilleure de toutes est peut-être celle qui a pour titre :
Comment on démasqiœ un fripon ( Dresde, 1787 ). Ses co-
médies sont écrites avec négligence, mais elles abondent en
traits de vrai comique. D'ailleurs, on est doublement choqué
du langage si trivial et si bas qu'on y rencontre, quand on se
rappelle que l'auteur était un homme du monde accompli.
Il traduisit aussi en français l'Alcibiade de Meissner.
BRUHL (Cqarles-Frédéric-Maurice-Paul, comte de);
petit-fils du tout-puissant ministre d'Auguste III, né au
château de Pfœrten, le 18 mai 1772, mort à Berlin, le 9
août 1837, intendant général des musées royaux, prit le
goût du théâtre dans la maison de son oncle ; et plusieurs
fois il parut dans des pièces dont les principaux rôles étaient
joués par Reinecke , Brandes et sa femme , par son père et
son oncle eux-mêmes. Plusieurs fois aussi il figura comme
acteur sur le théâtre de société que la spirituelle duchesse
Amélie avait organisé dans son propre palais. Le séjour qu'il
lit à Weimar avec ses parents à dater de 1785, et où il eut
occasion de faire la connaissance de Gœthe, qui lui donna
des leçons de minéralogie, et celle de Herder et de Wie-
hnd, qui l'initièrent à d'autres parties des connaissances hu-
maines , exerça une influence décisive sur la direction ulté-
rieure de sa vie. Après avoir occupé à partir de 1790 divers
emplois administratifs à Berlin , il fut nommé en 1800 cham-
bellan du prince Henri de Prusse, avec lequel il passa quel-
ques années à Rheinsberg, sans devenir pour cela étranger
à l'art théâtral, puisque ce prince entretenait à ses frais une
troupe de comédiens français. Plus tard il fut placé avec le
même titre auprès de la reine douairière, et en 18 10 auprès
de la reine Louise. En 1815 on l'appela à l'intendance gé-
nérale des théâtres royaux , place dans les attributions de
laquelle était la direction de toutes les fêtes données à la
cour. Dans ces fonctions, le comte de Brùhl se montra homme
«le tact et de goût, et, sauf un court intervalle où le cha-
grin de la mort de son fils et quelques désagréments admi-
nistratifs le portèrent à donner sa démission, il les conserva
jusqu'à sa mort. Il était excellent musicien, peintre dis-
tingué et élève de Genelli ; on a aussi de lui quelques gra-
vures qui ne sont pas sans mérite.
BRUINE , petite pluie extrêmement fine qui tombe
très-lentement. Elle est le produit ou d'un brouillard qui
se résout, ou d'un nuage qui se dissout dans toute son éten-
due, également et lentement, en sorte que les particules
aqueuses ne se réunissent pas en très-grand nombie, mais
forment de petites gouttes, dont la pesanteur spécifique
n'est presque pas différente de celle de l'air. Alors ces petites
gouttes tombent insensiblement, et produisent nnQhrïiine
qui dure quelquefois tout un jour lorsqu'il ne fait point de
vent. Elle a lieu pareillement lorsque la dissolution de la
nuée commence par le bas et continue de se faire lentement
vers le haut, car alors les particules de vapeurs se réunissent
et se convertissent en petites gouttes , à commencer par les
inférieures , qui tombent aussi les premières ; ensuite celles
qui se trouvent un peu plus élevées suivent les précédentes,
et celles-ci ne grossissent pas dans leur chute , parce qu'elles
ne rencontrent plus de vapeurs en chemin : elles tombent
sur la terre avec le même volume qu'elles avaient en quit-
tant la nuée ; mais si la partie supérieure de la nuée se dis-
sout la première et lentement de haut en bas , il ne se forme
d'abord dans la partie supérieure que de petites gouttes qui,
venant à tomber sur les particules qui sont placées plus bas,
se joignent à elles, et, augmentant continuellement on gros-
seur par les parties qu'elles rencontrent sur leur passage ,
produisent enfin de grosses gouttes, qui se précipitent sur la
terre en forme de pluie.
BRUIT. On considère le bruit comme un assemblage
desons irréguliers, plus ou moins nombreux et discordants.
Cette distinction est-elle suffisamment exacte? Dans le bruit
y a-t-il réellement irrégularité du mouvement vibratoire.' le
calcul fournit-il une évaluation numérique différente de celle
du son? ou bien n'y a-t-il que perception confuse de sons
plus ou moins nombreux et discordants? Cette dernière opi-
nion est plus probable. On pourrait donc penser que si l'on
dégage dans un bruit composé , quelque léger , quelque écla-
tant qu'il soit, tous les bruits simples qui le constituent,
chacun de ces bruits simples serait appréciable par notre
oreille, et deviendra dès ce moment un son.
Quelle variété, quelle multiplicité de mots dans les diver-
ses langues pour exprimer, soit l'idée générale du bruit, soit
les mêmes ou les différentes sortes de bruit! Et cependant,
nous dit-on, l'imitation de ce phénomène, ou l'onomato-
pée, a présidé à la formation première des langues ! Bornons-
nous à indiquer ici les principaux termes qui ont servi aux
Grecs et aux Latins à désigner une grande variété de bruits.
Cette indication aura l'avantage de rappeler les noms que
nous avons puisés dans ces deux langues anciennes, et de mon-
trer ceux qui sont susceptibles d'enrichir encore soit notre
langage usuel, soit la nomenclature des sciences et des
arts.
Les Grecs appelaient ppyy.^ » ■^ô^oc, , le bruit en général ;
TràtaYoç, grand bruit , fracas , bruit de la mer, du tonnerre,
du vent; xXayyÔ > bruit clair et sonore ou des trompettes;
tptaïAÔç , bruit d'une porte qui crie; tî/iT-njpîapLa , doux bruit,
murmure agréable; xpôxo;, bruit produit par un battement
quelconque ; çwvîî, vjxw , bruit de la voix ; Oof u6o; , grand
bruit, tumulte, tintamarre ; xpauTo , bruit de clameur, vo-
cifération, criaillerie, criarderie ; y.o&ovt(T[j.oi: , tintement d'o-
reille; p6(j.êo(; , bourdonnement ; epO).),o;, bruit de chuciiofe-
ment, murmure; Xt^O;, qui fait un bruit clair; U(>n:tjt7[j.a,
sifllement pour appeler et pour flatter un cheval ; êpic, brriit ,
querelle; (priiAï) , bruit pubUc, nouvelle; ô6?a, bruit, renom,
réputation.
Les Latins appelaient 5onîïz«, le bruit on son; murnmr,
murmurillum, admurmuratio, obmurmuratio , vuix-
salio, viusitatio , murmure, mussitation, gronder, grom-
meler; fremituSffremor, frémissement; susurrus, susiir-
rum, sztsiirramen , susurratio , \és,eT murmure, lir\iit
somd;fragor, fracas; c/aw^or, bruit aigu et glapissant ;
stridor, bruit aigre, perçant ; strepitus, bruit rude , reten-
tissant; crépitas, crepitatio , craquement, crépitation;
frcndere, grincer des dents; bombus, bourdonnement;
plausus alarum, bruit du battement des ailes ;;JO/;/)ysmMS,
claquement des mains qui applaudissent; stlopus, bruit du
claquement sur une joue gonflée ; n«HO/-, bruit, nouvelle qui •
court, rumeur ; ./a??m, renom, renommée, bruit de bonne ■
ou mauvaise réputation ; tianultus, tumulte, bruit, émeute, ■
BRUIT — BRUIX
777
sédition; turba, ttirbamcntum , iurhatio, trouble, bruit,
inouvement populaire , remuement séditieux.
Ajoutons il tous ces noms les mots français suivants, qui
sont des onomatopées : cliquetis des armes, gazouillement
des oiseaux, glou-glou de la bouteille, tac-tac Am moulin,
tic-tac d'une montre, tic-toc des verres, le frôlement
d'une robe , \(i fracas d'une chose qui se brise en tombant ,
le roulement du tonnerre, etc., et nous aurons réuni, sinon
tous, du moins un nombre suffisant de termes pour spécifier
les diverses sortes de bruit.
Tout en avouant son ignorance sur la nature du fluide
étliéré qu'on présume devoir remplir tout l'espace , et dans
lequel se meuveut les corps célestes , l'intelligence humaine
peut encore analogiquement supposer une sorte de bruit ré-
sultant des mouvements plus ou moins rapides de trans-
lation , de rotation et de nutation de ces grandes masses as-
tronomiques , soit stellaires , soit planétaires ; mais elle ne
possède aucun moyen de vérifier son hypothèse. Le phéno-
mène supposé est tellement hors de la sphère de son action
qu'il est impossible de l'y amener , du moins pour le perce-
voir directeineuL On ne peut l'admettre qu'hypothétiquernent;
mais nous entendons distinctement les bruits très-variés du
vol des oiseaux, des insectes et de quelques poissons, ceux
de la marche sur le sol des quadrupèdes et des reptiles , et
nous savons de plus que les animaux vivant dans l'eau et
ceux qui creusent le sol y produisent de véritables bruits,
qui sont perçus par les autres liabitants de ces deux milieux,
lorsqu'ils sont pourvus d'organes auditifs. Nous formons ainsi
un premier groupe de bruits produits par les mouvements
de translation des corps dans les milieux ambiants. IS'ous
devons le faire suivre immédiatement de tous ceux que déter-
minent les mouvements intérieurs du globe terrestre, les
éruptions volcaniques et les phénomènes météoriques, carac-
térisés par des mouvements de translation en divers sens
des matériaux qui constituent soitrécorce, soit l'atmosphère
terrestre. A ce deuxième groupe nous rattachons le bruit
produit par les aérolithes ou pierres tombées du ciel.
L'action que les vents ou grands courants d'air atmos-
phérique exercent sur tous les corps de la surface du globe,
y déterminent des mouvements vibratoires, qui sont quel-
quefois des sons ou bruits appréciables , tels que le sifïlement
des cordes et des portes; mais le plus souvent ce sont de vrais
bruits, tels que le mugissement de la mer, le souffle du vent
heurtant les édilices, les montagnes, agitant les [liantes
herbacées, les arbustes, les forôts, brisant les branches et
les troncs des plus grands arbres , les déracinant même quel-
quefois. Si l'imagination est raolleuient portée aux douces
rêveries par le bruissement du feuillage qu'agitent les zé-
phyrs au sein d'une campagne riante, la raison humaine la
plus élevée ne peut contempler sans effroi le spectacle affreux
des ravages produits par la temnête , et surtout par les ter-
ribles ouragans de la zone torride. Le bruit sourd, le souffle
impétueux qui accompagne ces grandes commotions de l'at-
mosphère , suffit seul pour imprimer un sentiment de ter-
reur à tous les êtres animés.
Fixées au sol , immobiles , les plantes ne donnent lieu à
des bruits que par l'agitation de leurs parties plus ou moins
flexibles. Les mouvements qu'on observe dans la sensitive,
Vhedisarumgirans, ne sontpoint assez rapides pourproduire
le plus léger bruit ; mais on connaît une plante , dite
sablier élastique {hura crépitons), dans laquelle,
lors de la maturité du fruit , les pièces qui composent les
capsules se séparent brusquement , éclatent avec bruit , et
lancent an loin leurs graines. Quelque rapides qu'on suppose
l'ascension et la descente de la sève, quelque accéléré que
poit l'accroissement des tiges, ces mouvements ne peuvent
donner lieu à des bruits susceptibles d'être perçus. L'expres-
sion populaire entendre V herbe qui pousse est une méta-
phore , une exagération pour exprimer l'acuité de la finesse
de l'ouïe. Mais si les végétaux sont en général muets et silen-
DICT, DE LA CONVERS. — T. III.
cieux , à cause de la privation de mouvements , on doit
s'attendre à ce que les animaux pourvus d'organes muscu-
laires très-variés, destinés à mouvoir des gaz, des liquides
et des solides , produiront, en outre de la voix et de la pa-
role, un très-grand nombre de bruits, que les physiologistes,
les médecins ■çt les naturahstes devront étudier avec soin.
En envisageant sous un point de vue général tous les
mouvements vibratoires bruyants que produisent les êtres
animés , il convient d'en former deux ordres : le premier
comprend tous les bruits qui se passent dans l'intérieur des
animaux , sans servir à les mettre en relations réciproques ;
le deuxième ordre renferme tous ceux à l'aide desquels les
animaux s'appellent, établissent leurs relations et commu-
niquent entre eux.
Dans le premier ordre se trouvent les bruits du cœur et
des vaisseaux pendant leurs battements, les divers bruits de
larespiration, plus ceux dubâillement, duhoquet,
de la toux, de l'éternuement, du crachement, du
moucher, du soupir, du gémissement, du sanglot et
du rire, observés dans les divers âges dans les deux sexes
de l'espèce humaine , auxquels il faut joindre les mêmes
bruits observables dans la série des animaux , toujours sans
y comprendre les phénomènes de la voix , du chant, de la
parole. Pour compléter ce groupe de bruits inutiles pour la
manifestation des actes de l'intelligence , il faut comprendre
dans cette énuraération physiologique tous ceux produits
par les gaz qui parcourent les voies intestines. On les dé-
signe dans la pratique médicale sous les noms à' éructa-
tions, ôeborbpr y gmcs on gargouillements, de fl a-
tuosités et de vents.
Dans le deuxième ordre, ou celui des bruits significatifs,
il faut d'abord distinguer ceux produits par le larjux et la
touche, dont il sera traité aux articles Yoix, Chant et Pa-
role, et mentionner ensuite les divers bruits qui, à défaut
de la voix , peuvent seivir au môme but. Parmi ces der-
niers, qui n'ont point été suffisamment éhidiés, il faut
ranger le bruit que les auunaux produisent par le choc de
leurs parties, soit entre elles, soit contre un corps étranger,
ou par d'autres mécanismes : tels sont le bruit que les la-
pins font avec leurs pattes de derrière, le c'aquemenî du
bec des cigognes, le petit bruit causé par les vrillettes , par
le bachine-pétard , le bourdonnement d'un grand
nombre d'insectes, e'.c. Boumons-nous à indiquer encore
parmi ces bruits significatifs le crocro, bruit fait par un pois-
son, \q feulement et le rouroii des chats, le grognement
des cochons, des chiens hargneux ou en colère, etc. Disons
enfin que ces sons produits par la bouche des animaux ont
reçu différents noms suivant les espèces.
L'iiorame produit encore dans l'exercice de son industrie
une infinité de bruits. Citerons-nous celui du marteau , du
tambour, du tamtam, des cloches, du canon, de la machine
à vapeur, cadence déplorable pour les nerfs des petites mai-
tresses, indicateur grandiose de la puissance hu.Tiaine.
L. L\l'RENT.
BRUIX (Ecstache), né à Saint-Domingue, en 1759,
était d'une famille originaire du Béarn, dont plusieurs
membres s'étaient fait un nom dans les armes en France et
en Espagne. Pour lui, il passa de très-bonne heure dans la
mère patrie , et ce fut à Paris qu'il reçut les premiers élé-
ments des sciences qui devaient développer son penchant
pour les dangers et les hasards de la mer. Il avait à peine
quinze ans, qu'il s'embarquait, comme simple volontaire, sur
un navire marchand, et le métier dans lequel il devait s'il-
lustrer lui était déjà familier lorsqu'il fut nommé garde de
la marine à Brest, en 1778. Il fit ses premières campagnes
dans la guerre d'Amérique, sur les frégates le Fox, la Con-
corde et la Médée, sous les amiraux d'Orvilliers, de Grasse,
d'Estaing, et obtint en 17S4 le commandement du Pivert,
puis en 1792 celui de la Sémillante. Pendant les quatre
années qui suivirent la conclusion du traité de Versailles, il
98
778
seconda Puységur dans les opérations qui préparaient la
publication des cartes précieuses qu'on doit à cet officier sur
les côtes et les débouqueraents de Saint-Domingue ; et à
l'âge de vingt-cinq ans les connaissances distinguées qu'il
avait acquises lui ouvrirent les portes de l'Académie de
marine. Il venait d'être appelé au commandement de l'In-
domptable, lorsqu'en 1793 il fut compris dans la mesure gé-
nérale prise en France à l'égard des anciens officiers du
corps de la marine. Rendu en 1794 à son service, il remplit
jusqu'en 1796 les fonctions de major général de l'escadre
commandée par l'amiral Viilaret-Joyeuse, fut nommé ensuite
major général de la marine à Brest, puis directeur de ce
port, et enfin vice-amiral et ministre de la marine, après
avoir été major général de l'armée de l'amiral Morard de
Galles, destinée à l'expédition d'Irlande, qui échoua, comme
on sait, mais dans laquelle il fit preuve d'une grande habileté.
Pendant le peu de temps qu'il remplit les fonctions de
ministre il s'occupa constamment des moyens d'exécution
d'un plan de campagne qu'il avait conçu. Chargé de diriger
lui-même cette expédition, il partit pour Brest en mars 1799,
et prit le commandement de l'armée navale préparée par
ses soins. Il déploya alors pour la première fois sur un
grand théâtre le pavillon amiral , le montra sur des mers
couvertes de flottes ennemies, dont il trompa la vigilance, ra-
vitailla Gênes, fit sa jonction, à Cadix et à Carthagène avec
l'armée navale espagnole, rentra avec elle à Brest, et mit le
sceau à sa réputation par l'habileté de ses manœuvres du-
rant cette campagne. Nommé en 1801 au commandement de
l'armée réunie sur la rade de l'île d'Aix , les fatigues avaient
tellement dérangé sa santé, qu'il se vit contraint de revenir
en toute hâte à Paris. 11 y resta jusqu'à la reprise des hos-
tilités. Amiral el commandant en chef de la flottille de Bou-
logne, en 1803, il y déploya toute son activité; mais il ne se
fit jamais illusion sur l'inutilité de cet armement, et il le té-
moigna même souvent à Napoléon. Bientôt sa santé délabrée
le força de quitter ce commandement. Il revint à Paris, où il
mourut, le 18 mars 1S05. On a de lui un Essai sur les
moyens d'approvisionner la marine (1794, in-8°).
BRÙLEMEMT DES CORPS. La coutume de brûler
les corps au lieu de les inhumer était presque générale
chez les Grecs et chez les Romains. Elle a précédé chez les
premiers le temps de la guerre de Troie. Il ne faut cepen-
dant pas en inférer que ce fût la seule ni même la plus
ancienne. Il parait bien démontré que l'on commença par
inhumer les corps, en les rendant à la terre ; mais les deux
usages paraissent aussi avoir subsisté en même temps à
Rome. Sylla , victorieux de Caïus Marins , fit déterrer son
corps et le fit jeter à la voirie ; et ce fut sans doute par la
crainte d'un pareil traitement qu'il ordonna que son propre
corps fût brûlé après sa mort. Quoi qu'il en soit , il fut le
premier des patrices cornéliens à qui on éleva un bûcher.
Voici comment la chose se pratiquait : le mort, couronné
de (leurs et revêtu de ses plus beaux habits, était posé sur le
bûcher, que ses proches parents allumaient avec des torches,
en détournant levisage, pourtémoigner qu'ils ne lui rendaient
qu'avec répugnance ce dernier devoir. Dès que le bûcher
était consumé, la mère, les sœurs ou les parentes du défunt,
vêtues de noir, ramassaient les cendres et les os, et les met-
taient sous leurs habits pour les emporter et les enfermer
ensuite dans une urne. Les fils recueillaient de la même
manière les restes de leur père, et, à défaut d'enfants ou de
veuve, ce devoir était rempli par les autres parents ou par
les héritiers. Les consuls ou les officiers des empereurs ra-
massaient les ossements de ceux-ci : au décès d'Auguste,
les premiers de l'ordre équestre s'acquittèrent pieds nus de
ce devoir religieux. Avant de se retirer, les assistants criaient
au défunt : Vale,vale, vale, nos te ordine guo natura
permiserit cuncti sequemur. « Adieu , adieu , adieu ; nous
te suivrons tous dans l'ordre où la nature le permettra ! »
Au rapport de Pline, l'iLsage de brûler les corps ne re-
BRUIX — BRULEMENT
montait pas bien haut à l'époque où il écrivait ; et néanmoins
Plutarque, dans sa Vie de Numa, dit que ce prince fut in-
humé, parce qu'il avait expressément défendu, en mourant,
que l'on brûlât son corps : ce qui serait une preuve en fa-
veur de l'ancienneté d'une coutume qui, du reste, semble
avoir été en horreur à plusieurs peuples. Hérodote rapporte
que les Perses la détestaient et la regardaient comme impie ,
par suite du culte qu'ils rendaient au feu. Les Égyptiens
n'étaient pas non plus dans l'usage de brûler les cadavres ,
mais par une autre raison : selon eux le feu était une bête
inanimée, et ils pensaient qu'il n'était pas permis de donner
les cadavres à dévorer à des bêtes. Macrobe , qui vivait à
la fin du quatrième siècle de l'ère chrétienne , assure que de
son temps la coutume n'était plus à Rome de brûler les
corps. On croit qu'elle cessa sous l'empire des Antonins.
Avant l'établissement de la monarchie française dans les
Gaules, on brûlait plus souvent les corps qu'on ne les in-
humait, et cet usage dura jusqu'aux derniers temps du
paganisme. César rapporte que peu de temps avant son
arrivée dans cette province, on faisait brûler avec le cadavre
d'un grand personnage ses esclaves, ses vassaux et tous
ceux qu'il avait désignés lui-même avant sa mort pour l'ac-
compagner dans l'autre monde. On vit souvent aussi chez
les Celtes, dit Diodore de Sicile, un fils, ou un amant incon-
solable, jeter dans le bûcher de son père ou de sa bien-aimée
des lettres qui, dans la croyance commune de ces temps,
devaient lui parvenir et l'entretenir du regret que causait
sa perte. Chez les modernes, la coutumedel'inhumation
a été généralement admise ; il n'y a eu d'exception que pour
des cas particuliers, tels que le besoin de se soustraire à des
causes épidémiques que la putréfaction des cadavres pouvait
augmenter, ou la difliculté de creuser la terre pour procéder
aux inhumations.
Ces deux intentions avaient dicté les mesures ordonnées
par le gouvernement russe, dans une grande partie de l'em-
pire, pendant l'hiver de 1812, à l'égard des soldats pri-
sonniers, français ou autres, échappés au fer des populations
et qu'achevaient de décimer les épidémies. Pendant quelque
temps la haine de ces peuples, entretenue par leur supersti-
tion, leur avait fait refuser tout concours à l'inhumation
de ceux qui mouraient ainsi sous un ciel rigoureux, loin de
leur patrie. Un lieu séparé , un lieu frappé de réprobation
était réservé dans beaucoup d'endroits à leur sépulture ;
mais la terre se refusait à recevoir leurs dépouilles, comme
de leur vivant le ressentiment de ces populations les avait
poursuivis d'asile en asile. Les mains exténuées et décou-
ragées de leurs compatriotes ne pouvaient creuser qu'à
demi le lit où ils devaieût reposer du sommeil étemel , et
au retour de la belle saison leurs corps, en partie couverts
de neige, vinrent se remontrer aux regards attristés et ré-
clamer de nouvelles funérailles , qui cette fois leur furent
accordées par des mains et par des cœurs que la réflexion
avait dépouillés de haine. Ils purent reposer enfin dans
une terre redevenue hospitalière, la face religieusement
tournée vers la patrie. Mais pendant ce temps des ordres
généraux avaient été donnés dans la plupart des gouver-
nements de la Russie, eu l'on brûla longtemps les corps dç
ceux qui avaient ainsi succombé, avec tous les effets d'ha-
billement qui leur avaient appartenu. En Angleterre, où l'on
inhume à peu de profondeur, et dans des cimetières trop
restreints, il s'est trouvé un moment où une épidémie vint
chasser précipitamment de leur dernière demeure des corps
dont le temps n'avait pu produire la dissolution ; un cri d'a-
larme se fit alors entendre : on y\i se former des sociétés
pour ramener l'ancienne coutume de brûler les corps. Mais
cette coutume, plus rationnelle peut-être, semble trop en dé-
saccord avec les habitudes et les croyances chrétiennes pour
devenir d'une pratique commune.
Quant au brûlement volontaire des vivants,kce\. hymen
affreux, à cette association monstreuse de la vie et de la
BRULEMENT — BRULOT
779
mort sur le même bûcher, on sait qu'il existe encore dans
les Indes, où il est entretenu par la superstition. Voyez Sut-
TIES.
BRULER, supplice du feu. Voyez Bûcher.
BRULERIE. Ce mot a deux acceptions bien différentes
dans les arts industriels. D'abord on nomme brûlerie le lieu
où l'on convertit le vin ou d'autres boissons fermentées en
alcool ( voyez, Distillation ). Nous n'avons point à nous en
occuper ici ; mais nous parlerons de la brûlerie des bois
dorés et des tissiis d'or et d'argent.
De grandes quantités d'or et d'argent ont été pendant
longtemps perdues, parce qu'on ignorait alors le moyen
simple et peu coûteux de reprendre ces métaux précieux
aux matières de luxe sur lesquelles ils avaient été appliqués
en lames si minces qu'on regardait presque comme impos-
sible de les en séparer. Il s'en faut bien que cette extraction
soit négligée aujourd'hui. On pousse même à cet égard la
vigilance à un point qui ne semble pas justifié aux yeux de
ceux qui sont étrangers aux moyens qu'on emploie et à l'im-
portance des résultats qu'on obtient.
Pour les bois dorés, on a d'abord recours à un trempage
dans l'eau bouillante, et qui a pour but de dissoudre la colle
de la dorure. L'exposition de ces bois à la vapeur très-chaude
de l'eau dans un milieu hermétiquement fermé a un effet
encore plus prompt et plus certain. Les feuilles d'or, dé-
tachées du mastic sur lequel elles reposaient , tombent au
fond d'un vase, et on peut hâter cet effet à l'aide d'une brosse.
Mais il ne faut pas croire que ces lames d'or , d'une ténuité
presque incalculable, se trouvent complètement isolées ;
elles entraînent toujours avec elles une quantité de blanc
ou de mastic infiniment plus pesante qu'elles-mêmes. C'est
cette espèce de magma ( pâte ) qui doit être recueilli, des-
séché, pilé dans un mortier et exposé ensuite à un feu de
moufle pour brûler tout ce qui reste de combustible, tel que
]a colle ou l'huile, etc., qui entraient dans la composition
du blanc ou assiette de la donu-e. Les mêmes procédés
sont applicables aux plâtres dorés, etc.
Quant aux tissus dorés et argentés divers, tels que galons,
gazes, etc. , il ne s'agit d'abord que de les brûler directement
et d'en recueillir les cendres. Peut-être cependant y a-t-il
moins de risque de perte à dissoudre la soie des tissus de
cette espèce qui sont recouverts de métaux précieux en les
soumettant à l'ébuUition dans une forte lessive d'alcali caus-
tique. La soie se saponifie, et en étendant ce produit d'une
grande quantité d'eau on peut recueillir la poussière mé-
tallique au fond du vase.
Les métaux ainsi obtenus sont fondus dans un creuset et
soumis ensuite à l'affinage. Pelouze père.
BRULLOW (Charles), peintre d'histoire, d'un remar-
quable talent, né à Saint-Pétersbourg, en 1800, apprit les
premiers éléments de son art à l'académie de celte ville.
En 1823 il fit le voyage d'Italie aux frais d'une société
d'amis des arts , protégé par l'impératrice Elisabeth, et y
exécuta plusieurs excellentes copies de Raphaël. Mais le
travail qui l'a surtout rendu célèbre, c'est une grande page
que la gravure a depuis longtemps popularisée, repré-
sentant Le Dernier jour de Pompai, d'après le récit de
Pline. Ce beau tableau orne maintenant la galerie de l'Er-
mitage, à Saint-Pélersbourg. 11 a dix mètres de long, et ren-
ferme vingt-trois figures principalesdegrandeur naturelle, dont
les attitudes peignent la terreur. BruUow fut nommé peintre
de la cour, chevalier de l'ordre de Wladimir , membre ho-
noraire de l'Académie de Milan et de celle de Bologne; et
l'Académie de Saint-Pétersbourg proposa à l'empereur de
créer pour lui une dignité académique. De retour dans sa
patrie, il peignit pour la cathédrale de Kasan une .4 xceHsion
et quelques portraits de saints. Son second tableau. Le Siôge
de Pskow, prouve que son talent est resté stationnairc.
Depuis quelques années, il s'occupe de la décoration de la
nouvelle église d'Isaac, Ses portraits se distinguent par la
vigueur du coloris ; on vante aussi beaueoup les tableaux
de genre de cet artistci
Son frère Alexandre, qui l'a accompagné en Italie et a
demeuré quelque temps à Paris, est un architecte de mérite.
Il a bâti l'église évangélique de Saint-Pierre , le théâtre de
Michailoff, l'observatoire de l'Académie des Sciences et a
restauré, avec Strassof, le Palais d'hiver. L'empereur lui a
donné une pension et la croix de Saint-Wladimir.
BRULOT, bâtiment incendiaire, destiné à être dirigé sur
un navire ennemi et à l'envelopper dans son explosion , en
s'attachant à lui. Tous les navires, quelles que soient leurs
dimensions , peuvent être affectés à cet usage. On a vu les
Anglais consacrer jusqu'à de vieilles frégates au service de
brûlots : dans la fameuse expédition incendiaire contre la
division française mouillée en rade des Basques , près de
Rochefort , on vit de très-forts bâtiments de guerre sauter
en l'air à côté des vaisseaux à bord desquels ils devaient
porter l'mcendie.
On choisit ordinairement pour faire des brûlots de vieux
navires, qui offrent un double avantage, celui d'entraîner
une perte moins réelle et d'être plus facilement brisés lors-
que éclate l'explosion qui doit disperser leurs débris.
Pour atteindre le but qu'on se propose en envoyant un
brûlot à l'ennemi, on place des barils de poudre dans la cale
du brûlot ; on remplit son entrepont et on couvre son pont
de la plus grande quantité possible d'artifices ; on garnit son
gréement de cravates et de panaches inflammables, et on a
soin de suspendre au bout de ses vergues des grappins qui
puissent s'accrocher aux manœuvres du navire qu'il s'agit
d'incendier. Lorsque le brûlot a un entrepont et des sabords,
on a soin de ménager à l'incendie que l'on prépare toutes
les issues qu'il faut ouvrir à la flamme pour qu'elle puisse
se répandre à l'extérieur et embraser tous les objets qu'on
veut lui faire dévorer. Après avoir ainsi disposé toutes les
matières qui doivent prendre feu instantanément, on verse
sur la mâture, le gréement, le pont elles bordages intérieurs
et extérieurs du navire autant d'huile de térébenthine qu'on
peut en répandre. Cette substance si inflammable est des-
tinée à donner une nouvelle activité au feu et à servir de con-
ducteur à l'incendie dans les parties où il pourrait s'arrêter.
Entre les barils de poudre , les saucissons et les pots à
feu placés dans la cale , l'entrepont ou sur le pont , on sème
des bombes farcies , des grenades panachées , qui doivent
éclater dans un temps calculé par les artificiers. On a poussé
quelquefois si loin la précision dans ces sortes de prépa-
rations que l'on a retrouvé dans des débris de brûlots des <
horloges grossièrement faites, au moyen desquelles on était
parvenu à régler mécaniquement l'heure à laquelle devait
partir l'artifice.
Dans les diverses compositions employées pour le muni-
tionnement des brûlots, on remarque principalement les
objets que l'on désigne sous les noms de fagots, saucissons,
panaches , rubans de feu, cravates et barils ardents. Les
fagots sont des gerbes de sarments de vigne , que l'on trem-
pe dans un liquide composé de résine, de brai sec, d'huile et
d'esprit de térébenthine, de poudre et de salpêtre pulvérisé.
On nomme saucisson un long sac de toile goudronnée farci
de soufre, de salpêtre et de poudre en poussière. 'Les pana-
ches sont des mèches de chanvre trempées dans une mix-
tion de poudre, de soufre et d'huile de térébenthine. Les
rubans à feu se font en trempant des pnquets de copeaux
de menuisier dans une décoction d'huile de lin , d'esprit-de-
vin et de térébenlliinc, saturée de poudre , de brai sec et de
soufre. Les crai/'o^es, dont on enveloppe les haubans, les cal-
haubans et les principales manœuvres de brûlot, sont de lon-
gues mèches d'éloupe ou de serpillière usée, que l'on plonge
dans une préparation semblable à celle dont nous venons
de parier. Les barils ardents, destinés à être placés dans le
haut de la cale ou l'entrepont et à fnire explosion , renfer-
ment de la poudre , du suif et du goudron ; ils contiennent
9S.
I
7S0
BRULOT — BRULURE
aussi quelquefois îles grenades farcies et des lances à feu,
qui éclatent à Tinstant où le baril s'enflamme.
On concevra aisément, en lisant ce simple exposé des
objets principaux qui entrent dans le munitionnement des
brûlots, l'effet que l'on doit attendre de ces sortes d'appa-
reils destructifs. Mais pour obtenir tous les résultats qu'on
pent en espérer il faut , autant que possible , que les brû-
lots ne soient envoyés que pendant la nuit : pendant le jour,
il serait trop facile à l'ennemi de se prémunir contre ce
genre d'attaque , pour qu'il se laissât surprendre sans pré-
caution par l'abordage de ces sortes de navires , dont il
est toujours aisé de deviner l'espèce dès qu'on peut les aper-
cevoir, fût-ce môme de très-loin.
Des hommes dévoués à une mort presque certaine ont
quelquefois réussi à diriger des brûlots avec un appareil
bien moindre que celui dont nous venons de donner une
idée . munis de quelques chemises soufrées, qu'ils allaient
clouer, dans de légères embarcations, sur le bordagedu na-
vire qu'ils voulaient incendier, ils ne pouvaient que bien dif-
ficilement, dans une expédition aussi hasardeuse, échapper à
la vengeance des équipages qu'ils avaient essayé de faire sauter.
Anciennement, l'usage des brûlots était une chose telle-
ment consacrée et prévue pour les besoins ordinaires de la
guerre maritiinc , qu'il existait dans la marine des officiers
désignés sous le nom de capitaines de brûlots. Aujourd'hui
on ne connaît plus cette dénomination , et les brfdots ne
deviennent qu'accidentellement un moyen de destruction
contre les flottes ennemies. La promptitude aveclaquelle on
peut, dans un instant donné et avec les ressources néces-
saires , transformer en brûlots les navires et les embarca-
tions ordinaires , rend pour ainsi dire inutile la longue pré-
voyance elles vastes préparatifs qui auparavant présidaient à
l'armement ds ces sortes de bâtiments spéciaux. Espérons que
bientôt riiumanité, qui doit aujourd'hui régler entre les na-
tions civilisées jusqu'aux moyens qu'elles ont de s'enlre-dé-
truire, finira par proscrire entre les peuples belligérants l'em-
ploi funeste des brûlots. Edouard CouBiùiiE.
Brûlot, suivant Perrault, cstaussile nom d'une machine
{catapulta incendiaria ) dont les anciens se servaient pour
lancer des dards auxquels était attachée une matière com-
busli'ole qu'on allumait lorsqu'on les voulait darder.
On appelle encore de ce nom , dans les manufactures de
glaces, une sorte de polissoir étroit avec lequel on tennine
certains endroits de la surface de la glace qui ont échappé au
poli.
Au figuré , brûlot se dit trivialement d'un morceau de
pain , de viande ou d'autre chose, bien épicé de sel et de
poiVre qui brûle le gosier de celui auquel on le donne ; mais
on s'en sert plus habituellement pour désigner un homme
ardent, inquiet et remuant, qui par ses discours excite au
tumulte et à la révolte.
BRULURE, lésion déterminée par l'action d'une chaleur
intense appliquée aux organes. Le calorique seul en est l'a-
gent, bien qu'on attribue la propriété de brûlera certains corps
désorganisateurs, tels que les acides concentrés, diverses sub-
stances caustiques, corrosives, et dont le mode d'action dif-
fèi e de celui de la chaleur concentrée : ces agents cautérisent
{voyez Cautérisation ), mais ne briilentpns. La puissance
ou le degré d'activité des corps dits comburants est en l'ai-
son directe de leur capacité calorifique et de leur faculté conduc-
trice : ainsi, les métaux se trouvent au premier rang, puis
les corps gras, et enfin les liquides. On distingue divers degrés
d« la brûlure, suivant la profondeur à laquelle elle pénètre ;
Dupuytrcn en admet six : 1*'' degré , rubéfaction de la peau ;
S^degré, vésication ouépanchementde sérosité sous l'épi-
derme;3*degré, destruction de la couche superficielle de la
peau ; k" degré, désorganisation de tor.tc l'épaisseur de la
peau ; 5'" degré , destruction des parties mol les subjacentes ;\ la
peau; 0<= degré, combustion des os et de toute l'épaisseur
d'un membre.
Chacun sait de quelle sensation douloureuse la brûlure
est accompagnée ; mais un phénomène bien digne de re-
marque, c'est la tendance de la désorganisation à se propager
au delà des limites du point primitivement affecté; de sorte
qu'une brûlure légère, au premier aspect, est souvent sui-
vie de graves désorganisations; aussi les divers remède-;
I)réconisés contre la brûlure ont-ils la plupart pour effet
de s'opposer à l'extension du mal. Une foule de remèdes
ont été imaginés pour remédier à un accident aussi fréquent
(jue douloureux, et Vonguent pour la brûlure est devenu
proverbe comme synonyme de remède de commère. Cc'
pendant, parmi les recettes populaires il en est quelques-
unes d'assez rationnelles; ainsi,, les pulpes de carottes, de
pommes de te.'-re, etc., ont pour effet de calmer la douleur
par le fait de la fraîcheur qu'elles comportent, et de modérer
l'irritation par le mucilage qu'elles contiennent ; l'encre agit
aussi par sa fraîcheur et par l'astriction que détermine la
gallate de fer qui en forme la base; la farine absorbe de la
sérosité qui tend à s'cNhaler, et s'oppose à la formation des
vésicules, etc. C'est à peu près ainsi qu'on peut intei-préter
l'action du coton cardé et du duvet du ty7)ha, qu'on a
vantés pendant un temps ; mais un remède fort simple , et
qui, selon nous, mérite le plus de confiance, c'est l'eau froide,
dans laquelle on maintient la partie brûlée aussi longtemps
qu'il est nécessaire pour prévenir ou modérer la réaction in-
flammatoire, c'est-à-dire pendant plusieurs heures, et môme
pendant un jour, en ayant soin de renouveler l'eau à me^sure
qu'elle s'échauffe. Lorsque la partie n'est pas susceptible d'ôlre
immergée, on emploie des compresses imbibées d'eau, qu'on
renouvelle souvent. L'eau froide n'a pas seulement l'a-
vantage, déjà très-précieux, de calmer immédiatement la
douleur, mais encore elle s'oppose efficacement au dévelop-
pement des phénomènes inflammatoires. On peut favoriser
son action résolutive en y versant une certaine quantité d'cx-
trait de Saturne (sous-acétate de plomb liquide).
Lorsque l'action du calorique a été assez vive pour dé-
sorganiser les tissr.s, les parties mortifiées doivent néces-
sairement être éliminées par la suppuration : alors les brû-
lures rentrent dans la catégorie des plaies suppurantes, et
réclament un traitement analogue. Les vastes brûlures, par
la douleur et la réaction qu'elles occasionnent, entraînent
fréquemment des accidents cérébraux ou abdominaux qui
causent la mort: celle-ci peut encore être le résultat des
suppurations abondantes fournies par les tissus endommagés.
Les cicatrices qui succèdent aux brûlures ont une tendance
prononcée à se rétrécir , à se crisper, de manière à rappro-
cher les parties circonvoisines : c'est ainsi qu'on a vu des
brûlures du dos de la main amener progressivement le ren-
versement des doigts, jusciu'à les mettre en contact avec
l'avant-bras. Il faut donc s'attacher à prévenir ces rétrac-
tions en maintenant les parties dans une extension perma-
nente jusqu'à parfaite guérison; si les doigts sont affectés,
on les maintiendra sur une palette; si c'est une ouverture
naturelle qui soit le siège de la brûlure, on combattra la
tendance à l'oblitération, au moyen de corps dilatants.
Lorsque deux surfaces contiguës ont été dépouillées de leurs
téguments , il faut les tenir écartées, au moyen d'un appareil
convenable, afin de prévenir leur adhésion mutuelle. Les
procédés à suivre pour obtenir une cicatrice régulière com-
portent des détails minutieux, dans lesquels nous ne pouvons
entrer. Enfin, lorsque la cicatrice s'est opérée d'une manière
vicieuse, il ne reste plus qu'à l'enlever en totalité et à tra-
vailler sur nouveaux frais pour en obtenir une plus régulifre.
11 nous resterait à émettre quelques considérations sur les
moyens préservatifs de la brûlure; mais la simple raison suf-
fit pour y pourvoir. Chacun sait ce qu'il convient de faire
pour éviter et pour étouffer le feu. L'eau froide que l'on
jette quelipiefois sur des personnes dont les vêtements sont
en feu peut call^e^ de graves accidenls; il est plus sage d'é-
teindre le feu en les enveloppant de draps ou de couvertures.
J
BRULURE — BRUMAIRE
rsi
On a prétendu que les accidents occasionnés par la f o u d r e
n'étaient que le résultat de la commotion électrique; mais il
est avéré que les atteintes du tonnerre peuvent occasionner
(le véritables brûlures, plus ou moins profondes, et qui ne
difTèrent des autres que par la stupeur qui les accompagne
le plus ordinairement. Un préjugé qui existe encore parmi
le peuple , et qui fut longtemps partagé par les chirurgiens ,
c'est de croire que les projectiles lancés par la poudre à ca-
non brûlent les parties qu'ils traversent ; mais l'aspect noi-
râtre des blessures de ce genre n'est que le résultat de la
contusion extrême dont elles sont accompagnées.
Il est un genre de brûlure qui constitue un des phéno-
mènes les pins étonnants de la pathologie, phénomène dont
l'essence n'est pas encore bien déterminée : il est connu
sous le nom de combustion spontanée, et nous en
traiterons dans un article particuUer. D'' Forget.
BRÛLURE (Agriculture). L'écorce du tronc d'un
arbre exposé contre un mur à toute l'action du soleil du
midi est sujette à se fendre, à s'écailler, à se dessécher ; ce
qui prive les branches de la plus grande partie de la sève
nécessaire à leur nourriture, et accélère toujours leur mort.
On appelle cet effet brûlure. Certains arbres fruitiers,
tels que le pécher et l'abricotier, y sont plus sujets que
d'autres. La ^igne, dont l'écorce extérieure se renouvelle
fous les ans , la brave impunément.
Les gelées produisent quelquefois des effets analogues,
en formant de la glace sous l'écorce, glace qui, comme on
le sait, offre toujours plus de volume que l'eau qui lui a
donné naissance.
On a indiqué un grand nombre de moyens pour garantir
les arbres de cet inconvénient , tels que d'empailler leurs
troncs , de les envelopper de toile cirée, etc. Tous ces pré-
servatifs sont nuisibles, en ce qu'ils privent l'écorce de l'in-
fluence d'un air renouvelé, qu'ils conservent autour d'elle
une humidité constante, ce qui l'attendrit, la pourrit, etc.
Le seul de ces moyens qui mérite confiance , c'est l'établis-
.■ement d'unabri à quelque distance du tronc , abri qu'il est
plus économique de faire avec deux planches formant un
angle droit et ne se joignant pas tout à fait, de manière
que l'air puisse circuler.
On appelle aussi brûlure les effets de la chaleur du so-
leil ou des fortes gelées sur les bourgeons encore tendres ,
dont le résultat est de rendre ceux-ci subitement noirs.
Dans quelques pays on dit que le froment ou les autres
céréales sont brûlés quand leurs racines sont frappées de
mort par l'évaporation de toute l'eau de la terre qui les en-
tourait. Cette sorte de brûlure est plus conimune dans les
terrains sablonneux, dans ceux qui ont peu de profondeur,
dans les expositions méridionales , qu'ailleurs ; il est des
années sèches et chaudes où elle cause de grandes pertes aux
cul'iivateurs. Quaud cette brûlure se manifeste au commen-
cement de l'été , la récolte est totalement perdue , l'épi se
desséchant complètement. Quand elle vient plus tard , le
grain est seulement retrait. Dans tous les cas la paille perd
beaucoup de sa qualité. Les moyens d'cmpècher cette sorte
de brûlure varient suivant les circonstances : si le terrain
n'a pas de profondeur, on doit ou le rechanger, ou le cou-
vrir de litière, de mousse, etc., ou [ilauter de grands arbres,
s'il y a possibilité; ces derniers m.oyers, ainsi que les irri-
gations, s'appliquent aux terrains sablonneux et exposés an
midi.
Une autre espèce de brûlure se remarque souvent sur les
arbres en espalier comme sur ceux en plein vent, même
dans les pépinières; c'est le dessèchement de l'extrémité
des branches pendant les chaleurs de l'été. Elle a pour cause
la perméabilité ou la sécheresse du sol, un vent hàlant,
comme le vent du nord-est dans le climat de Paris. Dans
le premier cas , le manque d'humidité diminue la production
de la sève, ce qui affaiblit sa force d'ascension , et par suite
prive de ses bienfaits les rameaux les plus élevés. Dans le
second , qu'on nomme brouissure , l'évaporation considé-
rable qui se fait par ses rameaux , n'étant plus remplacée
par la même quantité de sève , donne à la chaleur du soleii
la puissance de les dessécher, positivement comme l'écorce
dans le cas précité.
Une dernière espèce de brûlure, qu'on appelle quelquefois
improprement blanc, est produite par l'eau des rosées, des
gelées blanches, etc., sur les feuilles des arbres, principale-
ment des arbres en espalier placés au levant. Elle se recon-
naît à des taches blanches, qui devieiment ensuite noires. Le
résultat est une véritable sphacélation du parenchyme , qui
anéantit son action vitale , en ne permettant plus ni absorp-
tion ni transpiration. Lorsque ces taches sont peu nom-
breuses , leur effet sur l'arbre n'est pas sensible ; mais
lorsque les feuilles en sont couvertes, l'arbre languit, ses
fleurs ne nouent point , ses fruits tombent avant le temps ,
ou restent petits et sans saveur. On a expliqué la désorga-
nisation du parenchyme sous les gouttes d'eau ou les glo-
bules de glace, de différentes manières. Les uns ont dit :
elles agissent comme de véritables lentilles, et réfractent les
rayons du soleil de manière à produire une assez forte
chaleur à leur foyer; mais Bénédict Prévôt a prouvé, par des
calculs et par des expériences, qu'il ne pouvait en être ainsi.
D'autres ont pensé que le fait s'expliquait par la présence
de corps froids s'opposaut à la transpiration en quelques
endroits de la surface des feuilles, tandis que cette fonction
se faisait partout ailleurs. D'autres , enfin , ont vu dans ce
phénomène un commencement de fermentation. Toutes ces
explications offrent des difficultés lorsqu'on les soumet à
une rigoureuse analyse ; la dernière paraît cependant la plus
plausible. Quoi qu'il en soit, constatons que cette brùluren'a
pas lieu lorsqu'on secoue la rosée, lorsqu'on fond la gelée
blanche avec de l'eau froide , ou en brûlant du fumier ou de
la paille mouillée avant le lever du soleil.
BRU3IAIRE. Voyez Calendrier républicain.
BRUilAIRE (Journée du 18) ou du 9 novembre 1799.
Cette journée mit fin au gouvernement directorial en France,
et, plaçant le pouvoir dans les mains du général Bonaparte,
devenu premier consul de la république, ne tarda pas aie
rendre le seul héritier de la révolution.
La république, jusque là presque partout victorieuse,
venait de perdre l'Allemagne et ce magnifique présent que
Bonaparte avait fait à la France, l'Italie; elle déplorait les
défaites que rappellent les noms de S^oAocA et de Magnano,
et voyait avec effroi la Suisse envahie et le Var menacé. A
l'intérieur, les partis relevaient la tête, les royalistes par-
laient publiquement du prochain retour des Bourbons , les
jacobins s'entretenaient de leurs espérances, et le Direc-
toire, gouvernement sans force et sans génie, qui quel-
quefois frappait les restes de la Montagne et quelquefois
semblait les ménager et les craindre , donnait à la France
le droit d'accuser hautement ses sympathies secrètes pour
le parti des jacobins. Ce gouvernement sans fixité, sans
unité, qui n'offrait de garanties ni à l'ordre ni à la paix, qui
n'assurait ni l'indépendance ni la liberté du pays , com-
mençait à lui peser; néanmoins on le supportait encore :
on attendait un homme qui osât le briser et se mettre à sa
place. Cet homme rempoilait alors en Egypte quelques-
unes de ses plus éclatantes victoires ; Bonaparte avait de-
viné juste, en pensant que s'il portait la gloire du nom fran-
çais sur ce sol antique et lointain , où tant de gloires avaient
déjà passé, il frapperait vivement, irrésistiblement, l'imagi-
nation nationale.
Cependant , les succès en Afrique firent bientôt place aux
revers; au milieu de ces revers Napoléon Bonaparte,
un peu découragé sans doiAe, ap;irit par les dépêches de
ses frères, Lucien et Joseph, membres du Conseil des
Cinq-Cents , les dangers qui à l'intérieur menaçaient^ la
France, et la faiblesse toujours croissante du Directoire.
11 eut bientôt pris son parti, et, confiant à Kléber le com
782
BRUMAIRE
mandement de son armée , il s'embarqua , bravant à la fois
et les vents qui lui étaient contraires , et les vaisseaux an-
glais qui couvraient la mer. Le t5 vendémiaire il mouillait
triomphant dans le golfe de Fréjus. L'enthousiasme qui
éclata partout sur son passage fut extrême, et dut bien
l'affermir dans l'espoir qu'il caressait déjà : il partit pour
Paris incognito , et descendit sans bruit et sans éclat dans
sa maison de la rue Chantereine ; quelques instants après
son arrivée, il allait au Directoire, et s'entretenait des inté-
rêts publics avec G obier, président du gouvernement.
C'est le 25 de ce mois qu'il fut présenté solennellement au
Directoire en corps ; là , rendant compte de sa présence en
France , il dit que ses victoires d'Aboukiretde Mont-Thabor
lui avaient permis de confier sans inconvénient son armée
à un habile général, et de voler au secours de la patrie ;
qu'il la regardait comme sauvée, et s'en réjouissait. Le Di-
rectoire , sans se méprendre sur le but de ce brusque retour,
dissimula; il ménagea le jeune conquérant, parce qu'il le
craignait, et le président Gohier le complimenta sur ses vic-
toires.
En arrivant en France, Bonaparte avait essuyé un premier
mécompte; il croyait voir le territoire envahi , et il trouvait
le contraire : M asséna venait de remporter sa belle vic-
toire de Zurich; les Anglo-Russes avaient capitulé. Les
Anglais, d'autre part, étaient descendus sur les côtes de
Hollande , mais on les avait repoussés ; nons reprenions en
Italie une vigoureuse offensive; notre influence s'étendait
sur la Suisse, la Hollande, le Piémont; la barrière du Rliin
nous appartenait, et Bernadotte avait fortement réorga-
nisé les armées; les dangers les plus imminents étaient donc
conjurés. Toutefois, Bonaparte ne perdit pas courage; car
enfin cette France que ses conquêtes avaient rendue si
puissante, si grande, il ne la retrouvait pas telle qu'il l'avait
laissée ; les magnifiques résultats du traité de Campo-Formio,
on ne les avait pas reconquis , et l'invasion , repoussée une
fois, pouvait au premier jour reparaître plus menaçante;
enfin la France avait encore besoin de lui. 11 employa cinq
semaines à préparer son coup d'État : pendant ces cinq se-
maines il interrogea les partis , calcula leurs forces , et les
caressa tous avec une rare habileté : aux jacobins il dit
qu'il consoliderait leur chère république, et que lui seul
pouvait le faire; que son gouvernement, plus ferme que
celui du Directoire, les préserverait du retour des Bourbons.
Quant aux royalistes , il les flatta vaguement de l'espoir de
rencontrer en lui un nouveau Monck quand l'heure d'une
restauration sonnerait et que la France se serait assez ré-
conciliée avec les principes monarcliiques et le nom de Bour-
bon. Mais c'est dans le parti qu'on appelait alors le parti
des politiques ou modérés qu'il trouva le plus de sympa-
thie : ce parti-là, c'était la généralité, les cinq sixièmes de
la France ; c'étaient tous les hommes tranquilles , amis de
l'ordre et de la paix , par goût ou par calcul , qui forment la
majorité sous presque tous les gouvernements, hommes
sans passions politiques, toujours prêts à faire bon marché
des principes quand l'horreur de l'anarchie ou de la guerre
combat en eux le goût des théories; cet immense parti
craignait alors le triomphe des jacobins , de ces jacobins
infatigables , derrière lesquels il voyait encore des échafauds
tout prêts. Donc, en cherchant bien autour de lui, il ne trou-
vait que l'épée de Bonaparte , l'épéc d'Arcole et d'Ab*»ukir,
qui brillât d'un éclat assez vif pour rallier toutes les dissi-
dences et promettre au pays assez de force et de puissance
pour faire respecter le pouvoir en le rendant redoutable aux
factions. Il restait cependant un autre parti, que Bonaparte,
dans son énergique langage, avait lletri du nom de faction
des pourris : celui-là ne valait vraiment pas la peine qu'on
lui demandât son assentiment. Ces pourris, que Barras
représentait dans le sein du Directoire, c'étaient des hommes
sans conscience, sans honneur, ne s'occupant des affaires
publiqiues que comme d'un moyen de faire fortune; des
hommes dont l'ignoble cupidité s'acconmodait fort bien du
trouble et du désordre, qui favorisaient leurs malversa-
tions, et d'un gouvernement sans force, sans dignité, dont
l'insouciance, laissant flotter au hasard les rênes de l'État,
fermait complaisamment les yeux sur toutes leurs rapines;
il ne se composait, du reste, que de quelques individus»
épars. ■
Comme on le voit, Bonaparte n'avait à surmonter que"
d'assez faibles obstacles. Il s'entoura avec soin , dès le pre-
mier jour, de toutes les notabilités de l'époque : Talley-
rand, Regnault de Saint- Jean-d'Angely, Camba-
cérès, Fouché, Roger-Ducos. Gohier et Moulin
eux-mêmes, ces deux patriotes si purs et si zélés, mais
hommes d'État médiocres , lui firent assidûment leur cour.
Dubois-Crancé, ministre de la guerre et fougueux jaco-
bin, venait le consulter avec respect sur les affaires de son
département. Il semblait déjà que rien ne se pût faire sans
lui. Les meilleurs généraux de la république accoururent
aussi se grouper autour de leur jeune compagnon d'armes,
qu'ils semblaient déjà regarder comme leur maître futur :
Lannes, Murât, Berthier, Bessières, qui l'avaient
suivi en Egypte et en étaient revenus avec lui , attachant leur
fortune à la sienne; Jourdan, Augereau, Macdonald,
Beurnonville, Leclerc, Lefebvre lui-même , malgré
ses sympathies républicaines et ses tendances jacobines , lui
formaient comme un brillant état-major ; toutes ces gloires
militaires du futur empire français semblaient s'inscrire et
prendre date pour un avenir qui s'approchait ; autour de
Bonaparte , comme autour de leur centre naturel, on voyait
bourdonner toutes ces ambitions ardentes de soldats par-
venus, tous ces appétits insatiables de gloire, d'honneurs et
de fortune, qui dévoraient déjà ces généraux de la républi-
que , pour lesquels la république n'avait pas fait assez. Bo-
naparte comptait donc au nombre de ses partisans les mi-
litaires , la plupart des membres du Conseil des Anciens , et
puis cette majorité toute puissante dont l'assentiment lui
garantissait la consécration de son succès, la majorité du
pays. Que pouvaient contre ces masses quelques ré|)ubli-
cains purs , mais rares et d'une médiocre capacité , qui re-
doutaient dans Bonaparte le restaurateur à venir du principe
monarchique? Que pouvaient contre lui quelques jacobins
fanatiques , qu'il n'avait pu séduire, et quelques pourris
sans courage , qu'il avait méprisés ?
Toutes ces chances de succès, la faiblesse de tous ces
obstacles, n'avaient pourtant pas endormi sa prudence;
résolu , s'il le fallait, à triompher par la force, à tout prix,
il travailla d'abord à arracher la démission de chacun des
cinq Directeurs, pour se brouiller le moins possible avec la
légalité. Alors, tout naturellement, à la demande des Anciens
et de quelques membres du conseil des Cinq-Cents, il aurait
saisi les rênes de l'État, sans avoir besoin de recourir aux
armes. Il obtint ce qu'il voulut.de l'abbé S le y es et de
Roger-Ducos. Sieyès avait vu d'abord avec un dépit mal
dissimulé le peu de déférence que Bonaparte lui marquait
à dessein depuis son retour d'Egypte : ce dernier, qui af-
fectait déjà de temps en temps un profond mépris pour
ce qu'il nommait les théories, parut d'abord traiter l'or-
gueilleux abbé avec une complète indifférence, et même ne
point lui parler quand il le rencontrait dans quelque salon;
il lui répugnait de «aire des avances à ce théoricien dc/ro'
gué. Cependant l'abbé Tallcyrand, cet homme si habile,
qui avait deviné le génie de Bonaparte, et qui pressentait
qu'un prochain avenir allait ouvrir une scène plus vaste à
son ambition , voulut rapprocher Sieyès et le vainqueur de
l'Orient ( c'est le nom qu'on donnait à Bonaparte depuis son
retour d'Egypte) : il dit à ce dernier que le crédule Sieyès
servirait avec joie ses projets , dans l'espoir de mettre enfin
au jour cette faliieuse constitution sortie de son génie , et
qui depuis si longtemps dormait en portefeuille en attendant
un moment favorable ; que, du reste, après le succès, il serait
BRUMAIRE
783
très-facile de se débarrasser d'un collègue importun ; il dit
aussi au ci-devant abbé membre du Directoire que le mo-
ment était venu où sa constitution devait être mise à l'épreuve
et triompher de toutes les moqueries; que Bonaparte, d'ail-
leurs soldat par nature et par goût, bornerait son ambition
à la direction des détails purement militaires du gouverne-
ment , et que lui , Sieyès , embrassant tout le reste, l'efface-
rait complètement : il le leur dit , et les persuada tous deux.
Quant à Roger-Ducos, doublure de son collègue défroqué,
il n'agissait que sous ses inspirations. Bonaparte songea
ensuite à séduire Goliier et Moulin ; mais il ne trouva en eux
que des républicains austères , incorruptibles , à la sagacité
desquels, malgré la médiocrité de leur génie, son ambition
n'avait point échappé , et qui , loin de se prêter à la favoriser,
étaient disposés, au contraire, à la combattre de leur mieux.
Ces deux directeurs, qui d'ailleurs admiraient les talents
militaires du jeune conquérant de l'Italie, l'auraient volontiers
mis à la lôte des armées de la république : ils auraient con-
senti tout au plus à l'admettre au nombre des directeurs ,
mais ils ne voulaient pas d'un changement de constitution,
de la substitution violente d'un gouvernement à un autre,
dussent-ils y trouver eux-mêmes leur part toute faite. Quant
à Barras , qui sentait s'échapper de ses mains son cinquième
de royauté républicaine , il eût bien voulu associer ses inté-
rêts à ceux de Bonaparte; mais ce dernier le méprisait, et
d'ailleurs sa maladresse, qui dans l'intimité d'un tête-à-têfe
laissa percer aux yeux du jeune général une ambition ridi-
cule et déplacée , coupa court à tout arrangement.
Si presque tous les généraux s'étaient groupés autour du
vainqueur de l'Orient, il en restait quelques-uns ne manifes-
tant pas hautement leur répugnance pour la révolution qui
se préparait , mais cachant à grand'peine leur dépit sous
leur maladresse; Bernadotte surtout, qui affectait alors des
sentiments républicains , qu'il se chargea plus tard de dé-
mentir en montant sur un trône, refusa positivement d'abord
de s'atteler au char de Bonaparte. On dit même que le 18 bru-
maire il offrit à Gohier et à Moulin de repousser la force
par la force , et de combattre le coup d'État ; mais il de-
mandait qu'un ordre signé par la majorité du Directoire
légitimât au moins son intervention armée , et lui donnât un
droit en lui imposant un devoir. Gohier et Moulin y consenti-
rent, dit-on ; mais le timide Barras , redoutant un revers et
les ressentiments de Bonaparte, paralysa par son refus le
bon vouloir de Bernadotte. Jouulan et Augereau, plus sin-
cères dans leur républicanisme , mais moins redoutables et
bien moins résolus, ne dissimulaient pas mieux leurs sym-
pathies pour le gouvernement usé que Bonaparte allait faire
tomber pour en ramasser les débris. Mais ce qui surprit
tout le monde, ce fut de voir Moreau, ce républicain qui
conspira plus tard contre le premier consul , se laisser en-
traîner par cette puissance de séduction dont Bonaparte se
servit si souvent pour charmer jusqu'à ses ennemis et
prêter son concours au coup d'État qui se préparait.
Le 15 brumaire, trois jours seulement avant l'explosion,
plusieurs membres des deux Conseils donnèrent à Bonaparte,
dans l'église Saint-Sulpice, un banquet par souscription. Ce
fut au sortir de ce banquet , où il ne fit que paraître peu
d'instants, et où sa froideur et son silence calculé surprirent
tout le monde, qu'il se rendit immédiatement chez Sieyès,
pour arrêter avec lui leurs plans définitifs : ils convinrent
qu'ils suspendraient les Conseils pendant trois mois ; que dans
cet intervalle les trois consuls ( Bonaparte, Sieyès et Roger-
Ducos ) , s'investissant eux-mêmes des pouvoirs extraordi-
naires réclamés par les circonstances , feraient une constitu-
tion nouvelle, après quoi le gouvernement rentrerait dans
l'ordre régulier nouvellement tracé. Voici les moyens d'exé-
cution dont ils convinrent également : le Conseil des Anciens
supposerait un complot de jacobins contre la représentation
nationale, et transférerait à Saint-Cloud, sous ce prétexte, le
Corps législatif; Bonaparte serait chargé par le décret d'eu
faire protéger l'exécution par la force armée. La constitution
armait bien le Conseil des Anciens du droit de transférer,
dans certains cas, le Corps législatif, m.ais elle lui refusait
celui de faire intervenir la force des armes dans cette trans-
lation : ainsi, si la première moitié du décret était légale,
la seconde ne l'était pas. Sieyès et Bonaparte pensèrent qu'à
Saint-Cloud un appareil militaire contiendrait plus aisément
la résistajice des répubhcains du Conseil des Cinq Cents ;
qu'il serait là moins difficile d'en obtenir ou de leur arracher,
s'il le fallait, le décret constitutif du Consulat, une fois que
Sieyès et Roger-Ducos auraient donné leur démission de
directeurs , et entraîné par leur exemple celle de leurs col-
lègues, moins dociles. Cependant Dubois-Crancé, instruit de
cette conspiration si menaçante pour le Directoire , voulut
en informer Gohier et Moulin, qui, malgré les défiances que
leur inspirait l'ambition de Bonaparte , refusèrent de croire
qu'il dût si tôt les prendre corps à corps , et s'endormuent
dans leur impi-udente sécurité.
Cependant Bonaparte prenait ses mesures : il fit dire le 17
aux divers officiers généraux qui d'ordinaire se rassem-
blaient chez lui pour lui faii*e leur cour, qu'il les recevrait
le 18 au matin ; Moreau ne fut pas oublié; il annonça, en
outre, à quelques colonels (entre autres à Sébastiani),
qui tous avaient donné des gages d'un dévouement complet
à sa fortune, que le môme jour 18 il passerait leurs régiments
en revue. Au Conseil des Anciens la proposition fut faite ;
on omit à dessein d'envoyer des lettres de convocation aux
membres dont on se méfiait : elle fut adoptée, et Cornet,
président de la commission des inspecteurs, fut chargé d'ap-
porter à Bonaparte le décret qui lui attribuait le commande-
ment des troupes cantonnées à Paris. Alors ce dernier ha-
rangua rapidement les généraux et les officiers qui se pres-
saient dans son antichambre : pour s'accommoder aux
exigences du temps , il leur parla patrie et liberté , et sortit
accompagné de cette brillante escorte, de quelques régiments
sous les armes, et d'une foule de curieux ou de militaires,
qui inondaient les rues Chantereine et du Mont-Blanc. 11
courut au Conseil des Anciens : là il s'écria : « Citoyens re-
présentants, la république allait périr, votre décret vient de
la sauver. » Son discours produisit sur l'assemblée une vive
impression. Cependant tout Paris, instruit de ces événe-
ments , en attendait l'issue avec anxiété ; les Cinq-Cents ,
étonnés, s'étaient rendus à la salle de leurs séances; là, Lu-
cien , le décret de translation à la main , leur avait enjoint
de se retirer ; les plus fougueux avaient bien protesté contre
ce décret imprévu , mais force leur fut d'obéir à un acte ré-
gulier et légal, émané d'un pouvoir compétent. Bonaparte,
dont le coup d'œil pénétrant avait déjà pris la mesure des
hommes qui l'entouraient , chargea l'intrépide Murât d'occu-
per Saint-Cloud à la tête de sa cavalerie ; quant à Moreau ,
il accepta une mission bien peu digne de lui : il fut chargé de
garder les directeurs à la porte du Luxembourg, avec un
millier de soldats. Aussi, le directeur Moulin, auquel il eut à
signifier les ordres qu'il avait reçus de Bonaparte, le consigna
avec mépris à l'antichambre , en lui disant que c'était là la
place qui lui convenait. Fouché rendit aussi un grand service
en suspendant les douze municipalités de Paris, redoutables
par l'esprit de jacobinisme qui les animait presque toutes.
Sieyès et Roger-Ducos avaient donné leur démission; et le
pusillanime Barras n'avait pas osé refuser la sienne à l'inter-
vention de Talleyrand.
Mais le lendemain la face des affaires changea tout à
coup, et la fortune sembla abandonner un instant Bonaparte :
les membres du Conseil des Cinq-Cents, seul asile où le ré-
publicanisme à celte époque se fût réfugié, ébranlèrent ceux
d'entre les Anciens qui n'avaient pas reçu de lettres de con-
vocation. Augereau et Jourdan attendaient à Saint-Cloud
qu'une décision législative leur permît de se prononcer
contre le coup d'État. Au Conseil des Cinq-Cents, Gaudin
avait plis la parole en faveur de Bonaparte , mais inutile-
784
BRUMAIRE — BRUME
ment; des cris : A bas le dictateur 1 vive la constitution
de l'an III'. étouffèrent sa voix. La Constitution ou la
mort', s'écria l'impétueux Delbrcl; un grand nombre de
voix répondirent à ce cri ; on prêta serment à la constitu-
tion de l'an III , et l'enthousiasme avec lequel on le prêta
rappela presque le fameux serment du jeu de paume :
<;'est alors qu'Augereau, croyant le coup d'État défmitivement
manqué, dit en raillant à Bonaparte, que ses affaires étaient
désespérées : « Elles allaient plus mal à Aréole, répon-
dit Napoléon; et en effet il se rendit immédiatement au
Conseil des Anciens, y ranima le dévouement refroidi des
membres favorables, paralysa par ses protestations de répu-
blicanisme la résistance des membres républicains, et, quel-
«pies instants après il parut au Conseil des Cinq-Cents , à la
tête de quelques grenadiers ; des cris menaçants retentirent
à sa vue. Le tumulte fut tel, qu'il le déconcerta lui-même ;
il prononça, ou plutôt il balbutia un discours emphatique et
froid qui n'émut personne. C'est alors qu'Aréna, député
corse, le secoua, dit-on, par le collet de son habit, en le
menaçant de l'assassiner ; mais un grenadier, qui ne le quit-
tait pas, l'arracha du milieu de celte foule orageuse, irritée.
Les républicains des Cinq-Cents demandaient ardemment sa
mise hors la loi; mais Lucien, qui présidait le conseil,
refusa obstinément de la mettre aux voix. En vain voulut-
on l'y contraindre : « Misérables, s'écria-t-il, moi! mettre
hors la loi mon propre frère ! » Alors , Bonaparte qui écou-
tait dans le jardin de Saint-Cloud, et auquel pas un mot, pas
une menace, pas un cri poussé dans cette lutte, n'échappait,
harangua ses troupes lui-mê.rne; Murât aussi harangua sa
cavalerie : « Ils sont Là cinq cents avocats, dit-il à ses sol-
dats , qui voudraient nous priver de notre général ! Soldats,
pourriez-vous le soulïrir? — Non ! non ! s'écrièrcnt-ils tous; »
et c'est alors que les habitants du village assistèrent à un
douloureux spectacle : l'assemblée envahie par les baïon-
nettes , qui arrivaient à temps au secours de Lucien menacé.
Les députés furent réduits à s'élancer par les fenêtres dans
les jardins de Saint-Cloud, pour échapper à la pointe des
baïonnettes dirigées contre leurs poitrines, et à fuir çà et
là, pêle-mêle, encore revêtus de leurs toges.
On voit parle récit qui précède que Bonaparte, dans ce
premier succès , fut merveilleusement servi par la fortune;
si les cinq trônes populaires n'eussent pas été envahis par
la médiocrité ou la faiblesse , si le Directoire eût compté un
seul homme d'énergie et de talent, le 18 brumaiie n'eût
pas eu lieu peut-être. Si Barras se lût rallié à ses collègues
Gohier et Moulin; si, bravant Bonaparte, ils eussent in-
vesti Bernadotte des pouvoirs extraordinaires qu'il récla-
mait, peut-on savoir qui aurait triomphé dans cette lutte?
Enfin si Lucien, intimidé, eût laissé voter la mise hors la
loi de son frère, ou si l'on eût jeté à sa place, sur le fauteuil
du président, un membre plus républicain, qui eût pu ré-
pondre que ces soldats, ces généraux eux-mêmes , groupés
derrière Bonaparte, ne l'eussent pas abandonné ? Cet immense
ascendant qu'il prit sur eux plus tard ne faisait que com-
mencer, et n'avait pas encore subi de grandes épreiives : ne
comptait-on pas , d'ailleurs , à cette époque des généraux
qui, eux aussi, avaient été l'idole de leurs soldats , et que
leurs soldats avaient pourtant laissé proscrire , et mourir
sur les éciiafaudsde la Convention ? Disons cependant, pour
être justes et vrais , que la révolution du 18 brumah'e satisfit
à une grande nécessité ; que la France éprouvait alors le be-
soin d'un gouvernement jeune, fort au dehors comme au
dedans, à la place de ce gouvernement décrépit du Directoire,
qui végéta si misérablement jusqu'au jour de sa chute. La
France craignait les jacobins; elle les repoussait, elle les
distinguait à peine des républicains purs ; le Directoire , au
contraire, ménageait les jacobins ou sympathisait avec eux :
il fallait donc quelqu'un qui délivrât la France de ses iin-
poiluncs terreurs. Masséiia, parla victoire de Zurich,
venait de sauver d'une invasion imuiiuentc notre territoiie
en péril ; mais des dangers semblables ne pouvaient-ils pas
nous menacer encore? Il fallait dès lors confier au plus ha-
bile général le soin de défendre la France. Ce coup d'État
fut donc essentiellement populaire : si la constitution le con-
damnait, la raison nationale donnait à Bonaparte un Mil
d'impunité. Du reste , à cette occasion pas une goutte de
sang ne fut versée ; mais cinquante-cinq députés furent ex-
clus, et un décret de déportation fut lancé contre cinquante-
neuf des principaux meneurs du parti républicain. Trois ans
après Bonaparte mettait la couronne impériale sur sa tOte.
A. Guy D'Acdr.
BÏIUMALES, fêtes instituées par Romulus et abolies
par le sixième concile, qui avaient été ainsi appelées de Bro-
mius, surnom de Bacchus, suivant les uns, en l'honneur
duquel on les célébrait; selon d'autres, de bruma, hiver.
Elles avaient lieu en effet dans cette saison, du 24 novembre
au 23 décembre. Quelques a^uteurs prétendent cependant
qu'elles se célébraient à deux époques différentes de l'année,
le 18 lévrier et le 15 août.
BltUME. Les marins nommentainsi le brouillard. Il
faut un certain abaissement dans la température de l'air en-
vironnant pour que les molécules aqueuses puissent ainsi se
rapprocher ; aussi voit-on rarement des brumes dans les ré-
gions tropicales, tandis qu'elles sont presque continuelles
dans les mers polaires. Les brumes sont aussi plus fré-
quentes à la mer que les brouillards ne le sont sur terre ;
car, l'evaporation de l'eau s'opérant sans cesse , l'atmosphère
qui repose sur la surface de la mer se remplit de vapeurs
qui deviennent visibles aussitôt qu'un changement dans la
température en rapproche suffisamment les parties.
Il est facile de comprendre à quels dangers les brumes
exposent les marins , surtout lorsqu'ils sont près des côtes
ou qu'ils naviguent en escadre. D'abord, comme les calculs
de latitude et de longitude ne peuvent se faire qu'à l'aide de
l'observation des astres , les brumes , en privant de la vue du
soleil et des étoiles, ne permettent pas de déterminer la po-
sition du navire par des moyens astronomiques ; en second
lieu, les brumes sont souvent si épaisses, qu'il est impossible
de distinguer les objets à soixante pas devant soi ; dans ce cas
on doit prendre beaucoup de précautions en approchant des
côtes ; il faut se maintenir sous petites voiles et sonder fré-
quemment : les diverses profondeurs de l'eau servant alors à
fixer la route du navire. Si l'on navigue en escadre, on se fait
des signaux convenus, soit en battant le tambour, soit en
tirant des coups de canon, ou au moyen de quelques dé-
charges de mousqueterie ; autrement ou courrait risque
de s'aborder les uns les autres. La navigation sur le banc de
Terre-Neuve offre de grands dangers à cause des brumes
épaisses qui enveloppent presque perpétuelleoient ces pa-
rages ; mais elle présente plus de périls encore dans les mers
du Nord, où, au milieu des ténèbres occasionnées par la
bmme, on est à chaque instant exposé à se briser contre des
îles de glace. Ces énormes glaçons, détachés de la croûte
qui recouvre les parties polaùes du globe, ne peuvent être
aperçus que de près par une espèce de lumière phosphores-
cente qui les entoure et en dessine vaguement les formes.
Les brumes sont fréquentes dans la mer Noire pendant l'hi-
ver, et elles y sont d'autant plus redoutables, qu'elles SMit
ordinairement accompagnées de coups de vent violents , et
que les courants qui régnent dans cette mer ne permettent sou-
vent de fixer sa position sur la carte que par les relèvements
des côtes.
En temps de guerre, les brumes présentent encore d'au-
tres dangers aux marins. Avant d'engager le combat avec
une (lotte ennemie , on doit connaître sa force et son ordre
de bataille, et quand le temps est brumeux on est exposé à
faire de grandes erreurs de compte. C'est probablement à
la brume épaisse qui couvrait alors la mer qu'il faut attri-
buer la <léfaite de Tour viMe par les Anglais, au combat
de L a H 0 s u e. Tourville ne put compter le nombre des vais-
BRUME — BRUN
78.5
seaux ennemis ; il vira sur leur flotte, alors réunie tout en-
tière et rangée en bataille, croyant que ce n'en était qu'une
partie et qu'il en aurait bon marché; mais quand il longea
la ligne ennemie, le ciel s'éclaircit tout à coup, et il put
compter un nombre de vaisseaux supérieur à celui de sa
flotte. Alors il n'était plus temps de faire retraite pour éviter
l'engagement; la fuite eût été plus dangereuse encore que
le combat.... 11 aborda l'ennemi; mais la fortune ne se-
conda pas sa valeur, et en quelques heures la belle marine
de Louis XIV sembla anéantie.
Le brouillard ou la brume , qu'il soit suspendu dans l'at-
mosphère en vésicules liquides, ou qu'il soit condensé en
légers flocons de glace, produit, comme l'on sait, des effets
de réfraction très-remarquables : tout le monde a observé les
grands cercles de lumière frêle et douteuse qui environnent
souvent le disque du soleil , et surtout celui de la lune. La
lueur du halo est un effet de réfraction à travers une at-
mosphère brumeuse , et quelquefois, par l'effet de la brume,
le soleil paraît blanc, bleu ou rosé. C'est ainsi que nous
l'avons vu, dans la Floride occidentale, présenter pendant
huit jours un disque bleu, mais pâle, dont on distinguait
les taches à l'œil nu.
On avait d'abord attribué à une brume épaisse le phé-
nomène connu sous le nom de ténèbres du Canada : il con-
siste, comme on sait, en une profonde obscurité, qui survient
tout à coup au milieu du jour; mais il est probable que
dans les circonstances où on l'a observé l'atmosphère était
remplie de cendres lancées par l'éruption d'un volcan in-
connu, ou peut-Ctrc de tourbillons de fumée dus à l'incendie
de quelque grande forêt. Le fond du ciel, dans les intervalles
des nuages, paraissait noir comme de l'encre, et le soleil rouge
comme du sang. Théogène Page, contre-amiral.
BRUMOY (Piekre), savant jésuite , naquit à Rouen,
en 1688, et mourut à Paris, le 16 avril 1742. Il entra en-
core bien jeune (en 1704) dans la société de Jésus, et fit
l'éducation du prince de Talmont. Il fut un des rédacteurs du
Journal de Trévoux. Il prit part aux travaux <le plusieurs
de ses confrères : ainsi , il termina V Histoire des Révolu-
tions d'' Espagne, que le P. d'Orléans avait laissée inachevée ;
et chargé de continuer l'Histoire de l'Église gallicane des
PP. Longueval et Fontenay , il en rédigea le onzième et le
douzième volume. Mais le plus connu de ses ouvrages est le
Théâtre des Grecs, dont la première édition parut en 1730,
en 3 volumes in-4°. Le P. Brumoy ne manquait ni d'ins-
truction ni d'esprit : on en trouve la preuve dans ce livre ;
mais il n'avait pas plus que son siècle la véritable intelli-
gence de l'antiquité ; et c'est là surtout ce dont on regrette
l'absence dans son Théâtre des Grecs. Comme tous ses
contemporains , il est soumis à ce préjugé qui transportait
dans les temps anciens les idées , les mœurs et les usages
de la cour de Louis XIV et de Louis XV. Ce point de vue
a trop souvent faussé son jugement, et il en résulte aussi
des infidélités graves dans sa manière de traduire.
L'auteur a mis en tête de l'ouvrage trois discours , l'un
sur le théâtre grec, le second sur l'origine de la tragédie, et
le troisième sur le parallèle du théâtre ancien et du
théâtre moderne. Les progrès qu'ont faits depuis un siècle
les études philologiques et la connaissance de l'antiquité
nous ont mis à même de reconnaître un assez grand nombre
d'erreurs dans ce travail du P. Brumoy ; et c'est surtout
dans ses appréciations des anciens comparés aux modernes
qu'on peut surprendre cette espèce d'illusion d'optique dont
nous parlions plus haut , et qui lui fait habiller Œdipe, Jo-
ca^te, Electre, à la mode de Versailles. Cet ouvrage, qui dans
son temps a pu mériter un certain succès, a donc vieilli pour
nous. D'ailleurs , le P. Brumoy avait suivi , pour nous faire
connaître la tragédie et la comédie grecques, un système
qui ne nous sullit plus : il n'avait traduit en entier que sept
tragédies, se bornant à donner des autres pièces de simples
extraits ou des analyses, qui en défigurent complètement
DICT. DE LA CONVERS. — T. UI.
la physionomie. On avait cherché à remédier à cet incon-
vénient dans les éditions postérieures de 1785-1789, en y
joignant les traductions d'Eschyle par Laporte-Dulheil , de
Sophocle par Rochefort, d'Euripide jjar Prévost, d'Aris-
tophane par Dupnis, etc. Aussi le nombre des volumes, qui
dans cette édition s'élevait déjà à treize, a-t-il été porté à
seize dans une réimpression qui fut donnée en 1820-1825 ,
sous le nom de M. Raoul Rochette. Aktaud.
BRUN. On désigne généralement par ce mot une couleur
tirant sur le noir, mais moins prononcée. Quand on applique
cette désignation aux personnes , elle s'entend alors non-
seulement de la teinte des cheveux , mais encore de celle
delà peau, qui est d'ordinaire moins blanche chez les bru7is
et chez les brimes que chez les personnes blondes. On dit
de celle dont la couleur des cheveux tient le milieu entre la
blond et le noir foncé , qu'elle est d'un brun clair ou châ-
tain. Cette couleur chez les chevaux s'appelle bai brun. Les
personnes brunes passent pour avoir plus d'activité biotique
que les personnes blondes ( voyez Biologie).
Apphqué aux choses, le mot brtin est employé comme
synonyme de sombre, obscur; o» dit que le temps est brun,
pour dire qu'il est obscur, et cette qualification a même fait
créer exprès le substantif brune, par lequel on indique le
temps de la journée qui précède et annonce la nuit.
Le brun rouge est une espèce d'oxyde de fer naturel-
lement jaune, auquel une calcination lente a donné une
couleur rouge obscure très-belle.
Brunâtre et brunette sont des diminutifs de brun : le
premier s'applique aux choses dont la couleur approche du
brun; le second se dit poétiquement et tendrement des
femmes dont les cheveux sont noirs.
BRUN (Jouann-Nokdhall), célèbre poète et orateur
sacré non'égien, naquit le 21 mars 1746, dans une petite
ferme aux environs de Drontlieim, en Norvège, et y reçut sous
l'œil vigilant de ses parents l'éducation agreste et religieuse «lu
paysan norvégien, ne travaillant pas seulement aux champu,
comme tous ses compagnons d'enfance, mais acquérant
en outre une habileté extraordinaire dans l'exercice du i)atin,
qui est si familier aux montagnards de la Norvège. On comp-
tait faire de lui un soldat , et, suivant l'usage de l'époque ,
on avait obtenu, dès qu'il avait eu atteint l'âge de douze ans,
sou inscription sur les contrôles d'un régiment d'infanterie
en qualité de sous-lieutenant. Mais plus tard, un ami de la
famille , ayant remarqué combien sous ses habitudes brus-
ques et rustiques se cachait de finesse d'esprit et de dispo-
sitions pour les belles-lettres , obtint de ses parents qu'on
lui fit suivre des études classiques et qu'on le destinât à
l'Église.
Le jeune Brun fit en conséquence ses premières études à
l'école de la cathédrale de Drontheim, et y obtint de grands
succès. En 1763 il vint suivre les cours de l'université de
Copenhague, où il fut reçu docteur en théologie en 1767.
En 1772 nommé ministre de sa paroisse natale, il revint
s'y fixer, et fut nommé en 1793 grand prévôt, puis
en 1804 évêquc de Bergen. Comme orateur évangélique,
comme prêtre sage, éclairé, tolérant. Brun a laissé une ré-
putation justement méritée; il s'est en même temps fait
un nom durable comme poète et comme écrivain. Son pre-
mier poème, La Fête de la Nature, lui valut d'illustres et
puissantes amitiés. Il publia plus tard les tragédies de Za-
rine, et d'Einar Tambeskjœlvcr, compositions non moins
originales que hardies, dans lesquelh^s l'éclat du style le
dispute à la protondeur de la pensée. En 1791 il fit paraître
l'opéra Les Accès d'Hendridet de Sigrid, puis successive-
ment son Recueil de Poèmes (le plus estimé de ses ou-
vrages), La République sur Vile, comédie, et Jonathan,
poème. Toutes les i)roductions de Brun sont restées clas-
siques en Norvège. Mais on y a surtout conservé le souvenir
de ses deux chants nationaux For Aorgc , kocmpers fx-
dreland ( Pour la Norvège, la patrie des braves), et Bucr
786 BRUN -
jeg paa det hœle Fjeld ( Quand je suis sur la haute mon-
tagne), composés l'un et l'autre à un moment où le feu sacré
dans toute son énergie animait le poëtc; devenus tout aus-
sitôt populaires , ils retentiront longtemps encore sur nos
montagnes. Aauiolm (d'Arendal).
KUUN (FRÉDÉnicKE-SopniE-CimisTiANE), née le 3 juin
1705, dans le duché de Gotha, suivit, quelques semaines
après sa naissance, son père, Balthazar Miinter , poëte
lyri(iue de quelque mérite, appelé à remplir les fonctions
de prédicateur ailemaml à Copenhague. Une éducation forte
développa rapidement les heureuses dispositions qu'elle
tenait de la nature, et de bonne heure elle manifesta un
talent réel pour la poésie. Mariée, à l'âge de dix-huit ans , à
M. Brun , liomme riche, et, de plus, haut fonctionnaire du
gouvernement danois , elle accompagna son mari, d'abord à
rétcrsbourg , puis à Hambourg , et, après y avoir passé
quelques mois vivant dans la société intime de Klopstock,
s'en revint à Copenhague. Lors du rigouteux hiver de 1788
à 1789, elle perdit subitement l'ouïe, dans une nuit, par
l'effet du froid excessif, et ne put jamais depuis recouvrer
cette faculté. Jeune et spirituelle , elle se consola pourtant
bientôt de cette triste infirmité en cultivant les sciences et
la poésie. En 1791 elle entreprit, avec son mari, au midi de
l'Europe, un voyage qui lui fournit l'occasion de faire à
Lyon la connaissance de Matthison , et à Genève celle de
Bonstetten, voyage dont elle a décrit les impressions
dans les deux premiers volumes de ses œuvres en prose
(Zurich, 4 vol., 1799-1801); les deux autres sont consacrés
au récit d'un second voyage qu'elle fit en Italie avec la
princesse de Dessau et avec Matthison.
Après avoir passé l'hiver à Rome , où elle se lia avec
Zoega, l^ernow et AngeHca Kaufmann, elle visita, dans
l'été de 1796, Ischia , dont les eaux sulfureuses rétablirent
sa santé délabrée. En 1801 elle quitta encore le Danemark
pour visiter la Suisse , et elle resta alors tout un hiver à
Coppet , chez Necker , dans la société de sa fille, M'"* de
Staél. Elle passa l'été suivant à Rome. Elle a raconté ce
voyage de Suisse dans les deux premiers volumes de ses
Épisodes ( 1807-1818), et son second séjour à Rome, dans
La Vie à /Jome (Leipzig, 1833). Le troisième et le quatrième
volume de ses Épisodes contiennent le récit d'un troisième
voyage qu'elle fit encore de 1806 à 1809, par suite de la
mauvaise santé de sa fille Ida , tant en Suisse , où elle vé-
cut alors constamment dans l'intimité de Sismondi et de
Bonstetten , qu'à Rome , où elle fut témoin de l'enlèvement
de Pie VII par ordre de Napoléon.
Tous les ouvrages de M'"* Brun , n'omettons pas de le
dire, furent composés en allemand. Revenue vers 1810 en
Danemark, elle résida depuis cette époque constamment à
Copenhague, recevant l'élite de la société dans sa maison,
qui rappelait les bureaux d'esprit de notre Paris du dix-
huitième siècle, et faisant avec autant de grâce et d'esprit
que M""* Dudeffand ou M'"^ Geoffrin les honneurs d'un
salon où l'on ne parlait jamais d'autre langue que le fran •
çais , et où la haute société danoise et quelques élus du
corps diplomatique venaient s'approvisionner à l'envi de
saillies et de bons mots, de jugements ingénieux, de pensées
spirituelles et de piquantes anecdotes, racontées avec un
charme qui en doublait le prix. Elle mourut le 25 mars 1835,
\m an avant M. Brun, lequel avait, au reste, accepté avec
une abnégation de bon goût, et vraiment méritoire, ce rôle
de comparse auquel est condamné par tous pays le mari
d'un bas-bleu.
Quelques phrases équivoques de Matthison ont donné à
penser qu'elle s'était convertie au cathohcismc ; mais rien
n'autorise à croire que cette supposition soit fondée. A trois
époques différentes de sa vie, en 1795, en 1806 et en 1820 ,
M""^^ Brun publia des recueils de vers dont le succès fut
grand en Allemagne, et qui obtinrent même les honneurs de
I)luàieurs éditions. Aussi vil-on plus d'une fois Bœttiger et
BRUNCK
Matthison tenir à honneur d'être les parrains et de soigner
l'impression des ouvrages de l'amie de M"* de Staël , de
Klopstock et Bonstetten.
Le frère de M""^ Brun , Miinter, était évêque de la See-
lande. On raconte les aventures les plus divertissantes des
singulières distractions de ce prélat protestant, homme d'ail-
leurs d'une grande érudition , et qui a laissé dans son dio-
cèse une mémoire justement vénérée.
BRUNCK (RiciiARD-FRAiNçois-PniuppE), l'un des plus
ingénieux critiques des temps modernes, né à Strasbourg,
le 30 décembre 1729, fut élevé à Paris chez les jésuites de la
rue Saint-Jacques, où il fit de fortes études. Les affaires, dans
lesquelles il se trouva lancé dès sa sortie du collège , sem-
blaient avoir mis entre lui et les lettres anciennes une bar-
rière éternelle. Le hasard en disposa autrement. Lors des
campagnes de Hanovre, étant commissaire des guerres et
en quartier d'hiver à Giessen , un professeur chez lequel il
logeait, homme érudit, réveilla en lui ses premières amours
pour les muses grecques. Il reprit ses études à leur source
même ; on vit le commissaire des guerres, de retour à Stras-
bourg , étudiant de trente ans , venir s'asseoir sur les bancs
de l'université, mêlé avec des hellénistes imberbes. Per-
suadé que toutes les fautes qu'on trouve dans les poètes et
les auteurs grecs proviennent dniquement de la négligence
des critiques , il bouleversait les textes , effaçait et restituait
à son caprice, avec bonheur sans doute, mais trop légè-
rement. On ne saurait toutefois disconvenir que peu de sa-
vants ont contribué aussi efficacement que lui au réveil de la
philologie.
Brunck ne faisait point de commentaires : il coUationnait
simplement les manuscrits les uns avec les autres ; laissant
de côté les matières d'érudition, ses notes étaient purement
philologiques. Receveur des finances, et riche, il pouvait
immédiatement, et sans l'entremise d'un fibraire , faire im-
primer ses textes, circonstance qui explique le grand
nombre de ses travaux. Il avait la patience de refaire lui-
même les copies des auteurs dont Û remettait les œuvres
sous presse. Son premier ouvrage est ï Anthologie grec-
que, qu'il publia sous le titre d'Aiialecta Veterum Poeta-
rum Grxcorum (3 vol., Strasbourg, 1772-1776); Ana-
créon , Callimaque , Théocrite , Bion , Moschus et autres
petits poêles en font partie , œuvres d'ailleurs d'une trop
longue haleine pour être une portion intégrante de V An-
thologie, dont le titre seul indique le genre et l'étendue des
pièces qu'elle comporte. Ce premier ouvrage, où notre philo-
logue a fauché sans ménagement à travers les textes, doit
être lu avec précaution. Brunck, dans la suite, en détacha
Anacréon , qu'il donna à part , coUationné et recorrigé sur
le manuscrit du Vatican (Strasbourg, 1778 et 1786). VÉ-
lectre et Y Œdipe-Roi de Sophocle, VAndromaque et l'O-
reste d'Euripide, le Prométhée, les Perses, les Sept CheJ's
devant Thèbes d'Eschyle, la Médée, VHécube, les Phé-
niciennes, l'Hippolyte et les Bacchantes d'Euripide paru-
rent successivement dans l'espace de deux années. Sa cri-
tique, sage et presque toujours saine, de ces drames célèbres
du théâtre des Grecs, fit ardemment désirer une édition com-
plète du Sophocle. Elle ne parut qu'en 1786, six ans après »
les pièces détachées. Cest, disent les érudits, le chef- ■
d'œuvre de Brunck. Elle valut à son auteur une pension ■
du roi de 2,000 livres. Brunck avait déjà donné un Apol-
lonius de Rhodes (Strasbourg, 1780), son poëte de pré-
dilection. On cite de lui, comme un trait de modestie et de
bienveillance , d'avoir remis à M. Caussin un commence-
ment de traduction qu'il en avait faite , sachant que ce pro-
fesseur en préparait une de son côté. Après Apollonius
avait pani Aristophane, avec une traduction latine, que
suivit une édition de Virgile.
La révolution vint à éclater; bien que Brunck en eût em-
brassé les principes, il ne laissa pas que de perdre sa pen-
sion ; mais, dans la suite, on la lui restitua. Il fut un des
premiers membres de la Société populaire de Strasbourg ;
et s'il y montra une modération qui le mit à couvert de tout
reproche, il lui dut son incarcération durant la Terreur.
La mort seule de Robespierre le rendit à la liberté. Ruiné
deux fois , il vendit deux fois ses livres, qu'il pleurait, dit-
on, comme il eût fait de ses propres enfants. Dès lors il prit
en haine cette science dont les fruits sont ordinairement si
amers : il ne voulut plus entendre parler d'auteurs grecs.
Toutefois, il se laissa aller aux charmes de la poésie latine ;
en 1797 il donna une magnifique édition de Térence ;
Plante , qui devait succéder, allait être mis sous presse ,
quand la mort le surprit, le 12 juin 1803.
Avec moins d'emportement que le savant J. Scaliger,
Brunck avait plus de causticité ; sa lettre française sur le
Longus de Vilïoison, espèce de polémique littéraire , en est
une preuve; elle existe manuscrite à la Bibliothèque Na-
tionale de Paris. Brunck fut membre associé de l'Académie
des Inscriptions, et depuis de l'Institut. Denne-Baron.
BRUNDUSIUM, aujourd'hui Brindisi. Voyez Brindes.
BRUIXE (Guilladme-Makie-Anne), maréchal de l'em-
pire, naquit à Brives-la-Gaillarde ( Corrèze), le 13 mars 1763,
d'un père avocat, qui le destinait à la môme profession. Il
suivit en conséquence à Paris les cours de l'École de Droit
et ceux du Collège de France. Mais la littérature était plus
de son goût que la procédure. Ayant eu occasion de passer
ses vacances chez quelques amis du Poitou et de l'An-
goumois, c'avait été pour lui une existence toute de plaisir
et de bonheur, dont il esquissa le tableau dans un ou-
vrage intitulé : Voyage pittoresque et sentimental dans
quelques provinces occidentales de la France. Cet essai ,
en prose et en vers, offrait des détails gracieux et spirituels;
il fut publié en 1788 , sans nom d'auteur. La révolution
vint distraire Brune de ses études ; il se fit inscrire des pre-
miers dans la garde nationale parisienne , improvisée après
les journées de juillet 1789 : c'était l'un des plus beaux gre-
nadiers de la nouvelle armée citoyenne. Il se dévoua avec
toute l'énergie de son âme et toute la candeur de son âge à
la cause de la révolution , écrivit dans quelques journaux,
et se lia avec les principaux orateurs des sociétés patrio-
tiques. En 1790 il établit une imprimerie. Des pertes im-
prévues , d'injustes persécutions , le forcèrent, au bout d'un
an, d'abandonner son entreprise. Cependant la guerre étran-
gère était imminente ; Brune s'envola dans le 2* bataillon de
volontaires de Seine-et-Oise, et fut élu, le 18 octobre 1791,
adjudant-major.
L'année suivante, à l'ouverture de la première campagne,
il fut nommé adjoint aux adjudants généraux. Il était à Ro-
denach, près de Thionville , lorsqu'il fut appelé à Paris; il y
arriva le 5 septembre , et le 7 le conseil exécutif privisoire
le nommait commissaire général, chargé de diriger les mou-
vements militaires et l'organisation des nouveaux bataillons,
la remonte , la confection et l'envoi des armes et des rau-
iiitions, le service , enfin , des transports de la guerre dans
tous les départements, et spécialement entre Paris, Châlons
et Reims. L'ennemi avait franchi les frontières ; la trahison
lui avait ouvert les portes de plusieurs places fortes , et ses
colonnes n'étaient qu'à 120 kilomètres de la capitale. Une
administration aussi vaste, aussi compliquée, n'était pas
au-dessus des moyens de Brune et de son infatigable acti-
vité : c'eût été pour tout autre moins désintéressé une source
de fortune ; mais, préférant la gloire et les dangers du champ
de bataille aux séduisantes éventualités d'une grande spécu-
lation, il demanda comme une faveur et obtint enfin, le 25
septembre 1792, l'autorisation d'aller reprendre sa place
dans l'état-major de l'armée, alors aux prises avec les vieilles
bandes prussiennes, dans les plaines de la Champagne.
11 partit donc pour le camp de Meaux, et prit une part
honorable aux brillants faits d'armes de cette première cam-
pagne ; à partir de ce jour son nom se rattache à l'histoire de
la longue et glorieuse lutte de la France contre l'Europe
BRUNCK — BRUNE 7 si
coalisée. Il gagna tous ses grades au champ d'honneur. On
le trouva toujours prêt pour les missions les plus difficiles
et les plus périlleuses; partout il se "montra, avec une égale
supériorité, homme d'État et homme de guerre. H avait heu-
reusement arrêté les progrès des fédéralistes du Calvados et
prévenu l'explosion d'une guerre civile imminente. Le gou-
vernement voulut le rapprocher du ministère; mais Brune
aima mieux partager les fatigues et les périls de ses frères
d'armes. Après la bataille de Hondschootte , et tandis qu'il
faisait ses dispositions po\ir faire lever le siège de Dunker-
que, le comité de salut public l'appela à Paris, et lui confia
une mission à la fois politique et militaire dans la Gironde.
Après avoir ramené le calme par le seul appareil de la force,
il protégea l'entrée des représentants Isabeau et Tallien à
Bordeaux , et prit le commandement de la division. Son dé-
part excita de justes regrets ; et les Bordelais lui conser-
vèrent longtemps un souvenir d'estime et de reconnais-
sance. Il avait été rappelé à Paris pour une nouvelle organi-
sation de l'mfanterie française. Les anciens régiments de
ligne et les bataillons de volontaires formèrent des demi-
brigades , composées d'un bataillon de ligne et de deux
bataillons de volontaires. Tous avaient reçu le baptême du
feu. Il prit, après la révolution de thermidor, le comman-
dement de la dix-septième division militaire , et fut mis à
la tête d'une de celles qui avaient été réunies sous les ordres
de Barras et de Bonaparte dans la journée du 13 vendé-
miaire. Envoyé dans le midi, il dispersa les bandes de pil-
lards et d'assassins qui infestaient ces belles contrées. Paris
le revit, en 1796, au camp de Grenelle, combattre la même
faction avec le même courage et le même bonheur, II n'é-
tait que général de brigade quand il vint prendre sa place
dans l'armée d'Italie , commandée par Bonaparte.
Brune assista à toutes les affaires où combattit la division
de Masséna, dont il faisait partie, et qui s'immortaUsa par sa
conduite. Seul, à la tête des grenadiers de la soixante-
quinzième , il repoussa les colonnes autrichiennes qui atta-
quaient le village de Saint-Michel. Ses habits furent percés
de sept balles ; aucune ne l'avait grièvement atteint. Il fut
aussi un des héros de Rivoli. Le général en chef l'appela
ensuite au commandement de son avant-garde , et le promut
au grade de général de division sur le champ de bataille.
Après la paix de Campo-Formio , il rentrait en France avec
sa division , destinée à l'armée dite d'Angleterre, lorsqu'il
reçut en chemin une dépêche du Directoire qui le nommait
ambassadeur extraordinaire de la république à Naples. Il s'a
gissaitde faire expliquer le roi sur les motifs de ses nouveaux
armements. Un vaste plan avait été combiné par les princes
d'Italie pour opérer une contre-révolution, et l'assassinat
du général Duphot avait été le prélude de cette violation
du droit des gens ; Brune, au lieu d'accepter cette mission,
aima mieux continuer sa route vers Paris , où il obtint son
changement de destination, et peu après le commandement
en chef de l'armée dirigée sur la Suisse par le pays de Vaud.
Cette expédition fut rapide et glorieuse ; la Suisse se vit sau-
vée de ses propres excès et des calamités de la guerre civile:
Le vainqueur n'abusa point de ses avantages : un plan d'ad-
ministration sagement combiné garantit les personnes et les
propriétés publiques et particulières. Talleyrand écrivit à
celte occasion au général Brune : « Tout ce qui sait ap-
précier les hommes trouve que vous avez atteint la per-
fection de conduite en Suisse , et pense que les plus belles
destinées vous sont réservées. »
Brune fut appelé en 1799 au commandement de l'armée qui
entrait en Hollande ; les talents qu'il déploya dans cette cam-
pagne le placèrent au rang des meilleurs généraux de l'époque.
Ilbattitles Anglais à Bergen, et forçaleduc d'York à signer
une capitulation humiliante. Chargé en 1800 du commande-
ment des troupes qui occupaient la Vendée, il eut une
grande part à la pacification de ce pays. Placé h la tête de
l'armée d'Italie, il montra son habileté ordinaire dans ce
99.
788
BRUNE
poste important. En 1803 il fut nommé ambassadeur à Cons-
tantinople; et, après avoir exercé cette mission pendant deux
ans, il revint à Paris en 1805. Lors de l'organisation de l'em-
pire, Napoléon l'avait fait, en son absence, maréchal de France
et grand aigle de la Légion-d'Honneur. Il lui donna un com-
mandement dans l'année des Côtes-du-Nord, à Boulogne, et
le nomma ensuite gouverneur des villes anséatiques et chef
de l'armée qu'il destinait à s'emparer de la Poméranie. Cette
campagne se termina par la prise de Stralsund ; mais, après
avoir signé avec la Suède le traité qui mettait la France en
possession de Rugen et des îles adjacentes, Brune fut rap-
I)elé pour avoir, disaient les uns, fait mention dans cet
acte de V armée française , et non de Vannée de sa ma-
jesté impériale et royale, pour avoir, selon d'autres, prêté
les mains aux concussions de Bourrienne à Hambourg.
Quoi qull en soit, il cessa d'être employé jusqu'à la chute
de Napoléon. Il envoya, en avril 1814, au sénat son adhésion
aux changements politiques provoqués par l'entrée des alliés
dans Paris; mais, mal accueilli par les Bourbons, il reprit
l'épée durant les Cent jours, et fut mis à la tête de l'armée du
Var.
Après le désastre de "Waterloo , il avait résolu de s'em-
barquer à Toulon et de se retirer en Bretagne , pour éviter
la rencontre des bandes de Verdets qui infestaient le midi,
où elles avaient déjà égorçé beaucoup de soldats et d'officiers
de l'ancienne armée. Les nouvelles autorités établies par les
Bourbons s'y opposèrent, et il fut obligé de prendre la voie
de terre. Il échappa comme par miracle à un guet-apens qui
l'attendait à Aix ; mais d'autres assassins épiaient son pas-
sage à Avignon, et cette fois , moins heureux , il succomba.
La France entière jeta un cri d'horreur et d'indignation en
apprenant la fin déplorable de l'illustre victime. Le gouver-
nement royal fut forcé plus tard de faire droit à sa malheu-
reuse veuve ; toutefois un seul des assassins fut traduit aux
assises de Riom , et cela quand déjà cinq années s'étaient
écoulées depuis le fatal événement. Nous emprunterons à
l'acte d'accusation le récit des faits.
« Dans la matinée du 2 août 1815, le maréchal Brune tra-
versait la ville d'Avignon pour se rendre de Marseille à
Paris. Pendant que l'on changeait les chevaux de sa voi-
ture et de celle de ses aides de camp, un officier de la garde
nationale alla présenter les passeports au visa du comman-
dant de la place, ce qui retarda de quelques moments le
départ. Cependant, un groupe , qui s'était formé autour des
oitures dès le premier moment où l'on avait su qu'elles
ontcnaient le maréchal Brune et sa suite , s'étant considé-
rablement augmenté , des cris de menace et de fureur se
firent entendre, et des gens du peuple dételèrent eux-mêmes
les chevaux. Instruit que M. de Saint-Chamans, nouveau
préfet de Vaucluse, arrivé à Avignon depuis quelques heures,
était logé, comme lui, à l'hôtel du Palais-Royal , devant le-
quel se passait cette scène de désordre , le maréchal réclama
sa protection. Cet administrateur parvint à faire ouvrir une
issue au maréchal, qui sortit par la porte de l'Oule, pour
suivre 1^ route de Paris , resserrée entre le Rhône et les
remparts de la ville. Mais à l'instant où les voitures quittaient
l'hôtel les furieux qui avaient accablé le maréchal d'outrages
et de menaces coururent après lui en prenant des rues dé-
tournées ; ils se trouvèrent en nombre considérable et munis
d'armes de toutes espèces sur son passage, et lui fermèrent la
route. Les voitures furent assaillies à coups de pierres ; on
cria qu'il fallait le tuer. Le préfet et quelques magistrats ,
avertis de son nouveau danger, accoururent. L'impossibilité
absolue de lui faire continuer sa route ne fut que trop faci-
lement reconnue : il n'y eut d'autre parti à prendre que
de le ramener en villç, la foule menaçante entourant et
suivant la voiture.
« De retour à l'hôtel, le maréchal descend à la porte, et
se précipite dans l'intérieur; la voiture des deux aides de
camp entre dans la remise. Aussitôt on ferme , on barri-
cade toutes les portes de l'hôtel , malgré les efforts des as-
saillants , dont un avait même interposé son bras entre les
battants pour empêcher qu'on ne la fermât , et ne le retira
qu'après la menace sérieuse de le lui casser s'il ne le reti-
rait rapidement. Les autorités de la ville, dès que l'on put
disposer des troupes, s'assemblèrent devant l'hôtel du
Palais-Royal. Leur voix fut méconnue; leur force devint
impuissante, leurs efforts inutiles : elles ne purent empê-
cher le pillage des voitures, de divers effets et d'une partie
de l'argent qu'elles contenaient. On résista même avec vio-
lence à la force publique et aux officiers ou agents de l'au-
torité administrative et judiciaire, qui cherchaient à rétablir
l'ordre et à prévenir des crimes. L'acharnement de la foule
contre le maréchal était au comble; on criait qu'il fallait
lui faire éprouver le sort de la princesse deLamballe, dont
on lui imputait d'avoir porté la tête au bout d'une pique;
des furieux conseillaient même, si l'on ne pouvait pénétrer
jusqu'au maréchal, de mettre le feu à l'hôtel. Des gens ar-
més se portèrent sur les toits des maisons, des fusils furent
braqués sur les fenêtres et les cheminées, se disposant à
faire feu sur Brune s'il cherchait par là un moyen d'é-
vasion, quand un homme se montra à la croisée de l'appar-
tement du maréchal, indiquant par ses signes qu'il n'échap-
perait pas et que sa dernière heure était venue. Déjà on
étaitparvenu, parles toits des maisons voisines, sur celui
de l'hôtel; de là on s'était introduit dans le grenier, d'où
des gens armés étaient descendus dans la chambre du ma-
réchal. Un premier coup de feu lui fut tiré : il n'en fut pas at-
teint ; mais l'instant d'après il fut renversé mort d'un se-
cond coup, et tomba la face contre terre. Aussitôt un homme,
signalé pour être un portefaix d'Avignon (le fameux Tres-
taillon ), parut à la croisée de l'appartement occupé par le
maréchal, et annonça sa mort à la populace, qui y répondit
par des cris de joie. Les officiers de justice firent constater
l'état du cadavre par des gens de l'art : il fut physiquement
reconnu que le maréchal avait été atteint d'un coup d'arme
à feu, qui, ayant pénétré par le derrière du cou , était
sorti par le devant, et dans une direction indiquant que le
coup avait été tiré de haut en bas, mais cependant assez
horizontalement encore pour qu'après avoir traversé le
cou, la balle eût pu frapper le trumeau de la cheminée à
une hauteur à peu près égale à celle d'un homme debout.
Sur le milieu de l'appartement, et particulièrement à la
place sur laquelle gisait le cadavre, on remarquait un trou
à la poutre du plafond, qui ne pouvait être que l'empreinte
de la balle du premier coup, que le maréchal avait évité
en relevant avec son bras le pistolet au moment où l'on
faisait feu sur lui.
« Dans la crainte que le séjour prolongé du corps dans
l'hôtel ne fût la cause de quelques excès nouveaux, soit sur
la personne des deux aides de camp , renfermés dans une
chambre , soit même sur l'hôtel , que la bande menaçait de
piller ou de brûler, on ordonna que la sépulture du maré-
chal eût lieu incontinent. En vain un détachement armé ,
sous la conduite d'un officier, chercha à protéger les porteurs
du cadavre : à peine le cortège eut-il passé la porte de l'Oule,
que le corps fut enlevé aux porteurs, précipité dans le
Rhône , et au moment où il surnagea on le cribla d'une
cinquantaine de coups de fusil. Enfm sur ime des poutres
formant le parapet du pont on grava ces mots, qui sont
restés lisibles pendant longtemps :
c'est ici le CIMETliiRE DU MARÉCHAL BRUNE,
2 AOUT M DCCC XV. »
L'acte d'accusation signale ensuite Guindon, dit Roquefort,
comme un des assassins. « Un individu, y est-il dit, que la
mort a depuis mis hors de la justice des hommes ( Trestail- S
Ion), ayant tiré le premier coup de pistolet, qui n'atteignit J
pas le maréchal, Guindon, dit Roquefort, lui reprochant sa
maladiessc, le repoussant à l'écart et se mettant à sa place.
i
BRUNE —
prononça ces affreuses paroles : Je vas te faire voir com-
ment il fallait faire... Déjà il avait tiré son coup de cara-
bine, et le maréchal Brune n'était plus. A peine a-t-il été
question d'informer sur cette affaire, que cet homme a pris
la fuite. » L'assassinat fut commis le 2 août 1815, l'acte d'ac-
cusation est daté du 2 juin 1820!
La Veuve du maréchal Brune avait présenté une requête
au roi, le 19 mars 1819, contre les assassins de son époux;
elle demandait l'évocation de l'affaire devant une autre cour
d'assises que celle du département de Vaucluse ; elle dési-
gnait celle de Paris comme la seule où les juges et les jurés
pussent prononcer avec une entière indépendance, et s'inscri-
vait en faux contre un procès-verbal qui attribuait la mort
du maréchal à un suicide. Cette requête était signée par
elle et par M' Dupin atné, son conseil.
L'allégation de suicide ne pouvait soutenir un examen sé-
rieux ; il résulte en effet du premier procès-verbal rédigé
sur les lieux, et immédiatement , que la mort a été causée
par un coup de feu porté par derrière le cou et tiré de haut
en bas. La raison publique et les magistrats repoussèrent
cette assertion comme mensongère et invraisemblable.
Le fait allégué contre le maréchal pour exciter la fureur
des assassins était également atroce et faux : il avait été
tout à fait étranger à la mort de la princesse de Lambalie :
il ne se trouvait pas alors à Paris, mais à l'armée, et n'é-
tait arrivé dans la capitale que le 5 septembre , deux jours
après les massacres, et sur un ordre du conseil exécutif
provisoire.
Dans sa requête au ministre de la justice, en date du
19 mai 1819, la maréchale signale comme auteurs immédiats
du crime, Fargès, taffetatier, et Guindon, dit Roquefort,
portefaix. Le jeune homme qui le premier avait insulté le
maréchal et excité la fermentation publique « était fils d'un
personnage exerçant à Paris , au sein d'un des premiers corps
de l'Etat, des fonctions dont l'influence s'étendait sur tout le
département de Vaucluse; un autre jeune homme, M. Ver-
ger, fils du procureur du roi , commandait le poste qui ar-
rêta les voitures du maréchal, lui demanda des passeports,
éleva des difficultés mal fondées sur leur validité, et retarda
sa marche jusqu'à ce que le rassemblement se flit accru au
point de la rendre impossible. » {Requête ati roi). Après un
silence déplus de cinq années, l'affaire fut envoyée devant
la cour d'assises de Riom. Un seul accusé , Guindon, por-
tefaix, fut signalé; il était contumax. Les débats, ouverts
le 24 février 1821, se terminèrent le lendemain, et un ar-
rêt par défaut condamna Guindon à la peine de mort.
M°" Brune, morte en 1829, a été réunie à son époux
dans un même tombeau. Elle avait été fort belle à l'époque
de son mariage, et était demeurée aussi spirituelle que chari-
table. En 1 84 1 un monument a été élevé au maréchal Brune
à Brives-la-Gaillarde , par une souscription de ses compa-
triotes. DuFEY (del'YonDe).
BRUXE AU ( Mathcrin), soi-disant Charles de France
et de Navarre, fils d'un pauvre sabotier , aima mieux être
fils de roi, et se donna Louis XVI pour père. C'est en cette
qualité qu'il fixa l'attention publique pendant les deux pre-
miers mois de 1818. Il résulte de la procédure Intentée
contre lui à la police correctionnelle de Rouen qu'il naquit
en 1784, à Vezins (Maine-et-Loire) , où son père faisait des
sabots. Se sentant de l'aversion pour ce métier, qu'on lui
avait appris de bonne heure, et n'ayant de goût que pour
une vie oisive et vagabonde, il abandonna sa famille en 1795,
pour/fli?"e son tour de France. Partout il alla d'abord se
donnant pour le^?^* du baron de Vezins, ancieH seigneur de
son village. Admis, cependant, malgré ce titre, comme do-
mestique chez la comtesse de Turpin-Crissé , sa paresse et
son inconduite le firent renvoyer au bout de quelques mois.
On ne sait que vaguement ce qu'il devint ensuite ; il est pro-
bable qu'il vécut dans le vagabondage et la mendicité ; car
en 1803 on le retrouve écroué à la maison de répression de
BRUNEAU 789
Saint-Denis, près de Paris, comme imbécille et sans asile. Re-
mis en liberté , le prétendu baron s'engagea dans le qua-
trième régiment d'artillerie de marine comme aspirant canon-
nier, et s'embarqua à Lorient sur la frégate la Cybèle. Le
bâtiment étant arrivé en Amérique , Bruneau déserta, et par-
courut une partie des États-Unis. Il séjourna plusieurs an-
nées à New-York et à Philadelphie , où il exerça la profession
de garçon boulanger. Il a prétendu avoir, pendant sa rési-
dence dans ce pays , épousé une riche héritière , morte en
lui laissant de nombreux enfants; mais il n'a pu justifier de
ces faits.
En septembre 1816 il repartit pour la France, et dé-
barqua à Saint-Malo , muni d'un passeport américain sur le-
quel il était désigné sous le nom de Charles de Navarre ,
citoyen des États-Unis. S'étant dirigé vers son départe-
ment, il y revit plusieurs individus qui l'avaient connu au-
trefois, et auprès desquels il s'obstina à se faire passer pour
Louis XVII, dauphin de France, fable dont il avait vrai-
semblablement conçu l'idée depuis longtemps. Ses efforts
pour la faire accueillir échouèrent à cette époque auprès des
personnes qui se rappelaient ses traits , et il ne rencontra
partout qu'incréduUté et que raillerie. Plus heureux dans une
autre circonstance , il profita de l'erreur d'une femme dont
le fils, parti pour l'armée, avait cessé depuis longtemps de
donner de ses nouvelles, et se servit habilement de quelques
particularités qui lui étaient connues pour jouer le rôle de ce
fils , échappé aux dangers de la guerre. A ce titre il tira de
la veuve Phelippeaux environ 800 francs. Les autorités lo-
cales ayant découvert l'imposture , il fut incarcéré. Alors ,
reprenant son auguste caractère, il écrivit, du fond de sa
prison, au gouverneur de l'tle anglaise de Guernesey une
lettre signée Dauphin- Bourbon , par laquelle il l'invitait à
faire savoir au roi d'Angleterre que le fils de Louis XVI était
dans les fers. Cette lettre ayant été interceptée, il fut dirigé
vers la maison de détention de Rouen. Là , il fit la connais-
sance d'un nommé Branzon , condamné à la réclusion pour
détournement de deniers publics , et il en fit son secrétaire.
Les débats n'ont pu établir avec certitude si Branzon fut la
dupe du roman fabriqué par Mathurin Bruneau , ou s'il crut,
en se rendant l'instrument de cette intrigue , pouvoir la faire
servir à sa fortune. Ce qu'il y a de positif , c'est qu'il ne tarda
pas à devenir le confident intime du faux dauphin, au nom
duquel il écrivit à la duchesse d'Angoulême, puis à diverses
autres personnes , dont il obtint des secours pour le royal
prisonnier. La curiosité et l'amour du raerveÙleux amenè-
rent bientôt près du fils du sabotier nombre de personnes ,
dont quelques-unes , détrompées par ses manières basses et
grossières, lui retirèrent l'intérêt que leur avait inspiré d'a-
bord sa position, et dont les autres, douées d'une foi robuste,
ou entrevoyant dans cette affaire quelque avantage personnel,
se prêtèrent avec empressement à servir ses desseins. Dans
cette dernière catégorie figurèrent un prêtre et des femmes
dont l'esprit enthousiaste avait saisi avidement l'espoir de
replacer sur le trône un enfant longtemps persécuté, puis
délaissé , et d'associer peut-être leur nom à son rétablis-
sement. Ce fut probablement dans le même but que se
forma à Paris , vers la même époque , une association chargée
de recueillir des dons volontaires pour le prétendu dauphin;
mais la police, après avoir suivi quelque temps en silence
la marche de cette intrigue, en fit arrêter les chefs, qui fu-
rent traduits devant les tribunaux. Il résulta delà procédure
qu'ils n'avaient eu d'autre dessein que de profiter des cir-
constances et de l'extrême crédulité de quelques royalistes
pour lever sur eux le tribut que paye trop souvent la bon-
homie à l'astuce.
Cependant , du fond de sa prison, Mathurin Bruneau con-
tinuait à entretenir d'activés correspondances; on s'étonnait,
non sans raison , de l'indifférence apparente avec laquelle
le gouvernement recevait des réclamations auxquelles le de-
voir le plus sacré exigeait qu'il fût fait droit si elle? étaient
790
BRUNEAU — BRUNEHAUT
fondées , et dont il fallait démasquer l'imposture si elles ne
l'étaient pas. Enfin, en février 1818, le sabotier usurpateur,
avec son secrétaire et ses principaux agents , fut traduit de-
vant la police correctionnelle de Rouen. Une foule immense
assista à ce procès, dans lequel le principal personnage, si
l'on doit s'en rapporter au compte-rendu des journaux,
sembla se charger de dissiper lui-même les préventions favo-
rables qui pouvaient exister à son égard. L'incohérence de
ses propos , la bassesse de son langage et de ses manières ,
son ignorance absolue des bienséances les plus communes ,
excitèrent le rire et soulevèrent le mépris de l'auditoire.
Quelques-unes de ses réponses auraient même paru déceler
un esprit aliéné, si Ton n'avait eu lieu de soupçonner que
cette imbécillité était feinte , d'après la remarque faite par
plusieurs personnes , et en particulier par son secrétaire
Branzon , qu'avant de paraître devant le tribunal il raison-
nait et s'exprimait tout différemment. Enfin , dans son au-
dience du 19 février, le tribunal correctionnel rendit un ju-
gement qui condamna Mathurin Bruneau, comme convaincu
d'usurpation de nom , d'escroquerie et de vagabondage , à
cinq années de détention, à l'expiration desquelles il subirait
une réclusion de deux autres années pour sa conduite turbu-
lente et ses outrages envers les juges. L'arrêt portait, en
outre, qu'après avoir subi la totalité de cette peine , il serait
remis entre les mains de l'autorité militaire pour être pris ,
à son égard, comme déserteur, telle disposition qu'elle ju-
gerait convenable.
Le faux dauphin entendit la lecture de cette sentence avec
une tranquillité , une indifférence , que n'avaient pas donné
lieu d'attendre de lui les violences auxquelles il s'était laissé
emporter durant les débats , et de laquelle on a môme induit
qu'il s'attendait à des conclusions plus rigoureuses. Ainsi se
termina cette affaire, qui, après avoir longtemps fixé les re-
gards de l'Europe , finit par aller grossir l'histoire des im-
postures par lesquelles à toutes les époques des ambitieux
plus ou moins adroits se jouent de la crédulité des peuples.
Bruneau et ses coaccusés ne se pourvurent point en cas-
sation. Pour couper court à la correspondance qu'il ne cessait
d'entretenir depuis sa condamnation, on l'écroua , le 14 mai
1821, dans la prison de Caen, d'où il fut transféré, le 20 du
même mois, au Mont-Saint-Michel. On prétendit à cette
époque que l'individu qui avait comparu devant la police
correctionnelle de Rouen n'était par le même qu"e celui qui
précédemment s'était donné pour le fils de Louis XVI, et
qu'entre les prisons et l'audience il y avait eu substitution de
personne; mais qu'importe, après tout, ce bruit? qu'importe
cette substitution vraie ou fausse? Que Mathurin Bruneau
ait été ou n'ait pas été un dauphin, qu'est-ce que la France
pouvait avoir à perdre ou à gagner à cela?
Depuis 1821 on n'avait plus entendu parler de Mathurin
Bruneau, lorsque la Gazette des Tribunaux publia une
lettre écrite de la Guyane française, le 5 août 1844, dans
laquelle on remarque les passages suivants : « Il existe à
Cayenne un homme que le monde appelle Mathurin Bruneau
et qui signe Symphorien Bruneau. Il parait âgé d'environ
soixante-cinq ans , est d'une taille élevée , a une figure toute
bourbonnienne. 11 est arrivé à la Guyane fort peu de temps
après le procès de Mathurin Bruneau , et a reçu pendant
longtemps la ration et des secours du gouvernement. Son
éducation parait aussi peu développée et son langage aussi
grossier que celui du fameux Mathurin Bruneau. Comme
lui, il parle avec une prétention ridicule, et se sert souvent
de la première personne du pluriel ; comme lui , il sait faire
du pain ; comme lui surtout il a un talent remarquable pour
confectionner des sabots. Tout le monde ici le croit l'ancien
dauphin, et, quand on lui en parle, sans l'avouer précisé-
ment, il ne prend pas la peine de le nier. Il résulte du procès
du soi-disant fils de Louis XVI qu'il avait navigué quelque
temps et séjourné plusieurs années aux États-Unis. Celui-ci
a également habité ce pays, et passe pour assez bon marin.
Il s'est procuré un mauvais bateau-ponté avec lequel, à l'aide
de quelques nègres , il a fait des voyages de cabotage sur
les côtes de la Guyane et au Brésil. De jeunes esclaves nè-
gres et mulâtres disparaissant de Cayenne, on soupçonna
Mathurin Bruneau de les entraîner dans ce marronnage pro-
longé, sans les inscrire sur son rôle d'équipage. Arrêté et
interrogé par le consul français de Para , accusé de détour-
nement de mineurs, le pauvre Bruneau, dans sa prison,
passait le jour et la nuit à écrire. La chambre des mises en
accusation, reconnaissant le consentement des mineurs et le
manque absolu de violence et de fraude, l'a renvoyé de-
vant la police correctionnelle, comme prévenu de transport
d'esclaves à l'étranger, délit prévu et puni par les lois spé-
ciales de la colonie. »
Mathurin Bruneau est le sujet d'une des meilleures chan-
sons de Béranger. Qui n'a répété ce refrain bien connu :
Croyez-moi, prince de Navarre,
Prince , faites-nous des sabots.
E. G. DE MONGLAVE.
BRU]VEH AUT (dans la langue germanique Brunhild,
fille brillante), était fille d'Athanagild, roi des Visigoths d'Es-
pagne. Sigebert, roi d'Austrasie , dédaignant de recevoir
dans son lit des femmes de basse naissance, comme faisaient
ses frères, demanda sa main, et l'obtint. « C'était, dit Gré-
goire de Tours, une jolie fille, belle de visage, séduisante
en ses manières, honnête et décente dans ses mœurs, douée
de prudence dans les conseils et d'un langage llatteur. « La
même année Chilpéric, roi de Soissons, voulut faire
comme son frère un noble mariage, et épousa Galswinthe,
sœur aînée de Brunehaut. Mais bientôt il l'abandonna pour
sa concubine Frédégonde; l'infortunée Galswinthe fut
étouffée entre deux matelas. Ce meurtre fit éclater entre les
deux reines une haine furieuse, qui devait non pas causer,
mais animer la guerre entre les Francs d'Austrasie et
ceux de Neustrie. C'est en vainque le saint évoque de
Paris , Germain , essaya de s'interposer entre les partis :
Bmneliaut ne cessait de pousser son époux à la vengeance;
Sigehert poursuivit Chilpéric, et se préparait à l'assiéger dans
Tournay , quand deux assassins, envoyés par Frédégonde, vin-
rent le frapper dans son camp avec des couteaux empoi-
sonnés. Aussitôt la fortune changea de face : l'armée austra-
siennese dissipa, et fit sa soumission au roi de Neustrie;
Brunehaut tomba au pouvoir de son ennemi. Cependant Chil-
péric, dont la cupidité se trouvait assouvie par les riches tré-
sors enlevés à sa captrs'e, la traita avec plus de douceur qu'elle
ne s'y attendait ; mais la veuve de Sigebert, qui ne se sentait
pas en sûreté en présence de l'implacable Frédégonde, sé-
duisit le fils de Chilpéric, Mérovée. Ce prince vint la re-
joindre à Rouen, qui lui avaitété donné pour résidence, et fit
bénir son union avec la femme de son oncle par son parrain,
l'évêque Prétextât.
Quelque temps après, Brunehaut parvint à se sauver et à
f^agnerl'Austrasie, où régnait, sous l'autorité des grands, son
fils Childebert, âgé de six ans. A peine de retour dans ses
États, elle eut à lutter contre les seigneurs austrasiens ; ces
leudes, plus nombreux et plus compactes que les nobles francs,
vivaient disséminés dans la Neustrie et dans la Gaule méri-
dionale ; en même temps plusvoisinsdes forêts de la Germanie,
leur ancienne patrie , ils en avaient mieux gardé les mœurs
rudes et farouches, et se croyaient plus de droits à l'indépen-
dance. Aussi virent-ils avec dépit la veuve de Sigebert ja-
louse de régner au nom de son fils comme elle avait régné
au nom de son époux. Ses efforts pour restaurer l'adminis-
tration impériale, les Gallo-Romains, dont elle aimait à s'en-
tourer au milieu d'un peuple encore sauvage, les leudes
même qu'elle avait attachés à sa personne (chose inouïe
jusque alors et qui n'avait lieu que pour un rci), furent au-
tant de causes qui soulevèrent les mécontents. Elle eut pour-
tant d'abord si peu d'autorité, qu'elle ne put donner asile à
BRUNEHAUT — BRUiNELLE
791
son second mari, l'imprudent Mérovée. Ce jeune prince, trahi
par son favori Contran Boson, dut chercher dans la mort un
refuge contre la vengeance de sa marâtre. Déjà l'évêque de
Rouen, Prétextât, avait payé de sa vie sa complaisance pour
le fils de Chilpéric.
Cependant Brunehaut parvint à raffermir son autorité
chancelante ; par le traité d ' A n d e 1 o t ( 587 ), elle obtint de
Contran, roi de Bourgogne, son beau-frère, les villes de
Cahors, Bordeaux, Limoges et celles aujourd'hui détruites
de Béarn et de Bigorre. Elles avaient formé le douaire de
Galswinthe, et Contran avait lui-même autrefois condamné
Chilpéric à les remettre à la reine d'Austrasie en réparation
du meurtre de sa sœur, lorsqu'il avait été pris pour arbitre
par les deux frères. La prospérité et l'éclat de son gouver-
nement fut un nouveau tourment pour Frédégonde , qui ne
pouvait, comme sa rivale, régner sous le nom de son fils;
selon sa coutume, elle lui envoya deux assassins, deux prê-
tres, que l'on punit d'un atfreux supplice. Après la mort de
Childebert, peut-être empoisonné par les grands d'Aus-
trasie , Brunehaut se flatta de conserver son autorité sous
son petit-fils Théodeberten l'énervant par les plaisirs.
Elle lui donna pour maîtresse une jeune esclave ; mais il se
trouva que cette esclave était une femme de tête et de cœur,
qui acquit une grande influence sur le roi d'Austrasie, et
s'en servit pour chasser Brunehaut. La vieille reine se réfugia
en Bourgogne, qui appartenait à Thierry, son autre petit-
fils. Dans cette nouvelle cour Brunehaut souilla ses cheveux
blancs de débauches que l'on n'avait pas eu à reprocher à sa
jeunesse ; elle fit maire du palais le Romain Protadius , son
amant; elle procura des concubines à Thierry pour garder
son influence sur lui. En même temps elle s'attira la haine
du clergé en faisant lapider saint Didier, évêque de Vienne,
et en chassant saint C olomb an , qui s'était établi dans les
Vosges , pour convertir un pays encore païen. Ils étaient
coupables à ses yeux de pousser Thierry au mariage en re-
poussant les bâtards de l'hérédité du trône. Cependant son
gouvernement tyrannique ne fut pas sans gloire militau-e;
après avoir mis aux prises ses deux petits-fils , elle fit ton-
surer et tuer plus tard le roi d'Austrasie, vaincu. Ici s'arrête
la dernière période de prospérité de Brunehaut : la mort
subite de Thierry vint ranimer les espérances de la noblesse
franque. Plutôt que de voir la vieille reine ressaisir encore
une fois le pouvoir pendant la minorité des fils de Tliierry,
Vamachaire, maire de Bourgogne, et Pépin, chef d'une illustre
maison austrasienne , se laissèrent battre par Clotaire IL
Brunehaut, âgée de quatre-vingts ans, tomba aux mains du
fils de Frédégonde. Celui-ci lui reprocha la mort de dix rois ou
princes ; sans doute il lui comptait les crimes de sa mère.
Après trois jours de torture, elle fut promenée sur un chameau
à travers le camp, et livrée aux insultes des soldats ; puis on
l'attacha par les cheveux , par un pied et par un bras, à la
queue d'un cheval sauvage, qu'on remit en liberté. Les lam-
beaux de son corps furent bnUés et ses cendres jetées au
vent.
Ainsi périt Brunehaut, fille, sœnr, mère et aïeule de rois,
« et , dit Sismondi , l'une des plus puissantes reines dont la
terre ait vu se prolonger la domination. Quoiqu'elle eût sou-
vent éprouvé une fortune contraire, elle avait toujours su se
relever par la force de son caractère , par un courage in-
domptable, de rares talents, et un art pour gouverner les
hommes que ne posséda au même degré aucun des princes
de la première race.... On l'accusa de beaucoup de crimes
qu'elle n'avait pas commis , et ce qui reste d'avéré parmi
ses forfaits ne passe pas la mesure commune des rois de la
race de Clo\is. Ceux qui la condamnèrent et qui la firent
périr n'étaient pas moins féroces qu'elle, et n'avaient pas ses
talents.... L'architecture semble avoir été son principal
luxe; elle y consacra les trésors qu'elle amassait parles con-
cussions qui ont souillé sa mémoire et qui causèrent sa ruine ;
elle donna à toutes ses constructions un caractère de gran-
deur unposante, qui frappait l'imagination du peuple. Ses mo-
numents, sa puissance et ses malheurs avaient fait une impres-
sion si profonde sur l'esprit des hommes, qu'on lui attribua
ensuite un grand nombre d'ouvrages qui n'étaient point d'elle.
Tout ce qu'on rencontrait de grand, de fort, de durable, pre-
nait le nom de Brunehaut. Il y a en Belgique, et peut être
encore dans d'autres contrées, des chaussées de Brune'
haut dont les larges pavés et la construction inébranlable
semblent plutôt signaler des ouvrages romains. » La mytho-
logie Scandinave et les chroniques des Nibelungen, par
une coïncidence toute fortuite , contiennent l'histoire et les
épisodes de la rivalité d'une Brunehild avec Crimehild et
Gudruna. On a eu tort d'y voir un souvenir défiguré de la
longue querelle des reines d'Austrasie et de Neustrie ; le
seul rapport que l'héroïne de l'Edda puisse avoir avec la
fille d'Athanagild , c'est qu'elle personnifie comme elle les
passions de la haine et de la domination chez la femme.
W.-A. DUCKETT.
BRUNEL ( ]Marc-Isambert ) , ingénieur célèbre , naquit
en 1769, à Hacqueville, dans le départementde l'Eure. Après
avoir lait ses classes au collège de Cisors, il entra au sé-
minaire ; mais , ne se sentant qu'une médiocre vocation pour
l'état ecclésiastique , et ne pouvant obtenir de son père la
permission de suivre la carrière d'ingénieur, il prit, en 1786,
du service dans la marine royale. La révolution, qui éclata
bientôt, le força à s'expatrier. En 1793 il passa en Amérique,
et arriva à New-York, où , se livrant tout aussitôt à son
goût inné pour la mécaniqueet les sciences qui s'y rapportent,
il ne tarda pas à être chargé de la direction d'une fonderie
de canons, et de celle des fortifications du port. En 1799 U
abandonna cependant cette position pour se rendre à Londres,
où il se fixa. Une ùnmense machine à fabriquer des poulies,
qu'il monta en 1806 pour le service de la marine, machine
qui depuis n'a cessé de fonctionner et de livrer ses produits
à la marine avec une économie de 24,000 livres sterling par
an, lui valut du gouvernement anglais une récompense
de 2,000 llvr. sterl. ( 50,000 francs); quelque temps après
il construisit à Chatam, pour l'amirauté, une scieriedont tout
le mécanisme excita l'admiration des juges compétents. Il
inventa encore successivement une machine à dévider le
coton, une scie circulaire pour découper en plaques les bois
précieux, et une mécanique à faire des souliers pour l'armée.
Il s'était déjà fait la réputation la plus honorable en même
temps que la position la plus lucrative, lorsqu'il lui fut
donné de mettre le comble à sa célébrité par la construction
du tunnel sous la Tamise, dont il avait conçu le plan
dès 1819, époque où il eut une entrevue avec l'empereur
Alexandre, auquel il proposa de construire un passage sous
la Newa dans un endroit où l'accumulation des glaces et la
force de la débâcle rendaient impossible l'établissement d'un
pont. Ce projet n'ayant pas eu de suites, Brunel ne put com-
mencer qu'en 182 5 l'exécution de son gigantesque monument,
qui, terminé en 1842, après une lutte incessante contre des
obstacles qui eussent fait reculer tout autre, a été solennel-
lement inauguré le 25 mars 1843.
Brunel était vice-président de la Société royale de Londres ,
honneur bien rarement conféré à un étranger; et en 1841
le gouvernement angMs avait récompensé ses beaux travaux
en le créant baronnet. Il a succombé à une longue maladie ,
le 11 décembre 1849.
Son fils, qui en 1842 faillit périr pour avoir impru-
demment avalé, en jouant, une pièce d'or, et qui n'échappa
alors à une mort imminente qu'en se soumettant aux plus
dangereuses opérations, s'est aussi rendu très-célèbre comme
ingénieur civil. Il a pris une part importante à la cons-
truction du chemin de fer de Londres à Bristol, et a secondé
son père dans les travaux du tunnel.
BRUIXELLE, nom vulgaire du %e.m& prunella, de la
famille des labiées et de la didynamie gymnospermie. Les
brunelles croissent dans toutes les régions du globe. On en
792
BRUNELLE — BRUNELLESCHI
connaît une quinzaine d'espèces, dont la plupart sont assez
communes en France : nous citerons principalement la
brunelle commune et la brunelle à grandes fleurs.
La brunelle commune ( prunella vulgaris, Linné ) se
rencontre partout sous nos pas ; ses feuilles sont ovales ,
pétiolées, entières ou un peu dentées , quelquefois à trois
lobes ou fortement laciniées; les fleurs sont purpurines,
bleuâtres, ou blanches, assez petites ; la lèvre supérieure du
calice tronquée, à trois dents, à peine sensibles.
La brunelle à grandes fleurs ( prunella grandiflor a ),
qui entre dans l'ornement des jardins, montre en juillet ses
fleurs en épi , fort grandes , renflées, bleues, pourpres, ro-
sées ou blanches. Elle demande une terre légère et une
exposition découverte, et se multiplie de graines ou d'éclats
Les vaches, les moutons et les chèvres broutent toutes
les espèces du genre brunelle.
BRUNELLESCUI (Filippo), né en 1377 et mort en
1444, descendait d'une ancienne famille de Florence, qui
comptait quelques hommes célèbres dans les sciences ou
dans l'exercice des professions libérales. Son père était no-
taire , son grand-père avait été médecin, et le jeune Filippo,
que l'on destinait à l'une de ces deux carrières, reçut d'a-
bord une instruction conforme à l'une et à l'autre de ces direc-
tions; mais uneaptitudenaturelleàtoutesles choses d'adresse,
ainsi qu'une rare et précoce intelligence pour tous les tra-
vaux de la main, l'appelaient à une vocation que son père ne
voulut point contrarier. Le jeune Brunelleschi fut placé par
lui chez un orfèvre. L'art de l'orfèvrerie était alors à Flo-
rence tout autre chose que ce qu'il est le plus souvent chez
nous et de nos jours. Cet art se liait intimement, et par une
multitude de procédés et par le nombre, la grandeur et le
genre de ses productions, à tous les arts du dessin; il était
surtout (ainsi que le fait voir l'histoire de cette époque) l'ap-
prentissage et l'école de la sculpture. Brunelleschi, tout en se
livrant aux opérations qui constituent la partie commerciale
du travail des métaux, en vint bientôt à ne les considérer
que comme des moyens applicables aux œuvres du génie ,
et sa liaison avec le jeune Donatello, qui était destiné à
être le premier sculpteur de son siècle , lui inspira le désir
de se montrer son émule. Il le devint en effet, à un point tel
qu'il se vit compris au nombre des sept compétiteurs qui
eurentà disputer l'exécution des portes de bronze du baptis-
tère de Florence, concours dans lequel Brunelleschi et son
ami Donatello durent céder la palme à Lorenzo Ghiberti,
dont ils s'empressèrent de reconnaître la supériorité, et
dont Brunelleschi refusa même de partager la gloire.
Mais dès ce moment il conçut le projet d'en poursuivre et
d'en obtenir une qu'aucun autre ne pût lui disputer :
les études qu'il avait faites en géométrie, en optique et en
mécanique, lui donnaient les moyens de choisir parmi les arts
libéraux celui qui pouvait lui offrir le plus de chances : il se
décida pour l'architecture, et partit avec Donatello pour al-
ler à Rome étudier les modèles de l'art antique, alors mé-
connus dans sa propre patrie.
Bientôt Brunelleschi conçut le projet de réunir par une
immense coupole les quatre nefs de Sainte-Marie-des-Fleurs
à Florence, sa patrie. Il voulait élever au-dessus de cet édi-
fice une voûte, non pas en bois de charpente, mais en pierre et
en matériaux solides, et lui donner une dimension proportion-
née à sa largeur et à la grande hauteur du reste de l'église.
Mais un tel projet demandait à être médité en silence, et à
n'être exposé au grand jour qu'avec les plus grandes pré-
cautions , sous peine de le voir regarder comme un de ces
tours de force dont il n'était permis qu'à l'imagination de faire
les frais. Cette œuvre immense, Brunelleschi sut l'exécuter ,
et il fut servi dans son projet par une de ces circonstances
qui semblent naître quelquefois si à propos pour le génie
quand il ne les fait pas naître lui-même. En 1407 , l'année
même du retour de Brunelleschi dans sa patrie, fut convo-
quée à Florence une assemblée d'architectes et d'ingénieurs
pour délibérer sur la meilleure manière de terminer l'église
de Sainte-Marie-des-Fleurs, objet qui depuis longtemps était
celui de ses méditations. Un premier avis, ouvert par lui ,
et qui concernait quelques dispositions à prendre avant la
résolution de la question principale, ne trouva point de
contradicteurs , et fut adopté à l'unanimité ; mais , politique
adroit autant qu'artiste savant, Brunelleschi retarda autant
qu'il put la solution que son génie avait trouvée, et, dans le
double but de se dérober à la curiosité pour l'exciter davan-
tage, et de recueiUir toutes les lumières dont il avait besoin de
s'entourer, il s'absenta jusqu'à trois reprises différentes de
Florence, pour retournera Rome, dans l'intervalle de dif-
férentes conférences qui eurent lieu au sujet de l'entreprise
projetée.
Près de treize années se passèrent ainsi en essais et en
tentatives infructueuses d'une part, en ajournements habi-
lement ménagés de l'autre; enfin, en 1420, un congrès com-
posé des architectes les plus renommés de l'Europe s'étant
réuni à Florence , Brunelleschi ne voulut pas différer davan-
tage de leur exposer son plan , s'attendant à trouver dans
cette brillante réunion de savants encore plus d'approbateurs
et de témoins de son triomphe que de véritables rivaux ; mais
on le railla quand on l'entendit proposer d'élever à la hau-
teur de quatre-vingt-quatorze mètres une coupole de plus
de quarante-deux mètres de diamètre ; on ne le comprit pas
quand il dit qu'il ferait deux coupoles inscrites l'une dans
l'autre et de manière à laisser entre elles un assez grand
vide; on l'injuria, on le traita tout haut d'insensé quand il
eut affirmé que pour cintrer ces immenses voûtes il n'em-
ploierait aucune espèce de soutien ou de forme intérieure de
charpente. Habitués aux légèretés de forme de la bâtisse
gothique, ses compétiteurs ne savaient autre chose qu'éle-
ver très-haut, à l'aide d'arcs-boutants, des murs évidés par
toutes sortes de découpures , des voûtes en tiers-point, for-
mées de petite maçonnerie légère, et dont la poussée se trou-
vait divisée et répartie sur plusieurs points. Or, il s'agissait
avant tout , dans l'érection de la coupole projetée , d'établir
un nouveau système de bâtir, en vertu duquel la construc-
tion toute seule, dans celte vaste circonférence et avec sa
prodigieuse portée, se senlt à elle-même et d'échafaudage et
de point d'appui.
Tel était, en effet, le problème que Brunelleschi avait su ré-
soudre, et dont la communication du modèle en relief qu'il
avait exécuté eût convaincu les moins experts; mais il mit
une sorte d'amour-propre à les amener à lui par d'autres
moyens , à les élever, pour ainsi dire, dans leur propre es-
time en les conduisant à deviner une partie de son secret
par ce qu'il leur en laissait voir. Non-seulement il était par-
venu à les réduire au silence, il avait encore obtenu leurs
suffrages. Mais on voulut apporter à la direction de l'entre-
prise, qui venait de lui être définitivement adjugée, des con-
ditions humiliantes pour son orgueil, en lui donnant pour
collègue , chargé plutôt de surveiller que de seconder ses
travaux , ce même Lorenzo Ghiberti , avec lequel il s'était
jadis trouvé en rivalité, et dont il avait refusé de devenir
l'associé. Sa vengeance était prête : une feinte maladie fut
le piège qu'il tendit à l'incapacité de son collègue, qui fut
bientôt obligé de se retirer de lui-même pour ne pas mettre
au grand jour son impuissance et l'immense supériorité du
génie de Brunelleschi. Dès ce moment Brunelleschi devint
entièrement maître de son projet, et le public, mis dans le
secret de l'artiste par l'exposition de son modèle , ne put se
lasser d'admirer la puissance de talent et la rare intelligence
qu'il avait apportées à en coordonner toutes les parties. Il
eut avant de mourir la satisfaction de voir sa coupole ache-
vée, à la réserve de l'extérieur du tambour, pour la décora-
tion duquel il avait laissé des dessins qui furent soustraits
ou perdus.
■ Cette coupole est en quelque sorte l'expression du génie
et de la vie tout entière de Brunelleschi. H fit cependant
BRUNELLESCHI — BRUNET
d'autres ouvrages importants. Le grand-duc Côme de Médicis
et le pape Eugène IV l'employèrent dans une foule de tra-
vaux, qui eussent suffi à la réputation de plusieurs autres
architectes ; nous citerons seulement parmi ces travaux le
célèbre palais Pitti, qui, augmenté depuis par les soins
d'Ammanati , est devenu le séjour des grands-ducs de Tos-
cane à Florence.
Quoique la sépulture de sa famille fût dans l'église de
Saint-Mare , le corps de Brunelleschi fut inhumé dans celle
de Sainte-Marie-des-Fleurs : touchant hommage rendu par
le peuple de Florence à son grand artiste.
BRUIVELLIER , genre de plantes qui renferme six à
huit espèces, dont deux sont originaires des îles Sandwich
et Rawak, et les autres de l'Amérique méridionale. Ce genre,
que M. de Jussieu place dans la famille des zanthoxylées,
fiit dédié par Ruiz et Pavon au botaniste bolonais Brunelli.
Les brunelliers sont des arbres à fleurs diclines, disposées
en panicules ou en corymbes axillaires ou terminaux.
BRUIXET (Jacqles-Cuarles), célèbre bibliographe,
naquit le 2 novembre 1780 , à Paris, oii son père était li-
• braire. Après avoir quelque temps exercé lui-même cette
profession , il débuta dans la carrière bibliographique par
la rédaction de plusieurs catalogues de ventes de livres, dans
le nombre desquels on peut citer celui de la bibliothèque
du comte d'Ourches (1811) comme offrant un vif intérêt,
et comme ayant conservé une grande valeur. En 1802, il
avait déjà publié un Supplément au Dictionnaire Biblio-
graphique de Duclos et de Cailleau. Plus tard il donna son
Manuel du Libraire et de l'Amateur de Livres (Paris,
1810, 3 vol.), et il fit suivre ce livre de ses Nouvelles
Recherches bibliographiques pour servir de supplé-
ment au Manuel (3 vol., Paris, 1834; 4^ édition, 1842-
1843). Ces ouvrages, fruit d'un travail immense, ont fait
dire que M. Brunet pouvait à bon droit passer pour le créa-
teur de la bibliographie générale; ils ne sont pas moins esti-
més et recherchés à l'étranger qu'en France , et font tout à
fait autorité dans la matière. On lui doit encore une Notice
sur les différentes éditions des Heures gothiques ornées
de gravures et imprimées à Paris à la fin du quinzième et
au commencement du seizième siècle (1834); des Notices
sur deux anciens romans intitulés : Les Chroiii</ues de
Gargantua (1834); et les Poésies françuists de J.-E.
Alione (d'Asti), composées de 1494 à 1520, pubUées pour la
première fois en France avec une notice biogi-aphique et bi-
bhographique.
BRUJVET (MIRA, dJO » né à Paris, en 1766, est parmi
les acteurs de nos théâtres secondaires celui dont le nom et
la réputation ont été le plus populaires , le plus répandus.
Pendant le cours de sa vogue , l'une des plus longues que
l'on puisse citer dans les annales de la scène , on ne disait
plus : Allons aux Variétés ; mais, allons chez Brunet. Cette
faveur si prononcée, si constante, était justifiée , il faut le
dire , par un jeu d'une vérité , d'une naïveté , d'un naturel
parfaits dans un genre inférieur ; Brunet eut , en outre , l'a-
vantage si précieux de venir à temps. Son public n'avait plus
ce dédain aristocratique pour la peinture des mœurs du
peuple, qui avant la révolution de 1789 eût pu nuire à l'ef-
fet des tableaux dont il était le personnage principal. Et nul
mieux que Brunet , dont la figure seule provoquait le rire le
plus franc , ne pouvait répondre à ce besoin de l'époque.
Cette révolution qui devait changer tant de destinées , tant
de carrières , le lança dans celle du théâtre ; son père tenait
dans le quaitier de la Halle un bureau de loterie d'un grand
rapport. Quoique le jeune Mira eût un goiit très-vif pour le
spectacle , surtout pour celui qu'égayaient alors les lazzis de
Carlin, il ne songeait nullement à jouer la comédie autre-
ment qu'en société , et était destiné à hériter du bureau et
des occupations de son père. Une particularité assez piquante
de son enfance, c'est que Talma, dont les parents habitaient
aussi ce quartier, fut son condisciple dans une des modestes
DICT. DE LA CONVERS. — T. III.
793
pensions de l'arrondissement. Assurément leurs camarades
ne se doutaient guère qu'ils avaient auprès d'eux la tragédie
et la farce, Manlius et Cadet-Roussel.
Lors de la suppression des loteries, en 1790, le fils du bu-
raliste songea à se faire une ressource de ce qui n'avait été
jusque là pour lui qu'un amusement. Il obtint de ses pa-
rents, non sans difficulté, et sous la condition de changer
son nom de famille contre celui de Brunet , la permission
d'aller essayer en province son talent dramatique. Deux
ans de scène à Rouen le firent appeler à Paris, où il débuta
sur le théâtre de la Cité dans Le désespoir de Jocrisse, rôle
qu'avait créé Baptiste cadet, et qu'après cet acteur il
était difficile d'aborder. Sorti avec bonheur de cette épreuve,
Brunet devmt bientôt , à son tour, un des sujets les plus
aimés du pubhc, et quelque temps après il passa au Pa-
lais-Royal, sur le théâtre de M"^ Montansier, dont cet Atlas
de la bouffonnerie fut pendant neuf ans la plus ferme co-
lonne. L'aflluence qu'il y attirait de\int certainement le
principal motif du décret impérial qui fit fermer cette salle
en 1807, comme nuisant à la prospérité du Théâtre-Fran-
çais ; la foule n'en suivit pas moins Brunet, d'abord au théâtre
de la Cité, où fut représentée cent fois de suite La famille
des Innocents, puis dans la salle des Variétés, construite au
boulevard Montmartre, où ses anciens directeurs contrac-
tèrent avec lui une association dont ils n'eurent pas à se re-
pentir. Il resta attaché à ce théâtre jusqu'en 1833, qu'il prit
sa retraite, après avoir fait rire le public pendant trente-cinq
ans. Il était alors presque septuagénaire et jouissait d'une
modeste aisance, fruit de ses longs travaux.
L'espace nous manquerait pour citer seulement les prin-
cipaux rôles de sa création ; sa carrière théâtrale offre trois
grands types bien distincts. Dans les niais, où il se montra
surtout l'acteur de la nature, il sut différencier les nuances
de ce type , et faire ressortir tour à tour la simplicité de
Jocrisse, la candidïté d'Innocentin, les prétentions comiques
de Cadet-Roussel , la mahce du Niais de Sologne, la pol-
tronnerie de Tremblin et d'Agnelet, etc. Les travestisse-
ments lui valurent des succès auxquels n'ont jamais atteint
ceux qui remplissent ce même emploi : ce sont des hommes
déguisés en femmes , tandis que Brunet était réellement Cen-
drillon. Belle-belle, Flamméa, etc. Quoiqu'il eût alors
près de cinquante ans , l'illusion était complète. Enfin, plu-
sieurs rôles grimés , plusieurs caractères qui se rapprochaient
davantage de la comédie, tels que ceux de Vautour, de
Pépin, du vieux procureur de L'intérieur dé l'Étude , ajou-
tèrent encore à sa renommée théâtrale , et prouvèrent que
le naturel n'excluait pas chez lui la variété.
Plus d'une fois on a voulu créer à Brunet un autre genre
de réputation , en lui prêtant quelques mauvais bons mots
politiques dont il était fort innocent. Un de ces mensonges
unprimés qui se propagent de recueil en recueil a fait croire
aussi à beaucoup de lecteurs qu'il avait été emprisonné sous
le consulat, pour avoir, dans son rôle de Jocrisse, plai-
santé sur les préparatifs de descente en Angleterre, et com-
paré les bateaux de Boulogne à des coquilles de noix. Cette
anecdote est tout à fait controuvée, mais en voici une plus
authentique , dans laquelle apparaît la grande figure de l'em-
pereur en regard avec le masque bouffon de Brunet. A l'é-
poque où circulait déjà parmi les personnes de la cour im-
périale le bruit du divorce avec Josépliine, sans qu'il eût
encore transpiré dans ie public, les acteurs du théâtre des
Variétés furent appelés à Grosbois par le prince de Ncuf-
châtel , pour y contribuer aux plaisirs de la fête qu'il y don-
nait à Napoléon. On représentait devant l'illustre assem-
blée Cadet-Roussel , professeur de déclamation. La
première moitié de la pièce divertit beaucoui) les specta-
teurs, sans en excepter l'hôte célèbre de Bertliier; inais
lorsqu'un des personnages dit à Cadet que son élève ne
vient chez lui que pour décider sa femme à un divorce, ce
mot fatal comprima soudain la gaietô. Ce fut bien pis encore
100
794
BRUNET — BRUNI
lorsque Cadel-Roussel-Brunet s'écria, avec ce sérieux si
comique du singulier professeur : « Est-ce que tous croyez
que c'est pour le plaisir que je me suis marié? C'est pour ne
pas laisser finir la perpétuité de ma famille : c'est pour me
voir renaître à moi-même... « Celte fois, des chuchotements,
des regards dirigés timidement sur l'impératrice, le silence
morne et glacial des courtisans pendant tout le reste de cette
parade déconcertèrent totalement Drunet et ses acteurs, qui
l'achevèrent tant bien que mal et le plus vite possihle. Jo-
séphine n'avait pu cacher son trouble; l'empereur, plus
maître de lui-même , fit bonne contenance jusqu'à la fin.
« Qu'avez-vous (ait, malheureux ? » vint direalors, tout ef-
frayé, aux acleurs, qui ne l'étaient guère moins, l'aide de
camp du prince de \Vagram , l'auteur Reveroni Saint-Cyr ,
malencontreux ordonnateur du spectacle. « Je ne connaissais
pas cette pièce ; il fallait me prévenir. » Mais . pendant ce
temps, l'empereur, rentré dans les salons, disait au prince,
un peu troublé aussi : « Berthier, mon secret était bien
gardé, car ces bonnes gens auraient à coup sûr choisi un
antre ouvrage. » Le grand homme en effet ne garda point
rancune à Cadet-Roussel , et Brunet , l'un des comédiens
qui le délassaient le mieux de ses importantes préoccupa-
tions, vint souvent encore jouer devant lui et sa cour. Piron
comptait parmi ses titres de gloire celui d'avoir fait rire le
guet ; l'acteur qui amena plus d'une fois le sourire sur les
lèvres de Napoléon peut à juste titre se glorifier d'un bien
plus beau succès. Ourrï.
BRUIXETTI (Angelo), surnommé Cicernacchio, voi-
turier du ïranstevère, s'est rendu fameux lors des événe-
ments arrivés à Rome pendant les années 1S'*8 et 1849.
Quoiqu'il n'eût reçu aucune instruction , il sut, grâce à une
intelligence peu ordinaire et à ses rares talents, dominer la
jnultitude, et pendant longtemps il exerça une grande in-
fluence sur la populace de Rome. 11 n'employa d'abord son
crédit qu'à prévenir les excès, à fortifier les Romains dans
leur vénération pour Pie IX et à diriger les démonstrations
quotidiennes de reconnaissance pour le pape réformateur.
Cependant, lorsque la réforme dégénéra en révolution, lorsque
le pape refusa formellementdedéclarer la guerre à l'Autriche,
Cicernacchio changea de rôle. Aveuglé par sa vanité ou par
les louanges des républicains, il ne tarda pas à devenir un
inslriiment entre les mains des démocrates. On n'a jamais
pu prouver, il est vrai, qu'il ait pris part à l'assassinat de
Rossi ; mais il a participé à la révolution du IG novembre
1848. Il se montra zélé partisan de la république; cepen-
dant, comme on n'avait plus besoin de lui, on le laissa de
côté. Une fois les Français à Rome, il s'enfuit à Gênes.
BRUIVETTO LATINI. Voyez Latini.
BRUNFELS ou BRUNSFELS (Othon), médecin et
botaniste allemand du seizième siècle, naquit vers 1464, près
de Mayence, et mourut à Berne, le 23 novembre 1534. Fils
d'un tonnelier, il fut dès sa jeunesse entraîué vers l'étude
des sciences, et parvint au grade de licencié en théologie et
en philosophie. Ses parents n'ayant pu lui fournir les res-
sources qui lui auraient été nécessaires pour poursuivre ses
travaux, il prit le froc dans un couvent de chartreux situé
aux environs de Mayence. Quand les doctrines de Luther
commencèrent à se répandre en Allemagne, Bnmfels était
déjà arrivé à la cinquantaine; elles produisirent une vive
impression sur son esprit, et le déterminèrent à abandonner
son couvent pour se faire prédicateur protestant. Mais mal-
gré son zèle pour la réforme, sa constitution chétive et ma-
ladive le força de renoncer au rôle d'apôtre, pour se con-
tenter du modeste rôle de maître d'école à Strasbourg. Il y
passa neuf années , étudiant en même temps la médecine
et les sciences naturelles; et reçu docteur en médecine en
1530àBâle, il remplit pendant deux ou trois ans les fonctions
de médecin inspecteur à Berne. Les derniers moments de sa
vie paraissent avoir été exclusivement consacrés à la bota-
i(^ique, dont il fut le restaurateur au seizième siècle, et à la
rédaction de ses ouvrages. Il traça à la science une route
nouvelle en donnant l'exemple des herborisations pour ap-
prendre à connaître les plantes indigènes. C'est ainsi qu'il
fit connaître plus décent trente espèces qui étaient demeurées
inconnues à ses prédécesseurs. Plumier lui a consacré ,
sous le nom de brttn/elsia, un genre de solanées. On
a de Brunfeisun grand nombre d'ouvrages relatifs soit à la
médecine, soit à la botanique ; nous citerons entre autres :
Herbarum vivx Icônes ad naturx imitatïonem summa
cum diUgentia effigiatx, unacum efjectlbus earumdem
(Strasbourg, 1530, in-fol.); Catalojus illustrium Medico-
rum, scu deprimis medicina: >,crip totibus {\\y\d., 1533) ;
Onomnaticon seu Lexicon Medicinse simplicis, avec les
ouvrages de Théophraste (ibid., 1534); EpHome Medices,
summum tolius medicinx complectens (Anvers et Pa-
ris, 1540); Chrrurgia Parva (Francfort, 1569).
BRUIVFELSIA, genre de solanées, établi par Plu-
mier en l'honneur d'Othon Brunfels. Il se compose d'ar-
brisseaux de l'Amérique méridionale. Le bninfclsïer des
Antilles {brunfelsia americanà) est môme un arbre assez
grand dans les contrées où il est indigène. Il a besoin pour
fleurir d'une bonne terre substanticUe et d'une chaleur
continuelle, et ne peut exister chez nous que dans les serres
chaudes, où il reste nain, mais dont il fait le plus bel or-
nement, par son feuillage, toujours vert, et ses charmantes
fleurs, grandes et blanches, qui répandent pendant tout
l'été l'odeur la plus suave. Il se multiplie de boutures, sur
couche chaude et sous châssis ombragé.
Une espèce particulière , le brunfelsier ondulé ( brun-
felsia undulata), originaire de la Barbade et de la Jamaï-
que, où il s'élève jusqu'à 0™,50 , ne parvient guère en
France qu'à un mètre ou l^jSO. Ses feuilles sont lan-
céolées, rétrécies à la base, et ses fleurs, qui paraissent de
mars à septembre , sont grandes , à tube long et verdàlre ,
un peu courbé, à limbe légèrement ondulé, d'un blanc jau-
nâtre, et répandent une odeur d'oeillet assez prononcée. Cette
espèce demande la même culture que la précédente.
BRUNI (Leonardo), surnommé ri4ré</;i,étaitnéenl369,
à Arezzo. En 1383, les bandes françaises aux ordres d'En-
guerrand de Coucy, et réunies aux exilés d'Arezzo , s'empa-
rèrentde cette ville, qu'elles saccagèrent; et il eut la douleur
de voir son père emmené prisonnier par les vainqueurs,
tandis que lui-même était enfermé par eux comme sujet dan-
gereux. Il n'avait encore que quatorze ans. Un portrait de
Pétrarque appendu dans la pièce où il se trouvait détenu lui
inspira la pensée de suivre les traces de ce grand poète ; et
il n'eut pas plus tôt été remis en liberté, qu'il alla à Florence
continuer sous Jean de Ravenne ses études commencées dans
sa ville natale. Elles furent des plus complètes, et il nous
apprftud lui-même que son ardeur pour le travail était si
grande qu'il répétait ses leçons pendant son sommeil. Après
avoir donné quelques instants à l'étude de la jurisprudence,
il se livra tout entier à l'étude de la langue grecque, sous
la direction de Jean Chrysoloras, qui faisait alors à Florence
des cours de langue et de littérature grecques. Nommé secré-
taire apostolique par le pape innocent VII, il remplit suc-
cessivement les mêmes fonctions près de Grégoire XII ,
d'Alexandre V, et de Jean XXIII. Ce souverain pontife
ayant été déposé par le concile de Constance, Leonardo
Bruni revint à Florence, où il se fixa et où il se consacra
désormais à la culture des lettres, quoique revêtu à diverses
reprises du titre de chancelier de la république. 11 en rem-
plissait les fonctions, lorsque la mort vint le frapper en
1444. 11 laissait divers ouvrages historiques, qui ont tous
été imprimés. La république lui fit des obsèques magnifi-
ques. On plaça sur sa poitrine un exemplaire de son Histoire
de Florence, ouvrage écrit en latin dès 1415, traduit en
italien par Acciajuoli et imprimé à Venise en 1473 (la pre-
mière édition du texte original ne parut qu'en 1610, à
Strasbourg). Son éloge funèbre fut prononcé par Giannoni
BRUNI — BRU IN N
(95
Manetti, qui fut autorisé par les magistrats à le couronner
de lauriers; et on lui éleva dans l'église de Santa-Croce un
mausolée en marbre, que l'on y voit encore. Les autres
ouvrages deLeonardo Bruni ont pour titre: De Temporibus
suis (L475); De bello Italico adversus Gothos gesto
(1470); Commentarium Rerum Grxcarum (1539); on a
aussi de lui des Vies de Pétrarque et du Dante,
Un poète du même nom, Antonio Bruni, vivait dans la
seconde moitié du seizième siècle et remplit les fonctions
de secrétaire auprès du duc d'Urbin, François-Marie II. 11
mourut à la suite d'excès de table. Lié d'amitié avec le Ma-
riai, il imita son style, alors fort goûté. On a de lui : Epis-
toleeroiche (Milan, 1626) : chacune de ces épîtres est ornée
d'une gravure, d'après le Guide, le Dominiquin, etc. ; divers
poèmes, entre autres Le Tre Grasie, cive la céleste e la
terrestre (Rome, 1633), et une tragédie, Radaminto.
BRUNIE, genre composé d'arbrisseaux du Cap. Il ren-
ferme un grand nombre d'espèces , dont plus de vingt sont
cultivées dans les jardins européens : dans le nombre, on
distingue la brunie lanugineuse , arbrisseau de 0", 60 à
l'°,20 de haut, très-élégant, à rameaux effdés, droits,
couverts de feuilles linéaires et laineuses dans le bas. Elle
fleurit en mai , et ses fleurs , réunies en tètes globuleuses,
forment un corymbe terminal. Toutes les espèces de brunies
réclament la môme culture que les bruyères.
Ce genre a servi de type à M. Brongniart pour établir la
famille des bruniacées , dont les espèces étaient auparavant
placées à la suite des rhamnées.
BRUIXIIXGS ( CuKisTrAN ) , né en 1736 , à Neckarau , en
Palatinat, et mort en 1805 , passe à bon droit pour l'un des
hommes qui se sont le plus distingués dans l'architecture
hydraulique. De bonne heure il s'était familiarisé avec les
diverses sciences se rapportant à cet art. Il était percepteur
de l'octroi des digues eu Hollande, lorsqu'en 1769 les états
généraux le nommèrent inspecteur général des digues. Les
travaux les plus importants qu'il ait exécutés sont les ouvra-
j;es construits pour arrêter tes ravages du lac de Harlem,
l'endiguement de ce qu'on appelle dans les Pays-Bas les eaux
hautes, lesquelles à l'époque des fortes marées inondaient
souvent de vastes étendues de territoire; enfin, la construc-
tion du canal de dérivation du Wahal, et du canal de Pan-
nerden, travail qui a amélioré le lit du Rhin, du Wahal et
du Leck. On lui doit aussi l'échelle graduée pour mesurer
ia crue des eaux et mettre en garde contre l'inondation.
En 1778 il fit paraître deux volumes de Rapports et de
Procès-verbaux sur Veau des rivières supérieures (Ams-
terdam, 2 vol., avec atlas). Quand il mourut, le directoire de
la république batave mit au concours le plan du monument
qui devait lui être élevé dans la cathédrale de Harleui ; mais
les changements politiques survenus peu après firent oublier
l'exécution de ce projet. Toutefois , le prix (200 ducats) pro-
posé pour le meilleur éloge de cet habile architecte avait
été adjugé, en 1807, à son élève et successeur Conrad.
BRUIVIR, opération qui consiste à polir, ou plutôt à rendre
brillante une pièce de métal au moyen dubrunissoir.liy
a en effet une grande différence entre brunir et polir :
on polit en usant les aspérités, les inégalités d'une pièce de
métal ou de toute autre matière , au moyen de matières du-
res broyées plus ou moins fin, telles que le grès, l'émeri , le
rouge d'Angleterre, le tripoli , la poudre de diamant, etc.
Toutes sortes de matières sont susceptibles de poli plus ou
moins parfait, suivant leur nature; mais on ne peut brunir
en général que les matières métalliques, attendu que le bru-
nissoir ne fait que resserrer et niveler, s'il est permis de par-
ler ainsi, les molécules de la surface que Ton brunit sans
les enlever. Ou ne saurait brunir une glace, une table de
marbre, etc. — Bruni se dit, en terme d'orfèvrerie, par op-
position au mat. Teïssèdre.
Brunir signifie aussi peindre en brun, devenir brun.
Ea termes de relieur, brunir un livre signifie éclaircir,
polir les tranches d'im livre , en les frottant avec une dent
de loup, une dent d'agate ou de silex.
Brunir se dit, enfin, en termes de vénerie, de l'action
des cerfs, des daims ou chevreuils, qui, après avoir/raye,
c'est-à-dire frotté légèrement leur tête aux arbres pour la
dépouiller de sa première robe ou enveloppe velue, vont
la teindre, ainsi que leur bois, aux charbonnières, aux terres
rougeâfres, etc.
BRUNISSOIR, instrument d'acier trempé , auquel on
donne ordinairement la forme d'une amande plus ou moins
allongée, et que l'on fixe par un de ses bouts dans un man-
che en bois, à l'aide duquel on peut appuyer plus ou moins
fort sur la pièce de métal que l'on veut brunir. On fait
usage du brunissoir en le faisant glisser par un mouve-
ment de va-et-vient sans quitter la pièce que l'on veut bru-
nir : par ce frottement répété l'ouvrier, sans rien enlever de
la superficie métallique , ne fait qu'abattre ou refouler les
petites rugosités que la lime ou le marteau peuvent avoir
laissées sur la pièce.
Le brunissoir sert également dans divers arts et métiers;
mais il varie de lorme et de grandeur suivant le besoin de
l'ouvrage sur lequel on l'emploie. Les serruriers, éperonniers,
armuriers et couteliers se servent de brunissoirs , aussi bien
que les ciseleurs , les fabricants de bronze , les doreurs sur
métal ou sur bois , les horlogei-s , les potiers d'étain, les or-
fèvres, les bijoutiers, les relieurs, les graveurs et les pla-
neurs. Le brunissoir de ces derniers est d'une assez grande
dimension ; son manche a environ 0™,60 de long, et l'ou-
vrier le tient à deux mains. Celui dont se servent les orfèvres
et les bijoutiers n'est quelquefois qu'une simple pointe , ou
un crochet, auquel on donne le nom de dent de loup;
souvent aussi , au lieu d'être en acier, c'est une agate, dont
la dureté donne un poli encore plus parfait que l'acier même.
Lorsque les potiers d'étain se servent du brunissoir, ils ont
soin de mouiller leur pièce avec de l'eau de savon; les pla-
neurs se servent d'eau pure; les serruriers et les armuriers
emploient quelquefois de l'huile.
BRUNN, appelé par les Slaves 5rno, située en Moravie,
au confluent de la Zwittawa et de la Sch wartzawa,dans une con-
trée fertile et agréable, est en partie entourée de murs et de
fossés qui la séparent de ses quatorze faubourgs. Les rues
n'en sont pas larges, mais bien pavées et garnies de frottoirs.
On y compte sept places publiques, décorées de fontaines
jaillissantes : les plus remarquables sont la Grande Place, le
Marché aux Herbes et la place des Dominicains. Les édifices
les plus considérables sont : la cathédrale de Saint-Pierre,
bâtie au sommet d'un rocher, non loin de la résidence de l'é-
vêque et de celle des membres du chapitre, et d'où l'on jouit
d'une vuemagnifique; l'église gothiquedeSaint-Jacques, avec
une tour haute de 92 mètres et une collection extrêmement
précieuse de livres datant des débuts de l'imprimerie ; l'é-
glise des Minorités ; le couvent des Augustins, situé dans le
idubom^ d'Alt-Brunn, avec une église gothique, et qui
possède un beau tableau de Luc Kranach ainsi qu'une riche
bibliothèque; l'église des Capucins; l'église des Dominicains
et celle d'Obrowitz. Citons encore l'hôtel du gouverneur,
l'hôtel de ville , oii l'on admire un portail magnifique et di-
verses antiquités ; l'école des aveugles ; le palais de justice ;
celui du prince de Kaunitz, etc., etc.; enfin, le superbe em-
barcadère où viennent converger les chemins de fer de
l'empereur Ferdinand et du Nord.
Brunn est le siège des autorités civiles et militaires su-
périeures de la province, d'une direction générale des fi-
nances, d'une cour d'appel pour la Moravie et la Silésic. On
y trouve un grand et un petit séminaire, un collège avec
une bibliothèque, une école pour les aveugles et une école
pour les sourds-muets , une maison de correction pour les
enfants dépravés , un théâtre avec une redoute , un couvent
d'ursulines avec une école de filles, plusieurs écoles primai-
res, et diverses sociétés pour la culture des sciences et des
100.
796
BRUNN — BRUNNOW
lettres ou le perfectionnement de l'économie agricole. La po-
pulation est de 50,000 âmes, en y comprenant les faubourgs.
On y trouve des fabriques de draps, de liqueurs, de sucre,
d'étoffes de laine et de cuir. 11 s'y fait aussi un commerce
de transit fort important avec la Bohême et le reste des
États autrichiens, avec l'Italie , la Pologne , la Russie, l'A-
mérique et la l'erse. Les anciennes fortifications ont été
transformées en promenades publiques.
A l'ouest de la ville, non loin du Pelersbcrg, haut de 200
mètres, s'élève le Spielberg, qui atteint une hauteur
de 272 mètres, d'où l'on découvre le panorama le plus ma-
gnifique, dont les Français essayèrent de détruire les forti-
fications en 1801), et qu'on a transformé de nos jours en pri-
son d'État. En dehors de la ville on trouve la colonne de
Zdérad, le plus ancien monument de la Moravie. Sur le Pé-
lersberg, appeléaujourd'hui Franzensberg, orné de jardins et
de terrasses, s'élève un obélisque en marbre de Moravie, haut
de 20 mètres, et consacrée la mémoire de l'empereur Fran-
çois, de ses alliés et de la bataille de Leipzig.
Brunn a été plusieurs fois assiégé; par exemple : en 1428,
par les Taborites ; en 1467, par le roi de Bohème Georges
Podiebrad, qui voulait punir les habitants d'avoir pris fait et
cause pour le roi de Hongrie Mathias Corvin, et à l'époque
de la guerre de Trente ans par Torstenson, qui fut réduit
a en lever le siège. Après la capitulation d'Ulm ( 20 oc-
tobre 1805 ) et la prise de Vienne Napoléon tran.sféra le
théâtre des opérations militaires aux environs de Brunn
jusqu'au moment où la bataille d'Austerlitz amena la
conclusion de la paix de Presbourg.
BRUI\NER( Appareil de), appareil au moyen duquel
on effectue l'analyse de l'air par une seule opération. Il se
compose d'un llacon rempli d'eau et muni d'un robinet
fermé à sa partie inférieure. Le bouchon de ce flacon livre
passage à un tube recourbé rempli de chlorure de calcium
qui communique avec un second tube plein de phosphore,
lequel communique pareillement avec un troisième tube plein
de potasse caustique , qui , à son tour, arrive dans un tube
plein d'amiante, mouillée avec de l'acide sulfurique ; l'extré-
mité de ce dernier tube est fermée à la lampe. Toutes les join-
tures étant parfaitement lutoes, si on ouvre le robinet et que
l'on brise l'extrémité fermée à la lampe, l'air entre aussitôt
par cette extrémité et traverse successivement tous les tubes
dans un sens inverse de celui de notre énumération. Mais, en
vertu des affinités chimiques des gaz qui le composent pour
les matières renfermées dans les tubes , l'air dépose dans le
premier tube qu'il rencontre la vapeur d'eau qu'il contient ;
dans le suivant, son acide carbonique, et dans celui qui vient
après son oxygène : de sorte qu'il n'arrive dans le flacon que
de l'azote. Quant au chlorure de calcium du tube recourbé
il n'a pour destination que d'absorber l'humidité qui pour-
rait provenir du flacon et altérer ainsi les résultats de l'ana-
lyse. On arrête l'opération en fermant le robinet, et on voit
immédiatement quel volume d'eau l'azote a déplacé. Pour
connaître les quantités absorbées d'oxygène, d'acide carbo-
nique et de vapeur d'eau , il suffît de peser exactement le
phosphore, la potasse et l'amiante, avant et après le pas-
sage de l'air : les dillérences de pès pesées sont évidem-
ment les quantités cherchées.
Cet ingénieux appareil porte le nom de son inventeur,
artiste adjoint au Bureau des Longitudes. E. Meulieux.
BRU]\IXOW( Pini.U'i'E, baron de), conseiller d'État,
envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la
cour de Russie à Londres, est né le 31 août 1797, à Dresde,
d'une famille originaire de la Poraéranie, et fut élevé, avec
son frère Ernest- Georges, dans la maison paternelle, qu'il
ne quitta qu'en lsl5, pour aller suivre les cours de l'uni-
versité de Leipzig. A l'époque du congrès d'Aix-la-Chapelle,
en 1818, il entra au service de la Russie, et fut alors parti-
culièrement prot(>gé par le conseiller d'État Stourdza. Les mi-
nistres rs'csseirodc et Çapo-d'Istria ayant eu bientôt l'occa-
sion d'apprécier ses rares dispositions pour la carrière di-
plomatique, il fut attaché au ministère des affaires étran-
gères, et adjoint à Stourdza , à l'effet de rédiger un projet
de code civil pour la Bessarabie. Après avoir assisté aux con-
grès de Troppau et de Laybach, il fut attaché pendant une
année, comme secrétaire, à l'ambassade de Londres, puis
vint prendre [)ail aux délibérations du congrès de Vérone,
et occupa ensuite une haute position administrative à Saint-
Pétersbourg. Attaché plus tarda la personne du comte Wo-
ronzoff, gouverneur général d'Odessa, il fit, comme employé
civil, les campagnes de 1828 et 1829 contre les Turcs. Nom-
mé alors conseiller d'État et employé dans le cabinet même
de M. de Nesselrode , il remplit à Saint-Pétersbourg les
fonctions de premier rédacteur du ministère des affaires
étrangères, et dans ce poste put acquérir une connaissance
intime de l'esprit et de la direction de la politique russe.
En 1839 fl fut accrédité comme ministre plénipotentiaire
auprès des cours de Stuttgard et de Hesse-Darmstadt ; mais
dès l'automne de la même année son gouvernement le char-
gea d'une mission spéciale à Londres, à l'effet d'opérer un
rapprochement plus intime entre les cabinets de Saint-James
et de Saint-Pétersbourg, à propos de la question d'Orient,
en profitant du refroidissement survenu entre la France et
la Grande-Bretagne. Ses premières tentatives demeurèrent ,
à ce qu'il parait, infructueuses, car dès la fin de cette
môme année il était revenu à son poste diplomatique en
Allemagne. Quelques semaines plus tard, cependant, il par-
tait de nouveau pour Londres, à l'effet d'y renouer les négo-
ciations précédemment entamées, et au printemps de 1840
il y était accrédité d'une manière pcnnanente. C'est à ses
effoits et à son habileté que le cabinet de Saint-Pétersbourg
fut reîlevable de la conclusion du célèbre traité du 15 juil-
let 1S40; traité qui brisa l'alliance diplomatique de l'Angle-
terre et de la France, et qui, en mettant les puissances du
Nord d'accord avec le cabinet de Londres sur la question
d'Orient, en amena une solution provisoire. M. de Brunnow,
qui eut ordre de ne rien négliger pour faire croire aux ten-
dances pacifiques de la Russie, resta dès lors à poste fixe en
Angleterre, et prit part aux négociations qui aboutirent au
traité de commerce de'l849 entre la Russie et la Grande-Bre-
tagne. Quand lord Palmerstort éleva des réclamations
contre la Grèce, Rome, la Toscane, la Sardaigne et Naples
en 1850, la Russie fit mine d'abord de rappeler son ambas-
sadeur; mais M. de Brunnow parvint à rétablir les relations
sur un pied amical entre deux États que le traité relatif au
Schleswig-Holsfein et à la succession danoise a liés solidai-
rement l'un à l'autre. Le succès obtenu par M. ds Brunnow
dans ces négociations pour la conclusion du traité du 15 juil-
let 1840 l'a tout aussitôt fait compter à bon droit parmi les
plus habiles diplomates de l'époque.
BRUNNOW ( Ernest-Georges de ), frère du précédent,
connu comme romancier et comme propagateur zélé des
doctrines de l'homœopathie, est né à Dresde, le 6 avril 1796.
Bien différent en cela de son frère cadet, qui se dévouait
complètement aux intérêts russes et se faisait même natio-
naliser en Russie, celui-ci est toujours resté Allemand. A
l'université de Leipzig, où il étudiait le droit, le traitement
nécessité par une maladie d'yeux qui lui était survenue
le mit en rapport avec Hahnemann, et l'amitié qui s'é-
tablit alors entre eux se resserra encore plus tard à
Dresde, où M. de Brunnow fut pendant deux années atta-
ché à la régence provinciale , en qualité d'assesseur. Forcé
alors , par la faiblesse de sa vue , de renoncer à tout ser-
vice public, les soins d'Hahnemann prévinrent cependant
l'aggravation du mal ; aussi , dans son admiration et sa re-
connaissance pour le médecin qu'il regardait comme son
sauveur, M. de Brunnow résolut-il de consacrer désormais
toutes ses facultés à la propagation de l'homœopathie. Après
s'être convenablement préparé par des études médicales, il
traduisit en français l'Or^rtHO» d'Hahaemann (Dresde, 1824);
BRUNNOW — BRUNO
797
il entreprit ensuite, conjointement avec Stapf et Gross, la
traduction en latin de la Doctrine Médicale pure du
maitre ( 2 vol., Dresde, 182.5-1826 ). En 1830 il prit une
part active à la fondation de la société centrale homœopa-
thique, dont il devint tout aussitôt membre. Dans la car-
rière des lettres, M. de Brunnow s'est fait avantageusement
connaître par un Recueil de fodsie.^, publié à Dresde en 1833 ;
par la Nouvelle Psyché, roman { Bunzlau, 1837 ); par le
Troubadour ( 2 vol., Dresde, 1837 ), tableau liistorico-ro-
mantique ; par Ulrich de Uutten (3 vol . , Leipzig, 1 843- 1 844 ),
grand roman lirstorique; enfin, par le Colonel de Carpezan
( Leipzig, 1844 ), roman. Il venait de publier xinCoup d'œil
siir Hahnemann et l'Homœopathie (Leipzig, 1844) lors-
qu'il mourut à Dresde, le 4 mai 1845.
BRUJXO ou BRUNON, dit LE GRAND , arcbevêque de
Cologne et duc de Lorraine, l'un des personnages les plus
importants de son siècle, naquit vers l'an 928. Troisième
fils du roi Henri l", et frère de l'empereur Otbon l", il fut
élevé d'abord par l'évoque d'Utrecbt, Baldrich, qui lui ensei-
gna les premiers éléments des lettres grecques et latines,
et ensuite par l'évoque Israël Scotigena et plusieurs savants
grecs. L'étendue peu commune de son savoir, sa sagacité et
son éloquence, ne le faisaient pas moins briller entre les évo-
ques et les prêtres de son temps que sa charité, son humi-
lité et la gravité de son caractère ne le rendaient respectable
aux yeux des laïques. Lorsqu'il fut plus avancé en âge,
Othon l'appela dans le Palatinat, où il occupa bientôt le pre-
mier rang parmi les historiens, les poètes et surtout les
philosophes réunis à cette cour, contribuant à policer par
son commerce beaucoup de seigneurs spirituels et temporels
au service de son frère, et formant autour de lui comme
une espèce d'école d'ecclésiastiques dont il faisait ensuite des
évoques. Nommé plus tard arclievêque de Cologne et archi-
ciiancelier de l'empereur, il l'accompagna, en 951, dans sa
première expédition contre l'Italie ; et bien différent des
autres proches parents d'Othon Is"", qui tous se révoltèrent
les uns après les autres contre ce prince , il se montra en
tout et partout le plus fidèle de ses adhérents. Aussi Othon r"" ,
reconnaissant, lenomma-t-il en 954, après la déposition de
son turbulent gendre Conrad, duc et seigneur suprême de
la Lorraine, laquelle fut divisée en deux gouvernements ad-
ministrés chacun par un duc particulier, placé sous ses
ordres. Il lui confia, en outre, le soin de défendre cette pro-
vince contre les tentatives de Conrad, qui disposait encore
de quelques ressources.
Bruno le Grand mourut à Reims, le 11 octobre 965, comme
il se rendait à Compiègne pour y opérer une réconciliation
entre son neveu, le roi Lothaire, et les fils de Hugues Ca-
pet. Protecteur éclairé des lettres et des sciences, on lui at-
tribue un Commentaire sur le Pentateuque et plusieurs Vies
de saints.
BRUNO (Saint), apôtre de la Prusse, descendant de
l'ancienne famille de Querfurt, fut de bonne heure pourvu
d'un canonicat dans l'Église de Magdebourg. Il construisit
une église à Querfurt, et vint à la cour de l'empereur
Othon III , qui l'envoya à Rome , en 995 , au secours du
pape Grégoire V. Lors de la déposition de ce pontife, Bruno
lui resta fidèlement attaclié. Aussi, Grégoire V, quand il fut
rétabli sur le trône pontifical , voulut-il , dans sa reconnais-
sance, l'appeler aux suprêmes honneurs ecclésiastiques.
Mais Bruno n'aspirait qu'à aller porter aux païens les lu-
mières de l'Évangile. Désigné pour être le compagnon de
saint Adalbert, il se rendit en 999, deux ans après la
mort de cet apôtre du Nord , en Prusse , où il fut parfaite-
ment accueilli. En l'an 1004, abandonnant à d'autres mis-
sionnaires la continuation de son œuvre apostolique, il s'en
retourna à Rome, et fut nommé chapelain de l'empereur
Henri II. Les habitants de la Prusse ayant ensuite témoigné
les plus mauvaises dispositions pour les missionnaires , et
une vive répugnance à embrasser la religion qu'ils venaient
leur prêcher, Bruno ne tarda pas à revenir parmi eux. Mais
tous ses efforts pour propager parmi ces barbares la reli-
gion du Christ demeurèrent alors infructueux, et il périt,
avec dix-huit de ses compagnons , assassiné sur les frontières
de la Lithuanie en 1003. Le duc Boleslas de Pologne acheta
les corps de ces martyrs de la foi , et plus tard Bruno fiit
canonisé.
BRUNO (Saint), de Reims. On ne peut assignera sa
naissance une époque précise. Il paraît cependant qu'elle
doit être placée entre 1030 et 1040. Il était de Cologne, où
il reçut le jour d'une famille noble de l'Allemagne. Après
avoir commencé ses études sous les yeux de ses parents, il
alla les continuer à Reims, où l'avait attiré la célébrité de
cette école, et il se distingjia surtout dans l'étude de la théo-
logie. Cest sans doute pour cette raison qu'il est souvent
appelé Bruno de Reims. De retour dans sa patrie, et dé-
terminé à embrasser l'état ecclésiastique, il fut admis dans
le clergé de Cologne et nommé chanoine de Saint-Cunibert.
On ne connaît point les détails des courses apostoliques
auxquelles il se livra après avoir été ordonné prêtre , et à
la suite desquelles il s'établit à Reims , où l'archevêque Ger-
vais lui conféra le titre iTécolâtre, qui lui donnait la direc-
tion des études des clercs. H eut dans ses fonctions de nom-
breux disciples, dont le plus célèbre fut Urbain II (Eudes
ou Odon). Devenu chancelier de l'église de Reims, il n'en
accusa pas moins de simonie l'archevêque Manassès, auquel
il devait cette dignité , et le fit suspendre par le concile
d'Autun. Furieux d'avoir succombé aux attaques de Bruno,
Manassès fit briser les portes de sa maison , vendit sa pré-
bende , et le dépouilla de ses biens. Malgré l'indulgence de
Grégoire VII et d'un concile de Rome ( 1078), qui leva la
suspçnse du concile d'Autun, Manassès fut déposé deux ans
après au concile de Lyon ( 1080), et quitta son diocèse. Le
siège de Reims était vacant depuis deux ans , et Bruno réu-
nissait l'unanimité des suffrages , lorsqu'il prit la résolution
de tout quitter pour Jésus-Christ. Il a transmis lui-même
dans une lettre les motifs de son éloignement du monde. Il
rapporte « qu'étant dans un jardin voisin de la maison d'A-
dam, chez qui il demeurait alors, et conversant, avec deux
de ses amis, des vanités du monde, ils s'embrasèrent telle-
ment de l'amour de Dieu et du désir des biens éternels qu'ils
firent vœu d'abandonner le siècle et de revêtir l'habit mo-
nastique. »
Ce fragment réfute une fable qui fut accréditée parmi ses
disciples, et qui explique plusieurs des tableaux de la belle ga-
lerie de Lesueu r. D'après l'ancienne tradition de l'ordre,
ce qui l'aurait déterminé à embrasser la vie solitaire serait
un événement singulier arrivé en sa présence à l'eiiUTi ement
d'un célèbre docteur de Paris, son ami particulier, mort
en 1082 après une vie qui passait pour sainte et exemplaire.
Ce docteur aurait été porté à l'église : là , comme on chantait
sur son corps l'office des morts , à cet endroit des leçons de
Job , Responde mihi, il aurait levé la tête, affirmant d'une
voix terrible qu'il était accusé par un juste jugement de
Dieu : ce qui aurait fait remettre au lendemain sa sépulture.
Mais, l'office des morts ayant été recommencé, il aurait
élevé de nouveau la voix au même passage, assurant qu'il
était jugé par un juste jugement de Dieu ; et enfin, au troi-
sième jour, qui avaitétéencore pris pour délai, il aurait ajouté,
en présence d'une infinité de personnes qu'un événement si
extraordinaire avait attirées à l'église, qu'il était condamné
par un juste jugement de Dieu.
Les deux amis de Bruno ne persi.stèrent point dans leur
résolution ; mais lui n'en resta pas moins fidèle à son vœu.
Comme il cherchait un maître éclairé dans la science du
salut, il le trouva dans saint Robert, que les solitaires de
Molesme avaient choisi pour abbé, et qui fonda ensuite
l'ordre de Cîteaux. Bruno eut recours à ses conseils, et
pour se former à la vie monastique il eut de fréquentes
relations avec les religieux de Molesme. Pui'^, il s'associa à
798
BRUNO
deux clercs, Pierre et Lambert, qui, lorsque Bruno prit la
résolution de quitter l'abbaye, allèrent élever à Sèchefon-
taine, au diocèse de Langres, une église et des maisons où
ils pratiquèrent la vie érémitique.
Cependant Bruno , en abandonnant les confins de la Cbam-
pagneet de la Boui;gogne, était venu en Dauphiné. Hugues,
évêque de Grenoble, avait été son élève dans l'école de
Reims. Bruno se présenta à lui avec six compagnons, dans
lesquels le pieux évêque crut reconnaître sept étoiles dont
il avait eu la vision, et les conduisit dans une vallée, située
fi seize kilomètres de Grenoble , et appelée Chartrouse ou
Chartreuse, d'oîi l'ordre a pris son nom. C'est là qu'au
sein d'une nature imposante, non loin d'un torrent, au milieu
d'une forêt de sapins qui frappe encore le voyageur d'admi-
ration et de respect, s'éleva, inconnu et obscur, en 1084,
vers la fête de saint Jean-Baptiste , le berceau d'un ordre
monastique destiné à être un des plus riches et des plus
puissants du globe {voyez Chartreux). Il ne parait pas,
du reste, que Bruno ait donné de règle particulière à ses dis-
ciples. Cependant l'austérité de leurs mœurs est attestée par
Guibert, abbé de Nogent en 1104, c'est-à-dire vingt années
après leur établissement. Déjà Bruno et ses compagnons
avaient obtenu des actes authentiques des diverses cessions
que leur avaient faites leurs bienfaiteurs, dont le nombre
prouve la vénération qu'on avait pour lui et son nouvel
institut.
Urbain II, élevé sur le saint-siége le 12 mars 1088,
voulut, au milieu des difficultés que lui suscitait le pouvoir
rival de l'antipape Guibert , avoir auprès de lui son ancien
maître, et appela du fond de sa solitude Bruno pour s'é-
clairer de ses conseils. Celui-ci se rendit, quoique avec répu-
gnance, aux ordres du pontife, suivi de quelques-uns de ses
disciples. Les autres, un instant dispersés, revinrent dans
leur désert sous la conduite de Landevin , que Bruno leur
avait désigné pour prieur. La considération dont jouissait
Bruno auprès d'Urbain fit concevoir (1090) au prince nor-
mand de la Fouille et de la Calabre le désir de lui confier
l'archevêché de Reggio ; mais il refusa cette offre, et on élut
à sa place un de ses anciens élèves de Reims, Rangier, re-
ligieux bénédictin du monastère de la Cave. Bruno cepen-
dant, au milieu des honneurs qu'on lui rendait à Rome,
n'aspirait qu'à la retraite, et, avec la permission du pontife,
il accepta en Calabre le territoire delta Torre (de la Tour),
dans le diocèse de Squillace, que lui donna le comte Roger,
et où il bâtit un monastère. Il lui fut donc facile d'assister
en 1091 au concile qu'Urbain II convoqua à Bénévent, et à
celui de Troia dans la Fouille. Il n'est pas aussi certain qu'il
ait pris part à celui de Flaisance , au mois de mars 1095. Le
comte Roger, qui avait voulu que Bruno baptisât son fiU
(depuis Roger II, roi de Sicile), ne se borna pas à la do-
nait'ion delta Torre; il fit bâtir un monastère, sous le titre
de Saint-ÉUenne-des-Bois, à un kilomètre du premier. Il
donna aussi à l'ordre naissant le monastère de Sainte-Marie
d'Arsaphias , auquel il ajouta plus tard celui de Saint-Jac-
ques de Montauro. Voici à quelle occasion, si l'on en croit
quelques hagiographes et la célèbre galerie de Lesueur :
Le comte Roger assiégeait Capoue. Un de ses officiers,
nommé Sergius, avait promis pour une somme d'argent de
le livrer avec toute son armée. Bruno apparut au comte
pendant la nuit, et l'avertit assez à temps pour qu'il pré-
vînt les perfides projets dont il allait être victime. Le saiut
religieux refusa toutefois la plus grande partie des biens que
le prince reconnaissant lui offrit, se contentant de lui voir
accorder la vie à cent douze familles de ceux qui étaient
entrés dans la conspiration. Fendant qu'il gouvernait sain-
tement sa chartreuse delta Torre, il reçut la visite de Lan-
devin, envoyé par ses frères du Dauphiné, à la sollicitude
desquels il répondit par une lettre pleine d'onction et d'at-
tachement paternel , que l'on trouve imprimée dans ses
œuvres. Il mourut le C octobre 1101, à la Tour, où il (ut en-
terré. Il ne pouvait guère être âgé de plus de soixante-huit
ans. Le culte de saint Bruno, autorisé dans les églises des
chartreux par Léon X, en 1514, fut étendu à toutes les
autres par Grégoire XV , en 1623.
Il y a plusieurs éditions des œuvres de saint Bruno. A
l'exception des commentaires sur les Psaumes et sur
saint Paul, de deux lettres, dont l'une à ses frères de la
Chartreuse , et d'une élégie de quatorze vers sur l'impru-
dent oubli de la mort, citée par les BoUandistes , dont la
poésie n'est pas très-remarquable , le reste est attribué à
saint Bruno d'Asie , et à Bruno, évoque de Wurtzbourg,
duc de Carintliie. Les commentaires sur les Psaumes et sur
saint Paul, écrits dans un latin passable, annoncent un es-
prit exercé aux études les plus profondes de la philosophie
de l'époque. Son goût pour la solitude respire dans la plu- '
part de ses ouvrages. Les tableaux représentant la vie
de saint Bruno dont Lesueur avait orné le cloître des char-
treux de Paris , après être restés longtemps au musée du
Luxembourg, ont été transportés au Louvre.
H. BoucniTTÉ, ancien recteur.
BRUiXO (GiORDANo) , penseur célèbre, qui fut le précur-
seur des différents systèmes panthéistes modenies, naquit à
Noie au milieu du seizième siècle. Il entra de bonne heure
dans l'ordre des Dominicains; mais, ayant émis des doutes
sur la transsubstantiation et sur l'immaculée Conception,
il devint suspect, et dut fuir. En 1580 il était à Genève,
d'où le chassèrent les calvinistes orthodoxes ; il vint à Paris,
où il ouvrit un cours sur le grand art de Raimond Lulle ;
mais ses querelles avec les partisans fanatiques d'Aristote
l'obligèrent à quitter aussi cette ville et à se retirer à Lon-
dres, où il vécut quelques années sous la protection de l'am •
bassadeur de France Michel de Châteauneuf de la Mauvis-
sière, et où il composa ses ouvrages les plus importants.
En 1585 il se rendit, par Paris et Marbourg, à Wittemberg,
où il professa publiquement de 1586 à 1588, et où il prononça
pour discours d'adieu un éloge enthousiaste de Luther.
Les années suivantes il habita Prague, Rrunswick , Helm-
stedt , Francfort. On ignore les raisons qui le portèrent à
retourner en Italie en 1592. Il passa quelques années à Fa-
doue sans être inquiété; mais en 1598 l'inquisition l'arrêta
à Venise, et le fit transférer à Rome, où, après une captivité
de deux ans, ayant refusé de se rétracter, il fut brûlé vif,
le 17 février 1600, comme hérétique et violateur de ses vœux.
Ses écrits, dont les plus importants sont en italien,
annoncent un esprit plein de force et d'énergie, facile à
s'irriter, capable d'enthousiasme, mais ne brillant pas par
la clarté. Sa Cena dette ceneri est une apologie de l'astro-
nomie de Copernic ; le Spaccio delta bestia trionfante
(Paris, 1584), une allégorie dans le goût du temps, pleine
de remarques satiriques sur son siècle. Dans la Cabota del
cavalo Pegasco colC agiunta del asiriio Citlenico (Pa-
ris, 1585), il vante ironiquement le bonheur de l'ignorance.
Les poésies qu'il a publiées sous le titre Degti eroici Furori
(Paris, 1585), célèbrent l'amour divin. Il avait fait imprimer
auparavant uue comédie satirique, Il Candetajo (1582 ). Les
principaux de ses écrits , sans parler de ses nombreux
traités latins sur la Mnémonique et la Topique de Lulie,
sont ses ouvrages de métaphysique, entre autres Delta
causa, p}-incipio ed uno (Venise, 1584); /)ei infinito
universo emojjd» (Venise, 1584 ), et son poème De innu-
merabilibus , immenso et infigurabiti , seu de universo
et mundis, publié à Francfort, 1591 avec Je traité De mo-
nade, numéro et figura. F.-G. Jacobi attira de nouveau
l'attention sur les idées de Bruno dans ses Lettres sur la
doctrine de Spinoza. Les éditions originales de ses œuvres m
sont très-rares ; Wagner a publié ses œuvres italiennes ( 2 vo- JJ
lûmes, Leipzig, 1830), avec une notice sur sa vie, etGfœrer
une partie de ses ouvrages latins dans son Corpus Philo-
sophorum (Stuttgard, 1834 et suiv. ). Consultez Barthol-
riiès, Jordano Bruno de Nota (2 vol., Paris, 1846); Clé-
BRUNO —
mens, Giordano Bruno et Nicolas de Cusa (Bonn, 1847 ).
[ Le résumé suivant fera suffisamment connaître la phi-
losophie de Bruno.
Théologie ou philosophie première. 1° Il est un prin-
cipe premier de l'existence , c'est-à-dire Dieu. Ce principe
peut tout être et est tout. La puissance et l'activité , la réa-
lité et la possibilité sont en lui une unité indivisible et insé-
parable. Il est le fondement intérieur et non pas seulement
la cause extérieure de la création. Cest lui qui vit dans
tout ce qui vit. 2° La natura naturans ou cause générale et
active des choses s'appelle encore la raison générale divine,
qui est tout et produit tout. Elle se manifeste comme la
forme générale de l'univers , déterminant toutes choses.
Elle est l'artiste intérieur et présent partout , qui opère tout
en tous, forme la matière de son propre fonds, la figure, et
incessamment la ramène en soi-même. 3° Le but de la
natura naturans est la perfection du tout, qui consiste
en ce que toutes les formes possibles viennent à l'être. Le
principe un , en créant la multitude des êtres n'en reste
pas moins un en soi. Cet un est inlini, immense et par
conséquent immobile et immuable. 4° Il n'est, d'aucune
manière, ni plus formel , ni plus matériel, ni plus esprit, ni
plus corps : c'est l'harmonie parfaite de l'un et du tout. Il
n'a point de parties, il est indivisible. 5° Vîcn principe est
une monade , viinimum et maximum de tout être. L'iden-
tité elle-même toute pure produit toutes les oppositions ;
elle est simplement le fondement de toute composition ; in-
divisible et sans forme, elle est le fondement de tout ce qui
est sensible ou figuré. 6" L'esprit intelligent qui est au-
dessus de toutes choses est Dieu ; l'esprit intelligent qui
est, demeure et travaille en toutes choses, est la nature;
l'esprit intelligentde l'homme, qui pénètre tout, est la raison.
1' Dieu dicte et ordonne , la nature exécute et fait , la raison
contemple et discourt. 8° La perfection d'un État comme
celle d'un homme consiste dans la subordination des volontés
particulières à la sage volonté du maître suprême , qui n'a
pour but que le bien du tout. Il est donc convenable de ne
pas chercher avec une ardeur sans mesure tout bien infé-
rieur, mais d'ambitionner le véritable salut éternel en Dieu.
Cosmologie. 1° La natura naturata , comme l'univers
éternel et incréé , est aussi en germe tout ce qu'elle peut
être et devenir. Mais, dans son développement successif à
l'extérieur, elle n'est jamais que ce qu'elle peut être à la
fois en existence formelle , et elle manifeste alors une opéra-
tion dont les produits sont incessamment divers. 2° La ma-
tière, le premier être, tous les êtres sensibles et intelligents,
toutes les existences actuelles ou possibles, sont l'être lui-
même. .3" La matière en soi ne saurait avoir aucune forme
déterminée et aucune dimension, puisqu'elle les a toutes,
puisque , bien plus , elle les fait naître toutes de son propre
sein. Elle n'est donc pas ce prope nihilum, (irj ôv de quel-
ques philosophes ; elle n'est pas non plus un sujet simple-
ment passif, mais bien une puissance active. 4" Il y a dans
l'univers un extérieur. et un intérieur, matière et forme,
corps et esprit , renfermés dans une unité absolue et iden-
tique. 5° La foule des espèces, etc., se trouve dans le monde,
non comme dans un simple réservoir ou espace , mais les
innombrables individus sont entre eux et avec l'ensemble
liés comme les membres d'un organisme. 6° Chaque chose
est seulement la substance générale, présentée d'une manière
particulière et isolée, et étant à chaque instant tout ce
qu'elle peut être à cet instant. Ce qui change cherche seu-
lement une autre forme d'être , mais n'aspire point à une
existence nouvelle en soi. 7° Dans le tout sont toutes les
oppositions , qui dans les cljoses se présentent divisées, mais
qui, dans leur être réel, rentrent de nouveau dans l'unité,
8° L'univers est comme un système numérique ; la mo-
nade est le fondement, l'unité qui est tout; le nombre deux
est le principe de l'opposition ; le nombre trois lie les op-
posés en un tout j le nombre quatre est le symbole de la
BRUNOY 793
perfection extérieure, etc. Bruno, on le voit, essayait de re-
nouveler la doctrine des nombres , cultivée dans l'antique
Egypte , commune à Pythagore et à Platon , que piétendi-
rent connaître les néo-platoniciens d'Alexandrie et dont
on trouve des traces dans les premières écoles chrétiennes.
Elle a été renouvelée à la fin du dernier siècle et au commen-
cement de celui-ci par quelques écoles mystiques allemandes
et françaises.
Psychologie, morale et doctrine de la science, l» Tout,
dans la nature, jusqu'aux dernières parties de la matière,
est animé ; seulement, les êtres animés ne sont pas tous dans
une jouissance effective de la vie. 2° L'action morale est
celle seulement qui se fait avec ou par l'intelligence, qui sup-
pose un dessein, c'est-à-dire un but, auquel un rapport
vers quelque cliose sert de fondement. 3° Le but le plus
élevé de l'action libre , de laquelle seule est capable l'être
intelligent, ne saurait être autre que le but de l'intelligence
divine elle-même. 4° Le but de toute philosophie est de
connaître l'unité de toute opposition , et, en conséquence,
rinfmi dans le fini , la forme dans la matière , le spirituel
dans le corporel : elle démontre donc comment la manifes-
tation des formes sort de l'identité. 5° En général, pour pé-
nétrer dans les profondeurs de la science, on ne doit ja-
mais se lasser de considérer chaque chose dans les deux
termes contraires, jusqu'à ce que l'on ait trouvé l'accord
des deux.
Giordano Bruno s'occupa aussi d'astronomie, et y porta la
même originalité et la même profondeur que dans ses au-
tres études. Iluet, évêque d'Avranches, croit, non sans
quelque raison , que Descartes lui a emprunté son système
du monde. 11 se livra, en outre, à l'étude de l'alchimie,
comme le prouvent plusieurs de ses ouvrages. Bodchitté],
BRUIXOY (N. marquis de) était fils et neveu des plus
riches banquiers de leur époque. Son père, Pâris-Monmartel,
avait été nommé en 1722 garde triennal du trésor du roi
Louis XV, et était ensuite devenu banquier de la cour; la
publication du registre de ce monarque, dont l'authenticité ne
peut être contestée , a révélé les importantes opérations faites
par ce banquier avec ce prince , qui , afin de récompenser
ses services, érigea en marquisat pour son complaisant
agent la seigneurie de Brunoy (village peuplé aujourd'hui
de mille habitants, à quatre kilomètres de Corbeil). Bientôt
le vieux manoir où le roi Dagobert venait s'esbattre avec sa
cour, où Philippe de Valois avait passé le printemps de
1346, et dont les moines de Saint-Denis, donataires de ce
séjour royal et de ses dépendances, tiraient de gros fer-
mages , parut trop étroit à ce fils d'un argentier du dix-
huitième siècle, qui y ajouta de nouvelles et splendides cons-
tructions. L'hôtel de Pàris-Monmartel était à Paris, vers le
milieu du dix-huitième siècle, le rendez-vous habituel des
gens de lettres et des artistes les plus distingués. L'heureux,
propriétaire ne se donnait poui-tant pas les airs d'un Mécène;
c'était un homme de bon sens et de bon goût , affable san*
affectation, obligeant pour le plaisir d'obliger , encourageant
les talents sans les humilier; mais son fils n'hérita pas plus
de ses goûts que de ses excellentes qualités.
Une fois possesseur d'une grande fortune, qu'il croyait
inépuisable, il se livra aux fantaisies les plus excentriques;
puis , voulant se signaler par de pieuses prodigalités , il
préluda par doter l'église de Brunoy des plus splendides or-
nements. Ce ne fut partout qu'or, argent et diamants sur
les autels. Les mémoires du temps ont décrit le faste prodi-
gieux de ses processions. Celle de juin 1772 fut plus magni-
fique encore que les précédentes , et coûta, dit-on, 500,000
livres. « L'entretien du jour , disent les Mémoires de Ba -
chaumont, à la date du 21 juin 1772 , roule sur la proces-
sion de Brunoy , dont on fait les détails les plus singuliers ,
ainsi que du personnage qui l'a dirigée. On assure que tout
s'y est passé dans le meilleur ordre et de la manière la plus
édifiante pour le public. C'est M, de Brunoy q^ii dirigeait
800
la marche et le cérémonial. Comme personne ne se connaît
mieux que lui en liturgie, il n'y a pas eu une révérence
d'omise. Il y avait plus de cent cinquante prôtres, qu'il avait
loués à plus de dix lieues à la ronde. 11 avait, en outre,
donné des chapes à quantité de particuliers ; en sorte qu'il
en résultait un cortège de quatre cents personnes. On
comptait vingt-cinq mille pots de (leurs, six reposoirs ,
lont l'un tout en fleurs et de l'élégance la plus exquise.
Après la procession, ce magnifique seigneur a donné
un repas de huit cents couverts , composé de prêtres , de
chapiers et de paysans, ses amis ; car c'est dans cet ordre
qu'il les cherche. On comptait plus de cinq cents carrosses
venus de Paris, et le spectacle du monde, épars dans les
campagnes, y faisant des repas champêtres, n'était pas
un des moindres coups d'œil de la fête. Elle doit recom-
mencer jeudi procliain, et le récit de ce qui s'est passé aug-
mentera vraisemblablement la multitude de curieux. « Ces
solennités fastueuses se renouvelèrent pendant quelques an-
nées. Les fêtes de Longchamps les firent oublier; ce fut un
scandale de plus.
Il l'fait réservé au marquis de Brunoy d'étonner tout Pa-
ris par une autre fantaisie plus excentrique. Il annonça,
en 1775, la résolution de se rendre en Palestine, d'y visiter
le tombeau de Jés>is-Clu-ist et des apôtres. Il devait faire ce
BRUNOY
long voyage à pied dans le modeste costume d'un pèlerin
vulgaire, en sandales, le bourdon au poing, l'escarcelle à
la ceinture, etc. ; mais il n'avait pas l'intention de partir seul :
trente hommes devaient l'accompagner, et il assurait à cha-
cun d'eux une prime de 600 francs payée avant le départ,
et une pension viagère à ceux qui reviendraient avec lui en
France. Tous les frais de route d'ailleurs à sa charge. Ce
pèlerinage n'eut pas lieu. A ces conditions cependant, il ne
devait avoir que l'embarras du choix. L'obstacle n'était pas
là; Brunoy avait plus de vanité que de dévotion; il ne vit
plus que l'ennui et la fatigue d'un si long voyage, sans
faste , sans éclat , sans rien qui le distinguât des mercenaires
qui l'escorteraient, et il y renonça.
L'heureux successeur de Pâris-Monmartel dans l'exploi-
tation des finances de la France, le banquier favori du rt^gent
et de Louis XY , Beaujon, eut aussi des fantaisies de
grand seigneur. Mais ses folies furent d'un autre genre que
celles du marquis de Brunoy. N'oublions pas qu'il fonda à
Paris un grand établissement de bienfaisance, auquel les
pauvres ont donné son nom. Que reste-t-il du marquis de
Brunoy? Le souvenir d'une stérile et scandaleuse prodiga-
lité et celui de son interdiction, sollicitée et obtenue jiar
ses parents, Di'fey ( de 1" Vonne).
FIN DU TROISIÈME VOLUME.
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